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Full text of "Oeuvres"

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OEUVRES 


DE  BOSSUET 


TOiME    III 


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l'ARIS.    Tyi'OClUI'IlIE    I)K    FIlilHIN-DinOT    KT    C'K,    lil  K   J ACOIÎ ,    50. 


ŒUVRES 


DE  BOSSUET 


TOME  TROISIEME 


SERMONS.  —  PANÉGYRIQUES.  —  MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE 


PARIS 


CHEZ   FIRiMIN-DIDOT   ET   C",    LIBRAIRES 

IMPRIMEURS   DE   l'INSTITUT    DE    FRANCE 

RliE  JACOB,    56 


M   DCCC  LXXVII 


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SUITE 


DES  SERMONS. 


PREMIER  SERMON 


LE  JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 

Cembien  depuis  le  péché  nous  sommes  naturellement  por- 
tés au  mal ,  et  combien  la  vertu  nous  est  difticile.  Impuis- 
sauce  de  la  loi  pour  nous  soulager  dans  nos  inlirmités  ;  com- 
ment n'est-elle  propre  qu'à  augmenter  le  crime  et  qu'à  nous 
donner  la  mort.  De  quelle  manière  elle  nous  fait  sentir  notre 
impuissance  et  le  besoin  que  nous  avons  de  la  grâce.  Chaste 
déleclalion,  esprit  vivifiant,  caractère  distinctif  de  la  nou- 
velle alliance.  Pourquoi  la  crainte  ne  peut-elle  changer  les 
c<*urs.  Amour  que  nous  devons  à  Dieu;  excès  de  notre  ingra- 
titude. 


Littera  occidit;  Sphritus  autem  vivifkat. 

La  lettre  tue;  mai  s  l'Esprit  vivifie.  II.  Cor.  ni,  6. 

A  la  vérité,  le  sang  du  Sauveur  nous  avait  ré- 
conciliés à  notre  grand  Dieu  par  une  alliance 
perpétuelle;  mais  il  ne  suffisait  pas  pour  notre 
salut  que  cette  alliance  eût  été  conclue,  si  ensuite 
elle  n'eût  été  publiée.  C'est  pourquoi  Dieu  a  choisi 
ce  jour ,  où  les  Israélites  étaient  assemblés  par 
une  solennelle  convocation ,  pour  y  faire  publier 
hautement  le  traité  de  la  nouvelle  alliance  qu'il 
lui  plaît  contracter  avec  nous  ;  et  c'est  ce  que 
nous  montrent  ces  langues  de  feu  qui  tombent 
d'eu  haut  sur  les  saints  apôtres  :  car  d'autant  que 
la  nouvelle  alliance,  selon  les  oracles  des  prophé- 
ties ,  devait  êlTC  solennellement  publiée  par  le 
ministère  de  la  prédication;  le  Saint-Esprit  des- 
cend en  forme  de  langues,  pour  nous  faire  en- 
tendre par  cette  figure  :  qu'il  donne  de  nouvelles 
langues  aux  saints  apôtres;  et  qu'autant  qu'il 
remplit  de  personnes,  il  établit  autant  de  hérauts 
qui  publieront  les  articles  de  l'alliance  et  les  com- 
mandements de  la  loi  nouvelle  partout  où  il  lui 
plaira  de  les  envoyer. 

C'est  donc  aujourd'hui,  chrétiens,  que  la  loi 
nouvelle  a  été  publiée  :  aujourd'hui  la  prédication 
du  saint  Evangile  a  commencé  déclairer  le  monde  : 
aujourd'hui  l'Église  chrétienne  a  pris  sa  naissance  : 
aujourd'hui  la  loi  mosaïque,  donnée  autrefois 

BOSSIET.   —  T.   II/. 


avec  tant  de  pompe ,  est  abolie  par  une  loi  plus 
auguste;  les  sacrifices  des  animaux  étant  rejetés, 
le  Saint-Esprit  envoyé  du  ciel  se  fait  lui-même 
des  hosties  raisonnables  et  des  sacrifices  vivants 
des  cœurs  des  disciples. 

Il  est  très-certain,  bienheureuse  Marie,  que 
vous  fûtes  la  principale  de  ces  victimes;  impé- 
trez-nous  l'abondance  du  Saint-Esprit  qui  vous 
a  aujourd'hui  embrasée.  Sainte  mère  de  Jésus- 
Christ,  vous  étiez  déjà  tout  accoutumée  à  le 
sentir  présent  en  votre  âme  ;  puisque  déjà  sa  vertii 
vous  avait  couverte  lorsque  l'ange  vous  salua  de 
la  part  de  Dieu ,  vous  disant  :  Ave,  Maria. 

Entrons  d'abord  en  notre  matière;  elle  est  si 
haute  et  si  importante ,  qu'elle  ne  me  permet  pas 
de  perdre  le  temps  à  vous  faire  des  avant-propos 
superflus.  Je  vous  ai  déjà  dit,  chrétiens,  que  la 
fête  que  nous  célébrons  en  ce  jour,  c'est  la  pu- 
blication de  la  loi  nouvelle  :  et  de  là  vient  que  la 
prédication,  par  laquelle  cette  loi  se  doit  publier, 
est  commencée  aujourd'hui  dans  Jérusalem,  selon 
cette  prédiction  disaie  :  <  La  loi  sortira  de  Sion, 
n  et  la  parole  de  Dieu  de  Jérusalem  '.  »  Mais  bien 
qu'elle  dût  être  commencée  dans  Jérusalem ,  elle 
ne  devait  pas  y  être  arrêtée  :  de  là  elle  devait  se 
se  répandre  dans  toutes  les  nations  et  dans  tous 
les  peuples,  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre. 
Comme  donc  la  loi  nouvelle  de  notre  Sauveur 
n'était  pas  faite  pour  un  seul  peuple,  certainement 
il  n'était  pas  convenable  qu'elle  fût  publiée  en  un 
seul  langage.  C'est  pourquoi  le  texte  sacré  nous 
enseigne  que  les  apôtres  prêchant  aujourd'hui, 
bien  que  leur  auditoire  fût  ramassé  d'une  infinité 
de  nations  diverses ,  chacun  y  entendait  son  pro- 
pre idiome  et  la  langue  de  son  pays.  Par  où  le 
Saint-Esprit  noiJs  enseigne  que  si ,  à  la  tour  de 
Babel,  l'orgueil  avait  autrefois  divisé  les  langues', 
l'humble  doctrine  de  l'Évangile  les  allait  aujour- 
d'hui rassembler  ;  qu'il  n'y  en  aurait  point  de  si 
rude  ni  de  si  barbare ,  dans  laquelle  la  vérité  de 

'  Is.  n,  3. 

*  Gènes.  XI ,  9. 


POUK  LE  JOUR 


Dieu  ne  fut  enseignée  ;  que  l'Église  de  Jésus-Christ 
Jes  parlerait  toutes  ;  et  que  si ,  dans  le  Vieux  Tes- 
tament ,  il  n'y  avait  que  la  seule  langue  hébraïque 
qui  fût  l'interprète  des  secrets  de  Dieu ,  mainte- 
nant, par  la  grâce  de  l'Évangile,  toutes  les  langues 
seraient  consacrées,  selon  cet  oracle  de  Daniel  : 
«  Toutes  les  langues  serviront  au  Seigneur».  » 
Par  où  vous  voyez,  chrétiens,  la  merveilleuse 
conduite  de  Dieu ,  qui  ordonne ,  par  un  très-sage 
conseil,  que  la  loi  qui  devait  être  commune  à 
toutes  les  nations  de  la  terre ,  soit  publiée  dès  le 
premier  jour  en  toutes  les  langues. 

Imitons  les  saints  apôtres ,  mes  frères ,  et  pu- 
blions la  loi  de  notre  Sauveur  avec  une  ferveur 
céleste  et  divine.  Je  vous  dénonce  donc ,  au  nom 
de  Jésus ,  que ,  par  la  descente  du  Saint-Esprit, 
vous  n'êtes  plus  sous  la  loi  mosaïque ,  et  que  Dieu 
vous  a  appelés  à  la  loi  de  grâce  :  et  afin  que  vous 
entendiez  quelle  est  la  loi  dont  on  vous  délivre, 
et  quelle  est  la  loi  que  l'on  vous  impose,  je  vous 
produis  l'apôtre  saint  Paul ,  qui  vous  enseignera 
cette  différence.  «  La  lettre  tue ,  dit-il ,  et  l'Esprit 
«  vivifie.  »  La  lettre ,  c'est  la  loi  ancienne  ;  et  l'Es- 
prit ,  comme  vous  le  verrez ,  c'est  la  loi  de  grâce  : 
et  ainsi,  en  suivant  l'apôtre  saint  Paul',  faisons 
voir,  avec  l'assistance  divine ,  que  la  loi  nous  tue 
par  la  lettre,  et  que  la  grâce  nous  vivifie  par  l'Es- 
;  prit. 

PREMIER    POINT. 

'Et ,  pour  pénétrer  le  fond  de  notre  passage , 
il  faut  examiner  avant  toutes  choses  quelle  est 
cette  lettre  qui  tue,  dont  parle  l'apôtre.  Et  pre- 
mièrement il  est  assuré  qu'il  parle  très-évidem- 
ment de  la  loi  :  mais  d'autant  qu'on  pourrait  en- 
tendre ce  texte  de  la  loi  cérémonielle ,  comme  de 
la  circoncision,  et  des  sacrifices  dont  l'observation 
tue  les  âmes,  ou  même  de  quelques  façons  de  parler 
figurées  qui  sont  dans  la  loi ,  et  qui  ont  un  sens 
très-pernicieux ,  quand  on  les  veut  prendre  trop 
à  la  lettre  ;  à  raison  de  quoi  on  peut  dire  que  la 
loi ,  en  quelques-unes  de  ses  parties ,  est  une  lettre 
qui  tue  :  pour  ne  vous  point  laisser  en  suspens 
je  dis  que  l'apôtre  parle  du  Décalogue ,  qui  est  la 
partie  de  la  loi  la  plus  sainte.  Oui ,  ces  dix  com- 
mandements si  augustes  qui  défendent  le  mal  si 
ouvertement  ;  c'est  ce  que  l'apôtre  appel  le  la  lettre 
qui  tue ,  et  je  le  prouve  clairement  par  ce  texte  : 
car  après  avoir  dit  que  la  lettre  tue;  immédiate- 
ment après  parlant  de  la  loi ,  il  l'appelle  «  un  mi- 
«  nistèrede  mort  taillé  en  lettres  dans  la  pierre  :  » 
ministratio  mortis,  lUteris  déforma  ta  in  lapi- 
dibus  ^.  Le  ministère  de  mort ,  c'est  sans  doute  la 

•  Dan.  vu,  14. 
»  II.  Cryr.  111,6 
3  Ibid.  7. 


lettre  qui  tue  ;  et  la  lettre  taillée  dans  la  pierre  : 
ne  sont-ce  pas  les  deux  tables  données  à  Moïse , 
où  la  loi  était  écrite  du  doigt  de  Dieu?  C'est  donc 
cette  loi  donnée  à  Moïse ,  cette  loi  si  sainte  du 
Décalogue,  que  l'apôtre  appelle  ministère  de  mort, 
et  par  conséquent  la  lettre  qui  tue.  C'est  pourquoi, 
dans  l'épître  aux  Romains,  il  l'appelle  expressé- 
ment n  une  loi  de  mort  '  »  et  une  loi  de  damna- 
tion :  il  dit  que  «  la  force  du  péché  est  dans  la  loi'  ;  ' 
«  que  le  péché  est  mort  sans  la  loi,  et  que  la  loi 
«  lui  donne  la  vie  ;  que  le  péché  nous  trompe  par 
«  le  commandement  de  la  loi  ^ ,  »  et  quantité  d'au- 
tres choses  de  même  force. 

Que  dirons-nous  ici,  chrétiens?  Quoi  !  ces  pa- 
roles si  vénérables  :  «  Israël,  je  suis  le  Seigneur 
«  ton  Dieu  ;  tu  n'auras  point  d'autres  dieux  devant 
«  moi**  :  »  sont-efies  donc  une  lettrequitue?  etune 
loi  si  sainte  méritait-elle  un  pareil  éloge  de  la 
bouche  d'un  apôtre  de  Jésus-Christ  ?  Tâchons  de 
démêler  ces  obscurités ,  avec  l'assistance  de  cet 
Esprit  saint  qui  a  rempli  aujourd'hui  les  cœurs 
des  apôtres.  Cette  question  est  haute,  elle  est 
difficile;  mais  comme  elle  est  importante  à  la 
piété ,  Dieu  nous  fera  la  grâce  d'en  venir  à  bout. 
Pour  moi ,  de  crainte  de  m'égarer,  je  suivrai  pas 
à  pas  le  plus  éminent  de  tous  lesdocteurs ,  le  plus 
profond  interprète  du  grand  apôtre ,  je  veux  dire , 
l'incomparable  saint  Augustin ,  qui  explique  di- 
vinement cette  vérité  dans  le  premier  livre  à  Sim- 
plicien  ,  et  dans  le  livre  de  l'Esprit  et  de  la  lettre. 
Rendez-vous  attentifs,  chrétiens,  à  une  instruc- 
tion que  j'ose  appeler  la  base  de  la  piété  chré- 
tienne. 

Quand  l'apôtre  parle  ainsi  de  la  loi ,  quand  il 
l'appelle  une  lettre  qui  tue  et  qui  donne  au  péché 
de  nouvelles  forces,  croyez  qu'il  ne  songe  pas  a. 
blâmer  la  loi;  mais  il  déplore  la  faiblesse  de  la 
nature.  Si  donc  vous  voulez  entendre  l'apôtre; 
apprenez  premièrement  à  connaître  les  langueurs 
mortelles  qui  nous  accablent  depuis  la  chute  du 
premier  père,  dans  lequel,  comme  dans  la  tige 
du  genre  humain ,  toute  la  race  des  hommes  a  été 
gâtée  par  une  corruption  générale. 

Et,  pour  mieux  comprendre  nos  infirmités, 
considérons,  avant  toutes  choses,  quelle  était  la 
fin  à  laquelle  notre  nature  était  destinée.  Certes , 
puisqu'il  avait  plu  à  notre  grand  Dieu  de  laisser 
tomber  sur  nos  âmes  une  étincelle  de  ce  feu  divin 
qui  éclaire  les  créatures  intelligentes,  il  est  sans 
doute  que  nos  actions  devaient  être  conduites  par 
la  raison.  Or  il  n'y  avait  rien  de  plus  raisonnable 
que  de  consacrer  tout  ce  que  nous  sommes  à  celui 


'  Rom.  VII ,  6. 

*  I.  Cor.  XV,  5(5. 

3  Rnm.\\\,  s, 9,  11. 

♦  Dciil.  V.  fi.  7. 


DE  LA  PENTECOTE. 


dont  la  libéralité  nous  a  enrichis  ;  et  partant,  no- 
tre inclination  la  plus  naturelle  devait  être  d'aimer 
et  do  servir  Dieu  :  c'est  à  quoi  tout  l'homme  devait 
conspirer.  D'où  passant  plus  outre ,  je  dis  que , 
les  sens  étant  inférieurs  à  l'intelligence ,  il  fallait 
aussi  que  les  biens  sensibles  le  cédassent  aux  biens 
de  l'esprit  ;  et  ainsi ,  pour  mettre  les  choses  dans 
un  bon  ordre ,  les  affections  de  l'homme  devaient 
être  tellement  disposées ,  que  l'esprit  dominât  sur 
le  corps,  qae  la  raison  l'emportât  sur  les  sens, 
et  que  le  Créateur  fût  préféré  à  la  créature.  Vous 
voyez  bien  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  juste;  et  si  la 
nature  humaine  était  droite ,  telles  devraient  être 
ses  inclinations. 

Mais,  ô  Dieu,  que  nous  en  sommes  bien  éloi- 
gnés !  et  que  cette  belle  disposition  est  étrange- 
ment pervertie  ;  puisque ,  par  le  désordre  de  notre 
péché ,  nos  inclinations  naturelles  se  sont  tournées 
aux  objets  contraires  !  car  certainement  la  plupart 
des  hommes  suit  l'inclination  naturelle.  Or  il  n'est 
pas  difficile  de  voir  qu'est-ce  qui  domine  le  plus 
dans  le  monde.  La  première  vue,  n'est-il  pas  vrai, 
c'est  qu'il  n'y  a  que  les  sens  qui  régnent ,  que  la 
raison  est  opprimée  et  éteinte?  elle  n'est  écoutée 
qu'autant  qu'elle  favorise  les  passions,  nous  n'a- 
vons d'attachement  qu'à  la  créature  ;  et  si  nous 
suivons  le  cours  de  nos  mouvements,  nous  en 
viendjons  bientôt  à  oublier  Dieu.  Qu'ainsi  ne 
soit  !  regardez  quel  était  le  monde  avant  que  l'on 
y  eût  prêché  l'Evangile.  Où  était  en  ce  temps-là 
le  règne  de  Dieu ,  et  à  qui  est-ce  qu'on  présentait 
de  l'encens  ?  Qui  ne  sait  que  l'idolâtrie  avait  telle- 
ment infecté  la  terre,  qu'il  semblait  que  ce  grand 
univers  fût  changé  en  un  temple  d'idoles?  Qui 
n'est  saisi  d'horreur,  en  voyant  cette  multiplicité 
de  dieux  inventée  pour  rendre  méprisable  le  nom 
de  Dieu?  qui  ne  voit  en  ce  nombre  prodigieux 
de  fausses  divinités  l'étrange  débordement  de  no- 
tre nature ,  qui  renonçant  à  son  époux  véritable , 
à  la  manière  d'une  femme  impudique ,  s'aban- 
donnait à  une  infinité  d'adultères  par  une  insa- 
tiable prostitution?  Car  il  est  très-certain  que  l'i- 
dolâtrie n'avait  rien  laissé  d'entier  sur  la  terre  : 
c'était  le  crime  de  tout  le  monde  ;  et  encore  que 
Dieu  se  fût  réservé  un  petit  peuple  dans  la  Judée , 
toutefois  nous  savons  que  ce  peuple ,  qui  était  le 
seul ,  dans  toute  la  terre  habitable,  instruit  dans 
la  véritable  religion ,  était  si  fort  porté  à  quitter 
son  Dieu ,  que  ni  ses  miracles ,  quoique  très-visi- 
bles ;  ni  ses  promesses ,  quoique  très-magnifiques  ; 
ni  ses  châtiments,  quoique  très-rigoureux,  n'é- 
taient pas  capables  de  retenir  cette  inclination 
furieuse  qu'ils  avaient  de  courir  après  les  idoles  : 
tant  il  est  vrai  que  le  genre  humain ,  par  le  vice 
de  son  origine,  est  devenu  enclin  naturellement 
à  mépriser  Dieu  ;  et  voyez-le  par  une  expérience 


si  universelle.  Et  d'où  vient  cette  inclination  na- 
turelle ,  si  contraire  à  notre  première  institution , 
sinon  de  la  contagion  du  premier  péché,  par  le- 
quel la  source  des  hommes  étant  infectée ,  la  cor- 
ruption nous  est  passée  en  nature? 

Ah!  fidèles,  ne  craignons  pas  de  confesser 
ingénument  nos  infirmités  :  que  ceux-là  en  rou- 
gissent ,  qui  ne  savent  pas  le  remède ,  qui  ne  con- 
naissent pas  le  Libérateur.  Pour  nous,  n'appré- 
hendons pas  de  montrer  nos  plaies;  et  avouons 
que  notre  nature  est  extrêmement  languissante  : 
et  comment  pourrions-nous  le  nier?  Quand  nous 
voudrions  le  dissimuler  ou  le  taire ,  toute  notre 
vie  crierait  contre  nous  ;  nos  occupations  ordinai- 
res témoignent  assez  où  tend  la  pente  de  notre 
cœur.  D'où  vient  que  tous  les  sages  s'accordent 
que  le  chemin  du  vice  est  glissant?  d'où  vient  que 
nous  connaissons  par  expérience  :  que  non-seule- 
ment nous  y  tombons  de  nous-mêmes,  mais  en- 
core que  nous  y  sommes  comme  entraînés  ?  au  lieu 
que  pour  monter  à  cette  éminenee ,  où  la  vertu 
établit  son  trône ,  il  faut  se  roidir,  et  bander  les 
nerfs  avec  une  incroyable  contention.  Après  cela , 
est-il  malaisé  de  connaître  où  nous  porte  le  poids 
de  notre  inclination  dominante?  et  qui  ne  voit 
que  nous  allons  au  mal  naturellement;  puisqu'il 
faut  faire  effort  pour  nous  en  tirer,  et  que  nous 
n'en  pouvons  sortir  qu'avec  peine?  De  là  vient 
que  la  doctrine  de  l'Évangile ,  qui  ne  peut  repaî- 
tre que  l'entendement,  ne  tient  presque  point  à 
notre  âme  :  au  contraire,  les  choses  sensibles  y 
font  de  profondes  impressions.  J'en  appelle ,  chré- 
tiens, à  vos  consciences.  Quelquefois  quand  vous 
entendez  discourir  des  mystères  du  royaume  de 
Dieu ,  ne  vous  sentez- vous  pas  échauffés?  vous  ne 
concevez  que  de  grands  desseins  :  faut-il  faire  le 
premier  pas  de  l'exécution ,  n'est-il  pas  vrai  que 
le  moindre  souffle  du  diable  éteint  cette  flanune 
errante  et  volage  qui  ne  prend  pas  à  sa  matière?!! 
est  vrai  :  nous  sentons  je  ne  sais  quel  instinct  en 
nous-mêmes ,  qui  voudrait ,  ce  nous  semble ,  s'éle- 
ver à  Dieu  ;  mais  nous  sentons  aussi  un  torrent  de 
cupidités  opposées ,  qui  nous  entraînent  et  qui 
nous  captivent.  De  là  les  gémissements  de  l'apô- 
tre '  et  de  tous  les  vrais  serviteurs  de  Dieu ,  qui  se 
plaignent  qu'ils  sont  captifs;  et  que,  malgré  tous 
leurs  bons  désirs ,  ils  éprouvent  continuellemeot 
en  eux-mêmes  une  certaine  résistance  à  la  loi  de 
Dieu,  qui  les  presse  et  qui  les  tourmente.  Et  par- 
tant qui  donc  serait  si  superbe ,  qui ,  voyant  l'apô- 
tre saint  Paul  ainsi  vivement  attaqué,  ne  confes- 
serait pas  devant  Dieu ,  dans  l'humiliation  de  son 
âme ,  que  vraiment  notre  maladie  est  extrême ,  et 
que  les  plaies  de  notre  nature  sont  bien  profondes? 

Je  sais  que  l'orgueilleuse  sagesse  du  monde  ne 

'  R<yni.  VII ,  23. 

I. 


POUR  LE  JOUR 


goûtera  pas  cette  humble  doctritie  du  christia- 
nisme. La  nature ,  quoique  Impuissante ,  n'a  ja- 
mais été  sans  flatteurs,  qui  l'ont  enflée  par  de 
vains  éloges;  parce  qu'en  effet  ils  ont  vu  en  elle 
quehjue  chose  de  fort  excellent  :  mais  ils  ne  se 
sont  point  aperçus  qu'il  en  était  comme  des 
restes  d'un  édifice  autrefois  très-régulier  et  très- 
magnifique,  renversé  maintenant  et  porté  par 
terre;  mais  qui  conserve  encore  dans  sa  ruine 
quelques  vestiges  de  son  ancienne  grandeur  et  de 
la  science  de  son  architecte.  Ainsi  nous  voyons 
encore  en  notre  nature  quoique  malade,  quoique 
disloquée,  quelques  traces  de  sa  première  insti- 
tution; et  la  sagesse  humaine  s'étant  bien  voulu 
tromper  par  cette  apparence,  encore  qu'elle  y 
remarquât  des  défauts  visibles ,  elle  a  mieux  aimé 
couvrir  ses  maux  par  l'orgueil ,  que  de  les  guérir 
par  l'humilité.  J'avoue  même  que  les  hommes, 
pour  la  plupart,  ne  remarquent  pas,  comme  il 
faut,  cette  résistance  dont  nous  parlons;  mais 
combien  y  a-t-il  de  madades  qui  ne  sentent  pas 
leur  infirmité  1  Cela,  cela,  fidèles,  c'est  le  plus 
dangereux  effet  de  nos  maladies,  que  nous  sommes 
réduits  aux  abois,  et  qu'une  folle  arrogance  nous 
persuade  que  nous  sommes  en  bonne  santé  :  c'est 
en  cela  que  je  suis  plus  malade ,  que  je  ne  sais  pas 
déplorer  ma  misère,  ni  implorer  le  secours  du 
Libérateur  ;  faible  et  altiertout  ensemble,  impuis- 
sant et  présomptueux. 

Et  d'ailleurs  je  ne  m'étonne  pas,  si,  vivant 
comme  nous  vivons ,  nous  ne  sentons  pas  la  guerre 
éternelle  que  nous  fait  la  concupiscence.  Lors- 
que vous  suivez  en  nageant  le  cours  de  la  rivière 
qui  vous  conduit ,  il  vous  semble  qu'il  n'y  a  rien 
de  si  doux  ni  de  si  paisible  ;  mais  si  vous  remontez 
contre  l'eau ,  si  vous  vous  opposez  à  sa  chute ,  c'est 
alors,  c'est  alors  que  vous  éprouvez  la  rapidité 
de  son  mouvement.  Ainsi  je  ne  m'étonne  pas, 
chrétien,  si  menant  une  vie  paresseuse,  si  ne 
faisant  aucun  effort  pour  le  ciel ,  si  ne  songeant 
point  à  t'élever  au-dessus  de  l'homme ,  pour  com- 
mencer à  jouir  de  Dieu  ,  tu  ne  sens  pas  la  résis- 
tance de  la  convoitise  ;  c'est  qu'elle  t'emporte  toi- 
même  avec  elle  :  vous  marchez  ensemble  d'un 
même  pas ,  et  vous  allez  tous  deux  dans  la  même 
voie  :  ainsi  son  impétuosité  t'est  imperceptible. 

Un  saint  Paul ,  un  saint  Paul  la  sentira  mieux  ; 
parce  qu'il  a  ses  affections  avec  Jésus-Christ  :  les 
inclinations  charnelles  le  blessent,  parce  qu'il 
aime  la  loi  du  Sauveur;  tout  ce  qui  s'y  oppose,  lui 
devient  sensible.  Aspirons  à  la  perfection  chré- 
tienne :  suivons  un  peu  Jésus-Christ  dans  la  voie 
étroite,  et  bientôt  notre  expérience  nous  fera 
reconnaître  notre  infirmité.  C'est  alors  qu'étant 
fatigués  par  les  opiniâtres  oppositions  de  la  con- 
voitise, nous  confesserons  que  les  forces  nous 


manquent  si  la  grâce  divine  ne  nous  soutient.  Car 
enfin  ee  n'est  pas  un  ouvrage  humain  de  dompter 
cet  ennemi  domestique  qui  nous  persécute  si  vi- 
vement, et  qui  ne  nous  donne  aucun  relâche. 
Etant  ainsi  déchirés  en  nous-mêmes,  nous  nous 
consumons  par  nos  propres  efforts  ;  plus  nous  pen- 
sons nous  pouvoir  relever  par  notre  naturelle  vi-' 
gueur,  et  plus  elle  se  diminue  ;  comme  un  pauvre 
malade  moribond  qui  ne  sait  plus  que  faire  ;  il 
s'imagine  qu'en  se  levant  il  sera  un  peu  allégé , 
il  achève  de  perdre  son  peu  de  force  par  un  travail 
qii'il  ne  peut  supporter,  et,  après  qu'il  s'est  beau- 
coup tourmenté  à  traîner  ses  membres  appesantis 
avec  une  extrême  contention ,  il  retombe ,  ainsi 
qu'une  pierre,  sans  pouls  et  sans  mouvement,  plus 
faible  et  plus  impuissant  que  jamais.  Ainsi  en  est- 
il  de  nos  volontés ,  si  elles  ne  sont  secourues  par 
la  grâce.  Or  la  grâce  n'est  point  par  la  loi  :  car 
si  la  grâce  était  par  la  loi ,  c'est  en  vain  que  Jésus- 
Christ  seraitmort;  et  ce  grand  scandale  de  la  croix 
serait  inutile.  C'est  pourquoi  l'évangéliste  nous 
dit  :  «  La  loi  a  été  donnée  par  Moïse  ;  mais  la 
«  grâce  et  la  vérité  a  été  faite  par  Jésus-Christ  '.  >• 
D'où  je  conclus  que,  sous  le  Vieux  Testament, 
tous  ceux  qui  obéissaient  à  la  grâce,  c'était  par 
le  mérite  de  Jésus-Christ;  et  de  là  ils  appartenaient 
au  christianisme,  parce  que  Ja  grâce  ni  la  justice 
n'est  point  par  la  loi.  Et  de  là ,  pour  revenir  à  mon 
texte,  j'infère  avec  l'apôtre  :  que  «  la  lettre  tue.  >» 
Voyez  si  je  prouverai  bien  ce  que  je  propose ,  et 
renouvelez  vos  attentions. 

Insistons  toujours  aux  mêmes  principes.  Et 
ainsi ,  pour  revenir  à  notre  passage ,  figurez-vous 
cet  homme  malade ,  que  je  vous  dépeignais  tout 
à  l'heure  ;  cet  homme  tyrannisé  par  ses  convoiti- 
ses ,  cet  homme  impuissant  à  tout  bien ,  qui ,  selon 
le  concile  d'Orange,  -<  n'a  rien  de  son  crû  que  le 
«  mensonge  et  le  péché  '  :  »  que  produira  la  loi 
en  cet  homme ,  puisqu'elle  ne  peut  lui  donner  la 
grâce?  elle  parle,  elle  commande,  elle  tonne,  elle 
retentit  aux  oreilles  d'un  ton  puissant  et  impé- 
rieux; mais  que  sert  de  frapper  les  oreilles ,  puis- 
que la  maladie  est  au  cœur?  Je  ne  craindrai  point 
de  le  dire  :  si  vous  n'ajoutez  l'esprit  de  la  grâce; 
je  ne  craindrai  point  de  le  dire ,  tout  ce  bruit  de 
la  loi  ne  fait  qu'étourdir  le  pauvre  malade  :  elle 
l'effraye,  elle  l'épouvante;  mais  il  vaudrait  bien 
mieux  le  guérir,  et  c'est  ce  que  la  loi  ne  peut  faire. 
Quel  est  donc  l'avantage  qu'apporte  la  loi?  Elle 
fait  connaître  le  mal  ;  elle  allume  le  flambeau  de- 
vant le  malade,  elle  lui  montre  le  chemin  de  la 
vie  :  «  Fais  ceci  et  tu  vivras,  »  lui  dit-elle  :  Hoc 
fac  et  vives  ^.  Mais  à  quoi  sert  de  montrer  à  ce 

'  Jnan.  1,  17. 

'  Conc.  Araiisk.  il,  can.  xxii,  Labb.  t.  IV,  col.  1070. 

^  Luc.  \  ,  28. 


DE  LA  PENTECOTE. 


pauvre  paralytique  qui  est  au  Ut  depuis  trente-huit 
ans;  à  quoi  sert  que  vous  lui  montriez  Feau  mi- 
raculeuse qui  peut  le  guérir?  Hominem  non 
habeo  '  :  «  Je  n'ai  personne ,  «  dit-il  ;  il  est  immo- 
bile ,  il  faut  le  porter  -  et  il  est  impossible  que  la  loi 
le  porte. 

Mais  la  loi,  direz-vous,  n'a-t-elle  donc  aucune 
énergie?  Certes,  son  énergie  est  très-grande; 
mais  très-  pernicieuse  à  notre  malade.  Que  fait- 
elle?  Elle  augmente  la  connaissance,  et  cela 
même  augmente  le  crime  :  elle  me  c  ommande  de 
la  part  de  Dieu,  elle  me  fait  comprendre  ses  ju- 
gements. Avant  la  loi ,  je  ne  connaissais  pas  que 
Dieu  fût  mon  juge ,  ni  qu'il  prît  la  qualité  de  ven- 
geur des  crimes;  mais  la  loi  me  montre  bien  qu'il 
est  juge ,  puisqu'il  daigne  bien  être  législateur. 
Mais  enfin  que  produit  cette  connaissance?  Elle 
fait  que  mon  péché  est  moins  excusable ,  et  ma 
rébellion  plus  audacieuse.  C'est  pourquoi  l'apôtre 
nous  dit  que  «  le  péché  a  abondé  par  la  loi  * ,  » 
qu'elle  lui  donne  de  nouvelles  forces,  «  qu'elle  le 
«  fait  vivre  ^;  "  parce  qu'à  tous  les  autres  péchés 
elle  ajoute  la  désobéissance  formelle^  qui  est  le 
comble  de  tous  les  maux.  De  cette  sorte ,  que  fait 
la  loi?  Elle  lie  les  transgresseurs par  des  malédic- 
tions éternelles;  parce  qu'il  est  écrit  dans  cette 
loi  même  :  «  Maudit  est  celui  qui  n'observe  pas 
n  ce  qui  est  commandé  dans  ce  livre  ^.  » 

A  présent ,  ne  voyez-vous  pas  clairement  toute 
la  force  du  raisonnement  de  l'apôtre  ?  car  la  loi 
ne  nous  touchant  qu'au  dehors ,  elle  n'a  pas  la 
force  de  nous  soulager;  et  sortant  de  la  bouche 
de  Dieu ,  elle  a  la  force  de  nous  condamner.  La 
loi  donc ,  considérée  en  cette  manière ,  qu'est-ce 
autre  chose  qu'une  lettre  qui  ne  soutient  pas  l'im- 
puissance ,  mais  qui  condamne  la  rébellion  ;  «  qui 
«  ne  soulage  pas  le  malade,  mais  qui  témoigne 
«  contre  le  pécheur?  >.  Non  adjuirix  legentium, 
sedièstis  peccantium,  dit  saint  Augustin  *  :  mais 
cet  excellent  docteur  passe  bien  plus  outre ,  ap- 
puyé sur  la  doctrine  du  saint  apôtre. 

Achevons  de  faire  connaître  à  l'homme  l'ex- 
trémité de  sa  maladie,  afin  qu'il  sache  mieux 
reconnaître  la  miséricorde  infinie  de  son  méde- 
cin. Nous  avons  dit  que  notre  plus  grand  mal , 
c'est  l'orgueil.  Que  fait  le  commandement  à  un 
orgueilleux?  Il  fait  qu'il  se  roidit  au  contraire, 
comme  une  eau  débordée  qui  s'irrite  par  les  obs- 
tacles :  et  d'où  vient  cela?  C'est  à  cause  que  l'or- 
gueilleux n'affecte  rien  tant  que  la  liberté ,  et  ne 
fuit  rien  tant  que  la  dépendance  :  c'est  pourquoi 

*  Joan.  y,  7. 

»  Rom.  V,  20. 

*  Ibid.  VII,  9. 

*  Deul.  XXVII,  26. 

'  Du  divers.  Qnœst.  ad  SimpUcian.  lib.  I,  Qaaest.  T,  n'  7 
L  VI ,  col.  S4.  ' 


il  se  plaît  à  secouer  le  joug;  il  aime  la  licence, 
parce  qu'elle  seml)le  un  débordement  de  la  li- 
berté. Notre  âme  donc  étant  inquiète ,  indocile  et 
impatiente  ;  la  vouloir  retenir  par  la  discipline , 
c'est  la  précipiter  davantage.  Avouons  la  vérité , 
chrétiens  ;  nous  trouvons  une  certaine  douceur 
dans  les  choses  qui  nous  sont  défendues  :  tel  ne 
se  souciera  pas  beaucoup  de  la  chair,  qui  la  trou- 
vera plus  délicieuse  pendant  le  carême.  La  défense 
excite  notre  appétit ,.  et  par  ce  moyen  fait  naître 
un  nouveau  plaisir;  et  quelle  est  la  cause  de  ce 
plaisir,  si  ce  n'est  celle  que  je  viens  de  vous  rap- 
porter :  c'est-à-dire ,  cette  vaine  ostentation  d'une 
liberté  indocile  et  licencieuse  qui  est  si  douce  à  un 
orgueilleux  ;  et  qui  fait  que  l'objet  de  ses  passions 
«  lui  plaît  d'autant  plus ,  qu'il  lui  est  moins  per- 
«  mis?  «  Tanto  magis  libet,  quanto  minus  licet, 
dit  saint  Augustin  '  ;  et  c'est  ce  que  veut  dire 
l'apôtre  aux  Romains  :  «  Le  péché ,  prenant  oc- 
«  casion  du  commandement,  m'a  trompé ,  et  m'a 
«  fait  mourir  '.  »  Le  péché  prenant  occasion  du 
commandement ,  il  m'a  trompé  par  cette  fausse 
douceur  que  la  défense  fait  naître.  Elle  est  vaine , 
elle  est  fausse ,  il  est  vrai ,  mais  très-charmante  à 
une  âme  superbe;  et  c'est  par  cette  raison  qu'elle 
trompe  facilement.  Reprenons  donc  maintenant 
ce  raisonnement  :  la  loi ,  par  la  défense,  augr 
mente  le  plaisir  de  mal  faire ,  et  par  là  excite  la 
convoitise  ;  la  convoitise  me  donne  la  mort  :  et 
partant  la  loi  me  donne  la  mort ,  non  point  cer- 
tes par  elle-même ,  mais  par  la  malignité  du  pé- 
ché qui  domine  en  moi.  «  En  sorte  que  la  concu- 
n  piscence  est  devenue ,  par  le  commandement 
«  même ,  une  source  plus  abondante  de  péché  :  » 
Ut  fiât  supra  modum  peccans  peccatum  per 
mandatum,  continue  le  même  saint  Paul  ^. 

Ne  voyez-vous  pas  maintenant ,  plus  clair  que 
le  jour,  que  non-seulement  les  préceptes  du  Dé- 
calogue,  mais  encore,  par  une  conséquence  in- 
faillible, tous  les  enseignements  de  la  loi,  et 
même  toute  la  doctrine  de  l'Évangile,  si  nous 
n'irapétrons  l'esprit  de  la  grâce ,  ne  sont  qu'une 
lettre  qui  tue ,  qui  pique  la  convoitise  par  la  dé- 
fense, et  comble  le  péché  par  la  transgression? 
Et  quelle  est  donc  l'utilité  de  la  loi?  Ah  I  c'est  ici , 
mes  frères,  où  il  nous  faut  recueillir  le  fruit  de» 
doctes  enseignements  de  l'apôtre.  Ne  croyons 
pas  qu'il  nous  ait  voulu  débiter  une  doctrine  si 
délicate  à  la  manière  des  rhétoriciens.  Saint  Au- 
gustin a  bien  compris  sa  pensée.  Il  a  voulu,  dit-il, 
faire  voir  à  l'homme  combien  était  grande  son 
impuissance,  et  combien  déplorableson  infirmité  , 

»  De  divers.  Quast.  ad  SimpUcian.  lib.  I ,  Quopst.  T,  a»  17» 
col.  88. 
»  Rom.  Tii,  Il 
3  Ibid.  la. 


POUR  LE  JOUR 


puisqu'une  loi  si  juste  et  si  sainte  lui  devenait 
un  poison  mortel  ;  «  afin  que ,  par  ce  moyen,  nous 
«  reconnussions  humblement  qu'il  ne  suffit  pas 
«  (jue  Dieu  nous  enseigne,  mais  qu'il  est  néces- 
«  snire  qu'il  nous  soulage,  »  non  tantum  docto- 
rcm  sihi  esse  necessarium ,  verum  etiam  adju- 
iorem  Deum  '.  C'est  pourquoi  le  grand  docteur 
des  Gentils,  après  avoir  dit  de  la  loi  toutes  les 
choses  que  je  vous  ai  rapportées ,  commence  à  se 
plaindre  de  sa  servitude.  «  Je  me  plais,  dit-il  * , 
«  à  la  loi  de  Dieu  selon  l'homme  intérieur  ;  mais 
•  je  sens  une  loi  en  moi-même  qui  répugne  à  la 
«  loi  de  l'esprit,  et  me  captive  sous  la  loi  du  pé- 
«  ché  :  car  je  ne  fais  pas  le  bien  que  je  veux  j  mais 
"  je  fais  le  mal  que  je  hais.  Malheureux  homme 
«  que  je  suis,  qui  me  délivrera  de  ce  corps  de 
«  mort?  La  grâce  de  Dieu  par  Notre-Seigneur  Jé- 
«  sus-Christ.  «  C'est  là  enfin ,  fidèles,  c'est  à  cette 
grâce  que  notre  impuissance  doit  nous  conduire. 
La  loi  ne  fait  autre  chose  que  nous  montrer  ce 
que  nous  devons  demander  à  Dieu ,  et  de  quoi 
nous  avons  à  lui  rendre  grâces  ;  et  c'est  ce  qui  a 
fait  dire  à  Saint  Augustin  ^  :  «  Faites  ainsi,  Sei- 
«  gneur  ;  faites  ainsi  Seigneur,  miséricordieux  : 
K  commandez  ce  qui  ne  peut  être  accompli  ;  ou 
«  plutôt  commandez  ce  qui  ne  peut  être  accompli 
«  que  par  votre  grâce  :  afin  que  tout  fléchisse  dé- 
fi vaut  vous  ;  et  que  celui  qui  se  glorifie,  se  glorifie 
«  seulement  en  Notre-Seigneur.  » 

C'est  là  la  vraie  justice  du  christianisme  ;  qui 
ne  vient  pas  en  nous  par  nous-mêmes ,  mais  qui 
nous  est  donnée  par  le  Saint-Esprit  :  c'est  là  cette 
justice  qui  est  par  la  foi ,  que  l'apôtre  saint  Paul 
élève  si  fort  ;  non  pas  comme  l'entendent  nos 
adversaires ,  qui  disent  que  toute  la  vertu  de  jus- 
'tifier  consiste  en  la  foi.  Ils  n'ont  pas  bien  pris  le 
sens  de  l'apôtre  ;  et  je  le  prouve  démonstrative- 
ment  en  un  mot  que  je  vous  prie  de  retenir,  pour 
les  combattre  dans  la  rencontre.  «  Si ,  dit  saint 
«  PauP,  j'ai  toute  la  foi,  jusqu'à  transporter  les 
«  montagnes,  et  que  je  n'aie  pas  la  charité,  je 
«  ne  suis  rien.  »  S'il  n'est  rien ,  donc  il  n'est  pas 
juste,  donc  la  foi  ne  justifie  pas  sans  la  charité  : 
et  toutefois  il  est  véritable  que  c'est  la  foi  de  Jé- 
sus-Christ qui  nous  justifie  ;  parce  qu'elle  n'est 
pas  seulement  la  base,  mais  la  source  qui  fait 
découler  sur  nous  la  justice  qui  est  par  la  grâce. 
Car,  comme  dit  le  grand  Augustin ,  «  ce  que  la 
<«  loi  commande ,  la  foi  l'impètre  :  »  Fides  impeùxit 
(juod  lex  imperat  ^  La  loi  dit  :  «  Tu  ne  convoi- 
<■  teras  pas  *";  »  la  foi  dit  avec  le  Sage  :  «  Je  sais, 

'  De  Spirit.  et  litl.  n"  9,  t.  x,  col.  89. 

>  Hom.  VII  ,  15  ,  22  ,  23  ,  24  ,  25. 

3  lu  Ps.  cxviii,  Scrm.  xvil ,  ii°  3,  t  IV,  col.  1350. 

♦  I.  Cor.  XIII,  2. 

»  1h  Ps.  rxviii ,  Serin,  xvi ,  n°  2 ,  l.  iv,  col.  I3I8. 

<  RoPi  Vit  ,  7. 


«  6  grand  Dieu ,  et  je  le  confesse ,  que  personne 
«  ne  peut  être  continent,  si  vous  ne  le  faites  '.  » 
Dieu  dit  par  la  loi  :  «  Fais  ce  que  j'ordonne  ;  »  la 
foi  répond  à  Dieu  :  «  Donnez,  Seigneur,  ce  que 
«  vous  ordonnez  '.  «  La  foi  fait  naître  l'humilité, 
et  l'humilité  attire  la  grâce ,  «  et  c'est  la  grâce 
«  qui  justifie  ^.  »  Ainsi  notre  justification  se  fait  ' 
par  la  foi ,  la  foi  en  est  la  première  cause  ;  et  en 
cela  nous  différons  du  peuple  charnel  qui  ne  con- 
sidérait que  l'action  commandée ,  sans  regarder 
le  principe  qui  la  produit.  Quand  ils  lisaient  la 
loi ,  ils  ne  songeaient  à  autre  chose  qu'à  faire  ;  et 
ils  ne  pensaient  point  qu'il  fallait  auparavant  de- 
mander. Pour  nous ,  nous  écoutons ,  à  la  vérité , 
ce  que  Dieu  ordonne  ;  mais  la  foi  en  Jésus-Christ 
nous  enseigne  que  c'est  de  Dieu  même  qu'il  le 
faut  attendre.  Ainsi  notre  justice  ne  vient  pas  des 
œuvres  en  tant  qu'elles  se  font  par  nos  propres 
forces  ;  elle  naît  de  la  foi ,  «  qui ,  opérant  par  la 
«  charité ,  fructifie  en  bonnes  œuvres ,  »  comme 
dit  l'apôtre  ^. 

En  effet,  croire  en  Jésus-Christ  n'est-ce  pas 
croire  au  Sauveur,  au  Libérateur?  et  quand  nous 
croyons  au  Libérateur,  ne  sentons-nous  pas-notre 
servitude?  quand  nous  confessons  le  Sauveur,  ne 
confessons- nous  pas  que  nous  sommes  perdus? 
Ainsi ,  reconnaissant  devant  Dieu  que  nous  som- 
mes perdus  en  nous-mêmes ,  nous  courons  à  Jé- 
sus-Christ par  la  foi ,  cherchant  notre  salut  en 
lui  seul  :  c'est  là  cette  foi  qui  nous  justifie,  si 
nous  croyons,  si  nous  confessons  que  nous  som- 
mes morts,  et  que  c'est  Jésus-Christ  qui  nous 
rend  la  vie.  Chrétien ,  le  crois-tu  de  la  sorte  :  le 
croyons-nous  ainsi,  chrétiens? Si  tu  ne  le  crois 
pas ,  tu  renies  Jésus-Christ  pour  Sauveur  ;  Jésus 
n'est  plus  Jésus ,  et  toute  la  vertu  de  sa  croix  est 
anéantie.  Que  si  nous  confessons  cette  vérité, 
qui  n'est  pas  un  article  particulier,  mais  qui  est 
le  fondement  et  la  base  qui  soutient  tout  le  corps 
du  christianisme;  avec  quelle  humilité,  avec 
quelle  ardeur,  avec  quelle  persévérance  devons- 
nous  approcher  de  notre  grand  Dieu ,  pour  ren- 
dre grâce  de  ce  que  nous  avons ,  et  pour  deman- 
der ce  qui  nous  manque!  Que  ma  peine  serait 
heureusement  employée,  si  rhumilité  chrétienne, 
si  le  renoncement  à  nous-mêmes ,  si  l'espérance 
au  Libérateur,  si  la  nécessité  de  persévérer  dans 
une  oraison  soumise  et  respectueuse,  demeuraient 
aujourd'hui  gravées  dans  vos  âmes  par  des  carac- 
tères ineffaçables!  Prions,  fidèles,  prions  ardem- 
ment; apprenons  delà  loi  combien  nous  avoiîs 
besoin  de  la  grâce.  Écoutons  le  saint  concile  de 

'  Sap.ym,  21. 

*  S.  Auq.  Confess.  lib.  X ,  cap. 
3  Tit.  111,7. 

♦  Cal.  V,  6   Coloss.  1, 10. 


DE  LA  PENTECOTE. 


Trente  qui  assure  qu'en  commandant  «  Dieu  nous 
..  avertit  de  faire  ce  que  nous  pouvons,  et  de  de- 
«  mauder  ce  que  nous  ne  pouvons  pas  '.  ^  Enten- 
dons ,  par  cette  doctrine ,  qu'il  y  a  des  clioses  que 
nous  iwuvons ,  et  d'autres  que  nous  ne  pouvons 
p«s;  et  si  nous  ne  les  demandons ,  elles  ne  nous 
siuont  pas  données.  Ainsi  nous  demeurerons  im- 
puissants, et  notre  impuissance  n'excusera  point 
notre  crime  :  au  contraire  nous  serons  double- 
mont  coupables ,  en  ce  que  nous  serons  tombés 
dans  le  crime  pour  n'avoir  pas  voulu  demander 
la  jzrâce.  Combien  donc  est-il  nécessaire  que  nous 
priions ,  ainsi  que  de  misérables  nécessiteux  qui 
ne  peuvent  vivre  que  par  aumônes  !  C'est  ce  que 
prétend  l'apôtre  saint  Paul ,  dans  cet  humble  rai- 
îjonuement  que  j'ai  tâché  de  vous  expliquer  :  il 
nous  montre  notre  servitude  etuotre  impuissance  ; 
afin  que  les  fidèles  étant  effrayés  par  les  menaces 
de  la  lettre  qui  tue ,  ils  recourent  par  la  prière  à 
l'Esprit  qui  nous  vivifie.  C'est  la  dernière  partie 
de  mon  texte,  par  laquelle  je  m'en  vais  conclure 
eu  peu  de  paroles. 

DEUXIÈME    POINT. 

Je  vous  ai  fait  voir,  chrétiens ,  par  la  doctrine 
de  l'apôtre  saint  Paul ,  que  la  grâce  et  la  justice 
n'est  point  par  la  loi;  d'autant  qu'elle  ne  fait 
queclairer  l'esprit,  et  qu'elle  n'est  pas  capable 
de  changer  le  cœur.  Mais,  continue  le  même  saint 
Paul ,  «  ce  qui  était  impossible  à  la  loi ,  Dieu  l'a 
«  fait  lui-même  en  envoyant  son  Fils ,  qui  a  ré- 

•  pandu  dans  nos  âmes  l'esprit  de  la  grâce ,  afin 
«  que  la  justice  de  la  loi  s'accomplît  en  nous  '  :  « 
ce  qui  a  fait  encore  dire  à  l'apôtre,  que  «  main- 
"  tenant  nous  ne  sommes  plus  sous  la  loi  ^.  «  Or 
pour  entendre  plus  clairement  ce  qu'il  nous  veut 
dire ,  considérons  une  belle  distinction  de  saint 
Augustin.  «  C'est  autre  chose ,  dit-il ,  d'être  sous 
«  la  loi ,  et  autre  chose  d'être  avec  la  loi.  Car  la 
^  loi ,  par  son  équité ,  a  deux  grands  effets  ;  ou 
«  elle  dirige  ceux  qui  obéissent ,  ou  elle  rend  pu- 
«  nissables  ceux  qui  se  révoltent.  Ceux  qui  rejet- 
«  tent  la  loi ,  sont  sous  la  loi  ;  parce  que  encore 

•  qu'ils  fassent  de  vains  efforts  pour  se  soustraire 
«  de  son  domaine,  elle  les  maudit,  elle  les  cou- 

•  damne,  elle  les  tient  pressés  sous  la  rigueur  de 
«  ses  ordonnances  :  et  par  conséquent  ils  sont  sous 
«  la  loi ,  et  la  loi  les  tue.  Au  contraire  ceux  qui 
«  accomplissent  la  loi,  ils  sont  ses  amis ,  dit  saint 
-  Augustin,  ils  vont  avec  elle;  parce  qu'ils  l'em- 
■  brassent,  qu'ils  la  suivent,  qu'ils  l'aiment^.  "  Ces 
choses  étant  ainsi  supposées ,  il  s'ensuit  que  les 

•  Ses*.  Ti,cap.  XI. 
'  Rom.  VIII,  3,4. 
'  l'jid.  VI ,  U. 

*  S.  jiug.  in  Joan.  Tract,  m ,  n»  2 ,  Wia,  part,  n  ,  col.  304, 
3». 


observateursdela  loi  ne  sont  plus  sous  lalôl  comme 
esclaves ,  mais  sont  avec  la  loi  comme  amis.  Et 
comme  dans  le  Nouveau  Testament  re-<pritde  la 
grâce  nous  est  élargi ,  par  lequel  la  justice  de  la 
loi  peut  être  accomplie  ;  il  est  très-vrai,  ce  que 
dit  l'apôtre ,  que  «  nous  ne  sommes  plus  sous  la 
«  loi  :  X  parce  que  si  nous  suivons  cet  esprit  de 
grâce ,  la  loi  ne  nous  châtie  plus  comme  notre 
juge;  mais  elle  nous  conduit  comme  notre  règle  : 
de  sorte  que  si  nous  obéissons  à  la  grâce,  à  la- 
quelle nous  avons  été  appelés ,  la  loi  ne  nous  lue 
plus  ;  mais  plutôt  elle  nous  donne  la  vie  dont  elle 
contient  les  promesses,  d'autant  qu'il  est  écrit  : 
«  Fais  ces  choses  et  tu  vivras  •.  »  D'où  il  s'ensuit 
très-évidemment  que  «  c'est  l'Esprit  qui  nous  >i- 
«  vifie  :  »  car  la  cause  pour  laquelle  la  lettre  tue, 
c'est  qu'elle  ne  fait  que  retentir  au  dehors  pour 
nous  condamner.  Or  l'esprit  agit  au  dedans  pour 
nous  secourir  :  il  va  à  la  source  de  la  maladie  ;  au 
lieu  de  cette  brutale  ardeur  qui  nous  rend  captifs 
des  plaisirs  sensibles ,  il  inspire  en  nos  cœurs  cette 
chaste  délectation  des  biens  éternels  :  c'est  lui 
qui  nous  rend  amis  de  la  loi  ;  parce  que  domptant 
la  convoitise  qui  lui  résiste ,  il  fait  que  son  équité 
nous  attire.  Vous  voyez  donc  que  c'est  par  l'es- 
prit que  nous  sommes  les  amis  de  la  loi,  que  nous 
scMiimes  avec  elle ,  et  non  point  sous  elle  :  et  ainsi 
c'est  l'esprit  qui  nous  vivifie;  d'autant  qu'il  écrit 
au  dedans  cette  loi  qui  nous  tue ,  quand  elle  ré- 
sonne seulement  au  dehors. 

C'est  là,  mes  frères,  cette  nouvelle  alliance 
que  Dieu  nous  annonce  par  Jérémie*.  «  Le  temps 
■  viendra ,  dit  le  Seigneur,  que  je  ferai  une  nou- 
«  velle  alliance  avec  la  maison  d'Israël,  non  point 
«  selon  le  pacte  que  j'avais  juré  a  leurs  pères  ; 
«  mcds  voici  l'alliance  que  je  contracterai  avec 
«  eux  :  j'imprimerai  ma  loi  dans  leurs  âmes ,  et 
«je  l'écrirai  en  leurs  cœurs;  «  il  veut  dire  :  La 
première  loi  était  au  dehors,  la  seconde  aura  toute 
sa  force  au  dedans  :  c'est  pourquoi  j'ai  écrit  la 
première  loi  sur  des  pierres  ;  et  la  seconde ,  je  la 
graverai  dans  les  cœurs.  Bref,  la  première  loi  frap* 
pant  au  dehore  émouvait  les  âmes  par  la  terreur, 
la  seconde  les  changera  par  l'amour;  et  pour  pé- 
nétrer au  fond  du  mystère,  dites-moi,  qu'opère  la 
crainte  dans  nos  cœurs?  Elle  les  étonne ,  elle  les 
ébranle,  elle  les  secoue;  mais  je  soutiens  qu'il  est 
impossible  qu'elle  les  change ,  et  la  raison  en  est 
évidente  :  c'est  que  les  sentiments  que  la  crainte 
donne  sont  toujours  contraints.  Le  loup  prêt  à  se 
ruer  sur  la  bergerie,  voit  les  bergers  armés  et 
les  chiens  en  garde  :  tout  affamé  qu'il  est ,  il  se 
retire  pour  cette  fois;  mais  pour  cela  il  n'en  est 
pas  moins  furieux,  il  n'en  aime  pas  moins  le  car- 

'  Luc.  X,  » 
-  Jcrem.  \xia  ,81,  32^  23. 


POUR  LE  JOUR 


nage.  Que  vous  rencontriez  des  voleurs  ;  si  vous 
êtes  les  plus  forts ,  ils  ne  vous  abordent  qu'avec 
une  civilité  apparente  :  ils  sont  toujours  voleurs, 
toujours  avides  de  pillerie.  Lacrainte  donc  étouffe 
les  affections  ;  elle  semble  les  réprimer  pour  un 
•«mps ,  mais  elle  n'en  coupe  pas  la  racine.  Otez 
cet  obstacle ,  levez  cette  digue  ;  l'inclination ,  qui 
était  forcée ,  se  rejettera  aussitôt  en  son  premier 
cours  :  par  où  vous  voyez  manifestement  qu'en- 
core qu'elle  ne  parût  point  au  dehors ,  elle  vivait 
toujours  au  secret  du  cœur  ;  bridée  et  non  éteinte, 
et  retenue  plutôt  qu'abolie. 

C'est  pourquoi  le  grand  Augustin  parlant  de 
ceux  qui  gardaient  la  loi  par  la  seule  terreur  de 
la  peine ,  non  par  l'amour  de  la  véritable  justice, 
il  prononce  cette  terrible  mais  très-véritable  sen- 
tence :  «  Ils  ne  laissaient  pas ,  dit-il ,  d'être  cri- 
«  mincis ,  parce  que  ce  qui  paraissait  aux  hommes 
<•  dans  l'œuvre  ;  devant  Dieu,  à  qui  nos  profon- 
«  deurs  sont  ouvertes ,  n'était  nullement  dans  la 
«  volonté  :  au  contraire  cet'  œil  pénétrant  de  la 
«  connaissance  divine  voyait  qu'ils  aimeraient 
«  beaucoup  mieux  commettre  le  crime,  s'ils  osaient 
"  en  attendre  l'impunité  :  »  CoramDeo  non  erat 
in  volimtate,  quod  coram  hominibus  apparebat 
in  opère  :j)otiusque  ex  illo  rei  tenebantur  quod 
cos  noverat  Deus  malle,  stfieriposset  impune, 
conimitlere  \  Donc ,  selon  la  doctrine  de  ce  grand 
homme ,  la  crainte  n'est  pas  capable  de  changer 
le  cœur.  Considérez  ,  je  vous  prie ,  cette  pierre 
sur  laquelle  Dieu  écrit  sa  loi  ;  en  est-elle  changée, 
pour  contenir  des  paroles  si  vénérables  ?  en  a-t- 
elle  perdu  quelque  chose  de  sa  dureté?  Qui  ne 
voit  que  ces  saints  préceptes  ne  tiennent  qu'à  une 
superficie  extérieure?  D'où  vient  que  la  loi  mosaï- 
([ue  est  ainsi  écrite ,  sinon  parce  que  c'est  une  loi 
de  crainte?  Et  Dieu  ne  veut-il  pas  nous  faire  en- 
tendre que  si  la  loi  ne  nous  touche  que  par  la 
crainte,  il  en  est  de  nos  cœurs  comme  d'une 
pierre  ;  qu'ainsi  notre  dureté  n'est  point  amollie , 
et  que  la  loi  demeure  sur  la  surface?  De  là  vient 
«lue  le  concile  de  Trente  parlant  de  la  crainte  des 
peines  définit  très-bien ,  à  la  vérité  contre  la  doc- 
trine des  luthériens  ,  que  «  c'est  une  impression 
«  de  l'Esprit  de  Dieu  :  »  car  puisque  cette  crainte 
est  si  bien  fondée  sur  les  redoutables  jugements 
de  Dieu ,  pourquoi  ne  viendrait-elle  pas  de  son 
Saint-Esprit?  Mais  ces  saints  Pères  s'expliquent 
après  et  nous  disent  «  que  c'est  une  impression  de 
■<  l'Esprit  de  Dieu ,  qui  n'habite  pas  encore  au  de- 
"  dans  ;  maisqui  meut  seulement,  et  qui  pousse  :  » 
Spiritus  sancti  impulsum ,  non  adhuc  quidem 
inUabitantis,  aed tantum  moventis^.  D'où  il  s'en- 


'  De  Spir.  cl  li/tcra,  a"  13,  t.  x,  col.  92, 
*  S>!*».  iiv,  cap.  IV. 


suit  manifestement  que  la  seule  crainte  des  peines 
ne  peut  imprimer  la  loi  dans  les  cœurs. 

Certes,  il  faut  l'avouer,  il  n'y  a  que  la  charité 
qui  lesamollisse.  Notre  maladie,  chrétiens,  c'estdc 
nous  attacher  à  la  créature  :  donc  nous  attacher 
à  Dieu,  c'est  notre  santé.  C'est  un  amour  pervers 
qui  nous  gâte; il  n'y  a  donc  que  le  saint  amour 
qui  nous  rétablisse  :  un  plaisir  désordonné  nous, 
captive;  il  n'y  a  qu'une  sainte  délectation  qui 
soit  capable  de  nous  délivrer  :  la  seule  affection 
du  vrai  bien  peut  arracher  l'affection  du  bien  ap- 
parent; il  n'y  a  proprement  que  l'amour  qui  ait , 
pour  ainsi  dire,  la  clef  du  cœur.  Il  faut  donc  qu'un 
saint  amour  dilate  le  nôtre,  qu'il  l'ouvre  jusqu'au 
fond  pour  recevoir  la  rosée  des  grâces  divines. 
Ainsi  notre  âme  sera  tout  autre;  ce  ne  sera  plus 
une  pierre  sur  laquelle  on  écrira  au  dehors ,  ce 
sera  une  cire  toute  pénétrée  et  toute  fondue  par 
une  céleste  chaleur. 

Par  là  vous  voyez  la  loi  gravée  dans  les  cœurs, 
selon  l'oracle  de  Jérémie.  Y  a-t-il  rien  de  plus 
avant  en  nos  cœurs  que  ce  qui  nous  plaît?  Ce  que 
nous  aimons  nous  tient  lieu  de  loi  ;  et  ainsi  je  ne  me 
tromperai  pas  quandje  dirai  que  l'amour  est  la  loi 
des  cœurs  :  et  partant  un  saint  amour  doit  être  la 
loi  des  héritiers  du  Nouveau  Testament  ;  paii'o 
qu'ils  doivent  porter  leur  loi  dans  leurs  cœurs.  La 
loi  ancienne  a  été  écrite  sur  de  la  pierre  ;  il  n'est 
rien  de  plus  immobile  ;  aussi  est-ce  une  loi  morte 
et  inanimée.  Il  nous  faut,  il  nous  faut  une  loi  vi- 
vante :  et  quelle  peut  être  cette  loi  vivante;  sinon 
le  vif  amour  du  souverain  bien ,  que  le  doigt  de 
Dieu ,  c'est-à-dire ,  son  Saint-Esprit,  écrit  et  im- 
prime au  fond  de  nos  âmes ,  quand  il  y  répand 
l'onction  de  la  charité ,  selon  ce  que  dit  l'apôtre 
saint  Paul  :  «  La  charité  est  répandue  en  nos  cœui  s 
«  par  le  Saint-Esprit  qui  nous  est  donné  '  ?  «  1  a 
charité  est  donc  cette  loi  vivante  qui  nous  gou- 
verne et  qui  nous  meut  intérieurement  :  et  c'est 
pourquoi  l'Esprit  vivifie;  parce  qu'il  imprime  en 
nous  une  loi  vivante ,  qui  est  la  loi  de  la  nouvel  e 
alliance  :  c'est-à-dire  la  loi  de  l'amour  de  Dieu, 
Par  conséquent  qui  pourrait  douter  que  la  cha- 
rité ne  soit  l'esprit  de  la  loi  nouvelle,  et  l'âme,  poui* 
ainsi  dire, du  christianisme;  puisqu'il  a  été  prédit 
si  longtemps  avant  la  naissance  de  Jésus-Chi-ist, 
que  les  enfants  du  Nouveau  Testament  auraient 
la  loi  gravée  en  leurs  cœurs  par  l'inspiration  de 
l'amour  divin? 

Et  selon  la  conséquence  de  ces  principes ,  où 
je  n'ai  fait  que  suivre  saint  Augustin  qui  ne  s'est 
attaché  qu'à  saint  Paul;  je  ne  craindrai  pas  de 
vous  assurer  que  quiconque  ne  se  soumet  à  la 
loi  que  par  la  seule  appréhension  de  la  peine, 

'   Roi.i.  V,  j. 


DE  LA  PENTECOTE. 


il  s'excommunie  lui-môrae  du  christianisme ,  et 
retourne  à  la  lettre  qui  tue ,  et  à  la  captivité  de 
la  Synagogue  :  et  pour  vous  en  convaincre ,  re- 
gardez premièrement  qui  nous  sommes.  Sommes- 
nous  enfants  ou  esclaves?  Si  Dieu  vous  traite 
comme  des  esclaves ,  contentez-vous  de  craindre 
le  maître;  mais  s'il  vous  envoie  son  propre 
Fils  pour  vous  dire  qu'il  daigne  bien  vous  adop- 
ter pour  enfants,  pouvez- vous  ne  point  aimer  votre 
Père?  Or  l'apôtre  saint  Paul  nous  enseigne  que 
«  nous  n'avons  pas  reçu  l'esprit  de  servitude 
«  par  la  crainte;  mais  que  Dieu  nous  a  départi 
«  l'esprit  de  l'adoption  des  enfants ,  par  lequel 
"  nous  l'appelons  notre  Père  '.  »  Comment  l'appe- 
lons-nous  tous  les  jours  notre  Père  qui  êtes  aux 
cieux,  si  nous  lui  dénions  notre  amour?  Davan- 
tage :  considérons  de  quelle  sorte  il  nous  a  adop- 
tés ;  est-ce  par  contrainte  ou  bien  par  amour  ?  Ah  ! 
nous  savons  bien  que  c'est  par  amour,  et  par  un 
amour  infini.  «  Dieu  a  tant  aimé  le  monde ,  dit 
«  îSotre-Seigneur*,  qu'il  a  donné  son  Fils  unique 
«  pour  le  sauver.  »  Si  donc  notre  Dieu  nous  a 
tant  aimés;  comment  prétendrons-nous  payer 
son  amour,  si  ce  n'est  par  un  amour  réciproque  ? 
«  D'autant  plus ,  comme  dit  saint  Bernard  ^,  que 
«  l'amour  est  la  seule  chose  en  laquelle  nous 
«  sommes  capables  d'imiter  Dieu.  Il  nous  juge, 
«  nous  ne  le  jugeons  pas  ;  il  nous  donne ,  et  il  n'a 
«  pas  besoin  de  nos  dons  :  s'il  commande ,  nous 
«  devons  obéir  ;  s'il  .se  fâche,  nous  devons  trem- 
«  hier  :  et  s'il  aime,  que  devons-nous  faire?  nous 
«  devons  aimer,  c'est  la  seule  chose  que  nous 
«  pouvons  faire  avec  lui.  »  Et  combien  sont  cri- 
minels les  enfants  qui  ne  veulent  pas  imiter  un 
père  si  bon  ! 

Est-ce  assez  considérer  Dieu  comme  père? 
considérons-le  maintenant  comme  prince.  Comme 
Roi,  il  nous  commande;  mais  il  ne  nous  com- 
mande rien  tant  que  l'amour.  «  Tu  aimeras ,  dit- 
«  il,  le  Seigneur  ton  Dieu  de  tout  ton  cœur,  de 
"  tout  ton  esprit ,  de  toutes  tes  forces ,  de  toute 
"  ton  âme  ^.  "  A-t-il  jamais  parlé  avec  une  plus 
grande  énergie?  Et  Jésus-Christ  :  »  Qui  ne  m'aime 
"  pas ,  nous  dit-il ,  n'observe  pas  mes  commande- 
«  ments^.  »  Donc  qui  n'aime  pas  Jésus-Christ; 
puisqu'il  n'observe  pas  ses  commandements ,  il 
viole  la  majesté  de  son  roi. 

Voulez-vous  que  nous  parlions  maintenant  des 
dons  que  Dieu  fait  à  ses  serviteurs,  et  que,  parla 
qualité  des  présents,  nous  jugions  de  l'amour  qu'il 
exige?  Quel  est  le  grand  don  que  Dieu  nous  fait? 


I 


•  Knm.  Tlu,  15. 
'  JoilH.  III,  16. 

'  Semi.  \xxiii  in  Cantic.  a?  4,  t.  I,  col.  Iô58. 
4   />•»//.  TI,  5. 

*  Joiin.  XIV,  21. 


c'est  le  Saint-Esprit  :  et  qu'est-ce  que  le  Saint-Es- 
prit :  n'est-ce  pas  l'amour  éternel  du  Père  et  du 
Fils  ?  Quelle  est  l'opération  propre  du  Saint-Esprit? 
n'est-ce  pas  de  faire  naître,  d'inspirer  l'amour  en 
nos  cœurs ,  et  d'y  répandre  la  charité ,  et  partant 
qui  méprise  la  charité,  il  rejette  îe  Saint-Esprit? 
et  cependant  c'est  le  Saint-Esprit  qui  nous  vivi- 
fie. Mais  si  je  voulais  poursuivre  le  reste,  quand 
est-ce  que  j'aurais  achevé  cette  induction? Il  n'y 
a  mystère  du  christianisme,  il  n'y  a  article  dans 
le  Symbole ,  il  n'y  a  demande  dans  l'Oraison ,  il 
n'y  a  mot  ni  syllabe  dans  l'Évangile ,  qui  ne  nous 
crie  qu'il  faut  aimer  Dieu. 

Ce  Dieu  fait  homme,  ce  Verbe  incamé,  qu'est- 
il  venu  faire  en  ce  monde?  avec  quel  appareil 
nous  est-il  venu  enseigner  ?  s'est-il  caché  dans 
une  nuée?  a-t-il  tonné  et  éclairé  sur  une  monta- 
gne toute  fumante  de  sa  majesté?  a-t-il  dit  d'une 
voix  terrible  :  «  Retirez-vous;  que  mon  serviteur 
«  Moïse  approche  tout  seul  ;  et  les  hommes  et  les 
«  animaux  qui  aborderont  près  de  la  montagne, 
"  mourront  de  mort'.  »  La  loi  mosaïqueaété  don- 
née avec  ce  redoutable  appareil.  Sous  l'Évangile, 
Dieu  change  bien  de  langage  :  y  a-t-il  rien  eu  de 
plus  accessible  que  Jésus-Christ,  rien  de  plus  af- 
fable ,  rien  de  plus  doux?  Il  n'éloigne  pei-sonne 
d'auprès  de  lui  :  bien  plus,  non-seulement  il  y 
souffre,  mais  encore  il  y  appelle  les  plus  grands 
pécheurs;  et  lui-même  il  va  au-devant  :  Venez  à 
moi ,  dit-il ,  et  ne  craignez  pas.  «  Venez ,  venez  à 
n  moi ,  oppressés ,  je  vous  aiderai  à  porter  vos 
'<  fardeaux  '  ;  »  venez ,  malades ,  je  vous  guéri- 
rai; venez,  affamés,  je  vous  nourrirai  :  pécheurs, 
publicains,  approchez;  je  suis  votre  libérateur. 
Il  les  souffre,  il  les  invite,  il  va  au-devant.  Et 
que  veut  dire  ce  changement,  chrétiens?  d'où 
vient  cette  aimable  condescendance  d'un  Dieu 
qui  se  familiarise  avec  nous?  Qui  ne  voit  qu'il 
veut  éloigner  la  crainte  servile,  et  qu'à  quelque 
prix  que  ce  soit  il  est  résolu  de  se  faire  aimer, 
même ,  si  j'ose  parler  de  la  sorte,  aux  dépens  de  sa 
propre  grandeur  ?  Dites-moi  ;  était-ce  pour  se  faire 
craindre,  qu'il  a  voulu  être  pendu  à  la  croix?  n'est- 
ce  pas  plutôt  pour  nous  tendre  les  bras,  et  pour 
ouvrir  autant  de  sources  d'amour  comme  il  a  de 
plaies?  Pourquoi  se  donne-t-il  à  nous  dans  l'eu- 
charistie? n'est-ce  pas  pour  nous  témoigner  un 
extrême  transport  d'amour,  quand  il  s'unit  à 
nous  de  la  sorte?  Ne  diriez-vous  pas,  chrétiens , 
que  ne  pouvant  souffrir  nos  froideurs ,  nos  indif- 
férences, nos  déloyautés,  lui-même  il  veut  porter 
sur  nos  cœurs  des  charbons  ardents?  Coniment 
donc  excuserons-nous  notre  négligence  ?  Mais  ou 
se  cachera  notre  ingratitude  ?  Après  cela,  n'est  il 

«  Exfxi.  XIX,  12,  13. 
'  .VaUh.  XI,  25». 


lA 


POUR  LE  JOUR 


pas  juste  de  s'écrier  avec  le  grand  apôtre  saint 
l'uul  :  «  Si  quelqu'un  n'aime  pas  Notre-Seigneur 
«  Jésus-Christ,  qu'il  soit  anathème'  :  »  sentence 
autant  juste  que  formidable?  Oui,  certes,  il 
doit  être  anathème,  celui  qui  n'aime  pas  Jésus- 
Christ  :  la  terre  se  devrait  ouvrir  sous  ses  pas ,  et 
l'ensevelir  tout  vivant  dans  le  plus  profond  ca- 
chot de  l'enfer;  le  ciel  devrait  être  de  fer  pour 
lui  ;  toutes  les  créatures  lui  devraient  ouvertement 
déclarer  la  guerre,  à  ce  perfide,  à  ce  déloyal, 
qui  n'aime  point  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 

Mais  ô  malheur  !  ô  ingratitude  !  c'est  nous  qui 
sommes  ces  déloyaux.  Oserions-nous  bien  dire 
que  nous  aimons  Notre-Seigneur  Jésus-Christ? 
Jésus-Christ  n'est  pas  un  homme  mortel  que  nous 
puissions  tromper  par  nos  compliments  :  il  voit 
clair  dans  les  cœurs ,  et  il  ne  voit  point  d'amour 
dans  les  nôtres.  Quand  vous  aimez  quelqu'un  sur 
la  terre ,  rompez-vous  toujours  avec  lui  pour  des 
sujets  de  très-peu  d'importance?  foulez-vous  aux 
pieds  tout  ce  qu'il  vous  donne?  manquez- vous 
aux  paroles  que  vous  lui  donnez?  Il  n'y  a  aucun 
homme  vivant  que  vous  voulussiez  traiter  de  la 
sorte  :  c'est  ainsi  pourtant  que  vous  en  usez  en- 
vers Jésus-Christ.  Il  a  lié  amitié  avec  vous  ;  tous 
les  jours  vous  y  renoncez  :  11  vous  donne  son 
corps  ;  vous  le  profanez  :  vous  lui  avez  engagé 
votre  foi  ;  vous  la  violez  :  il  vous  prie  pour  vos  en- 
nemis ;  vous  le  refusez  :  il  vous  recommande  ses 
pauvres  ;  vous  les  méprisez  :  il  n'y  a  aucune  par 
tie  de  son  corps  que  vos  blasphèmes  ne  déshono- 
rent. Et  comment  donc  pouvez-vous  éviter  cette 
horrible  mais  très-équitable  excommunication  de 
l'apôtre  :  «Si quelqu'un  n'aime  pas  Notre-Seigneur 
«  Jésus-Christ,  qu'il  soit  anathème?  »  Et  comment 
la  puis-je  éviter  moi-même ,  ingrat  et  impudent 
pécheur  que  je  suis?  Ah!  plutôt,  ô  grand  Dieu 
tout-puissant  qui  gouvernez  les  cœurs  ainsi  qu'il 
vous  plaît,  si  quelqu'un  n'aime  pas  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ ,  faites  par  votre  grâce  qu'il  aime 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ! 

Aimons ,  aimons ,  mes  frères ,  aimons  Dieu  de 
tout  notre  cœur  :  nous  ne  sommes  pas  chrétiens, 
si  du  moins  nous  ne  nous  efforçons  de  l'aimer  ; 
si  du  moins  nous  ne  désirons  cet  amour,  si  nous 
ne  le  demandons  ardemment  à  ce  divin  Esprit 
qui  nous  vivifie.  Je  ne  veux  pas  dire  que  nous 
soyons  obligés,  sous  peine  de  damnation  éternelle, 
d'avoir  la  perfection  de  la  charité.  Non,  fidèles, 
nous  sommes  de  pauvres  pécheurs  :  le  sang  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  excusera  devant  Dieu 
•>iOS  défauts,  pourvu  que  nous  en  fassions  péni- 
tciîce.  Je  ne  vous  dis  donc  pas  que  nous  soyons 
obligés  d'avoir  la  perfection  de  la  charité  ;  mais 

-  î,  Cor-  XVI ,  22. 


je  vous  dis  et  je  vous  assure  que  nous  sommes- 
indispensablement  obligés  d'y  tendre ,  selon  la 
mesure  qui  nous  est  donnée ,  sans  quoi  nous  ne 
sommes  pas  chrétiens.  Courage  ;  travaillons  pour 
la  charité.  La  charité,  c'est  tout  le  christianisme  : 
quand  vous  épurez  votre  charité,  vous  préparez 
un  ornement  pour  le  ciel.  Il  n'y  a ,  dit  saint  Paul , 
que  la  charité  qui  demeure  au  ciel  :  la  foi  se  perd 
dans  la  claire  vue  ;  l'espérance  s'évanouit  par  la 
possession  effective  :  «  il  n'y  a  que  la  charité  qui 
«  jamais  ne  p;iut  être  éteinte  :  «  Chantas  nun- 
guam excidit\  Non-seulement elleest  couronnée 
comme  la  foi  et  comme  l'espérance  :  mais  elle- 
même  elle  est  la  couronne  et  de  la  foi  et  de  l'es- 
pérance. La  charité  seule  est  digne  du  ciel ,  digne 
de  la  gloire  du  paradis  ;  elle  seule  sera  réservée 
pour  briller  éternellement  devant  Dieu  comme  un 
or  pur,  elle  seule  sera  réservée  pour  briller  éter- 
nellement devant  Dieu  comme  un  holocauste  de 
bonne  odeur.  Commençons  d'aimer  sur  la  terre , 
puisque  nous  ne  cesserons  jamais  d'aimer  dans  le 
ciel':  commençons  la  charité  dès  ce  monde ,  alin 
qu'elle  soit  un  jour  consommée. 


«•••>•»• 


AUTRE  EXORDE 

ET  FRAGMENTS  DU  MÊME  SERMON. 

Littera  occiditf,  Spiritus  autem  vivificat. 

La  lettre  tue;  mais  V Esprit  vivifie.  II.  Cor.  m ,  6. 

Si  vous  me  demandez ,  chrétiens ,  pour  quelle 
cause  la  Pentecôte ,  qui  était  une  fête  du  peuple 
ancien,  est  devenue  une  solennité  du  peuple  nou- 
veau, et  d'où  vient  que,  depuis  le  levant  jusqu'au 
couchant ,  tous  les  fidèles  s'en  réjouissent  non 
moins  que  de  la  sainte  nativité  ou  de  la  glorieuse 
résurrection  de  notre  Sauveur,  je  vous  en  dirai  la 
raison ,  avec  l'assistance  de  cet  Esprit  saint  qui  a 
rempli  en  ce  jour  sacré  l'âme  des  apôtres.  C'est 
aujourd'hui  que  notre  Église  a  pris  naissance; 
aujourd'hui,  par  la  prédication  du  saint  Evan- 
gile ,  la  gloire  et  la  doctrine  de  Jésus-Christ  ont 
commencé  d'éclairer  le  monde  :  auj.ourd'hui  la 
loi  mosaïque,  donnée  autrefois  avec  tant  de 
pompe ,  est  abolie  par  une  loi  plus  auguste  ;  et  les 
sacrifices  des  animaux  étant  rejetés ,  le  Saint-Es- 
prit envoyé  d'en  haut  se  fait  lui-même  des  hos- 
ties raisonnables  et  des  sacrifices  vivants  des 
cœurs  des  disciples.  Les  Juifs  offraient  autrefois 
à  Dieu  à  la  Pentecôte  les  prémices  de  leurs  mois- 
sons :  aujourd'hui  Dieu  se  consacre  lui-même 
par  son  Saint-Esprit  les  prémicesdu  christianisme, 

i       '  I.  Cor.  xili,3. 


DE  LA  PENTECOTE. 


11 


c'est-à-dire,  les  premiers  fruits  du  sans  de  son 
Fils;  et  rend  les  commencements  de  TÉglise  il- 
lustres par  des  signes  si  admirables,  que  tous  les 
spectateurs  en  sont  étonnés.  Par  conséquent,  mes 
frères,  avec  quelle  joie  devons-nous  célébrer  ce 
saint  jour  !  et  si  aujourd'hui  les  premiers  chré- 
tiens paraissent  si  vivement  échauffés  de  l'Esprit 
de  Dieu,  n'est-il  pas  raisonnable  que  nous  mon- 
trions, par  une  sainte  et  divine  ardeur,  que 
nous  sommes  leui-s  descendants  ?  Mais ,  afin  que 
vous  pénétriez  plus  à  fond  quelle  est  la  fête  que 
nous  célébrons,  suivez ,  s'il  vous  plaît ,  ce  raison- 
nement. 

A  la  vérité  le  sang  du  Sauveur  nous  avait  ré- 
conciliés à  notre  grand  Dieu  par  une  alliance  per- 
pétuelle; mais  il  ne  suffisait  pas  pour  notre  salut 
que  cet  alliance  eût  été  conclue,  si  ensuite  elle 
n'eût  été  publiée.  C'est  pourquoi  Dieu  a  choisi  ce 
jour,  où  les  Israélites  étaient  assemblés  par  une 
solennelle  convocation ,  pour  y  faire  publier  hau- 
tement le  traité  de  la  nouvelle  alliance  qu'il  lui 
plaît  contracter  avec  nous.  Et  c'est  ce  que  nous 
montrent  ces  langues  de  feu  qui  tombent  d'en 
haut  sur  les  saints  apôtres  :  car  d'autant  que  la 
nouvelle  alliance,  selon  les  oracles  des  prophéties, 
devait  être  solennellement  publiée  par  le  ministère 
de  la  prédication,  le  Saint-Esprit  desend  en 
forme  de  langues  pour  nous  faire  entendre  par 
cette  figure  qu'il  donne  de  nouvelles  langues  aux 
saints  apôtres  ;  et  qu'autant  qu'il  remplit  de  per- 
sonnes ,  il  établit  autant  de  hérauts  qui  publieront 
les articlesde  l'alliance  et  les  coramandementsde  la 
loi  nouvelle  partout  où  il  lui  plaira  de  les  envoyer. 

En  effet ,  entendez  l'apôtre  saint  Pierre  aussi- 
tôt après  la  descente  du  Saint-Esprit;  voyez 
comme  il  exhorte  le  peuple,  et  annonce  la  ré- 
mission des  péchés  au  nom  de  ÎVotre-Seigneur  Jé- 
sus-Christ, déclarant  aux  habitants  de  Jéru- 
salem ,  que  ce  Jésus  qu'ils  ont  fait  mourir,  «  Dieu 
«  l'a  établi  le  Seigneur  et  le  Christ  :  »  Quia  Do- 
minum  eum  et  Christian  fecit  Deus.  C'est  ce  que 
saint  Pierre  prêche  aujourd'hui,  comme  il  est 
écrit  aux  Actes  •  ;  et  cela,  dites-moi,  chrétiens, 
n'est-ce  pas  faire  la  publication  de  la  loi  nouvelle 
et  de  la  nouvelle  alliance?  Je  joins  ensemble  l'al- 
liance et  la  loi,  parce  qu'elles  ne  sont  toutes  deux 
qu'un  même  Évangile,  que  les  apôtres,  comme 
les  hérauts  du  grand  Dieu ,  publient ,  première- 
ment dans  Jérusalem,  conformément  à  ce  que 
dit  Isaïe  :  «  La  loi  sortira  de  Sion,  et  la  parole 
«  de  Dieu  de  Jérusalem  ^  » 

Mais  encore  que  la  publication  du  saint  Évan- 
gile dût  être  commencée  dans  Jérusalem ,  elle  ne 
devait  pas  y  être  arrêtée.  Tous  les  prophètes 


■  ^ct.  Il ,  22. 

'  /j.  u ,  a. 


avaient  promis  que  la  loi  nouvelle  serait  portéR 
jusqu'aux  extrémités  de  la  terre,  et  que  par  elle 
toutes  les  nations  et  toutes  les  langues  seraient 
assujetties  au  vrai  Dieu.  Comme  donc  la  loi  de 
notre  Sauveur  n'était  pas  faite   pour  un  seul 
peuple,  certainement  il  n'était  pas  convenable 
qu'elle  fût  publiée  en  un  seul  langage.  Aussi  les 
premiers  docteurs  du  christianisme,  qui  avant  ce 
jour  étaient  ignorants,  aujourd'hui  étant  pleins 
de  l'esprit  de  Dieu,  parlent  toutes  sortes  de  lan- 
gues ,  ainsi  que  remarque  le  texte  sacré.  Que  veut 
dire  ceci ,  je  vous  prie?  qui  ne  voit  que  le  Saint- 
Esprit  nous  enseigne  que  si  autrefois ,  sous  la  loi , 
il  n'y  avait  que  la  seule  langue  hébraïque  qui  fût 
l'interprète  des  secrets  de  Dieu;  aujourd'hui, 
par  l'Évangile  de  Jésus-Christ ,  toutes  les  langues 
sont  consacrées,  selon  cet  oracle  de  Daniel  : 
«  Toutes  langues  serviront  au  Seigueur  •  ?  «  Étrange 
et  inconcevable  opération  de  cet  Esprit  qui  souffle 
où  il  veut  !  de  toutes  les  parties  de  la  terre  où  les 
Juifs  étaient  dispersés,  il  en  était  venu  dans  Jé- 
rusalem pour  y  célébrer  la  fête  de  la  Pentecôte  : 
les  apôtres  parlent  à  cet  auditoire  mêlé  de  tant 
de  peuples  divers  et  de  langues  si  différentes  ; 
et  cependant  chacun  les  entend  :  le  Romain  et 
le  Parthe,  le  Juif  et  le  Grec ,  l  e  Mède,  l'Égjp- 
tien  et  l'Arabe,  l'Africain,  l'Européen  et  l'Asia- 
tique :  bien  plus ,  dans  un  même  discours  des 
apôtres  ils  remarquent  tous  leur  propre  langue  ; 
il  semble  à  chacun  qu'on  lui  parle  la  fangue  que  sa 
nourrice  lui  a  apprise;  et  c'e^t  pour  cela  qu'ils 
s'écrient  :  «  Ces  hommes  ne  sont-ils  pasGaliléens? 
«  comment  est-ce  donc  que  chacun  entend  la 
n  langue  dans  laquelle  il  est  né  *  ?  »  Fidèles ,  que 
signifie  ce  nouveau  prodige?  C'est  que,  par  la 
grâce  du  christianisme,  toutes  les  langues  se- 
ront réunies  ;  l'Église  parlera  tous  les  langages  : 
il  n'y  en  aura  point ,  ni  de  si  rude ,  ni  de  si  bar- 
bare, dans  lequel  la  vérité  de  Dieu  ne  soit  enseignée, 
et,  les  nations  diverses  entrant  dans  l'Église, 
l'articulation ,  à  la  vérité ,  sera  différente  ;  mais  il 
n'y  aura  en  quelque  sorte  qu'un  même  langage  : 
parce  que  tous  les  peuples  fidèles,  parmi  la  mul- 
tiplicité des  sons  et  des  voix,  n'auront  tous  qu'une 
même  foi  à  la  bouche ,  et  une  même  vérité  dans  le 
cœur. 

Autrefois,  à  la  tour  de  Babel,  l'orgueil  des 
hommes  a  partagé  les  langages^  ;  mais  l'humilité 
de  notre  Sauveur  les  a  aujourd'hui  rassemblés , 
et  la  créance  qui  devait  être  commune  à  toutes 
les  nations  de  la  terre  est  publiée  dès  le  premier 
jour  en  toutes  les  langues.  Par  où  vous  voyez , 
chrétiens,  selon  que  je  l'ai  dgà  dit,  que  le  mys-r 

'  Uan.  VII,  14. 
»  Arl.  II ,  7,  8. 
^  Uenes.  xi ,  9. 


13 


POUR  LE  JOUR 


tère  que  nous  honorons  aujourd'hui  avec  tant  de 
solennité ,  c'est  la  publication  de  la  loi  nouvelle. 
Or  notre  Dieu  ne  s'est  pas  contenté  qu'elle  ait 
été  publiée  une  fois  ;  il  a  établi  pour  toujours  les 
prédicateurs ,  qui  succédant  à  la  fonction  des 
apôtres ,  doivent  être  les  hérauts  de  son  Évangile. 
Et  ainsi  que  puis-je  faire  de  mieux,  en  cette  sainte 
et  bienheureuse  journée ,  que  de  rappeler  en 
votre  mémoire  sous  quelle  loi  vous  avez  à  vivre? 
Écoutez  donc,  peuples  chrétiens,  je  vous  dénonce 
au  nom  de  Jésus  par  la  parole  duquel  cette  chaire 
vous  doit  être  en  vénération;  je  vous  dénonce , 
dis-je,  au  nom  de  Jésus ,  que  vous  n'êtes  point 
sous  la  loi  mosaïque  :  elle  est  annulée  et  enseve- 
lie; mais  Dieu  vous  a  appelés  à  la  loi  de  grâce ,  à 
l'Évangile,  au  Nouveau  Testament ,  qui  a  été  si- 
gné du  sang  du  Sauveur,  et  scellé  aujourd'hui 
par  l'Esprit  de  Dieu. 

Et  afin  que  vous  entendiez  quelle  est  la  loi  dont 
on  vous  délivre ,  et  quelle  est  la  loi  que  l'on  vous 
impose ,  je  vous  produis  l'apôtre  saint  Paul ,  qui 
vous  enseignera  cette  différence.  «  La  lettre  tue , 
«  dit-il ,  l'Esprit  vivifie.  »  La  lettre ,  c'est  la  loi 
mosaïque  ;  l'Esprit,  comme  vous  verrez,  c'est  la  loi 
de  grâce  :  et  ainsi,  en  suivant  l'apôtre  saint  Paul , 
faisons  voir,  avec  l'assistance  divine,  que  la  loi  i 
mosaïque  nous  tue  et  qu'il  n'y  a  que  la  loi  nouvelle  1 
qui  nous  vivifie. 

Pour  pénétrer  le  sens  de  notre  passage ,  il  faut 
examiner  avant  toutes  choses,  quelle  est  cette 
lettre  dont  parle  l'apôtre,  quand  il  prononce  :  «  La 
«  lettre  tue.  »  Et  premièrement,  il  est  assuré  qu'il 
veut  parler  de  la  loi  mosaïque  :  mais  d'autant 
que  la  loi  masaïque  a  plusieurs  parties,  on  pour- 
rait douter  de  laquelle  il  parle.  Dans  la  loi,  il  y  a 
les  préceptes  cérémoniaux  :  comme  la  circonci- 
sion et  les  sacrifices  ;  et  il  y  a  les  préceptes  mo- 
raux, qui  sont  compris  dans  le  Décalogue  :  «  Tu 
«  adoreras  le  Seigneur  ton  Dieu ,  tu  ne  te  feras 
«  point  d'idole  taillée  ;  tu  ne  déroberas  point ,  » 
et  le  reste  '.  Quant  aux  préceptes  cérémoniaux, 
il  est  très-constant  que  la  lettre  tue  :  d'autantque 
les  cérémonies  de  la  loi  ne  sont  pas  seulement 
abrogées  ;  mais  encore  expressément  condamnées 
dans  la  loi  de  grâce ,  suivant  ce  que  dit  saint 
Paul  aux  Galates  :  «  Si  vous  vous  faites  circon- 
«  cire,  Jésus-Christ  ne  vous  sert  de  rien  *.  »  Est-ce 
donc  de  cette  partie  de  la  loi ,  qui  ordonnait  les 
anciennes  observations ,  que  l'apôtre  décide  que 
la  lettre  tue?  ou  bien  cette  sentence  plutôt  ne 
doit-elle  point  s'appliquer  à  certaines  expressions 
figurées ,  qui  sont  en  divers  endroits  de  la  loi  ; 
qui  ont  un  sens  très-pernicieux,  si  on  les  expli- 
que trop  à  la  lettre?  desquelles  pour  cette  raison 

«   Dcut.T,  8,  19. 
»  Gai.  V,  2. 


on  peut  dire  que  la  lettre  tue  ;  ou  si  ce  n'est  ni 
1  '  une  ni  l 'autre  de  ces  deux  choses  que  l'ap  ôtre  veut 
désigner  par  ces  mots ,  parle-t-il  point  peut-être 
du  Décalogue?  A  quelle  opinion  nous  rangerons- 
nous  ?  Je  réponds  qu'il  parle  du  Décalogue  qui  fut 
donné  à  Moïse  sur  la  montagne  ;  et  je  le  prouve 
par  une  raison  invincible.  Car  dans  ce  même  troi- 
sième chapitre  de  la  deuxième  aux  Corinthiens , 
où  saint  Paul  nous  enseigne  que  la  lettre  tue ,  im- 
médiatement après  parlant  de  la  loi ,  il  l'appelle 
«  le  ministère  de  mort  qui  a  été  taillé  dans  la 
«  pierre,»  minùtraiio  moriis,  litteri  s  déformai  a  in 
lapidibusK  Qu'est-ce  qui  a  été  gravé  dans  la  pierre  ? 
aucun  de  nous  pourrait-il  ignorer  que  ce  sont  les 
dix  préceptes  du  Décalogue  ;  que  ces  dix  comman- 
dements de  la  loi ,  qui  défendent  le  mal  si  ou  ver- 
tement, c'est  ce  que  l'apôtre  appelle  la  lettre  qui 
tue?  Et  d'ailleurs  le  ministère  de  mort,  n'est-ce  p;is 
la  lettre  qui  tue  ?  Concluons  donc  maintenant  et 
disons  :  Sans  doute  le  ministère  de  mort  et  la  let- 
tre qui  tue  c'est  la  même  chose  :  or  la  loi  qui  a 
été  gravée  sur  la  pierre ,  c'est-à-dire,  les  précep- 
tes du  Décalogue ,  selon  saint  Paul ,  c'est  le  mi  • 
nistère  de  mort  ;  et  partant  les  préceptes  du  Dé- 
calogue, ces  préceptes  si  saints  et  si  justes,. scion 
la  doctrine  du  saint  apôtre,  sont  indubitablement 
la  lettre  qui  tue.  Et  pour  confirmer  cette  vérité , 
le  même  aux  Romains ,  que  ne  dit-il  pas  de  la 
loi  !  «■  Je  ne  connaîtrais  pas  le  péché ,  dit-il  ' ,  si 
«  la  loi  n'avait  dit  :  «  Tu  ne  convoiteras  point.  « 
Sur  quoi  l'incomparable  saint  Augustin  raisonne 
ainsi  très-doctement  à  son  ordinaire  ^  :  Où  est-ce 
que  la  loi  dit  :  Tu  ne  convoiteras  point?  chacun 
sait  que  cela  est  écrit  dans  le  Décalogue.  C'est 
donc  du  Décalogue  que  parle  l'apôtre ,  et  c'est  ce 
qu'il  entend  par  la  loi  :  et  par  conséquent ,  lors- 
qu'il dit  :  «  Les  passions  des  péchés  qui  sont  par 
«  la  loi  -*,  »  c'est  du  Décalogue  qu'il  parle;  et 
quand  il  répète  si  souvent  la  loi  de  péché  et  de 
mort ,  c'est  encore  du  Décalogue  qu'il  parle. 


Au  lieu  que  la  loi  mosaïque  avait  été  gravée 
sur  des  pierres;  la  loi  de  la  nouvelle  alliance,  que 
Jésus  est  venu  annoncer  au  monde ,  a  été  écrite 
dans  le  fond  des  cœurs ,  comme  dans  des  tables 
vivantes.  C'est  là  le  mystère  que  nous  honorons  ; 
et  c'est  ce  qu'avaient  prédit  les  anciens  oracles , 
qu'il  y  aurait  un  jour  une  loi  nouvelle  qui  serait 
écrite  dans  l'esprit  des  hommes  et  gravée  pro- 
fondément dans  les  cœurs  :  Dabo  legem  meam 
in  cordibus  eorum  \  C'est  pour  cela  que  le  Saint- 

'  II.  Cor.  m,  7 

2  llom.  VII,  7. 

'  LU),  (h  Spirit.  et  Li/t.  n"  23,  24,  t.  X,  co!.  98,  93. 

<  /loin.  VII,  5. 

*  Jvtcin.  ?. sxi.aj. 


DE  LA  PENTECOTE. 


n 


Esprit  remplit  aujourd'hui  l'Église  naissante  ;  et 
que ,  non  content  de  paraître  aux  yeux  sous  une 
apparence  visible,  il  se  coule  efficacement  dans 
les  âmes  pour  leur  enseigner  au  dedans  ce  que  la 
loi  leur  montre  au  dehors. 

Mais  comme  il  importe  que  nous  pénétrions 
ce  que  c'est  que  cette  loi  gravée  dans  les  cœurs , 
et  quelle  est  la  nécessité  de  cette  influence  se- 
crète de  l'Esprit  de  Dieu  dans  nos  âmes ,  écoutez 
l'apôtre  saint  Paul ,  qui  nous  expliquera  ce  mys- 
tère dans  les  quatre  mots  que  j'ai  rapportés  : 
•  La  lettre  tue ,  l'esprit  vivifie.  »  Pour  compren- 
dre solidement  sa  pensée,  remarquons  deux 
grands  effets  de  la  loi  :  elle  dirige  ceux  qui  la 
reçoivent,  elle  condamne  ceux  qui  la  rejettent; 
elle  est  la  règle  des  uns,  le  juge  ^es  autres  : 
de  sorte  que  nous  pouvons  distinguer  comme 
deux  qualités  dans  la  loi.  Il  y  a  son  équité  qui 
dirige,  il  y  a  sa  sévérité  qui  condamne,  et  il 
faut  nécessairement ,  ou  que  nous  suivions  la  pre- 
mière ,  ou  que  nous  souffrions  la  seconde  :  c'est- 
à-dire  ,  que  si  l'équité  ne  nous  règle ,  la  sévérité 
nous  accable  ;  et  que  la  force  de  la  loi  est  telle , 
qu'il  faut  qu'elle  nous  gouverne  ou  qu'elle  nous 
perde  :  ceux  qui  s'y  attachent  se  rangent  eux- 
mêmes  en  se  conformant  à  la  règle  ;  ceux  qui  la 
choquent  se  brisent  contre  elle.  La  loi  tue  lors- 
quelle  nous  dit  :  Si  tu  n'obéis ,  tu  mourras  de 
mort  *  ;  et  la  loi  aussi  vivifie ,  parce  qu'il  est  écrit 
dans  les  saintes  Lettres  :  "  Fais  ces  choses  et  tu 
«  vivras  :  «  elle  tue  ceux  qu'elle  condamne ,  elle 
vivifie  ceux  qu'elle  dirige.  Mais  il  y  a  cette  diffé- 
rence notable  par  laquelle  nous  connaîtrons  le 
sens  de  l'apôtre  dans  le  passage  que  nous  trai- 
tons :  c'est  que  la  loi  suffit  toute  seule  pour  don- 
ner la  mort  au  pécheur,  et  qu'elle  ne  suffit  pas 
toute  seule  pour  donner  le  salut  au  juste  ;  et  la  raison 
en  est  évidente.  Pour  donner  la  mort  au  pécheur, 
c'est  assez  que  la  loi  prononce  au  dehors  la  sen- 
tence qui  le  condamne  ;  et  c'est  ce  qu'elle  fait 
toute  seule  avec  une  autorité  souveraine  :  au  con- 
traire ,  pour  donner  la  vie ,  il  faut  qu'elle  soit 
écrite  au  dedans,  parce  que  c'est  là  qu'elle  doit 
agir  ;  et  elle  n'y  peut  entrer  par  ses  propres  forces  : 
elle  retentit  aux  oreilles,  elle  brille  devant  les 
yeux;  mais  elle  ne  pénètre  point  dans  le  cœur  : 
il  faut  que  le  Saint-Esprit  lui  ouvre  l'entrée;  par 
où  nous  pouvons  aisément  comprendre  le  raison- 
nement de  l'apôtre.  Tant  que  la  loi  demeure  hors 
de  nous,  qu'ellefrappe  seulement  les  oreilles,  elle 
ne  sert  qu'à  nous  condamner;  c'est  pourquoi  c'est 
une  lettre  qui  tue  :  et  lorsqu'elle  entre  dans  l'in- 
térieur pour  y  opérer  le  salut  des  hommes ,  c'est 
le  Saint-Esprit  qui  l'y  grave  ;  c'est  pourquoi  c'est 

'  Exod.  XXI,  12  et  s«^q. 


l'Espritqui  nous  vivifie.  Comme  nous  sommes  tout 
ensemble  durs  et  ignorants ,  il  ne  suffit  pas  de  nous 
enseigner  il  faut  encore  nous  amollir.  Ainsi  vous 
n'avez  rien  fait,  ô  divin  Sauveur!  de  nous  avoir 
prêché  au  dehors  les  préceptes  de  votre  Évangile , 
si  vous  ne  parlez  au  dedans  d'une  manière  se- 
crète et  intérieure ,  par  l'efTusion  de  votre  Esprit 
saint.  De  là  il  est  facile  d'entendre  quelle  est  l'o- 
pération de  la  loi ,  et  quelle  est  celle  de  l'Esprit 
de  Dieu.  Parce  qu'il  voit  que  la  loi  nous  tue , 
quand  elle  agit  seulement  au  dehors,  il  l'écrit 
dans  le  fond  du  cœur,  afin  qu'elle  nous  donne  la 
vie.  L'équité  de  la  loi  se  présente  à  nous ,  sa  sé- 
vérité nous  menace;  et  le  Saint-Esprit  qui  nous 
meut ,  afin  que  nous  puissions  éviter  la  sévérité 
qui  condamne ,  nous  fait  aimer  l'équité  qui  règle  : 
de  peur  que  nous  soyons  captifs  sous  la  loi ,  comme 
criminels ,  il  fait  que  nous  l'embrassons  comme 
ses  amis,  et  c'est  ainsi  qu'il  nous  vivifie.  De  sorte 
que  tout  le  dessein  de  l'apôtre,  dans  le  passage 
que  nous  expliquons,  c'est  en  premier  lieu  de 
nous  faire  voir  la  loi  ennemie  de  l'homme  iiécheur, 
qui  le  tue  et  qui  le  condamne  ;  et  ensuite  l'homme 
pécheur,  devenu  ami  de  la  loi ,  qui  l'embrasse  et 
qui  la  chérit  par  l'opération  de  la  grâce.  Et 
qu'est-ce  qu'écrire  la  loi  dans  nos  cœurs ,  sinon 
faire  que  nous  l'aimions  d'une  affection  si  puis- 
sante, que,  malgré  tous  les  obstacles  du  monde, 
elle  devienne  la  règle  de  notre  vie? 


DEUXIEME  SERIMON 


LE  30\TR  DE  LA  PENTECOTE. 

Qnel  est  l'esprit  da  christianisme.  Mépriser  les  présents  da 
monde ,  sa  haine  et  sa  foreur  :  trois  maximes  de  la  générosité 
chreUenne.  Avec  quel  courage  les  apôtres  et  les  prmiers  chré- 
tiens méprisent  les  présents  du  monde ,  attaquent  sa  haine , 
triomphent  de  ses  menaces.  Merveilleuse  union  que  le  Saint- 
Esprit  fait  de  leurs  cœurs.  Pourquoi  ne  devons-nous  pas  nous 
regarder  en  nous-mêmes ,  mais  dans  l'unité  de  tout  le  corps 
dont  nous  sommes  membres.  L'envie  et  la  dureté  exterminées 
par  la  fratemilé  chrétienne. 


Spiritumnolite  extinguere. 

N'éteignez  pas  V Esprit.  I  Thessal.  v,  19. 

Cette  joie  publique  et  universelle,  qui  se  ré- 
pand par  toute  la  terre  dans  cette  auguste  solen- 
nité ,  avertit  les  chrétiens  de  se  souvenir  que  c'est 
en  ce  jour  que  l'Église  est  née,  et  que  nous 
sommes  nés  avec  elle  par  la  grâce  de  la  nouvelle 
alliance.  Il  n'est  point  de  nations  si  barbares ,  ni 
de  peuples  si  éloignés  qui  ne  soient  invités  par 
le  Saint-Esprit  à  la  fête  que  nous  célébrons.  Si 
étrange  que  soit  leur  langage ,  ils  pourront  tous 
l'entendre  aujourd'hui  dans  la  bouche  des  saints 


14 


POUR  LE  JOUR 


apôtres;  et  Dieu  nous  montre,  par  ce  miracle, 
que  cette  Église  si  resserrée,  que  nous  voyons 
naître  en  un  coin  du  monde ,  remplira  un  jour 
tout  l'univers ,  et  attirera  tous  les  peuples,  puisque 
déjà  dès  sa  tendre  enfance  elle  parle  toutes  les 
langues  :  alin,  mesdames,  que  nous  entendions 
que'si  la  confusion  de  Babel  les  a  autrefois  divi- 
sées ,  la  charité  chrétienne  les  unira  toutes ,  et 
qu'il  n'y  en  aura  point  de  si  rude  ni  de  si  irrégu- 
iière  en  laquelle  on  ne  prêche  le  Sauveur  Jésus 
et  les  mystères  de  son  Évangile.  Que  reste-t-il 
donc  maintenant  ;  sinon  que  participant  de  tout 
notre  cœur  à  la  joie  commune  de  tout  le  monde , 
nous  tâchions  de  nous  revêtir  de  l'esprit  de  cette 
Église  naissante  :  c'est-à-dire ,  du  Saint-Esprit 
même  ?  après  que  nous  aurons  imploré  sa  grâce 
par  l'intercession  de  Marie ,  qui  le  reçoit  aujour- 
d'hui avec  tous  les  autres;  mais  qui  était  accou- 
tumée dès  longtemps  à  sa  bienheureuse  présence , 
puisqu'il  était  survenu  en  elle  lorsque  l'ange  la 
salua  par  ces  mots  :  Ave,  Maria. 

Puisque  cette  sainte  journée  fait  revoir  à  tous 
les  fidèles  la  solennité  bienheureuse  en  laquelle 
l'Esprit  de  Dieu  se  répandit  avec  abondance  sur 
les  disciples  de  Jésus-Christ,  et  sur  son  Église 
naissante  ;  je  me  persuade  aisément ,  âmes  saintes 
et  religieuses ,  que ,  rappelant  en  votre  mémoire 
une  grâce  si  signalée ,  vous  aurez  aussi  préparé 
vos  cœurs  pour  la  recevoir  en  vous-mêmes,  et 
pour  être  les  temples  vivants  de  ce  Dieu  qui  des- 
cend sur  nous.  Que  si  je  ne  me  trompe  pas  dans 
cette  pensée;  s'il  est  vrai,  comme  je  l'espère, 
que  le  Saint-Esprit  vous  anime ,  et  que  vous  brû- 
liez de  ses  flammes,  que  puis-je  faire  de  plus  con- 
venable ,  pour  édifier  votre  piété ,  que  de  vous 
exhorter,  autant  que  je  puis ,  à  conserver  cette 
ardeur  divine ,  en  vous  disant  avec  l'apôtre  :  Spi- 
ritum  nolite  extinguere  :  «  Gardez- vous  d'étein- 
<•  dre  l'Esprit.  »  Car,  mes  sœurs,  ce  divin  Esprit 
qui  est  tombé  sur  les  saints  apôtres ,  sous  la  forme 
visible  du  feu,  se  répand  encore  invisiblement 
dans  tout  le  corps  de  l'Église  :  il  ne  descend  pas 
sur  la  terre  pour  passer  légèrement  sur  les  cœurs; 
il  vient  établir  sa  demeure  dans  la  sainte  société 
des  fidèles  :  Apud  vosnianebitK  C'est  pourquoi 
nous  apprenons,  par  les  Écritures,  qu'il  y  a  un 
esprit  nouveau ,  '  un  esprit  du  christianisme  et 
de  l'Évangile,  dont  nous  devons  tous  être  revê- 
tus ;  et  c'est  cet  esprit  du  christianisme  que  saint 
Paul  nous  défend  d'éteindre.  Il  faut  donc  entendre 
aujourd'hui  quel  est  cet  esprit  de  la  loi  nouvelle 
qui  doit  animer  tous  les  chrétiens;  et,  pour  le 
comprendre  solidement,  écoutez,  non  point  mes 

'  Jonn  XIV,  17. 

2  fzccA.  XI,  Iî>,  x\xvi,â|, 


paroles,  mais  les  saints  enseignements  de  l'apô- 
tre  que  je  choisis  pour  mon  conducteur.  Grand 
Paul ,  expliquez-nous  ce  mystère. 

Nous  voyons  par  expérience  que  chaque  as- 
semblée ,  chaque  compagnie  a  son  esprit  particu- 
lier ;  et  quand  nos  charges  ou  nos  dignités  nous 
donnent  place  dans  quelque  corps ,  aussitôt  on 
nous  avertit  de  prendre  l'esprit  de  la  compagnie 
dans  laquelle  nous  sommes  entrés.  Quel  est  donc 
l'esprit  de  l'Église,  dont  notre  baptême  nous  a  faits 
les  membres  ?  et  quel  est  cet  esprit  nouveau  qui  se 
répand  aujourd'hui  sur  les  saints  apôtres ,  et  qui 
doit  se  communiqueràtous  les  disciplesde  l'Évan- 
gile? Chrétiens,  voici  la  réponse  de  l'incomparable 
docteur  des  Gentils  :  Non  dédit  nobis  Deusspiri- 
tum  iimoris,  sed  virlutis  et  dilectionis  '  :  «  Sa- 
«  che,  dit  il,  mon  cher  Timothée,  »  car  c'est 
à  lui  qu'il  écrit  ces  mots,  »  que  Dieu  ne  nous 
«  donne  pas  un  esprit  de  crainte,  mais  un  esprit 
«  de  force  et  d'amour;  »  par  conséquent  saint 
Paul  nous  enseigne  que  cet  esprit  de  force  et  de 
charité ,  c'est  le  véritable  esprit  du  christianisme. 

Mais  il  faut  entrer  plus  avant  dans  le  senti- 
ment de  l'apôtre,  et  pour  cela  remarquez,  mes- 
sieurs, que  la  profession  du  christianisme  a  deux 
grandes  obligations  que  Jésus-Christ  nous  a  im- 
posées. Il  oblige  premièrement  ses  disciples  à 
l'exercice  d'une  rude  guerre;  il  les  oblige  secon- 
dement à  une  sainte  et  divine  paix.  Il  les  prépare 
à  la  guerre,  quand  il  les  avertit  en  plusieurs  en- 
droits que  tout  le  monde  leur  résistera  ;  c'est  pour- 
quoi il  veut  qu'ils  soient  violents  :  et  il  les  oblige 
à  la  paix,  lorsque,  malgré  ces  contradictions,  il 
leur  ordonne  d'êti:e  pacifiques.  Il  les  prépare  à 
la  guerre,  quand  il  les  envoie  «  au  milieu  des 
«  loups,  »  in  medio  luporum  ;  et  il  les  oblige  à  la 
paix,  quand  il  veut  «  qu'ils  soient  des  brebis,  » 
sicut  oves "■  :  il  les  prépare  à  la  guerre,  quand  il 
dit  dans  son  Évangile  qu'il  jette  un  glaive  au  mi- 
lieu du  monde  pour  être  le  signal  du  combat; 
Non  veni  pacem  niittere,  sed  gladium^;  et  il 
les  oblige  à  la  paix ,  quand  il  promet  d'allumer  un 
feu  pour  être  le  principe  de  la  charité  :  Ignetn  veni 
mittere  in  ierram  ^.  Il  y  a  donc  une  sainte  guerre 
pour  combattre  contre  le  monde ,  et  il  y  a  une 
paix  du  christianisme  pour  nous  unir  en  Notre- 
Seigneur.  Pour  soutenir  de  si  longs  combats, 
nous  avons  besoin  d'un  esprit  de  force,  et  pour 
maintenir  cette  paix,  l'esprit  de  charité  nous  est 
nécessaire  :  c'est  pourquoi  saint  Paul  nous  ensei- 
gne que  «  Dieu  ne  nous  donne  pas  un  esprit  de 


!  II.  Ttm.1,1. 
*  Matlh.x,  16. 
3  Ibid.  34, 
«  Luc.  XII ,  4». 


DE  LA  PENTFXOTE. 


tr, 


"  ï'rrxintc ,  mais  un  esprit  de  force  et  de  cliarité  '  ;  » 
et  til  est  l'esprit  du  christianisme  dont  les  apôtres 
ont  été  remplis. 

En  effet ,  considérons  attentivement  l'histoire 
de  rÉiïlise  naissante;  qu'y  voyons-nous  d'ex- 
traordinaire ,  et  en  quoi  y  remarquons-nous  cet 
osprit  du  christianisme  ?  En  ces  deux  effets  admi- 
rables ,  je  veux  dire ,  en  la  fermeté  invincible  et 
en  la  sainte  union  de  tous  les  fidèles;  et  vous  le 
%  errez  clairement,  si  vous  voulez  seulement  en- 
tendre ce  que  saint  Luc  a  dit  dans  les  Actes  :  «  Ils 

•  furent  remplis  de  l'Esprit  de  Dieu  :  »  Repleii 
sunt  omnes  Spiritu  sancto;  et  de  làqu'est-il  ar- 
rivé ?  Deux  choses  que  saint  Luc  a  bien  remar- 
quées :  Loquebantur  cum  fiducia* ]  première- 
ment, «  Ils  parlèrent  avec  fermeté  :  «  voyez-vous 
pas  cet  esprit  de  force?  Et  il  ajoute  aussitôt  après, 
'  et  ils  nétaient  tous  qu'un  cœur  et  qu'une  âme ,  « 
cor  timim  et  anima  una  ^  ;  et  c'est  l'esprit  de  la 
charité.  Voilà  donc ,  et  n'en  doutez  pas ,  quel  est 
l'esprit  du  christianisme  ;  ^oilà  quel  était  l'esprit 
de  nos  pères  :  esprit  courageux,  esprit  pacifique  ; 
esprit  de  fermeté  et  de  résistance  ;  esprit  de  cha- 
rité et  de  douceur  :  esprit  qui  se  met  au-dessus  de 
tout  par  sa  force  et  par  sa  vigueur;  «  esprit  qui  se 
n  met  au-dessous  de  tous  par  la  condescendance 
«  desa charité  :  »Percharitate7nserviteinvicem^. 
Tel  est  l'esprit  de  la  loi  nouvelle  :  «  chrétiens , 

•  ne  réteignez  pas  :»  Sp/nYww  nolite  extinguere^. 
Imitez  l'Eglise  naissante,  et  la  ferveur  de  sespre- 
miers  temps,  dont  je  vous  dois  aujourd'hui  pro- 
poser l'exemple.  Conservez  cet  esprit  de  force, 
par  lequel  vous  pourrez  combattre  le  monde; 
conservez  cet  esprit  d'amour,  pour  vivre  en  l'unité 
de  vos  frères  dans  la  paix  du  christianisme  :  deux 
points  que  je  traite  en  peu  de  paroles ,  avec  le  se- 
cours de  la  grâce. 

PREMIER    POINT. 

Disons  donc,  avant  toutes  choses,  que  les  chré- 
tiens doivent  être  forts ,  et  que  l'esprit  du  chris- 
tianisme est  un  esprit  de  courage  et  de  fermeté  : 
car  si  nous  voyons  dans  l'histoire ,  que  des  peu- 
ples se  vantaient  d'être  belliqueux  ;  parce  que  dès 
leurpremière  jeunesse  on  les  préparait  à  la  guerre, 
on  les  durcissait  aux  travaux,  on  les  accoutumait 
aux  périls:  combien  devons-nous  être  forts ,  nous 
qui  sommes  dès  notre  enfance  enrôlés  par  le 
saint  baptême  à  une  milice  spirituelle  dont  la  vie 
n'est  que  tentation,  dont  tout  l'exercice  est  la 
guerre,  et  qui  sommes  exposés  au  milieu  du 


»  II.  Tim.  1,7. 
2  Acl.  IV,  31. 
'  Ihid.  32. 
•  Gal.V,  13. 
II.  Tim.  V,  I» 


monde  comme  dans  un  champ  de  bataille,  ix>iir 
combattre  mille  ennemis  découverts  et  mille  in- 
nemis  invisibles!  Parmi  tant  de  difficultés  et  tant 
de  périls  qui  nous  environnent,  devons-nous  pas 
être  nourris  dans  un  esprit  de  force  et  de  fermeté  ; 
afin  d'être  toujours  immobiles  malgré  les  plaisirs 
qui  nous  tentent,  malgré  les  afflictions  qui  nous 
frappent,  malgré  les  tempêtes  qui  nous  menacent  ? 
Aussi  voyons-nous  dans  les  Écritures,  que  Dieu 
prévoyant  les  combats  où  il  engageait  ses  fidèles , 
«  leur  ordonne  de  se  renfermer  et  de  demeurer 
«  en  repos  jusqu'à  ce  qu'il  lésait  revêtus  de  force  : 
Sedete  in  civitate,  guoadusque  induamini  vir- 
iuie  ex  alto^-^  leur  montrant  par  cette  parole, 
que ,  pour  soutenir  les  efforts  qui  attaquent  les 
enfants  de  Dieu  en  ce  monde,  il  faut  une  fermeté 
extraordinaire. 

C'est  ce  qui  m'oblige,  messieurs,  à  vous  pro- 
poser aujourd'hui  trois  maximes  fondamentales 
de  la  générosité  chrétienne ,  lestjuelles  vous  ver- 
rez pratiquées  dans  l'histoire  du  christianisme 
naissant,  et  dans  la  conduite  de  ces  grands  hom- 
mes que  le  Saint-Esprit  remplit  en  ce  jour  :  voici 
quelles  sont  ces  maximes ,  que  je  vous  prie  d* im- 
primer dans  votre  mémoire.  Mépriser  les  présents 
du  monde ,  ses  richesses ,  ses  biens ,  ses  plaisirs  ; 
voilà  la  première  maxime.  Mais  parce  qu'en  refu- 
sant les  présents  du  monde,  on  encourt  infailli- 
blement ses  disgrâces  :  non-seulement  mépriser 
ses  biens ,  mais  encore  mépriser  sa  haine ,  et  ne 
pas  craindre  de  lui  déplaire,  voilà  la  seconde 
maxime.  Et  comme  sa  haine  étant  méprisée  se 
tourne  en  une  fureur  implacable  :  non-seulement 
mépriser  sa  haine ,  mais  sa  rage ,  mais  ses  mena- 
ces ,  et  enfin  se  mettre  au-dessus  des  maux  que 
la  fureur  la  plus  emportée  peut  faire  souffrir  à 
notre  innocence  ;  voilà  la  troisième  maxime  :  c'est 
ce  qu'il  nous  faut  expliquer  par  ordre. 

La  première  maxime  de  force  que  nous  donne 
l'esprit  du  christianisme,  c'est  de  mépriser  les 
présents  du  monde  ;  et  la  raison  en  est  évidente  : 
car  c'est  un  principe  très-induhitahle  que  notre  es- 
time ou  notre  mépris  suivent  les  idées  dont  nous 
sommes  pleins ,  et  les  espérances  que  l'on  nous 
donne.  Voyons  donc  dequelles  idées  nous  remplit 
l'esprit  du  christianisme ,  et  quels  désirs  il  excite 
en  nous.  11  faut  que  vous  l'appreniez  de  saint 
Paul  par  ces  excellentes  paroles  qu'il  adresse  aux 
Corinthiens:  Non  enim  spiritum  hujus  mundi 
accepimus  :  «  Nous  n'avons  pas  reçu  l'esprit  de 
«  ce  monde  ;  »  et  par  conséquent  concluez  que  le 
chrétien  véritable  n'est  pas  plein  des  idées  du 
monde.  Quel  esp  it  avons-nous  reçu  ?  Sed  Spiri- 
tum qui  ex  Deoest  :  «  un  Esprit  qui  est  de  Dieu,  » 

■  Luc.  XXIV,  49. 


16 


POUR  LE  JOUR 


dit  saint  Paul ,  et  il  en  ajoute  cette  raison  :  «  A  fin 
'.  que  nous  sachions,  poursuit-il,  toutes  les  choses 
«  que  Dieu  nous  donne  :  »  Ut  sciamus  quœ  a  Deo 
donata  sunt  nobis  ',  Quelles  sont  ces  choses  que 
Dieu  nous  donne ,  sinon  l'adoption  des  enfants , 
l'égalité  avec  les  anges,  l'héritage  de  Jésus-Christ, 
la  communication  de  sa  gloire ,  la  société  de  son 
trône?  Voilà  quelles  sont  les  idées  que  le  Saint- 
Esprit  imprime  en  nos  âmes  :  il  y  grave  l'idée  d'un 
bien  éternel ,  d'un  trésor  qui  ne  se  perd ,  d'une  vie 
qui  ne  finit  pas ,  d'une  paix  immuable  et  perpé- 
tuelle. Si  je  suis  plein  de  ces  grandes  choses  ,  et  si 
j'ai  l'esprit  occupé  d'espérances  si  relevées,  puis- 
je  estimer  les  présents  du  monde  ?  Car,  ô  monde , 
qu'opposeras-tu  à  ces  biens  infinis  et  inestima- 
bles? Des  plaisirs?  mais  seront-ils  purs?  Des 
honneurs?  seront-ils  solides?  La  faveur?  est-elle 
durable?  La  fortune?  est-elle  assurée?  Quelque 
grand  établissement?  es-tu  capable  de  m'en  ga- 
rantir une  jouissance  paisible ,  et  me  rendras- 
tu  immortel  pour  posséder  ces  biens  sans  inquié- 
tude? qui  ne  sait  qu'il  est  impossible?  La  figure 
de  ce  monde  passe  ;  tout  ce  que  les  hommes  esti- 
ment n'est  que  folie  et  illusion;  et  l'esprit  de 
grâce  que  j'ai  reçu,  me  remplissant  des  grandes 
idées  des  biens  éternels  qui  me  sont  donnés,  m'a 
élevé  au-dessus  du  monde,  et  ses  présents  ne  me 
sont  plus  rien.  Telle  est  la  première  maxime 
de  la  générosité  chrétienne. 

Mais,  fidèles,  ce  n'est  pas  assez  :  si  vous  n'ai- 
mez pas  le  monde,  il  vous  haïra;  ceux  qui  mé- 
prisent les  présents  du  monde  encourent  infailli- 
blement sa  disgrâce  ;  et  il  faut  ou  s'engager  avec 
lui,  en  recevant  ses  faveurs,  ou  rompre  ouver- 
tement ses  liens ,  et  ne  pas  craindre  de  lui  dé- 
plaire ;  et  c'est  la  seconde  maxime  de  l'Esprit  du 
christianisme.  Car  c'est  une  vérité  très-constante, 
que  jamais  les  hommes  ne  produiront  rien  qui 
soit  digne  de  l'Évangile  et  de  l'esprit  de  la  loi 
nouvelle,  tant  qu'on  n'aura  pas  le  courage  de 
renoncer  à  la  complaisance ,  et  de  se  résoudre  à 
déplaire  aux  hommes.  En  effet,  considérez,  chré- 
tiens ,  les  lois  tyranniques  et  pernicieuses  que  le 
monde  nous  a  imposées  contre  les  obligations  de 
notre  baptême.  N'est-ce  pas  le  monde  qui  dit  que 
de  pardonner,  c'est  faiblesse;  et  que  c'estmanquer 
de  courage,  que  de  modérer  son  ambition?  N'est- 
ce  pas  le  monde  qui  veut  que  la  jeunesse  coure 
aux  voluptés;  et  que  l'âge  plus  avancé  n'ait  de 
soin  que  pour  s'établir,  et  que  tout  cède  à  l'in- 
térêt? N'est-ce  pas  une  loi  du  monde ,  qu'il  faut 
nécessairement  s'avancer,  s'il  se  peut  par  les 
bonnes  voies,  sinon  s'avancer  par  quelque  façon; 
s'il  le  faut,  par  la  flatterie;  s'il  est  besoin,  même 
par  le  crime?  N'est-ce  pas  ce  que  dit  le  monde? 

'  1.  Cor.  H,  12. 


ne  sont-ce  pas  ses  lois  et  ses  ordonnances?  Et 
pourquoi  sont-elles  suivies?  d'où  leur  vient  cette 
autorité  qu'elles  se  sont  acquise  par  toute  la 
terre?  est-ce  de  la  raison ,  ou  de  la  justice?  Mais 
Jésus-Christ  les  a  condamnées ,  et  il  a  donné  tout 
son  sang  pour  nous  délivrer  de  leur  servitude  : 
d'où  vient  donc  que  ces  lois  maudites  régnent 
encore  par  toute  la  terre ,  contre  la  doctrine  de 
l'Évangile  ?  Je  ne  craindrai  pas  d'assurer  que  c'est 
la  crainte  de  déplaire  aux  hommes,  qui  leur 
donne  cette  autorité. 

Mais  peut-être  que  vous  jugerez  que  ce  n'est 
pas  à  la  complaisance  qu'il  faut  imputer  tout  ce 
crime,  et  qu'il  en  faut  aussi  accuser  nos  autres  incli- 
nations corrompues.  Non,  mes  sœurs,  je  n'ac- 
cuse qu'elle ,  et  je  m'appuie  sur  cette  raison  :  car 
je  confesse  facilement  que  nos  mauvaises  inclina- 
tions nous  jettent  dans  de  mauvaises  pratiques  ; 
mais  je  nie  que  ce  soient  nos  inclinations  qui  leur 
donnent  la  force  de  lois  auxquelles  on  n'ose  pas 
contredire.  Ce  qui  les  érige  en  force  de  lois ,  et 
ce  qui  contraint  à  les  suivre,  par  une  espèce  de 
nécessité ,  c'est  la  tyrannie  de  la  complaisance  ; 
parce  qu'on  a  honte  de  demeurer  seul,  parce  qu'on 
n'ose  pas  s'écarterdu  chemin  que  l'on  voit  battu, 
parce  qu'on  craint  de  déplaire  aux  hommes  ;  et  on 
dit  pour  toute  raison  :  C'est  ainsi  qu'on  vit  dans 
le  monde  ;  il  faut  faire  comme  les  autres.  Telle- 
ment que  ces  lois  damnablesque  le  monde  oppose 
au  christianisme ,  il  faut  quelqu'un  pour  les  pro- 
poser et  quelqu'un  pour  les  établir  :  nos  inclina- 
tions les  proposent  et  nos  inclinations  les  conseil- 
lent; mais  c'est  la  crainte  de  déplaire  aux  hommes 
qui  leur  donne  l'autorité  souveraine.  C'est  ce  que 
prévoyait  le  divin  apôtre ,  lorsqu'il  avertit  ainsi 
les  fidèles  :  «  Vous  avez  été  achetés  d'un  grand 
«  prix ,  ne  vous  rendez  pas  esclaves  des  hommes  :  » 
Nolite  fieri  servi  hominum^.  En  effet,  ne  le 
sens-tu  pas ,  que  tu  te  jettes  dans  la  servitude , 
quand  tu  crains  de  déplaire  aux  hommes ,  et 
quand  tu  n'oses  résister  à  leurs  sentiments  ;  es- 
clave volontaire  des  erreurs  d'autrui? 

Chrétiens,  ce  n'est  pas  là  notre  esprit,  ce  n'est 
pas  l'esprit  du  christianisme.  Écoutez  l'apôtre 
saint  Paul,  qui  nous  dit  avec  tant  de  force  : 
•<■  Nous  n'avons  pas  reçu  l'esprit  de  ce  monde  ;  » 
Non  enim  spiritum  hujus  mundi  acccpimus.  Je 
ne  croirai  pas  me  tromper,  si  je  dis  que  l'esprit 
du  monde ,  dont  parle  l'apôtre  en  ce  lieu ,  c'est  la 
complaisance  mondaine,  qui  corrompt  les  meil- 
leures âmes,  qui,  minant  peu  à  peu  les  malheu- 
reux restes  de  notre  vertu  chancelante ,  nous  fait 
être  de  tous  les  crimes,  non  tant  par  inclination , 
que  par  compagnie  ;  qui ,  au  lieu  de  cette  force 

'  I.  Cor.  VII ,  23. 


DE  LA  PENTECOTE. 


IT 


Invincible  et  de  cette  fermeté  d'un  front  chrétien 
que  la  croix  doit  avoir  durci  contre  toute  sorte 
d'opprobres ,  les  rend  si  tendres  et  si  délicats , 
que  nous  avons  honte  de  déplaire  aux  hommes 
pour  le  service  de  Jésus-Christ.  Mon  Sauveur,  ce 
n'est  pas  là  cet  Esprit  que  vous  avez  aujourd'hui 
répandu  sur  nous  :  JSon  enim  spiritum  hujus 
mundi  accepimus,  sed  Spiritum  qui  ex  Deo 
est:  «  Nous  n'avons  pas  reçu  l'esprit  de  ce  monde, 
«  pour  être  les  esclaves  des  hommes;  mais  notre 
«  Esprit  venant  de  Dieu  même ,  »  nous  met  au- 
dessus  de  leurs  jugements,  et  nous  fait  mépriser 
leur  haine  ;  et  c'est  la  seconde  maxime  de  la  gé- 
nérosité du  christianisme.        , 

Mais  il  faut  encore  s'élever  plus  haut  ;  et  la 
troisième ,  qui  me  reste  à  vous  proposer,  va  faire 
trembler  tous  nos  sens,  et  étonner  toute  la  na- 
ture :  car  c'est  elle  qui  fait  dire  au  divin  apôtre  : 
«  Qui  est  capable  de  nous  séparer  de  la  charité 
«  de  Notre-Seigneur?  est-ce  l'affliction  ou  l'an- 
«  goisse?  est-ce  la  nudité  ou  la  faim,  la  persécu- 
«  tion  ou  le  glaive?  Mais  nous  surmontons  en 
"  toutes  ces  choses,  à  cause  de  celui  qui  nous  a 
«  aimés  :  »  In  his  omnibus  superamits ,  propter 
eum  qui  dite  xi  t  nos'.  Ainsi,  que  le  monde  fré- 
misse ,  qu'il  allume  par  toute  la  terre  le  feu  de 
ses  persécutions,  la  générosité  chrétienne  surmon- 
tera sa  rage  impuissante  ;  et  je  comprends  aisé- 
ment la  cause  d'une  victoire  si  glorieuse,  par  une 
excellente  doctrine  que  l'apôtre  saint  Jean  nous 
enseigne  ;  que  «  celui  qui  habite  en  nous  est  plus 
«  grand  que  celui  qui  est  dans  le  monde  :  «  Ma- 
/or  est  qui  in  vobis  est,  quam  qui  in  mundo^. 
Entendez  ici,  chrétiens,  que  celui  qui  est  en  nous, 
c'est  le  Saint-Esprit  que  Dieu  a  répandu  en  nos 
cœurs.  Et  qui  ne  sait  que  cet  Esprit  tout-puis- 
sant est  infiniment  plas  grand  que  le  monde? 
Par  conséquent ,  quoi  qu'il  entreprenne ,  et  quel- 
ques tourments  qu'il  prépare,  le  plus  fort  ne  cé- 
dera pas  au  plus  faible.  Le  chrétien  généreux 
surmontera  tout;  parce  qu'il  est  rempli  d'un  Es- 
prit qui  est  infiniment  au-dessus  du  monde. 

Ce  sont ,  mes  sœurs ,  ces  fortes  pensées  qui  ont 
si  longtemps  soutenu  l'Église  :  elle  voyait  tout 
l'empire  conjuré  contre  elle  ;  elle  lisait  à  tous  les 
poteaux  et  à  toutes  les  places  publiques  les  sen- 
tences épouvantables  que  l'on  prononçait  contre 
ses  enfants  :  toutefois  elle  n'était  pas  effrayée; 
mais  sentant  l'esprit  dont  elle  était  pleine, 
elle  savait  bien  maintenir  cette  liberté  glorieuse 
de  professer  le  christianisme ,  et ,  quoique  les  lois 
la  lui  refusassent,  elle  se  la  donnait  par  son  sang  : 
car  c'étaK  un  crime  chez  elle  de  se  l'acquérir  par 
une  autre  voie  ;  et  l'unique  moyen  qu'elle  propo- 

'  Rom.  vm,  35,  37. 
'  I   Jo<in.  IV,  4. 

BOSSL'ET.  —  T.  m. 


sait  pour  secouer  ce  joug ,  c'était  de  mourir  cont- 
tamment.  C'est  pourquoi  Tertullien  s'étonne  qu'il 
y  eût  des  chrétiens  assez  lâches  pour  se  racheter 
par  argent  des  persécutions  qui  les  menaçaient; 
et  vous  allez  entendre  des  sentiments  vraiment 
dignes  de  l'ancienne  Église  et  de  l'esprit  du  chris- 
tianisme. Chrisiianus  pecunia  salvus  est  ;  et  in 
hoc  nummos  habet  ne  patiatur,  duni  adver.ms 
Deumerit  dives  :  «  0  honte  de  l'Église,  s'écrie 
«  ce  grand  homme,  un  chrétien  sauvé  par  argent, 
«  un  chrétien  riche  pour  ne  souffrir  pas  !  a-t-il 
«  donc  oublié ,  dit-il ,  que  Jésus  s'est  montré  ri- 
«  che  pour  lui  par  l'effusion  de  son  sang?  »  At 
enim  Christus  sanguine  fuit  dives  pro  illo'.  Ne 
vous  semble-t-il  pas  qu'il  lui  dise  :  Toi,  qui  l'es 
voulu  sauver  par  ton  or,  dis-moi ,  chrétien ,  où 
était  ton  sang?  n'en  avais-tu  plus  dans  tes  veines, 
quand  tu  as  été  fouiller  dans  tes  coffres  pour  y 
trouver  le  prix  honteux  de  ta  liberté?  sache 
qu'étant  rachetés  par  le  sang ,  étant  délivrés  par 
le  sang,  nous  ne  devons  point  d'argent  pour  nos 
vies ,  nous  n'en  devons  point  pour  nos  libertés , 
et  notre  sang  nous  doit  garder  celle  que  le  sang 
de  Jésus-Christ  nous  a  méritée  :  Sanguijie  em- 
pli, sanguine  munerati,  nullum  nummum  pro 
capite  debemus^.  Ceux  qui  vivent  en  cet  esprit, 
ce  sont ,  mes  sœurs ,  les  vrais  chrétiens ,  et  ce 
sont  les  vrais  successeurs  de  ces  hommes  incom- 
parables que  l'esprit  de  force  remplit  aujourd'hui  : 
car  il  est  temps  de  venir  à  eux,  et  de  vous  mon- 
trer dans  leurs  actions  ces  trois  maximes  que  j'ai 
expliquées. 

Et  premièrement  regardez  comme  ils  méprisent 
les  présents  du  monde  :  aussitôt  qu'ils  sont  chré- 
tiens, ils  ne  veulent  plus  être  riches.  Voyez  ces 
nouveaux  convertis ,  avec  quel  zèle  ils  vendent 
leurs  biens ,  et  comme  ils  se  pressent  autour  des 
apôtres ,  «  pour  jeter  tout  leur  argent  à  leurs 
«  pieds ,  »  ponebant  ante  pedes  apostolorum  '. 
Où  vous  pouvez  aisément  connaître  le  mépris 
([u'îls  font  des  richesses  :  car ,  comme  remarque 
saint  Jean  Chrysostôme  ^ ,  judicieusement  à  son 
ordinaire ,  ils  ne  les  mettent  pas  dans  les  mains, 
mais  ils  les  apportent  aux  pieds  des  apôtres  ;  et 
en  voici  la  véritable  raison.  S'ils  croyaient  leur 
faire  un  présent  honnête ,  ils  les  leur  donneraient 
dans  leurs  mains  ;  mais ,  en  les  jetant  à  leurs 
pieds ,  ne  semble-t-il  pas  qu'ils  nous  veulent  dire 
que  ce  n'est  pas  tant  un  présent  qu'ils  font,  qu'un 
fardeau  inutile  dont  ils  se  déchargent?  et  tout 
ensemble  n'admirez-vous  pas  comme  ils  honorent 
les  saints  apôtres?  0  apôtres  de  Jésus-Christ, 

'  Defiig.  in  persecut.  u"  12. 
»  Ibid. 
'  Act.  îT,  35. 

♦  In  Act.  Aposl.  flom.  XI ,  n  "  I ,  t.  IX ,  p.  90.  /w  /,>'*'■  "<* 
Jiom.  Uom.  VII ,  n"  8;  ibid.  p.  481. 


18 


POUR  LE  JOUR 


c'est  vous  qui  ôtcs  les  vainqueurs  du  monde  ;  et 
voilà  qu'on  met  à  vos  pieds  les  dépouilles  du 
monde  vaincu ,  ainsi  qu'un  trophée  m.'igïiifique 
qu'on  érige  à  votre  victoire.  D'où  vient  à  ces 
nouveaux  chrétiens  un  si  grand  mépris  des  ri- 
chesses, sinon  qu'ils  commencent  à  se  revêtir  de 
l'esprit  du  christianisme ,  et  que  l'idée  des  biens 
éternels  leur  ôte  l'estime  des  biens  périssables? 
C'était  la  première  maxime  ,  mépriser  les  pré- 
sents du  monde. 

Je  vois  que  vous  admirez  ces  grands  hommes, 
Aous  êtes  étonnés  de  leur  fermeté  ;  toutefois  tout 
ce  que  j'ai  dit  n'est  qu'un  faible  commencement'  : 
nos  braves  et  invincibles  lutteurs  ne  sont  pas  en- 
trés au  combat;  ils  n'ont  fait  encore  que  se  dé- 
pouiller, quand  ils  ont  quitté  leurs  richesses  : 
ils  vont  commencer  à  venir  aux  prises,  en  atta- 
quant la  haine  du  monde.  C'est  ici  qu'il  faut  avoir 
les  yeux  attentifs. 

Certainement,  chrétiens,  c'était  une  étrange 
■résolution  que  de  prêcher  le  nom  de  Jésus  dans 
'la  ville  de  Jérusalem.  11  n'y  avait  que  cinquante 
'jours  que  tout  le  monde  criait  contre  lui  :  «  Qu'on 
'<  l'ôte,  qu'on  l'ôte,  qu'on  le  crucifie'!  »  Cette 
haine  cruelle  et  envenimée  vivait  encore  dans 
le  cœur  des  peuples  :  prononcer  seulement  son 
nom,  c'était  choquer  toutes  les  oreilles;  le  louer, 
c'était  un  blasphème  :  mai»»  publier  qu'il  est  le 
Messie,  prêcher  sa  glorieuse  résurrection,  n'était- 
ce  pas  porter  les  esprits  jusqu'à  la  dernière  fu- 
reur? Tout  cela  n'arrête  pas  les  apôtres  :  Oui, 
nous  vous  prêchons ,  disaient-ils ,  «  et  que  toute 
«  la  maison  d'Israël  le  sache,  que  le  Dieu  de  nos 
«  pères  a  ressuscité  et  a  fait  asseoir  à  sa  droite  ce 
«  Jésus  que  vous  avez  mis  en  croix'.  »  Et  parce 
qu'ils  avaient  cru  s'excuser  de  la  mort  de  cet  in- 
nocent en  le  livrant  aux  mains  de  Pilate ,  ils  ne 
leur  dissimulent  pas  que  cette  excuse  augmente 
leur  faute.  «  Car  Pilate ,  disent-ils ,  a  voulu  le 
«  sauver,  et  c'esi  vous  qui  l'avez  perdu  ^.  »  Et 
voyez  comme  ils  exagèrent  leur  crime  :  «  Vous 
«  avez  renié  le  Saint  et  le  Juste ,  et  vous  avez  de- 
«  mandé  la  grâce  d'un  voleur  et  d'un  meurtrier, 
«  et  vous  avez  fait  mourir  l'auteur  de  la  vie*.  » 
Est-il  rien  de  plus  véhément  pour  confondre  leur 
ingratitude,  que  de  leur  mettre  devant  les  yeux 
toute  l'horreur  de  cette  injustice,  d'avoir  con- 
servé la  vie  à  celui  qui  l'ôtait  aux  autres  par  ses 
homicides,  et  tout  ensemble  de  l'avoir  ôtée  à  ce- 
lui qui  la  donnait  par  sa  grâce?  et  pendant  qu'ils 
disaient  ces  choses ,  combien  voyaient-ils  d'hom- 
mes irrités  dont  la  rage  frémissait  contre  eux! 


»  Joan.  XIX,  ;5 
5  .4rl.  Il ,  36. 
3  Ibid.  III,   13. 
*  IbM.  li,  15. 


Mais  ces  grandes  âmes  ne  s'étonnaient  pas  ;  et 
c'était  une  des  maximes  de  l'esprit  qui  les  possé- 
dait, de  ne  pas  craindre  de  déplaire  aux  hommes. 

Passons  maintenant  plus  avant ,  et  voyons- 
leur  vaincre  les  menaces  de  ceux  dont  ils  ont  mé- 
prisé la  haine  ;  c'est  la  dernière  maxime.  On  les 
prend,  on  les  emprisonne,  on  les  fouette  inhu- 
mainement; '(  on  leur  ordonne ,  sous  de  grandes 
«  peines ,  de  ne  plus  prêcher  en  ce  nom ,  »  in  no- 
mine  hoc  '  :  car,  messieurs ,  c'est  ainsi  qu'ils  par- 
lent ;  en  ce  nom  odieux  au  monde ,  et  qu'ils  crai- 
gnent de  prononcer  :  tant  ils  l'ont  en  exécration  ! 
A  cela  que  répondent  les  apôtres?  Une  parole 
toute  généreuse  :  Non  possumus  '  :  «  Nous  ne 
«  pouvons  pas,  nous  ne  pouvons  pas  nous  taire 
«  des  choses  dont  nous  sommes  témoins  oculai- 
«  res.  »  Et  remarquez  ici ,  chrétiens ,  qu'ils  ne  di- 
sent point  :  Nous  ne  voulons  pas;  car  ils  semble- 
raient donner  espérance  qu'on  pourrait  changer 
leur  résolution  :  mais  de  peur  qu'on  attende  d'eux 
quelque  chose  indigne  de  leur  ministère,  ils  di- 
sent tous  d'une  même  voix  :  Ne  tentez  pas  l'im- 
possible; Non  possumus  :  «  Nous  ne  pouvons 
»  pas.  »  C'est  ce  qui  confond  leurs  juges  iniques. 

C'est  ici  que  ces  innocents  font  le  procès  à  leurs 
propres  juges,  qu'ils  effrayent  ceux  qui  les  mena- 
cent ,  et  qu'ils  abattent  ceux  qui  les  frappent  :  car 
écoutez  ces  juges  iniques ,  et  voyez  comme  ils 
parlent  entre  eux  dans  leur  criminelle  assemblée. 
Quidfaciemus  hominibus  istis  ^?  «  Que  pouvons- 
«  nous  faire  à  ces  hommes?  «  Voici  un  spectacle 
digne  de  vos  yeux  :  dès  la  première  prédication, 
trois  mille  hommes  viennent  aux  apôtres;  et 
touchés  de  pénitence ,  leur  disent  :  «  Nos  chers 
«frères,  que  ferons-nous  ?  »  Quidfaciemus,  viri 
fratres^  ?  D'autre  part,  les  princes  des  prêtres, 
les  scribes  et  les  pharisiens  les  appellent  à  leur 
tribunal;  là,  étonnés  de  leur  fermeté,  et  ne  sa- 
chant que  résoudre,  ils  disent  :  «  Que  ferons-nous 
«à  ces  hommes?  «  Quid  faciemiis  hominibus 
istis  ?  Ceux  qui  croient  et  ceux  qui  contredisent, 
tous  deux  disent  :  •<  Que  ferons-nous?  «  mais  avec 
des  sentiments  opposés  :  les  uns  par  obéissance , 
et  les  autres  par  désespoir  ;  les  uns  le  disent  pour 
subir  la  loi ,  et  les  autres  le  disent  de  rage  de  ne 
pouvoir  pas  la  donner.  Avez- vous  jamais  enteqdu 
une  victoire  plus  glorieuse?  Il  n'y  a  que  deux 
sortes  d'hommes  dans  la  ville  de  Jérusalem; 
dont  les  uns  croient,  les  autres  résistent  :  ceux- 
là  suivent  les  apôtres  et  s'abandonnent  à  leur 
conduite  :  Nos  frères,  cjue  ferons-nous?  ordonnez; 
et  ceux  même  qui  les  contredisent,  et  qui  veu- 

»  Act.  IV,  17. 
*  Ihid.  30 
'  Ihid.  IV.  16. 
1  loi'i    u,37. 


DE  LA  PENTECOTfc. 


19 


lent  les  exterminer ,  ne  savent  néanmoins  que 
leur  faire  :  Que  ferons-nous  à  ces  hommes?  Ne 
voyez- vous  pas  qu'ils  jettent  leurs  biens,  et  qu'ils 
sont  prêts  de  donner  leurs  âmes?  les  promesses  ne 
les  gagnent  pas,  les  injures  ne  les  troublent  pas, 
les  menaces  les  encouragent,  les  supplices  les 
réjouissent  :  Quidfaciemus?  «  Que  leur  fcrons- 
«  nous?  "  0  Église  de  Jésus-Christ ,  je  n'ai  plus  de 
peine  à  comprendre  que  les  tiens ,  en  prêchant , 
en  souffrant ,  en  mourant ,  couvriront  les  tyrans 
de  honte ,  et  qu'un  jour  ta  patience  forcera  le 
monde  à  changer  les  lois  qui  te  condamnaient; 
puisque  je  vois  que  dès  ta  naissance  tu  confonds 
déjà  tous  les  magistrats  et  toutes  les  puissances  de 
Jérusalem  par  la  seule  fermeté  de  cette  parole  : 
Non  possumus  :  «  Nous  ne  pouvons  pas.  « 

Mais,  saints  disciples  de  Jésus-Christ,  quelle 
est  cette  nouvelle  impuissance?  Vous  trembliez 
en  ces  dernière  joure ,  et  le  plus  hardi  de  la  troupe 
a  renié  lâchement  son  maître  ;  et  vous  dites  main- 
tenant :  Nous  ne  pouvons  pas.  Et  pourquoi  ne 
pouvez- vous  pas?  C'est  que  les  choses  ont  été 
changées  ;  un  feu  céleste  est  tombé  sur  nous ,  une 
loi  a  été  écrite  en  nos  cœurs ,  un  Esprit  tout-puis- 
sant nous  presse  :  charmés  de  ses  attraits  infinis , 
nous  nous  sommes  imposé  nous-mêmes  une  bien- 
heureuse nécessité  d'aimer  Jésus-Christ  plus  que 
notre  \ie  ;  c'est  pourquoi  nous  ne  pouvons  plus 
obéir  au  monde  :  nous  pouvons  souffrir,  nous 
pouvons  mourir;  mais  nous  ne  pouvons  pas  tra- 
hir rÉvangile ,  et  dissimuler  ce  que  nous  savons  : 
Non  possumus  ea  quœ  vidimus  et  audivimus 
lum  loqui  '. 

Voilà,  messieurs,  quels  étaient  nos  pères;  tel 
est  l'esprit  du  christianisme ,  esprit  de  fermeté 
et  de  résistance,  qui  se  met  au-dessus  des  pré- 
sents du  monde ,  au-dessus  de  sa  haine  la  plus 
animée,  au-dessus  de  ses  menaces  les  plus  ter- 
ribles :  c'est  par  cet  esprit  généreux  que  l'Église 
a  été  fondée  ;  c'est  dans  cet  esprit  qu'elle  s'est 
nourrie  :  chrétiens ,  ne  l'éteignez  pas  :  Spirituiri 
nolite  extinguere.  Quand  on  tâche  de  nous  dé- 
tourner de  la  droite  voie  du  salut,  quand  le 
monde  nous  veut  corrompre  par  ses  dangereuses 
faveurs,  et  par  le  poison  de  sa  complaisance, 
pourquoi  n'osons-nous  résister?  Si  nous  nous  van- 
tons d'être  chrétiens,  pourquoi  craignons-nous 
de  déplaire  aux  hommes?  et  que  ne  disons-nous 
avec  les  apôtres  ce  généreux  «  Nous  ne  pouvons 
«  pas  ? ..  Mais  l'usage  de  cette  parole  ne  se  trouve 
plus  parmi  nous  :  il  n'est  rien  que  nous  ne  puis- 
si-^ns  pour  satisfaire  notre  ambition  et  nos  pas- 
sions déréglées.  Ne  faut-il  que  trahir  notre  con- 
science ,  ne  faut-il  qu'abandonner  nos  amis ,  ne 

'  Act.  VI,  20. 


;  faut-il  que  violer  les  plus  saints  devoirs  que  la 
'  religion  nous  impose,  Possumus,  nous  le  pou- 
vons; nous  pouvons  tout  pour  notre  fortune,  nous 
pouvons  tout  pour  nous  agrandir  :  mais  s'il  faut 
servir  Jésus-Christ,  s'il  faut  nous  résoudre  de 
nous  séparer  de  ces  objets  qui  nous  plaisent  trop, 
s'il  faut  rompre  ces  attachements  et  briser  ces 
liens  trop  doux  ;  c'est  alors  que  nous  commençons 
de  ne  rien  pouvoir  :  Non  possumus  :  «  Nous  ne 
«  pouvons  pas.  >■  Que  sert  donc  de  dire  aujourd'hui 
à  la  plupart  de  mes  auditeurs  :  «  N'éteignez  pas 
«  l'esprit  de  la  grâce?  »  Il  est  éteint ,  il  n'y  en  a 
plus  ;  cet  esprit  de  fermeté  chrétienne  ne  se  trouve 
j  plus  dans  le  monde  :  c'est  pourquoi  les  vices  ne 
sont  pas  repris  ;  ils  triomphent ,  tout  leur  applau- 
dit :  et  de  ce  grand  feu  du  christianisme ,  qui 
autrefois  a  embrasé  tout  le  monde,  à  peine  en 
reste-t-il  quelques  étincelles.  Tâchons  donc  de  les 
rallumer  en  nous-mêmes,  ces  étincelles  à  demi 
éteintes  et  ensevelies  sous  la  cendre. 

Chrétiens ,  quoi  qu'on  nous  propose ,  soyons 
fermes  en  Jésus-Christ ,  et  dans  les  maximes  de 
son  Évangile.  Pourquoi  veut  on  vous  intimider 
par  la  perte  des  biens  du  monde  ?  Tertullien  a  dit 
un  beau  mot ,  que  je  vous  prie  d'imprimer  dans 
votre  mémoire  :  Non  admittit  status  fidei  neces' 
sitates  '  :  «  La  foi  ne  connaît  point  de  nécessi- 
«  tés.  »  Vous  perdrez  ce  que  vous  aimez.  Est-il 
nécessaire  que  je  le  possède  ?  Votre  procédé  dé- 
plaira aux  hommes.  Est-il  nécessaire  que  je  leur 
plaise?  Votre  fortune  sera  ruinée.  Est-il  néces- 
saire que  je  la  conserve  ?  Et  quand  notre  vie  même 
serait  en  péril  ;  mais  l'infinie  bonté  de  mon  Dieu 
n'expose  pas  notre  lâcheté  à  des  épreuves  si  dif- 
ficiles :  quand  notre  vie  même  serait  en  péril ,  je 
vous  le  dis  encore  une  fois ,  la  foi  ne  connaît  point 
de  nécessités  ;  il  n'est  pas  même  nécessaire  que 
vous  viviez  ;  mais  il  est  nécessaire  que  vous  ser- 
viez Dieu  :  et  quoi  qu'on  fasse  ,  quoi  qu'on  entre- 
prenne, que  Ion  tonne,  que  l'on  foudroie,  que 
l'on  mêle  le  ciel  avec  la  terre ,  toujours  sera-t-il 
véritable  qu'il  ne  peut  jamais  y  avoir  aucune  né- 
cessité de  pécher  ;  «  puisqu'il  n'y  a  parmi  les 
«  fidèles  qu'une  seule  nécessité ,  qui  est  celle  de 
«  ne  pécher  pas  :  »  Nulla  est  nécessitas  delin- 
quendi,  quibus  una  est  nécessitas  non  delin- 
quendi  ' .  Méditons  ces  fortes  maximes  de  l'É- 
vangile de  Jésus-Christ  ;  mais  ne  songeons  pas 
tellement  à  la  fermeté  chrétienne,  que  nous  ou- 
bliions les  tendresses  de  la  charité  fraternelle  qui 
est  la  seconde  partie  de  l'esprit  du  christianisme. 

SECOND    POINT. 

Il  pourrait  sembler,  chrétiens ,  que  l'esprit  da 

'  De  Cor.  n"  II. 
»  Jbid. 


20 


rOUR  LE  JOUR 


rlirisUanisme ,  en  rendant  nos  pères  plus  forts , 
les  aurait  en  même  temps  rendus  moins  sensibles, 
et  que  la  fermeté  de  leur  âme  aurait  diminué 
quelque  chose  de  la  tendresse  de  leur  charité. 
Car  soit  que  ces  deux  qualités  ,  je  veux  dire  la 
douceur  et  le  grand  courage ,  dépendent  de  com- 
plexions  différentes,  soit  que  ces  hommes  nourris 
îtiix  alarmes,  étant  accoutumés  de  longtemps  à 
n'élre  pas  alarmés  de  leurs  périls,  ni  abattus  de 
leurs  propres  maux,  ne  puissent  pas  être  aisé- 
ment émus  de  tous  les  autres  objets  qui  les  fi-ap- 
pent  ;  nous  voyons  assez  ordinairement  que  ces 
forts  et  ces  intrépides  prennent  dans  les  hasards 
de  la  guerre  je  ne  sais  quoi  de  moins  doux  et  de 
moins  sensible ,  pour  ne  pas  dire  de  plus  dur  et 
de  plus  rigoureux. 

Mais  il  n'en  est  pas  de  la  sorte  de  nos  généreux 
chrétiens  :  ils  sont  fermes  contre  les  périls,  mais 
ils  sont  tendres  à  aimer  leurs  frères;  et  l'Esprit 
tout-puissant  qui  les  pousse ,  sait  bien  le  secret 
d'accorder  de  plus  opposées  contrariétés.  C'est 
pourquoi  nous  lisons  dans  les  Ecritures  que  le 
•Saint-Esprit  forme  les  fidèles  de  deux  matières 
bien  différentes.  Premièrement  il  les  fait  d'une 
matière  molle ,  quand  il  dit  par  la  bouche  d'Ézé- 
cfiiél  :  Dabo  vobis  cor  carneum  '  :  «  Je  vous  don- 
«  nerai  un  cœur  de  chair  \  »  et  il  les  fait  aussi  de 
fer  et  d'airain ,  quand  il  dit  à  Jérémie  :  «  Je  t'ai 
«  mis  comme  une  colonne  de  fer  et  comme  une 
«f. muraille  d'airain  :  »  Dedi  te  in  columnam  fer- 
ream  et  in  murum  œreum  '.  Qui  ne  voit  qu'il 
les  fait  d'airain,  pour  résister  à  tous  les  périls; 
et  qu'en  même  temps  illes  fait  de  chair  pour  être 
attendris  par  la  charîté?  Et  de  même  que  ce  feu 
terrestre  partage  tellement  sa  vertu  qu'il  y  a  des 
choses  qu'il  fait  plus  fermes ,  et  qu'il  y  en  a  d'au- 
tres qu'il  rend  plus  molles;  il  en  est  à  peu  près 
de  même  de  ce  feu  spirituel  qui  tombe  aujour- 
d'hui. Il  affermit  et  il  amollit,  mais  d'une  façon 
extraordinaire  ;  puisque  ce  sont  les  mêmes  cœurs 
des  disciples,  qui  semblent  être  des  cœurs  de 
diamant  par  leur  fermeté  invincible ,  qui  devien- 
nent des  cœurs  humains  et  des  cœurs  de  chair 
par  la  charité  fratenael le.  C'est  l'effet  de  ce  feu 
céleste,  qui  se  repose  aujourd'hui  sur  eux.  Il 
amollit  les  cœurs  des  fidèles,  il  les  a,  pour  ainsi 
dire ,  fondus  :  il  les  a  saintement  mêlés  ;  et  les 
faisant  couler  les  uns  dans  les  autres ,  par  la  com- 
munication de  la  charité ,  il  a  composé  de  ce  beau 
mélange  cette  merveilleuse  unité  de  cœur,  qui 
nous  est  représentée  dans  les  Actes  en  ces  mois  : 
Multitudinis  autem  credentium  erat  cor  unum 
et  anima  una  ^  :  «  Dans  toute  la  société  des  fidèles 

«  Izech.xxwifiê. 
*  Jerem.  l ,  18. 
»  Act.  IV,  32. 


«  il  n'y  avait  qu'un  cœur  et unéâme  :  «  c'est  ce 
qu'il  nous  faut  expliquer. 

Je  pourrais  développer  en  ce  lieu  les  principes 
très-relevés  de  cette  belle  théologie  qui  nous  en- 
seigne que  le  Saint-Esprit  étant  le  lien  éternel 
du  Père  et  du  Fils,  c'est  à  lui  qu'il  appartenait 
d'être  le  lien  de  tous  les  fidèles  ;  et  qu'ayant  une 
force  d'unir  infinie,  il  les  a  unis  en  effet  d'une 
manière  encore  plus  étroite  que  n'est  celle  qui 
assemble  les  parties  du  corps.  Mais  supposant 
ces  vérités  saintes ,  et  ne  voulant  pas  entrer  au- 
jourd'hui dans  cette  haute  théologie ,  je  me  ré- 
duis à  vous  proposer  une  maxime  très- fructueuse 
de  la  charité  chrétienne ,  qui  résulte  de  cette  doc- 
trine :  c'est  qu'étant  persuadés  par  les  Écritures 
que  nous  ne  sommes  qu'un  même  corps  par  la 
charité ,  nous  devons  nous  regarder,  non  pas  en 
nous-mêmes,  mais  dans  l'unité  de  ce  corps,  et 
diriger  par  cette  pensée  toute  notre  conduite  à 
l'égard  des  autres.  Expliquons  ceci  plus  distinc- 
tement, par  l'exemple  de  cette  Église  naissante 
qui  fait  le  sujet  de  tout  mon  discours. 

Je  remarque  donc  dans  les  Actes ,  où  son  his- 
toire nous  est  rapportée ,  deux  espèces  de  multi- 
tude. Quand  le  Saint-Esprit  descendit ,  il  se  fit 
premièrement  une  multitude  assemblée  par  le 
bruit  et  par  le  tumulte.  On  entend  du  bruit,  on 
s'assemble;  mais  quelle  est  cette  multitude? 
Voici  comme  l'appelle  le  texte  sacré  ,  «  une  mul- 
«  titude  confuse  :  »  Convenu  multitudo  et  mente 
confusa  est  '.  Toutes  les  pensées  y  sont  diffé- 
rentes ;  les  uns  disent  :  «  Qu'est-ce  que  ceci?  les 
«  autres  en  font  une  raillerie  :  Ils  sont  ivres,  » 
ils  ne  le  sont  pas;  voilà  une  multitude  confuse. 
Mais  je  vois ,  quelque  temps  après ,  une  multi- 
tude bien  autre ,  une  multitude  tranquille,  une 
multitude  ordonnée,  où  tout  conspire  au  même 
dessein ,  «  où  il  n'y  a  qu'un  cœur  et  qu'une 
«  âme  :  »  Multitudinis  credentium  erat  cor  unum 
et  anima  una.  D'où  vient,  mes  sœurs ,  cette  dif- 
férence? C'est  que,  dans  cette  première  assem- 
blée, chacun  se  regarde  en  lui-même  et  prend 
ses  pensées  ainsi  qu'il  lui  plaît ,  suivant  les  mou- 
vements dont  il  est  poussé  :  de  là  vient  qu'elles 
sont  diverses,  et  il  se  fait  une  multitude  confuse, 
multitude  tumultueuse.  Mais  dans  cette  multi- 
tude des  nouveaux  croyants  nul  ne  se  regarde 
comme  détaché ,  on  se  considère  comme  dans  le 
corps  où  l'on  se  trouve  avec  les  autres  ;  on  prend 
un  esprit  de  société,  esprit  de  concorde  et  de 
paix  :  et  c'est  l'esprit  du  christianisme  qui  fait 
une  multitude  ordonnée ,  où  il  n'y  a  qu'un  cœur 
et  une  âme. 

Qui  pourrait  vous  dire ,  mes  sœurs ,  le  nombre 

'  Act.  II,  C,I2,I3. 


DE  LA  PENTECOTK. 


2» 


mPini  d'effets  admirables  qtic  produit  cette  belle 
considération  par  laquelle  nous  nous  regardons , 
non  pas  en  nous-mêmes,  mais  en  l'unité  de  l'E- 
glise? iMais  parmi  tant  de  grands  effets ,  je  vous 
prie,  retenez-en  deux ,  qui  feront  le  fruit  de  cet 
entretien  :  c'est  qu'elle  extermine  deux  vices , 
qui  sont  les  deux  pestes  du  christianisme,  l'envie 
et  la  dureté  :  l'envie ,  qui  se  fâche  du  bien  des 
autres  ;  la  dureté,  qui  est  insensible  à  leurs  maux  ; 
l'envie,  qui  nous  pousse  à  ruiner  nos  frères,  et 
lesprit  d'intérêt ,  qui  nous  rend  coupables  de  la 
misère  quils  souffrent  par  un  refus  crael. 

Et  premièrement ,  chrétiens,  la  malignité  de 
l'envie  n'est  pas  capable  de  troubler  les  âmes  qui 
savent  bien  se  considérer  dans  cette  unité  de 
l'Église  ;  et  la  raison  en  est  évidente  :  car  l'envie 
ne  naît  en  nos  cœurs  que  du  sentiment  de  notre 
indigence ,  lorsque  nous  voyons  dans  les  autres 
ce  que  nous  croyons  qui  nous  manque.  Or  si 
nous  voulons  nous  considérer  dans  cette  unité 
de  l'Église ,  il  ne  reste  plus  d'indigence  ;  nous 
nous  y  trouvons  infiniment  riches,  par  consé- 
quent l'envie  est  éteinte.  Celle-là,  dites-vous,  a  de 
grandes  grâces;  elle  a  des  talents  extraordinaires 
pour  la  conduite  spirituelle  :  la  nature  qui  s'en 
inquiète ,  croit  que  son  éclat  diminue  le  nôtre  ; 
quels  remèdes  contre  ces  pensées  qui  attaquent 
quelquefois  les  meilleures  âmes?  ■Ne  vous  regar- 
dez pas  en  vous-même,  c'est  là  que  vous  vous 
trouverez  indigente  :  ne  vous  comparez  pas  avec 
les  autres,  c'est  là  que  vous  verrez  l'inégalité; 
mais  regardez ,  et  vous  et  les  autres  dans  l'unité 
au  corps  de  l'Église  :  tout  est  à  vous  dans  cette 
unité,  et  par  la  fraternité  chrétienne  tous  les 
biens  sont  communs  entre  les  fidèles.  C'est  ce 
que  j'apprends  de  saint  Augustin  par  ces  excel- 
lentes paroles  :  Mes  frères,  dit-il,  ne  vous  plaignez 
pas  s'il  y  a  des  dons  qui  vous  manquent  ;  «  aimez 
«  seulement  l'unité,  et  les  autres  nelesauront  que 
«  pour  vous  :  "  Si  amas  unitatemy  etiam  tibi 
habet quisquis  in  illa  habet  aliquid\  Si  la  main 
avait  son  sentiment  propre ,  elle  se  réjouirait  de 
ce  que  l'œil  l'éclairé ,  parce  qu'il  éclaire  pour  tout 
le  corps  ;  et  l'œil  n'envierait  pas  à  la  main  ni  sa 
force ,  ni  son  adresse ,  qui  le  sauve  lui-même  en 
tant  de  rencontres.  Voyez  les  apôtres  du  Fils  de 
Dieu  :  autrefois  ils  étaient  toujours  en  querelle  au 
sujet  de  la  primauté  ;  mais  depuis  que  le  Saint- 
Esprit  les  a  faits  un  cœur  et  une  âme ,  ils  ne  sont 
plus  jaloux  ni  contentieux.  Ils  croient  tous  parler 
par  saint  Pierre ,  ils  croient  présider  avec  lui  ;  et 
si  son  ombre  guérit  les  malades,  toute  l'Église 
prend  part  à  ce  don  et  s'en  glorifie  en  Notre-Sei- 
gneur.  Ainsi,  mes  frères,  dit  saint  Augustin  ,  ne 

'  lit  Juan.  Tract.  xx\u ,  n'  8 ,  t.  lu ,  pari,  n ,  cjI.  52a. 


nous  regardons  pa»  en  nous-mêmes,  aimons 
l'unité  du  cori»  de  l'Eglise,  aimons-nous  nous- 
mêmes  en  cette  unité,  les  richesses  de  la  charité 
fraternelle  suppléeront  le  défaut  de  notre  indi- 
gence; et  ce  que  nous  n'avons  pas  en  nous-mê- 
mes nous  le  trouverons  très-abondamment  dans 
cette  unité  merveilleuse  :  Si  amas  wiilalem  ^ 
etiam  tibi  habet  quisquis  in  illa  habet  aliquid. 
Voilà  le  mo}  en  d'exclure  l'envie.  Toile  in  vidiam , 
et  tuum  est  quod  habeo  :  tollam  invidiam,  et 
meum  est  quod  habes'  :  «  Otez  l'envie,  ce  que 
n  j'ai  est  à  vous ,  ce  que  vous  avez  est  à  mor;  tout 
"  est  à  vous  par  la  charité.  »  Dieu  vous  donne  des 
grâces  extraordinaires  ;  ah  !  mon  frère ,  je  m'en 
réjouis,  j'y  veux  prendre  part  avec  vous,  jea 
veux  même  jouir  avec  vous  dans  l'unité  du  corps 
de  l'Église.  L'envie  seule  nous  peut  rendre  pau- 
vres, parce  qu'elle  seule  nous  peut  priver  de 
cette  sainte  communication  des  biens  de  l'Église. 

Mais  si  nous  avous  la  consolation  de  partici- 
per aux  biens  de  nos  frères ,  quelle  serait  notre 
dureté  si  nous  ne  voulions  pas  ressentir  leurs 
maux  ?  et  c'est  ici  qu'il  faut  déplorer  le  miséra- 
ble état  du  christianisme.  Avons-nous  jamais  res- 
senti que  nous  sommes  les  membres  d'un  corps? 
Qui  de  nous  a  langui  avec  les  malades?  qui  de 
nous  a  pâti  avec  les  faibles?  qui  de  nous  a  souf- 
fert avec  les  pauvres?  Quand  je  considère,  fidèles, 
les  calamités  qui  nous  environnent,  la  pauvreté, 
la  désolation,  le  désespoir  de  tant  de  familles 
ruinées,  il  me  semble  que  de  toutes  parts  il 
s'élève  un  cri  de  misère  à  l'entour  de  nous ,  qui 
devrait  nous  fendre  le  cœur,  et  qui  peut-être  ne 
frappe  pas  nos  oreilles.  Car,  ô  riche  superbe  et 
impitoyable  !  si  tu  entendais  cette  voix,  pourrait- 
elle  pas  obtenir  de  toi  quelque  retranchement 
médiocre  des  superfluités  de  ta  table?  pourrait- 
elle  pas  obtenir  qu'il  y  eût  quelque  peu  moins  d'or 
dans  ces  riches  ameublements  dans  lesquels  tu  te 
glorifies?  Et  tu  ne  sens  pas,  misérable,  que  la 
cruauté  de  ton  luxe  arrache  l'âme  à  cent  orphe- 
lins ,  auxquels  la  Providence  divine  a  assigné  la 
vie  sur  ce  fonds  ! 

Mais  peut-être  que  vous  me  direz  qu'il  st 
fait  des  charités  dans  l'Église.  Chrétiens,  quelles 
charités  !  quelques  misérables  aumônes ,  faibles 
et  inutiles  secours  d'une  extrême  nécessité ,  que 
nous  répandons  d'une  main  avare ,  comme  une 
goutte  d'eau  sur  un  grand  brasier,  ou  une  miette 
de  pain  dans  la  faim  extrême.  La  charité  ne  donne 
pas  de  la  sorte  :  elfe  donne  libéralement;  parce 
qu'elle  sent  la  misère,  parce  qu'elle  s'afflige  avi^c 
l'affligé ,  et  que  soulageant  le  nécessiteux  elle- 
même  se  sent  allégée.  C'est  ainsi  qu'on  vivait 

'  -Lûco  inax  cit&le. 


22 


POUR  LE  JOUR 


dans  ces  premiers  temps  où  j'ai  tâché  aujourd'hui 
de  vous  rappeler.  Quand  ou  voyait  un  pauvre 
en  l'ÉgHse^  tous  les  fidèles  étaient  touchés;  aus- 
sitôt chacun  s'accusait  soi-même ,  chacun  regar- 
dait la  misère  de  ce  pauvremembreaffligé  comme 
la  honte  de  tout  le  corps,  et  comme  un  reproche 
sensible  de  la  dureté  des  particuliers  :  c'est  pour- 
quoi ils  mettaient  leurs  biens  en  commun ,  de 
peur  que  personne  ne  fût  coupable  de  l'indigence 
de  l'un  de  ses  frères  '.  Et  Ananias  ayant  méprisé 
cette  loi ,  que  la  charité  avait  imposée ,  il  fut  puni 
exemplairement  comme  un  infâme  et  comme  un 
voleur,  quoiqu'il  n'eût  retenu  que  son  propre 
bien  :  de  là  vient  qu'il  est  nommé  par  saint  Chry- 
sosfôme  «  le  voleur  de  son  propre  bien  :  »  rerum 
suananfur'.  Tremblons  donc ,  tremblons ,  chré- 
tiens ;  et  étant  imitateurs  de  son  crime ,  appré- 
hendons aussi  son  supplice. 

Et  que  l'on  ne  m'objecte  pas  que  nous  ne 
sommes  plus  tenus  à  ces  lois ,  puisque  cette  com- 
munauté ne  subsiste  plus;  car,  quelle  est  la 
lionte  de  cette  parole  !  sommes-nous  encore  chré- 
tiens, s'il  n'y  a  plus  de  communauté  entre  nous? 
Les  biens  ne  sont  plus  en  commun  ,  mais  il  sera 
toujours  véritable  que  la  charité  est  commune, 
que  la  charité  est  compatissante,  que  la  charité 
regarde  les  autres.  Les  biens  ne  sont  donc  plus 
on  commun  par  une  commune  possession ,  mais 
ils  sont  encore  en  commun  par  la  communication 
de  la  charité  :  et  la  Providence  divine ,  en  divi- 
sant les  richesses  aux  particuliers ,  a  trouvé  ce 
nouveau  secret  de  les  remettre  en  commun  par 
une  autre  voie  ;  lorsqu'elle  en  commet  la  dispen- 
sationà  lacharité  fraternelle,  qui  regarde  toujours 
l'intérêt  des  autres. 

Tel  est  l'esprit  du  christianisme;  chrétiens, 
n'éteignez  pas  cet  esprit  :  et  si  tout  le  monde 
l'éteint;  âmes  saintes  et  religieuses,  faites  qu'il 
vive  du  moins  parmi  vous.  C'est  dans  vos  saintes 
sociétés  que  l'on  voit  encore  une  image  de  cette 
communauté  chrétienne  que  le  Saint-Esprit  avait 
opérée  :  c'est  pourquoi  vos  maisons  ressemblent 
au  ciel  ;  et  comme  la  pureté  que  vous  professez 
vous  égale  en  quelque  sorte  aux  saints  anges, 
de  même  ce  qui  unit  vos  esprits  c'est  ce  qui  unit 
aussi  les  esprits  célestes  :  c'est-à-dire ,  un  désir 
ardent  de  servir  votre  commun  maître  :  vous 
n'avez  toutes  qu'un  même  intérêt,  tout  est  com- 
mun entre  vous  ;  et  ce  mot  si  froid  de  mien  et  de 
tien ,  qui  a  fait  naître  toutes  les  querelles  et  tous 
les  procès ,  est  exclu  de  votre  unité.  Que  restet-il 
donc  maintenant,  sinon  qu'ayant  chassé  du  milieu 
de  vous  la  semence  des  divisions,  vous  y  fassiez  ré- 
gner cet  Esprit  de  paix  qui  sera  le  nœud  de  votre 


Act.  V,  I  et  spfjq. 
*  In  Act.  AjMst.  Hum.  xii ,  n"  i ,  t.  x ,  p.  97 


concorde,  l'appui  immuable  de  votre  foi,  et  le 
gage  de  votre  immortalité?  Amen. 


«•099«»« 


TKOfSlÈiME  SEPuMOiN 


LE   JOUR  DE  LA  PENTECOTE. 

PRÊCHÉ  DEVANT  LA  REINE. 

caractère  des  hommes  spirituels  que  le  Saint-Esprit  forme 
aujourd'hui.  Esprit  de  fermeté  et  de  vigueur,  nécessaire  pour 
se  soutenir  dans  la  vie  chrétienne.  Comijien  notre  extrême  dé- 
licatesse est  opposée  à  la  fermeté  et  au  courage  des  premiers 
chrétiens.  Persécution  du  monde  :  quelles  sont  ses  maximes 
et  les  armes  qu'il  emploie  pour  ahattre  ceux  qui  lui  rési>tent. 
D'où  vient  noire  insensibilité  pour  les  maux  des  autres.  Fnvie 
et  esprit  d'intérêt,  deux  péchés  principaux  (|ue  le  Saint-Es- 
prit reprend  :  leurs  funestes  suites  :  remèdes  a  ces  deux  dé- 
fauts. 


Cuni  venerit  Paracletus,  arguet  mundura  de  peccato. 

Quand  l'Esprit  de  vérité  viendra,  il  convaincra  le 
monde  de  péché.  Joan.  xvi,  8. 

Comme  les  hommes  ingrats  ont  péché  dès  le 
commencement  du  monde  contre  Dieu  qui  les  a 
créés.  Dieu  aussi  les  a  convaincus  de  péché  dès 
le  commencement  du  monde.  Il  a  convaincu  les 
pécheurs  lorsqu'il  a  chassé  nos  premiers  parents 
du  paradis  de  délices  ;  lorsque  écoutant  la  voix 
du  sang  d'Aboi  il  a  fait  errer  par  tout  l'univers  le 
parricide  Gain ,  toujours  fugitif  et  toujours  trem- 
blant; lorsque,  par  un  déluge  universel ,  il  a  puni 
une  corruption  universelle.  Dieu  a  repris  les  pé- 
cheurs d'une  manière  plus  claire  et  plus  convain- 
cante ,  lorsqu'il  a  donné  sa  loi  à  son  peuple  par 
l'entremise  de  Moïse  ;  et  lorsque ,  dans  l'Ancien 
Testament,  il  a  exercé  tant  de  fois  une  justice  si 
rigoureuse  contre  ceux  qui  ont  transgressé  une 
loi  si  sainte  et  si  juste.  Comme  les  hommesavaient 
rejeté  ce  que  Dieu  avait  commandé  par  la  bouche 
de  Moïse  et  des  prophètes  ;  il  a  enfin  envoyé  son 
propre  fils ,  qui  est  venu  en  personne ,  pour  con- 
damner les  péchés  du  monde,  et  par  sa  doctrine 
céleste ,  et  par  l'exemple  de  sa  vie  irréprochable , 
et  par  une  autorité  qui  est  autant  au-dessus  de 
celle  de  Moïse  et  des  prophètes,  que  la  dignité 
du  fils  surpasse  la  condition  des  serviteurs.  Après 
que  le  Père  et  le  Fils  avaient  condamné  les  pé- 
cheurs, il  fallait  que  le  Saint-Esprit  vînt  encore 
les  convaincre;  et  Jésus-Christ  nous  enseigne 
qu'il  est  descendu  en  ce  jour  pour  accomplir  cet 
ouvrage  :  «  Quand  cet  Esprit ,  dit-il ,  sera  venu,  il 
«  convaincra  le  monde  de  péché.  »  J'ai  dessein  de 
vous  expliquer  ce  qu'a  fait  aujourd'hui  le  Saint- 
Esprit,  pour  convaincre  les  pécheurs;  quelle  est 
cette  façon  particulière  de  reprendre  les  péchés 


I 


DE  LA  PEMECOTE. 


:}iii  iui  est  attribuée  dans  notre  évangile  ;  et  de 
qiu'l  rhîltiment  sera  suivie  une  conviction  si  nia- 
niîcste  :  mais,  pour  traiter  avec  fruit  une  matière 
SI  importante,  j"ai  besoin  des  lumières  de  ce 
mtMne  Esprit ,  que  je  vous  prie  de  demander  avec 
moi  par  l'intercession  de  la  sainte  Vierge.  Ave. 

L'ouvrage  du  Saint-Esprit,  celui  que  les  sain- 
tes Écritures  lui  attribuent  en  particulier,  c\st 
d'agir  secrètement  dans  nos  cœurs,  de  nous 
changer  au  dedans,  de  nous  renouveler  dans 
l'intérieur,  et  de  réformer  par  ce  moyen  nos  ac- 
tions extérieures.  J'ai  dessein  de  vous  faire  voir 
que  l'opération  du  Saint-Esprit  dans  les  apôtres , 
et  dans  les  premiers  chrétiens,  convainc  le  monde 
de  péché  :  mais  comme  nous  ne  connaissons  ce 
qui  se  passe  dans  les  cœurs ,  que  par  les  œuvres , 
et  qu'il  serait  malaisé  de  vous  faire  ici  le  dénom- 
brement de  tous  les  effets  de  la  grâce,  je  m'at- 
tacherai, messieurs,  à  deux  effets  principaux 
que  la  grâce  du  Saint-Esprit  produit  dans  les 
hommes  qu'elle  renouvelle,  et  qui  ont  éclaté  prin- 
cipalement après  la  descente  du  Saint-Esprit 
dans  les  premiers  chrétiens  et  dans  l'Église  uais- 
siinte. 

Les  hommes  naturellement  se  laissent  amollir 
par  les  plaisirs ,  ou  affaiblir  par  la  crainte  et  par 
la  douleur  :  mais  ces  hommes  spirituels  que  le 
Saint-Esprit  a  formés,  je  veux  dire  les  apôtres, 
les  premiers  fidèles  ;  timides  auparavant ,  ils  ont 
abandonné  lâchement  leui"  Maître  par  une  fuite 
honteuse,  et  le  plus  hardi  de  tous  a  eu  la  faiblesse 
de  le  renier  :  aujourd'hui  que  le  Saint-Esprit  les 
a  revêtus  de  force,  ce  sont  des  hommes  nouveaux 
que  ni  la  crainte  ni  la  douleur,  ni  les  plus  dures 
épreuves ,  ni  la  violence  des  coups,  ni  l'indignité 
des  affronts  ne  sont  plus  capables  d'émouvoir, 
t  d'empêcher  de  rendre  à  la  face  de  tout  l'uni- 
\  ers  un  glorieux  témoignage  à  Jésus-Christ  res- 
suscité. Tel  est  le  premier  caractère  des  hommes 
spirituels  que  je  dois  aujourd'hui  vous  représen- 
ter :  ils  sont  pleins  d'un  esprit  de  force ,  qui  triom- 
phe du  monde  et  de  sa  puissance. 

iMais  voici  un  second  effet  qui  n'est  pas  moins 
merveilleux  :  au  lieu  qu'on  voit  ordinairement 
les  hommes  si  attachés  à  leurs  intérêts  que, 
pourvu  qu'ils  soient  à  leur  aise ,  ils  regardent  les 
maux  des  autres  avec  une  souveraine  tranquillité  ; 
les  apôtres  et  les  premiers  chrétiens ,  ces  créatures 
nouvelles  que  le  Saint-Esprit  a  formées,  atten- 
dris par  la  charité  qu'il  a  répandue  dans  les 
cœurs,  ne  sont  plus  «  qu'un  cœur  et  qu'une  âme,  « 
cor  unum  et  anima  una  '  :  comme  il  est  écrit 
dans  les  actes  5  et  touchés  des  maux  qu'endurent 

■  Jcl    IV,  32 


23 

les  pauvres,  ils  ne  craignent  pas  de  vendre  leurs 
biens,  pour  établir  parmi  eux  une  communauté 
bienheureuse.  Tels  sont  les  deux  caractères  dont 
le  Saint-Esprit  a  marqué  les  hommes  qu'il  forme 
en  ce  jour.  Invincibles,  inébranlables,  insensibles 
en  quelque  sorte  à  leurs  propres  maux  par  l'esprit 
de  force  qui  les  a  remplis,  sensibles  aux  maux  de 
leurs  frères  par  les  entrailles  de  la  charité  frater- 
nelle; ils  condamnent  notre  faiblesse  qui  ne  veut 
rien  souffrir  pour  l'amour  de  Dieu,  ils  convain- 
quent notre  dureté  qui  nous  rend  insensibles  aux 
maux  de  nos  frères;  ainsi,  par  l'opération  du 
Saint-Esprit ,  le  monde  est  convaincu  de  péché. 
Considérons  attentivement  cette  double  convic- 
tion ;  et  voyons  avant  toutes  choses  notre  faiblesse 
condamnée  par  cet  esprit  de  force  et  de  fermeté 
qui  paraît  dans  les  apôtres  et  dans  l'Église  nais- 
sante. 

PKEMIER   POINT. 

Que  l'esprit  du  christianisme  soit  un  esprit  de 
courage  et  de  force,  un  esprit  de  fermeté  et  de 
vigueur,  nous  le  comprendrons  aisément,  si  nous 
considérons  que  la  vie  chrétienne  est  un  combat 
continuel.  Double  combat,  double  guerre,  comiiio 
dans  un  champ  de  bataille,  pour  combattre  mille 
ennemis  découverts,  et  mille  ennemis  invisibles. 
Si  la  vie  chrétienne  est  un  combat  continuel , 
donc  l'esprit  du  christianisme  est  un  esprit  de 
force.  Persécution  au  dehors,  persécution  inté- 
rieure :  la  nature  contre  la  grâce;  la  chair  contre 
l'esprit;  les  plaisirs  contre  le  devoir;  fhabitude 
contre  la  raison  ;  les  sens  contre  la  foi  ;  les  attraits 
présents  contre  l'espérance  ;  l'usage  corrompu  du 
monde  contre  la  pureté  de  la  loide  Dieu.  «  Qui 
«  ne  sent  point  ce  combat,  dit  saint  Augustin, 
«  c'est  qu'il  est  déjà  vaincu ,  c'est  qu'il  a  donné 
«  les  mains  à  l'ennemi  qui  règne  sans  résistance  :  >> 
Si  nihil  in  te  alleri  resistit,  vide  totum  ubi  sit. 
Si  spiritus  tuus  a  carne  contra  concupiscente 
non  dissentit,  vide  ne  forte  cami  mens  tota 
consentiat  :  vide  ne  forte  ideo  non  sit  bellmn , 
quia^pax  perversa  est  \  Qui  suit  le  courant  d'un 
fleuve  n'en  sent  la  rapidité  que  par  la  force  qui 
l'emporte  avec  le  courant.  Pouvons-nous  vaincre 
dans  ce  combat,  sans  être  revêtus  d'un  esprit  de 
force?  C'est  pour  cela  que  le  Fils  de  Dieu,  sa- 
chant que  la  force  et  la  fermeté  étaient  comme  le 
fondement  de  toute  la  vie  chrétienne,  a  voulu 
faire  paraître  cet  esprit  avec  un  si  grand  éclat 
dès  l'origine  du  christianisme.  Vous  allez  voir, 
chrétiens,  de  quelle  sorte  cet  esprit  de  force,  qui 
a  rempli  les  apôtres,  convainc  d'infidélité ,  et  les 
Juifs ,  qui  n'ont  pas  cru  à  leur  parole ,  et  les  chré- 
tiens qui  ont  dégénéré  de  leur  fermeté  :  Arguet 

•  Stnn.  XX i,  tt"  i ,  l.  V,  col.  152. 


m 


Î4 


POUR  LE  JOUR 


viundum  de  pcccaîo...  quia  non  crediderunt 
in  me  •. 

Simon,  fils  de  Jonas,  c'est-à-dire,  fils  de  la 
colombe,  régénéré  au  dedans  par  le  Saint-Esprit; 
Simon  que  ce  même  Esprit  rend  digne  aujour- 
d'hui du  titre  de  Pierre ,  par  la  fermeté  qu'il  vous 
donne  :  c'est  à  vous  à  parler  pour  vos  frères, 
puisque  vous  êles  le  chef  du  collège  apostolique. 
Parlez  donc,  ô  disciple  autrefois  le  plus  hardi  à 
promettre ,  et  le  plus  faible  à  exécuter  ;  qui  vou- 
liez mourir,  disiez-vous ,  et  qui  reniez  trois  fois 
votre  maître  ;  c'est  à  vous  à  réparer  votre  faute. 
Il  ne  connaissait  pas  Jésus  ;  écoutez  maintenant 
comme  il  le  prêche,  ce  Jésus ,  l'objet  de  la  haine 
publique.  Mes  frères ,  qu'il  est  changé!  il  n'était 
fort  alors  que  par  une  téméraire  confiance  en  lui- 
même  ;  aujourd'hui  qu'il  est  fort  par  le  Saint- 
Esprit,  écoutez  quelles  paroles  ce  divin  Esprit 
met  dans  sa  bouche  :  «  Nous  vous  prêchons  Jésus 
«  de  Nazareth  ;  sache  donc  toute  la  Maison  d'Is- 
«  raël ,  que  le  Dieu  de  nos  pères  a  ressuscité  et 
«  qu'il  a  fait  asseoir  à  sa  droite  ce  Jésus  que  vous 
«  avez  crucifié  *  :  car  Pilate ,  ajoute-t-il ,  l'a  voulu 
«  sauver,  l'ayant  jugé  innocent  ;  mais  c'est  vous 
«  qui  l'avez  mis  en  croix  ^ ,  «  et  voyez  comme  il 
exagère  leur  crime  :  «  Vous  avez  renié  le  Saint 
«  et  le  Juste,  et  vous  avez  demandé  la  grâce 
»  d'un  voleur  et  d'un  meurtrier,  et  vous  avez  fait 
«  mourir  l'auteur  de  la  vie^.  «  Quelle  force!  quelle 
véhémence!  car  que  peut-on  imaginer  de  plus 
fort  pour  confondre  leur  ingratitude ,  que  de  leur 
remettre  devant  les  yeux  toute  l'horreur  de  cette 
injustice,  d'avoir  conservé  la  vie  à  Barabbas 
qui  l'ôtait  aux  autres  par  ses  homicides ,  et  tout 
ensemble  de  l'avoir  ravie  à  Jésus  qui  l'offrait  à 
tous  par  sa  grâce?  Non,  mes  frères,  ce  n'est 
pas  un  homme  qui  parle;  c'est  le  Saint-Esprit 
habitant  en  lui  qui  convainc  le  monde  de  péché , 
parce  qu'il  n'a  pas  cru  en  Jésus-Christ. 

Mais  voyons  passer  les  apôtres  des  discours  aux 
actions ,  du  témoignage  de  la  parole  au  témoi- 
gnage des  œuvres  et  du  sang  :  sans  fierté ,  sans 
emportement,  sans  ces  violents  efforts  que  fait  une 
âme  étonnée,  mais  qui  s'excite  par  force  ;  comme 
des  hommes  qui  sentent  la  force  de  la  vérité ,  qui 
se  soutient  de  son  propre  poids  :  «  ils  sortent  du 
«  conseil  tout  remplis  de  joie,  »  ibant  gaudentes  ^ 
Quel  est  ce  nouveau  sujet  de  joie  dans  une  si 
cruelle  persécution?  De  ce  qu'on  les  a\ait  jugés 
dignes  ;  dequelle  récompense,  ou  de  quelle  gloire  ? 
dignes  d'être  maltraités  et  battus  de  verges  pour 

•  Joan.  XYI ,  8,  a. 
»  Act.  Il ,  'tl ,  3(>. 
»  Ibid.  m,  i:». 
«  Jbid.  14 ,  ;v 
»  Ibid.  V,  41. 


le  saint  nom  de  Jésus  !  On  les  cite  encore  une  fols, 
on  les  cite  devant  le  conseil  des  pontifes,  on  les 
met  en  prison ,  on  les  bat  de  verges  par  main  de 
bourreau  avec  cruauté  et  ignominie  ;  on  leur  dé- 
fend ,  sur  de  grandes  peines ,  de  ne  plus  prêcher 
en  ce  nom;  car,  messieurs ,  c'est  ainsi  qu'ils  par- 
lent :  Ne  prêchez  pas  en  ce  nom  ;  en  ce  nom 
odieux  au  monde,  et  qu'ils  craignent  même 
de  prononcer  :  tant  ils  l'ont  en  exécration  !  A 
cela,  que  répondront  les  apôtres?  Une  parole  de 
force  et  de  fermeté  :  «  Nous  ne  pouvons  pas  nous 
«  taire ,  et  ne  pas  dire  ce  que  nous  avons  vu  et 
«  ce  que  nous  avons  oui  '.  »  «  Remarquez,  dit  ici 
«  saint  Jean-Chrysostôme ,  de  quelle  manière  ils 
«  s'expriment  :  s'ils  disaient  simplement  :  Nous 
«  ne  voulons  pas  ;  comme  la  volonté  de  l'homme 
«  n'est  que  trop  changeante ,  on  aurait  pu  espé- 
«  rer  de  vaincre  leur  résolution  :  mais  de  peur 
«  qu'on  n'attende  d'eux  quelque  faiblesse  indigne 
«  de  leur  ministère  :  Nous  ne  pouvons  pas,  disent- 
«  ils,  et  ne  tentez  pas  l'impossible  :  »  nonpossu- 
mifs.  Et  pourquoi  ne  pouvez-vous  pas?  n'êtes 
vous  pas  les  mêmes?  C'est  que  les  choses  ont  été 
changées  :  un  feu  divin  est  tombé  sur  nous,  une 
loi  a  été  écrite  en  nos  cœurs ,  un  Esprit  tout-puis- 
sant nous  fortifie  et  nous  presse;  touchés  par  ses 
divines  inspirations ,  nous  nous  sommes  imposé 
nous-mêmes  une  bienheureuse  nécessité  d'aimer 
Jésus-Christ  plus  que  notre  vie  :  c'est  pourquoi 
nous  ne  pouvons  plus  obéir  au  monde  :  nous  pou- 
vons souffrir,  nous  pouvons  mourir;  mais  nous 
ne  pouvons  plus  trahir  l'Évangile,  ni  dissimuler 
ce  que  nous  savons  par  des  voies  si  indubitables  : 
7ion  possumus. 

Mais  admirez ,  chrétiens ,  l'efficace  du  Saint- 
Esprit  dans  cette  parole  :  les  pontifes  et  les  ma- 
gistrats du  temple ,  étourdis  et  frappés  de  cette 
réponse  comme  d'un  coup  de  tonnerre ,  consul- 
tent ce  qu'ils  feront  ;  et  malgré  toute  leur  fureur, 
elle  arrache  cet  aveu  de  leur  impuissance  :  car 
écoutez  comme  ils  parlent  :  Quidfaciemus  ko- 
minibus  istis  *  1  «  Que  ferons-nous  à  ces  hom- 
«  mes?  »  Quel  nouveau  genre  d'hommes  nous 
paraît  ici!  aussitôt  qu'ils  professent  la  foi  de  Jé- 
sus, ils  commencent  à  jeter  leurs  biens,  et  ils 
sont  prêts  à  donner  leurs  âmes  ;  les  promesses  ne 
les  gagnent  pas ,  les  injures  ne  les  troublent  pas , 
les  menaces  les  encouragent,  les  supplices  les 
réjouissent  :  Quidfaciemus  ?  «  Que  leur  ferons- 
«  nous?»  Église  de  Jésus-Christ,  je  n'ai  pas  de 
peine  à  comprendre  qu'en  prêchant ,  en  souffrant, 
en  mourant ,  tes  fidèles  couvriront  un  jour  leurs 
tyrans  de  honte ,  et  que  leur  patience  foicera 


i       '  Act.  IV.  io. 
i       '  Ibid.  IG. 


DE  LA  PENTECOTE. 


2S 


le  monde  à  changer  les  lois  qui  les  condamnaient  ; 
puisque  je  vois  que  dès  ta  naissance  tu  confonds 
tous  les  magistrats  et  toutes  les  puissances  de  Jé- 
rusalem par  la  seule  fermeté  de  cette  parole  :  Non 
posstimus  :  «  Nous  ne  iwuvons  pas.  »  Arguet 
Mundum  de  peccato  :  il  a  donc  convaincu  le 
monde  de  n'avoir  pas  cru  en  Jésus-Christ;  mais 
ce  même  Esprit  nous  va  convaincre  d'infidélité. 

Car,  mes  frères ,  je  vous  en  prie ,  pensez  un 
peu  à  vous-mêmes;  mais  pensons-y  tous  ensem- 
ble ,  et  rougissons  devant  les  autels  de  notre  dé- 
licatesse :  s'il  est  nécessaire  d'avoir  de  la  force 
pour  avoir  l'esprit  du  christianisme,  quand  mé- 
riterons-nous d'être  appelés  chrétiens  ;  nous  qui, 
bien  loin  de  rien  endurer  pour  le  Fils  de  Dieu  qui 
atant  enduré  pournous, nous  piquonsau  contraire 
de  n'être  pas  endurants?  Nous  nous  faisons  un 
honneur  d'être  délicats,  et  nous  mettons  une 
partie  de  cet  esprit  de  grandeur  mondaine  dans 
cette  délicatesse  :  sensibles  au  moindre  mot,  et 
offensés  à  l'extrémité  si  on  ne  nous  ménage  avec 
précaution  non-seulement  dans  nos  intérêts, 
mais  encore  dans  nos  fantaisies  et  dans  nos  hu- 
meurs ;  et  comme  si  la  nature  même  était  obligée 
de  nous  épargner,  nous  nous  regardons ,  ce  sem- 
ble, comme  des  personnes  privilégiées  que  les 
maux  n'osent  approcher  :  tant  nous  paraissons 
étonnés  d'en  souffrir  les  moindres  atteintes ,  n'o- 
sant presque  nous  avouer  à  nous-mêmes  que  nous 
sommes  des  créatures  mortelles;  et  ce  qui  est 
plus  indigne  encore,  oubliant  que  nous  sommes 
chrétiens ,  c'est-à-dire  ,  des  hommes  qui  ont  pro- 
fessé dans  le  saint  baptême  d'embrasser  la  croix 
de  Jésus-Christ,  déteindre  en  eux-mêmes  l'a- 
mour des  plaisirs  par  la  mortification  de  leurs 
sens  et  l'étude  de  la  pénitence. 

Venez,  venez,  chrétiens  qui  avez  oublié  le 
christianisme;  remontez  à  votre  origine  :  contem- 
plez ,  dans  l'établissement  de  l'Église ,  quel  est 
l'esprit  du  christianisme  et  de  l'Évangile  ;  appro- 
chez-vous des  apôtres ,  et  souffrez  que  le  Saint- 
Esprit  vous  convainque  d'infidélité  par  leur  exem- 
ple :  je  dis  d'infidélité  ;  car  qu'eussions-nous  fait, 
je  vous  prie,  faibles  et  délicates  créatures,  si 
nous  eussifps  vécu  dans  ces  premiers  temps,  «  où 
«  il  fallait,  ditTertullien',  acheter  au  prix  de  son 
«  sang  la  liberté  de  professer  le  christianisme  ?  » 
Que  de  chutes  !  que  de  faiblesses  î  que  d'aposta- 
sies! 

Mais  quoique  ces  sanglantes  persécutions  soient 
cessées,  une  autre  persécution  s'est  élevée  dans 
lÉglise  même  :  persécution  du  monde  [dans]  ses 
maximes ,  ses  lois  tyranniques ,  l'autorité  qu'il  se 
donne  ;  ses  armes  dans  ses  traits  piquants,  dans 

'  Dvjug.  inpersee.  n»  12.  Ad  Scapul.  n°  l. 


ses  railleries.  [L'une  de  ses  ma.ximes  est]  qu'il  faut 
s'avancer  nécessairement ,  s'il  se  peut  par  les  bon- 
nes voies ,  sinon  s'avancer  par  quelque  façon  : 
s'il  le  faut,  par  des  complaisances  honteuses  ;  s'il 
est  besoin ,  même  par  le  crime  :  et  que  c'est  man- 
quer de  courage,  que  de  modérer  son  ambition 
Au  reste ,  à  qui  veut  fortement  les  choses ,  nu! 
obstacle  n'est  invincible  ;  un  génie  appliqué  perce 
tout ,  se  fait  faire  place ,  arrive  enfin  à  son  but. 
Ainsi ,  mon  Sauveur,  on  s'applique  tant  aux  es- 
pérances du  monde ,  qu'on  oublie  et  son  devoir  et 
votre  Evangile. 

C'est  encore  une  maxime  du  monde ,  que  qui 
pardonne  une  injure  en  attire  une  autre  ;  qu'il  se 
faut  venger  pour  se  faire  craindre ,  dissimuler 
quelquefois  par  nécessité,  mais  éclater  quand  on 
peut  par  quelque  coup  d'importance  :  bon  ami , 
bon  ennemi  ;  servir  les  autres  dans  leurs  pas- 
sions ,  pour  les  engager  dans  les  nôtres  :  et  quand 
achevèrais-je  ce  discours,  [si  je  voulais  ici  tout 
détailler?] 

Il  est  vrai ,  ces  dangereuses  maximes  ont  leur 
principe  caché  dans  nos  inclinations  corrompues , 
mais  c'est  l'usage  du  monde  qui  I  es  érige  en  lois 
souveraines,  qu'on  n'ose  pas  contredire  :  car, 
pour  abattre  ceux  qui  lui  résistent ,  le  monde  est 
armé  de  traits  piquants,  je  veux  dire,  de  rail- 
leries, tantôt  fines,  tantôt  grossières;  les  unes 
plus  accablantes  par  leur  insolence  outrageuse, 
les  autres  plus  insinuantes  par  leur  apparente 
douceur.  Voyez  jusqu'à  quel  point  le  monde  veut 
triompher  de  Jésus-Christ  ;  il  pousse  sa  victoire 
jusqu'à  l'insulte  :  tantôt  il  la  croit  pleine  et  en- 
tière, et  il  se  moque  hautement  de  ceux  qui  ré- 
sistent; comme  s'il  avait  tellement  raison ,  qu'on 
ne  pût  lui  résister  sans  extravagance.  Que  la  foi 
lui  paraît  simple  et  mal  habile,  que  la  sincérité 
lui  paraît  grossière  !  que  la  piété  chrétienne  lui 
semble  être  de  l'autre  monde  !  que  la  vertu  est 
faible  à  ses  yeux  avec  son  impuissante  médiocrité, 
avec  ses  mesures  réglées ,  avec  ses  lois  contrai- 
gnantes :  Qui  l'eût  cru ,  qui  l'eût  pensé ,  qu'au 
milieu  du  christianisme  on  eût  honte  de  la  piété? 
Le  monde  ne  menace  point  de  nous  bannir;  mais 
l'abandon  est  quelque  espèce  d'exil  :  il  ne  fait 
pas  mourir  ;  maisil  ôte  les  plaisirs  et  les  honneurs , 
sans  lesijuels  la  vie  nous  serait  à  charge  :  ses  traits 
piquants  [percent  jusqu'au  cœur,  et  lui  font  une 
blessure  mortelle;]  la  vertu,  accablée  par  les 
moqueries ,  [  succombe  sous  la  violence  des  coups 
qui  lui  sont  portés.  ].  Ainsi  une  ^me  bien  née , 
qui  peut-être  entrait  dans  le  monde  avec  de  bon- 
nes inclinations ,  est  entraînée  par  nécessité ,  ou 
dans  la  fausse  galanterie  sans  laquelle  on  n'a 
point  d'esprit ,  ou  dans  des  pensées  ambitieuses, 
sans  lesquelles  on  n'est  pas  du  monde. 


26 


POLU  LE  JOUR 


Dans  cette  dt-pravution  générale ,  on  ne  sait  qui 
corrompt  les  autres;  nous  nous  corrompons  mu- 
tuellement, et  chacun  est  étourdi  en  particulier 
par  le  bruit  que  nous  faisons  tous  ensemble  :  ainsi 
nous  sommes  de  tous  les  crimes,  de  toutes  les 
médisances ,  de  toutes  les  railleries  contre  Dieu , 
contre  le  prochain,  moins  par  inclination  que 
par  complaisance.  Faibles  créatures  que  nous 
sommes,  quand  dirons-nous  avec  les  apôtres  ce 
généreux  «  Nous  ne  pouvons  pas?  »  Mais  cette  vi- 
gueur chrétienne  ne  se  trouve  plus  parmi  nous  : 
il  n'est  rien  que  nous  ne  puissions  pour  satisfaire 
notre  ambition  et  nos  passions  déréglées.  Ne  faut- 
il  que  trahir  notre  conscience ,  ne  faut-il  que 
violer  les  plus  saints  devoirs  que  la  religion  nous 
impose ,  ne  faut-il  qu'abandonner  nos  amis ,  Pos- 
sumus,  possumus;  nous  le  pouvons  :  l'honneur 
du  monde  y  résiste  un  peu  ;  mais  enfin  on  nous 
trouvera  des  expédients  :  on  tendra  de  loin  des 
pièges  subtils  à  sa  simplicité  innocente;  il  pé- 
rira, et  il  aura  tort.  C'en  est  fait  :  Possumus; 
nous  le  pouvons  ;  nous  pouvons  tout  pour  notre 
fortune,  nous  pouvons  tout  pour  notre  plaisir: 
mais  s'il  faut  expier  nos  crimes  par  les  saintes 
pratiques  de  la  pénitence,  s'il  faut  briser  ces  liens 
trop  doux,  et  abandonner  ces  occasions  dans 
lesquelles  notre  intégrité  a  tant  de  fois  fait  nau- 
frage ;  tout  nous  devient  impossible ,  nous  ne  pou- 
vons :  s'il  faut  surmonter  ce  désir  de  plaire  qui 
nous  rend  esclaves  volontaires  des  erreurs  d'au- 
trui ,  malgré  les  nobles  sentiments  de  la  liberté 
chrétienne ,  et  contre  le  précepte  de  l'apôtre ,  qui 
nous  crie  si  hautement  :  «  Vous  avez  été  achetés 
«  d'un  grand  prix,  ne  vous  rendez  pas  esclaves 
«  des  hommes  '  ;  «  tout  nous  devient  impossible. 
Le  Saint-Esprit  nous  convainc  de  péché  :  les  apô- 
tres et  les  premiers  chrétiens,  dont  nous  nous 
glorifions  en  vain  d'être  les  enfants ,  si  nous  n'en 
sommes  les  imitateurs,  confondent  notre  lâcheté 
et  notre  mollesse.  Il  n'y  a  point  d'excuse  contre 
Jésus-Christ,  il  n'y  a  point  de  raison  contre  l'É- 
vangile. Ne  dites  plus  désormais  :  Le  monde  le 
veut  ainsi  :  la  foi  ne  reconnaît  point  de  pareilles 
nécessités.  Y  allàt-il  de  la  fortune,  y  allât-il  de 
la  vie ,  y  allât-il  de  l'honneur,  que  vous  vous 
vantez  faussement  peut-être  de  préférer  à  la  vie; 
dût  le  ciel  se  mêler  avec  la  terre ,  et  toute  la 
nature  se  confondre  :  «  il  ne  peut  jamais  y  avoir 
«  aucune  nécessité  de  pécher  ;  puisqu'il  n'y  a  parmi 
«  les  fidèles  qu'une  seule  nécessité ,  qui  est  celle 
«  de  ne  pécher  pas  :  »  Nulla  est  nécessitas  de- 
Hnquendi,  quibus  una  est  nécessitas  non  delln 
quejidi  '. 


'  1.  Cor.  VI,  20;  vu,  2a. 
'  j)e  Coron,  ii"  u. 


SECOND  POIKT. 


Vous  craignez  peut-être,  messieurs,  que  ces 
hommes  intrépides  aient  quelque  chose  de  rude 
i  pour  les  autres  :  et  il  est  assez  ordinaire  que  ces 
âmes  fortes ,  que  ni  leurs  périls  n'alarment ,  ni  les 
maux  qu'on  leur  fait  sentir  n'abattent,  aient 
quelque  chose  d'insensible,  et  soient  peu  dispo- 
sées à  plaindre  les  autres.  Au  contraire  le  chré- 
tien ,  cet  homme  spirituel  que  je  vous  représente 
que  le  Saint-Esprit  a  rempli,  «  est  uni  aux  forts 
«  comme  aux  faibles  par  le  lien  de  la  charité  ;  « 
compage  charitatis  summis  simul  et  injimis 
junctus.[Te\\ees,\.]  la  nature  de  la  charité  :  unie 
à  Dieu  [elle  s'étend  à  tous  ceux  qui  lui  appartien- 
nent] :  par  son  union,  insensible  pour  elle-même- 
par  sa  dilatation,  mêlée  avec  tous  les  autres! 
Saint  Paul  [  nous  en  fournit  un  bel  ]  exemple  '  : 
«Que  faites- vous,  dit-il  aux  fidèles,  pleurant 
«  et  me  brisant  le  cœur?  car,  pour  moi ,  je  suis 
«  préparé  non-seulement  à  être  lié,  mais  encore 
«  à  souffrir  la  mort  en  Jérusalem.  «  Quelle 
fermeté,  et  quelle  tendresse!  la  mort  ne  l'étonné 
pas,  et  il  ne  peut  voir  pleurer  ses  frères  :  [il  veut 
voir  ]  couler  son  sang ,  et  non  couler  leurs  lar- 
mes. Le  même  Paul  :  «  Je  sais  avoir  faim,  je 
«  sais  avoir  soif;  je  sais  vivre  pauvrement'  je 
«  sais  vivre  dans  l'abondance;  ayant  éprouvé  de 
«  tout ,  je  suis  fait  à  tout  \  Qui  est  faible,  sans 
«  que  je  m'affaiblisse  avec  lui?  »  Quis  infirma- 
tur,  et  ego  non  infirmor^l  Et  il  reconnnande 
aux  fidèles  de  «  pleurer  avec  ceux  qui  pleurent  :  » 
flere  cumflentibus^. 

Raison  profonde  :  ce  qui  nous  rend  insensibles 
aux  maux  des  autres ,  c'est  d'être  pleins  de  nous- 
mêmes,  enchanté  de  ses  plaisirs,  enivré  du  bon 
succès  de  ses  espérances  :  Tout  va  bien  ;  c'est  as- 
sez, je  suis  à  mon  aise.  Or  on  s'aime  toujours 
soi-même,  et  on  n'aime  que  soi-même,  jusqu'à 
ce  qu'on  ait  aimé  quelque  chose  de  plus  qiie  soi- 
même;  et  ce  ne  peut-être  que  Dieu.  Voulez-vous 
donc  être  capables  d'aimer  sincèrement....  Mais, 
messieurs,  qu'on  ne  me  mêle  point  dans  ce  dis- 
cours des  pensées  profanes,  ni  des  idées  de  cet 
amour  qui  ne  doit  pas  même  être  n^nmé  dans 
cette  chaire  :  car  appellerai-je  aimer,  ce  transport 
d'une  âme  emportée  qui  cherche  à  se  satisfaire , 
et  qui,  de  quelque  [nom]  qu'il  s'appelle,  et  de 
quelque  couleur  qu'il  se  déguise,  a  toujoui-s  la 
sensualité  pour  son  fond?  Je  veux  vous  appren- 
dre un  amour  chaste,  un  amour  sincère ,  un  amour 
tendre  par  la  charité.  Mais  il  faut  un  objet  au- 
dessus  de  nous,  qui  nous  attire  hors  de  nous  :  es 

'  Act.  XXI .  13. 

*  Phihpp.  IV,  IS. 
3  H.  Cor.  XI,  19. 

*  Rvtn.  XII,  15. 


DE  LA  PENTECOTE. 


IT 


n'est  pas  assez,  il  faut  une  force  intérieure  qui 
nous  pousse  hors  de  uous-raèmcs  ;  qui ,  ébranlant 
jusqu'aux  fondements  cet  amour-propre,  nous 
arrache  à  nous-mêmes  :  alors  aimant  Dieu  plus 
que  nous-mêmes ,  nous  pourrons  devenir  capa- 
bles d'aimer  le  prochain  comme  nous-mêmes. 
C'est  pourquoi  ce  divin  Esprit  ayant  rempli  les 
apôtres,  les  ayant  transportés  hors  d'eux-mêmes 
en  les  arrachant  à  Dieu  par  Jésus-Christ ,  ou  plutôt 
à  Dieu  en  Jésus-Christ  :  car  qu'est-ce  que  Jésus- 
Christ,  sinon  Dieu  en  nous,  Dieu  se  donnant  à 
nous?  la  ligne  de  séparation  étant  ôtée,  la  paroi 
mitoyenne  étant  renversée,  il  a  fait  cette  bien- 
heureuse unité  de  cœur  par  laquelle  «  toute  la 
«  multitude  de  ceux  qui  croyaient  n'était  qu'un 
«  cœur  et  qu'une  âme,  »  multiiudinis  corunum 
et  anima  una.  Et  parce  que  Dieu  est  peu  aimé, 
de  là  vient  aussi  que  la  charité  fraternelle  ne  pa- 
raît point  sur  la  terre  :  Arguet  mundum  de  pec- 
cato.  Le  monde  n'aime  rien  :  Habitatio  tua  in 
mcdio  doli;  vir  fratrem  suum  deridebit  '  : 
«  Votre  demeure  est  au  milieu  dun  peuple  tout 
«  rempli  de  fourberie  ;  chacun  d'eux  se  rit  de  son' 
«  frère.  »  Esprit  de  moquerie  secrète  répandu 
dans  le  monde ,  etc.  Je  ne  parle  ici  ni  des  ven- 
geances implacables,  ni  des  inimitiés  déclarées, 
ni  des  aigreurs  invincibles;  je  représente  seule- 
ment les  choses  dont  on  ne  fait  pas  même  scru- 
pule ,  et  qui  font  voir  toutefois  que  ni  l'amour  de 
Dieu  n'est  en  nous,  ni  la  charité  fraternelle,  ni 
enfin  la  moindre  étincelle  du  Saint-Esprit ,  ni  la 
première  teinture  du  christianisme. 

Mais  il  y  a  deux  péchés  principaux  que  le 
Saint-Esprit  reprend  :  l'envie,  et  l'esprit  d'intérêt 
et  d'avarice.  C'est  convaincre  l'infidélité  des  Juifs, 
que  de  l'attaquer  ainsi  par  la  racine  ;  car  la  cause 
secrète  et  profonde  qui  a  empêché  les  pharisiens 
[de  croire] ,  c'est  l'envie  et  l'intérêt  :  mais  il  re- 
prend aussi  les  chrétiens. 

«  L'envie,  le  poison  de  tous  les  cœurs,  [dit] 
«  saint  Grégoire  de  Nazianze  * ,  la  plus  juste  et 
«  la  plus  injuste  de  toutes  les  passions  :  »  la  plus 
injuste  sans  doute ,  car  elle  attaque  les  innocents  ; 
mais  la  plus  juste  tout  ensemble,  car  elle  punit 
le  coupable ,  et  fait  le  juste  et  insupportable  sup- 
plice de  celui  qui  la  nourrit  dans  son  cœur.  Peut- 
elle  subsister  dans  cette  unité ,  si  nous  nous  regar- 
dons comme  un  en  Jésus-Christ?  Si  la  main  avait 
son  sentiment  propre,  envierait-elle  à  l'œil  de  ce 
qu'il  éclaire  ;  puisqu'il  éclaire  pour  tout  le  corps"? 
et  l'œil  envierait-il  à  la  main  et  sa  force  et  son 
adresse,  qui  l'a  lui-même  tant  de  fois  sauvé?  Quel 
est  le  sujet  de  votre  envie?  Elle  plaît ,  elle  est  plus 


'  Jerem.n,  56. 

»  Orat  XXYU,  n"  8, 1. 1,  p.  468,  467. 


chérie.  0  Dieu ,  si  vous  songiez  ce  que  c'est  que 
de  plaire  de  cette  sorte  ,  et  quel  est  le  fond  de  ces 
agréments  !  mais  venons  à  quelque  chose  que  le 
monde  estime  plus  important.  Vous  enviez  à  cet 
homme  son  élévation  :  s'il  ne  s'acquitte  digne- 
ment d'un  si  grand  emploi,  n'est-il  pas  plus  di- 
gne de  pitié  que  d'envie  ?  et  pouvez- vous  lui  envier 
une  élévation  qui  découvre  à  tout  l'univers  ses 
faiblesses  déplorables,  ou  ses  emportements  fu- 
rieux, ou  ses  ignorances  grossières?  Que  s'il  fait 
bien  dans  un  grand  emploi ,  pourquoi  portez-vous 
envie  au  soleil  de  ce  qu'il  vous  éclaire  avec  tous 
les  autres?  Venez  plutôt  profiter  du  bien  qu'il  fait 
à  tout  l'univers;  profitez  de  cette  belle  fontaine 
qui  arrose  vos  terres ,  aussi  bien  que  celle  de  vos 
voisins ,  au  lieu  de  songer  à  en  faire  tarir  la  source. 
Les  apôtres  auparavant  disputaient  de  la  pri- 
mauté ;  aujourd'hui  ils  pailent  tous  par  la  bouche 
de  saint  Pierre,  ils  croient  présider  avec  lui  :  si 
son  ombre  guérit,  toute  l'Eglise  s'en  glorifie  en 
jNotre-Seigneur. 

Esprit  d'intérêt  etd'avarice,  [combien contraire 
à]  cette  unité  [de  tous  les  fidèles  que  le  Saint- 
Esprit  avait  formée  au  commencement.]  «  Alors 
«  nul  ne  considérait  ce  qu'il  possédait  comme 
«  étant  à  lui  en  particulier;  mais  toutes  choses 
•'  étaient  communes  entre  eux  :  »  Nec  quisquam 
eoruni  quœ  possidebat  aliquid  suum  esse  dice- 
bat;  sed  erant  illis  omnia  communia  '.  Si  nos 
cœurs  étaient  aussi  étroitement  imis  que  ceux 
des  premiers  fidèles ,  pourrions-nous  douter  que 
tous  les  biens  dussent  être  communs  entre  nous? 
«Pour  eux,  ils  n'hésitaient  pas  à  se  les  cora- 
«  muniquer;  parce  que  leur  esprit  et  leurs  cœurs 
n  étaient  comme  fondus  les  uns  dans  les  autres 
n  par  un  saint  mélange  :  »  Qui  animo  anima- 
que  miscemur,  nihil  de  rei  communicatione 
dubitamus  \  Misérables  aumônes ,  que  les  pré- 
dicateurs nous  arrachent  à  force  de  crier  contre 
la  dureté  de  cœur!  faible  et  misérable  secours 
d'une  extrême  nécessité ,  que  nous  laissons  tom- 
ber d'une  main  avare  comme  mie  goutte  d'eau 
dans  un  grand  brasier  !  Quiconque  est  plein  de 
la  charité  ressent  les  maux  du  prochain ,  souffre 
avec  lui,  et  le  soulage  comme  se  soulageant  soi- 
même.  On  n'entend  point  cette  unité  ;  et  cepen- 
dant c'est  là  le  fond  du  christianisme.  Membres 
du  même  corps  par  le  Saint-Esprit ,  [c'est  pour 
nous  un  devoir  essentiel  de  nous  entre-secouriv 
avec  tout  le  zèle  de  la  charité  :  ]  et  quand  est-ce 
que  nous  serons  capables  de  le  pratiquer,  si  nous 
ne  sommes  pas  même  capables  de  l'entendre  ?  Le 
monde  répond  qu'on  ne  peut  pas,  on  a  tant  de 
charges.  La  réponse  de  saint  Pierre  à  Ananias  : 

'  Act.  IV,  32. 

»  JH^rt.  Jpolog.  n'a». 


58 


POUR  LE  JOUR 


«  Vous  mentez  au  Saint-Esprit  '.  >'  Il  voulait  avoir 
riionneur  d'une  bonne  action  qu'il  ne  faisait  pas; 
vous  en  savez  le  châtiment.  Vous  voulez  avoir 
l'honneur  de  ta  charité  sans  l'exercer,  en  vous 
excusant  sur  votre  impuissance  :  et  moi ,  je  vous 
découvrirai  un  fond  inépuisable  pour  la  charité  : 
le  fond  du  Dieu  créateur;  argent,  terre,  pierre- 
ries :  «  Tout  est  à  vous ,  »  [lui  dit]  David  :  Tua 
sunt  omnia;  et  ensuite  :  Quœ  de  manu  tua  ac- 
cepimus,  dedimus  tibi  *.  «  Nous  ne  vous  avons 
n  présenté  que  ce  que  nous  avons  reçu  de  votre 
«  main.  »  Sed  adhuc  excellentiorem  viam  vobrs 
demonstro  ^  :  «  Mais  je  vous  montre  encore  une 
«  voie  plus  excellente  ;  »  le  fond  du  Dieu  sau  - 
veur,  du  Dieu  crucifié,  du  Dieu  dépouillé,  qui 
vous  apprend  à  vous  dépouiller  devant  lui.  [Il 
faut  vous  faire  un]  fond  pour  la  charité,  sur  le 
retranchement  de  la  vanité ,  [en  réprimant  ces] 
pauvres  intérieurs ,  [les]  passions  insatiables,  [qui 
ne  disent]  jamais  :  C'est  assez ,  [et  ne  laissent] 
rien  pour  les  pauvres.  [Pour  y  parvenir,  soyez 
exacts  à  faire  en  vous  une  continuelle]  circonci- 
sion. [Mais]  quelle  règle  [y  faut  il  suivre]?  Je  ne 
puis  la  proposer  en  cette  chaire;  car  elle  n'est 
peut-être  pas  la  même  pour  tous  :  mais  que  cha- 
cun s'applique  à  considérer  le  néant  du  monde , 
et  sa  figure  qui  passe.  ^<  Nous  sommes  comme 
«  des  étrangers  et  des  voyageurs  ;  nos  jours  pas- 
«  sent  comme  l'ombre  sur  la  terre,  et  nous  n'y 
«  demeurons  qu'un  moment  :  »  Peregnni  sunius 
coram  te  et  advenœ;  dies  nostri  quasi  umbra 
super  terrant,  et  nulla  est  mora^.  Voyez  quelle 
est  cette  pauvreté  qui  fait  qu'on  n'est  riche  que 
par  le  dehors.  Quand  vous  vous  appliquez  quel- 
que ornement,  songez  qu'il  ne  durera  guère,  et 
que  peut-être  il  restera  après  vous.  Telle  est  la 
nature  des  choses  que  vous  dites  vôtres  :  les  vé- 
ritables richesses ,  vous  n'avez  aucun  soin  de  les 
amasser.  [Connaissez  -  eu  le  prix,  désirez -les, 
recherchez-les  avec  un  vif  empressement  :  ]  de 
là  naîtra  un  dégoût  de  ces  richesses  empruntées, 
qui  tiennent  si  peu  à  votre  personne  :  de  là  cette 
circoncision  du  cœur  plus  grande  de  jour  en  jour. 
L'esprit  du  monde  [porte  à]  toujours  augmenter 
et  accroître  ses  folles  dépenses  :  l'esprit  du  chris- 
tianisme [au  contraire  pousse  à]  toujours  di- 
minuer ses  besoins.  [Suivez  ses  impressions  ;  il 
\ous  en  reviendra  une]  double  utilité;  vous 
vous  enrichirez  au  dedans ,  et  vous  serez  en  état 
d'exercer  la  charité  fraternelle.  Tel  est  l'esprit 
du  christianisme ,  messieurs;  »  n'éteignez  pas  cet 
«  esprit  :  »  Spiritum  nolite  extinguere^. 

'  Act.\,-i. 
'  I.  Par.  xxi\,  14. 
3  1.  Cor.  XII ,  30. 
«  1.  Par.  XXIX,  15. 
»  I.  Thc^.  V,  la. 


Madame,  Votre  Majesté  est  née  avec  un  colat 
qui  lui  fait  voir  tout  l'univers  au-dessous  d'elle  : 
vous  êtes  la  digne  épouse  d'un  roi,  qui,  par  la 
sagesse  de  ses  conseils ,  par  la  hauteur  de  ses 
entreprises,  par  la  grandeur  de  sa  puissance, 
pourrait  être  l'effroi  de  l'Europe,  si,  par  sa  gé- 
nérosité, il  n'aimait  mieux  en  être  l'appui.  Mais , 
madame,  la  moindre  pensée  du  christianisme, 
le  moindre  sentiment  de  piété,  la  moindre  étin- 
celle du  Saint-Esprit,  vaut  mieux,  sans  compa- 
raison, que  ce  grand  royaume  que  le  roi  a  mis 
entre  vos  mains  avec  une  confiance  si  absolue. 
Laissez-vous  donc  posséder  à  cet  esprit  du  chris- 
tianisme :  remplissez- vous  de  l'esprit  de  force  pour 
combattre  en  vous-même  sans  relâche  tous  ces 
restes  de  faiblesse  humaine  dont  les  fortunes  les 
plus  relevées  ne  sont  pas  exemptes  :  remplissez- 
vous  de  l'esprit  de  charité  fraternelle,  et  n'usez 
de  votre  pouvoir  que  pour  soulager  les  pauvres 
et  les  misérables.  Ainsi  puissions-nous  bientôt 
changer  en  actions  de  grâces  les  vœux  continuels 
que  nous  faisons  pour  votre  heureux  accouche- 
ment! Puisse  ce  jeune  prince,  le  digne  objet  do 
votre  tendresse ,  croître  visiblement  sous  votre 
conduite  :  puisse-t-il  apprendre  de  vous  cet 
abrégé  des  sciences,  la  soumission  envers  Dieu,  et 
la  bonté  envers  les  peuples  !  Mais  puissions-nous 
tous  ensemble  pratiquer  les  saintes  maximes  de 
l'Évangile,  et  vivre  selon  l'esprit  du  christianisme  ; 
afin  que  nous  puissions  aussi  tous  ensemble, 
maîtres  et  serviteurs ,  princes  et  sujets ,  jouir  de 
la  félicité  éternelle  :  au  nom  du  Père ,  et  du  Fils , 
et  du  Saint-Esprit  !  Amen. 


V«»»ff^g« 


ABREGE  D'UIS  SERMON 

POUR  LE  MÊME  JOUR, 

PRÊCHE  DANS  LA  CATHÉDRALE  DE  HEAUX . 

Profondeur  de  la  malice  du  cœur  humain  :  combien  nou» 
avons  besoin  que  l'Esprit  saint  crée  en  nous  un  cœur  pur 

Cor  mundura  créa  in  me ,  Deus. 

0  Dieu,  créez  en  moi  un  cœur  pur.  Ps.  l  ,  1 2. 

Ce  sermon  sera  une  prière ,  au  peuple  de  la 
part  de  Dieu ,  à  Dieu  de  la  part  du  peuple. 

Le  Saint-Esprit  en  ce  jour  appelé,  Creator 
Spiritus,  «  Esprit  créateur,  »  par  rapport  à  cette 
nouvelle  création  :  non  qu'il  ne  soit  créateur 
[dans  la  première  création  ,  conjointement  avec 
le  Père  et  le  Fils]  ;  mais  la  création  nouvelle  [  lui 
est  donnée]  par  une  attribution  particulière.  Pour 
en  fonder  la  demande,  et  nous  faire  dire  :  O 


DE  LA  PENTECOTE. 


39 


Dieu ,  créez  en  moi  ce  cœur  nouveau  ;  il  faut  con- 
sidérer avant  toutes  choses  quel  cœur  nous  avons. 
Pesez  toutes  les  paroles  de  ÎSotre-Seigneur  au  cha- 
pitre septième  de  saint  .Marc.  De  corde  hominum 
inalœ  cogilationes procédant ^  adulte ria,/orni- 
cationes,  homicidia  ,furta ,  avaritiœ ,  nequitiœ, 
dolus,  impudicitiœ,  oculus  malus  y  blasphemia , 
svperbia,  stultitia'  :  -<  Du  cœur  de  l'homme 
«  sortent  les  mauvaises  pensées ,  les  adultères , 

•  les  fornications,  les  homicides,  les  larcins, 
«  l'avarice ,  les  méchancetés ,  la  fourberie ,  la  dis- 
«  solution ,  l'œil  malin  et  envieux ,  les  médisan- 
«  ces,  l'orgueil,  la  folie  et  le  dérèglement  d'es- 

•  prit.  »  Appuyez  beaucoup  sur  celui-là  :  Bonus 
homodebono  thesauro  cordis  sui  profert  bo- 
num,  et  malus  homo  de  malo  thesauro  profert 
vialum;  ex  abundnntia  enim  cordis  os  loqui- 
tur^  :  «  L'homme  de  bien  tire  de  bonnes  choses  du 
«  bon  trésor  de  son  cœur,  et  le  méchant  en  tire 

•  de  mauvaises  du  mauvais  trésor  de  son  cœur; 
«  car  la  bouche  parle  de  la  plénitude  du  cœur.  " 
Kon  potest  arbor  bona  malos  fructus  facere, 
neque  arbor  mala  bonos  fructus  facere  ^  :  «  Un 

•  bon  arbre  nepeut  produire  de  mauvais  fruits,  et 
"  un  mauvais  arbre  n'en  peu  produire  de  bons.  « 
Jugez  du  fond  de  votre  cœur  par  vos  pensées. 

Peser  beaucoup  sur  chaque  crime  :  adulte  n'a, 
n  les  adultères.  »  Ou  ne  le  conçoit  pas.  David, 
coupable  de  ce  crime ,  ne  pense  pas  que  ce  soit 
à  lui  que  s'adresse  le  discours  du  prophète  :  il  est 
attendri  sur  le  récit  que  Nathan  lui  fait  dans  sa 
parabole  ;  et  entrant  dans  une  grande  indignation 
contre  le  coupable,  il  prononce  qu'il  est  digne  de 
«  mort  :  «  Filius  mortis  est  vir  qui  fecit  hoc  ;  et 
U  déclare  qu'il  «  rendra  au  quadruple  la  brebis 
«  qu'il  a  enlevée  :  »  Ovem  reddetin  quadruplum  ■•. 
Vous  ne  sauriez  la  rendre  ;  son  innocence ,  sa  foi 
[que  vous  lui  avez  enlevées  ].  Appuyer  sur  les  au- 
tres :  homicidia,  «  les  homicides  :  "  «  Qui  hait 
«son  frère,  c'est  un  meurtrier^.  »  Superbia; 
«  l'orgueil:  »  stultitia;»  la  folie:  »  expli([uer  bien 
cette  folie,  cet  égarement  d'esprit.  Nequitiœ; 
«  méchancetés  :  »  le  cœur  humain  sensuel  et  vo- 
luptueux ;  injuste ,  violent  et  vindicatif;  malin  et 
trompeur,  superbe  jusqu'à  en  devenir  insensé. 
Si  quis  existimat  se  aliquid  esse,  cum  nihil 
sjf,  ipseseseducii^:  «  Si  quelqu'un  s'estime  être 
'•  quelque  chose ,  il  se  trompe  lui-même;  parce 
«  qu'il  n'est  rien.  «  Folie  naturelle  à  l'orgueil. 
[  Il  y  a  une]  distance  infinie  entre  être  quelque 
chose  et  n'être  rien  ;  et  néanmoins  f  l'orgueil  fest  ] 

'  .V(ur.  VII,  21,22. 
'  /,>«•.  VI,  45. 
S  .*/"///*.  VII,  18. 

*  II.  K^</.  Xll.5,«. 

*  l.  J'Min.  III,  13. 

*  Gulal.  VI ,  3. 


si  grossier,  si  aveugle,  qu'il  confond  ce  qui  [est 
sépare  par  une  ]  distance  infinie  :  tant  la  folle  le 
domine  ! 

Ne  dites  pas  :  Je  n'ai  pas  tant  [de  vices  :  vous 
avez  en  vous-même  ]  le  principe  de  tous;  le  plai- 
sir nous  mène  à  tout ,  à  la  mol  lesse ,  à  la  paresse , 
à  tout  :  nulle  résistance;  il  ne  manquera  que 
l'occasion.  Ah  !  quel  cœur  je  porte  donc  dans  mon 
sein  ;  tout  ce  qui  y  entre ,  s'y  corrompt  ;  corrompt 
le  bien  qui  est  en  moi ,  qui  est  dans  les  autres  : 
Dieu  même,  sa  parole,  sa  miséricorde;  il  abuse 
de  tout.  Ah  !  je  ne  veux  plus  de  ce  cœur;  il  em- 
poisonne tout,  les  paroles  les  plus  innocentes  du 
prochain.  Quoi!  dans  mon  sein  un  tel  venin,  un 
tel  poison ,  un  tel  serpent  I  Ah  I  je  le  veux  arra- 
cher. 

Mais  je  ne  puis ,  il  tient  trop  avant.  Venez , 
Esprit  créateur  :  Cor  inundum,  spiritum  re- 
ctum... «  Créez  en  moi  un  cœur  pur,  un  esprit 
«  droit.  >•  Pesez  ces  deux  choses  ;  pureté,  droiture. 
0  mon  Dieu  !  je  vous  le  demande  pour  tout  ce 
peuple  partagé  entre  ceux  qui  ont  déjà  fait  leur 
jubilé,  leur  mission,  et  ceux  qui  demeurent  en- 
core endurcis.  Silence  d'une  heure  dans  le  ciel  '  : 
ce  silence  délibère  si  l'on  doit  punir,  s'il  faut 
attendre  encore  ;  et  plus  après.  Se  taire  durant 
quelque  temps ,  comme  en  attente  de  ce  qui  se 
sera  décidé.  Un  auge  qui  paraît;  le  soleil,  l'iris'. 
Je  reconnais  la  prédication  de  l'Évangile ,  à  cette 
lumière  plus  grande  que  celle  qui  !  parut]  sur 
la  face  de  Moïse  :  point  de  voile;  l'iris,  signe 
de  paix,  de  miséricorde,  d'alliance.  [L'ange 
met  ]  un  pied  sur  la  mer,  un  sur  la  terre  ;  sur 
ceux  qui  sont  affermis,  [sur]  ceux  qui  [sont] 
encore  agités  :  il  lève  la  main  au  ciel;  plus  de 
temps.  Quoi  donc!  cette  mission ,  pourquoi  le 
dernier  temps?  Vous  me  laissez  une  faibhi  espé- 
rance, si  avec  ce  secours  extraordinaire,  le  ju- 
bilé ,  la  Pentecôte  ;  tout  ensemble  tant  d'exem- 
ples ,  tant  de  prières ,  tant  de  changements,  nous 
ne  gagnons  rien  :  quelle  espérance  de  mieux 
réussir?  Ah  !  venez.  Esprit  createur,  etc. 

Les  larcins ,  en  saint  Marc.  A  cette  occasion , 
parler  des  restitutions  :  ou  ne  peut  pas  prendre 
sur  ses  plaisirs,  sur  son  nécessaire  [pour  les  faire]. 
Quelle  différence!  cette  pauvre  veuve  [de  l'E- 
vangile] étmt  pauvre,  plus  digne  de  recevoir 
l'aumône,  qu'obligée  à  la  donner;  et  néanmoins 
elle  trouve  de  quoi  donner  :  Omnem  victum 
suum,  quem  habuit,  misit^  ;«  Elle  a  donné 
«  tout  ce  qui  lui  restait  pour  \\\re.  »  Elle ,  pour 
l'aumône;  et  vous  ne  voulez  pas  trouver  pour  la 
restitution. 

'  Apoc.  vni,  I. 

'  Apoc.  X ,  1  et  seqq. 

*  Luc.  XXI,  4. 


iO 


SUR  LE  MYSTÈRE 


Toute  la  force  de  ce  discours  doit  être  à  péné- 
trer jusqu'au  vif  de  chaque  crime,  et  à  en  arra- 
clier  les  moindres  fibres,  crainte  de  la  renais- 
sance. 

Et  aussi  bien  expliquer  ce  pur  et  ce  droit;  qui 
sera  suivi  de  l'Esprit  saint  et  de  l'esprit  princi- 
pal ,  force ,  courage ,  etc. 


SERMON 

SUR  LE  MYSTÈRE 

DE  LA  TRÈS-SAINTE  TRLNITÉ. 

Excellente  image  que  nous  portons  en  nous-mêmes  de  ce 
mystère  ineffable.  Autre  image  de  ce  grand  mystère  dans  l'u- 
nité de  l'Église.  Pourquoi  faut-il  que  le  Père  engendre  eu  lui- 
même  le  Verbe;  cette  génération  du  Verbe ,  représentée  dans 
la  bienheureuse  fécondité  de  l'Église.  Comment  le  Fils  et  le 
Saint-Esprit  reçoivent  du  Père  continuellement  en  eux- 
mêmes  la  vie  et  l'intelligence.  Tous  les  lidèles  unis  dans  la  vie 
de  l'intelligence.  Quelles  doivent  être  les  lois  de  leur  charité 
mutuelle  :  combien  ils  y  sont  infidèles. 


Pater  sancte ,  serva  eos  in  nomine  tuo  quos  dedisti  mihi ,  ut 
sint  unum  sicut  et  nos. 

Père  saint,  gardez  en  votre  nom  ceux  que  votis  m'avez 
donnés,  afin  qu'ils  soient  un  comme  nous.  Joan. 
xvu,  11. 

Quand  je  considère  en  moi-même  l'éternelle 
félicité  que  notre  Dieu  nous  a  préparée  ;  quand  je 
songe  que  nous  verrons  sans  obscurité  tout  ce 
qne  nous  croyons  sur  la  terre ,  que  cette  lumière 
inaccessible  nous  sera  ouverte,  et  que  la  Trinité 
adorable  nous  découvrira  ses  secrets  :  que  là  nous 
verrous  le  vrai  Fils  de  Dieu  sortant  éternellement 
du  sein  de  son  Père ,  et  demeurant  éternellement 
dans  le  sein  du  Père  ;  que  nous  verrons  le  Saint- 
Esprit  ,  ce  torrent  de  flamme ,  procéder  des  em- 
brassements  mutuels  que  se  donnent  le  Père  et  le 
Fils ,  ou  plutôt  qui  est  lui-même  l'embrassement , 
l'amour  et  le  baiser  du  Père  et  du  Fils  :  que  nous 
verrons  cette  unité  si  inviolable,  que  le  nombre 
n'y  peut  apporter  de  division  ;  et  ce  nombre  si 
bien  ordonné,  que  l'unité  n'y  met  pas  de  confu- 
sion :  mon  âme  est  ravie ,  chrétiens ,  de  l'espérance 
d'un  si  beau  spectacle,  et  je  ne  puis  que  je  ne 
m'écrie  avec  le  prophète  :  «  Que  vos  tabernacles 
«  sont  beaux ,  ô  Dieu  des  armées  !  mon  cœur  lan- 
«  guit  et  soupire  après  la  maison  du  Seigneur  '.  » 
Et  puisque  notre  unique  consolation  dans  ce 
misérable  pèlerinage ,  c'est  de  penser  aux  biens 
éternels  que  nous  attendons  en  la  vie  future; 
entretenons-nous  ici-bas ,  mes  frères ,  des  mer- 
veilles que  nous  verrons  dans  le  ciel ,  et  parlons , 
quoiqu'en  bégayant,  des  secrets  et  ineffables 

'  Ps.  lAXXIII,  i. 


mystères  qui  nous  seront  un  jour  découverts  dans 
la  sainte  cité  de  Sion ,  dans  la  cité  de  notre  Dieu , 
«  qu<3  Dieu  a  fondée  éternellement  '.  »  Mais  d'au- 
tant que  ceux-là  pénètrent  le  mieux  les  secrets 
divins,  qui  s'abaissent  plus  profondément  des  ant 
Dieu,  prosternons-nous  de  cœur  et  d'esprit  de- 
vant cette  majesté  infinie;  et  afin  qu'elle  nous 
soit  favorable,  prions  la  mère  de  miséricorde 
qu'elle  nous  impètre  par  ses  prières  cet  Esprit 
qui  la  remplit  si  abondamment  lorsque  l'ange 
l'eut  saluée  par  ces  paroles  que  nous  lui  disons  : 
Ave,  Maria. 

Cette  Trinité  incréée ,  souveraine ,  toute-puis- 
sante, incompréhensible;  afin  de  nous  donner 
quelque  idée  de  sa  perfection  infinie ,  a  fait  une 
Trinité  créée  sur  la  terre ,  et  a  voulu  imprimer 
en  ses  créatures  une  image  de  ce  mystère  ineffa- 
ble qui  associe  le  nombre  avec  l'unité  d'une  ma- 
nière si  haute  et  si  admirable.  Si  vous  désirez 
savoir,  chrétiens ,  quelle  est  cette  Trinité  créée 
dont  je  parle;  ne  regardez  point  le  ciel  ni  la 
terre,  ni  les  astres,  ni  les  éléments,  ni  toute 
cette  diversité  qui  nous  environne  :  rentrez  en 
vous-mêmes,  et  vous  la  verrez;  c'est  votre  âme, 
c'est  votre  intelligence,  c'est  votre  raison  qui  est 
cette  Trinité  dépendante  en  laquelle  est  représen- 
tée cette  Trinité  souveraine.  C'est  pourquoi  nous 
voyons  dans  les  Écritures ,  et  dans  la  création  de 
cet  univers,  que  la  Trinité  n'y  paraît  que  lors- 
que Dieu  se  résout  de  produire  l'homme.  Remar- 
quez que  tous  les  autres  ouvrages  sont  faits  par 
une  parole  de  commandement,  et  l'homme  par 
une  parole  de  consultation  :  «  Que  la  lumière  soit 
«  faite,  que  le  firmament  soit  fait ,  »  Fiat  lux  ^; 
c'est  une  parole  de  commandement.  L'homme 
est  créé  d'une  autre  manière,  qui  a  quelque  chose 
de  plus  magnifique.  Dieu  ne  dit  pas  :  Que  l'homme 
soit  fait;  mais  toute  la  Trinité  assemblée  prononce 
par  un  conseil  commun  :  «  Faisons  l'homme  à 
«  notre  image  et  ressemblance  ^.  >'  Quelle  est  cette 
nouvelle  façon  de  parler?  et  pourquoi  est-ce  que 
les  personnes  divines  commencent  seulement  àse 
déclarer  quand  il  est  question  de  former  Adam? 
est-ce  qu'entre  les  créatures  l'homme  est  la  seule 
qui  se  peut  vanter  d'être  l'ouvrage  de  la  Trinité? 
Nullement,  il  n'en  est  pas  de  la  sorte  ;  car  toutes 
les  opérations  de  la  très-sainte  Trinité  sont  insé- 
paraliles.  D'où  vient  donc  que  la  Trinité  très- 
auguste  se  découvre  si  hautement  pour  créer 
notre  premier  père;  si  ce  n'est  pour  nous  faire 
entendre  qu'elle  choisit  l'homme  entre  toutes  les 
créatures ,  pour  y  peindre  son  image  et  sa  res- 

'   Ps.  XLVII  ,  9. 

»  Gaies.  1 ,  3. 
3  Jbid.  20. 


DE  LA  SAINTE  TRINITÉ. 


somblancc?  De  l;\  vient  que  les  trois  personnes 
divines  s'assemblent,  pour  ainsidire,et  tiennent 
conseil  pour  former  l'âme  raisonnable;  parce 
que  chacune  de  ces  trois  Personnes  doit  en  quel- 
que sorte  contribuer  quelque  chose  de  ce  qu'elle 
a  de  propre  pour  l'accomplissement  d'un  si  grand 
ouvrage. 

En  effet,  comme  la  Trinité  très-auguste  a  une 
source  et  une  fontaine  de  divinité,  ainsi  que 
parlent  les  Pères  grecs  ' ,  un  trésor  de  vie  et  d'in- 
telligence, que  nous  appelons  le  Père,  où  le  Fils 
et  le  Saint-Esprit  ne  cessent  jamais  de  puiser; 
de  même  l'âme  raisonnable  a  son  trésor  qui  la 
rend  féconde  :  tout  ce  que  les  sens  lui  apportent 
du  dehors ,  elle  le  ramasse  au  dedans  ;  elle  en 
fait  comme  un  réservoir,  que  nous  appelons  la 
mémoire  :  et  de  même  que  ce  trésor  infini ,  c'est- 
à-dire  ,  le  Père  étemel ,  contemplant  ses  propres 
richesses ,  produit  son  Verbe ,  qui  est  son  image  ; 
ainsi  l'âme  raisonnable ,  pleine  et  enrichie  de 
l)elles  idées,  produit  cette  parole  intérieure  que 
nous  appelons  la  pensée ,  ou  la  conception ,  ou  le 
discours,  qui  est  la  vive  image  des  choses.  Car 
ne  sentons-nous  pas,  chrétiens,  que  loreque 
nous  concevons  quelque  objet ,  nous  nous  en  fai- 
sons en  nous-mêmes  une  peinture  animée,  que 
l'incomparable  saint  Augustin  appelle  «  le  fils  de 
«•  notre  cœur,  »  Filius  cordis  tui  *?  Enfin  comme, 
en  produisant  en  nous  cette  image  qui  nous  donne 
l'intelligence,  nous  nous  plaisons  à  entendre, 
nous  aimons  par  conséquent  cette  intelligence; 
et  ainsi  de»  ce  trésor  qui  est  la  mémoire ,  et  de 
l'intelligence  qu'elle  produit,  naît  une  troisième 
chose  qu'on  appelle  amour,  en  laquelle  sont  ter- 
minées toutes  les  opérations  de  notre  âme  :  ainsi 
du  Père  qui  est  le  trésor,  et  du  Fils  qui  est  la 
raison  et  l'intelligence ,  procède  cet  Esprit  infini, 
qui  est  le  terme  de  l'opération  de  l'un  et  de  l'au- 
tre. Et  comme  le  Père ,  ce  trésor  étemel ,  se  com- 
munique sans  s'épuiser;  ainsi  ce  trésor  invisi- 
ble et  intérieur,  que  notre  âme  renferme  en  son 
propre  sein ,  ne  perd  rien  en  se  répandant  :  car 
notre  mémoire  ne  s'épuise  pas  par  les  concep- 
tions qu'elle  enfante;  mais  elle  demeure  toujours 
féconde,  comme  Dieu  le  Père  est  toujours  fé- 
cond. 

Or  encore  que  cette  image  soit  infiniment  éloi- 
gnée de  la  perfection  de  l'original ,  elle  ne  laisse 
pas  d'être  très-noble  et  très- excellente  ;  parce  que 
c'est  la  Trinité  même  qui  a  bien  voulu  la  former 
en  nous  :  et  de  là  vient  qu'en  produisant  l'homme, 
qui  par  les  opérations  de  son  âme  devait  en  quel- 
que façon  imiter  celles  de  la  Trinité  toujours  ado- 

'  s.  Athan.  Epist.  de  Synod.  n»  41,  «2,  t.  I,  part,  il,  p.  756. 
S.  Gregor.  IVazianz.  Orat.  XLV,  n°  5,  t.  I,  p.  720. 
^  De  Triiiit.  lib.  xi,  cap.  vu,  t.  viu,  col.  908. 


31 

rable,  cette  même  Trinité  d'un  commun  accord 
prononce  cette  parole  sacrée ,  si  glorieuse  à  notre 
nature  :  «  Faisons  l'homme  à  notre  image  et  res- 
«  semblance.  »  C'est  encore  pour  cette  raison  que 
le  Fils  de  Dieu  a  voulu  que  les  trois  divines  per- 
sonnes parussent  dans  notre  nouvelle  naissance , 
et  que  nous  y  fussions  consacrés  au  nom  du 
Père,  et  du  Fils,  et  du  Saint-Esprit  '.  Admirez 
ici,  chrétiens ,  les  profonds  conseils  de  la  Provi- 
dence dans  le  rapport  merveilleux  des  divins  mys- 
tères. Où  est-ce  que  l'homme  a  été  formé?  Dans 
la  création.  Où  est-ce  que  l'homme  est  reformé? 
Dans  le  saint  baptême ,  qui  est  une  seconde  créa- 
tion; où  la  gi'âce  de  Jésus-Christ  nous  donne 
une  nouvelle  naissance,  et  nous  fait  des  créatures 
nouvelles.  Quand  nous  .sommes  formés  premiè- 
rement par  la  création,  la  Trinité  s'y  découvre 
par  ces  paroles  :  «  Faisons  l'homme  à  notre 
«  image  et  ressemblance;  »  quand  nous  sommes 
régénérés,  quand  le  Saint-Esprit  nous  réforme 
dans  les  eaux  sacrées  du  baptême,  toute  la  Tri- 
nité y  est  appelée.  La  Trinité  dans  la  création,  la 
Trinité  dans  la  régénération,  n'est-ce  pas  afin 
que  nous  comprenions  que  le  Fils  de  Dieu  réta- 
blit en  nous  la  première  dignité  de  notre  origine , 
et  qu'il  répare  miséricordieusement  en  nos  âmes 
l'image  de  la  Trinité  adorable  que  notre  création 
nous  avait  donnée  et  que  notre  péché  avait  obs- 
curcie ? 

Mais  passons  encore  plus  loin  :  afin  que  la 
Trinité  très-indivisible  éclatât  plus  visiblement 
dans  les  hommes,  il  a  plu  à  Notre-Seigneur  Jé- 
sus-Christ que  son  Église  en  fût  une  image; 
comme  la  suite  de  ce  discours  le  fera  paraître. 
Qui  est-ce  qui  nous  a  enseigné  cette  belle  théolo- 
gie, chrétiens?  c'est  Jésus-Christ  même  qui  nous 
l'a  montré  dans  les  paroles  que  j'ai  citées  pour 
mon  texte.  «  Père  saint,  dit-il  à  son  Père,  gar- 
«  dez  ceux  que  vous  m'avez  donnés.  »  Qui  sont 
ceux  que  le  Père  a  donnés  au  Fils?  Ce  sont  les  fi- 
dèles ,  qui ,  étant  unis  par  l'Esprit  de  Dieu ,  com- 
posent cette  sainte  société  que  nous  exprimons 
par  le  nom  d'Église.  «  Gardez-les,dit-il,  afin  qu'ils 
«  soient  un.  »  Ils  sont  un,  dit  le  Fils  de  Dieu; 
c'est-à-dire,  que  leur  multitude  n'empêche  pas 
une  parfaite  unité  :  et  afin  qu'il  ne  fût  pas  permis 
de  douter  que  cette  mystérieuse  unité ,  qui  doit 
assembler  le  corps  de  l'Église,  ne  fût  l'image  de 
cette  unité  ineffable  qui  associe  les  trois  person- 
nes divines ,  Jésus-Christ  l'explique  en  ces  mots  : 
«  Qu'ils  soient  un  dit-il  * ,  comme  nous  ;  »  et  un 
peu  après  :  «  Comme  vous ,  Père ,  êtes  en  moi  et 
"  moi  en  vous,  ainsije  vous  prie  qu'ils  soient  un  en 


'  Matth.  XXVIII,  10. 
'  Joan.  xyu,ll. 


»5 


SUR  LE  MYSTERE 


«  nous  '  ;  »  et  encore  :  «  Je  leur  ai  donné,  dit-il , 
«  la  gloire  ([ue  vous  m'avez  donnée ,  afin  qu'ils 
«  soient  un  comme  nous  '.  »  0  grandeur,  ô  di- 
gnité de  l'Église!  ô  sainte  société  des  fidèles,  qui 
doit  être  si  parfaite  et  si  achevée,  que  Jésus-Christ 
ne  lui  donne  point  un  autre  modèle  que  l'unité 
même  du  Père  et  du  Fils,  et  de  l'Esprit  qui  pro- 
cède du  Père  et  du  Fils  !  Qu'ils  soient  un ,  dit 
le  Fils  de  Dieu ,  non  point  comme  les  anges ,  ni 
comme  les  archanges ,  ni  comme  les  chérubins , 
ni  comme  les  séraphins  ;  mais  «  qu'ils  soient ,  dit- 
«  i! ,  un  comme  nous.  »  Entendons  le  sens  de 
cette  parole  :  comme  nous  sommes  un  dans  le 
même  être,  dans  la  même  intelligence,  dans  le 
même  amour ,  ainsi  qu'ils  soient  un  comme  nous , 
e'est-à-dire ,  un  dans  le  même  être ,  par  leur  nou- 
velle nativité;  un  dans  la  même  intelligence, 
par  la  doctrine  de  vérité  ;  un  dans  le  même  amour, 
par  le  lien  de  la  charité.  C'est  de  cette  triple  unité 
(fue  j'espère  vous  entretenir  aujourd'hui  avec 
l'assistance  divine. 

PREMIER   POINT. 

Encore  que  la  génération  éternelle,  par  la- 
quelle le  Fils  procède  du  Père,  surpasse  infini- 
ment les  intelligences  de  toutes  les  créatures 
mortelles,  et  même  de  tous  les  esprits  bienheu- 
reux; toutefois  ne  laissons  pas  de  porter  nos 
vues  dans  le  sein  du  Père  éternel ,  pour  y  con- 
templer le  mystère  de  cette  génération  ineffa- 
ble. Mais  de  peur  que  cette  lumière  ne  nous  aveu- 
gle ,  regardons-la  comme  réfléchie  dans  ce  beau 
miroir  des  Écritures  divines,  que  le  Saint-Es- 
prit nous  a  préparé ,  pour  s'accommoder  à  notre 
portée. 

La  première  chose  que  je  remarque  dans  la  gé- 
nération du  Verbe  éternel ,  c'est  que  le  Père  l'en- 
gendre en  lui-même  ;  contre  l'ordinaire  des  au- 
tres pères,  qui  engendrent  nécessairement  au 
dehors.  Nous  apprenons  des  Écritures ,  que  le 
Fils  procède  du  Père  :  «  Je  suis,  dit-il,  sorti  de 
«  Dieu  ^.  »  Tout  ce  qui  est  produit,  il  faut  qu'il 
soit  tiré  du  néant  :  comme ,  par  exemple  le  ciel 
et  la  terre  ;  ou  qu'il  soit  produit  de  quelque  chose , 
comme  les  plantes  et  les  animaux.  Que  le  Fils 
unique  de  Dieu  ait  été  tiré  du  néant ,  c'est  ce  que 
les  ariens  mêmes ,  qui  niaient  la  divinité  du  Sau- 
veur du  monde,  n'ont  jamais  osé  avancer'^.  En 
effet ,  puisque  le  Verbe  éternel  est  le  Fils  de 
Dieu  par  nature  ;  il  ne  peut  être  tiré  du  néant  : 
autrement  il  ne  serait  pas  engendré,  il  ne  procé- 
derait pas  comme  Fils  ;  et  lui  qui  est  le  vrai  Fils 

'  Joun.  XVII,  21. 
'  Ihid.  -il. 
3  Ibid.  XVI,  27. 

<  S.  JiKj.  cimt.  Maximin.  liL  il.  rap.  Xiv,  t.  Yiii ,  COÎ.  703, 
7<J4. 


de  Dieu ,  le  Fils  singulièromcn  t  et  par  excellence, 
et  qui  est  appelé  dans  les  Écritures ,  le  propre  Fils 
du  Père  éternel,  ne  serait  en  rien  différent  de 
ceux  qui  le  sont  par  adoption.  Par  conséquent  il 
est  clair  que  le  Fils  de  Dieu  ne  peut  pas  être  tiré 
du  néant,  et  ce  blasphème  serait  exécrable  :  que 
s'il  n'a  pas  été  tiré  du  néant ,  voyons  d'où  il  a 
été  engendré. 

C'est  une  loi  nécessaire  et  inviolable ,  que  tout 
fils  doit  recevoir  en  lui-même  quelque  partie  de 
la  substance  du  père;  et  c'est  pourquoi  quand 
nous  parlons  d'un  fils  à  un  père ,  nous  disons 
que  c'est  un  autre  lui-même  :  si  donc  mon  Sau- 
veur est  le  Fils  de  Dieu,  qui  ne  voit  qu'il  doit 
être  formé  de  la  propre  substance  de  Dieu?.Mais 
ne  concevons  rien  ici  de  mortel  ;  éloignons  de  no- 
tre esprit  et  de  nos  pensées  tout  ce  qui  ressent  la 
matière  :  ne  croyons  pas  que  le  Fils  de  Dieu  ait 
reçu  seulement  en  lui-même  quelque  partie  de  la 
substance  du  Père;  car  puisqu'il  est  essentiel  à 
Dieu  d'être  simple  et  indivisible ,  sa  substance  ne 
souffre  point  de  partage  :  et  par  conséquent  si  le 
Verbe,  en  cette  belle  qualité  de  Fils ,  doit  parti- 
ciper nécessairement  à  la  substance  de  Dieu  son 
Père ,  il  la  reçoit  sans  division ,  elle  lui  est  com- 
muniquée tout  entière;  et  le  Père,  qui  le  produit 
du  fond  même  de  son  essence ,  la  répand  sur  lui 
sans  réserve.  Et  d'autant  que  la  nature  divine  no 
peut  être  ni  séparée  ni  distraite  ;  si  le  Fils  sortait 
hors  du  Père,  s'il  était  produit  hors  de  lui,  ja- 
mais il  ne  recevrait  son  essence ,  et  il  perdrait  le 
titre  de  Fils  :  de  sorte  que,  afin  qu'il  soit  Fils,  il 
faut  que  son  Père  l'engendre  en  lui-même. 

C'est  ce  que  nous  apprenons  par  les  Écritures  : 
dites-le-nous ,  bien-aimé  disciple ,  qui  avez  bu 
ces  secrets  célestes  dans  le  sein  et  dans  le  cœur 
du  Verbe  éternel.  «  Au  commencement  était  le 
«  Verbe ,  et  le  Verbe  était  en  Dieu  '  ;  «  c'est-à-dire , 
dès  que  le  Verbe  a  été ,  il  était  en  Dieu  :  il  a  donc- 
été  produit  en  Dieu  même.  C'est  pourquoi  il  pro- 
cède de  Dieu  comme  son  Verbe,  comme  sa  con- 
ception, comme  sa  pensée,  comme  la  parole  in- 
térieure par  laquelle  il  s'entretient  en  lui-même 
de  ses  perfections  infinies  :  il  ne  peut  donc  pas 
être  séparé  de  lui.  Méditez  cette  admirable  doc- 
trine: tout  ce  qui  engendre  est  vivant;  engendrer, 
c'est  une  fonction  de  vie  ;  et  la  vie  de  Dieu ,  c'est 
l'intelligence  :  donc  11  engendre  par  Intelligence. 
Or  l'entendement  n'agit  qu'en  lui-même  ;  il  ne  se 
répand  point  au  dehors  :  au  contraire  tout  ce  qu'il 
rencontre  au  dehors ,  il  s'efforce  de  le  ramasser 
au  dedans  :  de  là  vient  que  nous  disons  ordinai- 
rement ,  que  nous  comprenons  une  chose ,  que 
nous  l'avons  mise  dans  notre  esprit ,  lorsque  nous 

'  loan.i   I. 


SUR  LA  SAINTE  TRIMTÉ. 


ÏS 


Tavons  entendue.  Ainsi  cette  essence  infinie, 
souverainement  immatérielle,  qui  ne  vit  que  de 
raison  et  d'intelligence,  ne  souffre  pas  que  rien 
soit  engendré  en  elle ,  sicen  est  par  la  voie  de  l'in- 
telligence ;  et  par  conséquent  le  Verbe  étemel ,  la 
sagesse  et  la  pensée  de  son  Père,  étant  produit 
par  intelligence ,  naît  et  demeure  dans  son  prin- 
cipe :  Hoc  erat  inprincipio  apud  Deum'. 

C'est  ce  que  le  grave  Tertullien  nous  explique 
admirablement  dans  cet  excellent  Apologétique. 
«  Cette  parole ,  dit  ce  grand  homme  * ,  nous  disons 
«  que  Dieu  la  profère ,  et  l'engendre  en  la  profé- 
«  rant  :  »  car  c'est  une  parole  substantielle  qui 
porte  en  elle-même  toute  la  vertu ,  toute  l'énergie , 
toute  la  substance  du  principe  qui  la  produit.  «  Et 
«  c'est  pourquoi ,  dit  Tertullien ,  nous  l'appelons 
«  Fils  de  Dieu ,  à  cause  de  l'unité  de  substance.  » 
Après  il  compare  le  Fils  de  Dieu  au  rayon  que  la 
lumière  produit ,  sans  rien  diminuer  de  son  être, 
sans  rien  perdre  de  son  éclat  ;  et  il  conclut  qu'il 
est  sorti  de  la  tige ,  mais  qu'il  ne  s'en  est  pas  re- 
tiré :  Non  recessit,  sed  excessU.  0  Dieu  I  mon 
esprit  se  confond;  je  me  perds,  je  m'abîme  dans 
cet  océan  :  mes  yeux  faibles  et  languissants  ne 
peuvent  plus  supporter  un  si  grand  éclat.  Repre- 
nons ,  fidèles ,  de  nouvelles  forces  ;  en  reposant 
wn  peu  notre  vue  sur  des  objets  qui  soient  plus 
de  notre  portée. 

Sainte  société  des  fidèles ,  Église  remplie  de 
l'Esprit  de  Dieu ,  chaste  épouse  de  mon  Sauveur, 
vous  représentez  sur  la  terre  la  génération  du 
Verbe  étemel  dans  votre  bienheureuse  fécondité. 
Dieu  engendre ,  et  vous  engendrez  :  Dieu ,  comme 
nous  avons  dit ,  engendre  en  lui-même  ;  sainte 
Église,  où  engendrez- vous  vos  enfants?  Dans  vo- 
tre paix ,  dans  votre  concorde ,  dans  votre  unité , 
dans  votre  sein  et  dans  vos  entrailles.  Heureuse 
maternité  de  l'Église  !  Les  mères  que  nous  voyons 
sur  la  terre  conçoivent,  à  la  vérité,  leur  fruit  en 
leur  sein  ;  mais  elles  l'enfantent  hors  de  leurs  en- 
trailles :  au  contraire  la  sainte  Église,  elle  con- 
çoit hors  de  ses  entrailles,  elle  enfante  dans  ses 
entrailles.  Un  infidèle  vient  à  l'Église ,  il  demande 
d'être  associé  avec  les  fidèles  :  l'Eglise  l'instruit, 
et  le  catéchise;  il  n'est  pas  encore  en  son  sein, 
il  n'est  point  encore  en  son  unité  :  elle  n'enfante 
pas  encore;  mais  elle  conçoit  :  ainsi  elle  ne  con- 
çoit pas  en  son  sein;  aussitôt  qu'elle  nous  enfante , 
nous  commençons  à  être  en  son  unité.  C'est  ainsi 
que  vous  engendrez ,  sainte  Église,  à  l'imitation 
du  Père  éternel.  Engendrer,  c'est  incorporer;  en- 
gendrer vos  enfants,  ce  n'est  pas  les  produire  au 
dehors  de  vous  :  c'est  eu  faire  un  même  corps  avec 

'  Joan.  2. 

'  Jyolog.  B'Hi. 

BOSSCET.  —  T.  in. 


vous;  et  comme  le  Père  engendrant  son  Fils,  le 
fait  un  même  Dieu  avec  lui  ;  ainsi  les  enfants  que 
vous  engendrez ,  vous  les  faites  ce  que  vous  êtes , 
en  formant  Jésus-Christ  en  eux  :  et  comme  le  Père 
engendre  le  Fils ,  en  lui  communiquant  son  même 
être,  ainsi  vous  engendrez  vos  enfants,  en  leur 
communiquant  cet  être  nouveau  que  la  grâce  vous 
a  donné  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  :  Ct  siiii 
unum  sicut  et  nos.  Ce  que  je  dis  du  Père  et  du 
Fils,  je  le  dis  encore  du  Saint-Esprit,  qui  sont 
trois  choses ,  et  la  même  chose.  C'est  pourquoi  saint 
Augustin  dit  :  «  Eu  Dieu  il  y  a  nombre ,  en  Dieu  il 
«  n'y  a  point  de  nombre  :  quand  vous  comptez 
«  les  trois  Personnes,  vous  voyez  un  nombre; 
«  vous  vous  demandez  ce  quec'est,  il  n'y  a  plusde 
«  nombre  :  on  répond  que  c'est  un  seul  Dieu.  Par- 
«  ce  qu'elles  sont  trois,  voilà  comme  un  nombre  : 
«  quand  vous  recherchez  ce  qu'elles  sont,  le  nom- 
«  bre  s'échappe  ;  vous  ne  trouvez  plus  que  l'unité 
«  simple  :  «  Quia  très  sunt,  tanquani  est  nume- 
rus;  si  quœris  quid  très,  non  est  numerus  '. 
Ainsi  en  est-il  de  lÉglise  :  comptez  les  fidèles, 
vous  voyez  un  nombre  ;  que  sont  les  fidèles?  il  n'y 
a  plus  de  nombre  ;  ils  sont  tous  un  même  corps 
en  Notre-Seigneur  :  «  il  n'y  a  plus  ni  Grec ,  ni  Bar- 
"  bare ,  ni  Romain ,  ni  Scythe  ;  mais  un  seul  Jé- 
«  sus-Christ  qui  est  tout  eu  tous  »  :  »  67  sint  unum 
fient  et  nos. 

DEUXIÈME   POINT. 

Contemplons  dans  les  Écritures  comment  le 
Fils  et  le  Saint-Esprit  reçoivent  continuellement 
en  eux-mêmes  la  vie  et  l'intelligence  du  Père  ; 
et  premièrement  pour  le  Fils,  voici  comme  il 
parle  dans  son  Évangile  en  saint  Jean  :  «  En  vé- 
«  rite,  en  vérité  je  vous  le  dis,  le  Fils  ne  peut 
«  rien  faire  de  lui-même,  et  il  ne  fait  que  ce  qu'il 
«  voit  faire  à  son  Père  ;  et  tout  ce  que  le  Père  fait , 
«  le  Fils  le  fait  semblablement  :  car  le  Père  aime 
«  le  Fils,  et  il  lui  montre  tout  ce  qu'il  fait  ^.  - 
Quand  nous  entendons  ces  paroles ,  aussitôt  notre 
faible  imagination  se  représente  le  Père  opérant , 
et  le  Fils  regardant  ses  œuvres  ;  à  peu  près  comme 
un  apprenti  qui  s'instruit  en  voyant  travailler 
son  maître  :  mais  si  nous  voulons  entendre  les 
secrets  divins ,  détmisons  ces  idoles  vaines  et  char- 
nelles que  l'accoutumance  des  choses  humaines 
élève  dans  nos  cœurs  ;  détruisons ,  dis-je ,  ces  ido- 
les  par  le  foudre  des  Écritures.  Si  le  Père  agis- 
sait premièrement,  et  que  le  Fils  le  regardât  faire, 
et  après  qu'il  agît  lui-même  à  l'imitation  de  sou 
Père,  il  s'ensuivrait  nécessairement  que  leurs 
opérations  seraient  séparées.  Or  nous  apprenons 

'  In  ean.  Tract,  xxxtt,  n*  4,  t.  m,  part,  u,  col.  Mî. 
*  Co>o~t.  m,  II. 
'  Joa/r.  V.  19.  'Jû. 

3 


84 


Stm  LE  MYSTERE 


par  les  Écritures  :  que  «  tout  ce  que  le  Père  fait , 
«  est  fait  par  son  Fils  :  »  Omnia  per  ipsum  facta 
'^unt,  et  sine  ipsofaclum  est  nihit  '  :  «  Par  lui 
«  toutes  clioses  ont  été  faites,  et  sans  lui  rien  n'a 
«  été  fait  ».  Omnia  per  ipsum  facta  sunt;  et  c'est 
pourquoi  il  nous  dit  lui-même  :  «  Tout  ce  que 
«  le  Père  fait,  le  Fils  le  fait  semblablement.  »  Si 
!e  Fils  fait  tous  les  ouvrages  que  fait  son  Père, 
leurs  actions  ne  peuvent  point  être  séparées  :  et 
il  ne  se  contente  point  de  nous  dire ,  qu'il  fait  tout 
ce  que  fait  le  Père;  mais  tout  ce  que  le  Père  fait, 
dit-il,  le  Fils  le  fait  semblablement.  Les  carac- 
tères que  la  main  forme,  c'est  la  plume  qui  les 
forme  aussi;  mais  elle  ne  les  forme  pas  sembla- 
blement :  la  main  les  forme  comme  la  cause  mou- 
vante, et  la  plume,  comme  l'instrument  qui  est 
mû.  A  Dieu  ne  plaise  que  nous  croyions  qu'il  en 
soit  ainsi  du  Père  et  du  Fils  :  •<  Tout  ce  que  fait  le 
«  Père,  dit  Notre-Seigneur;  cela  môme,  le  Fils  le 
n  fait  semblablement;  «  c'est-à-dire  avec  lu  même 
puissance ,  avec  la  même  sagesse ,  et  parla  même 
opération  :  Hoc  et  Films  similiter  facit. 

D'où  vient  que  vous  dites ,  ô  mon  Sauveur  ; 
Le  Fils  ne  peut  rien  faire  de  lui-même,  sinon  ce 
qu'il  voit  faire  à  son  Père ,  et  le  Père  montre  à  son 
Fils  tout  ce  qu'il  fait?  Quelle  est  cette  merveil- 
leuse manière  par  laquelle  vous  contemplez  votre 
Père,  par  laquelle  vous  voyez  en  lui  tout  ce  que 
vousfaites  et  tout  ce  qu'il  fait?  comment  est-ce  qu'il 
vous  parle  et  qu'il  vous  enseigne?  et  puisque  vous 
êtes  Dieu  comme  lui ,  d'où  vient  que  vous  ne  faites 
rien  de  vous-même?  qui  nous  développera  ces 
mystères?  Écoutons  parler  le  grand  Augustin  : 
Le  Fils,  dit-il  %  ne  fait  rien  de  lui-même,  parce 
qu'il  n'est  pas  de  lui-même  :  celui  qui  lui  com- 
munique son  essence,  lui  communique  aussi  son 
opération  ;etencore  qu'il  reçoive  tout  de  son  Pèw, 
il  ne  laisse  pas  d'être  égal  au  Père  :  parce  que  le 
Père,  qui  lui  donne  tout ,  lui  donne  aussi  son  éga- 
lité. Le  Père  lui  donne  tout  ce  qu'il  est,  et  l'en- 
gendre aussi  grand  que  lui,  parce  qu'il  lui  donne 
sa  propre  grandeur.  C'est  ainsi ,  ô  Père  céleste , 
que  vous  enseignez  votre  Fils,  parce  que  vous  lui 
donnez  sans  réserve  la  même  science  qui  est  en 
vous. 

Mais  entendons  ce  secret,  mes  frères,  selon 
la  mesure  quinous  est  donnée,  et  autant  qu'il  a  plu 
à  Dieu  de  nous  le  révéler  par  les  Écritures.  Il  est 
clair  que  celui  qui  enseigne  veut  communiquer 
sa  science  :  par  exemple  les  prédicateurs,  que 
l'Esprit  de  Dieu  établit  pour  enseigner  au  peuple 
la  saine  doctrine  ;  pourquoi  montent-ils  dans  les 
chaires?  n'est-ce  pas  alin  de  faire  passer  les  lu- 

'  Joan.  1 ,  3. 

'  In  Joan.  Tract.  \\ ,  n*  4,  t.  ni,  part,  ii,  coL  450  et  seqq. 
De  Trinit.  lib.  H,  n°  3,  t.  viH,col.  773,  774. 


mi  ères  que  Dieu  leur  donne,  dans  l'esprit  de  leurs 
auditeurs?  C'est  ce  que  prétend  celui  qui  ensei- 
gne. 11  ouvre  son  cœur  à  ceux  qui  l'écoutent;  il 
tâche  de  les  rendre  semblables  à  lui  :  il  veut  qu'ils 
prennent  ses  sentiments ,  et  qu'ils  entrent  dans  ses 
pensées  ;  et  ainsi  celui  qui  enseigne  et  celui  qui 
est  enseigné  doivent  se  rencontrer  ensemble  et 
s'unir  dans  la  participation  des  mêmes  lumières. 
Par  conséquent  la  méthode  d'enseigner  tend  à 
l'unité  des  esprits  dans  la  science  et  dans  la  doc- 
trine ;  etce  que  j'ai  dit  est  très-véritable,  que  celui 
qui  veut  enseigner  veut  communiquer  sa  science. 
Mais  ni  la  nature  ni  l'art  ne  font  qu'ébaucher  cet 
ouvrage  ;  cette  communication  est  très-imparfaite, 
et  cette  unité  n'est  que  commencée.  Cette  entière 
communication  de  science  ne  se  peut  trouver  qu'en 
Dieu  même  :  c'est  là  que  le  Père  enseigne  le  Fils 
d'une  manière  infiniment  admirable;  parce  qu'il 
lui  communique  sa  proprescience  :  ià  se  fait  cette 
parfaite  unité  d'esprit  entre  le  Père  et  le  Fils; 
parce  que  la  vie  et  l'intelligence ,  la  raison  et  la 
lumièreduPèresetrouventtelleraent  dans  le  Fils , 
qu'il  ne  se  fait  de  l'une  et  de  l'autre  qu'une  même 
vie ,  une  même  intelligence  et  un  même  esprit. 
C'est  pourquoi  le  Père  enseignant  et  le  Fils  qui  est 
enseigné  sont  également  adorables  ;  parce  que  le 
Fils  reçoit  cette  même  science  du  Père,  qui  ne 
souffre  aucune  imperfection. 

Et  ne  nous  imaginons  pas ,  chrétiens,  que  lors- 
que le  Père  enseigne  le  Fils,  il  lui  communique 
la  science  comme  la  perfection  de  son  être  :  comme 
il  l'engendre  parfait,  il  lui  donne  tout  en  l'en- 
gendrant ;  bien  plus ,  si  nous  le  savons  bien  en- 
tendre ,  «  l'engendrer  et  l'enseigner  c'est  la  même 
«  chose  :  »  Hoc  est  eum  docuisse,  qiiod  est  scien- 
tem  genuisse,  dit  saint  Augustin  *.  Vous  me  di- 
rez qu'engendrer  et  enseigner  sont  des  termes  bien 
opposés.  Il  est  vrai  dans  les  créatures ,  où  il  est 
certain  qu'engendrer  n'est  pas  un  acte  d'intelli- 
gence, mais  en  Dieu  dont  la  vie  est  intelligence, 
qui  engendre  conséquemment  par  intelligence , 
il  ne  se  faut  pas  étonner  si  en  enseignant  il  engen- 
dre :  car  s'il  enseigne  son  Fils  éternel  en  lui  com- 
muniquant sa  propre  science,  il  l'engendre  en 
lui  communiquant  sa  propre  science  ;  parce  qu'à 
l'égard  de  Dieu,  être  c'est  savoir,  être  c'est  en- 
tendre, comme  enseigne  la  théologie  :  d'où  il 
s'ensuit  manifestement  que  cela  même,  que  le 
Père  enseigne  le  Fils,  prouve  l'unité  du  Père  et 
du  Fils  dans  la  vie  de  l'intelligence.  Il  en  est  de 
même  du  Saint-Esprit ,  puisqu'il  procède  du  Père 
et  du  Fils  avec  la  même  perfection  que  le  Fils 
reçoit  de  son  Père.  Ainsi  le  Père,  le  Fils  et  le 
Saint-Esprit,  même  lumière,  même  majesté, 

•  In  Joan.  Tract.  XL,  n»  5 .  t.  m.  part,  il ,  col.  667. 


DE  LA  SAINTE  TRIMTÉ. 


ss 


même  intelligence,  vivent  tous  ensemble  den- 
lendre,  et  tous  ensemble  ne  sont  qu'une  même 
vie. 

«  Père  saint ,  dit  le  Fils  de  Dieu ,  gardez  en 
-  votre  nom  ceux  que  vous  m'avez  donnés,  afin 
..  qu'ils  soient  un  comme  nous;  »  c'est-à-dire, 
qu'ils  soient  comme  nous  unis  dans  la  même  vie 
de  l'intelligence.  Mais  pouvons-nous  bien  espé- 
rer que  tous  les  fidèles  doivent  être  unis  dans  la 
vie  de  l'intelligence?  Oui ,  certes ,  nous  le  devons 
espérer.  Regardez  les  esprits  bienheureux  qui 
lèguent  au  ciel  avec  Jésus-Christ  :  quelle  est 
lenr  vie,  quelle  est  leur  lumière?  "  Leur  lumière, 
«  dit  l'Apocalypse  * ,  c'est  l'Agneau  ,  »  c'est-à- 
dire  ,  le  Verbe  incréé  qui  s'est  fait  la  victime  du 
monde  :  donc  la  lumière  des  bienheureux  c'est  ce 
Verbe ,  cette  parole  que  le  Père  profère  dans  l'é- 
ternité. Mais  ce  Verbe  n'est  pas  une  lumière  qui 
soit  allumée  hors  de  leurs  esprits  ;  c'est  une  lu- 
mière infinie  qui  luit  intérieurement  dans  leurs 
âmes.  En  cette  lumière,  ils  y  voient  le  Fils  ;  par- 
ée que  cette  lumière ,  c'est  le  Fils  même  :  en  cette 
liunière  >  ils  y  voient  le  Père  ;  parce  que  c'est  la 
splendeur  du  Père  :  «  Qui  me  voit ,  dit  le  Fils  de 
"  Dieu*,  voit  mon  Père  :  »  ils  y  voient  le  Saint- 
Esprit,  en  cette  lumière  ;  parce  que  le  Saint-Esprit 
en  procède.  En  cette  lumière ,  s'ils  s'y  contem- 
plent eux-mêmes;  parce  qu'ils  se  trouvent  en  elle 
plus  heureusement  qu'en  eux-mêmes  ;  ils  y  voient 
les  idées  vivantes,  ils  y  voient  les  raisons  des 
choses  créées ,  raisons  éternellement  permanen- 
tes ;  et  de  même  qu'en  cette  vie  nous  connaissons 
les  causes  par  les  effets,  l'unité  par  la  multitude , 
l'invisible  par  le  visible  :  là,  dans  ce  Verbe ,  qui 
est  dans  les  bienheureux,  qui  est  leur  vie,  qui 
est  leur  lumière ,  ils  voient  la  multitude  dans  l'u- 
nité même ,  le  visible  dans  l'invisible ,  la  diversité 
des  effets  dans  la  cause  infiniment  abondante 
qui  les  a  tirés  du  néant,  c'est-à-dire,  dans  le 
Verbe  qui  en  est  l'idée,  qui  est  la  raison  souve- 
raine par  laquelle  toutes  choses  ont  été  faites. 
Dans  ce  Verbe,   les  bienheureux  voient  :  ils 
voient  et  ils  vivent;  et  ils  vivent  tous  dans  la 
même  vie ,  parce  qu'ils  vivent  tous  dans  ce  même 
Verbe.  0  vue ,  ô  vie ,  ô  félicité  I  c'est  ainsi  que 
vivent  les  bienheureux  :  Ut  sint  unum  sicut  et 
nos. 

Mais  nous  qui  languissons  ici-bas  dans  ce  mi- 
sérable pèlerinage,  vivons-nous  d'une  même  vie 
par  l'intelligence?  Oui,  fidèles ,  n'en  doutez  pas. 
Ce  Fils  de  Dieu,  ce  Verbe  éternel,  cette  vie,  cette 
lumière ,  cette  intelligence ,  qui  éclaire  les  esprits 
bienheureux  ;  qui ,  en  les  éclairant ,  les  fait  vivre 
d'une  vie  divine ,  ne  luit-elle  pas  aussi  en  nos 

'  Jpoc.  \\\,  23. 
»  Joan.  XIV,  9. 


cœurs?  n'est-elle  pas  au  fond  de  nos  âmes,  pour 
y  ouvrir  une  source  de  vie  éternelle?  Voulez- 
vous  entendre  cette  vérité  par  l'action  que  nous 
faisons  en  ce  lieu  :  chrétiens ,  si  nous  l'enten- 
dons, nous  commençons  ici  notre  paradis;  puis- 
que nous  commençons  tous  ensemble  à  vivre  de 
cette  parole  vivante  qui  nourrit  et  qui  fait  vivre 
tous  les  bienheureux.  Je  vous  prêche  cette  parole 
selon  que  je  puis ,  selon  que  le  Saint-Esprit  me 
l'a  enseignée  :  je  la  fais  retentir  à  vos  oreilles; 
puis-je  la  porter  au  fond  de  vos  cœurs?  Nulle- 
ment; ce  n'est  pas  un  ouvrage  humain.  Si  vous 
l'entendez  et  si  vous  l'aimez,  c'est  le  Fils  de  Dieu 
qui  vous  parle,  c'est  lui  qui  vous  prêche  sans 
bruit  dans  cette  profonde  retraite ,  dans  cet  inac- 
cessible secret  de  vos  cœurs ,  où  il  n'y  a  que  sa 
parole  et  sa  voix  qui  soit  capable  de  pénétrer  : 
si  vous  l'entendez ,  vous  vivez ,  et  vous  vivez  en 
ce  même  Verbe  dans  lequel  les  bienheureux  vi- 
vent ;  vous  vivez  en  lui ,  vous  vivez  de  lui ,  et 
vous  vivez  tous  d'une  même  vie ,  parce  que  vous 
buvez  tous  ensemble  à  la  même  source  de  vie. 
0  sainte  unité  des  fidèles!   mon  Père,  qu'ils 
soient  un  comme  nous  dans  la  vie  de  l'intelli- 
gence.  Chrétiens,  si    nous   vivons  tous  de  ce 
Verbe,  [soyons  étroitement  unis  par  la  charité.] 
0  sainte  et  admirable  doctrine  !  vivons  de  telle 
sorte ,  fidèles,  qu'elle  ne  soit  point  stérile  en  nos 
cœurs,  et  ne  rendons  point  inutiles  tant  de  grands 
mystères.  Si  le  Saint-Esprit  est  en  nous,  s'il  y 
opère  la  charité,  s'il  la  fait  semblable  à  lui-mèrce, 
élevons  nos  entendements ,  et  apprenons  dans  le 
Saint-Esprit  quelles  doivent  être  les  lois  de  notre 
charité  mutuelle.  Le  Saint-Esprit  est  un  amour 
pur ,  qui  ne  souffre  aucun  mélange  terrestre; 
ainsi,  mes  frères,  aimons-nous  en  Dieu,  pour 
accomplir  la  parole  de  notre  Maître  :  -  Père  saint, 
'<  qu'ils  soient  un  en  nous.  »  Le  Saint-Esprit  est 
un  amour  constant,  parce  que  c'est  un  amour 
éternel  ;  ainsi ,  que  notre  affection  soft  constante, 
que  jamais  elle  ne  puisse  être  refroidie,  selon 
cette  parole  de  l'Écriture  :  Demeurez  en  la  cha- 
rité'. Le  Saint-Esprit  est  un  amour   sincère; 
parce  qu'il  procède  du  fond  du  cœur ,  du  fond 
même  de  l'essence  :  ainsi ,  que  notre  charité  soit 
sincère ,  qu'elle  ne  souffre  ni  feinte ,  ni  dissimu- 
lation ;  parce  que  l'apôtre  saint  Paul  a  dit  :  «  Ne 
n  vous  trompez  point  les  uns  les  autres  ;  car  vous 
«  êtes  membres  les  uns  des  autres  *.  »  Enfin  le 
Saint-Esprit  est  un  amour  désintéressé,  parce 
que  ce  qui  fait  l'intérêt  c'est  ce  malheureux  mot 
de  mien  et  de  tien  ;  et  d'autant  que  tout  est  com- 
mun entre  le  Père  et  le  Fils,  leur  amour  est 


•  Hebr.  xiii,  I. 

*  £fhts.  iv,  36. 


■Si! 


SUR  LA  GLOIRK  DE  DIEU 


ianniment  désintéressé  :  ainsi  considérons ,  chré- 
tiens, que  tout  est  commun  entre  les  fidèles,  et 
épurons  tellement  nos  affections ,  qu'elles  soient 
entièrement  désintéressées  :  Ut  sint  unum  sicut 
et  nos. 

Certes ,  mes  frères ,  si  le  Fils  de  Dieu  s'était 
contenté  de  nous  dire  qu'il  veut  que  nous  soyons 
\\\\  comme  frères,  nous  devrions  respecter,  les 
uns  dans  les  autres,  ce  nom  sacré  de  sœurs  et  de 
l'rèi-es ,  et  le  nœud  de  la  société  fraternelle.  S'il 
nous  avait  ordonné  simplement  de  vivre  dans 
une  mutuelle  coiTCspondance ,  comme  des  j^er- 
sonnes  qui  sont  enrôlées  dans  un  même  corps  de 
milice,  sous  l'étendard  de  sa  sainte  croix;  nous 
devrions  rougir  de  honte  de  n'être  pas  tous  unis 
ensemble  sous  les  ordres  d'un  si  divin  capitaine. 
S'il  nous  avait  dit  seulement  que  nous  sommes 
membres  d'un  même  corps ,  nous  devrions  médi- 
ter jour  et  nuit  cette  parole  du  saint  apôtre  : 
«  Quand  une  partie  de  notre  coTps  souffre ,  toutes 
«  les  autres  y  compatissent  ' .  »  Mais  puisqu'il  passe 
au-dessus  des  cieux  et  de  toutes  les  intelligences , 
et  qu'il  nous  donne  pour  modèle  de  notre  unité 
l'unité  même  du  Père  et  du  Fils  :  qui  pourrait  nous 
exprimer,  chrétiens,  quelle  doit  [être]  notre 
union  ;  et  combien  nous  nous  rendrons  criminels 
si  nous  rompons  le  sacré  lien  de  la  charité  frater- 
nelle qui  doit  être  réglée  sur  ce  grand  exemple? 

Mais  comme  si  c'était  peu  de  chose  de  proposer 
à  tous  les  fidèles  le  plus  grand  de  tous  les  mystè- 
res, pour  être  le  modèle  de  leur  unité;  il  scelle 
encore  cette  unité  sainte  par  un  autre  mystère 
incompréhensible,  qui  est  le  mystère  de  l'eucha- 
ristie. Nous  venons  tous  à  la  même  table ,  nous 
y  prenons  ce  même  pain  de  vie  qui  est  le  pain  de 
communion ,  le  pain  de  charité  et  de  paix  ;  nous 
jurons  sur  les  saints  autels,  nous  scellons  par  le 
sang  de  notre  Sauveur  notre  confédération  mu- 
tuelle :  cependant,  ô  sacrilège  exécrable!  nous 
manquons  tous  les  jours  à  la  foi  promise,  et  nous 
ne  laissons  pas  d'avoir  toujours ,  et  la  médisance 
à  la  bouche ,  et  l'envie  ou  l'aversion  dans  le  cœur. 
Le  Sauveur  nous  dit  dans  son  Évangile  :  «  En  cela 
«  on  reconnaîtra  que  vous  êtes  vraiment  mes  dis- 
«  ciples ,  si  vous  avez  une  charité  sincère  les  uns 
'<  pour  les  autres  *  ;  »  et  il  prie  ainsi  Dieu  son  Père  : 
«  Je  vous  demande  qu'ils  soient  consommés  en 
«  un;  afin  que  le  monde  sache  que  c'est  vous  qui 
«  m'avez  envoyé  ^.  » 

0  damnable  infidélité  de  ceux  qui  se  glorifient 
du  nom  chrétien!  les  chrétiens  se  détruisent  eux- 
mêmes  ;  toute  l'Église  est  ensanglantéedu  meurtre 
de  ses  enfants ,  que  ses  enfants  propres  massa- 

»  I.  Cor.  XII,  26. 
'  Joan.  XIII ,  35. 
»  Ihid.  XVII,  21,23. 


crent  :  et  comme  si  tant  de  guerres  et  tant  de  caf- 
nages  n  étaient  pas  capables  de  rassasier  notre  im- 
pitoyable inhumanité,  nous  nous  déchirons  dans 
les  mêmes  villes ,  dans  les  mêmes  maisons,  sous 
les  mêmes  toits,  par  des  inimitiés  irréconciliables. 
Nous  demandons  tous  les  jours  la  paix,  et  nous- 
mêmes  nous  faisons  la  guerre.  Car  d'où  viennent 
tant  d'envies ,  tant  de  médisances ,  tant  de  que- 
relles et. tant  de  procès?  Les  parents  s'animent 
contre  les  parents,  et  les  frères  contre  les  frères, 
avec  une  fureur  implacable  ;  on  emploie  et  les 
médisances  et  les  calomnies,  et  la  tromperie  et  la 
fraude  :  la  candeur  et  la  bonne  foi  ne  se  trouvent 
plus  parmi  nous  ;  toutes  les  rues ,  toutes  les  pla- 
ces ,  tous  les  cabinets  retentissent  du  bruit  des 
procès  :  infidèles  si  féconds  en  chicanerie ,  que 
nous  sommes;  tant  nous  avons  oublié  le  chris- 
tianisme ,  tant  nous  méprisons  l'Évangile  qui  est 
une  discipline  de  paix!  Cependant  nous  souhai- 
tons la  paix,  nous  avons  sans  cesse  la  paix  à  la 
bouche  :  et  nous  faisons  régner  par  nos  dissen- 
sions le  diable ,  qui  est  l'auteur  des  discordes,  et 
nous  chassons  l'Esprit  pacifique,  c'est- à-dh-e , 
l'Esprit  de  Dieu.  Que  si  vous  avez  voulu,  mon 
Sauveur,  que  la  sainte  union  des  fidèles  fûtla  mar- 
que de  votre  venue;  que  font  maintenant  tous  les 
chrétiens,  sinon  publier  hautement  que  votre 
Père  ne  vous  a  pas  envoyé,  et  que  f  Évangile  est 
une  chimère ,  et  que  tous  vos  mystères  sontwutant 
de  fables? 


•••••«•• 


SERMON 


LE  TROISIÈME  DIMANCHE  APRÈS  LA  PENTECOTE. 

Grandeur  de  la  cliarilé  des  saints  anges  pour  les  hommes. 
Pourquoi  se  réjouissent-ils  si  fort  dans  la  conversion  des  pé- 
cheurs. Trois  effets  de  la  miséricorde  divine  à  l'égard  de  l'àme 
pécheresse.  Double  unité  dans  l'Église  :  l'une  extérieure,  qui 
est  liée  par  les  sacrements;  l'autre  invisible  et  spirituelle, 
formée  par  la  charité.  Comment  les  pécheurs  séparés  de  celle 
unité  commencent  leur  enfer  même  sur  la  terre.  Quels  sont 
les  dignes  fruits  de  pénitence.  De  quelle  manière  le  pécheur, 
sincèrement  touché ,  s'accuse ,  se  condamne  et  se  punit. 


Dico  vobis  quod  ita  gaudium  erit  in  fcelo  super  une  pec  • 
catore  pœnitentiam  agente ,  quain  super  nonaginla  no» 
vem  juslis  qui  non  indigent  pœnilenlia. 

Je  vous  dis  qu'il  y  aura  plus  de  joie  au  ciel  devant  les 
anges  de  Dieu  sur  un  pécheur  faisant  pénitence ,  que 
sur  quatre-vingt-dix-neuf  jiistes  qtU  n'»ntpas  besoin 
de  pénitence.  Luc.  xv,  7. 

Si  quelqu'un  n'a  pas  encore  assez  entendu  com- 
bien est  grande  la  charité  des  saints  anges  pour 
les  misérables  mortels ,  qu'il  considère  en  notre 
évangile  les  aimables  paroles  du  Sauveur  des 
âmes  :  par  lesquelles  il  nous  apprend,  que  la 


DANS  LA  CONVERSION  DES  PÉCHEURS. 


37 


conversion  des  pécheurs  réjouit  tous  les  esprits 
bienheureux  ;  et  qu'encore  que  Dieu  les  enivre  du 
torrent  de  ses  éternelles  délices ,  néanmoins  ils 
sentent  augmenter  leur  joie  quand  nous  sommes 
renouvelés  par  la  pénitence.  Nous  lisons  dans  les 
Écritures  '  :  qu'autrefois  les  esprits  célestes  se 
déclarèrent  visiblement  contre  nous,  lorsqu'un 
chérubin ,  envoyé  de  Dieu  avec  une  forme  ter- 
rible ,  tenant  en  sa  main  un  glaive  de  feu ,  gar- 
dait la  porte  du  paradis,  pour  épouvanter  nos 
parents  rebelles  ,  et  leur  interdire  l'entrée  de  ce 
jardin  délicieux  quils  avaient  déshonoré  par  leur 
eri:ne.  Mais  après  la  naissance  de  ce  Sauveur, 
(jui  nous  a  réconciliés  par  son  sang;  vous  n'i- 
gnorez pas,  chrétiens,  que  ces  bienheureuses  in- 
telligences, qui  nous  avaient  déclaré  la  guerre, 
nous  vinrent  aussi  annoncer  la  paix  :  «  Que  la 
«  paix,  disent-ils  ' ,  soit  donnée  aux  hommes,  »  et, 
depuis  cette  salutaire  journée ,  nous  leur  sommes 
devenus  si  chers,  que  Jésus-Christ  nous  ensei- 
gne, dans  notre  évangile,  qu'ils  préfèrent  nos 
intérêts  aux  leurs  propres.  C'est  ce  que  vous  re- 
marquerez aisément,  si  vous  pénétrez  le  sens  des 
paroles  que  j'ai  alléguées  pour  mon  texte.  «  Les 
«  anges ,  dit  le  Fils  de  Dieu ,  se  réjouissent  plus  de 
"  !a  conversion  d'un  pécheur,  que  de  la  persévé- 
«  rance  de  quatre-vingt-dix-neuf  justes  qui  n'ont 
«  pas  besoin  de  pénitence.  «  Je  demande  quels 
sont  ces  justes  auxquels  le  Sauveur  ne  craint 
pas  de  dire  que  la  pénitence  n'est  pas  nécessaire. 
Certes,  nous  ne  les  trouverons  pas  sur  la  terre; 
puisque,  tous  les  hommes  étant  pécheurs,  ce  se- 
rait une  témérité  inouïe  que  d'assurer  qu'ils  n'ont 
pas  besoin  du  remède  de  la  pénitence.  «  Si  quel- 
«  qu'un  dit  qu'il  ne  pèche  pas ,  i!  se  trompe ,  et  la 
«  vérité  n'est  pas  en  lui ,  «  dit  le  disciple  bien-aimé 
de  notre  Sauveur'. 

Où  chercherons-nous  donc ,  chrétiens ,  cette 
innocence  si  pure  et  si  achevée,  quelle  n'a  pas 
besoin  de  la  pénitence?  Sans  doute,  puisqu'elle 
est  bannie  du  milieu  des  hommes ,  elle  ne  se  peut 
rencontrer  que  parmi  les  anges ,  qui ,  détestant  la 
rébellion  et  l'audace  de  Satan  et  de  ses  complices, 
demeurèrent  immuablement  dans  le  lieu  ou  Dieu 
les  avait  établis  dès  leur  origine.  Vous  êtes  les 
seuls,  ô  esprits  célestes,  parmi  toutes  les  créa- 
tures ,  qui  jamais  n'avez  été  souillés  par  aucun 
péché;  vous  êtes  ces  justes  de  notre  évangile, 
auxquels  la  pénitence  n'est  pas  nécessaire  :  et 
ainsi  lorsque  notre  Sauveur  nous  apprend  que 
vous  recevez  une  joie  plus  grande  de  la  conver- 
sion des  pécheurs ,  que  de  ta  justice  des  inno- 
cents qui  n'ont  pas  besoin  de  se  repentir;  c'est 

'  Gènes.  Il ,  24. 
»  Luf.  il,  H. 
*  I   Jocn.  I ,  ». 


de  même  que  s'il  nous  disait  que  notre  pénitenca 
vous  réjouit  plus  que  votre  propre  persévérance. 
Merveilleuse  vertu  de  la  pénitence,  qui  oblige  tou» 
les  saints  anges  à  nous  préférer  a  eux-mêmes; 
qui  répare  si  glorieusement  les  ruines  des  plus 
grands  pécheurs ,  qu'elle  les  met  en  quelque  sorte 
au-dessus  des  justes,  et  qui  fait  que  la  justice  ren- 
due a  quelque  avantage  au-dessus  de  la  justice 
toujours  conservée  !  Car  puisque  ces  intelligences 
célestes ,  qui  goûtent  le  vrai  bien  dans  sa  source, 
ne  peuvent  avoir  de  ces  joies  déréglées  que  l'opi- 
nion fait  naître  en  nos  âmes ,  ne  voyez-vous  pas , 
chrétiens,  qu'elles  ne  se  peuvent  réjouir  que  du 
bien?  Et  donc,  si  leur  joie  est  plus  abondante, 
ne  faut-il  pas  conclure  nécessairement  qu'il  leur 
paraît  quelque  bien  plus  considérable,  d'autant 
plus  que  c'est  le  Sauveur  lui-même  qui  les  excite 
par  son  exemple  à  cette  sainte  et  divine  joie? 

En  effet,  ne  voyez- vous  pas  qu'il  se  présente 
à  nous  dans  notre  évangile  sous  la  figure  de  ce 
berger  «  qui  laisse  tous  ses  troupeaux  au  désert 
«  pour  chercher  une  brebis  égarée  ;  qui  l'ayant 
'<  trouvée  au  milieu  des  bois ,  seule  et  tremblante 
«  d'effroi ,  la  rapporte  sur  ses  épaules ,  et  appe- 
«  lant  ses  amis  et  ses  proches  :  Réjouissez-vous 
«■  avec  moi ,  dit-il ,  de  ce  que  j'ai  rencontré  ma 
«  brebis  perdue  '  ?  "De  sorte  que  les  anges  et  le 
Sauveur  même  se  réjouissant  plus  d'un  pécheur 
sauvé,  que  d'un  juste  qui  persévère,  il  paraît 
que  l'innocence  recouvrée  a  quelque  chose  de 
plus  agréable  que  l'innocence  continuée.  Réjouis- 
sons-nous, pécheurs  misérables  ;  admirons  la  force 
de  la  pénitence,  qui  nous  rend  avec  avantage  ce 
que  notre  péché  nous  avait  fait  perdre  :  et  pour 
exciter  en  nos  cœurs  les  saints  gémissements  de 
la  pénitence ,  recherchons  les  véritables  raisons 
de  cette  vérité  si  satisfaisante  que  Jésus-Christ 
nous  enseigne  dans  son  Evangile. 

Si  je  n'avais  qu'à  vous  parler  d'une  joie  hur 
maine,  je  me  contenterais  de  vous  dire  :  que 
nous  expérimentons  tous  les  jours  une  certaine 
douceur  plus  sensible  à  rentrer  dans  la  possession 
de  nos  biens,  qu'à  nous  maintenir  dans  la  jouis- 
sance :  nous  goûtons  la  santé  par  la  maladie;  et 
la  perte  de  nos  amis  nous  apprend  combien  ils 
nous  étaient  nécessaires  :  car  l'accoutumance  nous 
ôte  ce  qu'il  y  a  de  plus  vif  dans  le  sentiment;  et 
notre  jugement  est  si  faible ,  que  ne  pouvant  pé- 
nétrer les  choses  en  elles-mêmes,  il  ne  les  recon- 
naît jamais  mieux  que  parieurs  contraires  :  telle- 
ment que  cet  excès  de  joie  que  nous  ressentons 
lorsque  nous  pouvons  réparer  nos  pertes ,  vient 
presque  toujours  de  notre  faiblesse.  ^lais  à  Dieu 
ne  plaise  que  nous  croyioas  qu'il  en  soit  ainsi  de 

'  Lhc.  xT,  i  <:l  suiv. 


88 


SUR  LA  GLOIRE  DE  DIEU 


Iti  joie  des  anges  et  de  celle  du  Fils  de  Dieu  même, 
dont  nous  devons  aujourd'hui  expliquer  les  cau- 
ses :  il  faut  prendre  des  principes  plus  relevés , 
si  nous  voulons  pénétrer  de  si  grands  mystères. 
Entrons  en  matière,  et  disons  :  Tout  le  motif  de 
la  joie  du  Fils,  c'est  la  gloire  de  Dieu  son  Père; 
tout  le  motif  de  la  joie  des  anges,  c'est  la  gloire 
de  leur  Créateur  :  si  donc  ils  se  réjouissent  si  fort 
dans  la  conversion  des  pécheurs,  c'est  que  la 
gloire  de  Dieu  y  paraît  avec  plus  de  magnificence. 
Prouvons  solidement  cette  vérité. 

La  gloire  de  Dieu  éclate  singulièrement  dans 
les  natures  intelligentes  par  sa  miséricorde  et  par 
sa  justice  :  sa  Providence ,  son  immensité ,  sa 
toute-puissance  paraissent  dans  les  créatures  ina- 
nimées ;  mais  il  n'y  a  que  les  raisonnables  qui 
puissent  ressentir  les  effets  de  sa  miséricorde  et 
de  sa  justice ,  et  ce  sont  ces  deux  attributs  qui 
établissent  sa  gloire  et  son  règne  sur  les  natures 
intelligentes.  C'est  par  la  miséricorde  et  par  la 
justice  que  les  anges  et  les  hommes  sont  sujets  à 
Dieu  :  la  miséricorde  règne  sur  les  bons,  la  justice, 
sur  les  criminels;  l'une  par  la  communication  de 
ses  dons ,  l'autre  par  la  sévérité  de  ses  lois  ;  Tune 
par  douceur,  et  l'autre  par  force;  l'une  se  fait 
aimer,  Tautre  se  fait  craindre  ;  l'une  attire,  et  l'au- 
tre reprime  ;  l'une  récompense  la  fidélité,  l'autre 
venge  la  rébellion  :  si  bien  que  la  miséricorde  et 
la  justice  sont  en  quelque  sorte  les  deux  mains  de 
Dieu ,  dont  l'une  donne  et  l'autre  châtie  :  ce  sont 
les  deux  colonnes  qui  soutiennent  la  majesté  de 
son  règne;  Tune  élève  les  innocents,  l'autre  ac- 
cable les  criminels,  afin  que  Dieu  domine  sur  les 
uns  et  sur  les  autres  avec  une  égale  puissance. 
C'est  pourquoi  le  pi-ophète  chante  :  «  Toutes  les 
«  voies  du  Seigneur  sont  miséricorde  et  vérité';  » 
c'est-à-dire,  miséricorde  et  justice,  selon  l'inter- 
prétation des  docteurs  :  d'autant  que  la  justice  de 
Dieu  c'^estsa  vérité  ;  parce  que,  comme  dit  le  grand 
saint  Thomas»,  c'est  à  cause  de  sa  vérité  qu'il 
est  la  loi  éternelle  et  qu'il  est  la  loi  immuable  qui 
règle  toutes  les  créatures  intelhgentes.  Que  si 
toutes  les  voies  du  Seigneur  sont  miséricorde  et 
justice,  si  ce  sont  ces  deux  divins  attributs  qui 
établissent  sa  gloire  et  son  règne;  je  ne  m'étonne 
plus ,  ô  saints  anges ,  de  ce  que  la  pénitence  vous 
comble  de  joie  :  c'est  que  vousy  voyez  éclater  ma- 
gnifiquement la  gloire  de  Dieu  votre  créateur  par 
sa  miséricorde  et  par  sa  justice;  la  miséricorde , 
dans  la  conversion  ;  la  justice ,  dans  la  satisfac- 
tion ;  la  première ,  dans  la  rémission  des  péchés; 
la  seconde ,  dans  les  gémissements  des  pécheurs, 

PBEMIEB    POINT. 

Pour  entrer  d'abord  en  matière ,  je  remarquerai 

'   Ps.  XXIV,  10. 

»  I.  2.  Quœst.  xciu,  art.  ii. 


dans  notre  évangile  trois  effets  de  la  miséri- 
corde divine  dans  la  conversion  des  péciieurs  : 
Dieu  les  cherche.  Dieu  les  trouve ,  Dieu  les  rap- 
porte; c'est  ce  que  nous  lisons  clairement  dans 
la  parabole  de  notre  Évangile  :  «  Le  bon  berger, 
«  dit  le  Fils  de  Dieu ,  va  après  sa  brebis  perdue ,  >• 
vadit  ad  illam  quœ  perierat,  «  et  il  va  jusqu'à 
«  ce  qu'il  la  trouve ,  »  donec  inventât  eam  '  ;  «  et 
«  après  qu'il  l'a  retrouvée,  il  la  charge  sur  ses 
'<  épaules.  »  C'est  la  véritable  figure  du  Sauveur 
des  âmes  ;  il  cherche  charitablement  les  pécheurs , 
suivant  ce  qu'il  dit  dans  son  Évangile  :  «  Le  Fils 
«  de  l'homme  est  venu  chercher  ce  qui  était 
«  perdu'.  »  Il  les  trouve  par  la  vertu  de  sa  grâce  : 
«  car  il  est  ce  Samaritain  miséricordieux  qui  trou- 
«  vaut  eu  son  chemin  le  pauvre  blessé,  est  touché 
«  de  miséricorde,  et  s'approehe,  et  ne  dédaigne 
«  pas  de  lier  ses  plaies,  »  etalligavil  ruinera 
ejus  ^.  Enfin  il  les  porte  sur  ses  épaules  ;  parce  que 
c'est  lui  dont  il  est  écrit  :  «  Vraiment  il  a  porté  nos 
«  langueurs  :  »  Vere  lam/uores  nostrns  ipse  tu- 
Ut^.  Or  cette  triple  miséricorde  répond  à  la  triple 
misère  en  laquelle  est  précipitée  l'âme  péche- 
resse. Elles' écarte, elle  fuit,  elleperd  ses  forces,  et 
devient  entièrement  impuissante  :  elle  s'éloigne 
du  bon  Pasteur,  et,  s'en  éloignant,  elle  ne  connaît 
plus  son  visage  ;  tellement  que ,  lorsqu'il  appro- 
che ,  elle  fuit,  et  fuyant  elle  se  fatigue  et  tombe 
dans  une  extrême  impuissance.  Mais  le  Pasteur 
infiniment  bon ,  qui  ne  se  plaît  qu'à  sauver  les 
âmes ,  oppose  charitablement  à  ces  trois  misères 
trois  effets  merveilleux  de  miséricorde  :  car  il 
cherche  sa  brebis  éloignée  ;  il  trouve  et  il  atteint 
sa  brebis  fuyante;  il  rapporte  sur  ses  épaules 
cette  pauvre  brebis  épuisée  de  forces.  Apprenons 
ici  à  connaître  la  miséricorde  du  Pasteur  fidèle, 
qui  nous  a  sauvés  au  péril  de  sa  propre  vie. 

Et  premièrement  remarquons  ce  qui  est  écrit 
dans  notre  évangile ,  que  la  brebis  que  le  Sau- 
veur cherche  n'est  plus  en  la  compagnie  de  tout 
le  troupeau;  par  conséquent  elle  est  séparée  : 
mais  entendons  le  sens  de  cette  parole.  Le  trou- 
peau du  Fils  de  Dieu,  c'est  l'Église  ;  et  celui  qui 
est  séparé  du  troupeau  semble  être  hors  de  la 
vraie  Église.  Dirons-nous  que  le  Fils  de  Dieu  ne 
parle  en  ce  lieu  que  des  hérétiques  qui  ont  rompu 
le  lien  d'unité?  Mais  la  suite  de  notre  évangile 
réfutera  manifestement  cette  explication  ;  puisque 
Jésus-Christ  nous  fait  bien  entendre  qu'il  parle 
généralement  de  tous  les  pécheurs,  parce  qu'il 
veut  encourager  tous  les  pénitents.  Mais  pourrons- 
nous  dire ,  fidèles,  que  tous  les  pécheurs  sont  sé- 

'  Luc.  XT,  4. 
»  Ibid.  XIX ,  10. 
»  Ibid.  X ,  34. 
'  li.  LUI ,  1 


DAISS  LA  CONVERSION  DES  PECHEURS. 


4» 


parcs  (lu  sacré  troupeau  et  de  la  communion  de  l'É- 
plise?  Nullement;  il  n'en  est  pas  de  la  sorte  :  c'est 
l'erreur  de  Calvin  et  des  calvinistes  ,  contre  la- 
quelle le  Fils  de  Dieu  nous  a  dit  qu'il  y  a  de  l'i- 
vraie même  dans  son  champ ,  qu'il  y  a  du  scandale 
même  en  sa  maison ,  qu'il  y  a  de  mauvais  poissons 
même  en  ses  filets  '.  Mais  d'où  vient ,  direz-vous , 
que  notre  Sauveur  nous  figurant  tous  les  pécheurs 
en  notre  évangile,  les  représente  comme  séparés 
du  troupeau?  Entrons  en  sa  pensée,  et  disons 
avec  l'incomparable  saint  Augustin  :  «  Il  y  en  a 
«  qui  sont  dans  la  maison  de  Dieu ,  et  qui  ne  sont 
«  pas  la  maison  de  Dieu?  il  y  en  a  qui  sont  dans 
«  la  maison  de  Dieu ,  et  qui  sont  eux-mêmes  la 
«  maison  de  Dieu ,  »  alios  ita  esse  in  doino  Dei , 
ut  ipsieliam  sint  eadem  domus  Dei^.  Expli- 
quons la  doctrine  de  ce  grand  évêque. 

Les  justes  sont  en  la  maison  de  Dieu ,  et  ils  sont 
eux-mêmes  la  maison  de  Dieu ,  selon  ce  que  dit  le 
prophète  :  «  J'habiterai  au  milieu  de  vous^  ;  »  et 
l'apôtre  :  «  Ne  savez-vous  pas  que  vous  êtes  les 
n  temples  de  l'Esprit  de  Dieu  ^  ?  »  Mais  les  méchants 
qui  sont  en  l'Église ,  qui  est  la  maison  que  Dieu 
a  choisie,  ne  sont  pas  la  maison  choisie  :  Dieu 
n'habite  pas  en  leurs  cœurs  ;  ils  ne  sont  pas  les 
pierres  vivantes  de  ce  miraculeux  édifice,  dont 
les  fondements  sont  posés  en  terre ,  et  dont  le 
sommet  égale  les  cieux  :  «  Ils  sont  dans  l'Église , 
«  dit  saint  Augustin  %  comme  la  paille  est  dans  le 
«  îroment^y sicut esse paleadicitur in frumentis ; 
«  parce  que  encore  qu'ils  soient  liés  par  les  sacre- 
«  ments ,  néanmoins  ils  sont  séparés  de  cette  in- 
«  visible  unité  qui  est  assemblée  par  la  charité  :  » 
cum  intus  videantur,  ab  illa  invisibili  charitatis 
compaye  separuti  sunt.  «  En  effet ,  ajoute  saint 
«  Augustin,  il  y  en  a  qu'on  doit  dire  être  dans  la  mai- 
«  son  de  telle  manière,  qu'ils  n'appartiennent  pas 
«  à  ce  qui  en  fait  la  liaison,  ni  à  la  société  de  cette 
«  justice  qui  produit  des  fruits  de  paix  ;  mais  ils 
«  y  sont  comme  on  dit  que  la  paille  se  trouve  avec 
«  le  firoment  :  car  nous  ne  pouvons  nier  qu'ils 
«  soient  dans  la  maison ,  l'apôtre  nous  disant  que 
«  dans  une  grande  maison ,  il  y  a  non-seulement 
«  des  vases  d'or  et  d'argent,  mais  aussi  de  bois  et  de 
«  terre;  et  que  les  uns  sont  pour  des  usages  hon- 
«  nêtes ,  les  autres  pour  des  usages  honteux  :  « 
alios  ita  dici  esse  in  domo,  ut  non  pertineant 
ad compagem  domus,  nec  ad societatemfructi- 
ferœ  pacificœquejustitiœ  ;  sed  sicut  esse  patea 
diciturinfrumentis  :  nam  et  istos  esse  in  domo 
negare  non  possumus,  dicente  apostolo^  :  In 

»  Matth.  Xiri,  29,  41  ,  48. 

>  De.  Bapt.  cont.  Donat.  lib.  VII ,  n»  99 ,  t.  ix  ,  col.  20o. 

*  II.  Cor.  VI,  IG. 

*  1.  Cor.  m  ,  IG. 

*  Locomox  ci  lato.  COl.  200,  201. 
«  II.  Ttmoth.  II ,  20. 


magna  autem  domo  non  solum  aurea  vasa  iunt 
vel  argentea  y  sed  et  lignea  et  fictilia;  et  alia 
quidem  sunt  in  honorem,  alia  vero  in  contume- 
liam. 

Par  où  nous  voyons  clairement  qu'il  y  a  dou- 
ble unité  dans  l'Église  :  l'une  est  liée  par  les  sa- 
crements qui  nous  sont  communs  ;  en  celle-là  les 
mauvais  y  entrent,  quoiqu'ils  n'y  entrent  qu'à 
leur  condamnation.  Mais  il  y  a  une  autre  unité 
invisible  et  spirituelle ,  qui  joint  les  saints  par  la 
charité,  qui  en  fait  les  membres  vivants  :  à  cette 
paix,  à  cette  unité,  à  cette  concorde,  il  n'y  a 
que  les  justes  qui  y  participent;  les  impies  n'y^. 
ont  point  de  place ,  ils  en  sont  excommuniés.  IL 
y  a  une  arche,  à  la  vérité,  qui  renferme  tous  les 
animaux ,  mondes  et  immondes  ;  il  y  a  un  champ 
qui  porte  le  bon  et  le  mauvais  grain  ;  «  mais  il  y 
«  a  une  colombe  et  une  pai  faite ,  «  qui  ne  reçoit  en 
son  sein  que  les  vrais  fidèles  qui  vivent  en  l'unité 
par  la  charité  :  Una  est  columba  mea,  perfecta 
mea  '.  C'est  pourquoi  le  Sauveur  des  âmes  repré- 
sente tous  les  pécheurs  comme  séparés  du  trou- 
peau ;  parce  qu'ils  sont  exclus,  par  leurs  crimes, 
de  cette  invisible  société  qui  unit  les  brebis  fidèles 
en  la  charité  de  Notre-Seigneur  :  et  pour  vous 
faire  voir,  chrétiens ,  qu'ils  ne  sont  plus  avec  le 
troupeau ,  c'est  que  le  céleste  et  divin  Pasteur  ne 
leur  donne  plus  la  même  pâture.  Dites-moi ,  quel 
est  le  pain  des  fidèles ,  quelle  est  la  nourriture 
des  enfants  de  Dieu?  n'est-ce  pas  le  pain  de  l'eu- 
charistie ,  ce  pain  céleste  et  vivifiant  que  nous  re- 
cevons de  ces  saints  autels?  Cette  sainte  et  divine 
table  est-elle  préparée  aux  impies,  dont  les  con- 
sciences sont  infectées  de  péchés  mortels?  Nulle- 
ment ;  ils  en  sont  exclus  :  s'ils  sont  si  téméraires 
que  d'en  approcher ,  ils  y  prendront  un  poison 
mortel ,  au  lieu  d'une  viande  d'immortalité. 

Reconnais  donc,  pécheur  misérable,  que  tu 
es  séparé  du  troupeau  fidèle ,  puisque  tu  es  privé 
de  la  nourriture  que  le  vrai  Pasteur  lui  a  destinée  ; 
et  ne  me  réponds  pas  :  Je  suis  de  l'Église,  je  de- 
meure en  ce  corps  mystique.  Car  que  sert  au  bras 
gangrené  de  tenir  encore  au  reste  du  corps  par 
quelques  nerfs  qui  n'ont  plus  de  force?  que  lui 
sert ,  dis-je ,  de  tenir  au  corps  ;  puisqu'il  est  si 
fort  éloigné  du  cœur,  qu'il  ne  peut  plus  en  rece- 
voir aucune  influence  ?  quelque  union  qui  paraisse 
au  dehors,  il  y  une  prodigieuse  distance  entre  la 
partie  vivante  et  la  partie  morte.  Il  en  est  de  même 
de  toi ,  ô  pécheur  !  il  ne  te  sert  de  rien  d'être  dans 
le  corps ,  pu isque  tu  es  entièrement  sépa ré  du  cœur. 
Le  cœur  de  l'Église,  c'est  la  charité  :  c'est  là  qu'est 
le  principe  de  vie;  c'est  de  là  que  se  répand  la 
chaleur  vitale  :  si  bien  que ,  n'étant  pas  en  la  clia> 

>  Ca«r.  VI,  8 


40 


SUR  LA  GLOIRE  DE  DIEU 


rite;  bien  qu'il  te  soit  permis  d'entrer  au  deliors, 
tu  es  excommunié  du  dedans.  Ne  me  vante 
point  ta  foi,  qui  est  morte;  ne  me  dis  pas  que  tu 
f  assembles  avec  les  fidèles  :  les  hommes  t'y  re- 
çoivent, mais  Dieu  t'en  sépare  :  le  corps  s'en  ap- 
proche ,  il  est  vrai;  mais  l'âme  en  est  infiniment 
éloignée  :  la  vie  et  la  mort  ne  s'accordent  pas. 
Considère  donc,  misérable,  combien  tu  es  loin 
des  membres  vivants,  puisqu'il  est  certain  que  tu 
perds  la  vie.  C'est  pour  cette  raison  que  le  Fils 
de  Dieu  les  représente ,  dans  la  parabole  de  notre 
évangile,  comme  exclus,  comme  excommuniés 
du  troupeau  ;  parce  qu'étant  des  membres  pour- 
ris ,  ils  ne  participent  point  à  la  vie  :  c'est  pour- 
quoi le  pain  de  vie  leur  est  refusé  ;  c'est  pourquoi 
ils  sont  séparés  du  banquet  céleste ,  qui  est  la  vie 
du  peuple  fidèle.  D'où  passant  plus  outre,  je  dis 
qu'étantséparésdecette  unité  ils  commencent  leur 
enfer  môme  sur  la  terre ,  et  que  leurs  crimes  les 
y  font  descendre  :  car  ne  nous  imaginons  pas  que 
l'enfer  consiste  dans  ces  épouvantables  tourments, 
dans  ces  étangs  de  feu  et  de  soufre ,  dans  ces  flam- 
mes éternellement  dévorantes ,  dans  cette  rage , 
dans  ce  désespoir,  dans  cet  horrible  grincement 
de  dents.  L'enfer,  si  nous  l'entendons,  c'est  le 
péché  même  ;  l'enfer,  c'est  d'être  éloigné  de  Dieu  : 
et  la  preuve  en  est  évidente  par  les  Écritures. 

Job  nous  représente  l'enfer  en  ces  mots  :  «  C'est 
«  un  lieu,  dit-il,  où  il  n'y  a  nul  ordre  ;  mais  une 
«  Ivorreur  perpétuelle  '  :  «  de  sorte  que  l'enfer  c'est 
le  désordre  et  la  confusion.  Or  le  désordre  n'est 
pas  dans  la  peine  :  au  contraire ,  j'apprends  de 
saint  Augustin»,  que  la  peine  c'est  l'oi'dre  du 
crime.  Quand  je  dis  péché,  je  dis  le  désordre  ; 
parce  que  j'exprime  la  rébellion  :  quand  je  dis 
péché  puni ,  je  dis  une  chose  très-bien  ordonnée  ; 
car  c'est  un  ordre  très-équitable  que  l'iniquité  soit 
punie;  d'où  il  s'ensuit  invinciblement  que  ce  qui 
fait  la  confusion  dans  l'enfer,  ce  n'est  pas  la  peine, 
mais  le  péché.  Que  si  le  dernier  degré  de  misère , 
ce  qui  fait  la  damnation  et  l'enfer,  c'est  d'être  sé- 
paré de  Dieu ,  qui  est  la  véritable  béatitude;  si , 
d'ailleurs ,  il  est  plus  clair  que  le  jour,  que  c'est 
le  péché  qui  nous  en  sépare  :  comprends ,  ô  pé- 
cheur misérable,  que  tu  portes  ton  enfer  en  toi- 
même  ,  parce  que  tu  y  portes  ton  crime ,  qui  te 
fait  descendre  vivant  en  ces  effroyables  cachots 
où  sont  tourmentées  les  âmes  rebelles.  Car  comme 
l'apôtre  saint  Paul  parlant  des  fidèles  qui  vivent 
en  Dieu  par  la  charité ,  assure  que  «  leur  demeure 
••  est  au  ciel ,  et  leur  conversation  avec  les  an- 
•ges  ^  ;  »  ainsi  nous  pouvons  dire  très-certaine- 
ment que  les  méchants  sont  abîmés  dans  l'enfer, 

'  Job.  \  ,  22. 

'  Ad  Honorât.  Ep.  CXL,  n"  4,  t.  n ,  col.  423. 

'  PhiUpp.  m,  20. 


et  que  teur  conversation  est  avec  les  diables. 
Étrange  séparation  du  pécheur,  qui  trouve  son 
enfer  même  en  cette  vie!  et  n'est-il  pas  juste 
qu'il  trouve  lenfer ,  puisqu'il  est  séparé  du  sacré 
troupeau,  que  la  charité  fait  vivre  en  Notre- 
Seigneur? 

Mais  peut-être  vous  répondrez  que  le  pécheur 
se  peut  relever,  et  que  l'enfer  n'a  point  de  res« 
source.  Ah  !  ne  nous  flattons  point  de  cette  pen- 
sée :  la  blessure  que  fait  le  péché  est  éternelle  et 
irrémédiable.  Mais  Dieu ,  direz-vous ,  y  peut  re- 
médier :  il  le  peut ,  à  cause  qu'il  est  tout-puissant  ; 
ce  qui  n'empêche  pas  que  la  maladie  ne  soit  in- 
curable de  sa  nature.  Concevons  ceci ,  chrétiens  : 
l'orgueilleux  Nabuchodonosor  a  fait  jeter  les 
trois  saints  enfants  dans  la  fournaise  3e  flammes 
ardentes  '  ;  autant  qu'il  est  en  lui,  il  les  a  brûlés, 
encore  que  Dieu  les  ait  rafl*aîehis.  Ainsi ,  lorsque 
nous  commettons  un  péché  mortel,  nous  don- 
nons tellement  la  mort  à  notre  âme,  qu'encore 
que  Dieu  nous  puisse  guérir,  néanmoins  de  notre 
côté  nous  rendons ,  et  noti'e  péché ,  et  notre  dam- 
nation éternels;  parce  que  nous  éteignons  la  vie 
jusqu'à  la  racine.  Il  faut  regarder  ce  que  fait  le 
péché ,  non  ce  que  fait  la  Toute-Puissance.  Qui 
renonce  une  fois  à  Dieu  y  renonce  éternellement  ; 
parce  que  c'est  la  nature  du  péché ,  de  faire ,  au- 
tant qu'il  le  peut ,  une  séparation  étemelle.  C'est 
pourquoi  le  prophète-roi ,  se  considérant  dans  le 
crime ,  se  considère  comme  dans  l'enfer,  à  cause 
de  cette  effroyable  séparation  :  JEstimatus  sum 
cum  àescendentibus  in  lacum  *  :  «  Je  suis,  dit-il, 
«  compté  parmi  ceux  qui  descendent  dans  le  ca- 
«  chot;  »  et  après  :  «  Us  m'ont  mis  dans  le  lac 
«  inférieur,  dans  les  ténèbres,  et  dans  l'ombre  de 
«  la  mort  :  »  Posuerunt  me  in  tacu  inferiori  ^.  Et 
de  là  vient  qu'il  's'écrie  dans  sa  pénitence  :  De 
prof  midis  clamavi  ad  te,  Domine  ^  :  «  Sei- 
«  gneur,  je  crie  à  vous  des  lieux  profonds  ;  »  et 
rendant  grâce  de  sa  délivrance  :  «  Vous  avez, 
«  dit-il,  retiré  mon  âme  de  l'enfer  inférieur  ^.  »- 
C'est  que  ce  saint  homme  avait  bien  conçu  que 
le  péché  est  un  abîme  et  une  prison ,  un  gouffi'e , 
un  cachot ,  un  enfer. 

Dans  ce  cachot  et  dans  cet  abîme  où  nos  cri- 
mes nous  précipitent,  quelle  espérance  aurions- 
nous,  fidèles,  si  Dieu  ne  nous  avait  donné  un 
Libérateur,  qui  étant  venu  au  monde  pour  notre 
salut,  a  bien  voulu  même  aller  aux  enfers  pour 
achever  un  si  grand  ouvrage?  C'est  ce  même  Li- 
bérateur, qui  est  descendu  aux  enfers ,  qui  dai- 
gne descendre  encore  tous  les  jours  dans  l'enfer 

'  D<in.  m,  M. 

^  Ps.  LXXXVII ,  5. 

'  Ibid.  7.  . 

♦  Ibid.cxwx,  1. 

*  Ibid.  LXXXV,  13. 


DANS  LA  CO>VEllSION  DES  rÉCIlElRS. 


A\ 


des coiistfieiH'cs  erîminell-s  :  car,  certes,  vous  y 
descendez,  ô  Sauveur!  loi-sque  vous  faites  luire 
en  nos  âmes,  au  nùlieu  des  ténèbres  où  elles  lan- 
guissent, les  belles  et  éclatantes  lumières  de  vos 
divines  inspii-ations.  C'est  ainsi ,  ô  Pasteur  mi- 
séricordieux !  que  vous  cherchez  voire  brebis 
égarée  :  votre  amour  vous  transporte  à  un  tel 
excès,  que  vous  la  cherchez  jusque  dans  l'enfer; 
parce  que  vous  la  cherchez  jusque  dans  le  crime. 
Figurez-vous  ici,  chrétiens,  quel  fut  le  ravisse- 
ment des  saints  Pères,  lorsqu'ils  virent  leurs  lim- 
bes honorés  de  la  glorieuse  présence  du  Sauveur 
du  monde.  Combien  louèrent-ils  la  miséricorde 
de  ce  Dieu  qui  les  visitait  jusque  dans  ces  lieux 
souterrains,  et  qui  allait,  i)0ur  l'amour  d'eux, 
jusqu'aux  enfers!  Or  sa  miséricorde  est  beaucoup 
[Uus  grande ,  quand  il  va  chercher  les  pécheurs  : 
ilô  sont  dans  un  enfer  plus  obscur,  et  dans  une 
captivité  bien  plus  déplorable,  ^'os  pères,  qui 
étaient  réservés  aux  limbes  jusqu'à  la  venue  du 
Sauveur,  soupiraient  continuellement  après  lui , 
et  pressaient  son  arrivée  par  leurs  vœux  :  au 
cojitraire  les  misérables  pécheui-s ,  dans  cet  enfer 
de  Tiinpiété  où  ils  sont ,  non-seulement  ne  cher- 
chent pas  le  Sauveur,  mais  ils  fuient  sitôt  qu'il 
s'approche;  et  c'est  la  seconde  misère  de  l'âme. 

Kous  sommes  infiniment  éloignés  de  Dieu;  et 
nous  le  fuyons,  quand  il  vient  à  nous.  Compre- 
nons ,  par  un  exemple  sensible ,  combien  est  dan- 
gereuse cette  maladie.  Voyez  un  pauvre  malade, 
faible  et  languissant;  ses  forces  se  dimuiuent 
tous  les  jours  :  il  faudrait  qu'il  prît  quelque  nour- 
riture, pour  soutenir  son  infirmité;  il  ne  peut. 
Je  ne  sais  quelle  humeur  froide  lui  a  causé  un  dé- 
goût si  étrange  :  si  on  lui  présente  une  nourri- 
ture, si  exquise,  si  bien  apprêtée  qu'elle  soit, 
aussitôt  son  cœur  se  soulève  ;  de  sorte  que  nous 
pouvons  dire  que  sa  maladie ,  c'est  une  aversion 
du  remède.  Telle  et  encore  beaucoup  plus  horri- 
ble est  la  maladie  d'un  pécheur.  Il  a  voulu  goû- 
ter, aussi  bien  qu'Adam,  cette  pomme  qui  lui 
paraissait  agréable  :  il  a  voulu  se  rassasier  des 
plaisirs  mortels  ;  et  par  un  juste  jugement  de  Dieu, 
il  a  perdu  tout  le  goût  des  biens  éternels.  Vous 
les  lui  présentez ,  il  en  a  horreur;  vous  lui  mon- 
trez la  terre  promise,  il  retourne  son  cœur  eu 
Egypte  ;  vous  lui  donnez  la  manne ,  elle  lui  sem- 
ble fade  et  sans  goût.  Ainsi  nous  fuyons  malheu- 
reusement le  charitable  Pasteurqui nous  cherche. 

Pécheur,  ne  le  fuis-tu  pas  tous  les  jours?  Main- 
tenant que  tu  entends  sa  sainte  parole ,  peut-être 
que  ce  Pasteur  miséricordieux  te  presse  intérieu- 
rement en  ta  conscience.  Veux-tu  pas  restituer 
ce  bien  mal  acquis?  veux-tu  pas  enfin  mettre 
quelques  bornes  à  cette  vie  débauchée  et  licen- 
cieuse? veux-tu  pas  bannir  de  ton  cœur  l'envie 


qui  le  ronge,  cette  haine  envenimée  qui  l'ea- 
llamme,  ou  cette  amitié  dangereuse  qui  ne  le  flatte 
que  pour  le  perdre?  Écoute,  pécheur,  c'est  Jésus 
qui  te  cherche  ;  et  ton  cœur  répond  à  ce  doux 
Sauveur  :  Je  ne  puis  encore.  Tu  le  remets  de  jour 
en  jour,  demain ,  dans  huit  jours ,  dans  un  mois  ; 
n'est-ce  pas  fuir  celui  qui  te  cherche ,  et  mépri- 
ser sa  miséricorde?  Insensé!  que  l'a  fait  Jésus, 
que  tu  fuis  si  opiniâtrement  sa  douce  présence? 
D'où  vient  que  la  brebis  égarée  ne  reconnaît  plus 
la  voix  du  Pasteur  qui  l'appelle  et  lui  tend  les 
bras,  et  qu'elle  court  follement  au  loup  ravissant 
qui  se  prépare  à  la  dévorer?  Peut-être  tu  répon- 
dras :  Je  ne  puis ,  je  ne  puis  marcher  dans  la  voie 
étroite.  Mais  ne  vois  to  pas,  misérable,  que  Jé- 
sus te  présente  ses  propres  épaules  pour  soulager 
ton  infirmité  et  ton  impuissance?  il  descend  à 
toi,  pour  te  relever;  en  prenant  ton  infirmité,  il 
te  communique  sa  force  :  c'est  le  dernier  excès 
de  miséricorde. 

Comme  notre  âme  est  faite  pour  Dieu ,  il  faut 
qu'elle  prenne  sa  force  en  celui  qui  est  l'auteur 
de  son  être  :  que  si ,  se  détournant  du  souverain 
bien ,  elle  tâche  de  se  rassasier  dans  les  créatu- 
res, elle  devient  languissante  et  exténuée;  à  peu 
près  comme  un  homme  qui  ne  prendrait  que  des 
viandes  qui  ne  seraient  pas  nourrissantes.  De  là 
vient  que  l'enfant  prodigue,  sortant  da  la  mai- 
son paternelle,  ne  trouve  plus  rien  qui  le  rassa- 
sie ;  parce  que  notre  âme  ne  peut  trouver  qu'en 
Dieu  seul  cette  nourriture  solide  qui  est  capable 
de  l'entretenir  :  de  laces  rechutes  fréquentes ,  qui 
sont  les  marques  les  plus  certaines  que  nos  forces 
sont  épuisées.  Que  fera  une  âme  impuissante ,  sî 
Jésus  ne  supporte  son  infirmité?  Aussi  présente- 
t-il  ses  épaules  à  cette  pauvre  brebis  égarée; 
«  parce  que  errant  deçà  et  delà ,  elle  s'était  extrê* 
«  raement  fatiguée  :  "  Multum  enim  errando  la- 
boraverat\  Il  la  cherche,  quand  il  l'invite  par 
ses  saintes  inspirations;  il  la  trouve,  quand  il  la 
change  par  la  vertu  de  sa  grâce  ;  il  la  porte  sur 
ses  épaules,  quand  il  lui  donne  la  persévérance. 

0  miséricorde  ineffable ,  et  digne  certainement 
d'être  célébrée  par  la  joie  de  tous  les  esprits  bien- 
heureux !  La  grandeur  de  Dieu ,  c'est  son  abon- 
dance; par  laquelle  étant  infiniment  plein,  il 
trouve  tout  son  bien  en  lui-même.  Ce  qui  montre 
la  plénitude,  c'est  la  munificence  :  c'est  pour- 
quoi Dieu  se  réjouit  en  voyant  ses  œuvres ,  parce 
qu'il  voit  ses  propres  richesses  et  son  abondance 
dans  la  communication  de  sa  bonté.  Or  il  y  a 
deux  sortes  de  bonté  en  Dieu  :  l'une  ne  rencon- 
tre rien  de  contraireàson  action ,  et  elle  s'appelle 
libéralité;  l'autre  trouve  de  l'opposition,  et  elle 

»  TcrhiU.  d<  Pœnit.  a"  8. 


42 

quand  le  nom  de  miséricorde.  Quaud  Dieu  a  fait 
le  ciel  et  la  terre ,  rien  ne  s'est  opposé  à  sa  vo- 
lonté; quand  Dieu  convertit  les  pécheurs,  il  faut 
qu'il  surmonte  leur  résistance ,  et  qu'il  combatte , 
pour  ainsi  dire ,  sa  propre  justice  en  lui  arrachant 
ses  victimes.  Or  cette  bonté ,  qui  se  roidit  contre 
tant  d'obstacles ,  est  sans  doute  plus  abondante 
que  celle  qui  ne  trouve  point  d'empêchements  à 
ses  bienheureuses  communications  :  c'est  pour- 
quoi Jes  Écritures  divines  disent  que  «  Dieu  est 
«  riche  en  miséricorde  ' ,  »  que  les  richesses  de  sa 
miséricorde  [sont  infinies  et  inépuisables.] 

SECOND  POINT. 

Après  vous  avoir  parlé ,  chrétiens ,  de  la  partie 
la  plus  douce  de  la  pénitence ,  la  suite  de  mon 
évangile  demande  que  je  vous  représente  en  peu 
de  paroles  la  partie  difficile  et  laborieuse.  11  pa- 
raît d'abord  incroyable  que  la  justice  divine  doive 
avoir  sa  place  dans  la  conversion  des  pécheurs  ; 
puisqu'il  semble  qu'elle  se  relâche  de  tous  ses 
droits ,  pour  donner  à  la  seule  miséricorde  toute 
la  gloire  de  cette  action.  Toutefois  écoutons  le 
Sauveur  du  monde,  qui  nous  avertit  dans  notre 
évangile  :  «  Les  anges  se  réjouissent,  dit-il, 
«  sur  un  pécheur  faisant  pénitence.  »  Qu'est-ce 
à  dire,  faire  pénitence?  Si  nous  entendons  faire 
pénitence  selon  les  maximes  de  l'Évangile  ;  cer- 
tainement faire  pénitence ,  c'est  faire  ce  que  dit 
saint  Jean  :  «  des  fruits  dignes  de  pénitence  \  » 
Or  ces  fruits  dignes  de  pénitence,  selon  le  con- 
sentement de  tous  les  docteurs ,  ce  sont  des  œu- 
vres laborieuses,  par  lesquelles  nous  vengeons 
nous-mêmes  sur  nos  propres  corps  la  bonté  de 
Dieu  méprisée.  C^est  à  quoi  il  nous  exhorte  par 
son  prophète  :  «  Retournez  à  moi,  dit-il ,  retour- 
«  nez  à  moi  de  tout  votre  cœur,  en  pleurs ,  en 
«  jeûnes,  en  gémissements  dans  le  sac,  dans  la 
«  ce\idre  et  dans  le  eilice  ^  ! 

Et ,  pour  entendre  cette  doctrine ,  figurez- vous 
un  pauvre  pécheur  qui ,  reconnaissant  l'horreur 
de  son  crime ,  considère  la  main  de  Dieu  armée 
contre  lui ,  et  regarde  qu'il  va  supporter  le  poids 
de  sa  juste  et  impitoyable  vengeance.  De  là  les 
craintes ,  de  là  les  frayeurs ,  de  là  les  douleurs 
îimères  et  inconsolables.  Au  milieu  de  ces  effroya- 
bles langueurs  la  sainte  pénitence  se  présente  à 
lui  pour  soulager  ses  infirmités  par  ses  salutaires 
conseils;  elle  lui  fait  voir  dans  les  Écritures ,  que 
Dieu  dit  lui-même  :  «  Je  ne  me  vengerai  pas  deux 
«  fois  d  une  même  faute  ;  »  et  ailleurs  :  «  Si  nous 
«  nous  jugions ,  nous  ne  serions  pas  jugés  ^.  »  Lui 

*  Ephes.  Il ,  4. 

*  Luc.  III ,  8. 
»  Joël.  M,  18. 

*  1.  Cor.  M ,  31 


SUR  LA  GLOIRE  DE  DIEU,  etc. 


ayant  remontré  ces  choses  :  Aie  bon  courage , 
dit-elle,  préviens  la  justice  par  la  justice.  Dieu  se 
veut  venger,  venge-le  toi-même  ;  sa  colère  est  armée 
contre  toi ,  arme  tes  propres  mains  contre  tes  pro- 
pres iniquités  :  Dieu  recevra  en  pitié  le  sacrifice 
d'un  cœur  contrit  que  tu  lui  offriras  pour  l'ex- 
piation de  ton  crime;  et  sans  considérer  que  les 
peines  que  tu  t'imposes  ne  sont  pas  une  vengeance 
proportionnée ,  il  regardera  seulement  qu'elle  est 
volontaire.  Là-dessus  le  pécheur  s'éveille ,  et  re- 
gardant la  justice  divine  si  fort  enflammée  con- 
tre nous,  et  que  d'ailleurs  il  est  impossible  de  lui 
résister  ;  il  voit  qu'il  est  impossible  de  faire  autre 
chose  que  de  se  joindre  à  elle  pour  en  éviter  la 
fureur,  de  prendre  son  parti  contre  soi-même ,  et 
de  venger  par  ses  propres  mains  les  mystères  de 
Jésus  violés ,  son  Saint-Esprit  affligé ,  et  sa  ma- 
jesté offensée.  C'est  pourquoi  il  se  transporte  en 
esprit  en  cet  épouvantable  jugement  où  voyant 
que  Dieu  accuse  les  pécheurs,  qu'il  les  condamne 
et  qu'il  les  punit  ;  il  se  met  en  quelque  sorte  en 
sa  place  :  de  criminel  il  devient  le  juge  :  il  s'ac- 
cuse ,  c'est  la  confession  ;  il  se  condamne ,  c'est  la 
contrition;  et  il  se  punit,  c'est  la  satisfaction. 

Et  premièrement  il  s'accuse  ;  et  voyant  dans 
les  Écritures  que  Dieu  menaçant  les  pécheurs, 
leur  dit  :  «  Je  te  mettrai  contre  toi-même  '  ;  »  il 
prévient  cette  sentence  très-équitable,  et  il  té- 
moigne lui-même  son  iniquité.  Il  dit  hautement 
avec  David  :  «  J'ai  péché  au  Seigneur^;  «  il  dit 
encore  avec  Daniel  :  «  Nous  avons  péché ,  nous 
«  avons  mal  fait,  nous  avons  transgressé  vos 
«  commandements,  nous  avons  laissé  vos  précep- 
«  tes  et  vos  jugements;  à  vous  la  gloire ,  à  vous 
«  Injustice  :  à  nous  la  confusion  et  l'ignominie^!  » 
Il  dit  avec  le  Publicain  :  «  0  Dieu ,  ayez  pitié 
n  de  moi ,  misérable  pécheur^  !  »  Il  va  au  tribunal 
de  la  pénitence ,  il  a  recours  aux  clefs  de  l'Église. 
Une  fausse  honte  l'arrête  :  0  honte,  dit-il,  qui 
m'étais  donnée  pour  me  retenir  dans  l'ardeur  da 
crime ,  et  qui  m'as  abandonné  si  mal  à  propos , 
il  est  temps  aussi  que  je  t'abandonne  ;  et  t'ayant 
perdue  malheureusement  pour  le  péché,  je  te 
veux  perdre  utilement  pour  la  pénitence.  Là  il 
découvre  avec  une  sainte  confusion  ses  profon- 
des et  ignominieuses  blessures,  il  se  reproche 
lui-même  sa  lâcheté  devant  Dieu  et  devant  les 
hommes.  Que  demandez-vous,  justice  divine? 
qu*est-il  nécessaire  que  vous  l'accusiez?  Il  s'ac- 
cuse lui-même  volontairement. 

Mais  il  ne  suffit  pas  qu'il  s'accuse  ;  il  faut  en- 
core qu'il  se  condamne.  Expliquez-le-nous,  A 

'  /"s.  XUX,2I. 
»  II.  Reg.  xn,  13. 
5  ])an.  m,  29,  30. 
*  Luc.  xvni ,  la^ 


SUR  LA  RÉCONCILIATION  AMÎC  NOS  FRÈRES. 


crand  Augustin  '  !  «  Faites  dès  à  présent ,  nous 

•  dit-il ,  ce  que  Dieu  vous  menace  de  faire  iui- 

•  m(}me  ;  cessez  de  détourner  vos  re{;ards  de  des- 
«  sus  vous,  en  vous  dissimulant  vos  actions,  et 
«  mettez-vous  vous-même  devant  votre  face.  Mon- 
«  tez  ensuite  sur  le  tribunal  de  votre  conscience  ; 
«  soyez  votre  juge  :  que  la  crainte  vous  tienne 

•  lieu  de  bourreau,  et  que  par  son  tourment  elle 
n  produise  eu  vous  une  salutaire  confession.  Mais 
n  lorsque  vous  aurez  ainsi  confessé  votre  péché , 
«  appliquez-vous  sérieusement  et  travaillez  sans 
"  relâche  à  guérir  les  plaies  qu'il  vous  a  faites. 
"  Votre  premier  travail  doit  être  de  vous  déplaire 
«  à  vous-même ,  de  condamner  et  d'attaquer  vos 
"  péchés,*  et  de  changer  en  mieux  votre  vie  :  » 
Prior  labor  ut  displiceas  tibi,  ut  peccata  expu- 
gnes,  ut  muteris  in  melius.  C'est  ainsi  que  firent 
les  Ninivites.  Dieu  les  menace  de  les  renverser, 
et  ils  se  renversent  eux-mêmes  en  détruisant 
jusqu'à  la  racine  leurs  inclinations  corrompues. 
«  Ninive  est  véritablement  renversée,  puisque  tous 
«  ses  mauvais  désirs  sont  changés  eu  bien;  elle 
«  est  véritablement  renversée,  puisque  le  luxe  de 
«  ses  habits  est  changé  en  un  sac  et  un  cilice;  la 
n  superfluité  de  ses  banquets ,  en  un  jeûne  austère  ; 
«  la  joie  dissolue  de  ses  débauches,  aux  saints 
«  gémissements  de  la  pénitence  :  «  Subvertitur 
plane  Ninive,  cum  calcatis  deterioribus  studiis 
ad  meliora  convertitur;  subvertitur,  inquam, 
dum  purpura  in  ciliciuin,  afjluentia  in  je- 
juniutn,  lœtitia  mutatur  in  jletum^.  0  ville 
heureusement  renversée!  Renversons  Ninive  en 
nous. 

Mais  écoutons  encore  :  il  ne  suffit  pas  de  nous 
condamner,  il  ne  suffit  pas  de  changer  nos  mœurs. 
La  bonté  entreprenant  sur  la  justice,  la  justice 
fait  quelques  réserves.  Parce  que  Jésus-Christ  est 
bon ,  il  ne  faut  pas  que  nous  soyons  lâches  :  au 
contraire  nous  devons  être  d'autant  plus  rigou- 
reux à  nous-mêmes,  que  Jésus-Christ  est  plus 
miséricordieux.  [C'est  dans  ces  dispositions  que 
le  saint  roi  pénitent  disait  à  Dieu  :]  «  Je  mange  la 
«  cendre  comme  le  pain ,  et  je  mêle  mon  breuvage 
«  de  mes  larmes,  à  cause  de  votre  colère  et  de  votre 
«  indignation  :  «  Quia  cinerem  lanquam  panem 
manducabatn,  et  potum  meum  cumjletu  misce- 
bam,  afacie  irœ  etindignationis  tuœ^.  [Les  Ni- 
nivites entrèrent  dans  les  mêmes  sentiments  :] 
«  ils  jugèrent  le  remède  de  la  pénitence  si  efficace, 
«  qu'ils  crurent  que  le  jeûne  même  de  tous  leurs 
«  animaux  leur  serait  salutaire  :  »  Ninivites  ^  iam 

•  In  Ps.  xLix ,  n'  28 ,  t.  IV ,  col.  4C0.  In  Ps.  xxxvii ,  n»  24 , 
ool.  306.  In  Ps.  LIX.  n"  5,  col.  579. 

»  S.  Escher.  Lupd.  Hom.  de  Peciiil.  yiniv.  Biblioth.  PP. 
Lvgd.  K.  YF,  p.  6*6 

*  Pi.  Cl,  10.  II. 


43 

manifestum  judicantes  afjlirtionis  remedium, 
utsibi  etiam  animalium  crederent pro/uturuot 
esse  jejunium  ' . 

O  spectacle  digne  de  la  joie  des  anges!  parce 
que  l'homme  accuse.  Dieu  n'accuse  plus  :  l'homme 
se  joignant  avec  la  justice,  lui  fait  tomber  les 
armes  des  mains;  il  l'affaiblit,  pour  ainsi  dire, 
en  la  fortifiant  :  Dieu  lui  pardonne,  parce  qu'il 
ne  se  pardonne  pas;  Dieu  prend  son  parti,  parce 
qu'il  prend  le  parti  de  Dieu  :  parce  qu'il  se 
joint  à  la  justice  contre  soi-même,  la  miséricode 
se  joint  à  lui  contre  la  justice.  N'épargnons  pas, 
mes  frères,  des  larmes  si  fructueuses;  frustrons 
l'attente  du  diable  par  la  persévérance  de  notre 
douleur  :  plus  nous  déplorons  la  misère  où  nous 
sommes  tombés,  plus  nous  nous  rapprochons  du 
bien  que  nous  avons  perdu. 


SERMON 

POUR 

LE  CINQUIÈME  DIMANCHE  APRÈS  L.\  PENTECOTE, 

SUR  LA  RÉCONCILIATION. 

Motifs  pressants  que  Jésus-Christ  emploie  pour  nous  porter 
à  uoe  affection  mutuelle.  Le  sacrifice  d'oraison ,  incapable  de 
plaire  à  Dieu,  s'il  n'estoffert  par  la  charité  fralernelle.  Obli- 
gation de  prier  avec  tous  nos  frères  et  pour  tous  nos  frères  : 
pourquoi  ne  pouvons-nous  nous  en  acquitter  si  nous  les  haïs- 
sons. Combien  aveugles  et  injustes  les  aversions  que  nous  con- 
cevons contre  eux.  CondiUon  que  Dieu  nous  impose  pour  ob- 
tenir le  pardon  de  nos  fautes. 


Si  ofTers  munus  tuuni  ad  altare,  et  ibi  recordatus  fiieris 
quia  fraler  tuus  habet  aliquid  adversuni  te;  re)ia<]i)(; 
ibi  manus  luunj  ante  altare ,  et  rade  prius  reconciiiari 
fratri  tuo  :  et  tune  venieas  oiteres  munus  tuam. 

Si  étant  sur  le  point  défaire  votre  offrande  à  l'autel, 
vous  vous  souvenez  que  votre  frère  a  quelque  chose 
contre  vous;  laissez-la  votre  offrande  devant  l'au^ 
tel,  et  allez  vous  réconcilier  auparavant  avec  votre 
frère  :  après  cela  vous  viendrez  présenter  votre  of^ 
frande.  Matth.  t,  23 ,  24. 

Certes  la  doctrine  du  Sauveur  Jésus  est  accom- 
pagnée d'une  merveilleuse  douceur,  et  toutes  ses 
paroles  sont  pleines  d'un  sentiment  d'humanité 
extraordinaire  ;  mais  le  tendre  amour  qu'il  a  pour 
notre  nature,  ne  paraît  en  aucun  lieu  plus  évi^ 
demment  que  dans  les  différents  préceptes  qu'il 
nous  donne  dans  son  Évangile  pour  entretenir 
inviolablemeut  parmi  nous  le  lien  de  la  charité 
fraternelle.  Il  voyait  avec  combien  de  fureur  les 
hommes  s'arment  contre  leurs  semblables;  que 
des  haines  furieuses  et  des  aversions  implaca- 
bles divisent  les  peuples  et  les  nations  ;  que  parce 
que  nous  sommes  séparés  par  quelques  fleu- 

«  s.  Eucher.  Lugd.  Hom.  de  Panit.  Kiniv.  Biblioth.  PA 

Lugd.tM,  p.  64G. 


41 


SUR  LA  RÉCONCILIATION 


ou  par  quel(nies  montagnes ,  nous  scmblons  avoir 
oublié  que  nous  avons  une  même  nature  :  ce  qui 
excite  parmi  nous  des  guerres  et  des  dissensions 
immortelles ,  avec  une  horrible  désolation  et  une 
effusion  cruelle  du  sang  humain. 

Pour  calmer  ces  mouvements  farouches  et  in- 
humains ,  Jésus  nous  ramène  à  notre  origine  ;  il 
tâche  de  réveiller  en  nos  âmes  ce  sentiment  de 
tendre  compassion  que  la  nature  nous  doniîe 
pour  tous  DOS  semblables ,  quand  nous  les  voyons 
affligés  :  par  où  il  nous  fait  voir  qu'un  homme 
ne  peut  être  étranger  à  un  homme  ;  et  que  si  nous 
n'avions  perverti  les  inclinations  naturelles,  il 
n<His  serait  aisé  de  sentir  que  nous  nous  touchons 
de  bien  près.  Il  nous  enseigne  que  «  devant  Dieu , 
«.  il  n'y  a  ni  Barbare ,  ni  Grec ,  ni  Romain ,  ni 
«  Scythe',  »  et,  fortifiant  les  sentiments  de  la 
nature  par  des  considérations  plus  puissantes,  il 
nous  apprend  que  nous  avons  tous  une  même  cité 
dans  le  ciel,  et  une  même  société  sur  la  terre; 
et  que  nous  sommes  tous  ensemble  une  même 
nation  et  un  même  peuple ,  qui  devons  vivre  dans 
les  mêmes  mœurs ,  selon  l'Évangile ,  et  sous  un 
même  monarque  qui  est  Dieu ,  et  sous  un  même 
législateur  qui  est  Jésus-Christ. 

Mais  d'autant  plus  que  la  discorde  et  Ia<  haine 
ft'anime  pas  seulement  les  peuples  contre  les  peu- 
ples,  mais  qu'elle  divise  encore  les  concitoyens , 
qu'elle  désole  même  les  familles  :  en  sorte  qu'il 
passe  pour  miracle  parmi  les  hommes,  quand  on 
voit  deux  personnes  vraiment  amies  ;  et  que  nous 
nous  sommes  non-seulement  ennemis ,  mais  loups 
et  tigres  les  uns  aux  autres  :  combien  emploie-t- 
il  de  raisons  pour  nous  apaiser  et  pour  nous  unir  ! 
avec  quelle  force  ne  nous  presse-t-il  pas  à  vivre 
en  amis  et  en  frères  1  Et  sachant  combien  est 
puissant  parmi  nous  le  motif  delà  religion,  il  la 
fait  intervenir  à  la  réconciliation  du  genre  hu- 
main :  il  nous  lie  entre  nous  par  le  même  nœud 
par  lequel  nous  tenons  à  Dieu  ;  et  il  pose  pour 
maxime  fondamentale  :  que  la  religion  ne  con- 
siste pas  seulement  à  honorer  Dieu ,  mais  encore 
à  aimer  les  hommes.  Est-il  rien  de  plus  pressant 
pour  nous  enflammer  à  une  affection  mutuelle? 
et  ne  devoas-nous  pas  louer  Dieu  de  nous  avoir 
élevés  dans  une  école  st  douce  et  sous  une  insti- 
tution si  humaine? 

Mais  il  passe  bien  plus  avant.  Les  injures  que 
l'on  nous  fait ,  chères  sœurs ,  nous  fâchent  ex- 
cessivement :  la  douleur  allume  la  colère;  la  co- 
lère pousse  à  la  vengeance  ;  le  désir  de  vengeance 
nourrit  des  inimitiés  irréconciliables  :  dé  là  les 
querelles  et  les  procès  ;  de  là  les  médisances  et  les 
calomnies  ;  de  là  les  guerres  et  les  combats  ;  de 

«  Colos.  III,  M. 


là  presque  tous  les  malheurs  qui  agitent  la  vie 
humaine.  Pour  couper  la  racine  de  tant  de  maux , 
je  veux ,'  dit  notre  aimable  Sauveur ,  je  veux  que 
vous  chérissiez  cordialement  vos  semblables; 
j'entends  que  votre  amitié  soit  si  ferme ,  qu'elle  ne 
puisse  être  ébranlée  par  aucune  injure.  Si  quel- 
que téméraire  veut  rompre  la  sainte  alliance  que 
je  viens  établir  parmi  vous,  que  le  nœud  en  soit 
toujours  ferme  de  votre  part  :  il  faut  que  l'amour 
de  la  concorde  soit  gravé  si  profondément  dans 
vos  cœurs,  que  vous  tâchiez  de  retenir  même 
ceux  qui  se  voudront  séparer.  Fléchissez  vos  en- 
nemis par  douceur,  plutôt  que  de  les  repousser 
avec  violence  ;  modérez  leurs  transports  injustes, 
plutôt  que  de  vous  en  rendre  les  imitatetirs  et  les 
compagnons. 

Et  en  effet ,  mes  sœurs ,  si  l'orgueil  et  l'indoci- 
lité de  notre  nature  pouvait  permettre  que  de  si 
saintes  maximes  eussent  quelque  vogue  parmi  les 
hommes;  qui  ne  voit  que  cette  modération  domp- 
terait les  humeurs  les  plusaltières?  Les  courages 
les  plus  fiers  seraient  contraints  de  rendre  les  ar- 
mes ,  et  les  âmes  les  plus  outrées  perdraient  toute 
leur  amertume.  Le  nom,  d'inimitié  ne  serait  pres- 
que pas  conna  sur  la  terre.  Si  quelqu'un  persécu- 
tait ses  semblables ,  tout  le  monde  le  regarderait 
comme  une  bête  farouche;  et  il  n'y  aurait  plus 
que  les  furieux  et  les  insensés  qui  pussent  se  faire 
des  ennemis.  0  sainte  doctrine  de  l'Évangile,  qui 
ferait  régner  parmi  nous  une  paix  si  tranquille  et 
si  assurée  ;  si  peu  que  nous  la  voulussions  écou- 
ter! qui  ne  désirerait  qu'elle  fût  reçue  par  toute 
la  terre  avec  les  applaudissements  qu'elle  mérite? 

La  philosophie  avait  bien  tâché  de  jeter  quel- 
ques fondements  de  cette  doctrine  ;  elle  avait  bien 
montré  qu'il  était  quelquefois  honorable  de  par- 
donner à  ses  ennemis  :  elle  a  mis  la  clémence 
parmi  les  vertus;  mais  ce  n'était  pas  une  vertu 
populaire,  elle  n'appartenait  qu'aux  victorieux. 
On  leur  avait  bien  persuadé  qu'ils  devaient  faire 
gloire  d'oublier  les  injures  de  leurs  ennemis  dé- 
sarmés; mais  le  monde  ne  savait  pas  encore  qu'it 
était  beau  de  leur  pardonner ,  avant  même  que 
de  les  avoir  abattus.  Notre  Maître  miséricordieux 
s'était  réservé  de  nous  enseigner  une  doctrine  si 
humaine  et  si  salutaire  :  c'était  à  lui  de  nous  faire 
paraître  ce  grand  triomphe  de  la  charité ,  et  de 
faire  que  ni  les  injures  ni  les  opprobres  ne  pussent 
jamais  altérer  la  candeur  ni  la  cordialité  de  la 
société  fraternelle.  C'est  ce  qu'il  nous  fait  remar- 
quer dans  notre  évangile,  avec  des  paroles  si 
douces,  qu'elles  peuvent  charmer  les  âmes  les  plus 
féroces  :  «  Quitte  l'autel ,  dit-il ,  pour  te  réconci- 
«  lier  à  ton  frère.  » 

Et  quel  est  ce  précepte,  ô  sauveur  Jésus?  et 
comruent  nous  ordonnez- vous  de  laisser  le  ser- 


AVEC  KOS  FRfeaKS. 


4S 


\ice  de  Dieu,  pour  nous  acquitcr  de  devoirs  hu- 
mains? est-il  donc  bienséant  de  quitter  le  Créateur 
pour  la  créature!  Cela  semble  bien  étrange,  mes 
sœurs;  cependant  c'est  ce  qu'ordonne  le  Fils  de 
Dieu.  Il  ordonne  que  nous  quittions  même  le  ser- 
vice divin,  pour  nous  réconcilier  à  nos  frères  :il 
veut  que  nos  ennemis  nous  soient  en  quelque  sorte 
plus  chers  que  ses  propres  autels,  et  que  nous 
allions  à  eux  avant  que  de  nous  présenter  à  son 
Père;  comme  si  c'était  une  affaire  plus  impor- 
tante. N'est-ce  pas  pour  nous  enseigner ,  chères 
sœurs,  que,  devant  lui,  il  n'est  rien  de  plus  pré- 
cieux que  la  charité  et  la  paix;  qu'il  aime  si  fort 
les  hommes,  qu'il  ne  peut  souffrir  qu'ils  soient 
en  querelle  ;  que  Dieu  considère  la  cliarilé  fratcr- 
lïelle  comme  une  partie  de  son  culte  ;  et  que  nous 
ne  saurions  lui  apporter  de  présent  qui  soit  plus 
agréable  à  ses  yeux ,  qu'un  cœur  paisible  et  sans 
fiel,  et  une  âme  saintement  réconciliée?  «  0  charité 
«  ineffable  de  Dieu  pour  les  hommes  !  s'écrie  saint 
«  Jean  Chcysostôme;  il  néglige  l'honneur  qui  lui 
«  est  dû ,  pour  y  substituer  la  charité  envers  le 
«  prochain.  Interrompez,  nous  dit-il ,  mon  culte, 
«  afin  que  votre  charité  soit  persévérante  :  car  la 
«  réconciliation  avec  son  frère ,  est  pour  moi  un 
«  vrai  sacriûce  :  »  0  ineffabilem  erga  hommes 
M/iorem  Dei,  honore  m  suum  despicit  pro  cha- 
ritate  erga  proximum.  Interrumpatur,  inguit, 
cultus  meus,  ut  charitas  tua  maneat  :  nam  vere 
sacrijiciuîn  tnihiesl,  reconciliatio  cumfratre\ 
C'est  ce  que  Je  traiterai  aujourd'hui  avec  l'assis- 
tance divine;  et  j'en  tirerai  deux  raisons  du  texte 
<le  mon  évangile.  Notre-Seigneur  nous  ordonne 
de  nous  réconcilier,  avant  que  d'offrir  notre  pré- 
sent à  l'autel  :  c'est  de  ce  présent  et  de  cet  autel , 
que  je  formerai  mon  raisonnement;  et  je  tâcherai 
de  vous  faire  voir  que  ni  le  présent  qu'offrent  les 
chrétiens,  ni  l'autel  duquel  ils  s'approchent,  ne 
souffrent  que  des  esprits  vraiment  réconciliés  : 
ce  seront  les  deux  points  de  cette  exhortation. 

PBEUIER   POINT. 

Quand  je  parle  des  présents  que  les  fidèles  doi- 
vent offrir  à  Dieu ,  ne  croyez  pas,  mes  sœurs, 
que  je  parle  des  animaux  égorgés  qu'on  lui  pi"é- 
sentait  autrefois  devant  ses  autels.  Pendant  que 
les  enfants  d'Aaron  exerçaient  le  sacerdoce  qu'ils 
avaient  reçu  par  succession  de  leur  père ,  les  Juifs 
apportaient  à  Dieu  des  offrandes  terrestres  et  cor- 
l)oreIles  :  on  chargeait  ses  autels  d'agneaux  et  de 
bœufs,  d'encens  et  de  parfums,  et  "de  plusieui-s 
autres  choses  semblables.  xMais  comme  nous  of- 
frons dans  un  temple  plus  excellent ,  sur  un  autel 
plus  divin ,  et  que  nous  avons  un  pontife  duquel 

'  s.  Ckrysost.  in  Matth.  Jlom.  \n,  n"  9,  t.  Tiir,  p.  216. 


le  sacerdoce  légal  n'était  qu'une  figure  impar- 
faite ;  aussi  faisons-nous  à  Dieu  de  plus  saintes  obla- 
tioHs.  Nous  venons  avec  des  vœux  pieux  ,  et  des 
piières  respectueuses,  et  de  sincères  actions  de 
grâces,  louant  et  célébrant  la  munificence  divine, 
par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  notre  sacrifica- 
teur et  notre  victime  :  ce  sont  les  oblations  que 
nous  apportons  tous  dans  la  nouvelle  alliance. 
Nous  honorons  Dieu  par  ce  sacrifice,  et  c'est  de 
cet  encens  que  nous  parfumons  ses  autels  ;  et  afin 
que  nous  puissions  faire  de  telles  offrandes ,  Jésus 
notre  grand  sacrifiateur  nous  a  rendus  partici- 
pants de  son  sacerdoce  :  «  il  nous  a  faits  rois  et 
•<  sacrificateurs  à  notre  Dieu ,  »  dit  l'apôtre  saint 
Jean  dans  l'Apocalypse'.  Mais  puisque  ce  sacer- 
doce est  spirituel ,  il  ne  faut  pas  s'étonner  si  no- 
tre oblation  est  spirituelle  :  c'est  pourquoi  l'apôtre 
saint  Pierre  dit  que  «  nous  offrons  des  victimes 
«  spirituelles ,  acceptables  par  Notre-Seigneur  Je- 
«  sus-Christ'.  »  C'est  là  ce  sacrifice  de  cœur  con- 
trit ,  sacrifice  de  louange  et  de  joie ,  sacrifice  d'o- 
raison et  d'actions  de  grâces ,  dont  il  est  parlé  tant 
de  fois  dans  les  Écritures  :  c'est  le  présent  que 
nous  devons  à  notre  grand  Dieu ,  et  je  dis  qu'il  ne 
lui  peut  plaire,  s'il  ne  lui  est  offert  par  la  charité 
fraternelle  :  sans  elle,  il  ne  reçoit  rien  ;  et  par 
elle ,  il  reçoit  toutes  choses  :  la  charité  est  comme 
la  main  qui  lui  présente  nos  oraisons  ;  et  comme 
il  n'y  a  que  cette  main  qui  lui  plaise,  tout  ce  qui 
vient  d'autre  part  ne  lui  agrée  pas. 

Et  pour  le  prouver  par  des  raisons  invincibles, 
je  considère  trois  choses  dans  nos  oraisons  ;  qui 
toutes  trois  ne  peuvent  être  sans  la  charité  pour 
nos  frères  :  le  principe  de  nos  prières  ;  ceux  pour 
qui  nous  prions;  celui  à  qui  nos  prières  s'adres- 
sent. Quant  au  principe  de  nos  oraisons ,  vous  sa- 
vez bien ,  mes  sœurs ,  qu'elles  ne  viennent  pas  de 
nous-mêmes  :  les  prières  des  chrétiens  ont  une 
source  bien  plus  divine.  «  Que  pouvons-nous  de 
«  nous-mêmes ,  sinon  le  mensonge  et  le  péché ,  » 
dit  le  saint  concile  d'Orange  ^?  Le  plus  dangereux 
effet  de  nos  maladies ,  c'est  que  nous  ne  savons 
pas  même  demander  comme  il  faut  l'assistance 
du  Médecin  :  «  Nous  ne  savons ,  dit  l'apôtre  saint 
«  Paul  ^ ,  comment  il  nous  faut  demander.  » 

Eh ,  misérables  que  nous  sommes ,  qui  nous 
tirera  de  cet  abîme  de  maux,  puisque  nous  ne 
savons  pas  implorer  le  secours  du  Libérateur? 
Ah!  dit  l'apôtre',  «  l'Esprit  aide  nos  infirmités:  » 
et  conunent?»  C'est  qu'il  prie  pour  nous,  dit  saint 
n  Paul ,  avec  des  gémissements  incroyables.  »  Et 
quoi ,  mes  sœurs ,  cet  Esprit  qui  est  appelé  notre 

'  Apoc.  V  ,  10. 

»  I.  Petr.  II ,  5. 

3  Concil,  Arausic.  il ,  Can.  XXll,  Lab.  t.  nr,  oc».   V.»i, 

*  Rom.  Tiil ,  26. 

»  Ibid. 


4(1 


SUR  LA  RÉCONCILIATION 


paraclet ,  c'est-à-dire,  consolateur,  a-t-il  lui-môme 
besoin  de  consolateur?  que  s'il  n'a  pas  besoin  de 
consolateur,  comment  est-ce  que  l'apôtre  nous  le 
représente  priant  et  gémissant  avec  des  gémisse- 
ments incroyables?  C'est  que  c'est  lui  qui  fait  en 
nous  nos  prières;  c'est  lui  qui  enflamme  nos  es- 
pérances ;  c'est  lui  qui  nous  inspire  les  chastes 
désirs;  c'est  lui  qui  forme  en  nos  cœurs  ces  pieux 
et  salutaires  gémissements  qui  attirent  sur  nous 
la  miséricorde  divine.  Nous  retirons  ce  bonheur 
de  notre  propre  misère,  que,  ne  pouvant  prier 
par  nous-mêmes,  le  Saint-Esprit  daigne  prier  en 
nous ,  etforme  lui-mêmenosoraisons  ennosâmes. 
De  là  vient  que  le  grand  Tertullien  parlant  des 
prières  des  chrétiens  :  «  Nous  offrons  à  Dieu,  dit- 
«  il ,  une  oraison  qui  vient  d'une  conscience  inno- 
«  cente ,  et  d'une  chair  pudique ,  et  du  Saint- 
«  Esprit ,  »  de  carne pudica,  de  anima  innocenti, 
de  Spiritu  sancto  profectam^.  Ce  serait  peu  que 
la  conscience  pure  et  que  la  chair  pudique,  s'il 
n'y  ajoutait  pour  comble  de  perfection  :  qu'elle 
vient  de  l'Esprit  de  Dieu. 

En  effet ,  nos  oraisons ,  ce  sont  des  parfums  ; 
et  les  parfums  ne  peuvent  monter  au  ciel ,  si  une 
chaleur  pénétrante  ne  les  tourne  en  vapeur  sub- 
tile ,  et  ne  les  porte  elle-même  par  sa  vigueur. 
Ainsi  nos  oraisons  seraient  trop  pesantes  et  trop 
terrestres,  venant  de  personnes  si  sensuelles,  si 
cefeudivin,  je  veux  dire  le  Saint-Esprit,  ne  les 
purifiait  et  ne  les  élevait.  Le  Saint-Esprit  est  le 
sceau  de  Dieu ,  qui  étant  appliqué  à  nos  oraisons , 
les  rend  agréables  à  sa  majesté  ;  car  c'est  une  chose 
assurée  :  que  nous  ne  pouvons  prier,  sinon  par  No- 
tre-Seigneur  Jésus-Christ  ;  il  n'y  a  point  d'autre 
nom.  D'ailleurs  il  n'est  pas  moins  vrai  que  «nous  ne 
«  pouvons  pas  même  nommer  le  Seigneur  Jésus , 
«  sinon  dans  le  Saint-Esprit*  ;  »  et  si  nous  ne  pou- 
vons nommer  Jésus,  à  plus  forte  raison  prier  au 
nom  de  Jésus  :  donc  nos  prières  sont  nulles ,  si 
elles  ne  naissent  du  Saint-Esprit. 

Examinons  maintenant  quel  est  cet  Esprit. 
C'est  lui  qui  est  appelé  «  le  Dieu  de  charité  ^  ;  » 
c'est  lui  qui  lie  le  Père  et  le  Fils ,  dont  il  est  le 
baiser  :  osculum  Pairis  et  Filii^.  C'est  lui  qui 
se  répandant  su  ri  es  hommes ,  les  lie  et  les  attache 
à  Dieu  par  un  nœud  sacré  :  c'est  lui  qui  nous  lie 
les  uns  avec  les  autres  ;  c'est  lui  qui ,  par  une  opé- 
ration vivifiante ,  nous  fait  frères  et  membres  du 
même  corps.  Que  si  c'est  cet  Esprit  qui  opère  en 
nos  âmes  la  charité  ;  celui-là  ne  prie  pas  par  le 
Saint-Esprit,  qui  a  rompu  l'union  fraternelle,  et 


»  Apolog.  n"  30. 
'  I.  Cor.  XII,  3. 
'  Joan.  IV,  8,  16. 

<  S.  Bernard,  de  divers.  Sermon.  LXXXix  ,11"  I ,  t.  1 ,  col. 
J'jy9  In  Cantic.  Serin,  vui,  ibid.  col.  1285  ,  1288. 


qui  ne  prie  pas  en  paix  et  en  charité.  Et  toi  oui 
empoisonnes  ton  cœur  par  des  inimitiés  irrécon- 
ciliables, n'as-tu  rien  à  demander  à  Dieu?  et  si 
tu  le  veux  demander,  ne  faut-il  pas  que  tu  le 
demandes  par  l'esprit  du  christianisme?  et  ne 
sais-tu  pas  que  l'esprit  du  christianisme  est  le 
Saint-Esprit?  D'ailleurs,  ignores-tu  que  le  Saint- 
Esprit  n'agit  et  n'opère  que  par  charité?  Que  s. 
tu  méprises  la  charité ,  tu  ne  veux  donc  pas  prier 
par  le  Saint-Esprit?  et  si  tu  ne  veux  pas  prier  par 
le  Saint-Esprit ,  au  nom  de  qui  prieras-tu  ?  par 
quelle  autorité  te  présenteras-tu  à  la  Majesté  di- 
vine? sera-ce  par  tes  propres  mérites?  mais  tes 
propres  mérites ,  c'est  la  damnation  et  l'enfer. 
Choisiras-tu  quelque  autre  patron ,  qui  par  son 
propre  crédit ,  te  rende  l'accès  favorable  au  Père? 
Ne  sais-tu  pas  que  «  tu  ne  peux  aborder  au  trône  de 
«  la  miséricorde ,  sinon  par  Notre-Seigneur  Jésus- 
«  Christ  •  ;  et  que  tu  ne  peux  pas  même  nommer 
«  le  Seigneur  Jésus ,  sinon  dans  le  Saint-Esprit  *  ?  • 
Quiconque  pense  invoquer  Dieu  en  un  autre  nom 
qu'en  celui  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  sa 
prière  lui  tourne  à  damnation.  «  Le  Père,  dit  un 
«  ancien ,  n'écoute  pas  volontiers  les  prières  que  le 
«  Fils  n'a  point  dictées  :  car  le  Père  connaît  les 
«  sentiments  et  les  paroles  de  son  Fils;  il  ne  sau- 
n  rait  recevoir  ce  que  la  présomption  de  l'esprit 
«  humain  aurait  pu  inventer,  mais  uniquement 
«  ce  que  la  sagesse  de  son  Christ  lui  aura  exposé  :  » 
Nec  Pater  libenter  exaudit  orationem  quam  Fi- 
lius  non  dictavit  :  cognoscit  enim  Pater  Filii 
sut  sensus  et  verba;  nec  suscipit  quœ  usurpatio 
humanaexcogitavit,  sed quœ  sapientia  Christi 
exposuit^. 

Prions  donc  en  charité ,  chères  sœurs ,  puisque 
nous  prions  par  le  Saint-Esprit  :  prions  avec  nos 
frères ,  prions  pour  nos  frères  ;  et  quoiqu'ils  veuil- 
lent rompre  avec  nous,  gardons-leur  toujours  un 
cœur  fraternel ,  par  la  grâce  du  Saint-Esprit.  Son- 
geons que  Notre-Seigneur  Jésus  ne  nous  a  pas , 
si  je  l'ose  dire,  enseigné  à  prier  en  particulier; 
il  nous  a  appris  à^rier  en  corps.  «  Notre  Père, 
«  qui  êtes  aux  cieux'*,  »  disons-nous  :  cette 
prière  se  fait  au  nom  de  plusieurs  :  nous  devons 
croire ,  quand  nous  prions  de  la  sorte ,  que  toute  la 
société  de  nos  frères  prie  avec  nous.  C'est  de  quoi 
se  glorifiaient  les  premiers  fidèles  :  «  Nous  venons, 
«  disait  Tertullien ,  à  Dieu  comme  en  troupe  :  » 
Quasi  manufactaambimus  :  «  cette  force ,  cette 
«  violence  que  nous  lui  faisons ,  lui  est  agréable  :  » 
hœc  vis  Deo  grata  est  '\  Voyez ,  mes  sœurs ,  que 

'  Hehr.  iv,  16. 
'  I.  Cor.  xn,  3. 

3  Oper.  imperfect.  in  Matth.  Hom.  xiv,  int.  Oper.  S.  Chry- 
sost.  t.  VI ,  p.  78. 
*  Matth.  VI ,  9. 
»  Apoloq.  n"  39. 


AVEC  NOS  FRÈRES. 


47 


les  prières  des  frères ,  c'est-à-dire ,  les  prières  de 
la  charité  et  de  l'unité ,  forcent  Dieu  à  nous  ac- 
corder nos  demandes.  Écoutez  ce  qui  est  dit  dans 
les  Actes  :  «  Tous  ensemble  unanimement,  ils  le- 
«  vèrent  la  voix  à  Dieu  '.  «Et  quel  fut  l'événement 
de  cette  prière?  «  Le  lieu  où  ils  étaient  assemblés 
«  trembla ,  etils  furent  remplis  du  Saint-Esprit  '.  » 
Voilà  Dieu  forcé  par  la  prière  des  frères;  parce 
qu'ils  prient  ensemble,  il  est  comme  contraint  de 
donnerun  signe  visible  que  cette  prière  lui  plaît: 
Hœc  vis  Deo  grata  est.  Nous  nous  plaignons 
quelquefois  que  nos  prières  ne  sont  pas  exaucées  : 
voulons-nous  forcer  Dieu,  chrétiens;  unissons- 
nous,  et  prions  ensemble. 

Mais ,  quand  je  parle  de  prier  ensemble ,  son- 
geons que  ce  qui  nous  assemble ,  ce  n'est  pas  ce 
que  nous  sommes  enclos  dans  les  murailles  du 
même  temple ,  ni  ce  que  nous  avons  tous  les  yeux 
arrêtés  sur  le  même  autel.  Non ,  non ,  nous  avons 
des  liens  plus  étroits  :  ce  qui  nous  associe ,  c'est 
la  charité.  Chrétiens,  si  vous  avez  quelque  haine, 
considérez  celui  que  vous  haïssez  :  voulez- vous 
prier  avec  lui?  si  vous  ne  le  voulez  pas,  vous  ne 
voulez  pas  prier  en  fidèle;  car  prier  en  fidèle, 
c'est  prier  par  le  Saint-Esprit  :  et  comme  c'est  le 
même  Espf  it  qui  est  en  nous  tous ,  comme  c'est 
îui  qui  nous  associe ,  il  faut  que  nous  priions  en 
société.  Que  si  vous  voulez  bien  prier  avec  lui , 
comment  est-ce  que  vous  le  haïssez  ?  N'avons-nous 
pas  prouvé  clairement  que  c'est  la  charité  qui  nous 
met  ensemble?  Sans  elle,  il  n'y  a  point  de  con- 
corde ;  sans  elle,  il  n'y  a  point  d'unité  :  vous  ne 
pouvez  donc  prier  avec  vos  frères  que  par  cha- 
rité ;  et  si  vous  les  haïssez ,  comment  priez-vous 
en  charité  avec  eilx  ? 

Vous  me  direz  peut-être  que  votre  haine  est 
restreinte  à  un  seul ,  et  que  vous  aimez  cordiale- 
ment tous  les  autres.  Mais  considérez  que  la  cha- 
rité n'a  point  de  réserve  :  comme  elle  vient  du 
Saint-Esprit ,  qui  se  plaît  à  se  répandre  sur  tous 
les  fidèles;  aussi  la  charité,  comme  étant  une 
onction  divine,  s' étend  abondamment,  etse  com- 
munique avec  une  grande  profusion.  Quand  il  n'y 
aurait  qu'un  chaînon  brisé,  la  charité  est  entiè- 
rement désunie ,  et  la  communication  est  inter- 
rompue. Vivons  donc  en  charité  avec  tous,  afin  de 
prier  en  charité  avec  tous  :  croyons  que  c'est  cette 
charité  qui  force  Dieu  d'accorder  les  grâces;  et 
que  si  elle  ne  nous  introduit  près  de  lui,  il  est 
inaccessible  et  inexorable. 

Mais  ce  n'est  pas  assez  de  prier  avec  tous  nos 
frères,  il  faut  encore  prier  Dieu  pour  tous  nos 
frères  :  la  forme  nous  en  est  donnée  par  l'Orai- 
son dominicale,  en  laquelle  nous  ne  demandons 

'  .•/(•/.  IV,  2t. 
^  Ibid.  31. 


rien  pour  nous  seuls;  mais  nous  prions  générale- 
ment pour  les  nécessités  de  tous  les  fidèles.  En 
vain  prierions-nous  avec  eux ,  si  nous  ne  priions 
ainsi  pour  eux  :  car  de  même  que  nous  ne  pou- 
vons exclure  personne  de  notre  charité ,  aussi  ne 
nous  est-il  pas  permis  de  les  exclure  de  nos 
prières.  C'est  pourquoi  l'apôtre  Saint  Paul ,  dans 
sa  première  à  Timothée,  recommande  »  que  Ion 
«  fasse  à  Dieu  des  supplications  et  des  prières, 
«  des  demandes  et  des  actions  de  grâce  pour  tous 
«  les  hommes,  pour  les  rois,  et  pour  tous  ceux 
«  qui  sont  élevés  en  dignité ,  »  pro  regibiis  et 
omnibus  qui  in  sublimitate  sunt  :  pour  toutes 
les  conditions  et  tous  les  états;  «  car,  ajoute-t-il, 
«  cela  est  bon  et  agréable  à  Dieu  notre  Sauveur,  • 
hoc  enim  bonum  est  et  acceptum  coram  Salva* 
tore  nostro  Deo  ».  Que  si  Dieu  a  une  si  grande 
bonté  que  d'admettre  généralement  tous  les 
hommes  à  la  participation  de  ses  grâces,  s'il  em- 
brasse si  volontiers  tous  ceux  qui  se  présentent 
à  lui;  quelle  témérité  nous  serait-ce  de  rejeter 
de  la  communion  de  nos  prières  ceux  que  Dieu 
reçoit  à  la  possession  de  ses  biens  ! 

Il  n'est  point  de  pareille  insolence,  que  lors- 
qu'un serviteur  se  mêle  de  restreindre  à  sa  fan- 
taisie les  libéralités  de  son  maître  :  et  comment 
est-ce  que  vous  observez  ce  que  vous  demandez 
à  Dieu  tous  les  jours ,  «  que  sa  sainte  volonté 
«  soit  faite  '?  »  car  puisque  sa  volonté  est  de  bien 
faire  généralement  à  tous  les  hommes,  si  vous 
priez  qu'elle  soit  accomplie ,  vous  demandez  par 
conséquent  que  tous  les  hommes  soient  partici- 
pants de  ses  dons.  Il  est  donc  nécessaire  que  nous 
priions  Dieu  pour  toute  la  société  des  hommes , 
et  particulièrement  pour  tous  ceux  qui  sont  déjà 
assemblés  dans  l'Église ,  parmi  lesquels  le  Fils  de 
Dieu  veut  que  vous  compreniez  tous  vos  ennemis 
et  tous  ceux  qui  vous  persécutent  :  Orate  pro 
persequeniibus  vos  ^.  Que  si  vous  priez  pour  eux , 
ils  ne  peuvent  plus  être  vos  ennemis  ;  et  s'ils  sont 
vos  ennemis,  vous  ne  pouvez  prier  pour  eux 
comme  il  faut.  Ceux-là  ne  peuvent  pas  être  vos 
ennemis ,  auxquels  vous  désirez  du  bien  de  tout 
votre  cœur;  et  ceux  pour  qui  vous  priez,  vous 
leur  désirez  du  bien  de  tout  votre  cœur. 

Certainement  puisque  v»us  priez  Dieu  qui  est 
si  bon  et  si  bienfaisant ,  ce  n'est  que  pour  en 
obtenir  quelque  bien  ;  et  comme  la  prière  n'est 
pas  prière ,  si  elle  ne  se  fait  de  toutes  les  forces 
de  l'âme,  vous  demandez  à  Dieu,  avec  ardeur, 
qu'il  fasse  du  bien  à  ceux  pour  lesquels  vous  lui 
présentez  vos  prières.  Encore  si  cette  demande 
se  devait  faire  devant  les  hommes ,  vous  pour- 

»  1.  Tim.  Il,  2,  .3. 
»  Mntth.  VI,  10. 
»  Ibid.  V ,  44. 


48 


SUR  LA  RECONCILIATION 


riez  dissimuler  vos  pensées ,  et  sous  de  belles  de- 
mandes cacher  de  mauvaises  intentions  :  mais 
parlant  à  celui  qui  lit  dans  vos  plus  secrètes 
pensées ,  qui  découvre  le  fond  de  votre  âme  plus 
clairement  que  vous-même ,  vous  ne  pouvez  dé- 
mentir vos  inclinations  ;  de  sorte  qu'il  est  autant 
impossible  que  vous  priiez  pour  ceux  que  vous 
haïssez ,  qu'il  est  impossible  que  vous  aimiez  et 
que  vous  désiriez  sincèrement  du  bien  à  ceux  que 
TOUS  haïssez.  Car  que  peut-on  désirer  plus  sin- 
cèrement que  ce  qu'on  désire  en  la  présence  de 
Dieu?  et  comment  peut-on  leur  souhaiter  plus 
de  bien ,  que  de  le  demander  instamment  à  celui 
qui  seul  est  capable  de  leur  donner?  Partant  si 
vous  haïssez  quelqu'un,  absolument  il  se  peut 
faire  que  vous  priiez  pour  lui  la  Majesté  souve- 
raine; et  offrant  à  Dieu  une  oraison  si  évidemment 
contraire  à  ses  ordonnances  €t  à  l'Esprit  qui  prie 
en  nous  et  par  nous ,  vous  espérez  éviter  la  con- 
damnation de  votre  témérité? 

0  Dieu  éternel,  quelle  indignité!  on  prie  pour 
Jes  Juifs,  et  pour  les  idolâtres,  et  pour  les  pé- 
cheurs les  plus  endurcis,  et  pour  les  ennemis  les 
plus  déclarés  de  Dieu;  et  vous  ne  voulez  pas  prier 
pour  vos  ennemis!  Certes ,  c'est  une  extrême  folie, 
pendant  que  l'on  croit  obtenir  de  Dieu  le  pardon 
de  crimes  énormes,  qu'un  misérable  homme 
fasse  le  difficile  et  l'inexorable.  Quelque  estime 
que  vous  ayez  de  vous-même,  et  en  quelque 
rang  que  vous  vous  mettiez  ;  l'offense  qui  se  fait 
contre  un  homme ,  s'il  n'y  avait  que  son  intérêt , 
ne  peut  être  que  très-légère.  Cet  homme,  que 
vous  excluez  de  vos  prières,  l'Église  prie  pour 
lui;  et  refusant  ainsi  de  communiquer  aux  prières 
de  toute  l'Église,  n'est-ce  pas  vous  excommunier 
vous-même?  Regardez  à  quel  excès  vous  emporte 
votre  haine  inconsidérée.  Vous  me  direz  que  vous 
n'y  preniez  pas  garde  ;  maintenant  donc  que  vous 
le  voyez  très-évidemment ,  c'est  à  vous  de  vous 
corriger. 

Ne  me  dites  pas  que  vous  priez  pour  tout  le 
monde  :  car,  puisqu'il  est  certain  qu'il  n'y  a  que 
la  seule  charité  qui  prie ,  il  ne  se  peut  faire  que 
vous  priiez  pour  ceux  que  vous  haïssez.  Votre 
Intention  dément  vos  paroles ,  et  quand  la  bou- 
che les  nomme,  le  cœur  les  exclut  :  ou  bien  si 
vous  priez  pour  eux ,  dites-moi ,  quel  bien  leur 
souhaitez- vous?  leur  souhaitez-vous  le  souverain 
bien,  qui  est  Dieu?  certainement  si  vous  ne  le 
faites,  votre  haine  est  bien  furieuse;  puisque, 
non  content  de  leur  refuser  le  pardon ,  vous  ne 
voulez  pas  même  que  Dieu  leur  pardonne.  Que 
si  vous  demandez  pour  eux  cette  grande  et  éter- 
nelle félicité;  ne  voyez- vous  pas  que  c'est  être 
trop  aveugle ,  que  de  leur  envier  des  biens  pas- 
sagers 5  en  leur  désirant  les  biens  solides  et  per- 


manents :  car  en  les  troublant  dans  les  Lun^ 
temporels ,  vous  vous  privez  vous-même  des  biens 
éternels;  et  ainsi  vous  êtes  contraint,  malgré  la 
fureur  de  votre  colère,  de  leur  souhaiter  plus  dé 
bien  que  vous  en  souhaitez  à  vous-même  :  et 
après  cela  vous  n'avouerez  pas  que  votre  haine 
est  aveugle?  Que  si  vous  ne  lui  enviez  les  biens 
temporels,  que  parce  qu'il  vous  les  ôte  en  les  pos- 
sédant ,  ô  Dieu  éternel  !  que  ne  songez-vous  plutôt 
que  ces  biens  sont  bien  méprisables  ;  puisqu'ils 
sont  bornés  si  étroitement ,  que  la  jouissance  de 
l'un  sert  d'obstacle  à  l'autre?  et  que  n'aspirez- vous 
aux  vrais  biens  y  dont  la  richesse  et  l'abondance 
est  si  grande  qu'il  y  en  a  pour  contenter  tout  le 
monde?  Vous  en  pouvez  jouirsans  en  exclure  vos 
compétiteurs;  encore  qu'ils  soient  possédés  par 
les  autres ,  vous  ne  laisserez  pas  d^e  lès  posséder 
tout  entiers. 

Certes,  si  nous  désirions  ces  biens  comme  il 
faut;  il  n'y  aurait  point  d'inimitiés  dans  le  monde  : 
ce  qui  fait  les  inimitiés ,  c'est  le  partage  des  biens 
que  nous  poursuivons  ;  il  semble  que  nos  rivaux 
nous  ôtent  ce  qu'ils  prennent  pour  eux.  Or  les 
biens  éternels  se  communiquent  sans  se  parta* 
ger  :  ils  ne  font  ni  querelles ,  ni  jalousies  ;  ils  ne 
souffrent  ni  ennemis ,  ni  envieux,  à  cause  qu'ils 
sont  capables  de  satisfaire  tous  ceux  qui  ont  le 
courage  de  les  espérer  :  c'est  là ,  c'est  là ,  mes 
sœurs,  c'est  le  vrai  remède  contre  les  inimitiés 
et  la  haine.  Quel  mal  me  peut-on  faire ,  si  je  n'aime 
que  les  biens  divins?  je  n'appréhende  pas  qu'on 
me  les  ravisse.  Vous  m'ôterez  mes  biens  tempo- 
rels, mais  je  les  dédaigne  et  je  les  méprise;  j'ai 
porté  mes  espérances  plus  haut  :  je  sais  qu'ils 
n'ont  que  le  nom  de  bien ,  que  les  mortels  abu- 
sés leur  donnent  mal  à  propos;  et  moi,  je  veux 
aspirer  à  des  biens  solides  :  puisque  vous  ne  sau- 
riez m'ôter  que  des  choses  dont  je  ne  fais  point 
d^état,  vousne  sauriez  me  faire  d'injure;  parce 
que  vous  ne  sauriez  me  procurer  aucun  mal.  11 
est  vrai  que  vous  me  montrez  une  mauvaise 
volonté,  mais  une  mauvaise  volonté  inutile  :  et 
pensez- vous  que  cela  m'offense  ?  Non  non  :  ap- 
puyé sur  mon  Dieu ,  je  suis  infmiment  au-dessus 
de  votre  colère  et  de  votre  envie;  et  si  peu  que 
j'aie  de  connaissance ,  il  m'est  aisé  déjuger  qu'une 
mauvaise  volonté  sans  effet  est  plus  digne  de 
compassion  que  de  haine. 

Vous  voyez,  mes  sœurs,  que  les  aversions 
que  nous  concevons  ne  viennent  que  de  l'estime 
trop  grande  que  nous  faisons  des  biens  corrup- 
tibles; et  que  toutes  nos  dissensions  seraient  à 
jamais  terminées ,  si  nous  les  méprisions  comme 
ils  le  méritent.  Mais  je  m'éloigne  de  mon  sujet 
un  peu  trop  longtemps  :  retournons  à  notre  pré- 
sent, et  montrons  que  celui  à  qui  nous  l'ofiroA'' 


ATEC  NOS  FRKKi:S 


lO 


ne  le  peut  recevoir  que  des  âmes  réconciliées.  Je 
tranclie  en  peu  de  mots  ce  raisonnement  :  vous 
prendrez  le  loisir  d'y  faire  une  rcllexion  sérieuse. 
Permettez-moi  encore ,  mes  sœurs ,  que  je  parle 
en  votre  présence  à  cet  ennemi  irréconciliable 
qui  vient  présenter  à  Dieu  des  prières  qui  vien- 
nent d'une  âme  envenimée  par  un  cruel  désir  de 
vengeance. 

As-tu  vécu  si  innocemment,  que  tu  n'aies  ja- 
mais eu  besoin  de  demander  à  Dieu  la  rémission 
de  tes  crimes  ?  es-tu  si  assuré  de  toi-même ,  que 
tu  puisses  dire  que  tu  n'auras  plus  besoin  désor- 
mais d'une  pareille  miséricorde?  SI  tu  reconnais 
que  tu  as  reçu  de  Dieu  des  grâces  si  signalées  ; 
de  ta  part  ton  ingratitude  est  extrême  d'en  refu- 
ser une  si  petite ,  qu'il  a  bien  la  bonté  de  te  de- 
mander pour  ton  frère  qui  t'a  offensé  :  si  tu  espè- 
res encore  de  grandes  faveurs  de  lui ,  c'est  une 
étrange  folie  de  lui  dénier  ce  qu'il  te  propose  en  fa- 
veur de  tes  semblables.  Furieux, qui  ne  veux  pas 
pardonner,  ne  vois-tu  pas  que  toi-même  tu  vas 
prononcer  ta  sentence?  Si  tu  penses  qu'il  est  juste 
de  pardonner;  tu  te  condamnes  toi-même,  en 
disant  ce  que  tu  ne  fais  pas  :  s'il  n'est  pas  rai- 
sonnable qu'on  t'oblige  de  pardonner  à  ton  frère , 
combien  moins  est-il  raisonnable  que  Dieu  par- 
donne à  son  ennemi?  Ainsi,  quoi  que  tu  puisses 
dire,  tes  paroles  retomberont  sur  toi ,  et  tu  seras 
accablé  par  tes  propres  raisons.  Exagère  tant  que 
tu  voudras  la  malice  et  l'ingratitude  de  tes  enne- 
mis ;  ô  Dieu  î  où  te  sauveras-tu  si  Dieu  juge  de  tes 
actions  avec  la  même  rigueur!  Ah!  plutôt,  mon 
cher  frère ,  plutôt  que  d'entrer  dans  un  examen 
si  sévère ,  relâche-toi  ;  afin  que  Dieu  se  relâche. 
•  Jugement  sans  miséricorde ,  si  tu  refuses  de 
«  faire  miséricorde  '  :  »  grâce  et  miséricorde 
sans  aucune  aigreur,  si  tu  pardonnes  sans  aucune 
aigreur.  Pardonnez ,  et  je  pardonnerai  *.  Qui  de 
nous  ne  voudrait  acheter  la  rémission  de  crimes 
si  énormes ,  tels  que  sont  les  nôtres ,  par  l'oubli 
de  quelques  injures  légères ,  qui  ne  nous  parais- 
sent grandes  qu'à  cause  de  notre  ignorance  et  de 
l'aveugle  témérité  de  nos  passions  inconsidé- 
rées? 

Cependant  admirons,  mes  sœurs,  la  bonté 
ineffable  de  Dieu  ,  qui  aime  si  fort  la  miséricorde, 
que ,  non  content  de  pardonner  avec  tant  de  li- 
béralité tant  de  crimes  qui  se  font  contre  lui , 
il  veut  encore  obliger  tous  les  hommes  à  par- 
donner, et  se  sert  pour  cela  de  l'artifice  le  plus 
aimable  dont  jamais  on  se  puisse  aviser.  Quel- 
quefois quand  nous  voulons  obtenir  une  grâce 
considérable  de  nos  amis ,  nous  attendons  qu'eux- 
mêmes  ils  viennent  à  nous  pour  nous  demander 

'  Jac  11,  13. 
*  Mafth.  VI,  M. 
BOSSl-ET.  —  T.  III. 


quelque  chose  :  c'est  ainsi  que  fait  ce  bon  Père, 
qui  désire  sur  toutes  choses  de  voir  la  paix  parmi 
ses  enfants.  Ah  !  dit-il ,  on  l'a  offensé  ;  je  veux 
qu'il  pardonne  :  je  sais  que  cela  lui  sera  bien 
rude;  mais  il  a  besoin  de  moi  tous  les  jours  : 
bientôt,  bientôt  il  faudra  qu'il  vienne  lui-même 
pour  me  demander  pardon  de  ses  fautes  ;  c'est 
là,  dit-il,  que  je  l'attendrai.  Pardonne,  lui  di- 
rai-je,  si  tu  veux  que  je  te  pardonne  :  je  veux 
bien  me  relâcher,  si  tu  te  relâches.  0  miséricorde 
de  notre  Dieu,  qui  devient  le  négociateur  do 
notre  mutuelle  réconciliation  !  combien  sont  à 
plaindre  ceux  qui  refusent  des  conditions  si 
justes  ! 

O  Dieu!  je  frémis,  chères  sœurs,  quand  je 
considère  ces  faux  chrétiens  qui  ne  veulent  pas 
pardonner;  tous  les  jours  ils  se  condamnent  eux- 
mêmes,  quand  ils  disent  l'Oraison  dominicale  : 
Pardonnez,  disent-ils,  comme  nous  pardonnons  '. 
Misérable,  tu  ne  pardonnes  pas;  n'est-ce  pas 
comme  si  tu  disais  :  Seigneur,  ne  me  pardonnez 
pas;  comme  je  ne  veux  pas  pardonner?  Ainsi 
cette  sainte  Orciison ,  eu  laquelle  consiste  toute  \u 
bénédiction  des  fidèles ,  se  tourne  en  malédiction 
et  en  anathème  :  et  quels  chrétiens  sont-ce  que 
ceux-ci ,  qui  ne  peuvent  pas  dire  l'Oraison  do- 
minicale? Concluons  que  la  prière  n'est  pas 
agréable ,  si  elle  ne  vient  d'une  âme  réconciliée. 

*  Notre  autel  est  un  autel  dé  paix  :  le  sacri- 
fice que  nous  célébrons  ,  c'est  la  passion  de  Jésus. 
Il  est  mort  pour  la  réconciliation  des  ennemis  : 
il  ne  demandait  pas  à  son  Père  qu'il  le  vengeât 
des  siens  ;  mais  il  le  priait  de  leur  pardonner  : 
]Son  se  vinJicari,  sed  illis postulabat  ignosci^. 
Ce  sang  a  été  répandu  pour  pacifier  le  ciel  et  la 
terre  ;  non-seulement  les  hommes  à  Dieu ,  mais 
les  hommes  entre  eux  et  avec  toutes  les  créatu- 
res. Le  péché  des  hommes  avait  mis  en  guerre 
les  créatures  contre  eux ,  et  eux-mêmes  contre 
eux-mêmes  :  c'est  pour  leur  donner  la  paix  que 
Jésus  a  versé  son  sang.  Catilina  donne  du  sang  à 
ses  convives  ^  :  que  si  ce  sang  a  lié  entre  eux  une 
société  de  meurtres ,  de  perfidies  ;  le  sang  inno- 
cent du  patifique  Jésus  ne  pourra-til  pas  lier 
parmi  nous  une  sainte  et  véritable  concorde? 
Unus  panis ,  unum  corpus  muUisumus ,  omnes 
qui  de  unopane  participa7nus  *  :  «  Nous  ne 
«  sommes  tous  ensemble  qu'un  seul  pain  et  un 
«  seul  corps  ;  parce  que  nous  participons  tous  à 


'  ^fatth.  VI,  12. 

•  Cest  ici  que  devait  commencpr  le  second  point  rtu  ser- 
mon ,  mais  Bossuet  ne  l'a  qu'ébauché  sur  .«on  manuscrit ,  Pt  il 
l'a  laissé  dans  l'état  d'imperfection  où  il  se  trouve  fei.  (  Édil- 
de  Déforis.) 

*  S.  Léo,  de  Passion.  Dom.  Serm.  xi,  cap.  lit. 
'  Sal/iist.  Bel!.  Catilin.  n°  22. 

♦  I.  Cor.  X,  17. 


so 


SUR  LA  BONTÉ  ET  LA  RIGUEUR  DE  DIEU 


«  un  même  pain.  »  Quel  regret  a  un  père ,  quand  il 
voit  ses  enfants  à  sa  table ,  mangeant  un  commun 
pain,  et  se  regardant  les  uns  les  autres  avec  des 
yeux  de  colère  ?  Les  hommes  te  reçoivent  à  la 
sainte  table;  Jésus  le  grand  Pontife  t'excom- 
munie :  Retire-toi,  dit-il;  n'approche  pas  de  mon 
autel ,  que  tu  ne  sois  réconcilié  à  ton  frère. 


SERMON 


LE  NEUVIÈME  DIMANCHE  APRÈS  LA  PENTECOTE. 

Doctrine  extravagante  des  marcionites  sur  la  Divinité.  Com- 
l)ien  la  tendre  compassion  du  Sauveur  pour  les  hommes  a  été 
vive  et  efficace  pendant  les  jours  de  sa  vie  mortelle,  et  est 
encore  agissante  dans  la  félicité  de  la  gloire.  Contiance  qu'elle 
doit  nous  inspirer  :  comment  nous  devons  l'imiter.  Deux  ma- 
nières dont  il  peut  régner  sur  les  hommes;  l'une  pleine  de 
douceur,  l'autre  toute  de  rigueur.  Exemple  qu'il  nous  en 
donne  dans  sa  conduite  sur  le  peuple  juif.  Leçon  que  nous 
devons  tirer  de  la  terrible  vengeance  qu'il  exerce  sur  cette  na- 
Uou  inlidèLe. 


Ut  appropinquavit ,  videns  civitatem ,  flevit  super  eam  di- 
cens  :  Quia  si  cognovisses  et  tu ,  et  quidem  in  hac  die 
tua ,  quœ  ad  pacem  tibi  ;  nunc  autem  abscondita  suut 
ab  oculis  tuis. 

Comme  Jésus  s'approchait  de  Jérusalem ,  considérant 
cette  ville,  il  se  mit  à  pleurer  sur  elle  :  Si  tu  avais 
connu,  dit-il,  du  moins  en  ce  jour  qui  t'est  donné,  ce 
qu'il  faudrait  que  tu  fisses  pour  avoir  lapaix!  mais 
certes  ces  choses  sont  cachées  à  tes  yeux.  Luc.  xix,  41 . 

Comme  on  voit  que  de  braves  soldats ,  en  quel- 
ques lieux  écartés  où  les  puissent  avoir  jetés  les 
divers  hasards  de  la  guerre,  ne  laissent  pas  de 
marcher  dans  le  temps  préfix  au  rendez-vous  de 
leurs  troupes  assigné  par  le  général  :  de  même 
le  sauveur  Jésus,  quand  il  vit  son  heure  venue, 
se  résolut  de  quitter  toutes  les  autres  contrées  de 
la  Palestine,  par  lesquelles  il  allait  prêchant  la 
parole  de  vie;  et  sachant  très-bien  que  telle 
était  la  volonté  de  son  Père ,  qu'il  se  vînt  rendre 
dans  Jérusalem ,  pour  y  subir  peu  de  jours  après 
la  rigueur  du  dernier  supplice ,  il  tourna  ses  pas 
du  côté  de  cette  ville  perfide ,  afin  d'y  célébrer 
cette  pâque  éternellement  mémorable,  et  par 
l'institution  de  ses  saints  mystères ,  et  par  l'effu- 
sion de  son  sang.  Comme  donc  il  descendait  le 
long  de  la  montagne  des  Olives;  sitôt  qu'il  put 
découvrir  cette  cité,  il  se  mit  à  considérer  ses 
hautes  et  superbes  murailles ,  ses  beaux  et  invin- 
cibles remparts ,  ses  édifices  si  magnifiques ,  son 
temple  la  merveille  du  monde ,  unique  et  incom- 
parable comme  le  Dieu  auquel  il  était  dédié  : 
puis  repassant  en  son  esprit  jusqu'à  quel  point 
cette  ville  devait  être  bientôt  désolée ,  pour  n'a- 
voir point  voulu  suivre  ses  salutaires  conseils ,  il 


ne  put  retenir  ses  larmes;  et,  touché  au  vif  en 
son  cœur  d'une  tendre  compassion,  il  commença 
sa  plainte  en  ces  termes  :  Jérusalem,  cité  de 
Dieu ,  dont  les  prophètes  ont  dit  des  choses  si 
admirables  ' ,  que  mon  Père  a  choisie  entre  toutes 
les  villes  du  monde  pour  y  faire  adorer  son  saint 
nom  ;  Jérusalem ,  que  j'ai  toujours  si  tendrement 
aimée ,  et  dont  j'ai  chéri  les  habitants  comme 
s'ils  eussent  été  mes  propres  frères;  mais  Jérusa- 
lem ,  qui  n'as  payé  mes  bienfaits  que  d'ingrati- 
tude, qui  as  déjàmille  fois  dressé  des  embûches  à 
ma  vie,  et  enfin  dans  peu  de  jours  tremperas  tes 
mains  dans  mon  sang  :  ah  !  si  tu  reconnaissais ,  du 
moins  en  ces  jours  qui  te  sont  donnés  pour  faire 
pénitence,  si  tu  reconnaissais  les  grâces  que  je  t'ai 
présentées,  et  de  quelle  paix  tu  jouirais  sous  la 
douceur  de  mon  empire ,  et  combien  est  extrême 
le  malheur  de  ne  point  suivre  mes  commande- 
ments !  Mais ,  hélas  !  ta  passion  t'a  voilé  les  yeux, 
et  t'a  rendue  aveugle  pour  ta  propre  félicité  : 
viendra,  viendra  le  temps,  et  il  te  touche  de 
près ,  que  tes  ennemis  t'environneront  de  rem- 
parts ,  et  te  presseront ,  et  te  mettront  à  l'étroit , 
et  te  renverseront  de  fond  en  comble ,  parce  que 
tu  n'as  pas  connu  le  temps  dans  lequel  je  t'ai 
visitée. 

Il  n'y  eut  jamais  de  doctrine  si  extravagante , 
que  celle  qu'enseignaient  autrefois  les  marcio- 
nites ,  les  plus  insensés  hérétiques  qui  aient  ja- 
mais troublé  le  repos  de  la  sainte  Église.  Ils  s'é- 
taient figuré  la  Divinité  d'une  étrange  sorte  :  car, 
ne  pouvant  comprendre  comment  sa  bonté  si 
douce  et  si  bienfaisante  pouvait  s'accorder  avec 
sa  justice  si  sévère  et  si  rigoureuse,  ils  divisèrent 
l'indivisible  essence  de  Dieu,  ils  séparèrent  le  Dieu 
bon  d'avec  le  Dieu  juste.  Et  voyez,  s'il  vous  plaît, 
chrétiens,  si  vous  auriez  jamais  entendu  parler 
d'une  pareille  folie.  Ils  établirent  deux  dieux , 
deux  premiers  principes  ;  dont  l'un ,  qui  n'avait 
pour  toute  qualité  qu'une  bonté  insensible  et  dé- 
raisonnable ,  semblable  en  ce  point  à  ce  dieu  oisif 
et  inutile  des  épicuriens ,  craignait  tellement  d'ê- 
tre incommode  à  qui  que  ce  fût,  qu'il  ne  voulait 
pas  même  faire  de  la  peine  aux  méchants,  etpar 
ce  moyen  laissait  régner  le  vice  à  son  aise  :  d'où 
vient  que  Tertullien  le  nomme  :  «  un  dieu  sous 
«  l'empire  duquel  les  péchés  se  réjouissaient  :  » 
Sub  quo  delicta  gauderent  *. 

L'autre,  à  l'opposite,  étant  d'un  naturel  cruel 
et  malin ,  toujours  ruminant  à  part  soi  quelque 
dessein  de  nous  nuire ,  n'avait  point  d'autre  plai- 
sir que  de  tremper,  disaient-ils ,  ses  mains  dans 
le  sang,  et  tâchait  de  satisfaire  sa  mauvaise  hu- 
meur par  les  délices  de  la  vengeance  :  à  quoi  ils 

■   Ps.  LXXXVI ,  3. 

'  Advers.  Marcion.  liv.  Il ,  n°  13. 


i 


A  L'ÉGARD  DES  PÉCIIF/JRS. 


cun  de  ces  dieux  faisait  un  Christ  .i  sa  mode ,  et 
forniéseIonsongénie;desortequeNotre-Seigneur, 
qui  était  le  Fils  de  ce  Dieu  ennemi  de  toute  jus- 
tice, ne  devait  être ,  à  leur  avis ,  ni  juge ,  ni  ven- 
geur descriraes  ;  mais  seulement  maître,  médecin 
et  libérateur.  Certes,  je  m'étonnerais,  chrétiens, 
qu'une  doctrine  si  monstrueuse  ait  jamais  pu 
trouver  quelque  créance  parmi  les  fidèles,  si  je 
ne  savais  qu'il  n'y  a  point  d'abîme  d'erreurs 
dans  lequel  l'esprit  humain  ne  se  précipite,  lors- 
que, enflé  des  sciences  humaines,  et  secouant  le 
joug  de  la  foi,  il  se  laisse  emporter  à  sa  raison  éga- 
rée. Mais  autant  que  leur  opinion  est  ridicule  et 
impie,  autant  sont  admirables  les  raisonnements 
que  leur  opposent  les  Pères;  et  voici  entre  autres 
une  leçon  excellente  du  grave  Tertullien ,  au  se 
cond  livre  contre  Marcion. 

Tu  ne  t'éloignes  pas  tant  de  la  vérité ,  Marcion , 
quand  tu  dis  que  la  nature  divine  est  seulement 
bienfaisante.  «  Il  est  vrai  que,  dans  l'origine  des 
«  choses ,  Dieu  n'avait  que  de  la  bonté  ;  et  jamais 
«  il  n'aurait  fait  aucun  mal  à  ses  créatures ,  s'il 
"  n'y  avait  été  forcé  par  leur  ingratitude  :  »  Deus 
a  primordio  tantum  botrns'.  Ce  n'est  pas  que  sa 
justice  ne  l'ait  accompagné  dès  la  naissance  du 
monde  ;  mais  en  ce  temps  il  ne  l'occupait  qu'à 
donner  une  belle  disposition  aux  belles  choses 
qu'il  avait  produites  :  il  lui  faisait  décider  la  que- 
relle des  éléments  ;  elle  leur  assignait  leur  place; 
elle  prononçait  entre  le  ciel  et  la  terre ,  entre  le 
jour  et  la  nuit  ;  enfin  elle  faisait  le  partage  entre 
toutes  les  créatures  qui  étaient  enveloppées  dans 
la  confusion  du  premier  chaos.  Telle  était  l'occu- 
pation de  la  justice  dans  l'innocence  des  commen- 
cements. "■  Mais  depuis  que  la  malice  s'est  élevée , 
«  dit  Tertullien *,  depuis  que  cette  bonté  infinie, 
«  qui  ne  devait  avoir  que  des  adorateurs,  a  trouvé 
«  des  adversaires  :  »  Atenim,  ut  malum  postea 
erupit,  atque  indejam  cœpii  bonitas  Dei  cura 
adversario  agere;  «  la  justice  divine  a  été  obli- 
«  gée  de  prendre  un  bien  autre  emploi  :  il  a  fallu 
«  qu'elle  vengeât  cette  bonté  méprisée  ;  que  du 
«  moins  elle  la  fît  craindre  à  ceux  qui  seraient 
«  assez  aveugles  pour  ne  l'aimer  pas.  Par  consé- 
*  quent,  tu  t'abuses,  Marcion,  de  commettre  ainsi 
«  la  justice  avec  la  bonté,  comme  si  elle  lui  était 
«  opposée  :  au  contraire,  elle  agit  pour  elle ,  elle 
«  fait  ses  affaires,  elle  défend  ses  intérêts  :  »  Omne 
justitiœ  opus,  procuratio  bonitatis  est.  Et  voilà 
sans  doute  les  véritables  sentiments  de  Dieu  notre 
Père,  touchant  la  miséricorde  et  la  justice  :  ce 
qui  étant  ainsi ,  il  n'y  a  plus  aucune  raison  de 
Jouter  que  le  sauveur  Jésus ,  l'envoyé  du  Père , 

'  Jdvtrs.  Marcion  liv.  il,  n*  M. 
»  Jbid.  n*  13. 


il 

ajoutaient ,  pour  achever  cette  fable,  qu'un  cha-  ]  qui  ne  fait  rien  que  ce  qu'il  lui  voit  faire,  n'aie 

pris  les  mêmes  pensées. 

Et  sans  en  al  1er  chercher  d'autres  preuves  dans 
la  suite  de  sa  sainte  vie ,  l'évangile  que  je  vous 
ai  proposé  nous  en  donne  une  bien  évidente.  Mon 
Sauveur  s'approche  de  Jérusalem  ;  et  considérant 
l'ingratitude  extrême  de  ses  citoyens  envers  lui , 
il  se  sent  saisi  de  douleur,  il  lais  e  couler  des 
larmes  :  «  Ah!  si  tu  savais,  s'écrie-t-il,  ce  qui 
«  t'est  présenté  pour  la  paix!  »  Mais,  hélas!  tu 
es  aveuglée  :  Si  cognovisses'.  Qui  ne  voit  ici  les 
marques  d'une  véritable  compassion?  C'est  le 
propre  de  la  douleur  de  s'interrompre  elle-même, 
n  Ah:  si  tu  savais,  >•  dit  mon  Maître  :  puis  arrê- 
tant là  son  discours ,  plus  il  semble  se  retenir, 
plus  il  fait  paraître  une  véritable  tendresse  :  ou 
plutôt,  si  nous  l'entendons,  cç  t  Si  tu  savais,  ■ 
prononcé  a*ec  tant  de  transport ,  signifie  un  dé- 
sir violent;  comme  s'il  eût  dit  :  Ah!  plût  à  Dieu 
que  tu  susses!  C'est  un  désir  qui  le  presse  si  fort 
dans  le  cœur,  qu'il  n'a  pas  assez  de  force  pour 
l'énoncer  par  la  bouche  comme  il  le  voudrait,  et 
ne  le  peut  exprimer  que  par  un  élan  de  pitié. 
Ainsi  donc  la  voLx  de  ton  Pasteur  t'in^itc  à  la 
pénitence,  ô  ingrate  Jérusalem!  trop  heureuse, 
hélas!  que  tes  malheurs  soient  plaints  d'une  bou- 
che si  innocente,  et  pleures  de  ces  yeux  divins, 
si  ton  aveuglement  te  pouvait  permettre  de  pro- 
fiter de  ses  larmes.  Mais  comme  il  prévoit  que 
tu  seras  insensible  aux  témoignages  de  son  amour, 
il  change  ses  douceurs  en  menaces;  et  viendra 
le  temps,  poursuit-il,  que  tu  seras  entièrement 
ruinée  par  tes  ennemis  :  pour  quelle  raison  ?  parce 
que  tu  n'as  pas  reconnu  l'heure  dans  laquelle  je 
t'ai  visitée.  C'est  là  la  cause  de  leurs  misères  :  par 
ou  nous  voyons  que  ce  discours  de  mon  Maître 
n'est  pas  une  simple  prophétie  de  leur  disgrâce 
future.  Il  leur  reproche  le  mépris  qu'ils  ont  fait 
de  lui  ;  il  leur  fait  entendre  que  son  affection  mé- 
prisée se  tournera  en  fureur  ;  que  lui-même ,  qui 
daigne  les  plaindre,  les  verra  périr  sans  être 
touché  de  pitié,  et  qu'il  les  poursuivra  par  les 
mains  des  soldats  romains,  ministres  de  sa  ven- 
geance. 

Voilà  dans  le  même  discours  le  Sauveur  mi- 
séricordieux et  le  Sauveur  inexorable  ;  et  c'est  ce 
que  je  prétends  vous  faire  considérer  aujour- 
d'hui avec  l'assistance  divine.  Sachez ,  ô  fidèles! 
qu'étant  comme  nous  sommes,  l'Israël  de  Dieu 
et  les  vrais  enfants  de  la  race  d'Abraham ,  nous 
héritons  des  promesses  et  des  menaces  de  ce  pre- 
mier peuple  :  ce  que  mon  Maître  a  fait  une  fois  au 
sujet  de  Jérusalem ,  tous  les  jours  il  le  fait  à  notre 
sujet ,  ingrats  et  aveugles  que  nous  sommes  :  il 

'  Luc.  XIX ,  4t. 


52 


SUR  LA  BONTE  ET  LA  RIGUEUR  DE  DIEU 


invite  et  menace ,  il  embrasse  et  rejette  ;  premiè- 
rement doux ,  après  implacable.  Je  vous  repré- 
senterai donc  aujourd'hui,  par  l'explication  de 
mon  texte ,  les  larmes  et  les  plaintes  du  Sauveur 
qui  nous  appellent  à  lui  ;  puis  la  colère  du  même 
Sauveur  qui  nous  repousse  bien  loin  de  son  trône  ; 
Jésus  déplorant  nos  maux ,  à  cause  de  sa  propre 
bonté;  Jésus  devenu  impitoyable,  à  cause  de 
l'excès  de  nos  crimes.  Écoutez  premièrement  la 
voix  douce  et  bénigne  de  cet  Agneau  sans  tache  5 
et  après  vous  écouterez  les  terribles  rugissements 
de  ce  lion  victorieux ,  né  de  la  tribu  de  Juda  : 
c'est  le  sujet  de  cet  entretien. 

PREMIER    POINT. 

Pour  vous  faire  entendre  par  une  doctrine  so- 
lide combien  est  immense  la  miséricorde  de  no- 
tre Sauveur,  je  vous  prie  de  considérer  une  vé- 
rité que  je  viens  d'avancer  tout  à  l'heure,  et  que 
j'ai  prise  de  TertuUien.  Ce  grand  homme  nous  a 
enseigné  que  Dieu  a  commencé  ses  ouvrages  par 
un  épanchement  de  sa  bonté  sur  toutes  ses  créa- 
tures, et  que  sa  première  inclination,  c'est  de 
nous  bien  faire.  Et  en  vérité  il  me  semble  que  sa 
raison  est  bien  évidente;  car,  pour  bien  connaître 
quelle  est  la  première  des  inclinations ,  il  faut 
choisir  celle  qui  se  trouvera  la  plus  naturelle, 
d'autant  que  la  nature  est  la  racine  de  tout  le  reste. 
Or  notre  Dieu ,  chrétiens ,  a-t-il  rien  de  plus  na- 
turel que  cette  inclination  de  nous  enrichir  par 
la  profusion  de  ses  grâces?  Comme  une  source 
envoie  ses  eaux  naturellement,  comme  le  soleil 
naturellement  répand  ses  rayons;  ainsi  Dieu  na- 
turellement fait  du  bien  :  étant  bon ,  abondant, 
plein  de  richesses  infinies  par  sa  condition  natu- 
relle, il  doit  être  aussi ,  par  nature ,  bienfaisant, 
libéral ,  magnifique.  Quand  il  te  punit ,  ô  impie  ! 
la  raison  n'en  est  pas  en  lui-même;  il  ne  veut  pas 
que  personne  périsse  :  c'est  ta  malice ,  c'est  ton 
ingratitude  qui  attire  son  indignation  sur  ta  tête. 
Au  contraire ,  si  nous  voulons  l'exciter  à  nous  faire 
du  bien ,  il  n'est  pas  nécessaire  de  chercher  bien 
loin  des  motifs  ;  sa  propre  bonté,  sa  nature,  d'eil  e 
même  si  bienfaisante,  lui  est  un  motif  très- pres- 
sant, et  une  raison  intime  qui  ne  le  quitte  jamais. 
C'est  pourquoi  TertuUien  dit  fort  à  propos ,  que 
«  la  bonté  est  la  première,  parce  qu'elle  est  selon 
«  la  nature  :  »  Priorbonitas,  secundutn  naturam; 
»  et  que  la  sévérité  suit  après ,  parce  qu'il  lui  faut 
«  une  cause  :  »  Severitas  poslerior,  secundum 
causam  '  ;  comme  s'il  disait  ;  A  la  munificence 
divine ,  il  ne  lui  faut  point  de  raison ,  si  on  peut 
ynrler  de  la  sorte  ;  c'est  la  propre  nature  de  Dieu. 
Il  n'y  a  que  la  justice  qui  va  chercher  des  causes 

'  Adven.  Marcion.  liv.  u,  a"  II. 


et  des  raisons  :  encore  ne  les  cherche-t-elle  pas 
nous  166  lui  donnons;  c'est  nous  qui  fournis 
sons  par  nos  crimes  la  matière  à  sa  juste  ven 
geance.  Par  conséquent ,  comme  dit  très-bien  le 
même  TertuUien ,  «  ce  que  Dieu  est  bon ,  c'est  du 
«  sien  et  de  son  propre  fonds  ;  ce  qu'il  est  juste , 
«  c'est  du  nôtre  :  »  De  suo  optimusj  de  nostro 
justus  \  L'exercice  de  la  bonté  lui  est  souverai- 
nement volontaire  ;  celui  de  la  justice ,  forcé  :  ce- 
lui-là procède  entièrement  du  dedans;  celui-ci, 
d'une  cause  étrangère.  Or,  il  est  évident  que  ce 
qui  est  naturel,  intérieur,  volontaire,  précède 
toujours  ce  qui  est  étranger  et  contraint.  Il  est 
donc  vrai ,  ce  que  j'ai  touché  dès  l'entrée  de  ce 
discours,  ce  que  je  viens  de  prouver  par  les  raisons 
de  TertuUien ,  «  que ,  dans  l'origine  des  choses , 
'<  Dieu  n'a  pu  faire  paraître  que  de  la  bonté  :  » 
Deus  a  primordio  tantum  bornes. 

Passons  outre  maintenant ,  et  disons  :  Le  sau- 
veur Jésus ,  chrétiens ,  notre  amour  et  notre 
speérance ,  notre  pontife ,  notre  avocat ,  notre  in- 
tercesseur, qu'est-il  venu  faire  au  monde?  qu'est- 
ce  que  nous  en  apprend  le  grand  apôtre  saint 
Paul  ^  ?  N'enseigne-t-il  pas  qu'il  est  venu  pour  re- 
nouveler toutes  choses  en  sa  personne,  pour  ra- 
mener tout  à  la  première  origine ,  pour  reprendre 
les  premières  traces  de  Dieu  son  Père ,  et  réfor- 
mer toutes  les  créatures  selon  le  premier  plan , 
la  première  idée  de  ce  grand  Ouvrier?  C'est  la 
doctrine  de  saint  Paul  en  une  infinité  d'endroits 
de  ses  divines  Épîtres  :  et  partant ,  n'en  doutons 
pas,  le  Fils  de  Dieu  est  venu  sur  la  terre  revêtu 
de  ces  premiers  sentiments  de  son  Pè>"e  :  c'est- 
à-dire,  ainsi  que  je  l'ai  exposé  tout  à  l'heure,  de 
clémence ,  de  bonté ,  de  charité  infinie.  C'est  pour- 
quoi nous  expliquant  le  sujet  de  sa  mission  :  «  Dieu 
«  n'a  pas  envoyé  son  Fils  au  monde ,  dit-il  ^ ,  afin 
'<  de  juger  le  monde;  mais  afin  de  sauver  le 
«  monde.  » 

Mais  n'a-t-il  pas  assuré,  direz-vous ,  que  «  son 
"  Père  avait  remis  tout  son  jugement  en  ses 
«  mains*?  »  et  ses  apôtres  n'ont-ils  pas  prêché 
par  toute  la  terre,  après  son  ascension  triom- 
phante, que  «  Dieu  l'avait  établi  juge  des  vivants 
«et  des  morts ^?  «  «  Néanmoins,  dit-il^,  je  ne 
«  suis  pas  envoyé  pour  juger  le  monde.  »  Tout  lé 
pouvoir  de  mon  ambassade  ne  consiste  qu'en  une 
négociation  de  paix  :  et  plût  à  Dieu  que  les  hom- 
mes ingrats  eussent  voulu  recevoir  l'éternelle 
miséricorde  que  je  leur  étais  venu  présenter  !  Je 
ne  paraissais  sur  la  terre  que  pour  leur  bien  faire  ; 

•  De  Resurr.  carn.  n"  U. 
'  Philipp.  m,  21. 

3  Joan.  m,  17. 

♦  Ibid.  V ,  22. 

«  Joan.  XU,  47. 


A  L'ÉGAUD  DES  PÉCUKURS. 


S3 


m.\is  leur  malice  a  contraint  mon  Père  d'atta- 
cher  la  qualité  de  juge  à  ma  première  commis- 
sion. Ainsi  sa  première  qualité  est  celle  de  sau- 
veur ;  celle  déjuge  est,  pour  ainsi  dire,  accessoire  : 
et  d'autant  [qu'il]  ne  l'a  acceptée  que  comme 
a  regret ,  y  étant  obligé  par  les  ordres  exprès  de 
son  Père,  de  là  vient  qu'il  en  a  réservé  l'exer- 
cice à  la  fin  des  siècles.  En  attendant,  il  reçoit 
r\iiséricordieusemeat  tous  ceux  qui  viennent  à 
lui;  il  s'offre  de  bon  cœur  à  eux,  pour  être  leur 
intercesseur  auprès  de  son  Père  :  enfin  telle  est 
sa  charge ,  et  telle  est  sa  fonction  ;  il  n'e^t  envoyé 
que  pour  faire  miséricorde. 

Et  à  ce  propos,  il  me  souvient  d'un  petit  mot 
de  saint  Pierre ,  par  lequel  il  dépeint  fort  bien  le 
Sauveur  à  Corneille.  «  Jésus  de  Nazareth ,  dit-il , 
«  homme  approuvé  de  Dieu,  qui  passait  bien 
-  faisant  et  guérissant  tous  les  oppressés  :  ^  Per- 
transiit  benefaciendo ,  et  sanando  omnes  op- 
pressas a  diabolo  '.  0  Dieu  !  les  belles  paroles , 
et  bien  dignes  de  mon  Sauveur  !  La  folle  élo- 
quence du  siècle,  quand  elle  veut  élever  quelque 
valeureux  capitaine,  dit  qu'il  a  parcouru  les 
provinces  moins  par  ses  pas,  que  par  ses  victoi- 
res '.  Les  panégyriques  sont  pleins  de  sembla- 
bles discours.  Et  qu'est-ce  à  dire,  à  votre  avis, 
que  parcourir  les  provinces  par  des  victoires? 
n'est-ce  pas  porter  partout  le  carnage  et  la  pille- 
'  rie?  Ah!  que  mon  Sauveur  a  parcouru  la  Judée 
d'une  manière  bien  plus  aimable!  il  l'a  parcou- 
rue moins  par  ses  pas  que  par  ses  bienfaits.  11 
allait  de  tous  côtés ,  guérissant  les  malades ,  con- 
solant les  misérables,  instruisant  les  ignorants, 
annonçant  à  tous  avec  une  fermeté  invincible  la 
parole  de  vie  éternelle ,  que  le  Saint-Esprit  lui 
&\aitm\se  hlahoucheiPertransiit  benefaciendo. 
Ce  n'était  pas  seulement  les  lieux  où  il  arrêtait , 
qui  se  trouvaient  mieux  de  sa  présence  :  autant 
de  pas,  autant  de  vestiges  de  sa  bonté.  Il  rendait 
remarquables  les  endroits  par  où  il  passait ,  par 
la  profusion  de  ses  grâces.  En  cette  bourgade, 
il  n'y  a  plus  d'aveugles  ni  d'estropiés  :  sans  doute, 
disait-on ,  le  débonnaire  Jésus  a  passé  par  là. 

Et  eu  effet,  chrétiens,  quelle  contrée  de  la 
Palestine  n'a  pas  expérimenté  mille  et  mille  fois 
sa  douceur?  Et  je  ne  doute  pas  qu'il  n'eût  été 
chercher  les  malheureux  jusqu'au  bout  du  monde, 
si  les  ordres  de  son  Père  ne  l'eussent  arrêté  en 
Judée.  Vit-il  jamais  un  misérable  qu'il  n'en  eût 
pitié?  Ah  !  queje  suis  ravi,  quand  je  vois  dans  son 
Évangilequ'il  n'entreprend  presquejamaisaucune 
guérison  importante ,  qu'il  ne  donne  auparavant 
quelque  marque  de  compassion  !  il  y  en  a  mille 
beaux  endroits  dans  les  Évangiles.  La  première 

'  .4cL  X,  38. 

»  PUn.  Secund.  Païug,  Traj.  diet. 


grâce  qu'il  leur  faisait ,  c'était  de  les  plaindre  en 
son  âme  avec  une  affection  véritablement  pater- 
nelle :  son  cœur  écoutait  la  voix  de  la  misère  qui 
l'attendrissait,  et  en  même  temps  il  sollicitait 
son  bras  à  les  soulager. 

Que  ne  ressentons-nous  du  moins,  ô fidèles, 
quelque  peu  de  cette  tendresse  !  Nous  n'avons  pas 
en  nos  mains  ce  grand  et  prodigieux  pouvoir  pour 
subvenir  aux  nécessités  de  nos  pauvres  frères  : 
mais  Dieu  et  la  nature  ont  inséré  dans  nos  âmes 
je  ne  sais  quel  sentiment  qui  ne  nous  permet  pas 
de  voir  souffrir  nos  semblables,  sans  y  prendre 
part,  à  moins  que  de  n'être  plus  hommes.  Mes 
frères,  faisons  donc  voir  aux  pauvres  que  nous 
sommes  touchés  de  leurs  misères ,  si  nous  n'avons 
pas  dépouillé  toute  sorte  d'humanité.  Ceux  qui 
ne  leur  donnent  qu'à  regret ,  que  pour  se  déli- 
vrer de  leurs  importunités ,  ont-ils  jamais  pris  la 
peine  de  considérer  que  c'est  le  Fils  de  Dieu  qui 
les  leur  adresse;  que  ce  serait  bien  souvent  leur 
faire  une  double  aumône ,  que  de  leur  épargner 
la  honte  de  nous  demander  ;  que  toujours  la  pre- 
mière aumône  doit  venir  du  cœur  ;  je  veux  dire , 
fidèles ,  une  aumône  de  tendre  compassion  :  c'est 
un  présent  qui  ne  s'épuise  jamais;  il  y  en  a  dans 
nos  âmes  un  ti'ésor  immense  et  une  source  infi  - 
nie  ;  et  cependant  c'est  le  seul  dont  le  Fils  de  Dieu 
fait  état.  Quand  vous  distribuez  de  l'argent  ou  du 
pain  c'est  faire  l'aumône  au  pauvre  ;  mais  quand 
vous  accueillez  le  pauvre  avec  ce  sentiment  de 
tendresse,  savez-vous  ce  que  vous  faites?  vous^ 
faites  l'aumône  à  Dieu  :  «  J'aime  mieux,  dit-il',. 
'<  la  miséricorde  que  le  sacrifice'.  »  C'est  alors 
que  votre  charité  donne  des  ailes  à  cette  matière 
pesante  et  terrestre  ;  et  par  les  mains  des  pauvres , 
dans  lesquelles  vous  la  consignez,  elle  la  fait 
monter  devant  Dieu  comme  une  offrande  agréa- 
ble. C'est  alors  que  vous  devenez  véritablement 
semblables  au  sauveur  Jésus ,  qui  n'a  pris  une 
.chair  humaine  qu'afin  de  compatir  à  nos  infir** 
mités  avec  une  affection  plus  sensible. 

Oui  certes ,  il  est  vrai ,  chrétiens  :  ce  quia  feit 
résoudre  le  Fils  de  Dieu  à  se  revêtir  d'une  chair 
semblable  à  la  nôtre ,  c'est  le  dessein  qu'il  a  eu 
de  ressentir  pour  nous  une  compassion  véritable; 
eten  voici  la  raison,  prise  de  l'épîtreaux  Hébreux, 
dont  je  m'en  vais  tâcher  de  vous  exposer  la  doc- 
trine ;  et  rendez-[  vous  ],  s'il  vous  plaît,  attentifs.  Si 
le  Fils  de  Dieu  n'avait  prétendu  autre  chose  que 
de  s'unir  seulement  à  quelques-unes  de  ses  créa- 
tures; les  intelligences  célestes  se  présentaient ,  ce 
semble,  à  propos  dans  son  voisinage ,  qui ,  à  rai- 
son de  leur  immortalité  et  de  leurs  autres  qualité-s 
éminentes,  ont  sans  doute  plus  de  rapport  avec 
la  nature  divine  :  mais ,  certes ,  il  n'avait  q\xj^ 

'  M-atlh.  I\,  13. 


54 


SUR  LA  BONTÉ  ET  LA  RIGUEUR  DE  DIEU 


faire  de  chercher  dans  ses  créatures  ni  la  gran- 
deur ni  l'immortalité.  Qu'est-ce  qu'il  y  cherchait, 
chrétiens?  la  misère  et  la  compassion.  C'est  pour- 
quoi, dit  excellemment  la  savante  épître  aux 
Hébreux  :  Non  angelos  apprehendit;  sed  semen 
Abrahœ  apprehendit  '■  :  «  Il  n'a  pas  pris  la  na- 
«  tuve  angélique  ;  mais  il  a  voulu  prendre ,  »  ser- 
vons-nous des  mots  de  l'auteur,  «  il  a  voulu  ap- 
«  préhender  la  nature  humaine.  «Label  le  réflexion 
que  fait ,  à  mon  avis ,  sur  ces  mots  le  docte  saint 
Jean-Chrysostôme M  II  a,  dit  l'apôtre,  appré- 
hendé la  nature  humaine  :  elle  s'enfuyait,  elle 
ne  voulait  point  du  Sauveur  :  qu'a-t-il  fait?  Il  a 
couru  après  d'une  course  précipitée ,  «  sautant 
n  les  montagnes  ^ ,  »  c'est-à-dire ,  les  ordres  des 
anges,  comme  il  est  écrit  aux  Cantiques  :  «  Il  a 
«  couru,  comme  un  géant,  à  grands  pas  et  dé- 
«  mesurés,  »  passant  en  un  moment  du  ciel  en 
la  terre  :  Exuliavit  ut  gigas  ad  currendam 
viam*.  Là  il  atteint  cette  fugitive  nature,  il  l'a 
saisie ,  il  l'a  appréhendée  au  corps  et  en  l'âme  : 
Semen  Abrahœ  apprehendit.  Uaeupourses  frè- 
res, c'est-à  dire ,  pour  nous  autres  hommes,  une 
si  grande  tendresse ,  «  qu'il  a  voulu  en  tout  point 
«  se  rendre  semblable  à  eux  :  »  Debuitper  omnia 
fratribus  similari^.  Il  a  vu  que  nous  étions  com- 
posés de  chair  et  de  sang  :  pour  cela ,  il  a  pris 
non  un  corps  céleste,  comme  disaient  les  marcio- 
nites  ;  non  une  chair  fantastique  et  un  spectre 
d'homme,  comme  assuraient  les  manichéens; 
quoi  donc?  une  chair  tout  ainsi  que  nous,  un 
sang  qui  avait  les  mêmes  qualités  que  le  nôtre  : 
Quiapuericommunicaveruntcamietsanguini, 
et  ipse  siiniliter  participavit  iisdem^^,  dit  le 
grand  apôtre  aux  Hébreux  ;  et  cela  pour  quelle 
raison?  Vt  misericors fieret^  :  «  afin  d'être  mi- 
«  séricordieux ,  »  poursuit  le  même  saint  Paul. 

Eh  quoi  donc ,  le  fils  de  Dieu ,  dans  l'éternité 
de  sa  gloire,  était-il  sans  miséricorde?  Non,  cer- 
tes :  mais  sa  miséricorde  n'était  pas  accompagnée 
d'une  compassion  effective  ;  parce  que ,  comme 
vous  savez,  toute  véritable  compassion  suppose 
quelque  douleur  ;  et  partant  le  fils  de  Dieu ,  dans 
le  sein  du  Père  éternel ,  était  également  incapa- 
ble de  pâtir  et  de  compatir  :  et  lorsque  l'Écriture 
attribue  ces  sortes  d'affections  à  la  nature  divine, 
vous  n'ignorez  pas  que  cette  façon  de  parler  ne 
peut  être  que  figurée.  C'estcequia  obligé  le  Sau- 
veur à  prendre  une  nature  humaine;  «  parce  qu'il 
«  voulait  ressentir  une  réelle  et  véritable  pitié  :  »  Ut 

'■  Hebr.  ii,  16. 

•^  In. Episl.  Ad  Hebr.  Homil.  V,  n"  I;  t.  xii,  p.  51. 

'  Cant.  11,8. 

*  Ps.  XVIU ,  6. 

>  Hebr.  II ,  17. 

«  Ibid.  U. 

'  Jbid.  17. 


misericors  fieret.  Si  donc  il  voulait  être  touché 
pour  nous  d'une  pitié  réelle  et  véritable ,  il  fallait 
qu'il  prît  une  nature  capable  de  ces  émotions  :  ou 
bien  disons  autrement,  et  toutefois  toujours  dans 
les  mêmes  principes  :  Notre  Dieu,  dans  la  gran- 
deur de  sa  majesté ,  avait  pitié  de  nous  comme 
de  ses  enfants  et  de  ses  ouvrages  ;  mais  depuis 
l'incarnation,  il  a  commencé  à  nous  plaindre, 
comme  ses  frères,  comme  ses  semblables,  comme 
des  hommes  tels  que  lui.  Depuis  ce  temps-là,  il 
ne  nous  a  pas  plaints  seulement  comme  l'on  voit 
ceux  qui  sont  dans  le  port  plaindre  souvent  les 
autres  qu'ils  voient  agités  sur  la  mer  d'une  fu- 
rieuse tourmente  ;  mais  il  nous  a  plaints  comme 
ceux  qui  courent  le  même  péril  se  plaignent  les 
uns  les  autres ,  par  une  expérience  sensible  de 
leurs  communes  misères  :  enfin,  l'oserai-je  dire? 
il  nous  a  plaints ,  ce  bon  frère ,  comme  ses  com- 
pagnons de  fortune,  comme  ayant  eu  à  passer 
par  les  mêmes  misères  que  nous;  ayant  eu,  ainsi 
que  nous ,  une  chair  sensible  aux  douleurs ,  et 
un  sang  capable  de  s'émouvoir,  et  une  tempé- 
rature de  corps  sujette,  comme  la  nôtre,  à  toutes 
les  incommodités  de  la  vie  et  à  la  nécessité  de 
la  mort.  C'est  pourquoi  l'apôtre  se  glorifie  de  la 
grande  bénignité  de  notre  pontife  :  «  Ahl  nous 
«  n'avons  pas  un  pontife ,  dit-il  ' ,  qui  soit  insen- 
«  sible  à  nos  maux  :  »  Non  habemus pontificem , 
gui  nonpossit  compati  infirmitatibus  nostris  : 
pour  quelle  raison?  «  Parce  qu'il  a  passé  partoute 
«  sorte  d'épreuves  :  »  Tentatum  per  omnia. 

Vous  le  savez ,  chrétiens  ;  parmi  toutes  les 
personnes  dont  nous  plaignons  les  disgrâces ,  il 
n'y  en  a  point  pour  lesquelles  nous  soyons  émus 
d'une  compassion  plus  tendre ,  que  celles  que  nous 
voyons  dans  les  mêmes  afflictions ,  dont  quelque 
fâcheuse  rencontre  nous  a  fait  éprouver  la  rigueur. 
Vous  perdez  un  bon  ami  ;  j'en  ai  perdu  un  autre- 
fois :  dans  cette  rencontre  d'afflictions ,  ma  dou- 
leur et  ma  compassion  s'en  échauffera  davantage  ; 
je  sais  par  expérience  combien  il  est  sensible  de 
perdre  un  ami.  Ici  je  vous  annonce  une  douce 
consolation ,  ô  pauvres  nécessiteux ,  malades  op- 
pressés, enfin  généralement  misérables,  quels 
que  vous  soyez.  Jésus  mon  pontife  n'a  épargné  à 
son  corps  ni  les  sueurs ,  ni  les  fatigues,  ni  la  faim, 
ni  la  soif,  ni  les  infirmités,  ni  la  mort  :  il  n'a 
épargné  à  son  esprit  ni  les  tristesses ,  ni  les  in- 
jures, ni  les  ennuis,  ni  les  appréhensions.  ODieu! 
qu'il  aura  d'inclination  de  nous  assister,  nous 
qu'il  voit  du  plus  haut  des  cieux  battus  de  ces 
mêmes  orages  dont  il  a  été  autrefois  attaqué! 
Tentatum  per  omnia.  Il  a  tout  pris  jusqu'aux 
moindres  choses ,  «  tout  jusqu'aux  plus  grandes 
«  infirmités ,  si  vous  en  exceptez  le  péché  :  » 

'  tieor.  IT ,  15. 


A  L'ÉGARD  DES  PKCKKURS. 


m 


Abquc  peccato  •  :  encore  connaît-il  bien  par  sa 
propre  expérience  combien  est  grand  le  poids  du 
péché  :  «  il  a  daigné  porter  les  nôtres  à  la  croix 
«  sur  ses  épaules  innocentes  :  »  Peccala  nostra 
ipse  pcrtuUt  in  corpore  suo  super  lignum  \  On 
dirait  «  qu'il  s'est  voulu  rendre  en  quelque  sorte 
«  semblable  aux  pécheurs  :  »  In  similitudinem 
cnmis  peccati,  dit  saint  Paul  %  afin  de  déplorer 
leur  misère  avec  une  plus  grande  tendresse.  De 
là  ces  larmes  amères,  de  là  ces  plaintes  chari- 
tables que  nous  avons  vues  aujourd'hui  dans 
notre  évangile. 

Et  je  remarque,  ô  fidèles  ,  que  cette  compas- 
sion ne  l'a  pas  seulement  accompagné  durant  le 
cours  de  sa  vie  :  car  si  l'apôtre  l'a ,  comme  vous 
voyez,  attachée  à  sa  qualité  de  pontife;  selon  sa 
doctrine ,  tout  pontife  doit  compatir.  Or  le  Sau- 
veur n'a  pas  seulement  été  mon  pontife ,  lorsqu'il 
s'est  immolé  pour  mes  péchés  sur  la  croix  : 
«  mais  à  présent  il  est  entré  au  sanctuaire  par  la 
«  vertu  de  son  sang;  afin  de  paraître  pour  nous 
«  devant  la  face  de  Dieu  4,  »  et  y  exercer  un  sacer- 
doce éternel  selon  Tordre  de  Melchisédech.  Il  est 
donc  pontife  et  sacrificateur  à  jamais  ;  c'est  la 
doctrine  du  même  apôtre  :  ce  qui  a  donné  la 
hardiesse  à  l'admirable  Origène  de  dire  ces  affec- 
tueuses paroles  :  «  Mon  Seigneur  Jésus  pleure 
«  encore  mes  péchés,  il  gémit  et  soupire  pour 
«  nous  :  »  Domimis  meus  Jésus  luget  etiam  nunc 
peccatamea,  gémit  suspiratque  pro  nobis".  Il 
veut  dire  que ,  pour  être  heureux ,  il  n'en  a  pas 
dépouillé  les  sentiments  d'humanité  :  il  a  encore 
pitié  de  nous  ;  il  n'a  pas  oublié  ses  longs  travaux, 
ni  toutes  les  autres  épreuves  de  son  laborieux 
pèlerinage  :  il  a  compassion  de  nous  voir  passer 
une  vie  dont  il  a  éprouvé  les  misères ,  qu'il  sait 
être  assiégée  de  tant  de  diverses  calamités.  Ce 
sentiment  le  touche  dans  la  félicité  de  sa  gloire, 
encore  qu'il  ne  le  trouble  pas;  il  agit  en  son 
cœur,  bien  qu'il  n'agite  pas  son  cœur  :  si  nous 
avions  besoin  de  larmes ,  il  en  donnerait. 

Pour  moi,  je  vous  l'avoue ,  chrétiens,  c'est  là 
mon  unique  espérance  ;  c'est  là  toute  ma  joie  et 
le  seul  appui  de  mon  repos  :  autrement ,  dans  quel 
désespoir  ne  m'abîmerait  pas  le  nombre  infini  de 
mes  crimes?  Quand  je  considère  le  sentier  étroit 
sur  lequel  Dieu  m'a  commandé  de  marcher;  la 
prodigieuse  difficulté  qu'il  y  a  de  retenir,  dans 
un  chemin  si  glissant,  une  volonté  si  volage  et 
si  précipitée  que  la  mienne;  quand  je  jette  les 
yeux  sur  la  profondeur  impénétrable  du  cœur 
de  l'homme ,  capable  de  cacher  dans  ses  replis 

'  Hebr.\,  15. 
'  I.  Petr.  II ,  24. 

*  Bom.  yni,  3. 

«  Hpl>r  IX,  12,24. 

*  bi  Levil.  Ilmn.  tu,  !»•  2,  t.  n,  p.  281. 


tortueux  tant  d'inclinations  corrompues  dor.t  je 
n'aurai  nulle  connaissance  ;  enfin,  quand  je  vois 
l'amour-propre  faire  pour  l'ordinaire  la  meil- 
leure partie  de  mes  actions  ;  je  frémis  d'horreur, 
ô  fidèles,  qu'il  ne  se  trouve  beaucoup  de  péchés 
dans  les  choses  qui  me  paraissent  les  plus  imio- 
centes  :  et  quand  même  je  serais  très-jusle  de- 
vant les  hommes,  ô  Dieu  éternel,  quelle  justice 
humaine  ne  disparaîtrait  point  devant  votre  face? 
et  qui  serait  celui  qui  pourrait  justifier  sa  vie,  si 
vous  entriez  avec  lui  dans  un  examen  rigoureux  ? 
Si  le  saint  apôtre  saint  Paul ,  après  avoir  dit  avec 
une  si  grande  assurance,  «  qu'il  ne  se  sent  point 
«  coupable  en  soi-même ,  ne  laisse  pas  de  crain- 
«dre  de  n'être  pas  justifié  devant  vous:  »  ISihil 
miki  conscius  sum  ;  sed  non  in  hoc  justijicatus 
sum  '  ;  que  dirai-je ,  moi  misérable?  et  quels  de- 
vront donc  être  les  troubles  de  ma  conscience? 
Mais,  ô  mon  aimable  Pontife,  c'est  vous  qui  ré- 
pandez une  certaine  sérénité  dans  mon  cœur,  qui 
me  fait  vivre  en  paix  sous  l'ombre  de  votre  pro 
tection.  Pontife  fidèle ,  et  compatissant  à  mes 
maux  ;  non  ,  tant  que  je  vous  verrai  à  la  droite 
de  votre  Père  avec  une  nature  semblable  à  la 
mienne,  je  ne  croirai  jamais  que  le  genre  humain 
lui  déplaise ,  et  la  terreur  de  sa  majesté  ne  m'em- 
pêchera point  d'approcher  de  l'asile  de  sa  miséri- 
corde. Vous  avez  voulu  être  appelé,  par  le  pro • 
phète  Isaïe,  «  un  homme  de  douleure,  et  qui 
«  sait  ce  que  c'est  que  l'infirmité  :  »  Virum  do- 
lorum,  et  scientem  infinnilaiem^.  Vous  savez  eu 
effet  par  expérieiice,  vous  savez  ce  que  c'est  que 
l'infirmité  de  ma  chair,  et  combien  elle  pèse  à 
l'esprit,  et  que  vous-même  en  votre  passion  avez 
eu  besoin  de  toute  votre  constance  pour  en  sou- 
tenir la  faiblesse.  «  L'esprit  est  fort ,  disiez-vous; 
«  mais  la  chair  est  infirme^  :  »  cela  me  rend  très- 
certain  que  vous  aurez  pitié  de  mes  maux.  For- 
tifiez mon  âme ,  ô  Seigneur,  d'une  sainte  et  sa- 
lutaire confiance,  par  laquelle  me  défiant  des 
plaisirs",  me  défiant  des  honneurs  de  la  terre,  me 
défiant  de  moi-même ,  je  n'appuie  mou  cœur  que 
sur  votre  miséricorde  ;  et  établi  sur  ce  roc  immo- 
bile ,  je  voie  briser  à  mes  pieds  les  troubles  et  les , 
tempêtes  qui  agitent  la  vie  humaine. 

Mais ,  ô  Dieu ,  éloignez  de  moi  une  autre  sorte 
de  confiance  qui  règne  parmi  les  libertins; 
confiance  aveugle  et  téméraire,  qui,  ajoutant 
l'audace  au  crime ,  et  l'insolence  à  l'ingratitude , 
les  enhardit  à  se  révolter  contre  vous  par  l'espé- 
rance de  l'impunité.  Loin  de  nous ,  loin  de  nous, 
ô  fidèles  !  une  si  détestable  manie  :  car  de  même 
que  la  pénitence ,  en  même  temps  qu'elle  amollit 

»  I.  Cor.  IT,4. 

*  Is.  LUI ,  3. 

»  MattU.  XXVI,  41. 


56 


SUR  LA  BONTÉ  ET  LA  RIGUEUR  DE  DIEU 


la  dureté  de  oos  cœurs,  attendrit  aussi  et  amol- 
lit par  SCS  larmes  le  cœur  irrité  de  Jésus;  ainsi 
notre  endurcissement  nous  rendrait  à  la  fm  le 
cœur  du  même  Jésus  endurci  et  inexorable.  Ar- 
rèlons-nousici,  chrétiens;  et  sur  cette  considé- 
ration ,  entrons  avec  l'aide  de  Dieu  dans  notre 
seconde  partie. 

SECOND    POINT. 

Ceux  qui  sont  tant  soit  peu  versés  dans  les 
Écritures,  savent  bien  qu'une  des  plus  belles  pro- 
messes que  Dieu  ait  faites  à  son  Fils ,  est  celle  de 
lui  donner  l'empire  de  tout  l'univers ,  et  de  faire 
par  ce  moyen  que  tous  les  hommes  soient  ses  su- 
jets. Or  encore  que  nous  fassions  semblant  d'être 
chrétiens,  et  qu'à  nous  entendre  parler,  on  pût 
croire  que  nous  tenons  ce  titre  à  honneur  ;  si  est- 
ce  néanmoins  que  nous  n'épargnons  rien  pour 
empêcher  que  cet  oracle  divin  ne  soit  véritable. 
Et  certainement  il  s'en  faut  beaucoup  que  le 
Sauveur  ne  régne  sur  nous  ;  puisque  d'observer 
sa  loi ,  c'est  la  moindre  de  nos  pensées  :  et  toute- 
fois, comme  il  serait  très-injuste  qu'à '^cause 
de  notre  malice  ,  le  Fils  de  Dieu  fût  privé  d'un 
honneur  qu'il  lui  est  si  bien  dû;  lorsque  par  nos 
rébellions  il  semble  que  nous  nous  retirions  de 
son  empire,  il  trouve  bien  le  moyen  d'y  rentrer 
par  une  autre  voie.  Le  Fils  de  Dieu  donc  peut  ré- 
gner en  deux  façons  sur  les  hommes. 

Il  y  en  a  sur  lesquels  il  règne  par  ses  charmes, 
par  les  attraits  de  sa  grâce ,  par  l'équité  de  sa  loi, 
par  la  douceur  de  ses  promesses ,  par  la  force  de 
ses  vérités;  ce  sont  les  justes  ses  bien-aimés  :  et 
c'est  ce  règne  que  David  prophétise  en  esprit  au 
psaume  :  «  Allez,  ô  le  plus  beau  des  hommes, 
«  avec  cette  grâce  et  cette  beauté  qui  vous  est  si 
«  naturelle;  allez-vous-en,  dit-il,  combattre  et 
«  régner  :  »  Specie  tua  et  pulchritudine  tua'. 
Que  cet  empire  est  doux,  chrétiens  !  et  de  quel 
supplice,  de  quelle  servitude  ne  seront  pas  digues 
ceux  qui  refuseront  une  domination  si  juste  et  si 
agréable?  Aussi  le  Fils  de  Dieu  régnera  sur  eux 
d'une  autre  manière,  bien  étrange,  et  qui  ne 
leur  sera  pas  supportable  :  il  y  régnera  par  la 
rigueur  de  ses  ordonnances,  par  l'exécution  de  sa 
justice,  par  l'exercice  de  sa  vengeance.  C'est  de 
ce  règne  qu'il  faut  entendre  le  psaume  second  , 
dans  lequel  Dieu  est  introduit  parlant  àsonFilsen 
ces  termes  :  «  Vous  les  régirez,  ô  mon  Fils,  avec 
«  un  sceptre  de  fer,  et  vous  les  romprez  tout  ainsi 
«  quun  vaisseau  d'argile  :  »  Reges  eos  in  virga 
ferrea,  etsicut  vasfiguli  confringes  eos  '  ;  et  ces 
autres  paroles  :  «  Asseyez- vous  à   ma  droite , 
(.  jusqu'à  ce  que  je  réduise  vos  ennemis  à  vous 

•    Ps.   XLIV  ,  5. 

«  Ibid.  11,9. 


«  servir  de  marche-pied  :  »  Donec  ponam  inimî- 
cos  iuos  scabellum  pedum  tuorum  '  ;  et  celles-ci  : 
«  Le  Seigneur  règne;  que  la  terre  tressaille  de 
"  joie!  »  Domimis  regnavit;exultet  terra' l  cel- 
les-là enfin  :  «  Le  Seigneur  règne  ;  que  tous  les 
«  peuples  soient  saisis  de  frayeur  !  »  Dominus  re- 
gnavit;  irascantur  populi  ^1  Et  de  ces  vérités , 
nous  en  avons  un  exemple  évident  dans  le  peuple 
juif. 

Le  Fils  de  Dieu  vient  à  eux  dans  un  appareil 
de  douceur,  plutôt  comme  leur  compagnon  que 
comme  leur  maître.  C'était  un  homme  sans  faste 
et  sans  bruit ,  le  plus  paisible  qui  fût  au  monde  : 
il  voulait  régner  sur  eux  par  sa  miséricorde  et 
par  ses  bienfaits ,  ainsi  que  je  vous  le  disais  tout 
à  l'heure.  Mais  comme  il  n'y  a  point  de  fontaine 
dont  la  course  soit  si  tranquille ,  à  laquelle  on 
ne  fasse  prendre  par  la  résistance  la  rapidité  d'un 
terrent  ;  de  même  le  Sauveur,  irrité  par  tous  ces 
obstacles  que  les  Juifs  aveugles  opposent  à  sa 
bonté ,  semble  déposer  en  un  moment  toute  cette 
humeur  pacifique.  C'est  ce  qu'il  leur  fit  enten- 
dre une  fois,  étant  près  de  Jérusalem ,  par  une 
parabole  excellente,  rapportée  en  saint  Luc  ;  dans 
laquelle  il  sedépeint  soi-même  sous  la  figure  d'un 
roi  qui ,  s'en  étant  allé  bien  loin  dans  une  terre 
étrangère ,  apprend  que  ses  sujets  se  sont  révoltés 
contre  lui  ;  et  pour  vous  le  faire  court ,  voici  la 
"  sentence  qu'il  leur  prononce  :  «  Pour  mes  en- 
«  nemis,  dit-il  4,  qui  nout  pas  voulu  que  je  ré- 
«  gnasse  sur  eux ,  qu'on  me  les  amène ,  et  qu'on 
«  les  égorge  en  ma  présence  :  »  où,  certes,  vous 
le  voj'ezbien  autre  que  je  ne  vous  le  représentais 
dans  ma  première  partie.  Là ,  il  ne  pouvait  voir 
un  misérable,  qu'il  n'en  eût  pitié:  ici,  il  fait  venir 
ses  ennemis ,  et  les  fait  égorger  à  ses  yeux. 

En  effet,  il  a  exercé  sur  les  Juifsune  punition 
exemplaire ,  que  vous  voyez  clairement  déduite 
dans  notre  évangile  :  et  d'autant  qu'il  m'a  sem- 
blé inutile  de  chercher  bien  loin  des  raisons ,  où 
mon  propre  texte  me  fournit  un  exemple  si  visi- 
ble et  si  authentique  dans  la  désolation  de  Jéru- 
salem ;  je  me.sis^s  résolu  de  me  servir  des  moyens 
que  le  Fils  de  Dieu  lui-même  semble  m'avoir 
mis  à  la  main.  Je  m'en  vais  donc  employer  le 
reste  de  cet  entretien  à  vous  représenter,  si  je 
puis,  les  ruines  de  Jérusalem  encore  toutes  fu- 
mantes du  feu  de  la  colère  divine  :  et  comme 
vous  avez  reconnu,  dans  notre  première  partie , 
qu'il  n'y  a  rien  de  plus  aimable  que  les  erabras- 
sements  du  Sauveur,  j'espère  qu'étant  étonnés 
dans  le  fond  de  vos  consciences  d'un  évépemen  l 


'  Pu.  cix ,  a. 

3  V>id.  xcvi,  I. 

'  Ibid.  xcviil ,  l. 

<  Luc.  XIX,  12  etseqq. 


A  L'ÉGARD  DES  PÉC HEURS. 


57 


»j  tragique,  vous  serez  eontraints  d'avouer  qu'il 
n'y  a  rien  de  plus  terrible  que  de  tomber  en  ses 
mains ,  quand  sa  bonté ,  surmontée  par  la  mul- 
titude des  crimes,  est  devenue  implacable  :  pour 
cela ,  je  toucherai  seulement  les  principales  cir- 
constances. 

Jérusalem ,  demeure  de  tant  de  rois ,  qui ,  dans 
le  temps  qu'elle  fut  ruinée,  était  sans  difficulté 
la  plus  ancienne  ville  du  monde ,  et  le  pouvait 
disputer  en  beauté  avec  celles  qui  étaient  les 
plus  renommées  dans  tout  l'Orient;  pendant 
deux  mille  et  environ  deux  cents  ans  qui  ont  me- 
suré sa  durée ,  a  certainement  éprouvé  beaucoup 
de  différentes  fortunes  :  mais  nous  pouvons  tou- 
tefois assurer  que,  tandis  qu'elle  est  demeurée 
dans  l'observance  de  la  loi  de  Dieu ,  elle  était 
la  plus  paisible  et  la  plus  heureuse  ville  du  monde. 
Mais  déjà  il  y  avait  longtemps  qu'elle  se  ren- 
dait de  plus  en  plus  rebelle  à  ses  volontés,  qu'elle 
souillait  ses  mains  par  le  meurtre  de  ses  saints 
prophètes ,  et  attirait  sur  sa  tête  un  déluge  de 
sang  innocent  qui  grossissait  tous  les  jours  ;  jus- 
qu'à tant  que  ses  iniquités  étant  montées  jusqu'au 
dernier  comble ,  elles  contraignirent  enfin  la  jus- 
tice divine  à  en  faire  un  châtiment  exemplaire. 
Comme  donc  Dieu  avait  résolu  que  cette  vengeance 
éclatât  par  tout  l'univers ,  pour  servir  à  tous  les 
peuples  et  à  tous  les  âges  d'un  mémorial  éternel, 
il  y  voulut  employer  les  premières  personnes  du 
monde ,  je  veux  dire  les  Romains ,  maîtres  de  la 
terre  et  des  mers,  Vespasien  et  Tite,  que  déjà  il 
avait  destinés  à  l'empire  du  genre  humain  :  tant 
il  est  vrai  que  les  plus  grands  potentats  de  la 
terre  ne  sont,  après  tout,  autre  chose  que  les  mi- 
nistres de  ses  conseils  ! 

Et  afin  que  vous  ne  croyiez  pas  que  ce  débor- 
dement de  l'armée  romaine  dans  la  Judée  soit 
plutôt  arrivé  par  un  événement  fortuit ,  que  par 
un  ordre  exprès  de  la  Providence  divine,  écou- 
tez la  menace  qu'il  en  fait  à  son  peuple  par  la 
bouche  de  son  serviteur  Moïse  ;  c'est-à-dire ,  six 
à  sept  cents  ans  avant  que  ni  Jérusalem  ni  Rome 
fussent  bâties;  elle  est  couchée  au  Deutéronome. 
«  Israël ,  dit  Moïse ,  si  tu  résistes  jamais  aux  vo- 
«  lontés  de  ton  Dieu ,  il  amènera  sur  toi ,  des  ex- 
«  trémitésde  la  terre,  une  nation  inconnue ,  dont 
«  tu  ne  pourras  entendre  la  langue  •  ;  »  c'est-  à- 
dire,  avec  laquelle  tu  n'auras  aucune  sorte  de 
commerce  :  ce  sont  les  propres  mots  de  Moïse. 

Un  mot  de  réflexion,  chrétiens.  Les  Mèdes,  les 
Perses,  les  Syriens,  dont  nous  apprenons,  par 
l'histoire ,  que  Jérusalem  a  subi  le  joug  avant  sa 
dernière  ruine ,  étaient  tous  peuples  de  l'Orient, 
avec  lesquels  par  conséquent  elle  pouvait  entre- 
tenir un  commerce  assez  ordinaire  :  mais  pour 


les  Romains,  que  de  vastes  mers,  que  de  longs 
espaces  de  terre  les  en  séparaient  !  Rome  à  l'Oc- 
cident, Jérusalem  à  son  égard  jusque  dans  les 
confins  de  l'Orient;  c'est  ce  qu'on  appelle  pro- 
prement les  extrémités  de  la  terre.  Aussi  les 
Romains  s'étaient  déjà  rendus  redoutables  par 
tout  le  monde ,  que  les  Juifs  ne  les  connaissaient 
encore  que  par  quelques  bruits  confus  de  leur 
grandeur  et  de  leurs  victoires.  Mais  poursuivons 
notre  prophétie. 

«  Ce  peuple  viendra  fondre  sur  toi  tout  ainsi 
«  qu'une  aigle  volante  :«  Insimilitudinemaguilce 
volantis.  Ne  vous  semble-t-il  pas  à  ces  marques 
reconnaître  le  symbole  de  l'empire  romain ,  qui 
portait  dans  ses  étendards  une  aigle  aux  ailes  dé- 
ployées? Passons  outre.  nUnenation  audacieuse, 
«  continue  Moïse»,  »  (et  y  eut -il  jamais  peuple 
plus  orgueilleux  que  les  Romains,  ni  qui  eût  un 
plus  grand  mépris  pour  tous  les  autres  peuples  du 
monde,  qu'ils  considéraient  à  leur  égard  comme 
des  esclaves?)  «  qui  ne  respectera  point  tesvieil- 
«  lards ,  et  n'aura  point  de  pitié  de  tes  enfants.  » 
Ceci  me  fait  souvenir  de  cette  fatale  journée  dans 
laquelle  les  soldats  romains  étant  entrés  de  force 
dans  la  ville  de  Jérusalem ,  sans  faire  aucune  dis- 
tinction de  sexe  ni  d'âge ,  les  enveloppèrent  tous 
dans  un  massacre  commun.  Quoi  plus?  «  Ce  peu- 
«  pie ,  dit  Moïse ,  t'assiégera  dans  toutes  tes  pla- 
«  ces  :  »  et  il  paraît  par  l'histoire  qu'il  n'y  en  a 
eu  aucune  dans  la  Judée  qui  n'ait  été  contrainte 
de  recevoir  garnison  romaine,  et  quasi  toutes 
après  un  long  sié^e.  Et  enfin  «  ils  porteront  par 
«  terre  tes  hautes  et  superbes  murailles  qui  te 
1  rendaient  insolente  :  »  Destruentur  mûri  tui 
firmi  atque  sublimes,  in  quitus  habehas  fidu- 
ciam*.  Ne  dirait-on  pas  que  le  prophète  a  voulu 
dépeindre  ces  belles  murailles  de  Jérusalem ,  ces 
fortifications  si  régulières,  ces  remparts  si  su- 
perbement élevés ,  «  ces  tours  de  si  admirable 
«  structure ,  qu'il  n'y  avait  rien  de  semblable 
«  dans  tout  l'univers ,  »  selon  que  le  rapporte 
Josèphe^?  et  tout  cela  toutefois  fut  tellement 
renversé ,  qu'au  dire  du  même  Josèphe,  historien 
juif,  témoin  oculaire  de  toutes  ces  choses  et  de 
celles  que  j'ai  à  vous  dire ,  «  il  n'y  resta  pas  au- 
«  cun  vestige  que  cette  ville  eût  jamais  été  <.  » 

0  redoutable  fureur  de  Dieu,  qui  anéantis 
tout  ce  que  tu  frappes  !  Mais  il  fallait  accomplir 
la  prophétie  de  mon  Maître,  qui  assure  dans  mon 
évangile,  «  qu'il  ne  demeurerait  pas  pierre  sur 
«  pierre  dans  l'enceinte  d'une  si  grande  ville  :  » 


•  Deut.  XXXVIII ,  50. 
»  Ibid.  52. 

3  De  Bell.  Judaic.  lib.  v,  cap.  iv,  n*  3,  p.  1333.  E4.  Oxon. 
720. 

*  Ibid.  lib.  TU, cap.  i,  n"  I,  p.  IM6. 


58 


SUR  LA  BONTÉ  ET  LA  RIGUEUR  DE  DIEU 


Non  relinquent  in  te  lapidera  super  lapidcm  '. 
C'est  ce  que  firent  les  soldats  romains,  en  exé- 
cution des  ordres  de  Dieu  :  et  Tite,  leur  capitaine 
et  le  fils  de  leur  empereur,  après  avoir  mis  fin 
à  celte  fameuse  expédition,  resta  toute  sa  vie  tel- 
lement étonné  des  marques  de  la  vengeance  di- 
vine ,  qu'il  avait  si  évidemment  découverte  dans 
la  suite  de  cette  guerre ,  que  quand  on  le  congra- 
tulait d'une  conquête  si  glorieuse  :  «  Non ,  non , 
«  disait-il ,  ce  n'est  pas  moi  qui  ai  dompté  les 
«  Juifs;  je  n'ai  fait  qne  prêter  mon  bras  à  Dieu , 
«  qui  était  irrité  contre  eux*.  »  Parole  que  j'ai 
d'autant  plus  soigneusement  remarquée,  qu'elle 
a  été  prononcée  par  un  empereur  infidèle,  et 
qu'elle  nous  est  rapportée  par  Philostrate ,  histo- 
rien profane,  dans  la  Vie  d'Apollonius  Thya- 
neus. 

Après  cela,  chrétiens,  nous  qui  sommes  les 
enfants  de  Dieu ,  comment  ne  serons-nous  point 
effrayés  de  ses  jugements,  qui  étonnent  jusqu'à 
ses  ennemis?  Mais  ce  n'est  ici  que  la  moindre 
partie  de  ce  qu'il  prépare  à  ce  peuple  :  vous  al- 
lez voir  tout  à  l'heure  quelles  machines  il  fait 
jouer,  quand  il  veut  faire  sentir  la  pesanteur  de 
son  bras  aux  grandes  villes  et  aux  nations  tout 
entières;  et  Dieu  veuille  que  nous  n'en  voyions 
pas  quelque  funeste  exemple  en  nos  jours  !  Non, 
non ,  nation  déloyale ,  ce  n'est  pas  assez ,  pour  te 
punir,  de  l'armée  des  Romains  :  non  que  les  Ro- 
mains, je  l'avoue,  ne  soient  de  beaucoup  trop  forts 
pour  toi  ;  et  c'est  en  vain  que  tu  prétends  défen- 
dre ta  liberté  contre  ces  maîtres  du  monde.  Mais, 
s'ils  sont  assez  puissants  pour  te  surmonter,  il 
faut  quelque  chose  de  plus  pour  t'affliger  ainsi 
que  tu  le  mérites  :  que  deux  ou  trois  troupes  de 
Juifs  séditieux  entrent  donc  dans  Jérusalem ,  et 
qu'elle  en  devienne  la  proie,  afin  que  tous  en- 
semble ils  deviennent  la  proie  des  Romains. 

0  Dieu,  quelle  fureur!  l'ennemi  est  à  leurs 
portes,  et  je  vois  dans  la  ville  trois  ou  quatre  fac- 
tions contraires  qui  se  déchirent  entre  elles,  qui 
toutes  décliirent  le  peuple,  se  faisant  entre  elles 
une  guerre  ouverte  pour  l'honneur  du  commande- 
ment ;  mais  unies  toutefois  par  la  société  de  crimes 
et  de  voleries.  Figurez-vous  dans  Jérusalem  plus 
de  vingt-deux  mille  hommes  de  guerre,  gens  de 
carnage  et  de  sang,  qui  s'étaient  aguerris  par  leurs 
brigan  lages;  au  reste,  si  déterminés,  qu'on  eût 
dit,  rapporte  Josèphe',  qu'ils  se  nourrissaient 
d'incommodités,  et  que  la  famine  et  la  peste  leur 
donnaient  de  nouvelles  forces.  Toutefois ,  mes- 
sieurs ,  ne  les  considérez  pas  comme  des  soldats 

^  Luc.  XIX,  44. 

'  Philost.  Apol.  Tyan.  Vit.  lib.  VI ,  cap.  iv. 
*  De  Bell.  Judaic.  lib.  V,  cap.  viil ,  n'  2 ,  t.  il ,  p.  1238  ;  cap. 
\t\,  n"  4 ,  p.  1253;  cap.  xiii ,  n"  7,  p.  125«. 


destinés  contre  les  Romains  :  ce  sont  des  bourreau  x 
que  Dieu  a  armés  les  uns  contre  les  autres.  Chose 
incroyable,  et  néanmoins  très-certaine!  à  peine 
retournaient-ils  d'un  assaut  soutenu  contre  les  Ro- 
mains ,  qu'ils  se  livraient  dans  leur  ville  de  plus 
cruelles  batailles  :  leurs  mains  n'étaient  pas  encore 
essuyées  du  sang  de  leurs  ennemis ,  et  ils  les  ve- 
naient tremper  dans  celui  de  leurs  citoyens.  Tite 
les  pressait  si  vivement,  qu'à  peine  pouvaient-ils 
respirer;  et  ils  se  disputaient  encore  les  armes 
à  la  main  à  qui  commanderait  dans  cette  ville  ré- 
duite aux  abois ,  qu'eux-mêmes  avaient  désolée 
par  leurs  pilleries,  et  qui  n'était  presque  plus 
qu'un  champ  couvert  de  corps  morts. 

Vous  vous  étonnez  à  bon  droit  de  cet  aveugle- 
ment, dont  ils  sont  encore  menacés  dans  mou 
vingt-huitième  chapitre  du  Deutéronome  :  Perçu- 
tiam  vos  amenfia  etfurore  mentis  '  :  «  Je  vous 
•  frapperai  de  folie  et  d'aliénation  d'esprit.  »  Mais 
peut-être  vous  ne  remarquez  pas  que  Dieu  a 
laissé  tomber  les  mêmes  fléaux  sur  nos  têtes.  La 
France,  hélas!  notre  commune  patrie,  agitée 
depuis  si  longtemps  par  une  guerre  étrangère, 
achève  de  se  désoler  par  ses  divisions  intestines. 
Encore ,  parmi  les  Juifs,  tous  les  deux  partis  cons- 
piraient à  repousser  l'ennemi  commun ,  bien  loin 
de  vouloir  se  fortifier  par  son  secours,  ou  y  en- 
tretenir quelque  intelligence  :  le  moindre  soupçon 
en  était  puni  de  mort  sans  rémission.  Et  nous , 

au  contraire Ah!  fidèles,  n'achevons  pas; 

épargnons  un  peu  notre  honte  :  songeons  plutôt 
aux  moyens  d'apaiser  la  juste  colère  de  Dieu ,  qui 
commence  à  éclater  sur  nos  têtes;  aussi  bien  la 
suite  de  mon  récit  me  rappelle. 

Je  vous  ai  fait  voir  l'ennemi  qui  les  presse  au 
dehors  des  murailles  ;  vous  voyez  la  division  qui 
les  déchire  au  dedans  de  leur  ville  :  voici  un  en- 
nemi plus  cruel  qui  va  porter  une  guerre  fuiieuse 
au  fond  des  maisons.  Cet  ennemi  dont  je  veux 
parler,  c'est  la  faim ,  qui,  suivie  de  ses  deux  sa- 
tellites ,  la  rage  et  le  désespoir,  va  mettre  aux 
mains  non  plus  les  citoj'^ens  contre  les  citoyens, 
mais  le  mari  contre  la  femme  et  le  père  contre 
les  enfants  ;  et  cela  pour  quelques  vieux  restes 
de  pain  à  demi  rongés.  Que  dis-je  pour  du  pain? 
ils  eussent  [été]  trop  heureux  :  pour  cent  ordures 
qui  sont  remarquées  dans  l'histoire ,  et  que  je 
m'abstiens  de  nommer  par  le  respect  de  cette  au- 
dience: jusque-là  qu'une  femme  dénaturée,  qui 
avait  un  enfant  dans  le  berceau  (ô  mères ,  détour- 
nez vos  oreilles  !  ) ,  eut  bien  la  rage  de  le  massacrer, 
de  le  faire  bouillir,  et  de  le  manger.  Action  abo- 
minable, et  qui  fait  dresser  les  cheveux,  prédite 
toutefois  dans  le  chapitre  du  Deutéronome  que 

'  Dcut.  XXVIII,  a«. 


A  L'ÉGARD  DES  PECHEURS. 


69 


I 


J'ai  déjà  cité  tant  de  fois  :  «  Je  te  réduirai  m  une 
«  telle  extrémité  tle  famine,  que  tu  mangeras  le 
«  frnit  de  ton  ventre:  »  Comedes  fructum  uteri 
tiii  '. 

Et,  à  la  vérité,  chrétiens,  quand  je  fais  ré- 
flexion sur  les  diverses  calamités  qui  affligent  la 
vie  humaine;  entre  toutes  les  autres  la  famine  me 
semble  être  celle  qui  représente  mieux  l'état  dune 
&me  criminelle,  et  la  peine  qu'elle  mérite.  L'âme , 
aussi  bien  que  le  corps ,  a  sa  faim  et  sa  nourri- 
ture :  cette  nourriture,  c'est  la  vérité,  c'est  un 
bien  permanent  et  solide ,  c'est  une  pure  et  sincère 
l)eauté;  et  tout  cela  c'est  Dieu  même.  Comme  donc 
elle  se  sent  piquée  d'un  certain  appétit  qui  la  rend 
affamée  de  quelque  bien  hors  de  soi ,  elle  se  jette 
avec  avidité  sur  l'objet  des  choses  créées  qui  se 
présentent  à  elle ,  espérant  s'en  rassasier;  mais  ce 
sont  viandes  creuses ,  qui  ne  sont  pas  assez  fortes , 
et  n'ont  pas  assez  de  corps  pour  la  sustenter  :  au 
contraire ,  la  retirant  de  Dieu ,  qui  est  sa  véritable 
et  solide  nourriture,  ils  la  jettent  insensiblement 
dans  une  extrême  nécessité,  et  dans  une  famine 
désespérée.  D'où  vient  que  l'enfant  prodigue, 
si  vous  y  prenez  garde,  sortant  de  la  maison  pa- 
ternelle, arrive  en  un  pays  où  il  y  a  une  horrible 
famine  »  ;  et  le  mauvais  riche ,  enseveli  dans  les 
flammes ,  demande  et  demandera  éternellement 
une  goutte  d'eau ,  qui  ne  lui  sera  jamais  accordée  ^. 
C'est  la  véritable  punition  des  damnés ,  toujours 
tourmentés  d'une  faim  et  d'une  soif  si  enragée , 
qu'ils  se  rongent  et  se  consument  eux-mêmes  dans 
leur  désespoir.  Que  si  vous  voulez  voir  une  image 
de  l'état  où  ils  sont ,  jetez  les  yeux  sur  cette  nation 
réprouvée ,  enclose  dans  les  murailles  de  Jéru- 
salem. 

Il  n'est  pas  croyable  combien  il  y  avait  de 
monde  renfermé  dans  cette  ville  :  car  outre  que 
Jérusalem  était  déjà  fort  peuplée,  tous  les  Juifs 
y  étaient  accourus  de  tous  côtés ,  afin  de  célébrer 
la  pâque ,  selon  leur  coutume.  Or  chacun  sait  la 
religion  de  ce  peuple  pour  toutes  ses  cérémonies. 
Comme  donc  ils  y  étaient  assemblés  des  millions 
entiers  ;  l'armée  romaine  survint  tout  à  coup  et 
forma  le  siège,  sans  que  l'on  eût  le  loisir  de  pour- 
voir à  la  subsistance  d'un  si  grand  peuple.  Ici  je 
ne  puis  que  je  n'interrompe  mon  discours,  pour 
admirer  vos  conseils,  ô  éternel  Roi  des  siècles, 
qui  choisissez  si  bien  le  temps  de  surprendre  vos 
ennemis.  Ce  n'était  pas  seulement  les  habitants 
de  Jérusalem  ;  c'était  tous  les  Juifs  que  vous  vou- 
liez châtier.  Voilà  donc,  pour  ainsi  dire,  toute 
la  nation  enfermée  dans  une  même  prison ,  comme 
étant  déjà  par  vous  condamnée  au  dernier  sup- 

»  Deut.  XXTIII,  53. 
*  Luc.  XV,  U. 
»  Ibid.  XTI,  24. 


plice  :  et  cela  dans  le  temps  de  Pâques,  la  prin- 
cipale de  leurs  solennités;  pour  accomplir  cette 
fameuse  prophétie ,  par  laquelle  vous  leur  dénon- 
ciez ■<  que  vous  changeriez  leurs  fêtes  eu  deuil  :  » 
Convertam  festivitates  vestras  in  luclum  '.  Cer- 
tes ,  vous  vous  êtes  souvenu ,  ô  grand  Die« ,  que 
c'était  dans  le  temps  de  Pâques  que  leurs  pères 
avaient  osé  emprisonner  le  Sauveur  :  vous  leur 
rendez  le  change,  ô  Seigneur!  et  dans  le  même 
temps  de  Pâques ,  vous  ehiprisonnez  dans  la  capi- 
tale de  leur  pays  leurs  enfants ,  imitateurs  de  leur 
opiniâtreté. 

En  effet,  qui  considérera  l'état  de  Jérusalem ,  et 
les  travaux  dont  l'empereur  Tite  fit  environner 
ses  murailles  ;  il  la  prendra  plutôt  pour  une  prison, 
que  pour  une  ville  :  car  encore  que  son  armée  fût 
de  près  de  soixante  raille  hommes  des  meilleurs 
soldats  de  la  terre,  il  ne  croyait  pas  pouvoir  tel- 
lement tenir  les  passages  fermés ,  que  les  Juifs , 
qui  savaient  tous  les  détours  des  chemins,  n'échap- 
passent à  travers  de  son  camp ,  ainsi  que  des  loups 
affamés,  pour  chercher  de  la  nourriture.  Jugez 
de  l'enceinte  de  la  ville,  que  soixante  mille  hom- 
mes ne  peuvent  assez  environner.  Que  fait-il?  il 
prend  une  étrange  résolution ,  et  jusqu'alors  in- 
connue :  ce  fut  de  tirer  tout  autour  de  Jérusalem 
une  muraille,  munie  de  quantité  de  forts;  et  cet 
ouvrage ,  qui  d'abord  paraissait  impossible ,  fui 
achevé  en  trois  jours,  non  sans  quelque  vertu 
plus  qu'humaine.  Aussi  Josèphe  remarque  «  que 
«  je  ne  sais  quelle  ardeur  céleste  saisit  tout  à  coup 
«  l'esprit  des  soldats  *  ;  »  de  sorte  qu'entreprenant 
ce  grand  œuvre  sous  les  auspices  de  Dieu ,  ils  en 
imitèrent  la  promptitude. 

Voilà,  voilà,  chrétiens,  la  prophétie  de  mon 
évangile  accomplie  de  point  en  point.  Te  voilà 
assiégée  de  tes  ennemis,  comme  mon  Maitre  te 
l'a  prédit  ([uarante  ans  auparavant  ?  «  0  Jérusa- 
«  lem,  te  voilà  pressée  de  tous  côtés;  ils  t'ont  mise 
«  à  l'étroit,  ils  font  environnée  de  remparts  et 
«  de  forts ^  :  »  ce  sont  les  mots  de  mon  texte;  et  y 
a-t-il  une  seule  parole  qui  ne  semble  y  avoir  été 
mise  pour  dépeindre  cette  circonvallation ,  non 
de  lignes,  mais  de  murailles?  Depuis  ce  temps, 
quels  discours  pourraient  vous  dépeindre  leur 
faim  enragée,  leur  fureur  et  leur  désespoir  ;  et  la 
prodigieuse  quantité  de  morts  qui  gisaient  dans 
leurs  rues  sans  espérance  de  sépultures ,  exhalant 
de  leurs  corps  pourris  le  venin,  la  peste  et  1^ 
mort? 

Cependant ,  ô  aveuglement  !  ces  peuples  insen-. 
ses,  qui  voyaient  accomplir  à  leurs  yeux  tant  d'il-, 
lustres  prophéties  tirées  de  leurs  propres  livres , 


'  Jmos.  viiî ,  10. 

'  De  Bell.  Judaic  lib.  v,  cap.  xii,  n'  2,p.  I2M. 

■'  Luc.  xn,  43- 


co 


SUR  LA  BONTlî  ET  LA  RIGUEUR  DE  DIEU 


écoutaient  encore  un  tas  de  devins  qui  leur  pro- 
mettaient l'empire  du  monde  :  comme  l'endurci 
Pharaon ,  qui ,  voyant  les  grands  prodiges  que  la 
main  de  Dieu  opérait  par  la  main  de  Moïse  et 
d'Aaron  ses  ministres,  avait  encore  recours  aux 
Illusions  de  ses  enchanteurs' .  Ainsi  Dieu  a  accou- 
tumé de  se  venger  de  ses  ennemis  :  ils  refusent 
de  solides  espérances;  il  les  laisse  séduire  par 
mille  folles  prétentions  :  ils  s'obstinent  à  ne  vouloir 
point  recevoir  ses  inspirations;  il  leur  pervertit 
le  sens,  il  les  abandonne  à  leurs  conseils  furieux  : 
ils  s'endurcissent  contre  lui;  «  le  ciel  après  cela 
«  devient  de  fer  sur  leur  tête  :  »  Dabo  vohis  cœlum 
desupersicutferrum  ^  ;  il  ne  leur  envoie  plus  au- 
cune influence  de  grâce. 

Ce  fut  cet  endurcissement  qui  fit  opiniâtrer  les 
Juifs  contre  les  Romains,  contre  la  peste,  contre  la 
famine ,  contre  Dieu  qui  leur  faisait  la  guerre  si 
ouvertement;  cet  endurcissement,  dis-je,  les  fit 
tellement  opiniâtres ,  qu'après  tant  de  désastres  il 
fallut  encore  prendre  leur  villede force  :  ce  qui  fut 
le  dei-niertrait  decolèreque  Dieu  lança  surelle.  Si 
on  eût  composé ,  à  la  faveur  de  la  capitulation , 
beaucoup  de  Juifs  se  seraient  sauvés  :  Tite  lui- 
même  ne  les  voyait  périr  qu'à  regret.  Or  il  fallait 
à  la  justice  divine  un  nombre  infini  de  victimes; 
elle  voulait  voir  onze  cent  mille  hommes  couches 
sur  la  place,  danslesiége  d'une  seule  ville  :  et  après 
cela  encore ,  poursuivant  les  restes  de  cette  nation 
déloyale ,  elle  les  a  dispersés  par  toute  la  terre  :  pour 
quelle  raison?  Comme  les  magistrats,  après  avoir 
fait  rouer  quelques  malfaiteurs,  ordonnent  que 
l'on  exposera  en  plusieurs  endroits ,  sur  les  grands 
chemins,  leurs  membres  écartelés,  pour  faire 
frayeur  aux  autres  scélérats  :  celte  comparaison 
vous  fait  horreur  ;  tant  y  a  que  Dieu  s'est  comporté 
à  peu  près  de  même.  Après  avoir  exécuté  sur  les 
Juifs  l'arrêt  de  mort  que  leurs  propres  prophètes 
leur  avaient,  il  y  avait  si  longtemps,  prononcé; 
il  les  a  répandus  çà  et  là  parmi  le  monde ,  portant 
de  toutes  [parts]  imprimée  sur  eux  la  marque  de 
sa  vengeance. 

Peuple  monstrueux ,  qui  n'a  ni  feu  ni  lieu  ; 
sans  pays,  et  de  tout  pays;  autrefois  le  plus  heu- 
reux du  monde  ;  maintenant  la  fable  et  la  haine 
de  tout  le  monde  ;  misérable ,  sans  être  plaint  de 
qui  que  ce  soit  ;  devenu  dans  sa  misère  ,  par  une 
certaine  malédiction ,  la  risée  des  plus  modérés. 
Ne  croyez  pas  toutefois  que  ce  soit  mon  intention 
d'insulter  à  leur  infortune  :  non;  à  Dieu  ne  plaise 
que  j'oublie  jusqu'à  ce  point  la  gravité  de  cette 
chaire  !  mais  j'ai  cru  que  mon  évangile  nous  ayant 
présenté  cet  exemple,  le  Fils  de  Dieu  nous  invitait 
à  y  faire  quelque  réflexion.  Donnez-moi  un  mo 

«  Exod.  vu  et  VIII. 
n  Levii.  XXVI,  19. 


'  ment  de  loisir  pour  nous  appliquer  à  nous-même!» 
celles  que  nous  avons  déjà  faites ,  qui  sont  peut 
être  trop  générales. 

Chrétiens,  quels  que  vous  soyez,  en  vérité 
quels  sentiments  produit  dans  vos  âmes  une  si 
étrange  révolution?  Je  pense  que  vous  voyez  bien 
par  des  circonstances  si  remarquables,  et  par  le 
rapport  de  tant  de  prophéties;  et  il  y  en  a  une 
infinité  d'autres  qui  ne  peuvent  pas  être  expliquées 
dans  un  seul  discours  ;  vous  voyez  bien,  dis-je, 
que  la  main  de  Dieu  éclate  dans  cet  ouvrage.  Au 
reste,  ce  n'est  point  ici  une  histoire  qui  se  soit 
passée  dans  quelque  coin  inconnu  de  la  terre  ou 
qui  soit  venue  à  nous  par  quelques  bruits  incer- 
tains ;  cela  s'est  fait  à  la  face  du  monde.  Josèphe, 
historien  juif,  témoin  oculaire,  également  estimé 
et  des  nôtres  et  de  ceux  de  sa  nation,  nous  l'a  ra- 
conté tout  au  long;  et  il  me  semble  que  cet  acci- 
dent est  assez  considérable  pour  mériter  que  vous 
y  pensiez. 

Vous  croirez  peut-être  que  la  chose  est  trop 
éloignée  de  notre  âge  pour  nous  émouvoir;  mais, 
certes,  ce  nous  serait  une  trop  folle  pensée  de  ne 
pas  craindre ,  parce  que  nous  ne  voyons  pas  tou- 
jours à  nos  yeux  quelqu'un  frappé  de  la  foudre. 
Vous  devriez  considérer  que  Dieu  ne  se  venge  pas 
moins,  encore  que  souvent  il  ne  veuille  pas  que 
sa  main  paraisse  :  quand  il  fait  éclater  sa  ven^ 
geance,  ce  n'est  pas  pour  la  faire  plus  grande  : 
c'est  pour  la  rendre  exemplaire  :  et  un  exemple 
de  cette  sorte,  si  public,  si  indubitable,  doit  servir 
de  mémorial  es  siècles  des  siècles.  Car  enfin,  si 
Dieu  en  ce  temps-ià  baissait  le  péché,  il  n'a  pas 
commencé  à  lui  plaire  depuis  :  outre  que  nous 
serions  bien  insensés  d'oublier  la  tempête  qui  a 
submergé  les  Juifs  ;  puisque  nous  voyons  à  nos 
yeux  des  restes  de  leur  naufrage,  que  Dieu  a  jetés, 
pour  ainsi  dire,  à  nos  portes  :  et  ce  n'est  pas  pour 
autre  raison  que  Dieu  conserve  les  Juifs;  c'est 
afin  de  faire  durer  l'exemple  de  sa  vengeance. 
Enfin  il  est  bien  étrange  que  nous  aimions  mieux 
nous-mêmes  peut-être  servir  d'exemple,  que  de 
faire  profit  de  celui  des  autres.  La  main  de  Dieu 
est  sur  nous  trop  visiblement ,  pour  ne  le  pas  re- 
connaître ;  et  il  est  temps  désormais  que  nous  pré- 
venions sa  juste  fureur  par  la  pénitence.  Quand 
nous  ne  verrions ,  dans  le  peuple  juif,  qu'une 
grande  nation  qui  est  tout  à  coup  renversée ,  ce 
serait  assez  pour  nous  faire  craindre  la  même 
[punition],  particulièrement  en  ces  temps  de 
guerre",  où  sa  justice  nous  poursuit  et  nous  presse 
si  fort.  Mais  si  nous  considérons  que  c'est  le  peu- 
ple juif,  autrefois  le  peuple  de  Dieu,  auquel  nous 
avons  succédé ,  qui  est  la  figure  de  tout  ce  qui 
doit  nous  arriver,  selon  que  l'enseigne  l'apôtre  <  : 

»      '  1-  Cor.  X ,  G ,  u. 


A  I/KGARD  DES  PÉCHKIRS. 


nous  trouverons  que  cet  exemple  nous  touche 
bien  plus  près  que  nous  ne  pensons  ;  puisque  étant 
risraèl  de  Dieu  et  les  vrais  enfants  de  la  race 
d'Abraham,  nous  devons  hériter  aussi  bien  des 
menaces  que  des  promesses  qui  leur  sont  faites. 
Mais  il  faut,ô  pécheur  !  il  faut  que  j'entre  avec 
toi  dans  une  discussion  plus  exacte;  il  faut  que 
j'examine  si  tu  es  beaucoup  moins  coupable  que 
ne  le  sont  les  Juifs.  Tu  me  dis  qu'ils  n'ont  pas 
connu  le  Sauveur  :  et  toi ,  penses-tu  le  connaître? 
Je  te  dis  en  un  mot,  avec  l'apôtre  saint  Jean ,  «  que 
n  qui  pèche  ne  le  connaît  pas ,  et  ne  sait  qui  il  est  :  » 
Qui  peccat,  non  viditeum,  nec  coynovit  eum\ 
Tu  l'appelles  ton  Maître  et  ton  Seigneur  ;  oui,  de 
bouche  :  tu  te  moques  de  lui  ;  il  faudrait  le  dire 
du  cœur.  Et  comment  est-ce  que  le  cœur  parle 
Par  les  œuvres  :  voilà  le  langage  du  cœur;  voilà 
ce  qui  fait  connaître  les  intentions.  Au  reste,  ce 
zœm-,  tu  n'as  garde  de  le  lui  donner;  tu  ne  le 
peux  pas  :  tu  dis  toi-même  qu'il  est  engagé  ail- 
leurs dans  des  liens  que  tu  appelles  bien  doux. 
Insensé,  qui  trouves  doux  ce  qui  te  sépare  de  Dieu  ! 
et  après  cela ,  tu  penses  connaître  son  Fils.  Non , 
non,  tu  ne  le  connais  pas  :  seulement  tu  en  sais  as- 
sez pour  être  damné  davantage,  comme  les  Juifs 
dont  les  rébellions  ont  été  punies  plus  rigoureuse- 
raett*:  que  celles  des  autres  peuples,  parce  qu'ils 
avaient  reçu  des  connaissances  plus  particulières. 
Mais,  direz-vous ,  les  Juifs  ont  crucifié  le  Sau- 
veur. Et  ignorez- vous ,  ô  pécheurs  !  que  vous  fou- 
lez aux  pieds  le  sang  de  son  testament  ;  que  vous 
faites  pis  que  de  le  crucifier  ;  que  s'il  était  capable 
de  souffrir,  un  seul  péché  mortel  lui  causerait 
plus  de  douleur  que  tous  ses  supplices?  Ce  n'est 
point  ici  une  vaine  exagération;  il  faut  brûler 
toutes  le  Écritures,  si  cela  n'est  vrai.  Elles  nous 
apprennent  qu'il  a  voulu  être  crucifié,  pour  anéan- 
tir le  péché  :  par  conséquent  il  n'y  a  point  de 
doute  qu'il  ne  lui  soit  plus  insupportable  que  sa 
propre  croix.  Mais  je  vois  bien  qu'il  faut  vous  dire 
quelque  chose  de  plus  :  je  m'en  vais  avancer  une 
parole  bien  hardie ,  et  qui  n'en  est  pas  moins  vé- 
ritable. Le  plus  grand  crime  des  Juifs  n'est  pas 
d'avoir  fait  mourir  le  Sauveur  :  cela  vous  étonne  ; 
je  le  prévoyais  bien  ;  mais  je  ne  m'en  dédis  pour- 
tant pas;  au  contraire,  je  prétends  bien  vous  le 
faire  avouer  à  vous-mêmes  :  et  comment  cela  ? 
Parce  que  Dieu,  depuis  la  mort  de  son  Fils,  les 
a  laissés  encore  quarante  ans  sans  les  punir.  Ter- 
tuUien  remarque  très-bien  «  que  ce  temps  leur 
«  était  donné  pour  en  faire  pénitence  *  :  >  il  avait 
donc  dessein  de  la  leur  pardonner.  Par  consé- 
quent ,  quand  il  a  usé  d'une  punition  si  soudaine , 
il  y  a  eu  quelque  autre  crime  qu'il  ne  pouvait 

»  I.  Joan.  Il» ,  8. 

*  Lib.  lu,  cont.  Marc,  vf  23. 


plus  supporter,  qui  lui  était  plus  insupportable 
que  le  meurtre  de  son  propre  Fils.  Quel  est  ce 
crime  si  noir,  si  abominable?  C'est  l'endurcisse- 
ment, c'est  l'impénitencc.  S'ils  eussent  fait  péni- 
tence, ils  auraient  trouvé,  dans  le  sang  qu'ils 
avaient  violemment  répandu,  la  rémission  du 
crime  de  l'avoir  épanché. 

Tremblez  donc,  pécheurs  endurcis ,  qui  avalez 
l'iniqu.té  comme  l'eau,  dont  l'endurcissement  a 
presque  étouffé  les  remords  de  la  conscience; 
qui,  depuis  des  années,  n'avez  point  de  honte 
de  croupir  dans  les  mêmes  ordures,  et  de 
charger  des  mêmes  péchés  les  oreilles  des  coufes- 
seui-s.  Car  enfin  ne  vous  persuadez  pas  que  Dieu 
vous  laisse  rebeller  contre  lui  des  siècles  en- 
tiers :  sa  miséricorde  est  infinie  ;  mais  ses  effets 
ont  leui-s  limites  prescrites  par  sa  sagesse  :  elle 
qui  a  compté  les  étoiles,  qui  a  borné  cet  univers 
dans  une  rondeur  finie ,  qui  a  prescrit  des  bornes 
aux  flots  de  la  mer,  a  marqué  la  hauteur  jusqu'où 
elle  a  résolu  de  laisser  monter  tes  iniquités.  Peut- 
être  t'attend ra-t-il  encore  quelque  temps  :  peut- 
tre;  mais,  ô  Dieu!  qui  le  peut  savoir?  c'est  un 
secret  qui  est  caché  dans  l'abîme  de  votre  provi  • 
dence.  Mais  enfin  tôt  ou  tard  ou  tu  mettras  fin  à  tes 
crimes  par  la  pénitence ,  ou  Dieu  l'y  mettra  par 
la  justice  de  sa  vengeance  :  tu  ne  perds  rien  pour 
différer.  Les  hommes  se  hâtent  d'exécuter  leurs 
desseins,  parce  qu'ils  ont  peur  de  laisser  échapper 
les  occasions ,  qui  ne  consistent  qu'en  certains 
moments  dont  la  fuite  est  si  précipitée  :  Dieu,  tout 
au  contraire ,  sait  que  rien  ne  lui  échappe ,  qu'il 
te  fera  bien  payer  l'intérêt  de  ce  qu'il  t'a  si  long- 
temps attendu. 

Que  s'il  commence  une  fois  à  appuyer  sa  main 
sur  nous,  ô  Dieu!  que  deviendrons-nous?  quel 
antre  assez  ténébreux ,  quel  abîme  assez  profond 
nous  pourra  soustraire  à  sa  fureur?  Son  bras  tout- 
puissant  ne  cessera  de  nous  poursuivre ,  de  nous 
abattre,  de  nous  désoler  :  il  ne  restera  plus  en  nous 
pierre  sur  pierre  ;  tout  ira  en  désordre ,  en  confu- 
sion ,  en  une  décadence  éternelle.  Je  vous  laisse 
dans  cette  pensée  :  j'ai  tâché  de  vous  faire  voir, 
selon  que  Dieu  me  l'a  inspiré,  d'un  côté  la  miséri- 
corde qui  vous  invite,  d'autre  part  la  justice  qui 
vous  effraye;  c'ei;t  à  vous  à  choisir,  chrétiens  :  et 
encore  que  je  sois  assuré  de  vous  avoir  fait  voir  de 
quel  côté  il  faut  se  porter,  il  y  a  grand  danger 
que  vous  ne  preniez  le  pire.  Tel  est  l'aveuglement 
de  notre  nature  :  mais  Dieu ,  par  sa  grâce ,  vous 
veuille  donner,  et  a  moi ,  de  meilleurs  conseils  ! 


••*««•»• 


62 


SUR  LA  VKRTU 


ABRÉGÉ  D'UN  SERMON 


VINGT  ET  UNIÈME  DIMANCHE  APRÈS  LA 
PENTECOTE. 

La  parabole  du  serviteur  à  qui  le  maître  avait 
quitté  dix  mille  talents ,  qui  fait  exécuter  son  con- 
serviteur  pour  cent  deniers ,  avec  une  rigueur  ef- 
froyable '. 

Trois  vérités  dans  cette  parabole  :  1°  que  tout 
pécheur  contracte  une  dette  envers  la  justice  di- 
vine :  2°  qu'il  ne  peut  jamais  lui  en  faire  le  paye- 
ment, ni  en  être  quitte,  si  Dieu  ne  la  lui  remet 
par  pure  grâce  :  3°  que  la  condition  qu'il  y  appose, 
c'est  que  nous  remettions  aux  autres. 

I*""  Point.  Le  péché  est  une  dette  :  Dimiite  no- 
bis  débita  nostra^  :  «Remettez-nous  nos  dettes.  » 
On  doit  en  deux  façons  :  1°  lorsqu'on  ôte  à  quel- 
qu'un par  injustice  :  2°  lorsqu'il  nous  prête  volon- 
tairement. Il  nous  a  assistés  dans  notre  néces- 
sité, il  est  juste  que  nous  lui  rendions  dans  notre 
abondance.  Nous  devons  à  Dieu  en  toutes  les 
deux  manières.  Contrat  avec  lui  :  si  vous  l'obser- 
vez, bénédiction;  sinon,  malédiction  :  le  peuple 
l'accepte  ;  Amen  ^.  Donc  en  observant.  Dieu  vous 
doit;  autrement  vous  lui  devez.  Quoi?  toutes  les 
malédictions.  Au  Deutér. 

lie  Point.  Si  bien  que  tout  ce  qui  nous  reste 
après  le  péché,  ne  nous  reste  plus  que  par  grâce. 
Notre  évangile  :  Jussit  eum  Dominus  ejus  ve- 
nwndari,  et  uxorem  ejus,  et  filios,  et  omnia 
que  habebat,  et  reddi^  :  «  Son  maître  com- 
«  manda  qu'on  le  vendît,  lui,  sa  femme  et  ses  en- 
«  fants ,  et  tout  ce  qu'il  avait ,  pour  satisfaire  à 
«  cette  dette.  »  Le  pécheur  mérite  d'être  affligé  en 
sa  personne ,  en  ce  qui  lui  est  cher,  eu  sa  posté- 
rité :  Insiiper  et  imiversos  languot-es,  etplagas 
que  non  sunt  scriptœ  in  volumine  legis  hujus  ^  : 
«  et  même  tous  les  maux  et  toutes  les  piaies  qui 
«  ne  seraient  pas  marquées  dans  ce  livre  de  la  loi  ;  « 
parce  que,  temporelles.  Mais  il  y  a  un  autre  livre, 
le  Nouveau  Testament,  qui  n'a  que  des  promes- 
ses ,  et  aussi  des  menaces  spirituelles ,  plus  ter 
ribles. 

Voilà  ce  que  nous  devons.  [Nous  sommes  in- 
solvables] :  preuve ,  la  croix  de  Jésus-Christ.  In- 
nocent, Une  devait  rien  :  Princeps  hujus  mundi 
in  me  non  habet  quidquam^  :  «  Le  prince  de 
«  ce  monde  n'a  rien  en  moi  qui  lui  appartienne.  » 
pourquoi  paye-t-il?  Il  est  caution.  On  ne  discute 

'  Matth.xsm,  23. 

'  Id.  VI,  12. 

^  Deut.  XXVII,  15  etseqq. 

«  Maith.xrm,  25. 

«  Veut,  xxviir,  ci. 

*  Joati.  XIV,  30. 


la  caution  ^  que  lorsque  la  partie  principale  est 
insolvable  :  Jésus  est  donc  contraint  par  corps. 
Mais  puisqu'il  a  payé,  nous  sommes  donc  quit- 
tes.  [Nullement  :  il  faut  encore  que]  l'applica- 
tion [de  ses  mérites  se  fasse  en  nous;]  autrement 
c'est  comme  s'il  n'était  pas  mort.  C'est  pourquoi 
le  supplice  éternel  s'ensuit;  éternel,  parce  qu'il 
doit  durer  jusqu'à  l'extinction  de  la  dette  :  or 
jamais  elle  ne  peut  être  acquittée  ;  donc  toujours 
pourrir  dans  laprison.  Dette  gratuitement  remise 
par  les  sacrements. 

Voulez-vous  toujours  laisser  votre  caution 
dans  la  peine?  ne  le  voulez-vous  pas  tirer  de  la 
croix  où  vos  péchés  l'ont  mis?  Tant  que  le  péché 
est  envous ,  il  est  toujours  en  croix  :  Rursum  cru- 
ctjîgentes  sibimetipsis  Filium  Dci'  :  «  autant 
«  qu'il  est  en  eux,  ils  crucifientde  nouveau  le  Fils 
«  de  Dieu.  » 

IIP  Point.  Application  de  la  condition,  pour 
les  prisonniers.  Senthnent  de  vengeance  contre 
ceux  qui  les  font  receler,  etc.  Imprécations ,  sou- 
haits. C'est  vouloir  rendre  Dieu  complice  de  nos 
vengeances  :  le  Père  de  miséricorde ,  etc. 

PREMIER  SERMON 

POUR  L\  FÊTE 

DE  L'EXALTATION  DE  LA  SAINTE  CROIX. 

SUR  LA  VERTU  DE  LA  CROIX  DE  J.  C. 

Combien  grande  l'entreprise  de  rendre  la  croix  vénérable. 
Puissance  absolue  et  miséricorde  inlinie,  deux  choses  dans 
lesquelles  consiste  la  gloire  de  Dieu  :  comment  éclatent-elles 
mieux  dans  la  croix  du  Sauveur.  Changements  admirables 
qu'elle  a  produits  dans  le  monde  :  raisons  que  nous  avons  de 
mettre  en  eUe  toute  notre  gloire.  Sentiments  et  actions  qui 
prouvent  que  la  croix  est  pour  nous  un  sujet  de  scandale* 


Mihi  autem  absit  gloriari,  nisi  in  crUceDomini  nostri  Jesu- 
Chrisll. 

Pour  moi,  à  Dieu  ne  plaise  que  jamais  jeme  glorifie, 
si  ce  n'est  en  la  croix  de  Notre^Seigneur  Jésus-  Christ! 
Galat.  VI,  14. 

Ce  n'a  pas  été  une  petite  entreprise  de  rendre 
la  croix  vénérable  :  jamais  chose  aucune  ne  fut 
attaquée  avec  des  moqueries  plus  plausibles.  Les 
Juifs  et  les  Gentils  en  faisaient  une  pièce  de  rai  i- 
lerie;  et  il  faut  bien  que  les  premiers  chrétiens 
aient  eu  une  hardiesse  et  une  fermeté  plus  qu'hu- 
maines, pour  prêcher  à  la  face  du  monde,  avec 
une  telle  assurance ,  une  chose  si  extravagante. 
C'est  pourquoi  legraveTertullien  se  vante  que  la 
croix  de  Jésus,  en  lui  faisant  mépriser  la  honte , 

*  Hchr.\\,9. 


DE  LA  CROIX  DE  JKSUS-CHRIST. 


«S 


Ta  rendu  impudent  de  la  bonne  sorte,  et  heureu- 
sement insensé.  «  Laissez-moi ,  »  disait  ce  grand 
homme  quand  on  hii  reprochait  les  opprobres 
de  l'Évangile;  «  laissez-moi  jouir  de  l'ignominie 
«  de  mon  Maître ,  et  du  déshonneur  nécessaire  de 

•  notre  foi.  Le  Fils  de  Dieu  aété  pendu  à  la  croix; 

•  je  n'en  ai  point  de  honte,  à  cause  que  la  chose 
«  est  honteuse.  Le  Vils  de  Dieu  est  mort;  il  est 
«  croyable ,  parce  qu'il  est  ridicule.  Le  Fils  de 
«  Dieu  est  ressuscité  ;  je  le  crois  d'autant  plus 
«  certain ,  que ,  selon  la  raison  humaine ,  il  paraît 
«  entièrement  impossible'.  »  Ainsi  la  simplicité 
de  nos  pères  se  plaisait  d'étourdir  les  sages  du  siè- 
cle par  des  propositions  étranges  et  inouïes,  dans 
lesquelles  ils  ne  pouvaient  rien  comprendre;  afin 
que  la  gloire  du  monde  s'évanouissanten  fumée, 
il  ne  restât  plus  d'autre  gloire  que  celle  de  la  croix 
de  Jésus. 

Bienheureuse  Mère  de  mon  Sauveur,  que  la 
Providence  divine ,  voulant  éprouver  votre  pa- 
tience ,  amena  aux  pieds  de  la  croix,  où  l'on  dé- 
chirait vos  entrailles  ;  puisque  vous  êtes  de  toutes 
les  créatures  celle  qui  en  a  le  mieux  vu  l'infamie , 
et  celle  qui  en  a  le  mieux  connu  la  grandeur, 
aidez-nous,  par  vos  pieuses  intercessions ,  à  cé- 
lébrer la  gloire  de  votre  Fils  crucifié  pour  l'a- 
mour de  nous.  Je  vous  le  demande  par  cette  dou- 
leur maternelle  qui  perça  votre  âme  sur  le  Cal- 
vaire ,  et  par  la  joie  infinie  que  vous  ressentîtes , 
quand  le  Saint-Esprit  descendit  sur  vous  pour 
former  le  corps  de  Jésus  après  que  l'ange  vous 
eut  saluée  par  ces  divines  paroles  :  Ave,  etc. 

Le  grand  Dieu  tout-puissant ,  qui  de  rien  a  fait 
le  ciel  et  la  terre,  qui  a  tiré  les  astres  et  la  lumière 
du  sein  d'un  abîme  infini  de  ténèbres;  ce  Dieu , 
pour  faire  éclater  sa  puissance  d'une  façon  ex- 
traordinaire en  la  personne  de  son  cher  Fils  ,  a 
voulu  que  la  plus  grande  infamie  fût  une  source 
de  gloire  incompréhensible.  C'est  pourquoi  le 
sauveur  Jésus,  encore  qu'il  eût  vécu  comme  un 
innocent ,  a  fini  sa  vie  comme  un  criminel;  et 
comme  si  le  gibet  et  la  mort  n'eussent  point  eu 
pour  lui  assez  de  bassesse ,  il  a  choisi  volontaire- 
ment de  tous  les  supplices  le  plus  honteux ,  et  de 
toutes  les  morts  la  plus  inhumaine.  En  effet ,  le 
tourment  de  la  croix  qu'est-ce  autre  chose  qu'une 
longue  mort,  par  laquelle  la  vie  est  arrachée 
peu  à  peu  avec  une  violence  incroyable,  pen- 
dant qu'une  nudité  ignominieuse  expose  le  pau- 
vre supplicié  à lariséedes spectateurs  inhumains? 
si  bien  que  le  misérable  patient  semble  en  quel- 
que sorte  n'être  élevé  au-dessus  de  ce  bois  in- 
fâme ,  qu'afin  de  découvrir  de  plus  loin  une  mul- 

'  D«  Came  Christi ,  n'  â 


titude  de  peuple ,  qui  repaît  ses  yeux  du  spectacle 
de  sa  misère. 

Non,  l'imagination  humaine  ne  se  peut  rien  re- 
présenter de  plus  effroyable  ;  et  jamais  on  n'a  rien 
inventé  ni  de  plus  rigoureux  pour  les  scélérats, 
ni  de  plus  infâme  pour  les  esclaves.  Aussi  le  maître 
de  l'éloquence,  accusant  un  gouverneur  de  pro- 
vince d'avoir  fait  crucifier  un  Romain,  représente 
cette  action  comme  la  plus  noire  et  la  plus  furieuse 
qui  puisse  tomber  dans  l'esprit  d'un  homme ,  et 
protesteque  par  un  tel  attentat,  la  liberté  publique 
et  la  majesté  de  l'empire  étaient  violées'.  C'était 
assez  d'être  né  libre,  fidèles,  pour  être  exempt  de 
cet  horrible  supplice.  Il  ne  fallait  pas  seulement 
que  ceux  que  l'on  attachait  à  la  croix  fussent  les 
plus  détestables  de  tous  les  mortels,  mais  encore 
les  derniers  et  les  plus  abjects.  Ainsi ,  ce  que  les 
Romains  trouvaient  insupportable  pour  leurs  ci- 
toyens, les  Juifs  parricides  l'ont  fait  souffrir  à 
leur  roi. 

Mais  ce  qui  surpasse  tous  les  malheurs,  c'est 
que ,  selon  la  remarque  du  saint  apôtre ,  «  le  cru- 
«  cifiéest  maudit  de  Dieu  %  »  comme  il  est  écrit  au 
Deutéronome  :  «  Maudit  de  Dieu  le  pendu  au 
«  bois  ^  1  »  Et  qu'y  a-t-il  donc  de  plus  honteux  que 
la  croix ,  puisque  nous  y  voyons  jointes  ensemble 
l'exécration  des  hommes,  et  la  malédiction  du  Dieu 
tout-puissant  ?  Après  cela,  dites-moi,  je  vous  prie, 
quelle  est  notre  audace  de  ne  rougir  pas  d'adorer 
un  Maître  pendu?  et  où  est  le  front  de  l'apôtre , 
qui  ayant  dit  aux  Corinthiens,  «qu'il  ne  souffrira 
«  pas  que  sa  gloire  lui  soit  ravie ^,  «  ne  craint  pas 
de  dire  aux  Galates  :  «  A  Dieu  ne  plaise  que  je  me 
«  glorifie  en  autre  chose  qu'en  la  croLx  de  Jésus?» 
Quel  honneur,  quelle  gloire  à  un  homme  qui  té- 
moigne en  être  jaloux  !  Ah  !  pénétrons  sa  pensée, 
chrétiens ,  et  apprenons  à  nous  glorifier  avec  lui 
dans  les  opprobres  de  notre  Sauveur.  Pour  cela, 
suivez,  s'il  vous  plaît,  ce  raisonnement. 

La  gloire  du  chrétien  ne  peut  être  que  la  gloire 
de  Dieu  ;  d'autant  que  le  chrétien  ne  trouve  rien 
qui  soit  digoedeson  ambition  et  de  son  courage, 
que  les  choses  divines  et  immortelles.  Or,  la  gloire 
de  Dieu  consiste  en  deux  choses  :  premièrement 
en  sa  puissance  absolue,  et  après  en  sa  miséricorde 
infinie;  car,  pour  avoir  de  la  gloire,  il  faut  être 
grand,  etil  faut  faire  éclater  sa  grandeur.  Si  l'é- 
clat n'estappuyé  sur  une  grandeur  solide,  il  est 
faible ,  et  n'a  qu'un  faux  jour  ;  et  si  la  grandeur 
est  cachée,  elle  ne  brille  pas  de  cette  bL-lleet  pure 
lumière ,  sans  laquelle  la  gloire  ne  peut  subsister. 
Je  dis  donc  que  la  gloire  de  Dieu  est  en  sa  puis- 

'  Cicer.  in  Femm.  lib.  vn. 
»  Ca;.  in,i3. 

*  Deut.  XXI,  23. 

♦  I.  Cor.  IX ,  15. 


64 


SUR  La  \El\TU 


sauce  et  en  sa  bonté.  Parla  première,  il  est  ma- 
jestueux en  lui-même  ;  par  l'autre  ,  il  est  magni- 
fique envers  nous.  Par  la  puissance ,  il  enferme 
en  son  sein  des  trésors  et  des  richesses  immenses*, 
mais  c'est  la  miséricorde  qui  ouvre  ce  sein,  pour 
les  faire  inonder  sur  les  créatures.  La  puissance 
estcomme  la  source,  et  la  miséricorde  est  comme 
un  canal.  La  puissance  fournit  ce  que  distribue  la 
miséricorde;  et  c'est  du  mélange  de  ces  deux  cho- 
ses que  naît  ce  divin  écUit  que  nous  appelons  la 
gloire  de  Dieu. 

Ce  qui  a  fait  dire  ces  beaux  mots  au  psal- 
miste  :  «  Dieu,  dit-il,  a  parlé  une  fois  '.  >'  J'entends 
ici  par  cette  parole  le  bruit  de  la  gloire  de  Dieu , 
qui  retentit  par  tout  l'univers ,  selon  ce  que  dit 
le  même  psalmiste  :  «  Les  cieux  racontent  la 
«  gloire  de  Dieu ,  et  le  firmament  publie  la  gran- 
«  deur  de  ses  œuvres  '.  «  Dieu  donc  a  parlé  une 
fois,  dit  David  :  et  qu'est-ce  qu'il  a  dit,  grand 
prophète?  «  Il  a  parlé  une  fois;  et  j'ai ,  dit-il ,  en- 
«  tendu  ces  deux  choses ,  qu'à  Dieu  appartient  la 
«  puissance,  et  qu'à  lui  appartient  la  miséri- 
«  corde  ^.  »  Par  où  vous  voyez  manifestement  que 
Dieu  ne  se  glorifie  que  de  sa  puissance  et  de  sa 
bonté.  C'est  la  véritable  gloire  de  Dieu,  parceque 
la  miséricorde  divine ,  touchée  de  compassion  de 
la  bassesse  des  créatures,  et  sollicitant  en  leur 
faveur  la  puissance;  en  même  temps  qu'elle  orne 
ce  qui  n'a  aucun  ornement  par  soi-même ,  elle  fait 
retourner  tout  l'honneur  à  Dieu ,  qui  seul  est  ca- 
pable de  relever  ce  qui  n'est  rien  par  sa  condition 
naturelle. 

Ces  choses  étant  ainsi  supposées,  passons  ou- 
tre maintenant,  et  disons  :  La  gloire  de  notre  Dieu 
est  en  sa  puissance  et  en  sa  bonté ,  ainsi  que  nous 
l'avons  vu  fort  évidemment  ;  or,  c'est  en  la  croix 
que  paraissent  le  mieux  la  puissance  et  la  misé- 
ricorde divine  ;  ce  que  je  me  propose  de  vous  faire 
voir,  avec  la  grâce  du  Saint-Esprit.  C'est  pourquoi 
l'apôtre  saint  Paul ,  qui  dit  «  que  tout  l'Évangile 
«  consiste  en  la  croix,  »  appelle  l'Evangile  «  la 
«  force  et  la  puissance  de  Dieu^.  »  Et  d'ailleurs  il 
ne  nous  prêche  autre  chose ,  sinon  que  «  la  croix 
«  nous  rend  Dieu  propice,  et  nous  assure  sa  miséri- 
«  corde  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ^.  »  Par 
conséquent  il  est  vrai  que  la  croix  est  la  gloire 
des  chrétiens;  et  quand  je  vous  aurai  montré  dans 
|e  supplice  de  notre  Maître  ces  deux  qualités 
excellentes,  je  pourrai  dire  avec  l'apôtre  saint 
Paul  :  «  A  Dieu  ne  plaise  que  je  me  glorifie  en  au- 
"  tre  chose  qu'en  la  croix  de  Jésus!  »  C'est  le  sujet 
de  cet  entretien.  Je  considère  aujourd'hui  comme 

'   Ps.  LXI,  13. 

^  Jbid.  xvui ,  1 . 

3  /6/d.  LXI,12,  13. 

♦  I.  Cor.  I,  17,  IS. 

•  Ephes.  U,  16,  18.  Colo».  I,  20. 


les  deux  bras  de  la  croix  du  sauveur  Jésus  :  dans 
l'un  je  me  représente  un  trésor  infini  depuissance, 
et  dans  l'autre,  une  source  immense  d<!  miséri- 
corde. 

Inspirez-nous,  ô  Seigneur  Jésus  !  afin  que  nous 
célébrions  dignement  la  gloire  de  votre  croix.  Et 
vous,  ô  peuple  d'acquisition' ,  vous  que  le  sang 
duprinceJésusadélivréd'uneservitudeéternelle, 
contemplez  attentivement  les  merveilles  de  la 
mort  triomphante  de  votre  invincible  libérateur. 
Commençons  avec  l'assistance  de  Dieu,  et  glori- 
fions sa  toute-puissance  dans  l'exaltation  de  sa 
croLx. 

PBEMIER    POINT. 

Si  vous  voyez  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
abandonné  à  la  fureur  des  bourreaux ,  s'il  rend 
l'âme  parmi  des  douleurs  incroyables ,  ne  vous 
imaginez  pas ,  chrétiens ,  qu'il  soit  réduit  à  cette 
extrémité  par  faiblesse  ou  par  impuissance  :  ce 
n'est  pas  la  rigueur  des  tourments  qui  le  fait  mou- 
rir ;  il  meurt,  parce  qu'il  le  veut  ;  «  et  il  sort  du 
«  monde  sans  contrainte ,  parce  qu'il  y  est  venu 
«  volontairement  :  »  Abcessitpotestate,  quia  non 
venerat  necessitate  ^  La  mort  dans  les  animaux 
est  une  défaillance  de  la  nature  :  la  mort  en  Jé- 
sus-Christ est  un  effet  de  puissance.  C'est  pour- 
quoi lui-même  parlant  de  sa  mort,  il  dit  :  «<  J'ai 
«  la  puissance  de  quitter  la  vie ,  et  j'ai  la  puissance 
«  delà  reprendre^.  »  Où  vous  voyez  manifeste- 
ment qu'il  met  en  même  rang  sa  résurrection  et 
sa  mort  ;  et  qu'il  ne  se  glorifie  pas  moins  du  pou- 
voir qu'il  a  de  mourir,  que  de  celui  qu'il  a  de  res- 
susciter. 

Et  en  effet,  ne  fallait-il  pasqu'il  eût  en  lui-même 
un  préservatif  infaillible  contre  la  mort  ;  puisque 
par  sa  seule  parole  il  faisait  revivre  des  corps 
pourris  et  ranimait  la  corruption  ?  Ce  jeune  mort  de 
Naïm ,  et  la  fille  du  prince  de  la  Synagogue ,  et  le 
Lazare  déjà  puant '*, n'ont-ils  pas  ressenti  la  vertu 
de  cette  parole  vivifiante?  Celui  donc  qui  avait  le 
pouvoir  de  rendre  la  vie  aux  autres  j  avec  quelle  fa- 
cilité pouvait-il  se  la  conserver  à  lui-même?  En  vain 
s'efforcerait-on  de  faire  sécher  les  grandes  rivières 
ou  de  faire  tarir  les  fontaines  d'eau  vive  :  à  me- 
sure que  vous  en  ôtez ,  la  s^jurce  toujours  féconde 
répare  sa  perle  par  elle-même ,  et  s'enrichit  con- 
tinuellement de  nouvelles  eaux  :  ainsi  était-il  du 
sauveur  Jésus.  Il  avait  en  lui-même  une  source 
éternelle  de  vie ,  je  veux  dire  le  Yerbe  divin  ;  et 
cette  source  est  trop  abondante  pour  pouvoir  être 
jamais  épuisée.  Frappez  tant  que  vous  voudrez 

•  I.  Petr.  II,  9 

»  S.  Aug.  in  Joan.  Tract,  xxxi ,  n°  C  ,  t.  Iil,  part,  n  ,  cot- 
522. 
3  Jonn.  X ,  18. 
<  Luc.  VII,    15.  Marc,  v,  42.  Joan.  xi,  44. 


DE  LA  CROIX  DE  JESUS-CHRIST. 


a 


f>  bourreaux  !  faites  des  ouvertures  de  toutes  parts 
sur  le  corps  de  mon  aimable  Sauveur,  alin  de 
faire ,  pour  ainsi  dire,  écouler  cette  belle  vie  :  il 
en  porte  la  source  en  lui-même  ;  et  comme  cette 
source  ne  peut  tarir,  elle  ne  cessera  jamais  de 
couler,  si  lui-même  ne  retient  son  cours.  Mais  ce 
que  votre  haine  ne  peut  pas  faire ,  son  amour  le 
IVra  pour  notre  salut.  Lui  qui  commande ,  ainsi 
«ju'il  lui  plait ,  à  la  santé  et  aux  maladies ,  il  com- 
mandera à  la  vie  de  se  retirer  pour  un  temps  de 
son  divin  corps.  Il  ne  veut  pas  que  la  nécessité 
naturel  le  ait  aucune  part  dans  sa  mort ,  parce  qu'il 
fn  réserve  toute  la  gloire  à  la  charité  infinie  qu'il 
u  pour  les  hommes.  Par  où  vous  voyez,  chrétiens, 
«  que  notre  Maître  est  mort  par  puissance ,  et  non 

•  pas  par  infirmité  :  »  Potestate  mortuusest,  dit 
saint  Augustin'. 

Aussi  l'évangéliste  saint  Jean  observe  une 
chose  qui  n>érite  d'être  considérée  :  c'est  que  le 
Sauveur,  étant  à  la  croix,  fait  une  revue  générale 
sur  tout  ce  qui  était  écrit  de  lui  dans  les  pi-ophé- 
ties  ;  et  voyant  qu'il  ne  lui  restait  plus  rien  à  faire, 
que  de  prendre  ce  breuvage  amer  que  lui  promet- 
tait le  Psalmiste,  il  demanda  à  boire.  «  J'ai  soif, 

•  dit-il  aussitôt,  afin  que  toutes  choses  fussent 

•  accomplies'.  «  Puis,  après  avoir  légèrement 
goûté  de  la  langue  le  fiel  et  le  vinaigre  qu'on  lui 
présentait,  il  remarqua  lui-même  que  tout  était 
consommé ,  qu'il  avait  exécuté  de  point  en  point 
toutes  les  volontés  de  son  Père  :  et  enfin ,  ne 
voyant  plus  rien  qui  le  pût  retenir  au  monde,  éle- 
vant fortement  sa  voix,  il  rendit  l'âme  avec  une 
action  si  paisible,  si  libre  si  préméditée,  qu'il  était 
aisé  de  juger  que  personne  ne  la  lui  ôtait ,  mais 
qu'il  la  donnait  lui-même  de  son  plein  gré ,  ainsi 
qu'il  l'avait  assuré  :  <■•  Personne ,  dit-il ,  ne  m'ôte 
■<  mou  âme  ;  mais  je  la  donne  moi-même  de  ma 
'  pure  et  franche  volonté*.  « 

0  gloire  !  ô  puissance  du  crucifié  !  Quel  autre 
voyons-nous  qui  s'endorme  si  précisément  quand 
il  veut ,  comme  Jésus  est  mort  quand  il  lui  a  plu? 
Quel  homme  méditant  un  voyage  marque  si  cer- 
tainement l'heure  de  son  départ,  que  Jésus  a 
marqué  l'heure  de  son  trépas?  De  là  vient  que  le 
centenier,  qui  avait  ordre  de  garder  la  croix, 
considérant  cette  mort  non-seulement  si  tran- 
quille ,  mais  encore  si  délibérée ,  et  entendant  ce 
grand  cri  dont  Jésus  accompagna  son  dernier 
soupir;  étonné  de  voir  tant  de  force  dans  cette 
extrémité  de  faiblesse,  s'écria  lui-même  tout 
effrayé  :  «  Vraiment  cet  homme  est  le  Fils  de 
-  Dieu  ^.  »  Et  lui ,  qui  ne  faisait  point  d'état  du 

'  De  IVat.  et  Grat.  n'  M ,  t.  x ,  col   138. 
'  Joan.  XIX,  28. 
»  /6td.  X,I8. 
♦  Marc.  XT,  39. 

BMSOEr.  —  T.  m. 


SaiLveur  vivant ,  reconnut  tant  de  puissance  en 
sa  mort ,  qu'elle  lut  fit  confesser  sa  divinité. 

Vous  dirai-je  ici ,  chrétiens ,  à  la  gloire  de  la 
croix  de  Jésus ,  que  ce  mort  que  vous  y  voyez  at- 
taché ,  remue  le  ciel  et  les  éléments ,  qu'il  renverse 
tout  l'ordre  du  monde,  qu'il  obscurcit  le  soleil  et 
la  lune,  et,  si  j'ose  parler  de  la  sorte,  qu'il  fait 
appréhender  à  toute  la  nature  le  désordre  et  la 
confusion  du  premier  chaos?  Certes ,  je  vous  en- 
tretiendrais volontiers  de  tant  d'étranges  événe- 
ments ,  n'était  que  je  me  suis  proposé  de  vous  dire 
de  plus  grandes  choses.  La  croix  a  dompté  les 
démons  ;  la  croix  a  abattu  l'orgueil  et  l'arrogance 
des  hommes  ;  la  croix  a  renversé  leur  fausse  sa- 
gesse ,  et  a  triomphé  de  leurs  cœurs.  J'estime  plus 
glorieux  d'avoir  remporté  une  si  belle  victoire, 
que  d'avoir  troublé  l'ordre  de  l'univers,  parce  que 
je  ne  vois  rien  dans  tout  l'univers  de  plus  indo- 
cile ,  ni  de  plus  fier,  ni  de  plus  indomptable ,  que 
le  cœur  de  l'homme.  C'est  en  cela  que  la  croix  me 
paraît  puissante,  et  vous  le  verrez  très-évidem- 
ment par  la  suite  de  ce  discours.  Renouvelez ,  s'il 
vous  plaît ,  vos  attentions ,  et  suivez  mon  raison- 
nement. 

Où  la  puissance  paraît  le  mieux ,  c'est  dans  la 
victoire ,  surtout  quand  on  la  gagne  sur  desenne- 
Eftis  superbes  et  audacieux.  Or,  fidèles,  ce  Dieu 
infiniment  bon ,  sous  le  règne  duquel  toutes  les 
créatures  seraient  heureuses  si  elles  étaient  sou- 
mises, il  a  eu  des  rebelles  et  des  ennemis,  parce 
qu'il  y  a  eu  des  ingrats  et  des  insolents.  11  a  fallu 
dompter  ces  rebelles  :  mais  pourquoi  les  dompter 
par  la  croix?  C'est  le  miracle  de  la  toute-puis- 
sance, c'est  le  grand  mystère  du  christianisme. 
Pénétrons  dans  ces  vérités  adorables,  sous  la 
conduite  des  Écritures. 

Sachez  donc  que  le  plus  grand  ennemi  de  Dieu, 
celui  qui  lui  est  le  plus  insupportable,  celui  qui 
choque  le  plus  sa  grandeur  et  sa  souveraineté, 
c'est  l'orgueil  :  car  encore  que  les  autres  vices 
abusent  des  créatures  de  Dieu  contre  son  service, 
ils  ne  nient  pas  qu'elles  ne  soient  à  lui  ;  au  lieu  que 
l'orgueil ,  autant  qu'il  le  peut ,  les  tire  de  son  do- 
maine. Et  comment?  c'est  parce  que  l'orgueilleux 
veut  se  rendre  maître  de  toutes  choses;  il  croit 
que  tout  lui  est  dû  :  son  ordinaire  est  de  s'attri- 
buer tout  à  lui-même;  et  par  là  il  se  fait  lui-même 
son  Dieu ,  secouant  le  joug  de  l'autorité  sou^-e- 
raine.  C'est  pourquoi  le  diable  s'étant  élevé  par 
une  arrogance  extraordinaire ,  les  Écritures  ont 
dit  qu'il  avait  affecté  la  divinité'  :  et  Dieu  lui-même 
nous  déclare  souvent  qu'il  est  un  Dieu  jaloux  ' , 
qui  ne  peut  souffrir  les  superbes  ;  qu'il  rejette  lei 


•  /».  XIV,  14. 

'  £aod.  xxTSf ,  U. 


co 


SUR  LA  VERTU 


orgueilleux  de  devant  sa  face'  ;  parce  que  les  su- 
perbes sont  ses  rivaux ,  et  veulent  traiter  d'égal 
avec  lui  :  par  conséquent  il  est  véritable  que  l'or- 
gueil est  le  capital  ennemi  de  Dieu. 

En  effet,  n'est-ce  pas  l'orgueil ,  chrétiens,  qui 
a  soulevé  contre  lui  tout  le  monde?  L'orgueil  est 
premièrement  monté  dans  le  ciel ,  où  est  le  trône 
de  Dieu ,  et  lui  a  débauché  ses  anges;  il  a  porté 
jusque  dans  son  sanctuaire  le  flambeau  de  rébel- 
lion :  après ,  il  est  descendu  dans  la  terre ,  et  ayant 
déjà  gagné  les  intelligences  célestes ,  il  s'est  servi 
d'elles  pour  dompter  les  hommes.  Lucifer,  cet 
esprit  superbe ,  conservant  sa  première  audace , 
même  dans  les  cachots  éternels ,  ne  conçoit  que  de 
furieux  desseins.  II  médite  de  subjuguer  l'homme, 
à  cause  que  Dieu  l'honore  et  le  favorise  :  mais 
sachant  qu'il  n'y  peut  réussir  tant  que  les  hom- 
mes demeureront  dans  la  soumission  pour  leur 
-Créateur,  il  en  fait  premièrement  des  rebelles', 
afin  d'en  faire  après  cela  des  esclaves.  Pour  les 
rendre  rebelles ,  il  fallait  auparavant  les  rendre 
orgueilleux.  Il  leur  inspire  donc  l'arrogance  qui 
le  possède  :  de  là  l'histoire  de  nos  malheurs;  de 
là  cette  longue  suite  de  maux  qui  affligent  notre 
nature,  opprimée  par  la  violence  de  ce  tyran. 

Enflé  de  ce  bon  succès ,  il  se  déclare  publique- 
ment le  rival  de  Dieu  :  il  abolit  son  culte  par  toute 
la  terre  ;  il  se  fait  adorer  en  sa  place  par  les  hom- 
mes qu'il  a  assujettis  à  sa  tyrannie.  C'est  pour- 
quoi le  Fils  de  Dieu  l'appelle  «  le  prince  du  mon- 
«  de%  «  et  l'apôtre  encore  plus  énergiquement,  «  le 
«  dieu  de  ce  siècle^.  »  Voilà  de  quelle  sorte  l'or- 
gueil a  armé  le  ciel  et  la  terre ,  tâchant  d'abattre 
le  trône  de  Dieu.  C'est  lui  qui  est  le  père  de  l'i- 
dolâtrie :  car  c'est  par  l'orgueil  que  les  hommes , 
méprisant  l'autorité  légitime,  et  devenus  amou- 
reux d'eux-mêmes ,  se  sont  fait  des  divinités  à 
leur  mode.  Ils  n'ont  point  voulu  de  dieux  que  ceux 
qu'ils  faisaient;  ils  n'ont  plus  adoré  que  leurs  er- 
reurs et  leurs  fantaisies  :  dignes ,  certes,  d'avoir 
des  dieux  de  pierre  et  de  bronze ,  et  de  servir  aux 
créatures  inanimées ,  eux  qui  se  lassaient  du  culte 
du  Dieu  vivant,  qui  les  avait  formés  à  sa  ressem- 
blance. Ainsi  toutes  les  créatures ,  agitées  de  l'es- 
prit d'orgueil  qui  dominait  par  tout  l'univers , 
faisaient  la  guerre  à  leur  Créateur  avec  une  rage 
impuissante. 

«  Élevez-vous ,  Seigneur  ;  que  vos  ennemis  dis- 
«  paraissent ,  et  que  ceux  qui  vous  haïssent  soient 
"  renversés  devant  votre  face'^.  «  Mais,  ô Dieu, 
de  quelles  armes  vous  servez-vous  pour  défaire 
ces  escadrons  furieux?  Je  ne  vois  ni  vos  foudres. 


'  Is.  XLU  ,  8. 
2  Joan.  xu,  31. 
»  11.  Cor.  IV ,  4. 
*  Ps.  LXTU,  I. 


ni  vos  éclairs ,  ni  cette  majesté  redoulable  devant 
laquelle  les  plus  hautes  montagnes  s'écoulent 
comme  de  la  cire  :  je  vois  seulement  une  chair 
meurtrie  et  du  sang  épanché  avec  violence ,  et 
une  mort  infâme  et  cruelle,  une  croix  et  une 
couronne  d'épines  :  c'est  tout  votre  appareil  de 
guerre;  c'est  tout  ce  que  vous  opposez  à  vos  en- 
nemis. Justement,  certes ,  justement  ;  et  en  voici 
la  raison  solide,  que  je  vous  prie,  chrétiens,  de 
considérer. 

C'est  honorer  l'orgueil ,  que  d'aller  contre  lui 
par  la  force;  il  faut  que  l'infirmité  même  le 
dompte.  Ce  n'est  pas  assez  qu'il  succombe ,  s'il 
n'est  contraint  de  reconnaître  son  impuissance  ; 
il  faut  Te  renverser  par  ce  qu'il  dédaigne  le  plus. 
Tu  t'es  élevé,  ô  Satan ,  tu  t'es  élevé  contre  Dieu 
de  toute  ta  force  :  Dieu  descendra  contre  toi  armé 
seulement  de  faiblesse ,  afin  de  montrer  combien 
il  se  rit  de  tes  téméraires  projets.  Tu  as  voulu 
être  le  Dieu  de  l'homme;  un  homme  sera  ton 
Dieu  :  tu  as  amené  la  mort  sur  la  terre;  la  mort 
ruinera  tes  desseins  :  tu  as  établi  ton  empire  en 
attachant  les  hommes  à  de  faux  honneurs ,  à  des 
richesses  mal  assurées,  à  des  plaisirs  pleins  d'il- 
lusion; les  opprobres,  la  pauvreté,  l'extrême  mi- 
sère ,  la  croix  en  un  mot  détruira  ton  empire  de 
fond  en  comble.  0  puissance  de  la  croix  de  Jésus! 

Les  ^'érités  de  Dieu  étaient  bannies  de  la  terre, 
tout  était  obscurci  par  les  ténèbres  de  l'idolâtrie. 
Chose  étrange,  mais  très-véritable!  les  peuples 
les  plus  polis  avaient  les  religions  les  plus  ridi- 
cules; ils  se  vantaient  de  n'ignorer  rien,  et  ils 
étaient  si  misérables  que  d'ignorer  Dieu.  Ils 
réussissaient  en  toutes  choses  jusqu'au  miracle  : 
sur  le  fait  de  la  religion ,  qui  est  le  capital  de  la 
vie  humaine,  ils  étaient  entièrement  insensés. 
Qui  le  pourrait  croire,  fidèles,  que  les  Égyp- 
tiens ,  les  pères  de  la  philosophie  ;  les  Grecs ,  les 
maîtres  des  beaux-arts  ;  les  Romains ,  si  graves 
et  si  avisés ,  que  leur  vertu  faisait  dominer  par 
toute  la  terre  :  qui  le  croirait,  qu'ils  eussent 
adoré  les  bêtes,  les  éléments ,  les  créatures  ina- 
nimées, des  dieux  parricides  et  incestueux;  que 
non-seulement  les  fièvres  et  les  maladies,  mais 
les  vices  les  plus  infâmes  et  les  plus  brutales 
des  passions  eussent  leurs  temples  dans  Rome? 
Qui  ne  serait  contraint  de  dire,  en  ce  lieu,  que 
Dieu  avait  abandonné  à  l'erreur  ces  grands  mais 
superbes  esprits ,  qui  ne  voulaient  pas  le  recon- 
naître ;  et  qu'ayant  quitté  la  véritable  lumière , 
le  Dieu  de  ce  siècle  les  a  aveuglés,  pour  ne  voir 
pas  des  choses  si  manifestes? 

Et  le  monde  et  les  maîtres  du  monde ,  le  dia- 
ble les  tenait  captifs  et  tremblants  sous  de  ser- 
viles  religions ,  desquelles  néanmoins  ils  étaient 
jaloux ,  non  moins  que  de  la  grandeur  de  leiu 


DE  LA  CROIX  DE  JÉSUS-CFIRIST. 


€7 


république.  Qu'y  avait-il  de  plus  méchant  que 
leurs  dieux?  quoi  de  plus  superstitieux  que  leurs 
sacrifices?  quoi  de  plus  impur  que  leurs  profanes 
my-stères?  quoi  de  plus  cruel  que  leurs  jeux ,  qui 
faisaient  i>armi  eux  une  partie  du  culte  divin? 
jcu-x  sanglants  et  dignes  de  bètes  farouches,  où 
ils  soûlaient  leurs  faux  dieux  de  spectacles  bar- 
bares et  de  sang  humain.  Cependant  tant  de  phi- 
losophes ,  tant  de  grands  esprits  que  le  bel  ordre 
(lu  monde  forçait  à  reconnaître  Tunique  divinité 
qui  gouverne  toute  la  nature,  encore  qu'ils  fus- 
sent choqués  de  tant  de  désordres,  ils  n'ont  pu 
persuader  aux  hommes  de  les  quitter.  Avec  leurs 
raisonnements  si  sublimes ,  avec  leur  éloquence 
toute-puissante,  ils  n'ont  pu  désabuser  les  peuples 
de  leurs  ridicules  cérémonies  et  de  leur  religon 
monstrueuse. 

Mais  sitôt  que  la  croix  de  Jésus  a  commencé 
de  paraître  au  monde,  sitôt  que  l'on  a  prêché  la 
mort  et  le  supplice  du  Fils  de  Dieu;  les  oracles 
menteurs  se  sont  tus,  le  règne  des  idoles  a  été 
peu  à  peu  ébranlé  ;  enfin  elles  ont  été  renyei-sées  : 
et  Jupiter,  et  Mars,  et  Neptune,  et  rÉg>'ptien 
Sérapis,  et  tout  ce  que  l'on  adorait  dans  la  terre 
a  été  enseveli  dans  l'oubli.  Le  monde  a  ouvert 
les  yeux  pour  reconnaître  le  Dieu  créateur,  et 
s'est  étonné  de  son  ignorance.  L'extravagance  du 
christianisme  a  été  plus  forte  que  la  plus  sublime 
philosophie.  La  simplicité  de  douze  pêcheurs  sans 
secours,  sans  éloquence,  sans  art,  a  changé  la 
face  de  l'univers.  Ces  pêcheurs  ont  été  plus  heu- 
reux que  ce  fameux  Athénien  *,  à  qui  la  fortune , 
ce  lui  semblait ,  apportait  les  villes  prises  dans 
des  rets.  Ils  ont  pris  tous  les  peuples  dans  leurs 
filets,  pour  en  faire  la  conquête  de  Jésus-Christ, 
qui  ramène  tout  à  Dieu  par  sa  croix. 

Car  vous  remarquerez ,  chrétiens ,  que  tandis 
qu'il  a  conversé  parmi  nous;  encore  qu'il  fît 
des  miracles  extraordinaires ,  encore  qu'il  eût  à 
la  bouche  des  paroles  de  vie  étemelle,  il  a  eu 
peu  de  sectateurs  :  ses  amis  mêmes  rougissaient 
souvent  de  se  voir  rangés  sous  la  discipline  d'un 
maître  si  méprisé.  Mais  est-il  monté  sur  la  croix , 
est-il  mort  à  ce  bois  infâme,  quelle  affluence  de 
peuples  accourent  à  lui!  0  Dieu,  quel  est  ce 
nouveau  prodige?  Maltraité  et  mésestimé  dans 
la  vie,  il  commence  à  régner  après  qu'il  est 
mort.  Sa  doctrine  toute  céleste ,  qui  devait  le 
faire  respecter  partout,  le  fait  attacher  à  la  croix, 
et  cette  croix  infâme,  qui  devait  le  faire  mépriser 
partout ,  le  rend  vénérable  à  tout  l'univers.  Sitôt 
qu'il  a  pu  étendre  les  bras ,  tout  le  monde  a 
recherché  ses  embrassements.  Ce  mystérieux 
grain  de  froment  n'est  pas  plutôt  tombé  dans  la 
terre ,  qu'il  s'est  multiplié  par  sa  propre  corrup- 

*  TimoUiée.filsdeCoaoD.  Plut.  yU.paraU. 


tioD.  Il  ne  s'est  pas  plutôt  élevé  de  terre,  que  se- 
lon qu'il  l'avait  prédit  en  son  Kvangile,  «  il  a  attiré 
n  à  lui  toutes  choses  ' ,  »  et  a  changé  l'instrument 
du  plus  infâme  supplice  en  une  machine  céleste, 
pour  enlever  tous  les  cœurs  :  c'est-à-dire,  que  le 
Sauveur  est  tombé  delà  croix  au  sépulcre  ;  et  par 
un  merveilleux  contre-coup,  tous  les  peuples  sont 
tombés  à  ses  pieds. 

Voyez  cette  affluence  de  gens  qui ,  de  toutes 
les  parties  de  la  terre ,  accourent  à  la  croix  de 
Jésus;  qui  non-seulement  se  glorifient  de  porter 
son  nom ,  mais  s'empressent  à  imiter  ses  souf- 
frances, à  être  déshonorés  pour  sa  gloire,  à 
mourir  pour  l'amour  de  lui.  Si  quelqu'un  parmi 
les  anciens  méprisait  la  mort ,  on  admirait  cette 
fermeté  de  courage  comme  une  chose  presque 
inouïe.  Grâce  à  la  croix  de  Jésus,  ces  exemples 
sont  si  communs  parmi  nous,  que  leur  abon- 
dance nous  empêche  de  les  raconter.  Depuis  qu'on 
a  prêché  un  Dieu  mort ,  la  mort  a  eu  pour  nous 
des  délices  :  on  a  vu  la  vieillesse  la  plus  décré- 
pite et  l'enfance  la  plus  imbécile,  les  vierges  ten- 
dres et  délicates  y  courir  comme  à  l'honneur  du 
triomphe.  C'est  pourquoi  on  disait  que  les  chré- 
tiens étaient  un  certain  genre  d'hommes  destinés 
et  comme  dévoués  à  la  mort.  La  croix  toute-puis- 
sante avait  familiarisé  avec  eux  ce  fantôme  hi- 
deux, qui  est  l'horreur  de  toute  la  nature.  Le 
monde  s'est  plutôt  lassé  de  tuer  que  les  chrétiens 
n'ont  fait  de  souffrir  ;  toutes  les  inventions  de  la 
cruauté  se  sont  épuisées  pour  ébranler  la  foi  de 
nos  pères  ;  toutes  les  puissances  du  monde  s'y 
sont  employées.  Mais ,  ô  aveugle  fureur,  qui  éta- 
blit ce  qu'elle  pense  détruire  !  c'est  par  la  croix 
que  le  roi  Jésus  a  résolu  de  conquérir  tout  le 
monde  :  c'est  pourquoi  il  imprime  cette  croix  vic- 
torieuse sur  le  corps  de  ses  braves  soldats,  en 
les  associant  à  ses  souffrances  :  c'est  par  là  qu'ils 
surmonteront  tous  les  peuples;  ils  désarmeront 
leurs  persécuteurs  par  leur  patience  ;  les  loups  à 
la  fin  deviendront  agneaux,  en  immolant  les 
agneaux  à  leur  cruauté. 

Il  faut  que  la  croix  de  Jésus  soit  adorée  par 
toute  la  terre  :  son  empire  n'aura  point  de  bor- 
nes ,  parce  que  sa  puissance  n'a  point  de  limites  ; 
elle  étendra  sa  domination  jusqu'aux  provinces 
les  plus  éloignées ,  jusqu'aux  îles  les  plus  inac- 
cessibles ,  jusqu'aux  nations  les  plus  inconnues. 
Quelle  joie  en  vérité,  fidèles ,  de  voir  et  Barbares 
et  Grecs ,  et  les  Scythes  et  les  Arabes ,  et  les  In- 
diens et  tous  les  peuples  du  monde ,  faire  tous 
ensemble  un  nouveau  royaume,  qui  aura  pour 
sa  loi  l'Évangile,  et  Jésus  pour  son  chef,  et  la 
croix  pour  son  étendard  !  Rome  même ,  cette  ville 

■  Joan  XII ,  23. 


tts 


SUR  LA  VERTU 


superbe,  après  s'être  si  longfemps  enivrée  du 
sang  des  martyrs  de  Jésus  ;  Rome ,  la  maîtresse , 
baissera  la  tetc;  elle  portera  plus  loin  ses  con- 
'ijuétes  par  la  religion  de  Jésus,  qu'elle  n'a  fait 
autrefois  par  ses  armes;  et  nous  lui  verrons  ren- 
dre plus  d'honneur  au  tombeau  d'un  pauvre  pê- 
cheur, qu'au  temple  de  son  Roraulus. 

Vous  y  viendrez  aussi ,  ô  Césars!  Jésus  crucifié 
•veut  voir  abattue  à  ses  pieds  la  majesté  de  l'em- 
pire. Constantin ,  ce  triomphant  empereur,  dans 
le  temps  marqué  par  la  Providence,  élèvera  l'é- 
tendard de  la  croix  au-dessus  des  aigles  romaines. 
Par  la  croix,  il  surmontera  les  tyrans;  par  la 
croix ,  il  donnera  la  paix  à  l'empire;  par  la  croix , 
il  affermira  sa  maison  :  la  croix  sera  son  unique 
trophée,  parce  qu'il  publiera  hautement  qu'elle 
lui  a  donné  toutes  ses  victoires. 

Cei'tes ,  je  ne  m'étonne  plus ,  ô  Seigneur  Jésus , 
si ,  peu  de  temps  avant  votre  mort ,  vous  vous 
écriiez  avec  tant  de  joie  que  votre  heure  glorieuse 
approchait,  et  que  «  le  prince  du  monde  allait 
«  être  bientôt  chassé'.  »  Je  ne  m'étonne  plus  si  je 
vous  vois  dans  le  palais  d'Hérode,  et  devant  le 
tribunal  de  Pilate ,  avec  une  contenance  si  ferme , 
bravant  pour  ainsi  dire  la  pompe  de  la  cour  royale 
t't  la  majesté  des  faisceaux  romains ,  par  la  géné- 
rosité de  votre  silence.  C'est  que  vous  sentiez  bien 
que  le  jour  de  votre  crucifiement  était  pour  vous 
un  jour  de  triomphe.  En  effet ,  vous  avez  triom- 
Ijhé,  ô  Jésus!  et  vous  menez  en  triomphe  les 
puissances  des  ténèbres  captives  et  tremblantes 
après  votre  croix.  «  Vous  avez  surmonté  le  monde, 
«  non  par  le  fer,  mais  par  le  bois  :  »  Domuit  or- 
bem,  nonferro,  sed  ligno^.  Car  il  était  bien 
digne  de  votre  grandeur  «  de  vaincre  la  force  par 
«  l'impuissance ,  et  les  choses  les  plus  hautes  par 
«  les  plus  abjectes ,  et  ce  qui  est  par  ce  qui  n'est 
«  pas ,  comme  parle  l'apôtre  ^ ,  et  une  fausse  et 
«  superbe  sagesse ,  par  une  sage  et  modeste  folie.  » 
Par  ce  moyen ,  vous  avez  fait  voir  qu'il  n'y  avait 
rien  de  faible  en  vos  mains,  et  que  vous  faites 
des  foudres  de  tout  ce  qu'il  vous  plaît  employer. 

Mais  ne  vous  dirai-je  pas,  chrétiens,  une  belle 
marque  que  nous  a  donnée  Jésus-Christ,  pour 
nous  convaincre  très-évidemment  que  c'est  la 
croix  qui  a  opéré  ces  merveilles?  C'est  que  sous 
le  règne  de  Constantin ,  dans  le  temps  que  la  paix 
fut  donnée  à  l'Église ,  que  le  vrai  Dieu  fut  reconnu 
publiquement  par  toute  la  terre,  que  tous  les 
peuples  du  monde  confessèrent  la  divinité  de 
Jésus  ;  la  croix  de  notre  bon  Maître ,  qui  n'avait 
point  paru  jusqu'alors ,  fut  reconnue  par  des  mi- 
racles extraordinaires ,  dont  toute  l'antiquité  s'est 

'  Joan.  xii,  31. 

'  S   Auy.  in  Ps.  UV,  n"  12,  t.  IV,  col.  508. 

»  I.  Cor.  1 ,  27,  28. 


glorifiée.  Elle  fut  exallée  dans  un  temple  àu^is«^ 
à  la  gloire  du  Crucifié,  et  à  la  consolation  des 
fidèles.  Est-ce  par  un  événement  fortuit  que  cela 
s'est  rencontré  dans  ce  temps?  une  chose  si  illus- 
tre est-elle  arrivée  sans  quelque  ordre  secret  de 
la  Providence?  Ah!  ne  le  croyez  pas,  chrétiens. 
Et  quoi  donc?  C'est  que  tout  a  fléchi  sous  le  joug 
du  Sauveur  Jésus.  Les  puissances  infernales  sont 
confondues;  tout  le  monde  vient  adorer  le  vrai 
Dieu  dans  l'Église,  qui  est  son  temple,  et  par 
Jésus-Christ,  qui  est  son  pontife. 

Paraissez,  paraissez,  11  est  temps,  ô  croix ,  qui 
avez  fait  ces  miracles  !  c'est  vous  qui  avez  brisé 
les  idoles  ;  c'est  vous  qui  avez  subjugué  les  peu* 
pies;  c'est  vous  qui  avezdourïé  la  victoire  aux 
valeureux  soldats  de  Jésus ,  qui  ont  tout  surmonté 
par  la  patience.  Vous  serez  gravée  sur  le  front  des 
rois;  vous  serez  le  principal  ornement  de  la  cou- 
ronne des  empereurs;  vous  serez  l'espérance  et 
la  gloire  des  chrétiens,  qui  diront  avec  l'apôtre 
saint  Paul ,  «  qu'ils  ne  veulent  jamais  se  glorifier, 
«  si  ce  n'est  en  la  croix  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
«  Christ;  »  à  cause  que  la  croix,  par  la  bienheu- 
reuse victoire  qu'elle  a  remportée  en  faisant  éda^ 
ter  la  toute-puissance  divine ,  a  aussi  répandu  sur 
nous  les  trésors  de  sa  miséricorde  :  c'est  ce  ^î 
me  reste  à  vo>us  dire  en  peu  de  paroles. 

SECO'D    POINT. 

Ce  nous  est,  à  la  vérité,  une  grande  gloire  de 
servir  un  Dieu  si  puissant  qu'est  celui  que  nous 
adorons;  mais  c'est  particulièrement  sa  miséri- 
corde qui  nous  oblige  à  nous  glorifier  en  lui  seul. 
Qui  ne  se  tiendrait  infiniment  honoré  de  voir  un 
Dieu  si  grand ,  qui  met  sa  gloire  à  nous  enrichir? 
Et  n'est-ce  pas  nous  presser  vivement  de  mettre 
toute  la  nôtre  à  le  louer?  c'est  ce  que  fait  la  misé- 
ricorde. Ce  Dieu ,  qui ,  par  sa  toute-puissance , 
est  si  fort  au-dessus  de  nous,  lui-même  par  sa 
bonté  daigne  se  rabaisser  jusqu'à  nous,  et  nous 
communique  tout  ce  qu'il  est  par  une  miséricor- 
dieuse condescendance.  Avouons  que  cela  touche 
les  cœurs ,  et  que  s'il  est  glorieux  à  la  toute-puis- 
sance de  faire  craindre  la  miséricorde ,  il  ne  l'est 
pas  moins  à  la  miséricorde  de  ce  qu'elle  fait  aimer 
la  puissance. 

Car,  certes ,  il  y  a  de  la  gloire  à  se  faire  aimer  ; 
c'est  pourquoi  le  grave  TertuUien  nous  enseigne 
que  «  dans  l'origine  des  choses.  Dieu  n'avait  que 
«  de  la  bonté ,  et  que  sa  première  inclination ,  c'est 
«  de  nous  bien  faire  :  »  Deus  aprimordio  tantum 
bonus  \  Et  la  raison  qu'il  en  rend  est  bien  évi- 
dente, et  bien  digne  d'un  si  grand  homme  :  car 
pour  bien  connaître  quelle  est  la  première  des 
inclinations ,  il  faut  choisir  celle  qui  se  trouvera 

'  Jdverstis  .Varcion.  lib.  il,  n"  11,  p.  4G2. 


DE  LA  CROIX  DE  JESUS-CIIRIST. 


69 


la  plus  natnrelle,  d'autant  que  la  nature  est  le 
principe  de  tout  le  reste.  Or,  notre  Dieu ,  chré- 
tiens ,  a-t-il  rien  de  plus  naturel  que  cette  incli- 
nation de  nous  enrichir  par  la  profusion  de  ses 
grâces?  Comme  une  source  envoie  ses  eaux  natu- 
rellement, comme  le  soleil  naturellement  répand 
ses  rayons;  ainsi  Dieu  naturellement  fait  du  bien. 
Étant  bon,  abondant,  plein  de  trésors  infinis  par 
sa  dignité  naturelle ,  il  doit  être  aussi ,  par  nature , 
bienfaisant ,  libéral ,  magnifique. 

Quand  il  te  punit,  ô  impie,  la  raison  n'en  est 
pas  en  lui-même;  il  ne  veut  pas  que  personne 
périsse.  C'est  ta  malice,  c'est  ton  ingratitude  qui 
attire  son  indignation  sur  ta  tête.  Au  contraire ,  si 
nous  voulons  l'exciter  à  nous  faire  du  bien ,  il  n'est 
pas  nécessaire  de  chercher  bien  loin  des  motifs  : 
|sa  nature,  d'elle-même  si  bienfaisante,  lui  est  un 
motif  très-pressant ,  et  une  raison  qui  ne  le  quitte 
jamais.  Quand  il  nous  fait  du  mal ,  il  le  fait  à 
cause  de  nous;  quand  il  nous  fait  du  bien,  il  le 
fait  à  cause  de  lui-même.  «  Ce  qu'il  est  bon ,  c'est 
«  du  sien ,  c'est  de  son  propre  fond ,  dit  Tertulliea; 
o  ce  qu'il  est  juste ,  c'est  du  nôtre  :  «  c'est  nous 
qui  fournissons  par  nos  crimes  la  matière  à  sa 
juste  vengeance  :  De  suo  optimus,  de  nostroju- 
slus\  Il  est  donc  vrai,  ce  que  nous  disions,  que 
Dieu  n'a  pu  commencer  ses  ouvrages  que  par  un 
épjmchement  général  de  sa  bonté  sur  les  créatu- 
res ,  et  que  c'est  là  par  conséquent  sa  plus  grande 
gloire. 

Maintenant  je  vous  demande ,  le  sauveur  Jésus , 
notre  amour  et  notre  espérance ,  notre  pontife , 
notre  avocat,  notre  intercesseur,  pourquoi  est-il 
monté  sur  la  croix?  pourquoi  est-il  mort  sur  ce 
bois  infâme?  qu'est-ce  que  nous  en  apprend  le 
grand  apôtre  saint  Paul'?  N'est-ce  pas  «  pour 
•<  renouveler  toutes  choses  en  sa  personne ,  »  pour 
ramener  tout  à  la  première  origine ,  pour  repren- 
dre les  premières  traces  de  Dieu  son  Père ,  et  ré- 
former les  hommes  selon  le  premier  dessein  de  ce 
grand  ouvrier?  C'est  la  doctrine  du  christianisme  : 
donc  ce  qui  a  porté  le  Sauveur  à  vouloir  mourir 
en  la  croix ,  c'est  qu'il  était  touché  de  cespremiers 
sentiments  de  son  Père  ;  c'est-à-dire ,  ainsi  que  je 
l'ai  exposé  tout  à  l'heure ,  de  clémence ,  de  bonté , 
de  charité  infinie. 

En  effet ,  n'est-ce  pas  à  la  croix  qu'il  a  présenté 
devant  le  trône  de  Dieu ,  non  point  des  génisses 
et  des  taureaux ,  mais  sa  sainte  chaij',  formée  par 
le  Saint-Esprit ,  oblation  sainte  et  vivante  pour 
l'expiation  de  nos  crimes?  N'est-ce  pas  à  la  croix 
qu'il  a  réconcilié  toutes  choses,  faisant  par  la 
vertu  de  son  sang  la  vraie  purification  de  nos 


•  De  Resur.  cam.  n*  U. 
-  Li'/iti.i,  10.  Colos.  m,  10. 


âmes  '  ?  Les  hommes  étaient  révoltés  contre  Dieu , 
ainsi  que  nous  le  disions  dans  la  première  partie  ; 
et  d'autre  part,  la  justice  divine  était  prête  à  les 
précipiter  dans  l'abîme  en  la  compagnie  des  dé- 
mons, dont  ils  avaient  suivi  les  conseils  et  imité 
la  présomption  ;  lorsque  tout  à  coup  notre  chari- 
table pontife  paraît  entre  Dieu  et  les  hommes.  1 1 
se  présente  pour  porter  les  coups  qui  allaient  tom- 
ber sur  nos  têtes.  Posé  sur  l'autel  de  la  croix,  il 
répand  son  sang  sur  les  hommes,  il  élève  à  Dieu 
ses  mains  innocentes  ;  «  et  ainsi  pacifiant  le  ciel  et 
«  la  terre  »,  «  il  arrête  le  coure  de  la  justice  divine , 
et  change  une  fureur  implacable  en  une  éternelle 
miséricorde. 

En  suivant  l'audace  des  anges  rebelles,  nous 
leur  avions  vendu  nos  corps  et  nos  âmes,  par  un 
détestable  marché  ;  et  Dieu  sur  ce  contrat  avait 
ordonné  que  nous  serions  livrés  en  leurs  mains. 
Dieu  l'avait  prononcé  de  la  sorte  par  une  sentence 
dernière  et  irrévocable.  Mais  qu'a  fait  le  sauveur 
Jésus?  «  Il  a  pris,  dit  l'apôtre  saint  PauP,  l'ori- 
«  ginal  de  ce  décret  donné  contre  nous ,  et  il  l'a 
«  attaché  à  la  croix.  »  Pour  quelle  raison?  C'est 
afin ,  ô  Père  éternel ,  que  vous  ne  puissiez  voir  la 
sentence  qui  nous  condamne,  que  vous  ne  voyiez 
le  sacrifice  qui  nous  absout  ;  afin  que  si  vous  rap- 
peliez en  votre  mémoire  le  crime  qui  vous  irrite,^ 
en  même  temps  vous  vous  souveniez  du  sang  qui 
vous  apaise  et  vous  adoucit.  Ainsi  a  été  accompli 
cet  oracle  du  prophète  Isaïe  :  «  Votre  traité  avec 
«  la  mort  sera  annulé,  et  votre  pacte  avec  l'enfer 
«  ne  tiendra  pas  :  »  Delebiturfœdus  vestrum  cum 
morte,  etpactum  vestrum  cum  inferno  nonsta- 
bit^.  Jésus  a  rompu  ce  damnable  contrat  par  une 
meilleure  alliance  :  dès  là  nos  espérances  se  soni 
relevées.  Le  ciel ,  qui  était  de  fer  pour  nous ,  a  com- 
mencé de  répandre  ses  grâces  sur  les  misérables 
mortels  :  Jésus  nous  l'a  ouvert  par  sa  croix. 

C'est  pourquoi  je  la  compare  à  cette  mystérieuse 
échellequiparutau patriarche  Jacob,  «  où  il  voyait 
«  les  anges  monteret  descendre  \  «  Que  veut  dire 
ceci,  chrétiens?  N'est-ce  pas  pour  nous  faire  en- 
tendre que  la  croix  de  notre  Sauveur  renoue  le 
commerce  entre  le  ciel  et  la  terre  ;  que  par  cette 
croix  les  saints  anges  viennent  à  nous  comme  à 
leurs  frères  et  leurs  alliés,  et  en  même  temps 
nous  apprennent  que ,  par  la  même  croix ,  nous 
pouvons  remonter  au  ciel  avec  eux ,  pour  y  rem-r 
plir  les  places  que  leurs  ingrats  compagnons  ont 
laissées  vacantes  ? 

Où  mettrons-nous  donc  notre  gloire,  mes  frères, 

'   Col.  1 ,  20. 

=  Ibid. 

5  Ibid.  Il,  n. 

*  Is.  XXVIII,  18. 

*  Cen.  xxvui ,  12. 


70 


SUR  LA  VERTU 


si  ce  n'est  en  la  croix  de  Jésus?  Car,  comme 
dit  l'apôtre  saint  Paul,  «  si  lorsque  nous  étions 
«  ennemis ,  Dieu  nous  a  réconciliés  par  la  mort 
«  de  son  Fils  unique  ;  maintenant  que  nous  avons 
«  la  paix  avec  lui  par  le  sang  du  Médiateur,  com- 
'<  ment  ne  nous  comblera-t-il  pas  de  ses  dons? 
t  Et  si ,  étant  pécheurs ,  Jésus-Christ  nous  a  tant 
«  aimés ,  qu'il  est  mort  pour  l'amour  de  nous  ; 
«  maintenant  que  nous  sommes  justifiés  par  son 
«  sang  ' ,  M  qui  pourrait  dire  la  tendresse  de  son 
amour?  Or,  si  Dieu  a  usé  envers  nous  d'une  telle 
miséricorde  pendant  que  nous  étions  des  rebelles, 
que  ne  fera-t-il  pas  maintenant ,  que  par  la  croix 
du  Sauveur  nous  sommes  devenus  ses  enfants? 
«  Et  celui  qui  nous  a  donné  son  Fils  unique ,  que 
0  nous  pourra-t-il  refuser^?» 

Pour  moi ,  je  vous  l'avoue ,  chrétiens,  c'est  là 
toute  ma  gloire ,  c'est  là  mon  unique  consolation  : 
autrement ,  dans  quel  désespoir  ne  me  jetterait 
pas  le  nombre  infini  de  mes  crimes?  Quand  je 
considère  le  sentier  étroit  sur  lequel  Dieu  m'a 
commandé  de  marcher,  et  l'incroyable  difficulté 
qu'il  y  a  de  retenir ,  dans  un  chemin  si  glissant , 
une  volonté  si  volage  et  si  précipitée  que  la 
mienne  ;  quand  je  jette  lesyeux  sur  la  profondeur 
immense  du  cœur  humain,  capable  de  cacher 
dans  ses  replis  tortueux  tant  d'inclinations  cor- 
rompues, dont  nous  n'aurons  nous-mêmes  nulles 
connaissances  ;  je  frémis  d'horreur ,  fidèles ,  et 
j'ai  juste  sujet  de  craindre  qu'il  ne  se  trouve  beau- 
coup de  péchés  dans  les  choses  qui  me  paraissent 
les  plus  innocentes.  Et  quand  môme  je  serais  très- 
juste  devant  les  hommes,  ô  Dieu  éternel ,  quelle 
justice  humaine  ne  disparaîtra  pas  devant  votre 
face?  «  Et  qui  serait  celui  qui  pourrait  justifier  sa 
«  vie ,  si  vous  entriez  avec  lui  dans  un  examen  ri- 
«  goureux  ^  ?  »  Si  le  grand  apôtre  saint  Paul ,  après 
avoir  dit  avec  une  si  grande  assurance ,  «  qu'il  ne 
«  se  sent  point  coupable  en  lui-même ,  ne  laisse  pas 
<■  de  craindre  de  n'être  pas  justifié  devant  vous  ^  ;  » 
que  dirai-je,  moi  misérable?  et  quels  devront 
donc  être  les  troubles  de  ma  conscience?  Mais, 
ô  mon  Pontife  miséricordieux ,  mon  Pontife  fidèle 
et  compatissant  à  mes  maux ,  c'est  vous  qui  ré- 
paiïdez  une  certaine  sérénité  dans  mon  âme. 
Non ,  tant  que  je  pourrai  embrasser  votre  croix , 
jamais  je  ne  perdrai  l'espérance  :  tant  que  je  vous 
verrai  à  la  droite  de  votre  Père  avec  une  nature 
semblable  à  la  mienne ,  portant  encore  sur  votre 
chair  les  cicatrices  de  ces  aimables  blessures  que 
vous  avez  reçues  pour  l'amour  de  moi ,  je  ne  croi- 
rai jamais  que  le  genre  humain  vous  déplaise,  et 

»  Jîom.  T,  9,  8,  10. 
'  Ihid.  vni ,  32. 
^  Ps.  cxi.ii ,  2. 
M   Car.  IV ,  4. 


la  terreur  de  la  majesté  ne  m'empêchera  point 
d'approcher  de  l'asile  delà  miséricorde.  Cela  me 
rend  certain  (jue  vous  aurez  pitié  de  mes  maux  : 
c'est  pourquoi  votre  croix  est  toute  ma  gloire , 
parce  qu'elle  est  toute  mon  espérance. 

Mais  est-il  bien  vrai ,  chrétiens ,  que  nous  nous 
glorifions  en  la  croix  du  sauveur  Jésus?  Nos 
actions  ne  démentent-elles  pas  nos  paroles?  Ne 
faudrait-il  pas  dire  plutôt  que  la  croix  nous  est  un 
scandale ,  aussi  bien  qu'elle  l'a  été  aux  Gentils"? 
La  croix  ne  t'est-elle  pas  un  scandale  à  toi, 
qui  dédaignes  la  pauvreté ,  qui  ne  peux  souffrir 
les  injures,  qui  cours  après  les  plaisirs  mortels, 
qui  fuis  tout  ce  que  tu  vois  à  la  croix,  oubliant 
que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  a  trouvé  sa  vie 
dans  la  nwrt,  et  ses  richesses  dans  la  pauvreté, 
et  ses  délices  dans  les  tourments ,  et  sa  gloire  dans 
l'ignominie  ?  L'apôtre  saint  Paul  disait  à  ceux  qui 
voulaient  établir  la  justice  par  les  œuvres  et  les 
cérémonies  de  la  loi ,  que  «  si  la  justice  était  par 
«  la  loi ,  Jésus-Christ  était  mort  en  vain ,  et  que 
«  ce  grand  scandale  de  la  croix  était  inutile  '.  » 
Et  ne  pourrais-je  pas  dire  aujourd'hui ,  avec  beau- 
coup plus  de  raison ,  qu'en  vain  Jésus-Christ  est 
mort  à  la  croix  ;  puisque  n'étant  mort  qu'afin  de 
nous  rendre  un  peuple  agréable  à  Dieu ,  nous  vi- 
vons avec  une  telle  licence ,  que  nous  contraignons 
pres({ue  les  infidèles  à  blasphémer  le  saint  nom 
qui  a  été  invoqué  sur  nous?  En  vain  Jésus-Christ 
est  mort  à  la  croix  pour  renverser  la  sagesse  mon- 
daine, si  après  sa  mort  on  mène  toujours  une  même 
vie,  si  l'on  applaudit  aux  mêmes  maximes,  si 
l'on  met  le  souverain  bonheur  dans  les  mêmes 
choses.  En  vain  la  croix  a-t-elle  abattu  les  ido- 
les par  toute  la  terre,  si  nous  nous  faisons  tous 
les  jours  de  nouvelles  idoles  par  nos  passions  dé- 
réglées; sacrifiant  non  point  à  Bacchus,  mais  à 
l'ivrognerie  ;  non  point  à  Vénus ,  mais  à  l'irapu- 
dicité  ;  non  point  à  Plutus ,  mais  à  l'avarice  ;  non 
point  à  Mars,  mais  à  la  vengeance;  et  leur  im- 
molant non  des  animaux  égorgés ,  mais  nos  esprits 
remplis  de  l'Esprit  de  Dieu ,  et  «  nos  corps  qui 
«  sont  les  temples  du  Dieu  vivant,  et  nos  mem- 
«  bres  qui  sont  devenus  les  membres  de  Jésus- 
«  Christ^.  » 

C'est  donc  une  chosetropassurée,quela  croix 
de  Jésus  n'est  pas  notre  gloire  :  car  si  elle  était 
notre  gloire ,  nous  glorifierions-nous,  comme  nous 
faisons,  dans  les  vanités?  Pourquoi  pensez-vous 
que  l'apôtre  saint  Paul  ne  dise  pas  en  ce  lieu  qu'il 
se  glorifie  en  la  sagesse  de  Jésus-Christ,  en  la 
puissance  de  Jésus-Christ ,  dans  les  miracles  de 
Jésus-Christ,  en  la  résurrection  de  Jésus-Christ , 

'  T.  Cor.  1 ,  23. 

'  Gai.  II,  21;  V,  H. 

«  1.  Cor.  VI,  15, 10.  Ephes,  v,  30. 


DE  LA  CROIX  DE  JESliS-CHRIST. 


7f 


mais  seulement  en  la  mort  et  en  la  croix  de  Jésus- 
Christ?  A-t-il  parlé  ainsi  sans  raison?  ou  plutôt 
ne  vous  souvenez-vous  pas  que  je  vous  ai  dit,  à 
l'entrée  de  ce  discours ,  que  la  croix  était  un  as- 
semblage de  tous  les  tourments,  de  tous  les  op- 
probres ,  et  de  tout  ce  qui  parait  non-seulement 
méprisable,  mais  horrible,  mais  effroyable  à  notre 
raison?  C'est  pour  cela  que  saint  Paul  nous  dit, 

-  qu'Use  glorifie  seulement  en  la  croix  du  sauveur 
«  Jésus;  •'  afin,  de  nous  apprendre  l'humilité,  afin 
de  nous  faire  entendre  que  nous  autres  chrétiens 
nous  n'avons  de  gloire  que  dans  les  choses  que  le 
monde  méprise. 

Eh!  dites-moi,  mes  frères,  «  le  signe  du  chré- 
«  tien,  n'est-ce  pas  la  croix?  JN'est-ce  pas  par  la 

-  croix ,  dit  saint  Augustin  ' ,  que  l'on  bénit ,  et 
«  l'eau  qui  nous  régénère ,  et  le  sacrifice  qui  nous 
«  nourrit,  et  l'onction  sainte  qui  nous  fortifie?  » 
Avez-vous  oublié  que  l'on  a  imprimé  la  croix  sur 
vos  fronts ,  quand  on  vous  a  confirmés  par  le 
Saint-Esprit?  Pourquoi  l'imprimer  sur  le  front? 
N'est-ce  pas  que  le  front  est  le  siège  de  la  pudeur? 
Jésus-Christ  par  la  croix  a  voulu  nous  durcir  le 
front  contre  cette  fausse  honte,  qui  nous  fait 
rougir  des  choses  que  les  hommes  estiment  bas- 
ses, et  qui  sont  grandes  devant  la  face  de  Dieu. 
Combien  de  fois  avons-nous  rougi  de  bien  faire  ? 
Combien  de  fois  les  emplois  les  plus  saints  nous 
ont-ils  semblé  bas  et  ravalés?  La  croix  imprimée 
sui*  nos  fronts  nous  arme  d'une  généreuse  impu- 
dence contre  cette  lâche  pudem  ;  elle  nous  ap- 
prend que  les  honneurs  de  la  terre  ne  sont  pas  pour 
nous. 

Quand  les  magistrats  veulent  rendre  les  per- 
sonnes infâmes  et  indignes  des  honneurs  humains, 
souvent  ils  leur  font  imprimer  sur  le  corps  une 
marque  honteuse ,  qui  découvre  à  tout  le  monde 
leur  infamie.  Vous  dirai-je  ici  ma  pensée  ?  Dieu  a 
imprimé  sur  nos  fronts ,  dans  la  partie  du  corps 
lapluséminente,  une  marque  devant  lui  glorieuse , 
devant  les  hommes  pleine  d'ignominie ,  afin  de 
nous  rendre  incapables  de  recevoir  aucun  hon- 
neur sur  la  terre.  Ce  n'est  pas  que ,  pour  être  bons 
chrétiens,  nous  soyons  indignes  des  honneurs  du 
monde  ;  mais  c'est  que  les  honneurs  du  monde  ne 
sont  pas  dignes  de  nous.  Nous  sommes  infâmes 
selon  le  monde ,  parce  que ,  selon  le  monde ,  la 
croix ,  qui  est  notre  gloire ,  est  un  abrégé  de  toutes 
sortes  d'infamies. 

Cependant,  comme  si  le  christianisme  et  la  croix 
de  Jésus  étaient  une  fable ,  nous  n'avons  d'ambi- 
tion que  pour  la  gloire  du  siècle  :  l'humilité  chré- 
tienne nous  paraît  une  niaiserie.  Nos  premiers 
pères  croyaient  qu'à  peine  les  empereurs  méri- 

'  InJoan-tract.  cxTiii,  n"  5,  t.  iir,  part,  ii,  col.  soi. 


taient-ils  d'être  chrétiens  :  les  choses  à  présent 
sont  changées  :  à  peine  croyons-nous  que  la  piété 
chrétienne  soit  digne  de  paraître  dans  les  person- 
nes considérables  :  la  bassesse  de  la  croix  nous 
est  en  horreur;  nous  voulons  qu'on  nous  applau- 
disse et  qu'on  nous  respecte. 

jMais  ma  charge,  me  direz-vous,  veut  que  je 
me  fasse  honneur  :  si  on  ne  respecte  les  magis- 
trats ,  toutes  choses  iront  en  désordre.  Apprenez  , 
apprenez  quel  usage  le  chrétien  doit  faire  des  hon- 
neurs du  monde  :  qu'il  les  reçoive  premièrement 
avec  modestie,  connaissant  combien  ilssontvains  : 
qu'il  les  reçoive  pour  la  police  ;  mais  qu'il  ne  les 
recherche  pas  pour  la  pompe  :  qu'il  imite  l'em- 
pereur Héraclius ,  qui  déposa  la  pourpre ,  et  se- 
revêtit  d'un  habit  de  pauvre ,  pour  porter  la  croix 
de  Jésus.  Ainsi ,  que  le  fidèle  se  dépouille  de  tous 
les  honneurs  devant  la  croix  de  notre  bon  Maître  ; 
qu'il  y  paraisse  comme  pauvTC ,  comme  nu  et 
comme  mendiant  :  qu'il  songe  que ,  par  la  nais- 
sance ,  tous  les  hommes  sont  ses  égaux  ;  et  que 
les  pauvTCS ,  dans  le  christianisme ,  sont  en  quel- 
que façon  ses  supérieurs.  Qu'il  considère  que 
l'honneur  qu'on  lui  rend  n'est  pas  pour  sa  propre 
grandeur ,  mais  pour  l'ordre  du  monde ,  qui  ne 
peut  subsister  sans  cela  ;  que  cet  ordre  passera 
bientôt ,  et  qu'il  s'élèvera  un  nouvel  ordre  de  cho- 
ses ou  ceux-là  seront  les  plus  grands ,  qui  auront 
été  les  plus  gens  de  bien ,  et  qui  auront  mis  leur 
gloire  en  la  croix  du  sauveur  Jésus. 

Adorons  la  croix  dans  cette  pensée  ;  assistons 
dans  cette  pensée  au  saint  sacrifice  qui  se  fait  en 
mémoire  de  la  passion  du  Fils  de  Dieu.  Fasse  No- 
tre-Seigneur  Jésus-Christ ,  que  nous  comprenions 
combien  sa  croix  est  auguste ,  combien  glorieuse , 
puisqu'elle  seule  est  capable  de  faire  éclater  sur 
les  hommes  la  toute-puissance  de  Dieu,  et  do 
répandre  sur  eux  les  trésors  immenses  de  sa  mi- 
séricorde infinie ,  en  leur  ouvrant  l'entrée  à  la 
félicité  éternelle  !  Amen. 


7Î 


SUR  LES  SOUFFRANCES. 


TROISIEME  SERMON 


L'EXALTATION  DE  LA  SAINTE  CROIX , 

PRÊCHÉ  AUX  NOUVEAUX  CATHOUQUKS. 

SUR  LES  SOUFFRANCES. 

La  miséricorde  et  la  justice  conciliées  en  la  personne  de  Jé- 
sus-Christ ,  fondement  de  son  exaltation  à  la  croix.  Deux  ma- 
nières différentes  dont  nous  pouvons  participer  à  la  croix.  Le 
trouble  qu'on  nous  apporte  dans  les  choses  que  nous  aimons , 
cause  générale  de  toutes  nos  peines.  Trois  différentes  façons 
dont  notre  àme  peut  y  être  troublée.  Trois  sources  de  grâces 
que  nous  trouvons  dans  ces  trois  sources  d'afflictions.  La 
croix,  un  instrument  de  vengeance  à  l'égard  des  impéiiitents. 
Terrible  état  d'une  âme  qui  souffre  sans  se  convertir.  Éloge 
de  la  foi  des  nouveaux  catholiques  :  motifs  pressants  pour 
les  lidèles  de  les  soulager  dans  leurs  besoins. 


Exaltari  oportet  FiKum  hominis. 

Il  faut  que  le  Fils  de  l'Homme  soit  exalté.  Joait  m.  14. 

Christo  confixus.  sum  crucL 

Je  suis  attaché  à  la  croix  avec  Jésus- Christ.  GaU  Ji,  19. 

Toute  l'Écriture  nous  prêche  que  la  gloire  du 
Fils  de  Dieu  est  dans  les  souffrances ,  et  que  c'est 
à  la  croix  qu'il  est  exalté  :  il  n'est  rien  de  plus 
véritable.  Jésus  est  exalté  à  la  croix  par  les  pei- 
nes qu'il  a  endurées  ;  Jésus  est  exalté  à  la  croix 
par  les  peines  que  nous  endurons.  C'est ,  mes  frè- 
res ,  sur  ce  dernier  point  que  je  m'arrêterai  au- 
jourd'hui ,  comme  sur  celui  qui  me  semble  le  plus 
fructueux  ;  et  je  me  propose  de  vous  faire  voir 
combien  le  Fils  de  Dieu  est  glorifié  dans  les  souf- 
frances qu'il  nous  envoie.  Mais,  chrétiens,  ne 
nous  trompons  pas  ;  dans  la  gloire  qu'il  tire  de 
nos  afflictions ,  il  y  est  glorifié  en  deux  manières , 
dont  l'une  certainement  n'est  pas  moins- terrible, 
que  l'autre  est  salutaire  et  glorieuse. 

Voici  une  doctrine  importante  ;  voici  un  grand 
mystère  que  je  vous  propose  ;  et  afin  de  le  bien 
entendre ,  venez  le  méditer  au  Calvaire ,  au  pied 
de  la  croix  de  notre  Sauveur  :  vous  y  verrez  deux 
actions  opposées  que  le  Père  y  exerce  dans  le 
même  temps.  Il  y  exerce  sa  miséricorde  et  sa  jus- 
tice ;  il  punit  et  remet  les  crimes  ;  il  se  venge  et 
se  réconcilie  tout  ensemble  :  il  frappe  son  Fils 
innocent  pour  l'amour  des  hommes  criminels ,  et 
en  même  temps  il  pardonne  aux  hommes  crimi- 
nels pour  l'amour  de  son  Fils  innocent.  0  justice  ! 
ô  miséricorde  !  qui  vous  a  ainsi  assemblées?  C'est 
le  mystère  de  Jésus-Christ  ;  c'est  le  fondement 
de  sa  gloire  et  de  son  exaltation  à  la  croix,  d'a- 
voir concilié  en  sa  personne  ces  deux  divins 
attributs,  je  veux  dire ,  la  miséricorde  et  la  jus- 
tice. 

Mais  cette  union  admirable  nous  doit  faire 
considérer  que ,  comme  en  la  croix  de  aétre  Sau- 


veur la  vengeance  et  le  pardon  se  trouvent  en- 
semble ;  aussi  pouvons-nous  participer  à  la  croix 
en  ces  deux  manières  indifférentes ,  ou  selon  la 
rigueur  qui  s'y  exerce,  ou  selon  la  grâce  qui  s'y 
accorde.  Et  c'est  ce  qu'il  a  plu  à  Notre-Seigneu* 
de  nous  faire  voir  au  Calvaire.  Nous  y  voyons  ^ 
dit  saint  Augustin ,  «  trois  hommes  en  croix ,  un 
«  qui  donne  le  salut ,  un  qui  le  reçoit ,  un  qui  le 
«  méprise  :  »  Très  erant  in  cnice,  unus  salva- 
tor,  aliits  sahandus,  alius  dnmnandns  '.  Au 
milieu ,  l'auteur  de  la  grâce  ;  d'un  côté  un  qui 
en  profite ,  de  l'autre  côté  un  qui  la  rejette.  Dis- 
cernement terrible  et  diversité  surprenante  !  Tous 
deux  sont  à  la  croix  avec  Jésus-Christ ,  tous  deux 
compagnons  de  son  supplice  ;  mais ,  hélas  !  il  n'y 
en  a  qu'un  qui  soit  compagnon  de  sa  gloire.  Ce 
que  le  Sauveur 'avait  réuni ,  je  veux  dire  la  mi- 
séricorde et  la  vengeance ,  ces  deux  hommes  l'ont 
divisé.  Jésus-Christ  est  au  milieu  d'eux ,  et  cha- 
cun a  pris  son  partage  de  la  croix  de  Notre-Sei- 
gneur.  L'un  y  a  trouvé  la  miséricorde ,  l'autre  les 
rigueurs  de  la  justice  :  l'un  y  a  opéré  son  salut , 
l'autre  y  a  commencé  sa  damnation  :  la  croix  a 
élevé  jusqu'au  paradis  la  patience  de  l'un;  la 
croix  a  précipité  au  fond  de  l'enfer  l*îfflpénitence 
de  l'autre.  Ils  ont  donc  participé  à  la  eroix  en 
deux  manières  bien  différentes;  mais  cette  diver- 
sité n'empêchera  pas  que  Jésus  ne  soit  exalté  en 
l'un  et  en  l'autre,  ou  par  sa  miséricorde,  ou  par 
sa  justice  :  Exaltari  oportet  Filium  hominis. 

Apprenez  de  là,  chrétiens,  de  quelle  sorte  et 
en  quel  esprit  vous  devez  recevoir  ki  croix.  Ce 
n'est  pas  assez  de  souffrir;  car  qui  ne  souffre 
pas  dans  la  vie?  Ce  n'est  pas  assez  d'être  sur  la 
croix  ;  car  plusieurs  y  sont  comme  ce  voleur  im- 
pénitent, qui  sont  bien  éloignés  du  Crucifié.  La 
croix  dans  les  uns  est  une  grâce  ;  la  croix  dans 
les  autres  est  une  vengeance;  et  toute  cette  di- 
versité dépend  de  l'usage  que  nous  en  faisons. 
Avisez  donc  sérieusement ,  ô  vous  âmes  que  Jé- 
sus afflige ,  ô  vous  que  ce  divin  Sauveur  a  mis  sur 
la  croix  ;  avisez  sérieusement  dans  lequel  de  ces 
deux  états  vous  voulez  y  être  attachés  ;  et  afin  que 
vous  fassiez  un  bon  choix ,  voyez  ici  en  peu  de 
paroles  la  peinture  de  l'un  et  de  l'autre ,  qui  fera 
le  partage  de  ce  discours. 

PBEMIER   POINT. 

Pour  parler  solidement  des  afflictions,  con- 
naissons premièrement  quelle  est  leur  nature  ;  et 
disons,  s'il  vous  plaît,  messieurs,  avant  toutes 
choses,  que  la  cause  générale  de  toutes  nos  peines, 
c'est  le  trouble  qu'on  nous  apporte  dans  les  cho- 
ses" que  nous  aimons.  Or,  il  me  semble  que  nous 
voyons  par  expérience  que  notre  âme  y  peut  être 

'  Enar.  U,  in.  Psal.  xxxv  ,  n'  I,  t.  iv,  col.  238. 


SUR  LES  SOUFFRANCES. 


79 


troublée  en  trois  différentes  façons;  ou  lorsqu'on 
lui  refuse  ce  qu'elle  désire;  ou  lorsqu'on  lui  ôte 
ve  qu'elle  possède;  ou  lorsque,  lui  en  laissant  la 
i>oss€Ssiou ,  on  l'empêche  de  le  goûter. 

Premièrement  on  nous  inquiète  quand  on  nous 
refuse  ce  que  nous  aimons  :  car  il  n'est  rien  de 
plus  misérable  que  cette  soif,  qui  jamais  n'est 
rassasiée  ;  que  ces  désirs  toujours  suspendus ,  qui 
s'avancent  éternellement  sans  rien  prendre;  que 
fette  fâcheuse  agitation  d'une  âme  toujours  frus- 
trée de  ce  qu'elle  espère  :  on  ne  peut  assez  expri- 
mer combien  elle  est  travaillée  par  ce  mouve- 
ment. Toutefois  on  l'afflige  beaucoup  davantage 
quand  on  la  trouble  dans  la  possession  du  bien 
qu'elle  tient  déjà  entre  ses  mains  ;  parce  que ,  dit 
saint  Augustin  ' ,  «  quand  elle  possède  ce  qu'elle 
«  a  aimé ,  comme  les  honneurs ,  les  richesses  ou 
"  quelque  autre  chose  semblable,  elle  se  l'at- 
"  tdche  à  elle-même  par  le  contentement  qu'elle 
«  a  de  l'avoir,  »  l'aise  qu'elle  sent  d'en  jouir; 
elle  se  l'incorpore  en  quelque  façon ,  si  je  puis 
t^arler  de  la  sorte;  cela  devient  comme  une  partie 
de  nous-mêmes ,  ou ,  pour  dire  le  mot  de  saint 
Augustin ,  «  comme  un  membre  de  notre  cœur,  » 
Vclut  membra  animi  :  de  sorte  que,  si  Ton 
vient  à  nous  l'arracher,  aussitôt  le  cœur  en  gé- 
mit; il  est  comme  déchiré  et  ensanglanté  par  la 
\iolence  qu'il  souffre. 

La  troisième  espèce  d'affliction ,  qui  est  si  or- 
dinaire dans  la  vie  humaine,  ne  nous  ôt€  pas  en- 
tièrement le  bien  qui  nous  plaît  ;  mais  elle  nous 
traverse  de  tant  de  côtés,  elle  nous  presse  telle- 
ment d'ailleurs ,  qu'elle  ne  nous  permet  pas  d'en 
jouir.  Par  exemple,  vous  avez  acquis  de  grands 
biens ,  il  semble  que  vous  devez  être  heureux  ; 
mais  vos  continuelles  infirmités  vous  empêchent 
de  goûter  le  fruit  de  votre  bonne  fortune  :  est-il 
rien  de  plus  importun?  C'est  être  au  milieu  d'un 
jardin ,  sans  avoir  la  liberté  d'en  goûter  les  fruits, 
non  pas  même  d'eu  cueillir  les  fleurs  ;  c'est  avoir, 
pour  ainsi  dire ,  la  coupe  à  la  main,  et  n'en  pou- 
voir pas  rafraîchir  sa  bouche,  bien  que  vous 
soyez  pressé  d'une  soif  eu"dente  ;  et  cela  vous  cause 
un  chagrin  extrême.  Voilà,  messieui's,  comme 
les  trois  sources  qui  produisent  toutes  nos  plain- 
tes ;  voilà  ce  qui  fait  murmurer  les  enfants  des 
hommes. 

Mais  le  fidèle  serviteur  de  Dieu  ne  perd  pas  sa 
tranquillité  parmi  ces  disgrâces,  de  laquelle  de 
ces  trois  sources  que  puissent  naitre  ses  afflic- 
tions :  et  quand  même  elles  se  joindraient  toutes 
trois  ensemble  pour  remplir  son  âme  d'amertume, 
il  bénit  toujours  la  bonté  divine,  et  il  connaît 
que  Dieu  ne  le  frappe  que  pour  exalter  en  lui  sa 

•  De  Lio.  Arbit.  Ub  I ,  n'  33, 1. 1,  col.  683. 


miséricorde  :  Oporlct exaltari  Fiiium  hominis. 
En  effet,  il  est  véritable;  et  afin  de  nous  en  con- 
vaincre ,  parcourons ,  je  vous  prie  ^  en  peu  do  pa- 
roles, ces  trois  sources  d'afflictions;  sans  dout» 
nous  y  trouverons  trois  sources  de  grâces. 

Et  premièrement,  chrétiens,  il  n'est  rien  or- 
dinairement de  plus  salutaire  que  de  nous  refu- 
ser ce  que  nous  désirons  avec  ardeur,  et  je  dis 
même  dans  les  désirs  les  plus  innocents  :  car  pour 
les  désirs  criminels,  qui  pourrait  révoquer  en 
doute  que  ce  ne  soit  un  effet  de  miséricorde  que 
d'en  empêcher  le  succès?  Tu  es  enflammé  de  sales 
désirs ,  et  tu  crois  qu'on  te  favorise  quand  on  te- 
laisse  le  moyen  de  les  satisfaire.  Malheureux!; 
c'est  une  vengeance  par  laquelle  Dieu  punit  tes 
premiers  désordres ,  en  te  livrant  justement  aU' 
sens  réprouvé  :  car  si  tu  étais  si  heureux  •qu'il' 
s'élevât  de  toutes  parts  des  difficultés  contre  tes 
prétentions  honteuses ,  peut-être  qu'au  milieu  de 
tant  de  traverses  tes  ardeurs  insensées  se  ralen- 
tiraient ;  au  lieu  que  ces  ouvertures  commodes , 
et  cette  malheureuse  facilité  que  tu  trouves,  pré- 
cipitent ton  intempérance  aux  derniers  excès; 
tellement  qu'à  force  de  l'abandonner  à  ces  funes- 
tes appétits  que  la  fièvre  excite ,  de  fou  tu  deviens 
furieux ,  et  une  maladie  dangereuse  se  tourne  eu 
une  maladie  désespérée. 

Reconnaissez  donc ,  ô  enfants  de  Dieu  !  avec 
quelle  miséricorde  Dieu  nous  laisse  dans  la  fai- 
blesse et  dans  l'impuissance  :  c'est  que  ce  sou- 
verain médecin  sait  guérir  nos  maladies  de  plus 
d'une  sorte.  Quelquefois  il  nous  laisse  dans  un 
grand  pouvoir,  qu'il  réduit  à  ses  justes  bornes 
par  une  droite  volonté  ;  en  sorte  que  celui  qui  a 
été  maître  de  transgresser  le  commandement  ne 
l'a  point  transgressé  :  Quipoluit  transgredi,  et 
non  est  transgressus  '.  Quelquefois  il  se  sert 
d'une  autre  méthode,  et  il  réduit  la  volonté  en 
restreignant  le  pouvoir  :  Frœnatitr  potestas ,  ut 
sanetur  voluntas ,  dit  saint  Augustin  \  Sa  misé- 
ricorde, qui  nous  veut  guérir,  oppose  à  nos  dé- 
sirs emportés  des  difficultés  insurmontables  : 
ainsi  il  nous  dompte  par  la  résistance,  et,  fati- 
gant notre  esprit ,  il  nous  accoutume  à  ne  vou- 
loir plus  ce  que  nous  trouvons  impossible. 

Mais,  messieurs,  si  vous  trouvez  juste  qu'il 
s'oppose  aux  volontés  criminelles ,  peut-êt»e  aussi 
vous  semble-t-il  rude  qu'il  étende  cette  rigueur 
jusqu'aux  désirs  innocents  :  toutefois  ne  vous 
plaignez  pas  de  cette  conduite.  Un  sage  jardinier 
n'arrache  pas  seulement  d'un  arbre  les  branches 
gâtées  ;  mais  il  en  retranche  aussi  quelquefois  les 
accroissements  superflus.  Ainsi  Dieu  n'arrache 

'  Eccl.  xixr ,  m. 
I      '  Ad  Xaced.  Ep.  uill ,  n*  16 ,  t.  U ,  «1.  i60. 


74 

pas  seulement  en  nous  les  désirs  qui  sont  corrom- 
pus; mais  il  coupe  quelquefois  jusqu'aux  inutiles; 
et  la  raison  de  cette  conduite  est  bien  digne  de 
sa  bonté  et  de  sa  sagesse  :  c'est  que  celui  qui  nous 
a  formés ,  qui  connaît  les  secrets  ressorts  qui  font 
mouvoir  nos  inclinations,  sait  qu'en  nous  aban- 
donnant sans  réserve  à  toutes  les  choses  qui  nous 
sont  permises,  nous  nous  laissons  aisément  tom- 
ber à  celles  qui  sont  défendues.  Et  n'er>t-ce  pas 
ce  que  sentait  saint  Paulin ,  lorsqu'il  se  plaint  fa- 
milièrement au  plus  intime  de  ses  amis?  «  Je  fais, 
«  dit-il,  plus  que  je  ne  dois,  pendant  que  je  ne 
«  prends  aucun  soin  de  me  modérer  eu  ce  que  je 
«  puis  :  »  Quod  non  expediebat  admisi,  dum  non 
tempero  quod  licebat^.  La  vertu  en  elle-même 
est  infiniment  éloignée  du  vice  ;  mais  telle  est  la 
faiblesse  de  notre  nature,  que  les  limites  s'en 
touchent  de  près  dans  nos  esprits ,  et  la  chute  en 
est  bien  aisée.  11  importe  que  notre  âme  ne  jouisse 
pas  de  toute  la  liberté  qui  lui  est  permise,  de 
peur  qu'elle  ne  s'emporte  jusqu'à  la  licence ,  et 
que ,  s'étant  épanchée  à  l'extrémité ,  elle  ne  passe 
aisément  au  delà  des  bornes.  C'est  donc  un  effet 
de  miséricorde  de  ne  contenter  pas  toujours  nos 
désirs,  non  pas  même  les  innocents  :  cette  croix 
nous  est  salutaire. 

Mais  notre  Sauveur  va  beaucoup  plus  loin  ;  et 
cette  même  miséricorde  qui  dénie  à  notre  âme  ce 
qu'elle  poursuit ,  lui  arrache  quelquefois  ce  qu'elle 
possède.  Chrétien ,  n'en  murmure  pas  :  il  le  fait 
par  une  bonté  paternelle  ;  et  nous  le  compren- 
drions aisément,  si  nous  nous  savions  connaître 
nous-mêmes.  Ne  me  dis  pas,  âme  chrétienne  : 
Pourquoi  m'ôte-t-on  cet  ami  intime?  pourquoi  un 
fils ,  pourquoi  un  époux ,  qui  faisait  toute  la  dou- 
ceur de  ma  vie?  quel  mal  faisais-je  en  les  aimant , 
puisque  cette  amitié  est  si  légitime?  Non,  je  ne 
veux  pas  entendre  ces  plaintes  dans  la  bouche  d'un 
chrétien ,  parce  qu'un  chrétien  ne  peut  ignorer 
combien  la  chair  et  le  sang  se  mêlent  dans  les  af- 
fections les  plus  légitimes ,  combien  les  intérêts 
temporels ,  combien  de  sortes  d'inclinations  qui 
naissent  en  nous  de  l'amour  du  monde.  Et  toutes 
ces  inclinations  ne  sont-ce  pas,  si  nous  l'entendons, 
comme  autant  de  petites  parties  de  nous-mêmes, 
qui  se  détachent  du  Créateur  pour  s'attacher  à  la 
créature,  et  que  la  perte  que  nous  faisons  des 
personnes  chères  nous  apprend  à  réunir  en  Dieu 
seul ,  comme  des  lignes  écartées  du  centre?  Mais 
les  hommes  n'entendent  pas  combien  cette  perte 
leur  est  salutaire ,  parce  qu'ils  n'entendent  pas 
combien  ces  attachements  sont  dangereux  :  ils 
ne  se  connaissent  pas  eux-mêmes,  ni  la  pente 
qu'ils  ont  aux  biens  périssables. 

0  cœur  humain!  si  tu  connaissais  combien  le 

»  Ad  Se  ver.  Ep.  XXX,  n'  ;i, 


SUR  LES  SOUFFRANCES. 


monde  te  prend  aisément,  avec  quelle  facilité  tu 
t'y  attaches,  combien  tu  louerais  la  main  chari- 
table  qui  vient  rompre  violemment  ces  liens,  en 
te  troublant  dans  la  possession  des  biens  de  la 
terre  !  Il  se  fait  en  nous ,  en  les  possédant ,  certains 
nœuds  secrets ,  qui  nous  engagent  insensiblement 
dans  l'amour  des  choses  présentes;  et  cet  enga- 
gement est  plus  dangereux  en  ce  qu'il  est  ordi- 
nairement plus  imperceptible.  Oui,  le  désir  se 
fait  mieux  sentir,  parce  qu'il  a  de  l'agitation  et 
du  mouvement;  mais  la  possession  assurée,  c'est 
un  repos ,  c'est  comme  un  sommeil  ;  on  s'y  endort, 
on  ne  le  sent  pas  :  c'est  pourquoi  le  divin  apôtre 
dit  que  ceux  qui  amassent  de  grandes  richesses 
«  tombent  dans  de  certains  lacets  invisibles ,  »  In- 
cidunt  in  laqueum^  où  le  cœur  se  prend  aisé- 
ment. Il  se  détache  du  Créateur  par  l'amour  dé- 
sordonné de  la  créature ,  et  à  peine  s'aperçoit-il 
de  cet  attachement  excessif.  Il  faut ,  chrétiens , 
le  mettre  à  l'épreuve;  il  faut  que  le  feu  des  tribu- 
lations lui  montre  à  se  connaître  lui-même  ;  «  il 
«  faut,  dit  saint  Augustin,  qu'il  apprenne,  en 
«  perdant  ces  biens,  combien  il  péchait  en  les 
n  aimant  :  »  Quantum  hœc  amando  peccave- 
rint,  perdendo  senserunt^. 

Et  cela  de  quelle  manière?  Qu'on  lui  dise  que 
cette  maison  est  brûlée ,  que  cette  somme  est  per- 
due sans  ressource,  par  la  banqueroute  de  ce 
marchand  ;  aussitôt  le  cœur  saignera,  la  douleur 
de  la  plaie  lui  fera  sentir  par  combien  de  fibres 
secrètes  ces  richesses  tenaient  au  fond  de  son 
cœur,  et  combien  il  s'écartait  de  la  droite  voie 
par  cet  engagement  vicieux  :  Quantum  hœc 
amando  peccaverint ,  perdendo  scnserunt.  Il 
connaîtra  mieux  par  expérience  la  fragiltté  des 
biens  de  la  terre ,  dont  il  ne  se  voulait  laisser  con- 
vaincre par  aucuns  discours  :  dans  le  débris  des 
choses  humaines  il  tournei-a  les  yeux  vers  les 
biens  éternels,  qu'il  commençait  peut-être  à  ou- 
blier; ainsi  ce  petit  mal  guérira  les  grands,  et  sa 
blessure  sera  son  salut. 

Mais  si  Dieu  laisse  à  ses  serviteurs  la  jouissance 
des  biens  du  siècle ,  ce  qu'il  peut  faire  de  meilleur 
pour  eux,  c'est  de  leur  en  donner  du  dégoût,  de 
répandre  mille  amertumes  sur  tous  leurs  plaisirs , 
de  ne  leur  permettre  pas  de  s'y  reposer,  de  se- 
couer et  d'abattre  cette  fleur  du  monde  qui  leur 
rit  trop  agréablement  ;  de  leur  faire  naître  des 
difficultés,  de  peur  que  cet  exil  ne  leur  plaise, 
et  qu'ils  ne  le  prennent  pour  la  patrie.  Vous 
voyez  donc ,  ô  enfants  de  Dieu ,  qu'en  quelque 
partie  de  sa  croix  qu'il  plaise  au  Sauveur  de  vous 
attacher;  soit  qu'il  vous  refuse  ce  que  vous  aimiez, 
soit  qu'il  vous  ôte  ce  que  vous  possédiez,  soit 

»  I.  Tim.  VI ,  9. 

»  De  CivlL  Dei,  lib.  I,  cap.  x,  t. tu,  col.  II. 


SUR  LES  SOUFFKArSCES. 


7€ 


Huil  ne  vous  permette  pas  de  goûter  les  biens 
dont  il  vous  laisse  la  jouissance,  c'est  toujours 
pour  exercer  en  vous  sa  miséricorde ,  et  exalter  sa 
bouté  dans  vos  afflictions. 

0  Dieu ,  si  je  pouvais  vous  faire  comprendre 
combien  elle  est  glorifiée  par  vos  souffrances ,  que 
ce  discours  serait  fructueux,  et  ma  peine  utile- 
ment employée  I  Mais  si  mes  paroles  ne  le  peu- 
vent pas ,  venez  l'apprendre  de  ce  voleur  pénitent 
dont  je  vous  ai  d'abord  proposé  l'exemple.  Pen- 
dant que  tout  le  monde  trahit  Jésus-Christ ,  pen- 
dant que  tous  les  siens  l'abandonnent,  il  s'est 
réservé  cet  heureux  larron  pour  le  glorifier  à  la 
croix  :  <  sa  foi  a  commencé  de  fleurir,  où  la  foi 
«  des  disciples  a  été  flétrie  :  »  Tuncfides  ejus  de 
ligno  floruit,  quando  discipulorum  marcuit\ 
Jésus,  déshonoré  par  tout  le  monde,  n'est  plus 
exalté  que  par  lui  seul  :  venez  profiter  d'un  si  bel 
exemple  ;  voici  un  modèle  accompli. 

Il  n'oublie  rien ,  mes  frères ,  de  ce  qu'il  faut 
faire  dans  l'affliction;  il  glorifie  Jésus-Christ  en 
autant  de  sortes  qu'il  veut  être  glorifié  sur  la 
croix  :  car  voyez  premièrement  comme  il  s  hu- 
milie par  la  confession  de  ses  crimes.  «  Pour  nous, 
«  dit-il ,  c'est  avec  justice,  puisque  nous  souffrons 
«  la  peine  que  nos  crimes  ont  méritée  :  »  Et  nos 
quidcin  juste j  nam  digna  factis  recipimus*  : 
comme  il  baise  la  main  qui  le  frappe ,  comme  il 
honore  la  justice  qui  le  punit!  c'est  là,  mes  frè- 
res ,  l'unique  moyen  de  la  tourner  en  miséricorde. 
Mais  ce  saint  larron  ne  finit  pas  là  :  après  s'être 
considéré  comme  criminel ,  il  se  tourne  au  Juste 
qui  souffre  avec  lui  :  «  Mais  celui-ci ,  ajoute-t-il, 
"  n'a  fait  aucun  mal  :  »  Hic  vero  nihil  mali  ges- 
sit^.  Cette  pensée  adoucit  ses  maux  :  il  s'estime 
heureux,  dans  ses  peines,  de  se  voir  uni  avec 
l'innocent;  et  cette  société  de  souffrances  lui  don- 
nant avec  Jesus-Christ  une  sainte  familiarité ,  il 
lui  demande  avec  foi  part  en  son  royaume ,  comme 
il  lui  en  a  donné  en  sa  croix  :  Domine  ^  mémento 
mei,  cum  veneris  in  regnum  tuum  ^  :  «  Seigneur, 
«  souvenez-vous  de  moi ,  lorsque  vous  serez  venu 
«  en  votre  royaume.  « 

Je  triomphe  de  joie,  mes  frères  ;  mon  cœur  est 
rempli  de  ravissement  en  voyant  la  foi  de  ce  saint 
voleur.  Un  mourant  voit  Jésus  mourant,  et  il  lui 
demande  la  vie  ;  un  crucifié  voit  Jésus  crucifié , 
et  il  lui  parle  de  son  royaume  ;  ses  yeux  n'aper- 
çoivent que  des  croix,  et  sa  foi  ne  se  représente 
qu'un  trône.  Quelle  foi  et  quelle  espérance  !  Si 
nous  mourons ,  mes  frères ,  nous  savons  que  Jésus- 
Christ  est  vivant ,  et  notre  foi  chancelante  a  peine 


'  s.  Aug.  lib.  i  ,de  Anima  et  ejtu.orig.  n'  ii ,  t.  x ,  col.  342. 
'  Lvc.  xxiu,  41. 
'  Ibid. 
*  Ibid.  42. 


toutefois  à  s'y  confier  :  celui-ci  voit  mourir  Jésus 
avec  lui ,  et  il  espère,  et  il  se  console,  et  il  se  ré- 
jouit même  dans  un  si  cruel  supplice.  Imitons  un 
si  saint  exemple;  et  si  nous  ne  sommes  animés 
par  celui  de  tant  de  martyrs  et  de  tant  de  saints, 
rougissons  du  moins,  chrétiens,  de  nous  laisser 
surpasser  par  un  voleur.  Confessons  nos  péchés 
avec  lui,  reconnaisons  avec  lui  l'innocence  de 
Jésus-Christ  :  si  nous  imitons  sa  patience ,  la  con- 
solation ne  manquera  pas.  Aujourd'hui,  aujour- 
d'hui ,  dira  le  Sauveur,  tu  seras  avec  moi  dans 
mon  paradis.  Ne  crains  pas ,  ce  sera  bientôt  ;  cette 
vie  se  passe  bien  vite ,  elle  s'écoulera  comme  un 
jour  d'hiver,  le  matin  et  le  soir  s'y  touchent  de 
près  :  ce  n'est  qu'un  jour,  ce  n'est  qu'un  moment , 
que  la  seule  infirmité  fait  paraître  long  :  quand 
il  sera  écoulé,  tu  t'apercevras  combien  il  est 
court'.  Aie  donc  patience  avec  ce  larron,  exalte 
cette  rigueur  salutaire  qui  te  frappe  par  miséri- 
corde. Mais  si  cet  exemple  ne  te  touche  pas,  voici 
quelque  chose  de  plus  terrible  qui  me  reste  main- 
tenant à  te  proposer  ;  c'est  la  justice ,  c'est  la 
vengeance  qui  brise  sur  la  croix  les  impénitents  : 
c'est  par  où  je  m'en  vais  conclure. 

SECOND    POINT. 

Nous  apprenons ,  par  les  saintes  Lettres ,  que 
la  prospérité  des  impies  est  un  effet  de  la  ven- 
geance de  Dieu ,  et  de  sa  colère  qui  les  poursuit. 
Oui ,  lorsqu'ils  nagent  dans  les  plaisirs ,  que  tout 
leur  rit,  que  tout  leur  succède;  cette  paix  que 
nous  admirons ,  qui ,  selon  l'expression  du  pro- 
phète ,  '<  fait  sortir  l'iniquité  de  leur  graisse ,  » 
Prodiit  quasi  ex  adipe  iniquitas  eorum^^  qui 
les  enfle ,  qui  les  enivre  jusqu'à  leur  faire  oublier 
la  mort,  c'est  un  commencement  de  vengeance 
que  Dieu  exerce  sur  eux  :  cette  impunité,  c'est 
une  peine,  qui,  les  livrant  aux  désirs  de  leur 
cœur,  leur  amasse  un  trésor  de  haine  en  ce  jour 
d'indignation  et  de  fureur  implacable. 

Si  nous  voyons  dans  l'Écriture  que  Dieu  sait 
quelquefois  punir  les  impies  par  une  félicité  appa- 
rente ,  cette  même  Écriture ,  qui  ne  ment  jamais , 
nous  enseigne  qu'il  ne  les  punit  pas  toujours 
en  cette  manière,  et  qu'il  leur  fait  quelquefois 
sentir  son  bras  par  des  misères  temporelles. 
Cet  endurci  Pharaon,  cette  prostituée  Jézabel, 
ce  maudit  meurtrier  Achab;  et  sans  sortir  de 
notre  sujet ,  ce  larron  impénitent  et  blasphéma- 
teur, rendent  témoignage  à  ce  que  je  dis,  et 
nous  font  bien  voir,  chrétiens ,  que  ce  n'est  pa& 
assez  d'être  sur  la  croix  pour  être  uni  au  Cruci- 
fié. Ainsi  cette  croix,  aue  vous  avez  vue  comme 


'  5.  Avg.  tract.  C! ,  in  Joan.  n"  6 ,  t.  I!l ,  part,  il ,  col.  75», 
'  Ps.  LXXXU  ,  7. 


7« 


SUR  LES  SOUFFRANCES. 


une  marque  de  miséricorde ,  vous  va  maintenant 
être  présentée  comme  un  instrument  de  ven- 
geance :  et  afin  que  vous  entendiez  comme  elle  a 
pu  si  tôt  changer  de  nature ,  remarquez ,  s'il  vous 
l>laît ,  messieurs ,  qu'encore  que  toutes  les  peines 
soient  nées  du  péché ,  il  y  en  a  néanmoins  qui  lui 
peuvent  servir  de  remède. 

Je  dis  que  toutes  les  peines  sont  nées  du  pé- 
ché ,  et  en  punissent  les  dérèglements  :  car,  sous 
un  Dieu  si  bon  que  le  nôtre,  l'innocence  n'a  rien 
à  craindre ,  et  elle  ne  peut  jamais  espérer  qu'un 
traitement  favorable  :  il  est  si  naturel  à  Dieu 
d'être  bienfaisant  à  ses  créatures ,  qu'il  ne  ferait 
jamais  de  mal  à  personne,  s'it  n'y  était  forcé  par 
ks  crimes.  Toutefois  il  faut  remarquer  deux  sor- 
tes de  peines  :  il  y  a  la  peine  suprême,  qui  est  la 
damnation  éternelle  ;  il  y  a  les  peines  de  moindre 
importance ,  comme  les  afflictions  de  cette  vie  : 
«  Toutes  deux ,  dit  saint  Augustin ,  sont  veiMies 
«  du  crime,  toutes  deux  en  doivent  venger  les 
«  excès.  »  Mais  il  y  a  cette  différence ,  que  la 
damnation  éternelle  est  un  effet  de  pure  ven- 
geance, et  ne  peut  jamais  nous  tourner  à  bien; 
au  lieu  que  les  afflictions  temporelles  sont  mê- 
lées de  miséricorde ,  et  peuvent  être  employées 
à  notre  salut,  suivant  l'usage  que  nous  en  fai- 
sons :  «  C'est  pourquoi ,  dit  le  même  saint ,  toutes 
«  les  croix  que  Dieu  nous  envoie  peuvent;  aisé- 
«  ra«nt  changer  de  nature ,  selon  la  manière  dont 
«  on  tes  reçoit  :  il  faut  considérer,  non  ce  que 
«  l'on  souffre ,  mais  dans  quel  esprit  on  le  souf- 
«  fre  :  »  Non  qualia,  sed  qualis  quisque  patia- 
tftr'.  Ce  qui  était  la  peine  du  péché ,  étant  sanc- 
tâfié  par  la  patience ,  est  tourné  à  l'usage  de  la 
vertu;  «  et  le  supplice  du  criminel  devient  le 
«  mérite  de  l'homme  de  bien  :  »  Fitjusti  meri- 
ium  etiam  supplicium  peccatoris  *. 

S'il  est  ainsi,  chrétiens,  permettez  que  je 
m'adresse  à  l'impie  qui  souffre  sans  se  convertir, 
et  que  je  lui  fasse  sentir,  s'il  se  peut ,  qu'il  com- 
mence son  enfe?  dès  ce  monde;  afin  qu'ayant 
horreur  de  lui-même ,  il  retourne  à  Dieu  par  la 
pénitence.  Et  afin  de  le  presser  par  de  vives  rai- 
sons (car  U  faut,  si  nous  le  pouvons,  convaincre 
aujourd'hui  sa  dureté  ) ,  disons  en  peu  de  mots  : 
Qu'est-ce  que  l'enfer?  L'enfes,  chrétiens,  si  nous 
l'entendons ,  c'est  la  peine  sans  la  pénitence.  Ne 
vous  imaginez  pas,  chrétiens,  que  l'enfer  soit  seu- 
lement ces  ardeurs  brûlantes.  U  y  a  deux  feux 
dans  l'Écriture,  un  feu  qui  purge,  Opusprobabit 
ignis  ^  ;  «  un  feu  qui  consume  et  qui  dévore ,  >' 
Cumigne  dévorante ^  ignis  non  extinguefur^. 


'  De  Civit.  Dei,  lib.  i,  cap.  vm ,  t  vu,  col.  8. 

»  Jbid.  lib.  XI! ,  cap.  iv ,  col.  328. 

»  I.  Cor.  III,  12. 

*  Is.  XXXIII,  H\  LXVI,  24. 


La  peine  avec  la  pénitence,  c'eslun  feu  qui  purge, 
la  peine  sans  la  pénitence  ,  c'est  un  feu  qui  eon. 
sume  ;  et  tel  est  proprement  le  feu  de  l'enfer.  C'est 
pourquoi  les  afflictions  de  la  vie  sont  un  feu  où  se 
purgent  lésâmes  pénitentes  :  Salvus  erit,  sic  ta- 
menquasiperignem^  :  il  en  est  ainsi  des  âmes 
du  purgatoire.  Elles  se  nettoientdans  ce  feu ,  parce 
que  la  peine  est  jointe  aux  sentiments  de  la  pé- 
nitence, qu'elles  ont  emportée  en  sortant  du 
monde,  quasi per  ignem.  Par  conséquent,  con- 
cluons que  la  peine  sanctifiée  par  la  pénitence 
nous  est  un  gage  de  miséricorde;  et  concluons 
aussi  au  contraire  que  le  caractère  propre  de 
l'enfer,  c'est  la  peine  sans  ht  pénitence» 

Si  vous  voulez  voir,  chrétiens,  des  peintures 
de  ces  gouffres  éternels ,  n'allez  pas  recherchei- 
bien  loin  ni  ces  fourneaux  ardents ,  ni  ces  mon- 
tagnes ensouffrées  qui  vomissent  des  tourbillons 
de  flammes ,  et  qu'un  ancien  appelle  «  des  che- 
«  minées  de  Venîer,  v  fgnis  inferni  fumariola^. 
Voulez- vous  voir  une  vive  image  de  l'enfer  et 
d'une  âme  damnée,  regardez  un  pécheur  qui  souf- 
fre et  qui  ne  se  convertit  pas.  Tels  étaient  ceux 
dont  David  parle  comme  d'un  prodige,  «  que  Dieu 
«  avait  dissipés ,  nous  dit  ce  prophète ,  et  qui 
«  n'étaient  pas  touchés  de  componction,  »  Dissi- 
patisunt,  nec  cumpuncH^  :  serviteurs  rebelles 
et  opiniâtres,  qui  se  révoltent  même  sous  la  verge  ; 
abattus  et  non  corrigés,  atterrés  et  non  humiliés , 
châtiés  et  non  'convertis.  Tel  était  le  déloyal 
Pharaon ,  dont  le  cœur  s'endurcissait  tous  les 
jours  sous  les  coups  incessamment  redoublés  de 
la  vengeance  divine.  Tels  sont  ceux  dont  il  est 
écrit,  dans  l'Apocalypse^,  que  Dieu  les  ayant 
frappés  d'une  plaie  horrible,  de  rage  ils  mordaient 
leurs  langues,  blasphémaient  le  Dieu  du  ciel ,  et 
ne  faisaient  point  pénitence.  Tels  hommes  ne 
sont-ils  pas  des  damnés  qui  commencent  leur 
enfer  dès  ce  monde  ? 

Et  il  ne  faut  pas  dire  :  Nous  souffrons.  Il  y  en 
a  que  la  croix  précipite  à  la  damnation  avec  ce 
larron  endurci  :  au  lieu  de  se  corriger  par  la  pé- 
nitence ,  et  de  s'irriter  contre  eux-mêmes ,  et  de 
faire  la  guerre  à  leurs  crimes,  ils  s'irritent  contre 
le  Dieu  du  ciel;  ils  se  privent  des  biens  de  l'au- 
tre vie ,  on  leur  arrache  ceux  de  celle-ci  :  si  bien 
qu'étant  frustrés  de  toutes  parts ,  pleins  de  rage 
et  de  désespoir,  et  ne  sachant  à  qui  s'en  prendre, 
ils  élèvent  contre  Dieu  leur  langue  insolente ,  par 
leurs  murmures  et  par  leurs  blasphèmes  ;  "■  et  il 
«  semble,  dit  Salvien,  que  leurs  fautes  se  multi- 
«  pliant  avec  leurs  supplices ,  la  neine  même  de 

'  r.  Cor.  III ,  K. 

'  Tertull.  de  Pœnit.  n°  12. 

'  Ps.  XXXIV,  16. 

•  A]}oc.  XTi,.IOi  IL 


SUR  LES  SOUFFRANCES. 


77 


•  li'urs  péchés  soît  la  mère  ik  nouveaux  crimes  :  " 
Ik  putares  pœnam  ipsoi-um  criminum ,  quasi 
matrem  esse  vitioruin  ». 

Ah  1  mes  frères,  ils  vous  font  horreur  ces  dam- 
nés vivant  sur  la  terre  ;  vous  ne  les  pouvez  sup- 
porter, vous  détournez  vos  yeux  de  dessus  leurs 
crimes  ;  mais  détournez-en  plutôt  votre  cœur,  et 
recourez  à  Dieu  par  la  pénitence.  Éveillez-vous 
enfin,  ô  pécheurs!  dii  moins  quand  Dieu  vous 
frappe  par  des  maladies,  par  la  perte  de  vos 
hiens  ou  de  vos  amis  :  joignez  aux  peines  que 
N  ous  endurez  la  con\  ei"sion  de  vos  âmes  ;  et  cette 
croixque  Dieu  vous  envoie ,  qui  maintenant  vous 
est  un  supplice,  vous  deviendra  un  salutaire  aver- 
tissement, et  un  gage  infaillible  de  miséricorde. 
Jusqu'à  quand  fermerez-vous  vos  oreilles?  jus- 
(|u'à  quand  endurcirez-vous  vos  cœurs  contre  la 
\o\\  de  Dieu  qui  vous  parle ,  et  contre  sa  main  qui 
vous  frappe?  Abaissez- vous  sous  son  bras  puis- 
sant; el  partez  la  croix  qu'il  vous  met  dessus  les 
épaules ,  avec  l'humilité  et  dans  les  sentiments  de 
la  pénitence. 

Vous  particulièrement,  mes  chers  frères, 
saiote  et  bienheureuse  conquête ,  nouveaux  en- 
fants de  l'Église ,  qu'elle  se  glorifie  d'avoir  retirés 
au  centre  de  son  unité  et  au  sein  de  sa  charité  : 
je  n'ignore  pas  les  tourments  que  la  haine  irré- 
conciliable de  vos  adversaires ,  que  le  cruel  aban- 
doMiemeot  et  linjuste  persécution  de  vos  pro- 
ches vous  font  endurer  ;  mais  soutenez  tout  par 
la  patience  :  c'est  une  espèce  de  martyre  que  vous 
souffrez  pour  la  foi  que  vous  avez  embrassée. 
Dieu  veut  épurer  votre  charité  par  l'épreuve  des 
afflictions  :  ce  ne  lui  est  pas  assez  ^  mes  chers 
frères ,  de  vous  avoir  arrachés  au  diable  par  la 
foi ,  s'il  ne  vous  en  faisait  triompher  par  la  cons- 
tance :  il  ne  veut  pas  seulement  que  vous  échap- 
piez ,  mais  encore  que  vous  surmontiez  vos  en- 
nemis. Non  content  de  vous  appeler  au  salut  par 
la  profession  de  la  foi ,  il  vous  invite  encore  à  la 
gloire  par  le  combat  ;  et  il  veut  apporter  le  com- 
ble au  bonheur  d'être  délivrés,  par  l'honneur 
d'être  couronnés.  C'est  votre  gloire  devant  Dieu, 
mes  frères ,  de  sceller  votre  foi  par  vos  souffran- 
ces ;  et  la  pauvreté  où  vous  êtes ,  rend  un  témoi- 
gnage honorable  à  l'amour  que  vous  avez  pour 
l'Église. 

Mais,  chrétiens, ce  qui  fait  leur  gloire,  c'est 
cela  même  qui  fait  notre  honte.  Il  leur  est  glo- 
rieux de  souffrir  ;  mais  il  nous  est  honteux  de  le 
permettre.  Leur  pauvreté  rend  témoignagne  pour 
eux  et  contre  nous  :  l'honneur  de  leur  foi,  c'est 
la  conviction  de  notre  dureté.  Sera-t-il  dit,  mes 
frères ,  qu'ils  seront  venus  à  notre  unité  y  cher- 

'  De  Guberiiat.  Dei    lib.  M,  n*  13,  p.  Ho. 


cher  leurs  véritables  frères  dans  les  véritables 
enfants  de  l'Église  pour  être  abandonnés  de 
leurs  secours;  et  que  nos  adversaires  nous  re- 
procheront qu'on  a  soin  assez  d'attirer  les  leurs, 
mais  qu'on  les  laisse  en  proie  à  la  misère?  d'eu 
jugeant  de  la  vérité  de  notre  foi  par  notre  cha- 
rité, ô  jugement  injuste,  mais  trop  ordinaire 
parmi  eux!  ils  blasphémeront  contre  l'Église ,  et 
notre  insensibilité  en  sera'la  cause.  Mes  frères , 
qu'il  n'en  soit  pas  de  la  sorte  :  pendant  qu'ils 
souffrent  pour  notre  foi,  seutenons-les  par  nos 
charités. 

Ceux  qui  ont  souffert  pour  la  foi ,  ce  sont  ceux 
que  la  sainte  Église  a  toujours  recommandé» 
avec  plus  de  soin.  Les  martyrs  étant  dans  les 
prisons,  le  chrétiens  y  accouraient  en  foule  : 
quelques  gardes  que  l'on  posât  devant  les  prisons, 
la  charité  des  fidèles  pénétrait  partout.  Toute 
l'Église  travaillait  pour  eux,  et  croyait  que  leurs 
souffrances  honorant  l'Église  en  sa  foi ,  il  n'y 
avait  rien  de  plus  nécessziire  que  les  autres  qui 
étaient  libres  les  honorassent  par  la  charité.  Ail- 
leurs on  leur  prêchait  une  discipline  sévère; 
il  semblait  qu'il  n'y  eût  que  dans  les  prisons  où 
il  fût  permis  de  les  traiter  délicatement ,  ou  an 
moins  de  relâcher  quelque  chose  de  l'austérité 
ordinaire.  Il  s'y  coulait  même  des  païens,  et  nous 
en  avons  des  exemples  dans  l'antiquité  :  ainsi  la 
charité  des  fidèles  rendait  les  prisons  délicieuses. 
Pourquoi  tant  de  zèle  ?  Ils  croyaient  par  ce  moyen 
professer  la  foi,  et  participer  au  martyre  ;  «  se  res- 
n  souvenant  de  ceux  qui  étaient  dans  les  chaînes  j 
«  comme  s'ils  eussent  été  eux-mêmes  enchaînés  :  » 
Viiictonimtanquam  simul  vincti'  ;  ils  croyaient 
s'enchaîner  avec  les  martyrs. 

C'est  par  la  croix  et  par  les  souffrances  que  la 
confession  de  foi  doit  être  scellée.  C'est  ce  qui 
fait  dire  à  Tertullien ,  que  «  la  foi  est  obligée  au 
«  martj're,  »  Dehitricem  martyriifidem''  :  par 
où  il  veut  dire ,  si  je  ne  me  trompe ,  que  cette 
grande  soumission  à  croire  les  choses  incroyables 
ne  peut  être  mieux  confirmée,  qu'en  se  soumet- 
tant aussi  à  en  souffrir  de  pénibles  et  de  difficiles 
et  qu'en  captivant  son  corps ,  pour  rendre  un  té- 
moignage ferme  et  vigoureux  à  ces  bienheureu- 
ses chaînes ,  par  lesquelles  la  foi  captive  l'esprit. 
C'est  pourquoi ,  après  avoir  fait  faire  aux  nou- 
veaux catholiques  leur  profession  de  foi ,  on  les 
met  dans  une  maison  dédiée  à  la  croix. 

Mes  frères ,  accourez  donc  en  ce  lieu  :  ceux 
qui  y  sont  restés  ne  se  comparent  pas  aux  mar- 
tyrs, mais  néanmoins  c'est  pour  la  foi  qu'ils  r^n- 
durent  ;  ils  ne  sont  pas  liés  dans  des  prisons,  mais 
néanmoins  ils  portent  leurs  chaînes  :  Yincios  in 

'  liebr.  xni,  3. 
»  Scorp.  n"  8. 


7« 


SUR  LES  SOUFFRANCES. 


mendicUate  etferro  '  ;  non  chargés  de  fer,  mais 
bien  par  la  pauvreté.  Venez  leur  aider  à  porter 
leurcroix:  car  qu'attendez-vous,  chrétiens?  quoi! 
que  la  misère  et  le  désespoir  les  contraignent  à 
jeter  les  yeux  du  oôté  du  lieu  d'où  ils  sont  sortis , 
et  à  se  souvenir  de  l'Egypte  ?  0  Dieu ,  détournez 
de  nous  un  si  grand  malheur!  Ils  ne  le  feront  pas , 
chrétiens;  ils  sont  trop  fermes,  ils  sont  trop  fi- 
dèles :  mais  combien  toutefois  sommes-nous  cou- 
pables de  les  exposer  à  ce  péril  ? 

Ouvrez  donc  vos  cœurs ,  je  vous  en  conjure 
par  la  croix  que  vous  adorez  ;  ouvrez  vos  cœurs , 
et  ouvrez  vos  mains  sur  les  nécessités  de  cette 
inaison ,  et  sur  la  pauvreté  extrême  de  ceux  qui 
l'habitent  :  abandonnés  des  leurs,  qu'ils  ont  quit- 
tés pour  le  Fils  de  Dieu,  ils  n'ont  plus  de  secours 
qu'en  vous.  Recevez-les ,  mes  frères ,  avec  des  en- 
trai lies  de  miséricorde  ;  honorez  en  eux  la  croix  de 
Jésus  :  ils  la  portent  avec  patienc* ,  je  leur  rends 
aujourd'hui  ce  témoignage  ;  mais  ils  ne  la  por- 
tent pas  néanmoins  sans  peine  :  rendez-la-leur 
du  moins  supportable  par  l'assistance  de  vos  cha- 
rités ;  et  que  j'apprenne  en  sortant  d'ici  que  les 
paroles  que  je  vous  adresse ,  ou  plutôt  que  toute 
l'Église  et  Jésus-Christ  même  vous  adressent  en 
leur  faveur  par  mon  ministère ,  n'auront  pas  été 
un  son  inutile. 

0  joie  !  ô  consolation  de  mon  cœur  I  Si  vous 
me  donnez  cette  joie  et  cette  sensible  consola- 
tion ,  je  prierai  ce  divin  Sauveur  qui  souffre  avec 
eux ,  et  qui  souffre  en  eux ,  qu'il  répande  sur 
vous  les  siennes,  qu'il  vous  aide  à  porter  vos 
croix ,  comme  vous  aurez  prêté  vos  mains  cha- 
ritables pour  aider  ces  nouveaux  enfants  de  l'É- 
glise à  porter  la  leur  plus  facilement;  et  enfin  que, 
pour  les  aumônes  que  vous  aurez  semées  en  ce 
monde ,  il  vous  rende  en  la  vie  future  la  moisson 
abondante  qu'il  nous  a  promise.  Amen. 


PRECIS  D'UN  SERMON 

SUR  LE  MÊME  SUJET. 

Tous  les  mystères  et  tous  les  attraits  de  la  grâce  renfermés 
dans  la  croix. 


Cum  exalta verilis  Filium  hominis,  tune  cognoscetis  quia 
ego  sum. 

Quand  vous  aurez  élevé  en  haut  le  Fils  de  l'Homme, 
vous  connaîtrez  qui  je  suis.  Joan.  vm,  28. 

Élevons  donc  nos  esprits  et  nos  cœurs,  afin 
de  connaître  Jésus  :  on  voit",  par  ce  qui  précède 
ces  paroles,  que  les  hommes  ve  voulaient  point 
connaître  Jésus,  et  qu'il  ne  les  jugeait  pas  dignes 

'  Ps.  en,  10. 


qu'il  se  fit  connaître.  Ils  lui  demandent  :  Tu  qui 
65  '  ?  «  Et  qui  êtes- vous?  »  Il  l'avait  dit  cent  fois, 
et  il  l'avait  confirmé  par  tant  de  miracles  :  ils 
lui  demandent  encore  :  Quiôtes-vous?  comme  si 
jamais  ils  n'en  avaient  ouï  parler  ;  parce  qu'ils 
ne  croyaient  pas  en  sa  parole ,  ni  au  témoignage 
que  son  Père  lui  rendait.  Il  ne  veut  donc  pas 
s'expliquer,  et  il  leur  répond  d'une  manière  si 
obscure,  qu'elle  fatigue  tous  les  interprètes.  Prin- 
cipium  gui  et  loquor  vobis^  :  «  Je  suis  le  principe 
«  de  toutes  choses ,  moi-môme  qui  vous  parle  :  » 
discours  ambigu  et  sans  suite  ;  mais  il  ne  les  lais- 
sait pas  sans  instruction.  Vous  ne  me  connaissez 
pas ,  parce  que  vous  ne  me  voulez  pas  connaître  : 
quand  vous  m'aurez  exalté ,  vous  connaîtrez  qui 
je  suis. 

Allons  donc  à  la  croix ,  nous  y  trouverons  qui 
est  Jésus  :  le  Fils  de  Dieu  et  le  rédempteur  du 
monde  ;  le  roi ,  le  vainqueur  et  le  conquérant  du 
monde  ;  le  docteur  et  le  modèle  du  monde  :  [nous 
y  trouverons  réunis  ]  tous  ses  mystères ,  tous  les 
attraits  de  sa  grâce ,  tous  ses  préceptes. 

Il  ne  fallait  rien  moins  qu'un  Dieu  pour  nous 
racheter,  [qui  pût]  descendre  de  l'infinie  gran- 
deur à  l'infinie  bassesse  :  Humiliavit  semet- 
ipsum  ^.  On  nepeutpas  abaisser  ni  humilier  un  ver 
de  terre ,  un  néant  ;  mais  «  le  Fils  de  Dieu ,  qui 
«  n'a  point  cru  que  ce  fût  pour  lui  une  usurpation 
«  d'être  égal  à  Dieu,  s'est  anéanti  lui-même  en  pre- 
«  nant  la  forme  et  la  nature  de  serviteur  :  «  Non 
rapinam  arhitratus  est  esse  se  œqualem  Deo, 
sed  semetipsum  exinanivit  fonnam  servi  acci- 
piens  *.  Car  «  Dieu  était  en  Jésus-Christ,  se  ré- 
«  conciliant  le  monde  :  «  Deus  erat  in  Christo 
mundum  sibi  reconcilians  ^. 

Il  fallait  donc  [un  Fils]de  l'Homme]  qui  fût 
Fils  de  Dieu  :  aussi  ce  centurion ,  qui  vit  les  pro- 
diges qui  s'opérèrent  à  la  mort  du  Sauveur,  s'é- 
cria-t-il  :  Filins  Dei  erat  iste  ®  :  «  Cet  homme 
«  était  vraiment  Fils  de  Dieu.  »  Les  impies  di- 
sent :  Si  Filius  Dei  es ,  descende  de  cruce  '  : 
«  Si  tu  es  le  Fils  de  Dieu,  descends  de  la  croix  :  » 
au  contraire ,  qu'il  y  meure  pour  être  le  Rédemp- 
teur ;  vraiment  c'était  le  Fils  de  Dieu. 

J'ai  dit  que  nous  trouverons  à  la  croix  l'attrait 
[qui  nous  gagne  au  Père  ;  «  car  Dieu  a]  tellement 
aimé  le  monde,  qu'il  lui  a  donné  son  Fils  unique  : 
Sic  Deus  dilexit  mundum,  ut  Filium  unigeni- 
tum  daret  ^.  [La  croix  nous  présente]  le  conqué- 
rautdu  monde  :  Et  egosi  exaltatusfuero  a  terra, 

'  Joan.  VIII ,  25. 
5  Ibid. 

*  Philipp.  II ,  8. 

*  ma.  6,7. 

*  II.  Cor.  V,  19. 

«  Matth.  XXVII ,  64. 
'  Ibid.  40. 

*  Joan. m,  I6. 


SUR  LA  CHARITÉ,  etc. 


T9 


omnia  traham  ad  mcipsum  •  :  «  Et  pour  moi , 
«  quand  j'aurai  été  élevé  de  la  terre,  j'attirerai 
«  tout  à  moi.  »  Nemopotest  ventre  ad  me,  nisi 
Pater,  qui  misit  me,  traxerit  eum  *  :  «  Personne 
«  ne  peut  venir  à  moi  si  mon  Père  qui  m'a  envoyé 
«  ne  l'attire.  »  [De  la  croix  découle]  ce  parfum 
et  ce  baume  [céleste  ,  qui  adoucit  toutes  nos  pei- 
nes, et  nous  fait  marcher  avec  un  saint  transport.] 
Trahe  me,  post  te  curremus  in  odorem  unguen- 
torum  tuorum  ^  :  «  Entralnez-moi ,  nous  courrons 
^  après  vous  à  l'odeur  de  vos  parfums.  «  Suavité, 
chaste  délectation,  attrait  immortel,  plaisir  céleste 

et  sublime. 

La  croix  en  est  la  source,  et  elle  nous  les  fait 
éprouver  à  mesure  que  nous  nous  unissons  à  elle 
plus  intimement.  Rien  de  plus  doux  ,''de  plus  ai- 
mable que  le  règne  du  Sauveur;  c'est  par  les 
charmes  de  sa  beauté  et  l'éclat  de  sa  majesté , 
dont  il  se  sert  comme  d'un  arc  pour  soumettre 
zcux  qui  lui  sont  opposés ,  qu'il  triomphe  de  nos 
résistances  :  Specie  tua  et  pulchritudine  tua  in- 
tende. Quand  il  commence  à  vous  appeler,  dites 
lui  :  Prospère,  procède^  :  avancez-vous,  et  com- 
battez avec  succès.  Quand  il  livre  le  combat  et 
attaque  vos  passions,  demandez-lui  qu'il  établisse 
son  règne  sur  votre  cœur;  e<  régna. 

Le  docteur,  [le  juge  du  monde  paraît  à  la 
croix  :  ]  Nuncjudicium  est  mundi  ^.  Tout  est 
ramassé  dans  la  croix  ;  [elle  est  un]  symbole 
abrégé  du  christianisme. 

Ah!  cette  pécheresse,  ah!  Marie,  sœur  du 
I^zare ,  baisent  ses  pieds  ;  avec  quelle  tendresse  1 
Les  parfums ,  les  larmes ,  les  cheveux ,  tout  est 
employé  à  exprimer  les  sentiments  de  leur  cœur  : 
mais  ses  pieds  n'étaient  point  encore  percés  ,  ni 
devenus  une  source  intarissable  d'amour.  «  Ve- 
«  nez ,  adorons-le  ;  prosternons-nous  et  pleurons 
«  devant  le  Seigneur  qui  nous  a  créés  :  »  Venite, 
adoremus,  et  procidamus  : ploretnus  coram  Do- 
mino quifecit  nos  ^. 


'  Joan.  \u ,  32. 
»  Ibid.  VI ,  44. 
«  Cant.  1 ,  3. 

♦  Ps.  XLIV,  5. 

»  Joan.  XII,  3:. 

•  A.  xav ,  6. 


EXHORTATION 


AUX  NOUVELLES  CATHOLIQUES, 

POUR  EXCITER  LA  CHARITÉ  DES  FIDÈLES  E.N 
LEUR  FAVEUR. 

Pauvreté  et  abondance ,  deux  genres  d'épreuve.  PaUence 
et  charilé,  deux  voies  uniques  pour  arriver  au  royaume  ce- 
leste.  Qu'est-ceque  la  foi  :  miracles  et  martyres, deux  moyens 
par  lesquels  elle  a  été  établie  et  soutenue.  Combien  l'homma^ 
que  nous  devons  à  la  vérité,  exige  que  nous  soyons  résolus 
à  souffrir  pour  elle  :  grande  utilité  que  nous  relirons  de  ces 
souffrances.  Quelle  est  l'épreuve  des  riches  :  que  doivent-ils 
faire  pour  y  être  fidèles.  Obligation  qu'Us  ont  d'imiter,  à  l'égard 
des  pauvres ,  la  libéralité  du  Sauveur  envers  nous. 


Dcus  tentavit  eos,  et  invenit  illos  dignos  se. 

Dieu  les  a  mis  à  l'épreuve,  et  les  a  trouvés  dignes  de  lui. 
Sap.  ni,  5. 

Le  serviteur  est  bienheureux  lorsque  son  maî- 
tre daigne  éprouver  sa  fidélité;  et  le  soldat  doit 
avoir  beaucoup  d'espérance  lorsqu'il  voit  aussi 
que  son  capitaine  met  son  courage  à  l'épreuve  : 
car  comme  on  n'éprouve  pas  en  vain  la  vertu , 
l'essai  qu'on  fait  de  la  leur,  leur  est  un  gage  as- 
suré et  des  emplois  qn'on  leur  veut  donner,  et 
des  grâces  qu'on  leur  prépare  :  d'où  il  est  aisé 
de  comprendre  combien  l'apôtre  a  raison  de  dire 
que  «  l'épreuve  produit  l'espérance  :  »  Probatio 
vero  spem  ',  C'est  ce  qui  m'oblige,  messieurs, 
pour  fortifier  l'espérance  dans  laquelle  doivent 
vivre  les  enfants  de  Dieu,  de  vous  parler  des 
épreuves  qui  en  font  le  fondement  immuable  : 
et  je  vous  exposerai  plus  au  long  les  raisons  par- 
ticulières qui  m'engagent  à  en  traiter  dans  cette 
assemblée,  après  avoir  imploré  le  secours  d'en 
haut  par  l'intercession  de  la  sainte  Vierge.  Ave, 
Maria. 

Comme  c'était  de  l'or  le  plus  afOné  que  les 
enfants  d'Israël  consacraient  à  Dieu ,  pour  faire 
l'ornement  de  son  sanctuaire  ;  la  vertu  doit  être 
la  plus  épurée  qui  servira  d'ornement  au  sanc- 
tuaire céleste ,  et  au  temple  qui  n'est  point  bâti 
de  main  d'homme.  Dieu  a  dessein  d'épurer  les 
âmes ,  afin  de  les  rendre  dignes  de  la  gloire ,  de 
la  sainteté ,  de  la  magnificence  du  siècle  futur  : 
mais  afin  de  les  épurer,  et  d'en  tirer  tout  le  fin, 
si  je  puis  parler  de  la  sorte ,  il  leur  prépare  aussi 
de  grandes  épreuves.  Et  remarquez ,  messieurs , 
qu'il  y  en  a  de  deux  genres;  l'épreuve  de  la  pau- 
vreté ,  et  celle  de  l'abondance  :  car  non-seulement 
les  afflictions,  mais  encore  les  prospérités ,  sont 
une  lAerre  de  touche  à  laquelle  la  vertu  peut  se 

'  Hom.  v,4 


SUR  LA  CHARITÉ 


90 

Teeonnaltre.  Je  l'aï  appris  du  grand  saint  Basile  , 
'dans  cette  excellente  homélie  qu'il  a  faite  sur  l'a- 
\arice  '  ;  et  saint  Basile  l'a  appris  lui-même  des 
Écritures  divines. 

Nous  lisons  dans  le  livre  du  Deutéronome  :  «  Le 
«  Seigneur  vous  a  conduit  par  le  désert ,  afin  de 
«  vous  affliger  et  de  vous  éprouver  tout  ensem- 
«  ble  :  »  Adduxit  te  Dominus  tuus  per  deser- 
tumj  ut  affiigeret  le  atque  tentarët^  :  voilà  l'é- 
preuve par  l'affliction.  Mais  nous  lisons  aussi  en 
l'Exode ,  lorsque  Dieu  fit  pleuvoir  la  manne,  qu'il 
parle  aiitsi  à  Moïse  :  «  Je  pleuvrai ,  dit-il ,  des  pains 
«  du  ciel  :  »  Ecce ,  ego  pluam  vobis  panes  de 
^œlo^;  et  il  ajoute  aussitôt  après  :  «  C'est  afin 
«  d'éprouver  mon  peuple ,  et  de  voir  s'il  marchera 
«  dans  toutes  mes  voies  :  »  et  voilà  en  termes  for- 
«nels  l'épreuve  des  prospérités  et  de  l'abondaiice  : 
Vt  teniem  eum,  idrum  ambulet  in  lege  mea, 
un  non*. 

«  Toutes  choses ,  dit  le  saint  apôtre  ^,  arrivaient 
«  en  figure  au  peuple  ancien ,  «  et  nous  devons 
rechercher  la  vérité  de  ces  deux  épi'euves  dans 
la  nouvelle  alliance  :  je  vous  en  dirai  ma  pensée , 
pc  ur  servir  de  fondement  à  tout  ce  discours. 

Je  ne  vois  dans  le  Nouveau  Testament  que 
deux  voies  pour  arriver  an  royaume  ;  ou  celle 
de  la  patience ,  qui  souffre  les  maux  ;  ou  celle  de 
la  charité,  qui  les  soulage  ^.  La  grande  voie  et  la 
voie  royale ,  par  laquelle  Jésus-Christ  a  marché 
lui-même ,  est  celle  des  afflictions.  Le  Sauveur 
n'appelle  à  son  banquet  que  les  faibles,  que  les 
malades,  que  les  languissants  :  il  ne  veut  voir  en 
sa  compagnie  que  ceux  qui  portent  sa  marque , 
c'est-à-dire ,  la  pauvreté  et  la  croix.  Tel  était  son 
premier  dessein,  lorsqu'il  a  formé  son  Église. 
.  Mais  si  tout  le  monde  était  pauvre,  qui  pourrait 
soulager  les  pauvres,  et  leur  aider  à  soutenir  le 
fardeau  qui  les  accable?  C'est  pour  cela,  chré- 
tiens ,  qu'outre  la  voie  des  afflictions ,  qui  est  la 
plus  assurée,  il  a  plu  à  notre  Sauveur  d'ouvrir 
un  autre  chemin  aux  riches  et  aux  fortunés ,  qui 
est  celui  de  la  charité  et  de  la  communication  fra- 
ternelle. Si  vous  n'avez  pas  cette  gloire  de  vivre 
avec  Jésus-Christ  dans  l'humiliation  et  dans  l'in- 
digence ,  voici  une  autre  voie  qui  vous  est  mon- 
trée ,  une  seconde  espérance  qui  vous  est  offerte  ; 
c'est  de  secourir  les  misérables,  et  d'adoucir  leurs 
douleurs  et  leurs  amertumes.  Ainsi  Dieu  ,nous 
éprouve  en  ces  deux  manières  :  si  vous  vivez  dans 
l'affliction ,  croyez  que  le  Seigneur  vous  éprouve, 
pour  reconnaître  votre  patience  :  si  vous  êtes  dans 

'  5.  Basil.  Hom.  de  Avant,  n'  I ,  t.  Il ,  p.  43. 
2  Deut.  VIII,  2. 

*  Exod.  XVi ,  4. 

*  Ibid. 

»  I.  Cor.\,  II. 
«  Luc.  XIV,  21. 


l'abondance,  croyez  q  uele  Seigneuf  vous  éprouve 
pour  reconnaître  votre  charité  :  Tentât  vos  Do- 
minus  Deus  vester\  Et  par  là  vous  voyez,  mes 
frères,  les  deux  épreuves  diverses  dont  je  vous 
ai  fait  l'ouverture. 

La  vue  de  mon  auditoire  me  jette  profondé- 
ment dans  cette  pensée  :  car  que  vois-je  dans  cette 
assemblée ,  sinon  l'exercice  de  ces  deux  épreuves? 
Deux  objets  attirent  mes  yeux ,  et  doivent  aujour- 
d'hui partager  mes  soins.  Je  vois  d'un  côté  des 
âmes  souffrantes ,  que  la  profession  de  la  foi  ex- 
pose à  de  grands  périls;  et  de  l'autre,  des  per- 
sonnes de  condition,  qui  semblent  ici  accourir 
pour  soulager  leurs  misères  :  je  suis  redevable 
aux  uns  et  aux  autres;  et  pour  m  acquitter  en- 
vers tous ,  j'exhorterai  en  particulier  chacun  de 
mes  auditeurs  à  être  fidèle  à  son  épreuve.  Je  vous 
dirai ,  mes  très-chères  sœurs  :  Souffrez  avec  sou- 
mission, et  votre  foi  sera  épurée  par  l'épreuve  de 
la  patience.  Je  vous  dirai ,  messieurs  et  mes- 
dames  :  Donnez  libéralement,  et  votre  charité 
sera  épurée  par  l'épreuve.de  la  compassion.  Ainsi 
cette  exhortation  sera  partagée  entre  les  deux 
sortes  de  personnes  qui  composent  cette  assem- 
blée ;  et  le  partage  que  je  vois  dans  mon  auditoire , 
fera  celui  de  ce  discours. 

PBEHIEB   POINT. 

Je  commence  par  vous ,  mestrès-chèires  scbuts  , 
nouveaux  enfants  de  l'Eglise  et  ses  plus  chè- 
res délices  ;  nouveaux  arbres  qu'elle  a  plantés ,  et 
nouveaux  fruits  qu'elle  goûte.  Je  ne  puis  m'em- 
pêcher  d'abord  de  vous  témoigner  devant  Dieu 
que  je  suis  touché  de  vos  maux  :  la  séparation  de 
vos  proches ,  les  outrages  dont  ils  vous  accablent , 
les  dures  persécutions  qu'ils  font  à  votre  inno- 
cence ,  les  misères  et  les  périls  où  votre  foi  vous 
expose,  m'affligent  sensiblement;  et  comme  de 
si  grands  besoins  et  des  extrémités  si  pressantes 
demandent  un  secours  réel ,  j'ai  peine ,  je  vous 
l'avoue ,  à  ne  vous  donner  que  des  paroles.  Mais 
comme  votre  foi  en  Jésus-Christ  ne  vous  permet 
pas  de  compter  pour  rien  les  paroles  de  ses  minis- 
tres, où  plutôt  ses  propres  paroles ,  dont  ses  mi- 
nistres sont  établis  les  dispensateurs;  je  vous 
donnerai  avec  joie  un  trésor  de  consolation  dans 
des  paroles  saintes  et  évangéliques,  et  je  vous  di- 
rai avant  toutes  choses ,  avec  le  grand  saint  Ba- 
sile »  :  Vous  souffrez ,  mes  très-chères  sœurs  ;  de- 
vez-vous vous  en  étonner,  étant  chrétiennes?  Le 
soldat  se  reconnaît  par  les  hasards  et  les  périls  ;  le 
marchand ,  par  la  vigilance  ;  le  laboureur,  par  son 
travail  opiniâtre  ;  le  courtisan ,  par  ses  assiduités  ; 


>  Deut.  XIII ,  3. 

a  Hom.  in  fum.  et  siccit  n«  B,  t.  II,  p.  67. 


ENVERS  LES  NOUVELLES  CATHOLIQUES. 


el  le  chrôlicn,  par  les  tloulcurset  par  les  afllictions. 
Ce  n'est  pas  assez  de  le  dire  ;  il  faut  établir  cette 
vérité  par  quelque  priucipe  solide,  et  faire  voir, 
en  peu  de  paroles,  que  l'épreuve  de  la  foi  c'est  la 
1  atience  :  mais  afin  de  le  bien  entendre,  exami- 
nons ,  je  vous  prie ,  quelle  est  la  nature  de  la  foi , 
et  la  manière  divine  dont  elle  veut  être  prouvée. 

La  foi  est  une  adhérence  de  cœur  à  la  vérité 
éternelle,  malgré  toutes  les  raisons  et  les  témoi- 
gnages des  sens  et  de  la  raison  :  de  là  vous  pouvez 
oompreudre  qu'elle  dédaigne  tous  les  arguments 
que  peut  inventer  la  sagesse  humaine.  Mais  si  les 
raisons  lui  manquent  ;  le  ciel  même  lui  fournit  des 
preuves,  et  elle  est  suffisamment  établie  par  les 
miracles  et  par  les  raartjres. 

C'est ,  mes  frères ,  par  ces  deux  moyens  qu'a 
été  soutenue  la  foi  chrétienne.  Elle  est  venue  sur 
la  terre  troubler  tout  le  monde  par  sa  nouveauté , 
ttonner  tous  les  esprits  par  sa  hauteur,  effrayer 
tous  les  sens  par  la  sévérité  inouïe  de  sa  discipline. 
Tout  l'univers  s'est  uni  contre  elle  et  a  conjuré 
sa  perte  :  mais,  malgré  toute  la  nature,  elle  a  été 
établie  par  les  choses  prodigieuses  que  Dieu  a 
faites  pour  l'autoriser,  et  par  les  cruelles  extré- 
mités que  les  hommes  ont  endurées  pour  la  défen- 
dre. Dieu  et  les  hommes  ont  fait  leurs  efforts  pour 
appuyer  le  christianisme.  Quel  a  dû  être  l'effort 
de  Dieu ,  sinon  d'étendre  sa  main  à  des  signes  et 
à  des  prodiges?  Quel  a  dû  être  l'effort  des  hom- 
mes ,  sinon  de  souffrir  avec  soumission  des  peines 
el  des  tourments  ?  Chacun  a  fait  ce  qui  lui  est  pro- 
pre :  car  il  n'y  avait  rien  de  plus  convenable,  ni 
à  la  puissance  divine ,  que  de  faire  de  grands  mi- 
racles pour  autoriser  la  foi  chrétienne;  ni  à  la 
faiblesse  humaine,  que  de  souffrir  de  grands  maux 
pour  en  soutenir  la  vérité.  Voilà  donc  la  preuve 
de  Dieu  ;  faire  des  miracles  :  In  eo  quodmanum 
tuant  extendas  adsanitates,  et  signa,  et  pro- 
digiafieri  per  nomen  sancti  Filiitui  Jesu  '  : 
Voici  la  preuve  des  hommes,  souffrir  des  tour- 
ments :  l'homme  étant  si  faible,  ne  pouvait  rien 
faire  de  grand,  ni  de  remarquable,  que  de  s'a- 
bandonner à  souffrir.  Ainsi  ce  que  Dieu  a  opéré, 
et  ce  que  les  hommes  ont  souffert,  a  également 
concouru  à  prouver  la  vérité  de  la  foi  :  les  mira- 
cles que  Dieu  a  faits,  ont  montré  que  la  doctrine 
du  christianisme  surpassait  toute  la  nature;  et  les 
cruautés  inouïes  auxquelles  se  sont  soumis  les 
fidèles ,  pour  défendre  cette  doctrine ,  ont  fait  voir 
jusqu'où  doit  aller  le  glorieux  ascendant  qui  ap- 
partient à  la  vérité  sur  tous  les  esprits  et  sur  tous 
les  cœurs. 

Et  en  effet,  clu-étiens,  jamais  nous  ne  rendrons 
à  la  vérité  l'hommage  qui  lui  est  dû ,  jusqu'à  ce 

'  ./  /.  IV,  30. 

BOSSIET.  —  T.  III. 


81 

que  nous  soyons  résolus  h  souffrir  pour  elle  :  et 
c'est  ce  qui  a  fait  dire  à  Tertullien ,  que  <  la  foi 
«  est  obligée  au  martyre  :  »  Debitricem  martyrii 
fidem  '.  Oui,  sainte  vérité  de  Dieu,  souveraine 
de  tous  les  esprits,  et  arbitre  de  la  vie  humaine; 
le  témoignage  de  la  parole  est  une  preuve  trop 
faible  de  ma  servitude;  je  dois  vous  prouver  ma 
foi  par  l'épreuve  des  souffrances.  0  vérité  éter- 
nelle, si  j'endure  pour  l'amour  de  vous,  si  mes 
sens  sont  noyés  pour  l'amour  de  vous  dans  la  dou- 
leur et  dans  l'amertume ,  ce  vous  sera  une  preuve 
que  j'y  ai  renoncé  de  bon  cœur  pour  m'attacher 
à  vos  ordres.  Po\ir  faire  voir  à  toute  la  terre  que 
je  m'abaisse  volontairement  sous  le  joug  que  vous 
m'imposez,  je  veux  bien  m'abaisser  encore  jus- 
qu'aux dernières  humiliations  :  qu'on  me  jette 
dans  les  prisons ,  et  qu'on  charge  mes  mains  de 
fere  ;  je  regarderai  ma  captivité  comme  une  image 
glorieuse  de  ces  chaînes  intérieures  par  lesquelles 
j'ai  lié  ma  volonté  tout  entière ,  et  assujetti  mon 
entendement  à  l'obéissance  de  Jésus-Christ  et  de 
sa  saiute  doctrine  :  In  captivitalem  redigentes 
iniellectumin  obsequium  Christi^. 

Consolez- vous  donc,  mes  très-chères  sœurs, 
dans  la  preuve  que  vous  donnez  par  vos  peines , 
de  la  pureté  de  votre  foi  :  vous  êtes  un  grand 
spectacle  à  Dieu ,  aux  anges  et  aux  hommes  :  vos 
souffrances  font  l'honneur  de  la  sainte  Église, 
qui  se  fortifie  de  voifr  en  vous,  même  au  milieu 
de  sa  paix  et  de  son  triomphe ,  une  image  de  ses 
combats ,  et  une  peinture  animée  des  martyres 
qu'elle  a  soufferts.  Ne  vous  occupez  pas  tellement 
des  maux  que  vous  endurez,  que  vous  ne  laissiez 
épancher  vos  cœurs  dans  le  souvenir  agréable 
des  récompenses  qui  vous  attendent.  Encore  un 
peu,  encore  un  peu,  dit  le  Seigneur,  et  je  vien- 
drai moi-même  essuyer  vos  larmes  :  et  je  m'ap- 
procherai de  vous  pour  vous  consoler,  et  vous 
verrez  le  feu  de  ma  vengeance  dévorer  vos  per- 
sécuteurs, et  cependant  je  vous  recevrai  en  ma 
paix  et  en  mon  repos ,  au  sein  de  mes  éternelles 
miséricordes. 

Vous  endurez  pour  la  foi  ;  ne  vous  découragez 
pas  :  songez  que  la  sainte  Église  s'est  fortifiée 
par  les  tourments ,  accrue  par  la  patience ,  éta- 
blie par  l'effort  des  persécutions.  Et  à  ce  propos, 
chrétiens ,  je  me  souviens  que  saint  Augustin  se 
représente  que  les  fidèles ,  étonnés  de  voir  du- 
rer si  longtemps  ces  cruelles  persécutions  par 
lesquelles  l'Église  était  agitée ,  s'adressent  à 
elle-même,  et  lui  en  demandent  la  cause ^.  Il  y  a 
longtemps ,  ô  Église ,  que  l'on  frappe  sur  vos 
pasteurs ,  et  que  l'on  dissipe  vos  troupeaux  ;  Dieu 


'  Scorp.  a'  8. 

'  Cor.  X ,  5. 

'  /«  Ps.  cxxvni,  D"'  2,  3,  t.  !V,  col. 


1448. 


»2 


SUK  LA  CHARITÉ 


vous  a-t-il  oubliée?  les  vents  grondent;  les  flots 
se  soulèvent ,  vous  flottez  deçà  et  delà  battue  des 
ondes  et  de  la  tempête  ;  ne  craignez- vous  pas  à 
la  fin  d'être  entièrement  abîmée  et  ensevelie  sous 
les  eaux?  Le  même  saint  Augustin  ayant  ainsi 
fait  parler  les  fidèles,  fait  aussi  répondre  l'Église 
par  ces  paroles  du  divin  psalmiste  :  Sœpe  expu- 
gnaverunt  me  a  juventute  niea,  dicat  nunc 
Israël'.  Mes  enfants ,  dit  la  sainte  Église ,  je  ne 
m'étonne  pas  de  tant  de  traverses;  j'y  suis  ac- 
coutumée dès  ma  tendre  enfance  :  les  ennemis 
qui  m'attaquent  n'ont  jamais  cessé  de  me  tour- 
menter dès  ma  première  jeunesse  ;  et  ils  n'ont 
rien  gagné  contre  moi ,  et  leurs  efforts  ont  été 
toujours  inutiles ,  etenini  non  potuerunt  inihi^.' 
Et  certainement,  cbrétiens ,  l'Église  a  toujours 
<'.té  sur  la  terre,  et  jamais  elle  n'a  été  sans  afflic- 
tions. Elle  était  représentée  en  Abel  ;  et  il  a  été 
tué  par  Caïn  son  frère  :  elle  a  été  représentée  en 
Enoch  ;  et  il  a  fallu  le  séparer  du  milieu  des  ini- 
'ques  et  des  impies ,  qui  ne  pouvaient  compatir 
•avec  son  innocence  :  Et  translahis  est  ab  ini- 
quis^  :  elle  nous  a  paru  dans  la  famille  de  Noé; 
et  il  a  fallu  un  miracle  pour  la  délivrer,  non-seu- 
lement des  eaux  du  déluge,  mais  encore  des  con- 
tradictions des  enfants  du  siècle.  Le  jour  me 
manquerait,  comme  dit  l'apôtre^,  si  j'entrepre- 
nais de  vous  raconter  ce  qu'ont  souffert,  des  im- 
.pies ,  Abraham  et  les  patriarches ,  ÎMoïse  et  tous 
les  prophètes,  Jésus-Christ  et  ses  saints  apôtres. 
Par  conséquent ,  dit  la  sainte  Église,  par  la  bou- 
che du  saint  psalmiste ,  je  ne  m'étonne  pas  de 
ces  violences  :  Sœ2Je  expugnavenmt  me  a  ju- 
ventute mea  ;  numquid  ideo  non  perveni  ad 
senectiitcm^'i  Regardez,  mes  enfants,  mon  an- 
tiquité ,  considérez  ces  cheveux  gris  ;  «  ces  cruel- 
«  les  persécutions  dont  a  été  tourmentée  mon 
«  enfance,  m'ont-elles  pu  empêcher  de  parvenir 
«heureusement  à  cette  vieillesse  vénérable?  » 
Ainsi,  je  ne  m'étonne  plus  des  persécutions  :  si 
c'était  la  première  fois ,  j'en  serais  peut-être  trou- 
blée ;  maintenant  la  longue  habitude  fait  que  je 
ne  m'en  émeus  point,  je  laisse  agir  les  pécheurs  : 
Supra  dorsum  meum  fabricaverunt  peccato- 
res^  :  je  ne  tourne  pas  ma  face  contre  eux  pour 
m'opposer  à  leurs  violences  ;  je  ne  fais  que  ten- 
dre le  dos  pour  porter  les  coups  qu'ils  me  don- 
nent :  ils  frappent  cruellement,  et  je  souffre 
sans  murmurer;  c'est  pourquoi  ils  prolongent 
leurs  iniquités,  et  ne  mettent  point  de  bornes  à 


'  Ps.  cxxvin ,  I . 

»  Ibid.  2. 

*  Hebr.  xi,  5 
«  Ibid.  32 

»  S.  Aiig.  in  Ps.  CXX VIII ,  n'»  2 ,  3 ,  t.  IV ,  col.    UA. 

•  Ps.  CXX VIII ,  3. 


leur  furie,  prolong  ave  runt  iniquitatem  suam  '  : 
ma  patience  sert  de  jouet  à  leur  injustice  ;  mais 
je  ne  me  lasse  pas  de  souffrir  ;  je  suis  bien  aise 
de  prouver  ma  foi  à  celui  qui  m'a  appelée,  et  de 
me  montrer  digne  de  son  choix ,  par  une  si  no- 
ble épreuve  d'un  amour  constant  et  fidèle  :  Deus 
tentavit  eos ,  et  invenit  illos  dignos  se. 

Entrez,  mes  sœurs,  dans  ces  sentiments; 
souffrez  pour  l'amour  de  la  sainte  Église  :  la 
grâce  que  Dieu  vous  a  faite ,  de  vous  ramener  à 
son  unité,  ne  vous  semblerait  pas  assez  précieuse, 
si  elle  ne  vous  coûtait  quelque  chose.  Songez  à 
ce  qu'ont  souffert  les  saints  personnages  dont  je 
vous  ai  récité  les  noms  et  rappelé  le  souvenir  : 
joignez-vous  à  cette  troupe  bienheureuse  de  ceux 
qui  ont  souffert  pour  la  vérité,  et  «  qui  ont  blan- 
«  chi  leurs  étoles  dans  le  sang  de  l'Agneau  sans 
«  tache'.  »  Autant  de  peines  qu'on  souffre ,  au- 
tant de  larmes  qu'on  verse  pour  avoir  embrassé 
la  foi  ;  autant  de  fois  on  se  lave  dans  le  sang  du 
sauveur  Jésus ,  et  on  y  nettoie  ses  péchés ,  et  on 
sort  de  ce  bain  sacré  avec  une  splendeur  immor- 
telle ;  et  c'est  alors  que  Jésus  nous  dit  :  Voiei'mes 
fidèles  et  mes  bien-aimés;  «  et  ils  marcheront 
'<  avec  moi  ornés  d'une  céleste  blancheur,  parce 
"  qu'ils  sont  dignes  d'une  telle  gloire,  »  et  ambu- 
labunt  mecum  in  albis ,  quia  digni  suntK  Voyez 
donc ,  mes  très-chères  sœurs ,  voyez  Jésus- Christ 
qui  vous  tend  les  bras ,  qui  soutient  votre  fai- 
blesse ,  qui  admire  aussi  votre  force ,  et  prépare 
votre  couronne  :  il  vous  a  éprouvées  par  la  pa- 
tience, et  vous  a  trouvées  dignes  de  lui,  Ten- 
tavit eos,  et  invenit  illos  dignos  se. 

Mais  nous,  que  ferons-nous,  chrétiens?  de 
meurerons-nous  insensibles,  et  serons-nous  spec- 
tateurs oisifs  d'un  combat  si  célèbre  et  si  glo- 
rieux? ne  donnerons -nous  que  des  paroles,  et 
quelques  frivoles  consolations  à  des  peines  si  ef- 
fectives? et  pendant  que  ces  filles  innocentes, 
qui  souffrent  persécution  pour  la  justice,  sont 
dans  le  feu  de  l'affliction,  où  Dieu  épure  leur  foi  ; 
ne  ferons-nous  point  distiller  sur  elles  quelque 
rosée  de  nos  charités,  pour  les  rafraîchir  dans 
cette  fournaise,  et  les  aider  à  souffrir  une  épreuve 
si  violente  ?  C'est  de  quoi  il  faut  vous  entretenir 
dans  le  reste  de  ce  discours ,  que  je  tranche,  on 
peu  de  paroles. 

SECOND    POINT. 

Je  parle  donc  maintenant  à  vous  qui  vivez 
dans  les  richesses  et  dans  l'abondance.  Ne  vous 
persuadez  pas  que  Dieu  vous  ait  ouvert  ses  tré- 
sors avec  une  telle  libéralité,  pour  contenter  votre 

'  Ps.  cxxxnn ,  ». 
^  Apoc.  vil,  14. 
3  JOid.  IH,  I. 


ENVERS  LES  NOUWXLES  CATHOLIQUES. 


luxe  :  c'est  qu'il  a  dessein  d'éprouver  si  vous  avez 
un  cœvn*  chrétien,  c'est-à-dire,  un  cœur  fraternel 
et  un  cœur  compatissant. 

David  considérant  autrefois  les  immenses  pro- 
fusions de  Dieu  envers,  lui ,  se  sentit  obliué  par 
reconnaissance  de  faire  de  ma^niifiques  prépara- 
tifs pour  orner  son  temple  ;  et  lui  offrant  de  grands 
dons ,  il  y  ajouta  ces  paroles  :  «  Je  sais ,  dit-il,  ô 

-  mon  Dieu,  que  vous  éprouvez  les  creurs,  et  que 
<  vous  aimez  la  simplicité  ;  et  c'est  pourquoi,  Sei- 

-  pneur  tout-puissant,  je  vous  ai  consacré  ces 
'  choses  avec  une  grande  joie  en  la  simplicité  de 
'  mon  cœur  :  -  Scio,  Deus  meus,  quod  probes 
corda  et  simplicitatem  diliyas;  unde  et  ego  in 
simplicitate  cordis  mei  lœtiis  obtuli  universa 
^œe'.  Vous  voyez  comme  il  reconnaît  que  les 
bontés  de  Dieu  étaient  une  épreuve  ;  et  qu'il  vou- 
lait éprouver,  en  lui  donnant,  s'il  avait  un  cœur 
libéral ,  qui  offrît  à  Dieu  volontairement  ce  qu'il 
recevait  de  sa  main. 

Croyez ,  ô  riches  du  siècle ,  qu'il  vous  ouvre 
ses  mains  dans  la  même  vue  :  s'il  est  libéral  en- 
vers vous ,  c'est  qu'il  a  dessein  d'éprouver  si  votre 
âme  sera  attendrie  par  ses  bontés ,  et  sera  tou- 
chée du  désir  de  les  imiter.  De  là  cette  abon- 
dance dans  votre  maison ,  de  là  cette  affluence 
de  biens,  de  là  ce  bonheur,  ce  succès,  ce  cours 
fortuné  de  vos  affaires.  Il  veut  voir,  chrétien ,  si 
ton  cœur  avide  engloutira  tous  ces  biens  pour  ta 
propre  satisfaction  ;  ou  bien  si,  se  dilatant  par  la 
charité,  il  fera  couler  ses  ruisseaux  sur  les  pau- 
vres et  les  misérables,  comme  parle  l'Écriture 
sainte*  :  car  se  sont  les  temples  qu'il  aime,  et 
c'est  là  qu'il  veut  recevoir  les  effets  de  ta  grati- 
tude. 

Voici ,  messieurs ,  une  grande  épreuve  ;  c'est 
ici  qu'il  nous  faut  entendre  la  malédiction  des 
grandes  fortunes.  L'abondance ,  la  prospérité  a 
coutume  d'endurcir  le  cœur  de  l'homme  :  l'aise, 
la  joie,  Taffluence,  remplissent  l'âme  de  sorte 
qu'elles  en  éloignent  tout  le  sentiment  de  la  mi- 
sère des  autres ,  et  mettent  à  sec ,  si  l'on  n'y 
prend  garde ,  la  source  de  la  compassion.  C'est 
pourquoi  le  divin  apôtre  parlant  des  fortunés  de 
la  terre,  de  ceux  qui  s'aiment  eux-mêmes,  et  qui 
vivent  dans  les  plaisirs,  dans  la  bonne  chère, 
dans  le  luxe,  dans  les  vanités,  les  appelle  «  cruels 
.  et  impitoyables ,  sans  affection ,  sans  miséri- 
«  corde,  amateurs  de  leurs  voluptés,  »  homines 
seipsos  amantes,  immites,  sine  affectione,  sine 
benignitate ,  voluptatum  amatores^.  Voilà  une 
merveilleuse  contexture  de  qualités  différentes. 
Vous  croyiez  peut-être,  messieurs,  que  cet  amour 

'  I.  Parai.  x\\\,  17. 
■  /-.  iviil,  10,  II. 

II.  Tint,  m,  3. 


8S 

des  plaisirs  ne  fût  que  tendre  et  délicat  ;  ou  bien 
plaisant  et  flatteur  ;  mais  vous  n'aviez  pas  encore 
songé  qu'il  fût  cruel  et  impitoyable.  Mais  c'est 
que  le  saint  apôtre,  pénétrant  par  l'Esprit  de 
Dieu  dans  les  plus  intimes  replis  de  nos  cœurs, 
voyait  que  ces  hommes  voluptueux,  attachés  ex-  • 
cessivement  à  leurs  propres  satisfactions ,  devien- 
nent insensibles  aux  maux  de  leurs  frères  :  c'est 
pourquoi  il  dit  qu'ils  sont  sans  affection ,  sans 
tendresse  et  sans  miséricorde;  ils  ne  regardent 
qu'eux-mêmes.  Et  le  prophète  Isaïe  représente 
au  naturel  leurs  véritables  sentiments ,  lorsqu'il 
leur  attribue  ces  paroles  :  Ego  sum,  et  prœtcr 
me  non  est  altéra'  :  -  Je  suis  ,  et  il  n'y  a  que 
*  moi  sur  la  terre.  »  Qu'est-ce  que  toute  cette  mul- 
titude? têtes  de  nul  prix,  et  gens  de  néant  :  pen- 
ser aux  intérêts  des  autres ,  leur  délicatesse  ne  le 
permet  pas.  Chacun  ne  compte  que  sol  ;  et  tenant 
tous  les  autres  dans  l'indifférence ,  on  tâche  de 
vivre  à  son  aise  dans  une  souveraine  tranquillité 
des  fléaux  qui  affligent  le  reste  des  hommes. 

0  Dieu  clément  et  juste  !  ce  n'est  pas  pour  cette 
raison  que  vous  avez  départi  aux  riches  du  monde 
quelque  écoulement  de  votre  abondance.  Voua 
les  avez  faits  grands ,  pour  servir  de  père  à  vos 
pauvres  :  votre  providence  a  pris  soin  de  détour- 
ner les  maux  de  dessus  leurs  têtes ,  afin  qu'ils 
pensassent  à  ceux  du  prochain  ;  vous  les  avez  mis 
à  leur  aise  et  en  liberté,  afin  qu'ils  fissent  leur  af- 
faire du  soulagement  de  vos  enfants.  Telle  est 
l'épreuve  où  vous  les  mettez  :  et  leur  grandeur  au 
contraire  les  rend  dédaigneux;  leur  abondance, 
secs  ;  leur  félicité,  insensibles  ;  encore  qu'ils  voient 
tous  les  jours ,  non  tant  des  pauvres  et  des  misé- 
rables ,  que  la  misère  elle-même  et  la  pauvreté 
en  personne,  pleurante  et  gémissante  à  leur  porte. 

0  riches  ,  voilà  votre  épreuve  ;  et  afin  d'y  être 
fidèles,  écoutez  attentivement  cette  parole  du 
Sauveur  des  âmes  :  «  Donnez-vous  de  garde  de 
«toute  avarice  :  »  Cavete  ab  omni  avaritia'. 
Cette  parole  du  Fils  de  Dieu  demande  un  audi- 
teur attentif.  Donnez-vous  de  garde  de  toute  ava- 
rice ;  c'est  qu'il  y  en  a  de  plus  d'une  sorte  :  il  y 
a  une  avarice  sordide ,  une  avarice  noire  et  té- 
nébreuse ,  qui  enfouit  ses  trésors ,  qui  n'en  repaît 
que  sa  vue,  et  qui  en  interdit  l'usage  à  ses  mains. 
'<  De  quoi  lui  servent-ils,  sinon  qu'il  voit  de  ses 
'<  yeux  beaucoup  de  richesses?  »  Quid prodest 
possessori,  nisi  quod  cemit  divitias  oculis  suis^l 
Mais  il  y  a  encore  une  autre  avarice,  qui  dé- 
pense, qui  fait  bonne  chère ,  qui  n'épargne  rien  à 
ses  appétits.  Je  me  trompe  peut-être,  mes  frères, 


'  /«.  XLTII,  10. 

>  Lue.  xn,  16. 

>  EccUf.  y,  10. 


84 


SUR  LA  CHAHITE,  etc; 
d'appeler  cela  avarice ,  puisque  c'est  une  extrême    quelques  ressources  pour  vous 


piodlgalité  ;  je  ^xirle  néanmoins  avec  l'Evangile  : 
elie  u>éi-lte  le  nom  d'avarice,  parce  que  c'est  une 
avidité  qui  veut  dévorer  tous  ses  biens,  qui  donne 
tout  à  ses  appétits,  et  qui  ne  veut  rien  donner 
aux  nécessités  des  pauvres  et  des  misérables;  et 
je  parle  en  cela  selon  l'Évangile.  Jésus -Christ 
ayant  dit  ces  mots,  Donnez -vous  de  garde  de 
toute  avarice,  apporte  l'exemple  d'un  homme 
qui,  ravi  de  son  abondance,  veut  agrandir  ses 
greniers,  et  augmenter  sa  dépense  :  car  il  paraît 
bien,  chrétiens,  qu'il  voulait  user  de  ses  riches- 
ses, puisqu'il  se  dit  à  lui-même  :  «  Mon  âme, 
«  voilà  de  grands  biens;  repose- toi,  fais  grande 
«  chère,  mange  et  bois  longtemps  à  ton  aise  :  » 
Requiesce,  comede,  bibe,  epulare.^  Voyez  de  quoi 
il  repaît  son  âme  ;  «  de  même ,  dit  saint  Basile  ^ , 
«  que  s'il  avait  une  âme  de  bête,  »  Encore  qu'il 
donne  tcmt  à  son  plaisir,  et  qu'il  tienne  une  table 
si  abondante  et  si  délicate ,  Jésus-Christ  néan- 
moins le  traite  d'avare ,  condamnant  l'avidité  de 
son  cœur,  qui  consume  tous  ses  biens  pour  soi , 
qui  donne  tout  à  ses  excès  et  à  ses  débauches ,  et 
n'ouvre  point  ses  mains  aux  nécessités  ni  aux  be- 
soins de  ses  frères.  Prenez  garde  à  cette  avarice 
de  cœur,  à  cette  avidité  ;  modérez  vos  passions, 
et  faites  un  fonds  aux  pauvres  sur  la  modération 
de  vos  vanités  :  Munum  inferre  rei  suœ  in  causa 
eleemosynœ^. 

Pourquoi  agrandir  tes  greniers?  Je  te  montre 
«n  lieu  convenable  où  tu  mettras  tes  richesses 
plus  en  sûreté  :  laisse  un  peu  déborder  ce  fleuve , 
laisse- le  se  répandre  sur  ies  misérables  :  mais 
pourquoi  tout  donner  à  tes  appétits?  Mon  âme , 
dis-tu,  repose-toi,  mange  et  bois  longtemps  à 
ton  aise  !  Regarde  de  quels  biens  tu  repais  ton 
âme  ;  de  même ,  dit  saint  Basile ,  que  si  tu  avais 
une  âme  de  bête.  Ne  me  dis  point  :  Que  ferai-je? 
il  faut  te  [  modérer,  réprimer  l'avidité  de  tes  dé- 
sirs, contraindre  tes  passions  dans  de  justes 
bornes  ].  Si  vous  ne  le  faites,  mes  frères,  il  n'y 
n  point  d'espérance  de  salut  pour  vous  :  car  pour 
arriver  à  la  gloire  que  Jésus-Christ  nous  a  mé- 
ritée ,  il  faut  porter  son  image ,  il  faut  être  mar- 
(|ué  à  son  caractère;  il  faut ,  en  un  mot,  lui  être 
conforme.  Quelle  ressemblance  avez-vous  avec 
sa  pauvreté  dans  votre  abondance;  avec  ses  dé- 
laissements dans  vos  joies  ;  avec  sa  croix ,  avec 
ses  épines ,  avec  son  fiel  et  ses  amertumes  parmi 
vos  délices  dissolues?  est-ce  là  une  ressemblance, 
ou  plutôt  [  n'est-ce  pas  ]  une  manifeste  contra- 
Kétc?  Voici  néanmoins  quelque  ressemblance  et 


'  tue.  XII ,  li). 

'  Hom.  de  Jvar.  n°  G,  t.  ii,  p.  48. 
•  Tertull.  Je  PalienJ.  n"?. 


c'est  que  la  crobi 
de  noire  Sauveur  n'est  pas  seulement  un  exer 
cice ,  mais  encore  une  inondation  d'une  libéra- 
lité infinie;  il  donne  pour  nous  son  âme  et  son 
corps ,  il  prodigue  tout  son  sang  pour  notre  salut. 
Imitez  du  moins  quelque  trait,  sinon  de  ces  souf- 
i'rances  affreuses ,  du  moins  d'une  libéralité  si 
aimable  et  si  attirante  :  donnez  au  prochain,  si- 
non vos  peines,  du  moins  vos  commodités;  sin^n 
votre  vie  et  votre  substance,  du  moins  le  supeillu 
de  vos  biens  ou  le  reste  de  vos  excès.  Entrez 
dans  les  saints  désirs  du  Sauveur,  et  dans  les 
empressements  de  sa  charité  pour  les  hommes  :  il 
a  [  guéri  ]  les  malades,  il  a  repu  les  faméliques, 
il  a  soutenu  les  désespérés.  C'est  là  sans  doute  la 
moindre  partie  que  vous  puissiez  imiter  de  la  vie 
de  notre  Sauveur.  Soyez  les  imitateurs,  sinon 
des  souffrances  qu'il  a  endurées  à  la  croix ,  du 
moins  des  libéralités  qu'il  y  exerce.  Jésus-Christ 
demande  une  partie  des  biens  qu'il  vous  a  don- 
nés, pour  sauverson  bien  et  son  trésor  :  son  tré- 
sor, ce  sont  les  âmes.  Venez  travailler  au  salut 
des  âmes  :  considérez  ces  filles  non  moins  inno- 
centes qu'affligées.  Faut-il  vous  représenter  et  les 
périls  de  ce  sexe,  et  les  dangereuses  suites  de  sa 
pauvreté,  l'écueil  le  plus  ordinaire  où  sa  pudeur 
fait  naufrage?  faut-il  vous  dire  les  tentations  où 
leur  foi  se  trouve  exposée  dans  les  extrémités 
qui  les  pressent? 

Considérez  le  ravage  qu'a  fait  l'hérésie.  Quelle 
plaie  I  quelle  ruine  !  quelle  funeste  désolation  !  La 
terre  est  désolée,  le  ciel  est  en  deuil  et  tout  cou- 
vert de  ténèbres ,  après  qu'un  si  grand  nombre 
d'étoiles,  qui  devaient  briller  dans  son  firma- 
ment ,  a  été  traîné  au  fond  de  l'abîme  avec  la 
queue  du  dragon  ■.  L'tlglise  gémit  et  soupire  de 
se  voir  arracher  si  cruellement  une  si  grande 
partie  de  ses  entrailles  ;  [  dans  cette  affliction  elle 
forme  un  ]  asile  pour  recueillir  quelque  reste  de 
son  naufrage  ;  [  et  voits  ne  vous  mettez  point  en 
peine  de  le  soutenir  :  ]  cette  maison  depuis  si 
longtemps  n'a  pus  encore  de  pain.  Qu'attendez- 
vous  ,  mes  chers  frères?  quoi  ;  que  leurs  parents , 
qu'elles  ont  quittés,  viennent  offrir  le  pain  que 
votre  dureté  leur  dénie  ?  Horrible  tentation!  dans 
le  schisme,  le  plus  grand  malheur  c'est  la  charité 
éteinte.  Le  diable ,  pour  leur  imposer,  [  leur  pré- 
sente une]  image  de  la  charité  dans  le  secours 
mutuel  qu'ils  se  donnent  les  uns  aux  autres.  Vou- 
lez-vous donc  qu'elles  pensent  qu'il  n'y  a  point 
de  charité  dans  l'Église,  et  qu'elles  tirent  cette 
conséquence  :  Donc  l'Esprit  de  Dieu  s'en  est  re- 
tiré? Vous  leur  vantez  votre  foi  ;  et  l'apôtre  saint 
Jacques  vous  dit  :  Montre  ta  foi  par  tes  œuvres  ^ 

'   Jpoc.  XH  ,  4. 

'    ac.  II,  18. 


I 


SUR  LA  VIE  CHRÉTIENNE. 


CTcst  ainsi  que  le  malin  s'efforce  de  les  séduire , 
f  t  de  les  replonger  dans  l'abîme  d'où  elles  ne 
sont  encore  qu'à  demi  sorties.  Veux-tu  être  au- 
|,)urd'hui,  par  ta  dureté,  coopérateur  de  sa  ma- 
iice,  autoriser  ses  tromperies ,  et  donner  efficace 
a  ses  tentations?  Sols  plutôt  cooi)érateur  de  la 
charité  de  Jésus  pour  sauver  les  âmes.  Mainte- 
nant que  je  vous  parle,  ce  divin  Sauveur  vous 
(prouve.  Si  vous  aimez  les  âmes,  si  vous  désirez 
leur  salut,  si  vous  êtes  effrayés  de  leurs  périls, 
vous  êtes  ses  véritables  disciples.  Si  vous  sortez 
de  cet  oratoire  sans  être  touchés  de  si  grands  mal 
jieurs,  vous  reposant  du  soin  de  cette  maison  sur 
ces  dames  si  charitables,  comme  si  cette  œuvre 
importante  ne  vous  regardait  pas  autant  qu'elles  ; 
luneste  épreuve  pour  vous,  qui  prouvera  votre 
aureté,  convaincra  votre  obstination,  condam- 
nera votre  Ingratitude. 


♦«»a«a«» 


FRAGMENT  D'UN  DISCOURS 

SLR  LA  VIE  CHRÉTIENXE. 

Dieu ,  la  vie  de  nos  âmes  par  l'union  qu'il  a  avec  elles.  Obli- 
gation du  chrétien  de  mourir  au  péché ,  pour  recevoir  et  con- 
server cette  vie  divine.  D'où  vient  Dieu  laisse-t-il  ici-bas  dans 
les  saints  l'attraitau  mal.  Comment  détruit-il  eu  eux  le  péché, 
même  dès  cette  ^  ie. 


Je  tirerai  mon  raisonnement  de  deux  excellents 
discours  de  saint  Augustin  :  le  premier  c'est  le 
di.x-neuvième  Traité  sur  saint  Jean,  le  second 
c'est  le  Sermon  dix-huit  des  paroles  de  l'apôtre. 
Ce  grand  homme ,  aux  lieux  allégués,  distingue 
en  l'âme  deux  sortes  de  vie  :  Tune  est  celle  qu'elle 
communique  au  corps  ;  l'autre  est  celle  dont  elle 
vit  elle-même.  Comme  l'âme  est  la  vie  du  corps, 
ce  saint  évêque  enseigne  que  Dieu  est  sa  vie  '. 
Pénétrons,  s'il  vous  plaît,  sa  pensée.  L'âme  ne 
pourrait  donner  la  vie  a  nos  corps ,  si  elle  n'avait 
ces  trois  qualités.  Il  faut,  premièrement,  qu'elle 
soit  plus  noble  ;  car  il  est  plus  noble  de  donner 
que  de  recevoir  :  il  faut,  en  second  lieu,  qu'elle 
lui  soit  unie;  car  notre  "sie  ne  peut  point  être 
hors  de  nous  :  il  faut  enfin  qu'elle  lui  communi- 
que des  opérations  que  le  corps  ne  puisse  exercer 
sans  elle  ;  car  la  vie  consiste  principalement  dans 
l'action.  Ces  trois  choses  paraissent  clairement 
en  nous  :  ce  corps  mortel ,  dans  lequel  nous  vi- 
vons ;  si  vous  le  séparez  de  son  âme ,  qu'est-ce 
autre  chose  qu'un  tronc  inutile  et  qu'une  masse 
de  boue?  Mais  sitôt  que  l'âme  lui  est  conjointe, 
i!  se  remue ,  il  voit ,  il  entend ,  il  est  capable  de 
toutes  les  fonctions  de  la  vie.  SI  je  vous  fais  voir 
maintenant  aue  Dieu  fait ,  à  l'égard  de  l'âme , 

'  S*:mt.  CÏ.X1 ,  n'  G ,  t.  T ,  col.  777. 


ês 

la  même  chose  que  ce  que  Pâme  fait  à  Végard  du 
corps,  vous  avouerez  sans  doute  que,  tmrt ainsi 
que  l'âme  est  la  vie  du  corps ,  ainsi  Dieu  est  la 
vie  de  l'âme;  et  la  proposition  de  saint  Augustin 
sera  véritable.  Voyons  ce  qui  en  est,  et  prouvons 
tout  solidement  par  les  Écritures. 

Et  premièrement ,  que  Dieu  soit  plus  noble  et 
plus  éminent  que  nos  âmes;  ce  serait  perdre  le 
temps  de  vous  le  prouver.  Pour  ce  qui  regarde 
l'union  de  Dieu  avec  nos  esprits,  il  n'y  a  non 
plus  de  Heu  d'en  douter  après  que  l'Écriture  a 
dit  tant  de  fois  que  «  Dieu  viendrait  en  nous ,  » 
qu'il  «  ferait  sa  demeure  chez  nous  ' ,  »  que  «  nous 
«  serions  son  peuple,  «  et  qu'il  -<  demeurerait  en 
"  nous  '  ;  »  et  ailleurs,  que  «  qui  adhère  à  Dieu 
«  est  un  esprit  avec  lui  ^  ;  »  et  enfin ,  que  «  la 
'•  charité  a  été  répandue  en  nos  cœurs  par  le 
«  Saint-Esprit  qu'on  nous  a  donné  ^.  »  Tous  ces 
témoignages  sont  clairs,  et  n'ont  pas  besoin 
d'explication. 

L'uBion  de  Dieu  avec  nos  âmes  étant  établie, 
il  reste  donc  maintenant  à  considérer  si  l'âme , 
par  cette  union  avec  Dieu ,  est  élevée  à  quelque 
action  de  vie  dont  sa  nature  ne  soit  pas  capable 
par  elle-même.  Mais  nous  n'y  trouverons  point 
de  difficultés ,  si  nous  avons  bien  retenu  les  cho- 
ses qui  ont  déjà  été  accordées.  Suivez,  s'il  vous 
plaît,  mon  raisonnement  ;  vous  verrez  qu'il  relève 
merveilleusement  la  dignité  de  la  vie  chrétienne. 
Il  n'y  a  rien  qui  ne  devienne  plus  parfait  en  s'u- 
nissaïît  à  un  être  plus  noble  :  par  exemple  les 
corps  les  plus  bruts  reçoivent  tout  à  coup  un  cer- 
tain éclat ,  quand  la  lumière  du  sole^  s'y  atta- 
che. Par  conséquent  il  ne  se  peut  faire  que  l'âme 
s'unissant  à  ce  premier  être  très-parfait,  très-ex- 
cellent et  très-bon,  elle  n'en  devienne  meilleure. 
Et  d'autant  que  les  causes  agissent  selon  la  per- 
fection de  leur  être,  qui  ne  voit  que  l'âme  étant 
meilleure  elle  agira  mieux?  Car  dans  cet  état 
d'union  avec  Dieu ,  que  nous  vous  avons  montré 
par  les  Ecritures,  sa  vertu  est  fortifiée  par  la 
toute  puissante  vertu  de  Dieu  qui  s'unit  à  elle  ; 
de  sorte  qu'elle  participe ,  en  quelque  façon ,  aux 
actions  divines.  Cela  est  peut-être  un  peu  relevé  ; 
mais  tâchons  de  le  rendre  sensible  parun  exemple. 
Considérez  les  cordes  d'un  instrument  :  d'el- 
les-mêmes elles  sont  muettes  et  immobiles.  Sont- 
elles  touchées  d'une  main  savante,  elles  reçoi- 
vent en  elles  la  mesure  et  la  cadence,  et  même 
elles  la  portent  "aux  autres.  Cette  mesure  et  cette 
cadence,  elles  sont  originairement  dans  l'esprit 
du  maître  :  mais  il  les  fait  en  quelque  sorte  passée 

'  Jnan.  XIT,  93- 
'  Levit.  xxvi ,  12 
5  I.  Cor.  VI ,  17. 
*  ILom,  V^a». 


8C 


SUR  LA  VIE  CHRETIENNE. 


dans  les  cordes ,  lorsque ,  les  touchant  avec  art , 
il  les  fait  participer  à  son  action.  Ainsi  l'âme  , 
si  j'ose  parler  de  la  sorte,  s'élevaut  à  cette  jus- 
tice ,  à  cette  sagesse ,  à  cette  infinie  sainteté ,  qui 
n'est  autre  chose  que  Dieu  ;  touchée ,  pour  ainsi 
dire,  par  l'Esprit  de  Dieu,  elle  devient  juste, 
elle  devient  sage,  elle  devient  sainte,  et,  parti- 
cipant selon  sa  portée  aux  actions  divines,  elle 
agit  saintement  comme  Dieu  lui-même  agit  sain- 
tement. Elle  croit  en  Dieu,  elle  aime  Dieu ,  elle 
espère  en  Dieu  ;etlorsqu'ellecroiten  Dieu,  qu'elle 
aime  Dieu ,  qu'elle  espère  en  Dieu ,  c'est  Dieu 
qui  fait  en  elle  cette  foi ,  cette  espérance ,  et  ce 
saint  amour.  C'est  pourquoi  l'apôtre  nous  dit 
que  '<  Dieu  fait  en  nous  le  vouloir  et  le  faire  '  :  » 
c'est-à-dire ,  si  nous  le  savons  bien  comprendre , 
que  nous  ne  faisons  le  bien  que  par  l'action  qu'il 
nous  donne  ;  nous  ne  voulons  le  bien  que  par  la 
volonté  qu'il  opère  en  nous.  Donc  toutes  les  ac- 
tions chrétiennes  sont  des  actions  divines  et  sur- 
naturelles auxquelles  l'âme  ne  pourrait  parvenir, 
n'était  que  Dieu,  s'unissant  à  elle,  les  lui  com- 
munique par  le  Saint-Esprit  qui  est  répandu 
dans  nos  cœurs.  De  plus,  ces  actions  que  Dieu 
fait  en  nous;  ce  sont  aussi  actions  de  vie,  et 
même  de  vie  éternelle.  Par  conséquent  on  ne 
peut  nier  que  Dieu  s'unissant  à  nos  âmes,  mou- 
vant ainsi  nos  âmes ,  ne  soit  véritablement  la  vie 
de  nos  âmes.  Et  c'est  là,  si  nous  l'entendons,  la 
nouveauté  de  vie  dont  parle  l'apôtre  \ 

Passons  outre  maintenant,  et  disons  :  Si  Dieu 
est  notre  vie,  parce  qu'il  agit  en  nous,  parce 
qu'il  nous  fait  vivre  divinement ,  en  nous  rendant 
participant!  des  actions  divines  ;  il  est  absolument 
nécessaire  qu'il  détruise  en  nous  le  péché,  qui 
non-seulement  nous  éloigne  de  Dieu,  mais 
encore  nous  fait  vivre  comme  des  bêtes ,  hors  de 
la  conduite  de  la  raison.  Et  ainsi ,  chrétiens ,  éle- 
vons nos  cœurs  ;  et  puisque  dans  cette  bienheu- 
reuse nouveauté  de  vie  nous  devons  vivre  et  agir 
selon  Dieu ,  rejetons  loin  de  nous  le  péché  qui 
nous  fait  vivre  comme  des  bêtes  brutes ,  et  ai- 
mons la  justice  de  la  vertu ,  par  laquelle  nous 
sommes  participants ,  comme  dit  l'apôtre  saint 
Pierre  ^,  de  la  nature  divine.  C'est  à  quoi  nous 
exhorte  saint  Paul ,  quand  il  dit  :  «  Si  nous  vi- 
«  vons  de  l'esprit ,  marchons  en  esprit  :  «  Si  spi- 
rilu  vivimus,  spiritu  et  ambulemus  ^  \  c'est-à- 
dire,  si  nous  vivons  d'une  vie  divine ,  faisons 
des  actions  dignes  d'une  vie  divine.  Si  l'Esprit 
de  Dieu  nous  anime,  laissons  la  chair  et  ses  con- 
voitises et  vivons  comme  auimés  de  l'Esprit  de 

'  Philipp.  Il,  l.t. 
»  Rom.  VI ,  4. 
»  II.  Petr.t,  4. 
«  ^alat.  V  ,  35. 


Dieu,  faisons  des  œuvres  convenables  à  l'Espril 
de  Dieu  ;  et  comme  Jésus-Christ  est  ressuscité 
par  la  gloire  du  Père ,  ainsi  marchons  en  nou- 
veauté de  vie. 

Regardons  avec  l'apôtre  saint  Paul  '  Jésus  res 
suscité,  qui  est  la  source  de  notre  vie.  Quel  était 
le  Sauveur  Jésus  pendant  le  cours  de  sa  vie  mor- 
telle? Il  était  chargé  des  péchés  du  monde;  il 
s'était  mis  volontairement  en  la  place  de  tous 
les  pécheurs,  pour  lesquels  il  s'était  constitué 
caution ,  et  dont  il  était  convenu  de  subir  les 
peines.  C'est  pour  cela  que  sa  chair  a  été  infirme; 
pour  cela  il  a  langui  sur  la  croix  parmi  des  dou- 
leurs incroyables,  pour  cela  il  est  cruellement 
mort  avec  la  perte  de  tout  son  sang.  Dieu  éter- 
nel ,  qu'il  est  changé  maintenant  !  «  Il  est  mort 
"  au  péché,  >-  dit  l'apôtre  %  c'est-à-dire,  qu'il  a 
dépouillé  toutes  les  faiblesses  qui  avaient  envi- 
ronné sa  personne  en  qualité  de  caution  des  pé- 
cheurs. «  Il  est  mort  au  péché,  et  il  vit  à  Dieu  ;  « 
pai'ce  qu'il  a  commencé  une  vie  nouvelle  qui  n'a 
plus  rien  de  l'infirmité  de  la  chair,  mais  en  la- 
quelle reluit  la  gloire  de  Dieu  :  Quod  autem  vi- 
vit,  vivit  Deo.  »■  Ainsi  estimez,  continue  Tapô- 
«  tre ,  vous  qui  êtes  ressuscites  avec  Jésus-Christ , 
»  estimez  que  vous  êtes  morts  au  péché,  et  vivants 
«  à  Dieu  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  ^  :  et 
«  comme  Jésus-Christ  est  ressuscité  par  la  gloire 
<•  du  Père ,  marchons  aussi  dans  une  vie  nou- 
«  velle  ■*.  »  C'est  à  quoi  nous  oblige  la  résurrection 
de  notre  Sauveur,  et  la  doctrine  du  saint  Évan- 
gile :  et  ce  que  la  doctrine  évangélique  nous 
prêche ,  cela  même  est  confirmé  en  nous  par  le 
saint  baptême. 

De  là  était  née  cette  belle  cérémonie  que  l'on 
observait  dans  l'ancienne  Église  au  baptême  des 
chrétiens.  On  les  plongeait  entièrement  dans  les 
eaux,  en  invoquant  sur  eux  le  saint  nom  de  Dieu. 
Les  spectateurs,  qui  voyaient  les  nouveaux  ba|- 
tisés  se  noyer,  pour  ainsi  dire,  et  se  perdre  dai  s 
les  ondes  de  ce  bain  salutaire ,  puis  revenir  aus- 
sitôt lavés  de  cette  fontaine  très-pure ,  se  les  re- 
présentaient en  un  moment  tout  changés  par  la 
vertu  occulte  du  Saint-Esprit,  dont  ces  eaux 
étaient  animées  ;  comme  si ,  sortant  de  ce  monde 
en  même  temps  qu'ils  disparaissaient  à  leur  vue, 
ils  fussent  allés  mourir  avec  le  Sauveur,  pour- 
ressusciter  avec  lui  selon  la  vie  nouvelle  du  chris- 
tianisme. Telle  était  la  cérémonie  du  baptême  à 
laquelle  l'apôtre  regarde ,  lorsqu'il  dit,  dans  le 
texte  que  nous  traitons ,  que  nous  sommes  ense- 
velis avec  Jésus-Christ,  pour  mourir  avec  lui 


'  Hehr.  xii,  3. 
2  Rom.  VI ,  10. 
'  Ibid.  11. 

<  ma  \. 


SUR  LA  VIE  CHRÉTIENAE. 


•? 


dans  le  saint  baptême  ;  afin  que  comme  Jésus- 
Christ  est  ressuscité  par  la  gloire  du  Père ,  ainsi 
nous  marchions  en  nouveauté  de  vie.  Il  regardait 
à  cette  cérémonie  du  baptême ,  qui  se  pratiquait 
sans  doute  du  temps  des  apôtres  :  or  encore  que 
le  temps  ait  changé ,  que  la  cérémonie  ne  soit 
plus  la  même ,  la  vertu  du  baptême  n'est  point 
altérée;  à  cause  qu'elle  ne  consiste  pas  tant  dans 
cet  élément  corruptible ,  que  dans  la  parole  de 
Jésus-Christ ,  et  dans  l'invocation  de  la  Trinité , 
et  dans  la  communication  de  l'Esprit  de  Dieu , 
(jui  sont  choses  sur  lesquelles  le  temps  ne  peut 
rien. 

En  effet ,  tout  autant  que  nous  sommes  de  bap- 
tisés, nous  sommes  tous  consacrés  dans  le  saint 
baptême  à  la  Trinité  très-auguste ,  par  la  mort 
du  péché  et  par  la  résurrection  à  la  vie  nouvelle. 
C'est  pourquoi  nos  péchés  y  sont  abolis,  et  la 
nouveauté  de  vie  y  est  commencée  :  et  de  là  vient 
que  nous  appelons  le  baptême  le  sacrement  de 
régénération  et  de  renouvellement  de  l'homme 
par  le  Saint-Esprit.  Doù  je  conclus  que  le  dessein 
de  Dieu  est  de  détruire  en  nous  le  péché ,  puis- 
qu'il veut  que  la  vie  chrétienne  commence  par 
l'abolition  de  nos  crimes  ;  et  ainsi  il  nous  rend 
la  justice  que  la  prévarication  du  premier  père 
nous  avait  ôtée.  Grâce  à  votre  bonté,  ô  grand 
Dieu  ,  qui  faites  un  si  grand  présent  à  vos  servi- 
teurs par  Jésus-Christ  le  juste  ;  qui ,  se  chargeant 
de  nos  péchés  à  la  croix,  par  un  divin  échange 
uons  a  communiqué  sa  justice! 

Mais  ici  peut-être  vous  m'objecterez  que  le 
péché  n'est  point  détruit,  même  dans  les  justes; 
puisque  la  foi  catholique  professe  qu'il  n'y  a  au- 
cun homme  vivant  qui  ne  soit  pécheur.  Pour 
résoudre  cette  difficulté,  et  connaître  clairement 
quelle  est  la  justice  que  le  Saint-Esprit  nous  rend 
en  ce  monde ,  l'ordre  de  mon  raisonnement  m'o- 
blige d'entrer  en  ma  seconde  partie,  et  de  vous 
faire  voir  le  combat  du  fidèle  contre  la  chair  et 
ses  convoitises.  Je  joindrai  donc  celte  seconde 
partie  avec  ce  qui  me  reste  à  dire  de  la  première, 
dans  une  même  suite  de  discours.  Je  tâcherai 
pourtant  de  ne  rien  confondre  ;  mais  j'ai  besoin 
que  vous  renouveliez  vos  attentions. 

La  seconde  partie  de  la  vie  chrétienne ,  c'est 
de  combattre  la  concupiscence  pour  détruire  en 
nous  le  péché.  Or  quand  je  parle  ici  de  concu- 
pi  cence ,  n'entendez  par  ce  mot  aucune  passion 
particulière;  mais  plutôt  toutes  les  passions  as- 
semblées, que  l'Écriture  a  accoutumé  d'appeler 
d'un  nom  général  :  la  concupiscence  et  la  chair. 
Mais  définissons  en  un  mot  la  concupiscence ,  et 
disons  avec  le  grand  Augustin  :  La  concupis- 
cence ,  c'est  un  attrait  qui  nous  fait  incliner  à 
la  créature  au  préjudice  du  Ci'éateur  ;  qui  nous 


pousseau.x  choses  sensibles,  au  préjudice  des  biens 
éternels. 

Qu'est-il  nécessaire  de  vous  dire  combien  cet 
attrait  est  puissant  en  nous?  Chacun  sait  qu'il 
est  né  avec  nous,  et  qu'il  nous  est  passé  eu 
nature.  Voyez ,  avant  le  christianisme ,  comme 
le  vrai  Dieu  était  méprisé  par  toute  la  terre  : 
voyez ,  depuis  le  christianisme ,  combien  peu  de 
personnes  goûtent  comme  il  faut  les  vérités  cé- 
lestes de  l'Évangile;  et  vous  verrez  que  les  cho- 
ses divines  nous  touchent  bien  peu.  Qui  fait  cela  ^ 
fidèles ,  si  ce  n'est  que  nous  aimons  les  créatures 
désordonnément ?  C'est  pourquoi  l'apôtre  saint 
Paul  dit  :  «  La  chair  convoite  contre  l'esprit ,  et 
«  l'esprit  contre  la  chair  '.  »  Et  ailleurs  :  «  Je 
«  me  plais  en  la  loi  selon  l'homme  intérieur  ; 
«  mais  je  sens  en  moi-même  une  loi  qui  résiste 
«  à  la  loi  de  l'esprit  *  :  ■  voilà  le  combat.  Que 
si  l'apôtre  même  ressent  cette  guerre;  qui  ne 
voit  que  cette  opiniâtre  contrariété  de  la  con- 
voitise ,  répugnante  au  bien ,  se  rencontre  même 
dans  les  plus  justes? 

Dieu  éternel,  d'où  vient  ce  désordre?  pourquoi 
cet  attrait  du  mal,  même  dans  les  saints?  Car 
enfin  ils  se  plaignent  tous  généralement,  que, 
dans  le  dessein  qu'ils  ont  de  s'unir  à  Dieu ,  ils 
sentent  une  résistance  continuelle.  Grand  Dieu, 
je  connais  vos  desseins  :  vous  voulez  que  nous 
expérimentions  en  nous-mêmes  une  répugance 
éternelle  à  ce  que  votre  loi  si  juste  et  si  sainte 
désire  de  nous;  afin  que  nous  sachions  distinguer 
ce  que  nous  faisons  par  nous-mêmes,  d'avec  ce 
que  vous  faites  en  nous  par  votre  Esprit  saint , 
et  que,  par  l'épreuve  de  notre  impuissance, 
nous  apprenions  à  attribuer  la  victoire ,  non  point 
à  nos  propres  forces,  mais  à  votre  bras  et  a 
l'honneur  de  votre  assistance.  Et  ainsi  vous  nous 
laissez  nos  faiblesses,  afin  de  faire  triompher 
votre  grâce  dans  l'infirmité  de  notre  nature.  Par 
où  vous  voyez ,  chrétiens ,  que  la  concupiscence 
combat  dans  les  justes ,  mais  que  la  grâce  divine 
surmonte.  C'est  la  grâce  qui  oppose  à  l'attrait  du 
mal  lachaste  délectation  des  biens  éternels;  c'est- 
à-dire,  la  charité  qui  nous  fait  observer  la  loi, 
non  point  par  la  crainte  de  la  peine,  mais  par 
l'amour  de  la  véritable  justice  :  et  cette  charité 
est  répandue  en  nos  cœurs ,  non  par  le  libre  ar- 
bitre qui  est  né  avec  nous ,  mais  par  le  Saint- 
Esprit  qui  nous  est  donné  ^. 

La  charité  donc  et  la  convoitise  se  font  la 
guerre  sans  aucune  trêve  :  à  mesure  que  l'une 
croît ,  l'autre  diminue.  Il  en  est  comme  d'une  l)a- 
lance  :  autant  que  vous  ôtez  à  la  charité ,  autant 

'  Gai.  V,  17. 

»   Rom.  TIII ,  22 ,  23. 

i  Rom.  \.    &. 


flB 


SLTi  LA  VIE  CIlRÉTlENi\E. 


ycms  ajoutez  de  poids  à  la  convoitise.  Quand  la 
charité  snnïionte;  nous  sommes  libres  de  cette 
liberté  dont  parle  l'apôtre  ' ,  par  laquelle  Jésus- 
Christ  nous  a  affranchis.  Nous  sommes  libres, 
dis-je,  parce  (jxie  nous  agissons  par  la  charité, 
c'est-à-dire,  par  une  affection  libérale.  Mais  notre 
liberté  n'est  point  achevée,  parce  que  le  règne  de 
l;t  charité  n'est  pas  accompli.  La  liberté  sera  en- 
tière quand  la  paix  sera  assurée,  c'est-à-dire,  au 
ciel.  Cependant  nous  gémissons  ici-bas  ;  parce  que 
la  paix  de  la  charité,  que  nous  y  avons,  étant 
toujours  mêlée  avec  la  guerre  de  la  convoitise , 
elle  n'est  pas  tant  le  calme  de  nos  troubles ,  que  la 
consolation  de  notre  misère  :  et  en  voici  une  belle 
raison  de  saint  Augustin. 

La  liberté  n'est  point  parfaite ,  dit-il ,  et  la  paix 
n'est  pus  assurée,  parce  que  la  convoitise,  qui 
nous  résiste,  ne  peut  être  combattue  sans  péril  : 
elle  ne  peut»ètre  aussi  bridée  sans  contrainte,  ni 
par  conséquent  modérée  sans  inquiétude.  Illa  quœ 
resist.u7it,  periculoso  debellantur  jyrœlio ;  et  illa 
qvœ  vicia  mnt,  nondum  securo  triumphantur 
olio,  .sed  adhuc  sollicito  pmmuntur  imperio''. 
«  Et  de  là  vient  que  notre  justice  ici-bas ,  «je  parle 
encore  avec  le  grand  Augustin;  «  de  là  vient  que 
«  notre  justice  consiste  plus  en  la  rémission  des 
n  péchés ,  qu'en  la  perfection  des  vertus  :  »  magis 
remissione  peccatorum  constat,  qiiam  perfe- 
ctionevirtutum  K  Certes  je  sais  que  ceux  qui  sont 
huml)les  goûteront  cette  doctrine  tout  évangéli- 
que,  qui  est  la  base  de  l'humilité  chrétienne. 

Mais  si  la  vie  des  justes  est  accompagnée  de 
péchés ,  comment  est-ce  que  ma  proposition  sera 
véritable  :  que  Dieu  détruit  le  péché  dans  les  jus- 
tes, même  en  cette  vie?  C'est ,  s'il  vous  en  souvient, 
ce  que  j'avais  laissé  à  résoudre;  maintenant  je  vous 
dirai  en  un  mot  :  J'avoue  que  les  plus  grands 
saints  sont  pécheurs;  et  s'ils  ne  le  reconnaissent 
humblement,  ils  ne  sont  pas  saints.  Ils  sont  pé- 
cheurs; mais  ils  ne  servent  plus  au  péché  :  ils  ne 
sont  pas  entièrement  exempts  du  péché;  mais  ils 
sont  délivrés  de  sa  servitude.  Il  y  a  quelques  res- 
tes de  péché  en  eux  ;  mais  le  péché  n'y  règne  plus , 
comme  dit  l'apôtre  ^  :  «  Que  le  péché  ne  règne  plus 
"  en  vos  corps  mortels,  »  et  ainsi  le  péché  n'y  est 
pas  éteint  tout  à  fait  ;  mais  le  règne  du  péché  y 
est  abattu  par  le  règne  de  la  justice ,  selon  cette 
parole  de  l'apôtre  ^  :  «  Étant  libres  du  péché ,  vous 
«  êtes  faits  soumis  à  la  justice.  » 

Comment  est-ce  que  le  règne  du  péché  est  abattu 
dans  les  justes?  Écoutez  l'apôtre  saint  Paul  : 
«  Que  le  péché  ne  règne  plus  en  vos  corps  mortels 

*  (iiil.  IV,  ;JI. 

'   l)i'  Cir.  Dri ,  lil>.  X!X,  cap.  XXVII,  t.  vil,  col.  572. 
'  lOid.  eu!.  :.7l. 

*  liiiin.  vu,  li. 

*  Ibid.  is. 


«  pour  obéir  à  ses  con\p!tises.  »  Vous  voyez  pnr 
là  que  le  péché  rè^pie  où  les  convoitises  sont  obéies. 
Les  uns  leur  lâchent  la  bride,  et,  se  laissant  em- 
porter à  leur  brutale  impétuosité,  ils  tombent 
dans  ces  péchés  qu'on  nomme  mortels ,  desque-s 
l'apôtre  a  dit  que  «  qui  fait  ces  choses,  il  ne  pos- 
«  sédera  point  le  royaume  de  Dieu  '.  »  Les  justes 
au  contraire ,  bien  loin  d'obéir  à  leurs  convoitises , 
ils  leur  résistent ,  ils  leur  font  la  guerre,  ainsi  que 
je  disais  tout  à  l'heure.  Et  bien  que  la  victoire  leur 
demeure  par  la  grâce  de  INotre-Seigneur  Jésus- 
Christ  ,  toutefois  dans  un  conflit  si  long ,  si  opiniâ- 
tre ,  où  les  combattants  sont  aux  mains  de  si  prè.«; 
en  frappant  ils  sont  frappés  quelquefois  :  Perçut i- 
mus  et  percutimur,  dit  saint  Augustin  >;  et  le 
victorieux  ne  sort  point  d'une  mêlée  si  âpre  et  si 
rude  sans  quelques  blessures  :  c'est  ce  que  nous 
appelons  péchés  véniels.  Parce  que  la  justice  est 
victorieuse,  elle  mérite  le  nom  de  véritable  justice  : 
parce  qu'elle  reçoit  quelque  atteinte  qui  diminue 
de  beaucoup  son  éclat,  elle  n'est  point  justi'.-e 
parfaite.  C'est  autre  chose  d'avoir  le  bien  accompli , 
autre  chose  de  ne  se  plaire  point  dans  le  mal. 
«  Notre  vue  peut  se  déplaire  dans  les  ténèbres , 
«  encore  qu'elle  ne  puisse  pas  s'arrêter  dans  cette 
'<  vive  source  de  lumière  :  »  Potest  oculus  nullis 
ttnebris  delectari ,  quamvis  non  possit  in  fui- 
I  f/entissima  luce  defuji^. 

I      Si  l'homme  juste,  résistant  à  la  convoitise, 

I  tombe  quelquefois  dans  le  mal ,  du  moins  il  a  cet 

I  avantage  qu'il  ne  s'y  plaît  pas  :  au  contraire  il 

j  déplore  sa  servitude,  il  soupire  ardemment  après 

:  cette  bienheureuse  liberté  du  ciel;  il  dit,  avec 

i  l'apôtre  saint  Paul  '*  ;  «  Misérable  homme  que  je 

!  «  suis,  qui  me  délivrera  de  ce  corps  de  mort?  » 

S'il  tombe,  il  se  relève  aussitôt  :  s'il  a  quelques 

péchés,  il  a  aussi  la  charité  qui   les  couvre  : 

«  La  charité,  dit  l'apôtre  saint  Pierre^,  couvre 

"  la  multitude  des  péchés.  » 

Bien  plus,  ce  grand  Dieu  tout-puissant  fait 
éclater  la  lumière  même  du  sein  des  plus  épaisses 
ténèbres  ;  il  fait  servir  à  la  justice  le  péché  même. 
Admirable  économie  de  la  grâce  !  oui  les  péchés 
mêmes,  je  l'oserai  "dire,  dans  lesquels  la  fragilité 
humaine  fait  tomber  le  juste;  si  d'un  côté  ils  di- 
minuent la  justice,  ils  l'augmentent  et  l'accrois- 
sent de  l'autre.  Et  comment  cela?  C'est  qu'ils  en- 
flamment les  saints  désirs  de  l'homme  fidèle  ;  c'est 
qu'en  lui  faisant  connaître  sa  servitude  ils  font 
qu'il  désire  bien  plus  ardemment  les  bienheureux 
embrassements  de  son  Dieu ,  dans  lesquels  il  trou- 


'  I.  Cor.  VI,  9,  10. 

^  Scrm.  CCCLI,  n">  6,  t.  V,  col.  1350. 

'  S.  Au(j.  de  Sptr.  et  Litt.  n°  65-,  t.  X,  col.  123. 

♦  lloni.  VI,  -21. 

i  i.  /V  /.'•-  IV ,  H. 


SUR  LES  OBLIGATIONS  DE  L'ÉTAT  RELIGIEUX. 


M  la  la  vraie  liberté;  c'est  qu'ils  lui  font  confes- 
ser sa  propre  faiblesse  et  le  besoin  qu'il  a  de  la 
grâce ,  dans  un  état  d'un  profond  anéantissement. 
Et  d'autant  que  le  plus  juste  c'est  le  plus  humble , 
le  péché  même  en  quelque  sorte  accroît  la  justice  ; 
parce  qu'il  nous  fonde  de  plus  en  plus  dans  l'hu- 
milité. 

Vivons  ainsi,  fidèles,  vivons  ainsi;  faisons 
((ue  notre  faiblesse  augmente  l'honneur  de  notre 
\  ictoire ,  par  la  grâce  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ.  Aimons  cette  justice  divine  qui  fait  que  le 
péché  même  nous  tourne  à  bien  :  quand  nous 
voyons  croître  nos  iniquités,  songeons  à  nous 
enrichir  par  les  bonnes  œuvres;  afin  de  réparer 
notre  perte.  Le  fidèle  qui  vit  de  la  sorte,  expiant 
ses  péchés  par  les  aumônes,  se  purifiant  toute  sa 
vie  par  la  pénitesce,  par  le  sacrifice  d'un  cœur 
contrit ,  par  les  œuvres  de  miséricorde  :  il  ne  dé- 
truit pas  seulement  le  règne  du  péché,  comme  je 
disais  tout  à  l'heure;  je  passe  maintenant  plus 
outre,  et  je  dis  qu'il  détruit  entièrement  le  péché  : 
parce  que ,  dit  saint  Augustin ,  «  comme  notre  vie 
«  n'est  pas  sans  péché ,  aussi  les  remèdes  pour  les 
'<  purger  ne  nous  manquent  pas  :  «  Sicut  peccata 
non  defuerunt,  ita  etiam  remédia,  quibus  pur- 
yarentur,  affuerunt\ 

Enfin  celui  qui  vit  de  la  sorte,  détestant  les 
péchés  mortels,  faisant  toute  sa  vie  pénitence 
pour  les  véniels ,  à  la  manière  que  je  viens  de  due 
avec  l'incomparable  saint  Augustin;  il  méritera, 
dit  le  même  Père.  Que  nos  nouveaux  réformateurs 
entendent  ce  mot  :  c'est  dans  cette  belle  épître  à 
Hilaire,  où  ce  grand  pei-sonnage  combat  l'or- 
guîîlleuse  hérésie  de  Pelage,  ennemi  de  la  grâce 
de  Jésus-Christ.  Cet  humble  défenseur  de  la  grâce 
chrétienne  se  sert  en  ce  lieu  du  mot  de  mérite  : 
était-ce  pour  enfler  le  libre  arbitre?  n'était-ce  pas 
plutôt  pour  relever  la  dignité  de  la  grâce,  et  des 
saints  mouvements  que  Dieu  fait  en  nous?  Quelle 
est  donc  votre  vanité  et  votre  injustice,  ô  très- 
charitables  réformateurs,  de  prêcher  que  nous 
ruinons  la  grâce  de  Dieu ,  parce  que  nous  nous 
servons  du  mot  de  mérite;  si  ce  n'est  peut-être 
que  vous  vouliez  dire  que  saint  Augustin  a  détruit 
la  grâce,  et  que  Calvin  seul  la  bien  établie?  Par- 
donnez-moi cette  digression;  je  reviens  à  mon 
passage  de  saint  Augustin.  Un  homme  passant  sa 
vie  dans  l'esprit  de  mortification  et  de  pénitence, 
«  encore  qu'il  ne  vive  pas  sans  péché ,  il  méritera , 
«  dit  saint  Augustin,  de  sortir  de  ce  monde  sans 
«  aucun  péché  :  »  Merebitur  liinc  exire  sine pec- 
cato,  quavivis,  ciim  hic  viveret,  habuerit  non- 
uulla  peccata  ^  ;  et  ainsi  le  péché  est  détruit  en 

•  Jd.  llilar.  Ep.  CLVii,  n"  3,  t.  il,  cS.  âl3. 
Locu  mox  cilulo. 


80 

nous,  à  cause  du  mérite  de  la  vraie  fol  qui  opère 
par  la  charité. 

Il  est  donc  vrai,  fidèles,  ce  que  j'ai  dit,  que 
même  dans  cet  exil  Dieu  détruit  le  péché  par  sa 
grâce;  il  est  vrai  qu'il  y  surmonte  la  concupis- 
cence :  et  ainsi ,  par  la  miséricorde  de  Dieu ,  je  me 
suis  déjà  acquitté  envers  vous  des  deux  premières 
parties  de  ma  dette.  Faites  votre  profit  de  cette 
doctrine  :  elle  est  haute,  mais  nécessaire.  Je  sais 
que  les  humbles  l'entendent  ;  peut-être  ne  plaira- 
t-elle  pas  aux  superbes.  Les  lâches  sans  doute 
seront  fâchés  qu'on  leur  parle  toujours  de  combat- 
tre. Mais  pour  vous,  ô  vrais  chrétiens ,  travaillez 
sans  aucun  relâche  ;  puisque  vous  avez  un  ennemi 
en  vous-mêmes ,  avec  lequel ,  si  vous  faites  la 
paix  en  ce  monde ,  vous  ne  sauriez  avoir  la  paix 
avec  Dieu.  Voyez  combien  il  est  nécessaire  de 
veiller  toujoure,  de  prier  toujours ,  de  peur  de 
tomber  en  tentation.  Que  si  cette  guerre  conti- 
nuelle vous  semble  fâcheuse,  consolez-vous  par 
l'espérance  fidèle  de  la  glorieuse  résurrection  qui 
se  commence  déjà  en  nos  corps.  C'est  la  troisième 
opération  que  le  Saint-Esprit  exerce  dans  l'homme 
fidèle  durant  le  pèlerinage  de  cette  vie  ;  et  c'est 
aussi  par  où  je  m'en  vais  conclure. 

SERMON 


OBLIGATIONS  DE  L'ÉTAT  RELIGIEUX, 

PRÊCHÉ  DEVA.M  LES  RELICIECSES  BE  S\INT-CYR  *. 

Fragilité  et  grande  misère  du  monde  :  puissance  et  funestes 
effets  de  sa  séduction.  Motifs  pressants  pour  porlerles  chré- 
tiens à  s'en  séparer  entièrement.  Origine  des  commanautés 
religieuses.  En  quoi  consiste  la  pauvreté  dont  on  y  tait  proie»- 
sion.  Infidélités  sans  nombre,  qu'on  commet  Journellement 
dans  les  monastères  contre  cette  vertu.  Avantages  de  la  vir- 
ginité :  jusqu'où  elle  doit  s'étendre.  A  qui  se  rapporte  l'obéis- 
sance que  l'on  rend  aux  supérieurs.  Dans  quel  esprit  il  faut 
se  soumettre  à  ceux  qui  abusent  de  leur  autorité.  Avec  quel 
soin  les  religieuses  doivent  éviter  le  commerce  du  monde,  le» 
sentiments  de  la  vanité,  et  les  amusemeuts  de  l'esprit. 


Le  monde  entier  n'est  rien  ;  tout  ce  qui  est 
mesuré  par  le  temps  va  finir.  Le  ciel ,  qui  nous 
couvre  par  sa  voûte  immense,  est  comme  une 
tente,  selon  la  comparaison  de  l'Écriture'  :  on 
la  dresse  le  soir  pour  les  voyageurs,  et  on  l'en- 
lève le  lendemain.  Quelle  doit  être  notre  vie  et 
notre  conversation  ici-bas , dit  un  apôtre',  puis- 
que ces  cieux  que  nous  voyons  f  et  cette  terre  qui 

♦  Nous  n'avons  point  l'original  de  ce  sermon ,  dont  nous 
avons  trouvé  plusieurs  copies  dans  le  diocèse  d.-  iloaux  :  toutes 
l'attribuent  à  Bossuet,  et  il  est  aisé  de  l'y  rcccnnaiire.  L» 
troisième  point  prouvequ'il  aété fait  pour  la  maison  deS;sint- 
Cyr.  (  Édit.  de  Uéfuris.) 

'  Job.  XWVI,  29. 

'  H.  rf!.'.  m,  10,  II. 


90 


SUR  LES  OBLIGATIONS 


nous  porte,  vont  être  embrasés  par  le  feu?  La 
fin  (le  tout  arrive ,  la  voilà  qui  vient  ;  elle  est  pres- 
que déjà  venue.  Tout  ce  qui  paraît  de  plus  solide 
n'est  qu'une  figure  qui  passe  quand  on  en  veut 
jouir,  qu'une  ombre  fugitive  qui  disparaît.  ■  Le 
«  temps  est  court,  dit  saint  Paul  parlant  des  vier- 
«  ges';  donc  il  faut  user  du  monde  comme  n'en 
«  usant  pas ,  «  n'en  user  que  pour  le  vrai  besoin , 
eu  user  sobrement  sans  en  vouloir  jouir,  en  user 
en  passant  sans  s'y  arrêter  et  sans  y  tenir.  C'est 
donc  une  pitoyable  erreur  que  de  s'imaginer 
qu'on  sacrifie  beaucoup  à  Dieu  quand  on  quitte  le 
monde  pour  lui  :  c'est  renoncer  à  une  illusion  per- 
nicieuse ;  c'est  renoncer  à  de  vrais  maux ,  dégui- 
sés sous  une  vaine  apparence  de  biens.  Perd-on 
un  appui  quand  on  jette  un  roseau  fêlé ,  qui ,  loin 
de  nous  soutenir,  nous  percerait  la  main ,  si  nous 
voulions  nous  y  appuyer?  faut-il  bien  du  courage 
pour  s'enfuir  d'une  maison  qui  tombe  en  ruine , 
et  qui  nous  écraserait  dans  sa  chute? 

Que  quitte-on  en  quittant  le  monde?  Ce  que 
quitte  celui  qui,  à  son  réveil,  sort  d'un  songe 
plein  d'inquiétudes.  Tout  ce  qui  se  voit,  qui  se 
touche ,  qui  se  compte,  qui  se  mesure  par  le  temps, 
n'est  qu'une  ombre  de  l'être  véritable  :  à  peine 
commence-t-il  à  être,  qu'il  n'est  déjà  plus.  Ce 
n'est  rien  sacrifier  à  Dieu,  que  de  lui  sacrifier  la 
nature  entière  :  c'est  lui  donner  le  néant,  la  va- 
nité, le  mensonge  môme.  D'ailleurs  ce  monde,  si 
vain  et  si  fragile  ,  est  trompeur,  ingrat,  plein  de 
trahisons.  0  combien  dure  est  sa  servitude!  En- 
fants des  hommes,  que  ne  vous  en  coûte-t-il point 
pour  le  flatter,  pour  tacher  de  lui  plaire ,  pour  men- 
dier ses  grâces  !  Quelles  traverses ,  quelles  alar- 
mes, quelles  bassesses  ,  quelle  lâcheté  pour  par- 
venir à  ce  qu'on  n'a  point  de  honte  d'appeler  les 
honneurs!  Quel  état  violent,  et  pour  ceux  qui 
s'efforcent  de  parvenir,  et  pour  ceux  même  qui 
sont  parvenus!  Quelle  pauvreté  effective  dans 
ime  abondance  apparente  !  Tout  y  trahit  le  cœur, 
jusqu'à  l'espérance  même  dont  on  paraît  nourri  : 
les  désirs  s'enveniment  ;  ils  deviennent  farouches  et 
insatiables  :  l'envie  déchire  les  entrailles;  on  est 
malheureux  non-seulement  par  son  propre  mal- 
heur, mais  encore  par  la  prospérité  d'autrui.  On 
est  peu  touché  de  ce  qu'on  possède  ;  on  ne  sent 
que  ce  qu'on  n'a  pas  :  l'expérience  de  la  vanité  de 
ce  qu'on  a  ne  ralentit  jamais  la  fureur  d'acqué- 
rir ce  qu'on  sait  bien  qui  est  aussi  vain ,  et  aussi 
incapable  de  renc^-e  heureux.  On  ne  peut  ni  as- 
eouvir  les  passions  ni  les  vaincre  ;  on  en  sent  la 
tyrannie,  et  on  ne  veut  point  être  délivré. 

0  si  je  pouvais  traîner  le  monde  entier  dans 
(es  cloîtres  et  dans  les  solitudes  !  j'arracherais  de 

'  I.  Cor.  vil,  29,  :JI. 


sa  bouche  un  aveu  de  sa  misère  et  de  son  déses- 
poir. Mais,  hélas!  que  vois-je?  Va-t-on  dans  le 
monde  l'étudier  de  près  dans  son  état  le  plus  na- 
turel, on  n'entend  dans  toutes  les  familles  que 
gémissements  de  cœurs  oppressés.  L'un  est  dans 
une  disgrâce  qui  lui  enlève  le  fruit  de  ses  travaux 
depuis  tant  d'années ,  et  qui  met  sa  patience  à 
bout  ;  l'autre  souffre  dans  sa  place  des  dégoûts 
et  des  désagréments  :  celui  ci  perd,  l'autre  craint 
de  perdre  ;  cet  autre  n'a  pas  assez  :  il  est  dans  un 
état  violent.  L'ennui  les  poursuit  tous,  jus;|uj 
dans  les  spectacles  et  dans  la  foule  des  plaisirs  : 
ils  avouent  qu'ils  sont  misérables  ;  et  je  ne  veux 
que  le  monde  pour  apprendre  aux  hommes  com- 
bien le  monde  est  digne  de  mépris. 

Mais  pendant  que  les  enfants  du  siècle  parlent 
ainsi ,  quel  est  le  langage  de  ceux  qui  doivent 
être  les  enfants  de  Dieu?  Hélas!  ils  conservent 
une  estime  et  une  admiration  secrète  pour  les 
choses  les  plus  vaines ,  que  le  iponde  même ,  tout 
vain  qu'il  est,  ne  peut  s'empêcher  de  mépriser. 
Omon  Dieu  !  arrachez ,  arrachez  du  cœur  de  vos 
enfants  cette  erreur  maudite.  J'en  ai  vu,  même  de 
bons ,  de  sincères  dans  leur  piété ,  qui ,  faute  d'ex- 
périence ,  étaient  éblouis  d'un  éclat  grossier.  Ils 
étaient  étonnés  de  voir  des  gens ,  avancés  dans  les 
honneurs  du  siècle,  leur  dire  :  Nous  ne  sommes 
point  heureux.  Cette  vérité  leur  était  encore  nou- 
velle ,  comme  si  l'Évangile  ne  la  leur  avait  pas 
révélée,  comme  si  leur  renoncement  au  monde  n'a- 
vait pas  dû  être  fondé  sur  une  pleine  et  constante 
persuasion  de  sa  vanité.  0  mon  Dieu  !  le  monde , 
par  le  langage  même  de  ses  passions ,  rend  témoi- 
gnage àr  la  vérité  de  votre  É  vagile ,  qui  dit  :  «  Mal  - 
'<  heur  au  monde'  !  »  et  vos  enfants  ne  rougissent 
point  de  montrer  que  le  monde  a  encor»-,  pour 
eux  quelque  chose  de  doux  et  d'agréable 

Ce  monde  n'est  pas  seulement  fragile  et  misé- 
rable ;  il  est  encore  Incompatible  avec  les  vrais 
biens.  Les  peines  que  nous  lui  voyons  souffrir 
sont  pour  lui  le  commencement  des  douleurs 
éternelles.  Comme  la  joie  se  forme  peu  à  peu 
dès  cette  vie  dans  le  cœur  des  justes ,  où  est  le 
royaume  de  Dieu  ;  les  horreurs  et  le  désespoir  de 
l'enfer  se  forment  aussi  peu  à  peu  dans  le  cœur 
des  hommes  profanes,  qui  vivent  loin  de  Dieu.  Le 
monde  est  un  enfer  déjà  commencé  :  tout  y  est 
envie,  fureur,  haine  de  la  vérité  et  de  la  vertu, 
impuissance  et  désespoir  d'apaiser  son  propre 
cœur,  et  de  rassasier  ses  désirs. 

Jésus-Christ  est  venu  du  ciel  sur  la  terre  fou- 
droyer de  ses  malédictions  ce  monde  impie,  après 
en  avoir  enlevé  ses  élus.  «  Dieu  nous  a  arrachés, 
«  dit  saint  Paul%  à  la  puissance  des  ténèbres, 

I  ^falth.  XVIII,  7. 

'  Coiuss  1 , 1  a. 


DE  L'ETAT  RELIGIEUX. 


'il 


•  pour  nous  trausférev  r>;i  royaume  de  son  Fils 
«  bien-  aimé.  »  Le  raond   est  le  royaume  de  Sa- 
tan,et  les  ténèbres  du  péché  couvrent  cette  ré- 
gion d»  mort  :  "  Malheur  au  monde,  à  cause  des 
'  scandales'.'  Hélas  îles  justes  mêmes  sont  ébran- 
les. 0  qu'elle  est  redoutable,  cette  puissance  des 
ténèbres  qui  aveugle  les  plus  clairvoyants!  C'est  | 
une  puissance  d'enchanter  les  esprits,  de  les  se-  | 
dulre,  de  leur  ôter  la  vérité  même,  après  qu'ils 
l'ont  crue,  sentie  et  aimée.  0  puissance  terrible,  j 
qui  répand  l'erreur,  qui  fait  qu'on  ne  voit  plus  ! 
ce  qu'on  voyait,  qu'on  craint  de  le  revoir,  et 
qu'on  se  complaît  dans  les  ténèbres  de  la  mort! 
Enfants  de  Dieu,  fuyez  cette  puissance;  elle  en-  | 
traîne  tout,  elle  flatte,  elle  tyrannise,  elle  enlève  i 
les  cœurs.  Écoutez  Jésus-Christ ,  qui  crie  :  «  On  ne  ' 
"  peut  servir  deux  maîtres.  Dieu  et  le  monde'.  »  ! 
Écoutez  un  de  ses  apôtres,  qui  ajoute  :  «  Adul-  ! 
«  tères ,  ne  savez-vous  pas  que  l'amitié  de  ce  monde 

«  est  ennemie  de  Dieu^?  »  Point  de  milieu  ;  nulle 
espérance  d'en  trouver  :  c'est  abandonner  Dieu , 
c'est  renoncer  à  son  amour,  que  d'aimer  son  en-  ; 
nemi.  ^  i 

Mais  en  renonçant  au  monde ,  faut-il  renon-  ! 
cer  à  tout  ce  que  le  monde  donne?  Écoutez  en-  ■ 
core  un  autre  apôtre  ;  c'est  saint  Jean  ^  :  «  N'aimez  ; 

•  ni  le  monde,  ni  les  choses  qui  sont  dans  le  : 
«  monde  ,  «  ni  lui ,  ni  ce  qui  lui  appartient;  tout  ' 
ce  qu'il  donne  est  aussi  vain ,  aussi  corrompu , 
aussi  empoisonné  que  lui. 

Mais,  quoi!  faut-il  que  tous  les  chrétiens  vi- 
vent dans  ce  renoncement?  Écoutez-vous  vous- 
même  du  moins ,  si  vous  n'écoutez  pas  les  apô- 
ties.  Qu'avez- vous  promis  dans  votre  baptême, 
pour  entrer  non  dans  la  perfection  d'un  ordre 
religieux ,  mais  dans  le  simple  christianisme  et 
dans  l'espérance  du  salut?  Vous  avez  renoncé  à 
Satan,  à  ses  pompes.  Remarquez  quelles  sont 
ces  pompes  :  Satan  n'en  a  point  de  distinguées 
de  celles  du  siècle.  Les  pompes  du  siècle ,  qu'on 
est  tenté  de  croire  innocentes,  sont  donc ,  selon 
vous-même,  celles  de  Satan  ;  et  vous  avez  pro- 
mis de  les  détester.  Cette  promesse  si  solennelle , 
qui  vous  a  introduit  dans  la  société  des  fidèles, 
ne  sera-t-elle  qu'une  comédie  et  une  dérision  sa- 
crilège? Le  renoncement  au  monde,  et  la  détesta- 
tion  de  ses  vanités ,  est  donc  essentiel  au  salut 
de  chaque  chrétien.  Celui  qui  quitte  le  monde, 
qu'y  ajoute-t-il?  Il  s'éloigne  de  son  ennemi,  il 
détourne  les  yeux  pour  ne  pas  voir  ce  qu'il  ab- 
horre; il  se  lasse  d'être  aux  prises  avec  cet  en- 
nemi, ne  pouvant  jamais  faire  ni  trêve  ni  paix. 

'  MiitlK  xvin,7. 
'  Ibid.  Yl ,  24. 
*  Jac.  IV,  4. 
{.  Joan.  Il ,  I&. 


Est-ce  là  un  grand  sacrifici.'?  n'est-ce  pas  plutôt 
un  grand  soulagement,  une  sûreté  douce,  \x\\^. 
paix  qu'on  devrait  chercher  pour  soi-même  d:'s 
qu'on  désire  être  chrétiens ,  et  n'aimer  pas  ce  que 
Dieu  condamne?  Quand  ou  ne  veut  point  aimer 
Dieu ,  quand  on  ne  veut  aimer  que  ses  passions, 
et  s'y  livrer  sans  religion,  par  ce  désespoir  don 
parle  saint  Paul  ' ,  je  ne  m'étonne  pas  qu'on  aime 
le  monde  et  qu'on  le  cherche.  Mais  quand  on 
croit  la  religion ,  quand  on  désire  de  s'y  attacher, 
quand  on  craint  la  justice  de  Dieu,  quand  on  se 
craint  soi-même ,  et  qu'on  se  défie  de  sa  propre 
fragilité  ;  peut-on  craindre  de  quitter  le  monde , 
dès  qu'on  veut  faire  son  salut?  n'y  a-t-il  pas  plus 
de  siîreté  et  de  facilité,  de  secours,  de  consola- 
tions dans  la  solitude  ? 

Laissons  donc  pour  un  moment  les  vues  de 
perfection  :  ne  parlons  que  d'amour  de  son  salut, 
que  d'intérêt  propre ,  que  de  douceur  et  de  paix 
de  cette  vie.  Où  sera-t-il ,  cet  intérêt ,  même  tem- 
porel ,  pour  une  âme  en  qui  toute  religion  n'est 
pas  éteinte?  Ou  sera-t-elle,  cette  paix  ;  sinon  loin 
d'une  mer  si  orageuse ,  qui  ne  fait  voir  partout 
qu'écueils  et  que  naufrages?  Où  sera-t-elle,  si- 
non loin  des  objets  qui  enflamment  les  désirs, 
qui  irritent  les  passions,  qui  empoisonnent  les 
cœurs  les  plus  innocents ,  qui  réveillent  tout  ce 
qu'il  y  a  de  plus  malin  dans  l'homme ,  qui  ébran- 
lent les  âmes  les  plus  fermes  et  les  plus  droites? 
Hélas!  je  vois  tomber  les  plus  hauts  cèdres  du 
Liban,  et  je  courrai  au-devant  du  péril,  et  je  crain- 
drai de  me  mettre  à  l'abri  de  la  tempête?  N'est- 
;  ce  pas  être  ennemi  de  soi-même ,  rejeter  le  salut 
:  et  la  paix  ;  en  un  mot ,  aimer  sa  perte ,  et  la  cher- 
cher dans  un  trouble  continuel  ? 
j      Après   cela  faut  -  il  s'étonner  si   saint  Paul 
exhorte  les  vierges  à  demeurer  libres  * ,  n'ayant 
I  d'autre  époux  que  l'Époux  céleste.  Il  ne  dit  pas  : 
I  C'est  afin  que  vous  soyez  dans  une  plus  haute  per-^ 
!  fection ,  et  dans  une  oraison  plus  éminente  ;  il 
■  dit  :  Afin  que  vous  ne  soyez  point  dans  un  mal- 
I  heureux  partage  entre  Jésus-Christ  et  un  époux 
i  mortel ,  entre  les  saints  exercices  de  la  religion  et 
;  les  soins  dont  on  ne  peut  se  garantir  quand  on  est 
!  dans  l'esclavage  du  siècle  ;  c'est  «  afin  que  vous 
j  «  puissiez  prier  sans  empêchement  :  c'est  que  vous 
I  '<  auriez,  dit-il,  dans  le  mariage,  les  tribulations 
«  de  la  chair,  et  je  voudrais  vous  les  épargner  ; 
«  c'est,  dit -il  encore,  que  je  voudrais  vous  voir 
«  dégagées  de  tout  embarras.  «  A  la  vérité,  ce 
ce  n'est  pas  un  précepte  ;  car  cette  parole ,  comme 
Jésus-Christ  le  dit  dans  l'Évangile  ' ,  ne  peut  être 
comprise  de  tous  :  mais  heureux ,  je  dis  même , 

'  Ephes.  ly,  19. 

*  I.  Cor.  Tii ,  2ô  el  s«jij. 

*  ^a//A.  XIX,  II. 


92 


SUR  LES  OBLIGATIONS 


heureux ,  dès  cette  vie ,  ceux  à  qui  il  est  donné 
de  la  comprendre,  de  la  goûter  et  de  la  suivre  ! 
Ce  n'est  pas  un  précepte;  mais  c'est  un  conseil 
de  l'apôtre,  de  l'apôtre,  dis-je,  plein  de  l'Esprit 
de  Dieu  :  c'est  un  conseil  que  tous  n'ont  pas  !e 
courage  de  suivre;  mais  qu'il  donne  à  tous  en  gé- 
néral ,  afin  qu'il  soit  suivi  de  ceux  à  qui  Dieu 
mettra  au  cœur  ce  goût  de  la  bienheureuse  li-  '. 
berté.  i 

De  là  vient  qu'en  ouvrant  les  livres  des  saints 
Pères  je  ne  trouve  de  tous  côtés,  même  dans  les 
sermons  faits  à  tout  le  peuple  sans  distinction ,  | 
que  des  exhortations  pressantes  pour  conduire  les  ' 
chrétiens  en  foule  dans  les  solitudes.  C'est  ainsi 
que  saint  Basile  fait  un  sermon  exprès ,  pour  ; 
inviter  tous  les  chrétiens  à  la  vie  solitaire.  Saint  ! 
Grégoire  de Nazianze,  saint  Chrysostôme ,  saint  1 
Jérôme,  saint  Ambroise,  l'Orient,  l'Occident,  tout  i 
retentit  des  louanges  du  désert ,  et  de  la  fuite  du  | 
siècle.  J'aperçois  même ,  dans  la  règle  de  saint  l 
Benoît ,  qu'on  ne  craignait  point  de  consacrer  les 
enfants  avant  qu'ils  eussent  l'usage  de  raison  : 
les  parents,  sans   craindre  de  les  tyranniser, 
croyaient  pouvoir  les  vouer  à  Dieu  dès  le  bei'- 
ceau.  Vous  vous  en  étonnez ,  vous  qui  mettez  une 
si  grande  différence  entre  la  vie  du  commun  des 
chrétiens,  vivants  au  milieu  du  siècle,  et  celle 
des  âmes  religieuses ,  consacrées  à  Dieu  dans  la 
solitude.  Mais  apprenez   que  parmi  ces  vrais 
chrétiens,  qui  ne  regardaient  le  siècle  qu'avec 
horreur,  il  y  avait  peu  de  différence  entre  la  vie 
pénitente  et  recueillie  que  l'on  menait  dans  sa 
famille,  et  celle  que  l'on  menait  dans  un  désert. 
S'il  y  avait  quelque  différence ,    c'est  qu'il  est 
])lus  doux,  plus  facile,  plus  sûr  de  mépriser  le 
monde  de  loin  que  de  près.  On  ne  croyait  donc 
point  gêner  la  liberté  des  enfants,  puisqu'ils  de- 
vaient, comme  chrétiens,  ne  prendre  nulle  part 
aux  pompes  et  aux  joies  du  monde.  C'était  leur 
épargner  des  tentations ,  et  leur  préparer  une  heu- 
reuse paix,  quede  les  ensevelir  tout  vivants  dans 
cette  société,  avec  les  anges  de  la  terre. 

Aimable  simplicité  des  enfants  de  Dieu,  qui 
n'avaient  plus  rien  à  ménager  ici-bas!  ô  pratique 
étonnante  !  mais  qui  n'est  si  disproportionnée  à 
nos  mœurs,  qu'à  cause  que  les  disciples  de  Jésus- 
Christ  ne  savent  plus  ce  que  c'est  que  de  porter 
la  croix  avec  lui,  et  que  de  dire  avec  lui  :  Mal- 
heur, malheur  au  monde!  On  n'a  point  de  honte 
d'être  chrétien  et  de  vouloir  jouir  de  sa  liberté 
pour  goûter  le  fruit  défendu,  pour  aimer  le 
monde  que  Jésus- Christ  déteste.  0  lâcheté  hon- 
teuse, qui  était  réservée  pour  la  consommation 
de  l'iniquité  dans  les  derniers  siècles  !  On  a  ou- 
blié qu'être  chrétien ,  et  n'être  plus  de  ce  monde , 
c'est  essentiellement  la  même  chose. 


Hélas!  quand  vous  reverrons-nous,  ô  beaux 
jours,  ô  jours  bienheureux,  où  toutes  les  famil- 
les  chrétiennes,  sans  quitter  leurs  maisons  et 
leurs  travaux,  vivaient  comme  nos  conimunau 
tés  les  plus  régulières?  C'est  sur  ce  modèle  que 
nos  communautés  se  sont  formées.  On  se  taisait, 
on  priait,  on  travaillait  sans  cesse  des  mains,  on 
se  cachait  :  en  sorte  que  les  chrétiens  étaient  ap- 
pelés un  genre  d'hommes  qui  fuyaient  la  lumière. 
On  obéissait  au  pasteur,  au  père  de  famille  : 
point  d'autre  attente  que  celle  de  notre  bienheu- 
reuse espérance  pour  l'avènement  du  grand  Dieu 
de  gloire,  point  d'autre  assemblée  que  celle  où 
l'on  écoutait  les  paroles  de  la  foi;  point  d'autre 
festin  que  celui  de  l'agneau ,  suivi  d'un  repas  de 
charité;  point  d'autre  pompe  que  celle  des  fêtes 
et  des  cérémonies;  point  d'autre  plaisir  que  celui 
de  chanter  les  psaumes  et  les  sacrés  cantiques  ; 
point  d'autres  veilles  que  celles  où  l'on  ne  cessait 
de  prier.  0  beaux  jours!  quand  vous  reverrons- 
nous?  Qui  me  donnera  des  yeux,  pour  voir  la 
gloire  de  Jérusalem  renouvelée?  Heureuse  pos- 
térité, sous  laquelle  reviendront  ces  anciens 
jours!  De  tels  chrétiens  étaient  solitaires,  et 
changeaient  les  villes  en  déserts. 

Dès  ces  premiers  temps,  nous  admirons  en 
Orient  des  hommes  et  des  femmes  qu'on  nom- 
mait Ascètes,  c'est-à-dire,  exercitants  :  c'étaioit 
des  chrétiens  dans  le  célibat,  qui  suivaient  toute 
la  perfection  du  conseil  de  l'apôtre.  En  Occident, 
quelle  foule  de  vierges  et  de  personnes  de  tout 
âge,  de  toutes  conditions,  qui  dans  l'obscurité 
et  dans  le  silence  ignoraient  le  monde  et  étaient 
ignorées  de  lui ,  parce  que  le  monde  n'était  pas 
digne  d'elles!  Les  persécutions  poussèrent  jusque 
dans  les  plus  affreux  déserts  les  patriarches  dos 
anachorètes,  saint  Paul  et  saint  Antoine  :  ma--: 
la  persécution  fit  moins  de  solitaires  que  la  paix 
et  le  triomphe  de  l'Église ,  après  la  conversion 
de  Constantin.  Les  chrétiens,  si  simples  et  si 
ennemis  de  toute  mollesse,  craignaient  plus  une 
paixflatteuse  pour  lessens ,  qu'ils  n'avaient  craint 
la  cruauté  des  tyrans.  Les  déserts  se  peuplèrent 
d'anges  innombrables,  qui  vivaient  dans  des 
corps  mortels  sans  tenir  à  la  terre  :  les  solitudes 
sauvages  fleurirent;  les  villes  entières  étaient 
presque  désertes  :  d'autres  villes,  comme  Oxy- 
rinque,  dans  l'Egypte,  devenaient  autant  de  mo- 
nastères. Voilà  la  source  des  communautés  reli- 
gieuses :  ôqu'elleest  belle, qu'elleest touchante) 
que  la  terre  ressemble  au  ciel,  quand  les  hommes 
y  vivent  ainsi! 

Mais,  hélas!  que  cette  ferveur  des  aneUns 
jours  nous  reproche  le  relâchement  et  la  tiédeur 
des  nôtres  !  Il  me  semble  que  j'entends  saint  An- 
toine qui  se  plaint  de  ce  que  le  soleil  vient  trou- 


DE  L'KTAT  RELIGIEUX. 


03 


blor  sa  prière,  qui  a  été  aussi  longue  que  la  nuit. 
Je  crois  lavoir  qui  reçoit  une  kttre  de  l'empe- 
reur, et  qui  dit  à  ses  disciples  :  Réjouissez-vous, 
non  de  ce  que  l'empereur  m'a  écrit;  mais  de  ce 
^ue  Dieu  nous  a  écrit  une  lettre ,  en  nous  don- 
nant lÉvangile  de  son  Fils'.  Je  vois  saint  Pa- 
côme,  qui,  marchant  sur  les  traces  de  saint  An- 
toine ,  devient  de  son  côté ,  dans  un  autre  désert , 
le  père  d'une  postérité  innombrable.  J'admire 
Hilarion,  qui  fuit  de  pays  en  pays,  jusqu'au 
delà  des  mers,  le  bruit  de  ses  vei-tus  et  de  ses 
miracles  qui  le  poursuit.  J'entends  un  soli- 
tairequi  ayant  vendu  le  livre  des  Évangiles,  pour 
donner  tout  aux  pauvres  et  pour  ne  posséder 
plus  rien ,  s'écrie  :  J'ai  tout  quitté ,  même  jus 
qu'au  livre  qui  m'a  appris  à  quitter  tout.  Un- 
autre,  c'est  le  grand  Arsène,  devenu  sauvage, 
s'il  m'est  permis  de  parler  ainsi ,  consolait  les 
autres  solitaires  qui  se  plaignaient  de  ne  le  point 
voir,  en  leur  disant  :  Dieu  sait.  Dieu  sait,  mes 
frères ,  si  je  ne  vous  aime  point  ;  mais  je  ne  puis 
être  avec  lui  et  avec  vous.  Voilà  les  hommes  que 
Dieu  a  montrés  de  loin  au  monde  dans  les  déserts 
pour  le  condamner,  et  pour  nous  apprendre  à  le 
fuir. 

Sortons,  sortons  de  Babylone,  persécutrice 
des  enfants  de  Dieu,  et  enivrée  du  sang  des 
saints;  hâtons-nous  d'en  sortir,  de  peur  de  par- 
ticiper à  ses  crimes  et  à  ses  plaies.  Ici  je  parle 
devant  Dieu  qui  me  voit,  qui  m'entend;  je  parle 
en  Jésus-Christ ,  et  c'est  sa  parole  qui  est  dans 
laa  bouche.  Je  vous  dois  la  vérité  ;  je  vous  la 
donne  toute  pure,  sans  exagération.  Que  celui 
qui  est  attaché  au  monde  par  des  liens  légitimes 
que  la  Providence  a  formés ,  y  demeure  en  paix  ; 
qu'il  en  use  comme  n'en  usant  point  :  qu'il  vive 
dans  le  monde  sans  y  tenir  ni  par  le  plaisir,  ni 
par  intérêt;  mais  qu'il  tremble,  et  qu'il  ne  se 
console  qu'en  s'abandonnant  aux  desseins  de 
Dieu.  Je  dis  bien  davantage  :  que  celui  qui  n'a 
jamais  cherché  le  monde,  et  que  Dieu  y  appelle 
par  des  marques  décisives  de  vocation,  y  aille, 
et  Dieu  sera  avec  lui.  «  Mille  traits  tomberont  à 
«  sa  gauche  et  dix  mille  à  sa  droite ,  sans  le  tou- 
«  cher.  Il  foulera  aux  pieds  l'aspic  et  le  basilic, 
«  le  lion  et  le  dragon^;  »  rien  ne  le  blessera, 
pourvu  qu'il  n'aille  qu'à  mesure  que  Dieu  le  mè- 
nera par  la  main.  Mais  ceux  que  Dieu  n'y  mène 
point,  iront-ils  s'exposer  d'eux-mêmes"?  crain- 
dront-ils de  s'éloigner  des  tentations  et  de  facili- 
ter leur  salut?  Non;  quiconque  veut  chercher 
Dieu ,  doit  fuir  le  monde  autant  que  son  état  lui 
permet  de  le  fuir. 

'  Apud.  s.  Athanas.  FH.  S.  Anton,  n»  SI,  t.  i,  part,  m, 
p.  S55 ,  850. 
'  Ps.  \C.  7.  13 


Mais  que  faire  dans  la  retraite?  quelles  en  seront 
les  occupations?  quel  en  sera  le  fruit?  c'est  ce  qui 
me  reste  à  vous  expliquer. 

SECO.ND  POINT. 

Toutes  les  communautés  religieuses  ont  trois 
vœux  qui  font  l'essentiel  de  leur  état,  pauvreté, 
chasteté ,  obéissance.  La  correction  des  mœurs  et 
la  stabilité ,  marquées  dans  la  règle  de  saint  Be- 
noît, reviennent  au  même  but,  qui  est  de  tenir 
les  hommes  dans  l'obéissance  jusqu'à  la  mort. 
Examinons,  en  peu  de  mots,  tous  ces  divers  en- 
gagements. 

Rien  n'effraye  plus  que  la  pauvreté  :  c'est  pour- 
quoi Jésus-Christ,  qui  est  venu  révéler  des  vé- 
rités cachées  depuis  l'origine  des  siècles,  comme 
dit  l'Évangile  ' ,  commence  ses  instructions  en 
renversant  le  sens  humain  par  la  pauvreté  : 
«  Bienheureux  les  pauvres  d'esprit ,  »  dit-il  '  ;  ail- 
leurs il  est  dit  :  «  Bienheureux  les  pauvres^,  » 
mais  c'est  la  même  chose  ;  c'est-à-dire  :  Bienheu- 
reux ceux  qui  sont  pauvres  par  l'esprit ,  par  la 
volonté,  par  le  mépris  des  fausses  richesses, 
par  le  renoncement  à  tout  bien  créé ,  à  tout  ta- 
lent naturel ,  au  trésor  même  le  plus  intime  et 
dont  on  est  le  plus  jaloux ,  je  veux  dire  de  sa 
propre  sagesse ,  de  son  propre  esprit.  Heureux 
qui  s'appauvrit  ainsi  soi-même,  qui  ne  se  laisse 
rien  :  heureux  qui  est  pauvre  jusqu'à  se  dépouil- 
ler de  tout  soi-même;  heureux  qui  n'a  plus 
d'autre  bien  que  la  pauvreté  du  Sauveur,  dont 
le  monde  a  été  ainsi  enrichi ,  selon  l'expression 
de  saint  Paul  ^. 

On  promet  à  Dieu  d'entrer  dans  cet  état  de 
nudité  et  de  renoncement  ;  on  le  promet,  et  c'est 
à  Dieu  :  on  le  déclare  à  la  face  des  saints  autels  ; 
mais  après  avoir  goûté  le  don  de  Dieu ,  on  re- 
tombe dans  le  piège  de  ses  désirs.  L'amour-pro- 
pre, avide  et  timide,  craint  toujours  de  man- 
quer :  il  s'accroche  à  tout;  comme  une  personne 
qui  se  noie  se  prend  à  tout  ce  qu'elle  trouve, 
même  à  des  ronces  et  à  des  épines ,  pour  se  sau- 
ver. Plus  on  ôte  à  l'amour-propre ,  plus  il  s'ef- 
force de  reprendre  d'une  majn  ce  qui  échappe  à 
l'autre.  Il  est  inépuisable  en  beaux  prétextes  : 
il  se  replie  comme  un  serpent,  il  se  déguise,  il 
prend  toutes  les  formes;  il  invente  mille  nou- 
I  veaux  besoins ,  pour  flatter  sa  délicatesse  et  pour 
j  autoriser  ses  relâchements.  Il  se  dédommage  en 
1  petits  détails  des  sacrifices  qu'il  a  faits  en  gros  : 
1  il  se  retranche  dans  un  meuble,  dans  un  habit,  un 
,  livre,  un  rien  qu'on  n'oserait  nommer;  il  tient  à 

i       '  Mattk.  xin^«6. 
i       'Ihid.\,Z. 
I       '  Luc.  Ti ,  20. 
♦  n.  Cor.  TUI,9. 


94 


SUR  LES  OBLIGATIONS 


un  emploi ,  à  une  confidence ,  à  une  marque  d'es- 
time ,  à  une  vaine  amitié.  Voilà  ce  qui  lui  tient 
lieu  des  charges,  des  honneurs,  des  richesses, 
des  rangs,  que  les  ambitieux  du  siècle  poursui- 
vent :  tout  ce  qui  a  un  goût  de  propriété ,  tout 
ce  qui  fait  une  petite  distinction ,  tout  ce  qui  con- 
sole l'orgueil  abattu  et  resserré  dans  des  bornes 
si  étroites,  tout  ce  qui  nourrit  un  reste  de  vie  na- 
turelle ,  et  qui  soutient  ce  qu'on  appelle  moi  ;  tout 
cela  est  recherché  avec  avidité.  On  le  conserve , 
on  craint  de  le  perdre  ;  on  le  défend  avec  subti- 
lité, bien  loin  de  l'abandonner  :  quand  les  autres 
nous  le  reprochent,  nous  ne  pouvons  nous  résou- 
dre à  nous  l'avouer  à  nous-mêmes;  on  est  plus 
jaloux  là-dessus  qu'un  avare  ne  le  fut  jamais  de 
son  trésor. 

Ainsi  la  pauvreté  n'est  qu'un  nom ,  et  le  grand 
sacrifice  de  la  piété  chrétienne  se  tourne  en  pure 
illusion  et  en  petitesse  d'esprit.  On  est  plus  vif 
pour  des  bagatelles ,  que  les  gens  du  monde  ne 
le  sont  pour  les  plus  grands  intérêts;  on  est  sen- 
sible aux  moindres  commodités  qui  manquent  : 
on  ne  veut  rien  posséder,  mais  on  veut  tout 
avoir  ;  même  le  superflu,  si  peu  qu'il  flatte  notre 
goût  :  non-seulement  la  pauvreté  n'est  point  pra- 
tiquée ,  mais  elle  est  inconnue.  On  ne  sait  ce  que 
c'est  que  d'être  pauvre  par  la  nourriture  gros- 
sière, pauvre  par  la  nécessité  du  travail,  pauvre 
par  la  simplicité  et  la  petitesse  du  logement,  pau- 
vre dans  tout  le  détail  de  la  vie. 

Où  sont  ces  anciens  instituteurs  de  la  vie  reli- 
gieuse qui  ont  voulu  se  faire  pauvres  par  sacri- 
fice ,  comme  les  pauvres  de  la  campagne  le  sont 
par  nécessité  ?  Ils  s'étaient  proposé  pour  modèle 
de  leur  vie  celle  de  ces  ouvriers  champêtres  qui 
gagnent  leur  vie  par  le  travail ,  et  qui ,  par  ce 
travail ,  ne  gagnent  que  le  nécessaire.  C'est  dans 
cette  vraie  et  admirable  pauvreté  qu'ont  vécu 
tant  d'hommes  capables  de  gouverner  le  monde , 
tant  de  vierges  délicates  nourries  dans  l'opulence 
et  dans  les  délices ,  tant  de  personnes  de  la  plus 
haute  condition. 

C'est  par  là  que  les  communautés  peuvent  être 
généreuses,  libérales,  désintéressées.  Autrefois 
les  solitaires  d'Orient  et  d'Egypte  non-seulement 
vivaient  du  t  avail  de  leurs  mains ,  mais  faisaient 
encore  des  aumônes  immenses.  On  voyait  sur  la 
mer  des  vaisseaux  chargés  de  leurs  charités  : 
maintenant  il  faut  des  revenus  prodigieux  pour 
faire  subsister  une  communauté.  Les  familles  ac- 
coutumées à  la  pauvreté  épargnent  tout ,  elles 
subsistent  de  peu  ;  mais  les  communautés  ne  peu- 
vent se  passer  de  l'abondance.  Combien  de  cen- 
taines de  familles  subsisteraient  honnêtement  de 
ce  qui  suffit  à  peine  pour  la  dépense  d'une  seule 
communauté  ;  qui  fait  profession  de  renoncer  aux 


biens  des  familles  du  siècle,  pour  embrasser  la 
pauvreté!  Quelle  dérision!  quel  renversement! 
Dans  ces  communautés ,  la  dépense  des  infirme* 
surpasse  souvent  celle  des  pauvres  malades  d'une 
ville  entière.  C'est  qu'on  est  de  loisir  pour  s'écou- 
ter soi-même  dans  les  moindres  infirmités  ;  c'est 
qu'on  a  le  loisir  de  les  prévenir,  d'être  toujours 
occupé  de  soi  et  de  sa  délicatesse  ;  c'est  qu'on  ne 
mène  point  une  vie  simple,  pauvre,  active  et 
courageuse.  De  là  vient ,  dans  les  maisons  qui 
devraient  être  pauvres,  une  âpreté  scandaleuse 
pour  l'intérêt  :  le  fantôme  de  communauté  sert 
de  prétexte  pour  le  couvrir  ;  comme  si  la  com- 
munauté était  autre  chose  que  l'assemblage  des 
particuliers  qui  ont  renoncé  à  tout ,  et  comme  si 
le  désintéressement  des  particuliers  ne  devait  pas 
rendre  toute  la  communauté  désintéressée. 

Ayez  affaire  à  de  pauvres  gens  chargés  d'une 
grande  famille  ;  souvent  vous  les  trouverez  droits, 
modérés,  capables  de  relâcher  pour  la  paix  et 
d'une  facile  composition.  Ayez  affaire  à  une 
communauté  régulière ,  elle  se  fait  un  point  de 
conscience  de  vous  traiter  avec  rigueur.  J'ai  honte 
de  le  dire ,  je  ne  le  dis  qu'en  secret  et  en  gémis- 
sant, je  ne  le  dis  qu'à  l'oreille,  pour  instruire 
les  épouses  de  Jésus-Christ  ;  mais  enfin  il  faut  le 
dire ,  puisque  malheureusement  il  est  vrai.  On  ne 
voit  point  de  gens  plus  ombrageux ,  plus  difficul- 
tueux ,  plus  tenaces ,  plus  ardents  dans  les  pro- 
cès que  ces  personnes ,  qui  ne  devraient  pas  même 
avoir  d'affaires.  Cœurs  bas,  cœurs  rétrécis,  est-ce 
donc  dans  l'école  chrétienne  que  vous  avez  été 
fonnés  ?  est-ce  ainsi  que  vous  avez  appris  Jésus- 
Christ,  Jésus-Christ  qui  n'a  pas  eu  de  quoi  repo- 
ser sa  tête ,  et  qui  a  dit,  comme  saint  Paul  nous 
l'assure  :  «  On  est  bien  plus  heureux  de  donner 
«  que  de  recevoir  '  ?  » 

[  Mais  ne  vous  imaginez  pas  que  votre  état  soit 
plus  pénible ,  parce  que  avez  embrassé  la  pau- 
vreté de  Jésus-Christ.  ]  Entrez  dans  les  famil'es 
de  la  plus  liante  condition ,  pénétrez  au  dedans 
de  ces  palais  magnifiques  :  le  dehors  brille ,  mais 
le  dedans  n'est  que  misère  ;  partout  un  état  vio- 
lent, des  dépenses  que  la  folie  universelle  a  ren- 
dues comme  nécessaires ,  des  revenus  qui  ne  vien- 
nent point,  des  dettes  qui  s'accumulent  et  qu'on 
ne  peut  payer,  une  foule  de  domestiques  dont  on 
ne  sait  lequel  retrancher,  des  enfants  qu'on  ne 
peut  pourvoir  :  on  souffre ,  et  on  cache  sa  souf- 
france :  non-seulement  on  est  pauvre,  selon  sa 
condition ,  mais  pauvre  honteux  ;  et  l'on  fait  souf- 
frir d'autres  pauvres,  je  veux  dire  des  créanciers 
pauvres,  prêts  à  faire  banqueroute,  et  à  la  faire 
frauduleusement.  Voilà  ce  qu'on  appelle  les  ri- 

'  Jet.  x\  ,  3r>. 


DE  L'ÉTAT  RELIGIEUX. 


M 


clios  ùe  la  teire ,  voila  ces  gens  qui  éblouissent 
les  yeux  de  tout  le  genre  humain  î 

Vierges  pauvres ,  épouses  de  Jésus-Christ  at- 
taché nu  sur  la  croix ,  oseriez-vous  vous  compa- 
rer avec  les  riches?  Vous  avez  promis  de  tout 
quitter  :  ils  font  profession  de  chercher  et  de  pos- 
séder les  plus  grands  biens.  Ne  faites  point  cette 
comparaison  par  leurs  biens  et  par  les  vôtres, 
mais  par  vos  besoins  et  par  les  leurs.  Quels  sont 
vos  vrais  liesoins  auxquels  on  ne  satisfait  pas? 
Combien  de  besoins  de  leur  condition  auxquels 
ils  ne  peuvent  satisfaire?  Mais  encore  leur  pau- 
vreté est  honteuse  et  sans  consolation  :  la  vôtre 
est  glorieuse,  et  vous  n'y  avez  que  trop  d'hon- 
neur à  craindre. 

Cette  pauvreté ,  si  toutefois  on  peut  la  nommer 
telle ,  puisque  vous  ne  manquez  de  rien ,  est  pour- 
tant ce  qui  effraye ,  ce  qui  fait  murmurer,  ce  qui 
fait  qu'on  porte  impatiemment  le  joug  de  Jésus- 
Christ.  Qu'il  est  léger,  qu'il  est  doux  ,  ce  joug  ! 
on  s'en  trouve  pourtant  accablé.  Quelle  commo- 
dité de  trouver  tout  dans  la  maison  où  l'on  se 
renferme  pour  toute  sa  vie,  sans  avoir  besoin  du 
dehors ,  sans  recourir  à  aucune  industrie ,  sans 
être  exposé  aux  coups  de  la  fortune ,  sans  être 
clvnrgé  d'aucune  bienséance  qui  tyrannise ,  sans 
courir  risque  de  perdre ,  sans  avoir  besoin  de  ga- 
gner, enfin  étant  bien  sûr  de  ne  manquer  jamais 
que  d'un  superflu  qui  donnerait  plus  de  peine  que 
de  pIaisî^  !  Qui  esf-ce  qui  pourrait  se  vanter  d'en 
trouver  autant  dans  sa  famille?  qui  est-ce  qui  ne 
serait  pas  plus  pauvre  au  milieu  de  ces  préten- 
dues richesses ,  qu'on  ne  l'est  en  se  dépouillant 
ainsi  de  tout  dans  cette  maison  ? 

0  mon  Dieu  !  quand  est-ce  que  vous  donnerez 
des  cœurs  nouveaux,  des  cœurs  dignes  de  vous , 
des  cœurs  ennemis  de  la  propriété,  des  cœurs  à 
qui  vous  puissiez  suffire ,  des  cœurs  qui  mettent 
leur  joie  à  se  détacher  et  à  se  priver  de  plus  en 
plus,  comme  les  cœurs  ambitieux  et  avares  du 
monde  s'accoutument  de  plus  en  plus  à  étendre 
leurs  désirs  et  leurs  possessions?  Mais  qui  est-ce 
qui  osera  se  plaindre  de  la  pauvreté?  qu'il  vienne, 
je  vais  le  confondre  ;  ou  plutôt ,  ô  mon  Dieu  !  ins- 
truisez, touchez,  animez,  faites  sentir  jusqu'au 
fond  du  cœur  combien  il  est  doux  d'être  libre  par 
la  nudité ,  combien  on  est  heureux  de  ne  tenir  à 
i  ien  ici-bas. 

Au  vœu  de  pauvreté  on  joint  celui  de  chasteté  ; 
mais  vous  avez  entendu  l'apôtre  qui  dit  :  «  Je 
^  souhaite  que  vous  soyez  débarrassés.  »  Et  en- 
core :  «  Ceux  qui  entrent  dans  les  liens  du  ma- 
«  rlage  sentiront  les  tribulations  de  la  chair  :  et 
♦  je  voudrais  vous  les  épargner  '.  » 

'  I.  Cor.  VII,  28,32. 


Vous  le  voyez  :  la  chasteté  n'est  point  un  joug 
dur  et  pesant,  une  peine  et  un  état  rigoureux; 
c'est  au  contraire  une  liberté,  une  paix,  une 
douce  exemption  des  soins  cuisants  et  des  tribu- 
lations amères  qui  affligent  les  hommes  dans  le 
mariage.  Le  mariage  est  saint,  honorable,  sans 
tache ,  selon  la  doctrine  de  l'apôtre  '  ;  mais ,  se- 
lon le  même  apôtre ,  il  y  a  une  autre  voie  plus 
pure  et  plus  douce  :  c'est  celle  de  la  sainte  vir- 
ginité. Il  est  permis  de  chercher  un  secours  à  l'in- 
firmité de  la  chair;  mais  heureux  qui  n'en  a  pas 
besoin  et  qui  peut  la  vaincre,  car  elle  cause  de 
sensibles  peines  à  quiconque  ne  la  peut  dompter 
qu'à  demi. 

Demandez ,  voyez,  écoutez  :  que  trouvez-vous 
dans  toutes  les  familles ,  dans  les  mariages  même 
qu'on  croit  les  mieux  assortis  et  les  plus  heureux, 
sinon  des  peines,  des  contradictions ,  des  angois- 
ses? Les  voilà,  ces  tribulations  dont  parle  l'apô- 
tre; n  n'en  a  point  parlé  en  vain.  Le  monde  en 
parle  encore  plus  que  lui;  toute  la  nature  hu- 
maine est  en  souffrance.  Laissons  là  tant  de  ma- 
riages pleins  de  dissensions  scandaleuses  ;  encore 
une  fois,  prenons  les  meilleurs  :  il  n'y  paraît  rien 
de  malheureux  ;  mais  pour  empêcher  que  rien 
n'éclate,  combien  faut-il  que  le  mari  et  la  femme 
souffrent  l'un  de  l'autre  ! 

Ils  sont  tous  deux  également  raisonnables ,  si 
vous  le  voulez  :  chose  étrangement  rare ,  et  qu'il 
n'est  pas  permis  d'espérer;  mais  chacun  a  ses 
humeurs,  ses  préventions,  ses  habitudes,  ses 
liaisons.  Quelques  convenances  qu'ils  aient  entre 
eux ,  les  naturels  sont  toujours  assez  opposés  pour 
causer  une  contrariété  fréquente  dans  une  société 
si  longue  :  on  se  voit  de  si  près,  si  souvent,  avec 
tant  de  défauts  de  part  et  d'autre ,  dans  les  oc- 
casions les  plus  naturelles  et  les  plus  imprévues , 
où  l'on  ne  peut  point  être  préparé  ;  on  se  lasse , 
le  goût  s'use ,  l'imperfection  rebute ,  l'humanité 
se  fait  sentir  de  plus  en  plus;  il  faut  à  toute  heure 
prendre  sur  soi ,  et  ne  pas  montrer  tout  ce  qu'on 
y  prend;  il  faut  à  son  tour  prendre  sur  son 
prochain ,  et  s'apercevoir  de  sa  répugnance.  La 
complaisance  diminue,  le  cœur  se  dessèche;  on 
se  devient  une  croix  l'un  à  l'autre  :  on  aime  sa 
croix ,  je  le  veux  ;  mais  c'est  la  croix  qu'on  porte. 
Souvent  on  netient  plus  l'un  à  l'autre  que  par 
devoir  tout  ou  plus,  ou  par  une  estime  sèche, 
ou  par  une  amitié  altérée  et  sans  goût ,  et  quf 
ne  se  réveille  que  dans  les  fortes  occasions.  Le 
commerce  journalier  n'a  presque  rien  de  doux  ; 
le  cœur  ne  s'y  repose  guère  ;  c'est  plutôt  une  con- 
formité d'intérêt ,  un  lien  d'honneur,  un  attache- 
ment fidèle,  qu'une  amitié  sensible  et  cordiale, 

•  Hebr.  Xlll ,  4. 


flO 


SUR  LES  0BLIGATI0M5 


Supposons  même  cette  vive  amitié  :  que  fera-t- 
t'ile?  où  peut-elle  aboutir?  Elle  cause  aux  deux 
époux  des  délicatesses,  des  sensibilités,  des 
alarmes.  Mais  voici  où  je  les  attends  :  eufm ,  il 
fiiadra  que  Tua  soit  presque  inconsolable  à  la 
mort  de  l'autre  ;  et  il  n'y  a  point  dans  l'humanité 
de  plus  cruelles  douleurs ,  que  celles  qui  sont 
préparées  pour  le  meilleur  mariage  du  monde. 

Joignez  à  ces  tribulations  celle  des  enfants ,  ou 
indignes  et  dénaturés,  ou  aimables  mais  insen- 
sibles à  l'amitié;  ou  pleins  de  bonnes  et  de  mau- 
vaises qualités ,  dont  le  mélange  fait  le  supplice 
des  parents  ;  ou  enfin  heureusement  nés  et  pro- 
pres à  déchirer  le  cœur  d'un  père  et  d'une  mère , 
qui  dans  leur  vieillesse  voient ,  par  la  mort  pré- 
maturée de  cet  enfant ,  éteindre  toutes  leurs  es- 
pérances. Ajouterai-je  encore  toutes  les  traverses 
qu'on  souffre  dans  la  vie,  par  les  domestiques, 
par  les  voisins ,  par  les  ennemis ,  par  les  amis 
même ,  les  jalousies ,  les  artifices ,  les  calomnies, 
les  procès ,  les  pertes  de  biens ,  les  embarras  des 
créanciers?  Est-ce  vivre?  0  affreuses  tribula- 
tions, qu'il  est  doux  de  vous  voir  de  loin  dans 
la  solitude! 

0  sainte  solitude ,  ô  sainte  virginité  ,  heureu- 
ses les  chastes  colombes  qui ,  sur  les  ailes  du 
divin  amour,  vont  chercher  vos  délices  dans  le 
désert  !  0  âmes  choisies  et  bien-aimées ,  à  qui  il 
est  donné  de  vivre  avec  indépendance  de  la 
chair!  Elles  ont  un  Époux  qui  ne  peut  mourir, 
en  qui  elles  ne  verront  jamais  ombre  d'imperfec- 
tion; qui  les  aime,  qui  les  rend  heureuses  par 
son  amour  :  elles  n'ont  à  craindre  que  de  ne 
l'aimer  pas  assez ,  ou  d'aimer  ce  qu'il  n'aime 

pas. 

Car,  il  faut  l'entendre ,  la  \h-ginité  du  corps 
M'est  bonne  qu'autant  qu'elle  opère  la  virginité 
de  l'esprit.  [Se  contenter  de  la  première  ,]  ce  se- 
rait réduire  la  religion  à  une  privation  corporelle, 
à  une  pratique  judaïque.  Il  n'est  utile  de  domp- 
ter la  chair,  que  pour  rendre  l'esprit  plus  libre 
et  plus  fervent  dans  l'amour  de  Dieu.  Cette  vir- 
<;inité  du  corps  n'est  qu'une  suite  de  lincorrup- 
Tibilité  d'une  âme  vierge,  qui  ne  se  souille  par 
aucune  affection  mondaine.  Aimez- vous  ce  que 
Dieu  n'aime  pas;  aimez-vous  ce  qu'il  aime,  d'un 
autre  amour  que  le  sien  :  vous  n'êtes  plus  vier- 
ges :  si  vous  l'êtes  encore  du  corps ,  ce  n'est  plus 
rien;  vous  ne  l'êtes  plus  par  l'esprit.  Celte fieur 
si  belle  est  flétrie  et  foulée  aux  pieds  :  l'indigne 
créature,  le  mélange  impur  et  honteux,  enlève 
l'amour  que  l'Époux  voulait  seul  avoir.  Vous  ir- 
ritez toute  sa  jalousie,  ô  épouses  adultères,  votre 
cœur  s'ouvre  aux  ennemis  de  Dieu.  Revenez , 
revenez  à  lui;  écoutez  ce  que  dit  saint  Pierre  : 
«  Rendez  vos  âmes  chastes  par  l'obéissance  à  la 


«  charité  ';  »  c'est-à-dire,  qu'il  \Vy  a  que  la  loi 
du  pur  amour,  qui  rapporte  tout  à  Dieu ,  par  la 
quelle  l'âme  puisse  être  vierge  et  digne  des  no- 
ces de  l'Agneau  sacré. 

Si  donc  on  invite  les  vierges  à  conserver  cette 
pureté  virginale ,  ce  n'est  pas  pour  leur  demander 
plus  qu'aux  autres  ;  et  quand  môme  on  leur  de- 
manderait des  choses  au-dessus  du  commun  des 
chrétiens ,  ne  doivent-elles  pas  donner  à  Dieu  à 
proportion  de  ce  qu'elles  reçoivent  de  lui?  Heu- 
reuses, s'il  leur  est  donné  de  suivre  l'Agneau 
partout  où  il  va.  Mais,  de  plus,  cette  virginité 
céleste  n'est  point  une  perfection  rigoureuse  qu< 
appesantit  le  joug  de  Jésus-Christ.  Au  contraire, 
vous  l'avez  wi  par  les  paroles  de  l'apôtre ,  et  par 
la  peinture  sensible  des  gens  qui  languissent 
dans  les  liens  de  la  chair,  cette  virginité  n'est 
utile  que  pour  rendre  l'esprit  vierge  et  sans  ta- 
che ,  que  pour  mettre  l'âme  dans  une  plus  grande 
liberté  de  vaquer  à  Dieu. 

L'Église  désirerait  que  tous  pussent  tendre  à 
cet  état  angélique;  et  elle  dit  volontiers,  comme 
saint  Paul ,  à  tous  ses  enfants  '  :  «  Je  vous  aime 
«  d'un  amour  de  jalousie,  qui  est  la  jalousie  de 
«  Dieu  même  :  je  vous  ai  tous  promis  à  un  seul 
«  Époux ,  comme  ne  faisant  tous  ensemble  qu'une 
«  seule  Épouse  chaste;  et  cet  Epoux,  c'est  Jésus- 
«  Christ.  )^  Je  sais  bien  qu'il  n'est  pas  donné  à 
tous  de  comprendre  ces  vérités  ;  mais  enfin  heu- 
reux ceux  qui  ont  des  oreilles  pour  les  entendra  , 
et  un  cœur  pour  les  sentir. 

La  troisième  promesse  qu'on  fait  en  renonçant 
au  monde,  c'est  d'obéir  toute  sa  vie  aux  supé- 
rieurs de  la  maison  où  l'on  se  voue  à  Dieu. 

L'obéissance,  me  direz-vous ,  est  le  joug  le 
plus  dur  et  le  plus  pesant.  IN'est-ce  pas  assez  d'o- 
béir à  Dieu  et  aux  hommes,  de  qui  nous  dépen- 
dons naturellement,  sans  établir  de  nouvelles 
dépendances?  En  promettant  d'obéir,  on  s'assu- 
jettit non-seulement  à  la  sagesse  et  à  la  charité, 
mais  aux  passions,  aux  fantaisies,  aux  duretés 
des  supérieurs,  qui  sont  toujours  des  hommes 
imparfaits,  et  souvent  jaloux  de  la  domination. 
Voilà  ce  qu'on  est  tenté  de  penser  contre  l'obéis- 
sance. Écoutez,  en  esprit  de  recueillement  et 
d'humilité,  ce  que  je  tâcherai  de  vous  dire.     • 

A  proprement  parler,  ce  n'est  point  aux  hom- 
mes qu'il  faut  obéir;  ce  n'est  point  eux  qu'il 
faut  regarder  dans  l'obéissance.  Quand  ils  exer- 
cent le  ministère  avec  fidélité,  ils  font  régner  la 
loi;  et  loin  de  régnereux-mêmes,ilsne  font  que 
servir  à  la  faire  régner  :  non-seulement  ils  de- 
viennent soumis  à  la  loi  comme  les  autres;  mais 


>  I.  Pelr.  1 ,  22. 
2  II.  Cor.  XI,  2. 


DE  L'h'TAT  UELIGIEUX. 


n? 


lit  deviennent  effertivement  les  serviteurs  de 
tous  ceux  à  qui  ils  sont  oi)ligés  de  commander. 
Ce  n'est  point  ici  un  langage  magnifique  pour 
couvrir  la  domination  ;  c'est  une  vérité  que  nous 
devons  prendre  à  la  lettre,  aussi  sérieusement 
qu'elle  nous  est  enseignée  par  saint  Paul  et  par 
Jésus-Christ  même.  Le  supérieur  vient  servir,  et 
non  pas  pour  être  servi.  Il  faut  qu'il  entre  dans 
tous  les  besoins;  qu'il  se  proportionne  aux  petits, 
(ju'il  se  rapetisse  avec  eux ,  qu'il  porte  les  fai- 
bles, qu'il  soutienne  ceux  qui  sont  tentés;  qu'il 
soit  l'homme,  non-seulement  de  Dieu,  mais  en- 
core de  tous  les  autres  hommes  qu'il  est  chargé 
de  conduire;  qu'il  s'oublie ,  qu'il  se  compte  pour 
rien,  qu'il  perde  la  liberté  pour  devenir,  par  la 
charité,  l'esclave  et  le  débiteur  de  ses  frères; 
qu'en  un  mot  il  se  fasse  tout  à  tous  pour  les  ga- 
gner tous.  Jugez ,  jugez  si  ce  ministère  est  pé- 
nible, et  s'il  vous  convient ,  comme  dit  l'apôtre  ' , 
d'être  cause,  par  votre  indocilité,  que  les  supé- 
rieurs l'exercent  avec  angoisse  et  amertume. 

Mais,  direz-vous,  les  supérieurs  sont  impar- 
faits ,  et  il  faut  souffrir  leur  caprice  ;  c'est  ce  qui 
rend  l'obéissance  rude.  J'en  conviens;  ils  sont 
imparfaits,  ils  peuvent  abuser  de  leur  autorité  : 
mais  s'ils  en  abusent,  tant  pis  pour  eux;  il  ne 
vous  en  reviendra  que  des  biens  solides.  Ce  qui 
est  caprice  dans  le  supérieur  par  rapport  aux  rè- 
gles de  son  ministère,  est,  par  rapport  à  vous, 
selon  les  intentions  de  Dieu ,  une  occasion  de 
vous  humilier,  et  de  mortifier  votre  amour-pro- 
pre trop  sensible.  Le  supérieur  fait  une  faute , 
mais  il  ne  la  fait  qu'à  cause  que  Dieu  l'a  permis  ; 
pour  votre  bien.  Ce  qui  est  donc  en  un  sens  la 
volonté  injuste  et  capricieuse  du  supérieur,  est- 
en  un  autre  sens  plus  profond  et  plus  important, 
la  volonté  de  Dieu  même  sur  vous. 

Cessez  donc  de  considérer  le  supérieur,  qui 
n'est  qu'un  instrument  indigne  et  défectueux 
d'une  tres-parfaite  et  tres-miséricordieuse  Provi- 
dence. Regardez  Dieu  seul ,  qui  se  sert  des  défauts 
des  supérieurs  pour  corriger  les  vôtres.  Ne  vous 
irritez  pas  contre  l'homme,  car  l'homme  n'est 
rien  ;  ne  vous  élevez  point  contre  celui  qui  vous 
tient  la  place  de  Dieu  même,  et  en  qui  tout  est 
divin  pour  votre  correction,  même  jusqu'aux 
défauts  par  lesquels  il  exerce  votre  patience.  Sou- 
vent les  défauts  des  supérieurs  nous  sont  plus 
utiles  que  leurs  vertus;  parce  que  nous  avons  en- 
core plus  de  besoin  de  mourir  à  nous-mêmes  et 
à  notre  propre  sens ,  que  d'être  éclairés ,  édifiés, 
consolés  par  des  supérieurs  sans  défauts. 

De  plus  :  quelle  comparaison  entre  ce  qu'on 
souffre  dans  une  communauté ,  des  préventions , 
ou,  si  vous  voulez,  des  bizarreries  des  supé- 
•  Hebr.  xm ,  17. 

BOfiSlTT.  —  T.  UI. 


rieurs,  et  ce  qu'il  faudrait  souffrir  dans  le  monde 
d'un  mari  brusque ,  dur  et  hautain ,  d'enfants 
mal  nés,  de  parents  épineux,  de  domestiques 
indociles ,  infidèles ,  d'amis  ingrats  et  injustes, 
de  voisins  envieux,  d'ennemis  artificieux  et  im- 
placables, de  tant  de  bienséances  gênantes,  de 
tant  de  compagnies  ennuyeuses,  de  tant  d'af- 
faires pleines  d'amertume?  Quelle  comparaison 
entre  le  joug  du  siècle  et  celui  de  Jésus-Christ , 
entre  les  sujétions  innombrables  du  monde  et 
celles  d'une  communauté? 

Dans  la  communauté ,  la  solitude ,  le  silence , 
l'obéissance  exacte  à  la  règle  et  aux  constitu- 
tions, vous  garantissent  presque  de  tout  ce  qu'il 
y  aurait  à  souffrir  des  humeurs,  tant  des  supé- 
rieurs que  de  vos  égaux.  Tout  est  réglé  :  en  le 
suivant,  vous  en  êtes  quitte.  La  règle  et  lescons- 
titutions  ne  sont  point  des  fardeaux  ajoutés  au 
joug  de  l'Évangile  :  [mais  elles  ne  sont  propre- 
ment que  l'ÉvangiFe]  expliqué  en  détail,  et  ap- 
pliqué à  la  vie  de  communauté.  Si  la  règle  n'est 
que  l'explication  de  l'Évangile  pour  cet  état,  les 
supérieurs  ne  sont  que  les  surveillants  pour  faire 
pratiquer  cette  règle  évangélique  :  ainsi  tout  se 
réduit  à  l'Évangile. 

Lors  même  que  les  supérieurs ,  passant  au  delà 
des  bornes,  traitent  durement  leurs  inférieurs, 
que  peuvent-ils  contre  eux ,  à  le  bien  prendre  ?  Ce 
n'est  presque  rien  :  ils  peuvent  mortifier  leur  goût 
dans  de  petites  choses ,  leur  retrancher  quelque 
vaine  consolation,  les  critiquer  un  peu  sèchement. 
Mais  cela  ne  peut  aller  loin  :  comme  les  affaires 
du  monde ,  ici  tout  est  réglé ,  tout  est  écrit ,  tout 
a  ses  bornes  précises.  Les  exercices  journaliers  ne 
laissent  rien  à  décider  :  il  n'y  a  qu'à  chanter  les 
louanges  de  Dieu,  travailler,  se  trouver  ponctuel- 
lement à  tout ,  ne  se  mêler  jamais  des  choses  dont 
on  n'est  point  chargé ,  se  taire ,  se  cacher,  cher- 
cher son  soutien  en  Dieu ,  et  non  dans  les  amitiés 
particulières.  Le  pis  qui  vous  puisse  arriver,  c'est 
de  n'être  jamais  dans  les  emplois  de  confiance, 
qui  sont  pénibles  et  dangereux ,  qu'on  est  fort 
heureux  de  n'avoir  jamais ,  et  qu'on  est  obligé  de 
craindre.  Le  pis  qui  vous  puisse  arriver,  c'est  que 
les  supérieurs  vous  humilient  et  vous  mettent 
en  pénitence  :  comme  si  vous  ne  deviez  pas  y 
être  toujours!  comme  si  la  vie  clu-étienne  et  re- 
ligieuse n'était  pas  un  sacrifice  d'amour,  d'humi- 
liation et  de  pénitence  continuelle! 

Où  est-il  donc ,  ce  joug  si  dur  de  l'obéissance? 
Hélas  !  je  dois  bien  plus  craindre  ma  volonté  pro- 
pre que  celle  d'autrui.  Ma  volonté  si  bonne,  si 
raisonnable,  si  vertueuse  qu'elle  soit ,  est  toujours 
ma  propre  volonté,  qui  me  livre  à  moi-naâme, 
qui  me  rend  indépendant  de  Dieu ,  et  propriétaire 
de  ses  dons ,  si  peu  que  je  m'y  arrête.  La  volout? 

7 


98 


sua  LES  OBLIGATIONS 


d'autrui ,  qui  a  autorité  sur  moi ,  quelque  injuste 
qu'elle  soit,  est  à  mon  égard  la  volonté  de  Dieu 
toute  pure.  Le  supérieur  commande  mal,  mais 
moi  j'obéis  bien ,  heureux  de  n'avoir  plus  qu'à 
obéir.  De  tant  d'affaires,  il  ne  m'en  reste  qu'une; 
qui  est  de  n'avoir  plus  ni  volonté  ni  sens  propre, 
de  me  laisser  mener  comme  un  petit  enfant ,  sans 
raisonner,  sans  prévoir,  sans  m'in former  :  tout 
est  fait  pour  moi ,  pourvu  que  je  ne  fasse  qu'obéir. 
Dans  cette  candeur  et  cette  simplicité  enfantine, 
je  n'ai  qu'à  me  défendre  de  ma  vaine  et  curieuse 
raison,  qu'à  n'entrer  point  dans  les  motifs  des  su- 
périeurs, qu'à  me  décharger  de  tous  mes  soins 
sur  leur  sollicitude. 

0  douce  paix!  ô  heureuse  abnégation  de  soi- 
même!  ô  liberté  des  enfants  de  Dieu,  qui  vont 
comme  Abraham ,  sans  savoir  où  !  0  pauvreté 
d'esprit;  par  laquelle  on  se  dépouille  de  sa  propre 
sagesse  et  de  sa  propre  volonté,  comme  on  se 
dépouille  de  son  argent  et  de  son  patrimoine!  Par 
là  tous  les  vœux ,  pris  dans  leur  vraie  perfection , 
se  réunissent  :  le  même  pur  amour,  qui  fait  qu'on 
se  renonce  soi-même  sans  réserve,  rend  l'âme 
vierge  aussi  bien  que  le  corps,  appauvrit  l'homme 
jusqu'à  lui  ôter  son  esprit  et  sa  volonté ,  enfin  le 
met  dans  une  désappropriation  de  lui-même  où 
il  n'a  plus  de  quoi  se  conduire ,  et  où  il  ne  sait 
plus  que  laisser  faire  autrui.  Heureux  qui  fait  ces 
choses,  heureux  qui  les  goûte,  heureux  même 
qui  commence  à  les  entendre  et  à  leur  ouvrir 
son  cœur! 

Qu'on  ne  dise  donc  plus  que  l'obéissance  est 
rude  :  au  contraire ,  ce  qui  est  rude ,  c'est  d'être 
livré  à  soi-même  et  à  ses  désirs.  Malheur,  dit  l'É- 
criture', à  celui  qui  marche  dans  sa  voie,  qui 
se  rassasie  du  fruit  de  ses  propres  conseils.  Mal- 
heur à  celui  qui  se  croit  libre  quand  il  n'est  point 
déterminé  par  autrui ,  qui  ne  sent  pas  qu'il  est 
entraîné  au  dedans  par  un  orgueil  tyrannique , 
par  des  passions  insatiables;  et  même  par  une 
vaine  sagesse,  qui,  sous  une  apparence  pompeuse , 
est  souvent  pire  que  les  passions  mêmes  !  Non , 
qu'on  ne  dise  plus  que  l'obéissance  est  rude  :  au 
contraire  il  est  doux  de  n'être  plus  à  soi ,  à  ce 
maître  aveugle  et  injuste.  Que  volontiers  je  m'é- 
crie avec  saint  Bernard  :  Qui  me  donnera  cent 
supérieurs,  au  lieu  d'un,  pour  me  gouverner? 
Ce  n'est  pas  une  gêne,  c'est  un  secours  :  plus  je 
dépendrai  de  mes  supérieurs,  moins  je  serai  ex- 
posé à  moi-même.  Il  en  est  des  supérieurs  comme 
des  clôtures  :  ce  n'est  pas  une  prison  qui  tienne 
en  captivité,  c'est  un  rempart  qui  défend  l'âme 
faible  contre  le  monde  trompeur,  et  contre  sa 
propre  fragilité.  A-t-on  jamais  pris  la  garde  d'un 


prince  pour  une  troupe  d'hommes  qui  lui  ôtent 
la  liberté?  Celui  qui  se  renferme  dans  une  citadelle 
contre  l'ennemi ,  conserve  par  là  sa  liberté ,  loin 
de  la  perdre. 

Mais  il  est  temps  de  finir  :  hâtons  nous  de  con- 
sidérer le  dernier  engagement  de  cette  maison 
qui  est  celui  d'instruire  et  d'élever  saintement  de 
jeunes  demoiselles. 

TROISIÈME    POINT. 


•  Prov.  I,  31. 


Saint  Benoît  n'a  point  cru  troubler  le  silence 
et  la  solitude  de  ses  disciples ,  en  les  chargeant 
de  l'instruction  de  la  jeunesse.  Ils  étaient  moines, 
c'est-à-dire ,  solitaires ,  et  ne  laissaient  point  que 
d'enseigner  les  lettres  saintes  aux  enfants  qu'on 
voulait  élever  loin  de  la  contagion  du  siècle.  En 
effet  on  peut  s'occuper  au  dedans  d'une  solitude 
de  cette  fonction  de  charité ,  sans  admettre  le 
monde  chez  soi  :  il  suffit  que  les  supérieurs  aient 
avec  les  parents  un  commerce  inévitable ,  qui 
est  assez  rare  quand  on  le  réduit  au  seul  néces- 
saire. Tout  le  reste  de  la  communauté  jouit  tran- 
quillement de  la  solitude  :  on  se  tait  toutes  les 
fois  qu'on  n  'est  pas  obligé  d'enseigner  ;  on  ne  parle 
que  par  obéissance ,  pour  le  besoin  et  avec  règle  : 
ce  n'est  ni  amusement,  ni  conversation  dissi- 
pante; c'est  sujétion  pénible,  c'est  travail  réglé. 
Ce  travail  doit  être  mis  à  la  place  du  travail  des 
mains,  pour  les  personnes  qui  sont  si;  chargées 
de  l'instruction,  qu'elles  ne  peuvent  travailler  à 
aucun  ouvrage  :  ce  travail  demande  une  patience 
infinie  ;  il  y  faut  même  un  grand  recueillement  : 
car  si  vous  vous  dissipez  en  instruisant ,  vos  ins- 
tructions deviennent  inutiles;  vous  n'êtes  plus 
qu'un  airain   sonnant,   comme  dit   l'apôtre', 
qu'une  timbale  qui  retentit  vainement  :  vos  pa- 
roles sont  mortes ,  elles  n'ont  plus  l'esprit  de  vie  ; 
votre  cœur  est  déréglé,  il  n'a  plus  ni  force,  ni 
action,  ni  sentiment  de  vérité,  ni  grâce  de  per- 
suasion ,  ni  autorité  ;  tout  y  languit,  rien  ne  s'exé- 
cute que  par  forme. 

Ne  vous  plaignez  donc  pas  que  l'instniction 
vous  dessèche  et  vous  dissipe  :  mais  au  contraire 
ne  perdez  jamais  un  moment  pour  vous  recueillir 
et  vous  remplir  de  l'esprit  d'oraison  :  afin  que  vous 
puissiez  résister,  dans  vos  fonctions ,  à  la  tenta- 
tion de  vous  dissiper.  Quand  vous  vous  bornerez 
à  l'instruction  simple,  familière,  charitable,  dont 
vous  êtes  chargées  par  votre  état,  votre  vocation 
ne  vous  dissipera  jamais  :  ce  que  Dieu  fait  faire 
n'éloigne  jamais  de  Dieu;  mais  il  ne  le  faut  faire 
qu'autant  qu'il  y  détermine ,  et  donner  tout  le 
reste  au  silence ,  à  la  lecture  et  à  l'oraison.  Ces 
heures  précieuses  qui  vous  resteront,  pourvu  que 
vous  les  ménagiez  fidèlement ,  seront  le  grain  de 

'  I.  Cor.  XIII,  I. 


DE  L'ÉTAT  RELIGIEUX. 


00 


ncvé  marqué  dans  l' Évangile ' ,  qui,  étant  le 
.oindre  des  grains  de  la  terre,  croît  jusqu'à  de- 
venir un  grand  arbre  sur  les  branches  duquel 
I*is  oiseaux  du  ciel  viennent  se  percher  :  tantôt 
un  quart  d'heure ,  tantôt  une  demi-heure ,  puis 
quelques  minutes,  si  vous  le  voulez,  tous  ces 
moments  entrecoupés  ne  paraissent  rien;  mais 
ils  font  tout,  pourvu  qu'en  bon  ménager  on  sache 
les  mettre  à  profit.  De  plus  grands  temps  que 
vous  auriez  à  vous ,  vous  laisseraient  trop  à  vous- 
mêmes  et  à  votre  imagination  :  vous  tomberiez 
dans  une  langueur  ennuyeuse ,  dans  des  occupa- 
tions choisies  à  votre  mode ,  dont  vous  vous  pas- 
sionneriez. 11  vaut  mieux  rompre  sans  cesse  sa  vo- 
lonté dans  des  fonctions  gênantes ,  par  la  décision 
d'autrui ,  que  de  se  recueillir  selon  son  goût  et 
sa  volonté  propre.  Quiconque  fait  la  volonté  d'au- 
trui par  un  renoncement  sincère  à  la  sienne ,  fait 
une  excellente  oraison  et  un  sacrifice  d'holocauste 
qui  monte  en  odeur  de  suavité  jusqu'au  trône  de 
Dieu. 

ISe  craignez  pas  de  n'être  pas  assez  solitaires. 
Oque  vous  aurez  de  silence  et  de  solitude,  pourvu 
que  vous  ne  parliez  jamais  que  quand  votre  fonc- 
tion vous  fera  parler  !  Quand  on  retranche  toutes 
le  visites  du  dehors,  excepté  celles  d'une  absolue 
nécessité ,  qui  sont  très-rares  ;  quand  on  retranche 
au  dedans  toutes  les  curiosités,  les  amitiés  vaines 
et  molles ,  les  murmures ,  les  rapports  indiscrets , 
en  un  mot  toutes  les  paroles  oiseuses ,  dont  il  fau- 
dra un  jour  rendre  compte  ;  quand  on  ne  parle 
que  pour  obéir,  pour  s'instruire,  pour  édifier,  ce 
qu'on  dit  ne  dissipe  point. 

Gardez-vous  donc  bien  de  vous  considérer 
comme  n'étant  point  solitaires ,  à  cause  que  vous 
êtes  chargées  de  l'instruction  du  prochain  :  cette 
Idée  de  votre  état  serait  pour  vous  un  piège  con- 
tinuel. >'on ,  non ,  vous  ne  devez  point  vous  croire 
dans  un  état  séculier;  ce  n'est  qu'à  force  d'avoir 
renoncé  au  monde  et  à  son  commerce ,  que  vous 
serez  propres  à  en  préserver  cette  jeunesse  in- 
nocente, et  précieuse  aux  yeux  de  Dieu.  Plus 
vous  avez  d'embarras  par  cette  éducation  de  tant 
de  filles  d'une  naissance  distinguée;  plus  vous 
êtes  exposées  par  le  voisinage  de  la  cour,  et  par 
la  protection  que  vous  en  retirez,  moins  vous 
devez  avoir  de  complaisance  pour  le  siècle.  Si 
l'ennemi  est  à  vos  portes ,  vous  devez  vous  re- 
trancher contre  lui  avec  plus  de  précaution,  et 
redoubler  vos  gardes.  0  que  le  silence,  que 
l'humilité,  que  l'obéissance,  que  robscurité,  que 
le  recueillement ,  que  l'oraison  sans  relâche  sont 
nécessaires  aux  épouses  de  Jésus-Christ,  qui  sont 
si  près  de  l'enchantement  de  la  cour  et  de  l'air 

'  Matth.  XIII,  31,  32. 


empesté  des  fausses  grandeurs  !  Contre  des  péril» 
si  terribles,  vous  ne  sauriez,  je  ne  crains  pas  de 
le  dire,  être  trop  sauvages,  trop  alarmées,  trop 
enfoncées  dans  votre  solitude ,  trop  attachées  a 
toutes  les  choses  extérieures  qui  vous  sépareront 
du  monde,  de  ses  modes  et  de  ses  vaines  poli- 
tesses. Vous  ne  sauriez  mettre  trop  de  grilles, 
trop  de  clôtures,  trop  de  formalités  gênantes  et 
ennuyeuses  entre  lui  et  vous.  Craignez  de  ne  pas 
passer  assez  pour  de  vraies  religieuses ,  qui  n'ai- 
ment que  la  réforme  et  l'obscurité ,  qui  oublient 
le  monde  jusqu'à  lui  vouloir  déplaire  par  leur 
simplicité;  autrement  vous  vivez  tous  les  jours 
sur  le  bord  du  plus  affreux  des  précipices. 

Mais  un  autre  piège  que  vous  devez  craindre, 
c'est  votre  naissance.  Épouses  de  Jésus-Christ, 
écoutez  et  voyez  ;  oubliez  la  maison  de  votre  père  '. 
La  naissance ,  qui  flatte  l'orgueil  des  hommes , 
n'est  rien  :  c'est  le  mérite  de  nos  ancêtres ,  qui 
n'est  point  le  nôtre;  c'est  se  parer  du  bien  d'au- 
trui :  de  plus  ce  n'est  presque  jamais  qu'un  vieux 
nom  oublié  dans  le  monde ,  avili  par  beaucoup  de 
gens  sans  mérite,  qui  n'ont  pas  su  le  soutenir. 
La  noblesse  n'est  souvent  qu'une  pauvreté  vaine, 
ignorante  et  grossière  ;  oisive ,  qui  se  pique  de 
mépriser  tout  ce  qui  lui  manque  :  est-ce  là  de 
quoi  avoir  le  cœur  si  enflé?  Jésus-Christ  sort 
de  tant  de  rois,  de  tant  de  souverains  pontifes  de  la 
loi  judaïque ,  de  tant  de  patriarches ,  à  remonter 
jusqu'à  la  création  du  monde;  Jésus- Christ ,  dont 
la  naissance  était  la  plus  illustre ,  sans  comparai- 
son ,  qui  ait  paru  dans  tout  le  genre  humain ,  est 
réduit  au  métier  de  charpentier,  grossier  et  péni- 
ble, pour  gagner  sa  vie.  11  joint  à  la  plus  auguste 
naissance  l'état  le  plus  vil  et  le  plus  méprisable, 
pour  confondre  la  vanité  et  lamollesse  des  nobles , 
pour  tourner  eu  ignominie  ce  que  la  fausse  gloire 
des  hommes  conserve  avec  tant  de  jalousie. 

Détrompons-nous  donc;  il  n'y  a  plus  en  Jésus- 
Christ  de  libres  ni  d'esclaves,  de  nobles  ni  de 
roturiers  :  en  lui  tout  est  noble  par  les  dons  de 
la  foi  ;  en  lui  tout  est  bas ,  tout  est  petit ,  tout  est 
anéanti ,  par  le  renoncement  aux  vaines  distinc- 
tions et  par  le  mépris  de  tout  ce  que  le  monde 
trompeur  élève.  Soyons  nobles  comme  Jésus- 
Christ  ;  n'importe,  il  faut  être  charpentier  avec  lui  ; 
il  faut,  comme  lui,  travailler  à  la  sueur  de  son 
front  dans  l'obscurité ,  dans  le  silence  et  l'obéis- 
sance. Vous  qui  étiez  libres,  vous  ne  l'êtes  plus  ;  la 
charité  vous  a  faits  esclaves.  Vous  n'êtes  pas  ici 
pour  vous-mêmes;  vous  n'y  êtes  que  les  esclaves 
de  ces  enfants ,  qui  sont  ceux  de  Dieu.  N'en- 
tendez-vous pas  l'apôtre  qui  dit  :  «  Étant  libre  , 
"  je  me  suis  fait  esclave  de  tous  pour  les  gagner 

*  P$.  XUT,  II. 


100 


SUR  LES  OBLIGATIONS  DE  L'ETAT  RELIGIEUX. 


«  tous  »?  «  voilà  votre  modèle.  Cette  maison  n'est 
pas  à  vous,  ce  n'est  point  pour  vous  qu'elle  a  été 
dotée  et  fondée  ;  c'est  pour  l'éducation  des  jeunes 
demoiselles  qu'on  a  fait  cet  établissement  :  vous 
n'y  entrez  que  par  rapport  à  elles ,  et  pour  le  be- 
soin qu'elles  ont  de  quelqu'un  qui  les  conduise  et 
qui  les  forme.  Si  donc  il  arrivait;  ô  Dieu  ,  ne  le 
souffrez  jamais  :  que  plutôt  les  bâtiments  se  ren- 
versent !  s'il  arrivait  que  vous  négligeassiez  vos 
fonctions  essentielles;  si,  oubliant  que  vous  êtes 
en  Jésus-Christ  les  servantes  de  cette  jeunesse , 
vous  ne  songiez  plus  qu'à  jouir  en  paix  des  biens 
consacrés  à  leur  éducation  ;  si  l'on  ne  trouvait 
dans  cette  humble  école  de  Jésus-Christ,  que  des 
dames  vaines  et  fastueuses  :  hélas,  quel  scandale  ! 
les  épouses  de  Jésus-Christ,  toutes  couvertes  de 
rides ,  deviendraient  alors  Tobjet  du  mépris  de  ce 
monde  même  auquel  elles  auraient  voulu  plaire. 
Accoutumez-vous  donc ,  dès  le  commencement , 
à  aimer  les  fonctions  les  plus  basses ,  à  n'en  mé- 
priser aucune  ,  à  ne  rougir  point  d'une  servitude 
qui  fait  votre  unique  gloire.  Aimez  ce  qui  est  petit, 
goûtez  ce  qui  vous  abaisse  ;  ignorez  le  monde , 
et  faites  qu'il  vous  ignore  :  ne  craignez  point  de 
devenir  grossières ,  à  force  d'être  simples.  La 
vraie,  la  bonne  simplicité  fait  la  parfaite  poli- 
tesse ,  que  le  monde ,  tout  poli  qu'il  est ,  ne  sait  pas 
connaître.  11  vaudrait  bien  mieux  être  un  peu 
grossières  pour  être  plus  simples,  plus  éloignées 
des  manières  vaines  et  affectées  du  siècle. 

Mais  puisque  vous  êtes  destinées  à  l'instruc- 
tion de  la  jeunesse,  il  faut  sans  doute  que  vous 
soyez  exactement  instruites  des  choses  que  vous 
devez  apprendre  à  ces  enfants.  Vous  devez  savoir 
les  vérités  de  la  religion ,  les  maximes  d'une  con- 
duite sage ,  modeste  et  laborieuse  ;  car  vous  devez 
former  ces  filles,  ou  pour  des  cloîtres,  ou  pour 
entrer  dans  des  familles  honnêtes  et  chrétiennes , 
où  le  capital  est  la  sagesse  des  mœurs,  l'applica- 
tion à  l'économie ,  et  l'amour  d'une  piété  simple. 
Ainsi  apprenez-leur  à  se  taire  et  à  se  cacher,  à 
travailler,  à  souffrir,  à  obéir  et  à  épargner.  Voilà 
ce  qu'elles  auront  besoin  de  savoir,  supposé  qu'el- 
les se  marient.  Mais  fuyez  comme  un  poison  tou- 
tes les  curiosités ,  tous  les  amusements  d'esprit; 
car  les  femmes  n'ont  pas  moins  de  penchant  à 
être  vaines  par  leur  esprit,  que  par  leur  corps. 
Souvent  les  lectures  qu'elles  font ,  avec  tant  d'em- 
pressement ,  se  tournent  en  parures  vaines  et  en 
ajustements  immodestes  de  leur  esprit  ;  souvent 
elles  lisent  par  vanité  comme  elles  se  coiffent.  Il 
faut  faire  de  l'esprit  comme  du  corps;  tout  su- 
perflu doit  êtreretrai.ché  :  tout  doit  sentir  lasim- 
plicité  et  l'oubli  de  soi-même.  0  quel  amusement 

•  I,  Car.  IX ,  19. 


pernicieux,  dans  ce  qu'on  appelle  lectures  les 
plus  solides  !  On  veut  tout  savoir,  juger  de  tout, 
se  faire  valoir  sur  tout.  Rien  ne  ramène  tant  le 
monde  vain  et  faux  dans  les  solitudes ,  que  cette 
vaine  curiosité  des  livres.  Si  vous  lisez  simple- 
ment pour  vous  nourrir  des  paroles  de  la  foi , 
vous  lirez  peu;  vous  méditerez  beaucoup  ce  que 
vous  aurez  lu. 

Pour  bien  lire,  il  faut  digérer  la  lecture ,  et  la 
convertir  en  sa  propre  substance.  Il  n'est  pas 
question  d'avoir  compris  un  grand  nombre  de 
vérités  lumineuses;  il  est  question  d'aimer  beau- 
coup chaque  vérité ,  d'en  laisser  pénétrer  peu  à 
peu  son  cœur,  de  regarder  longtemps  de  suite  le 
même  objet,  de  s'y  unir,  moins  par  des  réflexions 
subtiles,  que  par  le  sentiment  du  cœur.  Aimez; 
aimez ,  vous  saurez  beaucoup  en  apprenant  peu  , 
car  l'onction  intérieure  vous  enseignera  toutes 
choses.  0  qu'une  simplicité  ignorante  qui  ne  sait 
qu'aimer  Dieu,  sans  s'aimer  soi-même,  est  au- 
dessus  de  tous  les  docteurs  !  L'esprit  lui  suggère 
toutes  vérités  sans  les  lire  en  détail  :  car  il  lui 
fait  sentir  par  une  lumière  intime  et  profonde, 
une  lumière  de  vérité ,  d'expérience  et  de  senti- 
ment, qu'elle  n'est  rien,  et  que  Dieu  est  tout. 
Qui  sait  cela ,  sait  tout  :  voilà  la  science  de  Jésus- 
Christ  ,  en  comparaison  de  laquelle  toute  la  sa- 
gesse mondaine  n'est  que  perte  et  ordure,  selon 
saint  Paul'.  Par  cette  simplicité,  vous  parvien- 
drez à  instruire  le  monde  sans  avoir  aucun  com- 
merce dangereux  avec  lui  ;  vous  redresserez,  vous 
arroserez ,  vous  ferez  croître  et  fleurir  ces  jeunes 
plantes,  dont  les  fruits  se  communiqueront  en- 
suite dans  tout  le  royaume  :  vous  formerez  de 
dignes  vierges,  qui  répandront  dans  les  cloîtres 
le  doux  parfum  de  Jésus-Christ  ;  vous  procurerez 
à  la  société  des  mères  de  familles,  recomman- 
dables  par  leur  vertu,  qui  seront  pour  leurs  en- 
fants des  sources  de  grâces  et  de  bénédiction ,  et 
qui  contribueront  par  leur  piété ,  et  l'exemple  de 
toute  leur  conduite ,  à  faire  aimer  et  révérer  le 
Dieu  que  nous  adorons ,  qui  est  aujourd'hui  si 
peu  connu  et  si  mal  servi. 

Seigneur,  répandez  votre  esprit  sur  cette  mai- 
son qui  est  la  vôtre  ;  couvrez-la  de  votre  ombre  ; 
protégez-la  du  boucher  de  votre  amour;  soyez 
tout  autour  d'elle,  comme  un  rempait  de  feu, 
pour  la  défendre  de  tant  d'ennemis.  Tandis  que 
votre  gloire  habitera  au  milieu  comme  dans  son 
sanctuaire ,  ne  souffrez  pas ,  Seigneur,  que  la  lu- 
mière se  change  en  ténèbres ,  ni  que  le  sel  de  la 
terre  s'affadisse  et  soit  foulé  aux  pieds.  Donnez 
des  cœurs  selon  le  vôtre ,  l'horreur  du  monde , 
le  mépris  de  soi-même ,  le  renoncement  à  tout 

'  Philipp.  !U,8. 


SUR  LA  FIxN  ET  LES  FRUITS  DE  LA  VISITE. 


IM 


amour-propre ,  et  le  divin  et  généreux  amour 
qui  est  l'dme  de  toutes  ies  véritables  vertus; 
amour  si  ignoré,  mais  si  nécessaire  ;  amour  dont 
ceux  mêmes  qui  en  parlent,  et  qui  le  désirent, 
ne  con\i)rennent  point  l'étendue  sans  bornes  ; 
amour  sans  lequel  toutes  les  vertus  sont  super- 
ficielles ,  et  ne  jtttent  point  de  profondes  racines 
dans  les  cœurs;  .imour  qui  fait  seul  la  parfaite 
adoration  en  esprit  et  en  vérité  ;  amour,  unique 
fin  de  notrecréa  ion.  0  amour,  venez  vous-même  ; 
animez,  régnez,  vivez:  consumez  tout  l'bomme, 
par  vos  flammes  pures  ;  qu'il  ne  reste  que  vous 
pour  réternité. 


PREMIÈRE  EXHORTATION 

A  L'OUVERTURE  DUKE  VISITE 

FAITE  E>  LA  COMIIUS.VUTÉ  DE  SAISTE-fRSLXE  DE  ME\UX 
LE  9  AVRIL  168ô^ 

Qoelle  est  la  fin  et  quels  doivent  être  les  fruits  de  la  visite 
du  prélat.  Dispositions  nécessaires  aux  religieuses  pour  en 
proliter.  Effets  admirables  que  produit  la  grâce  dans  une  àme 
<jHi  en  est  remplie.  Cruciliemeut  qui  constitue  toute  la  per- 
fection religieuse.  Les  restes  de  l'amour  du  inonde,  combien 
pernicieux.  Obligation  imposée  aux  personnes  religieuses  de 
prier  pour  les  besoins  de  l'Église ,  et  de  gémir  sur  le  triste 
état  des  pécheurs.  Tendres  in%itations  du  prélat  pour  porter 
toutes  les  sœurs  à  lui  ouvrir  leur  cœur  sans  déguisement. 


Si  quîs  sitit ,  veniat  ad  me ,  et  bibat. 

Si  quelqu'un  a  soif,  qu'il  vienne  à  moi;  je  lui  donnerai 
à  boire  d'une  eau  vive  qui  rejaillira  jusqu'à  la  vie 
éternelle,  et  il  n'atiraplus  soif.  Ce  sont  les  paroles  sa- 
crées que  Jésus-Christ  a  prononcées  dans  l'évangile  de 
ce  jour,  parlant  au  peuple  dans  le  temple  de  Jérusalem. 

Ce  n'est  pas  sans  mystère  que  Jésus-Christ  a 
proféré  ces  admirables  paroles  au  jour  que  les 
Juifs  célébraient  une  fête  parmi  eux,  où  on  ap- 
portait de  l'eau  dans  un  bassin ,  pour  certains 
usages  dans  une  cérémonie  :  ce  qu'il  n'est  pas 
nécessaire  de  vous  expliquer  ici  ;  puisque  Jésus- 
Christ  ne  dit  ces  mêmes  paroles  que  dans  un  sens 
mystique  et  sublime,  qui  ne  signifiait  rien  autre 
chose  que  l'eau  de  la  grâce  qu'il  voulait  donner 
abondamment.  Il  parlait  de  cette  eau  mysté- 
rieuse qu'il  désirait  répandre  dans  les  âmes,  et 
dont  il  voulait  établir  la  source  dans  son  Église. 
Ces  mêmes  paroles  signifiaient  encore  le  zèle 
qu'avait  le  Sauveur,  de  voir  venir  à  lui  les  hommes 
pour  prendre  ces  eaux  de  salut  et  de  grâce  ;  et  la 

*  Ce  discours  et  les  suivants  nous  ont  été  conservés  par  les 
r.ligieuses  ursulinrs  de  la  ville  de  Meaux,  qui  avaient  soin 
décrire  les  instructions  que  Bossuet  leur  faisait.  On  ne  sau- 
rait trop  louer  le  zèle  de  ces  dignes  religieuses  pour  se  nourrir 
des  vérités  que  leur  enseignait  ce  vigilant  pasteur,  et  pour 
transmettre  à  la  postérité  les  monuments  de  sa  sollicitude. 

{Édit.  de D^orit.) 


disposition  qui  est  nécessaire  pour  les  recevoir, 
représentée  par  la  soif  qui  marque  aussi  très-bien 
le  désir  et  la  préparation  qu'il  faut  que  vous  ap- 
portiez à  la  grâce  qu'il  vous  veut  conférer  dans 
cette  occasion  par  mon  ministère. 

Remarquez,  mes  filles,  que  Jésus-Christ  jett 
un  grand  cri ,  disant  :  «  Si  quelqu'un  a  soif,  qui» 
«  vienne  à  moi  et  je  lui  donnerai  à  boire.  »  Ce  cri 
est  en  faveur  des  pécheurs,  pour  qui  il  demande 
miséricorde;  il  est  en  faveur  des  justes  et  des 
âmes  fidèles  dont  il  désire  la  perfection  et  la  sain- 
teté. Il  crie  pour  les  appeler  à  lui;  afin  derépan» 
dre  en  elles  avec  plus  d'abondance ,  l'eau  de  ses 
divines  grâces.  Mais  ce  cri  nous  représente  encore 
ceux  qu'il  jette  dans  l'Église  et  dans  nos  mystè- 
res. Il  crie  dans  ce  temps  par  la  bouche  des  pré- 
dicateurs, qui  excitent  les  peuples  à  faire  des 
fruits  dignes  de  pénitence.  Il  crie  a  l'autel ,  quand 
il  dit  par  la  bouche  des  prêtres  :  «  Faites  ceci  en 
n  mémoire  de  moi\  »  Ces  paroles  sont  un  cri  de 
l'amour  de  Jésus  Christ  qui  demande  le  nôtre.  Il 
crie  dans  les  mystères  de  ce  temps  :  il  criera 
bientôt  de  la  croix ,  par  toutes  ses  plaies  et  par 
son  sang ,  demandant  à  son  Père  le  salut  de  tous 
les  hommes,  pour  qui  il  va  donner  sa  vie  adora-^ 
ble.  Il  crie  spirituellement  dans  les  âmes ,  par  les 
mouvements  intérieurs  que  son  divin  Esprit  y 
forme.  Il  a  crié  dans  vos  cœurs,  mes  fille.s  ;  c'est 
cet  Esprit  saint  qui  a  formé  ces  cris  qu'il  y  a  si 
longtemps  que  vous  faites  entendre ,  et  qui  sont 
parvenus  jusqu'à  mes  oreilles ,  et  qui  m'ont  fait 
connaître  vos  désirs.  Combien  y  a-t-il,  mes  chè- 
res sœurs ,  que  vous  me  demandez  cette  visite, 
et  que  vous  reconnaissez  vous-mêmes  le  besoin 
que  vous  en  avez!  Vous  la  souhaitez  toutes  una- 
nimement :  vous  vous  êtes,  sans  doute,  préparées 
à  recevoir  les  grâces  de  cette  même  visite ,  et 
les  effets  qu'elle  doit  produire  chez  vous,  et  pour 
lesquels  je  la  viens  faire.  Je  viens  confirmer  et  je 
désire  accroître  le  bien  que  j'y  trouverai,  et  dé- 
truire l'imperfection  jusqu'à  la  racine.  Mais  il 
faut  que  vous  ayez  un  véritable  esprit  de  re^ 
nouvellement,  et  un  désfr  sincère  de  coopérer  à. 
nos  soins  de  tout  votre  pouvoir. 

Va,  dit  Dieu  autrefois  au  prophète 4on as ^, 
comme  nous  venons  de  lu*een  la  messe  :  Lève-toi 
pour  aller  à  ISinive  vers  mon  peuple,  prêche-leur 
la  pénitence ,  et  les  avertis  de  ma  part  qu'ils  aient 
à  changer  de  vie;  qu'ils  se  convertissent  de  tout 
leur  cœur  à  moi  qui  suis  leur  Dieu  et  leur  Sei- 
gneur :  autrement  que  dans  quarante  jours  M- 
nive  sera  renversée  et  entièrement  détruite.  Si  ces 
paroles  donnèrent  de  la  frayeur  à  ce  peuple,  el 

»  Joan.  vil ,  37. 
'  Luc.  xxn,  19. 
*  Joan.  lu ,  2  et  seqq. 


102 


SUR  LA  FIN 


eurent  tant  de  pouvoir  el  tant  d'effet ,  celles  que 
je  viens  de  vous  dire  de  la  part  de  Dieu  ne  vous 
doivent  pas  moins  émouvoir  de  respect  et  de 
crainte.  11  y  a  ici  plus  que  Jonas;  et  celui  qui 
m'envoie  à  vous  est  le  même  Dieu ,  grand  et  re- 
doutable. 

Je  viens  donc  aujourd'hui  de  sa  part  vous 
prêcher  la  pénitence,  le  changement  et  le  renou- 
vellement de  vie ,  le  mépris  du  monde ,  le  parfait 
renoncement  à  vous-mêmes ,  la  soumission  d'es- 
prit, la  mortification  des  sens  :  en  un  mot,  je 
viens  faire  cette  visite  pour  réparer  tout  ce  qu'il 
y  aurait  de  déchet  en  la  perfection  religieuse 
dans  votre  maison  5  pour  éteindre ,  pour  détruire 
et  anéantir  les  plus  petits  restes  de  l'amour  du 
monde  et  des  choses  de  la  terre.  Il  faut  faire  pé- 
rir les  moindres  inclinations  de  ce  monde  cor- 
rompu; il  faut  qu'il  meure,  qu'il  y  meure,  qu'il 
expire,  qu'il  y  rende  le  dernier  soupir.  Venez 
donc ,  mes  filles ,  travailler  toutes  avec  moi ,  pour 
exterminer  tout  ce  qui  ressent  encore  ce  monde 
criminel.  Venez  m'aider  à  renverser  Ninive  :  dé- 
truisons tout  ce  qu'il  y  a  encore  de  trop  immor- 
tifîé ,  de  trop  mondain  ;  enfin  tout  ce  qui  est  trop 
naturel  et  imparfait  en  vous ,  sans  pardonner  à 
la  moindre  chose  et  sans  rien  épargner. 

Dites-moi ,  mes  sœurs ,  quelles  sont  mainte- 
nant vos  inclinations  et  vos  pensées  ;  vous  êtes , 
par  vos  vœux ,  mortes  au  monde  et  à  tout  ce  qui 
est  créé  :  que  souhaitez-vous  à  présent?  avez- vous 
d'autres  désirs  que  ceux  qui  vous  doivent  élever 
sans  cesse  vers  les  biens  de  l'éternité  bienheu- 
reuse, et  vous  y  faire  aspirer  à  tout  moment?  Si 
votre]  cœur  a  encore  quelque  mouvement  qui  le 
possède ,  il  faut  désormais  que  ce  soit  pour  la 
justice ,  pour  la  perfection  et  la  sainteté  de  cha- 
cune de  vous  en  particulier,  et  de  tout  votre  mo- 
nastère ,  par  le  moyen  de  cette  visite.  Souhaitez 
véritablement  d'en  recevoir  les  grâces  ;  deman- 
dez qu'elles  soient  répandues  en  vos  âmes.  C'est 
là,  mes  filles,  désirer  la  justice;  comme  dit  Jé- 
sus-Christ dans  son  Évangile,  lorsqu'il  a  pro- 
noncé cet  oracle  sur  la  rftontagne  :  «  Bienheureux 
«  ceux  qui  ont  faim  et  soif  de  la  justice,  ils  se- 
«  ront  rassasiés'.  "Vous  serez  parfaitement  rassa- 
siées, si  vous  n'avez  que  cet  unique  désir.  Il  vous 
donnera  à  boire  de  cette  eau  vive  qui  éteindra 
Totre  soif.  Demandez-lui  comme  la  Samaritaine  ', 
et  il  vous  donnera  cette  eau  dont  je  vous  parle  ; 
qui  n'est  autre  que  la  grâce ,  de  laquelle  il  veut 
remplir  vos  âmes  dans  cette  fonction  sainte  que 
je  viens  exercer  chez  vous  :  car  si  nous  ne  méri- 
tons pas  que  ces  eaux  soient  en  nous  pour  nous- 


•  Matth.\,6. 

•  Joan.  IV,  16. 


mômes ,  nous  les  avons  toutefois  pour  les  répandre 
dans  les  autres.  La  source  en  est  dans  l'Eglise  . 
elle  est  dans  mon  ministère  pour  les  épancher 
dans  vos  cœurs;  puisque  par  mon  caractère  et 
en  qualité  de  son  ministre,  quoique  iridigne,  je 
vous  représente  sa  personne.  Vous  en  serez  toutes 
pénétrées  dans  cette  action  sainte ,  si  vous  n'y  ap- 
portez qu'un  esprit  soumis  et  détaché  de  toutes 
choses. 

La  grâce  est ,  selon  la  théologie ,  une  qualité 
spirituelle  que  Jésus-Christ  répand  dans  nos  âmes, 
laquelle  pénètre  le  plus  intime  de  notre  substance, 
qui  s'imprime  dans  le  plus  secret  de  nous-mêmes, 
et  qui  se  répand  dans  toutes  les  puissances  et  les 
facultés  de  l'âme  qui  la  possède  intérieurement, 
la  rend  pure  et  agréable  aux  yeux  de  ce  divin 
Sauveur,  la  fait  être  son  sanctuaire,  son  taberna- 
cle ,  son  temple,  enfin  son  lieu  de  délices.  Quand 
une  âme  est  ainsi  toute  remplie ,  labondance  de 
ces  eaux  rejaillit  jusqu'à  la  vie  éternelle;  c'est-à- 
dire,  qu'elle  élève  cette  âme  jusqu'à  l'heureux] 
état  de  la  perfection.  N'est-ce  pas  ce  que  dit  Jé- 
sus-Christ :  «  Des  fleuves  sortiront  de  son  ven- 
«  tre  ■  ;  »  la  fontaine  de  ces  eaux  vives  rejaillissant 
jusqu'à  la  vie  éternelle ,  qui  est  précédée  ici-bas  j 
de  la  grâce  et  de  la  sainteté  ?  On  voit  l'épanche- 
ment  de  ces  eaux  jusque  sur  les  sens  extérieurs  : 
sur  les  yeux,  par  la  modestie;  dans  les  paroles, 
par  le  silence  religieux,  et  par  une  sainte  circons- 
pection et  retenue  à  parler  ;  en  un  mot ,  une 
personne  paraît  mortifiée  en  toutes  ses  actions  ; 
elle  se  montre  partout,  possédée  de  la  grâce  au 
dedans  d'elle-même,  contraire  à  l'esprit  du 
monde,  ennemie  de  la  nature  et  des  sens,  mais 
toute  pleine  des  vertus  et  de  l'esprit  de  Jésus- 
Christ. 

Je  ne  sais ,  mes  filles ,  si  vous  avez  assez  bien 
pesé  l'importante  vérité  contenue  en  ces  paroles 
de  saint  Paul  » ,  lorsqu'il  dit  qu'il  est  crucifié 
au  monde  et  que  le  monde  est  crucifié  pour  lui? 
Ces  paroles  renferment,  si  vous  y  prenez  garde, 
toute  la  perfection  religieuse,  à  laquelle  vous 
devez  sans  cesse  aspirer.  Etre  crucifié  au  monde, 
c'est  y  renoncer,  n'y  plus  penser,  n'avoir  que  du 
dégoût  et  de  l'aversion  de  toutes  ses  maximes , 
avoir  du  mépris  pour  l'honneur  et  pour  tout  ce 
qui  est  vain ,  mépriser  le  plaisir  et  tout  ce  que 
le  monde  estime,  n'avoir  plus  la  moindre  atta- 
che à  tout  ce  qui  s'appelle  complaisance  en  vo'is- 
mêmes;  au  contraire  faire  état  partout  et  en 
toutes  choses  de  la  simplicité  chrétienne ,  et  de 
l'esprit  de  la  croix  de  Jésus-Christ  :  voilà  ce  que 
c'est  d'être  crucifié  au  monde.  Mais  ce  n'est  pas 


'  Joan.  VII , 
»  Cat.Yi,  14 


ET  LES  FRUITS  DE  LA  VISITE. 


10» 


encore  assez  ;  il  faut  que  le  monde  soit  crucifié  j 
pour  vous.  C'est,  mes  lilles,  que  vous  ne  devez 
pas  seulement  oublier  ce  malheureux  monde, 
mais  aussi  le  monde  vous  doit  oublier  :  et  pour 
vivre  saintement  dans  votre  état,  vous  devez 
souhaiter  d'en  être  oubliées;  vous  devez  désirer 
d'être  effacées  de  sa  mémoire ,  comme  des  per- 
sonnes mortes  et  ensevelies  avec  Jésus-Christ. 

Considérez-vous  comme  mortes  au  monde ,  et 
qu'il  est  pareillement  mort  pour  vous.  Dès  que 
vous  vous  êtes  ensevelies  dans  le  sépulcre  delà 
religion ,  vous  séparant  du  monde ,  vous  avez  dû 
mourir  à  tout  le  sensible,  par  la  mortification  et 
un  renoncement  total  à  tout  ce  qui  est  mortel  et 
terrestre.  Faites  donc  maintenant  vivre  Jésus- 
Christ  en  vous  par  sa  grâce,  ne  respirez  que 
pour  lui;  n'agissez  que  par  son  esprit ,  et  so3ez- 
en  parfaitement  possédées  :  mourez  tous  les 
jours  à  votre  esprit  propre  et  à  votre  jugement , 
le  soumettant  à  l'obéissance  ;  mourez  à  vos  dé- 
sirs et  à  vos  sens,  mourez  à  vous-mêmes:  étouf- 
fez le  plus  petit  mouvement  de  la  concupiscence, 
dès  qu'il  s'élève  en  vous.  Enfin,  mes  sœurs,  ren- 
dez le  dernier  soupir  de  la  vie  imparfaite  ;  et 
encore  tant  soit  peu  engagées  dans  les  illusions 
du  monde,  dites-lui  un  adieu  général  et  éternel  : 
autrement,  si  vous  ne  mourez  de  cette  mort 
mystique ,  prenez  garde  que  quelque  reste  dan- 
gereux de  la  corruption  de  ce  monde  malheu- 
reux ne  dessèche  et  ne  détruise  en  vos  âmes  ces 


.  ae 


eaux  ae  grâce  que  je  \iens  y  verser  par  cette  vi- 
site, ou  même  ne  vous  rende  incapables  de  les 
recevoir,  et  ne  les  empêche  d'entrer. 

Il  en  est  des  objets  du  monde  qui  offusquent 
notre  imagination,  qui  occupent  et  amusent  no- 
tre esprit,  cojnme  d'une  fontaine  pleine  d'eau 
vive ,  qui  ne  pourrait  rejaillir,  ni  même  retenir 
ses  eaux,  si  le  conduit  en  était  bouché;  parce  que 
la  liberté  de  couler  et  de  se  répandre  lui  étant 
ôtée,  cette  fontaine  sans  doute  viendrait  à  sé- 
cher, et  la  source  en  tarirait.  La  même  chose 
arrive  à  l'égard  de  ces  eaux  de  grâce  dont  je  dé- 
sire remplir  votre  cœur.  Si  ce  même  cœur  est  en- 
core prévenu  d'inclinations  incpjiètes ,  ou  occupé 
des  objets  de  la  terre;  si  le  monde,  ou  quoi  que 
ce  soit  de  créé ,  vous  remplit  l'esprit  et  possède 
votre  affection,  s'il  a  quelque  pouvoir  d'y  faire 
des  impressions ,  et  s'il  se  propose  encore  à  vos 
sens  comme  un  objet  attrayant ,  vous  deviendrez 
comme  cette  fontaine  :  vous  ne  pourrez  recevoir 
ces  saintes  et  mystiques  eaux  ;  parce  qu'il  est  im- 
possible de  remplir  ce  qui  est  déjà  plein  :  ou  bien 
vous  ne  pourrez  conserver  longtemps  ces  grâces 
dont  nous  parlons;  car  l'esprit  du  monde  et  l'es- 
prit de  Jésus-Christ  ne  sauraient  compatir  en- 
semble ,  et  ne  peuvent  demeurer  dans  une  âme. 


Ces  eaux  divines  ne  rejailliront  pomt  jusqu'à  l.i 
vie  éternelle,  à  moins  que,  pour  les  conserver, 
vous  ne  vous  dégagiez  entièrement  de  tout  ce 
qui  vous  empêche  de  vivre  à  Jésus-Christ  et  de 
sa  divine  vie;à  moins  quevous  ne  deveniez  insen- 
sibles comme  des  personnes  mortes  et  crucifiées 
au  monde,  qui  l'ont  mis  si  fort  en  oubli,  qu'elles 
ne  pensent  jamais  à  lui  qu'avec  horrew,  ou  avec 
compassion  de  tant  d'âmes  qui  sont  emportées 
par  sa  corruption,  et  afin  de  vous  employer  sans 
cesse  à  demander  miséricorde  pour  ce  monde  mal- 
heureux qui  retient  tant  de  personnes  continuel- 
lement exposées  au  danger  de  se  perdre  et  de  se 
damner  pour  jamais. 

Vous  le  devez,  mes  filles;  ce  sont  les  obliga- 
tions de  votre  état.  Je  vous  exhorte ,  de  tout  mon 
pouvoir,  à  vous  en  acquitter  avec  grand  soin. 
Offrez  sans  cesse  des  prières  à  la  divine  Majesté , 
pour  toutes  la  nécessités  de  l'Eglise  :  priez  pour 
obtenir  la  conversion  des  infidèles ,  des  pécheurs 
et  des  mauvais  chrétiens ,  et  demandez  à  Dieu 
qu'il  touche  leurs  cœurs.  Gémissez  devant  lui  pour 
tant  de  prêtres  qui  déshonorent  leur  caractère  y 
qui  profanent  les  choses  saintes ,  et  qui  ne  vivent 
pas  conformément  à  leur  dignité  et  à  la  sainteté 
de  leur  état.  Affligez- vous  pour  ces  femmes  et  ces 
filles  mondaines  qui  n'ont  point  cette  pudeur 
qu'elles  devraient  avoir,  qui  est  l'ornement  de 
votre  sexe;  pour  tant  de  chrétiens  et  de  chrétien- 
nes qui  s'abandonnent  à  toutes  leurs  inclinations 
déréglées ,  et  qui  suivent  malheureusement  les 
pernicieuses  maximes  du  monde  et  ses  damnables 
impressions.  Ayez,  mes  filles,  du  zèle  et  de  la 
charité  pour  toutes  ces  personnes  qui  sont  dans 
le  chemin  de  perdition ,  prêtes  à  tomber  dans  des 
abîmes  éternels.  Faites  monter  vos  prières  au 
ciel  comme  un  encens  devant  le  trône  de  Dieu , 
pour  apaiser  sa  colère  irritée  contre  tous  ces  pé- 
cheurs qui  l'offensent  si  outrageusement.  Revê- 
tez-vous des  entrailles  de  miséricorde  :  pleurez 
sur  ces  grands  maux ,  pour  ces  nécessités ,  et  pour 
tant  de  misères  qui  vraiment  sont  dignes  de  com- 
passion et  de  larmes.  Voilà,  mes  sœurs,  de  quelle 
manière  vous  devez  conserver  le  souvenir  du 
monde;  c'est  ainsi  qu'il  faut  y  penser,  et  non 
autrement  :  hors  de  là  il  vous  doit  être  à  dégoût  ; 
tout  vous  y  doit  être  fort  indifférent,  et  ne  doit 
point  entrer  dans  vos  pensées. 

Que  toute  votre  occupation  d'esprit  soit  de  vous 
appliquer  sérieusement  à  opérer  votre  salut,  en 
travaillant  pour  vous  avancer  à  la  perfection  ou 
vous  êtes  obligées  de  tendre  sans  cesse  :  vous  ne 
vous  sauverez  pas ,  si  vous  n'y  aspirez  avec  amour 
i  et  ferveur  le  reste  de  vos  jouj-s.  Renouvelez  donc 
!  en  vous  ce  désir,  dans  cette  visite  que  je  com- 
mence aujourd'hui ,  à  ce  dessein  de  vous  porter 


104 


SUR  LA  FIN  ET  LES  FRUITS  DE  LA  VISITE. 


toutes  à  la  perfection ,  et  pour  vous  sanctifier. 
Pour  correspondre  de  votre  part  à  nos  intentions , 
souvenez-vous  de  ces  paroles  portées  dans  l'Évan- 
gile ,  que  Jésus-Christ  prononça  avec  tant  de  zèle 
et  tant  de  douceur  :  «  Venez  à  moi ,  dit-il  ' ,  vous 
«  qui  êtez  travaillés  et  chargés  de  quelques  peines , 
f<  et  je  vous  sou  lagerai .  >-  Je  vous  dis  la  même  chose, 
mes  filles;  je  vous  adresse  les  mêmes  paroles  en 
vous  conviant  toutes  de  venir  m' ouvrir  vos  cœurs 
sans  crainte  :  dites-moi  avec  confiance  tout  ce 
qui  vous  pèse ,  tout  ce  qui  vous  fait  peine ,  je  vous 
soulagerai.  Venez  donc  à  moi  sans  rien  craindre; 
apportez-moi  un  cœur  sincère,  un  cœur  parfaite- 
ment soumis  et  un  cœur  simple  :  ce  sont  les  dis- 
positions que  je  veux  voir,  et  que  je  demande  de 
TOUS  toutes,  et  avec  lesquelles  vous  devez  venir 
en  ma  présence.  Déclarez-moi  tout  ce  qu'en  con- 
science vous  voyez  être  nécessaire  ou  utile  que  je 
connaisse  pour  le  bien  de  votre  communauté  :  je 
vous  y  oblige  ;  je  vous  ordonne  de  ne  me  rien 
soustraire ,  par  tout  ce  saint  pouvoir  que  j'exerce 
en  vertu  de  mon  caractère. 

Je  vous  dénonce  de  la  part  de  Dieu  tout-puis- 
sant, au  nom  duquel  je  vous  parle,  par  l'auto- 
rité que  je  tiens  de  lui ,  et  par  tout  l'empire  qu'il 
me  donne  sur  vous  toutes  et  sur  chacune  de  vos 
iimes,  que  si  vous  êtes  sincères  et  sans  déguise- 
ment, je  demeurerai  chargé  de  tout  ce  que  vous 
me  direz  :  au  contraire ,  ce  que  vous  voudrez  me 
cacher  et  me  taire ,  je  vous  déclare  que  je  vous  en 
charge  vous-mêmes ,  et  que  ce  sera  un  poids  qui 
vous  écrasera.  Prenez  garde  àceci,  mes  sœurs  ;  ne 
taisez  pas  ce  qu'il  est  utile  de  me  dire,  non  tant 
pour  vous  décharger  que  pour  nous  donner  les 
connaissances  nécessaires  :  ne  m'apportez  que  des 
choses  véritables  et  utiles  pour  la  communauté 
»Ki  pour  votre  particulier;  qu'il  n'y  ait  rien  d'inu- 
tile :  mais  parlez-moi  avec  franchise ,  et  ne  crai- 
j^nez  point  de  me  fatiguer  ;  puisque  je  veux  bien 
TOUS  écouter,  et  vous  donner  tout  le  temps  que 
TOUS  pouvez  souhaiter  pour  votre  instruction  et 
pour  votre  consolation.  Vous  ne  me  serez  poi'.it  à 
charge,  tant  que  je  verrai,  en  ce  que  vous  me 
direz ,  de  l'utilité  pour  vous  ou  pour  le  public  :  au 
contraire,  je  vous  écouterai,  je  vous  répondrai 
selon  les  mouvements  de  Dieu,  et  avec  les  paroles 
qu'il  me  mettra  en  la  bouche.  Ainsi  vous  serez  ins- 
truites, et  vous  recevrez  les  secours  dont  vous 
pouvez  avoir  besoin  ;  et  moi  je  vous  dirai  ce  que 
son  divin  Esprit  me  donnera  pour  vous,  chacune 
selon  ce  que  je  verrai  qui  lui  sera  propre,  pour 
procurer  votre  perfection  et  votre  paix  :  car  je  dé- 
sire profiter  à  tout  le  monde ,  et  qu'il  n'y  ait  pas 
vpe  de  vous  qui  ne  prenne  en  cette  visite  l'esprit 

'  ilatih.  XI .  28. 


d'un  saint  renouvellement  en  la  perfection  de  son 
état.  Je  vous  y  porterai  toutes  en  général,  et  cha- 
cune en  particulier.  Dieu  m'envoie  à  vous  pour 
détruire  Ninive,  c'est-à-dire,  pour  déraciner  jus- 
qu'aux plus  petites  inclinations  de  la  nature  cor- 
rompue, et  toutes  les  imperfections  contraires  à 
votre  sainteté.  Si  ce  peuple  fit  pénitence  à  la  voix 
d'un  prophète ,  et  s'il  se  rendit  docile  à  sa  parole , 
comme  nous  l'avons  lu  en  la  sainte  épître  de  ce 
jour;  avec  quelle  docilité  devez-vous  coopérer  à 
notre  dessein ,  et  n'y  apporter  nul  obstacle? 

Venez  donc  à  moi,  mes  filles,  avec  un  grand 
zèle  de  votre  avancement  et  un  saint  désir  de  la 
perfection  :  ne  craignez  point  de  me  découvrir 
vos  besoins  ;  ouvrez-moi  vos  consciences ,  et  n'hé- 
sitez pas  de  me  dire  tout  ce  qui  sera  pour  votre 
bien  et  même  pour  votre  consolation.  Je  sais  que 
l'office  des  pasteurs  des  âmes  est  de  confirmer  les 
fortes,  et  de  compatir  aux  infirmes,  de  les  con- 
soler en  leurs  faiblesses,  de  les  soulever  et  de  les 
charger  sur  leurs  épaules  :  c'est  ce  que  je  me  pro- 
pose de  faire  en  cette  visite.  Les  fortes ,  nous  tra- 
vaillerons à  les  animer  de  plus  en  plus  à  la  per- 
fection ,  et  à  les  transporter  jusqu'au  ciel  :  les 
faibles,  nous  les  encouragerons;  nous  nous  abais-» 
serons  jusqu'à  leurs  faiblesses  pour  les  relever  et 
les  fortifier  :  nous  les  porterons  sur  nos  épaules  ; 
et  les  unes  et  les  autres ,  nous  les  animerons  et 
nous  tâcherons  de  les  faire  marcher,  et  de  les  éle- 
ver toutes  à  la  perfection  où  elles  sont  appelées. 
En  un  mot ,  nous  désirons  réparer  tout  ce  qui  se- 
rait déchu  en  l'observance  régulière, rallumer  ce 
qui  serait  éteint  en  la  charité ,  et  établir  une  ferme 
et  solide  paix.  A  cet  effet,  je  prétends  réunir  tout 
ce  qui  serait  tant  soit  peu  divisé  ;  je  viens  établir 
la  concorde ,  en  dissipant  les  plus  faibles  disposi- 
tions et  les  plus  légers  sentiments  contraires.  Je 
veux  ruiner  et  anéantir  jusqu'au  plus  petitdéfaut 
contraire  à  la  charité,  et  détruire  tous  les  empê- 
chements de  la  parfaite  union ,  jusqu'aux  moin- 
dres fibres.  II  faut  réparer  toutes  les  ruines  de  cette 
vertu ,  et  remédier  à  tout  ce  qui  s'y  oppose ,  pour 
faire  fleurir  l'ordre  et  la  perfection  dans  votre 
communauté.  Pour  cela,  ne  négligez  aucune  des 
déclarations  sincères  et  véritables  qui  seront  re- 
quises ;  puisque  les  connaissances  que  vous  me 
donnerez  me  serviront  à  faire  régner  Jésus-Christ 
par  une  charité  parfaite  et  une  paix  inaltérable  en 
ce  monde ,  qui  vous  conduira  au  repos  éternel  de 
l'autre.  C"est  ce  que  je  vous  souhaite  à  toutes  : 
cependant  je  prie  Dieu  qu'il  vous  bénisse ,  et  qn'il 
vous  remplisse  de  ses  grâces. 


•••••••• 


SUR  LA  NÉCESSITÉ  DU  SILhls'CE. 


Ina 


DEUXIÈME  EXHORTATION 


FAITS  DANS  LE  CaOEL'R , 

A  LA  CONCLUSION  DE  LA  VISITE, 

LE  27    AVRIL   1685. 

silciirr  rt  recueillement  nécessaires  pourécouter  l'Esprit  de 
j.-M-(  lirist  au  dpilans  de  soi-même.  Funestes  suites  de  la 
i!i>>ip;iti()n .  et  de  l'attache  aux  ctioses  sensibles.  Obligation 
ilecoutf  r  Dieu  dans  ses  supérieurs.  Soumission  et  respect  qui 
Itur  sont  dus,  ainsi  qu'aux  confesseurs  et  directeurs.  Maux 
ij'ie  cause  dans  les  communautés  le  peu  de  respect  pour  le 
^ilpnce.  De  quelle  manière  on  doit  y  parler  de  ses  méconten- 
tements. Partialités  qu'il  faut  en  bannir. 


Sil  autera  omnis  homo  relox  ad  audiendum ,  tordus  autem 
ad  loquendum. 

Que  tout  homme  soit  prompt  à  écouler,  et  tardif  à  par- 
ler. Paroles  de  l'épllre  de  saint  Jacques,  i ,  19. 

Dans  ces  paroles,  mes  filles,  je  renferme  tout 
le  fruit  de  la  visite,  et  j'y  fais  consister  toute  la 
perfection  de  cette  communauté.  Je  me  restreins 
seulement  à  vous  recommander  ces  deux  choses  : 
Quou  soit  prorapt  à  écouter,  et  tardif  a  parler. 
Que  veut  dire ,  mes  sœurs ,  être  prompt  à  écouter  ? 
qu'est-ce  que  vous  devez  écouter ,  et  qui  devez- 
vous  écouter  ? 

Vous  devez  écouter  premièrement  cette  chaste 
vérité  qui  vient  se  répandre  dans  notre  cœur, 
quand  elle  le  trouve  préparé,  tranquille  et  paci- 
fique. C'est  l'esprit  de  Jésus-Christ  qu'il  faut  écou- 
ter au  dedans  de  vous-mêmes ,  et  qui  vous  parle 
par  ses  inspirations,  par  ses  vocations  intérieures, 
par  ses  attraits  et  par  ses  touches  secrètes ,  par 
ses  impressions  amoureuses  et  par  ses  grâces  pré- 
venantes. Il  faut ,  mes  filles ,  l'écouter  avec  at- 
tention ,  et  observer  ses  moments  favorables,  où 
il  veut  réj)andre  dans  votre  cœur  les  pures  lumiè- 
res de  la  sagesse  et  de  la  grâce.  Il  faut  se  rendre 
bien  attentive  quand  ce  divin  Esprit  frappe  à  la 
porte  de  ce  même  cœur,  pour  s'y  faire  entendre 
en  qualité  de  docteur  et  de  maître.  C'est  en  ces 
temps  heureux  qu'il  faut  être  tranquille,  et  par- 
faitement dégagé  du  bruit  et  du  timiulte  des 
créatures.  Il  faut  être  libre  de  toute  inquiétude,  de 
toute  passion  forte  ;  en  un  mot,  il  faut  un  silence 
et  une  récollection  parfaite  pour  entendre  inté- 
rieurement la  voix  de  Dieu.  Quand  le  créateur 
parle ,  il  faut  que  la  créature  cesse  de  parler,  et 
qu'elle  se  taise  par  un  grand  recueillement.  L'Es- 
prit de  Dieu ,  qui  ne  se  plait  à  demeurer  que  dans 
un  cœur  pcdsibîe  et  tranquille ,  ne  vient  jamais 
dans  une  âme  toujours  agitée ,  ou  souvent  trou- 
blée par  le  désordre  et  le  bruit  que  causent  seà 
passions ,  et  l'émotion  de  ses  sentiments  :  il  n'ha- 
bite point  aussi  dans  une  âme  dissipée ,  distraite , 
qui  aime  l'épanchement ,  et  qui  cherche  à  se  rè» 


pandrc  au  dehors  par  ces  discours  mutiles  et  ces 
conv«rsations  si  ennemies  de  la  vie  intérieure. 

Prenez  donc  garde ,  mes  filles ,  de  ne  pas  vous 
étourdir  vous-mêmes  ;  et  n'empêchez  pas  l'Esprit 
saint ,  qui  est  en  vous ,  de  parler  à  vos  cœurs. 
Souvenez-vous  que  c'est  un  esprit  pacifique  qui 
vient  se  communiquer  avec  paix  et  avec  douceur, 
non  avec  force  et  violence ,  et  qui  n'entre  jamais 
dans  un  cœur  au  milieu  des  tempêtes,  des  orages 
et  de  ces  vents  furieux  qui  ne  sont  propres  qu'à 
déraciner  les  cèdres  du  Liban  :  il  y  veut  venir  avec 
une  pai.x  amoureuse,  et  dans  un  agréable  et  doux 
zéphyr,  dont  parle  l'Écriture  sainte  ' ,  qui  anime 
une  âme  et  qui  la  remplisse  d'une  véritable  joie 
par  la  douceur  des  grâces  qui  lui  sont  données,  et 
que  cet  Esprit  de  sainteté  lui  communique  en  se 
venant  insinuer  en  elle  suavement,  bénignement, 
parce  qu'il  la  trouve  dans  la  paix  et  dans  le  si- 
lence. Ecoutez  donc  Dieu  parler  au  fond  de  vous- 
mêmes  ;  et  n'ayez  que  le  soin  de  votre  perfection , 
sans  vous  mettre  en  peine  que  de  ce  qui  vous  peut 
empêcher  d'y  parvenir. 

Il  n'y  a  qu'une  seule  chose  nécessaire  ;  c'est 
Dieu  seul  qui  doit  occuper  vos  pensées  et  possé- 
der votre  cœur.  Hé  !  de  quoi  profitent  les  appli- 
cations que  l'on  donne  aux  choses  de  la  terre ,  et 
tant  d'empressements  surperflus  et  distrayants 
que  l'amour-propre  fait  naître  dans  le  cœur  hu- 
main ?  Si  vous  retranchez  tout  cela  par  le  déga- 
gement des  créatures ,  vous  aurez  cette  félicité 
qui  se  goûte  dans  la  cessation  et  le  repos  de  tous 
les  désirs.  Jésus- Christ  est  le  centre  de  votre 
paix  ;  et  tous  les  troubles ,  toutes  les  peines  et 
les  difficultés  qui  vous  peuvent  faire  obstacle, 
en  la  voie  de  la  perfection  et  de  votre  salut ,  ne 
viennent  que  des  dissipations  et  des  amusements 
hors  de  lui ,  et  ensuite  des  passions  du  cœur  mal 
fortifiées  et  déréglées ,  qui  suivent  ces  états  trop 
ordinaires  de  distraction  et  d'égarement  parmi 
les  choses  terrestres ,  où  l'on  fait  de  si  grandes 
pertes. 

Mes  filles ,  il  n'y  a  plus  rien  pour  vous  sur 
la  terre  de  nécessaire  ;  Jésus-Christ  est  votre  uni- 
que besoin,  le  seul  bien  qui  vous  suffit  et  qu'il 
faut  que  vous  cherchiez  sans  cesse.  Ayez  donc 
une  âme  pure  et  simple ,  et  qui  tende  toujours  à 
réunir  en  Dieu  toutes  ses  puissances  intérieures 
et  ses  opérations  extérieures,  par  la  récollection 
et  la  retraite ,  où  vous  entendrez  la  voix  de  votre 
époux.  Ce  n'est  que  dans  le  silence,  et  dans  le  re- 
tranchement des  discours  inutiles  et  distrayants, 
qu'il  vous  visitera  par  ses  inspirations  et  par  ses 
grâces ,  et  qu'il  fera  sentir  sa  présence  à  votre  in- 
térieur. 

'  III.  Reg.\iX,  12. 


106 


SUR  LA  NÉCESSITÉ 


Mais  il  faut  encore  écouter  Dieu  parler  par  le 
ministère  des  supérieurs ,  qui  vous  représentent 
Jésus-Christ ,  et  spécialement  dans  les  visites 
pastorales ,  où  le  Saint-Esprit  préside  infaillible- 
ment. 

Ici ,  mes  filles ,  je  suis  bien  aise  de  vous  dire 
en  passant ,  que  si  vous  ne  tirez  pas  de  cette  vi- 
site le  fruit  que  j'attends  et  que  vous  devez  en 
recueillir,  assurément  Jésus-Christ  vous  en  de- 
mandera un  compte  rigoureux  et  sévère  à  son  tri- 
bunal ,  qui  sera  très- redoutable  à  celles  qui  n'au- 
ront pas  fait  un  bon  et  digne  usage  des  grâces 
attachées  à  cette  même  visite.  Prenez-y  garde , 
mes  sœurs;  je  vous  citerai  et  je  m'élèverai 
contre  vous  au  jour  du  Seigneur  :  ce  ne  sera  pas 
moi  qui  vous  jugerai  ;  non ,  ce  ne  sera  pas  moi; 
mais,  je  vous  le  dis,  ce  seront  mes  paroles  qui 
vous  condamneront ,  si  vous  ne  les  écoutez  pas 
avec  l'attention  requise ,  et  si  vous  les  recevez 
avec  moins  de  soumission  d'esprit  que  vous  ne 
devez  pour  en  faire  un  véritable  profit.  Il  est  dit 
en  la  sainte  Écriture  :  que  les  pasteurs  de  l'É- 
glise s'élèveront,  au  jugement  de  Dieu,  contre 
ceux  qui  n'auront  pas  fait  état  de  leurs  paroles , 
qui  ne  les  auront  pas  écoutés  avec  respect ,  et  qui 
auront  méprisé  ou  négligé  leurs  avertissements. 
Cela,  mes  filles,  vous  doit  porter  à  lobservanee 
fidèle  et  exacte  de  ce  que  nous  vous  disons  ;  et 
il  faut  aussi  que  vous  ayez  pour  vos  confesseurs 
et  directeurs  beaucoup  d'estime ,  de  soumission 
et  de  déférence. 

Ils  vous  parlent  de  la  part  de  Dieu ,  vous  de- 
vez donc  écouter  l'Esprit  de  Jésus-Christ  dans 
leur  ministère.  N'a-t-il  pas  dit  dans  l'Évangile , 
parlant  d'eux  :  «  Qui  vous  écoute ,  m'écoute  ■  ?  » 
Puisque  c'est  Jésus- Christ  qui  nous  assure  de 
cette  vérité ,  prenez  garde  à  ces  paroles  si  dignes 
de  respect  :  ayez  une  singulière  vénération  pour 
vos  confesseurs  et  directeurs;  ce  sont  eux  qui 
sont  chargés  de  vos  âmes  :  c'est  par  eux  que 
Dieu  vous  parle,  n'en  doutez  point  ;  et  puisqu'ils 
vous  déclarent  ses  volontés,  vous  devez  les  écou- 
ter avec  humilité  et  docilité ,  et  vous  soumettre 
humblement  à  leurs  ordres  et  à  leur  conduite , 
bien  loin  d'en  murmurer,  d'en  dire  ses  sentiments, 
de  s'en  plaindre  mal  à  propos  en  des  assemblées 
secrètes.  L'Esprit  de  Jésus-Christ  ne  se  trouve 
nullement  dans  ces  plaintes  indiscrètes,  et  dans 
ces  murmures  que  l'on  fait  de  ses  mhiistres.  Dans 
la  sainte  Écriture,  il  est  expressément  défendu  de 
mal  parler  d'eux*  :  elle  ordonne  de  les  respecter, 
de  les  honorer,  et  de  ne  point  toucher  aux  oints 
du  Seigneur  ^  Si  vous  considériez  bien  leur  grand 

'  Luc.  X,  le. 

»  Exod.  XXII,  28.  AcL  xxill,  5. 

»  Ts.  civ,  15. 


pouvoir  et  leur  sublime  dignité ,  sans  doute  que 
vous  auriez  pour  leur  personne  plus  de  respect. 
Bannissez  d'entre  vous  ces  plaintes  et  ces  mur- 
mures. 

Je  vous  en  conjure ,  mes  filles ,  que  je  n'en- 
tende plus  parler  de  mécontentement,  ni  de  ces 
discours  qui  causent  parmi  vous  des  émotions. 
Ne  regardez  que  l'autorité  que  Dieu  a  donnée 
sur  vous  à  ses  ministres.  Je  défends  ces  plaintes 
et  ces  entretiens  des  sentiments  contraires  à 
l'humilité  et  à  la  paix.  Si  quelque  chose  vous  fait 
peine ,  je  n'entends  pas  que  vous  ne  puissiez  en 
parler  à  vos  supérieurs  pour  vous  instruire  :  on 
le  peut  dans  quelques  rencontres;  mais  jamais 
pour  s'abandonner  au  murmure,  ni  pour  condam- 
ner les  ministres  de  Dieu ,  ce  qui  ne  lui  peut  être 
agréable  :  hors  de  là  vous  pouvez  communiquer 
vos  difficultés  aux  supérieurs.  Non,  je  n'ôte 
point  la  liberté  de  s'adresser  à  ceux  à  qui  on  les 
peut  dire ,  j'entends  aux  pasteurs  et  aux  susdits 
supérieurs  :  moi-même  je  veux  bien  encore  vous 
écouter  dans  votre  besoin,  et  quand  il  sera  néces- 
saire pour  votre  consolation.  Sachez  que  je  vous 
porte  toutes  dans  mon  sein  et  dans  mes  entrail- 
les :  vous  m'êtes  toutes  présentes  à  l'esprit  jour 
et  nuit ,  et  tout  ce  que  vous  m'avez  dit  toutes  en 
particulier.  Croyez ,  mes  chères  filles ,  que  pas 
une  syllabe  ne  m'est  échappée  de  la  mémoire  ; 
je  pense  à  toutes  vos  nécessités ,  tant  en  général 
qu'en  particulier. 

Mettez- vous  donc  en  repos ,  si  vous  m'avez 
déclaré  les  choses  comme  vous  les  diriez  si  vous 
alliez  dans  un  quart  d'heure  paraître  devant  la 
majesté  de  Dieu  :  n'ayez  plus  aucun  souci  à  pré- 
sent ;  puisque  je  veux  bien  me  charger  de  tout 
ce  que  vous  m'avez  dit.  Ne  vous  l'ai-je  pas  dit 
au  commencement  de  cette  visite,  que  je  me 
charge  de  tout  ce  que  vous  m'avez  déclaré?  Cela 
étant ,  attendez  en  paix ,  et  avec  patience ,  que 
Dieu  vous  manifeste  sa  volonté  par  mon  minis- 
tère ;  et  puisque  vous  vous  déchargez  sur  nous 
de  tout  ce  qui  vous  concerne ,  tant  en  général 
qu'eu  particulier,  c'est  à  vous  à  demeurer  en  re- 
pos et  dans  l'indifférence ,  par  une  soumission  à 
tout  ce  que  l'Esprit  de  Dieu  nous  inspirera ,  dans 
le  temps ,  de  vous  dire  pour  votre  perfection.  Je 
ne  négligerai  rien  pour  votre  avancement;  j'y  ap- 
porterai tous  mes  soins  et  toute  mon  application, 
et  je  veillerai  sur  tous  vos  besoins  spirituels.  As- 
surez-vous ,  mes  filles ,  que  vous  êtes  toutes  pré- 
sentes à  mon  esprit,  et  qu'à  l'avenir  j'étendrai  de 
plus  en  plus  mon  soin  pastoral  sur  vous  toutes, 
vous  permettant  même  la  liberté  d'avoir  recours  à 
notre  autorité  épiscopale  dans  vos  plus  pressantes 
nécessités.  Venez  donc  à  moi ,  mes  filles ,  quand 
vous  vous  trouverez  chargées  et  oppressées  ;  je 


DU  SILENCE. 


107 


VOUS  soulagerai  et  donnerai  le  repos  ù  vos  âmes. 
Venez  ;  puisque  je  vous  recevrai  avec  douceur  et 
avec  joie,  voulant  bien  vous  écouter,  quand  il 
sera  nécessaire  :  mais  toutefois  faites  que  cela 
n'arrive  que  dans  de  grands  besoins ,  et  dans  les 
occurrences  de  choses  de  conséquence.  A  cela 
nous  discernerons  les  esprits,  et  nous  en  connaî- 
trons la  sagesse  et  la  prudence ,  par  l'importance 
des  choses  que  l'on  viendra  nous  dire. 

Cependant,  mes  filles,  observez  ce  que  nous 
vous  prescrivons  pour  votre  salut  et  pour  votre 
perfection.  Écoutez  Dieu  parler  en  vous  :  écou- 
tez-le parlant  par  vos  supérieurs  ;  et  par  le  saint 
ministère  de  vos  confesseurs  et  directeurs;  puis- 
que c'est  le  Saint-Esprit  qui  vous  conduit.par 
eux  :  enfin  écoutez  encore  ce  même  Dieu  parler 
par  votre  supérieure  ;  parce  que  la  supérieure  en 
sa  manière  vous  tient  aussi  la  place  de  Jésus- 
Christ.  Vous  devez  avoir  pour  elle  respect,  amour 
et  confiance.  C'est  une  mère  spirituelle,  qui  vous 
doit  porter  toutes  dans  ses  entrailles  :  c'est  pour- 
quoi il  faut  qu'une  supérieure  reçoive  avec  un 
cœur  vraiment  maternel  et  qu'elle  porte  dans  son 
sein  les  fortes  et  les  faibles,  et  que  sa  charité  s'é- 
tende sur  toutes  en  général  et  en  particulier,  sans 
favoriser  plus  les  unes  que  les  autres.  Il  faut 
qu'elle  parle  à  toutes  dans  leurs  besoins  avec  dou- 
ceur et  bonté  :  mais  aussi  il  ne  faut  pas  qu'il  y 
en  ait  qui  se  fâchent  et  qui  observent  si  elle  parle 
plus  souvent  à  quelques-unes.  Croyez  que  celles- 
là  en  ont  plus  de  besoin ,  et  que  leurs  nécessités 
sont  plus  grandes  et  plus  pressantes  que  les  vô- 
tres; et  que,  cela  étant,  celles-là  doivent  recou- 
rir plus  fréquemment  à  la  charité  de  la  supé- 
rieure, pour  être  conduites  sûrement  dans  le 
chemin  de  la  perfection.  Sachez ,  mes  filles ,  que 
Dieu  a  attaché  votre  perfection  à  l'obéissance  que 
vous  devez  rendre  à  votre  supérieure.  Assurez- 
vous  que  la  voix  de  votre  supérieure  est  la  voix 
de  Dieu  même,  et  que  c'est  lui  qui  vous  parle 
qiRiud  elle  vous  ordonne  quelque  chose.  Respec- 
tez donc  l'autorité  de  Jésus-Christ  qui  est  en  elle 
et  qui  y  réside.  Écoutez  ses  paroles  avec  autant 
de  respect  que  vous  feriez  celles  de  Jésus-Christ 
même  ;puisqu'ilditen  la  personne  des  supérieurs  : 
«  Qui  vous  écoute,  m'écoute.  »  Je  sais  bien  que 
les  choses  qu'elle  ordonne  peuvent  paraître  quel- 
quefois n'être  pas  si  justes.  Hé  bien  !  il  y  a  de 
l'infirmité  :  mais  je  sais  aussi  qu'elle  peut  avoir 
des  raisons  que  les  particulières  ne  peuvent  pas 
pénétrer. 

Voilà ,  mes  sœui-s ,  comme  vous  devez  écouter 
D'eu  parler;  c'est  ainsi  qu'il  faut  entendre  et 
pratiquer  ces  paroles  de  saint  Jacques  :  «  Que 
■  tout  homme  soit  prompt  à  écouter.  »  Soyez  donc 
promptes  à  écouter  Dieu  parler  dans  votre  cœur, 


et  par  la  bouche  de  ceux  qu'il  vous  donne  pour 
votre  conduite  :  mais  aussi  soyez  tardives  à  par- 
ler. Aimez  le  silence,  la  retraite  et  la  solitude f 
ne  dites  jamais  aucune  parole  dont  vous  puissiez 
ensuite  vous  repentir  :  soyez  fort  circoaspectcs  à 
parler  ;  et  ne  dites  jamais  rien ,  comme  dit  saint 
Augustin ,  sans  l'avoir  conçu  dans  le  cœur,  et 
ensuite  pesé  et  ordonné  par  la  raison ,  avant  que 
de  le  laisser  échapper  ou  sortir  de  votre  bouche. 
Le  désir  de  parler  est  commun  à  tout  homme  , 
mais  surtout  à  votre  sexe  ;  cette  inclination  vous 
est  naturelle,  toutefois  il  la  faut  combattre. 
Vous  n'aurez  jamais  regret  d'avoir  gardé  le  si- 
lence, quelque  peine  et  contrainte  qu'il  faille 
souffrir.  Il  y  a  de  la  mortification ,  je  vous  l'a- 
voue ,  à  garder  le  silence.  Hé  bien  î  on  dira  une 
parole  piquante,  de  mépris  ou  de  raillerie  :  on 
se  satisfait ,  on  se  fait  justice  à  soi-même  par  ses 
plaintes  et  ses  murmures;  mais  aussi  combien 
blessez-vous  la  charité,  et  combien  de  fautes 
fait-on  pour  ne  savoir  pas  garder  le  silence  en  ces 
occasions  ! 

Dieu  m'a  fait  connaître ,  dans  la  lumière  de 
son  esprit,  que  la  cause  principale  du  trouble  et 
de  la  division  de  la  communauté  ne  vient  point 
d'ailleurs  que  de  ce  qu'on  est  trop  prompt  à  par- 
ler, et  du  défaut  de  silence.  Si  donc  le  silence  y 
était  bien  observé ,  je  crois  que  la  charité  y  serait 
parfaite ,  et  les  fruits  de  la  paix  se  trouveraient 
en  cette  maison.  C'est  ce  que  vous  avez  vous- 
mêmes  fort  bien  remarqué ,  et  chacune  de  vous 
a  justement  mis  le  doigt  sur  la  source  du  mal. 
Presque  toutes  m'ont  dit  leur  pensée  sur  ce  su- 
jet, m'avouant  que  le  silence  n'était  point  gardé 
religieusement,  et  que  cette  grande  liberté  de 
parler  en  tout  temps ,  de  communiquer  ses  senti- 
ments sur  toutes  choses ,  et  de  se  dire  des  paroles 
contre  la  charité  et  la  douceur,  était  l'unique 
cause  de  tous  les  désordres  qui  troublaient  la 
paix  et  le  repos  de  chacune  Puis  donc  que  vous 
reconnaissez  ce  défaut  être  une  source  de  dis- 
corde, apportez  toutes  vos  diligences  pour  le 
retrancher  tout  à  fait. 

Je  vous  puis  dire  pour  votre  consolation ,  mes 
filles,  que  j'ai  trouvé  beaucoup  de  bien  dans 
cette  maison  :  il  y  a  de  la  vertu ,  de  bons  prin- 
cipes de  piété.  Presque  toutes  m'ont  fait  paraî- 
tre de  grands  désirs  de  renouvellement  :  toutes 
désirent  la  paix;  et  dans  toutes  les  plaintes  qui 
nous  ont  été  faites  assez  exactement  pour  et  con- 
tre ,  je  n'ai  trouvé  aucun  sujet  considérable ,  et 
capable  de  désunir  les  esprits ,  et  de  les  aliéner 
les  uns  des  autres.  Hé!  faut-il  donc,  pour  un 
entêtement  et  pour  je  ne  sais  quelle  préoccupa- 
tion d'esprit,  que  l'union  et  la  charité  ne  soient 
pas  parmi  vous  au  point  où  elles  y  devraient 


i08 


SUR  LA  JNÉGtSSITÉ  DU  SILENCE. 


<^tre?  Que  chacune  donc  s'efforce  de  retenir  ses 
pensées  et  ses  sentiments  en  elle-incme ,  sans 
se  les  communiquer  l'une  à  l'autre  pour  s'indis- 
poser. Vous  ne  devez  jamais ,  quelque  peine  que 
vous  sentiez,  et  nonobstant  les  sujets  de  vous 
plaindre  que  vous  pourriez  avoir  ;  vous  ne  devez 
pas ,  dis-je ,  vous  porter  à  parler  avec  une  liberté 
contraire  à  la  charité  et  à  la  paix.  Il  ne  vous  est 
point  permis  de  vous  faire  justice  à  vous-mêmes. 
Vous  pouvez  parler  aux  personnes  à  qui  il  con- 
vient; je  n'entends  pas  à  celles  qui  seraient  inté- 
ressées ou  qui  se  pourraient  indisposer  :  je  dis  à 
la  supérieure ,  et  encore  d'une  manière  qui  ne  lui 
puisse  pas  donner  d'éloignement  des  autres  ;  mais 
avec  les  circonstances  que  la  prudence  et  la  dis- 
crétion enseignent.  Les  supérieurs  sont  des  fon- 
taines publiques  :  il  ne  faut  pas  les  empoisonner. 
C'est  comme  cela ,  mes  sœurs ,  qu'il  faut  manier 
les  intérêts  de  la  charité ,  et  que  vous  devez  mé- 
nager et  procurer  toujours  les  biens  de  la  paix , 
sans  vous  faire  tort  les  unes  aux  autres  ni  vous 
désobliger. 

Hé  bien!  mes  filles,  je  vous  défends  de  la 
part  de  Dieu ,  et  par  l'autorité  que  j'ai  sur  vous , 
de  vous  maltraiter.  Quand  je  dis  maltraiter, j'en- 
tends de  vous  offenser  par  aucun  emportement 
de  paroles  rudes  et  piquantes ,  qui  blessent  et 
qui  aigrissent,  qui  témoignent  du  mépris,  de 
l'aliénation  et  trop  de  fierté  ;  et  même  de  dire 
aucune  chose  contre  le  respect  que  vous  vous  de- 
vez les  unes  aux  autres,  de  faire  des  divisions 
entre  vous,  et  de  parler  contre  les  personnes 
consacrées  à  Dieu,  cela  étant  tout  à  fait  indigne 
de  vous,  et  opposé  aux  devoirs  de  votre  état 
vraiment  saint.  Supportez-vous  donc  toutes ,  et 
traitez-vous  avec  une  charité  sincère.  «  Préve- 
'<  nez-vous  les  unes  les  autres  en  honneur  et  en 
«  honnêteté ,  »  comme  vous  conseille  saint  Paul  ■. 
Et  moi  je  vous  conjure  au  nom  de  Dieu ,  et  je 
vous  l'ordonne  même,  de  ne  jamais  vous  parler 
qu'avec  douceur,  modestie  et  charité ,  d'éloigner 
de  votre  conversation  toutes  ces  paroles  désa- 
gréables, contrariantes  ou  de  raillerie;  en  un 
mot ,  tout  ce  qui  est  contraire  à  l'union  et  à  cette 
civilité  qui  doit  paraître  et  qu'il  faut  faire  régner 
dans  vos  entretiens.  Parmi  les  grands  et  les  prin- 
ces du  monde,  nous  voyons  qu'ils  se  traitent 
tous  les  uns  les  autres  avec  honneur  et  respect  ; 
quoiqu'ils  soient  égaux  en  qualité  :  chacun  d'eux 
se  rendant  honneur  réciproquement ,  sans  crain- 
dre de  se  rabaisser  ;  et  n'est-ce  pas  se  faire  hon- 
neur à  soi-même,  que  de  traiter  avec  honneur 
les  personnes  de  même  dignité?  C'est  ainsi,  mes 
filles ,  que  vous  devez  en  user  parmi  vous  :  non 

«  iiom.  XII ,  10. 


que  je  désire  une  civilité  affectée  et  mondaine, 
ce  n'est  pas  celle-là  que  je  demande  :  celle  que 
je  vous  recommande  d'avoir  entre  vous ,  doit  être 
fondée  sur  ce  que  vous  êtes  à  Jésus-Christ.    * 

Hé  quoi!  mes  filles,  pour  qui  vous  prenez- 
vous?  qui  pensez-vous  être,  pour  vous  traiter 
avec  tant  de  mépris  et  de  grossièreté?  Ne  savex- 
vous  pas  que  vous  appartenez  à  Jésus-Christ, 
que  «  vous  êtes  rachetées  d'un  grand  prix»,  » 
que  vous  faites  la  plus  illustre  portion  de  l'Église, 
étant  les  véritables  épouses  du  Seigneur,  et  que 
son  Esprit  saint  habite  en  vous  par  sa  grâce? 
Est-il  possible  que  vous  manqueriez  de  charité  et 
de  douceur  envers  vos  sœurs  !  Si  vous  considé- 
riez en  elles  un  Jésus-Christ  pauvre,  un  Jésus 
obéissant ,  un  Jésus  anéanti  et  humilié ,  un  Jésus 
mortifié  et  crucifié,  pour  un  jour  le  voir  ressus- 
cité et  glorieux  en  elles  :  si  vous  aviez  ces  saintes 
pensées  pour  toutes  vos  sœurs,  n'est-il  pas  vrai 
que  vous  n'auriez  pour  elles  que  des  sentiments 
de  respect  et  d'estime,  et  que  jamais  il  ne  sorti- 
rait une  seule  parole  de  votre  bouche ,  contraire 
à  la  charité?  Si  on  les  considérait  comme  les  an- 
ges de  la  terre ,  on  se  garderait  bien  de  les  mé- 
priser. Mes  filles ,  occupez-vous  de  ces  mêmes 
pensées  à  l'avenir  :  retenez  la  plus  petite  parole 
qui  puisse  désagréer  à  Jésus-Christ  et  contrister 
son  divin  Esprit,  qui  est  au  dedans  de  vous  tou- 
tes ;  craignez  de  lui  déplaire ,  et  de  l'offenser  en 
la  personne  de  vos  sœurs. 

H  y  a  encore  une  chose  dont  vous  devez  vous 
abstenir  pour  maintenir  et  conserver  la  charité  ; 
c'est ,  mes  sœurs ,  de  bannir  de  vos  récréations 
et  de  vos  entretiens  ces  partialités  et  contentions 
qui  naissent  souvent  entre  vous  pour  de  certaines 
différences.  On  dit  :  Les  filles  de  celui-ci ,  les 
filles  de  celui-là....  Pour  moi ,  dit-on ,  je  suis  à  ce 
directeur;  l'autre  dit  :  Je  serai  à  cet  autre. . . .  Celle- 
là  est  la  fille  d'un  tel  ou  d'un  tel.  Saint  Paut, 
en  pareilles  partialités ,  parle  ainsi  aux  Corin- 
thiens* :  «  Puisqu'il  y  a  parmi  vous  de  l'envie  et 
«  du  débat ,  n'êtes-vous  pas  charnels  ;  et  ne  par- 
«  lez- vous  pas  selon  l'homme ,  lorsque  l'un  dit  : 
«  Pour  moi ,  je  suis  de  Paul  ;  un  autre ,  d'Ap- 
«  polio  ?  n'êtes-vous  pas  des  hommes ,  de  parler 
«  en  ces  termes  ?  » 

Ne  pourrais-je  pas  vous  dire  ici  la  même  chose 
que  disait  l'apôtre  parlant  à  des  hommes?  H  leur 
reprochait  qu'ils  étaient  de  chair,  parce  qu'ils 
parlaient  ainsi  en  hommes.  Moi ,  je  vous  dirai 
aussi  que  vous  êtes  des  filles  ;  que  vous  parlez  en 
filles.  Et  en  effet ,  dans  cette  rencontre  n'êtes-vous 
pas  des  filles;  et  ne  parlez-vous  pas  en  vraies 
filles,  lorsque  vous  tenez  ces  discours?  Ne  sa- 

'  I.  Cor.  VI,  20. 
»  76?rf.  m,3,4. 


ORDONNANCES  DE  VISITE. 


f09 


vez-vous  pas,  mes  sœurs ,  que  vous  n'avez  qu'un  | 
!«eul  maître ,  qui  est  Jésus-Christ ,  qui  vous  est 
représenté  par  ses  ministres?  C'est  à  lui  seul  et 
à  nous ,  qui  vous  tenons  sa  place ,  à  qui  vous 
appartenez  et  de  qui  vous  devez  dépendre  abso- 
lument :  les  autres  vous  sont  donnés  seulement 
comme  des  secours,  que  l'on  vous  accorde  sim- 
plement pour  les  temps  où  vous  pouvez  en  avoir 
besoin.  Si  vous  ne  considériez  que  Jésus-Christ 
en  ces  personnes ,  vous  ne  feriez  point  de  distinc- 
tions qui  ne  sont  pas  dignes  des  épouses  du  Sei- 
gneur. Ne  parlez  donc  plus  dans  ces  termes,  qui 
ressentent  encore  trop  la  chair  et  le  sang  :  agis- 
sez d'uue  manière  plus  dégagée  et  éloignée  de 
toutes  bassesses.  Vous  êtes  l'ornement  de  l'Eglise, 
que  vous  embellissez  :  vous  en  êtes  les  victimes 
saintes ,  qui  êtes  consacrées  à  Dieu ,  et  profita- 
bles au  public  par  la  profession  de  votre  insti- 
tut. Je  vous  regarde  comme  des  anges  sur  la 
terre,  comme  les  époiKes  de  Jésus-Christ,  et 
comme  les  enfants  de  Dieu.  Espérez  donc  miséri- 
corde ;  puisque  vous  êtes  enfants  de  miséricorde , 
formées  à  la  louange  de  la  grâce  de  Jésus-Christ. 
Voilà ,  mes  filles ,  ce  que  j'avais  à  vous  dire 
pour  votre  perfection,  touchant  le  silence,  l'u- 
nion et  la  charité.  Que  chacune  s'étudie  à  présent 
à  l'observer,  et  tâche  de  se  conformer  à  tout  ce 
que  je  viens  de  vous  prescrire.  N'empêchez  point 
le  Saint-Esprit  d'entrer  en  vous;  n'apportez  point 
de  résistance  ni  d'obstacles  aux  grâces  qu'il  a 
dessein  de  vous  faire  par  mon  ministère  en  cette 
visite.  Vous  me  direz  :  Tout  cela  ne  se  fait  pas 
d'un  coup.  Il  est  vrai;  mais  je  vous  répondrai 
qu'avec  un  grand  désir  et  une  volonté  efficace , 
Fonvientàbout  de  tout.  Travaillez-y ,  mesfilles, 
souvenez-vous  toujours  de  ces  paroles  que  je 
vous  ai  dites  au  commencement  de  ce  discours  : 
«  Que  tout  homme  soit  prorapt  à  écouter,  et  tar- 
«  dif  à  parler.  »  Écoutez  Dieu  parler  au  fond  de 
vos  cœurs ,  écoutez-le  quand  il  vous  parle  par 
l'organe  de  vos  supérieurs  et  directeurs;  enfin 
écoutez-îe  encore  parlant  en  la  personne  de  votre 
supérieure,  et  surtout  je  vousrecommand';  d'être 
tardives  à  parler .  Aimez  le  silence  et  le  repos 
dans  l'obéissance  ;  et  n'ayez  plus  qu'un  seul  et 
unique  désir,  qu'une  seule  occupation,  qui  est  le 
soin  de  votre  perfection  et  avancement  spirituel , 
et  de  faire  du  progrès  dans  la  vertu. 

Monseigneur  Jit  ensuite  le  chapitre,  après  le- 
quel Sa  Grandeur,  continuant  de  nous  ins- 
truire, nous  dit  les  choses  qui  suivent  : 

Voici,  mes  chères  filles,  les  ordonnances  et 
les  articles  que  j'ai  dressés  pour  le  bon  règlement 
de  cette  maison.  Je  n'ai  pas  trouvé  nécessaire 
d'en  faire  un  si  grand  nombre  ;  je  me  suis  con- 


tenté de  vous  en  donner  seulement  quelques-uns 
à  observer,  que  voici ,  vous  renvoyant  cependant 
aux  ordonnances  de  visite  ci-devant  faites  fort 
amplement,  en  l'année  1669,  dans  lesquelles 
j'ai  trouvé  toutes  choses  expliquées  fort  au  long  • 
vous  observerez  tout  ce  qui  vous  y  est  ordonné  ; 
c'est  mon  intention ,  spécialement  pour  les  par- 
loirs :  n'y  demeurez  que  le  temps  marqué  par 
la  règle.  L'on  n'y  demeurera  pas  durant  l'office 
divin  et  les  observances,  tant  que  faire  se  pourra, 
ni  pendant  les  temps  et  les  heures  du  silence  : 
l'on  n'y  parlera  point  de  choses  qui  puissent  scan- 
daliser les  personnes  séculières  ni  les  ausculta- 
trices.  Bref,  vous  vous  y  tiendrez  dans  la  retenue 
et  la  modestie  religieuse  convenables  à  votre  état. 


ORDONNANCES 

>OTinÉES  A 

NOS  CHÈRES  FILLES  LES  RELIGIEUSES 

DE  SAI>TE-URSULE  DE  ilEADX, 
A.U  CHAPITRE  TEND  DA!(S  LEUR  CHœUR  LE  4  AVRIL  1885. 

Pour  conclusion  de  la  visite  régulière  par  nous  Jatte 
les  jours  précédents. 

L'office  divin  sera  chanté  sans  précipitation , 
et  avec  le  plus  de  décence  que  faire  se  pourra, 
sans  qu'un  chœur  anticipe  sur  un  autre ,  et  gar- 
dant la  médiation  :  toutes  s'affectionneront  au 
chant,  et  aucune  ne  s'en  dispensera  sans  néces- 
sité. 

Mes  filles ,  ayez  du  zèle  et  de  la  ferveur  pour 
bien  chanter  les  louanges  de  Dieu.  Quand  l'office 
est  bien  chanté,  sachez  que  tout  le  reste  va  bien  : 
au  contraire ,  quand  on  ne  s'acquitte  pas  bien  de 
ses  devoirs  dans  le  divin  office ,  on  peut  dire  que 
rien  n'est  bien  dans  une  maison.  C'est  une  occu- 
pation sainte,  qui  mérite  toutes  vos  attentions  : 
c'est  la  plus  grande  et  la  plus  digne  que  vous  puis- 
siez avoir  sur  la  terre ,  puisque  vous  avez  l'hon- 
neur de  parler  à  Dieu.  Qucujd  vous  chantez  ses 
louanges,  vous  faites  ici-bas  ce  que  les  anges  font 
dans  le  ciel.  Acquittez-vous  donc  de  cette  excel- 
lente et  sublime  action ,  le  plus  parfaitement  que 
vous  pourrez  :  apportez-y  toute  l'application  né- 
cessaire ;  et  faites  en  sorte  qu'un  chœur  n'anticipe 
pas  sur  l'autre.  La  sainte  Église  commande  que 
l'office  divin  soit  fait  sans  interruptiou  :  ces  anti- 
cipations d'un  chœur  à  l'autre  font  des  interrup- 
tions en  ce  saint  exercice  ;  c'est  pourquoi  faites 
les  pauses ,  et  observez  exactement  la  médiation. 

Ici,  mes  filles,  faites  une  belle  réflexion.  Il 
est  remarqué  dans  la  sainte  Écriture,  qu'il  se  fit 
un  grand  silence  dans  le  ciel  '  ;  et  que  les  anges , 


110 


ORDONNANCES  DE  VISITE. 


durant  ce  àlence ,  rendaient  leurs  hommages  et 
leurs  adorations  à  la  suprême  majesté  de  Dieu. 
Que  signifie  ce  silence  mystérieux  que  firent  les 
anges  dans  le  ciel?  Il  doit  vous  imprimer  un  pro- 
fond respect  pour  la  majesté  de  Dieu ,  lorsque 
vous  chantez  ses  louanges  ;  c'est  pour  vous  ap- 
j)rendre ,  par  ces  célestes  intelligences ,  que  toute 
créature ,  soit  au  ciel  ou  en  la  terre ,  doit  demeu- 
rer dans  le  silence ,  et  se  taire  pour  adorer  et  ad- 
mirer la  grandeur  de  Dieu.  Admirez  donc  et 
adorez  celui  à  qui  vous  avez  l'honneur  de  parler  : 
faites  de  temps  en  temps  ce  silence ,  à  l'imitation 
des  anges,  observant  bien  la  médiation  ;  et  puis 
derechef  chantez  comme  eux  alternativement, 
chœur  à  chœur,  les  louanges  de  votre  Créateur 
et  Seigneur.  Si  chacune  avait  application  à  faire 
cet  acte  d'adoration  et  d'admiration  dans  le  temps 
de  la  médiation ,  il  serait  plutôt  à  craindre  qu'elle 
fût  trop  longue  que  trop  courte. 

Les  sœurs  éviteront  toute  partialité;  spécia- 
lement dans  les  choses  où  il  est  besoin  d'avoir 
recours  à  notre  autorité  pour  être  pourvu  au  bien 
commun ,  et  s'abstiendront  d'en  faire  des  entre- 
tiens inutiles  :  elles  se  contenteront  de  nous  re- 
présenter les  vues  qu'elles  en  auront ,  demeurant 
cependant  en  paix ,  et  se  conformant  avec  sou- 
mission aux  ordres  qui  leur  seront  donnés  dans 
le  temps. 

Dans  les  visites,  l'une  nesuggérera  pasà  l'autre 
ce  qu'elle  dira:  chacune  déclarera  ses  pensées  avec 
simplicité.  L'on  a  fait  quelques  fautes  dans  cette 
visite  sur  cet  article;  ce  qui  m'a  obligé  de  vous 
en  faire  avertir,  en  ayant  eu  connaissance.  Cet 
avis  vous  servira  dans  les  visites  à  venir  :  on  n'a 
pas  observé  cela  en  cette  visite-ci  ;  il  faudra  y 
prendre  garde  dans  les  autres.  Soyez  plus  fidèles , 
mes  filles,  que  vous  ne  l'avez  été  en  celle-ci. 

On  évitera  les  amitiés  privées  et  communica- 
tions secrètes,  sous  telle  peine  qu'il  conviendra 
décerner  :  les  vocales  qui  récidiveront  dans  cette 
faute,  avec  scandale ,  seront  privées  du  chapitre  ; 
de  même ,  si  elles  déclarent  aux  personnes  inté- 
ressées ce  qui  aura  été  dit  contre  elles. 

Pour  les  amitiés  particulières  et  communica- 
tions dangereuses ,  je  veux  que  vous  les  évitiez 
comme  les  pertes  de  la  religion ,  et  que  vous  les 
fuyiez  comme  des  sources  de  division  et  de  vices. 
Ayez-les  en  horreur,  et  qu'il  ne  s'en  trouve  jamais 
dans  cette  communauté  de  semblables.  Je  n'en- 
tends pas  toutefois  par  là  défendre  absolument 
tous  entretiens  et  communications  ;  j'en  trouve 
parmi  vous  de  saints  et  de  bons ,  qui  sont  même 
utiles  :  ils  le  seront  toujours ,  s'ils  ont  les  condi- 
tions qu'il  faut  pour  être  parfaits;  savoir  :  qu'ils 
jient  rares ,  brefs ,  modestes ,  et  avec  permis- 


sion de  l'obéissance  :  s'ils  sont  réglés  de  la  sorte, 
je  ne  les  désapprouverai  pas. 

A  l'égard  du  secret  du  chapitre,  que  les  vo- 
cales soient  là-dessus  fort  réservées.  Vous  savez 
par  expérience  les  inconvénients  qui  en  sont  ar- 
rivés par  le  passé  :  il  pourrait  encore  en  arriver 
de  plus  grands  à  l'avenir,  si  vous  n'y  veilliez 
autrement  ;  prenez-y  garde  :  voici  un  article  de 
conséquence;  pensez-y,  mes  filles. 

Les  sœurs  n'entreront  pas  dans  les  cellules 
les  unes  des  autres ,  sans  permission  de  la  mère 
supérieure  :  on  se  gardera  bien  d'en  emporter  se- 
crètement ,  d'autorité  privée ,  ni  livres ,  ni  écrits , 
sous  peine  de  désobéissance. 

Elles  se  rendront  ponctuelles  au  confessionnal, 
de  manière  que  le  confesseur  ne  perde  point  le 
temps  à  les  attendre. 

Je  vous  exhorte ,  mes  filles,  d'être  fort  exac- 
tes et  fidèles  à  cette  ordonnance  pour  la  confes- 
sion. Ce  n'est  pas  avoir  du  respect  pour  le  ministre 
de  Jésus-Christ ,  que  de  le  faire  attendre  au  con- 
fessionnal après  vous.  Que  chacune  de  vous  soit 
à  l'avenir  plus  diligente  à  se  trouver,  aux  jours 
prescrits ,  aux  heures  marquées  pour  la  confes- 
sion. Le  temps  que  vous  faites  perdre  ainsi  au 
confesseur  serait  plus  utilement  employé  à  prier 
pour  vous ,  et  à  présenter  à  Notre-Seigneur  tous 
vos  besoins ,  pour  lui  demander  les  lumières  né- 
cessaires pour  travailler  au  salut  et  à  la  perfec- 
tion de  vos  âmes,  dont  il  est  chargé  par  son 
ministère.  Quand  vous  allez  au  sacrement  de 
pénitence ,  soyez  pénétrées  d'une  forte  componc- 
tion de  cœur  :  allez-y  avec  respect ,  avec  humi- 
lité ,  avec  soumission ,  et  surtout  avec  confiance , 
comme  à  Jésus-Christ  même ,  de  qui  le  confesseu  r 
tient  la  place.  Ne  faites  point  de  certaines  distinc- 
tions par  rapport  à  l'homme  :  entrez  dans  l'es- 
prit de  la  foi ,  fermant  les  yeux  à  toutes  les  vues 
humaines;  n'envisagez  uniquement  que  Jésus- 
Christ  en  la  personne  du  confesseur,  qui  vous 
le  représente  pour  lors  en  qualité  de  votre  juge. 
Allez  donc  à  ce  tribunal  avec  un  esprit  sérieux  ; 
et  soyez  pénétrées  d'une  sainte  frayeur,  en  vous 
considérant  comme  une  criminelle  en  la  présence 
de  son  juge. 

Imitez  la  Madeleine ,  mes  filles ,  et  souvenez- 
vous  de  sa  diligence  et  de  sa  ferveur,  lorsqu'elle 
allait  trouver  Jésus-Christ  pour  entendre  sa  pa- 
role ,  et  pour  obtenir  la  rémission  de  ses  offenses. 
Quand  elle  savait  le  lien  où  Notre-Seigneur  était, 
et  quand  elle  apprenait  qu'il  la  demandait ,  ja- 
mais Madeleine  ne  s'en  excusait  :  elle  ne  se  fai- 
sait pas  appeler  plusieurs  fois  ;  mais  promptement 
et  sans  différer;  elle  s'allait  jeter  aux  pieds  de 
Jésus-Christ,  pour  entendre  ces  favorables  pa- 
roles :  Tes  péchés  te  sont  pardonnes.  Voilà ,  mes 


SUR  LES  AVANTAGES  DE  LA  RETRAITE. 


filles,  votre  modèle;  imitez  cette  illustre  péni- 
tente, animez- vous  par  l'exemple  de  cette  grande 
sainte.  Si  vous  aviez  plus  de  foi,  vous  auriez  de 
même  un  saint  empressement  de  vous  aller  je- 
ter aux  pieds  de  votre  confesseur  afin  d'entendre 
les  mêmes  paroles  d'absolution  pour  la  réiiùssion 
de  vos  péchés  ;  puisqu'il  vous  représente  Jésus- 
Christ,  dans  ce  sacrement.  Si  l'on  s'occupait  de 
ces  pensées ,  on  se  tiendrait  devant  le  confesseur 
avec  tout  le  respect  et  la  modestie  requise  :  on 
l'ocouterait  avec  humilité ,  avec  soumission ,  en 
esprit  de  toi  ;  on  se  préparerait  sérieusement  : 
on  se  garderait  bien  de  se  répandre  en  des  dis- 
cours frivoles  ;  et  Ion  ne  dissiperait  pas  son  es- 
prit vainement ,  au  lieu  de  se  disposer  à  une  si 
sainte  et  si  grande  action. 

Les  religieuses  du  Juvenat  seront  sous  la  con- 
duite de  la  mère  assistante  :  cependant  la  mère 
supérieure  continuera  d'en  prendre  soin  jusqu'à 
la  fin  de  janvier  prochain. 

Pour  de  bonnes  raisons ,  jugées  telles  par  les 
supérieurs ,  on  a  trouvé  à  propos  d'en  décharger 
ladite  mère  assistante ,  durant  ce  triennal  :  ce- 
pendant ,  dans  le  temps ,  elle  en  aura  la  direction , 
comme  il  est  convenable  à  sa  charge. 

Les  sœurs  prendront  garde  qu'elles  ne  s'ou- 
vrent de  rien,  par  aucune  voie,  aux  pensionnaires 
et  autres  du  dehors,  des  affaires  ou  difficultés 
qui  pourraient  arriver  au  dedans. 

On  ne  donnera  point  deux  charges  de  discrètes 
à  la  même  personne ,  sans  nécessité ,  et  qu'avec 
une  mûre  délibération  des  supérieurs. 

Nous  renouvelons  les  ordonnances  des  visites 
ci-devant  faites. 

Nous  ordonnons  que  les  présentes,  et  les  autres 
ci-devant  faites,  depuis  l'année  1669,  seront 
lues  de  trois  mois  en  trois  mois  ;  et  nous  char- 
geons la  mère  supérieure  de  les  faire  lire  et  ob- 
server, et  de  tenir  la  main  à  l'exécution  exacte. 

Donné  le  27  avril  1685. 

t  J.  BÉNIGNE ,  évégue  de  Meaux. 

A   LA  MÈRE    SDPÉRIEUBE. 

Ma  mère,  je  vous  charge  d'avoir  l'œil  et  déte- 
nir fortement  la  main  à  ce  que  toutes  nos  inten- 
tions et  nos  ordonnances  soient  soigneusement 
observées  dans  cette  maison.  Ne  souffrez  point 
de  plaintes  ni  de  murmures;  prenez  garde  que 
1  on  ait  pour  les  ministres  du  Seigneur  le  respect 
qui  est  dû  à  leur  caractère.  Ne  souffrez  pas  non 
plus  que  vos  sœurs  s'emportent,  et  empêchez  qu'il 
ne  se  dise  rien  qui  puisse  altérer  la  charité  et  trou- 
bler la  paix  de  cette  communauté.  Avertissez-nous 
dans  ces  occasions,  et  faites-nous  connaître  celles 
qui  transgresseraient  nos  ordres.  Faites  surtout 


111 

garder  ce  si'ence  si  nécessaire ,  que  j'ai  tant  re- 
commandé :  et  de  toutes  ces  choses,  je  souhaite  et 
je  prétends  que  vous  m'en  rendiez  compte ,  et  je 
vous  enjoint  de  le  faire  de  temps  en  temps  :  moi- 
même  je  vous  en  interrogerai,  et  je  m'informerai 
si  elles  sont  religieusement  observées. 

Et  vous,  mes  filles,  je  vous  exhorte  derechef 
de  travailler  incessamment  à  votre  perfection, 
dans  la  paix  et  dans  le  silence.  Que  chacune  de 
vous  ne  pense  plus  qu'à  cette  unique  affaire ,  et 
à  se  bien  acquitter  de  ce  que  l'obéissance  vous 
donne  à  faire,  chacune  dans  vos  obédiences. 
Travaillezetagissezdans  l'esprit  de  Jésus-Christ; 
prenez-le  pour  votre  modèle  dans  toutes  vos  ac- 
tions :  voyez  avec  quelle  perfection  et  obéissance 
il  servait  Joseph  et  Marie  :  c'était  son  obédience 
que  de  leur  être  sujet  et  soumis  en  toutes  ses  ac- 
tions ,  durant  sa  vie  cachée  ;  considérez  bien  ce 
bel  exemple ,  et  vous  y  conformez  parfaitement 
en  cette  vie ,  afin  que  vous  puissiez  être  un  jour 
unies  éternellement  à  lui  dans  la  bienheureuse 
vie  de  la  gloire  céleste. 


TROISIÈME  EXHORTATION 

-       St-R  LA  RETRAire 

FAITE  CHEZ  LES  RELIGIEUSES 
UUSULINES  DE  MEAUX, 

A  TOUTES  LES  PROFESSES  DC  NOVICIAT,  LE  MEBCREDI-SAIVT 
18  AVRIL   1685. 

Avantages  de  la  retraite.  Maax  que  cause  la  dissipation. 
Comment  les  religieuses  doivent  l'éviter,  et  travailler  à  se  sé- 
parer des  créatures  pour  se  recueillir  en  Dieu. 


Mes  filles,  j'ai  désiré  de  vous  parler  à  vous 
autres  en  particulier  pour  vous  exhorter  encore 
aujourd'hui  à  estimer  extrêmement  votre  voca- 
tion et  votre  état  ;  et  j'ai  voulu  vous  faire  venir 
ici  toutes  en  ma  présence  pour  vous  animer  de- 
rechef à  vous  perfectionner  par  les  meilleurs  et 
plus  solides  moyens  que  vous  avez  dans  votre 
état,  et  que  vous  devez  fidèlement  suivre.  Ces 
jours  passés  je  vous  ai  fait  dire  une  chose  que 
j'estimais  que  vous  devez  faire  touchant  le  plus 
important  de  ces  moyens ,  qui  est  la  retrciite.  Vous 
m'avez  fait  paraître  là-dessus  vos  bons  senti- 
ments: m'ayant  toutes  marqué  le  désir  que  vous 
aviez  d'observer  avec  exactitude  ce  que  je  vous 
ai  ordonné  sur  ce  point ,  qui  vous  est  de  si  grande 
conséquence. 

Vous  êtes  déjà  à  Jésus-Christ ,  et  vous  lui  ap- 
partenez par  votre  consécration ,  puisque  vous 
êtes  professes;  et  Vous  êtes  heureuses  de  ce  que 
Dieu  prend  un  soin  particulier  de  vous.  Mais 


112 


SUR  LES  AVANTAGES 


j'estime  encore  extrêmement  votre  bonheur,  de 
ce  qu'étant  obligées  de  tendre  à  la  perfection  du 
christianisme ,  vous  êtes  dans  le  plus  favorable 
temps  pour  vous  y  avancer  et  pour  vous  y  bien 
établir.  Je  considère  baucoup  l'avantage  que  vous 
possédez  dans  ces  années  de  noviciat  où  vous  voilà 
encore.  La  religion  vous  y  retient  pour  vous 
mieux  former,  et  pour  vous  mieux  revêtir  de  son 
esprit.  Jésus- Christ  a  sur  vous  un  regard  tout 
particulier  de  bienveillance  et  de  grâce,  et  il 
vous  le  témoigne  par  ce  plus  grand  soin  que  l'on 
prend  de  vous.  On  vous  cultive  davantage;  on 
vous  destine  tout  exprès  une  mère  pour  veiller 
plus  particulièrement  sur  vous ,  et  pour  vous  ins- 
pirer les  dispositions  que  vous  devez  avoir,  et 
qu'il  faut  que  vous  établissiez  pour  le  fondement 
de  votre  vie  religieuse.  On  vous  tient  sous  une  dis- 
cipline plus  exacte;  et  vous  avez  pendant  ce  temps 
plus  de  facilité  pour  vous  avancer  dans  la  perfec- 
tion chrétienne ,  et  pour  acquérir  les  vei'tus  reli- 
gieuses, vivant  plus  séparées,  et  hors  des  em- 
plois plus  capables  de  vous  distraire.  Vous  n'avez 
en  cet  état  que  l'unique  soin  de  votre  avancement  : 
travaillez-y  par  la  retraite.  Ce  qui  vous  y  avan- 
cera ,  ce  sera  la  retraite ,  la  séparation  des  créa- 
tures ,  l'amour  de  la  solitude  ,  l'attention  à  ne  se 
point  répandre  çà  et  là,  à  ne  point  parler  aux 
créatures,  à  ne  point  faire  parler  en  vous  les  créa- 
tures ;  mais  à  se  former  une  habitude  d'un  saint 
recueillement  pour  parler  à  Dieu ,  et  pour  l'écou- 
ter parler  en  vous. 

C'est  là,  mes  filles,  le  désir  que  vous  devez 
avoir  devons  rendre  dignes  que  Dieu  vous  parle, 
de  vous  disposer  à  traiter  avec  lui ,  et  de  ne  point 
perdre  les  moyens  que  vous  avez  pour  vous  pro- 
curer ce  grand  avantage.  Je  vous  regarde  comme 
le  fondement  sur  lequel  Dieu  veut  établir  l'é- 
difice de  la  religion  ;  puisque  c'est  dans  le  no- 
viciat que  se  doivent  former  celles  qui  après 
composent  la  communauté.  Pour  y  être  utiles,  il 
faut  premièrement  que  vous  soyez  bien  fondées 
en  la  vertu  par  un  bon  noviciat  ;  où  vous  ayez  bien 
employé  le  temps ,  et  travaillé  à  votre  perfection  : 
et  cela  par  la  séparation  des  créatures,  sans  la- 
quelle vous  ne  pourrez  acquérir  aucune  vertu  : 
et  ce  serait,  à  la  vérité ,  une  chose  bien  ruineuse 
et  bien  préjudiciable ,  de  voir  une  fille  sortir  du 
noviciat  sans  y  avoir  acquis  les  bonnes  habitudes , 
et  la  pratique  des  vertus  nécessaires  pour  tendre 
efiitacement  à  sa  perfection,  et  pour  y  faire 
tous  les  jours  de  nouveaux  progrès  le  reste  de  sa 
vie  Cela  serait  bien  dommageable  et  pour  elle  et 
pour  toute  la  maison,  dont  Tordre  est  troublé  et 
détruit  par  le  défaut  de  vertu  solide.  Or  cette 
solide  vertu  consiste  principalement  dans  le  soin 
qae  vous  devez  prendre  de  cultiver  très-soigneu- 


sement ,  chacune  en  votre  particulier,  la  grâce 
de  votre  vocation  sainte,  par  la  récollection  in- 
térieure et  par  la  séparation  des  créatures. 

Croyez-moi,  mes  filles,  et  je  vous  l'ai  déjà 
dit,  vous  n'avancerez  qu'à  mesure  que  vous  vous 
affectionnerez  à  désirer  et  à  rechercher  la  re- 
traite et  le  silence.  Ce  sera  ce  silence  qui  vous 
établira  solidement  dans  les  vertus  qui  soutien- 
dront votre  conduite,  et  qui  en  feront  toute  l'é- 
conomie pendant  tout  le  reste  de  votre  vie  :  et 
quand  vous  serez  à  la  communauté,  à  moins  de 
cela,  jamais  vous  n'y  pourrez  être  de  bonne  édi- 
fication ,  et  vous  n'y  vivrez  point  en  vraies  reli- 
gieuses. C'est  donc  dans  cette  retraite ,  qu'on  ne 
peut  assez  vous  recommander,  que  vous  cultive- 
rez ,  que  vous  goûterez  et  que  vous  conserverez 
le  fruit  d'une  vocation  si  sainte  :  sans  elle  vous 
ne  le  pouvez  faire;  sans  elle  vous  ne  trouverez 
jamais  que  du  déchet  en  votre  âme,  du  désordre 
dans  votre  conscience,  et. du  trouble  dans  votre 
cœur.  Si  vous  vous  épanchez  facilement  au  de- 
hors, vous  ne  pouvez  retenir  longtemps  l'impres- 
sion d'aucune  grâce ,  ni  en  faire  nul  profit  :  car 
les  discours  vains  et  inutiles  ne  servent  qu'à  dis- 
siper, et  à  remplir  l'esprit  d'une  multitude  de 
choses  qui  l'empêchent  de  se  porter  vers  Dieu 
son  souverain  bien.  Les  épanchements  au  dehors 
offusquent  Tâme  de  pensées  attachantes  qui  so»t 
de  grands  obstacles  à  l'oraison  :  cela  forme  votre 
intérieur  à  un  état  de  distraction ,  qui  vous  rend 
inhabiles  à  ce  saint  exercice  de  traiter  avec  Dieu. 

Que  l'on  fait  de  grandes  pertes  par  le  manque- 
ment d'intérieur!  que  l'habitude  à  tant  parler 
cause  de  grandes  omissions  du  bien ,  et  fait  tom- 
ber dans  de  grands  maux  !  Si  l'on  connaissait  ce 
que  l'on  perd  à  se  répandre  inutilement  à  l'exté- 
rieur, on  s'affligerait  avec  grand  sujet  sur  ces 
pertes.  Que  fait-on  quand  on  préfère  les  entre- 
tiens des  créatures  à  ceux  de  Dieu ,  sinon  se  li- 
vrer volontairement  à  son  propre  dommage?  Et 
que  faites-vous,  mes  filles,  lorsque  vous  vous 
remplissez  des  idées  et  des  entretiens  des  créa- 
tures ?  Vous  en  êtes  distraites ,  vous  vous  en  oc- 
cupez ,  vous  en  demeurez  toutes  pénétrées  ;  cela 
vous  dissipe  et  vous  traverse  dans  vos  saints 
exercices.  Vous  portez  cette  impression  dans  la 
prière',  et  c'est  ce  qui  vous  ôte  la  présence  de 
Dieu.  Vous  ne  sauriez  vous  adonner  à  l'oraison  , 
et  vous  y  perdez  le  temps.  Ainsi  tout  l'ouvrage 
de  votre  avancement  spirituel  est  arrêté  par  ce 
dérèglement,  et  par  cet  épancheraent  au  de- 
hors. 

Vous  ne  pouvez  rien  faire  dans  l'oraison ,  ni 
rien  établir  dans  l'édifice  de  votre  perfection,  si, 
pour  traiter  avec  Dieu ,  vous  n'entrez  dans  une 
grande  disposition  de  solitude  à  l'égard  de  la 


I 


DE  LA  RETRAITE. 


lit 


crdatw?.  11  attend,  à  la  mettre  en  vous,  qu'il 
\ous  trouve  silencieuses.  Quand  il  trouve  notre 
âme  seule,  dégagée  des  créatures  et  retirée  avec 
lui  tout  seul ,  il  la  visite ,  il  lui  envoie  ses  lumiè- 
res, il  répand  en  elle  ses  grâces,  il  lui  découvre 
ses  vérités  :  c'est  là  qu'il  nous  remplit  de  la  con- 
naissance de  nous-mêmes ,  et  de  la  contrition  de 
nos  fautes.  En  ce  saint  silence ,  si  nous  avons 
besoin  d'humilité,  nous  recevons  des  impres- 
sions qui  nous  anéantissent  :  nous  sommes  occu- 
pés au  dedans  de  notre  âme  de  l'esprit  d'une 
componction  intime  ;  Dieu  nous  remplit  de  cette 
sainte  horreur  de  nous-mêmes ,  à  la  vue  de  nos 
indignités  :  il  opère  en  notre  intérieur  de  secrètes 
mais  puisssantes  convictions  de  nos  iniquités  ; 
il  nous  abaisse  et  nous  écrase  comme  des  vers  : 
enfin ,  mes  filles,  sa  bonté  prend  ce  temps  de  re- 
traite, et  il  l'attend  pour  nous  occuper,  pour 
nous  éclairer,  pour  nous  purifier  et  nous  changer 
par  tous  ces  effets  de  sa  grâce.  Dans  ce  saint 
commerce  avec  Dieu  vous  formerez  des  résolu- 
tions efficaces  pour  la  pratique  des  œuvres  de 
la  perfection  du  christianisme,  qui  fait  la  prin- 
cipale de  vos  obligations. 

C'est  le  but  où  vous  devez  tendre  sans  cesse; 
c'^est  là  votre  fin  que  vous  devez  toujours  regar- 
der, et  non  pas  vous  porter  à  rien  de  singulier. 
H  ne  faut  point  vous  proposer  rien  d'extraordi- 
naire qui  ressente  l'élévation  ;  mais  pourtant  vous 
devez  vous  tenir  disposées  à  vous  exercer  en  la 
pratique  des  plus  grandes  vertus ,  si  Dieu  vous  en 
donne  les  occasions  :  car  bien  qu'une  religieuse  ne 
doive  pas  se  porter  d'elle-même  à  rien  d'extraor- 
dinaire ,  elle  est  cependant  obligée  d'être  fidèle 
a  embrasser  les  actes  des  plus  grandes  vertus ,  et 
de  s'y  porter  avec  fidélité  quand  Dieu  les  exigera, 
et  s'il  les  demande  d'elle.  Le  soin  que  vous  devez 
avoir  de  votre  salut  et  de  votre  sanctification  doit 
vous  rendre  attentives  et  soigneuses  de  recevoir 
et  conserver  la  grâce  ;  mais  vous  ne  le  serez  jamais 
si  vous  vous  répandez  trop  à  l'extérieur,  et  si 
TOUS  ne  vous  récoUigez  pas. 

.Te  sais  que  vous  êtes  toutes  fort  occupées  :  il 
y  a  assez  d'obéissances  dans  cette  maison  ;  et  vo- 
tre institut  vous  occupe  bien  du  temps  et  vous 
emploie  beaucoup.  C'est  pourquoi  le  peu  de  loi- 
sir qui  vous  reste ,  employez-le  à  rentrer  sérieu- 
èement  dans  le  sanctuaire  de  votre  âme  ;  où ,  sans 
doute,  vous  trouverez  le  Saint-Esprit.  Ayez  un 
saint  empressement  de  vous  donner  à  la  retraite , 
et  de  faire  de  votre  cellule  un  petit  paradis,  es- 
timant tous  les  moments  où  vous  pouvez  vous  y 
retirer,  afin  d'y  entendre  parler  Dieu  en  vous- 
mêmes  et  pour  l'y  écouter  paisiblement  ;  et  non- 

^■eulement  pour  l'écouter,  mais  pour  le  posséder. 

^Klar,  mes  filles,  il  n'est  pas  de  ce  divin  objet  de 

^^B       BOSSl'ET..  —  T.  m. 

■ 


notre  amour  la  même  chose  que  des  créatures  : 
souvent  nous  aimons  ce  que  nous  ne  possédons 
pas ,  et  au  moins  ce  que  nous  ne  pouvons  pas  tou- 
jours posséder.  Mais  en  Dieu  nous  avons  ce  bon- 
heur et  ce  grand  avantage ,  de  ne  le  pouvoir  aimei 
sans  le  posséder  :  aussitôt  que  nous  l'aimons, 
nous  sommes  en  possession  de  lui-même.  Quand 
donc  vous  serez  en  obédience  avec  quelqu'une  de 
la  communauté,  aussitôt  préméditez  tout  ce  que 
vous  aurez  à  faire  pour  prendre  toujours  le  parti 
du  silence  ;  et  prévoyez  comment  vous  ferez  pour 
le  garder  partout  autant  que  vous  pourrez. 

Après  vous  être  acquittées  des  devoirs  de  vos 
offices,  estimez- vous  heureuses  si  vous  pouvez 
ménager  le  reste  du  temps  pour  le  consacrer  à 
la  retraite.  Si  vous  y  êtes  véritablement  affec- 
tionnées, vous  ne  consommerez  pas  vainement 
le  temps  ;  vous  n'aimerez  pas  à  le  perdre  ni  à  le 
mal  employer  :  soyez-en  ménagères  ;  et  au  lieu 
de  le  consommer  à  parler  inutilement  après  l'ac- 
quit de  vos  obédiences,  allez  le  passer  en  votre 
cellule  en  ouvrage  et  en  silence  :  et  là,  mes  filles, 
occupez-vous  de  Dieu  et  de  sa  présence  ;  pesez 
l'état  que  vous  devez  faire  de  ces  moments  qu'il 
vous  donne  pour  lui  parler,  pour  vous  entretenir 
de  lui  et  avec  lui. 

Combien  précieux  ces  moments  qui  nous  met- 
tent en  état  d'écouter  Dieu  parler  en  nous-mêmes; 
Dieu  qui  se  plaît  à  se  communiquer  à  une  âme, 
quand  il  la  trouve  dans  une  entière  oubliance  et 
séparation  de  tout  ce  qui  est  hors  de  lui  :  Dieu  qui 
observe  et  qui  attend  ce  temps  favorable  pour 
prendre  une  possession  intime  de  l'intérieur,  pour 
y  établir  son  règne ,  et  qui  le  dispose  à  ses  grâces 
dès  que  notre  cœur  le  cherche  dans  la  récollec- 
tion véritable;  Dieu  qui  visite  l'intime  de  ce  cœur 
pour  en  faire  son  temple,  sa  maison  vivante  et 
animée,  pour  contenir  son  immense  et  incompré- 
hensible grandeur  :  Dieu  qui  porte  des  lumières 
dans  le  fond  de  l'âme  recueillie,  tantôt  comme 
juge  pour  la  remplir  du  regret  de  ses  fautes  ;  tantôt 
comme  souverain  et  tout-puissant,  pour  la  rem- 
plir du  sentiment  de  sa  présence  et  de  sa  majesté, 
et  la  former  à  des  états  d'abaissement  et  d'anéan- 
tissement devant  lui  :  Dieu  qui  communique  sa 
sainteté  à  ses  créatures  par  des  impressions  de 
pureté,  çt  des  désirs  qu'il  leur  donne  de  sépara- 
tion pour  les  choses  de  la  terre  ;  Dieu  qui  leur 
confère  cette  même  pureté ,  et  qui  les  dispose  à 
traiter  familièrement  avec  lui ,  en  leur  imprimant 
une  chaste  crainte  de  lui  déplaire,  et  les  rendant 
amoureusement  désireuses  de  lui  plaire  :  Dieu 
qui  prend  une  secrète  possession  d'une  âme  qu'il 
trouve  fidèle  à  se  séparer  des  vaines  joies  et  des 
vains  amusements  de  la  terre,  et  qui  la  comble 
de  délices  en  lui  faisant  part  de  sa  même  joie  : 


114 


SUR  LES  AVANTAGES  DE  LA  RETRAITE. 


Dieu  tiiii  lui  ouvre  des  sentiers  admirables  de 
paix,  de  consolation  et  de  douceur,  quand  il  la 
trouve  à  l'écart ,  seule  avec  lui,  séparée  des  objets 
créés ,  et  fuyant  tout  engagement  avec  les  créa- 
tures ! 

Mes  filles ,  j'ai  eu  bien  raison  de  vous  le  dire; 
on  fait  des  pertes  déplorables  par  le  défaut  de 
silence.  Pleurez  celles  que  vous  avez  faites;  et 
réparez-les  à  l'avenir,  vous  rendant  fidèles  à  re- 
trancher tout  discours  inutile  et  superflu.  Éta- 
blissez en  vous-mêmes  ce  silence,  inspirez-le  dans 
les  autres;  et  croyez  que  c'est  l'élément  de  votre 
perfection  d'être  retirées,  intérieures  et  récolli- 
gées.  Attendez  plus  de  fruit  de  cette  conduite  que 
de  tous  les  entretiens  avec  les  créatures,  quelque 
saints  qu'ils  puissent  être.  Votre  avancement  ne 
dépend  point  de  traiter  avec  les  créatures  :  per- 
suadez-vous plutôt,  comme  il  est  vrai,  qu'il  est 
attaché  a  parler  peu  aux  hommes,  et  beaucoup  à 
Dieu.  Apprenons  aujourd'hui  à  nous  passer  de 
toutes  les  créatures ,  et  à  ne  chercher  point  de 
consolation  qu'en  Jésus-Christ. 

Et  à  quoi  servent  tant  de  discours ,  ces  entre- 
tiens inutiles  et  tant  de  paroles  superflues ,  sinon 
à  vous  ôter  ces  grands  biens  et  à  vous  faire  de 
grands  maux  en  vous  dissipant?  Cela  vous  rem- 
plit de  troubles  et  d'inquiétudes  et  vous  ôte  l'Es- 
prit de  Jésus-Christ ,  qui  ne  se  trouve  que  dans 
la  paix  et  dans  la  fidélité  à  se  retirer  en  son  in- 
térieur. D'où  viennent  tant  de  désirs  de  parler; 
sinon  de  cette  nature  qui  veut  toujours  se  satis- 
faire en  la  créature  et  parmi  les  sens,  et  qui  nous 
détourne  de  Dieu  pour  nous  convertir  vers  les 
choses  de  la- terre? 

Non ,  mes  filles,  il  ne  faut  plus  que  vous  sui- 
viez ces  mouvements  qui  vous  ont  attirées  de- 
hors ;  il  faut  rentrer  en  vous-mêmes ,  et  que  vous 
vous  passiez,  le  plus  qu'il  vous  sera  possible, de 
tout  ce  qui  n'est  point  Dieu ,  pour  le  faire  occu- 
per tout  seul  votre  cœur  et  vos  pensées.  N'ayez 
d'entretien  avec  personne ,  à  moins  qu'il  n'y  ait 
du  besoin  :  évitez  par  là  de  grands  écueils,  qui 
font  obstacle  à  la  pureté  de  la  vie.  Saint  Jacques 
dit  que  de  la  langue  viennent  tous  les  péchés  qui 
se  commettent'.  La  paix  serait  toujours  dans  les 
communautés,  si  l'on  savait  gouverner  sa  langue  : 
car  d'où  procèdent  tant  de  fautes?  d'où  vient  que 
l'on  a  de  petites  antipathies ,  que  l'on  fait  des 
médisances,  que  l'on  raille,  que  l'on  se  plaint, 
que  l'on  murmure,  et  que  l'on  voit  de  certains 
éloignements  les  unes  des  autres  qui  forment  les 
divisions?  Tous  ces  défauts  ne  viennent  que  du 
dérèglement  de  la  langue ,  et  du  défaut  de  silence  ; 
et  si  l'on  ne  parlait  point,  et  que  vous  vous  tins- 

'  J  (C.  III ,  C. 


siez  dans  votre  retraite,  lotit  cela  n'arriverait 
pas.  Le  manquement  de  silence  cause  toutes  les 
fautes  contre  la  charité,  qui  se  trouvent  dans 
les  maisons  religieuses.  Aussi  saint  Jacques  nous 
dit  :  «  Que  l'homme  soit  prompt  à  écouter,  et 
«  tardif  à  parler'.  »  Qu'entend-il  par  là,  sinon 
qu'il  faut  apprendre  à  ne  parler  que  pour  les  cho- 
ses nécessaires?  que  veut  dire  cela,  si  ce  n'est 
qu'on  doit  écouter  celles  qu'il  faut  qui  nous  par- 
lent; mais  les  écouter  d'une  manière  qu'elles  ne 
nous  distrayent  point,  et  ne  nous  empêchent  pas 
d'entendre  parler  Jésus-Christ  dans  le  fond  de 
notre  âme? 

Faites  si  bien ,  que  vous  contractiez  une  sainte 
habitude  de  ne  parler  précisément  que  lorsque 
quelque  nécessité  vous  y  oblige;  faites-vous-en 
une  loi,  et  mettez-y  votre  plaisir.  La  pratique 
fidèle  de  ce  point  vous  en  fera  goûter  l'exercice. 
Rendez-vous-y  soigneuses ,  mes  filles;  ayez  tou- 
jours un  nouveau  désir  d'en  faire  l'expériencCé 
Lorsqu'une  âme ,  pressée  du  désir  de  se  perfec- 
tionner, fait  de  suffisants  efforts  pour  obtenir  cette 
grâce  de  récollection,  et  s'y  adonne  sérieusement , 
il  arrive  que  par  le  moyen  de  son  silence  elle 
obtient  le  silence  ;  je  veux  dire  que  venant  à  goû- 
ter le  bonheur  de  sa  solitude ,  elle  en  chérit  et  en 
recherche  la  possession  :  elle  ménage  les  moin- 
dres moments  de  cette  sainte  retraite,  et  elle  les 
estime  précieux.  On  voit  cette  religieuse  se  ren-. 
fermer  dans  sa  petite  cellude;  parce  qu'elle  est 
tout  animée  des  dispositions  qui  lui  font  aimer  la 
solitude,  et  la  préférer  à  toutes  les  conversations 
et  à  tous  les  divertissements  de  la  terre. 

Ainsi,  mesfdles,  avec  un  peu  d'application 
à  ce  que  nous  vous  disons ,  vous  ferez  vos  délices 
de  cette  pratique  et  de  ce  saint  exercice ,  de  lais- 
ser parler  Dieu  intérieurement  dans  votre  cœur. 
Tout  aussitôt  qu'il  vous  trouvera  seules ,  vous 
entendrez  sa  voix ,  et  vous  sentirez  sa  présence 
par  certaines  touches  de  grâce  :  vous  vous  trou- 
verez tout  abîmées  devant  lui  dans  un  profond 
sentiment  de  respect  pour  sa  majesté  ;  vous  y  pro- 
duirez des  actes  intérieurs  de  toutes  manières, 
qui  vous  disposeront  à  l'oraison  et  vous  en  con- 
féreront l'esprit  :  vous  serez  dégagées  et  puri- 
fiées des  dispositions  grossières ,  dont  les  sens 
et  la  nature  font  des  impressions  si  fréquentes  et 
si  imparfaites.  Ce  sera  dans  la  séparation ,  et  en 
vous  retirant  seules  auprès  de  Dieu,  que  vous 
posséderez  ces  grâces ,  et  jamais  parmi  les  dis- 
cours et  les  fréquentations  inutiles  avec  les  créa- 
tures. 

Faites  donc  taire  chez  vous  toutes  les  créatures , 
et  vous-mêmes,  quittez  tout  entretien  de  pensée 

'  Jac.  i,  10. 


SUR  LES  DEVOIRS  DE  LA  VIE  RELIGIEUSE. 


avec  elles  :  afin  d'être  en  état  que  Dieu  vous 
parle.  Observez  de  ne  point  parler  pour  vous- 
mêmes  ;  voilà  une  bonne  règle  du  silence.  Il  ne  faut 
point  parler  pour  soi-même  ;  mais  seulement  pour 
la  {iloire  de  Dieu ,  pour  le  bien  du  prochain ,  pour 
la  charité  :  et  comme  Jésus-Christ  est  votre  mo- 
dèle, voyez  l'exemple  qu'il  vous  en  donne  pen- 
dant sa  vie;  chose  admirable!  que  Ton  ne  nous 
ait  pu  dire  qu'une  seule  parole  ([u'il  ait  dite  du- 
rant trente  ans ,  qui  fut  lorsque  sa  mière  le  cher- 
chait. 

En  sa  passion  il  a  fait  usage  d'un  perpétuel  si- 
lence. Voyez-le  chez  Caïphe  :  il  répond  pour  ren- 
dre témoignage  à  la  vérité;  devant  Pilate,  il  parle 
pour  l'instruire  :  hors  de  là,  quel  silence!  Il  n'a 
jamais  parlé  pour  soi  :  lorsqu'il  était  accusé  et 
calomnié ,  il  ne  répondait  rien  ;  et  quand  la  vérité 
l'a  obligé  de  parler,  il  l'a  fait  en  peu  de  paroles. 
Apprenez  donc  de  lui  le  silence  ;  aimez  à  être 
seules ,  après  l'acquit  de  vos  emplois.  Occupez- 
vous  à  aimer  Jésus-Christ ,  à  penser  à  lui  :  médi- 
tez sa  passion ,  lisez  ses  paroles ,  goûtez  ses  maxi- 
mes, aimez  d'être  abandonnées  des  créatures, 
pesez  les  états  d'abandon  de  Jésus-Christ  ;  voyez- 
le  seul ,  délaissé.  Ce  divin  Sauveur  nous  est  d'un 
grand  exemple  dans  tous  ses  mystères  ;  c'est  sur 
lui,  mes  filles,  qu'il  faut  aous  imprimer  bien 
avant  cette  vérité  :  Il  n'y  a  que  Dieu  dont  je  doive 
attendre  ma  perfection  ;  et  partout  trouver  moyen 
de  pratiquer  l'éloignement  et  la  solitude  des 
créatures.  Quand  on  y  a  mis  son  affection ,  on  la 
trouve  en  tout  temps ,  en  tous  lieux. 

C'est  donc  là,  mes  filles ,  ce  qui  m'a  fait  vous 
parler  en  particulier,  vous  assembler  toutes  ici  en 
ma  présence  pour  vous  donner  cette  instruction , 
qui  n'est  pas  simplement  un  avis  et  un  conseil  : 
ce  n'est  pas  seulement  une  exhortation  ;  mais 
c'est  un  précepte  que  je  vous  donne ,  et  que  Dieu 
m'a  inspiré  de  vous  enjoindre.  Recevez-le  de  la 
part  du  Saint-Esprit,  qui  m'a  porté  à  vous  le 
donner  :  ressouvenez-vous  bien  de  ce  jour,  et  ne 
l'oubliez  jamais.  Je  vous  ai  trouvées  toutes,  ce 
note  semble ,  dans  de  bons  désirs  :  ce  sont  vos 
bonnes  dispositions  qui  me  font  espérer  que  vous 
ferez  profit  de  cette  ordonnance;  gardez-la  donc 
soigneusement ,  et  priez  Dieu  pour  moi  :  je  le  prie 
de  tout  mon  cœur  qu'il  vous  bénisse. 


lis 
QUATRIÈME  EXHORTATION 

FAITE  kVX 

REUGIEUSES  URSULINES  DE  MEAUX 

LE  4  MAI  1685. 

Avec  quelle  vigilance,  quelle  religion  il  faut  qu'elles  tra- 
vaillent à  réducalion  des  enfants  qui  leur  sont  confies.  Soie 
qu'elles  doivent  avoir  de  se  renouveler  dans  l'esprit  de  leur 
profession.  Combien  il  est  nécessaire  qu'elles  soient  en  parde 
contre  l'ennemi  de  leur  salut.  Obligations  renfermées  dans  le 
vœu  de  pauvreté.  Importance  et  uUlité  de  l'obéissauce.  De- 
voir des  religieuses  de  tendre  sans  cesse  à  la  perfection.  Cha- 
rité ,  zèle  et  tendresse  du  prélat  pour  elles. 


J'étais  fâché,  mes  filles,  de  n'être  pas  venu 
hier  solenniser  les  saints  mystères  de  la  croix 
avec  vous  :  mais  j'ai  l'expérience  que  tous  les 
jours  sont  bons  et  saints,  et  que  toutes  les  so- 
lennités de  l'Église  ont  leurs  lumières  propres  et 
particulières  pour  la  sanctification  des  âmes.  Ce 
sont  autant  d'astres  lumineux  et  d'étoiles  bril- 
lantes ,  qui  ornent  l'Église  et  qui  nous  illuminent 
par  les  influences  de  leurs  lumières.  Je  trouve 
heureusement  qu'aujourd'hui  se  rencontre  la  fête 
de  samte  Monique,  qui  est  votre  modèle,  mes 
filles,  en  l'exercice  de  votre  institut,  dans  son 
zèle,  dans  sa  charité,  dans  le  soin  et  la  sollici- 
tude qu'elle  a  eus,  et  par  les  travaux  qu'elle  a 
soutenus,  n'épargnant  rien  pour  obtenir  et  pour 
procurer  la  conversion  de  son  fils.  Hé  î  ne  savez - 
vous  pas  que  ce  sont  ses  soupirs  et  ses  gémisse- 
ments ,  ses  larmes  et  ses  continuelles  prières  qui 
ont  enfanté  saint  Augustin  à  la  grâce?  Que  voilà 
une  belle  idée ,  pour  vous  conduire  dans  vos  em- 
plois et  dans  tout  ce  que  vous  avez  à  faire  dans 
l'instruction  des  enfants! 

Il  est  vrai  que  vous  ne  trouvez  pas  dans  cette 
jeunesse  qui  vous  est  confiée,  les  grands  crimes 
qu'avait  sainte  Monique  à  combattre  et  à  détruire 
dans  son  fils  :  quoique  cela  ne  soit  pas,  elles  ont 
néanmoins  le  principe  de  tous  les  vices  par  cet 
héritage  funeste  que  nous  tenons  d'origine.  Notre 
mère  Eve  est  la  première  qui  a  péché  :  le  mal 
a  commencé  par  une  femme,  le  péché  s'est  in- 
troduit par  votre  sexe  ;  il  s'y  achève,  il  s'y  per- 
pétue et  se  dilate  dans  tous  les  âges.  Cette  source 
maligne  se  trouve  en  ces  jeunes  filles,  et  se  répand 
dans  tout  le  cours  de  leur  vie.  Quand  donc  vous 
en  voyez  d'épanchées,  sujettes  à  discourir,  opi- 
niâtres,  rebelles ,  qui  se  portent  à  l'oisiveté,  et 
surtout  indociles,  vous  ne  sauriez  trop  gêner 
celles  que  vous  voyez  enclines  à  ces  mauvaises 
dispositions  ;  et  ce  doit  être  là  le  sujet  de  vos  lar- 
mes et  de  vos  gémissements.  Vous  devez  prier  et 
soupirer  pour  elles  devant  Notre-Seigneur,  sur  le 
préjugé  des  grands  maux  qui  en  peuvent  arrivtr 


nr, 


SUR  LES  DEVOIRS 


d  ins  la  suite  :  car  l'indocilité  ost  le  commence- 
ment de  tous  les  vices;  et  cette  chai-ité,  qui  fait 
profiter  dans  le  salut  [des  autres,]  doit  non-seu- 
lement vous  affliger  et  vous  causer  des  gémisse- 
ments en  la  présence  de  Dieu  :  mais  il  faut  encore 
qu'elle  vous  anime  à  travailler  fortement,  pour 
déraciner  jusqu'aux  moindres  semences  du  mal  ; 
parce  que  l'efficacité  malheureuse  du  péché  se 
développe  avec  l'âge. 

Vous  devez  donc,  mes  fdies,  veiller  beaucoup 
sur  elles  et  sur  vous-mêmes  dans  l'exercice  de 
votre  institut,  lorsque  vous  y  êtes  employées, 
pour  faire  en  sorte  qu'elles  ne  voient  rien  en  vous 
qui  ne  les  porte  au  bien,  et  qui  ne  leur  persuade 
la  vertu  :  et  surtout  ne  soyez  point  oisives  de- 
vant elles;  parce  que  vous  leur  devez  l'exemple. 
Je  vous  recommande  très -expressément  de  ne 
les  point  porter  à  avoir  cet  air  de  distinction  des 
modes  et  des  vanités  du  monde  :  car  de  la  vanité , 
qui  les  porte  à  l'immodestie,  on  tombe  malheu- 
reusement dans  l'impureté.  Je  sais  bien  qu'il  y 
a  des  parents  qui  les  aiment  de  la  sorte ,  et  qui 
ies  veulent  voir  ce  qu'on  appelle  enjouées ,  agréa- 
bles et  jolies  :  mais  je  vous  prie,  n'aj^ez  point 
de  condescendance  pour  eux,  ne  les  écoutez 
point,  tenez  ferme;  et  faites-leur  entendre  que 
le  plus  bel  ornement  d'une  fille  chrétienne  est 
1a  modestie ,  la  pudeur  et  l'humilité.  Voilà  les 
dispositions  qu'elles  doivent  avoir  sortant  de 
Chea  vous;  voilà  ce  qu'elles  doivent  apprendre 
auprès  des  épouses  de  Jésus-Christ  et  entre  leurs 
mains  :  c'est  de  confomner  leurs  mœurs  à  la  piété 
et  aux  maximes  du  christianisme,  pour  animer 
de  cet  esprit  tous  les  états  et  toutes  les  actions  de 
leur  vie. 

Pour  vous,  mes  filles,  renouvelez-vous  dans 
tous  vos  bons  propos  ;  je  vous  y  exhorte  par  les 
entrailles  delà  miséricorde  de  Dieu  :  renouvelez- 
vous  et  souvenez-vous  de  la  sainteté  de  votre  vo- 
cation ,  et  pourquoi  vous  avez  quitté  le  monde  : 
c'a  été  pour  vivre  dans  la  retraite ,  dans  la  soli- 
tude, et  de  la  vie  de  Jésus-Christ,  séparées  du 
tumulte  et  des  embarras  du  siècle,  et  pour  vous 
unir  à  Dieu  dans  cet  heureux  état  de  séparation 
de  toutes  les  choses  d'ici-bas.  Mais  souvenez- 
vous  aussi  que  le  démon  travaille  incessamment 
pour  vous  perdre ,  et  pour  détruire  en  vous  l'œu- 
vre de  Dieu  ;  et  s'apercevant  des  bons  effets  qu'a 
déjà  produits  la  visite ,  il  fera  comme  il  est  dit 
dans  l'Évangile  '  :  étant  sorti  d'une  demeure 
qu'il  avait  occupée;  la  trouvant  nette  et  purifiée, 
il  se  propose  d'y  revenir  :  il  lui  donne  de  nou- 
velles attaques ,  et  appelle  ses  semblables  pour 
user  même  de  violence.  Ainsi ,  après  avoir  été 

»  Matth.  xri ,  43  et  seqq. 


chassé  et  contraint  de  s'éloigner  de  ce  Ireu  par 
les  grâces  que  Dieu  vous  a  conférées  par  notre 
ministère  en  cette  visite  :  voulant  s'approcher 
encore  de  cette  maison ,  qu'il  avait  tâché  de  trou- 
bler et  d'inquiéter  ci-devant  par  ses  ruses;  la 
trouvant,  dis-je,  maintenant  dans  le  repos  et 
dans  le  calme,  ornée  et  parée,  cet  ennemi  de 
la  paix  viendra,  n'en  doutez  point,  mes  filles, 
pour  attaquer  derechef  la  place.  Cet  ennemi  de 
votre  salut  redoublera  ses  suggestions ,  et  fera 
tous  ses  efforts  pour  y  rentrer  par  de  nouvelles 
batteries. 

Veillez  donc  et  priez ,  de  peur  de  la  tentation  ; 
car  la  chair  est  infirme  :  craignez ,  mes  sœurs,  ce 
serpent  qui  entre  et  qui  s'insinue  par  les  sens, 
en  glissant  son  venin  malicieusement  et  imper- 
ceptiblement; défiez-vous  de  cet  esprit  rusé  : 
ce  n'est  qu'un  trompeur.  Il  vous  dira ,  comme  à 
nos  premiers  parents  :  «  Vous  serez  comme  des 
«  dieux  '  ;  »  mais  ne  l'écoutez  pas,  ne  vous  lais- 
sez pas  séduire  :  car  que  prétend  ce  malin,  par 
ce  langage,  sinon  de  vous  faire  raisonner,  de 
vous  faire  présumer  et  de  vous  élever,  en  vous 
persuadant  ce  qui  serait  contraire  à  la  soumis- 
sion et  à  la  docilité?  Il  vous  portera  à  vous  imagi- 
ner que  vous  pouvez  bien  vous  dispenser  de  cette 
humble  obéissance ,  et  de  tant  de  renoncements 
à  vous-mêmes.  Vous  serez  comme  des  dieux  ;  je 
veux  dire  qu'il  vous  fera  croire  que  vous  êtes  au- 
dessus  de  tout,  que  vous  avez  des  lumières,  de 
bonnes  raisons;  tout  cela  tendra  à  a'Ous  jeter 
dans  l'indépendance.  Ne  croyez  point  ce  tenta- 
teur; ne  vous  laissez  point  séduire  par  les  sug- 
gestions de  ce  serpent.  Non,  mes  filles,  ce  n'est 
point  comme  des  dieux  que  vous  devez  être; 
c'est  comme  Jésus-Christ  humilié  et  obéissant; 
c'est  comme  Jésus-Christ  souffrant  et  crucifié 
qu'il  faut  que  vous  soyez  :  ce  doivent  être  là  tou- 
tes vos  prétentions  :  tous  vos  désirs  ne  doivent 
vous  élever  qu'à  tendra  sans  cesse  à  vous  rendre 
en  tout  semblables  à  lui  par  les  humiliations  de 
la  croix.  L'ennemi  de  votre  bien  pourra  même 
vous  dire ,  pour  vous  décevoir  et  pour  vous  trom- 
per :  Vous  ne  mourrez  pas  ^  ;  non ,  non ,  vous  ne 
mourrez  pas  :  ce  n'est  pas  là  grande  chose;  ce 
ne  sera  pas  là  un  péché  mortel  :  quand  je  nie 
dispenserais  de  cette  soumission  parfaite,  de 
cette  humble  et  paisible  disposition;  ce  n'est 
point  là  si  grande  chose.  Toutefois  sachez ,  mes 
filles ,  que  tout  péché  volontaire  dispose  au  pé- 
ché mortel  qui  tue  l'âme ,  et  qu'il  ne  faut  pas 
qu'une  épouse  de  Jésus-Christ  se  livre  à  aucune 
infidélité  :  quand  n.ême  ce  ne  serait  pas  un  pé- 
ché, vous  devez  appréhender  et  fuir  tout  ce  qui 

»  Gènes,  m ,  5. 
»  Ibid.  4. 


DE  LA  VIE  RELIGIELSE. 


est  capable  d'offenser  les  yeux  de  votre  divin 
Epoux. 

Uenouvt'lez-vous  donc  aussi,  mes  filles,  dans 
l'esprit  de  votre  vocation  :  souvenez- vous  de  vo- 
tre consécration,  de  l'oblation  et  du  sacrifice  de 
vos  vœux  de  chasteté ,  de  pauvreté  et  d'obéis- 
sance. 

Et  premièrement  la  chasteté  :  la  perfection  de 
cette  noble  vertu  est  un  retranchement  général 
dé  tous  plaisirs  des  sens.  Je  n'entends  pas  par- 
ler ici  de  ces  vices  grossiers ,  qui  ne  se  doivent 
pas  seulement  nommer  parmi  nous ,  ni  de  la  pri- 
vation des  plaisirs  légitimes  du  monde  :  mais 
vous  devez  surtout  la  faire  consister  dans  cette 
pureté  intérieure  de  l'âme,  dans  cette  mortifica- 
tion parfaite  des  sentiments  de  la  nature;  ne  souf- 
frir nulle  attache  ni  aucun  désir  de  satisfaire  les 
sens ,  pas  le  plus  petit  plaisir  hors  de  Dieu  ;  et  de 
plus,  ne  souffrir  aucun  amour  étranger,  qui  puisse 
partager  vos  cœurs  :  car  des  épouses  de  Jésus- 
Christne  ledoivent  jamaispartagerni  diviserpour 
la  créature.  Ce  cœur  est  à  lui  :  vous  le  lui  avez 
donné  tout  entier  lorsque  vous  vous  êtes  consa- 
crées à  son  service.  Fuyez  donc ,  mes  filles ,  et 
ayez  en  horreur  ces  amitiés  qui  le  divisent.  Évi- 
tez ,  comme  un  très-gi*and  mal ,  ces  liaisons  par- 
ticulières ;  fuyez ,  comme  la  peste ,  les  partialités , 
ces  liens  particuliers  qui  vous  désunissent  du 
général  :  c'est  à  quoi  vous  devez  penser  sérieu- 
sement. Qu'il  n'y  en  ait  donc  point  entre  vous , 
mes  filles,  à  l'avenir,  si  vous  voulez  être  parfai- 
tement à  Jésus-Christ  votre  époux. 

Le  vœu  de  pauvreté  vous  oblige  première- 
ment à  être  pauvres  en  commum  ;  c'est-à-dire , 
mes  tilles,  quil  faut  que  vous  ménagiez  toutes 
le  bien  de  la  communauté ,  prenant  garde  à  ne 
le  point  consommer  sans  véritable  besoin  :  que 
toutes  aient  le  nécessaire  ;  mais  rien  de  superfiu 
et  d'inutile  :  non  point  par  épargne,  ni  par  une 
avarice  sordide;  mais  par  un  esprit  de  pauvreté 
et  de  vrai  dénûment^intérieur ,  qui  vous  fasse 
passer  légèrement  sur  les  choses  de  la  vie  hu- 
maine ,  et  qui  vous  rende  fidèles  à  ne  vous  y  pas 
répandre  et  attacher,  mais  plutôt  à  vous  en  dé- 
gager pour  l'amour  de  Jésus-Christ,  en  qui  vous 
avez  toutes  choses.  Que  l'esprit  de  cette  humble 
pauvreté  soit  donc  parmi  vous  :  ayez  soin  de  ne 
rien  perdre,  de  ne  rien  dissiper,  et  de  ne  rien  lais- 
ser gâter.  Épargnez  le  bien  de  la  maison  ;  parce 
que  vous  êtes  des  pauvres,  et  parce  que  c'est  le 
bien  de  Dieu ,  dont  il  vous  donne  l'usage  seule- 
ment pour  votre  besoin ,  et  non  pour  vous  per- 
mettre aucunes  superfluités  ni  satfefactions  inu- 
tiles. Les  gens  pauvres  ne  portent  leurs  pensées 
qu'aux  choses  expressément  nécessaires  dans 
leur,  état  d'mdigence ,  où  nous  voyons  que  le 


117 

moindre  déchet  leur  est  de  conséquence.  Dans 
un  triste  ménage ,  un  pot  cassé  est  une  perte 
considérable.  Souvenez-vous  donc,  mes  filles^ 
que  vous  êtes  des  pauvres,  et  que  vous  devee 
par.conséquent  ménager  le  bien  de  la  religion , 
qui  appartient  à  Dieu  ;  et  qu'étant  les  épouses  de 
Jésus-Christ  pauvre,  vous  devez  chérir  sa  pau- 
vreté. Il  y  a  des  occasions  qui  sont  de  légitime» 
objets  de  libéralité,  et  où  la  piété  l'inspire  : 
comme  la  charité  envers  les  pauvres ,  le  soula- 
ment  des  misérables  et  des  affligés,  et  encore  le 
zèle  pour  la  décoration  des  saints  autels ,  selon 
les  moyens  que  Dieu  en  donne. 

Mais  il  y  une  seule  chose ,  mes  filles ,  où  vous 
devez  toujours  être  libérales;  c'est  envers  vos 
pauvres  sœurs  infirmes  et  malades.  Il  ne  faut 
point  craindre  ici  de  l'être  trop  à  leur  égard  ; 
puisque  vous  devez  même  prévenir  jusqu'à  leurs 
petits  besoins,  pour  éviter  les  sujets  de  plaintes 
et  de  murmures,  quoiqu'il  faille  toujours  morti* 
fier  la  nature  :  mais  quand  elle  est  surchargée 
et  accablée  par  la  maladie ,  c'est  alors  qu'il  faut 
la  soulager  avec  douceur  et  charité,  sans  rien 
négliger  ni  épai*gner  pour  son  soulagement. 
Toutefois,  il  ne  faut  pas  avoir  égard  aux  petites 
délicatesses  :  il  ne  faut  rien  accorder  à  la  nature, 
mais  tout  au  besoin.  Estimez  donc,  mes  filles, 
les  malades  ;  aimez-les,  respectez-les  et  les  hono- 
rez, comme  étant  consacrées  par  l'onction  de  la 
croix,  et  marquées  du  caractère  de  Jésus-Christ 
souffrant.  Comme  il  faut  représenter  les  vrais 
besoins  à  la  mère  supérieure ,  c'est  à  elle  aussi  a 
y  pourvoir  charitablement  :  mais  il  se  faut  aban- 
donner, et  se  dégager  des  trop  grands  empres- 
sements de  la  nature.  Faites  état ,  mes  filles,  de 
la  pauvreté  que  vous  avez  vouée  et  que  vous 
professez;  aimez-la,  même  dans  le  temps  de 
la  maladie,  et,  partout,  accoutumez- vous  à  faire 
tous  les  joui-s  une  circoncision  spirituelle,  qui 
vous  fasse  éviter  l'inutilité  et  retrancher  le  su- 
perflu. C'est  à  quoi  vous  devez  tendre ,  et  ce  que 
votre  saint  état  vous  demande  et  vous  prescrit. 

Pour  ce  qui  est  de  l'obéissance,  c'est  le  fonde- 
ment solide  de  la  vie  religieuse.  C'est  en  cette 
vertu ,  mes  filles ,  que  l'on  trouve  la  joie,  la  paix 
véritable  du  cœur ,  et  la  sûreté  entière  dans  l'é- 
tat que  vous  avez  embrassé  :  ainsi  vous  devez 
mettre  en  cette  vertu  toute  votre  perfection.  De 
plus  vous  devez  y  trouver  le  repos  de  vos  âmes , 
et  chercher  en  elle  un  véritable  contentement  ; 
car  hors  de  là  vous  ne  rencontrerez  qu'incerti- 
tude ,  qu'égai'cment  et  que  trouble.  Rq)osez-vous 
donc,  mes  filles,  entièrement  sur  l'obéissance, 
et  regardez-la  toujours  conrnie  le  principe  de  vo- 
tre avancement  et  de  votre  salut.  Obéissez  à  vos 
supérieurs  avec  un  esprit  de  douceur,  d'humiiité 


as 


SUR  LES  DEVOIRS 


et  de  soumission  parfaite ,  sans  murmure  ni  cha- 
grin. En  toutes  choses  soumettez  votre  jugement 
à  celui  de  l'obéissance,  avec  une  entière  docilité, 
ne  donnant  point  lieu  à  votre  esprit  propre  de 
raisonner  et  de  réfléchir  sur  ce  que  les  supériçurs 
vous  ordonnent ,  et  sur  les  dispositions  qu'ils  font 
de  vous.  Obéissez-leur  comme  à  Jésus-Christ  : 
cherchez ,  mes  filles ,  la  paix  et  le  repos  dans 
l'obéissance;  vous  ne  la  trouverez  pas  ailleurs. 

Je  vous  l'ai  dit  au  commencement,  et  je  vous 
le  dis  encore  :  Soyez  soumises ,  soyez  dociles  et 
parfaitement  résolues  de  travailler  à  votre  per- 
fection ,  vous  y  devez  tendre  et  aspirer  inces- 
samment par  la  fidélité  en  la  pratique  de  ces 
vertus.  C'est  votre  état  qui  vous  y  oblige  ex- 
pressément ,  pour  remplir  dignement  les  devoirs 
de  votre  vocation  et  vous  acquitter  de  vos  pro- 
messes et  de  vos  vœux.  Voilà  l'unique  désir  que 
vous  devez  avoir;  votre  salut  en  dépend  :  car 
rarement ,  faites  attention  à  ceci ,  fait-on  son  sa- 
lut  en  religion,  si  on  ne  tend  à  la  perfection. 
Non ,  je  ne  crois  point ,  et  ce  n'est  point  mon 
opinion ,  qu'une  religieuse  se  sauve  quand  elle 
n'est  point  dans  la  résolution  de  tendre  à  cette 
perfection,  quand  elle  n'y  aspire  point,  et  qu'elle 
n'y  veut  point  travailler.  Portez-y  donc,  mes 
filles,  tous  vos  désirs;  aspirez-y  de  tout  votre 
cœur;  travaillez-y  sans  relâche  jusqu'à  la  mort  : 
envisagez  toujours  le  plus  parfait  ;  ayez  à  cœur 
de  garder  les  plus  petites  règles ,  sans  toutefois 
trop  de  scrupule.  Attachez-vous  aux  pratiques 
solides  qui  conduisent  à  la  perfection,  et  non 
pas  à  ces  craintes  scrupuleuses  qui  ne  sont  point 
la  véritable  vertu.  Necraignez  point  de  vous  sou- 
mettre à  certains  petits  soulagements,  aux  jou;s 
déjeune,  que  l'obéissance  ordonne  de  prendre  à 
celles  qui  sont  dans  l'emploi  de  l'institut.  Ce  n'est 
pas  pour  satisfaire  la  nature,  que  l'on  désire  cela 
et  qu'on  vous  l'ordonne  ;  mais  pour  soulager  et 
subvenir  à  la  faiblesse,  et  pour  mieux  supporter 
la  fatigue  et  le  travail  de  l'instruction.  Vos  règles 
sont  bien  faites  ;  elles  ont  été  examinées  et  ap- 
prouvées :  celles  qui  vous  ont  précédées  en  ont 
usé  de  même.  Allez  en  esprit  de  confiance; 
marchez  avec  sûreté  en  obéissant,  et  quittez  ces 
appréhensions  frivoles   :  je  vous  décharge  de 
toutes  ces  vaines  waintes  ;  je  lève  tous  les  scru- 
pules :  ce  n'est  point  sur  ces  sujets  que  vous  de- 
vez tant  craindre;  mais  vous  devez  toujours 
appréhender  la  négligence  en  l'acquit  de  vos 
devoirs.  Estimez  et  embrassez  toutes  les  prati- 
ques de  la  vie  religieuse  avec  ferveur  et  amour; 
car  toutes  ces  choses  vous  conduiront  infailli- 
blement à  la  plus  haute  perfection  :  ce  sont  des 
«legrés  qui  vous  y  doivent  acheminer  tous  les 
jours.  C'est  dans  l'exacte  observance  de  vos  vœux 


et  de  vos  règles,  que  vous  devez  faire  consiste 
toute  votre  perfection.  Ce  n'est  pas  dans  ces 
entretiens,  ni  dans  ces  belles  paroles,  ni  môme 
dans  ces  sublimes  contemplations,  vaines  et  ap- 
parentes, qu'elle  consiste  :  non,  ce  n'est  point 
dans  toutes  ces  élévations  de  l'esprit;  mais  elle 
est  uniquement  et  très-assurément  dans  la  pra- 
tique d'une  profonde  humilité  et  parfaite  obéis* 
sance. 

Croyez-moi,  mes  filles,  et  ne  pensez  donc 
plus  qu'à  votre  perfection.  Laissez-vous  conduire 
sans  résistance  :  je  vous  en  conjure  par  les  en- 
trailles de  la  miséricorde  de  Dieu.  Jusqu'à  pré- 
sent je  ne  vous  ai  parlé  qu'avec  douceur,  cha- 
rité, bénignité  et  miséricorde  :  je  n'ai  fait  peine 
à  personne;  j'ai  tout  ménagé,  tout  épargné  :  j'ai 
même  tout  pardonné  et  tout  oublié.  Je  n'ai  point 
voulu  faire  confusion  à  personne;  il  n'y  en  a  pas 
une  qui  puisse  se  plaindre  d'avoir  été  traduite 
devant  les  autres  :  personne  ne  peut  dire  qu'on 
ait  diminué  sa  réputation ,  ni  qu'on  l'ait  désho- 
norée en  la  présence  de  ses  sœurs.  Mais  que  dis- 
je,  déshonorée?  serait-ce  un  déshonneur  pour 
une  religieuse,  de  lui  faire  trouver  et  pratiquer 
l'humilité?  Bien  loin  donc  de  reprendre  et  corri- 
ger personne ,  je  vous  ai  toutes  mises  à  couvert 
jusqu'à  présent;  j'ai  usé  de  toutes  sortes  de  dou- 
ceur :  mais  si ,  à  l'avenir,  il  y  en  avait,  à  Dieu 
ne  plaise!  quelques-unes  indociles ,  désobéissan- 
tes à  nos  ordres ,  rebelles  à  nos  lois ,  et  qui  ne 
fussent  pas  disposées  à  profiter  de  notre  douceur 
et  bénignité  ;  qu'elles  prennent  garde  d'irriter  la 
colère  de  Dieu,  et  de  nous  contraindre  de  chan- 
ger notre  première  douceur  en  sévérité  et  en  ri- 
gueur :  qu'elles  ne  nous  obligent  pas  à  exercer 
sur  elles  la  puissance  ecclésiastique.  Nous  savons 
le  pouvoir  que  l'Eglise  nous  donne  par  notre  au- 
torité épiscopale  :  nous  n'ignorons  pas  que  Dieu 
nous  met  en  main  cette  puissance  de  l'Église  pour 
châtier  les  esprits  rebelles ,  et  pour  leur  faire 
sentir  toute  sa  sévérité. 

Voulez-vous,  disait  saint  Paul  à  des  gens  opi- 
niâtres', que  je  vienne  à  vous  avec  la  verge  en 
main  et  en  esprit  de  rigueur,  ou  bien  avec  dou- 
ceur et  suavité?  J'en  dis  de  même,  si  vous  m'o- 
bligez de  prendre  cette  verge  de  correction  ;  cette 
verge,  dis-je,  qui  est  capable  de  confondre, 
d'abattre  et  d'écraser  en  vous  anéantissant  jus- 
qu'au centre  de  la  terre.  Lorsque  nous  sommes 
contraints  d'en  frapper  les  désobéissants  et  con- 
tumaces, et  d'exercer  ce  pouvoir  redoutable, 
cela  est  capable  de  faire  trembler,  et  je  frémis 
moi-môme  quand  j'y  pense  ;  car  c'est  le  commen- 
cement du  jugement  de  Dieu,  et  même  c'est 

<  Cor.  IV,  21. 


DE  LA  VIE  RELIGIEUSE. 


119 


rexécution  de  la  sentence  qu'il  prononcera  inté- 
rieurement contre  une  ûme  rebelle  et  indocile. 
Au  nom  de  Dieu,  mes  filles,  ne  me  contraignez 
pas  de  vous  traiter  de  la  sorte;  soyez  dociles  et 
parfaitement  soumises  à  toutes  nos  ordonnan- 
ces :  ne  méprisez  pas  la  grâce  ;  ne  l'outragez 
point  indignement  :  prenez-y  garde ,  mes  sœurs. 
Quoi  !  serait-il  possible  qu'il  y  en  eût  quelqu'une 
de  vous  qui  voulût  nous  percer  le  cœur  et  en 
même  temps  le  sein ,  et  me  navrer  de  douleur 
par  sa  perte  et  sa  rébellion?  Ne  me  donnez  pas 
ce  déplaisir,  et  celui  de  me  voir  obligé  d'accuser 
et  citer  au  jugement  de  Dieu  celles  qui  n'au- 
raient point  fait  profit  de  nos  paroles  et  de  nos 
instructions.  Pour  éviter  ce  malheur,  gravez- 
les,  je  vous  conjure,  au  milieu  de  vos  cœurs  et 
de  votre  esprit;  imprimez-les  dans  votre  âme, 
et  généralement  dans  toute  votre  conduite  inté- 
rieure et  extérieure,  et  ne  les  oubliez  jamais. 
Croyez,  mes  filles ,  que  tous  nos  soins ,  nos  pei- 
nes, nos  veilles,  nos  sollicitudes,  nos  regards, 
nos  paroles ,  et  enfin  toutes  nos  actions  sont  for- 
mées et  animées  par  l'esprit  et  la  charité  de  Jé- 
sus-Christ ,  qui  réside  en  nous  par  la  dignité  de 
notre  caractère  ;  et  sortent  même  des  entrailles 
de  la  miséricorde  de  Dieu,  pour  vous  conférer 
la  grâce  à  laquelle  il  faut  que  vous  soyez  fidèles  : 
en  sorte  que  vous  ne  pensiez  plus  qu'à  servir  Dieu 
avec  tranquillité  et  perfection. 

Ainsi,  mes  filles,  à  présent  que  vous  m'avez 
toutes  déchargé  vos  cœurs,  soyez  en  paix;  et 
comme  je  vous  disais  au  commencement  de  cette 
visite  :  que  tout  ce  que  vous  me  diriez ,  ma  con- 
science en  demeurerait  chargée;  au  contraire, 
ce  que  vous  me  tairiez,  vous  en  demeureriez  char- 
gées vous-mêmes  :  vous  y  avez  tout  déposé ,  vous 
m'avez  parlé  toutes  avec  simplicité  et  ouverture 
de  cœur.  Demeurez  à  présent  paisibles,  soumises 
et  dans  la  douceur,  comme  de  véritables  servan- 
tes de  Dieu.  Je  vous  puis  rendre  ce  témoignage , 
pour  votre  consolation ,  qu'il  y  a  dans  cette  mai- 
son de  bonnes  âmes  qui  ont  de  la  vertu ,  qui  veu- 
lent la  perfection,  et  désirent  beaucoup  de  se  re- 
nouveler encore.  Vivez  donc  en  repos  et  dans  le 
silence  :  ayez  un  soin  et  une  vigilance  toute  spé- 
ciale de  vous  avancer  de  jour  en  jour  dans  les  phis 
hautes  vertus  :  marchez  à  grands  pas  à  la  perfec- 
tion de  votre  état.  Si  vous  continuez ,  mes  filles , 
dans  les  bonnes  dispositions  où  je  vous  vois  toutes, 
vous  serez  vraiment  ma  joie,  ma  consolation  et 
ma  couronne  au  jour  du  Seigneur.  Voilà,  mes 
chères  filles,  ce  que  j'attends  et  espère  de  vous  : 
donnez-moi  cette  consolation  ;  respectez-vous  les 
unes  les  autres  :  je  vous  le  dis  et  vous  le  recom- 
mande derechef.  Car  enfin ,  mes  filles,  vous  êtes 
l'oraeraent  de  l'Église,  vous  en  faites  la  plus  belle 


partie;  vous  êtes  la  portion  et  le  troirpeau  de  Je- 
sus-Christ.  Ne  dégénérez  pas  de  ces  nobles  et  su- 
blimes dignités;  ne  démentez  pas  aussi  cette  qua* 
lité  si  auguste  d'être  les  épouses  de  Jésus-Christ: 
ne  déshonorez  pas  votre  mère  la  sainte  Église; 
et  ne  blessez  pas  le  cœur  de  son  Époux,  qui  senii"; 
percé  de  douleur  s'il  ne  vous  voyait  pas  tendre  n 
la  pratique  des  vertus  solides. 

Après  vous  avoir  exhortées  à  la  perfection  ôo 
votre  état,  comme  j'y  suis  obligé  par  mon  mi- 
nistère ;  quoifpi'en  perfectionnant  les  autres  nou< 
nous  laissions  tomber  malheureusement  tous  i*"» 
jours  dans  des  fautes,  et  qu'en  veillant  sur  autrui 
nous  ne  prenions  pas  assez  garde  à  nous-mêmes  r 
je  vous  dirai  comme  saint  Paul  ' ,  que  je  crains 
qu'après  avoir  enseigné  et  prêché  les  autres  je  ne 
sois  moi-même  condamné  de  Dieu.  Demande» 
donc  pour  moi  sa  miséricorde ,  dont  j*ai  tant  de 
besoin  pour  opérer  mon  salut  ;  afin  que  je  ne  sois 
pas  jugéaudernier  jourà  larigueur.  Je  m'en  vais, 
mais  ce  ne  sera  pas  pour  longtemps;  et  si  les  af- 
faires de  l'Église  m'obligent  à  m'éloigner  un  peu 
de  vous ,  c'est  par  nécessité  ;  et  je  puis  dire  avec 
saint  Paul'  :  que  si  je  m'absente  decorps,  je  de- 
meure en  esprit  avec  vous.  Je  ne  vous  oublierai 
point;  vous  serez  toutes  aussi  présentes  à  mon 
esprit,  et  encore  plus  particul  ièreraent  depuis  cette 
visite,  que  devant. 

Mais  faites  en  sorte  que  j'aie  la  consolation 
d'entendre  dire  à  mon  retour,  qu'il  n'y  a  plus 
dans  cette  maison  qu'un  même  cœur  en  esprit  ^e 
Jésus-Christ  par  leliend'uuetrès-étroite  charité  : 
que  je  ne  trouve  ici  rien  de  bas,  rien  de  rampant, 
point  d'amusements;  en  un  mot  faites  que  j'ap- 
prenne que  l'on  a  profité  de  nos  avis ,  de  nos  ins- 
tructions et  de  nos  ordonnances.  Ah  !  que  je  sou- 
haiterais, mes  filles,  que  vous  puissiez  toutes 
parvenir  à  cette  parfaite  conformité  que  vous 
devez  avoir  avec  votre  Époux  !  ce  serait  pour  lors 
que  vous  seriez  remplies  d'une  abondance  de  grâ- 
ces que  l'on  ne  peut  pas  exprimer.  Quelle  gloire 
pour  vous,  d'être  ainsi  pénétrées  de  Dieu!  quel 
bonheur,  quelle  félicité,  quel  excès,  quelle  joie 
et  consolation  !  quelle  exultation  et  quel  triom- 
phe au  jour  du  Seigneur,  auquel  vous  parvien- 
drez toutes,  comme  j'espère  et  désire ,  par  la  mi- 
séricorde de  Jésus-Christ,  lequel  je  prie  de  vous 
remplir  de  grâces  en  ce  monde  et  de  gloire  en 
l'autre  ;  et  en  son  nom ,  je  vous  bénis  toutes. 

Monseigneur  ayant  fini  son  exhortation^  étant 
debout,  et  près  de  monter  au  parloir  pour  re^ 
voir  en  particulier  une  seconde  fois  la  commu- 
nauté,  dit  encore,  avant  que  de  nous  quitterf 
ce  peu  de  mots  diqnes  d'être  remarqués  : 

'  I.  Cor.  n ,  27, 
»  Ibid.  T.  3. 


120 


SUR  LA  PERFECTION 


Uessouvenez-Yous  de  la  dignité  et  de  l'état  de 
votre  profession ,  de  la  sainteté  de  votre  vocation 
et  des  saintes  obligations  de  votre  baptême;-  et 
répandez  continuellement  l'esprit  de  ces  grandes 
grâces  dans  toutes  vos  dispositions  intérieures  et 
extérieures. 

INe  vous  occupez,  mes  filles,  que  de  votre 
perfection ,  allant  toujours  en  avant  vers  voti-e 
patrie  ;  oubliant  les  choses  qui  sont  en  arrière , 
pour  vous  hâter  de  parvenir  jusqu'à  Jésus-Christ  : 
parce  que  la  distance  est  grande  et  le  chemin  est 
long,  pour  arriver  à  ce  terme  qui  est  Jésus-Christ. 

A  la  fin  du  manuscrit  on  Ut  ces  paroles  .-Les 
vierges  sont  le  fruit  sacré  de  la  chasteté  féconde 
des  évêques. 


CONFÉRENCE 


DEVANT  LES  RELIGIEUSES  URSULL>iES 
DE  MEAUX. 

Terrîljle  compte  qu'elles  auront  à  rendre  des  grâces  qu'elles 
ont  i-eeues.  Perfection  qu'exigent  d'elles  les  vœux  qu'elles  ont 
laits  d'ans  leur  profession.  Tendresse  et  sollicitude  pastorale 
du  prélat  pour  ses  tilles.  Motifs  qui  l'obligent  d'exiger  d'elles 
une  obéissance  entière.  Étroite  union  qu'il  désire  voir  régner 
eotve  elles. 


Quid  hoc  audîo  de  te?  redde  ratfonem  vniicationî.s  tua;. 

Qu'est-ce  que  y  entendu  dire  de  vous?  rendez  compte 
de  votre  administration.  Ce  sont  les  paroles  de  Jésus- 
Christ  dans  l'évangile  de  ce  jour,  en  saint  Lue,  xvi,  2. 

Je  suis  bien  aise ,  mes  filles ,  de  ne  m'en  aller 
pas  sans  vous  dire  adieu  :  mais  c'est  un  couit 
adieu ,  puisque  je  ne  m'éloigne  que  pour  peu  de 
temps;  et  j'espère  même  que  je  serai  ici  le  der- 
nier jour  de  ce  mois.  Il  me  semble  que  je  ne  pou- 
vais mieux  choisir  que  ces  paroles  pour  le  sujet  de 
cette  conférence;  pour  vous  laisser  quelque  chose 
qui  soit  profitable  et  utile  à  votre  salut,  et  qui 
s'imprime  dans  vos  cœurs. 

Ces  paroles  de  l'Évangile  s'entendent  d'un  sei- 
gneur qui  ayant  donné  ses  terres  et  confié  son 
bien  à  un  certain  homme  et  ayant  appris  qu'il  en 
faisait  un  mauvais  usage,  qu'il  avait  tout  dissipé, 
le  fait  venir  en  sa  présence ,  et  lui  dit  ces  paroles  : 
«  Qu'est-ce  que  j'entends  dire  de  vous?  »  quel 
bruit  est  venu  à  mes  oreilles?  J'ai  appris  que 
vous  avez  dissipé  mes  biens  et  en  avez  fait  un 
.mauvais  usage  :  venez,  rendez  compte  de  votre 
administration. 

C'est  ce  que  Jésus-Christ  dit  à  chacun  de  nous 
en  particulier  :  et  le  premier  sens  de  ces  paroles 
peut  être  appliqué  et  entendu  des  pasteurs.  Et  il 
me  semble  que  j'entends  cette  voix  :  Qu'enteuds- 


je,  qu'entends-Je  de  vous?  rends  compte,  rends 
compte  de  ton  administration.  Oîi  est  cette  cha- 
rité pastorale?  ouest  ce  zèle  apostolique?  où  est 
cette  sollicitude  ecclésiastique?  où  est  cette  in- 
quiétude spirituelle?  où  est  cette  charité  chré- 
tienne? où  est  ce  soin  de  la  perfection?  Quand  je 
fais  réflexion  à  ces  paroles ,  je  vous  avoue ,  mes 
filles,  que  cette  voix  me  fait  trembler.  Que 
puis-je  faire  et  que  puis-je  répondre,  sinon  :  Mon 
Dieu,  ayez  pitié  de  moi?  [Il  ne  me  reste  d'autre 
ressource  que]  d'attendre  et  de  demander  la  mi- 
séricorde de  Dieu ,  et  de  m'abaudonner  à  sa  pro- 
vidence. 

Mais  il  ne  faut  pas  que  vous  pensiez  que  ces 
paroles  soient  mises  dans  l'Évangile  seulement 
pour  les  pasteurs  de  l'Église ,  et  pour  les  person- 
nes supérieures;  elles  s'adressent  aussi  à  tous  les 
chrétiens,  et  à  vous,  mes  sœurs,  tout  particu- 
lièrement. Car  «  on  demandera  beaucoup  à  celui 
«  qui  a  reçu  beaucoup  '  ;  »  et  on  demandera  peu 
à  celui  qui  a  reçu  peu.  Jésus-Christ  nous  dit  dans 
l'Évangile^  que  celui  qui  avait  cinq  talents ,  on 
lui  en  demanda  cinq  autres;  et  celui  qui  n'en 
avait  que  deux,  on  ne  lui  en  demanda  que  deux. 
C'est  le  Maître  qui  parle ,  il  n'y  a  rien  à  dire  :  sa 
parole  est  expresse. 

Qu'avez-vous  reçu?  Examinez  un  peu,  mes 
sœurs,  les  grâces  que  Dieu  vous  a  faites,  nou- 
seulement  comme  au  commun  des  chrétiens, 
vous  donnant  la  grâce  du  baptême  et  vous  fai- 
sant enfants  de  Dieu  ;  mais  encore  la  grâce  de  la 
vocation  religieuse,  grâce  pour  suivre  les  con- 
seils évangéliques  :  mais  de  plus  vous  donnant 
une  abondance  de  lumières  pour  connaître  les 
misères  du  monde ,  et  les  difficultés  de  s'y  sau- 
ver. Envisagez  un  peu  les  occasions  qu'il  y  a  de 
se  perdre  dans  le  monde,  les  scandales ,  les  médi- 
sances ,  les  mauvais  exemples ,  les  sensualités , 
les  dissensions  ;  et  vous  connaîtrez  les  grâces 
que  Dieu  vous  a  faites ,  vous  faisant  entrer  dans 
la  religion  où  vous  ferez  votre  salut  avec  plus  de 
paix ,  de  repos ,  et  avec  moins  d'inquiétude  que 
dans  le  monde,  n'ayant  point  de  plus  grande 
affaire  que  l'unique  soin  de  votre  salut.  Prenez 
que  je  vienne  aujourd'hui,  non  pas  comme  une 
personne  particulière,  mais  de  la  part  de  Dieu, 
qui  m'envoie  vous  demander  compte  de  l'admi- 1 
nistration  de  tous  ses  biens  :  Qu'entends-je  de 
vous?  rendez  compte  de  votre  âme  et  de  votre 
vocation.  Qu'entends-je  dire  de  vous?  quelles 
sont  ces  négligences?  Quelles  affections  humai- 
nes! quel  oubli  de  votre  âme!  de  votre  âme,  non 
pas  parce  qu'elle  est  votre  âme  ;  mais  à  cause 
qu'elle  appartient  à  Jésus-Christ  ! 

'  Lue.  XII  ,  4.S. 

•  .yutlh.  x\v,20,  22. 


RELIGIEUSE. 


131 


Eh  quoi ,  mes  sœurs ,  ne  serail-ce  pas  une  dé- 
solation universelle?  et  comment  pourrait-on  vi- 
vre et  subsister,  si,  ayant  semé  de  bon  grain  dans 
ses  terres,  on  ne  trouvait  que  de  méchante  ivraie? 
Je  sais  bien  que  la  terre,  pour  produire  ses  fruits, 
a  besoin  de  la  rosée  du  ciel,  et  des  influences  du 
soleil.  Mais  combien  plus  nos  âmes  ont- elles 
besoin  de  ces  pluies  de  grâce ,  de  ces  rosées  cé- 
lestes, de  ce  soleil  de  justice  qui  nous  donne  la 
fécondité  des  bonnes  œuvres  !  Il  veut  bien  que 
nous  nous  servions  des  secours  extérieurs ,  mais 
cest lui  qui  donne  l'accroissement. 

Rendez  compte  d'un  grand  nombre  de  grâces 
que  vous  avez  reçues.  IN'avais-je  pas  semé  de 
bon  grain  dans  cette  terre?  d'où  vient  donc  que 
je  ne  trouve  que  des  ronces  et  des  épines  ?  Que 
font  dans  ce  cœur  ces  affections  humaines ,  cet 
oubli  de  Dieu  et  de  sa  perfection?  Que  fera-t-on 
de  cette  paille  inutile,  quand  le  Maître  dira  à  ses 
serviteurs  :  »<  Que  la  paille  soit  séparée  du  bon 
«  grain  ;  jetez-la  au  feu ,  et  que  le  blé  soit  mis 
«  dans  mon  grenier  '?  »  Mes  sœurs  :  si  vous  êtes 
cette  paille  inutile  et  qui  n'est  propre  à  rien ,  vous 
serez  jetées  au  feu  de  la  damnation  éternelle  ;  et 
le  bon  grain  sera  porté  dans  ces  greniers  non  pas 
terrestres,  mais  dans  ces  tabernacles  éternels. 

Ah!  qu'il  faudrait  souvent  nous  demander  ce 
compte  à  nous-mêmes  ;  afm  qu'il  n'y  ait  rien  à 
redire,  s'il  se  peut,  à  ce  dernier  et  redoutable 
compte  qu'il  faudra  rendre,  que  personne  ne 
pourra  éluder!  Et  c'est  pour  ce  sujet  que  je  vous 
le  demande  aujourd'hui  ;  afm  d'éviter  cet  éter- 
nel et  épouvantable  jugement  auquel  il  faudra 
que  cette  âme  paraisse  immédiatement  devant 
Dieu ,  toute  nue ,  et  revêtue  seulement  des  bonnes 
œuvres  qu'elle  aura  faites  et  pratiquées  en  ce 
monde. 

Où  est  donc  ce  grand  zèle  de  votre  perfection , 
que  vous  devez  avoir,  et  qui  doit  animer  toutes 
les  actions  et  la  conduite  de  votre  vie?  Combien 
devez-vous  faire  état  de  vos  âmes  qui  ont  été 
rachetées  d'un  grand  prix ,  comme  est  le  sang  de 
Jésus-Christ!  t  Dieu  a  tant  aimé  le  monde,  qu'il 
•  a  donné  son  Fils  unique  pour  notre  salut  *.  » 
Et  il  ne  s'est  pas  contenté,  cet  aimable  Sauveur, 
de  venir  une  fois  à  nous  dans  le  mystère  de 
l'incarnation  ;  il  se  donne  encore  tous  les  jours 
à  nous  par  la  sainte  communion ,  dans  le  sacre- 
ment de  sou  amour,  pour  embraser  nos  cœurs 
des  plus  pures  flammes  de  sa  charité ,  et  nous 
consomme  en  lui ,  comme  il  dit  lui-même  :  «  afin 
"  qu'ils  soient  tous  en  moi,  comme  je  suis  dans 
«  mon  Père  ^.  »  C'est  Jésus-Christ  qui  veut  que 

'  MaHh.xm,30. 
*  JfHin.  III,  16. 
'  Ibid.  XVII,  21. 


nous  ayons  avec  lui  la  même  union  qu'il  a  avec 
son  Père  ;  jugez  quelle  perfection  cela  demande 
de  vous. 

Commençons  donc  à  examiner  sur  vos  vœux , 
et  leS  obligations  que  vous  avez  toutes  de  tendre 
à  la  perfection  de  votre  vocation.  Que  chacune 
mette  la  main  à  la  conscience,  et  qu'elle  omsi- 
dère  si  elle  a  cet  esprit  de  pauvreté  exact  et  dé- 
taché de  tout ,  et  même  du  désir  d'avoir  et  de  pos- 
séder quelque  chose. 

La  pauvreté  ne  consiste  pas  seulement  à  vous 
dépouiller  de  tous  les  biens ,  et  de  toutes  les  com- 
modités superflues  et  inutiles;  mais  encore  du 
plus  intime  de  l'âme,  par  un  dépouillement  en- 
tier de  toutes  les  pensées ,  désirs  et  affections  aux 
choses  du  monde.  Ce  ne  serait  pas  avoir  une  vé- 
ritable pauvreté ,  si  l'on  avait  le  moindre  désir  et 
attachement  pour  les  choses  de  ce  monde ,  et  si 
l'on  se  portait  d'inclination  à  ce  qui  est  des  biens 
de  la  terre.  Car  remarquez  ce  que  dit  saint  Paul  : 
«  Une  vierge  ne  doit  s'occuper  que  du  soin  des 
«  choses  du  Seigneur,  et  de  ce  qui  peut  lui  plaire'.  » 
Si  vous  avez  donc  un  désir,  je  dis  un  simple 
désir  des  choses  de  la  terre ,  vous  n'avez  point 
la  véritable  pauvreté,  qui  demande  un  dégage- 
ment entier  des  moindres  attaches,  puistiu'elle 
ne  vous  permet  pas  un  simple  retour  vers  les 
choses  de  la  terre ,  pour  votre  propre  satisfaction  : 
mais  il  faut  que  toute  affection  étrangère  soit 
anéantie  en  vous ,  pour  que  votre  cœur  soit  tout 
rempli  de  l'amour  de  votre  divin  époux.  Voilà 
une  pensée  bien  profonde,  et  une  grande  perfec- 
tion à  laquelle  vous  devez  tendre,  et  à  quoi  vous 
devez  faire  de  sérieuses  réflexions. 

Vous  ne  devez  pas  ignorer  ce  que  c'est  que 
d'embrasser  la  perfection  évangélique,  de  faire 
des  vœux  de  pauvreté ,  de  chasteté ,  d'obéissance  ; 
puisque  vous  vous  êtes  engagées  volontairement. 
Donc ,  par  la  pauvreté  intérieure  et  extérieure  que 
vous  avez  vouée ,  vous  avez  renoncé  aux  biens , 
aux  honneurs  et  aux  plaisirs.  Ce  n'est  donc  pas 
pratiquer  la  pauvreté  que  d'avoir  quelque  chose 
en  propre  ;  parce  que  cela  serait  contraire  à  la 
perfection  de  votre  état ,  qui  exige  que  vous  soyez 
dégagées  de  tout. 

Venons  à  la  chasteté.  La  chasteté  demande  de 
vous  une  séparation  entière  de  tout  plaisir  ;  c'est- 
à-dire  ,  en  un  mot ,  ne  pas  donner  la  moindre  sa- 
tisfaction aux  sens  extérieurs ,  et  renoncer  ab- 
solument à  tout  ce  qui  peut  satisfaire  la  nature 
et  la  concupiscence,  et  que  vous  soyez  comme 
des  anges  par  la  pureté  de  vos  pensées.  11  faut 
avoir  cette  pureté  de  corps  et  desprit,  pour  ne 
pas  souffrir  la  moindre  affection  sensible  et  hu- 

'  I.  Cor.  vu ,  32  et  seqq. 


123 


SUR  LA  PERFECTION 


maine  :  il  faut  qu'il  n'y  ait  rien  entre  Jésus-CVirist 
et  l'âme,  entre  l'Époux  et  l'épouse;  il  faut  être 
pures  comme  les  anges,  afin  de  pouvoir  être  di- 
gnes d'être  présentées  devant  le  trône  de  Dieu. 

Quelle  doit  être  enfin ,  mes  filles ,  votre  obéis- 
sance !  Elle  ne  doit  pas  seulement  être  extérieure 
et  pour  quelque  temps;  mais  toujours  la  même 
et  perpétuelle ,  accompagnée  des  sentiments  du 
cœur,  de  l'esprit  et  de  la  volonté.  Car  qu'est-ce 
qu'une  obéissance  extérieure  et  forcée?  On  dira  : 
Il  faut  obéir  seulement  à  l'extérieur  ;  car  si  je 
me  révolte  et  que  je  marque  de  l'empressement, 
on  ne  m'accordera  pas  ce  que  je  demande  :  parce 
qu'on  pourrait  croire  que  je  suis  préoccupée  de 
passion.  Il  faut  avoir  encore  patience  trois  mois  : 
on  verra  ce  qu'il  fera.  On  met  ainsi  des  bornes, 
et  on  marque  l'obéissance  jusqu'à  un  certain 
temps.  Est-ce  là  une  obéissance  ;  ou  plutôt ,  pour 
la  bien  nommer  par  son  propre  nom ,  n'est-ce  pas 
une  vraie  désobéissance? 

Je  demande  de  vous ,  mes  sœurs ,  une  obéis- 
sance et  soumission  d'esprit  parfaite.  Il  faut  pren- 
dre ce  glaive  dont  Jésus-Christ  parle  dans  son 
Évangile  ' ,  cette  épée ,  ce  couteau  à  deux  tran- 
chants qui  divise  le  corps  d'avec  l'esprit  ;  qui 
coupe ,  qui  tranche ,  qui  sépare ,  qui  anéantisse 
la  volonté,  le  jugement  propre.  Quand  on  veut 
ouvrir  un  corps ,  on  se  sert  des  rasoirs  les  plus 
fins  et  les  plus  délicats  pour  couper  et  séparer  les 
muscles  des  nerfs ,  des  tendons  ;  on  fouille  partout 
daus  les  entrailles,  jusqu'au  cœur  et  aux  veines 
les  plus  délicates;  on  sépare  et  on  divise  tout, 
iusqu'aux  moindres  petites  parties.  Ainsi  il  faut 
prendre  cette  épée  à  deux  tranchants ,  qui  coupe 
de  tous  côtés ,  à  droite  et  à  gauche  ;  qui  sépare 
et  divise ,  qui  anéantisse  et  retranche  tout  ce  qui 
est  contraire  à  l'obéissance,  jusqu'aux  moindres 
fibres. 

Ces  paroles  de  l'Évangile  sont  considérables 
et  méritent  une  grande  attention ,  pour  atteindre 
a  la  pratique  de  l'obéissance  :  «  Que  celui  qui 
«  veut  venir  après  moi ,  se  renonce  soi-même  \  « 
Ah  !  que  ces  paroles  sont  dures ,  je  l'avoue ,  et 
qu'elles  sont  difficiles  à  embrasser  !  Ces  paroles 
sont  bientôt  dites ,  et  sont  plus  aisées  à  dire  qu'à 
faire.  Mais  il  faut  que  le  sacrifice  soit  entier  ;  il 
faut  que  l'holocauste  soit  parfait ,  qu'il  soit  jeté 
au  feu,  entièrement  brûlé,  détruit  et  consumé, 
pour  être  agréable  à  Dieu.  Et  comme  il  ne  désire 
autre  chose  de  vous ,  mes  filles ,  qu'une  parfaite 
obéissance ,  travaillez-y  donc  ;  c'est  le  vrai  moyen 
de  parvenir  à  cette  perfection  à  laquelle  vous 
devez  tendre  incessamment.  Tous  les  chrétiens 
y  sont  obligés  :  combien  devez-vous  plus  vous  y 

'  M(itt/i.\,3i. 


avancer,  puisque  vous  avez  beaucoup  plus  de 
moyens!  JN'ayez  donc  que  ce  soin,  de  vous  occu- 
per sans  cesse  de  votre  perfection.  Car  j'ai  plus 
de  désir,  de  soin  et  de  sollicitude  de  votre  per- 
fection ,  que  vous  n'en  pouvez  avoir  vous-mêmes. 

Je  puis  vous  rendre  ce  témoignage ,  et  me  le 
rendre  à  moi-même  comme  étant  sous  les  yeux 
de  Dieu,  que  je  vous  porte  toutes  écrites  dans 
mon  cœur  et  empreintes  dans  mon  esprit.  Je  n'ai 
pour  vous  que  des  entrailles  de  miséricorde  :  je 
connais  tous  vos  besoins ,  je  sais  toutes  vos  né- 
cessités; et,  comme  je  vous  ai  dit  plusieurs  fois, 
j'ai  tout  entendu,  et  n'ai  pas  oublié  un  seul  mot 
ni  une  seule  syllabe  :  rien  n'est  échappé  à  ma  mé- 
moire de  tout  ce  que  vous  m'avez  dit  chacune  en 
particulier.  Ce  n'est  donc  point  pour  m'exempter 
d'avoir  cette  sollicitude  et  cette  sainte  inquiétude , 
que  je  ne  me  rends  pas  à  ce  que  vous  souhai- 
tez :  au  contraire  plus  je  verrai  que  vous  aurez 
d'obéissance ,  plus  je  serai  porté  à  prendre  un 
grand  soin  de  votre  avancement.  Donnez-moi 
donc  cette  consolation  :  que  je  dise  que  vous 
êtes  mes  véritables  filles  sous  ma  main;  car  je 
suis  jaloux  du  salut  de  vos  âmes. 

Pourquoi  croyez- vous,  mes  filles,  que  je  de- 
mande de  vous  une  si  grande  perfection?  est-ce 
pour  moi?  m'en  revient-il  quelque  chose?  Point 
du  tout  :  je  recevrai  seulement  bonne  édifica- 
tion de  votre  vertu  et  de  votre  obéissance.  Mais 
croyez  que  c'est  principalement  pour  vous ,  pour 
votre  salut,  et  pour  éviter  ce  jugement  terrible 
et  cette  condamnation  qui  se  fera  d'une  âme  (jui 
n'aura  pas  fait  usage  des  moyens  de  perfection 
pour  assurer  son  salut.  Travaillez  incessamment 
à  l'acquérir  ;  et  demeurez  toujours  dans  les  bornes 
d'une  parfaite  soumission  à  tout  ce  que  l'on  sou- 
haitera de  vous.  Et  pour  ce  sujet  il  est  à  propos 
et  convenable  de  vous  faire  connaître,  comme 
par  degrés,  les  principes  qui  doivent  vous  diri- 
ger, et  de  vous  instruire  de  Tordre  et  de  la  dis- 
cipline de  l'Église.  Car  je  crois  que  vous  êtes  fiilcs 
de  l'Église;  et  par  conséquent  vous  êtes  plus  ca- 
pables d'en  concevoir  les  règles ,  qu'il  ne  faut  pas 
que  vous  ignoriez. 

Apprenez  donc,  mes  filles,  aujourd'hui  sa 
conduite,  et  qu'elle  ne  se  porte  pas  facilement 
ni  légèrement  à  changer  les  personnes  qui  ser- 
vent ,  par  leur  ministère ,  à  la  conduite  des  âmes , 
et  comme  il  y  a  une  subordination  dans  les  rè- 
gles qu'elle  observe. 

Par  exemple  les  prêtres  sont  amovibles,  et 
les  évêques  sont  perpétuels.  Les  prêtres  dépen- 
dent et  sont  sous  l'autorité  des  évêques,  et  ce 
sont  les  évoques  qui  les  établissent  dans  les  fonc- 
tions de  leur  ministère.  Or,  quoique  cela  soit,  ou 
observe  de  ne  les  point  ôtcr  que  pour  des  causts 


RELIGIEUSE. 


133 


extraordinaires ,  et  après  avoir  examiné  leur  con- 
duite. Moi  donc,  à  qui  Dieu  a  commis  le  soin  de 
ce  diocèse ,  et  à  qui ,  tout  indigne  que  je  suis ,  Dieu 
a  mis  cette  charge  sur  les  épaules,  qui  me  fait 
gémir  et  soupirer  à  toutes  les  heures  du  jour, 
par  la  pesanteur  du  poids  qui  m'accable,  esti- 
mant mes  épaules  trop  faibles  pour  le  pouvoir 
porter  ;  moi  qui  me  rends  tous  les  jours ,  par  mes 
péchés ,  digne  des  plus  grands  châtiments  de  la 
colère  de  Dieu  :  or  je  reviens,  et  je  dis  :  Si  Dieu 
eût  permis  que  vous  eussiez  un  méchant  évêque , 
il  faudrait  bien  que  vous  me  souffrissiez  tel  que 
je  serais;  parce  que  étant  votre  pasteur,  vous 
êtes  obligées  de  ra'obéir.  Je  le  dis  de  même  de 
ceux  qui  vous  sont  donnés  par  notre  autorité  pour 
la  conduite  de  vos  âmes ,  à  qui  vous  devez  vous 
assujettir  comme  à  Dieu;  puisqu'ils  vous  sont 
donnés  et  établis  et  approuvés  de  notre  autorité. 

Vous  me  direz  et  me  répondrez  peut-être  que 
l'Église  ne  vous  contraint  et  ne  vous  oblige  pas 
à  cela.  Il  est  vrai;  puisque,  en  quelque  façon, 
vous  ne  dépendez  que  de  l'évêque  seul.  Mais  que 
serait-ce,  mes  filles,  si  dans  le  corps  humain 
tous  les  membres  voulaient  exercer  les  mêmes 
fonctions  ?  Il  faut  que  chacun  demeure  à  la  place 
qui  lui  est  convenable.  Je  dis  le  même,  mes  sœurs, 
de  la  subordination  qui  doit  être  parmi  vous.  Si 
lobéissance  n'est  point  gardée  en  cette  maison , 
ce  ne  sera  que  confusion  et  un  continuel  désordre  ; 
tout  ira  à  la* division,  et  à  la  ruine  totale  de  la 
perfection. 

Savez-vous,  mes  sœurs,  d'où  viennent  les 
schismes  et  les  hérésies  dans  l'Église?  Par  un 
commencement  de  division  et  de  rébellion  secrète. 
C'en  e«t  là  un  commencement  que  je  trouve  ici. 
Prenez-y  garde  ;  car  j'ai  reconnu,  dès  le  commen- 
cement de  la  visite,  que  les  unes  veulent  trop, 
les  autres  pas  assez  :  cela  marque  trop  d'em- 
pressement et  d'attachement  à  ce  qui  est  de 
l'homme.  Écoutez  ce  que  dit  Saint  Paul  au  peu- 
ple de  Gorinthe  »  :  «  J'ai  appris  qu'il  y  a  des  par- 
«  tialités  entre  vous  ;  l'un  dit  :  Je  suis  à  Pierre  ; 
«  l'autre  dit ,  Je  suis  à  Paul ,  moi  à  Apollo ,  moi 
"  à  Céphas,  et  moi  à  Jésus-Christ.  Jésus-Christ 
o  est-il  donc  divisé?  Paul  a-t-il  été  crucifié  pour 
«  vous?  avez- vous  été  baptisés  au  nom  de  Paul?  » 
Mais  saint  Paul,  que  répondit-il  à  ces  gens-là? 
leur  dit-il  :  Laissez-moi  faire ,  je  dirai  à  Pierre 
qu'il  se  retire ,  et  qu'il  ne  vous  parle  plus  ;  Apollo , 
Céphas ,  ne  vous  en  mêlez  plus  :  ne  vous  mettez 
pas  en  peine ,  je  m'éloignerai  moi-même ,  et  fe- 
rai en  sorte  que  Jésus-Christ  viendra  en  pereonne 
vous  conduire  et  vous  gouverner  en  ma  place? 
Eh  !  quel  discours ,  mes  lilles ,  ne  sommes-nous 

'  I.  Cor.  ' ,  12 ,  13. 


pxs  tous  à  Jésus-Christ,  et  Jésus-Clirist  n'cst-il 
pas  pour  tous?  Qu'est-ce  que  vous  trouvez  dans 
ce  prêtre?  J'ai  examiné  et  approuvé  sa  conduite  : 
il  est  de  bonnes  mœurs ,  il  a  la  charité ,  il  est  rem- 
pli de  zèle,  il  a  l'esprit  et  la  capacité  de  son  mi- 
nistère. 

Enfin,  on  veut  pousser  à  bout  :  Fera-t-on, 
ne  fera-t-on  pas?  Ah  !  le  voilà  dit  :  qu'on  ne  m'en 
parle  plus.  Je  vous  déclare  que  je  le  veux  et  que 
je  ne  changerai  point  :  je  serai  ferme ,  et  ne  me 
laisserai  point  ébranler  par  tout  ce  que  vous  me 
pourriez  dire ,  jusqu'à  ce  que  le  Saint-Esprit  me 
fasse  connaître  autre  chose ,  et  que  je  vous  voie 
toutes  dans  une  si  parfaite  obéissance  sur  ce  sujet , 
qu'il  ne  reste  pas  la  moindre  répugnance  ni  ré- 
sistance sur  ce  qui  a  été  du  passé.  Je  veux  vous 
voir  dans  une  parfaite  soumission  à  mes  ordres  ; 
a  moins  de  cela ,  n'attendez  rien  autre  chose  de 
moi.  Abandonnez- vous  donc  à  moi ,  mes  chères 
filles,  pour  le  soin  de  votre  perfection.  Je  sais 
mieux  ce  qui  vous  est  utile  que  vous-mêmes  : 
j'en  fais  mon  principal ,  comme  si  je  n'avais  que 
cela  à  penser. 

Je  vous  conjure ,  mes  filles ,  de  vous  tenir  en 
union  les  unes  avec  les  autres ,  par  ce  lien  de  la 
charité  qui  unit  tous  les  cœure  en  Dieu.  Que  je 
n'entende  plus  parler  de  divisions ,  de  partiali- 
tés. Que  l'on  ne  tienne  plus  ces  discours  :  L'on 
parle  plus  à  celle-ci,  on  ne  parle  point  à  cette 
autre;  on  parle  rudement  à  celle-ci,  on  parle 
doucement  à  celle-là  :  on  ne  me  traite  pas  comme 
certaines.  Eh  !  les  ministres  de  Dieu  ne  sont-ils 
pas  à  tous ,  et  ne  se  font-ils  pas  tout  à  tous  pour 
les  gagner  tous  à  Jésus-Christ?  Vous  vous  ar- 
rêtez trop  à  ce  qui  est  humain  et  extérieur,  sans 
considérer  la  grâce  intérieure  qui  vous  est  con» 
férée  par  le  pouvoir  du  caractère  qui  est  dans 
ce  ministre  de  Jésus-Christ.  Ainsi ,  vous  recevez 
toujours  l'effet  du  sacrement.  Que  ce  soit  de  ce 
monsieur-ci  ou  de  ce  monsieur-là,  que  vous  im- 
porte? Agissez  surnaturellement,  et  par  des  vues 
plus  spirituelles  et  dégagées  des  sens. 

Croyez-moi ,  mes  filles ,  mettez-vous  dans  ces 
dispositions,  et  vous  expérimenterez  une  grande 
paix  et  tranquillité  d'esprit.  Qu'on  ne  voie  plus 
entre  vous  d'ambition,  d'euNie,  de  jalousie.  Qu'on 
n'entende  plus  parmi  vous  ces  plaintes  si  peu 
religieuses  :  On  élève  cette  personne ,  on  la  met 
dans  cet  office,  et  moi  je  n'y  suis  pas.  Toui 
sont-ils  propres  à  une  même  charge  ;  et,  comme 
dit  saint  Paul  • ,  «  tous  sont-ils  docteurs ,  tous 
«  sont-ils  prophètes,  »  tous  sont-ils  capables 
d'un  même  emploi  ?  Mais  la  vertu  est  utile  à  tous, 
et  tous  sont  obligés  de  se  rendre  capables  de  la 

»  I.  Cor.  xa ,  20. 


iS4 


SUR  LE  SILENCE. 


pratiquer.  C'est  pourquoi  dilatez,  dilatez  vos 
cœurs  par  la  charité;  n'ayez  point  des  cœurs 
rétrécis ,  resserrés  et  petits  :  allez  à  Dieu  en  es- 
prit de  confiance ,  courez  à  grands  pas  dans  la 
voie  de  la  perfection;  afin  que  vous  puissiez 
croître  de  vertu  en  vertu  jusqu'à  ce  que  vous 
parveniez  toutes  à  la  consommation  de  la  gloire , 
que  je  vous  souhaite  en  vous  bénissant  au  nom 
du  Père ,  du  Fils ,  et  du  Saint-Esprit. 

Après  que  Monseigneur  eut  achevé  sa  confé- 
rence, il  dit  encore  ce  peu  de  mots  en  s' adres- 
sant à  notre  mère  supérieure  : 

Ma  mère ,  je  vous  recommande  cette  commu- 
nauté; soyez-leur  toujours  une  bonne  mère, 
comme  vous  leur  avez  été  jusqu'à  présent.  Il 
faut  que  vous  ouvriez  vos  entrailles ,  et  que  vous 
élargissiez  votre  sein ,  pour  les  recevoir  toutes , 
et  pourvoir  à  leurs  besoins.  De  leur  part  il  faut 
aussi  qu'elles  se  rendent  obéissantes  et  soumises 
à  ce  que  vous  leur  ordonnerez ,  sans  vous  faire 
peine. 

INSTRUCTION 

FAITE  AUX 

RELIGIEUSES  URSULINES  DE  MEAUX. 

SUR  LE  SILENCE. 

Trois  sorles  de  silence.  Avec  quelle  exaclitude  Jésus-Christ 
les  a  gardés.  Motifs  qui  ont  porté  les  instituteurs  d'ordre  à  le 
prescrire  dans  leurs  règles.  En  quoi  consiste  le  silence  de  pru- 
dence, et  comment  il  faut  le  pratiquer  à  l'exemple  de  Jésus- 
Christ.  Qualités  que  doit  avoir  le  silence  de  patience  dans  les 
souffrances  et  les  contradictions  :  combien  il  est  salutaire ,  et 
contribue  à  la  perfection  des  âmes. 

Si  tacuerilis ,  salvi  eritis. 

SI  tu  te  tais,  tu  seras  sauvé,  dit  un  grave  auteur.  Ces 
paroles  seront  le  sujet  de  notre  méditation. 

L'avant-propos  montrait  évidemment  les  dé- 
fauts de  la  langue,  et  comme  elle  est  la  source 
et  le  principe  universel  de  tous  les  péchés  et  d'un 
grand  nombre  d'imperfections  :  ensuite  il  était 
prouvé  comme  le  silence  était  le  souverain  re- 
mède, pour  corriger  tout  d'un  coup  ce  cours 
malheureux  et  les  saillies  de  nos  passions.  Ainsi 
il  est  vrai  de  dire  que  le  silence  bien  gardé  est 
un  moyen  sûr  pour  faire  son  salut.  Si  tacueritis, 
salvi  eritis  :  «  Gardez  le  silence,  vous  vous  sau- 
«  verez  infailliblement  sans  beaucoup  de  peine.  » 

Il  y  a  trois  sortes  de  silence  :  le  silence  de  rè- 
gle ,  le  silence  de  prudence  dans  les  conversations, 
et  le  silence  de  patience  dans  les  contradictions. 
Notre-Seigneur  nous  a  donné  de  beaux  exemples 
de  silence  dans  tout  le  cours  de  sa  passion  et  de 


sa  vie  :  du  silence  de  règle  dans  le  berceau  ,  dans 
son  enfance,  durant  sa  vie  cachée;  du  silence  do 
prudence  dans  sa  vie  conversante  et  publique; 
enfin  du  silence  de  patience  en  sa  passion  ,  où  ce 
divin  Sauveur  a  tant  souffert  sans  dire  un  seul 
mot  pour  sa  défense  et  pour  s'exempter  de  souf- 
frir. Ces  trois  sortes  de  silence  feront  les  trois 
points  de  notre  méditation. 

PREMIER  por«T. 

Considérons,  chères  âmes,  que  Jésus-Christ  a 
gardé  le  silence  de  règle  admirablement  dans 
son  enfance.  Il  est  de  règle ,  selon  l'ordre  de  la 
nature,  et  Jésus-Christ  s'assujettit  à  cette  règle, 
lui  qui  est  la  parole  éternelle  du  Père;  non-seu- 
lement comme  les  autres  enfants ,  mais  encore 
l'espace  de  trente  ans  entiers  :  car  l'Évangile 
dit  qu'il  n'a  parlé  qu'une  fois,  lorsqu'il  fut  au 
temple  où  il  instruisait  les  docteurs  ;  pour  mon- 
trer que  s'il  ne  disait  mot,  c'était  pour  appren- 
dre aux  hommes  à  garder  le  silence.  Si  donc , 
mes  chères  filles,  Jésus-Christ  a  été  si  exact 
dans  ce  silence;  combien  devez-vous,  à  son  imi- 
tation, être  fidèles  dans  l'observance  de  celui 
qui  vous  est  prescrit  par  votre  règle  ! 

Dans  chaque  ordre  religieux  nous  voyons  que 
les  uns  sont  distingués  des  autres  ;  cet  ordre-là, 
par  une  grande  pénitence  et  austérité  de  vie; 
celui-ci  est  destiné  pour  chanter  incessamment 
les  louanges  de  Dieu.  Il  y  en  a  qui  ne  sont  ap- 
pliqués qu'à  la  contemplation,  d'autres  enfin 
sont  tout  dévoués  au  service  du  prochain  et  à 
la  charité.  Mais ,  dans  toutes  ces  différences  sin- 
gulières de  chaque  institut,  nous  remarquons 
que  dans  tous  le  silence  y  est  prescrit  et  ordonné 
par  la  i-ègle ,  et  qu'il  y  a  des  temps  et  des  heures 
de  silence.  Quelques-uns  gardent  un  silence  per- 
pétuel et  profond ,  et  ne  parlent  jamais  :  d'autres 
sont  obligés  de  le  garder  des  temps  considérables 
dans  la  journée ,  y  ayant  même  des  heures  des- 
tinées pour  cet  effet ,  et  où  il  n'est  pas  permis  de 
parler. 

Remarquez ,  mes  chères  filles ,  que  tous  les 
fondateurs  de  religions  ont  eu  trois  pensées  et 
raisons ,  quand  ils  ont  établi  et  prescrit  le  silence 
dans  leur  règle.  La  première ,  c'est  qu'ils  ont 
connu  et  vu  par  expérience  que  le  silence  re- 
tranchait beaucoup  de  péchés  et  de  défauts.  Et 
en  effet,  où  le  silence  n'est  pas  observé  comme 
il  doit  l'être ,  combien  s'y  glisse-t-il  d'imperfec- 
tions et  de  désordres!  C'est  ce  que  nous  verrons 
bientôt  dans  la  suite  de  cet  entretien.  In  multi- 
loqiiio  non  deerit  peccatum,  dit  le  Saint-Es- 
prit '  :  «  Le  péché  suit  toujours  la  multitude  des 

'  Prov.  X,  ID. 


SUR  LE  SILENCE. 


135 


•  paroles;  »  et  saint  Jacques  a  eu  raison  de  dire , 
que  la  langue  est  l'organe  et  le  principe  de  tout 
vché  '.  La  seconde  raison  qu'ont  eue  encore 

>  fondateui-s  d'ordres  en  établissant  l'esprit  de 
retraite,  c'est  qu'ils  ont  prévu  que  la  dévotion 
et  l'esprit  d'oraison  ne  pouvaient  subsister  sans 
le  silence.  Ceci  est  visible  et  trop  vrai  ;  nous  le 
voyons  tous  les  jours  dans  ces  âmes  épanchées 
et  dissipées ,  qui  aiment  à  se  répandre  au  dehors, 
lîé  !  dites-moi ,  chères  âmes ,  sont-elles  pour  l'or- 
dinaire bien  spirituelles  et  filles  d'oraison,  si 
illes  ne  sont  recueillies?  Quelques  bons  senti- 
îiicnts  et  mouvements  intérieurs  que  Dieu  leur 
donne  dans  la  prière,  ils  seront  sans  fruit  tan- 
dis qu'elles  se  dissiperont  aussitôt ,  recherchant 
à  causer  et  à  parler  :  il  est  certain  que  toute 
lonction  de  la  dévotion  s'évanouira  et  se  per- 
dra insensiblement;  car  elle  ne  peut  se  conser- 
ver que  dans  une  â;i:e  silencieuse  et  parfaite- 
ment récoUigée,  attentive  sur  soi-même.  Ainsi 
il  ne  faut  pas  espérer  ni  attendre  grande  spiri- 
Uialité  ni  piété,  d'une  religieuse  qui  aime  à  dis- 
courir et  à  s'entretenir  avec  celle-ci  et  avec 
celle-là;  qui  ne  peut  demeurer  une  heure  dans 
sa  cellule  en  repos  et  en  silence. 

Enfin ,  la  troisième  raison  qui  a  porté  les  fon- 
dateurs de  recommander  si  étroitement  le  silence 
a  leurs  religieux ,  c'est  parce  que  le  silence  unit 
les  frères.  Et  en  effet  c'est  un  moyen  très-propre 
pour  maintenir  la  charité,  la  paix  et  l'union  dans 
une  maison  religieuse  ;  puisque  le  silence  bannit 
tous  ces  discours  et  entretiens  qui  la  divisent  et 
la  détruisent.  Car,  pour  l'ordinaire ,  qu'est-ce 
({ui  fait  la  matière  de  ces  conversations  trop  fa- 
milières, sinon  les  défauts  de  ses  sœurs?  ce  qui 
apporte  bien  souvent  du  trouble  et  de  la  division 
dans  une  communauté;  et  tout  cela  faute  de  si- 
lence. Quand  on  veut  réformer  un  monastère  qui 
n'est  plus  dans  sa  première  ferveur,  que  fait-on  ? 
l'on  observe  soigneusement  si  les  règles  y  sont 
bien  gardées,  spécialement  les  plus  essentielles. 
S'aperçoit-on  que  le  silence  manque  et  n'est  plus 
observé,  c'est  par  là  que  l'on  commence  :  aussitôt 
on  y  rétablit  le  silence,  qui  n'y  était  point  gardé; 
parce  que  c'est  le  moyen  qui  retranche  tout  d'un 
co\ip  les  autres  imperfections,  abus  ou  désordres 
qui  arrivent  dans  une  maison  religieuse,  pour 
sètre  relâchée  sur  la  règle  du  silence. 

Ayez  donc,  chères  âmes,  de  l'amour  et  de 
l'estime  du  silence  de  règle,  si  nécessaire  pour 
entretenir  et  conserver  toutes  les  vertus  religieu- 
ses. Comme  je  vous  ai  déjà  dit,  dans  toutes  les 
maisons  ou  monastères ,  on  est  toujours  obligé 
à  le  garder  aux  temps  et  lieux  ordonnés  :  c'est 
là  ce  qui  maintient  la  régularité.  Vous  autres , 

'  J<ic.  Ul,6. 


mes  chères  filles ,  quoique  vous  soyez  consacrées 
au  public,  par  votre  institut,  pour  instruire  la 
jeunesse,  vous  ne  laissez  pas  d'avoir  aussi  ce  si- 
lence de  règle  à  observer  dans  de  certains  temps , 
et  j'ai  remarqué ,  ce  me  semble ,  que  par  vos 
constitutions  vous  devez  vous  abstenir  tout  au 
moins  de  tous  discours  et  paroles  inutiles  durant 
la  journée.  Et  si  vous  ne  parlez  que  pour  le  né- 
cessaire ,  vous  garderez  un  long  silence ,  et  vous 
ne  vous  épancherez  pas  inutilement  parmi  les 
créatures,  à  vous  entretenir  de  tout  ce  qui  se 
passe  dans  une  maison.  Tous  ces  désirs  de  com- 
muniquer avec  cette  amie  seront  mortifiés  et  ré- 
primés; l'on  ne  cherchera  pas  à  s'aller  décharger 
avec  celle-ci  de  tout  ce  qui  fait  peine ,  pour  en 
murmurer  et  s'en  plaindre  inconsidérément. 

Si  Notre-Seigneur  faisait  la  visite  dans  ce  mo- 
nastère pour  voir  si  le  silence  est  bien  gardé ,  et 
qu'il  entrât  dans  les  lieux  où  il  doit  être  gardé; 
hélas!  qu'est-ce  qu'il  y  trouverait?  Là  deux  pe- 
tites amies ,  et  ici  trois  autres  en  peloton ,  occu- 
pées à  causer  et  à  s'entretenir  ensemble  à  la  dé- 
robée ,  tandis  peut-être  que  l'on  devrait  être  au 
chœur  ou  à  une  autre  observance.  Si  donc  Jésus- 
Christ  se  présentait  à  elles,  et  leur  allait  faire 
cette  demande  :  «  Quels  sont  ces  discours  que 
«  vous  tenez  ensemble?  »  Qui  sunt  hi  sermones 
quos  coiifertis  ad  mvjcew?  quelle  serait  leur 
réponse?  Pourraient-elles  dire  avec  vérité  :  ?sous 
parlons  de  Jésus  de  Nazareth;  ou  bien,  Nous 
parlons  des  moyens  pour  arriver  à  la  pratique 
de  la  vertu,  pour  nous  encourager  l'une  l'autre? 
Ah!  c'est  souvent  de  rien  moins  :  car  la  plupart 
de  tous  vos  discours  avec  cette  amie ,  qui  est  la 
confidente  de  tous  vos  mécontentements,  sont 
de  lui  dire  tous  vos  sentiments  imparfaits  sur 
tout  ce  qui  vous  choque  et  vous  contrarie  ;  c'est 
de  parler  des  défauts  des  autres ,  et  des  préten- 
dus déplaisirs  que  vous  dites  avoir  reçus  de  cette 
sœur,  que  vous  ne  pouvez  souffrir.  C'est  là  que 
Ion  murmure ,  que  l'on  se  plaint  à  tort  et  à  tra- 
vers de  la  conduite  des  officières  de  la  maison. 
On  critique ,  on  censure,  on  contrôle  toutes  cho- 
ses; la  supérieure  même  n'est  pas  exempte  d'être 
sur  le  tapis  :  l'on  blâme  sa  conduite  et  sa  manière 
d'agir  ;  enfin  l'on  mêle  dans  ces  entretiens  fami- 
liers celle-ci ,  celle-là ,  encore  celu^-là  :  bref,  c'est 
dans  ces  communications  indiscrètes  que  se  font 
une  infinité  de  péchés  de  médisance;  et  très- 
souvent  de  jugements  téméraires ,  plus  griefs  que 
l'on  ne  pense.  Il  faut  ici  faire  réflexion ,  chacune 
selon  son  besoin ,  à  ce  que  la  conscience  dictera , 
avant  que  de  terminer  ce  premier  point. 

'  Luc.xwy,  17. 


126 


SUR  LE  SILENCE 


SECOND    POINT. 


Dans  le  deuxième  point  de  notre  méditation 
nous  allons  voir  le  silence  de  prudence  qu'il  faut 
garder  dans  les  conversations,  pour  apprendre  à 
w'y  point  faire  des  fautes  contraires  à  la  charité. 
Et,  pour  nous  y  bien  comporter,  envisageons, 
chères  âmes,  Jésus-Christ  notre  parfait  modèle, 
qui  a  pratiqué  merveilleusement  ce  silence  de 
prudence,  dont  je  vais  vous  parler,  en  vous  en 
faisant  voir  un  bel  exemple  dans  sa  sacrée  per- 
sonne, pendant  sa  vie  conversante  et  dans  les 
années  de  ses  prédications. 

Ce  doux  Sauveur  était  si  débonnaire ,  qu'il  est 
remarqué  de  lui  qu'il  n'a  jamais  rien  dit  qui  fût 
capable  de  donner  un  juste  sujet  de  plainte  et 
de  peine  à  personne.  Cet  agneau ,  plein  de  dou- 
ceur, a  contraint  les  Juifs  mêmes  de  dire  de  lui, 
que  «jamais  homme  n'avait  si  bien  parlé  :  »  Num- 
quam  sic  locutus  est  hoino ,  sicut  hic  homo  '. 
Et  dans  une  autre  occasion ,  où  ils  voulaient 
surprendre  Jésus-Christ  dans  ses  paroles;  que 
firent-ils  à  cet  effet  ?  Ils  lui  demandèrent  s'il  était 
permis  de  payer  le  tribut  à  César.  Notre-Seigneur, 
qui  est  la  sagesse  même,  leur  fit  cette  réponse 
prudente  et  judicieuse  :  qu'il  était  juste  de  «  ren- 
«  dre  à  César  ce  qui  est  à  César,  et  à  Dieu  ce  qui 
«  est  à  Dieu  *.  » 

Voilà,  mes  chères  filles,  une  belle  idée  et  un 
modèle  achevé,  pour  vous  apprendre  la  pratique 
du  silence  de  prudence  dans  vos  conversations; 
car  remarquez  avec  moi  que  la  perfection  du 
silence  ne  consiste  pas  seulement  à  ne  point  par- 
ler, mais  aussi  à  parler  selon  les  règles  de  la 
charité  chrétienne  et  religieuse.  Comme  par  vo- 
tre institut  vous  ne  devez  pas  vivre  à  la  façon 
des  ermites ,  et  être  toujours  en  solitude  ;  il  est 
nécessaire  que  vous  conversiez  les  unes  avec  les 
autres  les  jours  de  récréations ,  où  vous  devez 
vous  trouver  toutes  ensemble  pour  obéir  à  la 
règle  en  esprit  de  charité  et  d'union.  Mais ,  chè- 
res âmes,  comme  c'est  ici  l'endroit  le  plus  glis- 
sant peut-être  qui  soit  en  la  vie  religieuse ,  et  où 
il  soit  plus  aisé  d'y  faire  des  fautes,  soit  par  in- 
considération ou  imprudence ,  n'étant  pas  pour 
lors  attentives  sur  vous-mêmes,  il  faut  se  munir 
de  grandes  précautions  et  beaucoup  veiller  sur 
ses  paroles ,  pour  ne  point  commettre  de  péchés , 
même  considérables,  où  insensiblement  on  se 
laisse  aller  dans  la  conversation ,  faute  de  savoir 
se  maintenir  dans  les  règles  de  la  prudence  et 
de  la  charité.  C'est  pourquoi  il  faut  s'observer, 
et  prendre  des  mesures  pour  n'y  point  faillir  avec 

'  Joan.  Yir ,  46. 
*  Matlh.  xxn,  21. 


vos  sœurs,  de  manière  que  votre  conscience  n'y 
soit  point  intéressée ,  ni  la  paix  altérée. 

Car,  mes  filles,  bien  que  vous  soyez  toutes 
membres  d'un  même  corps;  cependant  la  diffé- 
rence des  humeurs  et  tempéraments,  qui  se  ren- 
contre entre  toutes ,  forme  de  certaines  opposi- 
tions et  contradictions  qui  vous  obligent  à  une 
grande  circonspection  dans  les  heures  de  vos 
récréations ,  où  vous  devez  singulièrement  faire 
paraître  ce  silence  de  prudence ,  en  prenant  garde 
surtout  de  ne  rien  dire  qui  puisse  tant  soit  peu 
fâcher,  et  donner  de  la  peine  à  vos  sœurs.  Il  faut 
aussi ,  par  une  sage  discrétion  ,  que  vous  sachiez 
prévoir  et  ne  pas  dire  les  choses  que  vous  juge- 
riez ou  croiriez  devoir  fâcher  et  mécontenter 
quelque  sœur  :  de  plus  cette  même  prudence  doit 
vous  empêcher  de  relever  cent  choses  qui  peu- 
vent exciter  parmi  vous  de  petites  disputes  et 
divisions,  d'où  d'ordinaire  elles  naissent  et  se 
forment. 

Ah!  mes  chères  filles,  ayez  attention  à  vous 
conduire  de  la  sorte  ,  si  vous  voulez  maintenir  la 
paix  et  la  charité  dans  vos  conversations ,  qui 
autrement  deviendraient  plus  nuisibles  qu'utiles. 
Pour  cet  effet ,  il  faut  savoir  supporter  prudem- 
ment et  vertueusement  les  fardeaux  les  unes  des 
autres,  comme  vous  y  exhorte  le  grand  saint 
Paul  :  Aller  alterius  onera  portate  k  Que  cette 
pratique  si  nécessaire  vous  ferait  endurer  de 
choses  si  vous  y  aviez  un  peu  d'application  !  Cha- 
cune à  son  tour  n'a-t-elle  pas  à  supporter  quelques 
défauts  dans  les  autres  ?  Aujourd'hui  vous  endu- 
rez une  parole  un  peu  fâcheuse,  qu'une  sœur 
vous  aura  dite  par  mauvaise  humeur  :  eh  bien  , 
demain  elle  souffrira  peut-être  de  vous  des  cho- 
ses plus  sensibles. 

Mais  ,  direz-vous,  j'ai  à  converser  avec  cette 
sœur  qui  est  d'une  humeur  si  rustique  et  si  in- 
supportable, qu'il  me  faut  toute  ma  patience 
pour  ne  la  choquer  ni  rebuter  quand  elle  est  dans 
sa  mauvaise  humeur.  Il  est  vrai;  il  se  rencontre 
des  personnes  si  inciviles  et  malhonnêtes  dans 
leurs  conversations ,  qu'elles  sont  presque  intrai- 
tables. Ces  humeurs  farouches  y  sont  fort  à  charge 
et  donnent  souvent  sujet  d'exercer  la  patience 
des  autres,  toute  leur  vie;  car  comme  naturelle- 
ment elles  sont  de  cette  humeur,  joint  à  l'édu- 
cation qu'elles  ont  eue  qui  a  fort  contribuée  leurs 
mauvaises  dispositions  d'esprit,  il  n'en  faut  pas 
attendre  autre  chose  de  plus.  Pour  l'ordinaire 
elles  sont  ombrageuses,  soupçonneuses  et  très- 
aisées  à  se  fâcher  et  à  parler  selon  leur  boutade. 
Quoi  qu'il  en  soit ,  la  charité  vous  oblige  de  les 
supporter  et  de  ne  les  pas  fâcher  mal  à  propos. 
Je  sais  que  cela  est  un  peu  diflicile;  et  qu'il  n'y 
'  Gai.  VI ,  2. 


SUR  LE  SILENCE. 


127 


a  rij^n  de  si  contraire  à  un  naturel  plus  sociable 
c\  poli,  qui  sait  vivre  honnêtement  dans  la  con- 
vei-sation ,  que  ces  personnes  grossières  etfàcheu- 
sps  qui  ne  peuvent  dire  une  parole  de  douceur  et 
d'honntHeté.  Mais  ne  savez-vous  pas  que  c'est  là 
ou  la  vertu  se  fortifie,  et  où  elle  a  matière  de 
s'exercer  avec  beaucoup  de  mérite  ;  et  que  c'est 
eu  supportant  patiemment  les  humeurs  contrai- 
res à  la  vôtre ,  que  vous  faites  voir  que  vos  ver- 
tus et  votre  conduite  ne  sont  point  illusion? 

Mais ,  dites-vous  encore ,  cette  sœur  est  si  om- 
brageuse et  pointilleuse  que  la  moindre  chose  la 
met  en  mauvaise  humeur,  s'imaginant  toujours 
que  je  lui  en  veux  :  je  dis,  par  exemple,  une 
parole  innocemment  et  bonnement,  sans  avoir 
intention  de  lui  faire  de  la  peine;  cependant  elle 
s'en  choque  et  s'aigrit.  Or  je  veux  que  vous 
n'ayez  point  eu  intention  de  l'attaquer;  toute- 
fois, vous  qui  avez  un  naturel  plus  favorable  et 
raisonnable ,  vous  devez  en  conscience  ménager 
ces  esprits  faibles ,  qui ,  par  leur  incapacité  de 
faireautremcnt,  s'échappent  souvent  malgré  eux. 
Ainsi ,  par  esprit  de  charité  et  de  douceur,  ayez 
égard  à  leurs  faiblesses  :  ne  leur  donnez  pas  su- 
jet d'offenser  Dieu  en  les  contrariant  ;  ayez  même 
de  la  condescendance  pour  elles  :  abstenez- vous 
de  dire  de  certaines  choses ,  quoique  indifférentes 
et  innocentes,  que  ces  esprits  mal  faits  prendraient 
de  travers;  ayez-en  de  la  compassion  :  car  elles- 
mêmes  ont  de  la  peine  et  de  la  confusion  de  se 
voir  ainsi  à  charge  aux  autres;  ce  qui  les  humi- 
lie et  mortilie  étrangement  devant  Dieu,  dans  la 
connaissance  qu'il  leur  donne  de  leur  fragilité  : 
elles  en  ont  de  l'amertume  de  cœur,  à  moins 
qu'elles  ne  soient  tout  à  fait  aveugles  sur  ce  dé- 
faut. 

Et  vous ,  esprits  revêches ,  humeurs  grossières 
et  fâcheuses ,  apprenez  à  vous  vaincre  et  à  être 
maîtresses  de  ces  mouvements  impétueux  que 
produit  en  vous  ce  mauvais  naturel,  que  vous 
devez  sans  cesse  combattre  et  détruire ,  pour  vi- 
vre de  la  vie  de  la  grâce ,  en  mourant  à  la  nature. 
Et  ne  pensez  pas  dire ,  pour  vous  mettre  à  cou- 
vert, comme  ces  âmes  lâches  et  imparfaites  :  Je 
ne  saurais  faire  autrement,  c'est  mon  humeur  : 
car  vous  n'en  serez  pas  quittes  pour  cela  devant 
Dieu;  puisque  vous  êtes  obligées ,  selon  les  pré- 
ceptes de  Jésus-Christ  dans  l'Évangile,  de  vous 
mortifier  et  de  travailler  à  renoncer  à  vous-mê- 
mes tous  les  jours.  Et  Dieu  n'a-t-il  pas  dit  à  Caïn  ', 
au  commencement  du  monde ,  de  mortifier  son 
humeur  farouche,  ses  appétits  déréglés,  et  de 
surmonter  ses  passions  indomptées  ? 

Voyez  donc,  mes  chères  filles,  la  nécessité 

'  Gènes.  IV ,  o ,  7 


qu'il  y  a  de  veiller  sur  sa  langue ,  quand  on  est 
obligé  de  converser;  et  vous  plus  particulière- 
ment qui  par  votre  institut  êtes  souvent  enga- 
gées à  communiquer  et  parler  avec  les  séculiers 
dans  les  occasions  que  vous  procure  l'instruction 
de  la  jeunesse  qui  vous  est  confiée ,  comme  d'aller 
souvent  au  parloir  visiter  les  parents  des  pension- 
naires :  car  la  bienséance  et  l'honnêteté ,  quelque- 
fois même  la  nécessité,  vous  obligent  d'avoir  des 
entretiens  avec  ces  personnes ,  et  outre  cela  votre 
règle  vous  le  permet  ;  comme  aussi  avec  vos  pa- 
rents et  d'autres  de  vos  amis  et  connaissances. 
Mais  c'est  ici ,  chères  âmes  religieuses,  qu'il  faut 
surtout  vous  bien  conduire  et  parler  avec  discré- 
tion. Si  jamais  vous  avez  besoin  du  silence  de 
prudence ,  c'est  dans  ces  temps  où  il  y  a  bien  à 
perdre  ou  à  gagner.  Je  vous  en  avertis ,  prenez- 
y  garde  ;  et  comportez-vous-y  d'une  manière  si 
édifiante,  que  les  gens  du  monde  n'aient  pas 
moins  d'estime  de  vous.  Pour  cet  effet  il  faut 
qu'une  religieuse  au  parloir,  en  présence  des  sé- 
culiers ,  soit  d'un  maintien  grave  et  modeste  ;  elle 
doit  veiller  extrêmement  sur  ses  paroles,  ne  pas 
trop  s'épancher,  ni  se  dissiper  :  car  les  gens  du 
monde  observent ,  plus  que  l'on  ne  pense ,  toutes 
les  actions  et  la  conduite  des  religieuses  au  par- 
loir, et ,  selon  la  sagesse  et  discrétion  qu'ils  re- 
marquent dans  les  unes,  ils  prennent  de  fort 
mauvaises  impressions  de  celles  qu'ils  voient 
trop  libres ,  plus  inconsidérées  et  mondaines  dans 
leurs  paroles;  qui  ne  se  sentent  nullement  de 
leur  état,  ne  mêlant  presque  jamais  dans  leurs 
discours  rien  de  spirituel  et  de  Dieu  comme  de- 
vrait faire  une  bonne  religieuse. 

Ne  vous  y  trompez  pas  :  car  bien  que  les  gens 
du  monde  vous  fassent  paraître  de  la  complai- 
sance et  témoignent  agréer  vos  pensées ,  ou  en- 
trer dans  tous  vos  sentiments  ;  vous  ne  savez  pas 
de  quelle  manière  ils  prennent  en  eux-mêmes  les 
choses  qu'ils  semblent  approuver  quand  ils  sont 
auprès  de  vos  grilles.  Car,  après ,  qu'arrive-t-il  de 
ces  beaux  entretiens ,  quand  ils  sont  en  compa- 
gnie? et  lorsqu'ils  se  mettent  à  parler  des  r«^li- 
gieuses,  que  disent-ils?  Ah  !  dit  celle-là,  ces  jours 
passés  j'ai  entretenu  une  religieuse,  je  n'ai  Hé 
qu'un  quart  d'heure  avec  elle  :  vous  ne  la  onn- 
naissez  pas;  pour  moi  je  sais  bien  de  cnjefle 
humeur  elle  est,  je  sais  ses  sentiments  sur 
telles  choses.  Vous  seriez  surprises  et  môme  éton- 
nées de  savoir  que  ce  sont  souvent  vos  parents 
et  vos  plus  proches  qui  parlent  de  vous  de  la 
sorte.  Si  je  vous  avertis  de  ceci ,  ce  n'est  pas 
que  j'aie  connaissance  particulière  de  cette  mai- 
son là-dessus  ;  je  veux  croire  que  ce  défaut  n'est 
pas  ici  :  ce  que  je  dis  à  présent ,  je  le  dis  ailleurs  ; 
parce  que  ce  point  est  de  conséquence  :  car  H 


128 


SUU  LE  SILENCE. 


faut  peu  de  chose  pour  mettre  une  communauté 
dans  une  très-mauvaise  réputation  dans  l'esprit 
des  personnes  séculières;  parce  qu'ils  s'imaginent 
que  toutes  les  religieuses  doivent  être  des  saintes. 
Et  là-dessus  je  me  souviens  moi-même  que  je  me 
suis  trouvé  dans  des  maisons  honorables  à  Paris, 
où  j'ai  ouï  parler  de  certaines  religieuses  d'une 
manière  plaisante  et  fort  à  la  cavalière.  INIes  chè- 
res filles ,  qui  produit  un  si  méchant  effet  ;  si  ce 
n'est  l'imprudence  et  l'inconsidération  des  parti- 
culières qui  ont  parlé  au  parloir  mal  à  propos  , 
qui  n'ont  pu  s'empêcher  de  faire  paraître  des 
saillies  d'une  passion  immortifiée  qui  donnaient 
à  connaître  leurs  dispositions,  tant  sur  ce  qui  les 
concernait ,  que  sur  les  affaires  particulières  qui 
se  passent  dans  une  maison  ? 

Pour  éviter  tous  ces  dangereux  inconvénients , 
vous  voyez,  chères  âmes,  que  le  plus  sûr  est  de 
tenir  très-cachées ,  et  sous  un  secret  inviolable, 
les  affaires  d'une  communauté ,  sans  en  donner 
aucune  connaissance  aux  personnes  du  dehors. 
Et  pour  vous  justifier  ici ,  ne  me  dites  pas  pour 
excuse  :  C'était  à  ma  sœur  que  j'ai  dit  telles  cho- 
ses ,  c'est  à  ma  mère ,  c'est  à  un  prêtre  ou  direc- 
teur. Ne  croyez  pas  avoir  mieux -fait,  ni  en  être 
déchargées  :  car,  sous  prétexte  de  direction ,  très- 
souvent  il  arrive  qu'insensiblement  l'on  mêle  dans 
ces  communications  toutes  les  affaires  les  plus 
secrètes  d'une  maison ,  dont  on  devrait  se  taire 
absolument;  puisque,  étant  répandues  au  de- 
hors ,  l'expérience  nous  montre  que  l'on  n'en  voit 
que  de  très-mauvais  effets ,  par  la  méchante  ré- 
putation où  ces  connaissances  mettent  la  commu- 
nauté. 

Vous  devez  encore  prendre  garde  à  un  point 
qui  n'est  pas  moins  important  que  celui-ci,  qui 
est  d'être  fort  réservées  dans  vos  paroles  devant 
vos  pensionnaires,  tant  celles  qui  leur  rendent 
quelques  services,  comme  celles  qui  sont  desti- 
nées à  leur  instruction  :  car  ce  sont  de  jeunes 
plantes  extrêmement  susceptibles  des  impressions 
qu'on  leur  donne  ;  et  quoiqu'elles  soient  encore 
jeunes ,  elles  savent  bien  remarquer  ce  que  l'on 
dit  et  fait  en  leur  présence  :  d'où  vient  que  dans 
la  suite  ces  impressions  premières ,  que  vous  leur 
avez  données ,  leur  demeurent;,  et  qu'après  elles 
se  souviennent  de  ces  idées  qu'elles  avaient  déjà , 
lesquelles  s" accroissent  avec  l'âge  ;  ce  qui  leur  fait 
dire,  parlant  des  maîtresses  qu'elles  ont  eues  : 
Pour  moi,  disent-elies,  j'ai  eu  dans  un  tel  cou- 
vent une  maîtresse  qui  n'était  guère  spirituelle 
ni  dévote,  car  il  était  rare  quelle  nous  pailât 
de  Dieu  :  elle  avait  de  certaines  maximes  mon- 
daines; et  au  lieu  de  nous  porter  à  la  modestie, 
elle  nous  enseignait  des  secrets  de  vanité.  On  en 
entend  d'autres  qui  voyant  les  procédés  de  celle- 


ci  si  contraires  à  la  charité,  disent,  que  cette 
maîtresse-là  avait  assurément  de  l'antipathie  et 
de  l'aversion  pour  elle. 

Ah!  mes  chères  filles,  bannissez,  par  votre 
prudence  et  bonne  conduite,  tous  ces  défauts  qui 
ont  de  si  mauvaises  suites.  Le  silence  bien  gardé 
en  est  le  remède  ,  et  le  plus  court  chemin  pour 
retrancher  toutes  ces  pensées  et  discours  mal 
digérés  qui  ne  laissent  après  tout  dans  la  con- 
science que  du  scrupule  et  bien  du  trouble.  Car 
enfin  tôt  ou  tard  l'on  s'aperçoit  que  l'on  a  mal 
parlé,  et  que  l'on  ne  devait  pas  dire  bien  des 
choses  qui  auraient  dû  être  ensevelies  dans  le  si- 
lence. Ayez  pour  cet  effet  la  règle  du  silence  en 
estime;  gardez-la  exactement,  et  vous  serez  à 
couvert  de  mille  embarras  où  jette  nécessairement 
le  trop  grand  parler.  Mes  chères  filles,  avec 
un  peu  d'application  et  avec  une  bonne  volonté 
vous  en  viendrez  à  bout.  Ayez  attention  sur  votre 
langue ,  pour  ne  laisser  échapper  aucune  parole 
dont  vous  puissiez  vous  repentir  après  l'avoir 
dite.  Retirez-vous  dans  votre  cellule  ;  c'est  là  le 
lieu  sûr  :  ne  vous  pi'oduisez  au  dehors  qu'avec 
peine  et  pour  la  nécessité  ;  que  la  prudence  et  la 
discrétion  règlent  toutes  vos  paroles ,  pour  n'en 
dire  aucune  qui  ne  soit  bonne ,  utile  ou  nécessaire. 
Si  vous  gardez  toutes  ces  mesures,  assurez-vous 
que  la  paix  et  l'union  sera  parfaite  dans  cette 
maison  ;  et  qu'elle  conservera  la  bonne  réputa- 
tion où  elle  est  aujourd'hui. 

Mes  chères  filles,  ce  n'est  pas  assez  de  savoir 
garderie  silence  de  prudence;  il  faut  de  plus 
apprendre  à  se  taire  dans  les  croix ,  les  persécu- 
tions et  autres  peines  et  afflictions  qui  arrivent 
dans  la  vie  :  c'est  ce  qui  s'appelle  le  silence  de 
patience;  lequel  vous  conduira  à  un  degré  de 
perfection  convenable  à  votre  état,  qui  vous  doit 
rendre  en  tout  conformes  à  Jésus-Christ  votre 
époux;  c'est  ce  que  nous  allons  considérer  dans 
le  dernier  point  de  notre  méditation. 

TBOISIÈME    POINT. 

Considérons  que  le  silence  de  patience  dans 
les  afflictions ,  les  souffrances  et  les  contradic- 
tions, est  une  des  choses  les  plus  difficiles  à 
pratiquer  de  la  morale  chrétienne.  Peu  de  gens 
aiment  à  souffrir,  et  à  souffrir  en  silence  sous  les 
yeux  de  Dieu  :  et  s'il  est  rare  d'en  trouver  qui 
aiment  à  souffrir,  il  l'est  encore  plus  d'en  voir 
qui  souffrent  sans  chercher  à  se  répandre  au  de- 
hors. Cependant  c'est  le  silence  qui  sanctifie  nos 
croix  et  nos  afflictions ,  et  qui  en  augmente  de 
beaucoup  le  mérite.  Avez-vous  de  la  peine  à  pâ- 
tir dans  vos  croix  et  vos  traverses ,  envisagez  Jé- 
sus-Christ. Parmi  une  infinité  de  persécutions  et 
de  douleurs  qu'il  endure  en  présence  de  ses  juges 


SUR  LE  SILENCE. 


i2î) 


Iniques ,  devant  qui  il  est  accusé  et  calomnié  si 
faussement ,  Jésus  garde  un  profond  silence  et  ne 
répond  rien  :  Jésus  autem  taccbat  '.  C'est  ce  qui 
me  touche  le  plus  dans  la  passion  du  divin  Sau- 
veur, que  ce  profond  silence  qu'il  garde  avec  une 
patience  invincible,  et  qui  donnait  de  l'étonne- 
ment  au  président  :  lia  ut  tnirareturprœses^.  Il 
souffre,  il  endure  mille  injures,  mille  outrages 
et  indignités  de  la  part  de  toute  sorte  de  person- 
nes :  il  est  accusé  faussement  par  les  Juifs  et  les 
pharlsieiis,  ses  cruels  ennemis.  On  dit  que  c'est 
un  blasplïémateur,  un  séditieux,  qu'il  est  un 
perturbateur  de  la  loi  et  du  reiws  public,  qu'il 
empêche  que  l'on  ne  paye  le  tribut  à  César;  enfin 
que  c'est  un  semeur  de  nouvelles  doctrines ,  qui 
abuse  le  peuple.  Jésus  entend  retentir  à  ses  sa- 
crées oreilles  ces  cris  et  ces  calomnies,  sans  dire 
sn  seul  mot  pour  se  justifier  et  se  défendre  conti*e 
ces  chiens  enragés  qui  déchirent  si  outrageuse- 
ment sa  réputatioa  :  et  pendant  cette  nuit  obs- 
cure et  ténébreuse ,  durant  laquelle  ce  cher  Sau- 
veur a  souffert  une  infinité  d'outrages ,  d'affronts 
et  de  cruautés,  que  disait  ce  doux  Agneau?  Hé- 
las !  jamais  la  moindre  parole  d'impatience.  Enfin 
dans  cette  sanglante  et  douloureuse  flagellation , 
où  il  est  tout  écorché  et  déchiré  à  coups  de  fouet 
et  de  nerf  de  bœuf,  qui  font  couler  de  toutes 
parts  le  sang  de  ses  veines  sacrées;  ah!  quelle 
patience  et  quel  silence  fait  paraître  ce  doux  Jé- 
sus !  Il  souffre  tout  cela  sans  rien  dire  ;  il  n'ouvre 
pas  seulement  la  bouche  pour  se  plaindre  de  la 
cruauté  de  ses  fiers  bourreaux,  qui  ne  sont  pas 
encore  contents  de  l'avoir  traité  si  inhumaine- 
ment :  ils  prennent  une  piquante  couronne  d'é- 
pines, et  lui  percent  jusqu'au  cerveau.  Jésus  en- 
dure ce  tourment  comme  les  autres,  dans  un 
silence  inviolable.  Il  est  conduitchez  Hérode ,  qui 
désirait  avec  empressement  de  le  voir,  et  s'en  ré- 
jouissait :  mais  Notre-Seigneur  persévère  cons- 
tamment à  garder  son  profond  silence.  Nonobs- 
tant qu'il  sût  bien  qu'Hérode  le  pouvait  délivrer 
d'entre  les  mains  de  ses  ennemis ,  il  ne  dit  mot 
cependant  en  sa  présence ,  et  ne  proféra  aucune 
parole  ;  chose  étonnante  !  et  c'est  avec  sujet  qu'un 
saint  Père  l'a  appelé  la  victime  du  silence ,  puis- 
que ce  divin  Jésus  l'a  consacré  par  sa  patience 
durant  sa  passion. 

Mes  chères  filles,  que  voilà  un  exemple  digne 
de  vos  imitations  et  tout  ensemble  de  vos  admi- 
rations !  Voilà  comme  vous  devriez  en  user  lors- 
que vous  êtes  accusées ,  persécutées  à  tort  :  comme 
aussi ,  dans  le  temps  de  l'affliction ,  il  faut  savoir 
souffrir  en  silence ,  avec  patience  ;  sans  murmu- 


■  Malth.  XXTI,  63. 
*  Jbid.  X.XVII,  U. 

BOSSl'ET.   —  TOME  UI. 


rer  ni  vous  plaindre.  Dans  quchiue  état  ou  Uieu 
permette  que  vous  soyez  ;  apprenez  à  y  demeurer 
sans  recherchei  de  vaines  consolations  parmi  les 
cré^itures,  dans  tout  ce  qui  vous  fait  peine  : 
mais  prenez  plutôt  le  parti  du  silence,  et  vous 
renfermez  en  vous-mêmes,  afin  que  Notre-Sei- 
gneur  vous  donne  intérieurement  des  forces, 
pour  souffrir  avec  vertu  et  mérite.  C'est  dans  ces 
occasions-là  (ju'il  faut  dire  avec  David  :  Remiit 
consolari  anima  mea;  me mor  fui  Dei,  ctâele- 
ctatus  sum'  :  <  Mon  âme  a  refusé  toute  consola - 
«  tion  ;  je  me  suis  souvenu  de  Dieu  ,  et  j'ai  trouvé 
«  ma  joie.  » 

C'est  ici  où  une  ûme  est  éprouvée  et  perfection- 
née merveilleusement ,  quand  ,  par  une  généro- 
sité vraiment  chrétienne,  elle  sait  s'élever  au- 
dessus  de  tout  ce  qui  lui  arrive  de  fâcheux  ou  de 
contraire ,  et  qu'elle  peut ,  comme  Jésus-Christ 
son  époux,  garder  un  profond  silenoe ,  lors  même 
qu'elle  a  plus  sujet  de  parler,  soit  pour  sa  justi- 
fication dans  les  accusations  injustes,  soit  pour 
sa  consolation  dans  une  affliction  sensible,  et  au 
milieu  des  plus  grandes  tempêtes  ou  bourras(|ues. 
Il  faut  qu'une  âme  vraiment  généreuse  prenne 
pour  toute  défense  le  silence  ,  qui  sera  son  repos 
et  sa  paix  parmi  les  agitations.  Jésus-Christ  y  fait 
goûter  des  douceure  intérieures,  au  fond  du 
cœur,  à  une  âme  un  peu  courageuse ,  qui ,  pour 
son  amour,  rejette  et  abandonne  toutes  celles 
qu'elle  pourrait  trouver  dans  les  créatures.  Cela 
est  inexplicable  ;  il  n'y  a  que  ceux  qui  l'expéri- 
mentent qui  en  puissent  parler  dignement. 

Mais,  avant  de  passer  plus  loin,  remarquez, 
chères  âmes,  qu'il  y  a  trois  règles  ou  trois  maxi- 
mes importantes  à  pratiquer,  pour  ne  point  faire 
de  fautes  dans  ce  silence  de  patience ,  si  nécessaire 
dans  les  occasions  imprévues  où  l'on  est  persé- 
cuté, accusé  ;  c'est  de  ne  jamais  parler  que  pour 
la  charité ,  que  pour  la  vérité  ou  la  nécessité ,  et 
jamais  pour  soi  ni  pour  son  propre  intérêt. 

Eh  bien,  âmes  religieuses,  sont-ce  là  les  mo- 
tifs qui  vous  font  parler  ?  Qu'est-ce  qui  vous  fait 
ouvrir  la  bouche  ?  Est-ce  la  nécessité  ou  bien  la 
vérité  ?  Examinez  là-dessus  votre  cœur  ;  et  son- 
dez-le, jusqu'au  plus  profond,  dans  la  rencontre 
des  contradictions  et  autres  circonstances ,  pour 
reconnaître  que  le  plus  souvent  c'est  la  passion 
ou  l'intérêt  qui  vous  fait  parler. 

Oh!  mais,  direz- vous,  je  suis  accusée  d'une 
chose  tout  à  fait  désavantageuse  ;  quel  moyen  de 
ne  se  pas  justifier  dans  cette  conjoncture ,  où  l'on 
m'attribue  tout  ce  qu'il  y  a  de  mal ,  et  l'on  dit  que 
j'en  suis  la  cause,  tandis  que  j'avais  bien  d'au- 
tres intentions  que  celles  que  l'on  s'imagine? 

'   Ps.  LXXTI  ,3,4. 


130 


SUR  LE  SILKNCE. 


Arrêtez ,  que  la  passion  n'ait  pas  le  dessus  sur  la 
raison  ;  l'éprimcz  tous  les  raisonnements  naturels, 
pour  écouter  ceux  de  la  grâce  :  ne  dites  pas  que 
vous  ne  pouvez  vous  empêcher  de  parler  pour 
faire  connaître  votre  innocence,  et  qu'il  est  bien 
difficile  alors  de  se  taire  ;  puisque  l'exemple  de 
Jésus-Christ  vous  doit  rendre  la  chose  aisée  et 
facile.  Vous  n'avez  pas  de  plus  grandes  persécu- 
tions et  contradictions  à  soutenir  que  les  sien- 
nes :  tous  les  saints  en  ont  bien  supporté  d'au- 
tres ,  plus  fâcheuses  que  les  vôtres.  Si  vous  faisiez 
réflexion  que  Jésus-Christ ,  par  ces  persécutions , 
vous  fait  part  d'un  éclat  de  sa  croix ,  vous  auriez 
de  la  joie  de  les  endurer  avec  patience  dans  un 
profond  silence ,  pour  y  adorer  ses  desseins  sur 
votre  personne  qu'il  prétend  élever,  par  ce  chemin 
rude  et  semé  d'épines ,  à  une  grande  perfection , 
si  vous  n'apportez  aucune  résistance  à  ses  volon- 
tés suprêmes. 

Que  le  silence  est  donc  avantageux  à  une  âme 
dans  la  souffrance ,  et  dans  tous  les  états  pénibles 
où  elle  se  trouve;  puisque  par  ce  silence  il  n'y 
a  point  de  passions  si  fortes,  qui  ne  soient  rete- 
nues dans  les  bornes  de  la  raison  !  En  voulez-vous 
voir  des  preuves  par  quelques  exemples?  Étes- 
vous  tentées  d'ambition  ?  Que  vous  dit  la  passion 
dans  cette  rencontre ,  où  elle  est  émue  par  quel- 
que accident?  c'est  de  vous  élever  au-dessus  des 
autres  par  des  paroles  suffisantes,  et  pleines 
d'un  orgueil  secret.  Eh  bien ,  gardez  le  silence  et 
vous  taisez:  insensiblement  ces  saillies  de  la  na- 
ture  corrompue  s'évanouiront.  De  même,  que 
vous  dit  la  passion  dans  les  émotions  d'une  hu- 
meur colère  et  impatiente?  dans  ces  mouvements 
violents ,  où  en  êtes-vous  si  vous  ne  les  réprimez? 
Bientôt  vous  vous  laisserez  aller  à  des  paroles 
d'emportement ,  sans  craindre  de  choquer  et  de 
piquer  les  unes  et  les  autres.  Mais  si  vous  savez 
vous  taire ,  vous  apaiserez  infailliblement  ces  sail- 
lies impétueuses  qui  s'élèvent  en  vous-mêmes  ; 
et  pour  lors  vous  pourrez  dire  comme  le  pro- 
phète ,  au  milieu  de  vos  troubles  :  Turbatus  sum, 
et  non  sum  locutus  '  :  «  J'ai  été  troublée  au  de- 
«  dans  de  moi ,  mais  ma  langue  n'a  formé  aucune 
«  parole.  » 

Sentez-vous  en  vous-mêmes  quelques  mouve- 
ments d'aversion  et  d'antipathie ,  ou  de  ressenti- 
ment contre  quelques-unes  de  vos  sœurs;  que 
vous  dit  cette  passion ,  à  la  vue  de  celle-là  que 
vous  ne  pouvez  souffrir?  Aussitôt  elle  vous  ins- 
pire de  la  mépriser  ou  rebuter,  par  des  paroles 
de  froideur  et  de  vengeance.  Mais  le  moyen  le 
plus  court  pour  combattre  et  vaincre  cette  pas- 
sion qui  vous  anime  et  vous  tourmente ,  vous 

'  Ps.  LXX\n  ,  5. 


portant  a  commettre  une  infinité  de  péchés  ;  c'est 
de  vous  taire ,  à  l'heure  même  que  vous  avez  plus 
d'envie  de  parler,  et  de  prendre  le  parti  du  si- 
lence. Il  faudrait  même ,  dans  ces  occasions-là , 
mordre  sa  langue  plutôt  que  de  choquer  et  fâcher 
ses  sœurs. 

Enfin ,  êtes-vous  tentées  de  curiosité  ;  et  avez- 
vous  envie  de  vous  épancher  vainement ,  en  al- 
lant trouver  justement  celle-là  qui  est  un  vrai 
bureau  d'adresses ,  et  cette  autre-ci  qui  sait  toutes 
les  nouvelles,  et  qui  a  incessamment  les  oreilles 
ouvertes  pour  entendre  tout  ce  qui  se  passe  de 
nouveau  dans  la  maison ,  laquelle  est  toujours  en 
haleine  pour  tout  savoir  :  n'y  allez  pas ,  gardez  le 
silence;  mortifiez  ces  désirs  de  curiosité.  Croyez- 
moi,  mes  chères  filles,  vous  aurez  "plus  de  con- 
solation de  tout  ignorer ,  et  de  ne  point  apprendre 
les  choses  qui  ne  vous  concernent  point  :  votre 
conscience  en  sera  plus  pure ,  votre  esprit  plus 
dégagé  et  plus  libre  pour  vous  entretenir  avec 
Dieu  dans  l'oraison.  Faites  plus  d'état  d'une 
heure  de  récollection,  où  vous  avez  été  seules 
avec  Dieu,  que  de  plusieurs  autres  où  vous  vous 
êtes  contentées  parmi  les  entretiens  des  créatu- 
res; car,  pour  l'ordinaire,  la  vertu  en  est  bien 
affaiblie. 

Soyez  persuadées ,  chères  âmes ,  qu'en  gardant 
fidèlement  le  silence  vous  serez  victorieuses  de 
toutes  vos  passions ,  et  qu'en  peu  de  temps  vous 
arriverez  à  la  perfection.  Souvenez-vous  des  avan- 
tages du  silence  de  prudence;  n'oubliez  pas  ceux 
du  silence  de  patience,  dont  je  vous  parlais  tout 
à  l'heure  :  gravez-les  dans  votre  esprit  ;  afin  que 
lorsque  la  tentation  ou  l'affliction  arrivera ,  vous 
soyez  toujours  disposées  à  la  bien  recevoir,  dans 
les  dispositions  saintes  que  je  vous  ai  marquées. 
Dans  vos  souffrances  et  contradictions ,  n'envisa- 
gez jamais  les  causes  secondes  ;  et  ne  vous  amu- 
sez point  inutilement  à  vouloir  découvrir  la  source 
de  vos  peines,  par  des  recherches  d'amour-pro- 
pre ,  pour  savoir  qui  sont  ceux  qui  vous  les  font 
naître  :  car  proprement  cela  s'appelle  courir  après 
la  pierre  qui  vous  frappe.  Il  faut  bien  plutôt  vous 
élever  en  haut ,  vers  le  ciel ,  pour  voir  la  main  qui 
la  jette ,  qui  n'est  autre  que  Dieu  même ,  qui  est 
celui  qui  a  permis  que  telles  choses  vous  arrivas- 
sent pour  votre  salut ,  si  vous  en  savez  bien  profi  j 
ter.  Dans  tous  les  événements  les  plus  fâcheux ,  j 
une  âme  vraiment  chrétienne  et  religieuse  doit  < 
dire  à  Dieu  dans  le  plus  intime  d'elle-même  : 
Paratum  cor  meum^  Deus,  paratum  cor  \ 
meum  •  :  «  Mon  cœur  est  préparé  à  faire  votre 
«  volonté ,  soit  dans  l'adversité  ou  la  prospérité.  » 
Ah!  mes  chères  filles,  plût  à  Dieu  que  vous  et, 

'  Ps.  cvil    2. 


PAROLES 

moi  nous  fussions  dans  ces  dispositions  :  c'est 
à  quoi  il  nous  faut  résoudre  dans  cette  médita- 
tion ;  c'est  le  fruit  que  nous  devons  en  remporter, 
et  c'est  la  grâce  qu'il  faut  instamment  demander 
à  Jésus-Christ  :  je  vons  y  exhorte,  et  me  re- 
commande à  vos  prières. 


PAROLES  SAINTES 

DE  MON  ILLUSTRE  PASTEUR, 

MOXSEIRNEUR 

JACQUES-BÉNIGNE  BOSSUET, 

ÉVÊQUE  DE  MEAUX, 

{.A  WEUJJE  ET  LE  JOUR  DE  MA  PROFESSION  *. 


A  rinterrogation  hors  la  clôture. 

Vous  avez  raison ,  ma  fille,  d'appeler  et  d'estimer 
heureux  le  jour  de  votre  profession.  Il  est  heureux 
pour  vous,  puisque  vous  y  serez  l'épouse  de  Jé- 
sus-Christ :  mais  faites-y  bien  réflexion ,  et  voyez 
à  quoi  vous  allez  vous  engager.  Ne  croyez  pas  que 
vous  serez  exempte  de  peines  dans  la  religion  : 
ce  serait  un  abus  que  de  le  prétendre  ;  puisque 
c'est  un  continuel  sacrifice  de  mort  à  soi-même, 
et  que  la  nature  y  souffre  beaucoup  :  mais  il 
n'importe,  ne  l'écoutez  pas;  car  autrement  vous 
ne  ferez  jamais  rien.  Si  vous  avez  de  la  peine ,  à 
la  bonne  heure  :  vous  en  aurez  plus  de  mérite  ; 
€t  Dieu  vous  donnera  toujours  ses  grâces ,  pourvu 
que  vous  lui  soyez  fidèle.  En  voilà  une  bien  grande 
qu'il  vous  fait ,  de  vous  appeler  à  la  sainte  reli- 
gion :  correspondez-y  fidèlement.  Vous  faites 
bien,  ma  fille,  de  vivre  dans  la  crainte;  car 
l'homme  doit  continuellement  se  défier  de  soi- 
même.  Il  ne  faut  cependant  pas  qu'elle  soit  exces- 
sive ,  car  il  y  aurait  de  la  recherche  de  sol-même  ; 
et  cette  si  grande  crainte  pourrait  provenir  d'une 
âme  lâche,  qui  a  peur  de  travailler.  C'est  bien 
fait ,  ma  fille ,  d'être  toujours  en  crainte ,  pourvu 
qu'elle  soit  filiale  et  non  point  servile;  et  pour 
y  éviter  les  extrémités,  ayez  continuellement 
recours  à  Dieu,  et  vous  combattez  vous-même, 
puisque  ce  n'est  qu'après  le  combat  que  l'on  rem- 
porte la  victoire  :  soyez  toujours  humble  et  docile, 
vivez  dans  l'obéissance,  et  vous  n'aurez  point 
tontes  ces  craintes. 

*  Os  paroles  sont  tirées  du  manuscrit  d'une  religieuse  ursu- 
tine  de  Meaux ,  qui  écrivit ,  après  la  cérémonie ,  les  différents 
1  discours  que  Bossuet  lui  lit  lors  de  sa  profession.  Nous  leur 
conservons  le  titre  qu'elle  leur  a  donné ,  comme  plus  propre 
fc  faire  connaître  le  respect  que  ces  bonnes  religieuses  avaient 
pour  les  instructions  de  leur  digne  pasteur.  (£rf/7.  de  i;e/oWs.) 


SAINTES.  ,31 

A  mes  demandes  après  le  sermon. 

Vous  voilà,  ma  fille ,  pleinement  instruite  des 
obligations  que  vous  allez  contracter  avec  Jésus- 
Christ  par  le  moyen  de  vos  vœux  :  vous  voyez 
à  quoi  ils  vous  obligent;  comme  par  le  vœu  de 
pauvreté  vous  renoncez  pour  jamais  aux  biens, 
aux  pompes  et  à  toutes  les  richesses  du  monde  ; 
comme  vous  devez  renoncer  par  le  vœu  de  chas- 
teté à  tous  les  plaisirs  et  contentements  du  siècle , 
en  vous  séparant  même  du  plus  petit  par  une 
mortification  générale  de  tous  vos  sens.  Enfin 
vous  avez  entendu  que  par  l'obéissance  vous  de- 
vez consacrer  votre  cœur,  votre  volonté ,  et  tout 
ce  qui  est  en  vous  jusqu'au  fond  de  vos  entrailles , 
pour  n'avoir  plus  désormais  d'autre  volonté  que 
celle  de  vos  supérieurs.  C'est  ce  qui  vous  vient 
d'être  prêché  si  saintement. 

Ma  fille ,  retenez  toutes  ces  vérités  profondes, 
et  ne  les  oubliez  jamais  ;  gravez-les  dans  votre 
esprit  et  dans  votre  cœur,  afin  d'animer  toutes 
vos  opérations ,  et  de  vous  établir  sur  ces  prin- 
cipes solides  pendant  tout  le  cours  de  votre  vie 
religieuse.  C'est ,  ma  fille ,  la  prière  que  je  vais 
faire  à  Dieu  pour  vous  dans  le  reste  de  cette  cé- 
rémonie ,  en  vous  aidant  à  achever  votre  sacrifice. 
Unissez-vous  à  nous  de  tout  votre  cœur.  Dct  iibi 
Deus  in  hoc  sanclo  jjroposito  perseverantiam  : 
«  Que  Dieu  vous  donne  la  persévérance  dans 
'<■  cette  sainte  résolution.  » 

A  la  sainte  comrnunion. 

Ma  fille,  voilà  votre  divin  époux;  voici  votre 
Dieu  qui  vient  se  donner  à  vous.  Recevez  cette 
victime  sainte  qui  s'est  immolée  pour  vous;  con- 
sommez en  lui  votre  sacrifice  :  mangez  Jésus- 
Christ,  savourez  cette  viande  céleste  et  divine. 
Que  votre  esprit ,  votre  cœur,  tout  votre  intérieur 
et  tout  l'intime  de  vous-même  en  soit  rempli. 
Nourrissez-vous  de  cet  aliment  et  de  cette  nourri- 
ture sacrée ,  incorporez- vous  à  elle  ;  en  la  prenant , 
vous  recevrez  l'esprit  de  vos  vœux.  Nourrissez- 
vous  donc  de  l'esprit  de  pauvreté ,  recevant  celui 
qui  a  été  si  pauvre  qu'il  est  dit  de  lui  qu'il  n'a  pas 
seulement  eu  de  quoi  reposer  son  chef  adorable  '. 
Nourrissez-vous  de  cette  chair  virginale  ;  et  vous 
recevrez  en  vous-même  l'esprit  de  chasteté ,  et  la 
pureté  de  celui  qui  est  vierge ,  fils  d'une  vierge , 
ami  des  vierges ,  et  le  chaste  époux  des  vierges. 
Recevez  cette  divine  hostie ,  mangez  cette  victime 
d'amour  et  de  pureté;  et  vous  recevrez  dans  vo- 
tre cœur  l'esprit  d'obédience ,  de  celui  qui ,  par 
obéissance ,  sest  immolé  et  offert  en  sacrifice  et 
en  oblation  pour  le  salut  de  tous  les  hommes ,  de 
celui  qui  s'est  rendu  sujet  et  parfaitement  sou- 

'  Matlh.  TIH,  20. 


132 


DISCOURS  AUX  RELIG.  DE  LA  VISIT.  DE  MEAUX. 

PRÉCIS  D'UN  DISCOURS 


mis ,  pendant  sa  vie,  à  tous  ceux  qui  lui  ont  tenu 
la  place  de  Dieu  son  Père,  et  qui  a  été  obéissant 
jusqu'à  la  mort  de  la  croix.  Enfin  vous  venez  de 
faire  vœu  d'instruire  les  petites  filles  rnourrissez- 
vous  encore ,  en  prenant  Jésus-Christ ,  de  l'esprit 
de  zèle  et  de  charité  pour  le  salut  des  âmes,  de 
celui  qui  s'est  consommé  pour  elles.  Soyez  une 
parfaite  imitatrice  de  celui-là  même  qui  a  dit  : 
«  Laissez  ces  petits  enfants  venir  à  moi  '.  v  For- 
tifiez-vous par  cette  divine  nourriture  ;  mangez- 
la  avec  amour  et  respect  :  recevez-la  souvent, 
car  elle  vous  donnera  des  forces  dans  l'exercice 
de  votre  institut;  elle  vous  animera  toujours  de 
nouveau  pour  vous  en  acquitter  dignement.  Re- 
cevez donc,  ma  chère  fille,  Jésus-Christ,  qui 
se  donne  à  vous  en  confirmation  de  vos  vœux. 
Prenez  cet  aimable  Époux;  aimez-le  de  toute 
votre  capacité  :  unissez-vous  à  lui  très-étroite- 
ment  en  cette  vie ,  afin  d'y  être  unie  en  l'autre 
par  la  gloire  durant  toute  l'éternité.  Quod  Deus 
in  te  incœpit  ipse  perficiat  :  «  Que  Dieu  achève 
«  ce  qu'il  a  commencé  en  vous.  » 

En  me  donnant  le  voile. 

Ma  fille,  recevez  ce  voile  qui  vient  d'être 
béni  dans  cette  sainte  cérémonie  par  le  sacré  mi- 
nistère de  l'Église  ;  ce  voile ,  qui  est  le  signe  de 
votre  séparation  du  monde ,  sous  lequel  vous  allez 
être  toute  votre  vie  ensevelie  avec  Jésus-Christ 
dans  le  tombeau  de  la  religion ,  et  cachée  avec 
lui  en  Dieu.  Recevez  ce  même  voile  qui  est  la 
marque  de  l'alliance  que  vous  avez  contractée 
avec  lui  :  il  ne  vous  sera  jamais  6té  que  vous  ne 
voyiez  la  face  de  Dieu  à  découvert  dans  le  ciel. 

Après  la  cérémonie. 

Enfin ,  ma  fille,  vous  voilà  consacrée  à  Jésus- 
Christ,  voilà  votre  immolation  faite  :  il  ne  reste 
plus  qu'à  être  fidèle  à  votre  Époux  dans  votre 
saint  état ,  et  qu'à  y  persévérer  jusqu'à  la  fin. 
Pour  cet  effet,  prenez  toujours  le  plus  pénible. 
Ne  regardez  pas  ce  que  vous  avez  fait  ;  mais  ce 
qui  vous  reste  encore  à  faire.  Accoutumez-A^ous 
à  l'exercice  de  cette  continuelle  circoncision  du 
cœur  qui  vous  séparera  sans  cesse  des  inclinations 
de  la  nature  corrompue ,  si  contraires  à  l'esprit 
et  à  la  grâce  de  Jésus-Christ  votre  divin  époux. 
Puissiez- vous,  ma  fille,  par  ce  moyen  vous  éle- 
ver toujours  davantage  par  une  vie  pure  et  toute 
céleste  !  puissiez-vous  monter  de  vertu  en  vertu 
jusqu'à  ce  que  vous  soyez  parvenue  à  la  monta- 
gne d'Horeb ,  au  sommet  de  la  perfection ,  pour 
y  consommer  votre  sacrifice! 

•  Marc.  X,  14. 


AUX  RELIGIEUSES  DE  LA  VISITATION 
DE  MEAUX, 

DANS  UNE  VISITE. 


«  J'ai  désiré  de  vous  voir  pour  vous  commu- 
«  niquer  quelque  peu  de  la  grâce  spirituelle,  et 
«  vous  confirmer  '.  «  C'est  saint  Paul ,  ce  vigilant 
pasteur,  cet  homme  apostolique,  cet  homme  du 
troisième  ciel ,  qui  parle  ainsi.  Examinons  un  peu 
ses  paroles  ;  pesons-les  toutes.  J'ai  désiré  de  vous 
voir,  dit-il  ;  il  ne  se  contente  pas  de  leur  écrire. 
Tantôt  il  envoie  Tite,  tantôt  Timothée,  ou  quelque 
autre  de  ses  disciples  :  mais  enfin  le  désir  immense 
de  leur  communiquer  quelque  peu  de  la  grâce 
spirituelle ,  le  porte  à  souhaiter  de  venir  lui-même 
leur  rendre  visite.  Quelque  peu  :  pourquoi  quel- 
que peu?  C'est  que  ce  grand  apôtre  qui  avait  reçu 
tant  de  dons ,  parlait  en  la  personne  de  nous  au- 
tres, pasteurs  indignes  et  infirmes,  qui  n'en  pou- 
vons communiquer  que  quelque  peu  :  il  avait  en 
vue  la  disposition  de  ceux  qui  la  reçoivent ,  et  qui 
souvent  ne  sont  capables  que  d'en  recevoir  peu  ; 
et  aussi ,  il  n'appartient  qu'à  Dieu  de  rendre  notre 
ministère  assez  efficace  pour  en  donner  beaucoup. 
De  nous-mêmes  nous  ne  saurions  conférer  aux 
autres  la  moindre  grâce  ;  c'est  Dieu ,  comme  dit 
l'apôtre  %  qui  nous  en  rend  capables.  Et  vous 
voyez  par  là  combien  vous  êtes  intéressées  à  de- 
mander pour  nous  à  l'auteur  de  tout  don ,  qu'il 
prépare  nos  cœurs  et  les  vôtres;  afin  que  nous 
puissions  produire  des  fruits  abondants  parmi 
vous.  Dieu  sait,  mes  filles,  que  j'ai  désiré  d'un 
désir  cordial ,  dans  la  sincérité  de  mon  cœur  et 
soua  les  yeux  de  Dieu,  de  vous  voir.  Sans  me 
comparer  au  grand  apôtre,  recevez  le  peu  que  je 
vous  donne  ;  puisque  Dieu  donne  beaucoup  à  celui 
qui  reçoit  peu. 

Je  trouve  trois  fruits  de  la  visite  ;  le  premier 
me  regarde  et  il  vous  regarde  ;  c'est  la  consola- 
tion mutuelle  que  nous  en  devons  retirer  vous  et 
moi  :  vous ,  en  voyant  la  sollicitude  de  votre  pas- 
teur ;  et  moi  par  la  joie  que  me  donnera ,  dans 
cette  visite ,  la  promptitude  de  votre  obéissance  ; 
et  par  l'espérance  que  je  concevrai  que  vous  se- 
rez ma  couronne  dans  le  ciel ,  et  ma  consolation 
sur  la  terre,  quand  je  penserai  que  j'ai  des  filles  j 
qui  aiment  sincèrement  Dieu.  Le  second  fruit  de  j 
la  visite ,  c'est  l'estime  que  vous  devez  avoir  de , 
votre  âme  ;  en  considérant  le  soin  que  Jésus-Christ  i 

'  Rom.Xy  u. 
'  II.  Cor.  u,  IG. 


SUR  L'UNION  DE  J.  C.  AVEC  SON  EPOUSE. 


Ht 


lui-nu^me  en  a  pris  :  il  n*a  pas  cru  trop  donner 
que  de  vous  racheter  au  prix  de  son  sang.  Que 
ne  devez-vous  donc  pas  faire  pour  vous  conser- 
ver dans  la  pureté  qu'il  vous  a  acquise  1  et  de  là 
naît  le  troisième  fruit  de  la  visite,  qui  est  de  con- 
naître vos  défauts ,  et  de  prendre  les  moyens  les 
plus  propres  pour  vous  en  corriger  et  vous  puri- 
fier des  péchés  qui  souillent  la  pureté  de  l'âme , 
fil  travaillant  efficacement  à  les  éviter;  afin  de 
vous  avancer  chaque  jour  vers  la  perfection  de 
Notre  état. 

Le  péché  plaît  à  tous  les  hommes ,  lorsqu'ils 
le  commettent  :  quand  il  est  commis,  l'homme 
sage  s'en  afflige  et  en  pleure  amèrement;  le  scru- 
puleux et  le  pusillanime  s'en  désespère  ;  l'impru- 
dent rit  et  s'étonne  de  ce  que  les  saints  lui  en 
portent  compassion ,  et  qu'ils  lui  parlent  de  péni- 
tence. Entre  les  malades,  les  plus  à  plaindre  sont 
ceux  qui  ne  se  plaignent  pas  eux-mêmes ,  et  qui 
aiment  leur  maladie.  Haïssons  la  nôtre  :  la  haine 
est  son  remède;  elle  est  la  marque  que  nous  ne 
sommes  pas  délaissés,  et  qu'on  médite  encore 
pour  nous  dans  le  ciel  des  desseins  de  miséri- 
corde. 


DISCOURS 

SIR 

LUNION  DE  JESUS-CHRIST 

AVEC  SO:^  ÉPOUSE. 

Commenl  Jésos-Christ  est-il  l'époux  des  Âmes  dons  Toraison. 


Veni  in  hortum  meum,  soror  mea ,  sponsa. 

Je  suis  verni  dans  mon  jardin .  ma  sœur,  mon  épouse. 
Cantv,  1. 

Le  nom  d'épouse  est  !e  plus  obligeant  et  le  plus 
doux  dont  Jésus-Christ  puisse  honorer  les  âmes 
qu'il  appelle  à  la  sainteté  de  son  amour;  et  il  ne 
pouvait  choisir  un  nom  plus  propre  que  celui 
d'Époux ,  pour  exprimer  l'amour  qu'il  porte  à 
l'âme,  et  l'amour  que  l'âme  doit  avoir  récipro- 
quement pour  lui.  Il  ne  reste  qu'à  voir  où  se  fait 
leur  alliance,  et  de  quelle  manière  ils  s'unissent 
ensemble. 

Saint  Bernard  dit  que  c'est  dans  l'oraison;  qui 
est  un  admirable  commerce  entre  Dieu  et  l'âme , 
cpi'on  ne  connaît  jamais  bien  qu'après  en  avoir 
fait  l'expérience.  C'est  là  que  l'Époux  visite  l'é- 
jwuse;  c'est  là  que  l'épouse  soupire  après  son 
Epoux  :  c'est  là  que  se  fait  cette  union  déifique 
entre  l'Époux  et  l'épouse,  qui  fait  le  souverain 
bien  de  cette  vie,  et  le  plus  haut  degré  de  perfec- 
tion où  l'amour  divin  puisse  aspirer  sur  la  terre. 


Les  visites  que  l'époux  céleste  rend  à  l'épouse, 
se  font  dans  le  cœur  :  la  porte  par  où  il  entre 
est  la  porte  du  cœur.  Les  discoun  qu'il  lui  tient 
sont  à  l'oreille  du  cœur  :  le  cabinet  ou  elle  le  re- 
çoit est  le  cabinet  du  cœur.  Le  Verbe ,  qui  sort 
du  cœur  du  Père ,  ne  peut  être  reçu  que  dans  le 
cœur. 

Je  confesse,  dit  saint  Bernard  ',  que  cet  amou- 
reux Époux  m'a  quelquefois  honoré  de  ses  vi- 
sites; et ,  si  je  l'ose  dire  dans  la  simplicité  de  mon 
cœur,  il  est  vrai  qu'il  m'a  souvent  fait  cette  fa- 
veur. Dans  ces  fréquentes  visites,  il  est  arrivé 
parfois  que  je  ne  m'en  suis  pas  aperçu.  J'ai  bien 
senti  sa  présence;  je  me  souviens  encore  de  sa 
demeure  :  j'ai  même  pressenti  sa  venue  ;  mais  je 
n'ai  jamais  su  comprendre  comment  il  entrait , 
ni  de  quelle  manière  il  sortait  :  si  bien  que  je 
ne  puis  dire  ni  d'où  il  vient ,  ni  où  il  va,  ni  l'en- 
droit par  où  il  entre,  ni  celui  par  où  il  sort.  Cer- 
tainement il  n'est  pas  entré  par  les  jeux  ;  car  il 
n'est  point  revêtu  de  couleur  :  il  n'est  pas  aussi 
entré  par  l'oreille  ;  car  il  ne  fait  point  de  bruit  : 
ni  par  l'odorat;  car  il  ne  se  mêle  point  avec  l'air 
comme  les  odeurs,  mais  seulement  avec  l'esprit. 
Ce  n'est  point  une  qualité  qui  fasse  impression 
dans  l'air  ;  mais  une  substance  qui  le  crée.  II  ne 
s'est  point  coulé  dans  mon  cœur  par  la  bouche; 
car  on  ne  le  mange  pas  :  il  ne  s'est  point  fait 
sentir  par  l'attouchement  ;  il  n'a  rien  de  grossier 
ni  de  palpable  :  par  où  est- ce  donc  qu'il  est 
entré  ? 

Peut-être  qu'il  n'était  pas  besoin  qu'il  entrât , 
parce  qu'il  n'était  pas  dehors.  II  n'est  pas  étran- 
ger chez  nous  :  mais  aussi  ne  vient-il  pas  du  de- 
dans, parce  qu'il  est  bon;  et  je  sais  que  le  prin- 
cipe du  bien  n'est  pas  en  moi.  J'ai  monté  jusqu'à 
la  pointe  de  mon  esprit;  mais  j'ai  trouvé  que  le 
Verbe  était  infiniment  au-dessus.  Je  suis  des- 
cendu dans  le  plus  profond  de  mon  âme,  pour 
sonder  curieusement  ce  secret  ;  mais  j'ai  connu 
qu'il  était  encore  dessous.  Jetant  les  yeux  sur  ce 
qui  est  hors  de  moi ,  j'ai  vu  qu'il  était  au  delà 
de  tout  ce  qui  m'est  extérieur  ;  et  rappelant  ma 
vue  au  dedans,  j'ai  aperçu  qu'il  était  plus  intime 
à  mon  cœur  que  mon  cœur  même. 

Mais  comment  est-ce  donc  que  je  sais  qu'il  est 
présent,  puisqu'il  ne  laisse  point  de  trace  ni  de 
vestige  qui  m'en  donne  la  connaissance?  Je  ne  le 
connais  pas  à  la  voix ,  ni  au  visage ,  ni  au  mar- 
cher, ni  par  le  rapport  d'aucun  de  mes  sens; 
mais  seulement  par  le  mouvement  de  mon  cœur, 
par  les  biens  et  les  richesses  qu'il  y  laisse,  et 
par  les  effets  merveilleux  qu'il  y  opère.  Il  n'y 
est  pas  sitôt  entré  qu'il  le  réveille  incontinent. 

*  In  Cant.  St^ni.  lAxiv ,  n°  !» ,  1. 1 ,  col.  1528. 


i34 


SUR  L'UNION  DE  JÉSUSaiRlST 


Comme  il  est  vif  et  agissant,  il  le  tire  du  profond 
sommeil  où  il  était  comme  enseveli  :  il  le  blesse 
pour  le  guérir  ;  il  le  touche  pour  le  ramollir,  parce 
qu'il  est  dur  comme  le  marbre.  Il  y  déracine  les 
mauvaises  habitudes;  il  y  détruit  les  inclina- 
lions  déréglées,  et  il  y  plante  la  vertu.  S'il  est 
sec,  il  l'arrose  des  eaux  de  sa  grâce;  s'il  est  té- 
nébreux, il  réclaire  de  ses  lumières  ;  s'il  est  fermé, 
il  l'ouvre;  s'il  est  serré ,  il  le  dilate  ;  s'il  est  froid, 
il  le  réchauffe;  s'il  est  courbé,  il  le  redresse.  Je 
connais  la  grandeur  de  son  pouvoir,  parce  qu'il 
donne  la  chasse  aux  vices;  et  qu'il  n'a  pas  plu- 
tôt paru,  que  ces  monstres  prennent  la  fuite. 
J'admire  sa  sagesse,  quand  il  me  découvre  mes 
défauts  cachés  dans  les  plus  secrets  replis  de  mon 
âme.  Le  changement  qu'il  opère  en  moi  par  Ta- 
mendement  de  ma  vie ,  me  fait  goûter  avec  plai- 
sir les  douceui-s  de  sa  bonté  :  le  renouvellement 
intérieur  de  mon  âme  me  découvre  sa  beauté  ; 
et  tous  ces  effets  ensemble  me  remplissent  d'un 
étonnement  extraordinaire,  et  d'une  ()rofonde 
vénération  de  sa  grandeui*. 

Si  les  entretiens  de  l'Époux  étaient  aussi  longs 
qu'ils  sont  agréables  à  l'épouse,  elle  serait  trop 
heureuse  et  satisfaite  :  mais  quoiqu'il  ne  l'aban- 
donne jamais,  si  elle  ne  l'y  oblige  par  quelque 
offense  mortelle,  il  ne  laisse  pas  de  lui  soustraire 
souvent  le  sentiment  de  sa  présence  par  un  effet 
tout  particulier  de  sa  bonté,  que  nous  avons 
coutume  d'exprimer  par  ces  noms  d'éloignement, 
de  fuite  et  d'absence.  C'est  une  mer  qui  a  son  llux 
et  son  reflux,  ses  mouvements  réguliers  et  irré- 
guiiers  qui  nous  surprennent.  C'est  un  soleil  qui 
donne  la  lumière ,  et  la  retire  quand  il  lui  plaît  : 
sa  clarté  donne  de  la  joie  à  notre  âme  ;  son  éloi- 
gnement  lui  cause  bien  des  soupirs  et  des  gémis- 
sements. 

Dieu  m'est  témoin ,  dit  Origène  ',  que  j'ai  sou- 
vent reçu  la  visite  de  l'Époux  ;  et  qu'après  l'avoir 
entretenu  avec  de  grandes  privautés ,  il  se  retire 
tout  d'un  coup ,  et  me  laisse  dans  le  désir  de  le 
chercher,  et  dans  l'irapuissance  de  le  trouver. 
Dans  cette  absence ,  je  soupire  après  son  retour  : 
je  le  rappelle  par  des  désirs  ardents;  et  il  est  si 
bon  qu'il  revient.  Mais  aussitôt  qu'il  s'est  mon- 
tré ,  et  que  je  pense  l'embrasser,  il  s'échappe  de 
nouveau;  et  moi  je  renouvelle  mes  larmes  et  mes 
soupirs. 

Cette  conduite  est  propre  à  Fétat  où  nous  vi- 
vons dans  cet  exil;  état  de  changement,  sujet  à 
plusieurs  vicissitudes  qui  interrompent  la  jouis- 
sance de  l'épouse  par  de  fréquentes  privations. 
Nous  n'^avons  ici  qu'un  avant-goût,  un  essai,  et 
comme  l'odeur  de  la  béatitude.  Dieu  s'approche 

«  Jn  Cant.  Honiil.  i,  n"  7,  t.  m, p.  16. 


de  nous  comme  s'il  voulait  se  donner  à  nous;  et 
lorsque  vous  pensez  le  saisir,  il  se  retire  à  l'ins- 
tant. Et  comme  l'éclair,  qui  sort  de  la  nue  et 
traverse  l'air  en  un  moment,  éblouit  la  vue  plutôt 
qu'il  ne  l'éclairé;  de  même  cette  lumière  divine, 
qui  vous  investit  et  vous  pénètre,  fait  un  jour 
dans  la  nuit,  une  nuit  mystique  dans  le  jour. 
Vous  êtes  touché  subitement,  et  vous  sentez  cette 
touche  délicate  au  fond  de  l'âme;  mais  vous  n'a- 
percevez pas  celui  qui  vous  touche.  On  vous  dit 
intérieurement  des  paroles  secrètes  et  ineffables, 
qui  vous  font  connaître  qu'il  y  a  quelqu'un  au- 
près de  vous,  ou  même  au  dedans  de  vous  qui 
vous  parle  ;  mais  qui  ne  se  montre  pas  à  décou- 
vert. 

Dieu  se  présente  à  notre  cœur;  il  lui  jette  un 
rayon  de  lumière,  il  l'invite,  il  l'attire,  il  pique 
son  désir  :  mais  parce  que  le  cœur  ne  sent  qu'à 
demi  cette  odeur  et  cette  faveur  délicieuse,  qui 
n'a  rien  de  commun  avec  les  douceurs  de  la  chair, 
il  demeure  ravi  d'étonnement;  et  la  souhaite  avec 
d'autant  plus  d'ardeur  qu'elle  surpasse  tous  les 
contentements  de  la  terre  :  son  désir  est  suivi  de 
la  jouissance.  Bientôt  après  suit  la  privation , 
qui,  par  la  renaissance  des  désirs  qu'elle  ral- 
lume, fait  un  cercle  de  notre  vie,  qui  passe  con- 
tinuellement du  désir  à  la  jouissance ,  de  la  jouis- 
sance à  l'absence,  et  de  l'absence  au  désir. 

Qui  est-ce  qui  me  pourra  développer  le  secret  de 
ces  mystérieuses  vicissitudes ,  dit  saint  Bernard  '  ? 
Qui  m'expliquera  les  allées  et  les  venues ,  les  ap- 
proches et  les  éloignements  du  Verbe?  L'Époux 
n'est-il  point  un  peu  léger  et  volage?  D'où  peut 
venir  et  où  peut  aller  ou  retourner  celui  qui  rem- 
plit toutes  choses  de  son  immense  grandeur?  Sans 
doute  le  changement  n'est  pas  dans  l'Époux;  mais 
dans  le  cœur  de  l'épouse ,  qui  reconnaît  la  pré- 
sence du  Verbe  lorsqu'elle  sent  l'effet  de  la  grâce  : 
et  quand  elle  ne  le  sent  plus,  elle  se  plaint  de  son 
absence ,  et  renouvelle  ses  soupirs.  Elle  s'écrie 
avec  le  prophète  :  «  Seigneur,  mon  cœur  vous  a 
«  dit  :  Les  yeux  de  mon  âme  vous  ont  cherché  '.  « 
Et  peut-être,  dit  saint  Bernard^,  que  c'est  pour 
cela  que  l'Époux  se  retire  ;  afin  qu'elle  le  rappelle 
avec  plus  de  ferveur,  et  qu'elle  l'arrête  avec  plus 
de  fermeté  :  comme  autrefois  s'étant  joint  aux 
deux  disciples  qui  allaient  à  Emnoaiis,  il  feignit 
de  passer  outre;  afin  d'entendre  ces  paroles  de 
leur  bouche  même  :  Mane  nobiscum,  Domine^. 
«  Demeurez  avec  nous ,  Seigneur;  »  car  il  se  plaît 
à  se  faire  chercher  ;  afin  de  réveiller  nos  soins 
et  d'embraser  notre  cœur.. 


'  In  Cant.  Serin,  lxxiv,  n"  I,  col.  1520,  1627. 

'  Ps.  XXVI ,  8. 

'  S.  Bern.  ibid.  n"  3,  col.  1527. 

♦  Luc.  XXIV,  29. 


AVEC  SON  i:W)USE. 


13â^ 


II  ne  fait  que  toucher  en  passant  la  cime  de 
notre  entendement  :  comme  un  éclair,  dit  saint 
Grégoire  de  Nazianze ,  qui  passe  devant  nos  yeux  ; 
partageant  ainsi  notre  esprit  entre  les  ténèbres 
et  la  lumière,  afin  que  ce  peu  que  nous  connais- 
sons soit  un  charme  qui  nous  attire,  et  que  ce 
que  nous  ne  connaissons  pas  soit  un  secret  qui 
nous  ravisse  d'étonnement  :  en  sorte  que  l'admi- 
ration excite  nos  désirs ,  et  que  nos  désirs  puri- 
fient nos  cœurs ,  et  que  nos  cœurs  se  déifient  par 
la  familiarité  que  nous  contractons  avec  Dieu 
dans  cette  aimable  privante. 

Les  vents  qui  secouent  les  brandies  des  arbres 
les  nettoient  :  les  orages  qui  agitent  l'air  le  pu- 
rifient :  les  tempêtes  qui  ébranlent  et  renversent 
la  mer,  lui  font  jeter  les  corps  morts  sur  le  rivage  : 
de  même  l'agitation  du  cœur,  ému  par  ces  sain- 
tes inquiétudes ,  contribue  beaucoup  à  sa  pureté, 
et  l'exempte  de  beaucoup  de  taches  et  d'ordures , 
qui  s'amassent  au  fond  de  l'âme  pendant  qu'elle 
est  dans  le  calme,  et  qu'elle  jouit  d'un  repos 
tranquille.  L'eau  qui  croupit  dans  un  étang  se 
corrompt  et  devient  puante  :  le  pain  qui  cuit  sous 
la  cendre  se  brûle  si  on  ne  le  tourne ,  comme  dit 
le  prophète  '  :  les  corps  qui  ne  font  point  d'exer- 
cice amassent  beaucoup  de  mauvaises  humeurs , 
qui  sont  des  dispositions  à  de  grandes  maladies  : 
et  ainsi  le  cœur  qui  n'est  point  exercé  par  ces 
épreuves,  et  par  ces  mouvements  alternatifs  de 
douceur  et  de  rigueur,  s'évapore  au  feu  des  con- 
solations divines,  se  corrompt  par  le  repos,  et 
se  charge  de  mauvaises  habitudes.  C'est  pourquoi 
le  Fils  de  Dieu  qui  l'aime  et  qui  prend  soin  de 
le  cultiver,  lui  procure  de  fexercice  ;  ne  voulant 
pas  qu'il  demeure  oisif,  ou  qu'il  se  relâche  par 
une  trop  longue  jouissance  de  ses  faveurs  et  de 
ses  caresses. 

Il  semble  qu'il  se  joue  avec  les  hommes,  dit 
Richard  de  Saint-Victor  %  comme  un  père  avec 
ses  enfants  :  tantôt  ils  se  figurent  qu'ils  le  tien- 
nent; et  puis  tout  à  coup  il  leur  échappe  :  tantôt 
il  se  montre  comme  un  soleil  avec  beaucoup  de 
lumière,  et  puis  en  un  moment  il  se  cache  dans 
les  nuages.  Il  s'en  va,  il  revient;  il  fuit,  il  s'ar- 
rête; il  les  surprend,  il  se  laisse  surprendre,  et 
1^— tout  aussitôt  il  se  dérobe  :  et  puis  après  avoir 
^^t tiré  quelques  larmes  de  leurs  yeux ,  et  quelques 
soupirs  de  leurs  cœurs ,  il  retourne  ;  enfin  il  les 
réjouit  de  la  douceur  de  ses  visites. 

«  Je  m'en  vais  pour  peu  de  temps ,  et  je  vous 
"  reverrai  bientôt^  :  «  souffrez  mon  absence  pour 
un  moment.  0  moment  et  moment  !  ô  moment 
de  longue  durée  !  Mon  doux  maître ,  comment 

'  Osce.  VII ,  fi. 

'  Pe  grad.  Charit.  cap.  JI ,  p.  351. 

^  Jfivn.  XVI,  16,  22. 


dites-vous  que  le  temps  de  votre  absence  est 
court?  Pardonnez- moi,  si  j'ose  vous  contredire; 
mais  il  me  semble  qu'il  est  bien  long  et  qu'il 
dure  trop.  Ce  sont  les  plaintes  de  l'épouse ,  qui 
s'emporte  par  l'ardeur  de  son  zèle,  et  se  laisse 
aller  à  la  violence  de  ses  désirs.  Elle  ne  consi- 
dère pas  ses  mérites  :  elle  n'a  pas  égard  à  la  ma- 
jesté de  Dieu  ;  elle  ferme  les  yeux  à  sa  grandeur, 
et  les  ouvre  au  plaisir  qu'elle  sent  en  sa  pré- 
sence. Elle  rappelle  l'Époux  avec  une  sainte  li- 
berté ;  elle  redemande  celui  qui  fait  toutes  ses 
délices ,  lui  disant  amoureusement  :  «  Retournez, 
«  mon  bien-airaé;  revenez  promptement,  »  hâ- 
tez-vous de  me  secourir  ;  «  égalez  la  vitesse  des 
«  chevreuils  et  des  daims  ».  » 

Au  reste  ne  pensez  pas  que  ces  larmes  soient 
stériles,  ni  ces  soupirs  inutiles  :  cet  état  de  pri- 
vation est  très-avantageux  à  qui  sait  s'en  préva- 
loir. C'est  là  que  notre  amour-propre,  qui  est 
aveugle ,  trouve  des  yeux  pour  sonder  l'abîme 
de  ses  misères,  et  reconnaître  son  indigence  : 
c'est  là  que  notre  cœur  apprend  à  compatir  aux 
autres,  par  l'expérience  de  ses  propres  peines  : 
c'est  là  qu'il  trouve  un  torrent  de  larmes  pour 
noyer  ses  crimes,  et  un  trésor  si  précieux  qu'il 
suffit  non-seulement  pour  payer  ses  dettes,  mais 
encore  celles  du  prochain.  C'est  une  fournaise 
d'amour,  où  l'épouse  échauffe  son  zèle ,  et  lui 
donne  des  ailes  de  feu ,  pour  voler  à  la  conquête 
des  âmes,  aux  dépens  de  son  contentement  et 
de  son  repos  :  c'est  une  école  de  sagesse,  où  elle 
apprend  les  secrets  de  la  vie  intérieure  :  c'est 
une  épreuve  où  elle  se  fortifie  par  la  pratique 
des  vertus  chrétiennes  ;  comme  les  plantes  jet- 
tent de  profondes  racines  durant  les  rigueurs  de 
l'hiver.  C'est  là  qu'elle  goûte  cette  importante 
vérité,  qu'il  faut  interrompre  les  délices  de  la 
contemplation  par  les  travaux  de  l'action  ;  qu'elle 
doit  laisser  les  secrets  baisere  de  l'Époux ,  pour 
donner  les  mamelles  à  ses  enfants  ;  que  l'amour 
effectif  est  préférable  à  l'amour  affectif;  et  que 
pei"Sonne  ne  doit  vivre  pour  lui  seul ,  mais  que 
chacun  est  obligé  d'employer  sa  vie  à  la  gloire  de 
celui  qui  a  voulu  mourir  pour  tous  les  hommes. 
C'est  le  creuset  où  elle  met  sa  charité  à  l'épreuve , 
pour  savoir  si  elle  est  de  bonaloi.  C'est  la  balance 
où  elle  pèse  les  grâces  de  Dieu ,  pour  en  faire  un 
sage  discernement ,  et  préférer  l'auteur  des  con- 
solations à  tous  ses  dons.  C'est  un  exil  passager, 
qui  lui  fait  sentir,  par  précaution ,  combien  c'est 
uu  grand  mal  d'être  abandonné  de  Dieu  pour 
jamais  ;  puisque  une  absence  de  peu  de  jours  lui 
paraît  plus  insupportable  que  toutes  les  peints 
du  monde  :  mais  surtout,  c'est  une  excellente 

'  Cani.  Il,  17 


136 


SUR  L'UiNION  DE  JÉSUS-CHRIST 


disposition  à  runion  intime  avec  son  divin  époux , 
qui  est,  à  vrai  dire,  le  fruit  de  ses  désirs,  la  fin 
tie  ses  travaux  et  la  récompense  de  toutes  ses 
peines. 

Tous  les  saints  Pères  qui  pai4ent  de  l'union 
qui  se  fait  entre  l'time  et  l'époux  céleste,  dans 
l'exercice  de  l'oraison,  disent  qu'elle  est  inex- 
plicable. Saint  Thomas  l'appelle  un  baiser  inef- 
fable; parce  qu'on  peut  bien  goûter  l'excellence 
des  affections  et  des  impressions  divines,  mais 
on  ne  la  peut  pas  exprimer.  Saint  Bernard  dit 
que  c'est  un  lien  ineffable  d'amour  ;  parce  que 
la  manière  dont  on  le  voit  est  ineffable,  et  de- 
mande une  pureté  de  cœur  tout  extraordinaire. 
Saint  Augustin  dit  que  cette  union  se  fait  d'une 
manière  qui  ne  peut  tomber  dans  la  pensée  d'un 
homme,  s'il  n'en  a  fait  l'expérience. 

On  pe*tt  dire  que  le  propre  de  l'amour  est  de 
tendre  à  l'union  la  plus  inthne  et  la  plus  étroite 
qui  puisse  être,  et  qu'il  ne  se  contente  pas  d'une 
Jouissance  superficielle;  mais  qu'il  aspire  à  la 
possession  parfaite.  De  là  vient  que  Târae  qui 
aime  parfaitement  Jésus-Christ ,  après  avoir  pra 
tiqué  toutes  les  actions  de  vertu  et  de  mortifica- 
tion les  plus  héroïques  ;  après  avoir  reçu  toutes 
les  faveurs  les  plus  signalées  de  l'Époux ,  les  vi- 
sions ,  les  révélations ,  les  extases ,  les  transports 
d'amour,  les  vues,  les  lumières,  croit  n'avoir 
rien  fait  et  n'avoir  ri3n  reçu  :  à  cause,  dit  saint 
Macaire,  du  désir  insatiable  qu'elle  a  de  possé- 
der le  Seigneur  ;  à  cause  de  l'amour  immense  et 
ineffable  qu'elle  lui  porte,  qui  fait  qu'elle  se 
consume  de  désirs  ardents ,  et  qu'elle  aspire  sans 
cesse  au  baiser  de  l'Époux. 

On  peut  bien  dire  encore  que  cette  union  par- 
faite, qui  est  l'objet  de  ses  désirs,  n'est  pas  seu- 
lement une  simple  union ,  par  le  moyen  de  la 
grâce  habituelle  qui  est  commune  à  tous  les  jus- 
tes ,  ou  par  l'amour  actuel ,  même  extatique  et 
jouissant ,  qui  ne  se  donne  qu'aux  grandes  âmes  ; 
mais  c'est  le  plus  haut  degré  de  la  contemplation , 
le  plus  sublime  don  de  l'Époux,  qui  se  donne 
lui-même,  qui  s'écoule  intimement  dans  l'âme  , 
qui  la  touche ,  qui  se  jette  entre  ses  bras ,  et  se  fait 
sentir  et  goûter  par  une  connaissance  expérimen- 
tale, où  la  volonté  a  plus  de  part  que  l'entende- 
ment ,  et  l'amour  que  la  vue.  D'où  vient  que  Ri- 
c'nard  de  Saint-Victor  dit  que  «  l'amour  est  un 
«  œil  ;  »  ei  que  «  aimer,  c'est  voir  '  :  »  et  saint 
Augustin  :  «  Qui  connaît  la  vérité,  la  connaît;  et 
«  qui  la  connaît ,  connaît  l'éternité  :  c'est  la  cha- 
«  rite  qui  la  connaît  '.  » 

On  peut  bien  dire  avec  saint  Bernai"d ,  que  cet 
embrassement ,  ce  baiser,  cette  touche,  cette 

1  De  grad.  Charit.  cap.  ili,  p.  ^63. 
»  Couf.  Ub.  vu,  cap  X,  1. 1,  col.  139. 


union ,  n'est  point  dans  l'imagination  ni  dans  les 
sens  :  mais  dans  la  partie  la  plus  spirituelle  d« 
notre  être ,  dans  le  plus  intime  de  notre  cœur,  où 
l'âme ,  par  une  singulière  prérogative ,  reçoit  son 
bien-aimé;  non  par  figure,  mais  par  infusion; 
non  par  image ,  mais  par  impression.  On  peut 
dire  avec  avec  Denis  le  Chartreux ,  que  le  divin 
Époux ,  voyant  l'âme  tout  éprise  de  son  amour, 
se  communique  à  elle ,  se  présente  à  elle ,  l'em- 
brasse ,  l'attire  au  dedans  de  lui-même ,  la  baise  , 
la  serre  étroitement  avec  un  complaisance  mer- 
veilleuse ;  et  que  l'épouse  étant  tout  à  coup ,  en 
un  moment,  en  un  clind'œil,  investie  des  rayons 
de  la  Divinité,  éblouie  de  sa  clarté,  liée  des  bras 
de  son  amour,  pénétrée  de  sa  présence ,  oppri- 
mée du  poids  de  sa  grandeur,  et  de  l'efficace 
excellente  de  ses  perfections ,  de  sa  majesté ,  de 
ses  lumières  immenses,  est  tellement  surprise, 
étonnée,  épouvantée ,  ravie  en  admiration  de  son 
infinie  grandeur,  de  sa  brillante  clarté,  de  la 
délicieuse  sérénité  de  son  visage,  qu'elle  est 
comme  noyée  dans  cet  abîme  de  lumière ,  perdue 
dans  cet  océan  de  bonté ,  brûlée  et  consumée  dans 
cette  fournaise  d'amour  :  anéantie  en  elle-même 
par  une  heureuse  défaillance,  sans  savoir  où  elle 
est;  tant  elle  est  égarée  et  enfoncée  dans  cette 
vaste  solitude  de  l'immensité  divine.  Mais  de  dire 
comment  cela  se  fait,  et  ce  qui  se  passe  en  ce 
secret  entre  l'Époux  et  l'épouse,  cela  est  impos- 
sible :  il  le  faut  honorer  par  le  silence;  et  louer 
à  jamais  l'amour  ineffable  du  Verbe ,  qui  daigne 
tant  s'abaisser  pour  relever  sa  créature. 

LES  DEVOIRS   DE    l'AME    QUI    EST    ÉPOUSE    DE 
JÉSUS-CHBIST. 

Entre  les  devoirs  de  l'épouse  envers  son  di- 
vin époux ,  celui  de  l'amour  est  le  premier  ;  et 
même  l'on  peut  dire  qu'il  est  unique,  parce  qu'il 
contient  tous  les  autres  avec  éminence.  Car  il 
faut  considérer  que  Jésus-Christ  prend  quelque- 
fois le  nom  de  Seigneur,  quelquefois  celui  de 
Père ,  et  quelquefois  celui  d'Epoux.  Quand  il  veut 
nous  donner  de  la  crainte ,  dit  saint  Grégoire  ' ,  i  l 
prend  la  qualité  de  Seigneur;  lorsqu'il  veut  être 
honoré,  il  prend  celle  de  Père  :  mais  quand  il 
veut  être  aimé,  il  se  fait  appeler  Époux. 

Faites  réflexion  sur  l'ordre  qu'il  garde  :  de  la 
crainte  procède  ordinairement  le  respect;  du 
respect ,  l'amour.  En  cet  amour  consiste ,  comme 
dit  excellemment  saint  Bernard  %  la  ressem- 
blance de  l'âme  avec  le  Verbe ,  selon  cette  parole 
de  l'apôtre  ^  :  «  Soyez  les  imitateurs  de  Dieu , 
«  comme  étant  ses  enfants  bieu-aimés  ;  et  mar- 

1  In  Cant.  Proœm.  n"  8,  t.  ui,  part,  ii,  col.  400. 

2  In  Cant.  Scrm.  LXXXUi,  n'  3 ,  col.  1557. 

3  Èphes.y,  1,2. 


AVEC  SON  ÉPOUSE. 


f37 


•  chez  dans  l'amour  et  la  charité ,  comme  Jésiis- 

•  Christ  nous  a  aimés  :  »  afin  de  vous  joindre, 
par  conforaiité ,  à  celui  dont  l'infinité  vous  sépare. 
Cette  conformité  marie  l'âme  avec  le  Verbe, 
lorsqu'elle  se  montre  semblable  en  volonté  et  en 
désir  à  celui  à  qui  elle  ressemble  par  le  privilège 
de  la  nature;  aimant  comme  elle  est  aimée  :  si 
donc  elle  aime  parfaitement,  elle  est  épouse. 

Qu'y  a-t-il  de  plus  doux  que  cette  conformité? 
qu'y  a-t-il  de  plus  souhaitable  que  cet  amour 
qui  fait ,  6  âme  fidèle ,  que  ne  vous  contentant 
pas  d'être  instruite  par  les  hommes ,  mais  vous 
adressant  vous-même  confidemment  au  Verbe , 
vous  lui  adhérez  constamment ,  vous  l'interrogez 
familièrement,  vous  le  consultez  sur  toutes  cho- 
ses; égalant  la  liberté  de  vos  désirs  à  l'étendue 
de  vos  pensées  et  de  vos  connaissances? 

Certainement  on  peut  dire  que  c'est  ici  que  l'on 
contracte  un  mariage  spirituel  et  saint  avec  le 
Verbe  :  je  dis  trop  peu  quand  je  dis  qu'on  le 
contracte  ;  on  le  consomme  :  car  c'est  en  effet  le 
consommer,  que  de  deux  esprits  n'en  faire  qu'un , 
en  voulant  et  ne  voulant  pas  les  mêmes  choses. 
Au  reste,  il  ne  faut  pas  craindre  que  l'inégalité 
des  personnes  affaiblisse  aucunement  la  confor- 
mité des  volontés;  parce  que  l'amour  n'a  pas  tant 
d'égard  au  respect.  Le  mot  d'amour  vient  d'ai- 
mer, non  pas  d'honorer.  Que  celui-là  se  tienne 
en  respect,  qui  frissonne,  qui  est  interdit,  qui 
tremble ,  qui  est  saisi  d'étonnement  :  tout  cela 
n'a  point  de  lieu  en  celui  qui  aime.  L'amour  est 
plus  que  satisfait  de  lui-même;  et  quand  il  est 
entré  dans  le  cœur,  il  attire  à  soi  toutes  les  au- 
tres affections  et  se  les  assujettit.  C'est  pourquoi 
celle  qu'il  aime  s'applique  à  l'amour,  et  ne  sait 
autre  chose  ;  et  celui  qui  mérite  d'être  honoré , 
respecté  et  admiré ,  aime  mieux  néanmoins  être 
aimé  :  l'un  est  l'époux  ;  l'autre  est  l'épouse. 

Quelle  affinité  et  quelle  liaison  cherchez-vous 
entre  deux  époux ,  sinon  d'aimer  et  d'être  aimé? 
Ce  lien  surpasse  celui  des  pères  et  des  mères  à 
l'égard  de  leurs  enfants,  qui  est  celui  de  tous  que 
la  nature  a  serré  plus  étroitement.  Aussi  est-il 
écrit  à  ce  sujet  que  «  l'homme  laissera  son  père 
"  et  sa  mère,  et  s'attachera  à  son  épouse  '.  >< 
Voyez  comme  cette  affection  n'est  pas  seulement 
plus  forte  que  toutes  les  autres ,  mais  qu'elle  se 
surmonte  elle-même  dans  le  cœur  des  époux. 
Ajoutez ,  que  celui  qui  est  l'époux  n'est  pas  seule- 
ment épris  d'amour  :  il  est  l'amour  même.  Mais 
n'est-il  point  aussi  l'honneur?  Pour  moi ,  je  ne 
l'ai  point  lu  :  j'ai  bien  lu  que  «  Dieu  est  cha- 

•  rite  '  ;  »  mais  je  n'ai  point  lu  qu'il  soit  honneur 


I 


Gencs.  il,  2i.  S/allh.  XJX,  6. 
L  Joa».  IT ,  8w 


ni  dignité.  Ce  n'est  pas  que  Dieu  rejette  l'hon- 
neur, lui  qui  dit  :  «  Si  je  suis  père ,  où  est  l'hon- 
«  neur  qui  m'est  dû  •  ?  »  mais  il  le  dit  en  qualité 
de  père.  Que  s'il  veut  montrer  qu'il  est  époux, 
il  dira  :  Où  est  l'amour  qui  m'est  dû?  Car  il  dît 
aussi  au  même  endroit  :  «  Si  je  suis  Seigneur, 
«  où  est  la  crainte  qui  m'est  due?  »  Dieu  donc 
veut  être  craint  comme  Seigneur,  honoré  comme 
Père,  aimé  et  chéri  comme  Époux. 

De  ces  trois  devoirs,  lequel  est  le  plus  excel- 
lent et  le  plus  noble?  L'amour.  Sans  l'amour  la 
crainte  est  fâcheuse,  et  l'honneur  n'est  point 
agréable.  La  crainte  est  une  passion  servile  tan- 
dis qu'elle  n'est  point  affranchie  par  l'amour; 
et  l'honneur  qui  ne  vient  point  du  cœur  n'est 
point  un  vrai  honneur,  mais  une  pure  flatterie. 
La  gloire  et  l'honneur  appartiennent  à  Dieu  ;  mais 
il  ne  les  accepte  point,  s'ils  ne  sont  assaisonnés 
par  l'amour  :  car  il  suffit  par  lui-même;  il  plaît 
par  lui-même  et  pour  l'amour  de  lui-même.  L'a- 
mour est  lui-même ,  et  son  mérite  et  sa  récom- 
pense. Il  ne  demande  point  d'autre  motif  ni  d'au- 
tre fruit  que  lui-même  :  son  fruit ,  c'est  son  usage. 
J'aime  parce  que  j'aime;  j'aime  pour  aimer.  En 
vérité  l'amour  est  une  grande  chose ,  pourvu  qu'il 
retourne  à  son  principe  ;  et  que  remontant  à  sa 
source  par  une  réflexion  continuelle,  il  y  prenne 
des  forces  pour  entretenir  son  cours. 

De  tous  les  mouvements,  de  tous  les  senti- 
ments et  de  toutes  les  affections  de  l'âme ,  il  n'y 
a  que  l'amour  qui  puisse  servir  à  la  créature 
pour  rendre  la  pareille  à  son  auteur  ;  sinon  avec 
égalité ,  pour  le  moins  avec  quelque  rapport. 

Par  exemple ,  si  Dieu  se  fâche  contre  moi  ;  me 
fàcherai-je  contre  lui?  Non,  certes;  mais  je 
craindrai ,  mais  je  tremblerai ,  mais  je  lui  de- 
manderai pardon  :  de  même  s'il  me  reprend ,  je 
ne  le  reprendrai  pas  à  mon  tour;  mais  plutôt  je 
le  justifierai  :  et  s'il  me  juge ,  je  n'entreprendrai 
pas  de  le  juger;  mais  plutôt  de  l'adorer.  S'il  do- 
mine, il  faut  que  je  serve;  s'il  commande,  il 
faut  que  j'obéisse  :  je  ne  puis  pas  exiger  de  lui 
une  obéissance  réciproque.  Mais  il  n'est  pas  ainsi 
de  l'amour  :  car  quand  Dieu  aime ,  il  ne  demande 
autre  chose  qu'un  retour  d'amour  :  parce  qu'il 
n'aime  que  pour  être  aimé  ;  sachant  bien  que  ceux 
qui  l'aiment  sont  rendus  bienlieureux  pfir  l'amour 
même  qu'ils  lui  portent. 

Ainsi  l'âme  qui  est  assez  heureuse  pour  y  être 
parvenue,  brûle  d'un  si  ardent  désir  de  voir  son 
Époux  dans  la  gloire,  que  la  vie  lui  est  un  sup- 
plice; la  terre,  un  exil;  le  corps,  une  prison;  et 
î'éloigneraent  de  Dieu ,  une  espèce  d'enfer,  qui  la 
fait  sans  cesse  soupirer  après  la  mort.  Dans  cet 

'  Malac.  !,«. 


tZ8 


SUR  LA  COINCEPTIOA' 


état ,  dit  saint  Grégoire  ' ,  elle  ne  reçoit  aucune 
consolation  des  choses  de  la  terre;  elle  n'en  a 
aucun  goût ,  ni  sentiment ,  ni  désir  :  au  contraire 
c'est  pour  elle  un  sujet  de  peine,  qui  la  fait  sou- 
pirer jour  et  nuit ,  et  languir  dans  l'absence  de 
son  Époux  :  car  elle  est  blessée  d'amour  5  et  cette 
plaie,  qui  consume  les  forces  du  corps,  est  la 
parfaite  santé  de  l'âme ,  sans  laquelle  sa  disposi- 
tion serait  très- mauvaise  et  très -dangereuse. 
Plus  cette  plaie  est  profonde,  plus  elle  est  saine. 
Sa  force  consiste  dans  la  langueur  ;  et  sa  conso- 
lation est  de  n'en  avoir  point  sur  la  terre.  Tout 
ce  qu'elle  voit  ne  lui  cause  que  de  la  tristesse, 
parce  qu'elle  est  privée  de  la  vue  de  celui  qu'elle 
aime.  11  n'y  a  qu'une  seule  chose  qui  la  puisse 
consoler;  c'est  de  voir  que  plusieure  âmes  profi- 
tent de  son  exemple,  et  soç^  embrasées  de  l'a- 
mour de  son  Époux. 

Tel  était  saint  Ignace ,  martyr,  qui  soupirait 
après  les  tourments  et  la  mort,  par  l'extrême 
désir  qu'il  avait  de  voir  Jésus-Christ.  Quand 
sera-ce ,  disait-il  ^ ,  que  je  jouirai  de  ce  bonheur, 
d'être  déchiré  des  bêtes  farouches  dont  on  me  me- 
nace? Ah!  qu'elles  se  hâtent  de  me  faire  mourir 
et  de  me  tourmenter;  et,  de  grâce,  qu'elles  ne 
m'épargnent  point  comme  elles  font  les  autres 
martyrs  :  car  je  suis  résolu ,  si  elles  ne  viennent 
à  moi ,  de  les  aller  attaquer,  et  de  les  obliger  à 
me  dévorer.  Pardonnez-moi  ce  transport,  mes 
petits  enfants  ;  je  sais  ce  qui  m'est  bon  :  je  com- 
mence maintenant  à  être  disciple  de  Jésus-Christ  ; 
ne  désirant  plus  rien  de  toutes  les  choses  visibles, 
et  n'ayant  qu'un  seul  désir  :  qui  est  de  trouver 
Jésus-Christ.  Qu'on  me  fasse  souffrir  les  feux, 
les  croix  et  les  dents  des  bêtes  farouches  :  que 
tous  les  tourments  que  les  démons  peuvent  inspi- 
rer aux  bourreaux  viennent  fondre  sur  moi  ;  je 
suis  prêt  à  tout ,  pourvu  que  je  puisse  jouir  de  Jé- 
sus-ChrLst.  Quel  amour  !  quels  transports!  quelle 
ardeur  pour  Jésus-Christ  I  Puissions-nous  entrer 
dans  ces  sentiments;  et,  comme  le  saint  martyr, 
n'avoir  plus  de  vie ,  d'être ,  de  mouvements ,  que 
pour  consommer  notre  union  avec  le  divin  époux  I 

'  In  Caiit.caç.  m,  t.  m,  p.  419. 
*  {p.  ad  Mom. 


•«•««•»• 


PREMIER  SERMON 

POUR  LA  l'ÉTE 

DELA  CONCEPTION  DE  LA  SALNTE  VIERG  E , 

PRÊCHÉ  LA  VEILLE  DE  CETTE  FÊTE. 

Privilèges  de  Marie,  ses  prorogalives;  l'amour  éternel  de 
son  hls  pour  elle,  sa  victoire  sur  le  péché  en  la  personne  de 
sa  mère.  Question  de  l'Immaculée  conception ,  non  décidée. 
Extrémité  de  la  faiblesse  de  l'homme;  son  impuissance  sans 
la  grâce  de  Jésus-Christ ,  seul  vrai  médecin. 


Tota  pulchra  es ,  arnica  mea. 

Vous  êtes  toute  belle,  ô  ma  b'ien-almée.  Cant.  vi,  7. 

Si  le  nom  de  Marie  vous  est  cher,  si  vous 
aimez  sa  gloire,  si  vous  prenez  plaisir  de  célébrer 
ses  louanges,  chrétiens,  enfants  de  Marie,  vous, 
que  cette  vierge  très-pure  assemble  aujourd'hui 
en  ce  lieu,  réjouissez-vous  en  Notre-Seigneur. 
Demain  luira  au  monde  cette  sainte  et  bienheu- 
reuse journée  en  laquelle  l'âme  de  Marie,  cette 
âme  prédestinée  à  la  plénitude  des  grâces  et  au 
plus  haut  degré  de  la  gloire,  fut  prmièrement 
unie  à  un  corps ,  mais  à  un  corps  dont  la  pureté, 
qui  ne  trouve  rien  de  semblable ,  même  parmi  les 
esprits  angéliques,  attirera  quelque  jour  sur  la 
terre  le  chaste  époux  des  âmes  fidèles.  Il  est  donc 
bien  juste,  mes  frères,  que  nous  passions  cette 
solennité  avec  une  joie  toute  spirituelle.  Loin  de 
cette  conception  les  gémissements  et  les  pleurs 
qui  doivent  accompagner  les  conceptions  ordi- 
naires. Celle-ci  est  toute  pure  et  tout  innocente. 
Non,  non,  ne  le  croyez  pas,  chrétiens,  que  la 
corruption  générale  de  notre  nature  ait  violé  la 
pureté  de  la  mère  que  Dieu  destinait  à  son  Fils 
unique.  C'est  ce  que  je  me  propose  de  vous  faire 
voir  dans  cette  méditation ,  dans  laquelle  je  vous 
avoue  que  je  ne  suis  pas  sans  crainte.  De  tant  de 
diverses  matières  que  l'on  a  accoutumé  de  trai- 
ter dans  les  assemblées  ecclésiastiques,  celle-ci 
est  sans  doute  la  plus  délicate.  Outre  la  difficulté 
du  sujet,  qui  fait  certainement  de  la  peine  aux 
plus  habiles  prédicateurs ,  l'Église  nous  ordonne 
de  plus  une  grande  circonspection  et  une  retenue 
extraordinaire.  Si  j'en  dis  peu ,  je  prévois  que 
votre  piété  n'en  sera  pas  satisfaite.  Que  si  j'en 
dis  beaucoup,  peut-être  sortirai-je  des  bornes 
que  les  saints  caaons  me  prescrivent.  Je  ne  sais 
quel  instinct  me  pousse  à  vous  assurer  que  cette 
conception  est  sans  tache ,  et  je  n'ose  vous  l'assu- 
rer d'une  certitude  infaillible.  Il  faudra  tenir  un 
milieu  qui  sera  peut-être  un  peu  difficile.  Disons 
néanmoins ,  chrétiens ,  disons  à  la  gloire  de  Dieu , 
que  la  bienheureuse  Marie  n'a  pas  ressenti  les 
atteintes  du  péché  commun  de  notre  nature  ;  di- 
sons-le, autant  que  nous  pourrons,  avec  force  : 


I)t  LA  SAI.NÏE  VIERGK. 


139 


mais  (lisons  toutefois  avec  un  si  juste  tempéra- 
ment, que  nous  ne  nous  éloignions  pas  de  la  mo- 
destie. Ainsi,  les  fidèles  seront  contents;  ainsi, 
IKjiIise  sera  obéie.  Nous  satisferons  tout  ensem- 
ÏAc  à  la  tondre  piété  des  enfants,  et  aux  sages 
reniements  de  la  Mère. 

Il  y  a  certaines  propositions  étranges  et  difii- 
ciles,  qui,  pour  être  persuadées ,  demandent  que 
l'on  emploie  tous  les  efforts  du  raisonnement  et 
toutes  les  inventions  de  la  rhétorique. 

Au  contraire  il  y  en  a  d'autres  qui  jettent  an 
premier  aspect  un  certain  éclat  dans  les  âmes ,  qui 
fait  que  souvent  on  les  aime  avant  même  que  de 
les  connaître.  De  telles  propositions  n'ont  pas 
presque  besoin  de  preuves.  Qu'on  lève  seule- 
ment les  obstacles ,  que  Ton  éclaircisse  les  objec- 
tions, s'il  s'en  présente  quelques-unes;  l'esprit 
s'y  portera  de  soi-même,  et  d'un  mouvement 
volontaire.  Je  mets  en  ce  rang  celle  que  j'ai  à  éta- 
blir aujourd'hui.  Que  la  conception  de  la  Mère 
de  Dieu  ait  eu  quelque  privilège  extraordinaire, 
que  son  Fils  tout-puissant  l'ait  voulu  préserver 
de  cette  peste  commune  ([ui  corrompt  toutes  nos 
facultés,  qui  gâte  jusqu'au  fond  de  nos  âmes, 
qui  va  porter  la  mort  jusqu'à  la  source  de  notre 
vie;  qui  ne  le  croirait,  chrétiens?  qui  ne  donne- 
rait de  bon  cœur  son  consentement  à  une  opi- 
nion si  plausible?  Mais  il  y  a,  dit-on,  beaucoup 
d'objections  importantes ,  qui  ont  ému  de  grands 
pei-sonnages.  Eh  bien!  pour  satisfaire  les  âmes 
pieuses ,  tâchons  de  résoudre  ces  objections  :  par 
ce  moyen  j'aurai  fait  la  meilleure  partie  de  ma 
preuve.  Après  cela ,  sans  doute  il  ne  sera  pas  né- 
cessaire de  vous  presser  davantage  :  sitôt  que 
^ous  aurez  vu  les  difficultés  expliquées,  vous 
croirez  volontiers  que  le  péché  originel  n'a  pas 
touché  à  Marie.  Que  dis- je ,  vous  le  croirez?  vous 
en  êtes  déjà  convaincus  ;  et  tout  ce  que  j'ai  à 
vous  dire  ne  servira  qu'à  vous  Ci^nfirmer  dans 
cette  pieuse  créance. 

PBEMIER   POINT. 

Il  n'est  pas,  ce  me  semble,  fort  nécessaire 
d'exposer  ici  une  vérité  qui  ne  doit  être  ignorée 
de  personne.  Vous  le  savez,  fidèles,  qu'Adam 
notre  premier  père  s'étant  élevé  contre  Dieu ,  il 
perdit  aussitôt  l'empire  naturel  qu'il  avait  sur 
ses  appétits.  La  désobéissance  fut  vengée  par 
une  autre  désobéissance.  Il  sentit  une  rébellion  i 
à  laquelle  il  ne  s'attendait  pas  ;  et  la  partie  infé-  ; 
rieure  s'étant  inopinément  soulevée   contre  la  \ 
raison  ,  il  resta  tout  confus  de  ce  qu'il  ne  pouvait 
la  réduire.  Mais  ce  qui  est  de  plus  déplorable,  \ 
c'est  que  ces  convoitises  brutales  qui  s'élèvent  ! 
dans  nos  sens ,  à  la  confusion  de  l'esprit ,  aient  '■ 
si  grande  part  à  notre  naissance.  De  là  vient 


qu'elle  a  je  ne  sais  quoi  de  honteux ,  à  cause  que 
nous  venons  tous  de  ces  appétits  déiéglés  qui 
firent  rougir  notre  premier  père.  Comprenez ,  s'il 
vous  plaît ,  ces  vérités  ;  et  épargnez-moi  la  pu- 
deur de  repasser  encore  une  fois  sur  des  choses 
si  pleines  d'ignominie ,  et  toutefois  sans  lesquelles 
il  est  impossible  que  vous  entendiez  ce  que  c'est 
que  le  péché  d'origine  :  car  c'est  par  ces  canaux 
que  le  venin  et  la  peste  se  coulent  dans  notre 
nature.  Qui  nous  engendre ,  nous  tue.  ISous  re- 
cevons en  même  temps  et  de  la  même  racine ,  et 
la  vie  du  corps,  et  la  mort  de  l'âme.  La  masse 
dont  nous  sommes  formés  étant  infectée  dans  sa 
source,  elle  empoisonne  notre  âme  par  sa  funeste 
contagion.  C'est  pourquoi  le  sauveur  Jésus ,  vou- 
lant comme  toucher  au  doigt  la  cause  de  notre 
mal ,  dit  en  saint  Jean  '  que  «  ce  qui  naît  de  la 
«  chair  est  chair  :  »  Quod  natum  est  ex  came, 
caro  est.  La  chair  en  cet  endroit ,  selon  la  phrase 
de  l'Écriture,  signifie  la  concupiscence.  C'est 
donc  comme  si  notre  Maître  avait  dit  plus  expres- 
sément :  0  vous ,  hommes  misérables ,  qui  naissez 
de  cette  révolte  et  de  ces  inclinations  corrompues 
qui  s'opposent  à  la  loi  de  Dieu ,  vous  naissez  par 
conséquent  rebelles  contre  lui  et  ses  ennemis  : 
Quod  natum  est  ex  carne,  caro  est.  Telle  est  la 
pensée  de  IVotre-Seigneur  ;  et  c'est  ainsi ,  si  je  ne 
me  trompe ,  que  l'explique  saint  Augustin  * ,  ce- 
lui qui  de  tous  les  Pères  a  le  mieux  entendu  les 
maladies  de  notre  nature. 

Que  dirons-nous  donc  maintenant  de  la  bien- 
heureuse Marie  ?  Il  est  vrai  qu'elle  a  conçu  étant 
vierge  ;  mais  elle  n'a  pas  été  conçue  d'une  vierge. 
Cet  honneur  n'appartient  qu'à  son  fils.  Pour 
elle ,  dont  la  conception  s'est  faite  par  les  voies 
ordinaires  ;  comment  é\1tera-t-elle  la  corruption 
qui  y  est  inséparablement  attachée?  Car  enfii> 
l'apôtre  saint  Paul  parle  en  termes  si  universels 
de  cette  commune  malédiction  de  toute  notre 
nature,  que  ses  paroles  semblent  ne  pouvoir 
souffrir  aucune  limitation.  «  Tous  ont  péché, 
«  dit-il  ;  et  tous  sont  morts  en  Adam ,  et  tous  ont 
«  péché  en  Adam  ^.  »  Et  il  y  a  beaucoup  d'au- 
tres paroles  semblables;  non  moins  fortes,  ni 
moins  générales.  Où  chercherons-nous  donc  un 
asile  à  la  bienheureuse  Marie,  où  nous  puissions 
la  mettre  à  couvert  d'une  condamnation  si  uni- 
verselle? Ce  sera  entre  les  bras  de  son  fils,  ce 
sera  dans  la  toute-puissance  divine ,  ce  sera  dans 
cette  source  infinie  de  miséricorde  qui  jamais  ne 
peut  être  épuisée.  Vous  avez,  ce  me  semble, 
bien  compris  la  difficulté.  Je  l'ai  proposée  dan* 
tout€  sa  force     du  moins  selon  mon  pouvoir» 

'  Joan.  111,6. 

'  Jn  Joan.  Tract.  \u    t  m,  part.  H ,  col.  asa  cl  seqq. 

5  Rom  V,  12. 


tio 


SUR  LA  CONCEPTION 


Écoutez  maintenant  la  réponse,  et  suivez  atten- 
tivement ma  pensée.  Je  dirai  les  choses  en  peu  de 
mots ,  parce  que  je  vois  que  je  parle  ici  à  des  per- 
sonnes intelligentes. 

Certes  il  faut  l'avouer,  chrétiens  ;  Marie  était 
perdue  tout  ainsi  que  les  autres  hommes,  si  le 
médecin  miséricordieux ,  qui  donne  la  guérison 
à  nos  maladies,  n'eût  jugé  à  propos  de  la  préve- 
nir de  ses  grâces.  Ce  péché ,  qui ,  ainsi  qu'un 
torrent,  se  déborde  sur  tous  les  hommes,  allait 
gâter  cette  sainte  vierge  de  ses  ondes  empoison- 
nées. Mais  il  n'y  a  point  de  cours  si  impétueux, 
qae  la  toute-puissance  divine  n'arrête  quand  il  lui 
plaît.  Considérez  le  soleil,  avec  quelle  impétuo- 
sité il  parcourt  cette  immense  carrière  qui  lui  a 
été  ouverte  par  la  Providence.  Cependant  vous 
n'ignorez  pas  que  Dieu  ne  l'ait  fixé  autrefois  au 
milieu  du  ciel,  à  la  seule  parole  d'un  homme.  Ceux 
qui  habitent  près  du  Jourdain ,  ce  fleuve  célèbre 
de  la  Palestine ,  savent  avec  quelle  rapidité  il  se 
décharge  dans  la  mer  Morte ,  du  moins  si  je  ne 
me  trompe  dans  la  description  de  ces  lieux.  Néan- 
moins toute  l'armée  d'Israël  l'a  vu  remonter  à  sa 
source ,  pour  faire  passage  à  l'arche  où  reposait  le 
Seigneur  tout-puissant.  Est-il  rien  de  plus  natu- 
rel que  cette  influence  de  chaleur  dévorante  qui 
sort  du  feu  dans  une  fournaise?  Et  l'impie  Nabu- 
chodonosor  n'a-t-il  pas  admiré  trois  bénis  enfants 
qui  se  jouaient  au  milieu  des  flammes,  que  ses 
satellites  impitoyables  avaient  vainement  irri- 
tées? Nonobstant  tous  ces  exemples  illustres ,  ne 
peut-on  pas  dii-e  véritablement  qu'il  n'y  a  point 
de  feu  qui  ne  brûle ,  et  que  le  soleil  roule  dans 
les  cieux  d'un  mouvement  éternel ,  et  qu'il  ne  se 
rencontre  aucun  fleuve  qui  retourne  jamais  à  sa 
source?  Nous  tenons  tous  les  jours  de  semblables 
prepos ,  sans  que  nous  en  soyons  empêchés  par 
ces  fameux  exemples ,  bien  qu'ils  ne  soient  igno- 
rés de  personne.  Et  d'où  vient  cela ,  chrétiens  ? 
C'est  que  nous  avons  accoutumé  de  parler  selon  le 
cours  ordinaire  des  choses  ;  et  Dieu  se  plaît  d'agir 
quelquefois  selon  les  lois  de  sa  toute-puissance, 
qui  est  au-dessus  de  tous  nos  discours. 

Ainsi  je  ne  m'étonne  pas  que  le  grand  apôtre 
saint  Paul  ait  prononcé  si  généralement ,  que  le 
péché  de  notre  premier  père  a  fait  mourir  tous 
ses  descendants.  En  effet ,  selon  la  suite  naturelle 
des  choses  que  l'apôtre  considérait  en  ce  lieu, 
être  né  de  la  race  d'Adam  à  la  façon  ordinaire , 
enfermait  infailliblement  le  péché.  11  n'est  pas 
plus  naturel  au  feu  de  brûler,  qu'à  cette  damna- 
ble  concupiscence  d'infecter  tout  ce  qu'elle  tou- 
che, d'y  porter  la  corruption  et  la  mort.  Il  n'est 
point  de  poison  plus  présent,  ni  de  peste  plus 
pénétrante.  Mais  je.  dis  que  ces  malédictions  si 
universelles ,  que  toutes  ces  propositions ,  si  gé- 


nérales qu'elles  puissent  être,  n*^empêchent  pas 
les  réserves  que  peut  faire  le  Souverain ,  ni  les 
coups  d'autorité  absolue.  Et  quand  est-ce,  ô 
grand  Dieu ,  que  vous  userez  plus  à  propos  de 
cette  puissance  qui  n'a  point  de  bornes ,  et  qui  est 
sa  loi  elle-même  ;  quand  est-ce  que  vous  en  userez, 
sinon  pour  faire  grâce  à  Marie  ? 

Je  sais  bien  que  quelques  docteurs  assurent 
que  c'est  imprudence  de  vouloir  apporter  quel- 
ques restrictions  à  des  paroles  si  générales.  Cela , 
disent-ils ,  tire  à  conséquence.  Mais ,  ô  mon  Sau- 
veur, quelle  conséquence!  Pesez ,  s'il  vous  plaît, 
ce  raisonnement.  Ces  conséquences  ne  sont  à 
craindre,  qu'où  il  y  peut  avoir  quelque  sorte 
d'égalité.  Par  exemple,  vous  méditez  d'accorder 
quelque  grâce  à  une  personne  d'une  condition 
médiocre  :  vous  avez  à  y  prendre  garde  ;  cela 
peut  tirer  à  conséquence  :  beaucoup  d'autres  par 
cet  exemple  prétendront  la  même  faveur.  Mais 
parcourez  tous  les  chœurs  des  anges ,  considérez 
attentivement  tous  les  ordres  des  bienheureux  ; 
voyez  si  vous  trouverez  quelque  créature  qui  ose , 
je  ne  dis  pas  s'égaler,  mais  même  en  aucune  ma- 
nière se  comparer  à  la  sainte  Vierge.  Non  :  ni  l'o- 
béissance des  patriarches ,  ni  la  fidélité  des  pro- 
phètes, ni  le  zèle  infatigable  des  saints  apôtres  , 
ni  la  constance  invincible  des  martyrs ,  ni  la  pé- 
nitence persévérante  des  saints  confesseurs,  ni 
la  pureté  inviolable  des  vierges ,  ni  cette  grande 
diversité  de  vertus  que  la  grâce  divine  a  répan- 
dues dans  les  différents  ordres  des  bienheureux , 
n'a  rien  qui  puisse  tant  soit  peu  approcher  de  la 
très-heureuse  Marie.  Cette  maternité  glorieuse , 
cette  alliance  éternelle  qu'elle  a  contractée  avec 
Dieu  ,  la  met  dans  un  rang  tout  singulier  qui  ne 
souffre  aucune  comparaison.  Et  dansune  si  grande 
inégalité,   quelle    conséquence   pouvons -nous 
craindre?  Montrez-moi  une  autre  mère  de  Dieu , 
une  autre  vierge  féconde  ;  faites-moi  voir  ailleurs 
cette  plénitude  de  grâces,  cet  assemblage  de 
vertus  divines ,  une  humilité  si  profonde  dans 
une  dignité  si  auguste ,  et  toutes  les  autres  mer- 
veilles que  j'admire  en  la  sainte  Vierge;  et  puis 
dites ,  si  vous  voulez ,  que  l'exception  que  j'ap- 
porte à  une  loi  générale ,  en  faveur  d'une  per- 
sonne si  extraordinaire ,  a  des  conséquences  fâ- 
cheuses. 

Et  combien  y  a-t-il  de  lois  générales  dont  Ma- 
rie a  été  dispensée  1  N'est-ce  pas  une  nécessité 
commune  à  toutes  les  femmes  d'enfanter  en  tris- 
tesse et  dans  le  péril  de  leur  vie?  Marie  en  a  été 
exemptée.  N'a-t-il  pas  été  prononcé  de  tous  les 
hommes  généralement,  qu'ils  «  offensent  tous 
«  en  beaucoup  de  choses?  »  In  multisoffendimus. 
omnes\  Y  a-t-il  aucun  juste  qui  puisse  éviter  ces 

'  Jac.  tll ,  i. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


1  M 


péchés  de  fragilité  que  nous  appelons  véniels? 
Et  bien  que  cette  proposition  soit  si  générale  et 
si  véritable ,  l'admirable  saint  Augustin  ne  craint 
point  d'en  excepter  la  très-innocente  Marie'. 
Certes  si  nous  reconnaissions  dans  sa  vie  qu'elle 
eût  été  assujettie  aux  ordres  communs ,  nous 
pourrions  croire  peut-être  qu'elle  aurait  été  con- 
çue en  iniquité ,  tout  ainsi  que  le  reste  des  hom- 
mes. Que  si  nous  y  remarquons  au  contraire  une 
dispense  presque  générale  de  toutes  les  lois  ;  si 
nous  y  voyons  selon  la  foi  orthodoxe,  ou  du 
moins  selon  le  sentiment  des  docteurs  les  plus 
approuvés  :  si,  dis-je,  nous  y  voyons  un  enfan- 
tement sans  douleur,  une  chair  sans  fragilité,  des 
sens  sans  rébellion ,  une  vie  sans  tache ,  une  mort 
sans  peine  ;  si  son  époux  n'est  que  son  gardien  ; 
son  mariage,  le  voile  sacré  qui  couvre  et  protège 
sa  virginité;  son  fils  bien-aimé,  une  fleur  que  son 
intégrité  a  poussée  :  si  lorsqu'elle  le  conçut ,  la 
nature  étonnée  et  confuse  crut  que  toutes  ses  lois 
allaient  être  à  jamais  abolies  ;  si  le  Saint-Esprit 
tint  sa  place,  et  les  délices  de  la  virginité,  celle 
qui  est  ordinairement  occupée  par  la  convoitise  : 
qui  pourra  croire  qu'il  n'y  ait  rien  eu  de  surnatu- 
rel dans  la  conception  de  cette  Princesse ,  et  que 
ce  soit  le  seul  endroit  de  sa  vie  qui  ne  soit  point 
marqué  de  quelque  insigne  miracle? 

Vous  me  direz  peut-être  que  cette  innocence  si 
pure ,  c'est  la  prérogative  du  Fils  de  Dieu  ;  que 
de  la  communiquer  à  sa  sainte  mère ,  c'est  ôter 
au  Sauveur  l'avantage  qui  est  dû  à  sa  qualité. 
C'est  le  dernier  effort  des  docteurs  dont  nous  ré- 
futons aujourd'hui  les  objections.  Mais  à  Dieu 
ne  plaise ,  ô  mon  Maître ,  qu'une  si  téméraire 
pensée  puisse  jamais  entrer  dans  mon  âme  !  pé- 
rissent tous  mes  raisonnements ,  que  tous  mes 
discours  soient  honteusement  effacés,  s'ils  di- 
minuent quelque  chose  de  votre  grandeur  !  Vous 
êtes  innocent  par  nature ,  Marie  ne  l'est  que  par 
grâce  ;  vous  l'êtes  parexcellence ,  elle  ne  l'est  que 
par  privilège  ;  vous  Têtes  comme  Rédempteur, 
elle  l'est  comme  la  première  de  celles  que  votre 
sang  précieux  a  purifiées.  0  vous  qui  désirez 
qu'en  cette  rencontre  la  préférence  demeure  à 
Notre-Seigneur  ;  vous  voilà  satisfaits ,  ce  me  sem- 
ble. Quoi!  si  nous  n'étions  tous  criminels  par 
notre  naissance  ;  ne  sauriez-vous  que  dire ,  pour 
donner  l'avantage  au  Sauveur?  Si  vous  croyez 
avoir  fait  beaucoup  de  l'avoir  mis  au-dessus  d'une 
infinité  de  coupables,  ne  trouvez  pas  mauvais 
si  je  tâche  du  moins  de  trouver  une  créature  in- 
nocente à  laquelle  je  le  préfère;  afin  de  faire  voir 
que  ce  n'est  pas  notre  crime  seul  qui  lui  donne  la 
préférence. 

Il  est,  certes,  tout  à  fait  nécessaire  qu'il  sur- 

'  De  \jlur.  tl  Crut  n"  42,  t.  X,  col.  144,  145. 


passe  sa  sainte  mère  d'une  distance  infinie.  Mais 
aussi  ne  jugez-vous  pas  raisonnable  que  sa  mère 
ait  quelque  avantage  par-dessus  le  commun  do 
ses  serviteurs?  Que  répondrez-vous à  une  de- 
mande qui  paraît  si  juste?  Je  ne  me  contente  pas 
de  ce  que  vous  me  dites ,  qu'elle  a  été  sanctifiée 
devant  sa  naissance.  Car  encore  que  je  vous  avoue 
que  c'est  une  belle  prérogative,  je  vous  prie  de 
vous  souvenir  que  c'est  le  privilège  de  saint  Jean- 
Baptiste  ,  et  peut-être  de  quelque  autre  prophète. 
Or  ce  que  je  vous  demande  aujourd'hui,  c'est 
que  vous  donniez,  si  vous  le  pouvez,  quelque 
chose  de  singulier  à  Marie,  sans  toucher  aux 
droits  de  Jésus.  Pour  moi  j'y  satisferai  aisément, 
établissant  trois  degrés  que  chacun  pourra  rete- 
nir. Je  dis  que  le  Sauveur  était  infmiment  au-des- 
sus de  cette  commune  corruption.  Pour  Marie, 
elle  y  était  soumise;  mais  elle  en  a  été  préservée  : 
entendez  ce  mot ,  s'il  vous  plaît.  Et  à  l'égard  des 
autres  saints ,  je  dis  qu'ils  l'avaient  effectivement 
contractée ,  mais  qu'ils  en  ont  été  délivrés.  Ainsi 
nous  conservons  la  prérogative  à  la  mère ,  sans 
faire  tort  à  l'excellence  du  fils  :  ainsi  nous  voyons 
une  juste  et  équitable  disposition ,  qui  semble 
bien  convenable  à  la  providence  divine  :  ainsi  le 
Sauveur  Jésus ,  qui ,  selon  la  doctrine  des  théo- 
logiens ,  était  venu  en  ce  monde  principalement 
pour  purger  les  hommes  de  ce  péché  d'origine , 
qui  était  le  grand  œuvre  du  diable ,  en  remporte 
une  glorieuse  victoire  ;  il  le  dompte ,  il  le  met  en 
fuite  partout  où  il  se  peut  retrancher. 

Comment  cela,  chrétiens?  L'induction  en  est 
claire.  Ce  vice  originel  règne  dans  les  enfants 
nouvellement  nés;  Jésus  l'y  surmonte  par  le  saint 
baptême.  Ce  n'est  pas  tout  :  le  diable ,  par  ce 
péché,  pénètre  jusqu'aux  ventres  de  nos  mères; 
et  là  tout  impuissants  que  nous  sommes ,  il  nous 
rend  ennemis  de  Dieu.  Jésus  choisit  quelques 
âmes  illustres  qu'il  purifie  dans  les  entrailles  ma- 
ternelles, et  là  il  défait  encore  le  péché.  Tels 
sont  ceux  que  nous  appelons  sanctifiés  devant  la 
naissance ,  comme  saint  Jean  ;  comme  Jérémie , 
selon  le  sentiment  de  quelques  docteurs  ;  comme 
saint  Joseph  peut-être,  selon  la  conjecture  de 
quelques  autres.  Mais  il  reste  un  endroit,  ô Sau- 
veur, où  le  diable  se  vante  d'être  invincible.  II 
dit  que  l'on  ne  l'en  peut  chasser.  C'est  le  moment 
de  la  conception ,  dans  lequel  il  brave  votre  pou- 
voir. Il  dit  que  si  vous  lui  ôtez  la  suite ,  du  moins 
il  s'attache ,  sans  rien  craindre ,  à  la  source  et  à 
la  racine.  «  Élevez-vous ,  Seigneur,  et  que  vos 
«  ennemis  disparaissent ,  et  que  ceux  qui  vous 
«  baissent  tombent  et  périssent  devant  votre  face  :  » 
Exurgat  Deus,  et  dissipentur  inimici  ejus ;  et 
fufjiant,  quioderunt  eum,  a  f acte  ejus  \  Cho:* 

'    Ps.  IXVII,  I, 


142 


SUR  LA  CONCEPTION 


•slssez  du  moins  une  créature  que  vous  sanctifiiez 
dès  son  origine,  dès  le  premier  instant  où  elle 
sera  animée  :  faites  "voir  à  notre  envieux  que  vous 
pouvez  prévenir  son  venin  par  la  force  de  votre 
grâce;  qu'il  n'y  a  point  de  lieu  où  il  puisse  porter 
ses  ténèbres  infernales ,  d'où  vous  ne  le  chassiez 
par  l'éclat  tout-puissant  de  votre  lumière.  La 
bienheureuse  Marie  se  présente  fort  à  propos.  Il 
«era  digne  de  votre  bonté  et  digne  de  la  grandeur 
d'une  mère  si  excellente,  que  vous  lui  fassiez 
Tessentir  les  effets  d'une  protection  spéciale. 

Chers  frères,  que  vous  en  semble?  que  pensez- 
Tous  de  cette  doctrine?  Vous  paraît-elle  pas  bien 
plausible?  Pour  moi,  quand  je  considère  le  sau- 
veur Jésus ,  notre  amour  et  notre  espérance ,  en- 
tre les  bras  de  la  sainte  Vierge ,  ou  suçant  son 
lait  virginal ,  ou  se  reposant  doucement  sur  son 
sein ,  ou  enclos  dans  ses  chastes  entrailles  5  mais 
je  m'arrête  à  cette  dernière  pensée,  elle  convient 
"beaucoup  mieux  à  ce  temps  :  dans  peu  de  jours 
nous  célébrerons  la  nativité  du  Sauveur  ;  et  nous 
leconsidérons  à  présent  dans  les  entrailles  de  sa 
sainte  mère.  Quand  donc  je  regarde  l'Incompré- 
'hensible  ainsirenfermé,  et  cette  immensité  comme 
raccourcie  ;  quand  je  vois  mon  Libérateur  dans 
cette  étroite  et  volontaire  prison ,  je  dis  quelque- 
fois à  part  moi  :  Se  pourrait-il  bien  faire  que  Dieu 
«lit  voulu  abandonner  au  diable,  quand  ce  n'au- 
rait été  qu'un  moment,  ce  temple  sacré  qu'il 
destinait  à  son  fils ,  ce  saint  tabernacle  où  il  pren- 
dra un  si  long  et  si  admirable  repos ,  ce  lit  virgi- 
nal où  il  célébrera  des  noces  toutes  spirituelles 
nvec  notre  nature?  C'est  ainsi  que  je  me  parle  à 
moi-même.  Puis  me  retournant  au  Sauveur  :  Béni 
enfant,  luidis-je,ne  le  souffrez  pas  ;  ne  permettez 
pas  que  votre  mère  soit  violée.  Ah  !  que  si  Satan 
l'osait  aborder  pendant  que  demeurant  en  elle 
vous  y  faites  un  paradis ,  que  de  foudres  vous 
feriez  tomber  sur  sa  tête  !  avec  quelle  jalousie  vous 
défendriez  l'honneur  et  l'innocence  de  votre  mère  1 
Mais ,  ô  béni  enfant  par  qui  les  siècles  ont  été 
faits,  vous  êtes  devant  tous  les  temps.  Quand  vo- 
tre mère  fut  conçue ,  vous  la  regardiez  du  plus 
haut  des  cieux  ;  mais  vous-même  vous  formiez 
ses  membres.  C'est  vous  qui  inspirâtes  ce  souffle 
de  vie  qui  anima  cette  chair  dont  la  vôtre  devait 
être  tirée.  Ah  !  prenez  garde ,  ô  Sagesse  éternelle, 
que  dans  ce  même  moment  elle  va  être  infectée 
d'un  horrible  péché ,  elle  va  être  en  la  possession 
de  Satan  :  Détournez  ce  malheur  par  votre  bonté  ! 
commencez  à  honorer  votre  mère;  faites  qu'il 
lui  profite  d'avoir  un  fils  qui  est  devant  elle.  Car 
enfin ,  à  bien  prendre  les  choses,  elle  est  déjà  votre 
mère ,  et  déjà  vous  êtes  son  fils. 

Fidèles,  cette  parole  est-elle  bien  véritable? 
«st-ce  point  un  excès  de  zèle  qui  nous  fait  avan- 


cer une  proposition  si  hardie?  Non  certes  :  elle 
est  déjà  mère ,  le  Fils  de  Dieu  est  déjà  son  fils.  Il 
l'est ,  non  point  en  effet  :  non  selon  la  révolution 
des  choses  humaines;  mais  selon  l'ordre  de  Dieu , 
selon  sa  prédestination  éternelle.  Suivez,  s'il  voua 
plaît ,  ma  pensée. 

Quand  Dieu,  dans  son  secret  conseil,  a  résolu 
quelque  événement;  longtemps  devant  qu'il  pa- 
raisse ,  l'Écriture  a  accoutumé  d'en  parler  comme 
d'une  chose  déjà  accomplie.  Par  exemple  :  »  Un 
«  petit  Enfant  nous  est  né ,  disait  autrefois  Isaïe  • 
«  parlant  de  Notre-Seigneur,  et  un  Fils  nous  a 
«  été  donné.  »  Que  veut-il  dire ,  mes  frères  ?  Jésus- 
Christ  n'était  pas  né  de  son  temps.  Mais  ce  saint 
homme  considérait  qu'il  n'en  était  pas  de  Dieu 
ainsi  que  des  hommes  ,  qui  font  tant  de  projets 
inutiles;  au  contraire,  que  sa  volonté  a  un  effet 
infaillible  et  inévitable.  Ainsi  ayant  pénétré,  par 
les  lumières  d'en  haut,  dans  ce  grand  dessein 
que  le  Père  éternel  méditait,  d'envoyer  son  Fils 
au  monde ,  il  s'en  réjouit  en  esprit ,  et  estime  la 
chose  déjà  comme  faite ,  à  cause  qu'il  la  voit  ré- 
solue par  un  décret  immuable.  Et  certes  cette 
façon  de  parler  est  bien  digne  des  saints  prophè- 
tes ,  et  ressent  tout  à  fait  la  majesté  de  celui  qui 
les  inspire.  Car,  comme  remarque  très-bien  le 
grave  Tertullien ,  «  il  est  bienséant  à  la  nature 
«  divine ,  qui  ne  connaît  en  soi-même  aucune 
«  différence  de  temps ,  de  tenir  pour  fait  tout  ce 
«  qu'elle  ordonne  ;  à  cause  que  chez  elle  l'éternité 
«  fait  régner  une  consistance  toujours  uniforme  :  » 
Divinitati  competit,  quœcunique  decreverit,  ut 
petfecta  repuiare;  quia  non  sit  apud  illanidij- 
ferentia  temporis,  apudquam  uniformem  sùz- 
t'um  temporum  dirigit  œternitas  ipsa  '.  Par  con- 
séquent il  est  vrai,  et  je  ne  me  suis  pas  trompé 
quand  je  l'ai  assuré  de  la  sorte,  que  la  très-sainte 
Vierge ,  dès  le  premier  instant  de  sa  vie ,  était 
déjà  mère  du  Sauveur,  non  pas  selon  le  langage 
des  hommes ,  mais  selon  la  parole  de  Dieu ,  c'est- 
à-dire  ,  comme  vous  l'avez  vu ,  selon  la  façon  de 
parler  ordinaire  des  Écritures  divines. 

Et  je  fortifie  ce  raisonnement  par  une  autre 
doctrine  excellente  des  Pères ,  merveilleusement 
expliquée  par  le  même  Tertullien.  Ce  grand 
homme  raconte  que  le  Fils  de  Dieu  ayant  résolu 
de  prendre  une  chair  semblable  à  la  nôtre,  quand 
l'heure  en  serait  arrivée ,  il  s'est  toujours  plu  dès 
le  commencement  à  converser  avec  les  hommes; 
que,  dans  ce  dessein,  souvent  il  est  descendu  du 
ciel  ;  que  c'était  lui  qui  dès  l'Ancien  Testament 
parlait  en  forme  humaine  aux  patriarches  et  aux 
prophètes.  Tertullien  considère  ces  apparitions 
différentes  comme  des  préludes  de  l'incarnation , 

'  Js.  l\  ,  6. 

'  Lilt.  III ,  adv.  Marcion.  n"  5. 


DE  TA  SAINTE  VIERGE. 


143 


COTTimc  des  préparatifs  de  ce  grand  ouvrage  qui 
se  commençait  dès  lors.  «  De  cette  sorte ,  dit-il , 
•  le  fils  de  Dieu  s'accoutumait  aux  sentiments 
«  humains;  il  apprenait,  pour  ainsi  dire,  à  être 
«  homme  :  il  se  plaisait  d'exercer  dès  l'origine  du 
•«  monde  ce  qu'il  devait  être  dans  la  plénitude 
«  des  temps,  »  ediscens  jam  inde  a primordio , 
fam  inde  hominem,  qtmderatfuturus  in  fine  '. 
Ou  plutôt,  pour  parler  plus  dignement  d'un  si 
haut  mystère,  il  ne  s'accoutumait  pas;  mais 
nous-mêmes  il  nous  accoutumait  à  ne  nous  point 
effaroucher  quand  nous  entendrions  parler  d'un 
Dieu-Homme  :  il  ne  s'apprenait  pas,  mais  il  nous 
apprenait  à  nous-mêmes  à  traiter  plus  familiè- 
rement avec  lui ,  déposant  doucement  cette  ma- 
jesté terrible  pour  s'accommoder  à  notre  faiblesse 
et  à  notre  enfance. 

Tel  était  le  dessein  du  Sauveur.  Et  de  cette 
belle  doctrine  de  TertuUien  je  tire  ce  raisonne- 
ment ,  que  je  vous  supplie  de  comprendre  ;  peut- 
être  en  serez-vous  édifiés.  Marie  était  mère  de 
Dieu  dès  le  premier  instant  auquel  elle  fut  ani- 
mée. Ne  vous  souvient-il  pas  que  nous  vous  le 
disions  tout  à  l'heure?  Elle  l'était  selon  les  des- 
seins de  Dieu ,  selon  les  règles  de  sa  providence , 
selon  les  lois  de  cette  éternité  immuable ,  à  la- 
quelle rien  n'est  nouveau ,  qui  enferme  dans  son 
unité  toutes  les  différences  des  temps.  Sans  doute 
vous  n'avez  pas  oublié  ce  beau  passage  de 
TertuUien ,  qui  explique  si  bien  cette  vérité.  Or 
c'est  selon  ces  règles  que  le  Fils  de  Dieu  doit  agir, 
et  non  selon  les  règles  humaines;  selon  les  lois 
de  l'éternité ,  non  selon  les  lois  des  temps.  Quand 
il  s'agit  du  Fils  de  Dieu ,  ne  me  parlez  point  des 
règles  humaines;  parlez-moi  des  règles  de  Dieu. 
Marie  étant  donc  sa  mère  selon  l'ordre  des  cho- 
ses divines  le  Fils  de  Dieu,  dès  sa  conception, 
la  considérait  comme  telle.  Elle  l'était  en  effet  à 
son  égard  Ne  laissez  passer,  s'il  vous  plaît, 
aucune  de  ces  vérités  :  elles  sont  toutes  fort  im- 
portantes pour  ce  que  j'ai  à  vous  dire. 

Poursuivons  maintenant  et  disons  :  Nous  ve- 
nons d'apprendre  de  TertuUien  que  le  Verbe  di- 
vin ,  longtemps  devant  qu'il  se  fût  revêtu  d'une 
chair  humaine ,  se  plaisait ,  pour  ainsi  dire ,  à  se 
revêtir  par  avance  de  la  forme  et  des  sentiments 
humains;  tant  il  était  passionné,  si  j'ose  parler 
de  la  sorte,  pour  notre  misérable  nature.  Quel 
sentiment  plus  humain  que  l'affection  envers  les 
parents  ?  Par  conséquent  le  Fils  de  Dieu  long- 
temps avant  que  d'être  homme,  aimait  Marie 
comme  sa  mère  ;  il  se  plaisait  dans  cette  affec- 
tion :  il  ne  cessait  de  veiller  sur  elle;  il  détour- 
nait de  dessus  son  temple  les  malédictions  des 

'  LIb.  II ,  adv.  Marcion.  n"  27. 


profanes  :  il  l'embellissait  de  ses  dons,  il  la  com- 
blait de  ses  grâces,  depuis  le  premier  instant  où 
elle  commença  le  cours  de  sa  vie ,  jusqu'au  der- 
nier soupir  par  lequel  elle  fut  terminée.  C'est  la 
conséquence  que  je  prétendais  tirer  de  ces  savants 
principes  de  TertuUien.  Elle  me  semble  fort  vé- 
ritable; elle  établit,  à  mon  avis,  puissamment 
l'immaculée  conception  de  Marie.  Et  en  vérité 
cette  opinion  a  je  ne  sais  quelle  force  qui  persuade 
les  âmes  pieuses.  Après  les  articles  de  foi ,  je  ne 
vois  guère  de  chose  plus  assurée. 

C'est  pourquoi  je  ne  m'étonne  pas  que  cette 
célèbre  école  des  théologiens  de  Paris  oblige  tous 
ses  enfants  à  défendre  cette  doctrine.  Savante 
compagnie ,  cette  piété  pour  la  Vierge  est  peut- 
être  l'un  des  plus  beaux  héritages  que  vous  ayez 
reçus  de  vos  pères.  Puissiez-vous  être  à  jamais 
florissante  !  puisse  cette  tendre  dévotion  que  vous 
avez  pour  la  mère,  à  la  considération  de  son  fils, 
porter  bien  loin  aux  siècles  futurs  cette  haute 
réputation  que  vos  illustres  travaux  vous  ont 
acquise  par  toute  la  terre  !  Pour  moi  je  suis  ravi , 
chrétiens ,  de  suivre  aujourd'hui  ses  intentions. 
Après  avoir  été  nourri  de  son  lait,  je  me  soumets 
volontiers  à  ses  ordonnances  ;  d'autant  plus  que 
c'est  aussi ,  ce  me  semble ,  la  volonté  de  l'Église. 
Elle  a  un  sentiment  fort  honorable  de  la  concep- 
tion de  Marie  :  elle  ne  nous  oblige  pas  de  la 
croire  immaculée  ;  mais  elle  nous  fait  entendre 
que  cette  créance  lui  est  agréable.  Il  y  a  des 
choses  qu'elle  commande ,  où  nous  faisons  con- 
naître notre  obéissance  :  il  y  en  a  d'autres  qu'elle 
insinue ,  où  nous  pouvons  témoigner  notre  affec- 
tion. Il  est  de  notre  piété  ,  si  nous  sommes  vrais 
enfants  de  l'Église ,  non-seulement  d'obéir  aux 
commandements ,  mais  de  fléchir  aux  moindres 
signes  de  la  volonté  d'une  mère  si  bonne  et  si 
sainte.  Je  vous  vois  tous ,  ce  me  semble ,  dans  ce 
sentiment.  INf  ais  ce  n'est  rien  d'être  jaloux  de  dé- 
fendre la  pureté  de  Marie ,  si  nous  ne  sommes 
soigneux  de  conserver  la  pureté  en  nous-mêmes. 
C'est  à  quoi  peut-être  vous  serez  portes  par  la 
briève  réflexion  qui  va  fermer  ce  discours  ;  du 
moins  je  l'espère  ainsi  de  l'assistance  divine. 

SECOND  POINT. 

Vous  avez  ouï ,  mes  frères ,  les  divers  raison- 
nements par  lesquels  j'ai  tâché  de  prouver  que 
la  conception  de  Marie  est  sans  tache.  Il  y  a  si 
longtemps  que  les  plus  graiids  théologiens  de 
l'Europe  travaillent  sur  ce  sujet!  Vous  savez 
combien  la  personne  de  la  sainte  Vierge  est  il- 
lustre ,  combien  digne  d'honneurs  extraordinai- 
res, combien  elle  doit  être  privilégiée.  Et  toutefois 
l'Église  n'a  pas  encore  osé  décider  qu'elle  soit 
exempte  du  péché  originel.  Plusieurs  grands  per- 


144 


SUR  LA  CONCEPTION 


sonnages  ne  l'ont  pas  cru.  L'Eglise  non-seulement 
ies  souffre  dans  ce  sentiment,  mais  encore  elle 
défend  de  les  condamner.  Jugez,  jugez  par  là, 
6  fidèles  !  combien  nécessaire ,  combien  grande 
et  inévitable  est  la  corruption  de  notre  nature , 
puisque  l'Église  hésite  si  fort  à  en  exempter  celle 
de  toutes  les  créatures  qui  est  sans  doute  la  plus 
éminente.  0  misère,  ô  calamité  dans  laquelle 
nous  sommes  plongés  !  ô  abîme  de  maux  infinis  I 
Hélas  1  petits  enfants  que  nous  étions ,  sans  con- 
naissance et  sans  mouvement ,  nous  étions  déjà 
révoltés  contre  Dieu.  Nous  n'avions  pas  encore 
vu  cette  l)elle  lumière  du  jour  ;  condamnés  par  la 
nature  à  une  sombre  prison ,  nous  étions  encore 
condamnée  par  arrêt  de  la  justice  divine  à  une 
prison  plus  noire,  à  de  plus  épaisses  ténèbres, 
des  ténèbres  horribles  et  infernales.  Justement , 
certes,  justement  :  car  vos  jugements  sont  très- 
justes  ,  ô  Dieu  éternel ,  Roi  des  siècles ,  souve- 
rain arbitre  de  l'univers  !  Eh ,  qui  nous  a  tirés  de 
cette  misère  ?  qui  a  réconcilié  ces  rebelles  ?  qui 
a  appelé  ces  enfants  de  colère  à  l'adoption  des 
enfants  de  Dieu?  Le  prophète  Jonas,  du  ventre 
de  ce  monstre  qui  l'avait  englouti ,  éleva  au  ciel 
la  voix  de  son  cœur.  Avons-nous  crié  à  vous ,  ô 
Seigneur,  des  cachots  de  cette  prison,  ou  du 
creux  de  ce  sépulcre  où  €tait  ensevelie  notre  en- 
fance ?  Mais  nous  n'y  avions  ni  parole  ni  senti- 
ment :  seulement  la  voix  de  notre  péché  y  criait 
vengeance  ;  et  celle  de  notre  extrême  misère  criait 
miséricorde.  Vous  avez  eu  pitié  de  nous;  vous 
avez  daigné  nous  conduire  à  ce  bain  d'immorta- 
lité où ,  dépouillant  les  ordures  de  notre  première 
nativité,  nous  avons  reçu  une  nouvelle  naissance, 
non  plus  d«  la  volonté  de  l'homme,  ni  de  la  vo- 
lonté de  la  chair,  mais  d'un  esprit  pur  et  d'une 
eau  sanctifiée  par  des  paroles  de  vie.  Je  sais  que 
cette  fontaine  d'eau  vive  est  ouverte  à  tous  les 
hommes ,  auxquels  il  vous  a  plu  de  préparer  un 
remède  dans  les  ondes  du  saint  baptême.  Mais 
combien  en  voyons-nous  tous  les  jours  à  qui  une 
mort  trop  précipitée  ravit  pour  jamais  cet  bon- 
heur !  Et  nous  y  sommes  parvenus  !  Qu'avions- 
nous  fait  à  Dieu  ?  D'où  vient  cette  différence  ?  ce 
n'est  pas  de  notre  mérite  :  nous  étions  tous  dans 
la  même  masse  d'iniquité.  Est-ce  par  le  mérite 
de  nos  parents  ?  Mais  combien  de  parents  ver- 
tueux, je  le  dis  avec  douleur  ;  combien  de  parents 
vertueux  n'ont  pas  obtenu  cette  grâce  !  Dirai-je  : 
Peut-être  que  l'ordre  des  causes  naturelles  m'a 
été  plus  favorable  qu'aux  autres?  0  ignorance, 
ô  stupidité  1  Et  comment  ne  regarderiez-vous  pas 
la  main  puissante  qui  remue  ces  causes  comme 
il  lui  plaît?  ne  savez-vous  pas  qu'elles  sont  diri- 
gées par  une  souveraine  raison?  Serait-ce  pas  un 
étrange  aveuglement,  si  nous  aimions  mieux  de- 


voir notre  salut  à  une  rencontre  fortuite  des 
causes  créées,  qu'au  dessein  prémédité  de  la  mi- 
séricorde divine  ?  Que  dirai-je  donc  ?  où  me  tour- 
nerai-je  ? 

Je  frémis,  chrétiens,  je  l'avoue,  je  frémis 
dans  cette  discussion.  Je  ne  sais  que  dire ,  je  n'ai 
point  de  raison  à  vous  alléguer.  Seulement  suis- 
je  très-assuré  que  quelle  que  puisse  être  la  cause 
d'une  si  étonnante  diversité ,  il  est  impossible 
qu'elle  ne  soit  juste.  Mais  à  quoi  bon  chercher 
des  causes  que  la  providence  divine  nous  a  ca- 
chées ?  n'est-ce  pas  assez  que  nous  connaissions 
que  si  nous  sommes  parvenus  à  la  grâce  du  saint 
baptême ,  nous  ne  le  devons  qu'à  la  pure  bonté 
de  Dieu?  Cherche  qui  voudra  des  raisons,  mé- 
dite qui  voudra  dans  la  recherche  des  causes  de 
ces  secrets  jugements  ;  pour  moi ,  je  ne  recon- 
nais point  d'autre  cause  de  mon  bonheur  que  la 
pure  bonté  de  mon  Dieu.  Je  chanterai  à  jamais 
ses  miséricordes  ;  tant  que  je  vivrai ,  je  bénirai 
le  nom  du  Seigneur.  C'est  tout  ce  que  je  sais  ; 
c'est  tout  ce  que  je  désire  connaître.  Ceux  qui 
en  veulent  savoir  davantage ,  qu'ils  s'adressent 
à  des  personnes  plus  doctes  ;  mais  qu'ils  prennent 
bien  garde  que  ce  ne  soient  des  présomptueux  : 
Cui  responsio  ista  displicet,  quœrat  doctiores; 
sed  caveat  ne  inveniat prœsumptores  '. 

Mais  peut-être  que  le  péché  originel  étant 
guéri  par  le  saint  baptême ,  il  ne  nous  en  de- 
meure aucun  reste  ;  et  ainsi  nous  pouvons  passer 
le  reste  de  notre  vie  dans  une  entière  assurance. 
Ne  le  croyez  pas,  chrétiens,  ne  le  croyez  pas. 
La  grâce  du  saint  baptême  nous  a  retirés  de  la 
mort  éternelle ,  mais  nous  sommes  encore  abat- 
tus de  mortelles  et  pernicieuses  langueurs.  Ainsi 
a-t-il  plu  à  mon  Dieu  de  guérir  toutes  mes  bles- 
sures les  unes  après  les  autres ,  afin  de  me  faire 
mieux  sentir  la  misère  dont  il  me  délivre ,  et  la 
grâce  par  laquelle  il  me  sauve.  Mes  frères  biea- 
aimés,  écoutez  le  narré  de  ma  maladie;  vous 
trouverez  sans  doute  que  vous  avez  à  peu  près 
les  mêmes  infirmités.  C'est  la  maladie  de  la  na- 
ture ;  nous  en  ressentons  tous  les  effets,  qui  plus, 
qui  moins,  selon  que  nous  suivons  plus  ou  moins 
les  mouvements  de  l'Esprit  de  Dieu.  Misérable 
homme  que  je  suis  I  où  trouverai-je  des  paroles 
assez  énergiques  pour  décrire  l'extrémité  de  mes 
maux?  blessé  dans  toutes  les  facultés  de  mon 
âme ,  épuisé  de  forces  par  de  si  profonde»  bles- 
sures,  je  ne  fais  que  de  vains  efforts.  Ai-je  jamais 
pris  une  généreuse  résolution ,  que  l'effet  n'ait 
bientôt  démentie?  ai-je  jamais  eu  une  bonne 
pensée,  qui  n'ait  été  contrariée  par  quelque  mau- 
vais désir?  ai-je  jamais  commencé  une  action 

'  s.  AuQ.  de  Spin:  et  lilt  n*  60,  t.  I,  Col   121. 


DE  L\  SAINTE  VIERGE. 


\  (. 


I 


vertueuse ,  où  le  péché  ne  se  soit  comme  jeté 
à  la  traverse?  Il  s'y  mêle  presque  toujours  cer- 
taines complaisances  qui  viennent  de  l'amour- 
propre,  et  tant  d'autres  péchés  inconnus  qui  se 
cachent  dans  les  replis  de  ma  conscience  qui  est 
un  abîme  sans  fond ,  impénétrable  à  moi-même. 
Il  est  vrai,  je  sens,  à  mou  avis ,  quelque  chose 
en  moi-même  qui  voudrait  s'élever  à  Dieu  :  mais 
je  sens  aussitôt  comme  un  poids  de  cupidités  op- 
posées qui  m'entraînent  et  me  captivent  ;  et  si  je 
ne  suis  secouru ,  cette  partie  impuissante ,  qui 
semblait  vouloir  se  porter  au  bien ,  ne  peut  rien 
faire  pour  ma  délivrance  :  elle  écrit  seulement 
ma  condamnation.  Quand  j'entends  quelquefois 
discourir  des  mystères  du  royaume  de  Dieu  ,  je 
sens  mon  âme  comme  échauffée  ;  il  me  semble 
que  je  ferai  merveilles,  je  ne  me  propose  que  de 
grands  desseins.  Faut-il  faire  le  premier  pas  de 
l'exécution  ;  le  moindre  souffle  du  diable  éteint 
cette  flamme  errante  et  volage  qui  ne  prend  pas 
à  sa  matière,  mais  qui  court  légèrement  par- 
dessus. Quoi  plus?  Je  suis  malade  à  l'extré- 
mité, et  ne  sens  point  de  mal.  Réduit  aux  abois, 
je  veux  faire  comme  si  j'étais  en  bonne  santé. 
Je  ne  sais  pas  même  éplorer  ma  misère,  ni 
implorer  le  secours  du  Libérateur ,  faible  et  al- 
lier tout  ensemble ,  impuissant  et  présomptueux. 
'-  Malheureux  homme  que  je  suis!  qui  me  dé- 
"  livrera  de  ce  corps  de  mort?  «  lafelix  ego 
homo!  quis  me  liberabit  de  corpore  morlis 
hujus  '  ?  Où  pourrai-je  trouver  du  secours  ?  où 
chercherai-je  le  médecin?  J'ai  voulu  autrefois 
entreprendre  ma  guérison  de  moi-même  :  j'ai 
fait  quelques  efforts  pour  me  relever;  efforts 
inutiles ,  qui  m'ont  rompu  et  ne  m'ont  pas  sou- 
la^'é  :  comme  un  pauvre  malade  moribond ,  qui 
ne  sait  plus  que  faire,  s'imagine  qu'en  se  levant 
il  sera  peut-être  allégé  ;  il  consume  son  peu  de 
forces  par  un  vain  travail  que  sa  faiblesse  ne 
peut  plus  souffrir  :  après  s'être  beaucoup  tour- 
menté à  traîner  ses  membres  appesantis  avec 
une  extrême  contention,  il  retombe,  ainsi  qu'une 
pierre ,  sans  pouls  et  sans  mouvement ,  plus  fai- 
ble et  plus  impuissant  que  jamais  :  de  vulnere 
in  vulnus ,  dit  saint  Augustin.  Ainsi  en  est-il  de 
ma  volonté,  si  elle  n'est  soutenue  par  une  main 
plus  puissante.  Infelix  ego  homo!  vrai  Dieu, 
où  pourrai-je  trouver  du  secours? 

La  philosophie  me  montre  de  loin ,  dans  de 
belles  boîtes  qu'elle  étale  avec  pompe  parmi  tous 
les  ornements  de  la  rhétorique,  le  baume  falsifié 
de  ses  belles  mais  trompeuses  maximes.  La  loi 
retentit  à  mes  oreilles  d'un  ton  puissant  et  im- 
périeux; les  prédicateurs  de  l'Évangile  m'annon- 

'  Rovi.  vu,  24. 

BOSStXT  —  T.   III. 


cent  les  paroles  de  vie  éternelle  :  que  me  profite 
tout  cet  appareil  ?  Les  philosophes ,  charlatans 
semblables  à  ces  dangereux  empiriques ,  char- 
ment et  endorment  le  mal  pour  un  temps,  et, 
pendant  cette  fausse  tranquillité ,  inspirent  un 
s-^cret  venin  dans  la  plaie.  Ils  me  font  la  vertu  si 
belle  et  si  aisée ,  ils  la  dorent  de  telle  sorte  par 
leurs  artificieuses  inventions,  que  je  m'imagine 
souvent  que  je  puis  être  vertueux  de  moi-même, 
au  lieu  de  me  montrer  ma  servitude  et  mon  im- 
puissance. Ah  !  superbe  philosophie,  n'est-ce  pas 
assez  que  je  sois  faible ,  sans  me  rendre  encore 
de  plus  en  plus  orgueilleux?  Pour  la  loi ,  quoique 
très-juste  et  très-sainte ,  c'est  en  vain  qu'elle  me 
montre  le  mal ,  puisque  je  n'y  trouve  pas  l'unique 
préservatif  que  je  cherche.  Elle  ne  fait  que  m'é- 
tourdir,  si  je  n'ai  l'esprit  de  la  grâce. 

Et  ne  vois-je  pas  par  expérience  que  je  m'o- 
piniàtre  contre  les  commandements"?  lorsqu'on 
me  défend ,  ou  me  pousse.  Il  ne  faut  que  me  dé- 
fendre une  chose ,  pour  m'en  faire  naître  l'envie  ; 
me  commander,  c'est  me  retenir.  Mon  âme  est 
remuante,  inquiète,  indocile,  et  incapable  de  dis- 
ciplioe.  Plus  on  la  presse  par  des  préceptes ,  plus 
elle  se  roidit  au  contraire.  Enfin  tout  ce  que  je 
lis ,  tout  ce  que  j'écoute ,  les  prédications ,  les  en- 
seignements ,  les  corrections  les  plus  charitables , 
ce  sont  des  remèdes  externes  qui  ne  coupent  pas 
la  racine  du  mal.  J'ai  besoin  que  l'on  touche  au 
cœur,  où  est  la  source  de  la  maladie.  Et  où  pour- 
rai-je trouver  un  médecin  assez  industrieux  pour 
manier  dextrement  une  partie  et  si  malade  et  si 
délicate? 

Sauveur  Jésus ,  vous  êtes  le  libérateur  que  je 
cherche.  Vrai  médecin  charitable ,  qui,  sans  être 
appelé  de  personne,  avez  voulu  descendre  du 
ciel  en  la  terre,  et  avez  entrepris  un  si  grand 
voyage  pour  venir  visiter  vos  malades ,  je  me 
mets  entre  vos  mains.  Faites-moi  prendre  au- 
jourd'hui une  bonne  résolution  d'avoir  toute  ma 
confiance  en  vous  seul ,  d'implorer  votre  secours 
avec  zèle,  de  souffrir  patiemment  vos  remèdes. 
Si  vous  ne  me  guérissez ,  ô  Sauveur,  ma  santé 
est  désespérée  :  Sana  me,  Domine,  etsanabor'. 
Tous  les  autres ,  à  qui  je  m'adresse ,  ne  font  que 
couvrir  le  mal  pour  un  temps;  vous  seul  en  cou- 
pez la  racine,  vous  seul  me  donnez  une  guéri- 
son  éternelle.  Vous  êtes  mon  salut  et  ma  vie , 
vous  êtes  ma  consolation  et  ma  gloire  ;  vous  êtes 
mon  espérance  en  ce  monde,  et  vous  serez  ma 
couronne  en  l'autre. 


•  Jer.  XVIH,  14. 


146 


SUR  LA  CONCEPTIO?ï 


DEUXIEME  SERMON 


POUR  L\  FÊTE 

DE  LA  CONCEPTION  DE  LA  S^^  VIERGE. 

Marie  prévenue ,  séparée  par  amour,  par  grâce  et  miséri- 
corde. Ce  qui  la  disUngue  du  reste  des  hommes  :  son  alliance 
particulière  avec  Jésus-Christ  :  droits  qu'elle  lui  donne  sur 
ses  bienfaits.  Excès  de  l'amour  qui  nous  a  prévenus  et  qui 
nous  prévient  sans  cesse  :  comment  nous  devons  y  répondre. 


f  ecit  mihi  magna  qui  polens  est. 

le  Tout- Puissant  a  fait  en  moi  de  grandes  choses.  Luc, 
1,49. 

Ce  que  l'Eglise  célèbre  aujourd'hui,  ce  que 
les  parédicateurs  enseignent  aux  peuples ,  ce  que 
j'espère  aussi  de  vous  faire  entendre  avec  le  se- 
cours de  la  grâce ,  touchant  la  pureté  de  la  sainte 
Vierge  dans  sa  conception  bienheureuse,  exerce 
depuis  longtemps  les  plus  grands  esprits;  et  je 
ne  craindrai  pas  de  vous  avouer ,  que  de  tous 
les  sujets  divers  qui  se  traitent  dans  les  assem- 
blées des  fidèles ,  celui-ci  me  paraît  le  plus  diffi- 
cile. Et  ce  qui  m'oblige  de  parler  ainsi ,  ce  n'est 
pas  que  je  prétende  imiter  l'artifice  des  orateurs , 
qui  se  plaisent  d'exagérer,  en  termes  pompeux , 
la  stérilité  des  matières  sur  lesquelles  leur  élo- 
quence travaille ,  afin  d'étaler  avec  plus  d  éclat 
les  richesses  de  leurs  inventions ,  et  les  adresses 
de  leur  rhétorique.  Chrétiens ,  ce  n'est  pas  là  ma 
pensée.  Je  sais  combien  il  serait  indigne  de  com- 
mencer un  discours  sacré  par  un  sentiment  si 
profane.  Mais  ayant  dessein  de  vous  faire  voir 
combien  pure ,  combien  innocente,  combien  glo- 
rieuse est  la  conception  de  Marie  ;  je  considère 
premièrement  les  difficultés  qui  s'opposent  à  cette 
créance ,  afin  que ,  les  doutes  étant  éclaircis ,  la 
vérité  que  nous  recherchons  demeure  solidement 
établie. 

Quand  je  considère ,  messieurs ,  cette  sentence 
terrible  du  divin  apôtre,  prononcée  générale- 
ment contre  tous  les  hommes  :  Omnes  mortui 
sunt'...  Omnes  peccaverunt...Ex  uno  in  con- 
demnaiionem  ^  :  ->  Tous  sont  morts ,  tous  sont 
«  criminels,  tous  sont  condamnés  en  Adam  :  » 
je  ne  sais  quelle  exception  on  peut  apporter  à 
des  paroles  si  peu  limitées.  Mais  ce  qui  me  fait 
connaître  plus  évidemment  combien  cette  malé- 
diction est  universelle,  ce  sont  trois  expressions 
différentes ,  par  lesquelles  le  malheur  de  notre 
naissance  nous  est  représenté  dans  les  saintes 
Lettres.  Elles  nous  disent  premièrement  qu'il  y  a 
une  loi  suprême,  qu'elles  nomment  la  loi  de 
mort  ;  qu'il  y  a  un  arrêt  de  condamnation  donné 

«  II.  Cor.  V,  14. 
>  Rom.  Y,  12,  16. 


indifféremment  contre  tous ,  et  que  pour  y  être 
soumis  il  suffit  de  naître.  Qui  s'en  pourra  exemp- 
ter? Secondement  elles  nous  apprennent  qu'il  y 
a  un  venin  caché  et  imperceptible ,  qui ,  prenant 
sa  source  en  Adam,  se  communique  ensuite  à 
toute  sa  race ,  par  une  contagion  [également  fu- 
neste et  inévitable,  qui  est  appelée  par  saint 
Augustin ,  contagium  mortis  antiquœ  :  «  la  con- 
«  tagion  de  la  mort.  »  Et  c'est  ce  qui  fait  dire  à  ce 
même  saint ,  que  toute  la  masse  dugenre  humain 
est  entièrement  infectée.  Qui  pourra  trouver  un 
préservatif  contre  un  poison  si  subtil  et  si  péné- 
trant? Mais  disons,  en  troisième  Heu,  que  tous 
ceux  qui  respirent  cet  air  malin  contractent 
nécessairement  en  eux-mêmes  une  tache  qui  les 
déshonore ,  qui  efface  en  eux  l'image  de  Dieu ,  et 
qui  les  rend,  comme  dit  saint  Paul  ' ,  «  naturelle- 
«  ment  enfants  de  colère.  «  Naturellement  ;  écoutez. 
Comment  peut-on  prévenir  un  mal  qui ,  selon  le 
sentiment  de  Tapôtre,  nous  est  depuis  si  long- 
temps passé  en  nature  ? 

Voilà  quelles  sont  les  difficultés  qui  s'oppo- 
sent au  dessein  que  j'ai  médité  de  vous  faire  voir 
aujourd'hui  que  la  conception  de  la  sainte  Vierge 
est  toute  pure  et  tout  innocente.  Je  sais  qu'il  est 
malaisé  de  les  surmonter,  et  qu'elles  ont  ébranlé, 
ému  plusieurs  grands  esprits ,  dont  l'Église  ne 
condamne  pas  les  opinions.  Mais  enfin ,  quelque 
doute  que  l'on  me  propose ,  je  ne  puis  abandon- 
ner au  péché  la  conception  de  cette  Princesse , 
qui  doit  être  en  toute  façon  si  privilégiée.  Voyons 
si  nous  les  pouvons  éclaircir. 

Il  est  vrai  qu'il  y  a  une  loi  de  mort  qui  con- 
damne tous  ceux  qui  naissent  ;  mais  on  dispense 
des  lois  les  plus  générales  en  faveur  des  person- 
nes extraordinaires.  Il  y  a  une  vapeur  maligne 
et  contagieuse  qui  a  infecté  tout  le  genre  humain  ; 
mais  on  trouve  quelquefois  moyen  de  s'exempter 
de  la  contagion ,  en  se  séparant.  Il  y  a  une  tache 
héréditaire  qui  nous  rend  naturellement  ennemis 
de  Dieu,  mais  la  grâce  peut  prévenir  la  nature. 
Suivez,  s'il  vous  plaît,  ma  pensée.  Contre  la  loi, 
il  faut  dispenser;  contre  la  contagion,  il  faut 
séparer;  contre  un  mal  naturel ,  il  faut  prévenir. 
De  sorte  que  je  me  propose  de  vous  faire  voir 
Marie  dispensée ,  Marie  séparée  ,  Marie  préve- 
nue ;  dispensée  de  la  loi  commune ,  séparée  de  la 
contagion  universelle,  prévenue  par  la  grâce 
contre  la  colère  qui  nous  poursuit  dès  notre 
origine.  Pour  la  dispenser  de  la  loi ,  j'ai  recours 
à  l'autorité  souveraine  qui  s'est  tant  de  fois 
déclarée  pour  elle.  Pour  la  séparer  de  la  masse  , 
j'appelle  au  secours  la  Sagesse  qui  l'a  si  visible- 
ment sénarée  des  autres  ;  par  les  grands  et  impé- 

'  Ephes.  n,3 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


14: 


tiétrables  desseins  qu'elle  a  sur  elle  devant  tous 
les  temps.  Et  pour  prévenir  la  colère,  j'emploie 
l'amour  éternel  de  Dieu  ;  qui  l'a  faite  un  ouvrage 
de  miséricorde,  avant  qu'elle  puisse  être  un  objet 
de  haine. 

Et  ce  sont ,  messieurs ,  les  trois  choses  qu'elle 
nous  propose ,  si  nous  l'entendons,  dans  son  ad- 
mirable cantique.  Fecit  mihi  magna  qui  potens 
est:  «  Le  Tout-Puissant  a  fait  en  moi  de  très- 
«  grandes  choses.  «  Elle  commence  par  la  puis- 
sance, pour  honorer  l'autorité  absolue  par  la- 
quelle elle  est  dispensée  :  qui  potens  est.  Mais 
ce  Tout-Puissant ,  qu'a-t-il  fait?  Ah  !  dit-elle ,  de 
grandes  choses  :  magna.  Voyez  qu'elle  se  recon- 
naît séparée  des  autres  par  les  grands  et  profonds 
desseins  auxquels  la  Sagesse  l'a  prédestinée.  Et 
qui  peut  exécuter  toutes  ces  merveilles,  sinon 
l'amour  éternel  de  Dieu  :  cet  amour  toujours  ac- 
tif et  toujours  fécond ,  sans  l'entremise  duquel  la 
puissance  n'agirait  pas  ;  et  cette  sagesse  infinie , 
renfermant  en  elle-même  toutes  ses  pensées,  ne 
produirait  jamais  rien  au  joui?  C'est  lui  par  con- 
séquent qui  fait  tout  :  Fecit  mihi  magna  '  :  lui 
seul  ouvre  le  sein  de  Dieu  sur  ses  créatures;  il 
est  la  cause  de  tous  les  êtres ,  le  principe  de  toutes 
les  libéralités.  C'est  donc,  fidèles,  cet  amour 
fécond  qui  a  fait  la  conception  de  Marie  :  Fecit; 
c'est  lui  qui  a  prévenu  le  mal ,  en  la  sanctifiant 
des  son  origine.  Et  ces  choses  étant  ainsi  suppo- 
sées, j'aurai  entièrement  expliqué  mon  texte ,  et 
achevé  le  panégyrique  de  la  sainte  Vierge  dans  sa 
conception  bienheureuse ,  si  je  puis  vous  faire  voir 
en  trois  points  :  que  l'autorité  souveraine  l'a  dis- 
pensée de  la  loi  commune,  que  la  Sagesse  l'a  sé- 
parée de  la  contagion  générale,  et  que  l'amour 
éternel  de  Dieu  a  prévenu  par  miséricorde  la 
colère  qui  se  serait  élevée  contre  elle.  C'est  ce 
que  j'ai  dessein  de  vous  faire  entendre  avec  le 
secours  de  la  grâce  :  et  après ,  passant  à  l'instruc- 
tion, je  vous  montrerai  dans  tous  les  fidèles  une 
image  de  ces  trois  grâces,  pour  exciter  en  nous 
la  reconnaissance. 

PBEMIER    POINT. 

On  pourrait  douter,  chrétiens,  si  la  souverai- 
neté paraît  davantage ,  ou  dans  l'autorité  de  faire 
des  lois  auxquelles  des  peuples  entiers  obéissent, 
ou  dans  la  puissance  qu'elle  se  réserve  d'en  dis- 
penser sagement  suivant  la  nécessité  des  affaires. 
Et  il  semble  premièrementque la  dispense,  ens'é- 
loignant  du  cours  ordinaire,  ait  quelque  chose  de 
plus  relevé ,  ettémoigne  plus  d'indépendance.  Car 
comme  il  n'est  point  dans  le  monde  de  majesté 
pareille  à  celle  des  lois ,  et  que  le  pouvoir  de  les 

'  Luc.  I,  49 


établir  est  le  droit  le  plus  auguste  et  le  plus  sacre 
d'une  monarchie  absolue;  ne  peut-on  pas  dire 
avec  raison  que  celui  qui  dispense  des  lois,  fai- 
sant céder  leur  autorité  à  la  sienne  propre ,  s'élève 
par  ce  moyen  en  quelque  façon  au-dessus  de  la 
souveraineté  même?  C'est  pourquoi  Dieu  fait  des 
miracles ,  qui  sont  comme  des  dispenses  des  lois 
ordinaires ,  pour  montrer  plus  sensiblement  sa 
toute-puissance.  Et  par  là  il  semble  évident  que 
la  marque  la  plus  certaine  de  l'autorité,  c'est  de 
pou  oir  dispenser  des  lois.  D'autre  part  les  rai- 
sons ne  sont  pas  moins  fortes  pour  prou^  er  qu'elle 
consiste  principalement  dans  le  droit  de  les  éta- 
blir. Pour  cela  il  faut  remarquer  que  la  loi  s'étend 
sur  tous  les  sujets ,  et  que  la  dispense  est  restreinte 
à  peu  de  personnes.  Si  la  dispense  s'étendait  a 
tous,  elle  perdrait  le  nom  de  dispense,  et  ferait 
un  changement  de  la  loi.  Maintenant  je  vous 
demande,  messieurs,  si  la  puissance  la  moins 
limitée  n'est  pas  aussi  la  plus  absolue  ;  s'il  ne  pa- 
raît pas  plus  d'autorité  à  faire  des  lois  sous  les- 
quelles un  million  d'hommes  fléchisse ,  qu'à  en 
dispenser  cinq  ou  six  par  des  raisons  particulières. 
Et  ensuite  ne  doit-on  pas  dire  que  la  puissance  se 
fait  mieux  connaître  par  un  établissement  arrêté, 
tel  qu'est  sans  doute  celui  de  la  loi ,  que  par  uno 
action  extraordinaire ,  comme  est  celle  de  la  dis- 
pense? 

Pour  accorder  tout  ce  différend  ,  disons  que 
le  caractère  de  l'autorité  reluit  également  dans 
l'un  et  dans  l'autre.  Car,  comme  dit  très-bien 
saint  Thomas,  on  peut  considérer  dans  la  loi 
deux  choses,  le  commandement  général ,  et  l'ap 
plication  particulière.  Par  exemple,  dans  cette 
ordonnance  d'Assuérus  tous  les  Juifs  sont  con- 
damnés à  la  mort  :  voilà  le  commandement  gé- 
néral. L'application  particulière;  Esther  y  sera- 
t-elle  comprise?  Ce  commandement  général  fa  if 
l'autorité  de  la  loi ,  et  c'est  sur  l'application  par- 
ticulière que  peut  intervenir  la  dispense.  Comnie 
donc  il  appartient  au  même  pouvoir,  qui  établit 
les  règlements  généraux,  de  diriger  l'applicatiotr 
qui  s'en  fait  sur  tous  les  sujets  particuliers  ;  i' 
s'ensuit  que  faire  les  lois ,  donner  les  dispense» 
sont  des  appartenances  également  nobles  de 
l'autorité  souveraine ,  et  qu'elles  ne  peuvent  êtr<î 
séparées. 

Ces  maximes  étant  établies,  venons  mainte- 
nant à  notre  sujet.  Vous  m'opposez  une  loi  de 
mort  prononcée  contre  tous  les  hommes.  Vous 
me  dites  que  d'y  apporter  quelque  exception , 
quand  ce  serait  en  faveur  de  la  sainte  Vierge , 
c'est  violer  l'autorité  de  la  loi.  Et  moi  je  vous 
réponds  au  contraire,  selon  les  principes  que 
j'ai  posés ,  que  la  puissance  du  Législateur  ayant 
deux  parties,  ce  n'est  pas  moins  violer  son  au- 


{18 


SUR  LA  CONCEPTION 


tnrilé  de  dire  qu'il  ne  puisse  pas  dispenser  dans 
l'application  particulière,  que  de  dire  qu'il  ne 
peut  pas  ordonner  par  un  commandement  géné- 
ral. Parlons  encore  plus  clairement.  Saint  Paul 
assure  en  termes  formels,  que  «  tous  les  hommes 
«  sont  condamnés'.»  Je  ne  m'en  étonne  pas, 
chrétiens.  Il  regarde  l'autorité  de  la  loi,  qui 
d'elle-même  s'étend  sur  tous;  mais  il  n'exclut 
pas  les  réserves  que  peut  faire  le  Souverain  ,  ni 
les  coups  d'une  puissance  absolue.  En  vertu  de 
l'autorité  de  la  loi,  j'avoue  que  Marie  était  con- 
damnée ,  ainsi  que  le  reste  des  hommes;  et  c'est 
par  les  grâces ,  c'est  par  les  réserves ,  c'est  par  la 
puissance  du  Souverain ,  que  je  dis  qu'elle  a  été 
dispensée. 

Mais ,  direz-vous ,  abandonner  aux  dispenses 
la  sacrée  majesté  des  lois,  c'est  énerver  toute 
leur  vigueur.  Il  est  vrai ,  si  cette  dispense  n'est 
accompagnée  de  trois  choses,  que  je  vous  prie 
de  remarquer  ;  qu'elle  se  donne  pour  une  per- 
sonne éminente ,  que  l'on  soit  fondé  en  exemple , 
que  la  gloire  du  Souverain  y  soit  engagée.  Nous 
devons  le  premier  à  la  loi ,  le  second  au  public , 
le  troisième  au  prince.  Nous  devons ,  dis-je ,  ce 
respect  à  la  loi ,  de  ne  reconnaître  aucune  dis- 
pense qu'en  faveur  des  personnes  extraordinai- 
res; nous  devons  cette  satisfaction  au  public,  de 
ne  le  faire  point  sans  exemple  ;  nous  devons  au 
Souverain  auteur  de  la  loi,  et  surtout  à  un  sou- 
verain tel  que  Dieu ,  des  égards  très-particuliers. 
Mais  quand  ces  trois  choses  concourent  ensemble, 
on  peut  raisonnablement  attendre  une  grâce. 
Considérons-les  en  la  sainte  Vierge. 

Dites -moi,  qu'appréhendez  -  vous ,  vous  qui 
craignez  de  faire  une  exception  en  faveur  de  la 
bienheureuse  Marie? Ce  que  l'on  craint  ordinai- 
rement, c'est  la  conséquence.  Examinons  si  elle 
esta  craindre,  en  cette  rencontre  :  voyons  quelle 
peut  être  cette  conséquence.  Je  crois  que  vous 
prévenez  déjà  ma  pensée ,  et  que  vous  jugez  bien 
qu'on  ne  la  doit  craindre  qu'où  il  y  peut  avoir 
de  l'égalité.  Mais  y  a-t-il  une  autre  mère  de 
Dieu,  y  a-t-il  une  autre  vierge  féconde,  sur  la- 
quelle on  puisse  étendre  les  prérogatives  de 
l'incomparable  Marie?  Qui  ne  sait  que  cette  ma- 
ternité glorieuse,  que  cette  alliance  éternelle 
qu'elle  a  contractée  avec  Dieu ,  la  met  en  un  rang 
tout  singulier  qui  ne  souffre  aucune  comparai- 
son? Et  dans  une  telle  inégalité,  quelle  consé- 
quence pouvons-nous  craindre?  Voulez-vous 
que  nous  passions  aux  exemples?  Toutefois  ne 
croyez  pas,  chrétiens,  que  j'espère  trouver  dans 
les  autres  saints  des  exemples  de  la  grandeur 
de  Marie.  Car,  puisqu'elle  est  tout  extraordinaire , 
ce  serait  se  tromper  de  chercher  ailleurs  des 

'  Rom.  y,  18. 


privilèges  semblables  aux  siens.  Mais  d'où  tire- 
rons-nous donc  les  exemples  en  faveur  de  la  dis. 
pense  que  nous  proposons?  Il  les  faut  nécessai- 
rement prendre  d'elle-même ,  et  voici  quelle  est 
ma  pensée. 

Je  remarque,  dans  les  histoires,  que  lorsque 
les  grâces  des  souverains  ont  commencé  de  pren- 
dre un  certain  cours,  elles  y  coulent  avec  pro- 
fusion; les  bienfaits  s'attirent  les  uns  les  autres, 
et  se  servent  d'exemple  réciproquement.  Dieu 
môme  nous  dit  dans  son  Évangile  :  Habenti 
clabitur%  qu'il  aime  à  donner  à  ceux  qui  possè- 
dent; c'est-à-dire  que,  selon  Tordre  de  ses  libé- 
ralités, une  grâce  ne  va  jamais  seule,  et  qu'elle 
est  le  gage  de  beaucoup  d'autres.  Appliquons 
ceci  à  la  sainte  Vierge.  Si  nous  reconnaissions , 
chrétiens,  qu'elle  eût  été  assujettie  aux  ordres 
communs ,  nous  pourrions  croire  peut-être  qu'elle 
aurait  été  conçue  en  iniquité,  ainsi  que  les  au- 
tres hommes.  Mais  si  nous  y  remarquons  au 
contraire  une  dispense  presque  générale  de  tou- 
tes les  lois  ;  si  nous  y  voyons  selon  la  foi  catholi- 
que ,  ou  selon  le  sentiment  des  docteurs  les  plus 
approuvés;  si,  dis-je,  nous  y  voyons  un  enfan- 
tement sans  douleur,  une  chair  sans  fragilité , 
des  sens  sans  rébellion,  une  vie  sans  tache,  une 
mort  sans  peine  ;  si  son  époux  n'est  que  son  gar- 
dien; son  mariage,  un  voiles  sacré  qui  couvre  et 
protège  sa  virginité  ;  son  fils  bien-aimé ,  une  fleur 
que  son  intégrité  a  poussée:  si,  lorsqu'elle  le^ 
conçut,  la  nature  étonnée  et  confuse  crut  que; 
toutes  ses  lois  allaient  être  à  jamais  abolies  ;  si 
le  Saint-Esprit  tint  sa  place ,  et  les  délices  de  la . 
virginité,  celle  qui  est  ordinairement  occupée  par 
la  convoitise;  en  un  mot,  si  tout  est  singulier  en. 
Marie  :  qui  pourra  croire  qu'il  n'y  ait  rien  eu  de 
surnaturel  en  la  conception  de  cette  Princesse, 
et  que  ce  soit  le  seul  endroit  de  sa  vie  qui  ne  soit 
marqué  par  aucun  miracle?  Et  n'ai-je  pas  beau- 
coup de  raison,  après  l'exemple  de  tant  de  lois 
dont  elle  a  été  dispensée ,  de  juger  de  celle-ci  par 
les  autres?  Ainsi  l'excellence  de  la  personne  et 
l'autorité  des  exemples  favorisent  la  dispense  que 
nous  proposons. 

Mais  je  l'appuie ,  en  troisième  lieu ,  sur  ce  que 
la  gloire  du  Souverain,  c'est-à-dire,  de  Jésus- 
Christ  même,  y  est  visiblement  engagée.  Jepour- 
rais  rapporter  ici  un  beau  mot  d'un  grand  roi  ^ , 
chez  Cassiodore ,  qui  dit  qu'il  y  a  certaines  ren- 
contres où  les  princes  gagnent  ce  qu'ils  don- 
nent ,  lorsque  leurs  libéralités  leur  font  honneur  : 
Lvcrantur  principes  dona  sua;  et  hoc  vere 
Ihesauris  remnimiis  quodfamœ  commodis  ap- 


■  Mnith.  XXT,29. 
-  Alhalavic. 


DE  LA  SALNTE  VIFIUGE. 


I4î> 


:icamu$'^  Si  Jésus  honore  sa  mère,  il  se  fait 
iionneurà  lui-même;  et  il  gagne  véritablement 
tout  ce  quil  lui  donne  :  parce  qu'il  lui  est  plus 
glorieux  de  donner,  qu'à  Marie  de  recevoir.  Mais 
venons  à  des  considérations  plus  particulières. 
Je  dis  donc,  ô  divin  Sauveur, que  vous  étant  re- 
vêtu d'une  chair  humaine  pour  anéantir  cette 
loi  funeste ,  que  nous  avons  appelée  la  loi  du 
péché ,  il  y  va  de  votre  grandeur  de  l'abolir  dans 
tous  les  lieux  où  elle  domine.  Suivons ,  s'il  vous 
plaît ,  ses  desseins  et  tout  l'ordre  de  ses  victoires. 
Cette  loi  règne  dans  tous  les  hommes  :  elle 
règne  dans  l'âge  avancé  ;  Jésus  la  détruit  par  sa 
grâce  :  il  n'est  pas  jusqu'aux  enfants  nouvelle- 
ment nés  qui  ne  gémissent  sous  sa  tyrannie  ;  il 
l'efface  par  son  baptême  :  elle  pénètre  jusqu'aux 
entrailles  des  mères ,  et  elle  fait  mourir  tout  ce 
qu'elle  y  trouve  ;  le  Sauveur  choisit  des  âmes 
illustres  qu'il  affranchit  de  la  loi  de  mort,  en  les 
sanctifiant  devant  leur  naissance  :  comme,  par 
exemple ,  saint  Jean-Baptiste.  Mais  elle  remonte 
jusqu'à  l'origine ,  elle  condamne  les  hommes  dès 
qu'ils  sont  conçus.  0  Jésus,  vainqueur  tout-puis- 
sant, n'y  aura-t-il  donc  que  ce  seul  endroit  où 
votre  victoire  ne  s'étend  pas?  votre  sang ,  ce  divin 
remède  qui  a  tant  de  force  pour  nous  délivrer 
du  mal ,  n'en  aura-t-il  point  pour  le  prévenir? 
Pourra-il  seulement  guérir,  et  ne  pourra-t-il  pas 
préserver?  Et  s'il  peut  préserver  du  mal ,  cette 
vertu  demeurera-t-elle  éternellement  inutile, 
sans  qu'il  y  ait  aucun  de  vos  membres  qui  en 
ressente  l'effet?  Mon  Sauveur,  ne  le  souffrez  pas; 
et  pour  l'intérêt  de  votre  gloire ,  choisissez  du 
moins  une  créature  où  paraisse  tout  ce  que  peut 
votre  sang  contre  cette  loi  qui  nous  tue.  Et  quelle 
sera  cette  créature ,  si  ce  n'est  la  bienheureuse 
Marie? 

Mon  Sauveur,  permettez-moi  de  le  dire ,  on 
doutera  de  la  vertu  de  votre  sang.  Il  est  juste 
certainement  que  ce  sang  précieux  du  iils  de  la 
Vierge  exerce  sur  elle  toute  sa  vertu,  pour  ho- 
norer le  lieu  d'où  il  est  sorti.  Car  remarquez,  s'il 
vous  plaît,  messieurs,  ce  que  dit  très-élo((uem- 
ment  un  ancien  évêque  de  France  ;  c'est  le  grand 
Eucher  de  Lyon.  Marie  a  cela  de  commun  avec 
tous  hes  hommes ,  qu'elle  est  rnchetée  du  sang  de 
son  fils;  mais  elle  a  cela  de  particulier,  que  ce 
sang  a  été  tiré  de  son  chaste  corps  :  Profunden- 
dum  sangumempro  mu7idi  vita  de  corpore  tuo 
accepit,  ac  de  te  sumpsit  quod  etiam  pro  te  sol- 
vat.  Elle  a  cela  de  commun  avec  tous  les  fidèles, 
que  Jésus  lui  donne  son  sang;  mais  elle  a  cela  de 
particulier,  qu'il  l'a  premièrement  reçu  d'elle. 
Elle  a  cela  de  commun  avec  nous,  que  ce  sang 

'  Cassiud.  J'ariar.  lib.  VIU,  EpisLxxiU,  U  I ,  p.  1^3. 


tombe  sur  elle  pour  la  sanctifier;  mais  elle  a  cela 
de  particulier, qu'elle  en  est  la  source.  Tellement 
que  nous  pouvons  dire  que  la  conception  de  Ma- 
rie est  comme  la  première  origine  du  sang  de 
Jésus.  C'est  de  là  que  ce  beau  fleuve  commence  à 
se  répandre,  ce  fleuve  de  grâces  qui  coule  dans 
nos  veines  par  les  sacrements,  et  qui  porte  l'es- 
prit de  vie  dans  tout  le  corps  de  l'Église.  Et  de 
même  que  les  fontaines ,  se  souvenant  toujours 
de  leurs  sources,  portent  leurs  eaux  eu  rejaillis- 
sant jusqu'à  leur  hauteur,  qu'elles  vont  chercher 
au  milieu  de  l'air;  ainsi  ne  craignons  pas  d'assu- 
rer que  le  sang  de  notre  Sauveur  fera  remonter 
sa  vertu  jusqu'à  la  conception  de  sa  mère,  pour 
honorer  le  lieu  dont  il  est  sorti. 

Ne  cherchez  donc  plus ,  chrétiens ,  ne  cher-, 
chez  plus  le  nom  de  Marie  dans  l'arrêt  de  mort 
qui  a  été  prononcé  contre  tous  les  hommes.  Il 
n'y  est  plus,  il  est  effacé,  et  comment?  Par  ce 
divin  sang  qui ,  ayant  été  puisé  en  son  chaste 
sein,  tient  à  gloire  d'employer  pour  elle  tout  ce 
qu'il  renferme  de  force  en  lui-même ,  contre  cette 
funeste  loi  qui  nous  tue  dès  notre  origine.  D'où 
il  est  aisé  de  conclure  qu'il  n'est  rien  de  plus  fa- 
vorable que  la  dispense  dont  nous  parlons,  puis- 
que nous  y  voyons  concourir  ensemble  l'excel  - 
lence  de  la  personne ,  l'autorité  des  exemples ,  et 
la  gloire  du  Souverain ,  c'est-à-dire ,  de  Jésus- 
Christ  même. 

Un  célèbre  auteur  ecclésiastique  dit  que  la 
majesté  de  Dieu  est  si  grande ,  qu'il  y  a  non-seu- 
lement de  la  gloire  à  lui  consacrer  ses  services; 
mais  qu'il  y  a  même  de  la  bienséance  à  descen- 
dre pour  lamour  de  lui ,  jusqu'à  la  soumission  de 
la  flatterie  :  Non  tantum  obsequi  ei  debeo,  sed 
etadulari  '.  Il  veut  dire  que  nous  devons  tenir 
tous  nos  mouvements  tellement  dans  !a  dépen- 
dance des  ordres  de  Dieu ,  que  non-seulement 
nous  cédions  aux  commandements  qu'il  nous 
fait  ;  mais  encore  qu'étudiant  avec  soin  jusqu'aux 
moindres  signes  de  sa  volonté ,  nous  la  préve- 
nions ,  s'il  se  peut ,  par  la  promptitude  de  notre 
ponctuelle  obéissance. 

Ce  que  Tertullien  dit  de  Dieu ,  qui  est  le  Père 
commua  de  tous  les  fidèles ,  j'ose  le  dire  aussi  de 
l'Eglise  qui  en  est  la  mère.  Elle  n'emploie  ni  ses 
foudres ,  ni  ses  anathèaies  pour  obliger  ses  en- 
fants à  confesser  que  la  conception  de  la  sainte 
Vierge  est  toute  pure  et  tout  innocente.  Elle  ne 
met  pas  cette  créance  entre  les  articles  qui  com, 
posent  la  foi  chrétienne.  Toutefois  elle  nous  invite 
à  la  suivre  par  la  solennité  de  cette  journée.  Que 
ferons-nous  ici ,  chrétiens?  iVo/i  tantum  obsequi  y 
sed  et  adulari.  IS'est-il  pas  juste ,  non-seulement 

'  TertuU.  de  Jejun.  n"  13. 


tôO 


SU  II  LA  CONCEPTION 


que  nous  obéissions  aux  commandements  d'une 
mère  si  bonne  et  si  sainte ,  mais  encore  que  nous 
fléchissionsau  moindre  témoignage  desa  volonté? 
Disons  donc  avec  confiance  que  cette  conception 
est  sans  tache  ;  honorons  Jésus-Christ  en  sa  sainte 
ïnère  ;  et  croyons  que  le  Fils  de  Dieu  a  fait  quel- 
que chose  de  particulier  en  la  conception  de  Ma- 
rie ,  puisque  cette  vierge  est  choisie  pour  coopé- 
rer par  une  action  particulière  à  la  conception  de 
Jésus. 

Mais  en  considérant  les  bienfaits  dont  le  Fils 
de  Dieu  honore  sa  mère ,  rappelons  en  notre  mé- 
moire ceux  que  nous  avons  reçus  de  la  grâce  ; 
imprimons  en  notre  pensée ,  chrétiens ,  combien 
dure  et  inévitable  est  la  sentence  qui  nous  con- 
damne ,  puisque ,  pour  en  exempter  la  très-sainte 
Vierge,  il  ne  faut  pas  y  emploj^er  moins  que 
l'autorité  souveraine.  Et  ce  qui  est  bien  plus 
étonnant,  c'est  qu'avec  toutes  les  prérogatives 
qui  sont  dues  à  sa  qualité ,  l'Église  n'a  pas  encore 
voulu  décider  qu'elle  en  ait  été  exemptée.  Dé- 
plorable condition  de  notre  naissance,  qui,  par 
un  long  enchaînement  de  misères  sous  lesquelles 
nous  gémissons  pendant  cette  vie ,  nous  traîne  à 
un  supplice  éternel  par  un  juste  et  impénétrable 
jugement  de  Dieu  !  Mais,  grâce  à  la  miséricorde 
divine,  cet  arrêt  de  mort  a  été  cassé  à  la  requête 
de  Jésus  mourant  ;  son  sang  a  rompu  nos  liens , 
et  a  ôté  ce  joug  de  fer  de  dessus  nos  têtes.  Nous 
ne  sommes  plus  sous  la  loi  de  mort.  Chrétien , 
ne  sois  pas  ingrat  envers  ton  libérateur  ;  res- 
pecte l'autorité  souveraine  qui  t'a  exempté  d'une 
loi  si  rigoureuse.  Souviens-toi  que  nous  avons 
dit  que  cette  autorité  souveraine  a  deux  fonctions 
principales  :  elle  commande  et  elle  dispense;  elle 
ordonne  et  elle  exempte,  ainsi  qu'il  lui  plaît. 
Après  l'avoir  trouvée  favorable  dans  l'exemption 
qu'elle  t'a  donnée,  révère-la  aussi  dans  les  lois 
qu'elle  te  prescrit.  Tu  es  redevable  aux  comman- 
dements ,  tu  ne  l'es  pas  moins  aux  dispenses.  Tu 
dois  aux  commandements  une  obéissance  fidèle  ; 
tu  dois  à  la  dispense ,  qui  t'a  délivré  d'une  loi  si 
rigoureuse,  de  continuelles  actions  de  grâces. 
C'est  ce  que  pratique  excellemment  la  très-sainte 
Vierge  :  Fecit  mihi  magna  qui  potens  est  :  «■  Le 
«  Tout-Puissant  a  fait  en  moi  de  grandes  choses.  » 
Voyez  comme  elle  se  sent  obligée  à  la  puissance 
qui  Ta  exemptée  de  la  loi  funeste  qui  rend  toutes 
les  conceptions  criminelles.  Mais  elle  n'a  pas 
moins  d'obligation  à  la  Sagesse  qui  l'a  séparée  de 
la  contagion  générale.  C'est  la  seconde  partie. 

SECOND   POINT. 

La  théologie  nous  enseigne  que  c'est  à  la  sa- 
gesse divine  de  produire  la  diversité;  et  comme 
c'est  à  elle  qu'il  appartient  d'établir  l'ordre  dans 


les  choses,  elle  y  doit  mettre  anssi  la  distinctiou 
sans  laquelle  l'ordre  ne  peut  subsister.  En  effet 
nous  voyons ,  fidèles ,  qu'elle  s'y  est ,  pour  ainsi 
dire ,  exercée  dès  l'origine  de  l'univers,  lorsque, 
se  répandant  sur  cette  matière  qui  n'était  encore 
qu'à  demi  formée ,  elle  sépara  la  lumière  d'avec 
les  ténèbres,  les  eaux  d'ici-bas  d'avec  les  céles- 
tes, et  démêla  la  confusion  qui  enveloppait  tous 
les  éléments.  Mais  ce  qu'elle  a  fait  une  fois  dans 
la  création ,  elle  le  fait  tous  les  jours  dans  la  ré- 
paration de  notre  nature.  Elle  a  autrefois  séparé 
les  parties  du  monde  qui  n'était  qu'une  masse 
informe  et  confuse  :  elle  fait  maintenant  la  sépa- 
ration dans  le  genre  humain  qui  n'est  qu'une 
masse  criminelle.  C'est  ce  qui  a  fait  dire  à  l'apô- 
tre' :  «  Quand  il  a  plu  à  celui  qui  m'a  séparé;  « 
c'est-à-dire,  qui  m'a  délivré,  c'est-à-dire,  qui  m'a 
sauvé.  Si  bien  que  la  grâce  nous  sauve  par  une 
bienheureuse  séparation  qui  nous  tire  de  cette 
masse  gâtée  ;  et  c'est  l'ouvrage  de  la  Sagesse,  par- 
ce que  c'est  elle  qui  nous  choisit  dès  l'éternité, 
et  qui  nous  prépare  les  moyens  certains  par  les- 
quels nous  sommes  justifiés. 

La  sainte  Vierge  est  donc  séparée,  et  elle  a 
cela  de  commun  avec  tout  le  peuple  fidèle;  mais 
pour  voir  ce  qu'elle  a  d'extraordinaire,  il  faut 
considérer  l'alliance  particulière  qu'elle  a  contrac- 
tée avec  Jésus-Christ.  Chrétiens ,  apprenez-en  le, 
mystère  du  docte  et  éloquent  saint  Eucher  dans 
la  seconde  Homélie  qu'il  a  composée  sur  la  nati- 
vité de  Notre-Seigneur.  C'est  là  que  se  réjouissant 
avec  Marie  de  ce  qu'elle  a  conçu  le  Sauveur  dans 
ses  bénites  entrailles,  il  lui  adresse  ces  belles  pa- 
roles :  '<  Que  vous  êtes  heureuse ,  mère  incompa- 
«  rable,  puisque  vous  recevez  la  première  ce  qui  a 
«  été  promis  à  tous  les  hommes,  et  que  vous  pos- 
«  sédez  toute  seule  lajoiecommune  de  l'univers!  » 
Per  iot  sœcula  promissum  prima  suscipere 
mereris  adventutn,  et  commune  mundi  gau- 
dium  peculiari  munere  sola  possides.  Que  veut 
dire  ce  saint  évêque?  Si  Jésus-Christ  est  un  bien 
commun,  sises  mystères  sont  à  tout  le  monde,  do 
quelle  sorte  la  très-sainte  Vierge  pourra-t-ellele 
posséder  toute  seule?  Sa  mort  est  le  sacrifice  pu- 
blic ,  son  sang  est  le  prix  de  tous  les  péchés,  sa' 
prédication  instruit  tous  les  peuples  ;  et  ce  qui  fait 
voir  clairement  qu'il  est  le  bien  commun  de  toute 
la  terre ,  c'est  que  ce  divin  enfant  n'est  pas  plu- 
tôt né,  que  les  Juifs  sont  appelés  à  lui  par  les 
anges,  et  les  Gentils,  par  les  astres.  Tout  le  monde 
a  droit  sur  le  Fils  de  Dieu  ,  parce  que  sa  bonté 
nous  le  donne  à  tous.  Cependant,  ô  dignité  de  Ma- 
rie! dans  cette  libéralité  générale , elle  aun  droit 
particulier  de  le  posséder  toute  seule,  parce 

'  Galat.  I,  li. 


DE  LA  SAl.NTE  VIERGE. 


ii^ 


qu'elle  peut  le  posséder  comme  fils.  Nulle  autre 
créature  n'a  part  à  ce  titre.  11  n'y  a  que  Dieu  et 
Marie  qui  puissent  avoir  le  Sauveur  pour  fils;  et 
par  cette  sainte  alliance  Jésus-Christ  se  donne 
tellement  à  elle,  qu'on  peut  dire  que  le  trésor 
commun  de  tous  les  hommes  devient  sou  bien 
particulier:  sola pos.sides. 

Qui  n'admirerait,  chrétiens,  de  la  voir  si  glo- 
rieusement séparée  des  autres?  Mais  que  fait  cela, 
direz-vous,  pour  sanctifier  sa  conception?  C'est 
ici  qu'il  faut  faire  voir  que  la  conception  du  Sau- 
veur a  une  influence  secrète  qui  porte  la  grâce 
et  la  sainteté  sur  celle  de  la  sainte  Vierge.  Mais, 
pour  entendre  ce  que  jai  à  dire,  remettons  en 
notre  pensée  une  vérité  chrétienne  qui  est  pleine 
de  consolation  pour  tous  les  fidèles.  C'est  que  la 
vie  du  Sauveur  des  âmes  a  un  rapport  particulier 
avec  toutes  les  parties  de  la  nôtre  pour  y  produire 
la  sainteté.  Mettons  cette  vérité  dans  un  plusgrand 
jour  par  un  beau  passage  tiré  de  l'apôtre  :  «  Jé- 
«  sus-Christ  est  mort  et  ressuscité ,  afin  que  vi- 
«  vants  et  mourants  nous  soyons  à  lui.  »  Voyez 
le  rapport  :  la  vie  du  Sauveur  sanctifie  la  nôtre, 
notre  mort  est  consacrée  par  la  sienne.  Disons  de 
même  du  reste  selon  la  doctrine  de  l'Écriture.  Il 
s'est  revêtu  de  faiblesse  ;  c'est  ce  qui  soulage  nos 
infirmités.  Il  a  ressenti  des  douleurs;  consolez- 
vous,  chrétiens  affligés,  c'est  pour  rendre  les 
vôtres  saintes  et  fructueuses.  Enfin  ii  y  a  un  rap- 
port secret  entre  lui  et  nous,  et  c'est  cela  qui  nous 
sanctifie.  C'est  pourquoi  il  a  pris  tout  ce  que  nous 
sommes ,  afin  de  consacrer  tout  ce  que  nous  som- 
mes. Et  d'où  vient  cette  merveflleuse  communi- 
cation de  sa  mort  avec  la  nôtre,  de  ses  souffran- 
ces avec  les  nôtres?  Ah  î  répondrait  l'apôtre  saint 
Paul,  c'est  que  le  Sauveur  mourant  est  à  nous; 
il  nous  donne  sa  mort  et  nous  y  trouvons  une 
source  de  grâces  qui  portent  la  sainteté  dans  la 
nôtre ,  en  la  rendant  semblable  à  la  sienne.  Le 
Sauveur  souffrant  est  à  nous,  et  nous  pouvons 
prendre  dans  ses  douleurs  de  quoi  sanctifier  nos 
souffrances.  C'est  ce  que  peuvent  dire  tous  les 
chrétiens;  mais  la  Vierge  seule  a  droit  de  nous 
dire  :  Le  Sauveur  conçu  s'est  donné  à  moi  par  un 
titre  particulier;  et  de  cette  sorte  sa  conception 
inspire  la  sainteté  à  la  mienne ,  par  une  secrète 
influence. 

Oui,  chrétiens,  le  Sauveur  conçu  est  à  elle, 
le  Père  céleste  lui  a  fait  ce  présent!  Tout  le  reste 
de  sa  vie  est  à  tous  les  hommes  ;  mais  dans  le 
temps  qu'elle  le  conçoit  et  qu'elle  le  porte  dans 
ses  entrailles ,  elle  a*  droit  de  le  posséder  toute 
seule  :  pccu/iari  munere  sola  possides.  Et  ce 
droit  qu'elle  a  particulier  sur  la  conception  du 

'  Rom.  XIV ,  a 


Sauveur,  est-il  pas  capable  d'attirer  sur  elle  une 
bénédiction  particulière  pour  sanctifier  sa  con- 
ception? Si ,  en  qualité  de  mère  de  Dieu ,  elle  eî>t 
choisie  par  la  sagesse  divine  pour  faire  quelque 
chose  de  singulier  dans  la  conception  de  Jésus, 
n'était-il  pas  juste,  fidèles,  que  Jésus  aussi  réci- 
proquement fit  quelque  chose  de  singulier  dans 
la  concepion  de  Marie?  et  de  là  ne  s'ensuit-il  pas 
que  la  conception  de  cette  Princesse  est  séparée 
de  toutes  les  autres ,  puisque  le  fils  de  Dieu  s'y 
est  réservé  une  opération  extraordinaire?  0  Ma- 
rie ,  je  vous  reconnais  séparée  ;  et  votre  bienheu- 
reuse séparation  est  un  ouvrage  de  la  Sagesse  : 
parce  que  c'est  un  ouvTage  d'ordre.  Comme  vous 
avez  avec  votre  fils  une  liaison  particulière ,  aussi . 
vous  fait-Il  part  de  ses  privilèges. 

La  sainte  Vierge  [est]  séparée;  et  dans  sa  sé- 
paration [  elle  a  ]  quelque  chose  de  commun  avec 
tous  les  hommes,  quelque  chose  de  particulier. 
Pour  l'entendre,  il  faut  savoir  que  nous  sommes 
séparés  de  la  masse ,  parce  que  nous  appartenons 
à  Jésus-Christ,  et  que  nous  avons  alliance  avec 
lui.  Deux  alliances  de  Jésus-Christ  avec  la  sainte 
Vierge  ;  l'une  conmie Sauveur,  l'autre  comme  fils  : 
comme  Sauveur,  commune  avec  tous  les  hom- 
mes ;  Jésus-Christ  est  un  bien  commun  :  mais  sur 
ce  bien  commun ,  la  Vierge  y  a  un  droit  particu- 
lier :  peculiari  munere  sola  possides  ^  «  vous  le 
«  possédez  seule  par  votre  alliance  particulière  en 
«  qualité  de  fils.  »  L'alliance  avec  Jésus-Christ 
comme  Sauveur  fait  qu'elle  doit  être  sépeurée  de 
la  masse  ainsi  que  les  autres  ;  l'alliance  particu- 
lière avec  Jésus-Christ  comme  fils  fait  qu'elle  en 
doit  être  séparée  d'une  façon  extraordinaire.  Sa- 
gesse divine ,  je  vous  appelle  :  vous  avez  autrefois 
démêlé  la  confusion  des  éléments ,  il  y  a  encore 
ici  de  la  confusion  à  démêler.  Voila  une  masse 
toute  criminelle ,  de  laquelle  il  faut  séparer  une 
créature  pour  la  rendre  mère  de  son  créateur. 
Jésus  est  son  Sauveur;  elle  doit  être  séparée 
comme  les  autres  :  mais  Jésus  est  son  fils;  il  y  a 
une  alliance  particulière ,  elle  doit  être  même  sé- 
parée des  autres.  Si  les  autres  sont  délivrés  du 
mal,  il  faut  qu'elle  en  soit  préservée,  que  l'on 
en  empêche  le  cours.  Et  comment?  Par  une  plus 
particulière  communication  des  privilèges  de  son 
fils.  Il  est  exempt  du  péché ,  et  Marie  aussi  en 
doit  être  exempte.  0  Sagesse ,  vous  l'avez  séparée 
des  autres;  mais  ne  la  confondez  pas  avec  son 
fils,  puisqu'elle  doit  être  infiniment  au-dessous. 
Comment  la  distinguerons-nous  d'avec  lui ,  s'ils 
sont  tous  deux  exempts  du  péché?  Jésus-Christ 
l'est  par  nature,  et  Marie,  par  grâce  ;  Jésus-Christ, 
de  droit,  et  Marie,  par  privilège  et  par  indulgence. 
La  voilà  séparée.  Fecit  mihi  magna  qui  potens 
est  :  «  Le  Tout-Puissant  a  fait  en  mol  de  grandes 


152 


SUR  LA  CONCEPTION 


«  choses.  »  C'en  est  assez  :  voyons  maintenant 
comment  nous  sommes  aussi  séparés.  C'est  ma 
troisième  partie,  à  laquelle  je  passerai ,  chrétiens, 
après  vous  avoir  fait  remarquer  qu'encore  que 
nous  ne  soyons  pas  séparés  aussi  excellemment 
«|ue  la  sainte  Vierge ,  nous  ne  laissons  pas  que 
de  l'être. 

Car  qu'est-ce  que  le  peuple  fidèle?  C'est  un 
peuple  séparé  des  autres ,  tiré  de  la  masse  de  per- 
dition et  de  la  contagion  générale.  C'est  un  peu- 
ple qui  habite  au  monde ,  mais  néanmoins  qui 
n'est  pas  du  monde.  Il  a  sa  possession  dans  le 
ciel,  il  y  a  sa  maison  et  son  héritage.  Dieu  lui  a 
imprimé  sur  le  front  le  caractère  sacré  du  bap- 
tême, afin  de  le  séparer  pour  lui  seul.  Oui ,  chré- 
tien ,  si  tu  t'engages  dans  l'amour  du  monde,  si 
tu  ne  vis  comme  séparé,  tu  perds  la  grâce  du 
christianisme.  Mais  comment  se  séparer,  direz- 
vous  ?  Nous  sommes  au  milieu  du  monde ,  dans 
les  divertissements,  dans  les  compagnies.  Faut- 
il  se  bannir  des  sociétés?  faut-il  s'exclure  de  tout 
commerce?  Que  te  dirai-je  ici,  chrétien,  sinon 
que  tu  sépares  du  moins  le  cœur?  C'est  par  le 
cœur  que  nous  sommes  chrétiens  :  Corde  oredi- 
iun  ;  c'est  le  cœur  qu'il  faut  séparer.  Mais  c'est 
là,  direz-vous,  la  difficulté.  Ce  cœur  est  attiré 
de  tant  de  côtés,  c'est  à  lui  qu'on  en  veut.  Le 
inonde  le  flatte,  le  monde  lui  rit.  Là  il  voit  des 
honneurs,  là  des  plaisirs.  L'un  lui  présente  de 
l'amour,  l'autre  en  veut  recevoir  de  lui.  Comment 
pourra-t-il  se  défendre?  Et  comment  nous  dites- 
vous  donc  qu'il  faut  du  moins  séparer  le  cœur? 
Je  le  savais  bien ,  chrétiens ,  que  cette  entreprise 
est  bien  difficile,  d'être  toujours  au  milieu  du 
monde ,  et  de  tenir  son  cœur  séparé  des  plaisii's 
qui  nous  environnent.  Et  je  ne  vois  ici  qu'un  con- 
seil. Mais  que  voulez-vous  que  je  dise?  puis-je 
vous  prêcher  un  autre  Evangile  à  suivre?  De  tant 
d'Jieures  que  vous  donnez  inutilement  aux  occu- 
pations de  la  terre,  séparez-en  du  moins  quel- 
ques-unes pour  vous  retirer  en  vous-mêmes. 
Faites-vous  quelquefois  une  solitude,  où  vous 
méditiez  en  secret  les  douceurs  des  biens  éter- 
nels et  la  vanité  des  choses  mortelles.  Séparez- 
vous  avec  Jfcsus-Christ,  répandez  votre  âme  de- 
vant sa  face  ;  pressez-le  de  vous  donner  cette  grâce 
dont  les  attraits  divins  puissent  vous  enlever  aux 
plaisirs  du  monde,  cette  grâce  qui  a  séparé  la 
très-sainte  Vierge ,  et  qui  l'a  tellement  remplie, 
que  la  colère  qui  menace  les  enfants  d'Adam  n'a 
pu  trouver  place  en  sa  conception ,  parce  qu'elle 
a  été  prévenuepar  un  amour  miséricordieux. 

TBOISIÈME    POINT. 

Si  nous  voyons  dans  les  Écritures  sacrées  que 
'  nom.  X ,  w. 


le  Fils  de  Dieu  prenant  notre  chair  a  pris  aussi 
toutes  nos  faiblesses ,  à  l'exception  du  péché  ;  si 
le  dessein  qu'il  avait  conçu  de  se  rendre  sem- 
blable à  nous ,  a  fait  qu'il  n'a  pas  dédaigné  la 
faim  ni  la  soif,  ni  la  crainte  ,  ni  la  tristesse  ,  ni 
tant  d'autres  infirmités  qui  semblaient  indignes 
de  sa  grandeur  :  à  plus  forte  raison  doit-on  croire 
qu'il  a  été  vivement  touché  de  cet  amour  si  juste 
et  si  saint,  que  la  nature  imprime  en  nos  cœurs 
pour  ceux  qui  nous  donnent  le  vie.  Cette  vérité 
est  -très-claire  ;  mais  je  prétends  vous  faire  voir 
aujourd'hui  que  c'est  cet  amour  qui  a  prévenu  la 
très-sainte  Vierge  dans  sa  conception  bienheu- 
reuse; et  c'est  ce  qui  mérite  plus  d'explication. 

Je  considère  en  deux  états  cet  amour  de  fils 
que  le  S  auveur  a  eu  pour  Marie  ;  je  le  regarde 
dans  l'incarnation  et  devant  l'incarnation  du 
Verbe  divin.  Qu'il  "ait  été  dans  l'incarnation  , 
chrétiens,  il  est  aisé  de  le  croire.  Car  comme 
c'est  par  l'incarnation  que  Marie  est  devenue  la 
mère  de  Dieu ,  c'est  aussi  dans  cet  auguste  mys- 
tère que  Dieu  prend  des  sentiments  de  fils  pour 
Marie.  Mais  que  cet  amour  de  fils  se  rencontre 
en  Dieu  pour  sa  sainte  Mère  devant  qu'il  soit  in- 
carné ,  c'est  ce  qui  paraît  assez  difficile  ;  puisque 
le  Fils  de  Dieu  n'est  son  fils  qu'à  cause  de  l'hu- 
manité qu'il  a  prise.  Toutefois  remontons  pins 
haut,  et  nous  trouverons  cet  amour  qui  a  prévenu 
la  très-sainte  Vierge  parla  profusion  de  ses  dons. 
Comprenez  cette  vérité,  et  vous  verrez  l'amour 
de  Dieu  pour  notre  nature. 

Pour  entendre  cette  doctrine ,  remarquons  que 
la  sainte  Vierge  a  cela  de  propre  qui  la  distingue 
de  toutes  les  mères,  qu'elle  engendre  le  dispen- 
sateur de  la  grâce  ;  que  son  fils,  en  cela  différent 
des  autres,  est  capable  d'agir  avec  force  dès  le 
premier  moment  de  sa  vie  :  et  ce  qu'il  y  a  de  plus 
extraordinaire,  c'est  qu'elle  est  mère  d'un  fils 
qui  est  devant  elle.  De  là  suivent  trois  beaux  ef- 
fets en  faveur  de  la  très-heureuse  Marie.  Comme 
son  fils  est  le  dispensateur  de  la  grâce,  il  lui  en 
fait  part  avec  abondance  ;  comme  il  est  capable 
d'agir  dès  le  premier  instant  de  sa  vie,  il  n'attend 
pas  le  progrès  de  l'âge  pour  être  libéral  envers 
elle  :  et  le  même  instant  où  il  est  conçu  voit  com- 
mencer ses  profusions.  Enfin  comme  elle  a  un 
fils  qui  est  devant  elle .,  elle  a  ceci  de  miracu- 
leux ,  que  l'amour  de  ce  fils  peut  la  prévenir  jus- 
que dans  sa  conception.  C'est  ce  qui  la  rend  in- 
nocente :  car  il  lui  doit  servir  d'avoir  un  fils  qui 
soit  devant  elle.  Mais  éclaircissous  cette  vérité 
par  une  excellente  doctrine  des  Pères  ;  et  voyons 
quel  a  été,  dès  l'éternité,  l'amour  du  Fils  de  Dieu 
pour  la  sainte  Vierge. 

N'avez-vous  jamais  admiré,  messieurs,  comme 
Dieu  parle  dans  les  saintes  Lettres;  comme  il  v'f- 


DE  LA  SÀrSTE  VIERGE. 


153 


\ 


fccle,  pour  ainsi  dire,  d'agir  en  homme;  comme 
il  imite  nos  actions,  nos  mœurs,  nos  coutumes, 
nos  mouvements  et  nos  passions?  Tanlût  il  dit, 
liar  la  Ixjuehe  de  ses  proi)liètes ,  qu'il  a  le  cœur 
saisi  par  la  compassion;  tantôt  qu'il  l'a  enflam- 
mé par  la  colère,  qu'il  s'apaise,  qu'il  se  repent, 
([u'il  a  de  la  joie  ou  de  la  tristesse.  Chrétiens, 
«luel  est  ce  mystère?  un  Dieu  doit-il  donc  agir  de 
la  sorte?  Si  le  Verbe  incarné  nous  parlait  ainsi, 
je  ne  m'en  étonnerais  pas  :  car  il  était  homme. 
Mais  que  Dieu ,  avant  que  d'être  homme ,  parle 
et  agisse  comme  font  les  hommes ,  il  y  a  sujet 
de  \f  trouver  étrange.  Je  sais  que  vous  me  direz 
que  cette  Majesté  souveraine  veut  s'accommo- 
der à  notre  portée.  Je  le  veux  bien  :  mais  j'ap- 
prends des  Pères  qu'il  y  a  une  raison  plus  mys- 
térieuse. C'est  que  Dieu  ayant  résolu  de  s'unir  à 
notre  nature,  il  n'a  pas  jugé  indigne  de  lui  den 
prendre  de  bonne  heure  tous  les  sentiments.  Au 
contraire,  il  se  les  rend  propres,  et  vous  diriez 
qu'il  s'étudie  à  s'y  conformer. 

Pourrions-nous  bien  expliquer  un  si  grand  mys- 
tère par  quelque  exemple  familier?  Un  homme 
veut  avoir  une  charge  de  robe  ou  d'épée  ;  il  ne 
l'a  pas  encore,  mais  il  s'y  prépare,  il  en  prend 
par  avance  tous  les  sentiments ,  et  il  commence 
t  s'accoutumer ,  ou  à  la  gravité  d'un  magistrat , 
ou  à  la  brave  générosité  d'un  homme  de  guerre. 
Dieu  a  résolu  de  se  faire  homme  ;  il  ne  l'cit  pas 
encore  du  temps  des  prophètes ,  mais  il  le  sera , 
c'est  une  chose  déterminée  :  tellement  qu'il  ne 
faut  pas  s'étonner  s'il  parle ,  s'il  agit  en  homme 
avant  que  de  l'être,  s'il  prend  en  quelque  sorte 
plaisir  d'apparaître  aux  prophètes  et  aux  pa- 
triarches avec  une  figure  humaine.  Pour  quelle 
raison?  Que  Tertullien  l'explique  admirablement  ! 
Ce  sont ,  dit  très-bien  cet  excellent  homme ,  des 
préparatifs  de  l'iucarnation.  Celui  qui  doit  s'a- 
baisser jusqu'à  prendre  notre  nature,  fait,  pour 
ainsi  dire ,  son  apprentissage  en  se  conformant  à 
nos  sentiments.  «  Peu  à  peu  il  s'accoutume  à 
«  être  homme  ;  et  il  se  plaît  d'exercer ,  dès  l'ori- 
«  gine  du  monde ,  ce  qu'il  sera  dans  la  fin  des 
«  temps,  »  ediscens  jam  inde  aprimordio,jam 
inde  hominem,  quodemtfuturus  in  fine  '. 

Ne  croyez  donc  pas,  chrétiens,  qu'il  ait  at- 
tendu sa  venue  pour  avoû:  un  amour  de  fils  pour 
la  sainte  Vierge.  C'est  assez  qu'il  ait  résolu  d'être 
homme,  pour  en  prendre  tous  les  sentiments.  Et 
s'il  prend  les  sentiments  d'homme,  peut-il  oublier 
ceux  de  fils  qui  sont  les  plus  naturels  et  les  plus 
humains?  11  a  donc  toujours  ai-né  Marie  comme 
mère,  il  l'a  considérée  comme  telle  dès  le  pre- 
mier moment  qu'elle  fut  conçue.  Et  s'il  est  ainsi, 

'  Lib.  Il ,  ndv.  Marcion.  d'  27. 


chrétiens,  peut-il  la  regarder  en  colère?  Le  pé- 
ché s'accordera-t-il  avec  tant  de  gréées,  la  ven- 
geance avec  l'amour,  l'inimitié  avec  l'alliance? 
El  Marie  ne  peut-elle  pas  dire  avec  le  psalmiste  : 
In  Deo  transgrediar  innrum  •  :  «  Je  passerai 
'<  par-dessus  la  muraille  au  nom  de  mon  Dieu  ?  » 
Il  y  a  une  muraille  de  séparation  que  le  péché  a 
faite  entre  Dieu  et  l'homme,  il  y  a  une  inimitié 
comme  naturelle.  Mais ,  dit-elle,  je  passerai  par- 
dessus, je  n'y  entrerai  pas  :  je  passerai  par-dessus, 
transgrediar  *.  Et  comment?  Au  nom  de  mon 
Dieu ,  de  ce  Dieu  qui,  étant  mon  fils,  est  à  moi 
par  un  droit  tout  particulier;  de  ce  Dieu  qui  m'a 
aimée  comme  raere  des  le  premier  moment  de 
ma  vie;  de  ce  Dieu  dont  l'amour  tout-puissant  a 
prévenu  en  ma  faveur  la  colère  qui  menace  tous 
les  enfants  d'Eve.  C'est  ce  qui  a  été  fait  en  la 
sainte  Vierge.  Finissons  en  vous  faisant  une  image 
de  cette  grâce  dans  tous  les  fidèles,  et  reconnais- 
sons aussi,  chrétiens,  que  l'amour  de  Dieu  nous 
a  prévenus  contre  la  colère  qui  nous  poursuivait, 
et  qu'il  nous  prévient  tous  les  jours.  Que  ce  soit 
là  le  fruit  de  tout  ce  discours,  comme  c'est  la  vé- 
rité la  plus  importante  de  la  religion  chrétienne. 

Oui  certainement,  chrétiens,  c'est  le  fonde- 
ment du  christianisme  de  comprendre  que  nous 
n'avons  pas  aimé  Dieu ,  mais  que  c'est  Dieu  qui 
nous  a  aimés  le  premier,  non-seulement  avant  que 
nous  l'aimassions ,  mais  loi-sque  nous  étions  ses 
ennemis.  Ce  sang  du  rsouveau  Testament ,  versé 
pour  la  rémission  de  nos  crimes,  rend  témoi- 
gnage à  la  vérité  que  je  prêche.  Car  si  nous  n'eus- 
sions pas  été  ennemis  de  Dieu ,  nous  n'eussions 
pas  eu  besoin  de  médiateur  pour  nous  réconcilier 
avec  lui,  ni  de  victime  pour  apaiser  sa  colère, 
ni  de  sang  pour  contenter  sa  justice.  C'est  donc 
lui  qui  nous  a  le  premier  aimés ,  en  donnant  son 
Fils  unique  pour  l'amour  de  nous.  Mais  peut- 
être  que  cette  grâce  est  trop  générale,  et  que 
notre  dureté  n'en  est  pas  émue  :  venons  aux 
bienfaits  particuliers  par  lesquels  sou  amour 
nous  prévient. 

Que  dirons-nous,  chrétiens,  de  notre  vocation 
au  baptême  ?  Avions-nous  imploré  son  secours, 
l'avions-nous  prévenu  par  quelques  prières, 
afin  que  sa  miséricorde  nous  amenât  aux  eaux 
salutaires  où  nous  avons  été  régénérés  ?  N'est-ce 
pas  lui  au  contraire  qui  s'est  avance  et  qui  nous 
a  aimés  le  premier?  Mais  peut-être  que  ce  bien- 
fait est  trop  ancien ,  et  que  notre  ingratitude  ne 
s'en  souvient  plus  :  disons  ce  que  nous  éprouvons 
tous  les  jours.  Te  souviens-tu,  pécheur,  avec 
quelle  ardeur  tu  courais  au  crime?  la  vengeance 
ou  le  plaisir  t'emportait  :  combien  de  fois  Dieu 

'   Ps.  XVII,  32. 
*   Transiliam ,  Hieronymu» 


154 

a-t-il  parlé  à  ton  cœur,  pour  te  retenir  sur  ce 
penchant  !  Je  ne  sais  si  tu  as  écouté  sa  voix  ; 
mais  je  sais  qu'il  s'est  présenté  souvent.  L'invi- 
tais-lu,  quand  tu  le  fuyais?  l'appelais-tu ,  quand 
tu  t'armais  contre  lui?  Cependant  H  est  venu  à 
toi  par  sa  grâce;  il  a  frappé,  il  a  appelé,  et  ainsi 
ne  t' a-t-il  pas  prévenu  et  ne  t' a-t-il  pas  aimé  le 
premier? 

Mois,  fidèles ,  j'en  vois  un  autre  qui  ne  court 
pas  au  péché  ;  il  est  déjà  engagé  dans  sa  servi- 
tude, li  s'abandonne  aux  blasphèmes,  aux  médi- 
sances et  à  l'impudicité.  Il  n'épargne  ni  le  bien 
ni  l'honneur  des  autres ,  pour  satisfaire  son  am- 
bition; il  ne  respire  que  l'amour  du  monde.  Jé- 
sus-Christ descendra-t-il  dans  cet  abîme?  descen- 
drà-t-il  dans  cet  enfer?  Autrefois  il  est  allé  aux 
enfers ,  mais  il  y  était  appelé  par  les  cris  et  par 
les  désirs  des  prophètes ,  qui  soupiraient  après  sa 
venue.  Ici  on  rejette  ses  inspirations ,  on  le  fuit , 
on  lui  fait  la  guerre.  Il  vient  toutefois ,  il  s'ap- 
proche ;  dans  une  fête,  dans  un  jubilé,  dans  quel- 
que sainte  cérémonie,  il  fait  sentir  ses  terreurs  à 
une  conscience  criminelle ,  il  l'excite  intérieure- 
ment à  la  pénitence.  Le  pécheur  fuit,  et  Dieu  le 
presse  ;  il  ne  sent  pas ,  et  Dieu  redouble  ses  coups 
pour  réveiller  cette  âme  endormie.  N'est-ce  pas 
là  prévenir  les  hommes  par  un  grand  excès  de 
miséricorde? 

Mais  vous ,  ô  justes ,  ô  enfants  de  Dieu ,  je  sais 
que  vous  aimez  votre  Père  :  est-ce  vous  qui  l'avez- 
aimé  les  premiers?  ne  confessez- vous  pas  avec 
l'apôtre  '  que  «  la  charité  a  été  répandue  en  vos 
«  cœurs  par  le  Saint-Esprit  qui  vous  est  donné  ?  » 
et  Dieu  vous  ferait-il  un  si  beau  présent ,  si  avant 
que  de  le  faire  il  ne  vous  aimait?  C'est  donc  lui 
qui  nous  prévient,  n'en  doutons  pas;  c'est  lui 
qui  fait  toutes  les  avances.  Mais  apprenez  qu'il 
ne  nous  prévient  qu'afm  que  nous  le  prévenions. 
Que  dites- vous?  cela  se  peut-il?  Oui,  fidèles, 
nous  le  pouvons.  Écoutez  le  psalmiste  qui  nous 
y  exhorte  :  «  Prévenons  sa  face ,  »  dit-il  ;  Prœoc- 
cupemus  faciem  ejus^.  Que  faut-il  faire  pour 
le  prévenir?  Il  y  a  deux  attributs  en  Dieu  qui 
regardent  particulièrement  les  hommes ,  la  misé- 
ricorde et  la  justice.  On  ne  peut  prévenir  la  mi- 
séricorde :  au  contraire ,  c'est  elle  qui  prévient 
toujours  ;  mais  elle  ne  nous  prévient  qu'afin  que 
nous  prévenions  la  justice.  Tu  ne  dois  pas  igno- 
rer, pécheur,  que  tes  crimes  t'amassent  des  tré- 
sors de  colère.  S'ils  sont  scandaleux,  Dieu  en 
fera  justice  devant  tout  le  monde  ;  et  quand  même 
ils  seraient  cachés ,  Dieu  les  découvrira  devant 
tout  le  monde.  Préviens  cette  juste  fureur  : 
\engc-les,  et  il  ne  les  vengera  pas  ;  découvre-les , 

'  Rom.  r,  5. 
»  P».  xciv ,  2. 


SUR  LA  DÉVOTION 


et  il  ne  les  découvrira  pas  :  Prxveniamus  faciem 
ejus  in  confessione. 

Je  sais  que  confession  en  ce  lieu  veut  dire 
louange,  c'est-à-dire,  confesser  la  grandeur  de 
Dieu.  Mais  je  ne  croirai  pas  m'éloigner  du  sens 
naturel  si  je  le  fais  servir  à  la  pénitence.  Car 
peut  on  mieux  confesser  la  grandeur  de  Dieu , 
que  d'humilier  le  pécheur  et  le  confondre  devant 
sa  face?  Donc ,  fidèles ,  confondons-nous  devant 
Dieu ,  de  peur  qu'fl  ne  nous  confonde  en  ce  jour 
terrible.  Prévenons  sa  juste  fureur  par  la  confu- 
sion de  nos  crimes.  Descendons  au  fond  de  nos 
consciences  où  nos  ennemis  sont  cachés.  Des- 
cendons-y le  flambeau  à  une  main ,  et  le  glaive 
à  l'autre  :  le  flambeau ,  pour  rechercher  nos  pé- 
chés par  un  sérieux  examen  ;  le  glaive ,  pour  les 
arracher  jusqu'à  la  racine  par  une  vive  douleur. 
C'est  ainsi  que  nous  préviendrons  la  colère  de  ce 
grand  Dieu ,  dont  la  miséricorde  nous  a  préve- 
nus. 0  Marie ,  miraculeusement  dispensée ,  sin- 
gulièrement séparée,  miséricordieusement  pré- 
venue ,  secourez  nos  faiblesses  par  vos  prières  ; 
et  obtenez-nous  cette  grâce,  que  nous  prévenions 
tellement  par  la  pénitence  la  vengeance  qui  nous 
poursuit,  que  nous  soyons  à  la  fin  reçus  dans  ce 
royaume  de  paix  éternelle  avec  le  Père,  le  Fils , 
et  le  Saint-Esprit. 


«•»••••• 


TROISIEME  SERMON 

PODR  LA  FÊTE 

DE  LA  CONCEPTION  DE  LA  Ste  VIERGE, 

PRËCnÉ  A  LA  COUR. 

Fondements  de  la  dévotion  à  la  Vierge ,  sa  coopération  à  la 
sanctilication  des  âmes.  Règles  qui  doivent  diriger  l'exercice 
de  cette  dévotion.  Dieu ,  principe  et  lin  du  culte  que  nous  ren- 
dons à  la  Vierge  et  aux  saints  :  les  imiter  pour  leur  plaire  et 
se  les  rendre  propices.  Fausses  dévotions  qui  déshonorent  le 
christianisme  ;  illusions  de  la  plupart  des  chrétiens. 


Fecit  mihi  magna  qui  potens  est. 

Le  Tout-Puissant  a  fait  en  moi  de  grandes  choses.  Luc 
I,  49. 

Dans  le  dessein  que  je  me  propose  de  vous  don- 
ner aujourd'hui  une  instruction  chrétienne  tou- 
chant la  dévotion  envers  la  Vierge  bienheureuse, 
et  de  vous  découvrir  à  fond  les  utilités  infinies 
que  vous  en  pouvez  tirer,  aussi  bien  que  les  di- 
vers abus  qui  en  corrompent  la  pratique,  j'en- 
trerai d'abord  en  matière ,  et  sans  vous  ennuyer 
par  un  long  exorde  je  partagerai  mon  discours 
en  deux  parties.  La  première  établira  les  solides 
et  inébranlables  fondements  de  cette  dévotion, 
La  seconde  vous  fera  voir  les  régies  invariable» 


A  LA  SAfNTE  VI ERG K. 


16& 


qui  doivent  en  diriger  l'exercice.  Celte  doctrine 
nous  servira  à  lionorer  chrétiennement  la  très- 
sainte  Vierge ,  non-seulement  dans  la  fête  de  sa 
conception,  mais  encore  dans  toutes  celles  que 
la  sainte  succession  de  l'année  ecclésiastique  ra- 
mène de  temps  en  temps  à  la  piété  des  fidèles.  La 
conception  de  Marie ,  étant  le  premier  moment 
dans  lequel  nous  commençons  de  nous  attacher 
à  cette  divine  mère,  pour  de  là  l'accompagner 
pereévérammeut  dans  tous  les  mystères  qui  s'ac- 
complissent en  elle;  je  veux  tâcher  de  vous  ins- 
pirer, dès  ce  premier  pas,  des  sentiments  con- 
venables à  la  piété  chrétienne,  et  de  former  vos 
dévotions  sur  les  maximes  de  l'Évangile. 

Ne  me  dites  pas ,  chrétiens ,  que  cette  idée  est 
trop  générale  et  que  vous  attendiez  quelque  chose 
qui  fût  plus  propre  et  plus  convenable  à  une  si 
grande  solennité.  L'utilité  des  enfants  de  Dieu  est 
la  loi  suprême  de  la  chaire  ;  et  je  vous  accorde- 
rai sans  peine  que  je  pouvais  prendre  un  sujet 
plus  propre  à  la  fête  que  nous  célébrons ,  pourvu 
aussi  que  vous  m'accordiez  qu'il  n'y  en  a  point  de 
plus  salutaire  ni  de  plus  propre  à  l'instruction  de 
ce  royal  auditoire.  Écoutez  donc  attentivement 
ce  que  j'ai  à  vous  exposer  touchant  la  dévotion 
pour  la  sainte  Vierge  :  voyez  quel  en  est  le  fon- 
dement ,  et  quel  en  est  l'exercice. 

PREMIER    POINT. 

«  Personne,  dit  le  saint  apôtre  ',  ne  peut  poser 
«  d'autre  fondement  que  celui  qui  a  été  mis,  c'est- 
«  à-dire,  Jésus-Christ.  »  Soit  doncce  divin  Sauveur 
le  fondement  immuable  de  notre  dévotion  pour  la 
sainte  Vierge  ;  parce  qu'en  effet  tout  le  genre  hu- 
main ne  peut  assez  honorer  cette  vierge  mère  de- 
puis qu'il  a  reçu  Jésus-Christ  par  sa  bienheureuse 
fécondité.  Élevez  vos  esprits,  mes  frères ,  et  con- 
sidérez attentivement  combien  grande ,  combien 
érainente  est  la  vocation  de  Marie,  que  Dieu  a 
prédestinée  avant  tous  les  temps  pour  donner 
par  elle  Jésus-Christ  au  monde.  Mais  il  faut  en- 
core ajouter  que ,  Dieu  l'ayant  appelée  à  ce  glo- 
rieux ministère,  il  ne  veut  pas  qu'elle  soit  un 
simple  canal  d'une  telle  grâce ,  mais  un  instru- 
ment volontaire  qui  contribue  à  ce  grand  ou- 
vrage, non-seulement  par  ses  excellentes  dispo- 
sitions, mais  encore  par  un  mouvement  de  sa 
volonté.  C'est  pourquoi  le  Père  éternel  envoie 
un  ange  pour  lui  proposer  le  mystère,  qui  ne 
s'achèvera  pas  tant  que  Marie  sera  incertaine  ; 
si  bien  que  ce  grand  ouvrage  de  l'incarnation , 
qui  tient  depuis  tant  de  siècles  toute  la  nature  en 
attente,  loi-sque  Dieu  est  résolu  de  l'accomplir 
denreure  encore  en  suspens ,  jusqu'à  ce  que  la  di- 

»  1.  Cor.  ni,  n. 


vine  Vierge  y  ait  consenti  :  tant  il  a  été  nécessaire 
aux  hommes  que  Marie  ait  désiré  leur  salut.  Aus- 
sitôt qu'elle  a  donné  ce  consentement,  les  cieux 
sont  ouverts ,  le  Fils  de  Dieu  est  fait  homme,  et 
les  hommes  ont  un  Sauveur.  La  charité  de  Marie 
a  donc  été  en  quelque  sorte  la  source  féconde  d'où 
la  grâce  a  pris  son  cours ,  et  s'est  répandue  avec 
abondance  sur  toute  la  nature  humaine.  Etcomme 
dit  saint  Ambroise,  et  après  lui  saint  Thomas, 
«  c'est  de  ses  bénites  entrailles  qu'est  sorti  avec 
«  abondance  cet  esprit  de  sainte  ferveur  qui,  étant 
«  premièrement  survenu  en  elle,  a  inondé  toute 
«  la  terre  :  «  Utérus  Mari œ ,  Spirifu  fervenii  qui 
supervenit  in  eam  replevit  orbem  terrarum, 
cum peperit  Salvatorem  \  «  Elle  a  reçu,  dit  en- 
«  core  saint  Thomas,  une  si  grande  plénitude  de 
«grâce,  qu'elle  est  parvenue  à  une  union  très- 
«  intime  avec  l'auteur  de  la  grâce,  et  a  mérité 
«  de  recevoir  en  elle  celui  qui  est  rempli  de  toutes 
«  les  grâces  :  en  l'enfantant  elle  a,  en  quelque 
«  manière ,  fait  découler  la  grâce  sur  tous  les 
'<  hommes  :  «  Tantam  gratiœ  obtinuit  ptenitu- 
dinem.  ui  essetpropinquissima  auctori  gratiœ  ; 
ila  quod  eum  qui  est  plenus  omni  gratia,  in  se 
reciperet,  et  eum  pariendo ,  quodammodo  gra- 
tiam  ad  omnes  derivaret  ^. 

Il  a  donc  fallu  ,  chrétiens,  que  Marie  ait  con- 
couru, par  sa  charité,  à  donner  au  monde  son  li- 
bérateur. Comme  cette  vérité  est  connue ,  je  ne 
m'étends  pas  à  vous  l'expliquer  ;  mais  je  ne  vous 
tairai  pas  une  conséquence  que  peut-être  vous 
n'avez  pas  assez  méditée  :  c'est  que  Dieu ,  ayant 
une  fois  voulu  nous  donner  Jésus-Christ  par  la 
sainte  Vierge,  cet  ordre  ne  se  change  plus;  et 
«  les  dons  de  Dieu  sont  sans  repentance  ^.  »  Il  est 
et  sera  toujours  véritable,  qu'ayant  reçu  par  elle 
une  fois  le  principe  universel  de  la  grâce ,  nous 
en  recevions  encore  ,  par  son  entremise  ,  les  di- 
verses applications  dans  tous  les  états  différents 
qui  composent  la  vie  chrétienne.  Sa  charité  ma- 
ternelle ayant  tant  contribué  à  notre  salut  dans 
le  mystère  de  l'incarnation ,  qui  est  le  principe 
universel  de  la  grâce,  elle  y  contribuera  éter- 
nellement dans  toutes  les  autres  opérations,  qui 
n'en  sont  que  des  dépendances. 

La  théologie  reconnaît  trois  opérations  princi- 
pales de  la  grâce  de  Jésus-Christ.  Dieu  nous  ap- 
pelle ;  Dieu  nous  justifie  ;  Dieu  nous  donne  la 
persévérance.  La  vocation ,  c'est  le  premier  pas  ; 
la  justification  fait  notre  progrès;  la  persévé- 
rance conclut  le  voyage,  et  unit  dans  la  patrie , 
ce  qui  ne  se  trouve  pas  sur  la  terre ,  le  repos  e\ 
la  gloire. 

'  s.  Ambr.  de  Inst.  f'irg.  cap.  xii ,  1.  il ,  col.  267. 
'  5.  Th.  m  pari.  Quœst.  \\\n,  Art.  r ,  ad.  i. 
^  Rom.  XI.  29. 


Ià6 


SUR  LA  DÉVOTION 


Vous  savez  qu'en  ces  trois  états  l'influence  de 
Jésus-Christ  nous  est  nécessaire  ;  mais  il  faut  vous 
faire  voir,  par  les  Ecritures,  que  la  charité  de 
Marie  est  associée  à  ces  trois  ouvrages  :  et  peut- 
être  ne  croyez-vous  pas  que  ces  vérités  soient  si 
claires  dans  l'Évangile  que  j'espère  de  les  y  mon- 
trer en  peu  de  paroles. 

La  grâce  de  la  vocation  nous  est  figurée  par  la 
soudaine  ilkimination  que  reçoit  le  saint  Précur- 
seur dans  les  entrailles  de  sa  mère.  Considérez  ce 
miracle;  vous  y  verrez  une  image  des  pécheurs 
que  la  grâce  appelle.  Jean  est  ici  dans  l'obscurité 
des  entrailles  maternelles  :  où  êtes-vous,  ô  pé- 
cheurs? dans  quelle  nuit  !  dans  quelles  ténèbres  ! 
Jean  ne  peut  ni  voir  ni  entendre  :  pécheurs,  quelle 
surdité  semblable  à  la  vôtre,  et  quel  aveuglement 
pareil  ;  puisque  le  ciel  tonne  en  vain  sur  vous  par 
tant  de  menaces  terribles,  et  que  la  vérité  elle- 
même,  qui  vous  luit  si  manifestement  dans  l'É- 
vangile ,  n'est  pas  capable  de  vous  éclairer?  Jé- 
sus vient  à  Jean  sans  qu'il  y  pense  ;  il  le  prévient, 
il  parle  à  son  cœur,  il  éveille  et  il  attire  ce  cœur 
endormi,  et  auparavant  insensible  :  pensiez- vous 
à  Dieu,  ô  pécheurs,  quand  il  a  été  vous  émouvoir 
par  une  secrète  touche  de  son  Saint-Esprit?  Dans 
cesténèbresoù  vous  vous  cachiez,  quelle  soudaine 
lumière  vous  a  paru  tout  à  coup  comme  un  éclair  ! 
quel  nouvel  instinct  a  touché  vos  cœurs!  Vous 
ne  le  cherchiez  pas,  et  il  vous  appelait  à  la  péni- 
tence. [C'est  lui  qui  inspire  ces]  dégoûts  secrets, 
ces  amertumes  cachées ,  qui  vous  font  regretter 
la  paix  et  vous  rappellent  à  la  pénitence.  Vous 
fuyiez,  et  il  a  bien  su  vous  trouver.  Mais  s'il  nous 
montreclans  le  tressaillement  desaint  Jean  l'image 
des  pécheurs  prévenus,  il  nous  fait  voir  aussi  que 
Marie  concourt  avec  lui  à  ce  grand  ouvrage.  Si 
.lean-BapUste  ainsi  prévenu  semble  s'efforcer 
pour  sortir  de  la  prison  qui  l'enserre,  c'est  à  la 
voix  de  iMarie  qu'il  est  excité  :  «  Votre  voix  n'a 
«  pas  plutôt  frappé  mon  oreille  lorsque  vous  m'a- 
.<  vez  saluée,  que  mon  enfant  a  tressailli  de  joie 
«  dans  mon  sein  '.  »  «■  C'est  Marie,  dit  saint  Am- 
«  broise,  qui  a  élevé  Jean-Baptiste  au-dessus  de 
<>  la  nature  ;  et  cet  enfant,  touché  de  sa  voix  , 
«  avant  que  d'avoir  respiré  l'air,  a  attiré  l'esprit 
'<  de  la  piété  :  »  Levavit  [Maria]  Joannem  in 
utero  conaiiluluin,  qui  ad  vocem  ejus  exsili- 
vit...  prius  sensu  devoiionis  quam  spirilus  in- 
fusionc  vilalis  animatus  ^.  Et  selon  le  même 
saint  Arabroise,  "  la  grâce  dont  Marie  fut  rem- 
«plie  était  si  grande,  quelle  ne  conservait  pas 
«  seulement  en  elle  le  don  de  la  virginité ,  mais 
«  qu'elle  conférait  encore  à  ceux  qu'elle  visitait 


'  Luc.  I,  44. 

'  J)e  iitil.  P'irg.  cap.  xui,  l.  ii,  col.  2G7 


«  la  marque  de  l'innocence;  «  Cujus  tanta  gra- 
tta, ut  non  solum  in  se  virginitatis  gratiam 
reservaret ;  sed  etiam  his  guosviseret,  integri- 
tatis  insigne  conferret....  «  C'est  à  sa  voix  que 
«  l'enfant  tressaille  dans  le  sein  de  sa  mère,  obéis- 
«  sant  avant  que  d'être  engendré.  Il  n'est  pas 
«  étonnant  qu'il  ait  persévéré  dans  une  intégrité 
«  parfaite,  lui  que  la  mère  du  Sauveur  oignit  pen- 
«  dant  trois  mois  comme  de  l'huile  de  sa  présence 
«  et  du  parfum  de  sa  pureté  ?  »  Ad  vocem  Ma- 
riœ  exultavit  infantulus,  obsecutus  antequam 
genitus.  Nec  immerito  mansit  integer  corpore, 
quem  oleo  quodam  suœprœsentiœ  et  integntatis 
unguento,  Domini  mater  exercuit  '. 

La  justification  est  représentée  dans  les  noces 
de  Cana  en  la  personne  des  apôtres.  Car  écoutez 
les  paroles  de  l'évangéliste  :  Jésus  changea  l'eau 
en  vin.  «  Ce  fut  là  le  premier  des  miracles  de 
«  Jésus ,  qui  fut  fait  à  Cana  en  Galilée  ;  et  il  fit 
«  paraître  sa  gloire  ;  et  ses  disciples  crurent  en 
«  lui  \  »  Les  apôtres  étaient  déjà  appelés,  maïs 
ils  ne  croyaient  pas  encore  assez  vivement  pour 
être  justifiés.  Vous  savez  que  «  la  justification 
«  est  attribuée  à  la  foi  3;  »  non  qu'elle  suffise 
toute  seule,  mais  parce  qu'elle  est  le  premier 
principe ,  et,  comme  dit  le  saint  concile  de  Tren- 
te S  «  la  racine  de  toute  grâce.  «  Ainsi  le  texte 
sacré  ne  pouvait  nous  exprimer  en  termes  plus 
clairs  la  gs-âce  justifiante  ;  mais  il  ne  pouvait  non 
plus  uous  mieux  expliquer  la  part  qu'a  eue  la  di- 
vine Vierge  à  ce  merveilleux  ouvrage. 

Car  qui  ne  sait  que  ce  grand  miracle ,  sur  le- 
quel a  été  fondée  la  foi  des  apôtres ,  fut  l'effet  de 
la  charité  et  des  prières  de  Marie?  Lorsqu'elle 
demanda  cette  grâce,  il  semble  qu'elle  ait  été 
rebutée.  «  Femme,  lui  dit  le  Sauveur,  qu'y  a- 
«  t-il  entre  vous  et  moi?  mon  heure  n'est  pas  en- 
«  core  venue  ^.  »  Quoique  ces  paroles  paraissent 
rudes,  et  qu'elles  aient  un  air  de  refus  bien  sec, 
Marie  ne  se  croit  pas  refusée.  Elle  connaît  les 
délais  miséricordieux ,  les  favorables  refus ,  les 
fuites  mystérieuses  de  l'époux  sacré.  Elle  sait 
tous  les  secrets  par  lesquels  son  amour  ingénieux 
éprouve  les  âmes  fidèles,  et  sait  qu'il  nous  re- 
bute souvent  afin  que  nous  apprenions  à  emporter 
par  l'humilité,  et  par  une  confiance  persévérante, 
ce  que  la  première  demande  n'a  pas  obtenu. 
Marie  ne  fut  pas  trompée  dans  son  attente.  Que 
ne  peut  obtenir  une  tell"  mère  à  qui  son  fils  ac- 
corde tout,  lors  même  qu'il  semble  qu'il  la  traite 
le  plus  rudement?  et  que  ne  lui  donnera-t-il  pas, 
quand  l'heure  sera  venue  de  la  glorifier  avec 

'  De  insl.  Firg.  cap.  vii,  col.  2S1 ,  283. 
'  Joan.  II,  II. 

*  Rom.  IV,  5. 

♦  Sess.  VI ,  cap.  8. 
^  Joan.  Il,  4- 


A  LA  SAINTE  VIERGE. 


167 


lui  par  toute  la  terre;  puisquil  avance  en  sa 
favenr,  comme  dit  saint  Jean-Chrysostôme  ', 
ritenre  qu'il  avait  résolue?  Josus,  qui  semblait 
l'avoir  refusée,  fait  néanmoins  ce  qu'elle  de- 
mande. 

Mais,  messieurs,  qui  n'admirera  que  Jésus 
n'ait  voulu  faire  son  premier  miracle  qu'à  la 
prière  de  la  sainte  Vierge?  ce  miracle  en  cela 
différent  des  autres  :  miracle  pour  une  chose  non 
nécessaire.  Quelle  grande  nécessité  qu'il  y  eût 
du  vin  dans  ce  banquet?  Marie  le  désire,  c'est 
assez.  Qui  ne  sera  étonné  de  voir  qu'elle  n'inter- 
vient que  dans  celui-ci,  qui  est  suivi  aussitôt 
d'une  image  si  expresse  de  la  justification  des  pé- 
cheurs? cela  sest-il  fait  par  une  rencontre  for- 
tuite? Ou  plutôt  ne  voyez- vous  pas  que  le  Saint- 
Esprit  a  eu  dessein  de  nous  faire  entendre ,  ce 
que  remarque  saint  Augustin  en  interprétant  ce 
mystère ,  que  «  la  vierge  incomparable ,  étant 
«  mère  de  notre  chef,  selon  la  chair,  a  dû  être 
»  selon  l'esprit  la  mère  de  tous  ses  .nembres ,  en 
«  coopérant  par  sa  charité  à  la  naissance  spiri- 
«  tuelle  des  enfants  de  Dieu ,  »  carne  mater  ca- 
pitis  nostri,  spiritu  mater  tnembronim  ejus, 
quia  cooperata  est  charitate  ut  fiiii  Dei  nasce- 
rentur  in  Ecclesia  '  ?  Vous  voyez  que  nous  en- 
tendons ce  mystère  comme  Tout  entendu,  dès 
les  premiers  siècles ,  ceux  qui  ont  traité  avant 
nous  les  Écritures  divines.  Mais,  mes  frères, 
ce  n'est  pas  assez  qu'elle  contribue  à  la  naissance 
des  enfrtnts  de  Dieu  ;  voyons  la  part  que  Jésus  lui 
donne  dans  leur  fidèle  persévérance. 

Paraissez  donc,  enfants  de  miséricorde  et  de 
grâce ,  d'adoption  et  de  prédestination  éternelle , 
fidèles  compagnons  du  sauveur  Jésus,  qui  per- 
sévérez avec  lui  jusqu'à  la  Un  ;  accourez  à  la  sainte 
Vierge,  et  venez  >ous  ranger  avec  les  autres 
sous  les  ailes  de  sa  charité  maternelle.  Chrétiens, 
je  les  vois  paraître ,  et  le  disciple  chéri  de  notre 
Sauveur  nous  les  représente  au  Calvaire.  Puis- 
qu'il suitavecMarie  Jésus-Christ  jusqu'à  la  croix, 
pendant  que  les  autres  disciples  prennent  la  fuite  ; 
puisqu'il  s'attache  constamment  à  ce  bois  mys- 
tique ,  qu'il  vient  généreusement  mourir  avec  lui, 
il  est  la  figure  des  fidèles  persévérants,  et  vous 
voyez  aussi  que  Jésus-Christ  le  donne  à  sa  Mère  : 
«Femme,  lui  dit-il,  voilà  votre  fils^  «  »  Elle 
«  est ,  dit  saint  Ambroise ,  confiée  à  Jean  l'évan- 
«  géliste,  qui  ne  connaît  point  le  mariage.  Aussi 
«  je  ne  m'étonne  pas  qu'il  nous  ait  révélé  plus  de 
»  mystères  que  tous  les  autres ,  lui  à  qui  le  trésor 
«  des  secrets  célestes  était  toujours  ouvert  :  » 
Eademque  postea  Joannievangelistœ  est  iradita 

•  In  Joan.  Hom.  xxti,  t.  yiii,  p.  127. 
'  De  sancta.  firg  n°  8,  t.  vi ,  col.  343. 
'  Joan.  xis,  2ts. 


confugium  nescienti.  Vnde  non  miroi  prœ  cœ- 
tcris  locutum  mysteria  divina,  cui  prœsto  crat 
aulu  cœlestium  sacramentorum  '.  Chrétiens , 
J'ai  terni  parole.  Ceux  qui  savent  considérer  com- 
bien l'Écriture  est  mystérieuse,  connaîtront,  pai 
ces  trois  exemples ,  que  Marie  est  par  ses  pieuses 
intercessions  la  mère  des  appelés ,  des  justifiés , 
des  persévérants;  et  que  sa  charité  féconde  est 
un  instrument  général  des  opérations  de  la  grâce. 
Par  conséquent  réjouissons-nous  de  sa  concep- 
tion bienheureuse;  le  ciel  nous  forme  aujour- 
d'hui une  protectrice*.  Car  quelle  autre  peut  par- 
ler pour  nous ,  plus  utilement  que  cette  divine 
mère?  C'est  à  elle  qu'il  appartient  de  parler  au 
cœur  de  son  fils ,  où  elle  trouve  une  si  fidèle  cor- 
respondance. Les  sentiments  de  la  nature  sont 
relevés  et  perfectionnés ,  mais  non  éteints  dans 
la  gloire;  ainsi  elle  ne  craindra  pas  d'être  refu- 
sée. «  L'amour  du  fils  parle  pour  les  vœux  de  la 
1  mère  ,  la  nature  elle-même  le  sollicite  en  sa  fa- 
«  veur  :  on  cède  facilement  aux  prières ,  quand 
«  on  est  déjà  gagné  par  son  amour  même  :  » 
Affectas  ipse  pro  te  orat,  natura  ipsa  tibi  po- 
stulat  cito  annuunt  qui  suo  ipsi  amore  su- 

perantur  *. 

Par  conséquent ,  mes  frères ,  nous  avons  ap- 
puyé la  dévotion  envers  la  Vierge  bienheureuse, 
sur  un  fondement  solide  et  inébranlable.  Puis- 
qu'elle est  si  bien  fondée ,  anathèrae  à  qui  la  nie , 
et  ôte  aux  chrétiens  un  si  grand  secours.  Ana- 
thème  à  qui  la  diminue,  il  affaiblit  les  sentiments 
de  la  piété.  Dirai-je  anathème  à  qui  en  abuse  ? 
JXou ,  mes  frères ,  ils  sont  enfants  de  l'Église  ; 
soumis  à  ses  décrets ,  quoique  ignorants  de  ses 
maximes  :  ne  les  soumettons  pas  à  nos  anathè- 
raes ,  mais  instruisons- les  de  ses  règles.  Car  quel 
serait  notre  aveuglement ,  si ,  après  avoir  posé 
un  fondement  si  solide,  nous  bâtissions  dessus 
de  vaines  et  superstitieuses  pratiques?  Après  donc 
que  nous  avons  fondé  nos  dévotions ,  apprenons 
à  les  rectifier,  et  réglons-en  l'exercice  par  les 
maximes  de  l'Église.  Je  vous  dirai,  chrétiens, 

'  s.  Ambr.  de  Insl.  Firg.  cap.  yri,  t.  ii,  col.  262- 

*  Je  veux  croire  avec  vous ,  messieurs ,  quelle  n'a  jamais 
eu  de  péché ,  elle  qui ,  comme  dit  Pierre  Chrysologue ,  était 
engagée  au  sauveur  Jésus,  et  marquée  pour  lui  pai  le  Saiui- 
Esprit,  dès  le  premier  moment  de  son  être.  Provolat  ad 
sponsam  feslinus  interpres,  ut  humanœ  desponsionis 
arceat  et  suspendal  effeclum  ;  neque  auferat  ab  Joseph 
virginem,  sed  reddat  Chris to  eut  est  pignorata  cum 
fieret.  Pelr.  Chrysol.  Serm.  cxl,  de  AimuatlaL 

Nous  avons  cru  devoir  mettre  en  note  ce  passage,  ccmme 
l'a  fait  D.  Dcforis ,  parce  qu'en  cet  endroit,  ou  il  ni  placé  dans 
le  manuscrit,  il  interrompt  le  til  du  discours,  et  ne  se  lie  point 
avec  ce  qui  suit.  11  faut  cependant  observer  que  le  latin  n'est 
pas  dans  le  corps  du  sennoa,  niais  à  la mai^e.  (  Êdii.  de  Fer- 
milles.  ) 

î  Salv.  Ep.  tv ,  p   iog. 


158 


sua  LA  DÉVOTION 


en  peu  de  paroles,  quel  culte  nous  devons  a  Dieu, 
à  la  sainte  Vierge,  à  tous  les  esprits  bienheui-eux  ; 
et  c'est  ma  seconde  partie. 

SECOND    POINT. 

La  règle  fondamentale  de  l'honneur  que  nous 
rendons  à  la  sainte  Vierge  et  aux  bienheureux 
esprits,  c'est  que  nous  le  devons  rapporter  tout 
entier  à  Dieu  et  à  notre  salut  éternel.  Car  s'il  n'é- 
tait rapporté  à  Dieu ,  ce  serait  un  acte  purement 
humain ,  et  non  un  acte  de  religion  :  et  nous  sa- 
vons que  les  saints ,  étant  pleins  de  Dieu  et  de  sa 
gloire,  ne  reçoivent  pas  des  civilités  purement 
humaines.  La  religion  nous  unit  à  Dieu  ;  c'est  de 
là  qu'elle  prend  son  nom ,  comme  dit  saint  Au- 
gustin ,  et  c'est  par  là  qu'elle  est  définie  :  Religio, 
quod  nos  relUjet  omnipotenti  Deo  \  Ainsi  toute 
notre  dévotion  pour  la  sainte  Vierge  est  inutile 
et  superstitieuse ,  si  elle  ne  nous  conduit  à  Dieu 
pour  le  posséder  éternellement,  et  jouir  de  l'hé- 
ritage céleste.  Voilà  la  règle  générale  du  culte 
religieux,  c'est  qu'il  dérive  de  Dieu,  et  qu'il  y 
retourne  en  se  répandant  sur  ses  saints ,  sans  se 
séparer  de  lui. 

Mais,  pour  descendre  à  des  instructions  plus 
particulières,  je  remarquerai  quelques  différen- 
ces entre  le  culte  des  chrétiens  et  celui  des  ido- 
lâtres ;  et  quoiqu'il  semble  peu  nécessaire  de 
combattre  les  anciennes  erreurs  de  l'idolâtrie, 
dans  cette  grande  lumière  du  christianisme ,  tou- 
tefois la  vérité  paraîtra  plus  claire  par  cette  op- 
position. Donc ,  mes  frères ,  pour  toucher  d'abord 
le  principe  de  tout  le  mal  ;  les  anciens  ne  con- 
naissant pas  la  force  du  nom  de  Dieu ,  qui  ne  con- 
serve sa  grandeur  et  sa  majesté  que  dans  l'unité 
seule,  ont  divisé  la  divinité  par  ses  attributs  et 
par  ses  fonctions  différentes,  et  ensuite  par  les 
éléments  et  les  autres  parties  du  monde ,  dont  ils 
ont  fait  un  partage  entre  les  aînés  et  les  cadets 
comme  d'une  terre  et  d'un  héritage  :  le  ciel 
comme  le  plus  noble  et  le  principal  domicile  étant 
demeuré  à  leur  Jupiter,  et  le  reste  étant  échu  à 
ses  frères  et  à  sa  sœur,  comme  si  la  possession 
du  monde  pouvait  être  séparée  en  lots,  et  n'était 
pas  solidaire  et  indivisible  ;  ou  que  Dieu  eût  été 
obligé  d'aliéner  son  domaine ,  et  d'en  laisser  à 
d'autres  le  gouvernement  et  la  jouissance.  Après 
qu'on  eut  commencé  de  violer  la  sainte  unité  de 
Dieu  par  l'injurieuse  communication  de  ce  nom 
incommunicable ,  on  en  vint  successivement  à 
une  multiplication  sans  ordre  et  sans  bornes,  jus- 
qu'à reléguer  plusieurs  dieux  aux  foyers,  aux 
cheminées  et  aux  écuries ,  ainsi  que  saint  Augus- 
tin le  reproche  aux  Romains  et  aux  Grecs.  On 

•  De  Fer.  Rel.  d»  113,  t.l.col.  788.  De  Civit.  Dei.  lib.  X, 
«3\).  Ul ,  t.  TII ,  col.  240. 


en  mit  trois  à  la  seule  porte  ;  et  «  au  lieu,  dit  ce 
«  saint  évêque,  qu'un  seul  homme  suffit  pour 
«  garder  la  porte  d'une  maison,  les  Grecs  ont 
"  voulu  qu'il  y  eût  trois  dieux  :  »  Unum  quisque 
domui  suœ ponit  ostiarium  ;  et  quia  homo  est  y 
omnino  sufficit  :  très  deos  isti  posuerunt  '.  A 
quel  dessein  tant  de  dieux,  sinon  pour  désho- 
noier  ce  grand  nom  et  en  avilir  la  majesté?  Ne 
pensez  pas ,  chrétiens ,  que  ce  soit  une  inutile 
curiosité  qui  me  fasse  remarquer  ces  choses.  Con- 
sidérez combien  le  genre  humain,  qui  a  pu  don- 
ner créance  durant  tant  de  siècles  à  ces  cireurs 
insensées ,  était  livré  avant  Jésus-Christ  à  la  puis- 
sance des  ténèbres  ;  et  de  quel  prodigieux  aveu- 
glement nous  a  tirés  le  Sauveur,  par  la  lumière  de 
son  Évangile.  «  Rendons  grâces  à  Dieu  pour  son 
«  ineffable  don  :  >'  Grattas  Deo  super  inenar- 
rabili  dono  ejus  ». 

Pour  nous,  nous  n'adorons  qu'un  seul  Dieu 
tout-puissant ,  créateur  et  dispensateur  de  toutes 
choses,  au  nom  duquel  nous  avons  été  consacrés 
par  le  saint  baptême  (  ô  grâce  mal  conservée  !  ô 
foi  violée  trop  facilement  !  )  et  en  qui  seul  nous  re- 
connaissons une  souveraineté  absolue ,  une  bonté 
sans  mesure,  et  la  plénitude  de  l'être.  Nous  ho- 
norons les  saints  et  la  bienheureuse  Vierge ,  non 
par  un  culte  de  servitude  et  de  sujétion  (  car 
nous  sommes  libres  pour  tout  autre,  et  ne  som- 
mes assujettis  qu'à  Dieu  seul  dans  l'ordre  de  la 
religion  )  ;  mais  «  nous  les  honorons ,  dit  saint 
«  Ambroise  -^ ,  d'un  honneur  de  charité  et  de  so- 
rt ciété  fraternelle  :  »  Honoramus  eos  charitate^ 
non  servitule,  comme  dit  saint  Augustin  '';  et 
nous  révérons  en  eux  les  miracles  de  la  main  du 
Très-Haut,  la  communication  de  sa  grâce,  l'é- 
panchement  de  sa  gloire ,  et  la  sainte  et  glorieuse 
dépendance  par  laquelle  ils  demeurent  éternel- 
lement assujettis  à  ce  premier  être  ,  auquel  seul 
nous  rapportons  tout  notre  culte  comme  au  seul 
principe  de  tout  notre  bien,  et  au  terme  unique 
de  tous  nos  désirs.  Ne  soyons  donc  pas  de  ceux 
qui  pensent  diminuer  la  gloire  de  Dieu  et  de  Jé- 
sus-Christ, quand  ils  prennent  de  hauts  senti- 
ments de  la  sainte  Vierge  et  des  saints. 

Telle  est  la  vaine  appréhension  des  ennemis  de 
l'Église.  Mais ,  certes ,  c'est  attribuer  à  Dieu  une 
faiblesse  déplorable  que  de  le  rendre  jaloux  de 
ses  propres  dons  et  des  lumières  qu'il  répand  sur 
ses  créatures  :  car  que  sont  les  saints  et  la  sainte 
Vierge ,  que  l'ouvrage  de  sa  main  et  de  sa  grâce  ? 
Si  le  soleil  était  animé ,  il  n'aurait  point  de  ja- 

•  De  Fer.  Rel.  n°  113,  t.  i,  col.  788.  De  Civit.  Dei.  lib. 
IV ,  cap.  VIII ,  t.  vu ,  col.  94. 

=  11.  Cor.  IX,  IB. 

3  Lib.  de  Fid.  tom.  ii ,  col.  200. 

*  De  Fer.  Relig.  n»  110, 1. 1,  col.  787,  lib.  XXI,  cont.  FauU, 
t.  %  ni ,  col.  347. 


A  LA  SAINTE  VIERGE. 


159 


iousie  en  voyant  -  la  lune  qui  préside  à  la  nuit ,  » 
comme  dit  Moïse  ' ,  par  une  lumière  si  claire  , 
parce  que  toute  sa  clarté  dérive  de  lui  ;  et  que 
c'est  lui-même  qui  nous  luit  et  qui  nous  éclaire , 
par  la  réflexion  de  ses  rayons.  Quelque  haute  per- 
fection que  nous  reconnaissions  en  Marie  ,  Jésus- 
Christ  pourrait-il  en  être  jaloux ,  puisque  c'est 
de  lui  qu'elle  est  découlée ,  et  que  c'est  à  sa  seule 
gloire  qu'elle  se  rapporte?  C'est  une  erreur  misé- 
rable. Mais  ils  sont  beaucoup  plus  dignes  de  com- 
passion lorsqu'ils  nous  accusent  d'idolâtrie  dans 
la  pureté  de  notre  culte ,  et  qu'ils  en  accusent 
avec  nous  les  Ambroise,  les  Augustin  et  les 
Chrysostôme ,  dont  ils  confessent  eux-mêmes , 
je  n'impose  pas,  que  nous  suivons  la  doctrine, 
la  pratique  et  les  exemples.  Il  ne  faut  pas  que  des 
reproches  si  déraisonnables ,  qu'ils  font  avec  tant 
d'aigreur  à  l'Église  catholique ,  nous  aigrissent 
nous-mêmes  contre  eux;  mais  qu'ils  nous  fassent 
déplorer  les  excès  où  sont  emportés  les  esprits 
opiniâtres  et  contredisants ,  et  nous  inspirent , 
par  la  charité ,  un  désir  sincère  de  les  ramener  et 
de  les  instruire. 

Comme  nous  n'avons  qu'un  seul  Dieu ,  aussi 
n'avons-nous  qu'un  médiateur  universel  ;  et  c'est 
celui  qui  nous  a  sauvés  par  son  sang.  Quelques 
philosophes  païens  estimaient  que  la  nature  di- 
vine était  inaccessible  aux  mortels ,  qu'elle  ne  se 
mêlait  pas  immédiatement  et  par  elle-même  dans 
les  affaires  humaines ,  ou  sa  pureté ,  disaient-ils, 
se  serait  souillée  ;  et  que ,  ne  voulant  pas  que  des 
créatures  si  faibles  que  nous  pussent  aborder  son 
trône ,  elle  avait  disposé  des  médiateurs  entre  elle 
et  nous ,  qu'ils  appelaient  pour  cela  des  dieux 
mitoyens.  Nous  rejetons  celte  doctrine ,  puisque 
le  Dieu  que  nous  servons  nous  a  créés  de  sa 
propre  main  à  son  image  et  ressemblance.  Nous 
croyons  qu'il  nous  avait  faits  dans  notre  première 
institution  pour  convei-ser  avec  lui  ;  et  si  nous 
sommes  exclus  de  sa  bienheureuse  présence  et 
d'une  si  douce  communication ,  c'est  parce  que 
nous  sommes  devenus  pécheurs.  Le  sang  de  Jé- 
sus-Christ nous  a  réconciliés ,  et  ce  n'est  qu'au 
nom  de  Jésus  que  nous  pouvons  désormais  appro- 
cher de  Dieu.  C'est  en  ce  nom  que  nous  prions 
pour  nous-mêmes;  c'est  en  ce  nom  que  nous 
prions  pour  tous  les  fidèles  :  et  Dieu,  qui  aime 
la  charité  et  la  concorde  des  frères ,  nous  écoute 
favorablement  les  uns  pour  les  autres.  Ainsi  nous 
ne  doutons  pas  que  les  saints ,  qui  régnent  avec 
Jésus-Christ ,  ne  soient  des  intercesseurs  agréa- 
bles, qui  s'intéressent  pour  nous.  Parce  que  nous 
sommes  chers  à  Dieu ,  tous  ceux  qui  sont  avec 
Dieu  sont  des  nôtres  :  oui ,  tous  les  esprits  bien- 

•  Genêt-  i,  I». 


heureux  sont  nos  amis  et  nos  frères  ;  nous  leur 
parlons  avec  confiance ,  et,  quoiqu'ils  ne  parais- 
sent pas  à  nos  yeux ,  notre  foi  nous  les  rend  pré- 
sents :  leur  charité  aussi  en  même  temps  nous 
les  rend  propices ,  et  ils  concourent  à  tous  les 
vœux  que  la  piété  nous  inspire.  Mais  écoutez, 
chrétiens ,  «  une  doctrine  plus  utile  et  plus  excel- 
«  lente  :  »  Adhuc  excelientiorem  viam  vobis  de- 
monstro  \  Les  idolâtres  adoraient  des  dieux 
coupables  de  mille  crimes.  On  ne  pouvait  les  ho- 
norer sans  profanation ,  parce  qu'on  ne  pouvait 
les  imiter  sans  honte.  Mais  voici  la  règle  du  chris- 
tianisme, que  je  vous  prie  de  graver  en  votre 
mémoire.  Le  chrétien  doit  imiter  tout  ce  qu'il 
honore  :  tout  ce  qui  est  l'objet  de  notre  culte  doit 
être  le  modèle  de  notre  vie  *. 

Le  psalmiste,  après  avoir  témoigné  son  zèle 
contre  les  idoles  muettes  et  insensibles  que  les 
païens  adoraient ,  conclut  enfin  en  ces  termes  : 
«  Puissent  leur  ressembler  ceux  qui  les  servent 
'<  et  qui  mettent  en  elles  leur  conliance  î  "  Simi' 
les  eis fiant  guifaciiint  ea^  !  Il  voulait  dire,  mes- 
sieurs, que  l'homme  se  doit  conformer  à  ce  qu'i.' 
adore  ;  et  ainsi  que  les  adorateurs  des  idoles  mé 
ritent  de  devenir  sourds  et  aveugles  comme  elles. 
Mais  nous  qui  adorons  un  Dieu  vivant ,  nous  de- 
vons être  vivants  comme  lui  d'une  véritable  vie. 
il  faut  que  «  nous  soyons  saints,  parce  que  le 
<<  Dieu  que  nous  servons  est  saint  *.  »  Il  faut  que 
nous  «  soyons  miséricordieux ,  parce  que  notre 
«  Père  céleste  est  miséricordieux  ^  ;  »  et  que  nou? 
pardonnions  comme  il  nous  pardonne  ^.  «  [  II 
'  fait  lever  ]  son  soleil  sur  les  bons  et  sur  les 
«  mauvais  '  ;  »  nous  [  devons  étendre  de  même  j 
notre  charité  sur  nos  amis  et  sur  nos  ennemis.  Il 
faut  que  nous  «  soyons  des  adorateurs  spirituels , 
>  et  que  nous  adorions  en  esprit ,  parce  que  Dieu 
«  est  Esprit  *.  »  Enfin  «  nous  devons  nous  rendre 
«  parfaits ,  dit  le  Fils  de  Dieu ,  parce  que  celui 
«  que  nous  adorons  est  parfait  9.  ^ 

Quand  nous  célébrons  les  saints,  est-ce  pour 
augmenter  leur  gloire?  ils  sont  pleins,  ils  sont 
comblés  :  c'est  pour  nous  inciter  à  les  suivre. 
Ainsi ,  à  proportion  ,  quand  nous  les  honorons 
pour  l'amour  de  Dieu ,  nous  nous  engageons  à  les 
imiter.  C'est  le  dessein  de  l'Église  dans  les  fêtes 
qu  elle  célèbre  à  leur  honneur  ;  et  elle  déclare  son 
intention  par  cette  belle  prière  :  «  0  Seigneur! 
«  donnez  nous  la  grâce  d'imiter  ce  que  nous  ho- 

'  I.  Cor.  X5i,3I. 

'  s.  Aug.  de  Civil.  Dei,  lib.  Vin,  cap.  xvii ,  t.  ?il,  col.  20«. 

'  Ps.  CXIU,  16. 

♦  Levit.  XI ,  44. 

*  Luc.  VI ,  36. 

«  .Vrt«A.  TI,  14. 
■  Jbid.  V ,  45. 

•  Joan.  V,  24. 
»  .Vu«A.  T,  v«. 


ÏGO 


SUU  LA  DEVOTION 


t  norons  '.  »  <  Autant  de  fêtes  que  nous  célébrons, 
«  dit  saiut  Basile  de  Séleucie ,  autant  de  tableaux 
«  nous  sont  proposés  pour  nous  servir  de  modè- 
«  les.  «  «  Les  solennités  des  niartyrs,  dit  saiut 
«  Augustin  * ,  sonL  des  exhortations  au  raar- 
«  tyre  :  »  «  Les  martyrs,  dit  lo  môme  Père  ^,  ne 
«  se  portent  pas  volontiers  à  prier  pour  nous, 
«  s'ils  n'y  reconnaissent  quelques-unes  de  leurs 
«  vertus.  »  C'est  donc  la  tradition  et  la  doctrine 
constante  de  l'Église  catholique,  que  la  partie 
la  plus  essentielle  de  l'honneur  des  saints  c'est  de 
savoir  profiter  de  leurs  bons  exemples.  En  vain 
nous  célébrons  les  martyrs,  si  nous  ne  tâchons 
de  nous  conformer  à  leur  patience.  Il  faut  être  pé- 
nitent et  mortifié  comme  les  saints  confesseurs , 
quand  on  célèbre  la  solennité  des  saints  confes- 
seurs; il  faut  être  humble,  pudique  et  modeste 
comme  les  vierges,  quand  on  honore  les  vier- 
ges, mais  surtout  quand  on  honore  la  Vierge  des 
vierges. 

Vous  donc,  ô  enfants  de  Dieu,  qui  désirez 
d'être  heureusement  adoptés  par  la  mèi'e  de  notre 
Sauveur   soyez  ses  fidèles  imitateurs,  si  vous 
voulez  titre  ses  dévots.  Vous  récitez  tous  les  jours 
cet  admirable  cantique  que  la  sainte  Vierge  a 
commencé  en  ces  termes  :  Magnificat  anima 
mea  Dominum,  et  exultavit  spiritus  meus  in 
Deo  salutan  meo'^  :  «  Mon  âme  glorifie  le  Sei- 
«  gneur,  et  mon  esprit  est  ravi  de  joie  en  Dieu 
«  mon  Sauveur.  «  Quand  nous  récitons  son  can- 
tique, imitons  sa  piété,  dit  excellemment  saint 
Ambroise^  :  «  Que  Tâme  de  Marie  soit  en  nous 
«  tous  pour  glorifier  le  Seigneur;  que  l'esprit  de 
«  Marie  soit  en  nous  pour  nous  réjouir  en  Dieu  :  » 
Sit  in  singulis  Mariœ  anima  y  ut  macjnificel 
Dominum;  sit  in  singulis  spiritus  Mariœ,  ut 
exultetin  Deo.  Nous  admirons  tous  les  jours 
cette  pureté  virginale  qui  l'a  rendue  si  heureu- 
sement féconde,  qu'elle  a  conçu  le  Verbe  de  Dieu 
en  ses  entrailles.  «  Sachez,  dit  le  même  Père^, 
«  que  toute  âme  chaste  et  pudique  qui  conserve 
.<  sa  pureté  et  son  innocence ,  conçoit  la  Sagesse 
«  éternelle  en  elle-même,  et  qu'elle  est  remplie 
«  de  Dieu  et  de  sa  grâce ,  à  l'imitation  de  Marie  :  » 
Omnis  enim  anima  accipit  Dei  Verbum,  si 
tamen,  immaculata  etimmvnis  a  vitiis,  inte- 
merato  castimoniam  pudore  ciistodiat. 

Souffrez,  mesdames,  que  je  vous  propose 
comme  le  modèle  de  votre  sexe  celle  qui  en  est 
la  gloire.  On  aime  à  voif  les  portraits  et  les  ca- 
ractères des  personnes  illustres.  Qui  me  donnera 

ï  Collcct.  in  die  S.  Steph. 

»  Append.  Semi.  ccxxv,  n"  !,  t.  v ,  col.  370. 

»  Ibid.  Serm.  ccxcii ,  n"  I ,  t.  v ,  col.  480. 

«  Luc.\,  4G,  47. 

»  S.  Amh.  lib.  n,  n"  26,  in  Luc.  Evang.  cap.  i,  1. 1,  col.  1290. 

•  Ibid. 


des  traits  assez  délicats  pour  vous  représenter 
aujourd'hui  les  grâces  pudiques ,  les  chastes  et 
immortelles  beautés  de  la  divine  Marie?  Les 
peintres  hasardent  tous  les  jours  des  images  de 
la  sainte  Vierge,  qui  ressemblent  à  leurs  idées 
et  non  à  elle.  Le  tableau  que  je  trace  aujour- 
d'hui et  que  je  vous  invite,  messieurs,  et  vous 
principalement,  mesdames,  de  copier  dans  vo- 
tre vie,  est  tiré  sur  l'Évangile;  et  il  est  fait,  si  je 
l'ose  dire,  après  le  Saint-Esprit  même.  Mais  re- 
marquez que  cette  Écriture  ne  s'occupe  pas  à 
nous  faire  voir  les  hautes  communications  de  la 
sainte  Vierge  avec  Dieu ,  mais  les  vertus  ordinai- 
res ,  afin  qu'elle  puisse  être  un  modèle  d'un  usage 
commun  et  familier.  Donc  le  caractère  essentiel 
de  la  bienheureuse  Vierge,  c'est  la  modestie  et 
la  pudeur  :  elle  ne  songeait  ni  à  se  faire  voir, 
quoique  belle  ;  ni  à  se  parer,  quoique  jeune;  ni 
à  s'agrandir,  quoique  noble;  ni  à  s'enrichir, 
quoique  pauvre.  Dieu  seul  lui  suffit  et  fait  tout 
son  bien.  Combien  est-elle  éloignée  de  celles  dont 
on  voit  errer  de  tous  côtés  les  regards  hardis , 
et  qui  se  veulent  aussi  faire  regarder  par  leurs 
mines  et  leurs  façons  affectées!  Marie  trouve 
ses  délices  dans  sa  retraite  ;  et  est  si  peu  accou- 
tumée à  la  vue  des  hommes,  qu'elle  est  même 
troublée  à  l'aspect  d'un  ange.  «  Elle  fut  donc 
»  troublée ,  dit  l'historien  sacré  ' ,  à  la  parole  de 
«  l'ange;  et  elle  pensait  en  elle-même  quelle  pou- 
«  vait  être  cette  salutation.  »  Mais  remarquez 
ces  paroles  :  Elle  est  troublée ,  et  elle  pense  ;  elle 
est  toujours  sur  ses  gardes,  et  la  surprise  n'é- 
touffe pas  en  son  âme,  mais  plutôt  elle  y  éveille 
la  réflexion.  «  Ainsi  sont  faites  les  âmes  pudiques  : 
'<  on  les  voit  toujours  craintives,  jamais  assu- 
«  rées;  elles  tremblent  où  il  n'y  a  rien  à  appré- 
■'■  hender,  afin  de  trouver  la  sûreté  dans  le  péril 
«  même  :  elles  soupçonnent  partout  des  embù- 
«  ches,  et  craignent  moins  les  injures  que  les 
«  complaisances ,  moins  ce  qui  choque  que  ce  qui 
«  plaît,  moins  ce  qui  rebute  que  ce  qui  attire  :  » 
Soient  virgines,  quœ  vere  virgines  sunt,  sem- 
perpavidœ  et  nunquam  esse  securœ;  et  ut  ca- 
veanttimida,  etiam  tuta iiertimescere....  Quid- 
quid  novum,  qiddquid  subitum  ortum  fuerit , 
suspectas  habent  insidias,  totum  contra  se  œ- 
stimant  machinatum'.  [Il  n'en  est  pas  ainsi  de 
ces  femmes  mondaines  qui]  tendent  des  pièges 
où  elles  sont  prises. 

Mais ,  admirez  qu'elle  pense  et  qu'elle  ne  parle 
pas  ;  elle  n'engage  pas  la  conversation  :  elle  ne  s'é- 
panche pas  en  discours  et  en  questions  curieuses , 
inutiles.  Où  sont  celles  qui  se  piquent  de  tirer  le 


'  Lite.i,  29. 

2  S.  Bern.  super  Missiis  est;  Homil.  m,  1. 1,  col.  /47 


A  LA  SAINTE  VIERGE. 


JGl 


plus  iulime  secret  des  cœurs ,  et  de  pénétrer  ce 
qu'il  y  a  de  plus  caché?  Qu  elles  apprennent  de 
Marie  à  être  attentives ,  et  non  curieuses  et  in- 
quiètes ;  à  veiller  au  dedans ,  plutôt  qu'à  se  ré- 
pandre au  dehors.  Elle  parle  toutefois  quand  la 
nécessité  l'y  oblige ,  quand  le  soin  de  sa  chasteté 
le  demande.  On  lui  propose  d'être  mère  du  Fils 
du  Très-Haut;  quelle  femme  ne  serait  point 
touchée  d'une  fécondité  si  glorieuse?  «  Com- 
«  meut,  dit-elle ,  serai-je  mère,  si  j'ai  résolu  d'être 
«  toujours  vierge  •  ?  »  Elle  est  prête  à  refuser  des 
offres  si  glorieuses  et  si  magnifiques ,  que  l'ange 
lui  fait  de  la  part  de  Dieu.  Elle  n'est  point  flattée 
de  cette  gloire  ;  et  plus  touchée  de  son  devoir  que 
de  sa  grandeur,  elle  commence  à  craindre  pour 
sa  chasteté.  0  amour  de  la  chasteté  :  qui  n'est 
pas  seulement  au-dessus  de  toutes  les  promesses 
des  hommes  ;  mais  qui  est ,  pour  ainsi  dire ,  à 
l'épreuve  de  toutes  les  promesses  de  Dieu  même  ! 
L'auge  lui  expUque  le  divin  mystère  et  le  secret 
inouï  de  sa  miraculeuse  maternité.  Elle  parle  une 
seconde  fois  pour  céder  à  la  volonté  divine  : 
«  Voici,  dit-elle,  la  servante  du  Seigneur;  qu'il 
«  me  soit  fait  selon  votre  parole  ».  »  Heureuse  de 
n'avoir  parlé  que  pour  conserver  sa  virginité  et 
pour  témoigner  son  obéissance  ! 

Mais  admirez  sa  modestie  :  dans  un  état  de 
gloire  qui  surprend  les  hommes  et  les  anges ,  elle 
ne  se  remplit  pas  d'elle-même  ni  des  pensées  de 
sa  grandeur  ;  renfermée  dans  sa  bassesse  pro- 
fonde ,  elle  s'étonne  que  Dieu  ait  pu  ai-rêter  les 
yeux  sur  elle.  «  Il  a,  dit-elle,  regardé  la  bassesse 
•<  de  sa  servante  ^.  »  Bien  loin  de  se  regarder 
comme  la  merveille  du  monde ,  auprès  de  qui 
chacun  se  doit  empresser,  elle  va  chercher  elle- 
même  sa  cousine  sainte  Elisabeth  ;  et  plus  soi- 
gneuse de  se  réjouir  des  avantages  des  autres , 
que  de  considérer  les  siens,  elle  prend  part  aux 
grâces  dont  le  ciel  avait  honoré  la  maison  de  sa 
parente.  Elle  célèbre  avec  elle  les  miracles  qui  se 
sont  accomplis  en  elle-mê.aie ,  parce  qu'elle  l'en 
trouve  instruite  par  le  Saint-Esprit.  Partout  ail- 
leurs elle  écoute ,  et  garde  un  humble  silence. 
«  Elle  conserve  tout  en  son  cœur^.  »  Ainsi  elle 
condamne  tous  ceux  qui  ne  se  sentent  pas  plu- 
tôt le  moindre  avantage ,  qu'ils  fatiguent  toutes 
les  oreilles  de  ce  qu'ils  ont  dit ,  de  ce  qu'ils  ont 
fait ,  de  ce  qu'ils  ont  mérité  ;  et  fait  voir  à  toute 
Ui  terre ,  par  son  incomparable  modestie ,  qu'on 
peut  être  grand  sans  éclat ,  qu'on  peut  être  bien- 
heureux sans  bruit ,  et  qu'on  peuttrouver  Ja  vraie 
gloire  sans  le  secours  de  la  renommée ,  dans  le 
simple  témoignage  de  sa  conscience. 

'  Luc.  1 ,  34. 
'  Ibid.  38, 
s  Ibid.  48. 
*  Jbid.  11,19. 

BOSSltT.  —  T.  Bl- 


Telle  est,  messieurs ,  cette  Vierge  dont  je  vous 
dis  encore  une  fois  que  vous  ne  serez  jamais  les 
dévots,  si  vous  n'en  êtes  les  imitateurs.  Dressez 
aujourd'hui  en  son  honneur  une  image  sainte , 
soyez  vous-mêmes  son  image.  «  Chacun ,  dit  saint 
«  Grégoire  de  Nysse  « ,  est  le  peintre  et  le  sculp- 
"  teur  de  sa  vie.  »  Formez  la  vôtre  sur  la  sainte 
Vierge ,  et  soyez  de  fidèles  copies  d' un  si  parfait 
original.  Réglez  donc  votre  conduite  sur  ce  beau 
modèle.  Soyez  humbles ,  soyez  pudiques ,  soyez 
modestes  ;  méprisez  les  vanités  du  mond«^  et  tou- 
tes les  modes  ennemies  de  l'honnêteté.  Que  les 
habits  ofticieux  envers  la  pudeur  cachent  fidèle- 
ment ,  mesdames ,  ce  qu'elle  ne  doit  pas  laisser 
paraître  :  si  vous  plaisez  moins ,  par  là  vous  plai- 
rez à  qui  il  faut  plaire  ;  et  qae  le  visage,  qui  doit 
seul  être  découvert ,  parce  que  c'est  là  que  reluit 
l'image  de  Dieu ,  ait  encore  sa  couverture  con- 
venable, et  comme  un  voile  divin,  par  la  simpli- 
cité et  la  modestie.  Marie  avouera  que  vous  l'ho- 
norez quand  vous  imiterez  ses  vertus  :  elle  priera 
pour  vous,  quand  vous  serez  soigneuses  de  plaire 
à  son  fils  ;  et  vous  plairez  à  son  fils  ,  quand  il 
vous  verra  semblables  à  la  mère  qu'il  a  choisie. 
'■\  Jusquesici,chrétiens,  j'ai  tâché  de  vous  faire 
voir  que  la  véritable  dévotion  pour  la  sainte  Vierge 
et  pour  les  saints ,  c'est  celle  qui  nous  persuade 
de  nous  soumettre  à  Dieu  à  leur  exemple ,  et  de 
chercher  avec  eux  le  bien  véritable,  c'est-à-dire, 
notre  salut  éternel ,  par  la  pratique  des  vertus 
chrétiennes,  dont  ils  ont  été  un  parfait  modèle. 
Maintenant  il  sera  aisé  de  condamner,  par  la  rè- 
gle que  nous  avons  établie,  toutes  les  fausses 
dévotions  qui  déshonorent  le  christianisme.  Et 
premièrement ,  chrétiens ,  ce  qui  corrompt  nos 
dévotions  jusqu'à  la  racine,  c'est  que,  bien  loin 
de  les  rapporter  à  notre  salut ,  nous  prétendons 
les  faire  servir  à  nos  intérêts  temporels.  Démen- 
tez-moi ,  mes  frères ,  si  je  ne  dis  pas  la  vérité. 
Qui  s'avise  de  faire  des  vœux  et  de  demander 
du  secours  aux  saints  contre  ses  péchés  et  ses 
vices,  leui*s  prières  pour  obtenir  sa  conversion? 
Ces  affaires  importantes  qu'on  recommande  de 
tous  côtés  dans  nos  sacristies ,  ne  sont-elles  pas 
des  affaires  du  monde?  Et  plût  à  Dieu  du  moins 
qu'elles  fussent  justes  ;  et  que ,  si  nous  ne  crai- 
gnons pas  de  rendre  Dieu  et  ses  saints  les  minis- 
tres et  les  partisans  de  nos  intérêts,  nous  ap- 
préhendions du  moins  de  les  faire  complices  de 
nos  crimes!  Nous  voyons  régner  en  nous  sans 
inquiétude  des  passions  qui  nous  tuent ,  et  jamais 
nous  ne  prions  Dieu  qu'il  nous  en  délivTe.  S'il 
nous  arrive  quelque  maladie ,  ou  quelque  affaire 
fâcheuse  dans  notre  famille,  c'est  alors  que  nous 


'  De  Perf  Christiani fonna ,  t.  ni,  p.  288. 


Il 


162 


SUR  LA  DÉVOTION 


commençons  à  faire  des  nenvaines  à  tous  les 
nutels  et  à  tons  les  saints,  et  à  charger  véritable- 
ment le  ciel  de  nos  vœux  :  car  est-il  rien  qui  le 
fatigue  davantage  et  qui  lui  soit  plus  à  charge 
que  des  vœux  et  des  dévotions  basses  et  inté- 
ressées? Alors  on  commence  à  se  souvenir  qu'il 
y  a  des  malheureux  qui  gémissent  dans  les  pri- 
sons ,  et  des  pauvres  délaissés  qui  meurent  de 
faim  et  de  maladie  dans  quelque  coiû  ténébreux. 
Alors,  charitables  par  intérêt  et  pitoyables  par 
force ,  nous  donnons  peu  à  Dieu  pour  avoir  beau- 
coup; et  très-contents  de  notre  zèle,  qui  n'est 
qu'un  empressement  pour  nos  intérêts,  nous 
croyons  que  Dieu  nous  doit  tout ,  jusqu'à  des  mi- 
racles, pour  satisfaire  aux  désirs  de  notre  amour- 
propre.  0  Éternel ,  tels  sont  les  adorateurs  qui 
remplissent  vos  églises!  sainte  Vierge,  esprits 
bienheureux,  tels  sont  ceux  qui  vous. veulent 
faire  leurs  intercesseurs!  ils  vous  chargent  de  la 
sollicitation  de  leurs  affaires,  ilsprétendent  vous 
engager  dans  les  intrigues  qu'ils  méditent  pourt 
élever  leui*  fortune ,  et  ils  veulent  que  vous  ou- 
bliiez que  vous  avez  méprisé  le  monde  dans  le- 
quel ils  vous  prient  de  les  établir.  0  Jésus ,  telles 
sont  les  dispositions  de  ceux  qui  se  nomment  vos 
disciples!  0  que  vous  pourriez  dire  avec  raison 
ce  que  vous  disiez  autrefois*  :  «  La  foule  m'ac- 
«  cable  :  »  Turhœ  me  comprimunt^  !  Tous  vous 
pressent ,  aucun  ne  vous  touche  ;  cette  troupe  qui 
environne  vos  saints  tabernacles  est  une  troupe 
de  Juifs  mercenaires  qui  ne  vous  demande  qu'une 
terre  grasse  et  des  rivières  coulantes  de  lait  et  de 
miel ,  c'est-à-dire ,  des  biens  temporels  ;  comme  si 
nous  étions  encore  dans  le  désert  de  Sina ,  et  sur 
les  bords  du  Jourdain ,  et  parmi  les  ombres  de 
Moïse ,  et  non  dans  les  lumières  et  sous  l'Évan- 
gile de  celui  qui  a  prononcé  que  «  son  royaume 
«  n'est  pas  de  ce  monde  :  »  Regnum  meum  non 
est  de  hoc  mundo  *. 

Je  ne  veux  pas  dire  toutefois  qu'il  nous  soit 
défendu  d'employer  les  saints  pour  nos  besoins 
temporels;  puisque  Jésus-Christ  nous  a  enseigné 
de  demander  à  son  Père  notre  nourriture ,  et  que 
la  sainte  Vierge  n'a  pas  dédaigné  de  représenter 
à  son  filb'  que  le  vin  manquait  dans  les  noces  de 
Cana.  Demandons  donc  avec  confiance  notre 
pain  de  tous  les  jours  ;  et  entendons  par  ce  mot , 
si  vous  le  voulez ,  non-seulement  les  nécessités , 
mais  encore,  puisque  nous  sommes  si  faibles,  les 
commodités  temporelles  ;  je  n'y  résiste  pas  :  mais 
du  moins  n'oublions  pas  que  nous  sommes  chré- 
tiens, et  que  nous  attendons  une  vie  meilleure. 

*  C'est  saint  Pierre  et  les  autres  disciples  qui  disent  à  Jé- 
sus-Christ :  Prceceptur,  turbx  te  comprimunt.  {Êdit.  de  JOé- 
faris.  ) 

'  Luc.  V]ii,45. 

'  Joau.  XVlll,  30 


Considérez  en  quel  rang  est  placée  cotte  de- 
mande :  elle  est  placée  au  milieu  de  l'Oraison 
dominicale,  au  milieu  de  sept  demandes;  tout 
ce  qui  précède  et  tout  ce  qui  suit  est  spirituel. 
Devant ,  nous  sanctifions  le  nom  de  Dieu  ;  nous 
souhaitons  l'avénemeut  de  son  règne ,  nous  nous 
conformons  à  sa  volonté  :  après,  nous  demandons 
humblement  la  rémission  des  péchés;  la  protec- 
tion divine  contre  le  malin,  et  la  délivrance  du 
mal  :  au  milieu  est  un  soin  passager  des  nécessi- 
tés temporelles,  qui  est  pour  ainsi  dire  tout  ab- 
sorbé par  les  demandes  de  l'esprit.  Encore  ce 
pain  de  tous  les  jours ,  que  nous  demandons ,  a- 
t-il  une  double  signification.  Il  signifie  la  nour- 
riture des  corps ,  et  il  signifie  encore  la  nourri- 
ture de  l'âme;  c'est-à-dire,  l'eucharistie ,  qui  est 
le  pain  véritable  des  enfants  de  Dieu  :  tant  Jésus 
a  appréhendé  que  le  soin  de  ce  corps  mortel  et 
de  cette  vie  malheureuse  ne  nous  occupât  toiit 
seul  un  moment!  tant  il  a  voulu  nous  tenir  tou- 
jours suspendus  dans  l'attente  des  biens  futurs 
et  de  la  vie  éternelle  !  Nous ,  au  contraire ,  nous 
venons  prier  quand  les  besoins  humains  nous  en 
pressent.  A  force  de  recommander  à  Dieu  nos 
malheureuses  affaires ,  l'effort  que  nous  faisons 
pour  l'engager  avec  tous  ses  saints  dans  nos  in- 
térêts fait  que  nous  nous  échauffons  nous-mê- 
mes dans  l'attachement  que  nous  y  avons.  Ainsi 
nous  sortons  de  la  prière,  non  plus  tranquilles 
ni  plus  résignés  à  la  volonté  de  Dieu ,  ni  plus  fer- 
vents pour  sa  sainte  loi,  mais  plus  ardents  et  plis  1  ' 
échauffés  pour  les  choses  de  la  terre.  Aussi  vous  > 
voit-on  revenir,  quand  les  affaires  réussissent  njal, 
non  avec  ces  plaintes  respectueuses  qu'une  dou- 
leur soumise  répand  devant  Dieu  pour  les  faire 
mourir  à  ses  pieds ,  mais  avec  de  secrets  mur- 
mures et  avec  un  dégoût  qui  tient  du  dédain. 

Chrétiens ,  vous  vous  oubliez  ;  le  Dieu  que  vous 
priez  est-il  une  idole  dont  vous  prétendez  faire 
ce  que  vous  voulez,  et  non  le  Dieu  véritable  qui 
doit  faire  de  vous  ce  qu'il  veut?  Je  sais  qu'il  est    | 
écrit  que  «  Dieu  fait  la  volonté  de  ceux  qui  le     | 
«  craignent  '  ;  »  mais  il  faut  donc  qu'ils  le  crai- 
gnent et  qu'ils  se  soumettent  à  lui  dans  le  fond 
du  cœur.  «  L'oraison ,  dit  saint  Thomas,  est  une   .1 
«  élévation  de  l'esprit  à  Dieu ,  »  ascensio  mentis 
in  Deum  *.  Par  conséquent  il  est  manifeste ,  con- 
clut le  docteur  angélique,  que  celui-là  ne  prie  i 
pas,  qui,  bien  loin  de  s'élever  à  Dieu,  demande  1 
que  Dieu  s'abaisse  à  lui ,  et  qui  vient  à  l'oraison  ', 
non  point  pour  exciter  l'homme  à  vouloir  ce  que   ■ 
Dieu  veut ,  mais  seulement  pour  persuader  à  Dieu 
de  vouloir  ce  que  veut  l'homme.  Qui  pourrait  sup- 
porter celte  irrévérence?  Ausss  nous,  hommes 

»    Ps.  CXLIV,   17. 

■  2.  2.  QuiCsl.  LXXXIU ,  Art.  I ,  ad  2. 


A  LA  SAINTE  VIERGE. 


161 


charnels,  nous  avisons-nons  d'un  autre  artifice  : 
SI  nous  n'osons  espérer  de  tourner  Dieu  à  notre 
motle,  nous  croyons  pouvoir  fléchir  plus  facile- 
ment la  sainte  Vierge  et  les  saints ,  et  les  faire 
venir  à  notre  point ,  à  force  de  les  flatter  par  nos 
louanges  ou  à  force  de  les  fatiguer  par  nos  priè- 
res empressées.  Ne  croyez  pas  que  j'exagère  : 
nous  traitons  avec  les  saints  comme  avec  des 
hommes  ordinaires,  que  nous  croyons  gagner 
aisément  par  une  certaine  ponctualité  et  par  quel- 
que assiduité  de  petits  services  ;  et  nous  ne  con- 
sidérons pas  que  ce  sont  des  hommes  divins", 
«  qui  sont  entrés,  comme  dit  David',  dans  les 
«  puissances  du  Seigneur,  »  dans  les  intérêts  de 
sa  gloire ,  dans  les  sentiments  de  sa  justice  et  de 
sa  jalousie  contre  les  pécheurs ,  aussi  bien  que 
dans  ceux  de  sa  bonté  et  de  sa  miséricorde. 

0  Dieu!  les  hommes  ingrats  abuseront -ils 
toujours  des  bienfaits  divins,  et  les  verrons-nous 
toujours  si  aveugles  que  d'aigrir  leurs  maux  par 
les  remèdes?  Car  quelle  est  cette  dévotion  pour 
la  sainte  Vierge ,  que  je  vois  pratiquée  par  les 
chrétiens?  Ils  se  font  des  lois,  et  ils  les  suivent; 
ils  s'imposent  des  obligations,  et  ils  y  sont  ponc- 
tuels. Cependant  ils  méprisent  celles  que  Dieu 
leur  impose,  et  violent  hardiment  ses  lois  les  plus 
saintes;  dignes  certes  de  cette  terrible  malédic- 
tion que  Dieu  prononce  par  la  bouche  de  son 
prophète  *  :  Malheur  à  vous  «  qui  cherchez  dans 
«  vos  dévotions ,  non  ma  volonté ,  mais  la  vôtre  ! 
«  C'est  pourquoi ,  dit  le  Seigneur,  je  déteste  vos 
«  observances  :  vos  oraisons  me  font  mal  au 
«  cœur;  j'ai  peine  à  les  supporter  :  »  Laboravi 
sustinens.  En  effet,  quelle  religion  !  nous  croyons 
avoir  tout  fait  pour  la  sainte  Vierge ,  quand  nous 
avons  élevé  sa  gloire  au-dessus  de  tous  les  chœurs 
des  anges ,  et  porté  sa  sainteté  jusqu'au  moment 
de  sa  conception.  Mes  frères ,  je  loue  votre  zèle  ; 
et  je  sais  que  sa  dignité  surpasse  encore  de  bien 
loin  toutes  vos  pensées.  Mais  si  la  tache  originel  le 
vous  fait  tant  d'horreur,  que  vous  ne  pouvez  la 
souffrir  en  la  sainte  Vierge,  que  ne  combattez- vous 
en  vous-mêmes  l'avarice ,  l'ambition ,  la  sensua- 
lité, qui  en  sont  les  malheureux  restes?  Celui-là 
est  inquiété ,  s'il  n'a  pas  dit  son  chapelet  et  ses 
autres  prières  réglées  ;  ou  s'il  manque  quelque 
ave.  Maria,  à  la  dizaine  :  je  ne  le  blâme  pas, 
à  Dieu  ne  plaise!  je  loue  dans  les  exercices  de 
piété  une  exactitude  religieuse.  Mais  qui  pourrait 
supporter  qu'il  arrache  tous  les  jours  sans  peine 
quatre  ou  cinq  préceptes  à  l'observance  du  saint 
Décalogue ,  et  qu'il  foule  aux  pieds  sans  scrupule 
tes  plus  saints  devoirs  du  christianisme?  Étrange 
illusion,  dont  l'ennemi  du  genre  humain  nous 

P«.  UX,  17. 
*  /«.  LVIU,  12,  13,  14. 


fascine!  Il  ne  peut  arracher  du  cœur  de  l'homme 
le  principe  de  religion  qu'il  y  voit  trop  profondé- 
ment gravé;  il  lui  donne,  non  son  emploi  légi- 
time ,  mais  un  dangereux  amusement,  afin  que, 
déçus  par  cette  apparence,  nous  croyions  avoir 
satisfait  par  nos  petits  soins  aux  obligations  sé- 
rieuses que  la  religion  nous  impose  :  détrompez- 
vous  ,  chrétiens.  Priez  la  sainte  Vierge ,  je  vous 
y  exhorte.  Elle  nous  fortifiera  dans  les  tentations, 
elle  nous  impétrera  la  chasteté  qui  nous  est  si  né- 
cessaire; elle  nous  obtiendra  du  vin  pour  notre 
banquet,  c'est-à-dire ,  ou  de  la  charité  dans  notre 
conduite ,  ou  du  courage  parmi  nos  langueurs. 
Mais  écoutez  comme  elle  parle  dans  les  noces  de 
Cana  à  ceux  pour  lesquels  elle  a  tant  prié  :  "  Fai- 
«  tes  ce  que  mon  fils  vous  ordonnera  :  >-  Quod* 
cumque dixerit  vobis,  facile '.  J'ai  prié,  j'ai  in* 
tercédé;  mais  faites  ce  qu'il  vous  dira  :  c'est  à 
cette  condition  que  vous  verrez  le  miracle  et  l'ef- 
fet de  mes  prières.  Ainsi  je  vous  dis ,  mes  frères  : 
Attendez  tout  de  Marie ,  si  vous  êtes  bien  réso- 
lus de  faire  ce  que  Jésus  vous  commandera  -,  c'est 
la  loi  qu'elle  vous  prescrit  elle-même. 

Mais  vous  me  dites  :  Où  me  poussez -vous? 
quitterai-je  donc  toutes  mes  prières ,  jusqu'à  ce 
que  j'aie  résolu  de  me  convertir  tout  à  fait  a 
Dieu  ;  et  vivrai-je ,  en  attendant ,  comme  un  infi- 
dèle ?  Non ,  mes  frères ,  à  Dieu  ne  plaise  !  Dites 
toujours  vos  prières  ;  j'aime  mieux  vous  voir  pra- 
tiquer des  dévotions  imparfaites,  que  de  vous 
voir  mépriser  toute  dévotion  et  oublier  que  vous 
êtes  chrétiens.  Le  médecin  qui  vous  traite  d'une 
maladie  dangereuse  et  habituelle ,  vous  ordonne 
des  remèdes  forts;  mais  il  ordonne  aussi  des  fo- 
mentations et  d'autres  remèdes  plus  doux.  Vous 
pratiquez  les  derniers,  et  vous  n'avez  pas  le  cou- 
rage de  souffrir  les  autres  ;  il  vous  avertit  sage- 
ment que  vous  n'achèverez  pas  votre  guérison. 
Vous  vous  irritez  contre  lui,  ou  plutôt  contre 
vous-même  ;  et  vous  lui  dites  que  vous  quitterez 
tout  régime ,  et  que  vous  laisserez  à  l'abandon 
votre  santé  et  votre  vie.  Il  ne  s'aigrit  pas  contre 
vous  ;  et  il  regarde  votre  chagrin  comme  une 
suite  fâcheuse  ou  plutôt  comme  une  partie  de 
votre  mal,  et  il  vous  répond  :  Ne  le  faites  pas; 
prenez  toujours  ces  remèdes,  qui  du  moins  ne 
vous  peuvent  nuire  et  qui  peut-être  soutiendront 
un  peu  la  nature  accablée.  Mais  à  la  fin  vous  pé- 
rirez sans  ressource,  si  vous  ne  faites  de  plus 
grands  efforts  pour  votre  santé.  Ainsi  je  vous  dis, 
mes  frères  :  Pratiquez  ces  dévotions,  faites  ce« 
prières;  j'aime  mieux  cela  qu'un  oubli  total  et 
de  Dieu  et  de  vous-mêmes.  Mais  ne  vous  appuyei 
pas  sur  ces  légères  pratiques;  el!cs  empêchent 


»  Joan.  11,6. 


iU 


101 


SUR  LA  NATIVITÉ 


peut-être  un  plus  grand  malheur  :  c'est-à-dire , 
l'impiété  toute  déclarée,  et  le  mépris  tout  maiii- 
leste  de  Dieu  ;  et  c'est  pour  cela  qu'on  vous  les 
souffre  :  mais  sachez  qu'elles  n'avancent  pas  vo- 
tie  guérison ,  et  que ,  si  vous  y  mettez  votre  ap- 
pui ,  elles  en  seront  bien  plutôt  un  perpétuel  obs- 
tacle. Car  écoutez  ce  que  le  Saint-Esprit  a  dit  de 
vos  ceuvres  et  de  vos  dévotions  superstitieuses  : 
'<  Ils  ne  cherchent  pas  la  justice  et  ne  jugent  pas 
<«  droitement.  Ils  mettent  leur  confiance  dans  des 
«  choses  de  néant ,  et  ils  s'amusent  à  des  vanités. 
«  La  toile  qu'ils  ont  tissue  est  une  toile  d'araignée  ; 
«  et  pour  cela,  dit  le  Seigneur,  leur  toile  ne  sera 
«  pas  propre  à  les  revêtir,  et  ils  ne  seront  point 
«  couverts  de  leurs  œuvres.  Car  leurs  œuvres  sont 
«  des  œuvres  inutiles ,  et  leurs  pensées  sont  des 
«pensées  vaines.  Ils  marchent  dans  un  chemin  de 
«  désolation  et  de  ruine  :  »  Non  est  qui  invocet 
Justitiam,  nec  quijudicet  vere  :  conjidunt  in 
nihilà  et  loquuntur  vanitates....  Telas  araneœ 
texuerunt....  Telœ  eorum  non  erunt  in  vesti- 
mentum,  neque  operientur  operibus  suis  :  opéra 
eorum j  opéra  imttilia...  cogitationes eorum,  co- 
gitationes  inutiles  :  vastitas  et  contritio  in  viis 
eorum  '. 

Telle  est  la  juste'  sentence  que  le  Saint-Esprit 
<»  prononcée  contre  ceux  qui  mettent  leur  dévo- 
tion dans  des  pratiques  si  minces ,  permettez-moi 
la  liberté  de  ce  mot ,  et  qui  négligent  cependant 
de  faire  des  fruits  dignes  de  pénitence,  selon  le 
précepte  de  l'Évangile.  Leur  piété  superficielle  ne 
sera  pas  capable  de  les  couvrir  ;  leur  Iniquité  sera 
i-évélée ,  et  leur  pauvreté  leur  fera  honte.  Ils  se- 
^•ont  jugés  par  leur  bouche,  ces  mauvais  servi- 
teurs; et  les  saints  qu'ils  auront  loués  les  con- 
damneront.par  leurs  exemples.  Voulez-vous  donc 
être  dévots  à  la  sainte  Vierge ,  en  sorte  que  cette 
dévotion  vous  soit  profitable?  Soyez  chastes, 
soyez  droits ,  soyez  charitables  ;  faites  justice 
à  la  veuve  et  à  l'orphelin ,  protégez  l'oppressé , 
«oulagez  le  pauvre  et  le  misérable.  En  faisant 
des  œuvres  de  surabondance ,  gardez-vous  bien 
d'oublier  celles  qui  sont  de  nécessité.  Attachez- 
vous  à  la  loi ,  suivez  le  précepte  de  Jésus-Christ  : 
Quœcumque  dixerit,  facile  :  «  Faites  ce  qu'il 
«  ordonne,  »  et  vous  obtiendrez  ce  qu'il  promet. 
Amen. 

J$.ia,  4,«,7 


PREMIER  SERMON 

POUR  LE  joun 

DE  LA  NATIVITÉ  M)  LA  SAINTE  VIERGE. 

SUR  LES  GRANDEURS  DE  MARIE. 

Marie  un  Jésus-Christ  commencé,  par  une  expression  \i\e 
et  naturelle  de  ses  perfections  infinies.  liaisons  qui  doivent 
nous  convaincre  que  Jésus-Christ  a  fait  Marie  innocente  dés 
le  premier  jour  de  sa  vie  :  qu'est-ce  qui  la  distingue  de  Jésus. 
L'union  très-étroite  de  Marie  avec  Jésus,  principe  des  grâces 
dont  elle  est  remplie.  Cette  union  commencée  en  elle  par  l'es- 
prit et  dans  le  coeur.  La  charité  de  Marie,  un  instrument  gé- 
néral des  opérations  de  la  grâce.  Avec  quelle  eflicace  elle 
parle  pour  nous  au  cœur  de  Jésus.  Charité  dont  nous  devons 
être  animés,  pour  réclamer  son  intercession. 


Nox  praecessît ,  aies  autem  appropinquavit. 

La  nuit  est  passée,  et  le  jour  s'approche.  Rom.  xiii,  là. 

Ni  l'art ,  ni  la  nature ,  ni  Dieu  même ,  ne  pro- 
duisent pas  tout  à  coup  leurs  grands  ouvrages  ;  ils  } 
ne  s'avancent  que  pas  à  pas.  On  crayonne  avant  | 
que  de  peindre,  on  dessine  avant  que  de  bâtir,  i 
et  les  chefs-d'œuvre  sont  précédés  par  des  coups 
d'essai.  La  nature  agit  de  la  même  sorte  ;  et  ceux 
qui  sont  curieux  de  ses  secrets  savent  qu'il  y  a 
de  ses  ouvrages  où  il  semble  qu'elle  se  joue,  ou 
plutôt  qu'elle  exerce  sa  main  pour  faire  quelque 
chose  de  plus  achevé.  Mais  ce  qui  est  de  plus  ad- 
mirable ,  c'est  que  Dieu  observe  la  même  con- 
duite ;  et  il  nous  le  fait  paraître  principalement 
dans  le  mystère  de  l'incarnation  :  c'est  le  mi- 
racle de  sa  sagesse ,  c'est  le  grand  effort  de  sa 
puissance  ;  aussi  nous  dit-il  que  pour  l'accomplir 
il  remuera  le  ciel  et  la  terre  :  AdJmc  modicum, 
et  ego  commovebo  cœlum  et  terram  •  ;  c'est  son 
œuvre  par  excellence,  et  son  prophète  l'appelle 
ainsi  :  Domine,  opus  tuum.  Mais  encore  qu'il  ne 
doive  paraître  qu'au  milieu  des  temps.  In  me- 
dio  annorum  vivijica  illud*,  il  n'a  pas  laissé  de 
le  commencer  dès  l'origine  du  monde.  Et  la  loi  de 
nature,  et  la  loi  écrite,  et  les  cérémonies ,  et  les 
sacrifices,  et  le  sacerdoce,  et  les  prophéties, 
n'étaient  qu'une  ébauche  de  Jésus-Christ,  ChrisU 
rudimenta,  disait  un  ancien;  et  il  n'est  venu  à 
ce  grand  ouvrage  que  par  un  appareil  infini  d'i- 
mages et  de  figures ,  qui  lui  ont  servi  de  préija- 
ratifs.  Mais  le  temps  étant  arrivé,  l'heure  du 
mystère  étant  proche ,  il  médite  quelque  chose  de 
plus  excellent  :  il  forme  la  bienheureuse  Marie 
pour  nous  représenter  plus  au  naturel  Jésus- 
Christ,  qu'il  devait  envoyer  bientôt ,  et  il  en  ras- 
semble tous  les  plus  beaux  traits  en  celle  qu'il 
destinait  pour  être  sa  mère.  Je  sais  que  cette  ma 
tière  est  très-difficile  à  traiter  ;  mais  il  n'est  rien 
d'impossible  à  celui  qui  espère  en  Dieu  ;  demau- 

'  ^(fg.  II ,  7. 
'  Uabac  w    1. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


tes 


dons-lui  ses  lumières  par  l'intercession  de  cette 
vierge,  que  je  saluerai  avec  l'ange  en  t'isant  : 
Ave. 

Je  commencerai  ce  discours  par  une  l)elle  mé- 
ditation de  Tertullien  dans  le  livre  qu'il  a  écrit 
de  la  Résurrection  de  la  chair.  Ce  grave  et  célèbre 
écrivain  considérant  de  quelle  manière  Dieu  a 
iomié  l'homme,  témoigne  être  assez  étonné  de 
l'attention  qu'il  y  apporte.  Représentez-vous, 
nous  dit-il ,  de  la  terre  humide  dans  les  mains 
de  ce  divin  artisan  ;  voyez  avec  quel  soin  il  la 
manie,  comme  il  l'étend,  comme  il  la  prépare, 
avec  quel  art  et  quelle  justesse  il  en  tire  les 
linéaments;  en  un  mot,  comme  il  s'affectionne 
et  s'occupe  tout  entier  à  cet  ouvrage  :  Recogita 
totuni  un  Deum  occupatum  ac  deditum'.  Il 
admire  cette  application  de  l'Esprit  de  Dieu  sur 
une  matière  si  méprisable,  et,  ne  pouvant  s'ima- 
giner qu'il  fallût  employer  tant  d'art  ni  tant  d'in- 
dustrie à  ramasser  de  la  poussière  et  à  remuer  de 
la  boue,  il  conclut  que  Dieu  regardait  plus  loin, 
et  qu'il  visait  à  quelque  œuvre  plus  considérable  ; 
et  afin  de  vous  expliquer  toute  sa  pensée  :  Cet 
œuvre ,  dit-il ,  c'était  Jésus-Christ  ;  et  Dieu  en  for- 
mant le  premier  homme ,  songeait  à  nous  tracer 
ce  Jésus  qui  devait  un  jour  naître  de  sa  race  : 
c'est  pour  cela,  poursuit-il ,  qu'il  s'affectionne  si 
sérieusement  à  cette  besogne;  parce  que,  voici 
ses  paroles,  «  dans  cette  boue  qu'il  ajuste,  il  pense 
«  à  nous  donner  une  vive  image  de  son  Fils  qui 
«  se  doit  faire  homme  :  »  Quodcumque  limus 
exprimebatur,  Christus  cogitabatur  homo  fu- 
turus  ». 

Sur  ces  belles  paroles  de  Tertullien ,  voici  la 
réflexion  que  je  fais ,  et  que  je  vous  prie  de  peser 
attentivement.  S'il  est  ainsi,  mes  frères,  que, 
dès  l'origine  du  monde ,  Dieu  en  créant  le  pre- 
mier Adam  pensât  à  tracer  en  lui  le  second  ;  si 
c'est  en  vue  du  sauveur  Jésus  qu'il  forme  notre 
premier  père  avec  tant  de  soin,  parce  que  son 
Fils  en  devait  sortir,  après  une  si  longue  suite  de 
siècles  et  de  générations  interposées  :  aujourd'hui 
que  je  vois  naître  l'heureuse  Marie ,  qui  le  doit 
porter  dans  ses  entrailles,  nai-je  pas  plus  de  rai- 
son de  conclure ,  que  Dieu  en  créant  ce  divin  en- 
fant ,  avait  sa  pensée  en  Jésus-Christ,  et  qu'il  ne 
travaillait  que  pour  lui  :  Christus  cogitabatur? 
Ainsi  ne  vous  étonnez  pas,  chrétiens,  ni  s'il  l'a 
formée  avec  tant  de  soin,  ni  s'il  Fa  fait  naître 
avec  tant  de  grâces  :  c'est  qu'il  ne  l'a  formée  qu'en 
vue  du  Sauveur.  Pour  la  rendre  digne  de  son  Fils, 
il  la  tire  sur  sou  Fils  même  ;  et  devant  nous  don- 
ner bientôt  son  Verbe  incamé,  il  nous  fait  déjà 
paraître  aujourd'hui,  en  la  nativité  de  Marie,  un 

'   De  Ri'sur.  carn.  n"  fi. 


Jésus- Christ  ébauché ,  si  je  puis  parler  de  la  sorte , 
un  Jésus-Christ  commencé,  par  une  expreâston 
vive  et  naturelle  de  ses  perfections  infinies  : 
Christus  cogitabatur  homo  futurus.  C'est  pour- 
quoi j'applique  à  cette  naissance  ces  beaux  mots 
du  divin  apôtre  :  Nox  prœcessitj  dies  aufern 
appropinquavit  :  «  La  nuit  est  passée ,  et  le  jour 
«  s'approche.  »  Oui ,  mes  frères ,  le  jour  appro- 
che ;  et  encore  que  le  soleil  ne  paraisse  pas,  hou» 
en  voyons  déjà  une  expression  en  la  nativité  de 
Marie. 

J'admire  trois  choses  en  notre  Sauveur, 
l'exemption  de  péché,  la  plénitude  de  grâces,  une 
source  inépuisable  de  charité  pour  notre  nature  : 
voilà  les  trois  rayons  de  notre  soleil,  par  lesquels 
il  dissipe  toutes  nos  ténèbres.  Car  il  fallait  que 
Jésus  fût  innocent ,  pour  nous  purifier  de  nos 
crimes  :  il  fallait  qu'il  fût  plein  de  grâces,  pour 
enrichir  notre  pauvreté  :  il  fallait  qu'il  fût  tout 
brûlant  d'amour,  pour  entreprendre  la  guérison 
de  nos  maladies.  Ces  trois  qualités  excellentes 
sont  les  marques  inséparables  et  les  traits  vifs  et 
naturels  par  lesquels  on  reconnaît  le  Sauveur  ;  et 
Dieu  qui  a  formé  la  tres-sainte  Vierge  sur  cet 
admirable  exemplaire ,  nous  en  fait  voir  en  elle 
un  écoulement.  Ainsi,  mes  frères,  réjouissonsir 
nous,  et  disons  avec  l'apôtre  :  «  La  nuit  est  pas- 
«  sée ,  et  le  jour  approche  :  »  il  approche,  ce  beau , 
ce  bienheureux,  eet  illustre  jour  qu'on  promefc 
depuis  si  longtemps  à  notre  nature^  il  approche, 
les  ténèbres  fuient  :  nous  jouissons  déjà  de  quel- 
que lumière,  le  jour  de  Jésus-Christ  se  commence  ; 
parce  qu'ainsi  que  nous  avons  dit,  encore  qu'on 
ne  voit  pas  le  soleil ,  on  voit  déjà  ses  plus  clairs- 
rayons  reluire  par  avance  en  Marie  naissante  :  je 
veux  dire  l'exemption  de  péché ,  la  plénitude  de 
grâces,  une  source  incomparable  de  charité  pour 
tous  les  pécheurs,  c'est-à-dire,  peur  tous  les 
hommes.  Voilà,  messieurs,  les  trois  beaux  rayons 
que  le  Fils  de  Dieu  envoie  sur  Marie.  Us  n'ont 
toute  leur  force  entière  qu'en  Jésus-Christ  seul  : 
en  lui  seul  ils  font  un  plein  jour,  qui  éclaire  par- 
faitement la  nature  humaine  ;  mais  ils  font  en  la 
sainte  Vierge  une  pointe  du  jour  agréable,  qui 
commence  à  la  réjouir  :  et  c'est  à  cette  joie  sainte 
et  fructueuse  que  je  vous  invite  par  ce  dis- 
cours. 

PHEMIEB  POINT. 

Il  n'y  a  rien  de  plus  touchant  dans  l'Évangile 
que  cette  manière  douce  et  charitable  dont  Dieu 
traite  ses  ennemis  réeonciKés,  c'est-à-dire,  los 
pécheurs  convertis.  Il  ne  se  contente  pas  d'effa- 
cer nos  taches  et  de  laver  toutes  nos-ordwes, 
c'est  peu  à  sa  bonté  inOnie  de  faire  que  nos  pé- 
eliés  ue  nous  nuisent  pas,^  il  veut  même  (j[uibi 


fr>G 


SUR  LA  NATIVITÉ 


nous  profitent  :  il  eu  fuit  naître  tant  de  bien  pour 
nous,  qu'il  nous  contraint,  si  je  l'ose  dire,  de 
bénir  nos  fautes ,  et  de  crier  avec  l'Eglise  :  0  heu- 
reuse coulpe  !  0  felix  culpa  '  !  Sa  grâce  dispute 
contre  nos  péchés  à  qui  emportera  le  dessus  ;  et 
il  se  plaît  mêoae ,  dit  saint  Paul  ■" ,  de  faire  abon- 
der la  profusion  de  ses  grâces  par-dessus  l'excès 
de  notre  malice.  Bien  plus ,  et  voici  ce  qu'il  y  a 
de  plus  surprenant,  il  reçoit  avec  tant  d'amour 
les  pécheurs  réconciliés,  que  l'innocence  la  plus 
parfaite ,  mon  Dieu ,  permettez-moi  de  le  dire , 
aurait  en  quelque  sorte  sujet  de  s'en  plaindre ,  ou 
du  moins  d'en  avoir  de  la  jalousie  :  il  les  traite  si 
doucement ,  que  pourvu  qu'on  y  ait  regret ,  on 
ji'a  presque  plus  de  sujet  d'y  avoir  regret.  Une 
de  ses  brebis  s'écarte  de  lui  ;  toutes  les  autres  qui 
demeurent  fermes,  semblent  lui  être  beaucoup 
moins  chères,  qu'une  seule  qui  s'est  égarée  :  Grex, 
xina  charior  non  erat,  dit  Tertullien  ^  ;  et  sa  mi- 
séricorde est  plus  attendrie  sur  le  prodigue  qu'il 
a  retrouvé ,  que  sur  son  aîné  toujours  fidèle  :  Cha- 
riorcîn  senserat  quem  lucrifecerat. 

S'il  est  ainsi ,  mes  frères ,  ne  semble- t-il  pas 
que  nous  devons  dire  que  les  pécheurs  pénitents 
l'emportent  par-dessus  les  justes  qui  n'ont  pas 
péché;  et  la  justice  rétablie,  par-dessus  l'inno- 
cence toujours  conservée?  toutefois  il  n'en  est 
pas  de  la  sorte.  Il  n'est  pas  permis  de  douter  que 
l'innocence  ne  soit  toujours  privilégiée  :  et  pour 
ne  pas  parler  maintenant  de  toutes  ses  autres 
prérogatives,  n'est-ce  pas  assez  pour  sa  gloire 
que  Jésus-Christ  l'ait  choisie?  Voyez  en  quels 
termes  l'apôtre  saint  Paul  publie  l'innocence  de 
son  divin  maître  :  J'alis  decehat  ut  esset  nobis 
pontifex  ^  :  Il  fallait  que  nous  eussions  un  pon- 
<i  tife ,  saint ,  innocent ,  sans  tache ,  séparé  des 
«  pécheurs,  élevé  au-dessus  des  cieux,  et  qui  n'ait 
«  pas  besoin  d'offrir  des  victimes  pour  ses  pro- 
«  près  fautes  ;  »  mais  qui,  étant  la  sainteté  même, 
fasse  l'expiation  des  péchés.  Et  s'il  est  ainsi, 
chrétiens ,  que  le  Fils  de  Dieu  ait  pris  l'innocence 
pour  son  partage,  ne  devons-nous  pas  confesser 
qu'il  faut  qu'elle  soit  sa  bien-aimée? 

Non ,  mes  frères ,  ne  croyez  pas  que  ces  mou- 
vements de  tendresse  qu'il  ressent  pour  les  pé- 
cheurs pénitents  les  préfèrent  à  la  sainteté ,  qui 
îie  se  serait  jamais  souillée  dans  le  crime.  On 
goûte  mieux  la  santé  quand  on  relève  tout  nou- 
vellement d'une  maladie;  mais  on  ne  laisse  pas 
d'estimer  bien  plus  le  repos  d'une  forte  constitu- 
tion, que  l'agrément  d'une  santé  qui  se  rétablit. 
Il  est  vrai  que  les  cœurs  sont  saisis  d'une  joie 


<  Sabb.  sancto,  in  Bcncd.  Cer.  pasch. 
9  Rom.  V ,  20. 
»  J)e  Pœnit.  n"  8. 
«  Vehr.  yu  ,  26 


soudaine  de  la  grâce  inopinée  d'un  beau  jour 
d'hiver,  qui,  après  un  temps  pluvieux,  vient  ré- 
jouir tout  d'un  coup  la  face  du  monde;  mais  on 
ne  laisse  pas  d'aimer  beaucoup  plus  la  constante 
sérénité  d'une  saison  plus  bénigne.  Ainsi,  mes- 
sieurs, s'il  nous  est  permis  déjuger  des  senti- 
ments du  Sauveur,  par  l'exemple  des  sentiments 
humains,  il  caresse  plus  tendrement  les  pécheurs 
récemment  convertis ,  qui  sont  sa  nouvelle  con- 
quête; mais  il  aime  toujours  avec  plus  d'ardeur 
les  justes  qui  sont  ses  anciens  amis  :  ou ,  si  vous 
voulez  que  nous  raisonnions  de  cette  conduite 
de  sa  miséricorde  par  des  principes  plus  hauts  ; 
disons,  mais  disons  en  un  mot ,  car  il  faut  venir 
à  notre  sujet,  qu'autres  sont  les  sentiments  de 
Jésus  selon  sa  nature  divine  et  en  qualité  de  Fils 
de  Dieu,  autres  sont  les  sentiments  du  même 
Jésus,  selon  sa  dispensation  en  la  chair  et  en 
qualité  de  Sauveur  des  hommes  :  cette  distinc- 
tion de  deux  mots  nous  développera  tout  ce  mys- 
tère. 

Jésus-Christ,  comme  Fils  de  Dieu,  étant  la 
sainteté  essentielle;  quoiqu'il  se  plaise  de  voir  à 
ses  pieds  un  pécheur  qui  retourne  à  la  bonne 
voie ,  il  aime  toutefois  d'un  amour  plus  fort  l'in- 
nocence qui  ne  s'est  jamais  démentie  :  comme 
elle  s'approche  de  plus  près  de  sa  sainteté  infinie, 
et  qu'elle  l'imite  plus  parfaitement,  il  l'honore 
d'une  familiarité  plus  étroite  ;  et  quelque  grâce 
qu'aient  à  ses  yeux  les  larmes  d'un  pénitent, 
elles  ne  peuvent  jamais  égaler  les  chastes  agré- 
ments d'une  sainteté  toujours  fidèle.  Tels  sont  les 
sentiments  de  Jésus  selon  sa  nature  divine:  mais, 
mes  frères ,  il  en  a  pris  d'autres  pour  l'amour  de 
nous ,  quand  il  s'est  fait  notre  Sauveur.  Ce  Dieu 
donne  la  préférence  aux  innocents  ;  mais ,  chré- 
tiens, réjouissons-nous,  ce  Sauveur  miséricor- 
dieux est  venu  chercher  les  coupables  :  il  ne  \it 
que  pour  les  pécheurs ,  parce  que  c'est  pour  les 
pécheurs  qu'il  est  envoyé. 

Écoutez  comme  il  nous  explique  le  sujet  de  sa 
légation  :  Non  veni  vocarejiistos^  :  «  Je  ne  suis 
«  pas  venu  pour  chercher  les  justes  ;  »  parce  que, 
quoiqu'ils  soient  les  plus  estimables  et  les  plus 
dignes  de  mon  amitié,  ma  commission  ne  s'étend 
pas  là.  Comme  Sauveur,  je  dois  chercher  ceux 
qui  sont  perdus;  comme  Médecin,  ceux  qui  sont 
malades;  comme  Rédempteur,  ceux  qui  sont 
captifs  :  c'est  pourquoi  il  n'aime  que  leur  compa- 
gnie, parce  qu'il  n'est  au  monde  que  pour  eux 
seuls.  Les  anges  qui  ont  toujours  été  justes,  peu- 
vent s'approcher  de  lui  comme  Fils  de  Dieu  :  ô 
innocence,  voilà  ta  prérogative;  mais  en  qualité 
de  Sauveur,  il  donne  la  préférence  aux  homm.h 

»  Matth.  IX,  13. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


1C7 


pécheurs.  De  la  niènie  manière  qu'un  médecin , 
comme  homme  il  se  plaira  davantage  à  conver- 
ser avec  les  sains,  et  néanmoins  comme  médecin 
il  aimera  mieux  soulager  les  malades.  Ainsi  ce 
Médecin  charitable ,  certainement  comme  Fils  de 
Dieu  il  préfère  les  innocents  ;  mais  en  qualité  de 
Sauveur,  il  recherchera  plutôt  les  criminels  : 
voilà  donc  tout  le  mystère  éclairci  par  une  doc- 
trine sainte  et  évangélique.  Pardonnez-moi ,  mes 
iVères ,  si  je  m'y  suis  si  fort  étendu  ;  elle  est  pleine 
de  consolation  pour  les  pécheurs  tels  que  nous 
sommes,  mais  elle  est  très-avantageuse  pour  la 
sainte  et  perpétuelle  innocence  de  la  divine  Marie. 
Car  s'il  est  vrai  que  le  Fils  de  Dieu  aime  si 
fortement  Tinnocence ,  dites-moi ,  sera-t-il  pos- 
sible qu'il  n'en  trouve  point  sur  la  terre?  je  sais 
qu'il  la  possède  en  lui-même  au  plus  haut  degré 
de  perfection  ;  mais  n'aura-t-il  pas  le  contente- 
ment de  voir  quelque  chose  qui  lui  ressemble  , 
ou  du  moins  qui  approche  un  peu  de  sa  pureté  ? 
Quoi  !  ce  juste ,  cet  innocent  sera-t-il  éternelle- 
ment parmi  les  pécheurs ,  sans  qu'on  lui  donne 
la  consolation  de  rencontrer  quelque  âme  sans 
tache  ?  et,  dites-moi,  quelle  sera-t-elle,  si  ce  n'est 
sa  divine  mère  ?  Oui ,  messieurs ,  que  ce  Sauveur 
miséricordieux  qui  a  chargé  sur  lui  tous  nos  cri- 
mes ,  coure  toute  sa  vie  après  les  pécheurs,  qu'il 
les  aille  chercher  sans  relâche  dans  tous  les  coins 
\  de  la  Palestine  ;  mais  si  tout  le  reste  du  monde 
1  ne  lui  donne  que  des  criminels ,  ah  !  qu'il  trouve 
I  du  moins  dans  son  domestique ,  sous  son  toit  et 
Idaus  sa  maison,  de  quoi  satisfaire  ses  yeux  de  la 
'beauté  constante  et  durable  d'une  sainteté  incor- 
ruptible. 

Il  est  vrai  que  ce  Sf-iveur  charitable  ne  mé- 
prise pas  les  pécheurs;  que  bien  loin  de  les  reje- 
ter de  devant  sa  face ,  il  ne  dédaigne  pas  de  les 
appeler  aux  plus  belles  charges  de  son  royaume. 
Il  prépose  à  la  conduite  de  tout  son  troupeau  un 
Pierre ,  qui  a  été  infidèle  :  il  met  à  la  tête  des 
évangélistes  un  Matthieu ,  qui  a  été  publicain  : 
il  fait  le  premier  des  prédicateurs  d'un  Paul , 
qui  a  été  le  premier  des  persécuteurs.  Ce  ne  sont 
pas  des  justes  et  des  innocents ,  ce  sont  des  pé- 
cheurs convertis  qu'il  élève  aux  premières  places. 
Mais  ne  croyez  pas  pour  cela  qu'il  tire  sa  sainte 
mère  de  ce  même  rang;  il  faut  faire  grande 
'  différence  entre  elle  et  les  autres  :  et  quelle  sera 
cette  différence  ?  la  voici ,  et  je  vous  prie  de  la 
bien  entendre  ;  elle  est  essentielle  et  fondamen- 
tale pour  la  vérité  que  je  traite. 

Il  a  choisi  ceux-là  pour  les  autres ,  et  il  a  choisi 
Marie  pour  lui-même.  Pour  les  autres  :  Omnia 
vestrasunt,  sive  Pmdus,  sive  Apollo,  sive  Ce- 
phas  '  :  «  Tout  est  à  vous ,  soit  Paul,  soit  Apollo , 

'  I,  Cor.  !u ,  22. 


«  soit  Céphas.  •>  Marie  pour  lui  :  Dilcctus  meus 
mihi ,  etegoilU^  :  Il  est  mon  unique,  je  suis  son 
unique;  ilest  mon  fils  et  je  suis  sa  mère.  Ceux  qu'il 
appelle  pour  les  autres ,  il  les  a  tirés  du  péché  , 
pour  pouvoir  mieux  annoncer  sa  miséricorde  et 
la  rémission  des  péchés.  C'était  tout  le  dessein 
d'appeler  à  la  confiance  les  âmes  que  le  péché 
avait  abattues  :  et  qui  pouvait  prêcher  avec  phis 
de  fruit  la  miséricorde  divine,  que  ceux  qui  en 
étaient   eux-mêmes  un  illustre  exemple?  Quel 
autre  pouvait  dire  avec  plus  d'effet  :  «  C'est  ui» 
«  discours  fidèle,  que  Jésus  est  venu  sauver  les 
«  pécheurs  %  »  qu'un  saint  Paul,  qui  pouvait  a  jou- 
ter après,  «  desquels  je  suis  le  premier?  »  Quo- 
rum primus  ego  sum.  N'est-ce  pas  de  même  que 
s'il  eût  dit  au  pécheur  qu'il  désirait  attirer  :  INe 
crains  point ,  je  connais  la  main  du  médecin  au- 
quel je  t'adresse  ;  "  c'est  lui  qui  m'envoie  à  toi  pour 
«  te  dire  comme  il  m'a  guéri ,  avec  quelle  facilité, 
«  avec  quelles  caresses ,  »  et  pour  t' assurer  du 
même  bonheur  :  Qui  curavit  me,  misit  me  ad 
te,  et  dixit  mihi  :  Illi  desperanti  vade,  et  die 
quid  habuisti,  qui d  in  te  satiavi,  quam  cilo 
sanavi  ^  ?  Est-il  rien  de  plus  fort  ni  de  plus  puis- 
sant pour  encourager  un  malade,  pour  relever 
un  cœur  abattu  et  une  conscience  désespérée? 
C'était  donc  un  sage  conseil  pour  attirer  à  Dieu 
les  pécheurs ,  que  de  leur  faire  annoncer  sa  mi- 
séricorde par  des  hommes  qui  l'avaient  si  bien 
éprouvée.  Et  saint  Paul  nous  l'enseigne  manifes- 
tement :  «  J'ai  reçu  miséricorde ,  dit-il  ;  afin  que 
«  Dieu  découvrît  en  moi  les  richesses  de  sa  pa- 
«  tience ,  pour  l'instruction  des  fidèles ,  «  ad  iîi- 
formationem  eorum  qui  credituri  sunt^.  Ainsi 
vous  voyez  pour  quelle  raison  Dieu  honore  dans- 
l'Église,  des  premiers  emplois,  des  pécheurs  ré- 
conciliés :  c'était  pour  l'instruction  des  fidèles. 

Mais  s'il  a  traité  de  la  sorte  ceux  qu'il  appe- 
lait pour  les  autres ,  ne  croyons  pas  qu'il  ait  fait 
ainsi  pour  cette  créature  chérie ,  cette  créature 
extraordinaire ,  créature  unique  et  privilégiée , 
qu'il  n'a  faite  que  pour  lui  seul,  c'est-à-dire, 
qu'il  a  choisie  pour  être  sa  mère.  Il  a  fait  dans 
ses  apôtres  et  dans  ses  ministres  ce  qui  était  le 
plus  utile  au  salut  de  tous;  mais  il  a  fait  en  sa 
sainte  mère  ce  qui  était  de  plus  doux ,  de  plus. 
glorieux,  de  plus  satisfaisant  pour  lui-même  : 
par  conséquent  je  ne  doute  pas  qu'il  n'ait  fait 
Marie  innocente.  Elle  est  son  unique ,  et  lui  son 
unique  :  Dilectus  meus  mihi,  et  ego  illi  :  «  Mon 
«  bien-aimé  est  pour  moi ,  et  je  suis  pour  lui  ;  >» 
je  n'ai  que  lui ,  il  n'a  que  moi.  Je  sais  que  le  doa 

'  Canl.M,  16. 

=  I.  rim.  I,  15. 

3  S.  Aug.  Serm.  CLXXVi ,  n»  4 ,  t  V ,  coL  841- 

*  L  Tim.  i»  le*. 


1C8 


SUR  LA  NATIVITÉ 


diunocencc  ne  doit  pas  facilement  être  prodigué 
sur  notre  nature  corrompue,  mais  ce  n'est  pas 
le  prodiguer  trop  que  de  n'en  faire  part  qu'à  sa 
seule  mère;  et  ce  serait  le  trop  resserrer,  que  de 
le  refuser  jusqu'à  sa  mère. 

Non ,  mes  frères ,  mon  Sauveur  ne  îe  fera  pas  : 
je  vois  déjà  briller  sur  Marie  naissante  l'inno- 
cence de  Jésus-Clirist ,  qui  couronne  sa  tête.  Ve- 
nez honorer  ce  nouveau  rayon  que  son  fils  fait 
déjà  éclater  sur  elle  :  la  nuit  est  passée,  et  le 
jour  s'approche  ;  Jésus  nous  doit  bientôt  amener 
ce  jour  par  sa  bienheureuse  présence.  0  jour  heu- 
reux ,  ô  jour  sans  nuage,  ô  jour  que  l'innocence 
du  divin  Jésus  rendra  si  serein  et  si  pur,  quand 
viendras-tu  éclairer  le  monde?  chrétiens,  il  ap- 
proche; réjouissons-nous  :  vous  en  voyez  déjà 
paraître  l'aurore  dans  la  naissance  de  la  sainte 
Vierge  :  Nata  Virgine  surrexit  aurora,  dit  le 
j)ieux  Pierre  Damien  '.  Après  cela  vous  étonnez- 
vous  ,  si  je  dis  que  Marie  a  paru  sans  tache  dès  le 
premier  jour  de  sa  vie  ?  Puisque  ce  grand  jour  de 
Jcsus-Christ  devait  être  si  clair  et  si  lumineux, 
ne  vous  semble-t-il  pas  convenable  que  même  le 
iommencement  en  soit  beau ,  et  que  la  sérénité 
du  matin  nous  promette  celle  de  la  joui*née  ?  Cest 
iXHu-quoi,  comme  dit  très-bien  Pierre  Damien, 
"  Marie  commençant  ce  jour  glorieux  en  a  rendu 
'•  la  matinée  belle  par  sa  nativité  bienheureuse  :  » 
:\Iaria,  veri  prœvia  luminis,  nativitate  sua 
mune  elarissimum  serenavit  \  Accourons  donc 
avec  joie ,  mes  frères ,  pour  voir  les  commence- 
ments de  ce  nouveau  jour  :  nous  y  verrons  bril- 
ler la  douce  lumière  d'une  pureté  qui  n'a  point 
de  taches.  Et  ne  nous  persuadons  pas ,  que ,  pour 
distinguer  Marie  de  Jésus ,  il  faille  lui  ôter  l'in- 
nocenee,  et  ne  la  laisser  qu'à  son  fils.  Pour  dis- 
tinguer le  matin  d'avec  le  plein  jour,  il  ne  faut 
pas  remplir  l'air  de  tempêtes ,  ni  couvrir  le  ciel 
de  nuages  ;  c'est  assez  que  les  rayons  soient  plus 
faibles,  et  la  lumière  moins  éclatante  :  ainsi, 
pour  distinguer  Marie  de  Jésus ,  il  n'est  pas  né- 
cessaire que  le  péché  s'en  mêle  ;  c'est  assez  que 
sou  innocence  soit  comme  un  rayon  affaibli ,  en 
comparaison  de  celle  de  son  divin  fils  :  elle  ap- 
partient à  Jésus  de  droit ,  elle  n'est  en  Marie  que 
par  privilège  ;  à  Jésus  par  nature ,  à  Marie  par 
grâce  et  par  indulgence  :  nous  en  honorons  la 
source  en  Jésus,  et  en  Marie,un  écoulement.  Mais 
ce  qui  doit  nous  consoler ,  mes  frères ,  je  le  dis 
avec  joie,  je  le  dis  avec  sentiment  de  la  miséri- 
corde divine  ;  donc  ce  qui  nous  doit  consoler,  c'est 
que  cet  écoulement  d'innocence  ne  luit  en  la  di 
vine  Marie  qu'en  faveur  des  pauvres  pécheurs. 
L'innocence  ordinairement  reproche  aux  crimi- 

'  Sn-m.  XL ,  iiiAssumpt.  B.  Mai.  Ftrg. 
'  Ibid. 


nels  leur  mauvaise  vie ,  el  semble  prononcer  leur 
condamnation.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  de  Ma- 
rie ;  son  innocence  leur  est  favorable  :  pourquoi? 
parce  qu'ainsi  que  nous  avons  dit,  elle  n'est 
qu'un  écoulement  de  l'innocence  du  sauveur  Jé- 
sus. L'innocence  de  Jésus-Christ,  c'est  la  vie  et 
le  salut  des  pécheurs  :  ainsi  l'innocence  de  la 
sainte  Vierge  lui  sert  à  obtenir  pardon  pour  les 
criminels.  Considérons  donc,  chrétiens,  cette 
sainte  et  innocente  créature  comme  l'appui  cer- 
tain de  notre  misère  :  allons  nettoyer  nos  péchés 
à  la  vive  lumière  de  sa  pureté  incorruptible  ;  mais 
tâchons  aussi  de  nous  enrichir  par  la  plénitude 
de  ses  grâces  :  c'est  ma  seconde  partie. 

SECOND    POINT. 

Je  ne  trouve  pas  difficile  de  parler  de  l'inno- 
cence de  la  sainte  Vierge  :  il  suffit  de  considérer 
cette  haute  dignité  de  mère  de  Dieu ,  pour  juger 
qu'elle  a  dû  être  exempte  de  tache.  Mais  quand  * 
il  s'agit  de  représenter  cette  plénitude  de  grâces ,  * 
l'esprit  se  confond  dans  cette  pensée,  et  ne  sait 
sur  quoi  arrêter  sa  vue.  Donc,  mes  frères,  n'en- 
treprenons pas  de  décrire  en  particulier  les  per- 
fections de  Marie,  ce  serait  vouloir  sonder  un 
abîme;  mais  contentons-nous  aujourd'hui  de 
juger  de  leur  étendue  par  le  principe  qui  les  a 
produites. 

*  Le  grand  saint  Thomas  '  nous  enseigne  que 

'  ril  pari.  Quœst.  xxvil ,  art.  v. 

*  Le  grand  saint  Thomas  nous  enseigne  qtte ,  pour  enten- 
dre dans  qudie  hauteur  et  avec  quelle  plénitude  la  sainte 
Vierge  a  reçu  la  grâce,  il  la  faut  mesurer  par  son  alliance 
et  par  son  union  très-étroite  avec  son  fils  :  et  c'est  par  là, 
chrétiens ,  qu'il  nous  est  aisé  de  connaître  que  les  hommes 
ne  lui  doivent  donner  aucunes  bornes.  Vous  raconterai-je , 
messieurs,  les  adresses  de  la  nature  pour  attacher  les  en- 
fants et  pour  les  incorporer  au  sein  de  la  mère;  pour  faire 
que  leur  nourriture  et  leur  vie  passent  par  les  mêmes  ca- 
naux ,  et  faire  des  deux ,  pour  ainsi  dire ,  un  même  tout  et 
une  même  persoime  ?  Les  enfants ,  en.venant  au  monde ,  ne 
rompent  pas  le  nœud  de'cette  union.  La  nature  fait  d'autres 
liens,  qui  sont  ceux  de  l'amour  et  de  la  tendresse;  les  mè- 
res portent  leurs  enfants  d'une  autre  manière ,  c'est-à-dire , 
dans  le  cœur.  Aussitôt  qu'ils  sont  agités ,  leurs  entrailles 
sont  encore  émues  d'une  manière  si  vive,  qu'elle  ne  leur 
permet  pas  de  sentir  qu'elles  en  soient  séparées.  Mais  que 
sera-ce ,  si  nous  ajoutons  à  c^tte  union  ce  qu'il  y  a  de  par- 
ticulier entre  Jésus  et  Marie  ;  si  nous  considérons  qu'il 
n'a  point  de  père  sur  la  terre,  et  qu'il  reconnaît  par  con- 
séquent sa  mère  très-pure ,  comme  la  source  unique  de 
tout  son  sang ,  et  le  principe  unique  de  sa  vie  :  en  sorte 
qu'il  ressent  pour  elle  seule,  avec  une  incroyable  aug- 
mentation et  d'amour  et  de  tendresse ,  ce  que  la  nature 
a  inspiré  au  cœur  des  enfants  pour  le  partager  également 
entre  le  père  el  la  mère  ;  comme  aussi  réciproquement 
cette  mère  vierge  rassemble  en  elle-même ,  pour  ce  cher 
unique ,  ce  que  la  même  nature  répand  ordinairement  en 
deux  cœurs ,  c'est-à-dire ,  ce  que  l'amour  du  père  a  de 
plus  fort,  et  ce  que  l'amour  de  la  mère  a  de  plus  vif  ïtde 
plus  tendre  :  Dilectus  meus  miki,  et  ego  illi. 

Que  ^i  vous  me  répondez  <jue  cette  union  regarde  seul». 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


le  principe  des  gr.iccs  en  la  sainte  Vierge,  c'est 
l'union  très-étroite  avec  Jésiis-Chrlst  :  et  afin  que 
vous  compreniez  par  les  Écritures  divines  l'effet 
de  cette  union  si  avantageuse ,  remarquez ,  s'il 
vous  plaît,  messieurs ,  une  vérité  importante ,  et 
(Iiii  est  le  fondement  de  tout  l'Évangile;  c'est 
que  la  source  de  toutes  les  grâces  qui  ont  orné 
la  nature  humaine,  c'est  notre  alliance  avec  Jé- 
sus-Christ :  car,  mes  frères,  cette  alliance  a  ouvert 
un  sacré  commerce  entre  le  ciel  et  la  terre ,  qui  a 
infiniment  enrichi  les  hommes  ;  et  c'est  sans  doute 
iwur  cette  raison  que  l'Église,  inspirée  de  Dieu, 
appelle  l'incaraation  un  commerce  :  0  admira- 
bile  commercium!  En  effet,  dit  saint  Augustin  ', 
n'est-ce  pas  un  commerce  admirable ,  ou  Jésus , 
ce  charitable  négociateur,  étant  venu  en  ce  monde 
pour  y  trafiquer  dans  cette  nation  étrangère,  en 
prenant  de  nous  les  fruits  malheureux  que  pro- 
duit cette  terre  ingrate ,  la  faiblesse ,  la  misère , 
la  mortalité ,  nous  a  apporté  les  biens  véritables 
que  produit  cette  céleste  patrie ,  qui  est  son  natu- 
rel héritage  ;  l'innocence ,  la  paix ,  l'immortalité? 
(Test  donc  cette  alliance  qui  nous  enrichit  ;  c'est 
cet  admirable  commerce  qui  fait  abonder  en  nous 

n)eut  le  corps,  et  ne  fait  que  suivre  la  trace  du  sang,  c'est 
ici  qu'il  faut  que  je  vous  expose  une  vérité  admirable  ;  mais 
qui  ne  sera  pas  moins  utile  à  votre  instruction,  que  glorieuse 
ot  avantageuse  à  la  sainte  Vierge.  C'est ,  messieurs,  que  le 
Fils  de  Dieu  ayant  pris  un  corps  pour  l'amour  des  âmes ,  il 
ne  s'approcUe  jamais  de  nous  par  son  divin  corps,  que  dans 
un  désir  infini  de  s'unir  à  nous  beaucoup  plus  étroitement 
selon  l'esprit.  Table  mystique,  banquet  adorable  ,  je  vous 
appelle  à  témoin  de  la  vérité  que  j'avance.  Parlez-nous  ici , 
.viints  autels ,  autels  si  saints  et  si  vénérables ,  mais  je  le 
«lirai  en  i)assant ,  autels  fort  peu  révérés.  Je  ne  me  plains 
pas  ici  des  ornements  qui  vous  manquent  :  cela  se  fera  bien- 
tôt ;  et  dans  l'accomplissement  de  ce  superbe  édifice ,  que 
la  France  verra  avec  joie,  comme  un  monument  immortel 
de  la  majesté  de  ses  rois,  ô  Seigneur,  la  piété  de  Louis  votre 
serviteur,  que  vous  nous  avez  donné  pour  monarque ,  n'ou- 
bliera pas  votre  sanctuaire.  Mais  je  me  plains,  saints  au- 
tels ,  de  ce  que  vous  êtes  peu  révérés ,  parce  que  ceux  qui 
tiennent  en  cette  chapelle  la  regardent  comme  un  lieu 
profane.  On  entre ,  on  sort ,  sans  adorer  Dieu.  Jésus-Christ 
ilit-on ,  n'y  repose  pas.  Mais  toutefois  il  y  descend  à  certains 
moments  :  Illic  percerta  momenta  Christi  corpus  et 
sanguis  habitabant.  On  respecte  le  siège  du  roi,  même 
en  son  absence  ;  il  remplit  de  sa  majesté  tous  les  lieux  où 
il  habite.  Le  privilège  de  la  seconde  majesté  ne  doit  pas 
l'emporter  sur  la  première.  Voilà  le  trône  de  Jésus-Christ  : 
je  vous  demande,  messieurs,  une  grâce;  il  sied  bien  au 
ministère  que  je  fais  d'en  demander  de  semblables ,  môme 
de  ce  lieu  :  n'entrez  pas ,  ne  sortez  pas  de  cette  chapelle , 
sans  rendre  à  Dieu ,  à  genoux ,  un  moment  d'adoration  sé- 
rieuse. 

Mais  je  m'éloigne  trop ,  et  il  faut  revenir  à  notre  sujet.  Je 
voulais  prouver,  chrétiens,  que  lorsque  Jésus-Christ  s'unit 
à  nos  corps,  c'est  principalement  l'âme  qu'il  recherche.  J'ai 
apporté  pour  ma  preuve  l'adorable  eucharistie. 

On  voit  clairement  que  Bossuet  lit  ce  morceau  lorsqu'il  vou- 
lut prêcher  ce  sermon  dans  la  chapelle  de  Versailles.  (  Édit- 
ée  Dcforis.  ) 

.   '  Jn  Psal.  cxLviii ,  n'  8 ,  t.  IV  ,  col.  1677 


tous  les  biens.  Cest  pourquoi  saint  Paul  nous 
assure,  que  nous  ne  pouvons  plus  être  p.iuvres, 
depuis  que  Jésus-Christ  est  à  nous  :  «  Celui  qui 
"  nous  donne  son  propre  Fils,  que  nous  pourra- 
«  t-il  refuser?  ne  nousdonne-t-ii  pas  en  lui  *outes 
"  choses? ■•  Qiiomodo  non  etiam  cum  illo  omnia 
nobis  donavit  '  ?  et  après  s'être  comme  débordé 
par  cette  libéralité  inestimable,  ne  faut-il  pas 
que  ses  autres  dons  coulent  impétueusement  par 
cette  ouverture? 

Que  si  notre  alliance  avec  Jésus-Christ  nous 
produit  des  biens  si  considérables  ;  tais-toi ,  tais- 
toi  ,  ô  raison  humaine ,  et  n'entreprends  pas  d'ex- 
pliquer les  prérogatives  de  la  sainte  Vierge  :  car 
si  c'est  un  avantage  incompréhensible  qu'on  nous 
donne  Jésus-Christ  comme  Sauveur  ;  que  pense- 
rons-nous de  Marie  à  qui  le  Père  éternel  le  donne, 
non  point  d'une  manière  commune ,  mais  comme 
il  lui  appartient  à  lui  même,  comme  Fils,  comme 
Fils  unique ,  comme  Fils  qui ,  pour  ne  point  par- 
tager son  cœur,  et  tenir  tout  de  sa  sainte  mère, 
ne  veut  point  avoir  de  père  en  ce  monde?  est-il  1 
rien  d'égal  à  cette  alliance?  Et  ne  vous  persua- 
dez pas  qu'elle  unisse  seulement  Marie  au  Sau- 
veur par  une  union  corporelle  :  l'on  pourrait  d'a- 
bord se  l'imaginer,  parce  qu'elle  n'est  sa  mère 
que  selon  la  chair  ;  mais  vous  prendrez  bientôt 
une  autre  pensée ,  si  vous  remarquez ,  chrétiens , 
une  différence  notable  entre  Marie  et  les  autres 
mères.  Elle  a  donc  ceci  de  particulier,  qui  la  dis- 
tingue de  toutes  les  autres  :  qu'elle  a  conçu  son 
fils  par  l'esprit  avant  de  le  concevoir  dans  .ses 
entrailles;  et  cela  de  quelle  manière?  C'est  que 
ce  n'est  pas  la  nature  qui  a  formé  en  elle  ce  divin 
enfant;  elle  l'a  conçu  parla  foi ,  elle  l'a  conçu  par 
l'obéissance  :  c'est  la  doctrine  constante  de  tous 
les  saints  Pères ,  et  elle  est  fondée  clairement  sur 
un  passage  de  l'Écriture  que  peut-être  vous  n'a- 
vez pas  remarqué.  C'est ,  mes  frères ,  qu'Elisabeth 
ayant  humblement  salué  Marie  comme  mère  de 
son  Seigneur  :  Unde  hoc  mihi,  ut  veniat  mater 
Domini  mei  ad  me  ^'i  elle  s'écrie  aussitôt  toute 
transportée  :  «  Heureuse  qui  avez  cru  !  »  comme 
si  elle  eût  voulu  dire  :  Il  est  vrai  que  vous  êtes 
mère  ;  mais  c'est  votre  foi  qui  vous  rend  féconde  : 
d'où  les  saints  docteurs  ont  conclu  et  ont  tous 
conclu  d'une  même  voix  qu'elle  a  conçu  son  fils 
dans  l'esprit ,  avant  que  de  le  porter  en  son  corps  : 
Prius  concepii  mente  quam  corpore  '.  Ne  jugez 
donc  pas  de  la  sainte  Vierge  comme  vous  faites 
des  mères  communes. 

Chrétiens ,  je  n'ignore  pas  qu'elles  s'unissent 

'  Rom.  viii,  52. 

*  Luc.  1 ,  43. 

*  S  Aug.  Serm.  ccxv ,  n"  4 ,  t.  V,  col.  Oo5.  S.  Léo ,  in  Ifct- 
iivit.  Dont.  Scrm.  i,  cap.  I. 


170 


SUR  LA  NATIVITÉ 


à  leurs  enfants,  même  par  Icsprit.  Qui  ne  le  voit 
pas?  qui  ne  sent  pas  combien  elles  les  portent  au 
fond  de  leurs  âmes?  Mais  je  dis  que  l'union  se 
commence  au  corps,  et  se  noue  premièrement 
par  le  sang  :  au  contraire ,  en  la  sainte  Vierge , 
la  première  empreinte  se  fait  dans  le  cœur  ;  son 
alliance  avec  son  fils  prend  son  origine  en  l'es- 
piit ,  parce  qu'elle  l'a  conçu  par  la  foi  :  et  si  vous 
voulez  entendre,  mes  frères,  jusqu'où  va  cette 
alliance ,  jugez-en  à  proportion  de  celle  du  corps. 
Car  permettez-moi,  je  vous  prie,  d'approfondii 
un  si  grand  mystère ,  et  de  vous  expliquer  une 
vérité  qui  ne  sera  pas  moins  utile  pour  votre 
instruction,  qu'elle  sera  glorieuse  à  la  sainte 
Vierge. 

Cette  vérité,  chrétiens,  c'est  que  notre  Sauveur 
Jésus-Christ  ne  s'unit  jamais  à  nous  par  son  corps, 
que  dans  le  dessein  de  s'unir  plus  étroitement  en 
esprit.  Table  mystique,  banquet  adorable,  et 
vous,  saints  et  sacrés  autels,  je  vous  appelle  à 
témoin  de  la  vérité  que  j'avance.  Mais  so^^ez-en 
les  témoins  vous-mêmes ,  vous  qui  participez  à 
ces  saints  mystères.  Quand  vous  avez  approché 
de  cette  table  divine ,  quand  vous  avez  vu  venir 
Jésus-Christ  à  vous  en  son  propre  corps ,  en  son 
propre  sang ,  quand  on  vous  l'a  mis  dans  la  bou- 
che, dites-moi,  avez- vous  pensé  qu'il  voulait  s'ar- 
rêter simplement  au  corps?  A  Dieu  ne  plaise  que 
vous  l'ayez  cru ,  et  que  vous  ayez  reçu  seulement 
au  corps  celui  qui  court  à  vous  pour  chercher 
votre  âme  !  ceux  qui  l'ont  reçu  de  la  sorte ,  qui  ne 
se  sont  pas  unis  en  esprit  à  celui  dont  ils  ont  reçu 
la  chair  adorable ,  ils  ont  renversé  son  dessein , 
iJs  ont  offensé  son  amour.  Et  c'est  ce  qui  fait 
dire  à  saint  Cyprien  ces  belles  mais  terribles  pa- 
roles :  «  Ils  font  violence ,  dit  ce  saint  martyr, 
«  au  corps  et  au  sang  du  Sauveur  :  »  Vis  infertur 
corpori  ejus  et  sanguini  ' .  Et  quelle  est ,  mes 
frères,  cette  violence?  Ames  saintes,  âmes  pieu- 
ses ,  vous'qui  savez  goûter  Jésus-Christ  dans  cet 
adorable  mystère ,  vous  entendez  cette  violence  : 
c'est  que  Jésus  recherchait  le  cœur;  et  ils  l'ont 
arrêté  au  corps ,  où  il  ne  voulait  que  passer  :  ils 
ont  empêché  cet  époux  céleste  d'aller  achever 
dans  l'esprit  la  chaste  union  où  il  aspirait  \  ils 
l'ont  contraint  de  retenir  le  cours  impétueux  de 
ses  grâces ,  dont  il  voulait  laisser  inonder  leur 
àme.  Ainsi  son  amour  souffre  violence  ;  et  il  ne 
faut  pas  s'étonner  si,  étant  violenté  de  la  sorte, 
il  se  tourne  en  indignation  et  en  fureur  :  au  lieu 
du  salut  qu'il  leur  apportait,  il  opère  en  eux  leur 
condamnation;  et  il  nous  montre  assez  par  cette 
colère  la  vérité  que  j'ai  avancée ,  que ,  lorsqu'il 
s'unit  corporelleraent,  il  veut  que  l'union  de  l'es- 
prit soit  proportionnée  à  celle  du  corps. 

'  X/6.  de  Lapsis,  p.  186. 


S'il  est  ainsi ,  ô  divine  Vierge ,  je  conçois  quel- 
que chose  de  si  grand  de  vous,  que  non-seule- 
ment je  ne  le  puis  dire ,  mais  encore  mon  esprit 
travaille  à  se  l'expliquer  à  lui-même  :  car  telle 
est  votre  union  au  corps  de  Jésus  lorsque  vous 
l'avez  conçu  dans  vos  entrailles ,  qu'on  ne  peut 
pas  s'en  imaginer  une  plus  étroite  ;  que  si  l'union 
de  l'esprit  n'y  répondait  pas,  l'amour  de  Jésus 
serait  frustré  dece  qu'il  prétend,  il  souffrirait  vio- 
lence en  vous  :  il  faut  donc ,  pour  le  contenter, 
que  vous  lui  soyez  unie  en  esprit ,  autant  que  vous 
le  touchez  de  près  par  les  liens  de  la  nature  et 
du  sang.  Et  puisque  cette  union  se  fait  par  la 
grâce,  que  peut-on  penser,  et  que  peut-on  dire? 
où  doivent  s'élever  nos  conceptions,  pour  ne 
point  faire  tort  à  votre  grandeur?  et  quand  nous 
aurions  ramassé  tout  qu'il  y  a  de  dons  dans  les 
créatures,  tout  cela  réuni  ensemble  pourrait-il 
égaler  votre  plénitude?  Accourez  donc  avec  joie, 
mes  frères,  pour  honorer,  en  Marie  naissante, 
cette  plénitude  de  grâces  :  car  je  crois  qu'il  est 
inutile  de  vouloir  vous  prouver,  par  de  longs  dis- 
cours ,  qu'elle  l'a  apportée  en  venant  au  monde. 
N'entreprenons  pas  de  donner  des  bornes  à  l'a- 
mour du  Fils  de  Dieu  pour  sa  sainte  mère  ;  et  ac- 
coutumons-nous à  juger  d'elle,  non  parce  que  peut 
prétendre  une  créature,  mais  par  la  dignité  de 
son  fils.  Que  servirait-il  à  Marie  d'avoir  un  fils 
qui  est  devant  elle  et  qui  est  l'auteur  de  sa  nais- 
sance ,  s'il  ne  la  faisait  naître  digne  de  lui?  Ayant 
à  se  former  une  mère ,  la  perfection  d'un  si  grand 
ouvrage  ni  ne  pouvait  être  portée  trop  loin ,  ni 
ne  pouvait  être  commencée  trop  tôt  :  et  si  nous 
savons  concevoir  combien  est  auguste  cette  di- 
gnité à  laquelle  elle  est  appelée,  nous  reconnaî- 
trons aisément  que  ce  n'est  pas  trop  de  l'y  prépa- 
rer dès  le  premier  moment  de  sa  vie.  Mais  c'est 
assez  arrêter  nos  yeux  à  contempler  de  si  grands 
mystères  :  ébloui  d'un  éclat  si  fort ,  je  suis  con- 
traint de  baisser  la  vue  ;  et  pour  remettre  mes 
sens  étonnés  de  l'avoir  considérée  si  longtemps 
dans  ce  haut  état  de  grandeur,  qui  l'approche  si 
près  de  Dieu,  il  faut,  messieurs,  que  je  la  re- 
garde dans  sa  charité  maternelle ,  qui  l'approche 
si  près  de  nous  :  c'est  par  où  je  m'en  vais  conclure. 

TROISIÈME   POINT. 

Ce  qui  me  reste  à  vous  faire  entendre  est  d'une 
telle  importance,  qu'il  mériterait  un  discours 
entier,  et  ne  devrait  pas  être  resserré  dans  cette 
dernière  partie  :  comme  néanmoins  je  ne  puis 
l'omettre,  sans  laisser  ce  discours  imparfait, 
j'en  toucherai  les  chefs  principaux,  et  je  vous 
prie,  messieurs,  de  les  bien  entendre;  car  c'est 
sur  ce  fond  qu'il  faut  établir  la  dévotion  solide 
pour  la  sainte  Vierge.  Je  pose  donc  pour  premier 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


171 


principe  que  Dieu  ayant  résolu  dans  l'éternité 
de  nous  donner  Jésus-Christ  par  son  entremise, 
il  ne  se  contente  pas  de  se  servir  d'elle  comme 
d'un  simple  instrument;  mais  il  veut  qu'elle 
coopère  à  ce  grand  ouvrage  par  un  mouvement 
de  sa  volonté.  C'est  pourquoi  il  envoie  son  ange 
[iour  lui  proposer  le  mystère,  et  ce  grand  ou- 
vrage de  l'incarnation ,  qui  tient  depuis  tant  de 
siècles  le  ciel  et  la  terre  en  attente  ;  cet  ouvrage , 
dis-je ,  demeure  en  suspens  jusqu'à  ce  que  la 
sainte  Vierge  y  ait  consenti.  Elle  tient  donc  en 
attente  Dieu  et  toute  la  nature  ;  tant  il  a  été  né- 
cessaire aux  hommes  qu'elle  ait  désiré  leur  salut. 
Elle  l'a  donc  désiré,  messieurs,  et  il  a  plu  au 
Père  éternel,  que  Marie  contribuât  par  sa  charité 
à  donner  un  Sauveur  au  monde. 

Comme  cette  vérité  est  connue ,  je  ne  m'étends 
pas  à  vous  l'expliquer  ;  mais  je  ne  puis  vous  en 
taire  une  conséquence  que  peut-être  vous  n'avez 
pas  assez  méditée  :  c'est  que  la  sagesse  divine 
ayant  une  fois  résolu  de  nous  donner  Jésus-Christ 
par  la  sainte  Vierge ,  ce  décret  ne  se  change  plus; 
il  est  et  sera  toujours  véritable  que  sa  charité  ma- 
ternelle ayant  tant  contribué  à  notre  salut  dans 
le  mystère  de  l'incarnation ,  qui  est  le  principe 
universel  de  la  grâce,  elle  y  contribuera  éternel- 
lement dans  toutes  les  autres  opérations,  qui 
n'en  sont  que  des  dépendances  :  et  afin  de  le  bien 
entendre,  remarquez,  s'il  vous  plaît,  messieui-s, 
trois  opérations  principales  de  la  grâce  de  Jésus- 
Christ.  Dieu  nous  appelle,  Dieu  nous  justifie. 
Dieu  nous  donne  la  persévérance  :  la  vocation , 
c'est  le  premier  pas  ;  la  justification ,  c'est  notre 
progrès;  la  persévérance,  la  fin  du  voyage.  V^ous 
savez  qu'en  ces  trois  états  l'influence  de  Jésus- 
Christ  nous  est  nécessaire.  iNIais  il  faut  vous  faire 
voir  manifestement,  par  les  Écritures,  que  la 
charité  de  Marie  est  associée  à  ces  trois  ouvra- 
ges; et  peut-être  ne  croyez -vous  pas  que  ces 
vérités  soient  si  claires  dans  l'Évangile,  que  j'es- 
père de  les  y  montrer  en  peu  de  paroles. 

Pour  ce  qui  regarde  la  vocation ,  considérez , 
s'il  vous  plaît,  messieurs,  ce  qui  se  passe  en 
saint  Jean-Baptiste ,  enfermé  dans  les  entrailles 
de  sa  mère ,  et  vous  y  verrez  une  image  des  pé- 
cheurs que  la  grâce  appelle.  Jean  y  est  dans  l'obs- 
curité :  où  êtes  vous,  ô  pécheurs?  Il  ne  peut  ni 
voir,  in  entendre,  et  Jésus  vient  à  lui  sans  qu'il 
y  pense.  Il  s'approche,  il  parle  à  son  cœur,  il 
éveille  et  il  attire  ce  cœur  endormi  et  aupara- 
vant insensible;  c'est  ainsi  que  le  fils  de  Dieu 
traite  les  pécheurs  qu'il  appelle.  Y  pensiez- vous , 
à  pécheurs,  quand  il  vous  est  venu  troubler? 
vous  vous  cachiez,  et  il  vous  voyait;  vous  vous 
détourniez,  et  il  vous  savait  bien  trouver  :  il  a 
parlé  à  votre  cœur,  et  il  vous  a  appelés  à  lui ,  et 


vous  ne  le  cherchiez  pas.  Mais  ce  même  Jésu»- 
Christ  nous  montre ,  en  saint  Jean ,  que  la  charité 
de  Marie  concourt  avec  lui  à  ce  grand  ouvrage. 
Ce  qui  fait  que  Jésu»  approche  de  Jean,  n'est- 
ce  pas  la  charité  de  Marie?  si  Jésus  agit  dans  le 
cœur  de  Jean ,  n'est-ce  pas  par  la  voix  de  Marie? 
Voilà  donc  Marie  en  saint  Jean  Baptiste ,  mère 
de  ceux  que  Jésus  appelle  :  voyons  maintenant 
ceux  qu'il  justifie. 

Je  les  vois  sans  figure,  dans  l'Évangile,  aux 
noces  de  Cana  en  Galilée  :  ils  sont  déjà  appelés 
en  la  personne  des  apôtres  ;  mais  écoutez  l'écri- 
vain sacré  :  «  Jésus  fit  son  premier  miracle ,  et 
'<  il  manifesta  sa  gloire,  et  ses  disciples  crurent 
«  en  lui  ;  »  Et  crediderunt  in  eum  discipuli  cjiis  ' . 
Pouvait-il  nous  exprimer  en  termes  plus  clairs  la 
grâce  justifiante  dont  la  foi ,  comme  vous  savez , 
est  le  fondement?  Mais  il  ne  pouvait  non  plus 
nous  expliquer  mieux  la  part  qu'y  a  eue  la  divine 
Vierge  :  car  qui  ne  sait  que  ce  grand  miracle 
fut  l'effet  de  sa  charité  et  de  ses  prières?  Est-ce 
en  vain  que  le  Fils  de  Dieu ,  qui  dispose  si  bien 
de  toutes  choses ,  n'a  voulu  faire  son  premier  mi- 
racle qu'en  faveur  de  sa  sainte  Mère  ?  Qui  n'ad- 
mirera, chrétiens,  qu'elle  ne  se  soit  mêlée  que 
de  celui-ci,  qui  a  été  suivi  aussitôt  d'une  image 
si  expresse  de  la  justification  des  pécheurs  ?  cela 
se  fait-il  par  hasard,  ou  plutôt  ne  paraît-il  pas 
que  le  Saint-Esprit  veut  nous  faire  entendre ,  ce 
que  remarque  saint  Augustin  en  interprétant  ce 
mystère ,  que  la  bienheureuse  «  Mrnùe  étant  mère 
«  de  notre  chef  par  la  chair,  a  dû  être  selon  l'esprit 
«■  mère  de  ses  membres ,  et  coopérer  par  sa  cha- 
«  rite  à  leur  naissance  sph'ituelle?  »  Came  mater 
capitis  nostri  spiritu,  mater  memhrorum  ejus  *. 

Mais,  mes  frères,  ce  n'est  pas  assez  qu'elle 
contribue  à  les  faire  naître  ;  achevons  de  montrer 
ce  que  fait  Marie  dans  la  sainte  persévérance  des 
enfants  de  Dieu.  Paraissez  donc ,  enfants  d'adop- 
tion et  de  prédestination  éternelle ,  enfants  de  mi^ 
séricorde  et  de  grâce,  fidèles  compagnons  du 
Sauveur  Jésus,  qui  persévérez  avec  lui  jusqu'à 
la  fin ,  accourez  à  la  sainte  Vierge,  et  venez  vous 
ranger  avec  les  autres  sous  les  ailes  de  sa  charité 
maternelle.  Chrétiens ,  je  les  vois  paraître  ;  le  dis^ 
ciple  chéri  de  notre  Sauveur  nous  les  représente 
au  Calvaire:  il  est  la  figure  des  persévérants; 
puisqu'il  suit  Jésus-Christ  jusqu'à  la  croix ,  qu'il 
s'attache  constamment  à  ce  bois  mystique,  qu'il 
vient  généreusement  mourir  avee  lui.  Il  est  donc 
la  figure  des  persévérants;  et  voyez  que  Jésus-. 
Christ  le  donne  à  sa  mère  :  Femme,  lui  dit-il ^ 
voilà  votre  fils  :  Eccefilius  tuu6  ^.  Chrétiens ,  j'ai 

'  Joan.  Il,  II. 

'  De  saitcta  Firg.  n'  6 ,  t.  VI ,  col.  343. 

3  Joan.  X!S,  26. 


17Î 


SUR  LA  NATIVITÉ 


tonu  parole  :  ceux  qitl  savent  considérer  combien 
l'Écriture  est  mystérieuse,  connaîtront,  par  ces 
trois  exemples,  que  la  charité  de  Marie  est  un 
instrumeut  général  des  opérations  de  la  grâce. 

Par  conséquent ,  réjouissons-nous  de  nous  voir 
naître  aujourd'hui  une  protectrice.  Nox  prœces- 
sit^  la  nuit  est  passée  avec  ses  terreurs  et  ses 
épouvantes ,  avec  ses  craintes  et  ses  désespoirs  : 
dies  appropinquavit;  le  jour  approche ,  l'espé- 
rance vient  :  nous  en  voyons  luire  un  premier 
rayon  en  la  protection  de  la  sainte  Vierge.  Elle 
\ient  sans  doute  pour  notre  secours  :  je  ne  sais 
si  ses  cris  et  ses  larmes  n'intercèdent  pas  déjà 
pour  notre  misère;  mais  je  sais  qu'il  n'est  pas 
possible  de  choisir  une  meilleure  avocate.  Prions- 
la  donc  avec  saint  Bernard  qu'elle  parle  pour 
nous  au  cœur  de  son  fils  :  Loquatur  ad  cor  Do- 
mini  nostri  Jesu  Christi^.  Oui,  certainement, 
ô  Marie ,  c'est  à  vous  qu'il  appartient  de  parler 
au  cœur  :  vous  y  avez  un  fidèle  correspondant , 
je  veux  dire ,  l'amour  filial ,  qui  s'avancera  pour 
recevoir  l'amour  maternel ,  et  qui  préviendra  ses 
désirs  ;  devez-vous  craindre  d'être  refusée,  quand 
vous  parlerez  au  Sauveur?  «  Son  amour  inter- 
«  cède  en  notre  faveur  ;  la  nature  même  le  sol- 
«  licite  pour  nous  :  »  Affectus  ipse  pro  te  orat; 
natura  ipsa  tibi  postulat.  «  On  se  rend  facile- 
«  ment  aux  prières ,  lorsqu'on  est  déjà  vaincu  par 
«  son  affection  :  »  Cito  annuunt  qui  sua  ipsi 
amore  superantur  ^ .  C'est  pour  cette  raison, 
chrétiens,  que  Marie  parle  toujours  avec  effi- 
cace :  parce  qu'elle  parle  à  un  cœur  déjà  tout  ga- 
gné; parce  qu'elle  parle  à  un  cœur  de  fils.  Qu'elle 
parle  donc  fortement,  qu'elle  parle  pour  nous 
au  cœur  de  Jésus  :  Loquatur  ad  cor. 

Mais  quelle  grâce  demandera-t-elle?  que  dé- 
sirons-nous par  son  entremise?  Quoi,  mes  frè- 
res ,  vous  hésitez  !  Ce  lieu  de  charité  où  vous  êtes , 
ne  vous  inspire-t-il  pas  le  désir  de  vous  fortifier 
dans  la  charité?  Charité,  charité;  ô  heureuse 
Vierge ,  c'est  la  charité  que  nous  demandons  : 
sans  le  désir  d'être  charitables ,  que  nous  sert  de 
réclamer  le  nom  de  Marie?  Pour  vous  enflammer 
à  la  charité ,  entrez ,  messieurs ,  dans  ces  grandes 
salles ,  pour  y  contempler  attentivement  le  spec- 
tacle de  l'infirmité  humaine  ;  là  vous  verrez  en 
combien  de  sortes  la  maladie  se  joue  de  nos 
corps  :  là  elle  étend ,  là  elle  retire  ;  là  elle  tourne , 
là  elle  disloque  ;  là  elle  relâche ,  là  elle  engourdit  ; 
là  sur  le  tout ,  là  sur  la  moitié;  là  elle  cloue  un 
corps  immobile ,  là  elle  le  secoue  par  le  tremble- 
ment. Pitoyable  variété ,  chrétiens ,  c'est  la  ma- 
ladie qui  se  joue ,  comme  il  lui  plaît ,  de  nos  corps 

».  Ad  Beat.  Firg.  Scnn.  Panegyr.  n"  7 ,  int.  Oper.  S.  Ber- 
nurdi ,  t.  ii ,  col.  C90. 
»  Salv.  Ep.  IV,  p.  199. 


que  le  péché  a  donnés  en  proie  à  ses  cruelles  bi- 
zarreries ;  et  la  fortune,  pour  être  également  outra- 
geuse,  ne  se  rend  pas  moins  féconde  en  événe- 
ments fâcheux. 

Regarde ,  ô  homme,  le  peu  que  tu  es  ;  consi- 
dère le  peu  que  tu  vaux  :  viens  apprendre  la  liste 
funeste  des  maux  dont  ta  faiblesse  est  mena- 
cée. Si  tu  n'en  es  pas  encore  attaqué,  regarde  ces 
misérables  avec  compassion;  quelque  superbe 
distinction  que  tu  tâches  de  mettre  entre  toi  et 
eux ,  tu  es  tiré  de  la  même  masse,  engendré  des 
mêmes  principes,  formé  de  la  même  boue  :  res- 
pecte en  eux  la  nature  humaine  si  étrangement 
maltraitée,  adore  humblement  la  main  qui  t'é- 
pargne ;  et  pour  l'amour  de  celui  qui  te  pardonne, 
aie  pitié  de  ceux  qu'il  afflige.  Va-t'en ,  mon  frère , 
dans  cette  pensée  ;  c'est  Marie  qui  te  le  dit  par 
ma  bouche.  Cet  hôpital  s'élève  sous  sa  protec- 
tion; ainsi,  si  tu  crois  mon  conseil,  ne  sors  pas 
aujourd'hui  de  sa  maison,  sans  y  laisser  quel- 
que marque  de  ta  charité  :  ne  dis  pas  que  l'on 
en  a  soin.  La  charité  est  trop  lâche ,  qui  se  repose 
toujours  sur  les  autres  :  tu  verras  combien  de 
nécessités  implorent  ta  charité.  Si  tu  le  fais, 
mon  frère ,  comme  je  l'espère ,  puisses-tu ,  au 
nom  de  Notre-Seigneur,  croître  en  charité  tous 
les  jours  !  puisses-tu  ne  sentir  jamais  ni  de  dureté 
pour  les  misérables ,  ni  d'envie  pour  les  fortu- 
nés !  puisses-tu  n'avoir  jamais  ni  d'ennemi  que 
tu  aigrisses  par  ton  indifférence ,  ni  d'ami  que  tu 
corrompes  par  tes  flatteries  !  puisses-tu  t'exercer 
si  utilement  dans  la  charité  fraternelle ,  que  tu 
arrives  enfin  au  plus  haut  degré  de  la  charité  di- 
vine ;  qui  t'ayant  fortifié  dans  ce  lieu  d'exil  con- 
tre les  attaques  du  monde ,  te  couronnera  dans 
la  vie  future  de  la  bienheureuse  immortalité  ! 
Ainsi  soit-il,  mes  frères,  au  nom  du  Père,  et  du 
fils ,  et  du  Saint-Esprit. 


DEUXIEME  SERMON 

POUR  LA  FÊTE 

DE  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 

En  quoi  consiste  la  grandeur  de  Marie  :  combien  Jésus  a  ie 
cœur  pénétré  d'amour  pour  elle.  L'alliance  de  ce  divin  lils 
avec  Marie,  commencée  dès  la  naissance  de  cette  vierge  mère. 
De  quelle  manière  nous  pouvons  participer  à  la  dignité  de 
mère  de  Dieu.  En  Marie  une  double  fécondité.  Tous  les  lidèles 
donnés  à  Marie  pour  enfants  :  extrême  affection  qu'elle  leur 
porte  :  quels  sont  ses  véritables  enfants.  Dans  quelles  disposi- 
tions il  faut  implorer  son  secoUrs. 


Quis,  putas,  puer  iste  erit? 

Quel,  pensez-vous,  que  sera  cet  enfant?  Luc.  i,  66. 

C'est  en  vain  que  les  grands  de  la  terre ,  s'em- 
portant  quelquefois  plus  qu'il  n'est  permis  à  djes 


DE  LA  SAI>iTE  VIERGE. 


IT,"} 


hommes,  semblent  vouloir  cacher  les  faiblesses 
de  la  nature ,  sous  cet  éclat  trompeur  de  leur 
éminente  fortune.  Je  reconnais,  mes  sœurs ,  avec 
J'apôtre  ' ,  que  nous  sommes  obligés  de  les  ho- 
norer comme  les  lieutenants  de  Dieu  sur  la  terre, 
auxquels  sa  providence  a  commis  le  gouverne- 
ment de  ses  peuples  ;  et  c'est  ce  respect  que  nous 
leur  rendons  qui  établit  la  fermeté  des  Etats  ,  la 
sûreté  publique  et  le  repos  des  particuliers.  Mais 
comme  il  leur  arrive  souvent  qu'enivrés  de  cette 
prospérité  passagère  ils  se  veulent  mettre  au- 
dessus  de  la  condition  humaine ,  c'est  avec  beau- 
coup de  raison  que  le  plus  sage  de  tous  les  hom- 
mes entreprend  de  confondre  leur  témérité.  Il  les 
ramène  au  commencement  de  leur  vie,  il  leur 
représente  leurs  infirmités  dans  leur  origine  ;  et 
bien  qu'ils  aient  le  cœur  enflé  de  la  noblesse  de 
leur  naissance ,  il  leur  fait  bien  voir  que  si  illus- 
tre qu'elle  puisse  être,  elle  a  toujoure  beaucoup 
plus  de  bassesse  que  de  grandeur.  Pour  moi, 
dit  Salomon*,  quoique  je  sois  le  maître  d'un 
puissant  État ,  j  avoue  ingénument  que  ma  nais- 
sance ne  diffère  en  rien  de  celle  des  autres.  Je 
suis  entré  nu  en  ce  monde ,  comme  étant  exposé 
à  toutes  sortes  d'injures  :  j'ai  salué ,  comme  les 
autres  hommes,  la  lumière  du  jour  par  des  pleurs  ; 
et  le  premier  air  que  j'ai  respiré  m'a  servi  comme 
à  eux  à  former  des  cris  :  Primam  vocem  simi- 
lem  omnibus  emisi  plorans^.  Telle  est,  con- 
tiuue-t-il ,  la  naissance  des  plus  grands  monar- 
ques ;  et  de  quelque  grandeur  que  les  flattent  leurs 
eourtisans,  la  nature,  cette  bonne  mère  qui  ne 
sait  point  flatter,  ne  les  traite  pas  autrement  que 
ies  moindres  de  leurs  sujets  :  Nemo  eniin  ex 
regihus  aliud  habuit  nativitatis  initium  **. 

Voilà,  chrétiens,  où  le  plus  sage  des  rois  ap- 
pelle les  grands  de  ce  monde ,  pour  convaincre 
leur  ambition  ;  et  d'autant  que  c'est  là  sans  doute 
où  elle  a  le  plus  à  souffrir,  il  n'est  pas  croyable 
combien  d'inventions  ils  ont  recherchées  pour 
se  tirer  du  pair,  même  dans  cette  commune  fai- 
blesse. Il  faut ,  à  quelque  prix  que  ce  soit ,  sépa- 
rer du  commun  des  hommes  le  prince  naissant  : 
c'est  pourquoi  chacun  s'empresse  à  lui  rendre 
des  hommages  qu'il  ne  comprend  pas.  S'il  paraît 
dans  la  nature  quelque  changement  ou  quelque 
prodige ,  on  en  tire  incontinent  des  augures  de 
sa  bonne  fortune  ;  comme  si  cet  grande  machine 
ne  remuait  que  pour  cet  enfant.  Comme  le  temps 
présent  ne  lui  est  point  favorable,  parce  qu'il  ne 
lui  donne  rien  qui  le  distingue  de  ceux  de  son 
«Ige,  il  faut  consulter  l'avenir,  et  avoir  recours 


'  Rom.  sui  el  s^qq. 
»  Siip.  VII  ,1,2. 
3  Ihiil.  X 
'  Ibid.  5. 


nécessairement  à  la  science  des  pronoslics.  C'est 
ici  que  les  astrologues ,  mêlant  dans  leurs  vainei 
spéculations  la  curiosité  et  la  flatterie,  leur  font 
des  promesses  hardies,  dont  ils  donnent  pour 
cautions  des  influences  cachées.  C'est  dansée 
même  dessein  que  les  orateurs  tâchent  de  faire 
valoir  l'art  des  conjectures  ;  et  ainsi  rambition 
humaine  ne  pouvant  se  contenir  dans  cette  sim- 
ple modestie,  que  la  nature  tâche  de  nous  inspi- 
rer, elle  s'enfle  et  se  repaît  de  doutes  et  d'espé- 
rances. 

Grâce  à  la  miséricorde  divine ,  nous  sommes 
appelés  aujourd'hui  à  la  naissance  d'une  Prin- 
cesse qui  ne  demande  point  ces  vains  oraements. 
Gardons-nous  bien,  mes  sœurs,  de  célébrer  sa  na- 
tivité avec  ces  recherches  téméraires,  dont  les 
hommes  se  servent  en  de  pareilles  rencontres  : 
mais  plutôt  considérant  que  celle  dont  nous  par- 
lons est  la  mère  du  sauveur  Jésus ,  apprenons 
de  son  Évangile  de  quelle  manière  il  désire  que 
nous  solennisions  la  naissance  de  ses  élus.  Les 
parents  de  saint  Jean-Baptiste  nous  en  donnent 
un  bel  exemple  :  ils  ne  pénètrent  pas  les  secrets 
de  l'avenir  avec  une  curiosité  trop  précipitée; 
toutefois  adorant  en  eux-mêmes  les  conseils  de 
la  Providence ,  ils  ne  laissent  pas  de  s'enquérir 
modestement  entre  eux  quel  sera  un  jour  cet  en- 
fant :  Quis,  putas,  puer  iste  erit?  Je  me  pro- 
pose aujourd'hui  de  faire  pour  la  mère  de  notre 
Maître ,  ce  que  je  vois  pratiqué  pour  son  pré- 
curseur. 

Ames  saintes  et  religieuses  qui  voyez  cette 
incomparable  Princesse  faire  son  entrée  en  ce 
monde,  quel  pensez- vous  que  sera  cet  enfant? 
Quis,  putas,  puer  iste  erit?  Que  me  répondrez- 
vous  à  cette  question,  et  moi-même  que  répon- 
drai-je?  Tirons  la  réponse  du  saint  évangile  que 
nous  avons  lu  ce  matin ,  dans  la  célébration  des 
divins  mystères  :  De  qua  natus  est  Jésus,  gui 
vocatur  Ckristus  '.  «  C'est  d'elle  qu'est  né  Jésus, 
«  qui  est  appelé  le  Christ.  »  Viendra,  viendra  le 
temps  que  Jésus ,  la  sagesse  du  Père ,  l'unique 
rédempteur  de  nos  âmes,  la  lumière  du  genre 
humain  ,  en  qui  nous  sommes  comblés  de  toutes 
sortes  de  grâces ,  se  revêtira  d'une  chair  humaine 
dans  les  entrailles  de  ce  bénit  enfant  dont  nous 
honorons  la  naissance.  C'est  par  cet  éloge,  mes 
sœurs,  qu'il  nous  faut  estimer  sa  grandeur,  et 
juger  avec  certitude  quel  sera  un  jour  cet  enfant. 
La  nativité  de  la  sainte  Vierge  nous  fait  voir  le 
temple  vivant  où  se  reposera  le  Dieu  des  armées , 
lorsqu'il  viendra  visiter  sou  peuple  :  elle  nous  fait 
voir  le  commencement  de  ce  grand  et  bienheu- 
reux jour  que  Jésus  doit  bientôt  faire  luire  au 

I  Matth.i,  ic. 


174 


SUR  LA  NATIVIT15 


monde.  Nous  aurons  bientôt  le  salut  ;  puisque  nous 
voyons  déjà  sur  la  terre  celle  qui  doit  y  attirer  le 
Sauveur.  La  malédiction  de  notre  nature  com- 
mence à  se  changer  aujourd'hui  en  bénédiction 
et  en  grâce;  puisque  de  la  race  d'Adam ,  qui  était 
si  justement  condamnée,  naît  la  bienheureuse 
Marie  :  c'est-à-dire,  celle  de  toutes  les  créatures 
qui  est  tout  ensemble  la  plus  chère  à  Dieu ,  et  la 
plus  libérale  aux  hommes ,  car  la  grandeur  de  la 
sainte  Vierge  est  une  grandeur  bienfaisante ,  une 
grandeur  qui  se  communique  et  qui  se  répand  ; 
et  la  suite  de  ce  discours  vous  fera  paraître ,  que 
sa  dignité  de  mère  de  Dieu  la  rend  aussi  la  mère 
des  fidèles  :  de  sorte  qu'il  n'y  a  rien ,  âmes  chré- 
tiennes, que  nous  ne  puissions  justement  attendre 
de  la  protection  de  cette  Princesse  que  le  ciel  nous 
donne  aujourd'hui  pour  être ,  après  le  sauveur 
Jésus ,  le  plus  ferme  appui  de  notre  espérance. 

Et  c'est  ce  que  je  me  propose  de  vous  faire  en- 
tendre par  ce  raisonnement  invincible ,  dont  les 
deux  propositions  principales  feront  le  partage 
de  ce  discours.  Afin  qu'une  personne  soit  en  état 
de  nous  soulager  par  son  assistance  près  de  la 
Majesté  divine ,  il  est  absolument  nécessaire  que 
sa  grandeur  l'approche  de  Dieu,  et  que  sa  bonté 
l'approche  de  nous.  Si  sa  grandeur  ne  l'approche 
de  Dieu,  elle  ne  pourra  puiser  dans  la  source 
où  toutes  les  grâces  sont  renfermées  :  si  sa  bon- 
té ne  l'approche  de  nous,  nous  n'aurons  aucun 
bien  par  son  influence.  La  grandeur  est  la  main 
qui  puise ,  la  bonté ,  la  main  qui  répand  ;  et  il 
faut  ces  deux  qualités  pour  faire  une  parfaite 
communication.  Marie  étant  la  mère  de  notre 
Sauveur,  sa  qualité  l'élève  bien  haut  auprès  du 
Père  éternel  ;  et  la  même  Marie  étant  notre  mère , 
son  affection  la  rabaisse  jusqu'à  compatira  notre 
faiblesse,  jusqu'à  s'intéresser  à  notre  bonheur. 
Par  conséquent  il  est  véritable  que  la  nativité  de 
cette  Princesse  doit  combler  le  monde  de  joie, 
puis  qu'elle  le  remplit  d'espérance  :  et  l'explica- 
tion que  je  vous  propose  de  ces  vérités  importan- 
tes, établira  la  dévotion  à  la  sainte  Vierge  sur 
une  doctrine  solide  et  évangélique. 

PBEMIER    POINT. 

Encore  que  les  Idées  différentes  que  nous 
nous  formons  à  nous-mêmes ,  pour  nous  repré- 
senter l'essence  divine ,  ne  soient  pas  une  vérita- 
ble peinture,  mais  seulement  une  ombre  impar- 
faite ;  celle  qui  semble  la  plus  auguste  et  la  plus 
digne  de  cette  Majesté  souveraine,  c'est  de  com- 
prendre la  Divinité  comme  un  abîme  immense 
et  comme  un  trésor  infini ,  où  toutes  sortes  de  per- 
fections sont  glorieusement  rassemblées.  En  ef- 
fet. Dieu  porte  en  son  sein  tout  ce  qui  peut  jamais 
avoir  l'être  :  toutes  les  nrâecs ,  toutes  les  beau- 


tés que  nous  voyons  semées  sur  les  créatures  sê 
ramassent  toutes  en  son  unité  ;  et  il  dit  à  Moïse 
son  serviteur  ',  qu'il  lui  montrera  tout  le  bien  en 
lui  découvrant  son  essence.  C'est  que  la  nature 
du  bien ,  que  nous  voyons  ici  partagée ,  se  trouve 
totalement  renfermée  en  Dieu.  Mais,  mes  sœurs , 
ce  n'est  pas  assez  qu'elle  y  soit  ainsi  renfermée  ; 
il  faut  que  de  cette  source  infinie  il  coule  quel- 
ques ruisseaux  sur  les  créatures  :  sans  quoi  il 
est  certain  qu'elles  demeureraient  éternellement 
enveloppées  dans  la  confusion  du  néant,  parce 
que,  n'étant  rien  par  nous-mêmes,  nous  ne  pour- 
rons jamais  avoir  d'être,  qu'autant  que  cette 
cause  première  laisse  tomber  sur  nous ,  pour  ainsi 
parler,  quelques  rayons  ou  quelques  étincelles 
du  sien.  Ainsi,  pour  produire  les  créatures,  il  faut 
que  ce  trésor  immense ,  il  faut  que  ce  vaste  sein 
de  Dieu  où  toutes  choses  sont  renfermées  ,  s'ou- 
vre en  quelque  sorte  et  coule  sur  nous.  Et  qu'est- 
ce  qui  l'ouvre  ?  c'est  la  bonté  ;  c'est  là  son  office 
et  sa  fonction,  d'ouvrir  le  trésor  de  Dieu,  pour  le 
communiquer  à  la  créature  :  et  s'il  est  permis 
à  des  hommes  de  distinguer  les  devoirs  des  di- 
vers attributs  de  Dieu ,  nous  pouvons  dire  avec 
raison  que  comme  c'est  l'infinité  qui  renferme 
en  Dieu  tout  le  bien ,  c'est  aussi  la  bonté  qui  le 
communique. 

C'est  ce  qu'il  m'est  aisé  de  vous  expliquer  par 
une  belle  division  de  saint  Augustin.  Tous  ceux 
qui  donnent  leurs  biens  aux  autres ,  dit  cet  ad- 
mirable docteur,  le  donnent  par  l'une  de  ces 
trois  raisons  :  ou  par  une  force  supérieure  qui 
les  y  oblige ,  et  ils  donnent  par  nécessité  ;  ou  par 
quelque  intérêt  qui  leur  en  revient ,  et  ils  le  font 
pour  l'utilité  ;  ou  par  une  inclination  bienfaisante, 
et  c'est  un  effet  de  bonté.  Ainsi  le  soleil  donne 
sa  lumière,  parce  que  Dieu  lui  a  posé  cette  loi; 
c'est  nécessité.  Un  grand  seigneur  répand  ses 
trésors  pour  se  faire  des  créatures  ;  il  le  fait  pour 
l'utilité.  Un  père  donne  à  son  fils  à  cause  qu'il 
l'aime  ;  c'est  un  sentiment  de  bonté.  Maintenant 
il  est  clair,  mes  sœurs,  que  ce  ne  peut  pas  être 
la  nécessité  qui  oblige  Dieu  à  étendre  sur  nous 
sa  munificence ,  parce  qu'il  n'y  a  aucune  puis- 
sance qui  le  domine  ;  ni  l'utilité ,  parce  qu'il  est 
Dieu ,  et  qu'il  n'a  pas  besoin  de  ses  créatures  : 
d'où  il  résulte  que  la  bonté  est  l'unique  dispen- 
satrice des  grâces;  que  c'est  à  elle  d'ouvrir  le 
trésor  de  Dieu,  et  à  tirer  de  son  sein  immense  tout 
ce  que  les  créatures  possèdent.  C'est  pourquoi  nous 
lisons  dans  les  saintes  Lettres  qu'après  la  création 
de  cet  univers.  Dieu,  considérant  ses  ouvrages,  so 
réjouit  en  quelque  sorte  de  ce  qu'ils  sont  bons  : 
Et  crant  valde  bona^ .  D'où  vient  cela ,  dit  saint 

'  Exod.  xxxiii,  19. 
•  Gcn.  1 ,31. 


DE  LV  SAINTE  VIERGE. 


175 


Augnslin  ■  ;  sinon  qu'il  se  plaît  de  voir  en  ses 
œuvres  l'image  de  la  bonté  qui  les  a  produites? 
Kt  de  là  il  s'ensuit  manifestement  qu'il  n'y  a 
(lue  l'amour  en  Dieu  qui  soit  libéral  :  parce  que 
comme  le  propre  de  cette  justice  sévère  c'est 
d'agir  avec  rigueur,  et  le  propre  de  la  puissance 
c'est  d'agir  avec  efficace  ;  ainsi  le  propre  de  la 
bonté ,  c'est  d'agir  par  un  pur  amour. 

Mais  cette  belle  manière  d'agir  par  amour  pa- 
raît encore  plus  visiblement  en  la  personne  du 
Dieu  incarné.  Il  sait  que  c'est  l'amour  du  Père 
éternel  qui  l'a  envoyé  sur  la  terre  :  Sic  Deus 
dilexit  mundum*  :  "  Dieu  a  tant  aimé  le  monde, 
«  qu'il  lui  a  donné  son  Fils  unique.  »  Il  avait 
montré  de  l'amour  à  l'homme  dans  l'ouvrage  de 
sa  création ,  <  lorsqu'il  le  créa ,  dit  Tertullien  , 
«  non  par  une  parole  de  commandement ,  ainsi 
«  que  les  autres  ;  mais  par  une  voix  caressante  et 
«  comme  flatteuse  :  Faisons  l'homme;  »  non  im- 
periaii  verbo,  sed fainiliari  manu;  etiam  verbo 
blandienle  prœmisso  :  Faciamus  hominem^. 
Voilà  de  l'amour  dans  lacréation  ;  mais  qui  ne  va 
pas  encore  jusqu'à  cette  extrême  tendresse,  que 
la  rédemption  nous  a  fait  paraître.  Ce  second 
amour  du  Père  éternel,  par  lequel  il  a  voulu 
réparer  les  hommes ,  n'est  pas  un  amour  ordi- 
naire; c'est  un  amour  qui  a  du  transport.  Dieu 
a  tant  aimé  le  monde  !  Voyez  l'excès ,  voyez  le 
transport  :  et  c'est  pourquoi  le  Dieu  incarné  brûle 
d'un  si  grand  amour  pour  les  hommes;  parce 
qu'il  «  ne  fait,  nous  dit-il  lui-même'',  que  ce 
«  qu'il  voit  faire  à  son  Père.  »  Comme  son  Père 
nous  l'a  donné  par  amour,  c'est  aussi  par  l'a- 
mour qu'il  donne;  et  c'est  l'amour  c|u'il  a  pour  les 
hommes ,  qui  fait  la  distribution  de  ses  grâces. 

Cette  doctrine  évangélique  étant  supposée, 
approchons-nous ,  mes  sœurs ,  avec  révérence 
du  berceau  de  la  Vierge;  et  jugeons  quelle  sera 
un  jour  cette  fille ,  par  l'amour  que  Jésus  sentira 
pour  elle.  Et  d'abord  je  pourrais  vous  dire  que 
l'amour  du  sauveur  Jésus ,  qui  est  une  pure  li- 
bérilité  à  l'égard  des  autres,  à  l'égard  de  sa 
sainte  mère  est  comme  une  dette ,  et  qu'il  passe 
en  nature  d'obUgation,  parce  que  c'est  un  amour 
de  fils.  ^ 

Mais  pénétrons  plus  profondément  les  secrets 
divins,  sous  la  conduite  des  lettres  sacrées;  et 
pour  connaître  mieux  quel  est  cet  amour  du 
Fils  de  Dieu  pour  la  sainte  Vierge ,  considérons- 
le  ,  chrétiens ,  comme  un  accomplisement  néces- 
saire du  mystère  de  l'incarnation.  Suivez ,  s'il 


'  De  Gen  ad  l'Ut.  lib.  imperf.  cap.  Y,  n"  22.  t.  in ,  part,  i, 
col.  luo. 
'  Joan.  iK,  16. 
'  Adv.  Marcwn.  lib.  il,  n"  4. 

*  JouH.  V,  19. 


VOUS  plaît,  mon  raisonnement;  il  est  tiré  du 
divin  apôtre,  en  cette  admirable  épître  aux  Hé- 
breux. C'est  une  sainte  et  salutaire  pensée  de 
méditer  continuellement  en  nous-mêmes,  dans 
l'effusion  de  nos  cœurs,  la  tendre  affection  de 
notre  Sauveur  pour  les  hommes,  en  ce  qu'il  n'a 
rien  dédaigné  de  ce  qui  était  de  notre  nature.  Il 
a  tout  pris  jusqu'aux  moindres  choses,  tout  jus- 
qu'aux plus  grandes  infirmités.  Il  a  bien  voulu 
avoir  faim  et  soif,  tout  ainsi  que  les  autres  hom- 
mes; et  «  si  vous  exceptez  le  péché,  il  n'a  re- 
jeté de  lui  aucune  de  nos  faiblesses'.  »  C'est  ce 
qu'il  est  venu  chercher  sur  la  terre;  et  au  lieu 
de  nos  infirmités ,  qu'il  a  prises ,  il  nous  a  com- 
muniqué ses  grandeurs.  Et  n'est-ce  point,  mes 
sœurs,  pour  cette  raison  que  l'Église  inspirée 
de  Dieu  appelle  l'incarnation  un  commerce?  En 
effet ,  dit  saint  Augustin  %  c'est  un  commerce  ad- 
mirabe  où  Jésus,  ce  céleste  négociateur,  étant 
venu  du  ciel  en  la  terre,  dans  le  dessein  de  tra- 
fiquer avec  une  nation  étrangère  :  qu'a-t-il  fait? 
Ah  !  il  nous  a  apporté  les  biens  qui  sont  propres 
à  cette  céleste  patrie,  qui  est  son  naturel  héritage, 
la  grâce,  la  gloire,  l'immortalité;  et  il  a  pris  les 
choses  que  cette  misérable  terre  produit ,  la  fai- 
blesse ,  la  misère ,  la  corruption.  0  commerce 
de  charité ,  ô  riche  commerce ,  ah  !  combien  il 
devrait  élever  nos  âmes  à  l'espérance  des  biens 
étemels  !  Jésus  sest  plu  dans  mon  néant ,  et  je  ne 
veux  point  me  plaire  dans  sa  grandeur  !  son 
amour  lui  a  fait  trouver  une  douce  satisfaction 
en  se  revêtant  de  ma  pourriture ,  et  je  n'en  veux 
point  trouver  à  me  revêtir  de  sa  gloire ,  et  mon 
cœur  aime  mieux  courir  après  des  délices  qui 
passent  et  des  biens  que  la  mort  enlève  ! 

Mais  revenons  à  notre  sujet  ;  et  demandons  au 
divin  époux  d'où  vient  qu'il  ne  s'est  pas  conten- 
té de  se  revêtir  de  notre  nature ,  et  qu'il  veut  pren- 
dre encore  nos  infirmités.  La  raison  en  est  claire 
dans  les  Écritures  :  c'est  que  le  dessein  de  notre 
Sauveur,  dans  sa  bienheureuse  incarnation,  est 
de  se  rendre  semblable  aux  hommes  ;  et  comme 
tous  ses  ouvrages  sont  achevés ,  et  ne  souffren 
aucune  imperfection,  de  là  vient,  de  là  vient,  me,' 
sœurs,  qu'il  ne  veut  point  de  ressemblance  im 
parfaite.  Écoutez  l'apôtre  saint  Paul  :  ".  Il  s'e5» 
«  uni,  dit-il  ^,  non  pas  aux  anges,  mais  à  la  pos- 
«  térité  d'Abraham  ;  et  c'est  pourquoi  il  fallait 
«  qu'il  se  rendit  en  tout  semblable  à  ses  frères  :  » 
il  veut  être  semblable  aux  hommes.  Il  faut ,  dit 
saint  Paul,  qu'il  le  soit  en  tout:  autrement,  son 
ou\Tage  serait  imparfait.  C'est  pourquoi,  dans 


•  Hebr.  ir,  15. 

'  Enarr.  u,  m  Ps.  \\\ ,  n»  3,  t.  IT,  ool.  U9.  Buar. m  Ps, 
cxLYin,  n"  8,  t.  IV,  col.  1677. 
»  Hebr.  U,  16,  17. 


176 


SUR  LA  NATIVITÉ 


le  jardin  des  Olives,  je  le  vois  dans  la  crainte , 
dans  la  tristesse  ' ,  dans  une  telle  consternation 
qu'il  sue  sang  et  eau  dans  la  seule  appréhension 
du  supplice  qu'on  lui  prépare  '.  Dans  quelle  his- 
toire a-t-on  jamais  lu,  qu'un  accident  pareil  soit 
jamais  arrivé  à  d'autres  qu'à  lui  ?  et  n'avons-nous 
pas  raison  de  conclure,  d'un  effet  si  extraordi- 
naire ,  que  jamais  homme  n'a  eu  les  passions  si 
tendres  ni  si  fortes  que  mon  Sauveur,  bien  qu'il 
les  eût  toujours  modérées,  parce  qu'elles  étaient 
très-soumises  à  la  volonté  de  son  Père  ?  Et  d'où 
vient,  ô  divin  Sauveur,  que  vous  les  prenez  de 
la  sorte  ?  Ah  !  c'est  que  je  veux  être  semblable  à 
vous.  Et  s'il  ne  l'était  pas  en  ce  point ,  il  eût  cru 
qu'il  eût  manqué  quelque  chose  au  mystère  de 
l'incarnation. 

A  plus  forte  raison  doit- on  dire  que  son  cœur 
était  tout  d'amour  pour  la  sainte  Vierge  sa  mère  : 
car  s'il  s'est  si  franchement  revêtu  de  ces  sen- 
timents de  faiblesse  qui  semblaient  indignes  de 
sa  personne;  de  ces  langueurs  mortelles,  de  ces 
vives  appréhensions  :  s'il  les  a  purs  et  si  entiers, 
combien  doit-il  plutôt  avoir  pris  l'affection  en- 
vers les  parents  :  puisque ,  dans  la  nature  même , 
il  n'y  a  rien  de  plus  naturel ,  de  plus  équitable, 
de  plus  nécessaire  !  Ne  serait-ce  pas  en  quelque 
sorte  mépriser  sa  chair,  que  de  n'aimer  pas  for- 
tement cette  sainte  Vierge  du  sang  de  laquelle 
elle  était  formée  :  tellement  qu'il  est  impossible 
que  le  cœur  du  divin  Jésus  ne  fût  pénétré ,  jus- 
qu'au fond ,  de  l'amour  de  Marie  sa  mère  très- 
pure  ;  puisque  cet  amour  filial  était  l'accomplisse- 
ment nécessaire  de  sa  bienheureuse  incarnation? 

Et  ne  me  dites  pas  que  ce  grand  amour  étant 
une  suite  de  Tincarnation ,  le  Fils  de  Dieu  n'a 
pu  en  être  touché  qu'après  s'être  revêtu  d'une 
chair  humaine  :  car,  pour  vous  découvrir  les  se- 
crets conseils  de  la  providence  divine  en  faveur 
de  l'incomparable  Marie,  remarquez  une  belle 
doctrine  de  Tertullien,  au  second  livre  contre 
Marcion.  C'est  là  que  ce  grand  homme  enseigne 
aux  fidèles  que  depuis  que  le  Fils  de  Dieu  eut 
résolu  de  s'unir  à  notre  nature ,  dès  lors  il  a  pris 
plaisir  de  converser  avec  les  hommes  et  de  pren- 
dre les  sentiments  humains.  C'est  pour  cela,  dit 
Turtullien,  qu'il  est  souvent  descendu  du  ciel,  et 
que  dès  l'Ancien  Testament  il  parlait  en  forme 
humaine  aux  patriarches  et  aux  prophètes.  Il  con- 
sidère ces  apparitions  différentes  comme  des  pré- 
paratifs de  l'incarnation  ;  de  cette  sorte ,  dit-il , 
il  s'accoutumait  et  il  apprenait,  pour  ainsi  dire, 
à  être  homme  :  «  il  se  plaisait  d'exercer,  dès 
«  l'origine  du  monde,  ce  qu'il  devait  être  enfin 
«  dans  la  plénitude  des  temps,  >>  Ediscensjam 

>  Marc,  xrv ,  33. 

''  Luc.  XXII,  44. 


inde  a  primordio  hominem,  quod  ernt  fulun(.<i 
in  fine  '. 

Et  si  dès  l'origine  du  monde ,  avant  qu'il  eût 
pr!s  une  chair  humaine,  il  se  plaisait  déjà  de  se 
revêtir  de  la  forme  et  des  sentiments  humains , 
tant  il  était  passionné  pour  notre  nature;  ne 
croyons  pas ,  mes  sœurs ,  qu'il  ait  attendu  sa  ve- 
nue au  monde,  pour  prendre  des  sentiments  de 
fils  pour  Marie.  Dès  le  premier  jour  qu'elle  naît 
au  monde ,  il  la  regarde  comme  sa  mère  ;  parce 
qu'elle  l'est  en  effet ,  selon  l'ordre  des  décrets  di- 
vins. Il  regarde  en  elle  ce  sang  dont  sa  chair  doit 
être  formée,  et  il  le  considère  déjà  comme  sien  ; 
il  s'en  met,  pour  ainsi  dire,  eu  possession  en  le 
consacrant  par  son  Esprit  saint  :  ainsi  son  alliance 
avec  Marie  commence  à  la  nativité  de  cette  Prin- 
cesse ,  et  avec  l'alliance  l'amour,  et  avec  l'amour 
la  munificence.  Car,  mes  sœurs,  il  est  impossi- 
ble qu'un  Dieu  aime  et  ne  donne  pas;  et  le  com- 
mencement de  ce  discours  vous  a  fait  connaître 
que  rien  n'est  plus  libéral  que  l'amour  de  Dieu , 
et  que  c'est  lui  qui  ouvre  le  trésor  des  grâces. 
Combien  donc  illustre,  combien  glorieuse  est 
votre  sainte  nativité ,  ô  divine ,  ô  très-admirable 
Marie  !  quelle  abondance  de  dons  célestes  est  au- 
jourd'hui répandue  sur  vous!  Il  me  semble  que 
je  vois  les  anges  qui  contemplent  avec  respect  le 
palais  qui  est  déjà  marqué  pour  leur  maître ,  par 
un  caractère  divin  que  le  Saint-Esprit  y  imprime. 
Mais  je  vois  le  Fils  de  Dieu,  le  Verbe  éternel ,  qui 
vient  lui-même  consacrer  son  temple  et  l'enri- 
chir de  trésors  célestes ,  avec  une  profusion  qui 
n'a  point  de  bornes  ;  parce  qu'il  veut,  ô  bénit 
enfant  dans  lequel  notre  bénédiction  prend  son 
origine  1  il  veut  que  vous  naissiez  digne  de  lui , 
et  qu'il  vous  serve  d'avoir  un  fils  qui  soit  l'auteur 
de  votre  naissance.  Quel  esprit  ne  se  perdrait 
pas  dans  la  contemplation  de  tant  de  merveilles! 
quelle  conception  assez  relevée  pourrait  égaler 
cet  honneur,  cette  majesté  de  mère  de  Dieu  ! 

Mais  pourriez-vous  croire,  mes  sœurs,  que 
tous  les  fidèles  peuvent  prendre  part  à  la  gloire 
d'un  si  beau  titre?  Nous  pouvons  participer  en 
quelque  façon  à  la  dignité  de  mère  de  Dieu.  Re- 
jetons loin  de  nous  les  discours  humains,  les 
raisonnements  naturels;  écoutons  parler  Jésus- 
Christ  lui-même  :  «  Celui  qui  fait  la  volonté  dei 
»  mon  Père  qui  est  aux  cieux,  celui-là  est  mon 
«  frère,  ma  sœur  et  ma  mère  *  ;  »  c'est-à-dire,  6 
divin  Sauveur,  que  vous  ne  reconnaissez  aucune 
alliance  qui  vous  soit  plus  considérable ,  que  celle 
qui  est  établie  par  l'obéissance  à  la  volonté  du 
Père  céleste  :  c'est  là  ce  qui  approche  les  hom- 
mes de  vous.  Il  dépend  de  toi ,  ô  fidèle,  il  dépend 

«  j4dv.  Marc.  lib.  ir .  n°  i7 
»  Match,  xu,  50. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


177 


de  toi  de  choisir  à  quel  titre  tu  appartiendras,  de 
quelle  sorte  tu  seras  uni  au  Sauveur  des  âmes. 
Jésus-Christ  nous  aime  si  fort ,  qu'il  ne  refuse 
avec  nous  aucun  titre  d'affinité  ni  aucun  degré 
d'alliance  :  fais  la  volonté  de  son  Père ,  et  tu  peux 
lui  être  ce  que  tu  voudras.  Si  le  titre  de  frère  te 
plaît ,  Jésus-Christ  te  l'offre  :  si  tu  admires  la  di- 
gnité de  sa  mère  ;  toute  grande ,  tout  érainente 
qu'elle  est,  il  ne  t'exclut  pas  même  d'un  si  grand 
honneur  :  ille  meu^  f rater,  soror  et  mater  est. 
Tu  peux  participer  en  quelque  façon  à  l'amour 
qu'il  a  pour  sa  mère  :  Oinnia  vestra  sunt  '  : 
Marie  est  à  nous  ;  tout  est  à  nous ,  puisque  Jésus- 
Christ  même  est  à  nous. 

Oh ,  mes  sœurs ,  que  nous  sommes  riches  !  Mais 
a  ces  richesses  spirituelles  nous  voulons  joindre 
l'amour  des  biens  de  la  terre,  et  nous  faisons  éva- 
Douir  les  trésors  célestes.  Mais  écoute  la  loi  qu'il 
t'impose  :  pour  être  élevé  à  de  si  beaux  titres,  il 
ne  faut  pas  faire  notre  volonté,  mais  la  \olonté  du 
Père  céleste  :  puisque  le  nceud  de  cette  alliance, 
c'est  de  faire  la  volonté  de  son  Père  ;  celui  qui 
fait  sa  volonté  propre ,  il  n'est  rien  au  Sauveur 
Jésus.  Faisons  la  volonté  de  son  Père ,  et  nous 
toucherons  de  près  à  Jésus.  Or  la  volonté  de  son 
Père  est  que  nous  ue  nous  plaisions  point  à  nous- 
mêmes  :  car  «  Jésus  n'a  point  cherché  sa  volonté 
«  propre;  »  Christus  non  sibi  plaçait  ' ;  mais  il 
l'a  soumise  à  son  père ,  obéissant  jusqu'à  la  mort. 
Marie  n'a  point  cherché  sa  volonté  propre;  mais, 
contre  son  inclination  naturelle ,  elle  a  offert  à 
la  croix  son  fils  bien-aimé  :  elle  n'a  pas  été  me- 
née au  Thabor  pour  y  voir  la  gloire  de  son  cher 
Jésus  ;  mais  elle  a  été  conduite  au  Calvaire  pour 
y  voir  son  ignominie ,  et  là  sacrifier  sa  volonté 
propre  à  la  volonté  du  Père  éternel.  Sacrifions 
la  nôtre,  mes  sœurs,  n'écoutons  jamais  nos  dé- 
sirs ,  écoutons  la  voix  de  l'obéissance ,  et  alors 
Marie  sera  notre  mère  :  c'est  notre  seconde  par- 
tie, par  laquelle  j'achèverai  ce  discours. 

SECOND   POINT. 

Pour  entendre  solidement  quelle  est  cette  fé- 
condité de  Marie ,  qui  lui  donne  tous  les  chré- 
tiens pour  enfants ,  distinguons  avant  toutes  cho- 
ses deux  sortes  de  fécondité  :  fécondité  de  na- 
ture, fécondité  de  la  charité.  Nous  voyons,  dans 
les  adoptions ,  que  des  hommes  privés  d'enfants  ; 
ce  que  la  nature  leur  a  refusé ,  ils  tâchent  de  l'ac- 
quérir par  l'amour.  C'est  ainsi  que  la  charité  est 
féconde  ;  et  ceux  qui  ont  entendu  l'apôtre  disant  : 
«  Mes  petits  enfants ,  que  j'enfante  de  nouveau , 
«  jusqu'àcequeJésus-Christsoitforméenvous', » 

•  Cor.  m ,  22. 
'  Ron^,  XV,  3. 

*  Gat.  IV,  19. 

BOSStKT.  —  T.  m. 


savent  bien  que  la  charité  se  fait  des  enfants. 
C'est  pourquoi  saint  Augustin  dit  souvent  que 
«  la  charité  est  une  mère  :  »  Charitas  mater  est  '  : 
et  pour  reprendre  cette  vérité  jusqu'au  principe  , 
remarquons  que  cette  double  fécondité,  que  nous 
voyons  dans  les  créatures ,  est  émanée  de  celle 
de  Dieu ,  duquel  toute  paternité  prend  son  ori- 
gine. La  nature  de  Dieu  est  féconde,  et  lui  donne 
son  Fils  naturel  qu'il  engendre  dans  l'éternité.  La 
charité  de  Dieu  est  féconde ,  et  lui  donne  des  fils 
adoptifs;  c'est  de  là  que  nous  sommes  nés  avec 
tous  les  enfants  d'adoption.  Marie  participe  à  la 
fécondité  naturelle  de  Dieu,  engendrant  son  pro- 
pre Fils  ;  et  à  la  fécondité  de  sa  charité,  engen- 
drant aussi  les  fidèles,  à  la  naissance  desquels 
"  elle  a  coopéré  par  sa  charité  :  »  Cooperata  est 
charitate  *. 

Donc,  mes  sœurs,  réjouissons- nous  en  la  sainte 
nativité  de  Marie ,  et  célébrons  ce  bienheureux 
jour  par  de  sincères  actions  de  grâces.  Compre- 
nons que  nos  intérêts  sont  unis  très-étroiteraent 
à  ceux  de  Jésus  ;  puisque  tout  ce  qui  naît  pour 
Jésus ,  naît  aussi  pour  nous.  Voyons  naître  pour 
nous ,  avec  cette  Vierge ,  une  source  de  charité 
qui  ne  tarit  point,  une  source  toujours  vive, 
toujours  abondante.  Buvons  à  cette  source ,  mes 
sœurs  ;  jouissons  de  cet  amour  maternel  :  il  est 
plein  de  douceur,  mais  ce  n'est  pas  d'une  douceur 
molle. 

Mais  que  nos  esprits  ne  s'arrêtent  pas  à  une 
vaine  spéculation  ;  méditons  ce  qu'exige  de  nous 
la  maternité  de  Marie ,  et  de  quelle  sorte  nous 
devons  vivre  pour  être  véritablement  ses  en- 
fants. Ceux  qui  sont  ses  véritables  enfants  ne 
sont  pas  de  ces  chrétiens  délicats  qui  ne  peuvent 
souffrir  les  afflictions ,  et  qui  tremblent  au  seul 
nom  de  la  pénitence.  0  Marie  !  ce  ne  sont  pas  là 
vos  enfants  :  vous  les  voulez  plus  forts  et  plus 
généreux  ;  et  ces  forts  et  ces  généreux ,  vous  les 
trouvez  au  pied  de  la  croix.  Appuyons  par  l'E- 
criture divine  cette  vérité  importante;  et  posons 
pour  premier  principe  :  que  les  fidèles  sont  à 
Marie ,  en  tant  que  Jésus-Christ  les  lui  a  donnés  ; 
parce  qu'étant  achetés  au  prix  de  son  sang, 
il  n'y  a  que  lui  seul  qui  peut  nous  donner.  Or  \ 
recherchant  dans  son  Évangile  où  Jésus  nous  a 
donnés  à  Marie,  je  trouve  qu'il  nous  a  donnés 
étant  sur  la  croix.  Où  est-ce  qu'il  a  dit  à  son 
cher  disciple  :  «  0  disciple ,  voilà  votre  mère  ^?  »  , 
Où  est-ce  qu'il  a  dit  à  Marie  :  "  0  femme  !  voilà 
«  votre  fils?  •  N'est-ce  pas  du  haut  de  la  croix? 
C'est  là  donc  qu'eu  la  personne  de  son  bien-aimé, 

'  In  Ep.  Joan.  Tract,  n ,  n*  4 ,  t.  m ,  part,  n,  coL  838.  Enar, 
m  Ps.  cxLvii,  n*  14,  t.  iv,  col.  1659. 
'  S.  Aug.  de  sancta  FirginiL  n*  6 ,  t  TI ,  eol.  3i3 
*  Joan,  w ,  27. 

/         12 


178 


SUR  LA  NATIVITÉ 


il  donne  tous  les  fidèles  à  sa  sainte  mère  ;  c'est  là 
(jue  nous  devenons  ses  enfants. 

Et  d'où  Yient  que  notre  Sauveur  a  voulu  at- 
tendre cette  heure  dernière,  pour  nous  donner  à 
Marie  comme  ses  enfants?  En  voici  la  véritable 
raison  :  c'est  qu'il  veut  lui  donner  pour  nous  des 
entrailles  et  un  cœur  de  mère.  Et  comment  cela? 
direz-vous.  Admirez,  mes  sœurs,  le  secret  de 
Dieu  :  Marie  était  au  pied  de  la  croix  ;  elle  voyait 
ce  clia"  fils  tout,  couvert  de  plaies,  étendant  ses 
T)ras  à  un  peuple  incrédule  et  impitoyable  ;  son 
sang  qui  débordait  de  tous  côtés  par  ses  veines 
•cruellement  déchirées  :  qui  pourrait  vous  dire 
quelle  était  l'émotion  du  sang  maternel?  Ah!  ja- 
mais elle  ne  sentit  mieux  qu'elle  était  mère  :  tou- 
tes les  souffrances  de  son  fils  le  lui  faisaient 
sentir  au  vif.  Que  fera  ici  le  Sauveur?  Vous  allez 
voir,  mes  sœurs ,  qu'il  sait  parfaitement  le  secret 
d'émouvoir  les  affections. 

Quand  l'âme  est  prévenue  de  quelque  passion 
violente ,  elle  reçoit  aisément  les  mêmes  impres- 
sions pour  tous  les  autres  qui  se  présentent  :  par 
exemple ,  vous  êtes  possédé  d'un  mouvement  de 
colère  ;  il  sera  difficile  que  ceux  qui  approchent 
-de  vous  n'en  ressentent  quelques  effets  :  et  de 
là  vient  que,  dans  les  séditions  populaires,  un 
homme  qui  saura  ménager  avec  art  les  esprits  de 
la  populace  irritée,  lui  fera  aisément  tourner  sa 
fureur  contre  ceux  auxquels  on  pensait  le  moins. 
Il  en  est  de  même  des  autres  passions  ;  parce  que 
l'âme  étant  déjà  excitée,  il  ne  reste  plus  qu'à 
l'appliquer  sur  d'autres  objets  :  à  quoi  son  propre 
mouvement  la  rend  extrêmement  disposée.  C'est 
pourquoi  le  sauveur  Jésus,  qui  voulait  que  sa 
mère  fiit  aussi  la  nôtre ,  afin  d'être  notre  frère 
en  toute  façon  ;  considérant  du  haut  de  sa  croix 
combien  son  âme  était  attendrie ,  comme  si  c'eût 
été  là  qu'il  l'eût  attendue ,  il  prit  son  temps  de  lui 
dire ,  lui  montrant  saint  Jean  :  «  0  femme,  voilà 
«  votre  fils  '.  »  Ce  sont  ses  mots,  et  voici  son 
sens  :  0  femme  affligée,  à  qui  un  amour  infortu- 
né fait  éprouver  maintenant  jusqu'où  peut  aller 
la  tendresse  et  la  compassion  d'ime  mèrel  cette 
inême  affection  maternelle,  qui  se  réveille  si  vi- 
vement en  votre  âme  pour  moi ,  ayez-la  pour 
Jean,  mon  disciple  et  mon  bien-aimé;  ayez-la 
pour  tous  mes  fidèles,  que  je  vous  recommande 
en  sa  personne,  parce  qu'ils  sont  tous  mes  disci- 
ples et  mes  bien-aimés.  Ce  sont  ces  paroles,  mes 
sœurs,  qui  imprimèrent  au  cœur  de  Marie  une 
tendresse  de  mère  pour  tous  les  fidèles,  comme 
pour  ses  véritables  enfants  :  car  est-il  rien  de 
plus  efficace  sur  le  cœur  de  la  sainte  Vierge,  que 
les  paroles  de  Jésus  mourant? 

*  Joan.  XIX, 2& 


Doutez-vous  après  cela,  chrétiens,  quels  sont 
les  enfants  de  la  sainte  Vierge?  qui  ne  voit  que 
ses  véritables  enfants  sont  ceux  qu  elle  trouve  au 
pied  de  /a  croix  avec  Jésus-Christ  crucifié  ?  Et  qui 
sont  ceux-là?  Ce  sont  ceux  qui  mortifient  en  eux 
le  vieil  homme,  qui  crucifient  le  péché  et  ses 
convoitises  par  l'exercice  de  la  pénitence.  Voulez- 
vous  être  enfants  de  Marie,  prenez  sur  vous  la 
croix  de  Jésus  ;  c'est  ce  que  vous  avez  déjà  com- 
mencé lorsque  vous  avez  renoncé  au  monde  : 
mais  persévérez  dans  votre  vocation ,  retranchez 
tous  les  jours  les  mauvais  désirs:  et  puisque  vous 
avez  méprisé  le  monde ,  qu'aucune  partie  de  sa 
pompe  ne  soit  capable  de  vous  attirer,  que  le 
souvenir  de  ses  vanités  n'excite  que  du  mépris  en 
vos  cœurs.  Ainsi ,  mes  sœurs ,  vous  vous  rendrez 
dignes  du  glorieux  et  divin  emploi  que  la  charité 
vous  impose,  de  travailler  au  salut  des  âmes.  Il 
les  faut  gagner  par  les  mêmes  voies  que  Jésus- 
Christ  se  les  est  acquises ,  par  l'humiliation  et 
par  la  bassesse ,  par  la  pauvreté  et  par  les  souf- 
frances ,  par  toutes  sortes  de  contradictions.  Voyez 
la  bienheureuse  Marie;  elle  engendre  les  fidèles 
parmi  ses  douleurs  :  de  sortequ'en  méditant  au- 
jourd'hui la  nativité  de  la  sainte  Vierge ,  songez 
que  si  elle  doit  être  mère  des  fidèles ,  c'est  par  les 
afflictions  et  par  les  douleurs  qu'elle  les  doit  en- 
gendrer à  Dieu;  et  croyez  que  travaillant  au  salut 
des  âmes,  c'est  la  mortification  et  la  pénitence 
qui  rendront  vos  soins  fructueux. 

Et  vous ,  ô  pécheurs  mes  semblables ,  venez 
au  berceau  de  Marie  implorer  le  secours  de  cette 
Princesse  ;  invoquer,  d'un  cœur  contrit  et  humi- 
lié, une  mère  si  charitable!  Mais  si  vous  avez 
dessein  de  lui  plaire ,  prenez  sur  vous  la  croix  de 
Jésus  ;  n'écoutez  plus  le  monde  qui  vous  avait 
précipités  dans  l'abîme ,  ni  ses  charmes  qui  vous 
avaient  abusés.  Déplorez  vos  erreurs  passées; 
et  qu'une  douleur  chrétienne  effi.ce  les  fautes 
que  vous  ont  fait  faire  tant  de  complaisances 
mondaines.  Si  finnocence  a  sa  couronne,  la  pé- 
nitence a  aussi  la  sienne.  Jésus  est  venu  cher- 
cher les  pécheurs;  et  Marie,  tout  innocente 
qu'elle  est,  leur  doit  la  plus  grande  partie  de  sa 
gloire;  puisqu'elle  n'aurait  pas  été  la  mère  d'un 
Dieu ,  si  le  désir  de  délivrer  les  pécheurs  n'avait 
invité  sa  miséricorde  à  se  revêtir  d'une  chair 
mortelle.  S'il  reste  encore  quelque  dureté ,  que 
les  larmes  de  cet  enfant  l'amollissent. 


*•«••••• 


DE  LA  SAINTE  VIERGE 


179 


TROISIÈME  SERMON 

POUR  LA  FÊTE 

DE  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 

Marie,  combien  heureuse  d'être  mère  de  son  Sauveur. 
Amour  dont  elle  a  été  transportée  pour  lui.  A  quel  degré  de 
Kloire  elle  doit  être  élevée  dans  le  ciel.  Quels  étaient  les  sen- 
timents d'affeclion  de  Jésus  pour  elle.  Liaison  étroite  qu'elle 
a  avec  nous  par  sa  qualité  de  Mère  des  lideles.  Erreur  de  la 
plupart  de  ceux  qui  se  croient  ses  dévols.  Qui  sont  ceux 
qu'elle  admet  au  nombre  de  ses  enrants. 


Q'Jts,  putas,  paer  iste  erit? 

Quel  pensez-vous  que  sera  cet  enfant?  Lnc.  i,  CC. 

Avant  la  naissance  du  sauveur  Jésus,  tout  ce 
qui!  y  avait  de  gens  de  bien  sur  la  terre ,  qui  vi- 
vaient attendant  la  rédemption  d'Israël,  ne  fai- 
saient autre  chose  que  soupirer  après  sa  venue  ; 
et  par  des  vœux  ardents  pressaient  le  Père  éter- 
nel d'envoyer  bientôt  à  son  peuple  son  unique 
libérateur  :  que  si  parmi  leurs  désirs  il  leur  pa- 
raissait quelque  signe  que  ce  temps  bienheureux 
approchât ,  il^  n'est  pas  croyable  avec  combien 
de  transports  toutes  les  puissances  de  leurs  âmes 
éclataient  en  actions  de  grâces.  Si  donc  ils  eus- 
sent appris  à  la  naissance  de  la  sainte  Vierge 
qu'elle  devait  être  sa  mère ,  combien  l'auralent- 
ils  embrassée,  et  quel  aurait  été  l'excès  de  leur 
ravissement,  dans  l'espérance  qu'ils  auraient 
conçue  d'être  présents  à  ce  jour  si  beau ,  auquel 
le  Désiré  des  nations  commencerait  à  paraître  au 
monde  !  Ainsi  ces  peuples  aveugles,  qui ,  pour  être 
trop  passionnés  admirateurs  de  cette  lumière  qui 
nous  éclaire ,  défèrent  des  honneurs  divins  au  so- 
leil qui  en  est  le  père,  commencent  à  se  réjouir 
sitôt  qu'ils  découvrent  au  ciel  son  avant-courrière 
l'aurore.  C'est  pourquoi ,  ô  heureuse  Marie ,  nous 
qui  leur  avons  succédé,  nous  prenons  part  à 
leurs  sentiments  :  mus  d'un  pieux  respect  pour 
celui  qui  vous  a  choisie ,  nous  venons  honorer 
votre  lumière  naissante,  et  couronner  votre  ber- 
ceau ;  non  certes  de  lis  et  de  roses ,  mais  de  ces 
fleurs  sacrées  que  le  Saint-Esprit  fait  éclore  ;  je 
veux  dire,  de  saints  désirs  et  de  sincères  louanges. 
Monseigneur,  c'est  la  seule  chose  que  vous 
entendrez  de  moi  aujourd'hui.  L'histoire  parlera 
assez  de  vos  grandes  et  illustres  journées ,  de  vos 
sièges  si  mémorables,  de  vos  fameuses  expédi- 
tions ,  et  de  toute  la  suite  de  vos  actions  immor- 
telles. Pour  moi, je  vous  l'avoue.  Monseigneur, 
si  j'avais  à  louer  quelque  chose,  je  parlerais  bien 
plutôt  de  cette  piété  véritable ,  qui  vous  fait  hum- 
blement déposer  au  pied  des  autels  cet  air  majes- 
tueux, et  cette  pompe  qui  vous  environne.  Je 
louerais  hautement  la  sagesse  de  votre  choix, 
qui  vous  a  fait  souhaiter    d'avoir  dans  votre 


maison  l'exemple  d'une  vertu  si  rare ,  par  le- 
quel nous  pouvons  convaincre  les  esprits  les  plus 
libertins ,  qu'on  peut  conserver  l'innocence  parmi 
les  plus  grandes  faveurs  de  la  cour;  et  dans  une 
prudente  conduite,  une  simplicité  chrétienne. 
Je  dirais  de  plus,  Monseigneur,  que  votre  géné- 
reuse bonté  vous  a  gagné  pour  jamais  l'affection 
de  ces  peuples;  et  si  peu  que  je  voulusse  m'éteti- 
dre  sur  ce  sujet,  je  le  verrais  confirmé  par  des 
acclamations  publiques.  Mais  encore  qu'il  soit 
vrai  que  l'on  vous  puisse  louer,  vous  et  cette  in- 
comparable duchesse,  sans  aucun  soupçon  de 
flatterie;  en  la  place  où  je  suis,  il  faut  que  j'en 
évite  jusqu'à  la  moindre  apparence.  Je  sais  que 
je  dois  ce  discours,  et  vous  vos  attentions,  à  la 
très-heureuse  Marie.  Ce  n'est  donc  plus  à  vous 
que  je  parle ,  sinon  pour  vous  conjurer.  Monsei- 
gneur, de  joindre  vos  prières  aux  miennes  et  à 
celles  de  tout  ce  peuple  :  afin  qu'il  plaise  à  Dieu 
m'envoyer  son  Saint-Esprit  par  l'intercession  de 
sa  sainte  épouse ,  que  nous  allons  saluer  par  les 
paroles  de  l'ange  :  Ave. 

Pour  procéder  avec  ordre ,  réduisons  tout  cet 
entretien  à  quelques  chefs  principaux.  Je  dis,  A 
aimable  Marie,  que  vous  serez  à  jamais  bienheu- 
reuse d'être  mère  de  mon  Sauveur  :  car,  étant 
mère  de  Jésus-Christ,  vous  aurez  pour  lui  une 
affection  sans  égale  ;  ce  sera  votre  premier  avan- 
tage. Aussi  vous  aimera-t-il  d'un  amour  qui  ne 
souffrira  point  de  comparaison;  c'est  votre  se-^ 
conde  prérogative.  Cette  sainte  société  que  vous 
aurez  avec  lui ,  vous  unira  pour  jamais  très- 
étroitement  à  son  Père;  voilà  votrje  troisième 
excellence.  Enfin,  dans  cette  union  avec  le  Père 
étemel ,  vous  deviendrez  la  mère  des  fidèles  qui 
sont  ses  enfants,  et  les  frères  de  votre  fils;  c'est 
par  ce  dernier  privilège  que  j'achèverai  ce  dis- 
cours. 

Je  vous  vois  surpris,  ce  me  semble  :  peut-être 
que  vous  jugez  que  ce  sujet  est  trop  vaste ,  et 
que  mon  discours  sera  trop  long ,  ou  du  moins 
embarrassé  d'une  matière  si  ample  ;  et  toutefois 
il  n'en  sera  pas  ainsi ,  moyennant  l'assistance  di- 
vine. Nous  avancerons  pas  à  pas  pour  ne  point 
confondre  les  choses ,  établissant  par  des  raisons 
convaincantes  la  dignité  de  Marie  sur  sa  mater- 
nité glorieuse  :  et  encore  que  je  reconnaisse  que 
ces  vérités  sont  très-hautes ,  je  ne  désespère  pas 
de  les  déduire  aujourd'hui  avec  une  méthode  fa- 
cile. J'avoue  que  c'est  me  promettre  beaucoup; 
et  à  Dieu  ne  plaise,  fidèles,  que  je  l'attende  de 
mes  propres  forces  :  j'espère  que  ce  grand  Dieu , 
qui  inspire  qui  il  lui  plaît,  me  donnera  la  grâce 
aujourd'hui  de  glorifier  sou  saint  nom  en  la  i)er- 
sonne  de  la  sainte  Vierge.  Le  père  s'intéressera 


tm 


SUR  LA  TVATIVITÉ 


pour  sa  fTlle- bien -aimée;  le  fils  pour  sa  chère 
mère  ;  le  Saint-Esprit  pour  sa  chaste  épouse.  Ani- 
mé d'une  si  belle  espérance ,  que  puis-je  craindre 
clans  cette  entreprise?  J'entre  donc  en  matière 
avec  confiance  ;  chrétiens,  rendez-vous  attentifs. 

PBEMIEB   POINT*. 

Dites-moi,  je  vous  prie,  cbréliens,  après  les 
choses  que  vous  avez  ouïes,  quelle  opinion  avez- 
vous  de  cet  aimable  enfant  qui  vient  de  naître? 
quel  sera-t-il  à  votre  avis  dans  le  pi-ogrèsde  son 
âge?  Quis,putas,  puer  iste  eritP  Pour  moi,  je 
ne  puis  que  je  ne  m'écrie  :  0  fille  mille  et  mille 
fois  bienheureuse  d'être  prédestinée  à  un  amour 
si  excessif  pour  celui  qui  seul  mérite  nos  affec- 
tions ! 

Vous  n'ignorez  pas  que  l'amour  du  Seigneur 
Jésus,  c'est  le  plus  beau  présent  dont  Dieu  ho- 
nore les  saints.  Dès  le  commencement  des  siè- 
cles ,  il  était,  bien  qu'absent,  les  délices  des  pa- 
triarches. Abraham ,  Isaac  et  Jacob  ne  pouvaient 
presque  modérer  leur  joie ,  quand  seulement  ils 
songeaient  qu'un  jour  il  naîtrait  de  leur  race 
Vous  donc ,  ô  heureuse  Marie ,  vous  qui  le  verrez 
sortir  de  vos  bénites  entrailles;  vous  qui  le  con- 
templerez sommeillant  entre  vos  bras,  ou  attaché 
à  vos  chastes  mamelles,  comment  n'en  serez- vous 
point  transportée?  En  suçant  votre  lait  virginal , 
ne  coulera-t-il  pas  en  votre  âme  l'ambroisie  de 
«on  saintamour?  et  quand  il  commencera  de  vous 
appeler  sa  mère  d'une  parole  encore  bégayante  ; 
et  quand  vous  l'entendrez  payer  à  Dieu  son  Père 
-le tribut  des  premières  louanges,  sitôt  que  sa 
-langue  enfantine  se  sera  un  peu  dénouée  ;  et 
quand  vous  le  verrez  dans  le  particulier  de  votre 
maison ,  souple  et  obéissant  à  vos  ordres ,  com- 
bien grandes  seront  vos  ardeurs  ! 

Mais  disons  encore  qu'une  des  plus  grandes 
grâces  de  Dieu ,  c'est  de  penser  souvent  au  Sau- 
veur. Oui,  certes,  il  le  faut  reconnaître ,  son  nom 
est  un  miel  à  la  bouche;  c'est  une  lumière  à  nos 
yeux ,  c'est  une  flamme  à  nos  cœurs'  :  il  y  a  je 
ne  sais  quelle  grâce,  que  Dieu  a  répandue  et  dans 
toutes  ses  paroles  et  dans  toutes  ses  actions  ;  y 
penser,  c'est  la  vie  éternelle.  Pensez-y  souvent,  ô 
fidèles;  sans  doute  vous  y  trouverez  une  consola- 
tion incroyable.  C'était  toute  la  douceur  de  Marie  : 
nous  voyons  dans  les  Évangiles  que  tout  ce  que 
lui  disait  son  fils ,  tout  ce  qu'on  lui  disait  de  son 
fils,  elle  le  conservait,  elle  le  repassait  mille  et 
mille  fois  en  son  cœur  :  Maria  autem  conserva- 


'  Bossuet,  pour  comraeiicer  son  discours,  renvoie  ici  a  un 
«îrnion  sur  la  Compassion  de  la  sainte  Vierge,  imprimé  dans 
<v^  volume,  et  il  se  proposait  d'en  prendre  depuis  l'alinéa, 
Jcais  donc,  jusqu'à  l'alinéa,  El  que  dinù-je ,  etc.  exclusive- 
Uient. 

S.  Ucrnard  Serin,  xv  in  Oint,  n"  C,  t.  r,  col.  I3II 


bat  omnia  verba  hœc  in  corde  suo  \  H  tenait  s! 
fort  à  son  âme ,  qu'aucune  force  ni  violence  n'é- 
tait capable  de  l'en  distraire  :  car  il  eût  fallu  lui 
tirer  de  ses  veines  jusqu'à  la  dernière  goutte  de 
ce  sang  maternel ,  qui  ne  cessait  de  lui  parler  de 
son  fils.  Comme  on  voit  que  les  mères  prennent 
une  part  tout  extraordinaire  à  toutes  les  actions 
de  leurs  fils,  [ainsi  Marie  prenait  le  plus  vif  in- 
térêt à  tout  ce  qui  regardait  son  cher  fils.]  Quelle 
admiration  de  sa  vie  !  quels  charmes  dans  ses  pa- 
roles, quelle  douleur  dans  sa  passion  !  quel  senti- 
ment de  sa  charité  !  quel  contentement  de  sa  gloire! 
et  après  qu'il  fut  retourné  à  son  père ,  quelle  im- 
patience de  le  rejoindre! 

Le  docte  saint  Thomas ,  traitant  de  l'inégalitô 
qui  est  entre  les  bienheureux  %  dit  que  ceux-là 
jouiront  plus  abondamment  de  la  présence  di- 
vine, qui  l'auront  en  ce  monde  le  plus  ardemment 
désirée;  parce  que,  comme  dit  cegrand  homme, 
la  douceur  de  la  jouissance  va  à  proportion  des 
désirs.  Comme  une  flèche  qui  part  d'un  arc  bandé 
avec  plus  de  violence ,  prenant  son  vol  au  milieu 
des  airs  avec  une  plus  grande  roideur,  entreaussi 
plus  profondément  au  but  où  elle  est  adressée; 
de  même  l'âme  fidèle  pénétrera  plus  avant  dans 
l'abîme  de  l'essence  divine,  le  seul  terme  de  ses 
espérances,  quand  elle  s'y  sera  élancée  par  une 
plus  grande  impétuosité  de  désirs.  Que  si  le  grand 
apôtre  saint  Paul ,  frappé  au  vif  en  son  âme  de 
l'amour  de  Notre-Seigneur,  brûle  d'une  telle  im- 
patience de  l'aller  embrasser  en  sa  gloire ,  qu'il 
voudrait  voir  bientôt  ruinée  cette  vieille  masure 
du  corps  qui  le  sépare  de  Jésus-Christ  :  Cupio 
dissolvi  et  esse  cum  Christo  ^  ;  jugez  des  inquié- 
tudes et  des  douces  émotions  que  peut  ressen- 
tir le  cœur  d'une  mère.  Le  jeune  Tobie,  par  une 
absence  d'un  an,  perce  celui  de  sa  mère  d^'lncon- 
solables  douleurs  ^  :  quelle  différence  entre  mon 
Sauveur  et  Tobie  ! 

S'il  est  donc  vrai,  sainte  enfant  qui  nous 
fournissez  aujourd'hui  un  sujet  de  méditation 
si  pieux  ;  s'il  est  vrai  que  votre  grandeur  doive 
croître  selon  la  mesure  de  vos  désirs,  quelle  place 
assez  auguste  vous  pourra-t-on  trouver  dans  le 
ciel  ?  ne  faudra-t-11  pas  que  vous  passiez  toutes  les 
hiérarchies  angéliques  pour  courir  à  notre  Sau- 
veur? C'est  là  qu'ayant  laissé  bien  loin  au-dessous 
de  vous  tous  les  oi-dres  des  prédestinés;  tout 
éclatante  de  gloire,  etattirant  sur  vous  les  regards 
de  toute  la  cour  céleste,  vous  irez  prendre  place 
près  du  trône  de  votre  cher  fils,  pour  jouir  à  ja- 
mais de  ses  plus  secrètes  faveurs.  C'est  là  qu'étant 


Luc.  II,  19. 

/  pari.  Qiiœst.  xil,  Art.  XI. 

Phil.  I,  -2.3. 

Tub.  Y ,  23  et  seqq. 


DE  LA  SALNTK  VIER<ii:. 


1-81 


charmée  d'une  ravissante  douceur  dans  ses  em- 
brassements  si  ardemment  désirés,  vous  parle- 
rez à  son  cœur  avec  une  efficacité  merveilleuse. 
Eh!  quel  autre  que  vous  aura  plus  de  pouvoir  sur 
ce  cœur,  puisque  vous  y  trouverez  une  si  fidèle 
correspondance  j  je  veux  dire  l'amour  filial  qui 
sera  d'intelligence  avec  l'amour  maternel ,  qui 
s'avancera  pour  le  recevoir,  et  qui  préviendra  ses 
désirs'? 

Nous  voilà  tombés  insensiblement  sur  l'amour 
dont  le  Fils  de  Dieu  honore  la  sainte  Vierge. 
Fidèles,  que  vous  en  dirai-je?  si  je  n'ai  pu  dé- 
peindre l'affection  de  la  mère  selon  son  mérite,  je 
pourrai  encore  moins  vous  représenter  celle  du 
lils;  parce  que  je  suis  assuré  qu'autant  que  IS'otre- 
Seigneur  surpasse  la  sainte  Vierge  en  toute  autre 
chose,  d'autant  est-il  meilleur  fils  qu'elle  était 
bonne  mère.  Mais  en  demeurerons-nous  là ,  chré- 
tiens ?cherchons,  cherchons  encore  quelque  puis- 
sante considération  dans  la  doctrine  des  Évangi- 
les; c'est  la  seule  qui  touche  les  cœurs  :  une  seule 
paroiederÉvangileaplusde  pouvoir  sur  nosémes, 
qi>e  toute  la  véhémence  et  toutes  les  inventions  de 
l'éloquence  profane.  Disons  donc ,  avec  l'aide  de 
Dieu ,  quelque  chose  de  l'Évangile  :  et  qu'y  pou- 
vons-nous voir  de  plus  beau ,  que  ces  admirables 
transports  avec  lesquels  le  Seigneur  Jésus  a  aimé 
la  nature  humaine?  Permettez-moi  en  ce  lieu  une 
briève  digression  :  elle  ne  déplaira  pas  à  Marie , 
et  ne  sera  pas  inutile  à  votre  instruction  ni  à  mon 
sujet. 

Certes ,  ce  nous  doit  être  une  grande  joie  de 
voir  que  notre  Sauveur  n'a  rien  du  tout  dédaigné 
de  ce  qui  était  de  l'homme  :  il  a  tout  pris ,  excepté 
Te  péché  ;  je  dis  tout  jusqu'aux  moindres  choses , 
tout  jusqu'aux  plus  grandes  infirmités.  Je  ne  le 
puis  pardonner  à  ces  hérétiques  qui  ayant  osé 
nier  la  vérité  de  sa  chair,  ont  nié  par  conséquent 
que  ses  souffrances  et  ses  passions  fussent  véri- 
tables. Ils  se  privaient  eux-mêmes  d'une  douce 
consolation  :  au  lieu  qiie  reconnaissant  que  toutes 
ces  choses  sont  effectives,  quelque  affliction  qui 
me  puisse  arriver,  je  serai  toujours  honoré  de  la 
compagnie  de  mou  Maître.  Si  je  souffre  quelque 
nécessité ,  je  me  souviens  de  sa  faim  et  de  sa  soif, 
et  de  son  extrême  indigence  :  si  l'on.fait  tort  à 
ma  réputation ,  «  il  a  été  rassasié  d'opprobres ,  k 
comme  il  est  dit  de  lui  •  :  si  je  me  sens  abattu 
par  quelques  infirmités,  il  en  a  souffert  jusqu'à 
la  mort  :  si.je  suis  accablé  d'ennuis,  que  je  m'en 
aille  au  jardin  des  Olives;  je  le  verrai  dans  la 
crainte ,  dans  la  tristesse ,  dans  une  telle  conster- 
nation ,  qu'il  sue  sang  et  eau  dans  la  seule.appré- 
heiision  de  son  supplice.  Je  n'ai  jamais  ouï  dire 

'  Z/.rCTj.  lU,  30. 


que  cet  accident  fût  arrivé  à  d'autres  pcrsoimes 
qu'à  lui;  ce  qui  me  fait  dire  que  jamais  homme 
n'a  eu  les  passions  ni  si  tendres,  ni  si  délicates , 
ni  si  fortes  que  mon  Sauveur,  bien  qu'elles  aient 
toujours  été  extrêmement  modérées  :  parce  qu'el- 
les étaient  parfaitement  soumises  à  ta  volonté  de 
son  Père. 

Mais  de  là,  me  direz-vous,  que  s'ensuit-il 
pour  le  sujet  que  nous  traitons?  C'est  ce  qu'il 
m'est  aisé  de  vous  faire  voir.  Quoi  donc,  notre 
maître  se  sera  si  franchement  revêtu  de  ces  sen- 
timents de  faiblesse  qui  semblaient  en  quelque 
façon  être  indignes  de  sa  personne  ;  ces  langueurs 
extrêmes,  ces  vives  appréhensions,  il  les  aura 
prises  si  pures,  si  entières,  si  sincères  :  et  que 
sera-ceaprès  celade  l'affection  envers  les  parents  j 
étant  très-certain  que  dans  la  nature  même  il  n'y 
a  rien  de  plus  naturel ,  de  plus  équitable,  de  plus 
nécessaire,  particulièrement  à  l'égard  d'une  mère 
telle  qu'était  l'heureuse  Marie  :  car,  enfin,  elle: 
était  la  seule  en  ce  monde  à  qui  il  eût  obligation 
delà  vie  ;  et  j'ose  dire  de  plus  qu'en  recevant  d'elle 
la  vie  il  lui  est  redevable  et  d'une  partie  de  sa 
gloire,  et  même  en  quekjue  façon  de  la  pureté  de 
sa  chair  :  de  sorte  que  cet  avantage ,  qui  ne  peut 
convenir  à  aucune  autre  mère  qu'à  celle  dont 
nous  parlons,  l'obligeait  d'autant  plus -à  redou- 
bler ses  affections  ! 

Et  n'appréhendez  pas ,  chrétiens ,  qu«  je^  euiUe 
déroge?  à  la  grandeur  de  mon  Maître  par  cette 
proposition ,  qui-  n'en  est  pas  moins  véritable  ; 
bien  qu'elle  paraisse  peut-être  un  peu  extraordi* 
naire,  du  moins  au -premier  abord  :  mais  je  pré- 
tends l'établir  sur  une  doctrine  si  indubitable  de 
radmiral)le  saint  Augustin,  que  les  esprits  les 
plus  contentieux  seront  contraints  d'en  demeurer 
d'accord.  Ce  grand  homme  considérant  que  la 
concupiscence  se  mêle  dans  toutes^les  générations 
ordinaires,  ce  qui  n'est  que  trop  véritable  pour 
notre  malheur,  en  tire  cette  conséquence  :  que 
cette  maudite  concupiscence,  qui  corrompt  tout 
ce  qu'elle  touche ,  infecte  tellement  la  matière 
qui  se  ramasse  pour  former  nos  corps ,  que  la 
chair  qui  en  est -composée  en  contracte  aussi  une 
corruption  nécessaire.  C'est  pourquoi  dans  la  ré- 
surrection, où  nos  corps  seront  tout  nouveaux, 
c'est-à-dire,  tout  éclatants  et  tout  purs,  ils  renaî- 
tront ,  non  dfrla  volonté  de  l'homme  ni  de  fei  vo- 
lonté de  la  chair,  mais  du  souffle  de  l'Esprit  de 
Dieu ,  qui  prendra  plaisir  de  les  animer  quand  ils 
auront  laissé  à  la  terre  les  ordures  de  leur  première 
génération.  Or,  comme  ce  n'est  pas  ici  le  lieu 
d'éclaircir  cette  vérité ,  je  me  contenterai  de  vous 
dire ,  comme  pour  une  preuve  infaillible,  que  c'est 
la  doctrine  de  saint  Augustin,  que  vous  trouvères 
merveilleusement  expliquée  eu  mille  beaux  aty 


182 


SU  II  LA  NATIVITÉ 


droits  de  ses  excellents  écrits  particulièrement 
dans  ses  savants  livres  contre  Julien. 

Cela  étant  ainsi,  remarquez  exactement,  s'il 
vous  plaît ,  ce  que  j'infère  de  cette  doctrine.  Je 
dis  que  si  ce  commerce  ordinaire ,  parce  qu'il  a 
quelque  chose  d'impur,  fait  passer  en  nos  corps 
un  mélange  d'impureté;  nous  pouvons  assurer 
au  contraire,  que  le  fruit  d'une  chair  virginale 
tirera  d'une  racine  si  pure  une  pureté  merveil- 
leuse. Cette  conséquence  est  certaine,  et  c'est 
une  doctrine  constante  que  le  saint  évêque  Au- 
j^slin  a  prise  dans  les  Écritures  "  :  et  d'autant 
que  le  corps  du  Sauveur,  je  vous  prie,  suivez 
sa  pensée;  d'autant,  dis-je,  que  le  corps  du  Sau- 
veur devait  être  plus  pur  que  les  rayons  du  so- 
leil, de  là  vient,  dit  ce  grand  personnage,  qu'il 
s'est  choisi  dès  l'éternité  une  mère  vierge ,  afin 
qu'elle  l'engcMiurât  sans  aucune  concupiscence 
par  la  seule  vertu  de  la  foi  :  Ideo  virginem  ma- 
irem ,  piajide  sanctum  (jennen  in  sefieri  pro- 
merentem,  de  qua  crearetur  elcgit*. 

Après  ces  grands  avantages  qui  sont  préparés 
à  Marie,  ô  Dieu,  quel  sera  un  jour  cet  enfant? 
Quis,  pulas,  puer  isle  erit?  Heureuse  mille  et 
mille  fois  d'aimer  si  fort  le  Sauveur,  d'être  si  fort 
aimée  du  Sauveur  !  aimer  le  Fils  de  Dieu,  c'est  une 
grâce  que  les  hommes  ne  reçoivent  que  de  lui- 
même  ;  et  parce  que  Marie  est  sa  mère ,  et  qu'une 
mère  aime  naturellement  ses  enfants  :  ce  qui  est 
grâce  pour  tous  les  autres,  lui  est  comme  passé 
en  nature.  D'autre  part ,  être  aimé  du  Fils  de  Dieu 
est  une  pure  libéralité  dont  il  daigne  honorer  les 
hommes  ;  et  parce  qu'il  est  fils  de  Marie ,  et  qu'il 
n'y  a  point  de  fils  qui  ne  soit  obligé  de  chérir  sa 
mère  :  ce  qui  est  libéralité  pour  les  autres,  à  l'é- 
gard de  la  sainte  Vierge  devient  une  obligation. 
S'il  l'aime  de  cette  sorte,  il  faudra  par  nécessité 
qu'il  lui  donne  :  il  ne  lui  pourra  donner  autre 
chose  que  ses  propres  biens.  Les  biens  du  Fils 
de  Dieu  sont  les  vertus  et  les  grâces  ;  c'est  son 
sang  innocent  qui  les  fait  inonder  sur  les  hom- 
mes :  et  à  quel  autre  pensez-vous  qu'il  donnerait 
plus  de  part  à  son  sang ,  qu'à  celle  dont  il  a  tiré 
tout  son  sang?  Pour  moi,  il  me  semble  que  ce 
sang  précieux  prenait  plaisir  de  ruisseler  pour 
elle  à  gros  bouillons  sur  la  croix,  sentant  bien 
qu'en  elle  était  la  source  de  laquelle  il  était  pre- 
mièrement découlé.  Bien  plus ,  ne  savons-nous 
pas  que  le  Père  éternel  ne  peut  s'empêcher  d'ai- 
mer tout  ce  qui  touche  de  près  à  son  Fils  ?  N'est- 
ce  pas  en  sa  personne  que  le  ciel  et  la  terre  s'em- 
brassent et  se  réconcilient?  n'est-il  pas  le  nœud 

«  De  Pecc.  merit.  lib.  il,  n°  38,  t.  x ,  col.  fil. 
*  L'auteur  renvoie  encore  ici  au  second  sermon  sur  la 
Cij:tppassjou  (le  la  sainte  Vierge ,  déjà  cilé. 


éternel  des  affections  de  Dieu  et  des  hommes? 
n'est-ce  pas  là  toute  notre  gloire ,  et  le  seul  fon- 
dement de  nos  espérances?  Comment  n'aimera- 
t-il  donc  pas  la  très-heureuse  Marie ,  qui  vivra 
avec  son  Fils  dans  une  société  si  parfaite?  Tout 
cela  semble  établi  sur  des  maximes  inébranla- 
bles. Mais  d'autant  que  quelques-uns  pourraient 
se  persuader  que  cette  sainte  société  n'a  point 
d'autres  liens  que  ceux  de  la  chair  et  du  sang , 
mettons  la  dernière  main  à  l'ouvrage  que  nous 
avons  commencé  :  faisons  voir  en  ce  lieu ,  comme 
nous  l'avons  promis,  avec  quels  avantages  la 
sainte  Vierge  est  entrée  dans  l'alliance  du  Père 
éternel  par  sa  maternité  glorieuse. 

SECOND    POINT. 

C'est  ici  le  point  le  plus  haut  et  le  plus  difficile 
de  tout  le  discours  d'aujourd'hui ,  pour  lequel  tou- 
tefois il  ne  sera  pas  besoin  de  beaucoup  de  paro- 
les ;  parce  que  nos  raisonnements  précédents  en 
facilitent  l'entrée ,  et  que  ce  ne  sera  que  comme  I 
une  suite  de  nos  premières  considérations.  Or,  ^ 
pour  vous  expliquer  ma  pensée ,  j'ai  à  vous  pro- 
poser une  doctrine  sur  laquelle  il  est  nécessaire 
d'aller  avec  retenue,  de  peur  de  tomber  dans  l'er- 
reur; et  plût  à  Dieu  que  je  pusse  la  déduire  aussi 
nettement  qu'elle  me  semble  solide.  Voici  donc 
de  quelle  façon  je  raisonne  :  cet  amour  de  la 
Vierge,  dont  je  vous  parlais  tout  à  l'heure,  ne  s'ar- 
rêtait pas  à  la  seule  humanité  de  son  fils.  Non, 
certes,  il  allait  plus  avant;  et  par  l'humanité, 
comme  par  un  moyen  d'union ,  il  passait  à  la 
nature  divine,  qui  en  est  inséparable.  C'est  une 
haute  théologie  qu'il  nous  faut  tâcher  d'éclaircir 
par  quelque  chose  de  plus  intelligible.  N'est- il 
pas  vrai  qu'une  bonne  mère  aime  tout  ce  qui  tou- 
che à  la  personne  de  son  fils  ?  J'ai  déjà  dit  cela 
bien  des  fois ,  et  je  ne  le  recommence  pas  sans 
raison.  Je  sais  bien  qu'elle  va  quelquefois  plus 
avant,  qu'elle  porte  son  amitié  jusqu'à  ses  amis, 
et  généralement  à  toutes  les  choses  qui  lui  appar- 
tiennent; mais  particulièrement  pour  ce  qui  re- 
garde la  propre  personne  de  son  fils  :  vous  save?. 
qu'elle  y  est  sensible  au  dernier  point.  Je  vous 
demande  maintenant ,  qu'était  la  divinité  au  fils 
de  Marie  :  comment  touchait-elle  à  sa  personne? 
lui  était-elle  étrangère?  Je  ne  veux  point  ici  vous 
faire  de  questions  extraordinaires;  j'interpelle 
seulement  votre  foi  :  qu'elle  me  réponde.  Vous 
dites  tous  les  jours ,  en  récitant  le  Symbole ,  que 
vous  croyez  en  Jésus-Christ,  Fils  de  Dieu,  qii 
est  né  de  la  vierge  Marie  :  celui  que  vous  recon- 
naissez pour  le  Fils  de  Dieu  tout-puissant ,  et  cel  ui 
qui  est  né  de  la  Vierge ,  sont-ee  deux  personnes . 
Sans  doute  ce  n'est  pas  ainsi  que  vous  l'entendez . 
C'est  le  même  qui ,  étant  Dieu  et  homme   selon 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


182 


la  nature  diviue,  est  le  Fils  de  Dieu ,  et  selon  Pliu- 
nianité  le  fils  de  Marie.  C'est  pourquoi  nos  saints 
Pères  ont  enseigné  que  la  Vierge  est  mère  de 
Dieu.  C'est  cette  foi,  chrétiens,  qui  a  triomphé 
des  blasphèmes  de  Nestorius,  et  qui  jusqu'à  la 
consomn»tion  des  siècles  fera  trembler  les  dé- 
mons. Si  je  dis  après  cela  que  la  bienheureuse 
Marie  aime  son  fils  tout  entier,  quelqu'un  de  la 
jompaiinie  pourra-t-il  désavouer  une  vérité  si 
plausible?  Par  conséquent,  ce  fils  qu'elle  chéris- 
sait tant,  elle  le  chérissait  comme  un  Homme- 
Dieu  :  et  d'autant  que  ce  mystère  n'a  rien  de 
semblable  sur  la  terre ,  je  suis  contraint  d'élever 
bien  haut  mon  esprit ,  pour  avoir  recours  à  un 
grand  exemple,  je  veux  dire,  à  l'exemple  du  Père 
éternel . 

Depuis  que  l'humanité  a  été  unie  à  la  personne 
du  Verbe,  elle  est  devenue  l'objet  nécessaire  des 
complaisances  du  Père.  Ces  vérités  sont  hautes, 
je  l'avoue;  mais  comme  ce  sont  des  maximes 
fondamentales  du  christianisme ,  il  est  important 
qu'elles  soient  entendues  de  tous  les  fidèles;  et  je 
ne  veux  rien  avancer  que  je  n'en  allègue  la  preuve 
par  les  Écritures.  Dites-moi ,  s'il  vous  plaît,  chré- 
tiens; quand  cette  voix  miraculeuse  éclata  sur  le 
Thabor  de  la  part  de  Dieu  :  «  Celui-ci  est  mon 
«  Fils  bien-aimé  dans  lequel  je  me  suis  plu  '  ;  » 
de  qui  pensez-vous  que  parlât  le  Père  éternel? 
n'était-ce  pas  de  ce  Dieu  revêtu  de  chair,  qui 
paraissait  tout  resplendissant  aux  yeux  des  apô- 
tres? Cela  étant  ainsi ,  vous  voyez  bien ,  par  une 
déclaration  si  authentique,  qu'il  étend  son  amour 
paternel  jusqu'à  l'humanité  de  son  Fils;  et 
qu'ayant  uni  si  étroitement  la  nature  humaine 
avec  la  divine,  il  ne  les  veut  plus  séparer  dans 
son  affection.  Aussi  est-ce  là ,  si  nous  l'entendons 
bien,  tout  le  fondement  de  notre  espérance, 
quand  nous  considérons  que  Jésus,  qui  est  homme 
tout  ainsi  que  nous,  est  reconnu  et  aimé  de  Dieu 
comme  son  Fils  propre. 

Ne  vous  offensez  pas ,  si  je  dis  qu'il  y  a  quel- 
que chose  de  pareil  dans  l'affection  de  la  sainte 
Merge ,  et  que  son  amour  embrasse  tout  ensem- 
ble la  divinité  et  l'humanité  de  son  fils ,  que  la 
main  puissante  de  Dieu  a  si  bien  unies  :  car  Dieu, 
par  un  conseil  admirable,  ayant  jugé  à  propos 
que  la  Vierge  engendrât  dans  le  temps  celui  qu'il 
engendre  continuellement  dans  l'éternité ,  il  l'a 
par  ce  moyen  associée  en  quelque  façon  à  sa  gé- 
nération éternelle.  Fidèles ,  entendez  ce  mystère. 
C'est  l'associer  à  sa  génération,  que  de  la  faire 
mère  d'un  même  Fils  avec  lui.  Partant,  puisqu'il 
l'a  comme  associée  à  sa  génération  éternelle,  il 
était  convenable  qu'il  coulât  en  même  temps  dans 


son  sein  quelque  étincelle  de  cet  amour  inPni  qu'il 
a  pour  son  Fils; cela  est  bien  digne  de  sa  sagesse. 
Comme  sa  pro\  idencc  dispose  toutes  choses  avec 
une  justesse  admirable,  il  fallait  qu'il  imprimât 
dans  le  cœur  de  la  sainte  Vierge  une  affection  qui 
passât  bien  loin  la  nature,  et  qu'il  allât  jusqu'au 
dernier  degré  de  la  grâce,  afin  qu'elle  eût  [)our 
sou  fils  des  sentiments  dignes  d'une  mère  de 
Dieu ,  et  dignes  d'un  Homme-Dieu. 

Après  cela,  ô  Marie,  quand  j'aurais  l'esprit 
d'un  ange  et  de  la  plus  sublime  hiérarchie,  mes 
conceptions  seraient  trop  ravalées  pour  compren- 
dre l'union  très-parfaite  du  Père  étemel  aNec 
vous.  «  Dieu  a  tant  aimé  te  monde ,  dit  notre  Sau- 
«  veur  ' ,  qu'il  lui  a  donné  son  Fils  unique.  »  Et 
en  effet ,  comme  remarque  l'apôtre  ^ ,  «  nous  dou- 
«  nant  son  Fils,  ne  nous  a-t-il  pas  donné  toute 
«  sorte  de  biens  avec  lui?  »  que  s'il  nous  a  fait 
paraître  une  affection  si  sincère ,  parce  qu'il  nous 
l'a  donné  comme  Maître  et  comme  Sauveur;  l'a- 
mour ineffable  qu'il  avait  pour  vous,  lui  a  fait 
concevoir  bien  d'autres  desseins  en  votre  faveur. 
H  a  ordonné  qu'il  fût  à  vous  en  la  même  qualité 
qu'il  lui  appartient;  et  pour  établir  avpc  vous 
une  société  éternelle ,  il  a  voulu  que  vous  fussiez 
la  mère  de  son  Fils  unique ,  et  être  le  Père  du 
vôtre.  0  prodige  !  ô  abîme  de  charité  !  quel  esprit 
ne  se  perdrait  pas  dans  la  considération  de  ces 
complaisances  incompréhensibles  qu'il  a  eues 
pour  vous ,  depuis  que  vous  lui  touchez  de  si  près 
par  ce  commun  Fils ,  le  nœud  inviolable  de  vo- 
tre sainte  alliance,  le  gage  de  vos  affections  mu- 
tuelles, que  vous  vous  êtes  donné  amoureusement 
l'un  à  l'autre  :  lui,  plein  d'une  divinité  impassi- 
ble ;  vous ,  revêtue ,  pour  lui  obéir,  d'une  chair 
mortelle? 

Croissez  donc ,  ô  heureuse  enfant ,  croissez  à 
la  bonne  heure;  que  le  ciel  propice  puisse  faire 
tomber  sur  votre  tête  innocente  les  plus  douces 
de  ses  influences!  croissez,  et  puissent  bientôt 
toutes  les  nations  de  la  terre  venir  adorer  votre 
fils!  puisse' votre  gloire  être  reconnue  de  tous 
les  peuples  du  monde,  auxquels  votre  enfante- 
ment donnera  une  paix  éternelle!  Pour  nous, 
mus  d'un  pieux  respect  pour  celui  qui  vous  a 
choisie,  nous  venons  honorer  votre  lumière  nais- 
sante ,  et  jeter  sur  votre  berceau  non  des  roses 
et  des  lis,  mais  des  bouquets  sacrés  de  désirs 
ardents^  et  de  sincères  louanges.  Certes ,  je  l'a- 
voue, Vierge  sainte,  celles  que  je  vous  ai  don- 
nées sont  beaucoup  au-dessous  de  vos  grandeurs  y 
et  beaucoup  au-dessous  de  mes  vœux;  et  tou- 
tefois je  me  sens  ébloui  d'avoir  si  longtemps 
contemplé ,  quoiqu'à  travers  tant  de  nuages ,  C8 

'  Joan.  iri,  16. 
'  Rvm.  viu,  3i, 


184 


SUR  LA.  INATIVITÉ 


haut  éclat  qui  vous  environne  :  je  suis  contraint 
de  baisser  la  vue.  Mais  comme  nos  faibles  yeux 
éblouis  des  rayons  du  soleil  dans  l'ardeur  de  son 
midi,  l'attendent  quelquefois  pour  le  regarder 
plus  à  leur  aise  lorsqu'il  penche  sur  son  couchant, 
dans  lequel  il  semble  à  nos  sens  qu'il  descende 
pmspres  de  la  terre  :  ainsi  étant  étonné ,  ô  Vierge 
admirable ,  d'avoir  osé  vous  considérer  si  long- 
temps dans  cette  qualité  éminente  de  mère  de 
Dieu ,  qui  vous  approche  si  près  de  la  Majesté 
divine,  et  vous  élève  si  fort  au-dessus  de  nous; 
il  faut ,  pour  me  remettre ,  que  je  vous  considère 
un  moment  dans  la  qualité  de  mère  des  fidèles , 
qui  vous  abaisse  jusqu'à  nous  par  une  miséricor- 
dieuse condescendance,  et  vous  fait,  pour  ainsi 
dire ,  descendre  jusqu'à  nos  faiblesses ,  auxquel- 
les vous  compatissez  avec  une  piété  maternelle. 
Je  ne  m'éloignerai  point  des  principes  que  j'ai 
posés  ;  mais  il  faut  que  je  tâche  d'en  tirer  quelques 
instructions.  Achevons,  chrétiens,  achevons;  il 
est  temps  désormais  de  conclure. 

Intercédez  pour  nous,  ô  sainte  et  bienheureuse 
JMarie  :  car,  comme  dit  votre  dévot  saint  Ber- 
nard ' ,  quel  autre  peut ,  plutôt  que  vous ,  parler 
au  cœur  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ?  Vous 
V  avez  une  fidèle  correspondance,  je  veux  dire, 
J'amour  filial  qui  viendra  accueillir  l'amour  ma- 
ternel ,  et  même  qui  préviendra  ses  désirs  :  et 
partant ,  que  ne  devons-nous  point  espérer  de  vos 
pieuses  intercessions? 

Certes,  fidèles,  il  n'est  pas  croyable  quelle 
utilité  il  nous  en  revient,  et  c'est  avec  beaucoup 
de  raison  que  l'Église ,  répandue  par  toute  la  terre, 
nous  exhorte  à  nous  mettre  sous  sa  protection 
spéciale.  Mais  toutefois  je  ne  craindrai  point  de 
vous  dire ,  que  plusieurs  se  trompent  dans  la  dé- 
votion de  la  Vierge  :  plusieurs  croient  lui  être  dé- 
vots, qui  nelesont  pas  :  plusieurs  l'appellent  mère, 
qu'elle  ne  reconnaît  pas  pour  enfants  :  plusieurs 
implorent  sou  assistance,  à  qui  cette  Vierge 
très-pure  n'accorde  pas  le  secours  de  ses  prières. 
Apprenez  donc ,  chérétieus ,  apprenez  quelle  est 
la  vraie  dévotion  pour  la  sainte  Vierge;  de  peur 
que,  ne  l'ayant  pas  comme  il  faut,  vous  ne  per- 
diez toute  l'utilité  d'une  chose  qui  pourrait  vous 
être  fructueuse. 

Quand  l'Église  invite  tous  ses  enfants  à  se  re- 
commander aux  prières  des  saints  qui  régnent 
avec  Jésus-Christ,  elle  considère,  sans  doute, 
que  nous  en  retirons  divers  avantages  très-im- 
portants. Mais  je  ne  craindrai  point  de  vous  as- 
surer que  le  plus  grand  de  tous ,  c'est  qu'en  ho- 
norant leurs  vertus  cette  pieuse  commémoration 
nous  enflamme  à  imiter  l'exemple  de  leur  bonne 

'  ■fi  B.  Firg.  Serm.  Panegvr.  u"  7,  ini.  Op.  S.  Bcrn.  t.  Il, 
fiol.  mi 


vie  :  autrement,  c'est  en  vain,  chrétiens,  que 
nous  choisissons  pour  patrons  ceux  dont  nous  ne 
voulons  pas  être  les  imitateurs.  -.  Il  faut ,  dit  saint 
«  Augustin ,  qu'ils  trouvent  en  nous  quelques  tra- 
«  ces  de  leurs  vertus,  pour  qu'ils  daignent  s'inté- 
«  resser  pour  nous  auprès  du  Seigneur  :  »  Debent 
enim  in  nobis  aliquid  recognoscere  de  suis  vir- 
iutibîis,  ut  pro  nobis  dignentur  Domino  siip- 
plicare  '  :  de  sorte  que  c'est  une  prétention  ri 
dicule ,  de  croire  que  la  très-sainte  mère  de  Dieu 
admette  au  nombre  de  ses  enfants  ceux  qui  ne 
tâchent  pas  de  se  conformer  à  ce  beau  et  admi- 
rable exemplaire. 

Et  qu'imiterons-nous  particulièrement  de  la 
sainte  Vierge,  si  ce  n'est  cet  amour  si  fort  et  si 
tendre ,  qu'elle  a  eu  pour  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  qui  est,  comme  vous  avez  vu,  la  plus 
vive  source  des  excellences  et  des  perfections  de 
Marie?  d'ailleurs  que  pouvons-nous  faire  qui  lui 
plaise  plus,  que  d'attacher  toutes  nos  affections 
à  celui  qui  a  été  et  sera  éternellement  toutes  ses 
délices?  enfin  qu'y  a-t-il  qui  nous  soit  ni  plus  né- 
cessaire, ni  plus  honorable,  ni  plus  doux  et  plus 
agréable  que  cet  amour?  quelle  plus  grande  né- 
cessité, que  d'aimer  celui  dont  il  est  écrit  :  «  Si 
«  quelqu'un  n'aime  pas  Notre-Seigneur  Jésus- 
«  Christ ,  qu'il  soit  anathème  *  ?  »  Et  quel  plus 
grand  honneur,  que  d'aimer  un  Dieu?  et  quelle 
plus  ravissante  douceur,  que  d'aimer  uniquement 
un  Dieu-Homme  ? 

Certes ,  fidèles ,  rien  n'est  plus  vrai  :  Dieu  est 
infiniment  aimable  en  lui-même  :  mais  quand  je 
considère  ce  Dieu  fait  homme ,  je  me  perds  ;  et 
je  ne  sais  plus  ni  que  dire  ni  que  penser  ;  et  je 
conçois,  ce  me  semble,  sensiblement  que  je  suis 
la  plus  méchante ,  la  plus  déloyale,  la  plus  in- 
grate, la  plus. méprisable  des  créatures,  si  je 
ne  l'aime  par-dessus  toutes  choses.  Car  qu'est- 
ce,  fidèles,  que  ce  Dieu  Jésus?  qu'est-ce  autre 
chose  qu'un  Dieu  nous  cherchant ,  un  Dieu  se  fa- 
miliarisant avec  nous,  un  Dieu  brûlant  d'amour 
pour  nous,  un  Dieu  se  donnant  à  nous  tout  en- 
tier, et  qui,  se  donnant  à  nous  tout  entier,  poui 
toute  récompense  ne  veut  que  nous?  Ingrat  niilk 
et  mille  fois  qui  ne  l'aime  pas  :  malheureux  et 
infiniment  malheureux  qui  ne  l'aime  pas,  et  qui 
ne  comprend  pas  combien  doux  est  cet  amour 
aux  âmes  pieuses.  Fidèles,  nous  devrions  être 
honteux  de  ce  que  le  seul  nom  de  Jésus  n'échauffe 
pas  incontinent  nos  esprits ,  de  ce  qu'il  n'attendrit 
pas  nos  affections. 

Donc  si  vous  voulez  plaire  à  Marie,  faites  tout 
pour  Jésus;  vivez  en  Jésus,  vivez  de  Jésus  :  c'est 
l'unique  moyen  de  gagner  le  cœur  de  cette  bonne 

'  Sert»,  de  Symbolo,  cap.  Ttiil  ;  in  Append.  L  VI,  col.  28X 
»  I.  Cor.  XV,  -it. 


DE  LA  SAINT K  VIERGE. 


183 


mère,  si  \oll^>  iiniloz  son  affection.  Elle  est  mère 
de  Jésus-Christ;  nous  sommes  ses  membres  :  elle 
a  conçu  la  cliair  de  Jésus;  nous  la  recevons  :  son 
sang  est  coulé  dans  nos  veines  par  les  sacrements  ; 
nous  en  sommes  lavés  et  nourris  :  et  Jésus  lui- 
même,  comme  on  lui  disait  :  «  Voire  mère  et  vos 
«  frères  vous  cherchent,  "  étend  ses  mains  à  ses 
disciples ,  disant  :  «  Voilà  ma  mère ,  voilà  mes 
"  frères;  et  celui  qui  fait  la  volonté  de  mon  Père 
"  céleste ,  celui-là  est  mon  frère,  et  ma  sœur,  et 
«  ma  mère  ' .  "  0  douces  et  ravissantes  paroles  , 
les  fidèles  sont  ses  frères  !  ce  n'est  pas  assez  ;  ils 
sont  ses  frères  et  ses  sœurs  :  c'est  trop  peu ,  ils 
sont  ses  frères ,  ses  sœurs  et  sa  mère.  Non ,  mes 
frères ,  notre  Sauveur  nous  aime  si  fort ,  qu'il  ne 
refuse  avec  nous  aucun  titre  d'aflinité ,  ni  aucun 
degré  d'alliance  :  il  nous  donne  quel  nom  il  nous 
plaît;  nous  lui  touchons  de  si  près  qu'il  nous 
plaît,  pourvu  que  nous  fassions  la  volonté  de 
son  Père  céleste.  Et  quelle  est  la  volonté  du  Père 
céleste,  sinon  que  nous  aimions  son  bien-aimé? 
"  Celui-ci,  dit-il  %  est  mon  Fils  bien-aimé  dans 
«  lequel  je  me  suis  plu  dès  l'éternité.  »  Tout  lui 
plaît  en  Jésus,  et  rien  ne  lui  plaît  qu'en  Jésus,  et 
il  ne  reconnaît  pas  pour  siens  ceux  qui  ne  con- 
sacrent pas  leur  cœur  à  Jésus. 

Ah  !  que  je  vous  demande ,  fidèles ,  le  faisons- 
nous?  JNotre  Sauveur  a  dit  :  «  Si  quelqu'un  veut 
«  me  suivre,  qu'il  renonce  à  soi-même  ^.  »  Qui  de 
nous  a  renoncé  à  soi-même?  «  Tous  cherchent 
<  leurs  propres  intérêts ,  et  non  ceux  de  Jésus- 
«  Christ  »  :  Omnes  quœ  sua  sunt  quœrunt,  no/i 
qiiœ  Jesu  Christi  *.  Avez- vous  jamais  t)ien  com- 
pris quel  ouvrage  c'est,  et  de  quelle  difficulté,  que 
de  renoncer  à  soi-même  ?  Vous  avez ,  dites-vous , 
quitté  les  mauvaises  inclinations  aux  plaisirs 
mortels  :  Dieu  vous  en  fasse  la  grâce  par  sa  bonté  ! 
Mais  une  injure  vous  est  demeurée  sur  le  cœur; 
vous  en  poursuivez  la  vengeance  :  vous  n'avez 
point  renoncé  à  vous-même.  Mais  j'ai  surmonté 
ce  mauvais  désir  ;  c'est  tout  ce  que  Jésus-Christ 
demande  de  moi.  Nullement,  ne  vous  y  trompez 
pas  ;  ce  n'est  pas  assez  :  recherchez  les  secrets  de 
vos  consciences  ;  peut-être  que  l'avarice,  peut-être 
que  ce  poison  subtil  de  la  vaine  gloire ,  peut-être 
qu'im  certain  repos  de  la  vie ,  un  vain  désir  de 
plaire  au  monde,  et  cette  inclination  si  naturelle 
aux  hommes  de  s'élever  toujours  au-dessus  des 
antres,  ou  quelqu'autre  affection  pareille  règne 
en  vous.  Si  cela  est  ainsi ,  vous  n'avez  point  re- 
noncé à  vous-mêmes.  Bref,  considérez,  chré- 
tiens ,  nous  sommes  au  milieu  d'une  infinité  d'ob- 


'  -lA?rc.  III,  32,  33,  3i,  33. 
'  M,itlh.  III,  17. 

*  Ihid.  XVI,  21. 

•  piiiiipp.  Il,  ai. 


jets  qui  nous  sollicitent  sans  cesse  :  tant  qu'il  y  a 
une  fibre  de  notre  cœur  qui  est  attachée  aux  cho- 
ses mortelles ,  nous  n'avons  point  renoncé  à  nous- 
mêmes;  et  par  conséquent  nous  ne  suivons  pas 
celui  qui  a  dit  :  -  Si  quelqu'un  veut  venir  après 
«  moi ,  qu'il  renonce  à  soi-même.  "  Et  si  nous  ne 
le  suivons  pas,  où  en  sommes-nous? 

Qui  est  donc  celui ,  direz-vous ,  qui  a  vraiment  , 
renoncé  à  soi-même  ?  Celui  qui  méprise  le  siècle  / 
présent ,  qui  ne  craint  rien  tant  que  de  s'y  plaire ,  / 
qui  regarde  cette  vie  comme  un  exil  ;  «  qui  use  / 
«  des  biens  qu'elle  nous  présente  comme  n'en 
«  usant  pas ,  considérant  sans  cesse  que  la  figure 
'<  de  ce  monde  passe  '  ;  »  qui  soupire  après  Jésus- 
Christ  ,  qui  croit  n'avoir  aucun  vrai  bien  ni  aucun 
repos ,  jusqu'à  ce  qu'il  soit  avec  lui.  Celui-là  a 
renoncé  à  soi-même ,  et  peut  présenter  à  Jésus 
un  cœur  qui  lui  sera  agréable;  parce  qu'il  ne 
brûle  que  pour  lui  seul.  Si  nous  n'avons  pas  at- 
teint cette  perfection ,  comme  sans  doute  nous  en 
sommes  bien  éloignés,  tendons-y  du  moins  de 
toutes  nos  forces,  si  nous  voulons  être  appelés 
chrétiens.  Vivant  ainsi,  fidèles,  vous  pourrez 
prier  la  Vierge ,  avec  confiance ,  qu'elle  présente 
vos  oraisons  à  son  fils  Jésus  ;  vous  serez  ses  véri- 
tables enfants  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  : 
vous  l'aimerez,  elle  vous  aimera  pour  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ;  elle  priera  pour  vous  au  nom 
de  son  fils  Jésus-Christ,  elle  vous  obtiendra  la 
jouissance  parfaite  de  son  fils  Notre-Seigneur  Jé- 
sus-Christ, qui  est  l'unique  félicité.  Amen. 


PRÉCIS  D'UN  SERMON 

POUR  LE  MÊME  JOUR. 


Avantages  qui  discernent  la  naissance  de  Marie  :  biens 
qu'elle  nous  apporte. 

Parmi  tant  de  solennités  par  lesquelles  la  sainte 
Église  rend  hommage  à  la  dignité  de  la  très-heu- 
reuse Marie ,  les  deux  principales  de  toutes  sont 
sa  Nativité  bienheureuse,  et  son  Assomption 
triomphante  :  la  première  la  donne  à  la  terre; 
la  seconde  la  donne  au  ciel.  C'est  pourquoi  nous 
honorons  ces  deux  jours  d'une  dévotion  particu- 
lière ;  et  l'estime  que  nous  faisons  d'un  si  grand 
présent,  nous  oblige  à  nous  réjouir  soit  que  le 
ciel  la  donne  à  la  terre ,  soit  que  la  terre  la  rende 
au  ciel.  Mais  ce  dernier  jour,  ce  jour  de  triomphe 
est  plutôt  la  fête  des  anges ,  et  la  sainte  Nativité 
est  la  fête  des  hommes:  et  quoique  la  société  bien- 
heureuse qui  unit  lÉglise ,  qui  voyage  en  terre, 
avec  les  citoyens  immortels  de  la  céleste  Jéru- 
salem ,  [leur  rende  tous  les  biens  communs  ;  ] 

»  I.  Cor.  U!,»I. 


18G 


SUR  LA  NATIVITE 


néanmoins  nous  devons ,  ce  semble ,  sentir  plus 
de  joie  de  la  Nativité  de  Marie ,  puisque  c'est  vé- 
ritablement notre  fête.  Célébrons  donc  [cette  so- 
lennité avec  un  saint  transport ,  ]  et  implorons 
[  avec  confiance  le  secours  de  la  mère  de  notre 
divin  Sauveur.]  ylye. 

Encore  que  les  hommes ,  enflés  par  la  vanité, 
tâchent  de  se  séparer  les  uns  des  autres ,  il  ne 
laisse  pas  d'être  véritable  que  la  nature  les  a  faits 
égaux,  en  les  formant  tous  d'une  même  boue. 
Quelque  inégalité  qu'il  paraisse  entre  les  condi- 
tions ,  il  ne  peut  pas  y  avoir  grande  différence 
entre  de  la  boue  et  de  la  boue ,  entre  pourriture 
et  pourriture,  mortalité  et  mortalité.  Les  hom- 
mes combattent ,  autant  qu'ils  peuvetit ,  cette  éga- 
lité ,  et  tâchent  d'emporter  le  dessus  et  la  pré- 
séance par  les  honneurs ,  par  les  charges ,  par  les 
richesses  ou  par  le  crédit;  et  ces  choses  ont  acquis 
tant  d'estime  parmi  les  hommes,  qu'elles  leur 
font  oublier  cette  égalité  naturelle  de  leur  com- 
mune mortalité ,  et  font  qu'ils  regardent  les  hom- 
mes, leurs  semblables,  comme  s'ils  étaient  d'un 
ordre  inférieur  au  leur.  Mais  la  nature,  pour 
conserver  ses  droits ,  et  pour  dompter  l'arrogance 
humaine,  a  voulu  imprimer  deux  marques  par 
lesquelles  tous  les  hommes  fussent  contraints  de 
reconnaître  leur  égalité;  l'une  en  la  naissance, 
et  l'autre  en  la  mort;  l'une  au  berceau,  et  l'autre 
au  sépulcre  ;  l'une  au  commencement ,  et  l'autre 
à  la  fin;  afin  que  l'homme,  soit  qu'il  regarde 
devant,  soit  qu'il  se  retourne  en  arrière,  voie 
toujours  de  quoi  modérer  son  ambition ,  par  ces 
marques  de  sa  faiblesse  et  de  son  néant  ;  et  que 
cette  infirmité  du  commencement  et  de  la  fin  ren- 
dît le  milieu  plus  modéré  et  plus  équitable.  Nudus 
egressus  sian  de  utero  matris  meœ,  et  nudus 
revertar  illuc  '  :  «  Je  suis  sorti  nu  du  ventre  de 
«  ma  mère ,  et  je  retournerai  nu  dans  le  sein  de 
*  la  terre.  » 

C'est  pourquoi  l'Écriture  nous  compare  à  des 
eaux  coulantes  :  Omnes  quasi  aqua  dilahimur 
in  terram'^.  Comme  les  fleuves,  quelque  inéga- 
Hté  qu'il  y  ait  dans  leur  course,  sont  en  cela  tous 
igaux ,  qu'ils  viennent  tous  d'une  source  petite , 
de  quelque  rocher  ou  de  quelque  motte  de  terre, 
et  qu'ils  perdent  enfin  tous  leur  nom  et  leurs 
eaux  dans  l'Océan;  là  on  ne  distingue  plus  ni  le 
Ehin ,  ni  le  Danube  d'avec  les  plus  petites  ri- 
vières et  les  plus  inconnues  :  ainsi  les  hommes 
commencent  de  même  ;  et  après  avoir  achevé 
leur  course,  après  avoir  fait,  comme  des  fleuves, 
un  peu  plus  de  bruit  les  uns  que  les  autres ,  ils 
se  vont  tous  enfin  perdre  et  confondre  dans  ce 
gouffre  infini  de  la  mort  ou  du  néant ,  où  l'on  ne 

•  Job.  I,  21. 


trouve  plus  ni  César,  m  Alexandre ,  ni  tous  ce« 
augustes  noms  qui  nous  séparent;  mais  la  cor- 
ruption et  les  vers;  la  cendre  et  la  pourriture  qui 
nous  égalent. 

[II  y  a  une  entière]  impossibilité  à  la  nature 
de  se  discerner  dans  la  vie  et  dans  la  mort.  La 
seule  puissance  de  Dieu  le  peut  faire ,  comme  maî- 
tre de  la  nature  :  il  l'a  fait  pour  Marie  ;  en  sa  mort , 
par  amour,  conservant  son  corps  ;  en  sa  naissance , 
par  les  avantages  qui  nous  y  paraissent,  et  que 
j'ai  à  vous  expliquer. 

Deux  choses  discernent  les  hommes  ;  le  bien 
qu'ils  reçoivent,  et  le  bien  qu'ils  font  :  le  premier 
honore  leur  abondance  ;  le  second ,  leur  libéra- 
lité. Reconnaissons  donc  la  naissance  de  la  sainte 
Vierge  miraculeusement  discernée  des  juitres, 
par  les  biens  qu'elle  y  a  reçus  et  par  ceux  qu'elle 
nous  apporte. 

PBEMIEH    POINT. 

Comme  l'homme  est  composé  de  deux  parties , 
il  y  a  aussi  deux  sources  générales  de  tous  les 
biens  qu'il  peut  recevoir  en  sa  naissance  ;  l'une ,  ce 
sont  les  parents;  et  l'autre ,  c'est  Dieu  :  car  nous 
ne  recevons  que  nos  corps  par  le  ministère  de 
nos  parents;  mais  l'âme  est  d'un  ordre  supérieur, 
et  elle  a  cet  avantage  :  qu'aucune  cause  natureile 
ne  la  peut  produire.  Elle  demande  les  mains  de 
Dieu,  et  ne  souffre  pas  un  autre  ouvrier  :  si  bien 
que  les  causes  secondes  ne  font  que  préparer  la 
demeure  à  cette  âme  d'une  origine  céleste;  et 
après  qu'elles  ont  disposé  cette  boue  du  corps, 
Dieu  inspite  le  souffle  dévie,  c'est-à-dire,  l'âme 
faite  à  son  image ,  pour  conduire  et  pour  animer 
cette  masse  :  de  là  donc  ces  deux  sources,  l'oyons 
ce  que  Marie  tire  de  l'une  et  de  l'autre. 

Pour  cela ,  il  faut  entendre  avant  toutes  cho- 
ses quels  étaient  les  parents  de  Marie.  Pieux, 
chastes,  charitables,  vivant  sans  reproche  dans 
la  voie  de  Dieu.  Il  semble  que  cette  sainteté  s'ar- 
rête en  ceux  qui  la  possèdent,  et  qu'elle  ne  coule 
pas  en  leurs  descendants  :  néanmoins  il  faut 
avouer  que  ce  leur  est  un  grand  avantage.  Saint 
Paul  dit  que  «  les  enfants  des  fidèles  sont  saints  •  ; 
«  parce  que,  comme  dit  Tertullien,  ils  sont  des- 
«  tinés  à  la  sainteté ,  et  par  là  au  salut ,  »  quia 
sanctUati  designati,  ac  per  hoc  etiam  salufi  2. 
Dieu  favorise  les  enfants  à  cause  des  pères  :  Sa- 
lomon  à  cause  de  David ,  les  Israélites  à  cause 
d'Abraham ,  Isaac  et  Jacob.  C'est  un  grand  avan- 
tage d'être  consacré  à  Dieu ,  en  naissant ,  par  des 
mains  saintes  et  innocentes.  Mais  il  y  a  quelque 
chose  de  singulier  en  la  nativité  de  Marie  ;  car  elle 
est  la  fille  des  prières  de  ses  parents  :  l'union  spi- 

'  1.  Cor.  vn,  li. 
^  De  An-m.  n"  39. 


DE  L\  SAl>  f  E  N  IKRGE. 


fM7 


rituelle  de  leurs  âmes  a  imi>étré  la  bénédiction 
que  Dieu  a  donnée  à  la  chaste  union  de  leur  ma- 
riage, et  il  était  juste  que  Marie  fût  un  fruit  non 
tant  de  la  nature  que  de  la  grâce;  qu'elle  vînt 
plutôt  du  ciel  que  de  la  terre ,  et  plutôt  de  Dieu 
que  des  hommes.  Mais  cela  peut  être  commun  à 
Marie  avec  beaucoup  d'autres;  Samuel,  saint 
Jean-Baptiste,  etc.  :  à  Samuel,  Anne  seule  pria; 
à  saint  Jean-Baptiste ,  Zacharie  fut  incrédule;  à 
Isaac ,  Sara  se  prit  à  rire  :  ici  concours  des  deux 
parents  ;  Marie  commence  à  les  sanctifier  et  à  les 
unir  dans  la  charité. 

Que  dirons-nous  donc  de  particulier?  Elle  tire 
de  ses  parents  cette  noblesse  ancienne,  qui  la 
fait  descendre  des  rois  et  des  patriarches.  La  no- 
blesse semble  être  un  bien  naturel  ;  parce  que 
nous  l'apportons  en  naissant,  non  pas  comme 
les  richesses  :  il  est  de  la  nature  de  ceux  qui  sont 
plus  précieux  et  plus  estimés ,  en  ce  qu'on  ne  les 
peut  acquérir.  C'est  le  seul  des  avantages  hu- 
mains que  le  Fils  de  Dieu  n'a  pas  voulu  dédaigner, 
et  c'est  là  ce  qui  la  relève  :  car  la  noblesse  dans 
les  autres  hommes  n"est  ordinairement  qu'un 
titre  inutile,  qui  ne  sert  de  rien  à  ceux  qiji  le 
portent ,  mais  qui  marque  seulement  la  vertu  de 
leurs  ancêtres.  Mais  elle  était  nécessaire  au  Fils 
de  Dieu ,  pour  accomplir  le  mystère  pour  lequel 
il  est  envoyé  du  Père.  Il  fallait  qu'il  vînt  des  pa- 
triarches comme  leur  héritier,  pour  accomplir 
les  promesses  qui  leur  avaient  été  faites  :  il  fal- 
lait qu'il  vînt  des  rois  de  Juda,  afin  de  rendre  à 
David  la  perpétuité  de  son  trône ,  que  tant  d'ora- 
cles lui  avaient  promise  :  l'alliance  sacerdotale 
[  lui  était  nécessaire,  ]  parce  qu'il  devait  être  grand 
prêtre. 

La  noblesse  de  Jésus  vient  de  Marie;  mais 
Marie  a  cela  de  commun  avec  beaucoup  d'autres, 
et  nous  tâchons  de  la  distinguer.  Elle  a  en  elle  le 
sang  des  rois  et  des  patriarches ,  avec  une  di- 
gnité particulière;  parce  qu'elle  l'a  pour  le  verser 
immédiatement  en  la  personne  de  Jésus-Christ , 
et  pour  l'unir  à  celui  pour  lequel  il  a  été  tant  de 
fois  consacré  et  conservé  entier  et  incorruptible, 
parmi  tant  de  désolations  et  une  si  longue  suite 
d'années.  De  même  que  dans  une  fontaine  tous 
les  tuyaux  contiennent  la  même  eau;  mais  le  der- 
nier, par  lequel  elle  rejaillit,  la  contient,  ce  semble, 
dune  manière  plus  noble ,  parce  qu'il  la  contient 
pour  la  jeter  bien  haut  au  milieu  des  airs,  et  pour 
la  verser  dans  le  bassin  de  marbre  ou  de  porphyre 
cpi'on  lui  a  richement  orné  et  préparé  avec  tant 
de  soin  :  ainsi  ce  sang  des  rois  et  des  patriarches 
se  rencontre  dans  la  sainte  Vierge  comme  dans 
le  sacré  canal  d'où  il  doit  rejaillir  plus  haut  même 
que  sa  source  ;  puisqu'il  doit  être  uni  à  Dieu  même, 
par  où  il  doit  être  reçu  en  la  personne  du  Fils  de 


Dieu  comme  dans  un  bassin  sacré,  ou  il  doit  re- 
cevoir sa  dernière  perfection  :  où  étant  consacré 
et  purifié,  il  répandra  sa  pureté  et  sa  noblesse 
par  toute  la  terre ,  et  dans  toute  la  race  des  enfants 
d'Adam;  noblesse  divine  et  spirituelle  qui ,  au  lieu 
d'être  les  enfants  des  hommes ,  nous  fera  devenir 
les  enfants  de  Dieu. 

Les  biens  qui  viennent  à  Marie  de  la  seconde 
source ,  qui  est  Dieu ,  sont  l'avantage  de  la  sanc- 
tification, qui  lui  est  commun  avec  saint  Jean- 
Baptiste  ;  mais  qui  lui  est  aussi  personnel ,  en  ce 
que  cette  grâce  est  plus  parfaite  en  elle  que  dans 
saint  Jean  :  grâce  singulière  pour  Marie;  comme 
en  Jésus  la  grâce  de  chef,  à  cause  de  sa  qualité 
singulière  ,  [renferme  suréminemment]  la  grâce 
de  l'apostolat,  la  grâce  de  précurseur,  celle  de 
prophète,  [toutes  les  grâces  que  reçoivent  ses 
membres.]  [Mais  pourrons-nous  expliquer  digne- 
ment] les  caractères  particuliers  de  la  grâce  de 
mère  de  Dieu ,  [  dont  Marie  a  été  favorisée  ?  ]  de 
quelle  dignité  [une  grâce  si  étonnante  ne  relève- 
t-elle  pas  cette  humble  servante  du  Seigneur,] 
par  l'union  très-particulière  [qu'elle  lui  procure 
avec  le  Sauveur  dans  le  [mystère  de  l'incarna- 
tion! grâce  inexplicable,  [que  nous  ne  saurions 
bien  comprendre.] 

SECOND    POINT. 

Les  avantages  que  Marie  nous  apporte  sont, 
l'espérance  de  voir  bientôt  Jésus-Christ;  et  de 
plus,  l'espérance  particulière  d'obtenir  [ les  se- 
cours qui  nous  sont  nécessaires]  par  l'interces- 
sion de  cette  mère  très-charitable  de  Jésus-Christ 
et  de  ses  enfants. 

Une  nuit  épouvantable  [couvrait  toute  la  terre 
de  ses  ténèbres]  avant  la  venue  du  Sauveur  des 
âmes  :  [  mais  à  la  naissance  de  Marie  nous  com- 
mençons à  voir  la  lumière.]  «  La  nuit  est  déjà 
«  fort  avancée,  et  le  jour  approche  :  »  Nox  prcp' 
cessif,  dies  aute m  appropinquavit  \  Aussi  l'état 
de  l'Évangile  est-il  comparé  à  la  lumière  :  «  Mar- 
'<  chez  comme  des  enfants  de  lumière  :  »  Utjîliis 
lucis  amhulate  *.  Jusque-là  on  ne  rencontrait  do 
toutes  parts  que  des  ténèbres  :  ténèbres  d'igno- 
rance et  d'infidélité  parmi  les  Gentils  ;  ténèbres 
de  figures,  ombres  épaisses  parmi  les  Juifs  :  on 
ne  connaissait  pas  la  vie  ni  la  félicité  éternelle. 
Jésus  était  la  voie  pour  nous  y  conduire.  La  nui| 
[où  nous  étions  enfoncés,  était  une  nuit]  sans 
repos?  parce  que  le  repos  ne  se  trouve  qu'en  Jésns-r 
Christ.  «  Venez  à  moi ,  nous  dit-il ,  vous  tous  qui 
!  «  êtes  fatigués ,  et  je  vous  soulagerai ,  »  et  ego  refi- 
\  ciam  vos  ^.  De  là  vient  que  comme  des  malades 

'  Rom.  XIII,  12. 
'  Ephex.  V,  8. 
*  Xatt/i.  XI ,  2a. 


188 


SUR  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SALNTE  VIERGE 


è  qui  la  nuit  ne  donne  pas  le  repos,  et  dont  elle 
ciccroît  le  chagrin ,  les  hommes  s'écriaient  :  .0  si 
vous  vouliez  ouvrir  les  cieux  et  en  descendre! 
Vtinam  dirumperes  cœlos  et  descenderes\  0 
lumière,  quand  vous  verrons-nous,  et  (juand 
viendrez-vous  dissiper  toutes  ces  ombres  qui  nous 
environnent? 

Marie  vient  pour  nous  apporter  un  commen- 
cement de  lumière  :  ce  n'est  pas  encore  le  jour; 
mais  le  jour  sortira  de  son  chaste  sein.  Nous  ne 
voyons  pas  encore  Jésus-Christ  ;  mais  nous  voyons 
déjà  en  Marie  ces  grâces ,  ces  vertus  et  ces  dons 
qui  le  doivent  attirer  au  monde.  C'est  le  premier 
rayon  qui  commence  à  poindre  5  c'est  le  premier 
commencement  du  jour  chrétien ,  en  la  naissance 
de  la  sainte  Vierge.  Sicut  in  die,  honeste  ambu- 
lemus''  :  «  Marchons  avec  bienséance ,  comme 
«  marchant  durant  le  jour.  »  Bientôt,  bientôt  ce 
divin  soleil  s'avancera  à  pas  de  géant ,  comme 
parle  le  divin  psalmiste ,  pour  fournir  sa  carrière  : 
Exuliavit  ut  gigas  ad  currendam  viam}  ;  et  sor- 
tant comme  de  son  lit,  du  sein  virginal  de  Marie, 
il  portera  sa  lumière  et  sa  chaleur  du  levant  jus- 
qu'au couchant. 

Mais  la  bienheureuse  Marie  vient  encore  nous 
luire  à  propos  contre  l'obscurité  du  péché.  Un 
homme  et  une  femme  nous  avaient  précipités  dans 
le  péché,  et  dans  la  mort  éternelle  :  Dieu  veut 
que  nous  soyons  délivrés;  et  pour  cela  il  destine 
unenouvelleÈve,  aussi  bien  qu'un  nouvel  Adam  : 
afin  que  les  deux  sexes  [concourent  à  notre  déli- 
vrance]. Réjouissons-nous  donc,  chrétiens;  nous 
voyons  déjà  paraître  au  monde  la  moitié  de  notre 
espérance ,  la  nouvelle  Eve  :  il  viendra  bientôt , 
ce  nouvel  Adam ,  pour  accomplir  avec  Marie  la 
chaste  et  divine  génération  des  enfants  de  la  nou- 
velle alliance. 

Le  caractère  de  la  grâce  maternelle  est  inex- 
plicable :  il  commence  dès  la  nativité  de  Marie. 
Le  Fils  éternel  de  Dieu  n'eut  pas  plutôt  vu, 
au  sein  de  son  Père ,  celle  d'où  il  devait  prendre 
sa  chair,  qu'aussitôt  il  envoie  son  divin  Esprit , 
pour  prendre  possession  de  ce  divin  temple,  qui 
lui  est  préparé  dès  l'éternité,  pour  le  consacrer 
de  ses  grâces,  pour  le  rendre  digne  de  lui  dès  ce 
premier  moment.  Il  est  à  croire  que  les  cieux 
s'ouvrirent ,  et  que  les  anges  coururent  en  foule 
pour  honorer  cette  sainte  vierge ,  qui  était  choi- 
sie pour  être  leur  reine ,  et  dont  ils  reconnurent 
la  grandeur  future  par  un  caractère  de  gloire  qui 
leur  marquait  la  faveur  de  Dieu,  L'ange  qui  fut 
destiné  pour  sa  conduite ,  fut  envoyé  avec  des 
ordres  tout  singuliers  :  quelques-uns  veulent 

»  Is.  i,xiv,  I. 
*  Rom.  XIII,  13. 
»  Ps.  xvm ,  G. 


qu'il  ait  été  d'un  ordre  supérieur.  Mais  n'enfre'OT; 
point  dans  ce  secret;  accourons  seulement  pour 
honorer  [  les  excellentes  prérogatives  de  Marie. 
Ici  deux  écueils  sont  à  éviter,  l'impiété  et  la  su- 
perstition. 

Je  sais  bien ,  sainte  Vierge ,  que  votre  gi'an- 
deur  n'a  point  empêché  les  bouches  sacrilèges  des 
hérétiques  de  s'élever  contre  vous.  Après  avoir 
déchiré  les  entrailles  de  l'Église,  qui  était  leur 
mère  ,'ils  se  sont  attaqués  à  la  mère  de  leur  Ré- 
dempteur :  ils  ont  bien  osé  blasphémer  contre 
lui,  en  niant  votre  perpétuelle  virginité;  et  a 
présent  que  nous  sommes  assemblés  pour  admi- 
rer en  vous  les  merveilles  du  Créateur,  ils  qua- 
lifient nos  dévotions  du  titre  d'idolâtrie  :  comme 
si  vous  étiez  une  idole  sourde  à  nos  vœux  ;  ou  si 
c'était  mépriser  la  Divinité ,  que  de  vous  prier  de 
nous  la  rendre  propice  par  vos  intercessions  ;  ou 
bien  si  votre  fils  se  tenait  déshonoré  des  sou- 
missions que  nous  vous  rendons  à  cause  de  lui. 
Mais  quoi  que  l'enfer  puisse  entreprendre ,  nous 
ne  cesserons  jamais  de  célébrer  vos  louanges;  et 
toutes  les  fois  que  la  suite  des  années  nous  ramè- 
nera vos  saintes  solennités,  l'Église  catholique, 
répandue  par  toute  la  terre ,  s'assemblera  dans 
les  temples  du  Très-Haut ,  pour  vous  offrir,  eu 
unité  d'esprit ,  les  respects  de  tous  les  fidèles.  Tou- 
jours nous  vous  sentirons  propice  à  nos  vœux  ;  et 
quelque  part  du  ciel  où  vous  puissiez  être  élevée 
par-dessus  tous  les  chœurs  des  anges ,  nos  prières 
pénétreront  jusqu'à  vous,  non  point  par  la  force 
des  cris ,  mais  par  l'ardeur  de  la  charité. 

C'est  à  quoi  je  vous  exhorte ,  peuples  chrétiens  : 
élevons  d'un  commun  accord  nos  cœurS  et  nos 
voix  ,  pour  lui  chanter  un  cantique  de  louanges. 
C'est  vous  qui  êtes  le  refuge  des  pécheui-s  et  la 
consolation  des  affligés.  Lorsque  Dieu,  touché 
des  misères  du  genre  humain,  envoya  son  Fils 
au  monde ,  ce  fut  dans  vos  entrailles  qu'il  opéra 
cet  ouvrage  incompréhensible.  Il  donna  Jésus- 
Christ  aux  hommes  par  votre  moyen  ;  mais  s'il  le 
leur  donna  comme  Maître  et. comme  Sauveur, 
l'amour  éternel  qu'il  avait  pour  vous  lui  fit  con- 
cevoir bien  d'autres  desseins  en  votre  faveur.  Il 
a  ordonné  qu'il  fût  à  vous  en  la  même  qualité  qu'il 
lui  appartient  ;  que  vous  engendrassiez  dans  le 
temps  celui  qu'il  engendre  continuellement  dans 
l'éternité  :  et  pour  contracter  avec  vous  une  al- 
liance immortelle,  il  a  voulu  que  vous  fussiez 
la  mère  de  son  Fils  unique ,  et  être  le  père  du 
vôtre.  0  prodige  !  ô  abîme  de  charité  !  qui  nous 
donnera  des  conceptions  assez  hautes  pour  re- 
présenter quelles  amours  ,  quelles  complaisances 
il  a  eues  pour  vous  depuis  que  vous  lui  touchez 
de  si  près  par  ce  nœud  inviolable  de  votre  sainte 
alliance  ,  par  ce  commun  fils  ,  le  gage  de  vos  afr 


POUR  LA  FÊTE  DE  L'ANiNONCIATION. 


fections  mutuelles,  que  vous  vous  êtes  donné 
amoureusement  l'un  à  l'autre  :  lui,  plein  d'une 
divinité  impassible  ;  vous,  revêtue ,  pour  lui  obéir, 
d'une  chair  mortelle?  C'est  vous  que  le  Saint- 
Esprit  a  remplie  d'un  germe  céleste  par  de  chastes 
embrassements  ;  et  se  coulant  d'une  manière  inef- 
fable sur  votre  corps  virginal ,  il  y  forma  celui 
qui  était  l'espérance  d'Israël  et  l'attente  des  na- 
tions; qui  étant  entré  dans  vos  entrailles  comme 
une  douce  rosée,  en  sortit  comme  une  fleur  de  sa 
tige  ,  ou  comme  un  jeune  arbrisseau  d'une  terre 
vierge,  sans  laisser,  de  façon  ni  d'autre ,  de  ves- 
tige de  son  passage,  pour  accomplir  ainsi  cette 
prophétie  de  David  :  «  Il  descendra  comme  une 
»  pluie ,  et  comme  la  rosée  qui  dégouttera  sur  la 
"  terre  '  ;  «  et  cette  autre  d'Isaïe  :  «  Il  s'élèvera 
«  comme  une  fleur,  et  comme  une  racine  d'une 
«  terre  desséchée*.  » 

Ainsi  le  Verbe  divin,  voulant  racheter  les 
hommes,  emprunta  de  vous  de  quoi  payer  la 
justice  de  son  Père  ;  et  ne  voyant  point  au  monde 
(le  source  plus  belle ,  il  puisa  dans  vos  chastes 
flancs  ce  sang  qui  a  lavé  nos  iniquités.  C'est  vous 
qui  nous  l'avez  conservé  dans  sa  tendre  enfance  : 
vous  avez  gouverné  celui  dont  la  sagesse  admi- 
nistre tout  l'univers;  et  lorsqu'il  fut  arrivé  à  sa 
dernière  heure  ,  la  Providence  vous  amena  au 
pied  de  sa  croix  pour  participer  de  plus  près  à  ce 
sacrifice.  Ce  fut  là  que  le  voyant  déchiré  de  plaies, 
étendant  ses  bras  à  un  peuple  incrédule,  pleurant 
et  gémissant  pour  nous  comme  une  pauvre  vic- 
time; et  d'autre  part  levant  au  ciel  ses  mains  in- 
nocentes ,  priant  avec  ardeur,  et  surmontant  par 
ses  cris  la  colère  de  son  Père,  ainsi  que  le  prêtre, 
vous  sentîtes  émouvoir  vos  compassions  mater- 
nelles; et  lui  aussitôt,  pour  consoler  vos  dou- 
leurs ,  vous  laisse  en  la  personne  de  son  cher  dis- 
ciple ses  fidèles  pour  enfants. 

0  Vierge  incomparable,  secourez  l'Église  ca- 
tholique ,  qui  vous  loue  avec  tant  de  sincérité ,  et 
abattez  le  pouvoir  de  ses  ennemis.  Nous  ne  vous 
demandons  pas  que  vous  armiez  contre  eux  la 
colère  du  Tout-Puissant  :  non  ;  l'Eglise  ne  peut 
avoir  des  sentiments  si  cruels.  Apaisez  plutôt  sur 
eux  l'ire  formidable  de  Dieu ,  de  peur  qu'il  ne 
venge  ses  temples  profanés  et  la  fureur  qui  leur 
a  fait  abolir,  partout  où  ils  ont  passé ,  les  marques 
de  laï»iété  de  nos  ancêtres;  mais  encore  plus  la 
perte  de  tant  d'âmes ,  qu'ils  ont  arrachées  à  l'É- 
glise dans  son  propre  sein.  Ah  !  Vierge  sainte , 
priez  Dieu  qu'il  touche  leurs  cœurs  ;  que  sa  grâce 
surmonte  la  dureté  de  ceux  que  leur  orgueil  et 
leurs  intérêts  ont  abandonnés  au  sens  réprouvé  • 
quelle  éclaire  les  simules  et  les  ignorants ,  qui  ont 

'   Ps.  LXXI  ,  6. 
*  la    LUI ,  -2. 


été  séduits  par  le  beau  prétexte  d'une  feinte  réfor- 
mation :  afin  que  les  forces  du  christianisme 
étant  réunies,  nous  réformions  ensemble  nos 
mœurs  selon  l'Évangile,  et  allions  faire  adorer 
par  toute  la  terre  Jésus-Christ  crucifié ,  par  qui, 
et  en  qui,  et  avec  qui  nous  espérons  régner  éter- 
nellement dans  le  ciel ,  où  nous  conduise ,  etc. 


PRÉCIS  D'UN  SERMON 

PODR  LE  JOUR  DE 

LA  PRÉSENTATION  DE  LA  SAINTE  \1ERGE. 


Adduceutur  in  templum  régis. 

On  les  conduira  dans  le  temple  du  roi.  Ps.  xuv,  IG. 

Ouvrez- vous,  sanctuaire,  portes  éternelles, 
voici  le  temple  qu'on  présente  au  temple,  le  sanc- 
tuaire au  sanctuaire,  l'arche  véritable  où  repose 
le  Seigneur  effectivement  à  l'arche  figurative  où 
il  ne  repose  qu'en  image. 

Retraite  perpétuelle  :  adoration  perpétuelle  : 
renouvellement  perpétuel.  Retraite  perpétuelle. 
Le  monde  corrompt ,  dissipe  l'esprit  et  étourdit  : 
il  empêche  d'écouter  Dieu.  Silence  de  l'âme  et 
de  toutes  les  passions ,  et  de  toutes  les  facultés , 
pour  écouter  Dieu. 

Le  monde  vient  chercher  les  religieuses.  Ceux 
qui  sont  dans  l'action  viennent  à  ceux  qui  s'oc- 
cupent de  la  contemplation ,  et  tâchent  de  les  at- 
tirer à  leur  tracas.  Ainsi  Marthe. 

Fontaine  scellée  par  la  retraite.  Eaux  égale- 
ment corrompues  soit  que  la  fontaine  s'écoule  en 
la  mer,  soit  que  la  mer  coule  dans  la  fontaine. 
Ainsi,  soit  que  vous  vous  jetiez  dans  le  monde, 
soit  que  le  monde  pénètre  au  dedans,  fvous  cou- 
rez les  mêmes  risques.] 

Entrée,  au  premier  point.  Egredere,  «  Sors  :  » 
sortir  du  monde  :  sortir  de  ses  sens  :  sortir  de  ses 
passions.  Toujours  Dieu  nous  dit  :  Egredere  de 
cognatione  tua  '  :  «  Sors  de  ta  parenté,  »  de 
toutes  les  choses  qui  te  touchent. 

Adoration  perpétuelle.  Complaisance  à  la  vo- 
lonté du  Père.  Faire  sa  cour  à  Dieu  comme  à  son 
souverain.  Jésus-Ctu-ist  dit  à  son  Père  :  «  Oui , 
«  mon  Père,  je  vous  en  rends  gloire,  parce  qu'il 
«  vous  a  plu  que  cela  fût  ainsi  :  «  Ita,  Pater, 
quoniam  sic  fuit  placitum  ante  te  '.  Au  ciel, 
[les  saints ,  en  témoignage  de  leur  pleine  adhé- 
sion à  la  volonté  de  leur  Dieu,  s'écrient]  Amen  ^ 
Pour  faire  cette  adoration,  [il  faut]  aimer;  l'a- 
mour veut  adorer,  et  il  ne  se  satisfait  pas  qu'il  ne 

'  Gènes,  xii,  I. 
*  Matth.  H,  26. 
»  Apocal.  V,  14;  vu,  12. 


ioô 


POUR  LA  FETE 


■^ve  dans  une  dépendance  absolue  :  c'est  la  na- 
ture de  l'amour.  Le  profane  même  ne  parle  que 
d'hommages ,  que  d'adoration ,  pour  nous  faire 
voir  que  pour  être  aimé  il  faut  être  quelque  chose 
de  plus  qu'une  créature. 

Pour  la  présence  perpétuelle,  sans  gêner  l'es- 
prit l'amour  rappellera  l'objet.  On  nepeut  oublier 
longtemps  ce  qu'on  aime  :  quand  la  mémoire  l'ou- 
blierait ,  le  cœur  le  rappellerait ,  irait  le  graver  de 
nouveau  avec  des  caractères  de  flamme. 

Le  cœur  blessé  se  tourne  toujours  à  celui  d'où 
lui  vient  le  trait.  On  ne  dort  pas  même  parmi  le 
sommeil.  Ego  dormio,  et  cor  nieum  vigilat  : 
«  Je  dors ,  et  mon  cœur  veille  :  »  au  moindre  bruit 
de  l'Époux,  au  moindre  souffle  de  sa  voix ,  [l'é- 
pouse s'empresse  d'aller  au-devant  de  lui.]  Vox 
dilecli  met  pulsantis  '  :  «  J'entends  la  voix  de 
«  mon  bien-aimé  qui  frappe  à  ma  porte.  » 

Renouvellement  perpétuel.  Deux  infinités ,  le 
tout,  le  néant.  Toujours  croître ,  toujours  décroî- 
tre.: cela  sans  bornes. 


*«ft«9««^ 


PREMIER  SERMON 

POUR  LA  FÊTE 

DE  L'ANNONCIATION. 

Grandeur  du  mystère  de  l'incarnation.  Ordre  merveilleux 
qui  y  est  gardé.  Méthode  dont  Dieu  se  sert  pour  guérir  notre 
orgueil.  Sentiments  dans  lequels  nous  devons  entrer  à  la  vue 
des  abaissements  du  Verbe  incarné.  Combien  son  appauvris- 
sement est  étonnant  :  de  quelle  manière  il  relève  la  bassesse 
de  notre  nature. 


Beatus  venter  qui  te  portavit. 

Bienheureuses  les  entrailles  qui  vous  ont  porté.  Luc. 
XI,  27. 

Dans  cette  auguste  journée  en  laquelle  le  Père 
céleste  avait  résolu  d'associer  la  divine  vierge  à 
sa  génération  éternelle,  en  la  faisant  mère  de  son 
Fils  unique  ;  comme  il  savait,  chrétiens ,  que  la 
fécondité  de  la  nature  n'était  pas  capable  d'at- 
teindre à  un  ouvrage  si  haut,  il  résolut  aussi  tout 
ensemble  de  lui  communiquer  un  rayon  de  sa  fé- 
condité infinie.  Aussitôt  qu'il  l'eut  ainsi  ordonné, 
cette  chaste  et  bénite  créatur^parut  tout  d'un  coup 
environnée  de  son  Saint-Esprit,  et  couverte  de 
toutes  parts  de  l'ombre  de  sa  vertu  toute-puis- 
sante. Le  Père  éternel  s'approche  en  personne, 
qui  ayant  engendré  en  elle  ce  même  Fils  tout- 
puissant  qu'il  engendre  en  lui-même  devant  tous 
les  siècles  ;  par  un  miracle  surprenant,  une  femme 
devientlamère  d'un  Dieu,  etceluiqui  est  si  grand 
et  si  infini,  si  je  puis  parler  de  la  sorte ,  qu'il  n'a- 
vait pu  jusqu'alors  être  contenu  que  dans  l'im- 

»  Caiif,  y   2. 


mensité  du  sein  paternel ,  se  trouve  en  un  instant 
renfermé  dans  ses  entrailles  bienheureuses. 

Cependant  comme  Dieu  lui-même  avait  entre- 
pris la  formation  de  ce  corps  dont  le  Verbe  de- 
vait être  revêtu ,  la  nature  et  la  convoitise ,  qui 
ont  accoutumé  de  s'unir  dans  les  conceptions  or- 
dinaires, eurent  ordre  dç  se  retirer;  ou  plutôt 
la  convoitise,  déjà  éloignée  depuis  fort  longtemps 
du  corps  et  de  l'esprit  de  Marie ,  n'osa  pas  seu- 
lement paraître  dans  ce  mystère  de  grâce  et  de 
sainteté  :  et  pour  ce  qui  est  de  la  nature ,  qui  est 
toujours  respectueuse  envers  son  auteur,  elle  n'a- 
vait garde  de. mettre  la  main  dans  un  ouvrage 
qu'il  entreprenait  d'une  manière  si  haute  ;  mais 
s'arrêtant à  considérer,  non  sans  un  profond  éton- 
nement,  cette  nouvelle  manière  de  former  et  de 
faire  naître  un  corps  humain,  elle  crut  que  tou- 
tes ses  lois  allaient  être  à  jamais  renversées.  C'est 
à  peu  près,  chrétiens,  ce  qui  s'accomplit  aujour- 
d'hui dans  les  entrailles  de  la  sainte  Vierge,  et 
ce  qui  nous  oblige  de  nous  écrier  avec  cette  femme 
de  notre  évangile,  qu'elles  sont  vraiment  bien- 
heureuses. Mais  comme  le  fond  d'un  si  grand 
mystère  est  entièrement  impénétrable,  je  n'ose 
pas  seulement  penser  à  vous  en  donner  l'explica- 
tion :  etje me  contenterai,  chrétiens ,  de  deman- 
der humblement  à  Dieu,  qu'il  lui  plaise  me  donner 
ses  saintes  lumières,  pour  vous  faire  entendre 
les  fruits  infinis  qui  en  reviennent  à  notre  nature  : 
encore  cette  grâce  est-elle  si  grande,  que  je  n'ose 
pas  espérer  de  l'obtenir  de  moi-même. 

Ce  n'est  plus  une  femme  particulière;  c'est 
toute  l'Église  catholique,  qui,  adorant  aujourd'hui 
le  Verbe  divin  incarné  dans  les  entrailles  de  la 
sainte  Vierge,  s'écrie  avec  transport  que  ces  en- 
trailles sont  bienheureuses ,  dans  lesquelles  s'est 
accompli  un  si  grand  mystère.  Je  me  propose  de 
vous  faire  entendre,  autant  que  ma  médiocrité 
le  pourra  permettre ,  la  force  de  cette  parole  ;  et 
comme  le  bonheur  de  la  sainte  Vierge  ne  consiste 
pas  seulement  dans  les  grâces  qui  lui  sont  don- 
nées, mais  dans  celles  que  nous  recevons  par  son 
entremise ,  je  vous  expliquerai ,  si  Dieu  le  permet, 
le  miracle  qui  s'est  fait  en  elle  pour  notre  com- 
mune félicité  :  afin  que  vous  compreniez  avec 
combien  de  raison  ses  entrailles  sont  appelées 
bienheureuses.  Je  suivrai  dans  cette  matière  les 
traces  que  saint  Augustin  nous  a  marquées ,  et 
je  réduirai  à  trois  chefs  ce  qui  s'opère  aujourd'hui 
dans  la  sainte  Vierge.  «  Regardez,  dit  ce  saint 
«  évêque ,  cette  chaste  servante  de  Dieu ,  vierge 
«  et  mère  tout  ensemble  :  «  Attende  ancillam  il- 
lam  castajn,  et  virgineyn  et  mat  rem.  «  C'est  là 
«  que  le  Fils  de  Dieu  a  pris  la  forme  d'esclave, 
n  c'est  là  qu'il  s'est  appauvri ,  c'est  là  qu'il  a  ei? 


DE  L'ANiNONClATION. 


191 


«  richi  les  hommes  :  "  IbiaccepUJormam  servi... 
il)i  se  paxipcravity  ibi  nos  ditavit  '.  Voilà  trois 
choses,  rocs  sœurs,  que  celte  sainte  journée  a 
vues  s'accomplir  dans  les  entrailles  de  la  sainte 
Vierge,  l'humiliation,  l'appauvrissement;  per- 
mettez-moi d'user  de  ce  mot,  la  libéralité  du  Verbe 
fait  chair.  Il  y  a  pris  la  forme  d'esclave,  voilà 
qui  marque  l'humiliation  ;  il  y  a  pris  notre  pau- 
vreté, vous  voyez  comme  il  s'est  ainsi  appauvri 
lui-même;  il  nous  a  communiqué  ses  richesses, 
c'est  par  là  qu'il  a  exercé  sur  nous  sa  libéralité 
infinie.  Ce  sont,  mes  sœurs,  les  trois  grands  ou- 
vrages dans  lesquels  saint  Augustin  a  cru  renfer- 
mer tout  ce  qui  s'accomplit  aujourd'hui. 

Et  en  effet,  si  nous  entendons  l'ordre  et  l'éco- 
nomie du  mystère,  nous  verrons  que  tout  est 
compris  dans  ces  trois  paroles  :  car,  pour  remon- 
ter jusqu'au  principe,  ce  Dieu,  qui  prend  une 
chair  humaine  dans  le  ventre  sacré  de  Marie , 
ne  se  charge  de  notre  nature ,  que  dans  le  des- 
sein de  la  réparer;  et  pour  cela  trois  choses 
étaient  nécessaires ,  de  confondre  notre  orgueil , 
de  relever  notre  bassesse ,  d'enrichir  notre  pau- 
vreté. Il  fallait  confondre  l'orgueil ,  qui  était  la 
plus  grande  plaie  de  notre  nature,  et  le  plus  gi'and 
obstacle  à  la  guérison  ;  et  pour  cela  est-il  rien  de 
plus  efficace  que  de  voir  un  Dieu  rabaissé  jusqu'à 
prendre  la  forme  d'esclave  ?  Mais  l'ouvrage  de 
notre  salut  n'est  pas  encore  achevé ,  et  l'orgueil 
étant  confondu ,  il  faut  encourager  la  faiblesse  ; 
de  peur  que  notre  nature ,  n'étant  plus  occupée 
que  de  son  néant,  n'osât  pas  même  s'approcher 
de  Dieu,  ni  même  regarder  le  ciel,  et  au  lieu 
qu'elle  se  perdait  par  l'orgueil,  elle  ne  pérît  encore 
plus  par  le  désespoir.  Pour  lui  donner  du  courage, 
»  Dieu  se  fait  pauvre ,  dit  saint  Augustin  '  ;  de 
«  peur  que  l'homme  pauvre,  et  misérable,  étant 
«  effrayé  par  l'éclat  et  la  pompe  de  ses  richesses , 
«  n'ose  pas  s'approcher  de  lui  avec  sa  pauvreté 
«  et  sa  misère  :  »  Accepitpaupertatetn  nostram, 
ne  divitias  ejus  expavesceres ,  et  ad  eum  acce- 
dere  cam  tua  paupertate  non  auderes. 

Ayant  donc  ainsi  relevé  notre  courage  abattu , 
que  reste-t-il  maintenant  à  faire,  sinon  qu'il  rende 
le  bien  à  ceux  auxquels  il  a  déjà  rendu  l'espé- 
rance? et  c'est  ce  qu'il  fait,  se  donnant  à  nous 
avec  ses  trésors  et  ses  grâces  par  son  incarna- 
tion bienheureuse;  par  où  vous  découvrez  main- 
tenant la  suite  des  paroles  de  saint  Augustin,  et 
tout  ensemble  l'ordre  merveilleux  du  mystère 
qui  s'accomplit  en  la  sainte  Vierge.  0  entrailles 
vraiment  bienheureuses,  dans  lesquelles  la  na- 
ture humaine  reçoit  tant  de  grâces!  «  Là  un  Dieu 
«  a  pris  la  forme  d'esclave,  »  afin  de  confondre 

»  In  Ps.  CI,  Sa-m.  i,  n°  I ,  t.  iv,  col-  1002. 
*  L'bi  s  ni?  m. 


notre  orgueil  :  Ibi  accepit  formam  servi;  «  là 
«  un  Dieu  s'est  revêtu  de  notre  indigence,  •  afin 
d'encourager  notre  bassesse:  ibi  se paupe ravit , 
«  là  un  Dieu  se  donne  lui-même  avec  tous  ses 
«  biens,  «  afin  d'enrichir  notre  pauvreté  :  ibi  nos 
ditavit.  Dieu  me  fasse  la  grâce ,  mes  sœurs ,  d'ex- 
pliquer saintement  ces  trois  vérités,  qui  feront 
le  partage  de  ce  discours  ? 

PBEMIER    POINT. 

Tous  les  saints  Pères  ont  dit,  d'un  commun 
accord,  que  l'orgueil  était  le  principe  de  notre 
ruine;  et  la  raison  en  est  .évidente.  Nous  appre- 
nons, par  les  saintes  Lettres,  que  le  genre  hu- 
main est  tombé  par  l'impulsion  de  Satan.  Cet 
esprit  superbe  est  tombé  sur  nous  :  comme  un 
grand  bâtiment  qu'on  jette  par  terre,  qui  en  ac- 
cable un  moindre  sur  lequel  il  tombe  ;  ainsi  cet 
esprit  superbe ,  en  tombant  du  ciel ,  est  venu 
fondre  sur  nous,  et  nous  enveloppe  aprèslui  dans 
sa  ruine.  En  tombant  sur  nous  de  la  sorte,  il  a, 
dit  saint  Augustin ,  imprimé  en  nous  un  mouve- 
ment semblable  à  celui  qui  le  précipite  lui-même  : 
Unde  cecidit,  inde  dejecit\  Étant  donc  abattu 
par  son  propre  orgueil ,  il  nous  a  entraînés ,  en 
nous  renversant,  dans  le  même  sentiment  dont 
il  est  poussé ,  de  sorte  que  nous  sommes  superbes 
aussi  bien  que  lui ,  et  c'est  le  vice  le  plus  dange- 
reux de  notre  nature.  Je  dis  le  plus  dangereux  ; 
parce  que  ce  vice  est  celui  de  tous  qui  s'oppose  le 
plus  au  remède ,  qui  éloigne  leplas  la  miséricorde  : 
car  l'homme  étant  misérable ,  il  se  serait  rendu 
aisément  digne  de  pitié  s'il  n'eût  été  orgueilleux. 
Il  assez  naturel  d'user  de  clémence  envers  un 
malheureux  qui  se  soumet  ;  «  mais  est-il  rien  de 
«  plus  indigne  de  compassion  qu'un  misérable 
«  superbe ,  qui  joint  l'arrogance  avec  la  faiblesse?» 
Quid  tam  indignum  misericordia  quam  super- 
bus  miserai  C'était  l'état  où  nous  étions;  faibles 
et  altiers  tout  ensemble,  impuissants  et  auda- 
cieux. Cette  présomption  fermait  la  porte  à  la 
clémence  :  ainsi,  pour  soulager  notre  misère,  il 
fallait  avant  toutes  choses  guérir  notre  orgueil  ; 
pour  attirer  sur  nous  la  compassion ,  il  fallait  nous 
apprendre  l'humilité  :  c'est  pourquoi  un  Dieu 
s'humilie  dans  les  entrailles  de  la  sainte  Vierge, 
et  y  prend  aujourd'hui  la  forme  d'esclave  :  /6t 
accepit  formam  servi. 

C'est  ici  qu'il  faut  admirer  la  méthode  dont 
Dieu  s'est  servi  pour  guérir  l'arrogance  humaine; 
et  pour  cela  il  est  nécessaire  de  vous  expliquer  la 
nature  de  cette  maladie  invétérée  :  je  suivrai  les 
traces  de  saint  Augustin,  qui  est  celui  des  saints 
Pères  qui  l'a  mieux  connue.  L'orgueil ,  dit  sainS 

'  Strm.  CLxni ,  n"  8,  t.  y,  col.  7S8. 

*  iS  ^ng.  de  Liber.  Arbitr.  lib.  m ,  D"  39 ,  t.  I ,  COl.  fâS 


192 


POUR  LA  FÊTE 


Augustin  -,  est  une  fausse  et  pernicieuse  imitation 
(le  la  divine  grandeur  :  Perverse  te  imitanfur 
qui  longe  se  a  te  faciunt,  et  extollunt  se  aclver- 
sum  te^  :  «  Ceux  qui  s'élèvent  contre  vous,  vous 
«  imitent désordonnément.  »CetteparoIeestpleine 
de  sens;  mais  une  belle  distinction  du  même 
saint  Augustin  nous  en  fera  entendre  le  fond.  Il 
y  a  des  choses,  dit-il  ' ,  où  Dieu  nous  permet  de 
l'imiter,  et  d'autres  où  il  le  défend.  Il  «est  vrai 
que  ce  qui  l'excite  à  la  jolousie,  c'est  lorsque 
l'homme  se  veut  faire  Dieu  et  entreprend  de  lui 
ressembler;  mais  il  ne  s'offense  pas  de  toute 
sorte  de  ressemblance. 

Car  premièrement ,  chrétiens ,  il  nous  a  faits 
son  image;  nous  portons  empreints  sur  nous- 
mêmes  les  traits  de  sa  face  et  les  caractères  de 
ses  perfections.  Il  y  a  de  ses  attributs  dans  les- 
quels il  n'est  pas  jaloux  que  nous  tâchions  de  lui 
ressembler  ;  au  contraire ,  il  nous  le  commande. 
Par  exemple,  voyez  sa  miséricorde;  dont  il  est 
dit  dans  son  Écriture,  qu'elle  «  éclate  par-dessus 
«  ses  autres  ouvrages  ^  :  »  il  nous  est  ordonné  de 
nous  conformer  à  cet  admirable  modèle  :  Estote 
miséricordes,  sicut  et  Pater  vester  misericors 
est  ^  :  «  Soyez  miséricordieux ,  comme  votre  Père 
.<  est  miséricordieux.  »  Dieu  est  patient  sur  les  pé- 
cheurs ;  et  les  invitant  à  la  pénitence ,  il  fait  luire 
en  attendant  son  soleil  sur  eux  :  il  veut  que  nous 
nous  montrions  ses  enfants,  en  imitant  cette  pa- 
tience à  l'égard  de  nos  ennemis  :  ÏJt  sitis  filii 
Patris  vestris^.  Ainsi  comme  il  est  véritable, 
vous  pouvez  l'imiter  dans  sa  vérité;  il  est  juste, 
vous  pouvez  le  suivre  dans  sa  justice  ;  il  est  saint , 
et  encore  que  sa  sainteté  semble  être  entièrement 
incommunicable ,  il  ne  se  fâche  pas  néanmoins 
que  vous  osiez  porter  vos  prétentions  jusqu'à 
l'honneur  de  lui  ressembler  dans  ce  merveilleux 
attribut  :  au  contraire,  il  vous  le  commande  : 
Sanctiestote,  quoniamegosanciussum^:  «Soyez 
«  saints,  parce  que  je  suis  saint.  » 

Quelle  est  donc  cette  ressemblance  qui  lui 
cause  tant  de  jalousie?  c'est  lorsque  nous  lui 
voulons  ressembler  dans  l'honneur  de  l'indépen- 
dance; en  prenant  notre  volonté  pour  loi  sou- 
veraine ,  comme  lui-même  n'a  point  d'autre  loi 
que  sa  volonté  absolue  :  c'est  sur  ce  point  qu'il  est 
chatouilleux,  c'est  là  l'endroit  délicat;  c'est  alors 
qu'il  repousse  avec  violence  tous  ceux  qui  veu- 
lent ainsi  attenter  à  la  majesté  de  son  empire. 
Soyons  des  dieux,  il  nous  le  permet,  par  l'imi- 
tation de  sa  sainteté,  de  sa  justice,  de  sa  pa- 

'   (onj  lib  II ,  cap.  vi ,  t.  i,  col.  86. 

»   In  Ps.  i,xx,  Senn.  u,  n"  6,  t.  IV,  col.  737,  738. 

■■'    f'x.  CXMV,  0. 

•  Luc.  VI ,  3C. 

•'  Miilh.  V,  45. 

0   Lcciliq.  XIX,  2. 


tience ,  de  sa  miséricorde  toujours  bienfaisante  : 
quand  il  s'agira  de  puissance,  tenons-nous  dan» 
les  bornes  d'une  créature  ;  et  ne  portons  pas  nos 
désirs  à  une  ressemblance  si  dangereuse. 

Voilà ,  mes  sœurs ,  la  règle  immuable  qui  dis- 
tingue ce  que  nous  pouvons  et  ce  que  nous  ne 
pouvons  pas  imiter  en  Dieu.  Mais,  ô  voies  cor- 
rompues des  enfants  d'Adam  !  ô  étrange  déprava- 
tion de  notre  cœur  !  nous  renversons  ce  bel  ordre  : 
dans  les  choses  où  il  se  propose  pour  modèle ,  nous 
ne  voulons  pas  l'imiter;  en  celle  où  il  veut  être 
unique  et  inimitable,  nous  entreprenons  de  le  con- 
trefaire. Car  si  nous  l'imitions  dans  sa  sainteté,  le 
prophète  se  serait-il  écrié  :  «  Sauvez-moi,  Seigneur, 
«  parcequ'il  n'y  a  plus  de  saints  sur  la  terre  '?  » 
si  dans  sa  fidélité  ou  dans  sa  justice ,  le  prophète 
Michée  dirait-il  :  «  Il  n'y  a  plus  de  droiture  parmi 
«  les  hommes;  le  grand  demande,  et  le  juge  lui 
«  donne  tout  ce  qui  lui  plaît  :  il  n'y  a  plus  de  foi 
«  parmi  les  amis,  la  terre  n'est  pleine  que  de 
«  tromperie  ^?  >'  Ainsi  nous  ne  voulons  pas  imiter 
Dieu  dans  ces  excellents  attributs  dont  il  est  bien 
aise  de  voir  en  nous  une  vive  image  :  cette  sou- 
veraineté ,  cette  indépendance  où  il  ne  nous  est 
pas  permis  de  prétendre ,  c'est  à  cela  que  nous 
attentons ,  c'est  ce  droit  sacré  et  inviolable  que 
nous  osons  usurper. 

«  Car  comme  Dieu  n'a  personne  au-dessus  de 
«  lui,  qui  le  règle  et  qui  le  gouverne,  nous  vou- 
K  Ions  être ,  dit  saint  Augustin  ^ ,  les  arbitres  sou- 
«  verains  de  notre  conduite  ;  »  afin  qu'en  secouant 
le  joug,  en  rompant  les  rênes,  en  rejetant  le  frein 
du  commandement  qui  retient  notre  liberté  éga- 
rée ,  nous  ne  relevions  point  d'une  autre  puis- 
sance, et  soyons  comme  des  dieux  sur  la  terre. 
A  sœculo  confregisti  jugum  meum,  rupisti  vin- 
cula  metty  et  dixisti  :  Non  serviam  ^  :  «  Vous 
«  avez  brisé  mon  joug  depuis  longtemps ,  vous 
«  avez  rompu  mes  liens ,  et  vous  avez  dit  :  Je  ne 
«  servirai  point.  "  Par  ce  désir  et  cette  fausse  opi- 
nion d'indépendance,  nous  nous  irritons  contre 
les  lois  :  qui  nous  défend  nous  incite;  comme  si 
nous  disions  en  notre  cœur  :  Quoi ,  on  veut  me 
commander  !  Et  n'est-ce  pas  ce  que  Dieu  lui- 
même  reproche  aux  superbes  sous  l'image  du  roi 
de  Tyr  :  «  Ton  cœur  s'est  élevé ,  et  tu  as  dit  :  Je 
«  suis  un  dieu  ;  et  tu  as  mis  ton  cœur  comme  le 
«  cœur  d'un  dieu  :  »  Dedisti  cortuum  quasi  cor 
dei  ^  ;  tu  n'as  voulu  ni  de  règle ,  ni  de  dépen- 
dance :  tu  t'es  rempli  de  toi-même,  et  tu  t'es  at- 
tribué toutes  choses  ;  lorsque  tu  as  vu  ta  fortune 


'    Ps.  XI,  I. 

'  Midi.  VII,  2,  3,5. 

3  In  Ps.  i.xx ,  Serm.  Il ,  n"  6,  t.  iv,  col.  738. 

«  Jercm.  Il ,  20. 

s  Ezech.  XWIII,  2. 


DE  L'ANNONCIATION. 


19S 


bi«n  établie  par  ton  adresse  et  par  ton  intrig^ie, 
tu  n'as  pas  fait  réflexion  sur  la  main  <ie  Dieu  et 
tu  as  dit  avec  Pharaon  :  «  Ce  fleuve  est  à  moi ,  » 
tout  ce  grand  domaine  m'appartient;  c'est  le  fruit 
de  mon  industrie ,  «  et  je  me  suis  fait  moi-même  :  » 
Meus  estjluviusy  ntegefeci  memetipsum'? 

Ainsi  notre  orgueil  aveugle  nous  érige  en  de 
petits  dieux.  Eh  bien,  ô  superbe,  ô  petit  dieu,  voici 
le  grand  Dieu  vivant  qui  s'abaisse  pour  te  con- 
fondre :  un  homme  se  fait  dieu  par  orgueil ,  un 
Dieu  se  fait  homme  par  humilité  ;  l'homme  s'at- 
tribue faussement  la  grandeur  de  Dieu,  Dieu 
prend  véritablement  le  néant  de  l'homme.  Car 
considérons^  chrétiens,  ce  qui  s'accomplit  en  ce 
jour  dans  les  entrailles  bienheureuses  de  la  sainte 
Vierge  :  là  un  Dieu  s'épuise  et  s'anéantit,  en 
prenant  la  forme  d'esclave;  afin  que  l'esclave 
soit  confondu ,  quand  il  veut  faire  le  maître  et  le 
souverain.  0  homme ,  viens  apprendre  à  t'hu- 
milier  ;  homme ,  pécheur ,  superbe ,  humilié  et 
honteux  de  ton  orgueil  même  :  homme ,  quoi  de 
plus  infirme  ?  pécheur ,  quoi  de  plus  injuste  ?  su- 
perbe ,  quoi  de  plus  insensé  ? 

Mais  voici  un  nouveau  secret  de  la  miséri- 
corde divine  :  elle  ne  veut  pas  seulement  con- 
fondre l'orgueil ,  elle  a  assez  de  condescendance 
pour  vouloir  en  quelque  sorte  le  satisfaire  ;  car  il 
a  fallu  donner  quelque  chose  à  cette  passion  indo- 
cile ,  qui  ne  se  rend  jamais  tout  à  fait.  L'homme 
avait  ose  aspirer  à  l'indépendance  divine  :  on 
ne  peut  le  contenter  en  ce  point;  le  trône  ne  se 
partage  pas ,  la  Majesté  souveraine  ne  peut  souf- 
frir d'égal.  Mais  voici  un  conseil  de  miséricorde 
qui  sera  capable  de  le  satisfaire  ;  si  nous  ne  pou- 
vons ressembler  à  Dieu  dans  cette  souveraine 
indépendance,  il  veut  nous  ressembler  dans 
l'humilité  :  l'homme  ne  peut  devenir  indépen- 
dant ;  un  Dieu ,  pour  le  contenter,  deviendra  sou- 
mis :  sa  souveraine  grandeur  ne  souffre  pas  qu'il 
s'abaisse  tant  qu'il  demeurera  dans  lui-même; 
cette  nature  infiniment  abondante  ne  refuse  pas 
d'aller  à  l'emprunt ,  pour  s'enrichir  par  l'humi- 
lité :  «  afin ,  dit  saint  Augustin ,  que  l'homme  qui 
«  méprise  l'humilité,  qui  l'appelle  simplicité  et 
«  bassesse  quand  il  la  voit  dans  les  autres  hommes, 
«  ne  dédaignât  plus  de  la  pratiquer  en  la  voyant 
«  dans  un  Dieu ,  »  ut  vel  sic  suverbia  generis  hu- 
tnani  non  dedignaretur  sequi  vestigia  Dei*. 
Voilà  le  conseil  de  notre  Dieu  pour  guérir  l'ar- 
^gance  humaine  :  il  veut  arracher  du  fond  de 
nos  cœurs  cette  fierté  indocile  qui  ne  veut  rien 
voir  sur  sa  tète  ;  qui  nous  fait  toujours  regarder 
ceux  qui  sont  soumis  avec  dédain,  ceux  qui  domi- 
nent avec  envie  ;  qui  ne  peut  souffrir  aucun  joug 


'  Eztch.  xxni ,  3. 

*  /«  Ps  xxxuf,  Enarrat.  I,  n»  4,  t.  HT,  col. 
BOSSCET.  —  I.  ut 


SIO. 


ni  céder  à  aucunes  lois ,  pas  même  i  telles  d« 
Dieu.  C'est  pourquoi  il  n'y  a  bassesse ,  il  n'y  a 
servitude  où  il  ne  descende  ;  il  s'abandonne  lui- 
même  à  la  volonté  de  son  Père. 

Mais  pesons  davantage  sur  cette  parole  :  il  a 
pris  la  nature  humaine  qui  l'oblige  à  être  sujet, 
lui  qui  était  né  souverain.  Il  descend  encore  un 
autre  degré  :  il  a  pris  la  forme  d'esclave,  parce 
qu'il  a  para  comme  pécheur,  qu'il  s'est  revêtu 
lui-même  de  la  ressemblance  de  la  chair  de  péché , 
qu'en  cette  qualité  il  a  porté  sur  lui  des  marques 
d'esclave,  par  exemple  la  circoncision,  et  qu'il 
a  mené  une  vie  servile  :  Non  venit  minislrarif 
sed  ministrare  '  :  «  Il  est  venu  non  pour  être  servi , 
«  mais  pour  servir.  »  II  s'abaisse  beaucoup  plus 
bas  :  il  a  pris  la  forme  d'esclave ,  parce  qu'il  est 
non-seulement  semblable  aux  pécheurs,  mais 
qu'il  est  la  victime  publique  pour  tous  les  pé- 
cheurs. Dès  le  premier  moment  de  sa  conception  » 
«  en  entrant  au  monde ,  dit  le  saint  apôtre ,  il  s'est 
«  mis  en  cet  état  de  victime  ;  il  a  dit  :  Je  viens ,  ô 
«  mon  Dieu ,  pour  faire  votre  volonté  :  »  Ingre- 
diensmundumdicit ...  Ecce  venio...  «tfaciam, 
Dens,  voluntatem  tuam  *. 

Mais  peut-être  qu'en  se  soumettant  à  la  volonté 
de  son  Père ,  vous  croirez  qu'il  veut  s'exempter 
de  dépendre  de  la  volonté  des  hommes.  Non, 
mes  frères ,  ne  le  croyez  pas  ;  car  la  volonté  de 
son  Père  est  qu'il  soit  livré  comme  une  victime  à 
la  volonté  des  hommes  pécheurs ,  à  la  volonté  de 
l'enfer  :  sedkwc  esthora  vestra,  etpotestas  tene- 
brarwn  ^ ,  «  mais  c'est  ici  votre  heure  et  la  puis- 
«  sance  des  ténèbres.  «  Il  n'a  pas  attendu  la  croix , 
pour  faire  cet  acte  de  soumission  ;  «  il  l'a  fait  en 
«  entrant  dans  le  monde  :  »  Ingrediens  niundum 
dicit.  Marie  a  été  l'autel  où  il  s'est  premièrement 
immolé;  Marie  a  été  le  temple  où  il  a  rendu  à 
Dieu  ce  premier  hommage ,  où  s'est  vu  la  première 
fois  ce  grand  et  admirable  spectacle  d'un  Dieu 
soumis  et  obéissant  jusqu'à  se  dévouer  à  la  mort, 
jusqu'à  se  livrer  aux  pécheurs ,  et  à  l'enfer  même , 
pour  faire  de  lui  à  leur  volonté.  Pourquoi  cet 
abaissement?  Je  vous  ai  déjà  dit,  mes  sœurs, 
que  c'est  pour  confondre  l'orgueil. 

A  la  vue  d'un  abaissement  si  profond ,  qui  pour- 
rait refuser  de  se  soumettre?  Vous  vivez,  mes 
sœurs,  dans  une  conduite  qui  vous  doit  faire 
trouver  la  soumission  non-seulement  fructueuse , 
mais  encore  douce  et  désirable  :  mais  quand  vous 
auriez  à  souffrir  un  autre  gouvernement,  de 
quelle  obéissance  pourrie/.-vous  vous  plaindre 
en  voyant  à  la  volonté  de  quels  hommes  se  dé- 
voue aujourd'hui  le  Sauveur  des  âmes  :  à  celle  da 

•  MaUh.  XX ,  28. 
'  Hebr.  X ,  5  ,  7. 
>  Luc.  XXII ,  53. 


194 


POUR  LA  FÊTE 


lâche  Pilate,  à  celle  du  traître  Judas ,  à  celle  des 
Juifset  des  pontifes,  àcelledessoldatsinhumains, 
qui  ne  gardant  avec  lui  aucune  mesure ,  ont  fait 
de  lui  ce  qu'ils  ont  voulu?  Après  cet  exemple  de 
soumission ,  vous  ne  sauriez  descendre  assez  bas  ; 
et  vous  devez  chérir  les  dernières  places  qui,  après 
les  abaissements  du  Dieu  incarné ,  sont  devenues 
désormais  les  plus  honorables. 

Marie  entre  aujourd'hui  dans  ses  sentiments  : 
quoique  sa  pureté  angélique  ait  été  un  puissant 
attrait  pour  faire  naître  Jésus-Christ  en  elle ,  ce 
n'est  pas  néanmoins  cette  pureté  qui  a  consommé 
le  mystère;  c'a  été  l'humilité  et  l'obéissance.  Si 
Marie  n'avait  dit  qu'elle  était  servante ,  en  vain 
elle  eût  été  vierge;  et  nous  ne  nous  écrierions  pas 
aujourd'hui  que  ses  entrailles  sont  bienheureuses. 
Vierges  de  Jésus-Christ ,  profitez  de  cette  leçon  ; 
et  méditez  attentivement  cette  vérité  :  le  des- 
sein du  Fils  de  Dieu  n'est  pas  tant  de  faire  des 
vierges  pudiques,  que  des  servantes  soumises. 
«  C'est  en  effet ,  dit  saint  Augustin ,  quelque  chose 
«  de  si  grand  d'être  humble  et  soumis ,  que  si  ce 
«  Dieu  qui  est  si  grand  ne  le  devenait ,  nous  ne 
«  pourrions  jamais  l'apprendre.  »  Itane  magnum 
est  esse  parvum,  ut  nisi  a  te  gui  tam  maynus 
esfieretj  disci  omnino  nonpossetP  Ita  plane  \ 
Mais  ce  n'est  pas  assez  au  Verbe  fait  chair  d'avoir 
confondu  l'orgueil ,  il  faut  relever  l'espérance;  et 
c'est  ce  qu'il  va  faire  en  s'appauvrissant  :  il  ne 
confond  la  présomption  que  pour  donner  place  à 
l'espérance.  C'est  ma  seconde  partie  :  ibisepau- 
«Qeravit. 

SECOND    POINT. 

L'appauvrissement  du  Verbe  fait  chair  est  la 
principale  partie  du  mystère,  et  celle  par  consé- 
quent qu'il  est  le  plus  malaisé  de  bien  faire  enten- 
dre :  car  lorsque  le  saint  apôtre  a  dit,  que  le  Fils 
de  Dieu  s'est  fait  pauvre,  il  me  semble,  âmes 
chrétiennes,  qu'il  ne  suffit  pas  de  comprendre 
qu'il  s'est  appauvri  en  qualité  d'homme,  en  s'unis- 
sant  à  une  nature  dont  le  partage  est  la  pauvreté  ; 
en  naissant  de  parents  obscurs,  dans  la  lie  du 
peuple;  en  vivant  sur  la  terre  sans  retraite,  sans 
lieu  de  repos,  et  sans  avoir  seulement  un  gîte 
assuré  où  il  pût  reposer  sa  tête.  Cette  pauvreté 
mystérieuse  a  quelque  chose  de  plus  caché,  qui 
ne  sera  jamais  assez  entendu  ;  jusqu'à  ce  que  nous 
disions  que  c'est  la  Divinité  qui  s'est  elle-même 
appauvrie. 

Je  ne  suis  point  trop  hardi,  quand  je  parle 
ainsi;  et  je  ne  fais  que  suivre  l'apôtre  :  Exinani- 
vit  semetipsum  *  :  «  11  s'est  anéanti  lui-même ,  « 
ou ,  pour  traduire  ce  mot  proprement ,  il  s'est  vidé 

»  JJesanct.  Firginil.  n°  36,  t.  Yi,  col.  358. 
»  Philipp.  II,  7. 


et  répandu  tout  entier;  comme  un  vase  qui  était 
plein ,  et  qu'on  vide  en  le  répandant  :  c'est  l'idée 
que  nous  donne  le  divin  apôtre ,  et  c'est  dans  cette 
effusion  que  consiste  l'appauvrissement  du  Verbe 
fait  chair.  Ce  dépouillement  est-il  véritable?  Dieu 
a-t-il  perdu  quelque  chose  en  se  faisant  homme? 
et  n'est-ce  pas  un  article  de  notre  foi ,  que  la 
Divinité,  toujours  immuable,  ne  s'est  ni  altérée 
ni  diminuée  dans  ce  mélange?  Comment  donc  le 
Fils  de  Dieu  s'est-il  dépouillé?  Voici  le  secret  du 
mystère. 

On  dépouille  quelqu'un  en  deux  sortes,  ou 
quand  on  lui  ôte  la  propriété ,  ou  quand  on  le 
prive  de  l'usage  :  car  quoiqu'on  laisse  à  un  homme 
la  propriété  de  son  patrimoine;  si  on  lui  lie  les 
mains  pour  l'usage ,  il  est  pauvre  parmi  les  riches- 
ses dont  il  ne  peut  pas  se  servir.  Ce  principe  étant 
supposé,  il  est  bien  aisé  de  comprendre  l'appau- 
vrissement du  Verbe  divin.  Si  je  considère  la  pro- 
priété ,  il  n'est  rien  de  plus  véritable  que  l'oracle 
du  grand  saint  Léon  dans  cette  célèbre  épître  à 
saint  Flavien  :  que  «  comme  la  forme  de  Dieu  n'a 
«  pas  détruit  la  forme  d'esclave ,  aussi  la  forme 
«  d'esclave  n'a  diminué  en  rien  la  forme  de  Dieu  ' .  » 
Ainsi  la  nature  divine  n'est  dépouillée  en  Jésus- 
Christ  d'aucune  partie  de  son  domaine  ;  de  sorte 
que  son  appauvrissement,  c'est  qu'elle  y  perd 
l'usage  de  la  plus  grande  partie  de  ses  attributs. 
Mais  que  dis-je ,  de  la  plus  grande  partie  ?  quel  de 
ses  divins  attributs  voyons-nous  paraître  en  ce 
Dieu  enfant  que  le  Saint-Esprit  a  formé  dans  les 
entrailles  de  la  sainte  Vierge? 

Que  voyons-nous  qui  sente  le  Dieu  dans  les 
trente  premières  années  de  sa  vie?  Mais  encore 
dans  les  trois  dernières ,  qui  sont  les  plus  éclatan- 
tes ;  s'il  paraît  quelques  rayons  de  sa  sagesse  dans 
sa  doctrine ,  de  sa  puissance  dans  ses  miracles,  ce 
ne  sont  que  des  rayons  affaiblis,  et  non  pas  la 
lumière  dans  son  midi.  La  sagesse  se  cadie  sous 
des  paraboles  et  sous  le  voile  sacré  de  paroles  sim- 
ples :  et  lorsque  la  puissance  étend  son  bras  à  des 
ouvrages  miraculeux  ;  comme  si  elle  avait  peur  de 
paraître,  en  même  temps  elle  le  retire  :  caria, 
véritable  grandeur  de  la  puissance  divine,  c'est 
de  paraître  agir  de  son  chef;  et  c'est  ce  que  le 
Fils  de  Dieu  n'a  pas  voulu  faire.  Il  rapporte  tout 
à  son  Père  :  Ego  non  judico  quemquam;.. 
Pater  in  me  manens  ipse  facit  opera'^  :  «  Pour 
«  moi,  je  ne  juge  personne...  mon  Père  qui  de- 
«  meure  en  moi,  fait  lui-même  les  œuvres  que  je 
«  fais  ;  »  et  il  semble  qu'il  n'agisse  et  qu'il  ne  parle 
que  par  une  autorité  empruntée.  Ainsi  la  nature 
divine  devait  être  en  lui ,  durant  les  jours  de  sa 


«  Epist.  XXIV,  cap.  III. 
»  Joan.  ym,  15;  xiv,  io. 


DE  L'ANNONaATION. 


IM 


fhair,  privée  de  Tusage  de  sa  puissance  et  de  ses 
divines  perfections  :  c'est  pourquoi  «  il  est  digne 
«de  recevoir  puissance,  divinité,  sagesse  et 
«  force  :  »  Dignus  est  accipere  virtutem,  et  divi- 
nitatem,  etsapientiam,  etfortitudinem  '  ;  comme 
s'il  ne  l'avait  p*as  eue  auparavant  :  l'oserai-je 
dire?  comme  un  homme  interdit  par  les  lois, 
qui  a  la  propriété  de  son  bien,  et  n'en  a  pas  la 
disposition.  Ainsi  étant  interdit  en  vertu  de  cette 
loi  suprême  qui  l'envoyait  sur  la  terre  pour  y  être 
dans  un  état  de  dépouillement,  il  n'avait  pas  l'u- 
sage de  son  propre  bien  ;  et  il  n'en  reçoit  la  pleine 
disposition  qu'après  qu'il  est  retourné  au  lieu  de 
sa  gloire ,  c'est-à-dire ,  au  sein  de  son  Père. 

Tel  est  l'appauvrissement  du  Verbe  fait  chair  : 
le  Fils  de  Dieu  s'y  est  engagé  par  sa  première 
naissance  qu'il  prend  d'une  mère  mortelle.  C'est 
pourquoi  son  Père  immortel ,  pour  l'en  délivrer, 
le  ressuscite  des  morts  ;  et  lui  donnant  de  nouveau 
la  vie,  il  le  fait  jouir  de  tous  les  droits  de  sa  nais- 
sance éternelle  :  Ego  hodie  genui  te'  :  «  Je  vous 
«  ai  engendré  aujourd'hui.  »  0  Dieu  appauvri ,  ô 
Dieu  dépouillé  !  je  vous  adore  :  vous  méritez  d'au- 
tant plus  nos  adorations,  6  Dieu  interdit  1 

11  pourrait  sembler,  chrétiens ,  que  cette  pau- 
vreté du  Verbe  fait  chair  serait  un  riioyen  peu  sûr 
pour  relever  la  bassesse  de  notre  nature  :  est-ce 
une  espérance  pour  des  malheureux ,  qu'un  Dieu 
en  vienne  augmenter  le  nombre?  est-ce  une  res- 
source à  notre  faiblesse,  que  notre  libérateur  se 
dépouille  de  sa  puissance?  ne  semble-t-il  pas  au 
contraire  que  le  joug  qui  accable  les  enfants  d'A- 
dam est  d'autant  plus  dur  et  inévitable,  qu'un 
Dieu  même  est  assujetti  à  le  supporter  ?  Cela  serait 
vrai,  chrétiens,  si  sa  pauvreté  était  forcée,  s'il  y 
était  tombé  par  nécessité ,  et  non  pas  descendu  par 
miséricorde  :  mais  que  ne  devons-nous  pas  espé- 
rer d'un  Dieu  qui  descend  pour  se  joindre  à  nous; 
dont  l'abaissement  n'est  pas  une  chute,  mais  une 
condescendance;  qui  n'a  pris  notre  pauvreté, 
comme  il  a  déjà  été  dit ,  que  de  peur  qu  étant  si 
pauvres  et  si  misérables  nous  n'osassions  appro- 
cher de  lui  avec  notre  misère  et  notre  indigence  : 
Descendit  ut  levaret,  non  ceciditutjaceret  ^  : 
«  Il  ne  tombe  pas  pour  être  abattu ,  mais  il  des- 
•  cend  pour  nous  relever?  » 

C'est  ce  qui  fait  dire  à  saint  Augustin  que 
le  Fils  de  Dieu  a  été  porté  au  mystère  de  l'in- 
carnation «  par  une  bonté  populaire ,  »  populari 
quadem  clementia  4.  Comme  un  grand  orateur, 
plein  de  riches  conceptions ,  pour  se  rendre  po- 
pulaire et  intelligible  se  rabaisse  par  un  discours 


Apoc.  V,  12. 

Ps   II,  7. 

In  Joan.  Tract,  cru ,  u"  7 ,  t.  m,  p.  il ,  col. 

Contra  Acad.  lU).  m,  n'  42,  t.  l.  col.  294. 


simple  à  la  capacité  des  esprits  communs  \  comme 
un  grand  environné  d'un  éclat  superbe,  qui 
étonne  le  pauvre  peuple  et  ne  lui  permet  pas 
d'approcher,  quitte  tout  ce  pompeux  appareil, 
et ,  par  une  familiarité  populaire ,  vit  à  la  mode 
de  la  multitude ,  dont  il  se  propose  de  gagner 
l'esprit  :  ainsi  la  Sagesse  incréée ,  par  un  conseil 
de  condescendance ,  se  rabaisse  en  prenant  un 
corps ,  et  se  rend  sensible  ;  ainsi  la  Majesté  sou- 
veraine, par  une  facilité  populaire,  se  dépouille 
de  son  éclat  et  de  ses  richesses,  de  son  immen- 
sité et  de  sa  puissance ,  pour  converser  librement 
avec  les  hommes.  Élevez  votre  courage ,  ô  enfants 
d'Adam  :  dans  la  dispensation  de  sa  chair,  ne 
croyez  pas  que  ce  soit  en  vain  qu'il  semble  appré- 
hender de  paraître  Dieu  ;  il  l'est,  et  vous  pouvez 
attendre  de  lui  tout  ce  que  l'on  peut  espérer  d'un 
Dieu.  Mais  il  cache  tous  ses  divins  attributs;  ap- 
prochez avec  la  même  familiarité,  avec  la  même 
franchise ,  avec  la  même  liberté  de  cœur,  que  si  ce 
n'était  qu'un  homme  mortel. 

Voilà  l'effet  admirable  que  produit  le  dépouil- 
lement du  Verbe  incarné  :  de  sorte  que  nous 
pouvons  dire  qu'il  ne  s'appauvrit  en  toute  autre 
chose ,  que  pour  être  riche  en  amour  et  abondant 
en  miséricorde.  C'est  le  seul  de  ses  attributs  dont 
il  se  laisse  l'usage  ;  et  dans  sa  pauvreté  mysté- 
rieuse, rien  n'est  plus  riche  que  son  amour  qui 
coule  sur  nous  de  source ,  qui  n'a  même  rien  en 
nous  qui  l'attire,  mais  qui  se  répand  sur  nous  de 
lui-même ,  et  se  déborde  par  sa  propre  abondance  : 
tel  est  l'amour  de  notre  Dieu.  «  Il  nous  a  aimés 
«  le  premier  :  «  Ipse  prior  dilexit  nos  «  ;  que 
reste-t-il  maintenant,  sinon  que  nous  lui  ren- 
dions amour  pour  amour?  Certainement  le  cœur 
est  trop  dur,  qui ,  non  content  de  ne  lui  pas 
donner  son  amour,  refuse  même  de  le  lui  rendre; 
qui,  n'allant  pas  à  Dieu  le  premier,  ne  le  suit 
pas  du  moins  quand  il  le  cherche.  Que  si  nous 
aimons  ce  divin  Sauveur,  observons  ses  com- 
mandements ,  marchons  par  les  voies  qu'il  nous 
a  marquées,  et  ne  disons  pas  en  nos  cœurs  :  Ai- 
mer ses  ennemis,  se  haïr  soi-même ,  ce  comman- 
dement est  trop  haut ,  il  n'y  a  pas  moj'en  de  l'at- 
teindre ;  la  doctrine  évangélique  est  trop  relevée , 
et  passe  de  trop  loin  la  portée  des  hommes. 

Quiconque  parle  ainsi,  n'entend  pas  le  mystère 
d'un  Dieu  abaissé  :  ce  Dieu  facile ,  ce  Dieu  popu- 
laire ,  qui  se  dépouille  et  qui  s'appauvrit  pour  se 
mettre  en  égalité  avec  nous,  mettra-t-il  au-des- 
sus de  nous  ses  préceptes?  et  celui  qui  veut  que 
nous  atteignions  à  sa  personne ,  voudra-t-il  que 
nous  ne  puissions  atteindre  à  sa  doctrine? Prendre 
une  telle  pensée ,  c'est  peu  connaître  un  Djeu  ap- 
pauvri ;  une  telle  hauteur  ne  s'accorde  pas  avec 

'  I.  Joan.  IV,  10. 

1-4. 


196 


POUR  LA  FÊTE 


«ne  telle  condescendance.  Non,  je  ne  crois  plus 
rien  d'impossible;  il  n'y  a  vertu  où  je  n'aspire, 
il  n'y  a  sainteté  où  je  ne  prétende.  Mais  si  vous 
y  prétendez,  pour  parvenir  à  ce  haut  degré,  il 
faut  encore  ajouter  :  Il  n'y  a  passion  que  je  ne 
combatte;  ambition,  je  veux  t'arracher  du  fond 
de  mon  cœur,  etc.  Ah!  vous  commencez  à  ne 
plus  entendre ,  et  à  trouver  la  chose  impossible  : 
un  Dieu  descend  et  vous  tend  la  main  ;  il  n'est 
que  d'oser  et  d'entreprendre.  Heureuses  donc  les 
entrailles  de  la  sainte  Vierge ,  où  s'accomplit  un 
si  grand  mystère ,  dans  lesquelles  un  Dieu  ap- 
pauvri ouvre  une  si  belle  carrière  à  nos  espéran- 
ces !  mais  laissons  les  espérances ,  mes  sœurs ,  et 
venons  aux  biens  véritables  dont  il  comble  notre 
pauvreté  :  c'est  ce  qu'il/aut  méditer  dans  la  der- 
nière partie. 

TBOISIÈME  POINT. 

Ni  dans  l'ordre  de  la  grâce,  ni  dans  l'ordre  de 
la  nature ,  la  terre  pauvre  et  indigente  ne  peut 
s'enrichir,  que  par  le  commerce  avec  le  ciel  : 
dans  l'ordre  de  la  nature  elle  ne  porte  jamais  de 
riches  moissons ,  si  le  ciel  ne  lui  envoie  ses  pluies, 
ses  rosées ,  sa  chaleur  vivifiante ,  et  ses  influen- 
ces ;  et  dans  l'ordre  de  la  grâce  on  n'y  verra 
jamais  fleurir  les  vertus ,  ni  fructifier  les  bonnes 
œuvres ,  si  elle  ne  reçoit  avec  abondance  les  dons 
du  ciel ,  où  réside  la  source  du  bien.  Jugez  de 
là ,  chrétiens ,  quelle  devait  être  notre  pauvreté , 
puisque  ce  sacré  commerce  avait  été  rompu  de- 
puis tant  de  siècles  par  la  guerre  que  nous  avions 
déclarée  au  ciel  ;  et  jugez  par  la  même  raison 
quelles  seront  dorénavant  nos  richesses ,  puisqu'il 
se  rétablit  aujourd'hui  par  le  mystère  de  l'incar- 
nation :  car  ce  n'est  pas  sans  raison,  mes  sœurs, 
que  l'Église ,  nous  expliquant  ce  divin  mystère , 
l'appelle  «  un  commerce  admirable  :  »  0  admi- 
rabile  commercium  ! 

Voilà  un  commerce  admirable ,  dans  lequel  il 
est  aisé  de  comprendre  que  tout  se  fait  pour  no- 
tre avantage.  Deux  sortes  de  commerce  parmi 
les  hommes  :  un  commerce  de  besoin  pour  em- 
prunter ce  qui  nous  manque  ;  sagesse  de  Dieu 
dans  le  partage  des  biens ,  afin  que  les  besoins 
mutuels  fissent  l'alliance  et  la  confédération  des 
peuples  :  un  commerce  d'amitié  et  de  bienveil- 
lance ,  pour  partager  avec  nos  amis  ce  que  nous 
avons.  Dans  l'un  et  l'autre  de  ces  commerces 
on  trouve  de  l'avantage  :  dans  le  premier,  on  a 
le  plaisir  d'acquérir  ce  qu'on  n'avait  pas  ;  dans 
le  second ,  le  plaisir  de  jouir  de  ce  qu'on  possède  : 
plaisir  qui  serait  sans  goût,  si  nul  n'y  avait  part 
avec  nous. 

Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  de  notre  Dieu ,  qui 
«  est  suffisant  à  lui-même;  pai'ce  qu'il  trouve 


«  tout ,  dit  saint  Augustin  ' ,  dans  la  grandeut 
«  abondante  de  son  unité  :  »  Sibi stif/icit copiosa... 
unitatis  magnitudine.  H  n'a  besoin  de  personne 
pour  posséder  tout  le  bien ,  parce  qu'il  le  ramasse 
tout  entier  en  sa  propre  essence  ;  il  n'a  besoin  de 
personne  pour  le  plaisir  d'en  jouir,  qu'il  goûte 
parfaitement  en  lui-même  :  donc  s'il  entre  en 
commerce  avec  les  hommes,  qui  doute  que  ce 
ne  soit  pour  notre  avantage?  quand  il  semble 
venir  à  l'emprunt,  c'est  qu'il  a  dessein  de  nous 
enrichir;  s'il  recherche  notre  compagnie,  c'est 
qu'il  veut  se  donner  à  nous.  C'est  ce  qu'il  fait 
aujourd'hui  dans  les  entrailles  de  la  sainte 
Vierge  ;  et  saint  Augustin  a  raison  de  dire  :  Ibi 
nosditcçvit  :  «  C'est  là  qu'il  éious  enrichit.,» 

Et  en  effet ,  saintes  âmes ,  considérons ,  je  vous 
prie ,  quel  commerce  le  Fils  de  Dieu  y  commence, 
ce  qu'il  y  reçoit  et  ce  qu'il  y  donne  ;  épanchons 
ici  notre  creur  dans  la  célébration  de  ses  bienfaits. 
Il  est  venu,  ce  charitable  négociateur,  il  est  venu 
trafiquer  avec  une  nation  étrangère.  Dites-moi, 
qu'a-t-il  pris  de  nous?  Il  a  pris  les  fruits  malheu- 
reux que  produit  cette  terre  ingrate ,  la  faiblesse, 
la  misère ,  la  corruption  :  et  que  nous  a-t-il  donné 
en  échange?  Il  nous  a  apporté  les  véritables  biens 
qui  croissent  en  son  royaume  céleste,  qui  est 
son  domaine  et  son  patrimoine;  l'innocence,  la 
paix,  l'immortalité,  l'honneur  de  l'adoption, 
l'assurance  de  l'héritage^  la  grâce  et  la  commu- 
nication du  Saint-Esprit.  Qui  ne  voit  que  tout  se 
fait  pour  notre  avantage  dans  cet  admirable 
trafic? 

Mais  voyons  maintenant  cet  autre  commerce 
de  société  et  d'affection.  Peut-on  nier  que  san* 
sa  bonté  notre  compagnie  lui  serait  à  charge?  Si 
donc  il  épouse  la  nature  humaine  dans  les  en- 
trailles de  la  sainte  Vierge ,  s'il  entre  dans  notre 
alliance  par  le  nœud  sacré  de  ce  mariage;  puis- 
qu'il n'y  a  pas  la  moindre  apparence  que  cette 
société  lui  profite,  reconnaissons  plutôt  qu'il 
veut  être  à  nous ,  et  enrichir  notre  pauvreté ,  non- 
seulement  par  la  profusion  de  tous  ses  biens, 
mais  encore  en  se  donnant  lui-même. 

Ce  n'est  pas  moi,  chrétiens,  qui  tire  cette 
conséquence;  c'est  le  grand  apôtre  saint  Paul, 
qui,  considérant  en  lui-même  cette  charité  in- 
finie par  laquelle  Dieu  a  aimé  tellement  le  monde 
qu'il  lui  a  donné  son  Fils  unique ,  s'écrie  ensuite 
avec  transport  :  «  Celui  qui  ne  nous  a  pas  épar- 
«  gné  son  Fils,  mais  nous  l'a  donné  tout  entier, 
n  et  par  sa  naissance  et  par  sa  mort ,  que  nous 
«  pourra-t-il  refuser?  et  ne  nous  donne-t-il  pas 
«  en  lui  toutes  choses?  »  Quomodo  non  etiam 
cum  illo  otnnia  nobis  donavit^'î  Quand  il  a 

<  Confess.  lib.  xni,  cap.  xi,  1. 1,  col.  229. 
^  Rom,  vm ,  32 


DE  L'ANNONQATION. 


197 


donné  son  Fils,  il  nous  a  ouvert  le  fond  de  son 
cœur  ;  tout  se  déborde  par  cette  ouverture  :  [  il 
nous  a  donné  un  Fils  qui  lui  est  ]  aussi  cher  que 
lui-même,  son  unique,  son  bien-aimé,  ses  dé- 
lices, son  trésor;  et  après  que  sa  divine  libéra- 
lité a  ainsi  épanché  son  cœur,  ne  faut-il  pas  que 
tout  coule  sur  nous  parcette  ouverture?  Que  plût 
à  Dieu  faire  entendre  la  force  de  cette  parole  : 
Seipsum  dabii,  dit  saint  Augustin  ' ,  quia  seip- 
sum  (ledit  .•  «  Il  se  donnera  de  nouveau,  parce 
"  qu'il  s'est  déjà  donné  une  fois!  »  La  libéralité 
des  hommes  est  bientôt  à  sec  :  en  Dieu  un  bien- 
fait est  une  promesse  ;  une  grâce ,  un  engagement 
pour  un  nouveau  don.  Comme  dans  une  chaîne 
d'or  un  anneau  en  attire  un  autre ,  ainsi  les  bien- 
faits de  Dieu  seutre^uivent  par  un  enchaîne- 
ment admirable.  Celui  qui  s'est  donné  une  fois  ne 
laissera  pas  tarir  la  source  infinie  da  sa  divine 
miséricorde,  et  il  fera  encore  en  notre  nature  un 
nouveau  présent  de  lui-même;  «  lise  donnera 
"  immortel  aux  immortels,  après  s'être  donné 
«  mortel  aux  mortels  :  »  Seipsum  dahit  immorta- 
libus  immortalem,  quia  seipsum  dédit  mortali- 
bus  mortalem^.  En  Jésus-Christ  mortel ,  les  dons 
de  la  grâce;  en  Jésus-Christ  immortel,  les  dons 
de  la  gloire.  Il  s'est  donné  à  nous  comme  mor- 
tel, parce  que  les  peines  qu'il  a  endurées  ont  été 
la  source  de  toutes  nos  grâces  :  il  se  donnera 
à  nous  comme  immortel,  parce  que  la  clarté 
dont  il  est  plein  sera  le  principe  de  notre  gloire. 
«  Il  transformera  notre  corps,  tout  vil  et  abject 
«  qu'il  est ,  afin  de  le  rendre  conforme  à  son  corps 
«  glorieux  :  »  Refoi'mabit  corpus  humilitatis  nos- 
trœ,  configuratum  corpori  claritatis  suœ^. 

Mais  faisons  en  ce  lieu ,  mes  sœurs ,  une  ré- 
flexion sérieuse  sur  la  grandeur  incompréhensible 
de  la  sainte  Vierge  :  car  si  nous  recevons  tant 
de  grâces  et  de  bonheur,  parce  que  Dieu  nous 
donne  son  Fils;  que  pourrons-nous  penser  de 
Marie ,  à  qui  ce  Fils  est  donné  avec  une  préro- 
gative siéminente?  si  nous  sommes  si  avantagés, 
parce  qu'il  nous  le  donne  comme  Sauveur  ;  quelle 
sera  la  gloire  de  la  sainte  Vierge  à  laquelle  il  l'a 
donné  comme  fils ,  c'est-à-dire  en  la  même  qualité 
qu'il  est  à  lui-même?  Beatus  venter  qui  te  por- 
tavit:  «Heureuses  mille  et  mille  fois  les  entrailles 
aqui  ont  porté  Jésus-Christ.  «  Jésus-Christ  sera 
donné  à  tout  le  monde  ;  Marie  le  reçoit  la  pre- 
mière ,  et  Dieu  le  donne  au  monde  par  son  en- 
tremise. Jésus-Christ  est  un  bien  universel  ;  mais 
Marie  durant  sa  grossesse  le  possédera  toute 
seule  :  elle  a  cela  de  commun  avec  tous  les  homr 
mes,  que  Jésus  donnera  sa  vie  pour  elle;  mais 

'  In  Ps.  xm ,  n'  2 ,  t.  IV,  col.  366. 

ï  Ihid. 

'  PAjV.  111,21. 


elle  a  cela  de  singulier,  qu'il  l'a  premièrement 
reçue  d'elle  :  elle  a  cela  de  commun ,  que  son 
sang  coulera  sur  elle  pour  la  sanctifier  ;  mais  elle 
a  cela  de  particulier,  qu'elle  en  est  la  source.  Cest 
le  privilège  extraordinaire  que  lui  donne  le  mys- 
tère de  cette  journée  ;  mais  puisque  ce  mystère 
adorable  nous  donne  Jésus-Christ  aussi  bien  qu'a 
elle ,  quoique  ce  ne  soit  pas  au  même  degré  d'al- 
liance, apprenons  de  cette  mère  divine  à  rece- 
voir saintement  ce  Dieu  qui  se  donne  à  nous. 

Jésus-Christ  mortel  est  à  nous,  Jésus- Christ 
immortel  est  à  nous  encore  :  nous  avons  le  gage 
de  l'un  et  de  l'autre  dans  le  mystère  de  l'eucha- 
ristie. Il  est  effectivement  immortel,  et  il  porte 
la  marque  et  le  caractère ,  non-seulement  de  sa 
mortalité,  mais  de  sa  mort  même  :  il  se  donne 
à  nous  en  cet  état ,  afin  que  nous  entendions  que 
tout  ce  qu'il  mérite  par  sa  mort ,  et  tout  ce  qu'il 
possède  dans  son  immortalité ,  est  le  bien  de  tous 
ses  fidèles;  recevons-le  dans  cette  pensée.  La 
disposition  nécessaire  pour  recevoir  un  Dieu  qui 
se  donne  à  nous ,  est  la  résolution  de  s'en  bien 
servir  :  car  quiconque  fait  cette  injure  à  la  misé- 
ricorde divine  de  ne  recevoir  pas  son  présent 
[  comme  il  faut ,  que  ne  doit-il  pas  appréhender?  ] 
«  Comment  pourrons-nous  éviter  sa  colère ,  si 
«  nous  négligeons  un  tel  salut?  »  Quomodo  tios- 
effugiemus,  sitantam  neglexerimussalutem'l 
Au  contraire,  quelle  source  de  gloire!  quel  tor- 
rent de  délices  !  quelle  abondance  de  dons  !  quelle 
inondation  de  félicité! 

Le  fruit  de  ce  discours  [  est  renfermé  ]  dans 
ces  paroles  :  Utamur  nostro  in  nostram  utilita- 
tem,  de  Salvatore  salutem  operemur^  :  «  Ser- 
«  vons-nous  de  celui  qui  est  à  nous  pour  notre 
«  profit ,  faisons  notre  salut  de  celui  qui  est  notre 
«  Sauveur  ;  »  sortons  de  cette  prédication  avec 
une  sainte  ardeur  de  travailler  à  notre  salut, 
puisque  nous  recevons  un  Sauveur  [  qui  vient  ] 
nous  sauver.  S'il  n'y  avait  point  de  Sauveu) ,  je 
ne  vous  parlerais  point  de  la  sorte  :  [  mais  ]  s'il 
est  à  nous,  mes  frères,  servons-nous-en  pour 
notre  profit  ;  et  puisqu'il  est  le  Sauveur,  faisons 
de  lui  notre  salut  :  Utamur  nostro  in  nostram 
utilitatem,  de  Salvatore  salutem  operemur. 

•  Helyr.  ii ,  3. 

'  1.  Bem.  Uom.  ni,  tup.  Missus  est,  n»  14,  t.  l,  col.  7i8. 


100 


POUR  LA  FÊTE  > 


DEUXIÈME  SERMON 


LA  FÊTE  DE  L'ANNONCIATION. 

PRÊCHÉ  A  L\  COUB. 

Combien  il  est  digne  d'un  Dieu  de  se  faire  aimer  de  sa 
créature,  de  n'exiger  d'elle  que  l'amour  et  de  le  prévenir. 
Effets  sensibles  de  son  amour  pour  elle,  dans  les  abaisse- 
ments de  son  incarnation  :  son  dessein  de  conquérir  les  cœurs. 
Modèle  qu'il  nous  fournit  de  l'amour  que  nous  devons  avoir 
pour  Dieu.  Quel  besoin  l'homme  avait  d'un  médiateur,  pour 
rendre  à  son  Dieu  un  culte  digne  de  sa  majesté.  Toutes  les 
qualilés  nécessaires  à  ce  médiateur  rassemblées  en  Jésus- 
Christ.  Pressant  motif  de  nous  unir  à  lui  pour  aimer  en  lui , 
par  lui  et  comme  lui. 


Sic  Deus  dilexit  nimidum ,  ut  Filium  suura  unigeuitum 
daiet. 

Dieu  a  tant  aimé  le  monde,  qu'il  a  donné  son  Fils  uni- 
que. Joau.  m,  1 6. 

Les  Juifs  infidèles  et  endurcis  ont  reproché 
autrefois  à  notre  Sauveur  qu'étant  «  un  homme 
«  mortel ,  il  ne  craignait  pas  de  se  faire  Dieu  »  et 
de  s'attribuer  un  nom  si  auguste  :  Tu  homo  cum 
sis,  facis  teipsum  '.  Sur  quoi  saint  Athanase 
remarque  ^  que  les  miracles  visibles  par  lesquels 
il  faisait  connaître  sa  divinité ,  devaient  leur  fer- 
mer la  bouche  ;  «  et  qu'au  lieu  de  lui  demander 
<<  pourquoi  étant  homme  il  se  faisait  Dieu ,  ils  do- 
«  valent  lui  demander  bien  plutôt ,  pourquoi  étant 
«  Dieu  il  s'était  fait  homme?  »  Alors  il  leur  au- 
rait répondu  :  Dieu  a  tant  aimé  le  monde  !  Ne 
demandez  pjas  de  raison  d'une  chose  qui  n'en  peut 
avoir  :  l'amour  de  Dieu  s'irriterait ,  si  l'on  cher- 
chait autre  part  qu'en  son  propre  fonds  des  rai- 
sons de  son  ouvrage  :  et  même ,  je  le  puis  dire ,  il 
est  bien  aise,  messieurs,  qu'on  n'y  voie  aucune 
raison ,  afin  que  rien  n'y  paraisse  que  ses  saints 
et  divins  excès. 

Par  conséquent,  chrétiens,  ne  perdons  pas  le 
temps  aujourd'hui  à  trouver  des  raisons  d'un  si 
grand  prodige;  mais  croyant  simplement  avec 
l'apôtre  saint  Jean  à  l'immense  charité  que  Dieu 
a  pour  nous ,  honorons  le  mystère  du  Verbe  in- 
carné par  un  amour  réciproque.  La  bienheureuse 
Marie  est  toute  pénétrée  de  ce  saint  amour  :  elle 
porte  un  Dieu  dans  son  cœur  beaucoup  plus  in- 
timement que  dans  ses  entrailles;  et  le  Saint- 
Esprit  survenu  en  elle  avec  une  telle  abondance , 
fait  qu'elle  ne  respire  plus  que  la  charité.  Deman- 
ëons-lui  tous  ensemble  une  étincelle  de  ce  feu 
sacré ,  en  lui  disant  avec  l'ange ,  Ave. 

Il  a  plu  à  Dieu  de  se  faire  aimer  :  et  comme 

•  Joan.  X,  33. 

»  Epht.  de  Décret.  I^icsn.  Synod.  n»  i .  tom.  i ,   part,  i , 
pag.  209. 


il  a  vu  la  nature  humaine  toute  de  glace  pour 
lui,  toute  de  flamme  pour  d'autres  objets;  sa- 
chant de  quel  poids  il  est  dans  ce  commerce 
d'affection  de  faire  les  premiers  pas,  surtout  à 
une  puissance  souveraine ,  il  n'a  pas  dédaigné  de 
nous  prévenir  ni  de  faire  toutes  les  avances  en 
nous  donnant  son  Fils  unique ,  qui  lui-même  se 
donne  à  nous  pour  nous  attirer. 

Il  a  plu  à  Dieu  de  se  faire  aimer  :  et  parce  que 
c'est  le  naturel  de  l'esprit  humain ,  de  recevoir 
les  lumières  plus  facilement  par  les  exemples  que 
par  les  préceptes  ;  il  a  proposé  au  monde  un  Dieu 
aimant  Dieu  :  afin  que  nous  vissions ,  en  ce  beau 
modèle ,  quel  est  l'ordre ,  quelle  est  la  mesure , 
quels  sont  les  devoirs  du  saint  amour,  et  jusques 
où  il  doit  porter  la  créature  raisonnable. 

Il  a  plu  à  Dieu  de  se  faire  aimer  :  et  comme 
c'était  peu  à  notre  faiblesse  de  lui  montrer  un 
grand  exemple ,  si  on  ne  lui  donnait  en  même 
temps  un  grand  secours  ;  ce  Jésus-Christ  qui  nous 
aime  et  qui  nous  apprend  à  aimer  son  Père ,  pour 
nous  faciliter  le  chemin  du  divin  amour,  se  pré- 
sente lui-même  à  nous  comme  la  voie  qui  nous  y 
conduit  :  de  sorte  qu'ayant  besoin  de  trois  cho- 
ses pour  être  réunis  à  Dieu ,  d'un  attrait  puissant, 
d'un  parfait  modèle ,  et  d'une  voie  assurée  ;  Jésus- 
Christ  nous  otfre  tout ,  nous  fait  trouver  tout  en 
sa  personne ,  et  il  nous  est  lui  seul  tout  ensemble 
l'attrait  qui  nous  gagne  à  l'anwur  de  Dieu ,  le  J 
modèle  qui  nous  montre  les  règles  de  l'amour  % 
de  Dieu ,  la  voie  pour  arriver  à  l'amour  de  Dieu  : 
c'est-à-dire ,  si  nous  l'entendons ,  que  nous  devons 
[  premièrement  ]  nous  donner  à  Dieu  pour  l'amour 
du  Verbe  incarné,  [que  nous  devons  eu  second 
lieu  nous  donner  à  Dieu  à  l'exemple  du  Verbe 
incamé ,  que  nous  devons  en  troisième  lieu  nous 
donner  à  Dieu  par  la  voie  et  par  l'entremise  du 
Verbe  incarné.  C'est  tout  le  devoir  du  chrétien  ; 
c'est  tout  le  sujet  de  ce  discours. 

PREMIER   POINT. 

La  sagesse  humaine  demande  souvent  :  Qu'est 
venu  faire  un  Dieu  sur  la  terre?  pourquoi  se 
cacher?  pourquoi  se  couvrir?  pourquoi  anéantir 
sa  majesté  sainte  pour  vivre,  pour  converser, 
pour  traiter  avec  les  mortels  ?  A  cela  je  dis  en 
un  mot.  C'est  qu'il  a  dessein  de  se  faire  aimer. 
Que  si  l'on  me  presse  encore  et  que  l'on  demande  : 
Est-ce  donc  une  œuvre  si  digne  d'un  Dieu  que 
de  se  faire  aimer  de  sa  créature?  ah!  c'est  ici, 
chrétiens ,  que  je  vous  demande  vos  attentions , 
pendant  que  je  tâche  de  développer  les  mystère» 
de  l'amour  divin. 

Oui  ;  c'est  une  œuvre  très-digne  d'un  Dieu , 
de  se  faire  aimer  de  sa  créature  :  car  le  nom  da 
Dieu  est  un  nom  de  roi  :  «>  Roi  des  rois.  Sei- 


DE  LANNO.NCIATION. 


19» 


t  gneur  des  soigne  irs  ' ,  »  c'est  le  nom  du  Dieu 
des  armées.  Et  ([ui  ne  sait  qu'un  roi  légitime  doit 
régner  par  inclination?  La  crainte ,  l'espérance , 
l'inclination,  peuvent  assujettir  le  cœur  :  la 
crainte  servile  donne  un  tyran  à  notre  cœur  : 
l'espérance  mercenaire ,  intéressée ,  nous  donne 
un  maître,  ou,  comme  on  dit,  un  patron  :  mais 
l'amour  soumis  par  devoir  et  engagé  par  inclina- 
tion, donne  à  notre  cœur  un  roi  légitime.  C'est 
pourquoi  David  plein  de  son  amour  :  «  Je  vous 
■  exalterai,  dit-il,  ô  mon  Dieu,  mon  roi  ;  je  bé- 
«  nirai  votre  nom  aux  siècles  des  siècles  :  >> 
Exaltabo  te,  Deus  meus  rex;  et  benedicam 
nominituo  in  sœculum,  et  in  sœculumsœculi'. 
Voyez  comme  son  amour  élève  un  trône  à  son 
Dieu  et  le  fait  régner  sur  le  cœur.  Si  donc  Dieu 
est  notre  roi ,  ah  !  il  est  digne  de  lui  de  se  faire 
aimer. 

Mais  laissons  ce  titre  de  roi ,  qui ,  tout  grand 
et  tout  auguste  qu"il  est ,  exprime  trop  faiblement 
.la  majesté  de  notre  Dieu.  Parlons  du  titre  de 
Dieu;  et  disons  que  le  Dieu  de  tout  Tunivei-s  ne 
devient  notre  Dieu  en  particulier,  que  par  l'hom- 
mage de  notre  amour.  Pourrai-je  bien  ici  expli- 
quer ce  que  je  pense?  L'amour  est  en  quelque 
sorte  le  Dieu  du  cœur.  Dieu  est  le  premier  prin- 
cipe et  le  moteur  universel  de  toutes  les  créa- 
tures ;  c'est  l'amour  aussi  qui  fait  remuer  toutes 
les  inclinations  et  les  ressorts  du  cœur  les  plus 
secrets  :  il  est  donc ,  ainsi  que  j'ai  dit ,  en  quelque 
sorte  le  Dieu  du  cœur,  ou  plutôt  il  en  est  l'idole 
qui  usurpe  l'empire  de  Dieu.  Mais  afin  d'empê- 
cher cette  usurpation ,  il  faut  quïl  se  soumette 
lui-même  à  Dieu;  afin  que  notre  grand  Dieu 
étant  le  Dieu  de  notre  amour  soit  en  même  temps 
le  Dieu  de  notre  cœur,  et  que  nous  lui  puissions 
dire  avec  David  :  Defecit  caro  mea  et  cor  jneum  ; 
Deus  cordis  mei,  et  pars  mea,  Deus  in  œter- 
num  ^  :  n  Ah  !  mon  cœur  languit  après  vous  par 
«  le  saint  amour  :  vous  êtes  donc  le  Dieu  de  mon 
«  cœur;  parce  que  vous  régnez  par  mon  amour, 
«  et  que  vous  régnez  sur  mon  amour  même.  » 

Entendez  donc,  chrétiens,  quelle  est  la  force 
de  l'amour,  et  combien  il  est  digne  de  Dieu  de  se 
faire  aimer.  C'est  l'amour  qui  fait  notre  Dieu  ; 
parce  c'est  lui  qui  donne  l'empire  du  cœur.  C'est 
pourquoi  Dieu  commande  avec  tant  d'ardeur  : 
«  Vous  aimerez  le  Seigneur  votre  Dieu  de  tout 
«  votre  cœur,  de  tout  votre  esprit,  de  toutes  vos 
«  forces,  de  toute  votre  puissance^.  »  Pourquoi 
cet  empressement  de  se  faire  aimer?  C'est  le  seul 
tribut  qu'il  demande  ;  et  c'est  la  marque  la  plus 

'  Apoc.  xvn,  M;  XIX,  16. 

*■  Pi.  CXUV,  1. 

*  P*.  LXXII,  26. 

•  Deut.  Ti ,  5. 


illustre  de  sa  souveraineté,  de  son  abondance ,  de 
sa  grandeur  infinie.  Car  qui  n'a  besoin  de  rien 
ne  demande  rien  aussi ,  sinon  d'être  aimé  :  et  c'est 
une  marque  visible  de  l'essentielle  pauvreté  de  la 
créature,  qu'elle  soit  obligée  par  son  indigence 
de  demander  à  ceux  qui  l'aiment  autre  chose  que 
leur  amour  même.  C'est  donc  le  caractère  d'un 
Dieu  de  n'exiger  de  nous  que  le  pur  amour;  et 
ne  lui  offrir  que  ce  seul  présent ,  c'est  honorer  sa 
plénitude.  On  ne  peut  rien  lui  donner,  encore 
qu'on  lui  doive  tout  ;  on  tire  de  son  propre  cœur 
de  quoi  s'acquitter  en  aimant  :  d'où  il  est  aisé  de 
comprendre  que  l'amour  est  le  véritable  tribut  par 
lequel  on  peut  reconnaître  un  Dieu  infiniment 
abondant.  Et  ainsi  ceux  qui  douteraient  s'il  est 
digne  de  Dieu  de  se  faire  aimer,  pourraient  dou- 
ter, par  même  raison ,  s'il  est  digne  de  Dieu  d'être 
Dieu  ;  puisque  le  caractère  de  Dieu  c'est  de  n'exi- 
ger rien  de  sa  créature,  sinon  qu'elle  l'adore  par 
un  saint  amour.  «  C'est  dans  la  piété  que  eon- 
X  siste  tout  le  culte  de  Dieu;  et  on  ne  l'honore, 
'<  dit  saint  Augustin  ' ,  qu'en  l'aimaiit  :  ^  Pietas 
cultus  Dei  est,  nec  colitur  ille  nisi  amando. 

Après  cela,  chrétiens,  quelqu'un  peut-il  s'é- 
tonner, si  un  Dieu  descend  pour  se  faire  aimer? 
Qu'il  se  fasse  homme ,  qu'il  s'anéantisse ,  qu'il  se 
couvre  tout  entier  de  chair  et  de  sang;  tout  ce 
qui  est  indigne  de  Dieu  devient  digne  de  sa  gran- 
deur, aussitôt  qu'il  tend  à  le  faire  aimer.  Il  voit 
du  plus  haut  du  ciel  toute  la  terre  devenue  un 
temple  d'idoles  :  on  élève  de  tous  côtés  autel 
contre  autel ,  et  on  excite  sa  jalousie  en  adorant 
de  faux  dieux.  Ne  croyez  pas  que  je  parle  de  ces 
idoles  matérielles  :  les  idoles  dont  je  veux  parler 
sont  dans  notre  cœur.  Tout  ce  que  nous  aimons 
désordonnément  dans  la  créature  ;  comme  nous 
lui  rendons  par  notre  amour  l'hommage  de  Dieu , 
nous  lui  donnons  aussi  la  place  de  Dieu  :  parce 
que  nous  lui  en  rendons  l'hommage ,  qui  est  l'a- 
mour même.  Comme  donc  ce  ne  peut  être  qu'un 
amour  profane  qui  érige  en  nos  cœurs  toutes  les 
idoles  ;  ce  ne  peut  être  que  le  saint  amour  qui 
rende  à  Dieu  ses  autels ,  et  qui  le  fasse  reconnaître 
en  sa  majesté. 

S'il  est  ainsi ,  ô  Dieu  vivant ,  venez  attirer  les 
cœurs  ;  venez  régner  sur  la  terre  ;  en  un  mot ,  fai- 
tes qu'on  vous  aime  :  mais  afin  qu'on  vous  aime , 
aimez;  afin  qu'on  vous  trouve,  cherchez;  afin 
qu'on  vous  suive,  prévenez.  Voici  un  autre  em- 
barras; il  s'élève  une  nouvelle  difficulté  :  qu'il 
soit  digne  de  Dieu  de  se  faire  aimer  ;  mais  est-il 
digne  de  Dieu  de  prévem'r  l'amour  de  sa  créature  ? 
ah!  plutôt,  que,  pour  honorer  sa  grandeur  su- 
prême, tous  les  cœurs  languissent  après  lui,  et 

'  5.  Aug.  Episl.  CXL,  n°  45,  t.  Il,  COl-  436.- 


I 


200 


POUR  LA  FÊTE 


après  il  se  rendra  lui-même  à  l'amour  1  Non,  mes- 
sieurs ,  il  faut  qu'il  commence ,  non-^seulement  à 
cause  de  notre  faiblesse  qui  ne  peut  s'élever  à  lui 
qu'étant  attirée,  mais  à  cause  de  sa  grandeur; 
parce  qu'il  est  de  la  dignité  du  premier  être  d'être 
le  premier  à  aimer,  et  de  prévenir  les  affections 
par  une  bonté  surabondante. 

Je  l'ai  appris  de  saint  Augustin ,  que  l'amour 
pur,  l'amour  libéral,  c'est-à-dire,  l'amour  véri- 
table, a  je  ne  sais  quoi  de  grand  et  de  noble,  qui 
ne  veut  naître  que  dans  l'abondance  et  dans  un 
cœur  souverain.  Pourquoi  est  fait  un  cœur  sou- 
verain? pour  prévenir  tous  les  cœurs  par  une 
bonté  souveraine.  Voulez-vous  savoir,  dit  ce  grand 
homme,  quelle  est  l'affection  véritable?  C'est, 
dit-il,  «  celle  qui  descend,  et  non  celle  qui  re- 
•  monte  ;  celle  qui  vient  de  miséricorde ,  non  celle 
«  qui  vient  de  misère;  celle  qui  coule  de  source  et 
«  de  plénitude,  non  celle  qui  sort  d'elle-même, 
«  pressée  par  son  indigence  :  »  Ibi  gratior  amor 
est;  ubi  non  œstuat  indigentiœ  siccitate,  sed 
ubertate  beneficeniiœ  prq/luit'.  Ainsi  la  place 
naturelle  de  l'affection ,  de  la  tendresse  et  de  la 
pitié,  c'est  le  cœurd'un  souverain.  Et  comme  Dieu 
est  le  souverain  véritable  ;  de  là  vient  que  le  cœur 
d'un  Dieu  est  un  cœur  d'une  étendue  infinie ,  tou- 
jours prêt  à  prévenir  tous  les  cœurs,  et  plus  pressé 
à  donner  par  l'excès  de  sa  miséricorde,  que  les 
autres  à  demander  par  l'excès  de  leur  misère. 
Tel  est  le  cœur  d'un  Dieu ,  et  tel  doit  être  le 
cœur  de  tous  ceux  qui  le  représentent.  Il  ne  faut 
pas  s'étonner  si  un  cœur  si  tendre  et  si  étendu 
fait  volontiers  toutes  les  avances,  s'il  n'attend 
pas  qu'il  soit  prévenu  ;  mais  si  lui-même  aime  le 
premier,  comme  dit  l'apôtre  saint  Jean  ' ,  pour 
couserver  sa  dignité  propre,  et  marquer  son 
indépendance  dans  la  libéralité  gratuite  de  son 
amour. 

Voilà  donc  notre  Souverain  qui  veut  être  aimé, 
et  pour  cela  qui  nous  aime  ;  pour  attirer  notre 
amour.  Telle  est  son  intime  disposition  :  voyons- 
en  les  effets  sensibles.  Il  nous  donne  son  Fils 
unique  ;  il  se  rabaisse ,  et  il  nous  élève  ;  il  se  dé- 
pouille ,  et  il  nous  donne  ;  il  perd  en  quelque  sorte 
ce  qu'il  est,  et  il  nous  le  communique.  Comment 
perd-il  ce  qu'il  est?  Appauvrissement ,  etc.  Il  est 
Dieu,  et  il  craint  de  le  paraître;  il  l'est,  et  vous 
pouvez  attendre  de  lui  tout  le  secours  que  l'on 
peut  espérer  d'un  Dieu.  Mais  il  cache  tous  ses 
divins  attributs  sous  une  forme  étrangère.  [Il 
nous  parle  ainsi  qu']  à  Moise yOS  ados^-^  comme 
un  ami  à  un  ami.  Approchez  avec  la  même  fran- 
chise ,  avec  la  même  liberté  de  cœur  que  si  ce 

'  s.  Aug.  de  Caiachiz.  rud.  n'  7,  t.  vt,  col.  267. 

»  I.  Joan.  ïv,  l». 

«  Aum  xu,  ».  Exod.  xxxni.  II. 


n'était  qu'un  homme  mortel.  N'est-ce  pas  vérita- 
blement vouloir  être  aimé?  n'est-ce  pas  nous  pré- 
venir par  un  grand  amour?  Saint  Augustin  est 
admirable,  et  il  avait  bien  pénétré  toute  la  sain- 
teté de  ce  mystère ,  quand  il  a  dit  qu'un  Dieu  s'est 
fait  homme  «  par  une  bonté  populaire ,  »  popu- 
lari  quadam  clementia  \  Qu'est-ce  qu'une  bonté 
populaire?  Elle  nous  paraît,  chrétiens,  lorsqu'un 
grand ,  sans  oublier  ce  qu'il  est ,  se  démet  par 
condescendance ,  se  dépouille ,  non  point  par  fai- 
blesse ,  mais  par  une  facilité  généreuse  ;  non  pour 
laisser  usurper  son  autorité,  mais  pour  rendre  sa 
bonté  accessible ,  et  parce  qu'il  veut  faire  naître 
une  liberté  qui  n'ôte  rien  du  respect ,  si  ce  n'est  le 
trouble  et  l'étonnement,  et  cette  première  sur- 
prise que  porte  un  éclat  trop  fort  dans  une  âme 
infirme.  C'est  ce  qu'a  fait  le  Dieu-Homme  ;  il  s'est 
rendu  populaire  :  sa  sagesse  devient  sensible; 
sa  majesté ,  tempérée  ;  sa  grandeur,'  libre  et  fami- 
lière. 

Et  que  prétend-il,  chrétiens,  en  se  rabaissant 
de  la  sorte?  pourquoi  se  défaire  de  ses  foudres? 
pourquoi  se  dépouiller  de  sa  majesté ,  de  tout  l'ap- 
pareil de  sa  redoutable  puissance?  C'est  qu'il  y  a 
des  conquêtes  de  plus  d'une  sorte ,  et  toutes  ne 
sont  pas  sanglantes.  Un  prince  justement  irrité  se 
jette  sur  les  terres  de  son  ennemi ,  et  se  les  assu- 
jettit par  la  force.  C'est  une  noble  conquête;  mais 
elle  coûte  du  sang,  et  une  si  dure  nécessité  doit 
faire  gémir  un  cœur  chrétien  :  ce  n'est  pas  de 
celle-là  que  je  veux  parler.  Sans  répandre  du 
sang,  il  se  fait  faire  justice  par  la  seule  fermeté 
de  son  courage  ;  et  la  renommée  en  vole  bien  loin 
dans  les  empires  étrangers  :  c'est  quelque  chose 
encore  de  plus  glorieux.  Mais  toutes  les  conquêtes 
ne  se  font  pas  sur  les  étrangers;  il  n'y  a  rien  de 
plus  illustre  que  de  faire  une  conquête  paisible 
de  son  propre  État ,  [que  de]  conquérir  les  cœurs. 
Ce  royaume  caché  et  intérieur  [qui  s*établit  sur 
r]  homme  intérieur,  est  d'une  étendue  infinie  :  il 
y  a  tous  les  jours  de  nouvelles  terres  à  gagner, 
de  nouveaux  pays  à  conquérir;  et  toujours  autant 
de  couronnes.  0  que  cette  conquête  est  digne  d'un 
roi  !  c'est  celle  de  Jésus-Christ.  Nous  étions  à  lui 
par  droit  de  naissance  ;  il  nous  veut  encore  ac- 
quérir par  son  saint  amour.  Regnum  Bei  intra 
vos  est*  :  <•  Le  royaume  de  Dieu  est  au  dedans  de 
«  vous.  »  Cet  amour  lui  était  dû  par  sa  naissance 
et  par  ses  bienfaits  ;  il  a  voulu  le  mériter  deiiou- 
veau ,  il  a  voulu  engager  les  cœurs  par  des  obli- 
gations particulières.  TanquamfiUis  dico i  dila- 
tamini  et  vos  ^  :  «  Je  vous  parle  comme  à  mea 
«  enfants,  étendez  aussi  pour  moi  votre  cœur.  » 

»  s.  Aug.  contra  Acad.  lib.  Ill,  n*  43,  t.  I,  col.  SM. 
'  Luc.  XTII,  21. 
3  II.  Cor.  VI,  13. 


DE  L'ANNONCIATION. 


Tanquam  JiUis  :  non  pas  comme  des  esclaves , 
mais  comme  des  enfants  qui  doivent  aimer,  di- 
latez en  vous  le  règne  de  Dieu  :  ôtez  les  bornes 
de  l'amour  par  l'amour  de  Jésus-Christ ,  qui  n'a 
point  donné  de  limites  à  celui  qu'il  a  eu  pour 
nous.  Cet  amour  est  libre,  il  est  souverain  :  il 
veut  qu'on  le  laisse  agir  dans  toute  son  étendue-, 
et  qui  le  contraint  tant  soit  peu ,  offense  son  in- 
dépendance. Il  faut  ou  tout  inonder  ou  se  retirer 
tout  entier.  Un  petit  point  dans  le  cœur  [est  de 
trop.]  Aimez  autant  que  le  mérite  un  Dieu- 
Homme;  et  pour  cela,  chrétiens,  aimez  dans 
toute  rétendue  qu'a  faite  un  Dieu-Homme. 

SECOND   POINT. 

Jésus-Christ  [s'est  rendu]  semblable  à  nous,  aiin 
que  nous  lui  fussions  semblables;  [il  s'est  uni  à 
nous,  afin  de  nous  faire  vivre  de  sa  vie  en  nous 
animant  de  son  esprit,  ]  Si  vous  demandez  main- 
tenant quel  est  l'esprit  de  Jésus  ;  il  est  bien  aisé 
d'entendre  que  c'est  l'esprit  de  la  charité.  Un  Dieu 
n'aurait  pas  été  aimé  comme  il  le  mérite ,  si  un 
Dieu  ne  l'avait  aimé  :  l'amour  qu'on  doit  à  un 
Dieu  n'aurait  pas  eu  un  digne  modèle ,  si  un  Dieu 
lui-même  n'avait  été  l'exemplaire.  Venez  donc 
apprendre  de  ce  Dieu  aimant,  dans  quelle  étendue 
et  dans  quel  esprit  il  faut  aimer  Dieu. 

L'étendue  de  cet  amour  doit  être  infinie.  L'a- 
moitf  de  notre  exemplaire ,  c'est  une  adhérence 
sans  bornes  à  la  sainte  volonté  du  Père  céleste. 
Ma  nourriture,  dit-il',  c'est  de  faire  la  volonté 
de  mon  Père,  et  d'accomplir  son  ouvrage.  Aimer 
Dieu ,  c'est  tout  son  emploi:  Quœ  placita  sunt 
et  facio  semper'.  Aimer  Dieu,  c'est  tout  son 
plaisir:  Non  quœro voluntatem  meavi,  sedvo- 
luniatem  ejus  qui  misit  me  ^.  Aimer  Dieu ,  c'est 
tout  son  soutien  :  Meu^  cibus  est  ut  faciam  vo- 
luntatem ejus  qui  misit  me.  Il  ne  perd  pas  de 
vue  un  moment  l'ordre  de  ses  décrets  éternels; 
à  tous  moments  il  s'y  abandonne  sans  réserve 
aucune.  Je  fais ,  dit-il ,  toujours  ce  qu'il  veut. 
Aujourd'hui,  dès  le  moment  de  sa  conception, 
il  commence  ce  saint  exercice.  «  En  entrant  au 
"  monde,  dit  le  saint  apôtre^,  il  a  dit  :  Les  ho- 
«  locaustes  ne  vous  ont  pas  plu  ;  eh  bien  !  me  voici , 
«  Seigneur,  et  je  viens  pour  accomplir  en  tout  vo- 
«  tre  volonté.  »  En  ce  moment ,  chrétiens ,  toutes 
ses  croix  lui  furent  montrées;  il  vit  un  dédain 
dans  le  cœur  deDieu  pour  les  sacrifices  des  hom- 
mes :  il  voit  une  avidité  dans  le  cœur  de  Dieu 
d'avoir  une  victime  digne  de  lui ,  digne  de  sa 
sainteté ,  digne  de  sa  justice ,  capable  de  porter 

'  Joan.  IT ,  31. 
»  Ibid.  VIII ,  29. 
»  Ibiâ   Y,  Jn. 
«  Oebr.  x,«,  7 


50  f 

tous  ses  traits  et  tous  les  crimes  des  hommes  ;  cl 
qu'ensuite  il  allait  être  la  seule  victime.  G  Dieu, 
quel  excès  de  peines  !  et  néanmoins ,  hardiment  : 
Me  voici,  Seigneur;  je  viens  pour  accomplir 
votre  volonté! 

Chrétien,  imite  ce  Dieu;  adore  en  tout  les  dé- 
crets du  Père  :  soit  qu'il  frappe,  soit  qu'il  con- 
sole; soit  qu'il  te  couronne,  soit  qu'il  te  châtie; 
adore,  embrasse  sa  volonté  sainte.  Mais  en  quel 
esprit?  Ah  !  voici  la  perfection  :  en  l'Esprit  du 
Dieu  incarné ,  dans  un  esprit  d'agrément  et  de 
complaisance.  Vous  savez  ce  que  c'est  que  la 
complaisance;  on  ne  la  connaît  que  trop  à  la 
cour  :  mais  il  faut  apprendre  d'un  Dieu ,  quelle 
complaisance  un  Dieu  mérite.  En  cette  heure , 
dit  l'évangéliste ,  Jésus  se  réjouit  dans  le  Saint- 
Esprit,  et  il  dit  :  «  Je  vous  loue,  ô  Père,  Seigneur 
«  du  ciel  et  de  la  terre ,  de  ce  que  vous  avez  ca- 
«  ché  ceci  aux  superbes ,  et  que  vous  l'avez  dé- 
«  couvert  aux  humbles  '.  »  Et  il  ajoute  dans  un 
saint  transport  :  «  Oui ,  Père ,  parce  qu'il  a  plu 
«  ainsi  devant  vous.  »  Telle  est  la  complaisance 
qu'exige  de  nous  la  souveraineté  de  notre  Dieu  , 
un  accord ,  un  consentement,  un  acquiescement 
éternel ,  un  oui  éternel ,  pour  ainsi  parler,  non  de 
notre  bouche,  mais  de  notre  cœur,  pour  ses  vo- 
lontés adorables.  C'est  faire  sa  cour  à  Dieu ,  c'est 
l'adorer  comme  il  le  mérite ,  que  de  se  donner 
à  lui  de  la  sorte. 

Que  faites-vous,  esprits  bienheureux,  cour 
triomphante  du  Dieu  des  armées?  que  faites- vous 
devant  lui  et  à  l'entour  de  son  trône?  Ils  nous 
sont  représentés  dans  l'Apocalypse  ' ,  disant  tou- 
jours Amen  devant  Dieu;  un  Amen  soumis  et 
respectueux ,  dicté  par  une  sainte  complaisance. 
Amen,  dans  la  langue  sainte,  c'est-à-dire,  oui; 
mais  un  oui  pressant  et  affîrmatif ,  qui  emporte 
l'acquiescement, ou  plutôt,  pour  mieux  dire ,  le 
cœur  tout  entier.  C'est  ainsi  qu'on  aime  Dieu 
dans  le  ciel  :  ne  le  ferons-nous  pas  sur  la  terre? 
Église  qui  voyages  en  ce  lieu  d'exil ,  l'Église ,  la 
Jérusalem  bienheureuse,  ta  chère  sœur,  qui  triom- 
phe au  ciel,  chante  à  Dieu  ce  Oui ,  cet  Amen  : 
ne  répondras-tu  pas  à  ce  divin  chant ,  comme  un 
second  chœur  de  musique  animé  par  la  voix  de 
Jésus-Christ  même  :  «  Oui,  Père,  puisqu'il  a  plu 
«  ainsi  devant  vous?  »  Quoi ,  nous  qui  sommes  né* 
pour  la  joie  céleste,  chanterons-nous  le  cantique 
des  plaisirs  mortels?  C'est  une  langue  barbare, 
dit  saint  Augustin',  que  nous  apprenons  dans 
l'exil  :  parlons  le  langage  de  notre  patrie.  En 
l'honneur  de  Fhomme  nouveau  que  le  Saint-Esprit 


»  Luc.  X,  21. 

»  Afioc.  VII ,  12. 

3  In  Pi.  cxxxvi,  u'  17 ,  t  IT,  col.  ua» 


362 


POUR  LA  FÊTE 


BOUS  forme  aujourd'hui ,  «  chantons  le  nouveau 
«  cantique,  le  cantique  de  la  nouvelle  alliance  :  » 
Cantemus  Domino  canticum  novum  '. 

Nous  sommes ,  dit  le  saint  apôtre ,  un  com- 
mencement de  la  créature  nouvelle  de  Dieu.  L'ac- 
complissement de  la  création ,  c'est  la  vie  des 
bienheureux;  et  c'est  nous  qui  en  sommes  le 
commencement,  initium  creaturœ  ejus^.  Nous 
devons  donc  commencer  ce  qui  se  consommera 
dans  la  vie  future  ;  et  cet  Amen  éternel ,  que 
chantent  les  bienheureux  dans  la  plénitude  d'un 
amour  jouissant ,  nous  le  devons  chanter  avec 
Jésus-Christ  dans  l'avidité  d'un  saint  désir  : 
n  Oui ,  Père ,  puisqu'il  a  plu  ainsi  devant  vous.  » 
Modo  cantatamo/resunens,  tune  cantabit  amor 
fruensj  dit  saint  Augustin  ^.  Nous  le  devons 
chanter  pour  nous-mêmes,  nous  le  devons  chan- 
ter pour  les  autres.  Car  écoutez  parler  le  Dieu- 
Homme  ,  modèle  du  saint  amour  :  «  Oui ,  Père , 

••  parce  qu'il  vous  a  plu toutes  choses  me 

«  sont  données  par  mon  Père  ^.  »  Il  ne  se  réjouit 
d'avoir  tout  en  main ,  que  pour  donner  tout  à 
Dieu ,  et  le  faire  régner  sans  bornes. 

O  rois ,  écoutez  Jésus  :  et  apprenez  de  ce  Roi 
de  gloire,  que  vous  ne  devez  avoir  de  cœur  que 
pour  aimer  et  faire  aimer  Dieu ,  de  vie  que  pour 
faire  vivre  Dieu ,  de  puissance  que  pour  faire  ré- 
gner Dieu  ;  et  enfin  que  toutes  les  choses  humaines 
ne  vous  ont  été  confiées  que  pour  les  rendre,  les 
conserver,  et  pour  les  donner  saintement  à  Dieu. 

Mais ,  si  ce  Dieu  nous  délaisse  ;  mais ,  si  ce  Dieu 
BOUS  persécute  ;  mais ,  si  ce  Dieu  nous  accable , 
faut-il  encore  lui  rendre  cette  complaisance?  Oui , 
toujours  sans  fin,  sans  relâche.  Il  est  vrai,  ô 
homme  de  bien ,  je  te  vois  souvent  délaissé  ;  tes 
affaires  vont  en  décadence;  ta  pauvre  famille 
éplorée  semble  n'avoir  plus  de  secours;  Dieu 
même  te  livre  à  tes  ennemis ,  et  paraît  te  regar- 
der d'un  œil  irrité.  Ton  cœur  est  prêt  de  lui  dire 
avec  David  :  «  0  Dieu!  pourquoi  vous  êtes-vous 
«  retiré  si  loin?  vous  me  dédaignez  dans  l'occa- 
«  sion ,  lorsque  j'ai  le  plus  besoin  de  votre  se- 
«  cours  ;  dans  l'affliction ,  dans  l'angoisse  :  «  Ut 
guid,  Do7nine,  reeessisti  longe,  despicis  in 
opportunitatibus ,  in  tribulatione  ^  ? 

Est-il  possible,  ô  Dieu  vivant?  êtes-vous  de 
ces  amis  infidèles  qui  abandonnent  dans  les  dis- 
grâces, qui  tournent  le  dos  dans  l'affliction?  Ne 
le  crois  pas ,  homme  juste  :  cette  persécution , 
c'est  une  épreuve;  cet  abandon,  c'est  un  at- 
trait; ce  délaissement,  c'est  une  grâce.  Imite  cet 
Homme-Dieu ,  notre  original  et  notre  exemplaire , 

•  Ps.  XCT,  I. 
»  Jac   I,  18. 

3  Scnn.  ccLvr,  n"  6,  t.  v,  col.  1052. 

*  Luc.  X,  21,  22. 
»  Ps.  IX    22. 


qui  tout  délaissé,  tout  abandonné;  après  avoir 
dit  ces  mots  pour  s'en  plaindre  avec  amertume  : 
«  Pourquoi  me  délaissez-vous  '?  »  se  rejette  lui- 
môme,  d'un  dernier  effort,  entre  ces  mains  qui 
le  repoussent.  «  0  Père  !  je  remets ,  dit-il ,  mon 
«  esprit  entre  vos  mains  \  »  Ainsi  obstine-toi, 
chrétien,  obstine-toi  saintement,  quoique  dé- 
laissé, quoique  abandonné ,  à  te  rejeter  avec  con- 
fiance entre  les  mains  de  ton  Dieu  :  oui ,  même 
entre  ces  mains  qui  te  frappent  :  oui ,  même  en- 
tre ces  mains  qui  te  foudroient  :  oui ,  même  en- 
tre ces  mains  qui  te  repoussent  pour  t'attirer  da- 
vantage. Si  ton  cœur  ne  te  suffit  pas  pour  faire 
un  tel  sacrifice ,  prends  le  cœur  d'un  Dieu  incar- 
né ,  d'un  Dieu  accablé ,  d'un  Dieu  délaissé  ;  et  de 
toute  la  force  de  ce  cœur  divin,  perds-toi  dans 
l'abîme  du  saint  amour.  Ahf  cette  perte ,  c'est 
ton  salut  ;  et  cette  mort ,  c'est  ta  vie. 

TROISIÈME    POINT. 

Ce  serait  ici,  chrétiens,  qu'après  vous  avoir 
fait  voir  que  l'attrait  du  divin  amour,  c'est  d'ai- 
mer pour  Jésus-Christ ,  que  le  modèle  du  divin 
amour,  c'est  d'aimer  commeJésus-Christ;  il  fau- 
drait encore  vous  expliquer  que  la  consommation 
du  divin  amour,  c'est  d'aimer  en  Jésus-Christ  et 
par  Jésus- Christ.  Mais  les  deux  premières  par- 
ties m'ayant  insensiblement  emporté  le  temps , 
je  n'ai  que  ce  mot  à  dire. 

Je  voulais  donc,  messieurs,  vous  représenter 
que ,  Dieu  pour  rappeler  toutes  choses  au  mys- 
tère de  son  unité ,  a  établi  l'homme  le  média- 
teur de  toute  la  nature  visible  :  et  Jésus-Christ 
Dieu-Homme  seul  médiateur  de  toute  la  nature 
humaine.  Ce  mystère  est  grand,  je  l'avoue,  chré- 
tiens, et  mériterait  un  plus  long  discours.  Mais , 
quoiqueje  ne  puisse  en  donner  une  idée  bien  nette, 
j'en  dirai  assez,  si  je  puis,  pour  faire  admirer  le 
conseil  de  Dieu. 

L'homme  donc  est  établi  le  médiateur  de  la  na- 
ture visible.  Toute  la  nature  veut  honorer  Dieu  et 
adorer  son  principe,  autant  qu'elle  en  est  capa- 
ble :  la  créature  insensible ,  la  créature  privée  de 
raison,  n'a  point  de  cœur  pour  l'aimer,  ni  d'in- 
telligence pour  le  connaître  :  «  ainsi ,  ne  pouvant 
«  connaître,  tout  ce  qu'elle  peut,  dit  saint  Au- 
«  gustin ,  c'est  de  se  présenter  ell3-même  à  nous , 
«  pour  être  du  moins  connue ,  et  nous  faire  con- 
«  naître  son  divin  auteur  :  »  Quœ  cum  cogno- 
scere  non  possit,  quasi  innotescere  velle  evide- 
tur^.  Elle  ne  peut  voir,  elle  se  montre;  elle  ne 
peut  aimer,  elle  nous  y  presse  :  et  ce  Dieu  qu'elle 
n'entend  pas ,  elle  ne  nous  permet  pas  de  l'igno- 

'  Matth.  XX vu,  46.  Ps.  xxi,  2,  etc. 

»  Luc.  xxin,  46.  Ps.  XXX,  6. 

3  De  CU:  Dci,  lib.  XI ,  ciip.  xxvii ,  n'  2,  t.  vu,  ool.  2fl3> 


DE  L'ANNOiNCIATION. 


20t 


rrr.  Cest  ainsi  (lu'imparfaitcmcnt  et  à  sa  ma- 
nière ,  elle  glorifie  le  Père  céleste.  Mais  afin  qu'elle 
consomme  son  adoration,  l'homme  doit  être  son 
roédiateur  :  c'est  à  lui  à  prêter  une  voix,  une  in- 
telligence ,  un  cœur  tout  brûlant  d'amour  à  toute 
la  nature  visible ,  afin  qu'elle  aime  en  lui  et  par 
lui  la  beauté  invisible  de  son  créateur.  C'est 
pourquoi  il  est  mis  au  milieu  du  monde,  indus- 
trieux abrégé  du  monde,  petit  monde  dans  le 
^'innd  monde  ;  ou  plutôt,  dit  saint  Grégoire  de 
Nazianze%  «  grand  monde  dans  le  petit  monde  :  » 
parce  qu'encore  que  selon  le  corps  il  soit  ren- 
fermé dans  le  monde ,  il  a  un  esprit  et  un  cœur 
qui  est  plus  grand  que  le  monde;  afin  ^e  con- 
templant l'univers  entier,  et  le  ramassant  en 
lui-même,  il  l'offre,  il  le  sanctifie,  il  le  con- 
sacre au  Dieu  vivant  :  si  bien  qu'il  n'est  le  con- 
templateur et  le  mystérieux  abrégé  de  la  nature 
visible ,  qu'afin  d'être  pour  elle ,  par  un  saint 
amour,  le  prêtre  et  l'adorateur  de  la  nature  in- 
visible et  intellectuelle. 

Mais,  ne  nous  perdons  pas,  chrétiens,  dans  ces 
hautes  spéculations  ;  et  disons  que  l'homme ,  ce 
médiateur  de  la  nature  visible ,  avait  lui-même 
besoin  d'un  médiateur.  La  nature  visible  ne  pou- 
vait aimer ,  et  pour  cela  elle  avait  besoin  d'un 
médiateur  pour  retourner  à  son  Dieu.  La  nature 
humaine  peut  bien  aimer ,  mais  elle  ne  peut  ai- 
mer dignement.  Il  fallait  donc  lui  donner  un 
médiateur  aimant  Dieu  comme  il  est  aimable , 
adorant  Dieu  autant  qu'il  est  adorable;  afin 
qu'en  lui  et  par  lui  nous  pussions  rendre  à  Dieu 
notre  Père  un  hommage ,  un  culte ,  ime  adora- 
tion ,  un  amour  digne  de  sa  majesté.  C'est ,  mes- 
sieurs, ce  médiateur  qui  nous  est  formé  aujour- 
d'hui par  le  Saint-Esprit  dans  les  entrailles  de 
Marie.  Réjouis-toi,  ô  nature  humaine  :  tu  prê- 
tes ton  cœur  au  monde  visible  pour  aimer  son 
Créateur  tout-puissant ,  et  Jésus-Christ  te  prête 
le  sien ,  pour  ainier  dignement  celui  qui  ne  peut 
être  dignentient  aimé  que  par  un  autre  lui-même. 
Laissons-nous  donc  gagner  par  ce  Dieu  aimant  : 
aimons  comme  ce  Dieu  aimant  :  aimons  par  ce 
Dieu  aimant. 

Que  croyez-vous,  chrétiens,  que  fait  aujour- 
d'hui la  divine  vierge  toute  pleine  de  Jésus- 
Christ?  Elle  l'offre  sans  cesse  au  Père  céleste  : 
et  après  avoir  épuisé  son  cœur,  rougissant  de 
la  pauvreté  de  l'amour  de  la  créature  pour  l'im- 
mense bonté  de  son  Dieu  ;  pour  suppléer  à  ce  dé- 
faut ,  pour  compenser  ce  qui  manque ,  elle  offre 
au  Père  céleste  toute  l'immensité  de  l'amour  et 
toute  rétendue  du  cœur  d'un  Dieu-Homme.  Fai- 
sons ainsi ,  chrétiens-  unissons-nous  à  Jésus ,  ai- 

«  Ont.  xui ,  n'  15 ,  t  I ,  p.  «80. 


mons  en  Jésus ,  aimons  par  Jésus.  Mais ,  ô  Dieu  ! 
quelle  pureté!  ô  Dieu,  quel  dégagement  pour 
nous  unir  au  cœur  de  Jésus  !  0  créatures,  idoles 
honteuses ,  retirez- vous  de  ce  cœur  qui  veut  ai- 
mer Dieu  par  Jésus-Christ  :  ombres,  fantômes, 
dissipez- vous  en  présence  de  la  vérité.  Voici  l'a- 
mour véritable  qui  veut  entrer  dans  ce  cœur  : 
amour  faux ,  amour  trompeur,  veux-tu  tenir  de- 
vant lui  ? 

Chrétiens,  rejetterez-vous  l'amour  d'un  Dieu- 
Homme,  qui  vous  presse,  qui  veut  remplir  votre 
cœur,  pour  unir  votre  cœur  au  sien,  et  faire  de 
tous  les  cœurs  une  même  victime  du  saint  amour  ? 
Vive  l'Étemel ,  mes  frères ,  je  ne  puis  souffrir 
cette  indignité  :  je  veux  arracher  ce  cœur  de 
tous  les  plaisirs  qui  l'enchantent,  de  toutes  les 
créatures  qui  le  captivent.  0  Dieu,  quelle  vio- 
lence d'arracher  un  cœur  de  ce  qu'il  aime  !  il  en 
gémit  amèrement;  mais  quoique  la  victime  se 
plaigne  et  se  débatte  devant  les  autels,  il  n'en 
faut  pas  moins  achever  le  sacrifice  du  Dieu  vi- 
vant. Que  je  t'égorge  devant  Dieu ,  ô  cœur  pro- 
fane! pour  mettre  en  ta  place  un  cœur  chrétien. 
Eh  quoi!  ne  me  permettrez-vous  pas  encore  un 
soupir,  encore  une  complaisance?  Nul  soupir, 
nulle  complaisance  que  pour  Jésus-Christ  et  par 
Jésus-Christ.  Hé  donc,  faudra-t-ii  éteindre  jus- 
qu'à cette  légère  étincelle?  Sans  doute,  puisque 
la  flamme  tout  entière  m'y  paraît  encore  vi- 
vante. 0  dénùment  d'un  cœur  chrétien  !  pourrons- 
nous  bien  nous  résoudre  à  ce  sacrifice?  Un  Dieu- 
Homme,  un  Dieu  incarné,  un  Dieu  se  donnant  à 
nous  dans  l'eucharistie,  en  la  vérité  de  sa  chair 
et  en  la  plénitude  de  son  Esprit ,  le  mérite  bien. 

Venez  donc ,  ô  divin  Jésus  !  venez  consumer 
ce  cœur.  Tirez-nous  après  vos  parfums  :  tirez 
les  grands ,  tirez  les  petits  ;  tirez  les  rois ,  tirez 
les  sujets  :  tirez  surtout ,  ô  Jésus  !  le  cœur  de  no- 
tre monarque ,  lequel  en  se  donnant  tout  à  fait 
à  vous,  ferme  comme  il  est,  constant  comme  il 
est,  est  capable  de  vous  entmner  toutes  choses, 
et  de  vous  faire  régner  par  tout  l'univers.  Ainsi 
soit-iK 


204 


POUR  LA  I  flTE 


TROISIÈME  SERMON 


LA  FÊTE  I>E  L'ANNONCIATION. 

Combien  admirables  et  extraordinaires  les  abaissements  du 
Dieu-Homme.  Pourquoi  les  moyens  les  plus  efficaces  que 
Dieu  a  d'établir  sa  gloire ,  se  trouvent  nécessairement  joints 
«vec  la  bassesse.  Amour  que  Dieu  a  pour  l'humilité  :  quelle 
part  elle  a  dans  le  mystère  de  notre  réparation.  Antiquité  de 
la  promesse  de  notre  salut.  Rapports  admirables  de  Marie 
avec  Eve. 


CTeavit  Dominus.  novum  super  terrain' :  femina  cipcumda- 

iMt  vinini. 
Le  Seigneur  a  créé  itne  nouveauté  sur  la  terre  :  une 

femme  concevra  «n  homme.  Jerem.  xxxi ,  22. 

De  ce  grand  et  épouvantable  débris,  où  la 
raison  humaine ,  ayant  fait  naufrage,  a  perdu 
tout  d'un  coup  toutes  ses  richesses,  et  particu- 
lièrement la  vérité  pour  laquelle  Dieu  l'avait  for- 
mée; il  est  resté  dans  l'esprit  des  hommes  un 
désir  vague  et  inquiet  d'en  découvrir  quelque 
vestige ,  et  c'est  ce  qui  a  fait  naître  dans  tous  les 
hommes  un  amour  incroyable  de  la  nouveauté. 
Cet  amour  de  la  nouveauté  paraît  au  monde  en 
plus  d'une  forme ,  exerce  les  esprits  de  plus  d'une 
sorte.  Il  se  content©  de  pousser  les  uns  à  ramas- 
ser dans  un  cabinet  mille  raretés  étrangères;  et 
les  autres,  qu'il  trouve  plus  vifs  et  plus  capables 
d'invention ,  il  les  épuise  par  de  grands  efforts 
pour  trouver  ou  quelque  adresse  inconnue  dans 
les  ouvrages  de  l'art,  ou  quelque  raffinement 
inusité  dans  la  conduite  des  affaires ,  ou  quelque 
secret  inouï  dans  l'ordre  de  la  nature  :  enfin,  pour 
n'enlrer  pas  plus  avant  dans  cette  matière  infinie, 
je  me  contenterai  de  vous  dire  du  désir  de  la  nou- 
veauté ,  qu'il  n'est  point  dans  le  monde  d'appât 
plus  trompeur,  ni  d'amusement  plus  universel, 
ni  de  curiosité  moins  bornée  que  celle  de  la  nou- 
veauté. Pour  guérir  cette  maladie ,  qui  travaille 
si  étrangement  la  nature  humaine.  Dieu  nous 
présente  aussi  dans  son  Écriture  des  nouveautés 
saintes  et  des  curiosités  fructueuses  :  et  le  mystère 
de  cette  journée  en  est  une  preuve  invincible.  Le 
prophète  nous  en  a  parlé  comme  d'une  nouveauté 
surprenante  :  Creavit  Domitms  novum  super 
terrant  :  et  comme  il  prépare  nos  attentions  à 
quelque  chose  d'extraordinaire,  il  nous  oblige 
plus  que  jamais  à  demander  par  la  mère  le  secours 
du  Fils;  et  d'ailleurs  c'est  aujourd'liui  le  jour 
véritable  d'employer  envers  cette  Vierge  la  salu- 
tation angélique ,  et  de  lui  dire  avec  Gabriel  : 
Ave. 

Dans  cet  empressement  universel  de  toutes  les 
fonditions  et  de  tous  les  âges  pour  la  gloire  et  pour 
la  grandeur,  il  faut  avouer,  chrétiens,  qu'une 


véritable  modération  est  une  nouveauté  extraor- 
dinaire, et  dont  le  monde  voit  si  peu  d'exemples, 
qu'il  la  pourrait  justement  compter  parmi  ses 
raretés  les  plus  précieuses.  Mais  si  c'est  un  spec- 
tacle si  nouveau  de  voir  les  hommes  se  contenir 
dans  leur  naturelle  bassesse ,  ce  sera  une  nou- 
veauté bien  plus  admirable  de  voir  un  Dieu  se  dé- 
pouiller de  sa  souveraine  grandeur,  et  descen- 
dre du  haut  de  son  trône  par  un  anéantissement 
volontaire.  C'est,  messieurs,  cette  nouveauté 
que  l'Eglise  nous  représente  dans  le  mystère 
du  Verbe  fait  chair,  et  c'est  ce  qui  fait  dire  à 
notre  prophète  :  Creavit  Dommus  novum  su- 
per terram.  Dieu  a  fait  dans  le  monde  une  nou- 
veauté ,  lorsqu'il  y  a  envoyé  son  Fils  humilié  et 
anéanti. 

Et  en  effet  je  remarque  dans  cet  abaissement 
du  Dieu-Homme  deux  choses  tout  à  fait  extraor- 
dinaires. Dieu  est  le  Seigneur  des  seigneurs,  et 
ne  voit  rien  au-dessus  de  lui  :  Dieu  est  unique 
dans  sa  grandeur,  et  ne  voit  rien  autour  de  lui 
qui  l'égale.  Et  voici ,  ô  nouveauté  surprenante  ! 
que  celui  qui  n'a  rien  au-dessus  de  lui  se  fait 
sujet  et  se  donne  un  maître  ;  celui  que  rien  ne 
peut  égaler  se  fait  homme  et  se  donne  des  com- 
pagnons :  ce  Fils  dans  l'éternité  égal  à  son  Père , 
s'engage  à  devenir  sujet  de  son  Père  ;  ce  Fils , 
relevé  infiniment  au-dessus  des  ho^james ,  se  met 
en  égalité  avec  les  hommes.  Quelle  nouveauté, 
chrétiens!  et  n'est-ce  pas  avec  raison  que  le  pro- 
phète s'écrie  que  Dieu  a  fait  une  nouveauté?  0 
Père  céleste!  ô  hommes  mortels!  vous  recevez 
aujourd'hui  un  honneur  nouveau  dont  je  ne  puis 
parler  sans  étonnement.  Père ,  vous  n'avez  jamais 
eu  un  tel  sujet  :  hommes,  vous  n'avez  jamais  eu 
un  tel  associé. 

Venez ,  mes  frères ,  venez  tous  ensemble  com  - 
templer  cette  nouveauté  que  le  Seigneur  a  créée 
aujourd'hui  ;  mais  en  admirant  ce  nouveau  mys- 
tère que  nous  annonce  le  saint  prophète ,  n'ou- 
blions pas  ce  qu'il  y  ajoute  :  «  qu'une  femme  con- 
«  cevra  un  fils  :  »  Femina  circumdabit  virum;  et 
apprenant ,^  de  ces  paroles  mystiques,  que  la 
bienheureuse  Marie  a  été  appelée  en  société  de 
cet  ouvrage  admirable  :  pour  la  comprendre  dans 
cette  fête  à  laquelle  nous  savons  qu'elle  a  tant  de 
part,  disons  que  ce  Dieu,  qui  se  fait  sujet,  l'a- 
choisie  pour  être  le  temple  où  il  rend  à  son  Père 
son  premier  hommage  ;  et  que  ce  Dieu ,  qui  s'unit 
aux  hommes,  l'a  choisie  comme  le  canal  par  le- 
quel il  se  donne  à  eux.  Et  afin  de  nous  expliquer 
en  termes  plus  clairs ,  considérons  attentivement 
combien  Dieu  honore  cette  sainte  Vierge ,  en  ce 
que  c'est  en  elle  qu'il  s'anéantit  et  devient  soumis^ 
à  son  Père  :  c'est  ce  que  nous  dirons  dans  le  pre- 
mier point  ;  eu  ce  que  c'est  par  elle  qu'il  se  com? 


DE  L'ANNONCIATION. 


ÎOS 


mimique  et  entre  en  société  avec  les  hommes  : 
c'est  ce  que  nous  verrous  dans  le  second.  Et  voilà 
eu  peu  de  paroles  le  partage  de  ce  discours,  pour 
lequel  je  vous  demande  vos  attentions. 

PBEMIER   POINT. 

C'est  une  vérité  assez  surprenante  et  néan- 
moins très-indubitable  que  dans  les  moyens  in- 
fmis  que  Dieu  a  d'établir  sa  gloire ,  le  plus  effi- 
cace de  tous  se  trouve  joint  nécessairement  avec 
la  bassesse.  Il  peut  renverser  toute  la  nature ,  il 
peut  faire  voir  sa  puissance  aux  hommes  par 
mille  nouveaux  miracles,-  mais,  par  un  secret 
merveilleux,  il  ne  peut  jamais  porter  sa  gran- 
deur plus  haut,  que  lorsqu'il  s'abaisse  et  s'hu- 
milie. Voici  une  nouveauté  bien  étrange  :  je  ne 
sais  si  tout  le  monde  entend  ma  pensée  ;  mais  la 
preuve  de  ce  que  j'avance  paraît  bien  évidem- 
ment dans  notre  mystère.  Saint  Thomas  a  très- 
bien  prouvé  ■  que  le  plus  grand  ouvrage  de  Dieu, 
c'est  de  s'unir  personnellement  à  la  créature 
comme  il  a  fait  dans  l'incarnation.  Et  sans  m'ar- 
rêter  à  toutes  ses  preuves,  qu'il  vaut  mieux  lais- 
ser à  l'école,  parce  qu'elles  nous  emporteraient 
ici  trop  de  temps ,  il  n'y  a  personne  qui  n'entende 
assez  que  Dieu ,  dans  toute  l'étendue  de  sa  puis- 
sance qui  n'a  point  de  bornes ,  ne  pouvait  rien 
faire  de  plus  relevé  que  de  donner  au  monde  un 
Dieu-Homme,  un  Dieu  incarné.  Domine,  opus 
tuuni  *  :  «C'est  là.  Seigneur,  votre  grand  ou- 
«  vrage,  «  et  je  ne  crains  point  d'assurer  que  vous 
ne  pouvez  rien  faire  de  plus  admirable.  Que  si 
c'est  là  son  plus  grand  ouvrage ,  c'est  aussi  par 
conséquent  sa  plus  grande  gloire.  Cette  consé- 
quence est  certaine,  parce  que  Dieu  ne  se  glorifie 
que  dans  ses  ouvrages  :  Lœtahitur  Dominus  in 
operibus  suis  ^  :  «  Le  Seigneur  se  réjouira  dans 
«  ses  œuvres.  »  Or  ce  miracle  si  grand  et  si  magni 
fique ,  Dieu  ne  le  pouvait  faire  qu'en  se  rabais- 
sant; selon  ce  que  dtt  l'apôtre  saint  Paul  ^  :  Exi- 
nanivit  semetipsum  :  «  Il  s'est  lui-même  épuisé 
«  et  anéanti ,  en  prenant  la  forme  d'esclave.  » 

Disons  donc  avec  le  prophète  :  Dieu  a  fait  une 
nouveauté.  Quelle  nouveauté  a-t-il  faite?  Il  a 
voulu  porter  sa  grandeur  en  son  plus  haut  point  ; 
pour  cela  il  s'est  rabaissé  :  il  a  voulu  nous  mon- 
trer sa  gloire  dans  sa  plus  grande  lumière ,  vi- 
dimus  gloriam  ejus;  et  pour  cela  il  s'est  revêtu 
de  notre  faiblesse  :  Et  hahitavit  in  nohis;  et  vi- 
dimus  gloriam  ejus  ^  Jamais  il  ne  s'est  vu  plus 
de  gloire ,  parce  qu'il  ne  s'est  jamais  vu  plus  de 
bassesse. 

»  IJl  part.  Quasi,  i ,  art.  I 
'  Habac.  m,  a. 
'  Ps.  cm,  31, 

*  Philipp.  a,  7. 

*  J(tan.  1,  U. 


Ne  croyez  pas ,  me*  frères ,  que  je  vous  prê- 
che aujourd'hui  cette  nouveauté ,  pour  repaître 
seulement  vos  esprits  par  une  méditation  vaine 
et  curieuse  :  loin  de  cette  chaire  de  tels  senti- 
ments! Ce  que  je  prétends,  par  tout  ce  discours, 
c'est  de  vous  faire  aimer  l'humilité  sainte,  cette 
vertu  fondamentale  du  christianisme;  je  pré- 
tends, dis-je,  vous  la  faire  aimer,  en  vous  mon- 
trant l'amour  que  Dieu  a  pour  elle.  Il  ne  peut 
pas  trouver  l'humilité  en  lui-même  :  car  sa  sou* 
veraine  grandeur  ne  lui  permet  pas  de  s'abais- 
ser, demeurant  en  sa  propre  nature  ;  il  faut  qu'il 
agisse  toujours  en  Dieu,  et  par  conséquent  qu'il 
soit  toujours  grand.  Mais  ce  qu'il  ne  peut  pas 
trouver  en  lui-même ,  il  le  cherche  dans  une  na- 
ture étrangère.  Cette  nature  infiniment  abondante 
ne  refuse  point  d'aller  à  l'emprunt  :  pourquoi? 
Pour  s'enrichir  par  l'humilité.  C'est  ce  que  le 
Fils  de  Dieu  vient  chercher  au  monde  ;  c'est  pour 
cette  raison  qu'il  se  fait  homme ,  afin  que  son 
Père  voie  en  sa  personne  un  Dieu  soumis  et 
obéissant. 

Et  que  ce  soit  là  son  dessein ,  mes  frères ,  vous 
le  pouvez  aisément  juger  par  le  premier  acte 
qu'il  fit  en  venant  au  monde  au  moment  de  sa 
bienheureuse  incarnation.  Peut-être  serez- vous 
bien  aises  d'apprendre  aujourd'hui  quel  fut  le 
premier  acte  de  cet  Dieu-Homme,  quelle  fut  sa 
première  pensée  et  le  premier  mouvement  de  sa 
volonté?  Je  réponds,  et  je  ne  crains  point  de 
vous  assurer  que  ce  fut  un  acte  d'obéissance.  Par 
où  ai-je  appris  ce  secret,  qui  m'a  découvert  ce 
mystère?  C'est  le  grand  apôtre,  c'est  saint  Paul 
lui-même ,  dans  la  divine  épitre  aux  Hébreux , 
où  il  parle  ainsi  du  Fils  de  Dieu  :  «  Entrant  au 
«  monde  il  a  dit  :  »  Ingrediens ;  voilà,  mes  frè- 
res, ce  que  nous  cherchons,  ce  qu'a  dit  le  Fils 
de  Dieu  en  entrant  au  monde  ;  et  par  ce  qu'il  a 
dit  nous  savons  ce  qu'il  pense.  Donc  entrant  au 
monde ,  il  a  dit  :  Père ,  «  les  holocaustes  et  les  sa- 
«  crifices  pour  le  péché  ne  vous  ont  pas  plu  :  • 
Holocautomata pro  peccato  non  tibiplacuerunt; 
«  alors  j'ai  dit  :  J'irai  moi-même;  «  pourquoi? 
«  pour  accomplir,  ô  Dieu  !  votre  volonté  :  »  Tune 
dixi,  Ecce  venio;  ^  capite  libri  scriptum  est 
de  me,  utfaciam,  Deus,  voluntatem  luam^. 
N'est-ce  pas  nous  dire  en  termes  formels  que  le 
premier  acte  du  Fils  de  Dieu  c'est  un  acte  de  sou- 
mission et  d'humilité,  et  qu'il  est  descendu  du 
ciel  en  la  terre  pour  pratiquer  l'obéissance  :  Ecce 
venio,  utfaciam,  Deus,  voluntatem  tuam? 

Mais  poussons  encore  plus  loin,  et  voyons 
combien  Dieu  aime  l'humilité.  0  divin  acte  d'o- 
béissance, par  lequel  Jésus-Christ  commence  sa 

•  Uthr.  X,  5,  «,  7. 


206 


POUR  LA  FETE 


vie  ;  nouveau  sacrifice  d'un  Dieu  soumis ,  en  quel 
temple  serez- vous  offert  au  Père  éternel?  où 
est-ce  qu'on  verra  la  première  fois  cet  auguste , 
cet  admirable  spectacle  d'iui  Dieu  humilié  et 
obéissant?  Ah!  ce  sera  dans  les  entrailles  de  la 
sainte  Vierge;  ce  sera  le  temple,  ce  sera  l'autel 
où  Jésus  consacrera  à  son  Père  les  premiers  vœux 
de  l'obéissance.  Et  d'où  vient ,  ô  divin  Sauveur! 
que  vous  choisissez  cette  Vierge  pour  être  le  tem- 
ple sacré  où  vous  rendrez  à  votre  Père  céleste  vos 
premières  adorations  avec  une  humilité  si  pro- 
fonde? C'est  l'amour  de  Thumilité  qui  l'y  oblige; 
c'est  à  cause  que  ce  divin  temple  est  bâti  sur  l'hu- 
milité ,  sanctifié  par  l'humilité.  Le  Verbe  abaissé 
et  humilié  a  voulu  que  l'humilité  préparât  son 
temple,  et  il  n'y  a  point  pour  lui  de  demeure  au 
monde,  sinon  celle  que  l'humilité  aura  consa- 
crée. 

Le  voulez- vous  voir  par  l'Ecriture,  renouve- 
lez, messieurs,  vos  attentions  pour  y  voir  que 
l'humilité  de  Marie  a  mis  la  dernière  disposition 
que  le  Fils  de  Dieu  attendait  pour  établir  sa  de- 
meure en  ce  nouveau  temple.  Je  remarque ,  dans 
l'Évangile  de  ce  jour,  que  dans  cet  admirable 
«ntretien  de  la  sainte  Vierge  avec  l'ange;  elle  ne 
lui  parle  que  deux  fois.  Mais ,  6  admirables  paro- 
les !  Dieu  a  voulu  qu'en  ces  deux  réponses  nous 
vissions  paraître  dans  un  grand  éclat  deux  ver- 
tus d'une  beauté  souveraine ,  et  capables  de  char- 
mer le  cœur  de  Dieu  même  :  l'une  est  la  pureté 
virginale;  l'autre,  une  humilité  très-profonde. 

L'ange  Gabriel  annonce  à  Marie  qu'elle  con- 
cevra le  Fils  du  Très-Haut ,  le  roi  et  le  libérateur 
d'Israël.  Qui  pourrait  s'imaginer,  chrétiens, 
qu'une  femme  pût  être  troublée  d'une  si  heureuse 
nouvelle?  Quelle  espérance  plus  glorieuse  lui 
peut-on  donner?  quelle  promesse  plus  magnifi- 
que? mais  quelle  assurance  plus  grande ,  puis- 
que c'est  un  ange  qui  lui  parle  de  la  part  de  Dieu? 
Et  néanmoins  Marie  est  troublée  ;  elle  craint , 
elle  hésite  :  peu  s'en  faut  qu'elle  ne  réponde  que 
la  chose  ne  se  peut  faire  :  «  Comment  cela  se 
«  pourrait-il  faire,  puisque  j'ai  résolu  de  demeu- 
«  rer  vierge?  »  Quornodo'!  Y  oyez,  mes  frères, 
qu'elle  s'inquiète  pour  sa  pureté  virginale.  Si  je 
conçois  le  Fils  du  Très-Haut,  ce  me  sera,  à  la 
vérité,  une  grande  gloire;  mais,  ô  sainte  virgi- 
nité 1  que  deviendrez- vous?  je  ne  puis  consentir  à 
vous  perdre.  0  pureté  admirable ,  qui  n'est  pas 
*  seulement  à  l'épreuve  de  toutes  les  promesses 
des  hommes;  mais  encore,  et  voici  bien  plus, 
de  toutes  les  promesses- de  Dieu!  Qu'attendez- 
vous,  ô  Verbe  divin,  chaste  amateur  des  âmes 
pudiques?  qu'est-ce  qui  vous  fera  venir  sur  la 
terre,  si  cette  pureté  ne  vous  y  attire?  Atten- 

'  lue.  1,34. 


dez,  attendez;  son  heure  n'est  pas  encore  aiTî- 
vée,  et  son  temple  n'a  pas  reçu  sa  dernière  dis- 
position. 

En  effet ,  l'ange  répond  à  Marie  :  «  Le  Saint- 
«  Esprit  surviendra  en  vous  :  »  Spiritus  sanctus 
surperveniet  in  te^.W  surviendra ,  dit-ii  ;  il  n'é- 
tait donc  pas  encore  venu.  Telle  est  la  première 
parole  de  la  sainte  Vierge ,  qui  a  été  prononcée 
par  la  pureté.  Écoutez  maintenant  la  seconde  : 
Ecce  ancilla  Domini,  fiât  mihi  secundum  ver- 
bum  tuum  *  :  «  Voici  la  servante  du  Seigneur, 
«  qu'il  me  soit  fait  selon  ta  parole.  »  Vous  voyez 
assez  de  vous-même ,  sans  qu'il  soit  nécessaire 
que  je  vous  le  dise ,  que  c'est  l'humilité  qui  parle 
en  ce  lieu  ;  voilà  le  langage  de  l'obéissance.  Ma- 
rie ne  s'élève  pas  par  sa  nouvelle  dignité  de 
mère  de  Dieu  ;  et  sans  se  laisser  emporter  aux 
transports  d'une  joie  si  juste ,  elle  déclare  seule- 
ment sa  soumission.  Et  aussitôt  les  cieux  sont 
ouverts,  tous  les  torrents  des  grâces  tombent  sur 
Marie,  l'inondation  du  Saint-Esprit  la  pénètre 
toute  :  le  Verbe  se  fait  un  corps  de  son  sang  très- 
pur  ;  «  le  Père  la  couvre  de  sa  vertu  :  »  Virtus 
Altissimi  ohumbrabit  tibi  3  ;  et  ce  Fils  qu'il  en- 
gendre toujours  dans  son  sein,  parce  qu'il  est  si 
grand ,  si  immense ,  si  je  puis  parler  de  la  sorte , 
qu'il  n'y  a  que  l'infinité  du  sein  paternel  qui  soit 
capable  de  le  contenir,  il  l'engendre  dans  le  sein 
de  la  sainte  Vierge.  Comment  s'est  pu  faire  un  si 
grand  miracle?  C'est  que  l'humilité  l'a  rendue 
capable  de  contenir  l'immensité  même.  C'est  à 
cause  de  l'humilité,  ô  heureuse  Vierge!  que  vous 
recevez  en  vous ,  la  première ,  celui  qui  est  des- 
tiné pour  tout  le  monde ,  qui  a  été  promis  et  at- 
tendu tant  de  siècles  :  Ecce  Domini  mei  per 
tanta  rétro  sœcula  promissum ,  prima  suscipere 
mereris  adventum  ^.  Vous  devenez  le  temple 
d'un  Dieu  incarné,  et  l'humilité  qui  vous  a  rem- 
plie lui  rend  cette  demeure  si  agréable ,  que  par 
une  grâce  particulière  il  veut  que  «  vous  possé- 
«  diez  toute  seule,  durant  l'espace  de  neuf  mois 
«  entiers,  l'espérance  de  la  terre  ,  la  gloire  des 
«  siècles ,  le  bien  commun  de  tout  l'univers  ;  » 
Spetn  terrarum,  decus  sœculorum,  commune 
omnium  gaudium  peculiari  munere  sola  possi- 
des  ^  Tant  il  est  vrai  que  l'humilité  est  la  source 
de  toutes  les  grâces ,  et  qu'elle  seule  peut  attirer 
Jésus-Christ  eu  nous. 

Ah!  je  ne  m'étonne  pas,  chrétiens,  si  Dieu 
paraît,  si  fort  éloigné  des  hommes,  ni  s'il  retire 
de  nous  ses  miséricordes  :  c'est  que  l'humilité  est 

»   Luc.  F,  35. 
^  ////(/.  38. 
3  Ihid.  35. 

<  Euscb.  Homil.  n,  de  I^alivH.  Domin.  Bihliot.  Pair.  Lugd. 
t.  VI ,  p.  C20. 
»  Ibal.  p.  021 


DE  L'ANNONCIATION. 


207 


bannie  du  monde.  Un  homme  humble  :  je  l'ai 
déjà  dit ,  mais  il  faut  le  redire  encore  ;  un  homme 
retenu  et  modeste,  c'est  une  rareté  presque 
inouïe.  Hé  bien, 'néant  superbe,  que  faut-il  pour 
te  rabaisser,  si  un  Dieu  anéanti  n'y  suffit  pas? 
il  n'a  rien  au-dessus  de  lui,  et  il  se  donne  un 
maître  en  se  faisant  homme  :  et  toi ,  resserré  de 
toutes  parts  dans  les  chaînes  de  ta  dépendance , 
tu  ne  peux  prendre  un  esprit  soumis  !  Mais  peut- 
être  que  vous  me  direz  :  Je  suis  si  souple ,  je  suis 
si  soumis  ;  je  fais  ma  cour  si  adroitement ,  et  je 
sais  si  bien  ra'abaisser. ...  Ah  !  ne  croyez  pas  m'im- 
poser  par  cette  apparence  modeste.  Est-ce  que  je 
ne  vois  pas  clairement  qu%  tu  ne  te  soumets  que 
par  un  principe  d'orgueil?  est-ce  que  je  ne  lis  pas 
dans  ton  cœur  que  tu  ne  t'abaisses  sous  ceux  que 
l'on  nomme  les  tout-puissants ,  tant  la  vanité  est 
aveugle  !  qu'afin  de  dominer  sur  les  autres  ?  Il 
faut  que  l'orgueil  soit  enraciné  bien  profondément 
dans  vos  âmes ,  puisque  même  vous  ne  pouvez 
vous  humilier  que  par  un  sentiment  d'arrogance. 
Mais  cette  arrogance  que  vous  nous  cachez,  parce 
qu'elle  nuirait  à  votre  fortune  ;  s'il  vient  à  luire 
sur  vous  un  petit  rayon  de  faveur,  paraîtra  bien- 
tôt dans  toute  sa  force. 

0  cœur  plus  léger  que  la  paille  !  cette  prospé- 
rité inopinée  t'emporte  jusqu'à  ne  pouvoir  plus 
te  reconnaître.  Et  comment  as-tu  si  fort  oublié 
et  la  boue  dont  tu  sors  peut-être ,  et  toutes  les 
faiblesses  qui  t'environnent  1  Rentre,  ô  superbe, 
dans  ton  néant;  et  apprends  de  la  sainte  Vierge 
à  ne  te  pas  laisser  éblouir  par  l'éclat  et  par  la 
douceur  d'une  grandeur^  nouvelle  et  imprévue. 
Cette  haute  dignité  de  mère  de  Dieu  ne  fait  que 
l'abaisser  davantage;  mais  cet  abaissement  fait 
sa  gloire.  Dieu  ravi  d'une  humilité  si  profonde  , 
vient  lui-même  s'humilier  dans  ses  entrailles; 
mais  ce  n'est  pas  encore  toute  sa  grandeur.  Si  ce 
Dieu  résolu  de  s'anéantir,  veut  s'anéantir  dans 
Marie  ;  ce  même  Dieu  qui  veut  se  donner  aux 
hommes ,  leur  fait  ce  présent-par  Marie  :  c'est  ce 
que  j'ai  à  vous  dire  dans  ce  second  point ,  qui  fi- 
nira bientôt  ce  discours. 

SECOND    POINT. 

"Voici,  messieurs,  une  nouveauté  qui  n'est 
pas  moins  surprenante  que  la  première  ;  et  si  vous 
avez  été  étonnés  de  voir  un  Souverain  qui  se  fait 
sujet ,  je  crois  que  vous  ne  le  serez  pas  moins  de 
voir  l'Unique  et  l'Incomparable  qui  se  donne  des 
compagnons ,  et  qui  entre  en  société  avec  les  hom- 
mes :  Et  habitavit  in  nobis  :  c'est  le  mystère  de 
cette  journée.  Pour  bien  entendre  cette  nouveauté, 
formez-vous  en  votre  esprit  une  forte  idée  de  cette 
parfaite  unité  de  Dieu  qui  le  rend  infini,  incom- 
municable ,  et  unique  en  tout  ce  qu'il  est.  Il  est 


le  seul  sage ,  le  seul  bienheureux ,  Roi  des  rois , 
Seigneur  des  seigneurs,  unique  en  sa  majesté^ 
inaccessible  en  son  trône,  incomparable  en  sa  puis- 
sance. Les  hommes  n'ont  point  de  termes  assez 
énergiques  pour  parler  dignement  de  cette  unité  ; 
et  voici  néanmoins,  messieurs,  des  paroles  de  Ter* 
tuUien  qui  nous  en  donnent,  ce  me  semble,  «ne 
grande  idée,  autant  que  le  peut  permettre  la  fai- 
blesse humaine.  Il  appelle  Dieu  «  le  souverain 
«  grand,  w  summum  magnum  :  «  mais  il  n'est 
«  souverain ,  dit-il  qu'à  cause  qu'il  surmonte  tout 
«  le  reste,  »  summum\victoria  sua  constat' .  «  Et 
«  ainsi ,  ne  souffrant  rien  qui  l'égale ,  il  laisse  tel- 
«  lement  au-dessous  de  soi  tout  ce  qu'on  pourrait 
«  mettre  à  l'égal  de  lui ,  qu'il  se  fait  lui-même  une 
«  solitude  par  la  singularité  de  son  excellence  :  • 
atque  ex  defectione  œmuli  soliiudinem  qnam- 
dam  de  singularitateprœstantiœ  suœpossidens, 
unicumest'. 

Voilà  une  manière  de  parler  étrange  :  mais  cet 
homme ,  accoutumé  aux  expressions  fortes ,  sem- 
ble chercher  des  termes  nouveaux ,  pour  parler 
d'une  grandeur  qui  n'a  point  d'exemple.  Est-il  rien 
de  plus  majestueux  ni  de  plus  auguste  que  cette 
solitude  de  Dieu?  Pour  moi  je  me  représente, 
messiem's ,  cette  Majesté  infinie  toute  resserrée 
en  elle-même,  cachée  dans  ses  propres  lumières, 
séparée  de  toutes  choses  par  sa  propre  étendue, 
qui  ne  ressemble  pas  les  grandeurs  humaines, 
où  il  y  a  toujours  quelque  faible ,  où  ce  qui  s'élève 
d'un  côté  s'abaisse  de  l'autre  ;  mais  qui  est  de  tous 
côtés  également  forte  et  également  inaccessible. 
Qui  ne  s'étonnerait  donc ,  chrétiens ,  de  voir  cet 
Unique ,  cet  Incompai'able  ,  qui  sort  de  cette  au- 
guste solitude  pour  se  faire  des  compagnons  ;  6 
nouveauté  admirable  I  et  encore  quels  compa- 
gnons :  des  hommes  mortels  et  pécheurs?  Non 
angelos  apprehendit^  :  «  Il  ne  s'est  point  arrêté 
«  aux  anges ,  »  quoiqu'ils  fussent  pour  ainsi  dire 
les  plus  proches  de  son  voisinage.  Il  est  venu  à  pas 
de  géant,  «  sautant,  dit  l'Écriture'*,  toutes  les 
«  montagnes,  ^  c'est-à-dire,  passant  tous  les  chœurs 
des  anges  ;  il  a  cherché  la  nature  humaine ,  que 
sa  mortalité  avait  reléguée  au  plus  bas  étage  de 
l'univers ,  et  qui  avait  encore  ajouté  l'éloignement 
du  péché  à  l'inégalité  de  la  condition  :  néanmoins 
il  se  l'est  unie ,  Apprehendit;  il  l'a  saisie  en  l'âme 
et  au  corps ,  il  s'est  fait  une  chair  semblable  à  la 
nôtre.  Enfin ,  ô  bonté  !  ô  miséricorde  î  enfin  ce 
Dieu  en  devenant  homme,  «  afin  que  nous  entrions 
«  en  société  avec  lui ,  »  ut  et  nos  societatem  ha- 
beamus  cum  eo  ^ ,  est  venu  traiter  d'égal  avec 

'  Adv&n.  Marcion.  lib.  i,  n»  3. 
»  Jbid.  n"  4. 
»  Hehr.  II,  16. 

*  Caiit.  II ,  8. 

*  L  Joan.  1,3,0. 


208 

nous ,  et  cela  pour  nous  donner  le  moyen  de  trai- 
ter d'égal  avec  lui  :  Ex  œquo  agebat  Deus  cum 
hominsy  uthomo  agere  ex  œquo  cum  Deo  pos- 
^eV.  Chrétiens,  quelle  nouveauté!  qui  a  jamais 
ouï  un  pareil  mirale?  «  Quelle  nation  de  la  terre 
«  a  des  dieux  qui  s'approchent  d'elle,  comme 
«  notre  Dieu  s'approche  de  nous  *  ?  » 

Une  telle  condescendance  mériterait  bien,  chré- 
tiens, d'occuper  plus  longtemps  nos  esprits,  si  le 
mystère  de  cette  journée  ne  m'obligeait  à  jeter  les 
yeux  sur  la  bienheureuse  Marie.  Vous  avez  vu  un 
Dieu  qui  se  donne  à  nous  ;  c'est  un  grand  bonheur 
pour  notre  nature  :  mais  quelle  gloire  pour  la 
sainte  Vierge,  qu'il  se  donne  à  nous  par  son  en- 
tremise !  C'est  par  elle  qu'il  entre  au  monde ,  c'est 
par  elle  qu'il  lie  avec  nous  cette  société  bienheu- 
reuse. Non  content  de  l'avoir  choisie  pour  ce  mi- 
nistère ,  il  envoie  un  des  premiers  de  ses  anges 
pour  lui  en  porter  la  parole,  et  comme  pour  de- 
mander son  consentement.  Chrétiens,  quel  est  ce 
mystère?  tâchons  d'en  découvrir  le  secret;  et  li- 
sons-le dans  l'ordre  des  décrets  de  Dieu ,  selon 
que  Dieu  nous  les  a  révélés. 

J'ai  appris  par  son  Écriture  et  par  le  consente- 
ment unanime  de  tous  les  siècles,  que  dans  le 
n^ystère  adorable  de  la  rédemption  de  notre  na- 
ture, «'était  une  résolution  déterminée  de  la  Pro- 
vidence divine ,  de  faire  servir  à  notre  salut  tout 
ce  qui  avait  été  employé  à  notre  ruine.  Ne  me  de- 
mandez pas  ici  les  raisons  de  ce  conseil  admira- 
ble, qu'il  serait  trop  long  de  vous  expliquer;  et 
contentez-vous  d'entendre  en  un  mot ,  que  par 
une  charitable  émulation  Dieu  a  voulu  détruire 
notre  ennemi ,  en  lui  renversant  sur  la  tête  ses 
propres  machines,  et  le  défaisant,  pour  ainsi  dire , 
par  ses  propres  armes. 

C'est  pourquoi  la  foi  nous  enseigne  que  si  un 
homme  nous  perd,  un  homme  nous  sauve;  la 
itiort  règne  dans  la  race  d'Adam ,  c'est  de  la  race 
d'Adam  que  la  vie  est  née  ;  Dieu  fait  servir  de 
remède  à  notre  péché  la  mort ,  qui  en  était  la 
punition  ;  l'arbre  nous  tue ,  l'arbre  nous  guérit  ; 
et  nous  voyons  dans  l'eucharistie  qu'un  manger 
salutaire  répare  le  mal  qu'un  manger  téméraire 
avait  fait.  Selon  cette  merveilleuse  dispensation , 
que  Dieu  a  voulu  marquer  si  visiblement  dans 
tout  l'ouvrage  de  notre  salut,  il  faut  conclure 
nécessairement  que  comme  les  deux  sexes  sont 
intervenus  dans  la  désolation  de  notre  nature,  ils 
devaient  aussi  concourir  à  sa  délivrance.  Tertul- 
lien  l'a  enseigné  dès  les  premiers  siècles  dans  le 
livre  de  la  Chair  de  Jésus-Christ ,  où  parlant  de 
la  sainte  Vierge  :  «  Il  était,  dit-iP,  nécessaire 

'  Tertull.  advers.  Marcion.  lib.  il ,  n"  27. 

»  DeuU  IV,  7. 

»  Dt  Cam.  Chr.  n»  17. 


POUR  LA  FÊTE 


«  que  ce  qui  avait  été  perdu  par  ce  Sexe  fût  ra* 
«  mené  au  salut  par  le  même  sexe,  »  ut  quod 
per  ejusmodi  sexum  ahierat  in  perditionem , 
per  eumdem  sexum  redigeretnr  in  sdh^em.  L« 
martyr  saint  Irénée  l'a  dit  devant  lui  '  ;  le  grmd 
saint  Augustin  l'a  dit  après  *  ;  tous  les  saints  Pè- 
res unanimement  nous  ont  enseigné  la  même  doc- 
trine :  d'où  je  tire  cette  conséquence ,  qu'il  était 
certainement  convenable  que  Dieu  prédestinât 
une  nouvelle  Eve  aussi  bien  qu'un  nouvel  Adam  ; 
afin  de  donner  à  la  terre ,  au  lieu  de  la  race  an- 
cienne qui  avait  été  condamnée,  une  nouvelle 
postérité  qui  fût  sanctifiée  par  la  grâce. 

Et  certainement,  chrétiens ,^i  nous  méditons 
en  nous-mêmes  les  conseils  impénétrables  de  la 
Providence  dans  la  réparation  de  notre  nature , 
et  que  nous  conférions  exactement  Eve  avec  Ma- 
rie dans  le  mystère  de  cette  journée ,  nous  serons 
bientôt  convaincus  de  cette  doctrine  si  sainte  et 
si  ancienne.  Voici  les  rapports  qu'en  font  les  saints 
Pères ,  et  je  ne  fais  que  répéter  ce  qu'ils  en  ont 
dit. 

L'ouvrage  de  notre  corruption  commence  par 
Eve,  l'ouvrage  de  la  réparation  par  Marie;  la 
parole  de  mort  est  portée  à  Eve ,  la  parole  de  vie 
à  la  sainte  Vierge  ;  Eve  était  vierge  encore ,  et 
Marie  est  vierge  ;  Eve  encore  vierge  avait  son 
époux ,  et  Marie  la  Vierge  des  vierges  a  aussi  le 
sien;  la  malédiction  est  donnée  à  Eve,  la  béné- 
diction à  Marie  :  Benedicta  tu^  :  un  ange  de  té- 
nèbres s'adresse  à  Eve ,  un  ange  de  lumière  parle 
à  Marie;  l'ange  de  ténèbres  veut  élever  Eve  à 
une  fausse  grandeur,  en  lui  faisant  affecter  la 
divinité  :  «  Vous  serez,  lui  dit-il,  comme  des 
«  dieux <  :  »  l'ange  de  lumière  établit  Marie  dans 
la  véritable  grandeur  par  une  sainte  société  avec 
Dieu  :  «  Le  Seigneur  est  avec  vous ,  lui  dit  Ga- 
«  briel  ^  ;  »  l'ange  de  ténèbres  parlant  à  Eve  lui 
inspire  un  dessein  de  rébellion  :  «  Pourquoi  est- 
«  ce  que  Dieu  vous  a  commandé  de  ne  point  man- 
«  ger  de  ce  fruit  si  beau^?  »  l'ange  de  lumière  par- 
lant à  Marie  lui  persuade  l'obéissance  :  «  Ne 
«  craignez  point ,  Marie,  lui  dit-il,  et.  Rien  n'est 
«  impossible  au  Seigneur'.  »  Eve  crut  au  serpent , 
et  Marie  à  l'ange  :  de  cette  sorte ,  dit  Tertullien* , 
une  foi  pieuse  efface  la  faute  d'une  téméraire  cré* 
dulité ,  et  «  Marie  répare  en  croyant  à  Dieu  ce 
«  qu'Eve  avait  ruiné  en  croyant  au  diable  :  » 
Quod  illa  credendo  deliquit,  hœc  credendo  de- 

»  Contr.  Hœres.  lib.  v,  cap.  xix,  p.  316. 
î  De  Symh.  ad  Catechum.  Serin,  m,  cap.  iv,  t  vi,  coi 
571. 
3  Luc.  1 ,  42. 

*  Gènes,  m  ,  6. 
»  Luc.  1 ,  28. 

•  Gènes,  m,  1. 

'  Luc.  1,30,  37. 

»  D«  Carne  Chnsti,  n'  17. 


DE  L'ANNONCIATION. 


500 


Uvit  :  enfin,  pour  achever  le  mystère,  Eve  sé- 
duite par  le  démon  est  contrainte  de  fuir  devant 
la  face  de  Dieu ,  et  Marie  instruite  par  l'ange  est 
rendue  digne  de  porter  Dieu  :  Eve  nous  ayant 
présenté  le  fruit  de  mort ,  Marie  nous  présente 
le  vrai  fruit  de  vie;  afin,  dit  saint  Irénée,  écou- 
tez les  paroles  de  ce  grand  martyr,  «  afin  que  la 
«  vierge  Marie  fût  l'avocate  de  la  vierge  Eve,  »  ut 
virginis  Evœ  virgo  Maria  fieret  advocafaT. 

Un  rapport  si  exact  n'est  pas  une  invention  de 
l'esprit  humain.  Après  cela  on  ne  peut  douter 
que  Marie  ne  soit  l'Eve  bienheureuse  de  la  nou- 
velle alliance  ;  qu'elle  n'ait  la  même  part  à  notre 
salut  qu'Eve  a  eue  à  notre  ruine,  c'est-à-dire,  la 
seconde  après  Jésus-Christ;  et  qu'Eve  étant  la 
mère  de  tous  les  mortels,  Marie  ne  soit  la  mère 
de  tous  les  vivants.  C'est  Dieu  même  qui  nous 
persuade  une  vérité  si  constante,  par  l'ordre  ad- 
mirable de  tous  ses  desseins ,  par  la  convenance 
des  choses  si  évidemment  déclarée,  par  le  rapport 
nécessaire  de  tous  ses  mystères. 

Et  nos  frères  qui  nous  ont  quittés  ne  peuvent 
pas  endurer  notre  dévotion  pour  Marie,  ni  que 
nous  la  croyions  après  Jésus-Christ  la  principale 
coopéraîrice  de  notre  salut!  Qu'ils  détruisent 
donc  ce  rapport  de  tous  les  mystères  divins; 
qu'ils  nous  disent  pour  quelle  raison  Dieu  envoie 
son  ange  à  Marie.  Ne  pouvait-il  pas  faire  son 
ouvrage  en  elle  sans  en  avoir  son  consentement? 
ne  paraît-il  pas  plus  clair  que  le  jour  q\ie  c'a  été 
un  conseil  du  Père  qu'elle  coopérât  à  notre  salut 
et  à  l'incarnation  de  son  Fils,  par  son  obéissance 
et  sa  charité?  et  si  cette  charité  maternelle  a  tant 
opéré  pour  notre  bonheur  dans  le  mystère  de  l'in- 
carnation, sera-t-elle  devenue  stérile,  et  ne  pro- 
duira-t-elle  plus  rien  en  notre  faveur?  Ah!  mes- 
sieurs, qui  le  pourrait  croire?  Et  si  maintenant 
nous  attendons  d'elle  qu'elle  nous  assiste  de  son 
secours,  quel  crime  faisons-nous  de  le  deman- 
der? Est-ce  pour  cela ,  nos  chers  frères ,  que  vous 
avez  rompu  l'unité  et  abandonné  la  communion 
dans  laquelle  vos  pères  sont  morts  en  la  charité 
deNotre-Seigneur?  Mais  peut-être  n'y  en  a-t-il 
pas  qui  nous  entendent.  Revenons  à  vous ,  chré- 
tiens. 

Je  ne  puis  plus  retenir  les  secrets  mouvements 
de  mon  cœur.  Je  ne  puis  que  je  ne  m'écrie  avec 
toute  l'Église  catholique  :  0  sainte ,  ô  incompa- 
rable Marie ,  nous  crions ,  nous  gémissons  après 
vous,  misérables  bannis  enfants  d'Eve  :  Ad  te 
clamamus.  Car  à  qui  auront  leur  recours  les  en- 
fants captifs  d'Eve  l'exilée ,  sinon  à  la  mère  des 
libres?  et  si  telle  est  la  doctrine  des  anciens 
Pères ,  si  telle  est  la  foi  des  martyrs ,  que  vous 
soyez  l'avocate  d'Eve ,  ne  prendrez-vous  pas  aussi 

'  CoHt.  Ha>r.  lib.  T,  cap.  xn. ,  p.  316. 
•OSSCET.  —  T.  m. 


la  défense  de  sa  postérité  condamnée?  Si  donc 
Eve  inconsidérée  nous  a  présenté  autrefois  le 
fruit  empoisonné  qui  nous  tue;  ô  Marie,  notre 
protectrice,  que  nous  recevions  de  vos  mains  le 
fruit  de  vos  bénites  entrailles,  qui  nous  donne 
la  vie  éternelle  :  Et  Jesum,  etc.  0  merveille  des 
secrets  de  Dieu  !  ô  convenance  de  notre  foi  !  Car 
c'est  l'accomplissement  du  mystère,  que  nous 
recevions  Jésus-Christ  des  mains  de  Marie  :  elle 
nous  le  présente  pour  entrer  en  société  avec  nous. 
Vivons  comme  des  hommes  avec  qui  Jésus-Christ 
s'est  associé  »  pour  leur  apprendre  à  agir  d'une 
■^  manière  toute  divine  :  «  Conversabatur  Deus  ut 
homo  divine  ag ère  doceretur\ 


QUATRIÈME  SERMON 


LA  FÊTE  DE  L'ANNONCiATIOx\. 

La  promesse  de  notre  salot  presque  aussi  ancienne  que  la 
sentence  de  notre  mort.  La  réparaUon  du  genre  humain  figu- 
rée même  dans  les  auteurs  de  sa  ruine.  Miséricordieuse  ému- 
laUon  du  Rédempteur  de  notre  nature.  De  ctuelle  manière 
Dieu  fait  servir  à  notre  salut  ce  que  le  démon  avait  employé 
à  notre  ruine.  Rapports  admirables  entre  Eve  et  Marie  :  par 
quelle  fécondité  celle-ci  est  rendue  mère  de  tous  les  lidêles. 


Vocavit  nomen  usoris  suae,  Heva-  eb  quod  3Iater  ess«t 
cunctorum  viTeutium. 

Adam  donna  à  sa  femme  le  nom  d'Eve;  parce  qu'eUe 
était  la  Mère  de  tous  les  vivants.  Gènes,  ni,  20. 

Benedicta  tu  in  mulieribus. 

Vous  êtes  bénie  entre  toutes  les  femmes.  Luc.  1.  29. 

C'est  un  trait  merveilleux  de  miséricorde ,  que 
la  promesse  de  notre  salut  se  trouve  presque  aussi 
ancienne  que  la  sentence  de  notre  mort  ;  et  qu'un 
même  jour  ait  été  témoin  de  la  chute  de  nos 
premiers  pères ,  et  du  rétablissement  de  leur  es- 
pérance. Nous  voyons ,  en  la  Genèse  ',  que  Dieu, 
en  nous  condamnant  à  la  servitude ,  nous  pro- 
met en  même  temps  le  Libérateur;  en  pronon- 
çant la  malédiction  contre  nous,  il  prédit  au  ser- 
pent ,  qui  nous  a  trompés,  que  sa  tête  sera  brisée, 
c'est-à-dire ,  que  son  empire  sera  renversé,  et  que. 
nous  serons  délivTés  de  sa  tyrannie  :  les  menaces 
et  les  promesses  se  touchent ,  la  lumière  de  la 
faveur  nous  paraît,  dans  le  feu  même  de  la  co- 
lère; afin  que  nous  entendions,  chrétiens,  que 
Dieu  se  fâche  contre  nous  ainsi  qu'un  bon  père, 
qui ,  dans  les  sentiments  les  plus  vifs  d'une  juste 
indignation ,  ne  peut  oublier  ses  miséricordes , 
ni  retenir  les  effets  de  sa  tendresse.  Bien  plus , 
ô  incomparable  bonté  !  Adam  même  qui  nous  a 

»  Tertull.  advenus  Marcion.  lib.  ii,  n»  27. 
'  Gflws.  m,  15. 

u 


210 


POUR  LA  FÊTE 


perdus,  et  Eve  qui  est  la  source  de  notre  misère, 
nous  sont  représentés  dans  les  saintes  Lettres 
comme  des  images  vivantes  des  mystères  qui 
nous  sanctifient.  Jésus-Christ  ne  dédaigne  pas 
de  s'appeler  le  nouvel  Adam  :  Marie ,  sa  divine 
mère,  est  la  nouvelle  Eve;  et  par  un  secret  inef- 
fable nous  voyons  notre  réparation  figurée  même 
dans  les  auteurs  de  notre  ruine. 

C'est  sans  doute  dans  cette  pensée ,  que  saint 
Épiphane  a  considéré  le  passage  de  la  Genèse 
que  j'ai  allégué  pour  mon  texte.  Ce  grand  homme 
a  remarqué  doctement  que  c'est  après  sa  con- 
damnation qu'Eve  est  appelée  mère  des  vivants. 
«  Qu'est-ce  à  dire  ceci?  dit  saint  Épiphane  '. 
«  Elle  n'avait  pas  ce  beau  nom,  lorsqu'elle  était 
«  encore  dans  le  paradis  ;  et  on  commence  à  l'ap- 
«  peler  mère  des  vivants,  après  qu'elle  a  été  con- 
«  damnée  à  n'engendrer  plus  que  des  morts  :  « 
qui  ne  voit  qu'il  y  a  ici  du  mystère?  Et  c'est  ce 
qui  fait  dire  à  ce  grand  évêque  qu'elle  est  «  nom- 
«  mée  ainsi  en  énigme ,  et  comme  figure  de  la 
«  sainte  Vierge  qui  est  la  vraie  mère  de  tous  les 
«  vivants;  »  c'est-à-dire,  de  tous  les  fidèies,  aux- 
quels son  enfantement  a  rendu  la  vie. 

Chrétiens ,  enfants  de  Marie,  je  vous  prêche 
aujourd'hui  l'accomplissement  d'une  excellente 
figure.  Cette  haute  dignité  de  mère  de  Dieu  a  des 
grandeurs  trop  impénétrables,  et  ma  vue  faible 
et  languissante  ne  peut  soutenir  un  si  grand  éclat. 
Mais  si  les  splendeurs  qui  vous  environnent ,  ô 
femme  revêtue  du  soleil  et  couverte  de  la  vertu 
du  Ïrès-Haut,  nous  empêchent  d'arrêter  la  vue 
sur  cette  éminente  qualité  de  mère  de  Dieu ,  qui 
vous  élève  si  fort  au-dessus  de  nous  ;  du  moins 
nous  sera-t-il  permis  de  vous  regarder  en  la  qua- 
lité de  mère  des  hommes ,  par  laquelle  vous  con- 
descendez à  notre  faiblesse  :  et  c'est ,  fidèles ,  ce 
que  vous  verrez,  avec  le  secours  de  la  grâce.  Vous 
verrez ,  dis-je ,  que  la  sainte  Vierge ,  par  le  mys- 
tère de  cette  journée ,  est  faite  la  mère  de  tous 
les  vivants ,  c'est-à-dire ,  de  tous  les  fidèles  :  et 
cette  vérité  étant  supposée,  nous  examinerons 
dans  la  suite  ce  qu'exige  de  ses  enfants  cette 
bienheureuse  et  divine  mère. 

PREMIER    POINT. 

Tertuliien  explique  fort  excellemment  le  des- 
sein de  notre  Sauveur  dans  la  rédemption  de  no 
tre  nature,  lorsqu'il  parle  de  lui  en  ces  termes  : 
Le  diable  s'étant  emparé  de  l'homme,  qui  était 
l'image  de  Dieu ,  «  Dieu ,  dit-il ,  a  regagné  son 
««  image  par  un  dessein  d'émulation,  »  Deus  ima- 
ginem  suam  a  diabolo  captam  œmula  opéra- 
tione  recuperavit^.  Entendons  quelle  est  cette 

»  Idb.  m,  Hœres.  Lxxvm,  n"  18,  t.  i,  p.  Ï050. 
*  De  Carn.  Ckr.  n°  17. 


mulation ,  et  nous  verrons  que  cette  parole  en- 
ferme une  belle  théologie.  C'est  ([ue  le  diable, 
se  déclarant  le  rival  de  Dieu ,  a  voulu  s'assujettir 
son  image;  et  Dieu  aussi  devenu  jaloux ,  se  dé- 
clarant le  rival  du  diable,  a  voulu  regagner  son 
image  :  et  voilà  jalousie  contre  jalousie ,  émula- 
tion contre  émulation.  Or  le  principal  effet  de 
l'émulation,  c'est  de  nous  inspirer  un  certain 
désir  de  l'emporter  sur  notre  adversaire  dans  les 
choses  où  il  fait  son  fort ,  et  où  il  croit  avoir  le 
plus  d'avantage.  C'est  ainsi  que  nous  lui  faisons 
sentir  sa  faiblesse;  et  c'est  le  dessein  que  s'est 
proposé  la  miséricordieuse  émulation  du  répara- 
teur de  notre  nature.  Pour  confondre  l'audace 
de  notre  ennemi ,  il  fait  tourner  à  notre  salut  tout 
ce  que  la  diable  a  employé  à  notre  ruine,  il  ren- 
verse tous  ses  desseins  sur  sa  tête ,  il  l'accable 
de  ses  propres  machines ,  et  il  imprime  la  mar- 
que de  sa  victoire  partout  où  il  voit  quelque  ca- 
ractère de  son  rival  impuissant.  Et  d'où  vient 
cela?  C'est  qu'il  est  jaloux  et  poussé  d'une  chari- 
table émulation.  C'est  pourquoi  la  foi  nous  ensei- 
gne que  si  un  homme  nous  perd,  un  homme 
nous  sauve  ;  la  mort  règne  dans  la  race  d'Adam , 
c'est  de  la  race  d'Adam  que  la  vie  est  née  ;  Dieu 
fait  servir  de  remède  à  notre  péché  la  mort,  qui 
en  était  la  punition  ;  l'arbre  nous  tue ,  l'arbre  nous 
guérit;  et  pour  accomplir  toutes  choses,  nous 
voyons  dans  l'eucharistie  qu'un  manger  salu- 
taire répare  le  mal  qu'un  manger  téméraire  avait 
fait  :  l'émulation  de  Dieu  a  fait  cet  ouvrage. 

Et  si  vous  me  demandez,  chrétiens,  d'où  lui 
vient  cette  émulation  contre  sa  créature  impuis- 
sante ;  je  vous  répondrai  en  un  mot ,  qu'elle  vient 
d'un  amour  extrême  pour  le  genre  humain.  Pour 
relever  notre  courage  abattu ,  il  se  plaît  de  nous 
faire  voir  toutes  les  forces  de  notre  ennemi  ren- 
versées ;  et  voulant  nous  faire  sentir  que  nous  som- 
mes véritablement  rétablis ,  il  nous  montre  tous 
les  instruments  de  notre  malheur  miséricordieu- 
sement  employés  au  ministère  de  notre  salut  : 
telle  est  l'émulation  du  Dieu  des  armées.  Et  de 
là  vient  que  nos  anciens  Pères  voyant,  par  une 
induction  si  universelle,  que  Dieu  s'est  résolu- 
ment attaché  d'opérer  notre  bonheur  par  le5 
mêmes  choses  qui  ont  été  leprincipe  de  notre  perte, 
ils  en  ont  tiré  cette  conséquence  :  Si  tel  est  le 
dessein  de  Dieu ,  que  tout  ce  qui  a  eu  part  à  notre 
ruine  doive  coopérer  à  notre  salut  ;  puisque  les 
deux  sexes  sont  intervenus  en  la  désolation  de 
notre  nature,  il  fallait  qu'ils  se  trouvassent 
en  sa  délivrance  :  et  parce  que  le  genre  humain 
est  précipité  à  la  damnation  éternelle  par  un 
homme  et  par  une  femme ,  il  était  certainement 
convenable  que  Dieu  prédestinât  une  nouvelle 
Eve ,  aussi  bien  qu'un  nouvel  Adam ,  afin  de  don- 


DE  L'ANNONCIATION. 


9!1 


nor  à  la  terre  au  lieu  de  la  race  ancienne,  qui 
avait  été  condamnée ,  une  nouvelle  postérité  qui 
fût  sanctifiée  par  la  grâce. 

Mais  d'autant  que  cette  doctrine  est  le  fonde- 
ment assuré  de  la  dévotion  pour  la  sainte  Vierge , 
il  importe  que  vous  sachiez  quels  sont  les  doc- 
teurs qui  me  l'ont  apprise.  Je  vous  nomme  pre- 
mièrement le  graud  Irénée  et  le  gi-and  Tertullien  : 
et  croyez  que  vous  entendez  en  ces  deux  grands 
hommes  les  deux  plus  anciens  auteurs  ecclésias- 
tiques. Donc  le  saint  martyr  Irénée ,  cet  illustre 
évêque  de  Lyon ,  l'ornement  de  l'Ëglise  gallicane, 
qu'il  a  fondée  par  son  sang  et  par  sa  doctrine, 
parle  ainsi  de  la  sainte  Vierge  :  «  Il  fallait ,  dit-il  ' , 
«  que  le  genre  humain ,  condamné  à  la  mort  par 
«  une  v'.'Vi'ge,  fût  aussi  déli\Té  par  une  vierge.  « 
Remarquez  ces  mots  :  Et  quemadmodum  morti 
adstrictum  est  genus  humamtm  per  virginem , 
salvafur  per  virginem.  Et  ce  célèbre  prêtre  de 
Carthage,  je  veux  dire  Tertullien  :  «  Il  était, 
«  dit- il  * ,  nécessaire  que  ce  qui  avait  été  perdu  par 
«  ce  sexe ,  fût  ramené  au  salut  par  le  même  sexe  :  » 
ut  quod  per  ejusmodi  sexum  abierat  in  perdi- 
tionem,  per  eumdem  sexum  redigeretur  in  sa- 
lutem.  El  après  eux  l'incomparable  saint  Augus- 
tin ,  dans  le  livre  du  Symbole  aux  Catéchumènes  : 
«  Par  une  femme  la  mort,  nous  dit-il ,  et  par  une 
«  femme  la  vie  ;  par  Eve  la  ruine ,  par  Marie  le 
«salut  :  »  Per feminam  mors,  per feminam 
vita;  per  Evam  in  te  ri  tus,  per  Mariam  salus  ^. 
Tous  les  antres  ont  parlé  dans  le  même  sens  ;  et 
de  là  il  est  aisé  de  conclure  que  de  même  que  le 
Sauveur  prend  le  titre  de  second  Adam ,  Marie 
sans  difficulté  est  la  nouvelle  Eve  :  d'où  il  s'en- 
suit invinciblement  que  de  même  que  la  première 
Eve  est  la  mère  de  tous  les  mortels  ;  la  seconde , 
qui  est  Marie,  est  la  mère  de  tous  les  vivants, 
selon  la  pensée  de  saint  Épiphane ,  c'est-à-dire ,  de 
tous  les  fidèles. 

Et  certainement ,  chrétiens ,  cette  doctrine  si 
sainte  et  si  ancienne  n'est  pas  une  invention  de 
l'esprit  humain  ;  mais  un  secret  découvert  par 
l'Esprit  de  Dieu  :  et  afin  que  nous  en  demeurions 
convaincus,  conférons  exactement  Eve  avec 
Marie  dans  le  mystère  que  nous  honorons  au- 
jourd'hui ;  considérons  en  nous-mêmes  cette  mer- 
veilleuse émulation  du  Dieu  des  armées ,  et  les 
conseils  impénétrables  de  sa  providence  dans 
la  réparation  de  notre  nature. 

L'ouvrage  de  notre  corruption  commence  par 
Eve,  l'ouvrage  de  la  réparation  par  Marie;  la 
parole  de  mort  est  portée  à  Eve ,  la  parole  de  vie 


•  Contr.  Hteres.  lib.  v,  cap.  iix.p.  316. 
'  De  Cam.  Chr.  n"  17. 


»7I 


*  De  5ym6.  ad  Catechum. ,  Serm.  m ,  cap.  nr,  ».  Ti,  col. 


à  la  sainte  Vierge;  Eve  était  vierge  encore ,  et 
Marie  est  vierge;  Eve  encore  vierge  avait  son 
époux ,  et  Marie  la  Vierge  des  vierges  avait  son 
époux  ;  la  malédiction  est  donnée  à  Eve ,  la  béné- 
diction à  Marie  :  «  Vous  êtes  bénite  entre  toutes 
«  les  femmes  '  :  «  un  ange  de  ténèbres  s'adresse  à 
Eve,  un  ange  de  lumière  parle  à  Marie;  l'ange 
de  ténèbres  veut  élever  Eve  à  une  fausse  gran- 
deur, en  lui  faisant  affecter  la  divinité  :  «  Vous 
«  serez  comme  des  dirux,  lui  dit-il*  :  »  l'ange  de 
lumière  établit  Marie  dans  la  véritable  grandeur 
par  une  sainte  société  avec  Dieu  :  «  le  Seigneur 
«  est  avec  vous,  lui  dit  GabrieP;  «l'ange de  ténè- 
bres parlant  à  Eve  lui  inspire  un  dessein  de  rébel- 
lion :  '<  Pourquoi  est-ce  que  Dieu  vous  a  commandé 
«  de  ne  point  manger  de  ce  fruit  si  beau^?  >> 
l'ange  de  lumière  parlant  à  Marie  lui  persuade 
l'obéissance  :  «  Ne  craignez  point,  Marie,  lui 
«  dit-il ,  et.  Rien  n'e^  impossible  au  Seigneur \  » 
Eve  croit  au  serpent,  et  Marie  à  l'ange  :  de  cette 
sorte,  dit  Tertullien^,  une  foi  pieuse  efface  la 
faute  d'une  téméraire  crédulité ,  et  ^  Marie  ré- 
«  pare  en  croyant  à  Dieu  ce  qu'Eve  a  gâté  en 
«  croyant  au  diable  :  »  Quod  illa  credendo  deli- 
qnit,  hœc  credendo  delevit  :  et,  pour  achever  le 
mystère ,  Eve  séduite  par  le  démon  est  contrainte 
de  fuir  devant  la  face  de  Dieu ,  et  Marie  instruite 
par  l'ange  est  rendue  digne  de  porter  Dieu  :  Eve 
nous  ayant  présenté  le  fruit  de  mort ,  Marie  nous 
présente  le  vrai  fruit  de  vie  ;  afin ,  dit  saint  Iré- 
née, écoutez  les  paroles  de  ce  grand  martyr, 
«  afin  que  la  vierge  Marie  fût  l'avocate  de  la  vierge 
«  Eve,  »  ut  virginis  Evœ  virgo  Maria  fieret  ad- 
vocata  7. 

Après  un  rapport  si  exact  qui  pourrait  douter 
que  Marie  ne  fût  l'Eve  de  la  nouvelle  alliance , 
et  la  mère  du  nouveau  peuple  ?  Non ,  certaine- 
ment ,  chrétiens  ;  ce  ne  sont  point  les  hommes 
qui  nous  persuadent  une  vérité  si  constante  ;  c'est 
Dieu  même  qui  nous  convainc  par  l'ordre  de  ses 
conseils  très-profonds ,  par  la  merveilleuse  éco- 
nomie de  tous  ses  desseins,  par  la  convenance 
des  choses  si  évidemment  déclarées ,  par  le  rap- 
port nécessaire  de  tous  ses  mystères. 

Et  je  ne  puis  plus  ici  retenir  les  secrets  mouve- 
ments de  mon  cœur.  Je  ne  puis  que  je  ne  m'écrie 
avec  toute  l'Église  catholique  :  0  sainte ,  ô  in- 
comparable Marie,  nous  crions,  nous  gémissons 
après  vous,  misérables  bannis  enfants  d'Eve.  Car 
à  qui  auront  leurs  recours  les  enfants  captifs 

'  Luc.  1 ,  42. 

*  Gènes,  m ,  5. 
'    Luc.  1 ,  28. 

*  Gtnes.  m,  r. 

'  Luc   I,  30,  37. 

«  De  Carne  Christi,  n"  17. 

*  Coat.  H<er.  lib.  v,  cap.  xix,  p.  316. 

M. 


2t2 

d'Eve  l'exilée,  sinon  à  la  mère  des  libres?  et  si 
telle  est  la  doctrine  des  anciens  Pères,  si  telle 
est  la  foi  des  martyrs ,  que  vous  soyez  l'avocate 
d'Eve,  ne  prendrez-vous  pas  aussi  la  défense  de 
sa  postérité  condamnée?  Si  donc  Eve  inconsidérée 
nous  a  présenté  autrefois  le  fruit  empoisonné 
qui  nous  tue ,  est-il  rien  de  plus  convenable ,  ô 
Marie  notre  protectrice  !  que  nous  recevions  de 
vos  mains  le  fruit  de  vos  bénites  entrailles ,  qui 
nous  donne  la  vie  éternelle?  0  merveille  incom- 
préhensible des  secrets  de  Dieu  !  ô  convenance  de 
notre  foi  ! 

Mais  il  n'est  pas  temps  encore  de  nous  ar- 
rêter, il  faut  entrer  plus  profondément  dans  une 
méditation  si  pieuse  :  il  faut  rechercher  dans  les 
Écritures ,  et  dans  le  mystère  de  cette  journée , 
quelle  est  cette  fécondité  de  Marie ,  qui  lui  donne 
tous  les  chrétiens  pour  enfants. 

Pour  cela  nous  distinguerons  deux  sortes  de 
fécondité  :  il  y  a  la  fécondité  de  nature  ;  il  y  a 
la  fécondité  de  la  charité.  C'est  la  fécondité  de 
nature  qui  donne  les  enfants  naturels;  mais 
ceux  qui  ont  entendu  l'apôtre  saint  Paul  écri- 
vant ainsi  aux  Galates'  :  «  Mes  petits  enfants, 
«  que  j'enfante  encore  jusqu'à  ce  que  Jésus-Christ 
«  soit  formé  en  vous ,  »  savent  bien  que  la  charité 
est  féconde  ;  et  c'est  pourquoi  saint  Augustin  dit 
souvent  que  la  charité  est  une  mère  :  Charitas 
mater  esV. 

Et,  pour  porter  plus  haut  nos  pensées,  cette 
double  fécondité  que  nous  voyons  dans  les  créa- 
tures, est  émanée  de  celle  de  Dieu  qui  est  la 
source  de  toute  fécondité ,  et  «  duquel ,  comme 
«dit  l'apôtre  aux  Éphésiens^  toute  paternité 
«  prend  son  origine.  »  La  nature  de  Dieu  est  fé- 
conde ,  et  lui  donne  dès  l'éternité  son  Fils  natu- 
rel, égal  et  consubstantiel  à  son  Père.  Son  amour 
et  sa  charité  est  féconde  aussi  :  et  c'est  de  là, 
fidèles ,  que  nous  sommes  nés  avec  tous  les  en- 
fants d'adoption.  Or  d'autant  que  la  bienheureuse 
Marie  est  la  mère  du  Fils  unique  de  Dieu ,  je  ne 
craindrai  point  de  vous  dire  qu'il  faut  que  le 
Père  céleste  ait  laissé  tomber  sur  cette  Princesse 
quelque  rayon  ou  quelque  étincelle  de  sa  fécon- 
dité infinie.  Car  vous  m'avouerez  qu'il  est  impos- 
sible qu'une  créature  soit  mère  de  Dieu ,  si  elle  ne 
participe  en  quelque  manière  à  cette  divine  fécon- 
dité. Et  c'est  ce  que  l'ange  nous  fait  entendre, 
lorsqu'il  dit  que  la  bienheureuse  Marie  est  cou- 
verte de  la  vertu  du  Très-Haut. 

Comprenez  ceci ,  chrétiens.  Quand  l'ange  lui 
dit  qu'elle  enfantera  :  «  Et  comment  cela ,  ré- 

«  Gai.  IV,  19.  , 

»  InEpisl.  Joan.  Tract,  il,  n''4,  t.  m,  part,  ii,  col.  838. 
Knarrat.  in  Ps.  C5LMI,  n"  14,  t.  IV,  col.  1659. 
3  Ephes.  III,  16. 


POUR  LA  FÊTE 


«  pond-elle,  puisque  j'ai  résolu  d'être  vierge;  » 
et  par  conséquent ,  que  je  suis  stérile.  Sur  quoi 
l'ange  lui  repartit  aussitôt,  «  que  la  vertu  du 
n  Très-Haut  l'environnerait  ;  »  c'est-à-dire  :  Ne 
craignez  point,  ô  Marie!  que  la  stérilité  bien- 
heureuse que  votre  virginité  vous  apporte  vous 
empêche  de  devenir  mère  ;  «  la  vertu  du  Trè»- 
'<  Haut  vous  couvrira  toute  '  :  »  la  fécondité  da 
Père  éternel,  de  laquelle  vous  serez  remplie, 
tiendra  la  place  et  fera  l'effet  de  la  fécondité  hu- 
maine; «  et  c'est  pourquoi  celui  que  vous  concè- 
de vrez  sera  nommé  le  Fils  du  Très-Haut  ="  :  >>  pai- 
re que  vous  le  concevrez  par  une  fécondité  qui 
passe  la  nature,  et  qui  est  découlée  de  celle  de 
Dieu.  Marie  participe  donc  en  quelque  manière, 
et  autant  que  le  peut  souffrir  la  condition  d'une 
créature  à  la  fécondité  infinie  de  Dieu.  Et  de 
même  qu'il  lui  a  donné  quelque  écoulement  de  sa 
fécondité  naturelle ,  afin  qu'elle  conçût  le  vrai 
Fils  de  Dieu  ,  je  dis  aussi  qu'il  lui  a  fait  part  de 
la  fécondité  de  son  amour,  pour  la  rendre  mère 
de  tous  les  fidèles. 

Saint  Augustin ,  dans  le  livre  de  la  sainte  Vir- 
ginité, [nous  expose  cette  vérité  en  ces  termes  :  ] 
«  Marie ,  dit-il  ^ ,  est  selon  la  chair  mère  de  no- 
«  tre  chef,  et  selon  l'esprit  mère  de  ses  membres  ; 
«  parce  qu'elle  a  coopéré  par  sa  charité  à  la  nais- 
«  sance  des  enfants  de  Dieu  dans  l'Église  :  ' 
Carne  mater,  capitis  nostri  spiritu  mater  mem- 
brorum  ejus;  quia  cooperata  est  charitate  ut 
filii  Dei  nascerentur  in  Ecclesia.  Si  bien  que 
la  chair  virginale  de  la  très-pure  Marie ,  remplie 
de  la  fécondité  du  Très-Haut ,  a  engendré  Jésus- 
Christ  son  Fils  naturel,  qui  est  notre  chef;  et  sa 
charité  féconde  a  coopéré  à  la  naissance  spiri- 
tuelle de  tous  ses  membres  :  afin  qu'il  fût  vrai , 
chrétiens ,  que  Marie ,  en  qualité  de  la  nouvelle 
Eve ,  est  la  mère  de  tous  les  vivants ,  et  unie  spi- 
rituellement au  nouvel  Adam  en  la  chaste  et 
mystérieuse  génération  des  enfants  delà  nouvelle 
alliance.  Et  c'est  peut-être  ce  que  veut  dire  saint 
Jean  dans  un  beau  passage  de  l'Apocalypse  ^ ,  où 
cet  apôh-e  nous  représente  cette  femme  revêtue 
du  soleil ,  qui  est  sans  doute  la  sainte  Vierge , 
selon  l'interprétation  de  saint  Augustin  ^  ;  il  nous 
représente ,  dis-je ,  cette  femme  dans  les  douleui-s 
de  l'enfantement:  Clamabat parturiens ,  etcru- 
ciahatur  ut  pariât  ^. 

Que  dirons-nous  ici,  chrétiens?  avouerons- 
nous  à  nos  hérétiques  que  Marie  a  été  sujette  à 

"  Luc.\,  34,35. 

2  Ibid.  32. 

3  De  sanct.  Firginit.  n"  6,  t.  vi,  col.  343. 
*  Apoc.  XII,  I. 

5  De  Symbol,  ad  Catechum.,  Serm.  iv,  cap.  i ,  t.  vi ,  ooi. 

575. 
«  Apoc.  XII ,  2. 


DÉ  L'ANiNOiNCIATION. 


313 


la  malédiction  de  toutes  les  femmes ,  qui  met- 
tent leurs  enfants  au  monde  au  milieu  des  gémis- 
sements et  des  cris?  au  contraire  ne  savons-nous 
pas  qu'elle  a  enfanté  sans  douleur,  comme  elle  a 
conçu  sans  corruption  ?  Quel  est  donc  le  sens  de 
saint  Jean,  dans  cet  enfantement  douloureux 
qu'il  attribue  à  la  sainte  Vierge?  ne  devons-nous 
pas  entendre ,  fidèles ,  qu'il  y  a  deux  enfante- 
ments en  Marie  :  elle  enfante  Jésus-Christ  sans 
peine;  mais  elle  ne  nous  enfante  pas  sans  dou- 
leur, parce  qu'elle  nous  enfante  par  la  charité? 
Et  qui  ne  sait  que  les  empressements  de  la  cha- 
rité ,  et  la  sainte  inquiétude  qui  la  travaille  pour 
le  salut  des  pécheurs,  est  comparée  dans  les 
Écritures  aux  douleurs  de  l'enfantement  ?  Écou- 
tez l'apôtre  saint  Paul  :  Filioli  mei,  quos  ilerum 
parturio  '  :  «  Mes  petits  enfants  pour  qui  je  sens 
«  de  nouveau  les  douleurs  de  l'enfantement.  » 
Tellement  que  nous  pouvons  dire  que  le  disciple 
blen-aimé  de  notre  Sauveur,  qui  est  lui-même  le 
premier  fils  de  la  charité  de  Marie ,  nous  veut  re- 
présenter en  mystère  l'enfantement  spirituel  de 
cette  sainte  mère  que  Jésus  lui  avait  donnée  à  la 
croix  ;  afin  qu'à  l'exemple  de  ce  cher  disciple  tous 
les  autres  pussent  apprendre  que  par  la  vertu  fé- 
conde de  la  charité ,  Marie  est  la  mère  de  tous  les 
fidèles. 

Reconnaissons  donc,  chrétiens,  cette  sainte 
et  divine  mère  ;  voyons ,  dans  le  mystère  de  cette 
journée,  quelle  part  lui  donne  en  notre  salut 
cette  charité  maternelle.  Jésus  est  notre  amour 
et  notre  espérance ,  Jésus  est  notre  force  et  notre 
cowonne,  Jésus  est  notre  vie  et  notre  salut. 
Mais  ce  Jésus  que  le  Père  veut  donner  au  monde 
iwur  être  son  salut  et  sa  vie,  il  le  donne  par  les 
mains  de  la  sainte  Vierge  :  elle  est  choisie  dès 
l'éternité  pour  être  celle  qui  le  donne  aux  hom- 
mes. Cette  chair  qui  est  ma  victime  tire  d'elle 
son  origine  ;  on  emprunte  de  son  sacré  flanc  le 
sang  qui  a  purgé  mes  iniquités.  Et  ce  n'est  pas 
assez  au  Père  céleste  de  former  dans  les  entrailles 
de  la  sainte  Vierge  le  trésor  précieux  qu'il  nous 
communique  :  il  veut  qu'elle  coopère  par  sa  vo- 
lonté à  l'inestimable  présent  qu'il  nous  fait.  Car 
comme  Eve  a  travaillé  à  notre  ruine  par  une 
action  de  sa  volonté ,  il  fallait  que  la  bienheu- 
reuse Marie  coopérât  de  même  à  notre  salut.  C'est 
pourquoi  Dieu  lui  envoie  un  ange  :  et  l'incarna- 
tion de  son  Fils,  ce  grand  ouvrage  de  sa  puissance, 
ce  mystère  incompréhensible  qui^ient  depuis  tant 
de  siècles  le  ciel  et  la  terre  en  suspens  ;  ce  mystère, 
di&-je,  ne  s'achève  qu'après  le  consentenient  de 
Marie  :  tant  il  a  été  nécessaire  au  monde  que 
Marie  ait  désiré  son  salut. 

•^  Galat.  IV,  19. 


Mais  ne  crojons  pas ,  chrétiens ,  que  ses  pr»» 
miers  désirs  se  soient  refroidis.  Ah  !  elle  est  tou- 
jours la  même  pour  nous  ;  elle  est  toujours  bonne, 
elle  est  toujours  mère.  Cet  amour  de  notre  salut 
vit  encore  en  elle ,  et  il  n'est  ni  moins  fécond ,  ni 
moins  efficace,  ni  moins  nécessaire  qu'il  était 
alors.  Car  Dieu  ayant  une  fois  voulu ,  que  la  va 
lonté  de  la  sainte  Vierge  coopérât  efficacement 
à  donner  Jésus-Christ  aux  hommes  ;  ce  premier 
décret  ne  se  change  plus ,  et  toujours  nous  rece- 
vons Jésus-Christ  par  l'entremise  de  sa  charité.. 
Pour  qu'elle  raison?  C'est  parce  que  cette  charité 
maternelle  qui  fait  naître,  dit  saint  Augustin,  les 
enfants  de  [l'Église ,]  ayant  tant  contribué  au  sa- 
lut des  hommes,  danslincarnation  du  Dieu-Verbe,: 
elle  y  contribuera  éternellement  dans  toutes  les 
opérations  de  la  grâce,  qui  ne  sont  que  des  dépen- 
dances de  ce  mystère. 

Donc ,  mes  frères ,  dans  tous  vos  desseins  ,  dans 
toutes  vos  difficultés,  dans  tous  vos  projets,  re- 
courez à  la  charité  de  Marie.  Êtes- vous  traversés, 
allez  à  Marie.  Si  les  tempêtes  des  tentations  se 
soulèvent ,  élevez  vos  cœurs  à  Marie  :  si  sa  co- 
lère ,  si  l'ambition ,  si  la  convoitise  vous  trou- 
blent, pensez  à  Marie,  implorez  Marie'.  Ses 
prières  toucheront  le  cœur  de  Jésus  ;  parce  que 
le  cœur  de  Jésus  est  un  cœur  de  fils ,  sensible  à 
la  charité  materneîle.  Et  que  n'attendrons-noas 
point  de  Marie,  par  laquelle  Jésus  même  s'est 
donné  à  nous?  «  mais  si  nous  voulons,  dit  saint 
«  Bernard  ' ,  recevoir  l'assistance  de  ses  oraisons  ^ 
«  suivons  les  leçons  de  sa  vie.  »  Et  que  choisi- 
rons-nous dans  sa  vie?  Suivons  toujours  les  mê- 
mes principes  :  entendons  que  notre  ruine  étant 
un  ouvrage  d'orgueil ,  le  mystère  qui  nous  répare 
devait  être  l'œuvre  de  l'humilité  ;  et  afin  que  nous 
évitions  la  malédiction  de  la  rébellion  orgueilleuse 
d'Eve,  obéissons  avec  Marie  pour  être  les  vérita- 
bles enfants  de  cette  mère  commune  de  tous  les 
fidèles  *. 


'  s.  Bem.  mp.  Mistus',  ffom.n,  n*  17,  t  i, col.  743. 

»  Append.  Oper.  S-  Bernard,  in  Salve,  Regina,  Serm.  u 
n»  I,  t.  II,  col.  721. 

*  Le  second  point  de  ce  sermon  étant  répété  presque  mot  a 
mot  du  premier  point  du  précédent,  nous  l'avons  supprimé. 
D.  Déforis  avait  fait  un  amalgame  de  ces  deux  discours ,  pour 
éviter,  dit-il ,  les  répétitions.  Mais  il  n'a  pas  songé  aa  défaut 
de  liaison  et  d'unité  auquel  il  s'exposait ,  et  qu'on  aperçoit 
en  effet  dans  sa  rédaction.  Pour  prévenir  cet  inconvénient . 
nous  avons  laissé  les  deux  sermons  tels  que  Bossuet  les  a 
composés.  Le  lecteur  verra  qu'en  supprimant  le  second  point 
de  celui-ci ,  il  y  a  très-peu  de  répéUUons  ;  et  que  même  dan» 
les  morceaux  répétés  il  se  trouve  des  différences  notat)Ies. 

II  est  à  propos  d'avertir  ici  que  uous  avons  restitué  aux  ser- 
mons pour  les  jours  de  rAnnonc4àtion,  et  de  la  Purification  do 
la  sainte  Vierge,  le  titre  qu'ils  portent  dans  le  manuscrit  ori- 
ginal. Au  temps  où  Bossuet  prêchait,  ces  fêtes  étaient  rai- 
gées  comme  elles  le  sont  encore  dans  le  Bréviaire  romain  » 
parmi  les  fêtes  de  la  sainte  Vierge;  et  on  a  aussi  suivi  cet  or- 
dre  en  imprimant  les  sermons  de  Bourdaioue  et  des  autrex 
prédicateurs  de  ce  siècle.  Peut-être  a-l-oa  eu  raison,  dans  les. 


214 


POUR  LA  FÊTE 


AUTRE  EXORDE 

POUR  LE  M$ME  JOUR. 


Ad  ubi  veiiit  plenitudo  tempoiis,  misitDeusFilium  suum 
factiim  ex  mulierc. 

Quand  le  temps  a  été  accompli.  Dieu  a  envoyé  son  Fils 
fait  d'une  femme.  Gd\.  iv,  4. 

Comme  Dieu  est  riche  en  bonté ,  il  est  magni- 
fique en  présents  :  il  a  aimé  le  genre  humain  ,  et 
son  amour  libéral  s'est  signalé  par  ses  dons.  Mais 
un  Dieu  ne  doit  rien  donner  qui  ne  soit  digne  de 
lui  :  c'est  pourquoi  il  a  résolu  de  ne  nous  rien 
donner  de  moins  que  lui-même.  C'est  ce  qui  fait 
voir  aujourd'hui  au  monde  cette  merveille  inouïe, 
ee  miracle  incompréhensible  et  qui  étonne  toute 
la  nature  :  un  Dieu  fait  homme  ;  et  l'apôtre  nous 
représente  cet  excès  d'amour  par  les  premiers 
mots  de  mon  texte  :  «  Dieu  a  envoyé  son  Fils ,  » 
misii  Deus  Filium  suum. 

Mais ,  messieurs ,  il  ne  suffit  pas  qu'un  Dieu 
se  donne ,  il  faut  encore  qu'on  le  reçoive  ;  sans 
quoi  le  don  serait  inutile ,  et  le  mystère  impar- 
fait. Aussi  s'est-il  préparé  lui-même  les  plus  pu- 
res entrailles  du  monde ,  et  une  vierge  incompa- 
rable le  doit  recevoir,  non-seulement  pour  elle, 
mais  pour  nous  tous  ;  et  au  nom  de  tout  le  genre 
humain.  Tellement  que ,  pour  accomplir  le  des- 
sein de  Dieu,  il  ne  fallait  pas  seulement  qu'il 
\înt  au  monde,  mais  il  fallait  encore  qu'il  y  prit 
naissance.  Et  c'est  pour  cela  que  le  même  apôtre, 
après  avoir  dit ,  comme  j'ai  déjà  remarqué ,  que 
<^  Dieu  nous  a  envoyé  son  Fils ,  »  misit  Deus  Fi- 
lium suum,  ajoute ,  pour  nous  faire  entendre  le 
mystère  entier,  qu'il  a  été  «  fait  d'une  femme ,  » 
factum  ex  muliere. 

Voilà  donc  en  quoi  consiste ,  si  je  ne  me 
trompe,  tout  le  mystère  de  ce  jour  sacré  :  et  vous 
en  avez  l'abrégé  en  ces  deux  mots,  un  Dieu  donné, 
un  Dieu  reçu.  Dieu  se  donne  à  nous  en  la  per- 
sonne du  Verbe  incarné  ;  tous  ensemble  nous  le 
recevons  en  la  personne  de  la  sainte  Vierge,  qui 
ne  le  reçoit  que  pour  nous.  Ainsi  nous  avons 
deux  choses  à  considérer  ;  en  Jésus  le  présent 
divin  :  en  Marie  la  respectueuse  acceptation  ;  en 
Jésus  la  bonté  qui  se  communique  :  en  Marie  la 
disposition  pour  s'en  rendre  digne  ;  en  Jésus  de 
quelle  manière  Dieu  se  donne  à  nous  :  en  Marie 
ce  qu'il  nous  faut  faire  pour  le  recevoir.  Et  c'est 
à  ces  deux  poirts  principaux  que  je  réduirai, 
pour  n'être  pas  long,  toute  l'économie  de  ce 
discours. 

nouveaux  Bréviaires ,  de  classer  ces  fêtes  parmi  celles  des 
Mystères;  mais  ce  n'est  point  ici  le  lieu  d'examiner  cette 
question.  (  Édit.  de  rcrsailles.  ) 


PREMIER  SERMON 

POUR  L\  FÊTE 

DE  LA  VISITATION  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 

Pourquoi  Jésus  tient-il  sa  vertu  cachée  dans  ce  mystère,^ 
La  sainte  société  que  le  Fils  de  Dieu  contracte  avec  nous , 
des  plus  grands  mystères  du  christianisme.  Trois  mouve-  ■ 
ments  qu'il  imprime  dans  le  cœur  de  ceux  qu'il  visite.  L'a- 
baissement d'une  âme  qui  se  juge  indigne  des  faveurs  de  son 
Dieu,  représenté  dans  Elisabeth  :  le  transport  de  celle  qui  le 
cherche ,  figuré  en  saint  Jean  :  et  la  paix  de  celle  qui  le  pos- 
sède ,  marqué  dans  les  dispoeitions  de  Marie. 


Intravit  in  domum  Zachariae ,  et  salutavit  ElisabeHi. 

Marie  entra  en  la  maison  de  Zacharie,  et  salua  ÉIp\ 
sabeth.  Luc.  i,  40. 

C'est  principalement  aujourd'hui ,  et  dans 
sainte  solennité  que  nous  célébrons,  que  les  lidè-l 
les  doivent  reconnaître  que  le  Sauveur  est  ud^ 
Dieu  caché ,  dont  la  vertu  agit  dans  les  cœurs 
d'une  manière  secrète  et  impénétrable.  Je  vois 
quatre  personnes  unies  dans  le  mystère  que  nous 
honorons;  Jésus  et  la  divine  Marie,  saint  Jean 
et  sa  mère  sainte  Elisabeth  :  c'est  ce  qui  fait  tout 
le  sujet  de  notre  évangile.  Mais  ce  que  j'y  trouve 
de  plus  remarquable,  c'est  qu'à  la  réserve  du 
Fils  de  Dieu  toutes  ces  personnes  sacrées  y  exer- 
cent visiblement  quelque  action  particulière.  Eli- 
sabeth, éclairée  d'en  haut,  reconnaît  la  dignité 
de  la  sainte  Vierge,  et  s'humilie  profondément 
devant  elle  :  Unde  hoc  miM'l  Jean  sent  la  pré- 
sence de  son  divin  maître  jusque  dans  le  sein  de 
sa  mère,  et  témoigne  des  transports  incroyables  : 
Exultavit  infans\  Cependant  l'heureuse  Marie , 
admirant  en  elle-même  de  si  grands  effets  de  la 
toute-puissance  divine ,  exalte  de  tout  son  cœur 
le  saint  nom  de  Dieu ,  et  publie  sa  munificence. 
Ainsi  toutes  ces  personnes  agissent ,  et  il  n'y  a 
que  Jésus  qui  semble  immobile  :  caché  dans  les 
entrailles  de  la  sainte  Vierge ,  il  ne  fait  aucun 
mouvement  qui  rende  sa  présence  sensible;  et  lui 
qui  est  l'âme  de  tout  le  mystère ,  paraît  sans 
action  dans  tout  le  mystère. 

Mais  ne  vous  étonnez  pas,  âmes  chrétiennes, 
de  ce  qu'il  nous  tient  ainsi  sa  vertu  cachée;  il  a 
dessein  de  nous  faire  entendre  qu'il  est  ce  moteur 
invisible  qui  meut  toutes  cboses  sans  se  mouvoir, 
qui  conduit  tout  sans  montrer  sa  main  :  de  sorte 
qu'il  me  sera  aisé  de  vous  convaincre  que  si  son 
action  toute-puissante  nej?ous  paraît  pas  aujour- 
d'hui en  elle-mêflhe  dans  le  mystère,  c'est  qu'elle 
se  découvre  assez  dans  l'action  des  autres  qui  n'a- 
gissent et  ne  se  remuent  que  par  l'impression 


I 


1  Luc.  I,  48, 
î  Ibid.  44 , 


DE  LA  VISITATIOM. 


215 


qu'il  leur  donne.  C'est  ce  que  vous  verrez  plus 
évidemment  dans  la  suite  de  ce  discours  :  ou  de- 
vant vous  entretenir  des  opérations  de  son  Saint- 
Esprit  sur  trois  différentes  personnes ,  j'ai  besoin 
plus  que  jamais  du  secours  de  ce  même  Esprit 
qui  les  a  remplies;  et  je  dois  tâcher  d'attirer  ses 
grâces  par  l'intercession  de  celle  à  laquelle  il  se 
communique  si  abondamment,  qu'il  se  répand 
sur  les  autres  par  son  entremise.  C'est  la  bien- 
heureuse Marie ,  que  nous  saluerons  avec  l'ange  : 
Ave,  gratia. 

L'un  des  plus  grands  mystères  du  christianisme 
c'est  la  sainte  société  que  le  Fils  de  Dieu  contracte 
avec  nous ,  et  la  manière  secrète  dont  il  nous  vi- 
site. Je  ne  parle  pas ,  mes  très-chères  soeurs ,  de 
ces  communications  particulières  dont  il  honore 
quelquefois  des  âmes  choisies  ;  et  je  laisse  à  vos 
directeurs  et  aux  livres  spirituels  de  vous  en  ins- 
truire. Mais  outre  ces  visites  mystiques,  ne  savons- 
nous  pas  que  le  Fils  de  Dieu  s'approche  tous  les 
jours  de  ses  fidèles  ;  intérieurement  par  son  Saint- 
Esprit  ,  et  par  l'inspiration  de  sa  grâce  ;  au  de- 
hors par  sa  parole ,  par  ses  sacrements  et  surtout 
par  celui  de  l'adorable  eucharistie  ? 

Il  importe  aux  chrétiens  de  connaître  quels 
sentiments  ils  doivent  avoir  lorsque  Jésus-Christ 
vient  à  eux  ;  et  il  me  semble  qu'il  lui  a  plu  de  nous 
l'apprendre  nettement  dans  notre  évangile.  Pour 
bien  entendre  cette  vérité ,  remarquez ,  s'il  vous 
plaît,  messieurs,  que  le  Fils  de  Dieu ,  visitant  les 
hommes,  imprime  trois  mouvements  dans  leurs 
cœurs ,  et  je  vous  prie  de  vous  y  rendre  attentifs  : 
premièrement,  sitôt  qu'il  approche ,  il  nous  ins- 
pire, avant  toutes  choses ,  une  grande  et  auguste 
idée  de  sa  majesté,  qui  fait  que  l'âme,  tremblante 
et  confuse  de  sa  naturelle  bassesse,  est  saisie  de- 
vant Dieu  d'un  profond  respect ,  et  se  juge  indigne 
des  dons  de  sa  grâce  :  tel  est  son  premier  senti- 
ment. Mais ,  chrétiens ,  ce  n'est  pas  assez  :  car  cette 
âme ,  ainsi  abaissée ,  n'osera  jamais  s'approcher 
de  Dieu  ;  elle  s'en  éloignera  toujours  par  respect , 
en  reconnaissant  son  peu  de  mérite.  C'est  pour- 
quoi ,  par  un  second  mouvement ,  il  presse  au  de- 
dans son  ardeur  fidèle  de  s'approcher  avec  con- 
fiance ,  et  de  courir  à  lui  par  de  saints  désirs  ;  c'est 
le  second  sentiment  qu'il  donne.  Enfin  le  troisième 
et  le  plus  parfait  c'est  que,  se  rendant  propice  à 
ses  vœux,  il  fait  triompher  sa  paix  dans  son  cœur, 
comme  parle  le  divin  apôtre  :  Pax  Ch.i-tiexultet 
in  cordibus  vestris  '  ;  et  la  comble  d'uae  sainte 
joie  par  ses  chastes  embrassements.  Vous  le  sa- 
vez, mestrès-cheres  sœurs,  vous  qui  êtes  si  exer- 
cées dans  les  choses  spirituelles,  que  c'est  par 
ces  degrés  que  Dieu  s'avance ,  que  tels  sont  les 

■  Col.  UI,  15. 


sentiments  qu'il  inspire  aux  âmes  :  se  juger  indi- 
gnes de  Jésus-Christ,  c'est  par  cette  humilité 
qu'il  les  prépare;  désirer  ardemment  Jésus-Christ, 
c'est  par  cette  ardeur  qu'il  les  avance  ;  enfin  pos- 
séder en  paix  Jésus-Christ,  c'est  par  cette  tran- 
quillité qu'il  les  perfectionne.  Ces  trois  sentiments 
paraissent  dans  notre  Évangile  nettement  et  dis- 
tinctement,  et  avec  un  ordre  admirable. 

En  effet  ne  voyez-vous  pas  sainte  Elisabeth 
qui  considérant  Jésus-Christ ,  qui  l'honore  de  s:i 
visite  en  la  personne  de  sa  sainte  mère ,  recon- 
naît humblement  son  i  ndignité ,  en  disant  d'une 
voix  si  respectueuse  :  Et  un  de  hoc  mihi,  ut  ve- 
ntât mater  Domini  mei  ad  me  '7  <''Et  d'où  me 
«  vient  un  si  grand  honneur,  que  la  mère  de  mon 
<  Seigneur  me  visite  ?  »  D'autre  part  ne  voyez- 
vous  pas  que  ce  sont  des  désirs  ardents  qui  pres- 
sent impétueusement  le  saint  précurseur,  lors- 
que, tressaillant  au  sein  de  sa  mère,  il  veut,  ce 
semble,  rompre  les  liens  qui  l'empêchent  de  se 
jeter  aux  pieds  de  sou  Maître,  et  ne  peut  souffrir 
la  prison  qui  le  sépare  de  sa  présence  :  Eoculta- 
vit  infans  in  utero  ejus  '?  Enfin  n'entendez- vous 
pas  la  voix  ravissante  de  la  bienheureuse  Marie , 
qui ,  étant  pleine  de  Jésus-Christ ,  et  possédant  en 
paix  ce  qu'elle  aime,  s'épanche  tout  en  actions 
de  grâces ,  et  nous  témoigne  la  joie  de  son  ceeur 
par  son  admirable  cantique  :  Magnificat  anima 
mea  Dominum^  :  «  Mon  âme  exalte  le  Seigneur, 
«  et  mon  esprit  se  réjouit  en  Dieu  mon  Sauveur?  » 
Ainsi  je  ne  craindrai  pas  de  vous  assurer  qv.e  j'au- 
rai expliqué  tout  mon  évangile,  txwit  le  mystère 
de  cette  journée,  si  je  vous  fais  voir  en  ces  trois 
personnes,  sur  lesquelles  Jésus  caché  agit  aujour- 
d'hui ,  l'abaissement  d'une  âme  qui  s'en  juge  in- 
digne; c'est  ce  que  vous  remarquerez  en  Elisabeth  : 
le  transport  d'une  âme  qui  le  cherche;  c'est  ce 
que  vous  reconnaîtrez  en  saint  Jean  :  la  paix 
d'une  âme  q^ii  le  possède;  c'est  ce  que  vous  ad- 
mirerez en  la  sainte  Vierge  ;  et  c'est  le  partage 
dfc  ce  discours. 

PBEMIEfi    POI^T. 

II  est  bien  juste,  âmes  chrétiennes,  que  la 
créature  s'abaisse  lorsque  son  Créateur  la  visite  ; 
et  le  premier  tribut  que  nous  lui  devons ,  quand  il 
daigne  s'approcher  de  nous,  c'est  la  reconnais- 
sance de  notre  bassesse.  Aussi  est-ce  pour  cela 
que  je  vous  ai  dit  qu'aussitôt  qu'il  vient  à  nous 
par  sa  grâce,  le  premier  sentiment  qu'il  inspir« 
c'est  une  crainte  religieuse  qui  nous  fait  en  quel- 
que sorte  retirer  de  lui  par  la  considération  du 
peu  que  nous  sommes.  Ainsi  lisous-nous ,  en  saint 

'  Luc.  1,43. 
'  Ihid.  41. 
3  Ibid  47. 


aiG 


POLTi  LA  FÊTE 


Luc,  qu«  saiut  Pierre  n'a  pas  plutôt  reconnu  la 
divinité  de  Jésus-Christ,  par  les  effets  miraculeux 
de  sa  puissance,  qu'il  se  jette  Incontinent  à  ses 
pieds,  et,  «  Retirez- yous ,  Seigneur,  lui  dit-il, 
«  gardez-vous  bien  d'approcher  de  moi,  parce 
«  que  je  suis  un  homme  pécheur  :  «  Exi  a  me, 
quia  honio  peccator  sutn,  Domine  '.  Ainsi  ce 
pieux  Centenier,  que  Jésus  veut  honorer  d'une 
visite ,  surpris  d'une  telle  bonté ,  croit  ne  la  pou- 
voir reconnaître ,  qu'en  confessant  aussitôt  qu'il 
en  est  indigne  :  Domine,  non  sum  dignus  *.  Ainsi 
pour  venir  à  notre  sujet,  et  n'aller  pas  rechercher 
bien  loin  ce  qui  se  trouve  si  clairement  dans  no- 
tre évangile;  dès  la  première  vue  de  Marie,  dès  le 
premier  son  de  sa  voix ,  sa  cousine  sainte  Elisa- 
beth ,  qui  connaît  la  dignité  de  cette  Vierge ,  et 
contemple  par  la  foi  le  Dieu  qu'elle  porte ,  s'écrie 
étonnée  et  confuse  :  «  D'où  me  vient  un  si  grand 
n  honneur,  que  la  mère  de  mon  Seigneur  me  vi- 
«  site?  »  Unde  hoc  mihi? 

C'est,  mes  sœurs,  cette  humilité ,  c'est  ce  sen- 
timent de  respect ,  que  l'exemple  d'Elisabeth  de- 
vrait profondément  graver  dans  nos  cœurs  :  mais 
pour  cela  il  est  nécessaire  que  nous  concevions 
sa  pensée ,  et  que  nous  pénétrions  les  motifs  qui 
l'obligent  à  s'humilier  de  la  sorte.  J'en  remarque 
deux  principaux  dans  la  suite  de  son  discours,  et 
je  vous  prie  de  les  bien  comprendre.  «  D'où  me 
«  vient  cet  honneur,  dit-elle,  que  la  mère  de  mon 
«  Seigneur  me  visite?  »  C'est  sur  ces  paroles  qu'il 
faut  méditer  ;  et  ce  qui  s'y  présente  d'abord  à 
ma  vue,  c'est  qu'Elisabeth  nous  témoigne  que, 
dans  la  visite  qu'elle  reçoit ,  il  y  a  quelque  chose 
qu'elle  connaît  et  quelque  chose  qu'elle  nentend 
pas.  La  mère  de  mon  Seigneur  vient  à  moi ,  voilà 
ce  qu'elle  connaît  et  ce  qu'elle  admire  :  d'où  vient 
quelle  me  fait  cet  honneur  ;  c'est  ce  qu'elle  ignore 
etce qu'elle  cherche.  Elle  voit  la  dignitéde  Marie  ; 
et  dans  une  telle  inégalité  elle  la  regarde  de  loin, 
s'humiliant  profondément  devant  elle.  C'est  la 
bienheureuse  entre  toutes  les  femmes  ;  c'est  la 
mère  de  mon  Seigneur,  elle  le  porte  dans  ses 
bénites  entrailles  :  mater  Domini  mei:  puis-je 
lui  rendre  assez  de  soumission? 

Mais  pendant  quelle  admire  toutes  ces  gran- 
deurs, une  seconde  réflexion  l'oblige  à  redoubler 
ses  respects.  La  mère  de  son  Dieu  la  prévient  par 
une  visite  pleine  d'amitié  :  elle  sait  bien  connaî- 
tre l'honneur  qu'on  lui  fait  ;  mais  elle  n'en  peut 
pas  concevoir  la  cause  :  elle  cherche  de  tous  cô- 
tés en  elle-même  ce  qui  a  pu  lui  mériter  cette 
grâce  :  D'où  me  vient  cet  honneur,  dit-elle,  d'où 
me  vient  cette  bonté  surprenante?  Unde  hoc 
mihi?  qu'ai -je  fait  pour  la  mériter,  ou  quels 

'  Luc.  V ,  8. 
»  Matth.  vin,  8. 


services  me  l'ont  attirée?  Unde  hocPLk^  mes 
sœurs,  ne  découvrant  rien  qui  soit  digne  d'un  si 
grand  bonheur,  et  se  sentant  heureusement  pré- 
venue par  une  miséricorde  toute  gratuite ,  elle 
augmente  ses  respects  jusqu'à  l'infini,  et  ne 
trouve  plus  autre  chose  à  faire  sinon  de  présen- 
ter humblement  a  Jésus-Christ ,  qui  s'approche 
d'elle,  un  cœur  humilié  sous  sa  main,  et  une 
sincère  confession  de  son  impuissance. 

Voilà  donc  deux  motifs  pressants  qui  la  por- 
tent aux  sentiments  de  l'humilité ,  lorsque  Jésus- 
Christ  la  visite.  Premièrement,  c'est  qu'elle  n'a 
rien  qui  puisse  égaler  ses  grandeurs  :  seconde- 
ment ,  c'est  qu'elle  n'a  rien  qui  puisse  mériter 
ses  bontés  :  motifs  en  effet  très-puissants,  par 
lesquels  nous  devons  apprendre  à  servir  notre 
Dieu  en  crainte,  et  à  nous  réjouir  devant  lui 
avec  tremblement.  Car  quelle  indigence  pareille 
à  la  nôtre?  puisque  si  nous  n'avons  rien  par  na- 
ture ,  et  n'avons  rien  encore  par  acquisition , 
nous  n'avons  aucun  droit  d'approcher  de  Dieu , 
ni  par  la  condition  ni  par  le  mérite  ;  et  n'étant 
pas  moins  éloignés  de  sa  bonté  par  nos  crimes , 
que  de  sa  majesté  infinie  par  notre  bassesse ,  que 
nous  reste-t-il  autre  chose ,  lorsfju'il  daigne  nous 
regarder,  sinon  d'apprendre  d'Elisabeth  à  révé- 
rer sa  grandeur  suprême ,  par  la  reconnaissance 
de  notre  néant ,  et  à  honorer  ses  bienfaits ,  en 
confessant  notre  indignité? 

Mais  afin  de  ne  le  pas  faire  seulement  de  bou- 
che ,  et  d'avoir  ce  sentiment  imprimé  au  cœur, 
considérons  avant  toutes  choses  ce  qu'exige  de 
nous  la  grandeur  de  Dieu;  et  encore  que  nulle 
éloquence  ne  le  puisse  assez  exprimer,  pour  nous 
en  former  quelque  idée  posons  d'abord  ce  pre- 
mier principe  :  que  ce  qui  gagne  le  respect  des 
hommes ,  ce  sont  les  dignités  qui  tirent  du  pair, 
qui  donnent  un  rang  particulier,  qui  sont  uni- 
ques et  singulières.  Voilà  ce  que  les  hommes  ré- 
vèrent :  et,  ce  fondement  étant  supposé,  qui 
pourrait  nous  dire,  mes  sœurs,  le  respect  que 
nous  devons  au  souverain  Être?  Il  est  seul  en 
tout  ce  qu'il  est  ;  il  est  le  seul  sage ,  le  seul  bien- 
heureux. Roi  des  rois.  Seigneur  des  seigneurs, 
unique  en  sa  majesté ,  inaccessible  en  son  trône , 
incomparable  en  sa  puissance.  De  là  vient  que 
Tertullien,  tâchant  d'exprimer  magnifiquement 
son  excellence  incommunicable ,  dit  qu'il  est  «  le 
«souverain-grand,  qui,  ne  souffrant  rien  qui 
«  s'égale  à  lui ,  s'établit  lui-même  une  solitude 
«  par  la  singularité  de  sa  perfection ,  »  summum 
magnum,  ex  defectione  œmuli  solitudinem 
quamdam  de  singularitate prœsiantiœ  suœ  pos- 
sidens  '.  Voilà  une  manière  de  parler  étrange. 


»  Adv.  Marcion.  lib.  i,  n"  4. 


DK  LA  VISITATION. 


217 


mais  cet  homme,  accoutumé  aux  expressions 
fortes,  semble  chercher  des  termes  nouveaux, 
pour  parler  d'une  grandeur  qui  n'a  point  d'exem- 
ple. Et  surtout  n'admirez- vous  pas  cette  solitude 
de  Dieu,  sjlitudincm  de  singularitate prœstan- 
tiœ  :  solitude  vraiment  auguste ,  et  qui  doit  ins- 
pirer de  profonds  respects? 

Mais  cette  solitude  de  Dieu  nous  donne  encore, 
ce  me  semble,  une  belle  idée.  Toutes  les  gran- 
deurs ont  leur  faible  :  grand  en  puissance ,  petit 
en  courage  :  grand  courage  et  petit  esprit;  grand 
esprit  dans  un  corps  infirme ,  qui  empêche  ses 
fonctions.  Qui  peut  se  vanter  d'être  grand  en 
tout  ?  Nous  cédons  et  on  nous  cède  ;  tout  ce  qui 
s'élève  d'un  côté  s'abaisse  de  l'autre.  C'est  pour- 
quoi il  y  a  entre  tous  les  hommes  une  espèce  d'é- 
galité :  tellement  qu'il  n'y  a  rien  de  si  grand ,  que 
le  petit  ne  puisse  atteindre  par  quelque  endroit. 
Il  n'y  a  que  vous ,  ô  souverain-grand ,  ô  Dieu 
étemel ,  qui  êtes  singulier  en  toutes  choses,  inac- 
cessible en  toutes  choses ,  seul  en  toutes  choses  : 
soHtudinern  quamdam,  etc.  Vous  êtes  le  seul 
auquel  on  peut  dire  :  <•  0  Seigneur,  qui  est  sem- 
«  blable  à  vous  '  :  profond  en  vos  conseils ,  ter- 
«  rible  en  vos  jugements ,  absolu  en  vos  volontés, 
«  magnifique  et  admirable  en  vos  œuvres  *  ?  » 
Que  si  vous  êtes  si  grand,  si  majestueux,  mal- 
heur à  qui  se  fait  grand  devant  vous  ;  malheur, 
malheur  aux  têtes  superbes,  qui  vont  hautes  et 
levées  devant  votre  face  :  vous  frappez  sur  ces 
cèdres  et  vous  les  déracinez  ;  vous  touchez  ces 
orgueilleuses  montagnes ,  et  vous  les  faites  éva- 
nouir en  fumée.  Heureux  ceux  qui,  vous  sentant 
approcher  par  vos  saintes  inspirations ,  craignent 
de  s'élever  devant  vous ,  de  peur  de  vous  exciter 
à  jalousie  ;  mais  qui  s'écrient  aussitôt  avec  le 
prophète  :  «  Qu'est-ce  que  l'homme,  ô  grand 
«  Dieu,  que  vous  vous  en  souvenez?  ou  qui  sont 
«  les  enfants  des  hommes,  que  vous  leur  faites 
«  l'honneur  de  les  visiter  ^?  »  Ils  se  cachent ,  et 
votre  face  les  illumine  ;  ils  se  retirent  par  respect, 
et  vous  les  cherchez  ;  ils  se  jettent  à  vos  pieds ,  et 
votre  Esprit  pacifique  repose  sur  eux. 

Apprenez ,  ô  enfants  de  Dieu ,  de  quelle  sorte 
il  faut  recevoir  cette  souveraine  grandeur  :  mais 
pour  vous  humilier  plus  profondément ,  sachez 
que  sa  bonté  vous  prévient  en  tout;  et  que  sa 
grâce  se  montre  grâce ,  eu  ce  qu'elle  n'est  attirée 
par  aucuns  mérites.  Rendez,  rendez  ici  témoi- 
gnage à  sa  miséricorde  surabondante ,  vous  pé- 
cheurs qu'il  a  convertis,  vous  brebis  perdues  qu'il 
a  ramenées  ;  vous  autrefois  enfants  de  ténèbres , 
que  sa  grâce  a  faits  enfants  de  lumière.  Ne  s'est- 

•  Ps.  xxxrv,  10. 

*  Exod.  XV,  n. 
»  Ps.  vni ,  6. 


il  pas  souvenu  de  vous  dans  le  temps  que  vous 
l'oubliiez?  ne  vousa-t-il  pas  poursuivis,  quand 
vous  le  fuyiez  avec  plus  d'ardeur?  ne  vous  a-t-il 
pas  attirés ,  quand  vous  méritiez  le  plus  sa  ven- 
geance? Et  vous,  âmes  saintes  et  religieuses, 
qui  marchez  dans  la  voie  étroite,  qui  vous  avan- 
cez à  grands  pas  dans  le  chemin  de  la  perfection  ; 
qui  vous  a  inspiré  le  mépris  du  monde  et  l'amour 
de  la  solitude?  n'est-ce  pas  lui  qui  vous  a  choi- 
sies, et  ne  lui  confessez -vous  pas  tous  les  jours 
que  vous  n'avez  pas  mérité  ce  choix?  Je  n'ignore 
pas  cependant  que  vous  n'amassiez  des  mérites  : 
anathème  à  ceux  qui  le  nient  ;  mais  tous  ces  mé- 
rites viennent  de  la  grâce.  Si  vous  usez  bien  de 
la  grâce ,  il  est  vrai  que  ce  bon  usage  en  attire 
d'autres;  mais  il  faut  qu'elle  vous  prévienne, 
pour  vous  sanctifier  par  ce  bon  usage.  Ne  voyez- 
vous  pas,  dans  notre  Évangile,  que  ce  n'est  pas 
Elisabeth  qui  vient  à  Marie;  c'est  Marie  qui 
cherche  sainte  Elisabeth ,  c'est  Jésus  qui  prévient 
saint  Jean.  Quel  est,  mes  sœurs,  ce  nouveau 
miracle?  Jean  doit  être  son  précurseur,  il  doit 
marcher  devant  sa  face ,  il  lui  doit  préparer  les 
voies;  et  néanmoins  nous  voyons  manifestement 
qu'il  faut  que  Jésus-Christ  le  prévienne.  Et  qui 
donc  ne  prévient-il  pas,  s'il  prévient  même  son 
précurseur?  Que  si  nous  sommes  aussi  prévenus, 
de  quoi  pouvons-nous  nous  glorifier?  sera-ce 
peut-être  du  conmiencement?  mais  c'est  là  que 
la  grâce  nous  a  éclairés ,  sans  que  nous  l'ayons 
mérité.  Quoi,  sera-ce  donc  du  progrès?  mais  la 
grâce  s'étend  dans  toute  la  vie ,  et  dans  toute  la 
vie  elle  est  toujours  grâce  :  Fonsaquœ  salien- 
tis  '  ;  C'est  un  fleuve  qui  retient ,  durant  tout  son 
cours ,  le  nom  qu'il  a  pris  dans  son  origine  ;  c'est 
«  la  grâce  elle-même  qui  mérite  d'être  augmen- 
«  tée ,  afin  que ,  par  cet  accroissement ,  elle  mé- 
«  rite  d'arriver  à  sa  perfection  :  «  Ipsa  gralia 
mereiiir  augeri y  ut  aucta  mereatur  perfici,  dit 
saint  Augustin  '. 

Que  s'il  est  ainsi,  chrétiens,  que  nous  ne  vi- 
vions que  par  grâce ,  que  nous  ne  subsistions  que 
par  grâce;  que  tardons-nous  à  imiter  sainte  Eli- 
sabeth? que  ne  disons-nous  du  fond  de  nos  cœurs  : 
Unde  hoc  mihi?  «  D'où  me  vient  un  si  grand 
«  bonheur?  »  d'où  me  vient  cette  faveur  extraor- 
dinaire? Ah!  je  ne  l'ai  point  méritée;  je  ne  la 
dois ,  ô  Seigneur,  qu'à  votre  bonté.  C'est  le  pre- 
mier sentiment  que  la  grâce  inspire  ;  parce  que 
son  premier  ouvrage ,  c'est  de  se  faire  reconnaî- 
tre grâce.  Confessons  donc,  avant  toutes  choses , 
que  nous  sommes  indignes  des  dons  de  Dieu  : 
Dieu  alors  nous  en  croira  dignes ,  si  nous  avouons 
ne  l'être  pas;  si  nous  reconnaissons  qu'il  ne  nous 

'  Joan.  IV,  14. 

'  Ep.  CLXXxvi ,  n»  10,  t.  II ,  col.  667. 


218 


POUR  ÏA  FÊTE 


doit  rien,  Il  se  confessera  notre  débiteur.  Il  est 
allé  chez  le  Ceuteuier,  parce  qu'il  se  juge  indigne 
de  le  recevoir.  Pierre  se  juge  indigne  d'appro- 
cher de  lui,  il  le  fait  le  fondement  de  son  corps 
mystique.  Paul  se  trouve  indigne  qu'on  le  nomme 
apôtre,  et  il  le  fait  le  plus  illustre  de  tous  ses 
apôtres.  Jean-Baptiste  s'estime  indigne  de  lui 
délier  ses  soufiers ,  qui  est  le  plus  vil  office  d'un 
serviteur,  et  il  le  fait  son  meilleur  ami  :  Amicus 
Sponsi  •  ;  et  cette  main  qu'il  juge  indigne  des 
pieds  du  Sauveur,  est  élevée  jusqu'à  sa  tête  qu'il 
arrose  des  eaux  baptismales.  Tant  il  est  vrai , 
âmes  chrétiennes,  que  ce  qui  nous  mérite  les 
dons  de  la  grâce ,  c'est  de  confesser  humblement 
que  nous  ne  les  pouvons  mériter  ;  tellement  que 
l'humilité  est  l'appui  de  la  confiance.  Quiconque 
s'est  préparé  par^I'humilité,  peut  ensuite  s'aban- 
donner aux  désirs  ardents  dont  nous  allons  voir 
les  sacrés  transports  en  la  personne  de  saint  Jean- 
Baptiste. 

SECOND    POINT. 

Ce  n'est  pas  assez  à  l'âme  fidèle  de  s'humilier 
devant  Dieu  et  de  s'en  retirer,  en  quelque  sorte , 
par  le  sentiment  de  sa  bassesse.  Après  ce  premier 
mouvement,  par  lequel  elle  reconnaît  son  indi- 
gnité, elle  en  doit  ensuite  ressentir  un  autre; 
c'est-à-dire,  un  chaste  transport,  par  lequel  elle 
coure  à  Dieu  et  s'efforce  de  s'unir  à  lui.  Mais 
est-il  possible,  mes  sœurs,  qu'un  tel  désir  soit 
raisonnable,  et  que  des  mortels  comme  nous 
puissent  porter  si  haut  leurs  pensées?  Il  n'est  pas 
permis  d'en  douter;  et  en  voici  la  raison  solide, 
prise  de  la  nature  de  Dieu  nécessairement  bien- 
faisante. Je  vous  ai  représenté  sa  grandeur  su- 
prême, qui  éloigne  de  lui  les  créatures;  il  vous 
faut  maintenant  parler  de  sa  bonté,  qui  leur 
tend  la  main  et  qui  les  invite  :  l'une  et  l'autre 
sont  inconcevables;  et  comme,  me  défiant  de 
mes  forces,  je  me  suis  aidé  pour  la  première 
d'une  forte  expression  de  Tertullien ,  je  me  ser- 
virai pour  la  seconde  dun  excellent  discours 
d'un  autre  docteur  de  l'Église  :  c'est  le  grand 
saint  Grégoire  de  Nazianze  qui  a  mérité  parmi 
les  Grecs  le  surnom  auguste  de  Théologien ,  à 
cause  des  hautes  conceptions  qu'il  a  de  la  nature 
divine. 

Ce  grand  homme  invite  tout  le  monde  à  dési- 
rer Dieu ,  par  la  considération  de  cette  bonté  in- 
finie qui  prend  tant  de  plaisir  à  se  répandre  ;  ce 
qu'ayant  expliqué  avec  soin,  il  conclut  enfin  par 
ces  mots  :  «  Ce  Dieu ,  dit  cet  excellent  theoio- 
X  gien%  désire  d'être  désiré;  il  a  soif,  le  pour- 
ri riez- vous  croire,  au  milieu  de  son  abondance.  » 

»  Joan.  m ,  29. 

»  Orat.  XL,  t.  I,  p.  657. 


Mais  quelle  est  la  soif  de  ce  premier  Être?  c'e«t 
que  les  hommes  aient  soif  de  lui  :  sitit  sittn. 
Tout  infini  qu'il  est  en  lui-même,  et  plein  de 
ses  propres  richesses,  nous  pouvons  néanmoins 
l'obliger  :  et  comment  pouvons-nous  l'obliger? 
C'est  en  lui  demandant  qu'il  nous  oblige;  parce 
qu'il  donne  plus  volontiers  que  les  autres  ne  re- 
çoivent :  ce  sont  les  paroles  de  saint  Grégoire. 

Ne  diriez- vous  pas ,  chrétiens ,  qu'il  vous  re- 
présente une  source  vive,  qui,  par  la  fécondité 
continuelle  de  ses  eaux  claires  et  fraîches,  sem- 
ble présenter  à  boire  aux  passants  altérés?  Elle 
n'a  pas  besoin  qu'on  la  lave  de  ses  ordures,  ni 
qu'on  la  rafraîchisse  dans  son  ardeur;  mais  se 
contentant  elle-même  de  sa  netteté  et  de  sa  fraî- 
cheur naturelle,  elle  ne  demande,  ce  semble, 
plus  rien ,  sinon  que  l'on  boive ,  et  que  l'on  vienne 
se  laver  et  se  rafraîchir  de  ses  eaux.  Ainsi  la  na- 
ture divine,  toujours  riche, toujours  abondante, 
ne  peut  non  plus  croître  que  diminuer,  à  cause 
de  sa  plénitude  :  et  la  seule  chose  qui  lui  manque , 
si  l'on  peut  parler  de  la  sorte ,  c'est  qu'on  vienne 
puiser  en  son  sein  les  eaux  de  vie  étemelle,  dont 
elle  porte  en  elle-même  une  source  infinie  et  iné- 
puisable. C'est  pourquoi  saint  Grégoire  a  raison 
de  dire  qu'il  a  soif  que  nous  ayons  soif  de  lui  ;  et 
qu'il  reçoit  comme  un  bienfait ,  quand  nous  lui 
donnons  le  moyen  de  nous  bien  faire. 

Cela  étant  ainsi,  chrétiens,  c'est  faire  injure 
à  cette  bonté,  que  de  n'avoir  pas  du  désir  pour 
elle.  De  là  les  transports  de  saint  Jean  dans  les 
entrailles  de  sa  mère.  Il  sent  que  son  Maître  le 
vient  visiter,  et  il  voudrait  s'avancw  pour  le  re- 
cevoir :  c'est  le  saint  amour  qui  le  pousse ,  ce  sont 
des  désirs  ardents  qui  le  pressent.  Ne  voyez- 
vous  pas ,  âmes  saintes ,  qu'il  tâche  de  rompre 
ses  liens  par  son  mouvement  impétueux?  Mais 
s'il  demande  la  liberté,  ce  n'est  que  pour  courir 
au  Sauveur  ;  et  s'il  ne  peut  plus  souffrir  sa  pri- 
son ,  c'est  à  cause  qu'elle  le  sépare  de  sa  présence. 

C'est  donc  avec  beaucoup  de  raison  que  nous 
nous  adressons  à  saint  Jean-Baptiste,  pour  ap- 
prendre à  désirer  le  Sauveur  des  âmes  ;  puisqu'il 
lui  doit  préparer  les  voies.  C'est  à  lui  de  nous 
inspirer  des  désirs  ardents;  et  si  vous  recher- 
chez ,  chrétiens ,  quel  est  le  ministère  du  saint 
précurseur,  vous  découvrirez  aisément  qu'il  est 
envoyé  sur  la  terre  pour  faire  désirer  Jésus- 
Christ  aux  hommes ,  et  que  c'est  en  cette  ma- 
nière qu'il  lui  doit  préparer  ses  voies.  En  effet, 
il  faut  vous  faire  entendre  quel  est  le  sujet  de  sa 
mission  ;  et  il  faut  qu'un  autre  saint  Jean ,  disci- 
ple et  bien-aimé  du  Sauveur,  vous  explique  la 
fonction  de  saint  Jean-Baptiste.  Écoutez  comme 
il  parle  dans  son  Évangile  :  "  Il  y  eut  un  homme 
«  envoyé  de  Dieu ,  dont  le  nom  était  Jean  :  cet 


DE  LA  VISITATION. 


319 


•  homme  n'était  point  la  lumière;  mais  il  venait 
«  sur  la  terre,  pour  rendre  témoignage  de  la  lu- 
«  mière,  »  c'est-à-dire,  de  Jésus-Christ  :  Ao/i  erat 
ille  lux,  sed  ut  testimonium perhiberel  de  lu- 
mine  k  N'étes-voiis  pas  étonnées,  mes  sœurs, 
de  cette  façon  de  parler  de  l'évangéliste?  Jésus- 
Christ  est  la  lumière,  et  on  ne  le  voit  pas  :  Jean- 
Baptiste  n'est  pas  la  lumière ,  et  non-seulement 
on  le  voit;  mais  encore  il  nous  découvre  la  lu- 
mière même!  Qui  vit  jamais  un  pareil  prodige? 
quand  est-ce  que  l'on  a  ouï  dire  qu'il  fallût  mon- 
trer la  lumière  aux  hommes,  et  leur  dire  :  Voilà 
h  soleil?  N'est-ce  pas  la  lumière  qui  découvre 
toqt?  n'est-ce  pas  elle  dont  le  vif  éclat  vient  ra- 
nimer toutes  les  couleurs ,  et  lever  le  voile  obscur 
et  épais  qui  avait  enveloppé  toute  la  nature?  Et 
voici  que  l'Évangile  nous  vient  enseigner  que  la 
lumière  était  au  milieu  de  nous  sans  être  aperçue , 
et,  ce  qui  est  beaucoup  plus  étrange,  que  Jean, 
qui  n'est  pas  la  lumière,  est  envoyé  néanmoins 
pour  nous  la  montrer  :  Non  erat  ille  lux! 

Daus  cet  événement  extraordinaire,  chrétiens, 
n'accusons  pas  la  lumière  de  ce  que  nos  yeux 
infirmes  ne  la  peuvent  voir  :  accusons-eu  notre 
aveuglement;  accusons  la  faiblesse  d'une  vue 
tremblante,  qui  ne  peut  souffrir  le  grand  jour. 
C'est  ce  que  le  grand  Augustin  nous  explique 
délicatement,  par  ces  excellentes  paroles  :  Tain 
injirmi  sumus , per lucernam  quœrimus diem^. 
Saint  Jean  n'était  qu'un  petit  flambeau  :  Erat 
lucema  ardens  et  lucens^-^  et  «  telle  est  notre 
«  infirmité,  qu'il  nous  faut  un  flambeau  pour 
«  chercher  le  jour  :  »  il  nous  faut  Jean-Baptiste 
pour  chercher  Jésus,  per  lucernam  quœrimus 
diem  :  c'est-à-dire,  mes  très-chères  sœurs ,  qu'il 
fallait  à  nos  faibles  yeux  une  lumière  douce  et 
tempérée,  pour  nous  accoutumer  au  jour  du  midi  ; 
et  qu'il  nous  fallait  montrer  de  petits  rayons  pour 
nous  faire  désirer  de  voir  le  soleil,  que  nous 
avions  entièrement  oublié  dans  la  longue  nuit 
de  notre  ignorance  :  car  c'est  en  ceci  principale- 
ment qu'était  déplorable  l'aveuglement  de  notre 
nature,  et  je  vous  prie  de  le  bien  entendre. 

Nous  avions  premièrement  perdu  la  lumière  ; 
«  le  soleil  de  justice  ne  nous  luisait  plus  :  «  Sol 
intell' (jentiœ  non  ortus  esteis^.  Non-seulement 
nous  lavions  perdue  ;  mais  nous  en  avions  même 
perdu  le  désir,  et  «  nous  aimions  mieux  les  té- 
«  nèbres  :  »  Dilexerunt homines  magis  tenebras, 
quam  lucem'^.  Nous  en  avions  non-seulement 
perdu  le  désir;  mais  nous  nous  plaisions  telle- 


'  Jnan.  1,  8. 

»  In  Joan.  Tract,  il,  n°  8,  t.  lu,  part,  il,  col.  301. 

*  Joan.  V,  35. 

*  Sap.  T,  6. 

*  Joan.  m  ,  19. 


ment  dans  l'obscurité,  l'ignorance  de  la  vérité 
nous  était  de  telle  sorte  passée  en  nature ,  que 
nous  craignions  de  voir  la  lumière  :  nous  fuyions 
devant  la  lumière  ;  nous  haïssions  même  la  lu- 
mière :  car  «  celui  qui  fait  le  mal  hait  la  lumière  :  « 
Qui  maie  agit,  odit  lucem\  D'où  nous  venait 
cet  aveuglement ,  ou  plutôt  cette  haine  de  la 
clarté?  Il  faut  que  saint  Augustin  nous  le  fasse 
entendre  ;  en  remarquant  certain  rapport  de  l'en- 
tendement aux  yeux  corporels,  et  de  la  lumière 
spirituelle  à  la  lumière  sensible.  Les  yeux  ont 
été  faits  pour  voir  la  lumière;  et  tu  es  faite, 
âme  raisonnable ,  pour  voir  la  vérité  éternelle, 
qui  illumine  tout  homme  qui  naît  au  monde. 
«  Les  yeux  se  nourrissent  de  la  lumière  :  »  Luce 
quippe  pascuntur  oculi  noslri,  dit  saint  Augus- 
tin *  ;  et  «  ce  qui  fait  voir,  poursuit  ce  grand 
«  homme ,  que  la  lumière  les  nourrit  et  les  for- 
«  tilie,  c'est  que  s'ils  demeurent  trop  longtemps 
«  dans  l'obscurité ,  ils  deviennent  faibles  et  ma- 
'<  lades  :  »  Cum  in  tenebris  fuerint ,  injirmantur. 
Et  cela,  pour  quelle  raison;  si  ce  n'est,  dit  le 
même  saint ,  qu'ils  «  sont  privés  de  leur  nourri- 
e  tui^,  et  comme  fatigués  par  un  trop  long  jeûne  : 
Fraudati  oculi  cibo  suo  defatigantur  et  debili- 
tantur,  quasi  quodamjejunio  lucis?  D'où  il  ar- 
ri\  e  encore  un  effet  étrange ,  c'est  que  si  l'on  con- 
tinue à  leur  dérober  cette  nourriture  agréable  : 
ou  vous  les  verrez  enfin  défaillir,  manque  d'ali- 
ment, où,  s'ils  ne  meurent  pas  tout  à  fait,  ils 
seront  du  moins  si  débiles ,  qu'à  force  de  disconti- 
nuer de  voir  la  lumière,  ils  n'en  pourront  plus 
supporter  l'éclat  ;  ils  ne  la  regarderont  qu'à  demi, 
d'un  œil  incertain  et  tremblant.  Ah!  rendez-nous, 
diront-ils,  notre  obscurité;  ôtez-nous  cette  lu- 
jnière  importune  :  ainsi  la  lumière,  qui  était  leur 
vie ,  est  devenue  l'objet  de  leur  aversion. 

Chrétiens ,  ne  sentons-nous  pas  qu'il  nous  en 
est  arrivé  de  même?  qui  ne  sait  que  nous  sommes 
faits  pour  nous  nourrir  de  la  vérité?  C'est  d'elle 
que  doit  vivre  l'âme  raisonnable  :  si  elle  quitte 
cette  viande  céleste ,  elle  perd  sa  substance  et  sa 
force;  elle  devient  languissante  et  exténuée  ;  elle 
ne  peut  plus  voir  qu'avec  peine;  après,  elle  ne 
désire  plus  de  voir  ;  enfin  elle  ne  hait  rien  tant 
que  de  voir.  Ah  !  qu'il  n'est  que  trop  véritable , 
qu'il  n'est  que  trop  constant  par  expérience  !  On 
s'engage  à  des  attachements  criminels,  on  ne 
cherche  que  les  ténèbres  ;  les  fumées  s'épaissis- 
sent autour  de  l'esprit,  et  la  raison  en  est  offusr 
quée  :  celui  qui  est  en  cet  état  ne  peut  pas  voir, 
«  la  lumière  de  ses  yeux  n'est  plus  avec  lui  :  » 
Lumen  oculorum  meorum  et  ipsum  non  est 


»  Joan.,  ni,  20. 

'  In  Joan.  Tract,  xiu,  n"  5 ,  t.  m,  part,  u,  col.  aw. 


POUR  LA  FÊTE 


320 

mectt/M'.  Voulez- vous  être  convaincus  qu'il  ne 
veut  pas  voir  :  au  milieu  de  ces  ombres  qui  l'en- 
vironnent ,  un  sage  ami  s'approche  de  lui  ;  il  ob- 
serve s'il  n'y  a  point  quelque  endroit  par  où  on 
lui  puisse  faire  entrevoir  le  jour  :  mais  il  en  dé- 
tourne la  vue  ;  il  ne  veut  point  voir  la  lumière , 
qui  lui  découvre  une  erreur  qu'il  aime  et  dont  il 
ne  veut  pas  se  désabuser  :  Oculos  suos  statue- 
runt  declinare  in  terram,'^. 

C'est  ainsi  que  sont  les  pécheurs,  c'est  ainsi 
qu'était  tout  le  genre  humain  :  la  lumière  s'était 
retirée ,  et  avait  laissé  les  hommes  malades  dans 
un  long  oubli  de  la  vérité.  Que  ferez- vous ,  ô  di- 
vin Jésus,  splendeur  éternelle  du  Père?  montre- 
rez-vous  d'abord  à  nos  yeux  infirmes  votre  lu- 
mière si  vive  et  si  éclatante?  Non,  mes  sœurs, 
il  ne  le  fait  pas  ;  il  se  cache  encore  en  lui-même  : 
mais  il  se  réfléchit  sur  saint  Jean.  Il  envoie  pre- 
mièrement des  rayons  plus  faibles  pour  fortifier 
peu  à  peu  notre  vue  tremblante  et  nous  faire  in- 
sensiblement désirer  la  beauté  du  jour.  Divin 
précurseur,  voilà  votre  emploi  ;  et  vous  commen- 
cez aujourd'hui  ce  saint  exercice. 

Et  en  effet ,  ne  voyez- vous  pas  que  Jésus  n'a- 
git pas?  il  ne  remue  pas,  il  ne  se  montre  pas,  il 
ne  paraît  pas  encore  en  lui-même,  et  il  brille 
déjà  en  saint  Jean.  C'est  pourquoi  le  bon  Zacha- 
rie  compare  Jésus-Christ  au  soleil  levant  :  Visi- 
tavit  nos  oriens  ex  alto^  :  «  L'orient,  dit-il, 
«  nous  a  visités.  «  Et  comment  nous  a-t-il  visi- 
tés ;  puisqu'il  est  encore  au  sein  de  sa  mère ,  et 
qu'il  ne  s'est  pas  encore  découvert  au  monde?  Il 
est  vrai,  nous  dit  Zacharie;  mais  c'est  un  soleil 
qui  se  lève  :  on  ne  le  voit  pas  encore  paraître ,  il 
n'est  pas  sorti  de  l'autre  horizon;  toutefois  ne 
voyez-vous  pas  qu'il  nous  a  déjà  visités?  nous 
voyons  déjà  poindre  sa  lumière ,  luire  ses  rayons; 
en  sorte  qu'il  éclaire  déjà  les  montagnes,  parce 
qu'il  a  déjà  lui  sur  son  précurseur  :  Visitavit 
nos  oriens.  Voyez  comme  il  se  réjouit  de  ce  nou- 
veau jour  ;  considérez  avec  quel  transport  il  adore 
cette  lumière  naissante  :  c'est  qu'il  nous  veut  ap- 
prendre à  la  désirer.  Car  ne  semble-t-il  pas  qu'il 
nous  dise  par  ce  tressaillement  admirable  :  Que 
tardez-vous ,  mortels  misérables ,  à  courir  au  di- 
vin Jésus  ;  pourquoi  fuyez- vous  sa  lumière ,  qui 
est  la  vie  des  cœurs ,  la  paix  des  esprits ,  la  joie 
unique  des  yeux  épurés,  la  viande  incorruptible 
des  âmes  fidèles?  que  n'allez-vous  donc  à  Jésus? 
que  ne  courez-vous  à  Jésus?  Celui  qui  se  fait  sentir 
au  cœur  d'un  enfant ,  quels  charmes  aura-t-ilpour 
les  hommes  faits?  Il  le  fait  tressaillir  de  joie  jus- 
que dans  l'obscurité  du  sein  maternel  ;  que  sera- 

'   P$.  XXXVII,  II. 

»  Ibid.  XVI,  U. 
*luç.  1,78. 


ce  donc  dans  son  sanctuaire?  et  si  ses  premières 
approches  causent  des  transports  si  aimables ,  que 
feront  ses  embrassements  ? 

Je  ne  me  lasserai  point  de  le  répéter.  Quoi ,  mes 
sœurs,  il  ne  paraît  pas,  il  n'agit  pas,  il  ne  parle 
pas,  et  déjà  sa  sainte  présence  remplit  tout  de 
joie  et  de  l'Esprit  de  Dieu  !  Quel  bonheur,  quel 
ravissement,  de  recevoir  de  sa  bouche  divine 
les  paroles  de  vie  éternelle  ;  d'en  voir  couler  un 
fleuve  d'eau  vive ,  pour  rafraîchir  les  cœurs  alté- 
rés; de  lui  voir  miséricordieusement  chercher  les 
pécheurs;  d'entendre  résonner  sa  voix  paternelle, 
qui  appelle  à  soi  tous  ceux  qui  travaillent ,  et  leur 
promet  un  si  doux  repos  :  mais ,  quoi?  de  le  con- 
templer jusque  dans  sa  gloire ,  de  regarder  à  dé- 
couvert sa  divine  face,  et  rassasier  ses  yeux  éter- 
nellement de  ses  beautés  immortelles! 

Ah  !  que  tardons-nous,  âmes  chrétiennes?  que 
n'excitons- nous  nos  désirs,  que  ne  pressons-nous 
nos  ardeurs  trop  lentes?  Ce  n'est  pas  seulement 
Jean  qui  sent  de  près  ce  divin  Sauveur,  qui  dé- 
sire ardemment  sa  sainte  présence  :  de  si  loin  que 
Jésus-Christ  a  été  prévu,  il  a  été  désiré  avec 
ferveur.  «  Mon  âme ,  disait  David ,  languit  après 
«  vous  :  quand  viendrai-je?  quand  m'approche- 
«  rai-je  de  la  face  de  mon  Seigneur?  »  Quando 
veniam,  et  appareho  antefaciem  Dei^l  Quelle 
honte,  quelle  indignité,  si,  lorsqu'on  soupire  à 
lui  de  si  loin ,  ceux  dont  il  s'approche ,  qui  le 
possèdent ,  ne  s'en  soucient  pas  1  Car,  mes  frè- 
res ,  n'est-il  pas  à  nous ,  ne  l'avons-nous  pas  sur 
nos  saints  autels?  lui-même,  en  sa  propre  subs- 
tance ,  ne  s'y  donne-t-il  pas  à  nous?  S'il  ne  nous 
est  pas  encore  donné  de  l'embrasser  dans  son 
trône,  que  ne  courons-nous  du  moins  à  ses  saints 
autels?  Courons  donc  à  cette  table  mystique,  pre- 
nons avidement  ce  corps  et  ce  sang  ;  n'ayons  de 
faim  que  pour  cette  viande ,  n'ayons  de  soif  que 
pour  ce  breuvage  :  car  pour  bien  désirer  Jésus , 
il  ne  faut  désirer  que  lui.  Désirons  Jésus-Christ 
avec  transport  ;  nous  trouverons  en  lui  la  paix  de 
nos  âmes ,  cette  paix  qu'il  vous  faut  montrer  en 
la  bienheureuse  Marie  :  et  c'est  par  où  je  m'en  vais 
conclure. 

TBOISIÈME    POINT. 

Voici  l'accomplissement  de  l'œuvre  de  Dieu 
dans  les  âmes  qu'il  a  choisies.  Il  les  purifie  par 
l'humilité,  il  les  enflamme  par  les  désirs;  enfin 
lui-même  il  se  donne  à  elles ,  et  leur  amène  avec 
lui  une  paix  céleste.  Ce  sont,  mes  sœurs,,  les 
chastes  délices  de  cette  sainte  et  divine  paix  qui 
réjouissent  la  sainte  Vierge  en  Notre-Seigneur, 
et  qui  lui  font  dire  d'une  voix  contente  :  «  Mon 
«  âme  exalte  le  nom  du  Seigneur,  et  mon  esprit 

'  Ps.  XU  ,  3. 


DE  LA  VISITATION. 


221 


se  réjouit  ea  Dieu  mon  sauveur  :  »  Magnificat 
anima  mea  Dominum  \  Certainement  son  âme 
est  en  paix ,  puisqu'elle  possède  Jésus-Christ.  Et 
c'est  aussi  pour  cette  raison,  que,  ne  pouvant 
assez  expliquer  cette  paix  inconcevable  des  âmes 
pieuses ,  je  m'adresse  à  la  sainte  Vierge  ;  et  je 
vous  prie  d'en  apprendre  d'elle  les  incomparables 
douceurs,  en  parcourant  ce  sacré  cantique  qui 
ravit  aujourd'hui  le  ciel  et  la  terre.  Mais  pour  en 
comprendre  la  suite,  il  faut  vous  représenter, 
comme  en  raccourci ,  les  instructions  qu'il  con- 
tient, que  nous  examinerons  ensuite  en  détail 
dans  le  peu  de  temps  qui  nous  reste. 

Pour  cela,  je  partage  ce  cantique  en  trois. 
Marie  nous  dit ,  avant  toutes  choses ,  les  faveurs 
que  Dieu  lui  a  faites.  «  Il  a,  dit-elle,  regardé 

•  mon  néant;  il  m'a  fait  de  très-grandes  choses, 

•  il  a  déployé  sur  moi  sa  puissance.  »  Elle  parle 
secondement  du  mépris  du  monde ,  et  considère 
sa  gloire  abattue  :  «  Dieu  a  dissipé  les  superbes , 
«  Dieu  a  déposé  les  puissants  ;  et  pour  punir  les 
•'  riches  avares ,  il  les  a  renvoyés  les  mains  vi- 
«  des.  »  Enfin  elle  conclut  son  sacré  cantique  en 
admirant  la  vérité  de  Dieu  et  la  fidélité  de  ses 
promesses  :  «  Il  s'est  souvenu  de  sa  miséricorde , 
«  ainsi  qu'il  l'avait  promis  à  nos  pères,  >>  sicut 
locuhis  est  ad  paires  nostros  ^  Voilà  trois  choses 
qui  semblent  bien  vagues ,  et  n'ont  pas  apparem- 
ment grande  liaison  :  néanmoins  elle  est  admi- 
rable, et  je  vous  prie ,  mes  soeurs,  de  le  bien  en- 
tendre; car  il  me  semble  que  le  dessein  de  la 
sainte  Vierge ,  c'est  d'exciter  les  cœurs  des  fidè- 
les à  aimer  la  paix  que  Dieu  donne.  Pour  leur 
en  montrer  la  douceur,  elle  leur  en  découvre  d'a- 
bord le  principe  :  principe  certainement  admira- 
ble ;  c'est  le  regard  de  Dieu  sur  les  justes,  sa  bonté 
qui  les  accompagne ,  sa  providence  qui  veille  sur 
eux  :  Respexit  humilitatetn  ancillœ  suœ  ^  ;  c'est 
ce  qui  fait  naître  la  paix  dans  les  saintes  âmes. 
Mais  parce  que  l'éclat  des  faveurs  du  monde ,  et 
les  vaines  douceurs  qu'il  promet,  les  pourraient 
détourner  de  celles  de  Dieu ,  elle  leur  montre 
secondement  le  monde  abattu ,  et  sa  gloire  dé- 
truite et  anéantie.  Enfin ,  comme  ce  renversement 
des  grandeurs  humaines,  et  l'entière  félicité  des 
âmes  fidèles  ne  nous  paraît  pas  en  ce  siècle;  de 
peur  qu'elles  ne  se  lassent  d'attendre,  elle  affer- 
mit leur  esprit  dans  la  paix  de  Dieu ,  par  la  cer- 
titude de  ses  promesses.  Voilà  l'ordre  et  l'abrégé 
du  sacré  cantique  :  peut-être  ne  paraît-il  pas 
encore  assez  clair  ;  mais  j'espère  bien,  chrétiens, 
que  je  vous  le  ferai  aisément  entendi'e. 

Considérons  donc,  avant  toutes  choses,  le 

'  Lw.  1 ,  47. 

'  Ibid.  55. 
»  Ibid.  48. 


r  principe  de  cette  paix  ;  et  comprenons-en  la  dou- 
ceur, par  la  cause  qui  la  fait  naître.  Dites-la-nous, 
ô  divine  Vierge  !  dites-nous  ce  qui  réjouit  votre 
esprit  en  Dieu.  «  C'est,  dit-elle,  qu'il  m*a  re- 
«  gardée  ;  c'est  qu'il  lui  a  phi  de  jeter  les  yeux 
«  sur  la  bassesse  de  sa  servante  :  ■>  Quia  respe- 
xit  humililatem  ancillœ  suœ.  Il  nous  faut  en- 
tendre ,  mes  sœurs,  ce  que  signifie  ce  rcg«ird  de 
Dieu ,  et  concevoir  les  biens  qu'il  enferme.  Re- 
marquez, dans  les  Écritures,  que  le  regard  de 
Dieu  sur  les  justes  signifie ,  en  quelques  endroits , 
sa  faveur  et  sa  bienveillance  ;  et  qu'il  signifie ,  ea 
d'autres  passages,  son  secours  et  sa  protection. 
Dieu  ouvre  sur  eux  un  œil  de  faveur;  il  les  re- 
garde comme  un  bon  père,  toujours  prêt  à  écouter 
leurs  demandes;  c'est  ce  que  veut  dire  le  roi- 
prophète  :  Oculi  Do  mini  super  justos ,  et  aures 
ejus  in  preces  eorum  «  :  «  Les  yeux  de  Dieu  sont 
«  arrêtés  sur  les  justes ,  et  ses  oreilles  sont  atten- 
«  tives  à  leurs  prières  ;  «  voilà  le  regard  de  fa- 
veur. Mais ,  mes  sœurs ,  le  même  prophète  nous 
expliquera ,  dans  un  autre  psaume ,  le  regard  de 
protection  :  Ecce  oculi  Domini  super  metuen- 
tes  euniy  et  in  eis  qui  sperant  super  mise  ri- 
cordia  ejus  '  :  «  Voilà,  dit-il,  que  les  yeux  de 
«  Dieu  veillent  continuellement  sur  ceux  qui  le 
«craignent;»  et  cela,  pour  quelle  raison?  L't 
eruat  a  morte  animas  eorum,  et  alat  eos  in 
famé  ^  :  «  Pour  délivrer  leurs  âmes  de  la  mort, 
«  et  les  nourrir  dans  la  faim.  »  Voilà  ce  regard 
de  protection  par  lequel  Dieu  veille  sur  les  gens 
de  bien ,  pour  détourner  les  maux  qui  les  mena- 
cent. C'est  pourquoi  le  même  David  ajoute  aus- 
sitôt :  «  Notre  âme  attend  après  le  Seigneur, 
«  parcôqu'il  est  notre  protecteur  et  notre  secours  :  » 
Anima  nostra  sustinet  Dominum;  quoniam 
adjutor  et  protector  noster  est^.  Une  âme  assu- 
rée de  ce  double  regard,  que  peut-elle  souhai- 
ter pour  avoir  la  paLx?  C'est  ce  que  veut  dire  la 
très-sainte  Vierge ,  lorsqu'elle  nous  apprend  que 
Dieu  la  regarde. 

En  effet  c'est  elle,  mes  sœurs,  qui  est  singu- 
lièrement honorée  de  ce  double  regard  de  la  Pro- 
vidence :  Dieu  l'a  regardée  d'un  œil  de  faveur, 
lorsqu'il  l'a  préférée  à  toutes  les  autres  femmes  ; 
et  que  dis-je,  à  toutes  les  femmes?  mais  aux  an- 
ges ,  mais  aux  séraphins,  et  à  toutes  les  créatu- 
res. Le  regard  de  protection  a  veillé  sur  elle , 
lorsqu'il  en  a  détourné  bien  loin  la  corruption  du 
péché,  Jes  ardeurs  de  la  convoitise,  et  les  malé- 
dictions communes  de  notre  nature  :  c'est  pour- 
quoi elle  chante  avec  tant  de  joie.  Écoutez  comme 

'  Ps.  XXXIII ,  le. 

'  Ibid.  18. 
'  Ibid.  19. 
*  Ibid.  ao. 


222 


POUR  LA  FÊTE 


elle  célèbre  la  faveur  de  Dieu  .  Fecit  mihi  ma- 
gna qui  potens  est  '  :  il  m'a ,  dit-elle ,  comblée 
de  ses  grâces.  Mais  voyez  comme  elle  se  loue  de 
sa  protection  :  Fecit potentiam  in  hrachio  suo  *  : 
«  Son  bras  a  montré  en  moi  sa  puissance;  »  il  m'a 
remplie  de  ses  grâces  et  m'a  fait  de  si  grandes 
choses ,  que  nulle  créature  ne  les  peut  égaler,  ni 
nul  entendement  les  comprendre  :  Fecit  mihi 
magna.  Mais  s'il  a  ouvert  sur  moi  ses  mains  li- 
bérales pour  combler  mon  âme  de  biens,  il  a  pris 
plaisir  d'étendre  son  bras  pour  en  détourner  tous 
les  maux  :  Fecit  poie^itiam.  C'est  donc  particu- 
lièrement l'heureuse  Marie  qui  est  favorisée  de  ces 
deux  regards  de  bienveillance  et  de  protection  : 
Quia  respexit  humilitatem. 

Mais  néanmoins ,  âmes  chrétiennes ,  âmes  sain- 
tes et  religieuses ,  vous  en  êtes  aussi  honorées  ; 
et  c'est  ce  qui  doit  mettre  votre  esprit  en  paix, 
Pourrai-je  bien  exprimer  cette  vérité?  sera-t-il 
donné  à  un  pécheur  de  pouvoir  parler  dignement 
de  ïa  paix  des  âmes  innocentes?  Disons,  mes 
sœurs ,  ce  que  nous  pourrons  :  parlons  de  ces  dou- 
ceurs inconcevables ,  pour  en  raffraîchir  le  goût 
à  ceux  qui  les  sentent,  et  en  exciter  l'appétit  à 
ceux  qui  ne  les  ont  pas  expérimentées.  Oui ,  cer- 
tainement, ô  enfants  de  Dieu,  il  vous  regarde 
avec  bienveillance,  il  découvre  sur  vous  sa  face 
bénigne.  Il  montre  un  visage  terrible  lorsqu'une 
conscience  coupable ,  nous  reprochant  l'horreur 
de  nos  crimes,  fait  que  Dieu  nous  paraît  en  juge, 
avec  une  face  irritée.  Mais  lorsqu'au  milieu  d  une 
bonne  vie  il  fait  naître  dans  les  consciences  une 
certaine  sérénité ,  il  montre  alors  un  visage  ami 
et  tranquille;  il  calme  tous  les  troubles,^ il  dis- 
sipe tous  les  nuages.  Le  fidèle  qui  espère  eu  lui 
ne  le  regarde  plus  comme  juge  :  il  ne  le  voit  plus 
que  comme  un  bon  père ,  qui  l'invite  doucement 
à  soi  ;  de  sorte  qu'il  lui  dit  plein  de  confiance  : 
«  0  Dieu,  vous  êtes  mon  protecteur  :  »  Dicam 
Deo  :  Susceptor  meus  es^-^  et  il  lui  semble  que 
Dieu  lui  réponde  :  0  âme  fidèie  ,  je  suis  ton  sa- 
lut :  Die  animœ  meœ  :  Salus  tua  ego  sum  ^  : 
tellement  qu'il  jouit  d'une  pleine  paix,  parce 
qu'il  est  à  couvert  sous  la  main  de  Dieu  ;  et  de 
quelque  côté  qu'on  le  menace ,  il  s'élève  du  fond 
de  son  cœur  une  voix  secrète  qui  le  fortifie  et  lui 
fait  dire  avec  assurance  :  Si  Deus  pro  nobis, 
qui  contra  nos  F  «  Si  Dieu  est  pour  nous ,  qui  sera 
«  contre  nous  ^  ?  »  «  Le  Seigneur  est  mon  salut , 
«  qui  craindrai-je?  le  Seigneur  est  le  protecteur 
«  de  ma  vie,  devant  qui  pourrais-je  trembler  ''  ?  » 

'  Luc.  I,  49 
»  Ibid.  51. 
3  Ps.  XI 1 ,  10. 

*  Ibid.  xxxiv,3 
»  JRom.  Tiu,  31. 

•  Ps.  XXVI,   I. 


Telle  est,  mes  sœurs,  cette  paix  cachée  que 
Dieu  donne  à  ses  serviteurs  ;  paix  que  le  monde 
ne  peut  entendre,  et  qui,  chassée  du  milieu  du 
siècle  par  le  tumulte  continuel ,  semble  s'être  re- 
tirée dans  vos  solitudes.  Mais  n'en  disons  rien 
davantage  :  n'entreprenons  pas  de  persuader  par 
nos  discours ,  ce  que  la  seule  expérience  peut  faire 
connaître;  et  ne  pouvant  vous  la  représenter  en 
elle-même ,  finissons  enfin  ce  discoms  en  vous  en 
disant  quelque  effet  sensible.  C'est ,  mes  sœurs , 
le  mépris  du  monde  qui  paraît  dans  la  suite  de 
notre  cantique  ;  de  la  fausse  paix  qu'il  promet,  des 
vaines  douceurs  qu'il  fait  espérer.  Car  cette  âme 
appuyée  sur  Dieu  ;  qui  goûte  les  douceurs  de  sa 
sainte  paix ,  qui  a  mis  son  refuge  dans  le  Très- 
Haut  :  jetant  ensuite  les  yeux  sur  le  monde, 
quelle  voit  bien  loin  à  ses  pieds;  du  haut  de  son 
refuge  inébranlable,  ô  Dieu,  qu'il  lui  semble  pe- 
tit ,  et  qu'elle  le  voit  bien  d'une  autre  manière 
que  ne  fait  pas  le  commun  des  hommes  :  Mais  en 
quel  état  le  voit-elle?  Elle  voit  toutes  les  gran- 
deurs abattues,  tous  les  superbes  portés  par 
terre  ;  et  dans  ce  grand  renversement  des  choses 
humaines ,  rien  ne  lui  paraît  élevé  que  les  simples 
et  humbles  de  cœur.  C'est  pourquoi  elle  dit  avec 
Marie  :  Dispersit  superbos  '  :  «  II  a  dissipé  les 
«  superbes ,  «  déposait  patentes  * ,  «  il  a  déposé  les 
«  puissants,  »  exaltavit  humiles,  «  et  il  a  relevé 
«  ceux  qui  étaient  à  bas.  « 

Entrez,  mes  sœui-s,  dans  ce  sentiment,  qui 
est  le  sentiment  véritable  de  la  vocation  reli- 
gieuse :  et  afin  de  le  bien  entendre  représentez- 
vous,  s'il  vous  plaît,  cette  étrange  opposition 
de  Dieu  et  du  monde.  Tout  ce  que  Dieu  élève , 
le  monde  se  plaît  de  le  rabaisser  ;  tout  ce  que  le 
monde  estime ,  Dieu  se  plaît  de  le  détruire  et  de 
le  confondre  :  c'est  pourquoi  Tertullien  disait 
si  éloquerament,  qu'il  y  avait  entre  eux  de  l'é- 
mulation ;  Estœmulatio  divinœ  reiethumanœ  ^. 
En  effet ,  nous  le  voyons  par  expérience.  Qui  sont 
ceux  que  Dieu  favorise?  ceux  qui  sont  humbles, 
modestes  et  retenus.  Qui  sont  ceux  que  le  monde 
avance  ?  ceux  qui  sont  hardis  et  entreprenants  : 
ne  voyez- vous  pas  l'émulation?  Qui  sont  ceux 
que  Dieu  favorise  ?  ceux  qui  sont  simples  et  sin- 
cères. Qui  sont  ceux  que  le  monde  avance?  ceux 
qui  sont  lins  et  dissimulés.  Le  monde  veut  de  la 
violence,  pour  emporter  ses  faveurs  :  Dieu  ne 
donne  les  siennes  qu'à  la  retenue  ;  et  il  n'est  rien , 
ni  de  plus  grand  devant  Dieu ,  ni  de  plus  inutile 
selon  le  monde ,  que  cette  médiocrité  tempérée 
en  laquelle  la  vertu  consiste.  Voilà  donc  une  ému- 
lation entre  Jésus-Christ  et  le  monde  :  ce  que 

'  Lucï,  51. 

^  Ibid.  52. 

'  Apolog.  L°  60. 


DE  LA  VISITATION. 


323 


l'un  élève,  Tautre  le  déprime;  et  ce  combat  du- 
rera toujoui-s,  jusqu'à  ce  que  le  siècle  finisse. 

Et  c'est  pourquoi,  mes  sneurs,  le  monde  a  deux 
faces.  Il  y  en  a  qui  le  considèrent  dans  les  biens 
présents,  et  il  y  tn  a  qui  jettent  les  yeux  sur  la 
dernière  décision  du  siècle  à  venir.  Ceux  qui  re- 
gardent le  bien  présent ,  ils  donnent,  mes  sœurs, 
l'avantage  au  monde  ;  ils  s'imaginent  déjà  qu'il 
a  la  victoire ,  parce  que  Dieu ,  qui  attend  son 
temps ,  le  laisse  jouir  un  moment  d'une  ombre  de 
félicité  :  ils  voient  ceux  qui  sont  dans  les  grandes 
places,  ils  admirent  leur  abondance  :  Voilà,  di- 
sent-ils, les  seuls  fortunés,  voilà  les  heureux  .... 
Beatum  dixerunt populum  cui  hœc  sunt  '.  Cest 
le  cantique  des  enfants  du  monde.  Juges  aveugles 
et  précipités!  que  n'attendez-vous  la  fin  du  com- 
bat, avant  d'adjuger  la  victoire?  viendra  le  ré- 
vers de  la  main  de  Dieu ,  qui  brisera  comme  un 
verre,  qui  fera  évanouir  en  fumée  toutes  ces 
grandeurs  que  vous  admirez.  C'est  ce  que  regarde 
la  divine  Vierge,  et  avec  elle  les  enfants  de  Dieu , 
qui  jouissent  de  la  douceur  de  sa  paix.  Ils  voient 
bien  que  le  monde  combat  contre  Dieu;  mais 
ils  savent  que  les  forces  ne  sont  pas  égales.  Ils  ne 
se  laissent  pas  éblouir  de  quelque  avantage  ap- 
parent ,  que  Dieu  laisse  remporter  aux  enfants  du 
siècle  :  ils  considèrent  l'événement ,  que  la  jus- 
tice de  Dieu  leur  rendra  funeste.  C'est  pourquoi 
ils  se  rient  de  leur  gloire  ;  et  au  milieu  de  la  pompe 
de  leur  triomphe ,  ils  chantent  déjà  leur  défaite. 
Ils  ne  disent  pas  seulement  que  Dieu  dissipera  les 
superbes  ;  mais  il  les  a ,  disent-ils,  déjà  dissipés , 
dispersit,  réduits  à  rien  :  ils  ne  disent  pas  seu- 
lement qu'il  déposera  les  puissants  ;  ils  les  voient 
déjà  à  ses  pieds,  tremblants  et  étonnés  de  leur 
chute.  Et  pour  vous,  ô  riches  du  siècle,  qui  vous 
imaginez  avoir  les  mains  pleines ,  elles  leur  sem- 
blent vides  et  pauvres ,  parce  que  ce  que  vous  te- 
nez ne  leur  paraît  rien  :  ils  savent  qu'il  s'écoule 
ainsi  que  de  l'eau  :  Divites  dimisit  inanes.  Voilà 
donc  toute  la  grandeur  abattue  :  Dieu  est  triom- 
phant et  victorieux.  Quelle  joie  à  ses  enfants, 
chrétiens,  de  voir  ses  ennemis  tombés  à  ses 
pieds ,  et  ses  humbles  serviteurs  qui  lèvent  la 
tête  !  Eux  que  le  monde  méprisait  si  fort,  les  voilà 
mis  et  établis  dans  les  hautes  places  :  Exaltavit 
humiles;  eux  que  le  monde  croyait  indigents. 
Dieu  les  a  remplis  de  ses  biens  :  Esurientes  im- 
pie vit  bonis'. 

0  victoire  du  Tout-Puissant  !  ô  paix  et  conso- 
lation des  âmes  fidèles  !  Chantez ,  chantez ,  mes 
sœurs ,  ce  divin  cantique  ;  c'est  le  véritable  can- 
tique de  celles  qiù  ont  méprisé  le  siècle  ;  chantez 
la  défaite  du  monde ,  l'anéantissement  des  gran- 

»  Ps.  CXLHI,   15. 
'  Luc.  I,  53. 


deurs  humâmes,  leurs  richesses  détruites,  leur 
pompe  évanouie  en  fumée,  moquez-vous  de  son 
triomphe  d'un  jour,  et  de  sa  tranquillité  imagi- 
naire. Et  vous  qui  courez  après  la  fortune,  qui  ne 
trouvez  rien  de  grand  que  ce  qu'elle  avance ,  ni 
rien  de  beau  que  ce  qu'elle  donne ,  ni  rien  de 
plaisant  que  ce  qu'elle  goûte  ;  pourquoi  vous  en- 
tends-je  parler  de  la  sorte?  n'étes-vous  pas  les 
enfants  de  Dieu  ?  ne  portez-vous  pas  la  marque 
de  son  adoption ,  le  caractère  sacré  du  baptême  ? 
La  terre  n'est-ce  pas  votre  exil  ;  le  ciel  n'est-il 
pas  votre  patrie?  pourquoi  vous  entends-je  admi- 
rer leraonde?Si  vousêtesdeJérusalera,  pourquoi 
vous  entends-je  chanter  le  cantique  deBabylone? 
Tout  ce  que  vous  me  dites  du  monde ,  c'est  un 
langage  barbare  que  vous  avez  appris  dans  votre 
exil.  Oubliez  cette  langue  étrangère,  parlez  le 
langage  de  votre  pays.  Ceux  que  vous  voyez  jouir 
des  plaisirs ,  ne  les  appelez  pas  les  heureux  ;  c'est 
le  langage  de  l'exil  :  Beatum  dixerunt....  Ceux 
dont  le  Seigneur  est  le  Dieu,  voilà  les  véritables 
heureux  '  ;  c'est  ainsi  qu'on  parle  en  votre  patrie. 
Consolez-vous  dans  cette  pensée ,  vivez  en  paix 
dans  cette  pensée  ;  et  apprenez  de  la  sainte  Vierge, 
pour  maintenir  en  paix  votre  conscience  :  pre- 
mièrement ,  que  le  Seigneur  vous  regarde  ;  se- 
condement, assurés  sur  cet  appui  immuable,  ne 
vous  laissez  pas  éblouir  aux  grandeurs  du  monde, 
dites  qu'il  est  déjà  abattu,  regardez  la  gloire 
future;  troisièmement,  si  le  temps  vous  semble 
trop  long ,  regardez  la  fidélité  de  ses  promesses  : 
Sicut  locutus  est.  Ce  qu'il  a  dit  à  Abraham  sera 
accompli  deux  mille  ans  après  :  il  a  envoyé  son 
Messie ,  il  achèvera  le  reste  successivement  ;  et 
enfin  nous  verrons  un  jour  l'étemelle  félicité , 
qu'il  nous  a  promise.  Amen. 


THOISIEME    P0I5T 

DU  jVIême  sermon 

PRÊCHÉ  DEVAST  LA.  REIXE  D'ANCLEIEBBB. 

Caractère  d'une  véritable  paix  :  quel  en  est  le  principe.  Ma- 
nière bien  différente  dont  les  enfants  du  monde  et  les  enfants 
de  Dieu  la  coosidérent.  Discours  à  la  reine  d\\Qgleterre. 


Encore  que  cette  paix  admirable  de  toutes  les 
nations  chrétiennes ,  paix  si  sagement  ménagée , 
si  glorieusement  conclue  et  si  saintement  affer- 
mie*, soit  un  illustre  présent  du  ciel,  etun  gage  de 

'  Ps.CLUtt,  15. 

*  Ce  troisième  point  embrasse  !a  même  matière  qui  est  trai- 
té? dans  le  dernier  point  du  sermon  précédent;  mais  les  diffé- 
rences considérables  qu'il  renferme,  nous  ontengagé  à  le  don- 
ner ici  en  entier. 

La  pais  dont  il  est  ici  quesUon  est  celle  des  Pyrénées,  con- 
clue entre  la  France  et  l'Espagne  dans  l'Ue  des  Faisans,  au 


POUR  LA  FÊTE 


224 

la  bonté  de  Dieu  envers  les  hommes  ;  néanmoins 
oe  ne  sera  pas  cette  paix  dont  je  vous  explique- 
rai les  douceurs  :  et  celle  dont  je  dois  parler  est 
beaucoup  plus  relevée ,  et  sans  comparaison  plus 
divine  ;  car  je  dois  parler  de  la  paix  qui  fait  que 
l'âme  de  la  sainte  Vierge ,  possédant  le  Fils  de 
Dieu  en  elle-même ,  glorifie  le  saint  nom  de  Dieu , 
et  se  réjouit  de  tout  son  esprit  en  Dieu  son  Sau- 
veur. Qui  ne  voit  que  cette  paix  toute  céleste,  que 
Dieu  donne ,  est  infiniment  au-dessus  de  celle  que 
les  hommes  négocient?  et  néanmoins  cette  paix 
humaine  étant  un  crayon  et  une  ombre  de  la  paix 
divine  et  spirituelle  dont  je  dois  vous  entretenir, 
servons-nous  de  cette  image  imparfaite  pour  re- 
monter jusques  au  principe  original ,  et  prendre 
une  idée  certaine  de  la  vérité. 

Je  demande  avant  toutes  choses  :  Que  conce- 
vons-nous dans  la  paix ,  et  que  veut  dire  ce  mot? 
N'en  recherchons  pas ,  chrétiens ,  des  définitions 
éloignées  ;  mais  que  chacun  de  nous  s'explique  à 
lui-même  ce  qu'il  entend  par  la  paix.  Paix ,  pre- 
mièrement ,  signifie  repos  :  dans  la  guerre  oq  s'a- 
gite et  on  se  remue  ;  dans  la  paix  on  respire  et 
on  se  repose.  C'est  pourquoi  on  aime  la  paix  ; 
parce  que ,  la  nature  humaine  étant  presque  tou- 
jours agitée ,  rien  ne  doit  tant  flatter  son  inquié- 
tude que  la  douceur  du  repos,  qui  soulage  son 
travail  et  relâche  sa  contention. 

Mais ,  en  disant  que  la  paix  est  un  repos ,  l'a- 
vons-nous  entièrement  expliquée  ?  en  avons-nous 
formée  l'idée  tout  entière?  Il  me  semble,  pour 
moi ,  que  ce  mot  de  paix  a  encore  quelque  chose 
de  plus  touchant  ;  et  voici  ce  que  c'est ,  si  je  ne 
me  trompe  :  c'est  que  le  repos  peut  être  fort  court, 
et  la  paix  nous  fait  espérer  une  longue  tranquillité. 
En  effet,  n'avons-nous  pas  vu  que  lorsqu'on  a 
publié  la  suspension  d'armes,  comme  un  préparatif 
à  la  paix ,  on  a  cru  voir  déjà  quelque  commence- 
ment de  repos  ?  mais  ce  repos  n'est  pas  une  paix , 
parce  qu'il  n'est  pas  permanent.  Après  que  le 
traité  est  conclu ,  et  que  l'alliance  jurée  établit 
une  concorde  certaine ,  c'est  alors  que  la  paix  est 
faite  :  de  sorte  que ,  pour  bien  expliquer  la  paix 
et  en  comprendre  toute  l'étendue ,  il  la  faut  dé- 
finir un  repos  durable ,  et  une  tranquillité  perma- 
nente. Et  ainsi  la  paix  doit  avoir  deux  choses  : 
réjouir  les  cœurs  par  le  repos ,  et  les  assurer  par 
ia  consistance  ;  c'est  ce  que  la  paix  nous  fait  es- 
pérer, et  c'est  pourquoi  nous  l'aimons  :  c'est  ce  que 
fa  paix  de  ce  monde  ne  nous  donne  pas ,  c'est 
pourquoi  nous  devons  soupirer  sans  cesse  après 
une  paix  plus  divine. 


mois  de  novembre  IG69  ,  après  nne  guerre  de  vingt-cinq  ans. 
Le  mariage  de  l'infante  avec  Louis  XIV  fut  un  des  principaux 
Articles  de  cette  paix,  et  c'est  ce  qui  fait  dire  à  Bossuet  qu'elle 
a  été  saintement  affermie.  (Édit.  de  DéforLs.) 


Marie  nous  la  représente  dans  son  cantique  : 
elle  nous  montre  le  repos  et  la  consistance  éta- 
blie sur  un  fondement  inébranlable.  Quel  est  ce 
fondement ,  chrétiens  ?  écoutez  la  divine  Vierge  : 
«  Mon  âme  glorifie  le  Seigneur,  et  mon  esprit  se 
«  réjouit  en  Dieu  mon  Sauveur.  »  Mais  quelle  est 
la  cause  de  cette  joie ,  et  d'où  vient  ce  ravisse- 
ment? C'est ,  dit-elle,  que  «  Dieu  a  jeté  les  yeux 
«  sur  la  bassesse  de  sa  servante  »  :  Quia  respe- 
xil  humUitatem  ancillœ  suce.  Arrêtons-nous  là , 
chrétiens;  et  ne  cherchons  pas  plus  loin  le  prin- 
cipe de  cette  paix ,  qui  réjouit  son  âme  en  notre 
Seigneur.  Ce  qui  produit  cette  paix  divine ,  c'est 
le  regard  de  Dieu  sur  les  justes  :  sa  bonté  qui  les 
accompagne ,  sa  providence  qui  veille  sur  eux , 
c'est  ce  qui  leur  donne  le  repos  et  la  consistance. 

Et,  afin  de  le  bien  comprendre,  remarquez 
avec  moi,  dans  les  Écritures,  deux  regards  de 
Dieu  sur  les  gens  de  bien  :  un  regard  de  faveur 
et  de  bienveillance ,  c'est  ce  qui  les  met  en  re- 
pos ;  un  regard  de  conduite  et  de  protection . 
c'est  ce  qui  rend  leur  repos  durable.  Dieu  ouvre 
sur  les  justes  un  œil  de  faveur;  il  les  regarde 
comme  un  bon  père ,  toujours  prêt  à  écouter  leurs 
demandes.  Le  roi-prophète  l'exprime  en  ces 
mots  :  Oculi  Domini  super  justos,  etaures  ejus 
in  preces  eorum  '  :  «  Les  yeux  de  Dieu  sont  sur 
«  les  justes,  et  ses  oreilles  sont  attentives  à  leurs 
«  prières.  »  0  justes ,  reposez-vous  en  celui  dont 
la  faveur  et  la  bienveillance  se  déclarent  envers 
vous  si  ouvertement.  Mais  ce  repos  sera-t-il  du- 
rable ?  n'y  aura-t-il  rien  qui  le  trouble  et  rejette 
vos  âmes  dans  l'agitation?  Non,  ne  craignez  rien, 
ô  enfants  de  Dieu  :  car,  outre  ce  regard  de  bien- 
veillance, il  y  a  un  regard  de  protection,  qut 
prend  garde  aux  maux  qui  vous  menacent. 
«  Voilà ,  dit  le  même  David  ' ,  que  les  yeux  de 
«  Dieu  veillent  continuellement  sur  ceux  qui  le 
«  craignent ,  et  qui  établissent  leur  espérance  sur 
«  sa  miséricorde.  »  Et  pourquoi?  «  Pour  délivrer 
«  leurs  âmes  de  la  mort,  et  les  nourrir  dans  la 
«  faim.  »  Voyez  le  regard  de  protection  par  le- 
quel Dieu  veille  sur  les  gens  de  bien ,  et  empê- 
che que  le  mal  ne  les  approche.  C'est  pourquoi 
il  ajoute  aussitôt  après  :  «  Notre  âme  attend  le 
«  Seigneur,  parce  qu'il  est  notre  protecteur  et 
«  notre  secours  :  »  Anima  nostra  sustinet  Domi- 
mtm,  quia  adjutor  et  protector  noster  esP .  Une 
âme  ainsi  regardée  de  Dieu ,  que  oeut-elle  désirer 
pour  avoir  la  paix. 

C'est  pourquoi  l'heureuse  Marie ,  toute  pleine 
de  cette  paix  admirable,  ne  s'occupe  plus  qu'à 
louer  son  Dieu  dans  les  marques  de  sa  faveur, 


'  Ps.  xxxin,  16. 
'  Jhld.  xxxu ,  18. 

3  Ibid.  20. 


DE  LA  VISITATION. 


225 


dans  les  assurances  de  sa  protection.  <•  Le  Tout- 
«  Puissant,  dit-elle,  a  fait  en  moi  de  grandes 
«  choses  :  "  Fecit  mihi  magna  qui  potens  est; 
c'est  ce  qui  explique  la  faveur  :  Fecit  potentiam 
in  brachio  suo  ;  c'est  ce  qui  regarde  la  protec- 
tion. Il  a  fait  en  moi  de  grandes  choses  ,  par  le 
témoignage  de  sa  faveur  et  l'inondation  de  ses 
grâw<  Mais  s'il  a  ouvert  sur  moi  ses  mains  libé- 
rîûes  pour  comhler  mon  âme  de  biens,  il  a  pris 
plaisir  d'étendre  son  bras  pour  en  détourner 
tous  les  maux  :  Fecit  potentiam  in  brachio  suo. 

Ames  saintes  et  religieuses,  ce  n'est  pas  seu- 
lement la  divine  Vierge  qui  est  honorée  de  ces 
deux  regards  :  tous  les  fidèles  serviteurs  de  Dieu 
se  réjouissent  ensemble  dans  sa  maison,  à  la  lu- 
mière de  sa  faveur  et  sous  l'ombre  de  sa  protec- 
tion toute-puissante  :  Snb  umbra  alarum  tua- 
ruin  protège  nos  '.  Cest  pourquoi  la  paix  de 
Dieu  triomphe  en  leurs  cœurs,  comme  dit  l'apô- 
tre saint  Paul  '  ;  et  la  marque  de  cette  paix ,  c'est 
que  le  monde  ne  les  touche  plus.  Car,  en  effet , 
cette  âme  appuyée  sur  Dieu,  qui  a  rais,  comme 
dit  David,  son  refuge  dans  le  Très-Haut  :  Altis- 
simum  posuisti  rejugium  tuum  ^  ;  jetant  ensuite 
les  yeux  sur  le  monde,  qu'elle  voit  bien  loin  à 
ses  pieds  :  ô  Dieu ,  qu'il  lui  semble  petit  du  haut 
de  ce  refuge  inébranlable  ;  et  qu'elle  le  voit  bien 
d'une  autre  manière  que  ne  fait  pas  le  commun 
des  hommes  !  Elle  voit  toutes  les  grandeurs  abat- 
tues ,  tous  les  superbes  portés  par  terre  ;  et  dans 
ce  grand  renversement  des  choses  humaines,  rien 
ne  lui  parait  élevé  que  les  simples  et  humbles  de 
cœur  :  c'est  pourquoi  elle  dit  avec  Marie  :  Di- 
spersit  superbos,  «  Dieu  a  dissipé  les  superbes,  » 
deposuit  patentes,  «  il  a  déposé  les  puissants,  » 
et  exaltavit  humiles,  «  et  il  a  relevé  ceux  qui 
«  étalent  à  bas.  » 

Voici  un  effet  admirable  de  cette  paix  dont  je 
parle,  et  il  ne  le  faut  point  passer  sous  silence. 
A  ce  que  je  vois ,  chrétiens  ,  ce  n'est  pas  ici  une 
paix  commune  :  Dieu  veut  qu'elle  soit  accompa- 
gnée de  l'appareil  d'un  grand  triomphe  ;  et  s'il 
donne  la  paix  à  ses  serviteurs ,  ce  n'est  pas  en 
faisant  leur  accord  avec  leur  ennemi  abattu.  Car, 
en  effet ,  quel  est  l'ennemi  de  Dieu ,  et  par  con- 
séquent de  ses  serviteurs,  des  enfants  de  Dieu? 
Vous  ne  l'ignorez  pas ,  mes  très-chères  sœurs  ; 
vous  savez  que  c'est  le  monde  et  ses  pompes. 
Tout  ce  que  Dieu  élève ,  le  monde  se  plaît  à  le 
rabaisser  ;  tout  ce  que  le  monde  estime  ,  Dieu  se 
plaît  de  le  détruire  et  de  le  confondre  :  c'est  pour- 
quoi TertuUien  disait  si  éloquemment ,  qu'il  y 
avait  entre  eux  de  l'émulation  :  Est  œmulatio 

•  Pa.  XVI ,  8. 
»  Coloi.  m  ,  15. 
'  P»   XC,9. 

BOSSVET.  —  TOM£  Ut. 


divinœ  reiet  humanœ\  Que  signifie,  mes  sœurs, 
cette  émulation ,  si  ce  n'est  que  Dieu  et  le  monde 
se  contrarient  éternellement ,  comme  par  un  des- 
sein prémédité?  Qui  sont  ceux  que  Dieu  favorise? 
ceux  qui  sont  modestes  et  retenus.  Qui  sont  ceux 
que  le  monde  avance  ?  ceux  qui  sont  hardis  et 
entreprenants.  Qui  sont  ceux  que  Dieu  favorise? 
ceux  qui  sont  simples  et  sincères.  Qui  sont  ceux 
que  le  monde  avance?  ceux  qui  sont  fins  et  dissi- 
mulés. Le  monde  veut  de  la  violence ,  pour  em- 
porter ses  faveurs  ;  Dieu  ne  donne  les  siennes  qu'à 
la  retenue  :  l'un  demande  un  cœur  ferme,  droit  et 
flexible  ;  l'autre  a  besoin  de  tours  subtils ,  souples 
et  accommodants  :  et  il  n'est  rien,  ni  de  plus  puis* 
sant  selon  Dieu,  ni  de  plus  inutile  selon  le  monde, 
que  cette  médiocrité  tempérée  en  laquelle  la  vertu 
consiste. 

Voilà  donc  une  émulation  nécessaire  de  Jésus- 
Christ  et  de  ses  iidèles ,  contre  le  monde  et  ses 
sectateurs;  et  cette  guerre  durera  toujours ,  jus- 
qu'à ce  que  le  siècle  finisse.  C'est  pourquoi  le 
monde  a  deux  faces,  et  il  y  a  sur  la  terre  deux 
sortes  de  paix  ;  ily  a  la  paix  des  pécheurs,  paccm 
peccatorum  videns  '  ;  il  y  a  la  paix  de  Dieu  et 
de  ses  enfants,  «  qui  surpasse  toute  intelligence,  » 
pax Dei,  quœ  exsuperat  omnem  sensum^  Cha- 
cun .croit  jouir  de  la  paix  ;  parce  que  chacun 
croit  avoir  gagné  la  victoire.  D'où  vient  cette  di- 
versité, et  comment  arrive-t-il  que  deux  ennemis 
croient  sortir  victorieux  d'un  même  combat  ?  c'est 
que  les  uns  regardent  les  biens  présents,  et  les 
autres  jettent  les  yeux  sur  la  dernière  décision 
du  siècle  à  venir.  Ceux  qui  considèrent  les  biens 
présents  donnent  précipitamment  l'avantage  au 
monde  :  ils  s'imaginent  qu'il  a  la  victoire  ;  parce 
que  Dieu,  qui  attend  son  heure,  le  laisse  jouir 
pour  un  temps  dune  ombre  trompeuse  de  félicité  : 
ils  voient  ceux  qui  sont  dans  les  grandes  places, 
ils  admirent  leurs  délices  et  leur  abondance  :  Voilà, 
s'écrient-ils,  les  seuls  fortunés....  Beatumdixe- 
runt  populum  oui  hœc  sunl^\  c'est  le  cantique 
des  enfants  du  monde. 

Juges  aveugles  et  précipités  !  que  n'attendez- 
vous  la  fin  du  combat,  avant  que  d'adjuger  la 
victoire  ?  Viendra  le  revers  de  la  main  de  Dieu , 
qui  brisera  comme  un  verre  toute  cette  grandeur 
que  vous  admirez  et  qui  vous  éblouit.  C'est  à  quoi 
regarde  la  divine  Vierge,  et  avec  elle  les  enfants 
de  Dieu ,  qui  jouissent  de  la  douceur  de  sa  paix. 
Ils  voient  bien  que  le  monde  combat  contre  Dieu; 
mais  ils  savent  que  les  forces  ne  sont  pas  égales. 
Ils  ne  se  laissent  pas  éblouir  de  quelque  avantage 


'  Apolog.  n"  60, 
»  Ps.  HXil ,  3. 
î  Philipp.  1T,7. 
*  P3.  CXUU ,  Ift. 


226 

apparent,  queDieu  abandonne  et  laisse  remporter 
aux  enfants  du  siècle  :  ils  considèrent  l'événement, 
que  sa  justice  enfin  leur  rendra  funeste.  C'est  pour- 
(juoi  ils  se  rient  de  leur  gloire  ;  et  au  milieu  de  la 
-pompe  de  leur  triomphe,  ils  chantent  déjà  leur 
défaite,  lis  ne  disent  pas  seulement  que  Dieu  dis- 
tiipera  les  superbes,  mais  qu'il  les  a  déjà  dissi- 
pés :  Dispersit  superbos  :  ils  ne  disent  pas  seule- 
ment que  Dieu  renversera  les  puissants  du  monde  ; 
ils  les  voient  déjà  à  ses  pieds ,  tremblants  et  éton- 
nés de  leur  chute.  Et  pour  vous,  ô  riches  du  siècle , 
qui  vous  imaginez  être  pleins ,  serrez  vos  trésors 
tant  qu'il  vous  plaira  ;  ils  ne  laissent  pas  de  vous 
reprocher  que  vos  mains  sont  vides,  parce  que 
ce  que  vous  tenez  ne  leur  paraît  rien  :  ils  savent 
qu'il  s'écoule  à  travers  les  doigts  ainsi  que  de 
l'eau ,  sans  que  vous  puissiez  le  retenir  :  Divites 
dimisit  inanes.  Et  d'autre  part,  chrétiens ,  pen- 
dant que  les  ennemis  de  Dieu  tombent  àses  pieds, 
ses  humbles  serviteurs  lèvent  la  tête  ;  eux  que  le 
monde  méprisait  si  fort, les  voilàétablis  dans  les 
grandes  places  :  Exallavit  humiles ;  ewx  que  le 
monde  croyait  indigents,  Dieu  les  a  remplis  de 
ses  biens  :  Esurientes  implevit  bonis.  Telle  est 
la  victoire  du  Tout-Puissant  ;  et  le  fruit  de  cette 
victoire ,  c'est  la  paix  qu'il  donne  à  ses  serviteurs 
par  la  défaite  infaillible  de  leurs  ennemis. 

Chantez  cette  victoire,  mes  très-chères  sœurs  ; 
entonnez  avec  Marie  ce  divin  cantique  :  publiez 
la  défaite  du  monde;  chantez  ses  richesses  dis- 
sipées ,  son  éclat  terni ,  sa  pompe  abattue ,  sa 
gloire  évanouie  en  fumée  :  moquez-vous  de  son 
triomphe  d'un  jour,  et  de  sa  tranquillité  imagi- 
naire. 0  aveuglement  déployable  de  ceux  qui 
courent  après  la  fortune  ;  qui  ne  trouvent  rien  de 
grand  que  ce  qu'elle  élève ,  ni  rien  de  beau  que 
ce  qu'elle  pare,  ni  rien  de  plaisant  que  ce  qu'elle 
donne  !  Vous  laissez  ces  sentinients  aux  enfants 
du  siècle;  mais  vous ,  ô  filles  de  Jérusalem,  sain- 
tes héritières  du  ciel ,  vous  parlez  le  langage  de 
votre  patrie  :  quoique  le  monde  étale  avec  pompe 
ses  grandeurs  et  ses  vanités ,  vous  ne  vous  cou- 
ronnez pas  de  ses  fleurs  qui  seront  en  un  moment 
desséchées,  et  pendant  qu'il  brille  par  un  vain 
éclat ,  vous  reconnaissez  son  faible  dans  son  in- 
constance. 

Madame*,  Votre  Majesté  a  ces  sentiments 
imprimés  bien  avant  au  fond  de  son  âme;  et 
l'exemple  de  sa  constance  en  a  fait  des  leçons  à 
toute  la  terre.  Le  monde  n'est  plus  capable  de 
vous  tromper;  et  cette  âme  vraiment  royale  que  ses 
adversités  n'ont  pas  abattue,  ne  se  laissera  non 
plus  emporter  à  ses  prospérités  inopinées.  Grande 
et  auguste  reine,  en  laquelle  Dieu  a  montré  à  nos 

'  Henriette-Marie  de  France,  veuve  de  Charles  1",  roi  d'An- 
gU'krre.  {Edit.  de  Déforis.  ) 


POUR  LA  TÊTE 


jours  un  spectacle  si  surprenant  de  toutes  les  ré- 
volutions des  choses  humaines,  et  qui  seule  n'ê- 
tes point  changée  au  milieu  de  tant  de  change- 
ments, admirez  éternellement  ses  secrets  conseils 
et  sa  conduite  impénétrable.  Ceux  qui  raisonnent 
des  rois  et  de  leurs  États  selon  les  lois  de  la  poli- 
tique, chercheront  des  causes  humaines  de  ce 
changement  miraculeux*  :  ils  diront  à  Votre 
Majesté,  qu'on  peut  être  surpris  pour  un  temps; 
mais  qu'enfin  on  a  horreur  des  mauvais  exem- 
ples :  que  la  tyrannie  tombe  d'elle-même,  pen- 
dant que  l'autorité  légitime  se  rétablit  presque 
sans  secours;  par  le  seul  besoin  qu'on  a  d'elle, 
comme  d'une  pièce  nécessaire  :  et  qu'une  longue 
et  funeste  épreuve  ayant  appris  aux  peuples  cette 
vérité,  ce  trône  injustement  abattu  s'affermit  par 
sa  propre  chute. 

Mais  Votre  Majesté  est  trop  éclairée,  pour  ne 
porter  pas  son  esprit  plus  haut.  Dieu  se  montre 
trop  visiblement  dans  ces  conjonctures  impré- 
vues ;  et  comme  il  n'y  a  que  sa  seule  main  qui 
ait  pu  calmer  la  tempête ,  il  faut  encore  cette 
même  main  pour  empêcher  les  flots  de  se  soule- 
ver. Il  le  fera ,  INIadame ,  nous  l'espérons  :  et  si 
nos  vœux  sont  exaucés ,  peut-être  arrivera-t-il  ; 
car  qui  sait  les  secrets  de  la  Providence  ?  Après  que 
Dieu  a  rétabli  le  trône  du  roi,  sa  bonté  disposera 
tellement  les  choses  que  le  roi  rétablira  le  trône 
de  Dieu.  Mais  cette  affaire,  Madame,  se  doit 
traiter  avec  Dieu ,  non  avec  les  hommes  ;  par  des 
prières  et  des  vœux  ,  non  par  des  conseils  ni  par 
des  maximes  humaines.  Il  n'y  a  que  sa  sagesse 
profonde  qui  connaisse  le  terme  préfix ,  qui  a  été 
ordonné  avant  tous  les  temps ,  aux  malheureux 
progrès  de  l'erreur,  et  aux  souffrances  de  son 
Eglise.  C'est  à  nous  d'attendre  avec  patience  l'ac- 
complissement de  son  œuvre,  et  d'en  avancer 
l'exécution,  autant  qu'il  est  permis  à  des  mortels, 
par  des  prières  ardentes.  Votre  Majesté,  Madame, 
ne  cessera  jamais  d'en  répandre;  et  quoi  qu'il 
arrive  ici-bas ,  Dieu  lui  en  rendra  dans  le  ciel  une 
récompense  éternelle  :  c'est  le  bien  que  je  lui  sou- 
haite ,  et  à  toute  cette  audience. 

*  Le  changement  miraculeux  dont  parle  ici  Bossuet  a  pour 
objet  l'élévaUon  de  Charles  II,  lils  de  Charles  1"  et  de  U^n- 
riette,  sur  le  trône  d'Angleterre.  Ce  prince  fut  proclame  irA 
à  Londres  le  8  mai  1660.  (  Édit.  de  Déforis.  ) 


DE  LA  VISITATION. 


237 


DEUXIÈME  SERMON 

rota  I.A  rtTE 
DE  LA  VISITATION  DE  LA  SAINTE  VIERGE, 

PRÊCHÉ  DEVANT  UNE  CONCnÉCATIOS  DE  PUtTRES. 

Union  de  ITÎvangile  avec  la  loi.  La  Synagogue  figurée «lans 
fJù^betti,  et  l'Église  en  Marie.  Caractère  de  l'une  etile  l'au- 
tre. Esprit  de  fervetir,  dont  les  prélres  doivent  être  animes  : 
pureté  qui  leur  est  nécessaire.  Sainteté  inviolable  des  mystères 
qu'il»  traitenL  Condescendance  qu'ils  doivent  avoir  pour  les 
faibles.  Quel  est  le  vrai  sacrilice  de  la  nouveUe  loi. 

Intra%-it  Maria  in  domum  Zacharise,  et  salutavit  Elisabeth. 

Marie  étant  entrée  dans  la  maison  de  Zacharie,  elle 
salua  Elisabeth.  Luc.  i ,  40. 

Jésus- Christ,  messieurs,  étant  envoyé  pour 
être  la  lumière  du  monde;  aussitôt  qu'il  y  eut 
fait  sa  première  entrée,  aussitôt  il  commença 
dVt>seigner  les  hommes.  Encore  que  vous  le  voyiez 
aujourd'hui  dans  les  entrailles  de  sa  sainte  mère, 
sans  parole ,  ce  semble ,  et  sans  action ,  ne  vous 
persuadez  pas  qu'il  se  taise.  Étant  la  parole  du 
Père  éternel ,  non-seulement  tout  ce  qu'il  fait  et 
tout  ce  qtfil  souffi'c,  mais  encore  tout  ce  qu'il 
est ,  parle ,  et  d'une  manière  très-intelligible ,  à 
ceu.x  qui  ont ,  comme  vous  ,  l'esprit  exercé  dans 
la  connaissance  des  divins  mystères.  Je  vous  prie, 
mes  frères,  de  jeter  les  yeux  sur  cette  belle  struc- 
ture de  l'univers.  Y  a-t-il  aucune  partie  où  il  ne 
paraisse  de  l'art  et  de  la  raison?  Combien  la  dis- 
position en  est -elle  sage!  combien  l'harmonie 
en  est- elle  juste  !  comme  toutes  choses  y  sont 
mesurées  ,  quel  ordre  et  quelle  conduite  y  règne 
partout!  D'où  vient  cette  beauté,  et  d'où  vient 
cet  ordre  dans  cette  grande  machine  du  monde  ? 
C'est  à  cause  qu'elle  a  été  faite  par  le  Fils  de 
Dieu,  qui  étant  né  de  l'intelligence  du  P  è  re,  comme 
sa  parole  et  son  Verbe,  est  lui-même  tout  rai- 
son, tout  sagesse,  tout  entendement.  De  là  vient, 
messieurs ,  que  cet  univers  est  un  ouvrage  si  bien 
entendu,  un  ouvrage  de  raison  et  d'intelligence  ; 
parce  qu'il  est  tiré  sur  une  idée  infiniment  belle, 
qu'il  vient  d'une  science  très-accomplie ,  et  de 
cette  raison  souveraine  qui  est  tout  ensemble 
et  le  Verbe  et  le  Fils  de  Dieu  par  qui  toutes  choses 
ont  été  faites ,  par  qui  elles  seront  toujours  gou- 
vernées. 

Mais  si  le  monde  fait  reluire  de  toutes  parts 
tant  d'art,  tantde  raison,  tantd'intelligence ,  parce 
qu'il  a  été  fait  par  le  Fils  de  Dieu  ;  quels  trésors 
de  sagesse  seront  enfermés  en  ce  chef-d'œuvre 
incompréhensible  de  l'humanité  qui  lui  est  unie , 
où  Dieu  a  recueilli  toutes  les  merveilles  de  sa  puis- 
sance !  S'il  fait  paraître  tant  de  sagesse  dans  l'ou- 
vrage qu'il  a  produit  hors  de  lui-même ,  combien 


en  aura-t-il  fait  (-clater  dans  r»>;ivrage  qu'il  n 
produit  afin  de  se  l'unira  lui-même;  je  veux  tlire 
dans  l'humanité,  qu'il  s'est  rendue  propre  par 
cette  union  si  intime  !  Et  si  nous  apprenons  des 
Lettres  sacrées,  que  ce  monde  publie  la  gloire  de 
Dieu  par  un  langage  qui  se  fait  entendre  jus- 
qu'aux peuples  les  plus  barbares  '  ;  à  plus  forte 
raison  doit-on  dire  que  tout  ce  qui  se  fait  en  Jé- 
sus est  plein  de  s^igessc  ;  qu'il  parle  hautement 
et  divinement,  même  lorsqu'il  semble  le  plus 
qu'il  se  taise  ;  qu'il  nous  enseigne  avant  que  de 
naître  ;  et  que  le  ventre  de  sa  sainte  mère  n'est 
passeulement  le  sanctuaire  de  ce  Dieu  fait  homme, 
ni  le  lit  chaste  et  virginal  où  il  consomme  son 
mariage  avec  l'humanité  son  épouse  ;  mais  encore 
que  c'est  une  chaire,  où  ce  docteur  céleste  com- 
mence à  prêcher  les  saintes  vérités  de  son  Evan- 
gile. Saint  Jean  l'entend ,  et  il  saute  d'aise  ;  et 
cette  éloquence  muette  va  émouvoir  le  cœur  d'un 
enfant,  jusque  dans  le  sein  de  sa  mère.  Rendons- 
nous  attentifs,  messieurs,  à  cette  prédication  de 
Jésus ,  qui  ne  frappe  point  les  oreilles ,  mais  qui 
parle  si  fortement  aux  esprits;  écoutons  ce  que 
le  Sauveur  nous  veut  dire ,  et  considérons  dans 
cette  pensée  le  mystère  que  nous  honorons. 

Encore  qu'il  pourrait  peut-être  sembler  que 
l'Évangile  et  la  loi  fussent  bien  éloignés  ;  toute- 
fois vous  savez ,  messieurs ,  qu'il  n'y  a  rien  qui 
soit  mieux  uni,  et  que  Jésus-Christ  n'est  venu 
au  monde  que  pour  accomplir  la  loi  et  les  pro- 
phéties par  les  vérités  de  son  Évangile.  C'est  ce 
qui  fait  dire  à  Tertullien  :  0  Christum  in  novis 
veterem  *  !  «  0  que  Jésus-Christ  est  ancien  dans 
«  sa  nouveauté  !  »  Et  de  là  vient  que  ce  grand 
homme  l'appelle,  en  un  autre  endroit ,  l'Illumi- 
nateur  des  antiquités  ;  parce  qu'il  n'y  a  dans  la  loi 
ni  point  ni  virgule ,  si  je  puis  parler  de  la  sorte , 
qui  ne  trouve  son  vrai  sens  en  Jésus-Christ  seul  ; 
et  que  Jésus-Christ  n'a  jamais  fait  un  seul  pas, 
que  pour  accomplir  exactement,  et  de  point  en 
point,  ce  qui  était  écril^de  lui  dans  la  loi.  Ainsi , 
quelque  différence  qui  nous  y  paraisse ,  Moïse  et 
Jésus-Christ  se  touchent  de  près  ;  la  Synagogue 
et  l'Église  se  tendent  les  mains  :  et  je  considère 
aujourd'hui  dans  la  visite  que  rend  Marie  à  Elisa- 
beth, et  dans  leurs  embrassements  mutuels,  l'É- 
vangile qui  baise  la  loi ,  l'Église  qui  embrasse  la 
Synagogue.  Voilà  l'âme,  voilà  le  sens  de  la  mys- 
térieuse variété  de  ce  grand  spectacle ,  de  Jésus- 
Christ  allant  à  saint  Jean ,  de  Marie  visitantsainte 
Elisabeth,  d'un  enfant  qui  saute  de  joie,  de  sa 
mère  qui  prophétise ,  d'une  Vierge  qui  éclate  en 
actions  de  grûces.  Vous  verrez  que  toutes  les  cir» 
constances  de  l'histoire  de  notre  évangile  con 

'  Ps.  XTiii,  1  etseqq. 

»  4(iv.  Marc.  lib.TV,  n'  21. 


IS. 


228 


POUR  LA  FÊTE 


viennent  si  bien  et  si  justement  à  la  vérité  que 
(c  vous  propose,  que  vous  admirerez  sans  doute 
avec  moi  la  conduite  impénétrable  de  l'Esprit  de 
Drcu  dans  la  dispeusation  des  mystères. 

Entrons  donc,  messieurs,  en  cette  matière 
avec  le  secours  de  la  grâce;  étalons  les  richesses 
des  secrets  célestes,  exerçons  nos  entendements 
dans  le  champ  des  Écritures  sacrées  :  c'est  là  no- 
tre véritable  exercice.  Considérons  premièrement 
les  raisons  pour  lesquelles  Elisabeth  tient  la  place 
de  la  Synagogue  ;  et  Marie  celle  de  l'Église  ;  après 
cela  nous  verrons,  dans  les  sincères  embrasse- 
ments  de  ces  charitables  cousines ,  la  loi  ancienne 
et  la  loi  nouvelle  qui  vont  à  la  rencontre  l'une 
de  l'autre.  Et  c'est  le  sujet  de  cette  méditation, 
en  laquelle  nous  trouverons  des  instructions  sa- 
lutaires pour  comprendre  la  dignité  et  tous  les 
devoirs  de  notre  ordre  :  si  bien  qu'il  paraîtra 
manifestement  que  de  toutes  les  solennités  par  les- 
quelles nous  honorons  la  très-sainte  Vierge ,  celle- 
ci  était  une  des  plus  dignes  d'être  choisies  singu- 
lièrement par  la  congrégation  des  prêtres. 

PREMIER    POINT. 

La  première  chose  que  je  remarque ,  dans  le 
tableau  que  je  vous  présente  de  l'Évangile  em- 
brassant la  loi ,  de  Marie  saluant  sainte  Elisa- 
beth ,  c'est  l'-âge  bien  différent  de  ces  deux  cou- 
sines. L'Évangile  nous  montre  sainte  Elisabeth 
dans  une  extrême  vieillesse,  et  la  divine  Marie 
dans  la  fleur  de  lâge;  et  je  vois  en  la  vieillesse 
d'iilisabeth  la  mourante  caducité  de  la  loi  ;  et  dans 
la  jeunesse  de  la  sainte  Vierge,  l'éternelle  nou- 
veauté de  l'Église,  i^  jeunesse  de  l'Église  est 
telle,  messieurs,  que  le  temps  n'est  pas  capable 
de  l'altérer,  ni  de  s'acquérir  aucun  droit  sur  elle. 
Les  choses  éternelles  ont  cela  de  propre ,  qu'elles 
ne  vieillissent  jamais;  au  contraire  ce  qui  doit 
périr  ne  cesse  jamais  de  tendre  à  sa  fin ,  et  par 
conséquent  il  vieillit  toujours.  C'est  pourquoi 
l'apôtre,  parlant  de  la  lof,  «  Ce  qui  vieillit,  dit- 
«  H ,  est  presque  aboli  '.  »  Ainsi  la  Synagogue 
vieillissait  toujours ,  parce  qu'elle  devait  être  un 
jour  abolie.  L'Église  chrétienne  ne  vieillit  jamais, 
parce  qu'elle  doit  durer  éternellement.  Car,  mes- 
sieurs ,  vous  n'ignorez  pas  que  comme  l'Église 
remplit  tous  les  lieux,  elle  doit  aussi  remplir  tous 
les  temps.  La  fin  du  monde  ne  limitera  point  sa 
durée  :  alors  elle  cessera  d'être  sur  la  terre  ;  mais 
elle  commencera  de  régner  au  ciel  :  elle  ne  sera 
pas  éteinte;  mais  elle  sera  transférée  en  un  lieu 
de  gloire ,  où  elle  demeurera  toujours  florissante 
dans  une  perpétuelle  jeunesse.  Et  d'où  vient  cette 
jeunesse  éternelle?  C'est  que  l'éternité  n'aura  qu'un 

U>Jbr.  TMl,  13 


seul  jour,  parce  que  dans  l'éternité  rien  ne  passe; 
ce  n'est  qu'une  présence  continuée,  une  présence 
qui  ne  coule  point.  Saint  Jean  le  représente  ex- 
cellemment dans  l'Apocalypse  '  :  «  Ils  n'auront 
«  point,  dit-il,  besoin  de  soleil,  parce  que  le  Sei- 
«  gneur  Dieu  sera  leur  lumière;  et  ils  régneront 
«  aux  siècles  des  siècles.  »  Remarquez ,  s'il  vous 
plaît,  cette  conséquence  :  le  Seigneur  Dieu  sera 
leur  lumière,  et  ils  régneront  aux  siècles  des  siè- 
cles. Pourquoi  les  choses  d'ici-bas  périssent-elles, 
sinon  parce  qu'elles  sont  sujettes  au  temps  qui  se 
perd  toujours  et  qui  entraîne  avec  soi,  ainsi  qu'un 
torrent,  tout  ce  qui  lui  est  attaché,  tout  ce  qui 
est  dans  sa  dépendance?  Le  soleil,  qui  nous 
éclaire ,  fait  en  môme  temps  et  défait  les  jours  ;  H 
fait  tout  ensemble  et  défait  le  temps ,  par  la  ra- 
pidité de  son  mouvement.  Mais  le  soleil  qui  éclai- 
rera le  siècle  futur,  ce  sera  Dieu  même.  Ce  soleil 
ne  porte  pas  sa  lumière  d'un  lieu  en  un  autre  par 
la  rapidité  de  sa  course ,  il  est  tout  à  tous ,  il  est 
éternellement  devant  tous,  il  éclaire  toujours 
et  demeure  toujours  immobile.  C'est  pourquoi, 
comme  nous  disions ,  l'éternité  n'aura  qu'un  seul 
jour;  et  ce  jour  n'aura  ni  couchant  ni  aucune 
différence  d'heures  :  et  l'Église  des  prédestinés, 
qui  n'aura  point  d'autre  soleil  que  son  Dieu ,  fixée 
immuablement  dans  l'éternité,  sera  toujoui-s  dans 
la  nouveauté.  0  beau  jour,  et  ô  jour  unique  de  l'é- 
ternité bienheureuse,  quand  verrons-nous  ta  sainte 
lumière ,  qui  ne  sera  cachée  par  aucune  nuit ,  qui 
ne  sera  obscurcie  par  aucun  nuage  1 0  sainte  Sion  , 
où  toutes  choses  sont  stables  et  éternellement 
permanentes;  qui  nous  a  précipités  sur  ces  eaux 
courantes ,  dans  ce  flux  et  reflux  des  choses  hu- 
maines? 

Mais,  chrétiens,  réjouissons-nous  :  si  nous 
vieillissons  dans  ce  monde  selon  notre  homme 
animal ,  l'Église ,  dont  nous  faisons  partie  selon 
l'homme  spirituel,  ne  vieillit  jamais  ;  pai-ce  qu'au 
lieu  de  tendre  à  sa  fin ,  à  la  manière  des  choses 
mortelles,  elle  tend  à  cette  jeunesse  éternelle  de 
la  bienheureuse  immortalité.  C'est  donc  avec 
beaucoup  de  raison  qu'Elisabeth  vieille  repré- 
sente la  Synagogue  prête  à  tomber  ;  et  Marie , 
dans  la  fleur  de  l'âge ,  l'Église  de  Jésus-Christ 
toujours  jeune ,  toujours  forte,  toujours  vigou- 
reuse. Donc,  mes  frères,  puisque  l'esprit  du 
christianisme  est  un  esprit  de  jeunesse  et  de  nou- 
veauté, «  purifions-nous  du  vieux  levain,  » 
comme  dit  l'apôtre  ^  ;  que  notre  zèle  ne  vieillisse 
pas,  qu'il  soit  toujours  jeune  et  toujours  fervent. 

La  philosophie  dit  que  les  jeunes  gens  sont 
comme  naturellement  enivrés;  parce  que  leur 
sang  chaud  et  bouillant  est  semblable ,  en  quel' 

»  Apoc.  XXII,  6. 
'  I.  Cor.  V,  7. 


DE  LA  VISITATION. 


22fl 


îïwe  sorte,  à  un  vin  fumeux  et  plein  d*esprits, 
qui  les  rend  toujours  ardents ,  toujours  animés 
dans  la  poursuite  de  leurs  entreprises.  Si  nous 
voulons  vivre,  messieurs,  selon  cette  jeunesse 
spirituelle  de  la  loi  de  grâce,  il  faut  être  toujours 
fervents,  toujours  intérieurement  enivrés  de  ce 
vin  de  la  nouvelle  alliance ,  que  Jésus-Christ  pro- 
met aux  fidèles  dans  le  royaume  de  Dieu  son 
Père ,  c'est-à-dire ,  dans  son  Église.  C'est  le  Sau- 
veur Jésus-Christ  lui-même ,  qui  compare  à  un 
vin  nouveau  l'esprit  de  la  loi  nouvelle  ;  et  c'est 
afin  que  nous  entendions  que  de  même  que  le 
vin  nouveau  chasse  tout  ce  qui  lui  est  étranger^ 
et  se  purge  lui-même  par  sa  propre  force ,  ainsi 
nous  devons  conserver  cet  esprit  nouveau  du 
christianisme,  dans  sa  force  et  dans  sa  ferveur  : 
afin  qu'il  chasse  toutes  nos  ordures,  et  qu'il  éloi- 
pie  cette  froideur  paresseuse  qui  nous  rend  lents 
et  comme  engourdis  dans  les  œuvres  de  piété. 
Mais  cette  sainte  et  divine  ardeur,  qui  est  le 
vrai  esprit  du  christianisme ,  doit  se  trouver  par- 
ticulièrement dans  notre  ordre  ;  et  nous  la  de- 
vons tous  les  jours  apprendre  du  sacrifice  que 
nous  célébrons.  L'apôtre ,  dans  la  divine  épître 
aux  Hébreux,  jugeant  de  la  loi  par  le  sacerdoce , 
conclut  que  «  la  loi  de  Moïse  doit  être  abolie , 
«  parce  que  son  sacerdoce  devait  passer  :  »  Trans- 
lata enim  sacerdotio,  necesse  est  ut  et  legis 
Iranslatiofiat  ■.  En  effet ,  quelles  étaient  les  vic- 
times de  ces  anciens  sacrificateurs?  C'étaient  des 
animaux  égorgés  ;  tout  y  sentait  la  corruption 
et  la  mort  :  dignes  victimes,  dignes  sacrifices 
d'une  loi  vieillie  et  mourante.  Mais  il  n'en  est 
pas  de  la  sorte  du  sacrifice  de  la  nouvelle  al- 
liance. Notre  victime  est  morte  une  fois,  mais  elle 
est  ressuscitée  pour  ne  mourir  plus.  L'hostie  que 
iwus  présentons  est  vivante  :  le  sang  du  Nouveau 
Testament,  que  nous  répandons  mystiquement 
sur  ces  saints  autels,  n'est  pas  le  sang  d'une 
victime  morte;  c'est  un  sang  tout  vif  et  tout 
chaud,  si  je  puis  parler  de  la  sorte  :  tellement 
que  nous  devrions  être  toujours  fervents ,  nous 
qui  offrons  au  Père  étemel  une  victime  toujours 
nom'elle,  et  un  sang  qui  ne  souffre  point  de  froi- 
deur. Ni  le  temps,  ni  l'accoutumance,  qui  ra- 
lentissent ordinairement  la  ferveur  des  hommes 
«e  devraient  point  diminuer  la  nôtre  ;  parce  que 
notre  victime ,  qui  ne  change  point ,  veut  tou- 
jours trouver  en  nous  une  même  ardeur.  Cepen- 
dant nous  vieillissons  tous  les  jours,  quand  notre 
première  ferveur  se  perd ,  au  lieu  que  nous  de- 
vrions toujours  être  jeunes  ;  parce  que  le  carac- 
tère que  nous  portons  nous  oblige  d'être  les  mem- 
bres les  plus  fervents  du  corps  de  l'Église ,  qui 

»^ //car.  TU,  I». 


est  toujours  jeune ,  et  qui ,  pour  cette  raison  , 
nous  est  figurée  dans  la  jeunesse  de  lu  sainte 
Vierge. 

Et  non-seulement  l'âge  de  Marie  nous  re  pré- 
sente la  sainte  Église ,  mais  encore  son  état  de 
perpétuelle  virginité.  Je  sais  que  le  mariage  est 
sacré,  et  que  «  son  lien  est  très -honorable  en 
«  tout  et  partout  :  »  Honorahile  connubium  in 
omnibus  '.  Mais,  si  nous  le  comparons  à  la  sainte 
virginité,  il  faut  nécessairement  avouer  que  le 
mariage  sent  la  nature ,  et  que  la  virginité  sent 
la  grâce.  Et  si  nous  considérons  attentivement 
ce  que  dit  l'apôtre,  de  la  virginité  et  du  ma- 
riage ,  nous  y  trouverons  une  peinture  parfaite 
de  la  Synagogue  et  de  l'Église  chrétienne.  «  L'une 
«  est  tout  occupée  du  soin  des  choses  du  monde  :  » 
Cogitai  quœ  sunt  mundi^\  c'est  le  but  de  la 
Synagogue  qui  a  pour  partage  la  rosée  du  ciel 
et  la  graisse  de  la  terre ,  de  rare  cœli  et  de  pin- 
guedine  /erra?  ^;  elle  n'a  que  des  promesses  ter- 
restres, cette  terre  coulante  de  lait  et  de  miel. 
Mais  que  fait  la  virginité?  «  Elle  est  unique- 
«  ment  occupée  du  soin  des  choses  du    Sei 
«  gneur  :  »  Cogitât  quœ  Domini  S2int^.  C'est  le 
but  de  la  sainte  Église  «  qui  ne  considère  point 
«  les  choses  visibles ,  mais  les  invisibles ,  »  «on 
conte mplantibits  nobis  quœ  videntur^  sed  quœ. 
non  videntur^.  C'est,  messieurs,  cet  unique  ob- 
jet que  se  doivent  proposer  les  prêtres  ,  qui ,  par 
l'éminence  du  sacerdoce,  font  la  paitie  la  plus 
relevée  et  la  plus  céleste  de  la  sainte  Église.  Si 
l'Église  est  un  ciel ,  on  peut  dire  que  les  prêtres 
sont  comme  le  premier  mobile  ou  plutôt  comma 
les  intelligences  qui  meuvent  ce  ciel,  et  qui  ue^ 
reçoivent  leurs  mouvements  que  de  Dieu  :  aussi 
sont-ils  appelés  des  anges ^. 

Mais  continuons  de  vous  faire  voir  la  figure 
de  l'Église  dans  la  sainte  Vierge,  et  celle  de  la 
Synagogue  dans  Elisabeth.  Vous  savez  que  cette 
Vierge  très-pure  était  mariée,  et  c'est  par  ce  di- 
vin mariage  qu'elle  nous  représente  encore  mieux. 
l'Église.  Car  j'apprends  de  saint  Augustin  '<  qo& 
le  mariage  de  Joseph  avec  Marie ,  n'étant  point 
lié  par  les  sentiments  de  la  chair,  n'avait  point 
d'autre  nœud  de  soa  union  que  la  foi  mutuelle 
qu'ils  s'étaient  donnée;  et  c'est  là  aussi  c*  qui 
joint  l'Église  avec  Jésus-Christ  son  époux.  La 
foi  de  Jésus  est  engagée  à  l'Église;  celle  de  l'É- 
glise à  Jésus  :  Sponsabo  te  viihi  infide^  :  «  Jj3 


'  Hebr.\n\,\. 
'  I.  Cor.  vil ,  al. 
»  Gen.  XXVll ,  28. 
«  I.  Cor.  VII ,  3i. 

*  II.  Cor.  iv,  18. 

•  Apoc.  n ,  I  et  seqq. 

'  Contra  Julian.  tib   v,  rap.  xil ,  if  4»,  U  X»"col.  «ai. 
»  Oiee.  u,  io. 


230 


POUR  LA  FÊTE 


«  vous  rendrai  mon  épouse  par  une  inviolrible 
«  fidélité,  ■'  par  une  fidélité  réciproque, y/f/e/)w- 
dicitiœ  cojijugalis  ». 

Mais  ce  que  je  trouve  très-remarquable ,  c'est 
qu'Elisabeth  vivant  avec  son  mari,  l'Écriture  la 
nomme  stérile.  Marie ,  au  contraire ,  fait  profes- 
sion d'une  perpétuelle  virginité;  et  la  même 
Écriture,  qui  ne  ment  jamais,  la  fait  voir  fé- 
conde. Voyez  la  stérilité  de  la  Synagogue ,  qui 
d'elle-même  ne  peut  engendrer  des  enfants  au 
ciel;  et  la  divine  fécondité  de  l'Église,  de  la- 
quelle il  est  écrit  :  Lœtare ,  sterilis,  quœ  non 
paris'  :  «  Réjouissez-vous ,  stérile,  qui  n'enfan- 
"  tiez  point.  «  Toutefois ,  messieurs ,  la  stérile 
enfante;  Elisabeth  a  un  fils  aussi  bien  que  la 
sainte  Vierge  :  aussi  la  Synagogue  a-t-el!e  en- 
fanté; mais  des  figures  et  des  prophéties.  Elisa- 
beth a  conçu  ;  mais  un  précurseur  à  Jésus ,  une 
voix  qui  prépare  les  chemins  :  Marie  enfante  la 
vérité  même. 

Et  admirez  ici,  chrétiens,  la  dignité  de  la 
Vierge  aussi  bien  que  celle  de  la  sainte  Église, 
par  le  rapport  qu'elles  ont  ensemble.  Dieu  engen- 
dre son  Fils  dans  l'éternité  par  une  génération 
ineffable ,  autant  éloignée  de  la  chair  et  du  sang 
(jue  la  vie  de  Dieu  est  éloignée  de  la  vie  mortelle. 
Ce  Fils  unique ,  engendré  dans  l'éternité  ,  doit 
être  engendré  dans  le  temps.  Sera-ce  d'une  ma- 
nière charnelle?  Loin  de  nous  cette  pensée  sa- 
crilège I  il  faut  que  sa  génération  dans  le  temps 
soit  une  image  très-pure  de  sa  chiiste  génération 
dans  l'éternité.  Il  n'appartenait  qu'au  Père  éter- 
nel de  rendre  Marie  féconde  de  son  propre  Fils  ; 
puisque  ce  Fils  lui  devait  erre  commun  avec  Dieu, 
il  fallait  que  Dieu  fit  passer  en  elle  sa  propre  fé- 
condité :  engendrer  le  Fils  de  Dieu  ne  devait  pas 
être  un  effet  d'une  fécondité  naturelle;  il  fallait 
une  fécondité  divine.  0  incroyable  dignité  de 
I^iarie! 

Mais  rÉglisc,  le  croiriez-vous?  entre  en  par- 
tage de  cette  gloire.  Il  y  a  une  double  fécondité 
'^n  Dieu,  celle  de  la  nature  et  celle  de  la  charité 
•^ui  fait  des  enfants  adoptifs  :  la  première  est 
commun i(pée  à  Marie  ;  la  seconde  est  communi- 
quée à  l'Eglise  :  et  c'est,  messieui-s,  l'honneur 
de  notre  ordre ,  parce  que  nous  sommes  établis 
ministres  de  cette  mystérieuse  génération  des  en- 
fants de  la  nouvelle  alliance.  C'est  notre  honneur, 
mais  c'est  notre  crainte  :  l'une  et  l'autre  généra- 
tion demande  une  pureté  angélique;  l'une  et 
l'autre  produit  le  Fils  de  Dieu.  Noti'e  mauvaise 
vie  n'empêche  pas  que  la  grâce  ne  passe  par  nos 
mains  au  peuple  fidèle.  Les  mystères  que  nous 
traitons  sont  si  saints ,  qu'ils  ne  peuvent  perdre 

•  5.  Jufftixf.  de  bono  f  Idial.  u"  b,  t.  VI,  col.  37 1. 
»  Gai.  lY,  27. 


leur  vertu,  même  dans  des  mains  sacrilèges; 
mais  la  condamnation  demeure  sur  nous  :  comme 
celui  qui  viole  le  sacré  baptême ,  quoi  qu'il  fasse, 
il  ne  le  peut  perdre.  Ce  caractère,  imprimé  par 
le  Saint-Esprit,  ne  peut  être  effacé  par  les  mains 
des  hommes  :  «  il  pare  le  soldat  et  convainc  le 
«  déserteur  :  »  Ornât  militem ,  convincit  deserlo 
rem\  Ainsi  les  mystères  que  nous  traitons  ne 
perdent  pas  leur  force  dans  les  mains  des  prêtres , 
quoique  ces  mains  soient  souvent  impures.  Mais 
comme  des  mystères  profanés  portent  toujours 
quelque  malédiction  avec  eux  :  n'étant  pas  juste 
qu'elle  passe  au  peuple ,  elle  s'accumule  sur  le 
ministre  ;  comme  la  paix  retourne  à  nous,  quand 
on  ne  la  reçoit  pas  :  autant  qu'il  est  en  nous, 
nous  les  maudissons;  autant  qu'il  est  en  nous, 
nous  leur  donnons  des  mystères  vides  de  grâces, 
mais  des  mystères  pleins  de  malédictions ,  parce 
que  nous  les  leur  donnons  profanés. 

Évitons  cette  condamnation,  donnonsau  Saint- 
Esprit  des  organes  purs  ;  ne  contraignons  point 
cet  Esprit  sacré  de  se  servir  de  mains  sacrilèges  : 
autrement ,  il  se  vengera.  Il  se  servira  de  nous , 
puisqu'il  l'a  dit,  pour  la  sanctification  des  autres, 
tout  indignes  que  nous  soyons  d'un  tel  ministère  : 
mais  autant  de  bénédictions  que  nous  donnerons 
sur  le  peuple,  [autant]  de  malédictions  [nous 
prononcerons]  contre  nous.  Imitons  la  pureté  de 
Marie ,  qui  nous  représente  si  bien  celle  de  l'É- 
glise dont  nous  avons  l'honneur  d'être  les  mi- 
nistres. 

SECOND  POINT. 

Il  me  reste  maintenant  à  vous  proposer  la 
partie  la  plus  mystérieuse  de  notre  évangile. 
Vous  avez  déjà  vu  que  la  loi  est  figurée  dans 
Elisabeth,  l'Église  chrétienne  en  la  sainte  Vierge  • 
il  faut  maintenant  qu'elles  se  rencontrent.  Déjà 
vous  voyez  qu'elles  sont  cousines ,  pour  montrer 
que  la  loi  ancienne  et  la  loi  nouvelle  se  touchent 
de  près,  qu'elfes  sont  parentes,  qu'elles  vien- 
nent toutes  deux  de  race  céleste.  Mais  ce  n'est 
pas  assez  qu'elles  soient  parentes,  il  faut  encore 
qu'elles  s'embrassent  :  et  quand  Jésus  a  accom- 
pli les  prophéties ,  quand  il  a  été  immolé,  en  hil 
la  loi  ancienne  et  la  loi  nouvelle  ne  se  sont-ellc? 
pas  embrassées?  Et  voyez  cela  très-clairemenl, 
en  la  personne  de  saint  Jean-Baptiste.  Saint  Jean , 
dit  saint  Augustin  ' ,  est  comme  le  point  du  jour, 
qui  n'est  ni  la  nuit  ni  le  jour,  mais  qui  fait  la 
liaison  de  l'un  et  de  l'autre.  11  joint  la  Synagogue 
à  l'Église  ;  il  est  comme  l'envoyé  de  la  Synagogue 
à  Jésus ,  afin  de  reconnaître  le  Libérateur.  11  est 

'  s.  Jiig.  in  Pf-  xxxix.  n"  i,  t.  iv,  col.  .326. 
'  Jn  Joan.  Tract,  il,  t.  m,  part,  il  ,  col.  3C0,  301    S^rmt. 
!  ccxciu.,  t.  v.col.  1170  d  secj:(. 


DE  LA  VISITATION. 


J3fr 


/iiissi  renvoyé  de  Dieu,  pour  montier  Jésus  à  la 
Synagogue.  Jésus  a  tendu  les  mains  à  Jean , 
quand  il  a  re^u  son  baptême;  Jean  a  tendu  les 
mains  à  Jésus,  quand  il  a  dit  :  Ecce  Agnus  Dei  '  : 
«  Voilà  l'Agneau  de  Dieu  :  "  c'est  pourquoi  Jésus 
vient  à  Jean,  et  Marie  à  Elisabeth.  Il  prévient  : 
le  propre  de  la  grâce  est  de  prévenir. 

La  grâce  ne  nous  est  pas  donnée  à  cause  que 
nous  avons  fait  de  bonnes  œuvres ,  mais  afin  que 
nous  les  fassions;  elle  est  tellement  accordée  à 
nos  bons  désirs,  qu'elle  prévient  même  nos  bons 
désirs.  La  grâce  s'étend  dans  toute  la  vie;  et 
dans  tout  le  cours  de  la  vie,  elle  est  toujours 
grâce.  Le  bon  usage  de  la  grâce  en  attire  d'autres  ; 
mais  ce  ne  laisse  pas  d'être  toujours  grâce  :  Gra- 
iiam pro  gratta^ .  Ce  ruisseau  retient  toujours 
dans  son  cours  le  beau  nom  qu'il  a  pris  dans  son 
origine  :  Ipsa  gratia  meretur  augeri,  ut  aucta 
mereatur perfici  '.  «  La  grâce  mérite  d'être  aug- 
«  mentée ,  pour  qu'elle  mérite  ensuite  d'être  per- 
'.  fectionnée.  ^  Mais  jamais  elle  ne  se  montre 
mieux  ce  qu'elle  est,  c'est-à-dire,  grâce,  que 
lorsqu'elle  vient  à  nous  sans  être  appelée  :  c'est 
pourquoi  Marie  prévient  sainte  Elisabeth,  et 
Jésus  prévient  Jean-Baptiste. 

Voyez  comment  Jésus  prévient  son  précurseur 
même  :  il  faut  aussi  qu'il  nous  prévienne  dans 
la  grâce  du  sacerdoce.  Il  y  en  a  qui  préviennent 
Jésus-Christ  :  ce  sont  ceux  qui  viennent  sans 
être  appelés.  Jésus-Christ  a  été  appelé  par  son 
Père  :  Jean  était  choisi  pour  son  précurseur; 
néanmoins  il  le  prévient.  La  marque  que  nous 
sommes  appelés ,  c'est  le  zèle  du  salut  des  âmes. 
Jésus  vient  à  Jean ,  le  libérateur  au  captif  :  Jé- 
sus visite  Jean ,  parce  qu'il  faut  que  le  médecin 
aille  visiter  son  malade.  Mais  Jésus  est  dans  le 
sein  [de  sa  mère,]  et  Jean  dans  le  sein  [de  la 
sienne.]  Ne  semble-t-il  pas  que  le  médecin  soit 
aussi  infirme  que  le  malade?  Jésus  a  pris  nos 
infirmités,  afin  d'y  apporter  le  remède.  C'est  le 
devoir  des  prêtres  de  se  rendre  faibles  avec  les 
faibles ,  pour  les  guérir.  Quis  infirmatur^  et  ego 
non  infirmor?  «  Qui  est  faible,  disait  l'apôtre^, 
«  sans  que  je  m'affaiblisse  avec  lui  ?»  «  Qui  est 
n  scandalisé  sans  que  je  brûle?»  Quis  scandaliza- 
tur,  et  ego  non  uror?  «  Voulez-vous  savoir,  de- 
«  mande  saint  Augustin,  jusqu'où  l'apôtre  est 
«  descendu,  pour  se  rendre  faible  avec  les  faibles^? 
«  Il  s'est  abaissé  jusqu'à  donner  du  lait  aux  petits 
«  enfants.  Écoutez-le  lui-même  dire  aux  Thessa- 
•  loniciens^  :  Je  me  suis  conduit  parmi  vous  avec 

•  Joan.  1,29. 
'  Ibid.  16. 

'  S.  Aug.  ad  Paul.  Ep.  CLXXXVI,  n"  10 ,  t.  ii,  col.  G67. 

•  II.  Cor.  XI ,  29. 
»  Cor.  III,  2. 

"  1.  Thess.  Il ,  7. 


«  une  douceur  d'enfant ,  comme  une  nourrice  qui 
'<  a  soin  de  ses  enfants.  Et  en  effet  nous  voyon.s 
«  les  nourrices  et  les  mères  s'abaisser,  pour  se 
«  mettre  à  la  portée  de  leurs  petits  enfants  ^  et  si , 
«  par  exemple,  elles  savent  parler  latin,  elles 
«  appetissent  les  paroles ,  et  rompent  en  quelque 
«  sorte  leur  langue,  afin  de  faire  d'une  langue 
n  diserte  un  amusement  d'enfant.  Ainsi  un  père 
«  éloquent,  qui  a  un  fils  encore  dans  l'enfance; 
«  lorsqu'il  rentre  dans  sa  maison,  il  dépose  cette 
"  éloquence  qui  l'avait  fait  admirer  dans  le  bar- 
«  reau ,  pour  prendre  avec  son  fils  un  langage 
"  enfantin.  »  Quœre  quo  descendent^  nsqiie  ad 
lac  parvmis  dandum  :  Factus  sum  parimlua 
in  medio  vestrum  tanquam  si  nutrix  foveaf fi- 
lios  suos.  Videmus  enim  et  nutrices  et  matrcf 
descendere  ad  parvulos  :  et  si  norunt  latina 
verba  dicere,  decurtant  illa,  et  quassant,  quo- 
dam  modo,  linguam  suam,  utpossintde  lùngna 
disertafieri  blandimenta  puerilia...  Et  disertus 
aliquispater...  si  habeat  pannilumjilium ;  cum 
ad  domuîn  redierii,  seponit  Jorensan  eloquen- 
tiam  quo  ascenderat, et  linguapuerili  descendit 
adparmilum  '.  [Telle  est  aussi  la  conduite  que 
doivent  tenir  les  prêtres  pour  se  faire  tout  à  tous.] 
Mais  revenons  à  Marie  et  à  Elisabeth  :  elles 
s'embrassent;  elles  se  saluent.  La  loi  honore  l'E- 
vangile ,  en  le  prédisant  ;  l'Évangile  honore  la  loi , . 
en  l'accomplissant  :  c'est  le  mutuel  salut  qu'ils^ 
se  donnent.  Écoutons  maintenant  leurs  saints 
entretiens  :  Benedicta  tu  in  mulieribus  *.  «  Vous 
«  êtes  bénite  entre  toutes  les  femmes.  »  0  Église, 
ô  société  des  fidèles,  assemblée  chérie  entre  toutes, 
les  sociétés  de  la  terre!  vous  êtes  singulièrement 
bénite,  parce  que  vous  êtes  uniquement  choisie. 
Una  est  columba  mea ,  perj'ecta  mea^  :  «  Une 
«  seule  est  ma  colombe,  et  ma  parfaite  amie.  » 
Beata  es  tu  quœ  credidisti^  :  «  Vous  êtes  bien- 
«  heureuse  d'avoir'cru ,  »  dit  Elisabeth  à  Marie  ;  et 
avec  raison ,  puisque  la  foi  est  la  source  de  toutes 
les  grâces  :  «  car  le  juste  vit  de  la  foi  :  »  Justus 
autem  meus  exfide  vivit'".  Perficientur  ea  quœ 
tibi  dicta  sunt  a  Domino  ^  :  «  Tout  ce  qui  vous  a 
«  étéditdelapartduSeigneurseraaccompli.«Tout 
s'accomplira  :  voilà  la  vie  chrétienne.  Les  chré- 
tiens sont  enfants  de  promesse,  enfsxnts  d'espé- 
rance :  voilà  le  témoignage  que  la  Synagogue  rcinl 
à  l'Église.  L'Église  ne  désavoue  pas  ses  dons  ni 
ses  avantages;  au  contraire,  elle  reconnaît  que  «  le 
n  Tout-Puissant  a  fait  en  elle  de  grandes  choses  :  » 
Fecit  mihi  magna  qui  potens  est.   Mais  elle 

•  s.  Aug.  in  Joan.  Tntit.  vu ,  Q' 22 ,  t.  tll,  part.  Il, col.  363. 
'  Luc.  1,42. 

»  Cant.  n ,  8. 

•  Luc.  1,45. 

i  llebr.  \  ,  :is. 
«  Luc.  l ,  49. 


232 


POUR  LA  1  ÉTÉ 


rend  la  louange  à  Dieu  :  Magnificat  anima 
mea  Dominum  '  :  «  Mon  âme  glorifie  le  Sei- 
«  gneur.  »  Ainsi  dans  cette  aimable  rencontre  de 
la  Synagogue  avec  l'Église  ;  pendant  que  la  Syna- 
gogue, selon  son  devoir,  rend  un  fidèle  témoi- 
gnage à  l'Église,  l'Église,  de  son  côté,  rend 
témoignage  à  la  miséricorde  divine  :  afin  que  nous 
apprenions,  chrétiens,  que  le  vrai  sacrifice  de  la 
nouvelle  loi ,  c'est  le  sacrifice  d'actions  de  grâces. 
«  Aussi  nous  avertit-on,  dans  la  célébration  des 
«  saints  mystères,  de  rendre  grâces  au  Seigneur 
«  notre  Dieu  :  »  Inisto  verissimo  sacrificio  agere 
grattas  admonemur  Domino  Deo,  ut  agnosca- 
nius  gratiarum  actionem  proprium  esse  novi 
Testamenti  sacrijicium. 

Il  faut  donc  confesser  que  nous  sommes  un 
ouvrage  de  miséricorde ,  notre  sacrifice  est  un 
sacrifice  d'eucharistie.  C'est  le  sacrifice  que  Jean 
offre;  en  sautant  de  joie,  il  rend  grâces  au  Libé- 
rateur. S'il  fait  tressaillir  Jean  qui  ne  le  voit  pas ,. 
qui  ne  le  toii?he  pas,  qui  ne  l'entend  pas ,  où  il 
n'agit  que  par  sa  présence  seule  ;  que  sera-ce  dans 
le  ciel  où  il  se  montrera  à  découvert ,  face  à  face  ! 
Jean  est  dans  les  entrailles  de  sa  mère ,  et  il  sent 
Jésus  qui  est  aussi  dans  le  sein  de  la  sienne  ;  Jésus 
entre  dans  nos  entrailles,  et  à  peine  le  sentonsr 
nous  ! 


••*•••••. 


DISCOURS 
AUX  RELIGIEUSES  DE  SAINTE  MARIE 

LE  JODK  DE  LA  FÊTE  DE  LA  VISITATION  DE  LA 
S.UNTE  VIERGE. 


Je  ne  m'étonne  pas  si  votre  fondateur,  cet 
homme  si  éclairé,  cet  homme  si  pénétré  des  salu- 
taires lumières  de  l'Évangile,  vous  a  choisies 
pour  honorer  cette  fête,  si  remplie  de  mystères 
d'ineffable  suavité  et  d'une  charité  immense.  Mais 
qui  n'admirerait,  par-dessus  toutes  choses,  les 
grands  exemples  qui  s'offrent  à  nous  dmis  ce 
mystèie  d'une  inexplicable  instruction,  si  pro- 
fitable non-seulement  pour  les  personnes  cachées 
dans  la  solitude,  mais  propre  pour  vous,  pour 
moi ,  pour  tous  les  fidèles  :  pour  les  justes,  c'est 
leur  eoasolation;  pour  les  pécheurs ,  c'est  l'attrait 
qui  les  excite  à  faire  pénitence?  Qui  n'admirera 
premièrement  Elisabeth  qui  s'abaisse  :  «  D'où  me 
«  vient  ce  bonheur  *  ?  »  Mais  voyez  un  effet  plus 
surprenant  :  Jean,  qui  n'est  pas  né,  montre,  par 
son  tressaillement,  sa  joie  à  l'approche  de  son 
Sauveur  ;  et  Marie .  possédée  de  l'Esprit  de  Dieu, 


•  Luc.  I,  47. 

*  Ihid.  43. 


chante  ce  divin  cantique  :  «  Mon  âme  glorifie  le 
«  Seigneur'  I  » 

Au  milieu  de  tant  de  merveilles ,  de  tant  de  mi- 
racles ,  je  ne  vois  que  Jésus  qui  n'agit  pas ,  que 
Jésus  dans  le  silence.  Les  mères  s'abaissent  et 
prophétisent  ;  Jean  tressaille  :  il  n'y  a  que  Jésus 
qui  paraît  sans  action  ;  et  c'est  Jésus  qui  est  Ta  me 
de  tout  ce  mystère.  11  ne  fait  aucune  démonstra- 
tion de  sa  présence  :  lui,  le  moteur  invisible  de 
toutes  choses,  paraît  immobile  ;  il  se  tient  dans  le 
secret,  lui  qui  développe  et  découvre  tout  ce  qui 
est  caché  et  enveloppé.  Nous  voyons  souvent  cette 
grande  merveille^et  nous  ressentons  ses  bienfaits  ; 
mais  il  cache  la  main  qui  les  donne.  A  la  faveur 
de  cette  nouvelle  lumière,  je  découvre  ce  que  dit 
le  prophète  :  «  Vraiment  vous  êtes  un  Dieu  caché , 
«  un  Dieu  sauveur  »,  »  un  Dieu  qui  s'est  humilié , 
un  Dieu  qui  s'est  épuisé  lui-même  dans  ses  abais- 
sements ,  un  Dieu  abaissé  dans  un  profond  néant  I 
Mais  pénétrons  dans  ce  mystère  ineffable ,  où 
Jésus  parait  sans  action.  Que  ce  repos  de  Jésus 
est  une  grande  et  merveilleuse  action  !  Le  grand 
mystère  du  christianisme,  c'est  de  comprendre 
la  secrète  opération  de  Dieu  dans  les  âmes.  Die« 
est  descendu  du  ciel  en  terre  pour  se  communiquer 
aux  hommes,  soit  par  la  participation  de  ses  mys- 
tères ,  soit  en  se  donnant  à  eux  par  la  communion. 
Il  veut  se  donner  à  nous ,  et  que  nous  nous  don- 
nions à  lui.  Il  opère  dans  les  cœurs  de  certains 
mouvements  pour  les  attirer  à  lui,  un  entretien  se- 
cret qui  les  élève  à  la  plus  intime  communication  ; 
mais  c'est  dans  la  solitude  que  l'âme  ressent  ses 
divines  approches.  Que  doit  faire  une  âme  dont 
Dieu  s'approche  par  sa  grâce  et  ces  fréquentes 
visites?  Elle  doit  apporter  trois  dispositions  :  un 
saint  abaissement,  une  humilité  profonde,  une 
sainte  frayeur.  Abaissement,  humilité,  frayeur; 
voilà  la  première  disposition  :  la  seconde  c'est  un 
transport  divin ,  un  transport  admirable  ;  elle  s'é- 
loigne par  humilité,  et  s'approche  par  désir  :  la 
troisième  c'est  une  joie  céleste  en  son  salutaire , 
qu'elle  a  le  bonheur  de  posséder. 

Je  m'assure  que  vous  prévenez  déjà  mes  pen- 
sées ,  et  que  vous  considérez  ces  saintes  disposi- 
tions dans  les  trois  personnes  qui  ont  part  à  ce 
mystère.  Vous  voyez  Elisabeth  qui  s'abaisse  : 
«  D'^où  me  vient  ce  bonheur?  »  Jean  qui  se  trans- 
porte :  «  L'enfant  a  tressailli^;  »  Marie  qui  s'é- 
lève et  se  repose  en  Dieu  :  «  Mon  âme  magnifie 
«  le  Seigneur  :  »  voilà  les  trois  secrets  de  ce  mys- 
tère. L'anéantissement  d'Elisabeth ,  qui  s'abaisse 
à  l'approche  de  son  Dieu  ;  le  transport  divin  de 
Jean,  qui  le  cherche;  et  la  paix  de  la  Vierge  qui 

'  Luc.  I,  47. 
'  Is.    XLV.  15. 
^  Luc.  1 ,  41. 


DE  LA  VISITATION. 


133 


le  possède  :  l'approche  de  Dieu  produit  rabaisse- 
ment de  l'âme,  le  transport  dans  celle  qui  le  cher- 
rtie,  la  paix  dans  celle  qui  le  possède;  c'est  le 
sujet  de  cet  entrelien  familier. 

Ténèbres  qu'il  vient  illuminer;  néant  qu'il 
vient  remplir,  que  dois-tu  faire  quand  Dieu  ap 
proche?  à  l'approche  d'une  telle  grandeur,  néant, 
(jue  dois-tu  faire?  Tu  dois  t'abaisser.  Abaissez- 
vous,  néant.  Et  toi,  pécheur,  que  dois-tu  faire? 
Pécheur,  tu  dois  t'éloigner  :  une  sainte  frayeur 
te  doit  saisir  ;  puisque  le  péché  a  plus  d'opposi- 
lion  à  la  sainteté  de  Dieu,  que  le  néant  à  sa  gran- 
deur. Grandeur  que  rien  ne  peut  égaler  ;  sainteté 
qui  ne  peut  être  comprise  :  deux  perfections  en 
Dieu ,  qui  nous  doivent  faire  entrer  dans  des 
sentiments  dune  humilité  profonde. 

Voyez  les  prophètes ,  quand  l'Esprit  de  Dieu 
était  sur  eux  ;  combien  ils  étaient  épouvantés. 
Jérémie ,  saisi  d'effroi ,  tremble  et  se  confond  •  ; 
en  sorte  que  ses  os  semblaient  se  disloquer,  et 
prêts  à  se  dissoudre.  Ézéchiel ,  au  travers  des 
ailes  des  chérubins,  voit  je  ne  sais  quoi  de  mer- 
veilleux; il  s'étonne,  il  se  pâme,  il  tombe  sur  sa 
face  *.  Mais  ce  qui  doit  nous  jeter  dans  l'étonne- 
nient  aux  approches  de  notre  Dieu,  c'est  qu'il 
vient  à  un  néant ,  et  à  un  néant  qui  lui  est  op- 
posé par  le  péché.  Aussi  saint  Pierre,  pénétré  de 
cette  vue ,  dit- il  à  Jésus-Christ  :  «  Retirez- vous 
«  de  moi  ;  car  je  suis  un  pé«heur  \  «  Et  le  Cen- 
tenier  :  «  Seigneur,  je  ne  suis  pas  digne  ;  une 
«  parole,  une  parole  de  votre  part^.  » 

Où  sont  ces  téméraires,  qui  n'ont  point  de 
honte  de  faire  entrer  Jésus-Christ  dans  une  bou 
che  sacrilège?  Vous  les  voyez  qui  traitent  avec 
Dieu ,  soit  dans  le  secret  de  leur  cœur,  soit  qu'ils 
reçoivent  la  viande  sacrée  ,  sans  tremblement  et 
sans  crainte.  Ce  sont  des  profanes,  qui  ne  mé- 
ritent pas  d'être  au  nombre  des  fidèles ,  et  qui 
veulent  goûter  le  pain  des  anges ,  le  pain  des 
saints.  Mais  vous,  âmes  saintes  et  tremblantes, 
venez  et  goûtez  que  le  Seigneur  est  doux  :  venez 
dans  un  profond  abaissement  ;  et  saisies  d'admi- 
ration ,  vous  devez  dire  :  «  D'où  me  vient  ce  bon- 
-•  heur  ?  •>  car  vous  ne  sauriez ,  sans  l'aveuglement 
le  plus  déplorable,  vous  persuader  que  vous  Pavez 
mérité.  Et  pour  peu  que  vous  vous  rendiez  justice, 
combien  n'étes-vous  pas  forcées  de  vous  en  recon- 
naître indignes  ! 

En  effet ,  si  je  pouvais  pénétrer  le  secret  des 
vœurs  de  ceux  qui  composent  cet  auditoire ,  que 
d'orgueil  secret  sous  l'apparence  d'humilité ,  que 
de  jalousie  sous  des  compliments  d'amitié  et  de 

'  Jrr   xun,  9. 
•  £z'(A  11,  I. 
'  Lif    V ,  S. 
JiJllh.  VHl,8. 


complaisance!  Voyons  même  les  âmes  les  plu» 
parfaites  :  il  ne  m'appartient  pas  de  les  sonder; 
mais  (pi'elles  parlent  elles-mêmes  :  elles  avoue- 
ront qu'elles  ont  toujours  en  elles  la  racine  dit 
péché ,  dont  il  faut  arracher  jusqu'à  la  moindre 
fibre  qui  s'oppose  à  la  grâce;  grâce  qui-  nous, 
prévient  toujours  et  qui  ne  trouve  rien  en  nous 
qui  l'attire ,  que  notre  extrême  misère. 

Il  n'y  a  en  l'âme  que  misère  :  misère  en  son- 
origine,  misère  dans  toute  la  suite  de  la  vie; 
misère  profonde ,  misère  extrême  :  mais  la  misère 
est  l'objet  et  le  but  de  la  miséricorde.  Dieu  veut 
une  misère  toute  pure ,  pour  faire  voir  une  miséri- 
corde entière.  Ce  n'est  pas  qu'il  n'y  ait  un  vrai 
mérite  dans  les  justes  ;  et  c'est  une  erreur  intolé- 
rable dans  les  hérétiques  de  ce  temps,  d'avoir  osé 
avancer  que  la  grâce  ne  servait  que  d'un  voile 
pour  couvrir  l'iniquité.  Les  misérables ,  ils  n'ont 
jamais  goûté  ses  attraits  :  je  ne  m'en  étonne  pas; 
ce  n'est  pas  elle  qui  les  meut  et  les  conduit ,  ils 
n'agissent  que  par  hypocrisie  et  par  passion. 

Mais  quoiqu'il  y  ait  des  mérites  dans  les  jus- 
tes ,  la  grâce  n'en  est  pas  moins  grâce  ;  parce  que 
leurs  mérites  sont  le  fruit  de  son  opération  dans 
leurs  cœurs.  La  grâce  tire  son  nom  de  son  origine  : 
semblable  à  ces  grandes  rivières,  qui  pour  se 
répandre  en  différents  ruisseaux  ne  perdent  point 
leur  nom.  La  grâce  prévient  les  justes  pour  les 
faire  mériter;  mais  elle  récompense  après,  par 
justice,  le  mérite  qu'elle  leur  a  fait  acquérir.  C'est 
une  grâce  qui  nous  défend ,  c'est  une  grâce  qui 
nous  prévient  :  elle  nous  justifie  par  miséricorde, 
et  nous  récompense  par  justice,  comme  les  paroles 
de  saint  Paul  nous  l'attestent  :  <  J'attends,  dit-il  ', 
«  la  couronne  de  justice  que  Dieu ,  comme  juste 
«juge,  me  rendra.  "Mais,  dit  saint  Augustin», 
Dieu  ne  serait  pas  juste  juge,  s'il  n'avait  été 
auparavant  un  père  miséricordieux. 

Voilà,  mes  chères  filles,  le  fondement  de  vo- 
tre abaissement  devant  Dieu.  S'il  vous  a  retirées 
du  monde ,  Unde  hoc?  Si  vous  avez  eu  des  ten- 
tations durant  votre  noviciat,  et  que  vous  les 
ayez  surmontées,  Unde  hoc?  Si  dans  la  suite 
vous  vous  êtes  élevées  au-dessus  des  dégoûts  et 
des  difficultés  de  la  vie  spirituelle,  Unde  hoc? 
S'il  a  plu  à  Dieu  de  vous  gratifier  de  quelque 
grâce  extraordinaire,  Unde  hoc? 

Mais  disons  en  passant  que  c'est  par  Marie  «jue 
la  grâce  nous  est  distribuée ,  pour  combattre  l'o- 
pinion de  ceux  qui  nous  blâment  d'honorer  la 
Vierge  comme  mère  de  Dieu.  Ils  voudraient  établir 
une  secrète  jalousie  entre  Dieu  et  la  créature,  à 
cause  de  l'honneur  que  nous  rendons  aux  saints. 


'  11.  Tim.  IV. S. 

:  Uc  Qtat.  et  Lib.  Jrbilr.  n°  U,  l-  X  ,  col,  73t. 


Î34 


rOUR  LA  1  ETE 


Gcus  peu  versés  dans  l'Écriture ,  esprits  grossiers 
et  i^esauts  dans  leur  prétendue  subtilité;  qu'ils 
«coûtent  sainte  Elisabeth.  Elle  ne  dit  pas  :  D'où 
me  vient  ce  bonheur,  que  mon  Seigneur  vienne 
à  moi  ;  mais ,  que  la  mère  de  mon  Seigneur  vienne 
à  moi  ?  «  Sitôt ,  dit-elle  ' ,  que  la  voix  de  votre 
«  salutation  est  venue  à  mes  oreilles,  l'enfant 
«  que  je  porte  a  tressailli.  »  Ainsi  Marie  contri- 
bue aux  opérations  de  la  grâce  dans  nos  cœurs  ; 
et  loin  de  faire  injure  à  la  grâce  en  attribuant 
cette  prérogative  à  Marie,  c'est  au  contraire  ho- 
norer la  grâce  :  parce  que  c'est  d'elle  que  la  Vierge 
tire  toute  son  excellence. 
..Nous  avons  dit  que  la  première  disposition 
d'une  âme  qui  veut  approcher  de  son  Dieu ,  c'est 
ranéantissement  :  mais  ce  n'est  pas  assez  que 
l'âme  soit  abaissée;  car  si  elle  est  éternellement 
abaissée,  comment  se  transportera-t-elle  vers 
Dieu?  Jean  ne  sent  pas  plutôt  le  Sauveur,  qu'a- 
nimé de  ces  dispositions  il  fait  effort  pour  rompre 
les  liens  qui  le  retiennent ,  et  courir  à  lui  :  il  vou- 
drait déjà  remplir  ses  fonctions  de  précurseur. 
jNIais  il  est  prévenu  :  Jésus  a  prévenu  son  précur- 
seur. Ne  laissons  pas  passer  ceci  sans  instruction. 
Dieu,  source  de  tout  bien,  grand,  immense,  inac- 
cessible, demande  de  se  communiquer;  Dieu  se 
donne,  Dieu  se  développe  avec  une  libéralité  im- 
mense. C'est ,  mes  filles,  une  vérité  bien  douce  et 
bien  consolante  :  Dieu  désire  d'être  désiré;  il  a 
soif  que  l'on  ait  soif  de  lui.  Dieu,  qui  ne  désire  rien 
et  n'a  besoin  de  rien ,  désire  cependant  d'être  dé- 
siré. Il  en  est  comme  d'une  belle  fontaine,  qui  coule 
dans  une  plaine;  elle  est  claire,  elle  est  fraîche, 
elle  est  pure  :  elle  ne  désire  pos  d'être  raffraîchie  ; 
mais  si  elle  désire  quelque  chose ,  c'est  sans  doute 
de  désaltérer  les  passants. 

Ainsi  il  ne  nous  est  pas  permis,  malgré  notre 
indignité,  de  nous  reposer  en  nous-mêmes;  il  faut 
courir  avec  transport ,  il  faut  venir  se  plonger 
dans  ces  sources  d'eau  vive.  Il  n'y  a  point  d'hu- 
milité qui  empêche  de  désirer  le  Sauveur;  et 
heureux  celui  qui  soupire  après  lui  :  car  c'est  ce- 
lui-là à  qui  Jésus-Christ  se  donne  tout  entier.  Le 
Centurion  s'abaissa  aux  pieds  des  apôtres  ^  :  mais 
il  désira;  et  par  là  il  mérita  que  le  Saint-Esprit 
prévînt  l'imposition  des  mains  des  apôtres.  Saint 
Jean  interrogé  de  ce  qu'il  est ,  s'il  est  le  Christ, 
s'il  est  prophète ,  ne  dit  pas  ce  qu'il  est  ;  mais  il 
dit  ce  qu'il  n'est  pas  :  «  Je  ne  suis  qu'une  voix , 
«  un  son  qui  frappe  l'air  3,  »  qui  n'a  rien  de  con- 
sidérable que  de  dire  la  vérité.  Il  s'estime  indigne 
de  délier  la  courroie  des  souliers  de  Jésus-Christ  ; 
et  plein  d'ardeur  pour  son  Maître ,  il  a  mérité 

'   Luc.  1 ,  44. 
'  Ad.  \  ,  'i\. 

=  Muiih.  m ,  a, 


d'élever  sa  main  sur  celui  au-dessous  duquel  il 
s'était  abaissé. 

Mais  considérons  les  caractères  de  la  mission 
de  saint  Jean.  La  grâce  du  saint  précurseur, 
c'est  une  grâce  de  lumière;  c'est  une  lumière  qui 
veut  rendre  témoignage  à  la  lumière  :  la  lumière 
découvre  la  lumière.  Ah!  c'est  un  petit  flambeau 
qui  découvre  un  grand  flambeau.  Le  soleil  se 
montre  de  lui-même,  il  n'a  point  de  précurseur 
qui  dise  :  Voilà  le  soleil  ;  mais  les  hommes  avaient 
besoin  qu'on  les  préparât  à  l'éclat  du  grand  jour 
qui  devait  bientôt  briller  en  Jésus-Christ. 

Le  monde  était  dans  de  profondes  ténèbres, 
semblable  à  ceux  qui  sont  dans  un  cachot  ;  quand 
ils  en  sortent,  ils  sont  éblouis  de  la  lumière,  ils 
se  détournent  de  la  lumière,  ils  se  cachent  à  la 
lumière.  Ainsi  les  pécheurs  emportés  par  la  vio- 
lence de  leurs  passions ,  se  précipitent  dans  les 
épaisses  ténèbres  du  péché ,  et  ne  peuvent  ensuite 
souffrir  la  lumière  qu'on  leur  présente  pour  dis- 
siper leur  aveuglement.  Vous  dites  à  cet  homme 
colère,  à  ce  vindicatif,  qu'en  satisfaisant  son 
ressentiment  il  va  tomber  dans  un  funeste  escla- 
vage dont  il  ne  pourra  se  retirer  :  mais  il  ne  veut 
point  de  lumière;  il  méprise  la  lumière,  il  la  hait, 
et  n'aime  que  l'obscurité  qui  lui  cache  ses  désor- 
dre». 

Telle  est  donc  l'infirmité  de  notre  raison, 
qu'elle  ne  peut  soutenir  l'éclat  de  la  lumière  qui 
éblouit  nos  faibles  yeux  :  il  faut  une  moindre  lu- 
mière pour  nous  découvrir  la  grande,  un  petit 
flambeau  pour  nous  montrer  le  grand  flambeau. 
Le  propre  de  saint  Jean ,  c'est  de  découvrir  et 
faire  désirer  Jésus-Christ;  c'est  pourquoi  le  pro- 
phète Zacharie  l'appelle  son  horizon.  L'orient  qui 
paraît  sur  nos  montagnes ,  c'est  le  signe,  c'^est 
lavant-courrier  du  soleil ,  c'est  ce  qui  nous  an- 
nonce le  lever  du  soleil.  Saint  Jean,  comme  une 
belle  aurore,  a  devancé  le  soleil,  «  cet  orient  d'en 
«  haut,  one»s  ex  alto  ' ,  qui  vient  pour  éclairer 
«  ceux  qui  sont  dans  les  ténèbres  et  dans  l'ombre 
«  de  la  mort,  et  pour  conduire  nos  pas  dans  le 
«  chemin  de  la  paix  »  et  l'observance  de  la  loi. 

Mais  pour  profiter  de  la  lumière  qui  luit  sur 
nous,  disons  avec  David  :  «  Je  chercherai ,  j'ap- 
«  profondirai,  »  Scrutabor'-^  j'approfondirai  vo- 
tre loi.  Entrons  avec  sincérité  dans  cette  étude  :. 
travaillons  sérieusement  à  connaître  toute  l'éten- 
due de  nos  obligations,  et  gardons-nous  de  vou- 
loir nous  dissimuler  celles  qui  ne  s'accorderaient 
pas  avec  nos  cupidités.  Ne  cherchons  pas  à  les- 
restreindre ,  ou  à  les  régler  sur  nos  désirs  :  son- 
geons plutôt  à  connaître ,  à  la  lumière  de  cette  loi 
si  pure,  tous  les  vices  de  notre  cœur,  et  à  réfor- 

'  Luc.  I,  78.  70. 
-  Ps.  (K\UI,  3i. 


DE  LA  VISITATION. 


215 


mer  sur  ses  préceptes  tout  ee  (lu'ellc  condamne 
dans  nos  dispositions  et  dans  nos  œuvres ,  en  pra- 
tiquant soigneusement  tout  ce  qu'elle  nous  com- 
mande. 

0  quand  une  âme  vient  à  s'examiner  aux  yeux 
de  Dieu  en  approfondissant  dans  ses  commande- 
ments ,  en  sondant ,  en  pénétrant  la  perfection  qui 
y  est  cachée ,  qu'elle  s'en  trouve  éloignée!  Si  j'ap- 
profondis votre  loi ,  je  vois ,  ô  mon  Dieu ,  que  tout 
ce  que  je  fais,  jusqu'aux  meilleures  actions,  est 
infiniment  éloigné  de  la  perfection  qu'elle  ren- 
ferme ;  parce  que  je  n'approfondis  pas ,  parce  que 
je  ne  pratique  que  la  surface  des  préceptes.  C'est 
donc  en  approfondissant  la  loi  de  son  Dieu,  que 
l'âme  découvre  le  fond  de  sa  corruption  ;  et  voit 
tant  de  taches  dans  ses  œuvres,  qu'elle  n'en 
trouve  pas  une  qui  ne  soit  remplie  de  défauts. 
Ainsi  les  lumières  de  la  loi  éclairant  une  âme, 
elle  commence  à  entrer  en  de  salutaires  ténèbres 
où  Dieu  s'unit  à  elle;  et  le  possédant,  elle  ne 
peut  coiîtenir  sa  joie. 

Dès  lors  il  suivra  ce  que  je  ne  puis  expliquer, 
et  ce  qui  me  surpasse.  Parlez,  Marie;  c'est  à 
vous  à  nous  faire  connaître  vos  sentiments  :  pos- 
sédant votre  Dieu ,  quels  ont  été  vos  transports , 
vos  joies,  vos  jubilations,  votre  exultation ,  votre 
paix,  votre  triomphe!  Elle  prononce  un  divin 
cantique  qui  est  la  gloire  des  humbles,  et  la  con- 
fusion des  superbes.  Que  votre  âme  éprouve  cet 
excès  de  joie  que  ressentait  INIarie  en  glorifiant 
son  Dieu ,  en  exaltant  ses  miséricordes. 

iNIais  que  veut  dire,  exalter  Dieu?  Exalter 
Dieu,  mes  filles,  c'est  agrandir  Dieu.  Pour  vous 
le  faire  entendre,  mon  cœur  veut  enfanter  quel- 
que chose  de  si  grand ,  que  je  crains  de  faire  un 
cifort  inutile;  mais  peut-être  vousferai-je  conce- 
voir ma  pensée.  Exalter  Dieu  c'est  le  mettre  au- 
dessus  de  tout  ce  que  nous  en  -pouvons  penser, 
au-dessus  de  toute  grandeur.  Si  vous  pensez  que 
Dieu  est  infini,  éternel,  immense,  mettez-le  en- 
core au-dessus  ;élevcz-le  au-dessus  de  l'élévation , 
exaltez-le  au-dessus  de  l'exaltation.  Enfin  quel- 
que haute  idée  que  vous  en  puissiez  former,  met- 
tez-le toujours  au-dessus  ;  voilà  ce  que  c'est  que 
d'exalter  Dieu. 

Mais  quelle  est  la  cause  de  l'exultation  de  Ma- 
rie? quel  en  est  le  sujet?  La  première  cause  de 
son  exultation,  c'est  qu'il  -<  aregardé  la  bassesse 
•«  de  sa  servante.  »  Elle  ne  dit  pas,  sa  servante , 
mais  la  bassesse  de  sa  servante  :  tant  elle  est  pé- 
nétrée de  son  néant  !  Il  y  a  en  Dieu  un  regard  de 
bonté  et  de  miséricorde  qui  est  celui  qu'il  arrête 
sur  les  âmes  pénitentes ,  pour  les  consoler  et  les 
encourager  à  revenir  à  lui.  Mais  il  y  a  aussi  en 
Dieu  pour  le  juste  un  regard  de  faveur  et  de  bien- 
veillance ,  un  regard  de  défense  et  de  protection  ; 


ah  I  un  regard  de  la  sérénité  de  sa  face ,  dont 
la  beauté  jamais  ne  se  ternit.  11  est  écrit  que  le 
regard  du  roi  a  quelque  chose  d'heureux  et  de 
divin  '.  Quelle  impression  doit  donc  faire  sur  le 
cœur  des  justes  ce  regard  de  Dieu ,  si  amoureux, 
si  tendre,  dont  il  est  écrit  :  «  Voici  les  yeux  du 
«  Seigneur  qui  se  reposent  sur  les  justes  »  !  «  C'est 
là  ce  regard  de  Dieu ,  qui  transporte  Marie  de  joie 
et  d'admiration. 

La  deuxième  cause  de  l'exultation  de  Marie 
c'est  le  triomphe  de  Dieu  sur  le  monde ,  c'est  la 
victoire  qu'il  a  remportée  sur  lui.  Ce  monde  a 
quelque  chose  d'éclatant ,  qui  surprend  et  qui 
trompe  ceux  qui  s'en  laissent  éblouir  :  sa  lumière 
faible  éblouit  les  faibles.  Marie ,  à  la  lueur  de 
cette  lumière  qui  l'éclairé,  a  découvert  la  vanité, 
le  faux  éclat,  le  faste  de  cette  pompe  vaine.  Elle 
n'a  pas  regardé  le  triomphe  de  Dieu  sur  le  monde , 
comme  devant  arriver  ;  mais  comme  étant  déjà 
fait,  Deposuit.  Elle  l'a  vu  abattu;  elle  l'a  vu 
renversé ,  et  Dieu  victorieux  :  Deposuit  :  «■  Il  les 
«  a  mis  à  bas.  »  Le  monde  n'est  pas  entièretnent 
vaincu ,  il  triomphe.  Le  monde  à  présent  triom- 
phe ,  il  se  moque  des  simples  ;  mais  Dieu  le  ren- 
versera, et  Marie  considère  ce  triomphe  comme 
accompli  :  Deposuit,  deposuit.  Elle  ne  dit  pas  : 
Il  les  renversera,  il  les  brisera;  mais  Deposuit. 
C'en  est  fait,  il  est  renversé,  il  est  brisé,  il  est  à 
bas. 

En  effet,  sur  qui  Dieu  arrête-t-il  ses  regards? 
qui  est-ce  qu'il  exalte?  Ce  n'est  pas  ces  superbes 
du  monde.  Sur  qui  donc  Dieu  arrête-t-il  ses  re- 
gards? qui  est-ce  qu'il  exalte?  Une  âme  humble, 
inconnue  des  autres,  qui  passe  toute  sa  vie  dans 
un  coin  d'un  monastère,  sans  se  plaindre  de 
personne,  se  plaignant  toujours  d'elle-même; 
c'est  cette  âme  que  Dieu  exalte  ;  Exaltavit  hu^ 
miles.  Mais  pour  cette  puissance  du  monde,  dès 
que  Dieu  s'est  fait  homme,  s'est  fait  serviteur; 
dès  que  l'innocent  s'est  fait  pécheur,  en  prenant 
sur  lui  nos  offenses,  il  l'a  mise  à  bas.  Voilà  la 
joie  de  Marie  ;  et  c'est  l'accomplissement  des  pro- 
messes qui  nous  sont  faites,  et  la  troisième  cause 
de  son  exultation. 

Les  promesses  de  Dieu  valent  mieux  que  les 
dons  du  monde  :  ce  que  Dieu  promet  vaut  mieux 
que  ce  que  le  monde  donne.  Soutenons-nous 
donc  parles  promesses;  relevons  nos  courages 
et  nos  cœurs,  et  nous  réjouissons,  comme  si 
nous  en  voyions  déjà  l'accomplissement.  Ne  di- 
sons point  qu'il  est  longtemps.  «  S'il  tarde,  dit 
"  le  prophète  ^ ,  il  ne  laissera  pas  que  de  \tnW.  » 
Abraham ,  en  la  personne  duquel  les  promesses 

'   P>    r.  XVI,  M. 
-   Ps.  XWIII,  16. 

'  H'ihac.  U,  a. 


236 


POUR  LX  PURIFICATIO.N 


aiit  été  domiêes ,  s*ei\  est  réjoui  deax  mille  ans 
avant  qu'elles  fussent  accomplies  :  «  Il  a  vu  le  jour 
<•  du  Seigneur;  il  s'en  est  réjoui  '.  »  Laissons-nous 
donc  gagner  à  ces  promesses.  Jésus  est  à  la  porte; 
il  n'y  a  plus  qu'une  petite  muraille  entre  lui  et 
nous,  qui  est  cette  vie  mortelle. 


•••••••• 


PRBMfER  SERMON 

rtun  LK  Join 
DE  LA  PURIFICATION  Dli  LA  SAIXTE  VIERGE , 

rRËCIlé  DEVANT  LE  ROI. 

Esprit  de  sacriiice  et  d'immolation  avec  lequel  Jésus-Christ 
«'offre  à  son  Père  :  obligation  de  nous  immoler  avec  lui  : 
trois  genres  de  sacrilices  que  nous  imposent  son  exemple  et 
celui  des  personws  qui  concourent  au  mystère  de  ce  jour. 

Tideruot  Jesiim  in  leru«a)iem ,  ut  sistercnt  eum  Domino. 

Ils  portèrent  Jésus  à  Jérusalem ,  pour  le  présenter  aie 
Svignetir.  Luc.  ii ,  2'2. 

Quoique  le  crucifiement  de  Jésus-Christ  n'ait 
pjiru  à  la  vue  du  monde  que  sur  le  Calvaire ,  il 
y  avait  déjà  longtemps  que  le  mystère  en  avait 
été  commencé  et  se  continuait  in  visiblement. 
Jésus-Christ  n'a  jamais  été  sans  sa  croix,  parce 
qu'il  n'a  jamais  été  sans  avancer  l'œuvre  de  notre 
salut.  Ce  roi  a  toujours  pensé  au  bien  de  ses  jjeu- 
ple&;  ce  céleste  médecin  a  toujours  eu  l'esprit  oc- 
cupé des  besoins  et  des  faiblesses  de  ses  malades  : 
et  comme  telle  était  la  loi ,  que  ni  ses  peuples  ne 
pouvaient  être  soulagés ,  ni  ses  malades  guéris , 
(lue  par  sa  croix ,  par  ses  clous  et  par  ses  blessu- 
res ;  il  a  toujours  porté  devant  Dieu  toute  l'hor- 
reur de  sa  passion.  Nulle  paix,  nul  repos  pour 
Jésus-Christ  :  travail ,  accablement ,  mort  tou- 
jours présente  ;  mais  travail  enfantant  les  hom- 
mes, accablement  réparant  nos  chutes,  et  mort 
nous  donnant  la  vie. 

Nous  apprenons  de  saint  Paul  '  que  J€sus- 
Christ  faisant  son  entrée  au  monde,  s'était  offert 
à  son  Père  pour  être  la  victime  du  genre humaia. 
Mais  ce  qu'il  avait  fait  dans  ie  secret,  dès  le  pre- 
mier moment  de  sa  vie;  il  le  déclare  aujourd'hui 
par  une  cérémoBie  solennelle ,  en  se  présentant  à 
Dieu  devant  sesautels  :  de  sorte  que  si  nous  sa- 
vons pénétrer  ce  qiu  se  passe  en  cette  journée , 
nous  verrons  des  yeux  de  la  foi  Jésus-Christ  qui 
seprésente  dès  sa  tendre  enfance  aux  yeux  de  son 
Père  pour  luidemander  sa  croix,  et  le  Père  qui, 
prévenant  la  fureur  des  Juifs  ,  la  met  déjà  de 
SCS  propres  mains  sur  ses  tendres  épaules.  Nous 


'    Innn.  MU,  ôc, 
*   Ucbr.  X  ,  5. 


verrons  le  Fili  unique  et  bien-ahnc  qui  pnc  son 
Père  et  son  Dieu  qu'il  lui  fasse  porter  tous  nos 
crimes,  et  le  Père  en  même  temps  qui  les  lu! 
applique  par  une  opération  tellement  intime  et 
puissante ,  que  Jésus ,  l'innocent  Jésus ,  parait 
tout  à  coup  revêtu  devant  Dieu  de  tous  nos  pé- 
chés ,  et ,  par  une  suite  nécessaire ,  pressé  de 
toute  la  rigueur  de  ses  jugements ,  percé  de  tous 
les  traits  de  sa  justice,  accablé  de  tout  le  poid» 
de  sa  vengeance.  Voilà,  messieurs,  l'état  véri- 
table dans  lequel  le  Sauveur  Jésus  s'offre  jMiur 
nous  en  ce  jour.  C'est  de  là  qu'il  nous  fawt  tirer 
quelque  instruction  importante  pour  la  conduite 
de  notre  vie.  Mais  la  sainte  Vierge  ayant  tant  de 
part  dans  ce  mystère  admirable ,  gardons-nous 
bien  d'y  entrer  sans  implorer  son  secours  par  les 
paroles  de  l'ange  :  Ave. 

«  C'est  un  discours  véritable ,  dit  le  saint  apô- 
«  tre' ,  et  digne  d'être  reçu  en  toute  humilité  et 
«  respect,  que  Jésus-Christ  est  venu  au  monde 
«  pour  délivrer  les  pécheurs  ;  »  et  que  pour  être  le 
Sauveur  du  genre  humain ,  il  en  a  voulu  être  la 
victime.  Mais  l'unité  de  son  corps  mystique  fait 
que  le  chef  s' étant  immolé ,  tous  les  membres  doi- 
vent être  aussi  des  hosties  vivantes  :  ce  qui  fait 
dii-e  à  saint  Augustin',  que  l'Église  catholique 
apprend  tous  les  jours,  dans  le  sacrifice  qu'elle 
offre,  qu'elîe  doit  aussi  s'offrir  elle-même  avec 
Jésus-Christ  qui  est  sa  victime  ;  parce  qu'il  a  tel- 
lement disposé  les  choses ,  que  nul  ne  peut  avoir 
part  à  son  sacrifice,  s'il  ne  se  consacre  en  hii  et 
par  lui  pour  être  un  sacrifice  agréabte. 

Comme  cette  vérité  est  très-importante,  et  com- 
prend le  fondement  .principal  du  culte  que  les 
fidèles  doivent  rendre  à  Dieu  dans  le  Nouveau 
Testament ,  il  a  plu  aussi  à  notre  Sauveur  de  nous 
en  donner  une  belle  preuve  dès  le  commencement 
de  sa  vie.  Car,  chrétiens,  n'admirez- vous  pas 
dans  la  solennité  de  ce  jour,  que  tous  ceux  qui 
paraissent  dans  notre  évangile,  nous  y  sont  re- 
présentés par  le  Saint-Esprit  dans  un  état  d'im- 
molation? Siméon,  ce  vénérable  vieillard ,  désire 
d'être  déchargé  de  ce  corps  mortel.  Anne,  victime 
de  kl  pénitence ,  paraît  tout  exténuée  par  ses  abs- 
tinences et  par  ses  veilles.  Mais  surtout  la  bien- 
heureuse Marie  apprenant  du  bon  Siméon ,  qu'un 
glaive  tranchant  percera  son  âme  ;  ne  semble- 1- 
elle  pas  être  déjà  sous  le  couteau  du  sacrificateur? 
et  comme  elle  se  soiunet  en  tout  aux  ordres  et 
aux  lois  de  Dieu  avec  une  obéissance  profonde , 
n'entre-t-elle  pas  aussi  dans  la  véritable  disposi- 
tion d'une  victime  immolée?  Quelle  est  la  cause, 
messieurs ,  que  tant  de  personnes  concourent  .à 
se  dévouer  à  Dieu  comme  des  hosties;  si  ce  n'est 

'  I.  Tim.  1,15. 

^  Dv  Civ.  Dct,  lib.  X,  cap  xx,  t.  vu,  col.  206. 


DE  LA  SALNTE  VIERGE. 


23  T 


que  son  Fils  unique,  paiitife  et  hostie  tout  en- 
semble de  la  nouvelle  alliance,  commençant  en 
cette  journée  ù  s'offrir  lui-même  à  son  Père ,  il 
attire  tous  ses  fidèles  à  son  sentiment ,  et  répand , 
si  je  puis  parler  de  la  sorte ,  cet  esprit  d'immola- 
tion sur  tous  ceux  qui  ont  part  à  son  mystère? 

Cest  donc  l'esprit  de  ce  mystère ,  et  c'est  le 
dessein  de  notre  Evangile,  de  faire  entendre  aux 
fldèles  qu'ils  doivent  se  sacrifier  avec  Jésus-Christ. 
Mais  i{  fout  aussi  qu'ils  apprennent  de  la  suite  du 
même  mystère  et  de  la  doctrine  du  même  évan- 
gile, par  quel  genre  de  sacrifice  ils  pourront  se 
rendre  agréables.  C'est  pourquoi  Dieu  agit  en  telle 
ma&ière  dans  ces  trois  personnes  sacrées  qui  pa- 
raissent aujourd'hui  dans  le  temple  avec  le  Sau- 
veur, que  faisant  toutes ,  pour  ainsi  dire ,  leur 
oblation  à  part ,  nous  pouvons  recevoir  de  cha- 
cune d'elles  une  instruction  particulière.  Car 
comme  notre  amour-propre  nous  fait  appréhen- 
der ces  trois  choses  comme  les  plus  grands  de 
tous  les  maux ,  la  mort ,  la  douleur,  la  contrainte  : 
pour  nous  inspirer  des  pensées  plus  fortes,  Si- 
méon  détaché  du  siède  présent  inunole  l'amour 
lie  la  vie;  Anne  pénitente  et  mortifiée  détruit 
devant  Dieu  le  repos  des  sens,  et  Marie  soumise 
et  obéissante  sacrifie  la  liberté  de  l'esprit.  Par  où 
nous  devons  apprendre  à  nous  immoler  avec  Jé- 
sus-Christ par  trois  genres  de  sacrifice  :  par  un 
sacrifice  de  détachement ,  en  méprisant  notre  vie  ; 
par  «n  sacrifice  de  pénitence ,  en  mortifiant  nos 
appétits  sensuels;  par  un  sacrifice  de  soumission, 
en  captivant  notre  volonté  :  et  c'est  le  sujet  de 
ce  discours. 

PBEMIEB   POINT. 

Quoique  l'hoiTcur  de  la  mort  soit  le  sentiment 
universel  de  toutes  les  créatures  vivantes ,  il  est 
aisé  de  reconnaître  que  l'homme  est  celui  des  ani- 
maux qui  sent  le  plus  fortement  cette  répugnance  : 
et  encore  que  je  veuille  bien  avouer  que  ce  qui 
nous  rend  plus  timides,  c'est  que  notre  raison 
prévoyante  ne  nous  permet  pas  d'ignorer  ce  que 
nous  avons  sujet  de  craindre ,  il  ne  laisse  pas 
d'être  indubitable  que  cette  aversion  prodigieuse 
que  nous  avons  pour  la  mort  vient  d'une  cause 
plus  relevée.  En  effet  il  faut  penser,  chrétiens, 
que  nous  étions  nés  pour  ne  mourir  pas  ;  et  si 
notre  crime  nous  a  séparés  de  cette  source  de  vie 
immortelle ,  il  n'a  pas  tellement  rompu  les  canaux 
par  lesquels  elle  coulait  avec  abondance,  qu'il 
n'en  soit  tombé  sur  nous  quelque  goutte ,  qui , 
nourrissant  en  nos  cœurs  cet  amour  de  notre  pre- 
mière immortalité,  fait  que  nous  haïssons  d'au- 
tant plus  la  mort,  qu'elle  est  plus  contraire  à  notre 
nature.  «  Car  si  elle  répugne  de  telle  sorte  à  tous 
•  tes  autres  animaux  qui  sont  engendrés  pour 


"  mourir,  combien  plus  est-  elle  contraire  à 
«  l'homme ,  ce  noble  animal ,  lequel  a  été  cri-é  si 
n  heureusement  que ,  s'il  avait  voulu  vivre  siiiks 
'<  péché,  il  eût  pu  vivre  sans  fin'  !  »  Il  ne  faut 
donc  pas  s'étonner  si  le  désir  de  la  vie  est  si  fort 
enraciné  dans  les  hommes,  ni  si  j'appelle  pur 
excellence  sacrifice  de  détachement  celui  qui  dé- 
truit en  nous  cet  amour  qui  fait  notre  attache  la 
plus  intime ,  notre  inclination  la  plus  inhéi-ente. 

Mais  de  là  nous  devons  conclure  que  pour  nous 
donner  le  courage  d'offrir  à  Dieu  un  tel  sacrifice , 
nous  avions  besoin  d'un  grand  exemple.  Car  il  ne 
suffit  pas  de  montrer  à  l'homme ,  ni  la  loi  univer- 
selle de  la  nature ,  ni  cette  commune  nécessité  à 
laquelle  est  assujetti  tout  ce  qui  respire  ;  comme 
il  a  été  établi  par  son  Créateur  pour  une  condi- 
tion plus  heureuse ,  ce  qui  se  fait  dans  les  autres 
n'a  point  de  conséquence  pour  lui,  et  n'adoucit 
point  ses  disgrâces.  Voici  donc  le  conseil  de  Dieu 
pour  nous  détacher  de  la  vie  ;  conseil  certainement 
admirable  et  digne  de  sa  sagesse  :  il  envoie  son 
Fils  unique ,  immortel  par  sa  nature  aussi  bien 
que  lui,  revêtu  par  sa  charité  d'une  chair  mor- 
telle ,  qui  mourant  volontairement  quoique  juste , 
apprend  le  devoir  à  ceux  qui  meurent  nécessai- 
rement comme  coupables ,  et  qui  désarmant  notre 
mort  par  la  sienne ,  ^  délivre ,  dit  saint  Paul ,  de 
n  la  servitude  ceux  que  la  crainte  de  mourir  te- 
«  nait  dans  une  éternelle  sujétion,  «  ei  iiberavit 
eos  qui  timoré  mortis  per  lotam  viiam  olrnoxii 
serviiuti^.... 

Voici,  messieurs,  un  grand  mystère,  voici  une 
conduite  surprenante,  et  un  ordre  de  médecine 
bien  nouveau.  Pour  nous  guérir  de  la  crainte  de 
la  mort,  on  fait  mourir  notre  médecin.  Cette 
méthode  paraît  sans  raison  ;  mais  si  nous  savons 
entendre  l'état  du  malade  et  la  nature  de  la  ma- 
ladie, nous  verrons  que  c'était  le  remède  propre, 
et,  s'il  m'est  permis  de  parler  ainsi ,  le  spécifique 
infaillible. 

Donc,  mes  frères,  notre  maladie  c'est  que 
nous  redoutons  tellement  la  mort,  que  nous  la 
craignons  même  plus  que  le  péché;  ou  plutôt 
que  nous  aimons  le  péché,  pendant  que  nous 
avons  la  mort  en  horreur.  Voilà ,  dit  saint  Au- 
gustin ^,  un  désordre  étrange,  un  extrême  dé- 
règlement, que  nous  courions  au  péché  que  nous 
pouvons  fuir  si  nous  le  voulons,  et  que  nous  tra- 
vaillions avec  tant  de  soin  d'échapper  des  mains 
de  la  mort  dont  les  coups  sont  inévitables.  Aveu- 
glement de  l'homme ,  qui  choisit  toujours  le  pire , 
et  qui  veut  toujours  l'impossible  î  Et  toutefois, 
chrétiens,  si  nous  savons  pénétrer  les  choses, 

»  s.  Aug.  Serm.  (XXllI ,  B*  I ,  t.  v,  col.  527. 

»  Hebr.  II,  16. 

3  In  Joan.  Tract,  lux ,  D*  S ,  t.  ni ,  part  t»,  eol.  «19k 


238 


POUR  LA  PURIFICATION 


cette  mort,  qui  nous  paraît  si  cruelle,  suffira  pour 
nous  faire  comprendre  conabien  le  péché  est  plus 
redoutable.  Car  si  c'est  un  si  grand  malheur  que 
le  corps  ait  perdu  son  âme,  combien  plus  que 
l'ûme  ait  perdu  son  Dieul  Et  si  nos  sens  sont 
saisis  d'horreur  en  voyant  ce  corps  abattu  par 
terre ,  sans  force  et  sans  mouvement ,  combien 
est-il  plus  horrible  de  contempler  l'âme  raison- 
nable ,  cadavre  spirituel  et  tombeau  vivant  d'elle- 
même,  qui  étant  séparée  de  Dieu  par  le  péché, 
n'a  plus  de  vie  ni  de  sentiment  que  pour  rendre 
sa  mort  éternelle  1  Comment  une  telle  mort  n'est 
elle  pas  capable  de  nous  effrayer? 

Mais  voici  ce  qui  nous  abuse.  Quoique  le  pé- 
ché soit  le  plus  grand  mal ,  la  mort  toutefois  nous 
répagne  plus ,  parce  qu'elle  est  la  peine  forcée 
de  notre  dépravation  volontaire.  Car  c'est,  dit 
saint  Augustin ,  un  ordre  immuable  de  la  justice 
divine  que  le  mal  que  nous  choisissons  soit  puni 
par  un  mal  que  nous  haïssons  :  de  sorte  que  c'a 
été  une  loi  très-juste,  qu'étant  allés  au  péché  par 
notre  choix,  la  mort  nous  suivît  contre  notre 
gi'é ,  et  que  «  notre  âme  ayant  bien  voulu  aban- 
«  donner  Dieu ,  par  une  juste  punition  elle  ait 
«  été  contrainte  de  quitter  son  corps,  »  spiriius, 
quia  volens  deseruil  Deum ,  deserat  corpus  in- 
viius  '.  Ainsi ,  en  consentant  au  péché ,  nous  nous 
somnves  assujettis  à  la  mort;  parce  que  nous 
avons  choisi  le  premier  pour  notre  roi  j^l'autre 
est  devenu  notre  tyran.  Je  veux  dire  qu'ayant 
rendu  au  péché  une  obéissance  volontaire,  comme 
à  un  prince  légitime ,  nous  sommes  contraints 
de  gémir  sous  les  dures  lois  de  la  mort,  comme 
d'un  violent  usurpateur  :  et  c'est  ce  qui  nous 
impose.  La  mort,  qui  n'est  que  l'effet,  nous  sem- 
!)le  terrible,  parce  qu'elle  domine  par  force;  et 
le  péché ,  qui  est  la  cause ,  nous  paraît  aimable , 
parce  qu'il  ne  règne  que  par  notre  choix  :  au  lieu 
qu'il  fallait  entendre ,  par  le  mal  que  nous  souf- 
frons malgré  nous,  combien  est  grand  celui  que 
nous  avons  commis  volontairement.  Et  nous  ne 
voulons  pas  entendre  que  notre  grand  mal ,  c'est 
toujours  celui  que  nous  nous  faisons. 

Vous  reconnaissez ,  chrétiens ,  l'extrémité  de 
la  maladie ,  et  il  est  temps  maintenant  de  consi- 
dérer le  remède.  0  remède  vraiment  efficace  et 
cure  vraiment  heureuse  !  car  puisque  c'était  notre 
mal  de  ne  craindre  pas  le  péché  parce  qu'il  est 
volontaire ,  et  de  n'appréhender  que  la  mort  à 
cause  qu'elle  est  forcée,  qu'y  avait-il  de  plus 
convenable  que  de  contempler  le  Fils  de  Dieu 
qui ,  ne  pouvant  jamais  vouloir  le  péché ,  nous 
montre  combien  il  est  exécrable;  qui,  embrassant 
la  mort  avec  joie,  nous  fait  voir  qu'elle  n'est  point 

«  De  Trinit.  lib.  IV,  n""  16,  t  viir,  col.  S20. 


si  terrible;  mais  qui  enfin,  ayant  voulu  endurer 
la  mort  pour  expier  le  péché,  enseigne  assez 
clairement  à  tous  ceux  qui  veulent  entendre, 
qu'il  n'y  a  point  à  faire  de  comparaison ,  que 
le  péché  seul  est  à  craindre  comme  le  vrai  mal , 
et  que  la  mort  ne  l'est  plus,  puisque  même  elle  a 
pu  servir  de  remède? 

Paraissez  donc,  il  est  temps,  ô  le  Désiré  de» 
nations,  divin  Auteur  de  la  vie,  glorieux  Triom- 
phateur de  la  mort,  et  venez  vous  offrir  pour 
tout  votre  peuple!  C'est  pour  commencer  ce  mys- 
tère que  Jésus  entre  aujourd'hui  dans"  le  temple  ; 
non  pour  s'y  faire  voir  avec  majesté  comme  le 
Dieu  qu'on  y  adore ,  mais  pour  se  mettre  en  la 
place  de  toutes  les  victimes  qu'on  y  sacrifie  :  tel- 
lement qu'il  n'y  reçoit  pas  encore  le  coup  de  la 
mort ,  mais  il  l'accepte,  mais  il  s'y  prépare,  mais 
il  s'y  dévoue.  Et  c'est  tout  le  mystère  de  cette 
journée. 

Ne  craignons  donc  plus  la  mort,  chrétiens, 
après  qu'un  Dieu  veut  bien  la  souffrir  pour  nous; 
mais  avec  cette  différence  bienheureuse  qui  fait  * 
l'espérance  de  tous  les  fidèles,  qu'il  y  est  allé* 
par  l'innocence  :  au  lieu  que  nous  y  tombons  par 
le  crime;  et  c'est  pourquoi ,  dit  saint  Augustin", 
«  notre  mort  n'est  que  la  peine  du  péché ,  et  la  : 
«  sienne  est  le  sacrifice  qui  l'expie  :  »  Nosper] 
peccatum  ad  morteni  venimus,  ille  per  justi" 
tiam;  et  ideo  cum  sit  mors  nostra  pœna  pec~ 
cati,    mors  illius  facta  est  hostia  pm  pec- 
catoK 

Ah  !  je  ne  m'étonne  pas  si  le  bon  Siméon  ne 
craint  plus  la  mort,  et  s'il  la  défie  hardiment 
par  ces  paroles  :  Nuncdimittis^.  On  doit  crain- 
dre la  mort  avant  qu'on  ait  vu  le  Sauveur  :  on 
doit  craindre  la  mort  avant  que  le  péché  soit  ex- 
pié ,  parce  qu'elle  conduit  les  pécheurs  aune  mort 
éternelle.  Avant  le  Sauveur  on  ne  peut  mourir 
qu'avec  trouble.  Maintenant  que  j'ai  vu  le  Mé- 
diateur, qui  expie  le  péché  par  sa  mort ,  ah  !  je 
puis ,  dit  Siméon ,  m'en  aller  en  paix  :  en  paix 
parce  que  mon  Sauveur  vaincra  le  péché ,  et  qu'il 
ne  peut  plus  damner  ceux  qui  croient  :  en  paix 
parcequ'on  lui  verra  bientôt  désarmer  la  mort,  et 
qu'elle  ne  peut  plus  troubler  ceux  qui  espèrent  : 
en  paix  parce  qu'un  Dieu  devenu  victime  va  pa- 
cifier le  ciel  et  la  terre ,  et  que  le  sang  qu'il  est 
tout  prêt  à  répandre  nous  ouvrira  l'entrée  des 
lieux  saints. 

Que  tardons-nous ,  chrétiens ,  à  immoler  notre 
vie  avec  Siméon?  Il  pouvait,  ce  semble,  désirer 
de  vivre ,  puisque  Jésus-Christ  était  sur  la  terre  : 
mais  il  s'estime  si  heureux  d'avoir  vu  Jésus , 
qu'il  ne  veut  plus  voir  autre  chose  ;  et  il  ain:o 

I  De  Trin.  lib.  iv,  n»  15 ,  t.  VIII ,  col.  820 

»  Luc.  U,  29. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


239 


mieux  l'aller  attendre  avec  espérance,  que  de 
demeurer  en  ce  monde  où  il  l'aurait  vu  vérita- 
blement ,  mais  où  il  aurait  vu  avec  lui  quelque 
autre  spectacle ,  que  ses  yeux  ne  pouvaient  plus 
fouffrir  désormais.  Nous  donc  qui  ne  voyonsque 
les  vauités,  dont  les  yeux  sont  profanés  tous  les 
jours  partant  d'indignes  objets ,  combien  devons- 
nous  désirer  le  royaume  de  Jésus-Christ,  où 
nous  le  verrons  à  découvert ,  où  nous  le  contem- 
plerons dans  sa  gloire ,  où  nous  ne  verrons  que 
lui,  parce  qu'il  y  sera  tout  à  tous  ,  illuminant 
tous  les  esprits  par  les  rayons  de  sa  face ,  et  pé- 
nétrant tous  les  cœurs  par  les  traits  de  sa  bonté 
infinie! 

Songez  quelle  douceur,  quel  ravissement  sen- 
tent ceuK  qui  s'aiment  d'une  amitié  forte  ,  quand 
ils  se  trouvent  ensemble.  Ou  ne  peut  écouter 
sans  larmes  ces  tendres  paroles  de  Ruth  à  Noémi 
sa  belle-mère,  qui  lui  persuadait  de  se  retirer  : 
"  Non  ,  non ,  ne  croyez  pas  que  je  vous  quitte  : 
«  partout  ou  vous  irez ,  je  veux  vous  y  suivre  ; 
«  partout  où  vous  demeurerez,  j'ai  résolu  de  m'y 
«  établir  :  Quocumque  perrexeris,  pergam  ;  et 
«  tibi  inoraia  fueris,  et  ego  pariter  ynorabor. 
«  Votre  peuple  sera  mon  peuple ,  votre  Dieu  sera 
«  m(m  Dieu.  Ah  !  je  le  prends  à  témoin  que  la 
«  seule  mort  est  capable  de  nous  séparer  :  encore 
•  veux-je  mourir  dans  la  même  terre  où  vos  res- 
<«  tes  seront  déposés ,  et  c'est  là  que  je  choisis  le 
«  lieu  de  ma  sépulture  :  »  Quœ  te  terra  morien- 
tem  susceperity  in  ea  moriar,  ibigve  locum  ac- 
cipiam  sépultures^.  Quoi!  la  force  d'une  amitié 
naturelle  produit  une  liaison  si  parfaite,  et  fait 
même  que  les  amis  étant  unis  dans  la  sépulture, 
leurs  os  semblent  reposer  plus  doucement,  et 
les  cendres  môme  être  plus  tranquilles  :  quel  sera 
donc  ce  repos  d'aller  immortels  à  Jésus-Christ 
immortel  ;  d'être  avec  ce  divin  Sauveur,  non  dans 
les  ombres  de  la  mort ,  ni  dans  la  terre  des  morts , 
mais  dans  la  terre  des  vivants  et  dans  la  lumière 
de  vie  ! 

Après  cela,  chrétiens,  serons-nous  toujours 
enchantés  de  l'amour  de  cette  vie  périssable  ? 
C'est  vainement ,  dit  saint  Augustin ,  que  vous 
paraissez  passionnés  pour  elle.  «  Cette  maîtresse 
«  infidèle  vous  crie  tous  les  jours  :  Je  suis  laide 
«  et  désagréable  ;  et  vous  la  chérissez  avec  ar- 
«  deur.  Elle  vous  crie  :  Je  vous  suis  rude  et 
«  cruelle  ;  et  vous  l'embrassez  avec  tendresse.  Elle 
«  vous  crie  :  Je  suis  changeante  et  volage;  et  vous 
«  l'aimez  avec  attache.  Elle  est  sincère  en  ce 
n  point ,  qu'elle  vous  avoue  franchement  qu'elle 
«  ne  sera  pas  longtemps  avec  vouj  et  que  bientôt 
•  elle  vous  manquera  comme  un  faux  ami  au  mi- 

•  Ruth.  I,  18,  17. 


«  lieu  de  vos  entreprises  ;  et  vous  faites  fondement 
«  sur  elle,  comme  si  elle  était  bien  sûre  et  fidète 
n  à  ceux  qui  s'y  fient  :  ■>  Clamât  tidi ,  Fœda  suin, 
et  tu  amas?  Clamât,  Dura  sum,  et  tu  ample- 
cteris?  Clamât ,  Volatica  sum,  et  tu  sequi  co* 
naris  ?  Ecce  respondet  tibi  amata  tua ,  Non  te- 
cum  stabo'.  Mortels,  désabusez-vous;  vous  qui 
ne  cessez  de  vous  tourmenter,  et  qui  faites  tant 
de  choses  pour  mourir  plus  tard.  «  Songez  plutôt, 
«  dit  saint  Augustin ,  à  entreprendre  quelque 
«  chose  de  considérable  pour  ne  mourir  jamais  :  » 
Qui  tanta  agis  y  ut  paulo  serius  moriariSy  âge 
aliquid  ut  nunquam  moriaris  *. 

Cessons  donc  de  nous  laisser  tromper  plus 
longtemps  à  cette  amie  inconstante ,  qui  ne  nous 
peut  cacher  elle-même  ses  faiblesses  insupporta- 
bles. Mais  comme  les  voluptés  s'opposent  à  cette 
rupture,  et  que,  pour  empêcher  ce  dégoût,  elles 
nous  promettent  de  tempérer  les  amertumes  de 
cette  vie  par  leurs  flatteuses  douceurs  ;  faisons  un 
second  sacrifice ,  et  immolons  à  Dieu  l'amour  des 
plaisirs  avec  Anne  la  prophétesse. 

SECOND  POINT. 

C'est  un  précepte  du  Sage  de  s'abstenir  des 
eaux  étrangères.  «  Buvez,  dit-il,  de  votre  puits 
.<  et  prenez  l'eau  dans  votre  fontaine  :  »  Bibc 
aquam  de  cisterna  tua  et  Jîuenta  putei  tui  ^. 
Cette  parole  simple,  mais  mystérieuse ,  s'adresse, 
si  je  ne  me  trompe ,  à  l'âme  raisonnable  faite  à 
l'image  de  Dieu.  Elle  boit  d'une  eau  étrangère , 
lorsqu'elle  va  puiser  le  plaisir  dans  les  objets  de 
ses  sens  ;  et  le  Sage  lui  veut  faire  entendre  qu'elle 
ne  doit  pas  sortir  d'elle-même,  ni  aller  détourner 
de  quelque  montagne  écartée  les  eaux,  puis- 
qu'elle a  en  son  propre  fonds  une  source  immor- 
telle et  inépuisable. 

Il  faut  donc  entendre ,  messieurs ,  cette  belle 
et  sage  pensée.  La  source  du  véritable  plaisir, 
qui  fortifie  le  cœur  de  l'homme,  qui  l'anime  dans 
ses  desseins  et  le  console  dans  ses  disgrâces ,  ne 
doit  pas  être  cherchée  hors  de  nous ,  ni  attirée  en 
notre  âme  par  le  ministère  des  sens;  mais  elle 
doit  jaillir  au  dedans  du  cœur  toujours  pleine, 
toujours  abondante.  Et  la  raison ,  chrétiens ,  se 
prend  de  la  nature  de  l'âme ,  qui  ayant  sans  doute 
ses  sentiments  propres ,  a  aussi  par  conséquent 
ses  plaisirs  à  part  ;  et  qui  étant  seule  capable  de 
se  réunir  à  l'origine  du  bien  et  à  la  bonté  primi- 
tive ,  qui  n'est  autre  chose  que  Dieu ,  ouvre  en 
elle-même ,  en  s'y  appliquant ,  une  source  tou- 
jours féconde  de  plaisirs  réels ,  lesquels  certes  qui- 
conque a  goûtés,  il  ne  peut  presque  plus  goûter 

'  Serm.  ccai,  t.  V,  n°  6,  col.  1228. 
=  Ibid.  n*4,  col.  1237. 
3  Prvv.  T,  J7. 


Ti40 


POUR  LA  PURIFICATION 


a*vbe  chose,  tant  le  goût  en  est  délkat,  tant  la 
douceur  en  est  ravissante. 

D'«ù  -vient  donc  que  le  sentiment  de  ces  plai- 
sirs immortels  est  si  fort  éteint  dans  les  hom- 
mes ?  qui  a  corrompu ,  qui  a  détourné ,  qui  a  mis  à 
sec  cette  belle  source?  d'où  vient  que  notre  âme 
ne  sent  presque  plus  parles  facultés  qui  lui  sont 
propres ,  par  ta  raison ,  par  l'intelligence ,  et  que 
rien  ne  la  touche  ni  ne  la  délecte,  que  ce  que  ses 
sens  lui  f)résentent?  Et  en  effet,  chrétiens,  chose 
étrange  mais  trop  véritable!  quoique  ce  soit  à 
l'esprit  de  connaître  la  vérité ,  ce  qui  neseeonnaît 
que  par  l'esprit  nous  paraît  un  songe.  Nous  vou- 
lons voir,«nous  voulons  sentir,  nous  voulons  tou- 
cher. Si  nous  écoutions  la  raison ,  si  elle  avait  en 
nous  quelque  autorité ,  avec  quelle  clarté  nous 
ferait-elle  connaître  que  ce  qui  est  dans  la  ma- 
tière n'a  qu'une  embre  d'être  qui  se  dissipe ,  et 
<ïuerien ne  subsiste  véritablement,  effectivement, 
que  ce  qui  est  dégagé  de  ce  principe  de  mort  ? 
Et  nous  sommes  au  contraire  si  aveugles  et  si 
malheureux,  que  ce  qui  est  immatériel  nous 
semble  une  ombre ,  un  fantôme  ;  ce  qui  n'a  point 
de  corps,  une  illusion;  ce  qui  est  invisible,  une 
pure  idée,  une  invention  agréable.  0  Dieu,  quel  est 
ce  désordre  !  et  commentavons-nous  perdu  le  pre- 
mier honneur  de  notre  nature  en  nous  rangeant  à 
la  ressemblance  des  animaux  muets  et  déraison- 
nables ?  N'en  cherchons  point  d'autre  cause.  Nous 
nous  sommes  attiré  nous-mêmes  un  si  grand  mal- 
heur. Nous  avons  voulu  goûter  les  plaisirs  sen- 
sibles, nous  avons  perdu  tout  le  goût  des  plaisirs 
célestes  ;  et  il  est  arrivé ,  dit  saint  Augustin ,  par 
un  grand  et  terrible  changement,  que  <  l'homme , 
«  qui  devait  être  spirituel  même  dans  la  chair, 
«  devient  tout  charnel  même  dans  l'esprit  :  » 

Qui futurus  fuerat  eiiam  carne  spiritalis, 

factus  est  etiam  mente  carnalis'. 

Méditons  un  peu  cette  vérité ,  et  confondons- 
nous  devant  notre  Dieu  dans  la  connaissance  de 
nos  faiblesses.  Oui ,  créature  chérie ,  homme  que 
Dieu  a  fait  à  sa  ressemblance ,  tu  devais  être  spi- 
rituel même  dans  le  corps,  parce  que  ce  corps  que 
Dieu  t'a  donné  devait  être  régi  par  l'esprit  :  et 
qui  ne  sait  que  celui  qui  est  régi  participe  en 
quelque  sorte  à  la  qualité  du  principe  qui  le  meut 
et  qui  le  gouverne ,  par  l'impression  qu'il  en  re- 
çoit? Mais,  ô  changement  déplorable!  la  chair  a 
pris  le  régime,  et  l'âme  est  devenue  toute  corpo- 
relle. Car  quine  voit  par  expérienceque  la  raison, 
ministre  des  sens  et  appliquée  tout  entière  à  les 
servir,  emploie  toute  son  industrie  à  raffiner  leur 
goût,  à  irriter  leur  appétit,  à  leur  assaisonner 
leurs  objets,  et  ne  se  peut  déprendre  elle  même 
de  ces  pensées  sensuelles? 

»  De  Civ.  Dit.  lil>.  MV»  cap.  xv    t-  Vil,  eol.  366. 


Ce  n'est  pas  que  nous  ne  fiassions  quelques  ef- 
fmts,  et  qu'il  n'y  ait  de  certains  moments  dans 
lesquels ,  à  la  faveur  d'un  léger  dégoût ,  il  nous 
semble  que  nous  allons  rompre  avec  les  plaisirs. 
Mais,  disons  ici  la  vérité ,  nous  ne  rompons  pas 
de  b<mne  foi.  Apprenons,  messieurs,  à  nous 
connaître.  Il  est  de  certains  dégoûts  qui  naissent 
d'attache  profonde;  il  est  de  certains  dégoûts  qui 
ne  vont  pas  à  rejeter  les  viandes ,  mais  à  les  de- 
mander mieux  préparées.  0  raison ,  tu  crois  être 
libre  dans  ces  petits  moments  de  relâche ,  où  il 
semble  que  la  passion  se  repose  :  tu  murmures 
cependant  contre  les  plaisirs  déréglés,  tu  loues  la 
vertu  et  l'honnêteté,  la  modération  et  la  tempé- 
rance ;  mais  la  moindre  caresse  des  sens ,  ce  qui 
montre  trop  clairement  combien  notre  engage- 
ment est  intime,  te  fait  bientôt  revenir  à  eux,  et 
dissipe  ces  beaux  sentiments  que  l'amour  de  la 
vertu  avait  réveillés  :  Redactus  sum  in  nihilum  : 
abstulisti,  quasi  ventus,  desiderium  meum,  et 
velut  nubes pertransiit  salus  mea  '  :  «  Tous  mes 
«  bons  desseins  s'en  vont  en  fumée ,  les  pensées  de 
'<  mon  salut  ont  passé  en  mon  esprit  comme  un 
«  nuage ,  et  ces  grandes  résolutions  ont  été  le  jouet 
«  des  vents.  » 

Telle  est  la  maladie  de  notre  nature;  mais 
maintenant,  messieurs,  voici  le  remède.  Voici 
le  sauveur  Jésus,  nouvel  homme  et  nouvel  Adam, 
qui  vient  détacher  en  nous  l'amour  des  plaisirs 
sensibles.  Que  si  l'amour  des  plaisirs  est  si  fort 
inhérent  à  nos  entrailles,  il  faut  un  remède  fort, 
un  remède  violent  pour  le  détacher.  C'est  pourquoi 
ce  nouvel  Adam  ne  s'approche  pas  comme  le  pre- 
mier d'un  arbre  fleuri  et  délectable,  mais  d'un 
arbre  terrible  et  rigoureux.  Il  est  venu  à  cet  arbre , 
non  pour  y  voir  un  objet  «  plaisant  à  la  vue,  et 
«  y  cueillir  un  fruit  agréable  au  goût,  »  bonum 
advescendum,  etpulchrum  oculis,  aspectuque 
delectabile  * ,  mais  pour  n'y  voir  que  de  l'horreur 
et  n'y  goûter  que  de  l'amertume  ;  afin  que  ses 
clous,  ses  épines,  ses  blessures,  et  ses  douleurs 
fissent  une  sainte  violence  aux  flatteries  de  nos 
sens  et  à  l'attache  trop  passionnée  de  notre  âme. 
Ce  qu'il  accomplit  sur  la  croix ,  il  le  commence 
aujourd'hui  dans  le  temple.  Considérez  cet  enfant 
si  doux,  si  aimable,  dont  le  regard  et  le  souris 
attendrit  tous  ceux  qui  le  voient  ;  à  combien  de 
plaies,  à  combien  d'injures,  à  combien  de  travaux 
il  se  consacre  :  Hic  positus  est  in  ruinam  et  in 
resurrectionem  multorum,  et  in  signum  cuicon- 
tradicetur  ^  :  «  Il  est  mis  pour  être  en  butte ,  dit 
«  le  saint  vieillard ,  à  toute  sorte  de  contradic- 
«  tiens!  »  Aussitôt  qu'il  commencera  de  paraître 

«  Joh.  XXX  ,  15. 
>  Gènes,  m ,  c. 
3  Luc.    ,  3i. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


241 


mi  monde,  on  empoisonnera  tontes  ses  pensées , 
on  tournera  à  contre-sens  toutes  ses  paroles.  Ah! 
((îiil  souffrira  de  maux  et  qu'il  sera  contredit! 
contredit  dans  tous  ses  enseignements ,  dans  tous 
SOS  miracles,  dans  ses  paroles  les  plus  douces, 
dans  ses  actions  les  plus  innocentes:  par  les  prin- 
ces, par  les  pontifes,  par  les  citoyens,  par  les 
i  t  rangers  ;  par  ses  amis ,  par  ses  ennemis ,  par  ses 
tu  vieux  et  par  ses  disciples.  A  quoi  êtes-vous  né , 
petit  enfant,  et  quelles  misères  vous  sont  réser- 
vées! Maisvouslessouffrezdéjàparimpression  ;et 
votre  prophète  a  raison  de  vous  appeler  «  l'homme 
«  de  douleurs,  l'homme  savant  en  infirmités,  » 
rirumdolorum  etscicntem  infirmitatem  '  :  parce 
que  si  vous  saviez  tout  par  votre  science  divine  ; 
par  votre  expérience  particulière  vous  ne  saurez 
que  les  maux,  vous  ne  connaîtrez  que  les  douleurs 
[et  les]  peines  :  virum  dolonnn. 

Mais  ce  Dieu  qui  se  dévoue  aux  douleurs  pour 
l'amour  de  nous ,  demande  aussi ,  chrétiens ,  que 
nous  lui  sacrifiions  l'amour  des  plaisirs  ;  car  il  faut 
appliquer  à  notre  mal  le  remède  qu'il  nous  pré- 
sente. Et  c'est  pourquoi ,  dans  le  même  temps 
(ju'il  s'offre  pour  notre  salut  à  toutes  sortes  de 
peines,  il  fait  paraître  à  nos  yeux  cette  veuve  si 
mortifiée ,  qui  nous  apprend  l'application  de  ce 
remède  admirable.  La  voyez-vous,  chrétiens, 
cette  Anne  si  renommée,  cette  perpétuelle  péni- 
tente exténuée  par  ses  veilles  et  consumée  par 
ses  jeûnes  !  elle  est  indignée  contre  ses  sens ,  parce 
qu'ils  tâchent  de  corrompre  par  leur  mélange 
la  source  des  plaisirs  spirituels;  elle  veut  aussi 
troubler  à  son  tour  ces  sens  gâtés  par  la  convoi- 
tise ,  source  des  plaisirs  déréglés.  Et  parce  que 
l'esprit  affaibli  ne  peut  plus  surmonter  les  fausses 
douceurs  par  le  seul  amour  des  plaisirs  célestes, 
elle  appelle  la  douleur  à  son  secours  ;  elle  emploie 
les  jeûnes,  les  austérités,  les  mortifications  de  la 
pénitence,  pour  étourdir  en  elle  tout  le  sentiment 
des  plaisirs  mortels  après  lesquels  soupire  notre 
esprit  malade.  Si  nous  n'avons  pas  le  courage  de 
les  attaquer  avec  elle  jusques  au  principe ,  modé- 
rons-en du  moins  les  excès  damnables  ;  marchons 
avec  retenue  dans  un  chemin  si  glissant  ;  prenons 
garde  qu'en  ne  pensant  qu'à  nous  relâcher,  nous 
n'allions  à  l'emportement;  fuyons  les  rencontres 
dangereuses,  et  ne  présumons  pas  de  nos  forces, 
parce  que ,  comme  dit  saint  Ambroise ,  on  ne  sou- 
tient pas  longtemps  sa  vigueur  quand  il  la  faut 
employer  contre  soi-même  :  Causam  peccati 
fuge,  nemo  enim  diufortisest  contra  se ipsum\ 

Et  ne  nous  persuadons  pas  que  nous  vivions 
sans  plaisir,  pour  entreprendre  de  le  transporter 
du  corps  à  l'esprit,  de  la  partie  terrestre  et  mor- 

'    /?     LUI,  3. 

'  ^pol  II,  David,  cap.  m,  n'  12 

»>C,SSCET.  —  T.  m. 


telle  à  la  partie  divine  et  incorruptible.  C'est  \h 
au  contraire,  dit  Tertullien  ,  qu'il  se  forme  une 
volupté  toute  céleste,  du  mépris  des  voluptés 
sensuelles  :  Quœ  major  voluptas,  fjuamfnsli- 
dium  ipsius  voluptatis  '?  Qui  nous  donnera, 
chrétiens,  que  nous  sachions  goûter  ce  plaisir 
sublime,  plaisir  toujours  égal,  toujours  uniforme, 
qui  naît  non  du  trouble  de  l'âme ,  mais  de  sa  paix  ; 
non  de  sa  maladie ,  mais  de  sa  santé  ;  non  de  ses 
passions ,  mais  de  son  devoir  ;  non  de  la  ferveur 
inquiète  et  toujours  changeante  de  ses  désirs, 
mais  de  la  rectitude  immuable  de  sa  conscience? 
Que  ce  plaisir  est  délicat!  qu'il  est  généreux? 
qu'il  est  digne  d'un  grand  courage,  et  qu'il  est 
digne  principalement  de  ceux  qui  sont  nés  pour 
commander!  Car  si  c'est  quelque  chose  de  si 
agréable  d'imprimer  le  respect  par  ses  regards, 
et  de  porter  dans  les  yeux  et  sur  le  visage  un  ca- 
ractère d'autorité  ;  combien  plus  de  conserver  à 
la  raison  cet  air  de  commandement  avec  lequel 
elle  est  née;  cette  majesté  intérieure  qui  modère 
les  passions ,  qui  tient  les  sens  dans  le  devoir,  qui 
calme  par  son  aspect  tous  les  mouvements  sédi- 
tieux ,  qui  rend  l'homme  maître  en  lui-même  ? 
Mais  pour  être  maître  en  soi-même ,  il  faut  être 
soumis  à  Dieu  :  c'est  ma  troisième  partie. 

TBOISIÈME    POINT. 

La  sainte  et  immuable  volonté  de  Dieu  à  la- 
quelle nous  devons  l'hommage  d'une  dépendance 
absolue ,  se  déclare  à  nous  en  deux  manières  •  et 
Dieu  nous  fait  connaître  ce  qu'il  veut  de  nous ,  et 
par  les  commandements  qu'il  nous  fait  et  parles 
événements  qu'il  nous  envoie.  Car  comme  il  est 
tout  ensemble  et  la  règle  immuable  de  l'équité  tl 
le  principe  universel  de  tout  être ,  il  s'ensuit  né- 
cessairement que  rien  n'est  juste  que  ce  qu'il 
veut ,  et  que  rien  n'arrive  que  ce  qu'il  ordonne  ; 
de  sorte  que  les  préceptes  qui  prescrivent  tout  ce 
qu'il  faut  faire,  et  l'ordre  des  événements  qui 
comprend  tout  ce  qui  arrive,  reconnaissent  éga- 
lement pour  première  cause  sa  volonté  souve- 
raine. 

C'est  donc ,  messieurs ,  en  ces  deux  manières 
que  Dieu  règle  nos  volontés  par  la  sienne  ;  parce 
qu'y  ayant  deux  choses  à  régler  en  nous ,  ce  que 
nous  avons  à  pratiquer  et  ce  que  nous  avons 
à  souffrir,  il  propose  dans  ses  préceptes  ce  qu'il 
lui  plaît  qu'on  pratique,  il  dispose  par  les  événe- 
ments ce  qu'il  veut  que  l'on  endure»  et  ainsi ,  par 
ces  deux  moyens ,  il  nous  range  parfaitement  sous 
sa  dépendance.  Mais  notre  liberté  toujours  rebelJR 
s'oppose  sans  cesse  à  Dieu,  et  combat  directement 
ces  deux  volontés  :  celle  qui  règle  nos  mœurs,  en 
secouant  ouvertemen/  'ejoug  de  sa  loi;  celle  qui 

'   Df  Spect.  n"  29 

M 


242 


POUR  LA  PURIFICATION 


conduit  les  événements,  en  s'abandonnant  aux 
niU'Mnures,  aux  plaintes,  à  l'impatience  dans  les 
accidents  fâcheux  de  la  vie.  Et  pourquoi  ces  mur- 
mures inutiles  dans  des  choses  résolues  et  inévi- 
tables ;  si  ce  n'est  que  l'audace  humaine ,  toujours 
ennemie  de  la  dépendance ,  s'imagine  faire  quel- 
que chose  de  libre,  quand,  ne  pouvant  éluder 
l'effet  elle  blâme  du  moins  la  disposition ,  et  que , 
ne  pouvant  être  la  maîtresse,  elle  fait  la  mutine 
et  l'opiniâtre? 

Prenons,  mes  frères,  d'autres  sentiments  : 
ronsidérons  aujourd'hui  le  Sauveur  pratiquant  la 
loi ,  le  Sauveur  abandonnant  à  son  Père  toute  la 
conduite  de  sa  vie;  et  à  l'exemple  de  ce  Fils  uni- 
que ,  nous  qui  sommes  aussi  les  enfants  de  Dieu , 
nés  pour  obéir  à  ses  volontés,  adorons  dans  ses 
préceptes  les  règles  immuables  de  sa  justice ,  re- 
gardons dans  les  événements  les  effets  visibles  de 
sa  toute-puissance.  Apprenons  dans  ceux-là  ce 
qu'il  veut  que  nous  pratiquions  avec  fidélité,  et 
reconnaissons  dans  ceux-ci  ce  qu'il  veut  que  nous 
endurions  avec  patience. 

Et  pour  ôter  tout  prétexte  à  notre  rébellion , 
toute  excuse  à  notre  lâcheté ,  toute  couleur  à  no- 
tre indulgence,  la  bienheureuse  Marie ,  toujours 
humble  et  obéissante,  recevant  cet  exemple  de 
son  cher  fils,  le  donne  aussi  publiquement  à  tous 
les  fidèles.  Elle  porte  le  joug  d'une  loi  servile ,  de 
laquelle,  comme  nous  apprend  la  théologie,  elle 
était  formellement  exceptée;  et  quoiqu'elle  soit 
plus  pure  et  plus  éclatante  que  les  rayons  du  so- 
leil ,  elle  vient  se  purifier  dans  le  temple.  Après 
•cela,  chrétiens,  {[uelle  excuse  pourrons-nous  trou- 
ver iwur  nous  exempter  de  la  loi  de  Dieu ,  et  pour 
colorer  nos  rébellions?  mais  le  temps  ne  me  per- 
met pas  de  vous  décrire  plus  amplement  cette 
obéissance.  Voici  le  grand  sacrifice.  C'est  ici  qu'il 
nous  faut  apprendre  à  soumettre  à  Dieu  tout  l'or- 
dre de  notre  vie ,  toute  la  conduite  de  nos  affai- 
res ,  toutes  les  inégalités  de  notre  fortune.  Voici 
un  spectacle  digne  de  vos  yeux ,  et  digne  de  l'ad- 
miration de  toute  la  terre. 

«  Cet  enfant,  dit  Siméon  à  la  sainte  Vierge, 
«  est  établi  pour  la  ruine  et  pour  la  résurrection 
«  de  plusieurs.  Il  est  posé  comme  un  signe  auquel 
«  on  contredira,  et  votre  âme  sera  percée  d'un 
«  glaive.  »  Paroles  effroyables  pour  une  mère  !  Je 
\ous  prie,  messieurs ,  de  les  bien  entendre.  Il  est 
vrai  que  ce  bon  vieillard  ne  lui  propose  rien  en 
particulier  de  tous  les  travaux  de  son  fils,  mais 
ne  vous  persuadez  pas  que  ce  soit  pour  épargner 
sa  douleur  ;  au  contraire ,  c'est  ce  qui  la  porte  au 
dernier  excès  :  en  ce  que ,  ne  lui  disant  rien  en  par- 
ticulier, il  lui  laisse  à  appréhender  toutes  cho- 
ses. Car  est-il  rien  de  plus  rude  et  de  plus  affreux 
q[ue  cette  cruelle  suspension  d'une  âme  menacée 


d'un  mal  extrême,  sans  qu'on  lui  explique  ce  que 
c'est?  C'est  là  que  cette  pauvre  âme  confuse, 
étonnée,  pressée  et  attaquée  de  toutes  parts,  qui 
ne  voit  de  toutes  parts  que  des  glaives  pendants 
sur  sa  tête,  qui  ne  sait  de  quel  côté  elle  se  doit 
mettre  en  garde,  meurt  en  un  moment  de  mille 
morts.  C'est  la  que  la  crainte,  toujours  ingénieuse 
pour  se  tourmenter  elle-même,  ne  pouvant  savoir 
sa  destinée,  ni  le  mal  qu'on  lui  prépare,  va  par- 
courant tous  les  maux  pour  faire  son  supplice  de 
tous  :  si  bien  qu'elle  souffre  toute  la  douleur  que 
donne  une  prévoyance  assurée,  avec  tonte  cette 
inquiétude  importune,  toute  l'angoisseetranxiélé 
qu'apporte  une  juste  frayeur  qui  doute  encore,  et 
ne  sait  à  quoi  se  résoudre.  Dans  cette  cruelle  in- 
certitude, c'est  une  espèce  de  repos  que  desavoir 
de  quel  coup  il  faudra  mourir  :  et  saint  Augustin 
a  raison  de  dire ,  «  qu'il  est  moins  dur,  sans  com- 
«  paraison ,  de  souffrir  une  seule  mort ,  que  de  les 
«  appréhender  toutes  :  »  Longe  satins  est  unam 
perpeli  moriendo,  quam  omnes  timere  vivendo  ' . 
Tel  est  l'état  de  la  sainte  Vierge ,  et  c'est  ainsi 
qu'on  la  traite.  0  Dieu ,  qu'on  ménage  peu  sa  dou- 
leur !  Pourquoi  la  frappez-vous  de  tant  d'endroits? 
Ou  ne  lui  dites  rien  de  son  mal,  pour  ne  la  tour- 
menter point  par  la  prévoyance;  ou  dites-lui  tout 
son  mal,  pour  lui  en  ôter  du  moins  la  surprise. 
Chrétiens ,  il  n'en  sera  pas  de  la  sorte.  On  lui  an- 
noncera son  mal  de  bonne  heure,  afin  qu'elle  le 
s€nte  longtemps  ;  on  ne  lui  dira  pas  ce  que  c'est , 
de  peur  d'ôter  à  la  douleur  la  secousse  violente 
que  la  surprise  y  ajoute.  Ce  qu'elle  a  ouï  confu- 
sément du  bon  Siméon ,  ce  qui  a  déjà  déchiré  le 
cœur  et  ému  toutes  les  entrailles  de  celte  mère  ; 
elle  le  verra  sur  la  croix  plus  horrible ,  plus  épou- 
vantable ,  qu'elle  n'avait  pu  se  l'imaginer.  0  pré- 
voyance, ô  surprise,  ô  ciel,  ô  terre,  ô  nature, 
étonnez- vous  de  cette  constance  !  Ce  qu'on  loi  pré- 
dit lui  fait  tout  craindre  ;  ce  qu'on  exécute  lui  fait 
tout  sentir  :  voyez  cependant  sa  tranquillité  par 
le  miracle  de  son  silence.  Là  elle  ne  demande 
point ,  Qu'arrivera-t-il  ?  Ici  elle  ne  se  plaint  point 
de  ce  qu'elle  voit.  Sa  crainte  n'est  point  curieuse, 
sa  douleur  n'est  pas  impatiente.  Ni  elle  ne  s'in- 
forme de  l'avenir,  ni  elle  ne  se  plaint  du  mal  pré- 
sent; et  elle  nous  apprend  par  cet  exemple  les 
deux  actes  de  résignation  par  lesquels  nous  nous 
devons  immoler  à  Dieu  :  se  préparer  de  loin  à  tout 
ce  qu'il  veut;  se  soumettre  humblement  à  tout  ce 
qu'il  fait. 

Après  cela ,  chrétiens,  qu'est-il  nécessaire  que 
je  \ous  exhorte  à  offrir  à  Dieu  ce  grand  sacri- 
fice? Marie  vous  parle  assez  fortement.  C'est  elle 
qui  vous  invite  à  ne  sortir  point  de  ce  lieu  sans 

I    Dr  Vit:  Dci,  1)1).  I,  cap.  XI,  t.  Vil.  col   1-2. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


243 


nvoir  consacré  à  Dieu  ce  que  vous  avez  de  plus 
cher.  Est-ce  un  époux ,  est-ce  un  fils ,  et  serait-ce 
quelque  chose  de  plus  grand  et  de  plus  précieux 
qu'un  royaume?  ne  craignez  point  de  l'offrir  à 
Dieu.  Vous  ne  le  perdrez  pas  en  le  remettant  en- 
tre ses  mains.  Il  le  conservera  au  contraire  avec 
une  bonté  d'autant  plus  soigneuse,  que  vous  le 
lui  aurez  déposé  avec  une  plus  entière  confiance, 
tutius  habitura  guem  Domino  coinmendasset  '. 

C'est  la  grande  obligation  du  chrétien ,  de  s'a- 
bandonner tout  entier  à  la  sainte  volonté  de  Dieu  ; 
et  plus  on  est  indépendant,  plus  on  doit  être  à 
cet  égard  dans  la  dépendance.  C'est  la  loi  de 
tous  les  empires ,  que  ceux  qui  ont  cet  honneur 
de  recevoir  quelque  éclat  de  la  majesté  du  prince, 
ou  qui  ont  quelque  partie  de  sou  autorité  entre 
leurs  mains,  lui  doivent  une  obéissance  plus 
ponctuelle  et  une  fidélité  plus  attentive  à  leur  de- 
voir; parce  qu'étant  les  instruments  principaux 
de  la  domination  souveraine,  ils  doivent  s'unir 
plus  étroitement  à  la  cause  qui  les  applique.  Si 
cette  maxime  est  certaine  dans  les  empires  du 
monde  et  selon  la  politique  de  la  terre,  elle  l'est 
beaucoup  plus  encore  dans  la  politique  du  ciel 
et  dans  l'empire  de  Dieu;  si  bien  que  les  souve- 
rains, qu'il  a  commis  pour  régir  ses  peuples, 
doivent  être  liés  immuablement  aux  dispositions 
de  sa  providence  plus  que  le  reste  des  hommes. 
Il  n'est  pas  expédient  à  l'homme  de  ne  voir  rien 
au-dessus  de  soi  :  un  prompt  égarement  suit  cette 
pensée,  et  la  condition  de  la  créature  ne  porte 
pas  cette  indépendance.  Ceux  donc  qui  ne  dé- 
couvrent rien  sur  la  terre  qui  puisse  leur  faire 
loi ,  doivent  être  d'autant  plus  préparés  à  la  rece- 
voir d'en  haut.  S'ils  font  la  volonté  de  Dieu ,  je 
ne  craindrai  pointde  ledire  :  non-seulement  leurs 
sujets,  mais  Dieu  même  s'étudiera  à  faire  la  leur  ; 
car  il  a  dit,  par  son  prophète,  qu'il  «  fera  la  vo- 
«  lonté  de  ceux  qui  le  craignent  :  »  Voluntatem 
timentium  sefaciet  ^ 

Sire ,  Votre  Majesté  rendra  compte  à  Dieu  de 
toutes  les  prospérités  de  son  règne  ;  si  vous  n'êtes 
aussi  fidèle  à  faire  ses  volontés,  comme  il  est 
soigneux  d'accomplir  les  vôtres.  Plus  la  volonté 
des  rois  est  absolue,  plus  elle  doit  être  soumise  ; 
parce  que  Dieu,  qui  régit  le  monde  par  eux,  prend 
un  soin  plus  particulier  de  leur  conduite  et  de  la 
fortune  de  leurs  États.  Rien  de  plus  dangereux  à 
la  volonté  d'une  créature ,  que  de  penser  trop 
qu'elle  est  souveraine  :  elle  n'est  pas  née  pour  se 
régler  elle-même,  elle  se  doit  regai-der  dans  un 
ordre  supérieur.  Que  si  Votre  Majesté  regarde 
ses  peuples  avec  amour  comme  les  peuples  de 
Dieu ,  sa  couronne  comme  un  présent  de  sa  pro- 

'  s.  Pantin  Ep.  ad  Sever.  n"  9. 
*  Ps.  cxLiy ,  20. 


vidence,  son  sceptre  comme  rinslrumenl  de  ses 
volontés  :  Dieu  bénira  votre  règne,  Dieu  affer- 
mira votre  trône  comme  celui  de  David  et  de  Sa- 
lomon  ;  Dieu  fera  passer  ^'otre  Majesté  d'un  rè- 
gne à  un  règne,  d'un  trône  à  un  trône,  mais  trône 
bien  plus  auguste  et  règne  bien  plus  glorieux , 
qui  est  celui  de  l'éternité  que  je  vous  souhaite, 
au  nom  du  Père,  etc. 


•■«•»•■• 


DEUXIÈME  SERMON 

POUR  LE  JOUR 

DE  LA  PURIFICATION  DE  LA  SAirîTE  VIERGE, 

PRÊCHÉ  A  LA  OOtJB. 

Nécessité  des  lois  :  soumission  qui  leur  est  due.  Dépendance 
dans  laquelle  nous  devons  vivre  à  l'égard  de  Dieu  et  des  or- 
dres de  sa  providence. 


Postquain  inipleli  sunt  (lies  purgalioni.s  ejus  secunduni 
legem  Moysi ,  tulerunt  illum  in  Jérusalem ,  ut  sisteren! 
eum  Domino ,  sicut  scriptum  est  in  lege  Domini. 

Le  temps  de  la  purification  de  Marte  étant  accompli 
selon  la  loi  de  Moïse,  ils  portèrent  l'enfant  à  Jérusa- 
lem., pour  le  présenter  au  Seigneur,  ainsi  qu'il  est 
écrit  en  la  loi  de  Dieu.  Luc.  ii,  22 ,  23. 

Un  grand  empereur  »  a  prononcé  qu'il  n'y  a 
rien  de  plus  royal  ni  de  plus  majestueux  qu'un 
prince  qui  se  reconnaît  soumis  aux  lois ,  c'est-à- 
dire  ,  à  la  raison  même  :  et  certes  le  genre  humain 
ne  peut  rien  voir  de  plus  beau,  que  la  justice 
dans  le  trône  ;  et  on  ne  peut  rien  penser  de  plus 
grand  ni  de  plus  auguste  que  cette  noble  alliance 
de  la  puissance  et  de  la  raison ,  qui  fait  concourir 
heureusement  à  l'observance  des  lois  et  l'autorité 
et  l'exemple. 

Que  si  c'est  un  si  beau  spectacle  qu'un  prince 
obéissant  à  la  loi,  combien  est  plus  admirable 
celui  d'un  Dieu  qui  s'y  soumet  !  Et  pouvons-nous 
mieux  comprendre  ce  que  nous  devons  aux  lois , 
qu'en  voyant  dans  le  mystère  de  cette  journée 
uu  Dieu  fait  homme  s'y  assujettir,  pour  donner 
à  tout  l'univers  l'exemple  d'obéissance?  Merveil- 
leuse conduite  de  Diea  !  Jésus-Christ  venait  abolir 
la  loi  de  Moïse  par  une  loi  plus  parfaite;  néan- 
moins, tant  qu'elle  subsiste ,  il  révère  si  fort  le 
nom  et  l'autorité  de  la  loi ,  qu'il  l'observe  ponc- 
tuellement ,  et  la  fait  observer  à  sa  sainte  mère. 
Combien  plus  devons-nous  garder  les  sacrés  pré- 
ceptes de  l'Évangile  éternel  qu'il  est  venu  établir, 
plus  encore  par  son  sang  que  par  sa  doctrine  ! 

Je  ne  pense  pas,  chrétiens,  pouvoir  rien  faire 
de  plus  convenable  à  la  fête  que  nous  célébrona, 
que  de  vous  montrer  aujourd'hui  combien  nous 
devons  dépendre  de  Dieu  et  de  ses  ordres  su- 

•  Théodose.  L.  Digna,  Cod.  Justin,  lib.  i,  Titul.  iir,  Leg.  ir. 

16. 


2^4  POUR  LA  PURIFICATION 

prèmes;  et  je  croirai  pouvtiir  vous  persuader  une 
obéissance  si  nécessaire,  pourvu  que  la  sainte 
Viei'ge ,  qui  nous  en  donne  l'exemple ,  nous  ac- 
corde aussi  son  secours,  que  nous  lui  allons  de- 
mander par  les  paroles  de  l'ange  :  Ave. 

Parmi  tant  de  lois  différentes  auxquelles  no- 
îre  nature  est  assujettie ,  si  nous  voulons  établir 
une  conduite  réglée,  nous  devons  reconnaître, 
avant  toutes  choses,  qu'il  y  a  une  loi  qui  nous 
dirige ,  une  loi  qui  nous  entraîne,  et  une  loi  qui 
nous  tente  et  qui  nous  séduit.  ÎVous  voyons  dans 
les  Écritures  et  dans  les  commandements  divins, 
la  loi  de  justice  qui  nous  dirige  :  nous  éprouvons 
tous  les  jours  dans  le  cours  de  nos  affaires ,  dans 
leurs  conjonctures  inévitables,  dans  toutes  les 
suites  malheureuses  de  notre  mortalité ,  une  loi 
comme  fatale  de  la  nécessité  qui  nous  entraîne  : 
enfin  nous  ressentons  en  nous-mêmes  et  dans  nos 
membres  mortels  un  attrait  puissant  et  impérieux 
qui  séduit  nos  sens  et  notre  raison  ;  et  cet  attrait , 
qui  nous  pousse  au  mal  avec  tant  de  force,  est  ap- 
pelé par  l'apôtre  »  «  la  loi  de  péché ,  »  qui  est  une 
continuelle  tentation  à  la  fragilité  humaine. 

Ces  trois  différentes  lois  nous  obligent  aussi , 
chrétiens ,  à  trois  pratiques  différentes  :  car,  pour 
nous  rendre  fidèles  à  notre  vocation  et  à  la  grâce 
du  christianisme ,  il  faut  nous  laisser  conduire 
au  commandement  qui  nous  dii'ige ,  nous  élever 
par  courage  au-dessus  des  nécessités  qui  nous 
accablent  ;  enfin ,  résister  avec  vigueur  aux  attraits 
des  sens  qui  nous  trompent.  C'est  ce  qui  nous  est 
montré  clairement  dans  l'Évangile  que  nous  trai- 
tons ,  et  dans  le  mystère  de  cette  journée.  Jésus- 
Christ  et  la  sainte  Vierge,  Siméon,  ce  vénérable 
■\  ieillard,  et  Anne,  celte  sainte  veuve,  semblent 
ne  paraître  en  ce  jour,  que  pour  donner  aux  fi- 
dèles toutes  les  instructions  nécessaires  au  sujet 
de  ces  ti'ois  lois  que  j'ai  rapportées.  Le  Sauveur 
et  sa  sainte  mère  se  soumettent  aux  commande- 
ments que  Dieu  a  donnés  à  son  peuple.  Siméon, 
vieillard  courageux  et  détaché  de  la  vie,  en  su- 
bissant sans  se  troubler  la  loi  de  la  mort,  se  met 
au-dessus  des  nécessités  qui  accablent  notre  na- 
ture, et  nous  apprend  à  les  regarder  comme  des 
lois  souveraines  auxquelles  nous  devons  nous  ac- 
commoder. Enfin,  Anne  pénitente  et  mortifiée 
nous  fait  voir  dans  ses  sens  domptés  la  loi  du  pé- 
ché vaincu.  Exemples  puissants  et  mémorables, 
qui  me  donnent  occasion  de  vous  faire  voir  au- 
jourd'hui combien  nous  devons  être  soumis  à  la 
loi  de  la  vérité  qui  nous  règle;  quel  usage  nous 
devons  faire  de  la  loi  de  la  nécessité  qui  nous  en- 
traîne ;  comment  nous  devons  résister  a  l'attrait 
du  mal  qui  nous  tente ,  et  à  la  loi  du  péché  qui 
nous  tyrannise. 

»  /.'om.  vu,  23.  j  Joan.  \m,S6. 


PREMIER   POINT. 

Le  nom  de  liberté  est  le  plus  agréable  et  le 
plus  doux,  mais  tout  ensemble  le  plus  décevant 
et  le  plus  trompeur  de  tous  ceux  qui  ont  quelque 
usage  dans  la  vie  humaine.  Les  troubles,  lès  sédi- 
tions, le  mépris  des  lois,  ont  toujours  eu  leur 
cause  ou  leur  prétexte  dans  l'amour  de  la  liberté. 
Il  n'y  a  aucun  bien  de  la  nature  dont  les  hommes 
abusent  davantage  que  de  leur  liberté,  ni  rien 
qu'ils  connaissent  moins  que  la  franchise ,  encore 
qu'ils  la  désirent  avec  tant  d'ardeur.  J'entreprends 
de  vous  faire  voir  que  nous  perdons  notre  liberté 
en  la  voulant  trop  étendre;  que  nous  ne  savons 
pas  la  conserver,  si  nous  ne  savons  aussi  lui  don- 
ner des  bornes;  et  enfin,  que  la  liberté  véritable 
c'est  d'être  soumis  aux  lois. 

Quand  je  vous  parle,  messieurs,  de  la  liberté 
véritable ,  vous  devez  entendre  par  là  qu'il  y  en 
a  aussi  une  fausse  ;  et  c'est  ce  qui  paraît  claire- 
ment dans  ces  paroles  du  Sauveur  :  Si  vos  Fi/.ius- 
liheraverit,  tune  vers  liberi  eritis  '  :  «  Vous 
«  serez  vraiment  libres,  dit-il,  quand  je  vous  au- 
'<  rai  affranchis.  >.  Quand  il  dit  que  nous  serons 
vraiment  libres ,  il  a  dessein  de  nous  faire  en- 
tendre qu'il  y  a  une  liberté  qui  n'est  qu'appa- 
rente; et  il  veut  que  nous  aspirions,  non  à  toute 
sorte  de  franchise ,  mais  à  la  franchise  véritable , 
à  la  liberté  digne  de  ce  nom  :  c'est-à-dire,  à  celle 
qui  nous  est  donnée  par  sa  grâce  et  par  sa  doc- 
trine :  tune  vere  librri  eritis.  C'est  pourquoi  nous 
ne  devons  pas  nous  laisser  surprendre  par  le  nom 
ni  par  l'apparence  de  la  liberté.  Il  faut  ici  nous 
rendre  attentifs  à  démêler  le  vrai  d'avec  le  faux  ; 
et  pour  le  faire  nettement  et  distinctement,  je 
remarquerai ,  chrétiens ,  trois  espèces  de  liberté, 
que  nous  pouvons  nous  figurer  dans  les  créatu- 
res :  la  première,  c'est  la  liberté  des  animaux; 
la  seconde,  c'est  la  liberté  des  rebelles;  la  troi- 
sième ,  c'est  la  liberté  des  sujets  et  des  enfants. 
Les  animaux  semblent  être  libres,  parce  qu'on 
ne  leur  prescrit  aucunes  lois  ;  les  rebelles  s'ima- 
ginent l'être ,  parce  qu'ils  secouent  le  joug  des 
lois  ;  les  sujets  et  les  enfants  de  Dieu  le  sont  en 
effet,  parce  qu'ils  se  soumettent  humblement  à  la 
sainte  autorité  des  lois.  Telle  est  la  liberté  véri- 
table ;  et  il  nous  sera  aisé  de  l'établir  solidement 
par  la  destruction  des  deux  autres. 

Et  premièrement ,  chrétiens ,  pour  ce  qui  re- 
garde cette  liberté  dont  jouissent  les  animaux , 
j'ai  honte  de  l'appeler  de  la  sorte  et  de  ravilir 
jusque-ia  un  si  beau  nom.  Il  est  vrai  qu'ils  n'ont 
pas  de  lois  qui  répriment  leurs  appétits ,  ou  diri- 
gent leurs  mouvements;  mais  c'est  qu'ils  n'ont 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


2t5 


pas  (Viatelligence  qui  les  rende  capables  d  être 
«gouvernés  par  la  sage  direction  des  lois  :  ils  vont 
où  les  pousse  un  instinct  aveugle,  sans  conduite 
et  sans  jugement;  et  appellerons-nous  liberté 
un  emportement  brut  et  indocile,  incapable  dérai- 
son et  de  discipline?  A  Dieu  ne  plaise,  ô  enfants 
d'Adam,  ô  créatures  raisonnables  que  Dieu  a 
formées  à  son  image  ;  à  Dieu  ne  plaise ,  encore 
une  fois,  qu'une  telle  liberté  vous  agrée,  et  que 
vous  consentiez  jamais  d'être  libres  d'une  manière 
si  basse!  Et  toutefois ,  chrétiens ,  qu'entendons- 
nous  tous  les  jours  dans  la  bouche  des  hommes 
du  monde?  ne  sont-ce  pas  eux  qui  trouvent  toutes 
les  lois  importunes,  et  qui  voudraient  les  voir 
abolies,  pour  n'en  recevoir  que  d'eux-mêmes  et 
de  leurs  désii-s  déréglés?  Peu  s'en  faut  que  nous 
n'enviions  aux  animaux  leur  liberté ,  et  que  nous 
ne  célébrions  hautement  le  bonheur  des  bêtes 
sauvages,  de  ce  qu'elles  n'ont  dans  leurs  désirs 
d'autres  lois  que  leurs  désirs  mêmes  ;  tant  nous 
avons  ravili  l'honneur  de  notre  nature  ! 

Mais  au  contraire,  messieurs,  le  docte  Ter- 
tullien  en  avait  bien  compris  la  dignité ,  lors- 
qu'il a  prononcé  cette  sentence ,  au  second  livre 
contre  Marcion ,  qui  est  en  vérité  un  chef-d'œu- 
vre de  doctrine  et  d'éloquence  :  «  Il  a  fallu  ,  nous 
«  dit-il ,  que  Dieu  donnât  des  lois  à  l'homme ,  non 
«  pour  le  priver  de  sa  liberté,  mais  pour  lui  témoi- 
«  gner  de  l'estime  :  »  Legem...  bonitas  croga- 
vil ,  considens  homini  quo  Deo  adhœrerety  ne 
non  tant  liber,  quam  abjectus  videretur.  Et  cer- 
tes cette  liberté  de  vivre  sans  lois  eût  été  inju- 
rieuse à  notre  nature.  Dieu  eût  témoigné  qu'il 
méprisait  l'homme,  s'il  n'eût  pas  daigné  le  con- 
duire et  lui  prescrire  l'ordre  de  sa  vie  :  II  l'eût 
traité  comme  les  animaux  auxquels  il  ne  permet 
de  vivre  sans  lois,  que  par  le  peu  d'état  qu'il  en 
fait,  et  qu'il  ne  laisse  libres  de  cette  manière, 
dit  le  même  Tertullien,  que  par  mépris ,  œquan- 
dus  famulis  suis  cœleris  animalibus  soluiis  a 
Deo  et  exfustidio  liberis  '. 

Quand  donc  les  hommes  se  plaignent  des  lois 
qui  leur  ont  été  imposées ,  quand  ils  voudraient 
qu'on  les  laissât  errer  sans  ordre  et  sans  règle  au 
gré  de  leurs  désirs  aveugles,  -c  ils  n'entendent 
«  pas ,  dit  le  saint  psalmiste ,  quel  est  l'honneur 
-ï  et  la  dignité  de  la  nature  raisonnable,  puisqu'ils 
«  veulent  qu'on  les  compare  et  qu'on  les  mette 
«  en  égalité  avec  les  animaux  bruts ,  privés  de 
"  raison  :  »  Homo  cum  in  honore  esset  non  in- 
tcllexit,  comparatus  est  jumenlis  insipienti- 
bus  \  Et  c'est  ce  prodigieux  aveuglement  que 
leur  reproche  avec  raison  un  ami  de  Job,  en  ces 
termes  :  Virvanus  in  superbiam  erigitur,  et  tan- 

'  Li!j.  !i,  ndv.  Marcion.  n"  4. 


quam  pulhan  nnagri  se  Itberum  nninm pulat  '  : 
"  L'homme  vain  et  déraisonnable  s'emporte  par 
n  une  fierté  insensée,  et  s'imagine  être  né  libre 
«  à  la  manière  d'jin  animal  fougueux  et  indomp- 
«  té.  "  En  effet,  quels  sont  vos  sentiments,  tV 
pécheurs  aveugles,  lorsque  vous  suivez  pour  toute 
règle  votre  humeur,  votre  passion,  votre  colère, 
votre  plaisir,  votre  fantaisie  égarée  ;  lorsque  vous 
ne  faites  que  secouer  le  mors  et  regimber  contre 
toutes  les  lois,  sans  vouloir  souffrir  m  qu'on  vous 
retienne ,  ni  qu'on  vous  enseigne ,  ni  qu'on  vous 
conduise?  n'est-ce  pas  sans  doute  que  vous  vous 
imaginez  être  nés  libres,  non  à  la  manière  des. 
hommes,  mais  à  celle  des  animaux,  et  encore 
les  plus  indomptés  et  les  plus  fougueux;  sicut 
pullum  onagri,  qui  n'endurent  ni  aucun  joug, 
ni  aucun  frein,  ni  enfin  aucun  conducteur?  O 
hommes ,  ce  n'est  pas  ainsi  que  vous  devez  vous 
considérer.  Vous  êtes  nés  libres,  je  le  confesse  . 
mais  certes  votre  liberté  ne  doit  pas  être  abaiv 
donnée  à  elle-même;  autrement  vous  la  verriez 
dégénérer  en  un  égarement  énorme.  Il  faut  vous 
donner  des  lois ,  parce  que  vous  êtes  capables  de. 
raison  et  dignes  d'être  gouvernés  par  une  conduite 
réglée  :  Constitue,  Domine,  legislatorem  super 
eos,  ut  sciant  gentes  quoniam  homines  sunt  '  : 
«  0  Seigneur,  envoyez  un  législateur  à  votre 
«  peuple  ;  »  donnez-lui  premièrement  un  Moïse , 
qui  leur  apprenne  leurs  premiers  éléments  et  con- 
duise leur  enfance  :  donnez-leur  ensuite  un  Jésus- 
Christ,  qui  les  enseigne  dans  l'âge  plus  mûr,  et 
les  mène  à  la  perfection ,  «  et  ainsi  vous  ferez  coor. 
«  naître  que  vous  les  traitez  conime  des  hommes  ;  »- 
c'est-à-dire,  comme  des  créatures  que  vous  avez 
formées  à  votre  image,  et  dont  vous  voulez  aussi 
former  les  mœure  selon  les  lois  de  votre  vérité 
éternelle. 

Que  s'il  est  juste  et  nécessaire  que  Dieu  nous 
donne  des  lois ,  confessez  qu'il  ne  l'est  pas  moinsi 
que  notre  volonté  s'y  soumette.  C'est  pour  cela 
que  la  sainte  Vierge  nous  montre  aujourd'hui 
un  si  grand  exemple  d'une  parfaite  obéissance. 
Plus  pure  que  les  rayons  du  soleil ,  elle  se  sou- 
met à  la  loi  de  la  purification.  Le  Sauveur  lui- 
même  est  porté  au  temple,  parce  que  la  loi  le 
commande;  et  le  Fils  ne  dédaigne  pas  d'être 
assujetti  à  la  loi  qui  a  été  établie  pour  les  servi- 
teurs. A  cet  exemple ,  messieurs,  n'aimons  notre 
.iberté  que  pour  la  soumettre  à  Dieu ,  et  ne  nous 
persuadons  pas  que  ses  saintes  lois  nous  la  ra- 
vissent. Ce  n'est  pas  s'opposer  à  un  fleuve,  ni  à 
la  liberté  de  son  cours,  que  de  relever  ses  bords 
départ  et  d'autre,  de  peur  qu'il  ne  se  déborde 
et  ne  perde  ses  eaux  dans  la  campagne;  au  cou- 

■  Joh.  XI,  1-2. 


246 


POUR  LA  PURIFICATION 


traire  c'est  lui  donner  le  moyeu  de  couler  plus 
doucement  dans  son  lit ,  et  de  suivre  plus  cer- 
tainement son  cours  naturel.  Ainsi  ce  n'est  pas 
perdre  ia  liberté  que  de  lui  imposer  des  lois ,  de 
lui  donner  des  bornes  deçà  et  delà  pour  empê- 
cher qu'elle  ne  s'égare;  c'est  l'adresser  plus  as- 
surément à  la  voie  qu'elle  doit  tenir  :  par  une 
telle  précaution  on  ne  la  gône  pas,  mais  on  la 
conduit  ;  on  ne  la  force  pas ,  mais  on  la  dirige. 
Ceux-là  la  perdent,  ceux-là  la  détruisent  qui  dé- 
tournent son  cours  naturel ,  c'est-à-dire,  sa  ten- 
dance au  souverain  bien . 

Ainsi  la  liberté  véritable,  c'est  de  dépendre 
de  Dieu  :  car  qui  ne  voit  que  refuser  son  obéis- 
sance à  l'autorité  légitime  de  la  loi  de  Dieu ,  ce 
n'est  pas  liberté,  mais  rébellion  ;  ce  n'est  pas  fran- 
chise, mais  insolence?  Ouvrons  les  yeux,  chré- 
tiens, et  comprenons  quelle  est  notre  liberté.  La 
liberté  nous  est  donnée,  non  pour  secouer  le  joug , 
mais  pour  le  porter  avec  honneur  en  le  portant 
volontairement  :  la  liberté  nous  est  donnée ,  non 
pour  avoir  la  licence  de  faire  le  mal ,  mais  afin 
qu'il  nous  tourne  à  gloire  de  faire  le  bien  ;  non 
pour  dénier  à  Dieu  nos  services ,  mais  afin  qu'il 
puisse  nous  en  savoir  gré.  Nous  sommes  sous  la 
puissance  de  Dieu  beaucoup  plus ,  sans  compa- 
raison ,  que  la  loi  ne  met  les  enfants  sous  la  puis- 
sance paternelle.  S'il  nous  a ,  dit  Tertullien  • , 
comme  émancipés  en  nous  donnant  notre  liberté, 
et  la  disposition  de  notre  choix ,  ce  n'est  pas  pour 
nous  rendre  indépendants  ;  mais  afin  que  notre 
soumission  fût  volontaire ,  afin  que  nous  lui  ren- 
dissions par  choix  ce  que  nous  lui  devons  par 
obligation,  et  qu'ainsi  nos  devoirs  tinssent  lieu 
d'offrande ,  et  que  nos  services  fussent  aussi  des 
mérites.  C'est  pour  cela ,  chrétiens ,  que  la  libei-té 
nous  était  donnée. 

Mais  combien  abusons-nous  de  ce  don  du  ciel  ! 
et  qu'un  grand  pape  a  raison  de  dire  que  l'homme 
«  est  étrangement  déçu  par  sa  propre  liberté,  » 
sua  in  œteiiium  Uberlate  deceptus  *!  Qu'est-ce  à 
dire,  que  l'homme  est  déçu  par  sa  liberté;  c'est 
qu'il  n'a  pas  su  distinguer  entre  la  liberté  et  l'in- 
dépendance; et  il  n'a  pas  vu  que ,  pour  être  libre , 
Jl  n'était  pas  souverain.  L'homme  est  libre  comme 
im  sujet  sous  un  prince  légitime ,  et  comme  un 
fds  sous  la  dépendance  de  l'autorité  paternelle;  il 
a  voulu  être  libre  jusqu'à  oublier  sa  condition  et 
perdre  entièrement  le  respect  :  c'est  la  liberté 
d'un  rebelle ,  et  non  la  liberté  d'un  enfant  soumis 
et  d'un  fidèle  sujet.  Mais  la  souveraine  puissance 
de  celui  contre  lequel  il  se  soulève,  ne  permet  pas  à 
ce  rebelle  de  jouir  longtemps  de  sa  liberté  licen- 


Adv.  Marcion.  lib.  il ,  n"  C. 

Linocvnt.  I  Ep.  xxiv,  ad  Conc.  CurUi.  Lahb.  t.  ir,  col. 


Iâ>.; 


cieuse  ;  car  écoutez  ce  beau  mot  de  saint  Augustin  : 
Autrefois,  dit  ce  grand  homme,  j'ai  voulu  être 
libre  decette  manière,  j'ai  contenté  mes  désirs, 
j'ai  suivi  mes  passions  insensées;  mais,  hélas!  ô 
liberté  malheureuse  !  en  faisant  ce  que  je  voulais, 
j'arrivais  où  je  ne  voulais  pas  :  Volens  quo  noKem 
perveneram  Woiïàence  peu  de  mots,  messieurs, 
la  commune  destinée  de  tous  les  pécheurs. 

En  effet ,  considérez  cet  homme  trop  libre  dont 
je  vous  parlais  tout  à  l'heure;  qui  ne  refuse  rien 
à  ses  passions,  ni  même  à  ses  fantaisies  :  il  ti*ans- 
gresse  toutes  les  lois ,  il  aime ,  il  hait ,  il  se  venge 
suivant  qu'il  est  poussé  par  son  humeur,  et  laisse 
aller  son  cœur  à  l'abandon  partout  où  le  plaisir 
l'attire  :  il  croit  respirer  un  air  plus  libre  en  pro- 
menant deçàet  delà  ses  désirs  vagues  et  incertains; 
et  il  appelle  liberté  son  égarement  :  à  la  manière 
des  enfants ,  qui  s'imaginent  être  libres  lorsque , 
s'étant  échappés  de  la  maison  paternelle ,  ils  cou- 
rent sans  savoir  où  ils  vont.  Telle  est  la  liberté  de 
l'homme  pécheur  :  il  est  libre ,  à  son  avis;  il  fait 
ce  qu'il  veut  :  mais  que  cette  fausse  liberté  le 
trompe!  puisqu'en  faisant  ce  qu'il  veut ,  aveugle 
et  malheureux  qu'il  est,  il  s'engage  a  ce  qu'il 
veut  le  moins.  Car,  messieurs ,  dans  un  empire 
réglé  et  autant  absolu  qu'est  celui  de  Dieu ,  l'au- 
torité n'est  pas  sans  force ,  et  les  lois  ne  sont  pas 
désarmées;  quiconque  méprise  leurs  règlements , 
est  assujetti  à  leurs  peines  :  et  ainsi  ce  rebelle 
inconsidéré  qui  éprouve  sa  liberté  contre  Dieu ,  et 
l'exerce  insolemment  par  le  mépris  de  ses  saintes 
et  terribles  lois;  pendant  qu'il  fait  ce  qu'il  veut, 
attire  sur  lui  nécessairement  ce  qu'il  doit  le  plus 
avoir  en  horreur,  la  damnation ,  la  mort  éternelle , 
la  juste  et  impitoyable  vengeance  d'un  Tout- 
Puissant  méprisé.  Cesse  donc,  ô  sujet  rebelle  et 
téméraire  prévaricateur  de  la  loi  de  Dieu  !  cesse 
de  nous  vanter  désormais  ta  liberté  malheureuse 
que  tu  ne  peux  pas  soutenir  contre  le  Souverain 
que  tu  offenses,  et  reconnais  au  contraire  que  tu 
forges  toi-même  tes  fers  par  l'usage  de  ta  liberté 
dissolue ,  que  tu  mets  un  poids  de  fer  sur  ta  tête 
que  tu  ne  peux  plus  secouer,  et  qu'enfin  tu  seras 
réduit  à  une  servitude  éternelle,  en  voulant  éten- 
dre trop  loin  les  folles  prétentions  de  ta  vaine  et 
ridicule  indépendance. 

Par  conséquent ,  chrétiens ,  vivons  dépendants 
de  Dieu  ;  et  croyons  que ,  si  nous  osons  mépriser 
ses  lois ,  notre  audace  ne  sera  pas  impunie.  Car  si 
l'apôtre  a  raison  de  dire  que  nous  devons  craindre 
le  prince  et  le  magistrat,  «  parce  que  ce  n'est  pas 
«  en  vain  qu'il  porte  l'épée  :  »  Non  enim  sine 
causa  (jladium  portai  ^-^  combien  plus  devons^ 


'  dni/css.  lib.  VIII ,  cap  v ,  t.  r ,  col.  149. 
=  Rum.  xiii ,  i- 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


547 


nous  penser  que  ce  n'est  pas  en  vain  (juc  Dieu 
est  juste;  que  ce  nest  pas  en  vain  qu'il  est  tout- 
puissant  ;  que  ce  n'est  pas  en  vain  qu'il  lance  le 
foudre ,  ni  qu'il  fait  gronder  son  tonnerre  !  Nous 
avons  ici  l'honneur  de  parler  devant  les  puissances 
souveraines  :  apprenons  notre  devoir  envers  Dieu 
par  celui  que  nous  rendons  à  ses  images.  Qui  de 
nous  ne  fait  pas  sa  loi  de  la  volonté  du  prince?  ne 
mettons-nous  pas  notre  gloire  à  lui  obéir,  à  pré- 
venir même  ses  commandements ,  à  exposer  notre 
vie  pour  son  service?  qu'avons-nous  de  plus  pré- 
cieux que  les  occasions  de  signaler  notre  obéis- 
sance? Tous  ces  sentiments  sont  très-justes,  tous 
ces  devoii-s ,  légitimes.  Le  prince  n'a  que  Dieu  au 
dessus  de  soi ,  après  Dieu  il  est  le  premier  ;  il  a  en 
main  sa  puissance ,  il  exerce  sur  nous  son  autorité. 
Mais  enfin  il  n'est  pas  juste  que  le  sujet  de  Dieu 
soit  mieux  obéi  que  Dieu  même ,  et  la  seconde  Ma- 
jesté, mieux  servie  et  plus  révérée  que  la  première. 
Jl  est  vrai  que  quiconque  offense  le  prince  ne  le 
fait  pas  impunément.  Le  prince  a  le  glaive  en  main 
pour  se  faire  craindre  ;  on  ne  lui  résiste  pas.  Il  dé- 
couvre ,  dit  Saloraon ,  les  plus  secrètes  intrigues , 
«  les  oiseaux  du  ciel  lui  rapportent  tout  ■ ,  »  et 
vous  diriez  qu'il  devine  :  tant  il  est  malaisé  de  lui 
rien  cacher  :  Divinatio  in  labiis  régis,  dit  le 
même  Salomon  ^.  Après  il  étend  ses  bras,  et  il 
déterre  ses  ennemis  du  fond  des  abîmes  où  ils 
cherchaient  contre  lui  un  vain  asile  :  sa  présence 
les  déconcerte ,  son  autorité  les  accable.  Que  si , 
dar:s  cette  faiblesse  de  notre  mortalité,  nous  y 
voyons  subsister  une  force  si  redoutable ,  combien 
plus  devons-nous  trembler  devant  la  souveraine 
majesté  du  Dieu  vivant  et  éternel  !  Car  enfin  la 
plus  grande  puissance  qui  soit  dans  le  monde 
peut-elle,  après  tout,  s'étendre  plus  loin  que  d'ôter 
la  vie  à  un  homme?  Eh!  messieurs,  est-ce  donc 
un  si  grand  effort  que  de  faire  mourir  un  mortel , 
et  de  hâter  de  quelques  moments  une  vie  qui  se 
précipite  d'elle-même?  Si  donc  nous  craignons 
celui  qui  ayant  fait  mourir  le  corps ,  a  épuisé  son 
pouvoir  et  mis  à  bout  sa  vengeance  par  son  propre 
usage  ;  «  combien  plus ,  dit  le  Sauveur  ^ ,  doit-on 
«  redouter  celui  qui  peut  envoyer  et  l'âme  et  le 
«  corps  dans  une  gêne  éternelle!  » 

Cependant,  ô  aveuglement!  non-seulement 
nous  lui  résistons,  mais  encore  nous  prenons  plai- 
sir à  lui  résister.  Étrange  dépravation ,  et  révolte 
insupportable  contre  Dieu  !  ses  lois  qui  sont  po- 
sées pour  servir  de  bornes  à  nos  désirs  dérégies 
les  excitent  et  les  fortifient.  N'est-  il  pas  vrai ,  chré 
tiens,  moins  une  chose  est  permise,  plus  elle  a 
d'attraits;  le  devoir  est  une  espèce  de  supplice; 

*  Eecles.  X ,  20. 

'  Prov.  XVI ,  10. 

»  MatUi.  X ,  2S. 


ce  qui  plaît  par  raison  ne  plaît  presque  pas;  ce  qui 
est  dérobé  à  la  loi  nous  semble  plus  doux  ;  les 
viandes  défendues  nous  paraissent  plus  délicieu- 
ses durant  le  temps  de  pénitence:  la  défense  est 
un  nouvel  assaisonnement  qui  eu  relève  le  goût  ; 
«  Ainsi  le  péché  nous  trompe  par  une  fausse  dou- 
«  ceur  ;  parce  qu'il  nous  parait  d'autant  plus  agréa- 
«  ble ,  qu'il  est  moins  permis  :  »  Fallit  peccalum 
fallaci  dulcedine...  cum  tanlo  magis  libet , 
quanto  minus  licet\  Il  semble  que  nous  nous 
irritions  contre  la  loi,  de  ce  qu'elle  contrarie  nos 
désirs;  et  que  nous  prenions  plaisir  à  notre  tour 
à  la  contrarier  par  une  espèce  de  dépit  :  tellement 
que  nous  vouloir  contenir  par  la  discipline,  c'est 
nous  faire  déborder  avec  plus  d'excès ,  et  préci- 
piter plus  violemment  notre  liberté  indocile  et 
impatiente.  C'est  ce  qui  fait  dire  à  l'apôtre,  que 
«  le  péché  prend  occasion  du  précepte  pour  nous 
«  tromper;  »  c'est-à-dire,  pour  nous  tenter  davan- 
tage et  plus  dangereusement  :  Peccatum ,  occa- 
sione  accepta  per  mandatum,  sediixit  me^.O 
Dieu ,  quel  est  donc  notre  égarement  !  et  combien 
est  éloignée  l'arrogance  humaine  de  l'obéissance 
qui  vous  est  due  ;  pu  isque  même  l'autorité  de  votre 
précepte  nous  est  une  tentation  pour  le  violer! 

Paraissez ,  ô  très-sainte  Vierge  !  paraissez ,  ô 
divin  Jésus  !  et  fléchissez  par  votre  exemple  nos 
cœurs  indomptables.  Qui  peut  être  exempt  d'o- 
béir, puisqu'un  Dieu  même  se  soumet?  Quel  pré- 
texte pouvons-nous  trouver  pour  nous  dispenser 
de  la  loi,  après  que  la  Vierge  même  se  purifie,  et 
ne  croit  point  être  excusée ,  par  sa  pureté  angé- 
lique,  d'une  observance  qui  lui  est  si  peu  néces- 
saire? Si  la  loi  qui  a  été  donnée  par  le  ministère 
de  Moïse ,  qui  n'était  que  le  serviteur,  demande 
une  telle  exactitude,  combien  ponctuellement 
devons-nous  garder  celle  que  le  Fils  lui-même  nous 
a  établie  !  Après  ces  raisons,  après  ces  exemples, 
noti'c  lâcheté  n'a  plus  d'excuse ,  et  notre  rébellion 
n'a  plus  de  prétexte.  Baissons  humblement  la  tête  ; 
et  non  contents  de  nous  disposera  faire  ce  que 
Dieu  veut,  consentons  de  plus,  chrétiens,  qu'il 
fasse  de  nous  ce  qu'il  lui  plaira.  C'est  ce  que  j'ai 
à  vous  proposer  dans  ma  seconde  partie ,  que  je 
joindrai ,  pour  abréger  ce  discours ,  avec  la  troi- 
sième dans  une  môme  suite  de  raisonnement;  et 
je  les  établirai  toutes  deux  par  les  mêmes  preuves. 

SECOND   POINT. 

Parmi  les  choses  que  Dieu  veut  de  nous,  il  faut 
remarquer,  messieurs,  cette  différence,  qu'il  y  en 
a  quelques-unes  dont  il  veut  que  l'exécution  dé- 
pendede  notre  choix,  et  aussi  qu'il  y  en  a  d'autres 
où,  sans  aucun  égard  à  nos  volontés,  il  agit  lui- 

"   De  dit.  Qiitest.  ad  Simplic.  Ub.  I ,  t.  vi  »  coL  81,,  84.. 
-  KuuL.  vu.  11. 


218 


rOlJR  LA  PURIFICATION 


j,irmc  souverainement  par  sa  puissance  absolue. 
Parexemple,  Dieu  veutque  nous  soyons  justes, que 
nous  soyons  droits ,  modérés  dans  nos  désirs  sin- 
eèresdans  nos  paroles,  équitables  dansnos  actions, 
prompts  à  pardonner  les  injures ,  et  incapables 
d'en  faire  à  personne.  Mais  dans  ces  choses  qu'il 
veut  de  nous ,  et  dans  les  autres  semblables  qui 
comprennent  la  pratique  de  ses  saintes  lois,  il  ne 
force  point  notre  liberté.  Il  est  vrai  que  si  nous 
sommes  désobéissants,  nous  ne  pouvons  empêcher 
qu'il  ne  nous  punisse;  mais  toutefois  il  est  en 
nous  de  n'obéir  pas.  Dieu  met  entre  nos  mains  la 
vie  et  la  mort ,  et  nous  laisse  le  choix  de  l'une  et 
de  l'autre.  C'est  ainsi  qu'il  demande  à  l'homme 
l'obéissance  aux  préceptes ,  comme  un  effet  de  son 
choix  et  de  sa  propre  détermination.  Mais  il  n'en 
est  pas  de  la  sorte  des  événements  divers  qui  déci 
dent  de  notre  fortune  et  de  notre  vie  :  il  en  ordonne 
le  cours  par  de  secrètes  dispositions  de  sa  provi- 
dence éternelle,  qui  passent  notre  pouvoir,  et 
même  ordinairement  notre  prévoyance;  si  bien 
qu'il  n'y  a  aucune  puissance  capable  d'en  arrêter 
l'exécution,  conformément  à  cette  parole  d'Isaïe  : 
•  Mes  pensées  ne  sont  pas  vos  pensées  :  autant  que 
«  le  ciel  est  éloigné  de  la  terre ,  autant  mes  pensées 
«  sont-elles  au-dessus  des  vôtres-;  »  et  encore  cet 
autre  oracle  du  même  prophète  :  «  Toutes  mes 
«  volontés  seront  accomplies ,  et  tous  mes  desseins 
«  auront  leur  effet ,  dit  le  Seigneur  tout-puissant  :  « 
Consilium  meum  siabit,  et  omnis  voluntas  mea 
fiet\ 

Quand  je  considère  la  cause  de  cette  diversité , 
jetrouve  que  Dieu  étant  notre  souverain ,  il  n'est 
pas  juste,  messieurs,  qu'il  laisse  tout  à  notre 
disposition,  ni  qu'il  nous  rende  maîtres  absolus 
de  ce  qui  nous  touche  et  de  nous-mêmes.  Il  est 
juste  au  contraire  que  l'homme  ressente  qu'il  y 
a  une  force  majeure  à  laquelle  il  faut  céder.  C'est 
pourquoi  s'il  y  a  des  choses  qu'il  veut  que  nous  f  as  - 
sions  par  choix ,  il  veut  aussi  qu'il  y  en  art  d'au- 
tres que  nous  souffrions  par  nécessité.  Pour  cela 
les  choses  humaines  sont  disposées  de  manière 
qu'il  n'y  a  rien  sur  la  terre  ni  de  si  bien  concerté 
par  la  prudence ,  ni  de  si  bien  affermi  par  le 
pouvoir,  qui  ne  soitsouventtroublé  et  embarrassé 
par  des  événements  bizarres  qui  se  jettent  à  la 
traverse  ;  et  cette  puissance  souveraine  qui  régit 
le  monde  ne  permet  pas  qu'il  y  ait  un  homme 
vivant,  si  grand  et  si  puissant  qu'il  soit,  qui 
jniisse  disposer  à  son  gré  de  sa  fortune  et  de  ses 
alTarres,  et  bien  moins  de  sa  santé  et  de  sa  vie. 
(yest  ainsi  qu'il  a  plu  à  Dieu  que  l'homme  res- 
ticntit  par  expérience  cette  force  majeure  dont 


'   /s.  LV,  8,  9. 
^  l)ld.  XXVI,  10. 


j'ai  parlé  :  force  divine  et  inévitable,  qui  se  re- 
lâche quand  elle  veut,  et  s'accommode  quelque- 
fois à  nos  volontés;  mais  qui  sait  aussi  seroidir 
quand  il  lui  plaît  avec  une  telle  fermeté,  qu'elle 
entraîne  tout  avec  elle ,  et  nous  fait  servir  malgré 
nous  à  une  conduite  supérieure  qui  surpasse  de 
bien  loin  toutes  nos  pensées. 

C'est  donc  pour  cette  raison  que  cet  arbitre 
souverain  de  notre  sort  a  comme  partagé  notre 
vie  entre  les  choses  qui  sont  en  notre  pouvoir,  et 
celles  où  Une  consulte  que  son  bon  plaisir  :  alin 
que  nous  ressentionsnon-seulement  notre  liberté, 
mais  encore  notre  dépendance.  Il  ne  veut  pas 
que  nous  soyons  les  maîtres  de  tout,  afin  que 
nous  apprenions  que  nous  ne  le  sommes  de  rien 
qu'autant  qu'il  lui  plaît ,  et  que  nous  craignons 
d'abuser  de  la  liberté  et  du  pouvoir  qu'il  nous 
donne.  Il  veut  que  nous  entendions  que  s'il  nous 
invite  par  la  douceur,  ce  n'est  pas  qu'il  ne  sache 
bien  nous  faire  fléchir  par  la  force;  et  par  la  i! 
nous  accoutume  à  redouter  sa  force  invincible,  lors 
même  qu'il  ne  nous  témoigne  que  de  la  douceur. 
C'est  lui  qui  mêle  toute  noti'e  vie  d'événements 
qui  nous  fâchent,  qui  contrarie  notre  volonté, 
qui  s'attache  trop  à  elle-même,  et  qui  étend  sa 
liberté  jusqu'à  la  licence;  afin  de  nous  soumet- 
tre tout  à  fait  à  lui  et  de  nous  élever,  en  nous 
domptant,  à  la  véfritable  sagesse. 

Car  il  est  certain,  chrétiens,  que  de  savoir 
résister  à  ses  propres  volontés,  c'est  l'effet  le  plus 
assuré  d'une  raison  consommée  :  et  ce  qui  prouve 
évidemment  cette  véî'ité,  c'est  que  l'âge  le  moins 
capable  de  raison,  est  aussi  le  moins  capable  de 
se  modérer  et  de  se  vaincre.  Considérez  les  en- 
fants :  certainement  si  leurs  volontés  étaient  aussi 
durables  qu'elles  sont  ardentes ,  il  n'y  aurait  pis 
moyen  de  les  apaiser.  Combien  veulent-ils  vio- 
lemment tout  ce  qu'ils  veulent,  sans  peser  aucune 
raison?  Ils  ne  considèrent  pas  si  ce  qu'ils  recher- 
chent leur  est  nuisible  :  il  ne  leur  importe  pas  si 
cet  acier  coupe;  c'est  assez  qu'il  brille  à  leui-s 
yeux,  et  ils  ne  songent  qu'à  se  satisfaire  :  ils  ne 
regardent  pas  non  plus  si  ce  qu'ils  demandent 
est  à  autrui;  il  suffit  qu'il  leur  plaise  pour  le  dé- 
sirer, et  ils  s'imaginent  que  tout  est  à  eux.  Que  si 
vous  leur  résistez,  vous  voyez  au  même  moment, 
et  tout  leur  visage  en  feu ,  et  tout  leur  petit  corps 
en  action,  et  toute  leur  force  éclater  en  un  cri 
perçant  qui  témoigne  leur  impatience.  D'où  vient 
cotte  ardeur  violente  et  cette  force,  pour  ainsi 
dire ,  de  leurs  désirs  ,  sinon  de  la  faiblesse  et  de 
l'imbécillité  de  leur  raison? 

Mais,  s'ils  est  ainsi,  chrétiens,  ô  Dieu!  qu'il 
y  a  d'enfants  à  cheveux  gris,  et  qu'il  y  a  d'enfants 
dans  le  monde!  puisque  nous  n'y  voyons  autre 
chose  que  des  homjncs  faibles  en  raison  et  impé- 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


9r9 


tiipux  en  désirs.  Quelle  raison  a  cet  avare  qui 
veut  avoir  nécessiiirement  ce  qui  l'accommode , 
sans  autre  droit  que  son  intérêt?  quelle  raison  a 
cet  adultère  tant  de  fois  maudit  par  la  loi  de 
Dieu,  qui  entreprend  sur  la  femme  de  son  pro- 
chain sans  autre  titre  que  sa  convoitise?  ne  res- 
semblent-ils pas  à  des  enfants,  qui  croient  que 
leur  volonté  leur  est  une  raison  suffisante  pour 
s'approprier  ce  qu'ils  veulent?  Mais  il  y  a  cette 
différence ,  que  la  nature  en  lâchant  la  bride  aux 
violentes  inclinations  des  enfants,  leur  a  donné 
pour  frein  leur  propre  faiblesse  ;  au  lieu  que  les 
désirsde  l'âge  plus  avancé,  encore  plus  impétueux, 
n'ayant  point  de  semblables  digues,  se  débor- 
dent aussi  sans  mesure ,  si  la  raison  ne  les  resserre 
et  ne  les  restreint.  Concluons  donc ,  chrétiens  , 
que  la  véritable  raison  et  la  véritable  sagesse , 
c'est  de  savoir  se  modérer.  Oui ,  sans  doute ,  on 
sort  de  l'enfance,  et  l'on  devient  raisonnable  à 
mesure  qu'on  sait  dompter  ce  qu'il  y  a  en  soi 
de  trop  violent.  Celui-là  est  un  homme  fait  et  un 
véritable  sage,  qui,  comme  dit  le  docte  Synésius, 
ne  se  fait  pas  une  obligation  du  soin  de  con- 
tenter ses  désirs ,  mais  qui  sait  régler  ses  désirs 
suivant  ses  obligations;  et  qui  sachant  peser  mû- 
rement combien  la  nature  est  féconde  en  mau- 
vaises inclinations,  retrimche  deçà  et  delà,  comme 
un  jardinier  soigneux ,  tout  ce  qui  est  gâté  et  su- 
perflu ,  afin  de  ne  laisser  croître  que  ce  qui  est 
capable  de  porter  les  fruits  d'une  véritable  sa- 
gesse. 

Mais  les  arbres  ne  se  plaignent  pas  quand  on 
les  coupe  pour  retrancher  et  diminuer  l'excès  de 
leurs  branches,  et  la  volonté  réclame  quand  on 
retranche  ses  désirs  :  c'est  pourquoi  il  est  mal- 
aisé que  nous  nous  fassions  nous-mêmes  cette  vio- 
lence. Tout  le  monde  n'a  pas  le  courage  de  cette 
Anne  la  prophétesse,  de  cette  sainte  veuve  de  no- 
tre évangile ,  pour  faire  effort  contre  soi-même ,  et 
mortifier  par  ses  jeûnes  et  par  ses  austérités  cette 
loi  de  péché  qui  vit  en  nos  sens.  C'est  aussi  pour 
cela,  messieurs,  que  Dieu  vient  à  notre  secours. 
La  source  de  tous  nos  désordres ,  c'est  que  nous 
sommes  trop  attachés  à  nos  volontés  :  nous  ne 
savons  pas  nous  contredire,  et  nous  trouvons  plus 
facile  de  résister  à  Dieu  qu'à  nous-mêmes.  Il 
faut  nous  arracher  avec  violence  cette  attache  à 
notre  volonté  propre ,  qui  fait  tout  notre  malheur 
et  tout  notre  crime.  Mais  comment  aurons-nous 
le  courage  de  toucher  nous-mêmes  et  d'appliquer 
de  nos  propres  mains  le  fer  et  le  feu  à  une  partie 
si  tendre  et  si  délicate?  Je  vois  bien ,  dit  ce  ma- 
lade ,  mon  bras  gangrené,  et  je  sais  qu'il  n'y  a  de 
salut  pour  moi  qu'en  le  séparant  du  corps  ;  mais 
y  ne  puis  pas  le  couper  moi-même  :  un  chirurgien 
CApcrt  me  rend  cet  oflice,  triste,  à  la  vérité,  maii 


nécessaire.  Ainsi  je  vois  bien  que  je  suis  perdu, 
si  je  ne  retranche  cette  attache  à  ma  volonté ,  qui 
fait  vivre  en  moi  tous  les  mauvais  désirs  qui  me 
damnent  :  je  le  confesse ,  je  le  reconnais;  mais  je 
n'ai  ni  la  résolution  ni  la  force  d'armer  mon  bras 
contre  moi-même.  C'est  Dieu  qui  entreprend  de 
me  traiter  :  c'est  lui  qui  m'envoie  par  sa  provi- 
dence ces  rencontres  épineuses,  ces  accidents 
importuns,  ces  contrariétés  imprévues  et  insup- 
portables; parce  qu'il  veut  abattre  et  dompter 
ma  volonté  trop  licencieuse  que  je  n'ai  pas  le 
courage  d'attaquer  moi-même.  Il  la  lie,  il  la 
serre,  de  peur  qu'elle  ne  résiste  au  coup  salu- 
taire qu'il  lui  veut  donner  pour  la  guérir.  Enfin 
il  frappe  où  je  suis  sensible ,  il  coupe  et  enfonce 
bien  avant  dans  le  vif ,  afin  qu'étant  pressé  sous 
sa  main  suprême  et  sous  les  ordres  inévitables 
de  sa  volonté ,  je  sois  enfin  obligé  de  me  déta- 
cher de  la  mienne  :  et  c'est  là  ma  guérison,  c'est 
là  ma  vie. 

Si  vous  savez  entendre,  ô  mortels,  comme 
vous  êtes  composés,  et  combien  vous  abondez  en 
humeurs  peccantes,  vous  comprendrez  aisément 
que  cette  conduite  vous  est  nécessaire.  Il  faut 
ici  vous  représenter  en  peu  de  paroles  l'état  mi- 
sérable de  notre  nature.  Nous  avons  deux  sortes 
de  maux  :  il  y  a  des  maux  qui  nous  affligent,  et, 
chrétiens,  qui  le  pourrait  croire?  il  y  a  des  maux 
qui  nous  plaisent.  Étrange  distinction,  mais  néan- 
moins véritable?  «  Il  y  a  des  maux,  dit  saint  Au- 
«  gustin  ,  que  la  patience  supporte  :  "  ce  sont  les 
maux  qui  nous  affligent  ;  «  et  il  y  en  a  d'autres,  dit 
«  le  même  saint,  que  la  tempérance  modère  :  »  ce 
sont  les  maux  qui  nous  plaisent  :  Alia  quœpcr 
patientiam  ferimus ,  alia  quœ  per  tempe ran- 
tiam  refrœnamus^.  0  pauvre  et  désastreuse  hu- 
manité ,  à  combien  de  maux  es-tu  exposée  !  nous 
sommes  donnés  en  proie  à  mille  cruelles  infir- 
mités :  tout  nous  altère ,  tout  nous  incommode , 
tout  nous  tue  ;  et  vous  diriez  que  quelque  puissance 
ennemie  ait  soulevé  contre  nous  toute  la  nature , 
tantilsemblequ'elle  prend  plaisir  à  nous  outrager 
de  toutes  parts.  Mais  encore  ne  sont-ce  pas  là  nos 
plus  grands  malheurs  :  notre  avarice,  notre  ambi- 
tion ,  nos  autres  passions  insensées  et  insatiables 
sont  des  maux  et  de  très-grands  maux  ;  mais  ce  sont 
des  maux  qui  nous  plaisent,  parce  que  ce  sont 
des  maux  qui  nous  flattent.  0  Dieu,  où  en  som- 
mes-nous? et  quelle  vie  est  la  nôtre,  si  nous  som- 
mes également  persécutés  de  ce  qui  nous  plaît  et 
de  ce  qui  nous  afflige  !  «  Malheureux  homme  que 
«  je  suis!  qui  me  délivrera  de  ce  corps  mortel?  » 
Jnfelix  ego  homo!  quis  me  liberabit  de  corpore 
moiiis  hujusp  Écoute,  homme  misérable  :  «  Ce 
«  sera  la  grâce  de  Dieu  par  Jésus-Christ  notre 

'  S.  Ai'f}.  cou  Ira  Jutian.  liL.  V,  cap.  v ,  n"  22 ,  t  X ,  col.  ti& 


250 


POUR  LA  PURIFICATION 


«  Seigneur  :  »  Gratia  Dei  per  Jcsum  Ckristum 
Dominum  nostrum\  Il  est  vrai  que  tu  éprouves 
deux  sortes  de  maux  ;  mais  Dieu  a  disposé  par 
sa  providence  que  les  uns  servissent  de  remède 
aux  autres  :  je  veux  dire  que  les  maux  qui  fâ- 
chent ,  servent  pour  modérer  ceux  qui  plaisent  ; 
ce  qui  est  forcé ,  pour  dompter  ce  qui  est  trop 
libre;  ce  qui  survient  du  dehors,  pour  abattre 
ce  qui  se  soulève  et  se  révolte  au  dedans;  enfin 
les  douleurs  cuisantes,  pour  corriger  les  excès  de 
tant  de  passions  immodérées;  et  les  afflictions 
de  la  vie,  pour  nousdégoûter  des  vaines  douceurs, 
et  étourdir  le  sentiment  trop  vif  des  plaisirs. 

Il  est  vrai ,  la  nature  souffre  dans  un  traite- 
ment qui  lui  est  si  rude;  mais  ne  nous  plaignons 
pas  de  cette  conduite  :  cette  peine ,  c'est  un  re- 
mède; cette  rigueur  qu'on  nous  tient,  c'est  un 
régime.  C'est  ainsi  qu'il  faut  vous  traiter,  ô  en- 
fants de  Dieu,  jusqu'à  ce  que  votre  santé  soit 
parfaite,  et  que  cette  loi  de  péché  qui  règne  en  vos 
corps  mortels  soit  entièrement  abolie.  Il  importe 
que  vous  ayez  des  maux  à  souffrir,  tant  que  vous 
eu  aurez  à  corriger  :  il  importe  que  vous  ayez 
des  maux  à  souffrir,  tant  que  vous  serez  au  mi- 
lieu des  biens  dans  lesquels  il  est  dangereux  de 
se  plaire  trop.  Ces  contrariétés  qui  vous  arrivent 
vous  sont  envoyées  pour  être  des  bornes  à  votre 
liberté  qui  s'égare,  et  un  frein  à  vos  passions  qui 
s'emportent.  C'est  pourquoi  Dieu,  qui  sait  qu'il 
vous  est  utile  que  vos  désirs  soient  contrariés ,  a 
tellement  disposé  et  la  nature  et  le  monde ,  qu'il 
iîu  sort  de  toutes  parts  des  obstacles  invincibles  à 
nos  desseins.  C'est  pour  cela  que  la  nature  a  tant 
d'infirmités ,  les  affaires  tant  d'épines ,  les  hom- 
mes tant  d'injustices,  leurs  humeurs  tant  d'im- 
portunes inégalités,  le  monde  tant  d'embarras, 
sa  faveur  tant  de  vanité ,  ses  rebuts  tant  d'amer- 
tumes ,  ses  engagements  les  plus  doux  tant  de 
captivités  déplorables.  Nous  sommes  attaqués  à 
droite  et  à  gauche  par  mille  différentes  opposi- 
tions, afin  que  notre  volonté,  qui  n'est  que  trop 
libre,  apprenne  enfin  à  se  réduire,  et  que  l'homme 
ainsi  exercé ,  pressé  et  fatigué  de  toutes  parts , 
se  retourne  enfin  du  côté  du  Seigneur  son  Dieu , 
et  lui  crie  du  fond  de  son  cœur  :  0  seigneur!  vous 
êtes  le  maître  et  le  souverain  ;  et  après  tout  il  est 
juste  que  votre  créature  vous  serve  et  vous 
obéisse. 

Que  si  nous  nous  soumettons  à  la  sainte  vo- 
lonté de  Dieu,  nous  y  trouverons  la  paix  de  nos 
âmes ,  et  rien  ne  sera  capable  de  nous  émouvoir. 
V^oyez  la  très-sainte  Vierge  :  Siméon  lui  prédit 
des  maux  infinis,  et  lui  annonce  des  douleurs 
immenses  :  «  Votre  âme ,  lui  dit-il ,  ô  mère  !  sera 

'  Rom.  vu  ,  24,  25. 


«  percée  d'un  glaive;  et  ce  fils,  toute  votre  joie 
«  et  tout  votre  amour,  sera  posé  comme  un  signe 
«  auquel  on  conti'cdira ,  »  in  signiim  cui  contra- 
dicetur^  :  c'est-à-dire,  si  nous  l'entendons,  qu'il 
se  fera  contre  lui  des  complots  et  des  coiyura- 
tions ,  et  que  toute  la  puissance ,  toute  la  fureur, 
toute  la  malice  du  monde  sembleront  se  réunir 
pour  concourir  à  sa  perte. 

Telle  est  la  prédiction  de  ce  saint  vieillard  ,- 
d'autant  plus  dure  et  insuppm-table ,  que  Siméon 
ne  marquant  rien  en  particulier  à  cette  mère  af- 
fligée ,  lui  laisse  à  imaginer  et  à  craindre  tout  ce 
qu'il  y  a  de  plus  rude  et  de  plus  extrême.  En  effet, 
je  ne  conçois  rien  de  plus  effroyable  que  cette 
cruelle  suspension  d'une  âme  menacée  de  quel- 
que grand  mal ,  sans  qu'elle  sache  seulement  de 
quel  côté  elle  doit  se  mettre  en  garde.  Alors  cette 
âme  étonnée  et  éperdue ,  ne  sachant  où  se  tour- 
ner, va  chercher  et  parcourir  tous  les  maux  pour 
en  faire  son  supplice ,  et  ne  donne  aucune  borne 
ni  à  ses  craintes,  ni  à  ses  peines.  Dans  cette 
cruelle  incertitude,  avouez  que  c'est  une  espèce 
de  consolation  de  savoir  de  quel  coup  il  faudra 
mourir;  et  que  saint  Augustin  a  raison  de  dire, 
qu'il  «  vaut  mieux  sans  comparaison  endurer 
«  une  seule  mort,  que  de  les  appréhender  tou- 
«  tes  :  »  Satius  est  nnam  perpeti  moriendo , 
quam  omnes  timere  vivendo  '.  Toutefois ,  Marie 
ne  réplique  pas  au  vénérable  vieillard  qui  lui 
prédit  tant  d'afflictions  et  de  traverses  :  elle 
écoute  en  silence  et  sans  émotion  ses  terribles 
prophéties;  elle  ne  lui  demande  curieusement, 
ni  le  temps,  ni  la  qualité ,  ni  la  fin  et  l'événement 
de  ces  funestes  aventures  dont  il  la  menace  :  elle 
sait  que  tout  est  régi  par  des  raisons  éternelles 
auxquelles  elle  se  soumet;  et  c'est  pourquoi  ni 
le  présent  ne  la  trouble,  ni  l'avenir  ne  l'inquiète. 
Ainsi  si  nous  abandonnons  toute  notre  vie  à 
"cette  sagesse  suprême  qui  régit  si  bien  toutes 
choses ,  nous  serons  toujours  fermes  et  inébran- 
lables ;  il  n'y  aura  point  pour  nous  de  nécessités 
fâcheuses,  ni  de  contrariétés  embarrassantes  : 
nous  ressemblerons  au  bon  Siméon;  ni  la  vie 
n'aura  rien  qui  nous  attache,  ni  la  mort  tout 
odieuse  qu'elle  est  n'aura  rien  qui  nous  épou- 
vante :  nous  attendrons  avec  lui  humblement  et 
tranquillement  la  réponse  du  Saint-Esprit  et  l'or- 
dre de  la  Providence  éternelle ,  pour  décider  du 
jour  de  notre  départ  ;  et  quand  nous  aurons  ac- 
compli ce  que  Dieu  veut  que  nous  fassions  sur  la 
terre,  nous  serons  prêts  à  dire  à  toute  heure  à 
l'imitation  de  ce  saint  vieillard  :  «  Seigneur,  lais- 
«  sez  maintenant  mourir  en  paix  votre  scrvi- 


'  Luc.  Il,  :'.i,  35. 

'  De  Civ.  Dei,  lib.  i,  cap.  xi,  l.  ViK  Col.  l'I. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


::,  I 


^  teur  :  «  Nunc  dimittis,  Domine  y  servum  tuum 

in  pave. 

Mais,  mes  frères,  imitons  en  tout  ce  saint 
homme;  ne  sortons  point  de  ce  monde  avant 
que  Jésus  nous  ait  paru,  et  que  nous  puissions 
dire  avec  lui  :  «  Mes  yeux  ont  vu  le  Sauveur  :  » 
Quia  vider unt  oculi  mei  Salulare  tuum.  Je  sais 
qu'il  est  venu,  ce  divin  Sauveur,  sur  la  terre, 
«  celui  que  Dieu  avait  destiné  pour  être  exposé 
«  en  vue  à  tous  les  peuples  de  l'univers  :  »  Quod 
parasti  cuite  faciem  omnium  populorum.  On  l'a 
vue,  cette  «  lumière  éclatante  qui  devait  éclairer 
«  toutes  les  nations  et  combler  de  gloire  son  peu- 
«  pie  d'Israël  :  «  Lumen  ad  revelationem  gen- 
tium,  et  gloriam plebis  tuœ  Israël'.  Enfin,  ce 
Sauveur  tant  de  fois  prorais  a  rempli  l'attente 
de  tout  l'univers  ;  il  a  accompli  les  prophéties ,  il 
a  renversé  les  idoles ,  il  a  délivré  les  captifs ,  il  a 
réconcilié  les  pécheurs ,  il  a  converti  les  peuples. 
Mais,  mes  frères,  ce  n'est  pas  assez;  ce  Sauveur 
n'est  pas  encore  venu  pour  nous ,  puisqu'il  ne 
rèone  pas  encore  sur  tous  nos  désirs  :  il  n'est  pas 
notre  conducteur  ni  notre  lumière,  puisque  nous 
ne  marchons  pas  dans  les  voies  qu'il  nous  a  mon- 
trées. Non,  «  nous  n'avons  jamais  vu  sa  face,  ni 
«  nous  n'avons  jamais  écouté  sa  voix ,  ni  nous 
tt  n'avons  pas  sa  parole  demeurante  en  nous,  » 
puisque  nous  n'obéissons  pas  à  ses  préceptes  : 
Ne(f.ie  vocem  ejus  unquam  audistis,  neque  spe- 
eiem  ejus  vidistis,  etverbum  ejus  non  habetis 
in  vobis  manens  *.  Car  écoutez  ce  que  dit  son 
disciple  bien-aimé  :  «  Celui  qui  dit  qu'il  le  coo- 
«  naît,  et  ne  garde  pas  ses  commandements,  c'est 
«  un  menteur  et  la  vérité  n'est  point  en  lui  :  » 
Qui  dieil  se  nosse  eum,  et  mandata  ejus  non 
custodit,  mendax  est,  et  in  hoc  veritas  non 
est^.  Après  cela,  chrétiens,  qui  de  nous  se  peut 
vanter  de  le  connaître?  qu'avons-nous  donné  à 
son  Évangile?  quels  vices  avons- nous  corrigés? 
quelles  passions  avons-nous  domptées  ?  quel  usage 
avons-nous  fait  des  biens  et  des  maux  de  la  vie? 
Quand  Dieu  a  diminué  nos  richesses ,  avons-nous 
songé  en  même  temps  à  modérer  notre  luxe? 
quand  la  fortune  nous  a  trompés,  avons-nous 
tourné  notre  cœur  aux  biens  qui  ne  sont  point 
de  son  ressort  ni  de  son  empire  ?  Au  contraire , 
n'avons-nous  pas  été  de  ceux  dont  il  est  écrit  : 
Dissipati  sunt,  née  compuncti^  ?  Nous  avons 
«  été  affligés,  sans  être  touchés  de  componc- 
«  tion;  »  serviteurs  opiniâtres  et  incorrigibles, 
qui  nous  sommes  mutinés ,  même  sous  la  verge  : 
repris  et  non  corrigés ,  abattus  et  non  humiliés , 


■  Z«c.  11,29,30,31,33. 
'  Joan.  V,  37,  38. 
•^  X.Joan.  Il,  4. 

*  Ps.  XXXIV ,  la. 


châtiés  sévèrement  et  non  convertis.  Apres  cela 
si  nous  osons  dire  que  nous  avons  connu  Jésus- 
Christ,  que  nous  avons  vu  le  Sauveur  que  Dieu 
nous  avait  promis,  le  Saint-Esprit  nous  appellera 
des  menteurs,  et  nous  dira  par  la  bouche  de  saint 
Jean ,  que  la  vérité  n'est  pas  en  nous. 

Craignons  donc ,  chrétiens ,  craignons  de  mou- 
rir; car  nous  n'avons  pas  vu  Jésus-Christ ,  nous 
n'avons  pas  encore  tenu  le  Sauveur  entre  nos 
bras ,  nous  n'avons  encore  embrassé  ni  sa  per- 
sonne, ni  ses  préceptes,  ni  ses  vérités,  ni  les 
saints  enseignements  de  son  Évangile.  Malheur 
à  ceux  qui  mourront  avant  que  Jésus-Christ  ait 
régné  sur  eux!  0  que  la  mort  leur  sera  fâcheuse! 
ô  que  ses  approches  leur  seront  terribles!  ô  que 
ses  suites  leur  seront  funestes  et  insupportables  î 
En  ce  jour,  toute  leur  gloire  sera  dissipée  ;  en  ce 
jour,  tous  leurs  grands  projets  seront  ruinés  ;  «  en 
«  ce  jour,  périront,  dit  le  psalmiste,  toutes  leure 
«hautes  pensées  :  «  In  illa  die,  pcnbunt  omnes 
cogifationes  eorum  '■  ;  en  ce  jour,  commenceront 
leui-s  supplices  ;  en  ce  jour,  s'allumeront  pour  eux 
des  feux  éternels  ;  en  ce  jour,  la  fureur  et  le  dé- 
sespoir s'empareront  de  leur  âme  :  et  ce  ver  qui 
ne  meurt  point  enfoncera  dans  leur  cœur  ses 
dents  dévorantes  ,  venimeuses ,  sans  jamais  lâ- 
cher prise. 

Ah!  mes  frères,  allons  au  temple  avec  Si- 
méon ,  prenons  Jésus  entre  nos  bras ,  donnons- 
lui  un  baiser  religieux,  embrassons-le  de  tout 
notre  cœur.  Un  homme  de  bien  ne  serapasétonnf 
dans  les  approches  de  la  mort  :  son  âme  ne  tient 
presque  plus  à  rien;  elle  est  déjà  comme  déta- 
chée de  ce  corps  mortel  :  autant  qu'il  a  dompté 
de  passions ,  autant  a-t-il  rompu  de  liens  :  l'usage 
de  la  pénitence  et  de  la  sainte  mortification  l'a 
déjà  comme  désaccoutumé  de  son  corps  et  de  ses 
sens  ;  et  quand  il  verra  an'iver  la  mort ,  il  lui 
tendra  de  bon  cœur  les  bras,  il  lui  montrera  lui- 
même  l'endroit  où  il  faut  qu'elle  frappe  son  der- 
nier coup.  0  mort  !  lui  dira-t-il ,  je  ne  te  nom- 
merai ni  cruelle  ni  inexorable  :  tu  ne  m'ôteras 
aucun  des  biens  que  j'aime,  tu  me  délivreras  de 
ce  corps  mortel.  0  mort ,  je  t'en  remercie  :  il  y  a 
déjà  tant  d'années  que  je  travaille  moi-même  à 
m'en  détacher  et  à  secouer  ce  fardeau  !  Tu  ne 
troubles  donc  pas  mes  desseins;  mais  tu  les  ac- 
complis :  tu  n'interromps  pas  mon  ouvrage ,  mais 
plutôt  tu  y  vas  mettre  la  dernière  main.  Achève 
donc ,  ô  mort  favorable ,  et  rends-moi  bientôt  à 
mon  maître  :  JVunc  dimittis/  Que  ne  devons-nous 
pas  faire  pour  mourir  en  cette  paix  !  0  que  nous 
puissions  mourir  de  la  mort  des  justes ,  pour  y 
trouver  le  repos  que  tous  les  plaisirs  de  la  vie  m 

»   Ps.  CSLV.  3. 


2c2 


POUR  LA  PURIFICATION 


peuvent  pas  nous  donner;  et  afin  que  fermant  les 
yeux  à  tout  ce  qui  se  passe  nous  commencions  à 
les  ouvrir  à  ce  qui  demeure  ,  et  que  nous  le  pos- 
sédions éternellement  avec  le  Père ,  le  Fils ,  et  le 
saint-Esprit  1 


AUTRE  CONCLUSION 

DU  MÊME  SERMON  *. 


Hélas!  quel  objet  funeste  mais  quel  exemple 
admirable  se  présente  ici  à  mon  esprit  !  Me  sera- 
t-il  permis  en  ce  lieu  de  toucher  à  des  plaies  en- 
core toutes  récentes,  et  de  renouveler  les  justes 
douleurs  des  premières  personnes  du  monde? 
Grande  et  auguste  reine  que  le  ciel  vient  d'enle- 
ver à  la  terre ,  et  qui  causez  à  tout  l'univers  un 
deuil  si  grand  et  si  véritable,  ce  sont  ces  fortes 
pensées ,  c'est  cette  attache  immuable  à  la  souve- 
laine  volonté  de  Dieu ,  qui  nous  a  fait  voir  ce 
miracle ,  et  d'égalité  dans  votre  vie ,  et  de  con- 
stance inimitable  dans  votre  mort.  Quels  troubles, 
quels  mouvements,  quels  accidents  imprévus  ont 
jamais  été  capables  de  l'ébranler,  ni  d'étonner 
sa  grande  âme?  Ne  craignons  pas  de  jeter  un 
moment  la  vue  sur  nos  dissensions  passées,  puis- 
que la  fermeté  inébranlable  de  cette  princesse  a 
tellement  soutenu  l'effort  de  cette  tempête,  que 
r.ous  pouvons  maintenant  nous  en  souvenir  sans 
crainte.  Quand  il  plut  à  Dieu  de  changer  en  tant 
de  maux  les  longues  prospérités  de  sa  sage  et 
glorieuse  régence,  fut-elle  abattue  par  ce  chan- 
gement? au  contraire  ne  la  vit-on  pas  toujours 
ferme ,  toujours  invincible,  fléchissant  quelque- 
fois par  prudence,  mais  incapable  de  rien  relâ- 
cher des  grands  intérêts  de  l'État,  et  attachée 
immuablement  à  conserver  le  sacré  dépôt  de 
l'autorité  royale,  unique  appui  du  repos  public, 
qu'elle  a  remise  enfin  tout  entière  entre  les  mains 
A  ictorieuses  d'un  fils  qui  sait  la  maintenir  avec 
tant  de  force?  C'est  sa  foi,  c'est  sa  piété,  c'est 
son  abandon  aux  ordres  de  Dieu,  qui  animait 
son  courage  ;  et  c'est  cette  même  foi  et  ce  même 
abandon  à  la  providence ,  qui ,  la  soutenant  tou- 
jours malgré  ses  douleurs  cruelles  jusques  entre 
les  bras  de  la  mort ,  lui  a  si  bien  conservé  parmi 
les  sanglots  de  tout  le  monde ,  et  parmi  Jes  cris 
déplorables  de  ses  chers  et  illustres  enfants,  cette 


Ce  morceau  forme  dans  le  manuscrit  un  hors-d'œuvre 
ajnnU'  après  coup,  pour  appliciuer  le  sermon  à  la  circonslance 
•le  la  morl  de  la  reine  mère.  Dans  ce  plan ,  l'auteur  devait  re- 
trancher de  son  discours,  depuis  ces  mots  de  la  page  -251 , 
Hfais,  mes  frères ,  imitons  en  /oui  ce  saint  /io»7»«?,  jus(ju'à 
la  fin  ,  pour  y  substituer  celte  péroraison.  (  Édil.  de  Drjoris.  1 


force,  cette  constance,  cette  égalité  qui  n'a  par 
moins  étonné  qu'attendri  tous  les  spectateurs. 

0  vie  illustre,  ô  vie  glorieuse  et  éternellement 
mémorable!  mais  ô  vie  trop  courte,  trop  tôt 
précipitée!  Quoi  donc!  nous  ne  verrons  plus  que 
dans  une  reine  ce  noble  amas  de  vertus  que  nous 
admirions  en  deux  !  Quoi  !  cette  bonté ,  quoi  !  cette 
clémence ,  quoi  !  tant  de  douceur  parmi  tant  de 
majesté  ;  quoi  !  ce  cœur  si  grand  et  vraiment  royal, 
ces  charités  infinies,  ces  tendres  compassions 
pour  les  misères  publiques  et  particulières  ;  enfin , 
toutes  les  autres  rares  et  incomparables  qualités 
de  la  grande  Anne  d'Autriche  ne  seront  plus 
qu'un  exemple  et  un  ornement  de  l'histoire  !  qui 
nous  a  si  tôt  enlevé  cette  reine  que  nous  ne 
voyions  point  vieillir,  et  que  les  années  ne  chan- 
geaient pas?  comment  cette  merveilleuse  consti- 
tution est-elle  devenue  si  soudainement  la  proie 
de  la  mort?  d'où  est  sorti  ce  venin?  en  quel!e> 
partie  de  ce  corps  si  bien  composé  était  caché  le 
foyer  de  cette  humeur  malfaisante  dont  l'opiniâti'c- 
malignité  a  triomphé  des  soins ,  et  de  fart ,  et  des. 
vœux  de  tout  le  monde?  que  nous  ne  sommes- 
rien  !  ô  que  la  force  et  l'embonpoint  ne  sont  que  des- 
noms  trompeurs  !  Car  que  sert  d'avoir  sur  le  vi- 
sage tant  de  santé  et  tant  de  vie ,  si  cependant  la- 
corruption  nous  gagne  au  dedans ,  si  elle  attend , 
pour  ainsi  dire ,  à  se  déclarer,  qu'elle  se  soit  em- 
parée du  principe  de  la  vie  ;  si ,  s'étant  rendue 
invincible,  elle  sort  enfin  tout  à  coup  avec  furie 
de  ses  embûches  secrètes  et  impénétrables ,  pour 
achever  de  nous  accabler?  C'est  ainsi  que  nous- 
avons  perdu  cette  grande  reine,  qui  devait  illus- 
trer ce  siècle  entier;  et  maintenant  étant  arrivée 
au  séjour  de  l'éternité ,  elle  n'est  plus  suivie  que 
de  ses  œuvres;  et  de  toute  cette  grandeur,  il  ne- 
lui  en  reste  ((u'unpius  grand  compte. 

Et  nunc  reges,  intelligite;  erudùnini,  qui 
judicatis  terrain^  :  «  Ouvrez  les  yeux,  arbitres 
«  du  monde  ;  entendez ,  juges  de  la  terre.  »  Celui 
qui  est  le  maître  de  votre  vie,  l'est-il  moins  de 
votre  grandeur?  celui  qui  dispose  de  votre  per- 
sonne, dispose-t-il  moins  de  votre  fortune?  Et 
si  ces  têtes  illustres  sont  si  fort  sujettes,  nous, 
faibles  particuliers,  que  pensons-nous  faire,  et 
combien  devons-nous  être  sous  la  main  de  Dieu , 
et  dépendants  de  ses  ordres  ?  Car  sur  quoi  se  peut 
assurer  notre  prudence  tremblante?  que  tenons- 
nous  de  certain?  quel  fondement  s  notre  vie? 
quel  appui  a  notre  fortune?  et  quand  tout  l'état 
présent  serait  tranquille,  qui  nous  garantira 
l'avenir  ?  seront-ce  les  devins  et  les  astrologues? 
Que  je  me  ris  de  la  vanité  de  ces  faiseurs  de  pro- 
nostics, qui  menacent  qui  il  leur  plaît,  et  nous 

•  Ps.  II,  lu. 


DE  LA  SAINTF.  VIERGE. 


2-.' 


font  à  leur  gré  des  années  fatales!  esprits  turbu- 
lents et  inquiets ,  amoureux  des  changements  et 
des  nouveautés,  qui ,  ne  trouvant  rien  à  remuer 
dans  la  terre ,  semblent  vouloir  nouer  avec  les 
astres  des  intelligences  secrètes ,  pour  troubler  et 
af'iter  le  monde.  Moquons-nous  de  ces  vanités. 
Je  veux  qu'un  homme  de  bien  pense  toujours  fa- 
vorablement de  la  fortune  publique  :  et  du  moins 
n'avons-nous  pas  à  craindre  les  astres.  Non ,  non , 
le  bonheur  et  le  malheur  de.  la  vie  humaine  n'est 
pas  envoyé  à  l'aveug'e  par  des  influences  naturel- 
les ;  mais  dispensé  avec  choix  par  les  ordres  d'une 
sagesse  et  dune  justice  cachée,  qui  punit  comme 
il  lui  plaît  les  péchés  des  hommes.  Ne  craignons 
donc  pas  les  astres;  mais,  mes  frères,  craignons 
nos  péchés.  Croyons  que  le  grand  pape  saint  Gré- 
goire parlait  à  nous ,  quand  il  a  dit  ces  belles 
paroles  :  Peccata  nostra  harbaricis  viribus  so  ■ 
cianius;  et  culpa  nostra  hostium  gladios  exa- 
cuit,  qiiœ  reipubUcœ  vires  gravât^  :  Ne  voyez- 
vous  pas ,  dit-il ,  que  l'État  gémit  sous  le  poids  de 
nos  péchés  ;  et  que  joignant  nos  crimes  aux  forces 
des  ennemis ,  c'est  nous  seuls  peut-être  qui  allons 
faire  pencher  la  balance?  Quand  deux  grands 
peuples  se  font  la  guerre ,  Dieu  veut  assurément 
se  venger  de  l'un ,  et  souvent  de  tous  les  deux  ; 
mais  de  savoir  par  où  il  veut  commencer,  c'est 
ce  qui  passe  de  bien  loin  la  portée  des  hommes. 
Nous  savons  qu'il  a  souvent  commencé  par  les 
étrangers ,  et  aussi  il  est  écrit  que  souvent  f  le 
«  jugement  commence  par  sa  maison  :  »  Tempus 
est  tit judicium  incipiat  a  domo  Dei^.  Celui  qui 
réussit  le  premier  n'est  pas  plus  en  sûreté  que 
l'autre ,  parce  que  son  tour  viendra  au  temps  or- 
donné. Dieu  châtie  les  uns  par  les  autres,  et  il 
châtie  ordinairement  ceux  par  lesquels  il  châtie 
les  autres.  Nabuchodonosor  est  son  serviteur  pour 
exercer  ses  vengeances,  le  même  est  son  ennemi 
pour  recevoir  les  coups  de  sa  justice.  Prenons 
donc  garde ,  mes  frères ,  de  ne  mettre  pas  Dieu 
contre  nous  ;  et  infidèles  à  notre  patrie  et  à  notre 
prince ,  ne  nous  joignons  pas  à  nos  ennemis ,  et 
ne  les  fortifions  pas  par  nos  crimes.  Faisons  la 
volonté  de  Dieu ,  et  après  il  fera  la  nôtre  :  il  nous 
protégera  dans  le  temps,  et  nous  couronnera  dans 
àéternité  ;  où  nous  conduise ,  etc. 

■  Lib.  V,  Ep.  XX,  ad  Mauric.  t.  n,  col.  747. 
»  1.  y\/r.  iv,I7. 


TROISIÈME  SERMON 


POLR  LE  JOrn 

D£  LA  P1:RIFIC.\TI0N  de  la  SALNTE  VIERCF. 

ExplicaUon  des  trois  cérémonies  de  la  purification.  Modestie 
incomparable  de  Marie.  SenUmen  ts  de  Jêsu:»  dans  son  oblatioo. 
DiÂpositioiis  pour  une  sainte  cummunion ,  ses  fruits  et  tes 
effets  désirables. 

Postquam  impleti  snnt  dies  put^tionis  cjus  sccundum 
legem  Moysi ,  tulenint  illum  in  Jérusalem ,  ut  sistereiit 
eum  Domino,  sicut  scriptum  est  in  lege  Domioi  ;  ....  et 
ut  darent  bosliam  secundum  quod  dictum  est  in  lege 
Domini,  par  turtunim  aut  duos  pulios  coiumbarum. 

Le  temps  de  sa  purification  étant  accompli  selon  la  loi 
de  Moïse,  ils  le  portèrent  à  Jérusalem,  pour  le  pré- 
senter au  Seigneur,  selon  qu'il  est  écrit  dans  la  loi 
du  Seigneur ...  et  pour  donner  ce  qui  devait  être  of- 
fert en  sacrifice  selon  la  loi  du  Seigneur,  deux  tour- 
terelles ou  deux  petits  de  colombes.  Luc.  ii,  22,  24. 

Ce  que  nous  appelons  la  purification  de  la  sainte 
Vierge  enferme  sous  un  nom  commun  trois  céré- 
monies différentes  de  la  loi  ancienne,  que  le  Fils 
de  Dieu  a  voulu  subir  aujourd'hui,  ou  en  sa  per- 
sonne ,  ou  en  celle  de  sa  sainte  mère ,  non  sans 
quelque  profond  conseil  de  la  Providence  divine. 
Elles  sont  toutes  trois  très-manifestement  distin- 
guées dans  notre  évangile ,  comme  vous  l'aurez 
pu  observer  dans  le  texte  que  j'ai  rapporté  exprès 
tout  entier.  Or  afin  de  vous  dire  en  quoi  consis- 
taient ces  cérémonies,  il  faut  remarquer  que 
selon  la  loi  toutes  les  femmes  accouchées  étaient 
réputées  immondes  :  d'où  vient  que  Dieu  leur 
ordonnait  deux  choses.  Premièrement  il  les  obli- 
geait de  se  tenir  quelque  temps  retirées  et  du 
sanctuaire  et  même  de  la  conversation  des  hom- 
mes :  puis,  ce  temps  étant  expiré,  elles  se  venaient 
présenter  à  la  porte  du  tabernacle ,  afin  d'être  pur- 
gées par  un  certcdn  genre  de  sacrifice  ordonné 
spécialement  pour  cela.  Cette  retraite  et  ce  sa- 
crifice sont  les  deux  premières  cérémonies,  ou 
plutôt  ce  sont  deux  parties  de  la  même  cérémo- 
nie; lesquelles  l'une  et  l'autre  ne  regardaient 
principalement  que  la  mère,  et  se  faisaient  pour 
tous  les  enfants  nouvellement  nés,  de  quelque  sexe 
et  condition  qu'ils  pussent  être,  ainsi  qu'il  est 
écrit  dans  le  douzième  chapitre  du  Lévitique. 
Quant  à  la  troisième  cérémonie ,  elle  ne  s'obser- 
vait que  pour  les  mâles ,  et  parmi  les  mâles  n'était 
que  pour  les  aînés ,  que  les  parents  étaient  obligés 
de  venir  présenter  à  Dieu  devant  ses  autels ,  et 
ensuite  les  rachetaient  par  quelque  somme  d'ar- 
gent; témoignant  par  la  que  tous  leurs  aînés 
étaient  singulièrement  du  domaine  de  Dieu ,  et 
qu'ils  ne  les  retenait  que  par  une  espèce  d'engage- 
ment :  c'est  ce  que  Dieu  commande  à  son  peuple 
en  l'Exode ,  chapitre  douzième.  Dans  ces  trois 


2;',f 


POUR  LA  PURIFICATION 


cérémonies  consiste,  à  mon  avis,  tout  le  mystère 
de  cette  fête;  ce  qui  m'a  fait  résoudre  de  vous 
les  expliquer  familièrement  dans  le  même  ordre 
que  je  les  ai  rapportées.  J'espère  que  le  récit  d'une 
histoire  si  mémorable,  telle  qu'est  celle  qui  nous 
est  aujourd'hui  représentée  dans  notre  évangile, 
jointe  à  quelques  brièves  réflexions  que  je  tâche- 
rai d'y  ajouter  avec  l'assistance  divine,  fournira 
un  pieux  entretien  à  vos  dévotions  :  et  je  pense 
en  vérité,  mes  très-chères  sœurs ,  qu'il  serait  dif- 
ficilede  proposera  votre  foi  un  plus  beau  spectacle. 

Et  pour  commencer,  j'avance  deux  choses 
très-assurées  :  la  première  que  la  loi  de  la  purifica- 
tion présupposait  que  la  femme  eût  eonçu  à  la 
façon  ordinaire,  parce  qu'elle  est  couchée  en  ces 
termes  :  Mulier  si  susccpto  semine  pepererit 
masculum^;  où  il  est  [clair]  que  le  législateur  a 
voulu  toucher  la  source  de  la  corruption  qui  se 
trouve  dans  les  enfantements  ordinaires  :  autre- 
ment ce  vciot  ^  suscepto  semine,  serait  inutile  et 
ne  rendrait  aucun  sens.  La  loi  donc  de  la  purifi- 
cation parlait  de  celles  qui  enfantent  selon  les 
ordres  communs  de  la  nature.  Je  dis  en  second 
lieu  que  la  raison  de  la  loi  étant  telle  que  nous  la 
venons  de  dire,  après  les  saints  Pères,  elle  ne 
regardait  en  aucune  façon  la  très-heureuse  Marie, 
ne  s'étant  rien  passé  en  elle  dont  son  intégrité 
pût  rougir.  Vous  le  savez ,  mes  très-chères  sœurs , 
que  son  fils  bien-aimé  étant  descendu  dans  ses 
entrailles  très-chastes  tout  ainsi  qu'une  douce 
rosée,  il  en  était  sorti  comme  une  fleur  de  sa 
tige,  sans  laisser  de  façon  ni  d'autre  aucun  ves- 
tige de  son  passage.  D'où  je  conclus  que  si  elle 
était  obligée  à  la  loi  de  la  purification,  c'était  seu- 
lement à  cause  de  la  coutume ,  et  de  l'ordre  qui 
ne  doitpoint  être  changé  pour  une  rencontre  par- 
ticulière. Et  en  effet  le  cas  était  si  fort  extraordi- 
noire,  qu'il  semblait  n'être  pas  suffisant  pour  ap- 
porter une  exception  à  une  loi  générale. 

Or  ce  n'est  pas  mon  dessein  d'examiner  ici  cette 
question ,  mais  seulement  de  vous  faire  admirer 
la  vertu  de  la  sainte  Vierge  :  en  ce  que  sachant 
très-bien  l'opinion  que  l'on  aurait  d'elle,  et  qu'il 
n'y  aurait  personne  qui  s'imaginât  qu'elle  eût  ni 
conçu  ni  enfanté  autrement  que  les  autres  mères, 
elle  ne  s'est  point  avisée  de  découvrir  à  personne 
le  secret  mystère  de  sa  grossesse.  Au  contraire 
elle  a  bien  le  courage  de  confirmer  un  sentiment 
si  préjudiciable  à  sa  virginité,  subissant  sans  se 
déclarer  une  loi  qui ,  comme  nous  l'avons  dit ,  en 
présupposait  la  perte.  Et  je  prétends  que  ce  si- 
lence est  une  marque  certaine  d'une  retenue 
extraordinaire  et  d'une  modestie  incomparable. 

Qu'ainsi  ne  soit,  vous  savez  que  celles  de  son  sexe 

j 

'  Lcvit.  XII ,  2. 


qui  sont  soigneuses  de  garder  leur  virginité  met- 
tent leur  point  d'honneur  à  faire  connaître  qu'elle 
est  entière  et  sans  tache  ;  et  quelquefois  c'est  la 
seule  chose  en  laquelle  elles  avoueront  franche- 
ment qu'elles  recherchent  la  réputation.  Celaétant 
ainsi ,  je  vous  prie  de  considérer  que  vous  ne  per- 
suaderez jamais  à  un  gentilhomme,  qui  se  pique 
d'honneur,  de  faire  quelque  action  dont  on  puisse 
soupçonner  en  lui  de  la  lâcheté.  Or  il  est  certain 
qu'une  vierge  est  touchée  beaucoup  plus  au  vif 
lorsque  quelque  rencontre  l'oblige  à  donner  su- 
jet de  croire  qu'elle  ait  perdu  sa  virginité,  pour 
laquelle  elle  a  un  sentiment  délicat  au  dernier 
point.  Ce  qui  me  fait  admirer  la  vertu  de  la  sainte 
Vierge,  qui  ne  craint  pas  d'observer  une  céré- 
monie qui  semblait  si  injurieuse  à  sa  très-pure 
virginité  ;  qui  ayant  moins  besoin  d'être  purifiée 
que  les  rayons  du  soleil ,  obéit  comme  les  autres 
à  la  loi  de  la  purification,  et  offre  avec  tant  de 
simplicité  le  sacrilioe  pour  le  péché,  c'est-à-dire, 
pour  les  immondices  légales  qu'elle  n'avait  nul- 
lement contractées  ;  et  (|ui  par  cette  obéissance 
confirme  la  créance  commune  qu'elle  avait  conçu 
comme  les  autres  femmes,  bien  loin  de  désabu- 
ser le  monde  dans  une  rencontre  (|ui  semblait  si 
pressante,  et  de  faire  connaître  aux  hommes  ce 
qui  s'était  accompli  en  elle  par  l'opération  de  l'Es- 
prit de  Dieu. 

Certes  il  faut  l'avouer,  mes  très-chères  sœurs, 
cela  est  du  tout  admirable  ;  surtout  la  très-heu- 
reuse Vierge  ayant  de  son  côté ,  si  elle  eût  voulu 
se  découvrir,  premièrement  la  vérité  qui  est  si 
forte ,  et  après  l'innocence  de  ses  mœurs  qui  n'ap- 
préhendait aucune  recherche;  puis  sa  grande 
sincérité  à  laquelle  les  gens  de  bien  eussent  eu 
peine  de  refuser  leur  créance,  et  enfin  un  témoi- 
gnage irréprochable  en  la  personne  de  son  mari , 
qui  avec  sa  bonté  et  naïveté  ordinaire  eût  dit 
qu'il  était  vrai  que  sa  femme  était  très-chaste , 
et  qu'il  en  avait  été  averti  de  la  part  de  Dieu.  Et 
cependant  nous  ne  lisons  pas  qu'elle  en  ait  jamais 
parlé  :  au  contraire  nous  voyons  son  grand  si- 
lence expressément  remarqué  dans  les  saintes 
Lettres.  Une  seule  fois  seulement  sa  joie  éclata , 
lorsque  sollicitée  par  la  prophétie  de  la  bonne 
Elisabeth  sa  cousine,  qui  la  proclamait  bienheu- 
reuse, elle  lui  déchargea  son  cœur,  et  se  sentant 
obligée  de  rendre  hautement  ses  actions  de  grâ- 
ces à  la  divine  bonté,  elle  chante  dans  l'épanche- 
ment  de  son  âme  que  le  Tout-Puissant  a  fait  en 
elle  des  choses  très-grandes  '.  Partout  ailleurs 
elle  écoute ,  elle  remarque ,  elle  médite ,  elle  re- 
passe en  son  cœur  ;  mais  elle  ne  parle  jamais. 

Ce  qui  me  surprend  davantage ,  c'est  qu'elle 

•  Luc.  1 ,  49. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


25S 


seule  garde  le  silence ,  pendant  que  tous  les  au- 
tres soccui)cnt  à  parler  de  son  lils.  Que  ne  dit 
IMis  aujourd'hui  le  bon  Siméon,  et  à  qui  ne  don- 
nerait-il pas  envie  d'exprimer  toutes  ses  pensées 
touchant  cet  aimable  enfant  qui  fait  aujourd'hui 
toute  sii  joie ,  toute  son  espérance ,  tout  son  en- 
tretien? Marie  se  contente  d'admirer  à  part  soi 
les  choses  extraordinaires  qui  se  disaient  de  son 
lîls,  ainsi  que  l'évangéliste  le  remarque  fort 
expressément.  Non  pas  quelle  en  fut  surprise , 
comme  si  elle  eût  ignoré  quel  il  devait  être,  elle 
a  qui  l'ange  avait  dit  si  nettement  qu'il  serait  ap- 
pelé le  Fils  du  Très-haut  ,^t  qu'il  siégerait  à  ja- 
mais sur  le  trône  de  David  son  père.  Et  certes 
vous  jugez  bien  qu'il  n'est  pas  croyable  qu'elle 
ait  oublié  les  paroles  de  l'ange ,  elle  dont  il  est 
écrit  qu'elle  retenait  si  soigneusement  celles  des 
bergers.  Et  quand  il  n'y  aurait  eu  que  la  manière 
admirable  par  laquelle  elle  l'avait  conçu ,  car  du 
moins  ne  lui  peut-on  pasdénier  cette  connaissance, 
le  moyen  de  s'en  taire  à  moins  que  d'avoir  la 
vertu  et  la  retenue  de  Marie? 

Mais  certes  il  fallait  qu'elle  se  fit  voir  par  ses 
aciionssi  soumises,  la  mère  de  celui  qui  après 
sa  glorieuse  transfiguration  dit  à  ses  disciples  : 
•  Gardez-vous  bien  de  parler  de  ce  que  vous  ve- 
"  nez  de  voir,  jusqu'à  ce  que  le  Fils  de  l'homme 
■•  soit  ressuscité  '.  »  Et  il  y  a  dans  son  Évangile 
beaucoup  d'autres  paroles  qui  sont  dites  en  ce 
mèiue  sens,  par  lesquelles  nous  connaissons  que 
le  Fils  de  Dieu ,  qui  a  daigné  témoigner  quelque 
sorte  d'impatience  pour  l'ignominie  de  sa  croix  : 
«  J'ai,  dit-il  *,  à  être  baptisé  d'un  baptême,  et 
«  comment  suis-je  pressé  en  moi-même  jusqu'à 
«  ce  qu'il  soit  accompli  !  »  Lui  donc ,  qui  a  témoi- 
gné quelque  sorte  d'impatience  pour  l'ignominie 
de  sa  croix ,  n'a  jamais  fait  [  paraître  ]  le  moin- 
dre désir  de  la  manifestation  de  son  nom ,  atten- 
dant le  temps  préfix  marqué  précisément  par  la 
Providence  divine.  C'était  lui ,  c'était  lui ,  chères 
sœurs,  qui  donnait  ce  sentiment  à  sa  sainte  mère, 
afin  de  faire  voir  qu'elle  était  animée  de  son 
même  Esprit.  Ainsielle  jouit  seule  avec  Dieu  d'une 
si  grande  joie ,  sans  la  partager  qu'avec  ceux  à 
qui  il  plaît  au  Saint-Esprit  de  la  révéler.  Elle  at- 
tend que  Dieu  découvre  cette  merveille  lorsqu'il 
sera  expédient  pour  la  gloire  de  son  saint  nom. 
Elle  est  vierge,  Dieu  le  sait,  Jésus  son  cher  fils 
le  sait,  ce  lui  est  assez.  0  silence!  ô  retenue!  ô 
âme  parfaitement  satisfaite  de  Dieu  seul  et  du 
témoignage  de  sa  conscience!  Une  mère  si  éclîd- 
rée ,  se  contenter  d'être  au  nombre  des  écoutants 
au  sujet  de  son  fils  unique;  ne  parler  pas  même 
des  choses  où  sa  virginité  qui  lui  est  si  chère 

•  }f(iUfi.  XYll,  9. 

•  Luc.  XII ,  50. 


semble  inti-resséc,  laisser  croire  au  monde  tout 
ce  qu'il  voudra  et  tout  ce  que  Dieu  permettra  qu'il 
croie ,  cacher  une  si  grande  gloire  et  modérer  ses 
paroles  dans  une  joie  qui  devait  être  si  excessive! 
Sauveur  Jésus,  Dieu  caché,  qui  ne  faites  paraî- 
tre à  nos  yeux  que  votre  faiblesse ,  qui  avez  ins- 
piré cette  humilité  si  profonde  à  la  bienheureuse 
Marie  votre  mère ,  faites-nous  goûter  vos  dou- 
ceurs en  simplicité  5  vous  seul  contentez  nos  dé- 
sirs, vous  seul  soyez  suffisant  à  nos  âmes. 

La  seconde  cérémonie  consistait  en  un  certain 
genre  de  sacrifice ,  comme  je  vous  le  rapportais 
au  commencement  de  ce  discours.  Or  Dieu  avait 
ordonné  en  cette  rencontre  différentes  sortes  de 
victimes,  qui  pouvaient  être  offertes  légitime- 
ment. «  On  offrù-a,  dit-il',  un  agneau  d'un  an 
«  avec  une  tourterelle  ou  un  pigeonneau.  Que  si 
«  vous  ne  pouvez  offrir  un  agneau ,  ajoute  le  Sei- 
«  gneur,  si  vous  n'en  avez  pas  le  moyen ,  vous 
O  offrirez  deux  pigeonneaux  ou  une  paire  de  tour- 
«  terelles.  »  Par  où  vous  voyez  que  l'on  pouvait 
suppléer  au  défaut  de  l'agneau  par  les  pigeonneaux 
ou  la  tourterelle;  et  cela  se  faisait  ordinairement 
par  les  pau^Tes ,  pour  lesquels  la  loi  semble  avoir 
donné  ce  choix  des  victimes  :  les  pigeonneaux  et 
les  tourterelles ,  c'était  le  sacrifice  des  pauvres. 
Maintenant  souffrez  que  je  vous  demande  quelle 
victime  vous  pensez  que  l'on  ait  offerte  pour  le 
Roi  du  ciel.  Écoutez ,  je  vous  prie ,  l'évangéliste 
saint  Luc  :  Ils  offrirent ,  pour  lui ,  dit-il ,  une 
paire  de  tourterelles ,  ou  deux  pigeonneaux.  Une 
paire  de  tourterelles ,  ou  deux  pigeonneaux  :  mais 
lequel  des  deux,  saint  évangéliste?  Pourquoi 
cette  alternative?  Est-ce  ainsi  que  vous  racontez 
une  chose  faite?  Pénétrons,  s'il  vous  plaît,  son 
dessein  :  tout  ceci  n'est  pas  sans  mystère.  Certes 
l'intention  de  l'évangéliste  n'est  pas  de  nous  rap- 
porter précisément  laquelle  victime  en  particu- 
lier a  été  offerte ,  puisqu'il  nous  donne  cette  al- 
ternative :  deux  pigeonneaux ,  ou  une  paire  de 
tourterelles.  Ce  n'est  pas  aussi  son  dessein  de  faire 
une  énumération  de  toutes  les  choses  qui  pou- 
vaient être  offertes  en  cette  cérémonie  selon  les 
termes  de  la  loi  de  Dieu ,  puisqu'il  ne  parle  point 
de  l'agneau.  Quelle  peut  donc  être  sa  pensée? 
est-ce  point  qu'il  nous  veut  faire  entendre  que 
c'eût  été  hors  de  propos  qu'on  eût  offert  un  agneau 
en  ce  même  temps,  où  l'on  apportait  dans  le  tem- 
ple le  vrai  agneau  de  Dieu  qui  venait  effacer  les 
péchés  du  monde?  ou  bien  n'est-ce  pas  plutôt  que 
l'évangéliste  nous  fait  entendre ,  qu'il  n'est  pas 
nécessaire  que  nous  sachions  quelle  a  été  préci- 
sément la  victime  offerte  pour  notre  Sauveur; 
pourvu  que  nous  connaissions  que  le  sacrilVe 

»  Levit.  Xil ,  6 ,  9. 


sr.r, 


POUR  LA  PURIFICATION 


cuici  qu'il  ait  élc,  était  le  sacrifice  des  pauvres  : 
pur  turlurum,  aut  duoa pullos  columbarum  '? 
Chères  sœurs,  qui  poussées  de  l'Esprit  de  Dieu 
avez  généreusement  renoncé  à  tous  les  J)iens  et 
même  à  toutes  les  espérances  du  monde ,  réjouis- 
sez-vous en  Notre-Seigneiir.Jamaisy  eut-il  homme 
plus  pauvre  que  le  Sauveur?  son  père  gagnait  sa 
vie  par  le  travail  de  ses  mains  et  par  l'exercice 
d'un  art  mécanique  :  lui-même  il  n'avait  rien  en 
ce  monde ,  pas  même  une  pauvre  retraite  ni  de 
quoi  appuyer  sa  tête.  Certes  les  historiens  remar- 
quent que  souvent  à  la  nativité  des  grands  per- 
sonnages ,  il  s'est  vu  des  choses  qui  ont  servi 
de  présages  de  ce  qu'ils  devaient  être  pendant 
la  vie.  Ne  nous  rapporte-t-on  pas  qu'on  a  vu  fon- 
dre des  aigles  ou  sur  la  chambre  ou  sur  le  ber- 
ceau de  ceux  qui  devaient  être  un  jour  empereurs? 
Et  on  raconte  de  saint  Ambroise  et  de  quelques 
autres,  qu'un  essaim  d'abeilles  s'était  reposé  in- 
nocemment sur  leurs  lèvres,  pour  signifier  la 
douceur  de  leur  éloquence.  0  épouses  de  Jésus- 
Christ!  dans  ces  dernières  fêtes  que  nous  avons 
célébrées,  que  nous  avons  vu  de  présages  de  l'ex- 
trême pauvreté  dans  laquelle  Jésus  devait  vivre  ! 
Quel  est  l'enfant  si  misérable  dont  les  parents 
n'oient  pas  du  moins  quelque  chétive  demeure, 
où  ils  puissent  le  mettre  à  couvert  des  injures  de 
l'air  au  moment  qu'il  vient  au  monde?  Jésus,  re- 
buté de  tout  le  monde,  est  plutôt,  ce  semble, 
exposé,  que  né  dans  une  étable.  Ainsi  il  naquit, 
ainsi  il  vécut,  ainsi  il  mourut.  Il  a  choisi  le  genre 
de  mort  où  on  est  le  plus  dépouillé,  et  nu  qu'il 
était  à  la  croix  il  voyait  ces  avares  et  impitoja- 
bles  soldats  qui  partageaient  ses  vêtements  et 
jouaient  à  trois  dés  jusqu'à  sa  tunique  mysté- 
rieuse. Ne  fut-il  pas  enterré  dans  un  sépulcre  em- 
prunté? et  les  draps  dans  lesquels  son  saint  corps 
fut  enseveli ,  les  parfums  desquels  il  fut  embau- 
mé, furent  les  dernières  aumônes  de  ses  amis.  De 
sorte  que  pour  ne  se  point  démentir  dans  cette 
action,  qui  était  comme  vous  le  verrez  tout  à 
l'heure  une  représentation  de  sa  mort,  il  veut  que 
l'on  offre  pour  lui  le  sacrifice  des  pauvres,  une 
paire  de  pigeonneaux  ou  deux  tourterelles.  0 
Roi  de  gloire,  «  qui  étant  si  riche  par  la  condi- 
«  tion  de  votre  nature ,  vous  êtes  fait  pauvre  pour 
«  l'amour  de  nous,  afin  de  nous  enrichir  par  \o- 
'<  tre  abondance  =";  »  inspirez  dans  nos  cœurs  un 
généreux  mépris  de  toutes  ces  choses  que  les  mor- 
tels aveugles  appellent  des  biens,  et  faites-nous 
trouver  dans  le  ciel  cet  unique  et  inépuisable  tré- 
sor <îue  vous  nous  avez  acquis  au  prix  de  votre 
sang  par  votre  ineffable  miséricorde. 


'   i.ur.  II ,  24. 
2  II.  Cor.  VIII, 


Nous  lisons  deux  raisons  dans  l'Exode ,  pour 
lesquelles  Dieu  ordonnait  que  les  premiers-nés 
lui  fussent  offerts.  De  ces  deux  raisons  je  pren- 
drai seulement  celle  qui  sera  la  plus  convenable 
au  mystère  que  nous  traitons,  à  laquelle  je  vous 
prie  de  vous  rendre  un  peu  attentifs.  Dieu  pour 
faire  voir  qu'il  était  le  maître  de  toutes  choses , 
avait  accoutumé  d'en  exiger  les  prémices  comme 
une  espèce  de  tribut  et  de  redevance.  Ainsi 
voyons-nous  que  les  prémices  des  fruits  lui  sont 
offertes,  en  témoignage  que  nous  ne  les  avons 
que  de  sa  seule  munificence.  Pour  cela  il  deman- 
dait tout  ce  qui  naissait  le  premier,  tant  parmi 
les  hommes  que  parmi  les  animaux ,  se  déclarant 
maître  de  tout.  D'où  vient  qu'après  ces  mots  par 
lesquels  il  ordonne ,  en  l'Exode ,  que  tous  les  pre- 
miers-nés lui  soient  consacrés  :  Sanctifica  mihi 
omne primogenitum...  tamde hominibus  quam 
de  jîf mentis  •,  il  ajoute  incontinent  la  raison  :  car 
tout  est  à  moi.  «  Sanctifiez-moi,  dit-il,  tous  les 
«  premiers-nés ,  tant  parmi  les  hommes  que  parmi 
"  les  animaux  ;  car  tout  est  à  moi ,  »  9?iea  sunt 
enim  omnia.  Et  il  exigeait  ce  tribut  particu- 
lièrement à  l'égard  des  hommes ,  pour  se  faire 
reconnaître  le  chef  de  toutes  les  familles  d'Israël  ; 
et  afin  qu'en  la  personne  des  aînés ,  qui  repré- 
sentent la  tige  de  la  maison ,  tous  les  autres  en- 
fants fussent  dévoués  à  son  service.  De  sorte  que 
par  cette  offrande  les  aînés  étaient  séparés  des 
choses  communes  et  profanes,  et  passaient  au 
rang  des  saintes  et  des  consacrées.  C'est  pourquoi 
la  loi  est  prononcée  en  ces  termes  :  Separabis 
omne  quod  aperit  vulvam  Domino  '  :  «  Vous  sé- 
«  parerez  tous  les  premiers-nés  au  Seigneur.  » 

Et  c'est  en  ce  lieu  que  je  puis  me  servir  des 
paroles  du  grave  TertuUien  et  appeler  avec  lui 
le  Sauveur  Jésus  l'Illuminateur  des  antiquités  ^ , 
qui  n'ont  été  établies  que  pour  signifier  ses  mys- 
tères. Car  quel  autre  est  plus  sanctifié  au  Seigneur 
que  le  Fils  de  Dieu,  dont  la  mère  a  été  remplie 
de  la  vertu  du  Très-Haut?  d'où  l'ange  concluait 
que  ce  qui  naîtrait  d'elle  serait  «  saint''.  »  Et  voici 
qu'étant  '<  le  premier-né  de  toutes  les  créatures,  - 
I  ainsi  que  l'appelle  saint  Paul  ^,  et  étant  de  plus 
1  les  prémices  du  genre  humain,  on  le  vient  aujour- 
\  d'hui  offrir  à  Dieu  devant  ses  autels ,  pour  prott«- 
;  ter  qu'en  lui  seul  nous  sommes  tous  sanctifiés  et 
renouvelés,  et  que  par  lui  seul  nous  appartenons 
\  au  Père  éternel ,  et  avons  accès  à  l'autel  de  sa 
miséricorde.  Ce  qui  lui  fait  dire  à  lui-même  :  E(jo 
pro  eis  sanctifico  7neipsum  ''  :  «  Mon  Père ,  je 

'  Exod.  Mil,  2. 
I       2  Ibid.  12. 

1       3  jdv.  Marcion.  lib.  IV,  n°  40. 
I       <  Luc.  1 ,  35. 
'       *  Colos.  I,  15. 

^  Joan.  XVII,  19. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


»  me  consacre  pour  eux  :  »  afin  d'accomplir  cette 
prophétie  qui  avait  promis  ù  nos  pères  qu'en  lui 
toutes  les  nations  seraient  bénites  ' ,  c'est-à-dire , 
sonclifiées  et  consacrées  à  la  Majesté  divine.  Telles 
sont  les  prérogatives  de  son  droit  d'aînesse ,  telles 
sont  les  obligations  que  nous  avons  à  ce  pieux 
aine,  c'est-à-dire,  au  sauveur  Jésus,  qui  s'est 
immolé  pour  l'amour  de  nous. 

Et  à  ce  propos  je  vous  prie  de  considérer  les 
paroles  que  i'apôtre  lait  dire  à  îNotre-Seigneur 
dans  son  épîire  aux  Hébreux, chapitre  dixième; 
elles  sont  tirées  du  psaume  trente-neuvième,  dont 
voici  les  propres  termes  cités  par  l'apôtre  :  Holo- 
€antomalapropeccatonontibiplacuenint;tunc 
iUxi  :  Ecce  venio  ^  :  «  Les  holocaustes  et  les 
«  sacrifices  pour  le  péché  ne  vous  ont  pas  plu ,  ô 
«  mon  Père  !  alors  je  me  suis  offert,  j'ai  dit  :  J'irai 
X  moi-naème ,  afin  d'exécuter  votre  volonté  ;  » 
e est-à-dire,  comme  l'entend  l'apôtre,  l'ouvrage 
de  notre  salut.  Ne  vous  semble-t-il  pas ,  chères 
sœurs,  que  ces  paroles  ne  sont  faites  que  pour 
cette  cérémonie?  Saint  Paul  les  fait  dire  à  Notre- 
Seigneur  en  entrant  au  monde  :  Ingrediens  mun- 
dinn  dixit^.  Or  le  Fils  de  Dieu  n'avait  que  six  se- 
n»aines,  lorsqu'on  le  vint  offrir  à  Dieu  dans  son 
temple  ;  de  sorte  qu'il  ne  faisait  à  proprement 
parler  que  d'entrer  au  monde.  Et  selon  cette  doc- 
tiine  je  me  représente  aujourd'hui  le  sauveur  Jé- 
sus ,  à  même  temps  qu'on  l'offre  au  Père  éternel , 
prendre  déjà  la  place  de  toutes  les  victimes  an- 
ciennes, aîin  de  nous  consommer  à  jamais  par 
l'unité  de  sou  sacrifice  :  tellement  que  cette  céré- 
monie était  comme  un  préparatif  de  sa  passion. 
Jésus-Christ  dans  sa  tendre  enfance  méditait  le 
dessein  laborieux  de  notre  rédemption,  et  déjà 
par  avance  se  destinait  à  la  croix.  Si  je  me  suis 
bien  fait  entendre ,  mes  très-chères  sœurs ,  vous 
a\ez  vu  un  rapport  merveilleux  des  anciennes  cé- 
rémonies que  le  Fils  de  Dieu  subit  aujourd'hui 
avec  les  mystères  de  notre  salut. 

Mais  après  avoir  vu  les  sentiments  de  notre  Sau- 
veur dans  cette  mystérieuse  journée  ;  si  vous  aviez 
peut-être  une  sainte  curiosité  de  savoir  de  quoi 
s'entretenait  la  bienheureuse  Marie ,  je  tâcherai 
de  vous  en  donner  quelque  éclaircissement  par 
une  considération  très-solide.  Toutes  les  cérémo- 
nies des  Juifs  leur  étaient  données  en  figures  de  ce 
qui  se  devait  accomplir  en  Notre-Seigneur  ;  et  bien 
qu'elles  fussent  différentes  les  unes  des  autres , 
toutefois  elles  ne  contenaient  qu'un  seul  Jésus- 
Christ.  Ceux  qui  étaient  grossiers  et  charnels  n'en 
considéraient  que  fextérieur,  sans  en  pénétrer 
le  sens.  Mais  les  spirituels  et  les  éclairés ,  à  tra- 


/f.fcr.X,6,  1 

Cuô««Et.  —  T.  Ul. 


vers  des  ombres  et  des  figures  externes,  contem- 
plaient intérieurement  par  une  lumière  céleste 
les  mystères  du  sauveur  Jésus.  Par  exemple  dans 
la  manne  ils  se  nourrissaient  de  la  parole  éternelle 
du  Père,  faite  chair  pour  l'amour  de  nous;  vrai 
pain  des  anjresetdes  hommes;  et  leur  foi  leur 
faisait  voir  dans  leurs  sacrifices  sanglants  la  mort 
violente  du  Fils  de  Dieu  pour  l'expiation  de  nos 
crimes.  Que  si  Ips  Juifs  éclairés  entendaient  eu 
un  sens  spirituel  ce  qu'ils  célébraient  corpoieîle- 
ment;  à  plus  forte  raison  la  très-heureuse  Marie 
ayant  le  Sauveur  entre  ses  bras  et  l'offrant  de  ses 
propres  mains  au  Père  éternel ,  faisait  cette  céré- 
monie en  esprit  :  c'est-à-dire,  joignait  son  intention 
à  ce  que  représentait  la  figure  externe,  c  est-à- 
dire,  l'oblation  sainte  du  Sauveur  pour  tout  le 
genre  humain  racheté  miséricordieusement  par 
sa  mort ,  ainsi  que  je  vous  le  représentais  tout  à 
l'heure.  Ce  qui  me  fait  dire,  et  ce  n'est  point  une 
méditation  creuse  et  imaginaire,  que  de  môme 
que  la  sainte  Vierge ,  au  jour  de  l'Annonciation , 
donna  son  consentement  à  l'incarnation  du  Messie, 
qui  était  le  sujet  de  l'ambassade  de  l'ange  ;  de 
même  elle  ratifia,  pour  ainsi  dire,  en  ce  jour  le 
traité  de  sa  passion  :  puisque  ce  jour  en  était  une 
figure  et  comme  un  premier  préparatif.  Et  ce  qui 
confirme  cette  pensée,  ce  sont  les  paroles  de 
Siméon.  Car  comme  en  cette  sainte  journée  son 
esprit  devait  être  occupé  de  la  passion  de  son 
fils  ;  pour  cela  il  est  arrivé  non  sans  un  ordre  secret 
de  la  Providence,  que  Siméon  après  avoir  dit  en 
fort  peu  de  mots  tant  de  choses  de  Notre-Seigneur, 
adressant  la  parole  à  sa  sainte  mère,  ne  l'entre- 
tient que  des  étranges  contradictions  dont  son  fils 
sei'a  traversé ,  et  des  douleurs  amères  dont  son 
âme  sera  percée  à  cause  de  lui.  «  Celui-ci,  dit-il  ', 
«  est  établi  comme  un  signe  auquel  on  contredira  ; 
«  et  votre  âme ,  ô  mère ,  sera  percée  d'un  glaive.  >• 
Où  vous  devez  remarquer  la  résignation  la  plus 
parfaite  à  la  volonté  divine,  dont  jamais  vous  ayez 
ouï  parler.  Car  la  sainte  Vierge  entendant  une 
prophétie  si  lugubre ,  et  en  cela  plus  terrible,  que , 
n'énonçant  rien  en  particulier,  elle  laissait  appré- 
hender toutes  choses,  elle  ne  s'informe  point  quels 
seront  donc  ces  accidents  si  étranges  que  ce  bon 
vieillard  lui  prédit;  mais  s'etant  une  bonne  fois 
abandonnée  entre  les  mains  de  Dieu ,  elle  se  sou- 
met de  bon  cœur,  sans  s'en  enquérir,  à  ce  qu'il  lui 
plaira  ordonner  de  son  fils  et  d'elle.  Voilà  comme 
la  sainte  Vierge  unissant  son  intention  a  celle  de 
son  cher  fils,  se  dévouait  avec  lui  à  la  Majesté 
divine. 

C'est  ici,  c'est  ici ,  chrétiens  * ,  à  propos  de  cett* 

'  Luc.  n,  34. 

*  Ce  morceau  a  été  fait  séparément  par  l'auteur,  pour  adap- 
ter son  sermon  a  la  céréuionie  dont  il  parle.  Et  il  est  clair  un» 

a 


i[)S 


POUR  LA  PURIFICATION  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


ofiiande  parfaite ,  que  je  vous  veux  sommer  de 
votre  parole,  et  vous  faire  souvenir  de  ce  cjne  vous 
avez  fait  devant  ces  autels.  Lorsque  vous  avez 
été  aggrégés  à  la  confrérie ,  n'avez-vous  pas  pro- 
testé solennellement  que  vous  réformeriez  votre 
vie?  Or  en  vain  faisons-nous  de  si  magnifiques 
promesses,  en  vain  nous  mettons-nous  sous  la 
protection  de  Marie,  en  vaiu  la  prenons-nous 
pour  notre  exemplaire ,  en  vain  nous  assemblons- 
nous  pour  écouter  la  parole  de  Dieu ,  si  ou  voit 
toujours  les  mêmes  dérèglements  dans  nos  mœurs. 
C'est  pourquoi  aujourd'hui  que  la  très-innocente 
Marie  présente  son  fils  à  Dieu,  qu'elle  se  dédie 
d'elle-même  à  sa  majesté,  servons-nous  d'une 
occasion  si  favorable  5  et  renouvelant  tout  ce  que 
nous  avons  jamais  fait  de  bonnes  résolutions, 
dévouons-nous  pour  toujours  au  service  de  Dieu 
notre  Père.  Mais  je  ne  m'aperçois  pas  que  ce 
discours  est  trop  long,  et  que  je  dois  quelques 
paroles  d'exhortation  à  ceux  qui ,  invités  par  la 
solennité  de  demain,  désirent  participer  à  nos 
redoutables  mystères. 

Chrétiens,  si  vous  désirez  faire  une  sainte 
communion;  tel  qu'était  Siméon  lorsqu'il  em- 
brassa Notre-Seigneur  dans  le  temple,  tels  devez- 
vous  être,  approchant  de  la  sainte  table.  Le 
saint  homme  avait  une  telle  passion  pour  notre 
Sauveur,  qu'il  ne  pensait  jour  et  nuit  à  autre 
chose  qu'à  lui  :  et  bien  qu'il  ne  fût  pas  encore 
venu  au  monde  ;  comme  sa  foi  le  lui  montrait  dans 
les  prophéties,  il  attachait  toutes  ses  affections 
à  ce  doux  objet.  Ce  violent  amour  produisait  en 
lui  deux  mouvements  très-puissants  :  l'un  était 
un  ardent  désir  de  voir  bientôt  luire  au  monde 
la  consolation  d'Israël;  et  l'autre,  une  ferme 
espérance  que  toutes  choses  seraient  rétablies  par 
son  arrivée  :  Expectabat  rede.mptionem  Israël^. 
Le  saint  vieillard  soupirait  donc  sans  cesse  après 
le  Sauveur  ;  et  parmi  la  véhémence  de  ses  désirs , 
l'Esprit  de  Dieu,  qui  les  lui  avait  inspirés,  lui  fit 
concevoir  en  son  âme  une  certaine  créance  qu'il 
ne  mourrait  point  sans  le  voir.  Depuis  ce  temps-là 
chaque  jour  redoublait  ses  saintes  ardeurs;  et 
peut-être  n'y  avait-il  plus  que  son  amour  et  son 
espérance  qui  soutînt  ses  membres  cassés,  et  qui 
animât  sa  décrépite  vieillesse  Tels  devez- vous 
être,  si  vous  voulez  dignement  recevoir  le  sa- 
crement adorable.  Soyez  embrasés  d'un  tendre  et 
ardent  amour  pour  le  Fils  de  Dieu ,  qui  vous  fasse 
établir  en  lui  toute  l'espérance  de  votre  cœur  ;  que 
votre  âme  soit  enflammée  d'une  sainte  avidité  de 
vous  rassasier  de  cette  viande  céleste,  que  le  Père 


telle  a  éUi  son  infenlion ,  puisqu'il  rappelle  en  tète  de  cette  ad- 
dition les  cinff  ou  six  dernières  lignes  qui  la  procèdent.  (  Édlt. 
df  Dcforii.) 
>  i.iu.  Il,  25. 


éternel  nous  a  préparée  en  son  Fils.  Car  y  a-t-il 
choseau  monde plusdésirablequedejouir  du  corps 
et  du  sang  de  Notre-Seigneur,  et  du  prix  de  notre 
salut  ;  que  de  communiquer  à  sa  passion  ;  que  de 
tirer  de  sa  sainte  chair,  autrefois  pour  nous  dé- 
chirée une  nourriture  solide  par  la  méditation 
de  sa  mort;  que  de  recevoir,  par  l'attouchement 
de  cette  chair  vivifiante ,  et  l'abondance  du  Saint- 
Esprit  ,  et  les  semences  d'immortalité  ;  que  d'être 
transformés  en  lui  par  un  miracle  d'amour?  Pous- 
sés de  cet  aimable  désir,  venez  en  esprit  dans  le 
temple  ainsi  que  le  bon  Siméon  :  Etvenit  in  spi- 
ritu  in  teîrfplum\  Que  cène  soit  ni  par  coutume, 
ni  pour  tromper  le  monde  par  quelques  froides 
grimaces  ;  mais  venez  comme  le  malade  au  re- 
remède, comme  le  mort  à  la  vie,  comme  un 
amant  passionné  à  l'objet  de  ses  affections  :  ve- 
nez boire  à  longs  traits  et  avec  une  soif  ardente 
cette  eau  admirable  qui  jaillit  à  la  vie  éternelle. 
Et  lorsqu'on  vous  présentera  ce  pain  céleste, 
goûtez  à  part  vous  combien  le  Sauveur  est  doux  ; 
qu'un  extrême  transport  d'amour  vous  faisant 
oublier  de  vous-même ,  vous  attache  et  vous  colle 
au  Seigneur  Jésus.  C'est  là  qu'il  faut  savourer 
cette  viande  délicieuse  en  silence  et  en  repos.  Re- 
gardez le  bon  Siméon  ;  comme  l'évangéliste  nous 
distingue  ses  actions ,  et  comme  il  sait  saintement 
ménager  sa  joie.  Il  le  prend  entre  ses  bras,  dit 
saint  Luc ,  il  bénit  Dieu ,  et  enfin  il  éclate  en  ac- 
tion de  grâces  :  Suscepit  eum  inulnassuas,  et 
bcnedixit  Deum,  et  ait^.  Mais  devant  que  de 
parler,  que  de  regards  amoureux  î  que  d'ardents 
baisers  !  quelle  abondance  de  larmes  !  il  faut  donc, 
avant  toutes  choses,  que  votre  âme  se  fonde 
en  joie  :  jouissez  du  baiser  du  Sauveur,  c'est  le 
même  que  Siméon  embrassa  ;  et  s'il  se  cache  à 
vos  yeux ,  il  se  montre  à  votre  foi  :  et  le  même 
qui  a  dit  à  ses  disciples  :  Bienheureux  les  yeux 
qui  voient  ce  que  vous  voyez  ^  !  a  dit  aussi  pour 
notre  consolation  :  Bienheureux  ceux  qui  croient 
et  qui  ne  voient  point''!  Après  que  votre  âme 
s'épanouisse  et  se  décharge ,  à  la  bonne  heure ,  en 
hymnes  et  en  cantiques  ;  que  tous  vos  sens  di- 
sent :  0  Seigneur,  qui  est  semblable  à  vous  ^  ?  et 
que  ce  sentiment  pénètre  jusques  à  la  moelle  de 
vos  os.  Ensuite  entrez ,  à  l'exemple  de  notre  vieil- 
lard, dans  un  dégoût  de  la  vie  et  de  ses  plaisirs, 
épris  des  charmes  incompréhensibles  d'une  par- 
faite beauté  :  Envoyez-moi  maintenant  en  paix ,  ô 
Seigneur!  Nunc dimittis servum  tuum  inpace^. 
Que  vous  dirai-je  de  cette  divine  paix  que  le 

'  Luc.  II ,  27. 
-  Ibid.  28. 

3  Ibid.  X,  23. 

4  Joan.  XX,  29. 

'  Ps.  XXïlV,    II. 

«  Luc  n,  29. 


SUR  L* ASSOMPTION  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


aso 


monde  oc  peut  entendre,  et  qui  est  le  propre 
«îffet  de  ce  sacrement?  qui  ne  voit  que  la  paix 
fst  le  fruit  de  la  charité,  qui  lie,  et  tempère,  et 
adoucit  les  esprits?  Or  n'est-ce  pas  ici  le  mystère 
de  charité?  car  par  le  moyen  de  la  sainte  chair 
de  Jésus  nous  nous  unissons  à  la  divinité  qui  en 
est  inséparable ,  et  notre  société  est  avec  Dieu  et 
avec  son  Fils  dans  l'unité  de  l'Esprit'.  Ayant 
donc  la  paix  avec  Dieu ,  quel  calme  et  quelle 
aimable  tranquilité  dans  nos  âmes!  C'est  pour- 
quoi songeons,  chrétiens,  en  quelle  société  nous 
avons  été  appelés.  Pensons  que  nos  corps  sont 
devenus  et  les  membres  de  Jésus-Christ  et  les  tem- 
ples du  Saint-Esprit.  Ne  les  abandonnons  point  à 
nos  passions  brutales,  qui  comme  des  soldats 
aveugles  et  téméraires  profanent  les  choses  sa- 
crées ;  mais  conservons  en  pureté  ces  vaisseaux 
fragiles  dans  lesquels  nous  avons  notre  trésor  \ 
Ne  parlons  désormais  que  Jésus ,  ne  songeons  que 
Jésus ,  ne  méditons  que  Jésus  :  Jésus  soit  notre 
joie ,  nos  délices ,  notre  nourriture ,  notre  amour, 
notre  conseil ,  notre  espérance  en  ce  monde  et 
notre  couronne  en  l'autre.  Sauveur  Jésus ,  en  qui 
nous  sommes  bénis  de  toutes  sortes  de  bénédic- 
tions spirituelles;  lorsque  vous  verrez  demain 
vos  entants ,  surtout  ceux  qui  sont  associés  à  cette 
confrérie  pour  la  gloire  de  votre  nom  :  lors, 
dis-je ,  que  vous  les  verrez  rangés  devant  votre 
table  attendant  la  nourriture  céleste  à  laquelle 
vous  les  invitez ,  daignez  leur  donner  votre  sainte 
bénédiction  par  l'intercession  de  la  bienheureuse 
vierge  Marie.  Amen*. 


•fr«»«««e« 


PRE^nER  SERMOjN 

POUR    LA  FÊTE 

DE  L'ASSOMPTION  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 

Les  vertus  de  Marie,  le  plus  bel  ornement  de  son  triomphe. 
L'amour  divin,  principe  de  sa  mort.  Nature  et  transport  de 
son  amour  :  de  quelle  sorte  cet  amour  lui  a  donné  le  coup  de 
la  mort.  Désirs  que  nous  devons  avoir  de  nous  réunira  Jésus- 
Clirist.  Merveilles  que  la  sainte  virginité  opère  en  Marie  : 
effets  de  cette  vertu  dans  les  vierges  chrétiemies.  Comment 
rhumilité  chrétienne  semble-t-elle  avoir  dépouillé  Marie  de 
tous  ses  avantages,  elles  lui  rend-elle  tous  éminemment. 
Prière  à  Marie  pour  nous  obtenir  cette  vertu  essentielle. 


Quae  est  ista  quœ  ascendit  de  deserto,  deliciis  aflluens, 

innixa  super  dilectum  suum .' 
Qui  est  celle-ci  qui  s'élève  du  désert,  pleine  de  délices, 

appuyée  sur  son  bien-aimé?  Canl ,  vin,  5. 

II  y  a  un  enchaînement  admirable  entre  les  mys- 
tères du  christianisme  ;  et  celui  que  nous  céïé- 

'  Joan.  1 ,  3. 

'  L  Thess.  IV,  4.  IL  Cor.  rv,  7. 

'  D.  Déforis  a  inséré  ici  mal  à  propos  un  Précis  de  sermon 
HJr  la  Présentation  de  Jésua-Christ.  Le  manuscrit  iudique 


brons,  aune  liaison  particulière  avec  l'incama- 
tion  du  Verbe  éternel.  Car  si  la  divine  Marie  a 
reçu  autrefois  le  sauveur  Jésus,  il  est  juste  que 
le  Sauveur  reçoive  à  son  tour  l'heureuse  Marie; 
et  n'ayant  pas  dédaigné  de  descendre  en  elle ,  il 
doit  ensuite  l'élever  à  soi  pour  la  faire  entrer 
dans  sa  gloire.  Il  ne  faut  donc  pas  s  étonner,  mes 
sœurs,  si  la  bienheureuse  Marie  ressuscite  avec 
tant  d'éclat,  ni  si  elle  triomphe  avec  tant  de 
pompe.  Jésus  à  qui  cette  Vierge  a  donné  la  vie, 
la  lui  rend  aujourd'hui  par  reconnaissance  :  et 
comme  il  appartient  à  un  Dieu  de  se  montrer  tou- 
jours le  plus  magnifique;  quoiqu'il  n'ait  reçu 
qu'une  vie  mortelle ,  il  est  digne  de  sa  grandeur 
de  lui  en  donner  en  échange  une  glorieuse.  Ainsi 
ces  deux  mystères  sont  liés  ensemble  ;  e*  afin  qu'il 
y  ait  un  plus  grand  rapport,  les  anges  intervien- 
nent dans  l'un  et  dans  l'autre ,  et  se  réjouissent 
aujourd'hui,  avec  Marie,  de  voir  une  si  belle 
suite  du  mystère  qu'ils  ont  annoncé.  Joignons- 
nous,  mes  très-chères  sœurs,  à  cette  pompe  sa- 
crée :  mêlons  nos  voix  à  celles  des  anges,  pour 
louer  la  divine  Vierge;  et  de  peur  deravilir  leurs 
divins  cantiques  par  des  paroles  humaines,  fai- 
sons retentir  jusqu'au  ciel  celles  qu'un  ange  même 
en  a  apportées  :  Ave,  Maria. 

Le  ciel ,  aussi  bien  que  la  terre ,  a  ses  solen- 
nités et  ses  triomphes,  ses  cérémonies  et  ses 
jours  d'entrée ,  ses  magnificences  et  ses  specta- 
cles; ou  plutôt  la  terre  usurpe  ces  noms,  pour 
donner  quelque  éclat  à  ses  vaines  pompes  :  mais 
les  choses  ne  s'en  trouvent  véritablement  dans 
toute  leur  force ,  que  dans  les  fêtes  augustes  de 
notre  céleste  patrie,  la  sainte  et  triomphante 
Jérusalem.  Parmi  ces  solennités  glorieuses ,  qui 
ont  réjoui  les  saints  anges  et  tous  les  esprits 
bienheureux;  vous  n'ignorez  pas,  mes  sœurs, 
que  celle  que  nous  célébrons  est  l'une  des  plus 
illustres,  et  que  sans  doute  l'exaltation  de  la 
sainte  Vierge  dans  le  trône  que  son  fils  lui  des- 
tine doit  faire  l'un  des  plus  beaux  jours  de  l'é- 
ternité :  si  toutefois  nous  pouvons  distinguer 
des  jours  dans  cette  éternité  toujours  perma- 
nente. 

Pour  vous  expliquer  les  magnificences  de  cette 
célèbre  entrée,  je  pourrais  vous  représenter  le 
concours,  les  acclamations,  les  cantiques  de 
réjouissance  de  tous  les  ordres  des  anges ,  et  de 
toute  la  cour  céleste  :  je  pourrais  encore  m'éle 
ver  plus  haut ,  et  vous  faire  voir  la  divine  Vierge 
présentée  par  son  divin  fils  devant  le  trAne  du 
Père  pour  y  recevoir  de  sa  main  uns  couronne 

assez  qu'il  apparUent  à  la  Préseotatioo  de  la  sainte  Vierw; 
et  le  texte  le  prouve  évidemment.  Nous  l'avons  placé  cWm- 
sus  sous  ce  titre.  (  ÉJtt.  de  f'inai^U's  ) 


2  GO 


SLI\  L'ASSOMPTION 


de  gloire  immortelle  ;  spectacle  vraiment  auguste , 
et  qui  ravit  en  admiration  le  ciel  et  la  terre.  Mais 
tout  ce  divin  appareil  passe  de  trop  loin  nos  in- 
telligences :  et  d'ailleurs  comme  le  ministère  que 
j'exerce  m'oblige,  en  vous  étalant  des  grandeurs, 
de  vous  chercher  aussi  des  exemples,  je  me  pro- 
pose, mes  sœurs,  de  vous  faire  paraître  l'heu- 
reuse Marie  suivie  seulement  do  ses  vertus,  et 
toute  l'csplendissante  d'une  suite  si  glorieuse. 
lin  effet,  les  vertus  do  cette  Princesse,  c'est  ce 
qu'il  y  a  de  plus  digne  d'être  regardé  dans  son 
entrée.  Ses  vertus  en  ont  fait  les  préparatifs,  ses 
vertus  en  font  tout  l'éclat,  ses  vertus  en  font  la 
perfection.  C'est  ce  que  ce  discours  vous  fera  con- 
naître; et  aiin  que  vous  voyiez  les  choses  plus 
distinctement,  voici  l'ordre  que  je  me  propose. 
Pour  faire  entrer  Marie  dans  sa  gloire,  il  fal- 
lait la  dépouiller,  avant  toutes  choses,  de  cette 
misérable  mortalité,  comme  d'un  habit  étran- 
ger :  ensuite  il  a  fallu  parer  son  corps  et  son  âme 
de  l'immortalité  glorieuse,  comme  d'un  manteau 
royal  et  d'une  robe  triomphante  :  enfin ,  dans  ce 
superbe  apparei  1 ,  il  la  fallait  placer  dans  son  trône , 
au-dessus  des  chérubins  et  des  séraphins,  et  de 
toutes  les  créatures.  C'est  tout  le  mystère  de  cette 
tournée  ;  et  je  trouve  que  trois  vertus  de  celte 
Princesse  ont  accompli  tout  ce  grand  ouvrage. 
S'il  faut  la  tirer  de  ce  corps  de  mort,  l'amour 
divin  fera  cet  office.  La  sainte  virginité,  toute 
pure  et  tout  éclatante ,  est  capable  de  répandre 
jusque  sur  sa  chair  la  lumière  d'immortalité,  ainsi 
qu'une  robe  céleste  :  et  après  que  ces  deux  ver- 
tus auront  fait,  en  cette  sorte,  les  préparatifs  de 
cette  entrée  magnifique,  l'humilité  toute-puissante 
achèvera  la  cérémonie,  en  la  plaçant  dans  son 
trône  pour  y  être  révérée  éternellement  par  les 
anges.  C'est  ce  que  je  tâcherai  de  vous  faire  voir 
dans  la  suite  de  ce  discours,  avec  le  secours  de 
la  grâce. 

PBEMIER    POINT. 

La  nature  et  la  grâce  concourent  à  établir  im- 
muablement la  nécessité  de  mourir.  C'est  une  loi 
de  la  nature,  que  tout  ce  qui  est  mortel  doit  le 
tribut  à  la  mort  ;  et  la  grâce  n'a  pas  exempté  les 
hommes  de  cette  commune  nécessité  :  parce  que 
le  Fils  de  Dieu  s'étant  proposé  de  ruiner  la  mort 
par  la  mort  même ,  il  a  posé  cette  loi ,  qu'il  faut 
passer  par  ses  mains  pour  en  échapper,  qu'il  faut 
entrer  au  tombeau  pour  en  renaître,  et  enfin 
.  qu'il  faut  mourir  une  fois  pour  dépouiller  entière- 
ment lamorfaliîé.  Ainsi,  cette  pompe  sacrée  que  je 
.  dois  aujourd'hui  vous  représenter  a  dû  prendre 
son  ccrcmencement  dans  le  trépas  de  la  sainte 
Vierge.  Et  c'est  une  partie  nécessaire  du  triomphe 
de  cette  Reine ,  de  subir  la  loi  de  la  mort  ;  pour 


laisser  entre  tros  bras,  et  dans  son  sein  même, 
tout  ce  qu'elle  avait  de  morlel. 

Mais  ne  nous  persuadons  pas'  qu'en  subissant 
cette  loi  commune  elle  ait  du  aussi  lasubir.d'unc 
façon  ordinaire  ;  tout  est  surnaturel  en  Marie  :  un 
miracle  lui  adonné  Jésus-Christ,  un  miracle  lui 
doit  rendre  ce  filsbien-aimé;  et  sa  vie,  pleine  de 
merveilles,  a  dû  enfin  être  terminée  par  une 
mort  toute  divine.  Mais  quel  sera  le  principe  de 
cette  mort  admirable  et  surnaturelle  ;  chrétiens , 
ce  sera  l'amour  maternel;  l'amour  divin  fera  cet 
ouvrage  :  c'est  lui  qui  enlèvera  l'âme  de  Marie, 
et  qui,  rompant  les  liens  du  corps,  qui  l'empê- 
chent de  joindre  son  fils  Jésus,  réunira  dans  le 
ciel  ce  qui  ne  peut  aussi  bien  être  séparé  sans  une 
extrême  violence.  Pour  bien  entendre  un  si  grand 
mystère  il  nous  faut  concevoir,  avant  toutes  cho- 
ses, selon  notre  médiocrité  quelle  est  la  nature  de 
l'amour  de  la  sainte  Vierge,  quelle  est  sa  cause, 
quels  sont  ses  transports,  de  quels  traits  il  se  sert, 
et  quelles  blessures  il  imprime  au  cœur. 

Un  saint  évêque  *  nous  a  donne  une  grande 
idée  de  cet  amour  maternel ,  lorsqu'il  a  dit  ces 
beaux  mots  :  «  Pour  former  l'amour  de  Marie, 
«  deux  amours  se  sont  jointes  en  un  :  »  Duœ 
dilectiones  in  unam  conveJierant ,  et  ex  duobus 
amoribus  facius  est  amor  unus.  Dites-moi,  je 
vous  prie,  quel  est  ce  mystère?  que  veut  dire 
l'enchaînement  de  ces  deux  amours  îlll'exphque 
par  les  paroles  suivantes  :  «  C'est,  dit-il,  que  la 
«  sainte  Vierge  rendait  à  son  fils  l'amour  qu'elle 
«  devait  à  un  Dieu ,  et  qu'elle  rendait  aussi  à  son 
«  Dieu  l'amour  qu'elle  devait  à  un  fils  :  »  cum 
Viryo  mater fdio  divinitatis  amorem  infunde- 
rct,  et  in  Deo  amorem  nato  exhiberet  '.  Si  vous 
entendez  ces  paroles,  vous  verrez  qu'on  ne  pou- 
vait rien  penser  de  plus  grand,  ni  de  plus  fort, 
ni  déplus  sublime,  pour  exprimer  l'amour  de  la 
sainte  Vierge  :  car  ce  saint  évoque  veut  dire  que 
la  nature  et  la  grâce  concourent  ensemble,  poia- 
faire,  dans  le  cœur  de  Marie,  des  impressions 
plus  profondes.  Il  n'est  rien  de  plus  fort  ni  de  plus 
pressant  que  l'amourque  la  nature  donne  pour  un 
fils ,  et  que  celui  que  lagrSce  donne  pour  un  Dieu. 
Ces  deux  amours  sont  deux  abîmes  dont  l'on  ne 
peut  pénétrer  le  fond ,  ni  comprendre  toute  l'éten- 
due. Mais  ici  nous  pouvons  dire  avec  le  psahniste: 
Abyssus  abyssum  invocat  ^  :  «  Un  abîme  appelle 
«  un  autre  abîme  ;  "  puisque  pour  former  l'amour 
de  la  sainte  Vierge  il  a  fallu  y  mêler  enseiiible  tout 
ce  que  la  nature  a  de  plus  tendre,  et  la  grâce  de 

♦  Amcdée,  évèquede  Lausanne,  qui  vivait  dans  le  douzième 
siècle,  et  que  ses  \erlus  rendirent  encore  plus  recomman- 
dable  que  son  illustre  naissance.  (  Édit.  de  Véfuris.  ) 

'  D<i  Laudib.  B.  firg.  Ilomil.  v,  Biblioth.  PP.  t.  XX,  p. 
1272. 

2  Ps.  XLI ,  8. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


:ct 


plus  efficace.  La  nature  a  dû  s'y  trouver,  parce 
que  cet  amour  embrassait  un  fils;  la  grâce  a  dû 
y  agir,  parce  que  cet  amour  regardait  un  Dieu  : 
Abyssus....  Mais  ce  qui  passe  l'imagination ,  c'est 
que  la  nature  et  la  grâce  ordinaire  n'y  suffisent 
pas,  parce  qu'il  n'appartient  pas  à  la  nature 
de  trouver  un  fils  dans  un  Dieu;  et  que  la  grâce, 
du  moins  ordinaire,  ne  peut  faire  aimer  un  Dieu 
dans  un  fils  :  il  faut  donc  nécessairement  s'élever 
plus  haut. 

Permettez-moi ,  chrétiens ,  de  porter  aujour- 
d'hui mes  pensées  au-dessus  de  la  nature  et  de 
la  grâce,  et  de  chercher  la  source  de  cet  amour 
dans  le  sein  même  du  Père  éternel.  Je  m'y  sens 
obligé  par  cette  raison  :  c'est  que  le  divin  fils 
dont  Marie  est  mère,  lui  est  commun  avec  Dieu. 
«  Ce  qui  naîtra  de  vous ,  lui  dit  l'ange  ' ,  sera  ap- 
«  pelé  Fils  de  Dieu.  «  Ainsi  elle  est  unie  avec  Dieu 
le  Père ,  en  devenant  la  mère  de  son  Fils  unique; 
«  qui  ne  lui  est  commun  qu'avec  le  Père  éternel , 
«  dans  la  manière  dont  elle  l'engendre  :  »  Cum 
co  solo  tibi  est  generaiio  ista  communis  * 

Mais  montons  encore  plus  haut;  voyons  d'où 
lui  vient  cet  honneur,  et  comment  elle  a  engen- 
dré le  vrai  Fils  deDieu.  Vous  jugez  aisément,  mes 
sœurs,  que  ce  n'est  pas  par  sa  fécondité  naturelle , 
qui  ne  pouvait  engendrer  qu'un  homme  :  si  bien 
que ,  pour  la  rendre  capable  d'engendrerunDieu, 
il  a  fallu,  dit  l'évangéliste,  que  le  Très-Haut  la 
couvrît  de  sa  vertu  ;  c'est-à-dire ,  qu'il  étendit  sur 
elle  sa  fécondité;  ^'irlus  AUissimi  obumbrabit 
tibi ^.  C'est  en  cette  sorte,  mes  sœurs ,  que  Marie 
est  associée  à  la  génération  éternelle. 

Mais  ce  Dieu,  qui  a  bien  voulu  lui  donner  son 
Fils,  lui  communiquer  sa  vertu,  répandre  sur 
elle  sa  fécondité;  pour  achever  son  ouvrage,  a 
dû  aussi  faire  couler  dans  son  chaste  sein  quel- 
que rayon ,  ou  quelque  étincelle  de  l'amour  qu'il 
a  pour  ce  Fils  unique,  qui  est  la  splendeur  de  sa 
gloire  et  la  vive  imag.e  de  sa  substance.  C'est  de 
là  qu'est  né  l'amour  de  Marie  :  il  s'est  fait  une 
effusion  du  cœur  de  Dieudans  le  sien;  et  l'amour 
qu'elle  a  pour  sou  fils,  lui  est  donné  de  la  même 
source  qui  lui  a  donné  son  fils  même.  Après  cette 
mystérieuse  communication ,  que  direz-vous ,  ô 
laison  humaine?  prétendrez-vous  pouvoir  com- 
prendre l'union  de  Marie  avec  Jésus-Christ;  car 
elle  tient  quelque  chose  de  cette  parffj^ite  unité  qui 
est  entre  le  Père  et  le  Fils?  ?^" 'entreprenez  pas 
non  plus  d'expliquer  quel  est  cet  amour  mater- 
nel qui  vient  d'une  source  si  haute,  et  qui  n'est 
qu'un  écoulement  de  l'amour  du  Père  pour  son 


*  Liir.  1 ,  35. 

*  S.  Bernard.  Scrm.  Il,  in  Annunt.  B.  Mar.  t.  I,  col.  977. 

*  lue.  i,3ô. 


Fils  unique  :  que  si  vous  n'êtes  pas  capable  d'en- 
tendre ni  sa  force  ni  sa  véhémence ,  croh'ez-vous 
pouvoir  vous  représenter  et  ses  mouvements  et 
ses  transports?  Chrétiens ,  il  n'est  pas  possible  ;  et 
tout  ce  que  nous  pouvons  entendre ,  c'est  qu'il  n'y 
eut  jamais  de  si  grand  effort  que  celui  que  faisait 
Marie  pour  se  réunir  à  Jésus,  ni  jamais  de  vio- 
lence pareille  à  celle  que  souffrait  son  cœur  dans 
cette  désunion. 

Après  la  triomphante  ascension  du  Sauveur  Jé- 
sus et  la  descente  tant  promise  de  l'Esprit  de  Dieu, 
vous  n'ignorez  pas  que  la  très-heureuse  Marie 
demeura  encore  assez  longtemps  sur  la  terre.  De 
vous  dire  quelles  étaient  ses  occupations,  et 
quels  ses  mérites  pendant  son  pèlerinage ,  je  n'es- 
time pas  que  ce  soit  un  chose  que  les  hommes 
doivent  entreprendre.  Si  aimer  Jésus,  si  être  aimé 
de  Jésus,  ce  sont  deux  choses  qui  attirent  les 
divines  bénédictions  sur  les  âmes,  quel  abîme 
de  grâces  n'avait  point ,  pour  ainsi  dire ,  inondé 
celle  de  Marie!  Qui  pourrait  décrire  l'impétuosité 
de  cet  amour  mutuel ,  à  laquelle  concourait  tout 
ce  que  la  nature  a  de  tendre ,  tout  ce  que  la  grâce 
a  d'efficace?  Jésus  ne  se  lassait  jamais  de  se  voir 
aimé  de  sa  mère  :  cette  sainte  mère  ne  croyait 
jamais  avoir  assez  d'amour  pour  cet  unique  et 
cebien-aimé;  elle  ne  demandait  autre  grâce  a 
son  fils ,  sinon  de  l'aimer,  et  cela  même  attirait 
sur  elle  de  nouvelles  grâces. 

Il  est  certain ,  chrétiens ,  nous  pouvons  bien 
avoir  ([uelque  idée  grossière  de  tous  ces  miracles; 
mais  de  concevoir  quelle  était  l'ardeur,  quelle  la 
véhémence  de  ses  torrents  de  flammes  qui  de 
Jésus  allaient  déborder  sur  Marie,  et  de  Marie 
retournaient  continuellement  à  Jésus  :  croyez- 
moi,  les  séraphins,  tout  brûlants  qu'ils  sont,  ne 
le  peuvent  faire.  Mesurez ,  si  vous  pouvez,  à  son 
amour  la  sainte  impatience  qu'elle  avait  d'être 
réunie  à  son  fils.  Parce  que  le  Fils  de  Dieu  ne 
désirait  rien  tant  que  ce  baptême  sanglant  '  qui 
devait  laver  nos  iniquités,  il  se  sentciit  pressé  en 
soi-même  d'une  manière  incroyable ,  jusqu'à  ce 
qu'il  fût  accompH.  Quoi!  il  aurait  eu  une  telle 
impatience  de  mourir  pour  nous,  et  sa  mère  n'en 
aurait  point  eu  de  vivre  avec  lui?  Si  le  grand 
apôtre  saint  Paul  *  veut  rompre  incontinent  les 
liens  du  corps,  pour  aller  chercher  son  maître  à 
la  droite  de  son  Père ,  quelle  devait  être  l'émotion 
du  sang  maternel!  Le  jeune  Tobie,  pour  une  ab- 
sence d'un  au,  perce  le  cœur  de  sa  mère  d'incon- 
solables douleurs.  Quelle  différence  entre  Jésu« 
et  Tobie!  et  quels  regrets  la  Vierge  [ne  ressen- 
tait-elle pas,  de  se  voir  si  longtemps   séparé^ 


'  Ltir.  XII ,  50. 
'  Pflil.  1,  21,23. 


262 


SUR  L'ASSOMPTION 


d'un  fils  qu'elle  ;i:  niait  uniquement  !]  Quoi  !  disait- 
elle  quand  elle  voyait  quelque  fidèle  partir  de  ce 
monde,  par  exemple;  saint  Etienne,  et  ainsi  des 
autres ,  quoi  1  mon  fils ,  à  quoi  me  réservez-vous 
désormais?  et  pourquoi  me  laissez- vous  ici  la  der- 
nière? S'il  ne  faut  que  du  sang  pour  m'ouvrir  les 
portes  du  ciel  ;  vous  qui  avez  voulu  que  votre  corps 
fût  formé  du  mien ,  vous  savez  bien  qu'il  est  prêt  à 
être  répandu  pour  votre  service.  J'ai  vu  dans  le 
temple  ce  saint  vieillard  Siméon,  après  vous  avoir 
amoureusement  embrassé ,  ne  demander  autre 
chose  que  de  quitter  bientôt  cette  vie  ;  tant  il  est 
doux  de  jouir  môme  un  moment  de  votre  pré- 
sence :  et  moi  je  ne  souhaiterais  point  de  mourir 
bientôt ,  pour  vous  aller  embrasser  au  saint  trône 
de  votre  gloire?  Après  m'avoir  amenée  au  pied 
de  votre  croix  pour  vous  voir  mourir,  comment 
me  refusez-vous  si  longtemps  de  vous  voir  ré- 
gner?Laissez ,  laissez  seulement  agir  mon  amour  ; 
il  aurabientôt  désuni  mon  âme  de  ce  corps  mor- 
tel, pour  me  transporter  à  vous  en  qui  seul  je 
vis. 

Si  vous  m'en  croyez ,  âmes  saintes ,  vous  ne 
travaillerez  pas  vos  esprits  à  chercher  d'autre 
cause  de  sa  mort.  Cet  amour  étant  si  ardent ,  si 
fort  et  si  enflammé  ;  il  ne  poussait  pas  un  seul  sou- 
pir, qui  ne  dût  rompre  tous  les  liens  de  ce  corps 
mortel  :  il  ne  formait  pas  un  regret,  qui  ne  dût 
en  troubler  toute  l'harmonie;  il  n'envoyait  pas 
un  désir  au  ciel ,  qui  ne  dût  tirer  avec  soi  l'âme 
de  Marie.  Ah!  je  vous  ai  dit,  chrétiens,  que  la 
mort  de  Marie  est  miraculeuse  ;  je  change  main- 
tenant de  discours  :  tellement  que  la  mort  n'est 
pas  le  miracle;  c'en  est  plutôt  la  cessation  :  le 
miracle  continuel ,  c'était  que  Marie  pût  vivre  sé- 
parée de  son  bien-airaé. 

Mais  pourrai-je  vous  dire  comment  a  fini  ce 
miracle ,  et  de  quelle  sorte  il  est  arrivé  que  l'a- 
mour lui  ait  donné  le  coup  de  la  mort?  est-ce 
quelque  désir  plus  enflammé ,  est-ce  quelque  mou- 
vement plus  actif,  est-ce  quelque  transport  plus 
violent ,  qui  est  venu  détacher  cette  âme  ?  S'il  m'est 
permis ,  chrétiens ,  de  vous  dire  ce  que  je  pense , 
j'attribue  ce  dernier  effet ,  non  point  à  des  mou- 
vements extraordinaires,  mais  à  la  seule  perfec- 
tion de  l'amour  de  la  sainte  Vierge.  Car  comme  ce 
divin  amour  régnait  dans  son  cœur  sans  aucun 
obstacle,  et  occupait  toutes  ses  pensées,  il  allait 
de  jour  en  jour  s'augmentant  par  son  action,  se 
perfectionnant  par  ses  désirs,  se  multipliant  par 
soi-même  :  d£  sorte  qu'il  vint  enfin,  s'étendant 
toujours,  à  une  telle  perfection,  que  la  terre  n'é- 
tait plus  capable  de  le  contenir.  Va,  mon  fils ,  di- 
sait ce  roi  grec*;  étends  bien  loin  tes  conquêtes  : 

Philippe  à  Alexandre. 


mou  royaume  est  trop  petit  pour  te  renfermer. 
0  amour  de  la  sainte  Vierge  !  ta  perfection  est 
trop  éminente,  tu  ne  peux  plus  tenir  dans  un 
corps  mortel  ;  ton  feu  pousse  des  flammes  trop 
vives,  pour  pouvoir  être  couvert  sous  cette  cen- 
dre. Va  briller  dans  l'éternité ,  va  brûler  devant 
la  face  de  Dieu  ;  va  te  perdre  dans  son  sein  im- 
mense ,  qui  seul  est  capable  de  te  contenir.  Alors 

I  la  divine  Vierge  rendit  sans  peine  et  sans  vio- 
lence ,  sa  sainte  et  bienheureuse  âme  entre  les 
mains  de  son  fils.  Il  ne  fut  pas  nécessaire  que  son 
amour  s'efforçât  par  des  mouvements  extraordi- 
naires. Comme  la  plus  légère  secousse  détache  de 
l'arbre  un  fruit  déjà  mûr;  comme  une  flamme 
s'élève  et  vole  d'elle-même  au  lieu  de  son  centre  : 
ainsi  fut  cueillie  cette  âme  bénite ,  pour  être  tout 
d'un  coup  transportée  au  ciel;  ainsi  mourut  la 
divine  Vierge  par  un  élan  de  l'amour  divin  :  son 
âme  fut  portée  au  ciel  sur  une  nuée  de  désirs  sa- 
crés. Et  c'est  ce  qui  fait  dire  aux  saints  anges  : 
"  Qui  est  celle-ci ,  qui  s'élève  comme  la  fumée 
«  odoriférante  d'une  composition  de  myrrhe  et 
«  d'encens?  «  Quœ  est  ista,  quœ  ascendil  sicut 
virgulafumi  ex  aromatibus  myrrhœ  et  thuris  ■  ? 
Belle  et  excellente  comparaison ,  qui  nous  expli- 
que admirablement  la  manière  de  cette  mort  heu- 
reuse et  tranquille.  Cette  fumée  odoriférante  que 
nous  voyons  s'élever  d'une  composition  de  par- 
fums, n'en  est  pas  arrachée  par  force,  ni  pous- 
sée dehors  avec  violence  :  une  chaleur  douce  et 
tempérée  la  détache  délicatement,  et  la  tourne  en 
une  vapeur  subtile  qui  s'élève  comme  d'elle-même. 
C'est  ainsi  que  l'âme  de  la  sainte  Vierge  a  été  sé- 
parée du  corps  :  on  n'en  a  pas  ébranlé  tous  les 
fondements  par  une  secousse  violente  ;  une  di- 
vine chaleur  l'a  détachée  doucement  du  corps, 
et  l'a  élevée  à  son  bien-aimé  sur  une  nuée  de 
saints  désirs.  C'est  son  chariot  de  triomphe  ;  c'est 
l'amour,  comme  vous  voyez ,  qui  l'a  lui-même 
construit  de  ses  propres  mains. 

Apprenons  de  là ,  chrétiens ,  à  désirer  Jésus- 
Christ  ,  puisqu'il  est  infiniment  désirable.  Mais 
qui  vous  désire ,  ô  Jésus  !  pourrai-je  bien  trouver 
dans  cette  audience  un  cœur  qui  soupire  après 
vous ,  et  à  qui  ce  corps  soit  à  charge?  Mes  sœurs , 
ces  chastes  désirs  se  trouvent  rarement  dans  le 
monde  ;  et  une  marque  bien  évidente  qu'on  dé- 
sire peu  Jésus-Christ ,  c'est  le  repos  que  l'on  sent 
dans  la  jouissance  des  biens  de  la  terre.  Lorsque 
la  fortune  vous  rit ,  et  que  vous  avez  tout  en- 
semble les  richesses  pour  fournir  aux  plaisirs,  et 

^  la  santé  pour  les  goûter  à  votre  aise;  en  vérité , 
chrétiens ,  souhaitez- vous  un  autre  paradis?  vous 
imaginez- vous  un  autre  bonheur?  Si  vous  laissez 

'  Cant.  m,   6. 


I 


I)K  L.\  SAINTE  VIERGE. 


96» 


parler  votre  cœur,  il  vous  dira  qu'il  se  trouve  bien. 
et  qu  il  se  couteiite  d'une  telle  vie.  Dans  cette 
disposition,  je  ne  crains  pas  de  vous  assurer 
que  vous  n'êtes  pas  chrétiens  :  et  si  vous  voulez 
mériter  ce  titre,  savez- vous  ce  qu'il  vous  faut 
faire?  Il  faut  que  vous  croyiez  que  tout  vous  man- 
que ,  lorsque  le  monde  croit  que  tout  vous  abonde  ; 
il  faut  que  vous  gémissiez  parmi  tout  ce  qui  plaît 
à  la  nature,  et  que  vous  n'espériez  jamais  de 
repos  que  lorsque  vous  serez  avec  Jésus-Christ. 
Autrement,  voici  un  beau  mot  de  saint  Augus- 
tin* :  «  Si  vous  ne  gémissez  pas  comme  voya- 
«  geurs,  vous  ne  vous  réjouirez  pas  comme  ci- 
«  toyens  :  »  Qui  non  gémit peregrinus,  nongau- 
flebit  civis;  c'est-à-dire ,  que  vous  ne  serez  jamais 
habitants  du  ciel ,  parce  que  vous  avez  voulu 
i'ètre  de  la  terre  :  refusant  le  travail  du  voyage , 
vous  n'aurez  pas  le  repos  de  la  patrie;  et  vous 
arrêtant  où  il  faut  marcher,  vous  n'arriverez  pas 
où  il  faut  parvenir.  C'est  pourquoi  Marie  a  tou- 
jours gérai  en  se  souvenant  de  Sion;  son  cœur 
n'avait  point  de  paix,  éloigné  de  son  bien-aimé. 
Enfin  ses  désirs  l'ont  conduite  à  lui ,  en  lui  don- 
nant une  heureuse  mort.  Mais  elle  ne  demeu- 
rera pas  longtemps  dans  son  ombre ,  et  la  sainte 
virginité  attirera  bientôt  sur  son  corps  une  in- 
fluence de  vie;  c'est  le  deuxième  point  de  ce  dis- 
cours. 

SECOND    POINT. 

Le  corps  sacré  de  Marie ,  le  trône  de  la  chas- 
teté ,  le  temple  de  la  sagesse  incarnée ,  l'organe 
du  Saint-Esprit  et  le  siège  de  la  vertu  du  Très- 
Haut,  n'a  pas  dû  demeurer  dans  le  tombeau;  et 
le  triomphe  de  Marie  serait  imparfait ,  s'il  s'ac- 
complissait dans  sa  sainte  chair  qui  a  été  comme 
la  source  de  sa  gloire.  Venez  donc,  vierges  de 
Jésus-Christ,  chastes  épouses  du  Sauveur  des 
âmes,  venez  admirer  les  beautés  de  cette  chair 
virginale ,  et  contempler  trois  merveilles  que  la 
sainte  virginité  opère  sur  elle.  La  sainte  virginité 
la  préserve  de  corruption;  et  ainsi  elle  lui  con- 
serve l'être  :  la  sainte  virginité  lui  attire  une  in- 
fluence céleste ,  qui  la  fait  ressusciter  avant  le 
temps  ;  ainsi  elle  lui  rend  la  vie  :  la  sainte  virgi- 
nité répand  sur  elle  de  toutes  parts  une  lumière 
divine  ;  et  ainsi  elle  lui  donne  la  gloire.  C'est  ce 
qu'il  nous  faut  expliquer  par  ordre. 

Je  dis  donc ,  avant  toutes  choses ,  que  la  sainte 
virginité  est  comme  un  baume  divin ,  qui  pré- 
serve de  corruption  le  corps  de  Marie  ;  et  vous 
en  serez  convaincues,  si  vous  méditez  attentive- 
ment quelle  a  été  la  perfection  de  sa  pureté  vir- 
ginale. Pour  nous  en  former  quelque  idée ,  po- 

In  Psal.  C7LTia,  n'  4,  i.  iv,  ooi.  iG75, 


sons  d'abord  ce  principe  :  que  Jésus-Christ  notr» 
Sauveur,  étant  uni  si  étroitement ,  selon  la  chair, 
à  la  sainte  Vierge,  cette  union  si  particulière  a 
dû  nécessairement  être  accompagnée  d'une  en- 
tière conformité.  Jésus  a  cherché  son  semblable; 
et  c'est  pourquoi  cet  Époux  des  vierges  a  voulu, 
avoir  une  mère  vierge  :  afin  d'établir  cette  ressema 
blance  comme  le  fondement  de  cette  union.  Cette 
vérité  étant  supposée ,  vous  jugez  bien ,  âmn 
chrétiennes,  qu'il  ne  faut  rien  penser  de  commun 
de  la  pureté  de  Marie.  Non ,  jamais  vous  ne  vous  en 
formerez  une  juste  idée;  jamais  vous  n'en  com- 
prendrez la  perfection ,  jusqu'à  ce  que  vous  ayez 
entendu  qu'elle  a  opéré  dans  cette  vierge-mère 
une  parfaite  intégrité  d'esprit  et  de  corps.  Et  c'est 
ce  qui  a  fait  dire  au  grand  saint  Thomas  '  qu'une 
grâce  extraordinaire  a  répandu  sur  elle,  avec 
abondance,  une  céleste  rosée,  qui  a  non-seule- 
ment tempéré, comme  dans  les  autres  élus,  mais 
éteint  tout  le  feu  de  la  convoitise,  c'est-à-dire, 
non-seulement  les  mauvaises  œuvres,  qui  sont 
comme  l'embrasement  qu'elle  excite,  non-seule- 
ment les  mauvais  désirs,  qui  sont  comme  la 
flamme  qu'elle  pousse ,  et  les  mauvaises  inclina- 
tions, qui  sont  comme  l'ardeur  qu'elle  entre- 
tient ,  mais  encore  le  brasier  et  le  foyer  même  , 
comme  parle  la  théologie,  fomes peccati  :  c'est- 
à-dire  ,  selon  son  langage ,  la  racine  la  plus  pro- 
fonde et  la  cause  la  plus  intime  du  mal.  Après 
cela,  chrétiens,  comment  la  chair  de  la  saint»' 
Vierge  aurait-elle  été  corrompue,  à  laquelle  b 
virginité  d'esprit  et  de  corps,  et  cette  parfaite 
conformité  avec  Jésus-Christ,  a  ôté,  avec  le 
foyer  de  la  convoitise,  tout  le  principe  de  cor- 
ruption? 

Car  ne  vous  persuadez  pas  que  nous  devions 
considérer  la  corruption ,  selon  les  raisonnements 
de  la  médecine,  comme  une  suite  naturelle  de  la 
composition  et  du  mélange.  Il  faut  élever  plus 
haut  nos  pensées;  et  croire,  selon  les  principes 
du  christianisme ,  que  ce  qui  engage  la  chair  à 
la  nécessité  d'être  corrompue ,  c'est  qu'elle  est 
un  attrait  au  mal ,  une  source  de  mauvais  dé- 
sirs, enfin  «  une  chair  de  péché,  »  comme  parle 
l'apôtre  saint  Paul*,  caro  peccati.  Une  telle 
chair  doit  être  détruite ,  je  dis  même  dans  les 
élus  ;  parce  qu'en  cet  état  de  chair  de  péché  elle 
ne  mérite  pas  d'être  réunie  à  une  âme  bienheu- 
reuse ni  d'entrer  dans  le  royaume  de  Dieu ,  «  que 
«  la  chair  et  le  sang  ne  sauraient  posséder  :  » 
Caro  et  sanguis  regnum  Deinon possidebunt^. 
Il  faut  donc  qu'elle  change  sa  première  forme, 
afin  d'être  renouvelée ,  et  qu'elle  perde  tout  si>d 

•  ni.  part.  Quœst.  xwii.  Art.  3. 
'  Rom.  viir,  3 
^  1.  Cur.  XV,  >i. 


264 


SUR  L'ASSOMPTION 


premier  être,  pour  en  recevoir  uu  second  de  la 
main  de  Dieu.  Comme  un  vieux  bâtiment  irré- 
guiier  qu'où  laisse  tomber  pièce  ù  pièce;  afin  de 
le  dresser  de  nouveau  dans  un  plus  bel  ordre 
d'architecture  :  il  en  est  de  même  de  cette  chair 
toute  déréglée  par  la  convoitise.  Dieu  la  laisse 
tomber  en  ruine,  afin  de  la  refaire  à  sa  mode,  et 
selon  le  premier  plan  de  sa  création.  C'est  ainsi 
qu'il  faut  raisonner  de  la  corruption  de  la  chair, 
selon  les  principes  de  l'Évangile  :  c'est  de  là  que 
nous  apprenons  qu'il  faut  que  notre  chair  soit  ré- 
duite en  poudre ,  parce  qu'elle  a  servi  au  péché  ; 
et  de  là  aussi  nous  devons  entendre  que  celle  de 
Marie  étant  toute  pure,  elle  doit  par  conséquent 
être  incorruptible. 

C'est  aussi  pour  la  même  cause  qu'elle  a  dû 
recevoir  l'immortalité ,  par  une  résurrection  an- 
ticipée :  car  encore  que  Dieu  ait  marqué  un  terme 
commun  à  la  résurrection  de  tous  les  morts; 
il  y  a  des  raisons  particulières,  qui  peuvent  l'o- 
bliger d'avancer  le  temps  en  faveur  de  la  sainte 
Vierge.  Le  soleil  ne  produit  les  fruits  que  dans 
leur  saison  :  mais  nous  voyons  des  terres  si  bien 
cultivées ,  qu'elles  attirent  une  action  plus  efficace 
et  plus  prompte.  Il  y  a  aussi  des  arbres  hâtifs 
dans  le  jardin  de  notre  Époux  ;  et  la  sainte  chair 
de  Marie  est  une  matière  trop  bien  préparée  pour 
attendre  le  terme  ordinaire  à  produire  des  fruits 
d'immortalité.  Sa  pureté  virginale  lui  attire  une 
influence  particulière  :  sa  conformité  avec  Jésus- 
Christ  la  dispose  à  recevoir  un  effet  plus  prompt 
de  sa  vertu  vivifiante.  Et  certainement,  chré- 
tiens, elle  peut  bien  attirer  sa  vertu,  puisqu'elle 
l'a  attiré  lui-même.  Il  est  venu  en  cette  chair , 
charmé  par  sa  pureté;  il  a  aimé  cette  chair  jus- 
qu'à s'y  renfermer  durant  neuf  mois ,  jusqu'à  s'in- 
corporer avec  elle ,  ".  jusqu'à  prendre  racine  en 
r  elle,  «  comme  parle  Tertullien  :  In  utero  radicem 
egitK  ïl  ne  laissera  donc  pas  dans  le  tombeau 
cette  chair  qu'il  a  tant  aimée;  mais  il  la  transpor- 
tera dans  le  ciel ,  ornée  d'une  gloire  immortelle. 

La  sainte  virginité  servira  encore  à  Marie ,  pour 
lui  donner  cet  habit  de  gloire;  et  en  voici  la  rai- 
son :  Jésus-Christ  nous  représente  dans  son  Évan- 
gile, la  gloire  des  corps  ressuscites  par  cette  belle 
parole  :  «  Ils  seront  comme  les  anges  de  Dieu  :  « 
Enmt  sicut  angcli  Dei^.  Et  c'est  pour  cela  que 
Tertullien  parlant  de  la  chair  ressuscitée,  l'ap- 
pelle «  une  chair  angélisée,  »  angelificata  caro  ^. 
Or,  de  toutes  les  vertus  chrétiennes,  celle  qui 
peut  le  mieux  produire  uu  si  bel  effet,  c'est  la 
saùite  virginité;  c'est  celle  qui  fait  des  anges  sur 

Came  CJ'^isti.  n"  21. 
tth.  xxxii,  30 
liesiir.  carn.  n"  20. 


la  terre;  c'est  elle  dont  saint  Augustin  a  dit  ce 
beau  mot  :  Habct  allquid  jani  non  carnis  in 
came  '  :  «  Elle  a  au  milieu  de  la  chair  quelque 
«  chose  qui  n'est  pas  de  la  chair,  »  et  qui  tient  de 
l'ange  phitôt  que  de  l'homme.  Celle  qui  fait  des 
anges  dès  cette  vie,  en  pourra  bien  faire  en  la  vie 
future  ;  et  ainsi  j'ai  eu  raison  de  vous  assurer 
qu'elle  a  une  vertu  particulière ,  j)our  contribuer 
dans  les  derniers  temps  à  la  gloire  des  corps  res- 
suscites. Jugez  par  là,  chrétiens,  de  quel  éclat, 
de  quelle  lumière  sera  environné  celui  de  Marie, 
qui  surpasse  par  sa  pureté  les  séraphins  mêmes. 
Aussi  l'Ecriture  sainte  cherche- t-elle  des  expres- 
sions extraordinaires,  afin  de  nous  représenter 
un  si  gi'and  éclat.  Pour  nous  en  tracer  quelque 
image,  à  peine  trouve-t-elle  dans  le  monde  assez 
de  rayons  ;  il  a  fallu  ramasser  tout  ce  qu'il  y  a  de 
lumineux  dans  la  nature.  Elle  a  mis  la  lune  à  ses 
pieds,  les  étoiles  autour  de  sa  tête.  Au  reste,  le 
soleil  la  pénètre  toute  et  l'environne  de  ses  rayons  : 
Millier  amicia  sole''  :  tant  il  a  fallu  de  gloire  et 
d'éclat,  pour  orner  ce  corps  virginal. 

Vierges  de  Jésus-Christ,  réjouissez- vous  à  ce 
beau  spectacle  ;  songez  à  quels  honneurs  la  sainte 
virginité  prépare  vos  corps  :  elle  les  purifie,  elle 
les  consacre;  elle  y  éteint  la  concupiscence,  elle 
y  mortifie  les  mauvais  désirs  :  et  par  tant  de  sain- 
tes préparations ,  elle  dispose  cette  chair  mortelle 
à  une  lumière  incorruptible.  Apprenez  donc, 
mes  très-chères  sœurs,  à  estimer  ce  sacré  trésor 
que  vous  portez  dans  des  vaisseaux  de  terre  : 
Habemus  autem  thesaurum  istiim  in  vasisjic- 
tilibus  3.  Renouvelez-vous  tous  les  jours  par  l'a- 
mour de  la  pureté,  ne  'souffrez  pas  qu'elle  soit 
souillée  par  la  moindre  attache  du  corps;  et  si 
vous  êtes  jalouses  delapuretéde  la  chair,  soyez- 
les  encore  beaucoup  davantage  de  la  pureté  de 
l'esprit.  Par  ce  moyen,  vous  serez  les  dignes  com- 
pagnes de  la  bienheureuse  Marie;  et  portant  ses 
glorieuses  livrées  vous  suivrez  de  plus  près  son 
char  de  triomphe,  dans  lequel  elle  va  monter  à 
son  trône.  Avancez-vous  donc  pour  la  suivre; 
elle  se  prépare  à  marcher  et  elle  va  monter  au 
ciel  qui  l'attend.  Les  préparatifs  sont  achevés  : 
l'amour  divin  a  fait  son  office ,  et  lui  a  ôté  sa 
robe  mortelle;  la  sainte  virginité  lui  a  mis  son 
habit  royal  :  je  vois  l'humilité  qui  lui  tend  la  main, 
et  qui  s'avance  pour  la  placer  dans  son  trône. 
C'est  ce  qui  doit  finir  la  cérémonie,  et  faire  le 
dernier  point  de  ce  discours. 

TBOISIÈME  POINT. 

Puisque  c'est  Ihumilité  seule  qai  a  fuil  le 

'  De  sancla  Firginil.  n"  12,  t.  VI,  col.  3i6. 
'  ^por.  XII ,  2. 
5  II.  Cor.  iv,7. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


2GÔ 


triomphe  de  Jésus-Christ,  il  faut  qu  elle  fasse  aussi 
eeliii  de  Marie;  et  sa  gloire  ne  lui  plairait  pas, 
si  elle  y  entrait  par  une  autre  voie  que  par  celle 
que  son  lils  a  voulu  choisir.  Elle  s'élève  donc  par 
l'humilité,  et  voici  en  quelle  manière  :  vous  n'i- 
gnorez pas ,  chrétiens ,  que  le  propre  de  l'humi- 
lité, c'est  de  s'appauvrir  elle-même,  si  je  puis 
parler  de  la  sorte ,  et  de  se  dépouiller  de  ses  avan- 
tages; mais  aussi,  par  un  retour  merveilleux, 
elle  s'enrichit  en  se  dépouillant  :  parce  qu'elle 
s'assure  tout  ce  qu'elle  s'ôle;  et  rien  ne  lui  con- 
vient mieux  que  celte  belle  parole  de  saint  Paul , 
ianquam  nihil hahentes  et omnm  jwssidentes^ 
qu'elle  n'a  rien  et  possède  tout.  Je  pourrais  établir 
cette  vcrité  sur  une  doctrine  solide  et  évangéli- 
que  ;  mais  il  est  plus  convenable  à  cette  journée 
et  à  l'ordre  de  mon  discours ,  de  vous  en  montrer 
la  pratique  par  l'exemple  de  la  sainte  Vierge. 

Elle. possédait  trois  biens  précieux  :  une  haute 
dignité,  une  pureté  admirable  de  corps  et  d'es- 
prit ,  et,  ce  qui  est  au-dessus  de  tous  les  trésors, 
elle  possédait  Jésus-Christ;  elle  avait  un  fils  bien- 
aimé,  «  dans  lequel,  dit  le  saint  apôtre,  habitait 
«  toute  plénitude  :  >'  In  ipso placuit  omnem ple- 
niludinem  inhabilare^.  Voilà  une  créature  dis- 
tinguée excellemment  de  toutes  les  autres  ;  mais 
son  humilité  très-profonde  la  dépouillera,  en 
quelque  façon ,  de  ces  merveilleux  avantages.  Elle 
qui  est  élevée  au-dessus  de  tous  par  la  dignité 
de  mère  de  Dieu ,  se  range  dans  le  commun  par 
la  qualité  de  servante  :  elle  qui  est  séparée  de 
tous,  par  sa  pureté  immaculée,  se  mêle  parmi 
les  pécheurs,  en  se  purifiant  avec  les  autres. 
Voyez  quelle  se  dépouille,  en  s'iiumiliant,  de 
l'honneur  de  sa  qualité ,  et  de  la  prérogative  de 
son  innocence.  Mais  voici  quelque  chose  de  plus; 
elle  perd  jusqu'à  son  fils  sur  le  Calvaire  :  et  je  ne 
dis  pas  seulement  qu'elle  perd  son  fils,  parce 
qu'elle  le  voit  mourir  d'une  mort  cruelle;  mais 
elle  le  perd  ce  fils  bien-aimé ,  parce  qu'il  cesse  en 
quelque  sorte  d'être  son  fils,  et  qu'il  lui  en  subs- 
titue un  autre  en  sa  place  :  «  Femme,  lui  dit-il , 
«  voilà  votre  fils'.  » 

Méditez  ceci ,  chrétiens  ;  et  encore  que  cette 
pensée  semble  peut-être  un  peu  extraordinaire , 
vous  verrez  néanmoins  qu'elle  est  bien  fondée. 
Il  semble  que  le  Sauveur  ne  la  connaît  plus  pour 
sa  mère  ;  il  l'appelle  femme ,  et  non  pas  sa  mère  : 
•»  Femme,  lui  dit-il ,  voilà  votre  fils.  »  Il  ne  parle 
pas  ainsi  sans  mystère  :  il  est  dans  un  état  d'hu- 
miliation ;  et  il  faut  que  sa  sainte  mère  y  soit  avec 
lui.  Jésus  a  un  Dieu  pour  son  père,  et  Maiie  un 
Dieu  pour  son  fils.  Ce  divin  Sauveur  a  perdu  son 

'  II.  Cor.  VI,  10. 
'  Coloss.  I,  19. 
»  Joan.  XIX ,  *26. 


père,  et  il  ne  l'appelle  plus  que  son  Dieu.  II  faut 
que  Marie  perde  aussi  sou  fils  :  il  ne  l'appelle  que 
du  nom  de  femme,  et  il  ne  lui  donne  point  le 
nom  de  sa  mère.  Mais  ce  qui  est  le  plus  humi- 
liant pour  la  sainte  Vierge,  c'est  qu'il  lui  donne 
un  autre  fils  ;  comme  si  désormais  il  cessait  de 
l'être ,  et  comme  s'il  rompait  le  nœud  d'une  si 
sainte  alliance  :  «  Voilà ,  dit-il ,  votre  fils  :  »  Ecce 
filius  tuus.  Et  en  voici  la  raison  :  durant  les  jours 
de  sa  chair,  c'est-à-dire ,  pendant  le  temps  de  sa 
vie  mortelle,  il  rendait  à  sa  sainte  mère  les  de- 
voirs et  les  services  d'un  fils;  il  était  sa  consola- 
tion et  l'unique  appui  de  sa  vieillesse  :  mainte- 
nant ,  qu'il  va  entrer  dans  sa  gloire ,  il  prendra 
des  sentiments  plus  dignes  d'un  Dieu  ;  et  c'est 
pourquoi  il  laisse  à  un  autre  les  devoirs  de  la 
piété  naturelle.  Je  ne  le  dis  pas  de  moi-même , 
et  j'ai  appris  ce  mystère  du  grand  saint  Paulin  : 
Jam  Salvator  ab  humanafra(jilitate,qua  erat 
natus  ex  femina,  per  crucis  mortem  demi- 
grans  in   œlemitaiem  Dei,  delegat  homini 
jura  pietatis  humanœ  '  :  «  Jésus  étant  près  de 
«  passer  de  la  fragilité  humaine,  par  laquelle  il 
«  était  né  d'une  femme,  à  la  gloire  et  à  l'éternité 
«  de  son  Père;  que  fait-il?  Delegat;  il  donne 
«  saint  Jean  pour  fils  à  Marie ,  et  il  laisse  à  un 
«  homme  mortel  les  sentiments  de  la  piété  hu- 
«  maine.  » 
j      Voilà  donc  Marie  qui  n'a  plus  son  fils  ;  Jésus , 
!  son  fils  bien-aimé ,  a  cédé  ses  droits  à  saint  Jean  ; 
1  et  elle  passe  en  ce  triste  état  une  longue  suite 
i  d'années.  Elle  se  plaint  au  divin  Sauveur  :  0 
1  Jésus  ma  consolation ,  [wurquoi  me  laissez -vous 
si  longtemps?  Jésus  ne  l'écoute  pas,  et  la  laisse 
entre  les  mains  de  saint  Jean.  Quelle  vive  avec 
I  saint  Jean,  qu'elle  se  console  avec  saint  Jean; 
:  c'est  le  fils  que  Jésus  lui  donne.  C'est  votre  fils , 
!  lui  dîL-il;  consolez-vous  avec  lui.  Chrétiens, 
!  quel  est  cet  échange?  0  commutationem!  s'écrie 
'  saint  Bernard';  on  lui  donne  Jean  pour  Jésus,  le 
i  serviieur  pour  le  maître ,  le  fils  de  Zébédée  pour 
[  le  Fils  de  Dieu.  Il  plaît  à  son  fils  de  l'humilier; 
saint  Jean  prend  la  liberté  de  la  reconnaître  pour 
mère  :  elle  accepte  humblement  l'échange;  et  cet 
amour  maternel  accoutumé  à  un  Dieu ,  ne  refuse 
pas  de  se  rabaisser  jusqu'à  se  terminer  à  un 
homme.  Oui,  dit-elle,  je  veux  bien  cet  homme, 
et  je  ne  méritais  pas  d'être  la  mère  d'un  Dieu  : 
tant  son  humilité  est  profonde ,  tant  sa  soumission 
est  admirable. 

Reprenons  tout  ceci,  messieurs,  et  rassemblons 
maintenant  en  un  tous  ces  actes  d'humilité  de  la 
sainte  Vierge.  Sa  dignité  ne  paraît  plus  ;  elle  la 


'  Ad.  Auyusl  Ep.  L,  n»  17. 

'  Serni.  Ùom.  inf.  Oct.  Asiumpt.  n»  iô,  t  1,  ccX.  îM3. 


2G6 


SUR  L'ASSOMPTION 


couvre  sous  l'ombre  de  la  servitude  :  sa  pureté 
se  retire ,  cachée  sous  les  marques  du  péché  ; 
elle  quitte  jusqu'à  son  fils ,  et  elle  consent  par 
humilité  d'en  avoir  un  autre.  Ainsi  vous  voyez 
qu'elle  a  tout  perdu ,  et  que  son  humilité  l'a  en- 
tièrement dépouillée ,  tanquam  nihil  habentes. 
Mais  voyons  la  suite ,  mes  sœurs ,  et  vous  verrez 
que  cette  humilité,  qui  la  dépouille,  lui  rend 
tout  avec  avantange,  et  omnia  possidentes. 

0  mère  de  Jésus- Christ  !  parce  que  vous  vous 
êtes  appelée  servante ,  aujourd'hui  l'humilité  vous 
prépare  un  trône  :  montez  en  cette  place  émi- 
nente,  et  recevez  l'empire  absolu  sur  toutes  les 
créatures.  0  Vierge  toute  sainte  et  tout  inno- 
cente ,  plus  pure  que  les  rayons  du  soleil  !  vous 
avez  voulu  vous  purifier  et  vous  mêler  parmi  les 
pécheurs  ;  votre  humilité  vous  va  relever  :  vous 
serez  l'avocate  de  tous  les  pécheurs;  vous  serez 
leur  second  refuge,  et  leur  principale  espérance 
après  Jésus-Christ,  refugium  peccatoruîn.  En- 
fin vous  aviez  perdu  votre  fils;  il  semblait  qu'il 
vous  eût  quittée,  vous  laissant  gémir  si  longtemps 
dans  cette  terre  étrangère  :  parce  que  vous  avez 
subi  avec  patience  une  telle  humiliation,  ce  fils 
veut  rentrer  dans  ses  droits  qu'il  n'avait  cédés  à 
Jean  que  pour  peu  de  temps.  Je  le  vois,  il  vous 
tend  les  bras  ;  et  toute  la  cour  céleste  vous  ad- 
mire ,  ô  heureuse  Vierge ,  montant  au  ciel  pleine 
de  délices  et  appuyée  sur  ce  bien-aimé ,  innixa 
super  dilectum  suum  \ 

Certes,  divine  Vierge,  vous  êtes  véritable- 
ment appuyée  sur  ce  bien-aimé  :  c'est  de  lui  que 
vous  tirez  toute  votre  gloire  ;  sa  miséricorde  est 
le  fondement  de  tous  vos  mérites.  Cieux,  s'il  est 
vrai  que ,  par  vos  immuables  accords ,  vous  entre- 
teniez l'harmonie  de  cet  univers,  entonnez  sur 
un  chant  nouveau  un  cantique  de  louanges  :  les 
vertus  célestes,  qui  règlent  vos  mouvements, 
vous  invitent  à  donner  quelque  marque  de  ré- 
jouissance. Pour  moi ,  s'il  est  permis  de  mêler  nos 
conceptions  à  des  secrets  si  augustes,  je  m'ima- 
gine que  Moïse  ne  put  s'empêcher,  voyant  cette 
Reine ,  de  répéter  cette  belle  prophétie  qu'il  nous 
a  laissée  dans  ses  Livres  :  «  Il  sortira  une  étoile 
«  de  Jacob ,  et  une  branche  s'élèvera  d'Israël  *.  » 
Isaïe ,  enivré  de  l'Esprit  de  Dieu ,  chanta  dans  un 
ravissement  incompréhensible  :  «  Voici  cette 
«  Vierge quidevaitconcevoiretenfanterunflls^.  « 
Ézéchiel  reconnut  cette  porte  close  ^ ,  par  laquelle 
personne  n'est  jamais  entré  ni  sorti ,  parce  que 
ç;'est  par  elle  que  le  Seigneur  des  batailles  a  fait 
son  entrée.  Et  au  milieu  d'eux  le  prophète  royal 

*  Cant.  vin,  5. 
'  iXiini.  XXIV,  17. 
'  7s.  VII,  H. 

<  Ezcch.  xuv ,  2. 


David  animait  une  lyre  céleste  par  cet  admirable 
cantique  '  :  «  Je  vois  à  votre  droite ,  ô  mon  Prince, 
«  une  Reine  en  habillement  d'or  enrichi  d'une 
«  merveilleuse  variété.  Toute  la  gloire  de  cette  fille 
«  de  roi  est  intérieure;  elle  est  néanmoins  parée 
«  d'une  broderie  toute  divine.  Les  vierges  après 
«  elle  se  présenteront  à  mon  Roi  ;  on  les  lui  amè- 
n  nera  dans  son  temple  avec  une  sainte  allégresse.  » 
Cependant  la  Vierge  elle-même  tenait  les  esprits 
bienheureux  dans  un  respectueux  silence,  tirant 
encore  une  fois  du  fond  de  son  cœur  ces  excel- 
lentes paroles  :  «  Mon  âme  exalte  le  Seigneur  de 
«  tout  son  pouvoir,  et  mon  esprit  est  saisi  d'une 
«  joie  infinie  en  Dieu  mon  Sauveur,  parce  qu'il  a 
«  regardé  le  néant  de  sa  servante  :  et  voici  que 
«  toutes  les  générations  m'estimeront  bienheu- 
«  reuse  \  »  Voilà ,  mes  très-chères  sœurs,  quelle 
est  l'entrée  de  la  sainte  Vierge  :  la  cérémonie  est 
conclue;  toute  cette  pompe  sacrée  est  finie.  Marie 
est  placée  dans  son  trône,  entre  les  bras  de  son 
fils ,  dans  ce  midi  éternel ,  comme  parle  le  grand 
saint  Bernard  ;  et  la  sainte  humilité  a  fait  cet  ou- 
vrage. 

Que  reste-t-il  maintenant,  sinon  que  nous  ren- 
dions nos  respects  à  cette  auguste  Souveraine , 
et  que ,  la  voyant  si  près  de  son  fils ,  nous  la  prions 
de  nous  assister  par  ses  intercessions  toutes-puis- 
santes? C'est  à  elle,  dit  le  dévot  saint  Bernard, 
qu'il  appartient  véritablement  de  parler  au  cœur 
de  Jésus  :  Quis  tam  idoneus  ut  loquaiur  ad  cor 
Domini  nostri  Jésus- Chrisii,  ut  tufelix  Ma- 
ria ^  ?  Elle  y  a  une  fidèle  correspondance ,  je  veux 
dire,  l'amour  filial ,  qui  viendra  recevoir  l'amour 
maternel,  et  accomplira  ses  désirs.  Qu'elle  parle 
donc  pour  nous  à  ce  cœur,  et  qu'elle  nous  ob- 
tienne par  ses  prières  le  don  de  l'humilité  ! 

0  sainte ,  ô  bienheureuse  Marie  !  puisque  vous 
êtes  avec  Jésus-Christ ,  jouissant  dans  ce  midi 
éternel,  avec  une  pleine  allégresse,  de  sa  sainte 
et  bienheureuse  familiarité ,  parlez  pour  nous  à 
son  cœur  ;  parlez ,  car  votre  fils  vous  écoute.  Nous 
ne  vous  demandons  pas  les  grandeurs  humaines  : 
impétrez-nous  seulement  cette  humifité  par  la- 
quelle vous  avez  été  couronnée  ;  impétrez-la  à 
ces  saintes  filles,  et  à  toute  cette  audience;  et 
faites ,  ô  Vierge  sacrée ,  que  tous  ceux  qui  ont  cé- 
lébré votre  assomption  glorieuse  entrent  profon- 
dément dans  cette  pensée,  qu'il  n'y  a  aucune 
grandeur  qui  ne  soit  appuyée  sur  l'humilité;  que 
c'est  elle  seule  qui  fait  les  triomphes  et  qui  distri- 
bue les  couronnes  ;  et  qu'enfin  il  n'est  rien  de  plus 
véritable  que  cette  parole  de  l'Évangile ,  que 


'  Ps.  xuv,  10,  14,  15,  ic. 
'  Luc.  1 ,  46. 

3  Ad.  Beat.  Firg.  Serm.  Panegyr.  n"  7,  mt.  Opet.  S,  Ber- 
nard, t.  II ,  col.  690. 


DE  LA  SALNTE  VIERGE. 


2G7 


«  celui  qui  s'abaisse  durant  sa  vie,  sera  exalté  à 
«  jamais  dans  la  félicite  éternelle,  »  où  nous  con 
duise  le  Père,  le  Fils,  et  le  Saint-Esprit.  Amen. 


DEUXIÈME  SEMION 

POUR  LA  FÊTE 

DE  L'ASSOMPTION  DE  LA  SAINTE  VIERGE, 

PRÊCHÉ    DEVANT  LA  REIKE. 

Effets  de  l'amour  divin  en  Marie.  Pourquoi  l'amour  n'est-il 
dû  qu'à  Dieu  seul.  D'où  est  né  l'amour  de  la  sainte  Vierge  : 
cet  amour  capable  de  lui  donner  la  mort  à  chaque  instant. 
Quel  soutien  cherchait  son  amour  languissant.  Marie  laùœée 
au  monde  pour  consoler  l'ÉgUse.  Point  d'autre  cause  de  la 
mort  de  Marie  que  son  amour.  Quel  est  le  principe  de  son 
triomphe ,  et  quels  en  sont  les  caractères 


Dilectus  meus  mihi ,  et  ego  Uli. 

lion  bien-aimé  est  à  moi,  et  moi  je  suis  à  lui.  Cant. 
II,  16. 

En  cette  sainte  journée  et  durant  toute  cette 
octave  on  n'entendra  résonner  dans  toute  l'É- 
glise que  les  paroles  du  sacré  Cantique.  Tout  re- 
tentira des  douceurs  et  des  caresses  réciproques 
de  l'Époux  et  de  l'Épouse  :  on  verra  celle-ci  par- 
courir tous  les  jardins  et  tous  les  parterres ,  et 
ramasser  toutes  les  fleurs  et  tous  les  fruits  pour 
faire  des  bouquets  et  des  présents  à  son  bien- 
aimé  ;  et  le  bien-aimé ,  réciproquement ,  chercher 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  riche  et  de  plus  agréable 
dans  la  nature  pour  représenter  les  beautés  et 
les  charmes  de  sa  bien-aimée.  En  un  mot,  on 
n'entendra  pendant  ces  jours  que  la  céleste  mé- 
lodie du  Cantique  des  cantiques;  et  par  là  l'É- 
glise veut  que  nous  concevions  que  le  mystère 
de  cette  journée  est  le  mystère  du  saint  amour. 
Suivons  ses  intentions  ;  parlons  aujourd'hui,  mes 
frères ,  des  délices ,  des  chastes  impatiences  et  des 
douceurs  ravissantes  de  l'amour  divin,  et  contem- 
plons-en les  effets  en  la  divine  Marie. 

Trois  choses  considérables  me  paraissent  prin- 
cipalement devoir  nous  occuper  dans  ce  discours  ; 
la  vie  de  la  sainte  Vierge,  la  mort  de  la  sainte 
Vierge,  le  triomphe  de  la  sainte  Vierge  :  et  j'ai 
dessein  de  vous  faire  voir,  et  que  c'est  l'amour 
qui  la  faisait  vivre,  et  que  c'est  l'amour  qui  l'a 
fait  mourir,  et  que  c'est  aussi  l'amour  qui  a  fait 
la  gloire  de  son  triomphe.  Comment  peut-on  com- 
prendre que  l'amour  seul  opère  de  si  grands  ef- 
fets ,  et  des  effets  si  contraires  ?  si  c'est  l'amour 
qui  donne  la  vie,  peut-il  après  cela  donner  la 
mort?  L'amour  a  une  force  qui  fait  vivre  ;  l'amour 
a  des  langueurs  qui  font  défaillir.  Regardez  cette 
force  que  l'amour  inspire ,  qui  excite ,  qui  anime , 
qui  soutient  le  cœur;  vous  verrez  facilement 
que  l'amour  fait  vivre.  Regardez  les  faiblesses, 


les  défaillances  et  les  langueurs  de  l'amour  ;  et 
vous  n'aurez  pas  de  peine  à  comprendre ,  que  l'a- 
mour peut  faire  mourir.  Mais  comment  peut-il 
ensuite  faire  triompher?  C'est  qu'outre  sa  force 
qui  anime ,  et  sa  faiblesse  qui  tue,  il  a  ses  gran- 
deurs, se?  sublimités ,  ses  élévations ,  ses  magni- 
ficences; et  tout  cela  ne  suffit-il  pas  pour  la 
pompe  d'un  triomphe?  Entrons  donc  maintenant 
en  notre  sujet;  et  faisons  voir,  par  ordre ,  la  force 
du  saint  amour,  qui  a  donné  la  vie  à  la  sainte 
Vierge;  les  impatiences  défaillantes  du  saint 
amour,  qui  lui  ont  donné  la  mort  ;  les  sublimités 
du  saint  amour,  qui  ont  fait  la  majesté  de  son 
triomphe.  C'est  le  sujet  de  ce  discours. 

PREMIEH   POINT. 

Comme  je  ne  ferai  autre  chose  dans  cet  en- 
tretien que  de  vous  parler  des  mystères  de  l'a- 
mour, je  me  sens  obligé  d'abord  de  vous  avertir 
que  vous  devez  soigneusement  éloigner  de  vos 
esprits  toutes  les  idées  de  l'amour  profane.  Et 
pour  contribuer  ce  que  je  puis ,  à  les  bannir  de 
mon  auditoire ,  je  vous  prie ,  au  nom  de  celle  qui 
n'eût  pas  voulu  être  mère  si  elle  n'eût  pu  en  même 
temps  être  vierge,  de  ne  penser  qu'à  l'amour 
chaste,  par  lequel  l'âme  s'efforce  de  se  réunir 
à  son  auteur.  Pour  cela,  imprimez  dans  vos  cœurs 
cette  vérité  fondamentale  :  que  l'amour,  dans  son 
origine,  n'est  dû  qu'à  Dieu  seul ,  et  que  c'est  un 
vol  sacrilège  de  le  consacrer  à  un  autre  qu'à  lui. 

Et  nous  en  serons  convaincus ,  si  peu  que  nous 
voulions  considérer  ce  que  nous  entendons  par  le 
nom  d'amour.  Car  qu'est-ce  que  nous  entendons 
par  le  nom  d'amour,  sinon  une  puissance  souve- 
raine ,  une  force  impérieuse  qui  est  en  nous,  pour 
nous  tirer  hors  de  nous  ;  un  je  ne  sais  quoi  qui 
dompte  et  captive  nos  cœurs  sous  la  puissance 
d'un  autre,  qui  nous  fait  dépendre  d'autrui,  et 
nous  fait  aimer  notre  dépendance?  Et  n'est-ce  pas 
par  une  telle  inclination  que  nous  devons  hono- 
rer celui  à  qui  appartient  naturellement  tout  em- 
pire, et  tout  droit  de  souveraineté  sur  les  cœurs? 
C'est  pourquoi  lui-même  voulant  nous  prescrire 
le  culte  que  nous  lui  devons,  il  ne  nous  demande 
qu'un  amour  sans  borner  :  «  Tu  aimeras ,  dit-il , 
«  le  Seigneur  ton  Dieu  de  toute  ta  force  '  ;  »  afin 
que  nous  entendions  que  l'amour  seul  est  la  source 
de  l'adoration  légitime  que  doit  la  créature  à  son 
Créateur,  et  le  véritable  tribut  par  lequel  elle  le 
doit  reconnaître. 

En  effet ,  il  est  très-certain  que  tout  amour  vé- 
ritable tend  à  adorer.  S'il  est  quelquefois  impé- 
rieux ,  c'est  pour  se  rejeter  plus  avant  dans  la 
sujétion  :  il  ne  se  satisfait  pas  lui-même ,  s'il  ï\& 

'  Deut.  VI,  5. 


'JG8 


SUR  L'AïïSOMl'ïlON 


vit  dans  une  dépendance  absolue.  C'est  la  nature 
de  l'amour  ;  et  le  profane  même  ne  parle  que 
d'adoration,  que  d'hommages,  que  de  dépen- 
dance :  par  où  nous  devrions  entendre,  si  nous 
étions  encore  capables  de  nous  entendre  nous- 
mêmes  ,  que  pour  mériter  d'être  aimé  parfaite- 
ment ii  faut  être  quelque  chose  de  plus  qu'une 
créature.  Cette  sahite  doctrine,  si  nécessaire, 
étant  supposée,  pour  servir  et  de  fondement  et 
d'éclaircissement  à  tout  ce  discours,  parlons 
maintenant,  sans  crainte  et  à  bouche  ouverte, 
de  la  force  et  des  effets  de  l'amour;  et  voyons 
avant  toutes  choses ,  quel  était  celui  de  la  sainte 
Vierge. 

Il  est  né  de  l'admirable  concours  de  la  grâce 
et  de  la  nature,  et  il  a  emprunté  de  l'une  et  de 
l'autre,  ce  que  l'une  et  l'autre  ont  de  plus  pres- 
sant. Ainsi ,  il  y  avait  une  liaison  tout  à  fait  sin- 
gulière entre  Jésus  et  Marie  :  Dilectus  meus 
mihi,  et  ego  illi  :  «Mon  bien-aimé  est  à  moi,  et 
«  je  suis  à  lui.  »  Ils  sont  l'un  à  l'autre  d'une  fa- 
çon incommunicable  :  il  est  à  elle  comme  Sau- 
veur; cela  est  commun  :  mais  il  est  à  elle  comme 
fils  ;  à  elle ,  comme  il  est  au  Père  céleste.  C'est  un 
mystère  incommunicable  :  Dilectus  meus  mihi  : 
Il  est  fils  unique;  et  ego  illi  :  il  n'a  que  moi  sur 
la  terre  ;  il  n'a  point  de  père. 

Cet  amour  étant  donc  si  fort,  et  faisant  une 
liaison  si  intime  entre  ces  deux  cœurs,  Marie  de- 
vait mourir  quand  elle  vit  expirer  son  fils  ;  elle 
devait  mourir  autant  de  fois  qu'elle  vivait  de 
moments  :  car  elle  le  voyait  toujours  mourant, 
toujours  expirant,  toujours  lui  disant  le  dernier 
adieu ,  toujours  dans  les  mystères  de  sa  mort  et  de 
sa  sépulture.  «  Son  bien-aimé  était  ainsi  pour  elle 
'>  comme  un  bouquet  de  myrrhe  :  «  Fasciculus 
myrrhœ ,  dilectus  mens  mihi  '  ;  et  la  douleur  que 
lui  causait  son  amour  devait  à  chaque  instant  lui 
domier  la  mort.  C'est  pourquoi  l'Écriture ,  tou- 
jours forte  dans  la  simplicité  de  ses  expressions , 
compare  cette  douleur  à  un  glaive  tranchant  et 
pénétrant  :  Tuam,  animam  gladius  pertransi- 
bit^  :  «  Votre  âme  sera  percée  comme  par  une 
«  épée.  »  D'où  vient  donc  qu'elle  n'est  pas  morte 
étant  percée  de  ce  glaive?  C'est  que  l'amour  la 
faisait  vivre. 

C'est  la  propriété  de  l'amour  de  donner  au 
cœur  une  vie  nouvelle,  qui  est  toute  pour  l'ob- 
jet aimé  :  naturellement  le  cœur  vit  pour  soi. 
Est-il  frappé  de  l'amour,  il  commence  une  vie 
nouvelle  pour  l'objet  qu'il  aime.  Voyez  la  divine 
Épouse,  elle  ne  pense  qu'à  son  Epoux  ;  elle  n'est 
occupée  que  de  son  Époux.  Nuit  et  jour  il  lui  est 
présent  ;  et  même  pendant  le  sommeil ,  elle  veille 

•    (ont.  I,  12. 


à  lui  :  Ego  dormio,  et  cor  merwi  vigilat-.  S! 
bien  qu'ayant ,  môme  pendant  son  sommeil ,  une 
certaine  attention  sur  lui;  toujours  vivante  et 
toujours  veillante,  au  premier  bruit  de  son  ap- 
proche, au  premier  son  de  sa  voix  elle  S'écrie 
aussitôt  toute  transportée  :  «  J'entends  la  voix 
«  de  mon  bien-aimé  :  »  Vox  dilecti  mei  ^  !  Elle 
s'était  mise  en  son  lit  pour  y  goûter  du  repos ,  la 
vie  de  l'amour  ne  le  permet  pas.  Elle  cherche  en 
son  lit;  et  ne  trouvant  pas  son  bien-aimé,  elle 
n'y  peut  plus  demeurer  :  elle  se  lève,  elle  court , 
elle  se  fatigue;  elle  tourne  de  tous  côtés,  trou- 
blée, inquiète ,  incapable  de  s'arrêter  jusqu'à  ce 
qu'elle  le  rencontre.  Elle  veut  que  toutes  les  créa- 
tures lui  en  parlent  ;  elle  \eut  que  toutes  les  créa- 
tures se  taisent.  Elle  veut  en  parler  :  elle  ne  peut 
souffrir  ce  qui  s'en  dit,  ni  ce  qu'elle  en  dit  elle- 
même;  et  l'amour,  qui  la  fait  parler,  lui  rend 
insupportable  tout  ce  qu'elle  dit ,  comme  indigne 
de  son  bien-aimé. 

C'est  ainsi  que  vivait  la  divine  Vierge  par  la 
force  et  le  transport  de  son  amour.  Son  état  étaît 
une  douleur  mortelle ,  une  douleur  tuante  et  cru- 
cifiante ;  et  au  milieu  de  cette  douleur,  je  ne  sais 
quoi  de  vivifiant  par  le  moyen  de  l'amour.  Elle 
avait  toujours  devant  les  yeux  Jésus-Christ  cru- 
cifié. Car  si  l'efficace  de  la  foi  est  telle ,  que  saint 
Paul  a  bien  pu  écrire  aux  Calâtes  ^  que  Jésus- 
Christ  avait  été  crucifié  à  leurs  yeux  ;  combien 
plus  la  divine  Vierge  voyait-elle  toujours  présent 
son  fils  meurtri  et  ensanglanté,  et  cruellement 
déchiré  par  tant  de  plaies  !  Étant  donc  toujours 
pénétrée  de  la  croix  et  des  souffrances  de  Jésus- 
Christ  ,  elle  menait  une  vie  et  de  douleur  et  de 
mort ,  et  pouvait  dire  avec  l'apôtre  :  «  Je  meurs 
«tous  les  jours '^.  »  Mais  l'amour  venait  au  se- 
cours, et  soutenait  sa  vie  languissante.  Un  désir 
vigoureux  de  se  conformer  aux  volontés  de  son 
bien-aimé,  soutenait  ses  langueurs  et  ses  défail- 
lances; et  Jésus-Christ  seul  vivait  en  elle ,  parce 
qu'elle  ne  vivait  que  de  son  amour. 

Les  martyrs  étaient  animés  par  l'avidité  de 
souffrir,  qui,  excitant  k^ur  courage,  soutenait 
leurs  forces,  et  en  môme  temps  prolongeait  leur 
vie.  Pour  être  conforme  à  la  vie  crucifiée  de  Jé- 
sus-Christ, Marie  ayant  toujours  Jésus-Christ 
crucifié  devant  les  yeux ,  elle  ne  vivait  que  d'une 
vie  de  douleur;  et  l'amour  soutenait  cette  dou- 
leur, par  l'avidité  de  se  conformer  à  Jésus-Christ, 
d'être  percée  de  ses  clous ,  d'être  attachée  à  sa 
croix.  Marie  ne  vivait  que  pour  souffrir  :  Fulcite 
me  floribus ,  stipate  me  malis;  quia  ajnore  lan^- 


<  Ccnit.y,  2. 

2  Ibid. 

3  Gat.  m ,  1. 


DE  LA  SAINTE  VlKRGE. 


rfl9 


gvea^  :  «  Soutenez-moi  avec  des  fleure,  fortifiez- 
<  moi  avec  des  fruits.  »  Son  aniom*  languissant, 
et  défaillant  toujours  par  la  douleur,  cherchait 
du«soutien.  Quel  soutien?  des  fleurs  et  des  fruits. 
Mais  c'étaient  des  fleurs  du  Calvaire ,  mais  c'é- 
taient des  fruits  de  la  croix.  Les  fleurs  du  Cal- 
vaire ,  ce  sont  des  épines  ;  les  fruits  de  la  croix,  ce 
sont  des  peines.  C'est  le  soutien  que  cherche  l'a- 
mour languissant  de  Marie  :  Fulcite  mejloribus, 
stipate  me  matis^  L'amour  d'un  Jésus  crucifié  la 
fait  vivre  de  cette  vie  :  toujours  elle  voyait  Jé- 
sus-Christ dans  les  agonies  de  sa  croix  ;  toujours 
elle  avait  non  tant  les  oreilles,  que  le  fond  do 
l'âme  percé  de  ce  dernier  cri  de  son  bien-aimé 
expirant  :  cri  vraiment  terrible ,  et  capjible  d'ar- 
racher le  cœur. 

Une  autre  vie  de  cet  amour,  c'est  de  nous  faire 
vivre  pour  les  âmes.  Marie  consommait,  par  ses 
souffrances  intimes,  ce  qui  manquait  à  la  pas- 
sion de  son  fils.  Il  semble  qu'il  avait  voulu  la 
laisser  au  monde  après  lui  pour  consoler  son 
Église,  son  Épouse  veuve  et  désolée,  durant  les 
premiers  efforts  de  son  affliction  récente.  Vox 
turturis  audita  est  in  terra  tiosfra  :  Reverlere, 
rêverie  re  *  :  -<  La  voix  de  la  tourterelle  sest  fait 
«  entendre  dans  notre  terre  :  Revenez ,  revenez, 
«■  mon  bien-aimé.  >>  C'est  le  gémissement  de  l'É- 
glise, qui  rappelle  son  cher  Époux,  qu'elle  n'a 
possédé  qu'un  moment.  «  La  nouvelle  Épouse,  dit 
«  saint  Bernard  ^,  se  voyant  abandonnée  et  privée 
«  de  son  unique  espérance,  autant  elle  était  af- 
n  fligéede  l'absence  de  son  Époux,  autant  devait- 
«  elle  avoir  d'empressements  pour  solliciter  son 
"  retour.  Son  amour  et  son  besoin  étaient  pour 
«  elle  deux  raisons  pressantes  d'avertir  son  bien- 
«  aimé,  qu'elle  n'avait  pu  empêcher  daller  où  il 
«  était  d'abord,  de  hâter  au  moins  Pavénement 
«  qu'il  luiavait  promisen  se  séparant  d'elle.  Si  elle 
«  désire  et  demande  qu'il  imite ,  dans  son  retour, 
»  les  bêtes  les  plus  agiles  dans  leur  course,  c'est 
«  une  marque  de  l'ardeur  de  ses  désirs  qui  ne  trou- 
«  vent  rien  d'assez  prompt,  et  qui  ne  peuvent 
«  souffrir  le  moindre  retardement.  » 

0  le  cruel,  s'écrie-t-elie ,  ô  l'impitoyable! 
combien  de  siècles  s'est-il  fait  attendre,  combien 
désirer!  venez,  venez.  La  Synagogue  ne  l'avait 
pas  vu  :  mais  l'Église  l'a  vu,  la  ouï,  l'a  touché; 
et  il  s'en  est  allé  tout  à  coup.  0  la  cruauté! 
Elle  avait  tout  quitté  pour  lui  dire ,  avec  l'apôtre 
saint  Pierre  :  «  J'ai  tout  quitté  pour  vous  sui- 
«  vre  "<  ;  »  et  il  l'avait  épousée,  prenant  sa  pauvreté 
fct  son  dépouillement  pour  sa  dot.  Aussitôt  après 

'  Cvit.  ^,.^. 

'  Ibid:  12,  17. 

i  s.  Bernard,  in  Cantic.  Serm.  Lxxill ,  n»  3.  1. 1,  col.  1524. 

*  Uatlk.  XIX,  27. 


l'avoir  épousée,  il  meurt  ;  et  s'il  ressuscite ,  eVrt 
pour  retourner  d'où  il  est  venu  :  et  il  laisse  sa 
chaste  Épouse  sur  la  terre,  jeune,  veuve,  désolée, 
qui  demeure  sans  soutien! 

Marie  [  lui  fut  j  donnée ,  pour  [  être  son  appui , 
et  ]  .'unique  consolation  de  tous  les  fidèles  sur  la 
terre.  Elle  voyait  son  fils  dans  tous  ses  mem- 
bres :  sa  compassion  était  une  prière  pour  tous 
ceux  qui  souffraient  ;  son  cœur  :  s'insinuait  1  dans 
le  cœur  de  tous  ceux  qui  gémissaient,  pour  leur 
aider  à  crier  miséricorde  :  [elle  entrait]  dans 
les  plaies  de  tous  les  blessés,  pour  leuv  aider  à 
crier  soulagement;  dans  tous  les  cœurs  charita- 
bles ,  pour  les  presser  de  courir  au  soulagement , 
au  soutien ,  à  la  consolation  des  nécessiteux  et  des 
affligés.  [Elle  agissait]  dans  tous  les  apôtres, 
pour  annoncer  l'Évangile;  dans  tous  les  martvrs, 
pour  le  sceller  de  leur  sang  ;  enfin  généralement 
dans  tous  les  fidèles,  pour  en  observer  les  pré- 
ceptes, en  écouter  les  conseils,  en  imiter  les 
exemples. 

Le  soutien  [de  l'âme]  dans  cet  état  [  de  détresse 
que  lui  cause  l'éloignement  de  son  bien-aimé, 
c'est  ]  la  communion  :  car  ne  pouvant  i'embras- 
ser  en  sa  vérité  toute  nue,  elle  l'embrasse  dans 
la  vérité  de  son  sacrement.  Sub  umbra  illius 
quem  desideraveram  sedi,  etfructus  ejiis  dulcis 
(jutturi  meo  :  «  Je  me  suis  reposée  sous  l'ombre 
«  de  celui  que  j'avais  tant  désiré;  et  son  fruit  est 
«  doux  à  ma  bouche.  »  '<  Son  ombre,  dit  saint 
«  Bernard  ' ,  c'est  sa  chair  ;  son  ombre ,  c'est  la 
«  foi.  Marie  a  été  mise  à  couvert  sous  l'ombre  de 
«  la  chair  de  son  propre  fils;  et  moi  je  le  suis  à 
«  l'ombre  de  la  foi  du  Seigneur.  Et  comment 
«■  sa  chair  ne  me  couvrirait-elle  pas  aussi,  puis- 
"  que  je  le  mange  dans  les  saints  mystères?  l'É- 
«  pouse  désire ,  avec  raison ,  d'être  couverte  de 
«  l'ombre  de  celui  dont  elle  doit  recevoir,  en 
«  même  temps,  le  rafraîchissement  et  la  nour- 
«  riture.  Les  autres  arbres  des  forêts ,  quoiqu'ils 
«  consolent  par  leur  ombre,  ne  donnent  cepen- 
«  dant  point  la  nourriture ,  qui  fait  le  soutien  de 
«  la  vie,  et  ne  produisent  point  ces  fruits  perpé- 
«  tuels  de  salut.  Un  seul,  auteur  de  la  vie,  peut  dire 
«  à  l'Épouse  :  Je  suis  ton  salut.  Aussi  désire-t- 
«  elle  spécialement  d'être  à  couvert  sous  l'ombre 
«  du  Christ;  parce  que  lui  seul ,  non-seulement 
t  rafraîchit  de  l'ardeur  des  vices,  mais  remplit 
«  encore  le  cœur  de  l'amour  des  vertus.  « 

Puisque  nous  pouvons  jouir  de  la  lumière, 
reposons-nous  à  l'ombre  :  mais  cherchons  quelque 
arbre  qui  puisse  nous  donner  non-seulement  de 
l'ombre,  mais  du  fruit;  non-seulement  du  rafraî- 
chissement, mais  de  la  nourriture.  Il  n'y  a  que 

'  s.  Bernard,  in  Cantic.  Serm. XLvni,  n"  2, 1 1,  col.  1433. 


270 


SUR  L'ASSOMPTION 


Jésus-Christ  goûté  dans  la  communion.  Reposons 
donc  sous  son  ombre  notre  amour  languissant , 
et  fatigué  de  ne  voir  .pas  encore  la  lumière ,  de 
n'embrasser  pas  encore  la  vérité  même  :  c'est  là 
notre  unique  soutien.  Mais,  ô  soutien  accablant! 
la  communion  irrite  l'amour  plutôt  qu'elle  ne  l'as- 
souvit. 0  Marie,  il  faut  mourir;  votre  amour  est 
venu  à  un  point,  qu'il  n'y  a  plus  que  l'immensité 
du  seiu  de  Dieu  qui  le  puisse  contenir. 

SECOND    POINT. 

L'amour  profane  est  toujours  plaintif;  il  dit  tou- 
jours qu'il  languit  et  qu'il  se  meurt.  Mais  ce  n'est 
pas  sur  ce  fondement  que  j'ai  à  vous  faire  voir 
que  l'amour  peut  donner  la  mort  :  je  veux  établir 
cette  vérité  sur  une  propriété  de  l'amour  divin. 
Je  dis  donc  que  l'amour  divin  emporte  avec  soi 
un  dépouillement  et  une  solitude  effroyable, 
que  la  nature  n'est  pas  capable  de  porter  ;  une  si 
horrible  destruction  de  l'homme  tout  entier,  et 
un  anéantissement  si  profond  de  tout  le  créé  en 
nous-mêmes,  que  tous  les  sens  en  sont  accablés. 
Car  il  faut  se  dénuer  tellement  de  tout  pour  aller 
à  Dieu ,  qu'il  n'y  ait  plus  rien  qui  retienne  :  et  la 
racine  profonde  d'une  telle  séparation ,  c'est  cette 
effroyable  jalousie  d'un  Dieu  qui  veut  être  seul 
dans  une  âme,  et  ne  peut  souffrir  que  lui-même 
dans  un  cœur  qu'il  veut  aimer;  tant  il  est  exact 
et  incompatible. 

Vous  pouvez  voir,  chères  âmes ,  la  délicatesse 
de  sa  jalousie  dans  l'évangile  de  ce  jour.  Si  Marthe 
s'occupe ,  et  s'empresse ,  c'est  pour  lui  et  pour  son 
service  :  cependant  il  en  est  jaloux  ;  parce  qu'elle 
s'occupe  de  ce  qui  est  pour  lui ,  au  lieu  de  s'oc- 
cuper totalement  et  uniquement  de  lui  comme 
faisait  Madelaine.  «  Marthe ,  Marthe,  dit-il ,  tu  es 
«  empressée,  et  tu  te  troubles  dans  la  multitude  ; 
«  et  il  n'y  a  qu'une  seule  chose  qui  soit  néces- 
«  saire' .  >'  De  là  donc  nous  pouvons  comprendre 
cette  solitude  effroyable  que  demande  un  Dieu 
jaloux.  Il  veut  qu'on  détruise,  qu'on  ravage, 
qu'on  anéantisse  tout  ce  qui  n'est  pas  lui  ;  et  pour 
ce  qui  est  de  Im-même ,  il  se  cache  cependant ,  et 
ne  donne  presque  point  de  prise  sur  lui-même  : 
tellement  que  l'âme ,  d'un  côté  détachée  de  tout , 
et  de  l'autre  ne  trouvant  pas  de  moyen  de  posséder 
Dieu  effectivement ,  tombe  dans  des  faiblesses , 
dansdes  langueurs,  dans  des  défaillances  inconce- 
vables; et  lorsque  l'amour  est  dans  sa  perfection, 
la  défaillance  va  jusqu'à  la  mort,  et  la  rigueur 
jusqu'à  perdre  l'être.  Cet  esprit  de  destruction  et 
d'anéantissement  est  un  effet  de  la  croix. 

Il  réduit  tout  à  une  unité  si  simple ,  si  souve- 
raine ,  si  imperceptible ,  que  toute  la  nature  en 

'  Luc.  X,  4l.  42. 


est  étonnée.  Ecoutez  vous-même  parler  votre  cœur  : 
quand  on  lui  dit  qu'il  ne  faut  plus  désormais 
désirer  que  Dieu ,  il  se  sent  comme  jeté  tout  à 
coup  dans  une  solitude  affreuse,  dans  un  dés«ri 
effroyable,  comme  arraché  de  tout  ce  qu'il  aime. 
Car  n'avoir  plus  que  Dieu  seul ,  [  quel  dépouille- 
ment!] Que  ferons-nous  donc?  que  penserons 
nous?  Quel  objet ,  quel  plaisir,  quelle  occupation? 
Cette  unité  si  simple  nous  semble  une  mort  ;  parce 
que  nous  n'y  voyons  plus  ces  délices ,  cette  variété 
qui  charme  les  sens,  ces  égarements  agréables 
où  ils  semblent  se  promener  avec  liberté,  ni  enfin 
toutes  ces  autres  choses  sans  lesquelles  on  ne 
trouve  pas  la  vie  supportable. 

Mais  voici  ce  qui  donne  le  coup  de  la  mort  : 
c'est  que  le  cœur,  étant  ainsi  dépouillé  de  tout 
amour  superflu ,  est  attiré  au  seul  nécessaire ,  avec 
une  force  incroyable;  et  ne  le  trouvant  pas,  il  se 
meurt  d'ennui.  '(  L'homme  insensé  n'entend  pas 
«  ces  choses ,  et  le  sensuel  ne  les  conçoit  pas  :  mais 
«  aussi  parlons-nous  de  la  sagesse  entre  les  par- 
«  faits,  et  nous  expliquons  aux  spirituels  les  mys- 
«  tères  de  l'esprit'.  »  Je  dis  donc  que  l'âme,  étant 
dégagée  des  empressements  superflus,  est  poussée 
et  tirée  à  Dieu  avec  une  force  infinie  ;  et  c'est  ce 
qui  lui  donne  le  coup  de  la  mort  :  car  d'un  côté 
elle  est  arrachée  à  tous  les  objets  sensibles;  et 
d'ailleurs  l'objet  qu'elle  cherche  est  tellement 
simple  et  inaccessible ,  qu'elle  n'en  peut  aborder. 
Elle  ne  le  voit  que  par  la  foi,  c'est-à-dire,  qu'elle 
ne  le  voit  pas  :  elle  ne  l'embrasse  qu'au  milieu  des 
ombres  et  à  travers  des  nuages,  c'est-à-dire,  qu'elle, 
ne  trouve  aucune  prise.  C'est  là  que  l'amour  frus- 
tré se  tourne  contre  soi-même ,  et  se  devient  lui- 
même  insupportable.  Le  corps  l'empêche  ;  l'âme 
l'empêche:  il  s'empêche  et  s'embarrasse  lui-même; 
il  ne  sait  ni  que  faire  ni  que  devenir. 

0  union  de  deux  cœurs,  qui  ne  veulent  plus  être 
qu'un!  ô  cœurs  soupirants  après  l'unité!  ce  n'es» 
pas  en  vous-mêmes  que  vous  la  pouvez  trouver 
Venez,  ô  centre  des  cœurs,  ô  source  d'unité,  ô 
unité  même;  mais  venez,  ô  unité,  avec  votre 
simplicité,  plus  souveraine  et  plus  détruisante 
que  tous  les  foudres  et  tous  les  tourments  dont 
votre  puissance  s'arme.  Venez  et  ravagez  tout , 
en  rappelant  tout  à  vous ,  en  anéantissant  tout  en 
vous  ;  afin  que  vous  seule  soyez ,  et  viviez ,  et  ré- 
gniez sur  les  cœurs  unis,  dont  l'unité  est  votre 
trône ,  votre  temple ,  votre  autel ,  et  comme  le 
corps  que  vous  animez. 

Que  faites- vous ,  ô  Jésus-Christ ,  Dieu  anéanti  ? 
à  quoi  vous  servent  vos  clous  ,  vos  épines  et  votre 
croix?  à  quoi  votre  mort  et  votre  sépulture?  N'est- 
ce  pas  pour  détruire,  pour  crucifier,  pour  ensevelir 
en  vous  et  avec  vous  toutes  choses?  Vous  n'aveat 

'  I.  Cor.  II,  6,  13,  J4. 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


27  i 


plus  que  fiiîre  pour  vous  de  tout  cet  appareil  de 
votre  supplice,  ni  de  tout  cet  attirail  de  mort. 
Votre  Église  et  vos  épouses,  lésâmes  que  vous 
avez  rachetées ,  vous  demandent  ces  instruments 
funestes  et  salutaires  :  salutaires,  parce  qu'ils 
sont  funestes;  et  funestes,  parce  qu'ils  doivent 
être  salutaires  :  elles  ont,  dis-je,  besoin  de  ces 
instniments  qui  ne  vous  servent  plus  de  rien ,  et 
dont  vous  n'avez  plus  besoin  que  pour  les  membres 
de  votre  corps  mystique. 

Donnez ,  Époux  de  sang ,  donnez  à  vos  épouses, 
les  âmes  baptisées,  qui  ne  font  toutes  ensemble 
qu'une  seule  épouse  dans  l'unité  de  votre  Église  ; 
donnez-leur  ces  armes  ravageantesetdétruisantes, 
afin  qu'elles  vous  épousent  par  le  mystère  de  votre 
croix,  et  que  leur  pauvreté,  leur  dépouillement, 
leur  anéantissement  total ,  soient  la  dot  qu'elles 
vous  apportent  :  car  vous  êtes  riche  en  vous-même; 
et  votre  richesse  dans  la  créature,  c'est  la  pauvreté 
et  le  néant  de  la  créature.  Oh!  détruisez  donc, 
anéantissez  les  âmes  que  vous  avez  rachetées! 
anéantissez-les  par  le  mystère  de  votre  croix; 
afin  de  les  rendre  dignes  d'être  anéanties  par  le 
mystère  de  votre  gloire,  lorsque  Dieu,  qui  est 
maintenant  en  vous  se  réconciliant  toutes  choses , 
sera  en  vous ,  consommant  très-parfaitement  en 
un  toutes  choses. 

Voilà  le  mystère  d'unité  après  lequel  soupirent 
toutes  les  âmes  exilées,  qui  s'affligent  démesuré- 
ment sur  les  fleuves  de  Babylone ,  ense  souvenant 
de  Sion.  Mystère  d'unité,  qui  s'opère  et  s'avance 
de  jour  en  jour  par  un  martyre  inexplicable ,  et  qui 
se  consommera  par  une  paix  qui  sera  Dieu  même. 
O  quel  renversement!  ô  quelle  violence!  ô  que 
le  travail  de  cet  enfantement  est  horrible  !  Car 
Dieu  ne  délie  pas  ;  il  arrache  :  il  ne  plie  pas  ;  mais 
il  rompt  :  il  ne  sépare  pas  tant,  qu'il  brise  et  ra- 
vage tout.  Quandsera-cs,  ô  Jésus-Christ,  que  vous 
détruirez  tout  à  fait  ce  qui  nous  détruit?  Ah  !  que 
vous  êtes  cruel  ! 

Mais  que  dis-je  ici,  chrétiens?  que  ceux-là 
vous  représentent  quels  sont  ces  efforts,  qui  les 
ont  expérimentés.  Pour  moi,  je  n'oserais  en  par- 
ler ni  les  approfondir  davantage  ;  et  j'en  ai  dit  seu- 
lement ce  mot  pour  vous  donner  quelque  idée  de 
l'amour  de  la  sainte  Vierge  durant  les  jours  de 
son  exil ,  et  la  captinté  de  sa  vie  mortelle.  Non , 
non ,  les  séraphins  mêmes  ne  peuvent  entendre , 
ni  dignement  expliquer,  avec  quelle  rapidité 
Marie  était  attirée  à  son  bien-aimé ,  ni  quelle  vio- 
lence endurait  son  cceur  dans  cette  séparation.  Si 
jamais  il  y  a  eu  une  âme  pénétrée  de  la  croix ,  et 
ensuite  de  cet  e?prit  de  destruction  chrétienne , 
c'est  la  divine  Marie.  Elle  était  donc  toujours  dé- 
faillante et  toujours  mourante,  appelant  toujours 
son  bien-aimé  avec  une  angoisse  mortelle  ,  et  lui 


disant  comme  l'Épouse  :  «  Retournez,  mon  bien- 
«  aimé,  et  soyez  semblable  à  un  chevreuil  et  à  un 
«  faon  (le  ceri  :  »  Revertere  ;  similis  esto,  dilecte 
mi,  capreœ,  hinnuloque  cervonim'.  C'est  en 
vain  que  son  fils  lui  dit  :  «  Encore  un  peu ,  encore 
«  un  peu  :  un  peu ,  et  vous  ne  me  verrez  plus  ;  un 
«  peu ,  et  vous  me  verrez  '.  »  Car  que  dites-vous , 
ô  Jésus-Christ?  songez- vous  que  vous  parlez  à  un 
cœur  qui  aime?  Et  vous  comptez  pour  peu  tant 
d'années  d'une  privation  si  horrible?  Et  lorsqu'on 
vous  aime  bien ,  les  moments  sont  autant  d'éter- 
nités :  car  vous  êtes  l'éternité  même  ;  et  on  ne 
compte  plus  les  moments,  quand  on  sait  qu'à 
chaque  moment  on  perd  l'éternité  tout  entière. 
Et  cependant  vous  dites  :  «  Encore  un  peu.  »  Ce 
n'est  pas  là  consoler,  c'est  plutôt  outrager  l'amour; 
c'est  insulter  à  ses  douleurs,  c'est  se  rù'e  de  ses 
impatiences  et  de  ses  excès  intolérables. 

Si  vous  m'en  croyez,  saintes  âmes,  vous  ne 
chercherez  point  d'autres  causes  de  la  mort  de  la 
sainte  Vierge  :  son  amour  étant  si  ardent ,  si  fort 
et  si  enflammé ,  il  ne  poussait  pas  un  soupir,  qui 
ne  dût  rompre  tous  les  liens  de  Ce  corps  mortel  ; 
il  ne  formait  pas  un  regret ,  qui  n'en  dût  dissoudre 
toute  l'harmonie;  il  n'envoyait  pas  un  désir  au 
ciel,  qui  ne  dût  tirer  après  soi  l'âme  tout  entière. 
Je  vous  ai  dit ,  chrétiens ,  que  sa  mort  est  mira- 
culeuse; je  suis  contraint  de  changer  d'avis  :  la 
mort  n'est  pas  le  miracle  ;  c'en  est  plutôt  la  cessa- 
tion. Le  miracle  continuel,  c'était  que  Marie  pût 
vivre  séparée  de  son  bien-aimé.  Elle  vivait  néan- 
moins :  parce  que  tel  était  le  conseil  de  Dieu ,  qu'elle 
fût  conforme  à  Jésus-Christ  crucifié  ;  par  le  mar- 
tyre insupportable  d'une  longue  vie,  autant 
pénible  pour  elle  que  nécessaire  à  l'Église.  Mais 
comme  le  divin  amour  régnait  en  son  cœur,  sans 
aucun  obstacle,  il  allait  de  jour  en  jour  s'aug- 
mentant  sans  cesse  par  son  exercice,  et  s'accrois- 
sant  par  lui-même  :  de  sorte  qu'il  vint  enfin  s'é- 
tendant  toujours  aune  telle  perfection,  que  la 
terre  n'était  pas  capable  de  le  contenir.  Ainsi  point 
d'autre  cause  de  la  mort  de  Marie,  que  la  vivacité 
de  son  amour. 

Sauveur  Jésus ,  allumez  votre  amour  dans  nos 
cœurs  par  une  semblable  impatience;  et  puisqu'elle 
naissait  en  Mar'e  de  cette  union  intime  que  vous 
aviez  avec  elle,  rassasiez-nous  tellement  de  vos 
saints  mystères,  soyez  tellement  en  nous  par  la 
participation  de  votre  chair  et  de  votre  sang ,  que , 
vivants  plus  en  vous  qu'eu  nous-mêmes ,  nous 
ne  respirions  autre  chose  que  d'être  consommés 
avec  vous  dans  la  gloire  que  vous  nous  avez  pré- 
parée. 


'  Cani.  II ,  17. 
'  Joan.  XVI ,  la 


272 


SUR  L'ASSOMPTION 


Cette  âme  sainte  et  bienheureuse  attire  après 
efle  son  corps  par  une  résurrection  anticipée.  Cat 
encore  que  Dieu  ait  marqué  un  terme  commun  à 
la  résurrection  de  tous  les  morts  ;  il  y  a  des  rai- 
sons particulières,  qui  l'obligent  d'avancer  le 
terme  en  faveur  de  la  sainte  Vierge.  Le  soleil  nr 
produit  les  fruits  que  dans  leur  saison  ;  mais  nous 
voyons  des  terres  si  bien  cultivées ,  qu'elles  atti- 
rent une  influence  etplus  efficace  et  plus  prompte. 
Il  y  a  aussi  des  arbres  hâtifs  dans  le  jardin  de 
''Époux  ;  et  la  sainte  chair  de  Marie  est  une  terre 
trop  bien  préparée ,  pour  attendre  le  teime  ordi- 
naire à  produire  des  fruits  d'immortalité. 

Deux  choses  font  partie  de  son  triomphe  ;  la 
gloire  de  son  âme  par  l'amour,  la  gloire  de  son 
corps  par  le  rejaillissement  de  celle  de  l'âme. 
Aussi  l'Écriture  sainte  cherche-t-elle  des  expres- 
sions extraordinaires,  pour  nous  représenter  un 
si  grand  éclat,  pour  nous  en  tracer  quelque  image. 
A  peine  trouve-t-elle  dans  le  monde  assez  de  lu- 
mières, et  il  a  fallu  ramasser  tout  ce  qu'il  y  a 
de  lumineux  dans  la  nature.  «  Elle  a  mis  la  lune 
«  à  ses  pieds,  les  étoiles  autour  de  sa  tête;  le  so- 
«  leil  la  pénètre  toute ,  et  l'environne  de  ses 
«  rayons  '  :  «  tant  il  a  fallu  de  gloire  et  d'éclat  pour 
orner  ce  corps  virginal. 

Après  cela ,  chères  âmes ,  je  ne  dois  pas  m'é- 
tendre  en  un  long  discours ,  pour  vous  décrire  la 
magnificence  du  triomphe  de  la  sainte  Vierge. 
L'amour  qui  l'a  fait  mourir,  la  fera  aussi  triono- 
pher.  Je  m'ouvrirais  en  ce  lieu  une  trop  vaste 
carrière,  si  j'entreprenais  de  vous  raconter  les 
grandeurs,  les  magnificences,  les  sublimités  de 
l'amour.  Jevousdiraiseulemeotce  mot,  que  c'est  a 
lui  qu'il  appartient  d'élever  les  cœurs  ;  car  c'est 
lui  qui  nous  fait  dire  :  Sursitm  corda  :  «  Le  cœur 
«  en  haut ,  le  cœur  en  haut.  »  C'est  une  doctrine 
du  grand  saint  Thomas  ' ,  que  ceux-là  seront  les 
plus  élevés  dans  l'ordre  de  la  gloire ,  qui  auront 
eu  sur  la  terre  de  plus  violents  désirs  de  possé- 
der Dieu.  La  flèche  qui  part  d'un  arc  bandé  avec 
plus  de  force ,  prenant  son  vol  au  milieu  de  l'air 
avec  plus  grande  vitesse ,  entre  aussi  plus  pro- 
fondément au  but  où  elle  est  adressée.  De  même 
l'âme  fidèle  pénétrera  plus  avant,  si  je  puis  par- 
ler de  la  sorte ,  dans  l'essence  même  de  Dieu , 
qui  est  le  seul  terme  de  ses  espérances,  quand 
elle  s'y  sera  élancée  par  une  plus  grande  impé- 
tuosité de  désirs. 

Mais  si  l'amour  de  Marie  a  été  si  vif  et  si  im- 
pétueux ,  combien  a-t-elle  dû  s'unir  intimement 
à  celui  qui  faisait  l'unique  objet  de  son  cœur  et 
de  tous  ses  désirs?  Qui  peut  exprimer  la  gloire 
dont  elle  a  été  revêtue,  en  entrant  dans  la  joie 

»  Jpoc.  XU  ,  I . 

ï  I.  Part.  Queest.  Xil,  ^rt.  G. 


de  son  bien-aimé?  Son  triomphe  n'est  pas  une 
vaine  pompe  :  la  puissance  qui  lui  est  donnte 
[répond  à  la  dignité  de  sa  personne,  à  l'excel- 
lence de  son  amour  et  à  la  sublimité  de  spn  élé- 
vation. Plus  elle  est  proche  du  trône  de  son  fils , 
plus  elle  a  de  crédit,  pour  y  faire  recevoir  favo- 
rablement nos  prières,  ^t  nous  procurer  les  se- 
cours que  nous  réclamons.  Que  pourrait  refuser 
un  fils  à  sa  mère,  et  à  une  mère  si  tendrement 
aimée?  que  n'obtiendrait  pas  l'amour  si  puissant 
dont  elle  est  embrasée?  Combien  ne  se  sent-elle 
pas  vivement  sollicitée  de  s'intéresser  pour  des 
enfants  qui  ont  tant  coûté  à  son  fils,  et  que  ses 
propres  douleurs  lui  rendent  à  elle-même  si  chers  1 
Mais  pour  nous  assurer  l'effet  de  son  intercession, 
elle  nous  dit  encore,  comme  autrefois  :  «  Faites 
«  tout  ce  qu'il  vous  dira  '.  »  C'est  l'unique  moyen 
de  trouver  Jésus-Christ  propice ,  et  Marie  disposée 
à  prier  pour  nous.  ] 

Qu'elle  se  rende  l'avocate,  auprès  de  Dieu, 
de  l'Église  qui  la  réclame  ,  et  qu'elle  détourne 
les  malheurs  qui  menacent  la  chrétienté.  Qu'elle 
protège  du  plus  haut  des  cieux  ce  royaume  très- 
chrétien  ,  qu'un  roi  juste  et  pieux  *  lui  ?  consacré  ; 
et  qu'elle  veille  en  ses  bontés  sur  le  roi  son  fils, 
qui  renouvelle  tous  les  ans  ce  don  solennel.  Qu'elle 
conserve  ce  grand  monarque  et  dans  la  paix  et 
dans  les  hasards  :  qu'elle  inspire  la  justice  à  ceux 
qui  l'ont  irrité;  et  à  lui,  la  bonté,  et  la  clémence. 
Qu'il  fasse  la  paix  par  inclination ,  et  la  guerre 
par  nécessité  :  qu'il  ne  soit  terrible  que  pour  pro- 
téger la  justice ,  assurer  la  paix  et  la  tranquillité 
publique.  Qu'elle  lui  obtienne  la  grâce  d'être  tou- 
jours juste ,  toujours  pacifique ,  père  charitable 
de  ses  peuples ,  humble  enfant  delà  sainte  Église , 
protecteur  de  son  autorité,  zélé  défenseur  de  ses 
droits.  Qu'elle  bénisse  la  piété  exemplaire  de  la 
reine  son  épouse ,  et  qu'elle  fasse  croître  et  mul- 
tiplier leur  royale  postérité  sous  l'ombre  de  sa 
protection.  Qu'elle  mette  bientôt  le  comble  à  la 
joie  de  toute  la  France,  par  le  parfait  rétablisse- 
ment de  cette  reine  auguste  et  pieuse  qui  nous  ho- 
nore de  son  audience ,  et  qu'elle  ne  prolonge  sa 
vie  que  pour  augmenter  ses  mérites.  Qu'elle  soit 
toujours  aimée,  toujours  respectée,  cette  sage 
et  pieuse  princesse,  pour  inspirer  continuelle- 
ment des  conseils  de  paix,  des  sentiments  de 
bonté,  des  pensées  de  condescendance.  Qu'elle 
vive  sur  la  terre ,  n'ayant  de  goût  que  pour  le  ciel  ; 

«  Joan.  11,  5. 

*  Louis  XIII ,  en  exécution  d'un  vœu  qu'il  avait  fait  pour 
oI)tenir  la  grossesse  de  la  reine,  donna,  le  10  février  1638,  un 
édit  par  lequel  il  mit  sa  personne  et  son  royaume  squs  la 
protection  de  la  sainte  Vierge ,  et  ordonna  que  tous  les  ans  il 
se  ferait  une  procession  solennelle  à  Notre-Dame  de  Paris  poui 
renouveler  cette  consécxalion.  Telle  est  l'origine  de  la  pro 
cession  qui  se  fait  annuellement ,  dans  toutes  les  églises  du 
royaume  le  jour  de  l'Assomption.  (  Edit.  de  Dé/oris.  ) 


DE  LA  SAINTE  VIERGE. 


27S 


qu'elle  dédaigne  ce  qui  passe,  et  qu'elle  s'atta- 
rhe  immuablement  à  ce  qui  demeure.  Qu'au  rai- 
lieu  de  taut  de  grandeurs  elle  soit  jetée  devant 
Dieu  dans  une  véritable  humiliation  :  qu'elle  mé- 
prise autant  sa  grandeur  royale ,  que  nous  som- 
mes obligés  de  la  révérer  ;  et  qu'elle  fasse  sa  prin- 
cipale occupation  du  soin  de  mériter  devant  Dieu 
une  couronne  immortelle.  Voilà,  madame,  les 
vœux  que  je  fais  :  puisse  Votre  Majesté  les  faire 
avec  moi  dans  toute  l'étendue  d'un  cœur  chrétien , 
et  recevoir  pour  sa  récompense  la  sainte  béné- 
diction du  Père,  du  Fils,  et  du  Saint-Esprit  ! 


ABREGE  D'UxN  SEPxMON 

PRÊCHÉ  LE  MÊME  JOUR. 

Avantages  que  nous  relirons  de  l'exaltation  de  Marie.  Le 
rutte que  nous  lui  rendons,  nécessairement  rapporté  à  Dieu, 
moyens  que  nous  devons  prendre  poor  nous  unir  à  lui ,  en 
iiunorant  Marie. 


récit  nnlii  magna  qui  poteus  est. 

Le  Tout-Puissant  a  fait  pour  moi  de  grandes  choses. 
Luc.  I,  49. 

Si  Nôtre-Seigneur  Jésus-Christ,  après  avoir 
accompli  l'œuvre  que  son  Père  céleste  lui  avait 
rommise  sur  la  terre ,  est  retourné  au  ciel ,  d'où 
il  est  sorti ,  pour  y  occuper  éternellement  la  place 
([ui  était  due  à  sa  divine  naissance  ;  l'apôtre  nous 
a  enseigné  qu'il  ne  le  fait  pas  seulement  pour  sa 
jiropre  gloire,  mais  encore  pour  l'utilité  de  sa 
sainte  ï!g!ise.  En  effet,  il  nous  est  très-avanta- 
treux  qu'un  ambassadeur  si  agréable  soit  auprès 
de  Dieu  pour  y  traiter  nos  affaires;  un  avocat 
si  pressant,  pour  y  défendre  notre  cause;  un  si 
l)uissaut  médiateur,  pourterminer  nos  différends. 
Ainsi  quand  il  s'est  assis  à  la  droite  de  son  Père, 
iJ  ne  l'a  pas  fait  seulement  pour  se  mettre  en 
possession  de  son  trône  ^  mais  encore  pour  pro- 
curer nos  intérêts,  et  pour  paraître  pour  nous 
devant  la  face  de  Dieu  :  ut  appareat  vultui  Dei 
pro  nohis  '.  Ce  que  Jésus-Christ  notre  chef  a  ac- 
compli une  fois  en  sa  personne ,  il  ne  cesse  de 
l'accomplir  tous  les  jours  dans  les  membres  de 
son  corps  mystique ,  selon  la  mesure  convenable 
et  selon  la  proportion  de  la  créature.  Autant  de 
lideles  serviteurs  de  Dieu,  qui  entrent  avec  Jé- 
sus-Christ dans  son  paradis  de  délices,  autant  de 
pieux  intercesseur,  qui  ne  cessent  de  prier  pour 
leurs  frères,  et  pour  cette  partie  de  l'Église,  qui 
voyage  et  qui  combat  sur  la  terre ,  au  milieu  des 
tentations  de  la  fragilité  humaine. 

Vous  devez  entendre,  mes  frères,  par  cette 

'  Hebr.  IX ,  *». 

BOSSIXT.  —  T.  lU. 


doctrine  très-saîntc  et  très-véritable,  que  si  la 
mère  de  Dieu  est  aujourd'hui  élevée  au-dessus 
de  tous  les  esprits  célestes,  une  si  haute  exalta- 
tion ne  regarde  pas  seulement  sa  gloire,  mais 
encore  notre  avantage.  Car  si  elle  est  aujourd'hui 
reçue  dans  \cs  embrassements  de  son  fils,  dans 
la  participation  de  son  trône,  dans  la  plénitude 
de  sa  gloire,  elle  est  d'autant  plus  puissante 
pour  nous  obtenir  ses  grâces;  et  sa  charité  con- 
sommée rendra  son  intercession  plus  utile  et 
plus  fructueuse  à  tous  les  enfants  de  Dieu ,  aux- 
quels elle  a  enfanté  leur  salut  et  leur  rédemp- 
ti(}n  eu  Jésus-Christ  Notre-Seigneur.  Ce  n'est 
donc  pas  sans  raison ,  qu'en  célébrant  son  triom- 
phe nous  implorons  son  secours  :  ce  n'est  pas  sans 
raison,  que  l'Église  catholique  inspire  à  tous 
[  les  fidèles  de  se  mettre  sous  sa  protection.  ] 

Tous  les  actes  religieux  doivent  se  terminer  à 
Dieu;  et  le  propre  de  la  religion,  c'est  de  nous 
réunir  à  ce  premier  être.  Saint  Augustin  nous 
enseigne,  que  c'est  de  cette  origine  que  cette 
vertu  a  pris  son  nom  :  Religio  dicilur  eo  quod 
nos  religet  omnipotenii  Deo  '  :  «  Elle  no<is  lie, 
«  elle  nous  attache ,  elle  nous  unit  à  Dieu  ;  et 
«  c'est  par  cette  union  qu'elle  est  définie.  »  L'hon- 
neur que  nous  rendons  à  la  sainte  Vierge  appar- 
tienttrès-certainementàla  religion  ;  puisque  nous 
ne  le  lui  rendons  dans  les  lieux  consacrés  à  Dieu , 
dans  l'assemblée  de  sa  sainte  Église,  et  dans  la 
célébration  des  divins  mystères.  Il  faut  donc  né- 
cessairement que  ce  culte ,  que  cet  honneur,  que 
cette  dévotion  se  rapporte  à  Dieu ,  et  le  regarde 
comme  sa  fin. 

Quelle  est  donc  l'inconsidération  de  nos  ad- 
vei-saires ,  qui  nous  objectent  que  nous  rendons 
à  la  créature  un  culte  religieux?  L'objection 
porte  sa  réponse  dans  ses  propres  termes  ;  si  ce 
culte  est  religieux,  donc  il  se  termine  enfin  à  Dieu 
seul  ;  et  quel  inconvénient  d'honorer  la  créature 
pour  l'amour  de  Dieu ,  une  créature  si  excel- 
lente? 

Mais  laissons  la  dispute  et  la  controverse,  et 
revenons,  chrétiens,  à  notre  instruction.  Par 
conséquent  vous  devez  entendre  que  toute  votre 
dévotion  pour  la  sainte  mère  de  Dieu  ne  mé- 
rite pas  le  nom  de  dévotion ,  et  n'a  que  l'appa- 
rence de  religion  et  la  montre  de  la  piété  véri- 
table, si  elle  ne  vous  conduit  à  Dieu ,  et  ne  sert 
à  vous  y  unir  immuablement ,  selon  les  lois  du 
christianisme  et  de  l'Évangile.  [Dans  le  culte 
que  nous  rendons  à  Marie,  nous  avons]  deux 
moyens  pour  [parvenir  à]  cette  union  ;  ses  prières 
et  l'imitation  de  ses  vertus.  Vous  vous  adressez 
à  elle  comme  à  une  créature  excellente ,  qui  ejL\ 


Dt  ver.  Reliy.  n°'  Il i ,  na ,  1. 1 ,  coi.  7^7, 78S. 


IS 


274 


POUR  LA  FÊTE 


très- intimement  nnic  à  Dieu  par  Notre-Scigncur 
Jésus-Clirist  :  unie  premièrement ,  par  l'union  du 
sang;  unie  en  second  lieu,  par  la  société  des 
souffrances;  unie  enfin  aujourd'liui ,  par  la  plé- 
nitude de  la  gloire. 

Pour  unir  Jésus-Christ  avec  Marie,  nous 
voyons  concourir  ensemble  tout  ce  que  la  na- 
ture a  de  plus  tendre,  tout  ce  que  la  grâce  a  de 
plus  puissant.  11  l'appelle  à  sa  croix  pour  par- 
ticiper à  ses  peines  :  un  même  martyre  pour 
le  fils  et  pour  la  mère  ;  une  môme  croix  et  les 
mêmes  clous;  une  môme  lance  pour  percer  leurs 
cœurs. 

Sur  ces  deux  fondements,  jugez  de  leur  union 
dans  la  gloire  :  il  partagera  son  trône  avec  nous, 
combien  plus  avec  sa  mère!  Astitil  Regina  a 
dexlris  tuis  '  :  Jésus-Christ  est  assis  à  la  droite 
du  Père ,  Marie,  à  la  droite  de  son  fils.  Être  assis 
«st  une  marque  d'autorité  suprême.  Il  fautpercer 
tous  les  cœurs  des  anges  [  pour  découvrir  Marie , 
environnée  de  tout  l'éclat  de  la  gloire  de  son  fils.  ] 

Qui  doute  donc,  mes  frères,  que  la  piété  de 
nos  vœux  ne  cherche  Jésus-Christ  dans  Marie? 
Malheureux ,  qui  vealent  mettre  de  la  jalousie 
entre  le  fils  et  la  mère  !  C'est  cette  sainte  union  , 
qui  nous  attire  à  Jésus-Christ ,  qui  nous  attire 
Xîn  môme  temps,  par  un  môme  effort,  à  Marie; 
la  regardant  dans  la  gloire  de  son  fils ,  dans  cette 
exaltation  que  nous  célébrons. 

-L'imitation  des  vertus  [de  Marie  est  un  des 
«Tï.oyens  les  plus  efficaces,  pour  nous  unir  à]  Jé- 
sus^Christ  :  car  il  est  tout  entier  dans  les  saints, 
'et  par  conséquent  dans  la  sainte  Vierge.  Saint 
ï>anl  disait  aux  fidèles  :  «  Soyez  mes  imitateurs, 
«  comme  je  le  suis  de  Jésus-Christ  :  »  Imitatores 
met  estote,sicutetego  Christi^.  Imiter  les  saints, 
c'est  donc  imiter  Jésus-Christ.  Où  voyons-nous 
une  image  plus  accomplie  des  vertus  de  Jésus- 
Christ,  qu'en  sa  sainte  mère? 

Sa  pureté,  le  secret  et  la  retraite,  [dans  les- 
quels elle  passe  sa  vie,  sont  autant  de  leçons 
qu'elle  fournit  aux  vierges  chrétiennes.]  «  Les 
«  vierges,  qui  sont  vraiment  vierges,  ont  cou- 
ci  tume  d'être  toujours  tremblantes ,  et  jamais 
«  elles  n'ont  de  sécurité  :  pour  éviter  les  pièges 
«  qu'elles  doivent  appréhender,  elles  craignent, 
«  même  lorsqu'il  n'y  a  point  de  danger  pour 
«  elles  :  »  Soient  virgines,  quœ  vere  virgines 
sunt,  semper pavidœ  etnunquam  esse  securœ; 
et  ut  caveant  timida ,  etiam  iuta  pertimescere. 
«  Elles  doivent  être  même  émues  à  la  vue  d'un 
«  ange  ;  regarder  comme  autant  de  pièges  tout 
«  ce  ^i  paraît  de  nouveau ,  tout  ce  qui  survient 
«  d'inopiné  :  »  Quidquid  novum,  quidguid  su- 

»   Ps.  XLIV,  10. 

»  r.  CoT.  IV,  16. 


bilum  ortum  fuerit,  totum  contra  se  œstimant 
machinaium.  C'est  ainsi  que  Marie  se  conduit; 
«  elle  est  troublée,  mais  elle  ne  dit  mot  :  sontrou- 
"  ble  est  un  effet  de  sa  pudeur  virginale  ;  son  assu- 
«  rance  vient  de  sa  fermeté;  son  silence  et  ses 
'<■  réflexions  sont  une  marque  de  sa  prudence  :  » 
Turbata  est,  non  est  locuta  :  quod  turbata  est, 
verecundiœ  fuit  virginalis;  quod  non  pertur- 
bala,  fortiludinis  ;  quod  tacuit  et  cogitavity 
prudentiœ\ 

Combien  elle  est  éloignée  de  ces  malicieuses 
ambiguïtés ,  de  ces  pièges  subtils,  de  ces  dange- 
reuses complaisances,  de  ces  malicieux  détours 
par  lesquels  l'impureté  consommée  tâche  de  s'in- 
sinuer dans  les  âmes  innocentes!  Le  trouble,  la 
pudeur,  le  silence  [c'est  là  le  partage  des  vier- 
ges chrétiennes  qui  veulent  prendre  Marie  pour 
leur  modèle.] 


•«••*«•• 


SERMON 


LA  FÊTE  DU  ROSAIRE 

ÉTABLIE 

EN  L'HONNEUR  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 

Marie  associée  à  la  double  féœndité  du  Père ,  poar  devenïf 
mère  de  Jésus-Christ  et  de  tous  ses  membres.  Les  pécheurs 
enfantés  par  cette  mère  charitable ,  au  milieu  des  tourmaits 
et  des  cris  :  pourquoi.  Circonstances  remarquables  dans  les- 
quelles Jésus-Christ  lui  communique  sa  fécondité  bienheu- 
reuse. Souvenir  que  nous  devons  avoir  des  gémissements  de 
notre  mère.  Les  lidèles  consacrés  à  la  pénitence,  par  la  ma- 
nière dont  Jésus  et  Marie  les  engendrent. 


Dicit  Jésus  matrî  suai  :  Mnlier,  ecce  filius  tuus;  deinde 
dicit  discipulo  :  Ecce  mater  tua. 

Jésus  dit  à  sa  mère  :  Femme ,  voilà  votre  fils  :  après  il 
dit  à  son  disciple  :  Voilà  votre  mère.  Joan.  xix,  26 ,  27. 

L'antiquité  païenne  a  fort  remarqué  l'action 
d'un  certain  philosophe* ,  qui ,  ne  laissant  pas 
en  mourant  de  quoi  entretenir  sa  famille,  s'avisa 
de  léguer,  par  son  testament ,  le  soin  de  sa  femme 
et  de  ses  enfants  au  plus  intime  de  ses  amis  :  il 
se  persuada ,  nous  dit-on  » ,  qu'il  ne  pouvait  faire 
plus  d'honneur  à  la  générosité  de  celui  auquel  il 
donnait,  en  mourant,  ce  témoignage  de  sa  con- 
fiance. A  la  vérité,  chrétiens,  il  paraît  quelque 
chose  de  beau  dans  cette  action ,  si  elle  a  été  faite 
de  bonne  foi,  et  si  l'affection  a  été  mutuelle: 
mais  nous  savons  que  les  sages  du  monde  ont 
ordinairement  bien  plus  travaillé  pour  l'ostenta- 
tion ,  que  pour  la  vertu  ;  et  que  la  plupart  de  leurs 
belles  sentences  ne  sont  dites  que  par  parade  et 

'  s.  Bern.  Hom.  m ,  sup.  Missus  es< ,  n"  9 , 1. 1 ,  col.  747. 

*  Eudamidas  de  Corinthe. 

2  Lucian.  Dialog.  Toxar-  seu  Amicit. 


DE  ROSAIRE. 


27S 


pnr  anc  gravitô  alTccléc.  Laissons  donc  les  his- 
toires profanes,  et  allons  à  l'Évangile  de  Jésus- 
Christ.  Pardonnez-moi,  messieurs,  si  je  dis  que, 
ce  que  la  nécessité  a  fait  inventer  à  ce  philoso- 
phe, une  charité  infinie  la  fait  faire ,  en  quelque 
sorte,  à  notre  Sauveur,  d'une  manière  toute  di- 
vine. II  regarde  du  haut  de  sa  croix  et  Marie ,  et 
son  cher  disciple  ;  c'est-à-dire,  ce  qu'il  a  de  plus 
cher  au  monde  :  et  comme  il  leur  veut  laisser,  en 
mourant,  quelque  marque  de  sa  tendresse,  il 
donne  premièrement  saint  Jean  à  sa  mère  ;  après 
il  donne  sa  mère  à  son  bien-aimé,  et  il  établit, 
par  ce  testament,  la  dévotion  pour  la  sainte 
Vierge.  C'est,  mes  frères,  pour  cette  raison  qu'on 
lit  cet  évangile  en  l'Église  dans  la  sainte  solen- 
nité du  Rosaire* ,  pour  laquelle  nous  sommes 
ici  assemblés.  C'est  pourquoi ,  pour  édifier  votre 
piété,  j'espère  vous  faire  voir  aujourd'hui  que, 
par  ces  divines  paroles,  Marie  est  la  mère  de 
tous  les  fidèles  ;  après  que  je  lui  aurai  adressé 
celles  par  lesquelles  on  lui  annonça  qu'elle  se- 
rait la  mère  de  Jésus-Christ  même  :  Ave, 
Maria. 

C'est  un  trait  merveilleux  de  miséricorde,  que 
la  promesse  de  notre  salut  se  trouve  presque  aussi 
ancienne,  que  la  sentence  de  notre  mort,  et 
qu'un  même  jour  ait  été  témoin  de  la  chute  de 
notre  nature ,  et  du  rétablissement  de  notre  espé- 
rance. Nous  voyons  en  la  Genèse',  que  Dieu 
nous  condamnant  à  la  servitude ,  nous  promet  en 
même  temps  le  Libérateur;  en  prononçant  la 
malédiction  contre  nous ,  il  prédit  au  serpent , 
qui  nous  a  trompés ,  que  sa  tête  sera  brisée ,  c'est- 
à-dire  ,  c{ue  son  empire  sera  renversé ,  et  que 
nous  serons  délivrés  de  sa  tyannie.  Les  menaces 
et  les  promesses  se  touchent  :  la  lumière  de  la 
faveur  nous  paraît ,  dans  le  feu  même  de  la  co- 
lère; afin  que  nous  entendions,  chrétiens,  que 
Dieu  se  fâche  contre  nous ,  ainsi  qu'un  bon  père , 
qui,  dans  les  sentiments  les  plus  vifs  d'une  juste 
indignation,  ne  peut  oublier  ses  miséricordes, 
ni  retenir  les  effets  de  sa  tendresse.  Mais  ce  qui 
me  paraît  le  plus  admirable  dans  cette  conduite 
de  la  Providence ,  c'est  qu'Adam  même ,  qui  nous 

*  Le  saint  pape  Pie  V,  en  mémoire  de  la  victoire  remportée 
à  Lépante  par  les  chréUens  sur  les  Turcs,  le  7  octobre  I57l, 
institua  une  fête  annuelle,  sons  le  titre  de  tainte  Marie  de 
la  f^ictoire,  et  en  lixa  la  célébration  au  premier  dimanche 
d'octobre.  En  1573,  Grégoire  XIII  changt'a  ce  titre  en  celui 
du  Rosaire.  Saint  Dominique  fut  le  premier  instituteur  de 
cette  pratique  de  piété  qu'on  a  appelée  Rosaire ,  et  qui  con- 
siste à  réciter  quinze  dizaines  d'Ave  avec  un  Pater  au  com- 
mencement de  chaque  dizaine,  en  l'honneur  du  mystère  de 
rincarnalion.  Elle  est  connue  aussi  sous  le'nom  de  Chapelet, 
ou  Couronne,  qui  est  le  tiers  du  Rosaire.  Les  papes  ont  ap- 
prouvé cette  dévotion,  et  y  ont  attacliéde  grandes  indulgences. 
Vovez  Godescard,  Fies  des  Sainte,  t.  ix,  au  I*'  octobre. 
(Édit.  de  Versailles.) 

•  Gènes,  m,  13. 


a  perdus,  et  Eve,  qui  est  la  source  de  notre  mi- 
sère ,  nous  sont  représentés,  dans  les  Étîrilures, 
comme  des  images  vivantes  des  mystères  qui 
nous  sanctifient.  Jésus-Christ  ne  dédaigne  pas  de 
s'appeler  le  nouvel  Adam  :  Marie ,  sa  divine  mère , 
est  la  nouvelle  Eve  ;  et,  par  un  secret  merveilleux, 
notre  réparation  nous  est  figurée ,  même  dans  les 
auteurs  de  notre  ruine. 

C'est  sans  doute  dans  cette  vue,  que  saint 
Épiphane  a  considéré  un  passage  de  la  Genèse  ' 
où  Eve  est  nommée  mère  des  vivants  :  il  a  doc- 
tement remarqué ,  que  c'est  après  sa  condamna- 
tion qu'elle  est  appelée  de  la  sorte;  et  voyant 
qu'elle  n'avait  pas  ce  beau  nom,  lorsqu'elle  était 
encore  dans  le  paradis ,  il  s'étonne ,  avec  raison  , 
que  l'on  commence  à  l'appeler  mère  des  vivants, 
seulement  après  qu'elle  est  condamnée  à  n'en- 
gendrer plus  que  des  morts.  En  effet,  ne  jugez- 
vous  pas  que  ce  procédé  extraordinaire  nous  fait 
voir  assez  clairement  qu'il  y  a  ici  du  mystère?  et 
c'est  ce  qui  fait  dire  à  ce  grand  évêque  qu'elle  est 
nommée  ainsi  en  énigme ,  et  comme  figure  de  la 
sainte  Vierge ,  qui ,  étant  associée ,  avec  Jésus- 
Christ  ,  à  la  chaste  génération  des  enfants  de  la 
nouvelle  alliance  est  devenue,  par  cette  union, 
la  vraie  mère  de  tous  les  vivants,  c'est-à-dire,  de 
tous  les  fidèles.  Voilà  une  belle  figure  de  la  sainte 
maternité  de  l'incomparable  Marie,  que  j'ai  à 
vous  prêcher  aujourd'hui  ;  et  j'en  reconnais  l'ac- 
complissement à  la  croix  de  notre  Sauveur,  et 
dans  l'évangile  de  cette  fête. 

Car  que  voyons-nous  au  Calvaire,  et  qu'est-ce 
que  notre  Évangile  nous  y  représente  ?  TVous  y 
voyons  Jésus-Christ  souffrant,  et  Marie  percée  de 
douleurs ,  et  le  disciple  bien-aimé  du  Sauveur  des 
âmes,  qui ,  remis  de  ses  premières  terreurs ,  vient 
recueillir  les  derniers  soupirs  de  son  maître  mou- 
rant pour  l'amour  des  hommes.  0  saint  et  admi- 
rable spectacle!  Toutefois  ce  n'est  pas  là ,  chré- 
tiens ,  ce  qui  doit  aujourd'hui  arrêter  vos  yeux. 
Mais  considérez  attentivement ,  que  c'est  en  cet 
état  de  souffrance  que  Jésus  engendre  le  peuple 
nouveau;  et  admirez  que  dans  les  douleurs  de 
cet  enfantement  du  Sauveur,  dans  le  temps  que 
nous  naissons  de  ses  plaies ,  et  qu'il  nous  donne 
la  vie  par  sa  mort ,  il  veut  aussi  que  sa  mère  en- 
gendre, et  il  lui  donne  saint  Jean  pour  son  fils  : 
«  Femme,  lui  dit-il ,  voilà  votre  fils.  »  Et  ne  vous 
persuadez  pas  qu'il  regarde  saint  Jean ,  en  ce 
lieu,  comme  un  homme  particulier.  Tous  ses 
disciples  l'ont  abandonné,  et  son  Père  ne  con- 
duit au  pied  de  sa  croix  que  le  bien-aimé  de  son 
cœur  :  tellement  que,  dans  ce  débris  de  son 
Église  presque  dissipée ,  saint  Jean ,  qui  est  le 


'  Lib.  m.  Uteres.  LKXTiii,  t  i,  n'  is,  p.  J05. 


18. 


276 


POUR  LA  FÊTE 


seul  qui  lui  reste,  lui  représente  tous  ses  fiJèles , 
et  toute  Tuniversalité  des  enfants  de  Dieu.  C'est 
donc  tout  le  peuple  nouveau ,  c'est  toute  la  so- 
ciété de  l'Eglise,  que  Jésus  recommande  à  la 
Sidnte  Vierge ,  en  la  personne  de  ce  cher  disciple  ; 
et  par  cette  divine  parole  elle  devient  non-seu- 
lement mère  de  saint  Jean ,  mais  encore  de  tous 
les  fidèles.  Et  par  là  ne  voyez-vous  pas,  selon  la 
pensée  de  saint  Épiphane ,  que  la  bienheur.use 
Marie  est  l'Èv^e  de  la  nouvelle  alliance ,  et  la  mèie 
de  titus  les  vivants ,  unie  spirituellement  au  nou- 
vel Adam,  pour  être  la  mère  de  tous  les  élus? 

*C*est ,  fidèles ,  sur  cette  doctrine  tout  évan- 
gélique  ,  que  j'établirai  aujourd'hui  la  dévotion 
à  la  Vierge,  pour  laquelle  nous  sommes  ici  as- 
semblés :  et  pour  expliquer  clairement,  et  par 
une  méthode  facile,  cette  vérité  importante ,  je 
réduis  tout  ce  discours  à  deux  points ,  que  je  vous 
prie  d'imprimer  en  votre  mémoire.  Deux  gran- 
des choses  étaient  nécessaires ,  pour  faire  naître 
le  peuple  nouveau,  et  nous  rendre  enfants  de 
Dieu  par  la  grâce.  Il  fallait  que  nous  fussions 
adoptés;  il  fallait  que  nous  fussions  rachetés  : 
car,  puisque  nous  sommes  étrangers  à  Dieu ,  com- 
ment deviendrions-nous  ses  enfants ,  si  sa  bonté 
ne  nous  tidoptait  ?  et  puisque  le  crime  du  pre- 
mier homme  nous  avait  vendus  à  Satan ,  com- 
ment serions-nous  rendus  au  Père  éternel ,  si  le 
Bang  de  son  Fils  ne  nous  rachetait?  Et  donc ,  pour 
îiDus  faire  les  enfants  de  Dieu ,  il  faut  nécessai- 
rement qu'un  Dieu  nous  adopte,  et  il  faut  aussi 
qu'un  Dieu  nous  rachète.  Comment  sommes-nous 
adoptés?  par  l'amour  du  Père  éternel.  Comment 
sommes-nous  rachetés?  par  la  mort  et  les  souf- 
frances du  Fils.  Le  principe  de  notre  adoption , 
c'est  l'amour  du  Père  éternel  ;  et  la  raison  en  est 
évidente  :  car  puisque  ce  n'est  pas  la  nature  qui 
nous  donne  à  Dieu  comme  enfants,  il  s'ensuit 
manifestement  que  c'est  son  amour  qui  nous  a 
choisis.  Mais  si  nous  avons  besoin  de  l'amour  du 
Père,  pour  devenir  enfants  d'adoption  ;  les  souf- 
frances du  Fils  nous  sont  nécessaires ,  parce  que 
nous  sommes  enfants  de  rédemption  :  et  ainsi 
nous  sommes  nés  tout  ensemble,  de  l'amour 
infini  de  l'un ,  et  des  cruelles  souffrances  de 
l'autre. 

I\ouvelle  Eve ,  divine  Marie,  quelle  part  avez- 
vous  en  ce  grand  ouvrage ,  et  c-omment  contri- 
buez-vous à  la  chaste  génération  des  enfants  de 
Dieu?  Chrétiens,  voici  le  mystère,  et  afin  que 
\ous  l'entendiez,  il  faut  vous  prouver,  par  les 
saintes  Lettres  ,  que  le  Père  et  le  Fils  l'ont  asso- 
ciée, le  premier,  à  la  fécondité  de  son  amour;  le 
second,  à  celle  de  ses  souffrances  :  tellement 
qu'elle  est  notre  mère,  premièrement,  par  un 
îimour  maternel  ;  secondement,  par  ces  souffrances 


fécondes  qui  déchirent  son  âme  au  Calvaire.  C'est 
le  partage  de  ce  discours;  et  sans  sortir  de  mon 
évangile  j'espère  vous  faire  voir  ces  deux  vérités 
accomplies  au  pied  de  la  croix ,  et  établir,  sur  ce 
fondement ,  une  dévotion  fractueuse  pour  la  bien- 
heureuse Marie. 

PBEMIER   POINT. 

Jésus-Christ,  notre  rédempteur,  n'avait  rien 
qui  le  touchât  davantage ,  que  le  désir  miséricor- 
dieux de  s'unir  à  notre  nature ,  et  d'entrer  en  so- 
ciété avec  nous.  C'est  pourquoi  il  est  né  d'une 
race  humaine,  afin  que  nous  devenions,  par  la 
grâce  ,  une  race  divine  et  spirituelle  :  il  se  joint 
à  nous  par  un  double  nœud,  lorsqu'en  se  faisant 
fils  d'Adam ,  il  nous  rend  en  même  temps  les  en^ 
fantsdeDieu;  et  par  cette  alliance  redoublt*e, 
pendant  que  notre  Père  devient  le  sien  il  veut 
que  le  sien  devienne  le  nôtre.  C'est  ce  qui  fui  fait 
dire  dans  son  Évangile  :  Ascendo  ad  Patrem 
meum  et  Patretn  vestrum  '  :  «  Je  retourne  à 
«  mon  Père  et  au  AÔtre;  »  afin  que  nous  compre- 
nions ,  par  cette  parole ,  qu'il  veut  que  tout  lui 
soit  commun  avec  nous ,  puisqu'il  ne  nous  envie 
pas  cet  honneur  d'être  les  enfants  de  son  Père. 

Or,  messieurs,  cette  même  libéralité,  qui  fait 
qu'il  nous  donne  son  Père  céleste,  fait  qu'il  nous 
donne  aussi  sa  divine  mère  :  il  veut  qu'elle  nous 
engendre  selon  l'esprit,  comme  elle  Ta  engendré 
selon  la  chair  ;  et  qu'elle  soit  en  même  temps  sa 
mère  et  la  nôtre ,  pour  être  notre  frère  en  toutes 
façons.  C'est  dans  cette  pieuse  pensée ,  que  vous 
recourez  aujourd'hui  à  la  sainte  protection  de 
Marie  ;  et  vous  êtes  persuadés  que  les  véritables 
enfants  de  Dieu  se  reconnaissent  aussi  les  enfants 
de  la  Vierge.  Si  bien  que  je  me  sens  obligé,  afin 
d'échauffer  en  vos  cœurs  la  dévotion  de  Marie ,  de 
rechercher,  par  les  saintes  Lettres,  de  quelle  sorte 
elle  est  unie  au  Père  éternel,  pour  être  mère  de 
tous  les  fidèles.  Toutefois,  je  n'ose  pas  entrepren- 
dre de  résoudre  cette  question  de  moi-même; 
mais  il  me  semble  que  saint  Augustin  nous  donne 
une  admirable  ouverture,  pour  connaître  parfai- 
tement cette  vérité.  Écoutez  les  paroles  de  ce 
gravid  évêque ,  dans  le  livre  tpi'il  a  composé  de 
la  sainte  Virginité  :  c'est  là  que  parlant  admira- 
blement de  la  très-heureuse  Marie ,  il  nous  ensei- 
gne que ,  '<  selon  la  chair,  elle  est  la  mère  de  Jé- 
<■  sus-Christ  ;  »  et  aussi ,  que ,  «  selon  l'esprit,  elle 
"  est  la  mère  de  tous  ses  membres  :  »  Carne  ma- 
ter capitis  nostri ,  sjnritu  mater  membrorum 
ejus;  «  parce  que ,  poursuit  ce  grand  homme ,  elle 
«  a  coopéré,  par  sa  charité,  à  faire  naître  dans 
«  l'Église  les  enfants  deDieu  ;  »  quia  cooperaia  est 

'    Jo.lll.  X\,  17. 


DU  ROSAIRE. 


27Z 


clian'tale,  utfilii  Dci  nascerentur  in  Ecclc- 
sta  '.  Vous  voyez  la  question  décidée;  et  saint 
Augustin  nous  dit  clairement  que  Marie  est  mère 
de  tous  les  fidèles ,  parce  q'i'elle  les  engendre  par 
la  charité.  Suivons  donc  les  traces  que  nous 
a  marquées  cet  incomparable  docteur,  et  expli- 
quons, par  les  Écritures,  cette  fécondité  bien- 
heureuse, par  laquelle  nous  sommes  nés  de  la 
eharité  de  Marie. 

Pour  cela ,  il  nous  faut  entendre  qu'il  y  a  deux 
fécondités  :  la  première ,  dans  la  nature  ;  la  se- 
conde, dans  la  charité.  Il  est  inutile  de  vous 
expliquer  quelle  est  la  fécondité  naturelle  qui  se 
montre  assez  tous  les  jours,  par  cette  éternelle 
multiplication  qui  perpétue  toutes  les  espèces  par 
la  bénédiction  de  leur  Créateur.  Mais,  après 
avoir  supposé  la  fécondité  naturelle ,  faisons  voir, 
par  les  saintes  Lettres,  que  non-seulement  la  na- 
ture ,  mais  encore  que  la  charité  est  féconde.  Et 
qui  peut  ne  voir  pas  cette  vérité ,  entendant  le  di- 
vin apôtre  lorsqu'il  dit  si  tendrement  aux  Gala- 
tes  :  «  Mes  petits  enfants,  que  j'enfante  encore, 
«  pour  lesquels  je  ressens  encore  les  douleurs  de 
«  l'enfantement,  jusqu'à  ce  que  Jésus-Christ  soit 
«  formé  en  vous  :  Filioli  mei,  guos  itemmpar- 
turio,  donec  formetur  Christus  in  vobis^l  Ne 
voyez- vous  pas,  chrétiens,  la  fécondité  merveil- 
leuse de  la  charité  de  saint  Paul  ?  car  quels  sont 
ces  petits  enfants ,  que  cet  apôtre  reconnaît  pour 
siens,  sinon  ceux  que  la  charité  lui  donne?  et 
que  signifient  ces  douleurs  de  l'enfantement  de 
saint  Paul ,  sinon  les  empressements  de  sa  cha- 
rité, et  la  sainte  inquiétude  qui  la  travaille ,  pour 
engendrer  les  fidèles  eu  ISotre-Seigneur?  Et  par 
conséquent,  concluons  que  la  charité  est  féconde. 
C'est  pourquoi  la  même  Ecriture,  qui  nous  en- 
seigne qu'elle  a  des  enfants,  lui  attribue  aussi, 
en divei-s endroits,  toutes  les  qualités  des  mères. 

Oui,  cette  charité  maternelle  qui  se  fait  des 
enfants  par  sa  tendresse ,  elle  a  des  entrailles 
où  elle  les  porte;  elle  a  des  mamelles  quelle  leur 
présente ,  elle  a  un  lait  qu'elle  leur  donne  :  et 
c'est  ce  qui  fait  dire  à  saint  Augustin  que  «  la 
«  charité  est  une  mère ,  »  et  que  «  la  même  cha- 
«  rite  est  une  nourrice  :  «  Chantas  mater  est  ^, 
charitas  nutrix  est  ^.  La  charité  est  une  mère 
qui  porte  tous  ses  enfants  dans  le  cœur,  et  qui  a 
pour  eux  cesentrailies  tendres,  ces  entrailles  de 
compassion',  que  nous  voyons  si  souvent  dans  les 
Écritures  :  Charitas  mater  est.  Cette  même  cha- 
rité est  une  nourrice,  qui  leur  présente  les  chas- 
tes mamelles  d'où  distille  ce  lait  sans  fraude  de 
la  sainte  mansuétude  et  de  la  sincérité  chré- 

'  De  Sanct.  rirjiuit.  a"  6,  t.  vj.col.  3ài. 

»  Gai.  IV,  19. 

3  De  Catechiz.  riidib.  cap.  xv,  n'iJ,  t.  vi,  col.  -79- 

^Aa  Marcel.  Ep.  CWMX  ,  u""  o,  t.  il    coJ.  421. 


tienne  :  Sine  ffolo  lac,  comme  parle  Papi'ilrc 
saint  Pierre  '.  Tellement  qu'il  est  véritable  qu'il 
y  a  deux  fécondités  :  la  première,  dans  la  nature; 
la  seconde ,  dans  la  charité.  Or,  cette  vérité  étant 
supposée,  il  me  sera  maintenant  facile  de  vous 
faire  voir  clairement  de  quelle  sorte  la  Vierge, 
sacrée  est  unie  au  Père  éternel ,  dans  la  chaste 
génération  Jes  enfants  du  Nouveau  Testament. 

Et  premièrement  remarquez  que  ces  deux  fé- 
condités différentes ,  que  nous  avons  vues  dans 
les  créatures,  se  trouvent  en.  Dieu ,  comme  dans 
leur  source.  La  nature  de  Dieu  est  féconde;  son 
amour  et  sa  charité  l'est  aussi.  Je  dis  que  sa  na- 
ture est  féconde;  et  c'est  elle  qui  lui  donne  ce 
Fils  éternel,  qui  est  son  image  vivante.  Mais 
si  sa  fécondité  naturelle  a  fait  naître  ce  divin  Fils 
dans  l'éternité,  son  amour  lui  en  donne  d'autres 
qu'il  adopte  tous  les  jours  dans  le  temps.  C'est  de 
là  que  nous  sommes  nés;  et  c'est  à  cause  de  cet 
amour  que  nous  l'appelons  notre  Père  :  par  con- 
séquent, le  Père  céleste  nous  paraît  doublement 
fécond.  II  l'est,  premièrement  par  nature;  et 
par  là  il  engendre  son  Fils  naturel  :  il  l'est,  se- 
condement par  amour;  et  c'est  ce  qui  fait  naître 
les  adoptifs.  Mais  après  que  nous  avons  vu  que 
ces  deux  fécondités  différentes  sont  en  Dieu 
comme  dans  leur  source;  v'oyons  si  nous  pou- 
vons découvrir  qu'elles  soient  communiquées  à 
Marie  :  je  vous  prie,  renouvelez  vos  attentions. 

Et  déjà  il  semble  qu'elle  participe ,  en  quel- 
que manière,  à  la  fécondité  naturelle,  par  la- 
quelle Dieu  engendre  son  Fils.  Car  d'où  vient , 
ô  très-sainte  Vierge ,  que  vous  êtes  mère  du  Fils 
de  Dieu  même?  est-ce  votre  fécondité  propre^ 
qui  vous  donne  cette  vertu?  Non,  dit-elle,  c'est 
Dieu  qui  l'a  fait ,  et  c'est  l'ouvrage  de  sa  puis- 
sance :  Fecit  mihi  magna  qui  potens  est  '.  Elle 
n'est  donc  pas  mère  de  ce  Fils  par  sa  propre  fé- 
condité. Au  contraire  ne  voyons-nous  pas,  fidè- 
les ,  qu'elle  se  condamne  elle-même  à  une  stérilité 
bienheureuse ,  par  cette  ferme  résolution  de  gar- 
der sa  pureté  virginale  :  Quomodo  Jîet  isiud^l 
«  Comment  cela  se  pourra-t-il  faire?  >-  Puîs-je 
bien  concevoir  un  fils,  moi  qui  ai  résolu  de  de- 
meurer vierge?  Si  donc  elle  confesse  sa  stérilité, 
de  quelle  sorte  devient-elle  mère ,  et  encore  mère 
du  Fils  du  Très-Haut?  Écoutez  ce  que  lui  dit 
lange  :  Virtus  Altissimi  obumbrabit  tibi  •*  :  «  La 
«  vertu  du  Très-Haut  vous  couvrira  toute.  «  Pé- 
nétrons le  sens  de  cette  parole.  Sans  doute  le 
Saint-Esprit  nous  veut  faire  entendre  que  la  fé- 
condité du  Père  céleste  se  communiquant  à  Marie 


'  I.  Pr/r.  Il,: 
»  Luc.  49. 
3  nid.  ï ,  34. 
'  Ibid.  3à. 


278 


POUU  LA  lÉTE 


elle  sera  mère  du  Fils  de  Dieu  même;  et  c'est 
pourquoi  l'ange,  après  avoir  dit  que  la  vertu 
du  Très-Haut  l'environnera,  il  ajoute,  aussitôt 
après,  ces  beaux  mots  :  Ideoque  et  quodnascetur 
ex  te  sanctum,  vocabitur  Films  Dei;  comme  s'il 
avait  dessein  de  lui  dire  :  0  sainte  et  divine  Ma- 
rie ,  le  fruit  de  vos  bénites  entrailles  sera  appelé 

Fils  du  Très-Haut,  parce  que  vous  l'engen- 
drerez, non  par  votre  fécondité  naturelle,  mais 
par  une  bienheureuse  participation  de  la  fécondité 
du  Père  éternel ,  qui  sera  répandue  sur  vous. 

N'admirez-vous  pas,  chrétiens,  cette  dignité  de 
Marie?  toutefois  encore  ce  n'est  pas  assez  qu'elle 
soit  associée  au  Père  éternel ,  comme  mère  de  son 
Fils  unique  :  celui  qui  lui  donne  son  propre  Fils, 
qu'il  engendre  par  sa  nature,  lui.refusera-t-il  les 
enfants  qu'il  adopte  par  sa  charité?  et  s'il  veut 
Lien  lui  communiquer  sa  fécondité  naturelle, 
afin  qu'elle  soit  mère  de  Jésus-Christ,  ne  doit-il 
pas ,  pour  achever  son  ouvrage ,  lui  donner  libé- 
ralement la  fécondité  de  son  amour,  pour  être 
mère  de  tous  ses  membres?  Et  c'est  pour  cela, 
chrétiens,  que  mon  évangile  m'appelle  au  Cal- 
vaire :  c'est  là  que  je  vois  la  très-sainte  Vierge 
s'unissant,  devant  son  cher  fils ,  à  l'amour  fécond 
du  Père  éternel.  AU  !  qui  pourrait  ne  s'attendrir 
pas  à  la  vue  d'un  si  beau  spectacle? 

H  est  vrai  qu'on  ne  peut  assez  admirer  cette 
immense  charité,  par  laquelle  il  nous  choisit  pour 
enfants  :  car,  comme  remarque  admirablement 
l'incomparable  saint  Augustin  ' ,  nous  voyons 
que,  parmi  les  hommes,  l'adoption  n'a  jamais 
lieu,  que  lorsqu'on  ne  peut  plus  espérer  d'avoir 
de  véritables  enfants.  Alors ,  quand  la'nature  n'en 
peut  plus  donner,  les  hommes  ont  trouvé  le  se- 
cret de  s'en  faire  par  leur  amour  :  tellement  que 
cet  amour,  qui  adopte ,  n'est  établiquepour  venir 
au  secours ,  et  pour  suppléer  au  défaut  de  la  na- 
ture qui  manque.  Mais  il  n'est  pas  ainsi  de  notre 
grand  Dieu  :  il  a  engendré  dans  l'éternité  un  Fils 
qui  est  égal  à  lui-même ,  qui  fait  les  délices  de 
son  cœur,  qui  rassasie  parfaitement  son  amour, 
comme  il  épuise  sa  fécondité.  D'où  vient  donc , 
qu'ayant  un  Fils  si  parfait ,  il  ne  laisse  pas  de 
nous  adopter?  Ce  n'est  pas  l'indigence  qui  l'y 
oblige;  mais  les  richesses  immenses  de  sa  charité. 
C'est  la  fécondité  infinie  d'un  amour  inépuisable 
et  surabondant,  qui  fait  qu'il  donne  des  frères  à 
ce  premier-né ,  des  compagnons  à  cet  unique ,  et 
enfin  des  cohéritiers  à  ce  bien-aimé  de  son  cœur. 
0  amour!  ô  miséricorde!  Mais  il  passe  encore 
plus  loin. 

Non-seulement  il  joint  à  son  propre  Fils  des 
enfants ,  qu'il  adopte  par  miséricorde  ;  mais  il 

»  lié  Consens.  EviDi'i.  lib.  ii-  fan.  m,  t.  m,  part,  ii,  col.  20. 


livre  son  propre  Fils  à  la  mort,  pour  faire  naître 
les  adoptifs  :  c'est  ainsi  que  sa  charité  est  féconde. 
Nouvelle  sorte  de  fécondité  :  pour  produire,  il 
faut  qu'il  détruise  ;  pour  engendrer  les  adoptifs , 
il  faut  qu'il  donne  le  véritable.  Et  ce  n'est  pjis 
moi  qui  le  dis  ;  c'est  Jésus  qui  me  l'enseigne  dans 
son  Évangile  :  «  Dieu  a  tant  aimé  le  monde ,  dit- 
«  il  ■ ,  qu'il  a  donné  son  Fils  unique  ;  afin  que 
«  ceux  qui  croient  ne  périssent  pas ,  mais  qu'ils 
«  aient  la  vie  éternelle.  »  Ne  voyez-vous  pas , 
chrétiens ,  qu'il  donne  son  propre  Fils  à  la  mort, 
pour  faire  vivre  les  enfants  d'adoption ,  et  que 
cette  même  charité  du  Père ,  qui  le  livre ,  qui  l'a- 
bandonne ,  qui  le  sacrifie ,  nous  adopte ,  nous  vi- 
vifie et  nous  régénère  ? 

Mais  après  avoir  contemplé  la  charité  infinie 
de  Dieu,  jetez  maintenant  les  yeux  sur  Marie  ; 
et  voyez  comme  elle  se  joint  à  l'amour  fécond 
du  Père  éternel.  Car  pourquoi  son  fils  l'a-t-il  ap- 
pelée à  ce  spectacle  d'inhumanité?  Est-ce  pour 
lui  percer  le  cœur,  et  lui  déchirer  les  entrailles? 
Faut-il  que  ses  yeux  maternels  soient  frappés  de 
ce  triste  objet ,  et  qu'elle  voie  couler  devant  elle , 
par  tant  decruelles  blessures,  un  sang  qui  lui  est 
si  cher?  n'y  a-t-il  pas  de  la  dureté  dene  lui  épar- 
gner pas  cette  peine? chrétiens, ne  le  croyez  pas; 
et  comprenez  un  si  grand  mystère.  Il  fallait  qu'elle 
se  joignît  à  l'amour  du  Père  éternel  ;  et  que ,  pour 
sauver  les  pécheurs ,  ils  livrassent  leur  commun 
Fils ,  d'un  commun  accord ,  au  supplice.  Si  bien 
qu'il  me  semble  que  j'entends  Marie,  qui  parle 
ainsi  au  Père  éternel  d'un  cœur  tout  ensemble 
ouvert  et  serré  :  serré  par  une  extrême  douleur; 
mais  ouvert  en  même  temps  au  salut  des  hom- 
mes, par  la  sainte  dilatation  de  la  charité  :  Puis- 
que vous  le  voulez,  ô  mon  Dieu,  dit-elle,  je  con- 
sens à  cette  mort  ignominieuse ,  à  laquelle  vous 
abandonnez  le  Sauveur;  vous  le  condamnez,  j'y 
souscris  :  vous  voulez  sauver  les  pécheurs ,  par 
la  mort  de  notre  Fils  innocent;  qu'il  meure,  afin 
que  les  hommes  vivent.  Voyez,  mes  frères,  comme 
elle  s'unit  à  l'amour  fécond  du  Père  éternel  ;  mais 
admirez ,  qu'en  ce  même  temps  elle  reçoit  aussi 
sa  fécondité  :  «  Femme ,  dit  Jésus ,  voilà  votre 
«  fils.  »  Son  amour  lui  ôte  un  fils  bien-aimé,  son 
amour  lui  en  rend  un  autre  ;  et  en  la  personne  de 
ce  seul  disciple  elle  devient ,  par  la  charité ,  l'Eve 
de  la  nouvelle  alliance,  et  la  mère  féconde  de 
tous  les  fidèles  :  car  qui  ne  voit  ici  un  amour  de 
mère?  donnerait-elle  pour  nous  son  cher  fiJs^  si 
elle  ne  nous  aimait  comme  ses  enfants?  Que  reste- 
t-il  donc  mainteiiant ,  sinon  que  nous  lui  rendions 
amour  pour  amour  ;  et  qu'au  lieu  du  fils  qu'elle 
perd,  elle  en  tro'jve  un  eu  chacun  de  nous? 

'  Joan.  m,  lu, 


DU  ROSAIRE. 


279 


I 


Mais  il  me  semble  que  vous  me  dites  :  Quel 
•cliange  nous  conseillez- vous ,  et  que  rendrons- 
nous  à  Marie?  quoi ,  des  hommes  mortels  pour 
uii  Dieu  !   des  pécheurs  pour  un  Jésus-Christ  ! 
est-ce  ainsi  qu'il  nous  faut  réparer  sa  perte?  Non, 
ce  n'est  pas  là  ma  pensée.  C'est  un  Jésus-Christ 
qu'elle  donne ,  rendons-lui  un  Jésus-Christ  en 
nous-mêmes;  et  faisons  revivre  en  nos  âmes  ce 
lils  qu'elle  perd  pour  l'amour  de  nous.  Je  sais 
bien  que  Dieu  le  lui  a  rendu  glorieux ,  ressuscité, 
immortel  :  mais  encore  qu'elle  le  possède  en  sa 
gloire,  elle  ne  laisse  pas ,  chrétiens,  de  le  cher- 
cher encore  dans  tous  les  fidèles.  Soyons  donc 
chastes  et  pudiques ,  et  Marie  reconnaîtra  Jésus- 
Christ  en  nous.  Soyons  humbles  et  obéissants , 
comme  Jésus  l'a  été  jusqu'à  la  mort  ;  ayons  des 
cœure  tendres  et  des  mains  ouvertes  pour  les 
pauvres  et  les  misérables;  oublions  toutes  les 
injures ,  comme  Jésus  les  a  oubliées  :  jusqu'à  la- 
ver dans  son  propre  sang,  même  le  crime  de  ses 
bourreaux.  Quelle  sera  la  joie  de  Marie ,  quand 
elle  verra  vivre  Jésus-Christ  en  nous  :  dans  nos 
âmes  par  la  charité ,  dans  nos  corps  par  la  conti- 
nence; sur  les  yeux  même  et  sur  les  visages, 
gar  la  retenue ,  par  la  modestie  et  par  la  simpli- 
cité chrétienne!  C'est  alors  que  reconnaissant 
en  nous  Jésns-Christ ,  par  la  pratique  exacte  de 
son   Évangile,  ses  entrailles  seront  émues  de 
cette  vive  représentation  de  son  bien-aimé;  et 
touchée,  jusque  dans  le  cœur,  de  cette  sainte 
conformité,  elle  croira  aimer  Jésus-Christ  en 
nous,  et  elle  répandra  sur  nous  toutes  les  dou- 
ceurs de  son  affection  maternelle.  En  est-ce  assez 
pour  nous  faire  voir  qu'elle  est  notre  mère  par  la 
charité,  et  pour  nous  donner  un  amour  de  fils? 
Que  si  nous  ne  sommes  pas  encore  attendris ,  si 
le  lait  de  son  amour  maternel  ne  suffit  pas  pour 
nous  amollir,  et  qu'il  faille  du  sang  et  des  souf- 
firances  pour  briser  la  dureté  de  nos  cœurs  :  en 
voici ,  je  vous  en  prépare  ;  et  c'est  ma  seconde 
partie,  où  vous  verrez  les  douleurs  amères-  et  les 
tristes  gémissements  parmi  lesquels  elle  nous  en- 
gendre. 

SECOND   POINT. 

Saint  Jean  nous  représente  la  très-sainte  Vierge, 
au  chapitre  douzième  de  l'Apocalypse',  par  une 
excellente  figure.  «Il  parut ,  dit-il ,  un  gi'and 
«  signe  aux  cieux,  une  femme  environnée  du 
-  soleil ,  qui  avait  la  lune  à  ses  pieds ,  et  la  tête 
«  couronnée  d'étoiles,  et  ([ui  allait  enfanter  un 
«  fils.  »  Saint  Augustin  nous  assure ,  dans  le  li- 
vre du  Symbole  aux  Catéchumènes  ' ,  que  cette 
femme  de  l'Apocalypse,  c'est  la  bienheureuse 

'  ^l>oc.  XII,  1. 

'  Semi.  IV  de  S'jmb.  ad  Calech.  cap.  i,  t.  vi,  col.  b7ô. 


Marie,  et  on  le  pourrait  aisément  prouver  par  plu- 
sieurs raisons  convaincantes.  Mais  une  parole  du 
texte  sacré  semble  s'opposer  à  cette  pensée  ;  car 
cette  femme  mystérieuse  nous  est  représentée  en 
ce  lieu  dans  les  douleurs  de  l'enfantement.  «  Elle 
«  criait,  dit  saint  Jean;  et  [elle  était  tourmentée 
»  pour  enfanter  :»  ClamaOat  parturiens,  et  cn^ 
ciabatur  utpareret  '.  Que  dirons-nous  ici,  chré- 
tiens? cette  femme  ainsi  tourmentée  peut-elle 
être  la  très-sainte  Vierge  ?  Avouerons-nous  à  nos 
hérétiques ,  que  Marie  a  été  sujette  à  la  malédic- 
tion de  toutes  les  mères,  qui  mettent  leurs  en- 
fants au  monde  au  milieu  des'  gémissements  et 
des  cris?  Au  contraire  ne  savons-nous  pas  qu'elle 
a  enfanté  sans  douleur,  comme  elle  a  conçu  sans 
corruption?  Quel  est  donc  le  sens  de  saint  Jean, 
dans  cet  enfantement  douloureux  qu'il  attribue 
à  la  sainte  Vierge?  et  comment  démêlerons-nous^ 
ces  contrariétés  apparentes? 

C'est  le  mystère  que  je  vous  prêche ,  c'est  la 
vérité  que  je  vous  annonce.  Nous  devons  enten- 
dre, mes  frères,  qu'il  y  a  deux  enfantements  eu  . 
Marie.  Elle  a  enfanté  Jésus-Christ,  elle  a  en- 
fanté les  fidèles,  c'est-à-dire,  elle  a  enfanté  l'In- 
nocent ,  elle  a  enfanté  les  pécheurs.  Elle  enfante 
l'Innocent  sans  peine  ;  mais  il  fallait  qu'elle  en- 
fantât les  pécheurs  parmi  les  tourments  et  les  . 
cris  :  c'est  pourquoi  je  vois  dans  mon  évangile 
qu'elle  les  enfante  à  la  croix ,  ayant  le  cœur  rem- 
pli d'amertume  et  saisi  de  douleur,  le  visage  noyé 
de  ses  larmes.  Et  voici  la  raison  de  tout  ce  mys- 
tère, que  je  vous  prie  de  bien  pénétrer  pour  l'é- 
dification de  vos  âmes. 

Puisque ,  ainsi  que  nous  l'avons  dit ,  les  fidè- 
les devaient  renaître  de  l'amour  du  Père  éter- 
nel ,  et  des  souffrances  de  son  cher  Fils;  afin  que 
la  divine  Marie  fût  la  mère  du  peuple  nouveau , 
il  fallait  quelle  fût  unie  non-seulement  à  l'amour 
fécond  paj  lequel  le  Père  nous  a  adoptés ,  mais 
encore  aux  cruels  supplices  par  lesquels  le  Fils 
nous  engendre.  Car  n'était-il  pas  nécessaire  que 
PÈve  de  la  nouvelle  alliance  fût  associée  au 
nouvel  Adam?  Et  de  là  ^ient  que  vous  la  voyez 
affligée  au  pied  de  la  croix  ;  afin  que  de  même 
que  la  première  Eve  a  goûté  autrefois  sous  lar- 
bre,  avec  son  époux  désobéissant,  la  douceur 
empoisonnée  du  fruit  défendu;  ainsi  l'Eve  de 
mon  Évangile  s'approchât  de  la  croix  de  Jésus  y 
pour  goûter  avec  lui  toute  l'amertume,  de  cet  ar- 
bre mystérieux.  Mais  mettons  ce  raisonnement 
dans  un  plus  grand  jour  ;  et  posons  pour  pre- 
mier principe  :  que  c'était  la  volonté  du  Sauveur 
des  âmes,  que  toute  sa  fécondité  fut  dans  ses  souf- 
frances. C'est  lui-même  qui  me  l'apprend,  loxs:- 


280 


POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE. 


qu'il  se  compare,  dans  son  Evangile,  à  ce  mer- 
veilleux grain  de  froment  qui  se  multiplie  en  tom- 
bant par  ten-e ,  et  devient  fécond  par  sa  mort  : 
IVisî  f/mnumfrumenti  cadens  in  terram  mor- 
tmun  fucrit,  ipsum  solum  manet;  si  autem 
mortuum fuei'it ,  nmltum  fructum  affeH\ 

En  effet,  tous  les  mystères  du  sauveur  Jésus 
sont  une  chute  continuelle.  11  est  tombé  du  ciel 
en  la  terre ,  de  son  trône  dans  une  crèche  ;  de  la 
bassesse  de  sa  naissance  il  est  tombé ,  par  divers 
degrés,  aux  misères  qui  ont  affligé  sa  vie  :  de  là 
il  a  été  abaissé  jusqu'à  l'ignominie  de  la  croix  ; 
'Je  la  croix  il  est  tombé  au  sépulcre ,  et  c'est  là 
que  finit  sa  chute  :  parce  qu'il  ne  pouvait  des- 
cendre plus  bas.  Aussi  n'est-il  pas  plutôt  arrivé 
à  ce  dernier  anéantissement ,  qu'il  a  commencé 
de  montrer  sa  force  ;  et  ce  germe  d'immortalité , 
qu'il  tenait  caché  en  lui-même,  sous  l'infirmité 
de  sa  chair,  s'étant  développé  par  sa  mort,  on  a 
vu  ce  grain  de  froment  se  multiplier  avec  abon- 
dance, et  donner  partout  des  enfants  à  Dieu.  D'où 
je  tire  cette  conséquence  infaillible;  que  cette 
fécondité  bienheureuse ,  par  laquelle  il  nous  en- 
gendre à  son  Père ,  est  dans  sa  mort  et  dans  ses 
souffrances.  Venez  donc,  divine  Marie,  venez  à 
la  croix  de  votre  cher  fils;  afin  que  votre  amour 
maternel  vous  unisse  à  ces  souffrances  fécondes , 
par  lesquelles  il  nous  régénère. 

Qui  pourrait  vous  exprimer,  chrétiens,  cette 
sainte  correspondance ,  qui  fait  ressentir  à  Marie 
toutes  les  douleurs  de  son  fils?  Elle  voyait  cet 
unique  et  ce  bien-aimé  attaché  à  un  bois  infâme , 
(jui  étendait  ses  bras  tout  sanglants  à  un  peuple 
incrédule  et  impitoyable  ;  ses  yeux  meurtris  inhu- 
mainement ,  et  sa  face  devenue  hideuse.  Quelle 
était  l'émolion  du  sang  maternel ,  en  voyant  le 
sang  de  ce  fils  qui  se  débordait  avec  violence  de 
ses  veines  cruellement  déchirées  !  Saint  Basile 
de  Séleucie  voyant  laChananée  aux  pieds  du  Sau- 
veur, et  lui  faisant  sa  triste  prière  en  ces  mots  : 
«  Fils  de  David  ,  ayez  pitié  de  moi;  car  ma  fille 
«  est  tourmentée  par  le  démon  ^ ,  »  paraphrase 
ainsi  ses  paroles  :  «  Ayez  pitié  de  moi ,  car  ma 
«  fille  souffre  ;  je  suis  tourmentée  en  sa  personne  : 
«  à  elle  la  souffrance ,  à  moi  l'affliction.  Le  démon 
"  la  frappe ,  et  la  nature  me  frappe  moi-même  :  je 
«  ressens  tous  ses  coups  en  mon  cœur,  et  tous  les 
«  traits  de  la  fureur  de  Satan  passent  par  elle 
«  jusque  sur  moi-même^.  »  Voyez  la  force  de  la 
nature  et  de  l'affection  maternelle.  Mais  comme 
le  divin  Jésus  surpasse  infiniment  tous  les  fils, 
la  douleur  des  mères  communes  est  une  image 
trop  imparfaite  de  celle  qui  perce  le  cœur  de 

'  Joan.  XII,  24. 
»  Matth.W ,  22. 
^  Oral.  XX,  m  Chanan. 


Marie.  Son  affliction  est  comme  une  mer,  dans  la- 
quelle son  âme  est  tout  abîmée.  Et  par  là  vous 
voyez  comme  elle  est  unie  aux  souffrances  de 
son  cher  fils,  puisqu'elle  a  le  cœur  percé  de  ses 
clous ,  et  blessé  de  toutes  ses  plaies. 

Mais  admh'ez  la  suite  de  tout  ce  mystère.  C'est 
au  milieu  de  ces  douleurs  excessives;  c'est  dans 
cette  désolation,  par  laquelle  elle  entre  en  so- 
ciété des  supplices  et  de  la  croix  de  Jésus,  que 
son  fils  l'associe  aussi  à  sa  fécondité  bienheureuse. 
«  Femme ,  lui  dit-il ,  voilà  votre  fils.  »  Femme 
qui  souffrez  avec  moi,  soyez  aussi  féconde  avec 
moi;  soyez  mère  de  ceux  que  j'engendre  par 
mon  sang  et  parmes  blessures.  Quipourrait  vous 
dire,  fidèles,  quel  fut  l'effet  de  cette  parole?  elle 
gémissait  au  pied  de  la  croix  ;  et  la  force  de  la 
douleur  l'avait  presque  rendue  insensible.  Mais 
aussitôt  qu'elle  entendit  celte  voix  mourante  du 
dernier  adieu  de  son  fils ,  ses  sentiments  furent 
réveillés  par  cette  nouvelle  blessure;  il  n'y  eut 
goutte  de  sang  en  son  cœur,  qui  ne  fût  aussitôt 
émue,  et  toutes  ses  entrailles  furent  renversées. 
«  Femme,  voilà  votre  fils  :  »  Ecce  fdias  tuus\ 
Quoi!  un  autre  en  votre  place,  un  autre  pour 
vous  !  quel  adieu  me  dites-vous,  ô  mon  fils  î  est-ce 
ainsi  que  vous  consolez  votre  mère?  Ainsi  celte 
parole  la  tue;  et  pour  accomplir  le  mystère,  cette 
même  parole  la  rend  féconde. 

Il  me  souvient  ici,  chrétiens,  de  ces  mères  in- 
fortunées à  qui  on  déchire  les  entrailles  pour  en  ar- 
racher leurs  enfants,  et  qui  meurent  pour  les  met- 
tre au  monde.  C'est  ainsi,  ô  bienheureuse  Marie, 
que  vous  enfantez  les  fidèles  :  c'est  par  le  cœur 
que  vous  enfantez ,  puisque,  ainsi  que  nous  avons 
dit,  vous  engendrez  par  la  charité.  Ces  paroles  de 
votre  fils  qui  étaient  son  dernier  adieu ,  entrèrent 
dans  votre  cœur  comme  un  glaive  tranchant ,  et 
y  portèrent  jusqu'au  fond ,  avec  une  douleur  ex- 
cessive, un  amour  de  mère  pour  tous  les  fidèles  : 
ainsi  l'on  peut  dire  que  vous  nous  avez  enfantés 
d'un  cœur  déchiré,  par  la  violence  d'une  affliction 
sans  mesure.  Et  lorsque  nous  paraissons  devant 
vous,  pour  vous  appeler  notre  mère,  vous  vous 
souvenez  de  ces  mots  sacrés ,  par  lesquels  Jesus- 
Christ  vous  établit  dans  cette  qualité  :  de  sorteque 
vos  entrailles  s'émeuvent  sur  nous,  comme  sur 
les  enfants  de  votre  douleur. 

Souvenons-nous  donc,  chrétiens,  que  nous 
sommes  enfants  de  Marie,  et  que  c'est  à  la  croix 
qu'elle  nous  engendre.  Méditons  ces  belles  pa- 
roles ,  que  nous  adresse  l'Ecclésiastique  :  Gcmi- 
tus  malris  tuœne  obliviscaris^  :  «  jN'oublie  pas 
«  les  gémissements  de  ta  mère.  »  Quand  le  monde 


'  Joan.  XIX,  2(5. 
■  Ecd.  Vil ,  i'J. 


SUR  UUMTK  DE  L'RGLISE. 


381 


t'altirc  par  ses  v;)uii)*cs;  pour  détourner  l'ima- 
gin.itioii  de  ses  délices  pernicieuses,  souviens-toi 
des  pleurs  de  Marie  ;  et  n'oublie  jamais  les  gt^ 
missements  de  cette  mère  si  charitablt'  :  I\'e  ohli- 
viscaris  gemitus.  Dans  les  tentations  violentes , 
lorsque  tes  forces  sont  presque  abattues,  que 
tes  pieds  chancellent  dans  la  droite  voie ,  que  l'oc- 
casion, le  mauvais  exemple  ou  l'ardeur  de  la  jeu- 
nesse te  presse ,  n'oublie  pas  les  gémissements  de 
ta  mère  :  souviens-toi  des  pleurs  de  Marie  et  des 
incroyables  douleurs  qui  ont  déchiré  son  âme  au 
Calvaire.  Misérable ,  que  veux-tu  faire  ?  veux-tu 
élever  encore  une  croix,  pour  y  attacher  Jésus- 
Christ?  veux-tu  faire  voir  à  Marie  son  fils  crucifié 
encore  une  fois ,  couronner  sa  tête  d'épines ,  fou- 
ler aux  pieds ,  à  ses  yeux ,  le  sang  du  Nouveau 
Testament,  et,  par  un  si  triste  spectacle,  rouvrir 
encore  toutes  les  blessures  de  son  amour  ma- 
ternel ? 

Ah!  mes  frères,  ne  le  faisons  pas  :  souvenons- 
nous  des  pleurs  de  Marie ,  souvenons-nous  des 
gémissements  parmi  lesquels  elle  nous  engendre; 
c'est  assez  qu'elle  ait  souffert  une  fois,  ne  renou- 
velons pas  ses  douleurs.  Au  contraire,  expions 
nos  fautes  par  l'exercice  de  la  pénitence  :  son- 
geons que  nous  sommes  enfants  de  douleurs, 
et  que  les  plaisirs  ne  sont  pas  pour  nous.  Jésus- 
Christ  nous  enfante  en  mourant ,  Marie  est  notre 
mère  par  l'aftliction  ;  et  nous  engendrant  de  la 
sorte,  tous  deux  nous  consacrent  à  la  pénitence. 
Oux  qui  aiment  la  pénitence  sont  les  vrais  en- 
fants de  Marie  :  car  où  a-t-elle  trouvé  ses  en- 
fants? Les  a-t-elle  trouvés  parmi  les  plaisirs,  dans 
la  pompe,  dans  les  grandeurs  et  dans  les  délices 
du  monde?  Non,  ce  n'est  pas  là  qu'elle  les  ren- 
contre :  elle  les  trouve  avec  Jésus-Christ,  et 
avec  Jésus-Christ  souffrant;  elle  les  ti-ouve  au 
pied  de  sa  croix ,  se  crucifiant  avec  lui ,  s'arrosant 
de  son  divin  sang,  et  buvant  l'amour  des  souf- 
frances aux  sources  sanglantes  de  ses  blessures. 
Tels  sont  les  enfants  de  Marie.  Ah!  mes  frères, 
nous  n'en  sommes  pas,  nous  ne  sommes  pas  de 
ce  nombre.  Nous  ne  respirons  que  l'amour  du 
monde,  son  éclat,  son  repos  et  sa  liberté  :  liberté 
fausse  et  imaginaire,  par  laquelle  nous  nous  trou- 
vons engagés  à  la  damnation  éternelle. 

Mais,  ô  bienheureuse  Marie,  nous  espérons 
que  par  vos  prières  nous  éviterons  tous  ces  maux 
qui  menacent  notre  impénitence.  Faites  donc, 
mère  charitable ,  que  nous  aimions  le  Père  cé- 
leste, qui  nous  adopte  par  son  amour,  et  ce 
l\édempteur  miséricordieux,  qui  nous  engendre 
par  ses  souffrances.  Faites  que  nous  aimions  la 
croix  de  Jésus,  afin  que  nous  soyons  vos  enfants; 
afin  que  vous  nous  montriez  un  jour,  dans  le  ciel, 
Icfruitde  vos  béniteseutr.iilles,  et  que  nous  joui-s- 


sions  avec  lui  de  la  gloire  que  sa  lx)nté  nous  « 
préparée.  Amen. 


SERMON 


L'U.MTÉ  DE  L'ÉGLISE*. 


Quam  pulchra  Ubemacula  tua,  Jacob,  et  teoturia  tua, 
Israël! 

Que  ras  tentes  sont  belles,  d  enfants  de  Jacob!  que  vos 
jmv'dlons y  ô  Israélites,  sont  merveilleux!  (Test ce 
que  dit  Balaam ,  inspiré  de  Dieu ,  à  la  vue  du  camp  d'Is- 
raël dans  le  désert.  Au  livre  des  Nombres,  xxiv,  1,2, 
3,  5. 

Messeig?jeurs  , 

C'est  sans  doute  un  grand  spectacle  de  voir 
l'Église  chrétienne  figurée  dans  les  anciens  Israé- 
lites, la  voir,  dis-je,  sortie  de  lÉîiypte  et  des 
ténèbres  de  l'idolâtrie,  cherchant  la  terre  pro- 
mise à  travers  d'un  désert  immense ,  où  elle  ne 
trouve  que  d'affreux  rochers  et  des  sables  brû- 
lants; nulle  terre,  nulle  culture,  nul  fruit;  une 
sécheresse  effroyable;  nul  pain  qu'il  ne  lui  faille 
envoyer  du  ciel  ;  nul  rafraîchissement  qu'il  ne  lui 
faille  tirer  par  miracle  du  sein  d'une  roche; 
toute  la  nature  stérile  pour  elle,  et  aucun  bien 
que  par  grâce  :  mais  ce  n'est  pas  ce  qu'elle  a  de 
plus  surprenant.  Dans  l'horreur  de  cette  vaste 
solitude,  on  la  voit  environnée  d'ennemis;  ne 
marchant  jamais  qu'en  bataille  ;  ne  logeant  que 
sous  des  tentes;  toujours  prête  à  déloger  et  à 
combattre  :  étrangère  que  rien  n'attache ,  que 
rien  ne  contente  ;  qui  regarde  tout  en  passant , 
sans  vouloir  jamais  s'arrêter  :  heureuse  néan- 
moins dans  cet  état;  tant  à  cause  des  consola- 
tions qu'elle  reçoit  durant  le  voyage ,  qu'à  cause 
du  glorieux  et  immuable  repos  qui  sera  la  fin  de 
sa  course.  Voilà  l'image  de  lÉglise  pendant 
quelle  voyage  sur  la  terre. 

Balaam  la  voit  dans  le  désert  :  son  ordre ,  sa 
discipline,  ses  douze  tribus  rangées  sous  leurs 
étendards  :  Dieu,  son  chef  invisible,  au  milieu 
d'elle  :  Aaron,  prince  des  prêtres  et  de  tout  !e 
peuple  de  Dieu,  chef  visible  de  l'Église  sous 
l'autorité  de  Moïse,  souverain  législateur  et  fi- 
gure de  Jésus-Christ  :  le  sacerdoce  étroitement 
uui  avec  la  magistrature  :  tout  en  paix  par  le 
concours  de  ces  deux  puissances  :  Coré  et  ses 
sectateurs ,  ennemis  de  l'ordre  et  de  la  paix ,  en- 
gloutis à  la  vue  de  tout  le  peuple ,  dans  la  terre 

'  Ce  sormon  fut  prêché  à  l'ouverture  de  l'assemblée  géné- 
rale du  clerpé  de  France  le  9  novembre  ItiSI ,  .i  la  messe  so- 
Icnuclk'du  Sainl-Esprit,  dans  ré;;lisc  des  Grands-Augustltu 


282 


SUR  L'UiMTE 


soudainement  entr'ouverte  sous  kuis  pieds,  et 
ensevelis  tout  vivants  dans  les  enfers.  Quel  spec- 
tacle !  quelle  assemblée  !  quelle  beauté  de  l'E- 
glise !  Du  haut  d'une  montagne ,  Balaam  la  voit 
tout  entière;  et  au  lieu  de  la  maudire  comme 
on  l'y  voulait  contraindre ,  il  la  bénit.  On  le  dé- 
tourne, on  espère  lui  en  cacher  la  beauté,  en  lui 
montrant  ce  grand  corps  par  un  coin  d'où  il  ne 
puisse  en  découvrir  qu'une  partie  ;  et  il  n'est  pas 
moins  transporté  :  parce  qu'il  voit  cette  partie 
dans  le  tout,  avec  toute  la  convenance  et  toute 
la  proportion  qui  les  assortit  l'un  avec  l'autre. 
Ainsi ,  de  quelque  côté  qu'il  la  considère ,  il  est 
hors  de  lui;  et  ravi  en  admiration  il  s'écrie  : 
Quatn  pulchra  tabernacula  tua,  Jacob,  et  ten- 
toria  tua,  Israël!  «  Que  vous  êtes  admirables 
«  sous  vos  tentes ,  enfants  de  Jacob  !  »  quel  or- 
dre dans  votre  camp!  quelle  merveilleuse  beauté 
paraît  dans  ces  pavillons  si  sagement  arrangés  ; 
et  si  vous  causez  tant  d'admiration  sous  vos  ten- 
tes et  dans  votre  marche,  que  sera-ce  quand 
vous  serez  établis  dans  votre  patrie  ! 

Il  n'est  pas  possible ,  mes  frères ,  qu'à  la  vue 
de  cette  auguste  assemblée  vous  n'entriez  dans 
de  pareils  sentiments.  Une  des  plus  belles  par- 
ties de  l'Église  universelle  se  présente  à  vous. 
C'est  l'Eglise  gallicane  qui  vous  a  tous  engendrés 
en  Jésus-Christ  :  Église  renommée  dans  tous  les 
siècles ,  aujourd'hui  représentée  par  tant  de  pré- 
lats que  vous  voyez  assistés  de  l'élite  de  leur 
clergé,  et  tous  ensemble  prêts  à  vous  bénir,  prêts 
à  vous  instruire  selon  l'ordre  qu'ils  en  ont  reçu 
du  ciel.  C'est  en  leur  nom  que  je  vous  parle;  c'est 
par  leur  autorité  que  je  vous  prêche.  Qu'elle  est 
belle ,  cette  Église  gallicane,  pleine  de  science  et 
de  vertui  mais  qu'elle  est  belle  dans  son  tout, 
qui  est  l'Église  catholique  ;  et  qu'elle  est  belle 
saintement  et  inviolablement  unie  à  son  chef, 
c'est-à-dire ,  au  successeur  de  saint  Pierre  !  Oh  ! 
que  cette  union  ne  soit  point  troublée  !  que  rien 
n'altère  cette  paix  et  cette  unité  où  Dieu  habite  ! 

Esprit  saint ,  Esprit  pacilique  qui  faites  habi- 
ter les  frères  unanimement  dans  votre  maison , 
affermissez-y  la  paix.  La  paix  est  l'objet  de  cette 
assemblée  :  au  moindre  bruit  de  division  nous 
accourons  effrayés,  pour  unir  parfaitement  le 
corps  de  l'Église ,  le  père  et  les  enfants,  le  chef 
et  les  membres,  le  sacerdoce  et  l'empire.  Mais 
puisqu'il  s'agit  d'unité,  commençons  à  nous  unir 
par  des  vœux  communs,  et  demandons  tous  en- 
semble la  grâce  du  Saint-Esprit  par  l'intercession 
4e  la  sainte  Vierge.  Ave. 

Messeigneurs, 
«  Regarde ,  et  fais  selon  le  modèle  qui  t'a  été 
«  xnoQtif  sur  l^  montagne.  «  C'est  ce  qui  fut  dit 


à  Moïse,  lorsqu'il  eut  ordre  de  construire  le  ta» 
bernacle".  Mais  saint  Paul  nous  avertit*  que  ce 
n'est  point  ce  tabernacle  bâti  de  main  d'homme 
qui  doit  être  travaillé  avec  tant  de  soin ,  et  formé 
sur  ce  beau  modèle  :  c'est  le  vrai  tabernacle  de 
Dieu  et  des  hommes;  c'est  l'Église  catholique, 
où  Dieu  habite ,  et  dont  le  plan  est  fait  dans  le 
ciel.  C'est  aussi  pour  cette  raison  que  saint  Jean 
voyait  dans  l'Apocalypse  la  «  sainte  cité  de  Jé- 
«  rusalem^,  »  et  l'Église  qui  commençait  à  s'é- 
tablir par  toute  la  terre  ;  il  la  voyait ,  dis-je,  des- 
cendre du  ciel.  C'est  là  que  les  desseins  en  ont 
été  pris  :  «  Regarde ,  et  fais  selon  le  modèle  qui 
«  t'a  été  montré  sur 'cette  montagne.'» 

Mais  pourquoi  parler  de  saint  Jean  et  de 
Moïse?  écoutons  Jésus-Christ  lui-même.  Il  nous 
dira  qu'il  ne  fait  «  rien  que  ce  qu'il  voit  faire 
«  à  son  Père^.  »  Qu'a-t-il  donc  vu,  chrétiens, 
quand  il  a  formé  son  Église?  qu'a-t-il  vu  dans 
la  lumière  éternelle  et  dans  les  splendeurs  des 
saints  où  il  a  été  engendré  devant  l'aurore?  C'est 
le  secret  de  l'Époux,  et  nul  autre  que  l'Époux 
ne  le  peut  dire. 

«  Père  saint ,  je  vous  recommande  ceux  c|ue 
«  vous  m'avez  donnés;  »  je  vous  recommande 
mon  ÉgUse  :  «  gardez-les  en  votre  nom,  afin 
«  qu'ils  soient  un  comme  nous^;  et  encore  : 
«  Comme  vous  êtes  en  moi ,  et  moi  en  vous ,  ô 
«  mon  Père ,  ainsi  qu'ils  soient  un  en  nous.  Qu'ils 
«  soient  un  comme  nous;  qu'ils  soient  un  en 
«  nous^  :  »  je  vous  entends,  ô  Sauveur;  vous 
voulez  faire  votre  Église  belle,  vous  commencez 
par  la  faire  parfaitement  une  :  car  qu'est-ce  que 
la  beauté ,  sinon  un  rapport ,  une  convenance ,  et 
enfin  une  espèce  d'unité  ?  Rien  n'est  plus  beau 
que  la  nature  divine ,  où  le  nombre  même ,  qui 
ne  subsiste  que  dans  les  rapports  mutuels  de 
trois  Personnes  égales ,  se  termine  en  une  par- 
faite unité.  Après  la  Divinité,  rien  n'est  plus 
beau  que  l'Eglise  où  l'unité  divine  est  représen- 
tée. «  Un  comme  nous ,  un  en  nous  :  regardez, 
«  et  faites  suivant  ce  modèle.  » 

Une  si  grande  lumière  nous  éblouirait  :  des- 
cendons, et  considérons  l'unité  avec  la  beauté 
dans  les  chœurs  des  anges.  La  lumière  s'y  dis- 
tribue sans  se  diviser  :  elle  passe  d'un  ordre  à 
un  autre,  d'un  chœur  à  un  autre  avec  une  par- 
faite correspondance,  parce  qu'il  y  aune  parfaite 
subordination.  Les  anges  ne  dédaignent  pas  de 
se  soumettre  aux  archanges ,  ni  les  archanges  de 
reconnaître  les  puissances  supérieures.  C'est  une 

'  Exod.  XXV ,  W. 
'  Hebr.  viii,  9. 
'  Apoc.  XXI,  10. 
*  Joan.  V,  19. 
»  Ibid.  XVII,  II. 
■■  ibid.  Jl.ii. 


DE  L'EGLISE. 


283 


«rméc  où  tout  marche  avec  ordre  ;  et  comme  di- 
sait ce  patriarche  :  «  C'est  ici  le  camp  de  Dieu  '.  >• 
C'est  pourquoi,  dans  ce  combat  donné  d;u)S  le 
ciel ,  on  nous  représente  «  Michel  et  ses  anges 
n  contre  Satan  et  ses  anges*.  »  Il  y  a  un  chef 
dans  chaque  parti  ;  mais  ceux  qui  disent  avec 
saint  Michel  :  •<  Qui  égale  Dieu?  »  triomphent 
des  orgueilleux,  qui  disent  :  Qui  nous  égale?  et 
les  anges  victorieux  demeurent  unis  à  leur  Créa- 
teur sous  le  chef  qu'il  leur  a  donné.  0  Jésus, 
qui  n'êtes  pas  moins  le  chef  des  anges  que  celui 
des  hommes  :  «  Regardez ,  et  faites  selon  ce  mo- 
«  dèle;  »  que  la  sainte  hiérarchie  de  votre  Église 
soit  formée  sur  celle  des  esprits  célestes.  Car, 
comme  dit  saint  Grégoire^,  «  si  la  seule  beauté 
«  de  l'ordre  fait  qu'il  se  tro.ive  tant  d'obéissance 
«  où  il  n'y  a  point  de  péché;  combien  plus  doit- 
«  il  y  avoir  de  subordination  et  de  dépendance 
«  parmi  nous ,  où  le  péché  mettrait  tout  en  con- 
«  fusion  sans  ce  secours!  » 

Selon  cet  ordre  admirable ,  toute  la  nature  an- 
gélique  a  ensemble  une  immortelle  beauté;  et 
chaque  troupe,  chaque  chœur  des  anges  a  sa 
beauté  particulière,  inséparable  de  celle  du  tout. 
Cet  ordre  a  passé  du  ciel  à  la  terre  ;  et  je  vous  ai 
dit  d'abord  qu'outre  la  beauté  de  l'Église  univer- 
selle, qui  consiste  dans  l'assemblage  du  tout, 
chaque  Église  placée  dans  un  si  beau  tout  avec 
une  justesse  parfaite ,  a  sa  grâce  particulière.  Jus- 
qu'ici tout  nous  est  commun  avec  les  saints  anges  : 
mais  saint  Grégoire  nous  a  fait  remarquer  que  le 
péché  n'est  point  parmi  eux  ;  c'est  pourquoi  la 
paLx  y  règne  éternellement.  Cette  cité  bienheu- 
reuse, d'où  les  superbes  et  les  factieux  ont  été 
bannis,  où  il  n'est  resté  que  les  humbles  et  les 
pacifiques,  ne  craint  plus  d'être  divisée.  Le  péché 
est  parmi  nous  :  malgré  notre  infirmité ,  J'orgueil 


y  règne  ;  et  tirant  tout  à  soi ,  il  nous  arme  les  uns 
contre  les  autres.  L'Église  donc ,  qui  porte  en  son 
sein ,  dans  ce  secret  principe  d'orgueil  qu'elle  ne 
cesse  de  réformer  dans  ses  enfants ,  une  étemelle 
semence  de  division,  n'aurait  point  de  beauté 
durable,  ni  de  véritable  unité,  si  elle  ne  trouvait 
dans  son  unité  des  moyens  de  s'y  affermir,  quand 
elle  est  menacée  de  division. 

Écoutez  :  voici  le  mystère  de  l'unité  catholi- 
que ,  et  le  principe  immortel  de  la  beauté  de  l'É- 
glise. Elle  est  belle  et  une  dans  son  tout;  c'est 
ma  première  partie ,  où  nous  verrons  la  beauté 
de  tout  le  corps  de  l'Église  :  belle  et  une  en  cha- 
que membre  ;  c'est  ma  seconde  partie ,  où  nous 
verrons  la  beauté  particulière  de  l'Église  galli- 
cane dans  ce  beau  tout  de  l'Église  universelle  : 

>  Cènes.  XXX H,  2 

'  .4fx>c.  XII,  7. 

'  S.  GrcQ.  Epist.  lib.  y;  Episl.  tiv,  t.  ii,  col.  7S4. 


belle  et  une  d'une  beauté  et  d'une  unité  durable; 
c'est  ma  dernière  partie,  ou  nous  verrons  dans 
le  sein  de  l'unité  catholique  des  remèdes  pour 
prévenir  les  moindres  commencements  de  divi- 
sion et  de  trouble.  Que  de  grandeur  et  que  de 
beauté!  mais  que  de  force,  que  de  m.ijesté,  que 
de  vigueur  dans  l'Église  !  Car  ne  croyez  pas  que 
je  parle  d'une  beauté  superficielle  qui  trompe  les 
yeux.  La  vraie  beauté  vient  de  la  santé  :  ce  qui 
rend  l'Église  forte,  la  rend  belle;  son  unité  la 
rend  belle,  son  unité  la  rend  forte.  Voyons  donc 
dans  son  unité ,  et  sa  beauté  et  sa  force  :  heureux 
si  l'ayant  vue  belle  premièrement  dans  son  tout, 
et  ensuite  dans  la  partie  à  laquelle  nous  nous  trou- 
vons immédiatement  attachés ,  nous  travaillons  à 
finir  jusqu'aux  moindres  dissensions  qui  pour- 
raient défigurer  une  beauté  si  parfaite.  Ce  sera  le 
fruit  de  ce  discours,  et  c'est  sans  doute  le  plus 
digne  objet  qu'on  puisse  proposer  à  un  si  grand 
auditoire. 

PBEMIEB    POI?(T. 

J'ai ,  messieurs ,  à  vous  prêcher  un  grand  mys- 
tère; c'est  le  mystère  de  l'unité  de  l'Église.  Unie 
au  dedans  par  le  Saint-Esprit ,  elle  a  encore  un 
lieu  commun  de  sa  communion  extérieure,  et 
doit  demeurer  unie  par  un  gouvernement  où 
l'autorité  de  Jésus-Christ  soit  représentée.  Ainsi 
l'unité  garde  l'unité;  et  sous  le  sceau  du  gouver- 
nement ecclésiastique  l'unité  de  l'esprit  est  con- 
servée. Quel  est  ce  gouvernement?  quelle  en  est 
la  forme?  Ne  disons  rien  de  nous-mêmes  :  ou- 
vrons l'Évangile;  l'Agneau  a  levé  les  sceaux  de 
ce  sacré  livre ,  et  la  tradition  de  l'Église  a  tout 
expliqué. 

Nous  trouverons  dans  l'Évangile  que  Jésus- 
Christ  voulant  commencer  le  mjstère  de  l'unité 
dans  son  Église ,  parmi  tous  ses  disciples  en  choi- 
sit douze;  mais  que  voulant  consommer  le  mys- 
tère de  l'unité  dans  la  même  Église ,  parmi  les 
douze  il  en  choisit  un.  «  Il  appela  ses  disciples ,  » 
dit  l'Évangile  '  :  les  voilà  tous;  «  et  parmi  eux  il 
«  en  choisit  douze.  >■  Voilà  une  première  sépa- 
ration ,  et  les  apôtres  choisis.  «  Et  voici  les  noms 
«  des  douze  apôtres  :  le  premier  est  Simon  qu'on 
"■  apiîelle  Pierre ^  »  Voilà,  dans  une  seconde  sé- 
paration ,  saint  Pierre  mis  à  la  tête ,  et  appelé  pour 
cette  raison  du  nom  de  Pierre ,  «  que  Jésus-Christ , 
«  dit  saint  Marc  ^ ,  lui  avait  donné  ;  «  pour  prépa- 
rer, comme  vous  verrez,  l'ouvrage  qu'il  méditait 
d'élever  tout  son  édifice  sur  cette  pierre. 

Tout  ceci  n'est  encore  qu'un  commencement 
du  mystère  de  l'unité.  Jésus-Christ ,  en  le  comi 

»  Luc.  VI,  13. 
'  Matth.  x,2. 
î  Marc,  ni,  16 


S8  4 


SUR  L'UMTÉ 


iTiençant,  parlait  encore  à  plusieurs  :  «  Allez, 
«  prêchez,  je  \ous  envoie  :  »  lie,  prœdicnte, 
tnitlo  vos  •  :  mais  quand  il  veut  mettre  la  dernière 
main  au  mystère  de  l'unité,  il  ne  parle  plus  à 
plusieurs;  il  désigne  Pierre  personnellement  et 
par  le  nouveau  nom  qu'il  lui  a  donné  :  c'est  un 
seul  qui  parle  à  un  seul  :  Jésus-Cin-ist  Fils  de  Dieu 
à  Simon  fils  de  Jonas  :  Jésus-Christ  qui  est  la  vraie 
pierre,  et  fort  par  lui-môme,  à  Simon  qui  n'est 
Pierre  que  par  la  force  que  Jésus-Christ  lui  com- 
munique :  c'est  à  celui-là  que  Jésus-Christ  parle; 
et  en  lui  parlant  il  agit  en  lui ,  et  y  imprime  le  ca- 
ractère de  sa  fermeté  :  «  Et  moi ,  dit- il  %  je  te  dis 
«  à  toi  :  Tu  es  Pierre,  et,  ajoute-t-il ,  sur  cette 
«  pierre  j'établirai  mon  ÉgllSe,  et,  conclut-il,  les 
«  portes  de  l'enfer  ne  prévaudront  point  contre 
«  elle.  »  Pour  le  préparer  à  cet  honneur,  Jésus- 
Christ,  qui  sait  que  la  foi  qu'on  a  en  lui  est  le 
fondement  de  son  Église ,  inspire  à  Pierre  une  foi 
digne  d'être  le  fondement  de  cet  admirable  édi- 
fice :  «  Vous  êtes  le  Christ  Fils  du  Dieu  vivant  \  » 
Par  cette  haute  prédication  de  la  foi,  il  s'attire 
l'inviolable  promesse  qui  le  fait  le  fondement  de 
l'Eglise.  La  parole  de  Jésus-Christ ,  qui  de  rien 
fait  ce  qu  il  lui  plaît ,  donne  cette  force  à  un  mor- 
tel. Qu'on  ne  dise  point ,  qu'on  ne  pense  point 
que  ce  ministère  de  saint  Pierre  finisse  avec  lui  : 
ce  qui  doit  servir  de  soutien  aune  Église  éternelle 
ne  peut  jamais  avoir  de  fin.  Pierre  vivra  dans  ses 
successeurs;  Pierre  parlera  toujours  dans  sa 
chaire  :  c'est  ce  que  disent  les  Pères  ;  c'est  ce  que 
confirment  six  cent  trente  évêques  au  concile  de 
Chalcédoine'^. 

Jésus- Christ  ne  parle  pas  sans  effet.  Pierre 
portera  partout  avec  lui ,  dans  cette  haute  prédi- 
cation de  la  foi ,  le  fondement  des  Églises  ;  et  voici 
le  chemin  qu'il  lui  faut  faire.  Par  Jérusalem  la 
cité  sainte  où  Jésus-Christ  a  paru ,  où  «  l'Église 
«  devait  commencer  *  »  pour  continuer  la  succes- 
sion du  peuple  de  Dieu ,  où  Pierre  par  conséquent 
devait  être  longtemps  le  chef  de  la  parole  et  de 
la  conduite,  d'où  il  allait  visitant  les  Églises  per- 
sécutées ^ ,  et  les  confirmant  dans  la  foi  ;  où  il 
fallait  que  le  grand  Paul ,  Paul  revenu  du  troi- 
sième ciel ,  le  vînt  voir  '  :  non  pas  Jacques ,  quoi- 
qu'il y  fût;  un  si  grand  apôtre,  «  frère  du  Sei- 
'<  gneur  * ,  «  évêque  de  Jérusalem ,  appelé  le  Juste, 
et  également  respecté  par  les  chrétiens  et  par  les 
Juifs  :  ce  n'était  pas  lui  que  Paul  devait  venir 

•  Matlh.  X,  6,  7,  16. 
»  Ibid.  XVI ,  18. 

3  Ibid.  16. 

♦  Conc.  Chalc.  Act.  il ,  II! ,  Lab.  t.  IV ,  col.  368 ,  425.  Rdat. 
ad  Léon.  ibid.  col.  833. 

*  Lucww ,  17. 
«  Ait.  IX  ,  32. 

■   Cil.  I,  is. 
«  Ibid.  11. 


voir  ;  mais'il  est  venu  voir  Pierre ,  et  le  voli  selon 
la  force  de  l'original,  comme  on  vient  voir  une 
chose  pleine  de  merveilles ,  et  digne  d'être  recher- 
chée, «  le  contempler,  l'étudier,  dit  saint  Jean- 
«  Chrysostôme  ' ,  et  le  voir  comme  plus  grand 
«  aussi  bien  que  comme  plus  ancien  que  lui ,  » 
dit  le  même  Père  :  le  voir  néanmoins,  non  pour 
être  instruit,  lui  que  Jésus-Christ  instruisait  lui- 
même  par  une  révélation  si  expresse;  mais  afin 
de  donner  la  forme  aux  siècles  futurs ,  et  qu'il  de- 
meurât établi  à  jamais  que  quelque  docte,  quel- 
que saint  qu'on  soit,  fût-on  un  autre  saint  Paul , 
il  faut  voir  Pierre  :  par  cette  sainte  cité  et  encore 
par  Antioche ,  la  métropolitaine  de  l'Orient  ;  mais 
ce  n'est  rien,  la  plus  illustre  Église  du  monde, 
puisque  c'est  là  que  le  nom  de  chrétien  a  pris 
naissance  :  vous  l'avez  lu  dans  les  Actes  ^  ;  Église 
fondée  par  saint  Barnabe  et  par  saint  Paul ,  mais 
que  la  dignité  de  Pierre  oblige  à  le  reconnaître 
pour  son  premier  pasteur,  l'histoire  ecclésiasti- 
que en  fait  foi  :  où  il  fallait  que  Pierre  vînt, 
quand  elle  se  fut  distinguée  des  autres  par  une 
si  éclatante  profession  du  christianisme,  et  que 
sa  chaire  à  Antioche  fît  une  solennité  dans  les 
Églises  :  parées  deux  villes ,  illustresdans  rKglise 
chrétienne  par  des  caractères  si  marqués ,  il  fal- 
lait qu'il  vînt  à  Rome  plus  illustre  encore  :  Rome 
le  chef  de  l'idolâtrie  aussi  bien  que  de  l'empire; 
mais  Rome ,  qui ,  pour  signaler  le  triomphe  de  Jé- 
sus-Christ, est  prédestinée  à  être  le  chef  de  la  re- 
ligion et  de  l'Église,  doit  devenir  par  cette  raison 
la  propre  Eglise  de  saint  Pierre;  et  voilà  où  il 
faut  qu'il  vienne,  par  Jérusalem,  et  par  Antioche. 
Mais  pourquoi  voyons-nous  ici  l'apôtre  saint 
Paul?  le  mystère  en  serait  long  à  déduire.  Souve- 
nez-vousseulementdu  grand  partage  où  l'univers 
fut  comme  divisé  entre  Pierre  et  Paul;  où  Pierre 
chargé  du  tout  en  général  par  sa  primauté,  et 
par  un  ordre  exprès  chargé  des  Gentils  qu'il  avait 
reçus  en  la  personne  de  Cornélius  le  Centurion  % 
ne  laisse  pas,  pour  faciliter  la  prédication,  de  se 
charger  du  soin  spécial  des  Juifs,  comme  Paul, 
se  chargea  du  soin  spécial  des  Gentils  ^.  Puisqu'il 
fallait  partager,  il  fallait  que  le  premier  eût  les 
aînés;  que  le  chef,  à  qui  tout  se  devait  unir,  eût 
le  peuple  sur  lequel  le  reste  devait  être  enté ,  et 
que  le  vicaire  de  Jésus-Christ  eût  le  partage  de 
Jésus-Christ  même.  Mais  ce  n'est  pas  encore  as- 
sez; et  il  faut  que  Rome  revienne  au  partage  de 
saint  Pierre:  car  encore  que,  comme  chef  de  la 
gentilité,  elle  fût  plus  que  toutes  les  autres  villes 
comprise  dans  le  partage  de  l'apôtre  des  Gentils  :; 

•  In  Episl.  ad  Cal.  cap.  I ,  n"  1 1 ,  t.  X ,  p.  077. 
»  Act.  M,  26. 

3  Ad.  X. 

*  CaL  II ,  7 ,  e ,  9. 


DK  L'RGLISK. 


185 


comme  chef  de  la  chrétienté,  il  faut  que  Pierre  y 
fonde  rÉglise  :  ce  n'est  pas  tout  ;  il  faut  que  la 
commission  extraordinaire  de  Paul  expire  avec 
lui  à  Rome,  et  que  réunie  à  jamais,  pour  ainsi 
parler,  à  la  chaire  suprême  de  Pierre  à  laquelle 
elle  était  subordonnée ,  elle  élève  l'Eglise  romaine 
au  comble  de  l'autorité  et  de  la  gloire.  Disons  en- 
core :  quoique  ces  deux  frères,  saint  Pierre  et  saint 
Paul,  nouveaux  fondateurs  de  Rome,  plus  heu- 
reux ,  comme  plus  unis ,  que  ses  deux  premiers 
fondateurs,  doivent  consacrer  ensemble  l'Église 
romaine;  quelque  grand  que  soit  saint  Paul,  eu 
science,  en  dons  spirituels,  en  charité,  en  courage, 
encore  qu'il  ait  «  travaillé  plus  que  tous  les  autres 
«  apôtres'  ;  «  et  qu'il  paraisse  étonné  lui-même  de 
ses  grandes  révélations  *  et  de  l'excès  de  ses  lu- 
mières ,  il  faut  que  la  parole  de  Jésus-Christ  pré- 
vale :  Rome  ne  sera  pas  la  chaire  de  saint  Paul , 
mais  la  chaire  de  saint  Pierre  ;  c'est  sous  ce  titre 
qu'elle  sera  plus  assurément  que  jamais  le  chef 
du  monde  :  et  qui  ne  sait  ce  qu'a  chanté  le  grand 
saint  Prosper  il  y  a  plus  de  douze  cents  ans  ^  : 
«  Rome  le  siège  de  Pierre ,  devenue  sous  ce  titre 
«  le  chef  de  l'ordre  pastoral  dans  tout  l'univers, 
«  s'assujettit  par  la  religion  ce  qu'elle  n'a  pu  sub- 
«  juguer  par  les  armes?  »  Que  volontiers  nous  ré- 
pétons ce  sacré  cantique  d'un  Père  de  l'Eglise 
gallicane  !  c'est  le  cantique  de  la  paix ,  où ,  dans 
la  grandeur  de  Rome ,  l'unité  de  toute  l'Église  est 
célébrée. 

Ainsi  fut  établie  et  fixée  à  Rome  la  chaire  éter- 
nelle. C'est  cette  Église  romaine  qui ,  enseignée 
par  saint  Pierre  et  ses  successeurs ,  ne  connaît 
point  d'hérésie.  Les  Donatistes  affectèrent  d'y 
avoir  un  siège  < ,  et  crurent  se  sauver  par  ce 
moyen  du  reproche  qu'on  leur  faisait  que  la  chaire 
d'unité  leur  manquait  :  mais  la  chaire  de  pesti- 
lence ne  put  subsister,  ni  avoir  de  succession  au- 
près de  la  chaire  de  vérité.  Les  Manichéens  se 
cachèrent  quelque  temps  dans  cette  Église  ^  :  les 
y  découvrir  seulement,  a  été  les  en  bannir  pour 
janr.ais.  Ainsi  les  hérésies  ont  pu  y  passer,  mais 
non  pas  y  prendre  racine.  Que  contre  la  coutume 
de  tous  leurs  prédécesseurs,  un  ou  deux  souve- 
rains pontifes,  ou  par  violence,  ou  par  surprise, 
n'aieut  pas  assez  constamment  soutenu  ou  assez 
pleinement  expliqué  la  doctrine  de  la  foi  ;  consul- 
lés  de  toute  la  terre ,  et  répondant  durant  tant 
de  siècles  à  toutes  sortes  de  questions  de  doc- 
trine, de  discipline,  de  cérémonies,  qu'une  seule 
de  leurs  réponses  se  trouve  notée  par  la  souveraine 
rigueur  d'un  concile  écuménique  :  ces  fautes  par- 

'  I.  Cor.xy,  10. 

»  n.  Cor.  n,7. 

'  5.  Proxp.  Carm.  de  Ingr.  cap.  n. 

«  a.  Opt.  Mil.  lib.  M,  n"  4,  p.  29;  edit.  1700. 

'  S.  Léo.  Scrm.  \u ,  cap.  v. 


ticulières  n'cmt  pu  faire  aucune  Impression  dans 
la  chaire  de  saint  Pierre.  Un  vaisseau  qui  fend 
les  eaux  n'y  laisse  pas  moins  de  vestiges  de  son 
passage.  C'est  Pierre  quia  failli,  mais  qu'un  re- 
gard de  Jésus  ramène  aussitôt  •  ;  et  qui ,  avant 
que  le  Fils  de  Dieu  lui  déclare  sa  faute  future ,  as- 
suré de  sa  conversion ,  reçoit  l'ordre  de  «  confir- 
«  mer  ses  frères'  :  »  et  quels  frères?  les  apôtres; 
les  colonnes  mêmes  :  combien  plus  les  siècles 
suivants!  Qu'a  servi  à  l'hérésie  des  Monothélites 
d'avoir  pu  surprendre  un  pape?  l'anathème  qui 
lui  a  donné  le  premier  coup  n'en  est  pas  moins 
parti  de  cette  chaire,  qu'elle  tenta  vainement 
d'occuper  ;  et  le  concile  sixième  ne  s'en  est  pas 
écrié  avec  moins  de  force  :  «  Pierre  a  parlé  par 
«  Agathon  ^.  »  Toutes  les  autres  hérésies  ont  reçu 
du  même  endroit  le  coup  mortel.  Ainsi  l'Église 
romaine  est  toujours  vierge  ;  la  foi  romaine  est 
toujours  la  foi  de  l'Église;  on  croit  toujourece 
qu'on  a  cru  ;  la  même  voix  retentit  partout  ;  et 
Pierre  demeure  dans  ses  successeurs  le  fondement 
des  fidèles.  C'est  Jésus- Christ  qui  l'a  dit  ;  et  le  ciel 
et  la  terre  passeront ,  plutôt  que  sa  parole. 

Mais  voyons  encore  en  un  mot  la  suite  de  cette 
parole.  Jésus-Christ  poursuit  son  dessein  ;  et  après 
avoir  dit  à  Pierre ,  éternel  prédicateur  de  la  foi  : 
n  Tu  es  Pierre,  et  sur  cette  pierre  je  bâtirai  mon 
"  Église^,  «  il  ajoute  :  «  et  je  te  donnerai  les  clefs 
«  du  royaume  des  cieux.  »  Toi  qui  as  la  préro- 
gative de  la  prédication  de  la  foi ,  tu  auras  aussi 
les  clefs  qui  désignent  l'autorité  du  gouverne- 
ment :  «  ce  que  tu  lieras  sur  la  terre,  sera  lié 
«  dans  le  ciel  ;  et  ce  que  tu  délieras  sur  la  terre , 
«  sera  délié  dans  le  ciel.  »  Tout  est  soumis  à  ces 
clefs;  tout,  mes  frères,  rois  et  peuples,  pasteurs 
et  troupeaux  mous  le  publions  avec  joie;  car  nous 
aimons  l'unité,  et  nous  tenons  à  gloire  notre 
obéissance.  C'est  à  Pierre  qu'il  est  ordonné  pre- 
mièrement n  d'aimer  plus  que  tous  les  autres  apô- 
«  très,  »et  ensuite  «  de  paître  »  et  gouverner  tout, 
«  et  les  agneaux  et  les  brebis  ^,  »■  et  les  petits  et 
les  mères ,  et  les  pasteurs  mêmes  :  pasteurs  à  l'é- 
gard des  peuples,  et  brebis  à  l'égard  de  Pierre, 
ils  honorent  en  lui  Jésus-Christ ,  confessant  aussi 
qu'avec  raison  on  lui  demande  un  plus  grand 
amour,  puisqu'il  a  plus  de  dignité  asec  plus  de 
charge;  et  que  parmi  nous,  sous  la  discipline 
d'un  maître  tel  que  le  nôtre,  il  faut,  selon  s.i 
parole ,  «  que  le  premier  soit  comme  lui ,  par  te 
«  charité,  le  serviteur  de  tous  les  autres '^.  » 


'  Luc.  XXII,  61. 
=  Ibid.  32. 

*  Conc.  Const.  m,  gen.  vi,  Senm.  aeclam.  ad  Imp.  Art. 
XTiu ,  t.  VI  Coiic.  col.  105-3. 

*  Matth.  XTI,  18,  19. 

»  Joan.  XXI,  lô,  16,  17. 
«  Marc  X.  ii- 


2SG 


SUR  L'UNITE 


Ainsi  saint  Pierre  paraît  le  premier  en  toutes 
manières  :  le  premier  à  confesser  la  foi  ',  le  pre- 
mier dans  l'obligation  d'exercer  l'amour^;  le  pre- 
mier de  tous  les  apôtres  qui  vit  Jésus-Christ  res- 
suscité des  morts ^,  comme  il  en  devait  être  le 
premier  témoin  devant  tout  le  peuple'';  le  pre- 
mier quand  il  fallut  remplir  le  nombre  des  apô- 
tres^, le  premier  qui  confirma  la  foi  par  un  mira- 
cle^; le  premier  à  convertir  les  Juifs 7 ,  le  premier 
à  recevoir  les  gentils*  :  le  premier  partout:  mais 
je  ne  puis  pas  tout  dire.  Tout  concourt  à  établir 
sa  primauté  ;  oui ,  mes  frères ,  tout ,  jusqu'à  ses 
fautes ,  qui  apprennent  à  ses  successeurs  à  exercer 
une  si  grande  puissance  avec  humilité  et  condes- 
cendance. Car  Jésus-Christ  est  le  seul  pontife 
qui,  au-dessus ,  dit  saint  Paul?,  du  péché  et  de 
l'ignorance,  n'a  pu  ressentir  la  faiblesse  humaine 
que  dans  la  mortalité ,  ni  apprendre  la  compassion 
que  par  ses  souffrances.  Mais  les  pontifes  ses  vi- 
caires, qui  tous  les  jours  disent  avec  nous,  <•■  Par- 
«  donnez-nous  nos  fautes ,  »  apprennent  à  com- 
patir d'une  autre  manière ,  et  ne  se  glorifient  pas 
du  trésor  qu'ils  portent  dans  un  vaisseau  si  fragile. 

Mais  une  autre  faute  de  Pierre  donne  une  au- 
tre leçon  à  toute  l'Église.  Il  en  avait  déjà  pris  le 
gouvernement  en  main  quand  saint  Paul  lui  dit 
en  face,  qu'il  «  ne  marchait  pas  droitement  selon 
«  l'Évangile  '"  ;  »  parce  qu'en  s'éloignant  trop  des 
Gentils  convertis ,  il  mettait  quelque  espèce  de  di- 
vision dans  l'Église.  Il  ne  manquait  pas  dans  la 
foi  ;  mais  dans  la  conduite  :  je  le  sais  ;  les  anciens 
l'ont  dit,  et  il  est  certain.  Mais  enfin  saint  Paul 
faisait  voir  à  un  si  grand  apôtre  qu'il  manquait 
dans  la  conduite  "  :  et  encore  que  cette  faute 
lui  fût  commune  avec  Jacques ,  il  ne  s'en  prend 
pas  à  Jacques  ;  mais  à  Pierre  qui  était  chargé  du 
gouvernement,  et  il  écrit  la  faute  de  Pierre  dans 
une  épître  qu'on  devait  lire  éternellement  dans 
toutes  les  Églises  avec  le  respect  qu'on  doit  à  l'au- 
torité divine  :  et  Pierre,  qui  le  voit,  ne  s'en  fâ- 
che pas;  et  Paul ,  qui  l'écrit,  ne  craint  pas  qu'on 
l'accuse  d'être  vain.  Ames  célestes ,  qui  ne  sont 
touchées  que  du  bien  commun  ;  qui  écrivent ,  qui 
laissent  écrire,  aux  dépens  de  tout,  ce  qu'ils 
croient  utile  à  la  conversion  des  Gentils  et  à  l'ins- 
truction de  la  postérité  1  II  fallait  que  dans  un 
pontife  aussi  éminent  que  saint  Pierre  les  pontifes 

'  Matlh.  XVI,  16. 

'  Joan.  XXI,  15  et  scqq. 

»  I.  Cor.  XV ,  5. 

*  Jet.  II,  14. 
»  Ihid.  I,  15. 

•  Ihid.  III ,  6 ,  7. 
'  Ihid.  M,  U. 

»  Ihid.  \. 

»  Hehr.  il,  17,  18;  IV,  15;TII,  26. 

"  Sal.  II,  Il  ,  li. 

"  Ibid    11. 


ses  successeurs  apprissent  à  prêter  l'oreille  àleur.1 
inférieurs,  lorsque  beaucoup  moindres  que  saint 
Paul,  et  dans  de  moindres  sujets,  ils  leur  par- 
leraient avec  moins  de  force ,  mais  toujours  avec 
le  même  dessein  de  pacifier  l'Église.  Voilà  ce  que 
saint  Cyprien',  saint  Augustin'  et  les  autres 
Pères  ont  remarqué  dans  cet  exemple  de  saint 
Pierre.  Admirons,  après  ces  grands  hommes, 
dans  l'humilité ,  l'ornement  le  plus  nécessaire  des 
grandes  places  ;  et  quelque  chose  de  plus  vénéra- 
ble dans  la  modestie ,  que  dans  tous  les  autres 
dons;  et  le  monde  plus  disposé  à  l'obéissance, 
quand  celui  à  qui  on  la  doit  obéit  le  premier  à  la 
raison  ;  et  Pierre ,  qui  se  corrige ,  plus  grand ,  s'il 
se  peut,  que  Paul  qui  le  reprend. 

Suivons;  ne  vous  lassez  point  d'entendre  le 
grand  mystère  qu'une  raison  nécessaire  nous 
oblige  aujourd'hui  de  vous  prêcher.  On  veut  de 
la  morale  dans  les  sermons;  et  on  a  raison,  pourvu 
qu'on  entende  que  la  morale  chrétienne  est  fondée 
sur  les  mystères  du  christianisme.  Ce  que  je  vous 
prêche ,  «  je  vous  le  dis ,  est  un  grand  mystère 
«  en  Jésus-Christ  et  en  son  Église^;  »  et  ce  mys- 
tère est  le  fondement  de  cette  belle  morale  qui 
unit  tous  les  chrétiens  dans  la  paix ,  dans  l'obéis- 
sance ,  et  dans  l'unité  catholique. 

Vous  avez  vu  cette  unité  dans  le  saint-siége  : 
la  voulez-vous  voir  dans  tout  l'ordre  et  dans  tout 
le  collège  épiscopal  ?  Mais  c'est  encore  en  saint 
Pierre  qu'elle  doit  paraître,  et  encore  dans  ces 
paroles  :  «  Tout  ce  que  tu  lieras,  sera  lié;  tout  ce 
«  que  tu  délieras,  sera  délié ^.  »  Tous  les  papes  et 
tous  les  saints  Pères  l'ont  enseigné  d'un  commun 
accord.  Oui,  mes  frères,  ces  grandes  paroles, 
où  vous  avez  vu  si  clairement  la  primauté  de 
saint  Pierre,  ont  érigé  les  évêques,  puisque  la 
force  de  leur  ministère  consiste  à  lier  ou  à  délier 
ceux  qui  croient  ou  ne  croient  pas  à  leur  parole. 
Ainsi  cette  divine  puissance  de  lier  et  de  délier 
est  une  annexe  nécessaire,  et  comme  le  dernier 
sceau ,  de  la  prédication  que  Jésus-Christ  leur  a 
confiée  ;  et  vous  voyez  en  passant  tout  l'ordre  de 
la  juridiction  ecclésiastique.  C'est  pourquoi  le 
même  qui  a  dit  à  saint  Pierre  :  «  Tout  ce  que  tu 
«  lieras  sera  lié ,  tout  ce  que  tu  délieras  sera  dé- 
«  lié_^,  »  a  dit  la  même  chose  à  tous  les  apôtres; 
et  leur  a  dit  encore  :  «  Tous  ceux  dont  vous  re- 
«  mettrez  les  péchés,  ils  leur  seront  remis;  et 
«  tous  ceux  dont  vous  retiendrez  les  péchés,  ils 
«  leur  seront  retenus^.  «  Qu'est-ce  que  lier,  sinon 
retenir;  et  qu'est-ce  que  délier,  sinon  remettre? 

*  s.  Cypr.  Epist.  Lxxi,  p.  127. 

2  S.  Aufj.  Epist.  Lxxxiii,  n"  22,  t.  Il,  col.  198. 

3  Ephex.  V,  32. 

*  Malth.  XYI,  19. 
'  Ibid.  XVIII,  18. 
«  Joaii.  XX, 


fît  le  môme  qui  donne  à  Pierre  cette  puissance , 
la  donne  aussi  de  sa  propre  Iwuche  à  tous  les  apô- 
tres. •  Comme  mon  Père  ma  envoyé,  ainsi  dit- 
«  il,  je  vous  envoie'.  «  On  ne  peut  voir  ni  une 
puissance  mieux  établie,  ni  une  mission  plus 
immédiate  :  aussi  souffle-t-il  également  sur  tous; 
il  répand  sur  tous  le  même  esprit  avec  ce  souffle , 
en  leur  disant  :  «  Recevez  le  Saint-Esprit  ;  ceux 
«  dont  vous  remettrez  les  péchés,  ils  seront  re- 
n  mis*  :  »  et  le  reste  que  nous  avons  récité. 

C'était  donc  manifestement  le  dessein  de  Jésus- 
Christ  de  mettre  premièrement  dans  un  seul  ce 
que  dans  la  suite  il  voulait  mettre  dans  plusieurs  : 
mais  la  suite  ne  renverse  pas  le  commencement , 
et  le  premier  ne  perd  pas  sa  place.  Cette  première 
parole ,  «  Tout  ce  que  tu  lieras ,  »  dite  à  un  seul , 
a  déjà  rangé  sous  sa  puissance  chacun  de  ceux  à 
qui  on  dira  :  «  Tout  ce  que  vous  remettrez  :  » 
car  les  promesses  de  Jésus-Christ ,  aussi  bien  que 
ses  dons ,  sont  sans  repentance  ;  et  ce  qui  est  une 
fois  donné  indéfiniment  et  universellement,  est 
irrévocable  :  outre  que  la  puissance  donnée  à 
plusieurs ,  porte  sa  restriction  dans  son  partage  ; 
au  lieu  que  la  puissance  donnée  à  un  seul ,  et  sur 
tous,  et  sans  exception,  emporte  la  plénitude;  et 
n'ayant  à  se  partager  avec  aucun  autre ,  elle  n'a 
de  bornes  que  celles  que  donne  la  règle.  C'est 
pourquoi  nos  anciens  docteurs  de  Paris ,  que  je 
pourrais  ici  nommer  avec  honneur ,  ont  tous  re- 
connu d'une  même  voix ,  dans  la  ciiaire  de  saint 
Pierre ,  la  plénitude  de  la  puissance  apostolique  : 
c'est  un  point  décidé  et  résolu  ;  mais  ils  deman- 
dent seulement  qu'elle  soit  réglée  dans  son  exer- 
cice par  les  canons ,  c'est-à-dire ,  par  les  lois  com- 
munes de  toute  l'Église  :  de  peur  que ,  s'élevant 
au-dessus  de  tout,  elle  ne  détruise  elle-même  ses 
propres  décrets. 

Ainsi  le  mystère  est  entendu  :  tous  reçoivent 
la  même  puissance ,  et  tous  de  la  même  source  ; 
mais  non  pas  tous  en  même  degré,  ni  avec  la 
même  étendue  :  car  Jésus-Christ  se  communique 
en  telle  mesure  qu'il  lui  plaît,  et  toujours  de  la 
manière  la  plus  convenable  à  établir  l'unité  de  son 
Église.  C'est  pourquoi  il  commence  par  le  premier, 
et  dans  ce  premier  il  forme  le  tout;  et  lui-même  il 
développe  avec  ordre  ce  qu'il  a  mis  dans  un  seul. 
«  Et  Pierre ,  dit  saint  Augustin ^,  qui,  dansl'hon- 
«  jaeur  de  sa  primauté ,  représentait  toute  l'Eglise, 
«  reçoit  aussi^le  premier  et  le  seul  d'abord  les 
«  clefs  qui  dans  la  suite  devaient  être  communi- 
■  quées  à  tous  les  autres^,  »  afin  que  nous  appre- 
nions, selon  la  doctrine  d'un  saint  évêque  de 


DE  L'EGLTSE.  287 

l'Église  galTOane',  que  rantorité  ecclésiastique, 
premièrement  établie  en  la  personne  d'un  seul, 
ne  s'est  répandue  qu'à  condition  d'être  toujours 
ramenée  au  principe  de  son  unité;  et  que  tous 
ceux  qui  auront  à  l'exercer,  se  doivent  tenir  insé- 
parablement unis  à  la  môme  chaire. 

C'est  cette  chjiire  romaine  tant  célébrée  par 
les  Pères,  où  ils  ont  exalté,  comme  à  l'envi ,  ^  la 
«  principauté  de  la  chaire  apostolique,  la  prin- 
«  cipauté  principale,  la  source  de  l'unité,  et  dans 
«  la  place  de  Pierre  l'éminent  degré  de  la  chaire 
«  sacerdotale  ;  l'Église  mère  qui  tient  en  sa  main 
«  la  conduite  de  toutes  les  autres  Églises  ;  le  chef 
«  de  l'épiscopat  d'où  part  le  rayon  du  gouverne- 
«  ment;  la  chaire  principale,  la  chaire  unique 
«  en  laquelle  seule  tous  gardent  l'unité.  »  Vous 
entendez  dans  ces  mots  saint  Optât ,  saint  Au- 
gustin ,  saint  Cvprien,  saint  Irénée ,  saint  Pros- 
per,  saint  Avite,  saint  Théodoret,  le  concile  de 
Chalcédoine,  et  les  autres  ;  l'Affrique,  les  Gaules, 
la  Grèce,  l'Asie;  l'Orient  et  l'Occident  unis  en- 
semble* :  et  voilà,  sans  préjudice  des  lumières 
divines  extraordinaires  et  surabondantes,  et  de 
la  puissance  proportionnée  à  de  si  grandes  lu- 
mières, qui  était  pour  les  premiers  temps  dans 
les  apôtres ,  premiers  fondateurs  de  toutes  les 
Églises  chrétiennes;  voilà,  dis-je ,  ce  qui  doit  res- 
ter, selon  la  parole  de  Jésus-Christ  et  la  cons- 
tante tradition  de  nos  Pères ,  dans  l'ordre  com- 
mun de  l'Église  :  et  puisque  c'était  le  conseil  de 
Dieu  de  permettre,  pour  éprouver  ses  fidèles, 
qu'il  s'élevât  des  schismes  et  des  hérésies ,  il  n'y 
avait  point  de  constitution  ni  plus  ferme  pour  se 
soutenir,  ni  plus  forte  pour  les  abattre.  Par  cette 
constitution  tout  est  fort  dans  l'Église  ;  parce  que 
tout  y  est  divin,  et  que  tout  y  est  uni  :  et  comme 
chaque  partie  est  divine ,  le  lien  aussi  est  divin  ; 
et  l'assemblage  est  tel  que  chaque  partie  agit  avec 
la  force  du  tout.  C'est  pourquoi  nos  prédécesseurs, 
qui  ont  dit  si  souvent,  dans  leurs  conciles  % 
qu'ils  agissaient  dans  leurs  Églises  comme  vi- 
caires de  Jésus-Christ  et  successeurs  des  apôtres 
qu'il  a  immédiatement  envoyés,  ont  dit  aussi 
dans  d'autres  conciles^,  comme  ont  fait  les  papes 
à  Châlons,  à  Vienne  et  ailleurs,  qu'ils  agissaient 
«  au  nom  de  Pierre ,  »  vice  Pétri,  «  par  l'autorité 
«  donnée  à  tous  les  évêques  en  la  personne  de 


'  Joan.  XX,  21. 
'  Ibid.  22 ,  23. 

*  S.  Jug.  in  Joan.  Tract.  cxxiT,  t. 

*  S.  Opt.  Mil.  lit).  Tll,  n"  3,  p.  104. 


III ,  part.  Il ,  col.  822. 


*  S.  Cœsar  Arel.  Epist.  ad  Symm.  t.  I  Conc.  Gall.  p.  18». 
'  S.  Aug.  Epist.  xuii,  t.  il,  col.  91.  S.  Jren.  lib.  m,  cap. 

III,  p.  175.  5.  Cypr.  Epist.  lv,  p.  86.  Theod.  Ep.  ad  Ken. 
cxvi ,  L  III ,  p.  989,  5.  Avit.  Ep.  ad  Faust.  1. 1  Conc.  Gai.  p. 
158.  S.  Prosp.  Carm.  de  Ingr.  cap.  n.  Conc.  Chalc.  Relat. 
ad  Léon.  Lab.  t-  nr,  col.  837.  Libell.  Joan.  Const.  ib.  ccri. 
1486.  S  Opt.  ^fit.  Mb.  Il,  n»  2,  p.  28. 
»  Conc.  Meld.  Prœf.  t.  m  Conc.  Gall.  p.  27. 

*  Synod.  Rem  t.  Tiii  Conc.  col.  591.  Conc.  rien.  (.  u 
Conc.  col.  433.  Conc.  Cabil.  ib.  col.  275.  Conc.  Rem.  ib.  col- 
481.  Conc.  Cice-U.  t.  x  Conc.  col.  1182.  Ivo.  Carn.  de  Cath. 
Petr.  Ant. 


2RS 


SUR  L'UNITE 


«  saint  Pierre,  -  audoritate  einscopis  pcr  bea- 
ium.  Petmm  collala,  «  comme  vicaires  de  saint 
«  Pierre,  «  vicarii  Pétri,  eX  l'ont  dit  lors  même 
qu'ils  agissaient  par  leur  autorité  ordinaire  et  su- 
bordonnée ;  parce  que  tout  a  été  mis  première- 
ment dans  saint  Pierre,  et  que  la  correspondance 
est  telle  dans  tout  le  corps  de  l'Église ,  que  ce 
que  fait  chaque  évêque,  selon  la  rè<^le  et  dans 
l'esprit  de  l'unité  catholique ,  toute  l'Eglise,  tout 
répiscopat,  et  le  chef  de  l'épiscopat  le  fait  avec 
lui. 

S'il  est  ainsi,  chrétiens  :  si  les  évêques  n'ont 
tous  ensemble  qu'une  même  chaire ,  par  le  rap- 
port essentiel  qu'ils  ont  tous  avec  la  chaire  uni- 
que où  saint  Pierre  et  ses  successeurs  sont  assis  ; 
si ,  en  conséquence  de  cette  doctrine,  ils  doivent 
tous  agir  dans  l'esprit  de  l'unité  catholique ,  en 
sorte  que  chaque  évêque  ne  dise  rien ,  ne  fasse 
rien,  ne  pense  rien  que  l'église  universelle  ne 
puisse  avouer  :  que  doit  attendre  l'univers  d'une 
assemblée  de  tant  d'évêques?  M'est-il  permis, 
raesseigneurs,  de  vous  adresser  la  parole,  à  vous 
de  qui  je  la  tiens  aujourd'hui  ;  mais  à  vous  qui 
êtes  mes  juges  et  les  interprètes  de  la  volonté 
divine?  Ah!  sans  doute,  puisque  c'est  vous  qui 
m'ouvrez  la  bouche ,  quand  je  vous  parle ,  mes- 
seigneurs ,  ce  n'est  pas  moi  qui  vous  parle ,  c'est 
vous-mêmes  qui  vous  parlez  à  vous-mêmes.  Son- 
geons que  nous  devons  agir  par  l'esprit  de  toute 
l'Église;  ne  soyons  pas  des  hommes  vulgaires 
que  les  vues  particulières  détournent  du  vrai 
esprit  de  l'unité  catholique  :  nous  agissons  dans 
un  corps ,  dans  le  corps  de  l'épiscopat  et  de  l'É- 
glise catholique ,  où  tout  ce  qui  est  contraire  à 
la  règle  ne  manque  jamais  d'être  détesté  ,  car 
l'esprit  de  vérité  y  prévaut  toujours.  Puissent  nos 
résolutions  être  telles,  qu'elles  soient  dignes  de 
nos  pères ,  et  dignes  d'être  adoptées  par  nos  des- 
cendants ;  dignes  enfin  d'être  comptées  parmi  les 
actes  authentiques  de  l'Église ,  et  insérées  avec 
honneur  dans  ces  registres  immortels  où  sont 
compris  les  décrets  qui  regardent  non-seulement 
la  vie  présente,  mais  encore  la  vie  future  et  l'éter- 
nité tout  entière! 

La  comprenez- vous  maintenant ,  cette  immor- 
telle beauté  de  l'Église  catholique;  où  se  ramasse 
ce  que  tous  les  lieux ,  ce  que  tous  les  siècles  pré- 
sents, passés  et  futurs  ont  de  beau  et  de  glorieux? 
Que  vous  êtes  belle  dans  cette  union,  ô  Église 
catholique;  mais  en  même  temps  que  vous  êtes 
forte!  •<  Belle,  dit  le  saint  Cantique',  et  agréa- 
«  ble  comme  Jérusalem;  »  et  en  même  temps, 
«  terrible  comraeune  armée  rangée  en  bataille  :  " 
btlle  comme  Jérusalem  où  l'on  voit  une  sainte 

•   Citnl.  VI,  3 


uniformité,  et  une  police  admirable  sous  un 
môme  chef  :  belle  assurément  dans  votre  paix , 
lorsque  recueillie  dans  vos  murailles  vous  louez 
celui  qui  vous  a  choisie ,  annonçant  ses  vérités 
à  ses  fidèles.  Mais  si  les  scandales  s'élèvent,  si 
les  ennemis  de  Dieu  osent  l'attaquer  par  leurs 
blasphèmes,  vous  sortez  de  vos  murailles,  ô  Jé- 
rusalem ,  et  vous  vous  formez  en  armée  pour  les 
combattre  :  toujours  belle  en  cet  état ,  car  votie 
beauté  ne  vous  quitte  pas;  mais  tout  à  coup 
devenue  terrible  :  car  une  armée  qui  paraît  si 
belle  dans  une  revue ,  combien  est-elle  terrible 
quand  on  voit  tous  les  arcs  bandés  et  toutes  les 
piques  hérissées  contre  soi!  Que  vous  êtes  donc 
terrible,  ô  Église  sainte,  lorsque  vous  marchez 
Pierre  à  votre  tête,  et  la  chaire  de  l'unité  vous 
unissant  toute  ;  abattant  les  têtes  superbes  et 
toute  Iiauteur  qui  s'élève  contre  la  science  de 
Dieu  ;  pressant  ses  ennemis  de  tout  le  poids  de 
vos  bataillons  serrés;  les  accablant  tout  ensemble 
et  de  toute  l'autorité  des  siècles  passés,  et  de 
toute  l'exécration  des  siècles  futurs;  dissipant 
les  hérésies,  et  les  étouffant  quelquefois  dans 
leur  naissance;  prenant  les  petits  de  Cabylone  et 
les  hérésies  naissantes,  et  les  brisant  contre  vo- 
tre Pierre  ;  Jésus-Christ  votre  chef  vous  mouvant 
d'en  haut  et  vous  unissant ,  mais  vous  mouvant 
et  vous  unissant  par  des  instruments  proportion- 
nés ,  par  des  moyens  convenables ,  par  un  chef 
qui  le  représente,  qui  vous  fasse  en  tout  agir 
tout  entière ,  et  rassemble  toutes  vos  forces  dans 
une  seule  action! 

Je  ne  m'étoune  donc  plus  de  la  force  de  l'É- 
glise, ni  de  ce  puissant  attrait  de  son  unité. 
Pleine  de  l'esprit  de  celui  qui  dit  :  ^  Je  tirerai 
«  tout  à  moi  ' ,  »  tout  vient  à  elle ,  Juifs  et  Gen- 
tils, Grecs  et  Barbares.  Les  Juifs  devaient  ve- 
nir les  premiers  ;  et  malgré  la  réprobation  de  ce 
peuple  ingrat,  il  y  a  ce  précieux  reste  et  ces 
bienheureux  réservés  tant  célébrés  par  les  pro- 
phètes. Prêchez,  Pierre  ;  tendez  vos  filets,  divin 
pécheur.  Cinq  mille ,  trois  mille  entreront  d'a- 
bord, bientôt  suivis  d'un  plus  grand  nombre. 
Mais  'i  Jésus-Christ  a  d'autres  brebis  qui  nesoat 
«  pas  de  ce  bercail  \  »  C'est  par  vous,  ô  Pierr.' , 
qu'il  veut  commencer  à  les  rassembler.  Voyez 
ces  serpents,  voyez  ces  reptiles  et  ces  autres  ani- 
maux immondes  qui  vous  sont  présentés  du  ciel. 
C'est  les  Gentils,  peuple  immonde,et  peuple  qui 
n'est  pas  peuple  :  et  que  vous  dit  la  voix  céleste  ? 
«  Tue  et  mange  ^,»  unis,  incorpore,  fais  mourir 
la  gentilité  dans  ces  peuples  :  et  voilà  en  même 
temps  à  la  porte  les  envoyés  de  Cornélius;  et 

'  Joan.  XII,  32. 
2   Ibhl.  X,  IC. 
^  Acl.  \,  12,  13 


DE  L'ÉGLISE. 


SSft 


Tirrrc,  qui  a  reçu  les  bienheureux  restes  des 
Juifs,  va  consacrer  les  prémices  des  Gentils. 

Aprùs  les  prémices  viendra  le  tout;  après  l'of- 
fwrier  romain ,  Rome  viendra  elle-même;  après 
Home,  viendront  les  peuples  l'un  sur  l'autre. 
Quelle  Église  a  enfanté  tant  d'autres  Églises? 
D'abord  tout  l'Occident  est  venu  par  elle,  et  nous 
sommes  venus  des  premiers;  vous  le  verrez 
bientôt.  Mais  Rome  n'est  pas  épuisée  dans  sa 
vieillesse,  et  sa  voix  n'est  pas  éteinte;  nuit  et 
jour  elle  ne  cesse  de  crier  aux  peuples  les  plus 
éloignés ,  afin  de  \es  appeler  au  banquet  où  tout 
est  fait  un  :  et  voilà  qu'à  cette  voix  maternelle 
les  extrémités  de  l'Orient  s'ébranlent,  et  semblent 
vouloir  enfanter  une  nouvelle  chrétienté  pour 
réparer  les  ravages  des  dernières  hérésies ,  c'est 
îe  destinde  l'Église.  Movebocandelabrum  iuian  : 
«  Je  remuerai  votre  chandelier,  »  dit  Jésus-Christ 
à  l'Église  dÉphèse'  ;  je  vous  ôterai  la  foi  :  «  Je 
«<  le  remuerai;  «  il  n'éteint  pas  la  lumière,  il  la 
transporte  :  elle  passe  à  des  climats  plus  heureux. 
Malheur,  malheur  encore  une  fois  à  qui  la  perd  ; 
mais  la  lumière  va  son  train,  et  le  soleil  achève 
sa  course. 

Mais  quoi ,  je  ne  vois  pas  encore  les  rois  et  les 
empereurs!  où  sont-ils,  ces  illustres  nourriciers 
tant  de  fois  promis  à  TÉglise  par  les  prophètes? 
Ils  viendront,  mais  en  leur  temps.  '<  Ne  voyez- 
«  vous  pas  dans  un  seul  psaume  *  le  temps  où  tes 
«  nations  entrent  eu  fureur,  où  les  rois  et  les  priu- 
«  ecs  font  de  vains  complots  contre  le  Seigneur 
«  et  contre  son  Christ?  "  Mais  je  vois  tout  à  coup 
un  autre  temps  :  Et  nunc,  et  nunc,  «  Etmainte- 
«  nant,  »  c'est  un  autre  temps  qui  va  paraître.  Et 
nunc,  reges,  inlelligile  :  «  Et  maintenant,  ô  rois, 
«  entendez  :  «  durant  le  temps  de  votre  ignorance 
vous  avez  combattu  l'Église,  et  vous  l'avez  vue 
triompher  malgré  vous;  maintenant  vous  allez 
aider  à  son  triomphe.  «  Et  maintenant,  ô  rois, 
«  entendez  ;  instruisez-vous ,  arbitres  du  monde , 
«  servez  le  Seigneur  en  crainte  :  «  et  le  reste  que 
vous  savez. 

Durant  ces  jours  de  tempête,  où  l'Église, 
comme  un  rocher,  devait  voir  les  efforts  des 
rois  se  briser  contre  elle,  demandez  aux  chrétiens 
si  les  césars  pouvaient  être  de  leur  corps  :  Tertul- 
lien  vous  répondra  hardiment  que  non.  «  Les  cé- 
«  sars,  dit-il^,  seraient  chrétiens,  s'ils  pouvaient 
«  cire  tout  ensemble  chrétiens  et  césars.  »  Quoi , 
les  césars  ne  peuvent  pas  être  chrétiens  !  ce  n'est 
pas  de  ces  excès  de  Tertullien;  il  parlait  au  nom 
de  toute  l'Église  dans  cet  admirable  Apologéti- 
que, et  ce  qu'il  dit  est  vrai  à  la  lettre.  Jlais  il  faut 

'  .4poc.  Il,  l» 
'  /»».  II. 

î  Tt-rUill.  Aiiolog.u'il. 
BOsblXr.— T.UI. 


distinguer  les  temps.  Il  y  avait  le  premier  temps, 
où  l'on  devait  voir  l'empire  ennemi  de  l'Église , 
et  tout  ensemble  vaincu  par  l'Église;  et  le  se- 
cond temps,  où  l'on  devait  voir  l'empire  récon- 
cilié avec  l'Eglise  ,  et  tout  ensemble  le  rempart 
et  la  défense  de  l'Église. 

L'Église  n'est  pas  moins  féconde  que  la  Sy- 
nagogue :  elle  doit,  comme  elle ,  avoir  ses  David, 
SCS  Salomon,  ses  Ézéchias,  ses  Josias,  dont  la 
main  royale  lui  serve  d'appui  :  comme  elle,  il 
faut  qu'elle  voie  la  concorde  de  l'empire  et  du  sa- 
cerdoce ;  un  Josué  partager  la  terre  aux  enfants 
de  Dieu  avec  un  Éléazar  ;  un  Josaphat  établir 
l'observance  de  la  loi  avec  un  Amarias  ;  un  Joas 
réparer  le  temple  avec  un  Joiada  ;  un  Zorobabel 
en  relever  les  ruines  avec  un  Jésus  fils  de  José- 
dec  ;  un  Néhémias  réformer  le  peuple  avec  un 
Esdras.  Mais  la  Synagogue ,  dont  les  promesses 
sont  terrestres,  commence  par  la  puisance  et  par 
les  armes  :  l'Église  commence  par  la  croix  et  par 
les  martyres  ;  fille  du  ciel ,  il  faut  qu'il  paraisse 
qu'elle  est  née  libre  et  indépendante  dans  son  état 
essentiel ,  et  ne  doit  son  origine  qu'au  Père  cé- 
leste. Quand  après  trois  cents  ans  de  pereécution, 
parfaitement  établie  et  parfaitement  gouvernée 
durant  tant  de  siècles ,  sans  aucun  secours  hu- 
main ,  il  paraîtra  clairement  qu'elle  ne  tient  rien 
de  l'homme  :  Venez  maintenant,  ô  césars,  il  est 
temps  :  Et  n  une  intelligite.  Tu  vaincras ,  ô  Cons 
tantin,  et  Rome  te  sera  soumise;  mais  tu  vain- 
cras par  la  croix  :  Rome  verra  la  première  C8 
grand  spectacle  ;  un  empereur  victorieux  pi-os- 
terué  devant  le  tombeau  d'un  pêcheur ,  et  devenu 
son  disciple. 

Depuis  ce  temps-là ,  chrétiens ,  l'Église  a  ap- 
pris d'en  haut  à  se  servir  des  rois  et  des  empe- 
reurs pour  faire  mieux  servir  Dieu  ;  «  pour  él  ir- 
«  gir ,  disait  saint  Grégoire  ■ ,  les  voies  du  ciel  ;  >• 
pour  donner  un  cours  plus  libre  à  l'Évangile, 
une  force  plus  présente  à  ses  canons ,  et  un  sou- 
tien plus  sensible  à  sa  disciplino.  Que  l'Église 
demeure  seule,  ne  craignez  rien;  Dieu  est  avec 
elle ,  et  la  soutient  au  dedans  :  mais  les  princes 
religieux  lui  élèvent  parleur  protection  ces  invin- 
cibles dehors  qui  la  font  jouir,  disait  un  grand 
pape  * ,  d'une  douce  tranquillité ,  à  l'abri  de  leur 
autorité  sacrée. 

Mais  parlons  toujours  comme  il  faut  de  l'É- 
pouse de  Jésus-Christ  :  l'Église  se  doit  à  elK 
même  et  à  ses  services  toutes  les  grâces  qu'elle  u 
reçues  des  rois  de  la  terre.  Quel  ordre ,  quelle 
compagnie ,  quelle  armée ,  quelque  forte ,  quel- 


'  s.  Greg  Epist.  Iflj.  m ,  Epist.  lxt,  ad  Mauric.  Aag.  t.  il , 
col.  676. 

»  Iniioc.  n  ,  Ep.  II  ;  t.  X  Conc.  col.  946.  Comc    Jquis  n .  l  » 
Conc.  Gall.  p.  576. 

19 


•-J90 


SUR  L'UNiTÉ 


(jue  fidèle  et  quelque  agissante  qu'elle  soit ,  les  a 
mieux  servis  que  l'Église  a  fait  par  sa  patience? 
Dans  ces  cruelles  persécutions  qu'elle  endure  sans 
murmurer  durant  tant  de  siècles,  en  combattant 
pour  Jésus-Christ,  j'oserai  le  dire,  elle  ne  com- 
bat guère  moins  pour  l'autorité  des  princes  qui 
la  persécutent  :  ce  combat  n'est  pas  indigne 
d'elle,  puisque  c'est  encore  combattre  pour  l'or- 
dre de  Dieu.  En  effet  n'est-ce  pas  combattre  pour 
l'autorité  légitime,  que  d'en  souffrir  tout  sans 
nuu'murer?  Ce  n'était  point  par  faiblesse;  qui 
peut  mourir  n'est  jamais  faible  :  mais  c'est  que 
l'Église  savait  jusques  où  il  lui  était  permis  d'é- 
tendre sa  résistance.  Nondiim  ttsque  ad  sangui- 
nem  restitistis  :  «  Vous  n'avez  pas  encore  résisté 
«  jusques  au  sang ,  »  disait  l'apôtre  '  :  jusques  au 
sang;  c'est-à-dire ,  jusqu'à  donner  le  sien,  et  non 
pas  jusqu'à  répandre  celui  des  autres.  Quand  on 
1a  veut  forcer  de  désavouer  ou  de  taire  les  véri- 
tés de  l'Évangile ,  elle  ne  peut  que  dire  avec  les 
apôtres  :  Non  possumiis ,  non  possumus^  :  Que 
prétendez- vous?  «  Nous  ne  pouvons  pas;  »  et  en 
même  temps  découvrir  le  sein  où  l'on  veut  frap- 
per :  de  sorte  que  le  même  sang  qui  rend  témoi- 
gnage à  l'Évangile ,  le  même  sang  le  rend  aussi  à 
;efte  vérité  :  que  nul  prétexte  ni  nulle  raison  ne 
peut  autoriser  les  révoltes;  qu'il  faut  révérer  l'or- 
dre du  ciel,  et  le  caractère  du  Tout-Puissant  dans 
tous  les  princes,  quels  qu'ils  soient;  puisque 
les  plus  beaux  temps  de  l'Église  nous  le  font  voir 
sacré  et  inviolable ,  même  dans  les  princes  persé- 
cuteurs de  l'Évangile.  Ainsi  leur  couronne  est 
hors  d'atteinte  :  l'Église  leur  a  érigé  un  trône 
dans  le  lieu  le  plus  sûr  de  tous  et  le  plus  inacces- 
sible, dans  la  conscience  même  où  Dieu  a  le  sien  ; 
et  c'est  là  le  fondement  le  plus  assuré  de  la  tran- 
quillité publique. 

Nous  leur  dirons  donc  sans  crainte ,  même  en 
publiant  leurs  bienfaits ,  qu'il  y  a  plus  de  jus- 
tice que  de  grâce  dans  les  privilèges  qu'ils  ac- 
cordent à  l'Église  ;  et  qu'ils  ne  pouvaient  refuser 
de  lui  faire  part  de  quelques  honneurs  de  leur 
royaume ,  qu'elle  prend  tant  de  soin  de  leur  con- 
server. Mais  confessons  en  même  temps  qu'au 
milieu  de  tant  d'ennemis ,  de  tant  d'hérétiques , 
de  tant  d'impies,  de  tant  de  rebelles  qui  nous 
environnent,  nous  devons  beaucoup  aux  prin- 
ces qui  nous  mettent  à  couvert  de  leurs  insultes  ; 
et  que  nos  mains  désarmées ,  que  nous  ne  pou- 
vons que  tendre  au  ciel,  çont  heureusement  sou- 
tenues par  leur  puissance. 

Il  le  faut  avouer,  messieurs,  notre  ministère 
est  pénible  :  s'opposer  aux  scandales ,  au  torrent 
des  mauvaises  mœurs,  et  au  cours  violent  des 

I  rifhr.  \n,  4. 
»  ja  IV ,  iO. 


passions  qu'on  trouve  toujours  d'autant  plus  hau  • 
taines  qu'elles  sont  plus  déraisonnables  ;  c'est  un 
terrible  ministère,  et  on  ne  peut  l'exercer  sans 
rigueur.  C'est  ce  que  nos  prédécesseurs ,  assem- 
blés dans  les  conciles  de  Thionville  et  de  Meaux, 
appellent  «  la  rigueur  du  salut  des  hommes,  » 
rigorem  saluiis  humanœ^.  L'Église  assemblée 
dans  Ces  conciles  demande  l'assistance  des  rois 
pour  exercer  plus  facilement  cette  rigueur  salu- 
taire au  genre  humain  ;  et  convaincue  par  ex- 
périence du  besoin  qu'elle  a  de  leur  protection 
pour  aider  les  âmes  infirmes,  c'est-à-dire,  le 
plus  grand  nombre  de  ses  enfants,  elle  ne  se 
prive  qu'avec  peine  de  ce  secours  :  de  sorte  que 
la  concorde  du  sacerdoce  et  de  l'empire ,  dans  le 
cours  ordinaire  des  choses  humaines ,  est  un  des 
soutiens  de  l'Église ,  et  fait  partie  de  cette  unité 
qui  la  rend  si  belle. 

Car  qu'y  a-t-il  de  plus  beau  que  d'entendre 
un  saint  empereur  dire  à  un  saint  pape  :  «  Je 
«  ne  vous  puis  rien  refuser,  puisque  je  vous  dois 
«  tout  en  Jésus-Christ  :  »  Nihil  tibi  negare  pos- 
sum,  cui  per  Deum  omnia  debeo^.  «  Tout  ce 
«  que  votre  autorité  paternelle  a  réglé  dans  son 
«  concile  pour  le  rétablissement  de  l'Église,  je  le 
«  loue  ,  je  l'approuve ,  je  le  confirme  comine  vo- 
«  tre  fils  ;  je  veux  qu'il  soit  inséré  parmi  les  lois, 
«  qu'il  fasse  partie  du  droit  public,  et  qu'il  vive 
«  autant  que  l'Église,»  et  in  œternum  mansuraj 
et  humanis  solemniter  legibus  inscribenda,  et 
inler  publica  jura  semper  recipienda  hac  au- 
ctoritate,  vivente  Ecclesia,  victura  :  ou  d'enten- 
dre un  roi  pieux  dans  un  concile;  c'était  un  roi 
d'Angleterre  :  ah  !  nos  entrailles  s'émeuvent  à 
ce  nom ,  et  l'Église  toujours  mère  ne  peut  s'em- 
pêcher dans  ce  souvenir  de  renouveler  ses  gé- 
missements et  ses  vœux  ;  passons  et  écoutons  ce 
saint  roi ,  ce  nouveau  David  dire  au  clergé  as- 
semblé :  Ego  Constantini,  vos  Petrl  gladium 
habeiisin  manibus;jungamus  dexteras  ^  gla- 
dium gladio  copulemus^  :«  J'ai  le  glaive  de 
«  Constantin  à  la  main ,  et  vous  y  avez  celui  de 
«  Pierre  ;  donnons-nous  la  main ,  et  joignons  le 
«  glaive  au  glaive  :  »  que  ceux  qui  n'ont  pas  la 
foi  assez  vive  pour  craindre  les  coups  invisibles 
de  votre  glaive  spirituel  tremblent  à  la  vue  du 
glaive  royal  :  ne  craignez  rien ,  saints  évêques  ; 
si  les  hommes  sont  assez  rebelles  pour  ne  pas  croire 
à  vos  paroles,  qui  sont  celles  de  Jésus-Christ , 
des  châtiments  rigoureux  leur  en  feront ,  malgré 
qu'ils  en  aient,  sentir  la  force,  «  et  la  puissance 
«  royale  ne  vous  manquera  jamais?  » 

'  Conc.  ad  Theodon.  vil.  can.  VI,  Conc.  Gai.  t.  III,  p.  l^ 
Conc.  Meld.  can.  xil ,  ibid.  p.  53. 
2  Heiiric.  Il  ad  Bened.  Vil,  t.  IX  Conc.  col.  831. 
'  Eadg.  Orat.  ad  Bler.  t.  ix  Conc.  col.  697. 


DE  L'EGLISE. 


201 


A  cet  admirable  spectacle ,  qiil  ne  s'écrierait 
encore  une  fois  avec  Balaatn  :  Quam  piilchra 
tabernacula  tua,  Jacob?  O  Église  catholique, 
que  vous  êtes  belle  I  le  Saint-Esprit  vous  anime, 
le  saint-siége  unit  tous  vos  pasteurs,  les  rois 
font  la  garde  autour  de  vous  :  qui  ne  resi)ecte- 
rait  votre  puissance? 

SECOND    POINT. 

Paraissez  maintenant,  sainte  Église  gallicane, 
avec  vos  évêques  orthodoxes  et  avec  vos  rois  très- 
chrétiens,  et  venez  servir  d'oniement  à  l'Église 
universelle.  Et  vous,  Seigneur  tout-puissant,  qui 
avez  comblé  cette  Église  de  tant  de  bienfaits , 
animez-moi  de  ce  même  esprit  dont  vous  rem- 
plîtes David ,  lorsqu'il  chanta  si  noblement  les 
grâces  de  l'aucien  peuple  ;  afin  qu'à  son  exemple 
je  puisse  aujourd'hui,  avec  tant  d'évêqueset  dans 
une  si  grande  assemblée,  célébrer  vos  miséricor- 
des éternelles  :  Quoniam,  bonus,  quoniam  in 
€cternum  misericordia  ejus  '  .  C'est  vous ,  Sei- 
gtieur ,  qui  excitâtes  saint  Pierre  et  ses  succes- 
seurs à  nous  envoyer  dès  les  premiers  temps  les 
évêques  qui  ont  fondé  nos  Églises.  C'était  le  con- 
seil de  Dieu  que  la  foi  nous  fût  annoncée  par  le 
saint-siége;  afin  qu'éternellement  unis  pai-  des 
liens  particuliers  à  ce  centre  commun  de  toute 
l'unité  catholique,  nous  pussions  dire  avec  un 
grand  archevêque  de  Reims  :  «  La  saiute  Église 
«  romaine ,  la  mère ,  la  nourrice  et  la  maîtresse  de 
«  toutes  les  Églises ,  doit  être  consultée  dans  tous 
«  les  doutes  qui  regardent  la  foi  et  les  mœurs , 
•«  principalement  par  ceux  qui ,  comme  nous , 
«  ont  été  engendrés  en  Jésus-Christ  par  son  mi- 
•  nistère  ,  et  nourris  par  elle  du  lait  de  la  doc- 
«  trine  catholique  ^  >» 

Il  est  vrai  qu'il  nous  est  venu  d'Orient ,  et  par 
le  ministère  de  saint  Polycarpe ,  une  autre  mis- 
sion qui  ne  nous  a  pas  été  moins  fructueuse.  C'est 
de  là  que  nous  avons  eu  le  vénérable  vieillard 
saint  Pothin ,  fondateur  de  la  célèbre  Église  de 
Lyon  ;  et  encore  le  grand  saint  Irénée  ,  succes- 
seur de  son  martyre  aussi  bien  que  de  son  siège  : 
Irénée  digne  de  son  nom ,  et  véritablement  paci- 
fique ,  qui  fut  envoyé  à  Rome  et  au  pape  saint 
Éleuthère  de  la  part  de  l'Église  gallicane^  ;  am- 
bassadeur de  la  paLx ,  qui  depuis  la  procura  aux 
saintes  Églises  d'Asie  d'où  il  nous  avait  été  en- 
voyé; qui  retint  le  pape  saint  Victor,  lorsqu'il 
les  voulait  retrancher  de  la  communion  ;  et  qui 
présidant  au  concile  des  saints  évêques  des  Gau- 
les, dont  il  était  réputé  le  père,  fit  connaître  à 
ce  saint  pape  qu'il  ne  fallait  pas  pousser  toutes 

'  Ps.  cxxxv,  h 

'  Hiiiem.  de  diujr.  Lolh.  et  Teutb.  1. 1 ,  p.  5«I. 

•  £u$tb.  Hisl.  Eccl.  lib.  v,  cap.  111 ,  p.  isjj.  £dU.  Fal. 


les  affaires  à  l'extrémité ,  n!  toujours  user  duu 
droit  riiroureux'.  Mais  comme  l'Église  est  une 
partout  l'univers,  cette  mission  oriei>tale  n'a. pas 
été  moins  favorable  à  l'autorité  du  saint-siége, 
que  ceux  que  le  saint-siége  avait  immédiate- 
ment envoyés  ;  et  le  même  saint  Irénée  a  pro- 
noncé cet  oracle  révéré  de  tous  les  siècles'  : 
«  Quand  nous  exposons  la  tradition  que  la  très- 
«  grande ,  très-ancienne  et  très-célèbre  Église 
«  romaine ,  fondée  par  les  apôtres  saint  Pierre  et 
«  saint  Paul ,  a  reçue  des  apôtres,  et  qu'elle  a 
«  conservée  jusqu'à  nous  par  la  succession  de  ses 
«  évêques ,  nous  confondons  tous  les  hérétiques  ; 
«  parce  que  c'est  avec  cette  Église  que  toutes  les 
«  Églises  et  tous  les  fidèles  qui  sont  par  toute  la 
«  terre  doivent  s'accorder ,  à  cause  de  sa  princi- 
«  pale  et  excellente  principauté ,  et  que  c'est  en 
«  elle  que  ces  mêmes  fidèles ,  répandus  par  toute 
«  la  terre ,  ont  conservé  la  tradition  qui  vient  des 
«  apôtres.  » 

Appuyée  sur  ces  solides  fondements,  l'Église 
gallicane  a  été  forte  comme  la  tour  de  David. 
Quand  le  perfide  Arius  voulut  renverser,  avec  la 
divinité  du  Fils  de  Dieu,  le  fondement  de  la  foi 
préchée  par  saint  Pierre,  et  changer  en  création 
et  en  adoption  la  génération  éternelle  de  ce  Fils 
unique  ;  cette  superbe  hérésie ,  soutenue  par  un 
empereur,  ne  trouva  point  de  plus  grand  obstacle 
à  ses  progrès ,  que  la  constance  et  la  foi  de  saint 
Athanase  d'Alexandrie  et  de  saint  Hilaire  de  Poi- 
tiers: et  malgré  l'inégalité  de  ces  deux  sièges,  les 
deux  évêques  furent  égaux  en  gloire  comme  ils  l'é- 
taient en  courage. 

Pourperpétuer  cettegloirede  l'Église  gallicane, 
le  célèbre  saint  Martin  fut  élevé  sous  la  discipline 
de  saint  Hilaire;  et  cette  Église,  renouvelée  par 
les  exemples  et  par  les  miracles  de  cet  homme 
incomparable ,  crut  revoir  le  temps  des  apôtres  ; 
tant  la  Providence  divine  fut  soigneuse  de  réveil- 
ler parmi  nous  l'ancien  esprit,  et  d'y  faire  revivre 
les  premières  grâces. 

Quand  le  temps  fut  arrivé  que  l'empire  romain 
devait  tomber  en  Occident ,  et  que  la  Gaule  devait 
devenir  France ,  Dieu  ne  laissa  pas  longtemps 
sous  des  princes  idolâtres  une  si  noble  partie  de 
la  chrétienté  ;  et  voulant  transmettre  aux  rois  des 
Français  la  garde  de  son  Église ,  qu'il  avait  confiée 
aux  empereurs,  il  donna  non-seulement  à  la 
France,  mais  encore  à  tout  l'Occident,  un  nou- 
veau Constantin  en  la  personne  de  Clovi^.  La  vic- 
toire miraculeuse  qu'il  envoya  du  ciel  à  ces  deux 
princes  guerriers ,  fut  le  gage  de  son  amour,  et  le 
glorieux  attrait  qui  leur  lit  embrasser  le  christia- 
nisme. La  foi  fut  victorieuse ,  et  la  belliqueuse 

'  Euieb.  Hist.  Eccl.  lib.  v,  cap.  xxiii,  xxiv,  p.  I9I    193. 
'  .S.  Jren.  lib.  m  contr.  Hceres.  cap.  m ,  ^.  176. 

19. 


292 


SUR  L'UNITK 


nation  des  Francs  connut  que  le  Dieu  de  Clotilde 
était  le  vrai  Dieu  des  armées. 

Alors  saint  Rémi  vit  en  esprit  qu'en  engendrant 
en  Jésus-Christ  les  rois  de  France  avec  leur  peu- 
ple, il  donnait  à  l'Église  d'invincibles  protecteurs. 
Ce  grand  saint  et  ce  nouveau  Samuel ,  appelé  pour 
sacrer  les  rois,  sacra  ceux-ci,  comme  ri  dit  lui- 
même  ,  pour  être  '<  les  perpétuels  défenseurs  de 
«  l'Église  et  des  pauvres';  «  digne  objet  de  la 
royauté.  Après  leur  avoir  enseigné  à  faire  fleurir 
les  Églises  et  à  rendre  les  peuples  heureux  (croyez 
que  c'est  lui-même  qui  vous  parle ,  puisque  je  ne 
fais  ici  que  réciter  les  paroles  paternelles  de  cet 
apôtre  des  Français),  il  priait  Dieu  nuit  et  jour 
qu'ils  persévérassent  dans  la  foi ,  et  qu'ils  régnas- 
sent selon  les  règles  qu'il  leur  avait  données ,  leur 
prédisant  en  môme  temps  qu'en  dilatant  leur 
royaume,  ils  dilateraient  celui  de  Jésus-Christ; 
et  que ,  s'ils  étaient  fidèles  à  garder  les  lois  qu'il 
leuï  prescrivait  de  la  part  de  Dieu^ ,  l'empire  ro- 
main leur  serait  donné  :  en  sorte  que  des  rois  de 
France  sortiraient  des  empereurs  dignes  de  ce 
r.Oiïi,  qui  feraient  régner  Jésus-Christ. 

Telles  furent  les  bénédictions  que  versa  mille 
et  mille  fois  le  grand  saint  Rémi  sur  les  Français 
et  sur  les  rois ,  qu'il  appelait  toujours  ses  chers 
enfants;  louant  sans  cesse  ia  bonté  divine  de  ce 
que ,  pour  affermir  la  foi  naissante  de  ce  peuple 
béni  de  Dieu,  elle  avait  daigné ,  par  le  ministère 
de  sa  main  pécheresse,  c'est  ainsi  qu'il  parle, 
renouveler,  à  la  vue  de  tous  les  Français  et  de 
leur  roi ,  les  miracles  qu'on  avait  vus  éclater  dans 
la  première  fondation  des  Églises  chrétiennes. 
Tous  les  saints  qui  étaient  alors,  furent  réjouis; 
et  dans  le  déclin  de  l'empire  romain  ils  crurent 
voir  paraître  dans  les  rois  de  France  «  une  nou- 
«  velle  lumière  pour  tout  l'Occident  :  »  In  occiduis 
partibus  novi  jubaris  lumen  effulgurat  ^  ;  et 
non-seulement  pour  tout  l'Occident,  mais  encore 
I)Our  toute  l'Église,  à  laquelle  ce  nouveau  royaume 
promettait  de  nouveaux  progrès.  C'est  ce  que 
disait  saint  Avite,  ce  docte  et  ce  saint  évêque  de 
Vienne ,  ce  grave  et  éloquent  défenseur  de  l'Église 
romaine ,  qui  fut  chargé  par  tous  ses  collègues , 
les  saints  évêques  des  Gaules,  de  recommander 
aux  Romains ,  dans  la  cause  du  pape  Symmaque, 
la  cause  commune  de  tout  l'épiscopat  ;  «  parce  que, 
«  disait  ce  grand  homme  4 ,  quand  le  pape  et  le  chef 
«  de  tous  les  évêques  est  attaqué,  ce  n'est  pas  un 
•  seul  évêque,  mais  l'épiscopat  tout  entier  qui  est 
«  en  péril.  » 
Tous  les  conciles  de  ces  temps  font  voir  qu'en 

'  Testam.  S.  Rem.  ap.  Flod.  lib,  I,  cap.  xvin. 

»  Ib'td.  et  cap.  xiii. 

»  S.  Avit.  Fien.  episc.  ad  Clod.  t.  I  Conc.  êall.  p.  I5i. 

f>  Epht.  ad  Faust.  1. 1  Conc.  Gall.  p.  158. 


ce  qui  touchait  la  foi  et  la  discipline,  nos  saints 
prédécesseurs  regardaient  toujours  l'Église  ro- 
maine, et  se  gouvernaient  par  ses  traditions  '.  Til 
était  le  sentiment  de  l'Église  gallicane,  qui,  en 
recevant ,  par  le  ministère  de  saint  Renii ,  Clovis  et 
les  Français  dans  son  sein ,  leur  imprimait  dans  le 
fond  du  cœur  ce  respect  pour  le  saint-siége,  dont 
ils  devaient  être  les  plus  zélés  aussi  bien  que  les 
plus  puissants  protecteurs.  Les  papes  connurent 
d'abord  la  protection  qui  leur  était  envoyée  du  ciel  ; 
et  ressentant  dans  nos  rois  je  ne  sais  quoi  de  plus 
filial  que  dans  les  autres,  que  ne  dirent-ils  point 
alors,  comme  par  un  secret  pressentiment,  à  la 
louange  de  leurs  protecteurs  futurs!  Anastase  II , 
du  temps  de  Clovis,  croit  voir  dans  le-royaume 
de  France  nouvellement  converti  '<  une  colonne 
«  de  fer  que  Dieu  élevait  pour  le  soutien  de  sa  sainte 
«  Église,  pendant  que  la  charité  se  refroidissait 
«  partout  ailleurs*.  »  Pelage  II  se  promet  des  des- 
cendants de  Clovis,  comme  de  voisins  charita- 
bles de  l'Italie  et  de  Rome,  la  même  protection  pour 
le  saint-siége  qu'il  avait  toujours  reçue  des  em- 
pereurs ^  :  et  saint  Grégoire ,  le  plus  saint  de  tous , 
enchérit  aussi  sur  ses  saints  prédécesseurs ,  lors- 
que ,  touché  de  la  foi^et  du  zèle  de  ces  rois ,  il  les 
met  «  autant  au-dessus  des  autres  souverains,  que 
«  les  souverains  sont  au-dessus  des  particuliers-*.  » 

Leur  foi  croissait  en  effet  avec  leur  empire  ;  et , 
selon  la  prédiction  de  tant  de  saiiits,  l'Église  s'é- 
tendait par  les  rois  de  France.  L'Angleterre  le 
sait,  et  le  moine  saint  Augustin  son  premier  apôtre. 
Saint  Boniface,  l'apôtre  de  la  Germanie,  et  les 
autres  apôtres  du  Aord  ne  reçurent  pas  un  moindre 
secours  de  la  France  ;  et  Dieu  montrait  dès  lors , 
par  des  signes  manifestes ,  ce  que  les  siècles  sui- 
vants ont  confirmé ,  qu'il  voulait  que  les  conquêtes 
des  Français  étendissent  celles  de  l'Église. 

Les  enfants  de  Clovis  ne  marchèrent  pas  dans 
les  voies  que  saint  Rémi  leur  avait  marquées  : 
Dieu  les  rejeta  de  devant  sa  face  ;  mais  il  ne  retira 
pas  ses  miséricordes  de  dessus  le  royaume  de 
France.  Une  seconde  race  fut  élevée  sur  le  trône  ; 
Dieu  s'en  mêla,  et  le  zèle  de  la  religion  s'accrut 
par  ce  changement  :  témoin  tant  de  papes  réfugiés, 
protégés ,  rétablis ,  et  comblés  de  biens  sous  cette 
race.  Les  papes  et  toute  l'Église  bénirent  Pépin, 
qui  en  était  le  chef^;  les  bénédictions  de  saint 
Rémi  passèrent  à  lui  :  de  lui  sortit  cet  empereur, 


'  Ep.  Syn.  Episc.  Gall.  apud.  Léon.  Conc.  Aratis.  n, 
Praf.  1. 1  Conc.  Gai.  p.  216.  Bonif.  ii,  Ep.  ad  Cœsur.  Airl. 
il),  p.  223.  Conc.  Vas.  ii,  can.  ui,  iv,  v  ihid.  p.  226,  227. 
Conc.  Aurel.  m,  can.  m,  xxvi  ibid.  p.  24H,  255. 

»  Anasl.  Il,  Ep.  u,  ad  Clod.  t.  iv,  Conc.  col.  1282. 

■^  Pel.  II,  Epist.  ad  Aunach.  Autiss.  tom.  i  Conc.  Ca'l 
p.  370. 

*  S.  Creg.  M.  Epist.  lib.  yi,  Epist.  vi,  t.  Il,  col.  7!).-.. 

i  Patd.  I ,  Episl.  \ ,  ad  Fr.  t.  Il  Conc.  Gall.  p.  n». 


père  d'empereurs,  que  ce  saint  évêque  semble 
avoir  vu;  et  Charlemagne  régna  pour  le  bien  de 
loute l'Église.  Vaillant,  savant,  modéré,  guerrier 
sans  ambition ,  et  exemplaire  dans  sa  vie ,  je  le 
veux  bien  dire  en  passant ,  malgré  les  reproches 
des  siècles  ignorants,  ses  conquêtes  prodigieuses 
furent  la  dilatation  du  règne  de  Dieu ,  et  il  se 
montra  très-chrétien  dans  toutes  ses  œuvres.  11 
fit  revivre  les  anciens  canons;  les  conciles  long- 
temps négligés  furent  rétablis',  et  la  discipline 
revint  avec  eux.  Si  ce  grand  prince  rétablit  les 
lettres,  ce  fut  pour  mieux  faire  entendre  les 
saintes  Écritures  et  l'ancienne  tradition  par  ce  se- 
cours. L'Église  romaine  fut  consultée  dans  les 
■affaires  douteuses,  et  ses  réponses  reçues  avec 
révérence  furent  des  lois  inviolables  *.  Il  eut  tant 
d'amour  pour  elle ,  que  le  principal  article  de  son 
testament  fut  de  recommander  à  ses  successeurs 
la  défense  de  l'Église  de  saint  Pierre,  comme  le 
précieux  héritage  de  sa  maison,  qu'il  avait  reçu 
de  son  père  et  de  son  aïeul ,  et  qu'il  voulait  laisser 
à  ses  enfants.  Ce  même  amour  lui  fit  dire  ce  qui 
fut  répété  depuis  par  tout  un  concile  sous  l'un  de 
ses  descendants,  que  «  quand  cette  Église  impo- 
1  serait  un  joug  à  peine  supportable,  il  le  faudrait 
«  souffrir^  »  plutôt  que  de  rompre  la  communion 
avec  elle.  Elle  n'imposait  point  de  tel  joug;  mais 
ce  sage  prince  voulait  tout  prévoir,  pour  affermir 
l'union  dans  tous  les  cas.  Au  reste  les  canons  que 
lui  envoya  son  sage  et  intime  ami,  le  pape  Adrien, 
n'étaient  qu'un  abrégé  de  l'ancienne  discipline, 
((ue  l'Église  de  France  regarde  toujours  comme 
la  source  et  le  soutien  de  ses  libertés  :  nous  de- 
mandons encore  d'être  jugés  par  les  canons  envoyés 
à  ce  grand  prince  ;  et ,  sous  un  nouveau  Charle- 
magne, nous  souhaitons  d'avoir  toujours  à  vivre 
sous  une  semblable  discipline. 

Jamais  règne  n'a  été  ni  si  fort  ni  si  éclairé  ; 
jamais  prince  n'a  été  moins  guidé  par  un  faux 
zèle;  jamais  on  n'a  mieux  su  distinguer  les  bor- 
nes des  deux  puissances.  On  voit  parler  dans 
les  décrets  du  concile  de  Francfort,  tantôt  les 
évêques  seuls ,  tantôt  le  prince  seul ,  et  tantôt 
les  deux  puissances  ensemble  ^.  Je  ne  veux  pas 
m'étendre  sur  les  diverses  matières  qui  donnè- 
rent lieu  à  cette  diversité  ;  je  remarquerai  seule- 
ment que  les  évêques  ayant  prononcé  seuls  la 
condamnation  de  la  nouvelle  hérésie  qu'on  vit 

'  De  schol.  instit.  Capit.  Baluz.  t.  I ,  p.  202 ,  203. 

*  Conc.  Franco/,  can.  vin,  t.  il  Conc.  Gall.  p.  19G.  Capit. 
^quis.  an.  Imp.  m,  cap.  iv,  Baluz.  t.  I,  p.  3S0,  381.  Capit. 
de  divis.  Regni,  cap.  xv,  ibid.  p.  444. 

*  Capit.  Car.  M.  de  hon.  sed.  Apost.  an.  Imp.  i,  Baluz. 
t.  I,  p.  357.  Conc.  Tribur.  sub.  Am.  Imp.  can.  \xx,  t.  ix 
Conc.  col.  456.  Capit.  Angilr.  data,  {.  H  Conc.  Gall.  p.  foo. 
Epit.  can.  ab  Adr.  Car.  M.  oblat.  Conc.  t.  VI,  col.  1800. 

*  C>nr.  Franco/,  can.  I,  ii;  can.  m,  v;  can.  IT,  V,  vi, 
m,  l.  II,  Conc.  Gall.  p.  193  et  spqq. 


DE  L'ÉGLISE.  jqz 

alors  s'élever  eu  Espagne  ' ,  ce  grand  roi  sut  bien 
trouver  sa  place  dans  une  occasion  si  importante. 
Comme  son  savoir  éclatait  dans  toute  l'Église 
autant  que  son  équité,  les  nouveaux  hérétiques 
le  prièrent  de  se  rendre  l'arbitre  de  la  cause». 
Charlemagne,  pour Icsconfondre par  eux-mêmes, 
accepta  l'offre;  mais  il  savait  comment  un  prince 
peut  être  arbitre  en  ces  matières.  Il  consulta  le 
saiut-siége  avant  toutes  choses;  il  écouta  aussi 
les  autres  évêques,  qu'il  trouva  conformes  à 
leur  chef.  C'est  sur  quoi  se  régla  ce  religieux 
prince  ;  c'est  par  ce  canal  qu'il  reçut  la  doctrine 
de  l'Évangile  et  l'ancienne  tradition  de  l'Église 
catholique  :  c'est  de  là  qu'il  apprit  ce  qu'il  fal- 
lait croire;  et  sans  discuter  davantage  la  ma- 
tière, dans  la  lettre  qu'il  écrit  aux  nouveaux 
docteurs^ il  leurenvoic'  les  lettres,  lesdécisions, 
«  et  les  décrets  formés  par  l'autorité  ecclésiasti- 
n  que,  les  exhortant  à  s'y  soumettre  avec  lui,  et 
«  à  ne  se  croire  pas  plus  savants  que  l'Église  uni- 
«  vei*selle  :  parce  que,  ajoutait  ce  grand  prince, 
«  après  ce  concoui-s  de  l'autorité  apostolique ,  et 
«  de  l'unanimité  synodale ,  vous  ne  pouvez  plus 
"  éviter  d'être  tenus  pour  hérétiques,  et  nous 
«  n'osons  plus  avoir  de  communion  avec  vous.  » 

Qu'on  n'impute  point  à  la  France  des  senti- 
ments nouveaux;  voilà  tous  ses  sentiments  du 
temps  de  Charlemagne  :  mais  Charlemagne  les 
avait  reçus  de  plus  haut,  et  ils  étaient  venus 
des  anciens  Pères,  et  dès  l'origine  du  chris- 
tianisme. Le  saint-siège  principalement,  et  le 
corps  de  lepiscopat  uni  à  son  chef ,  c'est  ou  il 
faut  trouver  le  dépôt  de  la  doctrine  ecclésiasti-  - 
que  confiée  aux  évêques  par  les  apôtres  :  car  c'est 
aussi  à  cette  unité  qu'il  est  dit  :  «  Qui  vous  écoute, 
«  m'écoute^  ;  »  et  encore  :  «  Les  portes  de  l'enfer 
«  ne  prévaudront  point  contre  elle  ^  ;  »  et  encore  : 
«  Vous  êtes  la  lumière  du  monde  ^;  >-  et  encore  : 
«  Dites-le  à  l'Église;  et  s'il  n'écoute  pas  l'Église, 
«  qu'il  vous  soit  comme  un  Gentil  et  un  publi- 
«  cain  7  ;  »  et  encore ,  pour  me  servir  du  même 
passage  qui  est  ici  allégué  par  Charlemagne  : 
«  Je  serai  toujours  avec  vous  jusqu'à  la  consom- 
«  mationdes  siècles*.  »  Ce  grand  prince,  soumis 
le  premier  à  cette  règle,  ne  craint  plus  après  cela 
de  condamner  les  hérétiques,  comme  déjà  con- 
damnés par  l'autorité  de  l'Église;  et  le  jugement 
du  saint-siégeet  du  concile  de  Francfort  devint  le 
sien. 

Est-il  besoin  de  raconter  ce  que  Charlemagne  , 

'  Conc.  Franco/,  can.  i,  p.  193. 
,ï  Ibid.EpLit.  Car.  M. 
^  Ibid.  p.  ISS,  190. 

*  Luc.  X,  16. 
'  Matlh.  XTI,  18. 

*  Ibid.  V,  14. 
■  Ihid.  xviif ,  17. 
»  Ibid.  \\vm    -20. 


294^ 


SUR  L'UMTi: 


ix  l'exemple  du  roi  sou  père,  fit  pour  la  gran- 
deur temporelle  du  saiut-sicge  et  de  l'Église  ro- 
maine? qui  ne  sait  qu'elle  doit  à  ces  deux  prin- 
ces et  à  leur  maison  tout  ce  qu'elle  possède  de 
pays?  Dieu,  qui  voulait  que  cette  Église,  la  mère 
commune  de  tous  les  royaumes,  dans  la  suite 
ne  fût  dépendante  d'aucun  royaume  dans  le 
temporel ,  et  que  le  siège  où  tous  les  fidèles  de- 
vaient garder  l'unité ,  à  la  fm  fût  mis  au-dessus 
des  partialités  que  les  divers  intérêts  et  les  ja- 
lousies d'État  pourraient  causer,  jeta  les  fonde- 
ments de  ce  grand  dessein  par  Pépin  et  par 
Charlemagne.  C'est  par  une  heureuse  suite  de 
leur  libéralité  que  l'Église,  indépendante  dans 
sou  chef  de  toutes  les  puissances  temporelles,  se 
voit  en  état  d'exercer  plus  librement ,  pour  le 
bien  commun  et  sous  la  commune  protection  des 
rois  chrétiens,  cette  puissance  céleste  de  régir 
les  âmes;  et  que,  tenant  en  main  la  balance 
droite  au  milieu  de  tant  d'empires  souvent  en- 
nemis, elle  entretient  l'unité  dans  tout  le  corps, 
tantôt  par  d'inflexibles  décrets ,  et  tantôt  par  de 
sages  tempéraments. 

L'empire  sortit  trop  tôt  d'une  maison  et  d'une 
nation  si  bienfaisante  envers  l'Église.  Rome  eut 
des  maîtres  fâcheux ,  et  les  papes  avaient  tout  à 
craindre  tant  des  empereurs  que  d'un  peuple  sé- 
ditieux ;  mais  ils  trouvèrent  toujours  en  nos  rois 
ces  charitables  voisins  que  le  pape  Pelage  II  avait 
espérés.  La  France ,  plus  favorable  à  leur  puis- 
sance sacrée,  que  l'Italie  et  que  Rome  même, 
leur  devint  comme  un  second  siège  où  ils  tenaient 
leurs  conciles ,  et  d'où  ils  faisaient  entendre  leurs 
oracles  par  toute  l'Église.  Troyes,  et  Clermont, 
et  Toulouse,  et  Tours,  et  Reims  plusieurs  fois, 
et  les  autres  villes  le  peuvent  dire  ;  pour  ne  point 
parier  ici  de  deux  conciles  universels  tenus  à 
Lyon,  et  d'un  autre  concile  universel  tenu  à 
Vienne  :  tant  les  papes  ont  pris  plaisir  à  faire 
]es  actes  les  plus  importants  et  les  plus  authen- 
tiques de  l'ÉgHse ,  daiK  le  sein  et  avec  la  fidèle 
coopération  de  l'Église  gallicane. 

Cependant  la  troisième  race  était  montée  sur 
letrtVne  :  race  encore  plus  pieuse  que  les  deux 
autres,  qui  aussi  a  toujours  vu  augmenter  sa 
gloire  ;  qui  seule  dans  tout  l'univers ,  et  depuis 
le  commencement  du  monde ,  se  voit  sans  inter- 
ruption depuis  sept  cents  ans  toujours  couron- 
née et  toujours  régnante  :  race  enfin  qui  devait 
donner  saint  Louis  au  monde;  en  laquelle  le  monde 
étonné  voit  encore  aujourd'hui  de  si  grandes 
choses,  et  en  attend  de  plus  grandes.  Vousdirai- 
je  combien  de  fois  et  en  quels  termes  elle  a  été 
bénite  par  le  saint-siége?  Sous  cette  race  la 
France  est  «  un  royaume  chéri  et  béni  de  Dieu , 
«  un  royaume  dont  lexaltation  est  inséparable 


«de  celle  du  saint-siège",  »  un  royaume;  mal» 
si  j'entreprenais  de  tout  raconter,  le  jour  n'y 
suffirait  pas. 

Aussi  faut- il  avouer  qu'il  y  a  eu  dans  ces  rois , 
avec  beaucoup  de  religion,  une  noblesse  qui  les 
a  fait  révérer  de  toute  la  terre,  et  qui  les  a  mis 
au-dessus  des  autres  rois.  Quand  les  empereurs 
se  vantaient  de  combattre  pour  les  intérêts 
communs  des  rois,  les  nôtres  ont  su  trouver  dans 
une  plus  noble  constitution  de  leur  État ,  et  dans 
une  plus  grande  hauteur  de  leur  couronne ,  une 
plus  sûre  défense;  puisque,  sans  qu'ils  eussent 
besoin  de  se  remuer,  leur  majesté  ne  fut  pas 
même  attaquée  dans  ces  premiers  ten^,  et  que 
jamais  ils  n'ont  été  obligés  ni  à  soutenir  des 
guerres ,  ni ,  ce  qui  est  bien  plus  horrible ,  à  faire 
des  schismes  pour  la  défendre. 

Ces  rois ,  aussi  bienfaisants  que  religieux ,  loin 
de  profiter  de  la  faiblesse  des  papes  toujours 
réfugiés  dans  leur  royaiune,  se  relâchaient  voloiv 
tai  rement  de  quelques-uns  de  leurs  droits,  plu- 
tôt que  de  troubler  la  paix  de  l'Église;  et  pen- 
dant que  saint  Thomas  de  Cantorbéri  était  banni 
d'Angleterre,  comme  ennemi  des  droits  de  la 
royauté,  la  France,  plus  équitable,  le  recevait 
dans  son  sein  comme  le  martyr  des  libertés  ec- 
clésiastiques. Nos  rois  donnèrent  cet  exemple  à 
tout  l'univers.  L'Église,  qu'ils  honoraient,  les 
honorait  à  son  tour  ;  et  l'égalité ,  tant  recomman- 
déc  par  l'apôtre,  s'entretenait  par  de  mutuelles 
reconnaissances. 

La  piété  se  ralentissait,  et  les  désordres  se 
multipliaient  dans  toute  la  terre.  Dieu  n'oublia 
pas  la  France  :  au  milieu  de  la  barbarie  et  de 
l'ignorance  elle  produisit  saint  Rernard,  apôtre, 
proplirète ,  ange  terrestre ,  par  sa  doctrine ,  par 
sa  prédication,  par  ses  miracles  étonnants ,  et 
par  une  vie  encore  plus  étonnante  que  ses  mira- 
cles. C'est  lui  qui  réveilla  dans  ce  royaume  et 
qui  répandit  dans  tout  l'univers  l'esprit  de  piété 
et  de  pénitence.  Jamais  sujet  ne  fut  plus  zélé 
pour  son  prince;  jamais  prêtre  ne  fut  plus  sou 
mis  à  l'épiscopat  ;  jamais  enfant  de  l'Église  ne 
défendit  mieux  l'autorité  apostolique  de  sa  mère 
l'Église  romaine.  Il  regardait  dans  le  pape  seul 
tout  ce  qu'il  y  avait  de  plus  grand  dans  l'un  et 
l'autre  Testament;  un  Abraham,  un  Melchisé- 
dech  ,  un  Moïse,  un  Aaron,  un  saint  Pierre,  en 
un  mot  Jésus-Christ  même^  Mais  afin  qu'une  au- 
torité sur  laquelle  l'Église  est  fondée,  fût  plus 
sainte  et  plus  vénérable  à  tous  les  peuples  ;  il  ne 
cessa  d'en  séparer,  autant  qu'il  pouvait ,  ce  qui 
semblait  plutôt  la  déshonorer  que  l'agrandir. 

'  Jlex.  iir,  Epist.  xsx,  t.  x  Conc.  col.  I2I2.  Itinoc.  m, 
Greg.  ix  t.  XI  Conc.  part.  I,  col.  27,  367. 
'  S,  Bern.  de  Consid.  lib.  ii ,  cap.  viii  ;  et  lib.  iv ,  cap ,  vil , 


DE  LÉGLISE. 


29& 


Tout  est  à  vous,  disait-il',  tout  dépend  du 
chef;  mais  c'est  avec  un  certain  ordre.  On  ferait 
un  monstre  du  corps  humain ,  si  on  attachait 
immédiatement  tous  les  membres  à  la  tête  :  c'est 
par  les  évêques  et  les  archevêques  qu'on  doit 
venir  au  saint-siége  :  ue  troublez  point  cette 
hiérarchie ,  qui  est  l'image  de  celle  des  anges. 
Vous  pouvez  tout ,  il  est  vrai  ;  mais  un  de  vos 
ancêtres  disait  :  «  Tout  m'est  permis ,  mais  tout 
■  n'est  pas  convenable  '.  »  Vous  avez  la  pléni- 
tude de  la  puissance,  mais  rien  ne  convient 
mieux  à  la  puissance  que  la  règle.  Enlin  l'Église 
romaine  est  la  mère  des  Églises^ ,  mais  non  une 
maîtresse  impérieuse;  et  vous  êtes  non  pas  le 
seigneur  des  évêques ,  mais  l'un  d'eux  :  paroles 
que  ce  saint  homme  n'a  pas  proférées  pour  affai- 
blir une  autorité  qu'il  a  fait  révérer  à  toute  la 
terre  ;  mais  afin  de  rappeler  en  la  mémoire  du 
successeur  de  saint  Pierre  cette  excellente  doc- 
trine, que  Jésus-Christ,  qui  l'a  élevé  aune  si 
grande  puissance ,  n'a  pas  voulu  néanmoins  lui 
donner  un  caractère  supérieur  à  celui  de  Tépis- 
copat  :  afin  que ,  dans  cette  haute  élévation ,  il 
prît  soin  de  conserver  dans  tous  les  évêques  la 
dignité  d'un  caractère  qui  lui  est  commun  avec 
eux;  et  qu'il  songeât  qu'il  y  a  toujours  avec 
une  grande  autorité ,  quelque  chose  de  doux  et 
de  fraternel  dans  le  gouvernement  ecclésiasti- 
que :  puisque  si  le  pape  doit  gouverner  les  évê- 
ques ,  il  les  doit  aussi  gouverner  par  les  lois  com- 
munes que  le  saint-siége  a  faites  siennes  en  les 
confirmant.  Cest  ce  que  disent  tous  les  papes  ; 
et  encore  qu'ils  puissent  dispenser  des  lois  pour 
l'utilité  publique^,  le  plus  naturel  exercice  de 
leur  puissance  est  de  les  faire  observer  en  les 
observant  les  premiers ,  comme  ils  en  ont  tou- 
jours fait  profession  dès  l'origine  du  christia- 
nisme. Voilà  ce  que  disait  saint  Bernard  et  tous 
les  saints  de  ce  temps  ;  voilà  ce  qu'ont  toujours 
dit  ceux  qui  ont  été  parmi  nous  les  plus  pieux. 
Cest  aussi  ce  qui  obligea  le  roi  le  plus  saint  qui 
ait  jamais  porté  la  couronne ,  le  plus  soumis  au 
saint-siége  et  le  plus  ardent  défenseur  de  la  foi 
romaine  (vous  reconnaisez  saint  Louis) ,  à  persé- 
vérer dans  ces  maximes  ,  et  à  publier  une  Prag- 
matique pour  maintenir  dans  son  royaume  «  le 
«  droit  commun  et  la  puissance  des  ordinaires , 
«  selon  les  conciles  généraux  et  les  institutions 
«  des  saints  Pères*.  » 

Ne  denaandez  plus  ce  que  c'est  que  les  liber- 
tés de  l'Église  gallicane.  Les  voilà  toutes  dans 
ces  précieuses  paroles  de  l'ordonnance  de  saint 

'  s.  Bem.  de  Consid.  Ub.  ni,  cap.  iv,  col.  433. 

»  /.  Cor.  X,  22. 

^  S,  Sern.  de  Consid.  Ub.  rv,  cap.  TU,  col.  444. 

*  Ibid.  Ub.  III,  cap.  iv,  col.  433. 

»  Prag.  S.  Lud. 


Louis;  nous  n'en  voulons  jamais  connaître  d'au- 
tres. Nous  mettons  notre  liberté  à  être  sujets  aux 
canons;  et  plût  à  Dieu  que  l'exécution  en  fût 
aussi  effective  dans  la  pratique ,  que  cette  profes- 
sion est  magnifique  dans  nos  livres!  Quoi  qu'il  en 
soit ,  c'est  notre  loi  :  nous  faisons  consister  notre 
liberté  à  marcher,  autant  qu'il  se  peut,  «  dans  le 
n  droit  commun  »  qui  est  le  principe  ou  plutôt  le 
fond  de  tout  le  bon  ordre  de  l'Église  ;  <  sous  la 
«  puissance  canonique  des  ordinaires,  selon  les 
«  conciles  généraux  et  les  institutions  des  saints 
«  Pères  :  «  état  bien  différent  de  celui  où  la  dureté 
de  nos  cœurs,  plutôt  que  l'indulgence  des  souve- 
rains dispensateurs ,  nous  a  jetés  ;  où  les  privilèges 
accablent  les  lois  ;  où  les  grôces  semblent  vouloir 
prendre  la  place  du  droit  commun,  tant  elles  se 
multiplient;  où  tant  de  règles  ne  subsistent  plus 
que  dans  la  formalité  qu'il  faut  observer  d'en  de- 
mander la  dispense  :  et  plût  à  Dieu  que  ces  for- 
mules conservent  du  moins,  avec  le  souvenir  des 
canons ,  l'espérance  de  les  rétablir  î  C'est  l'inten- 
tion du  saint-siége  ;  c'en  est  l'esprit.  Il  est  cer- 
tain. Mais  s'il  faut,  autant  qu'il  se  peut,  tendre 
au  renouvellement  des  anciens  canons ,  combien 
religieusement  faut-il  conserver  ce  qui  en  reste, 
et  surtout  ce  qui  est  le  fondement  de  la  disci- 
pline I  Si  vous  voyez  donc  vos  évêques  demander 
humblement  au  pape  l'inviolable  conservation  de 
ces  canons  et  de  la  puissance  ordinaire  dans  tous 
ses  degrés ,  souvenez- vous  qu'ils  ne  font  que  mar- 
cher sur  les  pas  de  saint  Louis  et  de  Charlema- 
gne,  et  imiter  les  saints  dont  ils  remplissent  les 
chaires.  Ce  n'est  pas  nous  diviser  d'avec  le  saint- 
siége ,  à  Dieu  ne  plaise!  c'est  au  contraire  con- 
server avec  soin  jusqu'aux  moindres  fibres,  qui 
tiennent  les  membres  unis  avec  'e  chef.  Ce  n'est 
pas  diminuer  la  plénitude  de  la  puissance  aposto-  - 
lique  :  l'Océan  même  a  ses  bornes  dans  sa  pléni- 
tude  ;  et  s'il  les  outrepassait  sans  mesure  aucune, 
sa  plénitude  serait  un  déluge  qui  ravagerait  tout  ; 
l'univers. 

Au  reste ,  la  puissance  qu'il  faut  reconnaître 
dans  le  saint-siége  est  si  haute  et  si  éminente , 
si  chère  et  si  vénérable  à  tous  les  fidèles,  qu'il 
n'y  a  rien  au-dessus  que  toute  l'Église  catholi- 
que ensemble  :  encore  faut-il  savoir  connaître  le« 
besoins  extraordinaires  et  les  extrêmes  périls  ou 
il  faut  que  tout  s'assemble  et  se  réunisse.  Ces 
maximes  sont  de  tous  les  siècles  ;  mais  dans  l'un . 
des  derniers  siècles  un  besoin  pressant  de  l'E- 
glise, un  grand  mal,  un  schisme  effroyable, 
obligea  toute  l'Église  à  les  expliquer,  et  à  les 
mettre  en  pratique  d'une  façon  plus  expresse  dans 
le  saint  concile  de  Pise,  et  dans  le  saint  concile 
de  Constance.  La  France  fut  la  plus  zélée  à  les 
soutenir:  mais  la  France  fut  sui\ic  de  toute  l'É? 


200 


SUR  L'UNITJÎ 


glise.  Ces  maximes  supposées  comme  indubita- 
bles du  commun  consentement  des  papes ,  de  taus 
les  évoques  et  de  tous  les  fidèles ,  rétablirent  l'au- 
torité du  saint-siége  affeiblie  par  les  divisions. 
♦>s  maximes  mirent  fin  au  schisme,  extirpèrent 
les  hérésies  que  leschisme  fortifiait ,  et  firent  espé- 
rer au  monde  malgré  la  dépravation  des  mœurs, 
la  réforme  universelle  de  la  discipline  dans  toute 
la  chrétienté,  sans  rien  excepter. 

Ces  maximes  demeureront  toujours  en  dépôt 
dans  l'Église  catholique.  Les  esprits  inquiets  et 
turbulents  voudront  s'en  servir  pour  brouiller; 
mais  les  humbles,  les  pacifiques,  les  vrais  enfants 
de  rÉglise  s'en  serviront  toujours  selon  la  règle, 
dans  les  vrais  besoins  et  pour  des  biens  effectifs. 
Les  cas  où  on  le  doit  faire  seront  aisés  à  mar- 
quer, puisqu'ils  sont  si  clairement  expliqués  dans 
les  décrets  du  concile  de  Constance';  mais  il 
vaut  mieux  espérer  que  la  déplorable  nécessité 
de  réfléchir  sur  ces  cas  n^arrivera  pas,  et  qu^ 
nos  jours,  ne  seront  pas  assez  malheureux  pour 
avoir  besoin  de  tels  remèdes.  Ah!  si  le  nom  de 
concile  écuménique,  nom  si  saint  et  si  vénéra- 
ble, doit  être  employé,  que  ce  ne  soit  pas  en  ma- 
tière contentieuse  et  pour  faire  durer  de  funestes 
y^  divisions;  mais  plutôt  pour  réunir  la  chrétienté 
^   déchirée  par  tant  de  schismes,  et  pour  travailler 


à  l'œuvrede  réformation,  qui  jamaisn'est  achevée 
durant  cette  vie  !  Cependant  conservons  ces  fortes 
maximes  de  nos  pères,  que  l'Église  gallicane  a 
trouvées  dans  la  tradition  de  l'Église  universelle  ; 
que  les  universités  du  royaume ,  et  principalement 
celle  de  Paris,  ont  apprises  des  saints  évêques  et 
des  saints  docteurs  qui  ont  toujours  éclairé  l'É- 
glise deFrance ,  sans  que  le  saint-siége  aitdiminué 
les  éloges  qu'il  a  donnés  à  ces  fameuses  univer- 
sités \  Au  contraire  c'est  en  sortant  du  concile 
de  Baie ,  où  ces  maximes  avaient  été  renouvelées 
avec  l'applaudissement  de  tout  le  royaume ,  que 
Pie  II  qui  le  savait,  puisqu'il  avait  autrefois 
prêté  sa  plume  à  ce  concile,  s'adressant  àuu  évo- 
que de  Paris,  dans  l'assemblée  générale  de  tous 
les  princes  chrétiens ,  lui  parla  ainsi  de  laFrance^  : 
<«  La  France  a  beaucoup  d'universités ,  parmi  les- 
«  quel  les  la  vôtre ,  mon  vénérable  frère ,  est  la  plus 
«  illustre,  pai'ce  qu'on  y  enseigne  si  bien  la  théo- 
«  logie ,  et  que  c'est  un  si  grand  honneur  d'y  pou- 
«  voir  mériter  le  titre  de  docteur;  de  sorte  que 
«  le  florissant  royaume  de  France,  avec  tous  les 
«  avantages  de  la  nature  et  de  la  fortune,  a  eu- 
«  core  ceux  de  la  doctrine  et  de  la  pure  religion.  « 
A'oilà  ce  que  dit  un  savant  pape  qui  n'ignorait  pas 
nos  sentiments,  puisqu'ils  étaient  alors  dans  leui' 

■  Scxs.  V. 

»  Urhftn.  VI,  Epist.  Il,  t.  xi  Conc.  col.  2018. 

*  fins  II,  in  Conv.  Muni.  t.  xiii  Conc  col.  1771. 


plus  grande  vigueur;  et  je  puis  dire  qu'il  en  ap. 
prouve  le  fond  dans  la  bulle  '  où,  en  révoquant  ca 
qu'il  avait  dit  avant  son  exaltation  en  faveur  du 
concile  de  Bâie,  il  déclare  qu'il  n'en  révère  pas 
moins  le  concile  de  Constance  dont  il  embrasse 
les  décrets,  et  nommément  ceux  où  l'autorité  et 
la  puissance  des  conciles  est  expliquée. 

Il  savait  bien  que  la  France  n'abusait  point  de 
ces  maximes,  puisque  même  elle  venait  de  don- 
ner un  exemple  incomparable  de  modération  dans 
la  célèbre  assemblée  de  Bourges;  où  louant  les 
Pères  de  Baie  qui  soutenaient  ces  maximes,  elle 
rejeta  l'application  outrée  qu'ils  en  firent  contre 
le  pape  Eugène  IV.  Nos  lil)ertés  furent  défendues  ; 
le  pape  fut  reconnu;  le  schisme  fut  éteint  dans 
sa  naissance;  tout  fut  pacifié  :  qui  fit  un  si  grand 
ouvrage?  un  grand  roi  fidèlement  assisté  par  le 
plus  docte  clergé  qui  fût  au  monde. 

Jamais  il  ne  fut  tant  parlé  des  libertés  de  l'E- 
glise, et  jamais  il  n'en  fut  posé  un  plus  solide 
fondement  que  dans  ces  paroles  immortelles  de 
Charles  VII  :  «  Comme  c'est,  dit-il  %  le  devoir 
«  des  prélats  d'annoncer  avec  liberté  la  vérité 
«  qu'ils  ont  apprise  de  Jésus-Christ,  c'est  aussi  le 
«  devoir  du  prince  et  de  la  recevoir  de  leur  bou- 
«  che,  prouvée  par  les  Écritures,  et  de  l'exécuter 
«  avec  efficace.  »  Voilà  en  effet  le  vrai  fondement 
des  libertés  de  l'Église  :  alors  elle  est  vraiment 
Ubre  quand  elle  dit  la  vérité,  quand  elle  la  dit 
aux  rois  qui  l'aiment  naturellement  et  qu'ils  l'é- 
coutent  de  leur  bouche  ;  car  alors  s'accomplit  cet 
oracle  du  Fils  de  Dieu  :  «  Vous  connaîtrez  la  vé- 
«  rite ,  et  la  vérité  vous  délivrera ,  et  vous  serez 
«  vraiment  libres  ^.  » 

Nous  sommes  accoutumés  à  voir  agir  nos  rois 
très-chrétiens  dans  cet  esprit.  Depuis  le  temps 
qu'ils  se  sont  rangés  sous  la  discipline  de  saint 
Rémi,  ils  n'ont  jamais  manqué  d'écouter  leurs 
évoques  orthodoxes.  L'empire  romain  vit  succé- 
der au  premier  empereur  chrétien  un  empereur 
hérétique.  La  succession  des  empereurs  a  souvent 
été  déshonorée  par  de  semblables  désordres.  Mais 
pour  ne  point  reprocher  aux  autres  royaumes 
leur  malheureux  sort ,  contentons-nous  de  dire, 
avec  humilité  et  actions  de  grâces ,  que  la  France 
est  le  seul  royaume  qui  jamais,  depuis  tant  de 
siècles ,  n'a  vu  changer  la  foi  de  ses  rois  ;  elle  n'eu 
a  jamais  eu,  depuis  plus  de  douze  cents  ans, 
qui  n'ait  été  enfant  de  l'Église  catholique  :  le 
trône  royal  est  sans  tache  et  toujours  uni  au  saint- 
siége;  il  semble  avoir  participé  à  la  fermeté  de 
cette  pierre  :  Gratias  Deo  super  inenarmbiU 

•  Bulla.  retracl.  Pii  II,  t.  Xlu  Conc,  col.  M*>7. 
'  Pra(i.  Car.  Vil. 
3  Joaii.  V!U,  32,  36. 


DE  L'ÉGLISE. 


»T 


(lono  cjus  :  «  Grâces  à  Dieu  sur  ce  don  iuexpli- 

•  cable  de  sa  bonté  '.  » 

Kn  écoutant  leurs  évéques  dans  la  prédica- 
tion de  la  vraie  foi,  c'était  une  suite  naturelle 
que  ces  rois  les  écoutassent  dans  ce  qui  regarde 
la  discipline  ecclésiastique.  Loin  de  vouloir  faire 
en  ce  jwint  la  loi  à  l'Église,  un  empereur,  roi  de 
France,  disait  aux  évéques*  :  «  Je  veux  qu'ap- 
"  puyés  de  notre  seconi"s  et  secondés  de  notre 

•  puissance,  comme  le  bon  ordre  le  prescrit,  » 
fainulante,  utdecet,  polestatc  nostm  (pesez  ces 
paroles;  et  remarquez  que  la  puissance  royale, 
qui  partout  ailleurs  veut  dominer,  et  avec  raison, 
ici  ne  veut  que  servir).  «  Je  veux  donc,  dit  cet 
«  empereur,  que ,  secondés  et  servis  par  notre 
«  puissance,  vous  puissiez  exécuter  ce  que  votre 
«  autorité  demande  :  «  paroles  dignes  des  maîtres 
du  monde;  qui  ne  sont  jamais  plus  dignes  de 
l'être,  ni  plus  assurés  sur  leur  trône,  que  lors- 
qu'ils font  respecter  l'ordre  que  Dieu  a  établi. 

Ce  langage  était  ordinaire  aux  rois  très-chré- 
tiens ;  et  ce  que  faisaient  ces  pieux  princes ,  ils  ne 
cessaient  de  l'iuspirer  à  leurs  officiers.  Malheur, 
malheur  à  l'Église,  quand  les  deux  juridictions 
ont  commencé  à  se  regarder  d'un  œil  jaloux! 
ô  plaie  du  christianisme!  Ministres  de  l'Église, 
ministres  des  rois ,  et  ministres  du  Roi  des  rois  les 
uns  et  les  autres ,  quoique  établis  d'une  manière 
différente,  ah!  pourquoi  vous  divisez-vous?  l'or- 
dre de  Dieu  est-il  opposé  à  l'ordre  de  Dieu?  hé, 
pourquoi  ne  songez-vous  pas  que  vos  fonctioDS 
sont  unies  ;  que  servir  Dieu  c'est  servir  l'État ,  que 
servir  l'État  c'est  servir  Dieu?  Mais  l'autorité  est 
aveugle:  l'autorité  veut  toujours  monter,  toujours 
s'étendre;  l'autorité  se  croit  dégradée  quand  on 
lui  montre  ses  bornes.  Pourquoi  accuser  l'auto- 
rité? accusons  l'orgueil;  et  disons  conmie  l'apô- 
tre disait  de  la  loi  :  /  L'autorité  est  sainte  et  juste 
-<  et  bonne ^;  "  siùnte,  elle  vient  de  Dieu;  juste, 
etle  conserve  le  bien  à  un  chacun  ;  bonne ,  elle  as- 
sure le  repos  public  :  «  mais  l'iniquité,  aûn  de 
"  paraître  iniquité ,  se  sert  «  de  l'autorité  pour 
mal  faire;  en  sorte  que  l'iniquité  est  souverai- 
nement inique,  quand  elle  pèche  par  l'autorité 
que  Dieu  a  établie  pour  le  bien  des  hommes. 

Nos  rois  n'ont  rien  oublié  pour  empêcher  ce 
désordre.  Leurs  capitulaires  ne  parlent  pas  moins 
fortement  pour  les  évéques  que  ies  conciles.  C'est 
dans  les  capitulaires  des  rois  qu'il  est  ordonné 
aux  deux  puissances,  au  lieu  d'entreprendre  l'une 
sur  lautre ,  de  «  saider  mutuellement  dans  leurs 
"  fonctions ,  >•  et  au'il  est  ordonné  en  particulier 

*  n.  Cor.  IX,  15. 

*  Lud.  Pins.  Capit.  an.  823.  Baluz.  t.  I ,  p.  634.  Ep.  f'enil. 
Sed.  ad  .4 mu l.  Litfjd.  Conc.  Gall.  t.  lU,  p.  «57. 

*  Hum  Tii,  12. 


aux  comtes,  aux  juges,  à  ceux  qui  ont  en  maia 
l'autorité  royale,  d'être  «  obéissants  aux  évô- 
«  ques:  ■' c'est  ce  que  portait  l'ordonnance  de  Char- 
lemagne;  et  ce  grand  prince  ajoutait  qu'il  «  ne 
«  pouvait  tenir  pour  de  fidèles  sujets  ceux  qui  n'é- 
«  talent  pas  lidèles  à  Dieu  ;  ni  en  espérer  une  sin- 
«  cère  obéissance,  lorstiu'ils  ne  la  rendaient  pas 
«  aux  ministres  de  Jésus-Christ ,  dans  ce  qui  re- 
«  gardait  les  causes  de  Dieu  et  les  intérêts  de  l'É- 
«  glise* .  «  C'était  parler  en  prince  habile ,  qui  sait 
en  quoi  l'obéissance  est  due  aux  évéques,  et  ne 
confond  point  les  bornes  des  deux  puissances  : 
il  mérite  d'autant  plus  d'en  être  cru.  Selon  ses  or- 
donnances ,  on  laisse  aux  évéques  l'autorité  tout 
entière  dans  les  causes  de  Dieu  et  dans  les  inté- 
rêts de  l'Église^  et  avec  raison,  puisqu'en  cela 
l'ordre  de  Dieu ,  la  grâce  attachée  à  leur  carac- 
tère ,  l'Écriture ,  la  tradition ,  les  canons  et  les  lois 
parlent  pour  eux. 

Qu'est-il  besoin  d'alléguer  les  autres  rois  ?  que 
ne  doivent  point  les  évéques  au  grand  Louis! 
que  ne  fait  pointée  religieux  prince  pour  les  inté- 
rêts de  l'Église!  pour  qui  a-t-il  triomphé,  si  ce 
n'est  pour  elle?  quand  tout  en  un  moment  ploya 
sous  sa  main ,  et  que  les  provinces  se  soumirent 
comme  à  l'envi,  n'ouvrit-il  pas  autant  de  temples 
à  l'Église  qu'il  força  de  places  ?  mais  l'hérésie  de 
Calvin  fut  la  seule  confondue  en  ce  temps.  Au- 
jourd'hui le  luthéranisme ,  la  source  du  mal  et  la 
tête  de  l'hérésie,  est  entamé  :  heureux  présage 
pour  l'Église  !  Il  commence  à  rendre  les  temples 
usurpés.  L'un  des  plus  grands  de  ces  temples, 
celui  qui  de  dessus  les  bords  du  Rhin  élève  le 
plus  haut  et  fait  révérer  de  plus  loin  son  sacré  som- 
met, par  la  piété  do  Louis  est  sanctiné  de  nouveau. 
Que  ne  doit  espérer  la  Fiance,  lorsque  fermée 
de  tous  côtés  par  d'invincibles  barrières ,  à  cou- 
vert de  la  jalousie,  et  assurant  la  paix  de  I  Europe 
par  celle  dont  son  roi  la  fera  jouir,  elle  verra  ce 
grand  prince  tourner  plus  que  jamais  tous  ses 
soins  au  bonheur  des  peuples ,  et  aux  intérêts  de 
lÉglise  dont  il  fait  les  siens  !  Nous ,  mes  frères , 
nous  qui  vous  parlons ,  nous  avons  ouï  de  la  bou- 
che de  ce  prince  incomparable ,  à  la  veille  de  ce 
départ  glorieux  qui  tenait  toute  l'Europe  en  sus- 
:  pens,  qu'il  allait  travailler  pour  l'Église  et  pour 
j  l'Etat,  deux  choses  qu'on  verrait  toujours  insé- 
I  parables  dans  tous  ses  desseins.  France,  tu  vivras 
par  ces  maximes;  et  rien  ne  sera  plus  inébranla- 
i  ble  qu'un  royaume  uni  si  étroitement  à  l'Église 
I  que  Dieu  soutient  î  Combien  devons-nous  chérir 


I  '  Cap.  iT  Car.  M.  an.  806,   Baluz  :  t.  I,  p.  450.  Capit. 

!  cap.  T/ieud.  de  /ion.  Episc.  et  rel.  Sacerd.  ibid.  p.  i38.  ColL 

I  Anseg.  lib.  vi ,  cap.  ccxLix ,  ibid.  p.  965.  Conc.  .4rel.  vi ,  5«f&, 

j  Car.  M.  cnn.   xiii,  t.  u  Conc.  Coll.  p.  27I.  Capit.  Car.  8L 

'■  an.  813,  BiiliÊi.  t.  I,  p.  50-J. 


298  SUR  L'UNITÉ 

un  prince ,  qui  unit  tous  ses  intérêts  à  ceux  de  l'É- 
glise! n'est-il  pas  notre  consolation  et  notre  joie , 
lui  qui  réjouit  tous  les  jours  le  ciel  et  la  terre  pa<r 
tant  de  conversions?  pouvons-nous  n'être  pas  tou- 
chés ,  pendant  que  par  son  secours  nous  ramenons 
tous  les  jours  un  si  grand  nombre  de  nos  enfants 
dévoyés  !  et  qui  ressent  plus  de  joie  de  leur  chan- 
gement que  l'Église  romaine  leur  mère  commune, 
qui  dilate  son  sein  pour  les  recevoir  ?  La  main  de 
Louis  était  réservée  pour  achever  de  guérir  les 
plaies  de  l'Église.  Déjà  celles  de  l'épiscopat  ne 
nous  paraissent  plus  irrémédiables.  Outre  cent 
arrêts  favorables  ;  sous  les  auspices  d'un  prince 
qui  ne  veut  que  voir  la  raison  pour  s'y  soumettre, 
on  ouvre  les  yeux  :  on  ne  lit  plus  les  canons  et  les 
décrets  des  saints  Pères  par  pièces  et  par  lam- 
beaux ,  pour  nous  y  tendre  des  pièges  ;  on  prend 
la  suite  des  antiquités  ecclésiastiques  :  et  si  on 
entre  dans  cet  esprit;  que  verra- t-on  à  toutes  les 
pages,  que  des  monuments  éternels  de  notre  au- 
torité sacrée? 

«  Nous  ne  nous  prêchons  pas  nous-mêmes 
«  quand  nous  parlons  de  cette  sorte  ;  mais  nous 
«  prêchons  Jésus-Christ  qui  nous  a  établis  ses  mi- 
«  nistres,  et  nous  prêchons  tout  ensemble  que 
«  nous  sommes  en  Jésus-Christ  dévoués  à  votre 
«  service  •.  »  Car  qu'est-ce  que  l'épiscopat,  si  ce 
n'est  une  servitude  que  la  charité  nous  impose 
pour  sauver  les  âmes?  et  qu'est-ce  que  soutenir 
l'épiscopat ,  que  soutenir  la  foi  et  la  discipline  ? 
Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si  Louis,  qui  aime 
et  honore  l'Église,  aime  et  honore  notre  ministère 
apostolique.  Que  tarde  un  si  saint  pape  à  s'unir 
intimement  au  plus  religieux  de  tous  les  rois? 
Un  pontificat  si  saint  et  si  désintéressé  ne  doit 
être  mémorable  que  par  la  paix ,  et  par  les  fruits 
de  la  paix,  qui  seront,  j'ose  le  prédire,  l'humilia- 
tion des  infidèles,  la  conversion  des  hérétiques, 
et  le  tétablissement  de  la  discipline.  Voilà  l'ob- 
jet de  nos  vœux  ;  et  s'il  fallait  sacrifier  quelque 
chose  à  un  si  grand  bien ,  craindrait-on  d'en  être 
blâmé? 

TROISIÈME  POINT. 

C'a  toujours  été  dans  l'Église  un  commence- 
ment de  paix ,  que  d'assembler  les  évêques  or- 
thodoxes. Jésus-Christ  est  l'auteur  de  la  paix, 
Jésus-Christ  est  la  paix  lui-même  :  nous  ne  som- 
mes jamais  plus  assurés  d'être  assemblés  en  son 
nom ,  ni  par  conséquent  de  l'avoir,  selon  sa  pro- 
messe, au  milieu  de  nous ,  que  lorsque  nous  som- 
mes assemblés  pour  la  paix  ;  et  nous  pouvons  dire 
avec  un  ancien  pape',  «  que  nous  sommes  vérita- 
*  blement  ambassadeurs  pour  Jésus-Christ,  quand 

'  II.  Cor.  tu,  6;  IV,  5. 

•    Joan.  VIII,  Einst.  LXXX,  l.  IX  Conc.  col.  GG. 


«  nous  travaillons  à  la  paix  de  l'Église  :  «  Pro 
Christo  legationefungimur,  cumpaci  Ecclesiœ 
studium  impendere  procuramus.  L'épiscopat, 
qui  est  un ,  aime  à  s'unir  :  c'est  en  s'unissant  qu'il 
se  purifie ,  c'est  en  s'unissant  qu'il  se  règle ,  c'est 
en  s'unissant  qu'il  se  réforme,  mais  surtout  c'est 
en  s'unissant  qu'il  attire  dans  sou  unité  le  Dieu  de 
la  paix,  et  «  les  apôtres  étaient  assemblés,  »  dit 
l'évangéliste  ',  quand  Jésus-Christ  leur  vint  dire, 
ce  qu'ils  disent  ensuite  à  tout  le  peuple  :  Pax 
vobis.  :  «  La  paix  soit  avec  vous.  » 

Saint  Bernard,  l'ange  de  paix,  voyant  un  com- 
mencement de  division  entre  l'Église  et  l'État , 
écrivit  à  Louis  VII  :  «  Il  n'y  a  rien  de  plus  néces- 
n  saire  que  d'assembler  les  évêques  en  ce  temps  :  " 
et  une  des  raisons  qu'il  en  apporte,  c'est,  dit-il  a 
ce  sage  prince  *  ,  que  «  s'il  est  sorti  de  la  rigueur 
«  de  l'autorité  apostolique  quelque  chose  dont  Vo- 
«  tre  Majesté  se  trouve  offensée ,  vos  fidèles  su- 
«  jets  travailleront  à  faire  qu'il  soit  révoqué  ou 
«  adouci ,  autant  qu'il  le  faut  pour  votre  hon- 
'<■  neur.  •» 

Et  pour  ce  qui  est  de  la  discipline,  quand  nous 
la  voyons  blessée,  nous  nous  assemblons  pour 
proposer  les  canons,  bornes  naturelles  de  la  puis- 
sance ecclésiastique,  qu'elle  se  fait  elle-même 
par  son  exercice.  Le  saint-siége  aime  cette  voie  ; 
le  langage  des  canons  est  son  langage  naturel, 
et,  à  la  louange  immortelle  de  cette  Église,  il 
n'y  a  rien  de  plus  répété  dans  ses  Décrétales,  ni 
rien  de  mieux  établi  dans  sa  pratique,  que  la  loi 
qu'elle  se  fait  d'observer  et  de  faire  observer  les 
saints  canons. 

Les  exemples  nous  feront  mieux  voir  le  suc- 
cès de  ces  saintes  assemblées.  On  rapporta  dans 
un  concile  de  la  province  de  Lyon  un  privilège 
de  Rome ,  qu'on  crut  contre  l'ordre.  Nos  pères 
dirent  aussitôt ,  selon  leur  coutume  :  «  Relisant 
«  le  saint  concile  de  Chalcédoine ,  et  les  senten- 
«  ces  de  plusieurs  autres  Pères  authentiques,  le 
<c  saint  concile  a  résolu  que  ce  privilège  ne  pou- 
«  vait  subsister ,  puisqu'il  n'était  pas  conforme 
«  mais  contraire  aux  constitutions  canoniques^.  » 
Vous  reconnaissez  dans  ces  paroles  l'ancien 
style  de  l'Église  :  ce  concile  est  pourtant  de  l'on- 
zième siècle  ;  afin  que  vous  voyiez  dans  tous  les 
temps  la  suite  de  nos  traditions ,  et  la  conduite 
toujours  uniforme  de  l'Église  gallicane.  Elle  ne 
s'élève  pas  contre  le  saint-siége;  puisqu'elle  sait 
au  contraire  qu'un  siège  qui  doit  régler  tout  l'u- 
nivers ,  n'a  jamais  intention  d'affaiblir  la  règle  : 
mais  comme  dans  un  si  grand  siège,  où  un  seul 
doit  répondre  à  toute  la  terre ,  il  peut  échapper 

•  Joan.  XX,  19. 

2  S.  Bern.  Epist.  CCLV,  t.  I,  col.  257. 

3  Conc.  Ansan.  an.  1025,  t.  IX  Conc.  col.  86». 


DE  LEGLISE. 


39» 


qik'lquc  chose  même  à  la  plus  grande  vigilance, 
on  y  doit  d'autant  plus  prendre  garde ,  que  ce 
qui  vient  d'une  autorité  si  émineute  pourrait  à  la 
fm  passer  pour  loi ,  ou  devenir  un  exemple  pour 
la  iwslérité. 

C'est  pourquoi  dans  ces  occasions  toutes  les 
Églises,  mais  principalement  celle  de  France, 
ont  toujours  représenté  au  saint-siége ,  avec  un 
profond  respect ,  ce  qu'ont  réglé  les  canons.  Nous 
en  avons  un  bel  exemple  dans  le  second  concile  de 
Limoges,  qui  est  encore  de  l'onzième  siècle.  On 
s'y  plaignit  dune  sentence  donnée  par  surprise ,  et 
contre  l'ordre  canonique,  par  lepape  Jean  XVIII '. 
>os  prédécesseurs  assemblés  proposèrent  d'abord 
la  règle  «  qu'ils  avaient  reçue ,  disaient-ils ,  des 
•  pontifes  apostoliques  et  des  autres  Pères.  >•  Ils 
ajoutèrent  ensuite,  comme  un  fondement  incon- 
testable ,  «  que  le  jugement  de  toute  l'Église  pa- 
••  raissait  principalement  dans  le  saint-siége  apos- 
"  tolique  \  »  Ce  ne  fut  pas  sans  remarquer  l'ordre 
canonique  avec  lequel  les  affaires  y  devaient  être 
portées ,  afin  que  ce  jugement  eût  toute  sa  force  ; 
et  la  conclusion  fut  que  «  les  pontifes  apostoliques 
n  ne  devaient  pas  révoquer  les  sentences  des  évê- 
«  ques,  »  contre  cet  ordre  canonique  :  "  parce  que 
«  comme  les  membres  sont  obligés  à  suivre  leur 
«  chef,  il  ne  faut  pas  aussi  que  le  chef  afflige  ses 
"  membres.  « 

Comme  c'a  toujours  été  la  coutume  de  l'Eglise 
de  France  de  proposer  les  canons ,  c'a  toujours 
été  la  coutume  du  saint-siége  d'écouter  volontiers 
de  tels  discours ,  et  le  même  concile  nous  en  four- 
nit un  exemple  mémorable.  Un  évêque*  s'était 
plaint  au  même  pape  Jean  XVIII ,  d'une  absolu- 
tion que  ce  pape  avait  mal  donnée  au  préjudice 
de  la  sentence  de  cet  évêque.  Le  pape  lui  fit  cette 
réponse  vTaiment  paternelle,  qui  fut  lue  avec 
une  incroyable  consolation  de  tout  le  concile^  : 
«  C'est  votre  faute ,  mon  très-cher  frère ,  de  ne 
-  m'avoir  pas  instruit  :  j'aurais  confirmé  votre 
«  sentence ,  et  ceux  qui  m'ont  surpris  n'auraient 
«  remporté  que  des  anathèmes.  A  Dieu  ne  plaise , 
«  poursuit-il ,  qu'il  y  ait  schisme  entre  moi  et  mes 
"  coévêques  !  je  déclare  à  tous  mes  frères  les 
«  évêques ,  que  je  veux  les  consoler  et  les  secourir  5 
«  et  non  pas  les  troubler  ni  les  contredire  dans 
"  l'exercice  de  leur  ministère.  »  A  ces  mots,  «  tous 
«  les  évêques  se  dirent  les  uns  aux  autres  :  C'est  à 
«  tort  que  nous  osons  murmurer  contre  notre 
«  chef;  nous  n'avons  à  nous  plaindre  que  de 
«  nous  -mêmes,  et  du  peu  de  soin  que  nous  pre- 
•  nous  de  l'avertir.  » 


•  Conc.  Lemov.  n ,  Sess.  ii ,  t.  ix  Conc. 

•  Ibid.  col.  909. 

•  F.lieiine,  évêque  de  Clermonf. 

•  Conc.  Lemov.  ii ,  Sea.  u,  t.  ix  Conc.  ool.  908. 


Vous  le  voyez,  chrétiens  :  les  puissances  suprê- 
mes veulent  être  instruites ,  et  veulent  toujours 
agir  avec  connaissance.  Vous  voyez  aussi  qu'il 
y  a  toujours  quelque  chose  de  paternel  dans  le 
saint-siége  et  toujours  un  fond  de  correspondance 
entre  le  chef  et  les  membres,  qui  rend  la  paix 
assurée  pourvu  qu'en  proposant  la  règle  on  ne 
manque  jamais  au  respect  que  la  même  règle 
prescrit.  L'Église  de  France  aime  d'autant  plus 
sa  mère  l'Église  romaine,  et  ressent  pour  elle  uo 
respect  d'autant  plus  sincère,  qu'elle  y  regarde 
plus  purement  l'institution  primitive  et  l'ordre 
de  Jésus-Christ.  La  marque  la  plus  évidente  de 
l'assistance  que  le  Saint-Esprit  donne  à  cette 
mère  des  Églises  c'est  de  la  rendre  si  juste  et  si 
modérée,  que  jamais  elle  n'ait  mis  les  excès 
parmi  les  dogmes.  Qu'elle  est  grande,  l'Église 
romaine ,  soutenant  toutes  les  Églises ,  «  portant , 
"  dit  un  ancien  pape  ' ,  le  fardeau  de  tous  ceux  qui 
«  souffrent ,  »  entretenant  l'unité ,  confirmant  la 
foi ,  liant  et  déliant  les  pécheurs ,  ouvi-ant  et  fer- 
mant le  ciel  1  Qu'elle  est  grande ,  encore  une  fois , 
loreque  pleine  de  l'autorité  de  saint  Pierre ,  de 
tous  les  apôtres ,  de  tous  les  conciles ,  elle  en  exé- 
cute ,  avec  autant  de  force  que  de  discrétion ,  les 
salutaires  décrets  !  Quelle  a  été  sa  puissance  lors- 
qu'elle l'a  fait  consister  principalement  à  tenir 
toute  créature  abaissée  sous  l'autorité  des  canons , 
sans  jamais  s'éloigner  de  ceux  qui  sont  les  fonde- 
ments de  la  discipline;  et  qu'heureuse  de  dispen- 
ser les  trésors  du  ciel,  elle  ne  songeait  pas  à  dispo- 
ser des  choses  inférieures  que  Dieu  n'avait  pas 
mises  en  sa  main! 

Dans  cet  état  glorieux  où  vous  paraît  l'Église 
romaine,  et  les  rois  et  les  royaumes  sont  trop 
heureux  d'avoir  à  lui  obéir.  Quel  aveuglement 
quand  des  royaumes  chrétiens  ont  cru  s'affranchir 
en  secouant ,  disaient-ils ,  le  joug  de  Rome ,  qu'ils 
appelaient  un  joug  étranger  î  comme  si  l'Église 
avait  cessé  d'être  universelle  ;  ou  que  le  lien  com- 
mun qui  fait  de  tant  de  royaumes  un  seul  royaume 
de  Jésus-Christ,  pût  devenir   étranger  à  des 
chrétiens.  Quelle  erreur,  quand  des  rois  ont  cru 
se  rendre  plus  indépendants  en  se  rendant  maîtres 
de  la  religion!  au  lieu  que  la  religion,  dont  l'au- 
torité rend  leur  majesté  inviolable ,  ne  peut  être 
pour  leur  propre  bien  trop  indépendante ,  et  que 
la  grandeur  des  rois  est  d'être  si  grands  qu'ils  ne 
puissent ,  non  plus  que  Dieu  dont  ils  sont  l'image  , 
se  nuire  à  eux-mêmes,  ni  par  conséquent  à  la 
religion  qui  est  l'appui  de  leur  trône.  Dieu  préserve 
nos  rois  très-chrétiens  de  prétendre  à  l'empire 
des  choses  sacrées,  et  qu'il  ne  leur  vienne  jamais 
une  si  détestable  envie  de  régner!  Ils  n'y  oût 

'  Joan.  Tin,  £/>«*.  uxx,  t.  u  Cokc.  oqL  M. 


30  (J 


SUR  L'UNITE  DE  L" ÉGLISE. 


jamais  pense.  Invincibles  envers  toute  autre  puis- 
sance,et  toujours  humbles  devant  le  saint-siége , 
ils  savent  en  quoi  consiste  la  yéritable  hauteur. 
Ces  princes ,  également  religieux  et  magnanimes, 
n'ont  pas  moiiis  méprisé  que  détesté  les  extrémi- 
tés auxquelles  on  ne  se  laisse  emporter  que  par 
dé.sespoir  et  par  faiblesse. 

L'Église  de  France  est  zélée  pour  ses  libertés  ■  : 


elle  a  raison;  puisque  le  grand  concile  d'Èphèse 
nous  apprend*  que  ces  libertés  particulières  des 
Églises  sont  un  des  fruits  de  la  rédemption ,  par 
laquelle  Jésus-Christ  nous  a  affranchis  :  et  il  est 
certain  qu'en  matière  de  religion  et  de  conscience , 
des  libertés  modérées  entretiennent  l'ordre  de 
l'Église,  et  y  affermissent  la  paix.  Mais  nos  pères 
nous  ont  appris  à  soutenir  ces  libertés  sans  man- 
quer au  respect;  et  loin  d'en  vouloir  manquer, 
nous  croyons  au  contraire  que  le  respect  invio- 
lable que  nous  conserverons  pour  le  saint-siége 
nous  sauvera  des  blessures  qu'on  voudrait  nous 
faire  sous  un  nom  qui  nous  est  si  cher  et  si  vé 
nérable. 

Sainte  Église  romaine^  mère  des  Églises  et 
mère  de  tous  les  fidèles ,  Église  choisie  de  Dieu 
pour  unir  ses  enfants  dans  la  même  foi  et  dans 
la  même  charité,  nous  tiendrons  toujours  à  ton 
unité  par  le  fond  de  nos  entrailles!  «  Si  je  t'oublie , 
«  Église  romaine ,  puissé-je  m'oublier  moi-même  ! 
«  que  ma  langue  se  sèche  et  demeure  immobile 
<  dans  ma  bouche,  si  tu  n'es  pas  toujours  la  pre- 
«  mière  dans  mon  souvenir,  si  je  ne  te  mets  pas 
«  au  commencement  de  tous  mes  cantiques  de 
«  réjouissance  :  »  Adhœreat  lingua  meafaucibus 
meis,  si  non  meminero  tui,  si  non  proposuero 
Jérusalem  in  principio  lœtitiœ  meœ^l 

Mais  vous,  qui  nous  écoutez;  puisque  vous 
nous  voyez  marcher  sur  les  pas  de  nos  ancêtres , 
que  reste-t-il,  chrétiens,  sinon  qu'unis  à  notre 
assemblée  avec  une  fidèle  correspondance,  vous 
nous  aidiez  de  vos  vœux?  «  Souvent,  dit  un  ancien 
«  Père-^,  les  lumières  de  ceux  qui  enseignent  vien- 
«  nent  des  prières  de  ceux  qui  écoutent  :  »  Hoc 
accipit  doctor  quod  meretw  auditor.  Tout  ce 
qui  se  fait  de  bien  dans  l'Église,  et  même  par  les 
pasteurs,  se  fait,  dit  saint  Augustin ^  par  les  se- 
crets gémissements  de  ces  colombes  innocentes 
(jui  sont  répandues  par  toute  la  terre. 

Ames  simples,  âmes  cachées  aux  yeux  des 
hommes ,  et  cachées  principalement  à  vos  propres 
yeux ,  mais  qui  connaissez  Dieu  et  que  Dieu  con- 
naît; oîi  êtcs-vous  dans  cet  auditoire,  alin  que 

'   Concil.  Bilur.  cap.  de  Elect.  t.  xi  Concil.  col.  I0I8. 

*  Concil.  Ephcs.  Act.  vil,  t.  m  Concil.  col.  801. 
■>  Pt.  r.XNXVI,  6. 

«  S.  Pet.  Ckri/sol.  Scrm.  lxxxvi. 

*  Dr  riaiit.  cciitt.  Denat.  lU).  ui ,  i\*  22 ,  2.T ,  t.  IX ,  col.  117, 


je  vous  adresse  ma  parole?  Mais  sans  qu'il  soit 
besoin  que  je  vous  connaisse,  ce  Dieu  qui  vous 
coimaît,  qui  habite  en  vous,  saura  bien  porter 
mes  paroles,  qui  sont  les  siennes,  dans  votre 
cœur.  Je  vous  parle  donc  sans  vous  connaître, 
âmes  dégoûtées  du  siècle.  Ah!  comment  avez- 
vous  pu  en  éviter  la  contagion?  comment  est-ce 
que  cette  face  extérieure  du  monde  ne  vous  a  pas 
éblouies  ?  quelle  grâce  vous  a  préservées  de  la  va- 
nité que  nous  voyons  si  universellement  régner? 
Personne  ne  se  connaît ,  on  ne  connaît  plus  per- 
sonne :  les  marques  des  conditions  sont  confon- 
dues, on  se  détruit  pour  se  parer;  ou  s'épuise  à 
dorer  un  édifice  dont  les  fondements  sont  écrou- 
lés ,  et  on  appelle  se  soutenir  que  d'achever  de  se 
perdre.  Ames  humbles ,  âmes  innocentes ,  que  la 
grâce  a  désabusées  de  cette  erreur  et  de  toutes  les 
illusions  du  siècle,  c'est  vous  dont  je  demande  les 
prières  :  en  reconnaissance  du  don  de  Dieu  dont 
le  sceau  est  en  vous,  priez  sans  relâche  pour  son 
Église  :  priez,  fondez  en  larmes  devant  le  Sei- 
gneur. Priez,  justes  ;  mais  priez,  pécheurs  :  prions 
tous  ensemble;  car  si  Dieu  exauce  les  uns  pour 
leur  mérite ,  il  exauce  aussi  les  autres  pour  leur 
pénitence  :  c'est  un  commencement  de  conver- 
sion que  de  prier  pour  l'Église. 

Priez  donc  tous  ensemble,  encore  une  fois, 
que  ce  qui  doit  finir  finisse  bientôt.  Tremblez  à 
l'ombre  même  de  la  division  :  songez  au  malheur 
des  peuples  qui  ayant  rompu  l'unité  se  rompent 
en  tant  de  morceaux,  et  ne  voient  plus  dans  leur 
religion  que  la  confusion  de  l'enfer  et  l'horreur 
de  la  mort.  Ah  !  prenons  garde  que  ce  mal  ne 
gagne.  Déjà  nous  ne  voyons  que  trop  parmi  nous 
de  ces  esprits  libertins,  qui  sans  savoir  ni  la  reli- 
gion ni  ses  fondements,  ni  ses  origines,  ni  sa  suite, 
«  blasphèment  ce  qu'ils  ignorent ,  et  se  corrom- 
«  peut  dans  ce  qu'ils  savent  :  nuées  sans  eau ,  » 
poursuit  l'apôtre  saint  Jude  ' ,  docteurs  sans  doc- 
trine, qui  pour  toute  autorité  ont  leur  hardiesse, 
et  pour  toute  science  leurs  décisions  précipitées  : 
«  arbres  deux  fois  morts  et  déracinés,  »  morts 
premièrement  parce  qu'ils  ont  perdu  la  charité, 
mais  doublement  morts  parce  qu'ils  ont  encore 
perdu  la  foi  ;  et  entièrement  déracinés ,  puisque , 
déchus  de  l'une  et  de  l'autre ,  ils  ne  tiennent  à 
l'Église  par  aucune  fibre  :  «  astres  errants  »  qui 
se  glorifient  dans  leurs  routes  nouvelles  et  écar- 
tées, sans  songer  qu'il  leur  faudra  bientôt  dis- 
paraître. Opposons  à  ces  esprits  légers,  et  à  ce 
charme  trompeur  de  la  nouveauté ,  la  pierre  sur 
laquelle  nous  sommes  fondés,  et  l'autorité  de 
nos  traditions  où  tous  les  siècles  passés  sont  ren- 
fermés, et  l'antiquité  qui  nous  réunit. à  l'origine 

'  Jial.  10,  12. 


POUR  CiNE  VÈTURE. 


301 


dts  choses.  Marchons  dans  les  sentiers  de  nos 
TxM-cs  ;  mais  marchons  dans  les  anciennes  mœurs , 
eomnic  nous  vouions  marcher  dans  l'ancienne  foi. 
Allez,  chrétiens,  dans  cette  voie  d'un  pas  fer- 
me: allons  à  la  tète  de  tout  le  troupeau,  Messei- 
GSEUKS,  plus  Immbles  et  plus  soumis  que  tout 
le  reste  :  zélés  défenseurs  des  canons,  autant  de 
ceux  qui  ordonnent  ha  régularité  de  nos  mœurs , 
que  de  ceux  qui  ont  maintenu  l'autorité  sainte 
de  notre  caractère;  et  soigneux  de  les  faire  pa- 
raître dans  notre  vie ,  plus  encore  que  dans  nos 
discours,  afin  que  quand  le  Prince  des  pasteurs 
et  le  Pontife  éternel  apparaîtra ,  nous  puissions 
lui  rendre  un  compte  fidèle  et  de  nous  et  du  trou- 
peau qu'il  nous  a  commis ,  et  recevoir  tous  en- 
semble l'éternelle  Ix-nédiction  du  Père,  du  Fils, 
et  du  Saint-Esprit.  Amen. 

SERMONS 

POUR  LES  VÊTURES 
ET  PROFESSIONS   RELIGIEUSES. 


SERMON 
PRÊCHÉ  AUX  CARMÉLITES, 

LE  8  SEPTEMBRE  1660, 

A  LA  VÊTURE  DE  >L\DEMOISELLE  DE  BOLILLON, 

DE  CHA.TEAU-THIERRY*. 

Trois  vices  de  notre  naissance  :  leurs  funestes  effets.  Ser- 
vitude daus  laquelle  tombent  les  pécheurs,  en  contentant 
leurs  passions  criminelles.  Dans  quel  péril  se  jettent  ceux  qui 
s'abandonnent  sans  réserre  à  toutes  les  choses  qui  leur  sont 
permises.  Lois  et  contraintes  auxquelles  se  soumet  la  vie 
relij^euse ,  poar  réprimer  la  liberté  de  pécher  :  sagesse  des 
précautions  qu'elle  prend.  Combien  la  chasteté  est  délicate , 
çt  l'humilité,  timide.  Amour  que  les  vierges  chrétiennes  doi- 
vent avoir  pour  la  retraite,  le  silence  et  la  vie  cachée.  Mépris 
qu'elles  sont  obligées  de  faire  de  la  gloire. 


Opertet  vos  nasci  denuo. 

11  faut  que  vous  naissiez  encore  une  fois.  Joan.  ni,  7. 

Ce  qui  doit  imposer  silence,  et  confondre  éter- 
nellement ceiLX  dont  le  cœur  se  laisse  emporter 
à  la  gloire  de  leur  extraction ,  c'est  l'obligation 
de  renaître  ;  et  de  quelque  grandeur  qu'ils  se 
vantent ,  ils  seront  forcés  d'avouer  qu'il  y  a  tou- 
jours beaucoup  de  bassesse  dans  leur  première 
naissance,  puisqu'il  n'est  rien  de  plus  nécessaire 
que  de  se  renouveler  par  une  seconde.  La  véri- 
table noblesse  est  celle  que  l'on  reçoit  en  naissant 
de  Dieu.  Aussi  l'Église  ne  célèbre  pas  la  Nativiti 

•  FJle  était  Fainée  des  deux  soeurs  du  comte  de  Bouillon , 
it  a  été  appelée,  dans  le  doilre,  soeur  Emilie  de  la  Passion. 
(  Èdit.  de  Défviis. ) 


de  Marie  à  cause  qu'elle  a  tiré  son  origine  d'una 
longue  suite  de  rois  ;  mais  à  cause  qu'elle  a  apporlé 
la  grâce,  en  naissant  en  grâce ,  et  qu'elle  est  née 
fille  du  Père  céleste. 

Mesdames,  vous  verrez  aujourd'hui  une  de 
vos  plus  illustres  sujettes ,  qui ,  touchée  de  ces 
sentiments,  se  dépouillera  devant  vous  des  hon- 
neurs que  sa  naissance  lui  donne.  Ce  spectacle 
est  digue  de  Vos  Majestés;  et  après  ces  cérémo- 
nies magnifiques,  daus  lesquelles  on  a  étalé  toutes 
les  pompes  du  monde  * ,  il  est  juste  qu'elles  assis- 
tent à  celles  où  l'on  apprend  à  les  mépriser.  Elles 
viennent  ici  dans  cette  pensée,  dans  laquelle  je 
dois  les  entretenir  pour  ne  pas  frustrer  leur  at- 
tente. Que  si  la  loi  que  m'impose  cette  cérémonie 
particulière  m'empêche  de  m'appliquer  au  sujet 
commun  que  l'Église  traite  en  ce  jour,  qui  est  la 
Nativité  de  Marie ,  par  la  crainte  d'envelopper 
des  matières  si  vastes  et  si  différentes;  j'espère 
que  Vos  Majestés  me  le  pardonneront  facilement  ; 
et  je  me  promets  que  la  sainte  Vierge  ne  m'en 
accordera  pas  moins  son  secours ,  que  je  lui  de- 
mande humblement  par  les  paroles  de  l'ange,  en 
lui  disant  :  Ave ,  Maria. 

Enfermer  dans  un  lieu  de  captivité  une  jeune 
personne  innocente  ;  soumettre  à  des  pratiques 
austères,  et  à  une  Aie  rigoureuse ,  un  corps  ten- 
dre et  délicat,  cacher  dans  une  nuit  éternelle  une 
lumière  éclatante,  que  la  cour  aurait  vue  briller 
dans  les  plus  hauts  rangs ,  et  dans  les  places  les 
plus  élevées  ;  ce  sont  trois  choses  extraordinaires, 
que  l'Église  va  faire  aujourd'hui  ;  et  cette  illustre 
compagnie  est  assemblée  en  ce  lieu  pour  ce  grand 
spectacle. 

Qui  vous  oblige ,  ma  sœur  :  car  le  mmistère 
^e  j'exerce  ne  me  permet  pas  de  vous  appeler 
autrement  ;  et  je  dois  oublier,  aussi  bien  que  vous, 
toutes  les  autres  qualités  qui  vous  sont  dues  :  qui 
vous  oblige  donc  à  vous  imposer  un  joug  si  pe- 
sant, et  à  entreprendre  contre  vous-même,  c'est- 
à-dire  ,  contre  votre  liberté ,  en  vous  rendant  cap- 
tive dans  cette  clôture  ;  contre  le  repos  de  votre 
vie,  eu  embrassant  tant  d'austérités  ;  contre  votre 
propre  grandeur,  en  vous  jetant  pour  toujours 
dans  cette  retraite  profonde ,  si  éloignée  de  lé- 
clat  du  siècle  et  de  toutes  les  pompes  de  la  terre  ? 
J'entends  ce  que  répond  votre  cœur  ;  et  il  faut 
que  je  le  dise  à  ces  grandes  reines  et  à  toute  cette 
audience.  Vous  voulez  vous  renouveler  en  Notre- 
Seigneur,  dans  cette  bienheureuse  journée  de  la 
naissance  de  la  sainte  Vierge;  vous  voulez  re- 
naître par  la  grâce ,  pour  commencer  une  vie  nou- 

*  La  reine  r^nante  avait  fait  son  entrée  dans  Paris  k  26 
août  de  celte  année,  ce  qui  avait  occasioané  beaucoup  de  iëtet 

et  de  réjouissances.  (  Édit.  de  Dé/oris.  ) 


3t)2 


POUR  UNE  VÉTURE. 


velle ,  qui  u'ait  plus  rien  de  commun  avec  la  na- 
ture ,  et  pour  cela  ces  grands  changements  sont 
absolument  nécessaires. 

Et  en  effet,  chrétiens,  nous  apportons  au 
monde,  en  naissant,  une  liberté  indocile  qui  af- 
fecte l'indépendance;  une  molle  délicatesse,  qui 
nous  fait  soupirer  après  les  plaisirs  ;  un  vain  dé- 
sir de  paraître ,  qui  nous  épanche  au  dehors  et 
nous  rend  ennemis  de  toute  retraite.  Ce  sont 
trois  vices  communs  de  notre  naissance;  et  plus 
elle  est  illustre ,  plus  ils  sont  enracinés  dans  le 
fond  des  cœurs.  Car  qui  ne  sait  que  la  dignité 
entretient  cette  fantaisie  d'indépendance;  que 
ce  tendre  amour  des  plaisirs  est  flatté  par  une 
nourriture  délicate  ;  et  enfin  que  cet  esprit  de 
grandeur  fait  que  le  désir  de  paraître  s'emporle 
ordinairement  aux  plus  grands  excès? 

Il  faut  renaître ,  ma  sœur,  et  réformer  aujour- 
d'hui ces  inclinations  dangereuses  :  Oportet  vos 
nasci  denuo.  Cet  amour  de  l'indépendance,  d'où 
naissent  tous  les  désordres  de  notre  vie ,  porte 
l'âme  à  ne  suivre  que  ses  volontés ,  et  dans  ce 
mouvement  elle  s'égare.  Cette  délicatesse  flat- 
teuse la  pousse  à  chercher  le  plaisir,  et  dans  cette 
recherche  elle  se  corrompt.  Ce  vain  désir  de  pa- 
raître la  jette  tout  entière  au  dehors ,  et  dans  cet 
épanchement  elle  se  dissipe.  La  vie  religieuse, 
que  vous  embrassez ,  oppose  à  ces  trois  désordres 
des  remèdes  forts  et  infaillibles.  Il  est  vrai  qu'elle 
vous  contraint;  mais,  en  vous  contraignant,  elle 
vous  règle  :  elle  vous  mortifie ,  je»  le  confesse  ; 
mais,  en  vous  moi"tifiaut,  elle  vous  purifie  :  en- 
fin elle  vous  retire  et  vous  cache  ;  mais ,  en  vous 
cachant,  elle  vous  recueille  et  vous  renferme 
avec  Jésus-Christ.  0  contrainte ,  ô  vie  pénitente, 
ô  sainte  et  bienheureuse  obscurité!  je  ne  m'étonne 
plus  si  l'on  vous  aime,  et  si  l'on  quitte ,  pour  l'a» 
mour  de  vous ,  toutes  les  espérances  du  monde. 
Mais  j'espère  qu'on  vous  aimera  beaucoup  da- 
vantage ,  quand  j'aurai  expliqué  toutes  vos  beau- 
tés dans  la  suite  de  ce  discours,  par  une  doc- 
trine solide  et  évangélique,  avec  le  secours  de  la 
grâce. 

PBEHIEB   POINT. 

J'entrerai  d'abord  en  matière ,  pour  abréger  ce 
discours  ;  et  afin  de  vous  faire  voir,  par  des  rai- 
sons évidentes ,  que  pour  régler  notre  liberté  il 
est  nécessaire  de  la  contraindre,  je  remarquerai, 
avant  toutes  choses ,  deux  sortes  de  libertés  dé- 
réglées :  l'une  ne  se  prescrit  aucunes  limites ,  et 
transgresse  hardiment  la  loi  ;  l'autre  reconnaît 
bien  qu'il  y  a  des  bornes,  et,  quoiqu'elle  ne 
veuille  point  aller  au  delà,  elle  prétend  aller  jus- 
qu'au bout ,  et  user  de  tout  son  pouvoir.  C'est-à- 
dire  ,  pour  m'expliquer  en  termes  plus  clairs,  que 


rtme  se  propose  pour  son  objet  toutes  les  chose» 
permises;  l'autre  s'étend  encore  plus  loin,  et 
s'emporte  jusqu'à  celles  qui  sont  défendues.  Ces 
deux  espèces  de  liberté  sont  fort  usitées  dans  le 
monde,  et  je  vois  paraître  dans  l'une  et  dans  l'au- 
tre un  secret  désir  d'indépendance.  Il  se  décou- 
vre visiblement  dans  celui  qui  passe  par-dessus  la 
loi ,  et  méprise  ses  ordonnances.  En  effet  il  mon- 
tre bien ,  ce  superbe ,  qu'il  ne  peut  souffrir  au- 
cun joug;  et  c'est  pourquoi  le  Saint-Esprit  lui 
parle  en  ces  termes  par  la  bouche  de  Jérémie  : 
A  sœaulo  confregistijugum  meum;  rupistivin- 
cula  mea,  et  dixisti  :  Non  serviam^  :  «  Tu  as 
«  brisé  le  joug  que  je  t'imposais  ;  tu  as  rompu  mes 
«  liens ,  et  tu  as  dit  en  ton  cœur,  d'un  ton  de 
•«  mutin  et  d'opiniâtre  :  Non ,  je  ne  servirai  pas.  >> 
Qui  ne  voit  que  ce  téméraire  ne  reconnaît  plus 
aucun  souverain,  et  qu'il  prétend  manifeste- 
ment à  l'indépendance  ?  Mais  quoique  l'autre , 
dont  j'ai  parlé ,  qui  n'exerce  sa  liberté  qu'en 
usant  de  tous  ses  droits,  et  en  la  promenant  gé- 
néralement ,  si  je  puis  parler  de  la  sorte ,  dans 
toutes  les  choses  permises ,  n'égale  pas  la  rébel- 
lion de  celui-ci  ;  néanmoins  il  est  véritable  qu'il 
le  suit  de  près  :  car  s'étendant  aussi  loin  qu'il 
peut ,  s'il  ne  secoue  pas  le  joug  tout  ouverte- 
ment, il  montre  qu'il  le  porte  avec  peine;  et 
s'avançant  ainsi  à  l'extrémité,  où  il  semble  ne 
s'arrêter  qu'à  regret,  il  donne  sujet  de  pense«', 
qu'il  n'y  a  plus  que  la  seule  crainte  qui  l'em- 
pêche de  passer  outre.  Telles  sont  les  deux  espè- 
ces de  liberté,  que  j'avais  à  vous  proposer;  et  il 
m'est  aisé  de  vous  faire  voir,  que  Tune  et  l'autre 
sont  fort  déréglées. 

Et  premièrement,  chrétiens,  pour  ce  qui  re- 
garde ce  pécheur  superbe ,  qui  méprise  la  loi  de 
Dieu  :  son  désordre ,  trop  manifeste ,  ne  doit  pas 
être  convaincu  par  un  long  discours;  et  je  n'ai 
aussi  qu'un  mot  à  lui  dire ,  que  j'ai  appris  de  saint 
Augustin.  Il  avait  aimé  autrefois  cette  liberté  des 
pécheurs;  mais  il  sentit  bientôt  dans  la  suite 
qu'elle  l'engageait  à  la  servitude  :  parce  que,  nous 
dit-il  lui-même ,  «  en  faisant  ce  que  je  voulais , 
a  j'arrivais  où  je  ne  voulais  pas  :  «  Volens,  quo 
nollem  perveneram  *.  Que  veut  dire  ce  saint 
évêque;  et  se  peut -il  faire,  mes  sœurs,  qu'en 
se  laissant  al  1er  où  l'on  veut,  l'on  arrive  où  l'on  ne 
veut  pas?  Il  n'est  que  trop  véritable,  et  c'est  le 
malheureux  précipice  où  se  perdent  tous  les  pé- 
cheurs. Ils  contentent  leurs  mauvais  désirs  et  leurs 
passions  criminelles  ;  ils  se  réjouissent ,  ils  font 
ce  qu'ils  veulent.  Voilà  une  image  de  liberté  qui 
les  trompe  ;  mais  la  souveraine  puissance  de  ce- 
lui contre  lequel  ils  se  soulèvent,  ne  leur  permet 

'  Jer.  Il ,  20. 

»  Conf.  lu».  VJH,  cap.  v,  1. 1,  col.  14». 


POUR  UNE  VÊTURE., 


303 


pas  tic  jouir  longtemps  de  leur  liberté  licencieuse  : 
car  en  ftUsant  ce  qu'ils  aiment,  ils  attirent  né- 
cessairement ce  qu'ils  fuient ,  la  damnation ,  la 
peine  éternelle ,  une  dure  nécessité  qui  les  rend 
captifs  du  péché,  et  qui  les  dévoue  à  la  ven- 
geance divine.  Voilà  une  véritable  servitude  que 
leur  aveuglement  leur  cache.  Cesse  donc ,  ô  sujet 
rebelle,  de  te  glorifier  de  ta  liberté,  que  tu  ne 
peux  pas  soutenir  contre  le  souverain  que  tu  of- 
fenses, mais  reconnais  au  contraire  que  tu  forges 
toi-même  tes  fers  par  l'usage  de  ta  liberté  dis- 
solue; que  tu  mets  un  poids  de  fer  sur  ta  tête, 
que  tu  ne  peux  plus  secouer  ;  et  que  tu  te  jettes 
toi-même  dans  la  servitude,  pour  avoir  voulu 
étendre,  sans  mesure,  la  folle  prétention  de  ta 
vaine  et  chimérique  indépendance  :  telle  est  la 
condition  malheureuse  du  pécheur. 

Après  avoir  parlé  au  pécheur  rebelle ,  qui  ose 
faire  ce  qu'on  lui  défend ,  maintenant  adressons- 
nous  à  celui  qui  s'imagine  être  en  sûreté ,  en  fai- 
sant tout  ce  qui  est  permis  ;  et  tâchons  de  lui 
faire  entendre ,  que  s'il  n'est  pas  encore  engagé 
au  mal ,  il  est  bien  avant  dans  le  péril.  Car  en 
s'abandonnant  sans  réserve  à  toutes  les  choses 
qui  lui  sont  permises ,  qu'il  est  à  craindre ,  mes 
sœurs ,  qu'il  ne  se  laisse  aisément  tomber  à  cel- 
les qui  sont  défendues  !  Et  en  voici  la  raison  en 
peu  de  paroles,  que  je  vous  prie  de  méditer  atten- 
tivement. C'est  qu'encore  que  la  vertu  prise  en 
elle-même,  soit  infiniment  éloignée  du  vice  ;  néan- 
moins il  faut  confesser,  à  la  honte  de  notre  na- 
ture ,  que  les  limites  s'en  touchent  de  près  dans 
le  penchant  de  nos  affections ,  et  que  la  chute  en 
est  bien  aisée.  C'est  pourquoi  il  importe ,  pour  no- 
tre salut,  que  notre  âme  ne  jouisse  pas  de  toute 
la  liberté  qui  lui  est  permise  ;  de  peur  qu'elle  ne 
s'emporte  jusqu'à  la  licence,  et  qu'elle  ne  passe 
facilement  au  delà  des  bornes,  quand  il  ne  lui  res- 
tera plus  qu'une  si  légère  démarche.  L'expérience 
nous  le  fait  connaître  :  de  là  vient  que  nous  li- 
sons dans  les  saintes  Lettres ,  que  Job ,  voulant 
régler  ses  pensées ,  commence  à  traiter  avec  ses 
yeux  :  Pepigifœdus  cum  oeulis  meis,  ut  7ie  co- 
gitarenv.  Il  arrête  des  regards  qui  pourraient 
être  innocents,  pour  empêcher  des  pensées  qui 
apparemment  seraient  criminelles  :  si  ses  yeux 
n'y  sont  pas  encore  obligés  assez  clairement  par 
la  loi  de  Dieu ,  il  les  y  engage  par  traité  exprès  : 
Pepigifœdus  :  parce  qu'en  effet,  chrétiens,  ce- 
lui qui  prend  sa  course  avec  tant  d'ardeur,  dans 
cette  vaste  carrière  des  choses  licites ,  doit  crain- 
dre qu'étant  sur  le  bord,  il  ne  puisse  plus  rete- 
nir ses  pas;  qu'il  ne  soit  emporté  plus  loin  qu'il 
ne  pense ,  ou  par  le  penchant  du  chemin ,  ou  par 

'Job.  XXXI,  I. 


l'Impétuosité  de  son  mouvement;  et  qu'enfin  il 
ne  lui  arrive  ce  qu'a  dit  de  lui-même  le  grand 
saint  Paulin  :  Quod  non  expediebat  admisi , 
dum  non  tempera  quod  licebat  '  :  «  Je  m'emporte 
«  au  delà  de  ce  que  je  dois ,  pendant  que  je  ne 
«  prends  aucun  soin  de  me  modérer  en  ce  que  jo 
«  puis.  » 

IllustreépousedeJésus-Christ,  la  vie  religieuse, 
que  vous  embrassez ,  suit  une  conduite  plus  sûre  : 
elle  s'impose  mille  lois  et  mille  contraintes  dans 
le  sentier  de  la  loi  de  Dieu  :  elle  se  fait  encore  de 
nouvelles  bornes,  où  elle  prend  plaisir  de  se  res- 
serrer. Vous  perdrez,  je  le  confesse,  ma  sœur, 
quelque  pai-tie  de  votre  liberté ,  au  milieu  de  tant 
d'observances  de  la  discipline  religieuse  ;  mais  si 
vous  savez  bien  entendre  quelle  liberté  vous  per- 
dez ,  vous  verrez  que  cette  perte  est  avantageuse. 
En  effet ,  nous  sommes  trop  libres  ;  trop  libres  à 
nous  porter  au  péché,  trop  libres  à  nous  jeter  dans 
la  grande  voie ,  qui  mène  les  âmes  à  la  perdition. 
Qui  nous  donnera  que  nous  puissions  perdre  cette 
partie  malheureuse  de  notre  liberté,  par  laquelle 
nous  nous  dévoyons?  0  liberté  dangereuse,  que 
ue  puis-je  te  retrancher  de  mou  franc  arbitre , 
que  ne  puis-je  m'imposer  moi-même  cette  heureuse 
nécessité  de  ne  pécher  pas!  Mais  il  ne  faut  pas 
l'espérer  durant  cette  vie.  Cette  liberté  glorieuse 
de  ne  pouvoir  plus  servir  au  péché,  c'est  la  ré- 
compense des  saints,  c'est  la  félicité  des  bien- 
heureux. Tant  que  nous  vivrons  dans  ce  lieu 
d'exil ,  nous  aurons  toujours  à  combattre  cette 
liberté  de  pécher.  Que  faites- vous,  mes  très-chè- 
res sœure,  et  que  fait  la  vie  religieuse?  Elle  vou- 
drait pouvoir  s'arracher  cette  liberté  de  mal  faire  : 
mais  comme  elle  voit  qu'il  est  impossible,  elle  la 
bride  du  moins  autant  qu'il  se  peut;  elle  la  serre 
de  près  par  une  discipline  sévère  :  de  peur  qu'elle 
ne  s'égare  dans  les  choses  qui  sont  défendues, 
elle  entreprend  de  se  les  retrancher  toutes,  jus- 
qu'à celles  qui  sont  permises ,  et  se  réduit ,  au- 
tant qu'elle  peut ,  à  celles  qui  sont  nécessaires. 
Telle  est  la  vie  des  carmélites. 

Que  cette  clôture  est  rigoureuse  !  que  ces  gril- 
les sont  inaccessibles,  et  qu'elles  menacent  étran- 
gement tous  ceux  qui  approchent!  C'est  une  sage 
précaution  de  la  vie  régulière  et  religieuse ,  qui 
détourne  bien  loin  les  occasions  ,  pour  s'empê- 
cher, s'il  se  peut ,  de  pouvoir  jamais  servir  au  pé- 
ché. Elle  est  bien  aise  d'être  observée;  elle  cher- 
che des  supérieurs  qui  la  veillent;  elle  veut  qu'on 
la  conduise  de  l'œil ,  qu'on  la  mène ,  pour  ainsi 
dire,  toujoure  par  la  main,  afin  de  se  laisser 
moins  de  liberté  de  s'écarter  de  la  droite  voie;  et 
elle  a  raison  de  ne  craindre  pas  que  ces  salu- 

»  Ad.  Scver.  Ep.  xs\,  n"  3. 


S04  J»OUR  U^E  VÊTllKÊ 

laircs  contraintes  soient  contraires  à  la  liberté 
véritable.  Ce  n'est  pas  s'opposer  à  un  fleuve  que 
de  faire  des  levées,  que  d'élever  des  quais  sur  ses 
rives,  pour  empêcher  qu'il  ne  se  déborde,  et  ne 
perde  ses  eaux  dans  la  campagne;  au  contraire , 
c'est  lui  donner  le  moyen  de  couler  plus  douce- 
ment dans  son  lit.  Celui-là  seulement  s'oppose  à 
son  cours,  qui  bâtit  une  digue  au  milieu,  pour 
rompre  le  fil  de  son  eau.  Ainsi  ce  n'est  pas  perdre 
sa  liberté ,  que  de  lui  donner  des  bornes  deçà  et 
delà ,  pour  empêcher  qu'elle  ne  s'égare  ;  c'est  la 
dresser  plus  assurément  à  la  voie  qu'elle  doit  te- 
nir. Par  une  telle  précaution ,  on  ne  la  gêne  pas  ; 
mais  on  la  conduit.  Ceux-là  la  perdent ,  ceux-là 
la  détruisent ,  qui  la  détournent  de  son  cours  na- 
turel; c'est-à-dire,  qui  l'empêchent  d'aller  à  son 
Dieu  :  de  sorte  que  la  vie  religieuse ,  qui  travaille 
avec  tant  de  soin  à  vous  aplanir  cette  voie,  tra- 
vaille par  conséquent  à  vous  rendre  libre.  J'ai  eu 
raison  de  vous  dire,  que  ses  contraintes  ne  doi- 
vent pas  vous  être  importunes,  puisqu'elle  ne 
vous  contraint  que  pour  vous  régler  ;  et  la  clôture, 
que  vous  embrassez ,  n'est  pas  une  prison  où  votre 
liberté  soit  opprimée ,  mais  un  asile  fortifié ,  où 
elle  se  défend  avec  vigueur  contre  les  dérègle- 
ments du  péché.  Si  ses  contraintes  sont  si  fruc- 
tueuses ,  parce  qu'elles  dirigent  votre  liberté  ;  ses 
mortifications  ne  le  sont  pas  mo/«s,  parce  qu'elles 
épurent  vos  affections  :  et  c'est  ma  deuxième 
partie. 

SECOND   POINT. 

Je  ne  m'étonne  pas ,  chrétiens ,  si  les  sages  ins^ 
tituteurs  de  la  vie  religieuse  et  retirée  ont  trouvé 
nécessaire  de  l'accompagner  de  plusieurs  prati- 
ques sévères ,  pour  mortifier  les  sens  et  les  appé- 
tits :  c'est  qu'ils  ont  vu  que  nos  passions ,  et  ce 
tendre  amour  des  plaisirs,  tenaient  notre  âme 
captive  par  des  douceurs  pernicieuses,  qu'ils  ont 
voulu  corriger  par  une  amertume  salutaire.  Et 
afin  que  vous  entendiez  combien  cette  conduite 
est  admirable ,  considérez  avec  moi  une  doctrine 
excellente  de  saint  Augustin. 

Il  nous  apprend  qu'il  y  a  en  nous  deux  sortes 
de  maux  :  il  y  a  en  nous  des  maux  qui  nous  plai- 
sent ,  et  il  y  a  des  maux  qui  nous  affligent.  Qu'il 
y  ait  des  maux  qui  nous  affligent,  ah!  nous  l'é- 
prouvons tous  les  jours.  Les  maladies ,  la  perte 
des  biens,  les  douleurs  d'esprit  et  de  corps ,  tant 
d'autres  misères  qui  nous  environnent ,  ne  sont- 
ce  pas  des  maux  qui  nous  affligent?  Mais  il  y  en 
a  aussi  qui  nous  plaisent,  et  ce  sont  les  plus  dan- 
gereux. Par  exemple,  l'ambition  déréglée,  la 
douceur  cruelle  de  la  vengeance ,  Tamoui  désor- 
donné des  plaisirs  ;  ce  sont  des  maux  et  de  très- 
grands  maux  :  mais  ce  sont  des  maux  qui  nous 


plaisent,  parce  que  ce  sont  des  maux  qui  non? 
flattent.  «  Il  y  a  donc  des  maux  qui  nous  blés- 
"  sent,  et  ce  sont  ceux-là,  dit  saint  Augustin, 
«  qu'il  faut  que  la  patience  supporte;  et  il  y  a  des 
«  maux  qui  nous  flattent,  et  ce  sont  ceux-là,  dit 
«  le  même  saint,  qu'il  faut  que  la  tempérance  mo- 
«  dère  :  "  Alla  7/nila  stnif  quœ  per  patlentiam 
sustinemus,  alla  quœ  pcr  continenllam  refros- 
namus  ', 

Au  milieu  de  ces  maux  divers,  dont  nous  de- 
vons supporter  les  uns,  dont  nous  devons  répri- 
mer les  autres  ;  et  que  nous  devons  surmonter 
les  uns  et  les  autres,  chrétiens,  quelle  misère  est 
la  nôtre!  0  Dieu ,  permettez-moi  de  m'en  plain- 
dre :  Usquequo  Domine,  usquequo  oblivisceris 
me  infuiem  ^?  «  Jusqu'à  quand,  ô  Seigneur,  nous 
«  oublierez-vous  dans  cet  abîme  de  calamités?  » 
jusqu'à  quand  détournerez-vous  votre  ftice  de  des- 
sus les  enfants  d'Adam ,  pour  n'avoir  point  pitié 
de  leurs  maladies?  Avertis  faciem  tuam  in  fi- 
nem  ?  «  Jusqu'à  quand,  jusqu'à  quand,  Seigneur, 
«me  sentirai-je  toujours  accablé  de  maux,  qui 
«  remplissent  mon  cœur  de  douleur,  et  mon  es- 
«  prit  de  fâcheuses  irrésolutions?  »  Quamdiu  po- 
nam  consilia  in  anima  mea,  dolorem  in  corde 
meoper  diem  ^  ?  Mais  s'il  ne  vous  plaît  pas,  ô  mon 
Dieu ,  de  me  délivrer  de  ces  maux,  qui  me  bles- 
sent et  qui  m'affligent,  exemptez-moi  du  moins 
de  ces  autres  maux,  je  veux  dire,  des  maux  qui 
m'enchantent,  des  maux  qui  m'endorment,  qui 
me  contraignent  de  recourir  à  vous  ;  de  peur  de 
m'endormir  dans  la  mort  :  Illumina  oculos  meos, 
ne  unquam  obdormiam  in  mfyrte  •*.  iS"est-ce  pas 
assez ,  ô  Seigneur,  que  nous  soyons  accablés  de 
tant  de  misères,  qui  font  trembler  nos  sens,  qui 
donnent  de  Ihorreur  à  nos  esprits?  pourquoi 
faut-il  qu'il  y  ait  des  maux  qui  nous  trompent 
par  une  belle  apparence ,  des  maux  que  nous  pre- 
nions pour  des  biens,  qui  nous  plaisent  et  que 
nous  aimions?  Est-ce  que  ce  n'est  pas  assez  d'ê- 
tre misérables?  faut-il ,  pour  surcroît  de  malheur, 
que  nous  nous  plaisions  en  notre  misère ,  pour 
perdre  à  jamais  l'envie  d'en  sortir?  «  Malheureux 
«  homme  que  je  suis  !  qui  me  délivrera  de  ce 
«  corps  de  mort?  »  Infelix  homo!  quis  me  libe- 
rabii  de  corpore  mortis  hujus^l  Écoute  la  ré- 
ponse ,  homme  misérable  ;  ce  sera  «  la  grâce  de 
«  Dieu  par  Jésus-Christ  Notre-Seigneur  :  »  Gra- 
tia  Dei  per  Jesum  Christum  Bominum  no-  \ 
strum  ^. 

Mais  admire  l'ordre  qu'il  tient  pour  ta  gué-    i 

'  Cont.  Jul.  lib.  T,  cap.  v,  n°  22,  t.  x,  col.  640 

»  Ps.  XII. 

»  Ihid,  2. 

<  Ihid.  4. 

'  Ilom.  VII ,  24 

«  Ibid.  23. 


POUR  UNE  VÊTURP. 


aoî 


rîson.  Il  est  vrai  que  tu  éprouves  deux  sortes  de 
maux  :  les  uns  qui  piquent,  les  autres  qui  llat- 
tenl;  mais  Dieu  a  disposé,  par  sa  providence, 
que  les  uns  servissent  de  remède  aux  autres;  je 
veux  dire,  que  les  maux  qui  blessent  servent  pour 
modérer  ceux  qui  plaisent;  les  douleurs,  pour 
corriger  les  passions  ;  les  afflictions  de  la  vie,  pour 
nous  dégoûter  des  viuues  douceure,  et  étourdir 
le  sentiment  des  plaisirs  mortels.  C'est  ainsi  que 
Dieu  se  conduit  envers  ses  enfants,  pour  purilier 
leurs  affections.  Impinguatas  est  dilectus,  et 
recalcitravit  '  :  "  Son  bien-aimé  s'est  engraissé, 
'<  et  il  a  regimbé  contre  lui.  »  Dieu  l'a  frappé ,  dit 
l'Écriture,  et  il  s'est  remis  dans  sou  devoir,  et 
il  la  cherché  dès  le  matin  :  Cmm  occideret  eos 
quœrebant  eum,  et  revertebcailur,  et  diluculo 
veniebant  ad  eum  '. 

Telle  est  la  conduite  de  Dieu  ;  c'est  ainsi  qu'il 
nous  guérit  de  nos  passions ,  et  c'est  sur  cette  sage 
conduite  que  la  vie  religieuse  a  réglé  la  sienne. 
Peut-elle  suivre  un  plus  grand  exemple?  peut-elle 
se  proposer  un  plus  beau  modèle?  Elle  entreprend 
de  guérir  les  âmes,  par  la  méthode  infaillible  de 
ce  souverain  médecin.  Elle  châtie  le  corps  avec 
saint  Paul^^  elle  réduit  en  servitude  le  corps 
par  les  saintes  austérités  de  la  pénitence ,  pour  le 
rendre  parfaitement  soumis  à  l'esprit.  Que  cette 
méthode  est  salutaire!  Car,  ma  sœur,  je  vous  en 
conjure,  jetez  encore  un  peu  les  yeux  sur  le 
monde,  pendant  que  vous  y  êtes  encore  :  voyez 
les  dérèglements  de  ceux  qui  l'aiment;  voyez  les 
excès  criminels  où  leurs  passions  les  emportent. 
Ah  !  je  vois  que  le  spectacle  de  tant  de  péchés 
fait  horreur  à  votre  innocence.  Mais  quelle  est  la 
cause  de  tous  ces  désordres?  C'est  sans  doute 
qu'ils  ne  songent  point  à  donner  des  bornes  à 
leurs  passions  :  au  contraire ,  il  les  traitent  déli- 
catement ;  ils  attisent  ce  feu ,  et  ses  ardeurs  s'ac- 
croissent jusqu'à  l'inlini;  ils  nourrissent  ces  bê- 
tes farouches,  et  ils  n'en  peuvent  plus  dompter  la 
fureur;  ils  flattent  en  eux-mêmes  l'amour  des 
plaisii-s,  et  ils  le  rendent  invincible  par  leurs  com- 
plaisances. 

Mes  sœurs ,  que  votre  conduite  est  bien  plus 
réglée.  Bien  loin  de  donner  des  armes  à  cet  en- 
nemi ,  vous  l'affaiblissez  tous  les  jours  par  les 
veilles ,  par  l'abstinence  et  par  l'oraison  ;  vous  te- 
nez le  corps  sous  le  joug ,  comme  un  esclave  re- 
belle et  opiniâtre.  J'avoue  que  la  nature  souffre 
beaucoup  dans  cette  vie  pénitente  ;  mais  ne  vous 
plaignez  pas  de  cette  conduite  :  cette  peine  est  un 
remède  ;  cette  rigueur,  qu'on  tient  à  votre  égard, 
est  un  régime.  C'est  ainsi  qu'il  vous  faut  traiter, 

'  Deut.  xxxii,  15. 

*  Ps.L\X\M,  10. 

*  I.  Cor.  ix,  17. 

BOS  CET.  —  T.  in. 


ô  enfants  de  Dieu,  jusqu'à  ce  que  votre  santé 
soit  parfaite.  Cette  convoitise,  qui  vous  attire; 
ces  maux  trompeurs ,  dont  je  vous  parlais ,  qui 
ne  vous  blessent  qu'en  vous  flattant ,  demandent 
Décessaire.Tient  cette  médecine.  Il  importe  que 
vous  ayez  des  maux  à  soufl'rir,  tant  que  vous  en 
aurez  à  corriger  :  il  importe  que  vous  ayez  des 
maux  à  souffrir,  tant  que  vous  serez  au  milieu 
des  biens ,  où  il  est  dangereux  de  se  plaire  trop. 
Si  ces  remèdes  vous  semblent  durs,  «  ils  s'excu- 
«  sent,  dit  Tertullien ,  des  maux  qu'ils  vous  font, 
«  par  i'utililé  qu'ils  vous  apportent  :  »  Emolu- 
niento  curationis,  offensam  sni  excusant  '.  Sou- 
mettez-vous ,  ma  sœur,  puisqu'il  plaît  à  Dieu  de 
vous  appeler  à  ce  salutaire  régime.  Commencez- 
en  aujourd'hui  l'épreuve  avec  la  bénédiction  de 
l'Eglise;  embrassez  de  tout  votre  cœur  ces  aus- 
térités fructueuses,  qui,  ôtant  tout  le  goût  aux 
plaisirs  des  sens,  purifieront  votre  intelligence, 
pour  sentir  plus  vivement  les  chastes  voluptés  de 
l'esprit.  En  combattant  ainsi  votre  corps ,  vous 
épurerez  vos  affections ,  vous  remporterez  la  vic- 
toire. Mais  de  peur  que  vous  ne  vous  enfliez  par 
ces  grands  succès ,  accoutumez-vous  à  l'humilité 
par  l'amour  de  la  vie  cachée  :  c'est  ma  dernière 
partie. 

TKOISIÈME    POINT. 

11  ne  sera  pas  dit ,  chrétiens ,  qu'eh  ce  jour 
dédié  à  la  sainte  Vierge,  elle  soit  passée  sous  si- 
lence ;  et  la  cérémonie  qui  nous  assemble  en  ce 
lieu ,  m'ayant  fait  porter  ailleurs  mes  pensées 
dans  le  reste  de  ce  discours,  je  me  suis  du  moins 
réservé  de  vous  la  proposer  dans  ce  dernier  point 
comme  le  modèle  de  la  vie  cachée.  Combien  elle 
a  vécu  solitaire!  combien  elle  a  été  soigneuse 
de  se  retirer!  Vous  le  pouvez  juger  aisément 
par  le  peu  que  nous  savons  de  sa  sainte  vie  ;  et 
les  actions  particulières  de  cette  Vierge  incom- 
parable ne  seraient  pas,  comme  elles  sont,  si  fort 
inconnues,  si  l'amour  de  la  retraite  ne  les  avait 
couvertes  d'un  voile  sacré  ,  et  n'en  avait  fait  un 
mystère.  Qui  vous  a  poussé,  ô  divine  Vierge,  à 
vous  cacher  si  profondément?  qui  vous  a  inspiré 
un  si  grand  amour  de  cette  obscurité  mystérieuse, 
dans  laquelle  votre  vie  est  enveloppée?  Je  pense, 
pour  moi ,  chrétiens ,  que  c'a  été  sa  pudeur.  Et 
afin  que  vous  entendiez  quelle  est  cette  pudeur 
merveilleuse ,  dout  la  sainte  Vierge  nous  donne 
l'exemple ,  je  remarquerai  en  peu  de  paroles  qu'il 
y  en  a  de  deux  sortes.  Si  la  chasteté  a  sa  pudeur, 
l'humilité  a  aussi  la  sienne.  Ces  deux  vertus 
chrétiennes  ont  cela  de  commun  entre  elles,  que 
toutes  deux  craignent  les  regards  :  elles  croient 


De  Pcenit.  a'  10. 


3t 


S06 


POUR  UNE  VÊTURE. 


toutes  deux  perdre  quelque  chose  de  leur  inté- 
grité et  de  leur  force ,  quand  elles  s'abandon- 
nent à  la  vue  des  hommes;  et  c'est  pourquoi 
toutes  deux  aiment  la  retraite,  et  embrassent  la 
"vie  cachée. 

Pour  ce  qui  regarde  la  chasteté;  je  ne  puis 
mieux  vous  exprimer  combien  elle  y  est  délicate , 
que  par  ces  beaux  mots  de  Tertullien  :  Vera  et 
tota  et  pura  virginitas,  nil  magis  timet  quam 
semetipsam ;  etiam  feminarum  ociilos  pati  non 
vult^  :  «  La  virginité,  nous  dit-il,  quand  elle 
«  est  entière  et  parfaite ,  Vera  et  iota  et  pura,  ne 
«  craint  rien  tant  qu "elle-même;  telle  est  sa  dé- 
«  licatesse  qu'elle  appréhende  même  les  yeux  des 
n  femmes  :  »  etiam  feminarum  ocidos  nonvult. 
C'est  pourquoi  elle  se  cache  avec  soin  ;  se  réser- 
vant tout  entière  aux  regards  de  Dieu ,  qui  sont 
les  seuls  qu'elle  ne  craint  pas  :  voilà  le  portrait 
au  naturel  de  la  pudeur  virginale.  Mais  celle  de 
l'humilité  n'est  ni  moins  tendre  ni  moins  délicate  : 
au  contraire ,  elle  semble  encore  plus  timide ,  elle 
ferme  la  porte  sur  soi  pour  n'être  point  vue ,  se- 
lon le  précepte  de  l'Évangile»  :  elle  ne  craint  pas 
seulen>ent  les  regards  des  autres  ;  mais  encore 
elle  appréhende  les  siens  :  elle  cache  à  la  gauche 
ce  que  fait  la  droite  ^  ;  et  elle  se  retire  tellement  eu 
Dieu,  qu'elle  ne  se  voit  pas  elle-même.  C'est 
pourquoi  saint  Paul  nous  la  représente  dans  une 
posture  admirable,  «  oubliant,  dit-il,  ce  qui  est 
«  derrière ,  et  s' étendant  au  devant  de  toute  sa 
«  force  ;  »  Quœ  quidem  rétro  sunt  obliviscens , 
adea  vero  quœ  suntpriora  extendens  meip- 
sum^.  C'est  la  vraie  posture  de  l'humilité,  qui 
porte  ses  regards  bien  loiji  devant  soi,  par  la 
crainte  qu'elle  a  de  se  voir  soi-même  ;  et  qui  con- 
sidère toujours  ce  qui  reste  à  faire  pour  n'être 
jamais  flattée  de  ce  qu'elle  a  fait.  Puisqu'elle  se 
cache  à  sa  propre  vue,  jugez  de  là,  chrétiens, 
combien  les  regards  des  autres  peuvent  offenser  sa 
modestie. 

Ces  vérités  étant  supposées ,  venons  mainte- 
nant à  la  sainte  Vierge.  Si  vous  la  voyez  retirée , 
aimant  le  secret  et  la  solitude;  si  peu  accou- 
tumée à  la  vue  des  hommes,  quelle  est  même 
troublée  à  l'abord  d'un  ange  :  c'est  la  pudeur  de 
la  chasteté ,  qui  lui  donne  cette  retenue.  Car  les 
vierges,  dit  saint  Bernard,  qui  sont  vraiment 
vierges ,  ne  sont  jamais  sans  in({uiétude ,  sachant 
qu'elles  portent  un  trésor  céleste  dans  un  fragile 
vaisseau  de  terre;  ou  si  les  corps  des  vierges, 
purifiés  et  ennoblis  par  la  chasteté ,  méritent  un 
nom  plus  noble,  mettons  que  ce  soit  un  cristal , 


'  De  T'irr/.  vcldnd.  n°  15. 

'  Malll'.\i,e. 

»  Jbid.  3- 

*  Philipi..  .11,  13. 


il  est  toujours  une  matière  fragile ,  Thesaurum 
in  vasis  Jictilibus  \  C'est  pourquoi  elles  se  tien- 
nent sur  leurs  gardes ,  pour  éviter  ce  qui  est  à 
craindre;  toujours  elles  craignent  où  toutes  cho 
ses  sont  en  sûreté  :  Ut  timenda  caveant,  etiam 
tutapertimescunt  *  ;  et  appréhendant  partout  des 
embûches ,  elles  se  font  un  rempart  du  silence , 
du  recueillement  et  de  la  retraite.  Belle  et  admi- 
rable leçon  pour  toutes  les  filleschrétiennes;  mais 
leçon  peu  pratiquée  dans  nos  jours,  où,  bien  loin 
d'aimer  la  retraite ,  elles  ont  peine  à  trouver  des 
places  assez  éminentes  pour  se  mettre  en  vue. 
Qui  pourrait  raconter  tous  les  artifices  dont  elles 
se  servent,  pour  attirer  les  regards?  et  encore, 
quels  sont  ces  regards?  et  puis- je  en  parler  dans 
cette  chaire?  Non;  c'est  assez  de  vous  dire,  que 
les  regards  qui  leur  plaisent  ne  sont  pas  des 
regards  indifférents  :  ce  sont  de  ces  regards  ar- 
dents et  avides  qui  boivent  à  longs  traits,  sur 
leure  visages,  tout  le  poison  qu'elles  ont  prépara 
pour  les  cœurs  ;  ce  sont  ces  regards  qu'elles  ai- 
ment. 

Mais  n'entrons  pas  plus  avant  dans  cette  ma- 
tière, et  contentons-nous  de  leur  dire  ce  que  Ter- 
tullien pense  d'elles.  Elles  rougiront  peut-être 
d'apprendre  ce  que  ce  grand  homme  ne  craint 
pas  de  nous  assurer;  et  je  leur  dirai  après  lui, 
que  de  s'attirer  de  tels  regards ,  ou  même  s'y  ex- 
poser avec  dessein  :  si  ce  n'est  pas  s'abandonner 
tout  à  fait ,  c'est  du  moins  prostituer  son  visage  : 
Totam  faciem  prostituere^.  Je  leur  laisse  à 
méditer  cette  parole,  que  lamodestie  delà  chaire 
ne  me  permet  pas  d'exprimer  dans  toute  sa  force  : 
aussi  bien  ne  touche-t-elle  pas  celle  à  qui  je  parle. 
Grâce  à  la  miséricorde  divine,  la  vocation  qu'elle 
embrasse  la  met  à  couvert  de  cette  honte;  elle  se 
jette  dans  un  monastère  où,  pour  exclure  les  re- 
gards trop  hardis,  on  bannit  éternellement  les 
plus  modestes.  Courage,  ma  chère  sœur,  fortifiez- 
vous  dans  cette  pensée;  et  entrez  avec  joie  dans 
un  monastère,  où  vous  trouverez  le  plus  haut 
degré  de  la  pudeur  virginale,  selon  cette  belle 
sentence,  qui  semble  être  prononcée  pour  les  car- 
mélites, et  qu'un  historien  ecclésiastique  a  re- 
cueillie de  la  bouche  du  grand  saint  Martin: 
«  que  le  triomphe  de  lamodestieet  ladernière  per- 
'<  fection  de  l'honnêteté  dans  votre  sexe,  c'est  de 
«  ne  se  laisser  jamais  voir  :  »  Primavirtuset  con- 
summata  Victoria  est  non  videri^. 

Si  la  pudeur  de  la  chasteté  doit  vous  faire  ai- 
mer la  retraite,  celle  de  l'humilité  vous  y  oblige 
beaucoup  davantage  :  c'est  ce  qu'il  faut  encore 


•  II.  Cor.  IV ,  7. 

2  s.  Bern.  siip.  Missus  est,  Hom.  m,  n"  9, 1. 1,  col.  îàj. 

3  De  Firg.  vel.  n°  17. 

♦  Sulp.  Sev.  Dial.  il,  12. 


I 


POUR  UNE  VÊTURE. 


montrer,  en  un  mot,  par  l'exemple  de  la  sainte 
Vierge.  lorsque  toute  la  Judée  accourt  à  son  Fils, 
étonnée  de  ses  prédications  et  de  ses  miracles, 
elle  ne  se  mèie  pas  dans  ses  actions  éclatantes , 
elle  demeure  euferm^e  dans  sa  maison  ;  et  depuis 
le  temps  bienheureux  de  la  manifestation  de  Jé- 
sus-Christ, à  peine  pai-aît-elle  une  ou  deux  fois 
dans  tout  l'Évangile.  Au  reste,  durant  trente 
années  qu'elle  le  possède  toute  seule,  elle  ne  se 
\ante  pas  d'un  si  grand  bonheur;  elle  garde 
partout  le  silence;  et  nous  voyons  bien  dans  l'his- 
toire sainte,  qu'elle  écoute  attentivement  ce  qui 
se  disait  de  son  Fiis,  qu'elle  l'admire  en  elle- 
mèrae ,  qu'elle  le  médite  en  son  cœur  ;  mais  nous 
ne  lisons  pas  qu'elle  en  parle,  si  ce  n'esta  sa 
cousine  sainte  Elisabeth,  à  laquelle  elle  ne  pou- 
vaitse  cacher;  parce  qu'il  a  plu  au  Saint-Esprit  de 
lui  révéler  le  mystère. 

Ne  voyez-vous  pas,  chrétiens,  cette  pudeur 
de  l'humilité,  qui  se  sent  comme  violée  par  les 
regards  et  par  les  louanges  des  hommes?  Imitez 
un  si  grand  exemple;  et  croyez  que,  pour  plaire 
à  rÉpouxcéleste,vousne  pouvez  jamais  être  trop 
cachés  :  que  si  vous  en  demandez  la  raison,  je 
vous  dirai ,  en  peu  de  paroles ,  qu'il  est  un  amant 
jaloux.  11  est  ordinaire  aux  jaloux  de  cacher  soi- 
gneusement ce  qu'ils  aiment,  afin  de  le  réserver 
tout  entier  à  leur  cœur  avide ,  que  le  moindre 
soupçon  de  partage  offense  à  l'extrémité.  Jésus , 
votre  amant,  est  jaloux  dune  jalousie  extraor- 
dinaire :  car  il  n'est  pas  seulement  jaloux ,  si 
vous  avez  pour  les  autres  quelque  complaisance  ; 
mais  il  est  si  sévère  et  si  délicat ,  qu'il  se  pique  si 
vous  en  avez  pour  vous-même.  "  Si  la  droite  fait 
"  quelque  bien ,  que  la  gauche ,  dit-il ,  ne  le  sache 
«  pas  '.  >'  Il  demande  tout  votre  amour  pour  lui 
seul  ;  et  tellement  pour  lui  seul ,  que  vous-même , 
tant  il  est  jaloux ,  ne  devez  point  entrer  dans  ce 
partage.  Pour  satisfaire  à  sa  jalousie,  vous  ne 
sauriez  vous  chercher,  ma  sœur,  une  trop  pro- 
fonde retraite.  Cachez-vous  avec  Jésus-Christ, 
dans  la  sainte  obscurité  de  cette  clôture  ;  et  pour 
être  entièrement  selon  son  cœur,  arrachez  du 
vôtre,  jusqu'à  la  racine,  tout  le  désir  de  paraître 
fit  de  plaire  au  monde. 

Unauteur  profane  a  écrit,  au  rapport  de  saint 
Augustin ,  que  les  grands  et  les  puissants  de  la 
terre,  et,  pour  user  de  son  mot,  les  princes, 
c'est-à-dire ,  les  personnes  de  votre  naissance  et 
de  votre  rang,  devaient  être  nourries  par  la  gloire  : 
principem  civitatis  alendum  essegloria  ».  Et  moi 
au  contraire ,  je  vou^dis,  ma  sœur,  que  le  mé- 
pris de  la  gloire  doit  être  votre  nourriture  ;  que 
vous  devez  effacer  de  votre  mémoire  toutes  les 

Mafth.xi,  3. 

De  Civit.  Dei,  lib.  V,  cap.  xiii,  t.  vu,  col.  I3a 


SOT 

marques  de  grabdeut  :  et  afin  que  vous  commen- 
ciez à  les  oublier,  je  ne  vous  parlerai  plus  ni  des 
titres  illustres  qui  sont  si  bien  dus  à  la  grandeur 
de  votre  maison,  ni  des  avantages  glorieux  de 
votre  naissance.  Je  n'ignore  pas  néuunjoins,  que 
j'en  pourrais  parler  plus  librement  à  une  personne 
qui  les  quitte  et  qui  les  foule  aux  pieds;  et  qu'on 
peut  en  discourir  de  la  sorte,  pour  en  inspirer  le 
mépris.  Mais  cette  manière  détournée  d'en  parler 
en  les  rabaissant,  ne  me  semble  pas  encore  assez 
pure  pour  la  prise  d'hubit  d'une  carmélite.  Il  est 
des  passions  délicates  que  l'on  réveille,  non-seu- 
lement quand  on  les  chatouille,  mais  encore 
quand  on  les  pique  et  quand  on  les  choque  ;  il 
vaut  mieux  les  laisser  dormir  éternellement,  et 
qu  il  ne  s'en  parle  jamais ,  parce  qu'on  ne  peut  les 
rabaisser  de  la  sorte ,  sans  en  rappeler  les  idées. 
Ainsi  l'on  imprime  insensiblement  ce  que  l'on 
voulait  effacer,  et  l'on  réveille  quelquefois  la  va- 
nité qu'on  pensait  détruire. 

Aussi  ai-je  remarqué  dans  les  saintes  Lettres, 
que  l'Esprit  de  Dieu ,  qui  les  a  dictées,  parle anx 
épouses  de  Jésus-Christ  des  avantages  de  la  nais- 
sance, avec  une  précaution  admirable.  Il  ne  les 
avertit  pas  seulement  de  les  mépriser,  il  veut 
qu'elles  en  perdent  jusqu'au  souvenir  :  «  Écou- 
«  tez,  ma  fille,  et  voyez,  et  oubliez  votre  peuple 
«  et  la  maison  de  votre  père  •  ;  »  nous  montrant, 
par  cette  parole,  que  le  remède  le  plus  efficace 
contre  ces  douces  pensées  qui  flattent  l'ambition 
et  la  vanité,  dans  la  partie  la  plus  délicate  et  la 
plus  sensible ,  c'est  de  n'y  faire  plus  de  réflexion , 
et  de  les  ensevelir,  s'il  se  peut,  dans  un  oubli 
éternel. 

Pratiquez  cette  leçon  salutaire  :et  si  vous  jetez 
les  yeux  sur  ceux  dont  vous  tenez  la  naissance , 
que  ce  soit  pour  contempler  leurs  vertus;  que 
ce  soit  pour  considérer  cette  conversion  admi- 
rable où  tous  les  intérêts  politiques  cédèrent  à  la 
force  de  la  vérité,  et  furent  sacrifiés  si  visible- 
ment à  la  gloire  de  la  religion  ;  que  ce  soit  pour 
vous  fortifier  dans  la  piété  par  l'exemple  de  cette 
héroïne  chrétienne  qui  vous  a  donné  plus  que  la 
naissance,  et  qui  n'aurait  rien  désiré  avec  tant 
d'ardeur  sur  la  terre  que  de  vous  voir  aujourd'hui 
renaître,  s'il  avait  plu  à  la  Providence  qu'elle  eût 
été  présente  à  cette  action.  Mais  que  dis-je?  elle 
la  voit  du  plus  haut  des  cieux;  et  si  la  félicité 
dont  elle  y  jouit  est  capable  de  recevoir  de  l'ac- 
croissement, vous  la  comblez  dune  joie  nouvelle. 
Suivez  sa  dévotion  exemplaire;  et  comme  t)ieu 
l'a  choisie  pour  remettre  la  vraie  foi  dans  votre 
maison,  tâchez  d'achever  un  si  grand  ouvrage. 
Vous  savez ,  ma  sœur ,  ce  que  je  veux  dire  ;  et 


'  Ps.xuy,  II. 


M. 


9&8 


POUR  UNE  VÊTURE. 


quelcjue  illustre  que  soit  cette  assemblée ,  on  ne 
9'aperçoit  que  trop  de  ce  qui  lui  manque.  Dieu 
veuille  que  l'année  prochaine  Ja  compagnie  soit 
complète,  que  ce  grand  et  invincible  courage  se 
laisse  vaincre  une  fois;  et  qu'après  avoir  tant 
servi ,  il  travaille  enfin  pour  lui-même  *  !  Votre 
exemple  lui  peut  faire  voir  que  le  Saint-Esprit  agit 
dans  l'Église  avec  une  efficace  extraordinaire  ;  et 
du  moins  sera-t-il  forcé  d'avouer  que  dans  le  lieu 
où  il  est,  il  ne  se  verra  jamais  un  tel  sacrifice. 

Mais  il  est  temps,  ma  sœur,  de  vous  la  laisser 
accomplir  ;  votre  piété  s'ennuie  de  porter  si  long- 
temps les  livrées  du  monde  et  les  marques  de  sa 
vanité.  J'entends  que  vous  soupirez  après  cet 
heureux  habit  que  l'Église  va  bénir  pour  vous. 
Vous  aurez  cet  honneur  extraordinaire,  de  le 
recevoir  par  les  mains  de  cet  illustre  prélat  qui 
représente  ici,  par  sa  charge,  la  majesté  du  siège 
apostolique,  et  qui  en  soutient  si  bien  la  grandeur 
par  ses  vertus  éminentes.  J'ose  dire  qu'il  vous 
devait  cet  office  :  il  fallait  que  Rome ,  où  vous 
êtes  née ,  s'intéressât  par  ce  moyen  à  l'exemple 
de  piété  que  vous  donnez  à  Paris.  Entrez  donc 
dans  cette  clôture  avec  la  sainte  bénédiction  de 
ce  très-digne  archevêque  :  mais  souvenez- vous 
éternellement  que ,  dès  le  premier  pas  que  vous 
y  fereï ,  vous  devez  renoncer  de  tout  votre  cœur 
jusqu'au  moindre  désir  de  paraître,  et  prendre 
pour  votre  partage  la  sainte  et  mystérieuse  obs- 
curité en  laquelle  il  a  plu  à  Notre-Seigneur  que 
sa  divine  mère  fût  enveloppée. 

Madame  ** ,  la  grandeur  qui  vous  environne 
empêche  sans  doute  Votre  Majesté  de  goûter  cette 
vie  cachée  qui  est  si  agréable  aux  yeux  de  Dieu , 
et  qui  nous  unit  si  saintement  au  Sauveur  des 
âmes.  Votre  gloire,  déjà  élevée  si  haut,  a  reçu 
encore  un  nouvel  éclat ,  où  nos  expressions  ne 
peuvent  atteindre.  Car  qui  pourrait  dire,  ma- 
dame, combien  il  est  glorieux  davoir  contribué, 
avec  tant  de  force,  à  pacifier  éternellement  ces 
deux  puissantes  maisons  qui  semblent  ne  se  pou- 
voir quitter ,  tant  elles  se  sont  souvent  embras- 
sées ;  qui  semblaient  ne  se  pouvoir  joindre ,  tant 
elles  se  sont  souventdésunies,  et  que  nous  voyons 
maintenant  réconciliées  par  cet  admirable  traité 
qui  nous  promet  enfin  la  paix  immuable  ,|  parce 
que  jamais  il  ne  s'en  est  fait,  où  le  présent  ait 
été  réglé  par  des  décisions  plus  tranchantes,  ni  où 
l'avenir  ait  été  prévu  avec  des  précautions  plus 
sages  :  tant  a  été  pénétrant  ce  noble  génie ,  que 
Votft  Majesté  nous  a  conservé,  par  une  si  constante 


*  Le  personnage  pour  lequel  l'orateur  forme  ici  des  vœux 
e*t  le  maréchal  de  Turenne,  dont  ou  espérait  la  conversion, 
mais  qui  ne  ûlson  alvjuration  qu'en  1668. 

(  Édit.  de  Versailles.  ) 

•»  A  la  reiiM;  mère. 


et  si  charitable  prévoyance,  comme  l'instrument 
nécessaire  pour  achever  un  si  grand  ouvrage? 

Mais ,  madame  * ,  que  dirai-je  maintenant  de 
vous?  et  que  trouverai-je  dans  cet  univers  qui 
égale  votre  majesté?  Que  peut-on  s'imaginer  de 
plus  grand  que  d'être  l'épouse  chérie  du  premier 
monarque  du  monde ,  qui  s'est  arrêté  pour  l'a- 
mour de  vous  au  milieu  de  ses  victoires,  et  qui, 
vous  ayant  préférée  à  tant  de  conquêtes  infail- 
libles ,  ne  laisse  pas  de  confesser,  qu'encore  ne 
vous  a-t-il  pas  assez  achetée? 

Parmi  tant  de  gloire,  mesdames,  ce  que  j'ap- 
préhende pour  Vos  Majestés,  c'est  que  vous  n'ayez 
point  assez  de  part  à  l'humiliation  de  Jésus-Christ. 
C'est  ce  qui  vous  doit  obliger  de  vous  retirer  sou- 
vent avec  Dieu ,  de  vous  dépouiller  à  ses  pieds  de 
toute  cette  magnificence  royale ,  qui  aussi  bien 
ne  paraît  rien  à  ses  yeux ,  et  là  de  vous  couvrir 
humblement  la  face  de  la  sainte  confusion  de 
la  pénitence.  C'est  trop  flatter  les  grands ,  que  de 
leur  persuader  qu'ils  sont  impeccables  :  au  con- 
traire il  faut  qu'ils  entendent  que  leur  condition 
relevée  leur  apporte  ce  mal  nécessaire ,  que  leurs 
fautes  ne  peuvent  être  presque  médiocres.  Dans 
la  vue  de  tant  de  périls,  Vos  Majestés,  mesda- 
mes, doivent  shumilier  profondément.  Tous  les 
peuples  vous  admireront ,  tous  les  peuples  loue- 
ront vos  vertusdans  toute  l'étendue  de  leurs  cœurs. 
Vous  seules  vous  vous  accuserez,  vous  seules  vous 
vous  confondrez  devant  Dieu ,  et  vous  participe- 
rez, par  ce  moyen,  aux  opprobres  de  Jésus-Christ, 
pour  participer  à  sa  gloire ,  que  je  vous  souhaite 
éternelle.  Amen. 

SERMON 
POUR  UNE  VÊTURE, 

PRÊCHÉ 

AUX  NOUVELLES  CATHOLIQUES. 

De  quelle  manière  l'homme  peut  se  revêtir  de  Jésus-Christ. 
Combien  étonnant  l'anéantissement  du  Verbe  :  précieux 
avantages  que  nous  en  recueillons.  D'où  vient  les  hommes 
ont-ils  tant  de  peine  à  modérer  leurs  désirs.  Résistance  qu'ils      ■ 
opposent  aux  leçons  que  Jésus-Christ  leur  a  données,  pour     ■ 
les  réformer  :  son  exemple  inliniment  propre  à  confondre      3 
leur  liberté  licencieuse.  Caractères  de  la  vraie  liberté.  Com- 
ment la  voie  étroite  est-elle  une  voie  large.  UUiité  des  con- 
traintes de  la  vie  religieuse.  Épreuve  nécessaire  pour  ne 
pas  s'y  engager  témérairement  Vertus  dont  doit  être  ornée 
une  véritable  religieuse. 


Itiduimini  Dominum  Jesum  Christum. 

Revêtez-vous  de  Notre-Seigneur  Jésus-Chrlst.Tîom.xiu,  14. 

Ne  vous  persuadez  pas,  ma  très-chère  sœur, 
que  la  cérémonie  de  ce  jour  ne  soit  qu'un  simple 

*  A  la  relue  régnante. 


POUR  UNE  VÉTURE. 


30» 


changement  d'habit.  Une  telle  cérémonie  ne  mé- 
riterait pas  d'être  sanctifiée  par  la  parole  de  Dieu, 
et  l'Église  notre  sainte  mère  ne  voudrait  pas 
employer  ses  ministres  à  une  chose  de  si  peu 
d'importance.  Mais  comme  vous  quittez  un  habit 
que  le  siècle  tâche  de  rendre  honorable  par  le 
luxe  et  par  les  vanités,  afin  d'en  prendre  un  autre, 
qui  tire  tout  sou  ornement  de  la  modestie  et  de 
la  pudeur;  ainsi  devez-vous  penser  qu'il  faut 
«  vous  dépouiller  aujourd'hui  du  vieil  homme  et 
.  de  ses  convoitises ,  afin  de  vous  revêtir  du  nou- 
.  veau ,  qui  est  Notre-Seigneur  Jésus-Christ ,  créé 
«  selon  la  volonté  de  Dieu ,  »  comme  dit  l'apôtre 
aux  Éphésiens  :  Induite  novum  hominem,  qui 
secundum  Dcum  creatus  est'.  C'est  à  quoi  vous 
exhorte  saint  Paul ,  dans  le  texte  que  j'ai  allé- 
gué; et  encore  que  cette  parole  s'adresse  généra- 
lement à  tous  les  fidèles,  il  me  semble  que  c'est 
à  vous  qu'il  parle  en  particulier ,  et  qu'il  vous 
dit,  avec  sa  charité  ordinaire  :  «  Re vêtez- vous , 
«  ma  sœur,  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  :  » 
Induimini Dominum  nostrumJesum  Christum. 
Cest  ici  la  bienheureuse  journée  en  laquelle  le 
fils  de  Dieu  se  fit  honune,  afin  de  nous  faire  des 
dieux.  Réjouissez-vous  donc  en  Notre-Seigneur, 
et  revêtez-vous  de  celui  qui  a  daigné  aujourd'hui 
se  revêtir  de  notre  nature. 

Peut-être  vous  me  demanderez  de  quelle  sorte 
cela  se  peut  faire ,  et  comment  l'homme  se  peut 
revêtir  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ?  C'est  ce 
jae  je  tâcherai  de  vous  exposer,  avec  l'assistance 
uiMue ,  par  une  methL;tle  iï.cile  et  familière.  Mais 
ne  pensez  pas ,  ma  très-chère  sœur ,  que  j'ose  me 
promettre,  de  ma  propre  suffisance,  l'explica- 
tion d'uQ  si  haut  mystère.  Je  ne  suis  ni  assez 
téméraire  pour  l'entreprendre ,  ni  assez  intelligent 
pour  l'exécuter.  A  Dieu  ne  plaise  que ,  dans  cette 
chaire ,  je  vous  propose  une  autre  doctrine  que 
celle  de  l'Évangile!  j'irai  sous  la  conduite  du 
grand  apôtre  saint  Paul ,  qui  sera  notre  prédica- 
teur. Voici  de  quelle  sorte  ce  saint  personnage 
parle  dans  son  Épître  aux  Philippiens  :  «  Ayez , 
'dit-il,  mes  frères,  ayez  cette  même  affection 
«  en  vous-mêmes ,  qui  a  été  en  Notre-Seigneur 
«  Jésus-Christ  :  «  Hoc  sentite  in  vobis ,  guod  et 
in  Christo  Jesu^  :  c'est-à-dire  :  Prenez  les  senti- 
ments du  Sauveur  ;  soyez  tous  envers  lui  comme 
il  a  été  envers  vous  ;  que  ce  qu'il  a  fait  pour  votre 
salut  soit  le  modèle  et  la  règle  de  ce  que  vous 
devez  faire  pour  son  service  :  ainsi  vous  serez 
revêtus  du  Sauveur,  quand  vous  serez  imitateurs 
de  sa  charité.  Considérons  donc  quels  ont  été  les 
sentiments  du  Fils  de  Dieu  dans  le  mystère  de 
Fincarnation,  et  après  imprimons  les  mêmes  pen- 

'  Ephet.  IV ,  24. 
»  Phili^p.  u,&. 


sées  en  nous-mêmes ,  et  nous  sejons  revêtus  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  selon  le  comman- 
dement de  l'apôtre.  C'est  le  précisde  cet  entretien  : 
Dieu  le  fasse  fructifier,  par  sa  grâce ,  à  J' édifica- 
tion de  nos  âmes? 

PBEMIEB   POINT. 

Qui  dit  Dieu ,  dit  un  océan  infini  de  toute  per- 
fection :  tous  ses  attributs  divins  sont  sans  borne» 
et  sans  limites.  Son  immensité  passe  tous  les  lieux,, 
son  éternité  domine  sur  tous  les  temps  :  les  siècles 
ne  sont  rien  devant  lui ,  ils  sont  comme  le  jour 
d'hier  qui  est  passé ,  et  ne  peut  plus  revenir  : 
Tanquam  dieshesterna  quœ  prœteriit,  chantait 
le  prophète  David  '.  Si  vous  demandez  ce  qu'il 
est,  il  est  impossible  qu'on  vous  réponde.  Il  est, 
personne  n'en  peut  douter,  et  c'est  aussi  tout  ce 
qu'on  en  peut  dire  :  «  Je  suis  celui  qui  est ,  c'est 
«  celui  qui  est  qui  te  parle,  »  disait-il  autrefois 
à  Moïse  *.  Je  suis ,  n'en  demande  pas  davantage  : 
c'est  parce  qu'il  est  impossible  de  définir  ni  de  limi- 
ter ce  qu'il  est.  Il  n'est  rien  de  ce  que  vous  voyez  ; 
parce  qu'il  est  le  Dieu  et  le  créateur  de  tout  ce  que 
vous  voyez  :  il  est  tout  ce  que  vous  voyez  ;  parce 
qu'il  renferme  tout  dans  son  essence  infinie.  Elle 
est  une  et  indi^^sible;  mais  il  n'y  a  aucune  multi- 
tude qui  puisse  jamais  égaler  cette  unité  admira- 
ble. Auprès  de  cette  unité  toutes  les  créatures 
disparaissent,  et  s'évanouissent  dans  le  néant. 
Ce  que  je  Aiens  de  vous  dire ,  fidèles ,  et  ce  qu'il» 
est  impossible  que  je  vous  explique ,  c'est. leDieu 
que  nous  adorons ,  loué  et  glorifié  aux.  siècles 
des  siècles.  Voilà  ce  qu'est  le  Fils  de  Dîeu  par. 
nature  ;  voyons ,  je  vous  prie ,  ce  qu'H  et  devenir 
par  miséricorde  et  par  grâce. 

Certes,  je  vous  l'avoue,  chrétiens,  quand  j'en- 
tends cette  trompette ,  ou  plutôt ,  ce  tonnerre  de 
l'Évangile ,  ainsi  que  l'appellent  les  Pères  :  In 
principio  erat  Verbum  ^  :  «  Au  commencement. 
«  était  le  Verbe,  et  le  Verbe  était  en  Dieu,  et  le 
«  Verbe  était  Dieu  :  c'est  lui  qui  était  en  Dieu 
«  au  commencement  ;  toutes  choses  ont  été  faites 
«  par  lui;  en  lui  était  la  vie  :  »  quand  j'entends , 
dis-je,  ces  choses,  mon  âme  demeure  étonnée 
d'une  telle  magnificence.  Mais  lorsque ,  passant 
plus  loin  dans  la  lecture  de  cet  évangile ,  je  vois 
que  ce  Verbe  a  été  fait  chajr,  et  Verbinn  caro 
fadum  est^ ,  je  ne  suis  pas  moins  surpris  d'un  si 
grand  anéantissement.  0  Dieu,  dis-je  inconti- 
nent en  moi-même,  qui  l'eût  jamais  pu  croire, 
qu'un  commencement  si  majestueux  dût  avoir 
une  fin  qui  semble  si  méprisable ,  et  que ,  d'unq 


»  Ps.  UXXl.t,  i. 
»  Exod.  m,  u. 
'  Joan.  1,  1. 
*  Ibid.  M. 


3tO 


POUR  UiNE  VÊTURE. 


telle  grandeur,  on  dût  jamais  tomber  dans  une 
telle  bassesse?  Et  toutefois,  ma  très-chère  sœur, 
c'est  ce  que  le  Fils  de  Dieu ,  touché  d'amour  pour 
notre  nature,  a  fait  dans  la  plénitude  des  temps, 
tlette  immensité,  dont  je  vous  parlais,  s'est 
comme  renfermée  dans  les  entrailles  d'une  sainte 
Vierge.  L'infini  est  devenu  un  enfant;  l'Éternel 
s'est  soumis  à  la  loi  des  temps.  Les  hommes  ont 
vu  l'heure  de  sa  mort,  après  avoir  compté  le 
premier  jour  de  sa  vie.  Ainsi  a-t-il  plu  à  notre 
grand  Dieu  de  faire  voir  sa  toute-puissance ,  en 
■élevant,  à  la  dignité  la  plus  haute,  la  chose  du 
monde  la  plus  vile  et  la  plus  infirme. 

Considérez  ceci ,  chrétiens  :  je  vous  ai  repré- 
senté la  nature  divine  en  bégayant ,  je  l'avoue  ; 
et  que  pouvais-je  faire  autre  chose?  mais  enfin 
je  vous  l'ai ,  en  quelque  sorte,  représentée  dans 
sa  grande  et  vaste  étendue ,  sans  bornes  et  sans 
limites;  et  dans  l'incarnation  elle  s'est  comme 
raccourcie  ;  Verbum  breviatum ,  parole  mise  en 
abrégé.  Elle  s'est  comme  épuisée  et  anéantie, 
ainsi  que  parle  saint  Paul  "  ;  non  pas  qu'elle  ait 
rien  perdu  de  ses  qualités  naturelles  :  elle  n'est 
pas  capable  de  changement  ;  elle  s'est  commu- 
niquée à  nous ,  sans  être  diminuée  en  elle-même. 
Mais  enfin  elle  s'est  unie  à  notre  misérable  nature , 
elle  s'est  chargée  de  notre  néant ,  elle  a  pris  sur 
soi  nos  infirmités.  «  Le  Fils  de  Dieu  ,  égal  à  son 
«  Père,  étant  en  la  forme  de  Dieu  a  pris  la  forme 
«  d'esclave  \  «  Et  cela  qu'est-ce  autre  chose  si- 
uon  se  prescrire  certaines  bornes ,  sinon  s'abais- 
ser et  s'anéantir?  M'est-ce  pas ,  en  quelque  sorte, 
se  dépouiller  de  sa  majesté,  pour  se  revêtir  de 
notre  faiblesse?  C'est  ce  que  nous  enseigne  l'a- 
pôtre, dans  le  texte  que  j'ai  allégué  de  l'épître 
aux  Philippiens.  0  bonté  incroyable  de  notre 
Dieu!  ô  amour  ineffable  pour  notre  nature,  qui 
porte  le  Fils  de  Dieu  vivant  à  s'unir  si  étroite- 
ment avec  nous  dont  la  vie  n'est  qu'une  langueur 
et  une  défaillance  continuelle  ! 

Mais  qu'est-il  arrivé,  chrétiens,  de  cette  pro- 
fonde humiliation?  Comprenez,  s'il  vous  plaît, 
ce  que  je  veux  dire.  k\\  !  quand  le  Fils  de  Dieu 
est  venu  au  monde ,  Dieu  n'était  presque  point 
connu  sur  la  terre  ;  bien  que  la  connaissance  de 
Dieu  soit  la  vie  éternelle.  Le  Fils  de  Dieu ,  prê- 
chant les  vérités  de  son  Père ,  «  a  manifesté  son 
.<  nom  aux  hommes  ^ ,  »  ce  sont  ses  propres  pa- 
roles; et  après  son  ascension  triomphante,  il  a 
envoyé  ses  disciples,  qui,  parcourant  tout  le 
monde ,  ont  ramené  les  peuples  à  la  connaissance 
du  Créateur.  De  tous  les  endroits  de  la  terre ,  les 
fidèles  se  sont  assemblés  pour  adorer  le  vrai 

'  Rom.  IX ,  28. 
'  Philipp.  II,  C,  7. 
»  Joan.  XVII,  6. 


Dieu,  au  nom  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ-, 
s'asserablant  de  la  sorte,  ils  se  sont  unis  à  cet 
Homme-Dieu ,  qui  est  mort  pour  l'amour  de  nous  ; 
et  par  ce  moyen  ils  sont  devenus ,  non-seulement 
les  amis ,  mais  les  membres  de  Jésus-Christ ,  ainsi 
que  l'enseigne  saint  Paul  '. 

Et  comment  pourrais-je  vous  dire,  mes  frères , 
combien  cette  sainte  union  nous  a  été  profitable? 
Quel  bonheur  à  nous  autres  pauvres  mortels ,  d'ê- 
tre unis  si  étroitement  à  la  sainte  humanité  de 
Jésus,  qui  est  pleine  de  la  nature  divine!  car 
c'est  par  ce  moyen  que  toutes  les  grâces  décou- 
lent sur  nous.  Nous  unissant  au  Fils  de  Dieu  se- 
lon ce  qu'il  s'est  fait  pour  l'amour  de  nous,  c'est- 
à-dire  ,  selon  la  chair  qu'il  a  prise  de  nous ,  nous 
entrons  en  société  de  la  nature  divine  ;  nous  par- 
ticipons, en  quelque  sorte,  à  la  divinité,  parce 
que  nous  sommes  en  Dieu  ,  et  Dieu  en  nous  ;  et 
c'est  la  nouvelle  alliance  que  Dieu  a  contractée 
avec  nous,  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ. 
«  J'habiterai  en  eux,  dit  le  Seigneur,  par  la  bou- 
«  che  de  son  prophète ,  et  je  serai  leur  Dieu ,  et 
«  ils  seront  mon  peuple  \  »  C'est  pourquoi  l'apô- 
tre nous  avertit  que  nous  sommes  remplis  de  l'Es- 
prit de  Dieu ,  et  que  nos  corps  et  nos  âmes  sont 
les  temples  du  Dieu  vivant  ^.  Dieu  donc  habi- 
tant en  nous  :  comme  il  est  un  feu  consumant, 
ainsi  que  parle  l'Écriture  divine^,  il  nous  change 
et  nous  transforme  en  soi-même  par  une  opéra- 
lion  ineffable  et  toute-puissante,  jusqu'à  ce  qu'é- 
tant parvenus  à  la  gloire ,  où  il  nous  appelle , 
«  nous  serons  semblables  à  lui ,  dit  le  bien-aimé 
«  disciple  ^  ;  parce  que  nous  le  verrons  comme 
«  il  est  :  »  et  alors  arrivera  ce  que  dit  l'apôtre 
saint  Paul^,  que  tout  ce  qu'il  y  a  en  nous  de 
mortel  et  de  défectueux ,  étant  dissipé  par  l'Es- 
prit de  Dieu ,  nous  serons  tout  resplendissants  de 
l'éclat  de  sa  majesté  divine ,  et  «  Dieu  sera  tout 
«  en  tous  :  •>  Erit  Deiis  omnia  in  omnibus  '.  0 
joie  et  consolation  des  justes  et  des  gens  de  bien  ! 

Ce  que  je  viens  de  vous  dire,  mes  frères,  c'est 
la  pure  Écriture  sainte.  Si  Dieu  est  tout  en  tous , 
sa  gloire  s'étendra  sur  tous  les  fidèles  :  la  divinité 
se  répandra,  en  quelque  sorte ,  sur  nous  ;  et  bien 
qu'elle  ne  soit  pas  accrue  en  soi-même  parce  qu'on 
ne  peut  lui  rien  ajouter,  toutefois  elle  sera ,  en 
quelque  façon ,  dilatée  par  la  manifestation  de 
son  nom.  Et  c'est  ce  qui  a  fait  dire  au  prophète , 
que  Dieu  étendra  ses  ailes  sur  nous  ;  et  ailleurs , 
«  qu'il  marchera  au  milieu  de  nous  :  »  InambU' 


'  Ephes.  V ,  30. 

'  Levit.  XXVI,  12. 

3  I.  Cor.  ni,  16;  VI,  19. 

<  Deut.  IV ,  4. 

i  I.  Joan.  m ,  2. 

6  I.  Cor.  XV ,  5» 

:  Ibid.TS. 


POUR  UNE  VÈTURE 


3ft 


lubo  inter  cos  "  ;  voulant  signifier,  par  ces  ter- 
mes, que  Dieu  se  dilatera  en  nous  et  sur  nous 
par  l'opération  de  sa  grâce  ,  et  par  la  commu- 
nication de  sa  gloire'.  Mais  cette  dilatation, 
permettez-moi  de  parler  de  la  sorte ,  se  fait  par 
le  Fils  de  Dieu  incarné ,  ainsi  que  nous  vous  l'a- 
vons fait  voir.  Et,  fidèles,  vous  le  savez,  s'il 
y  a  (pielqu'ivt  sur  la  terre  qui  attende  aucune 
grâce  de  Dieu ,  autrement  que  par  les  mérites  du 
Verbe  fait  chair,  c'est  un  impie ,  c'est  un  sacri- 
lège qui  renverse  les  Écritures  divines,  et  la 
sainte  société  que  Dieu  a  voulu  avoir  avec  nous, 
par  le  moyen  de  son  Fils  unique. 

Par  ou  vous  voyez,  chrétiens,  que  la  nature 
divine  voulant  se  répandre  sur  nous,  s'est  pre- 
mièrement ,  en  quelque  sorte ,  resserrée  et  anéan- 
tie en  nous.  Le  Fils  éternel  du  Dieu  vivant,  le 
Verbe  et  la  sagesse  du  Père ,  a  voulu  que  sa  di- 
vinité tout  entière  fût  revêtue  et  chargé*  d'un 
corps  mortel ,  où  il  semblait  qu'elle  fût  rétrécie , 
selon  l'expression  de  l'apôtre  ^ ,  et  de  là  il  Ta  ré- 
pandue sur  tous  les  fidèles.  L'humiliation  est 
cause  de  l'exaltation.  Cette  amplitude,  cette  di- 
latation ,  dont  je  viens  de  vous  parler,  je  ne  sais 
si  je  me  fais  bien  entendre ,  elle  est  venue  ensuite 
de  cet  anéantissement;  c'est  le  dessein  du  Fils 
de  Dieu ,  lorsqu'il  s'est  fait  chair  pour  l'amour  de 
nous.  Que  reste-t-il  maintenant,  sinon  de  vous 
exhorter  avec  l'apôtre  saint  Paul  :  «  Revêtez- vous 
«  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  :  '  Induimini 
Dominum  Jesum  Christum.  Et  comment  nous 
en  revêtirons-nous?  <  Ayez  le  même  sentiment  en 
«  vous-mêmes ,  qu'avait  le  Sauveur  Jésus  :  »  Hoc 
sentite  in  vobis ,  quod  et  in  Christo  Jesu  ^  :  c'est 
ce  qui  me  reste  a  vous  exposer. 

SECOND    POINT. 

Retenez  ce  que  je  viens  de  vous  dire ,  parce 
que  tout  ce  discours,  si  je  ne  me  trompe,  n'a 
qu'une  même  suite  de  raisonnement  ;  et  comme 
toutes  les  parties  s'entretiennent ,  elles  demandent 
une  attention  plus  exacte. 

Quand  on  enseigne  aux  hommes  qu'il  faut 
modérer  leurs  désirs,  qu'il  faut  se  retrancher 
et  se  restreindre  ;  que  ce  leur  est  une  dure  parole  ! 
ÎN'oiis  sommes  nés,  tous  tant  que  nous  sommes, 
dans  une  puissante  inclination  de  faire  ce  qu'il 
nous  plaît.  Nous  sommes  jaloux  de  notre  liberté, 
disons-nous  ;  et  nous  mettons  cette  liberté  à  vi- 
vre comme  bon  nous  semble ,  sans  gêne  et  sans 
contrainte  :  c'est  là  tout  le  plaisir  et  toute  la  dou- 
ceur de  la  vie.  Parlez  à  un  avare,  dites-lui  qu'il 

'  /s.  Tin,  8. 
»  TI.  Cor.  VI,  l«. 
»  Philipp.  il ,  7. 
*  Ibid.  6. 


est  temps  de  donner  quelques  boraes  à  ce  désir 
insatiable  d'amasser  toujours;  il  ne  comprend 
pas  ce  que  vous  lui  dites  :  sa  passion  n'est  pas 
satisfaite  ;  c'est  un  abîme  sans  fin ,  qui  ne  dit 
jamais  :  C'est  assez.  Dites  à  un  jeune  ambitieux  , 
qui ,  dans  l'ardeur  d'un  âge  bouillant ,  ne  respire 
que  les  grands  honneurs ,  qu'il  faut  mépriser  les 
honneurs  et  qu'il  faut  se  réduire  à  ce  que  Dieu 
voudra  ordonner  de  sa  vie  et  de  sa  fortune  :  ah  ! 
la  fâcheuse  sentence  !  Ainsi  en  est-il  de  nos  au- 
tres désirs.  Nous  avons  tous  cela  de  mauvais, 
que  toutes  nos  convoitises  sont  infinies;  et  cela 
vient  du  dérèglement  de  notre  esprit ,  qui  n'est 
pas  capable  de  prendre  ses  mesures  bien  justes, 
ni  de  vouloir  les  choses  modérément.  Nous  som- 
mes véhéments  dans  tous  nos  désirs  :  s'il  y  en  a 
quelques-uns,  peut-être,  dont  nous  nous  dépar- 
tons aisément,  nous  avons  nos  passions  domi- 
nantes, sur  lesquelles  nous  ne  souffrons  pas  qu'on 
nous  choque  :  nous  nous  plaignons  incontinent 
qu'on  nous  ôte  notre  repos ,  qu'on  veut  nous 
faire  vivre  dans  la  servitude.  C'est  pourquoi  la 
vertu  est  si  difficile  et  si  épineuse,  parce  qu'elle 
entreprend  de  nous  modérer. 

Qu'a  fait  le  Fils  de  Dieu  ?  Résolu  de  venir  au. 
monde  comme  le  réformateur  du  genre  humain,, 
il  nous  donne  lui-même  l'exemple  :  Je  viens , 
dit-il ,  pour  vous  ordonner  de  mortifier  vos  appé- 
tits déréglés  ;  je  vous  défends  de  suivre  ces  va- 
gues et  impétueux  désirs ,  auxquels  vous  vous., 
laissez  emporter.  Gardez-vous  bien  de  marcher 
dans  cette  voie  large  et  délicieuse ,  qui  vous  mè- 
nerait à  la  mort  :  allez  par  la  voie  étroite,  qui  vous 
conduira  au  salut.  Ici  les  hommes  résistent;  im- 
patients de  contrainte,  ils  refusent  d'obéir  au 
Sauveur,  ils  veulent  avoir  partout  leurs  commo- 
dités et  leurs  aises.  Et  pourquoi,  disent-ils,  t 
Seigneur,  pourquoi  nous  commandez-vous  de 
marcher  dans  ce  sentier  difficile  ?  pourquoi  con- 
traindre si  fort  nos  inclinations,  et  nous  tenir 
éternellement  dans  la  gêne? 

Eh!  quelle  est  cette  manie,  chrétiens?  consi- 
dérez le  sauveur  Jésus  :  voyez  la  divinité ,  qui  a 
daigné  se  couvrir  d'une  chair  humaine.  Autant 
que  sa  nature  l'a  pu  permettre ,  elle  a  restreint 
son  immensité  :  un  Dieu  a  bien  voulu  se  soumet-» 
tre  aux  lois  qu'il  avait  faites  pour  ses  créatures. 
Quel  antre  assez  obscur,  et  quelle  prison  assez 
noire  égale  l'obscurité  des  entrailles  maternelles? 
Et  cependant  ce  divin  enfant ,  qui  était  homme 
fait  dès  le  premier  moment  de  sa  vie ,  à  cause 
de  la  maturité  de  sa  connaissance ,  s'y  étant  en- 
fern>é  volontairement ,  y  a  passé  neuf  mois  sans 
impatience.  Et  toi ,  misérable  mortel ,  tu  veux 
jouir  d'une  liberté  insolente;  tu  ne  veux  souffrir 
aucun  joug,  non  pas  même  celui  de  Dieu;  tu 


J5J2 


POUR  UNE  VÊTURE. 


diîmandes  témérairement  qu'on  lâche  la  bride  à 
tes  désirs.  Ah!  chrétiens,  ayez  en  vous-mêmes 
les  sentiments  du  sauveur  Jésus'.  Ayant  une 
étendue  infinie ,  il  s'est  mis  à  l'étroit  pour  l'amour 
de  nous  ;  étant  en  la  forme  de  Dieu ,  il  a  pris  la 
forme  d'esclave;  étant  la  source  de  tout  être,  il 
s'est  anéanti  pour  notre  salut;  et  nous  qui  ne 
sommes  rien,  nous  ne  pouvons  supporter  la 
moindre  contrainte  pour  son  service.  Certes  si 
nous  croyons  véritablement  ce  que  nous  profes- 
sons tous  les  jours,  que  le  Fils  de  Dieu ,  pour  nous 
donner  la  vie  éternelle,  a  pris  une  chair  humaine; 
notre  impudence  est  extrême  de  lie  pas  renoncer 
à  notre  volonté,  pour  nous  laisser  gouverner  par 
la  sienne. 

Ainsi,  ma  très-chère  sœur,  revêtez-vous  de 
IVotre-Seigneur  Jésus-Christ.  Cette  sainte  clôture, 
où  vous  méditez  de  vous  retirer,  est-elle  plus 
étroite  que  cette  prison  volontaire  du  ventre  de  la 
sainte  Vierge ,  où  le  Fils  de  Dieu  se  met  aujour- 
d'hui? Ne  portez  point  d'çnvie  à  celles  de  votre 
sexe ,  qui  courent  deçà  et  delà  dans  le  monde , 
éternellement  occupées  à  rendre  et  à  recevoir  des 
visites.  Certainement  elles  semblent  avoir  quel- 
que sorte  de  liberté ,  mais  c'est  une  liberté  ima- 
ginaire, qui  les  empêche  d'être  à  elles-mêmes, 
et  qui  les  rend  esclaves  de  tant  de  diverses  cir- 
conspections, que  la  loi  de  la  civilité  et  le  point 
d'honneur  ont  établies  dans  le  monde.  Q\ie  si  le 
monde  a  ses  contraintes ,  que  je  vous  loue ,  ma 
très-chère  soeur,  vous  qui ,  estimant  trop  votre 
liberté  pour  la  soumettre  aux  lois  de  la  terre, 
protestez  hautement  de  ne  vouloir  vous  captiver 
que  pour  le  Sauveur  Jésus  qui ,  se  faisant  esclave 
pour  l'amour  de  nous ,  nous  a  affranchis  de  la 
servitude!  C'est  dans  cette  sainte  contrainte  que 
se  trouve  la  vraie  liberté  :  c'est  dans  cette  voie 
étroite  que  l'âme  est  dilatée  par  le  Saint-Esprit , 
pour  recevoir  l'abondance  des  grâces  divines. 
La  charité  de  Jésus  pénétrant  au  fond  de  nos 
^mes ,  ne  les  resserre  que  pour  les  ouvrir. 

Remarquez  ceci ,  ma  très-chère  sœur  :  la  voie 
étroite,  c'est  une  voie  large;  et  bien  qu'il  soit 
vrai  que  les  saints  ont  à  marcher  en  ce  monde 
dans  un  sentier  étroit,  ils  ne  laissent  pas  de  mar- 
cher dans  un  chemin  spacieux.  En  voulez-vous 
la  preuve  par  les  Écritures  divines ,  écoutez  le 
prophète  David  :  Latum  mandatum  tuum  ni- 
mis'  :  «Votre  commandement  est  exti-êmement 
«  large.  >  Que  veut  dire  ce  saint  prophète  ?  Certes , 
le  commandement  c'est  la  voie  par  laquelle  nous 
devons  avancer.  D'où  vient  que  le  Sauveur  a  dit  : 
«  Si  tu  veux  parvenir  à  la  vie,  observe  les  com- 


<  Philipp.  !i,5. 
^  Pi.  CXYlll ,  90 


«  mandements  '.  »  Les  voies  de  Dieu  et  les  ordon 
nances  de  Dieu,  c'est  la  même  chose  dans  les 
Écritures  :  «  Heureux  est  celui ,  dit  David  ' ,  qui 
«  marche  dans  la  voie  du  Seigneur  ;  »  c'est-à-dire, 
qui  garde  ses  lois  :  or  le  commandement  est 
large;  c'est  ainsi  que  parle  David. 

Et  comment  est-ce  donc  qu'il  est  dit,  que  les 
voies  du  salut  sont  étroites?  Ah  !  chrétiens ,  sen» 
tons  en  nous-mêmes  ce  que  le  Sauveur  Jésus  a 
senti.  Il  s'est  mis  à  l'étroit ,  afin  de  se  répandre 
plus  abondamment  :  ainsi  nous  devons  être  dans 
une  salutaire  contrainte,  pour  donner  à  notre 
âme  sa  véritable  étendue.  Contraignons-nous  en 
domptant  nos  désirs,  en  mortifiant  notre  chair; 
mettons-nous  à  l'étroit  par  l'exercice  de  la  péni- 
tence, et  notre  âme  sera  dilatée  par  l'inspiration 
de  la  charité.  «  La  charité  élargit  les  voies ,  dit 
«  l'admirable  saint  Augustin^  :  c'est  elle  qui  di- 
«  late  l'âme ,  et  qui  la  rend  capable  de  recevoir 
«  Dieu.  »  «  Mon  âme  se  dilate  sur  vous ,  ô  Corin- 
«  thiens  ;  vous  n'êtes  point  à  l'étroit  dans  mon 
«  cœur,  «  disait  l'apôtre  saint  PauH;  c'est  qu'il 
les  aimait  par  une  charité  très-sincère.  Et  ailleurs 
le  même  saint  Paul  :  «  La  charité  de  Jésus-Christ 
«  nous  presse  ^.  »  Grand  apôtre,  si  elle  nous  presse, 
comment  est-ce  qu'elle  nous  dilate?  Ah!  nous 
répondrait-il ,  chrétiens ,  plus  elle  nous  presse , 
plus  elle  nous  dilate  :  autant  qu'elle  presse  nos 
cœurs ,  pour  en  chasser  les  délices  du  monde  ; 
autant  elle  les  dilate ,  pour  recevoir  les  grâces 
célestes  et  la  sainte  dilection. 

Ainsi  réjouissez-vous,  ma  très-chère  sœur  : 
autant  que  la  vie  à  laquelle  vous  êtes  résolue  de 
vous  préparer  est  difficile  et  contrainte ,  autant 
est-elle  libre  et  aisée  ;  autant  qu'elle  a  d'incomr 
modités  selon  la  chair  et  selon  les  sens ,  autant 
elle  abonde  en  esprit  de  divines  et  bienheureuses 
consolations.  Mais  si  vous  y  voulez  profiter,  re- 
vêtez-vous auparavant  de  Notre-Seigneur  Jésus? 
Christ;  prenez  les  sentiments  du  Sauveur  :  il  a 
voulu  que  le  mystère  que  nous  célébrons  aujour- 
d'hui fût  préparé  et  accompli  par  obéissance.  Si 
l'ange  parle  à  Marie,  c'est  de  la  part  de  Dieu 
qu'il  lui  parle  :  si  Marie  conçoit  le  Sauveur,  elle 
le  conçoit  par  l'obéissance  :  «  Je  suis  la  servante 
«  du  Seigneur^.  »  Cette  parole  de  soumission  a 
attiré  le  Fils  dcDieu, duplushautdescieux,  dans 
ses  bénites  entrailles  :  car  elle  l'a  conçu ,  non  par 
l'opération  de  la  chair,  mais  par  l'opération  de 
l'Esprit  de  Dieu  ;  et  le  Saint-Esprit  ne  repose  que 
dans  les  âmes  obéissantes.  Enfin  le  Verbe  est 

<  Maith.  XIX  .  17. 

'  Ps.  CWlll,  I. 

3  Enarr.  ii,  in  Ps.  x\x ,  U"  15,  l.  IV,  col.  163. 

*  II.  Cor.  VI,  U. 

»  Ibid.  V,  U. 

^  Luc  1,38. 


POUR  UNE  VÉTURE. 


31S 


descendu  surJa  terre,  mais  il  y  était  envoyé  par 
son  Père,  et  le  premier  acte  qu'il  fit  ce  fut  un 
acte  d'obéissance.  "  Il  est  écrit,  dit-il,  au  com- 
«  mencemeut  du  livre,  que  je  ferai  votre  volonté , 
•  ô  mon  Père.  »  Ce  sont  les  propres  paroles  que 
l'apôtre  saint  Paul  lui  fait  dire ,  au  moment  qu'il 
entre  en  ce  monde  :  Ingrediens  mundum  di- 
cit ...  In  capite  libri  scriptum  est  de  me,  utfa- 
ciam ,  Deus,  voluntatem  tuam'. 

Prenez  donc  les  sentiments  du  sauveur  Jésus. 
Gardez-vous  bien  d'entrer  dans  ce  nouveau 
genre  de  vie ,  si  vous  n'y  êtes  appelée  de  la  part 
de  Dieu.  L'Église  ne  veut  pas  que  vous  vous  y 
engagez  témérairement  ;  et  c'est  pour  cette  rai- 
son qu'elle  vous  donne  ce  temps  d'épreuve. 
Éprouvez  quel  est  le  bon  plaisir  de  Dieu;  étu- 
diez-vous vous-même;  consultez  les  personnes 
spirituelles.  La  vie ,  à  laquelle  vous  vous  des- 
tinez, est  la  plus  calme  et  la  plus  tranquille  de 
toutes ,  pour  celles  qui  sont  bien  appelées;  mais 
pour  celles  qui  ne  le  sont  pas ,  il  n'y  a  point  de 
pareilles  tempêtes  :  et  telle  que  serait  la  témérité 
d'un  homme  qui ,  ne  sachant  ce  que  c'est  que  la 
navigation ,  se  mettrait  sur  mer  sans  pilote;  telle 
est  la  folie  dune  créature  qui  embrasse  la  vie 
reUgieuse ,  sans  avoir  la  volonté  de  Dieu  pour  son 
guide. 

Car  je  vous  prie  de  considérer,  ma  très-chère 
sœur,  que  ce  n'est  pas  par  vos  propres  forces, 
que  vous  pouvez  accomplir  les  devoirs  de  la  vie 
religieuse.  C'est  donc  par  l'assistance  divine  :  et 
avec  quelle  confianceimploreriez-vous  l'assistance 
de  Dieu  pour  exécuter  une  chose ,  si  vous  laviez 
entreprise  contre  sa  volonté?  Par  conséquent 
songez  quelle  est  votre  vocation ,  et  que  ce  soit  là 
toute  votre  étude.  Sachez  que  la  perfection  de  la 
vie  chrétienne  n'est  pas  de  se  jeter  dans  un  cloître, 
mais  de  faire  la  volonté  de  Dieu  ;  c'est  là  notre 
nourriture ,  selon  ce  que  dit  le  Sauveur  :  JUeus 
cihusest,  ut  faciam  voluntatem  ejus  qui  ?nisit 
me*. 

Cependant  recevez,  des  mains  de  la  sainte 
Église,  le  voile,  qu'elle  vous  donnera,  béni  par 
l'invocation  du  nom  de  Dieu  qui  sanctifie  toutes 
choses.  Mais ,  en  même  temps ,  recevez  invisihle- 
ment  de  l'Esprit  de  Dieu  un  voile  spirituel,  qui 
est  la  simplicité  et  la  modestie  :  qu'elle  couvre  et 
vos  yeux  et  votre  visage  :  qu'elle  ne  vous  permette 
pas  d'élever  la  vue ,  sinon  à  ces  saintes  monta- 
gnes d'où  vous  doit  venir  le  secours.  Épouse  de 
Jésus-Christ ,  si  quelque  chose  vous  plaît ,  excepté 
Jésus,  vous  êtes  une  infidèle  et  une  adultère,  et 
votre  virginité  vous  tourne  en  prostitution.  Dé- 


»  Hehr.x,h,7. 
?  Joatt.  IV,  U. 


pouillez-vous  donc  généreusement  de  l'iiablt  du 
siècle  :  laissez- lui  sa  pompe  et  ^  vanités  ;  ornez 
votre  corps  et  votre  âme  des  choses  qui  plaisent 
à  votre  Époux  :  que  la  candeur  de  ^votre  inno- 
cence soit  colorée  par  l'ardeur  du  zèle ,  et  par  la 
pudeur  modeste  et  timide.  Ce  n'est  que  par  le  si- 
lence ,  ou  par  des  réponses  d'humilité ,  que  votre 
bouche  doit  être  embellie.  Insérez  à  vos  oreilles, 
c'est  Tertullien  qui  vousy  exhorte';  insérez  à  vos 
oreilles  la  sainte  parole  de  Dieu  :  ayez  votre  âme 
élevée  à  Dieu;  alors  votre  taille  sera  droite,  et 
votre  contenance,  agréable.  Que  toutes  vos  actions 
soient  animées  de  la  charité,  et  tout  ce  que  vous 
ferez  aura  bonne  grâce.  C'est  la  seule  beauté  que 
je  vous  souhaite;  parce  que  c'est  la  seule  qui  plaît 
au  Verbe  incarné  votre  Époux. 

Et  vous ,  mes  très-chères  sœurs ,  recevez  cette 
jeune  fille,  que  vous  avez  si  bien  élevée.  Hé 
Dieu,  que  pourrai-je  vous  dire  pour  votre  con- 
solation? sans  doute  votre  piété  a  déjà  prévenu 
tous  mes  soins.  Ah  !  que  le  Fils  de  Dieu  vous 
aura  donné  de  douceurs  en  mangeant  cette  même 
chair ,  cette  chair  sainte ,  cette  chair  vivante  et 
pleine  d'esprit  de  vie,  qu'il  a  prise  aujourd'hui 
pour  notre  salut  !  Achevez  votre  course  avec  le 
même  courage  :  veillez  en  prières  et  en  oraisons; 
et  surtout,  dans  ces  oraisons ,  priez  pom*  l'ordre 
ecclésiastique,  afin  qu'il  plaise  à  la  bonté  di- 
vine de  nous  faire  selon  son  cœur,  à  la  gloire 
de  la  sainte  Église ,  et  à  la  confusion  de  ses  en- 
nemis. Certes,  je  ne  craindrai  pas  de  le  dire, 
il  semble  que  la  Providence  divine  vous  a  con- 
duites en  ce  lieu  ,  non  sans  quelque  secret  con- 
seil :  ces  âmes  que  Dieu  a  retirées  des  ténèbres 
de  l'hérésie ,  pour  les  donner  à  l'Église  par  votre 
main,  en  sont  un  témoignage  évident.  Heureuses 
mille  et  mille  fois  d'être  employées  au  salut  dv 
âmes ,  pour  lesquelles  le  Sauveur  Jésus  a  répandu 
tout  son  sang!  rendez  à  sa  bonté  de  continuel- 
les actions  de  grâces  ;  imprimez  la  crainte  de  Dieu 
dans  ces  âmes  tendres  et  innocentes  que  l'on 
vous  a  confiées. 

Et  pour  vous,  ma  très-chère  sœur;  car  puis- 
que cet  entretien  a  commencé  par  vous,  il  faut 
que  ce  soit  par  vous  qu'il  finisse  :  revêtez-vous 
de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ;  souvenez-vous 
toute  votre  vie ,  pour  votre  consolation ,  que  vous 
vous  êtes  dédiée  à  l'épreuve  d'une  vie  plus  retirée 
et  plus  solitaire,  le  même  jour  que,  par  une 
bonté  infinie ,  il  s'est  jeté  dans  une  prison  volon- 
taire. N'oubliez  pas  aussi  que  cette  même  journée 
est  sainte  par  la  mémoire  de  la  très-pure  Marie. 
Priez-la  de  vous  assister  par  ses  pieuses  interces- 
sions ;  imitez  sa  pureté  augélique  et  son  obéis- 

'  De  CulL  femin.  11b.  U,  O'  13. 


314 


POUR  UNE  VÊTURE. 


sance  fidèle  :  dites  avec  elle .  de  tout  votre  cœur  : 
"■  Voici  la  servante  du  Seigneur,  qu'il  me  soit 
«  iait  selon  sa  parole.  »  Vivez ,  raa  très-chère 
sœur,  selon  la  parole  de  Dieu ,  et  vous  serez  ré- 
coinpensée "selon  sa  parole.  Si  vous  faites  selon 
la  parole  de  Dieu ,  il  vous  sera  fait  selon  sa  pa- 
role. Amen. 


*«ft<âw»«ea 


SERMON 

POUR  LA  VÉTURE 

D'UNE  POSTULANTE  BERNARDINE. 

Trois  espèces  de  captivités  qui  existent  dans  le  monde  : 
l'une  par  le  péché,  la  seconde  par  les  passions,  la  troisième 
par  l'empressement  des  affaires.  Moyens  efficaces  que  la  vie 
relifiiense  fournit  dans  sa  discipline,  ses  austérités;  son  éloi- 
gnement  du  monde,  pour  délivrer  les  âmes  de  cette  triple 
servitude. 


Si  vos  FHiu.1  Itberavcrit ,  vere  liheri  erltis. 

Vous  serez  vraiment  libres,  lorsque  le  Fils  vous  aura  dé- 
livrés. Joan.  vm,  36. 

Encore  qu'il  n'y  ait  rien  dans  le  monde  que 
les  hommes  estiment  tant  que  la  liberté,  j'ose 
dire  qu'il  n'y  a  rien  qu'ils  conçoivent  moins  ;  et 
ils  se  rendent  eux-mêmes  tous  les  jours  esclaves , 
par  l'affectation  de  l'indépendance.  Car  la  liberté 
qwi  nous  plaît,  c'est  sans  doute  celle  que  nous 
nous  donnons  en  suivant  nos  volontés  propres. 
Et  au  contraire  nous  lisons  dans  notre  évangile 
que  jamais  nous  ne  serons  libres ,  jusqu'à  ce  que 
le  Fils  de  Dieu  nous  ait  délivrés;  c'est-à-dire, 
qu'il  faut  être  libres ,  non  point  en  contentant  nos 
désirs ,  mais  en  soumettant  notre  volonté  à  une 
conduite  plus  haute.  C'est  ce  que  le  monde  a 
fîbine  à  comprendre ,  et  c'est  ce  que  votre  exem- 
ple nous  montre  aujourd'hui ,  ma  très-chère  sœur 
en  Jésus-Christ,  puisque,  renonçant  volontai- 
rement à  la  liberté  de  ce  monde ,  vous  venez 
vous  présenter  au  Sauveur  afin  d'être  son  affran- 
chie ,  et  tenir  de  lui  seul  votre  liberté  ;  et  vous 
ne  refusez,  pour  cela,  ni  la  dureté  ni  la  con- 
trainte de  cette  clôture ,  vous  ressouvenant  que 
Jésus,  cet  aimable  libérateur  de  nos  âmes,  afin 
de  nous  retirer  de  la  servitude  dans  laquelle 
nous  gémissions,  n'a  pas  craint  de  se  renfermer 
lui-même  jusf[ue  dans  les  entrailles  de  la  sainte 
Vierge,  après  que  l'ange  l'eut  saluée  par  ces 
mots ,  que  nous  lui  allons  encore  adresser,  pour 
implorer  le  Saint-Esprit  par  son  assistance  :  Ave, 
lUaria. 

Lorsque  l'Église  persécutée  voyait  ses  enfants 
^çalucs  en  prison  pour  la  cause  de  TÉvangile,  et 


que  les  empereurs  infidèles ,  désespérant  de  les 
pouvoir  vaincre  par  la  cruauté  des  supplices,  tâ- 
chaient du  moins  de  les  fatiguer  et  de  les  abat- 
tre par  l'ennui  d'une  longue  captivité  ;  un  célè- 
bre auteur  ecclésiastique  soutenait  leur  constance 
par  cette  pensée  :  ce  grand  homme,  c'est  Tertul- 
lien ,  leur  représentait  tout  le  monde  comme  une 
grande  prison ,  où  ceux  qui  aiment  les  biens  pé- 
rissables sont  captifs  et  chargés  de  chaînes  du- 
rant tout  le  cours  de  leur  vie.  «  Il  n'y  a  point, 
«  dit-il,  une  plus  obscure  prison  que  le  monde,  où 
'<  tant  de  sortes  d'erreurs  éteignent  la  véritable 
«  lumière,  ni  qui  contienne  plus  de  criminels, 
«  puisqu'il  y  en  a  presque  autant  que  d'hommes  ; 
«  ni  de  fers  plus  durs  que  les  siens ,  puisque  les 
«  âmes  mêmes  en  sont  enchaînées;  ni  de  cachots 
«  plus  remplis  d'ordures,  par  l'infection  de  tant 
«  de  péchés  et  de  convoitises  brutales  :  »  Majores 
tenebras  habet  mundus,  quœ  homiiium prœcor- 
dia  excœcant,  graviores  catenas  induit  mun- 
dus :  quœ  ipsas  animas  liominmn  constrin- 
gunt;  pejores  immunditias  expirât  mundus , 
libidines hominum.  «  Tellement,  poursuivait-il, 
«  ô  très-saints  martyrs,  que  ceux  qui  vous  arra- 
«  chent  du  milieu  du  monde,  pour  vous  mettre 
«  dans  des  cachots  ;  en  pensant  vous  rendre  cap- 
«  tifs,  vous  délivrent  d'une  captivité  plus  insup- 
«  portable  :  et ,  quelque  grande  que  soit  leur  fu- 
«  reur.  Us  ne  vous  jettent  pas  tant  en  prison,  qu'ils 
«  vous  en  tirent  :  »  Si  recogitemus  ipsum  magis 
mundum  carcerem  esse,  exisse  vos  e  carcere, 
qîtam  in  carcerem  iniroisse  intelligemus  ' 

Permettez-moi,  madame,  d'appliquer  à  l'ac- 
tion de  cette  journée  cette  belle  méditation  de 
TertuUien.  Cette  jeune  demoiselle  se  présente  à 
vous,  pour  être  admise  dans  votre  clôture,  comme 
dans  une  prison  volontaire  :  ce  ne  sont  point 
des  persécuteurs  qui  l'amènent;  elle  vient,  tou- 
chée du  mépris  du  monde  :  et  sachant  qu'elle 
a  une  chair  qui ,  par  la  corruption  de  notre  na- 
ture ,  est  devenue  un  empêchement  à  l'esprit , 
elle  s'en  veut  rendre  elle-même  la  persécutrice 
par  la  mortification  et  la  pénitence.  La  splen- 
deur d'une  famille  opulente ,  dont  elle  est  sortie, 
n'a  pas  été  capable  de  l'attirer  et  de  la  rappeler 
à  la  jouissance  des  biens  de  la  terre.  Bien  qu'elle 
sache  qu'aux  yeux  des  mondains  un  monastère 
est  une  prison  ;  ni  vos  grilles ,  ni  votre  clôture  ne 
l'étonnent  pas  :  elle  veut  bien  renfermer  son 
corps ,  afin  que  son  esprit  soit  libre  à  son  Dieu  ; 
et  elle  croit,  aussi  bien  que  TertuUien,  que  comme 
le  mondeest  une  prison,  en  sortir  c'est  la  liberté. 
Que  reste-t-il  donc ,  maintenant ,  sinon  que  nous 
fassions  parler  le  Fils  de  Dieu  même,  pour  la  fori 

'  Ad  Mart.  n"  B. 


POUR  UÎSE  VÉTUllE. 


31. 


lifier  dans  celle  pensée ,  et  que  nous  lui  fassions 
entendre  aujourd'hui  que  la  profession  reli- 
gieuse, à  laquelle  elle  va  se  préparer,  donne  la 
véritable  libené  d'esprit  aux  âmes  que  Jésus- 
Christ  y  appelle? 

Je  n'ignore  pas,  chrétiens  ,  que  la  proposition 
que  je  fais  semble  un  paradoxe  incroyable  :  que 
nous  appelons  liberté  ce  que  le  monde  appelle 
contrainte.  Mais  pour  faire  paraître,  en  peu  de 
paroles ,  la  vérité  que  j'ai  avancée ,  distinguons , 
avant  toutes  choses ,  ti'ois  espèces  de  captivités 
dont  la  vie  religieuse  affranchit  les  cœurs.  Et 
premièrement ,  il  est  assuré  que  le  péché  nous 
rend  des  esclaves;  c'est  ce  que  nous  enseigne  le 
Sauveur  des  âmes ,  lorsqu'il  dit  dans  son  Évan- 
gile :  Qui  facit  peccatum,  servus  est  peccati  '  : 
«  Celui  qui  fait  un  péché  en  devient  l'esclave.  » 
Secondement,  il  n'est  pas  moins  vrai  que  nos 
passions  et  nos  convoitises  nous  jettent  aussi  dans 
la  servitude  :  elles  ont  des  liens  secrets  qui  tien- 
nent nos  volontés  asservies.  Et  n'est-ce  pas  cette 
servitude  que  déplore  le  divin  apôtre  lorsqu'il 
parle  de  cette  loi  qui  est  en  nous-mêmes,  qui  nous 
contraint  et  qui  nous  captive ,  qui  nous  empêche 
d'aller  au  bien  avec  une  liberté  tout  entière  :  Per- 
ficere  aulem  non  invenio^l  Voilà  donc  deux 
espèces  de  captivités  :  la  première ,  par  le  péché  ; 
la  secimde,  par  la  convoitise.  Mais  il  faut  re- 
marquer, en  troisième  lieu,  que  le  monde  nous 
rend  esclaves  d'une  autre  manière ,  par  l'empres- 
sement des  affaires ,  et  par  tant  de  lois  diffé- 
rentes de  civilité  et  de  bienséance  que  la  coutume 
introduit,  et  que  la  complaisance  autorise.  C'est 
là  ce  qui  nous  dérobe  le  temps ,  c'est  là  ce  qui 
nous  dérobe  à  nous-mêmes;  c'est  ce  qui  rend 
notre  vie  tellement  captive  dans  cette  chaîne 
continuelle  de  visites ,  de  divertissements ,  d'oc- 
cupations ,  qui  naissent  perpétuellement  les  unes 
des  autres ,  que  nous  n'avons  pas  la  liberté  de 
peuser  à  nous  parmi  tant  d'heures  du  meilleur 
temps,  que  nous  sommes  contraints  de  donner 
aux  autres  ;  et  c'est ,  mes  sœurs ,  cette  servitude , 
dont  saint  Paul  nous  avertit  de  nous  dégager, 
en  nous  adressant  ces  beaux  mots  :  Pretio 
empli estis,  nolitefieri  servi hominum^  :  «  Vous 
«  êtes  rachetés  d'un  grand  prix,  ne  vous  ren- 
«  dez  pas  esclaves  des  hommes;  »  c'est-à-dire, 
si  nous  l'entendons,  que  nous  nous  délivrions  du 
poids  importun  de  ces  occupations  empressées 
et  de  tant  de  devoirs  différents  où  nous  jettent, 
presfiue  nécessairement,  les  lois  et  le  commerce 
du  monde.  Parmi  tant  de  servitudes  diverses, 
qui  oppriment  de  toutes  parts  notre  liberté ,  ne 

'  Joan.  viir,  34. 
»  Rom.  VII,  18. 
»  I.  Cor.  VU,  23. 


voyez-vous  pas  manifestement  que  jamais  nous 
ne  serons  libres  ,  si  le  Fils  ne  nous  affranchit,  et 
si  sa  main  ne  rompt  nos  liens  :  Si  vos  Filius  li- 
beraverit,  vere  liber i  eritis. 

Mais  s'il  y  a  quelqu'un  dans  l'Église  qui  puis.se 
aujourd'hui  se  glorifier  d'être  mis  en  liberté  par 
sa  grâce ,  c'est  vous ,  c'est  vous  principalement , 
chastes  épouses  du  Sauveur  des  âmes  ;  c'est  vous 
que  je  considère  comme  vraiment  libres ,  parce 
que  Dieu  vous  a  donné  des  moyens  certains  pour 
vous  délivrer  efficacement  de  cette  triple  servi- 
tude qu'on  voit  dans  le  monde ,  du  péché ,  des 
passions,  de  l'empressement.  Le  péché  est  exclu 
du  milieu  de  vous ,  par  l'ordre  et  la  discipline  re- 
ligieuse :  les  passions  y  perdent  leur  force ,  par 
l'exercice  de  la  pénitence.  Cet  empressement 
éternel  où  nous  engagent  les  devoirs  du  monde 
ne  se  trouve  point  parmi  vous ,  parce  que  sa  con- 
duite y  est  méprisée ,  et  que  ses  lois  n'y  sont  pas 
reçues  :  ainsi  l'on  y  peut  jouir  pleinement  de 
cette  liberté  bienheureuse  que  le  Fils  de  Dieu 
nous  promet  dans  les  paroles  que  j'ai  rapportées; 
et  c'est  ce  que  j'espère  de  vous  faire  entendre, 
avec  le  secours  de  la  grâce. 

PREMIER    POI^T. 

Dès  le  commencement  de  mon  entreprise,  il 
me  semble,  ma  chère  sœur,  qu'on  me  fait  un  se- 
cret reproche  :  que  c'est  mal  entendre  la  liberté , 
que  de  la  chercher  dans  les  cloîtres,  au  milieu 
de  tant  de  contraintes  et  de  cette  austère  régu- 
larité ,  qui ,  ordonnant  si  exactement  de  toutes 
les  actions  de  votre  vie ,  vous  tient  si  fort  dans  la 
dépendance,  qu'elle  ne  laisse  presque  plus  rien 
à  votre  choix.  La  seule  proposition  en  paraît 
étrange,  et  la  preuve,  fort  difficile.  Mai^  cette 
difficulté  ne  m'étonne  pas;  et  j'oppose  à  cette 
objection  ce  raisonnement  invincible ,  que  je 
propose  d'abord  en  peu  de  paroles ,  pour  vous 
en  donner  une  idée,  mais  que  j'étendrai  plus  au 
long  dans  cette  première  partie,  pour  vous  le 
rendre  plus  sensible.  Je  confesse  qu'on  se  con- 
traint dans  les  monastères  ;  je  sais  que  vous  y 
vivrez  dans  la  dépendance  :  mais  à  quoi  tend 
cette  dépendance ,  et  pourquoi  vous  soumettez- 
vous  à  tant  de  contraintes?  n'est-ce  pas  pour 
marcher  plus  assurément  dans  la  voie  de  >'otre- 
Seigneur,  pour  vous  imposer  à  vous-même  une 
heureuse  nécessité  de  suivre  ses  lois,  et  pour  vous 
ôter,  s'il  se  peut,  la  liberté  de  mal  faire,  et  la  li- 
berté de  vous  perdre?  Puis  donc  que  la  liberté 
des  enfants  de  Dieu  consiste  à  se  délivrer  du 
péché;  puisque  toutes  ces  contraintes  ne  sont 
établies  que  pour  en  éloigner  les  occasions ,  et 
en  détruire  le  règne  et  la  tyrannie,  ne  s'ensuit- 
il  pas  manifestement  que  la  vie  que  vous  voulea 


SI6 

embrasser,  et  dont  vous  allez  aujourd'hui  com- 
mencer l'épreuve ,  vous  donne  la  liberté  vérita- 
ble, après  laquelle  doivent  soupirer  les  âmes 
solidement  chrétiennes?  Un  raisonnement  si  so- 
lide est  capable  de  convaincre  les  plus  obstinés  : 
il  faut  que  tous  les  esprits  cèdent  à  une  doctrine 
si  chrétienne.  Mais  encore  qu'elle  soit  très-indu- 
bitable, il  n'est  pas  si  aisé  de  l'imprimer  dans 
les  cœurs  ;  on  ne  persuade  pas ,  en  si  peu  de 
mots ,  des  vérités  si  éloignées  des  sens ,  si  con- 
traires aux  inclinations  de  la  nature  :  mettons- 
les  donc  dans  un  plus  grand  jour,  voyons-en  les 
principes  et  les  conséquences;  et  puisque  nous 
parlons  de  la  liberté,  apprenons,  avant  toutes 
choses ,  à  la  bien  connaître. 

Car  il  faut  vous  avertir,  chrétiens,  que  les 
hommes  se  trompent  ordinairement  dans  l'opi- 
nion qu'ils  en  conçoivent;  et  le  fils  de  Dieu  ne 
nous  dirait  pas ,  dans  le  texte  que  j'ai  choisi,  qu'il 
veut  nous  rendre  vraiment  libres  :  vcre  liberi 
eritis,  si,  en  nous  faisant  espérer  une  liberté  vé- 
ritable, il  n'avait  dessein  de  nous  faire  entendre 
qu'il  y  en  a  aussi  une  fausse.  C'est  pourquoi  nous 
devons  nous  rendre  attentifs  à  démêler  le  vrai 
d'avec  le  faux ,  et  à  comprendre ,  nettement  et 
distinctement,  quelle  doit  être  la  liberté  d'une 
créature  raisonnable;  c'est  ce  que  j'ai  dessein  de 
vous  expliquer.  Et,  pour  cela,  remarquez,  mes 
sœurs,  trois  espèces  de  liberté ,  que  nous  pouvons 
nous  imaginer  dans  les  créatures.  La  première  est 
celle  des  animaux,  la  seconde  est  la  liberté  des 
rebelles;  la  troisième  est  la  liberté  des  enfants  de 
Dieu.  Les  animaux  semblent  libres,  parce  qu'on 
ne  leur  a  prescrit  aucunes  lois;  les  rebelles  s'ima- 
ginent l'être,  parce  qu'ils  secouent  l'autorité  des 
lois  :  les  enfants  de  Dieu  le  sont  en  effet ,  en  se  sou- 
mettant humblement  aux  lois  ;  telle  est  la  liberté 
véritable ,  et  il  nous  sera  fort  aisé  de  l'établir  très- 
solidement  par  la  destruction  des  deux  autres. 
*  Car  pour  ce  qui  regarde  cette  liberté  dont  jouis- 
sent les  animaux,  j'ai  honte  de  l'appeler  de  la 
sorte.  Il  est  vrai  qu'ils  n'ont  pas  de  lois  qui  répri- 
ment leurs  appétits  ou  dirigent  leurs  mouvements  ; 
mais  c'est  qu'ils  n'ont  pas  d'intelligence,  qui  les 
rende  capables  d'être  gouvernés  par  la  sage  direc- 
tion des  lois  :  ils  vont  où  les  entraîne  un  instinct 
aveugle,  sans  conduite  et  sans  jugement.  Et  ap- 
pellerons-nous liberté  cet  aveuglement  brute  et 
indocile,  incapable  de  raison  et  de  discipline? 
A  Dieu  ne  plaise ,  ô  enfants  des  hommes ,  qu'une 
telle  liberté  vous  plaise,  et  que  vous  souhaitiez 
jamais  d'être  libres  d'une  manière  si  basse  et  si 
ravalée  ! 

Ou  sont  ici  ces  hommes  brutaux ,  qui  trouvent 
toutes  les  lois  importunes;  et  qui  voudraient  les 
>oir  abolies,  pour  n'en  recevoir  que  d'eux-mêmes 


POUR  UiNE  VÉTLRE. 


et  de  leurs  désirs  déréglés?  S'ils  se  souviennent 
du  moins  qu'ils  sont  hommes,  et  (fh'ils  n'affectent 
pas  une  liberté  qui  les  range  avec  les  bêtes;  qu'ils 
écoutent  ces  belles  paroles,  que  Tertullien  sem- 
ble n'avoir  dites  que  pour  confirmer  mon  raison- 
nement :  «  Il  a  bien  fallu,  nous  dit-il,  que  DieU 
«  donnât  une  loi  à  l'homme  ;  «  et  cela ,  pour  quelle 
raison  ?  était-ce  pour  le  priver  de  sa  liberté  ?  <  ^ul- 
«  lement,  dit  Tertullien  ' ,  c'était  pour  lui  témoi- 
«  gner  de  l'estime  :  »  Lex  abjecta  homim,  ne 
non  tam  liber  quant  abjectus  videretur.  Cette 
liberté  de  vivre  sans  lois  eût  été  injurieuse  à  no- 
tre nature.  Dieu  eût  témoigné  qu'il  méprisait 
l'homme ,  s'il  n'eût  pas  daigné  le  conduire,  et  lui 
prescrire  l'ordre  de  sa  vie;  il  l'eût  traité  comme 
les  animaux,  auxquels  il  ne  permet  de  vivre  sans 
lois  qu'à  cause  du  peu  d'état  qu'il  en  ftiit ,  et  qu'il 
ne  laisse  libres  que  par  mépris  :  J^quandus  cœ- 
ieris  animanlibus,  solutis  a  Deo  et  exfastidio 
liberis,  dit  Tertullien».  Si  donc  il  nous  a  établi 
des  lois ,  ce  n'est  pas  pour  nous  ôter  notre  liberté , 
mais  pour  nous  marquer  son  estime;  c'est  qu'il 
a  voulu  nous  conduire  comme  des  créatures  in- 
telligentes; en  un  mot,  il  a  voulu  nous  traiter  en 
hommes.  Constitue,  Domine,  legislatorem  su- 
per eos  .*  «  0  Dieu ,  donnez-leur  un  législateur  ; 
«  modérez-les  par  des  lois  :  »  Ut  sciant  gentes 
quonia7n  homines  sunt^  :  «  afin  qu'on  sache  que 
«  ce  sont  des  hommes  »  capables  de  raison  et 
d'intelligence ,  et  dignes  d'être  gouvernés  par  une 
conduite  réglée  :  Constitue,  Domine,  legislaio-- 
rem  super  eos. 

Par  où  vous  voyez  manifestement  que  la  liberté 
convenable  à  l'homme ,  n'est  pas  d'affecter  de  vi- 
vre sans  lois.  Il  est  juste  que  Dieu  nous  en  donne  ; 
mais,  mes  sœurs,  il  n'est  pas  moins  juste  que 
notre  volonté  s'y  soumette  :  car  dénier  son  obéis- 
sance à  l'autorité  légitime,  ce  n'est  pas  liberté, 
mais  rébellion  ;  ce  n'est  pas  franchise ,  mais  in- 
solence. Qui  abuse  de  sa  liberté  jusqu'à  manquer 
de  respect,  mérite  justement  de  la  perdre  :  et  il 
en  est  ainsi  arrivé.  «  L'homme  ayant  mal  usé  de 
..  sa  liberté ,  il  s'est  perdu  lui-même ,  et  il  a  perdu 
«  tout  ensemble  cette  liberté  qui  lui  plaisait  tant  :  » 
Libcro  arbitrio  maie  utenshomo,  et  se  perdidit 
et  ipsum^.  Et  cela,  pour  quelle  raison?  C'est, 
parce  qu'il  a  eu  la  hardiesse  d'éprouver  sa  liberté 
contre  Dieu;  il  a  cru  qu'il  serait  plus  libre  s'il 
secouait  le  joug  de  sa  loi.  Le  malheureux,  sans 
doute,  mes  sœurs,  a  mal  connu  quelle  était  la 
nature  de  sa  liberté.  C'est  une  liberté,  remarquez 
ceci  ;  mais  ce  n'est  pas  une  indépendance  :  c'est 

I  Adv.  Marc-  lib.  it,  n"*. 

'  Ibid. 

'  /'*■•  1^.21.  .  ,   ^ 

<  S.  Juyit^t.  Eiichir.  cap.  xxx,  n"  0,  t  vi,çoU.a(H- 


POUR  UXK  VÊTURR. 


317 


une  liberté;  mais  elle  ne  l'exempte  pas  de  la  su- 
jétion qui  est  essentielle  ù  la  créature;  et  c'est 
ce  qui  a  abusé  le  premier  bomme.  Un  saint  pape 
a  dit  autrefois ,  qu'Adam  avait  été  trompé  par  sa 
liberté  :  Sua  in  œternum  libertate  deceptus  '. 
Qu'est-ce  à  dire  trompé  par  sa  liberté?  C'est  qu'il 
n'a  pas  su  distinguer  entre  la  liberté  et  l'indépen- 
dance; il  a  prétendu  être  libre,  plus  qu'il  n'ap- 
partenait à  un  homme  né  sous  l'empire  souverain 
de  Dieu.  Il  était  libre  comme  unbonfils  sous  l'au- 
torité de  son  père;  il  a  prétendu  être  libre  jusqu'à 
perdre  entièrement  le  respect ,  et  passer  les  bornes 
de  la  soumission.  Ma  sœur,  ce  n'est  pas  ainsi 
qu'il  faut  être  libre;  c'est  la  liberté  des  rebelles. 
Mais  la  souveraine  puissance  de  celui  contre  le- 
quel ils  se  soulèvent,  ne  leur  permet  pas  de  jouir 
longtemps  de  cette  liberté  licencieuse  :  bientôt  ils 
se  verront  dans  les  fers ,  réduits  à  une  servitude 
étemelle,  pour  avoir  voulu  étendre  trop  loin  leur 
fière  et  indocile  liberté. 

Quelle  étrange  franchise ,  mes  sœui-s ,  qui  les 
rend  captifs  du  péché,  et  sujets  à  la  vengeance 
di\ine  !  Voyez  donc  combien  les  hommes  se  trom- 
pent dans  i'idée  qu'ils  se  forment  de  la  liberté , 
et  adressez-vous  au  Sauveur,  afin  d'être  vraiment 
affranchies  :  Si  vos  Filius  liberaverit,  vere  liberi 
eritis.  C'est  de  là  que  vous  apprendrez  que  la  l  iberté 
véritable ,  c'est  d'être  soumis  aux  ordres  de  Dieu 
et  obéissant  à  ses  lois;  et  que  vous  la  bâtirez  soli- 
dement, sur  les  débris  de  ces  libertés  ruineuses. 
Et  il  est  aisé  de  l'entendre  par  là ,  si  vous  savez 
comprendre  la  suite  des  principes  que  j'ai  posés  : 
car,  comme  nous  l'avons  déjà  dit  ;  étant  nés  sous 
le  règne  souverain  de  Dieu ,  c'est  une  folie  mani- 
feste de  prétendre  être  indépendants.  Ainsi ,  notre 
liberté  doit  être  sujette  ;  et  elle  aura  d'autant  plus 
de  perfection ,  qu'elle  se  rendra  plus  soumise  à 
cette  puissance  suprême. 

Apprenez  donc ,  ô  enfants  des  hommes,  quelle 
doit  être  votre  liberté,  et  n'abusez  pas  de  ce  nom 
pour  favoriser  le  libertinage.  Le  premier  degré 
de  la  liberté,  c'est  la  souveraineté  et  l'indépen- 
dance; mais  cela  n'appartient  qu'à  Dieu  :  et 
c'est  pourquoi  le  second  degré,  où  les  hommes 
doivent  se  ranger,  c'est  d'être  immédiatement  au- 
dessous  de  Dieu ,  de  ne  dépendre  que  de  lui  seul  ; 
de  s'attacher  tellement  à  lui,  qu'il  soit,  par  ce 
moyen,  au-dessus  de  tout.  Voilà,  mes  sœurs, 
dit  Tertullien ,  la  liberté  qui  convient  à  l'homme  ; 
une  liberté  raisonnable ,  qui  sait  se  tenir  dans  son 
ordre  :  qui  ne  s'emporte  ni  ne  se  rabaisse ,  qui 
tient  à  gloire  de  céder  à  Dieu ,  qui  s'estimerait 
ravilie  de  se  rendre  esclave  des  créatures;  qui 
croit  ne  se  pouvoir  conserver,  qu'en  se  souraet- 

■  Innocent.  I.  Ep.  xxiT,  ad  Conc.  Carth.  Lab.  t.  ii,  col. 
1386. 


tant  à  celui  qui  lui  a  soumis  toutes  choses.  C'est 
ainsi  que  les  hommes  doivent  être  libres  :  Ut  ani- 
mal rationale,  intcllectus  et  scientiœ  capax, 
ipsa  quoqne  libertate  rationali  confincretur,  ei 
subjectus  qui  subjecerat  illi  omnia'.  C'est  ce 
que  je  vous  prie  de  comprendre  par  cette  compa- 
raison. Nous  voyons  que,  dans  un  État,  le  pre- 
mier degré  de  l'autorité ,  c'est  d'avoir  le  manie- 
ment des  affaires;  et  le  second,  de  s'attacher 
tellement  à  celui  qui  tient  le  gouvernail,  qu'en 
ne  dépendant  que  de  lui  nous  voyions  tout  le 
reste  au-dessous  de  nous. 

Ainsi ,  après  avoir  si  bien  établi  l'idée  qu'il  faut 
avoir  de  la  liberté,  je  ne  crains  plus,  ma  sœur, 
qu'on  vous  la  dispute;  et  je  demande  hardiment 
aux  enfants  du  siècle,  ce  qu'ils  pensent  de  leur 
liberté  en  comparaison  de  la  vôtre.  Mais  pourquoi 
les  interroger;  puisque  nous  avons  devant  nous 
un  homme  qui ,  ayant  passé  par  les  deux  épreuves 
de  la  liberté  des  pécheurs,  et  de  la  liberté  des 
enfants  de  Dieu,  peut  nous  en  instruire  par  son 
propre  exemple.  C'est  vous  que  j'entends,  ô  grand 
Augustin  :  car  peut-on  se  taire  de  vous,  aujour- 
d'hui que  toute  l'Église  ne  retentit  que  de  vos 
louanges,  et  que  tous  les  prédicateurs  de  l'Évan- 
gile, dont  vous  êtes  le  père  et  le  maître ,  tâchent 
de  vous  témoigner  leur  reconnaissance?  Que  j'ai 
de  douleur,  ô  très-saint  évêque,  ô  docteur  de 
tous  les  docteui*s,  de  ne  pouvoir  m'acquitter  d'un 
si  juste  hommage  !  Mais  un  autre  sujet  me  tient 
attaché;  et  néanmoins  je  dirai,  ma  sœur,  ce  qui 
servira  pour  vous  éclaircir  de  cette  liberté  que  je 
vous  prêche.  Augustin  a  été  pécheur,  Augustin 
a  goûté  cette  liberté  dont  se  vantent  les  enfants 
du  monde  :  il  a  contenté  ses  désirs  ;  il  a  donné  à 
ses  sens  ce  qu'ils  demandaient  :  c'est  ainsi  qne 
les  pécheurs  veulent  être  libres.  Augustin  aimait 
cette  liberté  ;  mais  depuis ,  il  a  bien  conçu  que  c'é- 
tait un  misérable  esclavage. 

Quel  était  cet  esclavage,  mes  sœurs?  Il  faut 
qu'il  vous  l'explique  lui-même  par  une  pensée  dé- 
licate ,  mais  pleine  de  vérité  et  de  sens.  J'étais 
dans  la  plus  dure  des  captivités.  Et  comment  celai 
Il  va  vous  le  dire  en  un  petit  mot  :  «  parce  que 
«  faisant  ce  que  je  voulais,  j'arrivais  où  je  ne  vou- 
«  lais  pas  :  »  Quoniam  volens,  quo  nollem  per- 
venerani  ^  Quelle  étrange  contradiction  !  se  peut- 
il  faire,  âmes  chrétiennes,  qu'en  allant  où  l'on 
veut  on  arrive  où  on  ne  veut  pas?  Il  se  peut ,  et 
n'en  doutez  pas  ;  c'est  saint  Augustin  qui  le  dit ,  et 
c'est  où  tombent  tous  les  pécheure.  Us  vont  où  ils 
veulent  aller:  ils  vont  à  leurs  plaisirs,  i!s  font  ce 
qu'ils  veulent  :  voilà  l'image  de  la  liberté  qui  les 
trompe  ;  mais  ils  arrivent  où  ils  ne  veulent  p;  s 

»  Adv.  Marc,  lib  n,  n'  4. 

»  Confess.  lib.  Vin,  cap.  v,  t.  i,  coL  U9. 


SIS 


POUR  UNE  VÉTURE. 


arriver,  à  la  peine  et  à  la  damnation  qui  leur  est 
due  :  et  voilà  la  servitude  véritable  que  leur  aveu- 
glement leur  cache.  Ainsi ,  dit  le  grand  saint  Au- 
gustin, étrange  misère  !  er  allant  par  le  sentier  que 
je  choisissais,  j'arrivais  au  lieu  que  je  fuyais  le  plus^ 
en  faisant  ce  que  je  voulais ,  j'attirais  ce  que  je 
ne  voulais  pas  :  la  vengeance ,  la  damnation ,  une 
dure  nécessité  de  pécher,  que  je  me  faisais  à  moi- 
même  par  la  tyrannie  de  l'habitude  :  Dum  con- 
suetudini non  resistitur,  facta  est  nécessitas^. 
Je  croyais  être  libre  ;  et  je  ne  voyais  pas ,  malheu- 
reux !  que  je  forgeais  mes  chaînes.  Par  l'usage  de 
ma  liberté  prétendue  je  mettais  un  poids  de  fer 
sur  ma  tête  que  je  ne  pouvais  plus  secouer;  et  je 
me  garrottais  tous  les  jours  de  plus  en  plus,  par 
les  liens  redoublés  de  ma  volonté  endurcie.  Telle 
était  la  servitude  du  grand  Augustin,  lorsqu'il 
jouissait ,  dans  le  siècle ,  de  la  liberté  des  rebelles. 
Mais  voyez  maintenant,  ma  sœur,  comme  il 
goûte ,  dans  la  retraite ,  la  sainte  liberté  des  en- 
fants. 

Quand  il  eut  pris  la  résolution ,  que  vous  avez 
prise ,  de  renoncer  tout  à  fait  au  siècle ,  d'en  quit- 
ter tous  les  honneurs  et  tous  les  emplois,  de 
rompre,  d'un  même  coup,  tous  les  liens  qui  l'y 
attachaient ,  pour  se  retirer  avec  Dieu  ;  ne  croyez 
pas  qu'il  s'imaginât  qu'une  tel  le  vie  fût  contrainte. 
Au  contraire ,  ma  chère  sœur,  combien  se  trou- 
va-t-il  allégé!  quelles  chaînes  crut-il  voir  tomber 
de  ses  mains  !  quel  poids  de  dessus  ses  épaules  ! 
Avec  quel  ravissement  s'écria-t-il  :  0  Seigneur, 
vous  avez  rompu  mes  liens  !  Quelle  douceur  ino- 
pinée se  répandit  tout  à  coup  dans  son  âme,  de 
ce  qu'il  ne  goûtait  plus  ces  vaines  douceurs  qui 
l'avaient  charmé  si  longtemps  :  Quant  suave  su- 
bito mihifactum  est  carere  suavitatibus  nuya- 
rum  *  !  Mais  avec  quel  épanchement  de  joie  vit-il 
naître  sa  liberté,  qu'il  n'avait  pas  encore  connue; 
liberté  paisible  et  modeste ,  qui  lui  fit  baisser  hum- 
blement la  tête  sous  le  fardeau  léger  de  Jésus- 
Christ  ,  et  sous  son  joug  agréable  :  De  quo  imo 
altoque  secreto  evocatum  est  in  momenio  libe- 
rum  arbitrium  meum,  quo  subderem  cervicem 
levijugo  tuo^l  C'est  lui-même  qui  nous  raconte 
ses  joies  avec  un  transport  incroyable. 

Croyez-moi,  ma  très-chère  sœur,  ou  plutôt 
croyez  le  grand  Augustin ,  croyez  une  personne 
expérimentée  ;  vous  éprouverez  les  mêmes  dou- 
ceurs et  la  même  liberté  d'esprit  dans  la  vie  dont 
vous  commencez  aujourd'hui  l'épreuve .  si  vous 
y  êtes  bien  appelée.  Yous  y  serez  dans  la  dépen- 
dance; mais  c'est  en  cela  que  vous  serez  libre, 
de  ne  dépendre  que  de  Dieu  seul ,  et  de  rompre 

»  Confesx.  lib.  Vin,  cap.  v,  1. 1,  col.  lis. 
'  Ibid.  lib.  IX,  cap.  i,  t.  r,  col.  157. 
»  Jbid. 


]  tous  les  autres  nœuds  qui  tiennent  les  hommes 
asservis  au  monde  :  vous  y  souffrirez  de  la  con- 
trainte ;  mais  c'est  pour  dépendra  d'autant  plus 
de  Dieu.  Et  ne  vous  avons-nous  pas  montré  clai- 
rement, que  la  liberté  ne  consiste  que  dans  cette 
glorieuse  dépendance?  Vous  perdrez  une  partie 
de  votre  liberté ,  au  milieu  de  tant  d'observances 
de  la  discipline  reiâgieuse  :  il  est  vrai ,  je  vous 
le  confesse;  mais  si  vous  savez  bien  entenflre 
quelle  liberté  vous  perdez ,  vous  verrez  que  cette 
perte  est  avantageuse. 

En  effet ,  nous  sommes  trop  libres  ;  trop  libres 
à  nous  porter  au  péché ,  trop  libres  à  nous  jeter 
dans  la  grande  voie  qui  nous  mène  à  la  perdition. 
Qui  nous  donnera  que  nous  puissions  perdre  cette 
partie  malheureuse  de  notre  liberté,  par  laquelle 
nous  nous  égarons ,  par  laquelle  nous  nous  ren- 
dons captifs  du  péché?  0  liberté  dangereuse,  que 
ne  puis-je  te  retrancher  de  mon  franc  arbitre! 
que  ne  puis-jem'imposermoi-mêmecette heureuse 
nécessité  de  ne  pécher  pas  !  Mais  cela  ne  se  peut 
durant  cette  vie  ;  cette  liberté  glorieuse ,  de  ne 
pouvoir  plus  servir  au  péché ,  c'est  le  partage 
des  saints,  c'est  la  félicité  des  bienheureux.  Nous 
aurons  toujours  à  combattre  cette  liberté  de  pé- 
cher, tant  que  nous  vivrons  en  ce  lieu  d'exil  et  de 
tentations. 

Que  faites-vous  ici ,  mes  très-chères  sœurs ,  et 
que  fait  la  vie  religieuse?  Elle  voudrait  pouvoir 
s'arracher  cette  liberté  de  mal  faire  :  elle  voit 
qu'il  est  impossible ,  elle  la  bride  du  moins  autant 
qu'il  se  peut;  elle  la  serre  de  près  par  une  dis- 
cipline sévère,  de  peur  qu'elle  ne  s'échappe:  elle 
se  retire ,  elle  se  sépare ,  elle  se  munit  par  une 
clôture;  c'est  pour  détourner  les  occasions,  pour 
empêcher,  s'il  se  peut,  de  pouvoir  jamais  servir 
au  péché  :  elle  seprive  des  choses  permises,  afin 
de  s'éloigner  d'autant  plus  de  celles  qui  sont  dé- 
fendues ;  elle  est  bien  aise  d'être  observée ,  elle 
cherche  des  supérieurs  qui  la  veillent  :  elle  veut 
qu'on  la  conduise  de  l'œil ,  qu'on  la  mène  tou- 
jours par  la  main,  afin  de  se  laisser  moins  de  li^ 
berté  de  s'écarter  de  la  droite  voie  ;  et  elle  a  raison 
de  ne  pas  craindre  que  ces  salutaires  contraintes 
lui  fassent  perdre  sa  liberté.  Ce  n'est  pas  s'opposer 
à  un  fleuve ,  ni  bâtii'  une  digue  en  son  cours  pour 
rompre  le  fil  de  ses  eaux ,  que  d'élever  des  quais 
sur  ses  rives,  pour  empêcher  qu'il  ne  se  déborde 
et  ne  perde  ses  eaux  dans  la  campagne;  au  con- 
traire c'est  lui  donner  le  moyen  de  couler  plus 
doucement  dans  son  lit ,  et  de  suivre  plus  certai- 
nement son  cours  naturel.  Ce  n'est  pas  perdre  sa 
liberté ,  que  de  lui  donner  des  bornes  deçà  et  delà, 
pour  empêcher  qu'elle  ne  s'égare  ;  c'est  l'adresser 
plus  assurément  à  la  voie  qu'elle  doit  tenir.  Par 
une  telle  précaution ,  on  ne  la  gêne  pas  ;  mais  on 


POUR  UNE  VÈTURE. 


31U 


la  conduit;  ceux-là  la  perdent ,  ceux-là  la  détrui- 
sent ,  qui  la  détournent  de  son  naturel ,  c'est-à- 

ire,  d'aller  à  son  Dieu. 
Ainsi  la  discipline  religieuse,  qui  travaille  avec 

tnt  de  soin  à  vous  rendre  la  voie  du  salut  unie, 
travaille,  par  conséquent,  à  vous  rendre  libre; 
et  j'ai  eu  raison  de  vous  dire ,  dès  le  commence- 
ment de  ce  discours,  que  la  clôture  que  vous  en- 
brassez  n'est  pas  une  prison  où  votre  liberté  soit 
opprimée  :  c'est  plutôt  un  asile  fortifié  où  elle  se 
défend  contre  le  péché,  pour  s'exempter  de  sa 
servitude.  Mais,  pour  l'affermir  davantage;  si 
elle  prend  garde  au  péché  par  la  discipline,  elle 
fait  quelque  chose  de  plus,  elle  monte  encore 
plus  haut:  elle  va  jusqu'à  la  source,  et  elle  dompte 
les  passions  par  les  exercices  de  la  mortification 
et  de  la  pénitence;  c'est  ma  seconde  partie. 

SECOND   POIST. 

Je  ne  m'étonne  pas ,  chrétiens ,  si  les  sages  ins- 
tituteurs de  la  vie  religieuse  et  retirée  ont  jugé 
a  propos  de  l'accompagner  de  plusieurs  pratiques 
sévères,  pour  mortifier  les  sens  et  les  appétits  : 
c'est  qu'ils  ont  considéré  l'homme  comme  un  ma- 
lade qui  avait  besoin  de  remèdes  forts ,  et  par 
conséquent  violents;  c'est  qu'ils  ont  vu  que  ses 
passions  le  tenaient  captif  par  une  douceur  per- 
nicieuse, et  ils  ont  voulu  la  corriger  par  une 
amertume  salutaire.  Que  cette  conduite  soit  sage, 
il  est  bien  aisé  de  le  justifier.  Dieu  même  en  use 
de  la  sorte ,  et  il  n'a  pas  de  moyen  plus  efficace 
de  nous  dégoûter  des  plaisirs ,  où  nos  passions 
nous  attirent ,  que  de  les  mêler  de  mille  douleurs, 
qui  nous  empêchent  de  les  trouver  doux.  C'est 
ce  qu'il  nous  a  moutré  par  plusieurs  exemples  ; 
mais  le  plus  illustre  de  tous,  c'est  celui  de  saint 
Augustin.  Il  faut  qu'il  vous  raconte  lui-même  la 
conduite  de  Dieu,  dans  sa  conversion;  qu'il 
vous  dise  par  quel  moyen  il  a  modéré  l'ardeur  de 
ses  convoitises,  et  abattu  leur  tyrannie.  Écoutez, 
il  vous  le  va  dire  ;  nous  nous  sommes  trop  bien 
trouvés  de  l'entendre,  pour  lui  refuser  notre  au- 
dience. 

\  oici  qu'il  élève  à  Dieu  la  voix  de  son  cœur, 
pour  lui  rendre  ses  actions  de  grâce.  Mais  de 
quoi  pensez-vous  qu'il  le  remercie?  est-ce  de  lui 
avoir  donné  tant  de  bons  succès,  de  lui  avoir 
fait  trouver  des  amis  fidèles ,  et  tant  d'autres 
choses  que  le  monde  estime?  ?fon ,  ma  sœur,  ne 
le  croyez  pas  :  autrefois  ces  biens  le  touchaient, 
11  témoignait  de  la  joie  dans  la  possession  de  ces 
biens;  il  parle  maintenant  un  autre  langage.  Je 
vous  remercie,  dit-il,  ô  Seigneur,  non  des  biens 
temporels  que  vous  m'accordiez ,  mais  des  peines 
et  des  amertumes  que  vous  mêliez  dans  mes  vo- 

ttes.  J'adore  votre  rigueur  miséricor- 


dieuse, qui,  par  le  mélange  de  cett«î  amertume, 
travaillait  à  m'ôter  le  goût  de  ces  douceurs  em- 
poisonnées. Je  reconnais,  ô  divin  Sauveur,  que 
vous  m'étiez  d'autant  plus  propice  que  vous  me 
troubliez  dans  la  fausse  paix  que  m»  s  sens  cher- 
chaient hors  de  vous,  et  que  vous  ne  me  permet- 
tiez pas  de  m'y  reposer  :  Te  propifio  tanto  magis, 
guajilo  minus  sinebas  mihi  dulcescere  quud 
non  eras  iW. 

Connaissons ,  par  ce  grand  exemple ,  combien 
la  sévérité  nous  est  nécessaire.  Les  liens  dont  nos 
passions  nous  enlacent  ne  peuvent  être  brisés  sans 
effort;  les  nœuds  en  sont  trop  serrés  et  trop  dé- 
licats, pour  pouvoir  être  défaits  doucement  :  il 
faut  rompre,  il  faut  déchirer,  il  faut  que  l'âme 
sente  de  la  violence,  de  peur  de  se  plaire  trop 
dans  ses  convoitises.  C'est  ainsi  que  Dieu  délivre 
ses  amis  fidèles  de  la  servitude  de  leurs  passions. 
Vous  le  voyez  en  saint  Augustin*.  Il  était  assoupi 
dans  l'amour  des  plaisirs  du  monde,  emporté  par 
ses  passions,  et  enchanté  par  les  maux  qui  plai- 
sent; il  était  blessé  jusqu'au  cœur,  et  il  ne  sen- 
tait pas  sa  blessure.  Dieu  a  appuyé  sa  main  sur 
sa  plaie,  pour  lui  faire  connaître  son  mal,  et  lui 
faire  tendre  les  bras  à  son  médecin  :  Sensum  rui- 
ne ris  tupungebas^.  Il  l'a  piqué  jusqu'au  vif  par 
les  afflictions,  pour  le  détourner  de  ses  convoiti- 
ses ,  et  exciter  ses  affections  endormies  à  la  re- 
cherche du  bien  véritable.  C'est  rendre  l'esprit 
plus  libre ,  que  de  brider  son  ennemi  et  le  tenir 
en  prison  tout  couvert  de  chaînes. 

Subissez  donc  le  joug  du  Sauveur;  et  aimez 
toutes  ses  contraintes ,  qui  vont  vous  rendre  au- 
jourd'hui son  affranchie  :  Si  vos  Filius  libera- 
verit,  vcre  liberi  eritis.  «  Je  ne  travaille  pas  en 
«  vain ,  dit  l'apôtre  ^ ,  mais  je  châtie  mon  corps 
«  et  je  le  réduis  en  servitude;  de  peur  qu'ayant 
«  prêché  aux  autres ,  je  ne  sois  réprouvé  moi- 
«  même.  «  Ce  n'est  pas  travailler  en  vain  que  de 
mettre  en  liberté  mon  esprit.  J'ai ,  dit-il ,  un  en- 
nemi domestique;  voulez-vous  que  je  le  fortifie, 
etqueje  le  rende  invincible  par  ma  complaisance? 
ne  vaut-il  pas  bien  mieux  que  j'appauvrisse  mes 
convoitises ,  qui  sont  infinies,  en  leur  refusant  ce 
quelles  demandent?  Tellement  que  la  vraie  liberté 
d'esprit ,  c'est  de  contenir  nos  affections  déréglées 
par  une  discipline  forte  et  vigoureuse ,  et  non  pas 
de  le  contenter  par  une  molle  condescendance. 

'  Confess.  lib.  vi ,  cap.  Tl ,  L  i ,  col.  123. 

*  «  Et  si  vous  vouiez  savoir  la  raison  de  cette  conduite  ad- 
«  mirable,  !e  même  saint  Augustm  vous  l'expliijuera  par  une 
O  excellente  doctrine  du  livre  v  contre  Julien.  Il  nous  apprend 
«  qu'il  y  a  en  nous  deux  sortes  de  maux,  »  etc.  r*ous  avons 
ici  retranché  ohisieurs  pages ,  parce  qu'elles  se  retrouvent , 
mot  à  mot,  dans  le  second  point  du  sermon  prêché  à  la 
véture  de  maJernoiselle  de  Bouillon.  (  Édit.  de  Déforis.') 

»  Confess.  lil).  Ti,  cap.  VI,  t.  i,  col.  123- 

'  I.  Cor.  X,  26,  27. 


t^OUR  UNE  VÊTURE. 


330 

Mais ,  outre  le  péché  et  les  passions ,  il  y  a  en- 
core d'autres  liens  à  rompre  :  cet  engagement  des 
affaires ,  ce  nombre  infini  de  soins  superflus  ;  et 
c'est  ce  qui  me  reste  à  vous  dire  dans  cette  der- 
uière  partie. 

TROISIÈME    POINT. 

Jusqu'ici ,  âmes  chrétiennes ,  nous  avons  dis- 
puté de  la  liberté  contre  des  hommes  qui  nous 
contredisent ,  et  que  nos  raisonnements  ne  con- 
vainquent pas  sur  le  sujet  de  leur  servitude;  car 
ils  ne  sentent  pas  celle  du  péché ,  parce  qu'ils 
n'ont  fait  que  ce  qu'ils  voulaient  :  ils  ne  s'aper- 
çoivent pas  non  plus  que  leurs  passions  les  con- 
traignent, parce  qu'ils  ne  s'opposent  pas  à  leur 
cours ,  et  qu'ils  en  suivent  la  pente  ;  si  bien  qu'ils 
n'entendent  pas  cette  servitude  que  nous  leur 
avons  reprochée.  Mais  dans  la  contrainte  dont 
je  dois  parler,  j'ai  un  avantage,  mes  sœui-s  :  que 
le  monde  est  presque  d'accord  avec  l'Évangile,  et 
qu'il  n'y  a  personne  qui  ne  confesse  que  cet  em- 
pressement éternel  où  nous  jettent  tant  d'occu- 
pations différentes  est  un  joug  extrêmement  im- 
portun, et  dur,  qui  contraint  étrangement  notre 
liberté.  N'employons  donc  pas  beaucoup  de  dis- 
cours à  prouver  une  vérité  qui  ne  nous  est  pas 
contestée  :  nos  adversaires  nous  donnent  les 
mains.  Le  monde  même ,  que  nous  combattons , 
se  plaint  tous  les  jours  qu'on  n'est  pas  à  soi ,  qu'on 
ne  fait  ce  que  l'on  veut  qu'à  demi ,  parce  qu'on 
nous  ôte  notre  meilleur  temps.  C'est  pourquoi  on 
ne  trouve  jamais  assez  de  loisir  :  toutes  les  heures 
s'écoulent  trop  vite ,  toutes  les  journées  finissent 
trop  tôt;  et  parmi  tant  d'empressements  il  faut 
bien  qu'on  avoue,  malgré  qu'on  en  ait,  qu'on  n'est 
pas  maître  de  sa  liberté. 

Telles  plaintes  sont  ordinaires  dans  la  bouche 
des  hommes  du  monde  ;  et  encore  que  je  sache 
qu'elles  sont  très-justes ,  je  ne  laisse  pas  de  main- 
tenir que  ceux  qui  les  font  ne  le  sont  pas  :  car 
souffrez  que  je  leur  demande  quelle  raison  ils  ont 
de  se  plaindre.  Si  ces  liens  leur  semblent  pesants, 
il  ne  tient  qu'à  eux  de  les  rompre  ;  s'ils  dési- 
rent d'être  à  eux-mêmes ,  ils  n'ont  qu'à  le  vouloir 
fortement ,  et  bientôt  ils  s'en  rendront  maîtres. 
Mais ,  mes  sœurs ,  ils  ne  veulent  pas.  Tel  se  plaint 
qu'il  travaille  trop  qui ,  étant  tiré  des  affaires ,  ne 
pourrait  souffrir  son  repos.  Les  journées  mainte- 
nant lui  semblent  trop  courtes,  et  alors  son  loisir 
lui  serait  à  charge  :  il  croira  être  sans  affaire 
quand  il  n'aura  plus  que  les  siennes  ;  comme  si 
c'était  peu  de  chose  que  de  se  conduire  soi-même. 

D'où  vient ,  mes  sœurs ,  cet  aveuglement  ;  si  ce 
n'est  que  notre  esprit  inquiet  ne  peut  goûter  le 
repos ,  ni  la  liberté  véritable?  Et  afin  de  le  mieux 
entendre,  remarquons,  s'il  vous  ptaît,  en  peu  de 


paroles,  qu'il  y  a  de  la  liberté  dans  le  repos,  et 
qu'il  y  en  a  aussi  dans  le  mouvement.  C'est  une 
h'berté  d'avoir  le  loisir  de  se  reposer,  et  c'est  aussi 
une  liberté  d'avoir  la  laculté  de  se  mouvoir.  Ii  y 
a  de  !a  liberté  dans  le  repos  :  car  quelle  liberté 
plus  solide  que  de  se  retirer  en  soi-même,  de  se 
faire  en  son  cœur  une  solitude ,  pour  penser  uni- 
quement à  la  grande  affaire ,  qui  est  celle  de  notre 
salut;  de  se  séparer  du  tumulte  où  nous  jette 
l'embarras  du  monde ,  pour  faire  concourir  tous 
ses  désirs  à  une  occupation  si  nécessaire?  C'est, 
mes  sœurs ,  cette  liberté  dont  jouissait  cet  ancien 
si  tranquillement,  lorsqu'il  disait  ces  belles  pa- 
roles :  Je  ne  m'échauffe  point  dans  un  barreau , 
je  ne  risque  rien  dans  la  marchandise ,  je  n'assiège 
pas  la  porte  des  grands,  je  ne  me  mêle  pas  dans 
leurs  dangereuses  intrigues  ;  je  me  suis  séquestré  j 
du  monde ,  parce  (pie  je  me  suis  aperçu  que  j'ai  - 
assez  d'affaires  en  moi-même  :  In  me  unicum 
negotium  niihi  est;  si  bien  qu'à  cette  heure  mon 
plus  grand  soin ,  c'est  de  retrancher  les  soins  su- 
perflus :  nihilaliud  euro  quant  ne  cicrem  '. 

Telle  est  la  liberté  véritable  ;  mais  elle  n'est 
pas  au  goût  des  hommes  du  siècle.  Cette  tranquil- 
lité leur  est  ennuyeuse,  ce  repos  leur  semble  une 
léthargie  :  ils  exercent  leur  liberté  d'une  autre 
manière ,  par  un  mouvement  éternel ,  errant  dans 
le  monde  deçà  et  delà,  lis  nomment  liberté  leur 
égarement;  comme  des  enfants  qui  s'estiment 
libres,  lorsque,  s'étant  échappés  de  la  maison 
paternelle,  où  ils  jouissaient  d'un  si  doux  repos, 
ils  courent  sans  savoir  où  ils  vont.  Voilà  la  li- 
berté des  hommes  du  monde  :  une  seule  affaire 
ne  leur  suffit  pas  pour  arrêter  leur  âme  inquiète; 
ils  s'engagent  volontairement  dans  une  chaîne 
continuée  de  visites ,  de  divertissements ,  d'occu- 
pations différentes ,  qui  naissent  perpétuellement 
les  unes  des  autres  ;  ils  ne  se  laissent  pas  un  mo- 
ment à  eux  parmi  tant  d'heures  du  meilleur 
temps ,  qu'ils  s'obligent  insensiblement  à  donner 
aux  autres.  Au  milieu  d'un  tel  embarras ,  il  est 
vrai  qu'ils  se  sentent  quelquefois  pressés  :  ils  se 
plaignent  de  cette  contrainte;  mais,  au  fond,  ils 
aiment  cette  servitude ,  et  ils  ne  laissent  pas  de 
se  satisfaire  d'une  image  de  liberté  qui  les  flatte. 
Comme  un  arbre  que  le  vent  semble  caresser,  en 
se  jouant  avec  ses  feuilles  et  avec  ses  branches  : 
bien  que  ce  vent  ne  le  flatte  qu'en  l'agitant ,  et  U 
pousse  tantôt  d'un  côté  et  tantôt  d'un  autre  avec 
une  grande  inconstance  ;  vous  diriez  toutefois  que 
l'arbre  s'égare ,  par  la  liberté  de  son  mouvement  : 
ainsi ,  dit  le  grand  Augustin ,  encore  que  les  hom- 
mes du  monde  n'aient  pas  de  liberté  véritable , 
étant  toujours  contraints  de  céder  aux  divers 

•  Tcrtnll.  de  Paîl.  n"  5. 


POUR  UNE  VÈTURE. 


emplois  nui  los  pressent  ;  toutefois  ils  s'imaginent 
jiHïii  iluii  certain  air  de  liberté  et  de  paix,  en 
IM-omenant,  deçà  et  delà,  leurs  désirs  vagues  et 
iiH-eitains  :  Tanquam  olivœ  pendentes  in  arbore, 
ihicmtibusventis ,  quasi  quadam  libcrtate  aurœ 
jyr/ruentes  vago  quadam  desiderio  suo  '. 

Quelle  est ,  ma  sœur,  cette  liberté  qui  ne  nous 
permet  pas  de  penser  à  nous ,  et  qui ,  nous  déro- 
bant tout  notre  temps ,  nous  mène  insensible- 
ment à  la  mort ,  avant  que  d'avoir  appris  com- 
ment il  faut  vivre?  Si  c'est  cette  liberté  que  vous 
j)ertlez  en  vous  jetant  dans  ce  monastère ,  pou- 
vez-vous  y  avoir  regret?  Au  contraire,  ne  de- 
vez-vous pas  rendre  grâces  à  Dieu  d'une  perte 
si  fructueuse?  Si  vous  demeurez  dans  le  siècle, 
il  vous  arrivera  ce  que  dit  l'apôtre  :  «  Vous  vous 
«  v  occuperez  du  soin  des  choses  du  monde ,  et 
«  vous  vous  trouverez  partagée  et  divisée  :  »  Sol- 
licilus  est  quœ  sunt  mundi,  et  divisus  est  ^ 
Votre  liberté  sera  diNisée  au  milieu  des  soins  de 
la  terre  :  une  partie  se  perdra  dans  les  visites  ;  une 
autre  dans  les  soins  de  l'économie ,  [dans  l'at- 
tention à  un  mari,  l'application  aux  affaires  de 
sa  maison ,  l'éducation  de  ses  enfants ,  l'établis- 
sement de  sa  famille.  ]  Parmi  tant  de  troubles  et 
d'eniprcsscmcnls,  presque  toute  votre  liberté  sera 
engagée  :  si  vous  y  donnez  quelque  temps  à  Dieu, 
il  faudra  le  dérober  aux  affaires.  Dans  la  religion , 
elle  est  toute  à  vous  ;  il  n'y  a  heure ,  il  n'y  a  mo- 
ment qucvousne  puissiez  ménager,  et  le  donner 
saintement  à  Dieu. 

Toutefois  n'entrez  pas  témérairement  dans  une 
profession  si  relevée.  L'Église ,  qui  vous  y  voit 
avancer,  vous  arrête  dès  le  premier  pas  :  elle  vous 
ordonne  de  vous  éprouver,  et  d'examiner  votre 
Aocation.  Je  vous  ai  dit,  et  il  est  très-vrai ,  que 
la  vie  que  vous  embrassez  a,  sans  doute,  de  grands 
avantages,  mais  je  ne  puis  vous  dissimuler  qu'elle 
a  de  grandes  difficultés,  pour  celles  qui  n'y  sont 
pas  appelées.  Éprouvez- vous  donc  sérieusement  ; 
it  si  vous  ne  sentez  en  vous-même  un  extrême  dé- 
-Toùt  du  monde,  unesainte  et  divine  ardeur  pour  la 
erfection  chrétienne  :  sortez,  ma  sœur,  de  cette 
clôture,  et  ne  profanez  pas  ce  lieu  saint.  Que  si 
Dieu ,  comme  je  le  pense ,  vous  a  inspiré  ,  par  sa 
grâce,  le  mépris  des  vanités  de  la  terre,  et  un 
chasto  désir  d'être  son  épouse ,  que  tardez-vous 
de  vous  revêtir  de  l'habit  que  votre  Époux  vous 
prépare?  et  pourquoi  vois-je  encore  sur  votre  per- 
sonne tous  les  vains  ornements  du  monde ,  c'est- 
à-dire,  la  marque  de  sa  servitude?  «Rejetez  loin 
«  d'une  tête  libre  tout  ce  vain  attirail ,  qui  ne  peut 
•  convenir  qu'à  des  esclaves  :  »  Omnem  hune 


f  In  Px  r.xxxvi,  n°  9,  t.  iv,  col.  lôis. 
•  I.  Cor.  VII,  33. 


3?1 

omatus  scrvitutem  a  lîherr  rnpitc  depellitc  •. 

Et  ne  vous  étonmz  pas,  si  je  dis  que  cet  habit 
est  la  marque  de  sa  servitude  :  '.^ar  qu'est-ce  que 
la  servitude  du  siècle?  C'est  un  attachement  aux 
soins  superflus  :  c'est  ôter  le  temps  à  la  vérité , 
pour  le  donner  à  la  vanité.  La  nécessité  et  la  pu- 
deur ont  fait  autrefois  les  premiers  habits;  la 
bienséance  s'en  étant  mêlée ,  elle  y  a  ajouté  quel- 
ques ornements.  La  nécessité  les  avait  faits  sim- 
ples ;  la  pudeur  les  faisait  modestes  :  la  bienséance 
se  contentait  de  les  faire  propres;  mais  la  curio- 
sité s'y  étant  jointe,  la  profusion  n"a  plus  eu  de 
bornes  ;  et  pour  orner  un  corps  mortel ,  presque 
toute  la  nature  travaille ,  presque  tous  les  métiers 
suent ,  presque  tout  le  temps  s'y  consume.  Com- 
bien en  a-t-on  employé  à  ce  vain  ajustement  qui 
vous  environne?  combien  d'heures  s'y  sont  écou- 
lées? Et  n'est-ce  pas  une  servitude  ?  Omnem  hune 
omatus  servitutctn  a  libero  capite  depellUe. 

Que  dirai -je  de  la  coiffure?  C'est  ainsi  que  le 
monde  prodigue  les  heures,  c'est  ainsi  qu'il  se 
joue  du  temps  :  il  le  prodigue  jusqu'aux  cheveux  ; 
c'est-à-dire ,  la  chose  la  plus  nécessaire ,  à  la  chose 
la  plus  inutile.  La  nature,  qui  ménage  tout ,  jette 
les  cheveux  sur  la  tête  avec  négligence ,  comme 
un  excrément  superflu.  Ce  que  la  nature  regarde 
comme  superflu ,  la  curiosité  en  fait  une  affaire  : 
elle  devierM  inventive  et  ingénieuse ,  pour  se  faire 
une  étude  d'une  bagatelle,  et  un  emploi  d'un 
amusement.  N'ai-je  donc  pas  raison  de  vous  dire 
que  ces  superbes  ornements  du  siècle ,  c'est  l'ha- 
bit de  la  servitude? 

Venez  donc,  ma  très-chère'  sœur,  venez  rece- 
voir des  mains  de  Jésus  les  ornements  de  la  li- 
berté. On  changeait  autrefois  d'habit  à  ceux  que 
l'on  voulait  affranchir;  et  voici  qu'on  vous  pré- 
sente humblement  au  divin  auteur  de  la  liberté  ; 
afin  qu'il  lui  plaise  de  vous  dépouiller  aujour- 
d'hui de  toutes  les  marques  de  votre  esclavage. 
Qu'on  ne  trouble  point,  par  des  pleurs,  une  si 
sainte  cérémonie  ;  que  la  tendresse  de  vos  parents 
ne  s'imagine  pas  qu'elle  vous  perde ,  lorsque  Jé- 
sus-Christ vous  prend  en  sa  garde.  Quoi  !  ce  chan- 
gement d'habit  vous  doit-il  surprendre?  Si  le 
siècle  jusqu'ici  vous  a  habillée ,  doit-on  vous  enr- 
vier  le  bonheur  que  Jésus-Christ  vous  revête  à 
sa  mode?  Quittez,  quittez  donc  ces  vains  orne- 
ments, et  toute  cette  pompe  étrangère.  Receve» 
des  mains  de  l'Église  le  dévot  habit  du  grand 
saint  Bernard;  ou  plutôt  représentez- vous  la 
main  de  Jésus  invisihlement  étendue  :  c'est  lui 
qui  vous  environne  de  cette  blancheur,  pour  être 
le  symbole  de  votre  innocence;  c'est  lui  qui  voua 
couvre  de  ce  sacré  voile,  qui  sera  le  rempart  de 


TertHlI.  de  CnU./em.  lib.  »,  n'  7. 


91 


S2Î 

votre  pudeur,  le  sceau  inviol a])le  de  votre  re- 
traite ,  la  marque  fidèle  de  votre  obéissance. 

Mais,  en  vous  dépouillant  des  habits  du  siè- 
cle, dépouillez-vous  aussi  au  dedans  de  toutes  les 
vanités  de  la  terre.  Ne  vous  laissez  pas  éblouir  au 
faux  brillant  que  jette  aux  yeux  la  grandeur 
humaine  :  songez  que  les  soins ,  les  inquiétudes , 
et  encore  le  dépit  et  le  chagrin ,  ne  laissent  pas 
souvent  de  nous  dévorer  sous  l'or  et  les  pierre- 
ries; et  que  le  monde  est  plein  de  grands  et  il- 
lustres malheureux  que  tous  les  hommes  plain- 
draient, si  l'ignorance  et  l'aveuglement  ne  les 
faisaient  juger  dignes  d'envie.  Réjouissez-vous 
donc  saintement  en  votre  innocente  simplicité, 
<[ui  donnera  plus  de  lustre  à  votre  famille  que 
toutes  les  grandeurs  de  la  terre.  Car  s'il  est  glo- 
rieux à  votre  maison  d'avoir  mérité  tant  d'hon- 
neurs ,  c'est  un  nouveau  degré  d'élévation  de  les 
savoir  mépriser  généreusement  ;  et  je  la  trouve 
bien  mieux  établie  de  s'étendre  si  avant ,  par  vo- 
tre moyen ,  jusque  dans  la  maison  de  Dieu ,  que 
de  s'être  unie  par  ses  alliances  à  tout  ce  que  cette 
grande  ville  a  de  plus  illustre.  Encore  que  l'on 
ait  vu  vos  prédécesseurs  remplir  les  places  les  plus 
importantes ,  ne  leur  enviez  pas  la  part  qu'ils  ont 
eue  au  gouvernement  de  l'État;  mais  tâchez  de 
leur  succéder  en  la  grâce  que  Dieu  leur  a  faite, 
<le  se  bien  gouverner  eux-mêmes.  Quel  honneur 
ferez-vous,  ma  sœur,  à  ceux  qui  vous  ont  donné 
la  naissance,  en  purifiant  tous  les  jours,  par  la 
perfection  religieuse ,  ces  excellentes  dispositions 
qu'une  bonne  naissance  vous  atransmises;  qu'une 
sage  éducation  et  l'exemple  de  la  probité ,  qui  luit 
de  toutes  parts  dans  votre  famille,  ont  si  heureu- 
sement cultivées  ! 

*  Qui  pourrait  rapporter  les  lois  importunes 
que  le  monde  s'est  imposées  ?  Premièrement  il 
nous  accable  d'affaires  qui  consument  tout  notre 
loisir;  comme  si  nous  n'avions  pas  nous-mêmes 
une  affaire  assez  importante,  [dans  cette  appli- 
cation que  nous  devons  donner  ]  à  régler  les  mou- 
vements de  nos  âmes  !  Combien  dérobe-  t-il  tous 
les  jours  aux  personnes  de  votre  sexe  du  temps 
qu'elles  emploieraient  à  orner  leur  esprit,  par  le 
soin  inutile  de  parer  le  corps  !  Combien  de  sortes 
d'occupations  a-t-il  enchaînées  les  unes  aux  au- 
tres! quel  commerce  de  visites,  quels  détours  de 
cérémonies  a-t-il  inventés,  pour  nous  tenir  dans 
un  mouvement  éternel ,  qui  ne  nous  laisse  pres- 
que pas  un  moment  à  nous ,  et  dont  le  monde  ne 
cesse  de  se  plaindre!  Quelle  liberté  peut-on  con- 
cevoir dans  cette  cruelle  nécessité  de  perdre  le 

*  Bossuet  a  compose  ce  qui  suitjusqu'à  la  fin  du  discours, 
pour  donner  une  nouvelle  forme  au  troisième  point  de  son 
eermon.  (  Édit.  de  Déforis.  ) 


POUR  m^  VÊTURE. 


temps,  qui  nous  est  donné  pour  réternité  par  tant 
d'occupations  mutiles  qui  nous  font  insensible- 
ment venir  à  la  mort,  avant  que  d'avoir  appris 
comment  il  faut  vivre? 

Et  cette  autre  nécessité  qu'on  s'impose,  de  se 
faire  considérer  dans  le  monde  :  n'est-ce  pas  en- 
core une  servitude  qui  nous  rend  esclaves  de  ceux 
auxquels  nous  sommes  obligés  de  plaire;  qui 
nous  assujettit  au  Qu'en  dira-t-on,  et  à  tant  de 
circonspections  importunes;  qui  nous  fait  vivre 
tout  pour  les  autres,  comme  si  nous  ne  devions 
pas  enfin  mourir  pour  nous-mêmes?  Quelle  fo- 
lle ,  quelle  illusion ,  de  s'établir  cette  dure  loi  de 
faire  toujours  une  vie  publique,  puisque  enfin  nous 
devons  tous  faire  une  fin  privée! 

Au  milieu  de  tant  de  captivités ,  les  hommes 
du  siècle  s'estiment  libres  :  et  parmi  toutes  ces 
lois  et  toutes  ces  contraintes  du  monde  [ils  nous 
vantent  leur  indépendance!.  Mais  vous ,  ma  sœur, 
vous  êtes  libre  pour  Jésus-Christ  :  son  sang  vous 
a  acheté  la  liberté  ;  ne  vous  rendez  point  esclave 
des  hommes ,  mais  sacrifiez  votre  liberté  à  Jésus- 
Christ  seul  :  Pretio  empti  estis ,  noiitejieri  servi 
hominum  '.  Que  si  le  monde  a  ses  contraintes, 
que  je  vous  trouve  heureuse ,  ma  sœur,  vous  qui , 
estimant  trop  votre  liberté  pour  la  soumettre  aux 
lois  de  la  terre,  professez  hautement  que  vous 
ne  voulez  vous  captiver  que  pour  l'amour  de  ce- 
lui qui ,  étant  le  maître  de  toutes  choses ,  s'est 
rendu  esclave  pour  nous,  afin  de  nous  tirer  de  la 
servitude!  Dépouillez  donc  courageusement,  dé- 
pouillez, avec  cet  habit  séculier,  toute  la  servi- 
tude du  monde;  rompez  toutes  ses  chaînes,  et 
oubliez  toutes  ses  caresses  :  il  vous  offrait  des 
fleurs;  mais  le  moindre  vent  les  aurait  séchées  : 
votre  éducation  et  votre  naissance  vous  promet- 
taient de  grands  avantages;  mais  la  mort  vous 
les  aurait  enfin  enlevés.  Ne  songez  plus,  ma  sœur, 
à  ce  que  vous  étiez  dans  le  siècle ,  si  ce  n'est  pour 
vous  élever  au-dessus  ;  et  apprenez  de  saint  Rer- 
nard  votre  père ,  que  la  religieuse  qui  s'en  sou- 
vient trop  «  ne  dépouille  pas  le  vieil  homme ,  mais 
«  le  déguise  par  le  masque  du  nouveau  :  »  Vete- 
rem  hominen  non  exuit,  sed  novo  palliât  '. 

Que  vous  sert  de  voir  votre  race  ornée  par  la 

noblesse  des  croix  de  Malte ,  et  par  la  majesté  des 

sceaux  de  France,  qui  ont  été  avec  tant  d'éclat 

dans  votre  maison?  Que  vous  sert  d'être  née  d'un 

père  qui  a  rempli  si  glorieusement  la  première 

place  dans  l'un  de  nos  plus  augustes  sénats  ;  plus 

encore  par  l'autorité  de  sa  vertu,  que  par  celle 

de  sa  dignité?  Que  vous  sert  tant  de  pourpre  qui 

brille  de  toutes  parts  dans  votre  famille?  En  ce 


•  I.  Cor.  vu,  2:?. 

■  In  Caiil.  Serm.  XYf,  n"  9,  t.  I,  col.  1315. 


I 


POUR  UNE  VÊTU  RE. 


S53 


dernier  jugement  de  Dieu,  où  nos  consciences  se- 
ront découvertes,  vous  ne  serez  par  estimée  pai 
ces  ornements  étrangers  5  mais  par  ceux  que  vous 
aurez  acquis  par  vos  bonnes  œuvres  :  tellement 
que  vous  ne  devez  retenir  de  ce  que  vous  avez  vu 
dans  votre  maison,  que  les  exemples  de  probité 
que  l'on  y  admire,  et  dans  lesquels  vous  avez 
été  si  bien  élevée. 

Et  que  l'on  ne  croie  pas  qu'en  quittant  le  monde, 
vous  ayez  aussi  quitté  les  plaisirs  :  vous  ne  les 
quittez  pas  5  mais  vous  les  changez.  Ce  n'est  pas  les 
perdre ,  ma  sœur,  que  de  les  porter  du  corps  à 
l'esprit ,  et  des  sens  dans  la  conscience.  Que  s'il  y 
a  quelque  austérité  dans  la  profession  que  vous 
embrassez ,  c'est  que  votre  vie  est  une  milice,  où 
les  exercices  sont  laborieux,  parce  qu'ils  sont 
forts ,  et  où  plus  on  se  durcit  au  travail,  plus  on 
espère  de  remporter  de  victoires.  Mesurez  la  gran- 
deur de  votre  victoire,  par  la  dureté  de  votre  fa- 
tigue. Votre  corps  est  renfermé,  mais  l'esprit  est 
libre  :  il  peut  aller  jusqu'auprès  de  Dieu  ;  et  quand 
l'âme  sera  dans  le  ciel,  le  corps  ne  souffrira  rien 
sur  la  terre.  Promenez- vous  en  esprit ,  et  ne  cher- 
chez point  pour  cela  de  longues  allées  :  entrez  par 
la  magnifique  étendue  du  chemin  qui  conduit  à 
Dieu  ;  que  tous  les  autres  vous  soient  fermés  :  vous 
serez  toujours  assez  libre,  pourvu  que  celui-ci 
soit  ouvert  pour  vous  ;  et  tant  que  vous  marche- 
rez dans  les  voies  de  Dieu ,  vous  ne  serez  jamais 
resserrée.  Ne  tenez  votre  liberté  que  de  Jésus- 
Christ;  n'ayez  que  celle  qu'il  vous  présente,  et 
vous  serez  véritablement  affranchie  :  parce  que  sa 
main  puissante  vous  délivrera,  premièrement, 
de  la  tyrannie  du  péché,  par  les  saintes  précau- 
tions de  la  discipline  religieuse ,  par  lesquelles 
vous  tâchez  de  vous  imposer  cette  heureuse  né- 
cessité de  ne  pécher  plus;  puis  de  celle  des  pas- 
sions et  des  convoitises,  par  la  mortification  et  la 
pénitence,  par  laquelle  vous  dompterez  les  maux 
qui  vous  flattent ,  et  vous  saûctifierez  les  maux 
qui  vous  blessent,  et  enfin  de  toutes  ces  lois  im- 
portunes que  le  monde  s'est  imposées  par  ses 
bienséances  imaginaires,  qui  ne  nous  permettent 
pas  de  vivre  à  nous-mêmes ,  ni  de  profiter  du 
temps  pour  l'éternité.  Telle  sera  votre  liberté 
dans  le  siècle ,  jusqu'à  temps  que  le  Fils  de  Dieu , 
surmontant  en  vous  la  corruption  et  la  mort, 
vous  rendra  parfaitement  libre  dans  la  bienheu- 
reuse immortalité.  Amen. 


SERMON 


PRtCMÉ 

A  LA  VÊTURE  D'UNE  POSTULARTE 

BERNARDINE. 

Comment  l'homme,  par  son  péché,  est-il  devenu  l'esclave 
de  toutes  les  créatures.  Trois  lois  qui  captivent  dans  le 
monde  ses  amateurs  Avec  quelle  justice  l'homme  est  aban- 
doimé  à  l'illusion  des  biens  apparents.  Combien  fausse  et 
chimérique  la  lilierlé  dont  se  vanlenl  les  pécheurs.  En  quoi 
consiste  la  liberté  véritable.  Toute  la  awuluite  et  tous  les 
exercices  de  la  vie  religieuse,  destinés  à  la  procurer  ou  à  la 
maintenir. 


Si  vos  Filius  liberaverit,  vere  liberi  eritis. 

Vous  serez  vraiment  libres ,  quand  le  Fils  vous  aura  déli- 
vrés. Joan.  y  ni. 

Cette  jeune  fille  se  présente  à  vous ,  mesda- 
mes ,  pour  être  admise  dans  votre  cloître ,  comme 
dans  une  prison  volontaire  *.  Ce  ne  sont  point  des 
persécuteurs  qui  l'amènent  :  elle  vient,  touchée 
du  mépris  du  monde;  et  sachant  qu'elle  a  une 
chair  qui ,  par  la  corruption  de  notre  nature ,  est 
devenue  un  empêchement  à  l'esprit ,  elle  s'en  veut 
rendre  elle-même  la  persécutrice  par  la  mortifi- 
cation et  la  pénitence.  La  tendresse  d'une  bonne 
mère  n'a  pas  été  capable  de  la  rappeler  aux  dou- 
ceurs de  ses  embrassements  :  elle  a  surmonté  les 
obstacles  que  la  nature  tâchait  d'opposer  à  sa  gé- 
néreuse résolution  ;  et  l'alliance  spirituelle,  qu'elle 
a  contractée  avec  vous  par  le  Saint-Esprit ,  a  été 
plus  forte  que  celle  du  sang.  Elle  préfère  la  blan- 
cheur de  saint  Bernard  à  l'éclat  de  la  pourpre, 
dans  laquelle  nous  pouvons  dire  qu'elle  a  pris 
naissance  ;  et  la  pauvreté  de  Jésus-Christ  lui  plaît 
plus  que  les  richesses  dont  le  siècle  l'aurait  vue 
parée.  Bien  qu'elle  sache  qu'aux  yeux  des  mon- 
dains un  monastère  est  une  prison  ;  ni  vos  gril- 
les, ni  votre  clôture  ne  l'étonnent  pas  :  elle  veut 
bien  renfermer  son  corps ,  afin  que  son  esprit 
soit  libre  à  son  Dieu  ;  et  elle  croit ,  aussi  bien  que 
Tertullien  '  :  que  comme  le  monde  est  une  pri- 
son ,  en  sortir  c'est  la  liberté. 

Et  certes ,  ma  très-chère  sœur ,  il  est  vérita- 
ble c|ue ,  depuis  la  rébellion  de  notre  nature,  tout 
le  monde  est  rempli  de  chaînes  pour  nous.  Tant 
que  l'homme  garda  l'innocence  que  son  Créateur 
lui  avait  donnée,  il  était  le  maître  absolu  de  tout  ce 
qui  se  voit  dans  le  monde  :  maintenant  il  en  est 
l'esclave,  son  péché  l'a  rendu  captif  de  ceux  dont 

*  Ce  discours  a  pour  objet  Ie«  mêmes  vérités  que  le  précé- 
dent; mais  comme  il  les  traite  fort  différemment,  et  contient 
beaucoup  de  choses  nouvelles ,  nous  nou5  sommes  l>orués  à  en 
retrancher  le  commencement,  qui  était  absolument  semblal)Ifl 
au  début  du  premier  sermon.  (  Édil.  de  Dèforis.  ) 

'  Jd  Mari,  n"  i. 

SI. 


^■2i 


POUR  UNE  VÈTURly. 


il  était  né  souverain.  Dieu  lui  dit  dansl'innocer.eo 
des  commencements  :  Commande  à  toutes  les 
créatures  .  Subjicite  teri^am;  dominamini  pi- 
scibus  maris,  et  volatilibus  cœli,  et  universis 
animantibus  '  :  «  Assujettis-toi  la  terre,  et  do- 
<  mine  sur  les  poissons  de  la  mer ,  sur  les  oiseaux 
«  du  ciel ,  et  sur  tous  les  animaux  ;  »  au  contraire 
depuis  sa  rébellion  :  Garde-toi  de  toutes  les  créa- 
tures. Il  n'y  en  a  point  dans  le  monde  qui  ne 
croie  qu'elle  le  doit  avoir  pour  sujet,  depuis 
([u'il  ne  l'est  plus  de  son  Dieu  :  c'est  pourquoi 
les  unes  vomissent,  pour  ainsi  dire,  contre  lui 
tout  ce  qu'elles  ont  de  malignité  ;  et  si  les  autres 
montrent  leurs  appas ,  ou  étalent  leurs  ornements, 
c'est  dans  le  dessein  de  lui  plaire  trop ,  et  de  lui 
ravir,  par  cet  artifice,  tout  ce  qui  lui  reste  de 
liberté.  Les  créatures,  dit  le  Sage%  sont  autant 

'de  pièges  tendus  de  toutes  parts  à  l'esprit  de 
l'homme.  L'or  et  l'argent  lui  sont  des  liens ,  des- 
quels son  cœur  ne  peut  se  déprendre,  les  beau- 
tés mortelles  l'entraînent  captif,  le  torrent  des 
plaisirs  l'emporte;  cette  pompe  des  homieurs 
mondains,  toute  vaine  qu'elle  est,  éblouit  ses 

-yeux  ;  le  charme  de  l'espérance  lui  ôte  la  vue  ;  en 
rm  mot ,  tout  le  monde  semble  n'avoir  d'agrément 
((ue.pour  l'engager  dans  sa  servitude  par  une  af- 
fection déréglée. 

Et  après  cela  ne  dirons-nous  pas  que  ce  monde 
n'est  qu'une  prison ,  qui  a  autant  de  captifs  qu'il 
a  d'amateurs  ?  De  sorte  que  vous  tirer  du  monde, 
c'est  vous  tirer  des  fers  et  de  l'esclavage  ;  et  la 
l'iôture  où  vous  vous  jetez  n'est  pas  comme  les 
'hommes  se  le  persuadent,  une  prison  où  votre  li- 
berté soit  contrainte,  mais  un  asile  fortifié  où 
votre  liberté  se  défend  contre  ceux  qui  s'effor- 
cent de  l'opprimer  :  c'est  ce  que  je  me  propose 
de  vous  faire  entendre,  avec  le  secours  de  la 
grâce.  Mais ,  afin  que  nous  voyions  éclater  la 
M'aie  jouissance  de  la  liberté  dans  les  maisons  des 
A  ierges  sacrées,  distinguons,  avant  toutes_choses, 
trois  sortes  de  captivités  dans  le  monde. 

Il  y  a  dans  le  siècle  trois  lois  qui  captivent  : 
il  y  a,  premièrement,  la  loi  du  péché;  après, 
celle  des  passions  et  des  convoitises;  et  la  troi- 
sième est  celle  que  le  siècle  nomme  la  nécessité 
des  affaires,  et  la  loi  de  la  bienséance  mondaine. 
Et  en  premier  lieu ,  le  péché  est  la  plus  infâme 
des  servitudes ,  où  la  lumière  de  la  grâce  étant 
tout  éteinte ,  l'âme  est  jetée  dans  un  cachot  téné- 
])reux,  où  elle  souffre,  de  la  violence  du  diable , 
tout  ce  que  souffre  une  ville  prise ,  de  la  rage 
d'un  ennemi  implacable  et  victorieux.  Que  les 
passions  nous  captivent^  c'est  ce  qui  paraît  par 
l'exemple  d'un  riche  avare  qui  ne  peut  retirer  son 

>  Gcnes.  i ,  28. 
'  Sap.  XIV,  11. 


âme  engagée  parmi  ses  trésors ,  et  pav  ce  qncT)}ea 
défend  aux  Israélites  d'épouser  des  femmes  ido- 
lâtres, de  peur,  dit-il',  qu'elles  n'amollissent 
leurs  cœurs  et  lesentraînent  après  des  dieux  étran- 
gers. Et  d'où  vient  cela ,  chrétiens ,  si  ce  n'est 
que  les  passions  ont  certains  liens  invisibles ,  qui 
tiennent  nos  volontés  asservies? 

Mais  j'ose  dire  que  le  joug  le  plus  empêchant 
que  le  monde  impose  à  ceux  qui  le  suivent ,  c'est 
celui  de  l'empressement  des  affaires ,  et  la  bien- 
séance du  monde.  C'est  là  ce  qui  nous  dérobe  le 
temps ,  c'est  là  ce  qui  nous  dérobe  à  nous-mêmes  ; 
c'est  ce  qui  rend  notre  vie  tellement  captive,  dans 
cette  chaîne  continuée  de  visites ,  de  divertisse- 
ments, d'occupations,  qui  naissent  perpétuelle- 
ment les  unes  des  autres ,  que  nous  n'avons  pas 
la  liberté  de  penser  à  nous.  0  servitude  cruelle  el 
insupportable ,  qui  ne  nous  permet  pas  de  nous 
regarder  !  c'est  ainsi  que  vivent  les  enfants  du 
siècle.  Parmi  tant  de  servitudes  diverses,  nous 
nous  imaginons  être  libres.  De  quelque  liberté 
que  nous  nous  flattions,  jamais  nous  ne  serons 
vraiment  libres,  jusqu'à  ce  que  le  Fils  de  Dieu 
nous  ait  délivrés. 

Mais  qui  sont  ceux  qui  seront  plus  tôt  délivrés 
par  votre  toute-puissante  bonté,  ô  miséricordieux 
ScHjveur  des  hommes,  si  ce  n'est  ces  âmes  pures 
et  célestes,  qui  ont  tout  quitté  pour  l'amour  de 
vous?  C'est  donc  vous  ,  mes  très-chères  sœurs , 
c'est  vous  que  je  considère  comme  vraiment  li- 
bres; parce  que  le  Fils  vous  a  délivrées  de  la 
triste  servitude  qu'on  voit  dans  le  monde,  du  pé- 
ché, des  passions,  de  l'empressement.  Le  péché 
doit  être  exclu  du  milieu  de  vous ,  par  l'ordre  et 
la  discipline  religieuse;  les  passions  y  perdent 
leur  force,  par  l'exercice  de  la  pénitence;  la  loi 
de  laprétendue  bienséance,  quelavanitéhumaîne 
s'impose ,  n'y  est  pas  reçue ,  par  le  mépris  qu'on 
y  fait  du  monde;  et  ainsi  l'on  y  peut  jouir  pleine- 
ment de  la  liberté  J)ienheureuse  que  le  Fils  de 
Dieu  a  rendue  à  l'homme  :  Si  vos  Filius  libéra- 
verit,  vereliberieritis.  C'est  ce  que  j'espère  vous 
faire  entendre  aujourd'hui  avec  le  secours  de 
la  grâce. 

PREMIER    POINT. 

C'est  une  juste  punition  de  Dieu,  que  l'homme 
après  avoir  méprisé  la  solide  possession  des  biens 
véritables,  que  son  Créateur  lui  avait  donnés, 
soit  abandonné  à  l'illusion  des  biens  apparents. 
Les  plaisirs  du  paradis  ne  lui  ont  pas  plu;  il  sera 
captif  des  plaisirs  trompeurs  qui  mènent  les  âmes 
à  la  perdition  :  il  ne  s'est  pas  voulu  contenter  de 
l'espérance  de  l'immortalité  bienheureuse ,  il  se 
repaîtra  d'espérances  vaines,  que  souvent  lemau- 

'  Exod.  \x\iv,  16. 


POUR  UxNE  VÊTURi:. 


3?S 


rais  succès ,  et  toujours  la  mort ,  rendra  inutiles  : 
Il  n'a  point  voulu  de  la  liberté  qu'il  avait  reçue  de 
son  Souverain  ;  il  se  plaira  dans  la  liberté  imagi- 
naire, que  sa  raison  volage  lui  a  figurée.  Juste- 
ment ,  certes  justement,  Seigneur  :  car  il  est  juste 
que  ceux-là  n'aient  que  de  fiiux  plaisirs ,  qui  ne 
veulent  pas  les  rex:evoir  de  vos  mains;  qu'ils 
n'aient  qu'une  fausse  liberté,  puisqu'ils  ne  veu- 
lent pas  la  tenir  de  vous  ;  et  enfin  qu'ils  soient  li- 
vrés à  l'erreur ,  puisqu'ils  ne  se  contentent  pas 
de  vos  vérités. 

En  effet ,  considérons,  mes  très-chères  sœurs, 
quelle  image  de  liberté  se  proposent  ordinaire- 
ment les  pécheurs.  Qu'elle  est  fausse,  quelle  est 
ridicule ,  qu'elle  est ,  si  je  puis  parler  ainsi ,  chi- 
mérique !  Écoutons- les  parler,  et  voyons  de 
quelle  liberté  ils  se  vantent.Nous  sommes  libres, 
BOUS  disent-ils,  nous  pouvons  faire  ce  que  nous 
voulons.  Mes  sœurs ,  examinons  leurs  pensées , 
et  nous  verrons  combien  ils  se  trompent ,  et  nous 
confesserons  devant  Dieu ,  dans  l'effusion  de  nos 
cœurs ,  que  nul  pécheur  ne  peut  être  libre ,  que 
tous  les  pécheurs  sont  captifs.  Tu  peux  faire  ce 
que  tu  veux ,  et  de  là  tu  conclus  :  Je  suis  libre. 
Et  moi  je  te  réponds ,  au  contraire  :  Tu  ne  peux 
pas  faire  ce  que  tu  veux  ;  et  quand  tu  le  pourrais, 
tu  n'es  pas  libre.  Montrons  premièrement  aux 
pécheurs  qu'ils  ne  peuvent  pas  ce  qu'ils  veulent. 

Et  certainement  nous  pourrions  leur  dire  qu'ils 
ne  peuvent  pas  ce  qu'ils  veulent ,  puisqu'ils  ne 
peuvent  pas  empêcher  que  leur  fortune  ne  soit 
inconstante ,  que  leur  félicité  ne  soit  fragile ,  que 
ce  qu'ils  aiment  ne  leur  échappe  ;  que  la  vie  ne 
leur  manque  comme  un  faux  ami ,  au  milieu  de 
leurs  entreprises ,  et  que  la  naort  ne  dissipe  tou- 
tes leure  pensées.  Nous  pourrions  leur  dire  véri- 
tablement qu'ils  ne  peuvent  pas  ce  qu'ils  veulent, 
puisqu'ils  ne  peuvent  pas  empêcher  qu'ils  ne  soient 
trompés  dans  leurs  vaines  prétentions.  Ou  ils  les 
manquent ,  ou  elles  leur  manquent  :  ils  les  man- 
quent ,  quand  ils  ne  parviennent  pas  à  leur  but  ; 
elles  leur  manquent,  quand,  obtenant  ce  qu'ils 
veulent ,  ils  n'y  trouvent  pas  ce  qu'ils  cherchent. 
C'est  ainsi  que  nous  pouvons  montrer  aux  pé- 
cheurs qu'ils  ne  peuvent  pas  ce  qu'ils  veulent. 

Mais  pressons-les  de  plus  près  encore;  et  dé- 
plorons l'aveuglement  de  ces  malheureux  qui  se 
vantent  de  leur  liberté,  pendant  qu'ils  gémissent 
dans  un  si  honteux  esclavage.  Ah  !  les  misérables 
captifs,  ils  ne  peuvent  pas  ce  qu'ils  veulent  le 
plus  ;  ce  qu'ils  détestent  le  plus,  il  faut  qu'il  ar- 
rive. Que  prétendez-vous,  ô  pécheur,  dans  ces 
plaisirs  que  vous  recherchez ,  dans  ces  biens  que 
vous  amassez  par  des  voleries;  que  prétendez- 
vous?  Je  veux  être  heureux.  Eh  quoi,  heureux, 
même  maî#;îé  \ icu  ?  Insensé,  qui  \ous  imaginez 


avoir  aucun  bien  contre  la  volonté  du  souverain 
bien  ;  digne ,  certes ,  qu'on  dise  de  vous  ce  que 
nous  lisons  dans  les  Psaumes  :  «  Voilà  l'homme 
«  qui  n'a  pas  mis  son  secours  en  Dieu ,  mais  qui 
n  a  espéré  dans  la  multitude  de  ses  richesses ,  et 
«  s'est  plu  dans  sa  vanité".  »  Mais  non-seulement 
vous  ne  pouvez  obtenir  ce  que  vous  avez  le  plus 
désiré  :  ce  que  vous  détestez  le  plus ,  il  faut  qu'il 
arrive;  cette  justice  divine  qui  vous  poursuit, 
ces  étangs  de  feu  et  de  soufre ,  ce  grincement  de 
dents  éternel  :  car  quelle  force  vous  peut  arra- 
cher des  mains  toutes- puissantes  de  Dieu,  que 
vous  irritez  par  vos  crimes,  et  dont  vous  attirez 
sur  vous  les  vengeances? 

Telle  est  la  liberté  de  fhomme  pécheur  :  mal- 
heureux, qui,  croyant  faire  ce  qu'il  veut,  attire 
sur  lui  nécessairement  ce  qu'il  veut  le  moins  ; 
qui ,  pour  trop  faire  ses  volo;ités,  par  une  étrange 
contradiction  de  dtsirs  s'empêche  lui-même 
d'être  ce  qu'il  veut,  c'est-à-dire,  heureux;  qui 
s'imagine  être  vraiment  libre ,  parce  qu'il  est  en 
effet  trop  libre  à  pécher ,  c'est-à-dire ,  libre  à  so 
perdre,  et  qui  ne  s'aperçoit  pas  qu'il  forge  ses 
fers  par  l'usage  de  sa  liberté  prétendue.  Et  de  là 
nous  pouvons  apprendre  que  ce  n'est  pas  être 
vraiment  libres,  que  de  faire  ce  qu&nous  vou- 
lons; mais  que  notre  liberté  véritable,  c'est  de 
faire  ce  que  Dieu  veut.  De  là  vient  que  nous  li- 
sons dans  notre  évangile ,  que  les  hommes  sont 
vraiment  libres  quand  le  Fils  les  a  délivrés  :  ou 
nous  devons  entendre,  mes  sœurs,  que  le  Fils 
de  Dieu  nous  parlant  d'une  liberté  véritable  ^ 
nous  explique  assez  qu'il  y  en  a  aussi  une  fausse. 

La  fausse  liberté,  c'est  de  vouloir  faire  sa  vo^ 
lonté  propre  ;  mais  notre  liberté  véritable ,  c'est 
que  notre  volonté  soit  soumise  à  Dieu  :  car  puis- 
que nous  sommes  nés  sous  la  sujétion  de  Dieu, 
notre  liberté  n'est  pas  une  indépendance.  Cette 
affectation  de  l'indépendance,  c'est  la  liberté  de 
Satan  et  de  ses  rebelles  complices  qui  ont  voulu 
s'élevei'  eux-mêmes  contre  l'autorité  souveraine. 
Loin  de  nous  une  liberté  si  funeste,  qui  a  préci- 
pité ces  esprits  superbes  dans  une  servitude  éter- 
nelle. Pour  nous,  songeons  tellement  que  nous 
sommes  libres ,  que  nous  n'oubliions  pas  que  nous 
.sommes  des  créatures,  et  des  créatures  raisonna- 
bles, que  Dieu  a  faites  à  sa  ressemblance.  Puis- 
que notre  liberté  est  la  liberté  d'une  créature,  il 
faut  nécessairement  qu'elle  soit  soumise ,  et  qu'il 
y  ait  de  la  servitude  mêlée.  Mais  il  y  a  une  ser- 
vitude honteuse,  qui  est  la  destruction  de  la  li- 
berté ;  et  une  servitude  honorable ,  cpii  en  est  la 
perfection.  S'abaisser  au-dessous  de  sa  dignité 
naturelle,  c'est  une  servitude  honteuse  :  c'est 


826 


POUR  UNE  VÊTURE. 


ainsi  que  font  les  pécheurs;  c'est  pourquoi  ils  ne 
sont  pas  libres.  S'abaisser  au-dessous  de  celui-là 
seul  qui  est  seul  naturellement  souverain ,  c'est 
une  servitude  honorable,  qui  est  digne  d'un 
homme  libre,  et  qui  fait  l'accomplissement  de  la 
liberté.  En  est-on  moins  libre ,  pour  obéir  à  la  rai- 
son et  à  la  raison  souveraine  ;  c'est-à-dire ,  à  Dieu? 
N'est-ce  pas ,  au  contraire ,  une  dépendance  vrai- 
ment heureuse,  qui,  nous  assujettissant  à  Dieu 
seul,  nous  rend  maîtres  de  nous-mêmes  et  de 
toutes  choses? 

C'est  ainsi  que  le  Sauveur  voulut  être  libre  : 
il  était  libre  certainement ,  car  il  était  Fils  et  non 
pas  esclave;  mais  il  mit  l'usage  de  sa  liberté  à 
être  obéissant  à  son  Père.  Comme  c'est  la  liberté 
qu'il  a  recherchée,  c'est  aussi  celle  qu'il  nous  a 
promise.  «  Vous  serez ,  dit-il ,  vraiment  libres , 
«  quand  le  Fils  vous  aura  délivrés  :  »  vous  aurez 
une  liberté  véritable,  quand  le  Fils  vous  l'aura 
donnée.  Et  quelle  liberté  vous  donnera-t-il ,  sinon 
celle  qu'il  a  voulue  pour  lui-même  :  c'est-à-dire, 
d'être  dépendant  de  Dieu  seul ,  dont  il  est  si  doux 
de  dépendre,  et  le  service  duquel  vaut  mieux 
qu'un  royaume  ;  parce  que  cette  même  soumis- 
sion ,  qui  nous  met  au-dessous  de  Dieu ,  nous  met 
en  même  temps  au-dessus  de  tout?  C'est  pourquoi 
je  ne  puis  m'empêcher,  ma  sœur,  de  louer  votre 
résolution  généreuse ,  en  ce  que  vous  avez  voulu 
être  libre ,  non  point  à  la  mode  du  monde ,  mais 
à  la  mode  du  Sauveur  des  âmes  ;  non  de  la  liberté 
dangereuse  que  l'esprit  de  l'homme  se  donne  à 
lui-même,  mais  de  celle  que  Jésus  promet  à  ses 
serviteurs. 

Les  enfants  du  siècle  croient  être  libres,  parce 
qu'ils  errent  deçà  et  delà  dans  le  monde,  éternel- 
lement travaillés  de  soins  superflus,  et  ils  appel- 
lent leur  égarement  une  liberté  ;  à  peu  près  comme 
des  enfants  qui  se  pensent  libres,  lorsqu'échap- 
pés  de  la  maison  paternelle  ils  courent  sans  savoir 
pu  ils  vont  :  telle  est  la  liberté  des  pécheurs. 

C'est  vous ,  c'est  vous ,  mesdames,  qui  jouissez 
d'une  liberté  véritable ,  parce  que  vous  ne  vous 
contraignez  que  pour  servii*  Dieu.  Et  qu'on  ne 
pense  pas  que  cette  contrainte  diminue  tant  soit 
peu  votre  liberté  ;  au  contraire ,  c'en  est  la  perfec- 
tion. Car  d'où  vient  que  vous  vous  mettez  dans 
cette  salutaire  contrainte,  sinon  pour  vous  impo- 
ser à  vous-mêmes  une  heureuse  nécessité  de  ne 
pécher  pas?  et  cette  sainte  nécessité  de  ne  pécher 
pas,  n'est-ce  pas  la  liberté  véritable?  Ne  croyons 
pas,  mes  sœurs,  que  ce  soit  une  liberté,  de  pouvoir 
pécher  ;  ou ,  s'il  y  a  de  la  liberté  à  pouvoir  pécher, 
disons ,  avec  saint  Augustin ,  que  c'est  une  liberté 
çgarée,  une  liberté  qui  se  perd.  La  première  li- 
l^erté ,  dit  saint  Augustin  • ,  c'est  de  pouvoir  ne 

'  iie  Correpf.  et  Cmt.  cap.  xir,  n"  33,  t.  x,  col.  708- 


pécher  pas  :  la  seconde  et  la  plus  parfaite,  c'est 
de  ne  pouvoir  plus  pécher.  C'est  la  liberté  des 
saints  anges  et  de  toute  la  société  des  élus,  que  la 
félicité  éternelle  met  dans  la  nécessité  de  ne  pé- 
cher plus  ;  c'est  la  liberté  de  la  céleste  Jérusalem  : 
cette  nécessité,  c'est  leur  béatitude,  et  jamais 
nous  ne  serons  plus  libres,  que  quand  nous  ne 
pourrons  plus  servir  au  péché.  C'est  la  liberté  de 
Dieu  même,  qui  peut  tout,  et  ne  peut  pécher.  C'est 
à  cette  liberté  qu'on  tend  dans  les  cloîtres,  lors- 
que, partant  de  saintes  contraintes ,  par  tant  de 
salutaires  précautions ,  on  tâche  de  s'imposer  une 
loi  de  ne  pouvoir  plus  servir  au  péché. 

,  SECOND    POINT. 

Voilà  la  servitude  du  péché  exclue  de  la  vie 
retirée  et  religieuse,  par  les  observances  de  la 
discipline  :  voyons  si  elle  n'est  pas  aussi  délivrée 
de  celle  des  passions  et  des  convoitises ,  par  l'exer- 
cice de  la  pénitence.  Pour  cela ,  considérons  une 
belle  doctrine  de  saint  Augustin.  Il  y  a,  dit-il, 
deux  sortes  de  maux  :  il  y  a  des  maux  qui  nous 
blessent,  il  y  a  des  maux  qui  nous  flattent;  les 
maladies ,  les  passions.  Les  passions  nous  flattent, 
et  en  nous  flattant  elles  nous  captivent.  Ceux-là , 
nous  les  devons  supporter  ;  ceux-ci ,  nous  les  de- 
vons modérer  :  les  premiers ,  par  la  patience  et 
par  le  courage;  les  seconds,  par  la  retenue  et  la 
tempérance  :  Aliœ  qiiœ per patientiam  sustine- 
mus,  alia  quœ  per  continentfam  rcfrœnamus  >. 
Or  Dieu ,  qui  dispose  toutes  choses  par  une  pro- 
vidence très-sage,  et  qui  ne  veut  pas  tourmenter 
les  siens  par  des  afflictions  inutiles,  a  voulu  que 
ces  derniers  maux  servissent  de  remède  pour  gué- 
rir les  autres  :  je  veux  dire,  que  les  maux  qui 
nous  affligent  doivent  corriger  en  nous  ceux  qui 
flattent.  Ils  étaient  donnés  en  punition  de  notre 
péché;  mais,  par  la  miséricorde  divine,  ce  qui 
était  une  peine  devient  un  remède,  et  <<  le  châti- 
«  ment  du  péché  est  tourné  à  l'usage  de  la  jus- 
«  tice  :  '>  In  ususjustitiœ peccati pœna  conversa 
est^.  La  raison  est,  que  la  force  de  ceux-ci  con- 
siste dans  le  plaisir,  et  que  toute  la  pointe  du  plai- 
sir s'émousse  par  la  souffrance. 

C'est  pourquoi  la  mortification  [est  établie]  dans 
les  cloîtres;  et  si  la  cbair  y  est  contrainte,  c'est 
pour  rendre  l'esprit  plus  libre.  C'est  le  rendre  plus 
libre,  que  de  brider  son  ennemi,  et  le  tenir  en 
prison  tout  chargé  de  chaînes.  C'est  ce  qui  fait 
dire  à  l'apôtre^  :  «  Je  ne  travaille  pas  en  vain, 
"  mais  je  châtie  mon  corps  et  je  le  réduis  en  ser- 
'■  vitude.  »  Ce  n'est  pas  travailler  en  vain  que  de 
mettre  en  liberté  mon  esprit.  J'ai,  dit-il,  un  en- 

'  Coiit.  Jul.  lib.  V,  cap.  v,  n"  22,  t.  x,  col.  640. 

2  .Ç.  Aiig.  de  Civ.  Del,  lib.  xin,  cap.  IV,  t.  vr:,  coi.  328. 

3  I.  Cor,  X ,  20 ,  27. 


POUR  UNK  VKILUET. 


327 


nemi  domcsluiiu',  voulez-vous  que  je  le  fortifie, 
qut'je  le  rende  invincible  par  ma  complaisance? 
Jai  des  pass  ons  moins  traitables  que  ne  sont  des 
bêtes  fiirouches  ;  voulez-vous  que  je  les  nourrisse  ? 
Ne  vaut-il  pas  bien  mieux  que  j'appauvrisse  mes 
convoitises,  qui  sont  infinies,  en  leur  refusant  ce 
qu'elles  demandent?  Tellement  que  la  vraie  li- 
berté d'esprit ,  c'est  de  contenir  nos  affections  dé- 
réglées par  une  discipline  forte  et  vigoureuse,  et 
non  pas  de  les  contenter  par  une  molle  condescen- 
dance. 

C'est  ainsi  qu'ont  été  libres  les  grands  person- 
nages ,  qui  vous  ont  donné  cette  règle  que  vous 
professez.  D'où  vient  que  saint  Benoît,  votre  pa- 
triarche ,  sentant  que  l'amour  des  plaisirs  mor- 
tels, qu'il  avait  presque  éteint  par  ses  grandes 
austérités ,  se  réveillait  tout  à  coup  avec  violence , 
se  déchire-t-il  lui-même  le  corps  par  des  ronces 
et  des  épines,  sur  lesquelles  son  zèle  le  jette'? 
N'est-ce  pas  qu'il  veut  briser  les  liens  charnels  qui 
menacent  son  esprit  de  la  servitude?  C'est  pour 
cela  que  saint  Bernard ,  votre  père ,  a  cherché 
«n  salutaire  rafraîchissement  dans  les  neiges 
et  dans  les  étangs  glacés  " ,  où  son  intégrité  atta- 
quée s'est  fait  un  rempart  contre  les  délices  du 
siècle.  Ses  sens  étaient  de  telle  sorte  mortifiés , 
qu'il  ne  voyait  plus  ce  qui  se  présentait  à  ses 
yeux  K  La  longue  habitude  de  mépriser  le  plai- 
sir du  goût,  avait  éteint  en  lui  toute  la  pointe 
de  la  saveur  :  il  mangeait  de  toutes  choses  sans 
choix  ;  il  buvait  de  l'eau  ou  de  l'huile  indifférem- 
ment, selon  qu'il  les  avait  le  plus  à  la  moin^.  Si 
quelques-uns  trouvaient  trop  rude  ce  long  et  hor- 
rible silence,  il  les  avertissait  que  s'ils  considé- 
raient sérieusement  l'exameu  rigoureux  que  le 
grand  Juge  fera  des  paroles,  ils  n'auraient  pas 
beaucoup  de  peine  à  se  taire.  Il  excitait  en  lui 
l'appétit,  non  par  les  viandes,  mais  par  les  jeûnes  ; 
non  par  la  délicatesse  ni  par  le  ragoût ,  mais  par 
le  travail  :  et  toutefois,  pour  n'être  pas  entièrement 
dégoûte  de  son  pain  d'avoine ,  et  de  ses  légumes , 
il  attendait  que  la  faim  les  rendit  un  peu  suppor- 
tables. Il  couchait  sur  la  dure;  mais  il  y  attirait 
le  sommeil  par  la  psalmodie  de  la  nuit ,  et  par 
l'ouvrage  de  la  journée  :  de  sorte  que,  dans  cet 
homme,  les  fonctions  même  naturelles  étaient 
causées,  non  tant  par  la  nature  que  par  la  vertu. 

Quel  homme  plus  libre  que  saint  Bernard?  Il 
n'a  point  de  passions  à  contenter,  il  n'a  point  de 
fantaisie  à  satisfaire ,  etil  n'a  besoin  que  de  Dieu. 
Les  gens  du  monde,  au  lieu  de  modérer  leurs  con- 
voitises, sont  contraints  de  servir  à  celles  d'autrui. 


'  s.  Orcg.  Mag.  Dialoj.  lib.  il,  cap.  u;  t.  Il,  col  213. 
'  »'  il.  S.  Bernard,  lib.  I ,  cap.  lii ,  li"  6 ,  t.  Il  ;  coi.  J065.' 
^  Uiid.  Iil>  lit,  cap.  Il,  n'I,  col.  1118. 
*  H'id.  lib  I,  cap.  vu,  col.  1076,  l'JI". 


[C'est  ce  qui  faisait  dire  à]  saint  Augustin, 
parlant  à  un  grand  seigneur  :  «  Vous,  qui  devez 
-  réprimer  vos  propres  cupidités ,  vous  êtes  con- 
"  traint  de  satisfaire  celles  des  autres  :  •  Qui  de- 
buisti  rcfrœnare  cupiditates  tuas ,  explere  coge- 
ris  aliénas  ' .  C'est  à  cette  libertéque  vous  aspirez, 
c'est  l'héritage  que  saint  Bernard  a  laissé  à  toutes 
les  maisons  de  son  ordre. 

Mais  voyez  l'aveuglement  du  monde  :  comme 
si  nous  n'étions  pas  encore  assez  captifs  par  le 
péché  et  les  convoitises,  il  s'est  fait  lui-même 
d'autres  servitudes.  Il  a  fait  des  lois,  comme  pour 
imiter  Jésus-Christ;  mais  plutôt  pour  le  contre- 
dire. Il  ne  faut  pas  souffrir  les  injures ,  on  vous 
mépriserait  :  il  faut  avoir  de  l'honneur  dans  le 
monde,  il  faut  se  rendre  nécessaire,  il  faut  vivre 
pour  le  public  et  pour  les  affaires  :  Patriœ  et  im- 
perio  reique  vivendutn  est^.  C'est  une  loi  à  votre 
sexe ,  [de  prendre]  le  temps  de  se  parer,  [de  ren- 
dre] des  visites.  La  bienséance  est  une  loi,  qui 
nous  ôte  tout  le  temps  ;  qui  fait  qu'il  se  perd  véri- 
tablement. Toutie  temps  se  perd,  et  on  n'y  attache 
rien  de  plus  immobile  que  lui.  Le  temps  est  pré- 
cieux, parce  qu'il  aboutit  à  l'éternité;  on  ne  de- 
mande qu'à  le  passer  :  à  peine  avons-nous  un 
moment  à  nous  ;  et  celui  que  nous  avons,  il  sem- 
ble qu'il  soit  dérobé.  Cependant  la  mort  vient 
avant  que  nous  puissions  avoir  appris  à  vivre  ;  et 
alors  que  nous  servira  d'avoir  mené  une  vie  pu- 
blique, puisque  enfin  il  nous  faudra  faire  une  fin 
privée?  Mais  que  dira  le  monde?  Et  pourquoi 
voulons-nous  vivre  pour  les  autres ,  puisque  nous 
devons  enfin  mourir  pour  nous-mêmes?  Nemo 
aliivivit,  moriturus  sibi^. 

Que  si  le  monde  a  ses  contraintes ,  que  je  vous 
estime,  ma  très-chère  sœur,  qui,  estimant  trop 
votre  liberté  pour  la  soumettre  aux  lois  de  la 
terre,  professez  hautement  de  ne  vouloir  vous 
captiver  que  pour  l'amour  de  celui  qui ,  étant  le 
maître  de  toutes  choses ,  s'est  rendu  esclave  pour 
l'amour  de  nous,  afin  de  nous  exempter  de  la 
servitude  !  C'est  dans  cette  voie  étroite  que  l'âme 
est  dilatée  par  le  Saint-Esprit,  pour  recevoir  l'a- 
bondance des  gi'âces  divines.  Déposez  donc ,  ma 
très-chère  soewr,  cet  habit ,  cette  vaine  pompe  et 
toute  cette  servitude  du  siècle  :  vous  êtes  libre  à 
Jésus- Christ,  son  sang  vous  a  mise  en  liberté,  ne 
vous  rendez  point  esclave  des  hommes. 

'  Ad  Boni/.  Ep.  CCXX ,  n"  6 ,  t  U ,  col.  813, 
=  Tertuth  de  Pallio,  n»  5. 
3  Ibid. 


83S 


POUR  UNE  VÉTURE. 


SERMON 
POUR  UNE  VÊTURE, 

PKÊCHÉ 

LE  JOUR  DE  LA  NATIVITÉ  DE  LA  SAINTE  VIERGE. 

Combien  les  inclinations  des  hommes  sont  diverses ,  et  les 
moeurs  dissemblables.  Snperfluilé  de  tant  de  soins,  et  vanité 
de  la  multitude  de  nos  desseins.  L'empressement  et  le  trouble, 
principes  de  nos  maladies.  D'où  vient  en  nous  l'amour  de  la 
dissipation.  Pourquoi  ne  pouvons  nous  trouver  la  santé  de 
nos  âmes  et  le  repos,  en  nous  répandant  dans  la  multitude 
des  objets  sensibles  :  l'un  et  l'autre  attachés  à  la  vie  intérieure 
et  recueillie,  et  à  la  recherche  de  l'unique  nécessaire. 


Marlha ,  Martha ,  sollicita  es ,  et  turbaris  erga  plu- 
rima  :  porro  unum  est  necessarium. 

Marthe,  Marthe,  vous  vous  empressez,  et  vous  vous  trou- 
blez dans  le  soin  de  beaucoup  declioses  :  cependant  une 
seule  chose  est  nécessaire.  Luc.  x,  41 ,  42. 

Quand  je  considère,  mes  sœurs,  les  diverses 
agitations  de  l'esprit  humain ,  et  tant  d'occupa- 
tions différentes  qui  travaillent  inutilement  les 
enfants  des  hommes,  je  ne  puis  que  je  ne  m'é- 
crie avec  le  Psalmiste'  :  «  Qu'est-ce  que  l'hom- 
«  me ,  ô  grand  Dieu ,  pour  que  vous  en  fassiez 
«  état,  et  que  vous  en  ayez  souvenance?  »  Notre 
vie,  qu'est-ce  autre  diose  qu'un  égarement  con- 
tinuel? nos  opinions  sont  autant  d'erreurs ,  et  nos 
voies  ne  sont  qu'ignorance.  Et  certes,  quand  je 
parle  de  nos  ignorances,  je  ne  me  plains  pas, 
chrétiens ,  de  ce  que  nous  ne  connaissons  point 
quelle  est  la  structure  du  monde ,  ni  les  influen- 
ces des  corps  célestes ,  ni  quelle  vertu  tient  la 
terre  suspendue  au  milieu  des  airs,  ni  de  ce  que 
tous  les  ouvrages  de  la  nature  nous  sont  des  énig- 
mes inexplicables.  Car  encore  que  ces  connais- 
sances soient  très-dignes  d'être  recherchées,  ce 
n'est  pas  ce  que  je  déplore  aujourd'hui.  La  cause 
de  ma  douleur  nous  touche  de  bien  plus  près.  Je 
plains  le  malheur  de  notre  ignorance ,  en  ce  que 
nous  ne  savons  pas  ce  qui  nous  est  propre  5  en 
ce  que  nous  ne  connaissons  pas  le  bien  et  le  mal , 
et  que  nous  errons,  deçà  et  delà,  sans  savoir  la 
véritable  conduite  qui  doit  gouverner  notre  vie. 

Et  pour  vous  convaincre  manifestement  d'une 
vérité  si  constante ,  figurez- vous ,  ma  très-chère 
sœur,  que  venue  tout  nouvellement  d'une  terre 
inconnue  et  déserte ,  séparée  de  bien  loin  du  com- 
merce et  de  la  société  des  hommes ,  ignorante 
des  choses  humaines  ;  vous  êtes  tout  à  coup  trans- 
portée au  sommet  d'une  haute  montagne,  d'où 
par  un  effet  de  la  puissance  divine,  vous  décou- 
vrez la  terre  et  les  mers    et  tout  ce  qui  se  fait 

'  Ps.  VMI ,  5. 


dans  le  monde.  Elevée  donc  sur  cette  montagne, 
vous  voyez  du  premier  aspect  cette  multitude  in- 
finie de  peuples  et  de  nations,  avec  leurs  mœurs 
différentes  et  leurs  humeurs  incompatibles;  puis 
descendant  plus  exactement  au  détail  de  Li  vie 
humaine,  vous  contemplez  les  divers  emplois 
dans  lesquels  les  hommes  s'occupent.  0  Dieu  éter- 
nel ,  quel  tracas  !  quel  mélange  de  choses!  quelle 
étrange  confusion  !  Celui-là  s'échauffe  dans  un 
barreau,  celui-ci  assis  dans  une  boutique  débite 
plus  de  mensonges  que  de  marchandises;  cet  au- 
tre que  vous  voyez  employer  dans  le  jeu  la  meil- 
leure partie  de  son  temps,  il  se  passionne,  il 
s'impatiente,  il  fait  une  affaire  de  conséquence 
de  ce  qui  ne  devrait  être  qu'un  relâchement  de 
l'esprit.  Les  uns  cherchent  dans  la  compagnie 
l'applaudissement  du  beau  monde;  d'autres  se 
plaisent  à  passer  leur  vie  dans  une  intrigue  con- 
tiimelle  :  ils  veulent  être  de  tous  les  secrets,  ils 
s'empressent ,  ils  se  mêlent  partout ,  ils  ne  son- 
gent qu'à  s'acquérir  tous  les  jours  de  nouvelles 
amitiés  :  et  pour  dire  tout  efl  un  mot ,  le  monde 
n'est  qu'un  amas  de  personnes  toutes  diversement 
affairées  avec  une  variété  incroyable. 

Vous  raconterai-je ,  mes  sœurs,  les  diverses 
inclinations  des  hommes?  Les  uns,  d'une  nature 
plus  remuante ,  se  plaisent  dans  les  emplois  vio- 
lents; les  autres,  d'une  humeur  plus  paisible, 
s'attachent  plus  volontiers  ou  à  cette  commune 
conversation,  ou  à  l'étude  des  bonnes  lettres, 
ou  à  diverses  sortes  de  curiosités.  Celui-ci  est  pos- 
sédé de  folles  amours;  celui-là  de  haines  cruelles 
et  d'inimitiés  implacables,  et  cet  autre  de  jalou- 
sies furieuses  :  l'un  amasse,  et  l'autre  dépense; 
quelque-uns  sont  ambitieux  et  recherchent  avec 
ardeur  les  emplois  publics;  les  autres  aiment 
mieux  le  repos  et  la  douce  oisiveté  d'une  vie  pri- 
vée. Chacun  a  ses  inclinations  différentes,  cha- 
cun veut  être  fou  à  sa  fantaisie  :  les  mœurs  sont 
plus  dissemblables  que  les  visages  ;  et  la  mer  n'a  ' 
pas  plus  de  vagues,  quand  elle  est  agitée  par  les 
vents ,  qu'il  naît  de  diverses  pensées  de  cet  abîme 
sans  fond,  de  ce  secret  impénétrable  du  cœur  de 
l'homme.  C'est  à  peu  près  ce  qui  se  présente  à 
nos  yeux ,  quand  nous  considérons  attentivement 
les  affaires  et  les  actions  qui  exercent  la  vie  hu- 
maine. 

Dans  cette  diversité  infinie ,  dans  cet  empres- 
sement ,  dans  cet  embarras ,  dans  ce  bruit  et  dans 
ce  tumulte  des  choses  humaines ,  chère  sœur,  ren- 
trez en  vous-même;  et  imposant  silence  à  vos 
passions ,  qui  ne  cessent  d'inquiéter  l'âme  par  leur 
vain  murmure,  écoutez  le  Seigneur  Jésus  qui, 
vous  parlant  intérieurement  au  secret  du  cœur, 
vous  dit  avec  cette  voix  charmante  qui  seule  de- 
,  vruit  attirt'i-  les  hommes  :  «  Tu  te  troubles  dans 


POUR  UXE  VÉTURE. 


•  la  multitude,  ot  il  n  y  a  qu'une  seule  ehosequi 
«  M>lt  nécessaire.  >• 

Qu'entends-je,  et  que  dites-vous,  ô  Seigneur 
JéSDS?  Pourquoi  tant  d'affaires,  pourquoi  tant  de 
soins,  pourquoi  tant  d'occupations  différentes, 
puisqu'il  n'y  a  qu'une  seule  chose  qui  soit  néces- 
saire? Si  vous  nous  apprenez.  Sagesse  éternelle, 
que  nous  n'avons  tous  qu'une  même  affaire  ;  donc 
nous  nous  consumons  de  soins  superflus,  donc 
nous  ne  concevons  que  de  vains  desseins ,  donc 
nous  ne  repaissons  nos  esprits  que  de  creuses  et 
chimériques  imaginations,  nous  qui  sommes  si 
étrangement  partagés.  Votre  parole ,  ô  Seigneur 
Jésus,  nous  rappelant  à  l'unité  seule,  condamne 
la  folie  et  l'illusion  de  nos  désirs  inconsidérés  et 
de  nos  prétentions  infinies  :  donc  il  s'ensuit  de 
votre  discours  que  la  solitude  que  les  hommes 
fuient,  et  les  cloîtres  qu'ils  estiment  autant  de 
prisons ,  sont  les  écoles  de  la  véritable  sagesse  ; 
puisque,  tous  les  soins  du  monde  en  étant  exclus 
avec  leur  empressante  multiplicité,  on  n'y  cher- 
che que  l'unité  nécessaire,  qui  seule  est  capable 
d'établir  les  cœurs  dans  une  tranquillité  immua- 
ble. Chère  sœur,  c'est  ce  que  Jésus-Christ  nous 
enseigne  dans  cette  belle  et  mystérieuse  parole 
que  je  tâcherai  aujourd'hui  de  vous  faire  en- 
tendre. 

Mais ,  pour  y  procéder  avec  ordre ,  que  puis-je 
me  proposer  de  plus  salutaire  que  d'imiter  Jésus- 
Christ  lui-même,  et  de  suivre  cette  excellente 
méthode  que  je  vois  si  bien  pratiquée  par  ce  di- 
vin maître?  «  Marthe ,  Marthe ,  dit-il ,  tu  es  em- 
«  pressée,  et  tu  te  troubles  dans  la  multitude  :  or 
«  il  n'y  a  qu'une  chose  qui  soit  nécessaire.  INIarie 
«  a  choisi  la  meilleure  part ,  qui  ne  lui  sera  point 
«  ôtée.  »  Je  remarque  trois  choses  dans  ce  discou  rs  : 
Jésus ,  ce  charitable  médecin  des  âmes ,  les  con- 
sidère comme  languissantes ,  et  nous  laisse  dans 
ces  paroles  une  consultation  admirable  pour  les 
guérir  de  leurs  maladies.  II  en  regarde,  premiè- 
rement ,  le  principe  ;  après ,  ayant  touché  la  cause 
du  mal ,  il  y  applique  les  remèdes  propres  ;  et  en- 
fin ,  il  rétablit  son  malade  dans  sa  constitution 
naturelle.  Je  vous  prie  de  considérer  ces  trois 
choses  accomplies  par  ordre  dans  notre  évan- 
gile. 

Marthe ,  Marthe ,  tu  es  empressée  ;  c'est-à-dire  : 
0  âme,  tu  es  affaiblie  en  cela  même  que  tu  es 
partagée;  de  là  l'empressement  et  le  trouble  : 
voilà  le  principe  de  la  maladie  ;  après ,  suit  l'appli- 
cation du  remède.  Car  puisque  la  cause  de  notre 
faiblesse ,  c'est  que  nos  désirs  sont  trop  partagés 
dans  les  objets  visibles  qui  nous  environnent; 
qui  ne  voit  que  le  véritable  remède,  c'est  de  sa- 
voir ramasser  nos  forces  inutilement  dissipées? 
Cest  aussi  ce  que  fait  le  Seigneur  Jésus ,  en  nous 


appliquant  à  l'unité  simple  qui  n'est  .uilii"  iJ-.us^ 
queDieu.  Pourquoi, dit-il,  vousépuiscz-vous  parmi 
tant  d'occupations  différentes,  puisqu'il  n'y  a 
qu'une  chose  qui  soit  nécessaire?  porro  unum  est 
neccs.samim.  Voyez  qu'il  ramasse  nos  désirs  en 
un:  de  là  naît  enfin  la  santé  de  l'âme  dans  le  re- 
pos ,  dans  la  stabilité ,  dans  la  consistîmce  que  lui 
promet  le  sauveur  Jésus  :  <  Marie ,  dit-il ,  a  choisi 
«  la  meilleure  part,  qui  ne  lui  sera  poiiit  ôtée  :  " 
c'est  l'entière  stabilité;  c'est  ainsi  que  le  Fils  de 
Dieu  nous  guérit.  Ma  chère  sœur,  abandonnez- 
vous  à  ce  médecin  tout-puissant;  apprenez  de  lui 
ces  trois  choses ,  que  vous  dcA  ez  avant  toutes 
choses  vous  démêler  de  la  multitude,  après  ras- 
sembler tous  vos  désirs  en  l'unité  seule,  et  enfin 
que  vous  y  trouverez  le  repos  et  la  consistance. 
Ainsi  vous  accomplirez  les  devoire  de  la  vie  re- 
ligieuse que  vous  embrassez,  et  nous  pourrons 
dire  de  vous  ce  que  Jésus-Christ  a  dit  de  Marie, 
qu'en  quittant  le  monde  et  ses  vanités ,  vous  avez 
choisi  la  meilleure  part ,  dui  ne  vous  sera  point 
ôtée. 

PBEMIER    POIiNT. 

Encore  que  nous  connaissions  par  expérience 
que  notre  plus  grand  mal  naît  de  l'araour-propre , 
et  que  ce  soit  le  vice  de  tous  les  hommes  de  s'es- 
timer eux-mêmes  excessivement,  il  ne  laisse  pas 
d'être  véritable  que,  de  toutes  les  créaturi^s, 
l'homme  est  celle  qui  se  met  à  un  plus  bas  prix , 
et  qui  a  le  plus  de  mépris  de  soi-même. 

Je  n'ignore  pas ,  chrétiens ,  que  cette  proposi- 
tion paraît  incroyable  jusqu'à  ce  que  l'on  en  ait 
pénétré  le  fond  ;  car  on  pourrait  d'abord  objecter 
que  l'orgueil  est  la  plus  dangereuse  maladie  de 
rhonune.  C'est  l'amour-propre  qui  fait  toutes  nos 
actions  ;  il  ne  nous  abandonne  pas  un  moment  : 
et  de  même  que  si  vous  rompez  un  miroir,  votre 
visage  semble ,  en  quelque  sorte,  se  multiplier 
dans  toutes  les  parties  de  cette  glace  cassée  ;  cepen- 
dant c'est  toujours  le  même  visage  :  ainsi,  quoi- 
que notre  âme  s'étende  et  se  partage  en  beaucoup 
d'inclinations  différentes ,  lamour-propre  y  pa- 
raît partout  ;  étant  la  racine  de  toutes  nos  pas- 
sions ,  il  fait  couler  dans  toutes  les  branches  ses 
vaines  quoique  agréables  complaisances. 

Et  certes ,  si  Ton  connaît  la  grandeur  du  mal 
lorsqu'on  a  recours  aux  remèdes  extrêmes ,  il  faut 
nécessairement  confesser  que  notre  nature  était 
enflée  d'une  insupportable  insolence  :  car  puisque 
pour  remédier  à  l'orgueil  de  Ihomme,  il  a  fallu 
rabaisser  un  Dieu  ;  puisque  pour  abattre  l'arro- 
gance humaine ,  il  ne  suffisait  pas  que  le  Fils  de 
Dieu  descendît  du  ciel  en  la  terre,  si  sa  majesté  ne 
se  ravalait  jusqu'à  la  pauvreté  d'une  étable,  jus- 
qu'à l'ignominie  de  la  croix ,  jusqu'aux  agonies 


330 


POUR  UNE  VÊTU  RE. 


de  la  mort,  jusqu'à  l'obscurité  du  tombeau ,  jus- 
qu'aux profondeurs  de  l'enfer;  qui  ne  voit  que 
nous  nous  étions  emportésau  plus  haut  degré  d'in- 
solence, noiis,  dis-je,  qui  n'avons  pu  être  rétablis 
que  par  cette  incompréhensible  humiliation?  Et 
toutefois  je  ne  crains  point  de  vous  assurer  que 
par  une  juste  punition  de  notre  arrogance  insen- 
sée ,  pendant  que  nous  nous  enflons,  et  flattons 
notre  cœur  par  l'estime  la  plus  emportée  de  ce 
que  nous  sommes ,  nous  ne  méprisons  rien  tant 
que  nous-mêmes.  Et  c'est  ce  que  je  veux  vous 
faire  connaître  ,  non  par  des  raisonnements  re- 
cherchés ,  mais  par  une  expérience  sensible. 

Considérons,  je  vous  prie,  mes  très-chères 
sœurs,  de  quelle  sorte  les  hommes  agissent  quand 
ils  veulent  témoigner  beaucoup  de  mépris;  et 
après  nous  reconnaîtrons  que  c'est  ainsi  que  nous 
traitons  avec  nous-mêmes.^  Quelles  sont  les  per- 
sonnes que  nous  méprisons,  sinon  celles  dont 
nous  négligeons  tous  les  intérêts ,  desquelles  nous 
fuj'ons  la  conversation ,  auxquelles  même  nous 
ne  daignons  pas  donner  quelque  part  dans  notre 
pensée?  Or,  je  dis  que  nous  en  usons  ainsi  avec 
nous-mêmes  :  nous  laissons  dans  le  mépris  toutes 
nos  affaires,  nous  ne  pouvons  converser  avec 
nous-mêmes ,  nous  ne  voulons  pas  penser  à  nous- 
mêmes;  et  en  un  mot,  nous  ne  pouvons  nous 
souffrir  nous-mêmes.  Car  est-il  rien  de  plus  évi- 
dent que  nous  sommes  toujours  hors  de  nous;  je 
veux  dire ,  que  nos  occupations  et  nos  exercices , 
nos  conversations  et  nos  divertissements  nous  at- 
tachent continuellement  aux  choses  externes ,  et 
qui  ne  tiennent  pas  à  ce  que  nous  sommes  ?  Et 
une  preuve  très-claire  de  ce  que  je  dis ,  c'est  que 
nous  ne  pouvons  nous  accoutumer  à  la  vie  re- 
cueillie et  Intéi'ieure. 

Chère  sœur,  dans  la  profession  que  vous  em- 
brassez ,  les  hommes  ne  trouvent  rien  de  plus  in- 
supportable que  la  retraite ,  la  clôture  et  la  soli- 
tude ;  et  toutefois  cette  solitude  est  cause  que  vous 
rentrez  en  vous-même ,  que  vous  vous  entretenez 
avec  vous-même ,  que  vous  pensez  sérieusement 
à  vous-même.  C'est  ce  que  le  monde  ne  peut 
goûter  :  l'homme  pense  qu'il  ne  fait  rien,  s'il 
ne  se  jette  sur  les  objets  qui  se  présentent  ;  tant 
il  est  vrai ,  âmes  chrétiennes ,  que  nous  sommes 
à  charge  à  nous-mêmes.  Voyez  Marthe  dans  notre 
évangile;  elle  s'empresse,  elle  se  tourmente,  elle 
est  extraordinairement  empêchée  :  elle  découvre 
sa  sœur  Marie-Madeleine ,  qui ,  assise  aux  pieds 
de  Jésus,  boit  à  longs  traits  le  fleuve  de  vie  qui 
distille  si  abondamment  de  sa  bouche.  Marthe 
tâche  de  la  détourner  :  «  Seigneur,  ordounez-lui 
«  qu'elle  m'aide  :  »  elle  s'imagine  qu'elle  est  oi- 
sive, parce  qu'elle  ne  la  voit  point  agitée  :  elle 
croit  qu'elle  est  sans  affaires,  parce  qu'étant 


recueillie  en  soi,  elle  veille  à  son  affaire  la  plus 
importante.  Étrange  aveuglement  de  l'esprit  hu- 
main, qui  ne  croit  point  s'occuper  s'il  ne  s'em- 
barrasse, qui  ne  conçoit  point  d'action  sans  agita- 
tion, et  qui  ne  trouve  d'afi'aire  que  dans  le  trouble 
et  dans  l'empressement! 

D'où  vient  cela,  mes  très-chères  sœurs,  si  ce 
n'est  que  nous  nous  ennuyons  en  nous-mêmes , 
possédés  de  l'amour  des  objets  externes?  Et  ainsi 
ne  puis-je  pas  dire  ,  avec  l'admirable  saint  Au- 
gustin :  Usqueadeo  charus  est  hic  mundus  ho- 
miaibus.  Et  sibimet  ipsi  vUuerunt  '  :  «  Les  hom- 
«  mes  aiment  ce  monde  si  éperdument,  qu'ils  s'en 
«  traitent  eux-mêmes  avec  mépris.  »  C'est  ce  que 
reprend  le  Sauveur  des  âmes  dans  les  premières 
paroles  de  ce  beau  passage ,  que  j'ai  allégué  pour 
mon  texte  :  «  Marthe ,  Marthe ,  dit-il ,  tu  t'es  em- 
«  pressée,  et  tu  te  troubles  dans  la  multitude  :  » 
où  il  me  semble  que  sa  pensée  se  réduit  à  ce  rai- 
sonnement invincible,  dont  toutes  les  proposi- 
tions sont  si  évidentes  qu'elles  n'ont  pas  même 
besoin  d'éclaircissement;  écoutez  seulement,  et 
vous  entendrez.  L'âme  ne  peut  être  en  repos ,  si 
elle  n'est  saine ,  et  elle  ne  peut  jamais  être  saine , 
jusqu'à  ce  qu'elle  ait  été  établie  dans  une  bonne 
constitution  :  est-il  rien  de  plus  clair?  Pour  la 
mettre  en  cette  bonne  constitution,  il  faut  né- 
cessairement agir  au  dedans,  et  non  pas  s'épan- 
cher inutilement,  ni  se  vider,  pour  ainsi  dire, 
au  dehors  :  car  la  bonne  constitution ,  c'est  le 
bon  état  du  dedans  ;  qui  le  peut  nier  ?  Ceux  donc 
qui  consument  toutes  leurs  forces  après  la  mul- 
titude des  objets  sensibles ,  puisqu'ils  dédaignent 
de  travailler  au  dedans  d'eux-mêmes,  ils  ne 
trouveront  jamais  la  sauté  de  l'âme ,  ni  par  con- 
séquent son  repos  :  de  sorte  qu'il  n'est  rien  de 
plus  véritable ,  que  nous  ne  pouvons  rencontrer 
que  trouble  dans  la  multitude  qui  nous  dissipe  : 
Martha,  Martha,  sollicita  es,  et  turbaris erga 
plurima.  Quelle  conséquence  plus  nécessaire? 

Que  prétendez-vous ,  ô  riches  du  siècle ,  lors- 
que vous  acquérez  tous  les  jours  de  nouvelles  ter- 
res ,  et  que  vous  amassez  tous  les  jours  de  nou- 
veaux trésors?  Vos  richesses  sont  hors  de  vous; 
et  comment  espérez-vous  pouvoir  vous  remplir 
de  ce  qui  ne  peut  entrer  en  vous-mêmes  ?  Votre 
corps  terrestre  et  mortel  ne  se  nourrit  que  de  ce 
qu'il  prend,  et  de  là  vient  que  la  sagesse  divine 
lui  a  préparé  tant  de  beaux  organes ,  pour  s'unir 
et  s'incorporer  ce  qui  le  sustente.  Votre  âme, 
d'une  nature  immortelle,  n'aura-t-elle  pas  aussi 
ses  organes  pour  recevoir  en  elle-même  le  bien 
qu'elle  cherche?  Maintenant  ouvrez  son  sein  tant 
qu'il  vous  plaira ,  et  vous  verrez  qu'elle  ne  peut 

'  Ad  Glvr.  Ej).  xuii,  u"  2,  l.  u,  col. 


POUR  UNE  VÉTURE. 


381 


recevoir  en  elle  cet  or  et  cet  argent  que  vous  en- 
tassez ,  et  qui  ne  peut  jamais  la  satisfaire  :  lors 
donc  que  vous  pensez  l'en  rassasier,  n'est-ce  pas 
une  pareille  folie ,  que  si  vous  vouliez  remplir  un 
vaisseau  d'une  liqueur  qui  ne  peut  y  être  versée? 
Insensés,  ne  voyez-vous  pas  que  vous  vous  tra- 
vaillez inutilement,  que  vous  vous  troublez  dans 
la  multitude?  Turbaris  erga plurima. 

Et  vous,  qui  recherchez  avec  tant  d'ai'deur  la 
réputation  et  la  gloire ,  pensez-vous  pouvoir  con- 
tenter votre  âme?  Cette  gloire  que  vous  désirez, 
c'est  l'estime  que  les  autrfô  font  de  votre  per- 
sonne. Ou  ils  se  trompent,  ou  ils  jugent  Lien  de 
\  otre  mérite.  S'ils  se  trompent  dans  leur  pensée , 
\ous  seriez  bien  déraisonnables  de  faire  votre  bon- 
heur de  l'erreur  dautrui  :  que  s'ils  jugent  saine- 
ment, c'est  un  bien  pour  eux  ;  et  comment  esti- 
mez-vous pouvoir  étie  riche  d'un  bien  qui  est 
possédé  par  les  autres?  Voyez  donc  que  vous  vous 
épanchez  hors  de  l'unité ,  et  que  vous  vous  trou- 
blez dans  la  muUittîde.  Turbaris  erga  plurima. 

Vous  enfin ,  qui  courez  après  les  plaisirs ,  di- 
tes-moi ,  n'avez- vous  rien  en  vous-mêmes  de  plus 
excellent  que  vos  sens?  Cette  âme,  que  Dieu  a 
faite  à  sa  ressemblance ,  est-elle  insensible  et  stu- 
pide,  et  n'a-t-elle  pas  aussi  ses  contentements? 
Est-ce  en  vain  que  le  Psalmiste  s'écrie  que  son 
cœur  se  réjouit  dans  le  Dieu  vivant  '  ?  Si  l'âme  a 
des  délices  qui  lui  sont  propres ,  si  elle  a  ses  plai- 
sirs à  part;  quelle  est  notre  erreur  et  notre  folie 
de  croire  que  nous  l'aurons  contentée,  lorsque 
nous  aurons  satisfait  les  sens?  Au  contraire,  ne 
jugeons -nous  pas  que  si  nous  ne  lui  donnons 
des  jets  tout  spirituels,  qu'elle  sente  etqu'elle  re- 
çoive par  elle-même,  elle  sortira  au  dehors  pour 
en  chercher  d'autres,  et  qu'elle  se  troublera  dans 
la  multitude?  Turbaris  erga  plurima. 

Ainsi ,  quoi  que  puisse  nous  représenter  notre 
imagination  abusée ,  notre  âme  ne  trouvera  ja- 
mais son  repos,  jusqu'à  ce  que  nous  ayons  com- 
posé nos  mœurs  ;  jusqu'à  ce  que  nous  dégageant 
de  la  multitude,  afin  de  nous  recueillir  en  nous- 
mêmes  ,  nous  nous  soyons  rangés  au  dedans ,  et 
que  nos  affections  soient  bien  ordonnées.  C'est 
ce  que  nous  apprend  le  Psalmiste  lorsqu'il  dit  : 
«  La  justice  et  la  paix  se  sont  embrassées  :  «  Ju- 
stitia  et  pax  osculatœ  siint  *.  Où  est-ce  qu'elles 
se  sont  embrassées?  Elles  se  sont  embrassées  cer- 
tainement dans  le  cœur  du  juste.  C'est  la  ju-stice 
qui  établit  l'ordre  ;  et  lajustice  règne  en  nos  âmes, 
lorsque  les  choses  y  sont  rangées  dans  une  boni»e 
disposition,  et  que  les  lois  que  la  raison  donne 
sont  fidèlement  observées  :  alors  nous  avons  ea 


'    Ps.  XX XIV,  9. 
'  Ps.  LXXXIV,  II. 


nous  la  justice  ;  et  aussitôt  après  nous  avons  la 
paix  :  Justitia  et  pax  osculatœ  sunt. 

O  âme,  si  vous  n'avez  pas  lajustice,  c'est-à- 
dire,  si  vous  n'êtes  pas  recueillie  pour  vous  com- 
poser en  vous-même,  infailliblement  la  paix  vous 
fuira  :  pou;*  quelle  raison  ?  parce  qu'elle  ne  trou- 
vera point  au  dedans  de  vous  lajustice,  sa  bonne 
amie.  Que  si  vous  avez  en  vous  la  justice ,  cette 
justice  qui  vous  retire  en  vous-même  pour  régler 
votre  intérieur,  vous  n'aurez  que  faire  de  cher- 
cher la  paix  ;  elle  viendra  elle-même ,  dit  saint 
Augustin ,  pour  embrasser  sa  fidèle  amie ,  c'est- 
à-dire  ,  la  justice  qui  vous  établit  dans  votre  vé- 
ritable constitution  :  Si  amaverisjustitiam,  non 
diu  quœres  pacem;  quia  et  ipsa  occurret  tibi, 
ut  osculeturjustitiam  '.  D'où  il  s'ensuit  que  nous 
n'avons  point  de  repos ,  jusqu'à  ce  que ,  détachés 
de  la  multitude ,  nous  appliquions  nos  soins  en 
nous-mêmes  pour  régler  notre  intérieur,  selon  ce 
que  dit  le  Seigneur  Jésus  :  «  Marthe ,  Marthe ,  tu 
«  es  empressée ,  et  tu  te  troubles.  » 

C'est  pourquoi  le  grave  Tertullien ,  méprisant 
l'inutilité  de  toutes  les  occupation^rdinaires  :  Je 
ne  suis  point ,  dit-il ,  dans  l'intrigue  ;  on  ne  me 
voit  point  ra'empresser  près  de  la  personne  des 
grands ,  je  n'assiège  ni  leurs  portes  ni  leurs  pas- 
sages, je  ne  me  romps  point  l'estomac  à  crier  au 
milieu  d'un  barreau,  je  ne  fréquente  point  les 
places  publiques;  j'ai  assez  à  travailler  en  moi 
même ,  c'est  là  que  je  mets  toute  mon  affaire  : 
In  me  unicum  negotiujn  mihi  est  :  tout  mon 
soin  est  de  retrancher  les  soins  superflus;  nihil 
aliud  euro,  quam  ne  curem'. 

0  généreuse  résolution  d'un  philosophe  chré- 
tien !  Chère  sœur,  c'est  ce  que  vous  devez  prati- 
quer dans  la  sainte  retraite  où  vous  voulez  vivre. 
Laissez  le  siècle  avec  ses  erreurs  et  ses  empresser 
meuts  inutiles.  Il  ne  peut  souffrir  votre  solitude, 
ni  votre  grille,  ni  votre  clôture;  il  appelle  votre 
retraite  une  servitude  :  au  contraire ,  il  se  glorifie, 
par  une  vaine  ostentation,  de  sa  liberté.  Les 
hommes  du  siècle  croient  être  libres  ;  parce  qu'ils 
errent  deçà  et  delà  dans  le  monde ,  éternellement 
travaillés  de  soins  superflus,  et  ils  appellent  leur 
égarement  une  liberté;  comme  des  enfants  qui 
se  pensent  libres ,  lorsque ,  échappés  de  la  maison 
paternelle,  ils  courent  sans  savoir  où  ils  vont. 
Pernicieuse  liberté  du  siècle,  qui  ne  nous  laisse 
las  le  loisir  de  vaquer  à  nous  !  Heureuse  mille  et 
mille  fois  votre  servitude,  qui  vous  occupe  si  uti- 
lement en  vous-même  ! 

Quelle  affaire  plus  importante,  que  de  com- 
poser son  intérieur,  c'est-à-dire,  la  seule  chose 
qui  nous  appartient?  Quelle  pensée  plus  douce  u^ 

'  In  Ps.  Lxxxiv,  a'  12;  t.  it,  col.  S9S. 
•  l)e  Palliuj  Q"  5. 


8^2 


POUR  UNE  VÈTURE. 


plus  agréable?  Si  ta  maison  menace  ruine,  tu  y 
emploies  les  jours  et  les  nuits  avec  une  satisfaction 
merveilleuse.  Ton  âme  se  dément  de  toutes  parts 
comme  un  édifice  mal  entretenu,  et  tu  n'auras 
point  de  plaisir  à  la  réparer.  Dieu  commet  à  tes 
soins  un  champ  très-fertile;  c'est-à-dire,  l'âme 
raisonnable,  capable  de  porter  des  fruits  immor- 
tels :  quelle  honte,  que ,  dédaignant  un  si  bel  ou- 
vrage,  tu  t'abaisses  jusqu'à  cultiver  une  terre 
stérile  et  infructueuse  ! 

D'ailleurs ,  nos  désirs  sont  si  peu  réglés ,  notre 
esprit  est  préoccupé  de  tant  de  fausses  imagina- 
tions :  ou  l'orgueil  nous  enfle,  ou  l'envie^nous 
ronge,  ou  les  convoitises  nous  brûlent;  et  nous 
nous  laissons  accabler  d'affaires ,  comme  si  celles- 
ci  ne  nous  touchaient  pas ,  ou  qu'il  n'y  en  eût  pas 
assez  pour  nous  occuper.  Enfin ,  que  recherchons- 
nous  parmi  tant  d'emplois?  Pourquoi  gouvernons- 
nous  notre  vie  par  des  considérations  étrangères? 
Je  veux  la  passer  dans  les  grandes  charges.  Mais 
quenous  sert  de  faire  une  vie  publique,  puisque  en- 
fin nous  ferons  tous  une  mort  privée?  Mais  si  je  me 
retire,  que  diifi  le  monde?  Et  pourquoi  voulons- 
nous  vivre  pour  les  autres,  puisque  chacun  doit 
enfin  mourir  pour  soi-même?  0  folie!  ô  illusion! 
ô  troubles  et  empressements  inutiles  des  enfants 
du  siècle!  Chère  sœur,  rompez  ces  liens,  démêlez 
votre  cœur  de  la  multitude ,  et  que  vos  forces  se 
réunissent  pour  la  seule  occupation  nécessaire  : 
Porro  unum  est  necessarium  :  c'est  ma  seconde 
partie,  que  je  joindrai  avec  la  troisième  dans  une 
même  suite  de  raisonnement. 

SECOND    POINT. 

Toutes  les  créatures  intelligentes  tendent  de 
leur  nature  à  l'unité  seule  ;  et  j'apprends  de  saint 
Augustin'  que  le  véritable  mouvement  de  l'âme, 
c'est  de  rappeler  ses  esprits  des  objets  extérieurs 
au  dedans  de  soi ,  et  de  soi-même  s'élever  à  Dieu. 
C'est  pourquoi  Dieu  ayant  fait  le  monde  avec  cet 
admirable  artifice ,  aussitôt  il  introduit  l'homme , 
dit  Philon  le  Juif  » ,  au  milieu  de  ce  beau  théâtre , 
pour  être  le  contemplateur  d'un  si  grand  ouvrage. 
Mais  en  même  temps  qu'il  le  contemple ,  et  qu'il 
jouit  de  l'incomparable  beauté  d'un  spectacle  si 
magnifique ,  il  sent  aussi  en  son  propre  esprit  la 
merveilleuse  vertu  de  l'intelligence ,  qui  lui  dé- 
couvre de  si  grands  miraclesj  et  ainsi,  rentrant 
en  soi-même ,  il  y  ramasse  toutes  ses  forces  pour 
s'élever  à  son  Créateur,  et  louer  ses  libéralités  in- 
finies. De  cette  sorte,  l'âme  raisonnable  se  rappelle 
de  la  multitude  ,  pour  concourir  à  l'unité  seule; 
et  telle  est  son  institution  naturelle.  Mais  le  péché 


»  JJI>.  De  Quanti  t.  animœ ,  n"  53, 1. 1,  col.  423. 
»  Lib.  de  mundi  OiHjicio. 


a  perverti  ce  bel  ordre ,  et  lui  donne  un  mouve- 
ment tout  contraire.  Dans  sa  véritable  consii« 
tution  elle  passe  ù.^  la  multitude  en  soi-même, 
afin  de  réunir  toute  sa  vigueur,  pour  se  transpor- 
ter à  son  Dieu,  qui  est  le  principe  de  l'unité  :  au 
contraire,  le  péché  la  poussant,  elle  tombe  de 
Dieu  sur  soi-même,  et  de  là  sur  la  multitude  des 
objets  sensibles  qui  l'environnent.  Car,  de  même 
qu'une  eau  qui  se  précipite  du  sommet  d'une 
haute  montagne,  rencontrant  au  milieu  de  sa 
course  une  roche ,  premièrement  elle  fond  sur  elle 
avec  toute  son  impétuosité  ;  et  là  elle  est  contrainte 
à  se  partager,  forcée  par  sa  dureté  qui  la  rompt  : 
ainsi  l'homme,  que  son  orgueil  avait  emporté, 
tombe  premièrement  de  Dieu  sur  soi-même, 
comme  dit  l'incomparable  saint  Augustin  ' ,  parce 
qu'il  est  aussitôt  déçu  par  son  amour-propre  ;  et 
là,  rencontrant  l'orgueil  en  son  âme,  élevé  comme 
un  dur  rocher,  U  se  brise,  il  se  partage,  et  il  se 
dissipe  dans  la  vanité  de  plusieurs  désirs  dans 
lesquels  son  âme  s'égare. 

Et  c'est  ce  que  nous  pouvons  comprendre  aisé- 
ment par  le  livre  de  la  Genèse.  Le  serpent  artifi- 
cieux promet  à  nos  pères  que,  s'ils  mangent  le 
fruit  défendu ,  Us  auront  la  science  du  bien  et  du 
mal  ;  et  Adam  se  laisse  surprendre  à  ses  promesses 
fallacieuses^  Certes,  dans  la  pureté  de  son  origine, 
il  avait  la  science  du  bien  et  du  mal  :  car  ne  s'a- 
vait-il pas,  chrétiens,  que  son  souverain  bien  est 
de  suivre  Dieu,  et  le  souverain  mal  de  s'en  éloi- 
gner? Mais  il  veut  chercher  dans  la  créature  ce 
qu'il  possédait  déjà  dans  le  Créateur  ;  après  quoi , 
par  un  jugement  équitable,  le  Créateur  retire 
ses  dons,  desquels  l'homme  orgueilleux  n'était 
pas  content  :  si  bien  que  l'homme  perdit  aussitôt 
la  véritable  science  du  bien  et  du  mal ,  et  il  ne 
resta  plus  en  son  âme  que  la  vaine  curiosit&de  la. 
rechercher  dans  la  créature. 

C'est  ainsi  que  nous  allons,  hommes  misérables,, 
cherchant  curieusement  le  bien,  et  tâchant  de  le 
goûter  partout  où  nous  en  voj'ons  quelques  ap- 
parences. Et  comme  toute  âme  curieuse  est  natu- 
rellement inquiète,  notre  humeur  remuante  et 
volage  ne  pouvant  s'arrêter  à  un  seul  désir,  se 
partage  en  mille  affections  déréglées,  et  erre  de 
désirs  en  désirs  par  un  mouvement  éternel.  De 
là  vient  que  l'homme  animal  ne  peut  comprendre 
ce  que  dit  le  Seigneur  Jésus,  qu'il  n'y  a  qu'une 
chose  qui  soit  nécessaire  :  et  la  raison  en  est  évi 
dente;  car  nous  ne  croyons  pas  pouvoir  être 
heureux,  si  nos  désirs  ne  sont  satisfaits;  et  ainsi 
notre  cœur  étant  échauffé  d'une  infinité  de  désirs, 
le  vieil  Adam  ne  peut  pas  entendre  qu'il  trouve. 


/>.;  Or/7.  Dci ,  lib.  Xiv,  Cip.  Xiii,  l.  vu,  col.  aô4,  o{»5. 
G'cH.  m.  Ck 


POUR  UNE  VÊTUUE. 


333 


jamais  la  fclicité  en  ne  poursuivant  qu'une  seule 
chose.  0  misère  !  ô  aveuglement ,  qui  établit  la 
félicité  à  contenter  les  désirs  irréguliers  qui  sont 
causés  par  la  maladie!  Éveillez-vous,  ô  enfants 
d'Adam ,  retournez  à  lunité  sainte  de  laquelle 
vous  êtes  déchus  par  la  pernicieuse  curiosité  de 
chercher  le  bien  dans  les  créatures  :  au  lieu  de 
partager  vos  désirs ,  apprenez  du  sauveur  Jésus 
à  les  réunir,  et  vous  saurez  le  secret  de  les  con- 
tenter :  Porro  unum  est  necessarium.  Cessez  de 
m'inquiéter,  désirs  importuns ,  ne  prétendez  pas 
partager  mon  cœur;  laissez-moi  écouter  le  Sei- 
gneur Jésus,  qui  m'assure,  dans  son  Évangile, 
qu'il  n'y  a  qu'une  chose  qui  soit  nécessaire. 

Et  certes,  quand  je  considère,  mes  très-chères 
sœurs,  qu'entre  tous  les  êtres  que  nous  connais- 
sons, il  n'y  a  que  Dieu  seul  qui  soit  nécessaire, 
que  tout  le  reste  change ,  tout  le  reste  passe ,  qu'il 
n'y  a  que  notre  grand  Dieu  qui  soit  immuable; 
je  fais  ce  raisonnement  en  moi-même  :  S'il  n'y  a 
qu'un  seul  être  qui  soit  nécessaire  en  lui-même, 
il  n'y  a  rien  aussi ,  à  l'égard  des  hommes ,  qu'une 
seule  opération  nécessaire,  qui  est  de  suivre  uni- 
quement cet  un  nécessaire  :  car  il  est  absolument 
impossible  que  notre  repos  puisse  être  assuré ,  s'il 
ne  s'appuie  sur  quelque  chose  qui  soit  immobile. 
Plus  une  chose  est  réunie  en  elle-même ,  plus  elle 
approche  de  l'immutabilité.  L'unité  ne  donne 
point  de  prise  sur  elle ,  elle  s'entretient  également 
partout  :  au  contraire ,  la  multitude  cause  la  cor- 
ruption ,  ouvrant  l'entrée  à  la  ruine  totale  par 
la  dissolution  des  parties.  Il  faut  donc  que  mon 
cœur  aspire  à  l'unité  seule,  qui  associera  toutes 
mes  puissances,  qui  fera  une  sainte  conspiration 
de  tous  les  désirs  de  mon  âme  à  une  fin  éternel- 
lement immuable  :  Porro  unum  est  necessarium. 
Je  m'élève  déjà,  ce  me  semble,  au-dessus  de 
toutes  les  créatures  mortelles;  animé  de  cette 
bienheureuse  pensée ,  je  commence  à  découvrir 
la  stabilité  que  me  promet  le  sauveur  Jésus  dans 
la  troisième  partie  de  mon  texte  :  Maria  opti- 
viam  partem  elegit,  quœ  non  auferetur  ab  ea  : 
'  Marie  a  choisi  la  meilleure  partie,  qui  ne  lui 
»  sera  point  ôtée.  -^  Oui ,  si  nous  suivons  fortement 
cet  un  nécessaire ,  qui  nous  est  proposé  dans  notre 
évangile,  nous  trouverons  une  assurance  infailli- 
ble parmi  les  tempêtes  de  cette  vie. 

Et  comment,  me  direz-vous,  chères  sœurs, 
comment  pouvons-nous  trouver  l'assurance  ;  puis- 
que nous  gémissons  encore  ici-bas  sur  les  fleu- 
ves de  Babylone ,  éloignés  de  la  Jérusalem  bien 
heureuse  qui  est  le  centre  de  notre  repos  ?  Saint 
Augustin  vous  l'expliquera  par  une  doctrine  ex- 
cellente, tirée  de  lapôtre  :  «  Nous  ne  sommes 
«  pas  encore  parvenus  au  ciel  ;  mais  nous  y  avons 
■  déjà  envoyé  une  sainte  et  salutaire  espérance  :  « 


Jam  spem  prœmistmus,  dit  saint  Augustin  '  ;  et 
ce  grand  homme  nous  fait  comprendre  quelle 
est  la  force  de  l'espérance,  par  une  excellente 
comparaison.  Nous  voguons  en  la  mer,  dit  ce 
saint  évêque  ;  mais  nous  avons  déjà  jeté  l'ancre 
au  ciel,  quand  nous  y  avons  porté  l'espérance, 
que  l'apôtre  appelle  l'ancre  de  notre  âme  *.  Et  de 
même  que  l'ancre ,  dit  saint  Augustin ,  empêche 
que  la  navire  ne  soit  emporté;  et  quoiqu'il  soit 
au  milieu  des  ondes,  elle  ne  laisse  pas  de  l'établir 
sur  la  terre  :  ainsi  quoique  nous  flottions  encore 
ici-bas,  l'espérance  qui  est  l'ancre  de  notre  âme, 
et  cpie  nous  avons  envoyée  aa  ciel ,  fait  que  nous 
y  sommes  déjà  établis. 

C'est  pourquoi  je  vous  exhorte ,  ma  très-chère 
sœur,  à  mépriser  généreusement  la  pompe  du 
monde,  et  à  choisit  la  meilleure  part,  qui  ne  vous 
sera  point  ôtée.  Non  certes,  elle  ne  vous  sera 
point  ôtée;  votre  retraite,  votre  solitude,  vous 
fera  commencer  dès  ce  monde  une  vie  céleste  : 
ce  que  vous  commencerez  sur  la  terre ,  vous  le 
continuerez  dans  l'éternité.  Dites-moi ,  que  cher- 
chez-vous dans  ce  monastère?  Vous  y  venez 
contempler  Jésus ,  écouter  Jésus  avec  Marie  la 
contemplative  ;  vous  y  venez  pour  louer  Jésus , 
pour  goûter  Jésus,  pour  aimer  uniquement  ce 
divin  Jésus  :  c'est  pour  cela  que  vous  séparez  votre 
cœur  de  l'empressante  multiplicité  des  désirs  du 
siècle.  Que  font  les  [saints  dans  le  ciel?  Ils  jouis- 
sent de  Dieu  dans  une  bienheureuse  paix ,  qui 
réunit  en  lui  tous  leurs  désii*s  ;  ils  le  contemplent 
avec  une  insatiable  admiration  de  ses  grandeurs  ; 
ils  l'aiment  avec  un  doux  ravissement,  qui  leur 
fait  toujours  trouver  de  nouvelles  délices  dans 
l'objet  de  leur  amour;  et  le  saint  transport,  dont 
ils  sont  animés ,  ne  leur  permet  pas  de  se  lasser 
jamais  de  louer  et  de  célébrer  ses  miséricordes. 
Voilà,  ma  chère  sœur,  le  modèle  de  la  vie  que 
vous  allez  embrasser.  Qu'elle  est  aimable  !  qu'elle 
est  heureuse  !  qu'elle  est  digne  de  votre  empres- 
sement ,  et  de  remplir  tous  vos  jours  !  j 

Mais  achèverons-nous  ce  discours  sans  parler 
de  la  divine  Marie,  donc  nous  célébrons  aujour- 
d'hui la  nativité  bienheureuse?  Allons  tous  en-- 
semble,  mes  très-  chères  sœurs,  allons  au  berceau 
de  Marie ,  et  couronnons  ce  sacré  berceau ,  non 
point  de  lis  ni  de  roses ,  mais  de  ces  fleurs  sacrées 
que  le  Saint-Esprit  fait  éclore  ;  je  veux  dire ,  de 
pieux  désirs  et  de  sincères  louanges.  Regardons 
l'incomparable  Marie  comme  le  modèle  achevé 
de  la  vie  retirée  et  intérieure;  et  tâchons  de 
remarquer  en  sa  vie ,  selon  la  portée  de  l'esprit 
humain ,  la  pratique  des  vérités  admirables  que 
son  Fils  notre  Sauveur  nous  a  enseignées. 

'  In  Ps.  LXiv,  n'  3;  t.  IT,  col.  603. 
»  llebr.  VI ,  19 . 


ZZi 


POUR  UiNE  YÉTUKE. 


SERMON 

PRÊCHÉ 

A  LA  VÊTURE   D'UxXli   NOUVELLE  CATHOLIQUE, 

LE  JOUR    DE   LA    PURIFIC4T10N. 

Grandeur  de  la  miséricorde  que  Dieu  avait  fait  éclater  sur 
elle.  La  multitude  des  Églises ,  cette  Église  unique  et  première 
que  les  apôtres  avaient  fondée.  Combien  il  est  nécessaire  de 
demcurerdans  son  unité  :  son  éternelle  durée,  justifiée  contre 
les  sentiments  des  protestants.  Erreurs  monstrueuses,  et 
absurdités  qui  résultent  du  système  de  cette  Église  cactiée 
qu'ils  ont  voulu  supposer.  La  perfection  de  l'Église  dans 
l'unité. 


Vocavit  vos  de  tenebris  in  admirabile  lumen  suum. 

Il  vous  a  appelée  des  ténèbres  à  son  admirable  lumière. 
I.  Petr.  Il,  9. 

Ma  très-chère  sœur  en  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ;  après  les  grandes  miséricordes  que  Dieu 
a  fait  éclater  sur  vous,  je  ne  puis  mieux  com- 
mencer ce  discours  que  par  des  actions  de  grâces 
publiques,  remerciant  sabonté  paternelle  qui  vous 
a  miraculeusement  délivrée  de  la  puissance  des 
ténèbres,  pour  vous  transporter  au  royaume  de 
son  Fils  bien-aimé. 

En  effet,  n'est -il  pas  bien  juste,  ô  grand  Dieu , 
que  votre  sainte  Église  catholique  vous  loue  et 
vous  glorifie  dans  les  siècles  des  siècles?  Car 
qui  n'admirerait  la  profondeur  de  vos  jugements, 
ô  éternel  Roi  de  gloire,  qui,  pour  la  punition 
de  nos  crimes ,  ou  pour  quelque  autre  secret  con- 
seil de  votre  sainte  providence,  ayant  permis 
qu'en  ces  derniers  temps  l'Église  chrétienne  fût 
déchirée  par  tant  de  sortes  de  schismes ,  et  par 
tant  de  lamentables  divisions,  ne  perdez  pas 
pour  cela  les  âmes  que  vous  avez  choisies  ;  mais 
qui,  étant  riche  en  miséricorde,  savez  les  éclai- 
rer, même  dans  le  sein  de  l'erreur,  et  selon  votre 
bon  plaisir  les  attirez  par  des  ressorts  infaillible 
à  la  véritable  croyance.  C'est  ce  que  vous  avez 
fait  paraître  en  cette  jeune  fille,  élevée  dans  le 
schisme  et  dans  l'hérésie ,  que  vous  avez  regar- 
dée en  pitié ,  ô  Père  très-clément  et  très-bon  ! 
On  la  nourrissait  dans  une  doctrine  hérétique  ; 
mais  vous  avez  voulu  être  son  docteur.  Vous  lui 
avez  ouvert  les  yeux ,  pour  voir  votre  admira- 
ble lumière  :  vous  avez  voulu  faire  paraître  qu'il 
n'y  a  point  d'âge  qui  ne  soit  mûr  pour  la  foi,  et 
que  l'homme  est  assez  savant  quand  il  sait  écou- 
ter vos  saintes  inspirations  :  Et  voici  qu'étant 
instruite  de  la  véritable  doctrine,  que  nous 
avons  reçue  de  nos  pères  par  une  succession  de 
tant  de  siècks,  touchée  en  son  cœur  d'un  extrême 
dégoût  de  ce  monde  trompeur,  et  d'un  chaste 
amour  de  votre  cher  Fils,  qu'elle  désire  choisir 
pour  son  seul  Époux,  elle  se  vient  présenter 


devant  vos  autels ,  afin  que  vous  ayez  agréabl« 
qu'elle  soit  admise  aujourd'hui  à  l'épreuve  d'une 
vie  retirée.  Bénissez-la,  Seigneur,  et  soyez  loué 
à  jamais  des  grâces  que  vous  lui  faites  :  que  les 
anges  et  tous  les  esprits  bienheureux  chantent 
éternellement  vos  bontés. 

Et  vous ,  ma  chère  sœur,  que  Dieu  comble  de 
tant  de  bienfaits,  considérez  ces  dévotes  filles, 
et  toute  cette  pieuse  assemblée.  Mais  élevez  plus 
haut  vos  regards  ;  contemplez  en  esprit  la  sainte 
Église  de  Dieu ,  tant  celle  qui  règne  dans  le  ciel , 
que  celle  qui  combat  sur  la  terre  :  croyez  qu'elle 
triomphe  de  joie,  de  voir  eu  vous  des  effets  si 
visibles  de  la  miséricorde  divine.  Éclatez  aussi 
en  hymnes  et  en  cantiques;  dites,  dans  l'épan- 
chement  de  votre  âme  :  «  0  Seigneur,  qui  est 
«  semblable  à  vous  '  ?  Que  le  Dieu  d'Israël  est  bon 
«  à  ceux  qui  sont  droits  de  cœur  %  »  et  qui  mar- 
chent devant  sa  face  en  toute  simplicité  ! 

Pour  moi ,  afin  de  vous  animer  davantage  à 
rendre  à  notre  grand  Dieu  de  fidèles  actions  de 
grâces,  je  vous  donnerai,  avec  l'assistance  di- 
vine ,  quelques  avis  succincts ,  mais  très-impor- 
tants, et  sur  ce  que  vous  avez  fait  et  sur  ce  que 
vous  allez  faire.  Je  vous  représenterai  premiè- 
rement la  grande  grâce  que  Dieu  vous  a  faite 
de  vous  retirer  des  ténèbres  de  l'hérésie  ;  et 
après,  je  tâcherai  de  vous  faire  voir  de  quelle 
sorte  vous  devez  user  de  l'inspiration  qu'il  vous 
donne ,  de  renoncer  entièrement  à  toutes  les  es- 
pérances du  siècle  :  et  il  se  rencontre  fort  à  pro- 
pos, que  les  deux  principaux  mystères  que  nous 
célébrons  en  ce  jour,  conviennent  très-bien  avec 
ce  sujet.  Dans  la  purification  de  la  Vierge,  vous 
pouvez  considérer  avec  fruit  que  Dieu ,  par  sa 
pure  bcnté ,  vous  a  purgée  de  votre  hérésie  ;  et 
dans  l'oblation  de  l'Enfant  Jésus ,  que  l'on  pré- 
sente aujourd'hui  à  son  Père ,  vous  devez  faire 
réflexion  sur  le  dessein  que  vous  méditez,  de  vous 
consacrer  pour  jamais  à  son  service  par  une  pro- 
fession solennelle.  C'est  sur  quoi  je  vous  entre- 
tiendrai en  ce  jour  :  vous  ferez  seule  tout  le  sujet  de 
cette  exhortation.  Au  reste ,  n'attendez  pas  de  moi 
tous  ces  ornements  de  la  rhétorique  mondaine  ; 
mais  priez  seulement  cet  Esprit  qui  souffle  où  il 
veut,  qu'il  daigne  répandre  sur  mes  lèvres  ces 
deux  beaux  ornements  de  l'éloquence  chrétienne, 
la  simplicité  et  la  vérité ,  et  qu'il  étende  par  sa 
grâce  le  peu  que  j'ai  à  vous  dire. 

PREMIER    POINT. 

Si ,  parlant  aujourd'hui  de  nos  frères ,  qui  à 
notre  grande  douleur,  se  sont  séparés  d'avec 

'   P$.  XXXIV,  10. 

2  Ps.  Lxxn,  I. 


POUR  UNE  VÉTURE. 


335 


nous,  j'appoUe  leur  Église  une  Église  de  ténè- 
hros;  je  les  prie  de  ne  eroire  pas  que ,  pour  con- 
ilamner  leur  erreur,  je  m'aigrisse  contre  leurs 
personnes.  Certes,  je  puis  dire  d'eux  avec  vérité 
ce  que  l'apôtre  disait  des  Juifs  • ,  que  le  plus  ten- 
dre désir  de  mon  cœur,  et  la  plus  ardente  prière 
que  je  présente  tous  lesjours  à  mon  Dieu,  est  pour 
leur  salut.  Je  ne  puis  voir,  sans  une  extrême 
douleur,  les  entrailles  de  la  sainte  Église  si  cruel- 
lement déchirées,  et  pour  parler  plus  humaine- 
ment, je  suis  touché  au  vif  quand  je  considère 
tant  dhonnètes  gens  que  je  chéris,  comme  Dieu 
le  sait ,  marcher  dans  la  voie  de  ténèbres.  Mais 
afin  qu'il  ne  semble  pas  queje  veuille  faire  aujour- 
d'hui une  invective  inutile ,  je  vous  proposerai 
nue  doctrine  solide,  et  conduirai  ce  discours,  si 
Dieu  le  permet,  avec  une  telle  modération ,  que 
sans  les  chai-ger  d'injures,  je  les  presserai  par  de 
vives  raisons  tirées  des  Écritures  divines,  et  des 
Pères  leurs  interprètes  fidèles. 

Je  dis  donc  en  premier  lieu,  chrétiens,  que 
Dieu  est  une  pure  et  incompréhensible  lumière, 
(le  laciuelle  toute  autre  lumière  prend  son  origine  ; 
doù  vient  que  l'apôtre  saint  Jean  dit  que  «  Dieu 
est  lumière ,  et  qu'en  lui  il  n'y  a  point  de  ténè- 
bres'. "  Kl  saint  Paul  l'appelle  «  Père  de  lumière, 
«  qui  habite  une  lumière  inaccessible  ^.  »  Le 
uenre  Inimain ,  chrétienne  assemblée,  s'étant 
retiré  de  cette  lumière  éternelle,  languissait  dans 
une  nuit  profonde  et  dans  des  ténèbres  plus  qu'é- 
gyptiennes, loi-sque  Dieu,  touché  de  pitié ,  envoya 
son  cher  Fils  en  la  terre ,  pour  être  la  lumière  du 
monde,  comme  il  dit  lui-même  en  saint  Jeau^. 
C'est  lui  qui  est  cette  véritable  et  universelle  lu- 
mière, "  qui  illumine  par  ses  clartés  tout  homme 
venant  au  monde  '.  »  C'est  la  splendeur  de  la  gloire 
du  Père,  qui,  étant  devenu  chair  dans  la  plénitude 
des  temps,  est  entrée  en  société  avec  nous;  et 
nous  a  faits  participants  de  ses  dons  :  car  ayant 
commencé  sur  la  terre  l'exercice  de  son  minis- 
tère par  la  prédication  de  la  parole  de  vie  que 
son  Père  lui  mettait  à  la  bouche ,  il  a  assemblé 
près  de  sa  personne  les  premiers  ministres  de 
son  Évangile,  qu'il  a  appelés  ses  apôtres';  parce 
qu'après  sa  course  achevée ,  il  les  devait  envoyer 
par  toutes  les  provinces  du  monde ,  pour  agréger 
ses  brebis  dispersées,  sous  l'invocation  de  son 
nom ,  et  la  profession  de  son  Évangile.  Et  comme 
il  a  dit  de  lui-même  qu'il  était  la  lumière  du 
monde,  ainsi  que  je  vous  le  rapportais  tout  à 
l'heure  ;  de  même  a-t-il  dit ,  parlant  à  ses  saints 
apôtres  :  a  Vous  êtes  la  lumière  du  monde  :  » 

'  Rotn.  j[,  I. 
'  I.  Joan.  I,  5. 

*  I.  Tim.M,  iCr. 

*  Joan    vin.  12, 

*  lOiJ.  1,  u. 


Vos  csiis  lux  mun<li'\  parce  qu'étant  éclairés 
des  lumières  de  ce  bon  Pasteur  par  l'infusion  de 
son  Saint-Esprit ,  ils  ont  eux-mêmes  communiqué 
la  lumière  aux  peuples  errants ,  comme  dit  l'a- 
pôtre saint  Paul  écrivant  aux  Éphésiens  :  «  Vous 
«  étiez  autrefois  ténèbres;  mais  vous  êtes  main- 
n  tenant  lumière  en  Noire-Seigneur».  » 

Cette  lumière ,  au  commencement ,  se  répandit 
sur  peu  de  personnes  ;  parce  que ,  selon  la  para- 
bole de  l'Évangile,  l'Église,  d'un  petit  grain, 
devait  devenir  un  grand  arbre ^.  Mais  enfin,  par 
la  miséricorde  de  Dieu ,  la  foi  étant  augmentée, 
on  a  fondé  des  Églises  par  toutes  les  parties  de 
la  terre,  selon  le  modèle  de  celles  que  les  saints 
apôtres  avaient  établies.  Fidèles,  ne  croyez  pas 
que  l'on  ait  divisé  pour  cela  celte  première  et 
originelle  lumière,  ou  que  l'on  ait,  pour  ainsi 
dire ,  arraché  quelque  rayon  aux  Églises  apos- 
toliques,  pour  les  porter  aux  autres  Églises.  Cer- 
tes, cela  ne  s'est  pas  fait  de  la  sorte  :  cette  lu- 
mière a  été  étendue;  mais  elle  n'a  pas  été  divisée. 
En  faisant  de  nouvelles  Églises,  on  n'a  pas  fait 
des  sociétés  séparées  :  «  On  a  été  prendre  des  pre- 
«  mières  Églises  la  continuation  de  la  foi ,  et  la 
«  semence  de  la  doctrine  :  »  Traducem  fidei  et 
semina  doctrinœ  cœterœ  exinde  Ecclesiœ  mu- 
tuatœ  sunt,  dit  TertuHien^.  Toutes  les  Églises 
sont  apostoliques,  parce  qu'elles  sont  descendues 
des  Églises  apostoliques.  Un  si  grand  nombre 
d'Églises,  dit  Tertullien ,  ne  sont  que  cette  Église 
unique  et  première  que  les  apôtres  avaient  fon- 
dée. Elles  sont  toutes  premières  et  toutes  apos- 
toliques ;  parce  qu'elles  se  sont  toutes  rangées  à 
la  même  paix ,  qu'elles  se  sont  associées  à  la  même 
unité,  qu'elles  ont  toutes  le  même  principe.  •  L'É- 
«  glise  éclairée  par  le  sauveur  Jésus ,  qui  est  son 
«  véritable  soleil ,  dit  l'admirable  saint  Cv'prien  ^, 
«  bien  qu'elle  répande  ses  rayons  par  toute  la 
«  terre,  n'a  qu'une  lumière  qui  se  communique 
«  partout  :  »  Ecclesia  Domini  luce  perfusa  per 
totum  orbem  radios  suos  porrigit  ;  unum  tamen 
lumen  est;  quod  ubique  diffunditurj  nec  unitas 
corporis  scparatur. 

Par  où  vous  voyez,  mes  chers  frères,  que 
l'Église  est  le  lieu  sacré  dans  lequel  Jésus-Christ 
renferme  le  trésor  des  lumières  célestes.  Quel- 
que docte  que  soit  un  homme,  quelque  beaux 
sentiments  qu'il  professe ,  il  marche  dans  les  té- 
nèbres s'il  abandonne  l'unité  de  l'Église.  Celui- 
là  ne  peut  avoir  Dieu  pour  père,  qui  n'a  pas 
l'Église  |x)ur  mère.  En  vain  nos  adversiiires  se 
glorifient-ils,  en  toutes  rencontres,  de  la  science 

'  Malt  h.  V,  H. 

»  Ephes.  V,  8. 

'  Luc.  xin  ,  19. 

♦  De  Prœscript.  n"  20. 

»  Ub.  de  Unit.  Eccl.  p.  IVy. 


:'r.r,  POUR  Ux\E 

«les  Écritures,  qu'ils  nVnt  jamais  bien  étudiées 
selon  la  métliode  des  Pères,  qui  ont  fait  gloire 
de  suivre  les  interprétations  de  leurs  ancêtres. 
«  Nous  enseignons,  disaient-ils,  ce  que  nous  ont 
«  appris  nos  prédécesseurs  ;  et  nos  prédécesseurs 
«  l'ont  reçu  des  hommes  apostoliques;  et  ceux- 
«  là,  des  apôtres  ;  et  les  apôtres,  de  Jésus-Christ  ; 
"  et  Jésus-Christ,  de  son  Père.  »  C'est  à  peu  près 
ce  que  veulent  dire  ces  mots  du  grand  Tertullien  : 
Ecclesia  ab  apostolis,  apostoU  a  Christo,  Chri- 
stusa  Deo  tradidit '.0  la.  heWe  chaîne,  ô  la  sainte 
concorde,  ô  la  divine  tissure  que  nos  nouveaux 
docteurs  ont  rompue!  Cette  belle  succession  était 
la  gloire  de  l'Église  de  Dieu  :  c'est  ce  que  nous 
opposions  aux  ennemis  de  Jésus,  que  malgré  les 
tyrans  et  les  hérétiques ,  malgré  la  violence  et 
la  fraude,  l'Église  de  Jésus- Christ  était  demeurée 
immobile. 

Ils  renoncent  volontairement  à  cet  avantage. 
N'ont-ils  pas  osé  assurer,  dans  l'article  xxxi  de 
leur  Confession,  qu'il  a  été  nécessaire  que  Dieu 
en  notre  temps,  auquel  l'état  de  l'Église  était  in- 
terrompu ,  ait  suscité  gens  d'une  façon  extraordi- 
naire, pour  dresser  l'Église  de  nouveau ,  qui  était 
en  ruine  et  désolation?  0  parole  inouïe  aux  pre- 
miers chrétiens  !  si  ce  n'est ,  certes ,  qu'elle  a  tou- 
jours été  témérairement  avancée  par  les  hérétiques 
leurs  prédécesseurs,  et  toujours  constamment 
réfutée  par  nos  Pères  les  orthodoxes.  L'avez-vous 
jamais  cru,  ô  saints  martyrs,  ô  bienheureux 
évêques,ô  docteurs  divinement  éclairés,  l'avez- 
vous  jamais  cru  que  cette  Église  que  vous  fondiez 
par  votre  sang ,  ou  que  vous  instruisiez  par  votre 
doctrine ,  dût  être  durant  tant  de  siècles  entière- 
ment abolie,  jusqu'à  ce  que  Luther  et  Calvin  la 
vinssent  dresser  de  nouveau?  Cette  cité  qui  a  oc- 
cupé tout  le  monde.  Dieu  l'a  fondée  éternelle- 
ment, dit  l'admirable  saint  Augustin*;  le  firma- 
ment tomberait  aussitôt  que  l'Église  serait  éteinte  : 
Deus  fundavit  eam  in  œternum. 

Certes,  il  est  indubitable,  ô  sauveur  Jésus  : 
comme  durant  toute  l'éternité  vous  serez  béni 
dans  le  ciel  ;  ainsi ,  pendant  toute  la  durée  de  ce 
siècle,  vous  aurez  toujours  des  adorateurs  sur 
la  terre.  Et  où  seront  ces  adorateurs,  si  votre 
Église  doit  tomber  en  ruine?  Comment  pourriez- 
vous  être  adoré  dans  une  Église  entièrement  dé- 
solée, une  Église  infectée  d'erreurs,  faisant  pro- 
fession publique  d'idolâtrie,  une  Église  enfin 
telle  qu'elle  a  été  durant  plusieurs  siècles,  sui- 
vant l'opinion  de  nos  adversaires?  Seigneur  Jé- 
sus ,  encore  une  fois ,  où  étaient  alors  vos  adora- 
teurs? Eh!  dites-nous,  je  vous  prie,  nos  frères, 
qui  dites  si  hautement  que  vous  voulez  suivre 

'  De  Prœscript.  n"  37. 

*  In  Psal.  XLVii,  n"  7,  t.  IV,  col.  420. 


VÊTUUE. 

les  Écritures,  dans  q^iel  évangile  ou  oans  quelle 
prophétie  voyez-vous  que  l'Église  dût  un  jour 
tomber  en  ruine ,  qu'elle  dût  être  désolée  durant 
tant  de  siècles?  La  Synagogue  même  des  Juifs, 
qui  n'avait  pas  de  si  belles  promesses,  a-t-cl!e 
jamais  eu  de  si  longues  éclipses?  Est-ce  là  cette 
Église  fondée  sur  la  pierre,  contre  laquelle  les 
portes  d'enfer  ne  peuvent  jamais  prévaloir'? 
Comment  est-ce  que*  l'Église  de  Dieu  est  enfin 
tombée  en  ruine ,  et  a  été  obscurcie  d'erreurs ,  elle 
que  l'apôtre  appelle  la  colonne  et  le  soutien  de  la 
vérité'?  Le  sauveur  Jésus  parlant  à  ses  disciples , 
et  en  leur  personne  à  ceux  qui  se  devaient  assem- 
bler avec  eux ,  ou  qui  leur  devaient  succéder  : 
«  Je  serai,  dit-il ,  avec  vous  jusqu'à  la  consomma- 
«  tion  des  siècles^.  »  Où  étiez- vous  donc,  ô  Sau- 
veur, quand  nos  réformateurs ,  sans  aveu ,  sont 
venus  dresser  de  nouveau  votre  Église  ? 

Certes ,  je  vous  l'avoue ,  mes  chers  frères ,  je 
ne  puis  modérer  ma  douleur,  quand  je  vois  de 
telles  paroles  prononcées  par  des  chrétiens.  Aussi 
ont-ils  tâché  de  les  adoucir  par  diverses  explica- 
tions ,  autant  vaines  que  spécieuses.  Je  vous  les 
rapporterai,  s'il  vous  plaît;  et  puis ,  à  l'honneur 
de  la  vérité ,  et  pour  la  consolation  de  nos  âmes , 
nous  les  réfuterons  en  esprit  de  paix.  Il  leur  a 
semblé  fort  étrange  de  dire  que  l'Église  de  Jésus- 
Christ  dût  cesser  si  longtemps  d'être  sur  la  terre. 
Les  luthériens  de  la  confession  d'Augsbourg, 
leurs  frères  et  leurs  nouveaux  alliés ,  assurent  en 
l'article  vu  qu'il  y  a  une  Église  sainte  qui  demeu- 
rera toujours.  Ils  parlent  de  l'Église  qui  est  en 
ce  monde.  Et  leurs  propres  Églises ,  qui  sont  dans 
la  Suisse  et  autres  pays,  disent  au  chapitre  xvir 
qu'il  faut  qu'il  y  ait  toujours  eu  une  Église, 
qu'elle  soit  encore,  et  qu'elle  dure  jusqu'à  la  fin 
des  siècles  ;  c'est-à-dire ,  une  assemblée  des  fidè- 
les appelés  et  recueillis  de  tout  le  monde.  Inter- 
rogez nos  frères  errants ,  il  faudra  qu'ils  répondent 
la  même  chose.  Demandez-leur  où  était  cette 
Église,  lorsqu'il  n'en  paraissait  dans  le  monde 
aucune  qui  fit  profession  de  leur  foi.  Comme  c'es^ 
une  chose  évidente,  ils  vous  répondront  tous 
qu'elle  était  cachée,  qu'elle  ne  paraissait  pas  par 
un  terrible  jugement  de  Dieu ,  qui  la  retirait  de  la 
vue  des  méchants.  Ils  pensent  ainsi  réparer  l'in- 
jure qu'ils  feraient  à  l'Église,  s'ils  osaient  assu- 
rer qu'elle  fût  entièrement  abolie.  Mais  quelle 
âme  vraiment  chrétienne  ne  déplorerait  pas  leur 
aveuglement? 

Ah  !  que  vous  êtes  vraiment  redoutable  en  vos 
conseils ,  ô  grand  Dieu ,  qui  avez  permis ,  par  \  no 
juste  vengeance ,  que  ceux  qui  ont  déchiré  votre 

'  Matth.wi,  18. 

2  I.  Tim.  III,  15. 

3  Matih.  XX VIII,  20. 


POUR  UNE  VÊTURF. 


837 


E"li'ie  ne  sussent  pas  même  ce  que  c'est  que  l'É- 
glise  I  l'Église,  à  votre  avis,  nos  chers  frères,  n'est- 
ce  tju'une  multitude  sans  union?  consiste- t-elle 
en  des  gens  dispersés ,  qui  n'ont  rien  de  commun 
qu'en  esprit  ?  est-ce  assez  qu'ils  croient  intérieu- 
rement? n'est-il  pas  nécessaire  qu'ils  fassent  pro- 
fession de  leur  foi?  Mais  l'apôtre  dit  expressé- 
ment que  «  l'on  croit  dans  le  cœur  à  justice ,  et 
«  que  l'on  confesse  par  la  bouche  à  salut'.  «  Et 
le  Sauveur  lui-même  :  «  Qui  me  confessera ,  dit-il, 
n  devant  les  hommes,  je  le  confesserai  devant  mon 
•  Père  céleste*.  »  De  plus,  est-ce  assez  que  chacun 
h»  professe  en  particulier?  Ne  faut-il  pas  que  ceux 
qui  invoquent  avec  sincérité  le  nom  du  Seigneur, 
lient  ensemble  une  sainte  société ,  par  la  confes- 
sion publique  de  la  même  foi?  Et  cette  Église  ca- 
chée ,  dont  vous  nous  parlez ,  comment  pouvait- 
elle  avoir  une  confession  publique?  qu'est-ce  autre 
chose  qu'un  amas  de  personnes  timides,  qui  n'o- 
saient confesser  ce  qu'ils  croyaient ,  qui  démen- 
taient leurs  consciences ,  en  s'unissant  de  corps 
à  une  Église  dont  ils  se  séparaient  en  esprit? 
Certes ,  s'ils  se  fussent  séparés  d'avec  nos  pères, 
leur  séparation  les  eût  rendus  remarquables ,  el 
leur  société  se  serait  produite;  elle  n'aurait  pas 
été  cachée ,  comme  vous  le  dites.  Et  s'ils  sont  de- 
meurés unis  ;  quoi ,  ces  justes ,  ces  gens  de  bien , 
cette  Église  prédestinée,  allaient  adorer  Dieu 
dans  nos  temples  qui  étaient  des  temples  d'ido- 
les ,  et  communiquaient  à  nos  prières  qui  renver- 
saient la  dignité  du  médiateur,  et  assistaient  à 
nos  sacrifices  qui  réduisent  à  néant  celui  de  la 
croix?  Chers  frères,  en  quel  abîme  d'erreurs 
tombez-vous? 

Mais ,  pour  vous  presser  encore  davantage  :  il 
n'y  a  point  d'Église  sans  foi.  Et  comment  croi- 
ront-ils, s'ils  n'entendent?  et  comment  enten- 
dront-ils, s'ils  n'ont  des  prédicateurs?  et  peut-il 
y  avoir  des  prédicateurs  où  il  n'y  a  point  de  pas- 
teurs? Dis-moi  donc,  ô  Église  cachée,  à  laquelle 
Luther  et  Calvin  ont  eu  leur  refuge ,  d'où  ils  tirent 
leur  succession,  bien  qu'il  leur  soit  impossible 
de  la  montrer;  dis-moi  où  étaient  tes  pasteurs? 
Si  c'étaient  ceux  de  l'Église  romaine ,  donc  tu 
n'entendais  qu'une  fausse  doctrine ,  contraire  à 
celle  des  réformateurs  ;  donc  tu  recevais  des  sa- 
crements mutilés,  car  ils  ne  les  administraient 
pas  d'autre  sorte  ;  donc  tu  te  pouvais  sauver  dans 
celte  communion  ;  et  néanmoins  c'est  une  chose 
assurée  que  l'on  ne  se  peut  sauver  que  dans  la 
communion  de  la  vraie  Église.  Et  si  l'on  se  sau- 
vait en  ce  temps  dans  la  communion  de  l'Église 
romaine,  nous  nous  y  pouvons  sauver  à  présent. 
Par  conséquent,  ô  Église  cachée,  devant  que 

*  Rom.  X,  lo. 

». -Va/M   x,Jrî. 

■0S6I  ET.  —  T.  lU. 


Luther  te  vînt  découvrir,  les  pasteurs  de  l'Église 
romaine  n'étaient  pas  tes  véritables  pasteure.  Que 
si  tu  étais  régie  par  d'autres  pasteurs ,  je  demande 
que  l'on  m'en  montre  la  liste ,  et  que  l'on  me 
fasse  voir  les  Églises  qu'ils  ont  gouvernées ,  et  les 
chaires  qu'ils  ont  remplies  :  c'est  une  chose  im- 
possible. 

Car  lorsqu'ils  nous  allèguent  les  hussites  et 
les  Albigeois,  chrétiens,  vous  voyez  assez  com- 
bien cette  évasion  est  frivole.  Ces  hussites  et  ces 
Albigeois  venaient  eux-mêmes,  à  ce  qu'ils  di- 
saient ,  dresser  de  nouveau  l'Eglise.  Et  je  deman- 
derai toujours  où  était  l'Église  avant  les  hussi- 
tes? où  était-elle  avant  les  Albigeois?  En  vain  ils 
prétendent  tirer  leur  autorité  de  gens  qui  se  sont 
produits  deux-mêmes  aussi  bien  qu'eux,  et  qui, 
après  avoir  quelque  temps  agité  le  christianisme, 
sont  retournés  dans  l'abîme  duquel  ils  étaient  sor- 
tis tout  ainsi  qu'une  noire  vapeur.  Et  dites-moi 
donc ,  je  vous  prie ,  quel  monstre  d'Église  est-ce 
que  cette  Église  cachée ,  Église  sans  pasteurs  ni 
prédicateurs  ;  bien  que ,  selon  la  doctrine  de  l'a- 
pôtre', Dieu  ait  mis  dans  le  corps  de  l'Église, 
lesuns  pasteurs,  et  les  autres  docteurs,  sans  quoi 
l'Église  ne  peut  consister  ^  Église  sans  sacre- 
ments ,  et  sans  aucune  profession  de  foi  ;  Église 
vraiment^de  ténèbres,  digne,  certes,  d'être  ca- 
chée, puisqu'elle  n'a  aucuns  traits  de  l'Église  de 
Jésus-Christ,  Le  Sauveur  ayant  ordonné  à  ses 
apôtres  que  ce  qu'ils  entendaient  en  particulier," 
ils  le  prêchassent  hautement  sur  les  toits^,  e'est- 
à  dire ,  dans  l'évidence  du  monde  ;  nous  parler 
d'une  Église  cachée ,  en  vérité  n'est-ce  pas  nous 
parler  d'une  Église  de  l'antechrist? 

Car  l'Église  chrétienne ,  dès  son  berceau ,  étaiC 
connue  par  toute  la  terre ,  ainsi  que  l'apôtre  dit 
aux  Romains  :  «  Votre  foi  est  annoncée  par  tout 
"  le  monde  ^.  »  Et  bien  qu'elle  fût  persécutée  de 
toutes  parts,  elle  se  rendait  illustre  par  ses  pro- 
pres persécutions  et  par  son  invincible  constance. 
'<  Nous  savons  de  celte  secte ,  disaient  les  Juifs  à 
«  l'apôtre  saint  Pauls,  que  l'on  lui  contredit  par- 
«  tout.  »  L'Église  fut  donc  connue  sitôt  après  la 
mort  du  Sauveur.  Et  en  effet,  étant  nécessaire 
que  tous  les  gens  de  bien  se  rangent  à  la  société 
de  l'Église,  comme  nos  adversaires  mêmes  le 
professent ,  se  peut-il  une  plus  grande  absurdité 
que  dédire  qu'elle  soit  cachée?  Comment  veut-on 
que  les  hommes  se  rangent  à  une  société  invisi- 
ble? Partant,  cette  Église  cachée,  à  laquelle  ils 
se  glorifient  d'avoir  succédé,  n'étant  pas,  selon 
leur  propre  Confession ,  cette  cité  élevée  sur  la 

'  E/ikes.  IV,  II. 

'  .^rt.  x\v  de  leur  Confession. 

'  Manh.x,27. 

*  Rom.  I,  8. 

*  jict.  XXVIU ,  22. 

33 


338 


POUR  UNE  VETURE. 


montagne,  exposée  à  la  vue  des  peuples;  que 
reste-il  autre  chose ,  sinon  qu'elle  fut  au  fond  de 
Tabîme,  dont  elle  est  sortie  pour  un  temps,  au 
grand  malheur  du  christianisme ,  pour  la  puni- 
tion de  nos  crimes?  C'est  pourquoi  il  est  arrivé 
que  ces  doctes ,  ces  beaux  esprits ,  qui  ont  écrit 
de  si  belles  choses,  ils  ont  tout  su,  excepté 
l'Église;  et  faute  de  la  connaître,  toutes  leurs 
autres  connaissances  leur  ont  tourné  à  damna- 
lion  éternelle. 

Il  n'y  a  rien  de  si  froid,  ni  de  si  mal  digéré 
que  ce  qu'ils  ont  dit  des  qualités  que  devait  avoir 
l'Église  de  Jésus-Christ.  La  perfection  de  l'Église 
est  dans  l'unité  ;  et  cette  unité ,  chrétiens ,  jamais 
Ils  ne  l'ont  entendue.  Laissons  les  longues  dispu- 
tes et  les  arguments  difficiles  :  l'union  qu'ils  ont 
faite  depuis  peu  d'années  avec  leurs  nouveaux 
frères  les  luthériens ,  décide  tous  nos  doutes  sur 
cette  matière.  Les  contentions  de  ces  deux  sectes 
sont  connues  à  tout  le  monde  :  elles  se  sont  trai- 
tées très-longtemps  d'impies  et  d'hérétiques; 
enfin  elles  se  sont  unies.  Ce  n'est  pas  une  chose 
nouvelle  que  deux  sectes  s'unissent  ensemble  ; 
mais  qu'elles  se  soient  unies  en  conservant  la 
même  doctrine  qui  les  a  si  longtemps  séparées  ; 
c'est  ce  qui  fait  voir  très-évidemment  qu'ils  ne 
-savent  pas  ce  que  c'est  que  l'Église. 

Car  je  leur  demande ,  mes  frères  :  la  secte  des 
luthériens  mérite-t-elle  le  nom  d'Église  ?  Si  elle 
n'est  pas  Église ,  pourquoi  communier  avec  elle  ; 
pourquoi  souiller  votre  communion  par  une 
communion  schismatique?  L'Église  ne  connaît 
quelle-même:  elle  ne  reçoit  rien  qui  ne  soit  à 
«Ile.  «  L'étranger  et  l'incirconcis  n'y  entreront 
«  point,  •>  disait  autrefois  le  prophète'.  Que  s'ils 
sont  la  vraie  Église;  donc  les  luthériens  et  les 
calvinistes  ne  font  que  la  même  Église.  Et  qui  a 
iaraais  ouï  dire  que  l'Église  de  Jésus-Christ  fût 
im  amas  de  sectes  diverses,  qui  ont  une  profes- 
sion de  foi  différente  et  contraire  en  plusieurs 
points ,  dont  les  pasteurs  n'ont  pas  la  même  ori- 
gine ,  et  ne  communiquent  entre  eux  ni  dans  l'or- 
dination ni  dans  les  synodes?  Cette  union ,  n'est- 
ce  pas  plutôt  une  conspiration  de  factieux  qu'une 
concorde  ecclésiastique?  Comme  on  voit  les  mé- 
contents d'un  Etat  entrer  dans  le  même  parti,  cha- 
cun avec  son  intérêt  distingué  de  celui  des  autres, 
et  ne  s'associer  seulement  que  pour  la  ruine  de 
leur  commune  patrie,  pendant  que  les  fidèles  ser- 
viteurs du  prince  sont  unis  véritablement  pour  le 
service  du  maître  ;  ainsi  en  est-il  de  cette  fausse 
union  que  nos  réfM-mateurs  prétendus  ont  faite 
depuis  peu  de  temps.  Et  c'est  ce  que  faisaient  ces 
hérétiques,  dont  parle  TertuUiea"  :  Pacem  quo- 

•   /.s.  MI,  l. 

»  J)c prxscripl.  n«  4: 


guepassùn  cum  omnibus  miscent  :  «  Ils  entrent 
«  en  paix  avec  tous  indifféremment  :  car  il  ne 
«  leur  importe  pas ,  ajoute  ce  grand  personnage , 
«  d'avoir  des  sentiments  opposés,  pourvu  qu'ils 
'<  conspirent  à  renverser  la  même  vérité  :  »  Nihil 
enim  interest  illis,  licet  diversa  tractantihus , 
dum  ad  unius  veritatis  expugnationem  conspi- 
rent. 

C'a  toujours  été  l'esprit  qui  a  régné  dans  les 
hérésies.  Les  ariens  ne  voulaient  autre  chose , 
sinon  que  l'on  supprimât  le  mot  de  consubstan- 
tiel,  comme  apportant  trop  grand  trouble  à  l'É- 
glise ;  et  qu'après ,  en  dissimulant  le  reste  de  la 
doctrine ,  on  vécût  en  bonne  intelligence.  Ainsi , 
disent  les  calvinistes,  ne  parlons  plus  de  la  réalité 
du  corps  de  Jésus-Christ  dans  l'eucharistie ,  ^ur 
laquelle  nos  pères  se  sont  si  longtemps  com- 
battus ;  du  reste ,  unissons-nous ,  et  que  chacun 
demeure  dans  sa  croyance.  0  la  nouvelle  façon 
de  terminer  les  schismes!  toujours  inconnue  à 
l'Église,  et  toujours  pratiquée  par  les  hérétiques! 
Ils  ont  trouvé  le  moyen  de  s'unir  dans  le  schisme 
même.  Schisma  est  unitas  ipsis,  disait  le  grave 
Tertullien'  :  «  L'unité  môme  parmi  eux  est  un 
«  schisme.  »  Ils  professent  une  foi  contraire ,  c'est 
le  schisme  ;  ils  les  reçoivent  à  la  même  commu- 
nion ,  c'est  l'unité.  Car  si  les  articles  dans  lesquels 
vous  différez  sont  essentiels ,  pourquoi  vous  unis- 
sez-vous? et  s'ils  ne  le  sont  pas  ,  pourquoi  avez- 
vous  été  si  longtemps  séparés  ?  Pourquoi  est-ce 
que  Calvin,  qui  est  venu  le  dernier,  n'a  pas 
tendu  les  mains  à  Luther?  que  ne  lui  a-t-il  donné 
ses  Églises?  pourquoi  a-t-il  voulu  être  chef  de 
parti ,  au  préjudice  de  l'Évangile?  pourquoi  a-t- 
il  divisé  le  troupeau  de  Jésus? 

Certes ,  il  fallait  bien  que  vos  pères  crussent 
que  les  articles  de  foi  qui  vous  séparaient  fussent 
importants  ;  autrement ,  comment  les  excuserez- 
vous  de  n'avoir  pas  accouru  à  la  même  unité? 
Maintenant  de  savoir  si  le  corps  de  Jcsus-Clirist 
est  réellement  en  l'eucharistie,  ou  s'il  n'y  est 
pas ,  cela  vous  semble  une  chose  de  peu  d'im- 
portance. Donc  que  de  synodes  inutiles,  que  de 
folles  disputes ,  que  de  sang  répandu  vainement 
pour  soutenir  qu'il  n'y  était  pas  !  Savoir  si  Jésus 
y  est  ou  s'il  n'y  est  pas  ,  c'est  une  chose  de  peu 
d'importance  :  donc  un  tel  bienfait  du  sauveur 
Jésus  demeurera  dans  le  doute.  Certes,  si  Jésus 
y  est ,  il  n'y  peut  être  que  par  un  amour  infini  ;  et 
ainsi  ceux  qui  le  nieraient ,  quel  tortue  feraient- 
ils  pas  à  sa  miséricorde,  ne  reconnaissant  pas 
une  grâce  si  signalée?  Et  vous  appelez  cela  une 
affaire  de  peu  d'importance?  contre  la  dignité 
Je  la  chose  qui  crie  contre  vous  ;  contre  les  luthé- 

»  De  Proo.scripl.  n"  42. 


POUR  UNE  VÊTURE. 


339 


riens  mrines ,  que  vous  appelez  et  qui  vous  re- 
fusent ;  contre  vos  pères  qui  vous  crient  qu'ils 
ont  cru  cet  article  important ,  et  que  s'il  ne  Tétait 
pas ,  en  vain  ont-ils  apporté  tant  de  troubles  au 
inonde. 

Ne  doutons  donc  pas,  ma  très-chère  sœur, 
qu'ils  ne  marchent  dans  les  ténèbres.  L'apôtre 
saint  Jean  a  dit  que  «  qui  n'arme  pas  ses  frères, 
-  ne  sait  où  il  va,  et  demeure  dans  l'obscurité'.  » 
Comment  donc  ne  sont-ils  point  aveugles,  eux 
qui  se  sont  séparés  d'avec  nous  pour  des  causes 
si  peu  légitimes  ;  puisque  nous  les  voyons  s'ôter 
à  eux-mêmes ,  dans  ces  derniers  temps ,  celle  que 
leurs  pères  et  les  nôtres  avaient  toujours  cru  être 
la  principale?  dignes  certainement,  après  avoic 
rompu  la  vraie  paix ,  d'entrer  dans  une  fausse 
concorde ,  comme  je  vous  le  viens  de  montrer 
tout  à  l'heure;  concorde  qui  les  fortifie  peut-être 
selon  la  politique  mondaine,  mais,  si  nous  le 
savons  comprendre ,  qui  les  ruine  très-évidem- 
ment ,  selon  la  règle  de  la  vérité.  Rendez  donc 
grâces  à  Dieu ,  ma  très-chère  soeur,  qui  vous  a 
tirée  de  la  société  des  ténèbres. 

Ah!  qui  me  donnera  des  paroles  assez  énergi- 
ques pour  déplorer  ici  leur  malheur?  Certes,  je 
l'avoue,  chrétiens,  il  est  bien  difficile  de  se  dé- 
partir de  la  première  doctrine  dont  on  a  nourri 
notre  enfance.  Tout  ce  qui  nous  paraît  de  con- 
traire nous  semble  étrange  et  nous  épouvante  : 
notre  âme,  possédée  des  premiers  objets,  ne  re- 
garde les  autres  qu'avec  horreur.  Que  pouvons- 
nous  faire  dans  cette  rencontre?  Rendre  grâces 
pour  nous,  et  pleurer  pour  eux.  Cependant  ne 
laissons  pas  de  les  exhorter  à  rentrer  en  concorde 
avec  nous  ;  et  afin  de  le  faire  avec  des  paroles 
plus  énergiques,  employons  celles  de  saint  Cy- 
prien,  ce  grand  défenseur  de  l'unité  ecclésiastique. 
Voici  comme  parle  ce  grand  personnage  à  quel- 
ques prêtres  de  l'Église  romaine ,  qui  s'étaient 
retirés  de  la  société  des  fidèles ,  sous  le  prétexte 
de  maintenir  la  pure  doctrine  de  l'Évangile  contre 
les  ordonnances  des  pasteurs  de  l'Église  :  «  Ne 
n  pensez  pas ,  mes  frères ,  que  vous  défendiez 
«  l'Évangile  de  Jésus-Christ,  en  vous  séparant 
«  de  son  troupeau ,  et  de  sa  paix ,  et  de  sa  con- 
«  corde;  étant,  certes,  plus  convenable  à  de 
«  bons  soldats  du  Sauveur  de  ne  point  sortir  du 
«  camp  de  leur  capitaine,  afin  que,  demeurant 
«  dedans  avec  nous,  ils  puissent  pourvoir  avec 
«  nous  aux  choses  qui  sont  utiles  à  l'Église.  Car, 
«  puisque  notre  concorde  ne  doit  point  être  rom- 
«  pue ,  et  que  nous  ne  pouvons  pas  quitter  l'É- 
«  glise  pour  aller  à  vous ,  ce  que  nous  ferions 
«  volontiers  si  la  vérité  le  pouvait  permettre , 

'  Joan.  u.  II. 


•  nous  vous  prions,  et  nous  vous  domandons 
«  avec  toute  l'ardeur  possible,  que  vous  retour- 
«  niez  plutôt  îi  notre  fraternité ,  et  à  l'Église  de 
«  laquelle  vous  êtes  sortis  :  »  Nec  putetis  sic  vos 
Evangelium  Christi  asserere ydum  vosmeiipso.% 
a  Christi  grege ,  et  ab  ejus  pace  et  concordia 
separaiis;  cum  magis  militibus  gloriosis  et  bo- 
nis congruat  tntra  domestica  castra  consisterez 
et  intus  positos  ea  quœ  in  commune  tractanda 
sunt  agere  ac  providere.  Nam  cum  unanimitas 
et  concordia  nostra  scindi  omnino  non  debeat; 
quia  nos  Ecclesia  derelicta  foras  exire  et  ad 
vos  venire  non  possumus,  ut  vos  magis  ad  Ec- 
clesiam  matrem  et  ad  nostram  jratemitatem 
revertamini,  quibus  possumus  hortamentis  pe- 
timics  et  rogamus^. 

SECOND   POINT. 

*  Dans  la  conduite  de  Dieu  sur  votre  âme ,  je 
trouve  ceci  de  très-remarquable ,  que  le  Saint- 
Esprit  agissant  en  vous ,  y  a  fait  naître  en  même 
temps  l'amour  de  l'ÉgUse  et  celui  de  la  sainte 
virginité.  N'était-ce  pas  peut-être  pour  vous  faire 
entendre  que  les  Églises  des  hérétiques ,  que  vous 
abandonniez  généreusement,  étaient  des  Églises 
prostituées,  et  que  la  seule  Église  vierge  c'est  la 
catholique  à  laquelle  la  grâce  divine  vous  a  ap- 
pelée ?  Que  l'Église  doive  être  vierge,  il  n'est  rien 
de  plus  évident  ;  parce  que  tous  les  docteurs  nous 
enseignent  qu'il  y  a  une  ressemblance  parfaite 
entre  la  bienheureuse  Vierge  et  l'Eglise  ;  et  c'est 
pourquoi  cette  femme  de  l'Apocalypse ,  qui  pa- 
raît revêtue  du  soleil ,  nous  représente  tout  en- 
semble l'Église  et  Marie.  La  sainte  mère  de  notre 
Sauveur  est  vierge  et  mariée  tout  ensemble  :  elle 
est  également  vierge  et  mère.  Il  eu  est  ainsi  de 
l'Église  :  car  l'Église,  aussi  bien  que  la  sainte 
Vierge,  conçoit  et  enfante  par  le  Saint-Esprit. 
L'Église ,  comme  la  sainte  Vierge ,  a  un  Époux 
chaste  qui  n'est  pas  le  corrupteur  de  sa  pureté , 
mais  plutôt  qui  en  est  le  gardien  fidèle  ;  et  par 
conséquent  elle  est  vierge.  Mais  peut-être  vou- 
lez-vous savoir  ce  que  c'est  que  la  virginité  de 
l'Église  :  contentons  en  peu  de  mjts  ce  pieux 
désir. 

La  virginité  de  l'Église ,  c'est  sa  vérité  et  soa 
unité  :  et  de  là  vient  que  je  vous  disais  que  les 
Églises  des  hérétiques  sont  des  Églises  prosti- 
tuées; parce  qu'en  perdant  l'unité,  elles  se  sont 


•  Âd  Conf.  Rom.  Epist.  xtrv ,  p.  58. 

*  Ce  morceau ,  dans  le  manuscrit  de  Bossoet ,  n«  fait  point 
corps  avec  ce  qui  précède  :  mais  comme  son  discours  n'p»t 
pas  entier,  pour  le  compléter,  autant  qu'il  est  en  nous,  non* 
avons  cru  pouvoir  y  réunir  ce  fragment ,  qui  revient  par- 
faitement à  la  matière  traitée  dans  la  première  partie,  et  qal 
probablement  a  été  fait  pour  le  même  sujet.  (Édit.  de  Di' 

jitris  ^ 

13. 


340 


POUR  UNE  PROFESSION. 


«•loignées  de  la  vérité.  Toute  âme  qui  est  dominée  ; 
par  l'erreur  est  une  arae  adultère  et  prostituée; 
parce  que  l'erreur  est  la  semence  du  diable,  par 
laquelle  ce  vieux  serpent,  ce  vieux  adultère ,  qui 
est  menteur  et  père  du  mensonge ,  corrompt  l'in- 
tégrité des  esprits  :  et  c'est  aussi  pour  cela  que 
l'Eglise  est  vierge ,  parce  que  l'erreur  n'y  a  point 
d'accès;  la  doctrine  de  l'Église  est  vierge,  parce 
qu'elle  la  conserve  aussi  pure  que  son  divin  Époux 
la  lui  a  donnée. 

Que  cherchiez-vous  donc ,  ma  très-chère  sœur, 
quand  abandonnant  l'hérésie  vous  êtes  accourue  à 
l'Église?  Vous  cherchiez  la  virginité  de  l'Église 
que  l'hérésie  ne  reconnaît  pas.  Comment  est-ce 
que  nous  montrons  que  l'hérésie  ne  reconnaît 
pas  la  virginité  de  l'Église?  Elle  enseigneque  l'E- 
glise, la  vraie  Église,  n'est  pas  infaillible  :  elle 
enseigne  que  l'Église  peut  errer;  elle  enseigne 
({ue  l'Église  a  erré  souvent.  Le  ministre  de  cette 
ville  l'a  prêché  et  l'a  écrit  de  la  sorte.  0  ministre 
d'4niquité  !  vous  ne  connaissez  pas  la  virginité  de 
l'Église.  Si  elle  peut  errer,  elle  n'est  pas  vierge; 
car  l'en-eur  est  un  adultère  de  l'âme.  Mais  com- 
ment coonaîtriez-vous  sa  virginité ,  puisque  vous 
ne  connaissez  pas  même  sa  sainteté?  Je  crois  la 
sainte  Église,  disent  les  apôtres  dans  leur  sym- 
Iwle.  Est-elle  sainte,  si  elle  ment?  est-elle  sainte  , 
si  elle  enseigne  l'erreur,  si  elle  la  confirme  par  son 
autorité?  Donc  l'Église  que  vous  nous  prêchez 
est  une  Église  prostituée  ;  et  cette  jeune  fille  a 
bienfaitquand  elle  a  quitté  cette  Eglise,  etqu'elle 
a  cherché  une  Église  vierge.  Mais  notre  Église , 
ma  très-chère  sœur,  est  encore  vierge  par  son 
unité. 

L'origine  de  l'unité ,  c'est  le  Fils  de  Dieu  :  il 
n'a  paru  qu'en  un  seul  lieu  delà  terre;  mais  ses 
prédicateurs  ont  été  par  tout  l'univers ,  et  ils  y 
ont  fondé  des  Églises.  L'unité  ne  s'est  pas  divisée, 
mais  elle  s'est  étendue  ;  et  cette  unité  sainte  et 
indivisible,  la  succession  continuelle  nous  l'a  ap- 
portée. Considérez  les  troupeaux  rebelles  ;  leurs 
noms  vous  marquent  leur  séparation.  Zuingliens, 
luthériens ,  calvinistes  sont  des  noms  nouveaux  : 
ce  n'est  donc  pas  l'unité  qui  les  a  produits ,  parce 
que  l'unité  est  ancienne;  mais  l'unité  les  a  con- 
damnés, parce  qu'il  appartient  à  l'unité  sainte, 
qui  communique  avec  l'Église  ancienne  par  une 
succession  vénérable;  il  appartient,  dis-je,  à 
cette  unité  de  condamner  l'audace  de  la  nouveauté. 
Donc  leurs  noms  sont  des  noms  de  schisme  :  no- 
tre  nom ,  c'est  un  nom  de  communion.  Mon  nom , 
c'est  chrétien ,  dit  saint  Pacien  '  ;  mon  surnom, 
c'est  catholique.  Catholique ,  c'est  universel  ;  ca- 
tholique ,  c'est  un  nom  d'unité ,  un  nom  de  cha- 

»    $.  PacKin.  ad  SymproH.  Ep.l. 


rite  et  de  paix.  Donc  l'Église  catholique  est  l'É- 
glise vierge,  parce  qu'elle  possède  l'unité  sainte , 
qui  la  lie  inséparablement  à  l'Époux  unique.  C'est 
pourquoi  les  Églises  des  hérétiques  ayant  perdu 
l'unique  Époux ,  elles  prennent  le  nom  de  leurs 
adultères. 

L'hérésie  n'a  point  de  vierges  sacrées  :  quoi- 
qu'elle se  vante  d'être  l'Église,  elle  n'ose  imiter 
l'Église  en  ce  point.  Il  n'y  a  que  la  vraie  Église 
qui  sache  saintement  consacrer  les  vierges.  Et 
certes,  comme  l'Église  catholique  est  l'Église 
vierge,  c'est  elle  aussi  qui  nourrit  les  vierges. 
Jésus-Christ  ne  les  reçoit  pas  pour  épouses,  si 
l'Église  sa  bien-aimée  ne  les  lui  présente  :  et  c'est 
pourquoi,  vous  ayant  destinée  dès  l'éternité  à 
ce  mariage  spirituel,  que  la  pureté  virginale 
contracte  avec  lui ,  il  vous  a  inspiré  dans  le  même 
temps  ce  double  désir,  d'aimer  la  virginité  de 
l'Église,  et  de  garder  la  virginité  dans  l'Église. 
Réjouissez- vous  donc  en  Notre-Seigneur;  pré- 
parez-vous aux  embrassements  de  l'Époux  céleste. 
C'est  lui  qui  est  engendré  dans  l'éternité  par  une 
génération  virginale;  c'est  lui  qui ,  naissant  dans 
le  temps ,  ne  veut  point  de  mère  qui  ne  soit  par- 
faitement vierge  ;  et  il  consacre  son  intégrité  par 
une  divine  conception,  et  par  une  miraculeuse 
naissance. 


SERMON 

POUR  LA  PROFESSION 

d'une  demoiselle 

que  la  reine  mère  avait  tendrement  aimée. 

Opposition  de  la  gloire  du  monde  à  Jésus-Christ  et  à  son 
Évangile  :  pourquoi  ne  peut-il  être  goûté  des  superbes. 
Toutes  les  vertus  corrompues  par  la  gloire.  Comment  les  ver- 
tus du  monde  ne  sont-elles  que  des  vices  colorés.  Disposi- 
tions dans  lesquelles  doit  être  un  chrétien  à  l'égard  de  la 
gloire.  Grand  sujet  de  craindre  de  se  plaire  en  soi-même, 
après  s'être  élevé  au-dessus  de  l'estime  des  hommes  :  d'où 
vient  cette  gloire  cachée  et  intérieure;  est-elle  la  plus  dan- 
gereuse. Quelle  est  la  science  la  plus  nécessaire  à  la  vie  hu- 
maine. Discours  à  la  reine  d'Angleterre ,  et  sur  la  reine  mère 
défunte. 


Elegi  abjectus  esse  in  domo  Dei  mci. 

J'ai  choisi  d'être  abaissé  et  humilié  dans  la  maison  de  mon 
Dieu.  PS.  ixxTini,  11. 

Que  l'orgueil  monte  toujours,  selon  l'expres- 
sion du  Psalmiste  ' ,  jusqu'à  se  perdre  dans  les 
nues  ;  que  les  hommes  ambitieux  ne  donnent  au- 
cune borne  à  leur  élévation  ;  que  ceux  qui  habi- 
tent les  palais  des  rois  ne  cessent  de  s'empresser, 
jusqu'à  ce  qu'ils  occupent  les  plus  hautes  places  ; 

I   Ps.  LXXm,  23. 


POUR  UNE  PROFESSIO?f. 


341 


TOITS,  ma  sœur,  qui  choisissez  pour  votre  de- 
nu'urc  la  maison  de  votre  Dieu ,  vous  suivez  une 
autre  conduite,  et  vous  n'imitez  pas  ces  empres- 
sements. Si  les  rois,  si  les  grands  du  monde  mé- 
prisent ceux  quïls  voient  dans  les  derniers  rangs, 
et  ne  daignent  pas  arrêter  sur  eux  leurs  regards 
superbes;  il  est  écrit  au  contraire  que  Dieu,  qui 
est  le  seul  grand ,  regarde  de  loin  et  avec  hauteur 
tous  ceux  qui  font  les  grands  devant  sa  face ,  et 
tourne  ses  yeux  favorables  sur  ceux  qui  sont 
abaissés  '.  C'est  pourquoi  le  roi-prophète  descend 
de  son  trône ,  et  choisit  d'être  le  dernier  dans  la 
maison  de  son  Dieu  ;  plus  assuré  d'être  regardé 
dans  son  humiliation,  que  s'il  levait  hautement  la 
tête ,  et  se  mettait  au-dessus  des  autres  :  Elegi 
abjedus  esse  in  domo  Dei  mei. 

Réglez-vous  sur  ce  bel  exemple.  Ne  soyez  pas,  \ 
dit  saint  Augustin  * ,  de  ces  montagnes  que  le  i 
ciel  foudroie ,  sur  lesquelles  les  pluies  ne  s'arrê-  i 
tent  pas  ;  mais  de  ces  humbles  vallées  qui  ramas- 
sent les  eaux  célestes  et  en  deviennent  fécon-  , 
des.  Songez  que  la  créature  que  Dieu  a  jamais  i 
le  plus  regardée ,  c'est  celle  qui  s'est  mise  au  lieu  i 
le  plus  bas  :  «  Dieu ,  dit-elle ,  a  regardé  la  bassesse 
«  de  sa  servante  ^  "  Parce  qu'elle  se  fait  servante,  i 
Dieu  la  fait  mère  et  reine  et  maîtresse.  Ses  re-  j 
gards  propices  la  vont  découvrir  dans  la  pro-  j 
fondeur  où  elle  s'abaisse ,  dans  l'obscurité  où  elle  ; 
se  cache ,  dans  le  néant  ou  elle  s'abîme.  Descen-  \ 
dez  donc  avec  elle  au  dernier  degré ,  heureuse  si,  ' 
en  vous  cachant  et  au  monde  et  à  vous-même ,  ; 
vous  vous  faites  regarder  par  celui  qui  aime  à  jeter  ; 
les  yeux  sur  les  âmes  humbles ,  et  profondément  , 
abaissées  devant  sa  majesté  sainte.  Pour  entrer  j 
dans  cet  esprit  d'humiliation ,  prosternez- vous  '■ 
aux  pieds  de  la  plus  humble  des  créatures,  et,  \ 
honorant  avec  l'ange  sa  glorieuse  bassesse ,  dites-  i 
lui  de  tout  votre  cœur,  Ave.  i 

i 

II  a  été  assez  ordinaire  aux  sages  du  monde  de  I 
rechercher  la  retraite ,  et  de  se  soustraire  à  la  Mie  j 
des  hommes  :  ils  y  ont  été  engagés  par  des  motifs  j 
fort  divers.  Quelques-uns  se  sont  retirés  pour  va- 
quer à  la  contemplation ,  et  à  l'étude  de  lasagœse  : 
d'autres  ont  cherché  dans  la  solitude  la  liberté 
et  l'indépendance;  d'autres ,  la  tranquillité  et  le 
repos  ;  d'autres ,  l'oisiveté  ou  le  loisir  :  plusieurs 
s'y  sont  jetés  par  orgueil.  Ils  n'ont  pas  tant  voulu 
se  séparer,  que  se  distinguer  des  autres  par  une 
superbe  singularité  ;  et  leur  dessein  n'a  pas  tant 
été  d'être  solitaires  que  dêtre  extraordinaires 
et  singuliers.  Us  n'ont  pu  endurer  ou  le  mépris 
découvert  des  grands ,  ou  leurs  froides  et  dédai-r 

'  Ps.  CXWVII ,  G. 

*  InPsal.  cxii,  n"  3,  t.  iv,  coL  15SU 


gneuses  civilités:  oubien  îlsont  voulu montrcrdu 
dédain  pour  les  conversations,  pour  les  mœurs , 
pour  les  coutumes  des  autres  hommes,  et  ont  af- 
fecté de  faire  paraître  que ,  très-contents  de  leurs 
propres  biens  et  de  leur  propre  suffisance,  ils  sa- 
vaient trouver  en  eux-mêmes  non-seulement 
tout  leur  entretien ,  mais  encore  tout  leur  secoura 
et  tout  leur  plaisir.  Il  s'en  est  vu  un  assez  grand 
nombre  à  qui  le  monde  n'a  pas  plu,  parce  qu'ils 
n'ont  pas  assez  plu  au  monde.  Ils  l'ont  méprisé 
tout  à  fait,  parce  qu'il  ne  les  a  pas  assez  honorés 
au  gré  de  leur  ambition;  et  enfin  ils  ont  mieux 
aimé  tout  refuser  de  sa  main  que  de  sembler 
trop  faciles  en  se  contentant  de  peu. 

Vos  motifs  sont  plus  solides  et  plus  vertueux. 
On  sait  assez ,  ma  sœur,  que  le  monde  ne  vous 
aurait  été  que  trop  favorable,  si  vous  l'aviez 
jugé  digne  de  vos  soins.  Vous  n'affectez  pas  non 
plus  de  lui  montrer  du  dédain  :  vous  aimez  mieux 
qu'il  vous  oublie,  ou  même  qu'il  vous  méprise, 
s'il  veut ,  que  de  tirer  parade  et  vanité  du  mépris 
que  vous  avez  pour  lui  :  enfin ,  vous  cherchez  l'a- 
baissement et  l'abjecUon  dans  la  maison  de  votre 
Dieu  ;  c'est  ce  que  les  sages  du  monde  n'ont  pas 
conçu  ;  c'est  la  propre  vertu  du  christianisme. 

Parmi  ceux  qui  aiment  la  gloire,  saint  Au- 
gustin a  remarqué  qu'il  y  en  a  de  deux  sortes  '  : 
les  uns  veulent  éclater  aux  yeux  du  monde  ;  les 
autres ,  plus  finement  et  plus  délicatement  glo- 
rieux, se  satisfont  en  eux-mêmes.  Cette  gloire 
cacliée  et  intérieure  est  sans  comparaison  la  plus 
dangereuse.  L'Écriture  condamne  en  nous  le  dé- 
sir de  plaire  aux  hommes',  et  par  conséquent  à, 
nous-mêmes  ;  parce  que,  si  vous  me  permettez  de 
parler  ainsi ,  nous  ne  sommes  que  trop  hommes^ 
c'est-à-dire,  trop  faibles  et  trop  grands  pécheurs. 
«  Il  faut,  dit  le  saint  apôtre^,  que  celui  qui  se 
"  glorifie ,  se  glorifie  uniquement  en  Notre-Sei- 
«  gneur;  parce  que  celui-là  n'est  pas  approuvé 
«  qui  se  fait  valoir  lui-même,  nmis  celui  que 
<•  Dieu  estime.  »  Ainsi ,  entrant  aujourd'hui  dans 
la  maison  de  votre  Dieu  par  une  profession  so- 
lennelle, il  faut  quitter  toute  hauteur,  et  celle 
que  le  monde  donne,  et  celle  qu'un  esprit  su- 
perbe se  donne  à  soi-même.  Il  faut  choisir  l'a- 
baissement et  l'abjection,  et  enfin  vous  rendre 
petite ,  selon  le  précepte  de  l'Évangile  *  ;  petite 
aux  yeux  des  autres  hommes ,  très-petite  à  vos 
propres  yeux.  Ce  sont  les  deux  vérités  que  je 
traiterai  dansée  discours ,  et  je  les  joindrai  l'une 
à  l'autre  dans  une  même  suite  de  raisonnements. 

'  De  CivtL  Dei ,  Mb.  T,  cap.  xx ,  t.  vu ,  col.  137, 13*. 

^  Galat.  1,  10. 

'  II.  Cor.X,  17,  18. 

i  Matlh.  XVI,  a,  4. 


843 


POUR  UNE  PROFESSION. 


PREMIER  POIM. 

Il  est  aisé  de  remarquer  dans  l'Évangile  <[ue 
ce  que  le  Fils  de  Dieu  a  entrepris  [de  combattre] 
par  des  paroles  plus  etficaces ,  ça  été  la  gloire 
du  monde.  C'est  elle  aussi  qui  a  apporté  le  plus 
grand  obstacle  à  l'établissement  de  sa  doctrine, 
iion-seulement  à  la  profession  externe  et  publi- 
que, mais  à  la  foi  et  à  la  croyance.  Elle  n'a  point 
eu  de  plus  emportés ,  ni  de  plus  opiniâtres  con- 
tradicteurs que  les  pharisiens  et  les  docteurs  de 
la  loi  ;  et  le  Sauveur  ne  leur  reproche  rien  avec 
tant  de  force ,  que  la  vanité  et  le  désir  de  la 
gloire.  ««  Ils  aiment,  dit-il,  les  premières  places  ; 
«  ils  se    plaisent  à  recevoir  des  soumissions.  11 
«  veulent  qu'on  les  appelle  maîtres  et  docteurs; 
«  ils  prient  publiquement  dans  les  coins  des  rues, 
«  afin  que  les  hommes  les  voient  :  enfin,  ils  ne 
«  font  rien  que  pour  être  vus  et  honorés  '.  «  Aussi 
quelques-uns  des  sénateurs  qui  crurent  en  Jé- 
sus ,  n'osèrent  le  reconnaître  publiquement ,  «  de 
«  crainte  d'être  chassés  de!  la  synagogiie  ;  car  ils 
«  aimaient  plus  la  gloire  des  hommes  que  la  gloire 
«  de  Dieu  ;  »  Ex principibus  multi  crediderunt 
in  euiriy  sed  propter  pharisœos  non  confitehan- 
tu9f  ut  e  synagoga  non  ejicerentur  :  dilexerunt 
enim  gloriam  hominum  magis  quant  gloriam 
Dei^.  Mais  il  n'a  rien  dit  de  plus  efficace,  ou, 
si  vous  me  permettez  cette  expression ,  de  plus 
foudroyant ,  que  cette  parole  que  nous  lisons  en 
saint  Jean  :  Quomodo  vos  poiestis  credere,  qui 
gloriam  ah  invicem  accipitis ,  et  gloriam  quœ 
a  solo  Deo  est  non  quœritis^l  «  Comment  pou- 
«  vez-vous  croire,  vous  qui  recevez  la  gloire  les 
«  uns  des  autres,  et  ne  recherchez  pas  la  gloire 
«  qui  vient  de  Dieu  seul?  »  Méditez  cette  parole  : 
c'est  la  gloire  qui  nourrit  dans  l'esprit  de  l'homme 
ce  secret  principe  d'incrédulité  ;  c'est  elle  qui  en- 
tretient la  révolte  contre  l'Évangile.  Si  la  plupart 
des  autres  vices  combattent  la  charité ,  celui-ci 
combat  la  foi  :  les  autres  détruisent  l'édifice;  ce- 
lui-ci renverse  le  fondement  même. 

Le  même  conseil  de  la  sagesse  divine  qui  a 
porté  un  Dieu  à  s'abaisser  et  à  se  rendre  petit, 
l'a  porté  à  ne  se  communiquer  qu'à  ceux  qui 
sont  petits  et  humbles  :  Revelasti  parmlis^.  Un 
Dieu  dépouillé  et  anéanti  [ne  peut  être  goûté  des 
humbles].  Il  a  pris  la  faiblesse  tout  entière ,  la 
bassesse ,  l'humiliation  :  il  n'a  rien  ménagé ,  rien 
épargné  de  tout  ce  que  les  hommes  méprisent, 
de  tout  ce  qui  fait  horreur  à  leurs  sens.  [Com- 
ment les  superbes,  entêtés  de  leurs  grands  projets , 
et  tout  occupés  de  leurs  vastes  prétentions ,  pour- 

>  Matth.  xxin,6,7. 
»  Joan.  xil,  43,  43. 
»  Ihid.  y ,  44. 
«  J»fa«A.  Xl,25. 


raient-ils  se  complaire  avec  lui?]  A  ces  esprits  eu- 
fiés  qui  se  nourrissent  de  gloire,  Jésus-Christ  est 
trop  nu  et  trop  bas  pour  eux  ;  les  lumières  de 
rÉvangile,trop  simples;  la  doctrine  du  christia- 
nisme, trop  populaire.  Ils  n'estiment  rien  de  grand 
que  ce  qui  fait  grande  figure  dans  le  monde ,  et 
ce  qui  occupe  une  grande  place.  C'est  pourquoi 
le  propre  de  la  gloire,  c'est  d'amasser  autour 
de  soi  tout  ce  qu'elle  peut.  L'homme  se  trouve 
trop  petit  tout  seul  :  [il  veut]  ou  de  grands  do- 
maines, ou  de  grands  palais,  ou  des  habits  somp- 
tueux ,  ou  une  suite  magnifique,  ou  les  louanges 
et  l'admiration  publique.  Il  tâche  de  s'agrandir 
et  de  s'accroître  comme  il  peut  :  il  pense  qu'il 
s'incorpore  tout  ce  qu'il  amasse,  tout  ce  qu'il 
acquiert ,  tout  ce  qu'il  gagne  :  il  s'imagine  croître 
lui-même  avec  son  train  qu'il  augmente ,  avec 
ses  appartements  qu'ils  rehausse  ,  avec  son  do- 
maine qu'il  étend.  Il  ne  peut  augmenter  sa  taille 
et  sa  grandeur  naturelle  ;  il  y  applique  ce  qu'il 
peut  par  le  dehors,  et  s'imagine  qu'il  devient  plus 
grand  et  se  multiplie  quand  on  parle  de  lui , 
quand  il  est  dans  la  bouche  de  tous  les  hommes, 
quand  on  l'estime,  quand  on  le  redoute,  quand 
on  l'aime ,  quand  on  le  recherche ,  enfin  quand 
il  fait  du  bruit  dans  le  monde.  La  vertu  toute 
seule  lui  semble  trop  unie  et  trop  simple.  Ces 
esprits  enflés  trouvent  Jésus-Christ  si  petit,  si 
humble ,  si  dépouillé ,  [qU'ils  n'ont  que  du  mépris 
pour  lui].  Ils  ne  peuvent  comprendre  qu'il  soit 
grand ,  et  ne  savent  comment  attacher  ces  grands 
noms  de  Sauveur,  de  Rédempteur,  et  de  Maître 
du  genre  humain ,  à  cette  bassesse  et  à  cette  pau- 
vreté du  Dieu-Homme. 

Voulez-vous  être  capable  de  connaître  les  gran- 
deurs de  Jésus-Christ?  Quittez  toutes  ces  idées, 
plutôt  vastes  que  grandes,  plutôt  pompeuses  que 
riches,  que  la  gloire  inspire, dont  la  gloire  rem- 
plit les  esprits ,  ou  plutôt  dont  elle  les  enfle;  car 
l'esprit  ne  se  remplit  pas  de  choses  si  vaines.  Il 
faut  savoir  que  Dieu  seul  est  tout;  que  tout  ce 
que  nous  amassons  autour  de  nous,  pour  nous 
faire  valoir  et  nous  rendre  recommandables,  n'est 
pas  une  marque  de  notre  abondantje  ;  mais  plu- 
tôt de  notre  disette,  qui  emprunte  de  tous  côtés. 
Dieu  seul  est  grand  ;  et  toute  la  grandeur  consiste 
à  lui  plaire ,  à  être  à  lui ,  à  le  posséder,  à  faire 
sa  volonté  sainte ,  et  ne  se  glorifier  qu'en  lui  seul  ; 
parce  que  «  ceux  qui  recherchent  la  gloire  de 
«  hommes,  ne  sauraient  chercher  celle  qui  vient 
«  de  Dieu  seul.  »  Gloriam  ab  invicem  accipitis^ 
et  quœ  a  solo  Deo  est  non  quœritis. 

A  quoi  travaillent  dans  le  monde ,  je  ne  dis 
pas  les  âmes  basses  et  vulgaires ,  mais  ceux  que 
l'on  appelle  les  honnêtes  gens  et  les  vertueux , 
sinon  à  la  gloire  et  à  l'éclat  ?  Gloriam  ab  invi- 


POUR  UNE  PROFESSION. 


343 


lêtn  accipUis.  On  loue  [Kuir  être  loue;  on  fait 
honneur  aux  autres  pour  en  recevoir,  et  on  se 
paye  mutuellement  dune  si  vaine  récompense. 
Ne  parlons  pas  de  ces  esprits  faibles  qu'on  mène 
où  l'on  veut  par  des  louanges ,  qui  s'arrêtent  à 
tous  les  miroirs  qui  les  flattent,  qui  s'éblouis- 
sent à  la  première  lueur  d'une  faveur  même 
feinte.  Vains  admirateurs  deux-mêmes,  qui  ne 
se  sentent  pas  plutôt  le  moindre  avantage,  qu'ils 
fiïtiguent  toutes  les  oreilles  de  leurs  faits  et  de 
leurs  dits  :  le  monde  même  les  traite  de  faibles  et 
de  ridicules.  Mais  ceux-là  sont-ils  plus  solides, 
sont-ils  moins  vains  dans  le  fond  et  devant  Dieu, 
({ui ,  plus  adroits  à  dissimuler  leur  faiblesse ,  sa- 
vent s'attirer  la  gloire  par  des  détours  plus  artifi- 
cieux? En  sont-ils  moins  les  esclaves  de  la  gloire? 
La  demander  misérablement ,  ou  la  ménager  par 
adresse ,  et  la  recevoir  comme  chose  due ,  [c'est 
également  se  rendre  indigne  et  incapable  de  jouir 
de  celle  de  Dieu]  :  Gloriam  ab  invicem  accipi- 
tis  ;  et  gloriam  quœ  a  solo  Deo  est  non  quœritis  : 
•  Vous  recherchez  la  gloire  que  vous  vous  don- 
-  nez  les  uns  aux  autres ,  et  vous  ne  recherchez 
«  point  la  gloire  qui  vient  de  Dieu  seul.  »  [Il  ne 
suffit  pas  de  pouvoir  se  rendre  témoignage  qu'on 
n'a  point  recherché  la  gloire  des  hommes,  pour  se 
rassurer  contre  ses  funestes  effets;  parce  que] 
lorsque  la  gloire  se  présente  comme  d'elle-même, 
et  vient,  pour  ainsi  dire ,  de  bonne  grâce ,  je  ne 
sais  quoi  nous  dit  dans  le  cœur  que  nous  la  méri- 
tons d'autant  plus  que  nous  l'avons  moins  recher- 
chée ;  [et  alors  elle  nous  devient  aussi  pernicieuse 
que  si  on  l'avait  désirée  et  sollicitée.] 

C'est  cette  gloire  qui  corrompt  toutes  les  ver- 
tus :  elle  en  corrompt  la  fin  ;  elle  fait  faire  pour 
les  hommes  ce  qu'il  faut  faire  pour  Dieu;  elle 
fait  servir  la  vérité  à  l'opinion ,  ce  qui  est  solide 
à  ce  qui  est  vain,  et  qui  n'a  point  de  substance  ; 
et  ne  songe  pas ,  dit  saint  Augustin ,  combien 
c'est  une  chose  indigne,  que  la  solidité  des  vertus 
serve  à  la  vanité  des  opinions  et  des  jugements 
des  hommes  :  Unde  non  diç^ne  tantœ  inanitati 
servit  soliditas  quœdamfirmitasque  virtuium  '. 
Elle  renverse  l'ordre;  elle  fait  marcher  après  ce 
qui  doit  aller  devant.  Vous  voulez  être  libéral  ;  il 
faudrait  auparavant  être  juste,  vous  dégager 
avant  que  d'acquérir  les  autres ,  être  libre  vous- 
même  ,  avant  que  de  songer  à  vous  faire  des  créa- 
tures ;  enfin,  parlons  sans  figure ,  à  acquitter  vos 
dettes  avant  que  d'épancher  des  présents.  Elle 
détruit  la  récompense  de  la  vertu  :  Qui  magni  in 
hoc  sœculo  nominali  sunty  multumque  laudati 
in  civitatibus  gentium,  quœsierunt  non  apud 
Deum,  sed  apud  homines  gloriam ....  ad  qnam 

'  De  Civ.  Dei,  lib.  t,  cap.  xx,  t.  to.coI.  138.  " 


pervenientes  perceperunt  mercedem  suam, 
vani  vanam  •  :  «  Ainsi  ces  hommes  d'une  si 
«  grande  réputation,  tant  célébrés  parmi  les 
«  nations,  ont  cherché  la  gloire  non  en  Dieu, 
«  mais  auprès  des  hommes;  ils  ont  obtenu  ce 
«  qu'ils  demandaient;  ils  ont  acquis  cette  gloire 
«  qu'ils  avaient  si  ardemment  poursuivie  ;  et 
«  vains ,  ils  ont  reçu  une  récompense  aussi  vaine 
«  que  leurs  pensées.  »  Voilà  ce  que  sont  les  ver- 
tus du  monde,  des  vices  colorés  qui  en  impo- 
sent par  un  vain  simulacre  de  probité.  Les  \icieux 
que  la  gloire  engendre,  ne  sont  pas  de  ces  vicieux 
abandonnés  à  toutes  sortes  d'infamies.  Les  vices 
que  le  monde  honore  et  couronne ,  sont  des  vices 
plus  spécieux  ;  il  y  a  quelque  apparence  de  vertu. 
L'honneur,  qui  était  destiné  pour  la  servir,  sait 
de  quelle  sorte  elle  s'habille,  et  lui  dérobe  quel- 
ques-uns de  ses  ornements,  pour  en  parer  le  vice 
qu'il  veut  établir  dans  le  monde. 

Il  y  a  deux  sortes  de  vertus  :  la  véritable  et  la 
chrétienne,  sévère,  constante,  inflexible,  toujours 
attachée  à  ses  règles,  et  incapable  de  s'en  détour- 
ner pour  quoi  que  ce  soit  ;  ce  n'est  pas  la  vertu  du 
monde  :  elle  n'est  pas  propre  aux  affaires;  il  faut; 
quelque  chose  de  plus  souple  pour  ménager  la 
faveur  des  hommes  :  d'ailleurs ,  elle  est  trop  sé- 
rieuse et  trop  retirée;  et  si  elle  n'entre  dans  le 
monde  par  quelque  intrigue,  veut-elle  qu'on 
l'aille  chercher  dans  son  cabinet?  Ne  parlez  pas 
au  monde  de  cette  vertu;  il  s'en  fait  une  autre  à 
sa  mode ,  plus  accommodante  et  plus  douce  ;  une 
autre  ajustée ,  non  point  à  la  règle ,  mais  à  l'hu- 
meur, au  temps,  à  l'apparence,  à  l'opinion.  Vertu 
de  commerce ,  elle  prendra  bien  garde  de  ne  man- 
quer pas  toujours  de  parole  ;  mais  il  y  aura  des  oc- 
casions où  elle  ne  sera  point  scrupuleuse,  et  saura 
bien  faire  sa  cour.  Malgré  toute  la  droiture  qu'elle 
étale  avec  tant  de  pompe  dans  les  occasions  mé- 
diocres, elle  ne  s'oubliera  pas,  et  saura  bien 
ployer,  quand  il  faudra  de  la  faveur,  dans  les 
grands  besoins  et  dans  les  coups  décisifs.  Il  faut 
remarquer  que  le  monde  pardonne  tout  quand 
on  réussit.  Vous  êtes  parvenu  à  vos  fins  cachées; 
n'avez-vous  pas  honte  de  vous-mêmes ,  [  d'avoir 
employé  tant  de  moyens  iniques  pour  surmonter 
les  obstacles?  Mais  enfin  vous  avez  eu  le  succès 
que  vous  désiriez  :  c'en  est  assez ,  le  monde  vous 
applaudit ,  et  canonise  toute  la  manœuvre  que 
vous  avez  concertée,  toute  l'intrigue  que  voua 
avez  fait  jouer.  ] 

Voilà  quelles  sont  les  vertus  de  monde;  c'est- 
à-dire,  les  vertus  de  ceux  qui  n'en  ont  point.  Le 
monde  n'aime  pas  les  vices  qui  ne  sont  que  vices. 
Car,  comme  dit  saint  Jean-Chr}sostôme ' ,  le  mal 

•  5.  Aug.  in  Ps.  cxviii,  S^rm.  xii,  n*  2,  t.  iv,  col.  U0&  ' 
»  //«ai.  u  in  M  t.  Apoit.  a*  &,  t.  ix ,  p.  2i. 


3il 


rOUU  UNE  PROFESSION. 


l'a  point  de  nature  pour  se  soutenir  lui-même  ; 
ôt  s'il  était  sans  mélange ,  il  se  détruirait  par  son 
propre  excès.  Mais  aussi ,  si  peu  qu'on  prenne 
de  soin  de  mêler  avec  le  vice  quelque  couleur  de 
vertu ,  il  pourra ,  sans  trop  se  cacher  et  presque 
sans  se  contraindre ,  paraître  avec  honneur  dans 
le  monde.  11  n'est  pas  besoin  d'emprunter  le  mas- 
que d'une  vertu  sévèi'e ,  ni  le  fard  d'une  hypo- 
crisie trop  étudiée ,  le  moindre  mélange  suffît,  la 
plus  légère  teinture  d'une  vertu  trompeuse  et 
falsifiée  impose  aux  yeux  de  tout  le  monde ,  con- 
cilie de  l'honneur  au  vice;  et  il  ne  faut  pas  pour 
cela  beaucoup  d'industrie. 

Ceux  qui  ne  se  connaissent  point  en  pierreries 
sont  trompés  par  le  moindre  éelat  :  et  le  monde 
se  connaît  si  peu  en  vertu  solide ,  que  la  moindre 
apparence  éblouit  sa  vue.  C'est  pourquoi  il  ne 
s'agit  presque  plus  parmi  les  hommes  d'éviter  les 
vices,  il  s'agit  seulement  de  trouver  des  nomset 
des  prétextes  honnêtes.  Pousser  ses  amis  à  quel- 
<(ueprix  que  ce  soit,  venger  hautement  ses  injures, 
[  s'élever  par  des  voies  iniques ,  tous  ces  désordres 
passeront  pour  bienfaisance,  grandeur  d'âme, 
noblesse  de  sentiments ,  dès  qu'on  saura  les  dé- 
corer de  ces  beaux  titres  ].  Le  nom  et  la  dignité 
i'homme  de  bien  se  soutiennent  plus  par  esprit 
et  par  industrie ,  que  par  probité  et  par  vertu  ;  et 
on  est  en  effet  assez  vertueux  et  assez  réglé  pour 
le  monde ,  quand  on  a  l'adresse  de  se  ménager  et 
l'invention  de  se  couvrir. 

El'egi  abjectus  esse  in  domo  Dei  met.  Je  ne 
veux  point  de  cette  gloire  qui  donne  du  prix  au 
vice ,  [  et  cfui  couronne  les  actions  les  plus  détes- 
tables]. Comment  pourrions-nous  recevoir  la 
gloire  que  le  monde  donne  au  vice,  nous  qui 
ne  recevons  pas  celle  qu'il  donne  à  la  vertu?  Ce 
n'est  pas  la  vertu  des  temps ,  mais  la  vertu  de 
l'Évangile  [  qui  doit  être  l'objet  de  vos  désirs  et 
de  votre  application  ].  Vous  apprendrez  la  vertu 
selon  la  règle,  en  détruisant  ces  vertus  et  ces 
qualités  que  le  monde  admire,  cette  hauteur  de 
courage ,  cette  grandeur  d'âme ,  ces  ingénieuses 
curiosités ,  cette  pénétration  d'un  esprit  subtil  et 
perçant.  Tout  cela  étant  corrigé,  on  s'en  servira 
toutefois  [  avantageusement  dès  qu'on  le  conver- 
tira au  culte  de  son  Dieu.  On  n'aura  plus  de  cou- 
rage que  pour  porter  la  croix  de  Jésus,  plus  de 
grandeur  d'âme  que  pour  se  renoncer  soi-même, 
plus  de  curiosité  que  pour  apprendre  à  se  bien 
connaître.  Mais  voyez,  par  des  exemples  qui  vous 
touchent  de  plus  près ,  quel  est  le  malheur  de 
ceux  qui  sont  domines  par  l'amour  de  la  gloire]. 

Les  personnes  de  votre  sexe,  quel  est  leur 
égarement  quand  la  gloire  les  possède?  Je  ne 
daignerais  ici  vous  représenter  la  faiblesse  de 
ecàius  qui  mettent  toute  leur  gloire  dans  la  parure  j 


qui  s'imaginent  être  assez  ornées,  quand  elles 
amassent  autour  de  leur  corps  ce  qu'il  y  a  de  plus 
curieux  ou  de  plus  rare  dans  l'art  ou  dans  la  na- 
ture :  «  Comme  si  c'était  là ,  dit  saint  Augustin ,  le 
«  souverain  bien  et  la  véritable  gloire  de  l'homme, 
«  que  tout  ce  qu'il  a  soit  riche  et  précieux ,  excepté 
«  lui-même:  »  Quasi  hoc  sit  hominis  maximum 
bonum  habere  omnia  bona,  prœter  seipsum  • . 

Parlons  plutôt  de  celles  qui,  fières  par  leur 
beauté  ou  par  la  supériorité  de  leur  génie,  sont 
d'autant  plus  captives  de  la  gloire,  qu'elles  pen- 
sent que  pour  l'acquérir  elles  n'ont  besoin  que  de 
leurs  personnes  et  de  leurs  propres  avantages. 
C'est  par  là  qu'elles  prétendent  se  faire  un  empire, 
qui  se^soutient  de  soi-même  sans  aucun  secours 
emprunté.  Ah!  le  malheureux  empire!  Et  peu- 
vent-elles en  être  orgueilleuses,  quand  elles  son- 
gent à  quel  joug  et  à  quelle  honte  les  destinent 
leurs  propres  captifs?  Et  toutefois,  elles  se  flattent , 
de  cette  souveraineté.  En  effet,  l'image  en  est 
éclatante.  Les  hommes  ne  méprisent  rien  tant  que 
la  flatterie  et  la  servitude.  Pour  elles,  on  peut 
descendre  à  tout  ce  que  la  servitude  a  de  plus 
bas ,  et  la  flatterie  de  plus  servile  et  de  plus  ram- 
pant, jusqu'à  les  traiter  de  divinités;  et  ce  titre, 
que  les  flatteurs  n'ont  jamais  donné  aux  plus 
grands  monarques  sans  offenser  les  oreilles  des 
courtisans  les  plus  dévoués,  se  prodigue  tons  les 
jours  à  ces  idoles ,  avec  l'applaudissement  de  tout 
le  beau  monde.  Pour  elles  enfin,  on  croit  tout 
permis  ;  et  le  monde ,  tant  il  est  aveugle  et  sen- 
suel ,  excuse  en  leur  faveur  non-seulement  la 
folie  et  l'extravagance ,  mais  encore  le  crime  et 
la  perfidie  :  tout  est  permis  pour  leur  plaire  et  les 
servir. 

Quelle  est  après  cela  leur  vanité  et  leur  empor- 
tement? C'est  ce  que  je  n'entreprends  pas  de  vous 
expliquer.  Aussi  mettent-elles  toute  leur  vertu 
dans  leur  fierté.  Le  dirai-je  dans  cette  chaire?  leur 
chasteté  même  est  un  orgueil  :  elles  craignent 
plutôt  d'abaisser  leur  gloire,  que  de  souiller  leur 
vertu  et  leur  innocence.  Ce  n'est  pas  leur  honnê- 
teté qu'elles  veulent  conserver,  mais  leur  supé- 
riorité et  leurs  avantages.  Et  certes,  si  elles  ai- 
maient la  vertu,  se  plairaient-elles  à  faire  naître 
tant  de  désirs  qui  lui  sont  contraires?  et  les  ver- 
rions-nous se  piquer  non  moins  de  corrompre 
ï  dans  les  autres  la  chasteté,  que  de  la  garder  eu 
elles-mêmes?  C'est  par  là  qu'elles  se    rendent 
coupables  de  l'idolâtrie  publique.  J'appelle  ainsi 
les  attachem^ents  criminels  qui  déshonorent  la 
face  du  christianisme  et  mettent  tant  de  fausses 
i  divinités  en  la  p'ace   du  Dieu    véritable.  Ter- 
I  tullien  disait  autrefois  aux  sculpteurs,  qui  fa- 
'■■  briquaient  les  idoles  :  Tu  colis  idola,  qui  facis 
:      I  De  Civil.  Dfi ,  lib.  m ,  cap.  i ,  t.  vu .  col.  i». 


POUR  UNE  PROFESSION' 


S4« 


Uf  colipossinl  '  :  "  Tu  es  coupable  du  crime  d'a- 
«  dorer  les  idoles ,  toi  qui  es  cause  qu'on  les  peut 
«  adorer.  »  Et  vous ,  superbes  beautés ,  vaines 
idoles  du  monde,  pensez-vous  être  innocentes 
de  l'idolâtrie  que  vous  faites  régner  sur  la 
terre?  C'est  vous  qui  ornez  l'idole,  vous  qui  parez 
l'autel  profane,  vous-mêmes  qui  recevez  l'en- 
cens et  agréez  le  sacrifice  d'abomination.  Bien 
plus,  vous  ne  fabriquez  pas  seulement  l'idole, 
comme  ceux  dont  parle  Tertullien  ;  mais  vous- 
mêmes  vous  êtes  l'idole  que  le  monde  adore  :  et 
non-seulement  le  soin  de  vous  montrer  et  de 
plaire,  mais  encore  ces  complaisances,  et  cette 
gloire  cachée,  et  ce  secret  triomphe  de  votre  cœur 
dans  les  damnables  victoires  que  vous  rempor- 
li'z ,  en  attirent  sur  vous  tout  le  crime. 

Ah  !  cachons-nous  à  jamais  dans  la  maison  de 
notre  Dieu  :  Elegi  abjectus  esse  in  domo  Dei 
mei.  Assez  et  trop  longtemps  nous  avons  étalé 
au  monde  les  attraits  de  l'esprit  et  du  corps.  Cette 
belle  parole,  qu'un  historien  ecclésiastique  a  re- 
cueillie de  la  bouche  du  grand  saint  Martin,  doit 
vous  servir  de  règle.  Il  disait,  au  rapport  de  Sul- 
pice  Sévère,  que  «  le  triomphe  de  la  modestie  et 
«  la  dernière  perfection  de  l'honnêteté  dans  votre 
«  sexe ,  c'est  de  ne  se  pas  laisser  voir  :  »  Prima 
virtus ,  et  consummata  Victoria ,  est  non  videri  \ 
Que  votre  vertu  soit  un  mystère  entre  Dieu  et 
vous  :  entrez  dans  le  cabinet ,  et  fermez  la  porte 
sur  vous.  H  est  temps  de  se  cacher  avec  Jésus- 
Christ  :  il  est  temps  non  de  paraître ,  mais  de  se 
cacher;  non  de  dominer,  mais  de  dépendre  ;  non 
de  s'élever  au-dessus  des  autres ,  mais  de  se  mettre 
aux  pieds  de  tous  ;  non  de  se  pousser  aux  premiers 
rangs  dans  le  siècle ,  mais  de  tenir  le  dernier  dans 
la  maison  de  votre  Dieu. 

Comment  pourrions-nous  recevoir  la  gloire  que 
le  monde  donne  au  vice ,  puisque  nous  ne  voulons 
pas  même  recevoir  celle  qu'il  donne  à  la  vertu  ? 
«  Glorifiez-moi  vous-même ,  mon  Père ,  parce  que 
«  je  ne  reçois  point  la  gloire  des  hommes  :  »  Ckn  i- 
ficame  tu,  Pater^ ...  claritatem  ab  Jiominibus 
non  accipio  ^.  Non-seulement  je  ne  la  recherc'.e 
pas,  mais  même  je  ne  la  reçois  pas.  Elle  me  veut 
donner  le  change,  [et  me  priver  du  bien  solide 
qui  doit  être  l'unique  objet  de  mon  ambition]. 
Ainsi  puissiez-vous,  dans  votre  retraite,  trouver 
Dieu  qui  seul  vous  contente ,  et  rencontrer  par  sa 
grâce  autant  d'ornements  dans  vos  mœurs ,  que 
vous  en  avez  généreusement  méprisé  dans  votre 
fortune  ;  [car  c'est  là  ce  qu'exige  la  vie  que  vous 


'   De  Mnlolat.  n"  6. 

*  Sulpic.  Sei-er.  Uuilo'j.  il,  Q'  li 

5  J'^u.  xvri.  i 

'  Ibtd.  V.  41. 


embrassez  ]  :  Tamprctiosa  requiritin  moribus, 
quavi  contempsit  in  rébus  \ 

SECOND    POINT. 

Mais,  ma  sœur,  il  faut  prendre  garde  qu'en 
méprisant  la  gloire  des  hommes,  vous  ne  retom- 
biez sur  vous-même ,  et  que  vous  ne  receviez  plus 
agréablement  de  ^os  propres  mains  cet  encens 
cfue  vous  refusez  de  la  main  des  autres.  C'est  un 
défaut  ordinaire  de  l'esprit  humain,  après  qu'il 
s'est  élevé  au-dessus  des  vices,  au-dessus  des 
désirs  vulgaires ,  au-dessus  des  jugements  et  de 
l'estime  des  autres,  de  se  plaire  uniquement  en 
soi-même.  Et  il  faut  ici  vous  expliquer  tout  le 
progrès  de  l'orgueil,  par  une  excellente  doctrine 
de  saint  Augustin*. 

Il  n'y  a  rien  au-dessous  de  Dieu  de  plus  noble 
que  la  créature  raisonnable  :  d'où  ils'ensuitqu'une 
âme  vertueuse,  qui  se  cultive  elle-même,  ne  dé- 
couvre rien  sur  la  terre  qui  soit  capable  de  la 
délecter  plus  qu'elle-même;  et  elle  trouve  d'au- 
tant plus  à  se  plaire  dans  son  propre  bien,  que 
le  bien  qu'elle  recherche  est  plus  excellent.  C'est 
pourquoi ,  si  l'on  n'y  prend  garde  attentivement, 
en  épurant  son  jugement  et  son  esprit,  en  répri- 
mant les  mauvais  désirs  et  les  faiblesses  humaines, 
on  nourrit  en  soi-même  insensiblement  une  gloire 
cachée  et  intérieure ,  qui  est  d'autant  plus  à  crain- 
dre ,  qu'il  reste  moins  de  défauts  pour  lui  servir 
de  contre-poids.  Et,  comme  j'ai  déjà  dit,  il  ne 
faut  point  nous  imaginer  que  nous  avons  évité 
cette  maladie ,  quand  nous  avons  méprisé  l'estime 
des  hommes  ;  car  c'est  alors  que ,  nous  renfermant 
et  nous  ramassant  en  nous-mêmes ,  nous  sommes 
ordinairement  encore  plus  livrés  à  notre  amour- 
propre. 

Ainsi  en  cet  état ,  chrétiens ,  bien  loin  de  mé- 
priser la  vaine  gloire,  au  contraire  nous  en  sépa- 
rons pour  nous  le  plus  délicat  et  le  plus  exquis  ; 
nous  en  prenons  le  plus  fin  parfum,  et  tirons, 
pour  ainsi  dire,  l'esprit  et  la  quintessence  de  cet 
agréable  poison.  Car  notre  gloire  estd'autant  plus 
grande,  qu'elle  se  contente  d'elle-même.  Nous 
trouvons  je  ne  sais  quoi  de  plus  fin  dans  notre 
propre  jugement ,  quand  il  a  eu  la  force  de  s'éle- 
ver au-dessus  des  jugements  des  autres;  ce  qui 
fait  que  nous  en  sommes  et  plus  amoureux  et  plus 
jaloux.  Et  alors,  quand  il  arrive  que  nous  nous 
plaisons  en  nous-mêmes ,  nous  nous  y  plaisons 
d'autant  plus  que  rien  ne  nous  plaît  que  nous. 
C'est  ainsi  que  nous  nous  faisons  des  dieux  eu 
nous-mêmes. 

En  effet ,  ce  qu'il  y  a  de  plus  dangereux  pour 

'  Epht.  ml  Dnnetriad.  in  Ap.  Oper.  S.  .Jiigust.  t.  ii,  ep. 
xvii,  cap.  I,  col.  5. 
*  Ctji:!.  J»!.  !ib.  ir.  cap.  iii,  n^  is,  l.  X,  col.  wj 


340 


POUR  UNE  TROFESSION. 


nous  dans  les  louanges  que  l'on  nous  donne ,  n'est 
pas  le  péril  d'être  flattés  par  la  bonne  estime  des 
autres.  Cette  complaisance  secrète  que  nous  avons 
pour  nous-mêmes,  c'est  ce  qui  fait  notre  plus 
grand  mal;  c'est  elle  que  les  louanges  et  les  ap- 
probations, qu'on  donne  à  notre  conduite  ou  à 
notre  esprit,  viennent  fortifier  dans  le  fond  du 
cœui .  Et  certes ,  rien  ne  nourrit  tant  cette  estime 
que  nous  avons  de  notre  mérite ,  que  les  applau- 
dissements de  ceux  qui  nous  environnent;  ce 
concours  de  leur  opinion  avec  la  nôtre  fait  un 
concert  trop  agréable  pour  nous.  C'est  ce  concours 
de  leur  complaisance  avec  la  nôtre  qui  fait  que 
la  nôtre  se  croit  bien  fondée ,  et  s'imprime  avec 
plus  de  force.  Cette  même  complaisance  nous 
revient  par  plusieurs  endroits,  et  se  réveille  de 
toutes  parts  :  quand  nous  la  prenons  toute  seule , 
elle  n'est  pas  moins  dangereuse. 

C'est,  ma  sœur,  à  cet  excès  qu'arrivent  ceux 
qui  ne  se  glorifient  pas  en  Notre-Seigneur,  selon 
le  précepte  de  l'apôtre'.  «  Maudit  l'homme  qui 
«  s'appuie  et  se  plaît  en  l'homme  !  «  dit  l'oracle  de 
l'Écriture  \  Et  par  là ,  dit  saint  Augustin  ^ ,  celui- 
là  est  maudit  de  Dieu ,  qui  se  plaît  ou  ss  confie 
en  lui-même ,  parce  que  lui-même  est  un  homme  : 
de  sorte  qu'il  ne  suffit  pas  de  vouloir  être  petit 
aux  yeux  de  tous ,  si  nous  ne  sommes  petits  à 
nous-mêmes,  et  si  nous  ne  nous  tenons  les  derniers 
de  tous.  «  Chacun  ,  par  le  sentiment  d'une  humi- 
«  lité  sincère,  doit  croire  les  autres  au-dessus  de 
«  soi  :  »  In  humilitate  superiores  sibi  invicem 
arbitrantes^. 

Étudiez  vos  défauts  :  vous  venez  dans  la  reli- 
gion pour  vous  détacher  de  vous-même.  Sépa- 
rée par  l'obéissance  de  votre  esprit  propre  et  de 
vos  propres  lumières ,  vous  commencerez  à  vous 
voir  et  à  vous  connaître  dans  une  lumière  supé- 
rieure. 

La  science  la  plus  nécessaire  à  la  vie  humaine, 
c'est  de  se  connaître  soi-même.  Et  saint  Augus- 
tin a  raison  de  dire*  qu'il  vaut  mieux  savoir  ses 
défauts,  que  de  pénétrer  tous  les  secrets  des 
États ,  et  de  savoir  démêler  toutes  les  énigmes  de 
la  nature.  Cette  science  est  d'autant  plus  belle  , 
qu'elle  n'est  pas  seulement  la  plus  nécessaire, 
mais  la  plus  rare  de  toutes.  Delicta  guis  intelli- 
git  ^?  «  Qui  est-ce  qui  connaît  ses  fautes?  »  Nous 
jetons  nos  regards  bien  loin;  et  pendant  que 
flous  nous  perdons  dans  des  pensées  infinies,  nous 
pous  échappons  à  nous-mêmes.  Tout  le  monde 
ponnatt  nos  défauts  :  ils  font  la  fable  du  peuple  ; 

»  I.  C«r.  1,31. 

?   Je  rem.  XVir,  5. 

»  Enchirid.  n"  30 ,  f .  VI ,  col.  239. 

*  Philipp.  ir,  3. 

»  Ue  Trinit.  li!).  iv,  n'  I ,  t.  VIII,  col.  809. 

fi  Ps.  xviii ,  13. 


nous  seuls  ne  les  savons  pas ,  et  deux  choses  nou» 
en  empêchent  :  premièrement  nous  nous  voyons 
de  trop  près  ;  l'œil  se  confond  avec  l'objet  :  nous 
ne  sommes  pas  assez  détachés  de  nous-mêmes 
pour  nous  considérer  d'un  regard  distinct,  et 
nous  voir  d'une  pleine  vue  :  secondement ,  et  c'est 
le  plus  grand  désordre,  nous  ne  voulons  pas  nous 
connaître,  si  ce  n'est  par  les  beaux  endroits. 
Nous  nous  plaignons  du  peintre  qui  n'a  pas  *u 
couvrir  nos  défauts;  et  nous  aimons  mieux  ne 
voir  que  notre  ombre  et  notre  figure,  si  peu 
qu'elle  semble  belle ,  que  notre  propre  personne , 
si  peu  qu'il  y  paraisse  d'imperfection.  Cette  igno- 
rance nous  satisfait;  et  par  la  même  faiblesse 
qui  fait  que  nous  nous  imaginons  être  sains  quand 
nous  ne  sentons  pas  nos  maux  ;  assurés ,  quand 
nous  fermons  les  yeux  aux  périls;  riches,  quand 
nous  négligeons  de  voir  l'embarras  et  la  confusion 
de  nos  comptes  et  de  nos  affaires  :  nous  croyons 
aussi  être  parfaits  quand  nous  n'apercevons  pas 
nos  défauts  :  quand  notre  conscience  nous  les 
reproche ,  nous  nous  étourdissons  nous-mêmes. 

Dans  ce  silence,  dans  cette  retraite ,  envisagez 
vos  défauts ,  connaissez  exactement  vos  péchés  : 
vous  trouverez  tous  les  jours  de  quoi  vous  déplaire 
à  vous-même.  «  Dieu ,  dit  saint  Augustin ,  à  voulu, 
«  pour  nous  empêcher  de  tomber  dans  l'orgueil , 
«^que  nous  eussions  un  besoin  continuel  de  la 
«  rémission  des  péchés  :  »  Ne  superbi  viveremus , 
ut  sub  quotidiana  peccatorum  re??iissione  vi- 
vamus\  Qui  demande  qu'on  lui  pardonne,  ne 
croit  pas  mériter  de  gloire.  C'est  quelque  chose 
de  ferme  et  de  vigoureux,  [qui  vous  est  néces- 
saire]. Regardez  ce  qui  reste  à  faire  :  vous  n'avez 
rien  moins  que  Jésus-Christ  pour  modèle  ;  [  ce 
qui  vous  oblige]  d'oublier  ce  qui  est  derrièr& 
vous ,  et  de  vous  avancer  sans  cesse  vers  ce  qui 
est  devant  vous  :  Quœ  rétro  sunt  obliviscens , 
ad  ea  quœ  sunt  priora  extendens  meipsum^. 
Telle  est  la  posture  de  l'humilité  :  oubliant  ce 
qui  est  derrière ,  et  s'étendant  au-devant  de  toute 
sa  force ,  elle  porte  ses  regards  bien  loin  devant 
soi ,  dans  la  crainte  qn'd^e  a  de  se  voir  soi-même , 
et  considère  toujours  ce  qui  reste  à  faire,  pour 
n'être  jamais  flattée  de  ce  qu'elle  a  fait. 

Enfoncez-vous  donc  aujourd'hui  dans  une 
obscurité  sainte  :  vous  êtes  morte  par  ce  sacrifice 
sous  un  glaive  spirituel.  Cachez  à  la  droite  ce  que 
fait  la  gauche;  que  votre  vie  soit  cachée  avec 
Jésus-Christ  :  soyez  cachée  au  monde  et  à  vous- 
même.  Celui  qui  se  plaît  en  soi-même,  dit  excel- 
lemment saint  Jean-Chrysostôme ,  et  se  glorifie 
en  ses  bonnes  œuvres ,  ravage  sa  propre  moisson, 
et  détruit  son  propre  édifice.  C'est  ce  qui  vous  est 

»  Ciintra  Jtd.  Jib.  iv,  cap.  m,  u*  2S,  t.  X ,  co!.  ÔCO. 
'  Philipp.  m,  16. 


POUB  UNE  PROFESSION. 


317 


figuré  par  ce  voile  mystérieux,  que  votn^  illustre  , 
prélat  va  mettre  sur  votre  tête  :  vous  allez  être  ' 
enveloppée  et  ensevelie  dans  une  éternelle  obs-  ; 
curité.  Abaissez-vous  donc  sous  la  main  sacrée  ; 
de  ce  charitable  et  relijïieux  pasteur,  et  dites 
avec  le  Psalmiste  :  «  J'ai  choisi  d'être  humiliée  et 
«  anéantie  dans  la  maison  de  mon  Dieu.  » 

Mais,  messieurs,  ne  semble-t-il  pas  que  la 
présence  d'une  fille  de  Henri  le  Grand,  dune 
reine  si  auguste  et  si  grande*,  donne  trop  d'éclat 
à  cette  cérémonie  d'humiliation,  à  ce  mystère 
d'obscurité  sainte?  Non ,  madame  ;  Votre  Majesté 
ne  vient  pas  ici  pour  y  apporter  la  gloire  du 
monde,  mais  pour  prendre  part  aux  abaissements 
de  la  vie  religieuse  et  humiliée.  Le  sang  de  saint 
Louis  ne  vous  a  pas  seulement  donné  une  gran- 
deur auguste  et  royale ,  mais  encore  vous  a  ins- 
piré une  piété  toute  chrétienne  ;  et  il  est  digne 
de  vous,  qu'étant  obligée  par  votre  rang  à  faire 
une  si  grande  partie  des  pompes  du  monde ,  votre 
foi  vous  invite  à  assister  aux  cérémonies  où  l'on 
apprend  à  les  mépriser. 

Mais,  messieurs,  n'avez-vous  pas  remarqué 
encore  qu'une  autre  reine  nous  manque  ?  Anne , 
vous  n'êtes  plus;  puisque  vous  n'honorez  pas 
de  votre  présence  ce  grand  et  religieux  spectacle. 
Grande  reine,  si  vous  étiez,  cette  fille  qui  vous 
fut  chère ,  dont  vous  connaissiez  si  bien  la  vertu , 
qui  a  eu  votre  confiance  jusqu'à  votre  dernier 
soupir,  ne  serait  présentée  à  Dieu  que  de  votre 
main.  Et  certes ,  il  serait  jHste  que  l'ayant  arra- 
chée de  cette  maison ,  et  l'ayant  ôtée  à  Dieu  pour 
un  temps ,  vous-même  lui  rendissiez  ce  qu'il  n'a 
fait  que  vous  prêter. 

Mais,  messieurs,  suis-je  chrétien  quand  je  parle 
comme  je  fais?  Traiterai-je  comme  morte  celle 
qui  vit  avec  Dieu;  et  croirai-je  qu'elle  .ous  man- 
que aujourd'hui,  parce  qu'elle  ne  se  montre  pas 
à  ces  yeux  mortels?  Non ,  non  ;  il  n'est  pas  ainsi. 
Nous  avons  ici  plus  d'une  reine,  s'il  est  vrai, 
comme  nous  enseigne  la  théologie,  qu'on  voit 
tout  dans  ce  miroir  infini  de  la  divine  essence.  Si 
les  âmes  bienheureuses  y  découvrent  principale- 
ment ce  qui  touche  les  personnes  qui  leur  sont 
i         attachées  par  des  liaisons  particulières  ;  ma  sœur, 
|H|  Anne-Maurice  d'Espagne ,  votre  unique  et  chère 
t^"  maîtresse ,  vous  voit  du  plus  haut  des  cieux  :  sans 
doute,  elle  a  trop  de  part  au  sacrifice  que  vous 

I faites.  Après  elle  vous  n'avez  voulu  servir  que 
Dieu  seul.  Après  lui  avoir  fermé  tes  yeux,  vous 
avez  fermé  pour  jamais  les  vôtres  aux  folles  va- 
nités du  siècle.  Il  semble  que  vous  n'avez  pas 
voulu  même  la  survivre  ;  puisque ,  dans  le  même 
moment  que  cette  âme  pieuse  a  quitté  le  monde, 


Beorielte-Marie  de  France,  reine  «TAnsîeîerre. 


vous  l'avez  aussi  quitté  :  vous  avez  passé  de  sa 
cour  dans  le  cloître,  pour  vous  consacrer  à  une 
mort  mystique  et  spirituelle.  En  sortant  de  cette 
cour  si  chrétienne,  si  sainte,  si  religieuse,  vous 
avez  cru  qu'aucune  maison  n'était  digne  de  vous 
recevoir  que  celles  qui  sont  dédiées  à  votre  Dieu  ; 
et  vous  venez  professer  ici  solennellement  qu'une 
reine  si  puissante  et  si  magnifique,  après  vous 
avoir  honorée  de  son  affection  et  comJjlée  si 
abondamment  de  ses  grâces ,  n'a  pu  néanmoins 
vous  rendre  heureuse.  Et  tant  s'en  faut  que  vous 
estimiez  qu'elle  ait  pu  faire  votre  bonheur  par 
toutes  ses  largesses ,  qu'au  contraire,  mieux  éclai- 
rée par  les  lumières  de  la  foi,  vous  mettez  votre 
bonheur  à  quitter  généreusement  tout  ce  qu'elle 
a  pu  faire  pour  vous,  tout  ce  qu'une  libéralité 
royale  a  voulu  accumuler  de  biens  sur  votre  tête. 
0  pauvreté  et  impuissance  des  rois!  qui  peuvent 
faire  leurs  serviteurs  riches,  puissants,  fortunés; 
mais  qui  ne  peuvent  pas  les  faire  heureux  !  Et 
certes ,  il  n'appartient  qu'à  celui  qui  est  lui-même 
le  souverain  bien,  de  donner  la  félicité. 

Venez  donc ,  ma  chère  sœur  eagf ésus-Christ , 
venez  vous  jeter  entre  ses  bras  ;  venez  vous  ca- 
cher sous  ses  ailes,  venez  vous  humilier  dans  sa 
maison.  Recevez-la,  monseigneur,  au  nombre 
des  vierges  sacrées,  que  votre  haute  sagesse  et 
votre  sollicitude  pastorale  sait  si  bien  conduire 
dans  la  voie  étroite.  Donnez-lui ,  de  ce  cœur  tou- 
jours pacifique  et  véritablement  paternel ,  votre 
sainte  bénédiction ,  que  je  vous  demande  aussi 
pour  moi-même ,  comme  une  authentique  ap- 
probation de  la  doctrine  que  j'ai  prêchée.  Ainsi 
soit-il. 

SERMON 

POUR  UNE  PROFESSION, 

PRÊcaé  LE  jom  de  l'épiphakie. 

Noces  spirituelles  qu'une  religieuse  célèbre  avec  lésos^ 
Christ,  au  jour  de  sa  profession.  Qualités  de  ce  divin  Epoux, 
D'où  vient  est-il  obligé  de  se  faire  pauvre,  pour  acquérir  ce 
titre  de  Roi.  La  pauvreté ,  l'unique  dot  qu'il  exige  de  soq 
épouse  :  pourquoi.  Combien  grand  l'amour  qu'il  a  eu  pour 
elle.  Moyens  qu'elle  doit  prendre  pour  conserver  une  affec- 
Uon  si  inconcevable.  Précieux  effets  de  la  nrgioité  :  transports 
que  le  Sauveur  a  toujours  pour  elle.  Jalousie  miséricordieuse 
qu'il  a  témoignée  à  son  épouse  ;  a\ec  quelle  vigilance  il 
observe  toutes  ses  démarches.  Soin  qu'elle  doit  avoir  de  S9 
garantir  des  effets  d'une  jalousie  si  délicate. 


Venenint  nupt'tœ  Agni ,  et  uxor  ejus  prœparavlt  sft. 
Les  noces  de  l'Agneau  se  Tont  célébrer,  et  son  é{>ouse  s'e«l 
préparée.  Apoc.  xra,  7. 

Enfin,  ma  sœur,  elle  est  arrivée  cette  heure 
désirée  depuis  si  longtemps,  en  laquelle  vcns 


Wi 


Pour  une  profession. 


serez  unie  avec  Jésus- Christ  par  des  noces  spiri- 
tuelles. Certainement  il  n'était  pas  juste  de  vous 
donner  d'abord  ce  divin  Époux ,  encore  que  votre 
cœur  languît  après  lui  :  il  fallait  auparavant  em- 
bellir votre  âme  par  une  pratique  plus  exacte  de 
la  vertu ,  et  éprouver  votre  foi  par  une  longue 
suite  de  saints  exercices.  Maintenant  que  vous 
vous  '3tes  ornée  d'une  manière  digne  de  lui ,  et 
que  votre  noviciat  vous  a  préparée  à  ee  bienheu- 
reux mariage ,  il  n'est  pas  juste  de  le  retarder, 
et  nous  allons  en  commencer  la  cérémonie  :  Ve- 
neruni  nuptiœ  Agni,  et  uxor  ejus  prœparavit 
se.  En  cet  état ,  ma  très-chère  sœur ,  vous  par- 
ler d'autre  chose  que  de  votre  Époux,  ce  serait 
offenser  votre  amour  ;  et  je  n'ai  garde  de  com- 
mettre une  telle  faute.  Parlons  donc  aujourd'hui 
du  divin  Jésus  ;  qu'il  fasse  tout  le  sujet  de  cet 
entretien.  Considérons  attentivement  quel  est 
cet  Époux  qu'on  vous  donne  ;  et  pour  joindre 
votre  fête  particulière  avec  celle  de  toute  l'Église, 
tâchons  de  connaître  ses  qualités  par  le  mystère 
de  cette  journée.  Vous  y  apprendrez  sa  grandeur, 
vous  y  décou^'irez  son  amour ,  et  vous  y  verrez 
aussi  sa  jalousie. 

Il  est  grand ,  n'en  doutez  pas ,  puisque  c'est 
un  roi.  Les  Mages  le  publient  hautement  :  «  Où 
«  est  né ,  disent-ils,  le  roi  des  Juifs  '  ?  «  Et  c'est 
pour  Iwnorer  sa  royauté,  qu'ils  viennent  de  si 
loin  lui  rendre  leurs  hommages.  Ce  roi  vous  aime 
d'un  amour  ardent ,  et  il  vous  montre  assez  son 
amour  par  la  bonté  qu'il  a  eue  de  vous  prévenir. 
l>es  Mages  ne  le  connaissaient  pas,  et  il  leur 
envoie  son  étoile  pour  les  attirer.  Il  vous  a  été 
rechercher  par  la  même  miséiicorde ;  et  il  a  fait 
luire  sur  vous ,  ainsi  qu'un  astre  bénin ,  une  ins- 
piration particulière  qui  vous  a  retirée  du  monde 
pour  vous  unir  à  lui  de  plus  près.  Votre  Époux 
est  donc  un  grand  roi;  votre  Époux  vous  aime 
avec  tendresse;  mais  il  faut  encore  vous  dire 
qu'il  vous  aime  avec  jalousie. 

II  appelle  les  Mages  à  lui  ;  mais  il  ne  veut  pas 
qu'ils  retournent  par  la  même  voie,  ni  qu'ils  ai- 
ment ce  qu'ils  aimaient  auparavant.  Ainsi,  en 
lui  donnant  votre  cœur,  détachez-vous  aujour- 
d'hui de  toutes  choses.  S'il  vous  chérit  comme  un 
amant,  il  vous  observe  comme  un  jaloux;  et  le 
soin  qu'il  a  pris  d'avertir  les  Mages  du  chemin 
qu'ils  devaient  tenir,  peut  vous  faire  entendre, 
ma  sœur,  qu'il  veille  bien  exactement  sur  votre 
conduite.  Apprenez  de  là  quel  est  cet  Époux  qui 
vous  donne  aujourd'hui  la  main.  Vous  voyez  sa 
royauté  par  les  hommages  qu'on  lui  rend  ;  vous 
voyez  son  amour  par  l'ardeur  de  sa  recherche; 
vous  voyez  sa  jalousie  par  le  soin  qu'il  prend  de 

*M(iUh.  11,2. 


veiller  sur  vous ,  et  de  marquer  si  cxacloment 
toutes  vos  démarches. 

0  épouse  de  Jésus-Christ  !  profitez  de  la  con- 
naissance particulière  qu'on  vous  donne  de  l'É- 
pou-x  céleste  auquel  vous  engagez  votre  foi.  Il  est 
roi  ;  apprenez  ,  ma  sœur,  qu'il  faut  soutenir  vi- 
goureusement cette  haute  dignité  de  son  «îpousc. 
Il  vous  aime;  prenez  donc  grand  soin  de  vous 
rendre  toujours  agréable  pour  conserver  son  af- 
fection. Il  est  jaloux;  apprenez  de  là  quelle  pré- 
caution vous  devez  garder  pour  lui  justifier  votre 
conduite.  Voilà  trois  avis  importants  que  j'ai  à 
vous  donner  en  peu  de  paroles  :  mais  pour  les 
rendre  plus  particuliers,  et  ensuite  plus  fruc- 
tueux ,  il  faut  en  faire  l'application  à  la  vie  que 
vous  embrassez ,  et  aux  trois  vœux  que  vous  allez 
faire. 

Je  vous  ai  dit  qu'il  faut  prendre  soin  de  soute- 
nir la  dignité  dont  il  vous  honore ,  de  conserver 
l'amour  dont  il  vous  prévient,  et  de  n'offenser 
pas  la  jalousie  par  laquelle  il  vous  observe.  Qu'il 
vous  sera  aisé  d'accomplir  ces  choses  par  le  se- 
cours de  vos  vœux  !  C'est  un  roi  ;  mais  c'est  nu 
roi  pauvre ,  qui  a  pour  palais  une  étable  ,  dont  le 
trône  est  une  croix.  Pour  soutenir  la  dignité  d'é- 
pouse, il  ne  veut  que  l'amour  de  la  pauvreté  : 
il  aime  ;  et  ce  qu'il  aime ,  ce  sont  les  âmes  pures  ; 
pour  conserver  son  affection,  l'agrément  qu'il  re- 
cherche, c'est  la  chasteté.  Il  est  délicat  et  jaloux, 
et  il  veille  de  près  sur  vos  actions  :  l'unique  pré- 
caution qu'il  vous  demande,  c'est  la  fidélité  de 
l'obéissance.  Dieu  soit  loué ,  mes  sœurs ,  de  m'a- 
voir  inspiré  ces  pensées,  et  de  m'avoir  donné  le 
moyeu  de  joindre ,  ainsi  que  je  l'ai  promis ,  l'ac- 
tion que  vows  allez  faire  avec  le  mystère  que  l'É- 
glise honore! 

PREMIER    POIN 

Il  est  bien  vrai ,  mes  sœurs ,  ce  que  Dieu  nous 
dit  avec  tant  de  force  par  la  bouche  de  son  pro- 
phète Isaïe  ' ,  que  ses  pensées  ne  sont  pas  les  pen- 
sées des  hommes,  et  que  ses  voies  sont  infini- 
ment éloignées  des  nôtres.  Le  ciel  n'est  pas  plus 
élevé  par-dessus  la  terre,  que  les  conseils  de  la 
sagesse  divine  le  sont  par-dessus  les  opinions  et 
les  maximes  de  notre  prudence.  Le  mystère  du 
Verbe  fait  chair ,  où  nous  voyons  un  renverse- 
ment de  toutes  les  maximes  du  monde ,  est  une 
preuve  invincible  de  cette  vérité.  Et  sans  vous 
raconter  maintenant  toutes  les  particularités  de 
ce  grand  mystère,  ce  que  j'ai  à  vous  prêcher  au- 
jourd'hui suffira  pour  vous  faire  voît  cet  éloi- 
gnement  infini  des  pensées  de  Dieu  et  des  nôtres. 
Car ,  mes  sœurs ,  je  prêche  un  roi  pauvre ,  un: 

'    h.  l.V,8,, 


rOUR  UNE  PROI- RSSrON. 


t\)i  que  ses  sujets  ne  connaissent  pas  :  Sui  evm 
iiun  recepcrunt  '  ;  qui  n'a  par  conséquent  ni 
provinces  qui  lui  obéissent ,  ni  armées  qui  com- 
kittent  sous  ses  étendards.  Son  trône ,  cest  une 
crèche,  et  son  palais, une  étable  :  c'est  un  mo- 
narque dans  l'indigence,  et  uu  souverain  dans 
l'opprobre.  0  ciel  !  ô  terre  !  ô  anges  et  hommes  ! 
étonnez-vous  des  abaissements  du  monarque  que 
nous  adorons. 

Mais  nous  voyons ,  messieurs ,  ordinairement 
i\m  les  pauvres  s'associent  des  riches,  pour  cher- 
cher du  secours  à  leur  indigence.  Il  est  dans  l'u- 
siige  des  choses  humaines  qu'un  pauvre  qui  se 
marie  tâche  de  subvenir  à  sa  pauvreté,  en  pre- 
nant une  femme  riche  dont  la  dot  le  mette  à  son 
aise.  Et  voici  mon  sauveur  Jésus ,  le  plus  pauvre 
de  tous  les  pauvres ,  qui  ne  veut  que  des  pauvres 
en  sa  compagnie ,  qui ,  se  choisissant  une  épouse, 
ne  veut  pour  dot  que  sa  pauvreté ,  et  l'oblige  à 
renoncer  hautement  à  l'espérance  de  son  héri- 
tage. Entendons  ces  deux  vérités ,  et  voyons  quel 
est  ce  mystère. 

Quoiqu'il  soit  assez  extraordinaire  de  venir  de 
la  misère  à  la  royauté ,  et  qu'il  le  soit  beaucoup 
plus  d'être  pauvre  et  roi;  toutefois  il  est  vérita- 
ble que  nous  avons  des  exemples  de  l'un  et  de 
l'autre ,  et  que  Dieu  se  plaît  quelquefois  à  con- 
fondre l'arrogance  humaine  par  de  telles  vicissi- 
tudes. Mais  que,  pour  établir  une  royauté  ,  il 
soit  nécessaire  de  se  faire  pauvre;  que  la  néces- 
sité et  l'indigence  soient  le  premier  degré  pour 
monter  au  trône,  c'est  ce  qui  est  entièrement 
inouï  dans  toutes  les  nations  de  la  terre  ;  et  mon 
Sauveur  s'était  réservé  de  nous  faire  voir  ce  mi- 
racle. Car,  mes  frères,  vous  le  savez ,  ou  vous  êtes 
fort  peu  informés  des  vérités  de  notre  croyance  ; 
vous  savez  que  le  Fils  de  Dieu ,  pour  s'acquérir 
Je  titre  de  roi,  a  été  obligé  de  se  faire  pauvre. 
Son  Père  lui  promet  que  toutes  les  nations  de  la 
terre  reconnaîtront  son  autorité,  et  qu'il  les  lui 
donnera  pour  son  héritage ^  Mais  qui  ne  sait, 
parmi  les  fidèles,  que,  pour  monter  sur  ce  trône 
qui  lui  est  prorais  sur  la  terre ,  il  a  fallu  qu'il  des- 
^^k  cendit  de  celui  où  il  régnait  dans  le  ciel  ;  que-pour 
'^^  acquérir  ce  nouvel  héritage,  il  a  fallu  quitter  ce- 
lui qui  lui  appartenait  par  sa  naissance ,  et  venir, 
parmi  les  hommes,  faible  et  indigent,  exposé  à 
toute  sorte  de  misères? 

I^L  Vous  le  savez ,  chrétiens ,  et  les  mystères  que 
^Knous  célébrons ,  durant  ces  saints  jours ,  ne  vous 
H-  permettent  pas  d'ignorer  ce  fondement  du  chris- 
^^  tianisme.  Mais  pour  en  savoir  le  secret,  et  péné- 
trer les  causes  d'un  si  grand  mystère  sous  la  con- 


>  Juan.  I,  II. 


349 

duitede  l'Écriture,  nous  remarquerons, s'il  vous 
plaît ,  deux  royautés  en  notre  Sauveur.  Comme 
Dieu ,  il  est  le  roi  et  le  souverain  de  toutes  les 
créatures  qui  ont  été  faites  par  lui  :  Omniapcr 
ipsum  '.  Et  outre  cela,  en  qualité  d'homme,  il 
est  roi  en  particulier  de  tout  le  peuple  qu'il  a  ra- 
cheté, sur  lequel  il  s'est  acquis  un  droit  absolu, 
par  le  prix  qu'il  a  donné  pour  sa  délivrance.  Voilà 
donc  deux  royautés  dans  le  Fils  de  Dieu  :  la  pre- 
mière lui  est  naturelle,  et  lui  appartient  par  sa 
naissance  ;  la  seconde  est  acquise ,  et  il  l'a  mé- 
ritée par  ses  travaux.  La  premièredeces  royautés, 
qui  lui  appartient  par  la  création,  n'a  rien  que 
de  grand  et  d'auguste  ;  parce  que  c'est  un  apanage 
de  sa  naturelle  grandeur,  et  qu'elle  suit  néces- 
sairement son  indépendance.  Et  pourquoi  n'en 
est-il  pas  de  même  de  celle  qui  est  née  par  la  ré- 
demption? Saint  Augustin  vous  le  dira  mieux  que 
je  ne  suis  capable  de  vous  l'expliquer.  Voici  la 
raison  que  j'en  ai  conçue ,  par  les  principes  de  ce 
grand  évêque.  Puisque  le  Sauveur  était  né  avec 
une  telle  puissance,  qu'il  était  de  droit  nature! 
maître  absolu  de  tout  l'univers  ;  lorsqu'il  a  voulu 
s'acquérir  les  hommes  par  un  titre  particulier, 
nous  devons  entendre,  messieurs,  qu'il  ne  le  fait 
pas  de  la  sorte  dans  le  dessein  de  s'agrandir,  mais 
dans  celui  de  les  obliger. 

En  effet,  dit  saint  Augustin,  que  sert-il  au 
roi  des  anges  de  se  faire  le  roi  des  hommes  ;  an 
Dieu  de  toute  la  nature ,  de  vouloir  s'en  acquérir 
une  partie,  sur  laquelle  il  a  déjà  un  droit  absolu? 
H  n'augmente  pas  par  là  son  empire;  puisqu'en 
s'acquérant  les  lidèles,  il  ne  s'acquiert  que  son 
propre  bien ,  et  ne  se  donne  que  des  sujets  qui  lui 
appartiennent  déjà  :  tellement  que ,  s'il  recher- 
che cette  royauté ,  il  faut  conclure ,  dit  ce  saint 
évêque ,  que  ce  n'est  pas  dans  une  pensée  d'élé- 
vation ,  mais  par  un  dessein  de  condescendance  ; 
ni  pour  augmenter  son  pouvoir,  mais  pour  exercer 
samiséricorde  :  Dignatio  est,  nonpromotio;  mi- 
serationis  indicium  est,  nonpotestalis  auymen- 
tum  ^.  Ainsi  ne  vous  étonnez  pas  aujourd'hui,  ô 
Mages!  qui  venez  l'adorer,  si  vous  ne  voyez  en  ce 
nouveau  roi  aucune  marque  de  grandeur  royale. 
C'est  ici  une  royauté  extraordinaire.  Ce  roi  n'est 
pas  roi  pour  s'élever;  c'est  pourquoi  il  ne  cher- 
che rien  de  ce  qui  élève  :  il  est  roi  pour  nous  obli- 
ger, et  c'est  pourquoi  il  recherche  ce  qui  nous 
oblige. 

Et ,  mes  frères ,  vous  savez  assez  combien  sa 
pauvreté  y  est  nécessaire ,  puisque  tous  les  ora- 
cles divins  nous  enseignent  que  nous  ne  devons 
être  sauvés  que  par  ses  souffrances.  Mais  pous- 
sons encore  plus  loin  cette  vérité  chrétienne ,  et 

'  Joan.  I,  3. 

'  i«  Joan.  Tract,  u ,  n»  5  ;  t.  m ,  part,  ii ,  col.  636. 


S50 


POUR  UXE  PROFESSION. 


prouvons  invinciblement  que  c'est  par  le  de^ré  de 
la  pauvreté  que  notre  roi  doit  monter  an  trône. 
Vous  le  comprendrez  sans  difficulté ,  si  vous  con- 
sidérez attentivement  quel  est  le  trône  que  l'on 
lui  destine.  Cherchons-le  dans  l'histoire  de  son 
Évangile  :  jetons  les  yeux  sur  toute  sa  vie  ;  ne  ver- 
rons-nous point  quelque  part  le  titre  de  sa  royauté  ; 
Sera-ce  peut-être  dans  les  synagogues ,  où  il  en- 
seigne avec  tant  d'autorité?  ou  ne  sera-ce  point 
plutôt  au  Thabor,  où  il  paraît  avec  tant  d'éclat? 
au  Jourdain,  où  le  ciel  s'ouvre  sur  lui?  Où  ver- 
rons-nous écrit  :  «  Jésus  de  Nazareth ,  roi  des 
«  Juifs  •  ?»  Ah  !  mes  frères  ;  c'est  sur  sa  croix  ; 
et  ce  titre  nous  doit  faire  entendre  que  la  croix 
est  le  trône  de  ce  nouveau  roi.  Elle  n'est  pas  seu- 
lement son  trône ,  elle  est  la  source  de  sa  royauté. 
Car  comme  nous  sommes  un  peuple  racheté ,  il 
est  notre  roi  par  la  croix  qui  a  porté  le  prix  de 
notre  salut  ;  comme  nous  sommes  un  peuple  con- 
quis, Populus  acquisiiionis  »,  il  est  notre  roi 
par  la  croix  qui  a  été  l'instrument  de  sa  conquête. 
Il  se  confesse  roi  dans  sa  passion  :  Ergo  rex  es 
tu^l  Et,  ce  qu'il  n'a  jamais  avoué,  quand  il  a 
paru  comme  Tout-Puissant  par  la  grandeur  de 
ses  miracles,  il  commence  à  le  publier,  lorsqu'il 
paraît  le  plus  méprisable  par  sa  qualité  de  crimi- 
nel. Et  pourquoi  cela,  je  vous  prie,  si  ce  n'est 
afin  que  nous  entendions  que  c'est  sa  croix  et  sa 
mort  ignominieuse  qui  font  l'établissement  de  sa 
royauté? 

S'il  est  ainsi,  s'il  est  ainsi ,  si  tel  est  le  dessein 
de  Dieu ,  que  mon  maître  doive  régner  par  son 
supplice;  ah!  pauvreté,  viens  à  mon  secours; 
pauvreté,  prête-lui  la  main.  Il  ne  peut  être  roi 
sans  son  entremise  :  car  considérez,  âmes  sain- 
tes, ce  bel  ordre  des  conseils  de  Dieu.  Afin  que 
Jésus-Christ  fût  notre  roi ,  en  qualité  de  sauveur, 
il  fallait  qu'il  nous  acquît;  et  pour  nous  acqué- 
rir, il  fallait  qu'il  nous  achetât;  et  pour  nous 
acheter,  il  devait  donner  notre  prix  ;  pour  don- 
ner notre  prix,  il  fallait  qu'il  fût  mis  en  croix  ; 
pour  être  mis  en  croix ,  il  fallait  qu'il  fut  méprisé  ; 
et  afin  qu'il  fût  méprisé,  ne  fallait-il  pas  qu'il  fût 
pauvre,  qu'il  fût  faible,  qu'il  fût  impuissant, 
abandonné  aux  injures ,  exposé  à  l'oppression 
et  à  l'injustice  par  sa  condition  misérable  ?  Ut  da- 
retpretium,  pro  nohis  crucifixus  est;  ut  cruci- 
figeretur,  coniemptus  est;  ut  co?itemneretur, 
humilis  apparuit  ^.  S'il  eût  paru  aux  hommes 
avec  un  appareil  redoutable,  qui  aurait  osé  met- 
tre la  main  sur  sa  personne?  Ses  gardes,  ses  sa- 


*  Jnan.  Un,  10. 
'  I.  Pefr.  Il  ,  !). 
5  Jnan.  Xvm,  37. 

4  5.  Anijusl.  In  Jotn.  Tract.  IV,  n»  2,  lom.  m,  part,  li, 
col.  313. 


tellitcs,  comme  il  dit  lui-même  ' ,  ne  l'auraient;- 
ils  pas  délivré?  S'il  eût  eu  quelque  crédit  dans  le 
monde,  l'aurait-on  traité  si  indignement?  Mais 
comme  il  devait  être  crucifié,  il  a  voulu  être  mé- 
prisé; et  pour  s'abandonner  au  mépris,  il  lui  a 
plu  d'être  pauvre. 

Regardez  les  degrés ,  mes  sœurs,  par  où  votre 
Époux  monte  dans  son  trône,  ou  plutôt  par  où 
votre  Époux  descend  à  son  trône ,  à  la  royauté 
par  la  croix,  à  la  croix  par  l'oppression,  à  l'op- 
pression par  le  mépris ,  au  mépris  par  la  pau- 
vreté. 0  pauvreté  de  Jésus,  que  je  t'adore  aujour- 
d'hui avec  les  Mages  !  tu  es  le  sacré  marchepied 
par  où  mon  roi  est  allé  au  trône  ;  c'est  toi  qui 
l'as  conduit  à  la  royauté,  parce  que  c'est  toi  qui 
l'as  mené  jusque  sur  la  croix.  Et  vous,  ô  Jésus, 
mon  roi  et  mon  maître;  ah!  que  je  comprends 
aujourd'hui  tous  les  mystères  de  votre  vie ,  par  la 
royauté  dont  je  parle  !  Je  m'étonnais  de  vous 
voir  dans  une  étable,  sur  de  la  paille,  et  dans 
une  crèche  :  mon  esprit  éperdu  ne  pouvait 
comprendre  tant  de  bassesse.  Mais  que  tout  cela 
vous  sied  bien  !  Il  faut  un  tel  palais  à  un  roi  pau- 
vre, un  tel  berceau  à  un  roi  pauvre,  un  tel  ap- 
pareil à  un  roi  pauvre.  Que  cette  couronne  d'épi- 
nes vous'est  convenable!  Que  ce  sceptre  fragile 
est  bien  dans  vos  mains!  Tout  cela  est  digne  d'un 
roi  qui  vient  régner  par  la  pauvreté.  Et  lorsque 
faisant  votre  entrée  dans  la  ville  de  Jérusalem , 
vous  êtes  monté  sur  une  ânesse ,  ah  !  mes  frères , 
qui  ne  rougirait  d'un  si  ridicule  équipage ,  si  l'on 
n'était  convaincu  d'ailleurs  qu'il  est  digne  de  ce 
roi  pauvre ,  qui  ne  se  fait  pas  roi  pour  s'agrandir, 
mais  pour  fouler  aux  pieds  la  grandeur  mon- 
daine? 

Chère  sœur,  voilà  votre  Époux ,  voilà  le  roi 
que  nous  vous  donnons.  N'ayez  pas  de  honte  de 
sa  pauvreté;  elle  abonde  en  biens  infinis.  Il  ne 
méprise  les  biens  de  la  terre  qu'à  cause  de  la  plé- 
nitude des  biens  du  ciel  ;  et  sa  royauté  est  d'au- 
tant plus  grande ,  qu'elle  ne  veut  rien  de  mortel. 
Ce  n'est  pas  par  impuissance ,  mais  par  dédain  ; 
ce  n'est  pas  par  nécessité ,  mais  par  plénitude. 
«  Il  n'a  pas  besoin  de  nos  biens  :  »  Bonorum 
meorum  non  eges  *;  et  il  ne  lui  convient  pas, 
en  sa  dispensation  selon  la  chair,  [de  les  possé- 
der. ]  «  Car,  étant  riche ,  il  s'est  fait  pauvre  pour 
«  l'amour  de  nous  :  »  Cum  dives  esset,  propter 
nos  egenus  factus  est  ^.  C'est  pourquoi  je  vous 
ai  dit  au  commencement,  qu'il  demande  pour 
dot  votre  pauvreté.  Pourquoi  cela,  âmes  chrétien- 
nes ,  si  ce  n'est ,  comme  il  nous  a  dit ,  que  «  son 


1  Malth.  XXVI,  53. 

2  Ps.  XV,  2. 

3  H.  Cor.  VUI,3. 


POUR  UNE  PROFESSION. 


3. 'il 


•  royaume  n'est  pas  de  ce  monde  ■  ?  »  Si  son 
royaume  était  de  ce  monde,  il  demanderait  pour 
dot  les  biens  de  ce  monde  ;  mais  son  royaume  n'é- 
tant pas  du  monde ,  il  ne  vous  estimera  riche  qu'en 
pi'idant  tous  les  biens  qne  le  monde  donne.  C'est 
,,  ar  celte  dot  de  la  pauvreté  que  vous  achetez  son 
ioyaurae. 

Ce  n'est  pas  sans  raison  qu'il  ne  donne  la  fé- 
licité, en  qualité  de  royaume,  qu'aux  pauvres 
et  à  ceux  qui  souffrent.  O  Évangile ,  que  tes  mys- 
tères sont  liés  et  que  ta  doctrine  est  suivie!  Le 
troue  de  Jésus-Christ,  c'est  la  croix;  le  premier 
degré,  c'est  la  pauvreté.  Il  ne  parle  de  royaume 
(ju'à  ceux  qui  sont  ou  sur  le  trône  de  sa  croix 
|)ar  les  souffrances ,  ou  sur  le  premier  degré  par 
la  pauvreté.  Venez  donc  donner  la  main  à  ce  Roi. 
Et  vous,  recevez-la,  ô  Jésus!  recevez-la  comme 
votre  épouse,  puisqu'elle  consent  d'être  pau- 
vre :  donnez-lui  part  à  votre  royaume,  puisqu'elle 
le  mérite  par  son  indigence.  Nouveau  mariage, 
mes  sœurs,  où  le  premier  article  que  l'Époux 
demande ,  c'est  que  l'épouse  qu'il  a  choisie  re- 
nonce à  son  héritage  ;  où  il  l'oblige  par  son  con- 
trat à  se  dépouiller  de  tous  ses  biens,  où  il  appelle 
ses  parents ,  non  point  pour  recevoir  d'eux  leurs 
biens  temporels,  mais  pour  leur  quitter  à  jamais 
ce  qu'elle  pouvait  espérer  par  sa  succession.  C'est 
ainsi  que  Jésus-Christ  se  marie  ;  parce  qu'il  est 
si  grand  par  lui-même,  que  c'est  se  rendre  indi- 
gne de  lui  que  de  ne  se  contenter  pas  de  ses  biens , 
et  de  désirer  autre  chose  quand  on  le  possède. 
«  Oubliez  votre  peuple,  et  la  maison  de  votre 
«  père  :  »  Obliviscere  populum  tuum,  etdomuyn 
putris  lui  ^.  Vous  voyez  la  condition  sous  la- 
quelle Jésus-Christ  vous  reçoit  ;  voyez  mainte- 
nant les  moyens  de  vous  conserver  son  amour  : 
c'est  ma  seconde  partie. 

SECOND   POINT. 

Il  est  temps ,  ma  sœur,  de  vous  faire  voir  l'a- 
mour qu'a  pour  vous  votre  Époux  céleste;  et 
comme  l'amour  d'un  époux  se  fait  paraître  prin- 

»cipalemeut  dans  l'ardeur  de  la  recherche,  il  faut 
vous  montrer,  en  peu  de  paroles ,  de  quelle  sorte 
I  -  Jésus-Christ  vous  a  recherchée.  Vous  découvri- 
rez cette  vérité  dans  l'étoile  mystérieuse  qui  pa- 
raît dans  notre  mystère,  et  à  la  faveur  de  sa  lu- 
mière, vous  verrez  des  marques  sensibles  de 
l'amour  du  divin  Sauveur,  et  du  désir  qu'il  a  eu 
de  vous  posséder.  Il  y  a  trois  choses  dans  cette 
étoile  qui  me  paraissent  fort  considérables,  et 
qui  font  merveilleusement  pour  notre  sujet. 
Premièrement ,  je  remarque  que  cet  astre  ne 

•  Joan.  xvm ,  34. 

•  /*«.  XUV.II. 


jette  pas  indifféremment  sa  lumière,  et  semble 
faire  un  choix  des  personnes  sur  lesquelles  il  ré- 
pand ses  rayons.  Il  ne  luit  pas  par  toute  la  terre  : 
on  ne  le  voit  qu'en  Orient,  nous  dit  l'Évanuile  • 
encore  n'y  paraît-il  qu'aux  trois  Mages.  Et  ce  qui 
nous  fait  voir  manifestement  que  cette  étoile 
éclaire  avec  choix  et  avec  discernement  des  per- 
sonnes, c'est  qu'elle  se  cache  sur  Jérusalem,  et 
qu'elle  retire  ses  rayons  de  dessus  cette  ville  in- 
grate. Secondement ,  cette  belle  étoile  ne  choisit 
pas  seulement  ceux  qu'elle  illumine,  mais  encore 
elle  les  attire.  Elle  montre  aux  Mages  un  éclat  si 
doux,  et  je  ne  sais  quelle  lueur  <i  bénigne,  que 
leurs  yeux  en  étant  charmés,  à  peine  se  peuvent- 
ils  empêcher  de  la  suivre  :  Vidimus  stellam  ejus, 
et  venimus  '  :  «  Nous  l'avons  \Tie ,  disent-ils ,  et 
«  aussitôt  nous  sommes  venus.  «  Enfin ,  non-seu- 
lement elle  les  attire,  mais  encore  elle  les  précède  : 
Stellam  quam  viderant  Magi,  antecedebateos  '. 
Elle  marche  devant  eux  pour  les  conduire  ;  et 
afin  de  leur  faire  porter  plus  facilement  les  fati- 
gues et  les  ennuis  du  voyage ,  elle  remplit  leurs 
cœurs  d'une  sainte  joie  :  Videntes  autem  stellam , 
yavisi  sunt  gaudio  magno  ^ . 

Voilà,  ma  sœur,  les  trois  qualités  de  l'étoile 
qui  nous  apparaît  :  elle  choisit,  elle  attire,  et 
elle  précède.  Et  vous  reconnaissez  à  ces  trois 
marques  l'inspiration  favorable  par  laquelle  Jé- 
sus-Christ vous  a  appelée  à  l'heureuse  dignité 
d'épouse.  Cette  inspiration ,  c'est  votre  étoile  : 
elle  s'est  levée  sur  votre  orient,  c'est-à-dire, 
dès  vos  premières  années;  mais  elle  vous  a  paru 
par  un  choix  exprès.  Cette  grâce,  que  Dieu  vous 
a  faite,  n'a  pas  été  donnée  à  tout  le  monde.  Le 
Fils  de  Dieu  nous  a  dit  lui-même''  que  «  tous 
«  n'entendent  pas  cette  parole  :  »  Non  omnes 
capiunt  verbum  istud.  Qui  est  donc  celui  qui  la 
peut  entendre?  «  C'est  celui,  dit-il,  à  qui  Dieu  le 
«  donne:  ^Sedguibusdatum  ex/.  Par  conséquent, 
il  vous  a  choisie;  il  vous  a  choisie  entre  mille. 
Combien  a-t-il  laissé  de  vos  compagnes?  Combien 
en  a-t-on  voulu  appeler  qui  n'ont  pas  écouté  cette 
voix?  Combien  s'en  est-il  présenté,  qu'il  ne  lui  a 
pas  plu  de  recevoir?  Non  hos  elegit  Dominus^  : 
«  Le  Seigneur  ne  les  a  pas  choisies.  »  Ses  yeux 
ont  daigné  s'arrêter  sur  vous  :  pouvez-vous  douter 
de  son  amour,  après  le  bonheur  de  cette  préfé- 
rence? 

Ce  serait  peu  de  vous  avoir  choisie  :  jamais  vous 
n'eussiez  suivi  ce  choix  bienheureux,  s'il  ne  vous 
avait  attirée.  Nul  ne  vient  à  lui,  qu'il  ne  lui  donne  ; 

'  Matth.n,2.  "" 

'  Ibid.  9. 
3  Ihid.  10. 

*  Ibid.  iix ,  1 1. 

*  Baruch.  m ,  27. 


362 


POUR  UNE  PROFESSION. 


mil  ne  peut  venir,  quil  ne  l'attire'.  Tâchez  de 
V  ppeler  en  votre  mémoire  le  moment  auquel 
il  >  eus  a  touchée.  Quelle  lumière  vous  parut  tout 
à  coup?  Quel  attrait  inopiné  du  bien  éternel  ar- 
racha de  votre  cœur  l'amour  du  monde ,  et  vous 
le  fit  regarder  avec  mépris?  C'est  l'étoile  qui  vous 
paraît,  c'est  l'inspiration  qui  vous  attire.  Que  si 
peut-être  il  est  arrivé  que  vous  n'ayez  pas  senti 
si  distinctement  tous  ces  mouvements  admira- 
bles :  mais,  ma  sœur,  connaissez  votre  Époux, 
et  sachez  qu'il  agit  en  nous  d'une  manière  si  dé- 
licate ,  que  souvent  le  cœur  est  gagné  avant 
même  qu'il  s'en  apei'çoive.  Et  s'il  ne  vous  avait 
attirée  de  cette  manière  forte  et  puissante ,  à  la- 
quelle ,  dit  saint  Augustin  * ,  nulle  dureté  ne  ré- 
siste, par  combien  de  vaines  délices  le  monde 
vous  aurait-il  amollie?  par  combien  d'erreurs 
dangereuses  se  serait-il  efforcé  de  vous  séduire? 
I>ar  combien  de  fausses  lumières  aurait-il  tâché 
de  vous  éblouir?  Mais  l'étoile  de  Jésus-Christ, 
je  veux  dire  son  inspiration  et  sa  grâce,  a  eu  un 
éclat  plus  fort  et  une  lumière  plus  attirante.  Vous 
l'avez  vue  ;  elle  vous  a  charmée  ;  vous  êtes  venue 
aussitôt  :  Vidimus  et  venimus;  et  Jésus  est  prêt 
à  vous  recevoir.  Heureuse  d'avoir  été  si  soigneu- 
sement recberchée ,  et  si  fortement  attirée  ! 

Toutefois  l'amour  du  divin  Époux  a  fait  quel- 
(|ue  chose  de  plus  en  votre  faveur.  En  vain  sa  lu- 
mière et  sa  grâce  vous  eût  excitée  à  venir?  vous 
n'eussiez  pu  continuer  un  si  grand  voyage ,  si  le 
même  astre  qui  vous  l'a  fait  entreprendre  ne 
vous  eût  précédée  durant  votre  course.  Laissez 
les  raisonnements  éloignés,  et  jugez-en  par  l'ex- 
périence de  votie  noviciat.  Autant  de  pas  que 
vous  avez  faits,  la  grâce  a  toujours  marché  de- 
vant vous ,  et  votre  volonté  n'a  fait  que  la  suivre  : 
Pedissequa,  non  prœvia  voluntate ,  dit  saint 
Augustin  ^  Autrement,  ma  très -chère  sœur, 
parmi  tant  de  tentations  qui  vous  environnent , 
votre  volonté  chancelante  serait  tombée  à  chaque 
moment;  le  bruit  et  le  tumulte  du  monde  vous 
eût  empêchée  de  prêter  l'oreille  aux  caresses  de 
votre  Epoux ,  qui  parle  en  secret  ;  l'éclat  et  la 
pompe  du  monde,  qui  frappe  les  sens  et  les 
éblouit  de  près,  aurait  effacé  à  vos  yeux  la  lu- 
mière modeste  et  tempérée  de  la  simplicité  reli- 
gieuse ;  la  mollesse  et  les  délices  du  monde  vous 
auraient  rendue  trop  insupportable  votre  vie  pé- 
nitente et  mortifiée.  Votre  Époux  ne  l'a  par  per- 
mis :  son  étoile ,  qui  vous  avait  excitée ,  non-seu- 
lement a  voulu  vous  accompagner,  mais  encore 
marcher  devant  vous  ;  afin  que  vous  ne  pussiez 
la  perdre  de  vue  :  Anlecedebal  eos-  et  la  joie 

'  Jonn.  VI,  4 i. 

>   Dr  Pra-^lral.  Sditct.  cap.  \W ,  n"  13.  f.  X,  col.  790. 

»  .4U  Paul'ii.  Ep.  CLXXXVJ,  II"  10,  t   II,  col.  CG7. 


dont  elle  a  rempli  votre  cœur,  s'est  répandue  si 
abondamment  dans  toutes  les  puissances  de  vo- 
tre âme,  qu'elle  a  noyé  et  abîmé  la  joie  de  ce 
monde,  qui  s'efforçait  à  tout  moment  de  lever  la 
tête. 

Ainsi,  ma  sœur,  ayant  surmonté  les  difficul- 
tésdu  voyage,  je  veux  dire  les  peines  du  noviciat, 
la  conduite  de  cette  étoile  vous  a  enfin  amenée 
où  était  l'enfant  :  Staret  supra  ubi  erat  puer\ 
C'est  là,  c'est  là  qu'elle  vous  arrête.  Entrez,  et 
vous  trouverez  le  divin  Jésus  prêt  à  recevoir  vos 
présents  et  à  vous  donner  les  siens  ;  c'est-à-dire , 
à  vous  donner  sa  foi  et  à  recevoir  la  vôtre ,  et  à 
s'unir  avec  vous  par  un  éternel  mariage.  Qui  vit 
jamais  un  amour  pareil ,  ni  une  recherche  si  ar- 
dente ?  Il  vous  a  choisie  entre  mille  :  de  peur  que 
vous  manquassiez  à  le  suivre,  il  a  pris  soin  de 
vous  attirer.  Qui  pourrait  assez  admirer  son  assi- 
duité infatigable?  Il  ne  vous  a  pas  quittée  un 
moment  ;  et  dans  tous  les  pas  que  vous  avez  faits, 
il  a  toujours  marché  devant ,  pour  vous  ouvrir  le 
chemin  plus  libre ,  marquant  le  sentier  que  vous 
deviez  suivre,  par  un  trait  d'une  lumière  céleste. 
Combien  devez-vous  faire  d'efforts ,  combien  re- 
chercher d'agréments ,  pour  vous  conserver  à  ja- 
mais une  affection  si  ardente? 

C'est  ici  qu'il  faut  vous  dire  un  secret  de  Is 
grâce  que  je  vous  prêche  ,  et  de  l'amour  du  Fils 
de  Dieu  que  je  vous  annonce.  C'est  que  son  amour 
ne  continue  pas  ainsi  qu'il  commence  ;  et  la  dif- 
férence consiste  en  ce  point ,  que  pour  commen- 
cer à  nnus  aimer ,  il  ne  nous  demande  point  de 
mérites  ;  mais  pour  le  continuer ,  il  nous  en  de- 
mande. Saint  Augustin  vous  le  dira  mieux.  «  Il 
«  a  aimé  notre  âme ,  dit  ce  saint  évêque ,  toute 
«  laide  qu'elle  était  par  ses  crimes;  mais  il  l'a  ai- 
«  mée ,  poursuit-il ,  afin  de  l'embellir  par  les  bon- 
"  nés  œuvres  :  »  Fœdos  dilexit ,  ut  pulchrosfa- 
ceret  ^  Et  ailleurs  ,  plus  élégamment  :  «  Il  nous 
«  a  aimés ,  nous  dit-il,  dans  le  temps  que  nous  lui 
«  déplaisions;  mais  c'était  afin  de  produire  en 
«  nous  ce  qui  est  capable  de  lui  plaire  :  »  Displi- 
centes  amati  sumus,  utesset  in  nobis  unde  pla- 
ceremus  ^.  Il  vous  a  choisie,  ma  très-chère  sœur, 
par  un  amour  gratuit,  par  une  bonté  prévenante, 
par  un  pur  effet  de  miséricorde.  Comme  il  a  voulu 
venir  de  lui-même ,  il  n'a  point  fallu  d'agrément 
pour  l'attirer;  mais  il  en  faut  nécessairement 
pour  le  retenir.  Mais  quelles  grâces ,  quels  agré- 
ments pourront  vous  conserver  cet  Epoux  cé- 
leste, qui  est  lui-même  si  accompli ,  et  le  plus 
beau  des  enfants  des  hommes^  ? 


•  Matth.  Il ,  t). 

»  In  Joaii.  Tract,  x  ,  n°  IS,  t.  m,  part,  il,  col.  574. 

'  Ibid.  Tract,  r.ii,  n"  5  ,  col.  755. 

4   Ps.  XLIV  ,  3. 


POUR  UNE  PKOhESSION. 


353 


I 


îl  faut  vous  dire  encore  en  un  mot  que  vous 
ne  manquerez  jamais  d'agrément  pour  lui ,  tant 
que  vous  aurez  soin  de  conserver  pure  la  virgi- 
nité chrétienne  que  vous  lui  vouez  aujourd'hui. 
Si  vous  voulez  entendre ,  mes  sœurs ,  combien 
la  virginité  lui  est  agréable,  vous  n'avez  qu'à 
méditer  attentivement  les  mystères  que  nous  ho- 
norons durant  ces  saints  jours.  Quel  est  le  sujet 
de  ces  fêtes?  qu'est-ce  que  l'Église  nous  y  re- 
présente? Un  Dieu  qui  descend  sur  la  terre  : 
c'est  la  sainte  virginité  qui  a  eu  la  force  de  l'at- 
tirer. Un  Dieu  qui  natt  d'une  femme ,  Ex  mu- 
liere  '  :  mais  la  sainte  virginité  l'a  purifiée,  afin 
que  le  Saint-Esprit  opérât  sur  elle.  Un  Dieu  qui 
prend  une  chair  humaine  :  mais  il  ne  l'aurait  pas 
revêtue ,  si  cette  chair  n'eût  été  ornée  de  toute  la 
pureté  d'un  sang  virginal.  Et,  de  peur  que  vous 
ne  croyiez  que  c'est  trop  flatter  la  virginité  que 
de  lui  attribuer  un  si  grand  ouvrage ,  tâchons 
d'éclaircir  cette  vérité  par  un  beau  principe  tiré 
de  la  doctrine  des  Pères. 

Ils  nous  représentent  la  virginité  comme  une 
espèce  de  milieu  entre  les  esprits  et  les  corps  ;  et 
saint  Augustin  l'entend  de  la  sorte,  lorsqu'il  parle 
eu  ces  termes  des  vierges  sacrées  :  <  Elles  ont , 
«  dit-il ,  en  la  chair  quelque  chose  qui  n'est  pas 
«  de  la  chair,  »  et  qui  tient  de  l'ange  plutôt  que  de 
l'homme  :  Habcnt  aliquid  jam  non  curais  in 
came  *.  Les  esprits  et  les  corps ,  voilà  les  extré- 
mités opposées  :  la  virginité  ,  voilà  le  milieu  qui 
participe  de  l'une  et  de  l'autre.  Elle  est  en  la 
chair,  dit  saint  Augustin  ;  c'est  par  la  qu'elle  tient 
aux  hommes  :  mais  elle  a,  dit-il,  dans  la  chair 
quelque  chose  qui  n'est  pas  de  la  chair  ;  c'est 
par  là  qu'elle  touche  aux  anges  :  tellement  qu'elle 
est  le  milieu  entre  les  esprits  et  les  corps.  C'est 
une  perfection  des  hommes;  mais  c'est  un  écou- 
lement de  la  vie  des  anges.  Et  ce  beau  principe 
étant  supposé ,  je  ne  m'étonne  pas ,  chrétiens ,  si 
la  sainte  virginité  est  intervenue  pour  unir,  dans 
le  mystère  de  l'Incarnation ,  la  divinité  à  la  chair. 
Il  y  avait  trop  de  disproportion  entre  la  corrup- 
tion de  nos  corps ,  et  la  beauté  immortelle  de  cet 
esprit  pur  :  tellement  que  ^pour  mettre  ensemble 
deux  natures  si  éloignées ,  il  fallait  auparavant 
trouver  un  milien  dans  lequel  elles  s'approchas- 
sent. 

Il  est  tout  trouvé ,  chrétiens  ;  et  la  sainte  vir- 
ginité peut  faire  ce  grand  effet  par  son  entremise. 
Et  s'il  m'est  permis  aujourd'hui  d'expliquer  un  si 
grand  mystère  par  l'exemple  des  choses  sensi- 
bles, j'en  trouve  quelque  crayon  imparfait  dans 
la  lumière  qui  nous  éclaire.  II  n'est  rien  de  pliis 

'   Galat.  IV,  4. 

»  De  xancta  Firginit.  n*  la,  t.  TI ,  col.  349. 
BOSSIT.T.  —  TOVE  m. 


opposé  que  la  lumière  et  les  corps  opaques.  La 
lumière  tombant  dessus  ne  les  peut  jamais  péné- 
trer, parce  que  leur  obscurité  la  reiîousse  :  il  sem- 
ble ,  au  contraire ,  qu'elle  s'en  retire  en  réfléchis- 
sant ses  rayons.  Mais  lorsqu'elle  rencontre  un 
corps  transparent,  elle  y  entre,  elle  s'y  unit, 
parce  qu'elle  y  trouve  l'éclat  et  la  transparence 
qui  approche  de  sa  nature ,  et  a  quelque  chose 
de  sa  clarté.  Ainsi  nous  pouvons  dire,  messieurs, 
que  la  divinité  du  Fils  de  Dieu ,  voulant  s'unir  a 
un  corps  mortel,  demandait  en  quelque  façon 
que  la  virginité  se  mît  entre  deux,  parce  qu'ayant 
quelque  chose  de  spirituel ,  elle  a  pu  préparer 
la  chair  à  être  unie  à  cet  esprit  pur. 

Je  ne  le  dis  pas  de  moi-même  :  c'est  un  saint 
évêque  d'Orient  qui  m'a  donné  ouverture  à  cette, 
pensée  ;  et  voici  ses  propres  paroles ,  tirées  fidè- 
lement de  son  texte.  «  C'est,  dit-il  ',  la  virginité 
"  qui  fait  que  Dieu  ne  refuse  pas  de  venir  vivre 
«  avec  les  hommes  :  c'est  elle  qui  donne  «ux 
"  hommes  des  ailes  pour  prendre  leur  vol  du  côte 
«  du  ciel;  et  étant  le  lien  sacré  de  la  lamilia- 
«  rite  de  l'homme  avec  Dieu ,  elle  accorde  par 
«  son  entremise  des  choses  si  éloignées  par  na» 
«  ture.  "  S'il  est  ainsi,  et  n'en  doutons  pas,  puis- 
que de  si  grands  hommes  le  disent,  puisque  nous 
le  voyons  par  tant  de  raisons  ;  ne  croyez  pas ,  ma 
très-chère  sœur,  que  vous  puissiez  jamais  man- 
quer d'agrément  pour  Jésus  votre  époux  céleste, 
tant  que  vous  porterez  eu  vous-même  ce  qui  l'a 
attiré  du  ciel  en  la  terre.  La  bonté  de  Dieu  est 
sans  repentance  :  ce  qu'il  aime,  il  l'aime  toujours; 
et  ayant  cherché  une  fois  avec  tant  d'ardeur  la 
pureté  virginale,  il  a  toujours  pour  elle  le  même 
transport.  Et  aussi  voyons-nous  dans  son  Écri- 
ture qu'il  la  veut  toujours  avoir  en  sa  compa- 
gnie :  «  Car  les  vierges  suivent  l'Agneau  par- 
"  tout  :  "  Sequuntur  Agnum  quocumque  ierit  '. 
Soyez  donc  vierge  d'esprit  et  de  corps;  [veillez 
sur  votre  cœur  et  tous  vos  sens ,  pour  les  main- 
tenir dans  une  intégrité  parfaite].  Ainsi  un  chast« 
agrément  vous  conservera  ce  que  la  grâce  de 
votre  Époux  vous  a  accordé  :  vous  aurez  tou- 
jours son  affection ,  et  vous  n'offenserez  pas  s<-i 
jalousie.  11  faut  encore  parler  en  un  mot  de  cette 
jalousie  de  l'Époux  céleste,  et  c'est  par  où  je 
m'en  vais  conclure. 

TROISIÈME   POINT. 

Que  Dieu  soit  jaloux,  chrétiens,  il  s'en  vante 
si  souvent  dans  son  Écriture,  qu'il  ne  nous  per- 
met pas  de  l'ignorer.  C'est  une  des  qualités  qu'il 
se  donne  dans  le  Décalogue  :  «  Je  suis,  dit-il  yiz 
«  Seigneurton  Dieu ,  Dieu  fort  et  jaloux  :  »  Deus 

'  s.  Greg.  yyss.  Orat.  de  Firg.  c»p.  u,  t.  in,  p.  115, 116. 
*  Jpoc.  XIV  ,  4. 


t54 


POUR  UNE  PROFESSION. 


ium,  JoHis  et  zeloie$\  Et  cette  qualité  de  ja- 
loux est  si  naturelle  à  Dieu,  qu'elle  fait  un  de  ses 
noms ,  comme  il  est  écrit  en  l'Exode  :  Dominus 
zelotes  nomen  ejus  ^  :  «  Son  nom  est  le  Seigneur 
n  jaloux.  »  Il  paraît  donc  assez  que  Dieu  est  ja- 
loux ,  et  peu  de  personnes  l'ignorent.  Mais  que 
Pouvrage  de  notre  salut ,  que  le  mystère  de  ré- 
demption ,  que  nous  honorons  durant  ces  saints 
jours,  soit  un  effet  de  sa  jalousie  ,  c'est  ce  que 
vous  n'avez  pas  peut-être  encore  entendu,  et 
'ju  il  est  nécessaire  que  je  vous  explique,  puisque 
mon  sujet  m'y  conduit. 

Ce  n'est  pas  moi  qui  le  dis,  c'est  Dieu  qui  nous 
en  assure ,  en  termes  exprès ,  par  la  bouche  de 
son  prophète  Isaïe  :  De  Jérusalem  exibunt  reli- 
quiœ,  etsalvatio  de  monte  Sion  :  zelus  Domini 
exercituumfaciet  istud  ^  :  «Dans  les  ruines  de 
«  Jérusalem  il  restera  un  grand  peuple  que  Dieu 
«délivrera  de  la  mort;  le  salut  paraîtra  en  la 
«  montagne  de  Sion  :  la  jalousie  du  Dieu  des  ar- 
«  mées  fera  cet  ouvrage.  »  Après  des  pai'oles  si 
claires ,  il  n'est  pas  permis  de  douter  que  le  mys- 
tère de  notre  salut  ne  soit  un  effet  de  jalousie  : 
mais  de  quelle  sorte  cela  s'accomplit,  il  n'est  pas 
fort  aisé  de  le  comprendre.  Car,  mes  sœurs,  que 
la  jalousie  du  Dieu  des  armées  le  porte  à  châtier 
ceux  qui  le  méprisent,  je  le  conçois  sans  diffi- 
culté ;  c'est  le  propre  de  la  jalousie.  Et  je  re- 
marque aussi  dans  les  ^saintes  Lettres  que  Dieu 
n'y  parle  guère  de  sa  jalousie,  qu'il  ne  nous  fasse 
en  même  temps  craindre  ses  vengeances.  «  Je 
«  suis  un  Dieu  jaloux,  dit  le  Seigneur  :  «  Deusfor- 
tis,  zelotes;  et  il  ajoute  aussitôt  après  :  «  vengeant 
«  les  iniquités  des  pères  sur  les  enfants  :  «  visi- 
ians  iniquitates  pat  mm  in  Jilios  ^.  «  Dieu  est 
«  jaloux,  dit  Moïse;  »  et  il  dit  dans  le  même  lieu 
que  «  IMeuestun  feu  consumant  ;  l'ardeur  de  sa  ja- 
«  lousie  brûle  les  pécheurs  :  »  Dominus  Deus'tuus 
ignis  consumens  est,  Deus  œmulator^.  Et  le 
prophète  Nahum  a  joint  ces  deux  choses  :  «  Le 
«  Seigneur  est  un  Dieu  jaloux  ;  et  le  Seigneur  est 
«  un  Dieu  vengeur  :  »  Deus  œmulatoret  ulciscens 
Dominus^,  tant  ces  deux  qualités  sont  insépara- 
bles! 

Que  s'il  est  ainsi ,  chrétiens ,  se  peut-il  faire  que 
nous  rencontrions  le  principe  de  notre  salut  dans 
la  jalousie,  qui  semble  être  la  source  des  ven- 
geances? Et  après  que  le  prophète  a  uni  un  Dieu 
jaloux  et  un  Dieu  vengeur,  oserons-nous  espérer 
de  trouver  ensemble  un  Dieu  jaloux  et  un  Dieu 
sauveur?  Néanmoins  il  est  véritable  :  ce  qui  a 

I  Exod.  XX ,  5. 
»  Ibid.xxwy,  u. 
3  I.t.  XX  XVII,  52. 

*  Éxod.  XX,  5. 
»  Deut.  IV,  'i* 

•  j"V«A  i,  •!■ 


sauvé  le  peuple  fidèle,  c'est  la  jalousie  du  Dieu 
des  armées  ;  vous  l'avez  ouï  de  sa  propre  bouche  : 
Zelus  Domini  exercituumfaciet  istud\  Mais  il 
ne  vous  faut  plus  tenir  en  suspens  ;  il  est  temps 
d'expliquer  un  si  grand  mystère.  Un  excellent 
auteur  de  l'antiquité  nous  en  va  donner  l'ouver- 
ture :  ce  grand  homme ,  c'est  Tertullien.  Il  dit 
que  Dieu  a  recouvré  son  image  ,  que  «  le  diable 
«  avait  enlevée,  par  une  opération  de  jalousie  :  » 
Deus  imaginem  suam.,  a  diabolo  captam,  œmula 
operatione  recuperavit  '.  Voilà  peu  de  paroles , 
messieurs  ;  mais  elles  renferment  un  sens  admi- 
rable qu'il  faut  tâcher  de  développer. 

Pour  cela ,  il  est  nécessaire  de  reprendre  les 
choses  d'un  plus  haut  principe,  et  de  rappeler  eu 
votre  mémoire  la  témérité  de  cet  ange ,  qui ,  par 
une  audace  inouïe ,  a  voulu  s'égaler  à  Dieu  ,  et 
se  placer  jusque  dans  son  trône.  Repoussé  de  sa 
main  puissante  ,  et  précipité  dans  l'abîme,  il  ne 
peut  quitter  le  premier  dessein  de  son  audace  dé- 
mesurée, il  se  déclare  hautement  le  rival  de  Dieu. 
C'est  ainsi  que  Tertullien  l'appelle  ^  :  JEmulus 
Dei;  «■  le  jaloux,  le  rival  de  Dieu.  »  Il  se  veut 
faire  adorer  en  sa  place  :  il  n'a  pu  occuper  son 
trône,  il  lui  veut  enlever  son  bien.  Il  entre  dans 
le  paradis  terrestre ,  furieux  et  désespéré  :  il  y 
trouve  l'image  de  Dieu ,  c'est-à-dire ,  ITiomme , 
image  chérie  et  bien-aimée,  que  Dieu  avait  faite 
de  sa  propre  main  ;  il  la  séduit,  il  la  corrompt. 
Surprise  par  ses  flatteries ,  elle  s'abandonne  à  lui 
La  parjure  qu'elle  est,  l'ingrate   et  l'infidèle 
qu'elle  est,  au  milieu  des  bienfaits  de  son  époux , 
dans  le  lit  même  de  son  époux  (pardonnez-moi 
la  hardiesse  de  cette  parole ,  que  je  ne  trouve  pas 
encore  assez  forte  pour  exprimer  l'indignité  de 
cette  action);  dans  le  lit  même  de  son  époux,  elle 
se  prostitue  à  son  rival.  0  insigne  infidélité  1  ô 
lâcheté  sans  pareille  !  Fallait-il  quelque  chose  de 
plus  que  cette  honteuse  prostitution  faite  à  la 
face  de  Dieu ,  pour  l'exciter  à  la  jalousie  ?  Il  s'y 
excite  en  effet.  Mon  épouse  s'est  fait  enlever, 
mon  image  s'est  laissé  corrompre ,  elle  que  j'a- 
vais faite  avec  tant  d'amour ,  dont  j'avais  moi- 
même  formé  tous  les  traits,  que  j'avais  animée 
d'un  souffle  de  vie  sorti  de  ma  propre  bouche. 
Que  fera,  mes  frères,  ce  Dieu  fort  et  jaloux, 
irrité  d'un  si  infâme  abandonnement  ?  Que  fera- 
t-il  à  cette  épouse  qui  a  méprisé  un  si  grand 
amour,  et  offensé  si  fortement  sa  jalousie?  Cer- 
tainement il  pouvait  la  perdre.  Mais,  ô  jalousie 
miséricordieuse  î  il  a  mieux  aimé  la  sauver.  0 
rival  !  je  ne  veux  point  qu'elle  soit  ta  proie  ;  je  ne 


I  Is.  XXWII,  32. 

î   De  Carne  Chrhti,  n"  I". 

s  De  spect.  n°  2. 


POUR  UNEThOFKSSION. 


In  puis  souffrir  en  tes  mains  :  ce  spectaele  indi- 
gne irrite  mon  cœur ,  et  le  provoque  à  jalousie. 
Piqué  de  ce  sentiment,  il  court  après  pour  la  re- 
tirer :  il  descend  du  ciel  en  la  terre  ,  pour  cher- 
cher son  épouse  qui  s'y  est  perdue.  Il  vient  nous 
sauver  des  mains  de  Satan,  jaloux  de  nous  voir 
en  sa  puissance.  Vous  l'avez  vu  ces  jours  passés 
naître  en  Bethléem  ;  il  vous  a  fait  annoncer  par 
ses  anges  qu'il  était  votre  Sauveur  :  la  jalousie 
du  Dieu  des  armées  a  fait  cet  ouvrage.  Certes , 
cette  manière  admirable  dont  il  se  sert  pour  nous 
retirer,  montre  assez ,  si  nous  l'entendons ,  que 
c'est  la  jalousie  qui  le  fait  agir.  Car  considérez , 
je  vous  prie ,  qu'il  n'envoie  pas  ses  anges  pîour 
nous  délivrer  ;  il  y  vient  lui-même  en  personne  ; 
Deus  ipse  veniet^  etsalvabit  vos  \  Et  cela  pour 
quelle  raison ,  si  ce  n'est  afin  que  nous  compre- 
nions que  c'est  à  lui  que  nous  devons  tout  ;  et  que 
nous  lui  consacrions  tout  notre  amour  ,  comme 
nous  tenons  de  lui  seul  tout  notre  salut. 

C'est  pourquoi  nous  voyons  dans  son  Écriture 
qu'il  n'est  pas  moins  jaloux  de  sa  qualité  de  Sau- 
veur, que  de  celle  de  Seigneur  et  de  Dieu.  Écou- 
tez comme  il  en  parle,  messieurs  :  Ego  Doynimis, 
et  non  est  ultra  Deus  absque  me  :  Deusjustus 
etsalvans,  non  est  prœter  7«e  '  :  «  Je  suis  le  Sei- 
«  gneur,  et  il  n'y  a  point  d'autre  Dieu  que  moi  ; 
«  je  suis  le  Dieu  juste,  et  personne  ne  vous  sau- 
«  vera  que  moi.  »  Il  me  semble  que  ce  Dieu  jaloux 
adresse  sa  voix,  comme  un  amant  passionnée  à 
la  nature  humaine  infidèle.  0  volage,  ô  prosti- 
tuée !  qui  m'as  quitté  pour  mon  ennemi;  n'est-ce 
pas  moi  qui  suis  le  Seigneur?  et  il  n'y  a  point  de 
Dieu  que  moi.  Regarde  qu'il  n'y  a  que  moi  qui 
te  sauve  ;  et  si  tu  m'as  oublié  après  t'avoir  créée, 
reviens  du  moins  quand  je  te  délivre.  Voyez , 
mes  frères,  comme  il  est  jaloux  de  la  qualité  de 
Sauveur.  Et  ailleurs,  se  glorifiant  de  l'ouvrage  de 
notre  salut  :  C'est  moi ,  c'est  moi,  dit-il,  qui  l'ai 
fait  :  ce  ne  sont  ni  mes  ïmges ,  ni  mes  archanges , 
ni  aucune  des  vertus  célestes  ;  «  c'est  moi  seul  qui 
«  l'ai  fait,  c'est  moi  seul  qui  vous  porterai  sur  mes 
«  épaules ,  c'est  moi  seul  qui  vous  sauverai  :  » 
Egofeci,  ego/eram,  ego portabo,  egosalvabo^. 
Tant  il  est  jaloux  de  cette  gloire ,  tant  notre  déli- 
vrance lui  tient  au  cœur,  tant  il  craint  que  nos 
affections  ne  se  partagent  1 

Et  c'est  pour  cette  même  raison  qu'il  nous  fait , 
dit  saint  Chrysostôme  * ,  des  présents  si  riches. 
Il  voit  que  nous  recevons  à  pleines  mains  les  pré- 
sents de  son  rival  qui  nous  séduit  :  il  nous  amuse 
par  une  pomme;  il  nous  gagne  par  des  biens 

*  li.  WVi ,  4. 

*  /ftjd.  XLV,2I. 

*  Ibid.  XLVI,  4. 
Im  Ep.  I,  ad  Cor.  Hom.  xxiT  ,  n''  3,  t.  x,  p.  213. 


trompeurs  qui  n'ont  qu'une  légère  apparence. 
Chrétiens,  il  en  est  jaloux.  Quoi,  l'on  préfère  des 
présents  si  vains  à  tant  de  bienfaits  si  considé- 
rables !  Que  fera-t-il ,  dit  saint  Chrysostôme  ?  Il 
fera  comme  un  amant  passionné ,  qui ,  voyant 
celle  qu'il  recherche  gagnée  par  les  présents  des 
autres  prétendants ,  multiplierait  aussi  les  siens 
sans  mesure  pour  emporter  le  dessus ,  et  la  dé- 
goûter des  présents  des  autres  :  ainsi  fait  le  sau- 
veur Jésus.  Pour  détourner  nos  yeux  et  nos  cœurs 
des  libéralités  trompeuses  de  notre  ennemi,  il 
redouble  ses  dons  jusqu'à  l'infini ,  il  nous  donne 
son  Esprit  et  sa  grâce,  il  nous  donne  son  trône 
et  sa  gloire ,  il  nous  donne  son  royaume  et  son 
héritage,  il  nous  donne  sa  personne  et  sa  vie,  il 
nous  donne  son  corps  et  son  sang.  Et  que  ne  nous 
donne-t-il  pas  ?  Voyez  ,  voyez ,  dit-Il ,  si  cet  autre 
prétendant  que  vous  écoutez  ;  voyez  s'il  pourra 
égaler  une  telle  munificence.  A  quelque  prix  que 
ce  soit ,  il  est  résolu  de  gagner  nos  cœurs  ;  et  nous 
voudrions  nous  défendre  d'une  jalousie  si  obli- 
geante !  J'en  ai  dit  assez  pour  vous  faire  voir 
que  le  Dieu  sauveur  est  jaloux ,  et  qu'il  nous 
sauve  par  sa  jalousie  :  jEmula  operatione.  Mais 
s'il  en  a  l'ardeur  et  les  transports ,  il  en  a  aussi 
les  regards  et  la  vigilance. 

Il  a,  ma  sœur,  des  yeux  de  jaloux  ,  toujours 
ouverts  pour  veiller  sur  vous,  pour  étudier  tous 
vos  pas,  pour  observer  toutes  vos  démarches  ;  et 
sans  m'engager  dans  de  longues  preuves  d'une 
vérité  si  constante ,  considérez  seulement  l'état 
ou  vous  êtes.  Et  ces  grilles ,  et  c€tte  clôture ,  et 
tant  de  contraintes  différentes,  n'est-ce  pas  assez 
pour  vous  faire  comprendre  combien  sa  jalousie 
est  délicate?  Il  vous  renferme  soigneusement,  il 
rend  de  toutes  parts  l'abord  difficile ,  il  observe 
jusqu'à  vos  regards;  et  ce  voile  qu'il  met  sur  votre 
tête,  montre  assez  qu'il  est  jaloux  et  de  ceux  qu'on 
jette  sur  vous ,  et  de  ceux  que  vous  jetez  sur  les 
autres.  Il  compte  tous  vos  pas,  il  règle  votre  con- 
duite jusqu'aux  moindres  choses  :  ne  sont-ce  pas 
des  actions  d'un  amant  jaloux?  Il  n'en  fait  pas 
ainsi  a  tous  les  fidèles  ;  mais  c'est  que  s'il  est  jaloux 
de  tous  les  autres ,  il  l'est  beaucoup  plus  de  ses 
épouses.  Étant  donc  ainsi  observée  de  prés,  pour 
vous  garantir  des  effets  d'une  jalousie  si  délicate, 
il  ne  vous  reste ,  ma  ehère  sœur ,  qu'une  obéis- 
sance toujours  ponctuelle ,  et  un  entier  abandon- 
nement  de  vos  volontés.  Marchez  par  la  voie  qu'il 
vous  prescrit,  par  la  règle  qu'il  vous  a  donnée  r 
écoutez  son  ange  qui  vous  avertit  ;  ce  sont  vos 
supérieursquiliennentsaplace.  Vivant  de  la  sorte, 
ma  sœur ,  espérez  tout  de  son  amour ,  et  n'appré- 
hendez rien  de  sa  jalousie.  Il  serait  trop  long  de 
parler  de  l'obéissance  ;  ce  mot  suffira.  Il  faut  finir 
par  une  réflexion  sur  la  jalousie. 


856 

Saclicz  donc  que  ce  Dieu  jaloux  veut  que  ses 
fidèles  le  soient  aussi ,  et  qu'une  sainte  jalousie 
nous  soit  comme  un  aiguillon ,  pour  nous  exciter 
à  son  service.  Ecce  venio  ciio  ;  iene  quod  habes, 
ut  nerno  accipiat  coronam  tuam  '  :  «  Je  vien- 
«  drai  bientôt  ;  tenez  fortement  ce  qui  a  été  mis 
«  en  vos  mains ,  de  peur  que  votre  couronne  ne 
«  soit  donnée  à  un  autre.  »  Pourquoi  parle-t-il  de 
la  sorte?  pourquoi  nous  destiner  une  couronne 
qui  doit  briller  sur  une  autre  tête  ?  Que  ne  la  des- 
tinait-il tout  d'abord  à  celui  qui  la  devait  enfin 
oljtenir?  Pour  nous  exciter  à  la  jalousie.  C'est 
nnisi  qu'il  a  fait  à  l'égard  des  Juifs.  [  ils  étaient 
le  peuple  choisi  ;  c'était  à  eux  que  les  promesses 
avaient  été  faites,  et  ils  devaient  en  recevoir  l'ac- 
complissement :  mais  leur  incrédulité  a  suspendu 
à  leur  égard  l'effet  des  miséricordes  qui  leur 
étiiient  réservées.]  Dieu  a  appelé  les  Gentils  pour 
exciter  les  Juifs  à  jalousie  ;  de  peur  qu'ils  ne  per- 
dissent la  place  que  tant  d'oracles  divins  leur 
avaient  promise.  «  Leur  chute  est  devenue  une 
-^  occasion  de  salut  aux  Gentils  ;  afin  que  l'exem- 
«  pie  des  Gentils  leur  donnât  de  l'émulation  pour 
«  les  suivre  :  »  Illorum  delicto  salus  est  Genti- 
bus,  ntillos  œmidenlur.  «  Tant  que  je  serai  l'a- 
«  pôtre  des  Gentils ,  dit  saint  Paul  %  je  travaille- 
«  rai  à  rendre  illustre  mon  ministère,  pour 
«  tâcher  d'exciter  de  l'émulation  dans  l'esprit 
«  des  Juifs  qui  me  sont  unis  selon  la  chair ,  et 
«  d'en  sauver  quelques-uns  :  »  Quandiuego  sum 
Gentïum  apostolus ,  ministerium  meum  hono- 
rificabo  :  si  quomodo  ad  œmulandum  provocem 
cuniem  meam,  et  salvos  faciam  aliquos  ex  illis. 
Comme  un  père ,  dit  saint  Chrysostôme  ^ ,  qui 
appelle  son  fils  pour  le  caresser  ;  ce  fils  mutin  et 
opiniâtre  refuse  ses  embrassements,  il  en  fait  ap- 
procher un  autre,  et  il  attire  par  la  jalousie  ce- 
lui que  l'amour  n'avait  pas  gagné.  Que  tel  ait  été 
le  dessein  de  Dieu  ,  il  nous  le  déclare  lui-même 
formellement  parla  bouche  de  Moïse  :  «  Ils  m'ont, 
«  dit-il ,  piqué  de  jalousie ,  en  adorant  ceux  qui 
«  n'étaient  point  dieux ,  et  ils  m'ont  irrité  par 
«  leurs  vanités  sacrilèges  ;  et  moi  je  les  piquerai 
«  aussi  de  jalousie ,  en  aimant  ceux  qui  ne  for- 
«  ment  pas  un  peuple,  et  je  les  irriterai  en  substi- 
«  tuant  à  leur  place  une  nation  insensée  :  »  Ipsi 
me  provocaveruni  in  eo  qui  non  erat  Deus,  et 
irritaverunt  in  vanitatibus  suis;  et  ego  provo- 
cabo  eos  in  eo  qui  non  est  populus ,  et  in  génie 
stulta  irritabo  illos  ^. 

Cet  innocent  artifice  de  sa  bonté  paternelle  a 
été  inutile  aux  Juifs.  Dieu  leur  a  voulu  donner  de 


•  Jpoc.  IIl ,  H. 

»  flom.  XI,  H,  13.  li. 

»  In  Ep-  ad  Rom.  Hoin.  XVIU  ,  u"  3 ,  t.  IX  ,  p.  G34. 

>  DiUt.  X\Xll.21. 


POUU  UiNE  TkOFESSION. 


la  jalousie,  pour  les  enflammer  à  le  suivre  ;  ils  l'ont 
refusé.  Vive  Dieu  !  dit  le  Seigneur,  cette  jalousie 
fera  leur  supplice.  «  Ce  sera  alors ,  leur  dit  Jésus- 
«  Christ,  qu'il  y  aura  des  pleurs  et  des  grince- 
«  ments  de  dents ,  quand  vous  verrez  qu'Abra- 
«  ham,  Isaac,  Jacob,  et  tous  les  prophètes  seront 
«  dans  le  royaume  de  Dieu ,  et  que  vous  autres 
«  vous  serez  chassés  dehors  :  »  Ibi  eritjletiis  et 
stridor  dentium.  «  11  en  viendra  d'orient  et  d'oc- 
«  cident ,  du  septentrion  et  du  raidi ,  qui  auront 
«  place  au  festin  dans  le  royaume  de  Dieu  :  alor<: 
«  ceux  qui  sont  les  derniers  seront  les  premiers, 
'<  et  ceux  qui  sont  les  premiers  seront  les  der- 
«  niers:  "Et venientab  oriente,  et occidenfe,  et 
aquilone,  et  austro,  etaccumbent  in  regno  Dei  :  i 
eteccesunt  novissimi  qui  erant primi ,  et  smit  1 
primi  qui  erant  novissimi  ' .  «  Les  enfants  du 
«  royaume  seront  jetés  dans  les  ténèbres  exté- 
«  rieures  :  »  Filii  autem  regni  ejicientur  in  te- 
nebras  extoriores  *.  La  jalousie  [leur  fera  alors 
sentir  son  aiguillon  dans  toute  sa  force],  et  en- 
suite la  rage  et  le  désespoir  [achèveront  de  leur 
ronger  le  cœur;  parce  qu'ils  connaîtront  l'inuti- 
lité de  tous  leurs  regrets  ]  :  Ibi  eritfletus  et  stn 
dor  dentium.  L'un  des  grands  supplices  des  dam 
nés,  sera  de  voir  la  place  qui  était  destinée  pour 
eux,  [occupée  par  d'autres].  Que  ce  trône  est 
auguste!  que  cette  couronne  est  brillante!  Elle 
était  préparée  pour  moi,  et  je  l'ai  perdue  par  fe 
misérable  plaisir  d'un  moment.  Chrétien,  où  est 
ton  courage? 

«  Tenez  donc,  ma  sœur ,  fortement  ce  qui  a  été 
«  mis  entre  vos  mains,  de  peur  que  votre  cou- 
«  ronne  ne  soit  donnée  à  un  autre  :  »  Tene  quod 
habes,  utnenio  accipiat  coronam  tuam.  La  cou- 
ronne de  l'Époux  appartient,  en  quelque  sorte, 
à  l'épouse;  ne  la  perdez  pas  :  songez  au  mépris 
que  l'on  a  pour  une  épouse  l'épudiée.  [Travaillez 
à  soutenir  cette  haute  dignité  d'épouse  de  Jésus- 
Christ  ,  par  une  vie  entièrement  dégagée  des 
objets  sensibles.  Occupez-vous  sans  cesse  des 
moyens  de  vous  rendre  de  plus  en  plus  digne  de 
ses  chastes  embrassements,  en  évitant  soigneu- 
sement tout  ce  qui  pourrait  blesser  son  œil  jaloux. 
Vivez  ainsi  dans  une  continuelle  attente  de  sa 
venue  :  soupirez  avec  ardeur  après  son  retour  : 
n'ayez  d'amour ,  de  cœur ,  d'esprit ,  de  mouve- 
ment que  pour  lui  ;  afin  que ,  tout  embrasée  du 
désir  de  le  posséder,  vous  méritiez ,  lorsqu'il 
paraîtra ,  d'entrer  dans  la  salle  des  noces  pour 
consommer  éternellement  ce  bienheureux  ma- 
riage que  vous  allez  contracter  avec  lui.l 

'  Luc.  xni,  28,  29,  30. 
»  Mall/i.  Vlll,  II. 


POUR  U-NE  PROFESSION. 


3»J 


EXORDE 
rOUR  LE  MÊME  DISCOURS. 


II  est  écrit ,  mes  sœurs ,  dans  le  livre  de  la  Ge- 
nèse ,  que  "  l'homme  quittera  son  père  et  sa  mère 
"  pour  s'attacher  à  son  épouse  '  ;  »  et  saint  Au- 
gustin nous  enseigne  *  qu'on  ne  peut  jamais  bien 
entendre  le  sens  véritable  de  ce  passage ,  si  l'on  ne 
l'applique  au  Fils  de  Dieu.  En  effet,  dit  ce  saint 
évêque ,  selon  l'usage  des  choses  humaines ,  il  fal- 
lait dire  que  c'était  l'épouse  qui  quitte  la  maison 
paternelle  pour  s'attacher  à  son  époux  ;  et  il  n'y  a, 
ce  semble,  que  Jésus- Christ  seul  dont  l'on  puisse 
parler  en  un  sens  contraire.  Car  il  est  cet  époux 
céleste  qui  a ,  en  quelque  sorte ,  quitté  Dieu  son 
Père  qui  l'engendre  dans  l'éternité ,  et  sa  mère 
la  Synagogue  qui  l'a  engendré  dans  le  temps, 
pour  s'attacher  à  son  Église ,  que  son  sang  et  son 
esprit  lui  ont  ramassé  de  toutes  les  nations  de  la 
terre.  Si  je  vous  disais  de  moi-même  que  c'est  en 
cette  journée  que  l'Église  célèbre  ces  noces  avec 
son  cher  et  divin  Époux ,  vous  croiriez  peut-être, 
messieurs ,  que  c'est  une  invention  que  j'aurais 
trouvée,  pour  joindre  le  mystère  de  cette  fête  avec 
la  cérémonie  que  nous  allons  faire ,  que  tous  les 
saints  Pères  appellent  des  noces.  Mais  il  n'en  est 
pas  de  la  sorte ,  c'est  l'Église  elle-même  qui  chante 
dans  l'office  de  cette  journée  :  Hodie  cœlesti 
Sponso  juncta  est  Ecclesia  :  «  Aujourd'hui  l'É- 
«  glise  a  été  unie  avec  son  Époux  ;  »  elle  célèbre 
en  ce  mystère  le  jour  de  son  mariage.  Tellement, 
ma  très-chère  sœur,  que  vos  noces  spirituelles 
avec  Jésus-Christ  se  rencontrant  si  heureusement 
avec  celles  de  la  sainte  Église  dans  une  même 
solennité ,  il  ne  tne  sera  pas  malaisé  d'accommo- 
der le  sujet  que  vous  me  donnez  de  parler ,  avec 
celui  de  la  fête  que  nous  célébrons  aujourd'hui; 
et  j'espère  traiter  l'un  et  l'autre,  pourvu  qu'il 
plaise  à  l'Époux  céleste ,  dont  je  dois  raconter  les 
louanges ,  de  m'accorder  le  secours  de  son  Esprit, 
par  l'intercession  de  sa  sainte  Mère.  Ave. 

•  Ot  exorde  parait  avoir  été  destiné  pour  ce  sermon ,  qui 
en  manque  effectivement  :  mais  comme  il  ne  pourrait  être 
mis  en  tête  du  discours  sans  en  déranger  l'ordre  et  la  suite, 
et  sans  y  faire  pour  celte  raison  des  changements ,  nous  avons 
pris  le  parti  de  le  renvoyer  à  la  fin  du  Sermon.  (  Édit.  de. 
Drforis.  ) 

'  Gènes,  ii ,  24. 

*  De  Gènes,  cont  Manich.  11b.  il,  n'  37  ,  t.  i ,  col.  630. 


SEllMOxX 

POUR  UNE  PROFESSION, 

fRÊClJÉ 

LE  JOUR  DE  L'EXALTATION  DE  LA  SAINTE  CROIX 

Combien  il  en  a  coûté  à  Jésus-Christ  pour  le  contrat  de 
son  mariage  avec  l'Église.  Trois  qualités  de  cet  Époux  de» 
vierges  clirétiennes.  Dans  quel  dessein  at-il  acquis  les  hom- 
mes. Pourquoi  ne  devons-noas  rechercher  dans  ce  nouveau 
Roi  aucune  marque  extérieure  de  grandeur  royale.  Conditions 
qu'il  exige  de  celles  qu'il  prend  pour  ses  épouses.  Préroga- 
tive des  vierges  chréUennes  :  pureté  qui  leur  est  nécessaire, 
txirème  jalousie  de  leur  Époux  :  comment  elles  doivent  se 
conduire ,  pour  ne  jjas  offenser  ses  regards. 


Venerunt  nuptiœ  Agni ,  et  ttxor  ejus  prœparavit  se. 
Les  noces  de  l'Agneau  sont  venues ,  et  son  épouse  s'est 
préparée.  Apoc.  xix,  7. 

Le  mystère  de  notre  salut  nous  est  proposé 
dans  les  saintes  Lettres  sous  des  figures  diverses , 
dont  la  plus  fréquente ,  mes  sœurs ,  c'est  de  nous 
représenter  cet  ouvrage  comme  l'effet  de  plusieurs 
actes  publics ,  passés  authentiquement  par  le  Fils 
de  Dieu  en  faveur  de  notre  nature.  Nous  y  voyons 
premièrement  l'acte  d'amnistie  et  d'abolition  gé- 
nérale ,  par  lequel  il  nous  remet  nos  péchés  : 
ensuite ,  nous  y  lisons  le  traité  de  paix ,  par  le- 
quel il  pacifie  le  ciel  et  la  terre ,  et  le  rachat  qu'il 
a  fait  de  nous  pour  nous  retirer  des  mains  de  Sa- 
tan. Nous  y  lisons  aussi  en  plus  d'un  endroit  le 
testament  mystique  et  spirituel,  par  lequel  il 
nous  donne  la  vie  éternelle ,  et  nous  fait  ses  cohé- 
ritiers dans  le  royaume  de  Dieu  son  père.  Enfin 
il  y  a  le  sacré  contrat  par  lequel  il  épouse  sa  samte 
Église ,  et  la  fait  entrer  avec  lui  dans  une  bien- 
heureuse communauté.  De  ces  actes,  et  de  quel- 
ques autres  qu'il  serait  trop  long  de  vous  rappor- 
ter, découlent  toutes  les  grâces  de  la  nouvelle 
alliance  :  et  ce  que  j'y  trouve  de  plus  remarqua- 
ble, c'est  que  notre  aimable  et  divin  Sauveur  les 
a  tous  ratifiés  par  son  sang.  Dans  la  rémission  dp 
nos  crimes,  il  est  notre  propitiateur  par  son  sang  : 
«  Dieu  l'ayant  proposé  pour  être  la  victime  de  ré- 
"  conciliation  par  la  foi  que  les  hommes  auraient 
«  en  son  sang;  »  Propitiationem  per  Jidem  im 
sanf/uinp,  ipsius  '.S'il  a  pacifié  le  ciel  et  la  terre, 
c'eët  par  le  sang  de  sa  croix  :  Pacifîcans  per  san-- 
guinem  crucis  ejus^.  S'il  nous  a  rachetés  des 
mains  de  Satan,  comme  un  bien  aliéné  de  son 
domaine,  les  vieillards  lui  chantent  dans  l'Apo- 
calypse que  son  sang  a  fait  cet  ouvrage  :  <t  Vous 
«  nous  avez  rachetés  par  votre  sang,  »  lui  disent- 
ils  :  Redemisti  nos  in  sanguine  tuo  *  ;  et  pour 

■  Rom.  III,  S6. 
»  Col.  I,  20. 
'  Jpoc.  V,  9. 


âàs 


POUR  UNE  PROFESSION. 


i;e  qui  regarde  son  testament,  c'est  lui-même  qui 
a  prononcé  dans  sa  sainte  cène  :  «  Buvez  ;  ceci  est 
«  mon  sang ,  le  sang  du  nouveau  testament  versé 
«  pour  la  rémission  des  péchés  '.  » 

Ne  croyez  pas ,  âmes  chrétiennes,  que  \e  con- 
trat de  son  mariage ,  par  lequel  il  s'unit  à  l'Église, 
lui  ait  moins  coûté  que  le  reste.  C'est  à  lui  que 
convient  proprement  oe  mot  :  «  Vous  m'êtes  un 
«  époux  de  sang  :  »  Sponsus  sanguimim  tu  es 
mihi  '  :  et  ce  n'est  pas  sans  sujet  que ,  dans  le 
passage  de  l'Apocalypse  que  j'ai  choisi  pour  mon 
texte,  il  est  épousé  comme  un  Agneau,  c'est-à- 
dire  ,  en  qualité  de  victime  :  Venerunt  nuptiœ 
Agni.  Ainsi  quoique  la  fête  de  sa  croix,  qui  com- 
prend un  mystère  de  douleurs,  semble  être  fort 
éloignée  de  la  solennité  de  son  mariage,  qui  est 
une  cérémonie  de  joie,  il  y  a  néanmoins  beau- 
coup de  rapport  ;  et  nous  pouvons  aisément  trai- 
ter l'une  et  l'autre  dans  ta  suite  de  ce  discours, 
après  avoir  imploré  le  secours  d'en  haut  par  l'in- 
tercession de  la  sainte  Vierge ,  Ave. 

Dans  cette  cérémonie  ,  vous  parler  d'autre 
chose,  ma  très-chère  sœur,  que  de  votre  Epoux, 
ce  serait  offenser  votre  amour.  Pai-Ions  donc  au- 
jourd'hui du  divin  Jésus  ;  qu'il  fasse  tout  le  sujet 
de  cet  entretien.  Considérons  attentivement  quel 
est  cet  Époux  qu'on  vous  donne  ;  et ,  pour  joindre 
votre  fête  particulière  avec  celle  de  toute  l'Eglise, 
tâchons  de  connaître  ses  qualités  par  le  mystère 
de  cette  journée.  Vous  y  verrez  premièrement 
qu'il  est  roi ,  et  vous  lirez  le  titre  de  sa  royauté 
gravé  eu  trois  langues  au  haut  de  sa  croix  :  «  Jé- 
«  sus  de  Nazareth ,  roi  des  Juifs  K  «  Vous  y  ap- 
prendrez en  second  lieu ,  que  c'est  un  amant 
passionné  ;  et  son  sang ,  que  le  seul  amour  tire  de 
ses  veines,  en  sera  la  marque  évidente.  Enfui 
vous  découvrirez  que  c'est  un  amant  jaloux;  et 
il  me  sera  aisé  de  vous  faire  voir ,  par  les  Ecri- 
tures divines,  que  ce  grand  ouvrage  de  notre 
salut ,  accompli  heureusement  sur  la  croix ,  a  ete 
un  effet  de  sa  jalousie. 

PBEMIER   POINT. 

Quand  je  considère ,  mes  sœurs  ,  cette  qualité 
de  roi  des  Juifs  que  Pilate  donne  à  Jésus-Christ, 
et  qu'il  fait  paraître  au  haut  de  sa  croix ,  maigre 
les  oppositions  des  pontifes  ,  j'admire  profondé- 
ment la  conduite  de  la  Providence  qui  lui  met 
cette  pensée  dans  l'esprit ,  et  je  me  demande  à 
moi-même  :  D'où  vient  que  notre  Sauveur,  qui 
à  refusé  si  constamment  le  titre  de  roi  durant  les 
jours  de  sa  gloire,  c'est-à-dire ,  quand  il  se  mon- 

\  Maith.  Xiy\. 
'  Ex«d.  IV ,  25. 
»  Joan.  XIX ,  \9. 


trait  un  Dieu  tout-puissant  par  la  grandeur  de  se 
miracles ,  commence  à  le  recevoir  dans  le  jour  de 
ses  abaissements,  et  lorsqu'il  paraît  le  dernier 
des  hommes  par  la  honte  de  son  supplice.  Où  est 
l'éclat  et  la  majesté  qui  doivent  suivre  ce  grand 
nom  de  roi ,  et  qu'a  de  commun  la  grandeur 
royale  avec  cet  appareil  d'ignominie?  C'est  ce 
qu'il  faut  vous  expliquer  en  peu  de  paroles  ;  et 
pour  cela  remarquez ,  mes  sœurs ,  que  Jésus- 
Christ  a  deux  royautés ,  dont  l'une  lui  convient 
comme  Dieu ,  et  l'autre  lui  appartient  en  qualité 
d'homme.  Comme  Dieu  il  est  le  roi  et  le  souve- 
rain de  toutes  les  créatures  qui  ont  été  faites  par 
lui  :  Omniaper  ipsumfacta  sunt  '  ;  et  outre  cela, 
en  qualité  d'homme,  il  est  roi  en  particulier  de 
tout  le  peuple  qu'il  a  racheté,  sur  lequel  il  s'est 
acquis  un  droit  absolu  par  le  prix  qu'il  a  donné 
pour  sa  délivrance.  Voilà  donc  deux  royautés 
dans  le  Fils  de  Dieu;  la  première  lui  est  naturelle, 
et  lui  appartient  par  sa  naissance  ;  la  seconde  est 
acquise,  et  il  l'a  méritée  par  ses  travaux.  La 
première  de  ces  royautés  qui  lui  appartient  par 
la  création,  n'a  rien  que  de  grand  et  d'augus'e; 
parce  que  c'est  un  apanage  de  sa  grandeur  natu- 
rdle ,  et  qu'elle  suit  nécessairement  son  indépen- 
dance :  mais  il  ne  doit  pas  en  être  de  même  de 
celle  qu'il  s'est  acquise  par  la  rédemption  ;  et  en 
voici  la  raison  solide ,  que  j'ai  tirée  de  saint  Au- 
gustin. 

Puisque  le  Fils  de  Dieu  était  né  avec  une  telle 
puissance ,  qu'il  était  de  droit  naturel  maître  ab- 
solu de  tout  l'univers  ;  lorsqu'il  a  voulu  s'acqué- 
rir les  hommes  par  un  titre  particulier ,  nous 
devons  entendre,  mes  frères ,  qu'il  ne  le  fait  pas 
de  la  sorte  dans  le  dessein  de  s'agrandir ,  mais 
dans  celui  de  les  obliger.  En  effet ,  dit  saint  Au- 
gustin, que  sert-il  au  Roi  des  anges  de  se  faire 
le  roi  des  hommes;  au  Dieu  de  toute  la  nature, 
de  vouloir  s'en  acquérir  une  partie ,  sur  laquelle 
il  a  déjà  un  droit  souverain?  11  n'accroît  point 
par  là  son  empire ,  il  n'étend  pas  plus  loin  sa 
puissance  ;  puisqu'en  s'acquérant  les  fidèles ,  il 
ne  s'acquiert  que  son  propre  bien ,  et  ne  se  donne 
que  des  sujets  qui  lui  appartiennent  déjà  par  le 
titre  de  la  création.  Tellement  que  s'il  recherche 
cette  royauté  ,  il  faut  conclure  ,  dit  ce  saint  évê- 
que,  que  ce  n'est  pas  dans  un  dessein  d'élévation, 
mais  par  un  sentiment  de  condescendance;  ni 
pour  augmenter  son  pouvoir ,  mais  pour  exercer 
sa  miséricorde  :  Dignatio  est,  non  promotio; 
miserationis  indicium,  non  potestatis  augmen- 

Ainsi ,  nous  ne  devons  chercher  en  ce  nouveau 


I  Joan.  1,3.  ^  ,  ^,^ 

1  In  Joan  Tr.  u,  n'  5,  t.  m,  paît-  n.  col-  6»- 


POUR  UiNE  PR01-I':SS10.N. 


3.',î> 


roi  aucune  marque  extérieure  de  grandeur  royale. 
C'est  ici  une  royauté  extraordinaire.  Jésus-Christ 
n'&it  pas  roi  pour  s'agrandir  ;  c'est  pourquoi  il 
ne  cherche  rien  de  ce  qui  l'élève  aux  yeux  des 
hommes  :  il  est  roi  pour  nous  obliger;  c'est  pour- 
quoi il  recherche  ce  qui  nous  oblige ,  c'est-à-dire, 
des  blessures  qui  nous  guérissent,  une  honte  qui 
fait  notre  gloire ,  et  une  mort  qui  nous  sauve. 
Telles  sont  les  marques  de  sa  royauté  :  elles  sont 
dignes  d'un  roi  qui  ne  vient  pas  pour  s'élever  au- 
dessus  des  hommes,  par  l'éclat  d'une  vaine 
pompe;  mais  plutôt  pour  fouler  aux  pieds  les 
grandeurs  humaines,  et  qui  veut  que  les  sceptres 
rejetés ,  l'honneur  méprisé ,  la  gloire  du  monde 
anéantie ,  fassent  tout  l'ornement  de  son  triom- 
phe. 

Voilà  le  roi ,  ma  très-chère  sœur,  que  vous 
choisissez  pour  époux.  S'il  est  pauvre,  aban- 
donné, destitué  entièrement  des  honneurs  du 
siècle  et  de  tous  les  biens  de  la  terre ,  au  nom  de 
Dieu  n'en  rougissez  pas.  Ce  n'est  point  par  im- 
puissance ,  mais  par  dédain  :  ce  n"est  point  par 
nécessité ,  mais  par  abondance.  Il  ne  méprise  les 
avantages  du  monde  qu'à  cause  de  la  plénitude 
des  trésors  célestes;  et  ce  qui  rend  sa  royauté 
plus  auguste,  c'est  qu'elle  ne  veut  rien  de  mortel. 
C'est  pourquoi  dans  ce  bienheureux  mariage , 
dans  lequel  ce  divin  Époux  vous  associe  à  son 
trône,  il  demande  pour  dot  votre  pauvreté.  Nou- 
veau mariage ,  mes  sœurs ,  où  le  premier  article 
que  l'Époux  propose ,  c'est  que  l'épouse  qu'il  a 
choisie  renonce  à  son  héritage ,  où  il  l'oblige  par 
son  contrat  à  se  dépouiller  de  tous  ses  droits  ; 
ou  il  appelle  ses  parents ,  non  pour  recevoir  d'eux 
leurs  biens  temporels ,  mais  pour  leur  quitter  à 
jamais  ce  qu'elle  peut  espérer  par  sa  succession. 
C'est  à  cette  condition  que  ce  Roi  crucifié  vous 
épouse  :  car  si  son  royaume  était  de  ce  monde , 
il  en  pourrait  peut-être  demander  les  biens;  mais 
son  royaume  n'étant  pas  du  monde ,  il  a  raison 
d'exiger  cette  condition  nécessaire  :  c'est  que 
■vous  renonciez  tout  à  fait  au  monde  par  la  sainte 
profession  de  la  pauvreté  volontaire,  dont  il  vous 
a  donné  l'exemple. 

Le  contrat  qu'il  vous  propose ,  ma  sœur ,  les 
articles  qu'il  vous  présente  à  signer  sont  compris 
en  ces  paroles  du  divin  apôtre  :  Miki  mundus 
crucifiams  est,  et  ego  mundo  '  :  «  Le  monde 
«  m'est  crucifié,  et  je  suis  crucifié  au  monde.  »  Où 
vous  devez  remarquer,  avec  le  docte  saint  Jean 
Chrysostôme  %  que  «  ce  n'est  pas  assez  à  l'apôtre 
«  que  le  monde  soit  mort  pour  le  chrétien  ;  mais 
e  qu'il  veut  encore ,  dit  ce  saiat  évêqiue ,  que  le 

*  Gah  TJ,  14. 

*  lÀb.  H ,  de  Componct.  n'  2 ,  t.  r ,  p.  12. 


«  chrétien  soit  mort  pour  le  monde  :  -  et  cela  pour 
nous  faire  entendre  que  le  commerce  est  rompu 
des  deux  côtés,  et  qu'il  n'y  a  plus  aucune  alliance. 
«  Car ,  poursuit  ce  docte  interprète,  l'apôtre  con- 
«  sidérait  que  non-seulement  les  vivants  ont  quel- 
"  que  sentiment  les  uns  pour  les  autres  ;  mais  qu'il, 
n  leur  reste  encore  quelque  affection  pour  les 
«  morts  :  ils  en  conservent  le  souvenir,  ils  leur 
«  rendent  quelques  honneurs ,  ne  serait-ce  que 
«  ceux  de  la  sépulture.  C'est  pourquoi  l'apôtre 
«  saint  Paul  ayant  entrepris  de  nous  faire  enten- 
«  dre  jusqu'à  quelle  extrémité  le  fidèle  doit  se 
«dégager  de  l'amour  du  monde;  ce  n'est  pas 
«  assez ,  nous  dit-il ,  que  le  commerce  soit  rompu 
«  entre  le  monde  et  le  chrétien ,  comme  il  l'est 
«  entre  les  vivants  et  les  morts;  car  il  reste  assez 
"  ordinairement  quelque  affection  en  ceux  qui 
«  survivent,  qui  va  chercher  les  morts  dans  le 
«  tombeau  même  :  mais  tel  qu'est  un  mort  à  l'é- 
«  gard  d'un  mort ,  tels  doivent  être  le  monda  et  le 
«  chrétien.  ^  Grande  et  admirable  rupture  I  Mais 
donnons-en  une  idée  plus  particulière. 

Ce  qui  nous  fait  vivre  au  monde,  c'est  l'incli- 
nation pour  les  biens  du  monde  ;  ce  qui  fait  vivre 
le  monde  pour  nous ,  c'est  un  certain  éclat  qui 
nous  éblouit.  La  mort  éteint  les  inclinations; 
cette  chaleur  tempérée  qui  les  entretient  s'est 
entièrement  exhalée  :  la  mort  ternit  dans  les 
plus  beaux  corps  toute  cette  fleur  de  beauté,  et 
fait  évanouir  cette  bonne  grâce.  Ainsi  le  monde 
est  mort  pour  le  chrétien ,  en  tant  qu'il  n'a  plus 
d'attrait  pour  son  cœur  ;  et  le  chrétien  est  mort 
pour  le  monde,  en  tant  qu'il  n'a  plus  d'amour 
pour  les  biens  qu'il  donne.  C'est  ce  qui  s'appelle 
dans  l'Écriture  être  crucifié  avec  Jésus-Christ.. 
C'est  le  traité  qu'il  nous  fait  signer  en  nous  rece- 
vant au  baptême  :  c'est  le  même  qu'il  vous  pro- 
pose dans  ces  noces  spirituelles ,  ainsi  qu'un  sa- 
cré contrat ,  pour  être  observé  par  vous  dans  la 
dernière  rigueur,  et  dans  la  perfection  la  plus 
éminente  :  contrat  digne  de  vous  être  lu  dans  la 
fête  de  la  sainte  Croix,  digne  de  vous  être  offert, 
par  un  Roi  crucifié ,  digne  d'être  accepté  hum- 
blement dans  une  profession  solennelle ,  où  l'on 
voue,  devant  Dieu  et  devant  ses  anges ,  un  re- 
noncement éternel  au  monde. 

Méditez  ce  sacré  contrat,  sous  lequel  Jésus -^ 
Christ  vous  prend  pour  épouse  :  dites  hautement 
avec  le  divin  apôtre  :  Mihi  mundus  crueifixwt 
est,  et  ego  mundo.  En  effet ,  le  monde  ne  vous  est- 
plus  rien ,  et  vous  n'êtes  plus  rien  au  monde.  Le 
monde  ne  vous^  est  plus  rien ,  puisque  vous  re- 
noncez à  ses  espérances  ;  et  vous  n'êtes  plus  rien 
au  monde,  puisqu'il  ne  vous  comptera  plus  parmi 
les  vivants.  Votre  famille  vous  perd,  vous  allez 
entrer  dans  uu  autre  monde ,  vous  ne  tenez  plus 


SCO 


POUR  UiNE  PllOFESSlON. 


par  aucun  lien  à  la  société  civile,  et  cette  clô- 
ture vous  est  un  tombeau,  dans  lequel  vous  allez 
être  comme  ensevelie.  Que  vos  proches  ne  pleu- 
rent pas  dans  cette  mort  bienheureuse,  qui  vous 
fera  vivre  avec  Jésus-Christ.  Son  affection  vous 
est  assurée;  puisque  l'ayant  acquis  par  la  pau- 
vreté, vous  avez  le  moyeu  de  gaguer  son  cœur 
par  la  pureté  virginale  :  c'est  ma  seconde  partie. 

SECOND   POINT. 

Pendant  que  Jésus-Christ  crucifié  vous  parle 
lui-même  de  son  affection  par  autant  de  bouches 
qu'il  a  de  blessures,  et  que  son  amour  s'épanche 
sur  vous  avec  tout  son  sang  par  ses  veines  cruel- 
lement déchirées,  il  me  semble  peu  nécessaire 
de  vous  dire  combien  il  vous  aime  ;  et  vos  yeux 
attachés  sur  la  croix  vous  en  apprendront  plus 
que  tous  mes  discours.  Je  remarquerai  seulement, 
ma  sœur,  que  cet  ardent  amour  qu'il  témoigne, 
n'est  pas  seulement  l'amour  d'un  Sauveur ,  mais 
encore  l'amour  d'un  époux;  et  je  l'ai  appris  de 
l'apôtre,  qui,  voulant  donner  aux  chrétiens  un 
modèle  àe  l'amitié  conjugale,  leur  propose  l'a- 
mour infini  que  Jésus-Christ  montre  à  son  Église , 
en  se  livrant  pour  elle  à  la  croix.  «  Maris ,  dit 
«  il,  aimez  vos  femmes,  comme  Jésus-Christ  a 
«  aimé  l'Église,  et  s'est  donné  lui-même  pour 
«  elle  :  »  Viri,  diliyite  uxores  vestras,  sicut  et 
Christus  dilexil  Ecclesiam,  et  t radiait  seniet- 
ipsum  pro  ea  '.  Ainsi,  dans  cet  amour  du  Sau- 
veur, vous  y  trouverez  l'amour  d'un  époux. 

Il  est  bon  de  remarquer  en  passant,  qu'ainsi  le 
Fils  de  Dieu  a  aimé  les  hommes  en  toutes  sortes 
de  qualités  qui  peuvent  donner  de  l'amour.  11  les 
a  aimés  comme  un  père  ;  il  les  a  aimés  comme  un 
sauveur,  comme  un  ami,  comme  un  frère,  comme 
un  époux  :  et  il  nous  aime  sous  tous  ces  titres, 
afin  que  nous  connaissions  que  l'amour,  qui  le 
fait  mourir  pour  nous  en  la  croix,  a  toutes  les 
qualités  d'un  amour  parfait.  Il  est  fort  comme 
l'amour  d'un  père ,  tendre  comme  l'amour  d'une 
mère ,  bienfaisant  comme  l'amour  d'un  sauveur, 
cordial  comme  l'amour  d'un  bon  frère,  sincère 
comme  l'amour  d'un  fidèle  ami;  mais  ardent 
comme  l'amour  d'un  époux.  Mais  cet  amour  de 
Jésus-Christ,  dont  parle  l'apôtre,  regarde  géné- 
ralement toute  son  Église  :  il  faut  montrer  aux 
vierges  sacrées  leurs  avantages  pai-ticuliers ,  et  les 
droits  extraordinaires  que  leur  donne  leur  chas- 
teté sur  le  cœur  de  l'Époux  céleste. 

Un  mot  de  l'Apocalypse  nous  découvrira  ce 
secret,  et  je  vous  prie  de  le  bien  entendre.  Ht  sunt, 
qui  cum  mulieribus  non  sunt  coinquinati;  vir- 
gines  enitfi  sunt  :  hi  sequuntur  Agnum  quo- 

«  F.fhes.  V,  î!i. 


cumque  ierit  '  ;  «  Ceux-là ,  dit-il ,  sont  les  vierges 
«  qui  suivent  l'Agneau  partout  où  il  va.  »  Telle 
est  la  prérogative  des  vierges ,  dont  le  grand  et 
admirable  saint  Augustin  nous  expliquera  le  mys- 
tère. Pour  cela,  il  remarque  avant  toutes  choses , 
que  suivre  Jésus-Christ ,  c'est  l'imiter  autant  qu'il 
est  permis'  à  des  hommes  :  Hune  in  eo  quisque 
sequitur,  in  quo  imilatur^  ;  tellement  que  le  sui- 
vre partout  où  il  va,  c'est  l'imiter  en  tout  ce  qu'il 
fait.  Ce  fondement  étant  supposé,  il  est  bien  aisé 
de  conclure  que  suivre  l'Agneau  partout  où  il 
va,  c'est  le  privilège  des  vierges.  Car  si  Jésus 
est  doux  et  humble  de  cœur,  si  Jésus  est  simple 
et  pauvre  d'esprit,  si  Jésus  est  soumis  et  obéis- 
sant ,  s'il  est  miséricordieux  et  charitable  ;  et  les 
vierges  et  lesmariés  peuvent  le  suivre  dans  toutes 
ces  voies.  Quoiqu'ils  ne  puissent  pas  y  marcher 
de  la  même  force ,  ils  peuvent  néanmoins ,  dit 
saint  Augustin^,  s'attacher  diligemment  àtous  ses 
pas ,  et  insister  fidèlement  à  tous  ses  vestiges  : 
ils  ne  peuvent  pas  les  remplir,  mais  ils  peuvent 
y  mettre  le  pied  ;  ils  peuvent  même  le  suivre 
jusqu'à  cette  noble  épreuve  de  la  charité  ,  de  la- 
quelle lui-même  a  dit  qu'il  n'y  en  a  point  de  plus 
grande  '' ,  c'est-à-dire ,  jusqu'à  mourir  pour  si- 
gnaler son  amour. 

Jusqu'ici ,  ô  divin  Sauveur  !  vous  pouvez  être 
suivi  de  tous  vos  fidèles  :  mais  après  il  se  présente 
un  nouveau  sentier ,  où  tous  ne  peuvent  pas  vous 
accompagner.  Car,  mes  frères,  «  cet  Agneau 
<(  sans  tache  marche  par  un  chemin  virginal;  » 
ce  sont  les  mots  de  saint  Augustin  *  :  Ecce  ille 
Agnus  graditur  itinere  virginali.  Ce  Fils  de 
viergeest  demeuré  vierge  ;  et  trouvant  au-dessous 
de  lui-même  la  sainteté  nuptiale ,  il  ne  lui  a  voulu 
donner  aucun  rang ,  ni  dans  sa  naissance ,  ni  dans 
sa  vie.  Que  de  saints  ne  le  peuvent  suivre  dans 
cette  route  sacrée  !  Non  omnes  capiunt  verbum 
istud  ^  :  toutefois  il  ne  veut  pas  y  demeurer 
seul. 

Accourez  !  ô  troupe  des  vierges  !  et  suivez  par- 
tout ce  grand  conducteur.  Que  les  autres  le  suivent 
partout  où  ils  peuvent,  vous  seules  le  pouvez 
suivre  partout  où  il  va ,  et  entrer  par  ce  moyen 
avec  lui  dans  la  plus  intime  familiarité.  C'est  la 
belle  et  heureuse  suite  de  ce  privilège  incompa- 
rable :  ces  âmes  pures  et  virginales  s'étant  cons- 
tamment attachées  à  suivre  Jésus-Christ  par- 
tout, cette  preuve  inviolable  de  leur  amitié  fait 
que  Jésus  s'attache  réciproquement  à  les  avoir 


'  Jpoc.  XIV,  4. 

'  De  sancta  Firjinit.  n"  27,  t.  vr ,  col.  354. 

î  lUi.  n'as. 

«  Jonn.  XV,  13. 

»  Vh'.  v;,vra  ,  n'  29. 

•  MiUth.wXy  II. 


POUR  UXE  PROFESSION. 


361 


îjujoors  dans  sa  compagnie.  Tl  fait  toujours  écla- 
ter sur  elles  un  rayon  de  faveur  particulière  :  il  se 
met  en  leurs  mains  dans  sa  naissance ,  il  les  pose 
sur  sa  poitrine  dans  sa  sainte  cène ,  il  ne  les  ou- 
blie pas  à  sa  croix  ;  et  les  ayant  tendrement  ai- 
mées, il  les  aime  jusqu'à  la  fin  :  Infinein  dilexit 
eos  '.  Une  mère  vierge ,  un  disciple  vierge  y  re- 
çoivent les  dernières  preuves  de  son  amitié  ;  et  ne 
voulant  pas  sortir  de  ce  monde  sans  les  honorer 
de  quelque  présent,  comme  il  ne  voit  rien  de 
plus  grand  que  ce  que  consacre  la  virginité ,  il  les 
laisse  mutuellement  l'un  à  l'autre  :  «  Femme, 
«  lui  dit-il,  voiià  votre  fils  ;  »  et  :  «  Fils ,  voilà  votre 
«  mère*.  "  Tl  n'est  pas  jusqu'à  son  sépulcre  qu'il 
veut  trouver  vierge;  tant  il  a  d'amour  pour  la 
virginité  ! 

Recherchons  encore ,  mes  sœurs,  pour  épuiser 
cette  matière  importante ,  d'où  vient  que  le  Fils 
de  Dieu  fait  ses  plus  chères  délices  d'un  cœur 
virainal ,  et  ne  trouve  rien  de  plus  digne  de  ses 
chastes  emhrassements.  C'est  à  cause  qu'un  cœur 
virginal  se  donne  à  lui  sans  aucun  partage,  qu'il 
ne  brûle  point  d'autres  flammes,  et  qu'il  nest 
point  occupé  par  d'autres  affections.  Qui  pourrait 
assez  exprimer  quelle  grande  place  y  tient  un 
époux,  et  combien  il  attire  d'amour  après  soi? 
Ensuite  naissent  les  enfants,  dont  chacun  em- 
porte sa  part ,  qui  lui  est  mieux  due  et  plus  assu- 
rée que  celle  de  son  héritage.  Parmi  tant  de  désirs 
divers ,  à  combien  de  sortes  d'objets  le  cœur  est- 
il  contraint  de  s'ouvrir  ?  L'esprit ,  dit  l'apôtre ,  en 
est  divisé  :  Sollicitus  ei  divisus  est  ^  ;  et  dans  ce 
fâcheux  partage,  nous  pouvons  dire  avec  le  Psal- 
miste  :  Sicut  agita  effusus  sum  '^  :  «  Je  suis  ré- 
'<  pandu  comme  de  l'eau  ;  »  et  cette  vive  source 
d'amour ,  qui  devait  tendre  tout  entière  au  ciel , 
multipliée  et  divisée  en  tant  de  ruisseaux ,  se  va 
j)erdre  deçà  et  delà  dans  la  terre.  Pour  empêcher 
ce  partage,  la  sainte  virginité  vient  fermer  le 
cœur  :  Ul  signaculum  super  cor  tuutn^  :  elle  y 
appose  comme  un  sceau  sacré  qui  empêche  d'en 
ouvrir  l'entrée ,  si  bien  que  Jésus-Christ  y  règne 
tout  seul  :  et  c'est  pourquoi  il  aime  ce  cœur  vir- 
ginal, parce  qu'il  possède  en  repos,  sans  distrac- 
tion ,  toute  l'intégrité  de  son  amour. 

C'est  ainsi ,  ô  pudique  épouse  !  que  vous  devez 
aimer  Jésus-Christ  :  tout  1  amour  que  vous  auriez 
pour  un  cher  époux,  vous  le  devez,  dit  saint 
Augustin ,  au  Sauveur  des  âmes.  Mais  que  dis-je? 
vous  lui  en  devez  beaucoup  davantage  :  car  cette 
femme  que  vous  voyez ,  qui  chérit  si  tendrement 
son  mari ,  ordinairement  ne  le  choisit  pas  ;  mais 

»  Joan.  xni,  1. 
»  IbiJ.  xiX,-:6,27. 
»  I.  Cor.  VM .  33. 

•  P.'.  XXI.  15 

*  tant,  fin,  6. 


plutôt  il  lui  est  échu  en  partage  par  des  conjonc- 
tures imprévues.  Elle  aime  celui  qu'on  lui  a  don- 
né; mais  avant  qu'on  le  lui  donnât ,  son  cœur  a 
erré  longtemps  sur  la  multitude  par  un  vague 
désir  de  plaire  :  s'il  ne  s'est  donné  qu'à  un  seul ,  il 
s'est  du  moins  offert  à  plusieurs;  et  ne  discer- 
nant pas  dans  la  troupe  cet  unique  qui  lui  était 
destiné,  son  amour  est  demeuré  longtemps  sus- 
pendu, tout  prêt  à  tomber  sur  quelque  autre.  II 
n'en  est  pas  de  la  sorte  de  l'Époux  que  vous  em- 
brassez :  jamais  vous  n'avez  balancé  dans  un  si 
beau  choix ,  et  il  a  emporté  d'abord  vos  premières 
inclinations.  Comme  donc  vous  le  voyez  attaché 
en  croix,  attachez -le  fortement  à  tout  votre 
cœur  :  Toio  vobisfigalurin  corde,  quipro  vobis 
fixus  est  in  cruce.  «  Cédez-lui  dans  votre  esprit 
«  toute  l'étendue  que  vous  n'avez  pas  voulu  lais- 
«  ser  occuper  par  le  mariage  :  »  Totum  teneat  in 
animo  vestro,  quidquid  noluistis  occupari  con- 
nubio  '.  Cédez,  vous  lui  en  devez  même  beaucoup 
davantage,  parce  que  vous  devez  chérir,  bien  plus 
qu'un  époux ,  celui  qui  vous  fait  résoudre  à  ne 
vous  donner  jamais  à  aucun  époux  ;  et  il  ne  vous 
est  pas  permis  de  l'aimer  d'une  affection  médio- 
cre ,  puisque  vous  renoncez  pour  l'amour  de  lui 
aux  affections  les  plus  grandes,  et  tout  ensemble 
les  plus  légitimes. 

Courez  donc  après  cet  Amant  céleste  ;  joignez- 
vous  à  cette  troupe  innocente  qui  le  suit  partout 
où  il  va,  accompagnant  ses  pas  de  pieux  canti- 
ques. Les  Agathes  et  les  Céciles ,  les  Agnès  et  les 
Luces  vous  tendent  les  bras ,  et  vous  montrent  la 
place  qui  vous  est  marquée.  Pour  entrer  dans 
cette  assemblée,  soyez  vierge  d'esprit  et  de  corps  ; 
que  cet  amour  de  la  pureté,  qui  se  forme  dans 
votre  cœur,  se  répande  sur  tous  vos  sens.  Con- 
servez votre  ouïe;  c'est  par  là  qu'Eve  a  été  sé- 
duite :  gardez  soigneusement  votre  vue,  et  son- 
gez que  ce  n'est  pas  en  vain  qu'on  vous  donne 
«  un  voile ,  comme  un  rempart  de  votre  pudeur , 
«  qui  empêche  vos  yeux  de  s'égarer,  et  qui  ne 
«  permette  pas ,  dit  le  grave  Tertullien ,  à  ceux 
«  des  autres  de  se  porter  sur  vous  :  »  Vallum 
verecundiœ,  quod  nec  tuos  emittat  oculos ,  nec 
admiitat aliénas  '.  Surtout  gardez  votre  cœur, 
et  ne  dédaignez  pas  les  petits  désordres,  parce  que 
c'est  par  là  que  les  grands  commencent ,  et  que 
l'embrasement ,  qui  consume  tout,  est  excité  sou- 
vent par  une  étincelle.  Ainsi  un  chaste  agrément 
vous  conservera  ce  que  la  grâce  de  votre  Époux 
vous  a  accordé  :  ainsi  vous  posséderez  toujoui-s 
son  affection ,  et  jamais  vous  n'offenserez  sa  ja- 
lousie. Il  faut  encore  vous  dire  un  mot  de  la  Ja- 


«   De  Sancta  Firginit.  n'  56 ,  t.  VI ,  col.  303. 
»  De  y'trj.  veland.  n"  16. 


S62 


POUR  UNE  PROFESSION. 


lousîe  de  votre  Epoux ,  et  c'est  par  où  je  m'en  vais 
conclure. 

rnoisrÈME  point. 

Que  Dieu  soit  jaloux,  chrétiens,  il  s'en  vante  si 
souvent  dans  son  Écriture ,  qu'il  ne  nous  permet 
pas  de  l'ignorer.  C'est  une  des  qualités  qu'il  se 
donne  dans  le  Décalogue  :  «  Je  suis,  dit-il,  le 
«  Seigneur  ton  Dieu,  fort  et  jaloux,  »Fortw,  ze- 
lotes  '  ;  et  cette  qualité  de  jaloux  lui  est  si  pro- 
pre et  si  naturelle ,  qu'elle  fait  un  de  ses  noms , 
comme  il  est  écrit  dans  l'Exode  :  Dominus,  ze- 
lotes  nomen  ejus  ^ .  Il  paraît  donc  assez  que  Dieu 
est  jaloux,  et  peu  de  personnes  l'ignorent  :  mais 
que  l'ouvrage  de  notre  salut  et  la  mort  du  Fils 
de  Dieu  à  la  croix  soient  un  effet  de  sa  jalousie , 
c'est  ce  que  vous  n'avez  pas  peut-être  encore  en- 
tendu ,  et  ce  qu'il  est  nécessaire  que  je  vous  ex- 
plique ,  puisque  mon  sujet  m'y  conduit. 

A  la  vérité ,  chrétiens ,  il  n'est  pas  aisé  de  com- 
prendre de  quelle  sorte  s'accomplit  un  si  grand 
mystère.  Car  que  la  jalousie  du  Dieu  des  armées 
le  porte  à  châtier  ceux  qui  le  méprisent ,  je  le 
conçois  sans  difficulté  ;  c'est  l'effet  ordinaire  de 
la  jalousie ,  et  je  remarque  aussi  dans  les  saintes 
Lettres  que  Dieu  n'y  parle  guère  de  sa  jalousie, 
qu'il  ne  nous  fasse  en  même  temps  craindre  ses 
vengeances.  "  Je  suis  un  Dieu  jaloux,  dit  le  Sei- 
«^gneur,  »  Deus  zelotes;  et  il  ajoute  aussitôt 
après  :  «  visitant  les  iniquités  des  pères  sur  les 
«  enfants  :  »  visitans  iniquitaies  patrum  in  fi- 
lios  ^  Dieu  est  jaloux ,  dit  Moïse  :  il  dit  dans  le 
même  lieu ,  «  que  le  feu  de  sa  jalousie  brûle  les 
«  pécheurs  :  >•  Dominus  Deus  tuus  ignis  consu- 
mens  est,  Deus  œmulator  'i .  Et  le  prophète  Na- 
hum  a  joint  ces  deux  choses  :  «  Le  Seigneur  est 
«  un  Dieu  jaloux ,  et  le  Seigneur  est  un  Dieu 
«  vengeur,  »  Deus  œmulator,  et  ulciscens  Do- 
minus 5  ;  tant  ces  deux  qualités  sont  inséparables! 

Que  s'il  est  ainsi ,  chrétiens ,  se  peut-il  faire 
que  nous  rencontrions  le  principe  de  notre  salut 
dans  la  jalousie ,  qui  semble  être  la  source  des 
vengeances;  et  après  que  le  prophète  a  uni  le 
Dieu  jaloux  et  le  Dieu  vengeur ,  oserons-nous  es- 
pérer de  trouver  ensemble  un  Dieu  jaloux  et  un 
Dieu  sauveur?  Peut-être  aurions-nous  peine  à  le 
croire,  si  nous  n'en  avions  appris  le  secret  de  la 
bouche  d'un  autre  prophète.  C'est  le  prophète 
Isaïe,  dont  voici  des  paroles  remarquables  :  De 
Jemsalem  exibunt  reliquiœ,  et  salvatio  de  monte 
Sien:  zelus  Domini  exerciluum faaiet istud^ : 

I  Exod.  XX ,  5. 
»  Ibid.  XXXIV,  \^. 
3  Ihid.  X\ ,  5. 
<  Veut.  IV,  21. 
*Aa/i.  1,2. 
* /s.  XX XVII,  32. 


«  Dans  les  ruines  de  Jérusalem  il  restera  un  grand 
«  peuple  que  Dieu  délivrera  de  la  mort,  et  le 
«  sahit  paraîtra  en  la  montagne  de  Sion  :  la  ja- 
«  lousie  du  Dieu  des  armées  fera  cet  ouvrage.  » 
Après  un  oracle  si  clair,  il  n'est  plus  permis  de 
douter  que  ce  ne  soit  la  jalousie  du  Dieu  des  ar- 
mées qui  ait  sauvé  le  peuple  fidèle. 

Mais  pour  pénétrer  un  si  grand  mystère ,  re- 
prenons les  choses  d'un  plus  haut  principe,  et 
rappelons  à  notre  mémoire  la  témérité  de  cet 
ange,  qui,  par  une  audace  inouïe,  voulut  s'égaler 
à  Dieu ,  et  se  placer  jusque  dans  son  trône.  Vous 
savez  qu'étant  repoussé  de  sa  main  puissante,  et 
précipité  dans  l'abîme,  il  ne  peut  encore  quitter 
le  premier  dessein  de  son  audace  démesurée.  Il 
se  déclare  hautement  le  rival  de  Dieu  ;  c'est  ainsi 
que  le  nomme  Tertullien ,  JEmulus  Dei  '  ;  «  le 
«  rival ,  le  jaloux  de  Dieu  :  «  il  se  veut  faire  adorer 
en  sa  place  ;  et  s'il  n'a  pu  occuper  son  trône ,  il 
lui  veut  du  moins  enlever  son  bien.  Il  entre  dans 
le  paradis  terrestre,  furieux  et  désespéré  :  il  y 
trouve  l'image  de  Dieu,  c'est-à-dire,  l'homme; 
image  chérie  et  bien  aimée ,  que  Dieu  avait  éta- 
blie dans  son  paradis  de  délices,  qu'il  avait  formée 
de  sa  main  et  animé  e  de  son  souffle.  Ce  n'était 
qu'une  créature  ;  mais  enfin  elle  était  aimée  par 
son  Créateur  :  il  ne  l'avait  pétrie  que  d'un  peu  de 
boue;  mais  cette  boue  avait  été  formée  de  sa 
main.  Ce  vieux  serpent  la  séduit,  il  la  corrompt. 
Surprise  par  ses  flatteries,  elle  s'abandonne  à  lui  : 
la  parjure  qu'elle  est,  l'ingrate  et  l'infidèle  qu'elle 
est  ;  au  milieu  des  bienfaits  de  son  époux,  dans  le 
lit  même  de  son  époux ,  pardonnez-moi  la  har- 
diesse de  cette  parole,  que  je  ne  trouve  pas  encore 
assez  forte  pour  exprimer  l'indignité  de  cette 
action  ;  dans  le  lit  même  de  son  époux  elle  se  pros- 
titue à  son  rival. 

0  insigne  infidélité!  ô  lâcheté  sans  exemple! 
Fallait-il  quelque  chose  de  plus  que  cette  honteuse 
prostitution ,  faite  à  la  face  de  Dieu ,  pour  l'exciter 
à  jalousie?  11  s'y  excite  en  effet  d'une  étrange  sorte. 
Quoi ,  mon  épouse  s'est  fait  enlever,  mon  image 
s'est  laissé  corrompre,  elle  que  j'avais  faite  avec 
tant  d'amour ,  dont  j'avais  moi-même  formé  tous 
les  traits ,  que  j'avais  animée  d'un  souffle  de  vie, 
sorti  de  ma  propre  bouche! 

Que  fera,  mes  frères,  ce  Dieu  fort  et  jaloux, 
irrité  d'un  abandonnement  si  infâme?  que  fera- 
t-il  à  cette  épouse  infidèle,  qui  amépriséun  si  grand 
amour?  Certainement  il  pouvait  la  perdre  ;  mais , 
ô  jalousie  miséricordieuse  !  il  a  mieux  aimé  la  sau- 
ver. 0  rival  !  il  ne  veut  point  qu'elle  soit  ta  proie  ; 
il  ne  la  peut  souffrir  en  tes  mains.  Cet  indigne 
spectacle  irritant  son  cœur ,  il  court  après  pour  la 

^  De  SpccL  n"  2 


POUR  UNE  PROFESSION. 


3C3 


rotir^r,  et  descend  du  ciel  en  la  terre  pour  cher- 
i-her  sou  épouse  qui  s'y  est  perdue  :  Venit  quœ- 
n'ic  quod  perierat  '.  La  nkinièrc  dont  il  se  sert 
pour  nous  délivrer  montre  assez,  si  nous  l'enten- 
dons, que  c'est  la  jalousie  qui  le  fait  agir  :  car  il 
n'envoie  ni  ses  anges ,  ni  ses  archanges ,  qui  sont 
les  ministres  ordinaires  de  ses  volontés.  11  a  peur 
que  son  épouse  volage,  devant  sa  liberté  à  d'autres 
qu'à  lui,  ne  partage  encore  son  cœur ,  au  lieu  de 
le  conserver  tout  entier  à  son  Époux  légitime  ; 
c'est  pourquoi  il  vient  lui-même  en  personne  : 
Deus  ipse  veniet,  et  salvabit  nos  ^  S'il  faut  des 
supplices,  c'est  lui  qui  les  souffre  ;  s'il  faut  du  sang, 
c'est  lui  qui  le  donne  ;  afin  que  nous  comprenions 
que  c'est  à  lui  que  nous  devons  tout,  et  que  nous 
(ui  consacrions  tout  notre  amour,  comme  nous  te- 
nons de  lui  seul  tout  notre  salut. 

De  là  vient  que  nous  lisons ,  dans  son  Ecriture , 
qu'il  n'est  pas  moins  jaloux  de  sa  qualité  de  Sau- 
veur que  de  celle  de  Seigneur  et  de  Dieu.  Écoutez 
de  quelle  sorte  il  en  parle  :  Ego  Dominus,  et  non 
est  ultra  Deus  absque  me  :  Deusjustus,  et  sal- 
vans  non  est  prœter  me  ^.  Ne  vous  semble-t-il 
pas,  chrétiens,  que  ce  Dieu  jaloux  adresse  sa  voix 
à  la  nature  humaine  infidèle,  ainsi  qu'un  amant 
passionné,  mais  dont  on  a  méprisé  l'amour.  G  vo- 
lage î  ô  prostituée  !  qui  m'as  quitté  pour  mon  en- 
nemi ,  regarde  que  c'est  moi  qui  suis  le  Seigneur, 
et  il  n'y  a  point  de  Dieu  que  moi  :  mais  considère 
encore,  6  parjure,  infidèle,  qu'il  n'y  a  que  moi 
qui  te  sauve  ;  et  si  tu  m'as  oublié  après  t'avoir 
créée,  reviens  du  moins  à  moi  quand  je  te  déli- 
vre. Voyez  comme  il  est  jaloux  de  sa  qualité  de 
Sauveur.  Et  ailleurs ,  se  glorifiant  de  l'ouvrage 
de  notre  salut  :  «  C'est  moi,  c'est  moi ,  dit-il ,  qui 
«  l'ai  fait;  ce  ne  sont  ni  mes  anges,  ni  mes  ar- 
«  changes,  ni  aucune  des  vertus  célestes  :  c'est 
«  moi  seul  qui  l'ai  fait ,  c'est  moi  seul  qui  vous 
«  porterai  sur  mes  épaules  ;  enfin  c'est  moi  seul 
«qui  vous  sauverai  :  »  Egofeci  :  egoferam,  ego 
portabd,  ego  salvabo  ^  :  tant  il  est  jaloux  de  cette 
gloire  ;  et  c'est ,  mes  sœurs ,  cette  jalousie  qui  l'at- 
tache sur  cette  croix,  dont  nous  célébrons  aujour- 
d'hui la  fête. 

Car,  dit  excellemment  saint  Jean-Chr}'sos- 
tôrae  ^ ,  comme  un  amant  passionné ,  voyant  celle 
qu'il  recherche  avec  tant  de  soin  gagnée  par  les 
présents  de  quelque  autre ,  qui  prétend  à  ses  bon- 
nes grâces,  multiplie  aussi  sans  mesure  les  mar- 
ques de  son  amitié  pour  emporter  le  dessus  ;  de 
même  en  est-il  du  Sauveur  des  âmes.  Il  voit  que 


'   Matth.  XTiil,  H. 

*  /s.  XXXV,  4. 

î  Ihid.  XLV,  21. 

<   Ih^d.  xi,Ti ,  4. 

»  In  Epist.  i  ad  Cor.  Hom.  xxiv,  n'  2,  t.  x,  p.  213. 


nous  recevons  à  pleines  mains  les  présents  de  son 
rival ,  qui  nous  amuse  par  une  pomme ,  qui  nous 
gagne  par  des  biens  trompeurs  qui  n'ont  qu'une 
légère  apparence  :  pour  détourner  nos  yeux  et  nos 
coeui-s  de  ses  libéralités  pernicieuses,  il  redouble 
ses  dons  jusqu'à  l'infini;  et  son  amour  excessif 
voulant  faire  un  dernier  effort ,  le  fait  enfin  mon- 
ter sur  la  croix ,  où  il  nous  donne  non-seulement 
sa  gloire  et  son  trône ,  mais  encore  son  corps  et 
son  sang ,  et  sa  personne  et  sa  vie  :  enfin ,  se  don- 
nant lui-même ,  que  ne  nous  donne-t-il  pas?  Et 
nous  faisant  un  si  grand  présent,  il  me  semble 
qu'il  nous  dit  à  tous  :  Voyez  si  ce  prétendant  que 
vous  écoutez  pourra  jamais  égaler  un  tel  amour 
et  une  telle  munificence.  C'est  ainsi  qu'il  parle , 
c'est  ainsi  qu'il  fait;  et  nous  pourrions  nous  dé- 
fendre d'une  jalousie  si  obligeante  ! 

Mais,  ma  sœur,  si  l'Époux  céleste  a  l'ardeur 
et  les  transports  des  jaloux,  il  en  a  les  regards 
et  la  vigilance.  Il  a  des  yeux  de  jaloux ,  toujoui-s 
ouverts ,  toujours  appliqués  pour  veiller  sur 
vous,  pour  étudier  tous  vos  pas,  pour  observer 
toutes  vos  démarches.  J'ai  remarqué  dans  le  saint 
cantique  deux  regards  de  l'Époux  céleste  :  il  y  a 
un  regard  qui  admire ,  et  c'est  le  regard  de  l'a- 
mant :  il  y  a  un  regard  qui  observe ,  et  c'est  le 
regard  du  jaloux.  «  Que  vous  êtes  belle,  ô  fille 
«  de  prince!  "  dit  l'Époux  à  la  chaste  épouse'. 
Cette  ardente  exclamation  vient  d'un  regard  qui 
admire,  et  il  n'est  pas  indigne  du  divin  Époux , 
dont  il  est  dit  dans  son  Évangile  qu'il  admira  la 
foi  du  Centenier  *.  Mais  voulez-vous  voir  main- 
tenant quel  est  le  regard  du  jaloux  ?  «  Il  est  venu , 
«  dit  l'Épouse ,  le  bien-aimé  de  mon  cœur ,  regar- 
«  dant  par  les  fenêtres,  guettant  par  les  treillis  :  » 
Dilectus  meus  venit,  respiciens  perfenestras, 
prospiciens per  cancellos  ^.  Il  vient  en  cette  sorte 
pour  vous  observer ,  et  c'est  le  regard  de  la  ja- 
lousie :  de  là  naissent  et  ces  grilles  et  cette  clô- 
ture. Il  vous  renferme  soigneusement,  il  rend  de 
toutes  parts  l'abord  difficile;  il  compte  tous  vos 
pas ,  il  règle  votre  conduite  jusqu'aux  moindres 
choses  :  ne  sont-ce  pas  des  actions  d'un  amant  ja- 
loux ?  Il  n'en  fait  pas  ainsi  au  commim  des  hom- 
mes :  mais  c'est  que  s'il  est  jaloux  des  autres 
fidèles,  il  l'est  beaucoup  plus  de  ses  épouses. 
Étant  donc  ainsi  observée  de  près,  pour  vous 
garantir  des  effets  d'une  jalousie  si  délicate ,  il 
ne  vous  reste ,  ma  sœur ,  qu'une  obéissance  tou- 
jours ponctuelle ,  et  un  entier  abandonnement 
de  vos  volontés.  C'est  ce  que  je  vous  reconamande 
en  finissant  ce  discours  ;  et  afin  que  vous  com- 
preniez combien  cette  obéissance  vous  est  néces,- 

'  Cant.  Til,  I,  6. 
»  Matth.  VIII,  10. 
»  Cani.  Il ,  9 


304 


rouR  UNE  PiiortssiON. 


saire,  je  vous  dirai  la  raison  pour  laquelle  elle 
vous  défend  de  la  jalousie  de  votre  Époux. 

Ce  qui  excite  Dieu  à  jalousie ,  c'est  lorsque 
l'hommo  se  veut  faire  Dieu ,  et  entreprend  de  lui 
ressembler.  Mais  il  ne  s'offense  pas  de  toute  sorte 
de  ressemblance  :  cai  il  nous  a  faits  à  son  image, 
et  il  y  a  de  ses  attributs  dans  lesquels  il  n'est  pas 
jaloux  que  nous  tâchions  de  lui  ressembler  ;  au 
contraire,  il  nous  le  commande.  Par  exemple, 
voyez  sa  miséricorde ,  combien  riche ,  combien 
éclatante;  il  vous  est  ordonné  de  vous  conformer 
à  cet  admirable  modèle  :  Estote  miséricordes, 
sicut  et  Pater  vester  misericors  est'  :  «  Soyez 
«  miséricordieux ,  comme  l'est  votre  Père  cé- 
«  leste.  «  Ainsi ,  comme  il  est  véritable ,  vous  pou- 
vez l'imiter  dans  sa  vérité  :  il  est  juste ,  vous 
pouvez  le  suivre  dans  sa  justice  :  il  est  saint  ;  et 
encore  que  sa  sainteté  semble  être  entièrement 
incommunicable,  il  ne  se  fâche  pas  toutefois  que 
vous  osiez  porter  vos  prétentions  jusqu'à  l'hon- 
neur de  lui  ressembler  dans  ce  merveilleux  at- 
tribut ;  lui-même  vous  y  exhorte  :  «  Soyez  saints 
«  parce  que  je  suis  saint  :  »  Sancti  estote,  quo- 
nia7n  ego  sanctus  sum^. 

Quelle  est  donc  cette  ressemblance  qui  lui 
cause  tant  de  jalousie?  C'est  lorsque  nous  lui 
voulons  ressembler  dans  l'autorité  souveraine, 
lorsque  nous  voulons  Timiter  dans  l'honneur  de 
l'indépendance,  et  prendre  pour  loi  notre  vo- 
lonté ,  comme  lui-même  n'a  point  d'autre  loi  que 
sa  volonté  absolue.  C'est  là  le  point  chatouilleux , 
c'est  là  l'endroit  délicat  ;  c'est  alors  que  sa  jalou- 
sie repousse  avec  violence  tous  ceux  qui  veulent 
s'approcher  ainsi  de  sa  majesté  souveraine.  Par 
conséquent,  si  sa  jalousie  s'irrite  seulement  con- 
tre notre  orgueil  ;  qui  ne  voit  que  la  soumission 
est  l'unique  moyen  pour  nous  en  défendre?  Il  est 
jaloux  quand  vous  prenez  pour  loi  votre  volonté. 
Pour  empêcher  les  effets  de  sa  jalousie ,  abandon- 
nez votre  volonté.  Soyons  des  dieux  ,  il  nous  est 
permis ,  par  l'imitation  de  sa  justice ,  de  sa  bonté , 
de  sa  sainteté,  de  sa  miséricorde  toujours  bien- 
faisante. Quand  il  s'agira  de  puissance  et  d'auto- 
rité ,  tenons-nous  dans  les  bornes  d'une  créature , 
et  ne  portons  pas  nos  désirs  à  une  ressemblance 
si  dangereuse. 

Mais  si  nous  ne  pouvons  ressembler  à  Dieu 
dans  cette  souveraine  indépendance ,  admirons , 
mes  sœurs ,  sa  bonté  suprême ,  qui  a  voulu  nous 
ressembler  dans  la  soumission.  Jetez  les  yeux  de 
la  foi  sur  ce  Dieu  obéissant  jusqu'à  la  mort,  et  à  la 
mort  de  la  croix.  A  la  vue  d'un  abaissement  si 
profond,  qui  pourrait  refuser  de  se  soumettre? 
"N  ous  vivez ,  ma  sœur ,  dans  un  monastère ,  où 

'  Luc.  VI,  30. 
»  Levit  XI,  44. 


la  sage  abbesse  qui  vous  gou%Trnc  vous  doit  faire 
trouver  la  soumission  non-seulement  fructueuse, 
mais  encore  douce  et  désirable.  Mais  i/iand  vous 
auriez  à  souffrir  une  autre  conduite;  de  quelle 
obéissance  vous  pourriez -vous  plaindre,  en 
voyant  celle  du  Sauveur  des  âmes ,  et  à  la  volonté 
de  quels  hommes  l'a  livré  et  abandonné  son  Père 
céleste  ?  C'a  été  à  la  volonté  de  Judas ,  à  celle  de 
Pilate  et  des  pontifes,  à  celle  des  soldats  inhu- 
mains qui ,  ne  gardant  avec  lui  aucune  mesure , 
ont  fait  de  lui  tout  ce  qu'ils  ont  voulu  :  Fecerunt 
in  eo  quœcumque  voluenmi  ' .  Après  cet  exemple 
de  soumission,  vous  ne  sauriez  descendre  assez 
bas;  et  vous  devez  chérir  les  dernières  places, 
qui,  depuis  l'abaissement  du  Dieu-Homme,  sont 
devenues  désormais  les  plus  honorables. 

SERMON 

POUR  UNE  PROFESSION. 

SUR  LA  VIRGINITÉ. 

Sainte  séparation  et  chaste  union ,  deux  choses  dans  les- 
quelles consiste  la  sainte  virginité  :  combien  elle  est  maie 
et  généreuse.  De  quelle  manière,  en  étal)lissant  son  siège 
dans  l'âme ,  rejaillit-elle  sur  le  corps.  Avec  quel  soin  les  vier- 
ges doivent  garder  tous  leurs  sens.  D'où  vient  la  sainte  virgi- 
nité a-t-elle  tant  d'attraits  pour  le  Sauveur.  Saint  ravissement 
des  vierges,  et  leurs  privilèges.  Précautions  qui  leur  sont 
nécessaires,  pour  être  saintement  unies  à  leur  Époux.  Son 
amour  et  sa  jalousie  :  ses  deux  regards  sur  elles.  Qu'est-ce 
qui  cause  sa  retraite.  Funestes  effets  de  l'orgueil  :  avantages 
de  rhumilité. 


jEmidor  vos  Dei  œmulatione  :  despondi  enim  vos  uni 
vira ,  virginem  castam  exhibere  Christo. 

J'ai  pour  vous  un  amour  de  jalousie ,  et  d'une  jalousie  de. 
Dieu  ;  parce  que  je  vous  ai  fiancée  à  cet  unique  Époux , 
qui  est  JésusClirist,  pour  vous  présenter  à  lui  comme 
une  vierge  toute  pure.  II.  Cor.  xi,  2. 

Puisque  la  sainte  cérémonie  par  laquelle  vous 
vous  consacrez  au  Sauveur  avec  la  bénédiction 
de  l'Église,  vous  met  au  nombre  des  vierges  sa- 
crées ,  et  vous  joint  à  la  troupe  innocente  de  ces 
filles  choisies  et  bien  aimées,  qui  doivent  être 
conduites  au  Roi ,  selon  la  prophétie  du  Psal- 
miste^  ;  pour  vous  faire  connaître  avec  évidence 
quelle  est  la  profession  que  vous  faites,  il  est  né- 
cessaire que  vous  pénétriez  ce  que  c'est  que  la 
virginité  chrétienne ,  dont  les  anciens  docteurs 
nous  ont  fait  de  si  grands  éloges.  C'est  aussi  ce 
que  vous  enseigne  le  divin  apôtre ,  en  vous  assu- 
rant qu'il  vous  a  unie,  comme  une  vierge  chaste 
et  pudique,  à  un  seul  homme,  qui  est  Jésus 
Christ  ;  et  il  vous  montre ,  par  ces  paroles ,  que  la 

I  Mal  th.  xvri,  12. 
3  Ps.  XLIV,  15. 


POUR  UNE  PUOFESSION. 


3Ci 


sainte  virginité  consiste  principalement  en  deux 
clioses.  Mais  pour  entendre  un  si  grand  mystère , 
remontons  jusqu'au  principe,  et  supposons  avant 
tontes  choses  que  cet  Époux  immortel,  que  votre 
virginité  vous  prépare ,  a  deux  qualités  admira- 
bles. II  est  infiniment  séparé  de  tout  par  la  pureté 
de  son  être  :  il  est  infiniment  communicatif  par 
un  effet  de  sa  bonté. 

Quand  j'entends  le  Seigneur  Jésus  qui  ensei- 
gne à  Marthe  empressée ,  qu'il  n'y  a  qu'une  chose 
qui  soit  nécessaire  '  ;  je  remarque  en  cette  parole 
la  condamnation  infailliblede  la  vanilédesenfants 
des  hommes.  Car  si  le  Fils  de  Dieu  nous  apprend 
que  nous  n'avons  tous  qu'une  même  affaire ,  ne 
s'ensuit-il  pas  clairement  que  nous  nous  consu- 
mons de  soins  superflus ,  que  nous  ne  concevons 
que  de  vains  desseins ,  et  que  nous  ne  repaissons 
nos  esprits  que  de  creuses  imaginations,  nous 
({ui  sommes  si  étrangement  partagés  parmi  tant 
d'occupations  différentes?  tellement  que  ce  divin 
Maître ,  nous  rappelant  à  l'unité  seule ,  condamne 
la  folie  et  l'illusion  de  nos  désirs  inconsidérés ,  et 
de  nos  prétentions  infinies  :  d'où  il  est  aisé  de  con- 
clure que  la  solitude  que  les  hommes  fuient,  et 
les  cloîtres  qu'ils  estiment  autant  de  prisons,  sont 
les  écoles  de  la  véritable  sagesse  ;  puisque  tous 
les  soins  du  monde  en  étant  exclus  avec  leur  em- 
pressante multiplicité ,  on  n'y  cherche  que  l'unité 
nécessai  re,  qui  seule  est  capable  d'établir  les  cœurs 
dans  une  tranquillité  immuable. 

C'est ,  madame ,  à  cette  unité  que  vous  invite 
le  divin  apôtre,  quand  il  vous  assure  aujourd'hui 
qu'il  vous  a  unie  pour  toujours,  comme  une 
vierge  chaste  et  pudique,  à  un  seul  homme  qui 
est  Jésus-Christ,  Uni  viro.  C'est  en  effet  à  cet 
unique  Époux  que  votre  profession  vous  consa- 
cre ;  et  la  sainte  virginité,  que  vous  lui  offrez  en 
ce  jour ,  vous  sépare  de  toutes  choses  pour  vous 
attacher  à  lui  seul.  Mais  avant  que  de  traiter  un 
si  grand  mystère ,  recourons  tous  d'une  même 
voix ,  à  la  mère  et  au  modèle  des  vierges ,  et  im- 
plorons sa  bienheureuse  assistance,  en  la  saluant 
avec  l'ange,  et  disant,  Av€j  Maria. 

Il  importe  infiniment  au  salut  des  âmes  de 

considérer  sérieusement  un  endroit  admirable  du 

divin  apôtre  '  ,ou  cet  excellent  maître de^  Gentils 

nous  représente  l'économie  de  l'Église  dans  la 

^diversité  des  opérations  qui  font  l'harmonie  de 

corps  mystique.  Il  se  fait,  dit-il,  en  l'Église 

le  certaine  distribution  de  grâces  ;  et  comme 

ras  voyons  que  le  corps  humain  se  conserve 

w  les  fonctions  différentes  de  chacun  des  mem- 

res  qui  le  composent,  ainsi  en  est-il  du  corps 

\*  Lue.  X,  42.  I 

*  Uom.  \ii,  4  etieq.  l 


de  l'Église,  dont  tous  les  membres  ont  des  dons 
divers,  selon  que  l'Esprit  de  Dieu  les  anime.  C'est 
de  là  que  nous  apprenons  cette  belle  et  impor- 
tante leçon ,  que  la  perfection  du  christianisme 
consiste  à  nous  acquitter  de  la  fonction  à  laquelle 
le  Saint-Esprit  nous  destine.  Car  comme  le  corps 
humain  est  parfait  lorsque  l'œil  discerne  bien  les 
objets ,  et  l'ouïe,  la  différence  des  sons;  lorsque 
l'estomac  prépare  au  reste  du  corps  la  nourriture 
qui  lui  est  propre,  que  le  poumon  rafraîchit  le 
cœur,  et  que  le  cœur  fomente  le  corps  par  cette 
chaleur  douce  et  vivifiante  qui  réside  en  lui 
comme  dans  sa  source  ;  et  enfin  lorsque  les  or- 
ganes exécutent  fidèlement  ce  que  la  nature  leur 
a  commis  :  ainsi  la  perfection  du  corps  de  l'É- 
glise ,  c'est  que  tous  les  membres  de  Jésus-Christ 
exercent  constamment  l'action  qui  leur  est  par- 
ticulièrement destinée ,  et  que  chacun  rapporte 
son  opération  à  la  fin  du  divin  Esprit  qui  nous 
meut  et  qui  nous  gouverne.  C'est  sans  doute  pour 
cette  raison,  mes  très-chères  sœurs,  que  vous 
avez  désiré  de  moi  que  je  vous  entretinsse  aujour- 
d'hui de  la  sainte  profession  à  laquelle  le  Saint- 
Esprit  vous  a  appelées  ;  et  pour  contenter  ce  pieux 
désir,  considérons,  avant  toutes  choses,  pourquoi 
vous  vous  êtes  retirées  du  monde  à  quoi  vous 
avez  été  destinées  ;  quel  est  votre  nom ,  quel  est 
votre  titre,  cfuelle  est  votre  fonction  dans  l'Église. 

Vous  êtes,  mes  sœurs,  ces  filles  choisies  qui 
devez  être  conduites  au  Roi,  selon  la  prophétie 
du  Psalmiste;  vous  êtes  les  vierges  de  Jésus- 
Christ  et  les  chastes  épouses  du  Sauveur  des 
âmes  :  de  sorte  que,  pour  connaître  avec  évi- 
dence quelle  est  la  profession  que  vous  faites,  il 
est  nécessaire  que  vous  pénétriez  ce  que  c'est  que 
la  virginité  chrétienne  à  laquelle  vous  avez  été 
consacrées.  C'est  aussi  ce  que  vous  enseignera  le 
divin  apôtre ,  en  vous  assurant  qu'il  vous  a  unies , 
comme  une  vierge  chaste  et  pudique  ,  à  un  seul 
homme ,  qui  est  Jésus-Christ.  Mais  pour  entendre 
le  sens  de  ce  beau  passage  ,  disons  que  la  virgi- 
nité chrétienne  consiste  en  une  sainte  séparation 
et  en  une  chaste  union.  Cette  séparation  fait  sa 
pureté,  cette  chaste  et  divine  union  est  la  cause 
des  délices  spirituelles  que  la  grâce  fait  abonder 
dans  les  âmes  vraiment  virginales. 

Que  le  principe  de  la  pureté  soit  une  sépara- 
tion salutaire,  vous  le  comprendrez  aisément,  si 
vous  remarquez  que  nous  appelons  impur  ce  qui 
est  mêlé,  et  que  nous  estimons  pur  et  net  ce  qui, 
étant  uni  en  soi-même ,  n'est  gâté  ni  corrompu 
par  aucun  mélange.  Par  exemple ,  tant  qu'une 
fontaine  se  conserve  dans  son  canal ,  telle  qu'elle 
est  sortie  de  la  roche  qui  lui  a  donné  sa  naissance, 
elle  est  nette,  elle  est  pure;  elle  ne  paraît  point 
corrompue.  Que  si  par  l'impétuosité  de  son  cours 


386 


POUR  UNE  PROFESSION. 


elle  agite  trop  violemment  la  terre  sur  laquelle 
elle  passe ,  et  qu'elle  en  détache  quelque  partie 
qu'elle  entraîne  avec  elle  parmi  ses  eaux;  aussi- 
tôt vous  lui  voyez  perdre  toute  sa  netteté  natu- 
relle; elle  cesse  visiblement  d'être  pure,  sitôt 
qu'elle  commence  d'être  mêlée. 

Mais  élevons  plus  haut  nos  pensées,  et  consi- 
dérons en  Dieu  même  la  preuve  de  la  vérité  que 
j'avance.  La  théologie  nous  enseigne  que  Dieu 
est  un  être  infiniment  pur  :  elle  dit  qu'il  est  la 
pureté  même.  En  quoi  est-ce  que  nous  remar- 
quons cette  pureté  incompréhensible  de  l'Être 
divin ,  sinon  en  ce  que  Dieu  est  d'une  nature 
entièrement  dégagée,  libre  de  toute  altération 
étrangère,  sans  mélange,  sans  changement,  sans 
corruption?  et  s'il  nous  est  permis  de  parler,  en 
bégayant ,  de  si  grands  mystères ,  nous  pouvons 
dire  que  son  essence  n'est  qu'une  indivisible 
unité,  qui  ne  reçoit  rien  de  dehors  ;  parce  qu'elle 
est  infiniment  riche,  et  qu'elle  enferme  toutes 
choses  en  elle-même ,  dans  sa  vaste  et  immense 
simplicité.  C'est  pour  cette  raison,  mes  très-chères 
sœurs,  autant  que  notre  faiblesse  le  peut  com- 
prendre, que  l'être  de  notre  Dieu  est  si  pur;  parce 
qu'il  est  infiniment  séparé,  et  qu'il  ne  souffre 
rien  en  lui-même  que  ses  propres  perfections, 
qui  ne  sont  autre  chose  que  son  essence.  Cette 
première  pureté,  de  laquelle  toute  pureté  prend 
son  origine ,  se  répandant  par  degrés  sur  les  créa- 
tures, ne  trouve  rien  de  plus  proche  d'elle  que 
les  intelligences  célestes,  qui  sans  doute  sont  d'au- 
tant plus  pures  qu'elles  sont  plus  éloignées  du  mé- 
lange, étant  séparées  de  toute  matière;  et  de  là 
vient  que  nous  les  appelons  esprits  purs. 

Selon  ces  principes,  mes  très-chères  sœurs,  il 
faut  que  vous  soyez  séparées  ;  et  quoique  vos 
âmes  se  trouvent  liées  à  un  corps  mortel ,  par 
leur  condition  naturelle ,  il  faut  nécessairement 
vous  en  détacher  en  purifiant  vos  affections.  C'est 
pourquoi  le  prophète  Isaïe ,  voulant  exhorter  à  la 
pureté  les  enfanU  de  la  nouvelle  alliance ,  il  les 
invite  à  une  sainte  séparation  :  «  Retirez-vous , 
«  retirez- vous ,  leur  dit-il ,  sortez  de  là ,  ne  touchez 
«  point  aux  choses  souillées,  soyez  purs  '.  «  Par 
où  vous  voyez ,  sans  difficulté ,  que  c'est  le  déta- 
chement qui  nous  purifie  :  de  sorte  que ,  la  virgi- 
nité chrétienne  étant  la  perfection  de  la  pureté, 
i  1  s'ensuit  que  pour  être  vierge ,  selon  la  discipline 
de  l'Évangile,  il  faut  une  séparation  très-entière, 
et  un  détachement  sans  réserve. 

Mais  faudra-t-il  donc,  direz- vous,  quelesvier^ 
ges,  pour  être  pures,  demeurent  éternellement 
séparées,  sans  attacher  leur  affection  à  aucun 
objet?  Nullement,  ce  n'est  pas  là  ma  pensée. 

*  /•  m 


Si  nous  étions  faits  pour  nous-mêmes,  nous  pour 
rions  ne  vivre  aussi  qu'en  nous-mêmes  ;  mais 
puisqu'il  n'y  a  que  notre  grand  Dieu  qui  puisse 
être  lui-même  sa  félicité,  il  faut  que  nos  mouve- 
ments tendent  hors  de  nous,  si  nous  voulons  jouir 
de  quelque  repos.  Donc  la  vierge  vraiment  chré- 
tienne, crainte  que  sa  pureté  perde  son  éclat,  s'at- 
tache uniquemement  à  celui  dans  lequel  nous  vous 
avons  dit  que  la  pureté  prend  son  origine.  Re- 
gardez ,  mes  très-chères  sœurs ,  regardez  le  Verbe 
divin  votre  époux;  c'est  à  lui  que  vous  devez 
vous  unir,  après  vous  être  purifiées  par  le  mépris 
général  des  biens  de  la  terre  :  si  bien  que  j'ai  eu 
raison  de  vous  dire  que  la  virginité  chrétienne , 
c'est  une  sainte  séparation  et  une  bienheureuse  à 
union.  De  là  vient  que  l'apôtre  saint  Jean  voulant  1 
décrire  la  gloire  des  vierges ,  les  représente  sur 
une  montagne  avec  l'Agneau  '.  D'où  vient  qu'elles 
sont  sur  une  montagne  élevée  bien  haut  au-dessus 
du  monde,  si  ce  n'est  que  la  virginité  les  sépare?  J 
et  d'où  vient  qu'elles  sont  avec  l'Agneau ,  si  ce  f 
n'est  que  la  virginité  les  unit?  C'est  aussi  ce  que 
nous  enseigne  l'apôtre ,  dans  le  passage  que  nous 
expliquons  :  «  Je  vous  ai  promises ,  dit- il ,  à  un 
«  seul.  »  Qui  ne  voit  la  séparation  dans  cette  unité , 
puisque  le  propre  de  l'unité  est  d'exclure?  Mais, 
ajoute  le  même  saint  Paul ,  «  Je  vous  ai  promises 
«  à  un  seul  mari.  »  Qui  ne  voit,  dans  ce  mariage 
divin  et  spirituel ,  la  chaste  union  que  je  vous 
propose?  Parlons  donc  de  cette  séparation  salu- 
taire qui  établit  votre  pureté ,  et  de  cette  mysté- 
rieuse union  qui  vous  fera  goûter  les  plaisirs  cé- 
lestes dans  les  chastes  embrassements  du  Sauveur. 
Chères  sœurs,  c'est  en  ces  deux  choses  que  con- 
siste la  virginité  chrétienne ,  et  ce  sont  aussi  ces 
deux  choses  que  je  traiterai  aujourd'hui ,  avec  le 
secours  de  la  grâce. 

PBEMIER    POINT. 

Si  nous  entendons  bien  ce  que  c'est  que  l'hom- 
me ,  nous  trouverons  que  nous  sommes  comme 
suspendus  entre  le  ciel  et  la  terre,  sans  qu'on 
puisse  bien  décider  auquel  des  deux  nous  appar- 
tenons. Tl  n'y  a  point  au  monde  une  si  étrange 
composition  que  la  nôtre  :  une  partie  de  nous  est 
tellement  brute,  qu'elle  n'a  rien  au-dessus  des 
bêtes;  l'autre  est  si  haute  et  si  relevée,  qu'elle 
semble  nous  égaler  aux  intelligences.  Qui  pourrait 
lire ,  sans  s'étonner,  de  quelle  sorte  Dieu  forme 
l'homme?  Premièrement  il  prend  de  la  boue; 
est-il  une  matière  plus  vile?  après  il  y  inspire  un 
souffle  de  vie,  il  y  grave  son  image  et  sa  res- 
semblance; est-il  rien  de  plus  admirable?  C'est 
pourquoi  je  vous  disais,  chrétiens,  que  nous 
sommes  entre  le  ciel  et  la  terre ,  et  qu'il  semble 

«  Alioc.  XIV,  I  et  seq. 


POUR  UNE  PROFESSION. 


3C7 


que  l'un  et  l'autre  pui!?sent  disputer  à  qui  nous 
appartenons  à  plus  juste  titre.  Notre  mortalité 
nous  donne  à  la  terre,  l'image  de  Dieu  nous  ad- 
juge au  ciel  ;  et  nous  sommes  tellement  partagés , 
qu'il  semble  qu'on  ne  puisse  faire  justice  sur  ce 
différend ,  sans  nous  ruiner  et  sans  nous  détruire 
par  une  distraction  violente  :  toutefois  il  n'en  est 
pas  de  la  sorte.  La  sage  providence  de  Dieu  ne 
laisse  pas  notre  condition  si  fort  incertaine',  que 
cette  importante  difficulté  ne  puisse  être  facile- 
ment terminée. 

Mais  qui  jugera  donc  un  si  grand  procès?  Qui 
décidera  cette  question ,  qui  met  toute  la  nature 
en  dispute?  Chrétien,  n'en  doute  pas,  ce  sera 
toi-même.  L'homme  est  la  matière  de  tout  le  pro- 
cès ,  et  il  en  est  lui-même  le  juge.  Oui ,  nous  pou- 
vons prononcer  souverainement  si  nous  sommes 
de  la  terre  ou  du  ciel  :  selon  que  nous  tournerons 
nos  inclinations ,  ou  nous  serons  des  animaux 
bruts ,  ou  nous  serons  des  anges  célestes.  C'est 
pourquoi ,  dit  saint  Augustin ,  «  Dieu  a  formé 
«  l'homme  avec  l'usage  de  son  libre  arbitre  ;  ani- 
«  mal  terrestre ,  mais  digne  du  ciel ,  s'il  sait  s'at- 
■  tacher  à  son  Créateur  :  »  Terrenum  animal, 
sedcœlo  dignum,  si  suo  cohœreret  Auctori  \ 
Ne  nous  plaignons  pas ,  chrétiens ,  si  cet  esprit , 
d'une  nature  immortelle ,  est  lié  à  une  chair  cor- 
ruptible. Dieu ,  qui  par  un  très-sage  conseil  a 
trouvé  bon  de  le  mêler  à  cette  matière ,  lui  a  ins- 
piré une  secrète  vertu,  par  laquelle  il  s'en  peut 
aussi  détacher  avec  le  secours  de  sa  grâce  ;  et  si 
nous  conservons  à  l'image  de  Dieu ,  c'est-à-dire, 
à  la  raison  qu'il  nous  a  donnée ,  la  prééminence 
qui  lui  est  due ,  ce  corps  même  (  qui  n'en  serait 
étonné?),  oui,  ce  corps,  tout  pesant,  tout  mortel 
qu'il  est,  passera  au  rang  des  choses  célestes; 
parce  que  l'âme,  qui  est  la  partie  principale ,  à 
laquelle  appartient  le  domaine,  attirera  son  corps 
avec  elle,  non -seulement  comme  un  serviteur 
très-obéissant,  mais  encore  comme  un  compa- 
gnon très-fidèle. 

Ainsi  je  vous  exhorte ,  mes  frères ,  par  les  pa- 
roles d'un  saint  apôtre*,  que  vous  vous  dépouil- 
liez de  l'homme  animal.  Défaites-vous  de  l'homme 
terrestre,  qui  n'a  que  des  désirs  corrompus^  : 
déclarez-vous,  par  une  juste  sentence,  venus  du 
ciel,  et  faits  pour  le  ciel  en  rejetant  les  affections 
corporelles  qui  vous  tiennent  attachés  à  la  terre. 
■■  Retire«-vous,  retirez- vous  ;  soyez  purs ,  ne  tou- 
"  chez  point  aux  dioses  immondes,  et  je  vous  re- 
•»  cevrai,  dit  le  Seigneur  ^.  »  Mais  c'est  à  vous ,  ô 
vierges  sacrées ,  chastes  épouses  du  Sauveur  des 

*  -De  CMU  Dei,  lib.  xxn,  cap.  i ,  t.  vu ,  col.  656. 
'  Ep.  IV,  22. 

'  1.  Cor.  ïv,4» 

*  n.  Cor.  TI,  17. 


âmes ,  c'est  à  vous  que  cette  séparation  salutaire 
est  particulièrement  commandée  :  car  s'il  est  vrai 
que  la  pureté  n'est  autre  chose  qu'un  détache- 
ment, comme  nous  l'avons  très-bien  établi ,  con- 
sidérez sérieusement  en  vous-mêmes  combien 
vous  devez  être  détachées,  puisque  la  profession 
que  vous  faites  de  la  sainte  virginité  vous  oblige 
à  la  pureté  la  plus  éminente. 

L'Ange  de  l'école  m'apprend  une  belle  et  solide 
doctrine,  qui  confirme  bien  cette  vérité.  Nous 
voyons  que ,  parmi  les  vertus  morales ,  il  y  en  a , 
si  je  le  puis  dire ,  de  moins  vigoureuses  ,  qui  se 
contiennent  en  certaines  bornes  :  mais  il  y  a  des 
vertus  généreuses,  qui  ne  sont  jamais  satisfaites, 
jusqu'à  ce  qu'elles  soient  parvenues  à  ce  qu'il  y 
a  de  plus  relevé.  Par  exemple ,  le  courageux  est 
assuré  contre  les  périls  dans  les  entreprises  con- 
sidérables ;  mais  le  magnanime  va  plus  loin  en- 
core :  car  à  peine  peut-il  trouver  ni  des  entre- 
prises assez  hardies ,  ni  aucun  péril  assez  grand 
qui  mérite  d'exercer  toute  sa  vertu.  Le  libéral 
use  de  ses  biens ,  et  sait  les  employer  honorable- 
ment ,  selon  que  la  droite  raison  l'ordonne  ;  mais 
il  y  a  une  certaine  libéralité  plus  étendue  et  plus 
généreuse ,  qui  affecte ,  ce  semble ,  la  profusion  ; 
et  c'est  ce  que  nous  appelons  la  magnificence.  Le 
grand  saint  Thomas  nous  enseigne'  que  cette 
belle  et  admirable  vertu  que  la  philosophie  n'a 
jamais  connue ,  je  veux  dire  la  virginité  chré- 
tienne ,  est  à  l'égard  de  la  tempérance  ce  qu'est 
la  magnificence  à  l'égard  des  libéralités  ordi- 
naires. La  tempérance  modère  les  plaisirs  du 
corps,  la  virginité  les  méprise;  la  tempérance, 
en  les  goûtant,  se  met  au-dessus  à  la  vérité  ;  mais 
la  virginité,  plus  mâle  et  plus  forte,  ne  daigne 
pas  même  y  tourner  les  yeux  :  la  tempérance 
porte  ses  liens  d'un  courage  ferme;  la  virginité 
les  rompt  d'une  main  hardie  :  la  tempérance  se 
contente  de  la  liberté  ;  la  virginité  veut  l'empire 
et  la  souveraineté  absolue  :  ou  plutôt ,  la  tempé- 
rance gouverne  le  corps;  vous  diriez  que  la  vir- 
ginité s'en  sépare  ;  elle  s'élève  jusqu'au  ciel  pres- 
que entièrement  dégagée;  et  bien  qu'elle  soit 
dans  un  corps  mortel ,  elle  ne  laisse  pas  de  pren- 
dre sa  place  parmi  les  esprits  bienheureux ,  parce 
qu'elle  ne  se  nourrit,  non  plus  qu'eux,  que  de  dé- 
lices spirituelles.  De  là  vient  que  saint  Augustin 
parle  ainsi  des  vierges  :  Hubent  ali .uidjam  non 
camis  -in  came  *  :  «  Elles  ont ,  dit-il ,  en  la  chair 
«  quelque  chose  qui  n'est  point  de  la  chair,  quel* 
«  que  chose  qui  tient  de  l'ange  plutôt  que  de 
«  l'homme.  »  Et  c'est  encore  ce  qui  fait  dire  au 
grand  saint  Basile  ^ ,  que  la  virginité  n'est  pas 

'  2.  2.  Quast.  OJI ,  art.  3. 

*  D*  sancta  Firginit.  n'  12,  t.  VI,  Col.  346. 

s  Lîlt.  de  firginit.  n'  2,  t  m,  p.  &8». 


ftti) 


POUR  UNE  PROFESSION. 


dans  le  corps  ;  mais  qu'elle  établit  son  siège  dans 
l'âme. 

Mais  d'autant  que  cette  vérité  importante  doit 
servir  de  fondement  à  votre  conduite ,  il  faut  que 
je  vous  la  fasse  comprendre  par  une  raison  évi- 
dente. Et  certes  nous  ne  vous  prêchons  pas,  mes 
très-chères  sœurs ,  une  virginité  de  vestale;  nous 
ne  regardons  pas  la  virginité ,  comme  ferait  un 
médecin  ou  un  philosophe,  qui  s'arrêterait  sim- 
plement au  corps.  Nous  parlons  de  la  virginité 
chrétienne  et  religieuse;  et  il  est  clair  que  tout 
ce.qui  est  chrétien  doit  être  entendu  en  esprit , 
parce  que,  par  la  grâce  du  christianisme,  nous 
gommes  en  la  nouvelle  alliance ,  où  les  vrais  ado- 
rateurs adorent  le  Père  en  esprit  et  en  vérité'. 
En  effet,  nous  avons  fait  voir  que  la  sainte  vir- 
ginité est  un  détachement  général  de  toutes  les 
affections  corporelles,  autant  que  la  faiblesse 
humaine  le  peut  souffrir  ;  parce  que  c'est  une  pu- 
reté éminente ,  qui  se  retire,  qui  se  sépare,  qui, 
selon  le  précepte  du  saint  apôtre ,  ne  regarde  que 
l'unité,  Uni  viro,  et  exclut  toute  multitude.  Or, 
ce  détachement  général ,  cette  généreuse  sépara- 
tion doit  être  nécessairement  un  effort  de  l'âme: 
car  une  action  si  divine  ne  peut  naître  que  d'une 
raison  très-bien  affermie;  et  par  conséquent  il 
est  clair  que  la  virginité  est  dans  l'âme.  Ce  n'est 
rien  de  garder  seulement  le  corps  ;  c'est  l'âme  que 
vous  devez  tenir  séparée ,  si  vous  désirez  la  con- 
server pure.  Si  quelque  bien  mortel  se  présente 
à  vous ,  s'il  vous  flatte ,  s'il  vous  attire ,  s'il  tâche 
de  gagner  votre  cœur;  retirez- vous,  ne  vous  mêlez 
pas;  votre  pureté  en  serait  ternie,  et  ensuite  votre 
virginité,  corrompue  :  car  la  vraie  virginité  est 
dans  l'âme ,  et  ce  n'est  autre  chose  qu'un  déta- 
chement, une  affection  épurée,  un  cœur  entiè- 
rement dégoûté  des  plaisirs  du  siècle. 

Mais,  mes  sœurs,  cette  belle  lumière  de  vir- 
ginité établit  tellement  son  siège  dans  l'âme, 
qu'elle  rejaillit  aussi  sur  le  corps ,  et  le  sanctifie. 
Et  de  quelle  sorte?  C'est,  dit  l'admirable  saint 
Basile,  que  cette  virginité  spirituelle  et  intérieure 
se  peint  elle-même  sur  le  corps  comme  le  soleil 
dans  une  nuée  ;  et  par  cette  chaste  peinture  elle 
consacre  cette  chair  mortelle.  De  là  vient  qu'elle 
se  doit  répandre  par  tout  le  corps ,  parce  qu'elle 
remplit  tout  le  cœur  :  et  c'est  ce  qui  fait  dire  au 
même  saint,  que  «  tous  les  sens  d'une  vierge 
«  doivent  être  vierges  :  »  Virgines  esse  sensus 
virginis  oportet^.  En  effet,  ne  voyez-vous  pas 
qu'il  se  fait  comme  un  mariage  entre  les  objets 
et  les  sens?  Notre  vue ,  notre  ouïe ,  tous  nos  sens 
s'unissent, en  quelque  sorte,  avec  les  objets;  ils 
contractent  une  certaine  alliance  :  de  sorte  que, 

'  Joan.  rv,  23. 

»  Lib.  de  Fùginlt.  n"  7,  15,  20,  t.  III,  p.  595,  604,  607. 


si  les  objets  ne  sont  purs,  la  virginité  de  nos  sens 
se  gâte.  Les  exemples  feront  mieux  entendre  ce 
que  je  veux  dire.  Notre  vue  n'est  pas  vierge  si 
elle  ne  se  repaît  que  de  vanités  ;  les  discours  im- 
modestes et  les  inutiles  corrompent  la  virginité 
de  l'ouïe  ;  notre  bouche ,  pour  être  vierge ,  doit 
être  fermée  par  la  modestie  du  silence. 

Donc ,  ô  vierges  de  Jésus-Christ  !  gardez  soi- 
gneusement tous  vos  sens ,  si  vous  désirez  être 
vraiment  vierges.  Songez  que  ce  vieil  homme  qui 
est  en  nous ,  avec  lequel  nous  devons  combattre 
durant  tout  le  cours  de  la  vie,  ne  cesse  de  faire 
effort  pour  supplanter  l'homme  nouveau  :  cette 
convoitise  indocile  et  impatiente,  quoiqu'on  tâche 
de  la  retenir  par  la  discipline,  elle  frappe,  elle 
s'avance  de  toutes  parts,  comme  un  prisonnier 
inquiet  qui  tâche  de  sortir  ;  elle  se  présente  par 
tous  les  sens ,  pour  se  jeter  sur  les  objets  qui  lui 
plaisent.  Elle  fait  la  modeste  au  commencement, 
il  semble  qu'elle  se  contente  de  peu,  ce  n'est  qu'un 
désir  imparfait,  ce  n'est  qu'une  curiosité,  ce 
n'est  presque  rien  :  mais  si  vous  satisfaites  ce 
premier  désir,  bientôt  vous  verrez  qu'il  en  atti- 
rera beaucoup  d'autres  ;  et  enfin  toute  l'âme  sera 
ébranlée.  Comme  si  vous  jetez  une  pierre  dans  un 
étang,  vous  ne  touchez  qu'une  partie  de  ses 
eaux;  mais  celle-là,  en  poussant  les  autres,  les 
agite  en  rond ,  et  enfin  toute  l'eau  en  est  remuée. 
Ainsi  les  passions  de  notre  âme  s'excitent  peu  à 
peu  les  unes  les  autres  par  un  mouvement  en- 
chaîné. Si  donc  vous  êtes  détachée  du  monde, 
craignez  d'y  rengager  vos  affections  :  si  vous  êtes 
unie  à  un  seul  époux ,  craignez  de  partager  votre 
cœur;  démêlez-vous  de  !a  multitude,  puisque 
vous  êtes  vouée  à  un  seul.  Préparez  au  Fils  de 
Dieu  un  cœur  net ,  par  un  détachement  général , 
et  il  le  remplira  de  lui-même ,  par  ses  chastes  em- 
brasseraents  :  c'est  par  où  je  m'en  vais  conclure 
en  peu  de  paroles. 

SECOND    POINT. 

Il  n'est  rien  de  plus  assuré  que  Jésus  ne  s'unit 
jamais  aux  âmes  qui  sont  remplies  de  l'amour  du 
monde,  et  qui  sont  captives  des  plaisirs  des  sens. 
Je  vois  dans  la  Genèse  que  nos  premiers  pères 
se  présentaient  au  commencement  devant  Dieu , 
avec  une  sainte  familiarité  :  mais  sitôt  qu'ils 
eurent  suivi  les  dangereuses  persuasions  du  ser- 
pent trompeur,  aussitôt  ils  fuient,  nous  dit  l'E- 
criture ' ,  et  se  cachent  devant  la  face  de  Dieu. 
Ce  serpent ,  si  nous  l'entendons,  c'est  l'amour  des 
plaisirs  du  monde,  qui  rampe  perpétuellement 
sur  la  terre ,  et  qui  se  glisse  insensiblement  dans 
nos  cœurs  par  un  mouvement  tortueux   pour  les 

ï  Cènes,  ru ,  8. 


POUR  UNE  PROFESSION. 


300 


empoisonner  d'un  venin  mortel.  Et  c'est  sans 
doute  pour  cette  raison  qu'Eve  confesse  tout  sim- 
plement, que  ce  rusé  serpent  l'a  déçue;  ce  qui 
convient  merveilleusement  à  l'amour  du  monde. 
Car  demandez  aux  insensés  amateurs  du  siècle , 
si  leurs  folles  et  téméraires  amours  leur  ont  juniais 
donne  la  félicite  qu'elles  leur  avaient  tant  de  fois 
promise?  Sans  doute,  s'ils  ne  veulent  trahir  les 
secrets  reproches  de  leurs  consciences,  ils  vous 
répondront  franchement  que  ce  serpent  les  a  tou- 
jours abusés  ;  Serpens  dicepit  me  '  :  d'où  je  con- 
clus que  l'amour  du  monde  est  semblable  au  ser- 
pent artificieux,  qui  trompa  dans  le  paradis  la 
trop  grande  crédulité  de  nos  premiers  pères.  Et 
comme,  après  l'avoir  entendu,  ils  sont  contraints 
de  fuir  devant  Dieu ,  vous  devez  apprendre ,  fi- 
dèles ,  que  Dieu  ne  fera  pas  sa  demeure  en  v'ous , 
jusqu'à  ce  que  vous  vous  dépouilliez  de  l'amour 
du  monde. 

D'où  passant  plus  outre,  je  dis  que  ce  qui  attire 
plus  fortement  Jésus  en  nos  âmes,  c'est  la  pureté 
virginale.  Car  si  les  âmes  les  plus  détachées  des 
choses  mortelles  sont  les  plus  dignes  des  embras- 
semeuts  de  la  chaste  et  immortelle  beauté ,  qui  ne 
se  montre  qu'aux  esprits  purs  ;  si  d'ailleurs  la  >ir- 
ginité  chrétienne ,  comme  nous  l'avons  déjà  dit , 
est  tellement  dégoûtée  des  plaisirs  du  siècle, 
qu'il  n'y  a  aucune  des  joies  mondaines  qui  n'of- 
fense sa  pudeur  et  sa  modestie  :  n'est-il  pas  plus 
clair  que  le  jour ,  que  c'est  à  la  pureté  virginale 
qu'appartient  la  bienheureuse  union  de  l'Epoux 
infiniment  désirable? 

En  effet ,  quelle  éloquence  pourrait  exprimer 
quel  est  l'amour  du  sauveur  Jésus  pour  la  sainte 
virginité?  C'est  lui  qui  a  été  engendré  dans  l'é- 
ternité par  une  génération  virginale  :  c'est  lui 
qui,  naissant  dans  le  temps,  ne  veut  point  de  mère 
qui  ne  soit  vierge  :  c'est  lui  qui .  célébrant  la  der- 
nière pâque,  met  sursapoitrineun  disciple  vierge, 
et  l'enivre  de  plaisirs  célestes  :  c'est  lui  qui, 
mourant  à  la  croix ,  n'honore  de  ses  derniers  dis- 
cours que  les  vierges  :  c'est  lui  qui,  régnant  en 
sa  gloire,  veut  avoir  les  vierges  en  sa  compagnie. 
«  Ce  sont  les  vierges,  dit  saint  Jean  dans  l'Apo- 
«  calypse%  qui  suivent  l'Agneau  partout  ou  il 
[  •  va ,  »  accompagnant  ses  pas  de  pieux  cantiques. 
Jésus  n'a  point  de  temples  plus  beaux  que  ceux 
que  la  virginité  lui  consacre,  c'est  là  qu'il  se  plait 
a  se  reposer.  Il  y  avait  dans  le  tabernacle ,  dont 
Dieu  prescrivit  la  forme  à  Moïse ,  un  lieu  dont 
l'accès  était  libre  au  peuple ,  un  aiitre  où  les  sa- 
crificateurs exerçaient  les  fonctions  de  leur  sa- 
cerdoce :  mais  il  y  avait  outre  cela  ^  chrétiens ,  la 

'  Oen.  13. 

'  jjpoc.  XIT,  4. 

Bosscrr.  —  to«e  m. 


partie  secrète  et  inaccessible,  que  Ton  appelait  Je 
sanctuaire  et  le  Saint  des  saints.  L'entrée  de  ce 
lieu  était  interdite,  nul  n'en  approchait  que  le 
grand  pontife  ;  et  c'était  là  que  Dieu  reposait  as- 
sis sur  les  chérubins ,  selon  la  phrase  des  Lettres 
sacrées.  C'est  la  sainte  virginité  qui  nous  est  re- 
présentée par  cette  figure  :  c'est  elle  qui  se  dé- 
mêle de  la  multitude  des  objets  sensibles  qni 
nous  environnent ,  et  ne  donne  d'accès  qu'au  seul 
grand  pontife.  Voulez-vous  entendre  comment? 
écoutez  le  divin  apôti-e  :  -  Celles,  liit-il,  qu'  sont 
■«  mariées,  sont  contraintes  de  s'occuper  dans  les 
«  soins  du  monde  :  »  Sollicita  est  quœ  sunt  mvn- 
di  '.  Voyez  que  la  multitude  y  aborde  :  mais  la 
sainte  virginité,  que  fait-elle?  Ah  !  vous  dit  l'apôtre 
saint  Paul,  elle  songe  à  plaire  à  Dieu  seul  :  Quo- 
modo  placeal  Deo  *.  C'est  là  que  la  multitude  est 
exclue ,  c'est  là  qu'on  ne  vaque  qu'à  l'unique  né- 
cessaire ,  c'est  là  que  l'on  n'a  d'époux  que  Jésus 
tout  seul  :  de  sorte  qu'on  n'ouvre  la  porte  qu'au 
seul  grand  pontife ,  c'est-à-dire ,  si  nous  l'enten- 
dons >  à  l'amour  de  Dieu,  qui  est  la  seule  des 
affections  de  nos  cœurs  qui  est  capable  de  les 
consacrer,  et  quia  droit  d'offrir  devant  Dieu  des 
victimes  spirituelles ,  agréables  par  Jésus-Christ, 
comme  parle  l'apôtre  saint  Pierre^.  Aussi  est-ce 
là  le  lieu  du  repos  :  c'est  là  que  Jésus  se  plait 
d'habiter,  parce  que  rien  n'y  entre  que  son  saint 
amour,  parce  qu'il  aime  d'autant  plus  à  remplir 
les  âmes ,  qu'il  les  trouve  plus  vides  de  l'amour 
du  monde. 

Mais,  mes  sœurs,  voulez-vous  entendre  les 
ravissements  des  vierges  sacrées  dans  les  chastes 
embrassements  du  Seigneur  Jésus?  Écoutez  par- 
ler la  pudique  épouse,  dès  le  commencement  du 
divin  cantique  :  Osculetur  me  osculo  oris  sui^  : 
"  Qu'il  me  baise  du  baiser  de  sa  bouche.  »  O 
amour  impétueux  de  l'épouse  !  «  Elle  ne  demande 
«  ni  l'héritage,  ni  la  récompense  :  elle  ne  demande 
«  pas  même  la  doctrine ,  nous  dit  le  dévot  saint 
«  Bernard  '  ;  elle  ne  demande  que  le  baiser  du 
«  divin  Jésus,  à  la  façon  d'une  chaste  amante  qui 
'  respire  un  amour  sacré ,  et  qui  ne  veut  pas  dis- 
«  simuler  l'ardeur  qui  la  presse.  «  Ah  !  ne  soup 
çonnons  rien  ici  de  mortel  ;  tout  est  divin  et  spi 
rituel.  Elle  court  après  le  sauveur  Jésus  ;  elle  veut 
aller  recueillir  toutes  ses  paroles,  et  alors  elle 
croira  baiser  sa  di\-ine  bouche.  Elle  veut  l'embras- 
ser par  la  charité ,  et  elle  croit  que  cet  embrasse- 
ment  la  rendra  heureuse;  c'est  pourquoi  elle  le 
demande  avec  tant  d'ardeur.  Mais  quel  autre  peut 


'  I.  Cw.  Tn,33. 
»  Ibid.  32. 

*  l.  Pe/r.  11,5. 

*  Cant.  I,  I. 

»  /»  Cant.  Strm.  TU,  s*  2, 1. 1,  coL  IttO. 

24 


370 


POUR  UNE  PROFESSION. 


demander,  à  plus  juste  titre,  les  saints  embras- 
sements  de  l'Époux  des  vierges  que  la  pureté  vir- 
jîinale?  C'est  à  elle  qu'il  appartient  d'embrasser 
Jésus ,  parce  qu'elle  n'a  point  d'autre  époux  que 
lui  ;  et  c'est  ce  qui  fait  dire  à  l'apôtre ,  que  ce  sont 
les  vierges  chastes  et  pudiques  qu'il  destine  à 
l'unique  Époux ,  qui  est  le  Sauveur,  Uni  viro. 

Quelle  doit  être  votre  joie,  ô  vierges  sacrées, 
dans  cette  mystérieuse  union  1  C'est  là ,  dit  le 
pieux  saint  Bcinard  ' ,  que  les  amertumes  conten- 
tent ,  parce  que  la  charité  les  change  en  douceur. 
Le  monde  ne  comprend  pas  ces  délices  ;  la  sainte 
pureté  les  entend,  parce  quelle  les  goûte  dans  la 
source  même.  Expliquez-les-nous  ,  ô  disciple 
vierge  :  disciple  bien-aimé  du  Sauveur,  dites- 
aous  les  chastes  délices  des  vierges  en  la  compa- 
gnie de  l'Agneau.  Écoutez  comme  il  parle  dans 
l'Apocalypse  :  '<  J'ai  entendu ,  dit-il  '^ ,  une  voix 
«  du  ciel ,  comme  le  bruit  de  plusieurs  eaux,  et 
«  comme  le  bruit  d'un  grand  tonnerre ,  et  comme 
«  le  bruit  d'instruments  de  musique  :  et  ils  chan- 
«  talent  un  nouveau  cantique  devant  le  trône, 
«  et  nul  autre  qu'eux  ne  pouvait  l'apprendre.  » 
Quel  est  donc  ce  nouveau  cantique ,  qui  se 
chante  avec  tant  de  bruit,  qu'il  est  semblable  à 
un  grand  tonnerre ,  et  avec  une  si  juste  harmonie , 
qu'on  le  compare  à  une  musique?  Cantique  écla- 
tant qui  éclate  ainsi  qu'un  tonnerre ,  qui  est  si 
secret  néanmoins  et  si  rare ,  que  personne  ne  l'en- 
tend ni  ne  le  sait  que  ceux  qui  le  chantent.  Qui 
nous  développera  ces  mystères?  Ce  sera  le  disci- 
ple bien-aimé  lui-même.  «  Ce  sont  ceux-ci,  dit-il  ^, 
«  qui  sont  vierges ,  et  ils  suivent  l'Agneau  partout 
n  où  il  va.  «  Si  les  vierges  suivent  l'Agneau ,  je  ne 
m'étonne  plus  de  leur  chant ,  parce  que  je  vois  le 
principe  de  leur  joie.  C'est  aux  vierges  qu'ap- 
partient le  nouveau  cantique ,  puisque  la  virgi- 
nité est  une  vertu  qui  est  propre  à  la  nouvelle 
alliance  :  aucun  n'apprend  ce  cantique  que  ceux 
qui  le  chantent,  parce  que  c'est  de  la  virginité  que 
le  Sauveur  dit  :  «  Tout  le  monde  n'entend  pas 
«  cette  parole;  mais  ceux  à  qui  appartient  ce 
«  don  ''.  »  Au  reste ,  si  le  cantique  des  vierges 
éclate  avec  bruit,  c'est  qu'il  vient  d'une  joie  abon- 
dante ;  s'il  résonne  avec  justesse ,  c'est  qu'il  naît 
d'une  joie  r^lée ,  qui  n'a  rien  du  débordement 
ni  de  la  dissolution  de  la  joie  mondaine. 

Courage  donc ,  mes  très-chères  sœurs ,  joignez- 
vous  à  cette  troupe  innocente ,  apprenez  ce  nou- 
veau cantique.  Voyez  cette  sainte  compagnie  qui 
vous  tend  les  bras  :  Venez ,  disent-elles ,  venez 
avec  nous,  pour  chanter  les  louanges  de  l'Agneau 


«  De  div.  Servi,  xov,  n"  2,  t.  i,  col.  1217. 

*  JpcC.  XIV,  2 ,  3. 
»  Jlid.  ^. 

♦  aiatth  XIX,  11. 


sans  tache ,  qui  a  purgé  par  son  sang  les  péchés 
du  monde  :  là  les  Agnès,  les  Agathes,  les  Céciles, 
les  Ursules ,  les  Luces ,  vous  montrent  déjà  la 
place  qui  vous  est  marquée,  si  vous  gardez  la  foi 
à  l'Époux  céleste,  auquel  l'apôtre  vous  a  promises. 
Ah  !  souvenez- vous ,  chères  sœurs ,  que  vous  êtes 
fiancées  à  ce  seul  Époux ,  et  ainsi  que  vous  de- 
vez être  généreusement  séparées.  Si  vous  voulez 
lui  être  saintement  unies ,  réglez  les  passions  de 
votre  âme ,  et  apprenez  de  saint  Augustin ,  «  qu'il 
«  vous  est  plus  aisé  de  les  modérer,  qu'aux  ama- 
«  teurs  du  monde  de  les  contenter  :  »  Facilius 
resecantur  in  eis  qui  Deum  diligunt  cupidila- 
ies  istœ,  guam  in  eis  qui  munduin  diligunt  ali- 
quando  satiantur'.  Conservez  votre  ouïe;  c'est 
par  là  qu'Eve  a  été  séduite  :  gardez  soigneuse- 
ment votre  vue  ;  car  ce  n'est  pas  en  vain  qu'on 
vous  donne  un  voile ,  comme  un  rempart  de  votre 
pudeur,  dit  le  grave  TertuUien,  qui  retient  vos 
yeux  et  exclut  ceux  des  auti'es  :  Valhun  vere- 
cundiœ,  quod  nec  iuos  eraittat  oculos  ^  nec  ad- 
mittat  aliénas  ^  Que  votre  âme  ne  s'épanche  pas 
en  des  discours  inconsidérés,  parce  que  si  vous 
ne  demeurez  unies  en  vous-mêmes,  vos  forces 
aussitôt  seront  dissipées.  Ne  dédaignez  pas  les  pe- 
tits désordres,  parce  que  c'est  par  là  que  les 
grands  commencent  :  craignez  où  il  n'y  a  rien  à 
appréhender ,  et  vous  trouverez  la  sûreté  dans  le 
péril  même.  Vous  devez  croire  qu'il  est  bienséant 
à  des  vierges  d'être  timides,  puisque  vous  voyez 
la  très-sainte  Vierge  être  même  troublée  à  l'aspect 
d'un  ange  ^  :  et  ce  qui  doit  vous  obliger  à  crain- 
dre toujours ,  c'est  que  l'Epoux ,  que  vous  donne 
le  saint  apôtre ,  n'a  pas  moins  de  jalousie  que 
d'amour  pour  vous. 

Voulez-vous  voir  qu'il  a  de  l'amour.^  écoutez 
le  divin  Psalmiste  :  «  Le  roi ,  dit-il ,  désirera  votre 
«  beauté^.»  Voulez-vous  voir  qu'il  a  de  la  jalousie? 
«  Je  suis  jaloux  devons,  dit  l'apôtre,  de  lajalou- 
«  sic  de  Dieu.  «Voyez  que  cet  excellent  maître  des 
Gentils,  vous  montrant  l'amour  de  Jésus,  pour 
exciter  votre  confiance,  vous  parle  en  même 
temps  de  sa  jalousie ,  pour  vous  retenir  toujours 
dans  la  crainte.  De  là  vient  qu'en  lisant  le  sacré 
cantique  ,  nous  remarquons  deu.x  regards  du  di- 
vin Époux  :  il  y  a  un  regard  qui  admire ,  et  c'est 
le  regard  de  l'amant  ;  il  y  a  un  regard  qui  ob- 
serve, et  c'est  celui  de  la  jalousie.  Que  vous  êtes 
belle ,  ô  fille  du  prince ,  dit  l'Époux  à  la  chaste 
épouse  ^  !  Cette  ardente  exclamation  ne  vient- 
elle  pas  d'un  regard  qui  admire?  c'est  ce  que 


Ad  Boni/.  Ep.  ccxx,  n"  6,  t.  il ,  col.  813. 
De  Firg,  veland.  n"  16, 
Luc.  I,  29. 
Ps.  XLIV,  12. 
Cant.  vu,  I,«. 


POUR  UNE  PROFESSION. 


371 


j'appelle  le  regard  de  l'amant.  Voulez-vous  voir 
le  regard  du  jaloux?  «  Mon  bien-aimé  est  venu  , 
«  dit  l'épouse,  regardant  par  les  fenêtres,  guet- 
«  tant  par  les  treillis'.  »  Ne  voyez-vous  pas  le 
regard  qui  observe?  c'est  le  regard  de  la  ja- 
lousie. Aimez  le  regard  de  l'amant;  craignez  le 
regard  de  la  jalousie ,  qui  vous  veille  et  qui  vous 
observe. 

Chères  sœurs,  votre  bien-aimé  est  jaloux  de 
la  jalousie  la  plus  délicate  :  s'il  voit  que  votre 
cœur  se  partage ,  il  se  pique  et  il  se  retire  ;  il 
vous  veut  posséder  tout  seul.  C'est  pourquoi, 
en  le  choisissant  pour  époux  ,  vous  vous  êtes  en- 
tièrement dépouillées  :  vous  avez  joint  à  la  sainte 
virginité  une  pauvreté  désintéressée ,  qui  ne 
laisse  rien  sur  la  terre  que  vous  puissiez  juste- 
ment estimer  à  vous.  Vous  abandonnez  même 
votre  volonté;  et  quittant  ce  qui  est  le  plus  en 
votre  pouvoir,  ne  déclarez-vous  pas  devant  Dieu , 
que  vous  ne  vous  retenez  aucun  bien  au  monde? 
Vous  confirmez,  par  la  religion  de  vos  vœux  , 
ces  généreuses  résolutions  ;  et  ces  vœux ,  ne  sont- 
ce  pas  des  contrats  sacrés ,  par  lesquels  vous  cé- 
dez à  Dieu,  et  lui  transportez  en  fonds  tout  ce  que 
vous  êtes?  Votre  profession  est  un  sacrifice  ;  et  les 
vœux  que  vous  prononcez  sont  un  glaive  spii-ituel, 
qui  vous  immole  au  Sauveur  des  âmes. 

Vivez  donc ,  mes  très-chères  sœurs ,  comme 
des  victimes  volontairement  consacrées  :  humi- 
liez-vous sous  la  main  de  Dieu,  et  ne  souffrez 
pas  que  l'orgueil  prostitue  votre  virginité  à  Sa- 
tan, qui  est  le  prince  des  esprits  superbes.  Ah! 
sans  doute  vous  n'ignorez  pas  jusqu'à  quel  point 
l'orgueil  est  à  craindre,  et  que  c'est  le  plus  dan- 
gereux de  nos  ennemis.  C'est  celui  qui  lâche  le 
dernier  prise ,  et  qui  sait  même  profiter  de  la  dé- 
route de  tous  les  autres.  Que  dis-je,  de  la  dé- 
route de  tous  les  autres?  il  profite  de  sa  propre 
défaite.  C'est  le  seul  de  nos  ennemis  de  la  défaite 
duquel  il  est  dangereux  de  se  réjouir,  parce  qu'en 
se  réjouissant  de  l'avoir  vaincu,  on  le  rétablit 
dans  ses  droits,  et  souvent  même  on  lui  aug- 
mente ses  forces.  Lorsque  nous  pensons  quelque- 
fois avoir  si  bien  réglé  notre  vie ,  que  nous  avons 
surmonté  jusqu'à  l'orgueil  même ,  c'est  là ,  dit 
saint  Augustin  ,  qu'il  lève  la  tête  :  «  Et  de  quoi 
«  triomphes-tu,  nous  dit-il?  je  vis  encore,  et 
•<  c'est  ton  triomphe  qui  me  donne  la  vie  :  » 
Ecce  ego  vivo,  quid  triumphas?  et  ideo  vivo, 
quia  triumphas  '  ;  ou  plutôt  ton  triomphe ,  c'est 
moi-même. 

Munissez-vous,  mes  sœurs,  contre  ce  poison 
qui  a  gâté  les  plus  grandes  âmes,  et  ruiné  les 
vertus  les  plus  éminentes.  Étudiez  la  science  de 

»  Canl.  Il,  9. 

«  Dt  ^'^tt.  et  Grit  «'  35 ,  t.  X  ,  col.  US. 


l'humilité,  qui  est  la  vraie  science  des  enfants 
de  Dieu.  C'est  elle  qui  vous  ouvrira  les  secrets, 
célestes  ;  c'est  par  elle  que  les  grandeurs  de  Jé- 
sus vous  sont  accessibles;  c'est  elle  qui  mérite 
d'obtenir  de  Dieu  ce  qu'elle  ne  peut  jamais  ex- 
primer assez  :  c'est  elle  qui  vous  bâtira  sur  la 
terre  un  édifice  spirituel ,  dont  le  faîte  s'élèvera 
jusqu'aux  cieux  ;  où  les  vierges  saintement  sou- 
mises, étant  associées  avec  les  saints  anges,  chan- 
teront avec  eux  aux  siècles  des  siècles,  devant  le 
trône  de  l'Agneau  sans  tache,  la  gloire  éternelle 
et  indivisible  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit. 
Amen. 


SERMON 

POUR  UNE  PROFESSION. 

Quel  pst  le  inonde  auquel  il  nous  faut  renoncer.  Combien 
ce  renoncement  doit  être  étendu  dans  une  religieuse.  Avec 
quel  soin  elle  doit  persévérer  dans  la  guerre  qu'elle  déclare 
au  monde,  et  éviter  les  moindres  relâchements.  Obiigatioo 
que  sa  vocation  lui  impose,  d'avancer  toujours ,  et  de  tendre 
sans  cesse  à  la  perfection. 


.Si  quis  vult post  me  venire,  abneget  seinetipsum ,  et 
tollat  crucem  suam  quotidie ,  et  sequatur  me. 

Si  quelqu'un  veut  venir  après  moi ,  qu'il  renonce  à  soi- 
même  ,  qu'il  porte  sa  croix  tous  les  jours ,  et  qu'il  ma 
suive.  Luc.  IX,  23. 

Vous  avez  désiré,  ma  très-chère  sœur,  d'en- 
tendre de  moi ,  en  ce  jour ,  une  exhortation  chré- 
tienne ,  espérant  peut-être  que  ce  grand  prédica- 
teur des  cœurs  donnerait  par  sa  vertu  quelque 
prix  à  mes  pensées ,  parce  qu'il  les  verrait  naître 
d'une  charité  fraternelle.  Il  faut,  s'il  se  peut ,  sa- 
tisfaire ce  pieux  désir  ;  et  pour  faire  de  mon  côté 
ce  qui  sera  nécessaire ,  je  tirerai  des  paroles  de 
notre  Sauveur,  que  je  vous  ai  récitées,  trois  ins- 
tructions importantes  qui  vous  pourront  servir, 
avec  la  grâce  de  Dieu ,  pour  tout  le  reste  de  votre 
vie.  Seulement  je  vous  conjure  de  joindre  vos 
prières  aux  miennes ,  afin  qu'il  plaise  à  cet  Esprit 
qui  souffle  où  il  veut  ' ,  de  répandre  sur  mes  lè- 
vres ces  deux  beaux  ornements  de  l'éloquence 
chrétienne  ;  je  veux  dire  la  simplicité  et  la  vérité. 
Après  quoi ,  pour  une  plus  claire  intelligence  de 
cet  entretien ,  je  vais  tâcher  de  vous  expliquer 
l'intention  de  notre  bon  Maître  dans  le  lieu  que 
je  viens  d'alléguer. 

Comme  un  sage  capitaine ,  se  préparant  à  une 
expédition  difficile ,  déclare  à  ceux  qui  viennent 
servir  sous  ses  ordres,  à  quelles  conditions  il  les 
reçoit  dans  ses  troupes  :  de  même  le  sauveur  ii> 
sus  étant  descendu  du  ciel  pour  faire  la  guerre  à 


■  I.  Joan.  III,  8. 


24. 


372 


POUR  tJi>JE  PROFESSION. 


Satan ,  pour  inviter  tous  les  hommes  à  cette  en- 
treprise ,  il  propose  en  peu  de  mots  les  qualités  né- 
cessaires pour  pouvoir  être  rangés  sous  ses  éten- 
dards. «  Quiconque,  dit-il,  désire  venir  après  moi, 
«  c'est-à-dire,  quiconque  me  veut  reconnaître 
«^  pour  son  capitaine,  il  faut,  poui-suit-il ,  qu'il 
'<  renonce  à  soi-même;  »  Abneget  sernetipsum  : 
«  puis ,  qu'il  prenne  une  généreuse  résolution  d(» 
«  porter  sa  croix  tous  les  jours ,  «  et  tollat  cru- 
cem  suam  quotidie;  «  et  qu'il  me  suive  enfin  par 
«  mille  embarras  de  périls ,  de  supplices  et  d'i- 
«  gnominiv:s ,  »  et  sequatur  me.  C'est  en  abrégé 
ce  qu'il  faut  quitter ,  et  ce  qu'il  faut  faire  à  sa 
suite  :  voilà  les  lois  et  les  ordonnances  de  cette 
milice.  C'est  pourquoi  je  me  suis  résolu  d'appli- 
quer à  l'état  que  vous  allez  embrasser  les  ordres 
généraux  de  Jésus-Christ  notre  chef,  et  de  vous 
faire  voir  dans  le  sens  littéral  de  mon  texte ,  se- 
lon le  dessein  que  j€  vous  ai  déjà  proposé;  pre- 
mièrement ,  jusqu'à  quel  point  votre  condition 
vous  oblige  de  renoncer  au  monde ,  en  second 
lieu ,  comment  il  vous  faut  persévérer  dans  cette 
sainte  résolution ,  et  enfin ,  comment ,  non  con- 
tente de  persévérer ,  vous  devez  toujours  croître , 
et  toujours  enchérir  par-dessus  les  actions  pas- 
sées. Ce  seront  les  trois  avertissements  que  com- 
prendra ce  discours ,  que  je  prie  Dieu  de  graver 
pour  jamais  au  fond  de  votre  âme. 

PBEMIEB   POINT. 

Lorsqu'on  vous  prêche  si  souvent ,  ma  très- 
chère  sœur,  qu'il  faut  renoncer,  il  est  nécessaire 
que  voi's  entendiez  que  ce  monde ,  auquel  il  faut 
renoncer,  réside  en  vous-même.  Le  disciple  bien- 
aimé  vous  le  montre  fort  à  propos ,  quand  il  dit  : 
]Solite  diligere  mundum,  neque  ea  quœ  in 
mundo  sunt  :  «  Gardez-vous  bien  d'aimer  le 
«  monde ,  ni  ce  qui  est  dans  le  monde  ;  »  d'au- 
tant ,  ajoute-t-il  peu  après ,  «  qu'il  n'y  a  dans  le 
»  monde  que  concupiscence  de  la  chair ,  et  con- 
.'  cupiscence  des  yeux,  et  superbe  de  vie  :  >•  Omne 
quod  est  in  mundo,  concupiscentia  carnis  est, 
et  concupiscentia  oculorum,  etsuperbia  vitœ  \ 
Cet  orgueil  et  cette  double  concupiscence,  que 
peut-ce  être  autre  chose  que  le  trouble  de  nos 
passions?  Et  ce  trouble,  n'est-ce  pas  le  fruit  mau- 
dit de  l'amour  aveugle  que  nous  avons  pour  nous- 
mêmes?  Par  conséquent,  ce  monde  qu'il  nous 
faut  quitter,  c'est  nous-mêmes  :  Abneget  sernet- 
ipsum. 

Que  si  vous  me  demandez  d'où  nous  vient 
cette  dure  nécessité ,  que  notre  adversaire  nous 
soit  si  proche ,  et  que  nous  soyons ,  pour  ainsi 
dire ,  si  fort  amis  de  notre  ennemi ,  qu'il  vous  sou- 

-*  I.  Jmn.  11,  \i>. 


vienne  de  ce  bienheureux  état  d'innocence,  ou  la 
partie  supérieure  conduisait  si  paisiblement  les 
mouvements  inférieurs,  où  le  corps  se  trouvait  si 
bien  du  gouvernement  de  l'esprit;  parce  que 
l'homme  tout  entier  conspirait  à  la  même  fin.  En 
ce  temps-là,  on  n'entendait  point  parler  de  ces 
fâcheux  termes  de  renoncer  à  soi-même.  Mais  la 
vanité,  fille  et  mère  du  désordre ,  pervertit  bien- 
tôt cette  douce  disposition ,  et  ayant  fait  révolter 
l'esprit  contre  Dieu ,  souleva  par  un  même  coup 
la  chair  contre  la  raison.  La  désobéissance  est 
vengée  par  la  désobéissance  :  l'homme ,  ainsi  que 
l'enseigne  saint  Paul  ' ,  veut  en  même  temps  ce 
qu'il  ne  veut  pas ,  et  sentant  en  soi  deux  volontés 
discordantes ,  il  ne  saurait  plus  reconnaître  la- 
quelle est  la  sienne  :  si  bien  que,  dans  cette  in- 
certitude et  cette  impuissance ,  il  faut  nécessaire- 
ment qu'il  se  perde  pour  se  sauver  ^  On  ne  lui 
dit  plus,  comme  auparavant,  qu'il  commande  à 
toutes  les  créatures  ^;  mais  on  l'avertit  de  se  dé- 
fier de  toutes  les  créatures.  Pour  le  punir  d'avoir 
voulu  se  satisfaire  contre  la  loi  de  son  Dieu ,  il  est 
ordonné  à  jamais  qu'il  renoncera  à  ses  propres  in- 
clinations ,  s'il  se  veut  bien  remettre  en  ses  bonnes 
grâces.  Et  lui  qui  croyait  se  pouvoir  faire  plus  de 
bien  qu'il  n'en  avait  reçu  de  la  main  de  son  Créa- 
teur, sera  condamné,  par  une  juste  vengeance, 
à  être  lui-même  son  plus  cruel  et  irréconciUable 
ennemi. 

C'est  pourquoi  je  vous  en  conjure ,  ma  très- 
chère  sœur ,  par  ce  Dieu  que  vous  servez  ;  après 
avoir  compris  combien  il  est  nécessaire  de  quit- 
ter le  monde ,  considérez  attentivement  la  hau- 
teur de  cette  entreprise.  Le  monde  qu'il  faut  mé- 
priser, ce  n'est  ni  le  ciel ,  ni  la  terre  ;  ce  ne  sont 
ni  les  compagnies ,  ni  cette  vaine  pompe ,  ni  les 
folles  intrigues  des  hommes  :  certes,  il  ne  serait 
pas  d'une  si  prodigieuse  difficulté  de  s'en  séparer. 
Mais  quand  il  s'agit  de  se  diviser  de  soi-même , 
de  quitter,  dit  saint  Grégoire  ^,  non  ce  que  nous 
possédons,  mais  ce  que  nous  sommes ,  où  trouve- 
rons-nous une  main  assez  industrieuse  ou  assez 
puissante ,  pour  délier  ou  pour  rompre  un  nœud 
si  étroit?  Quelles  chaînes  assez  fortes  pourront  ja- 
mais contraindre  cet  homme  animal ,  qui  règne 
en  nos  membres,  à  subir  le  joug  de  l'homme  spi- 
rituel ?  Sans  doute  il  retournera  toujours  à  ses  in- 
clinations corrompues.  Comme  une  personne  que 
l'on  attache  contre  son  gré  à  quelque  sorte  d'em- 
ploi ,  dans  le  temps  que  vous  l'y  croyez  la  plus 
occupée ,  s'entretient  souvent  dans  des  concep- 


'  limii.  VII,  19. 
»  LiK.  IX,  24. 
3  Gènes,  i ,  28. 

*  In  Evang.  lib.  Il,  Hom.  xxxii,  n»  i,  et  seqq.,  l.  i,  ooï. 
1586  et  seqq. 


POUR  UNE  PROFESSION. 


8TJ 


fions  creuses  et  extravagantes  :  de  même  ce  vieil 
Adam ,  quand  vous  lui  aurez  arraché  ce  qu'il  pour- 
suit avec  plus  d'ardeur,  quand  vous  aurez  tenté 
toutes  sortes  de  voies  pour  lui  faire  suivre  la  rai- 
son, il  n'y  aura  ni  erreur  ni  chimères  où  il  ne 
s'amuse  plutôt;  «  d'autant,  dit  saint  Paul,  qu'il 
«  est  incapable  de  goûter  ce  qui  est  de  Dieu  :  » 
Animalis  homo  non  percipit  ea  quœ  sunt  spi- 
ritus  Dei  '. 

Et  ne  vous  tenez  point  assurée  sur  votre  ver- 
tu ;  car  il  se  sert  contre  nous  de  la  vertu  même. 
Ceux  qu'il  n'a  pu  vaincre  par  un  combat  opiniâtre, 
souvent  il  les  renverse  par  l'honneur  de  la  vic- 
toire ;  et  lorsqu'ils  s'imaginent  être  devenus  ex- 
trêmement humbles ,  il  les  rend  orgueilleux  par 
cette  humilité  prétendue.  Combien  en  voyons- 
nous  qui,  séduits  par  ces  artifices,  pensent,  en 
se  jetant  dans  un  cloître ,  quitter  les  vanités  pour 
la  mortification ,  et  ne  font ,  à  le  bien  prendre , 
que  quitter  des  vanités  pour  des  vanités  ;  en  cela 
d'autant  plus  criminels  et  plus  misérables],  qu'ils 
vont  porter  le  monde  jusqu'au  fond  de  la  solitude, 
qu'ils  se  vont  perdre  dans  le  lieu  où  les  autres 
cherchent  leur  refuge ,  et  qu'ils  joignent  nou- 
seulement  Jésus-Christ  avec  Bélial ,  mais  qu'ils 
sacrifient  à  Bélial  dans  le  temple  et  sur  les  autels 
de  Jésus-Christ  même. 

C'est ,  ma  très-chère  sœur,  ce  que  vous  avez 
particulièrement  à  méditer  en  ce  jour.  Si  vous 
envisagez  bien  l'action  que  vous  allez  faire ,  vous 
trouverez  que  toutes  ses  circonstances  vous  prê- 
chent le  mépris  du  monde.  Parcourons-les,  s'il 
vous  plaît,  ec  vous  découvrirez  clairement  ce  que 
je  TOUS  dis. 

Dites-moi,  y  a-t-il  rien  qui  rende  une  personne 
plus  vile  que  la  pauvreté  ?  Quand  vous  entendez 
(lire  de  quelqu'un  que  c'est  un  homme  de  néant , 
ne  jugez- vous  pas  incontinent  qu'on  parle  d'un 
pauvre?  D'où  vient  que  David ,  après  avoir  dé- 
peint les  diverses  calamités  des  pauvres,  conclut 
enfin  par  ces  paroles  qu'il  adresse  à  Dieu  :  Tibi 
derelictus  est  pauper  *  :  «  G  Seigneur,  on  vous 
"  abandonne  le  pauvre;  »  voulant  direquecbûcun 
court  avec  ambition  au  service  des  grands ,  et 
qu'il  n'y  aque  Dieu  seul  à  qui  les  pauvres  ne  soient 
point  à  charge.  Et  il  est  si  vrai ,  ce  que  dit  un 
poëte  ^ ,  que  la  pauvreté  rend  les  hommes  ridi- 
cules ,  que  ceux  qui  y  sont  réduits  ont  je  ne  sais 
quelle  honte  de  l'avouer,  et  quelquefois  le  devien- 
nent de  crainte  de  le  paraître.  Je  sais  bien  que 
celle  que  vous  professez ,  ù  i;  i  côté  vous  est  ho- 
norable ;  mais  elle  a  aussi  d ratre  part  quelque 
chose  de  beaucoup  plus  rude ,  en  ce  qu'elle  res- 

I  1.  Cor.  u,  14. 

»  P«.IX,36. 

*  jHvenalt  Sattjr.  ui. 


semble  à  la  pauvreté  des  esclaves ,  qui  non-seule- 
ment ne  possèdent  rien ,  mais  de  plus  sont  inca- 
pables de  rien  posséder.  Vous  perdez  toutes  sortes 
de  droits;  on  en  vient  jusque-là  que  de  ne  vous 
plus  compter  parmi  les  vivants  :  si  bien  que  vous 
pouvez  dire  avec  le  Psalmiste  :  «  Tous  mes  pro- 
«  ches  m'ont  abandonné ,  mais  le  Seigneur  a  eu  la 
"■  bonté  de  me  recevoir  •  ;  »  et  avec  Noîre-Sei- 
gneur  :  «  Mon  père  et  ma  mère ,  mes  frères  et  mes 
"  sœurs ,  ce  sont  ceux  qui  écoutent  et  observent 
«  la  parole  de  mon  Dieu  '.  » 

Quant  à  cette  fleur  sacrée  de  votre  vii^inité , 
que  vous  allez  présenter  pour  être  en  bonne  odeur 
au  Verbe  divin  votre  Époux  ;  ô  Dieu  !  qui  vous 
pourrait  assez  exprimer  combien  elle  vous  oblige 
de  vous  tenir  nette  de  toutes  les  affections  de  la 
terre?  Sachez  que  votre  virginité  vous  prépare 
un  lit  nuptial,  où  vous  posséderez,  dans  le  repos 
de  votre  âme,  Jésus,  l'amoureux  des  vierges; 
mais  qui  les  aime  avec  une  extrême  jalousie. 
C'est  pourquoi  son  zélé  disciple  prenant  part  aux 
affections  de  son  maître  :  «Je  suis  jaloux  de  vous, 
«  dit-il ,  de  la  jalousie  de  Dieu;  »  JEmulor  enirr, 
vos  Dei  œmulatione ;  parce  que,  ajoute-t-il ,  «  je 
«  vous  ai  fiancée ,  comme  une  vierge  chaste,  à  un 
n  seul  homme ,  qui  est  Jésus-Christ  :  »  Despondi 
vosuniviro,virginem  castam  exhibere  Christo^. 
Or,  pensez  quel  serait  le  sentiment  d'une  fille 
chaste  et  pudique,  si  on  lui  parlait  de  rompre, 
avant  son  mariage  -  cette  foi  qu'elle  conserve  uni- 
quement pour  son  cher  époux.  Telle  doit  être 
votre  pudeur,  je  ne  dis  pas  à  l'égard  des  voluptés, 
bestiales  ;  mais  je  dis  à  l'égard  des  moindres  sol- 
licitations de  ce  monde. 

Car  la  jalousie  de  Jésus  ne  regarde  pas  seule- 
ment les  hommes  ;  son  aroour  est  si  tendre,  qu'il 
s'offense  et  se  pique  si  vous  choisissez  la  moindre 
chose  hors  de  lui.  Toutes  ces  douces  contraintes 
où  vous  êtes  sont  autant  d'effets  de  sa  jalousie.  Y 
a-t-il  aucun  de  nos  sens  par  lequel  nous  touchions 
les  choses  plus  légèrement  queparceluidela  -ue? 
Et  toutefois  il  témoigne,  par  ce  voile  qu'il  vous 
impose ,  qu'il  ne  vous  permet  pas  cette  sorte  de 
jouissance.  Et  le  docte  TertuHien  dit  que  l'on  en 
couvTe  les  vierge»,  de  peur  qu'elles  ne  soient  souil- 
lées des  moindres  regards;  estimant  la  virginité 
une  chose  si  délicate,  qu'elle  peut  être  en  quel- 
que façon  violée  par  le«  yeux,  surtout  par  ces 
yeux  que  l'apôtre  appelle  si  élégamment  «  yeux 
'<  pleins  d'adultère  :  »  Oculos  adulteri  plenos  *. 
D'où  vient  que  ce  grand  homme,  selon  sa  gravité 
ordinaire,  nous  a  dépeint  de  la  sorte  ce  voile  des 

•    Ps.  XXTI,  10. 

»  Natth.  xn.fiO. 

3  II.  Cor.  XI,  2. 

«  II.  Petr.  U,  U.  4. 


374 


POUR  UNE  PROFESSION. 


\ierges  :  Indâe  annaturam pudoris ,  circumduc 
vallum  pudicitiœ ,  murum  scxul  tuo  strue  qui 
nec  tuos  emittat  oculos ,  nec  admittat  aliénas  '  ; 
«  Revétez-vous ,  leur  dit-il ,  des  armes  de  la  pu- 
«  deur  ;  entourez  votre  honnêteté  d'un  rempart  : 
«  dressez  une  muraille  à  votre  sexe,  qui  empêche 
«  vos  yeux  de  sortir,  et  refuse  l'entrée  à  ceux  des 
«  autres:  "d'où  vouspouvez  conclure  qu'une  vierge 
n'est  plus  vierge  sitôt  qu'elle  s'abandonne  aux 
sentiments  de  la  terre ,  et  qu'alors  sa  virginité  lui 
tourne  en  prostitution. 

Passons  outre  :  il  n'y  a  rien  qui  soit  plus  à  vous 
<|u«  votre  propre  volonté  ;  néanmoins  vous  avez 
bien  la  résolution  de  vous  en  vouloir  dépouiller. 
En  effet ,  vous  la  soumettez  tellement  aux  ordres 
d'autrui ,  qu'on  ne  sait  plus  si  c'est  la  vôtre  ou  celle 
de  vos  supérieurs  ;  et  l'obéissance  rigoureuse  que 
vous  professez  l'anéantit  de  telle  sorte,  qu'un 
Père  ancien  l'a  nommée  la  sépulture  de  la  vo- 
lonté *;  sépulture  certainement  bien  pénible, 
parce  qu'il  la  faut  recommencer  mille  et  raille 
fois  ;  mais  qui  vous  avertit  que*,  renonçant  si  gé- 
néreusement à  la  chose  qui  est  le  plus  en  votre 
pouvoir,  ce  serait  un  crime  si  vous  vous  reteniez 
aucun  bien  du  monde. 

Enfin ,  considérez ,  par  une  réflexion  sérieuse , 
que  l'action  que  vous  allez  faire  est  un  sacrifice, 
et  que  ce  serait  un  sacrilège  exécrable ,  si  vous 
réserviez  quelque  chose  de  ce  qui  entre  par  une 
oblation  solennelle  en  la  possession  du  Très-Haut. 
Ophni  et  Phinées,  sacrificateurs  d'Israël,  pour 
s'être  attribué  les  offrandes  que  le  peuple  présen- 
tait à  Dieu,  furent  dévorés  avec  leur  armée  par 
le  glaive  des  Philistins  ^  :  d'autant,  comme  dit  le 
prophète  Isaïe,  «  que  Dieu  est  le  Seigneur ,  et  ne 
"  peut  souffrir  la  rapine  dans  les  holocaustes  :  » 
£(/o  Dominus ,  odio  habens  rapinam  in  holo- 
causlo^.  Et  de  quelle  punition  penseriez-vous 
être  digne,  si  vous  ravissiez  à  Dieu  non  point 
la  graisse  des  agneaux  ou  des  béliers;  mais  une 
victime  vivante,  lavée  du  sang  de  son  Fils ,  qu'il 
a  tirée  du  monde  pour  la  sanctifier  à  son  nom? 

Dites  donc ,  ma  très-chère  sœur,  en  faisant  une 
revue  générale  dans  tous  les  replis  de  votre  cœur, 
dites  du  plus  profond  de  votre  âme  :  0  rnonde, 
à  qui  mon  Maître  n'a  pu  plaire ,  et  qui  n'as  pu 
plaire  à  mon  Maître  !  ô  monde ,  qu'il  a  surmonté 
par  l'infamie  de  sa  nttort!  monde  enfin,  théâtre 
de  folie  et  d'illusion,  jeté  quitte  et  jeté  renoncede 
toute  mon  affection.  Et  vous ,  rompez  mes  liens , 
ô  Seigneur!  je  vous  immolerai  une  hostie  de 
louange  ^,  et  mon  âme  délivrée  ne  cessera  de 

'  De  Firg.  vel.  n°  16, 

»  S.  Joa,i.  Clim.  Seal  Parad.  Grad.  iv 

'  I.  Reg.  Il ,  III   IV. 

*  [s.  Lxi ,  8. 

»  F$.  cxv ,"  8 


bénir  vos  incomparables  bontés.  Daignez ,  mon 
sauveur  Jésus,  me  recevoir  en  vos  bras,  et  n« 
permettez  pas  que  mes  ennemis  m'en  arrachent. 
Cest  ce  que  vous  donnera,  s'il  plaît  à  Dieu,  la 
persévérance,  qui  doit  faire  le  second  point  de 
cet  entretien. 

SECOND    POINT. 

'<  Qui  veut  venir  après  moi ,  dit  notre  divin 
«  Capitaine  ,  qu'il  renonce  à  soi-même ,  et  porte 
«  sa  croix  tous  les  jours  :  »  Tollat  crucem  suam 
quotidie.  Cette  croix,  c'est  la  guerre  que  nous 
devons  avoir  contre  le  monde  et  la  chair,  aux- 
quels nous  devons  nous  crucifier  avec  notre 
Maître  :  et  ce  mot,  «  tous  les  jours  »  nous  marque 
la  persévérance.  Au  reste,  notre  prince  nous 
avertit  qu'il  ne  nous  veut  point  épargner  ;  qu'a- 
vec lui ,  une  bataille  gagnée  en  attire  une  autre , 
et  qu'il  ne  sait  point  donner  d'autre  rafraîchisse- 
ment à  ses  troupes  ;  qu'il  entend  enfin  que  leur 
travail  soit  continuel  en  ce  monde ,  puisque  leur 
couronne  dans  le  ciel  doit  être  immortelle  :  voilà 
comme  il  nous  encourage  à  persévérer. 

Pour  appliquer  ceci  à  votre  condition ,  com- 
prenez, s'il  vous  plaît,  la  nature  de  vos  vœux. 
Il  y  a  deux  sortes  de  vœux  ;  les  uns  sont  pour  un 
temps ,  et  les  autres ,  à  perpétuité ,  comme  ceux 
que  vous  allez  faire.  Ce  que  je  dirai  se  doit  enten 
dre  particulièrement  des  derniers ,  bien  qu'à  pro- 
portion il  se  puisse  aussi  appliquer  aux  autres. 

C'est  la  religion ,  disent  les  théologiens ,  qui 
nous  lie  à  Dieu  ;  et  le  vœu ,  selon  leur  doctrine, 
en  est  un  des  actes  qui  a  la  vertu  d'étreindre  ce 
sacré  nœud.  Car  encore  que  tout  ce  que  nous 
sommes  appartienne  au  Créateur,  de  droit  natu- 
rel ;  néanmoins  il  a  voulu  nous  laisser  un  certain 
domaine  sur  nos  actions,  pour  former  en  nos 
âmes  une  légère  image  de  sa  souveraineté  abso- 
lue :  et  c'est  ce  domaine  que  vous  lui  cédez  et 
transportez  par  vos  vœux.  Quels  doivent  donc 
être  les  sentiments  d'une  âme  pieuse ,  qui  se  veut 
de  tout  son  cœur  dévouer  à  Dieu  ?  Premièrement , 
elle  considère  que  tout  ce  qu'il  y  a  d'être  dans 
les  créatures,  relève  de  cet  Être  souverain  et 
universel  :  puis ,  poussée  d'un  violent  désir  de  se 
réunir  à  son  principe ,  et  de  se  donner  à  lui  pour 
toute  l'éternité,  elle  proteste  de  se  résigner  tout 
entière  à  ses  saintes  dispositons  ;  afin  qu'il  règne 
sans  réserve  sur  ses  puissances ,  qu'il  les  occupe 
toutes  et  les  remue  selon  ses  conseils ,  s'y  atta- 
chant de  tous  ses  efforts  et  enracinant ,  pour  ainsi 
dire ,  sa  volonté  dans  cette  volonté  première  et 
indépendante,  la  règle  et  le  centre  de  toutes  les 
autres.  Telle  est  l'adoration  que  vous  allez  rendre 
aujourd'hui  à  cet  Esprit  incompréhensible ,  dont 
le  ciel  et  la  terre  redoutent  les  commandement^ 


POUR  UNE  PUOrESSION. 


trs. 


Et  cette  adoration  est  en  ce  point  différente  de 
toutes  les  autres ,  que  celles-ci  passent  avec  l'acte 
que  vous  en  formez;  au  lieu  que  celle-là  a  son 
effet  dans  toute  la  vie  :  de  sorte  que  comme  Dieu 
est  immuable  par  la  loi  toujours  permanente  de 
son  éternité;  ainsi  vous  vous  faites  une  loi  vous- 
même  ,  par  les  vœux  que  vous  concevez ,  d'être 
ferme  et  inébranlable  dans  son  service. 

Donnez- vous  donc  de  garde  que  l'ennemi  ne 
vous  trompe;  et  que,  ne  pouvant  vous  ébranler 
d'abord  dans  la  fm  principale  de  votre  vocation , 
il  ne  tâche  de  vous  jeter  peu  à  peu  dans  quelque 
relâchement ,  et  ne  vous  fasse  négliger  insensi- 
blement les  choses  de  moindre  importance  :  sur 
quoi  vous  avez  à  penser  qu'une  âme  religieuse, 
dont  tous  les  mouvements  concourent  à  la  même 
fin ,  ressemble  en  ce  point  à  une  voûte  bien  affer- 
mie ,  qui  est  incapable  de  succomber  quand  on  la 
veut  pousser  tout  entière ,  mais  quon  peut  faire 
tomber  facilement  en  ruine  par  la  désunion  qui 
s'en  ferait  pièce  à  pièce.  C'est  pourquoi  ne  dédai- 
gnez pas  ce  qui  vous  semble  le  moins  nécessaire, 
parce  que  de  là  dépend  le  plus  important;  Dieu 
ayant  ordonné  pour  la  connexion  de  toutes  les 
choses,  et  afin  que  chacune  eût  son  prix ,  que  les 
plus  grandes  fussent  soutenues  sur  les  plus  pe- 
tites :  et  ainsi  ce  qui  serait  peut-être  à  mépriser, 
selon  sa  nature,  devient  très-considérable  par  la 
conséquence.  Ne  permettez  donc  pas  que  l'on 
vous  puisse  jamais  reprocher  ce  que  le  saint 
apôtre  reproche  aux  Galates'  :  Sic  stulti  estis, 
ui  cum  spiritu  cœperitis,  iiunc  carne  consum- 
inemini?  «  Seriez-vous  bien  assez  insensée  pour 
«  vouloir  finir  par  la  chair,  après  avoir  commencé 
«  par  l'esprit?  Auriez-vous,  poursuit-il,  tant  souf- 
«  fert  en  vain?  »  Tanta  passi  estis  sine  causa  ? 

Et  moi,  ne  vous  puis-je  pas  dire ,  à  l'exemple 
de  ce  Maître  des  prédicateurs  :  Auriez-vous  pour 
néant  renoncé  au  monde  ?  Non,  non,  ma  très-chère 
sœur;  veillez  dans  l'exercice  de  l'oraison  ;  que  vos 
yeux  languissent  et  défaillent ,  en  regardant  le 
saint  lieu  d'où  vous  doit  venir  le  secours  ;  et  celui 
qui  a  commencé  en  vous  cette  bonne  œuvre,  non- 
seulement  vous  donnera  la  grâce  de  persévérer, 
mais  encore  il  vous  fera  croître  de  jour  en  jour 
en  Jésus-Christ  notre  chef  :  Crescentesin  eo  per 
omniaj  qui  est  caput  Christus^.  C'est  par  où  je 
m'en  vais  conclure. 

TROISIÈME   POINT. 

«  Qui  veut  venir  après  moi,  qu'il  renonce  à 
■  soi-même ,  et  porte  sa  croix  tous  les  jours ,  et 
«  me  suive  :  »  Ei  sequatur  me.  Pour  ne  nous 


■  Galat.  m,  34. 
'  Ephes.  IV,  i^. 


point  éloigner  de  notre  première  pensée ,  ne  vous 
semble-t-il  pas  entendre  notre  brave  Capitaine, 
qui  pour  porter  en  nos  cœurs  une  vigoureuse  ré- 
solution :  Qui  m'aime  me  suive ,  dit-il  :  il  est 
vrai  que  je  vous  mène  à  de  grands  périls;  mais 
sou  venez- vous  que  je  vous  commande  de  me 
suivre,  et  non  point  de  marcher  devant.  «  Or,  nous 
«  n'avons  point  un  pontife  qui  ne  sache  pas 
«  compatu"  à  nos  infirmités  •>  :  Non  habemus 
pontijicem ,  qui  non  possit  compati  infirmita- 
tibus  nostris  '.  Comprenez  maintenant  combien 
ces  paroles  nous  invitent  à  croître  toujours. 

Quand  ces  deux  difficultés  concourent  en  un 
même  objet ,  savoir,  la  nécessité  de  le  suivre  et 
l'impossibilité  d'y  atteindre,  il  ne  reste  qu'une 
chose  à  faire ,  qui  est  d'avancer  toujours.  Or,  tel 
est  le  Fils  de  Dieu,  l'exemplaire  dfl  notre  vie. 
Nous  ^  oyons  dans  ses  actions ,  premièrement , 
la  lumière  de  ses  vertus  qui  nous  doit  conduir»; 
et  en  second  lieu ,  la  perfection  ou  nous  ne  pou- 
vons parvenir.  H  faut  donc  courir  incessamment 
après  lui,  selon  la  mesure  qui  nous  est  donnée, 
comme  ce  brave  athlète  saint  Paul ,  qui  court  in- 
cessamment vers  le  but  de  la  carrière  :  Ad  de- 
stinatum  persequor,  dit-il  *;  c'est-à-dire,  «  Je 
«  poursuis  toujours  ma  pointe;  je  ne  cesse  de 
«  pousser  en  avant  au  point  où  l'on  me  montre 
«  le  terme  de  ma  carrière ,  qui  est  Jésus-Christ.  • 
Mais  considérant  entre  son  Maître  et  lui  une 
distance  infinie,  il  s'étonne  d'avoir  si  peu  avancé,, 
et  oublie ,  dit-ii ,  ce  qui  est  derrière  lui  ;  c'est-à- 
dire,  qu'il  ne  fait  pomt  d'état  de  l'espace  qu'il  a 
couru  :  Quœ  quidem  rétro  sunt  obliviscens. 
Quant  à  ce  qui  lui  reste ,  où  il  ne  voit  point  de 
bornes ,  il  s'y  étend  :  il  veut  dire  qu'il  passe  ses 
forces,  et  sort  en  quelque  façon  de  soi-même  pour 
y  arriver  :  Ad  ea  quœ  sunt  priora  extendens 
meipsum;  d'où  je  conclus  que  la  perfection  du 
christianisme  ne  consiste  point  en  un  degré  dé- 
terminé. Or,  ce  que  vous  recherchez  dans  le  genre 
de  vie  que  vous  embrassez,  c'est  la  perfectiou 
du  christianisme ,  et  par  conséquent  ne  vous  las- 
sez jamais  de  monter  :  allez  de  vertu  en  vertu , 
si  vous  voulez  voir  le  Dieu  des  dieux  en  Sion  ^ 

Et  pour  ramasser  en  trois  mots  toute  l'instruc- 
tion de  ce  discours ,  détachez- vous  entièrement 
de  vous-même  :  vous  y  êtes  obligée  par  l'action 
que  vous  allez  faire ,  et  par  les  conseils  évangé- 
liques  que  vous  professez  :  Abnegetsemetipsum. 
Persévérez;  c'est  ce  que  vous  enseigne  la  nature 
de  vos  vœux  ,  qui  est  immuable  :  Tollat  crucem 
suam  /îiotidie.  Enfin  augmentez,  si  vous  ne  vou- 


•  Hebr.  IV,  15. 

»  Philipp.m,  12,  13,  M. 

»  i's.  LXXXIU ,  8. 


370 


POUR  UNE  PROFESSION. 


lez  aller  contre  la  fin  de  votre  vocation ,  qui  est 
la  perfection  du  christianisme  :  avancez  donc 
toujours,  en  suivant  Jésus  :  Et  sequatur  me. 
C'est  ce  que  j'avais  à  vous  dire ,  touchant  l'expo- 
sition de  mon  texte  :  maintenant ,  pour  ne  point 
retarder  vos  désirs ,  je  m'en  vais  conclure. 

Par  quel  ordre  de  la  Providence  est -il  arrivé 
que  cette  journée,  qui  va  vous  voir  tout  à  l'heure 
sortir  du  monde ,  touchât  de  si  près  celle  qui  vous 
y  a  vu  faire  votre  première  entrée ,  et  que  presque 
un  même  temps  fût  témoin  de  votre  naissance  et 
de  votre  mort  ?  N'est-ce  point  que  Dieu  veut  vous 
faire  entendre  par  là  que  vous  n'êtes  née  que  pour 
cette  vocation?  ou  bien  que  pendant  ces  jours  qui , 
selon  la  révolution  des  années ,  vous  représentent 
les  premiers  de  votre  vie ,  vous  en  devez  commen- 
cer i^ne  nouvelle  au  service  de  Jésus-Christ? 
Quoi  qu'il  en  soit,  ma  très-chère  sœur,  et  quoi 
que  ce  soit  que  ce  Roi  des  siècles  vous  veuille  si- 
gnifier par  cette  bienheureuse  rencontre,  je  le 
prie  de  le  faire  profiter  à  votre  salut. 

Cet  ancien  disait  qu'il  n'avait  vécu  que  depuis 
qu'il  s'était  retiré  dans  la  solitude.  Puisse  notre 
grand  Dieu  combler  de  tant  de  douceurs  la  soli- 
tude plus  sainte  où  vous  vous  jetez ,  que  vous 
commenciez  seulement  de  cette  matinée  à  comp- 
ter vos  jours  :  puissiez-vous  devenir  aujourd'hui 
enfant  en  Jésus-Christ;  et  que  ce  mercredi,  qui 
vous  doit  être  si  mémorable ,  soit  dorénavant  le 
jour  de  votre  nativité  î 

C'est  aussi  en  ce  même  jour,  ma  très-chère 
sœur,  que  vous  fûtes  baptisée.  Vous  n'aviez  fait 
que  le  premier  pas  dans  ce  monde,  et  déjà  on 
vous  obligeait  par  un  acte  public  d'y  renoncer. 
Yous  n'aviez  alors  pour  toute  voix  que  des  cris  : 
l'Église  vous  prêta  la  sienne  pour  faire  cette  gé- 
néreuse déclaration  ;  après  quoi  vous  fûtes  lavée 
de  l'eau  du  baptême,  ou,  laissant  les  ordures  de 
votre  première  nativité,  vous  reprîtes  une  nou- 
velle naissance  non  point  de  la  chair,  mais  d'un 
esprit  pur,  et  d'une  eau  sanctifiée  par  des  paroles 
de  vie.  0  que  vous  célébrerez  dignement  aujour- 
d'hui l'anniversaire  de  votre  baptême  1  puisque 
vous  allez  non-seulement  quitter  le  monde  en  es- 
prit ,  mais  que  vous  lui  allez  arracher  votre  corps 
et  rompre  avec  lui  toute  sorte  de  commerce. 

L'on  a  toujours  cru  dans  l'Église  que  le  mar- 
tyre était  un  baptême  ;  et  les  saintes  péqjtences, 
que  l'on  voue  de  pratiquer  dans  les  monastères , 
ne  peuvent-elles  point  passer  pour  un  nouveau 
genre  de  martyre,  dans  lequel  Dieu  ne  voit  rien 
qui  n*"  plaise  h  sa  majesté,  puisque  le  persécu- 
teur et  le  patient  lui  sont  agréables?  Que  si  le 
grand  CjTille  de  Jérusalem  a  bien  pu  appeler  le 
baptême  un  sépulcre  et  une  mère',  n'en  puis-je 

•  Calèches,  xx ,  MysL  ii ,  n"  4 ,  p  312. 


pas  dire  autant  de  la  cérémonie  de  ce  jour,  dans 
laquelle  votre  chair  ensevelie  donnera  place  à  la 
pure  vie  de  l'esprit?  Heureuse  à  qui  la  perte 
de  si  peu  de  chose  va  valoir  un  bien  éternel  ;  qui , 
par  un  aimable  artifice ,  quittez  tout  pour  tout  re- 
trouver en  Dieu ,  et  ainsi  deviendrez  ce  que  dit 
saint  Paul  ' ,  -<  comme  n^ayant  rien  et  possédant 
«  toutes  choses  !  » 

*  Mais  sachez,  ma  sœur,  que  ce  monde  que 
TOUS  quittez  a  intelligence  chez  vous,  et  que, 
durant  tout  le  temps  que  vous  demeurerez  sur  la 
terre ,  il  ne  cessera  jamais  de  vous  persécuter. 
Il  tentera  toutes  sortes  de  voies  et  toutes  sortes 
d'artifices  pour  vous  embarrasser  de  quelque  affec- 
tion sensible.  Ah  !  ma  très-chère  sœur,  donnez- 
vous  bien  de  garde  de  l'écouter.  Ne  voyez-vous 
pas  que  le  démon  est  toujours  à  épier  l'occasion 
de  vous  perdre,  qu'il  ne  cesse  de  dresser  quel- 
ques batteries  nouvelles  pour  vous  attaquer  ?  quel- 
le honte  serait-ce  si  votre  esprit  avait  moins  de 
soin  de  se  conserver  ,  que  la  chair  et  le  monde 
n'en  ont  de  vous  nuire  !  Regardez  les  passionnés 
de  la  terre ,  comme  ils  sont  constants  dans  leurs 
poursuites  insensées  :  faut-il  que  la  folie  de  la 
chair  soit  plus  prévoyante  que  la  sagesse  du  ciel? 

Je  ne  doute  pas  que  vous  n'ayez  au  commen- 
cement une  grande  ardeur  dans  les  moindres 
choses,  et  j'espère  que  Dieu  vous  la  conservera  ; 
mais  il  faut  y  prendre  garde.  Qu'il  est  facile ,  ma 
chère  sœur,  de  se  relâcher,  et  que  nous  nous  per- 
suadons facilement  qu'il  n'est  pas  besoin  de  se 
donner  tant  de  peine!  et  cependant  il  n'y  a  rien 
de  si  dangereux.  La  dévotion  ne  se  perd  jamais 
que  par  le  relâchement.  11  en  est  comme  d'une 
voûte  ;  tant  que  toutes  les  pierres  s'appuient  l'une 
l'autre ,  elle  résiste  à  toutes  sortes  d'efforts ,  et  ne 
peut  jamais  être  abattue  que  par  pièces  :  de  même 
la  dévotion ,  qui  consiste  dans  un  certain  accord 
de  tous  les  sentiments  de  l'âme ,  est  trop  forte 
quand  toutes  les  parties  se  prêtent  un  mutuel  se- 
cours; elle  ne  se  peut  perdre  par  un  autre  moyen 
que  par  le  relâchement. 

Il  y  a  certaines  petites  choses  que  nous  avons 
peine  à  croire  si  nécessaires  ;  c'est  pourquoi  nous 
les  omettons  assez  facilement  :  mais  c'est  un  ar- 
tificedu  démon.  Souvenez-vous  que  lesplusgran- 
des  choses  dépendent  d'un  petit  commencement  ; 
qu'il  faut  avoir  fait  le  premier  pas ,  avant  que 
d'être  renversé  dans  un  précipice.  Nous  ne  nous 
apercevons  pas  du  changement ,  tant  que  nous  ne 
voyons  pas  une  notable  altération  ;  et  cependant 

*  TT.  Co-^.Yi,  10. 

*  Le  reste  de  ce  sermon  parait  être  une  extension  ou  un 
développemcint  des  vérités  déjà  énoncées  dans  le  corps  du 
discours,  et  que  Bossuet  se  sera  proposé  de  traiter  d'une 
nouvelle  manJère  dans  quelque  autre  occasion.  (  Édii.  de 
Diiforis.  ) 


POUR  UNE  PROFESSION. 


377 


i 


les  forces  se  diminuent ,  et  le  démon  gagne  peu  à 
peu  ce  qui  lui  aurait  été  inaccessible ,  s'il  y  eût 
prétendu  du  premier  abord.  Il  se  faut  donc  bien 
garder  de  faire  comme  ces  âmes  lâches.  Ah!  di- 
sent-elles,  pour  cela  c'est  peu  de  chose,  je  serai 
plus  exacte  dans  les  choses  d'importance  :  comme 
si  celle  qui  manque  dans  ce  qui  est  plus  facile 
pouvait  se  promettre  de  venir  à  bout  des  grandes 
difficultés.  Pour  moi  je  ne  voudrais  dire  que  trois 
mots  à  une  personne  de  cette  sorte. 

N'est-il  pas  vrai  que  nous  ne  nous  maintenons 
que  par  la  grâce  de  Dieu?  Vous  n'en  pouvez  dou- 
ter; et  si  cela  est,  d'où  vient  que  vous  vous  pro- 
mettez d'être  ponctuelle  dans  les  soins  impor- 
tants, bien  que  vous  soyez  négligente  dans  les 
choses  qui  vous  paraissent  de  moindre  consé- 
quence? Vous  qui  avouez  que,  dans  l'état  de  la 
plus  grande  perfection ,  il  n'y  a  que  Dieu  qui 
puisse  vous  soutenir,  comment  pouvez-vous  vous 
assurer  devons  retenir,  lorsque  vousavezdonnéle 
premier  branle  à  votre  âme  du  côté  du  penchant? 
Est-ce  par  votre  propre  force,  ou  par  celle  de  Dieu  ? 
Si  vous  croyez  le  pouvoir  par  vous-même ,  c'est 
une  grande  vanité  ;  si  vous  l'attendez  de  Dieu , 
c'est  une  grande  imprudence  ;  car  il  ne  se  peut 
rien  concevoir  de  plus  imprudent  que  de  recon- 
naître que  nous  dépendons  de  Dieu ,  et  de  lui  don- 
ner sujet  de  nous  abandonner  par  nos  négli- 
gences. 

Par  où  vous  voyez, matrès-chère  sœur,  que  de 
négliger  les  petites  choses ,  ce  n'est  pas  une  faute 
si  peu  considérable  que  nous  nous  l'imaginons , 
et  que,  bien  qu'elle  ne  semble  pas  grande  en  elle- 
;  même ,  elle  est  extrêmement  dangereuse  dans  ses 
conséquences.  C'est  pourquoi  je  vous  dis  avec 
l'apôtre  :  State  in  Domino^  :  '<  Tenez  ferme,  et 
"  demeurez  dans  Notre-Seigneur.  »  Mortifiez- vous 
dans  les  petites  choses ,  afin  de  vous  accoutumer 
à  vaincre  dans  les  grandes  tentations.  Refusez 
tout  ce  qui  vous  viendra  de  la  part  du  monde , 
jus(pi'au  moindre  présent,  pour  ne  lui  pas  donner 
la  moindre  prise  ;  et  surtout  vivez  de  telle  sorte 
dans  la  religion ,  qu'on  ne  vous  puisse  pas  repro- 
cher,  au  jour  du  jugement ,  qu'en  vous  le  com- 
mencement valait  mieux  que  la  fin  :  de  peur  que 
votre  ferveur  ne  passe  pour  une  dévotion  légère , 
ou  pour  un  amour  de  la  nouveauté. 
i  Nous  avons  vu,  ma  sœur  en  Jésus-Christ,  qu'il 
est  nécessaire  de  renoncer  entièrement  au  monde , 
et  qu'il  faut  persévérer  dans  cette  aversion,  pour 
acquérir  la  perfection  de  cette  vie  solitaire  que 
vous  embrassez.  Il  semble  qu'il  n'y  ait  plus  rien 
à  ajouter  à  ces  deux  choses.  Et  en  effet,  je  ne  vou- 
di'ais  pas  en  dire  davantage,  si  je  n'avais  à  par- 

'  Pkllipp.  IT ,  I. 


1er  à  une  épouse  de  Jésus-Christ;  mais  il  faut 
vous  porter  au  plus  haut  degré,  puisque  vous 
avez  résolu  de  suivre  le  chemin  de  la  perfection. 
Je  vous  dis  donc  qu'il  ne  suffit  pas  de  persévérer, 
il  faut  croître ,  ma  sœur ,  et  courir  toujours  de 
plus  en  plus  à  Jésus-Christ. 

Je  pourrais  vous  dire ,  pour  établir  cette  vérité, 
qu'un  bon  courage  ne  peut  se  prescrire  de  bornes; 
que  l'amour  qui  craint  d'aller  trop  loin  n'est 
qu'un  faux  amour;  que  le  chemin  du  ciel  étant 
extrêmement  roide ,  ce  serait  une  grande  témé- 
rité de  prétendre  y  marcher  d'un  pas  égal  ;  qu'il 
faut  toujours  faire  contention  ;  que  qui  ne  s'ef- 
force pas  de  monter,  il  faut  qu'il  soit  renversé  de 
son  propre  poids;  que  nous  ne  saurions  nous  ac- 
quitter des  obligations  que  nous  avons  à  Dieu , 
quand  nous  y  emploierions  une  éternité  avec 
toute  l'ardeur  imaginable;  et  partant,  que  ce 
serait  bien  manquer  de  courage  et  une  grande  in- 
gratitude ,  de  nous  borner  lâchement  à  un  com- 
mencement de  vertu  mal  affermie ,  contre  toute 
prudence ,  contre  les  enseignements  et  l'exemple 
du  Fils  de  Dieu  ,  contre  les  sentiments  que  vous 
doit  inspirer  la  générosité  du  christianisme  et 
l'amour  d'un  si  bon  père ,  tel  qu'est  notre  Dieu. 
Je  ne  doute  pas  que  vous  ne  vous  rendissiez  à 
ces  raisons  :  maie  il  faut  vous  faire  voir  com- 
bien est  étroite  l'obligation  que  vous  avez  de 
croître  jusqu'à  la  mort. 

Je  vous  dis  donc ,  ma  sœur,  que  si  vous  n'avez 
dessein  de  vous  avancer  toujours,  il  ne  vous  sert 
de  rien  d'entrer  dans  un  cloître ,  ni  de  vous  at- 
tacher à  Dieu  par  les  promesses  solennelles  que 
vous  allez  faire.  Pourquoi  quittez-vous  les  empê- 
chements du  monde?  n'est-ce  pas  parce  que  vous 
aspirez  à  la  perfection  avec  la  grâce  de  Dieu? 
Or,  la  perfection  du  christianisme  n'a  point  de 
bornes  assurées,  d'autant  qu'elle  se  doit  former 
sur  un  exemplaire  dont  il  n'est  pas  possible  d'i- 
miter toutes  les  beautés.  C'est  Jésus-Christ ,  ma 
sœur,  le  Fils  du  Père  étemel ,  celui  qui  porte  tout 
le  monde  par  sa  parole ,  en  qui  habitent  toutes 
les  richesses  de  la  Divinité.  Puis  donc  que  nous 
ne  pouvons  jamais  atteindre  à  nous  conformer 
parfaitement  à  Jésus-Christ,  tout  ce  que  nous 
pouvons ,  c'est  de  tâcher  d'en  approcher  de  plus 
en  plus.  Et  si  la  perfection  du  christianisme  n'est 
pas  dans  un  degré  déterminé,  il  s'ensuit  qu'elle 
consiste  à  monter  toujours.  Et  partant ,  ma  sœur, 
vous  proposer  d'atteindre  à  la  perfection ,  et  vous 
vouloir  arrêter  en  quelque  lieu,  c'est  contraindre 
vos  propres  desseins  ;  c'est  aller  contre  votre  vo- 
cation que  de  prescrire  des  bornes  à  votre  amour. 
L'Esprit  de  Dieu,  que  vous  voulez  faire  absolu- 
ment régner  sur  vous,  ne  saurait  laisser  ses  en- 
treprises imparfaites  ;  il  porte  tout  au  plus  haut 


S78 


POUR  LA  niOFESSION 


degré  quand  on  le  laisse  dominer  sur  une  âme. 
Considérez  comme  l'ambition  ne  saurait  trou- 
ver de  bornes,  quand  on  lui  laisse  prendre  le 
dessus  sur  la  raison  :  et  nous  pourrions  croire 
que  l'Esprit  de  Dieu  ne  nous  voudrait  pas  pousser 
à  rechercher  ce  qu'il  y  a  de  meilleur?  Cela  est  bon 
dans  les  âmes  où  on  le  tient  en  contrainte.  Mais 
vous,  ma  sœur,  vous  vous  captivez  pour  donner 
la  liberté  tout  entière  à  l'Esprit  de  Dieu  ;  laissez- 
le  agir  dans  votre  âme.  La  charité  qui  opère  en 
vous  vient  de  Dieu ,  et  ne  demande  autre  chose 
que  de  retourner  à  sa  source  :  si  elle  est  forte  en 
votre  âme,  elle  ne  cessera  de  l'entraîner  par 
l'impétuosité  de  sa  course ,  jusqu'à  tant  qu'elle  se 
soit  reposée  dans  le  sein  du  Bien-Aimé. 

NOTICE 

SUR  LA  DUCHESSE  DE  LA  YALLIÈRE. 


Louise-Françoise  de  la  Baume-le-Blanc  de  la  Val- 
LiÈRE,  qualifiée  depuis  du  titre  de  duchesse  de  Vaujour, 
était  fille  du  marquis  de  la  Vallière ,  gouverneur  d'Aïu- 
boise.  Elle  naquit  en  1644.  Après  la  mort  de  son  père,  sa 
inère  s'étant  remariée  à  M.  de  Saint-Remy,  premier  maî- 
tre d'hôtel  du  duc  d'Orléans,  frère  de  Louis  XIII,  elle  fut 
élevée  à  la  cour  de  ce  prince ,  qui  résidait  habituellement 
à  Blois.  Tous  les  mémoires  publics  et  particuliers  déposent 
unanimement  qu'elle  avait ,  dès  ses  plus  jeunes  années , 
un  caraclèie  de  sagesse  qui  la  faisait  singulièrement  re- 
marquer, et  le  duc  d'Orléans  le  témoigna  plus  d'une  fois 
lui-même  dans  les  termes  les  plus  flatteurs  pour  elle ,  et  les 
plus  honorables. 

Quand  Monsieur,  frère  unique  de  Louis  XIV,  épousa  en 
1661  Henriette  d'Angleterre,  mademoiselle  de  la  Vallière 
fut  placée  auprès  de  cette  princesse  comme  une  de  ses  fil- 
les d'honneur.  Elle  plut  beaucoup  à  la  cour,  moins  encore 
par  ses  charmes  extérieurs ,  que  par  les  qualités  de  son 
àme  bonne ,  douce  et  naïve.  Mais  sensible  à  l'excès,  elle 
y  vit  un  objet  qui  fit  sur  son  cœur  une  impression  funeste. 
Personne  n'ignore  qu'elle  fut  aimée  de  Louis  XIV,  et  qu'elle 
eut  de  lui  deux  enfants ,  le  comte  de  Vermandois ,  qui  mou- 
rut ,  en  1683 ,  dans  sa  dix-septième  année ,  et  mademoiselle 
de  Blois,  mariée  au  prince  de  Conti.  Elle  a  avoué  depuis 
(jue ,  dans  ces  temps  d'illusion ,  et  lorsque  tout  semblait 
conspirer  à  l'agrément  et  au  bonheur  de  sa  vie ,  elle  avait 
toujours  senti  au  dedans  d'elle-même  un  trouble  et  une  hu- 
miliation qui  ne  lui  permettaient  pas  de  jouir  en  repos  d'au- 
cun plaisir.  Vertueuse ,  s'il  était  possible ,  au  milieu  de  ses 
égarements ,  elle  gémissait  de  sa  faiblesse ,  et  conservait 
le  désir  comme  l'espérance  de  rentrer  un  jour  dans  le  droit 
chemin  qu'elle  avait  quitté. 

Plusieurs  personnes  d'une  grande  piété  demandaient  à 
Dieu  sa  conversion  :  elles  l'obtinrent.  Dieu  la  disposa  peu 
à  peu,  par  de  salutaires  dégoûts,  à  rompre  ses  liens  :  le 
maréchal  de  Bellefonds  et  Bossuet  contribuèrent  beaucoup 
à  l'affermir  dans  cette  sainte  résolution. 

Elle  crut  devoir  embrasser  la  vie  religieuse  pour  y  faiie 
pénitence  de  ses  fautes  passées ,  et  pour  y  trouver,  dans 
l'éloignement  du  monde,  le  meilleur  préservatif  contre  la 
rechute.  L'austérité  de  la  règle  des  carmélites  lui  fit  pré- 
férer cet  ordre  à  tous  les  autres.  Elle  y  entra  en  1674, 
n'ayant  pas  encore  trente  ans,  y  prit  le  nom  de  acEuu 


Louise  de  la  Miséricorde  ;  et  dans  son  noviciat ,  comme 
pendant  tout  le  reste  de  sa  vie ,  qui  fut  longue  et  pleme  d« 
souffrances ,  elle  ne  mit  pas  de  bornes  aux  macérations  et 
privations  de  toute  nature  qu'elle  crut  devoir  s'imposer.  Un 
seul  trait  en  fera  juger. 

Un  jour  de  vendredi  saint,  étant  au  réfectoire,  eUe  se 
ressouvint  que,  dans  le  temps  qu'elle  était  à  la  cour,  elle 
se  trouva,  dans  une  partie  de  chasse,  pressée  d'une  soif 
dévorante  ;  mais  qu'on  lui  apporta  aussitôt  des  rafraîchis- 
sements et  des  liqueurs  délicieuses ,  dont  elle  but  avec  le 
plus  grand  plaisir.  Ce  souvenir,  joint  à  la  pensée  du  fiel  et 
du  vinaigre  dont  Jésus-Christ  avait  été  abreuvé  dans  sa 
soif  sur  la  croix ,  la  pénétra  d'un  si  vif  sentiment  de  repen- 
tir et  d'humiliation ,  qu'elle  résolut  dans  le  moment  de  ne 
plus  boire  du  tout.  Elle  fut  près  de  trois  semaines  sans  boire 
une  goutte  d'eau ,  et  trois  ans  entiers  à  n'en  boire  par  jour 
qu'un  demi-verre.  Cette  rude  pénitence,  dont  on  ne  s'aper-' 
çut  pas,  la  fit  tomber  malade,  et  depuis  ce  temps  elle  eut 
des  maux  d'estomac  violents  qui  la  réduisirent  quelquefois 
à  des  faiblesses  extrêmes.  A  des  maux  de  tête  continuels 
se  joignirent  des  rhumatismes  douloureux ,  et  une  sciati- 
que  qui  lui  déboîta  la  hanche  ;  mais ,  malgré  tous  ses  maux,' 
elle  ne  cessa  pas,  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  de  partager  les 
pénibles  travaux  de  la  communauté,  et  de  se  lever  chaque 
jour  deux  heures  avant  toutes  les  autres,  pour  aller  se  pros- 
terner au  pied  des  autels. 

On  ne  saurait  trop  s'étonner  qu'une  femme  élevée  et 
nourrie  si  longtemps  dans  la  délicatesse  et  l'opulence ,  ait 
pu,  au  milieu  de  tant  d'infirmités,  supporter  pendant 
trente-six  ans  d'aussi  rudes  épreuves.  Elle  mourut  en  1710, 
âgée  de  près  de  soixante-six  ans. 

On  a  d'elle  un  livre  plein  d'onction,  intitule  Réflexions 
sur  la  miséricorde  de  Dieu.  Il  fut  imprimé  sans  son  aveu. 

Voyez  V Histoire  de  Bossuet,  t.  ii,  Uv.  v,  n°'  v  etvi. 


SERMON  • 

POUR  LA  PROFESSlOiN 

DE  MADAME  DE  LA  VALLIÈRE,  DUCHESSE  DE  VADJODR, 
PRÊCHÉ  DEVANT  LA  REINE,   LE  4  «JL\    1675  *. 

Spectacle  admirable  que  Dieu  nous  présente  dans  le  re- 
nouvellement lies  cœurs.  Deux  amours  opposés,  qui  font 
tout  dans  les  hommes.  Attentat  et  chute  funeste  de  l'àme , 
qui  a  voulu,  comme  Dieu,  être  à  elle-même  sa  félicité.  De 
quelle  manière ,  touchée  de  Dieu ,  elle  commence  à  revenir 
sur  ses  pas,  et  abandonne  peu  à  peu  tout  ce  qu'elle  aimait, 
pour  ne  se  réserver  plus  que  Dieu  seul.  Cette  vie  pénitente 
et  détachée,  montrée  très-possit)le  par  l'exemple  de  ma- 
dame de  la  Vallière.  Réponse  que  Dieu  fait  aux  raisons  que 
les  mondains  allèguent  pour  se  dispenser  de  l'embiasseE. 

Et  dixit  qui  sedebat  in  throno  :  Ecee  nova  facto  omnia. 

Et  celui  qui  était  assis  sur  le  tiône  a  dit  r  Je  renouvelle 
toutes  choses.  Afioc.  xxi,  5. 

Ce  sera  sans  doute  un  grand  spectacle ,  quand 
celui  qui  est  assis  sur  le  trône  d'où  relève  tout 
l'univers,  et  à  qui  il  ne  coûte  pas  plus  à  faire 

*  Ce  discours  avait  été  imprimé  sans  l'aveu  de  Bossuet, 
d'après  une  copie  fautive.  D.  Déforis  l'a  corrigé  sur  le  ma- 
nuscrit original  ,  qui  lui  a  fourni  des  additions  etchangemenU 
assez  considérables.  Nous  nous  y  sommes  conformés.  (  Edtl 
de  f'ermdles  ) 


DE  MADAME  DE  LA  VALU  ÈRE. 


379 


qu'à  dire,  parce  qu'il  fait  tout  ce  qui  lui  plaît  par 
sa  seule  parole ,  prononcera  du  haut  de  son  trône , 
ù  la  fin  des  siècles,  qu'il  va  renouveler  toutes 
choses  ;  et  qu'en  même  temps  on  verra  toute  la 
nature  changée  faire  paraître  un  monde  nouveau 
pour  les  élus.  Mais  quand,  pour  nous  préparer  à 
ces  nouveautés  surprenantes  du  siècle  futur,  il 
agit  secrètement  dans  les  cœurs  par  son  Saint- 
Esprit,  qu'il  les  change,  qu'il  les  renouvelle;  et 
que,  les  remuant  jusqu'au  fond,  il  leur  inspire 
des  désirs  jusqu'alors  inconnus;  ce  changement 
n'est  ni  moins  nouveau  ni  moins  admirable.  Et 
certainement,  chrétiens,  il  n'y  a  rien  de  plus 
'  merveilleux  que  ces  changements.  Qu'avons- 
nous  vu ,  et  que  voyons-nous?  quel  état,  et  quel 
état?  Je  n'ai  pas  besoin  de  parler,  les  choses  par- 
lent assez  d'elles-mêmes. 

Madame,  voici  un  objet  digne  de  la  présence 
et  des  yeux  d'une  si  pieuse  reine.  Votre  Majesté 
ne  vient  pas  ici  pour  apporter  les  pompes  mon- 
daines dans  la  solitude;  son  humilité  la  sollicite 
à  venir  prendre  part  aux  abaissements  de  la  vie 
religieuse;  et  il  est  juste  que,  faisant  par  votre 
état  une  partie  si  considérable  des  grandeurs  du 
monde,  vous  assistiez  quelquefois  aux  cérémo- 
nies où  on  apprend  à  les  mépriser.  Admirez  donc 
avec  nous  ces  grands  changements  de  la  main  de 
Dieu.  Il  n'y  a  plus  rien  ici  de  l'ancienne  forme , 
tout  est  changé  au  dehors  :  ce  qui  se  fait  au  de- 
dans est  encore  plus  nouveau  :  et  moi ,  pour  célé- 
brer ces  nouveautés  saintes ,  je  romps  un  silence 
de  tant  d'années ,  je  fais  entendre  une  voix  que 
les  chaires  ne  connaissent  plus. 

Afin  donc  que  tout  soit  nouveau  dans  cette 
pieuse  cérémonie ,  ô  Dieu  !  donnez-moi  encore  ce 
style  nouveau  du  Saint-Esprit,  qui  commence  à 
faire  sentir  sa  force  toute-puissante  *  dans  la 
bouche  des  apôtres.  Que  je  prêche  comme  un 
saint  Pierre  la  gloire  de  Jésus-Christ  crucifié  ; 
que  je  fasse  voir  au  monde  ingrat  avec  quelle 
impiété  il  le  crucifie  encore  tous  les  jours.  Que 
je  crucifie  le  monde  à  son  tour;  que  j'en  eft'ace 
tous  les  traits  et  toute  la  gloire  ;  que  je  l'enseve- 
lisse, que  je  l'enterre  avec  Jésus-Christ;  enfin 
que  je  fasse  voir  que  tout  est  mort ,  et  qu'il  n'y  a 
que  Jésus-Christ  qui  vit. 

Mes  soeurs ,  demandez  pour  moi  cette  grâce  : 
ce  sont  les  auditeurs  qui  font  les  prédicateurs;  et 
Dieu  donne ,  par  ses  ministres,  des  enseignements 
convenables  aux  saintes  dispositions  de  ceux  qui 
écoutent.  Faites  donc ,  par  vos  prières,  le  dis- 
cours qui  doit  vous  instruire  ;  et  obtenez-moi  les 
lumières  du  Saint-Esprit ,  par  l'intercession  de  la 
sainte  Vierge  :  Avej  Maria. 

»  Cétail  la  trobièrae  fête  de  la  PÉutecote. 


Nous  ne  devons  pas  être  curieux  de  connaltro 
distinctement  ces  nouveautés  merveilleuses  du 
siècle  futur  :  comme  Dieu  les  fera  sans  nous ,  noDS 
devons  nous  en  reposer  sur  sa  puissance  et  sur  sa 
sagesse.  Mais  il  n'en  est  pas  de  même  des  nou- 
veautés saintes  qu'il  opère  au  fond  de  nos  cœurs. 
Il  est  écrit  :  «  Je  vous  donnerai  un  cœur  nou- 
"  veau  '  ;  »  et  il  est  écrit  :  «  Faites-vous  un  cœur 
«  nouveau  *  :  »  de  sorte  que  ce  cœur  nouveau  qui 
nous  est  donné ,  c'est  nous  aussi  qui  le  devons 
faire  ;  et  comme  nous  devons  y  concourir  par  le 
mouvement  de  nos  volontés ,  il  faut  que  ce  mou- 
vement soit  prévenu  par  la  connaissance. 

Considérons  donc ,  chrétiens,  quelle  est  cette 
nouveauté  des  cœurs,  et  quel  est  l'état  ancien 
d'où  le  Saint-Esprit  nous  tire.  Qu'y  a-t-il  de  plus 
ancien  que  de  s'aimer  soi-même ,  et  qu'y  a-t-il  de 
plus  nouveau  que  d'être  soi-même  son  persécu- 
teur? Mais  celui  qui  se  persécute  lui-même  doit 
avoir  vu  quelque  chose  qu'il  aime  plus  que  lui- 
même  :  de  sorte  qu'il  y  a  deux  amours  qui  font 
ici  toutes  choses.  Saint  Augustin  les  définit  par 
ces  paroles  :  Amor  sut  usque  ad  contemptum 
Dei;  amor  Dei  usque  ad  contemptum  sui'  : 
l'un  est  n  l'amour  de  soi-même  poussé  jusqu'au 
"  mépris  de  Dieu  ;  »  c'est  ce  qui  fait  la  vie  an- 
cienne et  la  «vie  du  monde  :  l'autre  est  «  l'amour 
•<  de  Dieu  poussé  jusqu'au  mépris  de  soi-même;  » 
c'est  ce  qui  fait  la  vie  nouvelle  du  christianisme, 
et  ce  qui ,  étant  porté  à  sa  j)erfection ,  fait  la  vie 
religieuse.  Ces  deux  amours  opposés  feront  tout 
le  sujet  de  ce  discours. 

Mais,  prenez  bien  garde,  messieurs,  qu'il 
faut  ici  observer  plus  que  jamais  le  précepte  que 
nous  donne  l'Ecclésiastique.  «  Le  sage  qui  entend, 
«  dit-il^,  une  parole  sensée ,  la  loue,  et  se  l'ap- 
'<  pliquc  a  lui-même  :  »  il  ne  regarde  pas  à  droite 
et  à  gauche ,  à  qui  elle  peut  convenir  ;  il  se  l'ap- 
plique à  lui-même ,  et  11  en  fait  son  profit.  Ma 
sœur,  parmi  les  choses  que  j'ai  à  dire,  vous  sau- 
rez bien  démêler  ce  qui  vous  est  propre.  Faites, 
en  de  même,  chrétiens  ;  suivez  avec  moi  l'amour 
de  soi-même  dans  tous  ses  excès ,  et  voyez  jus- 
qu'à quel  point  il  vous  a  gagnés  par  ses  douceurs 
dangereuses.  Considérez  ensuite  une  âme  qui, 
après  s'être  ainsi  égarée ,  commence  à  revenir 
sur  ses  pas;  qui  abandonne  peu  à  peu  tout  ce 
qu'elle  aimait,  et  qui,  laissant  enfin  tout  au- 
dessous  d'elle,  ne  se  réserve  plus  que  Dieu  seul. 
Suivez-la  dans  tous  les  pas  qu'elle  fait  pour  re- 
tourner à  lui ,  et  voyez  si  vous  avez  fait  quelque 
progrès  dans  cette  voie;  voilà  ce  que  vous  aurez; 

'  Ezech.  XXXVI,  20. 

'  Ihid.wm.ZX. 

»  De  Civ.  Dei,  lib.  xiv,  cap.  XXVIH,  t.  VU,  col.  37» 

*  tccl.  XXI,  18 


180 


POUR  LÀ  PROFESSION 


à  considérer.  Entrons  d'abord  au  fond  de  notre  ] 
matière ,  je  ne  veux  pas  vous  tenir  longtemps  en 
suspens. 

PBEMÎER  POINT. 

L'homme,  que  vous  voyez  si  attaché  à  lui- 
même  par  son  amour-propre ,  n'a  pas  été  créé 
avec  ce  défaut.  Dans  son  origine,  Dieu  l'avait 
fait  à  son  image  :  et  ce  nom  d'image  lui  doit  faire 
entendre  qu'il  n'était  point  pour  lui-même;  une 
image  est  toute  faite  pour  son  original.  Si  un 
portrait  pouvait  tout  d'un  coup  devenir  animé, 
comme  il  ne  se  verrait  aucun  trait  qui  ne  se  rap- 
portât à  celui  qu'il  représente,  il  ne  vivrait  que 
pour  lui  seul,  et  ne  respirerait  que  sa  gloire.  Et 
toutefois  ces  portraits  que  nous  animons ,  se  trou- 
veraient obligés  à  partager  leur  amour  entre  les 
originaux  qu'ils  représentent,  et  le  peintre  qui 
les  a  faits.  Mais  nous  ne  sommes  point  dans 
cette  peine  :  nous  sommes  les  images  de  notre 
auteur,  et  celui  qui  nous  a  faits  nous  a  faits  aussi 
à  sa  ressemblance  :  ainsi  en  toutes  manières 
nous  nous  devons  à  lui  seul ,  et  c'est  à  lui  seul 
que  notre  âme  doit  être  attachée. 

En  effet,  quoique  cette  âme  soit  défigurée, 
quoique  cette  image  de  Dieu  soit  comme  effacée 
par  le  péché ,  si  nous  en  cherchons  J)ien  tous  les 
anciens  traits ,  nous  reconnaîtrons ,  nonobstant 
sa  corruption ,  qu'elle  ressemble  encore  à  Dieu , 
et  que  c'est  pour  Dieu  qu'elle  est  faite.  0  âme , 
vous  connaissez  et  vous  aimez  1  c'est  là  ce  que 
vous  avez  de  plus  essentiel ,  et  c'est  par  là  que 
vous  ressemblez  à  votre  auteur,  qui  n'est  que 
connaissance  et  qu'amour.  Mais  la  connaissance 
est  donnée  pour  entendre  ce  qu'il  y  a  de  plus 
vrai ,  comme  l'amour  est  donné  pour  aimer  ce 
qu'il  y  a  de  meilleur.  Qu'est-ce  qu'il  y  a  de  plus 
vrai ,  que  celui  qui  est  la  vérité  même?  et  qu'y  a- 
t-il  de  meilleur,  que  celui  qui  est  la  bonté  même? 
L'âme  est  donc  faite  pour  Dieu  :  c'est  à  lui  qu'elle 
devait  se  tenir  attachée,  et  comme  suspendue, 
par  saconnaissaiiceet  par  son  amour;  c'est  ainsi 
qu'elle  est  l'image  de  Dieu.  Use  connaît  lui-même, 
il  s'aime  lui-même,  et  c'est  là  sa  vie  :  et  l'âme 
raisonnable  devait  vivre  aussi  en  le  connaissant 
et  en  l'aimant.  Ainsi  par  sa  naturelle  constitution 
elle  était  unie  à  son  auteur,  et  devait  faire  sa  fé- 
licité de  celle  d'un  être  si  parfait  et  si  bienfaisant  ; 
en  cela  consistait  sa  droiture  et  sa  force.  Enfin 
c'est  par  là  qu'elle  était  riche  ;  parce  que  encore 
qu'elle  n'eût  rien  de  son  propre  fonds,  elle  pos- 
sédait un  bien  infini  par  la  libéralité  de  son  au- 
teur ;  c'est-à-dire ,  qu'elle  le  possédait  lui-même, 
et  le  possédait  d'une  manière  si  assurée ,  qu'elle 
n'avait  qu'à  l'aimer  persévéramment  pour  le  pos- 
séder toi^iours;  puisque  aimer  un  si  grand  bien, 


c'est  ce  qui  en  assure  la  possession,  ou  plutôt 
c'est  ce  qui  la  fait. 

Mais  elle  n'est  pas  demeurée  longtemps  en  cet 
état.  Cette  âme  qui  était  heureuse,  parce  que 
Dieu  l'avait  faite  à  son  image,  a  voulu  non  lui 
ressembler,  mais  être  absolument  comme  lui. 
Heureuse  qu'elle  était  de  connaître  et  d'aimer 
celui  qui  se  connaît  et  s'aime  éternellement ,  elle 
a  voulu ,  comme  lui ,  faire  elle-même  sa  félicité. 
Hélas ,  qu'elle  s'est  trompée ,  et  que  sa  chute  a  été 
funeste!  Elle  est  tombée  de  Dieu  sur  elle-même. 
Que  fera  Dieu  pour  la  punir  de  sa  défection?  Il 
lui  donnera  ce  qu'elle  demande  :  se  cherchant, 
elle-même,  elle  se  trouvera  elle-même.  Mais  en 
se  trouvant  ainsi  elle-même  ,  étrange  confusion  ! 
elle  se  perdra  bientôt  elle-même.  Car  voilà  que 
déjà  elle  commence  à  se  méconnaître  ;  transpor- 
tée de  son  orgueil ,  elle  dit  :  Je  suis  un  Dieu ,  et 
je  me  suis  faite  moi-même.  C'est  ainsi  que  le  pro- 
phète fait  parler  les  âmes  hautaines ,  qui  mettent 
leur  félicité  dans  leur  propre  grandeur  et  dans 
leur  propre  excellence  '. 

En  effet,  il  est  véritable  que  pour  pouvoir  dire  : 
Je  veux  être  content  de  moi-même  et  me  suffir 
à  moi-même ,  il  faut  aussi  pouvoir  dire  :  Je  me 
suis  fait  moi-même,  ou  plutôt.  Je  suis  de  moi- 
même.  Ainsi  l'âme  raisonnable  veut  être  sembla- 
ble à  Dieu  par  un  attribut  qui  ne  peut  convenir 
à  aucune  créature,  c'est-à-dii'e,  par  l'indépen- 
dance et  par  la  plénitude  de  l'être.  Sortie  de  sou 
état ,  pour  avoir  voulu  être  heureuse  indépen- 
damment de  Dieu ,  elle  ne  peut  ni  conserver  son 
ancienne  et  naturelle  félicité ,  ni  arriver  à  celle 
qu'elle  poursuit  vainement.  Mais  comme  ici  son 
orgueil  la  trompe,  il  faut  lui  faire  sentir  par  quel- 
que autre  endroit  sa  pauvreté  et  sa  misère.  Il  ne 
faut  pour  cela  que  la  laisser  quelque  temps  à  elle- 
même  ;  cette  âme ,  qui  s'est  tant  aimée  et  tant 
cherchée,  ne  se  peut  plus  supporter.  Aussitôt 
qu'elle  est  seule  avec  elle-même,  sa  solitude  lui 
fait  horreur  ;  elle  trouve  en  elle-même  un  vide 
infini,  que  Dieu  seul  pouvait  remplir  :  si  bien 
qu'étant  séparée  de  Dieu ,  que  son  fonds  réclame 
sans  cesse;  tourmentée  par  son  indigence,  l'en- 
nui  la  dévore,  le  chagrin  la  tue;  il  faut  qu'elle 
cherche  des  amusements  au  dehors  :  et  jamais 
elle  n'aura  de  repos,  si  elle  ne  trouve  de  quoi 
s'étourdir.  Tant  il  est  vrai  que  Dieu  la  punit  par 
son  propre  dérèglement ,  et  que ,  pour  s'être  cher- 
chée elle-même,  elle  devient  elle-même  son  sup- 
plice. Mais  elle  ne  peut  pas  demeurer  en  cet  état, 
tout  triste  qu'il  est  ;  il  faut  qu'elle  tombe  encore 
plus  bas;  et  voici  comment. 

Représentez- vous  un  homme  qui  est  né  dans 

'  Ezcch..  xxvni,2;  xlli,  9. 


DE  M  ADAM  i:  DK  LA  VALLIKRE. 


381 


les  richesses,  et  qui  les  a  dissipées  par  ses  pro- 
iusions;  Il  ne  peut  souffrir  sa  pauvreté.  Ces  mu- 
railles nues,  cette  table  dégarnie,  cette  maison 
abandonnée ,  où  on  ne  voit  plus  cette  foule  de 
domestiques,  lui  fait  peur  :  pour  se  cacher  à  lui- 
même  sa  misère,  il  emprunte  de  tous  côtés;  il 
remplit  par  ce  moyen,  en  quelque  façon,  le  vide 
de  sa  maison ,  et  soutient  l'éclat  de  son  ancienne 
abondance.  Aveugle  et  malheureux,  qui  ne  songe 
pas  que  tout  ce  qui  l'éblouit  menace  sa  liberté 
et  son  repos!  Ainsi  l'âme  raisonnable,  née  riche 
par  les  biens  que  lui  avait  donnés  son  auteur,  et 
appauvrie  volontairement  pour  s'être  cherchée 
elle-même ,  réduite  à  ce  fonds  étroit  et  stérile , 
tâche  de  tromper  le  chagrin  que  lui  cause  sou  in- 
digence, et  de  réparer  ses  ruines,  en  empnin- 
tant  de  tous  côtés  de  quoi  se  remplir. 

Elle  commence  par  son  corps  et  par  ses  sens , 
parce  quelle  ne  trouve  rien  qui  lui  soit  plus  pro- 
che. Ce  corps  qui  lui  est  uni  si  étroitement,  mais 
qui  toutefois  est  d'une  nature  si  inférieure  à  la 
sienne ,  devient  le  plus  cher  objet  de  ses  com- 
plaisances. Elle  tourne  tous  ses  soins  de  ce  côté- 
là;  le  moindre  rayon  de  beauté  qu'elle  y  aper- 
çoit suffit  pour  l'arrêter  :  elle  se  mire .  pour  ainsi 
parler,  et  se  considère  elle-même  dans  ce  corps  : 
elle  croit  voir,  dans  la  douceur  de  ces  regards  et 
de  ce  visage,  la  douceur  dune  humeur  paisible; 
dans  la  délicatesse  des  traits ,  la  délicatesse  de 
l'esprit;  dans  ce  port  et  cette  mine  relevée ,  la 
grandeur  et  la  noblesse  du  courage.  Faible  et 
trompeuse  image  sans  doute  ;  mais  enfin  la  va- 
nité s'en  repaît.  A  quoi  es-tu  réduite,  âme  rai- 
sonnable? Toi ,  qui  étais  née  pour  l'éternité  et 
pour  un  objet  immortel ,  tu  deviens  éprise  et 
captive  d'une  fleur  que  le  soleil  dessèche ,  d'une 
vapeur  que  le  vent  emporte ,  en  un  mot ,  d'un 
corps  qui ,  par  sa  mortalité ,  est  devenu  un  em- 
pêchement et  un  fardeau  à  l'esprit. 

Elle  n'est  pas  plus  heureuse  en  jouissant  des 
plaisirs  que  ses  sens  lui  offrent  :  au  contraire, 
elle  s'appauvrit  dans  cette  recherche,  puisqu'en 
poursuivant  le  plaisir,  elle  perd  d'abord  la  rai- 
son. Le  plaisir  est  un  sentiment  qtii  nous  trans- 
porte ,  qui  nous  enivre ,  qui  nous  saisit  indépen- 
damment de  la  raison ,  et  nous  entraîne  malgré 
ses  lois.  La  raison  en  effet  n'est  jamais  si  faible 
que  lorsque  le  plaisir  domine;  et  ce  ({ui  marque 
une  opposition  éternelle  entre  la  raison  et  le  plai- 
sir, c'est  que,  pendant  que  la  raison  demande  une 
chose,  le  plaisir  en  exige  une  autre  :  ainsi  Tâme, 
devenue  captive  du  plaisir,  est  devenue  en  même 
temps  eni^mie  de  la  raison.  Voilà  où  elle  est 
tombée,  quand  elle  a  voulu  emprunter  des  sens 
de  quoi  réparer  ses  pertes  :  mais  ce  n'est  pas  !à 
encore  la  fm  de  ses  maux.  Ci^s  sens ,  de  qui  elle  ' 


cmpnmte,  empruntent  eux-mêmes  de  tous  côtés; 
ils  tirent  tout  de  leurs  objets,  et  engagent  par 
conséquent,  à  tous  ces  objets  extérieurs ,  l'âme, 
qui ,  livrée  aux  sens ,  ne  peut  plus  rien  avoii  que 
par  eux. 

Je  ne  veux  point  ici  vous  parler  de  tous  les 
sens,  pour  vous  faire  avouer  leur  iLdigence  :  con- 
sidérez seulement  la  \ue,  à  combien  d'objets 
extérieurs  elle  nous  attache.  Tout  ce  qui  brille, 
tout  ce  qui  rit  aux  yeux,  tout  ce  qui  paraît  grand 
et  magnifique ,  devient  l'objet  de  nos  désirs  et  de 
notre  curiosité.  Le  Saint-Esprit  nous  en  avait 
bien  avertis,  lorsqu'il  avait  dit  cette  parole  : 
«  Ne  suivez  pas  vos  pensées  et  vos  yeux ,  vous 
«  souillant  et  vous  corrompant;  »  disons  le  mot 
du  Saint-Esprit  :  «  vous  prostituant  vous-mêmes 
«  à  tous  les  objets  qui  se  présentent'.  »  Nous 
faisons  tout  le  contraire  de  ce  que  Dieu  com- 
mande :  nous  nous  engageons  de  toutes  parts  ; 
nous  qui  n'avions  besoin  que  de  Dieu ,  nous  com- 
mençons à  avoir  besoin  de  tout.  Cet  hojjime  croit 
s'agrîmdhr  avec  son  équipage  qu'il  augmente  , 
avec  ses  appartements  qu'il  rehausse,  avec  son 
domaine  qu'il  étend.  Cette  femme  ambitieuse 
et  vaine  croit  valoir  beaucoup ,  quand  elle  s'est 
chargée  d'or,  de  pierreries ,  et  de  mille  autres 
vains  ornements.  Pour  la  parer,  toute  la  nature 
s'épuise,  tous  les  arts  suent,  toute  l'industrie  se 
consume.  Ainsi  nous  amassons  autour  de  nous 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  rare  :  notre  vanité  se 
repaît  de  cette  fausse  abondance  ;  et  par  là  nous 
tombons  insensiblement  dans  les  pièges  de  l'a- 
varice, triste  et  sombre  passion,  autant  qu'elle 
est  cruelle  et  insatiable. 

C'est  elle ,  dit  saint  Augustin  ,  qui ,  trouvant 
l'âme  pauvre  et  vide  au  dedans,  la  pousse  au 
dehors,  la  partage  en  mille  soucis,  et  la  con- 
sume par  des  efforts  aussi  vains  que  laborieux. 
Elle  se  tourmente  comme  dans  un  songe;  on 
veut  parler,  la  voix  ne  suit  pas  ;  on  veut  faire  de 
grands  mouvements,  on  sent  ses  membres  en- 
gourdis. Ainsi  l'âme  veut  se  remplir,  elle  ne  peut  ; 
son  argent ,  qu'elle  appelle  son  bien,  est  dehors, 
et  c'est  le  dedans  qui  est  vide  et  pauvre.  Elle 
se  tourmente  de  voir  son  bien  si  détaché  d'elle- 
même  ,  si  exposé  au  hasard ,  si  soumis  au  pouvoir 
d'autrui.  Cependant  elle  voit  croître  ses  mau- 
vais désirs  avec  ses  richesses.  «  L'avarice,  dit 
«  saint  Paul,  est  la  racine  de  tous  les  maux  :  ■ 
Radix  omnium  malorum  est  cupiditas  '.  Eu 
effet ,  les  richesses  sont  un  moyen  d'avoir  pres- 
que sûrement  tout  ce  qu'on  désire.  Par  les  riches- 
ses ,  l'ambitieux  se  peut  assouvir  d'honneurs  ;  le 
voluptueux,  déplaisirs  ;  chacun  enfin,  de  ce  qu'il 

'  yum.  XV,  iî. 
'  I.  Ttm.  VI,  10. 


382 


POUR  LA  PROFESSION 


demande.  Tous  les  mauvais  désirs  naissent  dans 
un  cœur  qui  croit  avoir  dans  l'argent  le  moyen 
de  les  satisfaire.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si 
la  passion  des  richesses  est  si  violente ,  puisqu'elle 
ramasse  en  elle  toutes  les  autres.  Que  l'âme  est 
asservie  !  de  quel  joug  elle  est  chargée!  et  pour 
s'être  cherchée  elle-même ,  combien  est-elle  de- 
venue pauvre  et  captive  ! 

Mais  peut-être  que  les  passions  plus  nobles  et 
plus  généreuses  seront  plus  capables  de  la  rem- 
plir. Voyons  ce  que  la  gloire  lui  pourra  produire. 
11  n'y  a  rien  de  plus  éclatant,  ni  qui  fasse  tant 
de  bruit  parmi  les  hommes ,  et  tout  ensemble  il 
n'y  a  rien  de  plus  misérable  ni  de  plus  pauvre. 
Pour  nous  en  convaincre ,  considérons-la  dans 
ce  qu'elle  a  de  plus  magnifique  et  de  plus  grand. 
11  n'y  a  point  de  plus  grande  gloire  que  celle  des 
conquérants ,  choisissons  le  plus  renommé  d'en- 
tre eux.  Quand  on  veut  parler  d'un  grand  con- 
quérant, chacun  pense  à  Alexandre  :  ce  sera  donc, 
si  vous  voulez  ,  Alexandre  qui  nous  fera  voir  la 
pauvreté  des  rois  conquérants.  Qu'est-ce  qu'il  a 
souhaité  ce  grand  Alexandre,  et  qu'a-t-il  cher- 
ché pa?r  tant  de  travaux  et  tant  de  peines,  qu'il  a 
souffertes  lui-même ,  et  qu'il  a  fait  souffrir  aux 
autres?  11  a  souhaité  de  faire  du  bruit  dans  le 
monde  durant  sa  vie  et  après  sa  mort.  Il  a  tout 
ce  qu'il  a  demandé;  personne  n'en  a  tant  fait  : 
dans  l'Egypte ,  dans  la  Perse ,  dans  les  Indes , 
dans  toute  la  terre,  en  Orient  et  en  Occident, 
depuis  plus  de  deux  mille  ans  on  ne  parle  que 
d'Alexandre.  Il  vit  dans  la  bouche  de  tous  les 
hommes ,  sans  que  sa  gloire  soit  effacée  ou  dimi- 
nuée depuis  tant  de  siècles  :  les  éloges  ne  lui 
manquent  pas;  mais  c'est  lui  qui  manque  aux 
éloges.  Il  a  eu  ce  qu'il  demandait  ;  en  a-t-il  été 
plus  heureux ,  tourmenté  par  son  ambition  du- 
rant sa  vie,  et  tourmenté  maintenant  dans  les  en- 
fers, où  il  porte  la  peine  éternelle  d'avoir  voulu 
se  faire  adorer  comme  un  dieu ,  soit  par  orgueil , 
soit  par  politique  ?  Il  en  est  de  même  de  tous  ses 
semblables.  Ceux  qui  désirent  la  gloire,  la  gloire 
souvent  leur  est  donnée.  «  Ils  ont  reçu  leur  ré- 
«  compense ,  »  dit  le  Fils  de  Dieu  '  ;  ils  ont  été 
payés  selon  leurs  mérites.  Ces  grands  hommes, 
dit  saint  Augustin ,  tant  célébrés  parmi  les  Gen- 
tils ,  et  j'ajoute,  trop  estimés  parmi  les  chrétiens, 
ont  eu  ce  qu'ils  demandaient  :  ils  ont  acquis  cette 
gloire  qu'ils  désiraient  avec  tant  d'ardeur;  et 
«  vains,  ils  ont  reçu  une  récompense  aussi  vaine 
«  que  leurs  désirs  :  »  Quœrebant  non  apucl 
Deum,  sed  apud  homines  gloriam...  ad  quam. 
pervenientes  perceperunt  mercedem  suam^  van  i 
vanam  '. 

•  Matth.  VI ,  !. 

*  In  Ps.  cxvixi,  Serm.  xii ,  n"  2,  t.  iv.  col.  1503. 


Vous  voyez ,  messieurs ,  l'âme  risonnable  dé- 
chue de  sa  première  dignité,  parce  qu'elle  quitte 
Dieu,  et  que  Dieu  la  quitte;  menée  de  captivité 
en  captivité,  captive  d'elle-même,  captive  de  son 
corps,  captive  des  sens  et  des  plaisirs,  captive 
de  toutes  les  choses  qui  l'environnent.  Saint  Paul 
dit  tout  en  un  mot,  quand  il  parle  ainsi  ; 
«  L'homme,  dit-il,  est  vendu  sous  le  péché  :  » 
Venumdatus  suh  peccato^-^  livré  au  péché, 
captif  sous  ses  lois ,  accablé  de  ce  joug  honteux 
comme  un  esclave  vendu.  A  quel  prix  le  péché 
l'a-t-il  acheté  ?  Il  l'a  acheté  par  tous  les  faux  biens 
qu'il  lui  a  donnés.  Entraîné  par  tous  ces  faux 
biens ,  et  asservi  par  toutes  les  choses  qu'il  croit 
posséder,  il  né  peut  plus  respirer,  ni  regarder  le 
ciel ,  d'où  il  est  venu.  'Ainsi  il  a  perdu  Dieu ,  et 
toutefois  le  malheureux  il  ne  peut  s'en  passer,  car 
il  y  a  au  fond  de  notre  âme  un  secret  désir  qui  le 
redemande  sans  cesse. 

L'idée  de  celui  qui  nous  a  créés  est  empreinte 
profondément  au  dedans  de  nous.  Mais ,  ô  mal- 
heur incroyable  et  lamentable  aveuglement  !  rien 
n'est  gravé  plus  avant  dans  le  cœur  de  l'homme , 
et  rien  ne  lui  sert  moins  dans  sa  conduite.  Les 
sentiments  de  religion  sont  la  dernière  chose  qui 
s'efface  en  l'homme ,  et  la  dernière  que  l'homme 
consulte  :  rien  n'excite  de  plus  grands  tumultes 
parmi  les  hommes;  rien  ne  les  remue  davan- 
tage ,  et  rien  en  même  temps  ne  les  remue  moins. 
En  voulez- vous  voir  une  preuve?  A  présent  que 
je  suis  assis  dans  la  chaire  de  Jésus-Christ  et  des 
apôtres ,  que  vous  m'écoutez  avec  attention ,  si 
j'allais  (ah  !  plutôt  la  mort!)  si  j'allais  vous  ensei- 
gner quelque  erreur,  je  verrais  tout  mon  audi- 
toire se  révolter  contre  moi.  Je  vous  prêche  les 
vérités  les  plus  importantes  de  la  religion  ;  que 
feront-elles?  0  Dieu,  qu'est-ce  donc  que  l'homme? 
est-ce  un  prodige?  est-ce  un  composé  monstrueux 
de  choses  incompatibles?  ou  bien  est-ce  une 
énigme  inexplicable? 

Non ,  messieurs ,  nous  avons  expliqué  l'énigme. 
Ce  qu'il  y  a  de  si  grand  dans  l'homme  est  un 
reste  de  sa  première  institution  :  ce  qu'il  y  a  de 
si  bas ,  et  qui  paraît  si  mal  assorti  avec  ses  pre- 
miers principes ,  c'est  le  malheureux  effet  de  sa 
chute.  Il  ressemble  à  un  édifice  ruiné ,  qui  dans 
ses  masures  renversées  conserve  encore  quelque 
chose  de  la  beauté  et  de  la  grandeur  de  son  pre- 
mier plan.  Fondé  dans  son  origine  sur  la  connais- 
sance de  Dieu  et  sur  son  amour,  par  sa  volonté 
dépravée  il  est  tombé  en  ruine;  le  comble  s'est 
abattu  sur  les  murailles ,  et  les  murailles  sur  le 
fondement.  Mais  qu'on  remue  ces  ruines,  on 
trouvera  dans  les  restes  de  ce  bâtiment  ren- 

I  Rom.  VII,  14. 


DE  MADAME  DE  LA  VALLIÈRE. 


versé,  et  les  traces  des  fondations,  et  l'idée  du 
premier  dessein ,  et  la  marque  de  l'architecte. 
L'impression  de  Dieu  reste  encore  en  l'homme 
si  forte  qu'il  ne  peut  la  perdre ,  et  tout  ensemble 
si  faible  qu'il  ne  peut  la  suivre  :  si  bien  qu'elle 
semble  n'être  restée  que  pour  le  convaincre  de  sa 
faute,  et  lui  faire  sentir  sa  perte.  Ainsi  il  est  vrai 
qu'il  a  perdu  Dieu  :  mais  nous  avons  dit,  et  il 
est  vrai ,  qu'il  ne  pouvait  éviter  après  cela  de  se 
perdre  aussi  lui-même. 

L'âme ,  qui  s'est  éloignée  de  la  source  de  son 
être,  ne  connaît  plus  ce  qu'elle  est.  Elle  s'est 
embarrassée,  dit  saint  Augustin  ' ,  dans  toutes 
les  choses  qu'elle  aime  ;  et  de  là  vient  qu'en  les 
perdant  elle  se  croit  aussitôt  perdue  elle-même. 
Ma  maison  est  brûlée;  on  se  tourmente,  et  on 
dit,  Je  suis  perdu  :  ma  réputation  est  blessée, 
ma  fortune  est  ruinée ,  Je  suis  perdu.  ISIais  sur- 
tout quand  le  corps  est  attaqué ,  c'est  là  qu'on 
s'écrie  plus  que  jamais,  Je  suis  perdu.  L'homme 
se  croit  attaqué  au  fond  de  son  être ,  sans  vou- 
loir jamais  considérer  que  ce  qui  dit,  Je  suis 
perdu  ,  n'est  pas  le  corps  :  car  le  corps  de  lui- 
même  est  sans  sentiment;  et  l'âme,  qui  dit 
qu'elle  est  perdue,  ne  sent  pas  qu'elle  est  autre 
chose  fjue  celui  dont  elle  connaît  la  perte  future  ; 
c'est  pourquoi  elle  se  croit  perdue  en  le  perdant. 
Ah  !  si  elle  n'avait  pas  oublié  Dieu ,  si  elle  avait 
toujours  songé  qu'elle  est  son  image,  elle  se  se- 
rait tenue  à  lui  comme  au  seul  appui  de  son  être , 
et  attachée  à  un  principe  si  haut,  elle  n'aurait 
pas  cru  périr  en  voyant  tomber  ce  qui  est  si 
fort  au-dessous  d'elle.  Mais,  comme  dit  saint 
Augustin  ^ ,  s'étanî  engagée  tout  entière  dans 
son  corps  et  dans  les  choses  sensibles;  roulée  et 
enveloppée  parmi  les  objets  qu'elle  aime,  et  dont 
elle  traîne  continuellement  l'idée  avec  elle, 
elle  ne  s'en  peut  plus  démêler,  elle  ne  sait  plus 
ce  qu'elle  est.  Elle  dit  :  Je  suis  une  vapeur,  je  suis 
un  souffle ,  je  suis  un  air  délié ,  ou  un  feu  subtil  ; 
sans  doute  une  vapeur  qui  aime  Dieu,  un  feu 
qui  connaît  Dieu,  un  air  fait  à  son  image.  0  âme, 
voilà  le  comble  de  tes  maux;  ea  te  cherchant, 
tu  t'es  perdue  ;  et  toi-même  tu  te  méconnais.  En 
ce  triste  et  malheureux  état,  écoutons  la  parole 
de  Dieu  par  la  bouche  de  son  prophète  :  Conver- 
timini,  sicut  in  profundum.  recesseratù ,  fUii 
Israël  ^!  0  âme,  reviens  à  Dieu  autant  du  fond, 
que  tu  t'en  étais  si  profondément  retirée  ! 


SECOND    POINT. 


Et  en  effet ,  chrétiens,  dans  cet  oubli  profond 
et  de  Dieu  et  d'elle-même ,  où  elle  est  plongée , 


'  De  Trin.  lib.  X,  n°  7,  t.  vilt,  col.  89% 
*  /6id.  n»  Il  ;  t.  viii,  col.  8l>5. 
»  /«.  sxxi. 


28S 

ce  grand  Dieu  sait  bien  la  trouver.  Il  dit  enten- 
dre sa  voix ,  quand  il  lui  plaît,  au  milieu  du  bruit 
du  monde  :  dans  son  plus  grand  éclat,  et  au  mi- 
lieu de  toutes  ses  pompes,  il  en  découvre  le  fond, 
c'est-à-dire,  la  vanité  et  le  néant.  L'âme ,  hon- 
teuse de  sa  servitude ,  vient  à  considérer  pour- 
quoi elle  est  née;  et  recherchant  en  elle-même 
les  restes  de  l'image  de  Dieu,  elle  songe  à  la  ré- 
tablir en  se  réunissant  à  son  auteur.  Touchée  de 
ce  sentiment,  elle  comraeuce  à  rejeter  les  choses 
extérieures.  0  richesses,  dit-elle,  vous  n'avez 
qu'un  nom  trompeur  !  vous  venez  pour  me  rem- 
plir; mais  j'ai  un  vide  infini,  où  vous  n'entrez 
pas.  Mes  secrets  désire ,  qui  demandent  Dieu , 
ne  peuvent  pas  être  satisfaits  par  tous  vos  trésore  ; 
il  faut  que  je  m'enrichisse  par  quelque  chose  de 
plus  grand  et  de  plus  intime.  Voilà  les  richesses 
méprisées. 

L'âme  considérant  ensuite  le  corps  auquel  elle 
est  unie,  le  voit  revêtu  de  mille  ornements  étran- 
gers :  elle  en  a  honte ,  parce  qu'elle  voit  que  ces 
ornements  sont  un  piège  pour  les  autres  et  pour 
elle-même.  Alors  elle  est  en  état  d'écouter  les 
paroles  que  le  Saint-Esprit  adresse  aux  dames 
mondaines,  par  la  bouche  du  prophète  Isaïe  : 
«  J'ai  vu  les  filles  de  Sion  la  tête  levée ,  marchant 
«  d'un  pas  affecté,  avec  des  contenances  étudiées, 
«  et  faisant  signe  des  yeux  à  droite  et  à  gauche  : 
«  pour  cela ,  dit  le  Seigneur,  je  ferai  tomber  tous 
«  leurs  cheveux'.  «Quelle  sorte  de  vengeance! 
Quoi,  fallait-il  foudroyer  et  le  prendre  d'un  ton 
si  haut  pour  abattre  des  cheveux  ?  Ce  grand  Dieu, 
qui  se  vante  de  déraciner  par  son  souffle  les  cè- 
dres du  Liban ,  tonne  pour  abattre  les  feuilles  des 
arbres  î  Est-ce  là  le  digne  effet  d'uue  main  toute- 
puissante?  Qu'il  est  honteux  à  l'homme  d'être  si 
fort  attaché  à  des  choses  vaines ,  que  les  lui  ôter 
soit  un  supplice  î  C'est  pour  cela  que  le  prophète 
passe  encore  plus  avant.  Après  avoir  dit  :  »  Je 
«  ferai  tomber  leurs  cheveux;  je  détruirai,  pour- 
«  suit-il,  et  les  colliers,  et  les  bracelets,  et  les 
«  anneaux ,  et  les  boites  à  parfums ,  et  les  vestes , 
«  et  les  manteaux ,  et  les  rubans ,  et  les  broderies , 
«  et  ces  toiles  si  déliées;  »  vaines  couvertures  qui 
ne  cachent  rien ,  et  le  reste.  Car  le  Saint-Esprit 
a  voulu  descendre  dans  un  dénombrement  exact 
de  tous  les  ornements  de  la  vanité;  s'attachant, 
pour  ainsi  parler,  à  suivre  par  sa  vengeance  toutes 
les  diverses  parures  qu'une  vaine  curiosité  a  in- 
ventées. A  ces  menaces  du  Saint-Esprit,  l'âme, 
qui  s'est  sentie  longtemps  attachée  à  ces  orne- 
ments, commence  à  rentrer  en  elle-même.  Quoi , 
Seigneur,  dit- elle,  vous  voulez  détruire  toute 
cette  vaine  parure?  Pour  prévenir  votre  colère, 

'  /*.  IB,  16,  17. 


S84 


POUR  LA  PROFESSION 


,ie  commencerai  moi-même  à  m'ea  dépouiller.  En- 
trons dans  un  état  où  il  n'y  ait  plus  d'ornement 
que  celui  de  la  vertu. 

Ici  cette  âme  dégoûtée  du  monde,  s'avisant 
que  ces  ornements  marquent  dans  les  hommes 
quelque  dignité,  et  \enant  à  considérer  les  hon- 
neurs (jue  le  monde  vante,  elle  en  connaît  aussi- 
tôt le  fond.  Elle  voit  l'orgueil  qu'ils  inspirent,  et 
découvre  dans  cet  orgueil ,  et  les  disputes ,  et  les 
jalousies,  et  tous  les  maux  qu'il  entraîne  :  elle  voit 
en  même  temps  que  si  ces  honneurs  ont  quelque 
chose  de  solide ,  c'est  qu'ils  obligent  de  donner 
au  monde  un  grand  exemple.  Mais  on  peut  en  les 
quittant  donner  un  exemple  plus  utile;  et  il  est 
beau,  quand  ou  les  a,  d'en  faire  un  si  bel  usage. 
Loin  donc,  honneurs  de  la  terre  :  tout  votre  éclat 
couvre  mal  nos  faiblesses  et  nos  défauts;  il  ne 
les  cache  qu'à  nous  seuls ,  et  les  fait  connaître  à 
tous  les  auti'es.  Ah  !  «  j'aime  mieux  avoir  la  der- 
«  nière  place  dans  la  maison  de  mon  Dieu ,  que 
«  de  tenir  les  plus  hauts  rangs  dans  la  demeure 
«  des  pécheurs  '.  » 

L'âme  se  dépouille,  comme  vous  voyez,  des 
choses  extérieures  ;  elle  revient  de  son  égarement, 
et  commence  à  être  plus  proche  d'elle-même. 
Mais  osera-t-elle  toucher  à  ce  corps  si  tendre ,  si 
chéri,  si  ménagé?  N'aura-t-on  point  de  pitié  de 
cette  complexion  délicate?  Au  contraire,  c'est  à 
lui  principalement  que  l'âme  s'en  prend ,  comme 
à  son  plus  dangereux  séducteur.  J'ai,  dit-elle, 
trouvé  une  victime  :  depuis  que  ce  corps  est  de- 
venu mortel ,  il  semblait  n'être  devenu  pour  moi 
qu'un  embarras,  et  un  attrait  qui  me  porte  au  mal  ; 
mais  la  pénitence  me  fait  voir  que  je  le  puis  met- 
tre à  un  meilleur  usage.  Grâce  à  la  miséricorde 
divine ,  j'ai  en  lui  de  quoi  réparer  mes  fautes  pas- 
sées. Cette  pensée  la  sollicite  à  ne  plus  rien  donner 
à  ses  sens  :  elle  leur  ôte  tous  leurs  plaisirs  ;  elle 
embrasse  toutes  les  mortifications  ;  elle  donne  au 
corps  une  nourriture  peu  agréable ,  et  afin  que  la 
nature  s'en  contente ,  elle  attend  que  la  nécessité 
la  rende  supportable.  Ce  corps  si  tendre  couche 
sur  la  dure;  la  psalmodie  de  la  nuit,  et  le  travail 
de  la  journée  y  attirent  le  sommeil  ;  sommeil  léger 
qui  n'appesantit  pas  l'esprit,  et  n'interrompt  pres- 
que point  ses  actions.  Ainsi  toutes  les  fonctions, 
même  de  la  nature,  commencent  dorénavant  à  de- 
venir des  opérations  de  la  grâce.  On  déclare  une 
guerre  immortelle  et  irréconciliable  à  tous  les  plai- 
sirs ;  il  n'y  en  a  aucun  de  si  innocent,  qui  ne  de- 
vienne suspect  :  la  raison  que  Dieu  a  donnée  à 
l'âme  pour  la  conduire  s'écrie  en  les  voyant  ap- 
proch'^r  :  «  C'est  ce  serpent  qui  nous  a  séduits  :  >- 
Serpens  decepitme^.  Les  premiers  plaisirs  qui 
nous  ont  trompés  sont  entrés  dans  notre  cœur  avec 

'  Pi.  LXXXIII,  II. 


une  mine  innocente,  comme  un  ennemi  qui  se 
déguise  pour  entrer  dans  une  place,  qu'il  veut  ré- 
volter contre  les  puissances  légitimes.  Ces  désirs, 
qui  nous  semblaient  innocents,  ont  remué  peu  à 
peu  les  passions  les  plus  violentes,  qui  nous  ont 
mis  dans  les  fers  que  nous  avons  tant  de  peine 
à  rompre. 

L'âme,  délivrée  pas  ces  réflexions  de  la  cap- 
tivité des  sens,  et  détachée  de  son  corps  par  la 
mortification ,  est  enfin  venue  à  elle-niême.  Elle 
est  revenue  de  bien  loin ,  et  semble  avoir  fait  un 
grand  progrès  :  mais  enfin,  s'étant  trouvée  elle- 
même,  elle  a  trouvé  la  source  de  tous  ses  maux. 
C'est  donc  à  elle-même  qu'elle  en  veut  encore  : 
déçue  par  sa  liberté,  dont  elle  a  fait  un  mauvais 
usage ,  elle  songe  à  la  contraindre  de  toutes  parts  ; 
des  grilles  affreuses ,  une  retraite  profonde ,  une 
clôture  impénétrable,  une  obéissance  entière ^ 
toutes  les  actions  réglées,  tous  les  pas  comptés, 
cent  yeux  qui  vous  observent  ;  encore  trouve-t" 
elle  qu'il  n'y  en  a  pas  assez  pour  l'empêcher  de 
s'égarer.  Elle  se  met  de  tous  côtés  sous  le  joug  : 
elle  se  souvient  des  tristes  jalousies  du  monde , 
et  s'abandonne  sans  réserve  aux  douces  jalousies 
d'un  Dieu  bienfaisant ,  qui  ne  veut  avoir  les  cœurs 
que  pour  les  remplir  des  douceurs  célestes.  De 
peur  de  retomber  sur  ces  objets  extérieurs ,  et  que 
sa  liberté  ne  s'égare  encore  une  fois  en  les  cher- 
chant ,  elle  se  met  des  bornes  de  tous  côtés  :  mais 
de  peur  de  s'arrêter  en  elle-même,  elle  abandonne 
sa  volonté  propre.  Ainsi,  resserrée  de  toutes  parts, 
elle  ne  peut  plus  respirer  que  du  côté  du  ciel  : 
elle  se  donne  donc  en  proie  à  l'amour  divin;  elle 
rappelle  sa  connaissance  et  son  amour  à  leur  usage 
primitif.  C'est  alors  que  nous  pouvons  dire  avec 
David  :  «  0  Dieu ,  votre  serviteur  a  trouvé  son 
«  cœur,  pour  vous  faire  cette  prière  *.  »  L'âme  ^ 
si  longtemps  égarée  dans  les  choses  extérieures , 
s'est  enfin  trouvée  elle-même;  mais  c'est  pour 
s'élever  au-dessus  d'elle ,  et  se  donner  tout  à  fait 
à  Dieu. 

Il  n'y  a  rien  de  plus  nouveau  que  cet  état 
où  l'âme  pleine  de  Dieu  s'oublie  elle-même.  De 
cette  union  avec  Dieu ,  on  voit  naître  bientôt  en 
elle  toutes  les  vertus.  Là  est  la  véritable  prudence; 
car  on  apprend  à  tendre  à  sa  fin ,  c'est-à-dire ,  à 
Dieu,  par  la  seule  voie  qui  y  mène  ,  c'est-à-dire , 
par  l'amour.  Là  est  la  force  et  le  courage  ;  car  il 
n'y  a  rien  qu'on  ne  souffre  pour  l'amour  de  Dieu, 
là  se  trouve  la  tempérance  parfaite  ;  car  on  ne 
peut  plus  goûter  les  plaisirs  des  sens  qui  déro- 
bent à  Dieu  les  cœurs  et  l'attention  des  esprits. 
La  on  commence  à  faire  justice  à  Dieu ,  au  pro- 
chain, et  à  soi-même  :  à  Dieu ,  parce  qu'on  lui 

'  Gènes,  m,  13. 
»  II.  Reg.  V»,  27. 


DE  MADAME  DE  LA  VALLIÈRE. 


S8S 


reiul  tout  ce  qu'on  lui  doit,  en  l'aimant  plus  que 
soi-même  ;  au  prochain,  parce  qu'on  commence 
a  l'aimer  véritablement,  non  pour  soi-même, 
mais  comme  soi-même ,  après  qu'on  a  fait  lellort 
lie  renoncer  à  soi-même  :  enfin,  on  se  fait  jus- 
lice  à  soi-même,  parcequ'on  se  donne  de  tout  son 
cœur  à  qui  on  appartient.naturellement.  Mais  en 
se  donnant  de  la  sorte,  on  acquiert  le  plus  grand 
de  tous  \vs  biens,  et  on  a  ce  merveilleux  avan- 
tage d'être  heureux  par  le  même  objet  qui  fait  la 
félicité  de  Dieu. 

L'amour  de  Dieu  fait  donc  naître  toutes  les 
\ei-tus;  et  pour  les  faire  subsister  éternellement, 
il  leur  donne  pour  fondement  l'humilité.  Deman- 
dez à  ceux  qui  ont  dans  le  cœur  quelque  passion 
\  iolente ,  s'ils  conservent  quelque  orgueil  ou  quel- 
que fierté  en  présence  de  ce  qu'ils  aiment  :  on  ne 
se  soumet  que  trop,  on  n'est  que  tiop  humble. 
L'âme  possédée  de  l'amour  de  Dieu ,  transportée 
par  cet  amour  hors  d'elle-même,  n'a  garde  de 
songer  àelle,  ni  par  conséquent  de  s'enorgueillir; 
car  elle  voit  un  objetau  prix  duquel  elle  se  compte 
pour  rien,  et  en  est  tellement  éprise  qu'elle  le 
préfère  à  elle-même ,  non-seulement  par  raison, 
mais  par  amour. 

Mais  voici  de  quoi  l'humilier  plus  profondé- 
ment encore.  Attachée  à  ce  divin  objet,  elle  voit 
toujours  au-dessous  d'el  le  deux  gouffres  profonds, 
le  néant  d'où  elle  est  tirée,  et  un  autre  néant  plus 
affreux  encore,  c'est  le  péché,  où  elle  peut  re- 
tomber sans  cesse ,  pour  peu  qu'elle  s'éloigne  de 
Dieu ,  et  qu'elle  l'oblige  de  la  quitter.  Elle  con- 
sidère que  si  elle  est  juste ,  c'est  Dieu  qui  la  fait 
telle  continuellement.  Saint  Augustin  '  ne  veut 
pas  qu'on  dise  que  Dieu  nous  a  faits  justes  ;  mais 
il  dit  qu'il  nous  fait  justes  à  chaque  moment.  Ce 
n'est  pas,  dit-il,  comme  un  médecin  qui  ajant 
guéri  son  malade ,  le  laisse  dans  une  santé  qui  n'a 
plus  besoin  de  son  secours  ;  c'est  comme  l'air  qui 
n'a  pas  été  fait  lumineux  pour  le  demeurer  en- 
suite par  lui-même ,  mais  qui  est  fait  tel  conti- 
nuellement par  le  soleil.  Ainsi  l'âme  attachée  à 
Dieu  sent  continuellement  sa  dépendance,  et  sent 
que  la  justice  qui  lui  est  donnée  ne  subsiste  pas 
toute  seule,  mais  que  Dieu  la  crée  en  elle  à  chaque 
instant  :  de  sorte  qu'elle  se  tient  toujours  atten- 
tive de  ce  côté-là;  elle  demeure  toujours  sous  la 
main  de  Dieu,  toujours  attachée  au  gouvernement 
et  comme  au  rayon  de  sa  grâce.  En  cet  état  elle 
se  connaît ,  et  ne  craint  plus  de  périr,  de  la  ma- 
nière dont  elle  le  craignait  auparavant  :  elle  sent 
qu'elle  est  faite  pour  un  objet  éternel ,  et  ne  con- 
naît plus  de  mort  que  le  péché. 

11  faudrait  ici  vous  découvrir  la  dernière  per- 
fection de  l'amour  de  Dieu  :  il  faudrait  vous  mon- 

'  De  Gen.  ad  lui.  lib.  V'.il,  n"  25,  t  m.  part  i,  col.  2."J4. 

BOSSCET.  —  TOME  III. 


ti*er  cette  âme  détachée  encore  des  cliastes  dou- 
ceurs qui  l'ont  attirée  a  Dieu,  et  possédée  seulement 
de  ce  qu'elle  découvre  en  Dieu  même,  c'est-à-dire, 
de  ses  perfections  infinies.  Là  se  verrait  l'union 
de  l'âme  avec  un  Jésus  délaissé  ;  là  s'entendrait 
la  dernière  consommation  de  l'amour  divin  dans 
un  endroit  de  l'âme  si  profond  et  si  retiré ,  que 
les  sens  n'en  soupçonnent  rien ,  tant  il  est  éloi- 
gné de  leur  région;  mais  pour  expliquer  cette  ma- 
tière, il  faudrait  tenir  un  langage  que  le  monde 
n'entendrait  pas. 

Finissons  donc  ce  discours ,  et  permettez  qu'en 
le  finissant  je  vous  demande ,  messieurs ,  si  les 
saintes  vérités  que  j'ai  annoncées  ont  excité  eu 
vos  cœurs  quelque  étincelle  de  l'amour  divin.  La 
vie  chrétienne  que  je  vous  propose  si  pénitente , 
si  mortifiée ,  si  détachée  des  sens  et  de  nous-mê- 
mes ,  vous  paraît  peut-être  impossible.  Peut-on 
vivre,  direz- vous,  de  cette  sorte  ?  Peut-on  renon- 
cer à  cequi  plaît?  On  vous  dira  de  là-haut*  qu'on 
peut  quelque  chose  de  plus  difficile,  puisqu'on 
peut  embrasser  tout  ce  qui  choque.  Mais  pour  le 
faire,  direz-vous,  il  faut  aimer  Dieu;  et  je  ne 
sais  si  on  peut  le  connaître  assez  pour  l'aimer  au- 
tant qu'il  faudrait.  On  vous  dira  de  là-haut  cju'on 
en  connaît  assez  pour  l'aimer  sans  bornes.  Mais 
peut-on  mener  dans  le  monde  une  telle  vie  ?  Oui 
sans  doute ,  puisque  le  monde  même  vous  désa- 
buse du  monde  :  ses  appas  ont  assez  d'illusions^ 
ses  faveurs  assez  d'inconstance,  ses  rebuts  assez 
d'amertume;  il  y  a  assez  d'injustice  et  de  perfidie 
dans  le  procédé  des  hommes,  assez  d'inégalités 
et  de  bizarreries  dans  leurs  humeurs  incommodes 
et  contrariantes  ;  c'en  est  assez  sans  doute  pour 
nous  dégoûter. 

Eh!  dites-vous,  je  ne  suis  que  trop  dégoûté  : 
tout  me  dégoûte  en  effet,  mais  rien  ne  me  tou- 
che ;  le  monde  me  déplaît ,  mais  Dieu  ne  me  plaît 
pas  pour  cela.  Je  connais  cet  état  étrauge,  mal- 
heureux et  insupportable,  mais  trop  ordinaire 
dans  la  vie.  Pour  en  sortir,  âmes  chrétiennes , 
sachez  que  qui  cherche  Dieu  de  bonne  foi  ne 
manque  jamais  de  le  trouver  ;  sa  parole  y  est 
expresse  :  «  Celui  qui  frappe,  on  lui  ouvre;  celui 
«  qui  demande,  on  lui  donne;  celui  qui  cherche, 
«  il  trouve  infailliblement'.  «  Si  donc  vous  ne 
trouvez  pas ,  sans  doute  vous  ne  cherchez  pas. 
Remuez  jusqu'au  fond  de  votre  cœur  :  les  plaies 
du  cœur  ont  cela  qu'elles  peuvent  être  sondées 
jusqu'au  fond,  pourvu  qu'on  ait  le  courage  de  les 
pénétrer.  Vous  trouverez  dans  ce  fond  un  secret 
orgueil  qui  vous  fait  dédaigner  tout  ce  qu'on  vous 
dit,  et  tous  les  sages  conseils  :  vous  trouverez  un 

*  Madame  de  la  Vallière  était  à  la  grille  d'eu  haat  arec  U 
reine. 
■  ilallh.  m  .  8. 


^it 


380 


POUR  LA  PROFESSION  DE  MADAME  LAVALLIÈRE. 


psprit  de  raillerie  inconsidérée,  qui  naît  parmi 
l'enjouement  des  conversations.  Quiconque  eu 
est  possédé  croit  que  toute  la  vie  n'est  qu'un  jeu  : 
on  ne  »  eut  que  se  divertir;  et  la  face  de  la  rai- 
son ,  si  je  puis  parler  de  la  sorte ,  parait  trop  sé- 
rieuse et  trop  chagrine. 

Mais  à  quoi  est-ce  que  je  m'étudie  ?  à  cher- 
cher des  causes  secrètes  du  dégoût  que  vous  donne 
la  piété?  Il  y  en  a  de  plus  grossières  et  de  plus 
palpables  :  on  sait  quelles  sont  les  pensées  qui  ar- 
rêtent le  monde  ordinairement.  On  n'aime  point 
iJa  piété  véritable  ;  parce  que ,  contente  des  biens 
éternels,  elle  ne  donne  point  d'établissement  sur 
la  terre ,  elle  ne  fait  point  la  fortune  de  ceux  qui 
la  suivent.  C'est  l'objection  ordinaire  que  font  à 
Dieu  les  hommes  du  monde  :  mais  il  y  a  répondu , 
d'une  manière  digne  de  lui,  par  la  bouche  du 
j^rophète  ÎNIalachie  '.  «Vos  paroles  se  sont  élevées 
«  contre  moi ,  dit  le  Seigneur,  et  vous  avez  ré- 
«  pondu  :  Quelles  paroles  avons-nous  proférées 
«  contre  vous?  Vous  avez  dit  :  Celui  qui  sert 
«  Dieu  se  tourmente  en  vain.  Quel  bien  nous  est- 
«  il  revenu  d'avoir  gardé  ses  commandements, 
«  et  d'avoir  nmrché  tristement  devant  sa  face? 
«  Les  hommes  superbes  et  entreprenants  sont 
«  heureux  :  car  ils  se  sont  établis  en  vivant  dans 
«  l'impiété;  et  ils  ont  tenté  Dieu  en  songeant  à 
«  se  faire  heureux  malgré  ses  lois,  et  ils  ont  fait 
«  leurs  affaires.  » 

Voilà  l'objection  des  impies,  proposée  dans 
toute  sa  force  par  le  Saint-Esprit.  «  A  ces  mots, 
«  poursuit  le  prophète ,  les  gens  de  bien  étonnés 
«  se  sont  parlé  secrètement  les  uns  aux  autres.  ■> 
Personne  sur  la  terre  n'ose  entreprendre ,  ce  sem- 
ble, de  répondre  aux  impies  qui  attaquent  Dieu 
avec  une  audace  si  insensée  ;  mais  Dieu  répon- 
dra lui-même.  «  Le  Seigneur  a  prêté  l'oreille  à 
«  ces  choses,  dit  le  prophète ,  et  il  les  a  ouïes  :  il  a 
«  fait  un  livre  où  il  écrit  les  noms  de  ceux  qui  le 
«  servent;  et  en  ce  jour  où  j'agis,  dit  le  Seigneur 
'<  des  armées,  c'est-à-dire ,  en  ce  dernier  jour  où 
"  j'achève  tous  mes  ouvrages ,  où  je  déploie  ma 
«<  miséricorde  et  ma  justice  ;  en  ce  jour,  dit-il , 
«  les  gens  de  bien  seront  ma  possession  particu- 
«  Hère;  je  les  traiterai  comme  un  bon  père  traite 
•<  un  fils  obéissant.  Alors  vous  vous  retournerez , 
«  à  impies  !  vous  verrez  de  loin  leur  félicité ,  dont 
«  vous  serez  exclus  pour  jamais  ;  et  vous  verrez 
«  alors  quelle  différence  il  y  a  entre  le  juste  et 
«  l'impie,  entre  celui  qui  sert  Dieu  et  celui  qui 
«  méprise  ses  lois.  «  C'est  ainsi  que  Dieu  répond 
aux  objections  des  impies.  Vous  n'avez  pas  voulu 
croire  que  ceux  qui  me  servent  puissent  être  heu- 
reux :  vous  n'en  avez  cru  ni  ma  parole,  ni  l'ex- 
périence des  autres;  votre  expérience  vous  en 

'  Mal.  m,  13  et  scqq. 


convaincra;  vous  les  verrez  heureux,  et  vous 
vous  verrez  misérables  :  Hœc  dicit  Dominusfa- 
ciens  hœc  :  «  C'est  ce  que  dit  le  Seigneur;  il  l'en 
«  faut  croire  :  car  lui-même  qui  le  dit,  c'est  lui 
«  qui  le  fait;  »  et  c'est  ainsi  qu'il  fait  taire  les 
superbes  et  les  incrédules. 

Serez- vous  assez  heureux  pour  profiter  de  cet 
avis,  et  pour  prévenir  sa  colère?  Allez,  mes- 
sieurs, et  pensez-y  :  ne  songez  point  au  prédica- 
teur qui  vous  a  parlé,  ni  s'il  a  bien  dit,  ni  s'il  a 
mal  dit  :  qu'importe  qu'ait  dit  un  homme  mortel? 
Il  y  a  un  prédicateur  invisible  qui  prêche  dans 
le  fond  des  cœurs;  c'est  celui-là  que  les  prédi- 
cateurs et  les  auditeurs  doivent  écouter.  C'est 
lui  qui  parle  intérieurement  à  celui  qui  parle  au 
dehors,  et  c'est  lui  que  doivent  entendre  au  de- 
dans du  cœur  tous  ceux  qui  prêtent  l'oreille  aux 
discours  sacrés.  Le  prédicateur,  qui  parle  au  de- 
hors, ne  fait  qu'un  seul  sermon  pour  tout  un 
grand  peuple  :  mais  le  prédicateur  du  dedans, 
je  veux  dire  le  Saint-Esprit ,  fait  autant  de  prédi- 
cations différentes  qu'il  y  a  de  personnes  dans 
un  auditoire; car  il  parle  à  chacun  en  particulier, 
et  lui  applique  selon  ses  besoins  la  parole  de  la 
vie  éternelle.  Écoutez-le  donc ,  chrétiens  ;  laissez- 
lui  remuer  au  fond  de  vos  cœurs  ce  secret  prin- 
cipe de  lamour  de  Dieu. 

Esprit  saint.  Esprit  pacifique,  je  vous  ai  pré- 
paré les  voies  en  prêchant  votre  parole.  Ma  voix 
a  été  semblable  peut-être  à  ce  bruit  impétueux 
qui  a  prévenu  votre  descente  :  descendez  main- 
tenant, ô  feu  invisible;  et  que  ces  discours  en- 
flammés, que  vous  ferez  au  dedans  des  cœurs, 
les  remplissent  d'une  ardeur  céleste.  Faites-leur 
goûter  la  vie  éternelle,  qui  consiste  à  connaître 
et  à  aimer  Dieu  :  donnez-leur  un  essai  de  la  vi- 
sion, dans  la  foi;  un  avant-goût  de  la  posses- 
sion, dans  l'espérance  ;  une  goutte  de  ce  torrent 
de  délices  qui  enivre  les  bienheureux,  dans  les 
transports  célestes  de  l'amour  divin. 

Et  vous ,  ma  sœur,  qui  avez  commencé  à  goû- 
ter  ces  chastes  délices ,  descendez ,  allez  à  l'autel; 
victime  de  la  pénitence ,  allez  achever  votre  sa* 
crifice  :  le  feu  est  allumé,  l'encens  est  prêt,  le 
glaive  est  tiré  :  le  glaive,  c'est  la  parole  qui  sé- 
pare l'âmed'avec  elle-même ,  pour  l'attacher  uni- 
quement à  son  Dieu.  Le  sacré  pontife  vous 
attend  *  avec  ce  voile  mystérieux  que  vous  de- 
mandez. Enveloppez-vous  dans  ce  voile  :  vivez 
cachée  à  vous-même,  aussi  bien  qu'à  tout  le 
monde;  et  connue  de  Dieu,  échappez -vous  à 
vous-même ,  sortez  de  vous-même,  et  prenez  un 
si  noble  essor,  que  vous  ne  trouviez  de  repos 
que  dans  l'essence  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit. 

"  SI.  l'arclievéque  de  Pans. 


PANÉGYRIQUES. 


PANÉGYRIQUE 


SAINT  SULPICE, 
rBÈcuÉ  DEVAirr  la  reu«e  hère. 

Trois  grâces  dans  l'Église,  pour  surmonter  le  monde  et 
s»  vanités  :  ces  trois  grâces  réunis  en -;aint  Sulpice.  Innocence 
df  sa  vie  à  la  cour  :  ses  vertus  dans  l'épiscopat  :  sa  retraite 
avant  sa  mort ,  pour  régler  ses  comptes  avec  la  justice  divine. 
Eiwllenles  leçons  qu'il  fournit ,  dans  ces  différents  états ,  aux 
ecclésiastiques  et  à  tous  les  chréticos. 


Kos  aulem  non  spiriium  hujtts  mundi  accepimus,  sed 
spiritum  qui  ejc  Deo  est;  ut  sciamus  gtiœ  Deo  do- 
nata  sunt  nobis. 

Pour  nous ,  nous  n'avons  pas  reçu  Fesprit  de  ce  monde , 
mais  un  esprit  qui  vient  de  Dieu,  pour  connaître  les 
tiioses  qu'il  nous  a  données.  I.  Cor.  n,  "i. 

Chaque  compagnie  a  ses  lois,  ses  coutumes, 
ses  maximes  et  son  esprit  ;  et  lorsque  nos  emplois 
ou  nos  dignités  nous  donnent  place  dans  quel- 
que corps,  aussitôt  on  nous  avertit  de  prendre 
l'esprit  de  la  compagnie  dans  laquelle  nous  som- 
mes entrés.  Cette  grande  société ,  que  l'Écriture 
appelle  le  monde ,  a  son  esprit  qui  lui  est  pro- 
pre ;  et  c'est  ce  que  l'apôtre  saint  Paul  appelle , 
dans  notre  texte ,  l'esprit  du  monde.  Mais  comme 
la  grâce  du  christianisme  est  répandue  en  nos 
cœurs ,  pour  nous  séparer  du  monde  et  nous  dé- 
pouiller de  son  esprit;  un  autre  esprit  nous  est 
donné ,  d'autres  maximes  'nous  sont  proposées  : 
et  c'est  pourquoi  le  même  saint  Paul ,  parlant  de 
la  société  des  enfants  de  Dieu ,  a  dit  ces  belles 
paroles  :  «  Nous  n'avons  pas  reçu  l'esprit  de  ce 
•  monde;  mais  un  esprit  qui  est  de  Dieu ,  pour 
«  connaître  les  dons  de  sa  grâce  :  »  Ut  sciamus 
quœ  a  Deo  donata  sunt  nobis. 

Si  le  saint  que  nous  honorons ,  et  dont  je  dois 
prononcer  l'éloge ,  avait  eu  l'esprit  de  ce  monde, 
il  aurait  été  rempli  des  idées  du  monde ,  et  il  au- 
rait marché,  comme  les  autres,  dans  la  grande 
voie,  courant  après  les  délices  et  les  vanités: 
mais  étant  plein  au  contraire  de  l'esprit  de  Dieu, 
il  a  connu  parfaitement  les  biens  qu'il  nous 
donne;  un  trésor  qui  ne  se  perd  pas,  une  vie  qui 
ne  finit  pas,  l'héritage  de  Jésus-Christ,  la  com- 
munication de  sa  gloire ,  la  société  de  son  trône. 
Ces  grandes  et  nobles  idées  ayant  effacé  de  son 
cœur  les  idées  du  monde,  la  cour  ne  l'a  point 
corrompu  par  ses  faveurs ,  ni  engagé  par  ses  at- 


traits, ni  trompé  par  ses  espérances;  et  il  nous 
enseigne ,  par  ses  saints  exemples ,  à  nous  défaire 
entièrement  de  l'esprit  du  monde ,  pour  recevoir 
l'esprit  du  christianisme.  Venez  donc  apprendre 
aujourd'hui ,  [de  ce  grand  serviteur  de  Dieu ,  le 
mépris  que  vous  devez  faire  du  monde,  de  ses 
plaisirs  et  de  toutes  ses  vanités  j. 

Jésus-Christ,  ce  glorieux  conquérant,  a  eu  à 
combattre  le  ciel ,  la  terre  et  les  enfers;  je  veux 
dire,  la  justice  de  Dieu ,  la  rage  et  la  furie  des 
démons,  des  persécutions  inouïes  de  la  part  du 
monde  :  toujours  grand ,  toujours  invincible,  il 
a  triomphé  dans  tous  ces  combats;  tout  l'univers 
publie  ses  victoires.  Mais  celle  dont  il  se  glorifie 
avec  plus  de  magnificence,  c'est  celle  qu'U  a  ga- 
^ée  sur  le  monde;  et  je  ne  lis  rien  dans  son 
Évangile,  qu'il  ait  dit  avec  plus  de  force,  que 
cette  belle  parole  :  «  Prenez  courage,  j'ai  vaincu 
«  le  monde  :  »  Conjldite ,  ego  vici  mmidum  « . 

II  l'a  vaincu  en  effet ,  lorsque,  crucifié  sur  le 
Calvaire,  il  a  couvert,  pour  ainsi  dire,  la  face 
du  monde  de  toute  l'horreur  de  sa  croix ,  de  toute 
l'ignominie  de  son  supplice.  jVon  content  de  l'a- 
voir vaincu  par  lui-même ,  il  le  surmonte  tous  les 
jours  par  ses  serviteurs.  Il  est  sorti  de  ses  plaies 
un  esprit  victorieux  du  monde,  qui,  animant 
le  corps  de  l'Église ,  la  rend  saintement  féconde , 
pour  engendrer  tous  les  jours  une  race  spirituelle, 
née  pour  triompher  glorieusement  de  la  pompe , 
des  vanités  et  des  délices  mondaines. 
^  Cette  grâce  victorieuse  des  attraits  du  monde 
n'agit  pas  de  la  même  sorte  dans  tous  les  fidè- 
les. II  y  a  de  saints  solitaires  qui  se  sont  tout  à 
fait  retirés  du  monde;  il  y  en  a  d'autres,  non 
moins  illustres,  lesquels  y  vivant  sans  en  être, 
l'ont,  pour  ainsi  dire,  vaincu  dans  son  propre 
champ  de  bataille.  Ceux-là,  entièrement  déU- 
chés ,  semblent  désormais  n'user  plus  du  mon- 
de; ceux-ci,  non  moins  généreux,  en  usent 
comme  n'en  usant  pas,  selon  le  précepte  de  l'a- 
pôtre' :  ceux-là,  s'en  arrachant  tout  à  coup, 
n'ont  plus  rien  à  démêler  avec  lui;  ceux-ci  sont 
toujours  aux  mains,  et  gagnent  de  jour  en  jour, 
par  un  long  combat,  ce  que  les  autres  empor- 
tent tout  à  une  fois  par  la  seule  fuite  :  car  ici  ia 
fuite  même  est  une  victoire  ;  parce  qu'elle  ne 
vient  ni  de  surprise  ni  de  lâcheté,  mais  d'un* 

'  Joan.  XVI ,  33. 
'  I.  Cor.  T  ■    '•. 


38S 


PANÉGYRIQUE 


ardeur  de  courage  qui  rompt  ses  liens,  force  sa 
prison ,  et  assure  sa  liberté  par  une  retraite  glo- 
rieuse. 

Ce  n'est  pas  assez,  chrétiens,  et  il  y  a  dans 
l'Église  une  grâce  plusexcelkute;  je  veux  dire, 
une  force  céleste  et  divine ,  qui  nous  fait  non-seu- 
lement surmonter  le  monde ,  par  la  fuite  ou  par 
le  combat,  mais  qui  en  doit  inspirer  le  mépris 
aux  autres.  C'est  la  grâce  de  l'ordre  ecclésiasti- 
que :  car,  comme  on  voit  dans  le  monde  une  ef- 
ficace derreur,  qui  fait  passer  de  l'un  à  l'autre, 
par  une  espèce  de  contagion ,  l'amour  des  vanités 
de  la  terre;  il  a  plu  au  Saint-Esprit  de  mettre 
dans  ses  ministres  une  efficace  de  sa  vérité,  pour 
détacher  tous  les  cœurs  de  l'esprit  du  monde, 
pour  prévenir  la  contagion  qui  empoisonne  les 
âmes,  et  rompre  les  enchantements  par  lesquels 
il  les  tient  captives. 

Voilà  donc  trois  grâces  qui  sont  dans  l'Eglise, 
pour  surmonter  le  monde  et  ses  vanités;  la  pre- 
mière, de  s'en  séparer  tout  à  fait,  et  de  s'éloigner 
de  son  commerce  ;  la  seconde ,  de  s'y  conserver 
sans  corruption ,  et  de  résister  à  ses  attraits  ; 
fci  troisième,  plus  éminente,  est  d'en  imprimer 
le  dégoût  aux  autres ,  et  d'en  empêcher  la  con- 
tagion. Ces  trois  grâces  sont  dans  l'Église;  mais 
iJ;est  rare  de  les  voir  unies  dans  une  même  per- 
sonne ,  et  c'est  ce  qui  me  fait  admirer  la  vie  du 
grand  saint  Sulpice.  Il  l'a  commencée  à  la  cour, 
il  l'a  finie  dans  la  solitude  :  le  milieu  en  a  été 
occupé  dans  les  fonctions  ecclésiastiques.  Cour- 
tisan ,  il  a  vécu  dans  le  monde  sans  être  pris  de 
ses  charmes  :  évêque ,  il  en  a  détaché  ses  frères  : 
solitaire,  il  a  désiré  de  finir  ses  jours  dans  une 
entière  retraite.  Ainsi  successivement,  dans  les 
trois  états  de  sa  vie,  nous  lui  verrons  surmonter 
le  monde,  de  toutes  les  manières  dont  on  le  peut 
vaincre:  car  il  s'est  opposé  généreusement  à  ses 
faveurs  dans  la  cour,  au  cours  de  sa  malignité 
dans  l'épiscopat,  à  la  douceur  de  son  commerce 
dans  la  solitude  :  trois  points  de  ce  discours. 

TEEMIER    POINT. 

Quoique  les  hommes  soient  partagés  eji  tant 
de  conditions  différentes  ;  toutefois,  selon  l'Écri- 
ture, il  n'y  a  que  deux  genres  d'hommes,  dont 
les  uns  composent  le  monde ,  et  les  autres  la  so- 
ciété des  enfants  de  Dieu.  Cette  solennelle  divi- 
sion est  venue,  dit  saint  Augustin- ,  de  ce  que 
Ihomme  n'a  que  deux  parties  principales;  la 
partie  animale,  et  la  raisonnable;  et  c'est  par  là 
que  nous  distinguons  deux  espèces  d'hommes, 
parce  que  les  uns  suivent  la  chair,  et  les  autres 
sontgouveinés  par  l'esprit.  Ces  deux  races  d'hom- 

«  fie  Civ.  Dii.  lib.  xiv,  cap.  iv,  t.  vu,  col.  353. 


mes  ont  paru  d'abord  en  figure,  dès  l'originB 
des  siècles ,  en  la  personne  et  dans  la  famille  dç 
Caïn  et  de  Seth;  les  enfants  de  celui-ci  étant 
toujours  appelés  les  enfants  de  Dieu ,  et  au  con- 
traire ceux  de  Caïn  étant  nommés  constamment 
les  enfants  des  hommes  ;  afin  que  nous  distin- 
guions qu'il  y  en  a  qui  vivent  comme  nés  de 
Dieu,  selon  les  mouvements  de  l'esprit;  et  les 
autres  comme  nés  des  hommes ,  selon  les  incli- 
nations de  la  nature. 

De  là  ces  deux  cités  renommées,  dont  il  est 
parlé  si  souvent  dans  les  saintes  Lettres  ;  Baby- 
lone  charnelle  et  terrestre;  Jérusalem  divine  et 
spirituelle,  dont  l'une  est  posée  sur  les  fleuves, 
c'est-à-dire ,  dans  une  éternelle  agitation  ;  Saper 
aquas  multas,  dit  l'Apocalypse»  :  ce  qui  a  fait 
dire  au  psalmiste  :  «  Assis  sur  les  fleuves  de  Ba- 
«  bylone  *  ;  »  et  l'autre  est  bâtie  sur  une  monta- 
gne, e'est-à-dire ,  dans  une  consistance  immua- 
ble. C'est  pourquoi  le  même  a  chanté  :  «  Celui 
«  qui  se  confie  en  Dieu  est  comme  la  montagne  I 
«  de  Sion  ;  celui  qui  habite  en  Jérusalem  ne  sera  | 
«  jamais  ébranlé  :  "  Qui  confidunt  in  Domino 
sicut  mons  Sion  ^.  Or,  encore  que  ces  deux  cités  i 
soient  mêlées  de  corps,  elles  sont,  dit  saint] 
Augustin^,  infiniment  éloignées  d'esprit  et  de 
mœurs  :  ce  qui  nous  est  encore  représenté  dès 
le  commencement  des  choses ,  en  ce  que  les  en- 
fants de  Dieu  s'étant  alliés,  par  les  mariages, 
avec  la  race  des  hommes;  ayant  trouvé,  dit  l'É- 
criture^, leurs  filles  belles,  ayant  aimé  leurs 
plaisirs  et  leurs  vanités  ;  Dieu ,  irrité  de  cette  al- 
liance, résolut,  en  sa  juste  indignation,  d'ense- 
velir tout  le  monde  dans  le  déluge  :  afin  que  nous 
entendions  que  les  véritables  enfants  de  Dieu 
doivent  fuir  entièrement  le  commerce  et  l'alliance 
dumonde;  de  peur  de  communiquer,  comme  dit 
l'apôtre^,  à  ses  œuvres  infructueuses. 

C'est  pourquoi  le  sauveur  Jésus,  «  l'Illumina- 
«  teur  des  antiquités ,  »  Illuminator  antiquita- 
tum^ ^  parlant  de  ses  véritables  disciples,  dont 
les  noms  sont  écrits  au  ciel  :  «  Ils  ne  sont  pas  du 
«  monde,  dit-il*,  comme  je  ne  suis  pas  du  mon- 
«  de  ;  »  et  quiconque  veut  être  du  monde ,  il  s'ex- 
clut volontairement  de  la  société  de  ses  prières, 
et  de  la  communion  de  son  sacrifice,  Jésus- 
Christ  ayant  dit  décisivement  :  «  Je  ne  prie  pas 
«  pour  le  mondes.  « 


'  ^poc.  XVII ,  I 

2  Ps.  CXXXVl,  I. 

3  Ibid.  ex XIV,  I. 

<  De  cotech.  nid.  cap.  XIX,  n"  31,  t.  VI,  CO  .  283 

^   Gfllts.  M,  2. 

6  F  plus.  \,  II. 

'   rcrtiU.  adv.  Marc.  \\h.  IV,  n"  40. 

S  J(,(in.  XVII,  l<>. 

s  Id.  xv:i ,  0 


DE  SALNT  SULPICE. 


389 


J'ai  dit  CCS  choses ,  mes  frères,  afin  que  vous 
connaissiez  que  ce  n'est  pas  une  obligation  par- 
ticulière dos  religieux  de  mrpriscr  le  monde; 
mais  que  la  nécessité  de  s'en  séparer  est  la  pre- 
mière, la  plus  générale ,  la  plus  ancienr.e  obliga- 
tion de  tous  les  enfants  de  Dieu. 

Si  nous  eu  croyons  l'Évangile,  rien  de  plus 
opposé  que  Jésus-Christ  et  le  monde;  et  de  ce 
inonde ,  messieurs ,  la  partie  la  plus  éclatante ,  et 
par  conséquent  la  plus  dangereuse,  chacun  sait 
assez  que  c'est  la  cour.  Comme  elle  est  le  principe 
et  le  centre  de  toutes  les  afTaires  du  monde,  l'en- 
nemi du  genre  humain  y  jette  tous  ses  appâts, 
y  étale  toute  sa  pompe. 

Saint  Sulpice ,  nourri  à  la  cour  dès  sa  jeunesse, 
[  triompha ,  par  un  miracle  singulier  de  la  grâce , 
de  ses  artifices  et  de  sa  séduction.  Il  sut  vivre 
sans  ambition  au  milieu  des  honneurs  qui  l'en- 
vironnaient; sans  volupté  parmi  tous  les  plaisirs 
qui  le  sollicitaient;  sans  partialité,  malgré  tous 
les  intérêts  qui  divisent  d'ordinaire  les  courti- 
sans; sans  avarice,  q\ioiqu'il  ne  vit  que  des 
hommes  occupés  à  tout  attirer  à  eux  ,  soigneux 
de  tout  ménager,  pour  parvenir  au  terme  de  leurs 
espérances.  Tant  de  périls  ne  servirent  qu'à  faire 
mieux  éclater  l'innocence  de  Sulpice  :  la  candeur 
de  ses  mœurs ,  sa  simplicité ,  sa  modestie ,  sa  dou- 
ceur, forcèrent  de  le  respecter  dans  un  lieu  où 
ces  vertus  trouvent  si  peu  d'accès ,  et  où  tous 
les  vices  opposés  régnent  souverainement.  Un  si 
bel  exemple  fit  impression  ;  et  l'on  -vit,  par  les 
conversions  extraordinaires  qu'il  produisit ,  com- 
bien la  vertu  pure  et  sincère  a  d'empire  sur  les 
cœurs  les  moins  disposés  à  Tembrasser.  ] 

Sulpice,  chaste  dans  un  âge  [où  la  pureté  fait 
les  plus  tristes  naufrages ,  après  avoir  résisté  à 
toutes  les  caresses  du  monde ,  voulut,  pour  af- 
fermir davantage  sa  vertu  contre  les  écueils  qu'elle 
avait  à  craindre ,  sceller  ses  résolutions  par  des 
engagements,  qui  ne  pussent  lui  permettre  d'é- 
couter aucune  espèce  de  proposition.  Il  fit  donc 
vœu  de  virginité;  et  déjà  irréprochable  dans 
toute  sa  conduite ,  il  se  montra  encore  plus  sé- 
vère ,  et  porta  les  précautions  jusqu'à  la  dernière 
délicatesse.] 

0  sainte  chasteté  !  fleur  de  la  vertu ,  ornement 
immortel  des  corps  mortels ,  marque  assurée  d'une 
iirae  bien  faite,  protectrice  de  la  sainteté  et  de 
la  foi  mutuelle  dans  les  mariages,  fidèle  dépo- 
sitaire de  la  pureté  du  sang  des  races ,  et  qui 
seul  en  sais  conserver  la  trace  î  quoique  tu  sois 
si  nécessaire  au  genre  humain ,  où  te  trouve-t-on 
«ur  la  terre?  0  grand  opprobre  de  nos  mœurs! 
l'un  des  sexes  a  honte  de  te  conserver  ;  et  celui 
aujjuel  il  pourrait  sembler  que  tu  es  échue  en 
î  artagc,  ne  se  pique  guère  moins  de  te  perd» 


dans  les  autres,  que  de  te  conserver  en  soi' 
même.  Confessez- vous  à  Dieu  devant  ces  autels , 
vaines  et  superbes  beautés ,  dont  la  chasteté  ncst 
qu'orgueil  ou  affectation  et  grimace  :  quel  est 
votre  sentiment,  lorsque  vous  vous  étalez  avec 
tant  de  pompe,  pour  attirer  les  regards?  dites- 
moi  seulement  ce  mot?  Quels  regards  désirez- 
vous  attirer?  sont-ce  des  regards  indifférents? 
Ahî  quel  miracle,  que  saint  Sulpice,  jeune  et 
agréable,  n'ait  jamais  été  pris  dans  ces  pièges  : 
sachant  qu'il  ne  devait  l'amour  qu'à  son  Dieu 
jamais  il  n'a  souillé  dans  son  cœur  la  source  de 
l'amour.  Ange  visible,  [tandis  que  son  cœur 
brûlait  du  feu  céleste  de  la  charité ,  son  corps , 
embrasé  de  cette  divine  flamme,  se  consumait 
tout  entier  au  service  de  son  Dieu  ,  dans  les  exer- 
cices de  la  piété  chrétienne  et  les  austérités  de 
la  pénitence  ].  Ses  autres  vertus  n'étaient  pas  de 
ces  vertus  du  monde  et  de  commerce ,  ajustées 
non  point  à  la  règle,  elle  serait  trop  austère; 
mais  à  l'opinion  et  à  l'humeur  des  hommes  :  ce 
sont  là  les  vertus  des  sages  mondains ,  ou  plutôt 
c'est  le  masque  spécieux  sous  lequel  ils  cachent 
leurs  vices. 

[Que  la  vertu  de  Sulpice  avait  des  caractères 
bien  différents  !  Parce  qu'elle  était  chrétienne  et 
véritable,  elle  était  sévère  et  constante,  ferme- 
ment attachée  aux  règles ,  incapable  de  s'^n  dé- 
tourner pour  quelque  prétexte  que  ce  pût  être]. 
Sa  bonne  foi  [dans  les  affaires  ne  reçut  jamais  la 
moudre  atteinte]  ;  sa  probité ,  [supérieure  à  tou- 
tes les  vues  d'intérêt,  demeura  toujours  inalté- 
rable] ;  sa  justice  [ne  connut  aucune  de  ces  pré- 
férences ,  que  suggèrent  la  cupidité  ou  le  respect 
humain];  sa  candeur  [ne  permettait  pas  même 
de  suspecter  sa  sincérité];  et  son  innocence,  [qui 
s'affermissait  de  plus  en  plus ,  par  tousles  moyens 
qui  auraient  pa  l'affaiblir,  embellissait  toutes  ses 
autres  vertus.  Le  plus  beau  et  le  plus  grand  encore , 
c'est  qu'au  milieu  de  tant  de  faveurs  et  de  consi- 
dérations que  lui  procurait  son  mérite ,  il  savait 
toujours  conserver  une]  admirable  modération. 
Mais  peut-être  ne  durera-t-elle  que  jusqu'à  ce 
qu'elle  ait  gagné  le  dessus  :  car  le  génie  de  l'am- 
bition ,  c'est  d'être  tremblante  et  souple  lorsqu'elle 
a  des  prétentions  ;  et  quand  elle  est  parvenue  à 
ses  fins ,  la  faveur  la  rend  audacieuse  et  insup- 
portable :  Pavida  cum  quœrit,  audax  cum 
pervenerit  ' .  Un  habile  courtisan  disait  autrefois, 
qu'il  ne  pouvait  souffrir  à  la  cour  l'insolence  et 
les  outrages  des  favoris ,  et  encore  moins ,  disait- 
il,  leurs  civilités  superbes  et  dédaigneuses,  leurs 
grâces  trop  engageantes,  leur  amitié  tyrannique, 
qui  demande,  d'un  homme  libre,  nue  dépea- 

'  s.  Creg.  .V.  Past.  part  1,  cap.  a,  t.  n-,  ouL  tw 


800  PANÉGYRIQUE 

danee  servile  :  Contumeliosam  humaniiatem' . 
Sulpice,  toujours  modéré,  sut  se  tenir  dans 
les  bornes  que  l'humilité  chrétienne  lui  prescri- 
vait. Pour  se  détromper  du  monde ,  il  allait  se 
rassasier  de  la  vue  des  opprobres  de  Jésus-Christ 
dans  les  hôpitaux  et  dans  les  prisons.  [  Il  voyait 
une  ]  image  de  la  grandeur  de  Dieu  dans  le  prince , 
[et  il  trouvait  une]  image  de  la  bassesse  de  Jé- 
sus-Christ et  de  ses  humiliations  dans  les  pau- 
vres. Le  favori  de  Clotaire ,  aux  pieds  d'un  pauvre 
ulcéré,  adorant  Jésus-Christ  sous  des  haillons, 
et  expiant  la  contagion  des  grandeurs  du  monde  ; 
quel  beau  spectacle  !  Mais  il  évitait ,  le  plus  qu'il 
était  possible ,  les  regards  des  hommes ,  et  ne 
cherchait  qu'à  leur  cacher  [ses  bonnes  œuvres; 
bien  éloigné  d'imiter]  ces  vertus  trompeuses ,  qui 
se  rendent  elles-mêmes  captives  des  yeux  qu'elles 
veulent  captiver.  [C'est  ainsi  que  Sulpice  a  su  se 
conserver  pur  et  sans  tache,  au  milieu  de  toutes 
les  faveurs  les  plus  capables  d'amollir  un  cœur 
tendre,  et  de  lui  inspirer  l'amour  du  monde.  Il  a 
vaincu  le  monde  dans  sa  partie  la  plus  sédui- 
sante et  la  plus  redoutable  :  voyons  comment , 
après  en  avoir  triomphé  lui-même ,  il  va  travail- 
ler à  détruire  son  empire  dans  les  autres.  ] 

SECOND    POINT. 

La  grâce  du  baptême  porte  une  efficace,  pour 
nous  détacher  du  monde;  la  grâce  de  l'ordina- 
tion porte  une  efficace  divine ,  pour  imprimer  ce 
détachement  dans  tous  les  cœurs. 

Le  royaume  de  Jésus-Christ  n'est  pas  de  ce 
monde.  Il  y  a  guerre  déclarée  entre  Jésus-Christ 
et  le  monde ,  une  inimitié  immortelle  ;  le  monde 
le  veut  détruire,  et  il  veut  détruire  le  monde.  Ceux 
qu'il  établit  ses  ministres  doivent  donc  entrer  dans 
ses  intérêts  :  s'il  y  a  en  eux  quelque  puissance , 
c'est  pour  détruire  la  puissance ,  qui  lui  est  con- 
traire. Ainsi,  toute  la  puissance  ecclésiastique 
est  destinée  à  abattre  les  hauteurs  du  monde  : 
Ad  deprimendam  altitudinem  sœculi  hitjus. 

On  reçoit  le  Saint-Esprit  dans  le  baptême ,  dans 
une  certaine  mesure  ;  mais  on  en  reçoit  la  plé- 
nitude dans  l'ordination  sacrée  ;  et  c'est  ce  que 
signifie  l'imposition  des  mains  de  l'évêque  :  car, 
comme  dit  un  ancien  écrivain',  ce  que  fait  le 
pontife  mû  de  Dieu ,  animé  de  Dieu ,  c'est  l'image 
de  ce  que  Dieu  fait  d'une  manière  plus  forte  et 
plus  pénétrante.  L'évêque  ouvre  les  mains  sur 
nos  têtes;  Dieu  verse,  à  pleines  mains,  dans  les 
âmes  la  plénitude  de  son  Saint-Esprit.  C'est  ce 
qui  fait  dire  à  un  saint  pape  :  «  La  plénitude  de 
^  l'Esprit  saint  opère  dans  l'ordination  sacrée  :  » 
Plenitudo  Spiritiis  in  sacris   ordinationibus 

»  Senec.  Epist.  IV. 

I  aioays.  de  EccUs,  Hierac.  cap.  v,  p.  127  et  seqq. 


operatur\  Le  Saint-Esprit,  dans  le  baptême, 
nous  dépouille  de  l'esprit  du  monde  :  Non  enhn 
spiritmn  hujus  mundi  accepifmis.  La  plénitude 
du  Saint-Esprit  doit  faire  dans  l'ordination  quel- 
que chose  de  beaucoup  plus  fort  :  elle  doit  se  ré- 
pandre bien  loin  au  dehors ,  pour  détruire ,  dans 
tous  les  cœurs,  l'esprit  et  l'amour  du  monde. 
Animons-nous,  mes  frères;  c'est  assez  pour  nous 
d'être  chrétiens,  trop  d'honneur  de  porter  ce 
beau  caractère  :  Propternos  nihil  suf/tcientius 
est.  Si  donc  nous  sommes  ecclésiastiques,  c'est 
sans  doute  pour  le  bien  des  autres. 

Que  n'a  pas  entrepris  le  grand  saint  Sulpice , 
pour  détruire  le  règne  du  monde?  Mais  c'est  peu 
de  dire  qu'il  a  entrepris  :  ses  soins  paternels  opé- 
raient sans  cesse  de  nouvelles  conversions.  11  y 
av  \it  dans  ses  paroles  et  dans  sa  conduite  une 
certaine  vertu  occulte ,  mais  toute-puissante ,  qui 
inspirait  le  dégoût  du  monde.  Nous  lisons  dans 
l'histoire  de  sa  vie,  que,  dorant  son  épiscopat, 
tous  les  déserts  à  l'entour  de  Bourges  étaient 
peuplés  de  saints  solitaires.  Il  consacrait  tous  les 
jours  à  Dieu  des  vierges  sacrées;  [il  apprenait 
aux  familles  à  user  de  ce  monde,  comme  n'en 
usant  pas  ;  et  partout  il  répandait  un  esprit  de 
détachement  ;  qui  portait  les  cœurs  à  ne  soupirer 
qu'après  les  biens  célestes.  ] 

D'où  lui  venait  ce  bonheur,  cette  bénédiction, 
cette  grâce ,  d'inspirer  si  puissamment  le  mépris 
du  monde?  Qu'y  avait-il  dans  sa  vie  et  dans  sa 
personne,  qui  fût  capable  d'opérer  de  si  mer- 
veilleux changements?  C'est  ce  qu'il  faut  tâcher 
d'expliquer  en  faveur  de  tant  de  saints  ecclé- 
siastiques, qui  remplissent  ce  séminaire  et  cette 
audience.  Deux  choses  produisaient  un  si  grand 
effet  :  la  simplicité  ecclésiastique,  qui  condam- 
nait souverainement  la  somptuosité,  les  délices , 
les  superrtuités  du  monde;  un  gémissement  pa- 
ternel sur  les  âmes,  qui  étaient  captives  de  ses 
vanités. 

La  simplicité  ecclésiastique,  c'est  un  dépouil- 
lement intérieur,  qui ,  par  une  sainte  circonci- 
sion ,  opère  au  dehors  un  retranchement  effectif 
de  toutes  superfluités.  En  quoi  le  monde  paraît-il 
grand?  Dans  ses  superfluités  :  de  grands  palais, 
de  riches  habits,  une  longuesuite  de  domestiques. 
L'homme  si  petit  par  lui-même,  si  resserré  en 
lui-même,  s'imagine  qu'il  s'agrandit,  et  qu'il  bc 
dilate,  en  amassant  autour  de  soi  des  choses  qui 
lui  sont  étrangères.  Le  vulgaire  est  étonné  de 
cette  pompe,  et  ne  manque  pas  de  s'écrier  :  Voilà 
les  grands,  voilà  les  heureux.  C'est  ainsi  que  la 
puissance  du  monde  tâche  de  faire  voir  que  ses 
biens  sont  grands.  Une  autre  puissance  est  établie, 

'  Innocent.  I"  ad  Alex.  Ep.  xxiv,  pag.  853.  Epist   Ron 
*  Pont. 


DE  S  Al  M  SULPICE. 


391 


pour  faire  ^oil•  qu'il  ne  si  rien  ;  c'est  la  puissance 
ecclésiastique. 

Toutes  nos  actions,  jusqu'aux  moindres  gestes 
<lu  corps,  ju.squ'au  moindre  et  plus  délicat  mou- 
vement des  yeux ,  doivent  ressentir  le  mépris  du 
monde.  Si  la  vanité  change  tout,  le  visage,  le 
ri'gard ,  le  st)n  de  la  voix  ;  car  tout  devient  instru- 
ment de  la  vanité  :  ainsi  la  simplicité  doit  tout 
régler  ;  mais  qu'elle  ne  soit  jamais  affectée ,  parce 
qu'elle  ne  serait  plus  simplicité.  Entreprenons, 
messieurs,  de  faire  voir  à  tous  les  hommes,  que 
le  monde  na  rien  de  solide  ni  de  désirable;  et 
pour  cela  [imitons]  la  frugalité ,  la  modestie  et 
la  simplicité  du  grand  saint  Sulpice.  «  Ayant  donc 
«  de  quoi  nous  nourrir  et  de  quoi  nous  couvrir, 
«  i\omdc\o\ïsè\.recontexits:  "  Habentes alimenta 
et  quibus  tegamur,  his  contenti  si7nus  ' .  Que  nous 
servent  ces  cheveux  coupés ,  si  nous  nourrissons 
au  dedans  tant  de  désirs  superflus,  pour  ne  pas 
dire  pernicieux?  [Saint  Sulpice  nous  a  appris, 
par  son  exemple,  à  faire  sur  nous-mêmes  de  con- 
tinuels efforts,  pour  les  retrancher  jusqu'à  la 
racine]. 

Sa  vie ,  tout  ecclésiastique,  annonçait  un  pas- 
teur entièrement  mort  aux  choses  du  siècle,  uni- 
quement dévoué  aux  intérêts  de  Jésus- Christ  et 
au  salut  des  âmes.  Loin  de  profiter  des  moyens 
que  lui  fournissait  sa  place,  pour  se  procurer 
plus  d'aisances,  de  commodités  et  d'éclat  ex- 
térieur, il  jugea ,  au  contraire ,  que  sa  charge 
lui  imposait  une  nouvelle  obligation  de  faire 
chaque  jour,  dans  sa  vie,  de  plus  grands  retran- 
chements. Déjà,  n'étant  qu'abbé  de  la  chapelle 
du  roi  Clotaire  second,  il  n'avait  voulu  retenir, 
pour  sa  subsistance  et  celle  des  clercs  qu'il  gou- 
vernait, que  le  tiers  des  appointements  que  le 
roi  lui  donnait;  et  il  distribuait  le  reste  aux  pau- 
vres. Mais  lorsqu'il  fut  élevé  sur  le  siège  de  Bour- 
ges, il  crut  encore  devoir  augmenter  sa  pénitence, 
redoubler  ses  austérités  ,  et  pratiquer  un  détache- 
ment plus  universel.  Rien  de  plus  frugal  que  sa 
table  ;  on  n'y  donnait  rien  à  la  sensualité  et  au 
plaisir  :  rien  de  plus  modeste  que  ses  habits  ou 
ses  meubles;  tout  y  ressentait  la  pauvreté  de 
Jésus-Christ  :  rien  enfin  de  plus  simple  que  toute 
sa  conduite ,  de  plus  affable  que  sa  personne.  Sa 
bonté ,  pleine  de  tendresse ,  le  fit  regarder  comme 
le  père  de  son  peuple;  et  sa  douceur,  toujours 
égale,  lui  mérita  le  surnom  de  Débonnaire.  Qu'il 
était  éloigné  de  vouloir  en  imposer  à  ses  peuples 
par  la  magnificence  de  ses  équipages  et  la  pompe 
de  son  cortège  !  Ministre  de  la  loi  de  charité,  il 
voulait  inspirer  l'amour,  et  non  la  terreur;  et 
pour  y  réussir,  il  lui  suffisait  de  se  montrer  avec 


iL  Timolh.  VI,  •.. 


l'appareil  de  ses  vertus.  Aussi  les  pauvres  for- 
maient-ils tout  son  train;  et,  a  l'exemple  d'un 
grand  évêque,  «  il  mettait  toute  sa  sûreté  dans  le 
«  secours  de  leurs  prières  »  :  Habeo  dcfensioneuiy 
sed  in  orationibus  pauperum.  «  Ces  aveugles, 
«  pouvait-il  dire  avec  saint  Ambroise,  ces  boi« 
«  teux,  ces  infirmes,  ces  vieillards,  qui  me,  sur- 
'<  vent  et  m'accompagnent ,  sont  plus  capables  de 
«  me  défendre,  que  les  soldats  les  plus  braxes  et 
«  les  plus  aguerris  :  «  Cœci  illi  et  claudi^  dé- 
biles et  senes,  robustis  bellatoribus  forliores 
sunt  '. 

C'est  ainsi,  chrétiens,  que  Sulpice  travaillait 
à  retracer  dans  toute  sa  vie  les  mœurs  apostoli- 
ques, et  à  fournir,  a  tous  les  siècles  suivants,  un 
modèle  accompli  de  toutes  les  vertus  qui  doivent 
orner  un  ministre  de  Jésus-Christ.  0  que  la  fru- 
galité de  ce  digne  pasteur  condamnera  d'ecclé- 
siastiques, qui  prétendent  se  distinguer  par  ces 
profusions  spleudides.,  ces  délicatesses  recher- 
chées de  leur  table ,  dont  la  religion  rougit  pour 
eux!  Comment  le  faste  de  leur  ameublement 
somptueux  pourra-t-il  soutenir  le  parallèle  de  la 
modestie  évangélique  de  ce  saint  évêque?  L'ai- 
mable simplicité  de  ses  manières  ne  suffit-elle  pas 
pour  confondre  à  jamais  ces  superbes  hauteurs, 
que  des  vicaires  de  l'humanité  et  de  la  servitude 
de  Jésus-Christ  affectent  à  l'égard  des  peuples 
qui  leur  sont  confiés  ;  le  dirai-je ,  à  l'égard  même 
de  leurs  coopérateurs?  Ont-ils  donc  oublié  avec 
quelle  force  le  souverain  Pasteur  leur  interdit 
l'esprit  de  domination ,  et  combien  il  leur  recom- 
mande la  douceur  et  la  condescendance ,  dont  il 
leur  a  donné  de  si  grands  exemples? 

Mais  que  prétendent  les  ecclésiastiques,  qui , 
loin  d'imiter  le  zèle  de  saint  Sulpice ,  pour  ruiner 
l'esprit  du  monde,  semblent  au  contraire,  par 
une  vie  toute  profane ,  n'être  appliqués  qu'à  le 
faire  vivre,  l'étendre  et  l'affermir?  Croient-ils 
que ,  par  des  mœurs  si  opposées  à  celles  de  nos 
pères ,  ils  se  rendront  plus  recommandables  dans 
k  monde,  qu'ils  cultivent  avec  tant  de  soin?  Mais, 
ce  monde  même,  dont  ils  veulent  se  montrer 
amis,  et  obtenir  la  considération,  les  méprise  sou- 
verainement, parce  qu'il  sait  quelle  doit  être  la 
vie  d'un  ministre  des  autels;  et,  aveugles  qu'ils 
sont,  ils  ne  voient  pas  qu'il  ne  fait  effort,  pour 
les  enti-aîner  dans  ses  mœurs  dépravées ,  qu'afiii 
de  les  avilir  et  les  dégrader,  et  de  faire  rejaillir 
ensuite,  sur  la  religion  qu'ils  doivent  maintenir, 
l'opprobre  dont  il  les  aura  couverts.  S'ils  veulent 
donc  vraiment  se  distinguer,  qu'ils  pensent  sc- 
riensenicnt  a  se  séparer  de  la  multitude,  par  la 
sainteté  d'une  vie  qui  les  élève  autant  au-des6Ui 

'  s.  Auibr  Scnii.  conL  Aux.  a"  33^  U  U»^  ooL  KX. 


392  PA.NfCGYRIQUE 

tli  commun  des  hommes ,  qu'ils  leur  sont  supé- 
rieurs par  iï'iDiueiice  de  leur  caractère.]  «  Car 
<■  la  dignité  sacerdotale  exige,  de  ceux  qui  en  sont 
«  revêtus,  une  gravité  de  mœurs  peu  commune, 
«  une  vie  sérieuse  et  appliquée,  une  vertu  toute 
«  singulière  :  »  Sobriam  a  lurbis  gravitatem, 
seriaiii  vilam,  singulare pondus ,  dignitas  sibi 
vindicat  sacerdotalis  '.  Sont-ils  jaloux  de  soute- 
nir en  eux  l'autorité  du  sacerdoce  ;  qu'ils  pensent 
à  l'assurer  par  le  mérite  de  leur  foi  et  la  sainte  té  de 
leur  vie  :  Dignitatis  suœ  auctorilatem  fidei  et 
vitœ  mentis  quœrant  \  [Mais  que  jamais  ils  ne 
se  fassent  assez  d'illusion  ,  pour  croire  se  rendre 
vénérables  par  une  pompe  extérieure,  qui  ne 
peut  qu'éblouir  les  yeux  des  ignorants,  et  qui 
leur  attire  uue  amère  critique  de  la  part  de  ceux 
<|ui  relléchissent.]  <  Le  vrai  ecclésiastique  s'étudie 
«  à  prouver  sa  profession  par  son  habit,  sa  dé- 
«  luarche  et  toute  sa  conduite  :  il  n'a  garde  de 
«  chercher  à  se  donner  un  faux  éclat  par  des  or  - 
«  «ements  empruntés  :  »  Clericus  jyrofessioncî/i 
suam,  et  in  habitu,  et  in  incessu probet ,  et  nec 
vestibus,  nec  calceamentis  decorem  quœrat  ^. 

[Voilà  les  leçons  que  les  Pères  et  les  conciles 
ont  données  aux  ecclésiastiques,  ou  plutôt  ils 
n'ont  fait  que  renouveler  celles  que  Jésus-Christ 
lui-même  leur  avait  laissées  dans  ses  exemples, 
(^u'il  nous  exprime  admirablement]  la  simplicité 
de  sa  vie ,  lorsqu'il  nous  dit  :  «  Les  renards  ont 
«  des  tanières,  et  les  oiseaux  du  ciel  ont  des  nids 
«  et  des  retraites  ;  mais  le  Fils  de  l'homme  n'a 
"  pas  où  reposer  sa  tête  :  »  Vulpesjoveas  habent, 
et  volucres  cœli  nidos;  Filius  autem  hominis 
non  habet  ubi  caput  reclinet  <.  [Son  dessein ,  en 
nous  tenant  ce  discours ,  n'est  pas  d'exciter  en 
nous]  des  sentiments  de  pitié  [sur  un  état ,  qui 
paraît  à  la  nature  si  digne  de  compassion  :  mais 
il  veut  nous]  donner  du  courage ,  [et  nous  inspirer 
un  généreux  détachement  de  tout  ce  qui  peut 
paraître  le  plus  nécessaire  ;  parce  que  la  foi  d'un 
ministre  de  Jésus-Christ  ne  connaît  d'autre  néces- 
sité ,  que  celle  de  tout  sacrifier  pour  son  Dieu  et 
le  salut  des  âmes. 

Telles  sont  les  dispositions  avec  lesquelles  on 
doit  entrer  dans  le  sacerdoce  de  Jésus-Christ, 
pour  continuer  son  œuvre]  ;  et  malheur  à  ceux 
qui,  poussés  du  désir  de  s'élever, cherchent,  dans 
l'honneur  attaché  au  sacerdoce,  un  moyen  de 
se  procurer  les  avantages  du  monde,  qu'il  avait 
))our  objet  de  détruire  :  Mundi  lucrum  quœrilur 
tiub  ejus  honoris  specie,  quo  mundi  destrui  lucra 
flebuerunt  ^. 

'  s.  ,1mhr.  ad  Irrii.  Episf.  XX VIII,  n"  2,  t.  Il,  col.  902. 
»  (nnc.C.irthiig.  IV,  cap.  XV.  Z.a6.  CoMt/V.  t.  Il ,  col.  1201 
s  Ihiil.  cap.  XLV,  col.  1204. 

«  ,U'l/^'(.  VIII,  20. 

»  :>.  Cngor.  Mtiy.  Pasl.  i,  pari.  cap.  viii,  t.  u,  col.  a 


[Au  reste,  je  ne  prétends  pas,  mes  frères,  qu'on 
refuse  aux  prêtres  l'honneur  qui  leur  est  dû  par 
tant  de  titres.  Si,  dans  l'ancienne  loi,  rordre 
sacerdotal  était  si  fort  distingué ,  et  jouissait  des 
plus  grandes  prérogatives  ;  il  convient  que  dans 
la  nouvelle,  dont  le  sacerdoce  est  autant  au-des- 
sus de  celui  d'Aaron,  que  la  vérité  l'emporte  sur 
la  figure,  l'honneur  rendu  aux  prêtres  réponde 
à  l'excellence  de  leur  dignité ,  et  à  l'éminence  du 
pontife  qu'ils  représentent  sur  la  terre.]  Il  faut 
honorer  ses  ministres  pour  l'amour  de  celui  qui 
a  dit  :  «  Qui  vous  reçoit  me  reçoit'.  »  [Mais  plus 
les  peuples  leur  témoignent  de  vénération  et  dt; 
déférence ,  moins  aussi  doivent-ils  faire  paraître 
d'empressement ,  pour  recevoir  ces  marques  de 
distinction  ;  et  ils  ne  sauraient  trop  craindre  de  les 
aimer  et  de  s'en  réjouir.  Pour  éviter  cette  funeste 
disposition] ,  la  simplicité  ecclésiastique  suit  cette 
belle  règle  ecclésiastique  :  «  elle  se  montre  un 
«  exemple  de  patience  et  d'humilité ,  en  recevant 
«  toujours  moins  qu'on  ne  lui  offre  ;  mais  quoi- 
«  qu'elle  n'acceptejamais  le  tout,  elle  a  la  prudence 
«  de  ne  point  tout  refuser  :  »  Seipsum  prœbeat 
patientiœ atque  humilitatis  exemplum,  minus 
sibi assumendoquam  offertur;  sedtamenabeis 
qui  se  honorant  nectotum  necnihil  accipiendo^ . 
Il  ne  faut  pas  recevoir  tout  ce  qu'on  nous  offre, 
de  peur  qu'il  ne  paraisse  que  nous  nous  repaissons 
de  cette  fumée  ;  il  ne  faut  pas  le  rejeter  tout  à 
fait,  à  cause  de  ceux  à  qui  on  ne  pourrait  se  ren- 
dre utile ,  si  l'on  ne  jouissait  de  quelque  considé- 
ration :  Propter  illos  accipiatur  quibus  consu- 
lere  nonpotcst,  si  nimia  dejectione  vilescat. 

[Mais  après  avoir  imité  le  saint  dépouillement 
de  Sulpice ,  à  l'égard  de  toutes  les  vanités  du  siè- 
cle ,  il  faut  encore  entrer  dans  son  esprit  de]  gé- 
missement [sur  les  âmes  qui  en  sont  malheureu- 
sement captives].  L'état  de  l'Église ,  durant  cette 
vie,  c'est  un  état  de  désolation,  parce  que  c'est 
un  état  de  viduité  :  Non  possuntjllii  sponsi  lu- 
gère,  quamdiu  cumillis  est  sponsus^.  Elle  est 
séparée  de  son  cher  Époux,  et  elle  ne  peut  se  con- 
soler d'avoir  perdu  plus  de  la  moitié  d'elle-même. 
Cet  état  de  désolation  et  de  viduité  de  l'Église 
doit  paraître  principalement  dans  l'ordre  ecclé- 
siastique. Le  sacerdoce  est  un  état  de  pénitence , 
pour  ceux  qui  ne  font  pas  pénitence  ;  les  prêtres 
doivent  les  pleurer,  avec  saint  Paul,  d'un  cœur 
pénétré  de  la  plus  vive  douleur  :  Lugeam  nnd- 
ios  quinoneqerunt pœnitentiam^.  [Car  il  ne  faut 
pas  s'imaginer  qu'il  suffise  de  se  conduire  d'una 
manière  irréprochable,  de  donner  à  tous  des 

'  Malth.  X,40. 

2  S.  Atifinst.  ad  Jiirel.  Hpist.  a"  7,  t.  H,  col.  ». 

»  Mdllll.  IX,  15. 

♦  11.  Cor   XII,  21. 


DE  SAINT  SULPICE. 


5'j3 


{ 


exemples  de  toutes  les  vertus  :  Le  prôlre  vraiment 
digne  de  ce  nom]  «  non-seulement  ne  commet 
<•  aucun  crime ,  mais  il  déplore  encore  et  travaille 
«  a  expier  ceux  des  autres ,  comme  s'ils  lui  étaient 
«  personnels  :  »  IVulla  illicilaperpctrat,  sedper- 
petrataab  aiiis,  ut  propria  déplorât  '.  Aussi  les 
joies  dissolues  du  monde  portaient-elles  un  con- 
tre-coup de  tristesse  sur  le  cœur  de  saint  Sulpice  : 
car  il  écoutait  ces  paroles  comme  un  tonnerre  : 
«  Malheur  à  vous  qui  riez  maintenant,  parce  que 
n  vous  serez  réduits  aux  pleurs  et  aux  larmes!  • 
Vœ  vobis  gui  ridetis  nunc,  quia  lugebitis  et 
flebitis^l  11  s'effrayait  pour  son  peuple,  et  tâchait, 
\^r  ses  discours,  non  d'exciter  ses  acclamations, 
mais  de  lui  inspirer  les  sentiments  d'une  componc- 
tion salutaire  :  Docente  te  in  ecclesia,  non  cla- 
inor populi ,  sedgcmitus  suscitetur  '. 

Jésus-Christ,  mes  frères,  en  choisissant  ses 
ministres ,  leur  dit  encore ,  comme  à  saint  Pierre  : 
«  M'aimes-tu?  pais,  mon  troupeau.  »  «  En  effet,  il 
«  ne  confierait  pas  des  brebis  si  tendrement  ai- 
«  mées  à  celui  qui  ne  l'aimerait  pas  :  »  IS'eque 
enim  non  umanli  commitlerettam  amatas.  Cet 
amour  [était  la  vraie]  source  des  larmes  de  saint 
Sulpice;  [et  comme  il  aimait  sans  mesure,  ses 
larmes ,  sur  les  désordres  de  son  peuple,  ne  pou- 
vaient jamais  tarir].  Jésus-Christ,  gémissantpour 
nous  [dans  les  jours  de  sa  vie  mortelle,  présen- 
tait à  ce  saint  évêque  un  modèle,  qui  pressait 
son  cœur  de  soupirer  sans  cesse  pour  ses  frères. 
Il  savait  que  ce  divin  Sauveur,  incapable  de  gé- 
mir depuis  qu'il  est  entré  dans  sa  gloire ,  a  spé- 
cialement établi  les  prêtres,  pour  le  suppléer 
dans  cette  fonction  :  aussi  travail  lait- il  à  perpé- 
tuer, par  le  mouvement  du  même  Esprit,  les 
gémissements  ineffables  du  Pontife  céleste].  Ses 
prières  [étaient  continuelles,  animées  de  cet 
esprit  de  ferveur  et  de  persévérance ,  qui  force 
la  résistance  même  du  ciel  ].  «  Il  avait  éprouvé, 
«  par  sa  propre  expérience,  qu'il  pouvait  obtenir 
•  du  Seigneur  tout  ce  qu'il  lui  demanderait  :  " 
Orationis  usn  et  experimentojam  didicit,  quod 
obtinere  a  Domino  quœ  poposcerit  possit^.W 
l'avait  expérimenté,  priant  en  faveur  du  roi, 
réduit  à  l'extrémité;  puisqu'il  l'avait  emporté 
contre  Dieu  :  [et  s'il  avait  tant  de  crédit  pour 
la  conservation  et  le  rétablissement  de  la  vie 
corporelle,]  combien  plus  en  devait-il  avoir  pour 
le  soutien  et  le  renouvellement  de  la  vie  spiri- 
tuelle? 
;  Mais  quel  était  son  gémissement  sur  les  ecclé- 
siastiques mondains,  [qui,  par  l'indécence  de 


>  s.  Grtg.  Mag.  Pas.  part.  I,  cap.  x,  t.  Il ,  col.  10. 
»  Luc.  VI ,  25. 

3  S.  Hieron.  ad  Kepot.  Ep.  XX'ïrv,  t.  IT,COl.  262. 
•  5.  Crej.  Mag.  Put.  part,  l ,  cap.  x ,  t.  Il    col.  10. 


leur  conduite,  avilissent  le  salut  ministère  dont 
ils  sont  revêtus  !  Hélas  !  mes  frères ,  si  le  cœur 
sacerdotal  de  saint  Sulpice  était  si  vivement 
touché  d'en  voir  dans  ces  heureux  temps,  qui 
ne  cherchaient,  dans  l'honneur  du  sacerdoce, 
destiné  à  la  ruine  du  monde,  qu'un  moyen  de  s'y 
avancer  et  d'y  faire  fortune;  quels  seraient  ses 
larmes  et  ses  sanglots  aujourd'hui ,  où  l'on  eu 
voit  si  peu  qui  entrent  dans  le  ministère,  avec 
un  désir  sincère  de  s'y  consacrer  entièrement  au 
service  de  FÉglise,  et  de  se  sacrifier  pour  Jésus- 
Christ]?  Oui,  nous  devons  le  dire  avec  douleur 
et  confusion,  «  ceux  qui  semblent  porter  la 
«  croix ,  la  portent  de  manière  qu'ils  ont  plus  de 
a  part  à  sa  gloire ,  que  de  société  avec  ses  souf- 
«  frances  :  »  Hi  qui  putantur  crucem  porlare, 
sic  portant,  ut  plus  habeantin  crucis  nomine 
dignitatis,  quamin  passions  supplicii\  [Ils 
ignorent  sans  doute  pourquoi  ils  sont  prêtres;  ils 
ne  veulent  pas  entendre  qu'ils  n'ont  été  admis  au 
sacerdoce  de  Jésus-Christ ,  que  pour  consommer 
l'œuvre  de  son  immolation.  Mais  que  feront-ils, 
lorsque  ce  grand  pontife,  prêtre  et  victime,  pa- 
raîtra, et  cherchera,  pour  les  associer  à  sa  gloire, 
des  ministres,  qui,  à  l'innocence  et  à  la  pureté 
des  mœurs ,  aient  joint  une  mortification  géné- 
rale, une  entière  séparation  de  toutes  les  va- 
nités et  de  tous  les  plaisirs  du  monde?]  S'ils 
avaient  de  la  foi ,  pourraient-ils  y  songer  sans 
sécher  d'effroi? 

Saint  Sulpice,  touché  de  cette  pensée,  se  re- 
tire, pour  régler  ses  comptes  avec  la  justice  di- 
vine. 11  connaît  la  charge  d'un  évêque;  il  sait 
tt  que  tous  doivent  comparaître  devant  le  tribu- 
«  nal  de  Jésus-Christ,  afin  que  chacun  reçoive 
«  ce  qui  est  dû  aux  bonnes  ou  mauvaises  actions 
«  qu'il  aura  faites ,  pendant  qu'il  était  revêtu  de 
«  son  corps  :  »  Ut  referai  unusquisque  propria 
corporis,  prout  gessit  '.  «  Si  le  compte  est  si  exact 
«  de  ce  qu'on  fait  en  son  propre  corps ,  ô  com- 
«  bien  est-il  redoutable  de  ce  qu'on  fait  dans  le 
n  corps  de  Jésus-Christ ,  qui  est  son  Église!  «  Si 
reddenda  est  ratio  de  his  quœ  quisque  gessit  in 
corpore  suo,  quidjiet  de  his  quœ  quisque  gessit 
in  corpore  Christi^l  II  ne  se  repose  pas  sur  sa 
vocation  si  sainte ,  si  canonique;  il  sait  que  Ju- 
das a  été  élu  par  Jésus-Christ  même ,  et  que  ce- 
pendant, par  son  avarice ,  il  a  perdu  la  grâce  de 
l'apostolat. 

Justice  de  Dieu ,  que  vous  êtes  exacte  !  vous 
comptez  tous  les  pas ,  vous  mettez  en  la  balance 
tous  les  grains  de  sable.  Il  se  retire  donc,  pour 

•  Salcian.de  Gub.  Dei.  libr.  m,  n"  3,  p.  18. 
»  n.  Cor.  T,  10. 

»  Scrm.  ad  Cler.  in  conc.  Rem.  in  Jp.  »>.  5.  Bar^...  t  H* 
CoL  73j. 


854 

se  préparer  à  la  mort,  pour  méditer  la  sévérité 
de  la  justice  de  Dieu.  Il  récompense  un  verre 
d'eau  ;  mais  il  pèse  une  parole  oiseuse ,  particu- 
lièrement dans  les  prêtres,  où  tout,  jusqu'aux 
moindres  actions ,  doit  être  une  source  de  grâ- 
ces. Tout  ce  que  nous  donnons  au  monde ,  ce 
sont  des  larcins  que  nous  faisons  aux  âmes  fi- 
dèles. 

A  quoi  pensons-nous,  chrétiens?  que  ne  nous 
retirons-nous,  pour  nous  préparer  à  ce  dernier 
jour?  N'avons-nous  pas  appris  de  l'apôtre  que 
nous  sommes  tous  ajournés,  pour  comparaître 
personnellement  devant  le  tribunal  de  Jésus- 
Christ?  Quelle  sera  cette  surprise,  combien 
étrange  et  combien  terrible ,  lorsque  ces  saintes 
vérités ,  auxquelles  les  pécheurs  ne  pensaient  ja- 
mais, ou  qu'ils  laissaient  inutiles  et  négligées 
dans  un  coin  de  leur  mémoire ,  leur  paraîtront 
tout  d'un  coup,  pour  les  condamner?  Aigre, 
inexorable,  inllexible,  armée  de  reproches  amers, 
te  trouverons-nous  toujours ,  ô  vérité  persécu- 
tante? Oui,  mes  frères,  ils  la  trouveront  :  spec- 
tacle horrible  à  leurs  yeux  ,  poids  intolérable  sur 
leurs  consciences ,  flammes  dévorantes  dans  leurs 
entrailles.  [Pour  qu'elle  i\ous  soit  alors  favora- 
ble, il  faut]  se  retirer  quelque  temps;  afin  d'é- 
couter ses  conseils ,  avant  que  d'être  convaincus 
par  son  témoignage,  jugés  par  ses  règles,  con- 
damnés par  ses  arrêts  et  par  ses  sentences  su- 
prêmes. Accoutumons-nous  aux  yeux  et  à  la  pré- 
sence de  notre  juge;  [prévenons  cette]  solitude 
effroyable,  où  l'âme  se  trouvera  réduite  devant 
Jésus-Christ,  [lorsqu'elle  sera  citée  à  son  tribu- 
nal] pour  lui  rendre  compte.  Le  remède  le  plus 
efficace,  c'est  une  douce  solitude  devant  lui- 
même  ,  pour  lui  préparer  ses  comptes.  Attendre 
à  la  mort ,  combien  dangereux  I  c'est  le  coup  du 
souverain  :  Dieu  presse  trop  violemment. 

Mais  cette  solitude  est  ennuyeuse ,  [  et  qui  peut 
se  résoudre  à  s'y  enfoncer]?  «  0  que  le  père  du 
«  mensonge,  ce  malicieux  imposteur,  noustrompe 
«  subtilement,  pour  empêcher  que  nos  cœurs, 
«  avides  de  joie ,  ne  fassent  le  discernement  des 
«  véritables  sujets  de  se  réjouir!  >-  Heu,  qmm 
subtilité r  nos  ille  decipiendi  artifex  fallit,  ut 
non  discernamus ,  gaudendi  avidi  unde  verius 
gaudeamus  «  !  [C'est  dans  la  solitude  que  l'âme , 
dégagée  des  objets  sensibles  qui  la  tyrannisent, 
délivrée  du  Uimulte  des  affaires  qui  l'accablent, 
peut  commencer  à  goûter,  dans  un  doux  repos, 
les  joies  solides,  et  des  plaisirs  capables  de  la 
contenter.  Là ,  occupée  à  se  purifier  des  souillures 
qu'elle  a  pu  contracter  dans  le  commerce  du 

'  Jiiliun.  Puni,  devitaconiemp.  lib.  il, cap.  \\n,inl.  opcr. 
S.  l'rvsp. 


PANÉGYRIQUE 


monde;  plus  elle  devient  pure  et  détachée,  plus- 
elle  est  en  état  de  puiser  à  la  source  de  ces  vo- 
luptés célestes,  qui  rélèvent,  la  transportent  et 
l'ennoblissent,  en  l'attachant  à  l'auteur  de  tout 
bien.]  Tous  les  autres  divertissements  [ne  sont 
rien  qu'un]  charme  de  notre  chagrin,  qu'un 
amusement  d'un  cœur  enivré.  Vous  sentez-vous 
dans  ce  tumulte,  dans  ce  bruit,  dans  cette  dissi- 
pation ,  dans  cette  sortie  de  vous-même?  Avec 
quelle  joie,  dit  David,  «votre  serviteur  a  trouvé 
«  son  cœur,  pour  vous  adresser  sa  prière!  »  I/i- 
venit  servus  tuîis  cor  suum ,  ut  oraret  te  ora- 
tione  hac\ 

Mais  l'on  craint  de  passer  pour  un  homme 
inutile,  et  de  rendre  sa  vie  méprisable  :  Sed 
ignavam  infamabis.  Il  faut  faire  quelque  figure 
dans  le  monde  ;  [y  devenir  important ,  nécessaire; 
servir  l'État  et  la  patrie  :  Patrice  et  imperio, 
reique  vivendum  est  '.  Ainsi  le  temps  s'écoule 
sans  s'en  apercevoir.  Sous  ces  spécieux  prétextes, 
on  contracte  chaque  jour  de  nouveaux  engage- 
ments avec  le  monde,  loin  de  rompre  les  anciens. 
L'unique  nécessaire  est  le  seul  négligé  :  tous  les 
bons  mouvements ,  qui  nous  portaient  à  nous  en 
occuper,  se  dissipent;  et  enfin,  après  avoir  été  le 
jouet  du  temps ,  du  monde  et  de  soi-même ,  on 
est  surpris  de  se  voir  arrivé,  sans  préparation, 
aux  portes  de  l'éternité.  ] 

Madame,  Votre  Majesté  doit  penser  sérieuse- 
ment à  ce  dernier  jour.  Nous  n'osons  y  jeter  les 
yeux  ;  cette  pensée  nous  effraye ,  et  fait  horreur 
à  tous  vos  sujets ,  qui  vous  regardent  comme  leur 
mère,  aussi  bien  que  comme  celle  de  notre  mo- 
narque. Mais,  madame,  autant  qu'elle  nous  fait 
horreur,  autant  Votre  Majesté  se  la  doit  rendre 
ordinaire  et  familière.  Puisse  Votre  Majesté  être 
tellement  occupée  de  Dieu,  avoir  le  cœur  telle- 
ment percé  de  la  crainte  de  ses  jugements,  l'âme 
si  vivement  pénétrée  de  l'exactitude  et  des  ri- 
gueurs de  sa  justice,  qu'elle  se  mette  en  état  de 
rendre  bon  compte  d'une  si  grande  puissance , 
et  de  tout  le  bien  qu'elle  peut  faire ,  et  encore  de 
tout  le  mal  qu'elle  peut ,  ou  empêcher  par  auto- 
rité ,  ou  modérer  par  conseils ,  ou  détourner  par 
prudence  :  c'est  ce  que  Dieu  demande  de  vous. 
Ah!  si  les  vœux  que  je  lui  fais  pour  votre  salut 
sont  reçus  devant  sa  face,  cette  salutaire  pensée 
jettera  Votre  Majesté  dans  une  humiliation  si 
profonde,  que  méprisant  autant  sa  grandeur 
royale,  que  nous  sommes  obligés  de  la  révérer, 
elle  fera  sa  plus  chère  occupation  du  soin  de  mé- 
riter, dans  le  ciel,  une  couronne  immortelle. 

'  H.  neg.  vil,  27. 

2  Tcriull.  de  PalUo.  n"  5. 


*••««••• 


DE  SAINT  FRANÇOIS  DE  SALES 

PANÉGYRIQUE 


DE 

SAINT  FRANÇOIS  DE  SALES. 

La  science  de  saint  François  de  Sales ,  lumineuse ,  niais 
beaucoup  plus  ardente.  Avec  quel  fruit  il  a  travaillé  â  l'é- 
ilification  de  iT^lise.  Son  éloignement  pour  tous  les  objets  de 
ranibitioii  :  bel  exemple  de  sa  modération.  Douceur  exln-nie 
qu'il  témoignait  aux  âmes  qu'il  conduisait.  Celle  douceur 
absolument  nécessaire  au  directeur  :  trois  verlus  principales 
qu'elle  produit.  Combien  le  saint  prélat  les  posstxlait  émi- 
nemment. 


nie  erat  lucerna  ardens  et  lucens. 

Il  était  une  lampe  ardente  et  luisante.  Joan.  t,  3  j. 

Laissons  un  spectacle  de  cruauté  * ,  pour  ar- 
rêter notre  vue  sur  l'image  de  la  douceur  même  : 
laissons  des  petits  enfants ,  qui  emportent  la  cou- 
ronne des  hommes ,  pour  admirer  un  homme  qui 
a  l'innocence  et  la  simplicité  des  enfants  :  lais- 
sons des  mères  désolées ,  qui  ne  veulent  point 
recevoir  de  consolation  dans  la  perte  qu'elles 
font  de  leurs  fils ,  pour  contempler  un  père  tou- 
jours constant,  qui  a  amené  lui-même  ses  filles 
à  Dieu,  afin  de  les  immoler  de  ses  propres  mains, 
par  la  mortification  religieuse.  Il  n'est  pas  mal- 
aisé ,  ce  semble ,  de  louer  un  père  si  vénérable 
devant  des  filles  si  respectueuses;  puisqu'elles 
ont  le  cœur  si  bien  préparé  à  écouter  ses  louan- 
tes :  mais  à  le  considérer  par  un  autre  endroit, 
cette  entreprise  est  fort  haute ,  parce  qu'étant  si 
justement  prévenues  d'une  estime  extraordinaire 
de  ses  vertus,  il  n'est  rien  de  plus  difficile  que 
de  satisfaire  à  leur  piété,  remplir  leurs  justes 
désirs ,  et  égaler  leurs  grandes  idées.  C'est  ce  qui 
me  fait  désirer,  mes  sœurs,  pour  votre  entière 
satisfaction  ,  que  léloge  de  ce  grand  homme  eût 
déjà  été  fait  en  ce  lieu  auguste ,  où  se  prononcent 
les  oracles  du  christianisme.  Mais  en  attendant 
ce  glorieux  jour,  trop  éloigné  pour  nos  vœux, 
qui  ouvrira  la  bouche  des  prédicateurs,  pour 
faire  retentir,  par  toutes  les  chaires ,  les  mérites 
incomparables  de  François  de  Sales ,  votre  très- 
saint  instituteur;  nous  pouvons  nous  entretenir 
en  particulier  de  ses  admirables  vertus,  et  ho- 
norer, avec  ses  enfants,  sa  bienheureuse  mé- 
moire ,  qui  est  plus  douce  à  tous  les  fidèles  qu'une 
composition  de  parfums ,  comme  parle  l'Écriture 
sainte'.  Commençons  donc,  chères  âmes,  cette 
sainte  conversation  avec  la  bénédiction  du  ciel  ; 

Rissuet  a  prononcé  ce  panégyrique  dans  un  couvent  de 
la  Visitation ,  avant  que  saint  François  de  Sales  eût  été  cano- 
nisé, et  par  conséquent  avant  que  sa  fête  eut  été  fixée  au  29 
janvier.  Il  le  prêcha  le  jour  des  saints  Innt)cents,  qui  est  le 
Jour  de  la  mort  de  ce  saint  évéque  :  c'est  ce  qui  explique  le 
commencement  de  rexorde,qui  paraîtrait  singulier  ïi  l'on 
ignorait  (Ctte  circonstance.  (Édit.  de  fersailki.) 
«   i  c.  MiX,  !. 


30i 
et  pour  implorer  son  secours,  employons  les 
prières  de  la  sainte  Vierge ,  en  disant,  Ave. 

Il  y  a  assez  de  fausses  lumières,  qui  ne  veu- 
lent briller  dans  le  monde  que  pour  attirer  l'ad- 
miration par  la  surprise  des  yeux.  Il  est  assez 
naturel  aux  hommes  de  vouloir  s'élever  aux  lieux 
éminents ,  pour  étaler  de  loin,  avec  pompe,  If 
clat  d'une  superbe  grandeur.  Ce  vice,  si  com- 
mun dans  le  monde,  est  entré  bien  avant  dans 
l'Église,  et  a  gagné  jusqu'aux  autels.  Beaucoup 
veulent  monter  dans  les  chaires ,  pour  y  charmer 
les  esprits  par  leur  science  et  l'éclat  de  leurs  pen- 
sées délicates;  mais  peu  s'étudient,  comme  il 
faut,  à  se  rendre  capables  d'échauffer  les  cœurs 
par  des  sentiments  de  piété.  Beaucoup  s'empres- 
sent ,  avec  ardeur,  de  paraître  dans  les  grandes 
places ,  pour  luire  sur  le  chandelier  '  ;  peu  s'ap- 
pliquent sérieusement  à  jeter,  dans  les  âmes,  ce 
feu  céleste  que  Jésus  a  apporté  sur  la  terre. 

François  de  Sales,  mes  sœurs,  votre  saint 
et  admirable  instituteur,  n'a  pas  été  de  ces  faux 
luisants,  qui  n'attirent  que  des  regards  curieux  et 
des  acclamations  inutiles.  Il  avait  appris  de  l'É- 
vangile, que  les  amis  de  l'Époux  et  les  ministres 
de  sa  sainte  Église  devaient  être  ardents  et  lui- 
sants; qu'ils  devaient  non-seulement  éclairer, 
mais  encore  échauffer  la  maison  de  Dieu  :  Il/e 
erat  lucema  ardens  et  lucens.  C'est  ce  qu'il  a 
fidèlement  accompli,  durant  tout  le  cours  de  s;i 
vie;  et  il  ne  sera  pas  malaisé  de  vous  le  faire 
connaître  fort  évidemment,  par  cette  réflexion. 

Trois  choses  principalement  lui  ont  donné 
beaucoup  d'éclat  dans  le  monde  :  la  science, 
comme  docteur  et  prédicateur  ;  l'autorité,  comme 
évéque  ;  la  conduite,  comme  directeur  des  âmes. 
La  science  l'a  rendu  un  flambeau ,  capable  d'il- 
luminer les  fidèles  ;  la  d^nité  épiscopale  a  mis 
ce  flambeau  sur  le  chandelier,  pour  éclairer 
toute  l'Église;  et  le  soin  de  la  direction  a  appli- 
qué cette  lumière  bénigne  à  la  conduite  des  par- 
ticuliers. Vous  voyez  combien  reluit  ce  flambeau 
sacré;  admirez  maintenant  comme  il  échauffe. 
La  science,  pleine  d'onction ,  attendrit  les  cœurs; 
sa  modestie ,  dans  l'autorité ,  enflamme  les  hom- 
mes à  la  vertu  ;  sa  douceur,  dans  la  direction , 
les  gagne  à  l'amour  de  Notre-Seigneur.  Voilà 
donc  un  flambeau  ardent  et  luisant  :  si  sa  science 
reluit,  parce  qu'elle  est  claire,  elle  échauffe  en 
même  temps ,  parce  qu'elle  est  tendre  et  aflee- 
tive  ;  s'il  brille  aux  yeux  des  hommes  par  l'é- 
clat de  sa  dignité,  il  les  édifie,  les  excite,  les 
enflamme  tout  ensemble  par  l'exemple  de  sa  mo^ 
dcration.  Enfin,  si  ceux  qu'il  dirige  se  trouvent 


3UG 


PANEGYRIQUE 


éclairés  fort  licurcusement  par  ses  sages  et  salu-  ' 
taires  conseils ,  ils  se  sentent  aussi  vivement  tou- 
chés par  sa  charmante  douceur;  et  c'est  ce  que 
je  me  propose  de  vous  expliquer  dans  les  trois 
parties  de  ce  discoui-s. 

PREMIER    POINT. 

Plusieurs  considèrent  Jésus-Christ  comme  un 
sujet  de  recherches  curieuses,  et  pensent  être 
savants  dans  son  Écriture,  quand  ils  y  ont  ren- 
contré, ou  des  questions  inutiles,  ou  des  rêve- 
ries agréables.  François  de  Sales,  mes  sœurs,  a 
cherché  une  science  qui  tendît  à  la  piété  ;  et  afin 
que  vous  entendiez  dans  le  fond ,  et  de  quelle 
sorte  Jésus-Christ  veut  être  connu,  remontez 
avec  moi  jusqu'au  principe. 

Il  y  a  deux  temps  à  distinguer,  qui  compren- 
nent tout  le  mystère  du  christianisme  :  il  y  a  le 
temps  des  énigmes,  et  ensuite  le  temps  de  la 
claire  vue;  le  temps  de  l'obscurité,  et  après, 
celui  des  lumières  :  enfin  le  temps  de  croire ,  et 
le  temps  de  voir.  Cette  distinction  étant  supposée, 
tirons  maintenant  cette  conséquence.  Dans  le 
temps  de  la  claire  vue ,  c'est  alors  que  les  esprits 
seront  satisfaits  par  la  manifestation  de  la  vérité  ; 
car  «  nous  verrons  Dieu  face  à  face  .  »  Videbimus 
facie  adfaciem  '  :  et  là,  découvrant,  sans  aucun 
nuage,  la  vérité  dans  sa  source,  nous  trouve- 
rons de  quoi  contenter  toutes  nos  curiosités  rai- 
sonnables. Maintenant  quelle  est  notre  con- 
naissance obscure  et  enveloppée,  qui  nous  fait 
entrevoir  de  loin  quelques  rayons  de  lumière,  à 
travers  mille  nuages  épais;  connaissance,  par 
conséquent,  qui  n'a  pas  été  destinée  pour  nous 
satisfaire ,  mais  pour  nous  conduire ,  et  qui  est 
plutôt  pour  le  cœur  que  pour  l'esprit.  Et  c'est  ce 
qui  a  fait  dire  au  divin  Sauveur  :  Beati  mundo 
corde,  guoniam  ipsi  I>eum  videbimt  ^  :  «  Bien- 
«  heureux  ceux  qui  ont  le  cœur  pur,  parce  qu'ils 
«  verront  Dieu.  »  Videbunt;  ils  verront  un  jour, 
et  alors  ce  sera  le  temps  de  satisfaire  l'esprit  ; 
maintenant  c'est  le  temps  de  travailler  pour  le 
cœur,  en  le  purifiant  par  le  saint  amour;  et  ce 
doit  être  tout  l'objet  de  notre  science. 

Approfondissons  davantage  cette  matière  im- 
portante ,  et  apprenons ,  par  les  saintes  Lettres , 
quelle  est  la  science  de  cette  vie.  L'apôtre  saint 
Pierre  la  compare  à  un  flambeau  allumé  parmi 
les  ténèbres  :  Lucernœ  ardenti  in  calirjinoso 
/ofo\  Traduisons  raot'à  mot  ces  belles  paroles  : 
..  C'est  une  lampe  allumée  dans  un  lieu  obscur.  » 
[  Plus  la  nuit  qui  nous  environne  est  obscure , 
plus  il  est  nécessaire  que  la  lumière  qui  nous 

1  I.  Cor.  xm  ,  12. 

2  Viitih.  V,  8. 

i  U.Pclr.i,  19. 


éclaire  soit  vive ,  pour  en  pénétrer  les  ténèbres  : 
mais  plus  les  difficultés  du  chemin  sont  grandes, 
plus  il  faut  de  courage  pour  les  surmonter,  plus 
nous  avons  besoin  d  être  animés  par  l'éclat  de  la 
lumière  qui  nous  dirige]  :  c'est  pourquoi  si  ce 
flambeau  a  de  la  lumière,  il  doit  avoir  encore  beau- 
coup plus  d'ardeur,  parce  qu'elle  doit  attirer  *. 

C'est  pourquoi  notre  saint  évêque  a  étudié, 
dans  l'Évangile  de  Jésus-Christ,  une  science  lu- 
mineuse ,  à  la  vérité ,  mais  encore  beaucoup  plus 
ardente;  et  aussi,  quoiqu'il  sût  convaincre,  il 
savait  bien  mieux  convertir.  Le  grand  cardinal 
du  Perron  en  a  rendu  un  beau  témoignage.  Ce 
rare  et  admirable  génie ,  dont  les  ouvrages ,  pres- 
que divins,  sont  les  plus  fermes  remparts  de 
l'Église  contre  les  hérétiques  modernes,  a  dit, 
plusieurs  fois ,  qu'il  convaincrait  bien  les  errants  ; 
mais  que  si  l'on  voulait  qu'ils  se  convertissent , 
il  fallait  les  conduire  à  notre  prélat.  Et  en  effet, 
il  n'est  pas  croyable  combien  de  brebis  errantes 
il  a  ramenées  au  troupeau  :  c'est  que  sa  science , 
pleine  d'onction ,  ne  brillait  que  pour  échauffer. 
Des  traits  de  flamme  sortaient  de  sa  bouche, 
qui  allaient  pénétrer  dans  le  fond  des  cœurs.  Il 
savait  que  la  chaleur  entre  bien  plus  avant  que 
la  lumière  :  celle-ci  ne  fait  qu'effleurer  et  dorer 
légèrement  la  surface;  la  chaleur  pénètre  jus- 
qu'aux entrailles ,  pour  en  tirer  des  fruits  mer-^ 
veilleux,  et  produire  des  richesses  inestimables. 
C'est  cette  bénigne  chaleur,  qui  donnait  une  effi- 
cace si  extraordinaire  à  ses  divines  prédications, 
que  dans  un  pays  fort  peuplé  de  son  diocèse, 
où  il  n'y  avait  que  cent  catholiques  quand  il 
commença  de  prêcher,  à  peine  y  restait-il  autant 
d'hérétiques  cpiand  il  y  eut  répandu  cette  lumière 
ardente  de  l'Évangile. 

Mais  ne  vous  persuadez  pas  qu'il  n'ait  converti 
que  les  hérétiques  ;  cette  science  ardente  et  lui- 
sante agissait  encore  bien  plus  fortement  sur  les 
domestiques  de  la  foi.  Je  trouve ,  dans  ces  der- 
niers siècles,  deux  hommes  d'une  sainteté  ex- 
traordinaire ,  saint  Charles  Borromée  et  François 
de  Sales.  Leurs  talents  étaient  différents,  et  leurs 
conduites,  diverses;  car  chacun  a  reçu  son  don 
par  la  distribution  de  l'Esprit  :  mais  tous  deux 
ont  travaillé  avec  même  fruit  à  l'édification  de 
l'Église,  quoique  par  des  voies  différentes.  Saint 
Charles  a  réveillé,  dans  le  clergé,  cet  esprit  de 
piété  ecclésiastique.  L'illustre  François  de  Sales 
a  rétabli  la  dévotion  parmi  les  peuples.  Avant 
saint  Charles  Borromée,  il  semblait  que  l'ordre 
ecclésiastique  avait  oublié  sa  vocation ,  tant  il' 


»  Voyez  le  morceau  qui  est  en  note  au  coininencemenldu 
premier  iioiiil  du  Panégyrique  de  sainte  Catherine.  Bossuet  y. 
renvoie  dans  son  manuscrit. 


DE  SAIIST  FRANÇOIS  DE  SALES. 


397 


nvait  corrompu  ses  voies;  et  l'on  peut  dire ,  mes 
sd'iirs,  qu'avant  votre  saint  instituteur,  l'esprit 
(le  dévotion  n'était  presque  plus  connu  parmi  les 
gens  du  siècle.  On  reléguait  dans  les  cloîtres  la 
vie  intérieure  et  spirituelle ,  et  on  la  croyait  trop 
sauvage  pour  paraître  dans  la  cour  et  dans  le 
grand  monde.  François  de  Sales  a  été  choisi  pour 
l'aller  chercher  dans  sa  retraite,  et  pour  désa- 
buser les  esprits  de  cette  créance  pernicieuse.  Il 
a  ramené  la  dévotion  au  milieu  du  monde  ;  mais 
ne  croyez  pas  qu'il  l'ait  déguisée ,  pour  la  rendre 
plus  agréable  aux  yeux  des  mondains  :  il  l'a- 
mène dans  sou  habit  naturel ,  avec  sa  croix ,  avec 
ses  épines,  avec  son  détachement  et  ses  souffran- 
ces. En  l'état  que  la  produit  ce  digne  prélat ,  et 
dans  lequel  elle  nous  paraît  en  son  Introduction 
à  la  vie  dévote,  le  religieux  le  plus  austère  la 
peut  reconnaître ,  et  le  courtisan  le  plus  dégoûté, 
s'il  ne  lui  donne  pas  son  affection,  ne  peut  lui 
refuser  son  estime. 

Et  certainement ,  chrétiens ,  c'est  une  erreur 
intolérable,  qui  a  préoccupé  les  esprits,  qu'on  ne 
peut  être  dévot  dans  le  monde.  Ceux  qui  se  plai- 
gnent sans  cesse  que  l'on  n'y  peut  pas  faire  son 
salut,  démentent  Jésus-Christ  et  son  Évangile. 
Jésus-Christ  s'est  déclaré  le  sauveur  de  tous;  et 
par  là  il  nous  fait  connaître  qu'il  n'y  a  aucune 
condition  qu'il  n'ait  consacrée ,  et  à  laquelle  il 
n'ait  ouvert  le  chemin  du  ciel.  Car,  comme  dit 
excellemment  saint  Jean-Chrysostôme',  la  doc- 
rine  de  l'Évangile  est  bien  peu  puissante,  si  elle 
ne  peut  policer  les  villes,  régler  les  sociétés  et  le 
commerce  des  hommes.  Si,  pour  vivre  chrétien- 
nement, il  faut  quitter  sa  famille  et  la  société  du 
genre  humain,  pour  habiter  les  déserts  et  les 
lieux  cachés  et  inaccessibles,  les  empires  seront 
renversés  et  les  villes  abandonnées.  Ce  n'est  pas 
le  dessein  du  Fils  de  Dieu  :  au  contraire,  il  com- 
mande aux  siens  de  luire  devant  les  hommes  '. 
Il  n'a  pas  dit  dans  les  bois,  dans  les  solitudes, 
dans  les  montagnes  seules  et  inhabitées;  il  a  dit 
dans  les  villes  et  parmi  les  hommes  :  c'est  là  que 
leur  lumière  doit  luire,  afin  que  l'on  glorifie  leur 
Père  céleste.  Louons  donc  ceux  qui  se  retirent  ; 
mais  ne  décourageons  pas  ceux  qui  demeurent  : 
s'ils  ne  suivent  pas  la  vertu,  qu'ils  n'en  accusent 
que  leur  lâcheté,  et  non  leurs  emplois,  ni  le 
nionde,ni  lesattraitsdelacour,  ni  les  occupations 
de  la  vie  civile. 

Mais  que  dis-je  ici,  chrétiens?  les  hommes 
abuseront  de  cette  doctrine ,  et  en  prendront  un 
prétexte  pour  s'engager  dans  l'amour  du  monde. 
Que  dirons-nous  donc,  mes  frères,  et  où  nous 


•  i:i  EiK  iid  Rom.  flom.  xxvi,  n'  4,  t.  rx,  p. 717. 
'  AtiiUh.  V,  10 


tournerons-nous  désormais ,  si  on  change  en  ve- 
nin tous  nos  discours?  Prêchons  qu'on  ne  peutso 
sauver  dans  le  monde ,  nous  désespérons  nos  au- 
diteurs ;  disons,  comme  il  est  vrai,  qu'on  s'y  peut 
sauver,  ils  prennent  occasion  de  s'y  embarquer 
trop  avant.  0  mondains  !  ne  vous  trompez  pas , 
et  entendez  ce  que  nous  prêchons.  Nous  disons 
qu'on  peut  se  sauver  dans  le  monde  ;  mais  pour- 
vu qu'on  y  vive  dans  un  esprit  de  détachement  : 
qu'on  se  peut  sauver  dans  les  grands  emplois  ; 
mais  pourvu  qu'on  les  exerce  avec  justice  :  qu'on 
se  peut  sauver  parmi  les  richesses;  mais  pour\n 
qu'on  les  dispense  avec  charité  :  enfin  qu'on  se 
peut  sauver  dans  les  dignités  ;  mais  pourvu  qu'on 
en  use  avec  cette  modération,  dont  notre  saint 
prélat  nous  donnera  un  illustre  exemple  daiis 
notre  seconde  partie. 

SECOND    POINT. 

De  toutes  les  passions  humaines,  la  plus  fière 
dans  ses  pensées ,  et  la  plus  emportée  dans  ses 
désirs,  mais  la  plus  souplç  dans  sa  conduite,  et 
la  plus  cachée  dans  ses  desseins,  c'est  l'ambition. 
Saint  Grégoire  nous  a  représenté  son  vrai  carac- 
tère, lorsqu'il  a  dit  ces  mots,  dans  son  Pastoral, 
qui  est  un  chef-d'œuvre  de  prudence,  et  le  plus 
accompli  de  ses  ouvrages  :  «  L'ambition ,  dit  ce 
<•  grand  pontife", est  timide  quand  elle  cherche, 
«  superlje  et  audacieuse  quand  elle  a  trouvé  :  » 
Pavida  cum  quœrit,  audax  cum pervenerit.  Il 
ne  pouvait  pas  mieux  nous  décrire  le  naturel 
étrange  de  l'ambition ,  que  par  l'union  mons- 
trueuse de  ces  deux  qualités  opposées,  la  timi- 
dité et  l'audace.  Comme  la  dernière  lui  est  natu- 
relle, et  lui  vient  de  son  propre  fonds;  aussi  la 
fait-elle  paraître  dans  toute  sa  force ,  quand  elle 
a  sa  liberté  tout  entière  :  Audax  cum  pervenerit. 
Mais  en  attendant,  chrétiens,  qu'elle  soit  arrivée 
au  but,  elle  se  resserre  en  elle-même ,  elle  con- 
traint ses  inclinations  :  Timida  cum  quœrit.  Et 
voici  la  raison  qui  l'y  oblige  :  c'est,  comme  dit 
saint  Jean-Chrysostôme  * ,  que  les  hommes  sont 
naturellement  d'une  humeur  fâcheuse  et  contra- 
riante, Contentiosum  hominum  genus.  Soit  que 
le  venin  de  l'envie  les  empêche  de  voir  le  progrès 
des  autres  d'un  œil  équitable  ;  soit  qu'en  traver- 
sant leurs  desseins,  une  imagination  de  puissance, 
qu'ils  exercent,  leur  fasse  ressentir  un  plaisir  se- 
cret et  malin  ;  soit  que  quelque  autre  mclination 
malfaisante  les  oblige  à  s'opposer  les  uns  aux  au- 
tres ,  toujours  est-il  vrai  de  dire ,  que  l'ardeur 
d'une  poursuite  trop  ouverte  nous  attire  infailli- 
blement des  concurrents  et  des  opposants.  C'est 

'  Pnsl.  part.  I ,  cap.  ix ,  l  ii ,  col.  9. 
'       »  /«  Epist.  a  d  Philipp.  Hom.  \ii,  n"  3,  t.  xi,  p.  252. 


398 


PANÉGYRIQUE 


pourquoi  l'ambition  raffinée  s'avance  d'un  pas 
timide  ;  et  tâcliant  de  se  cacher  sous  son  contraire, 
pour  être  mieux  déguisée,  elle  se  montre  au  pu- 
blic sous  le  visage  de  la  retenue. 

Voyez  cet  ambitieux ,  voyez  Simon  le  Magi- 
cien devant  les  apôtres ,  comme  il  est  rampant  à 
leurs  pieds ,  comme  il  leur  parle  d'une  voix  trem- 
blante. Le  même,  quand  il  aura  acquis  du  crédit, 
en  imposant  aux  peuples  et  aux  empereurs  par 
ses  charmes  et  par  ses  prestiges ,  à  quel  excès 
d'arrogance  ne  se  laissera-t-il  pas  emporter  ;  et 
combien  travaillera-t-il ,  pour  abattre  ces  mêmes 
apôtres ,  devant  lesquels  il  paraissait  si  bassement 
respectueux. 

Mais  je  ne  m'étonne  pas ,  chrétiens ,  que  l'am- 
bition se  cache  aux  autres ,  puisqu'elle  ne  se  dé- 
couvre pas  à  elle-même.  Ne  voyons-nous  pas 
tous  les  jours  que  cet  ambitieux  ne  se  connaît  pas, 
et  qu'il  ne  sent  pas  l'ardeur  qui  le  presse  et  le 
brûle?  Dans  les  premières  démarches  de  sa  for- 
tune naissante ,  il  ne  songeait  qu'à  se  tirer  de  la 
boue;  après,  il  a  evf  dessein  de  servir  l'Eglise, 
dans  quelque  emploi  honorable  ;  là ,  d'autres 
désirs  se  sont  découverts ,  que  son  cœur  ne  lui 
avait  pas  encore  expliqués  :  c'  est  que  ce  feu ,  qui 
se  prenait  par  le  bas ,  ne  regardait  pas  encore  le 
sommet  du  toit  :  il  gagne  de  degré  en  degré  où  sa 
matière  l'attire,  et  ne  remarque  sa  force  qu'en 
s'élevant.  Tel  est  le  naturel  des  ambitieux ,  qui 
s'efforcent  de  persuader,  et  aux  autres,  et  à  eux- 
mêmes,  qu'ils  n'ont  que  des  sentiments  modestes. 
Mais  quelque  profonds  que  soient  les  abîmes  où 
ils  tâchent  de  nous  receler  leurs  vastes  préten- 
tions ;  quand  ils  seront  établis  dans  les  dignités, 
leur  gloire,  trop  longtemps  cachée,  se  produira 
malgré  eux ,  par  ces  deux  effets  qui  ne  laissent 
pas  de  s'accorder ,  encore  que  d'abord  ils  sem- 
blent contraires  :  l'un  est  de  mépriser  ce  qu'ils 
sont  ;  l'autre ,  de  le  faire  valoir  avec  excès. 

Oui,  je  dis  qu'ils  méprisent  ce  qu'ils  sont, 
puisque  leur  esprit  n'en  est  pas  content  ;  qu'ils  se 
plaignent  sans  cesse  de  leur  mauvaise  fortune,  et 
qu'ils  pensent  n'avoir  rien  fait.  Leur  vertu ,  à 
leur  avis,  mériterait  un  plus  grand  théâtre  ;  leur 
grand  génie  se  trouve  à  l'étroit  dans  un  emploi  si 
borné  :  cette  pourpre  ne  leur  paraît  pas  assez  bril- 
lante ;  et  il  faudrait,  pour  les  satisfaire,  qu'elle 
jetât  plus  de  feu.  Dans  ces  hautes  prétentions,  ils 
comptent  pour  rien  tout  ce  qu'ils  possèdent.  Mais 
vojez  l'égarement  de  leur  ambition  :  pendant 
qu'ils  méprisent  eux-mêmes  les  honneurs  dont  ils 
sont  revêtus ,  ils  veulent  que  tout  le  monde  les 
considère  comme  quelque  chose  d'auguste  ;  et  si 
peu  qu'on  ose  entreprendre  de  toucher  ce  point 

'  Att.  MU ,  19,  24. 


délicat,  vousn'entendrcz sortir deleurboucheque 
des  paroles  d'autorité,  pour  marquer  leur  gran- 
deur et  leur  puissance.  Ainsi  ce  superbe  Aman , 
tant  de  fois  cité  dans  les  chaires ,  comme  le  mo- 
dèle d'une  ambition  démesurée,  quoiqu'il  veuille 
que  toute  la  terre  adore  sa  puissance  prodigieuse, 
il  la  méprise  lui-même  en  son  cœur;  et  il  s'ima- 
gine n'avoir  rien  gagné ,  quand  il  regai-de  l'ac- 
croissement qui  lui  manque  encore  :  Hœc  cinn 
omnia  habeam,  nihii  me  habere  pii(o\  Tant 
l'ambition  est  injuste ,  ou  de  ne  se  contenter  pas 
de  ce  qu'elle  veut  que  le  monde  admire,  ou 
d'exiger  qu'on  respecte  tant  ce  qui  n'est  pas  ca- 
pable de  la  satisfaire. 

Ceux  qui  s'abandonnent,  mes  sœurs,  à  ces 
sentiments  déréglés ,  peuvent  bien  luire  et  bril- 
ler dans  le  monde  par  des  dignités  éminentes  ; 
mais  ils  ne  luisent  que  pour  le  scandale,  et  ne  sont 
pas  capables  d'enflammer  les  cœurs  au  mépris  des 
vanités  de  la  terre,  et  à  l'amour  de  la  modestie 
chrétienne.  C'est,  mes  sœurs,  notre  saint  évêque 
qui  a  été  véritablement  une  lumière  ardente  et 
luisante,  lui  qui,  étant  établi  dans  le  premier 
ordre  de  la  dignité  ecclésiastique,  s'est  également 
éloigné  de  ces  deux  effets  ordinaires  de  l'ambi- 
tion; de  vouloir  s'élever  plus  haut,  ou  de  main- 
tenir avec  faste  l'autorité  de  son  rang ,  par  un 
dédain  fastueux.  Pour  l'élever  à  l'épiscopat,  il 
avait  été  nécessaire  de  forcer  son  humiUté  par  un 
commandement  absolu.  Il  remplit  si  dignement 
cette  place,  qu'il  n'y  avait  aucun  prélat  dans 
l'Église,  que  la  réputation  publique  jugeât  si  di- 
gne des  premiers  sièges.  Ce  n'était  pas  seulement 
la  renommée,  dont  le  suffrage  ordinairement 
n'est  pas  de  grand  poids.  Le  roi  Henri  le  Grand  le 
pressa  souvent  d'accepter  les  premières  prélatures 
de  ce  royaume  ;  et  sous  le  règne  de  son  fils ,  un 
grand  cardinal,  qui  était  chef  de  ses  conseils,  le 
voulait  faire  son  coadjuteur  dans  l'évêché  de  Pa- 
ris, avec  des  avantages  extraordinaires.  Il  était 
tellement  respecté  dans  Rome,  qu'il  eût  pu  faci- 
lement s'élever  jusqu'à  la  pourpre  sacrée,  si  peu 
qu'il  eût  pris  de  soin  de  s'attirer  cet  honneur. 
Parmi  ces  ouvertures  favorables,  il  nous  eût  et.' 
impossible  de  comprendre  quel  était  son  détache: 
ment,  si  la  Providence  divine  n'eût  permis,  pour 
notre  instruction,  qu'il  s'en  soit  lui-même  expli- 
qué à  une  personne  confidente ,  comme  s'il  eût 
été  à  l'article  de  la  mort ,  où  tout  le  monde  ne 
paraît  que  fumée. 

Que  je  vous  demande  ici ,  chrétiens  :  Baltasar, 
ce  grand  roi  des  Assyriens,  à  la  veille  de  cette 
nuit  fatale  eu  laquelle  Daniel  lui  prédit ,  de  la  part 
de  Dieu,  la  fin  de  sa  vie ,  et  la  translation  de  sou 

^  •  Estli.  \,  13. 


DE  SATNT  FRANÇOIS  DE  SALES. 


t90 


I 


trAnc,  était-il  encore  charmé  de  cette  pompe 
rovale,  dans  les  approches  de  la  dernière  heure? 
Au  contraire,  ne  vous  semble-t-il  pas  qu'il  voyait 
son  sceptre  lui  tomber  des  mains ,  sa  pourpre  pâ- 
lir sur  ses  épaules,  et  l'éclat  de  sa  couronne  se 
ternir  visiblement  sur  sa  tète  parmi  les  ombres  de 
la  mort,  qui  commençaient  à  l'environner?  Pour- 
rait-on encore  se  glorifier  de  la  beauté  d'un  vais- 
seau ,  étant  tout  près  de  l'écueil  contre  lequel  on 
saurait  qu'il  se  va  briser?  Ces  aveugles  adorateurs 
de  la  fortune  estiment-ils  beaucoup  leur  gran- 
deur, quand  ils  voient  que  ,  dans  un  moment , 
toute  leur  gloire  passera  à  leur  nom ,  tous  leurs 
titres  à  leur  tombeau  ,  et  peut-être  leurs  dignités 
à  leurs  ennemis,  du  moins  à  des  indifférents? 
Alors,  alors,  mes  frères,  toutes  leurs  vanités 
seront  confondues  ;  et ,  s'il  leur  reste  encore  quel- 
que lumière,  ils  seront  contraints  d'avouer  que 
tout  ce  qui  passe  est  bien  méprisable.  Mais  ces 
sentiments  forcés  leur  apporteront  peu  d'utilité  : 
au  contraire,  ce  sera  peut-être  leur  condamna- 
tion, qu'il  ait  fallu  appeler  la  mort  au  secours, 
pour  les  contraindre ,  eux  où  il  semble  que  rien 
ne  vive  que  l'ambition ,  de  reconnaître  des  véri- 
tés si  constantes. 

François  de  Sales ,  mes  sœui-s ,  n'attend  pas 
cette  extrémité ,  pour  éteindre  en  son  cœur  tout 
l'amour  du  monde  :  dans  la  plus  grande  vigueur 
de  son  âge ,  au  milieu  de  l'applaudissement  et  de 
la  faveur,  il  le  considère  des  mêmes  yeux  qu'il 
ferait  en  ce  dernier  jour ,  où  périssent  toutes  nos 
pensées;  et  il  ne  songe  non  plus  à  s'avancer,  que 
s'il  était  un  homme  mourant.  Et  certainement, 
chrétiens ,  il  n'est  pas  seulement  un  homme  mou 
rant;  mais  il  est  en  effet  de  ces  heureux  morts, 
dont  la  vie  est  cachée  en  Dieu ,  et  qui  s'ensevelis- 
sent tout  vivants  avec  Jésus-Christ.  Que  s'il  est 
si  sage  et  si  tempéré  à  l'égard  des  dignités  qu'il 
n'a  pas,  il  use,  dans  le  même  esprit,  de  la  puis- 
sance qui  lui  est  confiée.  Il  en  donna  un  illustre 
exemple,  lorsque  son  Introduction  à  la  vie  dé- 
vote ,  ce  chef-d'œuvre  de  piété  et  de  prudence ,  ce 
trésor  de  sages  conseils ,  ce  livre  qui  conduit  tant 
d'âmes  à  Dieu ,  dans  lequel  tous  les  esprits  purs 
viennent  goûter  avec  joie  les  saintes  douceurs  de 
la  dévotion ,  fut  déchiré  publiquement ,  jusque 
daus  les  chaires  évangéliques ,  avec  toute  l'amer- 
tume et  l'emportement  que  peut  inspirer  un  zèle 
indiscret,  pour  ne  pas  dire  malin.  Si  notre  saint 
évêque  se  fût  élevé  contre  ces  prédicateurs  témé- 
raires,  il  aurait  trouvé  assez  de  prétextes  de  cou- 
vrir son  ressentiment  de  l'intérêt  de  l'épiscopat 
qui  était  violé  en  sa  pei-sonne ,  et  dont  l'honneur, 
disait  un  ancien  ' ,  étabUt  la  paix  de  l'Église.  Mais 

•  TeriuU.  de  Bapt.  n»  I? 


il  pensa ,  chrétiens ,  que  si  c'était  une  plaie  à  l'É- 
glise de  voir  qu'un  évêque  fût  outragé ,  elle  serait 
bien  plus  grande  encore  de  voir  qu'un  évêque  fût 
en  colère ,  panit  ému  en  sa  propre  cause,  et  anime 
dans  ses  intérêts.  Ce  grand  homme  se  persuada 
que  l'injure,  que  l'on  faisait  à  sa  dignité,  serait 
bien  mieux  réparée  par  l'exemple  de  sa  modestie, 
que  par  le  châtiment  de  ses  envieux  :  c'est  pour- 
quoi on  ne  vit  ni  censures,  ni  apologie,  ni  réponse  ; 
il  dissimula  cet  affront.  Il  en  parle  comme  en  pas- 
sant en  un  endroit  de  ses  œuvres,  en  des  termes 
si  modérés ,  que  nous  ne  pourrions  jamais  nous 
imaginer  l'atrocité  de  l'injure ,  si  la  mémoire  n'en 
était  encore  toute  récente.  (  Mais  si  sa  modération 
nous  charme ,  sa  douceur  dans  la  conduite  des 
âmes  ne  sera  pas  moins  touchante  ;  c'est  ma  troi- 
sième partie.  ) 

TBOISIÈME    POINT. 

Qui  que  vous  soyez,  chrétiens,  qui  êtes  appelés 
par  le  Saint-Esprit  à  la  conduite  des  âmes  que  le 
Fils  de  Dieu  a  rachetées ,  ne  vous  proposez  pas 
de  suivre  les  règles  de  la  politique  du  monde.  Son- 
gez que  votre  modèle  est  au  ciel,  et  que  le  premier 
directeur  des  âmes,  celui  dont  vous  devez  imiter 
l'exemple ,  c'est  ce  Dieu  même  que  nous  adorons. 
Or,  ce  directeur  souverain  des  âmes  ne  se  con- 
tente pas  de  répandre  des  lumières  dans  l'esprit , 
il  en  veut  au  cœur.  Quand  il  veut  faire  sentir  son 
pouvoir  aux  créatures  inanimées,  il  ne  consulte 
pas  leurs  dispositions;  mais  il  les  contraint  et  les 
force.  Il  n'y  a  que  le  cœur  humain ,  qu'il  semble 
ne  régir  pas  tant  par  puissance,  qu'il  le  ménage 
par  art,  quHl  le  conduit  par  industrie,  et  qu'il  l'en- 
gage par  douceur.  Les  directeurs  des  consciences 
doivent  agir  par  la  même  voie ,  et  cette  douceur 
chrétienne  est  le  principal  instrument  de  la  con- 
duite des  âmes  ;  parce  qu'ils  doivent  amener  à 
Dieu  des  victimes  volontaires ,  et  lui  former  des 
enfants,  et  non  des  esclaves. 

Pour  avoirune  belle  idéede  cettedouceur  évan- 
gélique,  ce  serait  assez,  ce  me  semble,  de  con- 
templer le  visage  de  François  de  Sales.  Toutefois, 
pour  remonter  jusqu'au  principe,  allons  chercher, 
jusque  dans  son  cœur,  la  source  de  cette  douceur 
attirante,  qui  n'est  autre  que  la  charité.  Ceux 
qui  ont  le  plus  pratiqué  et  le  mieux  connu  ce 
grand  homme,  nous  assurent  qu'il  était  enclin  à 
la  colère  ;  c'est-à-dire ,  qu'il  était  du  tempéra- 
ment qui  est  le  plus  opposé  à  la  douceur.  Mais  il 
faut  ici  admirer  ce  que  fait  la  charité  dans  les 
cœurs,  et  de  quelle  manière  elle  les  change  ;  et 
tout  ensemble  vous  découMir  ce  que  c'est  que  la 
douceur  chrétienne,  qui  semble  être  la  vertu  par- 
ticulière de  notre  illustre  prélat.  Pour  bien  enten- 
dre ces  choses,  il  faut  remarquer,  s'il  vous  plaît, 


400 


PANÉGYRIQUE 


que  le  plus  grand  changement  que  la  nature  fasse 
dans  les  hommes ,  c'est  lorsqu'elle  leur  donne 
des  enfants  :  c'est  alors  que  les  humeurs  les  plus 
aigres  et  les  plus  indifférentes  conçoivent  une 
nouvelle  tendresse,  et  ressentent  des  empresse- 
ments qui  leur  étaient  auparavant  inconnus.  II 
n'y  a  personne  qui  n'ait  observé  les  inclinations 
extraordinaires  qui  naissent  tout  a  coup  dans  le 
cœur  des  mères  et  des  nourrices ,  qui  sont  comme 
de  secondes  mères.  Or,  j'ai  appris  de  saint  Au- 
gustin, que  «  la  charité  est  une  mère,  et  que  la 
«  charité  est  une  nourrice  :  »  Charitas  nutrix  ' , 
chantas  mater  est  ^  En  effet,  nous  lisons  d;ins 
les  Écritures ,  que  la  charité  a  des  enfants  :  elle  a 
des  entrailles ,  où  elle  les  porte  ;  elle  a  des  mal- 
raelles  qu'elle  leur  présente;  elle  a  un  lait  qu'elle 
leur  donne.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner,  si  elle 
change  ceux  qu'elle  possède ,  et  surtout  les  con- 
ducteurs des  âmes;  ni  si  elle  adoucit  leur  humeur, 
en  leur  inspirant  dans  le  cœur  des  sentiments 
maternels. 

C'est,  mes  sœurs,  cette  onction  de  la  charité 
qui  a  changé  votre  bienheureux  père  ;  c'est  cette 
huile  vraiment  céleste  ,  c'est  ce  baume  spirituel 
qui  a  calmé  ces  esprits  chauds  et  remuants ,  qui 
excitaient  en  lui  la  colère  ;  par  où  vous  devez 
maintenant  connaître  ce  que  c'est  que  la  douceur 
chrétienne.  Ce  n'est  pas  autre  chose ,  mes  sœurs, 
que  la  fleur  de  la  charité,  qui,  ayant  rempli  le 
dedans,  répand  ensuite  sur  l'extérieur  une  grâce 
simple  et  sans  fard ,  et  un  air  de  cordialité  tem- 
péré, qui  ne  respire  qu'une  affection  toute  sainte  : 
c'est  par  là  que  François  de  Sales  commençait  à 
gagner  les  cœurs. 

Mais  la  douceur  chrétienne  n'agit  pas  seu- 
lement sur  le  visage  ;  elle  porte  avec  soi.,  dans 
l'intérieur,  ces  trois  vertus  principales  qui  la 
composent,  la  patience,  la  compassion,  la  condes- 
cendance :  vertus  absolument  nécessaires  à  ceux 
qui  dirigent  les  âmes;  la  patience,  pour  supporter 
les  défauts  ;  la  compassion ,  pour  les  plaindre  ;  la 
condescendance,  pour  les  guérir.  La  conduite  des 
âmes  est  une  agriculture  spirituelle  ;  et  j'apprends 
de  l'apôtre  saint  Jacques,  que  la  vertu  des  labou- 
leurs ,  c'est  la  patience  :  «  Voilà ,  dit-il ,  que  le 
«  laboureur  attend  le  fruit  de  la  terre ,  suppor- 
«  tant  patiemment  toutes  choses  :  »  Ecce  agricola 
expectat  preiiosum  fructum  terrœ,  patienter 
ferens^. 

Et  en  effet,  chrétiens,  pour  dompter,  si  je  puis 
parler  de  la  sorte ,  la  dureté  de  la  terre,  surmon- 
ter l'inégalité  des  saisons,  et  supporter,  sans  relâ- 
che ,  l'assiduité  d'un  si  long  travail ,  qu'y  a-t-il 

•'  np  ratcch.  nid.  cap.  XV,  n°  23 ,  t.  Vf ,  col.  279. 
'  .-/'/  Marcel.  Ep.  cxxxix ,  n"  3 ,  t.  il ,  col.  421 
3  Joe.  V,  7, 


de  plus  nécessaire  que  la  patience?  Mais  vous 
en  avez  d'autant  plus  besoin ,  ô  laboureurs  spiri- 
tuels !  que  le  grain  que  vous  semez  est  plus  délicat 
et  plus  précieux  ;  le  champ  que  vous  cultivez,  plus 
stérile;  les  fruits  que  vousattendez,  ordinairement 
plus  tardifs  ;  et  les  vicissitudes  que  vous  craignez, 
sans  comparaison  plus  dangereuses.  Pour  vaincre 
ces  difficultés,  il  faut  une  patience  invincible,  telle 
qu'était  celle  de  François  de  Sales.  Bien  loin  de  se 
dégoûter,  ou  de  relâcher  son  application,  quand 
la  terre,  qu'il  cultivait,  ne  lui  donnait  pas  des 
fruits  assez  tôt  ;  il  augmentait  son  ardeur,  quand 
elle  ne  lui  produisait  que  des  épines.  On  a  vu  des 
hommes  ingrats ,  auxquels  il  avait  donné  tant  de 
veilles,  pour  les  conduire  par  la  droite  voie,  qui, 
au  lieu  de  reconnaître  ses  soins,  s'emportaient  jus- 
qu'à cet  excès  de  lui  faire  mille  reproches  outra- 
geux.  C'était  un  sourd  qui  n'entendait  pas ,  et  un 
muet  qui  ne  parlait  pas  :  Ego  autem  tanquam 
surdus  non  audiebani,  et  sicut  mutus  non  ape- 
riens  os  suum\  Il  louait  Dieu  dans  son  cœur,  de 
lui  faire  naître  cette  occasion  de  fléchir,  par  sa 
patience,  ceux  qui  résistaient  à  ses  bons  conseils. 
Quelque  étrange  que  fût  leur  emportement ,  il  ne 
lui  est  jamais  arrivé  de  se  plaindre  d'eux  ;  mais 
il  n'a  jamais  cessé  de  les  plaindre  eux-mêmes;  et 
c'est  le  second  sentiment  d'un  bon  directeur. 

Vous  le  savez,  ô  pécheurs!  lépreux  spirituels 
que  la  Providence  divine  adressait  à  cet  Elisée  ; 
vous  particulièrement,  pauvres  dévoyés  de  ce 
grand  diocèse  de  Genève ,  et  vous ,  pasteurs  des 
troupeaux  errants,  ministres  d'iniquité,  qui  cor- 
rompez les  fontaines  de  Jacob ,  et  tâchez  de  dé- 
tourner ses  eaux  vives  sur  une  terre  étrangère  : 
lorsque  votre  bonheur  vous  a  fait  tomber  entre  les 
mains  de  ce  pasteur  charitable,  vous  avez  expé- 
rimenté quelles  étaient  ses  compassions. 

Et  certainement,  chrétiens,  il  n'est  rien  de  plus 
efficace,  pour  toucher  les  cœurs,  que  cette  sin- 
cère démonstration  d'une  charité  compatissante. 
La  compassion  va  bien  plus  au  cœur,  lorsqu'elle 
montre  le  désir  de  sauver  ;  et  les  larmes  du  père 
affligé ,  qui  déplore  les  erreurs  de  son  prodigue , 
lui  font  bien  mieux  sentir  son  égarement,  que  les 
discours  subtils  et  étudiés ,  par  lesquels  il  aurait 
pu  le  convaincre.  C'est  ce  qui  faisait  dire  à  saint 
Augustin  2,  qu'il  fallait  rappeler  les  hérétiques , 
plutôt  par  des  témoignages  de  charité,  que  par 
des  contentions  échauffées.  La  raison  en  est  évi- 
dente; c'est  que  l'ardeur  de  celui  qui  dispute 
peut  naître  du  désir  de  vaincre  :  la  compassion  est 
plus  agréable,  qui  montre  le  désir  de  sauver. 
Un  homme  peut  s'aigrir  contre  vous,  quand  vous 
choquez  ses  pensées  ;  mais  il  vous  sera  toujour» 

'  Ps.  X\XVI1,  14. 

'  InJoan.  Tract,  vi,  n"  15,  t,  iif,  part,  ii,  col.  337 


DE  SAINT  FRANÇOIS  DE  SALES. 


401 


oblipéque  vous  désirliz  son  salut  :  il  craint  de  ser- 
\  il-  de  trophée  à  votre  orgueil  ;  mais  il  ne  se  fâche 
jîuniiis  d'être  l'objet  de  votre  charité.  Entrez  par 
ci't  abord  favorable  ;  n'attaquez  pas  cette  place 
du  côté  de  cette  éminence ,  ou  la  présomption  se 
retranche  ;  ce  ne  sont  que  des  hauteurs  immenses, 
v[  des  précipices  escarpés  et  ruineux  :  approchez 
IKir  l'endroit  le  plus  accessible;  et  par  ce  cœur, 
«lui  s'ouvre  à  vous,  tâchez  de  gagner  l'esprit  qui 
Nrloigne. 

Jamais  homme  n'a  mieux  pratiqué  cette  ruse 
innocente ,  et  cette  salutaire  intelligence,  que  le 
saint  évêquedont  nous  parlons.  Il  ne  lui  était  pas 
difficile  de  persuader  aux  pécheurs,  et  particu- 
lièrement aux  hérétiques  qui  conversaient  avec 
lui ,  combien  il  déplorait  leur  m'isère  :  c'est  pour- 
quoi aussitôt  ils  étaient  touchés;  et  il  leur  sem- 
blait entendre  une  voix  secrète ,  qui  leur  disait 
dans  le  fond  du  cœur  ces  paroles  de  saint  Augus- 
tin :  Veni,  columba  te  vocat,  gemendo  te  mcat  '  : 
pécheurs,  courez  à  la  pénitence;  hérétiques,  ve- 
nez à  l'Église  ;  celui  qui  vous  appelle  c'est  la  dou- 
ceur même  ;  ce  n'est  pas  un  oiseau  sauvage,  qui 
vous  étourdisse  par  ses  cris  importuns,  ou  qui 
vous  déchire  par  ses  ongles  ;  c'est  une  colombe 
qui  gémit  pour  vous ,  et  qui  tâche  de  vous  atti- 
rer, en  gémissant ,  par  l'effort  d'une  compassion 
plus  que  paternelle:  Veni,  columba  te  vocat,  ge- 
mendo te  vocat.  Un  homme  si  tendre ,  mes  sœurs , 
et  si  charitable,  sans  doute  n'avait  pas  de  peine 
a  se  rabaisser  par  une  miséricordieuse  condescen- 
dance, qui  est  la  troisième  partie  de  la  douceur 
chrétienne,  et  la  qualité  la  plus  nécessaire  à  un 
fidèle  conducteur  des  âmes:  condescendance, 
mes  sœure ,  que  l'onction  de  la  charité  produit 
dans  les  cœurs;  et  voici  en  quelle  manière. 

Je  vous  par  lais  tout  à  l'heure  de  ces  changements 
merveilleux,  que  fait  dans  les  cœurs  l'amour 
des  enfants ,  entre  lesquels  le  plus  remarquable 
est  d'apprendre  à  se  rabaisser.  Car  voyez  cette 
mère  et  cette  nourrice ,  ou  ce  père  même ,  si  vous 
voulez,  comme  il  se  rapetisse  avec  cet  enfant, 
si  je  puis  parler  de  la  sorte.  Il  vient  du  palais , 
dit  saint  Augustin  %  où  il  a  prononcé  des  arrêts, 
où  il  a  fait  retentir  tout  le  barreau  du  bruit  de  son 
éloquence  :  retourné  dans  son  domestique,  parmi 
ses  enfants ,  il  vous  paraît  un  autre  homme  :  ce 
ton  de  voix  magnifique  a  dégénéré,  et  s'est  changé 
en  un  bégayement  ;  ce  visage,  naguère  si  grave, 
a  pris  tout  à  coup  un  air  enfantin  ;  une  troupe 
d'enfants  l'environne ,  auxquels  il  est  ravi  de  cé- 
der; et  ils  ont  tant  de  pouvoir  sur  ses  volontés , 
qu'il  ne  peut  leur  rien  refuser  que  ce  qui  leur  nuit. 


i»  In  Joan.  Tract,  vi,  n"  15 ,  t.  m,  parL  U,  col.  337. 
KOSSIXT.  —  TOME  III. 


Puis(|ue  l'amour  des  enfants  produit  ces  effets ,  il 
faut  bien  que  la  cliarité  chrétienne,  cjui  donne 
des  sentiments  maternels ,  particulièrement  aux 
pasteurs  des  âmes,  inspire  en  même  temps  la 
condescendance  :  elle  accorde  tout,  excepté  ce 
qui  est  contraire  au  salut.  Vous  le  savez,  ô 
grand  Paul  I  qui  êtes  descendu  tant  de  fois  du 
troisième  ciel,  pour  bégayer  avec  les  enfants; 
qui  paraissiez  vous-même,  parmi  les  fidèles, 
ainsi  qu'un  enfant  :  Facfi  su7nus  parvuli  in  me- 
dio  vestrum  '  ;  petit  avec  les  petits,  gentil  avec 
les  gentils,  inflrme  avec  les  infirmes ,  tout  à  tous, 
afin  de  les  sauver  tous. 

Que  dirai-je  maintenant  de  saint  François  de 
Sales?  [Ce  sera,  mes  frères,  vous  représenter 
au  naturel  les  saints  artifices  de  sa  charitable 
condescendance  pour  les  âmes ,  que  de  vous  ex- 
poser ici  les  vrais  caractères  de  la  charité  pas- 
torale ,  que  saint  Augustin  nous  a  si  tendrement 
exprimés.]  '<  La  charité ,  nous  dit-il ,  enfante  les 
«  uns,  s'affaiblit  avec  les  autres;  elle  a  soin  d'é- 
•  difier  ceux-ci,  elle  craint  de  blesser  ceux-là; 
«  elle  s'abaisse  vers  les  uns,  elle  s'élève  vers  les 
«  auti^s  :  douce  pour  certains,  sévère  à  quelques- 
«  uns ,  eanemie  de  personne ,  elle  se  montre  la 
«  mère  de  tous  ;  elle  couvre  de  ses  plumes  molles 
«  ses  tendres  poussins;  elle  appelle  d'une  voix 
«  pressante  ceux  qui  se  plaignent;  et  les  super- 
«  bes^qui  refusent  de  se  rendre  sous  ses  ailes 
«caressantes,  deviennent  la  proie  des  oiseaux 
«  voraces  :  »  Ipsa  charitas  alias  parturit,  cum 
aliis  infirmatur;  alios  curât  œdificare,  alias 
contremiscit  offendere  ;  ad  alios  se  inclinât,  ad 
alios  se  erigit;  aliis  blanda ,  aliis  severa;  nulti 
inimica,  omnibus  mater  ^  ...  languidulis  plu- 
mis  tetieros  fœtus  operit,  et  susurrantes pullos 
contractavoce  advocat  ;  cujusblandas  alas  refu- 
gicntes  superbi ,  prœdajiunt  alitibus^.  Elle  s'é- 
lève contre  les  uns  sans  s'emporter,  et  s'abaisse 
devant  les  autres  sans  se  démettre  :  sévère  à  ceux- 
là  sans  rigueur,  et  douce  à  ceux-ci  sans  flatterie  : 
elle  se  plait  avec  les  forts  ;  mais  elle  les  quitte  pour 
courir  aux  besoins  des  faibles  *. 

'  I.  rA<r«.  11,7. 

ï  s.  Aug.  de  cat.  rud.  cap.  xv,  b»  23 ,  t.  vi    col.  278. 

*  Ihid.  cnp.  X,  n"  15,  t.  ti,  col.  274. 

*  Bossaet  renvoie",  pour  finir  son  sermon ,  au  Panégyrique 
de  saint  Thomas  de  Villeneuve ,  que  toutes  nos  rechercb«6 
n'ont  pu  nous  procurer.  {Édit.  de  Déjoris.  ) 


9G 


<0*i 


PA?<Ér.YPJQUK 


PANÉGYRIQUE 


SAINT  PIERRE  NOLASQUE. 

Atpc  quel  zèle  saint  Pierre  Nolasque,  pour  imiter  et  ho- 
norer la  charité  du  divin  Sauveur,  a  consacré  a»  soulage- 
ment et  à  la  délivrance  de  ses  frères  captifs ,  ses  soins ,  sa  per- 
sonne et  ses  disciples. 


Dédit  semetipsîim pro  nobis. 

H  s'est  donné  lui-même  pour  nous.  Tit.  n,  14. 

C'est  un  plus  grand  bonheur,  dit  le  Fils  de 
Dieu ,  de  donner  que  de  recevoir.  Cette  parole 
était  digne  de  celui  qui  a  tout  donné  jusqu'à  son 
sang,  et  qui  se  serait  épuisé  lui-même,  si  ses  tré- 
sors n'étaient  infinis  aussi  bien  que  ses  largesses. 
Saint  Paul ,  qui  a  reciteilli  ce  beau  sentiment  de 
la  bouche  de  notre  Sauveur,  le  propose  à  tous  les 
fidèles,  pour  servir  de  loi  à  leur  charité.  Sou- 
venez-vous ,  leur  dit-il ,  de  cette  parole  du  Sei- 
gneur Jésus ,  «  qu'il  vaut  mieux  donner  que  de 
«  recevoir  «  ;  »  parce  que  le  bien  que  vous  recevez 
est  une  consolation  de  votre  indigence ,  et  celui 
que  vous  répandez  est  la  marque  d'une  plénitude 
qui  s'étend  à  soulager  les  besoins  des  autres. 

Jamais  il  n'y  a  eu  sur  la  terre  un  homme  plus 
libéral  que  le  grand  saint  Pierre  Nolasque ,  fon- 
dateur de  l'ordre  sacré  de  Notre-Dame  de  la 
Merci ,  dont  nous  honorons  aujourd'hui  la  bien- 
heureuse mémoire:  car  il  ne  s'est  rien  proposé 
de  moins  que  l'immense  profusion  d'un  Dieu,  qui 
s'est  prodigué  lui-même,  et  de  là  il  a  conçu  le 
dessein  de  dévouer  sa  personne ,  et  de  consacrer 
tout  son  ordre  aux  nécessités  des  misérables. 

Tous  les  fidèles  serviteurs  de  Dieu  ont  imité 
quelques  traits  du  Sauveur  des  âmes  :  celui-ci  a 
cette  grâce  particulière ,  de  l'avoir  fidèlement  co- 
pié dans  le  caractère  par  lequel  il  est  établi  notre 
rédempteur.  Pour  entendre  un  si  grand  dessein, 
et  imiter  un  si  grand  exemple ,  demandons  l'as- 
sistance ,  etc.  Ave. 

La  manière  la  plus  excellente  d'honorer  les 
choses  divines,  c'est,  messieurs,  de  les  imiter. 
Dieu  nous  ayant  fait  cet  honneur  de  nous  for- 
mer à  sa  ressemblance,  le  plus  grand  hommage 
que  nous  puissions  rendre  à  la  souveraine  vérité 
de  Dieu,  c'est  de  nous  conformer  à  ce  qu'il  est; 
car  alors  nous  célébrons  ses  grandeurs ,  non  point 
par  nos  paroles ,  ni  par  nos  pensées ,  ni  par  quel- 
ques sentiments  de  notre  cœur  ;  mais ,  ce  qui  est 
bien  plus  relevé ,  par  toute  la  suite  de  nos  actions, 
et  par  tout  l'état  de  notre  personne. 

Nous  pouvons  donc  honorer  eu  deux  façons 


les  mystères  de  Jésus-Cln*ist ,  ou  par  des  actes 
particuliers  de  nos  volontés,  ou  par  tout  l'état 
de  notre  vie.  Nous  les  honorons  par  des  actes , 
en  les  adorant  par  foi ,  en  les  ressentant  par  re- 
connaissance,  en  nous  y  attachant  par  amour. 
Mais  voici  que  je  vous  montre  avec  l'apôtre  une 
voie  bien  plus  excellente  :  Excellentiorem  viam 
vobis  detnonstro  \  C'est  d'honorer  ces  divins, 
mystères  par  quelque  chose  de  plus  profond,  eu' 
nous  dévouant  saintement  à  Dieu ,  non-seulement 
pour  les  aimer  et  pour  les  connaître ,  mais  encore 
pour  les  imiter,  pour  en  porter  sur  nous-mêmes 
l'impression  et  le  caractère,  pour  en  recevoir  en 
nous-mêmes  la  bénédiction  et  la  grâce. 

C'est  en  cette  sorte,  mes  frères,  que  saint 
Pierre  Nolasque  a  été  choisi  pour  honorer  le  mys- 
tère de  la  rédemption.  Il  l'a  honoré  véritable- 
ment, entrant  dans  les  devoirs,  dans  la  grati- 
tude, dans  toutes  les  dépendances  d'une  créature 
rachetée.  Mais,  afin  qu'il  fût  lié  plus  intimement 
à  la  grâce  de  ce  mystère ,  il  a  plu  au  Saint-Esprit 
qu'.il  se  dévouât  volontairement  à  l'imitation 
de  cette  immense  charité,  par  laquelle  «  Jésus- 
«  Christ  a  donné  son  âme,  pour  être,  comme  il  le 
«  dit  lui-même»,  la  rédemption  de  plusieurs.  » 

S'il  y  a  quelque  chose  au  monde ,  quelque  ser- 
vitude capable  de  représenter  à  nos  yeux  la  mi- 
sère extrême  de  la  captivité  horrible  de  l'homme , 
sous  la  tyrannie  des  démons,  c'est  l'état  d'un 
chrétien  captif,  sous  la  tyrannie  des  mahomé- 
tans.  Car  et  le  corps  et  l'esprit  y  souffrent  une 
égale  violence,  et  l'on  n'est  pas  moins  en  péril 
de  son  salut  que  de  sa  vie.  C'est  donc  au  soulage- 
ment de  cet  état  misérable  qu'est  appliqué  saint 
Pierre  Nolasque ,  pour  honorer  les  bontés  de  Jé- 
sus délivrant  les  hommes  de  la  tyrannie  de  Satan. 
Il  se  donne  de  tout  son  cœur  à  ces  malheureux 
esclaves ,  et  il  s'y  donne  dans  le  même  esprit  que 
Jésus  s'est  donné  aux  hommes  captifs,  pour  les 
affranchir  de  leur  servitude  :  Dédit  sernetipswn 
pro  nobis. 

Jésus-Christ  a  donné  aux  hommes  et  à  l'œuvre 
de  la  rédemption ,  premièrement  ses  soins  pater- 
nels; secondement,  sa  propre  personne;  troisiè- 
mement ,  ses  disciples.  II  nous  a  donné  ses  soins, 
parce  qu'il  a  toujours  eu  l'esprit  occupé  de  la  pen- 
sée de  notre  salut  :  il  nous  a  donné  sa  propre  per- 
sonne ,  parce  qu'il  s'est  immolé  pour  nous  :  il  nous 
a  donné  ses  disciples,  qui  étant  la  plus  noble  par- 
tie du  peuple  qu'il  a  racheté,  est  appliquée  par 
lui-même,  et  entièrement  dévouée  à  coopérer 
par  sa  charité  à  la  délivrance  de  tous  les  autres. 

C'est  ainsi  que  le  Fils  de  Dieu  a  consommé 
Fœuvre  de  notre  rédemption ,  et  c'est  par  lea 

'  I.  Cor.  xn ,  .'^n. 
">  Mal  th.  XX  ,  2». 


DE  SALNT  PIERRE  NOLASQUE. 


mêmes  voies  que  le  saint  que  nous  révérons  a 
imité  son  amour  et  honore  son  mystère.  Fidèle 
imilateur  du  Sauveur  des  âmes,  il  a  été  touché, 
aussi  bien  que  lui,  des  cruelles  extrémités  où 
sont  réduits  les  captifs;  il  leur  a  donné,  aussi 
bien  que  lui,  premièrement,  tous  ses  soins;  secon- 
dement ,  toute  sa  personne  ;  troisièmement ,  tous 
ses  disciples,  et  l'ordre  religieux  qu'il  a  établi 
dans  l'Église.  C'est  ce  que  nous  aurons  à  con- 
^ilU•rer  dans  les  trois  points  de  ce  discours. 

PREMIER  POINT. 

L'une  des  raisons  principales  qui  a  rendu  les 
infidèles  si  fort  incrédules  au  mystère  du  Verbe 
incarné,  c'est  qu'ils  n'ont  pu  se. persuader  que 
Dieu  eût  tant  d'amour  pour  le  genre  humain, 
que  les  chrétiens  le  publiaient.  Celse,  dans  cet 
écrit  si  envenimé  qu'il  a  fait  contre  l'Evangile, 
auquel  le  docte  Origène  a  si  fortement  répondu  ' , 
se  moque  des  chrétiens ,  de  ce  qu'ils  osaient  pré- 
sumer que  Dieu  même  était  descendu  du  ciel 
pour  venir  à  leur  secours.  Ils  trouvaient  indigne 
de  Dieu  d'avoir  un  soin  si  particulier  des  choses 
humaines;  et  c'est  pourquoi  l'Écriture  sainte, 
pour  établir  dans  les  cœurs  la  croyance  d'un  si 
î;rand  mystère  ,  ne  cesse  de  publier  la  bonté  de 
Dieu  et  son  amour  pour  les  hommes.  C'est  aussi 
ce  qui  a  obligé  l'apôtre  saint  Jean  à  confesser  en 
ces  termes  la  foi  delà  rédemption  :  '«Pour  nous, 
■  nous  croyons ,  dit-il  * ,  à  la  charité  que  Dieu  a 
«  eue  pour  les  hommes.  »  Voilà  une  belle  profes- 
sion de  foi ,  et  conçue  d'une  façon  bien  singulière  ; 
mais  absolument  nécessaire  pour  combattre  et 
déraciner  l'incrédulité.  Car  c'est  de  même  que  s'il 
disait  :  Les  Juifs  et  les  Gentils  ne  veulent  pas 
croire  que  Dieu  ait  si  fort  aimé  la  nature  humaine, 
que  de  s'en  revêtir  pour  la  racheter.  Mais  pour 
nous ,  dit  ce  saint  apôtre ,  nous  n'ignorons  pas  ses 
bontés;  et  connaissant,  comme  nous  faisons ,  ses 
miséricordes  et  ses  entrailles  paternelles,  nous 
croyons  facilement  cet  amour  immense  qu'il  a 

i  témoigné  aux  hommes ,  en  se  livrant  lui-même 
pour  eux  :  Et  nos  cognovimus  et  credidimus 
charitati  quant  habet  Deus  in  nobis. 

Élevons  donc  nos  voix ,  mes  frères ,  et  con- 
fessons hautement  que  nous  croyons  à  la  charité 
que  le  Fils  de  Dieu  a  eue  pour  nous.  Nous  croyons 
qu'il  s'est  fait  homme  pour  notre  salut  :  nous 
croyons  qu'il  n'a  vécu  sur  la  terre  que  pour  ti-a- 
vailler  à  ce  grand  ouvrage.  Il  nous  a  toujours 
portés  dans  son  cœur ,  dans  sa  naissance  et  dans 
sa  mort.;  dans  son  travail  et  dans  son  repos ,  dans 
ses  conversations  et  dans  ses  «retraites ,  dans  les 

I  Ailles  et  dans  le  désert,  dans  la  gloire  et  dans  les 

'  Orig.  cont.  Cels.  lib.  T,  t.  I,  pag.  573  et  seqij. 
■  1.  Joan.  IT,  16. 


4C3 

opprobres ,  dans  ses  humiliations  et  dans  ses  mi- 
racles. Il  n'a  rien  fait  que  pour  nous  durant 
tout  le  cours  de  sa  vie  mortelle;  et  maintenant 
qu'il  est  dans  le  ciel  à  la  droite  de  la  majesté  de 
Dieu  sou  Père ,  dans  les  lieux  très-hauts  ' ,  U  ne 
nous  a  pas  oubliés.  Au  contraire ,  dit  le  saint 
apôtre ,  il  y  est  monté  pour  y  être  notre  avocat, 
notre  ambassadeur  et  notre  pontife  :  il  traite  nos 
affaires  auprès  de  son  Père;  «  toujours  vivant, 
«  dit  le  même  apôtre,  aOn  d'intercéder  pour  nous;  • 
Sejnper  vivens ,  adinterpeltandumpro  nobis  ^: 
comme  s'il  n'avait  ni  de  vie,  ni  de  félicité,  ni  de 
gloire  que  pour  l'avantage  et  le  bien  des  hommes. 

Ce  n'est  pas  assez ,  chrétiens  :  si  nous  croyons 
véritablement  que  Dieu  nous  a  aimés  avec  tant 
d'excès,  il  faut  qu'un  si  grand  amour,  qui  s'est 
étendu  sur  nous  avec  tant  de  profusion ,  nous 
fasse  aussi  dilater  nos  cœurs  sur  les  besoins  de 
nos  frères.  «  Si  Dieu,  dit  saint  Jean^,  nous  a 
«  tant  aimés ,  nous  devons  nous  aimer  les  uns  les 
«  autres  ;  »  nous  devons  reconnaître  ses  soins  pa-- 
temels ,  en  nous  revêtant ,  à  son  exemple ,  de 
soins  charitables;  et  nous  ne  pouvons  mieux con-» 
fesser  la  miséricorde  que  nous  recevons ,  qu'en 
l'exerçant  sur  les  autres  en  simplicité  de  cœur  : 
Estote  miséricordes  ^. 

Le  saint  que  nous  honorons  était  pénétré  de 
ces  sentiments.  Il  avait  toujours  devant  les  yeux 
lès  charités  infinies  d'un  Dieu  rédempteur;  et 
pour  se  rendre  semblable  à  lui ,  il  se  laissait  per- 
cer par  les  mêmes  traits  ;  il  avait  sucé  cet  esprit 
dans  les  plaies  de  Jésus-Christ,  dans  la  source 
même  des  miséricordes.  Il  pouvait  dire  avec  Job  * 
que  «  la  tendresse ,  la  compassion ,  la  miséricorde 
«  était  crue  avec  lui  dès  son  enfance  ;  "  et  c'était 
par  de  telles  victimes  qu'il  croyait  devoir  hono- 
rer les  bontés  inexprimables  d'un  Dieu  rédemp- 
teur. 

Et  en  effet,  chrétiens,  pour  rendre  le  souve- 
rain culte  à  la  souveraine  majesté  de  Dieu ,  il  me 
semble  que  nous  lui  devons  deux  sortes  de  sacri- 
fices. Je  remarque ,  dans  les  Écritures ,  qu'il  y  a 
un  sacrifice  qui  tue,  et  un  sacrifice  qui  donne  la 
vie.  Le  sacrifice  qui  tue  est  assez  connu  ;  témoin 
le  sang  de  tant  de  victimes  et  le  massacre  de  tant 
d'animaux.  Mais,  outre  ce  sacrifice  qui  détruit, 
je  vois  dans  les  saintes  Lettres  un  sacrifice  qui 
sauve  :  car ,  comme  dit  le  sage  Ecclésiastique , 
«  celui-là  offre  un  sacrifice,  qui  exerce  la  miséri- 
-<  corde  :  »  Quifacit  misericordiam,  offert  sacri* 
ficium  6  D'où  vient  cette  différence ,  si  ce  n'est 

«  Hebr.  i,  3. 
'  Ibid.  VII ,  2.5. 
3  \.  Joan.  IV,  II. 

•  l.m:  VI  ,  3C. 

»  Jub.  XX\!,  IS. 

•  E'C.  »\xv.  4. 


404 


PAMÉGYRK^UE 


que  l'un  des  sacrifias  a  «té  divinement  établi 
pour  honorer  l;i  bonté  de  Dieu,  et  l'autre  pour 
apaiser  sa  sainte  justice?  La  justice  divine  pour- 
suit les  pécheurs  à  main  armée,  elle  lave  ses 
mains  dans  leur  sang,  elle  les  perd  et  les  ex'er- 
mine  ;  elle  veut  qu'ils  soient  dissipés  devant  sa 
face,  comme  la  cire  fondue  devant  le  feu  :  Pe- 
rf.anl  peccatores  afacie  Dei  '.  Au  contraire ,  la 
miséricorde,  toujours  douce,  toujours  bienfai- 
sante, ne  veut  pas  que  personne  périsse  :  elle 
attend  les  pécheurs  avec  patience  ;  elle  pense ,  dit 
l'Écriture,  des  pensées  de  paix  et  non  des  pensées 
d'affliction  :  Ego  cogiio  cogilationes  pacis ,  et 
non  aj)Uctionis  ^. 

Voilà  une  grande  opposition  :  aussi  honore-t-on 
ces  deux  attributs  par  des  sacrifices  bien  opposés. 
A  celte  justice  rigoureuse  qui  tonne ,  qui  fulmine , 
qui  rompt  et  qui  brise,  qui  renverse  les  monta- 
gnes et  arrache  les  cèdres  du  Liban  ;  c'est-à-dire , 
qui  extermine  les  pécheurs  superbes ,  il  lui  faut 
des  sacrifices  sanglants  et  des  victimes  égorgées , 
pour  marquer  la  peine  qui  est  due  au  crime.  Mais 
pour  cette  miséricorde  toujours  bienfaisante,  qui 
guérit  ce  qui  est  blessé ,  qui  affermit  ce  qui  est 
faible,  qui  vivifie  ce  qui  est  mort,  il  faut  présenter 
en  sacrifice  non  des  victimes  détruites ,  mais  des 
victimes  conservées;  c'est-à-dire,  des  pauvres 
soulagés ,  des  infirmes  soutenus ,  des  morts  res- 
suscites dans  les  pécheurs  convertis.  Telles  sont 
les  véritables  hosties  qui  honorent  la  miséricorde 
divine. 

Ainsi  saint  Pierre  Nolasque  étant  toujours  oc- 
cupé des  soins,  des  compassions,  des  bontés  de 
Jésus  pour  le  genre  humain ,  et  sentant  son  cœur 
«mpressé  dans  le  désir  de  les  reconnaître,  il  s'écrie 
av«c  le  Psalmiste  :  Quidretribuam  Domino  pro 
omnibus  quœ  reïribuit  mihi^1<^  Que  rendrai-je 
«  au  Seigneur  pour  tous  les  biens  qu'il  m'a  faits,  » 
et  à  toute  la  nature  humaine?  Quelle  victime, 
quel  sacrifice  lui  offrirai-je  en  actions  de  grâces? 
Ah!  poursuit-il  avec  le  prophète,  Calicem  salu- 
taris  accipiam^  :  «  Je  prendrai  le  calice  du  Sau- 
«  veur,  »  je  boirai  le  môme  breuvage  que  Jésus 
a  bu  ;  c'est-à-dire,  je  me  remplirai,  je  m'enivrerai 
de  sa  charité ,  par  laquelle  il  a  tant  aimé  la  nature 
humaine.  Je  dilaterai  mon  cœur ,  comme  il  a  di- 
laté le  sien  ;  j'offrirai ,  à  ce  Dieu  amateur  et  con- 
servateur des  hommes ,  des  victimes  qui  lui  plai- 
sent ,  des  hommes  sauvés  et  délivrés. 

Il  cherche  donc  dans  toute  l'Église  tous  les  in- 
firmes ,  tous  les  malheureux ,  résolu  de  leur  consa- 
crer ses  affections  et  ses  soins.  Dieu  lui  fi\it  arrêter 


•  Psal.  LXVII,  3. 

'  Jerem.  XXIX,  II 
»  Psalm.  cxv,  3. 

♦  Jbid.  i. 


les  yeux  sur  ces  misérables  raptifs  qui  gémissetit 
sous  la  tyrannie  des  mahométans.  Il  voit  leur 
corps  dans  l'oppression,  leur  esprit  dans  l'an- 
goisse ,  leur  cœur  dans  le  désespoir ,  leur  foi  même 
dans  un  péril  évident.  Il  offre  à  Dieu  leurs  cris , 
leurs  gémissements,  les  larmes  de  leure  amis,  la 
désolation  de  leur  famille.  Peut-être  ne  le  font- 
ils  pas,  peut-être  sont-ils  de  ceux  qui  s'élèvent 
contre  Dieu  même,  sous  les  coups  de  sa  main 
puissante;  serviteurs  rebelles  et  opiniâtres,  châ- 
tiés et  non  corrigés,  frappés  et  non  convertis, 
abattus  et  non  humiliés ,  atterrés ,  comme  dit  Da- 
vid, sans  être  touchés  de  componction  :  Dissi- 
pait sunt,  non  compuncti^.  C'est  ce  qui  afflige 
son  cœur.  Quoiqu'il  pense  toujours  à  eux  avec  un 
empressement  charitable ,  néanmoins ,  deux  fois 
le  jour  et  deux  fois  la  nuit ,  il  se  présente  pour 
eux  devant  la  face  de  Dieu ,  et  cherche  auprès 
d'un  Père  si  tendre  les  moyens  de  soulager  ses 
enfants  captifs. 

Mes  frères,  cet  objet  lugubre  d'un  chrétien 
captif  dans  les  prisons  des  mahométans,  me  jette 
dans  une  profonde  considération  des  grands  et 
épouvantables  progrès  de  cette  religion  mons- 
trueuse. 0  Dieu  1  que  le  genre  humain  est  crédule 
aux  impostures  de  Satan  !  0  que  l'esprit  de  séduc- 
tion et  d'erreur  a  d'ascendant  sur  notre  raison  ! 
Que  nous  portons  en  nous-mêmes ,  au  fond  de 
nos  cœurs,  une  étrange  opposition  à  la  vérité, 
dans  nos  aveuglements,  dans  nos  ignorances, 
dans  nos  préoccupations  opiniâtres  !  Voyez  comme 
l'eimemi  du  genre  humain  n'a  rien  oublié  pour 
nous  perdre,  et  pour  nous  faire  embrasser  des 
erreurs  damnables.  Avant  la  venue  du  Sauveur , 
il  se  faisait  adorer  par  toute  la  terre ,  sous  les  noms 
de  ces  fameuses  idoles  devant  lesquelles  trem- 
blaient tous  les  peuples  ;  il  travaillait  de  toute  sa' 
force  à  étouffer  le  nom  du  vrai  Dieu.  Jésus-Christ 
et  ses  martyrs  l'ont  fait  retentir  si  haut,  depuis 
le  levant  jusqu'au  couchant,  qu'il  n'y  a  plus 
moyen  de  l'éteindre  ni  de  l'obscurcir.  Les  peuples 
qui  ne  le  connaissaient  pas,  y  sont  attirés  en  foule 
par  la  croix  de  Jésus-Ôirist  ;  et  voici  que  cet  an- 
cien imposteur,  qui,  dès  l'origine  du  monde, 
est  en  possession  de  tromper  les  hommes,  ne 
pouvant  plus  abolir  le  saint  nom  de  Dieu ,  frémis- 
sant contre  Jésus-Christ  qui  l'a  fait  connaître  à 
tout  l'univers,  tourne  toute  sa  furie  contre  lui  et 
contre  son  Évangile  :  et  trouvant  encore  le  nom 
de  Jésus  trop  bien  établi  dans  le  monde  par  tant 
de  martyrs  et  tant  de  miracles ,  il  lui  déclare  la 
guerre  en  faisant  semblant  de  le  révérer,  et  il 
inspire  à  Mahomet,  en  l'appelant  un  prophète,! 
de  faire  passer  sa  doctrine  pour  une  imposture  ; 

<  Psalm.  XXXIV,  10. 


DE  SAINT  PIERRK  NOLASQUE. 


405 


rt  cette  religion  monstrueuse ,  qui  se  dément  elle- 
même,  a  pour  toute  raison  son  ignorance,  pour 
toute  persuasion  sa  violence  et  sa  tyrannie,  pour 
tout  miracle  ses  armes ,  armes  redoutables  et  vic- 
torieuses, qui  font  trembler  le  monde,  et  réta- 
blissent par  force  l'empire  de  Satan  dans  tout  l'u- 
nivcrs. 

0  Jésus  !  Seigneur  des  seigneurs ,  arbitre  de 
tous  les  empires,  et  Prince  des  rois  de  la  terre, 
jusqu'à  quand  endurerez- vous  que  votre  ennemi 
déclaré ,  assis  sur  le  trône  du  grand  Constantin , 
soutienne  avec  tant  d'armées  les  blasphèmes  de 
son  Mahomet,  abatte  votre  croix  sous  son  crois- 
sant, et  diminue  tous  les  jours  la  chrétienté  par 
des  armes  si  fortunées?  Est-ce  que  vous  réservez 
cette  redoutable  puissance ,  pour  faire  souffrir  à 
votre  Église  cette  dernière  et  effroyable  persécu- 
tion que  vous  lui  avez  dénoncée  ?  Est-ce  que , 
pour  entretenir  votre  Église  dans  le  mépris  des 
grandeurs ,  comme  elle  y  a  été  élevée ,  en  même 
temps  que  vous  lui  donnez  la  gloire  d'avoir  des 
rois  pour  enfants,  vous  abandonnez ,  d'un  autre 
côté ,  à  votre  ennemi  capital ,  comme  un  présent 
de  peu  d'importance ,  le  plus  redoutable  empire 
qui  soit  éclairé  par  lesoleil  ?  Ou  bien  est-ce  qu'il 
ne  vous  plaît  pas  que  votre  Église ,  nourrie  dans 
les  alarmes ,  fortifiée  par  les  persécutions  et  par 
les  terreurs ,  jouisse  dans  la  paix  même  d'une 
tranquillité  assurée?  Et  c'est  pour  cette  raison 
que  vous  lui  mettez,  comme  sur  sa  tête,  cette 
puissance  redoutable  qui  ne  cesse  de  la  menacer 
de  la  dernière  désolation. 

En  effet,  chrétiens ,  c'a  été  le  conseil  de  Dieu 
que  l'Église  fut  établie  au  milieu  des  flots ,  qui 
frémissent  impétueusement  autour  d'elle ,  et  me- 
nacent de  l'engloutir.  C'est  pourquoi  saint  Au- 
gustin, expliquant  ces  paroles  du  sacré  Psalmiste, 
Lœtentur  insulœ  7nultœ\  Ait  que  ces  îles  vrai- 
ment fortunées ,  qui  doivent  se  réjouir  du  règne 
de  Dieu-,  sont  les  Églises  chrétiennes,  environnées 
de  toutes  parts  d'une  mer  irritée ,  qui  menace  de 
ks  ensloutir  et  de  les  couvrir  sous  ses  ondes. 
Tel  est  le  conseil  de  Dieu  ;  et  je  regarde  la  puis- 
sauce  mahométane  comme  un  océan  indompta- 
ble, toujours  prêt  à  inonder  toute  l'Église,  sa 
furie  n'étant  arrêtée  que  par  des  digues  entr'ou- 
vertes;  ce  sont  les  puissances  chrétiennes  ,  tou- 
jours cruellement  divisées.  Et  n'étaient-ce  pas 
ces  divisions  qui  avaient  ouvert  autrefois  aux 
.  iltans ,  successeurs  de  Mahomet ,  une  entrée  si 
large,  que  du  temps  de  Pierre  Nolasque  les  Es- 
pagnes  même  étaient  entièrement  inondées? 

C'est  ce  qui  lui  perce  le  cœur.  Il  est  nuit  et 
jour  pei-séeuté  des  cris  des  captifs;  il  fiut  quil 

'  Li  Psul.  xc\i,  u"  4»i.  r»,  col.  1013 


coure  à  leur  délivrance.  Ne  lui  dites  pas  que  la. 
noblesse  de  son  extraction ,  et  le  crédit  qu'il  a. 
auprès  du  roi  d'Aragon,  dont  il  a  été  précepteur;, 
l'appelle  a  des  emplois  plus  illustres  :  il  court 
après  ces  captifs.  Il  fallait  qu'il  descendît  de  bien 
haut  à  l'humiliation  d'un  emploi  si  bas  selon  l'es- 
time du  monde,  pour  mieux  imiter  celui  qui  est 
descendu  du  ciel  en  la  terre  :  imiter  un  Dieu  ré- 
dempteur, c'est  toute  la  gloire  qu'il  se  propose. 
Par  mille  travei'ses,  par  raille  péril5  il  va  déli- 
vrer ses  frères  :  content  de  tout  donner,  de  tout 
sacrifier,  pourvu  qu'il  leur  procure  la  liberté,  ou 
du  moins  quelque  soulagement  à  leurs  maux, 
pour  les  leur  rendre  plus  supportables.  Et  pour- 
rais-je  vous  exprimer  les  empressements  de  sa 
sollicitude  pour  subvenir  à  leurs  besoins,  les  at- 
tendrissements de  sa  charité  à  la  vue  de  leur  état, 
tous  les  efforts  de  son  zèle  en  faveur  de  ces  in- 
fortunés captifs?  Il  sent  toutes  leurs  peines,  il 
est  pénétré  de  leurs  dangers  ;  et  plus  prisonnier 
qu'eux  tous ,  par  ces  chaînes  invisibles  dont  la 
charité  le  serre ,  il  porte  tout  le  poids  de  la  misère 
de  chacun  de  ses  frères ,  il  s'en  voit  continuelle- 
ment pressé ,  il  n'est  occupé  qu'à  y  apporter  quel- 
ques remèdes.  Qui  souffre  dans  ces  noirs  cachots , 
sans  qu'il  souffre  avec  lui  ?  Qui  est  faible  au  milieu  . 
de  tant  d'épreuves ,  sans  qu'il  s'efforce  de  le  sou- 
tenir? Qui  est  scandalisé  sans  que  son  cœur  brûle 
du  désir  de  le  relever  '  ? 

Tels  sont  les  sentiments  que  la  charité  forme 
dans  l'âme  de  Pierre  Nolasque ,  telle  est  la  con- 
duite qu'elle  Tui  inspire.  El  que  ne  produirait-elle 
pas  en  vous ,  si  vous  étiez  animés  du  même  es- 
prit? «  Revêtez-vous  donc  comme  des  élus  dfe 
«  Dieu ,  saints  et  bien-aimés  ,  d'entrailles  de  mi- 
«  séricorde ,  de  bonté ,  d'humilité ,  de  douceur, 
«  de  patience,  »  afin  de  vous  secourir  mutuelle- 
ment avec  tout  l'épanchement  d'une  tendresse 
vraiment  chrétienne  :  Induite  vos  ergo  sicui 
electi  Dei,  sancti  et  dilecti,  viscera  misericor- 
diœ,  benUjnitatem ,  humilitatem  j  modesliam, 
patientiam  *. 

Dieu  commence,  pour  vous  donner  l'exemple  ; 
imitez  sa  charité  si  prévenante ,  si  bienfaisante  : 
qu'il  se  fasse  comme  un  combat  entre  nous  et  la 
miséricorde  divine  ;  et  soyons  jaloux  de  ne  pas 
nous  laisser  vaincre  en  munificence.  Dieu  com- 
mence par  nous  enrichir  de  ses  biens,  imitez-le 
en  vous  prodiguant  à  sa  gloire  et  au  salut  de  vos 
frères.  "  Soyez  miséricordieux,  comme  votrePè- 
«  re  céleste  est  miséricordieux  :  »  Estote  mise- 
rieordcs,  sicîtt  Pater  tester  cœlestis  misericors 
est^.  C'est  alors  que  vous  recevrez  au  cenîug^te 

'  II.  Car.  XI ,  23. 
»  Coloss.  III ,  I». 
»  Luc.  Ti ,  3(1. 


400 


PAiNEGYRlQUE 


tout  ce  qiie  vous  aurez  généreusement  donné. 
Car  Dieu  revient  à  la  charge ,  et  il  nous  imite  à 
son  tour  :  «  Bienheureux  ceux  qui  sont  miséri- 
«cordieux,  parce  qu'ils  ohtiendront  eux-mêmes 
«  miséricorde  :  »  Beati  miséricordes ,  qiioniam 
ipsi  misericordiam  consequenturK  Par  là  il  se 
fait  un  flux  et  reflux  de  miséricorde  :  Dieu ,  qui 
aime  un  tel  sacrifice,  multiplie  ses  dons.  Allant 
ainsi  en  augmentant,  aprèsavoir  donné  vos  soins, 
vous  donnerez  à  la  fin  votre  propre  personne , 
comme  saint  Pierre  Nolasque. 

SECOND    POINT. 

Ce  fut ,  messieurs ,  un  grand  spectacle  ,  lors- 
qu'on vit  sur  le  Calvaire  le  Fils  uniquement  agréa- 
ble se  mettre  en  la  place  des  ennemis  ;  l'innocent, 
/e  juste,  la  sainteté  même  se  donner  en  échange 
pour  les  malfaiteurs  ;  celui  qui  était  infiniment 
riche ,  se  constituer  caution ,  et  se  livrer  tout  en- 
tier pour  les  insolvables. 

Vous  savez  assez,  chrétiens,  quelle  dette  le 
genre  humain  avait  contractée  envers  Dieu  et 
envers  sa  sainte  justice.  Nous  sommes  naturelle- 
ment débiteurs  à  ses  lois  suprêmes.  Et  qu'est-ce 
que  nous  leur  devons?  une  obéissance  fidèle. 
Mais  lorsque  nous  manquons  volontairement  à 
lui  payer  cette  dette,  nous  entrons  dans  une  autre 
obligation  :  nous  devons  notre  tête  à  ses  vengean- 
ces ,  nous  ne  pouvons  plus  le  payer  que  par  notre 
mort  et  notre  supplice. 

En  vain  les  hommes ,  effrayés  parle  sentiment 
de  leurs  crimes ,  cherchent  des  victimes  et  des 
holocaustes  pour  les  subroger  en  leur  place.  Dus- 
sent-ils massacrer  tous  leurs  troupeaux ,  et  les 
jmnioler  à  Dieu  devant  ses  autels  ;  il  n'est  pas 
possible  que  la  vie  des  bêtes  paye  pour  la  vie  des 
hommes.  La  compensation  n'est  pas  suffisante  : 
Jmpossibile  enim  est  sanguine  taurorum  ethir- 
corum  auferri peccata'' .  De  sorte  que  ceux  qui 
offraient  de  tels  sacrifices  faisaient  bien ,  à  la  vé- 
rité ,  une  reconnaissance  publique  de  ce  qu'ils 
devaient  à  la  justice  divine;  mais  ils  n'avaient 
pas  pour  cela  le  payement  de  leurs  dettes.  Il  fal- 
lait qu'un  homme  payât  pour  les  hommes  ;  et  c'est 
pour  cela  qu'un  Dieu  s'est  fait  homme. 

Ce  Dieu-Homme,  avide  de  nous  racheter,  livre 
è  l'abandon  sa  propre  personne  à  la  justice  de 
Dieu ,  à  l'injustice  des  hommes ,  à  la  furie  des 
démons.  Dieu,  les  hommes,  les  démons  exercent 
sur  lui  toute  leur  puissance.  Il  s'engage,  il  se  pro- 
digue de  tous  côtés;  et  il  ne  lui  importe  pas  com- 
nient  il  se  donne ,  pourvu  qu'il  paye  notre  prix 
çt  qu'il  nous  rende  notre  liberté  et  notre  fran- 
chise. 

<  Matth.\,7. 
'  Hebr.  \ ,  ♦. 


Je  ne  puis  vous  dire,  mes  frères,  dans  quels 
excès  nous  doit  jeter  la  contemplation  de  ce  mys- 
tère. Jésus-Christ  se  donnant  pour  moi ,  et  deve-"^ 
nant  ma  rançon ,  m'apprend  deux  choses  contrai- 
res. Il  m'apprend  à  m'estimer,  il  m'apprend  à 
me  mépriser,  l'un  et  l'autre  jusqu'à  l'infini.  Mon 
cœur  incertain  et  irrésolu  ne  sait  à  quoi  se  dé 
terminer,  au  milieu  de  telles  contraintes.  M'esti 
merai-je,  me  mépriserai-je,  oujoindrai-je  l'un 
et  l'autre  ensemble ,  puisque  mon  Sauveur  m'ap 
prend  l'un  et  l'autre? 

Oui,  chrétiens,  mon  Sauveur  m'apprend  à 
m'estimer  jusqu'à  l'infini.  Car  la  règle  d'estimer 
les  choses,  c'est  de  connaître  le  prix  qu'elles  cou 
tent.  Écoutez  maintenant  l'apôtre' ,  qui  vous  dit 
que  vous  avez  été  rachetés ,  non  par  or  ni  par  ar-; 
gent,  ni  par  des  richesses  corruptibles;  mais  par 
le  sang  d'un  Dieu ,  par  la  personne  d'un  Dieu  im- 
molé pour  vous.  0  âme!  dit  saint  Augustin %' 
apprends  à  t' estimer  par  cette  rançon;  voilà  le 
prix  que  tu  vaux  :  0  anima/  érige  te,  tanli  va- 
les.  0  homme  !  cefui  qui  t'a  fait  s'est  livré  pour 
toi  ;  celui  dont  la  sagesse  infinie  sait  donner  si 
justement  la  valeur  aux  choses ,  a  mis  ton  âme  à 
ce  prix.  Qu'est-ce  donc  que  la  terre,  qu'est-ce  qise 
le  ciel ,  qu'est-ce  que  toute  la  nature  ensemble 
en  comparaison  de  ma  dignité? 

Mais  ce  qui  m'apprend  à  m'estimer,  m'apprend 
à  me  mépriser  jusqu'à  l'excès.  Car  quand  je  vois 
un  Dieu  qui  se  ravilit  jusqu'à  vouloir  se  donner 
lui-même  pour  racheter  ses  esclaves  :  que  dis-je, 
ses  esclaves?  cette  qualité  est  trop  honorable,  les 
esclaves  du  démon  et  du  péché  ;  il  me  sembl 
cpi'il  se  rabaisse ,  non  plus  jusqu'au  néant,  mais 
infiniment  au-dessous.  Et  en  effet ,  chrétiens ,  so 
rendre  semblable  aux  hommes,  c'est  se  ravaler 
jusqu'au  néant;  mais  se  livrer  pour  les  hommes, 
mourir  pour  les  hommes,  créature  si  vile  par  sou 
extraction ,  et  si  ravilie  par  son  crime ,  c'est  plu! 
que  s'anéantir  ;  puisque  c'est  mettre  le  néant  au 
dessus  de  soi,  c'est  se  mépriser  pour  le  néan 
même. 

Après  l'exemple  d'un  Dieu,  à  qui  l'excès  de  sî 
charité  rend  sa  propre  vie  méprisable,  pourvq 
qu'il  puisse  à  ce  prix  racheter  les  âmes,  y  a-t-i 
quelque  esclave  assez  malheureux ,  pour  lequel 
nous  devions  craindre  de  nous  prodiguer? Saint 
Paul  aussi  ne  sait  plus  que  faire  :  «  Je  donnerai 
«  volontiers  pour  vous  tout  ce  que  j'ai  :  »  Ego  au- 
tem  itnpendam.  Ce  n'est  pas  assez,  il  faut  inven- 
ter un  terme  nouveau  pour  exprimer  une  ardeur 
nouvelle  :  et  superimpendar  ipse  pro  aniniabus 
vestris^  :  «  et  je  me  donnerai  encore  moi-même 

'  Pctr.  I,  18,  19. 

2  In  Psal.  cil,  n"  6,  I.  IV,  col.  1116. 

*  II.  Cor.  XII.  15. 


DE  SAINT  PIKRUE  NOLASQUE; 


4iT»- 


»  pour  le  salut  de  vos  âmes.  »  Un  martyre,  c'est 
la  privation  du  martyre,  le  vrai  néant.  C'est  ce 
qui  touche  saint  Pierre  Nolastiue;  sa  pei-sonnc 
ne  lui  est  plus  rien,  quand  il  voit  un  Dieu  se  don- 
ner lui-même  :  il  n'y  a  point  de  cachots  dans  les- 
quels il  n'aille  chercher  de  pauvres  captifs,  pour 
leur  rendre  leur  liberté  aux  dépens  de  sa  propre 
vie. 

Le  voyez-vous,  messieurs,  traitant  avec  ce  bar- 
bare de  la  délivrance  de  ce  chrétien?  S'il  manque 
tiuelque  chose  au  prix,  il  offre  un  supplément 
admirable  :  il  est  prêt  à  donner  sa  propre  per- 
sonne; il  consent  d'entrer  dans  la  même  prison, 
de  se  charger  des  mêmes  fers,  de  subir  les  mê- 
mes travaux ,  et  de  rendre  les  mêmes  services.  0 
grâce  de  la  rédemption  î  que  vous  opérez  dans  son 
âme  !  II  a  un  cœur  de  Jésus ,  qui  n'a  ni  de  vie  ni 
de  lil)erté  que  pour  la  rédemption  de  ses  frères. 
C'est  l'esprit  d'un  Dieu  rédempteur,  qui  le  rend 
capable  de  ces  sentiments  :  car  admirez  la  suite 
de  cette  action.  Prisonnier  entre  les  mains  des  pi- 
rates, pour  ses  frères  qu'il  a  délivrés,  il  préfère 
son  cachot  à  tous  les  palais,  et  ses  chaînes  à  tous 
les  trésors.  Il  n'y  a  rien  qui  puisse  égaler  sa  joie  ; 
et  je  ne  m'en  étonne  pas.  La  liberté  plaît  à  la  na- 
ture; la  captivité,  à  la  grâce  ;  et  saint  Pierre  No- 
lasque  goûte  l'une  et  l'autre,  portant  en  lui-même 
la  captivité,  et  possédant  la  liberté  dans  ses  frè- 
res ,  qu'il  a  heureusement  affranchis  d'une  misé- 
rable servitude.  11  est  satisfait ,  puisque  ses  frères 
le  sont  ;  et  pour  ce  qui  regarde  sa  liberté  propre , 
H  la  méprise  si  fort ,  qu'il  est  toujours  prêt  de  l'a- 
bandonner pour  le  moindre  des  chrétiens  captifs, 
ne  désirant  d'être  libre  que  pour  s'engager  de 
nouveau  en  faveur  des  autres  esclaves.  Voyez  ce 
que  lui  apprend  un  Dieu  rédempteur.  On  veut 
l'engager  à  la  cour,  dans  les  liens  de  la  fortune  : 
il  le  refuse ,  et  il  court  pour  se  charger  d'autres 
liens;  ce  sont  les  liens  de  Jésus-Christ. 

Je  ne  sais  si  je  pourrai  vous  faire  comprendre 
ce  que  Dieu  me  met  dans  l'esprit ,  pour  exprimer 
les  transports  de  la  charité  de  ce  grand  homme. 
Il  me  semble  en  vérité,  chrétiens,  qu'il  goûte 
mieux  dans  les  autres,  la  douceur  de  la  liberté, 
qu'il  ne  le  ferait  en  lui-même.  Car  le  plaisir  d'être 
libre ,  quand  il  s'attache  à  nous-mêmes ,  étant  un 
fruit  de  notre  amour-propre,  le  chrétien  doit 
craindre  de  s'abandonner  à  cette  douceur  trop 
sensible.  Quand  est-ce  donc  un  homme  de  Dieu 
goûtera  le  plaisir  de  la  liberté  dans  toute  son  éten- 
due? Quand  il  ne  la  goûtera  que  dans  ses  frères 
affranchis.  Telles  sont  les  délices  de  Pierre  Nolas- 
que.  Pendant  qu'il  est  dans  les  fers,  il  ressent 
tout  le  plaisir  et  toute  la  joie  de  ceux  qu'il  a  déli- 
vrés; et  il  le  ressent  d'autant  plus ,  que  cette  joie 
ne  le  flatte  qu'en  le  dépouillant  de  lui-même, 


I)our  lui  faire  trouver  son  repos  dans  le  repos  de 

ses  frères. 

Telle  est  la  joie  du  Dieu  rédempteur.  Écoutez 
le  divin  apôtre  :  Proposito  sibi  (jaudio  sustinuii 
crucem  '  :  «  Il  a  enduré  la  croix ,  s'étant  proposé 
«  une  grande  joie.  »  Quelle  joie  pouvait  goûter  ce 
divin  Sauveur  dans  cette  langueur,  dans  cette 
tristesse,  dans  cet  ennui  accablant  dans  lequel  sa 
sainte  âme  était  abîmée?  Quelle  joie,  dis-je,  pou- 
vait-il goûter,  qui  ait  fait  dire  à  l'apôtre  :  Propo- 
sito sibigaudio?  io\G  divine,  joie  toute  céleste  et 
digne  d'un  Dieu  Sauveur,  la  joie  d'affranchir  les 
hommes  captifs,  en  donnant  son  âme  pour  eux. 

Pour  tirer  quelque  utilité  d'un  si  grand  exem- 
ple, faisons  cette  observation,  que  nous  devons 
honorer  la  charité  d'un  Dieu  rédempteur  en  deux 
manières  différentes.  Nous  la  devons  honorer  par 
une  généreuse  indépendance ,  nous  la  devons  ho- 
norer par  une  extrême  sujétion.  Car,  ainsi  que 
nous  avons  dit,  un  Dieu  se  prodiguant  pour  les 
âmes ,  nous  apprend  également  à  nous  estimer  et 
à  nous  mépriser  nous-mêmes.  L'estime  que  nous 
devons  avoir  de  nous-mêmes  nous  rend  libres  et 
indépendants  ;  le  mépris  que  nous  devons  faire 
de  nous-mêmes  nous  doit  rendre  esclaves  volon- 
taires, pour  honorer  la  charité  de  celui  qui,  étant 
libre  et  indépendant,  s'est  assujetti  pour  notre 
salut  à  des  extrémités  si  cruelles. 

Saint  Paul  parle  ainsi  aux  fidèles  :  «  Vous  avez 
«  été  achetés  d'un  prix  infini,  ne  vous  rendez  pas 
o  esclaves  des  hommes *.  »  Rachetés  dune  si 
grande  rançon,  ne  ravilissez  pas  votre  dignité  : 
vous  qu'un  Dieu  a  daigné  payer  au  prix  de  son 
sang ,  ne  soyez  pas  dépendants  des  hommes  mor- 
tels ;  ne  prodiguez  pas  une  liberté  qui  a  tant  coûté 
à  votre  Sauveur.  Tel  est  le  précepte  de  l'apôtre; 
et  il  semble  que  Pierre  Nolasque  agit  au  con- 
traire ;  et  je  vois  que  pour  imiter  un  Dieu  rédemp- 
teur, il  se  rend  esclave  des  hommes ,  et  des  hom- 
mes ennemis  de  Dieu.  Entendons  le  sens  de 
l'apôtre  :  «  Vous  quiètes  rachetés  par  un  si  grand 
«  prix,  ne  vous  rendez  pas,  dit-il ,  serviteurs  des 
K  hommes.  »  Ne  vous  rendez  pas  les  esclaves  de 
leurs  vanités  ;  mais  rendez -vous  esclaves  de  leurs 
besoins.  Ne  vous  rendez  pas  leurs  esclaves  en 
adJiérant  à  leui-s  erreurs;  mais  leurs  esclaves  en 
soulageant  leurs  nécessités.  Ne  vous  rendez  pas 
leurs  esclaves  par  une  vaine  complaisance  ;  mais 
rendez-vous  leurs  esclaves  par  une  charité  sin- 
cère et  compatissante  :  Per  charitalem  servite 
invicem  ^ 

Entrons  dans  le  détail  de  cette  morale.  Tin  de 
vos  amis  vous  aborde ,  un  de  ces  amis  mondains 

'  Ifcbr.  xil ,  2. 
'  1.  Cor.  vu,  23. 
3  Calai.  Y,  la. 


40S 

qui  vous  aiment  pour  le  siècle  et  les  vaullés  :  il 
vous  veut  donner  un  saj^e  conseil.  Comme  il  vous 
honore  et  qu'il  vous  estime,  il  désire  votre  avan- 
cement :  c'est  pourquoi  il  vous  exhorte  de  vous 
embarquer  dans  cette  intrigue,  peut-être  mali- 
cieuse ;  d'engager  ce  grand  dans  vos  intérêts , 
peut-être  au  préjudice  de  votre  conscience.  Pre- 
nez garde  soigneusement,  et  ne  vous  rendez  pas 
esclaves  des  hommes.  Entrez  en  considération 
de  ce  que  vous  êtes,  pensez  ce  qu'un  Dieu  a  donné 
pour  vous.  Quand  on  vous  représente  ce  que  vous 
valez,  pour  vous  engager  dans  des  desseins  am- 
bitieux :  Vous  ne  me  connaissez  pas  tout  entier,, 
je  vaux  infiniment  davantage  :  ne  vous  mettez  pas 
tout  seul  dans  la  balance,  pesez- vous,  dit  saint 
Augustin,  avec  votre  prix  :  Appende  te  cum 
pretio  tuo  '  ;  et  si  vous  savez  estimer  votre  âme , 
vous  verrez  qu'aucune  chose  n'est  digne  de  vous , 
qui  ne  soit  digne  premièrement  de  Jésus-Clirist 
même.  Vous  êtes  digne  de  cet  emploi ,  vous  dit- 
on  :  mais  est-il  digne  de  ce  que  je  suis,  devez-vous 
répondre?  Ne  soyons  donc  pas  si  vils  à  nous- 
mêmes  ,  nous  qui  sommes  si  précieux  au  Dieu 
rédempteur,  que  nous  nous  rendions  esclaves  des 
complaisances  mondaines.  C'est  ainsi  que  nous 
devons  estimer  notre  âme  pour  laquelle  Jésus- 
Christ  a  donné  la  sienne. 

Mais  apprenons  aussi  à  nous  mépriser,  et  à  dire 
avec  l'apôtre  :  «  Mon  âme  ne  m'est  pas  précieuse  ' .  » 
Si  nos  frères  ont  besoin  de  notre  secours ,  quelque 
indignes  qu'ils  nous  paraissentde  cette  assistance , 
ne  craignons  pas  de  nous  prodiguer  pour  les  se- 
courir. Car  Jésus  n'a  pas  dédaigné  de  prodiguer 
et  sa  vie ,  et  sa  divine  personne ,  pour  le  salut 
des  pécheurs.  Méprisons  donc  saintement  notre 
âme,  ayons-la  toujours  en  nos  mains  pour  la 
prodiguer  au  premier  venu  :  Anima  mea  in  nia- 
iiibus  mets  semper  ^.  0  sainte  charité  !  rendez- 
moi  captif  des  nécessités  des  misérables ,  disposez 
en  leur  faveur,  non-seulement  de  mes  biens,  mais 
de  ma  vie  et  de  ma  personne.  C'est  ici  qu'il  faut 
pratiquer  toutes  ces  contrariétés  évangéliques,  de 
perdre  son  âme  pour  la  conserver,  de  la  gagner 
en  la  prodiguant,  de  la  rendre  estimable  par  le 
mépris  même. 

Car  en  effet,  chrétiens,  quelle  gloire,  quelle 
grandeur,  quelle  dignité  dans  ce  mépris  !  Saint 
Pierre  Nolasque  ne  s'estime  rien ,  il  s'appelle  un 
vrai  néant,  et  préfère  la  liberté  du  moindre  es- 
clave à  la  sienne.  Et  vous  voyez  qu'en  se  mépri- 
sant, il  participe  à  la  dignité  du  Sauveur  des 
âmes,  qui  s'est  montré  non-seulement  le  Sauveur, 


»  Enar.  il ,  in  Psal.  xxxii ,  n"  4 ,  t.  iv,  col.  183. 
•  Act.  >  ï ,  24. 
^  Pt.  CXTni .  169. 


PANÉGYRIQUE 


mais  encore  le  maître  et  k  Ditu  de  tous ,  en  se 
donnant  volontairement  pour  tous. 

Ha!  le  zèle  de  Dieu  me  presse.  Je  ne  veux  plus 
que  mon  âme  soit  à  moi-même.  Venez,  pauvres; 
venez  misérables,  faites  de  moi  ce  qu'il  vous 
plaira,  je  suis  à  vous,  je  suis  votre  esclave.  Ce 
n'est  pas  moi ,  messieurs ,  en  particulier  qui  vous 
parleainsi;maisje  vous  exprime,  comme  je  peux, 
les  sentiments  d'un  vrai  chrétien.  O  Dieu,  qui 
nous  donnera  que  des  âmes  de  cette  sorte ,  libres 
par  leur  servitude ,  dégagées  et  indépendantes  par 
leur  dépendance,  travaillent  au  salut  des  hom- 
mes? l'Egliseauraitbientôt  conquis  tout  lemonde. 
Car  telle  est  la  règle  de  l'Évangile  :  il  faut  que  nous 
nous  donnions  à  ceux  que  nous  voulons  gagner 
à  Jésus-Christ.  Voulons-nous  les  assujettir,  il 
faut  nous  assujettir  à  leur  service  ;  et  nous  de- 
vons, pour  ainsi  dire,  être  leur  conquête,  pour 
les  rendre  capables  d'être  la  nôtre.  Pourquoi 
est-ce  qu'un  Paul, un  Céphas,  un  Apollo,  et  tant 
d'autres  ouvriers  fidèles  ont  conquis  tant  d'âmes 
à  notre  Sauveur?  C'est  à  cause  qu'ils  se  donnaient 
sans  retenue  aux  âmes  :  Omnia  vestra  sunt; 
«  Tout  est  à  vous ,  dit  l'apôtre  ' ,  et  Paul ,  et  Cé- 
«  phas,  et  Apollo;  »  tout  est  à  vous,  encore  une 
fois.  C  est  pourquoi  tout  était  à  eux ,  parce  qu'ils 
étaient  à  tous  sans  réserve. 

Dieu  nous  a  fait  connaître,  en  la  vie  de  notre 
grand  saint ,  l'efficace  de  cette  charité  si  bienfai- 
sante. On  a  vu  un  mahométan ,  astrologue ,  mé- 
decin ,  parent  du  roi  maure  d'Andalousie  ;  c'est- 
à-dire,  si  nous  l'entendons,  un  homme  dans 
lequel  tout  combattait  contre  l'Évangile;  la  reli- 
gion, la  science,  la  curiosité,  la  fortune;  qui 
baissa  néanmoins  la  tête  sous  le  joug  aimable  de 
Jésus-Christ,  convaincu  par  le  seul  miracle  de  la 
charité  de  saint  Pierre  Nolasque.  Il  voyait  un 
homme  qui  se  donnait  pour  des  inconnus;  l'image 
du  mystère  de  la  rédemption  lui  fit  adorer  l'ori- 
ginal :  il  crut  à  la  charité  que  Dieu  a  eue  pour 
les  hommes ,  en  voyant  celle  que  ce  même  Dieu 
inspirait  aux  hommes  pour  leurs  semblables.  11 
n'eut  point  de  peine  à  comprendre  que  ce  grand 
œuvre  de  la  rédemption ,  que  les  chrétiens  van- 
taient avec  tant  de  force,  était  réel  et  véritable; 
puisque  l'esprit  en  durait  encore,  et  se  déclarait 
à  ses  yeux  avec  une  telle  efficace  dans  cet  illus- 
tre disciple  de  la  croix.  Il  se  jette  donc  entre  ses 
bras;  et  non  content  de  recevoir  de  lui  le  bap- 
tême, il  lui  demande  Ihabit  de  son  ordre,  avide  de 
pratiquer  ce  qui  lavait  gagné  à  l'Eglise  :  Si  corn- 
prehendaui  in  quo  et  coinprehensus  sum  a 
Cliristo  Jesu*.  Ha!  si  l'on  voyait  reluire  en  l'E- 
glise cette  charité  désintéressée   toute  la  terre  s« 

'  1.  Cor.  'Al,  22. 
»  PUlVpp.ill,  12. 


DE  SAINT  PIERRE  ?<OLASyLE. 


400 


couveitirnit.  Car  qu'y  aurait-il  de  plus  efficace, 
pour  faire  adorer  uu  Dieu  se  liNraut  pour  tous, 
que  d'imiter  son  exemple?  IIoc  eniin  sentite 
in  vobis  quod  et  in  Chris'o  Jesu  •  :  «  Soyez 
«  dans  la  même  disposition  où  a  été  Jésus-Christ.  » 
Renonçons  donc  à  nous-mêmes ,  pour  gagner  nos 
frères;  c'est  à  quoi  nous  invite  saint  Pierre  No- 
lasque.  Il  y  invite  les  autres;  mais ,  mes  pères ,  il 
vous  y  a  dévoués  :  c'est  le  sujet  de  ma  troisième 
partie. 

TBOISIÈME    POINT. 

C'est  an  précepte  de  l'apôtre ,  de  ne  point  con- 
sidérer ce  qui  nous  touche,  mais  ce  qui  touche 
les  autres  :  Aon  quœ  sua  sunt  singuli  considé- 
rantes ^  sedeaquœ  aliorum^.  C'est  la  perfec- 
tion de  la  charité ,  et  c'est  par  là  que  nous  nous 
montrons  les  véritables  disciples  de  celui  qui  a 
méprisé  son  honneur,  qui  a  oublié  sa  propre  per- 
sonne ,  qui  a  donné  enfin  son  âme  pour  nous. 

Ce  précepte  de  saint  Paul  prend  son  origine  de 
celui  de  Jésus-Christ  même.  Car  écoutez  comme 
il  parle  à  ses  saints  disciples  la  veille  de  sa  pas- 
sion douloureuse  :  «■  Je  vous  donne,  dit -il,  un 
n  nouveau  commandement,  qui  est  que  vous 
«  vous  aimiez  les  uns  les  autres  comme  je  vous 
«  ai  aimés  :  »  Mandatum  novum  do  vobis,  ut 
dili(jatis  invicem  sicut  dilexi  vos  3.  La  force 
de  ce  précepte  est  dans  ces  paroles ,  «  Comme  je 
"  vous  ai  aimés  :  »  et  par  là  il  faut  que  nous  en- 
tendions, que,  comme  il  nous  a  aimés  jusqu'à 
s'oublier  soi-même  pour  notre  salut  ;  ainsi  pour 
aimer  nos  frères  dans  la  perfection  qu'il  désire, 
nous  devons  regarder  avec  saint  Paul,  nonce 
qui  nous  touche  en  paiticulier,  mais  ce  qui  tou- 
che les  autres. 

rs'est-cepas  pour  cette  raison  qu'il  nousadonné 
son  saint  corps ,  mémorial  éternel  de  la  charité 
infinie  par  laquelle  il  s'est  donné  pour  notre  sa- 
lut? Il  ne  nous  donne  son  corps  que  pour  nous 
donner  son  esprit  ;  car  c'est  lui  qui  nous  a  dit 
que  «  c'est  l'esprit  qui  vivifie,  et  que  la  chair  par 
-  elle-même  ne  profite  pas  ^.  »  Il  nous  donne  son 
corps ,  afin  de  nous  donner  son  esprit  :  et  quel 
est  l'esprit  de  Jésus ,  sinon  cet  esprit  de  charité 
pure ,  toujours  prête  à  renoncer  à  soi-même ,  pour 
servir  aux  utilités  et  au  salut  du  prochain?  Ainsi 
ce  divin  Sauveur,  non  content  d'avoir  pratiqué 
cette  charité  excellente ,  de  se  donner  pour  ses 
amis,  nous  a  laissé  son  esprit,  afin  r(ue  nous  ne 
soyons  plus  à  nous-mêmes ,  mais  à  ceux  qu'il  a 
faits  nos  frères,  et  non  seulement  nos  frères,  mais 
nos  propres  membres. 

'  Philipp.  II ,  5. 
'  Jhid.  4. 
»  Joan.xm.  a* 
•  JLid.  VI ,  M. 


C'est  ici,  mes  révérends  pères,  que  votre 
saint  patriarche  a  imité  parfaitement  son  divin 
modèle.  Car  après  avoir  pratiqué  dans  une  si 
haute  perfection  cette  grande  charité  du  Sauveur 
des  âmes ,  il  en  a  fait  votre  loi ,  et  la  règle  de 
tout  son  ordre;  et  il  vous  a  obligés,  non-seule- 
ment à  exposer  votre  liberté ,  mais  encore  à  l'en- 
gager effectivement  pour  délivrer  vos  frères  cap- 
tifs. Il  a  voulu  par  là  vous  conduire  au  point  le 
le  plus  éminent  de  la  vie  régulière  et  religieuse. 

En  effet ,  qu'ont  prétendu  les  auteurs  de  ces 
saintes  institutions ,  sinon  de  conduire  leurs  dis- 
ciples à  l'entière  abnégation  de  soi-même?  On  le 
peut  faire  de  deux  sortes.  On  renonce  première- 
ment à  soi-même ,  en  mortifiant  ses  désirs  par 
l'exercice  de  la  pénitence.  Mais  on  y  renonce  se- 
condement ,  et  d'une  manière  beaucoup  plus  par- 
faite ,  par  la  pratique  de  la  charité  fraternelle. 
Votre  bienheureux  instituteur  n'a  pas  dédaigné 
la  première  voie  :  la  vie  qu'il  vous  a  prescrite,  est 
une  vie  pénitente  et  mortifiée.  Mais  il  a  eu  encore 
un  dessein  plus  noble ,  et  il  a  cru  qu'il  n'y  avait 
rien  de  plus  efficace  pour  vous  détacher  de  vous- 
mêmes,  que  de  vous  nourrir  dans  cet  esprit 
vraiment  saint  et  vraiment  chrétien ,  qui  fait  que 
votre  vie,  votre  liberté,  vos  personnes  même  sont 
entièrement  dévouées  au  service  et  au  salut  du 
prochain. 

Voilà  une  méthode  admirable  de  surmonter 
l'amour-propre  ;  car  la  nature  de  l'amour-propre, 
c'est  de  se  borner  en  soi-même,  de  se  nourrir  de 
soi-même ,  de  vivre  entièrement  pour  soi-même. 
Voilà  un  amour  captif,  qui  ne  sort  ni  ne  se  ré- 
paDd  au  dehors.  Voulez-vous  vous  affranchir  de 
sa  tyrannie?  Dilatez-vous  :  Dilaiamini  et  vos  '. 
Laissez  sortir  ce  captif,  laissez  couler  sur  le 
prochain  cet  amour  que  vous  avez  pour  vous- 
mêmes  ;  aimez  vos  frères  comme  vous-mêmes , 
selon  te  précepte  de  l'Evangile  *.  Ne  voyez-vous 
pas,  chrétiens,  que  l'amour,  auparavant  trop 
captif,  commence  à  s'affranchir  en  se  dilatant? 
Ce  n'est  plus  un  amour-propre ,  qui  n'aime  rien 
que  soi-même;  c'est  un  amour  de  société,  qui 
aime  le  prochEun  comme  soi-même  ;  et  s'il  {leut 
aller  à  ce  point ,  que  de  l'aimer  plus  que  soi- 
même,  le  préférer  à  soi-même,  procurer  son 
bien  et  son  avantage  aux  dépens  de  sa  liberté  et 
de  sa  propre  personne,  comme  saint  Pierre 
jNolastiue  l'a  pratiqué ,  et  comme  il  l'a  ordonne 
à  ses  religieux.  Amour-propre,  tu  es  détruit 
justiu'à  la  racine,  un  amour  divin  et  céleste  a 
succédé  en  ta  place ,  qui ,  nous  ai-rachant  à  nous- 
mêmes  ,  fait  que  nous  nous  retrouvons  plus  par- 


»  II.  Cor.M,li. 
>  Marc.  \u,  3i. 


4)0 


PANÉGYRIQUE 


Isîteraent  dans  l'amoui*  de  Jésus-Christ  notre 
Sauveur,  et  dans  l'unité  de  ses  membres. 


««•«•«»« 


PANEGYRIQUE 


SAINT  JOSEPH, 
r:;f.r,iiÉ  devant  ia  reine  mère,  en  1660,  dans  l'église 

DES   révérends   pères  FEUILLANTS. 

Trois  dépôts  confiés  à  saint  Josepli  parla  Providence  divine, 
la  virginité  de  Marie,  la  personne  de  Jésus-Chribt ,  le  secret 
du  Père  éternel  dans  l'incarnation  de  son  Fils.  Puivtéangéli- 
«(iie,  lidélilé  persévérante  de  ses  soins',  amour  de  la  vie  ca- 
chée ,  trois  vertus  en  saint  Joseph  qui  répondent  aux  trois 
dépôts  qui  lui  sogt  commis,  et  qui  les  lui  font  garder  invio- 
lablement. 


Deposltumcustodi. 

Gardez  le  dépôt.  I.  Tlmoth.  vi,  20. 

C'est  une  opinion  reçue  et  un  sentiment  com- 
mun parmi  tous  les  hommes,  que  le  dépôt  a 
quelque  chose  de  saint,  et  que  nous  le  devons 
conserver  à  celui  qui  nous  le  confie,  non-seule- 
ment par  fidélité,  mais  encore  par  une  espèce  de 
religion.  Aussi  apprenons-nous  du  grand  saint 
Ambroise ,  au  second  livre  de  ses  Offices  ' ,  que 
c'était  une  pieuse  coutume  établie  parmi  les  fi- 
dèles, d'apporter  aux  évêques  et  à  leur  clergé  ce 
qu'ils  voulaient  garder  avec  plus  de  soin,  pour  le 
mettre  auprès  des  autels  ;  par  une  sainte  persua- 
sion qu'ils  avaient,  qu'ils  ne  pouvaient  mieux 
placer  leurs  trésors  qu'où  Dieu  même  confie  les 
siens ,  c'est-à-dire ,  ses  sacrés  mystères.  Cette  cou- 
tume s'était  introduite  dans  l'Église  par  l'exem- 
ple de  la  Synagogue  ancienne.  Nous  lisons  dans 
l'Histoire  sainte,  que  le  temple  auguste  de  Jéru- 
salem était  le  lieu  du  dépôt  des  Juifs;  et  nous  ap- 
prenons des  auteurs  profanes*,  que  les  païens 
faisaient  cet  honneur  à  leurs  fausses  divinités , 
de  mettre  leurs  dépôts  dans  leurs  temples,  et  de 
les  confier  à  leurs  prêtres  :  comme  si  la  nature 
nous  enseignait  que  l'obligation  du  dépôt  ayant 
quelque  chose  de  religieux,  il  ne  pouvait  être 
mieux  placé  que  dans  les  lieux  où  l'on  révère  la 
Divinité ,  et  entre  les  mains  de  ceux  que  la  reli- 
gion consacre. 

Maiss'ily  eutjamaisundépôtqui  méritâtd'être 
appelé  saint,  et  d'être  ensuite  gardé  saintement, 
c'est  celui  dont  je  dois  parler,  et  que  la  provi- 
dence du  Père  éternel  commet  à  la  foi  du  juste 
Joseph  :  si  bien  que  sa  maison  me  paraît  un  tem- 
ple, puisqu'un  Dieu  y  daigne  habiter,  et  s'y  est 


1  Clip.  XXIX ,  t.  H,  col.  105. 
*  Ucrodian   Mst.  lib.  i. 


mis  lui-même  en  dépôt;  et  Joseph  a  dû  ètrecon 
sacre,  pour  garder  ce  sacré  trésor.  En  effet  il  la 
été,  chrétiens  :  son  corps  l'a  été  par  la  continence, 
et  son  âme  par  tous  les  dons  de  la  grâce. 

Madame,  comme  les  vertus  sont  modestes  et  éle- 
vées dans  la  retenue,  elles  ont  honte  de  se  montrer 
elles-mêmes;  et  elles  savent  que  ce  qui  les  rend 
plus  recommandables,  c'est  le  soin  qu'elles  pren- 
nent de  se  cacher,  de  peur  de  ternir,  par  l'osten- 
tation et  par  une  lumière  empruntée,  l'éclat  na- 
turel et  solide  que  leur  donne  la  pudeur  qui  les 
accompagne.  H  n'y  a  que  l'obéissance  dont  on  se 
peut  glorifier  sans  crainte  :  elle  est  la  seule  entre 
les  vertus,  que  l'on  ne  blâme  point  de  se  pio- 
duire ,  et  dont  on  se  peut  vanter  hardiment,  sans 
que  la  modestie  en  soit  offensée.  C'est  pour  celte 
raison ,  madame ,  que  je  supplie  Votre  Majesté  de 
permettre  que  je  publie  hautement  les  soumis- 
sions que  je  rends  aux  commandements  que  j'ai 
reçus  d'elle.  H  lui  plaît  d'ouïr  de  ma  bouche  ce 
panégyrique  du  grand  saint  Joseph:  elle  m'or- 
donne de  rappeler  en  mon  souvenir  des  idées  que 
le  temps  avait  effacées.  J'y  aurais  de  la  répu- 
gnance, si  je  ne  croyais  manquer  de  respect,  en 
rougissant  de  dire  ce  que  Votre  Majesté  veut  en- 
tendre. H  ne  faut  donc  point  étudier  d'excuse  ;  il 
ne  faut  point  se  plaindre  du  peu  de  loisir,  ni  pe- 
ser soigneusement  les  motifs  pour  lesquels  Votre 
Majesté  me  donne  cet  ordre.  I/obéissance  est  trop 
curieuse,  qui  cherche  les  causes  du  commande- 
ment. H  ne  lui  appartient  pas  d'avoir  des  yeux , 
si  ce  n'est  pour  considérer  son  devoir  :  elle  doit 
chérir  son  aveuglement,  qui  la  fait  marcher  avec 
sûreté.  Votre  Majesté  verra  donc  Joseph  déposi- 
taire du  Père  éternel  :  il  est  digue  de  ce  titre  au- 
guste ,  auquel  il  s'est  préparé  par  tant  de  vertus. 
Mais  n'est-il  pas  juste,  madame,  qu'après  vous 
avoir  témoigné  mes  soumissions,  je  demande  à 
Dieu  cette  fermeté  qu'il  promet  aux  prédicateurs 
de  son  Évangile ,  et  qui ,  bien  loin  de  se  rabais- 
ser devant  les  monarques  du  monde,  y  doit  pa- 
raître avec  plus  de  force? 

Je  m'adresse  à  vous,  divine  Marie,  pour  m'ob- 
tenir  de  Dieu  cette  grâce  :  j'espère  tout  de  votre 
assistance ,  lorsque  je  dois  célébrer  la  gloire  de 
votre  époux.  0  Marie,  vous  avez  vu  les  effets  de 
la  grâce  qui  l'a  rempli,  et  j'ai  besoin  de  votre  se- 
cours pour  les  faire  entendre  à  ce  peuple.  Quand 
est-ce  qu'on  peut  espérer  de  vous  des  interces- 
sions plus  puissantes ,  que  où  il  s'agit  du  pudique 
époux  que  le  Père  vous  a  choisi ,  pour  conserver 
cette  pureté  qui  vous  est  si  chère  et  si  précieuse? 
Nous  recourons  donc  avons,  ô  Marie,  en  vous 
saluant  avec  l'ange ,  et  disant  :  Ave,  Maria. 


DE  SAINT  JOSEPH. 


411 


Dans  le  dessein  que  je  me  propose  d'appuyer 
les  louanges  de  saint  Joseph,  non  point  sur  des 
conjectures  douteuses,  mais  sur  une  doctrine  so- 
lide tirée  des  Écritures  divines  et  des  Pères  leurs 
interprètes  fidèles,  je  ne  puis  rien  faire  de  plus 
convenable  à  la  solennité  de  cette  journée ,  que 
de  vous  représenter  ce  grand  saint  comme  un 
homme  que  Dieu  choisit  parmi  tous  les  autres , 
pour  lui  mettre  en  main  son  trésor,  et  le  rendre 
ici-bas  son  dépositaire.  Je  prétends  vous  faire 
voir  aujourd'hui  que ,  comme  rien  ne  lui  con- 
vient mieux,  il  n'est  rien  aussi  qui  soit  plus  il- 
lustre; et  que  ce  beau  titre  de  dépositaire,  nous 
découvrant  les  conseils  de  Dieu  sur  ce  bienheu- 
reux patriarche ,  nous  montre  la  source  de  tou- 
tes ses  grâces,  et  le  fondement  assuré  de  tous  ses 
éloges. 

Et  premièrement,  chrétiens,  il  m'est  aisé  de 
vous  faire  voir  combien  cette  qualité  lui  est  ho- 
norable. Car  si  le  nom  de  dépositaire  emporte 
une  marque  d'estime,  et  rend  témoignage  à  la 
probité  ;  si ,  pour  confier  un  dépôt ,  nous  choisis- 
sons ceux  de  nos  amis  dont  la  vertu  est  plus  re- 
connue ,  dont  la  fidélité  est  plus  éprouvée,  enfin 
les  plus  intimes ,  les  plus  confidents  :  quelle  est 
la  gloire  de  saint  Joseph,  que  Dieu  fait  déposi- 
taire, non-seulement  de  la  bienheureuse  Marie, 
que  sa  pureté  angélique  rend  si  agréable  à  ses 
yeux  ;  mais  encore  de  son  propre  Fils ,  qui  est 
l'unique  objet  de  ses  complaisances  et  l'unique 
espérance  de  notre  salut  :  de  sorte  qu'en  la  per- 
sonne de  Jésus-Christ,  Saint  Joseph  est  établi  le 
dépositaire  du  ti'ésor  commun  de  Dieu  et  des 
hommes.  Quelle  éloquence  peut  égaler  la  gran- 
deur et  la  majesté  de  ce  titre? 

Si  donc ,  fidèles,  ce  titre  est  si  glorieux  et  si 
avantageux  à  celui  dont  je  dois  faire  aujourd'hui 
le  panégyrique,  il  faut  que  je  pénètre  un  si  grand 
mystère  avec  le  secours  de  la  gi'âce  ;  et  que  re- 
cherchant dans  nos  Écritures  ce  que  nous  y  li- 
sons de  Joseph,  je  fasse  voir  que  tout  se  rapporte 
à  cette  belle  qualité  de  dépositaire.  En  effet ,  je 
trouve  dans  les  Évangiles  trois  dépôts  confiés  au 
juste  Joseph  par  la  Providence  divine  ;  et  j'y 
trouve  aussi  trois  vertus  qui  éclatent  entre  les 
autres,  et  qui  répondent  à  ces  trois  dépôts;  c'est 
ce  qu'il  nous  faut  expliquer  par  ordre  :  suivez , 
s'il  vous  plaît ,  attentivement. 

Le  premier  de  tous  les  dépôts  qui  a  été  com- 
mis à  sa  foi  (j'entends  le  premier  dans  l'or- 
dre des  temps),  c'est  la  sainte  virginité  de  Ma- 
rie, qu'il  lui  doit  conserver  entière  sous  le  voile 
sacré  de  son  mariage ,  et  qu'il  a  toujoure  sain- 
tement gardée ,  ainsi  qu'un  dépôt  sacré  qu'il  ne 
lui  était  pas  permis  de  toucher.  Voilà  quel  est 
le  premier  déi>ôt.  Le  second  et  le  plus  auguste , 


c'est  la  personne  de  Jésus-Christ,  que  le  Père 
céleste  dépose  en  ses  mains  ,  afin  qu'il  serve  de 
père  à  ce  saint  Enfant,  qui  n'en  peut  avoir  sur  la 
terre.  Vous  voyez  déjà ,  chrétiens ,  deux  grands 
et  deux  illustres  dépôts  confiés  aux  soins  de  Jo- 
seph ;  mais  j'en  remarque  encore  un  troisième , 
que  vous  trouverez  admirable,  si  je  puis  vous 
l'expliquer  clairement.  Pour  l'entendre,  il  faut 
remarquer  que  le  secret  est  comme  un  dépôt. 
C'est  violer  la  sainteté  du  dépôt,  que  de  trahir 
le  secret  d'un  ami;  et  nous  apprenons  par  les 
lois,  que  si  vous  divulguez  le  secret  du  testament 
que  je  vous  confie ,  je  puis  ensuite  agir  contre 
vous  comme  ayant  manqué  au  dépôt  :  Depositi 
actione  tecum  agi  posse,  comme  parlent  les  ju- 
risconsultes. Et  la  raison  en  est  évidente,  parce 
que  le  secret  est  comme  un  dépôt.  Par  où  vous 
pouvez  comprendre  aisément  que  Joseph  est  dé- 
positaire du  Père  étemel,  parce  qu'il  lui  a  dit 
son  secret.  Quel  secret?  Secret  admirable,  c'est 
l'incai'nation  de  son  Fils.  Car,  fidèles ,  vous  n'i- 
gnorez pas  que  c'était  un  conseil  de  Dieu ,  de 
ne  pas  montrer  Jésus-Christ  au  monde ,  jusqu'à 
ce  que  l'heure  en  fût  arrivée  ;  et  saint  Joseph  a 
été  choisi,  non  -  seulement  pour  le  conserver, 
mais  encore  pour  le  cacher.  Aussi  lisons-nous 
dans  l'évangéliste  ' ,  qu'il  admirait  avec  Marie 
tout  ce  qu'on  disait  du  Sauveur  :  mais  nous  ne 
lisons  pas  qu'il  parlât  ;  parce  que  le  Père  éternel , 
en  lui  découvrant  le  mystère ,  lui  découvre  le 
tout  en  secret  et  sous  l'obligation  du  silence  ;  et 
ce  secret ,  c'est  un  troisième  dépôt  que  le  Père 
ajoute  aux  deux  autres,  selon  ce  que  dit  le  grand 
saint  Bernard ,  que  Dieu  a  voulu  commettre  à  sa 
foi  le  secret  le  plus  sacré  de  son  cœur  :  Cui  tuto 
committeret  secrefissimum  atque  sacratissi- 
mum  sui  cordis  arcanitm  *.  Que  vous  êtes  chéri 
de  Dieu ,  ô  incomparable  Joseph  î  puisqu'il  vous 
confie  ces  trois  grands  dépôts ,  la  virginité  de 
Marie,  la  personne  de  son  Fils  unique,  le  secret 
de  tout  son  mystère. 

Mais  ne  croyez  pas ,  chrétiens ,  qu'il  soit  mé- 
connaissant de  ces  grâces.  Si  Dieu  l'honore  par 
ces  trois  dépôts,  de  sa  part  il  présente  à  Dieu  le 
sacrifice  des  trois  vertus ,  que  je  remarque  dans 
l'Évangile.  Je  ne  doute  pas  que  sa  vie  n'ait  été 
ornée  de  toutes  les  autres;  mais  voici  les  trois 
principales  que  Dieu  veut  que  nous  voyions  dans 
son  Écriture.  La  première ,  c'est  sa  pureté ,  qui 
paraît  par  sa  continence  dans  son  mariage  ;  la 
seconde,  sa  fidélité;  la  troisième,  son  humilité, 
et  l'amour  de  la  vie  cachée.  Qui  ne  voit  la  pureté 
de  Joseph  par  cette  sainte  société  de  désirs  pu- 
diques ,  et  cette  admirable  correspondance  avec 

»  Luc.  II ,  33. 

•  Super  Mtssus  esl ,  hom  ii,  n"  16,  t.  I ,  col  74T 


412 


PArsÉGYRIQUE 


Ja  virginité  de  Marie,  dans  leurs  noces  spiri- 
tuelles? La  seconde,  sa  fidélité  dans  les  soins 
infatigables  qu'il  a  de  Jésus ,  au  milieu  de  tant 
de  traverses  qui  suivent  partout  ce  divin  En- 
fant, dès  le  commencement  de  sa  vie.  La  troi- 
sième ,  son  humilité ,  en  ce  que  possédant  un  si 
grand  trésor,  par  une  grâce  extraordinaire  du 
Père  éternel ,  bien  loin  de  se  vanter  de  ses  dons 
ou  de  faire  connaître  ses  avantages ,  il  se  cache , 
autant  qu'il  peut,  aux  yeux  des  mortels,  jouis- 
sant paisiblement  avec  Dieu  du  mystère  qu'il  lui 
révèle ,  et  des  richesses  infinies  qu'il  met  en  sa 
garde.  Ah!  que  je  découvre  ici  de  grandeurs,  et 
que  j'y  décauvre  d'instructions  importantes  !  Que 
-je  vois  de  grandeurs  dans  ces  dépôts,  que  je  vois 
d'exemples  dans  ces  vertus  ;  et  que  l'explication 
d'un  si  beau  sujet  sera  glorieux  à  Joseph ,  et 
fructueux  à  tous  les  fidèles  !  Mais  afin  de  ne  rien 
omettre  dans  une  matière  si  importante,  entrons 
plus  avant  au  fond  du  mystère ,  achevons  d'ad- 
mirer les  desseins  de  Dieu  sur  l'incomparable 
Joseph.  Après  avoir  vu  les  dépôts,  après  avoir  vu 
les  vertus,  considérons  le  rapport  des  uns  et  des 
autres ,  et  faisons  le  partage  de  tout  ce  discours. 
Pour  garder  la  virginité  de  Marie  sous  le  voile 
du  mariage ,  quelle  vertu  est  nécessaire  à  Jo- 
seph? Une  pureté  angélique ,  qui  puisse  en  quel- 
que sorte  répondre  à  la  pureté  de  sa  chaste 
Epouse.  Pour  conserver  le  sauveur  Jésus  parmi 
tant  de  persécutions  qui  l'attaquent  dès  son  en- 
fance, quelle  vertu  demanderons-nous?  Une  fi- 
délité inviolable ,  qui  ne  puisse  être  ébranlée  par 
aucuns  périls.  Enfin ,  pour  garder  le  secret  qui 
lui  a  été  confié,  quelle  vertu  y  emploiera-t-il , 
sinon  cette  humilité  admirable ,  qui  appréhende 
les  yeux  des  hommes,  qui  ne  veut  pas  se  montrer 
au  monde,  mais  qui  aime  à  se  cacher  avec  Jésus- 
Christ?  Depositum  custodi  :  0  Joseph!  gardez 
le  dépôt;  gardez  la  virginité  de  Marie;  et  pour 
la  garder  dans  le  mariage ,  joignez-y  votre  pu- 
reté. Gardez  cette  vie  précieuse,  de  laquelle  dé- 
pend le  salut  des  hommes  ;  et  employez  à  la  con- 
server parmi  tant  de  difficultés ,  la  fidélité  de 
vos  soins.  Gardez  le  secret  du  Père  éternel  :  il 
veut  que  son  Fils  soit  caché  au  monde  ;  servez- 
lui  d'un   voile  sacré,  et  enveloppez-vous  avec 
lui  dans  l'obscurité  qui  le  couvre ,  par  l'amour 
de  la  vie  cachée.  C'est  ce  que  je  me  propose  de 
vous  expliquer,  avec  le  secours  de  la  grâce. 

PREMIER    POINT. 

Pour  comprendre  solidement  combien  Dieu 
honore  le  grand  saint  Joseph ,  lorsque  sa  provi- 
dence dépose  en  ses  mains  la  virginité  de  Marie, 
il  importe  que  nous  entendions  avant  toutes  cho- 
ies combien  cette  virginité  est  chérie  du  ciel , 


combien  elle  est  utile  à  la  terre  ;  et  ainsi  nous  ju- 
gerons aisément,  par  la  qualité  du  dépôt,  de  la 
dignité  du  dépositaire.  Mettons  donc  cette  vérité 
dans  son  jour;  et  faisons  voir,  par  les  saintes 
Lettres,  combien  la  virginité  était  nécessaire  pour 
attirer  Jésus-Christ  au  monde.  Vous  n'ignorez 
pas ,  chrétiens ,  que  c'était  un  conseil  de  la  Pro- 
vidence, que  comme  Dieu  produit  son  Fils  dans 
l'éternité  par  une  génération  virginale,  aussi 
quand  il  naîtrait  dans  le  temps  il  sortît  d'uiuî 
mère  vierge.  C'est  pourquoi  les  prophètes  avaient 
annoncé  qu'une  vierge  concevrait  un  fils  '  ;  nos 
pères  ont  vécu  dans  cette  espérance,  et  l'Évan- 
gile nous  en  a  fait  voir  le  bienheureux  accomplis- 
sement. Mais  s'il  est  permis  à  des  hommes  de  re- 
chercher les  causes  d'un  si  grand  mystère,  il  me 
semble  que  j'en  découvre  une  très-considérable; 
et  qu'examinant  la  nature  de  la  sainte  virginité 
selon  la  doctrine  des  Pères,  j'y  remarque  une  se- 
crète vertu ,  qui  oblige  en  quelque  sorte  le  Fils 
de  Dieu  à  venir  au  monde  par  son  entremise. 

En  effet,  demandons  aux  anciens  docteurs 
de  quelle  sorte  ils  nous  définissent  la  virginité 
chrétienne.  Ils  nous  répondront ,  d'un  commun 
accord ,  que  c'est  une  imitation  de  la  vie  des  an- 
ges; qu'elle  met  les  hommes  au-dessus  du  corps, 
par  le  mépris  de  tous  ses  plaisirs  ;  et  qu'elle  élève 
tellement  la  chair,  qu'elle  l'égale  en  quelque  fa- 
çon, si  nous  l'osons  dire,  à  la  pureté  des  esprits. 
Expliquez-le-nous ,  ô  grand  Augustin  !  et  faites- 
nous  entendre  en  un  mot  quelle  estime  vous  faites 
des  vierges.  Voici  unebelle  parole:  Habentaliqnid 
jam  non  carnis  in  carne  '.  Ils  ont,  dit-il,  en  la 
chair  quelque  chose  qui  n'est  pas  de  la  chair,  et 
qui  tient  de  l'ange  plutôt  que  de  l'homme  :  //«- 
bent  aliquid  jam  non  carnis  in  came.  Vous 
voyez  donc  que,  selon  ce  Père,  la  virginité  est 
comme  un  milieu  entre  les  esprits  et  les  corps  , 
et  qu'elle  nous  fait  approcher  des  natures  spiri- 
tuelles :  et  de  là  il  est  aisé  de  comprendre  com- 
bien cette  vertu  devait  avancer  le  mystère  de 
l'incarnation.  Car  qu'est-ce  que  le  mystère  de 
l'incarnation  ?  C'est  l'union  très-étroite  de  Dieu 
et  de  l'homme,  de  la  Divinité  avec  la  chair.  «  Le 
«  Verbe  a  été  fait  chair,  »  dit  l'évangéliste  ^; 
voilà  l'union,  voilà  le  mystère. 

Mais ,  fidèles ,  ne  semble-t-il  pas  qu'il  y  a  trop 
de  disproportion  entre  la  corruption  de  nos  corps, 
et  la  beauté  immortelle  de  cet  esprit  pur;  et  ainsi 
qu'il  n'est  pas  possible  d'unir  des  natures  si  éloi- 
gnées? C'est  aussi  pour  cette  raison  que  la  sainte 
virginité  se  met  entre  deux ,  pour  les  approcher 
par  son  entremise.  Et  en  effet,  nous  voyons  qu? 

'  /s.  vil,  14. 

'  Vesancia  Firginil.  n"  12,  t.  VI,  col.  34fi. 

3  Joaii,  1,  li. 


DE  SAINT 

7a  lumière ,  lorsqu'ello.  tombe  sur  les  corps  opa- 
ijucs,  ne  les  peut  jamais  pénétrer,  parce  que  leur 
ubscurité  la  repousse;  il  semble  au  contraire 
qu  elle  s'en  retire  en  léfléchissant  ses  rayons  :  mais 
quand  elle  rencontre  un  corps  transparent,  elle  y 
entre ,  elle  s'y  unit ,  parce  qu'elle  y  trouve  l'éclat 
et  la  transparence  qui  approche  de  sa  nature ,  et 
lient  quelque  chose  de  la  lumière.  Ainsi  nous  pou- 
vons dire ,  fidèles ,  que  la  divinité  du  Verbe  éter- 
nel ,  voulant  s'unir  à  un  corps  mortel ,  demandait 
la  bienheureuse  entremise  de  la  sainte  virginité, 
qui ,  ayant  quelque  chose  de  spirituel ,  a  pu  en 
quelque  sorte  préparer  la  chair  à  être  unie  à  cet 
esprit  pur. 

Mais  de  peur  que  vous  ne  croyiez  que  je  parle 
ainsi  de  moi-même,  il  faut  que  vous  appreniez 
cette  vérité  d'un  célèbre  évéque  d'Orient  •  c'est  le 
iirand  Grégoire  de  Nysse,  dont  je  vous  rapporte 
les  propres  paroles,  tirées  fidèlement  de  son  texte, 
(i;  est ,  dit-il ,  la  virginité  qui  fait  que  Dieu  ne  re- 
fuse pas  de  venir  vivre  avec  les  hommes  :  c'est 
elle  qui  donne  aux  hommes  des  ailes  pour  prendre 
leur  vol  du  côté  du  ciel  ;  et  étant  le  lien  sacré  de 
la  familiarité  de  l'homme  avec  Dieu,  elle  accorde, 
par  son  entremise,  des  choses  si  éloignées  par  na- 
ture :  Quœ  adeo  nalura  distant,  ipsa  interce- 
dens  sua  virtute  conciliât,  adducitque  in  con- 
cordiam  '. 

Peut-on  confirmer  en  termes  plus  claùrs  la  vé- 
rité que  je  prêche?  Et  par  là  ne  voyez- vous  pas, 
et  la  dignité  de  Marie ,  et  celle  de  Joseph  son  fi- 
dèle époux  ?  Vous  voyez  la  dignité  de  Marie ,  en 
ce  que  sa  virginité  bienheureuse  a  été  choisie  dès 
léteruité  pour  donner  Jésus-Christ  au  monde  ;  et 
vous  voyez  la  dignité  de  Joseph ,  eu  ce  que  cette 
pureté  de  Marie ,  qui  a  été  si  utile  à  notre  nature , 
a  été  confiée  à  ses  soins ,  et  que  c'est  lui  qui  con- 
serve au  monde  une  chose  si  nécessaire.  0  Joseph, 
gardez  ce  dépôt  :  Depositum  custodi.  Gardez  chè- 
rement ce  sacré  dépôt  de  la  pureté  de  Marie.  Puis- 
qu'il plaît  au  Père  éternel  de  garder  la  virginité 
de  Marie  sous  le  voile  du  mariage,  elle  ne  se  peut 
plus  conserver  sans  vous  ;  et  aussi  votre  pureté  est 
devenue  en  quelque  sorte  nécessaire  au  monde , 
par  la  charge  glorieuse  qui  lui  est  donnée  de 
garder  celle  de  Marie. 

C'est  ici  qu'il  faut  vous  représenter  un  spec- 
tacle qui  étonne  toute  la  nature  ;  je  veux  dire  ce 
mariage  céleste ,  destiné  par  la  Providence  pour 
protéger  la  virginité,  et  donner  par  ce  moyen 
Jésus-Christ  au  monde.  Mais  qui  prendrai-je  pour 
mon  conducteur  dans  une  entreprise  si  difficile, 
sinon  l'incomparable  Augustin ,  qui  traite  si  di- 

•  />  ririjinii.  cap.  if ,  t.  III,  pag.  iI6. 


JOSEPH.  418 

vinement  ce  mystère?  Écoutez  ce  savant  évêquc  ' , 
et  suivez  exactement  sa  pensée.  H  remarque,  avant 
toutes  choses,  qu'il  y  a  trois  liens  dans  le  mariage. 
Il  y  a  premièrement  le  sacré  contrat ,  par  lequel 
ceux  que  l'on  unit  se  donnent  entièrement  l'un  à 
l'autre  il  y  a  secondement  l'amour  conjugal, 
par  Icfjuel  ils  se  vouent  mutuellement  un  cœur, 
qui  n'est  plus  capable  de  se  partager,  et  qui  ne 
peut  bi-ûler  d'autres  flammes  :  il  y  a  enfin  les  en- 
fants, qui  sont  un  troisième  lien;  parce  que  l'a- 
mour des  parents  ven<mt,  pour  ainsi  dire,  à  se 
rencontrer  dans  ces  fruits  communs  de  leur  ma- 
riage, l'amour  se  lie  par  un  nœud  plus  ferme. 

Saint  Augustin  trouve  ces  trois  choses  dans  le 
mariage  de  saint  Joseph ,  et  il  nous  montre  que 
tout  y  concourt  à  garder  la  virginité  \  Il  y  trouve 
premièrement  le  sacré  contrat,  par  lequel  ils  se 
sont  donnés  l'un  à  l'autre  ;  et  c'est  là  qu'il  faut  ad- 
mirer le  triomphe  de  la  pureté  dans  la  vérité  de 
ce  mai'iage.  Car  Marie  appartient  à  Joseph,  et 
Joseph  à  la  divine  Marie  ;  si  bien  que  leur  mariage 
est  très- véritable,  parce  quils  se  sont  donnés  l'un 
à  l'autre.  Mais  de  quelle  sorte  se  sont-ils  donnés? 
Pureté ,  voici  ton  triomphe.  Ils  se  donnent  réci- 
proquement leur  virginité ,  et  sur  cette  virginité 
ils  se  cèdent  un  droit  mutuel.  Que.  droit?  de  se  la 
garder  l'un  à  l'autre.  Oui ,  Marie  a  droit  de  gar- 
der la  virginité  de  Joseph,  et  Joseph  a  droit  de 
garder  la  virginité  de  Marie.  Ni  l'un  ni  l'autre  n'en 
peut  disposer,  et  toute  la  fidélité  de  ce  mariage 
consiste  à  garder  la  virginité.  Voilà  les  promesses 
qui  les  assemblent,  voilà  le  traité  qui  les  lie.  Ce 
sont  deux  virginités  qui  s'unissent,  pour  se  con- 
server éternellement  l'une  lauti-e  par  une  chaste 
correspondance  de  désirs  pudiques  ;  et  il  me  sem- 
ble que  je  vois  deux  astres ,  qui  n'entrent  ensem- 
ble en  conjonction ,  qu'à  cause  que  leurs  lumières 
s'allient.  Tel  est  le  nœud  de  ce  mariage ,  d'autant 
plus  ferme,  dit  saint  Augustin^,  que  les  promes- 
ses qu'ils  se  sont  données  doivent  être  plus  invio- 
lables, en  cela  même  qu'elles  sont  plus  saintes. 

Qui  pourrait  maintenant  vous  dire  quel  devait 
être  l'amour  conjugal  de  ces  bienheureux  mariés? 
Car,  ô  sainte  virginité ,  vos  flammes  sont  d'autant 
plus  fortes  qu'elles  sont  plus  pures  et  plus  déga- 
gées; et  le  feu  de  la  convoitise,  qui  est  allumé 
dans  nos  corps ,  ne  peut  jamais  égaler  l'ardeur 
des  chastes  embrasements  des  esprits ,  que  l'a- 
mour de  la  pureté  lie  ensemble.  Je  ne  chercherai 
pas  des  raisonnements  pour  prouver  cette  vérité  ; 
mais  je  l'établirai ,  par  un  grand  miracle  que  j'ai 

'  De  Gènes,  ad  litl.  lib.  i\ ,  cap.  vu ,  n»  12 ,  L  m ,  part,  l , 
col.  247. 
'  Contra  JuUan.  lib.  v,  cap.  xii,  n'  46 ,  t.  X,  col.  «63. 
»  De  Xupt.  et  Coucup.  lib.  i ,  n*  12  ,  l.  x ,  col.  388. 


4{4 


PANÉGYRIQUE 


fu  dans  saint  Grégoire  de  Tours' ,  au  premier 
i\\'vc  de  son  histoire.  Le  récit  vous  en  sera  agréa- 
l)le ,  et  du  moins  i!  relâchera  vos  attentions.  Il  dit 
que  deux  personnes  de  condition ,  et  de  la  pre- 
mière noblesse  d'Auvergne,  ayant  vécu  dans  le 
mariage  avec  une  continence  parfaite,  passèrent 
à  une  vie  plus  heureuse ,  et  que  leurs  corps  furent 
inhumés  en  deux  places  assez  éloignées.  Mais  il 
arriva  une  chose  étrange  :  ils  ne  purent  pas  de- 
meurer longtemps  dans  cette  dure  séparation  ;  et 
tout  le  monde  fut  étonné  qu'on  trouva  tout  à  coup 
leurs  tombeaux  unis,  sans  que  personne  y  eût 
mis  la  main.  Chrétiens,  que  signifie  ce  miracle  ? 
Ne  vous  semb!e-t-il  pas  que  ces  chastes  morts  se 
plaignent  de  se  voir  ainsi  éloignés?  Ne  vous  sem- 
ble-t-il  pas  qu'ils  nous  disent  (  car  permettez-moi 
de  les  animer ,  et  de  leur  prêter  une  voix  ,  puis- 
que Dieu  leur  donne  le  mouvement);  ne  vous 
semble-t-il  pas  qu'ils  vous  disent  :  Et  pourquoi 
a-t-on  voulu  nous  séparer  ?  Nous  avons  été  si  long- 
temps ensemble,  et  nous  y  avons  toujours  été 
comme  morts,  parce  que  nous  avons  éteint  tout  le 
sentiment  des  plaisirs  mortels  ;  et  étant  accoutu- 
més depuis  tant  d'années  à  être  ensemble  comme 
des  morts,  la  mort  ne  nous  doit  pas  désunir. 
Aussi  Dieu  permit  qu'ils  se  rapprochèrent,  pour 
nous  montrer,  par  cette  merveille,  que  ce  ne 
sont  pas  les  plus  belles  flammes  que  celles  où  la 
convoitise  se  mêle;  mais  que  deux  virginités, 
bien  unies  par  un  mariage  spirituel,  en  produi- 
sent de  bien  plus  fortes,  et  qui  peuvent,  ce  sem- 
ble, se  conserver  sous  les  cendres  mêmes  de  la 
mort.  C'est  pourquoi  Grégoire  de  Tours,  qui  nous 
a  décrit  cette  histoire ,  ajoute  que  les  peuples  de 
cette  contrée  appelaient  ordinairement  ces  sépul- 
cres, les  sépulcres  des  deux  amants;  comme  si 
ces  peuples  eussent  voulu  dire  que  c'étaient  de 
véritables  amants,  parce  qu'ils  s'aimaient  par 
l'esprit. 

Mais  où  est-ce  que  cet  amour  si  spirituel  s'est 
jamais  trouvé  si  parfait,  que  dans  le  mariage  de 
saint  Joseph?  C'est  là  que  l'amour  était  tout  cé- 
leste ,  puisque  toutes  ses  flammes  et  tous  ses  dé- 
sirs ne  tendaient  qu'à  conserver  la  virginité  ;  et 
il  est  aisé  de  l'entendre.  Car  dites-nous ,  ô  divin 
Joseph ,  qu'est-ce  que  vous  aimez  en  Marie  ?  Ah  ! 
sans  doute,  ce  n'était  pas  la  beauté  mortelle, 
mais  cette  beauté  cachée  et  intérieure,  dont  la 
sainte  virginité  faisait  le  principal  ornement.  C'é- 
tait donc  la  pureté  de  Marie  qui  faisait  le  chaste 
objet  de  ses  feux  ;  et  plus  il  aimait  cette  pureté , 
plus  il  la  voulait  conserver,  premièrement  en  sa 
gainte  épouse ,  et  secondement  en  lui-même ,  par 

*  Histor.  Franc.  lib.  i ,  n"  42,  p.  31  et  seqq. 


une  entière  unité  de  cœur  :  si  bien  que  son  amour 
conjugal ,  se  détournant  du  cours  ordinaire ,  se 
donnait  et  s'appliquait  tout  entier  à  garder  la  vir- 
ginité de  Marie.  0  amour  divin  et  spirituel  !  Chré- 
tiens ,  n'admirez- vous  pas  comme  tout  concourt 
dans  ce  mariage  à  conserver  ce  sacré  dépôt? 
Leurs  promesses  sont  toutes  pures ,  leur  amour 
est  tout  virginal  :  il  reste  maintenant  à  considérer 
ce  qu'il  y  a  de  plus  admirable  ;  c'est  le  fruit  sacré 
de  ce  mariage,  je  veux  dire  le  sauveur  Jésus. 

Mais  il  me  semble  vous  voir  étonnés,  de  m'en- 
tendre  prêcher  si  assurément  que  Jésus  est  le  fruit 
dece  mariage.  Nous  comprenons  bien,  direz-vous, 
que  l'incomparable  Joseph  est  père  de  Jésus- 
Christ  par  ses  soins  ;  mais  nous  savons  qu'il  n'a 
point  de  part  à  sa  bienheureuse  naissance.  Com- 
ment donc  nous  assurez-vous  que  Jésus  est  le 
fruit  de  ce  mariage?  Cela  peut-être  paraît  impossi- 
ble :  toutefois,  si  vous  rappelez  à  votre  mémoire 
tant  de  vérités  importantes  que  nous  avons ,  ce 
me  semble,  si  bien  établies,  j'espère  que  vous 
m'accorderez  aisément  que  Jésus,  ce  bénit  en- 
fant, est  sorti,  en  quelque  manière,  de  l'union 
virginale  de  ces  deux  époux.  Car,  fidèles,  n'a- 
vons-nous pas  dit  que  c'est  la  virginité  de  Marie 
qui  a  attiré  Jésus-Christ  du  ciel?  Jésus  n'est-il 
pas  cette  fleur  sacrée  que  la  virginité  a  poussée? 
n'est-il  pas  le  fruit  bienheureux  que  la  virginité 
a  produit  ?  Oui,  certainement,  nous  dit  saint  Fui  - 
gence ,  «  il  est  le  fruit ,  il  est  l'ornement ,  il  est 
«  le  prix  et  la  récompense  de  la  sainte  virginité  :  « 
Sandœ  virginitatis  fructus ,  decus  et  munus\ 
C'est  à  cause  de  sa  pureté  que  Marie  a  plu  au  Père 
éternel  ;  c'est  à  cause  de  sa  pureté  que  le  Saint- 
Esprit  se  répand  sur  elle,  et  recherche  ses  em 
brassements ,  pour  la  remplir  d'un  germe  céleste. 
Et  par  conséquent,  ne  peut-on  pas  dire  que  c'est 
sa  pureté  qui  la  l'end  féconde?  Que  si  c'est  sa  pu- 
reté qui  la  rend  féconde,  je  ne  craindrai  plus  d'as- 
surer que  Joseph  a  part  à  ce  grand  miracle.  Car 
si  cette  pureté  angélique  est  le  bien  de  la  divine 
Marie ,  elle  est  le  dépôt  du  juste  Joseph. 

Mais  je  passe  encore  plus  loin,  chrétiens;  per- 
mettez-moi de  quitter  mon  texte ,  et  d'enchérir 
sur  mes  premières  pensées,  pour  vous  dire  que  la 
pureté  de  Marie  n'est  pas  seulement  le  dépôt, 
mais  encore  le  bien  de  son  chaste  époux.  Elle  est 
à  lui  par  son  mariage,  elle  est  à  lui  par  les  chastes 
soins- par  lesquels  il  l'a  conservée.  0  féconde  vir- 
ginité !  si  vous  êtes  le  bien  de  Marie ,  vous  êtes 
aussi  le  bien  de  Joseph.  Marie  l'a  vouée ,  Joseph 
la  conserve;  et  tous  deux  la  présentent  au  Père 
éternel,  comme  un  bien  gardé  par  leurs  soins  corn- 

'  Jd.  Prob.  Epist.  m,  n"  6,  p.  105. 


DE  SAINT  JOSEPH. 


4I& 


iniins.  Comme  donc  il  a  tant  de  part  à  kt  sainte 
viriïinité  de  Marie,  il  en  prend  aussi  au  fruit 
qu'elle  porte  :  c'est  pourquoi  Jésus  est  son  lils, 
non  pas  à  la  vérité  par  la  chair  ;  mais  il  est  son 
Jils  par  l'esprit,  à  cause  de  ralliance  virginale 
qui  le  joint  avec  sa  mère.  Et  saint  Augustin  l'a 
(lit  en  un  mot  :  Propter  qimljideh  conjugiitm 
parentes  Christi  rocari  atnbo  meruerunt'.  O 
mystère  de  pureté  î  ô  paternité  bienheureuse  !  ô 
lumières  incorruptibles,  qui  brillent  de  toutes 
parts  dans  ce  mariage  ! 

Chrétiens,  méditons  ces  choses,  appliquons- 
les-nous  à  nous-mêmes  :  tout  se  fait  ici  pour  l'a- 
mour de  nous  ;  tirons  donc  notre  instruction  de  ce 
qui  s'opère  pour  notre  salut.  Voyez  combien 
chaste,  combien  innocente  est  la  docti'ine  du  chris- 
tianisme. Jamais  ne  comprendrons-nous  qnels 
r.ous  sommes?  Quelle  honte,  que  nous  nous  souil- 
lions  tous  les  jours  par  toute  sorte  d'impuretés, 
nous  qui  avons  été  élevés  parmi  des  mystères  si 
chastes?  Et  quand  est-ce  que  nous  entendrons 
quelle  est  la  dignité  de  nos  corps ,  depuis  que  le 
Fils  de  Dieu  en  a  pris  un  semblable?  «  Que  la 
•'  chair  se  soit  jouée,  dit  TertuUien  ',  ou  plutôt 
«  qu'elle  se  soit  corrompue,  avant  qu'elle  eût  été 
«  recherchée  par  son  maître  ;  elle  n'était  pas  di- 
«  gnc  du  don  de  salut,  ni  propre  à  l'office  de  la 
«  sainteté.  Elle  était  encore  en  Adam ,  tyrannisée 
«  par  ses  convoitises,  suivant  les  beautés  appa- 
'■  rentes ,  et  attachant  toujoure  ses  yeux  à  la  terre. 
"  Elle  était  impure  et  souillée ,  parce  qu'elle  n'é- 
«  tait  pas  lavée  au  baptême.  Mais  depuis  qu'un 
"  Dieu ,  en  se  faisant  homme ,  n'a  pas  voulu  venir 
"  en  ce  monde ,  si  la  sainte  virginité  ne  l'y  atti- 

•  rait;  depuis  que,  trouvant  au-dessous  de  lui- 
«  même  la  sainteté  nuptiale ,  il  a  voulu  avoir  une 
«  mère  vierge ,  et  qu'il  n'a  pas  cru  que  Joseph  fût 
«  digne  de  prendre  le  soin  de  sa  vie ,  s'il  ne  s'y 
«  préparait  par  la  continence  ;  depuis  que ,  pour 
«  laver  notre  chair,  son  sang  a  sanctifié  une  eau 
«  salutaire,  où  elle  peut  laisser  toutes  les  ordures 
«  de  sa  première  nativité  ;  nous  devons  entendre , 
<■  fidèles,  que  depuis  ce  temps-là  la  chair  est 
«  tout  autre.  Ce  n'est  plus  cette  chair  formée  de 
«  la  boue,  et  engendrée  par  la  convoitise;  c'est 
«  une  chair  refaite  et  renouvelée  par  une  eau  très- 
<■  pure,  et  par  l'Esprit  saint.  «Donc,  mes  frères, 
respectons  nos  corps  qui  sont  les  membres  de  Jé- 
sus-Chris^gardons-nousdeprostltueràl'impui-eté 
cette  chair  que  le  baptême  a  fait  vierge.  «  Pos- 
«  sédons  nos  vaisseaux  en  honneur,  et  non  pas 

•  dans  ces  passions  ignominieuses  que  notre  bru- 
>  t-alité  nous  inspire ,  comme  les  Gentils  qui  n'ont 
<  pas  de  Dieu.  Car  Dieu  ne  nous  appelle  pas  à 


•  Df  yiipl.  et  Conciip.  ILb.  i ,  ubi  siipr. 
»  I}f  Pudkit.  n"  6. 


j 


«  l'impureté,  mais  à  Ta  sanctification'  »  en  Nôtre- 
Seigneur  Jésus-Christ.  Honorons,  par  la  conti- 
nence ,  cette  sainte  virginité  qui  noiïs  a  donné  lo 
Sauveur,  qui  a  rendu  sa  Mère  féconde,  qui  a  fait 
que  Joseph  a  part  à  cette  fécondité  bienheureuse, 
et  rélève,  si  je  l'ose  dire,  jusqu'à  être  le  père  de 
Jésus-Christ  même.  Mais,  fidèles,  après  avoir 
vu  qu'il  contribue ,  en  quelque  façon ,  à  la  nais- 
sance de  Jésus-Christ,  en  gardant  la  pureté  de 
sa  sainte  Mère ,  voyons  maintenant  ses  soins  pa- 
ternels, et  admirons  la  fidélité  par  laquelle  il 
conserve  ce  divin  Enfant  que  le  Père  céleste  lui 
a  confié;  c'est  ma  seconde  partie. 

SECOND    POINT. 

Ce  n'est  pas  assez  au  Père  étemel  d'avoir  confié 
à  Joseph  la  virginité  de  Marie  :  il  lui  prépare 
quelque  chose  de  plus  relevé;  et  après  avoir  com- 
mis à  sa  foi  cette  sainte  virginité  qui  doit  donner 
Jésus-Christ  au  monde,  comme  s'il  avait  dessein 
d'épuiser  sa  libéralité  infinie  en  faveur  de  ce  pa- 
triarche, il  va  mettre  en  ses  mains  Jésus-Christ 
lui-même ,  et  il  veut  le  conserver  par  ses  soins. 
Mais  si  nous  pénétrons  le  secret ,  si  nous  entrons 
au  fond  du  mystère ,  c'est  là ,  fidèles ,  que  nous 
trouverons  quelque  chose  de  si  glorieux  au  juste 
Joseph ,  que  nous  ne  pou  rrons  jamais  assez  le  com- 
prendre. Car  Jésus,  ce  divin  Enfant  sur  lequel 
Joseph  a  toujours  les  yeux,  et  qui  fait  l'admirable 
sujet  de  ses  saintes  inquiétudes  ,  est  né  sur  la  terre 
comme  un  orphelin ,  et  il  n'a  point  de  père  en  ce 
monde.  C'est  pourquoi  saint  Paul  dit  qu'il  est  sans 
père  :  Sine  pâtre  *.  Il  est  vrai  qu'il  en  a  un  dans 
le  ciel  ;  mais  à  voir  comme  il  l'abandonne,  il  sem- 
ble que  ce  Père  ne  le  connaît  plus.  Il  s'en  plaindra 
un  jour  sur  la  croix ,  lorsque ,  l'appelant  son  Dieu 
et  non  pas  son  Vexe  ^  Et  pourquoi ^  dira-t-il ,  m'a- 
bandonnez-vous  ^?  Mais  ce  qu'il  a  dit  en  mou- 
rant, il  pouvait  le  dire  dès  sa  naissance;  puisque 
dès  ce  premier  moment  son  Père  l'expose  aux 
persécutions ,  et  commence  à  l'abandonner  aux 
injures.  Tout  ce  qu'il  fait  en  faveur  de  ce  Fils  uni- 
que, pour  montrer  qu'il  ne  l'oublie  pas,  du 
moins ,  ce  qui  paraît  à  nos  yeux ,  c'est  de  le  met- 
tre en  la  garde  d'un  homme  mortel,  qui  conduira 
sa  pénible  enfance,  et  Joseph  est  choisi  pour  ce 
ministère.  Que  fera  ici  ce  saint  homme  ?  Qui  pour- 
rait dire  avec  quelle  joie  il  reçoit  cet  abandonné, 
et  comme  il  s'offre  de  tout  son  cœur  pour  être  le 
père  de  cet  orphelin?  Depuis  ce  temps-là,  chré- 
tiens ,  il  ne  vit  plus  que  pour  Jésus-Christ,  il  n'a 
plus  de  soin  que  pour  lui  ;  il  prend  lui-même  pouf 
ce  Dieu  un  cœur  et  des  entrailles  de  père;  et  c# 

'  I.  Thess.  IV,  4,  5,  7. 

»  Hehr.  vu,  3. 

»  Matth.  XXVII,  4C. 


416  PANÉGYRIQUE 

(ju'il  n'est  pas  par  nature ,  il  le  devient  par  af- 
feetion. 

Mais  afin  que  vous  soyez  convaincus  de  la  vérité 
d'un  si  grand  mystère ,  et  si  glorieux  à  Joseph ,  il 
faut  vous  le  montrer  par  les  Écritures,  et  pour 
cela  vous  exposer  une  belle  réflexion  de  saint 
Chrysostôme.  11  remarque  dans  l'Évangile  que 
partout  Joseph  y  paraît  en  père.  C'est  lui  qui 
donne  le  nom  à  Jésus,  comme  les  pères  le  don- 
naient alors;  c'est  lui  seul  que  l'ange  avertit  de 
tous  les  périls  de  l'Enfant,  et  c'est  à  lui  qu'il  an- 
nonce le  temps  du  retour.  Jésus  le  révère ,  et  lui 
obéit  :  c'est  lui  qui  dirige  toutesa  conduite,  comme 
en  ayant  le  soin  principal  ;  et  partout  il  nous  est 
montré  comme  père.  D'où  vient  cela,  dit  saint 
Chrysostôme?  en  voici  la  raison  véritable.  C'est, 
dit-il  ■ ,  que  c'était  un  conseil  de  Dieu ,  de  donner 
au  grand  saint  Joseph  tout  ce  qui  peut  appartenir 
à  un  père ,  sans  blesser  la  virginité. 

Je  ne  sais  si  je  comprends  bien  toute  la  force  de 
cette  pensée;  mais  voici,  si  je  ne  me  trompe,  ce 
que  veut  dire  ce  grand  évéque.  Et  premièrement 
supposons  pour  certain  que  c'est  la  sainte  virgi- 
nité qui  empêche  que  le  Fils  de  Dieu ,  en  se  faisant 
homme,  ne  choisisse  un  père  mortel.  En  effet, 
Jésus-Ciirist  venant  sur  la  terre  pour  se  rendre 
semblable  aux  hommes,  comme  il  voulait  bien 
avoir  une  mère,  il  ne  devait  pas  refuser,  ce  sem- 
ble ,  d'avoir  un  père  tout  ainsi  que  nous ,  et  de 
s'unir  encore  à  notre  nature  par  le  nœud  de  cette 
alliance.  Mais  la  sainte  virginité  s'y  est  opposée, 
parce  que  les  prophètes  lui  avaient  promis  qu'un 
iour  le  Sauveur  la  rendrait  féconde,  et  puisqu'il 
devait  naître  d'une  vierge  mère,  il  ne  pouvait 
avoir  de  père  que  Dieu.  C'est  par  conséquent  la 
virginité  qui  empêche  la  paternité  de  Josei»h. 
Mais  peut-elle  l'empêcher  jusqu'à  ce  point,  que 
Joseph  n'y  ait  plus  de  part ,  et  qu'il  n'ait  aucune 
qualité  de  père?  Nullement,  dit  saint  Chrysos- 
tôme ;  car  la  sainte  virginité  ne  s'oppose  qu'aux 
qualités  qui  la  blessent  :  et  qui  ne  sait  qu'il  y  en 
a  dans  le  nom  de  père  qui  ne  choquent  pas  la  pu- 
deur, et  qu'elle  peut  avouer  pour  siennes?  Ces 
soins,  cette  tendresse,  cette  affection,  cela  blesse- 
t-il  la  virginité?  Voyez  donc  le  secret  de  Dieu, 
et  l'accommodement  qu'il  invente  dans  ce  diffé- 
rent mémorable  entre  la  paternité  de  Joseph  et  la 
pureté  virginale.  Il  partage  la  paternité,  et  il  veut 
que  la  virginité  fasse  le  partage.  Sainte  pureté, 
lui  dit-il,  vos  droits  vous  seront  conservés.  11 
y  a  quelque  chose  dans  le  nom  de  père,  que  la 
virginité  ne  peut  pas  souffrir;  vous  ne  l'aurez 
pas'',  ô  Joseph!  Mais  tout  ce  qui  appartient  à  un 
père ,  sans  que  la  virginité  soit  intéressée ,  voilà , 

•  In  AfuUh.  hom.  iv,  n"  6  ,  l.  vu ,  P-  5a 


dit-il ,  ce  que  je  vous  donne  :  ffoc  tibi  do,  guod 
salva  virginitate  pâte  muni  esse  polc st.  Et  par 
conséquent,  chrétiens,  Marie  ne  concevra  pas  de 
Joseph,  parce  que  la  virginité  y  serait  blessée; 
mais  Joseph  partagera  avec  Marie  ces  soins,  ces 
veilles,  ces  inquiétudes,  par  lesquelles  elleélèvera 
ce  divin  Enfant;  et  il  ressentira  pour  Jésus  cette 
inclination  naturelle,  toutes  ces  douces  émotions, 
tous  ces  tendres  empressements  d'un  cœur  pa- 
ternel. 

Mais  peut-être  vous  demanderez  où  il  prendra 
ce  cœur  paternel,  si  la  nature  ne  le  lui  donne  pas? 
Ces  inclinations  naturelles  peuvent-elles  s'acqué- 
rir par  choix;  et  l'art  peut-il  imiter  ce  que  la 
nature  écrit  dans  les  cœurs?  Si  donc  saint  Joseph 
n'est  pas  père,  comment  aura-t-il  un  amour  de 
père?  C'est  ici  qu'il  nous  faut  entendre  que  la 
puissance  divine  agit  en  cette  œuvre.  C'est  par 
un  effet  de  cette  puissance ,  que  saint  Joseph  a 
un  cœur  de  père  ;  et  si  la  nature  ne  le  donne  pas , 
Dieu  lui  en  fait  un  de  sa  propre  main.  Car  c'est 
de  lui  dont  il  est  écrit  qu'il  tourne  où  il  lui  plaît 
les  incHnations.  Pour  l'entendre,  il  faut  remarquer 
une  belle  théologie  que  le  Psalmiste  nous  a  ensei- 
gnée ,  lorsqu'il  dit  que  Dieu  forme  en  particulier 
tous  les  cœurs  des  hommes  :  Qui  Jinxit  singilla- 
tim  corda  eorum'.  Ne  vous  persuadez  pas ,  chré- 
tiens, que  David  regarde  le  cœur  comme  un  simple 
organe  du  corps,  que  Dieu  forme  par  sa  puissance 
comme  toutes  les  autres  parties  qui  composent 
l'homme.  11  veut  dire  quelque  chose  de  singulier.: 
il  considère  le  cœur  en  ce  lieu  comme  principe  de 
l'inclination  :  et  il  le  regarde  dans  les  mains  de 
Dieu  comme  une  terre  molle  et  humide ,  qui  cède 
et  qui  obéit  aux  mains  du  potier,  et  reçoit  de  lui  sa 
figure.  C'est  ainsi,  nous  dit  le  Psalmiste,  que  Dieu 
forme  en  particulier  tous  les  cœurs  des  hommes. 

Qu'est-ce  à  dire  en  particulier?  Il  fait  un  cœur 
de  chair  dans  les  uns  quand  il  les  amollit  par  la 
charité  ;  un  cœur  endurci  dans  les  autres,  lorsque 
retirant  ses  lumières ,  par  une  juste  punition  de 
leurs  crimes ,  il  les  abandonne  au  sens  réprouvé. 
Ne  fait-il  pas  dans  tous  les  fidèles ,  non  un  cœur 
d'esclave,  mais  un  cœur  d'enfant,  quand  il  envoie 
en  eux  l'esprit  de  son  Fils?  Les  apôtres  trem- 
blaient au  moindre  péril;  mais  Dieu  leur  fait  un 
cœur  tout  nouveau,  et  leur  courage  devient  in- 
vincible. Quels  étaient  les  sentiments  de  Saiil 
pendant  qu'il  paissait  ses  troupeaux?  Ils  étaient 
sans  doute  bas  et  populaires.  Mais  Dieu,  en  le 
mettant  sur  le  trône ,  lui  change  le  cœur  par  son 
onction  :  Immutavit  Domimis  cor  Saiil  '  ;  et  il 
reconnaît  incontinent  qu'il  est  roi.  D'autre  part, 


<  Psal  xXMi,  Ij 
2  1.  Ri'u.  X,  0. 


DE  SAINT  JOSEPH. 


4t7 


es  Israélites  considéraient  ce  nouveau  monar- 
que comme  un  homme  de  la  lie  du  peuple;  mais 
la  main  de  Dieu  leur  touchant  le  cœur,  quorum 
JJeus  tetigit  corda  ' ,  aussitôt  ils  le  voient  plus 
grand,  et  ils  se  sentent  émus,  en  le  regardant, 
de  cette  crainte  respectueuse  que  l'on  a  pour  ses 
souverains  :  c'est  que  Dieu  faisait  en  eux  un  cœur 
de  sujets. 

C'est  donc ,  fidèles ,  cette  même  main  qui  forme 
en  particulier  tous  les  cœurs  des  hommes,  qui  fait 
un  cœur  de  père  en  Joseph,  et  un  cœur  de  fils 
en  Jésus.  C'est  pourquoi  Jésus  obéit ,  et  Joseph 
ne  craint  pas  de  lui  commander.  Et  d'où  lui 
vient  cette  hardiesse  de  commander  à  son  Créa- 
teur? C'est  que  le  vrai  Père  de  Jésus-Christ,  ce 
Dieu  qui  l'engendre  dans  l'éternité ,  ayant  choisi 
le  divin  Joseph  pour  servir  de  père  au  milieu  des 
temps  à  son  Fils  unique,  a  fait,  en  quelque  sorte, 
couler  en  son  sein  quelque  rayon  ou  quelque  étin- 
celle de  cet  amour  infini  qu'il  a  pour  son  fils  : 
c'est  ce  qui  lui  change  le  cœur,  c'est  ce  qui  lui 
donne  un  amour  de  père;  si  bien  que  le  juste  Jo- 
seph, qui  sent  en  lui-même  un  cœur  paternel, 
forme  tout  à  coup  par  la  main  de  Dieu ,  sent  aussi 
que  Dieu  lui  ordonne  d'user  d'une  autorité  pater- 
nelle ;  et  il  ose  bien  commander  à  celui  qu'il  re- 
connaît pour  son  maître. 

Et  après  cela ,  chrétiens ,  qu'est-il  nécessaire 
que  je  vous  explique  la  fidélité  de  Joseph  à  garder 
ce  sacré  dépôt?  Peut-il  manquer  de  fidélité  à  ce- 
lui qu'il  reconnaît  pour  son  fils  unique?  de  sorte 
qu'il  ne  serait  pas  nécessaire  que  je  vous  parlasse 
de  cette  vertu ,  s'il  n'était  important  pour  votre 
instruction  que  vous  ne  perdiez  pas  un  si  bel 
exemple.  Car  c'est  ainsi  qu'il  nous  faut  appren- 
dre, par  les  traverses  continuelles  qui  ont  exercé 
saint  Joseph  depuis  que  Jésus-Christ  est  mis  en  sa 
garde,  qu'on  ne  peut  conserver  ce  dépôt  sans 
peine ,  et  que  pour  être  fidèle  à  sa  grâce ,  il  faut  se 
préparer  a  souffrir.  Oui  certes,  quand  Jésus  en- 
tre quelque  part ,  il  y  entre  avec  sa  croix ,  il  y 
porte  avec  lui  toutes  ses  épines ,  et  il  en  fait  part  à 
tous  ceux  qu'il  aime.  Joseph  et  Marie  étaient  pau- 
vres; mais  ils  n'avaient  pas  encore  été  sans  mai- 
son ,  ils  avaient  un  lieu  pour  se  retirer.  Aussitôt 
que  cet  enfant  vient  au  monde ,  on  ne  trouve  point 
de  maison  pour  eux ,  et  leur  retraite  est  dans  une 
etable.  Qui  leur  procure  cette  disgrâce,  sinon 
celui  dont  il  est  écrit»  que  ■>  venant  en  son  pro- 
«  pre  bien ,  il  n'y  a  pas  été  reçu  par  les  siens,  » 
et  "  qu'il  n'a  pas  de  gîte  assuré  où  il  puisse  reposer 
"  sa  tête  5?»  Mais  n'est-ce  pas  assez  de  leur  indi- 
gence ?  Pourquoi  leur  attire-t-il  des  persécutions? 

'  I.  Reg.  X ,  26. 
*  Joan.  I,  II. 
S  Matth.  T1II,20. 

Boesixr.  —  TOME  m. 


Ils  vivaient  ensemble  dans  leur  ménage ,  pan\  re- 
ment, mais  avec  douceur,  surmontant  leur  pau- 
vreté par  leur  patience  et  par  leur  travail  awidu. 
Mriis  Jésus  ne  leur  permet  pas  ce  repos  :  il  ne 
vient  au  monde  que  pour  les  troubler,  et  il  attire 
tous  les  malheurs  avec  lui.  Hérode  ne  peut  souf- 
frir que  cet  enfant  vive  :  la  bassesse  de  sa  nais- 
sance n'est  pas  capable  de  le  cacher  à  la  jalousie 
de  ce  tyran.  Le  ciel  lui-même  trahit  le  secret  :  il 
découvre  Jésus-Christ  par  une  étoile;  et  il  sem- 
ble qu'il  ne  lui  amène  de  loin  des  adorateurs,  que 
pour  lui  susciter  dans  son  pays  propre  un  persé- 
cuteur impitoyable. 

Que  fera  ici  saint  Joseph?  Représentez-vous, 
chrétiens,  ce  que  c'est  qu'un  pauvre  artisan, 
qui  n'a  point  dautre  héritage  que  ses  mains ,  ni 
d'autre  fonds  que  sa  boutique ,  ni  d'autre  res- 
source que  son  travail.  11  est  contraint  daller  en 
Égv-pte ,  et  de  souffrir  un  exil  fâcheux  ;  et  cela 
pour  quelle  raison?  Parce  qu'il  a  Jésus- Christ 
avec  lui.  Cependant  croyez-vous,  fidèles,  qu'il 
se  plaigne  de  cet  enfant  incommode ,  qui  le  tire 
de  sa  patrie ,  et  qui  lui  est  donné  pour  le  tourmen- 
ter? Au  contraire,  ne  voyez-vous  pas  qu'il  s'estime 
heureux  de  souffrir  en  sa  compagnie,  et  que  toute 
la  cause  de  son  déplaisir,  c'est  le  péril  du  divin 
Enfant  qui  lui  est  plus  cher  que  lui-même?  Mais 
peut-être  a-t-il  sujet  despérer  de  voir  bientôt 
finir  ses  disgrâces?  Non,  fidèles,  il  ne  l'attend  pas; 
partout  on  lui  prédit  des  malheurs.  Siméou  l'a 
entretenu  des  étranges  contradictions  que  devait 
souffrir  ce  cher  fils  :  il  en  voit  déjà  lecomraence- 
ment,et  il  passe  sa  vie  dans  de  continuelles  appré- 
hensions des  maux  qui  lui  sont  préparés. 

Est-ce  assez  pour  éprouver  sa  fidélité?  chré- 
tiens, ne  le  croyez  pas  ;  voici  encore  une  étrange 
épreuve.  Si  c'est  peu  des  hommes  pour  le  tour- 
menter, Jésus  devient  lui-même  son  persécu- 
teur :  il  s'échappe  adroitement  de  ses  mains ,  il  se 
dérobe  à  sa  vigilance ,  et  il  demeure  trois  jours 
perdu.  Qu'avez- vous  fait,  fidèle  Joseph?  Qu'est 
devenu  le  sacré  dépôt  que  le  Père  céleste  vous  a 
confié?  Âh  1  qui  pourrait  iciraconter  ses  plaintes? 
Si  vous  n'avez  pas  encore  entendu  la  paternité 
de  Joseph ,  voyez  ses  larmes ,  voyez  ses  douleurs , 
et  reconnaissez  qu'il  est  père.  Ses  regrets  le  font 
bien  connaître,  et  Marie  a  raison  de  dire  à  cette 
rencontre  :  Pater  tuus  et  ego  dolentes  guœreba- 
mus  te^  :  "  Votre  père  et  moi  vous  cherchions 
'<  avec  une  extrême  douleur.  «  0  mon  fils  !  dit-elle 
au  Sauveur,  je  ne  crains  pas  de  l'appeler  ici  votre 
père ,  et  je  ne  prétends  pas  faire  tort  à  la  pureté 
de  votre  naissance.  Il  s'agit  de  soins  et  d'inquié- 
tudes ,  et  c'est  par  là  que  je  puis  dire  qu'il  est 


•  Lue.  11,48. 


S7 


418 


PANÉGYRIQUE 


votre  père,  puisqu'il  a  des  inquiétudes  vraiment 
paternelles  :  Ego  et  pater  tuus;  je  le  joins  avec 
moi  par  la  société  des  douleurs. 

Voyez,  fidèles,  par  quelles  souffrances  Jésus 
éprouve  la  fidélité,  et  comme  il  ne  veut  être 
{fu'avec  ceux  qui  souffrent.  Ames  molles  etvolup- 
tueuses ,  cet  enfant  ne  veut  pas  être  avec  vous , 
sa  pauvreté  a  honte  de  votre  luxe,  et  sa  chair, 
destinée  à  tant  de  supplices ,  ne  peut  supporter 
votre  extrême  délicatesse.  II  cherche  ces  forts  et 
ces  courageux  qui  ne  refusent  pas  de  porter  sa 
croix  ,  qui  ne  rougissent  pas  d'être  compagnons 
de  son  indigence  et  de  sa  misère.  Je  vous  laisse 
à  méditer  ces  vérités  saintes ,  car  pour  moi  je 
ne  puis  vous  dire  tout  ce  que  je  pense  sur  ce  beau 
sujet.  Je  me  sens  appelé  ailleurs ,  et  il  faut  que 
/e  considère  le  secret  du  Père  éternel,  confié  à 
l'humilité  de  Joseph  :  il  faut  que  nous  voyions 
Jésus-Christ  caché ,  et  Joseph  caché  avec  lui ,  et 
que  nous  nous  excitions,  par  ce  bel  exemple,  à 
l'amour  de  la  vie  cachée. 

TROISIÈME   POINT. 

Que  dirai-je  ici ,  chrétiens,  de  cet  homme  caché 
avec  Jésus-Christ?  Où  trouverai-je  des  lumières 
assez  pénétrantes,  pour  percer  les  obscurités 
qui  enveloppent  la  vie  de  Joseph  ?  Et  quelle  en- 
treprise est  la  mienne ,  de  vouloir  exposer  au  jour 
ce  que  l'Écriture  a  couvert  d'un  silence  mysté- 
rieux? Si  c'est  un  conseil  du  Père  éternel ,  que 
son  Fils  soit  caché  au  monde ,  et  que  Joseph  le 
soit  avec  lui;  adorons  les  secrets  de  sa  providence 
sans  nous  mêler  de  les  rechercher  ;  et  que  la  vie 
cachée  de  Joseph  soit  l'objet  de  notre  vénération , 
et  non  pas  la  matière  de  nos  discours.  Toutefois 
il  en  faut  parler,  puisque  je  sais  bien  que  je  l'ai 
promis  ;  et  il  sera  utile  au  salut  des  âmes  de  mé- 
diter un  si  beau  sujet ,  puisque,  si  je  n'ai  rien  à 
dire  autre  chose,  je  dirai  du  moins,  chrétiens, 
que  Joseph  a  eu  cet  honneur  d'être  tous  les  jours 
avec  Jésus-Christ,  qu'il  a  eu  avec  Marie  la  plus 
grande  part  à  ses  grâces ,  que  néanmoins  Joseph 
a  été  caché ,  que  sa  vie ,  que  ses  actions ,  que  ses 
vertus  étaient  inconnues.  Peut-être  apprendrons- 
nous  ,  d'un  si  bel  exemple ,  qu'on  peut  être  grand 
sans  éclat,  peut-être  bienheureux  sans  bruit, 
qu'on  peut  avoir  la  vraie  gloire  sans  le  secours  de 
la  renommée,  par  le  seul  témoignage  de  sa 
conscience  :  Gloria  nostra  hœc  est,  testimonium 
conscientiœ  nostrœ  •  ;  et  cette  pensée  nous  incitera 
à  mépriser  la  gloire  du  monde  ;  c'est  la  fin  que 
je  me  propose. 

Mais  pour  entendre  solidement  la  grandeur  et 
la  dignité  de  la  vie  cachée  de  Joseph,  remontons 

«  II.  Ccn:  1,12, 


jusqu'au  principe;  et  admirons,  avant  toutes 
choses ,  la  variété  infinie  des  conseils  de  la  Pro- 
vidence dans  les  vocations  différentes.  Entre 
toutes  les  vocations,  j'en  remarque  deux,  dans  les 
Écritures,  qui  semblent  directement  opposées  : 
la  première ,  celle  des  apôtres,  la  seconde ,  celle 
de  Joseph.  Jésus  est  révélé  aux  apôtres ,  Jésus  est 
révélé  à  Joseph ,  mais  avec  des  conditions  bien 
contraires.  Il  est  révélé  aux  apôtres,  pour  l'an- 
noncer par  tout  l'univers;  il  est  révélé  à  Joseph , 
pour  le  taire  et  pour  le  cacher.  Les  apôtres  sont 
des  lumières,  pour  faire  voir  Jésus-Christ  au 
monde  ;  Joseph  est  un  voile ,  pour  le  couvrir  ;  et 
sous  ce  voile  mystérieux  on  nous  cache  la  vir- 
ginité de  Marie ,  et  la  grandeur  du  Sauveur  des 
âmes.  Aussi  nous  lisons  dans  les  Écritures ,  que 
lorsqu'on  le  voulait  mépriser,  «  N'est-ce  pas  là, 
«  disait-on,  le  fils  de  Joseph  *  ?«  Si  bien  que  Jésus 
entre  les  mains  des  apôtres,  c'est  une  parole  qu'il 
faut  prêcher  :  Prœdicate  verbum  Evangelii  hu- 
jus^j  «  Prêchez  la  parole  de  cet  Évangile;  »  et 
Jésus  entre  les  mains  de  Joseph ,  c'est  une  pa- 
role cachée,  Verbum  absconditum^j  et  il  n'est 
nas  permis  de  la  découvrir.  En  effet,  voyez-en  la 
suite.  Les  divins  apôtres  prêchent  si  hautement 
l'Évangile ,  que  le  bruit  de  leur  prédication  re- 
tentit jusqu'au  ciel  :  et  saint  Paul  a  bien  osé 
dire  que  les  conseils  de  la  sagesse  divine  sont 
venus  à  la  connaissance  des  célestes  puissances 
par  l'Église ,  dit  cet  apôtre ,  et  par  le  ministère 
des  prédicateurs ,  Per  Ecclesiam  ^  ;  et  Joseph , 
au  contraire ,  entendant  parler  des  merveilles  de 
Jésus-Christ,  il  écoute ,  il  admire  et  se  tait. 

Que  veut  dire  cette  différence?  Dieu  est-il  con- 
traire à  lui-même  dans  ces  vocations  opposées? 
Non ,  fidèles ,  ne  le  croyez  pas  :  toute  cette  di- 
versité tend  à  enseigner  aux  enfants  de  Dieu  cette 
vérité  importante ,  que  toute  la  perfection  chré- 
tienne ne  consiste  qu'à  se  soumettre.  Celui  qui 
glorifie  les  apôtres  par  l'honneur  de  la  prédica- 
tion ,  glorifie  aussi  saint  Joseph  par  l'humilité  du 
silence  ;  et  par  là  nous  devons  apprendre  que  la 
gloire  des  chrétiens  n'est  pas  dans  les  emplois 
éclatants ,  mais  à  faire  ce  que  Dieu  veut.  Si  tous 
ne  peuvent  pas  avoir  l'honneur  de  prêcher  Jésus- 
Christ,  tous  peuvent  avoir  l'honneur  de  luiobéii*  ; 
et  c'est  la  gloire  de  saint  Joseph,  c'est  le  solide 
honneur  du  christianisme.  Ne  me  demandez  donc 
pas ,  chrétiens ,  ce  que  faisait  saint  Joseph  dans 
sa  vie  cachée;  il  est  impossible  que  je  vous  l'ap- 
prenne, et  je  ne  puis  répondre  autre  chose,  sinon 
ce  que  dit  le  divin  Psalmiste  :  «  Le  juste,  dit-il, 

I  Joan.yx,  42. 
»  u4ct.  V ,  20. 

3  Luc.  xvni ,  34. 

4  Eph.  m,  10 


DE  SAINT  JOSEPH. 


419 


.  qu'a-t-il  fait?  »  Justus  aulem  guidfecit'  ?  Or- 
dinairement la  vie  des  pécheurs  fait  plus  de  bruit 
que  celle  des  justes;  parce  que  l'intérêt  et  les  pas- 
sions, c'est  ce  qui  remue  tout  dans  le  monde.  Les 
pécheurs,  dit  David ,  ont  tendu  leur  arc,  ils  l'ont 
lâché  contre  les  justes,  ils  ont  détruit,  ils  ont 
renversé;  on  ne  parle  que  d'eux  dans  le  monde  : 
Quoniam  quœ pcrfecisii,  destruxerunt^ .  Mais 
le  juste,  ajoute-t-il,  qu'a-t-il  fait?  Justus  autem 
ifuidfecit?  Il  veut  dire  qu'il  n'a  rien  fait.  En  ef- 
fet, il  n'a  rien  fait  pour  les  yeux  des  hommes, 
parce  qu'il  atout  fait  pour  les  yeux  de  Dieu,  C'est 
ainsi  que  vivait  le  juste  Joseph.  Il  voyait  Jésus- 
Christ  ,  et  il  se  taisait  :  il  le  goûtait ,  et  il  n'en 
parlait  point  ;  il  se  contentait  de  Dieu  seul ,  sans 
partager  sa  gloire  avec  les  hommes.  Il  accomplis- 
sait sa  vocation ,  parce  que ,  comme  les  apôtres 
sont  les  ministres  de  Jésus-Christ  découvert,  Jo- 
seph était  le  ministre  et  le  compagnon  de  sa  vie 
cachée. 

Mais,  chrétiens,  pourrons-nous  bien  dire  pour- 
quoi il  faut  que  Jésus  se  cache ,  pourquoi  cette 
splendeur  éternelle  de  la  face  du  Père  céleste  se 
couvre  d'une  obscurité  volontaire  durant  l'espace 
de  trente  années?  Ah!  superbe,  Tignores-tu? 
homme  du  monde ,  ne  le  sais-tu  pas  ?  c'est  ton  or- 
gueil qui  en  est  la  cause  ;  c'est  ton  vain  désir  de 
paraître ,  c'est  ton  ambition  infinie ,  et  cette  com- 
plaisance criminelle  qui  te  fait  honteusement  dé- 
tourner à  un  soin  pernicieux  de  plaire  aux  hom- 
mes, celui  qui  doit  être  employé  à  plaire  à  ton  Dieu. 
C'est  pour  cela  que  Jésus  se  cache.  Il  voit  le  dé- 
sordre que  ce  vice  produit  ;  il  voit  le  ravage  que 
cette  passion  fait  dans  les  esprits ,  quelles  racines 
elle  y  a  jetées ,  et  combien  elle  corrompt  toute 
notre  vie,  depuis  l'enfîince  jusqu'à  la  mort  :  il 
voit  les  vertus  qu'elle  étouffe  par  cette  crcdnte 
lâche  et  honteuse  de  paraître  sage  et  dévot  :  il 
voit  les  crimes  qu'elle  fait  commettre ,  ou  pour 
s'accommoder  à  la  société  par  une  damnable  com- 
plaisance ,  ou  pour  satisfaire  l'ambition  à  laquelle 
on  sacrifie  tout  dans  le  monde.  Mais ,  fidèles ,  ce 
n'est  pas  tout  :  il  voit  que  ce  désir  de  paraître  dé- 
truit les  vertus  les  plus  éminentes ,  en  leur  faisant 
prendre  le  change,  en  substituant  la  gloire  du 
monde  à  la  place  de  celle  du  ciel ,  en  nous  faisant 
faire  pour  l'amour  des  hommes  ce  qu'il  faut  faire 
pour  l'amour  de  Dieu.  Jésus-Christ  voit  tous  ces 
malheurs ,  causés  par  le  désir  de  paraître  ;  et  il  se 
\    cache,  pour  nous  enseigner  à  mépriser  le  bruit 
et  l'éclat  du  monde.  Il  ne  croit  pas  que  sa  croix 
suffise  pour  dompter  cette  passion  furieuse;  il 
choisit ,  s'il  se  peut ,  un  état  plus  bas ,  et  ou  il  est 
en  quelque  sorte  plus  anéanti. 

•  Pial.  X  ,  4. 

*  ihii. 


Car  enfin  je  ue  craindrai  pas  de  le  dire  :  Mon 
Sauveur,  je  vous  connais  mieux  à  la  croix  et  dans 
la  honte  de  votre  supplice ,  que  je  ne  fais  dans 
cette  bassesse  et  dans  cette  vie  inconnue.  Quoi- 
que votre  corps  soit  tout  déchiré ,  que  votre  face 
soit  ensanglantée ,  et  que ,  bien  loin  de  paraître 
Dieu,  vous  n'ayez  pas  même  la  figure  d'homme; 
toutefois  vous  ne  m'êtes  pas  si  caché,  et  je  vois , 
au  travers  de  tant  de  nuages ,  quelque  i*ayon  de 
votre  grandeur,  dans  cette  constante  résolution 
par  laquelle  vous  surmontez  les  plus  grands  tour- 
ments. Votre  douleur  a  de  la  dignité,  puisqu'elle 
vous  fait  trouver  un  adorateur  dans  l'un  des 
compagnons  de  votre  supplice.  Mais  ici  je  ne  vois 
rien  que  de  bas  ;  et  daus  cet  état  d'anéantisse- 
ment ,  un  ancien  a  raison  de  dire ,  que  vous  êtes 
injurieux  à  vous-même  :  Adultus  non  gestit  ag- 
nosci,  se d  coutume liosus  insuper  sibi  est^  Il 
est  injurieux  à  lui-même ,  parce  qu'il  semble  qu'il 
ne  fait  rien ,  et  qu'il  est  inutile  au  monde.  Mais 
il  ne  refuse  pas  cette  ignominie ,  il  veut  bien  que 
cette  injure  soit  ajoutée  à  toutes  les  autres  qu'il 
a  souffertes,  pourvu  qu'en  se  cachant  avec  Joseph 
et  avec  l'heureuse  Marie,  il  nous  apprenne, 
par  ce  grand  exemple ,  que  s'il  se  produit  quel- 
que jour  au  monde ,  ce  sera  par  le  désir  de  nous 
profiter,  et  pour  obéir  à  son  Père;  qu'en  effet, 
toute  la  grandeur  consiste  à  nous  conformer  aux 
ordres  de  Dieu ,  de  quelque  sorte  qu'il  lui  plaise 
disposer  de  nous;  et  enfin  que  cette  obscurité, 
que  nous  craignons  tant,  est  si  illustre  et  si  glo- 
rieuse, qu'elle  peut  être  choisie  même  par  un  Dieu. 
Voila  ce  que  nous  enseigne  Jésus-Christ  caché 
avec  toute  son  humble  famille ,  avec  Marie  et  Jo- 
seph, qu'il  associe  à  l'obscurité  de  sa  vie,  à  cause 
qu'ils  lui  sont  très-chers.  Prenons-y  donc  part 
avec  eux,  et  cachons-nous  avec  Jésus-Christ. 

Chrétiens ,  ne  savez-vous  pas  que  Jésus-Christ 
est  encore  caché?  11  souffre  qu'on  blasphème 
tous  les  jours  son  nom,  et  qu'on  se  moque  de  son 
Évangile,  parce  que  l'heure  de  sa  grande  gloire 
n'est  pas  arrivée.  Il  est  caché  avec  son  Père ,  et 
nous  sommes  cachés  en  Dieu  avec  lui ,  comme 
parle  le  divin  apôtre.  Puisque  nous  sommes  ca- 
chés avec  lui,  ce  n'est  pas  en  ce  lieu  d'exil  que 
nous  devons  rechercher  la  gloire.  Mais  quand 
Jésus  se  montrera  en  sa  majesté,  ce  sera  alors  le 
temps  de  paraître  :  Cum  Christus  apparuerit, 
tune  et  simul  apparebimus  cum  illo  in  gloria*. 
0  Dieu ,  qu'il  fera  beau  paraître  en  ce  jour,  où 
Jésus  nous  louera  devant  ses  saints  anges ,  à  la 
face  de  tout  l'univers,  et  devant  son  Père  céleste  ! 
Quelle  nuit,  quelle  obscurité  assez  longue  pourra 
nous  mériter  cette  gloire?  Que  les  hommes  se  tat 


»  Tertul.  de  Patient,  n*  3. 
*  Colou.  III ,  4. 


«7. 


■>'^0  PAi\ËGYRIQUE 

sent  de  nous  éternellement,  pourvu  que  Jésus- 
Ghrist  en  parle  en  ce  jour.  Toutefois  craignons, 
chrétiens,  craignons  cette  terrible  parole  qu'il  a 
prononcée  dans  son  Évangile  :  «  Vous  avez  reçu 
"  votre  récompense'.  »  Vous  avez  voulu  la  gloire 
des  hommes  :  vous  l'avez  eue;  vous  êtes  payé  ;  il 
n'y  a  plus  rien  ù  attendre.  0  envie  ingénieuse  de 
notre  ennemi,  qui  nous  donne  les  yeux  des 
hommes,  afin  de  nous  ôter  ceux  de  Dieu  ;  qui  par 
une  reconnaissance  malicieuse  s'offre  à  récom- 
penser nos  vertus ,  de  peur  que  Dieu  ne  les  récom- 
pense !  Malheureux ,  je  ne  veux  point  de  ta  gloire  : 
ni  ton  éclat  ni  ta  vaine  pompene  peuvent  pas  payer 
mes  travaux.  J'attends  ma  couronne  d'une  main 
plus  chère ,  et  ma  récompense  d'un  bras  plus  puis- 
sant. Quand  Jésus  paraîtra  en  sa  majesté ,  c'est 
alors ,  c'est  alors  que  je  veux  paraître. 

C'est  là,  fidèles, que  vous  verrez  ce  que  je  ne 
pu>s  vous  dire  aujourd'hui  :  vous  découvrirez  les 
merveilles  de  la  vie  cachée  de  Joseph;  vous  sau- 
rez ce  qu'il  a  fait  durant  tant  d'années,  et  com- 
bien il  est  glorieux  de  se  cacher  avec  Jésus-Christ. 
Ah  !  sans  doute ,  il  n'est  pas  de  ceux  qui  ont  reçu 
leur  récompense  en  ce  monde  :  c'est  pourquoi  il 
paraîtra  alors,  parce  qu'il  n'a  pas  paru;  il  écla- 
tera ,  parce  qu'il  n'a  point  éclaté.  Dieu  réparera 
l'obscurité  de  sa  vie  ;  et  sa  gloire  sera  d'autant 
plus  grande ,  qu'elle  est  réservée  pour  la  vie  fu- 
ture. 

Aimons  donc  cette  vie  cachée ,  où  Jésus  s'est 
enveloppé  avec  Joseph.  Qu'importe  que  les  hom- 
mes nous  voient?  Celui-là  est  follement  ambi- 
tieux, à  qui  les  yeux  de  Dieu  ne  suffisent  pas;  et 
c'est  lui  faire  trop  d'injure ,  que  de  ne  se  conten- 
ter pas  de  l'avoir  pour  spectateur.  Que  si  vous 
êtes  dans  les  grandes  charges ,  et  dans  les  emplois 
importants  ;  si  c'est  une  nécessité  que  votre  vie 
soit  toute  publique ,  méditez  du  moins  sérieuse- 
ment que  vous  ferez  enfin  une  mort  privée ,  puis- 
que tous  ces  honneurs  ne  vous  suivront  pas.  Que 
le  bruit  que  les  hommes  font  autour  de  vous  ne 
vous  empêche  pas  d'écouter  les  paroles  du  Fils  de 
Dieu.  Il  ne  dit  pas  :  Heureux  ceux  qu'on  loue  î 
mais  il  dit  dans  son  Évangile  :  '«  Heureux  ceux 
«  que  l'on  maudit  pour  l'amour  de  moi  '  !  »  Trem- 
blez donc ,  dans  cette  gloire  qui  vous  environne , 
de  ce  que  vous  n'êtes  pas  jugés  dignes  des  oppro- 
bres de  l'Évangile.  Mais  si  le  mondenous  les  refuse, 
chrétiens,  faisons-nous-en  à  nous-mêmes;  re- 
prochons-nous devant  Dieu  notre  ingratitude ,  et 
iûos  vanités  ridicules  :  mettons-nous  à  nous-mê- 
mes devant  notre  face  toute  la  honte  de  notre  vie  ; 
soyons  du  moins  obscurs  à  nos  yeux ,  par  une  hum- 
ble confession  de  nos  crimes;  etparticipons  comme 


Matth.  \l , 
Jùid.  V,  II. 


nous  pouvons  à  la  confusion  de  Jésus,  afin  de  par 
ticiper  à  sa  gloire.  Amen. 

Madame, 
Cette  grandeur  qui  vous  environne,  empêche 
sans  doute  Votre  Majesté  de  pouvoir  goûter  avec 
Jésus-Christ  cette  obscurité  bienheureuse.  Votre 
vie  est  dans  la  lumière ,  votre  piété  perce  les  nua-  '. 
ges  dans  lesquels  votre  humilité  veut  l'envelopper. 
Les  victoires  de  notre  grand  roi  relèvent  l'éclat  de 
votre  couronne;  et  ce  qui  surpasse  toutes  les  vic- 
toires ,  c'est'qu'on  ne  parle  pluspar  toute  laFrance 
que  de  cette  ardeur  toute  chrétienne  avec  laquelle 
Votre  Majesté  travaille  à  faire  descendre  la  paix 
sur  la  terre,  d'où  nos  crimes  l'ont  bannie  depuis 
tant  d'années,  et  à  rendre  le  calme  à  cet  État, 
après  en  avoir  soutenu  toutes  les  tempêtes  avec 
une  résolution  si  constante.  Parmi  tant  de  gloire 
et  tant  de  grandeur,  quelle  part  peut  prendre  Vo- 
tre Majesté  à  l'obscurité  de  Jésus-Christ,  et  aux 
opprobres  de  son  Évangile?  Puisque  le  monde 
s'efforce  à  lui  donner  des  louanges,  où  pourra-t- 
elle  trouver  de  l'humiliation,  si  elle  ne  la  prend 
d'elle-même?  C'est,  madame,  ce  qui  oblige  Votre 
Majesté,  lorsqu'elle  se  retire  avec  Dieu,  de  se' 
dépouiller  à  ses  pieds  de  toute  cette  magnificence 
royale,  qui  aussi  bien  s'évanouit  devant  lui;  et  là 
de  se  couvrir  humblement  la  face  de  la  sainte  con  - 
fusion  de  la  pénitence.  C'est  trop  flatter  les  grands, 
que  de  leur  persuader  qu'ils  sont  impeccables  : 
au  contraire,  qui  ne  sait  pas  que  leur  condition 
éjninente  leur  apporte  ce  mal  nécessaire,  que  leurs 
fautes  ne  peuvent  presque  être  médiocres?  C'est, 
madame,  dans  la  vue  de  tant  de  périls,  que  Votre 
Majesté  doit  s'humilier.  Tous  les  peuples  loueront 
sa  sage  conduite  dans  toute  l'étendue  de  leurs 
cœurs;  elle  seule  s'accusera,  elle  seule  se  confon- 
dra devant  Dieu ,  et  participera  par  ce  moyen 
aux  opprobres  de  Jésus-Christ,  pour  participer 
à  sa  gloire,  que  je  lui  souhaite  éternelle.  Amoi. 


••••»••« 


DEUXIEME  PANÉGYRIQUE 

DE 

SAINT  JOSEPH , 

PRÊCHÉ  DEVANT  LA    RElNÈ. 

La  simplicité,  le  détachement,  l'amour  de  la  vie  cacht'e, 
trois  vertus  qui  forment  le  caractère  de  l'homme  de  Lku, 
et  qui  rendent  salut  Joseph  digne  de  louange. 


Quœsivit  sibl  Deus  virum  juxta  cor  suum. 
Le  Seigneur  s'est  cherché  un  homme  selon  «on  cœur. 
I.  Heg.  xui,  14. 

Cet  homme ,  selon  le  cœur  de  Dieu ,  ne  se  mon- 
tre pas  au  dehors,  et  Dieu  ne  le  choisit  pas  sur  les 


DE  SAINT  JOSEPH . 


421 


apporences,  ni  sur  le  témoignage  de  la  voix  pu- 
blique. Lorsqu'il  envoya  Samuel  dans  la  maison 
de  Jessé,  pour  y  trouver  David,  le  premier  de 
tous  qui  a  mérité  cet  éloge  ;  ce  grand  homme , 
que  Dieu  destinait  à  la  plus  auguste  couronne  du 
monde ,  n'était  pas  même  connu  dans  sa  famille. 
On  présente ,  sans  songer  à  lui ,  tous  ses  aînés  au 
prophète  ;  mais  Dieu ,  qui  ne  juge  pas  à  la  manière 
des  hommes ,  l'avertissait  en  secret  de  ne  regar- 
der pas  à  leur  riche  taille ,  ni  à  leur  contenance 
hardie  :  si  bien  que,  rejetant  ceux  que  Ton  pro- 
duisait dans  le  monde,  il  fit  approcher  celui  que 
l'on  envoyait  paître  les  troupeaux  ;  et  versant  sur 
sa  tête  l'onction  royale ,  il  laissa  ses  parents  éton- 
nés d'avoir  si  peu  jusqu'alors  connu  ce  fils ,  que 
Dieu  choisissait  avec  un  avantage  si  extraordi- 
naire. 

Une  semblable  conduite  de  la  Providence  di- 
vine me  fait  appliquer  aujourd'hui  à  Joseph ,  le 
fils  de  David,  ce  quia  été  dit  de  David  lui-même. 
Le  temps  était  arrivé  que  Dieu  cherchât  un  homme 
selon  son  cœur,  pour  déposer  en  ses  mains  ce 
qu'il  avait  de  plus  cher  ;  je  veux  dire  la  personne 
de  son  Fils  unique ,  l'intégrité  de  sa  sainte  mère , 
le  salut  du  genre  humain,  le  secret  le  plus  sacré 
de  son  conseil ,  le  trésor  du  ciel  et  de  la  terre.  Il 
laisse  Jérusalem  et  les  autres  villes  renommées; 
il  s'arrête  sur  Nazareth  ;  et  dans  cette  bourgade 
inconnue  il  va  choisir  encore  un  homme  inconnu , 
un  pauvre  artisan ,  Joseph  en  un  mot ,  pour  lui 
confier  un  emploi  dont  les  anges  du  premier  ordre 

seraient  sentis  honorés ,  afin  ,  messieurs ,  que 
|nous  entendions  que  l'homme  selon  le  cœur  de 
>ieu  doit  être  lui-même  cherché  dans  le  cœur,  et 
lue  ce  sont  les  vertus  cachées  qui  le  rendent  digne 
le  cette  louange.  Comme  je  me  propose  aujour- 
d'hui de  traiter  ces  vertus  cachées ,  c'est-à-dire , 
fde  vous  découvrir  le  cœur  du  juste  Joseph ,  j'ai 
besoin  plus  que  jamais,  chrétiens,  que  celui  qui 
[s'appelle  le  Dieu  de  nos  cœurs  '  m'éclaire  par  son 
|Saint-Esprit.  Mais  quelle  injure  ferions-nous  à 
^a  divine  Marie,  si  ayant  accoutumé  en  d'autres 
sujets  de  lui  demander  son  secours ,  maintenant 
[qu'il  s'agit  de  son  saint  époux ,  nous  ne  nous  ef- 
forcions de  lui  dire  avec  une  dévotion  particu- 
lière :  Ave. 

C'est  un  vice  ordinaire  aux  hommes,  de  se  don- 
t ncr  entièrement  au  dehors ,  et  de  négliger  le  de- 
;  datjs  ;  de  travailler  à  la  montre  et  à  l'apparence , 
et  de  mépriser  l'effectif  et  le  solide  ;  de  songer  sou- 
•  vent  quels  ils  paraissent ,  et  de  ne  penser  point 
quels  ils  doivent  être.  C'est  pourquoi  les  vertus 
qui  sont  estimées,  ce  sont  celles  qui  se  mêlent  d'af- 

'  Ps.  L\x:i,  26. 


faires ,  et  qui  entrent  dans  le  commerce  des  liom- 
nies:au  contraire  ,  les  vertus  cachées  et  intérieu- 
res, où  le  public  n'a  point  de  part,  où  tout  se 
passe  entre  Dieu  et  l'homme ,  non-seulement  ne 
sont  pas  suivies ,  mais  ne  sont  pas  même  enten- 
dues. Et  toutefois ,  c'est  dans  ce  secret  que  con- 
siste tout  le  mystère  de  la  vertu  véritable.  En 
vain  pensez-vous  former  un  bon  magistrat ,  si 
vous  ne  faites  auparavant  un  homme  de  bien  :  en 
vain  vous  considérez  quelle  place  vous  pourrez 
remplir  dans  la  société  civile ,  si  vous  ne  méditez 
auparavant  quel  homme  vous  êtes  en  particulier. 
Si  la  société  civile  élève  un  édifice ,  l'architecte 
fait  tailler  premièrement  une  pierre ,  et  puis  ou 
la  pose  dans  le  bâtiment.  Il  faut  composer  un 
homme  en  lui-même ,  avant  que  de  méditer  quel 
rang  on  lui  donnera  parmi  les  autres  ;  et  si  l'on  ne 
travaille  sur  ce  fonds,  toutes  les  autres  vertus ,  si 
éclatantes  qu'elles  puissent  être ,  ne  seront  que 
des  vertus  de  parade,  et  appliquées  par  le  dehors , 
qui  n'auront  point  de  corps  ni  de  vérité.  Elles 
pourront  nous  acquérir  de  l'estime ,  et  rendre  nos 
mœurs  agréables  ;  enfin  elles  pourront  nous  for- 
mer au  gré  et  selon  le  cœur  des  hommes;  mais  il' 
n'y  a  que  les  vei-tus particulières  qui  aient  ce  droit 
admirable ,  de  nous  composer  au  gré  et  selon  le 
cœur  de  Dieu. 

Ce  sont  ces  vertus  particulières,  c'est  cet 
homme  de  bien ,  cet  homme  au  gré  de  Dieu  et  se- 
lon son  cœur,  que  je  veux  vous  montrer  aujour- 
d'hui en  la  personne  du  juste  Joseph.  Je  laisse  les 
dons  et  les  mystères  qui  pourraient  relever  sou 
panégv  rique.  Je  ne  vous  dis  plus,  chrétiens,  qu'il 
est  le  déiK)sitaire  des  trésors  célestes,  le  père  de 
Jésus-Christ,  le  conducteur  de  son  enfance,  le 
protecteur  de  sa  vie ,  l'époux  et  le  gardien  de  sa 
sainte  mère.  Je  veux  taire  tout  ce  qui  éclate,  pour 
faire  l'éloge  d'un  saint,  dont  la  principale  gran- 
deur est  d'avoir  été  à  Dieu  sans  éclat.  Les  vertus 
mêmes  dont  je  parlerai  ne  sont  ni  de  la  société  ni 
du  commerce  ;  tout  est  renfermé  dans  le  secret  de 
sa  conscience.  La  simplicité ,  le  détachement ,  l'a- 
mour de  la  vie  cachée  sont  donc  les  trois  vertus 
du  juste  Joseph,  que  j'ai  dessein  de  vous  proposer. 
Vous  me  paraissez  étonnés  de  voir  l'éloge  d'un 
si  grand  saint ,  dont  la  vocation  est  si  haute ,  ré- 
duit à  trois  vertus  si  communes  :  mais  sachez 
qu'en  ces  trois  vertus  consiste  le  caractère  de  cet 
homme  de  bien  dont  nous  parlons  ;  et  il  m'est  aisé 
de  vous  faire  voir  que  c'est  aussi  en  ces  trois  ver- 
tus que  consiste  le  caractère  du  juste  Joseph.  Car, 
mes  sœurs,  cet  homme  de  bien ,  que  nous  consi- 
dérons ,  pour  être  selon  le  cœur  de  Dieu ,  il  faut 
premièrement  qu'il  le  cherche;  en  second  lieu  , 
qu'il  le  trouve;  en  troisième  lieu ,  qu'il  en  jouisse. 
Quiconque  cherche  Dieu ,  qu'il  cherche  en  si^^ 


429  PANÉGYRIQUE 

plicité  celui  qui  ne  peut  souffrir  les  voies  détour- 
nées. Quiconque  veut  trouver  Dieu ,  qu'il  se  dé- 
tache de  toutes  choses ,  pour  trouver  celui  qui 
veut  être  lui  seul  tout  notre  bien.  Quiconque  veut 
jouir  de  Dieu ,  qu'il  se  cache  et  qu'il  se  retire , 
pour  jouir  en  repos ,  dans  la  solitude ,  de  celui  qui 
ne  se  communique  point  parmi  le  trouble  et  l'agi- 
tation du  monde.  C'est  ce  qu'a  fait  notre  patriar- 
che. Joseph,  homme  simple,  a  cherché  Dieu; 
Joseph ,  homme  détaché ,  a  trouvé  Dieu  ;  Joseph , 
homme  retiré,  a  joui  de  Dieu  :  c'est  le  partage  de 
ce  discours. 


PREMIER   POINT. 

Le  chemin  de  la  vertu  n'est  pas  de  ces  gran- 
des routes  dans  lesquelles  on  peut  s'étendre  avec 
liberté  :  au  contraire,  nous  apprenons  par  les 
saintes  Lettres  que  ce  n'est  qu'un  petit  sentier,  et 
une  voie  étroite  et  serrée ,  et  tout  ensemble  extrê- 
mement droite  :  Semita  justi  recta  est,  reclus 
callisjusti  ad  ainbulandum  '.  Par  où  nous  de- 
vons apprendre  qu'il  faut  y  marcher  en  simpli- 
cité, et  dans  une  grande  droiture.  Si  peu  non- 
seulement  que  l'on  se  détourne ,  mais  même  que 
Ion  chancelle  dans  cette  voie ,  on  tombe  dans  les 
écueils  dont  elle  est  environnée  de  part  et  d'au- 
tre. C'est  pourquoi  le  Saint-Esprit  voyant  ce  pé- 
ril ,  nous  avertit  si  souvent  de  marcher  dans  la 
voie  qu'il  nous  a  marquée ,  sans  jamais  nous  dé- 
tourner à  droite  ou  à  gauche  :  Non  declinabitis 
neque  ad  dexteram  neque  ad  sinistram  '  ;  nous 
enseignant ,  par  cette  parole,  que  pour  tenir  cette 
voie,  il  faut  dresser  tellement  son  intention ,  qu'on 
ne  lui  permette  jamais  de  se  relâcher,  ni  défaire 
le  moindre  pas  de  côté  ou  d'autre. 

C'est  ce  qui  s'appelle  dans  les  Écritures  avoir 
le  cœur  droit  avec  Dieu ,  et  marcher  en  simpli- 
cité devant  sa  face.  C'est  le  seul  moyen  de  le  cher- 
cher, et  la  voie  unique  pour  aller  à  lui  ;  parce  que, 
comme  dit  le  Sage ,  »  Dieu  conduit  le  juste  par 
«  les  voies  droites  :  »  Justum  deduxit  Dominus 
per  vias  rectas^.  Car  il  veut  qu'on  le  cherche  avec 
grande  ardeur  ;  et  ainsi  que  l'on  prenne  les  voies 
les  plus  courtes ,  qui  sont  toujours  les  plus  droi- 
tes :  si  bien  qu'il  ne  croit  pas  qu'on  le  cherche , 
loi-squ'on  ne  marche  pas  droitement  à  lui.  C'est 
pourquoi  il  ne  veut  point  ceux  qui  s'arrêtent,  il 
ne  veut  point  ceux  qui  se  détournent,  il  ne  veut 
point  ceux  qui  se  partagent.  Quiconque  prétend 
partager  son  cœur  entre  la  terre  et  le  ciel,  ne 
Jonne  rien  au  ciel ,  et  tout  à  la  terre ,  parce  que 
la  terre  retient  ce  qu'il  lui  engage,  et  que  le  ciel 
n'accepte  pas  ce  qu'il  lui  offre. 


'   Jï.  XXVI,  7. 

'  !><•«<.  V,  32;  xyii, 
3  Sap.  X,  10. 


11.  Prov.  lY,  37.  Is.  XXX ,  21. 


Vous  devez  entendre,  parce  discours,  que  cet!  o 
bienheureuse  simplicité  t^t  vantée  dans  les  sain- 
tes Lettres ,  c'est  une  certaine  droiture  de  cœur  et 
une  pureté  d'intention  ;  et  l'acte  principal  de  cette 
vertu ,  c'est  d'aller  à  Dieu  de  bonne  foi ,  et  sans^ 
s'en  imposer  à  soi-même  :  acte  nécessaire  et  im- 
portant, qu'il  faut  que  je  vous  explique.  Ne  vous 
persuadée  pas,  chrétiens,  que  je  parle  ainsi  sans 
raison  :  car  si  dans  la  voie  de  la  vertu  il  y  en  a  qui 
trompent  les  autres ,  beaucoup  aussi  se  trompent 
eux-mêmes.  Ceux  qui  se  partagent  entre  les  deux 
voies,  qui  veulent  avoir  un  pied  dans  l'une  et  dans 
l'autre,  qui  se  donnent  tellement  à  Dieu,  qu'ils 
ont  toujours  un  regard  au  monde  ;  ceux-là  ne  mar- 
chent point  en  simplicité ,  ni  devant  Dieu  ni  de- 
vant les  hommes ,  et  n'ont  point  par  conséquent 
de  vertu  solide.  Ils  ne  sont  pas  droits  avec  les 
hommes,  parce  qu'ils  imposent  à  leur  vue  par 
l'image  d'une  piété  qui  ne  peut  être  que  contre- 
faite, étant  altérée  par  le  mélange  :  ils  ne  sont  pas 
droits  devant  Dieu ,  parce  que ,  pour  plaire  à  ses 
yeux ,  il  ne  suffit  pas ,  chrétiens ,  de  produue  par 
étude  et  par  artifice  des  actes  de  vertu  empruntés, 
et  des  directions  d'intention  forcées. 

Un  homme  engagé  dans  l'amour  du  monde , 
viole  tous  les  jours  les  lois  les  plus  saintes  de  la 
bonne  foi,  ou  de  l'amitié,  ou  de  l'équité  naturelle, 
que  nous  devons  aux  plus  étrangers,  pour  satis 
faire  à  son  avarice.  Cependant  sur  une  certaine 
inclination  vague  et  générale ,  qui  lui  reste  pour 
la  vertu,  il  s'imagine  être  homme  de  bien,  et  il 
en  veut  produire  des  actes  :  mais  quels  actes ,  ô 
Dieu  tout-puissant?  Il  a  ouï  dire  à  ses  directeurs 
ce  que  c'est  qu'un  acte  de  détachement ,  ou  un 
acte  de  contrition  et  de  repentance  :  il  tire  de  sa 
mémoire  les  paroles  qui  le  composent ,  ou  l'image 
des  sentiments  qui  le  forment.  Il  les  applique 
comme  il  peut  sur  sa  volonté ,  car  je  ne  puis  dire 
autre  chose ,  puisque  son  intention  y  est  opposée  : 
et  il  s'imagine  être  vertueux;  mais  il  se  trompe, 
il  s'abuse,  il  se  joue  de  lui-même. 

Pour  se  rendre  agréable  à  Dieu,  il  ne  suffit 
pas,  chrétiens,  de  tirer  par  artifice  des  actes  de 
vertu  forcés ,  et  des  directions  d'intention  étu- 
diées. Les  actes  de  piété  doivent  naître  du  fond 
du  cœur,  et  non  pas  être  empruntés  de  l'esprit 
ou  de  la  mémoire.  Mais  ceux  qui  viennent  du 
cœur,  ne  souffrent  point  de  partage.  «  Nul  ne 
«  peut  servir  deux  maîtres  '  :  »  Dieu  ne  peut  souf- 
frir cette  intention  louche,  si  je  puis  parler  de  la 
sorte ,  qui  regarde  de  deux  côtés  en  un  même 
temps.  Les  regards ,  ainsi  partagés ,  rendent  l'a- 
bord d'un  homme  choquant  et  difforme,  et  l'âme 
se  défigure  elle-même ,  quand  elle  tourne  en  deux 

>  Mu  il  h,  vi,U. 


DE'SALNT  JOSEPH. 


4f3 


endroits  ses  intentions.  «  Il  faut ,  dit  le  Fils  de 
"  Dieu  ' ,  que  votre  œil  soit  simple  ;  »  c'est-à-dire , 
que  votre  regard  soit  unique;  et  pour  parler  en- 
core en  termes  plus  clairs,  que  l'intention  pure 
et  dégagée  s'appliquant  tout  entière  à  la  même 
fin ,  le  cœur  prenne  sincèrement  et  de  bonne  foi 
les  sentiments  que  Dieu  veut.  Mais  ce  que  j'en  ai 
dit  en  général ,  se  connaîti-a  mieux  dans  l'exem- 
ple. 

Dieu  a  ordonné  au  juste  Joseph  de  recevoir  la 
divine  Vierge  comme  son  épouse  fidèle ,  pendant 
que  sa  grossesse  semble  la  convaincre  ;  de  regar- 
der comme  son  fils  propre ,  un  enfant  qui  ne  le 
touche  que  parce  qu'il  est  dans  sa  maison  ;  de  ré- 
vérer comme  son  Dieu,  celui  auquel  il  est  obligé 
de  servir  de  protecteur  et  de  gardien.  Dans  ces 
trois  choses,  mes  frères,  où  il  faut  prendre  des 
sentiments  délicats,  et  que  la  nature  ne  peut  pas 
donner,  il  n'y  a  qu'une  extrême  simplicité  qui 
puisse  rendre  le  cœur  docile  et  traitable.  Voyons 
ce  que  fera  le  juste  Joseph.  Nous  remarquerons, 
en  son  lieu ,  qu'à  l'égard  de  sa  sainte  Épouse,  ja- 
mais le  soupçon  ne  fut  plus  modeste,  ni  le  doute 
plus  respectueux  :  mais  enfin  il  était  si  juste , 
qu'il  ne  pouvait  pas  se  désabuser  sans  que  le  ciel 
s'en  mêlât.  Aussi  un  ange  lui  déclare,  de  la  part 
de  Dieu,  qu'elle  a  conçu  de  son  Saint-Esprit'. 
Si  son  intention  eût  été  moins  droite ,  s'il  n'eût  été 
à  Dieu  qu'à  demi ,  il  ne  se  serait  pas  rendu  tout 
à  fait  ;  il  serait  demeuré  au  fond  de  son  âme  quel- 
que reste  de  soupçon  mal  guéri ,  et  son  affection 
pour  la  sainte  Vierge  aurait  toujours  été  douteuse 
et  tremblante.  Mais  son  cœur,  qui  cherche  Dieu 
en  simplicité,  ne  sait  point  se  partager  avec  Dieu  : 
il  n'a  point  de  peine  à  connaître  que  la  vertu  in- 
corruptible de  sa  sainte  Épouse  méritait  le  témoi- 
gnage du  ciel.  Il  surpasse  la  foi  d'Abraham ,  bien 
qu'il  nous  soit  donné  dans  les  Écritures  ^  comme 
le  modèle  de  la  foi  parfaite.  Abraham  est  loué 
dans  les  saintes  Lettres,  pour  avoir  cru  l'enfan- 
tement d'une  stérile^  :  Joseph  a  cru  celui  d'ime 
vierge,  et  il  a  reconnu  en  simplicité  ce  grand  et 
impénétrable  mystère  de  la  virginité  féconde 

Mais  voici  quelque  chose  de  plus  admirable. 
Dieu  veut  que  vous  receviez  comme  votre  fils 
cet  enfant  de  la  pureté  de  Marie.  Vous  ne  parta- 
gerez pas  avec  cette  Vierge  l'honneur  de  lui  don- 
ner la  naissance,  parce  que  la  >1rginité  y  serait 
blessée  ;  mais  vous  partagerez  avec  elle  ces  soins , 
ees  veilles,  ces  inquiétudes  par  lesquelles  elle 
élèvera  ce  cher  fils  :  vous  tiendrez  lieu  de  père 
à  ce  saint  enfant ,  qui  n'en  a  point  sur  la  terre  ;  et 

V  r.uc.  XI,  34. 
»  .VottA.  1 ,  20. 
»  Kom.  IV,  1 1  et  seqq. 

•  Gencs.  XV,  C. 


quoique  vous  ne  le  soyez  pas  par  la  nature ,  il 
faut  que  vous  le  deveniez  par  l'affection.  Mais 
comment  s'accomplira  un  si  grand  ouvrage?  Où 
prendra-t-il  ce  cœur  paternel ,  si  la  nature  ne  le 
lui  donne  pas?  Ces  inclinations  peuvent-elles 
s'acquérir  par  choix ,  et  ne  craindrons-nous  pas 
en  ce  lieu  ces  mouvements  empruntés  et  ces  af- 
fections artificielles ,  que  nous  venons  de  repren- 
dre tout  à  l'heure?  INon,  mes  frères;  ne  le  crai- 
gnons pas.  Un  cœur  qui  cherche  Dieu  en  simplicité, 
est  une  terre  molle  et  humide ,  qui  reçoit  la  forme 
qu'il  lui  veut  donner;  ce  que  Dieu  veut  lui  passe 
en  nature.  Si  donc  c'est  la  volonté  du  Père  céleste 
que  Joseph  tienne  sa  place  en  ce  monde ,  et  qu'il 
serve  de  père  à  son  Fils,  il  ressentira,  n'en  dou- 
tez pas,  pour  ce  saint  et  divin  Enfant ,  cette  in- 
clination naturelle ,  toutes  ces  douces  émotions , 
tous  ces  tendres  empressements  d'un  cœur  pa- 
ternel. 

En  effet,  durant  ces  trois  jours  que  le  Fils  de 
Dieu  s'était  dérobé ,  pour  demeurer  dans  le  tem- 
ple avec  les  docteurs,  il  est  aussi  touché  que  la 
mère  même ,  et  elle  le  sait  bien  reconnaître  :  Pa- 
ter tuus  et  ego  dolentes  quœrebamus  /e  •  ;  «  Votre 
«  père  et  moi  étions  affligés.  »  Voyez  qu'elle  la 
joint  avec  elle  dans  la  société  des  douleurs.  Je  na 
crains  pas  de  l'appeler  ici  votre  père ,  et  je  ne  pré- 
tends pas  faire  tort  à  la  pureté  de  votre  naissance  : 
il  s'agit  de  soins  et  d'inquiétudes;  et  c'est  par  la 
que  je  puis  dire  qu'il  est  votre  père ,  puisqu'il  a 
vraiment  des  inquiétudes  paternelles.  Voyez, 
messieurs ,  comme  ce  saint  homme  prend  simple- 
ment, et  de  bonne  foi,  les  sentiments  que  Dieu 
lui  ordonne.  Mais  aimant  Jésus-Christ  comme  son 
fils,  se  pourra-t-il  faire,  mes  sœurs,  qu'il  le  ré- 
vère comme  son  Dieu?  Sans  doute,  et  il  n'y  au- 
rait rien  de  plus  difficile ,  si  Fa  sainte  simplicité 
n'avait  rendu  son  esprit  docile ,  pour  céder  sans 
peine  aux  ordres  divins. 

Voici ,  chrétiens ,  le  dernier  effort  de  la  simpli- 
cité du  juste  Joseph ,  dans  la  pureté  de  sa  foi.  Le 
grand  mystère  de  notre  foi,  c'est  de  croire  un 
Dieu  dans  la  faiblesse.  Mais  afm  de  bien  compren- 
dre ,  mes  sœurs ,  combien  est  parfaite  la  foi  de 
Joseph ,  il  faut,  s'il  vous  plaît,  remarquer  que  la 
faiblesse  de  Jésus-Christ  peut  être  considérée  en 
deux  états  ;  ou  comme  étant  soutenue  par  quelque 
effet  de  puissance,  ou  comme  étant  délaissée  et 
abandonnée  à  elle-même.  Dans  les  dernières  an- 
nées de  la  vie  de  notre  Sauveur,  quoique  l'infir- 
mité de  sa  chair  fût  visible  par  ses  souffrances, 
sa  toute-puissance  divine  ne  l'était  pas  moins  par 
ses  miracles.  Il  est  vrai  qu'il  paraissait  homme ^ 
mais  cet  homme  disait  des  choses  qu'aucun  homme 

'  Luc  II ,  4». 


424 


PA^EGYRIQtJE 


n'avait  jamais  dites  ;  mais  cet  homjiie  faisait  des 
choses  qu'aucun  homme  n'avait  jamais  faites. 
Alors  la  faiblesse  étant  soutenue,  je  ne  m'étonne 
pas  que  dans  cet  état  Jésus  ait  attiré  des  adora- 
teurs ,  les  marques  de  sa  puissance  pouvant  don- 
ner iieu  de  juger  que  l'infirmité  était  volontaire  ; 
et  la  foi  n'était  pas  d'un  si  grand  mérite.  Mais  en 
l'état  que  Va.  vu  Joseph ,  j'ai  quelque  peine  à  com- 
prendre comment  il  a  cru  si  fidèlement  ;  parce 
que  jamais  la  faiblesse  n'a  paru  plus  abandonnée, 
non  pas  même,  je  le  dis  sans  crainte,  dans  l'i- 
gnomînie  de  la  croix.  Car  c'était  cette  heure  im- 
portante pour  laquelle  il  était  venu  :  son  Père  l'a- 
vait délaissé;  il  était  d'accord  avec  lui  qu'il  le 
délaisserait  en  ce  jour  :  lui-même  s'abandonnait 
volontairement,  pour  être  livré  aux  mains  des 
bourreaux.  Si  durant  ces  jours  d'abandonnement 
la  puissance  de  ses  ennemis  a  été  fort  grande , 
ils  ne  doivent  pas  s'en  glorifier  ;  parce  que  les 
ayant  renversés  d'abord  par  une  seule  de  ses  pa- 
roles ,  il  leur  a  bien  fait  connaître  qu'il  ne  leur 
cédait  que  par  une  faiblesse  volontaire  :  Non  ha- 
beres potestatem  adversum  me  ullam,  nisi  tibi 
(latum  esset  desuper^  :  «  Vous  n'auriez  aucun 
«  pouvoir  sur  moi ,  s'il  ne  vous  était  donné  d'en 
"  haut.  »  Mais  eu  l'état  dont  je  parle ,  et  dans  le- 
quel le  voit  saint  Joseph ,  la  faiblesse  est  d'autant 
plus  grande,  qu'elle  semble  en  quelque  sorte 
forcée. 

Car  enfin ,  mon  divin  Sauveur,  quelle  est  en 
cette  rencontre  la  conduite  de  votre  Père  céleste? 
H  veut  sauver  les  mages  qui  vous  sont  venus 
adorer,  et  il  les  fait  échapper  par  une  autre  voie. 
Je  ne  l'invente  pas ,  chrétiens ,  je  ne  fais  que  sui- 
vre l'histoire  sainte.  Il  veut  vous  sauver  vous- 
même  ,  et  il  semble  qu'il  ait  peine  à  l'exécuter. 
Un  ange  vient  du  ciel  éveiller,  pour  ainsi  dire, 
Joseph  en  sursaut ,  et  lui  dire ,  comme  pressé  par 
un  péril  imprévu  :  «  Fuyez  vite ,  partez  cette  nuit 
«  avec  la  Mère  et  l'Enfant ,  et  sauvez-vous  en 
«  Egypte  \  «  Fuyez  :  ô  quelle  parole  !  Encore  s'il 
avait  dit  :  Retirez-vous  !  Mais  ;  fuyez  pendant  la 
nuit  :  6  précaution  de  faiblesse!  Quoi  donc,  le 
Dieu  d'Israël  ne  se  sauve  qu'à  la  faveur  des  ténè- 
bres !  Et  qui  le  dit?  C'est  un  ange  qui  arrive  sou- 
dainement à  Joseph,  comme  un  messager  ef- 
frayé :  «  de  sorte ,  dit  un  ancien  ^ ,  qu'il  semble 
«  que  tout  le  ciel  soit  alarmé,  et  que  la  terreur 
«  s'y  sort  répandue  avant  même  de  passer  à  la 
■<  terre  :  »  Utvideaturcœlumtimorttntetenuisse 
quam  ferram.  Mais  voyons  la  suite  de  cette  aven- 
ture. Joseph  se  sauve  en  Egypte ,  et  le  même  ange 
revient  à  lui  :  «  Retourne,  dit-lH,  en  Judée;  car 

'  Joan.  XIX  ,  ir. 

»  Matth.  II,  13. 

»  ^.  Petr.  Chrysol.  Serm   CLI. 

♦  XaUh.  II ,  20. 


«  ceux-là  sont  morts,  qui  cherchaient  l'âme  de 
«  l'Enfant.  »  Et  quoi!  s'ils  étaient  vivants,  uu 
Dieu  ne  serait  pas  en  sûreté?  O  faiblesse  délaissée 
et  abandonnée  !  Voilà  l'état  du  divin  Jésus;  et  en 
cet  état  saint  Joseph  l'adore  avec  la  même  sou- 
mission que  s'il  avait  vu  ses  plus  grands  miracles. 
Il  reconnaît  le  mystère  de  ce  miraculeux  délais- 
sement ,  il  sait  que  la  vertu  de  la  foi ,  c'est  de 
soutenir  l'espérance  sans  aucun  sujet  d'espérance  : 
In  spem  contra  spem  \  Il  s'abandonne  à  Dieu  en 
simplicité,  et  exécute,  sans  s'enquérir,  tout  ce 
qu'il  commande.  En  effet ,  l'obéissance  est  trop 
curieuse ,  qui  examine  les  causes  du  commande- 
ment :  elle  ne  doit  avoir  des  yeux  que  pour  con- 
sidérer son  devoir,  et  elle  doit  chérir  son  aveu- 
glement ,  qui  la  fait  marcher  en  sûreté.  Mais  cette 
obéissance  de  saint  Joseph  venait  de  ce  qu'il 
croyait  en  simplicité ,  et  que  son  esprit ,  ne  chan- 
celant pas  entre  la  raison  et  la  foi ,  suivait  avec 
une  intention  droite  les  lumières  qui  venaient 
d'en  haut.  0  foi  vive ,  ô  foi  simple  et  droite ,  que 
le  Sauveur  a  raison  de  dire  qu'il  ne  te  trouvera 
plus  sur  la  terre  *  !  Car,  mes  frères ,  comment 
croyons-nous?  Qui  nous  donnera  aujourd'hui  de 
pénétrer  au  fond  de  nous-mêmes ,  pour  voir  si  ces 
actes  de  foi ,  que  nous  faisons  quelquefois ,  sont 
véritablement  dans  le  cœur,  ou  si  ce  n'est  pas  la 
coutume  qui  les  y  amène  du  dehors? 

Que  si  nous  ne  pouvons  pas  lire  dans  nos 
cœurs,  interrogeons  nos  œuvres,  et  connaissons 
notre  peu  de  foi.  Une  marque  de  sa  faiblesse , 
c'est  que  nous  n'osons  entreprendre  de  bâtir  des. 
sus  ;  nous  n'osons  nous  y  confier,  ni  établir  sur 
ce  fondement  l'espérance  de  notre  bonheur.  Dé- 
mentez-moi ,  messieurs ,  si  je  ne  dis  pas  la  vérité. 
Lorsque  nous  flottons  incertains  entre  la  vie  chré- 
tienne et  la  vie  du  monde ,  n'est-ce  pas  un  doute 
secret  qui  nous  dit  dans  le  fond  du  cœur  :  Mais 
cette  immortalité  que  l'on  nous  promet,  est-ce 
une  chose  assurée?  et  n'est-ce  pas  trop  hasarder 
son  repos ,  son  bonheur,  que  de  quitter  ce  qu'on 
voit,  pour  suivre  ce  qu'on  ne  voit  pas?  Nous  ne 
croyons  donc  pas  en  simplicité ,  nous  ne  sommes 
pas  chrétiens  de  bonne  foi. 

Mais  je  croirais ,  direz- vous ,  si  je  voyais  un 
ange,  comme  saint  Joseph.  0  homme,  désabu- 
sez-vous :  Jonas  a  disputé  contre  Dieu ,  quoiqu'il 
fût  instruit  de  ses  volontés  par  une  vision  mani- 
feste ;  et  Job  a  été  fidèle ,  quoiqu'il  n'eût  point 
encore  été  confirmé  par  des  apparitions  extraor- 
dinaires. Ce  ne  sont  pas  les  voies  extraordinaires 
qui  font  fléchir  notre  cœur;  mais  la  sainte  simpli 
cité ,  et  la  pureté  d'intention  que  produit  la  cba- 


'  Uom.  IV,  18. 
'  Luc.  xyiii ,  b. 


DE  SAINT  JOSEPH. 


42; 


rlté  véritable ,  qui  altaclie  aisément  notre  esprit 
a  Dieu,  en  le  détachant  des  créatui-es.  C'est, 
mes  sœurs ,  ce  détachement  qui  fera  notre  se- 
conde partie. 

SECOND   POINT. 

Dieu,  qui  a  établi  son  Évangile  sur  des  contra- 
riétés mystérieuses ,  ne  se  donne  qu'à  ceux  qui 
se  contentent  de  lui ,  et  se  détachent  des  autres 
biens.  11  faut  qu'Abraham  quitte  sa  maison  et  tous 
les  attachements  de  la  terre,  avant  que  Dieu  lui 
dise  :  Je  suis  ton  Dieu.  Il  faut  abandonner  tout 
ce  qui  se  voit,  pour  mériter  ce  qui  ne  se  a  oit  pas  ; 
et  nul  ne  peut  posséder  ce  grand  tout ,  s'il  n'est 
au  monde  comme  n'ayant  rien  :  Tanquara  nihil 
habcntes  \  Si  jamais  il  y  eut  un  homme  à  qui 
Dieu  se  soit  donné  de  bon  cœur,  c'est  sans  doute 
le  juste  Joseph ,  qui  le  tient  dans  sa  maison  et 
entre  ses  mains ,  et  à  qui  il  est  présent  à  toutes 
les  heures ,  beaucoup  plus  dans  le  cœur  que  de- 
vant les  yeux.  Voilà  un  homme  qui  a  trouve  Dieu 
d'une  façon  bien  particulière  :  aussi  s'est-il  rendu 
digne  d'un  si  grand  trésor  par  un  détachement 
sans  réserve ,  puisqu'il  est  détaché  de  ses  pas- 
sions, détaché  de  son  intérêt  et  de  son  propre 
repos. 

Deux  sortes  de  passions  ont  accoutumé  de 
nous  émouvoir;  je  veux  dire  les  passions  douces 
t't  les  passions  violentes.  Desquelles  des  deux , 
mes  sœurs ,  est-il  plus  difficile  de  se  rendrs  maî- 
tre? il  n'est  pas  aisé  de  le  décider.  J'ai  appris  du 
grand  saint  Thomas  que  celles-là  sont  à  craindre 
par  la  durée,  celles-ci  par  la  promptitude  et  par 
l'impétuosité  de  leur  mouvement  :  celles-là  nous 
flattent ,  celles-ci  nous  poussent  par  force  ;  cel- 
les-là nous  gagnent,  cellesKîi  nous  entraînent. 
Mais ,  quoique  par  des  voies  différentes,  les  unes 
et  les  autres  renversent  le  sens ,  les  unes  et  les 
autres  engagent  le  cœur.  O  pauvre  cœur  humain  1 
de  combien  d'ennemis  es-tu  la  proie?  de  combien 
de  tempêtes  es-tu  le  jouet  ?  de  combien  d'illusions 
es-tu  le  théâtre? 

Mais  apprenons,  chrétiens,  par  l'exemple  de 
saint  Joseph ,  à  vaincre  ces  douceurs  qui  nous 
charment,  et  ces  violences  qui  nous  emportent. 
Voyez  comme  il  est  détaché  de  ses  passions; 
puisqu'il  a  pu  surmonter  sans  résistance ,  parmi 
les  douces  la  plus  flatteuse ,  parmi  les  violentes 
la  plus  farouche  ;  je  veux  dire  l'amour  et  la  ja- 
lousie. Son  épouse  est  sa  sœur.  Tl  n'est  touché  , 
si  je  le  puis  dire ,  que  de  la  virginité  de  Marie  ; 
mais  il  l'aime  pour  la  conserver  en  sa  chaste 
épouse ,  et  ensuite  pour  l'imprimer  en  soi-même 
par  une  entière  unité  de  cœur.  La  fidélité  de  ce 

'  U.  Cor~^\t  10. 


mariage  consiste  à  se  garder  l'un  à  l'autre  la 
parfaite  intégrité  qu'ils  se  sont  promise.  Voilà  les 
promesses  qui  les  assemblent ,  voilà  le  traité  qui 
les  lie.  Ce  sont  deux  virginités  qui  s'unissent, 
pour  se  conserver  l'une  l'autre  éternellement  par 
une  chaste  correspondance  de  désirs  pudiques  ; 
et  il  me  semble  que  je  vois  deux  astres,  qui  n'en- 
trent ensemble  en  conjonction  qu'à  cause  que 
leurs  lumières  s'allient.  Tel  est  le  nœud  de  ce 
mariage ,  d'autant  plus  ferme ,  dit  saint  Augus- 
tin ' ,  que  les  promesses  qu'ils  se  sont  données 
doivent  être  plus  inviolables,  en  cela  même  qu'el- 
les sont  plus  saintes. 

Mais  la  jalousie ,  chrétiens ,  a  pensé  rompre  le 
sacré  lien  de  cette  amitié  conjugale.  Joseph ,  en- 
core ignorant  des  mystères  dont  sa  chère  épouse 
était  rendue  digne,  ne  sait  que  penser  de  sa 
grossesse.  Je  laisse  aux  peintres  et  aux  poètes 
de  représenter  à  vos  yeux  les  horreurs  de  la  ja- 
lousie ,  le  venin  de  ce  serpent ,  et  les  cent  yeux 
de  ce  monstre  ;  il  me  suffit  de  vous  dire  que  c'est 
une  espèce  de  complication  des  passions  les  plus 
furieuses.  C'est  là  qu'un  amour  outragé  pousse 
la  douleur  jusqu'au  désespoir,  et  la  haine  jusqu'à 
la  furie;  et  c'est  peut-être  pour  cette  raison  que 
le  Saint-Esprit  nous  a  dit  :  Dura  sicut  infemus 
œmiilatio  *  :  «  La  jalousie  est  dure  comme  l'en- 
n  fer,  •>  parce  qu'elle  ramasse  en  effet  les  deux 
choses  les  plus  cruelles  que  l'enfer  ait,  la  rage  et 
le  désespoir. 

Mais  ce  monstre  si  furieux  ne  peut  rien  contre 
le  juste  Joseph.  Car  admirez  sa  modération  en- 
vers sa  ^ainte  et  divine  Epouse.  11  sent  le  mal 
tel ,  qu'il  ne  peut  la  défendre;  et  il  ne  veut  pas 
la  condamner  tout  à  fait.  11  prend  un  conseil 
tempéré.  Réduit  par  l'autorité  de  la  loi  à  l'éloi- 
gner de  sa  compagnie  ,  il  évite  du  moins  de  la 
diffamer,  il  demeure  dans  les  bornes  de  la  jus- 
tice; et  bien  loin  d'exiger  le  châtiment,  il  lui 
épargne  même  la  honte.  Voilà  une  résolution 
bien  modérée  :maisencorenepresse-t-ilpas  l'exé- 
cution. Il  veut  attendre  la  nuit,  cette  sage  con- 
seillère dans  nos  ennuis,  dans  nos  promptitu- 
des, dans  nos  précipitations  dangereuses.  Et  en 
effet,  cette  nuit  lui  découvrira  le  mystère,  un 
ange  viendra  éclaircir  ses  doutes;  et  j'ose  dire, 
messieurs ,  que  Dieu  devait  ce  secours  au  juste 
Joseph.  Car,  puisque  la  raison  humaine,  soutenue 
de  la  grâce,  s'était  élevée  à  son  plus  haut  point , 
il  fallait  que  le  ciel  achevât  le  reste;  et  celui-là 
était  digne  de  savoir  la  vérité ,  qui ,  sans  l'avoir 
reconnue ,  n'avait  pas  laissé  néanmoins  de  pra- 
tiquer la  justice  :  Merito  responsuni  subvcti  il  mox 


'  De  yiip.  et  Cnncup.  lib.  I,  n*  12,  t.  X ,  col.  WO. 
'  Cant.  \\\\ ,  6. 


426 


PANÉGYRIQUE 


dwinum ,  eut  humano  déficiente  consilio  justi- 
fia non  defecit^. 

Certainement  saint  Jean-Chrysostôme  a  raison 
d'admirer  ici  la  philosophie  de  Joseph  '.  C'était, 
dit-il ,  un  grand  philosophe ,  parfaitement  déta- 
ché de  ses  passions,  puisque  nous  lui  voyons 
surmonter  la  plus  tyrannique  de  toutes.  Combien 
est  maître  de  ses  mouvements  un  homme ,  qui 
en  cet  état  est  capable  de  prendre  conseil ,  et  un 
conseil  modéré  ;  et  qui,  l'ayant  pris  si  sage,  peut 
encore  en  suspendre  l'exécution ,  et  dormir,  parmi 
ces  pensées ,  d'un  sommeil  tranquille?  Si  son  âme 
a'eût  été  calme,  croyez  que  les  lumières  d'en 
haut  n'y  seraient  pas  sitôt  descendues.  Il  est  donc 
indubitable ,  mes  frères ,  qu'il  était  bien  détaché 
de  ses  passions ,  tant  de  celles  qui  charment  par 
leur  douceur,  que  de  celles  qui  entraînent  par 
leur  violence. 

Plusieurs  jugeront  peut-être  qu'étant  si  déta- 
ché de  ses  passions ,  c'est  un  discours  superflu 
de  vous  dire  qu'il  l'est  aussi  de  ses  intérêts.  Mais 
je  ne  sais  pas ,  chrétiens ,  si  cette"  conséquence 
est  bien  assurée.  Car  cet  attachement  à  notre  in- 
térêt est  plutôt  un  vice  qu'une  passion;  parce 
que  les  passions  ont  leur  cours,  et  consistent 
dans  une  certaine  ardeur  que  les  emplois  chan- 
gent, que  l'âme  modère ,  que  le  temps  emporte , 
qui  se  consume  enfin  elle-même  :  au  lieu  que 
l'attachement  à  l'intérêt  s'enracine  de  plus  en 
plus  par  le  temps  ;  parce  que,  dit  saint  Thomas  ^, 
venant  de  faiblesse,  il  se  fortifie  tous  les  jours, 
à  mesure  que  tout  le  reste  se  débilite  et  s'épuise. 
Mais  quoi  qu'il  en  soit,  chrétiens,  il  n'est  rien 
de  plus  dégagé  de  cet  intérêt  que  l'âme  du  juste 
Joseph.  Représentez-vous  un  pauvre  artisan  tfui 
n'a  point  d'héritage  que  ses  mains,  point  de  fonds 
que  sa  boutique ,  point  de  ressource  que  son  tra- 
vail; qui  donne  d'une  main  ce  qu'il  vient  de  re- 
cevoir de  l'autre ,  et  se  voit  tous  les  jours  au  bout 
de  sou  fonds;  obligé  néanmoins  à  de  grands  voya- 
ges, qui  lui  ôtent  toutes  ses  pratiques  (car  il  faut 
parler  de  la  sorte  du  père  de  Jésus-Christ) ,  sans 
que  l'ange  qu'on  lui  envoie  lui  dise  jamais  un 
mot  de  sa  subsistance.  Il  n'a  pas  eu  honte  de 
souffrir  ce  que  nous  avons  honte  de  dire  :  humi- 
liez-vous, ô  grandeurs  humaines!  Il  va  néan- 
moins, sans  s'inquiéter,  toujours  errant,  toujours 
vagabond ,  seulement  parce  qu'il  est  avec  Jésus- 
Christ  ;  trop  heureux  de  le  posséder  à  ce  prix.  Il 
s'estime  encore  trop  riche ,  et  il  fait  tous  les  jours 
de  nouveaux  efforts  pour  vider  son  cœur,  afin 
que  Dieu  y  étende  ses  possessions  et  y  dilate  son 
règne;  abondant,  parce  qu'il  n'a  rien;  possédant 

»  s.  Petr.  Chrysol.  Serm.  CLXXV. 

»  In  Maith.  Hom.  iv,  n'  4  ,  t.  vu  ,  p.  52. 

»  22.  Quœst.  cxviii,  art.  i,  ad  i. 


tout,  parce  que  tout  lui  manque;  heureux  ,  ira», 
quille ,  assuré ,  parce  qu'il  ne  rencontre  ni  repos , 
ni  demeure ,  ni  consistance. 

C'est  ici  le  dernier  effet  du  détachement  de 
Joseph ,  et  celui  que  nous  devons  remarquer  avec 
une  réflexion  plus  sérieuse.  Car  notre  vice  le  plus 
commun  et  le  plus  opposé  au  christianisme ,  c'est 
une  malheureuse  inclination  de  nous  étabUr  sur 
la  terre  ;  au  lieu  que  nous  devons  toujours  avan- 
cer, et  ne  nous  arrêter  jamais  nulle  part.  Saint 
Paul,  dans  la  divine  Épître  aux  Hébreux,  nous 
enseigne  que  Dieu  nous  a  bâti  une  cité  ;  «  Et  c'est 
«  pour  cela,  dit-il,  qu'il  ne  rougit  pas  de  s'appeler 
«  iiotre  Dieu  :  »  Jdeo  non  confunditurDeus  vocari 
Deus  eorum  :  paravit  enim  illis  civitatem  \  Et 
en  effet ,  chrétiens ,  comme  le  nom  de  Dieu  est 
un  nom  de  Père ,  il  aurait  honte ,  avec  raison , 
de  s'appeler  notre  Dieu,  s'il  ne  pourvoyait  à  nos 
besoins.  Il  a  donc  songé,  ce  bon  Père,  à  pourvoir 
soigneusement  ses  enfants  :  il  leur  a  préparé  une 
cité  qui  a  des  fondements,  dit  saint  Paul,  Fun- 
damenta habentem  civitatem^.,  c'est-à-dire,  qui 
est  solide  et  inébranlable.  S'il  a  honte  de  n'y  pas 
pourvoir,  quelle  honte  de  ne  l'accepter  pas  !  Quelle 
injure  faites-vous  à  votre  patrie ,  si  vous  vous 
trouvez  bien  dans  l'exil  !  Quel  mépris  faites-vous 
de  Sion ,  si  vous  êtes  à  votre  aise  dans  Rabylone  ! 
Allez  et  marchez  toujours ,  et  n'ayez  jamais  de 
demeure  fixe.  C'est  ainsi  qu'a  vécu  le  juste  Jo- 
seph. A-t-il  jamais  goûté  un  moment  de  joie,  de- 
puis qu'il  a  eu  Jésus-Christ  en  garde  ?  Cet  Enfant 
ne  laisse  pas  les  siens  en  repos  :  il  les  inquiète  tou- 
jours dans  ce  qu'ils  possèdent ,  et  toujours  il  leur 
suscite  quelque  nouveau  trouble. 

Il  nous  veut  apprendre ,  mes  sœurs ,  que  c'est 
un  conseil  de  la  miséricorde  de  mêler  de  l'amer- 
tume dans  toutes  nos  joies.  Car  nous  sommes  des 
voyageurs ,  exposés  pendant  le  voyage  à  l'intem- 
périe de  l'air  et  à  l'irrégularité  des  saisons. 

Parmi  les  fatigues  d'un  si  long  voyage ,  l'âme, 
épuisée  par  le  travail ,  cherche  quelque  lieu  pour 
se  délasser.  L'un  met  son  divertissement  dans  un 
emploi;  l'autre  a  sa  consolation  dans  sa  femme, 
dans  son  mari ,  dans  sa  famille  ;  l'autre ,  son  es- 
pérance en  son  fils.  Ainsi  chacun  se  partage,  et 
cherche  quelque  appui  sur  la  terre.  L'Evangile 
ne  blâme  pas  ces  affections  :  mais  comme  le  cœur 
humain  est  précipité  dans  ses  mouvements,  et 
qu'il  lui  est  difficile  de  modérer  ses  désirs ,  ce 
qui  lui  était  donné  pour  se  relâcher,  peu  à  peu 
il  s'y  repose,  et  enfin  il  s'y  attache.  Ce  n'était 
qu'un  bâton  pour  le  soutenir  pendant  le  travail 
du  voyage ,  il  s'en  fait  un  lit  pour  s'y  endormir  ;. 


'  Hehr.  XI,  16. 
=  Ibid.  1«, 


DE  SAINT  JOSEPH. 


471 


et  U  deraenrc ,  il  s'arrête ,  il  ne  se  souvient  plus 
(le  Siou.  Universum  stralum  ejus  versasti  in  in- 
firmitate  ejus  '  :  Dieu  lui  renverse  ce  lit  où  il 
s'endormait  parmi  les  félicités  temporelles;  et 
par  une  plaie  salutaire ,  il  fait  sentir  à  ce  cœur 
combien  ce  repos  était  dangereux.  Vivons  donc 
en  ce  monde  comme  détachés.  Si  nous  y  sommes 
comme  n'ayant  rien,  nous  y  serons  en  effet  comme 
possesseurs  de  tout  :  si  nous  nous  détachons  des 
créatures,  nous  y  gagnerons  le  Créateur;  et  il 
ne  nous  restera  plus  que  de  nous  cacher  avec  Jo- 
seph ,  pour  en  jouir  dans  la  retraite  et  la  solitude  ; 
c'est  notre  dernière  partie. 

TBOISIÈMB   POINT. 

1a  justice  chrétienne  est  une  affaire  particu- 
lière de  Dieu  avec  l'homme,  et  de  l'homme  avec 
Dieu  ;  c'est  un  mystère  entre  eux  deux ,  qu'on 
profane  quand  on  le  divulgue,  et  qui  ne  peut 
être  caché  avec  trop  de  religion  à  ceux  qui  ne  sont 
pas  du  secret.  C'est  pourquoi  le  Fils  de  Dieu  nous 
ordonne,  lorsque  nous  avons  dessein  de  prier  (et 
le  môme  doit  s'entendre  de  toutes  les  vertus  chré- 
tiennes) ,  il  nous  ordonne,  dis-je ,  de  nous  retirer 
en  particulier,  et  de  fermer  la  porte  sur  nous  \ 
«  Fermez ,  dit- il ,  la  porte  sur  vous,  et  célébrez 
<«  votre  mystère  avec  Dieu  tout  seul ,  sans  y  ad- 
«  mettre  personne  que  ceux  qu'il  lui  plaira  d'ap- 
«  ^\er  :  »  Solo pectoris  contentus  arcano  oratio- 
7iem  tuam  Jac  esse  mysterium  ^.  Ainsi  la  vie 
chrétienne  doit  être  une  vie  cachée  ,  et  le  chré- 
tien véritable  doit  désirer  ardemment  de  demeu- 
rer couvert  sous  l'aile  de  Dieu,  sans  avoir  d'autre 
spectateur. 

Mais  ici  toute  la  nature  réclame ,  et  ne  peut 
souffrir  cette  obscurité,  dont  voici  la  raison ,  si 
je  ne  me  trompe  :  c'est  que  la  nature  répugne  à 
la  mort;  et  vivre  caché  et  inconnu,  c'est  être 
comme  mort  dans  l'esprit  des  hommes.  Car, 
comme  la  vie  est  dans  l'action ,  celui  qui  cesse 
d'agir  semble  avoir  aussi  cessé  de  vivre.  Or,  mes 
sœurs,  les  hommes  du  monde,  accoutumés  au 
tumulte  et  aux  empressements,  ne  savent  pas  ce 
que  c'est  qu'une  action  paisible  et  intérieure,  et 
ils  croient  qu'ils  n'agissent  pas  s'ils  ne  s'agitent, 
et  qu'ils  ne  se  remuent  pas  s'ils  ne  font  du  bruit; 
de  sorte  qu'ils  considèrent  la  retraite  et  l'obscu- 
rité comme  une  extinction  de  la  vie  :  au  con- 
traire ,  ils  mettent  tellement  la  vie  dans  cet  éclat 
du  monde ,  et  dans  ce  bruit  tumultueux ,  qu'ils 
osent  bien  se  persuader  qu'ils  ne  seront  pas  tout 
à  fait  morts ,  tant  que  leur  nom  fera  du  bruit 
sur  la  terre.  C'est  pourquoi  la  réputation  leur  pa- 

'  P$al.  XL ,  4. 

'  Matth.  VI ,  6. 

»  5.  Chrysott.  in  Blatth.  Uom.  ux ,  n*  3 ,  t.  vu ,  p.  248. 


ralt  comme  une  seconde  vie  :  ils  comptent  pour 
beaucoup  de  survivre  dans  la  mémoire  des  hom- 
mes; et  peu  s'en  faut  qu'ils  ne  croient  qu'ils  sor- 
tiront en  secret  de  leui-s  tombeaux ,  pour  entendre 
ce  qu'on  dira  d'eux  :  tant  ils  sont  persuadés  que 
vivre ,  c'est  faire  du  bruit ,  et  remuer  encore  les 
choses  humaines,  parce  qu'ils  mettent  la  vie  dans 
le  bruit.  Voilà  l'éternité  que  promet  le  siècle, 
éternité  par  les  titres ,  immortalité  par  la  renom 
mée  :  Qualem  potest  prcestare  sœculum  de  ti^ 
tulis  œtemitatem,  de  fama  immortalitatem  ; 
Vaine  et  fragile  immortalité ,  mais  dont  ces  an- 
ciens conquérants  faisaient  tant  d'état.  C'est  cette 
fausse  imagination  qui  fait  que  l'obscurité  semble 
une  mort  aux  amateurs  du  monde,  et  même ,  si  je 
l'ose  dire,  quelque  chose  de  plus  dur  que  la  mort, 
puisque,  selon  leur  opinion,  vivre  caché  et  in- 
connu ,  c'est  s'ensevelir  tout  vivant ,  et  s'enterrer, 
pour  ainsi  dire ,  au  milieu  du  monde. 

jNotre-Seigneur  Jésus-Christ  étant  venu  pour 
mourir  et  s'immoler,  il  a  voulu  mourir  et  s'im- 
moler pour  nous  en  toutes  manières  :  de  sorte 
qu'il  ne  s'est  point  contenté ,  mes  sœurs,  de  mou- 
rir de  la  mort  naturelle ,  ni  de  la  mort  la  plus 
cruelle  et  la  plus  violente  ;  mais  il  a  encore  voulu 
y  ajouter  la  mort  civile  et  politique.  Et  comme 
cette  mort  civile  vient  par  deux  moyens ,  ou  par 
l'infamie ,  ou  par  l'oubli ,  il  a  voulu  subir  l'une  et 
l'autre.  Victime  pour  l'orgueil  humain ,  il  a  voulu 
se  sacrifier  par  tous  les  genres  d'humiliations  ;  et 
il  a  donné  à  cette  mort  d'oubli  les  trente  premiè- 
res années  de  sa  vie.  Pour  mourir  avec  J^us- 
Christ ,  il  nous  faut  mourir  de  cette  mort ,  afin  de 
pouvoir  dire  avec  saint  Paul  :  Mihi  mundus  cru- 
eifixus  est,  et  ego  mundo  '  :  «  Le  monde  est  cru- 
«  cifié  pour  moi ,  et  je  suis  crucifié  pour  lemonde.  » 

Le  grand  pape  saint  Grégoire  donne  à  ce  pas- 
sage de  l'apôtre  une  belle  interprétation  :  Le 
monde ,  dit-il  ^ ,  est  mort  pour  nous ,  quand  nous 
le  quittons;  mais ,  ajoute-t-il ,  ce  n'est  pas  assez  • 
il  faut,  pour  arriver  à  la  perfection,  que  nous 
soyons  morts  pour  lui ,  et  qu'il  nous  quitte  ;  c'est- 
à-dire  ,  que  nous  devons  nous  mettre  en  tel  état, 
que  nous  ne  plaisions  plus  au  monde ,  qu'il  nous 
tienne  pour  morts ,  et  qu'il  ne  nous  compte  plus 
pour  être  de  ses  parties  et  de  ses  intrigues,  ni  mêm^ 
de  ses  entretiens  et  de  ses  discours.  C'est  la  hiute 
perfection  du  christianisme,  c'est  là  que  l'on 
trouve  la  vie  ;  parce  que  l'on  apprend  à  jouir  de 
Dieu,  qui  n'habite  pas  dans  le  tourbillon  ni  dans, 
le  tumulte  du  siècle  ;  mais  dans  la  paix  de  la  soli- 
tude et  de  la  retraite. 

Ainsi  était  mort  le  juste  Joseph  :  enseveli  avec 

'   TertuU.  Scorp.  n»  6. 

'  Gal.Ti,  14. 

*  Mor.  in  Job.  lib.  T,  cap.  ui ,  t.  l,  cap   14A. 


438 

Jésiis-Christ  et  la  divine  Marie,  il  ne  s'ennuyait 
pas  de  cette  mort,  qui  le  faisait  vivre  avec  le 
Sauveur.  Au  contraire,  il  ne  craint  rien  tant, 
qite  le  bruit  et  la  vie  du  siècle  viennent  troubler 
ou  interrompre  ce  repos  caché  et  intérieur.  Mys- 
tère admirable ,  mes  sœurs  :  Joseph  a  dans  sa 
maison  de  quoi  attirer  les  yeux  de  toute  la  terre , 
et  le  monde  ne  le  connaît  pas  :  il  possède  un  Dieu- 
Homme,  et  il  n'en  dit  mot  :  il  est  témoin  d'un  si 
gnmd  mystère,  et  il  le  goûte  en  secret,  sans  le  di- 
vulguer. Les  mages  et  les  pasteurs  viennent  ado- 
rer Jésus-Christ,  Siméon  et  Anne  publient  ses 
grandeurs  :  nul  autre  ne  pouvait  rendre  meilleur 
témoignage  du  mystère  de  Jésus-Christ ,  que  celui 
qui  en  était  le  dépositaire ,  qui  savait  le  miracle 
de  sa  naissance ,  que  l'ange  avait  si  bien  instruit 
de  sa  dignité  et  du  sujet  de  son  envoi.  Quel  père 
neparlerait  pas  d'un  fils  si  aimable?  Et  cependant 
l'ardeur  de  tant  d'âmes  saintes  qui  s'épanchent 
devant  Itii  avec  tant  de  zèle ,  pour  célébrer  les 
louanges  de  Jésus-Christ,  n'est  pas  capable  d'ou- 
vi-îr  sa  bouche  pour  leur  découvrir  le  secret  de 
Dieu,  qui  lui  a  été  confié.  Eranf  mirantes,  dit 
l'évangéliste  '  :  ils  paraissaient  étonnés,  il  semblait 
([u'ilsne  savaient  rien  :  ils  écoutaient  parler  tous 
les  autres ,  et  ils  gardaient  le  silence  avec  tant 
de  religion,  qu'on  dit  encore  dans  leur  ville,  au 
bout  de  trente  ans  :  N'est-ce  pas  le  fils  de  Joseph  '  ? 
sans  qu'on  ait  rien  appris  durant  tant  d'années 
du  mystère  de  sa  conception  virginale.  C'est  qu'ils 
savaient  l'un  et  l'autre,  que,  pour  jouir  de  Dieu 
en  vérité ,  il  fallait  se  faire  une  solitude  ;  qu'il  fal- 
lait rappeler  en  soi-même  tant  de  désirs  qui  errent 
deçà  et  delà ,  et  tant  de  pensées  qui  s'égarent  ; 
qu'il  fallait  se  retirer  avec  Dieu ,  et  se  contenter 
de  sa  vue. 

Mais,  chrétiens,  où  trouverons-nous  ces  hom- 
mes spirituels  et  Intérieurs,  dans  un  siècle  qui 
donne  tout  à  l'éclat?  Quandje  conadère  les  hom- 
mes ,  leurs  emplois ,  leurs  occupations ,  leurs  em- 
pressements ,  je  trouve  tous  les  jours  plus  vérita- 
ble ce  qu'a  dit  saint  Jean-Chrysostôme  ^ ,  que  si 
nous  rentrons  en  nous-mêmes,  nous  trouverons 
que  nos  actions  se  font  toutes  par  des  vues  hu- 
maines. Car,  pour  ne  point  parler  en  ce  lieu  de 
ces  âmes  prostituées ,  qui  ne  tâchent  que  de  plaire 
au  monde,  combien  pourrons-nous  en  trouver 
qui  ne  se  détournent  pas  de  la  droite  voie ,  s'ils 
rencontrent  en  leur  chemin  les  puissances  ;  qui 
ne  se  relâchentdu  moins ,  s'ils  ne  se  ralentissent 
pas  tout  à  fait  ;  qui  ne  tâchent  de  se  ménager 
entre  la  justice  et  la  faveur,  entre  le  devoir  et  la 
complaisance?  Combien  en  trouverons-nous  à  qui 


«  Luc.  II,  33. 

»  Joan.  VI,  'j2. 

»  Jn  Matth.  Hum  xi\,  u"  1,  t  Vil,  p.  -Ik 


PANËGYRIQUE 


le  préjugé  des  opinions,  la  tyrannie  de  la  cou- 
tume ,  la  crainte  de  choquer  le  monde ,  ne  fassent 
pas  chercher  du  moins  des  tempéraments  pour 
accorder  Jésus-Christ  avec  Bélial ,  et  l'Évangile 
avec  le  siècle?  Que  s'il  y  en  a  quelques-uns  en 
qui  les  égards  humains  n'étouffent  ni  ne  resser- 
rent les  sentiments  de  la  vertu,  y  en  aura-t-il 
quelqu'un  qui  ne  se  lasse  pas  d'attendre  sa  cou- 
ronne en  l'autre  vie ,  et  qui  ne  veuille  pas  en  ti- 
rer toujours  quelque  fruit  par  avance,  dans  les 
louanges  des  hommes?  C'est  la  peste  de  la  vertu 
chrétienne.  Et  comme  j'ai  l'honneur  de  parler  en 
présence  d'une  grande  reine ,  qui  écoute  tous  les 
jours  les  justes  applaudissements  de  ses  peuples, 
il  me  sera  permis  d'appuyer  un  peu  sur  cette  mo- 
rale. 

La  vertu  est  comme  une  plante  qui  peut  mou- 
rir en  deux  sortes  :  quand  on  l'arrache,  ou  quand 
on  la  dessèche.  Il  viendra  un  ravage  d'eaux  qui 
la  déracinera  et  la  portera  par  terre  ;  ou  bien , 
sans  y  employer  tant  de  violence,  il  arrivera 
quelque  intempérie  qui  la  fera  sécher  sur  son 
tronc  :  elle  paraîtra  encore  vivante;  mais  elle 
aura  cependant  la  mort  dans  le  sein.  Il  en  est  de 
môme  de  la  vertu.  Vous  aimez  l'équité  et  la  jus- 
tice :  quelque  grand  intérêt  se  présente  à  vous , 
ou  quelque  passion  violente  qui  pousse  impétueu- 
sement dans  votre  cœur  cet  amour  que  vous  avez 
pour  la  justice  :  s'il  se  laisse  emporter  à  cette 
tempête,  ce  sera  un  ravage  d'eaux  qui  déracinera 
la  justice.  Vous  soupirez  quelque  temps  sur  l'af- 
faiblissement que  vous  éprouvez;  mais  enfin  vous 
laissez  arracher  cet  amour  de  votre  cœur.  Tout 
le  monde  est  étonné  de  voir  que  vous  avez  perdu 
la  justice ,  que  vous  cultiviez  avec  tant  de  soin. 

Mais  quand  vous  aurez  résisté  à  ces  efforts 
violents ,  ne  prétendez  pas  pour  cela  de  l'avoir 
sauvée,  si  vous  ne  la  gardez  d'un  autre  péril; 
j'entends  celui  des  louanges.  Le  vice  contraire  la 
déracine,  l'amour  des  louanges  la  dessèche.  Il 
semble  qu'elle  se  tienne  en  état  ;  elle  parait  se 
bien  soutenir,  et  elle  trompe,  en  quelque  sorte, 
les  yeux  des  hommes.  Mais  la  racine  est  séchée , 
elle  ne  tire  plus  de  nourriture,  elle  n'est  plus 
bonne  que  pour  le  feu.  C'est  cette  herbe  des  toits 
dont  parle  David,  qui  se  sèche  d'elle-même 
avant  (fu'on  l'arrache  :  Quod priusquamevella- 
tiir  exaruil\  Qu'il  serait  à  désirer,  chrétiens, 
qu'elle  ne  fût  pas  née  dans  un  lieu  si  haut,  et 
qu'elle  durât  plus  longtemps  dans  quelque  val- 
lée déserte  !  Qu'il  serait  à  désirer,  pour  cette  ver- 
tu ,  qu'elle  ne  fût  pas  exposée  dans  une  place  si 
éminente,  et  qu'elle  se  nourrît  dans  quelque  coin 
par  rhumilité  chrétienne  ! 

1    Ps.  C\XVIII,G. 


DE  SAINT  JOSEPH. 


439 


Que  si  c'est  une  nécessité  qu'il  faille  mener  une 
vie  publique ,  et  entendre  les  louanges  des  hom- 
mes ,  voici  ce  qu'il  faut  penser.  Quand  ce  que 
l'on  dit  n'est  pas  au  dedans,  craignons  un  plus 
grand  jugement.  Si  les  louanges  sont  véritabies, 
craignons  de  perdre  notre  récompense.  Pour  évi- 
ter ce  dernier  malheur,  madame ,  voici  un  sage 
conseil  que  vous  donne  un  grand  pape  ;  c'est 
saint  Grégoire  le  Grand  '  ;  il  mérite  que  Votre 
Majesté  lui  donne  audience.  Ne  cachez  jamais  la 
vertu  comme  une  chose  dont  vous  ayez  honte  : 
il  faut  qu'elle  luise  devant  les  hommes,  afin 
qu'ils  glorifient  le  Père  céleste'.  Elle  doit  luire 
principalement  dans  la  personne  des  souverains; 
afin  que  les  mœurs  dépravées  soient  non-seule- 
ment répripiées  par  l'autorité  de  leurs  lois ,  mais 
encore  confondues  par  la  lumière  de  leurs  exem- 
ples. Mais,  pour  dérober  quelque  chose  aux 
hommes,  je  propose  à  Votre  Majesté  un  artifice 
innocent.  Outre  les  vertus  qui  doivent  l'exemple, 
<■■  mettez  toujours  quelque  chose  dans  l'intérieur 
«  que  le  monde  ne  connaisse  pas  ;  »  faites-vous 
un  trésor  caché ,  que  vous  réserviez  pour  les  yeux 
de  Dieu  ;  ou ,  comme  dit  Tertullien  :  Mentire  ali- 
quid  ex  his  quœ  intus  sunt,  ut  soli  Dco  exhi- 
icas  veritatem  ^ 

Madame  , 

Ce  sera  de  là  que  sortira  votre  grande  gloire. 
Joseph  a  mérité  les  plus  grands  honneurs,  parce 
qu'il  n'a  jamais  été  touché  de  l'honneur  :  l'É- 
glise n'a  rien  de  plus  illustre,  parce  qu'elle  n'a 
rien  de  plus  caché.  Je  rends  grâces  au  roi,  d'a- 
voir voulu  honorer  sa  sainte  mémoire  avec  une 
nouvelle  solennité.  Fasse  le  Dieu  tout-puissant 
que  toujours  il  révère  ainsi  la  vertu  cachée  ;  mais 
qa'il  ne  se  contente  pas  de  l'honorer  dans  le  ciel, 
qu'il  la  chérisse  aussi  sur  la  terre  ;  qu'à  l'exem- 
ple des  rois  pieux ,  il  aille  quelquefois  la  forcer 
dans  sa  retraite;  et  qu'il  puisse  bien  entendre 
cette  vérité ,  que  la  vertu  ffui  s'empresse  avec 
plus  d'ardeur  à  paraître  au  grand  jour  que  fait 
sa  présence,  n'est  pas  toujours  le  plus  à  l'épreuve. 
Si  Votre  Majesté,  madame,  lui  inspire  ces  sages 
pensées,  elle  aura  pour  sa  récompense  la  féli- 
cité éternelle,  que,  etc.  Amen. 

'  Grvg.  Mag.  Moral,  lib.  xxil,  cap.  vill,  t.  i',  col.  707. 

»  Matth.  V,  16. 

^  De  firg.  vel.  n"  16. 


PANEGYRIQUE 


SAINT  BENOIT. 

Trois  états  et  comme  trob  lieux  où  nous  avons  coutume 
do  nous  arrêter  dans  le  voyage  de  cette  vie ,  et  qui  nous  eni- 
pt-ctient  d'arriver  à  notre  patrie.  Saint  Benoit  attentif,  des  sa 
jeunesse,  à  écouter  la  voix  qui  lui  criait  de  sortir  des  sens. 
Sa  vie  admirable  dans  le  désert.  Que  devons-nous  faire,  à 
son  imitation ,  lorsque  le  plaisir  des  sens  commence  à  se  ré- 
veiller en  nous?  Fin  et  avantages  de  la  loi  de  l'oliéiséance , 
prescrite  par  saint  Benoit  :  de  quelle  manière  ce  saint  l'a  prati- 
quée Obligation  du  chrétien  de  toujours  avancer.  Attention 
qu'a  eue  saint  Benoit ,  de  tenir  sans  cesse  ses  disciples  en  lia- 
leine.  Motifs  qui  doivent  porter,  même  les  plus  parfaits ,  i 
opérer  leur  salut  avec  crainte  et  tremblement. 


Egrcdere.  Sors.  Gen.  xn ,  1 . 

Le  croirez-vous ,  mes  frères,  si  je  vous  le  dis, 
que  toute  la  doctrine  de  l'Évangile ,  toute  la  dis- 
cipline chrétienne ,  toute  la  perfection  de  la  vie 
monastique  est  entièrement  renfermée  dans  cette 
seule  parole  :  Egreder&,  Sors.  La  vie  du  chré- 
tien est  un  long  et  infini  voyage ,  durant  le  cours 
duquel ,  quelque  plaisir  qui  nous  flatte,  quelque 
compagnie  qui  nous  amuse ,  quelque  ennui  qui 
nous  prenne ,  quelque  fatigue  qui  nous  accable , 
aussitôt  que  nous  commençons  de  nous  reposer, 
une  voix  divine  s'élève  d'en  haut  qui  nous  dit 
sans  cesse  et  sans  relâche  :  Egredere,  Sors;  et 
nous  ordonne  de  marcher  plus  outre.  Telle  est  la 
vie  chrétienne,  et  telle  est  par  conséquent  la  vie 
monastique.  Car  qu'est-ce  qu'un  moine  véritable 
et  un  moine  digne  de  ce  nom ,  sinon  un  parfait 
chrétien?  Faisons  donc  voir  aujourd'hui,  dans 
le  Père  et  le  législateur,  le  modèle  de  tous  les 
moines ,  la  pratique  exacte  de  ce  beau  précepte, 
après  avoir  imploré  le  secours  d'en  haut ,  etc. 

Dans  ce  grand  et  infini  voyage ,  où  nous  de- 
vons marcher  sans  repos ,  et  nous  avancer  sans 
relâche  ;  je  remarque  trois  états  et  comme  trois 
lieux ,  où  nous  avons  coutume  de  nous  arrêter. 
Ou  bien  nous  nous  arrêtons  dans  le  plaisir  des 
sens,  ou  bien  dans  la  satisfaction  de  notre  esprit 
propre ,  et  dans  l'exercice  de  notre  liberté ,  ou 
bien  enfin  dans  la  vue  de  notre  perfection.  VoHà 
conmie  trois  pays  étrangers  dans  lesquels  nous 
nous  arrêtons ,  et  ensuite  nous  n'arrivons  pas  en 
notre  patrie. 

Mais  pour  aller  à  la  source ,  et  rendre  la  rai- 
son profonde  de  ces  trois  divers  égarements,  con- 
sidérons tous  les  pas ,  et  remarquons  les  divers 
progrès  que  fait  l'âme  durant  ce  voyage.  Ou  nous 
nous  arrêtons  au-dessous  de  nous,  ou  nous  nous 
arrêtons  en  nous-mêmes,  ou  nous  nous  arrêtons 
au-dessus  de  nous.  Lorsque  nous  nous  attachons 
au  plaisir  des  sens,  nous  nous  arrêtons  au-dessous 
de  nous  ;  c'est  le  premier  attrait  de  l'âme,  encore 


430 


PANÉGYRIQUE 


ignorante,  lorsqu'elle  commence  son  voyage. 
Elle  trouve  premièrement  en  son  chemin  cette 
barsse  région  ;  elle  y  voit  des  fleuves  qui  coulent , 
des  fleurs  qui  se  flétrissent  du  matin  au  soir  ;  tout 
y  passe  dans  une  grande  inconstance.  Mais  dans 
ces  fleuves  qui  s'écoulent,  elle  trouve  de  quoi 
rafraîchir  sa  soif  ;  elle  promène  ses  désirs  errants 
dans  cette  variété  d'objets;  et  quoiqu'elle  perde 
toujours  ce  qu'elle  possède,  son  espérance  flat- 
teuse ne  cesse  de  l'enchanter  de  telle  sorte, 
qu'elle  se  plaît  dans  cette  basse  région.  Eyre- 
dere,  Sors  :  songe  que  tu  es  faite  à  l'image  de 
Dieu  ;  rappelle  ce  qu'il  y  a  en  toi  de  divin  et  d'im- 
mortel :  veux-tu  être  toujours  captive  des  choses 
inférieures?  Que  si  elle  obéit  à  cette  voix,  en 
sortant  de  ce  pays,  elle  se  trouve  comme  dans  un 
autre,  qui  n'est  pas  moins  dangereux  pour  elle  ; 
c'est  lu  satisfaction  de  son  esprit  propre.  Nuls 
attraits  que  ses  désirs,  nulle  règle  que  ses  hu- 
meurs, nulle  conduite  que  ses  volontés.  Elle  n'est 
plus  au-dessous  d'elle  ;  elle  commence  à  s'arrêter 
en  elle-même  :  la  voilà  dans  des  objets  et  dans 
des  attaches ,  qui  sont  plus  convenables  à  sa  di- 
gnité ;  et  toutefois  l'oracle  la  presse ,  et  lui  dit 
encore  :  Egredere ,  Sors.  Ame,  ne  sens-tu  pas, 
par  je  ne  sais  quoi  de  pressant  qui  te  pousse  au- 
dessus  de  toi ,  que  tu  n'es  pas  faite  pour  toi-même  ? 
Un  bien  infini  t'appelle;  Dieu  même  te  tend  les 
bras  :  sors  donc  de  cette  seconde  région ,  c'est- 
à-dire,  de  la  satisfaction  de  ton  esprit  propre. 

Ainsi ,  mes  frères ,  elle  arrivera  à  ce  qu'il  y  a 
déplus  relevé  et  de  plus  sublime,  et  commencera 
de  s'unir  à  Dieu.  Et  alors  ne  luisera-t-il  pas  per- 
mis de  se  reposer?  Non  ;  il  n'y  a  rien  de  plus  dan- 
gereux :  car  c'est  là  qu'une  secrète  complaisance 
fait  qu'on  s'endort  dans  la  vue  de  sa  propre  per- 
fection. Tout  est  calme ,  tout  est  soumis;  toutes 
les  passions  sont  vaincues ,  toutes  les  humeurs, 
domptées;  l'esprit  même,  avec  sa  fierté  et  sou 
audace  naturelle,  abattu  et  mortifié  :  il  est  temps 
de  se  reposer.  Non,  non  ;  Egredere,  Sors.  Il  nous 
est  tellement  ordonné  de  cheminer  sans  relâche, 
qu'il  ne  nous  est  pas  même  permis  de  nous  arrê- 
ter en  Dieu  :  car  quoiqu'il  n'y  ait  rien  au-dessus 
de  lui  à  prétendre ,  il  y  a  tous  les  jours  à  faire  en 
lui  de  nouveaux  progrès ,  et  il  découvre ,  pour 
ainsi  dire ,  tous  les  jours  à  notre  ardeur  de  nou- 
velles infinités.  Ainsi  nous  renfermer  dans  cer- 
taines bornes,  c'est  entreprendre  de  resserrer  l'im- 
mensité de  sa  nature. 

Allez  donc,  sans  vous  arrêter  jamais;  perdez 
la  vue  de  toute  la  perfection  que  vous  pouvez 
avoir  acquise;  marchez  de  vertus  en  vertus,  si 
vous  voulez  être  dignes  de  voir  le  Dieu  des  dieux 
€u  Siou.  Telle  est  la  vie  chrétienne  ;  telle  est  l'ins- 
titution monastique,  conformément  à  laquelle 


nous  regarderons  saint  Benoît  dans  une  conti- 
nuelle sortie  de  lui-même,  pour  se  perdre  sainte- 
ment en  Dieu.  Nous  le  verrons  premièrement 
sortir  des  plaisirs  des  sens,  par  la  mortification 
et  la  pénitence  :  secondement,  de  la  satisfaction 
de  l'esprit,  par  l'amour  de  la  discipline  et  de  la 
régularité  monastique  :  enfin  sortir  de  la  vue  de 
sa  propre  perfection ,  par  une  parfaite  humilité , 
et  un  ardent  désir  de  croître  ;  c'est  le  sujet  de  ce 
discours. 

PREMIER  POINT. 

Nous  lisons  de  l'enfant  prodigue,  qu'en  sor- 
tant de  la  maison  paternelle,  il  fut  en  une  région 
fort  éloignée;  In  regionem  longinquam\  C'est 
l'image  des  égarements  de  notre  âme,  qui  s'é- 
tant  retirée  de  Dieu ,  ô  qu'il  est  vrai  qu'elle  s'est 
perdue  dans  une  région  bien  éloignée ,  jusqu'à 
être  captive  des  sens!  Voyez  à  quelle  hauteur  elle 
devait  être  élevée.  «  L'homme  avait  été  fait  pour 
«  être  spirituel,  même  dans  la  chair  :  »  Qui  fu- 
turus  fuerat  etiam  carne  spiritualis  ^  Oui , 
créature  chère,  homme  que  Dieu  a  fait  à  sa  res 
semblance,  tu  devais  être  spirituel,  même  dans 
le  corps;  parce  que  ce  corps,  que  Dieu  t'a  donné, 
devait  être  régi  par  l'esprit  :  et  qui  ne  sait  que 
celui  qui  est  régi ,  participe  en  quelque  sorte  à 
la  qualité  du  principe  qui  le  meut  et  qui  le  gou- 
verne par  l'impression  qu'il  en  reçoit?  Voilà 
[l'heureuse  condition]  où  l'âme  était  établie. 

Mais,  ô  changement  déplorable!  la  chair  a 
pris  le  régime ,  et  l'âme  est  devenue  toute  corpo- 
relle :  Fieret  etiam  mente  camalis^.  Car  qui  ne 
voit  par  expérience  que  la  raison ,  ministre  des 
sens,  et  appliquée  tout  entière  à  les  servir,  em- 
ploie toute  son  industrie  à  raffiner  leur  goût,  à 
irriter  leur  appétit,  à  leur  assaisonner  leurs  ob- 
jets, et  ne  se  peut  déprendre  elle-même  de  ces 
pensées  sensuelles?  Voilà  l'extrémité;  voilà  l'exil 
où  l'âme  a  été  reléguée.  Peut-on  rien  imaginer 
de  plus  déplorable?  Être  dégradée  au  point  de 
servir  à  celui  à  qui  l'on  devait  commander  avec 
un  empire  souverain,  quoi  de  plus  honteux!  Mais 
une  âme  faite  à  l'image  de  son  Dieu ,  si  noble 
qu'elle  ne  peut  prétendre  à  rien  moins  qu'à  la 
possession  de  son  auteur,  s'avilir  jusqu'à  se  ré- 
duire dans  la  dépendance  des  sens ,  [  pour  y  trou- 
ver son  bonheur  et  sa  perfection ,  quel  affreux 
esclavage!  qui  peut  concevoir  l'extrémité  de  sa 
misère?] 

Egredere ,  egredere  :  Sors ,  sors  d'unesi  infâme 
servitude  et  d'un  bannissement  si  honteux  :  re- 
tire-toi de  ces  plaisirs  trompeurs  qui  ne  tendent 

»  Luc.  XV,  13. 

2  s.  Aug.  de  Civ.  Dei,  lib.  xrv ,  cap.  xv  ;  Hom.  tu  ,  col.  sea . 

3  Jbid. 


DE  SAINT  BENOIT. 


4)1 


qu  u  f  énerver  :  CaveaturdeleclatiOy  cuimentem 
fjiervandam  non  oportetdari  '.  C'est  pour  Dieu 
que  tu  dois  conserver  toute  ta  force  ;  c'est  vers 
lui  que  tu  dois  tourner  toute  l'activité  de  tes 
désii-s,  tout  l'empressement  de  ton  amour,  et  ne 
pas  te  répandre  dans  de  vaines  délices,  qui  ne 
sont  propres  qu'à  t'épuiser  :  Fortitudinem  suam 
ad  te  custodiant,  nec  eam  spargant  in  delicio- 
sas  lassitudines  '. 

Saint  Benoit  a  écouté  cette  voix  à  Rome ,  parmi 
la  jeunesse  licencieuse.  Aussitôt  qu'il  fut  arrivé 
à  cet  âge  ardent ,  où  je  ne  sais  quoi  commence  à  se 
remuer  dans  le  cœur,  que  la  contagion  des  mau- 
vais exemples  et  sa  propre  inquiétude  précipitent 
à  toute  sorte  d'excès  ;  aussitôt  il  se  sentit  obligé 
à  prêter  l'oreille  attentive  à  celui  qui  lui  disait, 
Egredere,  Sors.  J'aurais  besoin  d'emprunter  ici 
les  couleurs  de  la  poésie ,  pour  vous  représenter 
vivement  cette  affreuse  solitude ,  ce  désert  hor- 
rible et  effroyable  dans  lequel  il  se  retira.  Un  si- 
lence affreux  et  terrible ,  qui  n'était  interrompu 
que  par  les  cris  des  bêtes  sauvages  ;  et  comme  si 
ce  désert  épouvantable  n'eût  pas  été  suffisant 
pour  sa  retraite ,  au  milieu  de  ces  vallons  inha- 
bités et  de  ces  roches  escarpées ,  il  se  choisit  en- 
core un  trou  profond ,  dont  les  bêtes  mêmes  n'au- 
raient pu  qu'à  peine  faire  leur  tanière.  C'est  là 
que  se  cache  ce  saint  jeune  homme ,  ou  plutôt , 
c'est  là  qu'il  s'enterre  tout  vivant ,  pour  y  faire 
mourir  tous  les  sens,  jusqu'aux  affections  les  plus 
naturelles. 

Sa  vie,  [toute  céleste,  l'élève  déjà  à  la  condi- 
tion des  anges  :  uniquement  occupé  de  la  prière 
et  de  la  méditation  des  vérités  étemelles ,  il  ou- 
blie presque  qu'il  a  un  corps,  et  semble  avoir 
perdu  le  sentiment  de  ses  besoins.  ]  Le  religieux 
romain  le  nourrit  du  reste  de  son  jeûne*.  [Ce 
digne  confident  se  dérobe  à  lui-même  ,'pour  sus- 
tenter son  ami ,  une  partie  de  l'étroit  nécessaire 
ou  le  réduit  son  abstinence.]  Ah  !  dans  les  su- 
perfluités  et  dans  l'abondance,  nous  ne  trouvons 
rien  pour  les  pauvres  ;  et  celui-ci  dans  sa  pauvreté, 
après  que  la  pénitence  avait  soigneusement  re- 
tranché tout  ce  qu'elle  pouvait ,  ne  laisse  pas  de 
trouver  encore  de  quoi  nourrir  saint  Benoît  ;  et 
tous  deux  vivent  ensemble ,  non  tant  d'un  même 
repas  que  d'un  même  jeûne. 

Cest ,  mes  pères ,  dans  cette  retraite ,  et  parmi 
ces  austérités ,  qu'il  méxlitait  ces  belles  règles  de 
sobriété  qu'il  vous  a  données  :  premièrement , 
d'ôter  à  la  nature  tout  le  supei-flu  :  secondement , 
pour  s'empêcher  de  prendre  du  goût  en  prenant 

*  S.Aug.  Confess.  lib.  x,  cap.  xxxm,  1. 1,  col.  187- 
'  Ibid.  cxxxiv,  col.  189. 

•  Bossuel  cite  ici ,  et  plus  bas  encore ,  un  autre  sennon  de 
aaint  Benott ,  auquel  il  renvoie ,  et  que  nous  n'aYons^  pu  re- 
lroQV«r.  (Bdit.  deDéfons.) 


le  nécessaire,  rappeler  l'esprit  au  dedans  par  la 
lecture  et  la  méditation  ;  «  en  sorte  qu'on  paraisse 
'»  moins  sortir  d'un  repas ,  que  d'un  exercice  spi- 
«  rituel  :  ■»  Vt  non  tant  cœnam  cœneni,  quant 
discipUnam  '  :  troisièmement ,  d'être  sans  inquié- 
tude à  l'égard  de  ce  nécessaire;  ne  donner  pas 
cet  appui  aux  sens,  que  l'aliment  nécessaire 
leur  est  assuré  :  [en  un  mot ,  n'avoir]  aucune  pré- 
voyance humaine,  s'abandonner  entièrement  à 
la  Providence ,  ne  pas  plus  craindre  la  faim  que 
les  autres  maux ,  donner  aux  pauvres  tout  ce  qui 
reste. 

Mais  voyons  néanmoins  encore  comment  il 
sortira  de  l'amour  de  ces  infâmes  plaisirs ,  dont 
les  ardeurs  insensées  nous  poussent  à  des  excès 
si  horribles.  Saint  Grégoire  de  JNysse  a  remarqué 
que  l'apôti-e  parle  différemment  de  cette  passion 
et  des  autres.  11  veut  qu'on  fasse  tête  contre  tous 
les  vices,  et  il  n'y  a  que  celui-ci  contre  lequel  il 
ordonne  de  s'assurer  par  la  fuite.  State  succincti 
lumbos  vestros  *  :  demeurez ,  mettez- vous  en  dé- 
fense, faites  ferme.  Mais  parlant  du  vice  d'impu- 
reté ,  toute  l'espérance  est  dans  la  fuite  ;  et  c'est 
pourquoi  il  a  dit  :  Fugite  fornicationem^.  Mi- 
litare  prœceptuïn ,  dit  saint  Grégoire  de  Nysse^  : 
tout  le  précepte  de  la  milice  dans  cette  guerre , 
c'est  de  savoir  fuir;  parce  que  tous  les  traits 
donnent  dans  les  yeux ,  et  par  les  yeux  dans  le 
cœur  ;  si  bien  que  le  salut  est  d'éviter  la  rencon- 
tre ,  et  de  détourner  les  regards. 

Quel  autre  avait  pratiqué  avec  plus  de  force 
cette  noble  et  généreuse  fuite ,  que  notre  saint? 
Mais,  ô  faiblesse  de  notre  naturel  qui  trouve 
toujours  en  elle-même  le  principe  de  sa  perte  !  Le 
feu  infernal  le  poursuit  jusque  dans  cette  grotte 
affreuse  :  déjà  elle  lui  paraît  insupportable  ;  déjà 
il  regarde  le  monde  d'un  œil  plus  riant.  [Près  de 
succomber,  il  a  recours  à  un  remède  inouï,  pour 
émoasser  l'aiguillon  de  la  chair,  et  amortir  ce 
feu  impur  dont  il  se  sent  embrasé.  Animé  d'un 
saint  transport ,  il  se  jette  dans  un  amas  d'épines  ;] 
et  convertit,  par  cette  généreuse  violence,  les 
attraits  de  la  volupté  en  une  douleur  vive ,  mais 
salutaire  :  Voluptatem  traxit  indolorem^.  Le 
sentiment  de  la  volupté  avait  éveillé  tous  les 
sens ,  pour  les  appeler  à  la  participation  de  ses 
douceurs  pernicieuses  ;  et,  pour  détourner  le  cours 
de  ces  ardeurs  sensuelles ,  il  excite  le  sentiment 
de  la  douleur,  qui  éveille  tous  les  sens  d'une  autre 
manière ,  pour  les  noyer  dans  l'amertume  :  Volup- 
tatem traxit  in  dolorem  :  «  Il  tira  en  douleur 
«  tout  le  sentiment  de  la  volupté.  »  C'est  à  quoi 

'  Tertull.  Apolog.  n»  39. 

»  Ephes.  Tl,  U. 

3  I.  Cor.  TI,  18. 

♦  Orat.  defug.fornic.  t.  n,  p.  129. 

»  S.  Grtgor.  Mag.  Dialog.  tib.  U,  cap.  n  ,  t.  U .  «ol.Ua^ 


4T2 


PANÉGYRIQUE 


il  employa  ces  épines  :  elles  rappelèrent  en  son 
souvenir ,  et  l'ancienne  malédiction  de  notre  na- 
ture ,  et  les  supplices  que  le  Sauveur  a  soufferts 
pour  nos  voluptés  infâmes. 

C'est  ce  que  doit  faire  en  nous  le  plaisir  des 
sens  :  aussitôt  qu'il  commence  à  se  réveiller, 
cette  douceur  trompeuse,  dont  il  nous  séduit, 
nous  doit  rappeler  la  mémoire  de  ce  trouble ,  de 
cette  alarme ,  de  cette  amertume ,  où  ces  excès 
ont  plongé  la  sainte  âme  de  notre  Sauveur.  Ne 
croyons  pas  que  ce  combat  nous  soit  inutile  ;  au 
contraire ,  la  victoire  nous  est  assurée.  Saint  Be- 
noît, par  ce  seul^effort,  a  vaincu  pour  jamais  la 
concupiscence  :  «  Il  n'aura  plus  que  de  légers 
«  combats  à  soutenir  ;  non  que  sa  vertu  se  soit 
««  affaiblie  ;  mais  parce  que  ses  ennemis  sont  ter- 
«  rassés,  et  que  le  nombre  en  est  diminué  :  « 
Exercet  minora  certamina,  non  virtutum  dimi- 
nutione,  sed  hostimn  '.  *  Sortez  donc  du  plaisir 
des  sens;  mais  prenez  garde,  mes  frères,  qu'en 
sortant  de  cet  embarras ,  pour  aller  à  Dieu  libre- 
ment ,  vous  ne  vous  arrêtiez  pas  en  chemin ,  et 
ne  soyez  pas  retenus  par  la  satisfaction  de  l'es- 
prit. 

SECOND   POINT. 

Saint  Augustin  nous  apprend  *  que  dans  cette 
grand  chute  de  noire  nature,  l'homme,  en  se 
séparant  de  Dieu ,  tomba  premièrement  sur  soi- 
même.  Il  n'en  est  pas  demeuré  là ,  à  la  vérité  ; 
et  s' étant  brisé  par  l'effort  d'une  telle  chute ,  ses 
désirs,  qui  étaient  réunis  en  Dieu,  mis  en  plu- 
sieurs pièces  par  cette  rupture,  furent  partagés 
deçà  et  delà,  et  tombèrent  impétueusement  dans 
les  choses  inférieures.  Mais  ils  ne  furent  pas  pré- 
cipités tout  à  coup  à  ce  bas  étage  ;  et  notre  esprit , 
détaché  de  Dieu ,  demeura  premièrement  arrêté 
en  lui-même  par  la  complaisance  à  ses  volontés , 
et  l'amour  de  sa  liberté  déréglée. 

En  effet ,  cet  amour  de  la  liberté  est  la  source 
du  premier  crime.  Un  saint  pape  nous  apprend , 
que  «  l'honmie  a  été  déçu  par  sa  liberté  :  »  Sua 
in  œternum  libertate  deceptus  ^.  Il  a  été  trompé 
par  sa  liberté ,  parce  qu'il  en  a  voulu  faire  une 
indépendance  :  il  a  été  trompé  par  sa  liberté , 
parce  qu'il  l'a  élevée  jusqu'à  l'audace  de  la  ré- 
bellion :  il  a  été  trompé  par  sa  liberté ,  parce 
qu'il  a  voulu  goûter  la  fausse  douceur  de  faire 
ce  que  nous  voulons,  au  préjudice  de  ce  que 

'  s.  Aug.  cont.  Julian.  lib.  VI ,  cap.  xviii ,  n°  56 ,  tom.  x , 
col.  «94. 

*  Le  prédicateur  nous  renvoie  au  troisième  point  d'un  pané- 
gyrique de  saint  Thomas  d'Aquin ,  que  nous  n'avons  encore 
pu  découvrir.  (  Édit.  de  Déforis.) 

^  De  Civ.  Dei,  lib.  xiY,  cap.  xm,  t.  VII,  col.  364. 

■*  Innocent,  i,  Epist.  xxiT,  ad.  Conc.  Carth.  Lab.  tom.  ii, 
col.  1285. 


Dieu  veut.  Tel  est  le  péché  du  premier  homme, 
qui ,  ayant  passé  à  ses  descendants ,  tel  qu'il  a 
été  dans  sa  source ,  a  imprimé ,  au  fond  de  nos 
cœurs ,  une  liberté  indomptée  et  un  amour  d'in- 
dépendance. 

Nous  nous  relevons  de  notre  chute  avec  le 
même  progrès  par  lequel  nous  sommes  tombés. 
Conmie  donc ,  en  nous  retirant  de  Dieu ,  nous 
nous  sommes  arrêtés  en  nous-mêmes ,  avantque 
de  nous  engager  tout  à  fait  dans  les  choses  infé- 
rieures ;  ainsi ,  sortant  de  ce  bas  étage ,  nous  avons 
beaucoup  à  craindre  de  nous  arrêter  encore  à 
nous-mêmes ,  plutôt  que  de  nous  réunir  tout  à 
fait  à  Dieu.  C'est  à  quoi  s'est  opposé  le  grand 
saint  Benoît ,  lorsqu'il  vous  a  obligés  si  exacte- 
ment à  la  loi  de  l'obéissance'.  [Il  la  fonde  sur 
les  motifs  les  plus  pressants  :  la  nécessité  de  se 
quitter  soi-même  et  de  renoncer  à  sa  volonté  pro- 
pre, pour  parvenir ,  en  s'élevant  au-dessus  de  ses 
désirs  et  de  ses  cupidités ,  à  se  fixer  pleinement 
en  Dieu.  Et  comme  il  suffit  de  se  réserver  une 
partie  de  son  propre  esprit ,  pour  le  recouvrer 
tout  entier  et  s'y  arrêter  ;  aussi  le  saint  législa- 
teur veut-il  que  l'obéissance ,  qu'il  prescrit ,  soit 
prompte,  parfaite,  et  sans  bornes.  Il  va  jusqu'à 
exiger  qu'on]  laisse  tous  les  ouvrages  imparfaits  ; 
afin  que  l'ouvrage  de  l'obéissance  soit  parfaite- 
ment accompli.  C'est  une  image  de  la  souverai- 
neté de  Dieu,  [qui  demande  que  nous  quittions 
tout ,  au  moindre  signe  de  sa  volonté ,  pour]  ho- 
norer la  dépendance  souveraine  où  sa  grandeur 
et  sa  majesté  tiennent  toutes  choses.  Rien  donc 
de  plus  exact,  que  la  manière  dont  la  règle  de 
saint  Benoît  décrit  l'obéissance  ;  et  rien  de  plus 
propre  que  cette  juste  dépendance ,  pour  domp- 
ter, par  la  discipline ,  cette  hberté  indomptable. 

[Pratiquez  donc,  mes  pères,  avec  joie,  une 
obéissance  si  salutaire  et  si  glorieuse,]  Les  mon- 
dains courent  à  la  servitude  par  la  liberté  :  vous , 
au  contraire ,  vous  parvenez  à  la  liberté  par  la 
dépendance.  [Car,  hélas  !  plus  nous  suivons  nos 
désirs  déréglés ,  plus  nous  devenons  captifs  ;  plus 
nous  nous  conduisons  par  notre  volonté  propre , 
moins  nous  faisons  ce  que  nous  voulons.  ]  «  Je 
«  suis,  dit  saint  Augustin,  qui  l'avait  bien  éprouvé, 
«  je  suis  parvenu  où  je  ne  voulais  pas ,  en  obéis- 
«  sant  à  ma  volonté  :  «  Volens  quo  nollem  per- 
veneram  *.  Voulez-vous  que  vos  passions  soient 
invincibles?  Qui  de  nous  n'espère  pas  de  les 
vaincre  un  jour?  Mais  en  les  autorisant  par  notre 
liberté  indocile,  nous  les  mettons  en  état  de  ne 
pouvoir  plus  être  réprimées.  Vous  suivez  vos 
inclinations ,  vous  faites  ce  que  vous  voulez  ;  vous 
ne  pouvez  plus  en  être  le  maître,  vous  voilà  où 

'  Regul.  cap.  V. 

»   Con/fjs.  lib.  VIII,  cap.  V,  t.  I.col.  14». 


DE  SAINT  BENOIT. 


433 


vous  n€  voulez  pas  :  rous  vous  engagez  à  oet 
amour,  vous  allez  où  vous  voulez;  vous  ne  pou- 
vez plus  vous  en  déprendre  ;  et  ces  chaînes  que 
vous  avez  vous-mêmes  forgées,  [vous  coûteront 
plus  à  rompre,  que  le  fer  le  plus  dur.]  Vous  voilà 
donc  où  vous  ne  voulez  pas  :  ainsi  vous  arrivez 
à  la  servitude  par  la  liberté. 

Prenez  une  voie  contraire;  allez  à  la  liberté 
par  la  dépendance.  Qr'est-ce  que  la  liberté  des 
enfants  de  Dieu ,  sinon  une  dilatation  et  une 
étendue  d'un  cœur  qui  se  dégage  de  tout  la  fini? 
Efjredere;  par  conséquent  coupez ,  retranchez. 
Notre  volonté  est  finie  ;  et  tant  qu'elle  se  resserre 
en  elle-même,  cîL  se  donne  des  bornes.  Voulez- 
vous  être  libre?  dégagez- vous  ;  n'ayez  plus  de 
volonté  que  celle  de  Dieu  :  ainsi  vous  entrerez 
dans  les  puissances  du  Seigneur  ;  et  oubliant  votre 
volonté  propre,  vous  ne  vous  souviendrez  plus 
que  de  sa  justice. 

Mais  peut-être  que  vous  direz  :  Comment  est- 
ce  que  saint  Benoît  a  pratiqué  cette  obéissance , 
lui  qui  a  toujours  gouverné  ?  Et  moi  je  vous  ré- 
pondrai qu'il  a  pratiqué  l'obéissance,  lorsque, 
maigre  son  humilité,  il  a  accepté  le  commande- 
ment. Je  vous  répondrai  encore  une  fois  qu'il  a 
pratiqué  l'obéissance,  lorsqu'il  s'est  laissé  for- 
cer, par  la  charité,  à  quitter  la  paix  de  sa  re- 
traite :  enfin  je  vous  répondrai  qu'il  a  pratiqué 
l'obéissance,  lorsqu'il  a  exercé  son  autorité. 

Quelle  est  la  supériorité  ecclésiastique  ?  Dans 
le  monde ,  l'autorité  attire  à  soi  les  pensées  des 
autres ,  captive  leurs  humeurs  sous  la'sienne.  Dans 
les  supériorités  ecclésiastiques ,  on  doit  s'accom- 
moder aux  humeurs  des  autres ,  parce  qu'on  doit 
rendre  l'obéissance  non-seulement  ponctuelle, 
mais  volontaire;  parce  qu'on  doit  non-seulement 
régir,  mais  guérir  les  âmes  ;  non-seulement  les 
conduire ,  mais  les  supporter.  Saint  Benoît  a  bien 
entendu  cette  vérité,  lorsqu'il  a  dit  ces  mots, 
touchant  l'abbé  :  «  Qu'il  pense  combien  il  est 
«  difficile  de  conduire  les  âmes,  et  de  s'accom- 
«  moder  aux  dispositions  de  chacun  :  •.  Quam 
arduum  sit  regere  animas,  et  multonan senire 
moribusK  Admirable  alliance!  régir  et  servir, 
telle  est  l'autorité  ecclésiastique.  Il  y  a  cette  dif- 
férence entre  celui  qui  gouverne  et  celu  i  qui  obéit, 
que  celui  qui  obéit  ne  doit  obéir  qu'à  un  seul, 
et  que  celui  qui  gouverne  obéit  à  tous  :  si  bien 
que  sous  le  nom  de  père,  sous  le  nom  de  supé- 
rieur et  de  maître  spirituel,  il  est  effectivement 
serviteur  de  tous  ses  frères  :  Omnium  meservum 
feci  '.  Ainsi  celui  de  tous  dont  la  volonté  est  la 
plus  captive,  c'est  le  supérieur  :  car  il  ne  doit 

•  Reg.  cap.  ii. 

*  L  Cor  rx,  19. 

BOSSl'ET.  —  TOMf  111. 


j  jamais  agir  suivant  son  inclination ,  mais  selon 
le  besoin  des  autres;  «  employant,  comme  saint 
<>  Benoît  le  lui  recommande,  tantôt  de  douces 
«  insinuations ,  tantôt  les  remontrances  et  les  re- 
«  proches,  d  autres  fois  les  exhort?itions ,  et  se 
«  conformant  aux  qualités  d  tàix  ^dispositions  de 
«  tous  ses  frères  :  »  Blandimentis ,  increpaiio- 
nibus,  siiasionibns  j  omni'jus  se  cor  formel  et 
aptet'.  ^'uI,  par  conséquent,  ne  doit  être  plus 
dénué  de  son  esprit  propre  et  de  sa  propre  vo- 
lonté. 

[  Pourquoi  ]  l'eau  [  nodis  est  elle  d'un  si  grand 
usage ,  et  fournit-elle  tant  d?  secours  à  la  vie,  si 
ce  n'est  parce  qu'étant  un  corps  fluide,  elle  s'of- 
fre comme  d'elle-même  à  tous  nos  besoins ,  et 
qu'elle  se  communique ,  sans  qu'il  faiiie  faire  au- 
cun effort  pour  en  jouir  ?  Au  contraire,  les  cori^s 
solides ,  qui  ont  leur  figure  propre ,  ne  savent  ja- 
mais se  prêter  à  nos  désirs  :  toujours  ils  opposent  ^ 
une  résistance  qu'on  ne  surmonte  qu'avec  peine; 
et  plutôt  que  de  céder  à  nos  volontés.  Ils  se  bri- 
sent ,  et  rompent  souvent  les  instruments  qui  ser- 
vent à  les  réduire.]  Ainsi  ceux  qui  ont  leur  vo- 
lonté^ne  fléchissent  pas  facilement  aux  besoins 
des  autres  :  [l'opiniâtre  attachement  qu'ils  ont  à 
leur  propre  sens  les  empêche  d'user,  dans  les  oc- 
casions ,  d'une  sage  condescendance  ;  et  par  cette 
inflexibilité ,  ils  arrachent,  ils  détruisent ,  au  lieu 
de  planter  et  d'édifier. 

[Vous  voyez,  mes  pères,  combien  l'obéissance 
vous  doit  être  chère  et  précieuse ,  et  avec  quel 
zèle  vous  devez  vous  porter  à  la  rendre.  ]  C'est  le 
guide  des  mœurs,  le  rempart  de  l'humilité,  l'ap- 
pui de  la  persévérance,  la  vie  de  l'esprit,  et  la 
mort  assurée  de  l'amour-propre.  Vous  avez ,  mes 
pères,  un  exemple  domestique  de  la  vertu  de  i'6- 
béissance.  [Le  jeune  Placide,  tombé  dans  un 
lac ,  en  y  puisant  de  l'eau ,  est  près  de  s'y  noyer, 
lorsque  saint  Benoît  ordonne  à  saint  Maur,  son 
fidèle  disciple,  de  courir  promptement  pour  le 
retirer.  Sur  la  parole  de  son  maître,  Maur  part 
sanshésiter,  sans  s'arrêter  aux  difficultés  de  l'en- 
treprise; et  plein  de  confiance  dans  l'ordre  qu'il 
avait  reçu  ,  il  marche  sur  les  eaux  avec  autant 
de  fermeté  que  sur  la  terre,  et  retire  Plaeidedu 
gouffre  ou  il  allait  être  abîmé.]  A  quoi  attribue- 
rai-je  un  si  grand  miracle ,  ou  à  la  force  de  l'o- 
béissance, ou  à  celle  du  commandement?  Grande 
question ,  dit  saint  Grégoire  * ,  entre  saint  Benoît 
et  saint  Maur.  Mais  disons ,  pour  la  décider,  que 
l'obéissance  porte  grâce,  pour  accomplir  l'effet  du 
commandement;  que  le  commandement  porte 
grâce,  pour  donner  efficace  à  l'obéissance. 

Marchez ,  mes  pères ,  sur  les  flots  avec  le  fe- 

'  Reg.  cap.  ii. 

»  Dialog.  lib.  ii,  cap.  vu,  t.  ii,  col.  225 


434  PA?^ÉGYRIQUE 

cours  de  Tobéissance ,  \ous  trouverez  de  la  con- 
*iistance  au  milieu  de  rinconstance  des  choses 
humaines.  Les  flots  n'auront  point  de  force  pour 
vous  abattre ,  ni  les  abîmes  pour  vous  engloutir. 
Vous  demeurerez  immuables,  comme  si  tout 
faisait  ferme  sous  vos  pieds ,  et  vous  sortirez 
victorieux.  Mais  quand  vous  serez  arrivés  à  cette 
perfection  éminente  de  renoncer  à  la  satisfac- 
tion de  votre  esprit  propre ,  ne  vous  arrêtez  pas 
en  si  beau  chemin  :  Eyredere,  sortez ,  passez 
outre. 

TROISIÈME   POINT. 

La  perfection  chrétienne  n'est  pas  dans  un 
degré  déterminé;  elle  consiste  à  croître  toujours. 
Jésus- Christ  en  est  le  modèle  ;  «'est  lui  que  nous 
devons  suivre.  Jamais  nous  ne  pourrons ,  dans 
cette  vie,  atteindre  à  l'éminence  de  sa  sainteté  : 
par  conséquent,  il  faut  avancer  sans  cesse,  et 
sans  se  relâcher  jamais.  Egredere,  eyredere  : 
quelque  part  où  vous  soyez ,  passez  outre ,  ou- 
bliez tout  ce  qui  est  derrière  vous ,  avancez-vous 
infatigablement  vers  ce  qui  est  devant  vous,  et 
courez  incessamment  au  terme  de  la  carrière  où 
vous  êtes  entrés  :  Quœ  quidem  rétro  sunt  obli- 
viscens ,  ad  ea  vero  quœ  suntpriora  extendens 
meipsum,  ad  destination  persequor\ 

En  effet,  le  voyage  chrétien  est  de  tendre  à 
une  charité  éminente  par  un  chemin  droit ,  avec 
un  poids  d'une  pesanteur  infinie  qui  vous  traîne 
en  bas.  Tel  est  l'état  du  chrétien  :  il  faut  toujours 
être  en  action,  toujours  grimper,  toujours  faire 
effort  :  car  dans  un  chemin  si  droit ,  avec  un  poids 
si  pesant,  qui  ne  court  pas,  retombe;  qui  lan- 
guit ,  meurt  bientôt;  qui  ne  fait  pas  tout ,  ne  fait 
rien;  qui  n'avance  pas,  recule  en  arrière. 

Aussi  saint  Benoît ,  après  avoir  mené  ses  dis- 
ciples par  tous  les  sentiers  de  la  perfection ,  à  la 
fin  il  les  rappelle  au  premier  pas ,  en  leur  faisant 
sentir  que  tout  ce  qu'il  leur  a  prescrit  n'est  en- 
core que  le  commencement  d'une  vie  vraiment 
chrétienne  et  religieuse  :  Utinitium  aliquod  con- 
versationis  nos  demonstremus  habere^.  [Son 
dessein  est  de]  les  tenir  toujours  en  haleine ,  et 
de  les  empêcher  d'être  jamais  satisfaits  d'eux- 
mêmes  ,  quelque  fidélité  qu'ils  puissent  avoir 
eue  pour  les  pratiques  de  leur  règle.  Ce  ne  sera 
jamais ,  au  jugement  de  leur  père ,  qu'un  moyen, 
qui  doit  les  conduire  à  quelque  chose  d'encore 
plus  parfait.  «  Qui  que  vous  soyez ,  leur  dit-il , 
«  qui  désirez  arriver  promptement  à  la  céleste 
■  «  patrie ,  accomplissez ,  par  la  grâce  de  Jésus- 
«  Christ,  cette  règle  comme  un  petit  commence- 


'  Philipp.  III,  13,  14. 
'  Reg,  cap.  Lxxm 


«  ment  de  la  vie  monastique ,  et  vous  vous  élè- 
«  verez  enfin ,  en  la  pratiquant ,  à  de  plus  grandes 
«  choses  :  vous  parviendrez ,  avec  le  secours  de 
«  Dieu,  au  comble  d'une  doctrine  toute  sainte 
«■  et  d'une  vertu  toute  divine  :  »  Quisquis  igi- 
tur  ad  patriam  cœl estent  festinas,  hanc  mini- 
mam  inchoationis  régulant j  Deo  adjuvante, 
perfice  ;  et  tune  demum  ad  majora  doctrinœ 
virtutumque  culmina,  Deo  protegente , perve^ 
nies'. 

Deux  raisons  [portaient  saint  Benoît  à  exciter 
ainsi  le  zèle  de  ses  enfants];  l'une,  que  si  l'on 
croit  être  parvenu  au  but,  si  l'on  croit  avoir  fait 
quelque  progrès ,  on  se  relâche  ;  le  sommeil  nous 
prend ,  on  périt.  [Rien  de  plus  funeste  que]  l'as- 
soupissement de  l'âme,  qui  croit  être  avancée 
dans  la  perfection.  Il  y  a  en  nous  une  partie  lan- 
guissante, qui  est  toujours  prête  à  s'endormir,  tou- 
jours fatiguée,  toujours  accablée,  qui  ne  cher- 
che qu'à  se  laisser  aller  au  repos.  L'esprit  veilTe 
et  dispute  contre  le  sommeil ,  selon  le  précepte 
du  Sauveur;  Vigilate'.  La  chair,  cette  partie 
languissante  et  endormie ,  lui  dit,  pour  l'inviter 
au  repos  :  Tout  est  calme,  tout  est  tranquille; 
les  passions  sont  vaincues,  les  vents  sont  bridés, 
toutes  les  tempêtes,  apaisées,  le  ciel  est  serein  ;  la 
mer  est  unie ,  le  vaisseau  s'avance  tout  seul  :  Fe- 
runt  ipsa  œquora  classem  ^.  Voyez  comme  le 
ciel  est  serein,  les  vagues,  dociles;  ne  voulez-vous 
pas  prendre  un  peu  de  repos?  L'esprit  se  laisse 
aller,  et  sommeille  :  assuré  sur  la  face  de  la  mer 
calmée,  et  sur  la  protection  du  ciel,  expérimen- 
tée souvent ,  il  lâche  le  gouvernail ,  et  laisse  aller 
le  vaisseau  à  l'abandon  :  les  vents  se  soulèvent, 
il  est  submergé.  0  esprit  !  qui  vous  êtes  fié  vai- 
nement ,  et  en  la  grâce  du  ciel ,  et  au  calme 
trompeur  de  vos  passions ,  vous  servirez  d'exem- 
ple à  jamais  des  périls  où  jette  les  âmes  une  folle 
et  téméraire  confiance  !  Onimium  cœloetpelago 
confise  sereno  ^  ! 

L'autre  raison ,  [qui  doit  engager  les  religieux 
et  les  chrétiens  à  se  hâter  de  toujours  avancer, 
sans  jamais  s'arrêter,  c'est  le  danger  de  se  laisser 
surprendre  par  les  artifices  et  les  flatteries  de  la 
vanité  :  car,  au  moment  où  le  chrétien,  content 
de  lui-même ,  se  réjouira  dé  ses  progrès ,  et  croira 
pouvoir  se  reposer,  parce  qu'il  a  surmonté  tous 
ses  vices  ;  l'orgueil ,  ranimé  par  cette  vaine  com- 
plaisance],  lèvera  la  tête  et  lui  dira  :  Je  vis  en- 
core ;  pourquoi  triomphes-tu?  «  et  c'est  parce  que 
"  tu  triomphes,  que  je  vis  :  »  Et  ideo  vivo,  quia 
triumphas^l  [Que  celui  donc  qui  veut  assurer 

^  Beg.  cap.  lxxiii. 

^  Matth.  XTI,  41. 

'  P'irgil.  yEtieid.  lib.  V. 

<  Ibid. 

5  S.  Aug.  de  Nai.  ci  Grat.  n"  35 ,  t.  x,  col.  142. 


DE  SAINT  BENOIT. 


435 


son  salut,  s'étudie  à  une]  pratique  exacte  de 
l'humilité,  en  se  transportant  continuellement 
hors  de  soi-même  [par  un  mépris  sincère  de  tout 
ce  qu'il  est ,  d^;  tout  ce  qu'il  a  fait ,  et  un  désir 
persévérant  de  travailler  chaque  jour  à  s'unir 
plus  intimement  à  son  Dieu].  C'est  dans  cette  vue , 
mes  pères ,  que  saint  Benoît ,  votre  bienheureux 
législateur,  vous  ramène  toujours  au  commence- 
ment, jugeant  bien  que  la  vie  spirituelle  ne  peut 
subsister  sans  un  continuel  renouvellement  de 
ferveur.  C'est  pour  cela  qu'il  appelle  l'accomplis- 
sement de  sa  règle  uu  petit  commencement.  Car 
parlons  en  vérité  de  cette  règle  ;  et  pour  couron- 
ner cette  humilité  qui  l'a  si  saintement  déprimée, 
r(ilevons-la  aujourd'hui  et  célébrons  sa  grandeur 
et  sa  perfection  devant  l'Église  de  Dieu. 

Cette  règle ,  c'est  un  précis  du  christianisme , 
un  docte  et  mystérieux  abrégé  de  toute  la  doc- 
trine de  l'Évangile,  de  toutes  les  institutions  des 
saints  Pères,  de  tous  les  conseils  de  perfection. 
Là  paraissent ,  avec  éminence ,  la  prudence  et  la 
simplicité,  l'humilité  et  le  courage,  la  sévérité 
et  la  douceur,  la  liberté  et  la  dépendance.  Là, 
la  correction  a  toute  sa  fermeté;  la  condescen- 
dance, tout  son  attrait  ;  le  commandement,  toute 
sa  vigueur  ;  et  la  sujétion ,  son  repos  ;  le  silence , 
sa  gravité  ;  et  la  parole ,  sa  grâce  ;  la  force ,  son 
exercice  ;  et  la  faiblesse,  son  soutien  :  et  toutefois, 
mes  pères,  il  l'appelle  un  commencement,  pour 
vous  nourrir  toujours  dans  la  crainte. 

Tremblez  ici ,  chrétiens  :  ceux  qui  sont  dans 
le  port  frémissent ,  et  ceux  qui  sont  dans  les  tem- 
pêtes vivent  assurés  :  [  ceux  qui  ont  renoncé  à 
tout,  à  leurs  biens ,  à  leur  liberté,  à  leur  volonté 
même;  qui  ont  embrassé  la  pénitence  la  plus  ri- 
goureuse ,  qui  s'immolent  en  tant  de  manières 
différentes ,  ne  sont  pas  encore  contents ,  et  veu- 
lent toujours  en  faire  davantage  ;  ils  gémissent 
sur  le  passé,  ils  s'inquiètent  sur  le  présent,  ils 
prennent  des  mesures  efficaces  pour  se  montrer 
à  l'avenir  plus  fervents  :  et  ces  hommes  qui  pas- 
sent leurs  jours  dans  la  mollesse,  les  plaisirs, 
l'oisiveté;  qui  ne  savent  ce  que  c'est  que  de  con- 
traindre leurs  sens  et  leur  volonté,  qui  ne  font 
aucun  effort  pour  briser  leur  chaînes ,  croiront 
pouvoir  être  tranquilles  sur  leur  état,  et  vivre 
dans  une  pleine  sécurité,  au  milieu  de  tant  de 
sujets  de  trembler!]  0  que  ces  voies  sont  con- 
traires !  ô  que  les  uns  ou  les  autres  sont  insensés  ! 
Qui  jugera  ce  différend?  qui  décidera  ce  doute? 
qui  terminera  ce  procès?  Chacun  a  pris  son  parti, 
et  s'est  intéressé  dans  sa  propre  cause.  Jugez- 
nous  ,  Sagesse  ;  tranchez ,  par  votre  autorité  sou- 
veraine, cette  questiMi  :  Lesquels  sont  les  sages, 
lesquels  sont  les  fous?  ou ,  si  vous  ne  voulez  pas 
nous  parler  vous-même ,  faites  parler  votre  apô-  ' 


tre  :  «  Opérez,  nous  dit-il ,  votre  salut  avec  crainte 
«  et  tremblement,  »  eum  metu  et  tremore  '.  O 
vous  qui  êtes  dans  la  voie  de  perfection,  opérez 
votre  salut  avec  tremblement;  car  c'est  Dieu 
seul  qui  vous  tient.  Si  vous  le  quittez,  il  vous 
quitte  ;  si  vous  l'abandonnez,  il  vous  abandonne  ; 
si  vous  vous  relâchez,  il  vous  laisse  aller.  Mais 
s'il  vous  quitte ,  vous  le  quittez  encore  plus  ;  et 
s'il  vous  abandonne,  vous  vous  éloignez  jusqu'à 
l'infini;  et  s'il  vous  laisse  aller,  vous  tombez  jus- 
.qu'au  fond  du  précipice.  Que  si  ceux-là  vivent 
en  crainte,  qui  sont  dans  la  voie  de  perfection, 
combien  doivent  être  saisis  de  frayeur  ceux  qui 
s'abandonnent  aux  vices  ! 

Egredere,  egredere  :  Sortez  *  [donc,  mes  frè- 
res ,  sortez  de  tous  ces  objets  sensibles  qui  vous 
séduisent  ;  détachez- vous  de  ces  faux  plaisirs  qui 
vous  captivent  et  vous  dégradent.  ÎVe  vous  arrê- 
tez pas  davantage  à  vous-mêmes  ;  parce  que  vous 
vous  rendriez  coupables  d'une  insigne  apostasie. 
Vous  vous  devez  a  un  Dieu  qui  vous  a  faits  pour 
lui,  de  qui  vous  tenez  tout,  et  qui  peut  seul  sa- 
tisfaire l'avidité  de  vos  désirs.  Mais  si  vous  vou- 
lez le  posséder,  courez;  ne  mettez  point  de  bor- 
nes à  vos  efforts  pour  l'embrasser  :  car  pour  peu 
que  vous  vous  relâchiez,  il  vous  échappe.  Aspirez 
toujours  à  quelque  chose  de  plus  grand  et  de  plus 
parfait.  Regardez- vous  sans  cesse  comme  des 
voyageurs ,  qui  n'ont  point  ici-bas  de  cité  perma- 
nente. Cherchez,  avec  un  empressement  toujours 
nouveau ,  celle  où  vous  devez  habiter  un  jour  ; 
envoyez-y  d'avance  votre  cœur ,  votre  amour, 
tous  vos  désir»,  pour  en  prendre  possession,  et 
marchez  d'un  pas  ferme  et  courageux  :  car  le 
chemin  est  étroit ,  il  est  pénible  ;  il  faut  se  roidir 
continuellement  pour  arriver  à  la  montagne  de 
Sion,  votre  véritable  patrie,  où,  après  tous  les  pé- 
rils et  toutes  les  fatigues  du  voyage ,  vous  jouirez 
d'un  repos  et  d'une  paix  inaltérable,  que  je  vous 
souhaite.  ] 

'  Philipp.  II,  12. 

*  Bossaet  s'était  contenté,  pour  indiquer  sa  péroraùon, 
d'écrire  ces  mots  :  «  Récapitulatien  de  tout  le  voyage ,  cilmt- 
«  tatton  à  l'amour  de  la  patrie.  »  (  Écht  de  Défuris.  ) 


43G 


PANÉGYRIQUE 


PANÉGYRIQUE 


SAINT  FRANÇOIS  DE  PAULE, 

MÊl^HÉ   A   PARIS  CHEÏ   LES   RÉVÉRENDS    PÈRES    MIMMIiS    Ï)E 
LX  fLACE-ROTALE,   EU    1668. 

Séparation  du  monde,  union  intime  avec  Jésus-Christ,  droit 
particulier  sur  les  ttiens  de  Dieu,  trois  avantages  qu'a  donnés 
à  François  de  Paule  l'intégrité  bapUsroale. 

Filiy  tu  semper  mecum  es,  et  omnia  mca  tua sunt. 

Mon  fils ,  vous  êtes  toujours  avec  moi ,  et  tout  ce  qui  est  à 
moi,  est  à  vous.  Luc.  xv,  31. 

Je  ne  pouvais  désirer,  messieurs,  une  ren- 
contre plus  heureuse  ni  plus  favorable ,  que  de 
faire  ici  mon  dernier  discours,  en  produisant 
dans  cette  audience  le  grand  et  admirable  saint 
François  de  Paule.  L'adieu  ([ue  doivent  dire  aux 
fidèles  les  prédicateurs  de  l'Évangile  ne  doit  être 
autre  chose  qu'un  pieux  désir,  par  lequel  ils  tâ- 
chent d'attirer  sur  eux  les  bénédictions  célestes  ; 
et  c'est  ce  que  fait  l'apôtre  saint  Paul ,  lorsque , 
se  séparant  des  Éphésiens,  il  les  recommande  au 
grand  Dieu ,  et  à  sa  grâce  toute-puissante  :  Et 
nunc  commendo  vos  Deo,  et  verbo  gratiœ  ip- 
sius^.  Je  ne  doute  pas,  chrétiens,  que  les  vœux 
de  c«  saint  apôtre  n'aient  été  suivis  de  l'exécu- 
tion ;  mais  ne  pouvant  pas  espérer  un  pareil  effet 
de  prières  comme  les  miennes,  ce  m'est  une  conso- 
lation particulière  de  vous  faire  paraître  saint 
François  de  Paule  pour  vous  bénir  en  Notre-Sei- 
gneur.  Ce  sera  donc  ce  grand  patrierche  qui,  vous 
trouvant  assemblés  dans  une  église  qui  porte  son 
nom ,  étendra  aujourd'hui  les  mains  sur  vous  ;  ce 
sera  lui  qui  vous  obtiendra  les  grâces  du  ciel ,  et 
qui ,  laissant  dans  vos  esprits  l'idée  de  sa  sainteté 
et  la  mémoire  de  ses  vertus ,  confirmera  par  ses 
beaux  exemples  les  vérités  éN  angéliques  qui  vous 
ont  été  prêchéés  durant  ce  carême.  Animé  de 
cette  pensée,  je  commencerai  ce  discours  avec 
une  bonne  espérance  ;  et  de  peur  qu'elle  ne  soit 
vaine ,  je  prie  Dieu  de  la  confirmer  par  la  grâce 
de  son  Saint-Esprit,  que  je  lui  demande  humble- 
ment par  l'intercession  de  la  sainte  Vierge.  Ave. 

Ne  parlons  pas  toujours  du  pécheur  qui  fait 
pénitence ,  ni  du  prodigue  qui  retourne  dans  la 
maison  paternelle.  Qu'on  n'entende  pas  toujours 
daiis  les  chaires  la  joie  de  ce  père  miséricordieux, 
qui  aretrouvéson  cadet  qu'il  avait  perdu.  Cetaîné 
iidele  et  obéissant,  qui  est  toujours  demeuré  au- 
près de.  son  père  avec  toutes  les  soumissions  d'un 
bon  His,  mérite  bien  aussi  qu'on  loue  quelquefois 

«  ./c/.  XX,32. 


sa  persévérance.  Il  ne  faut  pas  laisser  dans  l'ou- 
bli cette  partie  de  la  parabole  ;  et  l'innocence  tou. 
jours  conservée,  telle  que  nous  la  voyons  en  Fran- 
çois de  Paule ,  doit  aussi  avoir  ses  panégyriques. 
11  est  vrai  que  l'Évangile  semble  ne  retentir  de 
toutes  parts  que  du  retour  de  ce  prodigue  ;  il  oc- 
cupe ,  ce  semble,  tout  l'esprit  du  père  j  vous  di- 
riez qu'il  n'y  ait  que  lui  qui  le  touche  au  cœur. 
Toutefois,  au  milieu  du  ravisseiient  que  lui  donne 
son  cadet  retrouvé,  il  dit  deux  ou  trois  mots  à 
l'aîné,  qui  lui  témoignent  une  affection  bien  par- 
ticulière :  «  Mon  fils,  vous  êtes  toujours  avec  moi, 
«  et  tout  ce  qui  est  à  moi  est  à  vous  ;  »  et ,  je  vous 
prie,  ue  vous  fâchez  pas  si  je  laisse  aujourd'hui 
épancher  ma  joie  sur  votre  frère  que  j'avais  perdu, 
et  que  j'ai  retrouvé  contre  mon  attente  :  Fili,  tu 
semper  mecum  es;  c'est-à-dire ,  si  nous  l'enten- 
dons :  Mon  fils,  je  sais  bien  reconnaître  votre 
obéissance  toujours  constante,  et  elle  m'inspire 
pour  vous  un  fond  d'am'tié  ;  laquelle  ne  laisse  pas 
d'être  plus  forte,  encore  que  vous  ne  la  voyiez 
pas  accompagnée  de  cette  émotion  sensible  que 
me  donne  le  retour  inopiné  de  votre  frère  :  «  vous 
«  êtes  toujours  avec  moi ,  et  tout  ce  qui  est  à  moi , 
«  est  à  vous  5  nos  cœurs  et  nos  intérêts  ne  sont 
«  qu'un  :  »  tu  semper  mecum  es,  et  omnia  mea 
tua  sunt.  Voilà  une  parole  bien  tendre  :  cet  aîné 
a  un  beau  partage,  et  garde  bian  sa  place  dans 
ie  cœur  du  père. 

Cette  parole,  messieurs,  se  traite  rarement 
dans  les  chaires ,  parce  que  cette  fidélité  invio- 
lable ne  se  trouve  guère  dans  les  mœurs.  Qui  de 
nous  n'est  jamais  sorti  de  la  maison  de  son  père? 
Qui  de  nous  n'a  pas  été  prodigue?  Qui  n'a  pns 
dissipé  sa  substance  par  une  vie  déréglée  et  licen- 
cieuse? Qui  n'a  pas  repu  les  pourceaux,  c'est-à- 
dire,  ses  passions  corrompues?  Puisqu'il  y  en  a 
si  peu  dans  l'Église  qui  aient  su  garder  sans  tache 
l'intégrité  de  leur  baptême ,  il  est  beaucoup  plus 
nécessaire  de  rappeler  les  pécheurs ,  que  de  parler 
des  avantages  de  l'innocence.  Et  toutefois ,  chré- 
tiens, comme  l'Église  noits  montre  aujourd'hui , 
en  la  personne  de  saint  François  de  Paule ,  une 
sainteté  extraordinaire ,  qui  s'est  commencée  dès 
l'enfance ,  et  qui  s'est  toujours  augmentée  jusqu'à 
son  extrême  vieillesse  ;  comme  nous  voyons  en 
ce  grand  homme  un  religieux  accompli  ;  comme 
nous  admirons ,  dans  sa  longue  vie ,  un  siècle 
presque  tout  entier  d'une  piété  toujours  également 
soutenue  :  prodigues  que  nous  sommes,  respec- 
tons cet  aîné  toujours  fidèle,  et  célébrons  les  pré- 
rogatives de  la  sainteté  baptismale  si  soigneuse- 
ment conservée. 

Je  les  trouve  toutes  ramassées  dans  les  paroles 
de  mon  texte.  Être  toujours  avec  Jésus-Christ  sur 
sa  croix  et  dans  ses  souffrances ,  dans  le  mépri? 


DE  SAirST  FaA^COIS  DE  PAULE. 


431 


du  monde  et  des  vanités;  et  être  toujours  avec 
Jcsiis-Christ  par  une  sainte  correspondance  de 
charité,  et  une  véritable  unité  de  cœur  :  voilà 
deux  choses  qui  sont  renfermées  dans  la  première 
partie  de  mon  texte  :  Fili,  tu  semper  meeum  es  : 
-<  Mon  lils ,  vous  êtes  toujours  avec  moi ,  »  mais 
il  ajoute,  pour  comble  de  gloire,  «  et  tout  ce  qui 
«  est  àmoi,  est  à  vous,  «  ctomnia  vica  tua  simt  : 
c'est-à-dire  que  l'innocence  a  un  droit  acquis  sur 
tous  les  biens  de  son  Créateur.  Ce  sont ,  mes  frè- 
res, les  trois  avantages  qu'a  donnés  à  François 
de  Paule  l'intégrité  baptismale.  Nous  commen- 
çons dans  le  saint  baptême  à  être  avec  Jésus- 
Christ  sur  la  croix ,  parce  que  nous  y  professons 
Je  mépris  du  monde  :  saint  François ,  dès  son  en- 
fance ,  a  éternellement  rompu  le  commerce  avec 
lui  par  une  vie  pénitente  et  mortifiée.  Nous  com- 
mençons dans  le  saint  baptême  à  nous  unir  à 
Dieu  par  la  charité  :  il  n'a  jamais  cessé  d'avancer 
toujours  dans  cette  bienheureuse  communica- 
tiou.  Nous  acquérons  dans  le  saint  baptême  un 
droit  particulier  sur  les  biens  de  Dieu  :  et  saint 
François  a  tellement  conservé  et  même  encore 
augmenté  ce  droit ,  qu'on  l'a  vu  maître  de  soi- 
même  et  de  toutes  choses ,  par  une  puissance  mi- 
raculeuse que  Dieu  lui  avait  donnée  presque  sur 
toutes  les  créatures.  Ces  trois  merveilleux  avan- 
tages de  la  sainteté  baptismale ,  tous  ramassés 
dans  mon  texte,  et  dans  la  personne  de  François 
de  Paule ,  feront  le  partage  de  ce  discours,  et  le 
sujet  de  vos  attentions. 

PBEMIEB   POIKT. 

C'est  une  fausse  imagination  que  de  croire  que 
l'obligation  de  quitter  le  monde  ne  regarde  que 
les  cloîtres  et  les  monastères.  Ce  qu'a  dit  l'apôtre 
saint  Paul  ',  que  nous  sommes  morts  et  enseve- 
lis avec  Jésus-Christ,  étant  une  dépendance  de 
notre  baptême ,  oblige  également  tous  les  fidèles , 
et  leur  impose  une  nécessité  indispensable  de 
rompre  tout  commerce  avec  le  monde.  Et  en  ef- 
fet, messieurs,  les  liens  qui  nous  attachent  au 
monde  se  formant  en  nous  par  la  naissance ,  il 
est  clair  qu'ils  se  doivent  rompre  par  la  mort.  Les 
morts  ne  sont  plus  de  rien ,  ils  n'ont  plus  de  part 
à  la  société  humaine  :  c'est  pourquoi  les  tombeaux 
sont  appelés  des  solitudes  :  jEdificant  sibi  soli- 
tudines  *.  Si  donc  nous  sommes  morts  en  Jésua- 
Christ  par  le  saint  baptême ,  nous  avons  par  con- 
séquent renoncé  au  monde. 

Le  grand  apôtre  saint  Paul  nous  a  expliqué 
profondément  ce  que  c'est  que  cette  mort  spiri- 
tuelle, lorsqu'ils  parlé  en  ces  terrac;s  :  «  Le  monde, 
«  dit-il ,  est  crucifié  pour  moi ,  et  moi  je  suis  cru- 

'  Bom.Yi,  3,  4. 

*  Job.  m,  u. 


«  cifié  pour  le  monde:  "  Mihi  munduscrucifiarvx 
est,  et  ego  mundo  '.  Le  docte  et  éloquent  saint 
Jean-Chrysostôme  fait  une  belle  réflexion  sur 
ces  paroles  :  Ce  n'est  pas  assez,  dit-il  »,  à  l'a- 
pôtre ,  que  le  chrétien  soit  mort  au  monde;  mais 
il  ajoute  encore,  il  faut  que  le  monde  soit  mort 
pour  le  chrétien  :  et  cela,  pour  nous  faire  enten- 
dre que  le  commerce  est  rompu  des  deux  côtés, 
et  qu'il  n'y  a  plus  aucune  alliance.  Car,  pour- 
suit ce  docte  interprète,  l'apôtre  considérait  que 
non-seulement  les  vivants  ont  quelques  senti- 
ments les  uns  pour  les  autres,  mais  qu'il  leur 
reste  encore  quelque  affection  pour  les  morts  : 
ils  en  conservent  le  souvenir  ;  ils  leur  rendent 
quelques  honneurs ,  ne  serait-ce  que  ceux  de  la 
sépulture.  C'est  pourquoi  l'apôtre  saint  Paul 
ayant  entrepris  de  nous  faire  entendre  jusqu'à 
quelle  extrémité  le  fidèle  doit  se  dégager  de  l'a- 
mour du  monde  :  Ce  n'est  pas  assez ,  nous  dit-il , 
que  le  commerce  soit  rompu  entre  le  monde  et 
le  chrétien ,  comme  il  l'est  entre  les  vivants  et 
les  morts  ;  car  il  y  a  souvent  quelque  affection 
des  vivants  aux  morts,  qui  va  les  rechercher  dans 
le  tombeau  même.  Il  faut  une  plus  grande  rup- 
ture; et  afin  qu'il  n'y  reste  plus  aucune  alliance, 
t€l  qu'est  un  mort  à  l'égard  d'un  mort ,  tel  doit 
être  le  monde  et  le  chrétien  :  Mihi  mwidus  cru- 
cifixus  est,  et  ego  mundo.  Où  va  cela,  chrétiens^ 
et  ou  nous  conduit  ce  raisonnement?  Il  faut  vous, 
en  donner,  en  peu  de  paroles ,  une  idée  plus  par- 
ticulière. 

Ce  qui  nous  fait  vivre  au  monde ,  c'est  l'incli- 
nation pour  le  monde  :  ce  qui  fait  vivre  le  monde 
pour  nous ,  c'est  un  certain  éclat  qui  nous  chai  me 
dans  les  biens  du  monde.  La  mort  éteint  les  in- 
clinations ,  la  mort  ternit  le  lustre  de  toutes  cho-t 
ses  :  c'est  pourquoi ,  dit  saint  Paul,  je  suis  mort 
au  monde  ;  je  n'ai  plus  d'inclination  pour  le 
monde  :  le  monde  est  mort  pour  moi ,  il  n'a  plus 
d'éclat  pour  mes  yeux.  Comme  on  voit  dans  le 
plus  beau  corps  du  monde^qu'aussitôt  que  l'âme 
s'en  est  retirée ,  encore  que  bs  linéaments  soient 
presque  les  mêmes ,  cette  fleur  de  beauté  se  passe, 
et  cette  bonne  grâce  s*évanoult  :  ainsi  le  monde 
est  mort  pour  le  chrétien  ;  il  n'a  plus  d'appas  qui 
l'attirent ,  ni  de  charmes  qui  touchent  son  cœur. 
Voilà  cette  mort  spirituelle ,  qui  sépare  le  monde 
et  le  chrétien  :  telle  est  l'obligation  du  baptême. 
Mais  si  nous  avons  si  mal  observé  les  promesses 
que  nous  avons  faites ,  admirons  du  moins  au- 
jourd'hui la  sainte  obstination  de  saint  François 
de  Paule  à  combattre  la  nature  et  ses  sentiments; 
admirons  lafidélité  inviolable  de  ce  grand  ho;  nroe, 
qui  a  été  envoyé  de  Dieu,  pour  faire  revivre  «i 

^  Ôalat.  TI,  14. 
*  De  Compuwai,  Hb.  u ,  r.  n"*  3 , 1 1 ,  p.  liS. 


438 


PANÉGYRIQUE 


son  siècle  cet  esprit  de  mortification  et  de  péni- 
tence, c'est-à-dire,  le  véritable  esprit  du  chris- 
tianisme ,  presque  entièrement  aboli  par  la  mol- 
lesse. 

Que  dirai-je  ici,  chrétiens,  et  par  où  com- 
mencerai-je  l'éloge  de  sa  pénitence?  qu'admire- 
rai-je  le  plus,  ou  qu'il  l'ait  sitôt  commencée,  ou 
qu'il  l'ait  fait  durer  si  longtemps  avec  une  pareille 
vigueur?  Sa  tendre  enfance  l'a  vue  naître  en  lui , 
sa  vieillesse  la  plus  décrépite  ne  l'a  jamais  vue 
relâchée.  Par  l'une  de  ces  entreprises,  il  a  imité 
Jean-Baptiste ,  et  par  l'autre  il  a  égalé  les  Paul , 
les  Antoine,  les  Hilarion.  Vous  allez  voir,  mes- 
sieurs ,  eu  ce  grand  homme  un  terrible  renver- 
sement de  la  nature;  et  afin  de  le  bien  entendre, 
représentez-vous  en  vous-mêmes  quelles  sont  or- 
dinairement dans  tous  les  hommes  les  deux  ex- 
trémités de  la  vie  :  je  veux  dire ,  l'enfance  et  la 
vieillesse.  Elles  ont  déjà  cela  de  commun ,  que 
la  faiblesse  et  l'infirmité  sont  leur  partage.  L'en- 
fance est  faible,  parce  qu'elle  ne  fait  que  com- 
mencer; la  vieillesse,  parce  qu'elle  approche  de 
sa  ruine,  prête  à  tomber  par  terre.  Dans  l'enfance, 
le  corps  est  semblable  à  un  bâtiment  encore  im- 
parfait; et  il  ressemble  dans  la  vieillesse  à  un 
édifice  caduc ,  dont  les  fondements  sont  ébranlés. 
J.es  désirs  eu  l'une  et  en  l'autre  sont  proportion- 
nés à  leur  état.  Avec  le  même  empressement  que 
J'enfance  montre  pour  la  nourriture ,  la  vieillesse 
s'étudie  aux  précautions  ;  parce  que  l'une  veut 
acquérir  ce  qui  lui  manque ,  et  l'autre  retenir  ce 
qui  lui  échappe.  Ainsi  l'une  demande  des  secours 
pour  s'avancer  à  sa  perfection ,  et  l'autre  cherche 
des  appuis  pour  soutenir  sa  défaillance.  C'est 
pourquoi  elles  sont  toutes  deux  entièrement  ap- 
pliquées à  ce  qui  touche  le  corps  :  la  dernière, 
sollicitée  par  la  crainte;  et  la  première,  poussée 
par  un  secret  instinct  de  la  nature. 

François  de  Paule ,  messieurs ,  est  un  homme 
que  Dieu  a  voulu  envoyer  au  monde ,  pour  nous 
montrer  que  les  lois  de  la  nature  cèdent,  quand 
il  lui  plaît,  aux  lois  de  la  grâce.  INous  voyons  en 
cet  homme  admirable ,  contre  tout  l'ordre  de  la 
nature,  un  enfant  qui  modère  ses  désirs,  un 
vieillard  qui  n'épargne  pas  son  peu  de  force. 
C'est  ce  fils  fidèle  et  persévérant ,  qui  est  toujours 
avec  Jésus-Christ.  Jésus  a  toujours  été  dans  les 
travaux  :  In  laboribiis  a  juventute  mea  ';  il  a 
toujours  été  sur  la  croix  :  François  de  Paule 
e.nfant ,  commence  les  travaux  de  sa  pénitence. 
Il  n'avait  que  six  ou  sept  ans,  que  des  religieux 
très-réformés  admiraient  sii  vie  austère  et  mor- 
tifies. A  treize  ans,  il  quitte  le  monde  et  se  jette 
dans  un  désert ,  de  peur  de  souiller  son  imiocence 

'  Ps.  LXXXMl,  16. 


par  la  contagion  du  siècle.  Grâce  du  baptême , 
mort  spirituelle,  où  as-tu  jamais  paru  avec  plus 
de  force .'  Cet  enfant  est  déjà  crucifié  au  monde , 
cet  enfant  est  déjà  mort  au  monde ,  auquel  il  n'a 
jamais  commencé  de  vivre  !  Cela  est  admirable , 
sans  doute  ;  mais  voici  qui  ne  l'est  pas  moins. 

A  quatre-vingt-onze  ans,  ni  ses  fatigues  con- 
tinuelles ,  ni  son  extrême  caducité ,  ne  le  peuvent 
obliger  de  modérer  la  sévérité  de  sa  vie.  Il  'fait 
un  carême  éternel;  et  dans  la  rigueur  de  son 
jeûne ,  un  peu  de  pain  est  sa  nourriture ,  de  l'eau 
toute  pure  étanche  sa  soif  :  à  ses  jours  de  réjouis- 
sance ,  il  y  ajoute  quelques  légumes  ;  voilà  les 
ragoûts  de  François  de  Paule.  Au  milieu  de  cette 
rigueur,  de  peur  de  manger  pour  le  plaisir,  il 
attend  toujours  la  dernière  nécessité.  Il  ne  songe 
à  prendre  sa  réfection  ,  que  lorsqu'il  sent  que  la 
nuit  approche.  Après  avoir  vaqué  tout  le  jour  au 
service  de  son  Créateur,  il  croit  avoir  quelque 
droit  de  penser  pourvoir  à  l'infirmité  de  la  na- 
ture. Il  traite  son  corps  comme  un  mercenaire, 
à  qui  il  donne  son  pain  quand  il  a  achevé  sa  jour- 
née. Par  une  nourriture  modique,  il  se  prépare 
à  un  sommeil  léger  ;  louant  la  munificence  divine, 
de  ce  qu'elle  lui  apprend  si  bien  à  se  contenter 
de  peu.  Telle  est  la  conduite  de  saint  François  en 
santé  et  en  maladie  ;  tel  est  son  régime  de  vivre. 
Une  vigueur  spirituelle ,  qui  se  renouvelle  et  se 
fortifie  de  jour  en  jour ,  ne  permet  pas  à  son  âme 
de  sentir  la  caducité  de  l'âge.  C'est  cette  jeunesse 
intérieure  qui  soutenait  ses  membres  cassés, 
dans  sa  vieillesse  décrépite ,  et  lui  a  fait  continuer 
sa  pénitence  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie. 

Voici,  mes  frères,  un  grand  exemple,  pour 
confondre  notre  mollesse.  0  Dieu  de  mon  cœur  ! 
quand  je  considère  que  cet  homme  si  pur  et  si 
innocent ,  cet  homme  qui  est  toujours  demeuré 
dans  l'enfance  et  la  simplicité  du  saint  baptême, 
fait  une  pénitence  si  rigoureuse  ;  je  frémis  jus- 
qu'au fond  de  l'âme ,  et  les  continuelles  mortifi- 
cations de  cet  innocent  me  font  trembler  pour 
les  criminels  qui  vivent  dans  les  délices.  Quand 
nous  aurions  toujours  conservé  la  sainteté  bap- 
tismale; la  seule  conformité  avec  Jésus-Christ 
nous  oblige  d'embrasser  sa  croix ,  en  mortifiant 
nos  mauvais  désirs.  Mais  lorsque  nous  avons  été 
assez  malheureux  pour  perdre  la  sainteté  et  la 
grâce  par  quelque  faute  mortelle ,  il  est  bien  aisé 
de  juger  combien  alors  cette  obligation  est  re- 
doublée. Car  l'apôti'e  saint  Paul  nous  enseigne 
que  quiconque  déchoit  de  la  grâce,  crucifie  de 
nouveau  Jésus-Christ  '  ;  qu'il  perce  encore  une 
fois  ses  pieds  et  ses  mains;  que  non-seulement  il 
répand ,  mais  encore  qu'il  foule  aux  pieds  son 


Hchr 


DE  SALNT  FRAxNÇOIS  DE  PAULE. 


43» 


sang  pri'cJeux'.  S'il  est  ainsi,  chrétiens  mes  frè- 
res, pour  réparer  cet  attentat  par  lequel  nous 
cruciflons  Jésus-Christ,  que  pouvons-nous  faire 
autre  chose  sinon  de  nous  crucifier  nous-mêmes, 
et  de  venger  sur  nos  propres  corps  l'injure  que 
nous  avons  faite  à  notre  Sauveur? 

Tout  autant  que  nous  sommes  de  pécheurs , 
prenons  aujourd'hui  ces  sentiments  ;  et  impri- 
mons vivement  en  nos  esprits  cette  obligation  in- 
dispensable ,  de  venger  Jésus-Christ  en  nous-mê- 
mes. Je  ne  vous  demande  pas ,  pour  cela ,  ni  des 
jeûnes  continuels,  ni  des  macérations  extraor- 
dinaires, quoique,  hélas!  quand  nous  le  ferions, 
la  justice  divine  aurait  droit  d'en  exiger  encore 
beaucoup  davantage  :  mais  notre  lâcheté  et  notre 
faiblesse  ne  permettent  pas  seulement  que  l'on 
nous  propose  une  médecine  si  forte.  Du  moins , 
corrigeons  nos  mauvais  désirs;  du  moins,  ne 
pensons  jamais  à  nos  crimes  sans  nous  affliger 
devant  Dieu  de  notre  prodigieuse  ingratitude.  Ne 
donnons  point  de  bornes  à  une  si  juste  douleur  ; 
et  songeons  qu'étant  subrogée  à  une  peine  d'une 
étemelle  durée,  elle  doit  imiter,  en  quelque  sorte, 
son  intolérable  perpétuité  :  faisons-la  donc  durer 
du  moins  jusqu'à  la  fin  de  notre  vie.  Heureux  ceux 
que  la  mort  vient  surprendre  dans  les  humbles 
sentiments  de  la  pénitence  !  Je  parle  mal ,  chré- 
tiens ;  la  mort  ne  les  surprend  pas.  La  mort  pour 
eux ,  n'est  pas  une  mort  ;  elle  n'est  mort  que  pour 
ceux  qui  vivent  enivrés  de  l'amour  du  monde. 

Notre  incomparable  François  était  en  la  cour 
de  Louis  XI ,  où  Ion  voyait  tous  les  jours  et  le 
pouvoir  de  la  mort ,  et  son  impuissance  :  son  pou- 
voir, sur  ce  grand  monarque  ;  son  impuissance , 
sur  ce  pauvre  ermite.  Louis ,  resserré  dans  ses  for- 
teresses, et  environné  de  ses  gardes,  ne  sait  à 
qui  confier  sa  vie ,  et  la  crainte  de  la  mort  le  sai- 
sit de  telle  sorte ,  qu'elle  lui  fait  méconnaître  ses 
meilleurs  amis.  Vous  voyez  un  prince,  messieurs, 
que  la  mort  réduit  en  un  triste  état  :  toujours 
tremblant,  toujours  inquiet,  il  craint  générale- 
ment tout  ce  qui  l'approche  ;  et  il  n'est  précaution 
qu'il  ne  cherche  pour  se  garantir  de  cette  enne- 
mie ,  qui  saura  bien  éluder  ses  soins  et  les  vains 
raffinements  de  sa  politique. 

Regardez  maintenant  le  pauvre  François ,  et 
voyez  si  elle  lui  fera  seulement  froncer  les  sour- 
cils. Il  la  contemple  avec  un  visage  riant  :  elle 
ne  lui  est  pas  inconnue  ;  et  il  y  a  déjà  trop  long- 
temps qu'il  s'est  familiarisé  avec  elle,  pour  être 
étonné  de  ses  approches.  La  mortification  l'a  ac- 
coutumé à  la  mort  -,  les  jeûnes  et  la  pénitence ,  dit 
Tertullien  » ,  la  lui  ont  déjà  fait  voir  de  près,  et 
l'ont  souvent  avancé  dans  son  voisinage  :  Sœpe 

*  De  Jejtm.  n*  12. 


jejunans,  moriem  de  proximo  novit.  l\  sortira 
du  monde  plus  légèrement  :  il  s'est  déjà  déchargé 
lui-même  d'une  partie  de  son  corps ,  comme  d'un 
empêchement  importun  à  l'âme  iprœmissojam 
sanf/uinissucco,  tanguam  animce  impedimenta. 
C'est  pourquoi ,  sentant  approcher  la  mort ,  il  lui 
tend  de  bon  cœur  les  bras  ;  il  lui  présente  avec 
joie  ce  qui  lui  reste  de  corps ,  et  d'un  visage  riant 
il  lui  désigne  l'endroit  où  elle  doit  frapper  son 
dernier  coup.  0  mort,  lui  dit-il,  quoique  le  monde 
te  nomme  cruelle  et  inexorable,  tu  ne  me  feras  au- 
cun mal ,  parce  que  tu  ne  m'ôteras  rien  de  ce  que 
j'aime.  Bien  loin  de  rompre  le  cours  de  mes  des- 
seins ,  tu  ne  feras  qu'achever  l'ouvrage  que  j'ai 
commencé,  en  me  défaisant  de  toutes  les  choses 
dont  je  tâche  de  me  défaire  il  y  a  longtemps. 
Tu  me  déchargeras  de  ce  corps  :  ô  mort ,  je  t'en 
remercie;  il  y  a  plus  de  quatre-vingts  ans  que  je 
travaille  moi-même  à  m'en  décharger.  J'ai  pro- 
fessé ,  dans  le  baptême ,  que  ses  désirs  ne  me  tou- 
chaient pas  ;  j'ai  tâché  de  les  couper  pendant  tout 
le  cours  de  ma  vie  :  ton  secours ,  ô  mort ,  m'étûit 
nécessaire ,  pour  en  arracher  la  racine  ;  tu  ne  dé- 
truis pas  ce  que  je  suis ,  mais  tu  achèves  ce  que 
je  fais. 

Telle  est  la  force  de  la  pénitence.  Celui  qui 
aime  ses  exercices  a  toujours  son  âme  en  ses 
mains,  et  est  prêt  atout  moment  de  la  rendre. 
L'admirable  François  de  Paule,  tout  rempli  de 
ces  sentiments ,  et  nourri  dès  sa  tendre  enfance 
sur  la  croix  de  notre  Sauveur,  n'avait  garde  de 
craindre  la  mort.  Mais  nous  parlons  déjà  de  sa 
mort,  et  nous  ne  faisons  encore  que  de  commen- 
cer les  merveilles  de  sa  sainte  vie  :  l'ordre  des 
choses  nous  y  a  conduits.  Mais  continuons  la  suite 
de  notre  dessein;  et  après  avoir  vu  notre 
grand  saint  François  uni  si  étroitement  avec 
Jésus-Christ  dans  la  société  de  ses  souffrances , 
voyons-le  dans  la  bienheureuse  participation  de 
sa  sainte  familiarité  :  tu  semper  mecum  es  :. 
c'est  ma  deuxième  partie. 

SECOND    POIXT. 

Saint  Paul  écrivant  aux  Hébreux,  a  prononcé 
cette  sentence  dans  le  chapitre  vi  de  cette  épître 
admirable  :  «  Il  est  impossible ,  dit-il ,  que  ceux 
«  qui  ont  reçu  une  fois  dans  le  saint  baptême  les 
t  lumières  de  la  grâce ,  qui  ont  goûté  le  don  cé- 
«  leste ,  qui  ont  été  faits  participants  du  Saint- 
«  Esprit,  et  sont  tombés  volontairement  de  cet 
«  état  bienheureux,  soient  jamais  renouvelés  par 
«  la  pénitence  :  »  Impossibile  est  nirsum  reno- 
vari  ad pœnitentiam  ■ .  Je  m'éloignerais  de  la  vé- 
rité ,  si  je  voulais  conclure  de  ce  passage,  commo 

»  Uelr.  VI.  4,  6 


440 


PANEGYRIQUE 


faisaient  les  Novatiens,  que  ceux  qui  sont  une 
fois  déchus  de  la  grâce  n'y  peuvent  jamais  être  ré- 
tablis :  mais  je  ne  croirai  pas  me  tromper,  si  j'en 
tire  cette  conséquence ,  qu'il  y  a  je  ne  sais  quoi 
de  particulier  dans  l'intégrité  baptismale,  qu'on 
ne  retrouve  jamais  quand  on  l'a  perdue  :  Iwpos- 
sibile  est  rursum  renovari.  Rendez-lui  sa  pre- 
mière robe ,  dit  ce  père  miséricordieux  parlant 
du  prodigue  pénitent;  c'est-à-dire,  rendez-lui  la 
justice  dont  il  s'était  dépouillé  lui-même.  Cette 
robe  lui  est  rendue ,  je  le  confesse  :  qu'elle  est 
belle  et  resplendissante!  mais  elle  aurait  encore 
un  éclat  plus  grand,  si  elle  n'avait  jamais  été 
souillée.  Le  père ,  je  le  sais  bien  ,  reçoit  son  fils 
dans  sa  maison ,  et  il  le  fait  rentrer  dans  ses  pre- 
miers droits  ;  mais  néanmoins  il  ne  lui  dit  pas  : 
Mon  fils ,  tu  es  toujours  avec  moi  :  Fili,  tu  scm- 
per  mecum  es;  et  il  montre  bien ,  par  cette  pa- 
role ,  que  cette  innocence  toujours  entière ,  cette 
fidélité  jamais  violée,  sait  bien  conserver  ses 
avantages. 

En  quoi  consiste  ce  privilège?  C'est  ce  qu'il  est 
malaisé  d'entendre.  La  tendresse  extraordinaire 
que  Dieu  témoigne,  dans  son  Écriture,  pour  les 
pécheurs  convertis ,  semble  nous  obliger  de  croire 
qu'il  n'use  avec  eux  d'aucune  réserve.  Ne  peut- 
on  pas  même  juger  qu'il  les  préfère  aux  justes , 
en  quelque  façon,  puisqu'il  quitte  Ips  justes,  dit 
l'Évangile  ' ,  pour  aller  chercher  les  pécheurs;  et 
que  bien  loin  de  diminuer  pour  eux  son  affection, 
il  prend  plaisir  au  contraire  de  la  redoubler?  Et 
toutefois ,  chrétiens ,  il  ne  nous  est  pas  permis  de 
douter  que  ce  Dieu,  qui  est  juste  dans  toutes  ses 
oeuvres,  ne  sache  bien  garder  la  prérogative  qui 
est  due  naturellement  à  l'innocence  :  et  lorsqu'il 
semble  que  les  saintes  Lettres  accordent  aux  pé- 
cheurs convertis  quelque  sorte  de  préférence, 
voici  en  quel  sens  il  le  faut  entendre.  Cette  déci- 
sion est  tirée  du  grand  saint  Thomas ,  qui  faisant 
la  comparaison  de  l'état  du  juste  qui  persévère, 
et  du  pécheur  qui  se  convertit,  dit  qu'il  faut  con- 
sidérer en  l'un  ce  qu'il  a,  et  en  l'autre  d'où  il  est 
sorti.  Après  cette  distinction  il  conclut  judicieu- 
sement ,  à  son  ordinaire ,  que  Dieu  conserve  au 
juste  un  plus  grand  don ,  et  qu'il  retire  le  pécheur 
d'un  plus  grand  mal  :  et  partant ,  que  le  juste  est 
sans  doute  plus  avantagé,  si  l'on  a  égard  à  son 
mérite  ;  mais  que  le  pécheur  semblera  plus  favo- 
risé ,  si  l'on  regarde  son  indignité.  D'où  il  s'ensuit 
que  l'état  du  jus!e  est  toujours  absolument  le 
n^eilleur  :  et  par  conséquent  il  faut  croire  que  ces 
mouvements  do  tendresse  que  ressent  la  bonté 
divine  pour  les  pécheurs  convertis,  qui  sont  sa 
nouvelle  conquête,  n'ôtent  pas  la  prérogative 

'  Lue.  XV,  4. 


d'une  estime  particulière  aux  justes,  qui  sont  ses 
anciens  amis ,  et  qu'enfin  ce  chaste  amateur  de  la 
sainteté  et  de  l'innocence  trouve  je  ne  sais  quel 
attrait  particulier  dans  ces  âmes  qui  n'ont  jamais 
rejeté  sa  grâce,  ni  affligé  son  Esprit;  qui,  étant 
toujours  fraîches  et  toujours  nouvelles ,  et  gar- 
dant inviolablement  leur  première  foi ,  après  une 
longue  suite  d'années  paraissent  aussi  saintes, 
aussi  innocentes ,  qu'elles  sortirent  des  eaux  du 
baptême,  comme  a  fait ,  par  exemple,  saint  Fran- 
çois de  Pau  le. 

Quelles  douceurs,  quelle  affection ,  quelle  fa- 
miliarité particulière  Dieu  réservée  ces  innocents; 
c'est  un  secret  de  sa  grâce ,  que  je  n'entreprends 
pas  de  pénétrer.  Je  sais  seulement  que  François 
de  Paule  accoutumé  dès  sa  tendre  enfance  à  com- 
muniquer avec  Dieu ,  ne  pouvait  plus  vivre  un 
moment  sans  lui.  Semblable  à  ces  amis  empressés 
qui  contractent  une  habitude  si  forte  de  conver- 
ser librement  ensemble,  que  la  moindre  sépara- 
tiun  ne  leur  paraît  pas  supportable  :  ainsi  vivait 
saint  François  de  Paule.  0  mon  Dieu ,  disait-il 
avec  David,  du  plus  loin  que  je  me  souvienne, 
et  presque  dès  le  ventre  de  ma  mère ,  vous  êtes 
mon  Dieu  :  De  ventre  matris  meœ  Deus  meus 
es  tu,  ne  discesseris  a  me  ^.  Jamais  mon  cœur 
n'a  aimé  que  vous  ;  il  n'a  jamais  brûlé  d'autres 
flammes.  Eh  !  mon  Dieu ,  ne  me  quittez  pas  :  ne 
discesseris  a  me.  Je  ne  puis  subsister  un  moment 
sans  vous.  Son  cœur  étant  ainsi  disposé ,  c'était , 
messieurs ,  lui  ôter  la  vie ,  que  de  le  tirer  de  sa 
solitude.  En  effet ,  dit  le  dévot  saint  Rernard , 
c'est  une  espèce  de  mort  violente ,  que  de  se  sen- 
tir arracher  de  la  douce  société  de  Jésus-Christ 
par  les  affaires  du  monde  :  Mori  videntur  sibi.,. 
et  rêvera  morlis  species  est  a  contemplatione 
candidi  Jesu  ad  has  tenebras  rursus  avelli  * . 
Jugez  donc  des  douleurs  de  François  de  Paule 
quand  il  reçut  l'ordre  du  pape  d'aller  à  la  cour 
de  Louis  XI,  qui  le  demandait  avec  instance.  0 
solitude ,  ô  retraite  qu'on  le  force  d'abandonner! 
combien  regretta-t-il  de  vous  perdre  !  Mais  enfin 
il  faut  obéir,  et  je  vois  qu'il  vous  quitte ,  bien 
résolu  néanmoins  de  se  faire  une  solitude  dans 
le  tumulte,  au  milieu  de  tout  le  bruit  de  la  cour 
et  de  ses  empressements  éternels. 

C'est  ici ,  c'est  ici ,  chrétiens ,  où  je  vous  prie 
de  vous  rendre  attentifs  à  ce  que  va  faire  Fran- 
çois de  Paule.  Voici,  sans  doute,  son  plus  grand 
miracle,  d'avoir  été  si  solitaire  et  si  recueilli  au 
milieu  des  faveurs  des  rois  et  dans  les  applaudis- 
sements de  toute  leur  cour.  Je  ne  m'étonne  plu» 
quand  Je  lis  dans  l'Histoire  de  saint  François, 

«  Psal.XW,  II  ,  12. 

2  Traet  de  Pass.  Dont.  cap.  xxvill,  m  Appcnd.  Qp.  S. 
Bernardi,  t  U ,  col.  464. 


DE  SAINT  FKANCOIS  DE  PAULE. 


•141 


qiill  n  passé  au  milieu  des  flammes  sans  en  avoir 
été  offensé;  ni  que  domptant  la  fureur  de  ce  dé- 
troit de  Sicile,  fameux  par  tant  de  naufrages,  il 
ait  trouvé  sur  son  manteau  la  sûreté  que  les  plus 
adroits  pilotes  ont  peine  à  trouver  dans  leurs 
grands  vaissenux.  La  cour  a  des  flammes  plus  dé- 
vorantes, elle  a  des  écueils  plus  dangereux;  et 
bien  que  les  inventions  hardies  des  expressions 
poétiques  n'aient  pu  nous  représenter  la  mer  de 
Sicile. aussi  horrible  que  la  nature  l'a  faite,  la 
cour  a  des  vagues  plus  furieuses ,  et  des  abîmes 
plus  creux,  et  des  tempêtes  plus  redoutables. 
Comme  c'est  de  la  cour  que  dépendent  toutes  les 
affaires,  et  que  c'est  là  aussi  qu'elles  aboutissent, 
l'ennemi  du  genre  humain  y  jette  tous  ses  appâts , 
y  étale  toute  sa  pompe  :  là  est  l'empire  de  l'inté- 
rêt; là  est  le  théâtre  des  passions  :  là  elles  sont 
les  plus  violentes,  là  elles  sont  les  plus  déguisées. 

Voici  donc  François  de  Pau  le  dans  un  nou- 
veau monde,  chéri  et  honoré  par  trois  de  nos 
rois ,  et  après  cela  vous  ne  doutez  pas  que  toute 
la  cour  ne  lui  applaudisse.  Tout  cela  ne  le  touche 
pas  :  la  douce  méditation  des  choses  divines,  et 
cette  sainte  union  avec  Jésus-Christ ,  l'ont  désa- 
busé pour  jamais  de  tout  ce  qui  éclate  dans  le 
monde.  Doux  attraits  de  la  cour ,  combien  avez- 
vous  corrompu  d'innocents  !  combien  en  a-t-on 
vu  qui  se  laissent  comme  entraîner  à  la  cour  par 
force ,  sans  dessein  de  s'y  engager  !  enfin  l'occa- 
sion s'est  présentée  belle,  le  moment  fatal  est 
venu;  la  vague  les  a  poussés  et  les  a  emportés, 
ainsi  que  les  autres  !  Ils  n'étaient  venus ,  disaient- 
ils,  que  pour  être  spectateurs  de  la  comédie  :  à 
la  fin  ils  en  ont  trouvé  l'intrigue  si  belle,  qu'ils  y 
ont  voulu  jouer  leur  personnage.  Souvent  même 
l'on  s'est  servi  de  la  piété  pour  s'ouvrir  des  en- 
trées favorables  ;  et  après  que  l'on  a  bu  de  cette 
eau,  l'âme  est  toute  changée  par  une  espèce 
d'enchantement.  C'est  un  breuvage  charmé ,  qui 
enivre  les  plus  sobres;  et  la  plupart  de  ceux 
qui  en  ont  goûté  ne  peuvent  presque  plus  goûter 
autre  chose. 

Cependant  l'admirable  saint  François  dePaule 
est  solitaire  jusque  dans  la  cour,  est  toujours  re- 
cueilli en  Dieu  parmi  ce  tumulte  :  on  ne  peut 
presque  le  tirer  de  sa  cellule,  où  cette  âme  pure 
et  innocente  embrasse  son  Dieu  en  secret .  L'heure 
de  manger  arrive  :  il  goûte  une  nourriture  plus 
agréable  dans  les  douceurs  de  son  oraison.  La 
nuit  l'invite  au  repos  :  il  trouve  sou  véritable 
repos  à  répandre  son  cœur  devant  Dieu.  Le  roi 
le  demande  en  personne  avec  une  extrême  im- 
patience :  il  a  affaire,  il  ne  peut  quilter,  il  est 
enfermé  avec  Dieu  dans  de  secrètes  communica- 
tions. On  frappe  à  sa  porte  avec  violence  :  l'a- 
mour divin ,  qui  a  occupé  tous  ses  sens  par  le 


ravissement  de  l'esprit,  ne  lui  permet  pasd'cu- 
tendre  autre  chose ,  que  ce  que  Dieu  lui  dit  au 
fond  de  son  cœur,  dans  un  saint  et  admirable 
silence.  0  homme  vraiment  uni  avec  Dieu,  et 
digne  d'entendre  de  sa  bouche  :  Fili,  tu  semper 
memtn  es  :  «  Mon  fils ,  vous  êtes  toujours  avec 
«  moi!  "  Il  est  accoutumé  avec  Dieu,  il  ne  con- 
naît que  lui  :  il  est  né,  il  est  crû  sous  son  aile; 
il  ne  peut  le  quitter  ni  vivre  sans  lui  un  seul  mo- 
ment, privé  des  délices  de  son  amour. 

Sainte  familiarité  avec  Jésus-Christ ,  oraison , 
prière,  méditation,  entretiens  sacrés  de  l'âme 
avec  Ditu ,  que  ne  savons-nous  goûter  vos  dou- 
ceurs !  Pour  les  goûter ,  mes  frères ,  il  faut  se 
retirer  quelquefois  du  bruit  et  du  tumulte  du 
monde ,  afin  d'écouter  Jésus  en  secret.  «  Il  est 
«  malaisé,  dit  saint  Augustin,  de  trouver  Jésus- 
«  Christ  dans  le  grand  monde  :  il  faut  pour  cela 
«  une  solitude  :  »  Difficile  est  in  turha  videre 
Jesum : soliludo  quœdam  necessaria  est*.  Fai- 
sons-nous une  solitude,  rentrons  en  nous-mêmes 
pour  penser  a  Dieu  ;  ramassons  tout  notre  esprit 
en  cette  haute  partie  de  notre  âme,  pour  nous 
exciter  à  louer  Dieu  :  ne  permettons  pas ,  chré- 
tiens ,  qu'aucune  autre  pensée  nous  vienne  trou- 
bler. 

Mais  que  les  hommes  du  monde  sont  éloignés 
de  ces  sentiments!  converser  avec  Dieu  leur 
paraît  une  rêverie  :  le  seul  mot  de  retraite  et  de 
solitude  leur  donne  un  ennui  qu'ils  ne  peuvent 
vaincre.  Ils  passent  éternellement  d'affaire  en 
affaire ,  et  de  visite  en  visite  ;  et  je  ne  m'en 
étonne  pas,  dit  saint  Bernard  :  ils  n'ont  pas  cette 
oreille  intérieure  pour  écouter  la  voix  de  Dieu 
dans  leur  conscience ,  ni  cette  bouche  spirituelle 
pour  lui  parler  secrètement  au  dedans  du  cœur. 
C'est  pourquoi  ils  cherchent  à  tromper  le  temps 
par  mille  sortes  d'occupations  :  et  ne  sachant  à 
quoi  passer  les  heures  du  jour ,  dont  la  lenteur 
leur  est  à  charge,  ils  charment  l'ennui  qui  les 
accable,  par  des  amusements  inutiles  :  Longitu- 
dinem  temporis,  qua  gravantur,  inutitibus  con- 
fabulationibus  expendere  satagunt* .  Regardez 
cet  homme  d'intrigues  environné  de  la  troupe 
de  ses  clients,  qui  se  croit  honoré  par  l'assiduité 
des  devoirs  qu'ils  s'empressent  de  lui  rendre;  il 
regarde  comme  une  grande  peine  de  se  trouver 
vis-à-vis  de  lui-même  :  Stipatus  clientium  cu- 
neis,  frequcntiore  comitatu  ofjiciosi  agminit 
hic  honestatus ,  pœnam  putat  esse  cum  solus 
est  ^.  Toujours  ce  lui  est  un  supplice  que  d^être 
seul ,  comme  si  ce  n'était  pas  assez  de  lui-même 

'  In  Joan.  tract,  xvii ,  n°  ii ,  t.  m ,  part,  ii ,  col.  427. 
'  l'ract.  de  Posa.  Dom.  cap.  xxvii,   in,  Jppend.  Oper.  X 
Bcrn.  tom.  H  ,  col.  46i. 
*  S.  Ctfprian.  tp.  ad  Domat.  p.  a. 


4i'2  PAISËGYIUQUE 

poui"  pouvoir  s'occuper  agréablement  dans  l'af- 
faire de  son  salut.  Cependant  il  est  véritable, 
vous  vous  fuyez  vous-même,  vous  refusez  de 
converser  avec  vous-même,  vous  cherchez  con- 
tinuellement les  autres,  et  vous  ne  pouvez  vous 
souffrir  vous-même.  Usque  adeo  chants  est  hic 
mundus hominibus,  ut  sibimetipsis  viluerint  '  : 
«  Ce  monde  tient  si  fort  au  cœur  des  hommes, 
«  qu'ils  se  dédaignent  eux-mêmes,  »  qu'ils  en 
oublient  leurs  propres  affaires.  Désabusez-vous, 
ô  mortels  I  que  vous  servent  ces  liaisons  et  ces 
nouvelles  intrigues  où  vous  vous  jetez  tous  les 
jours?  C'est  pour  vous  donner  du  crédit,  pour 
avoir  de  l'autorité.  Mais  unissez- vous  avec  Dieu, 
et  apprenez  de  François^de  Paule  que  c'est  par 
là  qu'on  peut  acquérir  la  véritable  puissance  : 
oninia  mea  tua  sunt  :  c'est  ma  troisième  partie. 

TROISIÈME  POINT. 

Nous  apprenons  de  Tertullien  que  l'hérétique 
Marcion  avait  l'insolence  de  reprocher  haute- 
ment au  Dieu  d'Abraham  qu'il  ne  s'accordait 
pas  avec  lui-même.  Tantôt  il  paraissait  dans  son 
Écriture  avec  une  majesté  si  terrible ,  qu'on  n'en 
osait  approcher  sans  crainte  ;  et  tantôt  il  avait , 
dit-il ,  des  faiblesses ,  des  facilités ,  des  bassesses 
et  des  Qnî?i.x\cçs  ^  pusillitates  et  incongruentias 
Dei  %  comme  il  avait  l'audace  de  s'exprimer, 
jusqu'à  craindre  de  fâcher  Moïse ,  et  à  le  prier 
de  le  laisser  faire  :  Dimitte  me  ut  irascaturfu- 
ror  meus  ^  :  «  Laisse-moi  lâcher  la  bride  à  ma 
«  colère  >'  contre  ce  peuple  infidèle.  D'où  cet 
hérétique  concluait;  que  le  Dieu  que  servaient 
les  Juifs  avait  une  conduite  irrégulière ,  qui  se 
démentait  elle-même. 

Ce  qui  servait  de  prétexte  à  cette  rêverie  sa- 
crilège, c'est  en  effet,  messieurs,  que  nous  voyons 
dans  les  saintes  Écritures  que  Dieu  change  en 
quelque  façon  de  conduite  selon  la  diversité  des 
personnes.  Quand  les  hommes  présument  d'eux- 
mêmes,  ou  qu'ils  manquent  à  la  soumission  qui 
lui  est  due ,  ou  qu'ils  prennent  peu  de  soin  de  se 
rendre  dignes  de  s'approcher  de  sa  majesté,  il 
ne  se  relâche  jamais  d'aucun  de  ses  droits,  et  il 
conserve  avec  eux  toute  sa  grandeur.  Voyez 
comme  il  traite  Achab ,  comme  il  se  plaît  à  l'hu- 
milier. Au  contraire  quand  on  obéit ,  et  que  l'on 
îigitavec  lui  en  simplicité  de  cœur,  il  se  dépouille 
en  quelque  sorte  de  sa  puissance,  et  il  n'y  a  au- 
cune partie  de  son  domaine,  dont  il  ne  mette  en 
possession  ses  serviteurs.  «  Vive  le  Seigneur,  dit 
«  ÉUe,  en  la  présence  duquel  je  suis,  il  n'y  aura 
«  ni  pluie  ni  rosée  que  par  mon  congé  :  »  Vivit 

^  s.  Aug.  Ep.  XLiii.cap.  i,  t.  ii,  col.  8if. 
»  Adv.  Marc-  lib.  il ,  n"  26,  27. 
?  Exod  «txxii,  10. 


Dominus,  in  cvjus  conspectu  sto,  sierit  annis 
his  ros  et  pluvia  nisi  juxta  oris  met  verba'. 
Voilà  un  homme  qui  paraît  bien  vindicatif,  et  ce- 
pendant voyez-en  la  suite.  C'est  un  homme  qui 
jure,  et  Dieu  se  sent  lié  par  ce  serment;  et  pour 
délivrer  la  parole  de  son  serviteur,  confirmée 
par  son  jugement,  il  ferme  le  ciel  durant  trois 
années  avec  une  rigueur  inflexible. 

Que  veut  dire  ceci,  chrétiens,  si  ce  n'est, 
comme  dit  si  bien  saint  Augustin,  que  Dieu  se  fait 
servir  par  les  hommes ,  et  qu'il  les  sert  aussi  ré- 
ciproquement ?  Ses  fidèles  serviteurs  lui  disent 
avec  le  Psalmiste  :  «  jNous  voilà  tout  prêts,  ô  Sei- 
«  gneur,  d'accomplir  constamment  votre  vo- 
«  lonté  :  »  Ecce  venio  ut  faciam,  Deus,  volim- 
tatem  tuam  ^  Vous  voyez  les  hommes  qui  servent 
Dieu  ;  mais  écoutez  le  même  Psalmiste  :  «  Dieu 
«  fera  la  volonté  de  ceux  qui  le  craignent  :  »  Vo- 
luntatem  timentium  se  faciet  ^.  Voilà  Dieu  qui 
leur  rend  le  change,  et  les  sert  aussi  à  son  tour. 
Vous  servez  Dieu,  Dieu  vous  sert  ;  vous  faites  sa 
volonté ,  et  il  fait  la  vôtre  :  Si  ideo  iimes  Deum 
ut  facias  ejus  voluntatem ,  ille  quodam  modo 
minislrat  tibi,  facit  voluntatem  tuam^.  Pour 
nous  apprendre,  chrétiens,  que  Dieu  est  un  ami 
sincère,  qui  n'a  rien  de  réservé  pour  les  siens,  et 
qui ,  étudiant  les  désirs  de  ceux  qui  le  craignent , 
leur  permet  d'user  de  ses  biens  avec  une  espèce 
d'empire:  Voluntatem  timentium  se  faciet. 

Mais  encore  que  cette  bonté  s'étende  généra- 
lement sur  tous  ses  amis;  c'est-à-dire,  sur  tous 
les  justes  :  les  paroles  de  mon  texte  nous  font 
bien  connaître ,  que  ces  justes  persévérants ,  ces 
enfants  qui  n'ont  jamais  quitté  sa  maison ,  ont 
un  droit  tout  particulier  de  disposer  des  biens 
paternels;  et  c'est  à  ceux-là  qu'il  dit  dans  son 
Évangile  ces  paroles ,  avec  un  sentiment  de  ten- 
dresse extraordinaire  et  singulier  :  «  Mon  fils, 
<c  vous  avez  toujours  été  avec  moi ,  et  tout  ce  qui 
«  est  à  moi ,  est  à  vous  :  »  Fili ,  tu  semper  me- 
cum  es,  et  omnia  mea  tua  sunt.  Pourquoi  me 
reprochez-vous  que  je  ne  vous  donne  rien?  usez 
vous-même  de  votre  droit ,  et  disposez ,  comme 
maître ,  de  tout  ce  qu'il  y  a  dans  ma  maison. 

C'est  donc  en  vertu  de  cette  innocence ,  et  de 
cette  parole  de  l'Évangile,  que  le  grand  saint 
François  de  Paule  n'a  jamais  cru  rien  d'impos- 
sible. Cette  sainte  familiarité  d'un  fils ,  qui  sent 
l'amour  de  son  père ,  lui  donnait  la  confiance  de 
tout  entreprendre  :  et  un  prélat  de  la  cour  de 
Rome,  que  le  pape  lui  avait  envoyé  pour  l'exa- 
miner, lui  représentant  les  difficultés  de  l'éta- 


'  m.  Eeg.  XMI,  I. 

^  Psal.  XXXIX, 8,  9. 

»  Ibid.  cxLiv,  19. 

*  Enar.  in  Psal.  cxuv,  n»  23,  t.  iv,  col.  1024. 


DE  SAINT  FRANÇOIS  DE  PAULE. 


blissement  de  son  ordre  si  austère,  si  pénitent, 
si  mortifié,  fut  ravi  eu  admiration  d'entendre 
dire  à  notre  grand  saint,  avec  une  ferveur  d'es- 
prit incroyable ,  que  tout  est  possible  quand  on 
aime  Dieu,  et  quon  s'étudie  de  lui  plaire;  et 
(lu'alors  les  créatures  les  plus  rebelles  sont  for- 
cées ,  par  une  secrète  vertu ,  de  faire  la  volonté 
de  celui  qui  s'applique  à  faire  celle  de  son  Dieu. 
Il  n'a  point  été  trompé  dans  son  attente  :  son 
ordre  fleurit  dans  toute  l'Église  avec  cette  con- 
stante régularité  qu'il  avait  si  bien  établie,  et 
qui  se  soutient  sans  relâchement  depuis  deux 
cents  ans. 

Ce  n'est  pas  en  cette  seule  rencontre  que  Dieu 
a  fait  connaître  à  son  serviteur,  qu'il  écoutait  ses 
désirs.  Tous  les  peuples  où  il  a  passé  ont  res- 
senti mille  et  mille  fois  des  effets  considérables 
de  ses  prières  ;  et  quatre  de  nos  rois  successive- 
ment lui  ont  rendu  ce  glorieux  témoignage ,  que 
dans  leurs  affaires  très-importantes  ils  n'avaient 
point  trouvé  de  secours  plus  prompt ,  ni  de  pro- 
tection plus  assurée.  Presque  toutes  les  créatures 
ont  senti  cette  puissance  si  peu  limitée ,  que  Dieu 
lui  donnait  sur  ses  biens;  et  je  vous  raconterais 
avec  joie  les  miracles  presque  infinis  que  Dieu 
faisait  par  son  ministère,  non-seulement  dans  les 
grands  besoins,  mais  encore,  s'il  se  peut  dire, 
rans  nécessité,  n'était  que  ce  détail  serait  en- 
nuyeux, et  apporterait  peu  de  fruit.  Mais  comme 
de  tels  miracles,  qui  se  font  particulièrement 
hors  des  grands  besoins ,  sont  le  sujet  le  plus  or- 
dinaire de  la  raillerie  des  incrédules ,  il  faut  qu'à 
l'occasion  du  grand  saint  François  je  tâche  au- 
jourd'hui de  leur  apprendre ,  par  une  doctrine 
solide ,  à  parler  plus  révéremment  des  œuvTes  de 
Dieu.  Voici  donc  ce  que  j'ai  vu  dans  les  saintes 
Lettres ,  touchant  ces  sortes  de  miracles. 

Je  trouve  deux  raisons  principales,  pour  lesquel- 
les Dieu  étend  son  bras  à  des  opérations  miracu- 
leuses :  la  première,  c'est  pour  montrer  sa  gran- 
deur, et  convaincre  les  hommes  de  sa  puissance  ; 
la  seconde ,  pour  faire  voir  sa  bonté,  et  combien 
il  est  indulgent  à  ses  serviteurs.  Or  je  remarque 
cette  différence  dans  ces  deux  espèces  de  mira- 
cles, que  lorsque  Dieu  veut  faire  un  miracle  pour 
montrer  seulement  sa  toute-puissance,  il  choisit 
des  occasions  extraordinaires.  Maisquandil  veut 
faire  encore  sentir  sa  bonté,  il  ne  néglige  pas 
les  occasions  les  plus  communes.  Cela  vient  de 
la  différence  de  ces  deux  divins  attributs.  La 
toute-puissance  semble  surmonter  de  plus  grands 
obstacles ,  la  bonté  descend  à  des  soins  plus  par- 
ticuliers. L'Écriture  nous  le  fait  voir  en  deux  cha- 
pitres consécutifs  du  quatrième  Uvre  des  Rois. 
Elisée  guérit  Naaman  le  lépreux,  capitaine  gé- 
néral de  la  milice  du  roi  de  Syrie,  et  chef  des 


443 

armées  de  tout  son  royaume  :  voilà  une  occasion 
extraordinaire,  où  Dieu  veut  montrer  son  pou- 
voir aux  nations  infidèles.  -»  Qu'il  vienne  à  moi, 
«  dit  Elisée,  et  qu'il  sache  que  Israël  n'est  point 
«  sans  prophète  :  »  Veniat  ad  me,  et  sciât  esse 
prophetam  in  Israël'.  Mais,  au  chapitre  sui- 
vant ;  comme  les  enfants  des  prophètes  travail- 
laient sur  le  bord  d'un  fleuve,  l'un  d'eux  laisse 
tomber  sa  cognée  dans  l'eau,  et  aussitôt  crie  à 
Elisée:  Heu!  heu!  heu!  Domine  mi,  et  hoc 
Ipsum  mutuo  acceperant'  :  <  Hélas!  celte  co- 
«  gnée  n'était  pas  à  moi  ;  je  lavais  empruntée.  » 
Et  encore  qu'une  rencontre  si  peu  importante 
semblât  ne  méiiter  pas  un  miracle,  néanmoins 
Dieu ,  qui  se  plaît  à  faire  connaître  qu'il  aime  la 
simplicité  de  ses  serviteurs,  et  prévient  leurs 
désirs  dans  les  moindres  choses,  fit  nager  mira- 
culeusement ce  fer  sur  les  eaux,  au  commande- 
ment d'Elisée ,  et  le  rendit  à  celui  qui  l'avait  per- 
du. Et  d'où  vient  cela ,  chrétiens ,  si  ce  n'est  que 
notre  grand  Dieu ,  qui  n'est  pas  moins  bon  que 
puissant ,  nous  montrant  sa  toute-puissance  dans 
les  entreprises  éclatantes,  veut  bien  aussi,  quand 
il  lui  plaît,  montrer  dans  les  moindres  la  facilité 
incroyable  avec  laquelle  il  s'abandonne  à  ses  ser- 
viteurs, pour  justifier  cette  parole  :  omnia  mea 
tua  sunt? 

Puisque  le  grand  saint  François  de  Paule  a  été 
choisi  de  Dieu  en  son  temps,  pour  faire  éclater 
en  sa  personne  cette  merveilleuse  communica- 
tion qu'il  donne  de  sa  puissance  à  ses  bons  amis, 
je  ne  m'étonne  pas ,  chrétiens ,  si  les  fidèles  de 
Jésus-Christ  ont  eu  tant  de  confiance  en  lui  du- 
rant sa  vie,  ni  si  elle  dure  encore,  et  a  pris  de 
nouvelles  forces  après  sa  mort.  Je  ne  m'étonne 
pas  de  voir  sa  mémoire  singulièrement  honorée 
par  la  dévotion  publique ,  son  ordre  révéré  par 
toute  l'Église,  et  les  temples  qui  portent  son 
nom,  et  sont  consacrés  à  sa  mémoire,  fréquen- 
tés avec  grand  concours  par  tous  les  fidèles. 

Mais  ce  qui  m'étonne ,  mes  frères ,  ce  que  je 
ne  puis  vous  dissimuler,  ce  que  je  voudrais  pou- 
voir dire  avec  tant  de  force  que  les  cœurs  les  plus 
durs  en  fussent  touchés ,  c'est  lorsqu'il  arrive  que 
ces  mêmes  temples ,  où  la  mémoire  de  François 
de  Paule,  ou  les  bons  exemples  de  ses  religieux, 
enfin,  pour  abréger  ce  discours,  où  toutes  cho- 
ses inspirent  la  dévotion,  deviennent  le  théâtre 
de  l'irrévérence  de  quelques  particuliers  auda^ 
cieux.  Je  n'accuse  pas  tout  le  monde,  et  je  ne 
doute  pas ,  au  contraire ,  que  cette  église  ne  soit 
fréquentée  par  des  personnes  d'une  piété  ti'ès- 
recommandable.  Mais  qui  pourrait  souffrir  sans 
douleur ,  que  sa  sainteté  soit  déshonorée  par  les 

'  Ibid.  VI,  b. 


444 


DEUXIÈME  PANEGYRIQUE 


désordres  de  ceux  qui ,  ne  respectant  ni  Dieu  ni 
les  hommes,  la  profanent  tous  les  jours  par  leurs 
insolences?  Que  s'il  y  avait  dans  cet  auditoire 
quelques-uns  de  cette  troupe  scandaleuse ,  per- 
mettez-moi de  leur  demander,  que  leur  a  fait  ce 
saint  lieu  qu'ils  choisissent  pour  le  profaner  par 
leurs  paroles,  par  leurs  actions,  par  leurs  conte- 
nances impies;  que  leur  ont  fait  ces  religieux, 
vrais  enfants  et  imitateurs  du  grand  saint  Fran- 
çois de  Paule  :  et  leur  vie  a-t-elle  mérité,  au 
milieu  de  tant  de  travaux  que  leur  fait  subir  vo- 
lontairement leur  mortification  et  leur  pénitence, 
qu'on  leur  ajoute  encore  cette  peine ,  qui  est  la 
seule  qui  les  afflige,  devoir  mépriser  à  leurs  yeux 
le  maître  qu'ils  servent  ? 

Mais  laissons  les  hommes  mortels ,  et  parlons 
des  intérêts  du  Sauveur  des  âmes.  Que  leur  a  fait 
Jésus-Christ  qu'ils  viennent  outrager  jusque  dans 
son  temple?  Pendant  que  le  prêtre  est  saisi  de 
tfainte,  dans  une  profonde  considération  des  sa- 
crements dont  il  est  ministre;  pendant  que  le 
Saint-Esprit  descend  sur  l'autel  pour  y  opérer 
les  sacrés  mystères,  que  les  anges  les  révèrent , 
que  les  démons  tremblent ,  que  les  âmes  saintes 
et  pieuses  de  nos  frères  qui  sont  décédés  atten- 
dent leur  soulagement  des  saints  sacrifices  :  ces 
impies  discourent  aussi  librement,  que  si  tout 
ce  mystère  était  une  fable.  D'où  leur  vient  cette 
hardiesse  devant  Jésus-Christ?  est-ce  qu'ils  ne  le 
connaissent  pas ,  parce  qu'il  se  cache  ;  ou  qu'ils 
le  méprisent,  parce  qu'il  se  tait?  Vive  le  Seigneur 
tout-puissant,  en  la  présence  duquel  je  parle  : 
ce  Dieu  qui  se  tait  maintenant,  ne  se  taira  pas 
toujours  ;  ce  Dieu  qui  se  tient  maintenant  caché , 
saura  bien  quelque  jour  paraître  pour  leur  con- 
fusion éternelle.  J'ai  cru  que  je  ne  devais  pas 
quitter  cette  chaire,  sans  leur  donner  ce  charita- 
ble avertissement.  C'est  honorer  saint  François 
de  Paule  que  de  travailler,  comme  nous  pouvons, 
à  purger  son  église  de  ces  scandaleux;  et  je  les 
exhorte,  en  Notre-Seigneur,  de  profiter  de  cette 
instruction,  s'ils  ne  veulent  être  regardés  comme 
des  profanateurs  publics  de  tous  les  mystères  du 
christianisme. 

Mais  après  leur  avoir  parlé,  je  retourne  à  vous, 
chrétiens ,  qui  venez  en  ce  temple  pour  adorer 
Dieu ,  et  pour  y  écouter  sa  sainte  parole.  Que 
vous  dirai-je  aujourd'hui ,  et  par  où  conclurai- 
je  ce  dernier  discours?  Ce  sera  par  ces  beaux 
mots  de  l'apôtre  :  Deus  autem  spei  repleut  vos 
gaudio  et  pace  in  credendo ,  ut  abundetis  in 
spe  et  virtule  Spiritus  sancti  '  :  «  Que  le  Dieu 
«  de  mou  espérance  vous  remplisse  de  joie  et  de 
«  paix ,  en  croyant  à  la  parole  de  son  Évangile  ; 

•  Rom.  XV,  13. 


«  afin  que  vous  abondiez  en  espérance,  et  cl  la 
«  vertu  du  Saint-Esprit.  »  C'est  l'adieu  que  j'ai  à 
vous  dire  :  nos  remercîraents  sont  des  vœux  ;  nos 
adieux ,  des  instructions  et  des  prières.  Que  ce 
grand  Dieu  de  notre  espérance ,  pour  vous  ré- 
compenser de  l'attention  que  vous  avez  donnée 
à  son  Évangile,  vous  fasse  la  grâce  d'en  profiter. 
C'est  ce  que  je  demande  pour  vous  :  demandez 
pour  moi  réciproquement,  que  je  puisse  tous  les 
jours  apprendre  à  traiter  saintement  et  fidèle- 
ment la  parole  de  vérité;  que  non-seulement  je 
la  traite,  mais  que  je  m'en  nourrisse  et  que  j'en 
vive.  Je  vous  quitte  avec  ce  mot  ;  et  ce  ne  sera 
pas  néanmoins  sans  vous  avoir  désiré  à  tous , 
dans  toute  l'étendue  de  mon  cœur,  la  félicité 
éternelle,  au  nom  du  Père,  et  du  Fils,  et  du 
Saint-Esprit.  Amen. 


••t«t««« 


DEUXIÈME  PANÉGYRIQUE 

DE 

SAINT  FRANÇOIS  DE  PAULE, 

l'UÊCnÉ  A   METZ. 

Combien  la  pénitpnce  est  nécessaire  à  tous  les  chrétiens  : 
quelle  en  doit  être  l'étendue.  Avec  quel  courage  saint  Fran- 
çois l'a  pratiquée.  Sa  conduite  admirable  à  la  cour  de  Louis 
XI.  Comment  l'amour  divin  élait-il  le  principe  de  la  joie  qu'il 
ressentait  parmi  ses  grandes  austérités.  Eflicace  de  cet  amour 
dans  nos  cœurs.  Exhortation  à  la  pénitence ,  pour  honorer 
dignement  les  saints. 

Charitas  Christi  iirget  nos. 

La  charité  de  Jésus-Christ  nous  presse.  II.  Cor.  v,  14. 

Rendons  cet  honneur  à  l'humilité,  qu'elle  est 
seule  digne  de  louange.  La  louange  en  cela  est 
contraire  aux  autres  choses  que  nous  estimons , 
qu'elle  perd  son  prix  étant  recherchée ,  et  que  sa 
valeur  s'augmente  quand  on  la  méprise.  Encore 
que  les  philosophes  fussent  des  animaux  de  gloire 
comme  les  appelle  Tertullien',  Philosophus  ani- 
mal gloriœ,  ils  ont  reconnu  la  vérité  de  ce  que 
je  viens  de  vous  dire  ;  et  voici  la  raison  qu'ils  en 
ont  rendue  :  c'est  que  la  gloire  n'a  point  de  corps 
sinon  en  tant  qu'elle  est  attachée  à  la  vertu  dont 
elle  n'est  qu'une  dépendance.  C'est  pourquoi, 
disaient-ils,  il  faut  diriger  ses  intentions  à  la 
vertu  seule  ;  la  gloire,  comme  un  de  ses  apa- 
nages, la  doit  suivre  sans  qu'on  y  pense.  Mais 
la  religion  chrétienne  élève  bien  plus  haut  nos 
pensées  :  elle  nous  apprend  que  Dieu  est  le  seul 
qui  a  de  la  majesté  et  de  la  gloire ,  et  par  consé- 
quent que  c'est  à  lui  seul  de  la  distribuer,  ainsi 
qu'il  lui  plaît,  à  ses  créatures,  selon  qu'elle» 

•  De  anima,  n"  f. 


DE  SALNT  FRANÇOIS  DE  PAULE. 


r 


s'approchent  de  lui.  Or,  encore  que  Dieu  soit 
très-haut,  Il  est  néanmoins  inaccessible  aux  âmes 
qui  veulent  trop  s'élever,  et  on  ne  l'approche 
([u'en  s'abaissant  :  de  sorte  que  la  gloire  n'est 
qu'une  ombre  et  un  fantôme ,  si  elle  n'est  soute- 
nue par  le  fondement  de  l'humilité,  qui  attire 
les  louanges  en  les  rejetant.  De  là  vient  que  l'É- 
piise  dit  aujourd'hui  dans  la  collecte  de  saint 
François  :  «  0  Dieu,  qui  êtes  la  gloire  des  hum- 
«  blés  :  »  Deus,  humilium  celsitudo.  C'est  à 
cette  gloire  solide  qu'il  faut  porter  notre  ambi- 
tion. 

Monseigneur,  la  gloire  du  monde  vous  doit 
être  devenue  en  quelque  façon  méprisable  par 
votre  propre  abondance.  Certes,  notre  histoire  ne 
se  taira  pas  de  vos  fameuses  expéditions  ;  et  la 
postérité  la  plus  éloignée  ne  pourra  lire  sans  éton- 
neraent  toutes  les  merveilles  de  votre  vie.  Les 
peuples ,  que  vous  conservez ,  ne  perdront  jamais 
la  mémoire  d'une  si  heureuse  protection  :  ils 
dhont  à  leurs  descendants  jusqu'aux  dernières 
générations,  que  sous  le  grand  maréchal  de 
Schomberg ,  dans  le  dérèglement  des  affaires ,  et 
au  milieu  de  la  licence  des  armes,  ils  ont  com- 
mencé à  jouir  du  calme  et  de  la  douceur  de  la 
paix. 

Madame,  votre  piété,  votre  sage  conduite, 
votre  charité  si  sincère  et  vos  autres  généreuses 
inclinations  auront  aussi  leur  part  dans  cet  ap- 
plaudissement général  de  toutes  les  conditions  et 
de  tous  les  âges  :  mais  je  ne  craindrai  pas  de  vous 
dire  que  cette  gloire  est  bien  peu  de  chose,  si 
vous  ne  l'appuyez  sur  l'humilité. 

Viendra,  viendra  le  temps,  Monseigneur,  que 
non-seulement  les  histoires ,  et  les  marbres ,  et 
les  trophées ,  mais  encore  les  villes ,  et  les  forte- 
resses, et  les  peuples  et  les  nations  seront  consu- 
més par  le  même  feu  ;  et  alors  toute  la  gloire 
des  hommes  s'évanouira  en  fumée ,  si  elle  n'est 
défendue  de  l'embrasement  général  par  l'humi- 
lité chrétienne.  Alors  le  Sauveur  Jésus  descendra 
en  sa  majesté;  et  assen">lant  le  ciel  et  la  terre 
pour  faire  l'éloge  de  ses  serviteurs,  dans  une  telle 
multitude  il  ne  choisira,  chrétiens,  ni  les  César, 
ni  les  Alexandre  :  il  mettra  en  une  place  émi- 
nente  les  plus  humbles ,  les  plus  inconnus.  Parce 
que  le  pauvre  François  de  Paule  s'est  humilié  en 
ce  monde ,  sa  vertu  sera  honorée  d'un  panégj'- 
rique  éternel,  de  la  propre  bouche  du  Fils  de  Dieu. 
C'est  ce  qui  m'encourage,  mes  frères,  à  célébrer 
aujourd'hui  seslôuangesà  la  gloire  de  notre  grand 
Dieu ,  et  pour  l'édification  de  nos  âmes.  Bien  que 
sa  vertu  soit  couronnée  dans  le  ciel  ;  comme  elle 
a  été  exercée  sur  la  terre,  il  est  juste  qu'elle  y 
reçoive  les  éloges  qui  lui  sont  dus.  Pour  cela 
Implorons  la  grâce  de  Dieu ,  par  l'entremise  de 


4^3 

celle  qui  a  été  l'exemplaire  des  humbles,  et  qui 
fut  élevée  à  la  dignité  la  plus  haute,  en  même 
temps  qu'elle  s'abaissa  par  les  paroles  les  plus  sou- 
mises ,  après  que  l'ange  l'eut  saluée  en  ces  ter- 
mes :  Ave,  Jlaria. 

Si  nous  avons  jzunais  bien  compris  ce  que  nous 
devenons  par  la  grâce  du  saint  baptême,  et  •  ar 
la  profession  du  christianisme ,  nous  devons  avoir 
entendu  que  nous  sommes  des  hommes  nouveaux 
et  de  nouvelles  créatures  en  Notre-Seigneur  Jé- 
sus-Christ. C'est  pourquoi  l'apôtre  saint  Paul  nous 
exhorte  de  nous  renouveler  en  notre  âme,  et  de 
ne  marcher  plus  selon  le  vieil  homme;  mais  en 
la  nouveauté  de  l'Esprit  de  Dieu  '.  De  là  vient  que 
le  sauveur  Jésus  nous  est  donné  comme  un  nou- 
vel homme,  et  comme  un  nouvel  Adam,  ainsi 
que  l'appelle  le  même  saint  PauP;  et  c'est  lui 
qui ,  selon  la  volonté  de  son  Père ,  est  venu  dans 
la  plénitude  des  temps,  afin  de  nous  réformer 
selon  les  premières  idées  de  cet  excellent  Ou- 
vrier ,  qui ,  dans  l'origine  des  choses ,  nous  avait 
faits  à  sa  ressemblance.  Par  conséquent ,  comme 
le  Fils  de  Dieu  est  lui-même  le  nouvel  homme, 
personne  ne  peut  espérer  de  participer  à  ses  grâ- 
ces, s'il  n'est  renouvelé  à  l'exemple  de  >'otre-Sei- 
gneur,  qui  nous  est  proposé  comme  l'auteur  de 
notre  salut ,  et  comme  le  modèle  de  notre  vie. 

Mais  d'autant  qu'il  était  impossible  que  cette 
nouveauté  admirable  se  fît  en  nous  par  nos  pro- 
pres forces,  Dieu  nous  a  donné  l'Esprit  de  son 
Fils ,  ainsi  que  parle  l'apôtre  :  .Visit  Deus  Spiri- 
tum  Filii  sui  ^  ;  et  c'est  cet  Esprit  tout-puissant 
qui  venant  habiter  dans  nos  âmes,  les  change 
et  les  renouvelle  :  formant  en  nous  les  traits  na- 
turels et  une  vive  image  de  >'otre-Seigneur  Jé- 
sus-Christ, sur  lequel  nous  devons  être  moulés. 
Pour  cela  il  exerce  en  nos  cœurs  deux  excellen- 
tes opérations,  qu'il  est  nécessaire  que  vous  en- 
tendiez ;  parce  que  c'est  sur  cette  doctrine  que 
tout  ce  discours  doit  être  fondé. 

Considérez  donc,  chrétiens,  que  l'homme, 
dans  sa  véritable  constitution  ,  ne  pouvant  avoir 
d'autre  appui  que  Dieu ,  ne  pouvait  se  retirer 
aussi  de  lui ,  qu'il  ne  fit  une  chute  effroyable  : 
et  encore  que ,  par  cette  chute ,  il  ait  été  préci- 
pité au-dessous  de  toutes  les  créatures;  toutefois, 
dit  saint  Augustin*,  il  tomba  premièrement  sur 
soi-même  :  Primum  incidit  in  seipsum.  Que 
veut  dire  ce  grand  personnage,  que  l'homme 
tomba  sur  soi-même?  Tombant  sur  une  chose 
qui  lui  est  si  proche  et  si  chère ,  il  semble  que 


'  Ephes.  IV,  22  et  seqq. 

'  I.  Cor.  XV,  45. 

'  Galat.  IT,  6. 

*  De  Trinit.  lib.  X0,  cap.  xi,  d'  IS,  t.  vm,  coL  MO. 


446  DEUXIEME  PANEGYRIQUE 

la  chute  n'en  soit  pas  extrêmement  dangereuse  ; 
et  néanmoins  cet  incomparable  docteur  prétend 
par  là  nous  représenter  une  grande  extrémité 
de  misère.  Pénétrons  sa  pensée ,  et  disons  que 
l'homme,  par  ce  moyen,  devenu  amoureux  de 
soi-même,  s'est  jeté  dans  un  abîme  de  maux,  cou- 
rant aveuglément  après  ses  désirs ,  et  consumant 
ses  forces  après  une  vaine  idole  de  félicité ,  qu'il 
s'est  ijgurée  à  sa  fantaisie. 

Hé,  fidèles,  qu'est-il  nécessaire  d'employer 
ici  beaucoup  de  paroles ,  pour  vous  faire  voir  que 
c'est  l'amour-propre  qui  fait  toutes  nos  actions  ! 
N'est-ce  pas  cet  amour  flatteur  qui  nous  cache 
nos  défauts  à  nous-mêmes ,  et  qui  ne  nous  montre 
les  choses  que  par  l'endroit  agréable?  Il  ne  nous 
abandonne  pas  un  moment  :  et  de  même  que  si 
vous  rompez  un  miroir,  votre  visage  semble  en 
quelque  sorte  se  multiplier  dans  toutes  les  par- 
ties de  cette  glace  cassée;  cependant  c'est  toujours 
le  même  visage  :  ainsi,  quoique  notre  âme  s'é- 
tende et  se  partage  en  beaucoup  d'inclinations 
différentes,  l'amour-propre  y  paraît  partout. 
Étant  la  racine  de  toutes  nos  passions ,  il  fait  cou- 
ler dans  toutes  les  branches  ses  vaines  mais  dou- 
ces complaisances  :  si  bien  que  l'homme ,  s'arrô- 
tant  en  soi-même,  ne  peut  plus  s'élever  à  son 
Créateur.  Et  qui  ne  voit  ici  un  désordre  tout  ma- 
nifeste? 

Car  Dieu  étant  notre  fin  dernière  ;  en  cette  qua- 
lité ,  notre  cœur  lui  doit  son  premier  tribut  :  et 
ne  savez-vous  pas  que  le  tribut  du  cœur  c'est  l'a- 
mour? Ainsi  nous  attribuons  à  nous-mêmes  les 
droits  qui  n'appartiennent  qu'à  Dieu  ;  nous  nous 
faisons  notre  fin  dernière  ;  nous  ne  songeons  qu'à 
nous  plaire  en  toutes  choses ,  même  au  préjudice 
de  la  loi  divine  ;  et  par  divers  degrés  nous  venons 
à  ce  maudit  amour  qui  règne  dans  les  enfants 
du  siècle ,  et  que  saint  Augustin  définit  en  ces 
termes  :  Amor  sui  usque  ad  contemptum  Dei  '  : 
«  L'amour  de  soi-même  qui  passe  jusqu'au  mé- 
«'  pris  de  Dieu.  >>  C'est  contre  cet  amour  criminel 
que  le  Fils  de  Dieu  s'élève  dans  son  Évangile, 
le  condamnant  à  jamais  par  cette  irrévocable 
sentence  :  «  Qui  aime  son  âme,  la  perd;  et  qui 
«  l'abandonne ,  la  sauve  :  »  Qui  amat  animam 
suam,  perdet  eam;  et  qui  odit  animam  suam, 
custodit  eam  *.  Voyant  que  c'est  l'amour-propre 
qui  est  cause  de  tous  nos  crimes ,  il  avertit  tous 
ceux  qui  veulent  se  ranger  sous  sa  discipline , 
que,  s'ils  ne  se  haïssent  eux-mêmes,  il  ne  les  peut 
recevoir  en  sa  compagnie  :  «  Celui  qui  ne  veut  pas 
«  renoncer  à  soi-même  pour  l'amour  de  moi,  n'est 
«  pas  digne  de  moi^.  «  De  cette  sorte,  il  nous  ar- 


»  De  Civ.  Dei,  lib.  xiv,  cap.  xxvni,  t.  Vil,  col. 
»  Joan.  xil ,  25. 
î  Matth.  X ,  38. 


378. 


rache  à  nous-mêmes  par  une  espèce  de  violence,  el 
déclarant  la  guerre  à  cet  amour-propre  qui  s'élève 
en  nous  au  mépris  de  Dieu ,  comme  disait  tout  à 
l'heure  le  saint  évêque  Augustin,  il  faitr surcéder 
en  sa  place  l'amour  de  Dicu  jusqu'au  mépris  de 
nous-mêmes  :  Amor  Dei  iisque  ad  contemptum 
sui,  dit  le  même  saint  Augustin  ', 

Par  là  vous  voyez ,  chrétiens ,  les  deux  opé- 
rations de  Dieu.  Car,  pour  nous  faire  la  guerre  à 
nous-mêmes ,  ne  faut-il  pas  qu'il  y  ait  en  nous 
quelque  autre  chose  que  nous?  Et  comment  irons- 
nous  à  Dieu,  si  son  Saint-Esprit  ne  nous  y  élève? 
Par  conséquent  il  est  nécessaire  que  cet  Esprit 
tout-puissant  fève  le  charme  de  l'amour-propre 
et  nous  détrompe  de  ses  illusions  ;  et  puis  que 
faisant  paraître  à  nos  yeux  un  rayon  de  cette  ra- 
vissante beauté ,  qui  seule  est  capable  de  satis- 
faire la  vaste  capacité  de  nos  âmes ,  il  embrase 
nos  cœurs  des  flammes  de  sa  charité,  en  telle 
sorte  que  l'homme,  pressé  auparavant  de  l'amour 
qu'il  avait  pour  soi-même,  puisse  dire  avec  l'a- 
pôtre saint-Paul  :  «  La  charité  de  Jésus-Christ 
«  nous  presse  :  »  Charitas  Christi  urget  nos. 
Elle  nous  presse,  nous  incitant  contre  nous;  elle 
nous  presse,  nous  portant  au-dessus  de  nous; 
elle  nouspresse,  nousdétachant  de  nous-mêmes  ; 
elle  nous  presse,  nous  unissant  à  Dieu;  elle  nous 
presse,  non  moins  par  les  mouvements  d'une 
sainte  haine ,  que  par  les  doux  transports  d'une 
bienheureuse  dilection  :  Charitas  Christi  urget 
nos. 

Voilà,  mes  frères ,  voilà  ce  que  le  Saint*Esprit 
opère  en  nos  cœurs,  et  voilà  le  précis  de  la  vie 
de  l'incomparable  François  de  Paule.  Vous  le  ver- 
rez,  ce  grand  personnage,  vous  le  verrez  avec 
un  visage  toujours  riant ,  et  toujours  sévère.  1 1 
est  toujours  en  guerre ,  et  toujours  en  paix  :  tou» 
jours  en  guerre  contre  soi-même,  par  les  austé- 
rites  de  la  pénitence  ;  toujours  en  paix  avec  Dieu , 
par  les  embrasements  de  la  charité.  Il  épure  la 
charité  par  la  pénitence;  il  sanctifie  la  pénitence 
par  la  charité.  Il  considère  son  corps  comme  sa 
prison ,  et  son  Dieu  comme  sa  délivrance.  D'une 
main,  il  rompt  ses  liens;  et  de  l'autre  ,  il  s'atta- 
che à  l'objet  qui  lui  donne  la  liberté.  Sa  vie  est 
un  sacrifice  continuel.  11  détruit  sa  chair  par  la 
pénitence,  il  l'offre  et  la  consacre  par  la  charité. 
Mais  pourquoi  vous  tenir  si  longtemps  dans  l'at- 
tente d'un  si  beau  spectacle  ?  Fidèles ,  regardez 
ce  combat  :  vous  verrez  l'admirable  François  de 
Paule  combattant  l'amour-propre  par  l'amour  de 
Dieu.  Ce  vieillard  que  vous  voyez ,  c'est  le  plus 
zélé  ennemi  de  soi-même  ;  mais  c'est  aussi  l'hom- 
me le  plus  passionné  pour  la  gloire  de  son  Créa- 
teur :  c'est  le  sujet  de  tout  ce  discours. 

'  s.  Aug.  loco  mox  cit. 


DE  SAINT  FRANÇOIS  DE  PAU  LE. 


PBCMIER  POINT. 

Si  dans  cette  première  partie  je  vous  annonce 
une  doctrine  sévère ,  si  je  ue  vous  prêche  autre 
chose  que  les  rigueurs  fie  !a  pénitence;  fidèles, 
ne  vous  en  ctounez  pas.  On  ne  peut  louer  un 
grand  politique,  qu'on  ne  parie  de  ses  tons  con- 
seils; ni  faire  l'éloge  d'un  capitaine  fameux, 
sans  rapporter  ses  conquêtes.  Partant ,  que  les 
chrétiens  délicats,  qui  aiment  qu'on  les  flatte  par 
une  doctrine  lâche  et  complaisante,  n'entendent 
pas  les  louanges  du  grave  et  austère  François  de 
Paule.  Jamais  homme  n'a  mieux  compris  ce  que 
nous  enseigne  saint  Augustin' ,  après  les  divines 
Ecritures,  que  la  vie  chrétienne  est  une  pénitence 
continuelle.  Certes,  dans  le  bienheureux  état  de 
la  justice  originelle,  ces  mots  fâcheux  de  morti- 
fication et  de  pénitence  n'étaient  pas  encore  en 
usage ,  et  n'avaient  point  d'accès  dans  un  lieu  si 
agréable  et  si  innocent.  L'homme  alors,  tout  oc- 
cupé des  louanges  de  son  Dieu,  ne  connaissait  pas 
les  gémissements  :  Non  gemebat,  sed  laudabat  '. 
Mais  depuis  que ,  par  son  orgueil ,  il  eut  mérité 
que  Dieu  le  chassât  de  ce  paradis  de  délices  ;  de- 
puis que  cet  ange  vengeur,  avec  son  épée  fou- 
droyante, fut  établi  à  ses  portes  pour  lui  en  em- 
pêcher les  approches ,  que  de  pleurs  et  que  de 
regrets  !  Depuis  ce  temps- là ,  chrétiens ,  la  vie  hu- 
maine a  été  condamnée  à  des  gémissements  éter- 
nels. Race  maudite  et  infortunée  d'un  misérable 
proscrit ,  nous  n'avons  plus  à  espérer  de  salut , 
si  nous  ne  fléchissons  par  nos  larmes  celui  que 
nous  avons  irrité  contre  nous  ;  et  parce  que  les 
pleurs  ne  s'accordent  pas  avec  les  plaisirs ,  il  faut 
nécessairement  que  nous  confessions  que  nous 
sommes  nés  pour  la  pénitence.  C'est  ce  que  dit 
le  grave  Tertullien ,  dans  le  traité  si  saint  et  si 
orthodoxe  qu'il  a  fait  de  cette  matière  '.  «  Pécheur 
'■■  que  je  suis ,  dit  ce  grand  personnage,  et  né  seu- 
«  lement  pour  la  pénitence,  ^'  Peccator  omnhim 
notarum  cum  sim,  nec  nlli  rei  nisi  pœnitentiœ 
natus,  «■  comment  est-ce  queje  m'en  tairai,  puis- 
«  qu'Adam  même ,  le  premier  auteur  et  de  notre 
«  vie  et  de  notre  crime ,  restitué  en  son  paradis 
«  par  la  pénitence ,  ne  cesse  de  la  publier  :  »  su- 
per il/a  tacere  non  possum,  quant  ipse  quoque, 
et  stirpts humanœ et  offensœ  in  Deum  princcps 
Adam,  exomologesi  restitutns  in  paradisum 
suum,  non  tacet! 

C'est  pourquoi  le  Fils  de  Dieu ,  venant  sur  la 
terre  afin  de  porter  nos  péchés ,  s'est  dévoué  à  la 
pénitence  ;  et  l'ayant  consommée  par  sa  mort , 
il  nous  a  laissé  la  même  pratique  :  et  c'est  à  quoi 
nous  nous  obligeons  très-étroitement  par  le  saint 

»  Strm.  caxi,  n»  3,  t.  V,  col.l352. 

»  S.  Aug  in  Ps.  xxix,  enar.  il,  d"  18,  t  IV,  col.  141. 

*  De  PieniL  Q"  12. 


4.i7 

baptême.  Le  baptême,  n'en  doutez  pas,  est  un 
sacrement  de  pénitence ,  parce  que  c'est  un  sa- 
crement de  mort  et  de  sépulture.  L'apôtre  ne  dit- 
il  pas  aux  Romains,  qu'autant  que  :;ous  som- 
mes de  bapMsés,  nous  sommes  bapfisé..  on  la  rrort 
de  Jésus,  et  que  nous  sommes  ensevelis  avec 
lui?  In  morte  Christi  baptiznti ^stis,  consepuUi 
eip'^rbaptiamunw  rs'esl-ce  pas  ce  que  nos  pè- 
res représentaient  par  celte  mystérieuse  manière 
d'administrer  le  baptême?  On  plongeait  les  hom- 
mes tout  entiers ,  et  on  les  ensevelissait  sous  les 
eaux.  Et  comme  les  fidèles  les  voyaient  se  noyer, 
pour  ainsi  dire,  dans  les  ondes  de  ce  bain  salu- 
taire, ils  se  les  représentaient  tout  changés  en  un 
moment  par  la  vertu  du  Saint-Esprit,  dont  ces 
eaux  étaient  animées;  comme  si,  sortant  de  ce 
monde  en  même  temps  qu'ils  disparaissaient  à 
leur  vue,  ils  fussent  allés  mourir  et  s'ensevelir 
avec  le  Sauveur,  selon  la  parole  du  saint  apôtre  : 
consepnltî  ei  ner  baptismum.  Rendez-vous  ca^ 
pables,  mes  frères,  de  ces  anciens  sentiments  de 
l'Eglise ,  et  ne  vous  étonnez  pas  si  l'on  vous  parle 
souvent  de  vous  mortifier;  puisque  le  sacrement 
par  lequel  vous  êtes  entrés  dans  l'Église  vous  a 
initiés  tout  ensenble,  et  à  la  religion  chrétienne, 
et  à  une  vie  pénitente. 

Mais  puisque  nous  sommes  sur  cette  matière , 
et  d'aiHeurs  que  la  Providence  divine  semble 
avoir  suscité  saint  François  de  Paule ,  afin  de  re- 
nouveler en  son  siècle  l'esprit  de  pénitence ,  pres- 
que entièrement  éteint  par  la  mollesse  des  hom- 
mes :  il  sera ,  ce  me  semble ,  à  propos ,  avant  que 
devons  raconter  ses  austérités,  de  vous  dire  en 
peu  de  mots  les  raisons  qui  peuvent  l'avoir  obli<Ȏ 
à  une  manière  de  vi\Te  si  laborieuse;  et  tout  en- 
semble de  vous  faire  voir  qu'un  chrétien  est  un 
pénitent,  qui  ne  doit  point  donner  d'autres  bor- 
nes à  ses  mortifications,  que  celles  qui  termine- 
ront le  cours  de  sa  vie.  En  voici  la  raison  solide, 
que  je  tire  de  saint  Augustin  dans  une  excel- 
lente homélie  qu'il  a  faite  de  la  pénitence».  Il  y 
a  deux  sortes  de  chrétiens  :  les  uns  ont  perdu  fa 
candeur  de  l'innocence  baptismale,  et  les  autres 
l'ont  conservée;  quoique  à  notre  grande  honte, 
le  nombre  de  ces  derniers  soit  si  petit  dans  le 
monde,  qu'à  peine  doivent-ils  être  comptés.  Or 
les  uns  et  les  autres  sont  obligés  à  la  pénitence 
jusqu'au  dernier  soupir  ;  et  partant ,  la  vie  chré- 
tienne est  une  pénitence  continuelle. 

Car,  pour  nous  autres  misérables  pécheurs, 
qui  nous  sommes  dépouillés  de  Jésus-Christ  dont 
nous  avions  été  revêtus  par  le  saint  baptême ,  et 
qui,  nonobstant  tant  de  confessions  réitérées, 
retournons  toujours  à  nos  mêmes  crimes,  quelles 

'  Rom.  Tl,  3  ,  4. 

*  Serm.  cccu,  n»  3  et  seqq.  t.  v,  col.  135».. 


448 


DEUXIÈME  PAINÉGYRIQUE 


larmes  assez  «mères  et  quelles  douleurs  assez 
véhémentes  peuvent  égaler  notre  ingratitude? 
N'avons-nous  pas  juste  sujet  de  craindre  que  la 
bonté  de  Dieu ,  si  indignement  méprisée ,  ne  se 
tounie  en  une  fureur  implacable?  Que  si  sa  juste 
vengeance  est  si  grande  contre  les  Gentils,  qui 
De  sont  jamais  entrés  dans  son  alliance ,  sa  colère 
ne  sera-t-elle  pas  d'autant  plus  redoutable  pour 
nous,  qu'il  est  plus  sensible  à  un  père  d'avoir  des 
enfants  perfides ,  que  d'avoir  de  mauvais  servi- 
teurs? Donc,  si  la  justice  divine  est  si  fort  en- 
flammée contre  nous  ;  puisqu'il  est  impossible  que 
nous  lui  puissions  résister,  que  reste-t-il  ù  faire 
autre  chose  sinon  de  prendre  son  parti  contre 
nous-mêmes,  et  de  venger  par  nos  propres  mains 
les  mystères  de  Jésus  violés ,  et  son  sang  profa- 
né, et  son  Saint-Esprit  affligé,  comme  parlent  les 
Écritures',  et  sa  majesté  offensée?  c'est  ainsi, 
c'est  ainsi ,  chrétiens ,  que ,  prenant  contre  nous 
le  parti  de  la  justice  divine,  nous  obligerons  sa 
miséricorde  à  prendre  notre  parti  contre  sa  jus- 
tice. Plus  nous  déplorerons  la  misère  où  nous 
sommes  tombés ,  plus  nous  nous  rapprocherons 
du  bien  que  nous  avons  perdu  :  Dieu  recevra  en 
pitié  le  sacrifice  du  cœur  contrit,  que  nous  lui 
offrirons  pour  la  satisfaction  de  nos  crimes;  et 
sans  considérer  que  les  peines  que  nous  nous  im- 
posons ne  sont  pas  une  vengeance  proportionnée, 
ce  bon  père  regardera  seulement  qu'elle  est  vo- 
lontaire. Ne  cessons  donc  jamais  de  répandre  des 
larmes  si  fructueuses  :  frustrons  l'attente  du  dia- 
ble par  la  persévérance  de  notre  douleur,  qui 
étant  subrogée  en  la  place  d'un  tourment  d'une 
éternelle  durée,  doit  imiter  en  quelque  sorte  son 
intolérable  perpétuité  ens'étendant  du  moins  jus- 
qu'à notre  dernière  agonie. 

Mais  s'il  y  avait  quelqu'un  dans  le  monde, 
qui  eût  conservé  jusqu'à  cette  heure  lagrâée  du 
saint  baptême  ;  ô  Dieu ,  le  rare  trésor  pour  l'É- 
glise !  Toutefois ,  qu'il  ne  pense  pas  qu'il  soit 
exempt  pour  cela  de  la  loi  indispensable  de  la 
pénitence.  Qui  ne  tremblerait  pas,  chrétiens,  en 
entendant  les  gémissements  des  âmes  les  plus 
innocentes?  Plus  les  saints  s'avancent  dans  la 
vertu,  plus  ils  déplorent  leurs  dérèglements,  non 
par  une  humilité  contrefaite ,  mais  par  un  senti- 
ment véritable  de  leurs  propres  infirmités.  En 
voulez-vous  savoir  la  raison?  Voici  celle  de  saint 
Augustin,  prise  des  Écritures  divines  ;  c'est  que 
nous  avons  un  ennemi  domestique  avec  lequel  si 
nous  sommes  en  paix,  nous  ne  sommes  point  en 
paix  avec  Dieu.  Et  par  combien  d'expériences 
sensibles  pourrais-je  vous  faire  voir  que ,  depuis 
notre  première  enfance  jusqu'à  la  fin  de  nos  jours, 
nous  avons  en  nous-mêmes  certaines  passions 


malfaisantes,  et  une  inclination  au  mal ,  que  I'b- 
pôtre  appelle  la  convoitise» ,  qui  ne  nous  donne 
aucun  relâche?  Il  est  vrai  que  les  saints  la  surmon- 
tent :  mais  bien  qu'elle  scil  surmontée,  elle  ne 
laisse  pas  de  combattre.  Dans  un  combat  si  long, 
si  opiniâtre,  l'ennemi  nous  attaquant  de  si  près  : 
si  nous  donnons  des  coups ,  ncur  en  recevons  : 
Percutimus  et percutimur,  dit  saint  Augustin  '  : 
«  En  blessant ,  nous  sommes  blessés  ;  «  et  encore 
que  dans  les  saints  ces  blessures  soient  légères , 
et  que  chacune  en  particulier  n'ait  pas  assez  de 
malignité  pour  leur  faire  perdre  la  vie,  elles  les 
accanleralent  par  leur  niultitude,  s'ils  n'y  remé- 
diaient par  la  pénitence. 

Ha  !  quel  déplaisir  à  une  âme  vraiment  tou- 
chée de  l'amour  de  Dieu,  de  sentir  tant  de  répu- 
gnance à  faire  ce  qu'elle  aime  le  mieux  !  com- 
bien répand-elle  de  larmes,  agitée  en  elle-même 
de  tant  de  diverses  affections  qui  la  sépareraient 
de  son  Dieu,  si  elle  se  laissait  emporter  à  leur 
violence  !  C'est  ce  qui  afflige  les  saints  :  de  là  leurs 
plaintes  et  leurs  pénitences;  de  là  cette  sainte 
haine  qu'ils  ont  pour  eux-mêmes;  de  là  cette 
guerre  cruelle  et  innocente  qu'ils  se  déclarent. 
Imaginez- vous ,  chrétiens ,  qu'un  traître  ou  un 
envieux  tâche  de  vous  animer  par  de  faux  rap- 
ports contre  vos  amis  les  plus  affidés.  Combien 
souffrez-vous  de  contrainte ,  lorsque  vous  êtes  en 
sa  compagnie!  Avec  quels  yeux  le  regardez- vous, 
ce  perfide ,  ce  déloyal ,  qui  veut  vous  ravir  ce  que 
vous  avez  de  plus  cher!  Et  quels  sont  donc  les 
transports  des  amis  de  Dieu,  sentant  l'amour- 
propre  en  eux-mêmes  qui ,  par  toutes  sortes  de 
flatteries,  les  sollicite  de  rompre  avec  Dieu  !  Cette 
seule  pensée  leur  fait  horreur.  C'est  elle  qui  les 
arme  contre  leur  propre  chair  :  ils  deviennent 
inventifs  à  se  tourmenter. 

Regardez ,  fidèles ,  regardez  le  grand  et  l'in- 
comparable François  de  Paule.  0  Dieu  éternel  ! 
que  dirai-je ,  et  par  où  entrerai-je  dans  l'éloge  de 
sa  pénitence?  qu'admirerai-je  le  plus,  ou  qu'il 
l'ait  si  tôt  commencée,  ou  qu'il  l'ait  fait  durer  si 
longtemps  avec  une  pareille  vigueur?  Sa  tendre 
enfance  l'a  vue  naître,  sa  vieillesse  la  plus  décré- 
pite ne  l'a  jamais  vue  relâchée.  Par  l'une  de  ces 
entreprises ,  il  a  imité  Jean-Baptiste  ;  et  par  l'au- 
tre il  a  égalé  les  Paul ,  les  Antoine,  les  Hilarion. 

Ce  vieillard  vénérable,  que  vous  voyez  mar- 
cher avec  une  contenance  si  grave  et  si  simple, 
soutenant  d'un  bâton  ses  membres  cassés;  il  y  a 
soixante  et  dix-neuf  ans  qu'il  fait  une  pénitence 
sévère.  Dans  sa  treizième  année  il  quitta  la  mai- 
son paternelle;  il  se  jeta  dès  lors  dans  la  solitude, 
il  embrassa  dès  lors  les  austérités.  A  quatre-v ing'O' 

»  Rom.  vil,  8. 
I      »  Serm.  CCOJ ,  n*  6.  t.  v,  col.  1350. 


DE  SAliNT  FRANÇOIS  DE  PAULE. 


449 


onze  aus,  ni  les  veilles,  ni  les  fatigues,  ni  l'ex- 
trOme  .caducité  ue  lui  oui  pu  encore  faire  raodé- 
ivr  l'étroite  sévérité  de  sa  vie,  que  Dieu  n*a 
étendue  si  longtemps,  qu'afin  de  nous  faire  voir 
une  persévérance  incroyable.  Il  fait  un  carême 
éternel;  et  durant  ce  carême,  il  semble  qu'il  ne 
se  nourrisse  que  d'oraisons  et  de  jeûnes.  Lu  peu 
de  pain  est  sa  nourriture,  de  l'eau  toute  pure 
etanche  sa  soif  :  à  ses  jours  de  réjouissance ,  il  y 
ajoute  quelque  légume  ;  voilà  les  ragoûts  de  Fran- 
çois de  Paule.  En  santé  et  en  maladie ,  tel  est 
son  régime  de  vie;  et  dans  une  vie  si  austère, il 
e.st  plus  content  que  les  rois.  11  dit  qu'il  importe 
|)eu  de  quoi  on  sustente  ce  corps  mortel ,  que  la 
loi  change  la  nature  des  choses,  que  Dieu  donne 
telle  vertu  qu'il  lui  plaît  aux  nourritures  que  nous 
prenons ,  et  que  pour  ceux  qui  mettent  leur  es- 
pérance en  lui  seul  tout  est  bon ,  tout  est  salu- 
taire :  et  c'est  pour  confondre  ceux  qui ,  voulant 
se  dispenser  de  la  mortification  commune ,  se  fi- 
gurent de  vaines  appréhensions,  afin  de  les  faire 
servir  d'excuse  à  leur  délicatesse  affectée. 

Que  vous  dirai-je  ici  de  l'austérité  de  son 
jeûne?  Il  ne  songe  à  prendre  sa  réfection,  que 
loi-squ'il  sent  que  la  niiit  approche.  Après  avoir 
vaqué  toutlejour  au  service  de  son  Créateur,  il 
croit  avoir  quelque  droit  de  penser  à  l'infirmité 
de  la  nature.  Il  traite  son  corps  comme  un  mer- 
cenaire à  qui  il  donne  son  pain.  De  peur  déman- 
ger pour  le  plaisir,  il  attend  la  der.iiere  ^eces^ité  : 
par  une  nourriture  modique  il  se  prépare  à  un 
sommeil  léger,  louant  la  munificence  divine  de 
ce  qu'elle  le  sustente  de  peu. 

Qu'est-il  nécessaire  de  vous  raconter  ses  au- 
tres austérités?  Sa  vie  est  égale  partout;  toutes 
les  parties  en  son  t  réglées  par  la  discipline  de 
la  pénitence.  Demandez-lui  la  raison  d'une  telle 
sévérité,  il  vous  répondra  avec  l'apôtre  saint 
Paul  •  :  «  Ne  pensez  pas,  mes  frères,  que  je  tra- 
«  vaille  en  vain  :  »  Sic  curro,  non  quasi  in  in- 
certum.  Et  que  faites-vous  donc ,  grand  François 
de  Paule?  Ha  !  dit-il,  «  je  châtie  mon  corps  :  » 
Castigo  corpus  meum.  0  le  soin  inutile!  diront 
les  fols  amateurs  du  siècle.  Mais  par  ce  moyeu 
dit  saint  Paul ,  et  après  lui  notre  saint ,  par  ce 
moyen ,  «  je  réduis  en  servitude  ma  chair  :  »  ht 
servikiiem  corpus  meum  redigo.  Et  pourquoi  se 
donner  tant  de  peines?  ^  C'est  de  peur,  dit-il, 
«  qu'après  avoir  enseigné  les  autres ,  moi-même 
«  je  ne  sois  réprouvé  :  «  ne  forte  cum  aliis  prœ- 
diceverim ,  ipse  reprobus  ejficiar.  Je  me  perdrais 
par  l'amour  de  moi-même;  par  la  haine  de  moi- 
même  je  me  veux  sauver  :  je  ne  prends  pas  ce 
que  le  monde  appelle  commodités,  de  peur  que 

•  I.  Cor.  IX,  26,  27. 
«OSSUrj.   —  T    111. 


par  un  chemin  si  glissant  je  ne  toml»  msensible- 
ment  dans  les  voluptés.  Puisque  l'amour-propre 
me  presse  si  fort ,  je  veux  me  roidir  au  contraire  : 
pressé  plus  vivement  pai*  la  charité  de  Jésus- 
Christ  ,  de  crainte  de  m'aimer  trop  je  me  persé- 
cute. 

C'est  ainsi  que  nos  pères  ont  été  nourris,  L'É- 
glise dès  son  berceau  a  eu  des  persécuteurs;  cl 
plusieurs  siècles  se  sont  passés ,  pendant  lesquels 
les  puis  anccs  du  monde  faisaient,  pour  ainsi 
dire ,  continuellement  rejaillir  sur  elle  le  sang 
de  ses  propres  enfants.  Dieu  la  voulait  élever  de 
la  sorte,  dans  les  hasards  et  dans  les  combats, 
et  parmi  de  durs  exercices ,  de  peur  qu'efféminée 
par  l'amour  des  plaisirs  de  la  terre ,  elle  n'eût  pas 
le  courage  assez  ferme ,  ni  digne  des  grandeurs 
au.vquelles  elle  était  appelée.  Sectateurs  d'une 
doctrine  établie  par  tant  de  supplices;  s'il  était 
coulé  en  nos  veines  une  goutte  du  sang  de  nos 
braves  et  invincibles  ancêtres,  nous  ne  soupire- 
rions pas,  comme  nous  faisons ,  après  ces  molles 
délices  qui  énervent  la  vigueur  de  notre  foi ,  et 
font  tomber  par  terre  cette  première  générosité 
du  christianisme. 

Quelle  est  ici  votj*e  pensée,  chrétiens?  Vous 
dites  que  ces  maximes  sont  extrêmement  rigou- 
reuses. Elles  ne  m'étonneni  pas  moins  que  vous , 
toutefois  je  ne  puis  vous  dissimuler  qu'elles  sont 
extrêmement  chrétiennes.  Jésus  notre  Sauveur, 
dont  nous  faisons  gloire  d'être  les  disciples,  après 
nous  les  avoir  annoncées  les  a  confirmées  par  sa 
mort,  et  nous  les  a  laissées  par  son  Testament. 
Regardez-le  au  jardin  des  Olives,  c'est  une  pieuse 
remai-que  de  saint  Augustin  ;  toutes  les  parties  de 
son  corps  furent  teintes  par  cette  mystérieuse 
sueur.  •  Que  veut  dire  cela,  dit  saint  Augustin  «  ? 
'<  C'est  qu'il  avait  dessein  de  nous  faire  voir  que 
«  l'Église,  qui  est  son  corps,  devait  de  toutes 
«  parts  dégoutter  de  sang  :  »  Quid  ostendebat, 
quandoper  corpus  oranlis  globi sanguinis  des- 
tillabant,  nisi  quia  corpus  ejus,  quod  est  Eccle- 
sia,  martyrum  sanguine  jamfluebat ? 

Vous  me  direz  peut-être ,  que  les  persécutions 
sont  cessées.  Il  est  vrai,  les  persécutions  sont 
cessées  ;  mais  les  martji-es  ne  sont  pas  cessés.  Le 
martjre  de  la  pénitence  est  insépai-able  de  la 
sainte  Église.  Ce  martyre,  à  la  vérité,  n'a  pas 
un  appareil  si  terrible;  mais  ce  qui  semble  lui 
manquer  du  côté  de  la  violence,  il  le  récompense 
par  la  durée.  Pendant  toute  l'étendue  des  siècles, 
il  faut  que  l'Église  dégoutte  de  sang;  si  ce  n'e.st 
du  sang  que  répand  la  tyrannie,  c'est  du  sang 
que  verse  la  pénitence.  «  Les  lanncs,  selon  la 
«  pensée  de  saint  Augustin  *,  sont  le  sang  le  plus 

»  Enar.  in  Psal.  i.xxxT,  n*  I ,  t.  rr,  col.  »>% 
*  Serm.  cccu,  a"  7,  t.  V,  col.  i3&e 

2S 


450 


DEUXIÈME  PANÉGYRIQUE 


«  pur  de  l'âme  :  »  Sangins  animœ  per  lacryman 
proftuat.  C'est  ce  sang  qu'épanche  la  pénitence. 
Et  pourquoi  ne  comparerai-je  pas  la  pénitence 
au  martyre?  Autant  que  lessaints  retranchent  de 
mauvais  désirs ,  ne  se  font-ils  pas  autant  de  salu- 
taires blessures?  En  déracinant  l'amour-propre, 
ils  arrachent  comme  un  membre  du  cœur,  selon 
le  précepte  de  l'Évangile.  Car  l'amour-propre  ne 
tient  pas  moins  au  cœur,  que  les  membres  tien- 
nent au  corps  ;  c'est  le  vrai  sens  de  cette  parole  : 
«  Si  votre  main  droite  vous  scandalise,  coupez  , 
«  tranchez,  dit  le  FilsdeDieu  :  »  Abscideillam  \ 
Cest-à-dirc ,  si  nous  l'entendons ,  qu'il  faut  por- 
ter le  couteau  jusqu'au  cœur,  jusqu'aux  plus  in- 
times inclinations.  L'apôtre  a  prononcé  pour  tous 
les  hommes  et  pour  tous  les  temps  :  que  «  tous 
«  ceux  qui  veulent  vivre  pieusement  en  Jésus- 
«  Christ ,  souffriront  persécution  :  »  Omnes  qui 
pie  volunt  vivere  in  Christo  Jesu,  persecutio- 
nem  patienUtr  *.  Ainsi ,  au  défaut  des  tyrans , 
les  saints  se  persécutent  eux-mêmes  ;  tant  il  est 
nécessaire  que  l'Église  souffre.  Une  haine  injuste 
•et  cruelle  animait  les  empereurs  contre  les  gens 
de  bien  :  une  sainte  haine  anime  les  gens  de  bien 
•  contre  eux-mêmes. 

O  nouveau  genre  de  martyre ,  où  le  martyr 
^pntient  et  le  persécuteur  sont  également  agréa- 
bles ;  où  Dieu ,  d'une  même  main ,  soutient  ce- 
lui qui  souffre,  et  couronne  celui  qui  persécute  ! 
«'est  le  martyre  de  saint  François,  c'est  où  il  a 
paru  invincible  ;  et  quoique  vous  l'ayez  déjà  vu 
dans  ce  que  je  vous  ai  rapporté  de  sa  vie,  il  faut 
•encore  ajouter  un  trait  au  tableau  que  j'ai  com- 
mencé de  sa  pénitence,  et  puis  nous  passerons  à 
sa  charité. 

Je  dis  donc  qu'il  y  a  deux  choses  qui  compo- 
sent la  pénitence  :  la  mortification  du  corps  et 
l'abaissement  de  l'esprit.  Car  la  pénitence,  comme 
je  l'ai  touché  au  commencement  de  ce  discours , 
est  un  sacrifice  de  tout  l'homme ,  qui ,  se  jugeant 
digne  du  deniier  supplice,  se  détruit  en  quelque 
façon  devant  Dieu.  Par  conséquent  il  est  néces- 
«lire,  afin  que  le  sacrifice  soit  plein  et  entier,  de 
dompter  et  l'esprit  et  le  corps  ;  le  corps  par  les 
mortifications, et  l'esprit  par  l'humilité.  Et  d'au- 
tant que  le  sacrifice  est  plus  agréable ,  lorsque  la 
victime  est  plus  noble ,  il  ne  faut  point  douter  que 
ce  ne  soit  une  action  sans  comparaison  plus  ex- 
cellente ,  d'humilier  son  esprit  devant  Dieu ,  que 
de  châtierson  corps  pour  l'amour  de  lui  :  de  sorte 
que  l'humilité  est  la  partie  la  plus  essentielle  de 
^  pénitence  chrétienne.  C'est  pourquoi  le  docte 
«rtuUien  donne  cette  belle  déiinition  à  la  péni- 


•  More.  IX ,  42. 

*  R.  Ttm.  m,  12. 


tence  :  «  La  pénitence,  dit-il  »,  c'est  la  science 
"  d'humilier  l'homme  :  »Prosfernendiethumili- 
candi  hominis  disciplina.  D'où  passant  plus 
outre ,  je  djs  que  si  la  vie  chrétienne  est  une  pé- 
nitence continuelle,  ainsi  que  nous  l'avons  établi 
par  la  docti-ine  de  saint  Augustin  ;  ce  qui  fait  le 
vrai  pénitent ,  c'est  ce  qui  fait  le  vrai  chrétien  : 
et  partant ,  c'est  en  l'humilité  que  consiste  la  sou- 
veraine perfection  du  christianisme. 

Ainsi  ne  vous  persuadez  pas  avoir  vu  toute  la 
pénitence  de  François  de  Paule ,  quand  je  vous 
ai  fait  contempler  ses  austéi-ités  :  je  ne  vous  ai 
encore  montré  que  l'écorce.  Tout  sec  et  exténué 
qu'il  est  en  son  corps  par  les  jeûnes  et  par  les  veil- 
les, il  est  encore  plus  mortifié  en  esprit.  Son  âme 
est  en  quelque  sorte  plus  exténuée;  elle  est  entiè- 
rement vide  de  ces  vaines  pensées  qui  nous  en- 
flent. Dnnsune  pureté  angélique, dans  une  vertu 
si  constante ,  si  consommée ,  il  se  compte  pour  un 
serviteur  inutile,  il  s'estime  le  moindre  de  tous 
ses  frères.  Le  souverain  pontife  lui  parle  de  le 
faire  prêtre  :  François  de  Paule  est  effrayé  du  seul 
nom  de  prêtre  :  Ha  !  faire  prêtre  un  pécheur  comme 
moi  !  Cette  proposition  le  fait  trembler  jusqu'au 
fond  de  l'âme.  0  confusion  de  notre  siècle  !  des 
hommes  tout  sensuels  comme  nous ,  se  présentent 
audacieusement  à  ce  redoutable  ministère,  dont 
le  seul  nom  épouvante  cet  ange  terrestre!  Pour 
les  honneurs  du  siècle ,  jamais  homme  les  a-t-il 
plus  méprisés?  Il  ne  peut  seulement  comprendre 
pour  quelle  raison  on  les  nomme  honneurs.  O 
Dieu  !  quel  coup  de  tonnerre  fut-ce  pour  lui ,  lors- 
qu'on lui  apporta  la  nouvelle  que  le  roi  Louis  XI 
le  voulait  avoir  à  sa  cour;  que  le  pape  lui  ordon- 
nait d"y  aller,  et  auparavant  de  passer  à  Rome  1 
Combien  regretta-t-il  la  douce  retraite  de  sa  soli- 
tude ,  et  la  bienheureuse  obscurité  de  sa  vie  !  Et 
pourquoi ,  disait-il ,  pourquoi  faut-il  que  ce  pau- 
vre ermite  soit  connu  des  grands  de  la  terre?  Hé  ! 
dans  quel  coin  pourrai-je  dorénavant  me  cacher, 
puisque  dans  les  déserts  même  de  la  Calabre  je 
suis  connu  par  un  roi  de  France  ? 

C'est  ici ,  chrétiens ,  où  je  vous  prie  de  vous 
rendre  attentifs  à  ce  que  va  faire  François  de 
Paule  :  voici  le  plus  grand  miracle  de  ce  saint 
homme.  Certes,  je  ne  m'étonne  plus  qu'il  ait  tant 
de  fois  passé  au  milieu  des  (lammes  sans  en  avoir 
été  offensé;  ni  de  ce  que  domptant  la  fureur  de 
ce  terrible  détroit  de  Sicile ,  fameux  par  tant  de 
naufrages,  il  ait  trouvé  sur  son  seul  manteau, 
l'assurance  que  les  plus  adroits  nautonniers  ne 
pouvaient  trouver  dans  leurs  grands  navires.  Lu 
cour,  qu'il  a  surmontée,  a  des  flammes  plus  dé- 
vorantes ;  elle  a  des  écueils  plus  dangereux  ;  et 

*  Ue  Pa-iiit.  W  tf. 


DE  SAINT  FRANÇOIS  DE  PAULE. 


4St 


bien  que  les  inventions  hardies  de  l'expression 
pt>étique  n'aient  pu  nous  représenter  la  mer  de 
Sicile  si  horrible  que  la  nature  l'a  faite,  la  cour 
a  des  vagues  plus  furieuses,  des  abîmes  plus 
creux ,  et  des  tempêtes  plus  redoutables.  Comme 
c'est  de  la  cour  que  dépendent  toutes  les  affaires , 
et  que  c'est  aussi  là  qu'elles  aboutissent,  l'ennemi 
du  genre  humain  y  jette  tous  ses  appâts,  y  étale 
toute  sa  pompe.  Là  est  l'empire  de  l'intérêt;  là  est 
le  théâtre  des  passions;  là  elles  se  montrent  les 
plus  violentes;  là  elles  sont  les  plus  déguisées. 
Voici  donc  François  de  Pau  le  dans  un  nouveau 
monde.  Il  regarde  ce  mouvement,  ces  révolutions, 
cet  empressement  éternel ,  et  uniquement  pour 
des  biens  périssables,  et  pour  une  fortune  qui 
n'a  rien  de  plus  assuré  que  sa  décadence  ;  il  croit 
que  Dieu  ne  l'a  amené  en  ce  lieu ,  que  pour  con- 
naître mieux  jusqu'où  se  peut  porter  la  folie  des 
hommes. 

A  Rome,  le  pape  lui  rend  des  honneurs  ex- 
traordinaires ;  tous  les  cardinaux  le  visitent.  En 
France,  trois  grands  rois  le  caressent,  et  après 
cela ,  je  vous  laisse  à  penser  si  tout  le  monde  lui 
applaudit.  A  peine  peut-il  comprendre  pourquoi 
ou  le  respecte  si  fort.  Il  ne  s'élève  point  parmi 
des  faveurs  si  inespérées  ;  c'est  toujours  le  même 
homme,  toujours  humble,  toujours  soumis.  Il 
parle  aux  grands  et  aux  petits  avec  la  même  fran- 
chise, avec  la  même  liberté  :  il  traite  avec  tous 
indifféremment,  par  des  discours  simples,  mais 
bien  sensés,  qui  ne  tendent  qu'à  la  gloire  de 
Dieu,  et  au  salut  de  leurs  âmes.  0  personnage 
vraiment  admirable  !  Doux  attraits  de  la  cour, 
combien  avez-vous  corrompu  d'innocents?  ceux 
qui  vous  ont  goûtés  ne  peuvent  presque  goûter 
autre  chose.  Combien  avons-nous  vu  de  person- 
nes, je  dis  même  des  personnes  pieuses,  qui  se 
laissaient  comme  entraîner  à  la  cour,  sans  des- 
sein de  s'y  engager?  Oh  non,  ils  se  donneront 
bien  de  garde  de  se  laisser  ainsi  captiver.  Enfin 
l'occasion  s'est  présentée  belle,  le  moment  fatal 
est  venu ,  la  vague  les  a  poussés ,  et  les  a  em- 
portés ainsi  que  les  autres.  Ils  n'étaient  venus , 
disaient-ils ,  que  pour  être  spectateurs  de  la  co- 
médie ;  à  la  fin ,  à  force  de  la  regarder,  ils  en  ont 
trouvé  l'intrigue  si  belle,  qu'ils  ont  voulu  jouer 
leur  personnage.  La  piété  même  s'y  glisse ,  sou- 
vent elle  ouvre  des  entrées  favorables;  et  après 
que  l'on  a  bu  de  cette  eau,  tout  le  monde  le 
dit,  les  histoires  le  publient,  l'âme  est  toute 
changée  par  une  espèce  d'enchantement  :  c'est 
un  breuvage  charmé,  qui  enivre  les  plus  so- 
bres. 

Cependant  l'incomparable  François  de  Paule 
est  solitaire  jusque  dans  la  cour  :  rien  ne  l'é- 
branle,  rien  ne  l'émeut;  il  ne  demande  rien,  il 


ne  s'empresse  de  rien ,  non  pas  même  pour  l'éta* 
blissement  de  son  ordre;  Il  s'en  remet  à  la  Pro* 
vidence.  Pour  lui ,  il  ne  fait  que  ce  qu'il  a  à  faire , 
d'instruire  ceux  que  Dieu  lui  envoie,  et  d'édifier 
l'Église  par  ses  bons  exemples.  Je  pense  que  je 
ne  dirai  rien  qui  soit  éloigné  de  la  vérité ,  si  je 
dis  que  la  cour  de  Louis  XI  devait  être  la  plus 
raffinée  de  l'Europe  :  car  s'il  est  vrai  que  l'hu- 
meur du  prince  règle  les  passions  de  ses  courti- 
sans, sous  un  prince  si  rusé  tout  le  monde  raf- 
finait sans  doute;  c'était  la  manie  du  siècle, 
c'était  la  fantaisie  de  la  cour.  François  de  Paule 
regarde  leurs  souplesses  avec  un  certain  mépris. 
Pour  lui,  bien  qu'il  soit  obligé  de  converser  sou* 
vent  avec  eux ,  il  conserve  cette  bonté  si  franche 
et  si  cordiale,  et  cette  naïve  enfance  de  son  in- 
nocente simplicité.  Chacun  admire  une  si  grande 
candeur,  et  tout  le  monde  demeure  d'accord 
qu'elle  vaut  mieux  que  toutes  les  finesses. 

Ici  il  me  vient  une  pensée  :  de  considérer  le- 
quel a  l'âme  plus  grande  et  plus  royale ,  de  Louis^ 
ou  de  François  de  Paule.  Oui,  j'ose  comparei* 
un  pauvre  moine  avec  un  des  plus  grands  rois  et 
des  plus  politiques,  qui  ait  jamais  porté  la  cou- 
ronne ;  et  sans  délibérer  davantage,  je  donne  la 
préférence  à  l'humble  François.  En  quoi  met* 
tons-nous  la  grandeur  de  l'âme?  Est-ce  à  prendre 
de  nobles  desseins?  Tous  ceux  de  Louis  sont  en- 
fermés dans  la  terre  :  François  ne  trouve  rien 
qui  soit  digne  de  lui ,  que  le  ciel.  Louis ,  pour 
exécuter  ce  qu'il  prétendait,  cherchait  mille  pra* 
tiques  et  mille  détours;  et  avec  sa  puissance 
royale ,  il  ne  pouvait  si  bien  nouer  ses  intrigues , 
que  souvent  un  petit  ressort  venant  à  manquer, 
toute  l'entreprise  ne  fût  renversée.  François  se 
propose  de  plus  grands  desseins ,  et  sans  aucun 
détour,  y  va  par  des  voies  très-courtes  et  très* 
assurées.  Louis,  à  ce  que  remarque  l'histoire, 
avec  tous  ses  impôts  et  tous  ses  tributs,  à  peine 
a-t-il  assez  d'argent  dans  ses  coffres ,  pour  répa- 
rer les  défauts  de  sa  politique.  François  rachète 
tous  ses  péchés ,  François  gagne  le  ciel  par  ses 
larmes  et  par  de  pieux  désirs;  ce  sont  ses  riches- 
ses les  plus  précieuses,  et  il  en  a  dans  son  cœur 
un  trésor  immense ,  et  une  source  infinie.  Louis , 
en  une  infinité  de  rencontres ,  est  contraint  de 
plier  sous  les  coups  de  sa  ma'.ivaise  fortune  :  et 
la  fortune  et  le  monde  sont  au-dessous  de  Fran- 
çois. Enfin ,  pour  vous  faire  voir  la  royauté  de 
François ,  considérez  ce  prince  qui  tremble  dans 
ses  forteresses ,  et  au  milieu  de  ses  gardes.  Il  sent 
approcher  une  ennemie  qui  tranchera  toutes  ses 
espérances,  et  néanmoins  il  ne  peut  éviter  ses 
taques.  Fidèles,  vous  entendez  bien  que  c'est 
de  la  mort  dont  je  parle.  Regardez  maintenant 
le  pauvre  François ,  voyez ,  voyez  si  la  motl  lui 

«9. 


^«•2 


DEUXIÈME  PANÉGYRIQUE 


fait  seulement  froncer  les  sourcils  :  il  la  contem- 
ple uvce  un  visage  riant,  il  lui  tend  de  bon  cœur 
les  mains,  il  lui  montre  l'endroit  où  elle  doit 
frapper,  il  lui  présente  cette  pourriture  du  corps. 
0  mort!  lui  dit-il,  quoique  le  monde  t'appelle 
crirelle ,  tu  ne  me  feras  aucun  mal ,  tu  ne  m'ôte- 
ras  rien  de  ce  que  j'aime;  tu  ne  rompras  pas  le 
cours  de  mes  desseins;  au  contraire ,  tu  ne  feras 
qu'achever  l'ouvrage  que  j'ai  commencé  ;  tu  me 
déferas  tout  à  fait  des  choses  dont  il  y  a  si  long- 
temps que  je  tâche  de  me  dépouiller;  tu  me  dé- 
livreras de  ce  corps.  0  mort!  je  t'en  remercie  : 
il  y  a  près  de  quatre-vingts  ans  que  je  travaille 
moi-même  à  m'en  décharger. 

O  fermeté  invincible  de  François  de  Paule!  ô 
îirande  âme  et  vraiment  royale  !  Que  les  rois  de 
la  terre  se  glorifient  dans  leur  vaine  magnifi- 
cence :  il  n'y  a  point  de  royauté  pareille  à  celle 
de  François  de  Paule.  Il  règne  sur  ses  appétits  : 
il  est  paisible,  il  est  satisfait.  La  vie  la  plus  heu- 
reuse, est  celle  qui  appréhende  le  moins  la  mort. 
Et  qui  de  nous  aime  si  fort  le  monde ,  qu'il  ne 
désirât  plutôt  de  mourir  comme  le  pauvre  Fran- 
çois de  Paule,  que  comme  le  roi  Louis  XI?  Que 
si  nous  voulons  mourir  comme  lui,  il  faudrait 
vivre  aussi  comme  lui.  Sa  vie  a  donc  été  bien- 
heureuse. Il  est  vrai  qu'il  s'est  affligé  par  diver- 
ses austérités;  mais,  souffrant  pour  l'amour  de 
celui  qui  seul  avait  gagné  ses  affections ,  sa  cha- 
rité charmait  tous  ses  maux ,  elle  adoucissait 
toutes  ses  douleurs.  0  puissance  de  la  charité  ! 
'  dîrez-vous.  Mais  le  voulez-vous  voir  par  l'exem- 
;ple  de  saint  François;  un  moment  d'audience  sa- 
ittefera  ce  pieux  désir. 

SECOND    POINT. 

Ne  vous  étonnez  pas ,  chrétiens,  si  dans  une 
vie  si  dure ,  si  laborieuse ,  l'admirable  François 
de  Paule  a  toujours  un  air  riant,  et  toujours  un 
visage  content.  11  aimait,  et  c'^st  tout  vous  dire; 
parce  que,  dit  saint  Augustin,  «  celui  qui  aime, 
■  ne  travaille  pas  :  »  Qui  amat,  non  laborat  \ 
Voyez  les  folles  amours  du  siècle,  comme  elles 
triomphent  parmi  les  souffrances.  Or  la  charité 
de  Jésus  venant  d'une  source  plus  haute,  est 
aussi  plus  pressante  et  plus  forte  :  Charitas 
Christi  urget  nos.  Et  encore  que  son  cours  soit 
plus  réglé,  il  n^en  est  pas  moins  impétueux.  Cer- 
tes, il  faut  l'avouer,  mes  chers  frères,  à  notre 
grande  confusion ,  que  nous  entendons  peu  ce 
que  l'on  nous  dit  de  sou  énergie.  Le  langage  de 
l'amour  de  Dieu  nous  est  un  langage  barbare. 
Les  âmes  froides  et  languissantes,  comme  les 
nôtres,  ne  comprennent  pas  ces  discours,  qui 

»  In  Joan.  Trncl.  XLVlll,  n"  I ,  l.  m,  part,  il,  col.  CU. 


sont  pleins  d'une  ardeur  si  divine  :  Non  capii 
Ifjnitum  eloquium  friijidum  pcctus ,  disait  le 
dévot  saint  Bernard  '.  Si  je  vous  dis  que  l'amoor 
de  Dieu  fait  oublier  toutes  choses  aux  âmes  qui 
en  sont  frappées;  si  je  vous  dis  qu'en  étant  pos- 
sédées, elles  en  perdent  le  soin  de  leur  corps, 
qu'elles  ne  songent  presque  plus  ni  a  l'habiller, 
ni  à  le  nourrir ,  comme  peut-être  vous  ne  ressen- 
tez pas  ces  mouvements  en  vous-mêmes,  vous 
prendrez  peut-être  ces  vérités  pour  des  rêveries 
agréables;  et  moi,  qui  suis  bien  éloigné  d'une 
expérience  si  sainte ,  je  ne  pourrais  jamais  vous 
parler  des  doux  transports  de  la  charité ,  si  je 
n'empruntais  les  sentiments  des  saints  Pères. 

Écoutez  donc  le  grand  saint  Basile ,  l'ornement 
de  l'Église  orientale ,  le  rempart  de  la  foi  catho- 
lique contre  la  perfidie  arienne.  Voici  comme 
parle  ce  saint  évêque  :  «  Sitôt  que  quelque  rayon 
«  de  cette  première  beauté  commence  à  paraître 
"  sur  nous ,  notre  esprit ,  transporté  par  une  ra- 
«  vissante  douceur,  perd  aussitôt  la  mémoire  de 
n  toutes  ses  autres  occupations  :  il  oublie  toutes 
«  les  nécessités  de  la  vie.  Nous  armons  tellement 
"  cet  amour  bienheureux  et  céleste ,  que  nous  ne 
"  pouvons  plus  sentir  d'autres  flammes.  »  Fidè- 
les ,  que  veut-il  dire ,  que  nous  aimons  cet  amour 
tout  céleste?  Cœlestem  illum  ac  plane  beatum, 
amantes  amorem  '.  C'est  par  l'amour  qu'on  aime  : 
mais  comment  se  peut-il  faire  qu'on  aime  l'a- 
mour? Ah  !  c'est  que  l'âme  fidèle ,  blessée  de  l'a- 
mour de  son  Dieu ,  aimant  elle  sent  qu'elle  aime, 
elle  s'en  réjouit,  elle  en  triomphe  de  joie,  elle 
commence  à  s'aimer  elle-même,  non  pas  pour 
«Ile-même ,  mais  elle  s'aime  de  ce  qu'elle  aime 
Dieu  :  Cœlestem  illum  ac  plane  beatum  aman- 
tes amorem.  Et  cet  amour  lui  plaît  tellement, 
qu'en  faisant  toutes  ses  délices,  elle  regarde  tout 
le  reste  avec  indifférence.  C'est  ce  que  dit  le 
tendre  et  affectueux  saint  Bernard  ^,  que  celui 
qui  aime,  il  aime  :  Qui  amat,  amat.  Ce  n'est 
pas,  ce  semble,  une  grande  merveille.  Il  aime, 
c'est-à-dire,  il  ne  sait  autre  chose  qu'aimer;  il 
aime ,  et  c'est  tout ,  si  vous  me  permettez  cette 
façon  de  parler  familière.  L'amour  de  Dieu, 
quand  il  est  dans  une  âme,  il  change  tout  en  soi- 
même  :  il  ne  souffre  ni  douleur,  ni  crainte ,  ni 
espérance  que  celle  qu'il  donne. 

François  de  Paule ,  ô  l'ardent  amoureux  1  II 
est  blessé ,  il  est  transporté  ;  on  ne  peut  le  tirer 
de  sa  chère  cellule,  parce  qu'il  y  embrasse  son 
Dieu  en  paix  et  en  solitude.  L'heure  de  manger 
arrive  :  il  a  une  nourriture  plus  agréable ,  goû- 
tant les  douceurs  de  la  charité.  La  nuit  l'invite 

»  In  Cant.  Scrm.  i,xxi\  ,  n"  1 ,  1. 1,  col.  1544. 

2  In  hal.  XLIV  ,  n°  6  ,  t.  1 ,  p.  164. 

3  In  tant.  Serri.  LXxxill,  n'  3, 1. 1,  COl.  1558. 


DE  SAINT  FRANÇOIS  DE  PAULE. 


4i3 


au  repos  :  il  trouve  son  véritable  repos  dans  les 
chastes  embrassements  dé  son  Dieu.  Le  roi  le 
demande  avec  une  extrême  impatience  :  il  a  af- 
faire, il  ne  peut  quitter;  il  est  renfermé  avec 
Dieu  dans  de  secrètes  communications.  On  frappe 
à  sa  porte  avec  violence  :  la  charité ,  qui  a  oc- 
cupé tous  ses  sens  par  le  ravissement  de  l'esprit, 
ne  lui  permet  d'entendre  autre  chose ,  que  ce  que 
Dieu  lui  dit  au  fond  de  son  cœur  dans  un  saint 
et  ineffable  silence.  C'est  qu'il  aime  son  Dieu ,  et 
qui!  aime  tellement  cet  amour,  qu'il  veut  le  voir 
tout  seul  dans  son  cœur  ;  et  autant  qu'il  lui  est 
possible, il  en  chasse  tous  les  autres  mouvements. 
Comme  chacun  parle  de  ce  qu'il  aime,  et  que 
l'aimable  François  de  Paule  n'aime  que  ce  saint 
et  divin  amour,  aussi  ne  parle-t-il  pas  d'autre 
chose.  Il  avait  gravée  bien  profondément  au  fond 
de  son  âme  cette  belle  sentence  du  saint  apôtre  : 
Oimiia  vestra  in  charilale  Jiant  '  :  «  Que  toutes 
«  vos  actions  se  fassent  en  charité.  »  Allons  en 
charité,  disait-il,  faisons  par  charité  :  c'était  la 
façon  de  parler  ordinaire,  que  ce  saint  homme 
avait  toujours  à  la  bouche  ;  fidèle  interpiète  du 
cœur.  De  cette  sorte  tous  ses  discours  étaient  des 
cantiques  de  l'amour  divin,  qui  calmaient  tous 
ses  mouvements,  qui  enflammaient  ses  pieux 
désirs,  qui  charmaient  toutes  les  douleurs  de 
cette  vie  misérable. 

Mais  encore  est-il  nécessaire  que  je  tâche  de 
"VOUS  faire  comprendre  la  force  de  cette  parole, 
qui  était  si  familière  au  saint  dont  nous  célébrons 
les  louanges.  Comprenez,  comprenez ,  chrétiens, 
combien  doivent  être  divins  les  mouvements  des 
âmes  fidèles.  L'antiquité  profane  consacrait  toutes 
nos  affections,  et  en  faisait  ses  divinités,  et  l'a- 
mour avait  ses  temples  dans  Rome ,  pour  ne  pas 
parler  en  ce  lieu  de  ceux  de  la  peur ,  et  des  autres 
passions  plus  basses.  Quand  ils  se  sentaient  pos- 
sédés de  quelque  mouvement  extraordinaire ,  ils 
croyaient  qu'il  venait  d'un  dieu ,  ou  bien  que  ce 
désir  violent  était  lui-même  leur  dieu  :  An  sua 
cuique  deusfit  dira  cupido^l  Permettez-moi  ce 
petit  mot  d'un  auteur  profane,  que  je  m'en  vais 
tâcher  d'effacer  par  un  passage  admirable  d'un 
auteur  sacré.  Il  n'y  a  que  les  chrétiens  qui  puissent 
se  vanter  que  leur  amour  est  un  Dieu.  «  Dieu  est 
«  amour;  Dieu  est  charité,  -  dit  le  bien-aimé  dis- 
ciple: Deus  charitas  est^ .  «  Et  puisque  Dieu  est 
charité,  «  poursuit-il ,  celui  qui  demeure  en  cha- 
«  rite ,  demeure  en  Dieu ,  et  Dieu  en  lui  :  »  Et  qui 
manet  in  charitnte,  in  Deo  manet,  et  Deus  in 
eo.  0  divine  théologie!  comprendrons-nous  bien 
ce  mystère?  Oui ,  certes,  nous  le  comprendrons 

»  I.  Tor.  XVI,  14. 

*    Firg.  .Sneid.  lib.  rx ,  V.  185. 

■*  1  Joan.  IT,  l«. 


avec  l'assistance  divine ,  en  suivant  les  vestiges 
des  anciens  docteure. 

Pour  cela,  élevez  vos  esprits  jusqu'aux  choses 
les  plus  hautes ,  que  la  foi  chrétienne  nous  repré- 
sente. Contemplez  dans  la  Trinité  adorable  le 
Père  et  le  Fils,  qui ,  enflammés  l'un  pour  l'autre 
par  le  même  amour,  produisent  un  torrent  de 
flammes,  un  amour  personnel  et  subsistant ,  que 
l'Écriture  appelle  le  Saint-Esprit;  amour  qui  est 
commun  au  Père  et  au  Fils ,  parce  qu'il  procède 
du  Père  et  du  Fils.  C'est  ce  Dieu  qui  est  charité , 
selon  que  dit  l'apôtre  saint  Jean  :  Deus  charjtas 
est.  Car  de  môme  que  le  Fils  de  Dieu  procédant 
par  intelligence,  il  est  intelligence,  et  par  soi; 
ainsi  le  Saint-Esprit  procédant  par  amour  est 
amour.  C'est  pourquoi  ledévotsaint  Bernard  vou- 
lant nous  exprimer  que  le  Saint-Esprit  est  amour, 
il  appelle  le  baiser  delà  bouche  de  Dieu ,  un  fleuve 
de  joie,  un  fleuve  de  vin  pur,  un  fleuve  de  feu 
céleste ,  un  qui  vient  de  deux ,  qui  unit  les  deux,^ 
lien  vital  et  vivant  :  Unus  ex  duobus,  uniens 
ambos,  vivificum  gluten  \  En  quoi  il  suit  Jd  pro? 
fonde  théologie  de  son  maître  saint  Augustin ,  qui 
appelle  le  Saint-Esprit  le  lien  commun  du  Père  et 
du  Fils*  ;  et  de  là  vient  que  les  Pères  l'ont  appelé 
le  saint  complément  de  la  Trinité  ^ ,  d'autant  que 
l'union ,  c'est  ce  qui  achève  les  choses  :  tout  est 
accompli  quand  l'union  est  faite ,  on  ne  peut  plus 
rien  ajouter. 

C'est  donc  ce  Dieu  charité ,  qui  est  l'amour 
du  Père  et  du  Fils ,  qui  descendant  en  nos  cœurs 
y  opère  la  charité.  <•  Celui,  dit  saint  Augustin, 
«  qui  lie  la  société  du  Pète  et  du  Fils,  c'est  lui 
«  qui  lie  la  société  et  entre  nous ,  et  avec  le  Père 
«  et  le  Fils.  Ils  nous  réduisent  en  un  par  le  Saint- 
«  Esprit,  qui  est  commun  à  l'un  et  à  l'autre,  qui 
«  est  Dieu,  et  amour  de  Dieu  :  »  Quodergo  com- 
mune est  Patri  et  Filio,  per  hoc  nos  voluerunt 
habere  comjnunionem  et  internas  et  secum,  et 
per  illud  donum  nos  colligere  in  unum  quod 
ambo  habent  unum,  hoc  est,  per  Spiritum  san 
ctum  Deum  et  donum  Dei^.  C'est  donc  le  Saint- 
Esprit,  qui  étant,  dès  l'éternité  le  lien  du  Père 
et  du  Fils ,  puis  se  communiquant  à  nous  par  une 
miséricordieuse  condescendance  nous  attache 
premièrement  à  Dieu  par  un  pur  amour ,  et  par 
le  même  nœud  nous  unit  les  uns  aux  autres.  Telle 
est  l'origine  de  la  charité ,  qui  est  la  chaîne  qui  lie 
toutes  choses  :  c'est  ce  Dieu  charité.  Il  n'est  pas 
plutôt  en  nos  âmes,  que  lui,  qui  est  amour  et 

'  In  Cavt.  Serm.  TIII,  n'  2,  t.  i^  coL  1286.  In  Ascen*^ 
Dom.  Serm.  v,  n'  13, 1. 1,  col.  92C.  In  Fest.  Petit  Serm.  m, 
n"  I,  t  l.col.  933. 

'  S.  Aug.  Serm.  Lxm,  n"  73,  t.  T,  col.  39-2.  Serm.  ficxn», 
n*  6,  t.  V,  col  941.  Enchir.  cap.  lti  ,  n"  16,  t.  vi,  col.  217. 

*  S.  Basil,  lib.de  Spir.  sancto.  cap.  WIU,  n'  46,  t  m,  Bt  8ik 

♦  S.  duc.  Serm.  LSXI,  n"  18,  t.  Y,  col.  2ai. 


454 

charité ,  il  les  embrase  de  ses  feux ,  il  y  coule 
un  amour  qui  lui  ressemble  en  quelque  sorte  :  à 
'cause  qu'il  est  le  Dieu  charité,  il  nous  donne  la 
charité.  RempHs  de  cet  amour,  qui  procède  du 
Père  et  du  Fils,  nous  aimons  le  Père  et  le  Fils,  et 
nous  aimons  aussi  avec  le  Père  et  le  Fils  cet  amour 
bienheureux  qui  nous  fait  aimer  le  Père  et  le  Fils, 
dit  saint  Augustin.  Ne  vous  souvient-il  pas  de  ce 
que  nous  disions  tout  à  l'heure ,  que  nous  aimions 
I  amour?  C'est  le  sens  profond  de  cette  parole  de 
saint  Basile ,  que  nous  n'avions  pour  lors  que  lé- 
gèrement effleuré.  Ce  baiser  divin ,  souvenez- vous 
([ue  c'est  saint  Bernard  qui  appelle  ainsi  le  Saint- 
Ksprit ,  ce  baiser  mutuel  que  le  Père  et  le  Fil  s  se  don- 
nent dans  l'éternité ,  et  qu'ils  nous  donnent  après 
<lans  le  temps,  nous  nous  le  donnons  les  uns  aux 
autres  par  unépanchement  d'amour.  C'est  en  cette 
manière  que  la  charité  passe  du  ciel  en  la  terre , 
du  cœur  de  Dieu  dans  le  cœur  de  l'homme ,  où , 
comme  dit  l'apôtre' ,  «  elle  est  répandue  par  le 
n  Saint-Esprit  qui  nous  est  donné.  «  Par  où  vous 
voyez  ces  deux  choses ,  que  le  Saint-Esprit  nous 
est  donné ,  et  que  par  lui  la  charité  nous  est  don- 
née ;  et  partant,  il  y  a  en  nos  cœurs ,  première- 
ment la  charité  incréée,  qui  est  le  Saint-Esprit, 
et  après,  la  charité  créée,  qui  nous  est  donnée 
par  le  Saint-Esprit.  De  là  vient  que  lapôtre saint 
Jean,  qui  a  dit  que  Dieu  est  charité,  dit  dans 
le  même  endroit  que  la  charité  est  de  Dieu  : 
Charitas  ex  Deo  est  ^  Car  le  Saint-Esprit  n'est 
pas  plutôt  dans  nos  âmes,  que,  les  embrasant  de 
ses  feux,  il  y  coule  un  amour  qui  lui  est  en  quel- 
que sorte  semblable  :  étant  le  Dieu  charité ,  il 
y  opère  la  charité.  C'est  pourquoi  l'apôtre  saint 
Jean ,  considérant  le  ruisseau  dans  sa  source , 
et  la  source  dans  le  ruisseau,  prononce  cette  haute 
parole,  que  «  Dieu  est  charité,  »  et  que,  «  qui 
«  demeure  en  charité,  demeure  en  Dieu,  et  Dieu 

«  en  lui.  » 

Que  dirai-je  maintenant  de  vous ,  ô  admirable 
François  de  Paule ,  qui  n'avez  que  la  charité 
dans  la  bouche ,  parce  que  'vous  n'avez  que  la 
charité  dans  le  cœur?  Je  ne  m'étonne  pas, chré- 
tiens ,  de  ce  que  dit  de  ce  saint  personnage  le 
iudicieux  Philippe  de  Comines,  qui  l'avait  vu 
couvent  en  la  cour  de  Louis  XI  :  «  Je  ne  pense , 
«  dit-il ,  jamais  avoir  vu  homme  vivant  de  si 
«  saincte  vie,où  il  semblast  mieux  que  le  Sainct- 
«  Esprit  parlait  par  sa  bouche.  »  C'est  que  ses 
paroles  et  son  action ,  étant  animés  par  la  cha- 
rité, semblaient  n'avoir  rien  de  mortel ,  mais  fai- 
saient éclater  tout  visiblement  l'opération  de 
l'Esprit  de  Dieu ,  souverain  moteur  de  son  âme. 
Pe  là  vient  ce  que  remarque  le  même  auteur ,  que 

i  Kom.  V,  5. 
«  I,  /«?»«.  rv,  7 


DEUXIÈME  PANÉGYRIQUE 


bien  qu'il  fût  ignorant €t  sans  lettres,  il  parlait 
si  bien  des  choses  divines  ,  et  dans  un  sens  si 
profond ,  que  tout  le  monde  en  était  étonné.  C'est* 
que  ce  maître  tout-puissant  l'enseignait  par  son 
onction.  Enfin ,  c'était  par  sa  charité  qu'il  semblait 
avoir  sur  toutes  les  créatures  un  commandement 
absolu  5  parce  que ,  uni  à  Dieu  par  une  amitié  si 
sincère,  il  était  comme  un  Dieu  sur  la  terre,  selon 
ce  que  dit  l'apôtre  saint  Paul,  que  «  qui  s'attache 
"  à  Dieu  est  un  même  esprit  avec  lui  :  »  Qui  au- 
tem  adhœret  Domino,  unus spiritus  est'. 

C'est  une  chose  admirable ,  que  la  miséricorde 
de  notre  Dieu  ait  porté  cette  majesté  souveraine 
à  se  rabaisser  jusqu'à  nous,  non-seulement  par 
une  amitié  cordiale ,  mais  encore  quelquefois,  si 
je  l'ose  dire,  par  une  étroite  familiarité.  «  Je 
«  viens ,  dit-il ,  frapper  à  la  porte  ;  si  quelqu'un 
«  m'ouvre,  j'entrerai  avec  lui,  et  je  souperai  avec 
«  lui ,  et  lui  avec  moi  :  »  Ecce  sto  ad  ostium  et 
pulso;  si  quis  audierit  vocem  meam,  et  ape- 
rueritmihijanuam,  intrabo  ad  illum,  et  cœ- 
nabo  cum  illo,  et  ipse  mecum  '.  Se  peut -il  rien 
de  plus  libre  ?  François  de  Paule ,  ce  bon  ami , 
étant  ainsi  familier  avec  Dieu  à  cause  de  son  in- 
nocence ;  il  disposait  librement  des  biens  de  son 
Dieu,  qui  semblait  lui  avoir  tout  mis  à  la  main. 
Aussi  certes ,  s'il  m'est  permis  de  parler  comme 
nous  parlons  dans  les  choses  humaines ,  ce  n'é- 
tait pas  une  connaissance  d'un  jour.  Le  saint 
homme  François  de  Paule ,  ayant  commencé  sa 
retraite  à  douze  ans,  et  ayant  toujours  donné 
dès  sa  tendre  enfance  des  marques  d'une  piété 
extraordinaire,  il  y  a  grande  apparence  qu'il  a 
toujours  conservé  l'intégrité  baptismale  ;  et  ce 
sont  ces  âmes  que  Dieu  chérit,  ces  âmes  toujours 
fraîches  et  toujours  nouvelles,  qui,  gardant  in- 
violablement  leur  première  fidélité ,  après  une 
longue  suite  d'années  paraissent  telles  devant  sa 
face,  aussi  saintes,  aussi  innocentes,  qu'elles  sor^ 
tirent  des  eaux  du  baptême.  Et  c'est ,  mes  ft-ères , 
ce  qui  me  confond.  0  Dieu  de  mon  cœur,  quand 
je  considère  que  cette  âme  si  chaste,  si  virginale, 
cette  âme  qui  est  toujours  demeurée  dans  la  pre- 
mière enfance  du  saint  baptême ,  fait  une  péni- 
tence si  rigoureuse ,  je  frémis  jusqu'au  fond  de 
l'âme.  Fidèles,  quelle  indignité!  Les  innocents 
font  pénitence,  et  les  criminels  vivent  dans  les 
délices. 

0  sainte  pénitence ,  autrefois  si  honorée  dans 
l'Église,  en  quel  endroit  du  monde  t'es-tu  main- 
tenant retirée?  Elle  n'a  plus  aucun  rang  dans  le 
siècle  :  rebutée  de  tout  le  monde ,  elle  s'est  jetée 
dans  les  cloîtres  ;  et  néanmoins  ce  n'est  pas  là 


•  1.  Cor.  YI,  17. 


DE  SAINT  FRANÇOIS  DE  PAULE. 


45S 


qu'elle  est  le  plus  néeessaiie.  C'est  là  que  se  re- 
tirent les  personnes  les  plus  pures;  et  nous  qui 
demeurons  dans  les  attachements  de  la  terre , 
nous  (jue  les  vains  désirs  du  siècle  embarrassent 
en  tant  de  pratiques  criminelles,  nous  nous  mo- 
quons de  la  pénitence ,  qui  est  le  seul  remède  de 
nos  désordres.  Consultons  -  nous  dans  nos  con- 
sciences :  sommes-nous  véritablement  chrétiens? 
l.es  chrétiens  sont  les  enfants  de  Dieu,  et  les  en- 
fants de  Dieu  sont  poussés  par  l'Esprit  de  Dieu  ; 
et  ceux  qui  sont  poussés  par  l'Esprit  de  Dieu, 
la  charité  de  Jésus  les  presse.  Hélas  !  oserions- 
nous  bien  dire  que  l'amour  de  Jésus  nous  presse , 
nous  qui  n'avons  d'empressement  que  pour  les 
bien  de  la  terre,  qui  ne  donnons  pas  à  Dieu  un 
moment  de  temps  bien  entier?  chauds  pour  les 
intérêts  du  monde ,  froids  et  languissants  pour 
!fe  service  du  sauveur  Jésus.  Certes,  si  nous 
étions,  je  ne  dis  pas  pressés ,  nous  n'en  sommes 
plus  à  ces  termes  ;  mais  si  nous  étions  tant  soit 
peu  émus  par  la  charité  de  Jésus,  nous  ne  ferions 
pas  tant  de  résolutions  inutiles  :  le  saint  jour  de 
Pâques  ne  nous  verrait  pas  toujours  chargés  des 
mêmes  crimes,  dont  nous  nous  sommes  confes- 
sés les  années  passées.  Fidèles ,  qui  vous  étonnez 
de  tant  de  fréquentes  rechutes ,  ah  !  que  la  cause 
en  est  bien  visible  !  Nous  ne  voulons  point  nous 
faire  de  violence ,  nous  voulons  trop  avoir  nos 
commodités  ;  et  les  commodités  nous  mènent  in- 
sensiblement dans  les  voluptés  :  ainsi  accoutu- 
més à  une  vie  molle,  nous  ne  pouvons  souffrir 
le  joug  de  Jésus.  Nous  nous  impatientons  contre 
Dieu  des  moindres  disgrâces  qui  nous  arrivent, 
au  lieu  de  les  recevoir  de  sa  main  pour  l'expia- 
tion de  nos  fautes  ;  et  dans  une  si  grande  délica- 
tesse ,  nous  pensons  pouvoir  honorer  les  saints , 
nous  faisons  nos  dévotions  à  la  mémoire  de  Fran- 
çois de  Paule.  Est-ce  honorer  les  saints,  que 
de  condamner  leur  vie  par  une  vie  tout  opposée? 
Est-ce  honorer  les  saints ,  que  d'entendre  par- 
ler de  leurs  vertus,  et  n'être  pas  touchés  du  dé- 
sir de  les  imiter?  Est-ce  honorer  les  saints,  que 
de  regarder  le  chemin  par  lequel  ils  sont  montés 
dans  le  ciel,  et  de  prendre  une  route  contraire? 
Figurez- vous,  mes  frères,  que  le  vénérable 
François  de  Paule  vous  paraît  aujourd'hui  sur 
ces  terribles  autels ,  et  qu'avec  sa  gravité  et  sa 
simplicité  ordinaire  :  Chrétiens ,  vous  dit-il , 
qu'étes-vous  venus'faire  en  ce  temple?  Ce  n'est 
pas  pour  m'y  rendre  vos  adorations  :  vous  savez 
qu'elles  ne  sont  dues  qu'à  Dieu  seul.  Vous  vou- 
lez peut-être  que  je  m'intéresse  dans  vos  folles 
prétentions.  Vous  me  demandez  une  vie  aisée, 
à  moi  qui  ai  mené  une  vie  toujours  rigoureuse. 
Je  présenterai  volontiers  vos  vœux  à  notre  grand 
Dieu,  au  nom  de  son  cher  Fils  Jesus-Christ^ 


p<iurvu  que  ce  soit  des  vœux  qui  paraissent  di« 
gnes  de  chrétiens.  Mais  apprenez  de  moi,  que  si 
vous  désirez  que  nous  autres  amis  de  Dieu  priions 
pour  vous  notre  commun  Maître  ,  il  veut  que 
vous  craigniez  ce  que  nous  avons  craint ,  et  que 
vous  aimiez  ce  que  nous  avons  aimé  sur  la  terre. 
En  vivant  de  la  sorte,  vous  nous  trouverez  de  vrais 
frères  et  de  charitables  intercesseurs. 

Allons  donc  tous  ensemble ,  fidèles ,  allons  ren- 
dre les  vrais  honneurs  à  l'humble  François  de 
Paule.  Je  vous  ai  apporté  en  ce  lieu  des  reliques 
de  ce  saint  homme  :  l'odeur  qui  nous  reste  de 
sa  sainteté ,  et  la  mémoire  de  ses  vertus,  c'est  ce 
qu'il  a  laissé  sur  la  terre  de  meilleur  et  de  plus 
utile  ;  ce  sont  les  reliques  de  son  âme.  Baisons 
ces  précieuses  reliques,  enchâssons- les  dans  nos 
cœurs,  comme  dans  un  saint  reliquaire.  Ne  sou- 
haitons pas  une  vie  si  douce  ni  si  aisée  ;  ne  soyons 
pas  fâchés  quand  elle  sera  détrempée  de  quelques 
amertumes.  Le  soldat  est  trop  lâche,  qui  veut 
avoir  tous  ses  plaisirs  pendant  la  campagne  :  le 
laboureur  est  indigne  de  vivre ,  qui  ne  veut  point 
travailler  avant  la  moisson.  Et  toi ,  dit  Tertul- 
lien  ' ,  tu  es  trop  délicat  chrétien,  si  tu  désires  les 
voluptés  même  dans  le  siècle.  Notre  temps  de 
délices  viendrai^c'est  ici  le  temps  d'épreuve  et  de 
pénitence.  Les  impies  ont  leur  temps  dans  le 
siècle  ,  parce  cjue  leur  félicité  ne  peut  pas  être 
éternelle  :  le  nôtre  est  différé  après  cette  vie, 
afin  qu'il  puisse  s'étendre  dans  les  siècles  des 
siècles.  Nous  devons  pleurer  ici-bas,  pendant 
qu'ils  se  réjouissent  :  quand  l'heure  de  notre 
triomphe  .sera  venue ,  ils  commenceront  à  pleu- 
rer. Gardons-nous  bien  de  rire  avec  eux ,  de  peur 
de  pleurer  aussi  avec  eux  :  pleurons  plutôt  avec 
les  saints ,  afin  de  nous  réjouir  en  leur  compagnie. 
Gémissons  en  ce  monde ,  comme  a  fait  le  pauvre 
François  :  soyons  imitateurs  de  sa  pénitence ,  et 
nous  serons  compagnons  de  sa  gloire.  Amen. 

•  De  Spectac.  a'  28. 


4  se 


PANÉGYRIQUE 


PANÉGYRIQUE 


L'APOTRE  SAINT  PIERRE. 

Divers  étals  de  son  amour  pour  Jésus-Christ.  Quelle  a  été 
Ir  cause  de  sa  ctiule ,  el  par  quels  degrés  son  amour  est  par- 
venu au  comble  de  la  perfection. 


Simon  Joannis  y  amas  me  ?  Domine,  Ui  omnia  nosli, 
tu  sois  quiaamo  te. 

Simon,  fils  de  Jean,  ra'aimes-tu?  Seigneur,  vous  savez 
toutes  choses,  et  vous  n'ignorez  pas  que  je  vous  aime. 
joan.  XXI,  17. 

C'est  sans  doute ,  mes  frères ,  un  spectacle  bien 
digne  de  notre  curiosité ,  que  de  considérer  le 
progrès  de  l'amour  de  Dieu  dans  les  âmes.  Quel 
agréable  divertissement  ne  trouve-t-on  pas  à 
contempler  de  quelle  manière  les  ouvrages  de  la 
nature  s'avancent  à  leur  perfection,  par  un  ac- 
croissement insensible?  Combien  ne  goiite-t-on 
pas  de  plaisir  à  observer  le  succès  des  arbres  qu'on 
a  entés  dans  un  jardin ,  l'accroissement  des  blés , 
le  cours  d'une  rivière!  On  aime  à  voir  comment 
d'une  petite  source  elle  va  se  grossissant  peu  à 
peu ,  jusqu'à  ce  qu'elle  se  déch*;ge  en  la  mer. 
Ainsi  c'est  un  saint  et  innocent  plaisir  de  remar- 
quer les  progrès  de  l'amour  de  Dieu  dans  les 
cœurs.  Examinons-les  en  saint  Pierre. 

Son  amour  a  été  premièrement  imparfait  ;  et 
celui  qu'il  ressentait  pour  le  FilsdeDieu  tenaitplus 
d'une  tendresse  naturelle,  que  de  la  cbarité  di- 
vine. Delà  vient  qu'il  était  faible,  languissant, 
et  n'avait  qu'une  ferveur  de  peu  de  durée.  Ce  qu'il 
Y  avait  de  plus  dangereux ,  c'est  que  cette  ardeur 
inconstante,  qui  ne  le  rendait  pas  ferme,  le  faisait 
superbe  et  présomptueux  :  voilà  le  premier  état 
de  son  amour.  Mais  le  faible  de  cet  amour  lan- 
guissant ayant  enfin  paru  dans  sa  cbute ,  cet  apô- 
tre se  défiant  de  soi-même ,  se  releva  de  sa  ruine , 
plus  fort  et  plus  vigoureux  par  l'humilité  qu'il 
avait  acquise  :  voilà  quel  est  le  second  degré.  Et 
enfin  cet  amour ,  qui  s'était  fortifié  par  la  péni- 
tence ,  fut  entièrement  perfectionné  par  le  sacrifice 
de  son  martyre.  C'est  ce  qu'il  nousfaut  remarquer 
en  la  personne  de  notre  apôtre ,  en  observant , 
avant  toutes  choses ,  que  ce  triple  progrès  nous 
est  expliqué  dans  le  texte  de  notre  évangile. 

Car,  n'est-ce  pas  pour  cette  raison  que  Jésus 
demande  trois  fois  à  saint  Pierre  :  «  Pierre,  m'ai- 
«  mes-tu?  >'  Il  ne  se  contente  pas  de  sa  première 
réponse  :  «  Je  vous  aime ,  dit-il ,  Seigneur.  »  Mais 
'peut-être  que  c'est  de  cet  amour  faible,  dont 
l'ardeur  indiscrète  le  transportait  avant  sa  chute  : 
s'il  est  ainsi  ;  ce  n'est  pas  assez.  De  là  vient  que 
Jésus  réitère  la  même  demande  ;  et  il  ne  se  con- 


tente pas  que  Pierre  lui  réponde  encore  de  même  ; 
car  il  ne  suffit  pas  que  son  amour  soit  fortifié  par 
la  pénitence,  il  faut  qu'il  soit  consommé  par  le 
martyre.  C'eM  pourquoi  il  le  presse  plus  vivement, 
et  le  disciple  lui  répond  avec    une  ardeur  non 
pareille  :  «  Vous  savez ,   Seigneur ,  que  je  vouj 
«  aime.  »  Tellement  que  notre  Sauveur ,  voyani 
son  amour  élevé  au  plus  haut  degré  où  il  peut 
monter  en  ce  monde ,  il  ne  l'interroge  pas  davan- 
tage, et  il  lui  dit  :  <•  Suis-moi.  »  Et  où?  à  la  croix , 
où  tu  seras  attaché  avec  moi  :  Extendes  manus 
tuas^  ;  marquant  par  là  le  dernier  effort  que  peut 
faire  la  charité.  Car  point  de  charité  plus  grande 
ici-bas,  que  celle  qui  conduit  à  donner  sa  vie  pour 
Jésus-Christ  :  majorem  charitatem  nemo  habef . 
Ainsi  paraissent,  dans  notre  évangile,  ces  trois 
états  de  l'amour  que  saint  Pierre  a  ressenti  pour 
le  Fils  de  Dieu  :  et,  suivant  les  traces  de  l'Ecri- 
ture, nous  vous  ferons  voir  aussi ,  premièremeiit 
son  amour  imparfait  et  faible  par  le  mélange  des 
sentiments  de  la  chair  ;  secondement ,  son  amour 
épuré  et  fortifié  par  les  larmes  de  la  pénitence; 
troisièmement,  son  amour  consommé  et  perfec- 
tionné par  la  gloire  du  martyre. 


PBEMIER   POINT. 

Il  semble  que  ce  soit  faire  tort  à  l'amour  que 
saint  Pierre  avait  pour  son  Maître,  que  de  dire 
qu'il  ait  été  imparfait.  Le  premier  pas  qu'il  fait , 
c'est  de  quitter  toutes  choses  pour  l'amour  d,; 
lui  :  Ecce  nos  reliquimus  omnia^.  Et  peut-il 
témoigner  un  plus  grand  amour ,  que  lorsqu'il  lui 
dit  avec  tant  de  force  :  <<■  A  qui  irons-nous?  vous 
«  avez  les  paroles  de  la  vie  éternelle  :  ^'Adquem 
ibimits?  verba  vitœ  œtemœ  habes^.  Toutefois 
son  amour  était  imparfait,  parce  qu'il  tenait  beau- 
coup plus  d'une  tendresse  naturelle  qu'il  avait 
pour  Jésus-Christ,  que  d'une  charité  véritahte. 
Pour  l'entendre,  il  faut  remarquer  quelle  sorte 
d'amour  Jésus-Christ  veut  que  l'on  ait  pour  lui. 
Il  ne  veut  pas  que  l'on  aime  simplement  sa  gloire , 
mais  encore  son  abaissement  et  sa  croix.  C'est 
pourquoi  nous  voyons  en  plusieurs  endroits,  que 
lorsque  sa  grandeur  paraît  davantage ,  il  rappelle 
aussitôt  les  esprits  au  souvenir  de  sa  mort  :  Loque- 
banturde  excessii^.  C'est  de  quoi  il  entretenait, 
à  sa  glorieuse  transfiguration ,  Moïse  et  Elie  :'  de 
même,  en  plusieurs  endroits  de  l'Évangile,  on 
voit  qu'il  a  un  soin  tout  particulier  de  ne  laisser 
jamais  perdre  de  vue  ses  souffrances*^.  Ainsi,  pour 

•  Jnnn.  XM,  18. 
'  Joan.  XV,  13. 

3  Mallh.  XIX ,  27. 
<  Joan.  VI,  69. 

*  Luc.  IX,  31. 

«  Voyez  le  Sermon  du  nom  de  Jésus,  Vocabis  nomea  e^'i». 
T.  U  ,  p.  25S  elsuiv. 


DE  SAINT  PIERRE. 


4r,7 


ï 


raimcr  d'un  nmoiir  parfait,  il  faut  surmonter 
cette  tendresse  naturelle,  qui  voudrait  le  voir 
toujours  dans  la  gloire ,  alln  de  prendre  un  amour 
fort  et  vigoureux,  qui  puisse  le  suivre  dans  Ti- 
gnominie.  C'est  ce  que  saint  Pierre  ne  pouvait 
pas  p;oûter.  11  avait  de  la  charité;  mais  cette 
charité  était  imparfaite,  à  cause  d'une  affection 
plus  basse,  qui  se  mêlait  avec  elle.  C'est  ce  que 
nous  voyons  clairement  au  chapitre  xvi  de  saint 
Matthieu. 

«  Vous  êtes  le  Christ,  le  Fils  du  Dieu  vivant , 
«  s'écrie  cet  apôtre  i^Tues  Christus,  Filins  Dei 
vivi.  Il  dit  cela ,  non-seulement  avec  beaucoup 
de  lumière,  mais  avec  beaucoup  d'ardeur.  C'est 
pourquoi  il  est  heureux,  Beatus,  parce  qu'il  avait 
la  foi,  et  la  foi  opérante  par  la  charité.  Cette 
ardeur  ne  tenait  rien  de  la  terre;  la  chair  et  le 
sang  n'y  avaient  aucune  part:  Caroeisanguisnon 
revelavit  tibi'.  Mais  voyons  ce  qui  suit  après. 
Jésus-Christ  voyant    sa  gloire  si  hautement 
confessée  par  la  bouche  de  Pierre,  conunence, 
selon  son  stjie  ordinaire,  à  parler  de  ses  abais- 
sements. «  Dès  lors  il  déclara  à  ses  disciples, 
«  qu'il  fallait  qu'il  souffrit  beaucoup,  et  qu'il  fût 
«  mis  à  mort  :  »  Exinde  ccepit  Jésus  ostendere 
discipulis  suis,  quoniam  oporteret  eum  multa 
pati,  et  occidi '.  Et  aussitôt  ce  même  Pierre, 
qui  avait  si  bien  reconnu  la  vérité  en  confessant 
la  grandeur  du  Sauveur  du  monde ,  ne  la  peut 
plus  souffrir  dans  ce  qu'il  déclare  de  sa  bassesse. 
<»  Sur  quoi  Pierre  le  prenant  à  part ,  se  mit  à  le 
«  reprendre  en  lui  disant  :  A  Dieu  ne  plaise , 
«  Seigneur  !  cela  ne  vous  arrivera  pas  :  »  Cœpit 
increpnre  illum  :  Absit  a  te,  Domine  !  7ion  erit 
tibi  hoc^.  Ne  voyez- vous  pas ,  chrétiens,  qu'il 
n'aime  pas  Jésus-Christ  comme  il  faut  ?  Il  ne  con- 
naît pas  le  mystère  du  Verbe  fait  chair,  c'est-à- 
dire,  le  mystère  dun  Dieu  abaissé.  Il  confesse 
avec  joie  ses  grandeurs ,  mais  il  ne  peut  suppor- 
ter ses  humiliations  :  de  sorte  qu'il  ne  l'aime  pas 
comme  Sauveur  ;  puisque  ses  abaissements  n'ont 
pas  moins  de  part  à  ce  grand  ouvrage ,  que  sa 
grandeur  divine  et  infinie.  Quelle  est  la  cause 
de  la  répugnance  qu'avait  cet  apôtre  à  reconnaî- 
tre ce  Dieu  abaissé?  C'était  cette  tendresse  natu- 
relle qu'il  avait  pour  le  Fils  de  Dieu,  par  la- 
quelle il  le  voulait  voir  honoré  à  la  manière  que 
les  hommes  le  désirent.  C'est  pourquoi  le  Sau- 
veur lui  dit  :  «  Retire-toi  de  moi ,  Satan ,  tu 
«  m'es  à  scandale  ;  car  tu  n'as  pas  le  sentiment 
«  des  choses  divines ,  mais  seulement  de  ce  qui 
«  regarde  les  hommes  ^.  «  Vo\ez  l'opposition. 

«  ytntth.  XVI ,  17. 
»  Ibid.  21. 
3  Ibtd.  îi. 
*  Ibid.  Xi. 


Là  il  dit  :  Barjona ,  fils  de  la  colombe  :  ici ,  Sa- 
tan. Là  il  dit  :  Tu  es  une  pierre  sur  laquelle  je 
veux  bâtir  :  ici ,  Tu  es  une  pierre  de  scandale 
pour  faire  tomber.  Là,  Caro  et  sanguis  non  re- 
velavit tibi,  sed  Pater  meus  :  ici ,  à  l'opposite, 
Non  sapis  ea  quœ  Dei  sitnt,  sed  ea  quœ  homi- 
num.  D'où  vient  qu'il  lui  parle  si  différemment, 
sinon  à  cause  de  ce  mélange  qui  rend  sa  charité 
imparfaite?  Il  a  de  la  charité  :  Caro  et  sanguis 
non  revelavit  :  il  a  un  amour  naturel  qui  ne  veut 
que  de  la  gloire ,  et  fuit  les  humiliations  :  Non 
sapis  quœ  Dei  sunt.  Cest  pourquoi ,  quand  on 
prend  son  Maître ,  il  frappe  de  son  épée ,  ne  pou- 
vant souffrir  cet  affront.  Aussi  Jésus-Christ  lut 
dit  '  :  «  Quoi,  je  ne  boirai  pas  le  calice  que  mon 
«  Père  m'a  donné  à  boire?  «  Calice  m  quem  de- 
dit  mihi  Pater,  non  bibatn  illum  ? 

C'est  ce  mélange  d'amour  naturel ,  qui  ren- 
dait sa  charité  lente;  car  cet  amour  l'embar- 
rasse, quoiqu'il  semble  aller  à  la  même  fin. 
Comme  si  vous  liez  deux  hommes  ensemble, 
dont  l'un  soit  agile  et  l'autre  pesant ,  et  qu'en 
même  temps  vous  leur  ordonniez  de  courir  dans 
la  même  voie  :  quoiqu'ils  aillent  au  même  but, 
néanmoins  ils  s'embarrassent  l'un  l'autre;  et 
pendant  que  le  plus  dispos  veut  aller  avec  dili- 
gence, retenu  et  accablé  par  la  pesanteur  de 
l'autre,  souvent  il  ne  peut  plus  avancer,  sou- 
vent même  il  tombe ,  et  ne  se  relève  qu'à  peine. 
Ainsi  en  est-il  de  ces  deux  amours.  Tous  deux, 
ce  semble,  vont  à  Jésus-Christ.  Celui-là,  divin 
et  céleste ,  l'aime  d'un  amour  que  la  chair  et  le 
sang  ne  peuvent  inspirer;  et  l'autre  est  porté 
pour  lui  de  cette  tendresse  naturelle,  que  nous 
vous  avons  tant  de  fois  décrite.  Le  premier  est 
lié  avec  le  dernier  ;  et  étant  enveloppé  avec  lui , 
non-seulement  il  est  retardé ,  mais  encore  porté 
par  terre  par  la  pesanteur  qui  l'arrête. 

C'est  pourquoi  vous  voyez  l'amour  de  saint 
Pierre,  toujours  chancelant,  toujours  variable. 
Il  voit  son  Maître,  et  il  se  jette  dans  les  eaux 
pour  venir  à  lui  ;  mais  un  moment  après  il  a 
peur,  et  mérite  que  Jésus  lui  dise  :  Modicœ  fi- 
dei,  quare  dubitasti  »  ?  «  Homme  de  peu  de  foi , 
«  pourquoi  as-tu  douté  ?  «  Quand  le  Sauveur  Kii 
prédit  sa  chute ,  il  se  laisse  si  fort  transporter 
par  la  chaleur  de  son  amour  indiscret,  qu'li 
donne  le  démenti  à  son  Maître  ;  mais  attaqué  par 
une  servante ,  il  le  renie  avec  jurement.  Qui  est 
cause  de  cette  chute ,  sinon  sa  témérité?  Et  qui 
l'a  rendu  téméraire,  sinon  cet  amour  naturel 
qu'il  sentait  pour  le  Fils  de  Dieu?  il  s'imaginait 
qu'il  était  ferme ,  parce  qu'il  expérimentait  qu'il 
était  ardent;  et  il  ne  considérait  pas  que  la  fer- 

•  Joan.wm,  il. 
'  Malth.  XIV,  31 


4Ô8 


PANÉGYRIQUE 


meté  vient  de  la  grâce ,  et  non  pas  des  efforts  de 
laiiature  :  tellement  qu'étant  tout  ensemble  et 
faible  et  présomptueux  ;  déçu  par  son  propre 
amour,  il  promet  beaucoup,  et  surpris  par  sa 
faiblesse,  il  n'accomplit  rien  :  au  contraire,  il 
renie  son  Maître  ;  et  pendant  que  la  lâcheté  des 
autres  fait  qu'ils  évitent  la  honte  de  le  renier  par 
celle  de  leur  fuite ,  le  courage  faible  de  saint 
Pierre  fait  qu'il  le  suit ,  pour  le  lui  faire  quitter 
plus  honteusement  :  de  sorte  qu'il  semble  que 
son  amour  ne  l'engage  à  un  plus  grand  combat, 
que  pour  le  faire  tomber  d'une  manière  plus 
ignominieuse. 

Ainsi  se  séduisent  eux-mêmes,  ceux  qui  n'ai- 
ment pas  Jésus-Christ  selon  les  sentiments  qu'il 
demande ,  c'est-à-dire,  qui  n'aiment  pas  sa  croix, 
qui  attendent  de  lui  des  prospérités  temporelles, 
qui  le  louent  quand  ils  sont  contents,  qui  l'aban- 
donnent sur  la  croix  et  dans  les  douleurs.  Leur 
amour  ne  vient  pas  de  la  charité  qui  ne  cherche 
que  Dieu,  mais  d'une  complaisancequ'ils ont  pour 
eux-mêmes  :  c'est  pourquoi  ils  sont  téméraires; 
parce  que  la  nature  est  toujours  orgueilleuse , 
comme  la  charité  est  toujours  modeste.  Voilà 
les  causes  de  la  langueur  et  ensuite  de  la  chute 
de  notre  apôtre  :  mais  voyons  son  amour  épuré 
et  fortifié  par  les  larmes  de  la  pénitence. 

SECOND    POINT. 

Saint  Augustin  nous  apprend  '  qu'il  est  utile 
aux  superbes  de  tomber ,  parce  que  leur  chute 
leur  ouvre  les  yeux ,  qu'ils  avaient  aveuglés  par 
leur  amour-propre.  C'est  ce  que  nous  voyons  en 
la  personne  de  notre  apôtre.  Il  a  vu  que  son 
amour  l'avait  trompé.  Il  se  figurait  qu'il  était 
ferme ,  parce  qu'il  se  sentait  ardent,  et  il  se  fiait 
sur  cette  ardeur  :  mais  ayant  reconnu  par  expé- 
rience que  cette  ardeur  n'était  pas  constante , 
tant  que  la  nature  s'en  mêlait,  il  a  pitrifié  son 
cœur,  pour  n'y  laisser  brûler  que  la  charité  toute 
seule.  Et  la  raison  en  est  évidente  :  car  de  même 
que  dans  la  comparaison  que  j'ai  déjà  faite  d'un 
homme  dispos,  qui  court  dans  la  même  carrière 
avec  un  autre  pesant  et  tardif,  l'expérience  ayant 
appris  au  premier  que  le  second  l'empêche  et  le 
fait  tomber,  l'oblige  aussi  à  rompre  les  liens  qui 
l'attachaient  avec  lui  :  ainsi  l'apôtre  saint  Pierre 
ayant  reconnu  que  le  mélange  des  sentiments 
naturels  rendait  sa  charité  moins  active,  et  enfin 
en  avait  éteint  toute  la  lumière ,  il  a  séparé  bien 
loin  toutes  ces  affections  qui  venaient  du  fond 
de  la  nature ,  pour  laisser  aller  la  charité  toute 
seule.  Que  me  sert,  disait-il  en  pleurant  amère- 
jnent  sa  chute  honteuse ,  que  me  sert  cette  ar- 

•  peCtvu.  Dci   .ib.  mt,  cjp.  xiu,  t.  v»,  col.  ".im. 


deur  indiscrète ,  à  laquelle  je  me  suis  laissé  sé- 
duire? Il  faut  éteindre  ce  feu  volage,  qui  s'exhale 
par  son  propre  effort,  et  se  consume  par  sa  propre 
violence,  et  ne  laisser  agir  en  mon  âme  que  celui 
de  la  charité,  qui  s'accroît  continuellement  par 
son  exercice.  C'est  ce  qui  lui  fait  dire ,  aussi  bien 
qu'à  son  collègue  saint  Paul  :  «  Si  nous  avons 
«  connu  Jésus-Christ  selon  la  chair,  mairitenant 
«  nous  ne  le  connaissons  plus  de  cette  sorte  :  » 
Et  si  cognovimus  secundum.  carnem  Christum, 
sed  nunc  jam  non  novimus  ».  La  chair,  qui  se 
plaît  dans  la  pompe  du  monde ,  ne  veut  voir  Jé- 
sus-Christ que  dans  sa  gloire,  et  ne  peut  suppor- 
ter son  ignominie.  Mais  la  charité  ne  l'aime  pas 
moins  sur  le  Calvaire  que  sur  le  Thabor;  et  je 
devais  avoir  dit  du  premier  ce  que  j'ai  dit  auti-e- 
fois  de  l'autre  :  Il  «  nous  est  bon  d'être  ici  ;  » 
Bonum  est  nos  hic  esse  \ 

Voilà  donc  saint  Pierre  changé,  et  sa  chute 
l'a  rendu  savant.  Car  sachant  qu'un  empire  très- 
noble  et  très-souverain  était  préparé  à  notre  Sau- 
veur, il  ne  pouvait  comprendre  qu'il  le  pût 
jamais  conserver  au  milieu  des  ignominies,  aux- 
quelles il  disait  si  souvent  lui-même  que  sa  sainte 
humanité  était  destinée  :  si  bien  que  ne  pouvant 
concilier  ces  deux  vérités,  le  désir  ardent  qu'il 
avait  de  voir  Jésus-Christ  régnant,  l'empêchait 
de  reconnaître  Jésus-Christ  souffrant.  Mais  sa 
chute  l'a  désabusé  de  cette  erreur  :  car  dans  la 
chaleur  de  son  crime,  ayant  senti  son  cœur 
amolli  par  un  seul  regard  de  son  Maître,  il  est 
convaincu  par  sa  propre  expérience  qu'il  n'a  rien 
perdu  de  sa  puissance ,  pour  être  entre  les  mains 
des  bourreaux.  Il  voit  ce  Jésus  méprisé,  ce  Jésus 
abandonné  aux  soldats,  régner  en  victorieux  sur 
les  cœurs  les  plus  endurcis.  Il  croyait  qu'il  per- 
drait son  empire  parmi  les  supplices  ;  et  il  sent 
par  expérience  que  jamais  il  n'a  régné  plus  ab- 
solument. Ses  yeux,  quoique  déjà  tout  meurtris , 
ne  laissent  pas ,  par  un  seul  regard ,  de  faire  cou- 
ler des  larmes  amères.  Ainsi ,  persuadé  par  sa 
chute ,  et  par  les  larmes  de  sa  pénitence ,  que  le 
royaume  de  Jésus-Christ  se  conserve  et  s'établit 
par  sa  croix,  il  purifie  son  amour  par  cette  pen- 
sée ;  et  lui,  qui  avait  tant  de  répugnance  à  con- 
sidérer Jésus-Christ  en  croix,  reconnaît  avec  une 
fermeté  incroyable,  que  son  règne  et  son  pouvoir , 
est  en  la  croix.  «  Que  toute  la  maison  d'Israël 
«  sache  donc  très-certainement,  que  Dieu  a  fait  Sei- 
«  gneur  et  Christ  ce  Jésus  que  vous  avez  cruci- 
«  fié  :  »  Certissime  sciât  crgo  omnis  domus  Is- 
raël, quia  et  Dominum  eum  et  Christum  fecii 
Deiis,  hune  Jesum  auem  vos  intoremistis  '. 

'  II.  Cor.  y,  16. 

2  Matth.  XVII,  i. 

3  ^c^.u,. 'J6. 


DE  SAINT  PIERRE. 


460 


Voilà  donc  saint  Pierre  changé,  le  voilà  forti- 
fié par  la  pénitence.  Son  amour  n'est  plus  faible, 
parce  qu'il  n'est  plus  présomptueux  ;  et  il  n'est 
plus  présomptueux,  parce  que  ce  n'est  plus  un 
amour  mêlé  des  inclinations  naturelles ,  mais  une 
charité  toute  pure,  laquelle,  comme  dit  saint, 
Paul  ' ,  n'est  jamais  superbe  ni  ambitieuse.  Cet 
amour  imparfait  et  son  orgueil  tout  ensemble  ont 
été  brisés  par  sa  chute  ;  et  étant  devenu  humble , 
il  devient  ensuite  invincible.  11  n'avait  pas  eu  la 
force  de  résister  à  une  servante ,  et  le  voilà  qui 
tient  tête  à  tous  les  magistrats  de  Jérusalem.  Là , 
il  n'ose  pas  confesser  son  Maître;  ici,  il  répond 
constamment  que  non-seulement  il  ne  veut  pas , 
mais  encore  qu'il  ne  peut  pas  refuser  sa  voix  pour 
rendre  témoignage  à  sesvérités  :  Non  possumus  ». 
Comme  un  soldat ,  qui  dans  le  commencement  du 
combat  ayant  été  surpris  par  la  crainte ,  se  serait 
abandonné  à  la  fuite ,  tout  à  coup  rougissant  de  sa 
faiblesse ,  et  piqué  d'une  noble  honte  et  d'une  juste 
indignation  contre  son  courage  qui  lui  a  manqua, 
revient  à  la  mêlée  fortifié  par  sa  défaite  ;  et  pour 
réparer  sa  première  faute,  il  se  jette  où  le  péril 
est  le  plus  certain  :  ainsi  l'apôtre  saint  Pierre,  pro- 
fondément humilié  de  sa  chute ,  et  pénétré  de  la 
plus  vive  douleur  de  son  infidélité  envers  son  divin 
Maître,  ne  craint  pas  de  s'exposer  à  tous  les  ef- 
fets de  la  haine  et  de  la  fureur  des  Juifs,  pour 
lui  témoigner  la  sincérité  de  son  repentir,  et  lui 
prouver  l'ardeur  de  son  zèle.  Apprenons  donc  que 
la  pénitence  nous  doit  donner  de  nouvelles  forces 
pour  combattre  le  péché,  et  faire  régner  Jésus- 
Christ  sur  nos  cœurs.  C'est  par  là  que  nous  mon- 
trerons la  vérité  de  notre  douleur,  et  que  notre 
amour  allant  toujours  se  perfectionnant  parmi 
nos  victoires  et  nos  sacrifices ,  pourra  être  enfin  à 
jamais  affermi ,  comme  celui  du  saint  apôtre ,  par 
le  dernier  effort  d'une  charité  insurmontable. 

TKOISIÈME  POINT. 

Petre,  amas  me?  «  Pierre,  m'aimez- vous?  » 
Jésus-  Christ  l'interroge  trois  fois ,  pour  montrer 
que  la  charité  est  une  dette  qui  ne  peut  jamais 
être  entièrement  acquittée ,  et  que  ce  divin  Maître 
ne  laisse  pas  d'exiger  dans  le  temps  même  que 
l'on  la  paye  ,  parce  que  cette  dette  est  de  nature 
qu'elle  s'accroît  en  la  payant.  Pierre ,  depuis  le 
moment  de  sa  conversion,  pour  acquitter  digne- 
ment cette  dette,  n'a  cessé  de  croître  dans  l'a- 
mour de  son  divin  Maître  ;  et  son  amour,  par  ces 
différents  progrès,  est  enfin  parvenu  à  un  degré 
si  éminent ,  qu'il  ne  saurait  atteindre  ici-bas  à 
une  plus  haute  perfection. 


I.  Cor.  XIII  ,4,5. 
'  4ct.  IV,  20. 


C'est  à  cette  heure  que  notre  apôtre  est  fondé 
plus  que  jamais  à  répondre  au  divin  Sauveur  : 
'-  Vous  savez  que  je  vous  aime;  »  puisque  son 
amour,  mis  à  la  plus  grande  épreuve  queJliomme 
puisse  porter,  triomphe  des  tourments  et  de  la 
mort  même.  Ni  l'attache  à  la  vie ,  ni  l'opprobre 
d'un  supplice  ignominieux ,  ni  la  douleur  d'un 
martyre  cruel  et  long ,  ne  peuvent  ralentir  son 
ardeur.  Que  dis-je?  ils  ne  servent  qu'à  l'animer 
de  plus  en  plus ,  par  le  désir  dont  son  cœur  est 
possédé  de  se  sacrifier  pour  celui  qu'il  aime  si  for- 
tement :  et  loin  de  trouver  rien  de  trop  pénible 
dans  l'amertune  de  ses  souffrances ,  il  veut  encore 
y  ajouter  de  son  propre  mouvement  une  circons- 
tance non  moins  dure ,  pour  exprimer  plus  vive- 
ment les  sentiments  de  son  profond  abaissement 
devant  son  Maître,  pour  lui  faire  comme  une 
dernière  amende  honorable  de  ses  infidélités  pas- 
sées ,  et  l'adorer  dans  le  plus  parfait  anéantisse- 
ment de  lui-même.  Tant  il  est  vrai  que  l'amour 
de  saint  Pierre  est  à  présent  aussi  fort  que  la  mort, 
que  son  zèle  est  inflexible  comme  l'enfer,  que  ses 
lampes  sont  des  lampes  de  feu ,  que  sa  flamme 
est  toute  divine  ;  et  que ,  s'il  a  succombé  autrefois 
à  la  plus  faible  épreuve,  désormais  les  grandes 
eaux  ne  pourront  l'éteindre ,  et  les  fleuves  de  tou- 
tes les  tent^ions  réunies  n'auront  point  la  force 
de  l'étouffer'. 

Quel  contraste ,  mes  frères ,  entre  nous  et  ce 
grand  apôtre  î  Si  Jésus-Christ  nous  demandait , 
ainsi  qu'à  lui  :  «  M'aimez-vous?  »  Amas  mePqyxi 
répondra  :  Seigneur,  je  vous  aime  ?  Tous  le  diront; 
mais  prenons  garde.  L'hypocrisie  le  dit  ;  mais  c'est 
une  feinte.  Le  présomption  le  dit  ;  mais  c'est  une 
illusion.  L'amour  du  monde  le  dit;  mais  c'est  un 
intérêt,  qui  n'aime  Jésus-Christ  que  pour  être 
heureux  sur  la  terre.  Qui  sont  ceux  qui  le  disent 
véritablement?  Ceux  qui  l'aiment  jusque  sur  la 
croix  ;  ceux  qui  sont  prêts  à  tout  perdre  pour  lui 
demeurer  fidèles,  à  tout  souffrir  pour  être  con- 
sommés dans  son  amour. 

'  Can/. viii,6,7. 


4eo 


PANÉGYRIQUE 


PANÉGYRIQUE 


•    L'APOTRE  SAINT  PAUL. 

Comment  le  grand  apôtre  dans  ses  prédications ,  dans  ses 
coml)ats,  dans  le  gouvernement  ecclésiastique,  est-il  toujours 
Ciihle ,  et  tiiomplie-t-il  de  tous  les  oljstacles  par  ses  failjlesses 
UHinies. 


Placco  mihi ,  in  injlrmitatihus  meis  :  cum  enim  infir- 

mor,  tune  potens  sum. 
Je  ne  me  plais  que  dans  mes  faiblesses  :  car  lorsque  je  me 

sens  faible,  c'est  alors  que  je  suis  puissant.  //.  Cor. 

XII,  40. 

Dans  le  dessein  que  je  me  propose  de  faire  au- 
jourd'hui le  panégyrique  du  plus  illustre  des  pré- 
dicateurs, et  du  plus  zélé  des  apôtres ,  je  ne  puis 
vous  dissimuler  que  je  me  sens  moi-môme  étonné 
de  la  grandeur  de  mon  entreprise.  Quand  je  rap- 
pelle à  mon  souvenir  tant  de  peuples  que  Paul  a 
conquis ,  tant  de  travaux  qu'il  a  surmontés ,  tant 
de  mystères  qu'il  a  découverts ,  tant  d'exemples 
qu'il  nous  a  laissés  d'une  charité  consommée,  ce 
sujet  me  paraît  si  vaste ,  si  relevé ,  si  majestueux, 
que  mon  esprit  se  trouvant  surpris ,  ne  sait  ni  où 
s'arrêter  dans  cette  étendue ,  ni  que  tenter  dans 
cette  hauteur,  ni  que  choisir  dans  cette  abondance; 
et  j'ose  bien  me  persuader  qu'un  ange  même  ne 
suffirait  pas ,  pour  louer  cet  homme  du  troisième 
ciel. 

Mais  ce  qui  m'étonne  le  plus ,  c'est  que  cet 
amour  mêlé  de  respect  que  je  sens  pour  le  divin 
Paul,  et  duquel  j'espérais  de  nouvelles  forces 
dans  un  ouvrage  qui  tend  à  sa  gloire ,  s'est  tourné 
ici  contre  moi ,  et  a  confondu  longtemps  mes  pen- 
sées ;  parce  que ,  dans  la  haute  idée  que  j'avais 
conçue  de  l'apôtre,  je  ne  pouvais  rien  dire  qui 
lui  k\t  égal ,  et  il  ne  me  permettait  rien  qui  fût 
au-dessous. 

Que  me  reste-t-il  donc,  chrétiens,  après  vous 
avoir  confessé  ma  faiblesse  et  mon  impuissance, 
sinon  de  recoo/ir  à  celui  qui  a  inspiré  à  saint 
Paul  les  paroles  que  j'ai  rapportées  :  Cum  infir- 
mor,  tune  potens  sum,  «  Je  suis  puissant,  Iprs- 
«  que  je  suis  faible?  »  Après  ces  beaux  mots  de 
mon  grand  apôtre ,  il  ne  m'est  plus  permis  de  me 
plaindre;  et  je  ne  crains  pas  de  dire  avec  lui, 
que  «je  me  plais  dans  cette  faiblesse,  »  qui  me  pro- 
met un  secours  divin  :  Placeo  mihi  in  infirmifa- 
tibus.  Mais  pour  obtenir  cette  grâce ,  il  nous  faut 
encore  recourir  à  celle  dans  laquelle  le  mystère 
ne  s'est  accompli  qu'après  qu'elle  a  reconnu  qu'il 
passait  ses  forces;  c'est  la  bienheureuse  Maris, 
que  nous  saluerons  en  disant,  Ave. 

Parmi  tant  d'actions  glorieuses,  et  tant  de  choses 


extraordinaires ,  qui  se  présentent  ensemble  à  ma 
vue ,  quand  je  considère  l'histoire  de  l'incompa- 
rable docteur  des  Gentils ,  ne  vous  étonnez  pas , 
chrétiens ,  si  laissant  à  part  ses  miracles  et  ses 
hautes  révélations ,  et  cette  sagesse  toute  divine 
et  vraiment  digne  du  troisième  ciel ,  qui  paraît 
dans  ses  écrits  admirables ,  et  tant  d'autres  sujets 
illustres  qui  rempliraient  d'abord  vos  esprits  de 
nobles  et  magnifiques  idées ,  je  me  réduis  à  vous 
faire  voir  les  infirmités  de  ce  grand  apôtre,  et  si 
c'est  sur  ce  seul  objet  que  je  vous  prie  d'arrêter 
vos  yeux.  Ce  qui  m'a  porté  à  ce  choix ,  c'est  que 
devant  vous  prêcher  saint  Paul ,  je  me  suis  senti 
obligé  d'entrer  dans  l'esprit  de  saint  Paul  lui- 
même,  et  de  prendre  ses  sentiments.  C'est  pourq  uoi 
l'ayant  entendu  nous  prêcher  avec  tant  de  zèle , 
cfu'il  ne  se  glorifie  que  dans  ses  faiblesses,  et  que 
ses  infirmités  font  sa  force  :  Cum  enim  infirmer, 
tune  potens  sum ,  je  suis  les  mouvements  qu'il 
m'inspire ,  et  je  médite  son  panégyrique ,  en  tâ- 
•liant  de  vous  faire  voir  ces  faiblesses  toutes  puis- 
santes ,  par  lesquelles  il  a  établi  l'Église ,  renversé 
la  sagesse  humaine,  et  captivé  tout  entendement 
sous  l'obéissance  de  Jésus-Christ. 

Entrons  donc,  avant  toutes  choses,  dans  le  sens 
de  cette  parole ,  et  examinons  les  raisons  pour 
lesquelles  le  divin  Paul  ne  se  croit  fort  que  dans 
sa  faiblesse  :  c'est  ce  qu'il  m'est  aisé  de  vous  faire 
entendre.  Il  se  souvenait ,  chrétiens ,  de  son  Dieu 
anéanti  pour  l'amour  des  hommes  ;  il  savait  que 
si  ce  grand  monde ,  et  ce  qu'il  enferme  en  son 
vaste  sein ,  est  l'ouvrage  de  sa  puissance,  il  avait 
fait  un  monde  nouveau ,  un  monde  racheté  par 
son  sang ,  et  régénéré  par  sa  mort ,  c'est-à-dire , 
sa  sainte  Eglise ,  qui  est  l'œuvre  de  sa  faiblesse. 
C'est  ce  que  regarde  saint  Paul  ;  et  après  ces  gran- 
des pensées,  il  jette  aussitôt  les  yeux  sur  lui- 
même.  C'est  là  qu'il  admire  sa  vocation  :  il  se 
voit  choisi  dès  l'éternité ,  pour  être  le  prédicateur 
des  Gentils;  et  comme  l'Église  doit  être  formée 
de  ces  nations  infidèles ,  dont  il  est  ordonné  l'a- 
pôtre ,  il  s'ensuit  manifestement  qu'il  est  le  prin- 
cipal coopérateur  de  la  grâce  de  Jésus-Christ  dans 
l'établissement  de  l'Église. 

Quels  seront  ses  sentiments ,  chrétiens ,  dans 
une  entreprise  si  haute,  où  la  Providence  l'ap- 
pelle? l'exécutera-t-il  par  la  force?  Mais,  outre 
que  la  sienne  n'y  peut  pas  suffire ,  le  Saint-Esprit 
lui  a  fait  connaître  que  la  volonté  du  Père  céleste, 
c'est  que  cet  ouvrage  divin  soit  soutenu  par  l'in- 
ia-mité  :  «  Dieu ,  dit-il  ' ,  a  choisi  ce  qui  est  in- 
«  firme,  pour  détruire  ce  qui  est  puissant.  «  Par 
conséquent ,  que  lui  rcste-t-il ,  sinon  de  consacrer 
au  Sauveur  une  faiblesse  soumise  et  obéissante^ 

»  1.  Cur.  1,27. 


DE  SAINT  PAUL. 


461 


I 


et  lie  confesser  son  infirmité;  afin  d'être  le  digne 
ministre  de  ce  Dieu ,  qui  étant  si  fort  par  nature, 
s'est  fait  infirme  pour  notre  salut?  Voilà  donc  la 
raison  solide  pour  laquelle  il  se  considère  comme 
un  instrument  inutile ,  qui  n'a  de  vertu  ni  de  force 
qu'à  cause  de  la  main  qui  l'emploie  ;  et  c'est  pour 
cela,  chrétiens,  qu'il  triomphe  dans  son  impuis- 
sance ,  et  qu'en  avouant  qu'il  est  faible ,  il  ose  dire 
qu'il  est  tout-puissant:  Cumenim  infirmor,  tune 
potens  sum. 

Mais  pour  nous  convaincre  par  expérience  de 
la  vérité  qu'il  nous  prêche ,  il  faut  voir  ce  grand 
homme  dans  trois  fonctions  importantes  du  mi- 
nistère qui  lui  est  commis.  Car  ce  n'est  pas  mon 
dessein,  messieurs,  de  considérer  aujourd'hui 
saint  Paul  dans  sa  vie  particulière  :  je  me  propose 
de  le  regarder  dans  les  emplois  de  l'apostolat ,  et 
je  les  réduis  à  trois  chefs  ;  la  prédication ,  les 
combats,  le  gouvernement  ecclésiastique. 

Entendez  ceci,  chrétiens,  et  voyez  la  liaison 
nécessaire  de  ces  trois  obligations  dont  le  charge 
son  apostolat.  Car  il  fallait  premièrement  établir 
l'Église ,  et  c'est  ce  qu'a  fait  la  prédication  :  mais 
d'autant  que  cette  Église  naissante  devait  être 
dès  son  berceau  attaquée  par  toute  la  terre ,  en 
même  temps  qu'on  l'établissait,  il  fallait  se  pré- 
parer à  combattre  ;  et  parce  qu'un  si  grand  éta- 
blissement se  dissiperait  de  lui-même,  si  les  es- 
prits n'étaient  bien  conduits ,  après  avoir  si  bien 
soutenu  TÉglise  contre  ceux  qui  l'attaquaient  au 
dehors,  il  fallait  la  maintenir  au  dedans  par  le 
bon  ordre  de  la  discipline.  De  sorte  que  la  pré- 
dication devait  précéder ,  parce  que  la  foi  com- 
mence par  l'ouïe  :  après,  les  combats  devaient 
suivre  ;  car  aussitôt  que  l'Évangile  parut,  les  per- 
sécutions s'élevèrent  :  enfin  le  gouvernement  ec- 
clésiastique devait  assurer  les  conquêtes,  en  tenant 
les  peuples  conquis  dans  l'obéissance  par  une 
police  toute  divine. 

C'est ,  mes  frères ,  à  ces  trois  choses  que  se  rap- 
portent tous  les  travaux  de  l'apôtre  ;  et  nous  le 
pouvons  aisément  connaître  par  le  récit  qu'il  en 
fait  lui-même  dans  ce  merveilleux  chapitre  on- 
zième de  la  seconde  aux  Corinthiens.  Il  raconte 
premièrement  ses  fatigues  et  ses  voyages  labo- 
rieux :  et  n'est-ce  pas  la  prédication  qui  les  lui 
faisait  entreprendre,  pour  porter  par  toute  la 
terre  l'Évangile  du  Fils  de  Dieu?  Il  raconte  aussi 
ses  périls ,  et  tant  de  cruelles  persécutions  qui 
ont  éprouvé  sa  constance  ;  et  voilà  quels  sont  ses 
combats.  Enfin ,  il  ajoute  à  toutes  ses  peines  les 
inquiétudes  qui  le  travaillaient  dans  le  soin  de 
conduire  toutes  les  Églises  :  Solliciludo  omnium 
ficclesiarum  •  ;  et  c'est  ce  qui  regarde  le  gou- 
vernement. 

•  I[.  Cor.\i,  28. 


Ainsi,  vous  voyez  en  peu  de  paroles  tout  ce 
qui  occupe  l'esprit  de  saint  Paul  :  il  prêche,  H 
combat,  il  gouverne;  et ,  mess  eui-s,  le  pourrez- 
vous  croire?  il  est  faible  dans  tous  ces  emplois. 
Et  premièrement ,  il  est  assuré  que  saint  Paul  est 
fiûble  en  prêchant ,  puisque  sa  prédication  n'est 
pas  appuyée,  ni  sur  la  force  de  l'éloquence,  ni 
sur  ces  doctes  raisonnements  que  la  philosophie 
a  rendus  plausibles  :  Non  in  persuasibilibus  hu- 
manœ  sapientiœ  verhis^.  Secondement,  il  n'est 
pas  moins  clair  qu'il  est  faible  dans  les  combats  ; 
puisque,  lorsque  tout  le  monde  l'attaque,  il  ne 
résiste  à  ses  ennemis  qu'en  s'abandonnant  à  leur 
violence:  Facti sumus sicut oves occisionis*  :  il 
est  donc  faible  en  ces  deux  états.  Mais  peut-être 
que  parmi  ses  frères ,  où  la  grâce  de  l 'apostolat 
et  l'autorité  du  gouvernement  lui  donnent  un 
rang  si  considérable,  ce  grand  homme  paraîtra 
plus  fort?  Non ,  fidèles ,  ne  le  croyez  pas  :  c'est  là 
que  vous  le  verrez  plus  infirme.  Il  se  souvient 
qu'il  est  le  disciple  de  celui  qui  a  dit  dans  son 
Évangile,  qu'il  n'est  pas  venu  pour  être  servi, 
mais  afin  de  servir  lui-même  ^  :  c'est  pourquoi  il 
ne  gouverne  pas  les  fidèles ,  en  leur  faisant  sup- 
porter le  joug  d'une  autorité  superbe  et  impé- 
rieuse; mais  il  les  gouverne  par  la  charité,  en 
se  faisant  infirme  avec  eux ,  Factus  sum  infir- 
misinjinnus,  et  se  rendant  serviteur  de  tous. 
Omnium  me  servumfeci^.  Il  est  donc  infirme 
partout,  soit  qu'il  prêche,  soit  qu'il  combatte, 
soit  qu'il  gouverne  le  peuple  de  Dieu  par  l'auto- 
rité de  l'apostolat;  et  ce  qui  est  de  plus  admira- 
ble, c'est  qu'au  milieu  de  tant  de  faiblesse,  il 
nous  dit  d'un  ton  de  victorieux,  qu'il  est  fort, 
qu'il  est  puissant,  qu'il  est  invincible  :  Cum 
enim  infirmor,  tune  potens  sum. 

Ah  !  mes  frères ,  ne  voyez- vous  pas  la  raison 

qui  lui  donne  cette  hardiesse?  C'est  qu'il  sent  qu'il 

est  le  ministre  de  ce  Dieu,  qui  se  faisant  faible  n'a 

pas  perdu  sa  toute-puissance.  Plein  de  cette  haute 

I  pensée,  il  voit  sa  faiblesse  au-dessus  de  tout.  Il 

croit  que  ses  prédications  persuaderont,  parce 

1  qu'elles  n'ont  point  de  force  pour  persuader;  il 

croit  qu'il  surmontera  dans  tous  les  combats,  parce 

I  qu'il  n'a  point  d'armes  pour  se  défendre;  il  croit 

,  qu'il  pourra  tout  sur  ses  frères  dans  l'ordre  du 

gouvernement  ecclésiastique ,  parce  qu'il  s'abais- 

I  sera  à  leurs  pieds ,  et  se  rendra  l'esclave  de  tous 

j  par  la  servitude  de  la  charité.  Tant  il  est  vrai  que 

j  dans  toutes  choses  il  est  puissant  en  ce  qu'il  est 

faible ,  puisqu'il  met  la  force  de  persuader  dans 

la  simplicité  du  discours,  puisqu'il  n'espère  vain- 


'  I.  Cor.  Il ,  ♦ 
'  Rom.  \in,  36. 
3  Miitih.  XX,  28. 
♦  1.  Cor.  IX,  19,  23. 


462  PANÉGYRIQUE 

ore  qu'en  souffrant,  puisqu'il  fonde  sur  sa  servi- 
tude toute  l'autorité  de  son  ministère.  Voilà, 
messieurs,  trois  infirmités,  dans  lesquelles  je  pré- 
tends montrer  la  puissance  du  divin  apôtre  : 
soyez,  s'il  vous  plaît,  attentifs,  et  considérez 
dans  ce  premier  point  la  faiblesse  victorieuse  de 
ses  prédications  toutes  simples. 

PREMIER    POINT. 

Je  ne  puis  assez  exprimer  combien  grand,  com- 
bien admirable  est  le  spectacle  que  je  vous  pré- 
pare dans  cette  première  partie.  Car  ce  que  les 
plus  grands  hommes  de  l'antiquité  ont  souvent 
désiré  de  voir,  c'est  ce  que  je  dois  vous  représen- 
ter :  saint  Paul  préchant  Jésus-Christ  au  monde, 
et  convertissant  les  cœurs  endurcis  par  ses  divi- 
nes prédications.  Mais  n'attendez  pas ,  chrétiens , 
de  ce  céleste  prédicateur,  ni  la  pompe  ni  les  or- 
nements dont  se  pare  l'éloquence  humaine.  Il  est 
trop  grave  et  trop  sérieux  pour  rechercher  ces 
délicatesses  ;  ou,  pour  dire  quelque  chose  de  plus 
chrétien  et  de  plus  digne  du  grand  apôtre,  il  est 
trop  passionnément  amoureux  des  glorieuses  bas- 
sesses du  christianisme ,  pour  vouloir  corrompre 
par  les  vanités  de  l'éloquence  séculière  la  vénéra- 
blesimplicité  de  l'Évangile  de  Jésus-Christ.  Mais, 
afin  que  vous  compreniez  quel  est  donc  ce  pré- 
dicateur, destiné  par  la  Providence  pour  con- 
fondre la  sagesse  humaine,  écoutez  la  description 
que  j'en  ai  tirée  de  lui-même  dans  la  première 
aux  Corinthiens. 

Trois  choses  contribuent  ordinairement  à  ren- 
dre un  orateur  agréable  et  efficace  ;  la  personne 
de  celui  qui  parle,  la  beauté  des  choses  qu'il  traite, 
la  manière  ingénieuse  dont  il  les  explique  :  et  la 
raison  en  est  évidente;  car  l'estime  de  l'orateur 
prépare  une  attention  favorable ,  les  belles  choses 
nourrissent  l'esprit,  et  l'adresse  de  les  expliquer 
d'une  manière  qui  plaise  les  fait  doucement  en- 
trer dans  le  cœur.  Mais  de  la  manière  que  se  re- 
présente le  prédicateur  dont  je  parle,  il  est  bien 
aisé  déjuger  qu'il  n'a  aucun  de  ces  avantages. 

Et  premièrement,  chrétiens,  si  vous  regardez 
sou  extérieur,  il  avoue  lui-même  que  sa  mine  n'est 
point  relevée  :  Prœsefitia  corporis  infirma  •  ;  et 
si  vous  considérez  sa  condition,  il  est  pauvre,  il 
est  méprisable ,  et  réduit  à  gagner  sa  vie  par 
l'exercice  d'un  art  mécanique.  De  là  vient  qu'il 
dit  aux  Corinthiens  :  «  J'ai  été  au  milieu  de  vous 
«  avec  beaucoup  decrainte  etd'infirmités  '  :  »  d'où 
il  est  aisé  de  comprendre  combien  sa  personne 
était  méprisable.  Chrétiens,  quel  prédicateur  pour 
convertir  tant  de  nations! 

Mais  peut-être  que  sa  doctrine  scrn  si  plau- 

>  II.  Cor.Xy  10 
»  l.  Coi:  ii  ,  vi- 


sible et  si  belle,  qu'elle  donnera  du  crédit  à  cet 
homme  si  méprisé.  Non,  il  n'en  est  pas  de  la  sorte  : 
«  11  ne  sait,  dit-il,  autre  chose  que  son  Maître 
«  crucifié  :  »  Non  judicavi  niescire  aliquidinter 
vos ,  nisi  Jesum  Christum  et  hune  erucifixxim  '  : 
c'est-à-dire ,  qu'il  ne  sait  rien  que  ce  qui  choque, 
que  ce  qui  scandalise,  que  ce  qui  paraît  folie  et 
extravagance.  Comment  donc  peut-il  espérer  que 
ses  auditeurs  soient  persuadés?  Mais,  grand  Paul, 
si  la  doctrine  que  vous  annoncez  est  si  étrange  et 
si  difficile,  cherchez  du  moins  des  termes  polis, 
couvrez  des  fleurs  de  la  rhétorique  cette  face  hi- 
deuse de  votre  Évangile ,  et  adoucissez  son  aus- 
térité par  les  charmes  de  votre  éloquence,  A  Dieu 
ne  plaise,  répond  ce  grand  homme ,  que  je  mêle 
la  sagesse  humaine  à  la  sagesse  du  Fils  de  Dieu  : 
c'est  la  volonté  de  mon  Maître  que  mes  paroles 
ne  soient  pas  moins  rudes  que  ma  doctrine  paraît 
incroyable  :  Non  inpersuasibilibus  humanœ  sa- 
pientiœ  verbis  ^.  C'est  ici  qu'il  nous  faut  entenri  :e 
les  secrets  de  la  Providence.  Élevons  nos  esprits, 
messieurs ,  et  considérons  les  raisons  pour  les- 
quelles le  Père  céleste  a  choisi  ce  prédicateur  sans 
éloquence  et  sans  agrément,  pour  porter  par  toute 
la  terre,  aux  Romains ,  aux  Grecs ,  aux  Barbares, 
aux  petits,  aux  grands,  aux  rois  même  l'Évangile 
de  Jésus-Christ. 

Pour  pénétrer  un  si  grand  mystère ,  écoutez  le 
grand  Paul  lui-même ,  qui,  ayant  représenté  aux 
Corinthiens  combien  ses  prédications  avaient  été 
simples ,  en  rend  cette  raison  admirable  :  c'est , 
dit-il ,  que  «  nous  vous  prêchons  une  sagesse  qui 
«  est  cachée ,  que  les  princes  de  ce  monde  n'ont 
«  pas  reconnue  :  «  Sapientiam  quœ  abscondita 
est^.  Quelle  est  cette  sagesse  cachée?  Chrétiens, 
c'est  Jésus-Christ  même.  11  est  la  sagesse  du  père  ; 
mais  il  est  une  sagesse  incarnée ,  qui ,  s'étant  cou- 
verte volontairement  de  l'infirmité  de  la  chair, 
s'est  cachée  aux  grands  de  la  terre  par  l'obscurité 
de  ce  voile.  C'est  donc  une  sagesse  cachée  ;  et 
c'est  sur  cela  que  s'appuie  le  raisonnement  de  l'a- 
pôtre. Ne  vous  étonnez  pas ,  nous  dit-il ,  si  prê- 
chant une  sagesse  cachée,  mes  discours  ne  sont 
point  ornés  des  lumières  de  l'éloquence.  Cette 
merveilleuse  faiblesse,  qui  accompagne  la  prédi- 
cation ,  est  une  suite  de  l'abaissement  par  lequel 
mon  Sauveur  s'est  anéanti  ;  et  comme  il  a  été  hum- 
ble en  sa  personne ,  il  veut  l'être  encore  dans  son 
Évangile, 

Admirable  pensée  de  l'apôtre ,  et  digne  certai- 
nement d'être  méditée.  Mettons-la  donc  dans  un 
plus  grand  jour,  et  supposons  avant  toutes  cho- 
ses que  le  Fils  éternel  de  Dieu  avait  résolu  da 

'  I.  Cor.  II.    2. 

î  Jbid.  4. 

-  i.  Cor.n,  7. 


DE  SAINT  PAUL. 


463 


paraître  au\  hommes  en  deux  différentes  maniè- 
res. Premièrement ,  il  devait  paraître  dans  la  vé- 
rité de  sa  chair  :  secondement,  il  devait  paraître 
dans  la  vérité  de  sa  parole.  Car,  comme  il  était 
le  Sauveur  de  tous,  il  devait  se  montrer  à  tous. 
Par  conséquent ,  il  ne  suffit  pas  qu'il  paraisse  en 
un  coin  du  monde  :  il  faut  qu'il  se  montre  par 
tous  les  endroits  où  la  volonté  de  son  Père  lui  a 
préparé  des  fidèles  :  si  hien  que  ce  même  Jésus , 
qui  n'a  paru  que  dans  la  Judée  par  la  vérité  de 
sa  chair,  sera  porté  par  toute  la  terre  par  la  vé- 
rité de  sa  parole. 

C'est  pourquoi  le  gi*and  Origène  n'a  pas  craint 
de  nous  assurer  que  la  parole  de  l'Évangile  est 
une»  espèce  de  second  corps  que  le  Sauveur  a  pris 
pour  notre  salut.  Paiiis  quem  Dominus  corpus 
suum  esse  clicit,  verbum  estnutritoriuin  anima- 
rum  '.Qu'est-ce  à  dire  ceci ,  chrétiens?  et  quelle 
ressemblance  a-t-il  pu  trouver  entre  le  corps  de 
notre  Sauveur  et  la  parole  de  son  Évangile?  Voici 
le  fond  de  cette  pensée  :  c'est  que  la  sagesse  éter- 
nelle, qui  est  engendrée  dans  le  sein  du  père, 
sest  rendue  sensible  en  deux  sortes.  Elle  s'est  ren- 
«iue  sensible  en  la  clmir  qu'elle  a  prise  au  sein  de 
-Marie;  et  elle  se  rend  encore  sensible  par  les 
Écritures  divines  et  par  la  parole  de  l'Évangile  : 
tellement  que  nous  pouvons  dire  que  cette  parole 
et  ces  Écritures  sont  comme  un  second  corps 
qu'elle  prend,  pour  paraître  encore  à  nos  jeux. 
C'est  là  en  effet  que  nous  la  voyons  :  ce  Jésus , 
qui  a  conversé  avec  les  apôtres ,  vit  encore  pour 
nous  dans  son  Évangile^  et  il  y  répand  encore, 
pour  notre  salut ,  la  parole  de  vie  éternelle. 

Après  cette  belle  doctrine ,  il  est  bien  aisé  de 
comprendre  que  la  prédication  des  apôtres ,  soit 
qu'elle  sorte  toute  vivante  de  la  bouche  de  ces 
grands  hommes,  soit  qu'elle  coule  dans  leurs 
écrits,  pour  y  être  portée  aux  âges  suivants,  ne 
doit  rien  avoir  qui  éclate.  Car,  mes  frères,  n'en- 
tendez-vous pas ,  selon  la  pensée  de  saint  Paul , 
que  ce  Jésus ,  qui  nous  doit  paraître  et  dans  sa 
chair  et  dans  sa  parole ,  veut  être  humble  dans 
l'une  et  dans  l'autre? 

De  là  ce  rapport  admirable  entre  la  personne 
de  Jésus-Christ  et  la  parole  qu'il  a  inspirée.  Lac 
est  credentibus ,  cibus  est  intelligentibus.  La 
chair  qu'il  a  prise  a  été  infirme ,  la  parole  qui  le 
prêche  est  simple  :  nous  adorons  en  notre  Sau- 
veur la  bassesse  mêlée  avec  la  grandeur.  Il  en  est 
ainsi  de  son  Écriture,  tout  y  est  grand,  et  tout  j 
y  est  bas  ;  tout  y  est  riche ,  et  tout  y  est  pauvre  ; 
et  en  l'Évangile ,  comme  en  Jésus-Christ ,  ce  que 
l'on  voit  est  faible,  et  ce  que  l'on  croit  est  divin. 
Il  y  a  des  lumières  dans  l'un  et  dans  l'autre  ;  mais 

•  JnMatt/i.  Comm.  n"  85,  t.  m,  p.  898. 


CCS  lumières  dans  l'un  et  duis  l'autre  sont  enve- 
loppées de  nuages  :  en  Jésus,  par  l'infirmfté  de 
la  chair;  et  en  l'Écriture  divine,  par  la  simplicité 
de  la  lettre.  C'est  ainsi  que  Jésus  veut  être  prê- 
ché, et  il  dédaigne  pour  sa  parole,  aussi  bien  que 
pour  sa  personne,  tout  ce  que  les  hommes  admi- 
rent. 

N'attendez  donc  pas  de  l'apôtre,  ni  qu'il  vienne 
flatter  les  oreilles  par  des  cadences  harmonieu- 
ses, ni  qu'il  veuille  charmer  les  esprits  par  de 
vaines  curiosités.  Écoutez  ce  qu'il  dit  lui-même  : 
«  Nous  prêchons unesagessecachée;nousprêchons 
«  un  Dieu  crucifié.  »  Ne  cherchons  pas  de  vains 
oraements  à  ce  Dieu ,  qui  rejette  tout  l'éclat  du 
monde.  Si  notre  simplicité  déplaît  aux  superbes, 
qu'ils  sachent  que  nous  voulons  leur  déplaire,  que 
Jésus-Christ  dédaigne  leur  faste  insolent ,  et  qu'il 
ne  veut  être  connu  que  des  humbles.  Abaissons- 
nous  donc  à  ces  humbles;  faisons-leur  des  pré- 
dications ,  dont  la  bassesse  tienne  quelque  chose 
de  l'humiliation  de  la  croix,  et  qui  soient  dignes 
de  ce  Dieu  qui  ne  veut  vaincre  que  par  la  fai- 
blesse. 

C'est  pour  ces  solides  raisons  que  saint  Paul 
rejette  tous  les  artifices  de  la  rhétorique.  Son 
discours ,  bien  loin  de  couler  avec  cette  douceur 
agréable ,  avec  cette  égalité  tempérée  que  nous 
admirons  dans  les  orateurs ,  paraît  inégal  et  sans 
suite  à  ceux  qui  ne  l'ont  pas  assez  pénétré  ;  et  les 
délicats  de  la  terre,  qui  ont,  disent-ils,  les  oreil- 
les fines,  sont  offensés  de  la  dureté  de  son  style 
irrégulier.  Mais,  mes  frères,  n'en  rougissons  pas. 
Le  discours  de  l'apôtre  est  simple  ;  mais  ses  pen- 
sées sont  toutes  divines.  S'il  ignore  la  rhétorique, 
s'il  méprise  la  philosophie,  Jésus-Christ  Initient 
lieu  de  tout  ;  et  son  nom  qu'il  a  toujours  à  la  bou- 
che ,  ses  mystères  qu'il  traite  si  divinement ,  ren- 
dront sa  simplicité  toute-puissante.  Il  ira,  cet 
ignorant  dans  l'art  de  bien  dire ,  avec  cette  locu- 
tion rude,  avec  cette  phrase  qui  sent  l'étranger, 
il  ira  en  cette  Grèce  polie ,  la  mère  des  philosophes 
et  des  orateurs  ;  et  malgré  la  résistance  du  monde , 
il  y  établira  plus  d'Églises ,  que  Platon  n'y  a  ga- 
gné de  disciples  par  cette  éloquence  qu'on  a  crue 
divine.  Il  prêchera  Jésus  dans  Athènes,  et  le  plus 
savant  de  ses  sénateurs  passera  de  l'Aréopage  en 
l'école  de  ce  Barbare.  Il  poussera  encore  plus  loin 
ses  conquêtes ,  il  abattra  aux  pieds  du  Sauveur 
la  majesté  des  faisceaux  romains  en  la  personne 
d'un  proconsul,  et  il  fera  trembler  dans  leurs 
tribunaux  les  juges  devant  lesquels  on  le  cite. 
Rome  même  entendra  sa  voix  ;  et  un  jour  cette 
ville  maîtresse  se  ti-'^ndra  bien  plus  honorée  d'une 
lettre  du  style  de  Paul ,  adressée  à  ses  citoyens , 
que  de  tant  de  fameuses  harangues  qu'elle  a  ente» 
dues  de  son  Cicéron. 


4GJ  PANÉGYRIQUE 

Et  d'où  vient  cela,  chrétiens?  C'est  que  Paul 
a  des  moyens  pour  persuader  que  la  Grèce  n'en- 
seigne pas,  et  que  Rome  n'a  pas  appris.  Une 
puissance  surnaturelle,  qui  se  plaît  de  relever  ce 
que  les  superbes  méprisent,  s'est  répandue  et 
mêlée  dans  l'auguste  simplicité  de  ses  paroles. 
De  là  vient  que  nous  admirons  dans  ses  admi- 
rables Épîtres  une  certaine  vertu  plus  qu'humaine, 
qui  persuade  contre  les  règles ,  ou  plutôt  qui  ne 
persuade  pas  tant,  qu'elle  captive  les  entende- 
ments; qui  ne  flatte  pas  les  oreilles,  mais  qui 
porte  ses  coups  droit  au  cœur.  De  même  qu'on 
voit  un  grand  fleuve  qui  retient  encore ,  coulant 
dans  la  plaine,  cette  force  violente  et  impétueuse, 
qu'il  avait  acquise  aux  montagnes  d'où  il  tire  sou 
origine  ;  ainsi  cette  vertu  céleste ,  qui  est  contenue 
dans  les  écrits  de  saint  Paul,  même  dans  cette 
simplicité,  de  style  conserve  toute  la  vigueur 
qu'elle  apporte  du  ciel,  d'où  elle  descend. 

C'est  par  cette  vertu  divine  que  la  simplicité 
de  l'apôtre  a  assujetti  toutes  choses.  Elle  a  ren- 
versé les  idoles,  établi  la  croix  de  Jésus,  per- 
suadé à  un  roillion  d'horames  de  mourir  pour  en 
défendre  la  gloire;  enfln,  dans  ses  admirables 
Épîtres,  elle  a  expliqué  de  si  grands  secrets, 
qu'on  a  vu  les  plus  sublimes  esprits ,  après  s'être 
exercés  longtemps  dans  les  plus  hautes  spécula- 
tions où  pouvait  aller  la  philosophie,  descendre 
de  cette  vaine  hauteur,  où  ils  se  croyaient  élevés, 
pour  apprendre  à  bégayer  humblement  dans  l'é- 
cole de  Jésus-Christ,  sous  la  discipline  de  Paul. 

Aimons  donc, aimons,  chrétiens ,  la  simplicité 
de  Jésus;  aimons  l'Évangile  avec  sa  bassesse, 
aimons  Paul  dans  son  style  rude ,  et  profitons 
d'un  si  grand  exemple.  Ne  regardons  pas  les  pré- 
dications comme  un  divertissement  de  l'esprit; 
n'exigeons  pas  des  prédicateurs  les  agréments  de 
la  rhétorique ,  mais  la  doctrine  des  Écritures.  Que 
si  notre  délicatesse,  si  notre  dégoût  les  contraint 
à  chercher  des  ornements  étrangers ,  pour  nous 
attirer  par  quelque  moyen  à  l'Évangile  du  sau- 
veur Jésus  ;  distinguons  l'assaisonnement ,  de  la 
nourriture  solide.  Au  milieu  des  discours  qui 
plaistnt,  ne  jugeons  rien  de  digne  de  nous  que 
les  enseignements  qui  édifient;  et  accoutumons- 
nous  tellement  à  aimer  Jésus-Christ  tout  seul 
dans  la  pureté  naturelle  de  ses  vérités  toutes  sain- 
tes ,  que  nous  voyions  encore  régner  dans  l'Église 
cette  première  simplicité ,  qui  a  fait  dire  au  divin 
apôtre  :  Cum  infirmor,  tune  potens  sum  :  «  Je 
«  suis  puissant,  parce  que  je  suis  faible;  »  mes 
discours  sont  forts,  parcequ'ils  sont  simples  ;  c'est 
leur  simplicité  innocente  qui  a  confondu  la  sa- 
gesse humaine.  Mais ,  grand  Paul ,  ce  n'est  pas 
assez  :  la  puissance  vient  au  secours  de  la  îausse 
sagesse;  je  vois  les  persécuteurs  qui  s'élèvent. 


Après  avoir  fait  des  discours ,  où  votre  simplicité 
persuade,  il  faut  vous  préparer  aux  combats, 
où  votre  faiblesse  triomphe;  c'est  ma  seconde 
partie. 

SECOND    POINT. 

C'est  donc  un  décret  de  la  Providence,  que 
pour  annoncer  Jésus  Christ  les  paroles  ne  suffi- 
sent pas  :  il  faut  quelque  chose  de  plus  violent 
pour  persuader  le  monde  endurci.  Il  faut  lui  par- 
ler par  des  plaies,  il  faut  l'émouvoir  par  du  sang; 
et  c'est  à  force  de  souffrir,  c'est  par  les  supplices , 
que  la  religion  chrétienne  doit  vaincre  sa  dureté 
obstinée  C'est,  messieurs,  cette  vérité,  c'est  cette 
force  persuasive  du  sang  épanché  pour  le  Fils  de 
Dieu ,  qu'il  faut  maintenant  vous  faire  compren- 
dre par  l'exemple  du  divin  apôtre  ;  mais  pour  cela, 
remontons  à  la  source. 

Je  suppose  donc,  chrétiens,  qu'encore  que  la 
parole  du  Sauveur  des  âmes  ait  une  efficace  di- 
vine, toutefois  sa  force  de  persuader  consiste 
principalement  en  son  sang  ;  et  vous  le  pouvez 
aisément  comprendre  par  l'histoire  de  son  Évan- 
gile. Car  qui  ne  sait  que  le  Fils  de  Dieu ,  tant 
qu'il  a  prêché  sur  la  terre,  a  toujours  eu  peu  de 
sectateurs,  et  que  ce  n'est  que  depuis  sa  mort 
que  les  peuples  ont  couru  à  ce  divin  Maître? 
Quel  est,  messieurs ,  ce  nouveau  miracle? Méprisé 
et  abandonné  pendant  tout  le  cours  de  sa  vie,  il 
commence  à  régner  après  qu'il  est  mort.  Ses  pa- 
roles toutes  divines,  qui  devaient  lui  attirer  les 
respects  des  hommes ,  le  font  attacher  a  un  bois 
infâme  ;  et  l'ignominie  de  ce  bois ,  qui  devait 
couvrir  ses  disciples  d'une  confusion  éternelle, 
fait  adorer  par  tout  l'univers  les  vérités  de  son 
Évangile.  N'est-ce  pas  pour  nous  faire  entendre 
que  sa  croix,  et  non  ses  paroles,  devait  émouvoir 
les  cœurs  endurcis ,  et  que  sa  force  de  persuader 
était  en  son  sang  répandu,  et  dans  ses  cruelles 
blessures? 

La  raison  d'un  si  grand  mystère  mériterait 
bien  d'être  pénétrée,  si  le  sujet  que  j'ai  à  traiter 
me  laissait  assez  de  loisir  pour  la  mettre  ici  dans 
son  jour.  Disons  seulement  en  peu  de  parole» , 
que  le  Fils  de  Dieu  s'était  incarné,  afin  de  por- 
ter sa  parole  en  deux  endroits  différents  :  il  de- 
vait parler  à  la  terre,  et  il  devait  encore  parler 
au  ciel.  Il  devait  parler  à  la  terre  par  ses  divines 
prédications  ;  mais  il  avait  aussi  à  parler  au  ciel 
par  l'effusion  de  son  sang,  qui  devait  fléchir  sa 
rigueur,  en  expiant  les  péchés  du  monde.  C'est 
pourquoi  l'apôtre  saint  Paul  dit  que  «  le  sang  du 
«  sauveur  Jésus  crie  bien  mieux  que  celui  d'A- 
«  bel  :  >'  Melius  damantem  quam  Abel';  parce 

'  Hcb.  xu,  24. 


DE  SAINT  PAUL. 


4ùi 


qtip  1p  sang  d'Abcl  demande  vengeance,  et  le 
sang  de  notre  Sauvein-  fait  descendre  la  miséri- 
corde. Jésus-Christ  devait  donc  parler  a  son  Pcre, 
i.ussi  bien  qu'aux  liommes;  au  ciel,  aussi  bien 
qu'à  la  terre. 

Mais  il  faut  remarquer  ici  un  secret  de  la  Pro- 
vidence :  c'est  que  c'était  au  ciel  qu'il  fallait  par- 
ler, afin  que  la  terre  fût  persuadée.  Et  cela ,  pour 
quelle  raison?  c'est  que  la  grûce  divine ,  qui  de- 
vait amollir  les  cœurs ,  devait  être  envoyée  du 
ciel.  Par  exemple,  vous  avez  beau  semer  votre 
iirain  sur  cette  terre  toute  desséchée,  vous  recueil- 
lerez peu  de  fruit,  si  la  pluie  du  ciel  ne  la  rend 
féconde.  Il  en  est  à  peu  près  de  même  dans  la 
vérité  que  je  vous  explique.  Lorsque  mon  Sauveur 
a  parlé  aux  hommes,  il  a  seulement  semé  sur  la 
terre,  et  cette  terre  ingrate  et  stérile  lui  a  donné 
peu  de  sectateurs  :  il  faut  donc  maintenant  qu'il 
parle  à  son  Père  ;  il  faut  que ,  se  tournant  du  côté 
du  ciel ,  il  y  porte  la  voix  de  son  sang.  C'est 
alors ,  messieurs,  c'est  alors  que  la  grâce  tombant 
avec  abondance ,  notre  terre  donnera  son  fruit  : 
alors  le  ciel  apaisé  persuadera  aisément  les  hom- 
mes ;  et  la  parole  qu'il  a  semée  fructifiera  par  tout 
l'univers.  Delà  vient  qu'il  adit  lui-même:  Quand 
j'aurai  étéélevé  de  terre ,  quand  j'aurai  été  rais  en 
croix,  quand  j'aurai  répandu  mon  sang,  je  tire- 
rai à  moi  toutes  choses  :  Omnia  traham  ad  mei- 
psum  •;  nous  montrant,  par  cette  parole,  que 
sa  force  était  en  sa  croix ,  et  que  son  sang  lui 
devait  attirer  le  monde,  ' 

Cette  vérité  étant  supposée ,  je  ne  m'étonne 
pas,  chrétiens,  que  l'Église  soit  établie  par  le 
moyen  des  persécutions.  Donnez  du  sang,  bien- 
heureux apôtre;  votre  Maître  lui  donnera  une 
voix  capable  d'émouvoir  le  ciel  et  la  terre.  Puis- 
qu'il vous  a  enseigné  que  sa  force  consiste  en  sa 
croix ,  portez-la  par  toute  la  terre ,  cette  croix 
victorieuse  et  toute-puissante;  mais  ne  la  portez 
pas  imprimée  sur  des  marbres  inanimés,  ni  sur 
des  métaux  insensibles;  portez -la  sur  votre  corps 
même,  et  abandonnez-le  aux  tyrans,  afin  que 
leur  fureur  y  puisse  graver  une  image  vive  et 
naturelle  de  Jesus-Christ  crucifié. 

C'est  ce  qu'il  va  bientôt  entreprendre  :  il  ira 
par  toute  la  terre.  Chrétiens,  pour  (luelle  raison  ? 
c'est  afin ,  nous  dit-il  lui-même ,  «  c'est  afin  de 
«  porter  partout  la  mort  et  la  croix  de  Jésus,  im- 
«  primée  en  son  propre  corps  :  »  Mortificaiionem 
Jesu  m  corpore  nostro  ci rcumfe renies  '  ;  et  c'est 
peut-être  pour  cette  raison  qu'il  a  dit  ces  belles 
paroles,  écrivant  aux  Golossiens  :  Adiinpleo  ea 
quœ  desunt  passionum   Christi^  :  «  Je  veux, 

»  Joan.  \U,  32. 
'  n.  Cor.  rv,  10. 
»  Colos.  I,  Î4. 

BOSSl'ET.   —  T.    in 


«  dit  il,  accomplir  ce  qui  manque  amc  souffrances 
«  de  Jésus-Christ.  »  Que  nous  dites- vous ,  ô  grand 
Paul?  Peut-il  donc  manquer  quelque  chose  au 
prix  et  a  la  valeur  infinie  des  souffrances  de  vo- 
tre Maître?  ÎSon,  ce  li'est  pas  là  sa  penst'C.  Ce 
grand  homme  n'ignore  pas  que  rien  ne  manquu 
à  leur  dignité;  mais  ce  qui  leur  manque,  dit-il, 
c'est  que  Jésus  n'a  souffert  qu'en  Jérusalem  ;  et 
comme  sa  force  est  toute  en  sa  croix ,  il  faut  qu'il 
souffre  par  tout  le  monde ,  afin  d'attirer  tout  le 
monde.  C'est  ce  que  l'apôtre  voulait  accomplir. 
Les  Juifs  ont  vu  la  croix  de  son  Maître;  il  la  veut 
montrer  aux  Gentils,  dont  il  est  le  prédicateur. 
Il  va  donc ,  dans  cette  pensée ,  du  levant  jusqu'au 
couchant,  de  Jérusalem  jusqu'à  Rome,  portant 
paitout  sur  lui-même  la  croix  de  Jésus,  et  ac- 
complissant ses  souffrances;  trouvant  partout  de 
nouveaux  supplices ,  faisant  partout  de  nouveaux 
fidèles,  et  remplissant  tant  de  nations  de  son 
sang  et  de  l'Évangile. 

Mais  je  ne  croirais  pas,  chrétiens,  m'être  ac- 
quitté de  ce  que  je  dois  à  la  gloire  de  ce  grand 
apôtre ,  si ,  parmi  tant  de  grands  exemples  que 
nous  donne  sa  belle  vie ,  je  ne  choisissais  quelque 
action  illustre,  où  vous  puissiez  voir  en  particu- 
lier combien  ses  souffrances  sont  persuasives. 
Considérez  donc  ce  grand  homme  fouetté  à  Phi- 
lippes  par  main  de  bourreau  ' ,  pour  y  avoir  prê- 
ché Jésus-Christ;  puis  jeté  dans  l'obscurité  d'un 
cachot,  ayant  les  pieds  serrés  dans  du  bois  qui 
était  entrouvert  par  force  et  les  pressait  ensuite 
avec  violence;  qui  cependant  triomphant  de  joie 
de  sentir  si  vivement  en  lui-même  la  sanglante 
impression  de  la  croix,  avec  Silas  son  cher  com- 
pagnon ,  rompait  le  silence  de  la  nuit  en  offrant  à 
Dieu ,  d'une  âme  contente ,  des  louanges  pour  ses 
supplices ,  des  actions  de  grâces  pour  ses  bles- 
sures. Voilà  comme  il  porte  la  croix  du  Sauveur  ; 
et  aussi,  dans  ce  même  temps,  le  Sauveur  lui 
veut  faire  voir  une  merveilleuse  représentation 
de  ce  qui  s'est  fait  à  la  sienne.  Là  du  sang,  et 
ici  du  sang  ;  là ,  messieurs ,  «  la  terre  a  trera- 
«  blé* ,  »  et  ici  elle  tremble  encore  :  Terras  motus 
factus  est  magnus  ^  :  là  les  tombeaux  ont  été  ou- 
verts, qui  sont  comme  les  prisons  des  morts,  et 
des  morts  sont  ressuscites^;  ici  les  prisons  sont 
ouvertes,  qui  sont  les  tombeaux  obscurs  des 
hommes  vivants  :  Apcrta  sunt  omnia  ostia  ^  : 
et  pour  achever  cette  ressemblance ,  la  celui  qui 
garde  la  croix  du  Sauveur  le  reconnaît  pour  le 
Fils  de  Dieu ,  Vere  Filius  Dei  erat  iste  «  ;  et  ici 

'  ytct.xxi,  5-1  et  sp(jq. 
»  Matth.  xnvii,  51. 
'  yict.  xvr,  26. 
«  Matih.  XXVII,  52. 

*  Mli.  iVI,  26. 

•  itattÀ.  \\\a,  54. 

30 


466 


PANÉGYRFQUE 


celui  qui  g.iide  saint  Paul  se  jette  aussitôt  à  ses 
pieds  :  Procidit  ad  pedes' ,  et  se  soumet  à  son 
Evangile.  Que  ferai -je,  dit-il,  pour  être  sauvé? 
Qu/d  me oporletfacere,  ut  salvtisfiam^'iU  lave 
premièrement  les  plaies  de  l'apôtre  :  l'apôtre 
après  lavera  les  siennes  par  la  grâce  du  saint 
baptême  ;  et  ce  bienheureux  geôlier  se  prépare  à 
cette  eau  céleste ,  en  essuyant  le  sang  de  l'apôtre , 
qui  lui  inspire  l'amour  de  la  croix  et  l'esprit  du 
•chwstianis'.'ne. 

Vous  voyez  déjà,  chrétiens,  ce  que  peut  la 
croix  de  Jésus,  imprimée  sur  le  corps  de  Paul  ; 
mais  renouvelez  vos  attentions  pour  voir  la  suite 
de  cette  aventure ,  qui  vous  le  montrera  d'une 
manière  bien  plus  admirable.  Que  fera  le  divin 
apôtre,  sortant  des  prisons  de  Philippes?  Qu'il 
vous  le  dise  de  sa  propre  bouche ,  dans  une  lettre 
•qu'il  a  écrite  aux  habitants  de  Thessalonique  : 
«  "Vous  savez,  leur  dit-il,  mes  frères,  quelle  a 
«  été  notre  entrée  chez  vous,  et  qu'elle  n'a  pas 
«  été  inutile  :  »  Quia  non  inanis  fuiP.  Pour 
quelle  raison ,  chrétiens ,  son  abord  à  Thessalo- 
nique n  a-t-il  pas  été  inutile?  Vous  serez  surpris 
de  l'apprendre  :  «  C'est ,  dit-il ,  qu'ayant  été  tour- 
«  mentes  et  traités  indignement  à  Philippes ,  cela 
«  nous  a  donné  l'assurance  de  vous  annoncer  l'É- 
«  vangile  :  »  Sed  ante  passi ,  et  contumeliis  af- 
fkcti,  sicutscitis,  in  Philippis ,  fiduciam  ha- 
buimus  in  Deo  nostro,  loqui  ad  vos  Evangeiium 
J)ei\ 

Quand  je  considère ,  messieurs ,  ces  paroles  du 
'divin  apôtre,  j'avoue  que  je  ne  suis  plus  à  moi- 
-même, et  je  ne  puis  assez  admirer  l'esprit  cé- 
'leste  qui  le  possédait.  Car  quel  est  le  victorieux , 
vlontle  cœur  puisse  être  autant  excité  par  l'image 
glorieuse  et  tranquille  de  la  victoire  tout  nouvel- 
lement remportée ,  que  le  grand  Paul  est  encou- 
ragé par  le  souvenir  des  souffrances  dont  il  porte 
encore  les  marques,  dont  il  sent  encore  les  vives 
atteintes?  Son  entrée  sera  fructueuse,  parce 
qu'elle  est  précédée  par  de  grands  tourments;  il 
prêchera  avec  confiance,  parce  qu'il  a  beaucoup 
enduré;  et  si  nous  savons  pénétrer  tout  le  sens 
de  cette  parole,  nous  devons  croire  que  le  grand 
apôtre,  sortant  des  prisons  de  Philippes,  exhor- 
tait par  cette  pensée  les  compagnons  de  son  mi- 
nistère :  Allons,  mes  frères,  à  Thessalonique; 
notre  entrée  n'y  sera  pas  inutile ,  puisque  nous 
avons  déjà  tant  souffert  ;  nous  avons  assez  répan- 
du de  sang,  pour  oser  entreprendre  quelque 
grand  dessein.  Allons  donc  en  cette  ville  célèbre  ; 
faisons-y  profiter  ce  sang  répandu  ;  portous-y  la 


'  Jcl.  XVI ,  2S. 
»  Ib.  80. 
î  1.  rhess.  Il,  I. 
*  Ibid.  2 


croix  de  Jésus,  récemment  imprimé  sur  nom 
par  nos  plaies  encore  toutes  fraîches;  et  que  ces 
nouvelles  blessures  donnent  au  Sauveur  de  nou- 
veaux disciples.  Il  y  vole  dans  cette  espérance, 
et  son  attente  n'est  pas  frustrée. 

Mais  pourquoi  m'arrêter,  messieurs,  à  vous 
raconter  le  fruit  qu'il  a  fait  dans  la  ville  de  Thes- 
salonique? Il  en  est  de  même  de  toutes  les  autres 
qu'il  éclaire  par  sa  doctrine ,  et  qu'il  attire  par 
ses  souffrances.  Il  court  ainsi  par  toute  la  terre , 
portant  partout  la  croix  de  Jésus  ;  toujours  me- 
nacé, toujours  poursuivi  avec  une  fureur  impla- 
cable ;  sans  repos  durant  trente  années ,  il  passe 
d'un  travail  à  un  autre ,  et  trouve  partout  de  nou- 
veaux périls;  des  naufrages  dans  ses  voyages  de 
mer,  des  embûches  dans  ceux  de  terre;  de  la 
haine  parmi  les  Gentils,  de  la  rage  parmi  les 
Juifs;  des  calomniateurs  dans  tous  lestribunaux, 
des  supplices  dans  toutes  les  villes;  dans  l'Église 
même  et  dans  sa  maison ,  des  faux  frères  qui  le 
trahissent  :  tantôt  lapidé  et  laissé  pour  mort, 
tantôt  battu  outrageusement  et  presque  déchiré 
par  le  peuple  ;  il  meurt  tous  les  jours  pour  le 
Fils  de  Dieu ,  Quotidie  morior  ' ,  et  il  marque 
l'ordre  de  ses  voyages  par  les  traces  du  sang 
qu'il  répand,  et  par  les  peuples  qu'il  convertit; 
car  il  joint  toujours  l'un  et  l'autre  :  si  bien  que 
nous  lui  pouvons  appliquer  ces  beaux  mots  de 
Tertullien  :  «  Ses  blessures  font  ses  conquêtes;  il 
"  ne  reçoit  pas  plutôt  une  plaie,  qu'il  la  couvre 
«  par  une  coufonne  ;  aussitôt  qu'il  verse  du  sang, 
«  il  acquiert  de  nouvelles  palmes;  il  remporte 
«  plus  de  victoires  qu'il  ne  souffre  de  violen- 
«  ces  :  »  Corona  premit  vulnera,  palnia  sangiii- 
nem  obscurat,  plus  victoriarum  est  quam  in- 
juriarum^. 

C'est  pourquoi  le  sauveur  Jésus  voulant  encore 
abattre  à  ses  pieds  l'impérieuse  majesté  de  Rome, 
il  y  conduit  enfin  le  divin  apôtre,  comme  le  plus 
illustre  de  ses  capitaines.  Mais,  mes  frères,  il 
faut  plus  de  sang  pour  fonder  cette  illustre  Égli- 
se, qui  doit  être  la  mèr*  des  autres  :  saint  Paul 
y  donnera  tout  le  sien;  aussi  y  trouvera-t-il  un 
persécuteur  qui  ne  le  sait  pas  répandre  à  demi , 
je  veux  dire  le  cruel  Néron ,  qui  ajoutera  le  com- 
ble à  ses  crimes,  en  faisant  mourir  cet  apôtre. 

Vous  raconterai-je ,  messieurs,  combien  son 
sang  se  multipliera,  quelle  suite  de  chrétiens  sa 
fécondité  fera  naître,  combien  il  animera  de  mar- 
tyrs, et  avec  quelle  force  il  affermira  cet  em- 
pire spirituel,  qui  se  doit  établir  à  Rome,  plus 
illustre  que  celui  des  Césars?  Mais  quand  esl-ce 
que  j'achèverai ,  si  j'entreprends  de  vous  rappor- 
ter toutes  les  grandeurs  de  l'apôtre?  J'en  ai  dit 

•  I.  Cor.xy,  31 

^  Scor/i.  u"  G. 


DE  SAINT  PAUL. 


4«r 


.^«;^pz,  chrétiens,  pour  nous  inspirer  l'amour  de 
la  croix,  si  notre  extrême  délicatesse  ne  nous  la 
rendait  odieuse.  0  croix  !  qui  donnez  la  victoire 
■d  Paul ,  et  dont  la  faiblesse  le  rend  tout-puissant, 
notre  siècle  délicieux  ne  peut  souffrir  votre  du- 
reté ?  Personne  ne  veut  dire  avec  l'apôtre  :  «  Je  ne 
«  me  plais  que  dans  mes  souffrances  ,  et  je  ne  suis 
«  fort  que  dans  mes  faiblesses.  «  Nous  voulons 
être  puissants  dans  le  monde,  c'est  pourquoi 
nous  sommes  faibles  selon  Jésus-Christ;  et  l'a- 
mour de  la  croix  de  Jésus  étant  éteint  parmi  les 
fidèles,  toute  la  force  chrétienne  s'est  évanouie. 
Mais,  mes  frères,  je  ne  puis  vous  dire  ce  que  je 
pense  sur  ce  beau  sujet.  Le  grand  Paul  me  rap- 
pelle encore  :  après  avoir  vu  les  faiblesses  que  la 
croix  lui  a  fait  sentir,  il  faut  achever  ce  discours, 
en  considérant  les  infirmités  que  la  charité  lui 
inspire  dans  le  gouvernement  ecclésiastique. 

TBOISIÈME    POINT. 

Le  pourrez-vous  croire,  messieurs,  que  l'E- 
glise de  Jésus-Christ  se  gouverne  par  la  faiblesse; 
que  l'autorité  des  pasteurs  soit  appuyée  sur  l'in- 
firmité  ;  que  le  grand  apôtre  saint  Paul ,  qui  com- 
mande avec  tant  d'empire ,  qui  menace  si  haute- 
ment les  opiniâtres ,  qui  juge  souverainement  les 
pécheurs ,  enfin  qui  fait  valoir  avec  tant  de  force 
la  dignité  de  son  ministère ,  soit  infirme  parmi 
les  fidèles ,  et  que  ce  soit  une  divine  faiblesse  qui 
le  rende  puissant  dans  l'Église?  Cela  vous  paraît 
peut-être  incroyable  ;  cependant  c'est  une  doc- 
trine que  lui-même  nous  a  enseignée,  et  qu'il 
faut  vous  expliquer  en  peu  de  paroles. 

Pour  cela  vous  devez  entendre  que  l'empire 
spirituel ,  que  le  Fils  de  Dieu  donne  à  son  Église, 
nest  pas  semblable  à  celui  des  rois.  Il  n'a  pas 
cette  majesté  terrible  ;  il  n'a  pas  ce  faste  dédai- 
gneux, ni  ce  superbe  esprit  de  grandeur  dont 
sont  enflés  les  princes  du  monde.  «  Les  rois  des 
«  nations  les  dominent,  dit  le  Fils  de  Dieu  dans 
«  son  Évangile  '  ;  mais  il  n'en  est  pas  ainsi  parmi 
«  vous,  où  le  plus  grand  doit  être  le  moindre, 
«  et  ou  le  premier  est  le  serviteur.  « 

Le  fondement  de  cette  doctrine ,  c'est  que  cet 
empire  divin  est  fondé  sur  la  charité.  Car,  mes 
frères ,  cette  charité  peut  prendre  toutes  sortes 
de  formes.  C'est  elle  qui  commande  dans  les  pas- 
teurs ,  c'est  elle  qui  obéit  dans  les  peuples  :  mais 
soit  qu'elle  commande ,  soit  qu'elle  obéisse ,  elle 
retient  toujours  ses  quaUtés  propres,  elle  demeure 
toujours  charité,  toujours  douce,  toujours  pa- 
tiente ,  toujours  tendre  et  compatissante ,  jamais 
fière  ni  ambitieuse. 

Le  gouvernement  ecclésiastiqiie,  qui  est  ap- 

'  Luc.  xxn ,  2ô ,  2a 


puyé  sur  la  charité ,  n'a  donc  rien  d'altïcr  ni  de 
violent  :  son  commandement  est  modeste ,  son 
autorité  est  douce  et  paisible.  Ce  n'est  pas  une 
domination  qu'elle  exerce  :  Doniinantur,  vos 
auiem  non  sic;  c'est  un  ministère  dont  elle  s'ac- 
quitte, c'est  une  économie  qu'elle  ménage  par  la 
sage  dispensation  de  la  charité  fraternelle. 

Mais  cette  charité  ecclésiastique,  qui  conduit 
le  peuple  de  Dieu ,  passe  encore  beaucoup  plus 
loin.  Au  lieu  de  s'élever  orgueilleusement  pour 
faire  valoir  son  autorité ,  elle  croit  que  pour  gou- 
verner il  faut  qu'elle  s'abaisse ,  qu'elle  s'affai- 
blisse, qu'elle  se  rende  infirme  elle-même,  afin 
de  porter  les  infirmes.  Car  Jésus-Christ,  son  ori- 
ginal, en  venant  régner  sur  les  hommes  a  voulu 
prendre  leurs  infirmités  :  ainsi  les  apôtres ,  ainsi 
les  pasteurs  doivent  se  revêtir  des  faiblesses  des 
troupeaux  commis  à  leur  vigilance  ;  afin  que  de 
même  que  le  Fils  de  Dieu  est  un  pontife  com- 
patissant, qui  ressent  nos  infirmités,  ainsi  les 
pasteurs  du  peuple  fidèle  sentent  les  faiblesses 
de  leurs  frères ,  et  portent  leurs  infirmités  en  les 
partageant.  C'est  pourquoi  le  divin  apôtre ,  plein 
de  cet  esprit  ecclésiastique ,  croit  établir  son  au- 
torité en  se  faisant  infirme  aux  infirmes ,  et  se 
rendant  serviteur  de  tous  ^. 

Mais  voulez-vous  voir,  chrétiens,  dans  un 
exemple  particulier,  jusqu'à  quel  point  cet  homme 
admirable  ressent  les  infirmités  de  ses  frères; 
représentez-vous  ses  fatigues,  ses  voyages,  ses 
inquiétudes ,  ses  peines  pour  résister  à  tant  d'en- 
nemis ,  ses  soins  pour  enseigner  tant  de  peuples , 
ses  veilles  pour  gouverner  tant  d'Églises  :  cepen- 
dant ,  accablé  de  tous  ces  travaux ,  il  s'impose 
encore  lui-même  la  nécessité  de  gagner  sa  vie  à 
la  sueur  de  son  corps,  opérantes  manibus  no- 
stris  '. 

Que  l'ancienne  Rome  ne  me  vante  plus  ses 
dictateurs  pris  à  la  charrue,  qui  ne  quittaient 
leur  commandement  que  pour  retourner  à  leur 
labourage  :  je  vois  quelque  chose  de  plus  mer- 
veilleux en  la  personne  de  mon  grand  apôtre, 
qui  même  au  milieu  de  ses  fonctions ,  non  moins 
augustes  que  laborieuses,  renonce  volontairement 
aux  droits  de  sa  charge  ;  et  refusant  de  tous  les 
fidèles  la  paye  honorable  qui  était  si  bien  due  a 
son  ministère,  ne  veut  tirer  que  de  ses  propres 
mains  ce  qui  est  nécessaire  pour  sa  subsistance. 

Cela,  mes  frères,  venait  d'un  esprit  infiniment 
au-dessus  du  monde;  mais  vous  l'admirerex 
beaucoup  davantage ,  si  vous  pénétrez  le  motif 
de  cette  action  glorieuse.  Écoutez  donc  ces  belles 
paroles  de  l'admirable  saint  Augustin ,  par  les- 
quelles il  entre  si  bien  dans  les  sentiments  du 

'  I.  Cor.  tx,  22. 
»  l'iid.  n-.l2. 


^08  PANÉGYRIQUE 

^'rand  Paul  :  Infirmorum  periculls ,  ne  falsis 
siispicio7iibus  agitati  odisscnt  quasi  vénale 
Evangelium  y  tanquam  paternis  malernisque 
visaeribus  irernefactus  hoc  fecit  \  Qui  vous 
oblige,  ô  divin  apôtre,  à  travailler  ainsi  de  vos 
maias?  «  C'est  à  cause,  dit  saint  Augustin, 
»  qu'ayant  une  tendresse  plus  que  maternelle 
«  pour  lc6  peuples  qui  lui  sont  commis ,  il  tremble 
«  pour  les  périls  des  infirmes  qui,  agités  par  de 
«  taux  soupçons,  pourraient  peut-être  haïr  PE- 
«  vangile, en  s'imaginant  que  l'apôtre  le  prêchait 
«  pour  son  intérêt.  «  Quelle  charité  de  saint  Paul! 
Ge  qu'il  craint,  ce  n'est  qu'un  soupçon,  et  un  soup- 
çon mal  fondé ,  et  un  soupçon  qu'il  eût  démenti 
par  toute  la  suite  de  sa  vie  céleste ,  si  épurée  des 
sentiments  de  la  terre  :  toutefois  ce  soupçon  fait 
trembler  l'apôtre,  il  déchire  ses  entrailles  plus 
que  maternelles;  ce  grand  homme,  pour  éviter 
ce  soupçon,  veut  bien  veiller  nuit  et  jour,  et 
ajouter  le  travail  des  mains  à  toutes  ses  autres 
fatigues  ! 

Qui  pourrait  donc  assez  expliquer  combien  vi- 
vement il  sentait  toutes  les  infirmités  des  fidèles? 
Celui  qui  tremblait  pour  un  seul  soupçon,  et 
qu'une  ombre  de  mal  épouvantait ,  en  quel  état 
était-il,  mes  frères,  quelle  était  son  inquiétude, 
quand  il  voyait  des  maux  véritables ,  des  scan- 
dales parmi  les  fidèles ,  des  péchés  publics  ou 
particuliers?  Que  ne  puis-je  entrer  dans  ce  cœur 
tout  ardent  des  flammes  de  la  charité  fraternelle, 
pour  y  voir  de  quel  sentiment  le  grand  Paul  di- 
sait ces  beaux  mots  :  «  Qui  est  infirme  parmi  les 
«  fidèles ,  sans  que  je  sois  Infirme  avec  lui  ?  et  qui 
«\peut  les  scandaliser,  sans  que  je  sois  moi-même 
«  brûlé  de  douleur?  »  Quis  infirmatur,  et  ego  non 
infirmor?  Quis  scandalizatur ,  et  ego  non 
îiror'. 

Arrêtons  ici,  chrétiens,  et  que  la  méditation 
d'un  si  grand  exempre  fasse  le  fruit  de  tout  ce 
discours.  Car  quelle  âme  de  fer  et  de  bronze  ne 
se  sentirait  attendrie  par  les  saintes  infirmités 
que  la  charité  inspire  à  l'apôtre?  Voyait-il  un 
membre  affligé ,  il  ressentait  toute  sa  douleur. 
Voyait-il  des  simples  et  des  ignorants,  il  descen- 
dait du  troisième  ciel  pour  leur  donner  un  lait 
maternel ,  et  bégayer  avec  ces  enfants.  Voyait-il 
des  pécheurs  touchés ,  le  saint  apôtre  pleurait 
avec  eux  pour  participer  à  leur  pénitence  :  en 
^oyait-il  d'endurcis,  il  pleurait  encore  leur  aveu- 
glement. Partout  où  l'on  frappait  un  fidèle,  il  se 
sentait  aussitôt  frappé  ;  et  la  douleur  passant  jus- 
qu'à lui  par  la  sainte  correspondance  de  la  cha- 
rité fraternelle,  il  s'écriait  aussitôt,  comme  blessé 
et  ensanglanté  :  Quis  infirmatur,  et  ego  non 

>  De  ojH're  Monach.   n"  I3,t.  I,  col.  485. 
»  II.  Cor  XI,  33. 


infirmor?  «  Qui  est  infirme,  sans  que  je  le  sols? 
«  Je  suis  brûlé  intérieurement ,  quand  quelqu'un 
«  est  scandalisé.  »  Si  bien  qu'en  considérant  ce 
saint  homme  répandant  ses  lumières  par  toute 
l'Église ,  recevant  de  tous  côtés  des  atteintes  de 
tous  les  membres  affligés,  je  me  le  représente 
souvent  comme  le  cœur  de  ce  corps  mystique  : 
et  de  même  que  tous  les  membres,  comme  ils 
tirent  du  cœur  toute  leur  vertu,  lui  font  aussi 
promptement  sentir,  par  une  secrète  communi- 
cation ,  tous  les  maux  dont  ils  sont  attaqués , 
comme  s'ils  voulaient  l'avertir  de  l'assistance  dont 
ils  ont  besoin  5  ainsi  tous  les  maux  qui  sont  dans 
l'Église  se  réfléchissent  sur  le  saint  apôtre ,  pour 
solliciter  sa  charité  attendrie  d'aller  au  secours 
des  infirmes  :  Quis  infirmatur,  et  ego  non  infir- 
mor? 

Mais  je  passe  encore  plus  loin ,  et  j'apprends 
de  saint  Chrysostôme ,  qu'il  n'est  pas  seulement 
le  cœur  de  l'Église,  «  mais  qu'il  s!afflige  pour 
«  tous  les  membres ,  comme  si  lui  seul  était  toute 
«  l'Église  :  »  Tanquam  ipse  universa  orbis  Ec^ 
clesia  esset,  sic  pro  mejnbris  singulis  discru- 
ciabatur  '.  Que  ne  me  reste-t-il  assez  de  loisir 
pour  entrer  au  fond  de  cette  pensée ,  et  pour  vous 
montrer,  chrétiens ,  cette  étendue  de  la  charité, 
qui  ne  permet  pas  à  saint  Paul  de  se  resserrer  en 
lui-même,  qui  le  répand  dans  toute  l'Église ,  qui 
le  mêle  avec  tous  les  membres ,  qui  fait  qu'il  vit 
et  qu'il  souffre  en  eux  :  Tanquamipae  universa 
orbis  Ecclesia  esset,  sic  pro  membris  singulis 
discruciabatur.  C'est  là,  c'est  là,  si  nous  l'en- 
tendons ,  le  comble  des  infirmités  de  l'apôtre. 

Grand  Paul,  permettez- moi  de  le  dire,  j'ai 
médité  toute  votre  vie ,  j'ai  considéré  vos  infir- 
mités au  milieu  des  persécutions  ;  mais  je  ne 
craindrai  pas  d'assm-er  qu'elles  ne  sont  pas  com- 
parables à  celles  qui  sont  attirées  sur  vous  par  la 
charité  fraternelle.  Dans  vos  persécutions ,  vous 
ne  portiez  que  vos  propres  faiblesses;  ici  vous 
êtes  chargé  de  celles  des  autres  :  dans  vos  persé- 
cutions ,  vous  souffriez  par  vos  ennemis;  ici  vous 
souffrez  par  vos  frères ,  dont  tous  les  besoins  et 
tous  les  périls  ne  vous  laissent  pas  respirer  :  dans 
vos  persécutions ,  votre  charité  vous  fortifiait  et 
vous  soutenait  contre  les  attaques  ;  ici  c'est  votre 
charité  qui  vous  accable  :  dans  vos  persécutions, 
vous  ne  pouviez  être  combattu  que  d'un  seul  en- 
droit dans  un  même  temps  ;  ici  tout  le  monde 
ensemble  vient  fondre  sur  vous  et  vous  devez 
en  soutenir  le  faix. 

C'est  donc  ici  l'accomplissement  de  toutes  ces 
divines  faiblesses  dont  l'apôtre  se  glorifie ,  et  c'est 
ici  qu'il  s'écrie  avec  plus  de  joie  :  Cum  infirmor, 

In  Ephl.  M  ad  Cor.  Hom.  XXV,  n"  2 ,  t.  x,  pa;;  614. 


DE  SAINT  PAUL. 


4(.a 


noicpoicns  sum  :  »  Je  ne  suis  puissant  que  dans 
-  ma  faiblesse.  »  Car  quelle  est  la  force  de  Paul , 
qui  se  fait  infirme  volontairement  afin  de  porter 
les  infirmes  ;  qui  partage  avec  eux  leurs  infirmi- 
tés, afin  de  les  aider  à  les  soutenir  ;  qui  s'abaisse 
jiisqu'àterreparlacliaritc,pour  lesmettre  sur  ses 
ipaules  et  les  élever  avec  lui  au  ciel  ;  qui  se  fait 
esclave  d'eux  tous,  pour  les  gagner  tous  à  son 
Maître?  N'est-ce  pas  là  gouverner  l'Église  d'une 
manière  digne  d'un  apôtre,  n'est-ce  pas  imiter 
Jésus-Christ  lui-même,  dont  le  trouble  nous 
affermit ,  et  dont  les  infirmités  nous  guérissent  ? 

Ne  voulez-vous  pas,  chrétiens,  imiter  un  si 
grand  exemple?  Que  d'infirmes  à  supporter,  que 
d'ignorants  à  instruire,  que  de  pauvres  à  soula- 
ger dans  l'Église!  Mon  frère,  excitez  votre  zèle  : 
cet  homme  qui  vous  hait  depuis  tant  d'années, 
c'est  un  infirme  qu'il  vous  faut  guérir.  Mais  sa 
haine  est  invétérée  :  donc  sou  infirmité  est  plus 
dangereuse.  Mais  il  vous  a ,  dites-vous ,  maltraité 
souvent  par  des  injures  et  par  des  outrages:  sou- 
tenez son  infirmité,  tout  le  mal  est  tombé  sur 
lui;  ayez  pitié  du  mal  qu'il  s'est  fait,  et  oubliez 
celui  qu'il  a  voulu  vous  faire.  Courez  à  ce  pécheur 
endurci,  réchauffez  et  rallumez  sa  charité  éteinte  ; 
tendez-lui  les  bras,  ouvrez-lui  le  cœur,  tâchez 
de  gagner  votre  frère. 

Mais  jetez  encore  les  yeux  sur  les  nécessités 
temporelles  de  tant  de  pauvres  qui  crient  après 
vous.  Ne  semble-t-i)  pas  que  la  Providence  ait 
voulu  les  unir  ensemble  dans  cet  hôpital  mer- 
veilleux, afin  que  leur  voix  fût  plus  forte,  et 
qu'ils  pussent  plus  aisément  émouvoir  vos  cœurs? 
Ne  voulez-vous  pas  les  entendre ,  et  vous  joindre 
à  tant  d'âmes  saintes  qui,  conduites  par  vos 
pasteurs,  courent  au  soulagement  de  ces  miséra- 
bles? Allez  à  ces  infirmes,  mes  frères,  faites- 
vous  infirmes  avec  eux ,  sentez  en  vous-mêmes 
leurs  infirmités ,  et  participez  à  leur  misère.  Souf- 
frez premièrement  avec  eux  ;  et  ensuite  soulagez- 
vous  avec  eux ,  en  répandant  abondamment  vos 
aumônes.  Portez  ces  faibles  et  ces  impuissairts; 
et  ces  faibles  et  ces  impuissants  vous  porteront 
après  jusqu'au  ciel.  Amen. 


PRÉCIS  D'UN  PANRGYUIQUR 

DU  ISIÊHE  APOTRE. 

Son  amour  pour  la  vérité,  pour  les  souffrance»  et  iiour 
rRglisc. 


Charifas  Christi  tirgel  nos. 

La  cliarilé  de  Jésus-Christ  nous  pres.sc,  //.  Cor.  v.  J  4. 

La  charité  est  une  huile  qui  remplit  le  cœur, 
et  un  feu  qui  le  presse.  C'est  cet  effort  do  la  cha- 
rité pressante  que  je  veux  considérer.  Az'e. 

Charitas  Christi  urget  nos  :  œstimant&s  hoc, 
quoniam  si  unus  pro  omnibus morluus  est,  cr^o 
omnes  mortui  sunt;  et  pro  omnibus  mortuus 
est  Christus  :  ut  et  quivivunt,jam  non  sibi  vi- 
vant, sedei  qui  pro  ipsis  mortuus  est  et  resur- 
rexit  '.  «  La  charité  de  Jésus-Christ  nous  presse  : 
n  considérant  que  si  un  seul  est  mort  pour  tous , 
«  donc  tous  sont  morts;  et  que  Jésus-Christ  est 
«  mort  pour  tous,  afin  que  ceux  qui  vivent  ne 
«  vivent  plus  pour  eux-mêmes ,  mais  pour  celui 
«  qui  est  mort  et  ressuscité  pour  eux  :  »  la  vue 
de  Jésus -Christ  mort  doit  donc  nous  inspirer  le 
désir  de  lui  rendre  autant  de  vies  qu'il  y  a  de 
cœurs,  en  ne  vivant  plus  que  pour  lui;  aussi 
saint  Basile  parlant  de  saint  Paul  sur  ce  passage , 
dit  qu'il  était  insensé  dune  folie  d'amour  :  vivant 
d'une  vie  d'amour  pour  celui  qui  l'avait  gagné. 

Mais  qu'est-ce  que  vivre  pour  Jésus-Christ? 
C'est  aimer  ce  qu'il  aimait,  et  renfermer,  par 
une  parfaite  conformité,  ses  afSections  dans  les 
objets  qui  lui  ont  gagné  le  cœur,  détruisant  en 
nous  toute  autre  chose. 

Or  nous  pouvons  déterminer  trois  choses  que 
Jésus  a  aimées.  Il  a  aimé  la  vérité;  il  a  aimé  sa 
croix;  il  a  aimé  son  Église.  Il  est  venu  pour  prê- 
cher les  hommes;  c'est  pourquoi  il  a  aimé  la  vé- 
rité :  il  est  venu  pour  racheter  les  hommes  ;  c'est 
pourquoi  il  a  aimé  sa  croix  :  il  est  venu  pour 
sanctifier  les  hommes  par  l'application  de  sou 
sang;  c'est  pourquoi  il  a  aimé  son  Église. 

Paul  a  vécu  pour  Jésus,  et  aimé  ce  que  Jésus 
aime.  II  a  aimé  la  vérité,  et  il  en  a  fait  tout  son 
emploi  ;  il  a  aimé  la  croix ,  et  il  en  a  fait  toutes 
ses  délices;  il  a  aimé  l'Église,  et  il  en  a  fait  l'ob- 
jet de  ses  complaisances  et  l'unique  sujet  de  tous 
ses  travaux. 

Jésus  a  aimé  la  vérité.  Engendré  par  la  con- 
naissance de  la  vérité ,  vérité  lui-même ,  principe 
avec  le  Père  de  l'Esprit  qui  est  appelé  l'hlsprit 
de  vérité ,  parce  qu'il  procède  de  l'amour  d'icelle , 
la  charité  a  pressé  Jésus  de  sortir  du  sdn  de  soa 


»  U    Cur.\,  li.  15 


470 


PANEGYRIQUE 


Père  pour  manifester  la  vérité,  pour  la  rendre 
{Sensible  et  palpable  :  Unigenitus  Filius ,  qui  est 
in  sinu  Patris,  ipse enarravit  '.  Quiconque  aime 
la  vérité,  la  veut  publier,  et  la  veut  faire  régner. 
«  La  vérité  est  une  vierge,  mais  sa  pudeur  est 
X  de  n'être  pas  découverte  :  »  Nihil  veritas  eni- 
bescit,  nisi  solummodo  ahscondi  ».  Quand  on  est 
animé  de  son  amour,  on  est  pressé  delà  publier  : 
Charitas  Christi  urget  nos. 

PREMIER    POINT. 

Paul  ayant  connu  la  vérité ,  il  ne  va  point  aux 
apôtres,  qui  la  savaient,  mais  il  la  prêche  en 
Arabie,  à  Damas,  montrant  que  celui-ci  était 
Jésus.  Voyez  comme  il  est  pressé  de  la  découvrir  : 
Jncitabatur  spiritus  cjus  in  ipso,  videns  idolo- 
latriœ  deditam  civitatem^  :  «  Il  se  sentait  ému 
«  au  dedans  de  lui-même,  eu  voyant  que  cette 
'.  ville  était  livrée  à  l'idolâtrie.  «  Mais  Paul  mon- 
tre la  vérité  toute  nue,  sans  fard,  sans  aucun 
de  ces  ornements  d'une  sagesse  mondaine  :  il  la 
prêche  avec  une  éloquence  qui  tire  sa  force  de 
sa  simplicité  toute  céleste. 

Pour  prêcher  la  vérité  avec  autorité,  il  la 
prêche  dans  un  esprit  d'indépendance;  et  pour 
cela,  il  ne  veut  rien  tirer  de  personne  :  il  impose 
à  ses  propres  mains  la  charge  de  lui  fournir  tout 
ce  qui  lui  est  nécessaire.  Et,  en  effet,  pour  prê- 
cher la  vérité  il  faut  un  cœur  de  roi,  une  gran- 
deur d'âme  royale:  Egoautem  conslitiUus  sum 
rex  ab  eo  super  Sion  moiitem  sanctum  ejiis , 
prœdicans  prœceptutn  ejus  ^  :  «  J'ai  été  établi 
«  roi  sur  Sion  sa  montagne  sainte,  afm  d'annon- 
«  cer  ses  ordonnances  ;  »  et  si  cette  noble  fonc- 
tion ne  demande  pas  qu'on  soit  roi  par  l'autorité 
du  commandement,  du  moins  exige-t-elle  qu'on 
soit  roi  par  indépendance.  C'est  pourquoi  saint 
Paul  se  rend  indépendant  de  tout;  et  s'étant 
mis  en  état  de  n'avoir  besoin  de  rien  %  «  il  va 
«  reprenant  tout  homme  à  temps  et  à  contre- 

«  temps,  »  corripientes  omnem  hominem 

opportune,  importune  ^.  Il  s'était  mis  en  état  de 
ne  se  réjouir  du  bien  qu'on  lui  faisait ,  que  pour 
l'amour  de  ceux  qui  le  faisaient  7. 

SECOND    POINT. 

Jésus  a  aimé  la  croix,  et  a  toujours  témoigné 
une  grande  avidité  pour  les  souffrances.  Paul 
aimait  la  croix  pour  se  conformer  à  Jésus,  et 
pour  faire  régner  Jésus.  Aussi  ce  sont  ses  soiU- 

«  Joan.  1,  18. 

»  Terlull.  adv.  Falenlin.  n°  3. 

»  .4a  XVII,  16. 

»  Ps.  Il ,  a. 

»  Colons.  1 ,  28. 
f>  îl.  Tim.  IV,  a. 

•k  Pfiilem.  7 


frances  qui  ouvrent  la  porte  à  l'Evangile,  dans 
les  différents  lieux  où  il  prêche  '.  Les  moments 
de  souffrance  sont  des  moments  précieux.  Dans 
les  autres  occasions,  la  bouche  seule  loue  :  parmi 
'ss  souffrances,  et  tout  le  corps  affligé  j  et  tout 
le  cœur  abattu  sous  la  main  de  Dieu,  et  tout 
l'esprit  assujetti  aux  lois  de  sa  volonté  se  tour- 
nent en  langues  pour  célébrer  la  grandeur  de  sa 
souveraineté  absolue,  et  sa  miséricorde,  et  sa 
justice. 

TROISIÈME   POINT. 

Qui  peut  dire  combien  saint  Paul  a  aimé 
l'Eglise?  Trois  choses  nous  montrent  assez  à 
quel  haut  degré  son  amour  pour  l'Église  était 
porté  :  l'empressement  de  la  charité  de  l'apôtre 
pour  ses  frères,  la  tendresse  de  sa  charité  pour 
chacun  d'eux,  l'étendue  de  sa  charité  pour  tous 
les  membres  qui  composent  l'Église.  Ainsi  c'est 
avec  grande  raison  que saintChrysostôme, frappé 
du  zèle  étonnant  de  l'apôtre ,  et  de  son  immense 
charité,  dit  que  Paul,  par  sa  grande  sensibilité 
sur  les  intérêts  de  l'Église ,  en  était  non-seulement 
le  cœur,  cor  Ecclesiœ  m  ais  qu'il  s'affectait  aussi 
vivement  sur  les  bienset  les  maux  de  toutle  corps, 
que  s'il  eût  été  l'Église  entière  :  Quasi  ipse  uni^ 
versa  esset  orbis  Ecclesia. 


PANEGYRIQUE 

DE 

SAINT  VICTOR, 

PRONONCÉ  A  PARIS,  DANS  L' ABBAYE  DE  CE  NOM,  EN  1657. 

Mépris  des  idoles,  conversion  de  ses  propres  gardes  ,  effu- 
sion de  son  sang;  trois  manières  dont  saint  VictoT  fait  triom- 
pher Jésus-Christ.  Comment  nous  devons  l'imiter. 


Hœc  est  Victoria  quœ  vincit  mundum,fides  nostra. 

La  victoire  qui  surmonte  le  monde ,  c'est  notre  foi.  /.  Joan. 
V,  4. 

Quand  je  considère ,  messieurs ,  tant  de  sortes 
de  cruautés  qu'on  a  exercées  sur  les  chrétiens, 
pendant  l'espace  de  quatre  cents  ans,  avec  une 
fureur  implacable,  je  médite  souvent  en  moi- 
même  pour  quelle  cause  il  a  plu  à  Dieu ,  qui 
pouvait  choisir  des  moyens  plus  doux ,  qu'il  en 
ait  coûté  tant  de  sang  pour  établir  son  V^\\%%. 
En  effet ,  si  nous  consultons  la  faiblesse  humaine, 
il  est  malaisé  de  comprendre  comment  il  a  pu 
se  résoudre  à  souffrir  qu'on  lui  immolât  tant  de 
martyrs,  lui  qui  avait  rejeté  dans  sa  nouvelle 

1  I.  ïVKis.  Il ,  \    2, 


DE  SALNT  VICTOR. 


4T1 


I 


nlliaace  les  sacrifices  sanglants;  et  après  avoir 
épargné  le  sang  des  taureaux  et  des  boucs,  il  y 
a  sujet  de  sétouner  qu'il  se  soit  plu ,  durant  tant 
(le  siècles,  à  voir  verser  celui  des  hommes,  et 
encore  celui  de  ses  serviteurs,  par  tant  d'étran- 
ges supplices.  Et  toutefois,  chrétiens,  tel  a  été 
le  conseil  de  sa  providence;  et  je  ne  crains  point 
lie  vous  assurer  que  c'est  un  conseil  de  miséri- 
corde. Dieu  ne  se  plait  pas  dans  le  sang  ;  mais 
il  se  plait  daus  le  spectacle  de  la  patience.  Dieu 
n'aime  pas  la  cruauté,  mais  il  aime  une  vertu 
éprouvée;  et  s'il  la  fait  passer  par  un  examen 
laborieux,  c'est  qu'il  sait  qu'il  a  le  pouvoir  de  la 
recompenser  selon  ses  mérites.  Si  saint  Victor 
avait  moins  souffert,  sa  foi  n'aurait  pas  montré 
toute  sa  vigueur;  et  si  les  tyrans  l'avaient  épar- 
gné ,  ils  lui  auraient  envié  ses  couronnes.  Dieu 
nous  propose  le  ciel  comme  uue  place  qu'il  veut 
qu'on  lui  enlève  et  qu'on  emporte  de  force;  afin 
que  non  contents  du  salut  nous  aspirions  encore 
a  la  gloire ,  et  qu'étant  non-seulement  échappés 
lies  mains  de  nos  ennemis,  mais  encore  ayant 
surmonte  toute  leur  puissance,  nous  puissions 
dire  avec  l'apôtre  :  Hœc  est  Victoria  qiice  vincit 
tnundum,  jides  nostra. 

Pour  prendre-  ces  sentiments  généreux  s'il  ne 
fallait  que  de  grands  exemples ,  j'espérerais  quel- 
que effet  extraordinaire  de  celui  de  l'invincible 
Victor,  dont  la  constance  s'est  signalée  par  un 
martyre  si  mémorable  :  mais  comme  ces  nobles 
désirs  ne  naissent  pas  de  nous-mêmes ,  recourons 
à  celui  qui  les  inspire ,  et  demandons-lui  son  Es- 
prit par  l'intercession  de  la  sainte  Vierge.  Ave. 

Comme  c'est  le  dessein  du  Fils  de  Dieu  de  n'a- 
voir dans  sa  compagnie  que  des  esprits  coura- 
geux ,  il  ne  leur  propose  aussi  que  de  grands  ob- 
jets et  des  espérances  glorieuses:  il  ne  leur  parle 
que  de  victoires  :  partout  il  ne  leur  promet  que 
des  couronnes,  ettoujoursil  les  entretient  defortes 
pensées.  Entre  tous  les  fidèles  de  Jésus-Christ,  ceux 
qui  se  sont  le  plus  remplis  de  ces  sentiments  ce 
sont  les  bienheureux  martyrs,  que  nous  pouvons 
appeler  les  vrais  conquérants  et  les  vrais  triom- 
phateurs de  l'Église.  Encore  que  leurs  victoires 
aient  des  circonstances  sans  nombre  qui  en  relè- 
vent l'éclat ,  néanmoins  la  gloire  qu'ils  se  sont  ac- 
quise dépend  principalement  de  trois  choses,  dont 
la  première  est  la  cause  de  leur  martyre ,  la  se- 
conde le  fruit,  la  troisième  la  perfection.  La  cause 
de  leur  martyre,  c'a  été  le  mépris  des  idoles.  Le 
fruit  de  leurs  souffrances  et  de  leur  martyre,  ça 
été  la  conversion  des  peuples;  et  enfin  ce  qui  en 
a  /ait  la  perfection,  c'est  qu'ils  ne  se  sont  pas  épar- 
gnés eux-mêmes,  et  qu'ils  ont  signalé  leur  fidélité 
gar  feffusiou  de  leur  sang.  Voilà  ce  que  j'appelle 


la  perfection,  suivant  cette  parole  de  l'Evau- 
gile  :  '<  Il  n'y  a  point  de  charité  plus  grande,  que 
'<  de  donner  sa  vie  pour  ceux  qu'on  aime  :  "  31n- 
jorem  cimritatem  nemohabet,ut  animain  suum 
ponat  quispro  amicis  suis  '. 

C'est,  ce  me  semble ,  de  ces  trois  chefs  que  se 
doit  tirer  principalement  la  gloire  des  saints  mar- 
tyrs, et  c'est  aussi  sur  ce  fondement  que  je  pré- 
tends appuyer,  messieurs,  celle  de  l'invincible 
Victor,  patron  de  cette  célèbre  abbaye.  Il  fut 
produit  devant  les  idoles  par  l'ordre  des  juges 
romains ,  afin  qu'il  leur  offrît  de  l'encens;  et  non 
content  de  le  refuser  avec  une  fermeté  inébran- 
lable, d'un  coup  de  pied  qu'il  leur  donne  il  les 
renverse  par  terre.  C'est  pour  cette  cause  qu'il 
a  enduré  de  si  cruels  supplices.  Mais  c'est  peu 
pour  le  Dieu  vivant,  qu'on  ait  fait  tomber  à  ses 
pieds  des  idoles  muettes  et  inanimées;  c'est  uue 
trop  faible  victoire  :  ce  qui  le  touche  le  plus, 
c'est  que  les  hommes ,  ses  vives  images ,  sur  les- 
quels il  a  empreint  les  traits  de  sa  face ,  adorent 
ces  images  mortes,  par  lesquelles  une  ignorance 
grossière  a  entrepris  de  figurer  sa  divinité.  Vic- 
tor généreux ,  Victor  après  avoir  détruit  ces  vains 
simulacres,, travaille  à  lui  gagner  les  hommes, 
ses  vivantes  images  :  VMetor  s'y  applique  de  toute 
sa  force;  et  j'apprends  de  l'historien  de  sa  vie, 
que  pendant  qu'il  a  été  prisonnier  il  a  heureuse- 
ment convertises  gardes,  il  a  fidèlement  confirmé 
ses  frères.  Peut-il  mieux  servir  Dieu  et  avec  plus 
de  fi-uit,que  de  travailler  si  utilement  à  retenir  ses 
troupes  dans  la  discipline,  et  même  à  les  fortifier 
de  nouveaux  soldats,  pendant  que  la  puissance 
ennemie  tâche  de  les  dissiper  par  la  crainte?  C'est 
le  fruit  de  cet  illustre  martyre  ;  mais  ce  qui  en  a 
fait  la  perfection,  c'est  que  l'invincible  Victor, 
non  content  d'avoir  si  bien  conduit  au  combat  la 
milice  du  Fils  de  Dieu,  a  encore  payé  de  sa  per- 
sonne ,  en  mourant  pour  l'amour  de  lui  dans  des 
tourments  sans  exemple ,  et  lui  a  sacrifie  sa  vie. 
C'est  ainsi  qu'il  a  surmonté  le  monde ;etce  qu'il 
prétend  par  cette  victoire  c'est  de  faire  triom- 
pher Jésus-Christ. 

En  effet  vous  triomphez,  ô  Jésus!  et  Victor 
fait  éclater  aujourd'hui  votre  souveraine  puis- 
sance sur  les  fausses  divinités,  sur  vos  élus,  sur 
lui-même:  sur  les  fausses  divinités,  en  les  détrui- 
sant devant  vous  ;  sur  ceux  que  vous  avez  choi- 
sis, en  les  affermissant  dans  votre  service  ;  et  enfin 
sur  lui-même,  en  s'immolant  tout  entier  à  votre 
gloire.  C'est  ce  qu'a  fait  le  grand  saint  Victor, 
c'est  ce  qui  doit  aujourd'hui  vous  servir  dexem- 
ple  ;  et  Dieu  veuille  que  je  vous  propose  aveo 
tant  de  force  les  victoires  de  ce  saint  martyr,  qua 

•  Joan.  3LV,  13 


472 


PANÉGYRIQUE 


vous  soyez  enflammés  de  la  même  ardeur  de  vain- 
cre le  monde  ! 

PREMIER   POINT. 

Quel  est  ce  concours  de  peuple  que  je  vois  fon- 
dre de  toutes  parts  en  la  place  publique  de  Mar- 
seille? quel  spectacle  lesy  attire?quelle  nouveauté 
les  y  mène?  Mais  quel  est  cet  homme  intrépide 
que  je  vois  devant  cette  idole ,  et  que  l'on  presse , 
par  tant  de  menaces ,  de  lui  présenter  de  l'encens , 
sans  pouvoir  fléchir  sa  constance  ni  ébranler  sa 
résolution?  Sans  doute  c'est  cet  illustre  Victor, 
la  fleur  de  la  noblesse  de  Marseille ,  qui ,  étant 
pressé  de  se  déclarer  sur  le  sujet  de  la  religion, 
a  confessé  hautement  la  foi  chrétienne  en  pré- 
sence de  toute  l'armée,  dans  laquelle  il  avait 
servi  avec  tant  de  gloire,  et  a  renoncé  volontai- 
rement à  l'épée,  au  baudrier  et  aux  autres  mar- 
ques de  la  milice ,  si  considérables  par  tout  l'em- 
pire ,  si  convenables  à  sa  condition ,  pour  porter 
les  caractères  de  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  ,  des 
chaînes  aux  pieds  et  aux  mains,  et  des  blessures 
dans  tout  le  corps  déchiré  cruellement  par  mille 
supplices.  Car  depuis  ce  jour  glorieux,  auquel 
notre  invincible  martyr  préféra  les  (^probres  de 
Jésus-Christ  aux  honneurs  de  la  milice  romaine, 
on  n'a  cessé  de  le  tourmenter  par  des  cruautés 
inouies,  sans  lui  donner  aucun  relâche,  et  on  lui 
prépare  encore  de  plus  grands  tourments. 

Mais  avant  que  de  l'exposer  aux  nouvelles 
peines  qu'une  fureur  inventive  a  imaginées,  les 
magistrats  résolurent  de  lui  présenter  publique- 
ment la  statue  de  leur  Jupiter.  Ils  espéraient , 
messieurs,  que  son  corps  étant  épuisé  par  les 
souffrances  passées ,  et  son  esprit  troublé  par  la 
crainte  des  maux  à  venir,  dont  l'on  exposait  à 
*ies  yeux  le  grand  et  terrible  appareil  ;  la  faiblesse 
humaine  abattue ,  pour  détoui-ner  l'effort  de  cette 
tempête ,  laisserait  enfin  échapper  quelque  petit 
signe  d'adoration.  C'en  était  assez  pour  les  satis- 
faire ;  et  ils  avaient  raison  de  se  contenter  des 
plus  légères  grimaces,  sachant  bien  qu'un  homme 
qui  peut  se  résoudre  à  n'être  chrétien  qu'à  demi 
cesse  entièrement  de  l'être ,  et  que ,  le  cœur  ne  se 
pouvant  partager  entre  la  vérité  et  l'erreur,  toute 
la  foi  est  renversée  par  la  moindre  démonstration 
d'infidélité. 

Voilà  donc  notre  saint  martyr  devant  l'idole 
de  ce  Jupiter,  père  prétendu  des  dieux  et  des 
hommes.  Tout  le  peuple  se  prosterne  à  terre;  et 
cette  multitude  aveugle,  qui  ne  craint  pas  les 
coups  de  la  main  de  Dieu ,  tremble  devant  l'ou- 
vrage de  la  main  des  hommes.  Grand  et  admi- 
rable Victor,  truelles  furent  alors  vos  pensées? 
Tel  les  que  le  Saint-Esprit  nous  les  représente  dans 
le  coeur  du  divin  apôtre  :  Jncitabalur  spirilus 


ejus  in  yjso,  viâens  khlolalriœ  dedilam  civi- 
latem  '  :  «  Son  esprit  était  pressé  et  violenté  en 
«  lui-même,  voyant  cette  multitude  idolâtre  :  » 
ce  spectacle  lui  était  plus  dur  que  tous  ses  sup- 
plices. Tantôt  il  levait  les  yeux  au  eiel  :  tiuitôt 
il  les  jetait  sur  ce  peuple  avec  une  tendre  com- 
passion de  son  aveuglement  déplorable.  Sont-ce 
là,  disait-il,  ôDieu  vivant  !  sont-ce  là  les  dieux 
que  l'on  vous  oppose?  Quoi!  est-il  possible  qu'on 
se  persuade  que  je  puisse  abaisser  devant  cette 
idole  ce  corps  qui  est  destiné  pour  être  votre  vic- 
time ,  et  que  vous  avez  déjà  consacré  par  tant 
de  souffrances?  Là,  plein  de  zèle  et  de  jalousie 
pour  la  gloire  du  Dieu  des  armges,  et  saintement 
indigné  qu'on  le  crût  capabied'une  lachetési  hon- 
teuse ,  il  tourne  sur  cette  idole  un  regard  sévère , 
et  d'un  coup  de  pied  il  la  renverse  devant  tout  ce 
peuple  qui  se  prosternait  à  ses  pieds  :  il  la  brise, 
il  la  foule  aux  pieds  ;  et  il  surmonte  le  monde  en 
détruisant  les  divinités  qu'il  élève  contre  le  vrai 
Dieu ,  qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre.  Une  voix  reten- 
tit de  toutes  parts  :  Qu'on  vengel'injure  des  dieux 
immortels.  Mais  pendant  que  les  juges  irrités 
exercent  leur  esprit  cruelà  inventer  de  nouveaux 
supplices,  et  que  Victor  attend  d'un  visage  égal 
la  fin  de  leurs  délibérations  tragiques,  rentrons 
en  nous-mêmes,  messieurs,  et  tirons  quelque 
instruction  de  cet  acte  de  piété  héroïque. 

Ne  nous  persuadons  pas  que  l'idolâtrie  soit  dé- 
truite, sous  prétexte  que  nous  ne  voyoïis  plus 
parmi  nous  ces  idoles  grossières  et  matérielles 
que  l'antiquité  aveugle  adorait.  Il  y  a  une  idolâ- 
trie spirituelle,  qui  règne  encore  par  toute  la 
terre.  Il  y  a  des  idoles  cachées ,  que  nous  adorons 
en  secret  au  fond  de  nos  cœurs;  et  ce  que  saint 
Paul  a  dit  de  l'avarice  %  que  c'était  un  culte  di- 
doles ,  se  doit  dire  de  la  même  sorte  de  tous  les 
autres  péchés  qui  nous  captivent  sous  leur  tyran- 
nie. De  là  vient  ce  beau  mot  de  Tertullien,  que 
<■  le  crime  de  l'idolâtrie  est  tout  le  sujet  du  juge- 
«  ment  :  »  Tota causa judicii ,  idololatria  •'.Quoi 
donc,  est-il  véritable  que  Dieu  ne  jugera  que  les 
idolâtres ,  et  tous  les  autres  pécheurs  jouiront-ils 
de  l'impunité?  Chrétiens,  ne  le  croyez  pas  :  ce 
n'est  pas  le  dessein  de  ce  grand  homme,  d'auto- 
riser tous  les  autres  crimes  ;  mais  c'est  qu'il  pré- 
tend qu'en  l'idolâtrie  tous  les  autres  sont  condam- 
nés; mais  c'est  qu'il  estime  que  l'idolâtrie  se 
trouve  dans  tous  les  crimes;  qu'elle  est  comme 
un  crime  universel,  dont  tous  les  autres  ne  sont 
que  des  dépendances.  Il  est  ainsi,  chrétiens  : 
nous  sommes  des  idolâtres,  lorsque  nous  ser- 
vons à  nos  convoitises,  llumilions-uous  devant 


'  Jet.  XVII,  16. 
-  Kl) fies.  V,  5. 
•i  De  Idoloi.  a"  ï. 


DE  SAINT  VICTOR. 


473 


tiolie  Dieu,  d'être  coupables  de  ce  crime  énorme  ; 
et  aliu  de  bien  comprendre  cette  vérité ,  qui  nous 
doit  couvrir  de  confusion,  faisons  une  réflexion 
Rérieuse  sur  les  causes  et  sur  les  effets  de  l'idolâ- 
trie :  par  là  nous  reconnaîtrons  aisément  qu'il  y 
en  a  bien  peu  parmi  nous  qui  soient  tout  à  fait 
«xempts  de  ce  crime. 

Le  principe  de  l'idolâtrie ,  ce  qui  la  fait  régner 
dans  le  genre  humain ,  c'est  que  nous  nous  som- 
mes éloignés  de  Dieu ,  et  attachés  à  nous-mêmes  ; 
et  si  nous  savons  entendre  aujourd'hui  ce  que 
l'ait  eu  nous  cet  éloignement ,  et  ce  qu'y  produit 
cette  attache,  nous  aurons  découvert  la  cause 
évidente  de  tous  les  égarements  des  idolâtres. 
Ouand  je  dis  que  nous  nous  sommes  éloignés  de 
Dieu ,  je  ne  prétends  pas ,  chrétiens ,  que  nous  en 
ayons  perdu  toute  idée.  Il  est  vrai  que  si  l'homme 
avait  pu  éteindre  toute  la  connaissance  de  Dieu  , 
la  malignité  de  son  cœur  l'aurait  porté  à  cet  ex- 
cès. Mais  Dieu  ne  l'a  pas  permis  :  il  se  montre  à 
nos  esprits  par  trop  d'endroits,  il  se  grave  en  trop 
de  manières  dans  nos  cœurs  :  Non  sine  testimo' 
nio  semelipsum  reliqiiit  '.  L'homme  qui  ne  veut 
pas  le  connaître ,  ne  peut  le  méconnaître  entiè- 
rement ;  et  cet  étrange  combat  de  Dieu  qui  s'ap- 
proche de  l'homme,  de  Ihomme  qui  s'éloigne 
de  Dieu ,  a  produit  ce  monstrueux  assemblage 
que  nous  remarquons  dans  l'idolâtrie.  C'est  Dieu , 
et  ce  n'est  pas  Dieu  qu'on  adore  :  c'est  le  nom 
de  Dieu  qu'on  emploie ,  mais  on  en  détruit  la 
grandeur,  «  en  communiquant  à  la  créature  ce 
«  nom  incommunicable,  x  Incommunicabile  no- 
men  ^  ;  mais  on  en  perd  toute  l'énergie ,  en  ré- 
pandant sur  plusieurs  ce  quî  n'a  de  majesté  qu'en 
l'unité  seule. 

D'où  est  venu  ce  dessein  à  l'homme ,  sinon  de 
l'instinct  du  serpent  trompeur,  qui  a  dit  à  nos 
premiers  pères  :  «  Vous  serez  comme  des  dieux  ^  ?  » 
Saint  Basile  de  Séleucie  dit  que,  proférant  ces 
paroles,  il  jetait  dès  l'origine  du  monde  les  fon- 
dements de  l'idolâtrie  ^.  Car  dès  lors  il  commen- 
çait d'inspirer  à  l'homme  le  désir  d'attribuer  à 
d'autres  sujets  ce  qui  était  incommunicable,  et 
l'audace  de  multiplier  ce  qui  devait  être  toujours 
unique.  Vous  serez,  voilà  cette  injuste  commu- 
nication; des  dieux,  voilà  cette  multiplication 
injurieuse  :  tout  cela  pour  avilir  la  divinité.  Car 
comme  nul  autre  que  Dieu  ne  peut  soutenir  ce 
grand  nom;  le  commmùquer,  o^^st  le  détruire  : 
et  comme  toute  sa  force  est  dans  l'unité  ;  le  mul- 
tiplier, c'est  l'anéantir.  C'est  à  quoi  tendait  l'im- 
piété par  tant  de  divisions  et  tant  de  partages, 


'  --/c/.Xiv,  16. 

•  Sfip.  \IV,  21. 
î  Ctrn.  Ill»5. 

*  Oni?.  «I.  li'blialh.  Pair.  Liiqd.  t.  TUI,  pag.  i32. 


de  tourner  enfin  le  nom  de  Dion  en  dérision  ,  ce 
nom  auguste,  si  redoutable.  C'est  pourquoi,  après 
avoir  divisé  la  divinité,  premièrement  par  ses 
attributs,  secondement  par  ses  fonctions,  ensuite 
par  les  éléments  et  les  autres  parties  du  monde , 
dont  l'on  a  fait  un  partage  entre  les  aîné-s  et  les 
cadets,  comme  d'une  terre  ou  d'un  héritage,  on 
en  est  venu  à  la  fin  à  une  multiplication  sans  or- 
dre et  sans  bornes ,  jusqu'à  reléguer  plusieurs 
dieux  aux  foyers  et  aux  cuisines;  on  en  a  mis 
trois  à  la  seule  porte.  Aussi  saint  Augustin  repro- 
che-t-il  aux  païens  :  "  quau  lieu  qu'il  n'y  a 
n  qu'un  portier  dans  une  maison,  et  qu'il  suflil 
«  parce  quec'estunhomme;  les hommesont voulu 
«  qu'il  y  eût  trois  dieux  :  »  Unutn  quisqiie  domvi 
sîiœponit  ostiarium  ;  et  quia  homo  est ,  omnino 
sujficit  :  très  deos  isti  posuerunt  '.  A  quel  des- 
sein tant  de  dieux,  sinon  pour  dégrader  ce  grand 
nom,  et  en  avilir  la  majesté?  Ainsi  vous  voyez, 
chrétiens ,  que  l'homme  s'étant  éloigné  de  Dieu , 
ce  qu'il  n'a  pu  entièrement  abolir,  je  veux  dire 
son  nom  et  sa  connaissance,  il  l'a  obscurci  par 
l'erreur,  il  l'a  corrompu  par  le  mélange,  il  l'a 
anéanti  par  le  partage. 

Mais  passons  encore  plus  loin ,  et  remarquons 
maintenant  que  ce  qui  l'a  poussé  à  ces  erreurs 
c'est  un  désir  caché  qu'il  a  dans  le  cœur  de  se 
déifier  soi-même.  Car  depuis  qu'il  eut  avalé  ce 
poison  subtil  de  la  flatterie  infernale  :  •<■  Vous  se- 
«  rez  comme  des  dieux  :  «  s'il  avait  pu  ouverte- 
ment se  déclarer  Dieu,  son  orgueil  se  serait  emporté 
jusqu'à  cet  excès.  Mais  se  dire  Dieu,  chrétiens, 
et  cependant  se  sentir  mortel,  l'arrogance  la  plus 
aveugle  en  aurait  eu  honte.  Et  de  là  vient ,  mes- 
sieurs ,  je  vous  prie  d'observer  ceci  en  passant , 
que  nous  lisons  dans  l'histoire  sainte  *  que  le  roi 
Nahuchodonosor  exigeant  de  son  peuple  les  hon- 
neurs divins  n'osa  les  demander  pour  sa  personne, 
et  ordonna  qu'on  les  rendît  à  sa  statue.  Quel  pri- 
vilège avait  cette  image,  pour  mériter  l'adoration 
plutôt  que  l'original?  Nul  sans  doute;  mais  il 
agissait  ainsi  par  un  certain  sentiment  que  cette 
présence  d'un  homme  mortel,  incapable  de  sou- 
tenir les  honneurs  divins,  démentirait  trop  visi- 
blement sa  prétention  extravagante.  L'homme 
donc  étant  empêché  par  sa  misérable  mortalité, 
conviction  trop  manifeste  de  sa  faiblesse,  de  se 
porter  lui-même  pour  Dieu,  et  tâchant  néan- 
moins, autant  qu'il  pouvait,  d'attacher  la  divi- 
nité à  soi-même,  il  lui  a  donné  premièrement  une 
fonne  humaine  ;  ensuite  il  a  adoré  ses  propres  ou- 
vrages ;  après  il  a  fait  des  dieux  de  ses  passions; 
il  en  a  fait  même  de  ses  vices.  EnHii  ne  pouvant 
s'égaler  à  Dieu,  il  a  voulu  mettre  Dieu  au-des- 

'  De  Civil.  Dei,  lib.  IV,  c;>p.  viil,  t.  vil    col.  U4 

•  DtIH.  m ,  h. 


474 

SOUS  de  lui,  il  a  prodigué  le  nom  de  Dieu, 
jusqu'à  le  donner  aux  animaux  et  aux  plus  indi- 
gnes reptiles.  Et  cela  pour  quelle  raison,  sinon 
pour  secouer  le  joug  de  son  Souverain  ;  afin  que 
la  majesté  de  Dieu  étant  si  étrangement  avilie , 
et  riiomme  n'ayant  plus  devant  les  yeux  ni  l'au- 
torité de  son  nom,  ni  les  conduites  de  sa  provi- 
dence, ni  la  crainte  de  ses  jugements ,  n'eût  plus 
d'autre  règle  que  sa  volonté ,  plus  d'autres  gui- 
des que  ses  passions,  et  enfin  plus  d'autres  dieux 
que  lui-même?  c'est  à  quoi  aboutissaient  à  la  fin 
toutes  les  inventions  de  l'idolâtrie. 

C'est  ce  qui  a  porté  le  grand  saint  Victor  à  ren- 
verser avec  tant  de  zèle  les  idoles,  par  lesquelles 
les  hommes  ingrats  tâchaient  de  renverser  le  trône 
de  Dieu  pour  n'adorer  que  leurs  fantaisies.  Mais 
revenez ,  illustre  martyr  :  d'autres  idoles  se  sont 
élevées ,  d'autres  idolâtres  remplissent  la  terre  ; 
et  sous  la  profession  du  christianisme ,  ils  pré- 
sentent de  l'encens  dans  leur  conscience  à  de 
fausses  divinités.  Et  certainement,* chrétiens, 
s'il  est  vrai,  comme  je  l'ai  dit,  que  l'aliénation 
d'avec  Dieu  et  l'attachement  à  nous-mêmes  sont 
la  cause  de  l'idolâtrie;  si  d'ailleurs  nous  recon- 
naissons en  nous  ces  deux  vices ,  et  si  fortement 
enracinés ,  comment  pouvons-nous  nous  persua- 
der que  nous  soyons  exempts  de  ce  crime,  dont 
nous  portons  la  source  en  nous-mêmes  ?  Non ,  non, 
mes  frères ,  ne  le  croyons  pas  :  l'idolâtrie  n'est 
pas  renversée  ;  elle  n'a  fait  que  changer  de  forme, 
elle  a  pris  seulement  un  autre  visage. 

Cœur  humain ,  abîme  infini ,  qui  dans  tes  pro- 
fondes retraites  caches  tant  de  pensées  différen- 
tes, qui  s'échappent  souvent  à  tes  propres  yeux , 
si  tu  veux  savoir  ce  que  tu  adores  et  à  qui  tu  pré- 
sentes de  l'encens,  regarde  seulement  où  vont  tes 
désirs  :  car  c'est  là  l'encens  que  Dieu  veut ,  c'est 
le  seid  parfum  qui  lui  plaît.  Où  vont-ils  donc  ces 
désirs?  de  quel  côté  prennent-ils  leur  cours  ?  où 
be  tourne  leur  mouvement?  Tu  le  sais,  je  n'ose  le 
dire;  mais  de  quelque  côté  qu'ils  se  portent,  sa- 
che que  c'est  là  ta  divinité  :  Dieu  n'a  plus  que  le 
nom  de  Dieu;  cette  créature  en  reçoit  l'hom- 
mage, puisqu'elle  emporte  l'amour  que  Dieu  de- 
mande. Mais  comme  nous  avons  vu  dans  l'ido- 
lâtrie, que  l'homme,  s'étant  une  fois  donné  la 
licence  de  se  faire  des  dieux  à  sa  mode,  les  a 
Kudtipliés  sans  aucune  mesure,  il  nous  en  arrive 
tous  les  jours  de  même  :  car  quiconque  s'éloigne 
de  Dieu;  l'indigence  de  la  créature  l'obligeant 
à  partager  sans  fin  ses  affections,  il  ne  se  con- 
tente pas  d'une  seule  idole.  Où  l'on  a  trouvé  le 
plaisir,  on  n'y  trouve  pas  lafortnae  ;  ce  qui  satis- 
fait l'avarice  ne  contente  pas  la  vanité  :  l'homme 
a  des  besoins  infinis;  et  chaque  créature  étant 
bornée ,  ce  que  l'une  ne  donne  pas  il  faut  néces- 


PANEGYRIQUE 


sairement  l'emprunlcr  de  l'autre.  Autant  d'ap- 
puis que  nous  y  cherchons ,  autant  nous  faisons- 
nous  de  maîtres;  et  ces  maîtres  que  nous  mettons 
sur  nos  têtes,  craindrons-nous  de  les  appeler  nos 
divinités?  Et  ne  sont-ils  pas  plus  que  nos  dieux, 
si  je  puis  parler  de  la  sorte ,  puisque  nous  les 
préférons  à  Dieu  même? 

Mais  pour  nous  convaincre,  messieurs, d'une 
idolâtrie  plus  criminelle,  considérons,  je  vous 
prie,  quelle  idée  nous  avons  de  Dieu.  Qui  de 
nous  ne  lui  donne  pas  une  forme  et  une  nature 
étrangère,  lorsqu'ayant  le  cœur  éloigné  de  lui, 
nous  croyons  néanmoins  l'honorer  par  certaines 
prières  réglées  que  nous  faisons  passer  sur  lo 
bord  des  lèvres  par  un  murmure  inutile?  et  celui 
qui  croit  l'apaiser  en  lui  présentant  par  aumô- 
nes quelque  partie  de  ses  rapines  ;  et  celui  qui 
observant  dans  sa  sainte  loi  ce  qu'il  trouve  de 
plus  conforme  à  son  humeur,  croit  par  là  s'ac- 
quérir le  droit  de  mépriser  impunément  tout  le 
reste  ;  et  celui  qui  multipliant  tous  les  jours  ses 
crimes,  sans  prendre  aucun  soin  de  se  convertir, 
ne  parle  que  de  pardon ,  et  ne  prêche  que  misé- 
ricorde :  en  vérité ,  messieurs ,  se  figure-t-il  Dieu 
tel  qu'il  est?  Eh  quoi  !  le  Dieu  des  chrétiens  est-ce 
un  Dieu  qui  se  paye  de  vaines  grimaces,  ou  qui 
se  laisse  corrompre  par  les  présents ,  ou  qui  souf- 
fre qu'on  se  partage  entre  lui  et  le  monde ,  ou 
qui  se  dépouille  de  sa  justice  pour  laisser  gou- 
verner le  monde  par  une  bonté  insensible  et  dé- 
raisonnable ,  sous  laquelle  les  péchés  seraient  im- 
punis? Est-ce  là  le  Dieu  des  chrétiens?  n'est-ce 
pas  plutôt  une  idole  formée  à  plaisir  et  au  gré  de 
nos  passions? 

Et  d'où  est  né  en  nous  ce  dessein ,  de  faire  Dieu 
à  notre  mode  ;  sinon  de  ce  vieux  levain  de  l'ido- 
lâtrie, qui  faisait  crier  autrefois  à  ce  peuple  : 
«  Faites-nous,  faites-nous  des  dieux ,  «  Fac  nobis 
deos^'i  Et  pourquoi  voulons-nous  faire  des  dieux 
à  plaisir,  sinon  pour  dépouiller  la  divinité  des 
attributs  qui  nous  choquent,  qui  contraignent  la 
liberté  ou  plutôt  la  licence  immodérée  que  nous 
donnons  à  nos  passions  ;  si  bien  que  nous  ne  défi- 
gurons la  divinité,  qu'afin  que  le  péché  triom- 
phe à  son  aise,  et  que  nous  ne  connaissions  plus 
d'autres  dieux  que  nos  vices,  et  nos  fantaisies, 
et  nos  inclinations  corroupues  ?  Dans  un  aveugle- 
ment si  étrange,  combien  faudrait-il  de  Victors 
pour  briser  toutes  les  idoles  par  lesquelles  nous 
excitons  Dieu  à  jalousie?  Chrétiens,  que  chacun 
détruise  les  siennes  :  soit  que  ce  soit  Vénus  et 
l'impureté,  soit  que  ce  soit  Mammone  et  l'ava- 
rice, donnons-leur  un  coup  de  pied  généreux  qui 
les  abatte  devant  Jésus-Christ;  car  à  quoi  nous 


ExL 


aWIU  l. 


DE  SAINT  VICTOR. 


47', 


«uraît  servi  de  baiser  ce  pied  vôncrable ,  sacré 
dépôt  de  cette  maison? 

0  pieil  de  l'illustre  Victor,  c'est  par  vos  coups 
puissants  que  l'idole  est  tombée  par  terre;  ce  ty- 
ran ,  qui  vous  a  coupé ,  a  cru  vous  immoler  à  son 
Jupiter  ;  mais  il  vous  a  consacré  à  Jésus-Clirist , 
et  n'a  fait  que  signaler  votre  victoire  !  C'est  l'hon- 
neur de  saint  ^  ictor,  qu'il  lui  ait  coûté  du  sang 
jour  l'aire  triompher  Jésus-Christ;  et  il  fallait 
pour  sa  gloire  qu'en  renversant  un  faux  dieu,  il 
offrît  un  sacriiice  au  véritable.  Mes  frères,  imi- 
tons cet  exemple  :  mais  portons  encore  plus  loin 
notre  zèle  ;  et  après  avoir  appris  de  Victor  à  dé- 
truire les  ennemis  de  Jésus-Christ,  apprenons 
<?ncore  du  même  martyr  à  lui  conserver  ses  ser- 
viteurs. Il  a  fait  l'un  et  l'autre  avec  courage  :  il 
a  renversé  par  terre  les  ennemis  du  Fils  de  Dieu  ; 
voyons  maintenant  comment  il  travaille  à  lui 
conserver  ses  serviteurs  :  c'est  ma  deuxième  par- 
tie. 

SECOND    POINT. 

C'est  un  secret  de  Dieu ,  de  savoir  joindre  en- 
semble l'affranchissement  et  la  servitude ,  et  saint 
Paul  nous  l'a  expliqué,  en  la  première  épître 
aux  Corinthiens^  lorsqu'il  a  dit  ces  belles  paro- 
les: «  Leridèlequiestlibre,estserviteurde  Jésus- 
"  Christ  :  >>  Qui  in  Domino  vocalus  est  servus, 
libertus  est  Domini;  siiniliter  qui  liber  vocatus 
est  y  servus  est  Christi  ».  Ce  tempérament  mer- 
veilleux ,  qu'apporte  le  saint  apôtre  à  la  liberté 
par  la  contrainte ,  à  la  contrainte  par  la  liberté , 
est  plein  d'une  sage  conduite,  et  digne  de  l'Es- 
prit de  Dieu.  Celui  qui  est  libre,  messieurs,  a  be- 
soin qu'on  le  modère  et  qu'on  le  réprime;  et  ce- 
lui qui  est  dans  la  servitude  a  besoin  qu'on  le 
soutienne  et  qu'on  le  relève.  Saint  Paul  a  fait 
l'un  et  l'autre  en  disant  à  l'affranchi ,  qu'il  est  ser- 
viteur ;  et  au  serviteur,  qu'il  est  affranchi .  Par  la 
première  de  ces  paroles  il  donne  comme  un  con- 
tre-poids à  la  liberté,  de  peur  qu'elle  ne  s'em- 
porte :  il  semble ,  par  la  seconde ,  qu'il  lâche  la 
main  à  la  contrainte ,  de  peur  quelle  ne  se  laisse 
accabler;  et  il  nous  apprend  par  toutes  les  deux 
cette  vérité  importante,  que  le  chrétien  doit 
mêler  dans  toutes  ses  actions  et  la  liberté  et  la 
contrainte.  Jamais  tant  de  liberté,  que  nous  n'y 
donnions  toujours  quelques  bornes  qui  nous  con- 
traignent; et  jamais  tant  de  contrainte,  que  nous 
ne  nous  sachions  toujoui-s  conserver  une  sainte 
liberté  d'esprit,  et  joindre  par  ce  moyen  la  liberté 
et  la  servitude. 

Mais  cette  liberté  et  cette  contrainte,  qui  se 
trouvent  jointes  selon  l'esprit  dans  tous  les  véri- 


tables enfants  de  Dieu,  il  a  plu  à  !a  Providence 
qu'elles  fussent  unies  en  notre  martyr,  méniu 
selon  le  corps,  et  en  le  prenant  à  la  lettre.  Son 
historien  nous  apprend  une  paiticularité  remar- 
quable; c'est  qu'ayant  été  arrêté  par  l'ordre  de 
l'empereur  pour  la  cause  de  l'Évangile,  il  de- 
meurait captif  durant  tout  le  jour;  et  qu'un  ange 
le  délivrait  toutes  les  nuits  :  tellement  que  nous 
pouvons  dire  qu'il  était  prisonnier  et  libre.  Mais 
ce  qui  fait  le  plus  à  notre  sujet,  c'est  que ,  dans 
l'un  et  dans  l'autre  de  ces  deux  états,  il  travail- 
lait toujours  au  salut  des  âmes;  puisqu'ainsi  que 
nous  lisons  dans  la  même  histoire,  étant  renfermé 
dans  la  prison  il  convertissait  ses  propres  gardes, 
et  qu'il  «  n'usait  de  sa  liberté  que  {wur  affermir 
«  en  Jésus-Christ  l'esprit  de  ses  frères ,  »  ul  c/iri- 
stianorum  paventia  corda  confinnaret. 

Durant  le  temps  des  persécutions ,  deux  spec- 
tacles de  piété  édifiaient  les  hommes  et  les  anges; 
les  chrétiens  en  prison,  et  les  chrétiens  en  liberté 
qui  semblaient  en  quelque  sorte  disputer  ensem- 
ble à  qui  glorifierait  le  mieux  Jésus-Christ ,  quoi- 
que par  des  voies  différentes;  et  il  faut  que  je 
vous  donne  en  peu  de  proies  une  description  de 
leurs  exercices  :  mon  sujet  en  sera  éclairci ,  et 
votre  piété ,  édifiée.  Faisons  donc ,  avant  toutes 
choses,  la  peinture  d'un  chrétien  en  prison.' O 
Dieu ,  que  son  visage  est  égal  et  que  son  action 
est  hardie  !  mais  que  cette  hardiesse  est  modeste, 
mais  que  cette  modestie  est  généreuse  !  et  qu'il 
est  aisé  de  le  distinguer  de  ceux  que  leurs  crimes 
ont  mis  dans  les  fers  ;  qu'il  sent  bien  qu'il  souffre 
pour  la  bonne  cause ,  et  que  la  sérénité  de  ses  re- 
gards rend  un  illustre  témoignage  à  son  inno- 
cence! Bien  loin  de  se  plaindre  de  sa  prison,  il 
regarde  le  monde  au  contraire  comme  une  pri- 
son véritable.  IVon  ,  il  n'en  connaît  point  de  plus 
obscure ,  puisque  tant  de  sortes  d'erreurs  y  étei- 
gnent la  lumière  de  la  vérité;  ni  qui  contienne 
plus  de  criminels,  puisqu'il  y  en  a  presque  au- 
tant  que  d'hommes;  ni  de  fers  plus  durs  que  les 
siens ,  puisque  les  âmes  mêmes  en  sont  enchaî- 
nées; ni  de  cachot  plus  rempli  d'ordures,  par 
l'infection  de  tant  de  péchés.  Persuadé  de  cette 
pensée,  «  il  croit  que  ceux  qui  l'arrachent  du  mi. 
«  lieu  du  monde,  en  pensant  le  rendre  captif,  le 
"  tirent  d'une  captivité  plus  insupportable ,  et  ne 
«  le  jettent  pas  tant  en  prison  qu'ils  ne  l'en  déli- 
«  vrent  réellement  :  «  Si  recoyitemus  ipsum  ma- 
gis  mundum  carcerem  esse,  exisse  vos  e  car- 
cere,  quam  in  carcerem  introisse  intelligemus  ' . 

Ainsi  dans  ces  prisons  bienheureuses  dans  les. 
quelles  les  saints  martyre  étaient  renfermés,  ni 
les  plaintes,  ni  les  murmures,  ni  l'impatiercc. 


'  l.  Lui-.  V!|,  22 


*  2'iTtul.  ad  Mort,  n'  2. 


470 


PANÉGYRIQUE 


n'y  paraissaient  pas:  elles  devenaient  des  temples 
sacrés,  qui  résonnaient  nuit  et  jour  de  pieux  can- 
tiques. Leurs  gardes  en  étaient  émus;  et  il  arri- 
vait, pour  l'ordinaire,  qu'en  gardant  les  martyrs 
ils  devenaient  chrétiens.  Celui  qui  gardait  saint 
Paul  et  Silas  fut  baptisé  par  l'apôtre  '  :  les  gar- 
des de  notre  saint  se  donnèrent  à  Jésus-Christ  par 
son  entremise.  C'est  ainsi  que  ces  bienheureux  pri- 
sonniers avaient  accoutumé  de  gagner  leurs  gar- 
des ;  et  à  peine  en  pouvait-on  trouver  d'assez  durs 
pour  être  à  l'épreuve  de  cette  corruption  inno- 
cente. Mais  s'ils  travaillaient  à  gagner  leurs  gar- 
des, ce  n'était  pas  pour  forcer  leurs  prisons  ;  ils 
ne  tâchaient ,  au  contraire ,  de  les  attirer,  que 
pour  les  rendre  prisonniers  avec  eux ,  et  en  faire 
des  compagnons  de  leurs  chaînes.  Longin,  Alexan- 
dre et  Félicien ,  qui  étaient  les  gardes  de  saint 
Victor,  les  portèrent  avec  lui ,  et  sont  arrivés  de- 
vant lui  à  la  couronne  du  martyre.  0  gloire  de 
nos  prisonniers,  qui,  tout  chargés  qu'ils  étaient 
de  fers,  se  rendaient  maîtres  de  leurs  propres 
gardes,  pour  en  faire  des  victimes  de  Jésus- 
Christ  !  Voilà ,  messieurs ,  en  peu  de  paroles ,  la 
première  partie  du  tableau  ;  tels  étaient  les  chré- 
tiens en  prison. 

Mais  jetez  maintenant  les  yeux  sur  ceux  que  la 
fureur  publique  avait  épargnés  :  voici  quels  étaient 
leurs  sentiments.  Ils  avaient  honte  de  leur  liberté, 
et  se  la 'reprochaient  à  eux-rmêmes  :  mais  ils  en- 
traient fortement  dans  cette  pensée,  que  Dieu  ne 
les  ayant  pas  jugés  dignes  de  la  glorieuse  qualité 
de  ses  prisonniers,  il  ne  leur  laissait  leur  liberté 
que  pour  servir  ses  martyrs.  Prenez ,  mes  frères, 
ces  sentiments  que  doit  vous  inspirer  l'esprit  du 
christianisme,  et  faites  avec  moi  cette  réflexion 
importante.  Dieu  fait  un  partage  dans  son  Église  : 
quelques-uns  de  ses  fidèles  sont  dans  les  souffran- 
ces ;  les  autres  par  sa  volonté  vivent  ?.  leur  aise.  Ce 
partage  n'est  pas  sans  raison ,  et  ""oici  sans  doute 
le  dessein  de  Dieu.  Vous  qu'il  exerce  par  les  af- 
flictions, c'est  qu'il  veut  vous  faire  porter  ses 
marques  ;  vous  qu'il  laisse  dans  l'abondance ,  c'est 
([u'il  vous  réserve  pour  servir  les  autres.  Donc , 
ô  riches ,  ô  "puissants  du  siècle ,  tirez  cette  consé- 
(luence,  que  si ,  selon  l'ordre  des  lois  du  monde , 
les  pauvrfes  semblent  n'être  nés  que  pour  vous 
servir  ;  selon  les  lois  du  christianisme ,  vous  êtes 
nés  pour  servir  les  pauvres  et  soulager  leurs  né- 
cessités. 

C'est  ce  que  croyaient  nos  ancêtres ,  ces  pre- 
miers fldèles  ;  et  c'est  pourquoi ,  comme  j'ai  dit , 
ceux  qui  étaient  libres  pensaient  n'avoir  cette  li- 
berté que  pour  servir  leurs  frères  captifs,  et  ils 
leur  en  consacraient  tout  l'usage.  C'est  pourquoi, 


messieurs ,  les  prisons  publiques  étaient  le  com- 
mun rendez-vous  de  tous  les  fidèles  ;  nu  I  obstacle  ,. 
nulle  appréhension ,  nulle  raison  humaine  ne  les 
arrêtait  :  ils  y  venaient  admirer  ces  braves  soldats,, 
l'élite  de  l'armée  chrétienne  ;  et  les  regardant  avec 
foi  comme  destinés  au  martyre ,  martyres  desi- 
gnati  ',  ils  les  voyaient  tout  resplendissants  de 
l'éclatdecette  couronne  qui  pendait  déjàsur  leurs 
têtes ,  et  qui  allait  bientôt  y  être  appliquée.  Ils  les 
servaient  humblement  dans  cette  pensée,  ils  les 
encourageaient  avec  respect;  ils  pourvoyaient  à 
tous  leurs  besoins  avec  une  telle  profusion  ,  que 
souvent  même  les  infidèles  :  chose  que  vous  ju- 
gerez incroyable,  et  néanmoins  très-bien  avérée; 
souvent ,  dis-je,  les  infidèles  se  mêlaient  avec  les 
martyrs ,  pour  pouvoir  goûter  avec  eux  les  fruits 
de  la  charité  chrétienne  :  tant  la  charité  était 
abondante,  qu'elle  faisaittrouver  desdélices  même 
dans  l'horreur  des  prisons  ! 

Voilà,  mes  frères,  les  saints  emplois  qui  par- 
tageaient les  fidèles  durant  le  temps  des  persécu- 
tions. Que  vous  étiez  heureuse ,  ô  sainte  Église, 
de  voir  deux  si  beaux  spectacles  :  les  uns  souf- 
fraient pour  la  foi ,  les  autres  compatissaient  j)ar 
la  charité  ;  les  uns  exerçaient  la  patience ,  et  les 
autres  la  miséricorde;  dignes  certainement  les 
uns  et  les  autres  d'une  louange  immortelle  !  Car 
à  qui  donnerons-nous  l'avantage  :  le  travail  des 
uns  est  plus  glorieux  ,  la  fonction  des  autres  est 
plus  étendue  ;  ceux-là  combattent  les  ennemis , 
ceux-ci  soutiennent  les  combattants  mêmes.  Mais 
que  sert  de  prononcer  ici  sur  ce  doute;  puisque 
ces  deux  emplois  différents  que  Dieu  partage  en- 
tre ses  élus  ,  il  lui  a  plu  de  les  réunir  en  la  per- 
sonne de  notre  martyr?  Il  est  prisonnier  et  libre, 
et  il  plaît  à  notre  Sauveur  qu'il  remporte  la  gloire 
de  ces  deux  états.  Victor  désire  ardemment  l'hon- 
neur de  porter  les  marques  de  Jésus-Christ.  Voilà 
des  chaînes ,  voilà  des  cachots ,  voilà  une  som- 
bre prison  :  c'est  de  quoi  imprimer  sur  son  corps 
les  caractères  du  Fils  de  Dieu ,  et  les  livrées  de 
sa  glorieuse  servitude.  Mais  Victor,  accable  de 
fers ,  ne  peut  avoir  la  gloire  d'animer  ses  frères. 
Allez,  anges  du  Seigneur,  et  délivrez-le  toutes 
les  nuits,  pour  exercer  cette  fonction  qu'il  a  cou- 
tume de  remplir  avec  tant  de  fruit  :  faites  tom- 
ber ces  fers  de  ses  mains  ;  ôtez-lui  ces  chaînes  pe- 
santes ,  qu'il  se  tient  heureux  de  porter  pour  la 
gloire  de  l'Évangile.  Ah!  qu'il  les  quitte  à  regret, 
ces  chaînes  chéries  et  bien-aimées!  Mais  c'est 
pour  les  reprendre  bientôt.  Mais  c'est  trop  de  les 
perdre  un  moment  ;  n'importe ,  Victor  obéit.  Quoi- 
qu'il chérisse  sa  prison  ,  il  est  prêt  de  la  quitter 
au  premier  ordre;  il  n'a  d'atî'jchement  qa  à  lît 


Acl  w 


'  TcrluL  l'I  Mari,  a"  l. 


DE  SAINT  VICTOR. 


477 


volonté  de  son  Maîti-e  :  il  est  ce  clirélicn  géné- 
reux dont  parle  Tertullien  «  :  Christianus  etiam 
extra  carcerem  sœculo  renuniiavit ,  in  carcere 
etiam  carceri  :  -■  Le  chrétien  ,  môrae  hors  de  la 
■<  prison,  renonce  au  siècle;  et  eu  prison,  il  re- 
«  nonce  à  la  prison  même.  » 

Vous  jugerez  peut-être  que  ce  n'est  pas  une 
grande  épreuve ,  de  renoncer  à  une  prison  :  mais 
les  saints  martyrs  ont  d'autres  pensées  ;  et  ils  trou- 
\ent  si  honorable  d'être  prisonniers  de  Jésus- 
Christ  ,  qu'ils  ne  se  peuvent  dépouiller  sans  peine 
de  cette  nwrque  de  leur  servitude.  Ce  qui  console 
Victor,  c'est  qu'il  ne  sort  de  ses  fers  que  pour  con- 
soler les  fidèles,  pour  rassurer  leurs  esprits  flot- 
tants, pour  les  animer  au  martyre.  C'est  à  quoi 
il  passe  les  nuits  avec  une  ardeur  infatigable;  et 
après  un  si  utile  travail  il  vient  avec  joie  repren- 
dre ses  chaînes,  il  vient  se  reposer  dans  sa  prison, 
et  il  se  charge  de  nouveau  de  ce  poids  aimable 
que  la  foi  de  Jésus-Christ  lui  impose. 

Mes  frères ,  voilà  notre  exemple ,  telle  doit  être 
ja  liberté  du  christianisme.  Qui  nous  donnera,  ô 
•Jésus,  que  nous  nous  rendions  nous-mêmes  cap- 
tifs par  l'amour  de  la  sainte  retraite,  et  que  ja- 
mais nous  ne  soyons  libres  que  pour  courir  aux 
offices  de  la  charité  ?  Heureux  mille  et  mille  fois 
celui  qui  ne  trouve  l'usage  de  sa  liberté,  que  lors- 
que la  charité  l'appelle  î  Mais  si  nous  voulons 
garder  de  la  liberté  pour  les  affaires  du  monde , 
gardons-en  aussi  pour  celles  de  Dieu ,  et  n'en  per- 
dons pas  un  si  saint  usage.  0  mains  engourdies 
de  l'avare ,  que  ne  rompez- vous  ces  liens  de  l'a- 
varice ,  qui  vous  empêchent  de  vous  ouvrir  sur 
les  misères  du  pauvre!  que  ne  brisez-vous  ces 
liens  qui  ne  vous  permettent  pas  d'aller  au  se- 
cours ou  de  l'innocent  qu'on  opprime,  qu'une 
seule  de  vos  paroles  pourrait  soutenir,  ou  du  pri- 
sonnier qui  languit,  et  que  vos  soins  pourraient 
délivrer;  ou  de  cette  pauvre  famille  qui  se  dé- 
sespère ,  et  qui  subsisterait  largement  du  moindre 
retranchement  de  votre  luxe  !  Employez ,  mes- 
sieurs, votre  liberté  dans  ces  usages  chrétiens; 
consacrez-la  au  service  des  pauvres  membres  de 
Jésus-Christ.  Ainsi,  en  prenant  part  à  la  croix 
des  autres ,  vous  vous  élèverez  à  la  fin  à  cette 
grande  perfection  du  christianisme ,  qui  consiste 
à  s'immoler  soi-même  :  c'est  ce  qui  nous  reste  à 
considérer  dans  le  martyre  de  saint  Victor. 

TROISIÈME    POINT. 

Pour  tirer  de  l'utilité  de  cette  dernière  partie, 
ou  je  dois  vous  représenter  le  martyre  de  saint 
Victor,  je  vous  demande,  mes  frères,  que  vous 
n'arrêtiez  oas  seulement  la  vue  sur  tant  de  peines 

'  AiX  Mari,  n"  3. 


qu'il  a  endurées  ;  mais  que ,  remontant  en  esprit 
à  ces  premiers  temps  où  la  foi  s'établissait  par  tant 
de  martyres,  vous  vous  mettiez  vous- mêmes  à  l'é- 
preuve touchant  l'amour  de  la  croix ,  qui  est  la 
marque  essentielle  du  chrétien.  Trois  circonstan- 
ces principales  rendaient  la  persécution  épouvan- 
table. Premièrement,  on  méprisait  les  chrétiens; 
secondement ,  on  les  haïssait  :  Eritis  odio  omni- 
bus '  ;  enfin  la  haine  passait  jusfju'à  la  fureur  : 
parce  qu'on  les  méprisait ,  on  les  condamnait  sans 
procédures  ;  parce  qu'on  les  haïssait ,  on  les  fai- 
sait souffrir  sans  modération;  parce  que  la  haine 
allait  jusqu'à  la  fureur,  on  poussait  la  violence 
jusqu'au  delà  de  la  mort.  Ainsi ,  la  vengeance  pu  - 
blique  n'ayant  ni  formalité  dans  son  exercice ,  ni 
mesure  dans  sa  cruauté ,  ni  bornes  dans  sa  durée, 
nos  pères  en  étaient  réduits  aux  dernières  extré- 
mités. Mais  pesons  plus  exactement  ces  trois  cir- 
constances pour  la  gloire  de  notre  martyr,  et  la 
conviction  de  notre  lâcheté. 

J'ai  dit  premièrement,  chrétiens,  qu'on  ne 
gardait  avec  nos  ancêtres  aucune  formalité  de 
justice  parce  qu'on  les  tenait  pour  des  personnes 
viles,  dont  le  sang  n'était  d'aucun  prix  :  «  c'était 
«  la  balayuredu  monde,  »  omnium peripsema  *; 
ce  cjui  a  fait  dire  à  Tertullien  :  Christiani ,  des- 
tinatum  morti  genus  ^.  Savez-vous  ce  que  c'est 
que  les  chrétiens?  C'est,  dit-il,  «  un  genre  d'hora- 
«  mes  destiné  à  la  mort.  »  Remarquez  qu'il  ne 
dit  pas  condamné,  mais  destiné  à  la  mort;  parce 
qu'on  ne  les  condamnait  pas  par  les  formes , 
mais  plutôt  qu'on  les  regardait  comme  dévoués 
au  dernier  supplice  par  le  seul  préjugé  d'un  nom 
odieux  :  oves  occisionis,  comme  dit  l'apôtre  ^, 
«  des  brebis  de  sacrifices ,  des  agneaux  de  bou- 
«  chérie  ,  »  dont  on  versait  le  sang  sans  façon  et 
sans  procédures.  Si  le  Tibre  s'était  débordé,  si 
la  pluie  cessait  d'arroser  la  terre ,  si  les  Rarbares 
avaient  ravagé  quelque  partie  de  l'empire ,  les 
chrétiens  en  répondaient  de  leurs  têtes;  il  avait 
passé  en  proverbe  :  Cœlum  stetit,  causa  chri- 
stiani^ .  Pauvres  chrétiens  innocents,  on  ne  sait 
que  vous  imputer,  parce  que  vous  ne  vous  mêlez 
de  rien  dans  le  monde,  et  on  vous  accuse  de  ren- 
verser tous  les  éléments  ,  et  de  troubler  tout  l'or- 
dre de  la  nature  ;  et  sur  cela  on  vous  expose  aux 
bêtes  farouches,  parce  qu'il  a  plu  au  peuple  ro- 
main de  crier  dans  l'amphithéâtre  :  Christianos 
ad  léones  ^,  «  Qu'on  donne  les  chrétiens  aux 
••  lions  !  «  11  fallait  cette  victime  aux  dieux  im- 
mortels, et  ce  divertissement  au  peuple  irrité, 

*  3/a«A.  x,22. 

*  I.  Cor.  IV,  13. 

3  DeSpectac.  n"  I. 
«  Rom.  VIII ,  C6. 

*  Apolog.  n"  40. 
6  ÎO.d. 


4-S 


PANÉGYRIQUE 


peut-être  pour  le  délasser  des  sanglants  spectacles 
dc's  gladiateurs  par  quelque  objet  plus  agréable. 
Quoi  donc,  sans  formalité  immoler  une  si  grande 
multitude!  De  quoi  parlez-vous,  de  formalité? 
cela  est  bon  pour  les  voleurs  et  les  meurtriers  ; 
mais  il  n'en  faut  pas  pour  les  chrétiens,  âmes 
viles  et  méprisables ,  dont  on  ne  peut  assez  pro- 
diguer le  sang. 

Victor,  généreux  Victor,  quoi!  ce  sang  illus- 
tre qui  coule  en  vos  veines ,  sera-t-il  donc  ré- 
pandu avec  moins  de  forme  que  celui  du  dernier 
esclave?  Oui,  messieurs,  pour  professer  le  chris- 
tianisme il  fallait  avaler  toute  cette  honte;  mais 
voici  quelque  chose  de  bien  plus  terrible.  Ordinai- 
rement ceux  que  l'on  méprise,  on  ne  les  juge  pas 
dignes  de  colère;  et  ce  foudre  de  l'indignation 
ne  frappe  que  sur  les  lieux  élevés.  C'est  pourquoi 
David  disait  àSaiil  :  Qui  poursuivez- vous,  ô  roi 
d'Israël?  contre  qui  vous  irritez-vous?  «  Quoi,  un 
«  si  grand  roi  contre  un  ver  de  terre  !  »  Canem 
mortuum  persequeris  etpulicem  uniitn  '.  II  ne 
trouve  rien  de  plus  efficace  pour  se  mettre  à  cou- 
vert de  la  colère  de  ce  prince ,  que  de  se  repré- 
senter comme  un  objet  tout  à  fait  méprisable  :  et 
en  effet  on  se  défend  de  la  fureur  des  grands  par 
la  bassesse  de  sa  condition.  Les  chrétiens  toute- 
fois, bien  qu'ils  soient  le  rebut  du  monde,  n'en 
sont  pas  moins  le  sujet  non-seulement  de  la  haine, 
mais  encore  de  l'indignation  publique  ;  et  mal- 
gré ce  mépris  qu'on  a  pour  eux,  ils  ne  peuvent 
obtenir  qu'on  les  néglige.  Tout  le  monde  est 
armé  contre  leur  faiblesse;  et  voici  un  effet 
étrange  de  cette  colère  furieuse.  Dans  les  crimes 
les  plus  atroces,  les  lois  ont  ordonné  de  la  qualité 
du  supplice;  il  n'est  pas  permis  de  passer  outre  : 
elles  ont  bien  voulu  donner  des  bornes  même  à 
la  justice,  de  peur  de  lâcher  la  bride  à  la  cruauté. 
Il  n'y  avait  que  les  chrétiens  sur  lesquels  on  n'ap- 
préhendait point  de  faillir,  si  ce  n'est  en  les  épar- 
gnant :  «  il  leur  fallait  arracher  la  vie  par  toutes 
«  les  inventions  d'une  cruauté  raffinée ,  »  per 
atrociora  gênera  pœnarum ,  dit  le  grave  Ter- 

tuUien  ^. 

Car  considérez,  je  vous  prie,  ce  qu'on  n'a  pas 
inventé  contre  saint  Victor.  On  a  soigneusement 
ramassé  contre  lui  seul  tout  ce  qu'il  y  a  de  force 
dans  les  hommes ,  dans  les  animaux ,  dans  les 
machines  les  plus  violentes.  Qu'on  l'attache  sur 
le  chevalet,  et  qu'il  lasse  durant  trois  jours  des 
bourreaux  qui  s'épuisent  en  le  flagellant ,  qu'un 
cheval  fougueux  et  indompté  le  traîne  à  sa  queue 
par  toute  la  ville  ou  dans  les  revues  de  l'armée , 
AU  milieu  de  laquelle  il  a  paru  si  souvent  avec 
tant  d'éclat  ;  qu'il  laisse  par  toutes  les  rues  non- 


seulement  des  ruisseaux  de  sang,  mais  même  des 
lambeaux  de  sa  chair  :  encore  n'est-ce  pas  assez 
pour  assouvir  la  haine  de  ses  tyrans.  Que  veut- 
on  faire  de  cette  meule?  quel  monstre  veut-on 
écraser  et  réduire  en  poudre?  Quoi  !  c'est  l'inTio- 
cent  Victor  qu'on  veut  accabler  de  ce  poids,  qu'on 
veut  mettre  en  pièces  par  ce  mouvement  !  Eh  !  il 
ne  faut  pas  tant  de  force  contre  un  corps  humain, 
que  la  nature  a  fait  si  tendre  et  si  aisé  à  dissou- 
dre. Mais  la  haine  aveugle  des  infidèles  ne  pou- 
vait rien  inventer  d'assez  horrible  ;  et  la  foi  ar- 
dente des  chrétiens   ne   pouvait  rien  trouver 
d'assez  dur.  Invente  encore,  s'il  est  possible,  quel- 
que machine  inconnue,  ô  cruauté  ingénieuse!  si 
tu  ne  peux  abattre  Victor  par  la  violence ,  tâche 
de  l'étonner  par  l'horreur  de  tes  supplices.  Il  est 
prêt  à  en  supporter  tout  l'effort  ;  sa  patience  sur- 
montera toutes  tes  attaques.  «  Il  ne  reçoit  au- 
«  cune  blessure,  qu'il  ne  couvre  par  une  cou- 
«  ronne  ;  il  ne  verse  pas  une  goutte  de  sang  ,  qui 
n  ne  lui  mérite  de  nouvelles  palmes;  il  remporte 
«  plus  de  victoires,  qu'il  ne  souffre  de  violen- 
«  ces  :»  Coronapremitvulnera,  palma  sangui- 
nem  obxcurat,  plus  victoriarum  est  quant  inju- 
riarum  '.  Mais,  enfin,  la  matière  manque  : 
quoique  le  courage  ne  diminue  pas ,  il  faut  que  le 
corps  tombe  sous  les  derniers  coups.  Que  fera  la 
rage  des  persécuteurs?  Ce  qu'elle  a  fait  aux  autres 
martyrs,  dont  elle  poursuivait  les  corps  mutilés 
jusque  dans  le  sein  de  la  mort ,  jusque  dans  l'a- 
sile de  la  sépulture.  Elle  en  use  de  même  con- 
tre notre  saint;  et  lui  enviant  jusqu'à  un  tom- 
beau ,  elle  le  fait  jeter  au  fond  de  la  mer  :  mais , 
par  l'ordre  du  Tout-Puissant,  la  mer  officieuse 
rend  ce  dépôt  à  la  terre,  et  la  terre  nous  a  con- 
servé ses  os ,  afin  qu'en  baisant  ces  saintes  re- 
liques nous  y  pussions  puiser  l'amour  des  souf- 
frances :  car  c'est  ce  qu'il  faut  apprendre  des 
saints  martyrs  ;  c'est  le  fruit  qu'il  faut  remporter 
des  discours  que  l'on  consacre  à  leur  gloire. 

Mais ,  ô  croix ,  ô  tourments,  ô  souffrances,  les 
chrétiens  prêchent  et  publient  que  vous  faites 
toute  la  gloire  du  christianisme  :  les  chrétiens 
vous  révèrent  dans  les  saints  martyrs ,  les  chré- 
tiens vous  louent  dans  les  autres  ;  et  par  une 
lâcheté  sans  égale,  aucun  ne  vous  veut  pour  soi- 
même  :  et  toutefois  il  est  véritable  que  les  souf- 
frances font  les  chrétiens  ,  et  qu'on  les  reconnaît 
à  cette  épreuve.  N'alléguons  pas  ici  l'Écriture 
sainte ,  dont  presque  toutes  les  lignes  nous  ensei- 
gnent cette  doctrine;  laissons  tant  de  raisons 
excellentes  que  les  saints  Pères  nous  en  ont  don- 
nées :  convainquons-nous  par  expérience  de  cette 
vérité  fondamentale.  Quand  est-ce  que  l'Église  a 


«  I.  Re/).  XXIV,  15. 
Iti  liefur.  Carn.  n°  3. 


»  Terliil.  Scorp.  n.6. 


DE  SAINT  VICTOR. 


4':o 


m  des  enfants  dijïnes  (Vellc ,  et  a  porté  des  chré- 
tiens dijïncs  de  ce  nom  ?  C'est  lorsqu'elle  était 
jHTsécutée;  c'est  lorsciu'elle  lisait  à  tous  les  po- 
teaux des  sentences  épouvantables,  prononcées 
contre  elle;  qu'elle  voyait  dans  tous  les  gibets,  et 
dans  toutes  les  places  publiques ,  de  ses  enfants 
immolés  pour  la  gloire  de  lÉvangile. 

Durant  ce  temps ,  messieurs ,  il  y  avait  des 
ehrétiens  sur  la  terre ,  il  y  avait  de  ces  hommes 
forts  qui ,  étant  nourris  dans  les  proscriptions  et 
dans  les  alarmes  continuelles,  s'étaient  fait  une 
«,'lorieuse  habityde  de  souffrir  pour  l'amour  de 
Dieu.  Ils  croyaient  que  c'était  trop  de  délicatesse, 
que  de  rechercher  le  plaisir  et  en  ce  monde  et  en 
l'autre  :  regardant  la  terre  comme  un  exil,  ils 
jugeaient  qu'ils  n'y  avaient  point  de  plus  grande 
affaire  que  d'en  sortir  au  plus  tôt.  Alors  la  piété 
étaR  sincère ,  parce  qu'elle  n'était  pas  encore  de- 
venue un  art  :  elle  n'avait  pas  encore  appris  le 
secret  de  s'accommoder  au  monde ,  et  de  servir 
aux  négoces  des  ténèbres.  Simple  et  innocente 
qu'elle  était,  elle  ne  regardait  que  le  ciel  auquel 
elle  prouvait  sa  fidélité  par  une  longue  patience. 
Tels  étaient  les  chrétiens  de  ces  premiers  temps  ; 
les  voilà  dans  leur  pureté,  tels  que  les  engendrait 
le  sang  des  martyrs,  tels  que  les  formaient  les 
persécutions.  Maintenant  la  paix  est  venue,  et  la 
discipline  s'est  relâchée  :  le  nombre  des  fidèles 
s'est  augmenté,  et  l'ardeur  de  la  foi  s'est  ralen- 
tie; et,  comme  disait  éloquemment  un  ancien, 
«  l'on  t'a  vue ,  ô  Église  catholique ,  affaiblie  par 
"  ta  fécondité,  diminuée  par  ton  accroissement, 
«  et  presque  abattue  par  tes  propres  forces  :  » 
Factaque  es,  Ecclesia,  profectu  tuœ  fœcundi- 
tatis  injlrmior,  atque  accessu  relabens,  et  quasi 
viribus  minus  valida   \  D'où  vient  cet  abatte- 
ment des  courages?  C'est  qu'ils  ne  sont  plus  exer- 
cés par  les  persécutions.  Le  monde  est  entré  dans 
l'Église ,  on  a  voulu  joindre  Jésus-Christ  avec 
Bélial;  et  de  cet  indigne  mélange,  quelle  race 
enfin  nous  est  née  ?  Une  race  mêlée  et  corrompue, 
des  demi-chrétiens,  des  chrétiens  mondains  et  sé- 
culiers, une  piété  bâtarde  et  falsifiée,  qui  est  toute 
dans  les  discours  et  dans  un  extérieur  contrefait. 
0  piété  à  la  mode ,  que  je  me  moque  de  tes 
vanteries  et  des  discours  étudiés  que  tu  débites 
à  ton  aise  pendant  que  le  monde  te  rit  !  Viens 
que  je  te  mette  à  l'épreuve.  Voici  une  tempête 
qui  s'élève,  voici  une  perte  de  biens,  une  insulte, 
une  contrariété,  une  maladie  :  tu  te  laisses  aller 
aux  murmures,  pauvre  piété  déconcertée;  tu  ne 
peux  plus  te  soutenir,  piété  sans  force  et  sans  fon- 
dement. Va ,  tu  n'étais  qu'un  vain  sunulacre  de 
la  piété  chrétienne  ;  tu  n'étais  qu'un  faux  or  qui 
brille  au  soleil ,  mais  qui  ne  dure  pas  dans  le  feu , 

'  Sa/rian.  aclr.  Jvar.  lib.  i,  page  218. 


mais  qui  s'évanouit  dans  le  creuset.  La  vertu 
chrétienne  n'est  pas  faite  de  la  sorte  :  Andtlan- 
quam  testavirtus  mea  '.  Elle  ressembleà  la  terre 
d'argile ,  qiii  est  toujours  molle  et  sans  consis- 
tance justju'à  ce  que  le  feu  la  cuise  et  la  rende 
ferme  :  Aruit  tanquom  testa  virtus  mea.  VA  s'il 
est  ainsi,  chrétiens;  si  les  souffrances  sont  né- 
cessaires pour  soutenir  l'esprit  du  clA'istianisme  : 
Seigneur,  rendez-nous  les  tvrans,  rendez-nous 
les  Domitien  et  les  Néron . 

Mais  modérons  notre  zèle ,  et  ne  faisons  point 
de  vœux  indiscrets;  n'envions  pas  à  nos  princes 
le  bonheur  d'être  chrétiens,  et  ne  demandons 
pas  des  persécutions  que  notre  lâcheté  ne  pourrait 
souffrir.  Sans  ramener  les  roues  et  les  chevalets, 
sur  lesquels  on  étendait  nos  ancêtres,  la  matière 
ne  manquera  pas  à  la  patience.  La  nature  a  assez 
d'infirmités ,  le  monde  a  assez  d'injustice,  sa  fa- 
veur assez  d'inconstance ,  il  y  a  assez  de  bizarrerie 
dans  lejugement  des  hommes ,  et  assez  d'inégalité 
dans  leurs  humeurs  contrariantes.  Apprenons  à 
goûter  ces  amertumes;  et  quelque  sorte  d'af- 
flictions que  Dieu  nous  envoie ,  profitons  de  ces 
occasions  précieuses  et  ménageons-en  avec  soin 
tous  les  moments. 

Le  ferons-nous,  mes  frères,  le  ferons-nous? 
nous  réjouirons -nous  dans  les  opprobres?  nous 
plairons-nous  dans  les  contrariétés?  Ah!  nous 
sommes  trop  délicats ,  et  notre  courage  est  trop 
mou.  Nous  aimerons  toujours  les  plaisirs,  nous  ne 
pouvons  durerun  moment  avec  Jésus-Christ  sur 
la  croix.  Mais,  mes  frères,  s'il  est  ainsi,  pour- 
quoi baisons-nous  les  os  des  martyrs?  pourquoi 
célébrons-nous  leur  naissance?  pourquoi  écoutons- 
nous  leurs  éloges?  Quoi  !  serons-nous  seulement 
spectateurs  oisifs?  quoi!  verrons-nous  le  grand 
saint  Victor  boire  à  longs  traits  ce  calice  amer  de 
sa  passion ,  que  le  Fils  de  Dieu  lui  a  mis  en  main  ; 
et  nous  croirons  que  cet  exemple  ne  nous  regarde 
point,  et  nous  n'en  avalerons  pas  une  seule 
goutte  :  comme  si  nous  n'étions  pas  enfants  de 
la  croix  ?  Ab  !  mes  frères ,  gardez-vous  dune  si 
grande  insensibilité.  Montrez  que  vous  croyez  ces 
paroles  :  «  Bienheureux  ceux  qui  souffrent  pei-sé- 
«  cution*  ;  »  et  ces  autres  non  moins  convaincan- 
tes :  «  Celui  qui  ne  se  hait  pas  soi-même ,  et  qui  ne 
«  porte  pas  sa  croix  tous  les  jours ,  n'est  pas  digne 
«de  moi^.  » 

Ah  !  nous  les  croyons,  ô  sauveur  Jésus  :  c'est 
vous  qui  les  avez  proférées.  Mais  si  vous  les 
croyez,  nous  dit-il,  prouvez-le-moi  par  vos  œu- 
vres. Ce  sont  les  souffrances ,  ce  sont  les  combats , 
c'est  la  peine ,  c'est  le  grand  travail ,  qui  justifient 

'  Ps.  XXI,  16. 
»  Matt/i.  V,  10. 
»  Jbid.  X ,  3». 


480 

la  sincérité  de  la  foi.  Seigneur,  tout  ce  que  vous 
exigez  de  nous  est  l'équité  môme  :  donnez-nous 
la  grâce  de  l'accomplir  ;  car  en  vain  entrepren- 
drions-nous par  nos  propres  forces  de  l'exécuter  ; 
bientôt  nos  efforts  impuissants  ne  nous  laisseraient 
que  la  confusion  de  notre  superbe  témérité.  Sou- 
,  tenez  donc ,  ô  Dieu  tout-puissant ,  notre  faiblesse 
par  votre  Esprit  saint  !  Faites-nous  des  chrétiens 
véritables ,  c'est-à-dire ,  des  chrétiens  amis  de  la 
croix  :  accordez-nous  cette  grâce  par  les  exemples 
et  par  les  prières  de  Victor  votre  serviteur,  dont 
nous  honorons  la  mémoire  ;  afin  que  l'imitation 
de  sa  patience  nous  mène  à  la  participation  de  sa 
couronne.  Amen. 

PRÉCIS  D'UN  PANÉGYRIQUE 

POUR  LA  FÊTE  DE  SAINT  JACQUES. 

Désir  ambitieux  des  deux  frères.  Nature  de  leur  erreur  : 
rommenl  Jésus-Clirisf  la  corrige,  et  leur  accorde  l'effet  de 
leur  demande.  Avec  quelle  lirt'ilité  nous  devons  boire  son 
calice. 


Dicutsedeanthi  auofilii  mei,tinnsaauexteramtuam 
et  unus  ad  sïnistram  in  regno  tuo. 

Dites  que  mes  deux  fils  soient  assis  dans  votre  royaume , 
l'un  à  votre  droite,  et  l'autre  à  votre  gauche.  Matth. 
XX, -il, 

Nous  voyons  trois  choses  dans  l'Évangile  :  pre- 
mièrement leur  ambition  réprimée  :  Nescitisquid 
pelatis  '  î  «  Vous  ne  savez  ce  que  vous  deman- 
«  dez;  »  secondement,  leur  ignorance  instruite  : 
Potestis  bibere  caliceni?  «  Pouvez- vous  boire  le 
«  calice  que  je  dois  boire?  »  troisièmement,  leur 
fidélité  prophétisée  :  Calicem  quidem  meu?n  bi- 
betis  '  :  «  Vous  boirez ,  il  est  vrai ,  mon  calice.  » 

PBEMIER   POINT. 

Il  est  assez  ordinaire  aux  hommes  de  nesavoir 
ce  qu'ils  demandent,  parce  qu'ils  ont  des  désirs 
qui  sont  des  désirs  de  malades ,  inspirés  par  la 
fièvre,  c'est-à-dire,  par  les  passions;  et  d'autres 
ont  des  désirs  d'enfants,  inspirés  par  l'imprudence. 
1 1  semble  que  celui  de  ces  deux  apôtres  n'est  pas 
(le  cette  nature  :  ils  veulent  être  auprès  de  Jésus- 
Christ,  compagnons  de  sa  gloire  et  de  son  triom- 
phe ;  cela  est  fort  désirable ,  l'ambition  n'est  pas 
excessive.  Il  veut  que  nous  régnions  avec  lui;  et 
lui  qui  nous  promet  de  nous  placer  jusque  dans 
son  trône ,  ne  doit  pas  trouver  mauvais  que  l'on 
pouhaite  d'être  à  ses  côtés  :  néanmoins  il  leur  ré- 


«  MaHh.  XX  ,  22, 
'  Ibid.  23. 


PANÉGYRIQUE" 


pond  :  «  Vous  ne  savez  ce  que  vous  demande?:  :  » 
Nescilis  qicid  pelatis. 

Pour  découvrir  leur  erreur ,  il  faut  savoir  que 
les  hommes  peuvent  se  tromper  doublement  :  ou 
en  désirant  comme  bien  ce  qui  ne  l'est  pas;  on 
en  désirant  un  bien  véritable  ;  sans  considérer 
assez  en  quoi  il  consiste ,  ni  les  moyens  pour  y 
arriver.  L'erreur  des  apôtres  ne  gît  pas  dans  la 
première  de  ces  fausses  idées;  ce  qu'ils  désirent 
est  un  fort  grand  bien ,  puisqu'ils  souhaitent  d'être 
assis  auprès  de  la  personne  du  Sauveur  des  âmes  : 
mais  ils  le  désirent  avec  un  empressement  trop 
humain  ;  et  c'est  là  la  nature  de  leur  erreur, 
causée  par  l'ambition  qui  les  anime,  lis  s'é- 
taient imaginé  Jésus-Christ  dans  un  trône,  et 
ils  souhaitaient  d'être  à  ses  côtés;  non  pas  pour 
avoir  le  bonheur  d'être  avec  lui  ;  mais  pour  se 
montrer  aux  autres  dans  cet  état  de  magnificence 
mondaine  :  tant  il  est  vrai  qu'on  peut  chercher 
Jésus-Christ  même  avec  une  intention  mauvaise , 
pour  paraître  devant  les  hommes ,  afin  qu'il  fasse 
notre  fortune.  Il  veut  qu'on  l'aime  nu  et  dépouillé , 
pauvre  et  infirme,  et  non-seulement  glorieux  et 
magnifique.  Les  apôtres  avaient  tout  quitté  poui 
Jui  f  et  néanmoins  ils  ne  le  cherchaient  pas  comme 
M  faut;  parce  qu'ils  ne  le  cherchaient  pas  seul. 
Voilà  leur  erreur  découverte,  et  leur  ambition 
réprimée  :  voyons  maintenant ,  dans  le  deuxième 
point ,  leur  ignorance  instruite. 

SECOND   POINT. 

Il  semble  quelquefois  que  le  Fils  de  Dieu  ne 
réponde  pas  à  propos  aux  questions  qu'on  lui 
fait.  Ses  apôtres  disputent  entre  eux  pour  savoir 
quel  est  le  plus  grand ,  Qiiis  videretur  esse 
major  "^ ,  et  Jésus-Christ  leur  présente  un  enfant , 
et  leur  dit  :  «  Si  vous  ne  devenez  comme  de  petits 
«  enfants ,  vous  n'entrerez  pas  dans  le  royaume 
«  des  cieux  :  «  Nisi  efficiamini  sicut  parvuli , 
non  intrabitis  in  regimm  cœlorum  ^.  Si  donc  le 
divin  Sauveur  en  quelques  occasions  ne  satisfait 
pas  directement  aux  demandes  qui  lui  sont  faites , 
il  nous  avertit  alors  de  chercher  la  raison  dans 
le  fond  de  la  réponse.  Ainsi  en  ce  lieu  on  lui  parle 
de  gloire,  et  il  répond  en  représentant  l'ignomi- 
nie qu'il  doit  souffrir  :  c'est  qu'il  va  à  la  source 
de  l'erreur.  Les  deux  disciples  s'étaient  figuré 
qu'à  cause  qu'ils  touchaient  de  plus  près  au  Fils 
de  Dieu  par  l'alliance  du  sang,  ils  devaient  aussi 
avoir  les  premières  places  dans  son  royaume; 
c'est  pourquoi ,  pour  les  désabuser ,  il  les  ra]^- 
pelle  à  sa  croix  :  Potestis  bibere  calicem  ?  Et 
pour  bien  entendre  cette  réponse  il  faut  savoir 


l.lic.  XXtl.S'i- 
Mattli    xviil,  4. 


DE  SAINT  BERNARD. 


481 


qu*au  lieu  que  les  rois  de  la  terre  tirent  le  titre  de 
leur  royauté  de  leur  origine  et  de  leur  naissance, 
Josus-Christ  tire  le  sien  de  sa  mort.  Sa  naissance 
ist  royale ,  il  est  le  lils  et  riiéritier  de  David , 
et  néanmoins  il  ne  veut  être  roi  que  par  sa  mort. 
Le  titre  de  sa  royauté  est  sur  sa  croix  :  il  ne  con- 
fesse qu'il  est  roi  qu'étant  près  de  mourir.  C'est 
donc  comme  s'il  disait  à  ses  disciples  :  Ne  pré- 
tendez pas  aux  première  honneurs ,  parce  que 
vous  me  touchez  par  la  naissance:  voyez  si  vous 
avez  le  courage  de  m'approcher  par  la  mort.  Ce- 
lui qui  touche  le  plus  à  ma  croix,  c'est  celui  à 
qui  je  donne  la  première  place  ;  non  pour  le  sang 
qu'il  a  reçu  dans  sa  naissance,  mais  pour  celui 
qu'il  répandra  pour  moi  dans  sa  mort  :  voilà  le 
bonheur  des  dirétiens.  S'ils  ne  peuvent  toucher 
Jésus-Christ  par  la  naissance ,  ils  le  peuvent  par 
la  n»ort  et  c'est  là  la  gloire  qu'ils  doivent  en- 
vier. 

TROISIÈME   POINT. 

Les  disciples  acceptent  ce  parti  :  «  ?s'ous  pou- 
•  vous,  disent-ils,  boive  votre  calice,  »  Possu- 
mus  '  ;  et  Jésus-Clirist  leur  prédit  qu'ils  le  boi- 
ront. Leur  promesse  n'est  pas  téméraire  :  mais 
admirons  la  dispensation  de  la  grâce  dans  le 
raaityre  de  ces  deux  frères.  Ils  demandaient  deux 
places  singulières  dans  la  gloire ,  il  leur  donne 
deux  places  singulières  dans  sa  croix.  Quant  à 
la  gloire ,  «  ce  n'est  pas  à  moi  à  vous  la  don- 
«  ner  :  »  Aon  est  meum  dare  vobis;  je  ne  suis 
distributeur  que  des  croix,  je  ne  puis  vous  don- 
ner que  le  calice  de  ma  passion;  mais  dans  l'or- 
dre des  souffrances ,  comme  vous  êtes  mes  fa- 
voris ,  vous  aurez  deux  places  singulières.  L'un 
mourra  le  premier,  et  l'autre  le  dernier  de  tous 
mes  apôtres  ;  l'un  souffrira  plus  de  violences,  mais 
la  persécution  plus  lente  de  l'autre  éprouvera  plus 
longtemps  sa  persévérance.  Jacques  a  l'avan- 
tage ,  en  ce  qu'il  boit  le  calice  jusqu'à  la  dernière 
goutte.  Jean  le  porte  sur  le  bord  des  lèvres  :  prêt 
a  boire,  on  le  lui  ravit,  pour  le  faire  souffrir  plus 
longtemps. 

Apprenons  par  cet  exemple  à  boire  le  calice 
de  notre  Sauveur,  selon  qu'il  lui  plaît  de  le  pré- 
parer. Il  nous  arrive  une  affliction ,  c'est  le  calice 
que  Dieu  nous  présente  :  il  est  amer,  mais  il  est 
salutaire.  On  nous  fait  une  injure  :  ne  regardons 
pas  celui  qui  nous  déchire;  que  la  foi  nous  fasse 
apercevoir  la  main  de  Jésus-Christ ,  invisiblement 
étejidue  pour  nous  présenter  ce  breuvage.  Fi- 
gurons-nous qu'il  nous  dit  :  Potestis  bibere? 
«  Avet-vous  le  courage  de  le  boire?  ■•  Maisavez- 
vous  la  hardiesse  ;  ou  serez-vous  assez  lâches  de 
le  refuser  de  ma  main  d'une  main  si  chère?  Une 

'  McAth.  XX,  22. 

BOaSlET.   —  TOME    UI. 


médecine  amère  devient  douce ,  en  quelque  fa- 
çon, quand  un  ami ,  un  époux  ,  etc. ,  la  présem**  : 
vous  la  buvez  volontiers,  malgré  la  répugnaniv 
de  la  nature.  Quoi  !  Jésus- Christ  vous  la  présents, 
et  votre  main  tremble ,  votre  cœur  se  soulève  ! 
vous  voudriez  répandre  par  la  vengeance  la  moi- 
tié de  son  amertume  sur  votre  ennemi ,  sur  celui 
qui  vous  a  fait  tort  !  ce  n'est  pas  là  ce  que  Jésus- 
Christ  demande.  Pouvez- vous  boire,  dit-il,  ce 
calice  des  mauvais  traitements ,  qu'on  vous  fera 
boire?  Potestis  bibere?  Et  non  pas  :  Pouvez-vous 
renverser  sur  la  tète  de  l'injuste  qui  vous  vexe, 
ce  calice  de  la  colère  qui  vous  anime?  La  véri- 
table force ,  c'est  de  boire  tout  jusqu'à  la  dernière 
goutte.  Disons  donc  avec  les  apôtres  :  Pos- 
sumus  :  mais  voyons  Jésus-Christ  qui  a  tout  bu 
comme  il  l'avait  promis  :  Quem  ego  bibiturus 
sum.YX  quoiqu'il  fût  tout-puissant  pour  l'éloigner 
de  lui ,  il  n'a  usé  de  son  autorité  que  pour  répri- 
mer celui  qui ,  par  l'affection  tout  humaine  qu'il 
lui  portait ,  voulait  l'empêcher  de  le  boire  :  Ca- 
liccm  quem  dédit  mihi  Pater ,  non  visutlibam 
iîlum  •  ? 


PANÉGYRIQUE 

DE 

SAINT  BERNARD, 

PBÊCBÉ   A  UETZ. 


La  vie  chrétienne  et  la  vie  apostoliqne  de  saint  Bfruard, 
fondées  l'une  el  l'autre  sur  la  vie  de  Jésus-Christ  crucifié. 


Aon  enimjuditavi  me  scire  aliquid  inter  vos ,  nisi  Je- 
sum  Christum,  et  hune  truàfixvm. 

Je  n'ai  pas  estimé  que  je  susse  aucune  chose  parmi  vous, 
si  ce  n'est  Jésus-Christ,  et  Jésus-Christ  crucifié.  /.  Cor. 
II,  2. 

Nos  Églises  de  France  ont  introduit  dans  le 
dernier  siècle  une  pieuse  coutume,  de  commen- 
cer les  prédications  en  invoquant  l'assistance  di- 
vine par  les  intercessions  de  la  bienheureuse 
Marie.  Comme  nos  adversaires  ne  pouvaient  souf- 
frir l'homieur  si  légitime  que  nous  rendons  à  la 
sainte  Vierge,  comme  ils  le  blâmaient  par  des 
invectives  aussi  sanglantes  qu'elles  étaient  injus- 
tes et  téméraires,  l'Eglise  a  cru  qu'il  était  à  pro- 
pos de  résister  à  leur  audacieuse  entreprise ,  et 
de  recommander  d'autant  plus  cette  dévotion  aux 
fidèles,  que  l'hérésie  s'y  opposait  avec  plus  de 
fureur.  Et  parce  que  nous  n'avons  rien  de  plus 
vénérable  que  la  prédication  du  saint  Evangile , 
c'est  là  qu'elle  invite  tous  ses  enfants  à  implorer 


■  Joan.  xviii,  II. 


31 


482 


PANEGYRIQUE 


les  oraisons  de  Marie ,  qu'elle  reconnaît  leur  être 
si  profitables. 

Mais  il  y  a ,  ce  me  semble ,  une  autre  raison 
plus  particulière  de  cette  sainte  cérémonie  :  c'est 
que  le  devoir  des  prédicateurs  est  d'engendrer 
Jésus- Christ  dans  les  âmes  :  «  Mes  petits  enfants, 
«  dit  l'apôtre ,  pour  lesquels  je  suis  encore  dans 
«  les  douleurs  de  l'enfantement,  jusqu'à  ce  que 
«  Jésus-Christ  soit  formé  en  vous  '.  »  Vous  voyez 
qu'il  enfante  et  qu'il  engendre  Jésus-Christ  dans 
les  âmes  :  ainsi  il  y  a  quelque  convenance  entre 
les  prédicateurs  de  la  parole  divine ,  et  la  sainte 
mère  de  Dieu.  C'est  pourquoi  le  grand  saint  Gré- 
goire ne  craint  pas  d'appeler  mères  de  Jésus- 
Christ  ,  ceux  qui  sont  appelés  à  ce  glorieux  mi- 
nistère ^  De  là  vient  que  l'Église  s'est  persuadée 
aisément  que  vous ,  ô  très-heureuse  Marie ,  bé- 
nite entre  toutes  les  femmes;  vous  qui  avez  été 
prédestinée  dès  l'éternité  pour  engendrer  selon  la 
chair  le  Fils  du  Très-Haut,  vous  aideriez  volon- 
tiers de  vos  pieuses  intercessions  ceux  qui  le  doi- 
vent engendrer  en  esprit  dans  les  cœurs  de  tous 
les  fidèles. 

Mais  dans  quelle  prédication  doit-on  plus  es- 
pérer de  votre  secours,  que  dans  celle  que  ce 
peuple  attend  aujourd'hui,  où  nous  avons  à  louer 
la  grâce  et  la  miséricorde  divine  dans  la  sainteté 
du  dévot  Bernard ,  de  Bernard  le  plus  fidèle  et 
\e  plus  chaste  de  vos  enfants  ;  celui  de  tous  les 
hommes  qui  a  le  plus  honoré  votre  maternité 
glorieuse ,  qui  a  le  mieux  imité  votre  pureté  an- 
gélique ,  qui  a  cru  devoir  à  vos  soins  et  à  votre 
charité  maternelle  l'influence  continuelle  des  grâ- 
ces qu'il  recevait  de  votre  cher  fils?  Aidez-nous 
donc  par  vos  saintes  prières,  6  très-bénite  Marie  ! 
aidez-nous  à  louer  l'ouvrage  de  vos  prières  ;  pour 
cela  nous  nous  jetons  à  vos  pieds ,  vous  saluant 
et  vous  disant  avec  l'ange  :  Ave. 

Parmi  les  divers  ornements  du  pontife  de  la 
loi  ancienne,  celui  qui  me  semble  le  plus  remar- 
quable c'est  ce  mystérieux  pectoral  sur  lequel , 
selon  l'Écriture ,  il  portait  gravé  ces  mots  :  Urim 
ctiumim\  c'est-à-dire,  vérité  et  doctrine  ;  ou, 
comme  l'entendent  d'autres  intei-prètes ,  lumière 
et  perfection.  Je  sais  que  cela  est  écrit  pour  nous 
faire  voir  quelles  doivent  être  les  qualités  des 
ministres  des  choses  sacrées;  et  qu'encore  que 
leurs  habillements  magnifiques  semblent  les  ren- 
dre assez  remarquables,  ce  n'est  pas  là  toutefois 
ce  qui  les  doit  discerner  du  peuple;  mais  que  la 
vraie  marque  sacerdotale ,  le  vrai  ornement  du 
grand  prêtre ,  c'est  la  doctrine  et  la  vérité  :  c'est 
ce  qui  nous  est  représenté  en  ce  lieu. 

»  Galat.  IV,  19. 

ï  In  Evang.  lib.  i,  Ilom.  m,  n°  2,  1. 1,  cor.  /444. 

»  Levit.  Yin ,  8. 


Mais  si  nous  portons  plus  loin  nos  pensées  ;  si 
dans  le  pontife  du  vieux  Testament,  qui  n'avait 
que  des  ombres  et  des  figures ,  nous  considérons 
Jésus-Chi-ist ,  qui  est  la  fm  de  la  loi  et  le  pontife 
de  la  nouvelle  alliance ,  nous  y  trouverons  quel- 
que chose  de  plus  merveilleux.  Chrétiens ,  c'est 
ce  saint  pontife ,  c'est  ce  grand  sacrificateur  qui 
porte  véritablement  sur  lui-même  la  doctrine , 
la  perfection  et  la  vérité  ;  non  point  sur  des  pier- 
res précieuses,  ni  dans  des  caractères  gravés, 
comme  faisaient  les  enfants  d'Aaron  ,  mais  dans 
ses  actions  irrépréhensibles ,  et  dans  sa  conduite 
toute  divine. 

Pour  comprendre  cette  vérité  nécessaire  à  l'in- 
telligence de  notre  texte,  remettez,  s'il  vous  plaît, 
en  votre  mémoire,  que  Jésus-Christ ,  notre  maî- 
tre, est  le  Fils  de  Dieu.  Vous  êtes  trop  bien  ins- 
truits pour  ignorer  que  Dieu  n'engendre  pas  à  la 
façon  ordinaire ,  et  que  cette  génération  n'a  rien 
de  matériel  ni  de  corruptible.  Dieu  est  esprit , 
Fidèles ,  et  ne  vit  que  de  raison  et  d'intelligence  ; 
de  là  vient  aussi  qu'il  engendre  par  son  intelli- 
gence et  par  sa  raison  :  de  sorte  que  le  Fils  de 
Dieu  est  le  fruit  d'une  connaissance  très-pure ,  et 
qui,  dans  une  simplicité  incompréhensible,  ne 
laisse  pas  d'être  infiniment  étendue.  Étant  le  fruit 
de  la  raison  et  de  l'intelligence  divine ,  il  est  lui- 
même  raison  et  intelligence;  et  c'est  pourquoi 
l'Écriture  l'appelle  la  parole  et  la  sagesse  du  Père. 

Et  d'autant  qu'il  ne  se  peut  faire  que  Dieu 
agisse  autrement  que  par  sa  raison  et  par  sa  sa- 
gesse ,  de  là  vient  que  nous  voyons  dans  les  sain- 
tes Lettres  que  Dieu  a  tout  fait  par  son  Verbe , 
qui  est  son  Fils  :  Omnia  per  ipsumfacia  sunt  '  ; 
parce  que  son  Verbe  est  sa  raison  et  sa  lumière. 
C'est  pourquoi  cette  grande  machine  du  monde 
est  un  ouvrage  si  bien  entendu ,  et  fait  reluire  de 
toutes  parts  un  ordre  si  admirable  avec  une  ex- 
cellente raison,  il  ne  se  peut  que  la  disposition 
n'en  soit  belle,  et  tous  les  mouvements  raisonna- 
bles ;  parce  qu'ils  viennent  d'une  idée  très-sage ,  et 
d'une  science  très-assurée,  et  d'une  raison  souve- 
raine, qui  est  le  Verbe  et  le  Fils  de  Dieu,  par 
qui  toutes  choses  ont  été  faites ,  par  aui  elles  sont 
disposées  et  régies. 

Or,  fidèles ,  ce  Verbe  divin ,  après  avoir  fait 
éclater  sa  sagesse  dans  la  structure  et  le  gouver- 
nement de  cet  univers ,  parce  que ,  comme  dit 
l'apôtre  saint  Jean  ,  par  lui  toutes  choses  ont  été 
faites,  touché  d'un  amour  incroyable  pour  notre 
nature,  il  nous  le  manifeste  encore  d'une  façon 
tout  ensemble  plus  famiUère  et  plus  excellente 
dans  un  ouvrage  plus  divin ,  et  qui  ne  laisse  pas 
toutefois  de  nous  toucher  aussi  de  bien  plus  près. 

»  Joan.  I,  3. 


DE  SAINT  BERNARD. 


483 


Comment  cela,  direz-vous?  Ah!  voici  le  grand 
conseil  de  notre  bon  Dieu,  et  la  grande  conso- 
lation des  fidèles  :  c'est  que  ce  Verbe  éternel, 
comme  vous  sa\  ez ,  s'est  fait  homme  dans  la  plé- 
nitude des  temps;  il  s'est  uni  à  notre  nature,  il 
a  pris  l'humanité  dans  les  entrailles  de  la  bien- 
heureuse Marie,  et  c'est  cette  miraculeuse  union 
qui  nous  a  donné  Jésus-Christ ,  Dieu  et  homme , 
notre  maître  et  notre  sauveur. 

Par  conséquent  la  sainte  humanité  de  Jésus 
étant  unie  au  Verbe  divin ,  elle  est  régie  et  gou- 
vernée par  le  même  Verbe.  Car  de  même  que  la 
raison  humaine  gouverne  les  appétits  du  corps 
qui  lui  est  uni,  tellement  que  la  partie  même  in- 
férieure participe  en  quelque  sorte  à  la  raison , 
en  tant  qu'elle  s'y  soumet  et  lui  obéit  :  de  même 
le  Verbe  divin  gouverne  l'humanité  dont  il  s'est 
revêtu  ;  et  comme  il  l'a  rendue  sienne  d'une  fa- 
çon extraordinaire ,  il  la  régit  aussi ,  il  la  meut 
et  il  l'anime  avec  un  soin  et  d'une  manière  inef- 
fable ;  si  bien  que  toutes  les  actions  de  cette  na- 
ture humaine,  que  le  Verbe  divin  s'est  appro- 
priée, sont  toutes  pleines  de  cette  sagesse  incréée, 
qui  est  le  Fils  de  Dieu ,  et  sont  dignes  du  Verbe 
éternel  auquel  elle  est  divinement  unie ,  et  par 
lequel  elle  est  singulièrement  gouvernée.  De  là 
vient  que  les  anciens  Pères  parlant  des  actions 
de  cet  Homme-Dieu ,  les  ont  appelées  opérations 
théandriques,  c'est-à-dire,  opérations  mêlées  du 
divin  et  de  l'humain ,  opérations  divines  et  hu- 
maines tout  ensemble  ;  humaines  par  leur  nature, 
divines  par  leur  principe  :  d'autant  que  le  Dieu 
Verbe  s'étant  rendu  propre  la  sainte  humanité 
de  Jésus,  il  en  considère  les  actions  comme  sien- 
nes, et  ne  cesse  d'y  faire  couler  une  influence 
toute  divine  de  grâces  et  de  sagesse,  qui  les  anime, 
et  qui  les  relève  au  delà  de  ce  que  nous  pouvons 
concevoir. 

rs'otre  doctrine  étant  ainsi  supposée,  il  ne  nous 
sera  pas  difficile  de  l'appliquer  aux  paroles  du 
saint  apôtre ,  qui  servent  de  fondement  à  tout  ce 
discours.  Je  dis  donc  que  l'humanité  de  Jésus 
touchant  de  si  près  au  Verbe  divin  ,  et  lui  appar- 
tenant par  une  espèce  d'union  si  intime,  il  était 
obligé ,  pour  l'intérêt  de  sa  gloire ,  de  la  conduire 
par  sa  sagesse  :  d'où  il  résulte  que  toutes  les  ac- 
tions de  Jésus  venaient  d'un  principe  divin ,  et 
d'un  fond  de  sagesse  infinie.  Partant  si  nous  vou- 
lons reconnaître  quelle  estime  nous  devons  faire 
des  choses  qui  se  présentent  à  nous,  nous  n'avons 
qu'à  considérer  le  choix  ou  le  mépris  qu'en  a 
fait  le  sauveur  Jésus  pendant  qu'il  a  vécu  sur  la 
terre.  Comme  il  est  la  parole  substantielle  du 
Père,  toutes  ses  actions  parlent,  et  toutes  ses 
œuvres  instruisent. 

Ou  nous  a  toujours  fait  entendre  que  la  meil- 


leure façon  d'enseigner,  c'est  de  faire.  L'action  , 
en  effet,  a  je  ne  sais  quoi  de  plus  vif  et  de  plus 
pressant  que  les  paroles  les  plus  éloquentes.  C'est 
aussi  pour  cela  que  le  Fils  de  Dieu ,  ce  divin  pré- 
cepteur que  Dieu  nous  a  envoyé  du  ciel ,  a  choisi 
cette  noble  manière  de  nous  enseigner  par  ses 
actions;  et  cette  instruction  est  d'autant  plus 
persuasive  et  plus  forte ,  qu'étant  réglée  par  la 
sagesse  même  de  Dieu,  nous  sommes  assurés  qu'il 
ne  peut  manquer.  Bonté  incroyable  de  notre  Dieu , 
Voyant  que  nous  étions  contraints  d'aller  puiser 
en  divers  endroits  les  ondes  salutaires  de  la  vé- 
rité ,  non  sans  un  grand  travail  et  un  péril  éml- 
nent  de  nous  égarer  dans  une  recherche  si  diffi- 
cile ,  il  nous  a  proposé  son  cher  Fils ,  dans  lequel 
il  a  ramassé  toutes  les  vérités  qui  nous  sont  uti- 
les ,  comme  dans  un  saint  et  mystérieux  abrégé  ; 
et  ayant  pitié  de  nos  ignorances  et  de  nos  irréso- 
lutions,  il  a  tellement  disposé  sa  vie,  que  par  elle 
toutes  les  choses  nécessaires  pour  la  conduite  des 
mœurs  sont  très-évidemment  décidées  :  d'où  vient 
que  l'apôtre  saint  Paul  nous  assure  «  qu'en  Jé- 
«  sus-Christ  sont  cachés  tous  les  trésore  de  la 
«  science  et  de  la  sagesse  »  :  In  quo  sunt  omnes 
thesauri sapieniiœ  etscientiœabsconditi\  C'est 
pourquoi ,  dit  le  même  saint  Paul  * ,  je  ne  cher- 
che pas  la  bonne  doctrine  dans  les  écrits  curieux, 
ni  dans  les  raisonnements  incertains  des  philo- 
sophes et  des  orateurs  enflés  de  leur  vaine  élo- 
quence; seulement  j'étudie  le  sauveur  Jésus,  et 
en  lui  je  vois  toutes  choses.  De  cette  sorte ,  fidè- 
les, Jésus  n'est  pas  seulement  notre  maître,  mais 
il  est  encore  l'objet  de  nos  connaissances  :  il  n'est 
pas  seulement  la  lumière  qui  nous  guide  à  la  vé- 
rité, mais  il  est  lui-même  la  vérité  dont  nous 
désirons  la  science  ;  et  c'est  pourquoi  nous  som- 
mes appelés  chrétiens,  non-seulement  parce  que 
nous  professons  de  ne  suivre  point  d'autre  maître 
que  Jésus-Christ,  mais  encore  parce  que  nous 
faisons  gloire  de  ne  savoir  autre  chose  que  Jésus- 
Christ.  Et  certes,  ce  serait  en  vain  que  nous  re- 
chercherions d'autres  instructions,  puisque  par 
le  Verbe  fait  homme  la  science  elle-même  nous 
a  parlé;  et  que  la  sagesse,  pour  nous  enseigner, 
a  fait  devant  nous  ce  qu'il  fallait  faire ,  et  que  la 
vérité  même  s'est  manifestée  à  nos  esprits,  et  s'est 
rendue  sensible  à  nos  yeux. 

Voilà  de  quelle  sorte  Jésus-Christ,  notre  grand 
pontife,  a  porté  sur  lui-même  la  doctrine  et  la 
vérité.  Mais  d'autant  que  c'est  à  la  croix  qu'il  a 
particulièrement  exercé  sa  charge  de  souverain 
prêtre ,  c'est  là ,  c'est  là ,  mes  frères ,  que  malgré 
la  fureur  de  ses  ennemis  et  la  honte  de  sa  nudité 
ignominieuse,  il  nous  a  paru  le  mieux  revêtu  de 


'   Colosx.  II,  3. 

*  I.  Cor.  u,  I  et  seqq. 


M. 


484 


PANÉGYRIQUE 


CCS  beaux  ornements  de  doctrine  et  de  vérité.  Jé- 
sus était  le  livre  où  Dieu  a  écrit  notre  instruc- 
tion; mais  c'est  à  la  croix  que  ce  grand  livre 
s'est  le  mieux  ouvert ,  par  ses  bras  étendus  et  par 
Bes  ciiielies  blessures,  et  par  sa  chair  percée  de 
toutes  parts  :  car,  après  une  si  belle  leçon,  que  nous 
reste-t-il  à  apprendre?  Fidèles,  ce  qui  nous  abuse , 
ce  qui  nous  empêche  de  reconnaître  le  souverain 
bien ,  qui  est  la  seule  science  profitable ,  c'est  l'at- 
tachement et  l'aveugle  estime  que  nous  avons 
pour  les  biens  sensibles.  C'est  ce  qui  a  obligé  le 
sauveur  Jésus  à  choisir  volontairement  les  inju- 
res, les  tourments  et  la  mort.  Bien  plus,  il  a 
choisi  de  toutes  les  injures  les  plus  sensibles ,  et 
de  tous  les  supplices  le  plus  infâme,  et  de  toutes 
les  morts  la  plus  douloureuse;  afin  de  nous  faire 
voir  combien  sont  méprisables  les  choses  que  les 
mortels  abusés  appellent  des  biens ,  et  qu'en  quel- 
que extrémité  de  misère ,  de  pauvreté ,  de  dou- 
leurs que  l'homme  puisse  être  réduit,  il  sera  tou- 
jours puissant,  abondant,  bienheureux,  pourvu 
que  Dieu  lui  demeure. 

Ce  sont  ces  vérités,  chrétiens,  que  le  grand 
pontife  Jésus  nous  montre  écrites  sur  son  corps 
déchiré ,  et  c'est  ce  qu'il  nous  crie  par  autant  de 
bouches  qu'il  a  de  plaies  :  de  sorte  que  sa  croix 
n'est  pas  seulement  le  sanctuaire  d'un  pontife  et 
l'autel  d'une  victime,  mais  la  chaire  d'un  maître 
et  le  trône  d'un  législateur.  De  là  vient  que  l'a- 
pôtre saint  Paul,  après  avoir  dit  qu'il  ne  sait 
autre  chose  que  Jésus-Christ ,  ajoute  aussitôt ,  et 
Jésus-Christ  crucifié;  parce  que  si  ces  vérités 
chrétiennes  nous  sont  montrées  dans  la  vie  de 
Jésus  ^  nous  les  lisons  encore  bien  plus  efficace- 
ment dans  sa  mort ,  scellées  et  confirmées  par 
son  sang  :  tellement  que  Jésus  crucifié ,  qui  a  été 
le  scandale  du  monde,  et  qui  a  paru  ignorance 
et  folie  aux  philosoi^hes  du  siècle ,  pour  confon- 
dre l'arrogance  humaine  est  devenu  le  plus  haut 
point  de  notre  sagesse. 

Ah!  que  l'admirable  Bernard  s'était  avancé 
dans  cette  sagesse!  Il  était  toujours  au  pied  de  la 
croix,  lisant,  contemplant  et  étudiant  ce  grand 
livre.  Ce  livre  fut  son  premier  alphabet  dans  sa 
tendre  enfance  :  ce  même  livre  fut  tout  son  con- 
seil dans  sa  sage  et  vénérable  vieillesse.  Il  en  bai- 
sait les  sacrés  caractères;  je  veux  dire,  ces  ai- 
mables blessures ,  qu'il  considérait  comme  étant 
encore  toutes  fraîches  et  toutes  vermeilles,  et 
teintes  de  ce  sang  précieux  qui  est  notre  prix  et 
notre  breuvage.  Il  disaitavec  l'apôtre  saint  Paul  '  : 
Que  les  sages  du  monde  se  glorifient ,  les  uns  de 
la  connaissance  des  astres ,  et  les  autres  des  élé- 
ments; ceux-là  de  l'histoire  ancieime  et  moderne, 

'  1.  Cor.  1 ,  20. 


et  ceux-ci  de  la  politique  ;  qu'ils  se  vantent,  ta:il 
qu'il  leur  plaira,  de  leurs  inutiles  curioKités  : 
pour  moi ,  si  Dieu  permet  que  je  sache  Jésus  cru- 
cifié, ma  science  sera  parfaite,  et  mes  désirs  se- 
ront accomplis.  C'est  tout  ce  que  savait  saint  Ber- 
nard; et  comme  l'on  ne  prêche  que  ce  que  l'on 
sait,  lui,  qui  ne  savait  que  la  croix,  ne  prêchait 
aussi  que  la  croix. 

La  science  de  la  croix  fait  les  chrétiens  ;  la 
prédication  de  la  croix  produit  les  apôtres  :  c'est 
pourquoi  saint  Paul ,  qui  se  glorifie  de  ne  savoir 
que  Jésus  crucifié,  publie  ailleurs  hautement  qu'il 
ne  prêche  que  Jésus  crucifié  '.  Ainsi  faisait  le 
dévot  saint  Bernard.  Je  vous  le  ferai  voir  en  par- 
ticulier et  dans  sa  cellule  étudiant  la  croix  de  Jé- 
sus, afin  que  vous  respectiez  la  vertu  de  ce  bon 
et  parfait  chrétien  ;  mais  après,  je  vous  le  repré- 
senterai  dans  les  chaires  et  dans  les  fonctions 
ecclésiastiques ,  prêchant  et  annonçant  la  croix 
de  Jésus ,  afin  que  vous  glorifiiez  Dieu ,  qui  nous 
a  envoyé  cet  apôtre.  Vous  verrez  donc,  mes  frè- 
res, la  vie  chrétienne  et  la  vie  apostolique  de 
saint  Bernard,  fondées  l'une  et  l'autre  sur  la 
science  de  notre  Maître  crucifié  :  c'est  le  sujet  de 
cet  entretien.  Il  est  simple ,  je  vous  l'avoue  ;  mais 
je  bénirai  cette  simplicité ,  si ,  dans  la  croix  de 
Jésus,  je  puis  vous  montrer  l'origine  des  admira- 
bles qualités  du  pieux  Bernard  :  c'est  ce  que  j'at- 
tends de  la  grâce  du  Saint-Esprit,  si  vous  vous 
rendez  soumis  et  attentifs  à  sa  sainte  parole.  Com- 
mençons avec  l'assistance  divine ,  et  entrons 
dans  la  première  partie. 

PHEMIER     POINT. 

Si  j'ai  été  assez  heureux  pour  vous  faire  en- 
tendre ce  que  je  viens  de  vous  dire,  vous  devez 
avoir  remarqué  que  le  Sauveur,  pendu  à  la  croix, 
nous  enseigne  le  mépris  du  monde  d'une  maniè- 
re très-puissante  et  très-efficace.  Car  si  Jésus 
crucifié  est  le  Fils  et  les  délices  du  Père,  s'il  est 
son  unique  et  son  bien- aimé,  et  le  seul  objet  de 
sa  complaisance  ;  si  d'ailleurs,  selon  notre  façon 
de  juger  des  choses ,  il  est  de  tous  les  mortels  I  ' 
plus  abandonné  et  le  plus  misérable;   le  plus 
grand  selon  Dieu ,  et  le  plus  méprisable  selon  le  > 
hommes  :  qui  ne  voit  combien  nous  sommes  trom- 
pés dans  l'estime  que  nous  faisons  des  biens  et 
des  maux  ;  et  que  les  choses  qui  ont  parmi  nous 
l'applaudissement  et  la  vogue ,  sont  les  dernières 
et  les  plus  abjectes  ?  et  c'est  ce  qui  inspire,  jus- 
qu'au fond  de  l'âme,  le  mépris  du  monde  et  des 
vanités  à  ceux  qui  sont  savants  dans  la  croix  du 
sauveur  Jésus,  où  la  pompe  et  les  fausses  volup- 
tés de  la  terre  ont  été  éternellement  condam.nées. 
C'est  pourquoi  l'apôti-c  saint  Paul,  considérant 

•  I.  C<r.  1,23. 


DE  SAINT  BERNARD. 


4Si 


Jésus-Christ  sur  ce  bois  infiimc,  Ah!  dit-il,  -je 
-.  suis  crucifié  avec  mon  bon  Maître.  »  Je  le  vois , 
je  le  vois  sur  la  croix ,  dépouillé  de  tous  les  biens 
que  nous  estimons,  accablé  à  l'extrémité  de  tout 
ce  qui  nous  afflige  et  qui  nous  effraye.  Moi  qui  le 
crois  la  sagesse  même,  j'estime  ce  qu'il  estime; 
et  dédaignant  ce  qu'il  a  dédaigné,  je  me  crucifie 
avec  lui ,  et  rejette  de  tout  mon  cœur  les  choses 
(ju'il  a  rejetées  :  Chrislo  confixtis  sum  cruci  '. 

T«j  est  le  sentiment  d'un  vrai  chrétien ,  mais 
que  cette  vérité  est  dure  ànos  sens!  Qui  la  pourra 
comprendre ,  fidèles,  si  Jésus  même  ne  l'imprime 
en  nos  cœurs?  C'est  ainsi  qu'il  se  plaît  à  nous 
commander  des  choses  auxquelles  toute  la  nature 
répugne,  afin  de  faire  éclater  sa  puissance  dans 
notre  faiblesse  :  et  pour  animer  nos  courages,  il 
nous  propose  des  personnes  choisies ,  à  qui  sa 
grâce  a  rendu  aisé  ce  qui  nous  paraissait  im- 
possible. Or,  parmi  les  hommes  illustres  dont 
l'exemple  enflamme  nos  espérances ,  et  confond 
notre  lâcheté  y  il  faut  avouer  que  l'admirable  Ber- 
nard tient  un  rang  très-considérable.  Un  gentil- 
homme, d'une  race  illustre,  qui  voit  sa  maison 
en  crédit ,  et  ses  proches  dans  les  emplois  impor- 
tants ;  à  qui  sa  naissance ,  son  esprit ,  ses  riches- 
ses promettent  une  belle  fortune ,  à  fâge  de  vingt- 
deux  ans  renoncer  au  monde  avec  autant  de 
détachement  que  le  fit  saint  Bernard^  vous  sem- 
b!e-t-il ,  chrétiens,  que  ce  soit  un  effet  médiocre 
de  la  toute-puissance  divine?  S'il  l'eût  fait  dans 
un  âge  plus  avancé,  peut-être  que  le  dégoût, 
l'embarras ,  les  ennuis  et  les  inquiétudes  qui  se  ren- 
contrent dans  les  affaires ,  l'auraient  pu  porter 
à  ce  changement.  S'il  eût  pris  cette  résolution 
dans  une  jeunesse  plus  tendre,  la  victoire  eût  été 
médiocre  dans  un  temps  où  à  peine  nous  nous 
sentons ,  et  où  les  passions  ne  sont  pas  encore 
nées.  Mais  Dieu  a  choisi  saint  Bernard ,  afin  de 
nous  faire  paraître  le  triomphe  de  la  croix  sur  les 
vanités,  dans  les  circonstances  les  plus  remar- 
quables que  nous  ayons  jamais  vues  en  aucune 
histoire. 

Vous  dirai-je  en  ce  lieu  ce  que  c'est  qu'un 
jeune  homme  de  vingt-deux  ans?  Quelle  ardeur, 
quelle  impatience,  quelle  impétuosité  de  désirs! 
Cette  force,  cette  vigueur,  ce  sang  chaud  et 
bouillant,  semblable  à  un  vin  fumeux,  ne  leur 
permet  rien  de  rassis  ni  de  modéré.  Dans  les  âges 
suivants  on  commence  à  prendre  son  pli ,  les  pas- 
sions s'appliquent  à  quelques  objets ,  et  alors  celle 
qui  domine  ralentit  du  moins  la  fureur  des  autres  : 
au  lieu  que  cette  verte  jeunesse  n'ayant  rien  en- 
core de  fixe  ni  d'arrêté ,  en  cela  même  qu'elle  n'a  | 
point  de  passion  dominante  par-dessus  les  autres,  ; 
elle  est  emportée,  elle  est  agitée  tour  à  tour  de  ! 

*  Galat.  II,  I».  ' 


toutes  les  tempêtes  des  passions,  avec  «ne  in- 
croyable violence.  Là  les  folles  amours  ;  là  le  luxe, 
l'ambition  et  le  vain  désir  de  paraître  exercent 
leur  empire  sans  résistance.  Tout  s'y  fait  par  une 
chaleur  inconsidérée;  et  comment  accoutumer  à 
là  règle,  à  la  solitude,  à  la  discipline,  cet  âge 
qui  ne  se  plaît  que  dans  le  mouvement  et  dans  le 
désordre ,  qui  n'est  presque  jamais  dans  une  ac- 
tion composée,  '^  et  qui  n'a  honte  que  de  la  mo- 
«  dération  et  de  la  pudeur?  »  Et  vudet  non  esse 
impiidcntem^ . 

Certes ,  quand  nous  nous  voyons  penchants  sur 
le  retour  de  notre  âge ,  que  nous  comptons  déjà 
une  longue  suite  de  nos  ans  écoulés ,  que  nos  for- 
ces se  diminuent,  et  que  le  passé  occupant  la  par- 
tie la  plus  considérable  de  notre  vie,  nous  ne  te- 
nons plus  au  monde  que  par  un  avenir  incertain  : 
ah  !  le  présent  ne  nous  touche  plus  guère.  Mais 
la  jeunesse  qui  ne  songe  pas  que  rien  lui  soit  en- 
core échappé,  qui  sent  sa  vigueur  entière  et  pré- 
sente ,  ne  songe  aussi  qu'au  présent ,  et  y  attache 
toutes  ses  pensées.  Dites-moi,  je  vous  prie,  celui 
qui  croit  avoir  le  présent  tellement  à  soi ,  quand 
est-ce  qu'il  s'adonnera  aux  pensées  sérieuses  de 
l'avenir?  Quelle  apparence  de  quitter  le  monde , 
dans  un  âge  où  il  ne  se  présente  rien  que  de 
plaisant?  Nous  voyons  toutes  choses  selon  la  dis- 
position où  nous  sommes  :  de  sorte  que  la  jeu- 
nesse ,  qui  semble  n'être  formée  que  pour  la  joie 
et  pour  les  plaisirs ,  ah  !  elle  ne  trouve  rien  de  fâ- 
cheux; tout  lui  rit,  tout  lui  applaudit.  Elle  n'a 
point  encore  d'expérience  des  maux  du  monde , 
ni  des  traverses  qui  nous  arrivent  :  de  là  vient 
qu'elle  s'imagine  qu'il  n'y  a  point  de  dégoût,  de 
disgrâce  pour  elle.  Comme  elle  se  sent  forte  et 
vigoureuse ,  elle  bannit  la  crainte ,  et  tend  les  voi- 
les de  toutes  parts  à  l'espérance  qui  l'enfle  et  qçl 
la  conduit. 

Vous  le  savez,  fidèles,  de  toutes  les  passions 
la  plus  charmante ,  c'est  l'espérance.  Cest  elle 
qui  nous  entretient  et  qui  nous  nourrit ,  qui  adou- 
cit toutes  les  amertumes  de  la  vie;  et  souvent 
nous  quitterions  des  biens  effectifs,  plutôt  que 
de  renoncer  à  nos  espérances.  Mais  la  jeunesse 
téméraire  et  malavisée,  qui  présume  toujours 
beaucoup  à  cause  qu'elle  a  peu  expérimenté,  ne 
voyant  point  de  difficulté  dans  les  choses,  c'est 
là  que  l'espérance  est  la  plus  véhémente  et  la  plus 
hardie  :  si  bien  que  les  jeunes  gens ,  enivrés  de 
leurs  espérances ,  croient  tenir  tout  ce  qu'ils  pour- 
suivent; toutes  leurs  imaginations  leur  paraissent 
des  réalités.  Ravis  d'une  certaine  douceur  de 
leurs  prétentions  infinies,  ils  s'imagineraient  per- 
d  re  infiniment,  s'ils  se  départaient  de  leurs  grands 
desseins  ;  surtout  les  jpei-sonnes  de  condition , 

'  s.  Jug.  Con/ess.  Ub.  Il,  cap.  is.  t.  I,  col.  88. 


48f. 

qui  étant  cleyées  dans  un  certain  esprit  de  gran-  , 
(leur,  et  bâtissant  toujours  sur  les  honneurs  de 
leur  maison  et  de  leurs  ancêtres ,  se  persuadent 
facilement  qu'il  n'y  a  rien  à  quoi  ils  ne  puissent 
prétendre. 

FigU!*ez-vous  maintenant  le  jeune  Bernard , 
nourri  en  homme  de  condition ,  qui  avait  la  civi- 
lité comme  naturelle ,  l'esprit  poli  par  les  bonnes 
lettres,  la  représentation  belle  et  aimable,  l'hu- 
meur accommodante ,  les  mœurs  douces  et  agréa- 
bles :  ah  !  que  de  puissants  liens  pour  demeurer 
ettaché  à  la  terre!  Chacun  pousse  de  telles  per- 
sonnes :  oi\  les  vante ,  on  les  loue;  on  pense  leur 
donner  du  courage ,  et  on  leur  inspire  l'ambition. 
Je  sais  que  sa  pieuse  mère  l'entretenait  souvent 
du  mépris  du  monde;  mais  disons  la  vérité,  cet 
âge  ordinairement  indiscret  n'est  pas  capable  de 
ces  bons  conseils.  Les  avis  de  leurs  compagnons 
et  de  leurs  égaux ,  qui  ne  croient  rien  de  si  sage 
qu'eux,  l'emportent  par-dessus  ceux  des  parents. 
Triomphez,  Seigneur,  triomphez  de  tous  les 
attraits  de  ce  monde  trompeur  ;  et  faites  voir  au 
jeune  Bernard,  comme  vous  le  fîtes  voir  à  saint 
Paul  ' ,  ce  qu'il  faut  qu'il  endure  pour  votre  ser- 
vice. Déjà  vous  lui  avez  inspiré,  avec  une  ten- 
dre dévotion  pour  Marie,  un  généreux  amour  de 
ta  pureté  :  déjà  il  a  méprisé  des  caresses  les  plus 
iangereuses ,  daiis  des  rencontres  que  l'honnêteté 
ne  me  permet  pas  de  dire  en  cette  audience  : 
déjà  votre  grâce  lui  a  fait  chercher  un  bain  et  un 
rafraîchissement  salutaire  dans  les  neiges  et  dans 
les  étangs  glacés ,  où  son  intégrité  attaquée  s'est 
fait  un  rempart  contre  les  molles  délices  du  siè- 
cle. Son  regard  imprime  de  la  modestie  :  il  retient 
jusqu'à  ses  yeux ,  parce  qu'il  a  appris  de  votre 
Évangile  ^  et  de  votre  apôtre ',  qu'il  y  a  des 
yeux  adultères.  Dans  un  courage  qui  passe 
l'homme,  on  lui  voit  peintes  sur  le  visage  la 
honte  et  la  retenue  d'une  fille  honnête  et  pudi- 
que. Mais,  Seigneur,  achevez  en  la  personne  de 
ce  saint  jeune  homme  le  grand  ouvrage  de  vo- 
tre grâce. 

Et  en  effet,  le  voyez-vous,  chrétiens,  comme 
il  est  rêveur  et  pensif;  de  quelle  sorte  il  fuit  le 
grand  monde ,  devenu  extraordinairement  amou- 
reux du  secret  et  de  la  solitude?  Là  il  s'entretient 
doucement  de  telles  ou  de  semblables  pensées  : 
Bernard,  que  prétends-tu  dans  le  monde?  Y  vois- 
tu  quelque  chose  qui  te  satisfasse?  Les  fausses 
voluptés,  après  lesquelles  les  mortels  ignorants 
courent  d'une  telle  fureur,  qu'ont-elles  après  tout, 
qu'une  illusion  de  peu  de  durée?  Sitôt  que  cette 
l)reraière  ardeur,  qui  leur  donne  tout  leur  agré- 


>    Jet.  \\,  16 
»   l^atth.  V,  28. 
i  11.  Pctr.U,  14. 


PANÉGYRIQUE 


ment,  a  été  un  peu  ralentie  par  le  temps,  leurs 
plus  violents  sectateurs  s'étonnent  le  plus  souvent 
de  s'être  si  fort  travaillés  pour  rien.  L'âge  et  l'ex- 
périence nous  font  voir  combien  sont  vaines  les 
choses  que  nous  avions  le  plus  désirées  :  et  encore 
ces  plaisirs  tels  quels,  combien  sont-ils  rares  dans 
la  vie?  Quelle  joie  peut-on  ressentir,  où  la  dou- 
leur ne  se  jette  comme  à  la  traverse?  Et  s'il  nous 
fallait  retrancher  de  nos  jours  tous  ceux  quQ  nous 
avons  mal  passés,  même  selon  les  maximes  du 
monde ,  pourrions-nous  bien  trouver  en  toute  la 
vie  de  quoi  faire  trois  ou  quatre  mois?  Mais  ac- 
cordons aux  fols  amateurs  du  siècle ,  que  ce  qu'ils 
aiment  est  considérable;  combien  dure  cette  fé- 
licité? Elle  fuit,  elle  fuit  comme  un  fantôme,  qui, 
nous  ayant  donné  quelque  espèce  de  contente- 
ment pendant  qu'il  demeure  avec  nous ,  ne  nous 
laisse  en  nous  quittant  que  du  trouble. 

Bernard ,  Bernard ,  disait-il ,  cette  verte  jeu- 
nesse ne  durera  pas  toujours  :  cette  heure  fatale 
viendra,  qui  tranchera  toutes  les  espérances  trom- 
peuses par  une  irrévocable  sentence  :  la  vie  nous 
manquera,  comme  un  faux  ami,  au  milieu  de 
nos  entreprises.  Là  tous  nos  beaux  desseins  tom- 
beront par  terre  ;  là  s'évanouiront  toutes  nos  pen- 
sées. Les  riches  de  la  terre,  qui  durant  cette  vie 
jouissant  de  la  tromperie  d'un  songe  agréable , 
s'imaginent  avoir  de  grands  biens,  s'éveillant 
tout  à  coup  dans  ce  grand  jour  de  l'éternité ,  se- 
ront tout  étonnés  de  se  trouver  les  mains  vides. 
La  mort ,  cette  fatale  ennemie ,  entraînera  avec 
elle  tous  nos  plaisirs  et  tous  nos  honneurs  dans 
l'oubli  et  dans  le  néant.  Hélas  !  on  ne  parle  que 
de  passer  le  temps.  Le  temps  passe  en  effet ,  et 
nous  passons  avec  lui  ;  et  ce  qui  passe  à  mon 
égai-d,  par  le  moyen  du  temps  qui  s'écoule,  en- 
tre dans  l'éternité  qui  ne  passe  pas  ;  et  tout  se  ra- 
masse dans  le  trésor  de  la  science  divine  qui  sub- 
siste toujours.  0  Dieu  éternel,  quel  sera  noire 
étonnement  lorsque  le  juge  sévère ,  qui  préside 
dans  l'autre  siècle,  où  celui-ci  nous  conduit  mal- 
gré nous ,  nous  représentant  en  un  instant  toute 
notre  vie,  nous  dira  d'une  voix  terrible  :  Insen- 
sés que  vous  êtes,  qui  avez  tant  estimé  les  plai- 
sirs qui  passent,  et  qui  n'avez  pas  considéré  la 
suite,  qui  ne  passe  pas! 

Allons,  concluait  Bernard;  et  puisque  notre 
vie  est  toujours  emportée  par  le  temps  qui  ne 
cesse  de  nous  échapper,  tâchons  d'y  attacher 
quelque  chose  qui  nous  demeure  :  puis  retournant 
à  son  grand  livre ,  qu'il  étudiait  continuellement 
avec  une  douceur  incroyable ,  je  veux  dire,  à  la 
croix  de  Jésus,  il  se  rassasiait  de  son  sang,  et 
avec  cette  divine  liqueur  il  humait  le  mépris  du 
monde.  Je  viens ,  disait-il ,  ô  mon  Maître ,  je  viens 
me  crucifler  avec  vous.  Je  vois  que  ces  yeux  si 


DE  SAINT  BERNARD. 


4r-.  ; 


«loux ,  dont  uu  seul  legard  a  fait  fondre  saint 
Pierre  en  larmes ,  ne  rendent  plus  de  lumières  : 
je  tiendrai  les  miens  fermés  à  jamais  à  la  pompe 
du  siècle;  ils  n'auront  plus  de  lumières  pour  les 
vanités.  Cette  bouche  divine,  de  laquelle  décou- 
laient des  fleuves  de  cette  eau  vive,  qui  rejaillit 
jusqu'à  la  vie  éternelle ,  je  vois  que  la  mort  l'a 
fermée  :  je  condamnerai  la  mienne  au  silence ,  et 
ne  l'ouvrirai  que  pour  confesser  mes  péchés  et;  vo- 
tre miséricorde.  Mon  cœur  sera  de  glace  pour  les 
vains  plaisirs;  et  comme  je  ne  vois  sur  tout  votre 
corps  aucune  partie  entière,  je  veux  porter  de 
tous  côtés  sur  moi-même  les  marques  de  vos  souf- 
frances, afin  d'être  un  jour  entièrement  revêtu 
de  votre  glorieuse  résurrection.  Enfin  je  me  jet- 
terai à  corps  perdu  sur  vous ,  ô  aimable  mort , 
et  je  mourrai  avec  vous;  je  m'envelopperai  avec 
vous  dans  votre  drap  mortuaire  :  aussi  bien  j'ap- 
prends de  l'apôtre  '  que  nous^sommes  ensevelis 
avec  vous  dans  le  saint  baptême. 

Ainsi  le  pieux  Bernard  s'enflamme  au  mépris 
du  monde,  comme  il  est  aisé  de  le  recueillir  de 
ses  livres.  Il  ne  songe  plus  qu'à  chercher  un  lieu 
de  retraite  et  de  pénitence  :  mais  comme  il  ne 
désire  que  la  rigueur  et  l'humilité,  il  ne  se  jette 
point  dans  ces  fameux  monastères ,  que  leur  ré- 
putation ou  leur  abondance  rend  illustres  par 
toute  la  terre.  En  ce  temps-là  un  petit  nombre  de 
religieux  vivaient  à  Cîteaux,  sous  l'abbé  Etienne. 
L'austérité  qui  s'y  pratiquait ,  les  empêchait  de 
s'attirer  des  imitateurs  :  mais  autant  que  leur  vie 
était  inconnue  aux  hommes ,  autant  elle  était  en 
admiration  devant  les  saints  anges.  Ils  ne  se  re- 
lâchaient pas  pour  cela ,  jugeant  plus  à  propos  de 
persister  dans  leur  institut  pour  l'amour  de  Dieu , 
que  d'y  rien  changer  pour  l'amour  des  hommes. 
Cette  abbaye ,  maintenant  si  célèbre ,  était  pour 
lore  inconnue  et  sans  nom.  Le  bienheureux  Ber- 
nard ,  à  qui  le  voisinage  donnait  quelque  con- 
naissance de  la  vertu  de  ces  saints  personnages, 
embrasse  leur  règle  et  leur  discipline ,  ravi  d'a- 
voir trouvé  tout  ensemble  la  sainteté  de  vie, 
l'extrême  rigueur  de  la  pénitence,  et  l'obscurité. 
Là  il  commença  de  vivre  de  telle  sorte,  qu'il  fut 
bientôt  en  admiration ,  même  à  ces  anges  terres- 
tres; et  comme  ils  le  voyaient  toujours  croître 
en  vertu ,  il  ne  fut  pas  longtemps  parmi  eux ,  que , 
tout  jeune  qu'il  était  alors,  ils  le  jugèrent  capable 
de  former  les  autres.  Je  laisse  les  actions  éclatan- 
tes de  ce  grand  homme  ;  et  pour  la  confusion  de 
notre  mollesse ,  à  la  louange  de  la  grâce  de  Dieu , 
je  vous  ferai  un  tableau  de  sa  pénitence,  tiré  de 
ses  paroles  et  de  ses  écrits. 

Il  avait  accoutumé  de  dire  qu'un  novice,  en- 
trant dans  le  monastère ,  devait  laisser  son  corps 

*  Coloss.  11,  12 


à  la  porte  ;  et  le  saint  homme  en  usait  ainsi  '.  Ses 
sens  étaient  tellement  mortifiés,  qu'il  ne  voyait 
plus  ce  qui  se  présentait  à  ses  yeux.  La  longue 
habitude  de  mépriser  le  plaisir  du  goût  avait  éteint 
en  lui  toute  la  pointe  de  la  saveur.  Il  mangeait  de 
toutes  choses  sans  choix  ;  il  buvait  de  l'eau  ou 
de  l'huile  indifféremment,  selon  qu'il  les  avait  à 
la  main.  A  ceux  qui  s'effrayaient  de  la  solitude , 
il  leur  représentait  l'horreur  des  ténèbres  exté- 
rieures, et  ce  grincement  de  dents  éternel.  Si 
quelqu'un  trouvait  trop  rude  ce  long  et  horrible 
silence,  il  les  avertissait  que,  s'ils  considéraient 
attentivement  l'examen  rigoureux  que  le  grand 
Juge  fera  des  paroles ,  ils  n'auraient  pas  beaucoup 
de  peine  à  se  taire.  Il  avait  peu  de  soin  de  la  santé 
de  sou  corps ,  et  blâmait  fort  en  ce  point  la  grande 
délicatesse  des  hommes ,  qui  voudraient  se  ren- 
dre immortels,  tant  le  désir  qu'ils  ont  de  la 
vie  est  désordonné  :  pour  lui,  il  mettait  ses  in- 
firmités parmi  les  exercices  de  la  pénitence.  Pour 
contrecarrer  la  mollesse  du  monde ,  il  choisissait 
d'ordinaire  pour  sa  demeure ,  un  air  humide  et 
malsain ,  afin  d'être  non  tant  malade  que  faible  ; 
et  il  estimait  qu'un  religieux  était  sain,  quand  il 
se  portait  assez  bien  pour  chanter  et  psalmodier. 
Épicure  nous  apprend,  disait-il,  à  nourrir  le 
corps  parmi  les  plaisirs ,  et  Hippocrate  promet  de 
le  conserver  en  bonne  santé  :  pour  moi ,  je  suis 
disciple  de  Jésus-Christ ,  qui  m'enseigne  à  mé- 
priser l'un  et  l'autre.  Il  voulait  que  les  moines 
excitassent  l'appétit  de  manger,  non  par  les  vian- 
des ,  mais  par  les  jeûnes  ;  non  par  la  délicatesse 
de  la  table,  mais  par  le  travail  des  mains.  Le 
pain  dont  il  usait  était  si  amer,  que  l'on  voyait 
bien  que  sa  plus  grande  appréhension  était  de 
donner  quelque  contentement  à  son  corps  :  ce- 
pendant ,  pour  n'être  pas  tout  à  fait  dégoûté  de 
son  pain  d'avoine  et  de  ses  légumes,  il  attendait 
que  la  faim  les  rendît  un  peu  supportables.  Il  cou- 
chait sur  la  dure  ;  mais  pour  y  dormir,  disait-il , 
il  attirait  le  sommeil  par  les  veilles,  par  la  psal- 
modie de  la  nuit,  et  par  le  travail  de  la  journée  : 
de  sorte  que  dans  cet  homme  les  fonctions  même 
naturelles  étaient  exercées ,  non  tant  par  la  na- 
ture que  par  la  vertu.  Quel  homme  a  jamais  pu 
dire  avec  plus  juste  raison  ce  que  disait  l'apôtre 
saint  Paul  *  :  «  Le  monde  m'est  crucifié ,  et  moi 
«je  suis  crucifié  au  monde  :  »  Mihi  mundiis  cni- 
cifixus  est  y  et  ego  mundo 

Ah!  que  l'admirable  saint  Chrysostôme  fait 
une  excellente  réflexion  sur  ces  beaux  mots  de 
saint  Paul  !  Ce  ne  lui  était  pas  assez ,  remarque  ce 
saint  évêque  ^ ,  d'avoir  dit  que  le  monde  était  mort 

'  /■//.  s.  Bern.  lib.  i ,  cap.  iv,  n"  20 ,  t.  n ,  col.  1070. 

*  GalaU  VI ,  14. 

5  De  Co.njJiincl.  lib-  II,  u'  2,  t.  I,  pag.  Ii2. 


*8»  PANEGYRIQUE 

pour  lui,  il  faut  qu'il  ajoute  que  lui-môme  est 
mort  au  monde.  Certes,  poursuit  ce  savant  inter- 
prète ,  l'apôtre  considérait  que  non-seulement  les 
vivants  ont  quelques  sentiments  les  uns  pour  les 
autres ,  mais  qu'il  leur  reste  encore  quelque  affec- 
tion pour  les  morts;  qu'ils  en  conservent  le  sou- 
venir, et  rendent  du  moins  à  leurs  corps  les  hon- 
neurs de  la  sépulture.  Tellement  que  saint  Paul , 
pour  nous  faire  entendre  jusqu'à  quelle  extrémité 
le  fidèle  doit  se  dégager  des  plaisirs  du  siècle  : 
Ce  n'est  pas  assez,  dit-il,  que  le  commerce  soit 
rompu  entre  le  monde  et  le  chrétien,  comme  il 
l'est  entre  les  vivants  et  les  morts  ;  car  il  peut  y 
rester  quelque  petite  alliance  :  mais  tel  qu'est  un 
mort  à  l'égard  d*un  mort ,  tels  doivent  être  l'un 
à  l'autre  le  monde  et  le  chrétien. 

0  terrible  raisonnement  pour  nous  autres  lâ- 
ches et  efféminés,  et  qui  ne  sommes  chrétiens 
que  de  nom  :  mais  le  grand  saint  Bernard  l'avait 
fortement  gravé  en  son  cœur.  Car  ce  qui  nous  fait 
vivre  au  monde,  c*est  Pinclination  pour  le  monde  : 
ce  qui  fait  vivre  le  monde  pour  nous,  c'est  un 
certain  éclat  qui  nous  charme  dans  les  biens  sen- 
sibles. La  mort  éteint  les  inclinations,  la  mort 
ternit  le  lustre  de  toutes  choses.  Voyez  le  plus 
beau  corps  du  monde  :  sitôt  que  l'âme  s'est  reti- 
rée ,  bien  que  les  linéaments  soient  presque  les 
mêmes,  cette  fleur  de  beauté  s'efface,  et  cette 
bonne  grâce  s'évanouit.  Ainsi  le  monde  n'ayant 
plus  d'appas  pour  Bernard,  et  Bernard  n'ayant 
plus  aucun  sentiment  pour  le  monde,  le  monde 
est  mort  pour  lui ,  et  lui  il  est  mort  au  monde. 

Chrétiens,  quel  sacrifice  le  pieux  Bernard  of- 
fre à  Dieu  par  ses  continuelles  mortifications  !  Son 
corps  est  une  victime  que  la  charité  lui  consacre  : 
en  l'immolant  elle  le  conserve  ,  afin  de  le  pouvoir 
toujours  immoler.  Que  peut-il  présenter  de  plus 
agréable  au  sauveur  Jésus ,  qu'une  âme  dégoûtée 
de  tout  autre  chose  que  de  Jésus  même  ;  qui  se 
plaît  si  fort  en  Jésus,  qu'elle  craint  de  se  plaire 
en  autre  chose  qu'en  lui  ;  qui  veut  être  toujours 
nflligée,  jusqu'à  ce  qu'elle  le  possède  parfaite- 
ment? Pour  Jésus  le  pieux  Bernard  se  dépouille 
de  toutes  choses ,  et  même ,  si  je  l'ose  dire,  pour 
Jésus  il  se  dépouille  de  ses  bonnes  œuvres. 

Et  en  effet,  fidèles,  comme  les  bonnes  œuvres 
n'ont  de  mérite  qu'autant  qu'elles  viennent  de 
Jésus-Christ;  elles  perdent  leur  prix,  sitôt  que 
nous  nous  les  attribuons  à  nous-mêmes.  Il  les 
faut  rendre  à  celui  qui  les  donne  ;  et  c*est  encore 
ce  que  l'humble  Bernard  avait  appris  au  pied  de 
la  croix.  Combien  belle,  combien  chrétienne  fut 
cette  parole  de  l'humble  Bernard,  lorsqu'étant 
entré  dans  de  vives  appréhensions  du  terrible  ju- 
gement de  Dieu  :  Je  sais ,  je  sais ,  dit-il  ' ,  que  je 
'  fit.  6.  Dcrn.  lib.  i,  cap.  xii ,  t.  n,  col.  I08i. 


Dc  mérite  point  le  royaume  des  bienheureux  ;  mais 
Jésus  mon  Sauveur  le  possède  par  deux  raisons  : 
il  lui  appartient  par  nature  et  par  ses  travaux , 
comme  son  héritage  et  comme  sa  conquête.  Ce 
bon  Maître  se  contente  du  premier  titre ,  et  me 
cède  libéralement  le  second.  O  sentence  digne 
d'un  chrétien  !  Non,  vous  ne  serez  pas  confondu , 
ô  pieux  Bernard  !  puisque  vous  appuyez  votre 
espérance  sur  le  fondement  de  la  croix. 

Mais,  ô  Dieu  !  comment  ne  tremblons-nous  pas, 
misérables  pécheurs  que  nous  sommes,  entendant 
une  telle  parole?  Bernard,  consommé  en  vertus , 
croit  n'avoir  rien  fait  pour  le  ciel  ;  et  nous,  nous 
présumons  de  nous-mêmes,  nous  croyons  avoir 
beaucoup  fait ,  quand  nous  nous  sommes  légère- 
ment acquittés  de  quelque  petit  devoir  d'une 
dévotion  superficielle.  Cependant ,  ô  douleur  !  l'a- 
mour du  monde  règne  en  nos  cœurs ,  le  seul  mot 
de  mortification  nous  fait  horreur.  C'est  en  vain 
que  la  justice  divine  nous  frappe,  et  nous  menace 
encore  déplus  grands  malheurs ,  nous  ne  laissons 
pas  de  courir  après  les  plaisirs,  comme  s'il  nous 
était  possible  d'être  heureux  en  ce  monde  et  en 
l'autre.  Mes  frères,  que  pensez-vous  faire,  quand 
vous  louez  les  vertus  du  grand  saint  Bernard?  En 
faisant  son  éloge ,  ne  prononcez- vous  pas  votre 
condamnation? 

Certes ,  il  n'avait  pas  un  corps  de  fer  ni  d'ai- 
rain :  il  était  sensible  aux  douleurs ,  et  d'une  com- 
plexion  délicate  ;  pour  nous  apprendre  que  ce  n'est 
pas  le  corps  qui  nous  manque ,  mais  plutôt  le 
courage  et  la  foi.  Pour  condamner  tous  les  âges 
en  sa  personne ,  Dieu  a  voulu  que  sa  pénitence 
commençât  dès  sa  tendre  jeunesse,  et  que  sa  vieil- 
lesse la  plus  décrépite  jamais  ne  la  vit  relâchée. 
Vous  vous  excusez  sur  vos  grands  emplois  :  Ber- 
nard était  accablé  des  affaires,  non-seulement  de 
son  ordre ,  mais  presque  de  toute  l'Église.  Il  prê- 
chait, il  écrivait,  il  traitait  les  affaires  des  papes 
et  desévêques,  des  rois  et  des  princes  :  il  négociait 
pour  les  grands  et  pour  les  petits ,  ouvrant  à  tout 
le  monde  les  entrailles  de  sa  charité;  et  parmi  tant 
de  diverses  occupations,  il  ne  modérait  point  ses 
austérités ,  afin  que  la  mollesse  de  toutes  les  con- 
ditions et  de  tous  les  âges  fût  éternellement  con^ 
damnée  par  l'exemple  de  ce  saint  homme. 

Vous  me  direz  peut-être  qu'il  n'est  pas  néces- 
saire que  tout  le  monde  vive  comme  lui.  Mais  du 
moins  faut-il  considérer,  chrétiens,  qu'entre  les 
disciples  du  même  Évangile  il  doit  y  avoir  quel- 
que ressemblance.  Si  nous  prétendons  au  même 
paradis  où  Bernard  est  maintenant  glorieux,  com- 
ment se  peut-il  faire  qu'il  y  ait  une  telle  inégalité, 
une  tel  le  contrariété  entre  ses  actions  et  les  nôtres? 
Par  des  routes  si  opposées,  espérons -nous  par- 
venir à  la  même  fin ,  et  arriver  par  les  voluptés 


DE  SALNT  BERNARD. 


•48» 


OÙ  il  a  cru  ne  p<nivoir  atteitidrc  que  par  kssouf-  j 
fruuees?  Si  nous  n'aspirons  pas  à  cette  cminentc 
l>erfoction,  du  moins  devrions-nous  imiter  quelque  i 
chose  de  sa  pénitence.  Mais  nous  nous  donnons  ! 
tout  eutiors  aux  folles  joies  de  ce  monde;  nous 
aimons  les  plaisirs  et  la  bonne  chère,  la  vie  com- 
motle  et  voluptueuse  ;  et  après  cela  nous  voulons 
encore  être  appelés  chrétiens.  N'appréheudons- 
nous  pas  cette  terrible  sentence  du  Fils  de  Dieu  : 
«  Mallieiir  à  vous  qui  riez  ;  car  vous  pleurerez  '  ?  " 
Et  comment  ne  comprenons-nous  pas  que  la 
croix  de  Jésus  doit  être  gravée  jusqu'au  plus  pro- 
fond de  nos  âmes ,  si  nous  voulons  être  chrétiens? 
C'est  iwurquoi  l'apôtre  nous  dit  que  nous  som- 
mes morts,  et  que  notre  vie  est  cachée,  et  que  nous 
sommes  ensevelis  avec  Jésus-Christ  =.  ÎSous  enten- 
dtms  peu  ce  qu'on  nous  veut  dire ,  si  lorsqu'on  ne 
nous  parle  que  de  mort  et  de  sépulture ,  nous  ne 
concevons  pas  que  le  Fils  de  Dieu  ne  se  contente 
p;is  de  nous  demander  un  changement  médiocre. 
11  faut  se  changer  jusqu'au  fond  ;  et  pour  faire  ce 
changement ,  ne  nous  persuadons  pas ,  chrétiens , 
jju'une  diligence  ordinaire  suffise.  Cependant  l'af- 
faire de  notre  salut  est  toujours  la  plus  négligée. 
Toutes  les  autres  choses  nous  pressent  et  nous  em- 
barrassent :  il  n'y  a  que  pour  le  salut  que  nous 
sommes  froids  et  languissants,  et  toutefois  le  Sau- 
veur nous  dit  que  le  royaume  des  cieux  ne  peut 
élre  pris  que  de  force,  et  qu'il  n'y  a  que  les  vio- 
lents qui  l'emportent  ^.  0  Dieu  éternel ,  s'il  faut 
de  la  force,  s'il  faut  de  la  violence ,  quelle  espé- 
rance y  a-t-il  pour  nous  dans  ce  bienheureux 
héritage?  Mais  je  vous  laisse  sur  cette  pensée  ;  car 
je  me  sens  ti'op  faible  et  trop  languissant  pour 
vous  en  représenter  limportance,  et  il  faudrait 
pour  cela  que  j'eusse  quelque  étincelle  de  ce  zèle 
apostolique  de  saint  Bernard ,  que  nous  allons 
considérer  un  moment  dani  la  seconde  partie. 

SF.COXD  POINT. 

(le  qui  me  reste  à  vous  dire  de  saint  Bernard 
est  si  grand  et  si  admirable ,  que  plusieui-s  dis- 
cours ne  suffiraient  pas  à  vous  le  faire  considérer 
comme  il  faut.  Toutefois,  puisque  je  vous  ai  pro- 
mis de  vous  représenter  ce  saint  homme  dans  les 
emplois  publics  et  aiX)stoliques,  disons-en  quel- 
que chose  brièvement ,  de  peur  que  votre  dévo- 
tion ne  soit  frustrée  dune  attente  si  douce.  Vou- 
lez-vous que  nous  voyions  le  commencement  de 
l'apostolat  de  saint  Bernard  ?  Ce  fut  sur  sa  famille 
qu'il  répandit  ses  premières  lumières,  commen- 
çant, dès  sa  tendre  jeunesse,  à  prêcher  la  croix  de 
Jésus  à  ses  oncles  et  à  ses  frères ,  aux  amis ,  aux 

•  Luc.  VI,  25. 

•  Coloss.  IH,  3. 
»  Matth.xt,  IZ 


voisins,  à  tous  ceux  qui  fréquentaient  la  maison 
de  son  père.  Dès  lore  il  leur  parlait  de  l'éternité 
avec  une  telle  énergie,  qu'il  leur  laissait  je  ne 
sais  quoi  dans  l'âme,  qui  ne  leur  permettait  pas 
de  se  plaire  au  monde.  Son  bon  oncle  Gaudri , 
homme  très-considérable  dans  le  pays ,  fut  le  pre- 
mier disciple  de  ce  cher  neveu.  Ses  aînés,  ses  ca- 
dets, tous  se  rangeaient  sous sadiscipline;et Dieu 
voulut  que  tous  ses  frères,  après  avoir  résisté 
quelque  temps,  vinssent  à  lui  l'un  après  l'autre 
dans  les  moments  marqués  par  sa  providence. 
Gui,  l'aine  de  cette  maison,  quitta  tous  les  em- 
plois militaires  et  les  douceurs  de  son  nouveau 
mariage.  Tous  ensemble  ils  renoncèrent  aux  char- 
ges qu'ils  avaient,  ou  qu'ils  prétendaient  dans 
la  guerre  ;  et  ces  braves,  ces  généreux  militaii-es, 
accoutumés  au  commandement  et  à  ce  noble  t»- 
multe  des  armes,  ne  dédaignent,  ni  le  silence, 
tA  la  bïissesse ,  ni  l'oisiveté  de  Cîteaux ,  si  sainte- 
ment occupée,  ils  vont  commeucerde  plus  beaux 
combats ,  où  la  mort  même  donne  la  victoire. 

Ces  quatre  frères  allaient  ainsi,  disant  au 
monde  ledernier  adieu,  accompagnésde  plusieurs 
gentilshommes,  que  Bernard,  ce  jeune  pêcheur, 
avait  pris  dans  les  filets  de  Jésus.  Nivard ,  le  der- 
nier de  tous,  qu'ils  laissaient  avec  leur  bon  père 
pour  être  le  support  de  sa  caduque  vieillesse,  les 
étant  venus  embrasser  :  Vous  aurez,  lui  disaient- 
ils,  tous  nos  biens.  Cet  enfant,  inspiré  de  Dieu, 
leur  fit  cette  belle  réponse  :  Eh ,  quoi  donc?  vous 
prenez  le  ciel ,  et  vous  me  laissez  la  terre  '  !  De 
cette  sorte,  il  se  plaignait  doucement  qu'ils  le 
partageaient  un  peu  trop  en  cadet;  et  cette  sainte 
pensée  lit  une  telle  impression  sur  son  âme, 
qu'ayant  demeuré  quelque  temps  dans  le  monde , 
il  obtint  son  congé  de  sou  père ,  pour  s'aller  mettre 
en  possession  du  même  héritage  que  ses  chers 
frères ,  non  pour  le  partager,  mais  pour  en  jouir 
en  commun  avec  eux. 

Que  reste-t-il  au  pieux  Bernard  pour  voir  toute 
sa  famille  conquise  au  Sauveur?  Il  avait  encore 
une  sœur,  qui ,  profitant  de  la  piété  de  ses  frères, 
vivait  dans  le  luxe  et  dans  la  gramleur.  Elle  les 
vint  un  jour  visiter,  brillante  de  pierreries,  avec 
une  mine  hautaine  et  un  équipage  superbe.  Jamais 
elle  ne  put  obtenir  la  satisfaction  de  les  voir,  jus- 
qu'à ce  qu'elle  eut  protesté  qu'elle  suivrait  leurs 
bonnes  instructions.  Alors  le  vénérable  Beri)ar(l 
s'approcha  :  Et  pourquoi ,  lui  dit-il  * ,  veniez- vous 
troubler  le  repos  de  ce  monastère ,  et  porter  la 
pompe  du  diable  jusque  dans  la  maison  de  Dieu? 
Quelle  honte  de  vous  parer  du  patrimoine  des  pau- 
vres! Il  lui  fit  entendre  qu'elle  avait  grand  tort 
d'orner  ainsi  de  la  pourriture,  c'est  ainsi  qu'il  a^^ 

'  ni.  Bern.  lib.  i .  cap.  il! ,  t    i ,  coL  I0<S9. 
'  Ibid.,  cap.  VI ,  col.  1075. 


490 


PANÉGYRIQUE 


pelait  notre  corps.  Ce  corps  en  effet ,  chrétiens , 
n'est  qu'une  masse  de  boue ,  que  l'on  pare  d'un 
léger  ornement ,  à  cause  de  l'âme  qui  y  demeure. 
Car  de  même  que  si  un  roi  était  contraint  par 
quelque  accident  de  loger  en  une  cabane ,  on  tâ- 
cherait de  l'orner,  et  l'on  y  verrait  quelque  petit 
rayon  de  la  magnificence  royale  :  mais  c'est  tou- 
jours une  maison  de  village,  à  qui  cet  honneur 
passager,  dont  elle  serait  bientôt  dépouillée,  ne 
fait  point  perdre  sa  qualité.  Ainsi  cette  ordure 
de  notre  corps  est  revêtue  de  quelque  vain  éclat, 
en  faveur  de  l'âme  qui  doit  y  habiter  quelque 
temps  :  toutefois  c'est  toujoure  de  l'ordure,  qui, 
au  bout  d'un  terme  bien  court ,  retombera  dans  la 
première  bassesse  de  sa  naturelle  corruption.  Avoir 
tant  de  soin  de  si  peu  de  chose ,  et  négliger  pour 
elle  cette  âme  faite  à  l'image  de  Dieu ,  d'une  na- 
ture immortelle  et  divine,  n'est-ce  pas  une  extrême 
fureur?  Ah  1  la  sœur  du  pieux  Bernard  est  touchée 
au  vif  de  cette  pensée  :  elle  court  aussitôt  aux 
jeûnes ,  à  la  retraite ,  au  sac ,  au  monastère ,  à  la 
pénitence.  Cette  femme  orgueilleuse,  domptée 
par  une  parole  de  saint  Bernard ,  suit  l'étendard 
de  Jésus  avec  une  fermeté  invincible. 

Mais  comment  vous  ferai-je  voir  le  comble  de 
la  joie  du  saint  homme ,  et  sa  dernière  conquête 
dans  sa  famille  ?  Son  bon  père ,  le  vieux  Tesse- 
lin ,  qui  était  seul  demeuré  dans  le  monde ,  vient 
rejoindre  ses  enfants  à  Clairvaux.  0  Dieu  éternel  1 
quelle  joie  !  quelles  larmes  du  père  çt  du  fils  !  Il 
n'est  pas  croyable  avec  quelle  constance  ce  bon 
homme  avait  perdu  ses  enfants,  l'honneur  de  sa 
maison,  et  le  support  de  son  âge  caduc.  Par  leur 
retraite ,  il  voyait  son  nom  éteint  sur  la  terre  ; 
mais  il  se  réjouissait  que  sa  sainte  famille  allait 
s'éterniser  dans  le  ciel  :  et  voici  que  touché  de 
l'Esprit  de  Dieu ,  afin  que  toute  la  maison  lui  fût 
consacrée,  ce  bon  vieillard,  sur  le  déclin  de  sa 
V  ie,  devient  enfant  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
sous  la  conduite  de  son  cher  fils,  qu'il  reconnaît 
désormais  pour  son  père.  N'épargnez  pas  vos 
soins ,  ô  parents ,  à  élever  en  la  crainte  de  Dieu 
les  enfants  qr.e  Dieu  vous  a  confiés  :  vous  ne  sa- 
vez pas  quelle  récompense  cette  bonté  infinie  vous 
réserve.  Ce  pieux  Tesselin,  qui  avait  si  bien  nourri 
les  siens  dans  la  piété,  en  reçoit  sur  la  fin  de  ses 
jours  une  bénédiction  abondante  ;  puisque  par  le 
moyen  de  son  fils ,  après  une  longue  vie ,  il  meurt 
dans  une  bonne  espérance,  et,  si  je  l'ose  dire, 
dans  la  paix  et  dans  les  embrassements  du  Sauveu  r . 
Ainsi  vous  voyez  que  le  grand  saint  Bernard  est 
l'apôtre  de  sa  famille. 

Voulez-vous  que  je  passe  plus  outre ,  et  que  je 
vous  fasse  voir  comme  il  prêche  la  croix  dans  son 
monastère  ;  combien  de  sortes  de  gens  venaient , 
fie  tous  les  endroits  de  la  terre ,  faire  pénitence 


sous  sa  discipline?  Il  avait  ordinairement  sept 
cents  anges ,  j'appelle  ainsi  ces  hommes  célestes 
qui  servaient  Dieu  avec  lui  à  Clairvaux ,  si  re- 
cueillis, si  mortifiés,  que  le  vénérable  Guillaume, 
abbé  de  Saint-Thierry ,  nous  rapporte  que  lors- 
qu'il entrait  dans  cette  abbaye ,  voyant  cet  ordre , 
ce  silence ,  cette  retenue ,  il  n'était  pas  moins  saisi 
de  respect  que  s'il  eût  approché  de  nos  redouta- 
bles autels.  Bernard ,  qui  par  ses  divines  prédi- 
cations les  accoutumait  à  la  douceur  de  la  croix , 
les  faisait  vivre  de  telle  manière,  qu'ils  nesavaient 
non  plus  de  nouvelles  du  monde ,  que  si  un  océan  ■ 
immense  les  en  eût  séparés  de  bien  loin  :  au  reste , 
si  ardents  dans  leurs  exercices ,  si  exacts  dans  leur  \ 
pénitence,  si  rigoureux  à  eux-mêmes,  qu'il  était 
aisé  déjuger  qu'ils  ne  songeaient  pas  à  vivre, 
mais  à  mourir.  Cette  société  de  pénitence  les 
unissait  entre  eux  comme  frères ,  avec  saint  Ber- 
nard comme  avec  un  bon  père,  et  saint  Bernard 
avec  eux  comme  avec  ses  enfants  bien-aimés, 
dans  une  si  parfaite  et  si  cordiale  correspondance , 
qu'il  ne  se  voyait  point  dans  le  monde  une  image 
plus  achevée  de  l'ancienne  Église,  qui  n'avait 
qu'une  âme  et  qu'un  cœur. 

Quelle  douleur  à  cet  homme  de  Dieu ,  quand 
il  lui  fallait  quitter  ses  enfants,  qu'il  aimait  si 
tendrement  dans  les  entrailles  de  Jésus-Christ! 
Mais  Dieu ,  qui  l'avait  séparé  dès  le  ventre  de  sa 
mère  pour  renouveler  en  son  temps  l'esprit  et  la 
prédication  des  apôtres,  le  tirait  de  sa  solitude 
pour  le  salut  des  âmes  qu'il  voulait  sauver  par  son 
ministère.  C'est  ici ,  c'est  ici ,  chrétiens,  où  il  pa- 
raissait véritablement  un  apôtre.  Les  apôtres  al- 
aient  par  toute  la  terre,  portant  l'Evangile  de 
Jésus-Christ  jusque  dans  les  nations  les  plus  re- 
culées :  et  quelle  partie  du  monde  n'a  pas  été 
éclairée  de  la  prédication  de  Bernard?  Les  apô- 
tres fondaient  les  Églises  :  et  dans  ce  grand  schisme 
de  Pierre  Léon ,  combien  d'Églises  rebelles ,  com- 
bien de  troupeaux  séparés  Bernard  a-t-il  ramenés 
à  l'unité  catholique,  se  rendant  ainsi  comme  le 
second  fondateur  des  Églises?  L'apôtre  compte 
parmi  les  fonctions  de  l'apostolat  le  soin  de  toutes 
les  Églises  '  :  et  le  pieux  Bernard  ne  régissait-il 
pas  presque  toutes  les  Églises,  par  les  salutaires 
conseils  qu'on  lui  demandait  de  toutes  les  parties 
de  la  terre?  Il  semblait  que  Dieu  ne  voulait  pas 
l'attacher  à  aucune  Église  en  particulier,  afin  qu'il 
fût  le  père  commun  de  toutes. 

Les  signes  et  les  prodiges  suivaient  la  prédi- 
cation des  apôtres  :  que  de  prophéties,  que  de 
guérisons,  que  d'événements  extraordinaires  et 
surnaturels  ont  confirmé  les  prédications  de  saint 
Bernard!  Saint  Paul  se  glorifie  qu'il  prêchait, 
non  point  avec  une  éloquence  affectée ,  ni  par  des 

'  II.  Cor.  XI,,  28. 


DE  SAINT  BERNARD. 


491 


discours  de  flaltcric  et  de  complaisance',  mais 
seulement  qu'il  ornait  ses  sermons  de  la  simplicité 
et  de  la  vérité  :  qu'y  a-t-il  de  plus  forme  et  de 
plus  pénétrant  que  la  simplicité  de  Bernard ,  qui 
taptive  tout  entendement  au  service  de  la  foi  de 
Jésus?  Lorsque  les  apôtres  prêchaient  Jésus- 
Christ,  une  ardeur  céleste  les  transportait,  et 
paraissait  tout  visiblement  dans  la  véhémence  de 
leur  action;  ce  qui  fait  dire  à  l'apôtre  saint  Paul 
qu'il  agissait  hardiment  en  Notre-Seigneur',  et 
que  sa  prédication  était  accompagnée  de  la  dé- 
monstration de  l'Esprit^.  Ainsi  paraissait  le  zélé 
Bernard ,  qui ,  préchant  aux  Allemands  dans  une 
langue  qui  leur  était  inconnue,  ne  laissait  pas  de 
les  émouvoir,  à  cause  qu'il  leur  parlait  comme 
un  homme  venu  du  ciel ,  jaloux  de  l'honneur  de 
Jésus. 

Une  des  choses  qui  était  autant  admirable  dans 
les  apôtres,  c'était  de  voir  en  des  personnes,  si 
viles  en  apparence,  cette  autorité  magistrale, 
cette  censure  généreuse  qu'ils  exerçaient  sur  les 
mœurs ,  cette  puissance  dont  ils  usaient  pour  édi- 
fier, non  pour  détruire.  C'est  pourquoi  l'apôtre, 
formant  Tiraothée  au  ministère  de  la  parole  : 
"  Pi-ends  garde ,  lui  dit-il ,  que  personne  ne  te 
«  méprise  :  »  Nemo  te  contemnat^.  Dieu  avait 
imprimé  sur  le  front  du  vénérable  Bernard  une 
majesté  si  terrible  pour  les  impies,  qu'enfin  ils 
étaient  contraints  de  fléchir,  témoin  ce  violent 
prince  d'Aquitaine  et  tant  d'autres,  dont  ses  seules 
paroles  ont  souvent  désarmé  la  fureur. 

Mais  ce  qui  était  de  plus  divin  dans  les  saints 
apôtres,  c'était  cette  charité  pour  ceux  qu'ils  prê- 
chaient. Ils  étaient  pères  pour  la  conduite,  et 
mères  pour  la  tendresse ,  et  nourrices  pour  la  dou- 
ceur :  saint  Paul  prend  toutes  ces  qualités.  Ils  re- 
prenaient, ils  avertissaient  opportunément,  im- 
iwrtunément,  tantôt  avec  une  sincère  douceur, 
tantôt  avec  une  sainte  colère ,  avec  des  larmes , 
avec  des  reproches  :  ils  prenaient  mille  formes 
différentes,  et  toujours  la  même  charité  dominait  ; 
Ils  bégayaient  avec  les  enfants ,  ils  parlaient  avec 
les  hommes.  Juif  aux  Juifs,  Gentil  aux  Gentils, 
«  tout  à  tous,  disait  l'apôtre  saint  Paul ,  afin  de 
«  les  gagner  tous  :  >  Omnibus  pmniafactiis  sum, 
utomnesfacerem  salvos  ^.  Voyez  les  écrits  de  Fad- 
mirable  Bernard ,  vous  y  verrez  les  mêmes  mou- 
vements et  la  même  charité  apostolique.  Quel 
homme  a  compati  avec  plus  de  tendresse  aux  fai- 
bles, et  aux  misérables,  et  aux  ignorants?  Il  ne 
dédaignait  ni  les  plus  pauvres  ni  les  plus  abjects. 
Quel  autre  a  repris  plus  hardiment  les  mœurs 

'  II.  Corl,  12. 
>  1.  Thex.n,2. 
»  I.  C«r.  II ,  4. 
•  1.  Tim.  IT,  lî. 
»  i  Ctr- ix,2î. 


dépravées  de  son  siècle?  Il  n'épargnait  ni  les 
princes,  ni  les  potentats,  ni  les  évoques,  ni  les 
cardinaux,  ni  les  papes.  Autant  qu'il  respectait 
leur  degré,  autant  a-t-il  quelquefois  repris  leur 
personne ,  avec  un  si  juste  tempérament  de  cha- 
rité, que  sans  être  ni  lâche ,  ni  emporté ,  il  avait 
toute  la  douceur  de  la  complaisance  et  toute  la 
vigueur  d'une  liberté  vraiment  chrétienne. 

Bel  exemple  pour  les  réformateurs  de  ces  der- 
niers siècles  !  Si  leur  arrogance  insupportable  et 
trop  visible  leur  eût  permis  de  traiter  les  choses 
avec  une  pareille  modération ,  ils  auraient  blâmé 
les  mauvaises  mœurs  sans  rompre  la  communion, 
et  répriméiles  vices  sans  violer  l'autorité  légitime. 
Mais  le  nom  de  chef  de  parti  les  a  trop  flattés  : 
poussés  d'un  vain  désir  de  paraître ,  leur  élo- 
quence s'est  débordée  en  invectives  sanglantes; 
elle  n'a  que  du  fiel  et  de  la  colère.  Ils  n'ont  pas 
été  vigoureux,  mais  fiers,  emportés  et  mépri- 
sants :  de  la  vient  qu'ils  ont  fait  le  schisme ,  et 
n'ont  pas  apporté  la  réformation.  Il  fallait ,  pour 
un  tel  dessein,  le  courage  et  l'humilité  de  Ber- 
nard. Il  était  vénérable  à  tous,  à  cause  qu'on  le 
voyait  et  libre  et  modeste ,  également  ferme  et 
respectueux;  c'est  ce  qui  lui  donnait  une  si  gran- 
de autorité  dans  le  monde.  S'élevait-il  quelque 
schisme  ou  quelque  doctrine  suspecte ,  les  évê- 
ques  déféraient  tout  à  l'autorité  de  Bernard.  Y 
avait-il  des  querelles  parmi  les  princes  Bernard 
était  aussitôt  le  médiateur. 

Puissante  ville  de  Metz,  son  entremise  t'a  été 
autrefois  extrêmement  favorable.  0  belle  et  no- 
ble cité  !  il  y  a  longtemps  que  tu  as  été  enviée. 
Ta  situation  trop  importante  t'a  presque  toujours 
exposée  en  proie  :  souvent  tu  as  été  réduite  à  la 
dernière  extrémité  de  misères;  mais  Dieu,  de 
temps  en  temps ,  t'a  envoyé  de  bons  protecteurs. 
Les  princes  tes  voisins  avaient  conjuré  ta  ruine; 
tes  bons  citoyens  avaient  été  défaits  dans  une 
grande  bataille  *  ;  tes  ennemis  étaient  enflés  de 
leur  bon  succès,  et  toi  enflammée  du  désir  de 
vengeance  :  tout  se  préparait  à  une  guerre  cruelle  » 
si  le  bon  Hillin ,  archevêque  de  Trêves ,  n'eût 
cherché  un  charitable  pacificateur.  Ce  fut  le  pieux 
Bernard ,  qui ,  épuisé  de  forces  par  ses  longues 
austérités  et  ses  travaux  sans  nombre ,  attendait 
la  dernière  heure  à  Clairvaux.  Mais  quelle  fai- 
blesse eût  été  capable  de  ralentir  l'ardeur  de  sa 
charité?  Il  surmonte  la  maladie  pour  se  rendre 
promptement  dans  tes  murs;  mais  il  ne  pouvait 

»  Ce  fut  en  iissqne  se  donna  celte  bataille.  I.es  Messins 
indignés  des  ravages  qae  commettaient  sur  leur  territoire  les 
seigneurs  voisins ,  dont  le  chef  était  Renaud  II ,  comte  de  Bar, 
sortirent  à  leur  rencontre.  Le  combat  se  livra  à  Thircy  prés 
de  Pont-à-Mous.son.  Les  habitants  de  Melz,  quoique  plus  nom- 
breux ,  furent  défaits,  et  il  en  périt  environ  deux  mille ,  qui 
furent  tués  ou  noyés  dans  la  Moselle- 


402  PAÎNEGYRIQUE 

Rnrmonter  l'animosité  des  esprits,  e.vtraordinai- 
rement  échauffés.  Chacun  courait  au\  armes  avec 
une  fureur  incroyable  :  les  armées  étaient  en  vue, 
et  prêtes  de  donner.  La  charité,  qui  ne  se  déses- 
père jamais ,  presse  le  vénérable  Bernard  :  il 
parle,  il  prie,  il  conjure  qu'on  épargne  le  sang 
chrétien ,  et  le  prix  du  sang  de  Jésus.  Ces  âmes 
de  fer  se  laissent  fléchir;  les  ennemis  deviennent 
des  frères  ;  tous  détestent  leur  aveugle  fureur ,  et 
d'un  commun  accord  ils  vénèrent  l'auteur  d'un  si 
grand  miracle. 

0  ville  si  fidèle  et  si  bonne  !  ne  veux-tu  pas  ho- 
norer ton  libérateur?  Mais,  fidèles,  quels  hon- 
neurs lui  pourrons-nous  rendre?  Certes,  on  ne  sau- 
rait honorer  les  saints,  sinon  en  imitant  leurs 
vertus:  sans  cela  nos  louanges  leur  sont  à  charge, 
et  nous  sont  pernicieuses  à  nous-mêmes.  Fidèles, 
que  pensons-nous  faire ,  quand  nous  louons  les 
vertus  du  grand  saint  Bernard  ? 

0  Dieu  de  nos  cœurs!  quelle  indignité  !  Cet  in- 
nocent a  fait  une  pénitence  si  longue ,  et  nous 
criminels ,  nous  ne  voulons  pas  la  faire.  La  péni- 
tence autrefois  tenait  un  grand  rang  dans  l'É- 
î.'Iise  :  je  ne  sais  dans  quel  coin  du  monde  elle  s'est 
maintenant  retirée.  Autrefois  ceux  qui  scandali- 
saient l'Église  par  leurs  désordres  étaient  tenus 
omme  des  Gentils  et  des  publicains  :  mainte- 
nant tout  le  monde  leur  applaudit.  On  ne  les  eût 
autrefois  reçus  à  la  communion  des  mystères 
qu'après  une  longue  satisfaction  et  une  grande 
ipreuve  de  pénitence:  maintenant  ils  entrent  jus- 
({u"au  sanctuaire.  Autrefois  ceux  qui  par  des  pé- 
ehés  mortels  avaient  foulé  aux  pieds  le  sang  de 
.lésus,  n'osaient  même  regarder  les  autels  où  on 
(;e  distribue  aux  fidèles ,  si  auparavant  ils  ne  s'é- 
taient purgés  par  des  larmes,  par  des  jeûnes  et 
par  des  aumônes.  Ils  croyaient  être  obligés  de 
venger  eux-mêmes  leur  ingratitude,  de  peur  que 
Dieu  ne  la  vengeât  dans  son  implacable  fureur  : 
après  avoir  pris  des  plaisirs  illicites,  ils  ne  pen- 
saient pas  pouvoir  obtenir  miséricorde ,  s'ils  ne 
se  privaient  de  ceux  qui  nous  sont  permis. 

Ainsi  vivaient  nos  pères,  dans  le  temps  où  la 
piété  fljorissait  dans  l'Église  de  Dieu.  Pensons- 
nous  que  les  flammes  de  l'enfer  aient  perdn  de- 
puis ce  temps-là  leur  intolérable  ardeur,  à  cause 
que  notre  froideur  a  contraint  l'Église  de  relâcher 
l'ancienne  rigueur  de  sa  discipline ,  à  cause  que 
la  vigueur  ecclésiastique  est  énervée?  pensons- 
nous  que  ce  Dieu  jaloux ,  qui  punit  si  rudement 
les  péchés,  en  soit  pour  cela  moins  sévère,  ou 
<{u'il  nous  soit  plus  doux,  parce  que  les  iniquités 
se  sont  augmentées?  Vous  voyez  combien  ce  sen- 
timent serait  ridicule.  Toutefois,  comme  si  nous 
en  étions  persuadés,  au  lieu  de  songer  à  la  péni- 
tence, nous  ne  songeons  à  autre  chose  au 'à  nous 


enrichir.  C'est  déjà  une  dangereuse  pensée;  car 
l'apôtre  avertit  Timothée ,  «  que  le  désir  des  ri- 
«  ehesses  est  la  racine  de  tous  les  maux  :  »  lladix 
omnium  malontyn  est  cupiditas'  :  encore  son- 
geons-nous à  nous  enrichir  par  des  voies  injus- 
tes, par  des  rapines ,  par  des  usures,  par  des  vo- 
leries.  Nous  n'avons  pas  un  cœur  de  chrétiens  , 
parce  qu'il  est  dur  à  la  misère  des  pauvres.  Notre 
charité  est  languissante,  et  nos  haines  sont  irré- 
conciliables. C'est  en  vain  que  la  justice  divine 
nous  frappe,  et  nous  menace  encore  de  plusieurs 
malheurs  :  nous  ne  laissons  pas  de  nous  donner 
toujours  tout  entiers  aux  folles  joies  de  ce  monde. 
Le  seul  mot  de  mortification  nous  fait  horreur  : 
nous  aimons  la  débauche,  la  bonne  chère,  la  vie 
commode  et  voluptueuse  ;  et  après  cela  nous  vou- 
lons encore  être  appelés  chrétiens.  Nous  n'appré- 
hendons pas  cette  terrible  sentence  du  Fils  de 
Dieu  :  «  Malheur  à  vous  qui  riez ,  car  vous  pleu- 
«  rerez  *  !»  et  cette  autre  :  «  Le  ris  est  mêlé  de 
«  douleur,  et  les  pleurs  suivent  la  joie  de  bien 
«  près  ^;  «  et  celle-ci  :  «  Ils  passent  leur  vie  dans  les 
«  biens ,  et  en  un  moment  ils  descendront  dans 
«  les  enfers'^.  » 

Retournons  donc,  fidèles,  retournons  à  Dieu 
de  tout  notre  cœur.  La  pénitence  n'est  amère  que 
pour  un  temps  ;  après ,  toute  sou  amertume  se 
tourne  en  une  incroyable  douceur.  Elle  mortifie 
les  appétits  déréglés ,  elle  fait  goûter  les  plaisirs 
célestes,  elle  donne  une  bonne  espérance,  elle 
ouvre  les  portes  du  ciel.  On  attend  la  miséricorde 
divine  avec  une  grande  consolation ,  quand  on 
tâche  de  tout  son  pouvoir  d'apaiser  la  justice  par 
la  pénitence. 

0  pieux  Bernard  !  ô  saint  pénitent  î  impétrez- 
nous  par  vos  saintes  intercessions  les  larmes  de 
la  pénitence,  qui  vous  donnaient  nne  si  sainte 
joie  ;  et  afin  qu'elle  soit  renouvelée  dans  le  monde, 
priez  Dieu  qu'il  enflamme  les  prédicateurs  de  l'es- 
prit apostolique  qui  vous  animait.  Nous  vous  de 
mandons  encore  votre  secours  et  votre  médiation 
au  milieu  des  troubles  qui  nous  agitent.  0  vous! 
qui  avez  tant  de  fois  désarmé  les  princes  qui  se 
préparaient  à  la  guerre,  vous  voyez  que  depuis 
tant  d'années  tous  les  fleuves  sont  teints,  et  qu« 
toutes  les  campagnes  fument  de  toutes  parts  du 
sang  chrétien  !  Les  chrétiens ,  qui  devraient  être 
des  enfants  de  paix,  sont  devenus  des  loups  in- 
satiables de  sang.  La  fraternité  chrétienne  est 
rompue;  et  ce  qui  est  de  plus  pitoyable,  c'esJ 
que  la  licence  des  annes  ne  cesse  d'enrichir  l'en- 
fer. Priez  Dieu  qu'il  nous  donne  la  paix,  qu'il 

'  I.  Tim.  \l,\0. 
=  Luc.  VI ,  25. 
»  Prov.  XIV,  13. 
*  Job.  XXJ,  13. 


DE  SAINT  GORGON. 


493 


donne  le  repos  à  cette  ville  que  vous  avez  autre- 
fois chérie;  ou  que  s'il  est  écrit  dans  le  livre  de 
ses  décrets  éternels  que  nous  ne  puissions  voir 
la  paiveu  ce  monde,  qu'il  nous  la  donne  à  la  fin 
dans  le  ciel ,  par  Notre-Seigueur  Jcsus-Christ. 
Amen. 


PANÉGYRIQUE 


SAINT  GORGON, 

PRÈCnÉ  A   METZ. 

Génêrosilé  du  sainl  martyr  ilans  l'écliange  qu'il  fail  des 
prandeurs  humaines  dont  il  pouvait  jouir,  pour  le  mépris  el 
les  humiliaUons  aUachés  au  nom  chrétien.  Son  courage  in- 
vincible au  milieu  des  plus  cruels  supplices.  Senliiiieuts  dont 
il  était  animé.  Comment  nous  devons  imiter  sa  foi. 


Quorum  ijihietiies  exUiim  conversaCionis ,  imifamtni 

Jidem. 
En  r^ardant  la  fin  de  leur  conversation ,  imitez  leur  foi. 

Heb.  xui,  7. 

Apres  que  les  bienheureux  martyrs  avaient 
rendu  l'âme,  les  fidèles  avaient  soin  de  ramas- 
ser ,  au  péril  de  leur  vie ,  ce  qui  restait  de  leurs 
corps;  et  l'Église  conservait  si  chèrement  ce  sacré 
dépôt,  que  les  tyrans,  pour  leur  ôter  les  honneurs 
qu'on  leur  rendait,  étaient  contraints  de  faire 
jeter  dans  la  rivière  leurs  saintes  reliques  :  que  si 
elle  pouvait  les  dérober  à  cette  dernière  cruauté, 
elle  célébrait  leurs  funérailles  avec  des  cantiques 
d'actions  de  grâces,  élevant  au  ciel  son  cœur  et 
ses  yeux  pour  louer  Dieu  de  les  avoir  rendus  di- 
gnes d'un  si  grand  honneur.  Au  reste ,  elle  ne 
voulait  point  qu'on  appelât  des  tombeaux  les  lieux 
où  elle  renfermait  leur  sainte  dépouille  :  elle  les 
nommait  d'un  nom  plus  auguste ,  les  mémoires 
des  martyrs.  Et  si  les  tombeaux  des  hommes  or- 
dinaires sontdes  marques  qu'ils  ont  succombé  aux 
attaques  de  la  mort ,  elle  témoignait  au  contraire 
que  les  tombeaux  des  martyrs  étaient  des  trophées 
qu'elle  érigeait  à  leur  nom ,  pour  être  un  monu- 
ment éternel  de  la  victoire  qu'ils  ont  remportée 
glorieusement  sur  la  mort. 

Mais  parmi  tout  cela  les  chrétiens  ne  croyaient 
point  leur  pou voh'  rendre  de  plus  grand  ;  \  «  spects , 
qu'en  se  les  proposant  pour  exemple.  Tout  ainsi, 
dit  saint  Basile  ' ,  que  les  abeilles  sortent  de  leur 
ruche  quand  elles  voient  le  beau  temps  et,  parcou- 
rant les  fleurs  de  quelque  belle  campagne ,  s'en 
retournent  chargées  de  cette  douce  liqueur  que  le 
ciel  y  verse  tous  les  matins  avec  larosée:  de  même 
aux  jours  illustres  par  la  solennité  de  martyi-s, 
nous  accourons  en  foule  à  leurs  mémoires,  pour 

•  Ilomll.  XVIII,  n"  I ,  t.  n,  pag.  141 


y  recueillir  con)mc  un  don  céleste  l'exemple  de 
leurs  vertus. 

Voilà,  messieurs,  ce  qui  nous  assemble  au- 
jourd'hui. Saint  Gorgon  en  mourant  a  laissé  une 
certaine  odeur  de  sainteté ,  que  l'Égl  ise  ne  manque 
point  de  rafraîchir  tous  lesans  :  c'est  là  sans  doute 
ce  qui  nous  en  est  demetiré  de  meilleur.  Nous  ne 
pouvons  pas  appeler  ces  précieux  restes  les  reli- 
(fues  de  son  corps;  mais  nous  ne  nous  éloigne- 
rons pas  de  la  raison ,  quand  nous  les  nommerons 
les  reliques  de  sa  sainteté.  Conservez-les  dans  vos 
cœurs  comme  dans  un  saint  reliquaire,  et  faites 
en  sorte  que  toutes  vos  affections  s'en  ressen- 
tent. Quelle  joie  vous  sera-ce,  lorsque  vous  res- 
susciterez avec  saint  Gorgon ,  de  reconnaître  en 
cette  bienheureuse  entrevue  les  endroits  de  .son 
corps  que  vous  aurez  baisés  sur  la  terre  et  les 
vertus  que  vous  y  aurez  imitées?  Je  n'ai  que  faire 
de  vous  demander  ni  silence,  ni  attention  :  vous 
devez  le  silence  à  la  majesté  de  ce  lieu  ;  vous 
devez  vos  attentions  au  récit  d'une  histoire  si 
mémorable,  que  je  vous  ferai  simplement  et 
brièvement. 

Mo:«SEIG>'El'R*, 

Si  nousne  devions  ce  jour  tout  entier  à  la  gloire 
de  saint  Gorgon ,  ou  si  j'étais  en  un  lieu  où  je 
pusse  vous  témoigner  la  joie  que  toute  la  viîle  a 
reçue  de  votre  arrivée ,  je  vous  dépeindrais  si  bien 
et  avec  tant  de  naïveté  les  sentiments  de  ce  peu- 
ple qu'il  a  plu  à  Dieu  de  commettre  à  votre  garde , 
que  mes  auditeurs  ne  pourraient  s'empêcher  de 
donner  sur  ce  sujet  à  mon  discours  une  approba- 
tion publique.  Mais  outre  que  votre  vertu  a  paru 
suffisamment  par  vos  grands  emplois ,  et  que  votre 
science  a  été  assez  reconnue  dans  la  plus  célèbre 
compagnie  de  savants  qui  soit  dans  le  monde  ; 
la  dignité  de  cette  chaire ,  ce  temple  auguste  que 
Dieu  remplit  de  sa  gloire ,  ces  sacrés  autels  où 
l'on  va  célébrer  le  saint  sacrifice ,  demandent  de 
moi  une  telle  retenue,  qu'il  faut  que  je  m'abs- 
tienne de  dire  la  vérité ,  pour  qu'il  ne  paraisse 
dans  mon  discours  aucune  apparence  de  flatterie. 
Seulement  je  vous  dirai  que  l'hoïmeur  imprévu 
de  votre  présence  est  pour  moi  une  rencontre  si 
favorable ,  que  je  ne  puis  vous  en  dissimuler  mon 
ressentiment.  Vous  venez  d'entendre  le  sujet  que 
je  dois  traiter  devant  vous  :  plus  il  est  important, 
plus  j'ai  besoin  des  lumières  d'en  haut  pour  le 
faire  dignement ,  et  d'une  manière  qui  puisse 
tourner  à  l'édification  de  cet  auditoire.  Proster- 
nons-nous tous  ensemble  devant  le  trône  de  Dien, 
pour  lui  demander  sa  grâce;  et  si  nous  n'osons 
approcher  une  grandeur  si  terrible,  la  sainte 
Vierge,  que  nous  allons  saluer  par  les  paroies 

*  Le  maréctial  de  Scbombers. 


de  l'ange ,  aura  assez  de  bonté  pour  se  rendre  notre 
avocate  auprès  de  son  fils.  Ave. 


Ce  n  est  pas  sans  raison  que  l'apôtre  nous  ex- 
horte à  être  toujours  sous  les  armes  ' ,  puisque  nous 
apprenons  par  les  oracles  divins  que  notre  vie  est 
une  guerre  continuelle ^  L'Esprit  de  Dieu,  que 
nous  avons  reçu  par  le  saint  baptême ,  remplit 
nos  âmes  de  l'idée  du  souverain  bien ,  pour  nous 
faire  regarder  avec  mépris  les  mouvements  éter- 
nels qui  agitent  la  vie  humaine.  Mais  vous  le  sa- 
vez ,  messieurs ,  il  n'y  a  point  de  grande  entre- 
prise qui  ne  trouve  de  grands  obstacles.  Le  monde 
entier  s'efforce  de  combattre  ce  dessein  :  il  est  tout 
en  armes  pour  en  empêcher  l'exécution  :  Adver- 
sum  nos  omnis  mundus  armatur.  11  orne  de 
faux  appas  toutes  les  créatures  qu'il  comprend 
dans  son  enceinte,  pour  tâcher  de  nous  surpren- 
dre par  ce  vain  éclat.  Que  si  nous  sommes  assez 
généreux  pour  dédaigner  ses  faveurs ,  il  nous  re- 
présenta un  grand  appareil  de  peines  et  de  sup- 
plices ,  pour  nous  émouvoir  ;  tellement  qu'il  faut 
que  le  serviteur  de  Dieu  soit  également  sans  crainte 
et  sans  espérance  en  la  terre ,  qu'il  se  rende  de 
tous  côtés  immobile  et  inexorable. 

Voilà  donc  les  deux  batteries  que  le  monde 
dresse  contre  nous.  Il  veut  l'emporter  de  gré  ou 
de  force  :  s'il  ne  peut  se  faire  aimer,  il  tâche  de  se 
faire  craindre  ;  et  quoiqu'il  semble  que  la  crainte 
doive  avoir  un  effet  plus  prompt,  j'estime  néan- 
moins que  les  complaisances  du  monde  sont  pour 
nous  plus  dangereuses,  parce  que  nous  nous  trou- 
vons portés  d'inclination  à  nous  y  laisser  entraî- 
ner ;  ce  qu'il  nous  sera  facile  de  conclure ,  si  nous 
comprenons  la  différence  de  l'amour  et  de  la 
crainte,  que  saint  Augustin  nous  représente  si 
doctement  en  divers  lieux  ^. 

Toute  la  force  de  la  crainte  consiste  à  retenir 
ou  à  troubler  l'âme ,  mais  il  n'est  pas  possible 
qu'elle  en  change  jamais  les  dispositions.  Ren- 
contrez-vous ,  par  exemple ,  des  voleurs  qui  vous 
voient  en  état  de  leur  résister;  ou  ils  se  retirent, 
ou  s'ils  vous  abordent,  c'est  avec  beaucoup  de 
civilité.  Ils  n'en  sont  pas  pour  cela  ni  moins  vo- 
leurs, ni  moins  avides  de  carnage  et  de  larcins, 
mais  la  crainte  les  oblige  à  dissimuler.  Vous 
voyez  donc  bien  qu'elle  réprime  les  sentiments  de 
l'âme ,  mais  qu'elle  ne  les  détruit  pas.  L'amour 
seul  peut  opérer  ce  changement  :  c'est  lui  qui,  pour 
ainsi  dire,  tient  la  clef  de  l'âme,  qui  l'ouvre  et 
qui  la  dilate  pour  y  faire  entrer  les  objets.  Os 
nostrum  patct  ad  vos ,  o  Corinthiif  cornostrum 
diUitatwn  est  :  <^  L'amour  que  j'ai  pour  vous,  ô 

'  Ephes.  VI,  H. 

*  Jub.  VII,  1. 

•*  S<rm.  cuKix ,  n'  10,  t.  T,  col.  853. 


PAlN'EGYRlQUE 

«  Corinthiens ,  ouvre  ma  bouche  et  mon  cœur,  ■ 
dit  le  grand  apôtre',  qui  veut  leur  témoigner 
la  tendresse  de  son  affection.  Et  c'est  pour  cela 
que  selon  la  doctrine  du  même  apôtre,  la  loi 
ancienne  qui  était  une  loi  de  crainte,  «  a  été  écrite 
«  au  dehors  sur  des  tables  de  pierre.  «  Forin- 
secus  in  tabiilis  lapideis  ;  parce  que  la  crainte  ne 
pénètre  pas  jusqu'au  fond  de  l'âme  pour  la  trans- 
former :  au  lieu  que  la  loi  nouvelle,  qui  est  gravée 
dans  le  fond  du  cœur.  In  tabulis  cordis  carna- 
libus^,  opère  en  elle  sa  conversion ,  parce  que  c'est 
la  loi  d'amour.  D'où  l'on  voit  qu'il  est  bien  plus 
difficile  de  vaincre  un  mauvais  amour  qu'une 
mauvaise  crainte;  attendu  que  l'amour  tenant 
dans  l'âme  la  place  principale,  il  faut,  pour  le 
chasser,  produire  une  plus  grande  révolution  : 
et  partant ,  ceux  que  le  monde  a  gagnés  par  in- 
clination sont  bien  plus  captifs  que  ceux  qu'il 
abat  par  la  frayeur  des  supplices.  D'après  ces 
observations ,  vous  pouvez  connaître  quelle  est 
la  nature  de  la  guerre  que  le  monde  vous  a  dé- 
clarée, et  combien  il  faut  que  le  soldat  de  Jésus- 
Christ  soit  arméde  tous  côtés.  Car  du  reste,  il  im- 
porte peu  à  la  gloire  de  saint  Gorgon  de  savoir 
laquelle  des  deux  entreprises  est  la  plus  difficile., 
puisqu'il  a  égalementtriomphédu  monde  en  l'une 
et  en  l'autre  :  c'est  le  partage  de  mon  discours. 

Vous  le  concevrez  encore  davantage ,  en  con- 
sidérant, messieurs,  ce  qui  a  animé  les  puissances 
de  la  terre  contre  les  défenseurs  de  la  foi.  Ces 
âmes  héroïques  n'ont  pu  plaire  au  monde ,  et  le 
monde  ne  leur  a  pu  plaire  :  voilà  la  cause  de  leurs 
contrariétés.  Le  monde  ne  leur  a  pas  plu  ;  c'est 
pourquoi  ils  l'ont  méprisé  :  ils  n'ont  pas  plu  au 
monde ,  de  là  vient  que  le  monde  a  pris  plaisir 
d'affliger  ce  qui  n'était  pas  à  lui  ;  et  le  tout  est  ar- 
rivé par  un  ordre  secret  de  la  Providence ,  afin 
d'accomplir  cette  parole  mémorable  de  notre  di- 
vin Sauveur  :  «  Je  ne  suis  pas  venu  pour  donner 
«  la  paix,  mais  pour  allumer  la  guerre  :  »  Aon 
veni  pacem  mittere,  sed  gladium^. 

Vous  voyez  bien  par  là  en  quoi  consiste  le  cou- 
rage d'un  véritable  martyr.  Je  vous  ai  promis  de 
vous  en  faire  voir  une  idée  excellente  en  la  per- 
sonne de  notre  saint  :  c'est  ce  que  je  ferai,  s'il 
plaît  à  Dieu ,  dans  la  suite  de  ce  discours.  Je  vais 
tâcher  de  vous  mettre  devant  les  yeux  le  portrait 
d'une  âme  héroïque  et  d'un  courage  inflexible , 
que  l'espoir  des  grandeurs  n'a  point  amolli ,  que 
la  crainte  des  supplices  n'a  point  ébranlé.  Plaise 
seulement  à  cet  esprit,  qui  souffle  où  il  veut,  de 
graver  dans  nos  cœurs  l'image  de  tant  de  vertus; 
afin  que  nous  tous ,  qui  sommes  assemblés  dans 


»  II.  Cor.  VI,  H. 
»  Ihid.  m,  3. 
3  MaUh.x,^. 


DE  SAINT  GORGON. 


49C 


f  c  tomplo  au  nom  au  Seigneur,  nous  soyons  tel- 
lement animés  d'un  si  bel  exemple,  que  nous 
ne  vivions  et  ne  respirions  plus  que  pour  Jésus- 
Christ. 

PREUIER    POKNT. 

Saint  Gorgon  vivait  à  la  cour  des  empereurs 
Dioclétien  et  Maximien ,  et  avait  une  charge  très- 
considérable  dans  leur  maison.  Chacun  sait  com- 
bien Ton  estime  ces  sortes  d'emplois  chez  les 
princes ,  et  combien  les  font  valoir  ceux  qui  les 
]  ossèdent.  Quiconque  a  tant  soit  peu  lu  l'histoire 
romaine ,  y  a  pu  remarquer  quel  crédit  les  empe- 
reurs donnaient  ordinairement  à  leurs  domesti- 
ques, que  leurs  offices  appelaient  plus  souvent 
près  de  leurs  personnes.  Mais ,  sans  m'amusera  des 
conjectures ,  je  n'ai  cfu'à  vous  produire  le  témoi- 
gnage d'Eusèbe ,  évêque  de  Césarée ,  qui  a  vécu 
dans  le  siècle  de  notre  saint  ;  personnage  grave 
et  recommandableàjamais,  pour  nous  avoir  donné 
en  si  beau  style  l'histoire  des  premiers  temps  de 
rÉglise.  Voici  donc  ce  qu'il  dit  de  saint  Gorgon 
et  des  compagnons  de  son  martyre.  Ils  étaient 
montés  au  suprême  degré  d'honneur  auprès  de 
leurs  maîtres ,  et  leur  étaient  aussi  chers  que  s'ils 
eussent  été  leurs  enfants.  Certes ,  il  ne  pouvait 
«ous  représenter  d'une  manière  plus  sensible ,  le 
crédit  singulier  dont  ils  jouissaient  à  la  cour  im- 
périale. Remarquez  bien  que  ces  paroles  nous 
font  entendre,  non-seulementqu'ils  étaient  en  très- 
grande  faveur  auprès  de  leurs  maîtres ,  que  les 
empereurs  avaient  de  grands  desseins  pour  les 
avancer  ;  mais  encore  qu'ils  avaient  pour  eux  une 
tendresse  très-particulière,  que  notre  historien 
n'a  pu  exprimer  qu'en  disant  qu'ils  les  aimaient 
comme  leurs  propres  enfants  :  lis  œque  ac  ger- 
mani  fdii  chari  erant'.  Mais  ce  n'est  pas  mon 
dessein  de  vous  exagérer  beaucoup  leur  pouvoir  : 
je  vous  prie  seulement  de  considérer  quelle  était 
l'opposition  de  ces  deux  qualités  ,  de  favoris  des 
empereurs  et  de  disciples  de  Jésus-Christ.  L'une 
les  faisait  respecter  partout  où  s'étendait  l'empire 
romain,  c'est-à-dire,  par  tout  le  monde  :  l'autre 
les  exposait  à  la  risée ,  à  la  haine,  aux  exécrations 
de  toute  la  terre.  Et  pour  vous  faire  concevoir  com- 
bien cette  haine  était  alors  violente  et  aveugle ,  il 
esta  propos  de  vousdépeindre  quelle  était  l'estime 
que  l'on  avait  encestemps  du  christianisme  :  par 
là  vous  connaîtrez  mieux  jusqu'à  quel  point  Gor- 
gon a  méprisé  les  honneurs  du  monde. 

Les  chrétiens  étaient  à  tout  l'univers  un  objet 
de  mépris  et  de  raillerie  :  chacun  les  foulait  aux 
pieds ,  et  les  rejetait  «  comme  les  ordures  et  les 
"  excréments  de  la  terre,  »  Tanquam  pxirga- 

'  HisUrr.  Ecch-s.  lib.  tiii  ,  cap.  w ,  pag.  296. 


menta  hujus  mundi,  ainsi  que  parle  l'apôtre». 
On  eût  dit  que  les  prisons  n'étaient  faites  que 
pour  eux  :  aussi  étaient-elles  tellement  remplies 
de  ces  innocents  coupables ,  qu'il  ne  restait  plus 
de  place  dans  les  cachots  pour  les  malfaiteurs. 
Dans  les  crimes  les  plus  énormes ,  les  lois  ont  or- 
donné de  la  qualité  du  supplice;  il  n'est  pas  per- 
mis de  l'étendre  au  delà  de  ce  qu'elles  prescrivent. 
C'est  ainsi  qu'elles  ont  voulu  donner  des  bornes 
même  à  la  justice,  de  peur  de  lâcher  la  bride  à 
la  cruauté.  Les  chrétiens  seuls  étaient  une  espèce 
de  criminels ,  à  l'égard  desquels  on  n'appréhen- 
dait d'excéder  qu'en  les  épargnant  :  il  fallait  don- 
ner toute  licence  à  la  barbarie ,  et  leur  arracher 
la  vie  partout  ce  qu'une  ingénieuse  cruauté  peut 
inventer  de  plus  inhumain ,  Per  atrociora  ingé- 
nia pœnarum,  dit  le  grave  Tertullien  «.  Quelle 
fureur!  mais  ce  n'est  encore  rien.  Donner  un 
chrétien  aux  bêtes  farouches ,  c'était  le  divertis- 
sement ordinaire  du  peuple  romain,  quand  il 
était  las  des  sanglants  spectacles  des  gladiateurs; 
de  là  ces  clameurs  si  cruelles,  dont  on  a  ouï  si 
souvent  résonner  les  amphithéâtres  :  ChrisUani 
adbestias,  christianiadbestias!  «  Que  l'on  donne 
«  les  chrétiens  aux  bêtes  farouches  !  »  Après  cela 
est-il  étonnant  qu'o  i  n'observât  contre  eux  ni  for- 
mes ni  procédures?  Cela  était  bon  pour  les  vo- 
leurs et  les  meurtriers  ;  mais  pour  les  chrétiens , 
ils  ne  méritaient  pas  qu'on  prît  tant  de  précau- 
tions. Aussi  les  traînait-on  aux  gib«ts,  comme  on 
mène  de  pauvres  agneaux  à  la  boucherie ,  sans 
qu'ils  ouvrissent  la  bouche  ni  aux  plaintes  ni  aux 
murmures.  Et  qu'auraient-ils  dit,  pour  leur  jus- 
tification, qui  pût  être  écouté?  c'étaient  des  in- 
cestueux, des  magiciens,  des  parricides,  qui 
mangeaient  leurs  propres  enfants  dans  des  sacri- 
fices nocturnes.  S'il  se  trouvait  quelqu'un  qui 
voulût  les  défendre  de  ces  horribles  reproches , 
c'était  en  les  faisant  passer  pour  de  pauvres  in- 
sensés, pour  des  esprits  faibles,  qui  s'amusaient 
à  de  vaines  superstitions  ;  de  sorte  qu'on  ne  les 
excusait  qu'en  les  chargeant  de  nouvelles  calom- 
nies. Et  voilà,  messieurs ,  sans  feinte  et  sans  exa- 
gération ,  quelle  était  l'estime  que  l'on  avait  dans 
le  monde,  des  premiers  chrétiens. 

Ne  vous  en  étonnez  pas ,  mes  frères  :  Jésus- 
Christ  devait  être  tout  ensemble  un  signe  de  paix 
et  un  signe  de  contradiction.  La  vérité  était  étran- 
gère en  ce  monde  ;  il  n'est  pas  surprenant  qu'elle 
n'y  trouvât  point  d'appui.  Mais  voyez  par  là  ce 
que  le  zèle  du  christianisme  a  fait  quitter  à  Gor- 
gon ,  et  ce  qu'il  lui  a  fait  embrasser.  Combien  ces 
reproches  et  cette  ignominie  doivent-ils  être  in- 
supportables aux  âmes  les  plus  communes,  et 

»  I.  Cor.  IV,  13. 

'  De  Ilesurr.  carn.  n°  8. 


496  PANÉGYRIQUE 

bien  plus  encore  aux  hommes  généreux ,  nourris 
comme  notre  saint  dans  la  cour  et  dans  le  grand 
monde ,  qui  peuvent  espérer  d'y  faire  une  si  belle 
fortune?  En  vérité,  messieurs,  n'eussions-nous 
.pas  craint  de  choquer  l'empereur,  et  de  faire  tort 
à  notre  réputation?  Grâce  à  la  Providence  divine, 
qui  nous  a  fait  naître  dans  un  siècle  et  dans  un 
royaume  où  le  nom  de  chrétien  est  une  qualité 
honorable  !  Le  peu  de  soin  que  nous  avons  de  la 
gloire  de  notre  Maître ,  cette  lâcheté  qui  nous  fait 
abandonner  chaque  jour  son  service  pour  de  si 
légères  considérations ,  la  honte  que  nous  avons 
de  remplir  les  obligations  que  la  religion  nous 
impose,  nous  fait  assez  connaître  que  nous  som- 
mes redevables  aux  circonstances  où  nous  sommes 
nés,  de  ce  que  nous  ne  rougissons  pas  du  chris- 
tianisme. Ah  !  si  nous  eussions  vécu  dans  ces  pre- 
miers temps,  où  être  chrétien  c'était  un  crime 
d'État,  nous  eussions  bien  épargné  aux  tyrans  la 
peiire  de  nous  tourmenter. 

Car  enfln,  que  peut-on  présumer  autre  chose 
des  dérèglements  de  notre  vie ,  sinon  que  nous 
eussions  sans  peine  renoncé  au  nom  de  chrétien  ; 
puisque  nous  ne  craignons  point  de  renoncer  pour 
si  peTi  de  chose  aux  plus  saints  devoirs  du  chris- 
tianisme? Je  tremble  pour  moi ,  quand  je  consi- 
dère à  combien  peu  il  tient  que  nous  ne  devenions 
infidèles.  Ah  !  race  de  tant  de  millions  de  mar- 
tyrs, qui  nous  ont  engendrés  en  Jésus-Christ  par 
leur  sang ,  jamais  la  vertu  de  ceux  qui  nous  ont 
précédés  dans  la  foi  ne  réveillera-t-elle  en  nos 
cœurs lesmouvements généreux  du  christianisme? 
Jusqu'à  quand  poi-terons-nous  en  vain  le  titre  de 
chrétiens ,  pour  faire  blasphémer  par  les  impies 
le  saint  nom  de  Dieu,  qui  a  été  invoqué  sur  nous? 
Que  notre  esprit ,  que  nos  mœurs  sont  opposés  à 
ceux  des  saints  martyrs,  qui  faisant  profession 
du  christianisme,  dans  un  temps  où  il  était  odieux 
à  toute  la  terre ,  l'ont  rendu  illustre  par  la  gloire 
de  leurs  belles  actions  !  Et  nous  qui  l'avons  em- 
brassé depuis  qu'il  est  devenu  vénérable  parmi 
tous  les  peuples ,  nous  à  qui  il  serait  si  facile  de 
suivre  ses  préceptes ,  de  régler  notre  conduite  sur 
ses  maximes,  nous  ne  cessons  de  le  déshonorer 
par  nos  dissolutions.  Obsecro  vos,  Fratres,  per 
misericordiam  Dei,  ut  digne  ambulcfis  voca- 
tione  qua  vocati  estis  '  :  «  Je  vous  conjure,  mes 
«  frères,  par  les  entrailles  de  la  miséricorde  de 
«  Dieu,  de  vous  conduire  d'une  manière  convena- 
«  ble  à  votre  vocation.  »  Relevons  un  peu  notre 
courage ,  osons  du  moins  mépriser  les  faveurs  du 
monde ,  puisque  nous  ne  sommes  plus  obligés  de 
passer  par  l'épreuve  des  tourments. 

Saint  Gorgon  n'a  pas  été  traité  avec  tant  d'in- 
dulgence. Qu'il  lui  en  a  coûté  pour  conserver  le 

»  Ephes,  rr,  I. 


don  de  la  foi  qu'il  avait  reçu!  il  n'a  pas  suffi  qu'il 
méprisât  les  grandeurs  humaines.  L'empereur, 
indigné  de  sa  fermeté ,  sut  se  venger  cruellement 
de  l'injure  que  l'indifférence  du  saint  martyr 
semblait  faire  à  l'amitié  dont  il  l'avait  honoré. 
Outre  la  haine  qu'il  avait  généralement  pour  tous 
les  chrétiens,  haine  si  violente  qu'il  quitta  l'em- 
pire, désespéré  de  n'en  pouvoir  éteindre  la  race; 
il  était  encore  rongé  d'un  secret  dépit  d'avoir 
nouiTi  en  sa  maison  un  ennemi  de  l'empire ,  et 
même  de  lui  avoir  donné  part  en  sa  confiance.  H 
se  promet  donc  d'en  faire  un  exemple ,  qui  pourra 
inspirer  de  la  terreur  aux  plus  déterminés  ;  et 
voici  par  où  il  commence  l'exécution  de  son  des- 
sein. D'abord  il  commande  au  saint  martyr  de 
sacrifier  aux  idoles  :  mais  Gorgon  le  refuse  gé- 
néreusement, disant  qu'il  n'a  garde  de  rendre 
cet  honneur  à  un  métal  insensible  ;  qu'il  avait 
appris  dans  l'école  de  Jésus-Christ  à  adorer  en 
esprit  et  en  vérité  un  seul  Dieu ,  créateur  du  citl 
et  de  la  terre  ;  dont  la  beauté  pure  ne  pouvait 
être  vue  par  ces  yeux  mortels ,  ni  représentée  sur 
une  matière  vile  et  fragile.  Le  peuple  ignorant , 
à  qui  Dieu  n'avait  point  fait  entendre  dans  Ip 
cœur  ces  vérités  précieuses ,  prit  pour  un  blas- 
phème cette  céleste  philosophie,  et  s'écria  qu'il 
fallait  punir  l'ennemi  des  dieux.  Aussitôt  on  le 
dépouille ,  on  l'élève  avec  des  cordes  pour  le  faire 
voir  à  toute  la  ville,  qui  était  accourue  à  ce  spec 
tacle  ;  on  le  bat  ensuite  de  verges  si  cruellement , 
qu'en  peu  de  temps  il  ne  resta  plus  sur  son  corps 
aucune  partie  entière.  Déjà  le  sang  ruisselait  de 
tous  côtés  sur  la  face  des  bourreaux  ;  «  les  nerft 
«  et  les  os  étaient  découverts;  et  la  peau  étant 
«  toute  déchirée ,  ce  n'était  plus  ses  membres , 
«  mais  ses  plaies  que  l'on  tourmentait  :  «  Rupta 
compage  viscerum,  torquehantur  in  servo  Det 
nonjam  membra,  scdvulnera\  Cependant  Gor- 
gon ,  glorieux  de  confesser  par  tant  de  bouches 
la  vérité ,  se  réjouit  avec  l'apôtre  de  voir  qu'il  n'y 
a  aucun  endroit  sur  son  corps  où  la  passion  de  son 
Maître  crucifié  ne  soit  imprimée  \  El  en  effet , 
il  était  de  tous  côtés  tellement  meurtri,  la  dou- 
leur l'avait  réduit  dans  un  état  si  pitoyable,  qu'on 
nepouvaitlui  donner  un  plus  grand  soulagement, 
que  de  le  laisser  ainsi  suspendu  dans  le  lieu  de 
son  supplice.  0  funeste  extrémité  !  et  néanmoins 
on  lui  refuse  ce  cruel  adoucissement.  Le  tyran 
ordonne  qu'on  le  descende;  et  ce  pauvre  corps 
tout  déchiré,  à  qui  les  plus  doux  onguents  eus- 
sent causé  des  douleurs  insupportables,  est  frotté 
de  sel  et  de  vinaigre.  Il  reçoit  ce  nouveau  sup- 
plice comme  une  nouvelle  grâce  que  Dieu  lui  fai- 
sait, pour  accomplir  en  sa  personne,  aussi  bien 

1  s.  Ci/prian.  ad  Martyr,  et  Coiifess.  EpUt.  Wll,  pag.  1» 
»  CaUtl.  M,  17. 


DE  SAINT  GORGON. 


497 


«Ju'eii  Jé«us- Christ,  cette  prophétie  du  psalmiste  : 
Super  dolorem  vulnenim  mcorum  addiderunt". 
«  Ils  ont  ajouté  d'autres  tourments  à  la  douleur 
«  de  mes  plaies.  « 

Mais  ce  n'est  pas  tout  :  la  cruauté,  furieuse  de 
son  impuissance,  cherche  qn.lques  autres  s»ip- 
plices  pour  l'nbattre;  et  si  elle  ne  peut  le  vaincre 
par  la  srrandeur  des  tourments,  elle  tâche  au  moins 
de  l'étonner  par  la  nouveauté  de  ses  inventions. 
Ce  sel  et  ce  vinaigre  n'ont  fait ,  pour  aiosi  dire, 
que  lui  éveiller  l'appétit  :  il  lui  faut  pour  le  ras- 
sasier quelque  assaisonnement  plus  barbare.  Le 
tyran  fait  coucher  le  saint  martyr  sur  un  gi-il  de 
fer,  déjà  tout  rouge  par  la  véhémence  de  la  cha- 
leur, qui  aussitôt  rétrécit  ses  nerfs  dépouillés , 
avec  une  douleur  que  je  ne  puis  vous  exprimer. 
Quel  horrible  spectacle  !  Gorgon  étendu  sur  un 
lit  de  charbons  ardents,  sou  corps  fondant  de  tous 
côtés  par  la  force  du  feu,  et  nourrissant  de  ses  en- 
trailles la  flamme  qui  le  dévorait.  Autour  de  lui 
s'élevait  une  vapeur  noire,  produite  par  l'exhalait 
son  des  graisses  de  sa  chair,  qui  le  suffoquait ,  et 
que  le  tyran  humait  pour  assouvir  sa  fureur  in- 
satiable. Mais  enlin  rebuté  de  la  constance  du 
saint  martyr,  et  ne  pouvant  plus  ni  supporter  ses 
reproches ,  ni  écouter  les  louanges  qu'il  donnait 
à  Jésus-Christ  d'une  voix  mourante,  il  lui  fit 
promptement  arracher  les  restes  d'une  vie  qui 
s'éteignait.  C'est  ainsi  qu'en  achevant  de  rompre 
ses  liens,  il  lui  procura  une  parfaite  délivrance, 
et  envoya  sa  belle  âme  jouir  à  jamais  des  embras. 
sements  de  son  bien-aimé.  Voilà,  messieurs 
quelle  a  été  la  fin  de  notre  martyr,  qui  a  méprisé 
le  monde  dans  ses  promesses  et  dans  ses  mena- 
ces, dans  ses  délices  et  dans  ses  tourments,  lais- 
sant par  sa  mort  un  reproche  éternel  à  la  mollesse 
et  au  peu  de  foi  de  ces  derniers  siècles. 

Après  cela,  puis-je  mieux  faire  que  de  con- 
rlure,  comme  j'ai  commencé,  par  les  paroles  de 
l'apôtre  :  «  Imitez  la  foi  de  ce  généreux  martyr, 
«  dont  vous  venez  d'admirer  la  fin  glorieuse  :  =-  Quo- 
rum intuenfes  exitum  imitaminijidem.  Vous 
avez  vu  en  esprit  quelle  a  été  la  constance  de 
Gorgon ,  sa  fidélité  jusqu'à  la  mort ,  dont  il  a 
goûté  à  longs  traits  toute  l'amertume  :  que  reste- 
t-il  maintenant,  si  ce  n'est  que  vous  imitiez  sa 
foi,  cette  foi  ardente  qui  lui  a  fait  préférer  à  tous 
le«  honneurs  l'opprobre  de  Jésus-Christ,  et  qui 
a  rendu  son  esprit  ferme  et  inébranlable,  pen- 
dant que  son  corps  s'en  allait  pièce-a  pièce  comme 
une  vieille  masure? 

SECOND    POINT. 

Si ,  après  avoir  vu  quelles  impressions  la  dou- 

'  Psalni.  LX\m,  27.  " 

■OSSCET.  —  TOME  IIL 


leur  a  fait  sur  son  corps,  une  louable  curiosité 
vous  porte  à  savoir  ce  que  Dieu  opérait  invisible- 
raent  dans  son  âme,  et  d'où  lui  venait  parmi  une 
telle  agitation  une  si  grande  tranqi:illité  :  en  un 
mot,  si  vous  désirez  connaître  quelles  étaient  les 
pensées  dont  s'entretenait  un  chrétien  souffrant, 
je  vous  les  exposerai  en  peu  de  mot:  pour  votre 
édification  ;  et  je  tâcherai ,  avec  la  lumière  de 
l'Esprit  sîdnt ,  de  pénétrer  dans  le  cœur  du  saint 
martyr,  pour  vous  découvrir  tous  les  sentiments 
dont  il  était  animé  parmi  des  tourments  si  ex- 
cessifs. 

Les  martyrs ,  mes  frères,  étaient  bien  éloignés 
des  dispositions  de  ces  âmes  basses ,  qui  se  croient 
à  l'instant  délaissées  de  Dieu  j  aussitôt  qu'elles 
ressentent  quelque  affliction.  Rien  au  contraire 
n'affermissait  si  bien  leur  espérance  que  la  consi- 
dération de  leurs  supplices  :  car  «  la  tribulation 
«  produit  la  souffrance ,  et  la  souffrance  fait  l'é- 
«  preuve ,  »  comme  dit  l'apôtre  '.  Or  il  est  évident 
que  quand  on  prend  quelqu'un  pour  le  mettre  à 
l'épreuve ,  c'est  une  marque  que  l'on  a  dessein 
de  s'en  serv  ir.  Ainsi  les  martyre ,  que  Dieu  avait 
instruits  du  secret  de  sa  conduite,  se  persuadaient, 
par  une  confiance  très-salutaire,  que  Dieu  les  ré- 
servait à  quelque  chose  de  grand,  puisqu'il  voulait 
bien  avoir  la  bouté  de  les  éprouver  :  et  c'est ,  à 
mon  avis,  la  raison  pour  laquelle  l'apôtre  ajoute, 
«  que  l'épreuve  produit  l'espérance  ;  >-  Probatio 
vero  spem. 

Saint  Cyprien,  dans  le  li^TC  qu'il  a  fait  de  l'Ex- 
hortation des  martyrs ,  nous  en  fournit  encore 
cette  belle  raison.  Notre  Sauveur,  dit-il  ' ,  pro- 
phétise ,  en  plusieurs  endroits ,  que  la  vie  de  ceux 
qui  écouteront  sa  parole  sera  continuellement 
traversée,  mais  aussi  il  leur  promet,  après  leurs 
travaux;  un  soulagement  éternel.  Et  voyez  com- 
ment le  Saint-Esprit  se  sert  de  toutes  choses , 
pour  relever  nos  courages.  C'est  pourquoi  le 
saint  martyr  fait  entendre  à  ses  frères,  par  un 
discours  digne  de  lui,  que  Dieu,  dont  on  ne  peut 
compter  les  miséricordes,  n'est  pas  moins  fidèle 
dans  les  biens  qu'il  promet  que  dans  les  maux 
qu'il  annonce,  et  que  l'accomplissement  de  la 
moitié  de  la  prophétie  leur  est  un  témoignage  in- 
dubitable de  la  vérité  de  l'autre.  Aussi  prenaient- 
ils  leur  disgrâce  présente  pour  un  gage  certain 
de  leur  future  félicité;  et  mesurant  leurs  conso- 
lations à  venir  sur  leurs  peines  présentes ,  ils 
croyaient  qu'elles  ne  leur  étaient  pas  tant  en- 
voyées pour  les  tourmenter  dans  le  temps ,  que 
pour  leur  donner  de  nouvelles  assurances  d'un 
bonheur  sans  fin. 

Ces  pensées  ne  sont-elles  pas  pleines  d'une 

»  Rom.  Y,  41. 

'  De  Exhort.  Martyr,  pag.  ttS. 


49S 


PANÉGYRIQUE 


grande  consolation?  Mais  leur  esprit,  nourri  de- 
puis longtemps  de  la  parole  divine ,  en  conee- 
vait  encore  de  bien  plus  sublimes.  Comme  ils  ne 
jugeaient  pas  des  choses  par  l'extérieur,  ils  con- 
sidéraient que  l'homme  n'était  pas  ce  qu'il  nous 
paraît  ;  mais  que  Dieu ,  pour  le  former,  avait  fait 
sortir  de  sa  bouche  un  esprit  de  vie ,  (fu'il  avait 
caché  comme  un  trésor  céleste  dans  cette  masse 
du  corps;  que  cet  esprit,  quoiqu'il  fût  d'une  race 
divine,  comme  le  dit  si  bien  l'apôtre  au  milieu 
de  l'Aréopage  ' ,  quoiqu'il  portât  imprimé  sur  soi 
l'image  de  son  Créateur,  était  néanmoins  acca- 
blé d'un  amas  de  pourriture,  où  il  contractait 
par  nécessité  quelque  chose  de  mortel  et  de  ter- 
restre, dégénérant  de  la  pureté  de  son  origine. 
Dans  cette  pensée ,  ils  croyaient  que  les  tour- 
ments ne  faisaient  qu'en  détacher  ce  qu'il  y  avait 
d'étranger,  «  tout  ainsi  que  le  feu  sépare  de  For 
«  ce  qui  s'y  mêle  d'impur  :  »  Tanquam  aurum 
infornace  ^  En  effet ,  on  eut  dit ,  à  les  voir,  qu'à 
mesure  qu'on  leur  emportait  quelque  lambeau 
de  leur  chair,  leur  âme  s'en  serait  trouvée  beau- 
coup allégée ,  comme  si  on  les  eût  déchargés  d'un 
pesant  fardeau  ;  et  ils  espéraient  qu'à  force  d'ar- 
racher leur  chair  pièce  à  pièce ,  elle  resterait 
toute  pure  et  toute  céleste  ,  et  en  cet  état  serait 
présentée  au  nom  de  Jésus-Christ  devant  le  trône 
de  Dieu. 

Dans  ces  considérations ,  vous  les  eussiez  vus, 
d'un  cœur  brûlant  de  charité ,  s'animer  eux-mê- 
mes contre  leurs  supplices.  Tantôt  ils  se  plai- 
gnaient de  ce  qu'ils  étaient  trop  lents ,  ne  souhai- 
tant ricTi  tant  que  de  voir  bientôt  abattue  cette 
masure  ruineuse  de  leur  corps,  qui  les  séparait 
de  leur  Maître,  et  sécriant  avec  l'apctre  :  «  Je 
«  désire  d'être  dégagé  des  liens  du  corps ,  pour 
«  vivre  avec  Jésus-Christ:  »  Ciipio  dissolvi ,  et 
esse  cum  Christo^.  Tantôt  ravis  d'une  certaine 
douceur,  que  ressentent  les  grands  courages 
lorsqu'il  s'agit  de  souffrir  pour  ce  qu'ils  aiment, 
ils  se  réjouissaient  de  se  voir  enveloppés  d'une 
chair  mortelle,  qui  pût  fournir  matière  à  la 
cruauté  des  bourreaux.  De  telles  et  semblables 
réflexions  consolaient  les  martyrs,  en  attendant 
avec  patience  qu'il  plût  à  Dieu  de  les  appeler  à 
lui  ;  et  saint  Gorgon  sut  si  bien  prendre  ces  sen- 
timents de  ceUx  qui  l'avaient  précédé ,  qu'il  de- 
vint lui-même  pour  la  postérité  un  exemple  digne 
d'être  proposé  à  la  piété  des  fidèles. 

C'est  vous  particulièrement,  messieurs,  que 
cet  exemple  regarde,  puisque  vous  avez  pris  saint 
Gorgon  pour  votre  patron.  Vous  n'êtes  pas  obli- 
gés de  sauffnr  les  mômes  peines  ;  mais  comme 

■  .4ct.  xvji,  2». 
2  S(ip.  m ,  6. 
a  Phil.  1,23. 


vous  participez  à  la  même  foi ,  vous  devez  entrer 
dans  les  mêmes  sentiments.  Il  faut  que  votre  pa- 
roisse, illustre  par  tant  de  titres,  mais  surtout 
pour  être  sous  la  protection  d'un  si  grand  mar- 
tyr, se  rende  encore  plus  recommandable  en 
imitant  sa  foi ,  après  avoir  considéré  sa  mort  si 
attentivement. 

Or,  il  en  est  des  martyrs  comme  d'un  excellent 
original ,  dont  chaque  peintre  cherche  à  copier 
quelques  traits  pour  embellir  son  ouvrage.  Nous 
voyons  dans  leurs  actions  la  vie  de  notre  Sauveur 
si  bien  exprimée ,  c^u'il  n'y  a  presque  rien  qui  ne 
nous  y  doive  servir  d'exemple  :  mais  dans  un  si 
grand  éclat  de  vertus ,  il  nous  faut  choisir  celles 
qui  nous  sont  plus  nécessaires ,  selon  les  occur- 
rences où  nous  nous  trouvons. 

Martyr  et  témoin ,  c'est  la  même  chose.  On 
appelle  martyrs  de  Jésus-Christ  ceux  qui,  souf- 
frant pour  la  foi ,  en  ont  témoigné  la  vérité  par 
leur  patience ,  et  l'ont  scellée  de  leur  sang.  Main- 
tenant il  n'y  a  plus  de  tyrans  qui  nous  persé- 
cutent; mais  nous  sommes  instruits  par  l'Évan- 
gile que  Dieu ,  qui  est  notre  père,  distribue  à  ses 
enfants  les  biens  et  les  maux  selon  les  conseils 
de  sa  providence'.  Ainsi,  quand  nous  sommes 
affligés,  si  nous  prenons  nos  afflictions  de  la  main 
de  Dieu  avec  humilité,  ne  déclarons-nous  pas, 
par  cette  soumission ,  qu'il  y  a  une  intelligence 
première  et  universelle ,  qui  par  des  raisons  se- 
crètes, mais  équitables,  nous  rend  ici-bas  heu- 
reux ou  malheureux?  Et  n'est-ce  pas  alors  nous 
montrer  les  témoins  ou  les  martyrs  de  la  Provi- 
dence? 

Nous  vivons,  messieurs,  dans  un  temps  et  dans 
une  ville  où  nous  avons  sujet  de  mériter  cet  hon- 
neur. Il  y  a  près  de  vingt  ans  qu'elle  porte  pres- 
que tout  le  fardeau  de  la  guerre  :  sa  situation 
trop  importante  semble  ne  lui  avoir  servi  que 
pour  l'exposer  en  proie  à  tous  ceux  qui  l' avoi- 
sinent  :  Diripuerunt  eam  omnes  transeuntes 
viam  ^  ;  et  comme  si  ce  n'était  pas  assez  de  tant 
de  misères,  Dieu,  cette  année,  ayant  trompé  l'es- 
pérance de  nos  moissons ,  a  frappé  la  terre  de 
stérilité  :  car  il  ne  faut  point  douter  que  tous  ces 
maux  ne  soient  arrivés  par  son  ordre.  Il  punit  par 
la  guerre  celle  que  nous  lui  faisons  tous  les  jours. 
La  terre,  par  son  commandement,  nous  refuse  le 
fruit  de  nos  travaux,  parce  que  nos  âmes  ne  lui 
en  rapportent  aucun ,  quoiqu'il  les  ait  si  soigneu- 
sement cultivées.  Ah  !  messieurs,  humilions-nous 
sous  la  puissante  main  de  Dieu,  de  peur  qu'après 
avoir  tout  perdu ,  nous  ne  perdions  encore  le  fruit 
de  l'affliction  que  nos  calamités  nous  causent,  au 
lieu  de  la  faire  profiter  à  notre  salut. 

'  Matth.  V,  45. 

»  Ps.  LXXXVIII,  42. 


DE  SAINT  GORGON. 


499 


n  ne  faut  point  nous  flatter  :  nous  voyons  as- 
sez de  personnes  qui  plaignent  les  malheurs  du 
temps;  mais  qui  sont  ceux  qui  travaillent  sérieu- 
sement à  faire  cesser  la  vraie  cause  de  tous  ces 
maux?  Le  ciel  ne  nous  a  fait  encore  que  les  pre- 
mières menaces;  et  déjà  le  pauvre  tâche  d'amas- 
ser de  quoi  vivre  par  des  tromperies,  se  défiant 
de  la  Providence,  pendant  que  le  riche  pré- 
pare ses  greniers  pour  engloutir  la  nourriture  du 
pauvre,  qu'il  lui  fera  acheter  bien  cher  en  son  ex- 
trême indigence.  Les  plus  sages  pensent  à  pourvoir 
à  la  nécessité  du  pays  :  leur  zèle  est  louable  ;  mais 
nous  n'avançons  rien  {)ar  ces  soins.  S'il  est  vrai 
que  Dieu  soit  irrité  contre  nous,  comme  il  nous 
le  fait  paraître  par  les  fléaux  qu'il  nous  envoie, 
pensons-nous  pouvoir  arrêter  le  torrent  de  sa  co- 
lère par  de  vaines  précautions?  Si  tu  montes  jus- 
qu'au ciel ,  dit  le  Seigneur  ' ,  je  t'en  saurai  bien 
tirer,  et  ma  colère  t'ira  trouver  jusqu'au  plus 
profond  des  abîmes.  Il  faut  aller  à  la  source  du 
mal,  puisque  aussi  bien  nos  prévoyances  toujours 
incertaines  ne  peuvent  rien  contre  ses  ordres 
inévitables. 

Mais  si,  reconnaissant  nos  péchés,  nous  con- 
fessons qu'ils  ont  justement  attiré  son  indigna- 
tion sur  nos  têtes ,  qu'attendons-nous  à  faire  pé- 
nitence? Que  ne  prévenons-nous  sa  fureur  par 
un  sacrifice  de  larmes?  que  ne  mettons-nous  fin 
nu  long  désordre  de  notre  vie?  que  ne  rachetons- 
nous  nos  iniquités  par  nos  aumônes,  ouvrant  nos 
cœurs  sur  la  misère  du  pauvre?  Ah!  Seigneur, 
nous  vous  avons  grandement  offensé ,  nous  ne 
sommes  pas  dignes  d'être  appelés  vos  enfants  : 
détournez  votre  colère  de  dessus  nous,  de  peur 
que  nous  ne  disparaissions  de  devant  votre  face, 
comme  la  poudre  qui  est  emportée  par  un  tour- 
billon. Nous  vous  en  prions  par  Jésus-Christ 
votre  Fils ,  qui  s'est  offert  pour  nous  en  odeur  de 
suavité. 

C'est  ainsi ,  raessieui"s ,  qu'il  nous  faut  fléchir 
sa  miséricorde  :  c'est  par  là  qu'il  nous  faut  obte- 
nir cette  paix  que  nous  attendons  il  y  a  si  long- 
temps. Il  semble  à  tout  moment  que  Dieu  veuille 
nous  la  donner;  et  si  elle  a  été  retardée,  n'attri- 
buons ce  délai  à  aucune  raison  humaine  :  c'est 
lui  qui  attend  de  nous  que  nous  commencions  de 
bonne  foi  à  satisfaire  à  sa  justice.  La  paix  qu'il 
nous  prépare  semble  être  prête  à  descendre  vers 
nous;  on  dirait  qu'il  dispose  toutes  choses  à  son 
établissement  :  arrachons-la-lui  par  la  ferveur 
de  nos  prières;  et  surtout,  si  nous  voulons  qu'il 
nous  fasse  miséricorde,  ayons  compassion  de  nos 
pauvres  frères ,  que  la  misère  du  temps  réduira 
peut-être  à  d'étranges  extrémités.  Ainsi  pussions- 
nous  recevoir  abondamment  les  faveurs  du  ciel 


et  mériter  que  Dieu  rende  le  premier  lustre  à  cette 
ville ,  autrefois  si  florissante;  qu'il  rétablisse  les 
campagnes  désolées,  qu'il  fasse  revivre  partout 
aux  environs  le  repos  et  la  douceur  d'une  paix 
bien  affermie.  Mais  ne  bornons  pas  là  nos  vœux  ; 
et  pour  voir  régner  une  concorde  éternelle  entre 
ses  citoyens ,  désirons  qu'il  ramène  à  l'union  de 
la  sainte  Église  ceux  qui  s'en  sont  séparés  par 
le  prétexte  d'une  réformation  illusoire  :  afin  que 
les  forces  du  christianisme  étant  réunies,  nous 
chantions  d'une  même  voix  les  grandeurs  de  no- 
tre Dieu,  et  les  bontés  de  notro  Sauveur  Jésus- 
Christ,  par  qui  nous  espérons  triompher  à  jamais 
de  tous  nos  ennemis,  et  jouir  du  repos  éternel 
qui  nous  est  promis.  Amen. 


PRECIS 

D'UN  AUTRE  PANÉGYRIQUE 

DU   MftSIE   SAINT. 

L'heure  rlu  sacrifice,  le  temps  le  plus  propre  pour  c<''Iébrpr 
les  louantes  d'un  martyr.  Avec  quelle  constance  saint  Gorgon 
a  surmonté  les  caresses  et  les  menaces  du  monde.  Vains  ef- 
forts du  tyran  contre  lui  :  grands  biens  qu'il  lui  a  procurés. 

Omne  quod  natum  ex  Deo,  vincit  tnundum;  et  ncee 
est  Victoria  quce  vincit  viundum,fides  nosfra. 

Tout  ce  qui  est  né  de  Dieu ,  surmonte  le  monde;  et  la  vic- 
toire qui  sarmonte  le  monde,  c'est  notre  foi.  /.  Joan. 
v,3. 

Il  n'est  point  de  temps  ni  d'heure  plus  propre 
à  faire  l'éloge  des  saints  martyrs,  que  celui  du 
sacrifice  adorable  pour  lequel  vous  êtes  ici  assem- 
blés. C'est ,  mes  frères ,  de  ce  sacrifice  que  les 
martyrs  ont  tiré  toute  leur  force ,  et  c'est  aussi 
dans  ce  sacrifice  qu'ils  ont  pris  leur  instruction. 
C'est  la  nourriture  céleste  que  l'on  nous  donne  à 
ces  saints  autels,  qui  les  a  affermis  et  fortifiés 
contre  toutes  les  terreurs  du  monde  ;  et  le  sang 
que  l'on  y  reçoit,  les  a  animés  à  verser  le  leur  pour 
la  gloire  de  l'Évangile.  Et  n'est-ce  pas  dans  ce 
sacrifice  que  voyant  Jésus-Christ  s'offrir  à  son 
Père,  ils  ont  appris  à  s'offrir  eux-mêmes  en  Jésus- 
Christ  et  par  Jésus-Christ  ?  et  cette  innocente  vic- 
time ,  qui  s'immole  tous  les  jours  poumons,  leur 
a  inspiré  le  dessein  de  s'immoler  pour  l'amour  de 
lui.  Saint  Ambroise,  après  avoir  découvert  les 
corps  des  martyrs  de  Milan ,  les  mit  dans  les 
mêmes  autels  sur  lesquels  il  célébrait  le  saint  sa- 
crifice ;  et  il  en  rend  cette  raison  à  son  peuple  : 
Succédant,  dit  ce  grand  évêque  avec  son  élo- 
quence ordinaire',  svccedant  victimœ  trium- 
phales  in  locum  ubi  Chrisius  hostia  est  :  «  Il 
«  est  juste ,  il  est  raisonnable  que  ces  triomphantes 

'  Epiit.  XXII,  n"  13,  t.  II,  col.  877. 

32 


500  PANl^GYRIQUE 

»  victimes  soient  placées  dans  le  même  lieu  où 
«  Jésus-Christ  est  immolé  tous  les  jours  ;  »  et  si 
ee  sont  des  victimes ,  on  ne  peut  les  mettre  que 
sur  les  autels. 

Ne  croyez  donc  pas ,  chrétiens ,  que  l'action  du 
sacrifice  soit  Interrompue  par  les  discours  que 
j'ai  à  vous  faire  du  martyre  de  saint  Gorgon. 
Vous  quittez  un  sacrifice  pour  un  sacrifice  :  c'est 
un  sacrifice  mystique  que  la  foi  nous  fait  voir  sur 
ces  saints  autels;  et  c'est  aussi  un  sacrifice  qneje 
dois  vous  représenter  en  cette  chaire.  Jésus-Christ 
est  immolé  dans  l'un  et  dans  l'autre  :  là  il  est  mys- 
tiquement immolé  sous  les  espèces  sanctifiéw» ;  et 
ici  il  sera  immolé  en  la  personne  d'un  de  ses  mar- 
tyrs :  là  il  renouvelle  le  souvenir  de  sa  passion 
douloureuse;  ici  il  accomplit  eu  ses  membres  ce 
qui  manquait  à  sa  passion ,  comme  parle  le  divin 
apôtre'.  L'un  et  l'autre  de  ces  sacrifices  se  lait 
par  l'opération  de  l'Esprit  de  Dieu  ;  et  pour  pro- 
fiter de  l'un  et  de  l'autre  nous  avons  besoin  de  sa 
grâce,  que  je  lui  demande  humblement  par  les 
^n-ièrts  de  la  sainte  Yicrge.  Ave. 

Pour  entrer  d'abord  en  matière ,  je  suppose  que 
vous  savez  que  nous  sommes  enrôlés  par  le  saint 
baptême  dans  une  milice  spirituelle,  en  laquelle 
nous  avons  le  monde  à  combattre.  Cette  vérité 
est  connue  ;  mais  il  importe  que  vous  remarquiez 
que  cette  admirable  milice  a  ceci  de  singulier  : 
que  le  prince  qui  nous  fait  combattre  sous  ses  glo- 
rieux étendards ,  vous  entendez  bien,  chrétiens, 
que  c'est  Jésus  leSauveur  des  âmes,  nous  ordonne 
non-seulement  de  combattre ,  mais  encore  nous 
commande  de  vaincre.  La  raison  en  est  évidente  ; 
car  dans  les  guerres  que  font  les  hommes  tout 
l'événement  ne  dépend  pas  du  courage  ni  de  la 
résolution  des  soldats  :  je  veux  dire  qu'on  n'em- 
porte pas  tout  ce  qu'on  attaque  avec  vigueur. 
Quelquefois  la  nature  des  lieux ,  qui  souvent  sont 
inaccessibles;  quelquefois  les  hasards  divers,  qui 
se  rencontrent  dans  les  combats ,  rendent  inutiles 
les  efforts  des  assaillants;  quelquefois  même  la 
résistance  est  si  opiniâtre,  que  l'attaque  la  plus 
hardie  n'est  pas  capable  de  la  surmonter  :  de  là 
vient  que  le  général  ne  répond  pas  toujours  des 
événements;  et  enfin  toutes  les  histoires  sont 
pleines  de  ces  braves  infortunés ,  qui  ont  eu  la 
gloire  de  bien  combattre  sans  avoir  le  plaisir  de 
triompher;  qui  ont  remporté  de  la  bataille  la 
réputation  de  bons  soldats ,  sans  avoir  pu  obtenir 
le  titre  de  victorieux. 

Mais  il  n'en«st  pas  de  la  sorte  dans  les  guerres 
que  nousfaisoas  sous  Jésus-Christnotrecapitaine. 
Les  armes  qu'on  nous  donne  sont  invincibles  : 
le  seul  nom  de  notre  Sauveur,  sous  lequel  nous 

i  Colots.  1 ,  24. 


avons  l'honneur  de  combattre ,  met  nos  ennemis 
en  désordre:  tellement  que ,  si  le  courage  ne  nous 
manque  pas,  l'événement  n'est  pasincertainnila 
victoire  douteuse  C'est  pourquoi  je  vous  disais, 
chrétiens,  et  j'avais  raison  de  le  dire,  que  dans  la 
milice  où  nous  servons ,  dans  l'armée  où  nous 
sommes  enrôlés ,  il  n'y  a  pas  seulement  ordre  de 
combattre  ;  mais  encore  que  nous  sommes  obli- 
gés de  vaincre  ;  et  vous  le  pouvez  avoir  remar- 
qué par  les  paroles  que  j'ai  alléguées  du  disciple 
bien-aimé  de  notre  Sauveur  :  Omne  quod  nalum 
est  ex  Deo,  vincU  miindum  :  «  Tout  ce  qui  est 
'<  né  de  Dieu ,  surmonte  Iç'  monde.  »  Où  est  l'ar- 
mée où  l'on  puisse  dire  que  tous  les  combattants 
sont  victorieux?  Ici  vous  voyez  comme  il  parle  : 
«  Tout  ce  qui  est  né  de  Dieu,  »  tout  ce  qui  est 
enrôlé  par  le  baptême,  quod  natum  est  ex  Deo, 
ce  sont  autant  de  victorieux.  Cette  milice  rem- 
porte nécessairement  la  victoire  ;  et  s'il  y  a  des 
vaincus,  c'est  cfu'ils  n'ont  pas  voulu  combat- 
tre ,  c'est  que  ce  sont  des  déserteurs.  11  est  écrit 
dans  les  prophètes  :  Electi  met  non  laborabunt 
■frustra  •  :  Mes  élus  «  ne  travailleront  point  eu 
«  vain,  »  c'est-à-dire  que  dans  celte  armée  il  n'y 
a  point  de  vertus  malheureuses;  la  valeur  n'a 
jamais  de  mauvais  succès  ;  et  tous  ceux  qui  com- 
battent bien,  seront  infailliblement  couronnés  : 
Omne  quod  natum  est  ex  Deo,  vincit  mundum. 

Venez  donc ,  venez  chrétiens ,  à  cette  glorieuse 
milice.  Il  y  a  des  travaux  à  souffrir,  mais  aussi 
la  victoire  est  indubitable  :  ayez  la  résolution  de 
combattre,  vous  aurez  l'assurance  de  vaincre.  Que 
si  les  paroles  nesuffisent  pas,  s'il  faut  des  exemples 
pour  vous  animer  ;  en  voici  un  illustre  que  je  vous 
présente,  dans  le  martyre  du  grand  saint  Gor- 
gon. Oui ,  mes  frères ,  il  a  combattu  ;  c'est  pour- 
quoi il  a  triomphé.  Vous  lui  verrez  surmonter  le 
monde,  c'est-à-dire,  dit  saint  Augustin',  toutes 
ses  erreurs ,  toutes  ses  terreurs ,  et  les  i'ttraits  de 
ses  fausses  amours  :  c'est  ma  première  partie. 
Mais,  mes  frères,  ce  n'est  pas  assez  que  vous  lui 
voyiez  répandre  son  sang,  il  faut  que  ce  sang 
écnauife  le  nôtre;  il  faut  que  ses  bienheureuses 
blessures,  que  l'amour  de  Jésus-Christ  a  ouvertes, 
fassent  impression  sur  nos  cœurs  :  il  y  aurait  pour 
nous  trop  de  honte,  d'être  lâches  et  inutiles  spec- 
tateurs de  cette  glorieuse  bataille.  Jetons-nous, 
mes  frères,  dans  cette  mêlée,  fortitions-nous  par 
les  mêmes  armes ,  soutenons  le  même  combat  ;  et 
nous  remporterons  la  même  victoire ,  et  nous 
chanterons  tous  ensemble  :  Et  hœc  est  Victoria 
quœ  vincit  numdum  :  '<  Et  la  victoire  qui  sur- 
et monte  le  monde ,  c'est  notre  foi.  » 

Ce  n'est  pas  à  moi ,  chrétiens ,  à  entreprendre 

»  Is.  IXV,23. 
i      2  Ve  Corrept.  et  Grat.  cap.  xii ,  a»  35 ,  t.  X ,  col.  709 


DE  SAINT  GORGON. 


SM 


de  vous  faire  voir  quelle  est  la  gloire  des  saints 
martyrs;  il  faut  que  j'emprunte  les  sentiments  du 
plus  illuminé  de  tous  les  docteurs  :  vous  sentez 
que  je  veux  nommer  saint  Augustin.  Ce  grand 
homme,  pour  nous  faire  entendre  combien  la 
grâce  de  Jésus- Christ  est  puissante  dans  les  saints 
martyrs,  se  sertde  cette  belle  pensée  :  d'un  côté, 
il  nous  montre  Adam  dans  le  repos  du  paradis  ; 
de  l'autre,  il  représente  un  martyr  au  milieu  des 
roues  et  des  chevalets  et  de  tout  l'appareii  Lorri- 
ble  des  tourments  dont  on  le  menace.  Trouvez 
bon,  je  vous  prie,  mes  frères,  que  j'expose  ici  à 
vos  yeux  ces  deux  objets  différents.  Dans  Adam 
la  charité  règne  comme  une  souveraine  paisible , 
sans  aucune  résistance  des  passions  ;  dans  le  mar- 
tyr la  charité  règne ,  mais  elle  est  troublée  par  les 
passions,  et  chargée  du  poids  d'un  corps  corrup- 
tible :  elle  règne  sur  les  passions,  comme  ime  reine 
a  la  vérité ,  mais  sur  des  sujets  rebelles ,  et  qui  ne 
portent  le  joug  qu'à  regret.  Adam  est  dans  les 
délice.>  :  on  en  offre  aussi  aux  martyrs  ;  mais  avec 
cette  difierence,  que  les  délices  dont  jouit  Adam 
sont  pour  l'inviter  à  bien  \ivre ,  et  les  plaisire 
qu'on  offre  au  martyr  lui  sont  présentés  pour  l'en 
détourner.  Dieu  promet  des  biens  à  Adam ,  et  il 
en  promet  au  martyr  ;  mais  Adam  tient  déjà  ce 
que  Dieu  promet ,  et  le  martyr  n'a  que  l'espé- 
rance ,  et  cependant  il  gémit  parmi  les  douleurs. 
Adam  n'a  rien  à  craindre ,  sinon  de  pécher  :  le 
martyr  a  tout  à  craindre ,  s'il  ne  pèche  pas.  Dieu 
dit  à  Adam  :  Tu  mourras,  si  tu  pèches  ;  et  d'autre 
part  il  dit  au  martjr  :  Meurs ,  afin  que  tu  ne  pè- 
ches pas;  mais  meurs  cruellement,  inhumaine- 
ment. A  Adam  :  La  mort  sera  la  punition  de  ton 
manquement  de  persévérance  ;  à  celui  ci  :  Ta 
persévérance  sera  suivie  d'une  mort  cruelle.  On 
retient  celui-là  comme  par  force  :  on  précipite  ce- 
hii-ci  avec  violence.  Cependant ,  ô  merveille  î  dit 
saint  Augustin' ;  ah!  c'est  notre  malheur  :  <  Au 
<4  milieu  d'une  si  grande  félicité ,  avec  une  facilité 
«  si  étonnante  de  ne  point  pécher,  Adam  ne  de- 
«  meure  point  ferme  dans  son  devoir  :  »  IVon  ste- 
Uiin tantafeticitate,  intanta non pec candi fad- 
litate;  et  le  martyr,  quoique  le  monde  le  flatte 
d'abord ,  le  menace ,  frémisse  ensuite ,  écume  de 
rage,  tonnant  avec  fureur  contre  lui,  il  rejette  tout 
ce  qui  attire,  méprise  tout  ce  quimenace,  surmonte 
tout  ce  qui  tourmente.  D'une  main  il  repousse 
ceux  qui  le  flattent ,  qui  l'embrassent  et  qui  le 
caressent  ;  de  l'autre  il  soutient  les  efforts  de  ceux 
qui  lui  arrachent,  pour  ainsi  dire,  la  vie  goutte 
à  goutte.  0  Jésus,  Dieu  infirme ,  c'est  votre  ou- 
vrage. Il  est  bien  vrai ,  ô  divin  Sauveur,  que  vous 
nous  avez  réparés  avec  une  grâce  bien  plus  abon- 
dante,  que  vous  ne  nous  aviez  établis.  Le  fort 

'  Laco  supra  cit. 


abandonne  l'immortalité;  le  faible  supporte  cons- 
tamment la  mort  :  Ta  puissance  succombe,  et  l'in- 
firmité est  victorieuse  :  Virtusin  inJinniiaU  pcr- 
Jicitur\  Plus  de  force,  plus  d'infirmité;  plus  de 
gloire  et  plus  de  bassesse ,  c'est  le  mystère  de  Jé- 
sus-Christ feit  chair  :  la  force  éclate  dans  la  fai- 
blesse :  L'nde  hoc,  nisi  donante  illo  a  quo  mi- 
sericordiam  consecvti  sunt  ut  fidèles  essent'7 
«  D'où  cela  vient-il,  si  ce  n'est  de  celui  qui  ne  leur 
«  a  pas  donné  un  esprit  de  crainte  pour  céder  aux 
"persécuteurs,  mais  de  force,  dedilection,  de 
-»  sobriété  :  sobriété,  pour  s'abstenir  des  dou- 
«  ceurs  ;  force,  pour  ne  pas  s'effrayer  des  menaces  ; 
«  charité,  pour  supporter  les  tourments,  «  plutôt 
que  de  se  séparer  de  Jésus-Christ,  et  pour  dire 
avec  l'apôtre  :  Quis  ergo  nos  separabit  a  chari- 
tate  Chnstm 

îN'est-ce  pas,  mes  frères,  cet  esprit  qui  a  agi" 
dans  saint  Gorgon?  Il  faut  que  je  vous  le  repré- 
sente dans  la  cour  des  empereurs.  Vous  savei 
quel  crédit  avaient  auprès  d'eux  les  domestique* 
qni'Ies  approchaient,  la  confiance  dont  ils  les  ho- 
noraient ,  les  biens  dont  ils  les  comblaient ,  l'in- 
fluence qu'ils  avaient  dans  toutes  les  affaires  :  de 
là  cette  magnificence  qui  les  environnait,  que 
Jésus-Christ  avait  en  vue  lorsqu'il  a  dit  :  «  Ce 
"  sont  ceux  qui  habitent  les  palais  des  rois ,  qui 
«  sont  vêtus  mollement  :  »  Ecce  qui  mollihvs 
vestiuntur,  in  domibus  regum  sunt  ^.  Et  par  ces 
paroles  le  divin  Sauveur  nous  retrace  tout  le  luxe, 
la  mollesse,  les  délices  des  cours.  Or  on  sait  com- 
bien la  cour  des  empereurs  romains  était  superl)e 
et  fastueuse.  Quel  devait  donc  étie  l'éclat  de  leurs 
favoris,  et  en  particulier  de  saint  Gorgon;  car 
Eusèbe  de  Césarée ,  qui  a  vécu  dans  son  siècle , 
dit  de  lui  et  des  compagnons  de  son  martyre,  que 
l'empereur  les  aimait  comme  ses  propres  enfants  : 
jEque  ac  gennani  filii  chari  erant  ',  et  qu'ils 
étaient  montés  au  suprême  degré  des  honneurs! 
Avoir  de  si  belles  espérances  et  cependant  vou- 
loir être,  quoi?  le  plus  misérable  des  hommes  j 
en  un  mot,  chrétien  !  il  faut,  certes ,  que  la  vue 
d'un  oMet  bien  effrayant  ait  fait  de  vives  et  fortes 
impressions  sur  un  cœur.  Quels  étaient  alors  les 
chrétiais,  et  à  quoi  s'exposaient-ils?  Au  mépris 
et  à  la  haine ,  qui  étaient  l'un  et  l'autre  portés 
aux  dernières  extrémités.  Lequel  des  deux  est 
le  plus  sensible?  Il  y  en  a  que  le  mépris  met  à  cou-, 
vert  de  la  haine,  et  l'on  hait  bien  souvent  ce  qu'on 
craint  ;  et  ce  qu'on  craint ,  ou  ne  le  méprise  pas. 
Mais  tout  s'unissait  contre  les  chrétiens ,  le  rec- 
pris  et  la  haine.  Ceux  qui  les  excusaient  les  lat- 

'  II.  Cor.  XII ,  9. 

*  s.  Aug.\.bi  supra. 

*  Rom.  nu ,  35. 
4  MalLH.Xl,^. 

*  Histor.  Eccles.  \\h.  TUi,  cap.  Ti,  pag.  3M^ 


fi02 


PANÉGYRIQUE 


salent  passer  pour  des  esprits  faibles ,  supersti- 
tieux, indignes  de  tous  les  honneurs,  qu'il  fallait 
déclarer  infâmes.  La  liaine  succédant  au  mépris, 
éclatait  par  la  manière  dont  on  les  menait  au  sup- 
plice, sans  garder  aucune  forme,  ni  suivre  aucune 
procédure.  Cela  était  bon  pour  les  voleurs  et  pour 
les  meurtriers;  mais  pour  les  chrétiens,  on  les 
conduisait  aux.  gibets  comme  on  mènerait  des 
agneaux  à  la  boucherie.  Chrétien,  homme  de 
néant ,  tu  ne  mérites  aucun  égard  ;  et  ton  sang , 
aussi  vil  que  celui  des  animaux,  doit  êt^e  répandu 
avec  aussi  peu  de  ménagement.  Ainsi,  dans  l'excès 
de  fureur  dont  les  esprits  étaient  animés  contre 
eux,  on  les  poursuivait  de  toutes  parts  ;  et  les  pri- 
sons étaient  tellement  pleines  de  martyrs,  qu'il 
n'y  avait  plus  de  place  pour  les  malfaiteurs  '.  S'il 
y  avait  quelque  bataille  perdue,  s'il  arrivaitquel- 
que  inondation  ou  quelque  sécheresse ,  on  les 
chargeait  de  la  haine  de  toutes  les  calamités 
publiques.  Chrétiens  innocents ,  on  vous  maudit 
et  vous  bénissez  ;  vous  souffrez  sans  révolte ,  et 
même  sans  murmure  :  vousne  faites  point  de  bruit 
sur  la  terre  :  on  vous  accuse  de  remuer  tous  les 
éléments,  et  de  troubler  l'ordre  de  la  nature! 
Tel  était  l'effet  de  la  haine  qu'on  portait  au  noni 
chrétien. 

A  quoi  donc  pensait  saint  Gorgon ,  de  descen- 
dre d'une  si  haute  faveur  à  une  telle  bassesse? 
Considéré  d'abord  par  tout  l'empire ,  il  consent  \ 
de  devenir  l'exécration  de  tout  l'empire  :  Hœc  est  \ 
Victoria  quœ  vincit  mundum.  Et  quel  courage 
ne  fallait-il  pas  pour  exécuter  cette  généreuse 
résolution  sous  Bioclétien,  où  la  persécution  était 
la  plus  furieuse;  où  le  diable ,  sentant  approcher 
peut-être  la  gloire  que  Dieu  voulait  donner  à 
l'Église  sous  l'empire  de  Constantin,  vomissait 
tout  son  venin  et  toute  sa  rage  contre  elle,  et  fai- 
sait ses  derniers  efforts  pour  la  renverser?  Dio- 
clétien  s'en  vantait,  et  se  glorifiait  d'avoir  de  tous 
côtés  dévoilé  et  confondu   la  superstition  des 
chrétiens:...  superstitione  christianorumnbique 
détecta.  Vraie  marque  de  sa  fureur,  et  en  môme 
temps  marque  sensible  de  son  impuissance  :  Et 
hœc  est  Victoria  quœ  vincit  7nundum.^a.\\\\,  Gor- 
gon lui  résiste  ;  et  le  tyran ,  pour  l'abattre ,  fait 
exercer  sur  son  corps  toute  la  violence  que  la 
cruauté  la  plus  barbare  peut  inspirer.  Ah  !  qui 
viendra  essuyer  ce  sang  dont  il  est  couvert,  et 
laver  ces  blessures  que  le  saint  martyr  endure 
pour  Jésus-Christ?  Saint  Paul  en  avait  reçu,  et 
le  geôlier  même  de  la  prison  où  il  est  renfermé 
lave  ses  plaies  avec  un  grand  respect  :  mais  ici 
les  tyrans  ne  permettent  pas  qu'on  procure  le 
moiudre  adoucissement  à  saint  Gorgon;  et  son 
pauvre  corps  écorché ,  à  qui  les  onguents  les  plus 

•  TertuU.  adNat.  lib.  i,  n"  9. 


doux ,  les  plus  innocents ,  auraient  causé  d'in- 
supportables douleurs,  est  frotté  de  sel  et  de 
vinaigre. 

C'est  ainsi  qu'il  devient  conforme  à  son  mo- 
dèle ,  qui  fait  deux  plaintes  sur  les  traitements 
qu'il  souffre  dans  sa  passion.  Hisplagatus  sum  '  : 
«  Voilà  les  blessures  que  j'ai  reçues;  »  mais  «  ils 
«  ont  encore  ajouté  de  nouvelles  cruautés  aux 
«  premières  douleurs  de  mes  plaies  :  «  Super  do- 
lorem  vulnerum  meorum  addiderunt  '.  Ils  m'ont 
mis  une  couronne  d'épines  ;  voilà  le  sang  qui  en 
coule  :  Hisplagatus  sum;  mais  ils  l'ont  enfoncée 
par  des  coups  de  canne  :  Super  dolorem  vul- 
nerum meorum  addiderunt.  Ils  m'ont  dépouillé 
pour  me  déchirer  de  coups  de  fouet  :  His  plaga- 
tus  sum;  mais  ils  m'ont  remis  mes  habits,  et,  me 
les  ôtant  de  nouveau  pour  m'attacher  nu  à  la 
croix ,  ils  ont  rouvert  toutes  mes  blessures  :  Su- 
per dolorem  vulnerum  meorum  addiderunt.  Ils 
ont  percé  mes  mains  et  mes  pieds  ;  et  ayant  épuisé 
mes  veines  de  sang,  la  sécheresse  de  mes  entrail- 
les me  causait  une  soif  ardente  qui  me  dévorait 
la  poitrine  :  voilà  le  mal  qu'ils  m'ont  fait  :  His 
plagatus  sum;  mais  lorsque  je  leur  ai  demandé 
à  boire  avec  un  grand  cri ,  ils  m'ont  abreuvé  en 
ma  soif  de  fiel  et  de  vinaigre  :  Super  dolorem  vul- 
nerum meorum  addiderunt.  C'est  ce  que  peut 
dire  saint  Gorgon  :  Ils  ont  déchiré  ma  peau ,  ils 
ont  dépouillé  tous  mes  nerfs ,  ils  ont  entr'ouvert 
mes  entrailles  :  His  plagatus  sum;  mais  après 
cette  cruauté,  ils  ont  frotté  ma  chair  écorchée 
avec  du  vinaigre  et  du  sel  pour  aigrir  la  douleur 
de  mes  plaies  :  Super  dolorem  vulnerum  meo- 
rum. addiderunt.  , 

Mais  ils  ont  encore  passé  bien  plus  loin,  et  leur 
brutalité  n'est  pas  assouvie.  Ils  couchent  le  saint 
martyr  surun  gril  de  fer,  devenu  tout  rouge  par 
la  violence  de  la  chaleur  ;  ô  spectacle  horrible  ! 
et  cependant  au  milieu  de  ces  exhalaisons  infec- 
tes qui  sortaient  de  la  graisse  de  son  corps  rôti , 
Gorgon  ne  cessait  de  louer  Jésus-Christ.  Les  priè- 
res qu'il  faisait  monter  au  ciel  changeaient  cette 
fumée  noire  en  encens  :  Et  hœc  est  Victoria  quœ 
vincit  mundum. 

Mais  en  quoi  a  nui  à  saint  Gorgon  tout  le  mal 
qu'il  a  souffert  ?  "  Tout  ce  temps  de  peines  et  de 
'<  souffrances  est  passé  comme  un  songe  :  »  Tran- 
sierunt  tempora  laboriosa;  temps  de  fatigues, 
temps  de  travail ,  qui  l'a  conduit  au  véritable  re- 
pos, à  la  paix  parfaite ,  et  c'est  ce  que  le  prophète- 
roi  exprime  si  bien  par  ces  paroles  qu'il  a  dites 
au  nom  de  tous  les  martyrs  :  <  Nous  avons  passé 
«  par  l'eau  et  par  le  feu  ;  mais  vous  nous  avez 
«  fait  entrer  dans  un  lieu  de  rafraîchissement  :  » 

'  Zach.  XIII,  6. 
»  Ps.  Lxvni,27. 


DE  SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE. 


Tramivimus  per  ignem  et  aqitam ,  et  eduxisti 
nos  in  refrigerium  '.  Dieu  a  essuyé  tous  les  pleurs  : 
il  a  ordonné  à  saint  Gorgon  de  se  reposer  de  tous 
ses  travaux.  On  a  cru  lui  ôter  tout  son  bien  et 
même  la  vie;  et  on  ne  lui  ôte  que  la  mortalité  : 
l'bi  est,  mors,  Victoria  /«a  *  ?  «  O  mort,  où  est 
«  ta  victoire?  »  Tu  n'as  ôté  au  saint  martyr  que 
des  choses  superflues  ;  car  tout  ce  qui  n'est  pas 
nécessaire  est  superflu.  «  Or  une  sei'le  chose  est 
«  nécessaire  :  »  Porro  unum  est  necessarium  ^. 
Dieu  est  cet  unique  nécessaire  ;  tout  le  reste  est 
superflu.  Les  honneurs  sont-ils  nécessaires?  Com- 
bien d'hommes  vivent  en  repos,  quoique  oubliés 
du  monde  !  Tout  cela  est  hors  de  nous,  et  par  con- 
séquent ne  peut  contribuer  à  notre  félicité.  Il  en 
est  de  même  des  richesses ,  qui  ne  sauraient  rem- 
plir notre  cœur  ;  et  c'est  pourquoi  «  ayant  de  quoi 
«  nous  nourrir  et  nous  vêtir,  nous  devons  être  con- 
«  tents  :  »  Habentes  victum  et  vestitum,  contenti 
sumus  ^.  Tout  le  reste  est  superflu  ;  la  santé,  «  la 
«  vie  môme ,  qui  doit  être  regardée  comme  un 
«  bien  superflu  par  celui  qui  considère  la  vie  éter- 
«  nelle  qui  lui  est  promise  :  »  Ipsa  vita,  cogi- 
tantibus  œternam  viiam,  inter superflua  repu, 
tanda  est  *;  elle  ne  nous  est  utile,  qu'autant 
que  nous  l'avons  prodiguée  pour  Dieu.  Ainsi  tout 
ce  qu'on  ravit  à  saint  Gorgon  lui  était  superflu , 
puisqu'étant  dépouillé  de  toutes  ces  choses  il  se 
trouve  bienheureux.  Qu'a  donc  fait  le  tyran  par 
tous  les  efforts  de  sa  cruauté?  «  En  vain  sa  lan- 
«  gue  a-t-elle  concerté  les  movens  de  nuire ,  et 
«a-t-elle  voulu,  par  ses  tromperies,  trancher 
«  comme  un  rasoir  bien  afiilé  :  «  Sicut  7iovacula 
acuta  fecisti  dolum  ^.  Que  de  peines  on  prend 
pour  aiguiser  un  rasoir,  que  de  soins  pour  l'affi- 
ler :  combien  de  fois  le  faut-il  passer  sur  la  pierre  ! 
ce  n'est ,  au  reste,  que  pour  raser  du  poil ,  c'est-à- 
dire  un  excrément  inutile.  Que  ne  font  pas  les 
méchants!  en  combien  de  soins  sont -il  s  partagés 
pour  dresser  des  embûches  à  l'homme  de  bien  ! 
Que  n'a  pas  fait  le  tv'ran  pour  abattre  notre  mar- 
tyr! il  se  travaillait  à  trouver  de  nouveaux  ar- 
tifices pour  le  séduire,  de  nouveaux  supplices 
pour  l'épouvanter.  Quid fact  unis  juste ,  nisi  su- 
perflua rasurus  >?  Mais  que  fera-t-il  contre  le 
juste?  il  ne  lui  a  rien  ôté  que  de  superflu.  Qu'est- 
ce  que  l'âme  a  besoin  d'un  corps  qui  la  charge  et 
la  rend  pesante?  La  mort  ne  lui  a  rien  ôté  que  la 
mortalité  :  et  ceux  qui  ont  voulu  conserver  la  vie 
l'ont  perdue;  et  ils  vivent,  les  misérables,  ils  vi- 


*  Ps.  LXV,  12. 

»  I.  Cor.  XV,  55. 
■'  L»C.  X,42. 

*  1.  Tim.  Ti ,  8. 

5  s.  Aug.  Serin.  Lxii,  n"  14,  t.  v,  col.  3G3. 

*  F*.  U ,  4. 

■  S.  Aug  Enar.  iii  Ps.  '_  ,  i.""  i,  l.  iv ,  coi.  480. 


Ù93 

vent  pour  souffrir  éternellement.  Parce  que  saint 
Gorgon  l'a  prodiguée ,  il  l'a  mise  entre  les  mains 
de  Dieu ,  où  rien  ne  se  perd,  et  11  la  conservera 
pour  jamais. 

Ainsi  le  moyen  de  surmonter  le  monde,  c'est  de 
tout  abandonner  à  Dieu  ;  autrement  tout  périt  et 
tout  passe  avec  le  monde  qui  passe  lui-même,  et 
enveloppe  tout  dans  sa  ruine  :  c'est  pourquoi  ii 
faut  tout  donner  à  Dieu.  Saint  Paul  possède  de^ 
cette  pensée  disait  :  «  Je  donnerai  tout  :  -  I^go  au- 
tem  impendam.  Ce  n'est  pas  assez;  aussi  a  joute- 
t-il  :  «  Et  je  me  livrerai  moi-même  pour  le  sa! ut 
«  de  vos  âmes  :  »  Super  impendar  ipse  pro  utù». 
mabus  vestris  '. 

PANÉGYRIQUE 


SAINT  FRANÇOIS  D^ASSISE. 

Folie  sablime  et  céleste  de  saint  François,  qui  lui  fait  éla- 
blir  ses  richesses  dans  la  pauvreté ,  ses  délices  dans  les  souf- 
frances ,  et  sa  gloire  dans  la  bassesse. 


Si  guis  videtur  inter  vos  sapiens  esse  in  hoc  sœculo , 
stultusfiat  ut  sit  sapiens. 

S'il  y  a  quelqu'un  parmi  tous  qui  paraisse  sage  selon 
le  siècle,  qu'il  devienne  fou  afin  d'être  sage.  /.  Cor. 
III,  18. 

Le  sauveur  Jésus ,  chrétiens,  a  donné  un  am- 
ple sujet  de  discourir,  mais  d'une  manière  bien 
différente,  à  quatre  sortes  de  personnes,  aux 
Juifs ,  aux  Gentils ,  aux  hérétiques  et  aux  fidèles. 
Les  Juifs,  qui  étaient  préoccupés  de  cette  opinion 
si  mal  fondée  :  que  le  Messie  viendrait  au  monde 
avec  une  pompe  royale  ;  prévenus  de  cette  fausse 
croyance,  se  sont  approchés  du  Sauveur  •  ils 
ont  vu  qu'il  était  réduit  dans  un  entier  dépouil- 
lement de  tout  ce  qui  peut  frapper  les  sens,  un 
homme  pauvre ,  un  homme  sans  friste  et  sans 
éclat;  ils  l'ont  méprisé  :  «  Jésus  leur  a  été  un 
«  scandale  :  »  Jiidœis  qu'idem  scandalum,  dit 
le  grand  apôtre  *.  Les  Gentils,  d'autre  part,  qui 
se  croyaient  les  auteurs  et  les  maîtres  de  la  bonne 
philosophie,  et  qui  depuis  plusieurs  siècles  avaient 
vu  briller  au  milieu  d'eux  les  esprits  les  phis  cé- 
lèbres du  monde,  ont  voulu  examiner  Jésus^^^hrist 
selon  les  maximes  reçues  parmi  les  savants  de  la 
terre  ;  mais  aussitôt  qu'ilsont  ouï  parler  d'un  Dieu 
fait  homme ,  qui  avait  vécu  misérablement ,  qui 
était  mort  attaché  à  une  croix ,  ils  en  ont  fait  un 
sujet  de  risée  :  «  Jésus  a  été  pour  eu.x  une  fo- 
«  lie,  »  Gentibus  autem  stultitiam,  poursuit  saint 
Paul. 

'  II.  Cor.  xu,  15. 
'  I.  Cor.  1 ,  23. 


5^4 


PANÉGYRIQUE 


Après  eux  sont  venus  d'autres  liommes  que 
l'on  appelait  dans  l'Église  Manichéens  et  Mar- 
cionites,  tous  feignant  d'être  chrétiens;  qui  trop 
émus  des  invectives  sanglantes  des  Gentils  con- 
tre le  Fils  de  Dieu,  l'ont  voulu  mettre  à  couvert 
des  moqueries  de  ces  idolâtres,  mais  d'une  ma- 
nière tout  à  fait  contraire  aux  desseins  de  la  bonté 
divine  sur  nous.  Ces  faiblesses  de  notre  Dieu ,  j9K- 
siliitates  Dei,  comme  les  appelait  un  ancien', 
leur  ont  semblé  trop  honteuses  pour  les  avouer 
franchement  :  au  lieu  que  les  Gentils  les  exa- 
géraient pour  en  faire  une  pièce  de  raillerie, 
ceux-ci  au  contraire  tâchaient  de  les  dissimuler, 
travaillant  vainement  à  diminuer  quelque  chose 
des  opprobres  de  l'Évangile,  si  utiles  pour  notre 
salut  Ils  ont  cru ,  avec  les  Gentils  et  les  Juifs , 
qu'il  était  indigne  d'un  Dieu  de  prendre  une  chair 
comme  la  nôtre,  et  de  se  soumettre  à  tant  de  souf- 
frances; et  pour  excuser  ces  bassesses,  ils  ont 
soutenu  que  son  corps  était  imaginaire,  et  par 
conséquent  que  sa  nativité ,  et  ensuite  sa  passion 
et  sa  mort  étaient  fantastiques  et  illusoires  :  en  un 
mot,  aies  en  croire,  toute  sa  vie  n'était  qu'une 
représentation  sans  réalité.  Sans  doute  les  vérités 
de  Jésus  ont  été  un  scandale  à  ces  hérétiques , 
puisqu'ils  ont  fait  un  fantôme  du  sujet  de  notre 
espérance;  ils  ont  voulu  être  trop  sages,  et  par 
ce  moyen  ont  détruit,  selon  leur  pouvoir,  le  dés- 
honneur nécessaire  de  notre  foi  :  Nccessarium 
dedecusfidei ,  dit  le  grave  TertuUien  \ 

Mais  les  vrais  serviteurs  de  Jésus-Christ  n'ont 
point  eu  de  ces  délicatesses,  ni  de  ces  vaines 
complaisances.  Ils  se  sont  bien  gardés  de  croire 
les  choses  à  demi,  ni  de  rougir  de  l'ignomi- 
nie de  leur  Maître  :  ils  n'ont  point  craint  de  faire 
éclater  par  toute  la  terre  le  scandale  et  la  folie  de 
la  croix  dans  toute  leur  étendue  :  ils  ont  prédit 
aux  Gentils  que  cette  folie  détruirait  leur  sagesse. 
Et  quant  à  ces  grandes  absurdités  que  les  païens 
trouvaient  dans  notre  doctrine,  nos  pères  ont 
répondu  que  les  vérités  évangéliques  leur  sem- 
blaient d'autant  plus  croyables ,  que  selon  la  phi- 
losophie humaine  elles  paraissaient  tout  à  fait 
impossibles  :  Prorsus  credibile  est,  quia  ine- 
pium  est;....  certum  est,  quia  i7npossibile 
est,  disait  autrefois  TertuUien  ^.  Ainsi  notre  foi 
se  plaît  d'étourdir  la  sagesse  humaine  par  des 
propositions  hardies,  où  elle  ne  peut  rien  com- 
prendre. 

Depuis  ce  temps-là,  mes  frères,  la  folie  est 
devenue  une  qualité  honorable;  et  l'apôtre  saint 
Paul  a  publié ,  de  la  part  de  Dieu  ,  cet  édit  que 
j'ai  récité  dans  mon  texte  :  «  Si  quelqu'un  veut 

'  Terlull.  adv.  Mareion.  lib.  Il,  n"  27. 
»  De  carne  Chr.  a"  5. 


«  être  sage ,  il  faut  nécessairement  qu'il  soit  fou ,  » 
stultusfiat  utsil  sapiens.  C'est  pourquoi  ne  vous 
étonnez  pas  si  ayant  entrepris  aujourd'hui  le  pa- 
négyrique de  saint  François  je.ne  fais  autre  chose 
que  vous  montrer  sa  folie,  beaucoup  plus  esti- 
mable que  toute  la  prudence  du  monde.  Mais 
d'autant  que  la  première  et  la  plus  grande  folie , 
c'est-à-dire,  la  plus  haute  et  la  plus  divine  sa- 
gesse que  l'Évangile  nous  prêche,  c'est  l'incar- 
nation du  Sauveur,  il  ne  sera  pas  hors  de  propos  jj 
pour  prendre  déjà  quelque  idée  de  ce  que  j'ai 
vous  dire,  que  vous  fassiez  réflexion  sur  cetauv 
guste  mystère ,  pendant  que  nous  réciterons  les" 
paroles  que  l'ange  adressa  à  Marie  lorsqu'il  lui 
en  apporta  les  nouvelles.  Implorons  donc  l'assis- 
tance du  Saint-Esprit  par  l'intercession  de  la 
sainte  Vierge.  Ave. 

Cette  orgueilleuse  sagesse  du  siècle,  qui,  ne 
pouvant  comprendre  la  justice  des  voies  de  Dieu , 
emploie  toutes  ses  fausses  lumières  à  les  contre- 
dire, se  trouve  merveilleusement  confondue  par 
la  doctrine  de  l'Évangile,  et  par  les  très-saints 
mystères  du  sauveur  Jésus.  Déjà  la  toute-puis- 
sance divine  avait  commencé  à  lui  faire  sentir  sa 
faiblesse  dès  l'origine  de  l'univers ,  en  lui  propo- 
sant des  énigmes  indissolubles  dans  tous  les  or- 
dres des  créatures,  et  lui  présentant  le  monde 
comme  un  sujet  étemel  de  questions  inutiles , 
qui  ne  seront  jamais  terminées  par  aucunes  dé- 
cisions. Et  certes  il  était  vraisemblable  que  ces 
grands  et  impénétrables  secrets,  qui  bornent  et 
resserrent  si  fort  les  connaissances  de  l'esprit  hu- 
main, donneraient  en  même  temps  des  limites  à 
son  orgueil.  Toutefois ,  à  noti'e  malheur,  il  n'eu 
est  pas  arrivé  de  la  sorte ,  et  en  voici  la  cause  qui 
me  semble  la  plus  apparente  :  c'est  que  la  raison 
humaine ,  toujours  téméraire  et  présomptueuse , 
ayant  entrevu  quelque  petit  jour  dans  les  ouvra- 
ges de  la  nature ,  s'est  imaginé  découvrir  quel- 
que grande  et  merveilleuse  lumière  ;  au  lieu  d'a- 
dorer son  Créateur,  elle  s'est  admirée  elle-même. 
L'orgueil,  comme  vous  savez,  chrétiens,  a  cela 
de  propre,  qu'il  prend  son  accroissement  de  lui- 
même  ,  si  petits  que  puissent  être  ses  commen- 
cements, parce  qu'il  enchérit  toujours  sur  ses 
premières  complaisances  par  ses  flatteuses  ré- 
flexions. 

Ainsi  l'homme  s'étant  trop  plu  dans  ces  belles 
conceptions ,  s'est  persuadé  que  tout  l'ordre  du 
monde  devait  aller  selon  ses  maximes.  11  s'est 
enfin  lassé  de  suivre  la  conduite  que  Dieu  lui 
avait  prescrite ,  afin  de  le  ramener  à  lui  comme 
à  son  principe.  Au  contraire ,  il  a  voulu  que  la 
divinité  se  réglât  selon  ses  idées  ;  il  s'est  fait  des 
dieux  à  sa  mode ,  il  a  adoré  ses  ouvrages  et  ses 


DE  SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE. 


G05 


fantaisies  :  et  s'étant  évanoui ,  conwne  dit  l'apA- 
rrc  • ,  clans  l'incevlitude  de  ses  pensées  ;  lorsqu'il 
a  cru  se  voir  élevé  au  comble  de  la  sagesse ,  il 
s'est  précipité  dans  une  extrême  folie  :  Dicentes 
enim  se  esse  sapientes,  stuUifacti  sunt  *. 

C'est  pourquoi  cette  sagesse  éternelle  qui  prend 
plaisir  de  guérir  ou  de  confondre  la  sagesse  hu- 
maine ,  s'est  sentie  obligée  de  former  de  nouveaux 
desseins  et  de  commencer  un  nouvel  ordre  de 
choses  par  Notre-Seigneur  Jésus -Christ  ;  et  admi- 
rez, s'il  vousplaît,  la  profondeurdeses  jugements. 
Dans  le  premier  ouvrage  que  Dieu  nous  avait 
proposé,  qui  est  cette  belle  fabrique  du  monde, 
notre  esprit  y  voyait  d'abord  des  tiaits  de  sagesse 
infinie.  Dans  le  second  ouvrage ,  qui  comprend 
la  doctrine  et  la  vie  de  notre  Maîti-e  crucifié ,  il 
n'y  découvre  au  premier  aspect  que  folie  et  extra- 
vagance. Dans  le  premier ,  nous  vous  disions  tout 
à  l'heure  que  la  raison  humaine  y  avait  compris 
quelque  chose;  et  en  étant  dévalue  insolente, 
elle  n'a  pas  voulu  reconnaître  celui  qi.i  lui  don- 
nait ses  lumières.  Dans  le  second  dessein ,  qui  est 
d'une  tout  autre  excellence,  toutes  ses  connais- 
sances se  perdent ,  elle  ne  sait  du  tout  où  se  pren- 
di-e  ;  et  par  lïi  il  faudra  nécessairement ,  ou  bien 
qu'elle  se  soumette  à  une  raison  plus  haute ,  ou 
bien  qu'elle  soit  confondue  :  et  de  façon  ou  d'au- 
tre ,  la  victoire  demeurera  a  la  sagesse  di\1ne. 

Et  c'est  ce  que  nous  apprenons  pa.r  ce  docte 
raisonnement  de  l'apôtre.  Notre  Dieu,  dit  ce 
grand  personnage,  avait  introduit  l'homme  dans 
ce  bel  édifice  du  monde,  afin  qu'ea  admirant 
l'artifice,  il  en  adorât  l'architecte.  Cependant 
l'homme  ne  s'est  pas  servi  de  la  sagesse  que  Dieu 
lui  donnait ,  pour  reconnaître  son  Créateur  par 
les  ouvrages  de  sa  sagesse ,  ainsi  que  l'apôtre  nous 
le  déclare  :  Quia  in  Dei  sapieniia  non  cognovit 
mundus per sapientiam  Deam  ^.  Hé  bien, qu'en 
arrivera-t-il,  saint  apôtre?  Pour  cela,  continue- 
t-il ,  Dieu  a  posé  cette  loi  éternelle ,  que  doréna- 
vant les  croyants  ne  pussent  être  sauvés  que  par 
la  folie  de  la  prédication  :  Placuit  Deo  per  stul- 
titiam  prœdicationis  salvos  facere  credentes  ^. 
A  quoi  te  résoudras-tu  donc ,  ô  aveugle  raison 
humaine?  Te  voilà  vivement  pressée  par  cette 
sagesse  profonde,  qui  paraît  à  tes  yeux  sous  une 
folie  apparente.  Je  te  vois ,  ce  me  semble ,  réduite 
à  de  merveilleuses  extrémités ,  parce  que  de  côté 
ou  d'autre  la  folie  t'est  inévitable  :  car  dans  la 
croix  de  Notre-Seigneur,  et  dans  toute  la  conduite 
de  l'Évangile ,  les  pensées  de  Dieu  et  les  tiennes 
sont  opposées  entre  elles  avec  une  telle  coutra- 


•  Rtmi.  I,  il. 
»  Ibid.  22. 

s  I.  Cor.  1 ,  21 

*  Ibut. 


rlété ,  que ,  si  les  unes  sont  sages ,  il  faut  par 
nécessité  que  les  autres  soient  extravagantes. 

Que  ferons-nous  ici ,  chrétiens?  Si  nous  cédons 
à  l'Évangile,  toutes  les  maximes  de  prudence 
humaine  nous  déclarent  fous  et  de  la  plus  haute 
folie.  Si  nous  osons  accuser  de  folie  la  sagesse 
incompréhensible  de  Dieu ,  il  faudra  que  nous 
soyons  nous-mêmes  des  furieux  et  des  démons. 
Ah!  plutôt  démentons  toutes  nos  maximes,  dés- 
avouons toutes  nos  conséquences ,  plions  sous  le 
joug  de  la  foi  ;  et  dépouillant  cette  fausse  sagesse 
dont  nous  sommes  vainement  enflés ,  devenons 
heureusement  insensés  pour  l'amour  de  notre 
Sauveiu-,  qui ,  étant  la  sagesse  du  Père  ,  n'a  pas 
dédaigné  de  passer  pour  fou  en  ce  monde ,  afin  de 
nous  enseigner  une  prudence  céleste  :  en  un  mot, 
s'il  y  a  quelqu'un  parmi  nous  qui  prétende  à  la 
véritable  sagesse ,  qu'il  soit  fou  afin  d'être  sage , 
stultusjiat  ut  sit  sapiens,  dit  le  grand  apôtre. 
La  voilà,  la  voilà,  chrétiens,  celte  illustre, 
cette  généreuse ,  celte  sage  et  triomphante  folie 
du  christianisme ,  qui  dompte  tout  ce  qui  s'op- 
pose à  la  science  de  Dieu ,  qui  rend  humble  ou 
qui  renverse  invinciblement  la  raison  humaine, 
et  toujours  en  remporte  une  glorieuse  victoire. 
La  voilà,  cette  belle  folie,  qui  doit  être  le  seul 
ornement  du  panégyrique  de  saint  François,  se- 
lon que  je  vous  l'ai  promis ,  et  qui  fera  aujour- 
d'hui son  éloge.  Pour  cela  vous  remarquerez ,  s'il 
vous  plaît ,  qu'il  y  a  une  convenance  nécessaire 
entre  les  mœurs  des  chrétiens  et  la  doctrine  du 
christianisme.  Cette  folie  apparente ,  qui  est  dans 
la  parole  du  Fi!s  de  Dieu ,  doit  passer  par  imita- 
tion dans  la  vie  de  ses  serviteurs.  Ils  sont  un 
Évangile  vivant  :  l'Évangile  qui  est  écrit  dans  nos 
livres,  et  celui  que  le  Saint-Esprit  daigne  écrire 
dans  l'âme  des  saints,  que  Ton  peut  lire  dans 
leurs  actions  comme  dans  de  beaux  caractères , 
I  déplaisent  également  à  la  fausse  prudence  du 
I  monde. 

Figurez-vous  donc  que  François  ayant  consi- 
j  déré  ces  grands  et  vastes  chemins  du  monde ,  qui 
I  mènent  à  la  perdition ,  s'est  résolu  de  suivre  des 
;  routes  entièrement  opposées.  Le  plus  ordinaire 
i  conseil  que  nous  donne  la  sagesse  humaine ,  c'est 
I  d'amasser  beaucoup  de  richesses ,  de  faire  valoir 
1  ses  biens ,  d'en  acquérir  de  nouveaux  :  c'est  à 
I  quoi  on  rêve  dans  tous  les  cabinets ,  c'est  de  quoi 
j  on  s'entretient  dans  toutes  les  compagnies ,  c'est 
;  lesujetleplus  ordinaire  de  toutes  les  délibérations. 
I  II  y  a  pourtant  d'autres  personnes  qui  se  croient 
plus  raffinées ,  qui  vous  dii'ont  que  ces  richesses 
sont  des  biens  étrangers  à  la  nature;  qu'il  vaut 
bien  mieux  jouir  de  la  douceur  de  la  vie ,  et  tem- 
pérer par  les  voluptés  ses  amertumes  continuelles, 
c'est  une  autre  espèce  de  sages.  Mais  encore  y  ea 


Ô06 


PANÉGYRIQUE 


a-t-il  d'autres,  qui  reprendront  peut-être  ces  sec- 
tateurs trop  ardents  des  richesses  et  des  délices. 
Pour  nous,  diront-ils,  nous  faisons  profession 
d'honneur,  nous  ne  recherchons  rien  avec  tant 
de  soin  que  la  réputation  et  la  gloire.  Si  vous  pé- 
nétrez dans  leurs  consciences,  vous  trouverez 
qu'ils  s-csîiment  les  seuls  lionnêtes  gens  dans  le 
monde  :  ils  consument  leur  esprit  de  veilles  et 
d'inquiétudes  pour  acquérir  du  crédit ,  pour  être 
élevés  aux  honneurs.  Ce  sont,  à  mon  avis,  les  trois 
choses  qui  fout  toutes  les  affaires  du  monde ,  qui 
nouent  toutes  les  intrigues ,  qui  enflamment  tou- 
tes les  passions ,  qui  causent  tous  les  empresse- 
ments. 

Ah!  que  notre  admirable  François  a  bien  re- 
connu l'illusion  de  tous  ces  biens  imaginaires!  Il 
dit  que  les  richesses  captivent  le  cœur,  que  les 
honneurs  l'emportent ,  que  les  plaisirs  l'amollis- 
sent; que  pour  lui,  il  veut  établir  ses  richesses 
dans  la  pauvreté,  ses  délices  dans  les  souffrances, 
etsa  gloire  dans  la  bassesse.  0  ignorance  !  ô  folie  ! 
hé  Dieu,  que  pense-t-il  faire?  0  le  plus  insensé 
des  hommes  selon  la  sagesse  du  siècle ,  mais  le 
plus  sage ,  le  plus  intelligent,  le  plus  avisé  selon 
la  sagesse  de  Dieu  !  C'est  ce  que  je  tâcherai  de 
vous  faire  voir  dans  la  suite  de  ce  discours. 

PBEMIEK   POINT. 

Quand  je  me  suis  proposé  de  vous  entretenir 
aujourd'hui  des  trois  victoires  de  saint  François 
sur  les  richesses  du  monde ,  sur  ses  plaisirs  et  sur 
ses  honneurs,  je  m'étais  persuadé  que  je  pourrais 
les  représenter  les  unes  après  les  autres  ;  mais  je 
vois  bien  maintenant  que  c'est  une  entreprise  im- 
possible ,  et  qu'ayant  à  commencer  par  la  pro- 
fession généreuse  qu'il  a  faite  de  la  pauvreté,  je 
suis  obligé  de  vous  dire  que,  par  cette  seule  ré- 
solution, il  s'est  mis  infiniment  au-dessus  des 
honneurs  et  des  opprobres ,  des  incommodités  et 
des  agréments ,  et  de  tout  ce  que  l'on  appelle 
bien  et  mal  dans  le  monde  :  car  enfin  ce  serait 
mal  connaître  la  nature  de  la  pauvreté,  que  de 
la  considérer  comme  un  mal  séparé  des  autres. 
Je  pense  pour  moi ,  chrétiens ,  que ,  lorsqu'on  a 
inventé  ce  nom,  on  a  voulu  exprimer  non  point 
un  mal  particulier ,  mais  un  abîme  de  tous  les 
maux ,  et  l'assemblage  de  toutes  les  misères  qui 
affligent  la  vie  humaine.  Et  certes,  j'oserais  quasi 
assurer  que  c'est  quelque  mauvais  démon ,  qui , 
voulant  rendre  la  pauvreté  tout  à  fait  insuppor- 
table ,  a  trouvé  le  moyen  d'attacher  aux  riches- 
ses tout  ce  qu'il  y  a  d'honorable  et  de  plaisant 
dans  le  monde  :  c'est  pourquoi  notre  langage 
ordinaire  les  nomme  biens  d'un  nom  général, 
parce  qu'elles  sont  l'instrument  commun  pour 
acquérir  tous  les  autres.  De  sorte  que  nous  pour- 


riens,  au  contraire,  appeler  la  pauvreté  un  mal 
général ,  parce  que  les  richesses  ayant  tiré  de 
leur  côté  la  joie ,  l'affluence ,  l'applaudissement , 
la  faveur,  il  ne  reste  à  la  pauvreté  que  la  tris- 
tesse et  le  désespoir,  et  l'extrême  nécessité,  et, 
ce  qui  est  plus  insupportable ,  le  mépris  et  la  ser- 
vitude :  et  c'est  ce  qui  fait  dire  au  Sage  que  la 
pauvreté  entrait  en  une  maison  tout  ainsi  qu'un 
soldat  armé  :  Pauperies  gnasi  vir  armatus  '. 
L'étrange  comparaison! 

Vous  dirai-je  ici,  chrétiens,  combien  est  ef- 
froyable en  une  pauvre  maison  une  garnison  de 
soldats?  plût  à  Dieu  que  vous  fussiez  en  état  de 
l'apprendre  seulement  de  ma  bouche!  Mais,  hé- 
las! nos  campagnes  désertes,  et  nos  bourgs  mi- 
sérablement désolés ,  nous  disent  assez  que  c'est 
cette  seule  terreur  qui  a  dissipé  deçà  et  delà  tous 
leurs  habitants.  Jugez ,  jugez  par  là  combien  la 
pauvreté  est  terrible;  puisque  la  guerre,  l'hor- 
reur du  genre  humain ,  le  monstre  le  plus  cruel 
que  l'enfer  ait  jamais  vomi  pour  la  ruine  des  hom- 
mes ,  n'a  presque  rien  de  plus  effroyable  que  cette 
désolation ,  cette  indigence ,  cette  pauvreté  qu'elle 
traîne  nécessairement  avec  elle.  Mais  du  moins 
n'est-ce  pas  assez  que  la  pauvreté  soit  accablée 
de  tant  de  douleurs,  sans  qu'on  la  charge  encore- 
d'opprobre  et  d'ignominie?  Les  fièvres ,  les  mala- 
dies ,  qui  sont  presque  nos  plus  grands  maux , 
encore  ont-elles  cela  de  bon  qu'elles  ne  font  de 
honte  à  personne.  Dans  toutes  les  autres  disgrâ- 
ces, nous  voyons  que  chacun  prend  plaisir  de 
conter  ses  maux  et  ses  infortunes  :  la  seule  pau- 
vreté a  cela  de  commun  avec  le  vice ,  qu'elle  nous 
fait  rougir ,  de  même  que  si  être  pauvre ,  c'était 
être  extrêmement  criminel. 

En  effet  combien  y  a-t-il  de  personnes  qui  se 
privent  des  contentements ,  et  même  des  nécessi- 
tés de  la  vie ,  afin  de  soutenir  une  pauvreté  hono- 
rable! Combien  d'autres  en  voyons-nous  qui  se 
font  effectivement  pauvres,  tâchant  de  satisfaire 
à  je  ne  sais  quel  point  d'honneur ,  par  une  dépense 
qui  les  consume!  Et  d'où  vient  cela,  chrétiens, 
sinon  que,  dans  l'estime  des  hommes,  qui  dit 
pauvre,  dit  le  rebut  du  monde?  Pour  cela,  le 
prophète  David ,  après  avoir  décrit  les  diverses 
misères  des  pauvres ,  conclut  enfin  par  cette  excel- 
lente parole  qu'il  adresse  à  Dieu  :  Tibi  derelictus 
estpauper^  :  «  Seigneur,  dit-il,  on  vous  aban- 
«  donne  le  pauvre;  »  et  voyons-nous  rien  de  plus 
commun  dans  le  monde?  Quand  les  pauvres  s'a- 
dressent à  nous ,  afin  que  nous  soulagions  leurs 
nécessités ,  n'est-il  pas  vrai  que  la  faveur  la  plus 
ordinaire  que  nous  leur  faisons ,  c'est  de  souhaiter 
que  Dieu  les  assiste  ?  Dieu  soit  à  YOti*e  aide!  leur 

'  Pror.  VI,  II. 
2  Ps.  IX  ,  yj. 


DE  SAINT  FRANÇOIS  D  ASSISE. 


507 


disons-nous  ;  mais  de  contribuer  de  notre  part 
quelque  chose  pour  les  secourir,  c'est  la  moindre 
de  nos  pensées.  .Nous  nous  en  déchargeons  sur  la 
miséricorde  divine,  ne  considérant  pas  que  c'est 
par  nos  mains  et  par  notre  ministère ,  que  Dieu 
a  résolu  de  leur  faire  cette  miséricorde  que  nous 
leur  souhaitons  :  tant  il  est  vrai  que  personne  ne 
se  met  en  peine  des  pauvres!  Chacun  s'inquiète, 
chacun  s'empresse  à  servir  les  grands  ;  et  il  n'y  a 
que  Dieu  seul  à  qui  les  pauvres  ne  soient  point  à 
charge  :  Tibi  derelictus  est! 

Cela  étant  ainsi ,  comme  l'expérience  nous  le 
fait  voir  ;  quand  un  homme  accommodé  dans  le 
siècle,  comme  saint  François,  prend  la  résolu- 
tion de  se  plaire  dans  les  bassesses  de  la  pauvreté, 
ne  faut-il  pas  que  ce  soit  une  âme  extrêmement 
touchée  du  mépris  de  tous  ces  biens  imaginaires , 
qui  remportent  parmi  nous  un  si  grand  applau- 
dissement? Le  voyez-vous,  chrétiens;  François, 
ce  riche  marchand  d'Assise ,  que  son  père  a  en- 
voyé à  Rome  pour  les  afi'aires  de  son  négoce ,  le 
voyez-vous  qui  s'entretient  avec  un  pauvre  au 
milieu  des  rues?  Hé  Dieu!  qu'a  de  commun  !e 
négoce  avec  cette  sorte  de  gens  ?  Quel  marché 
veut-il  faire  avec  ce  pauvre  homme?  Ah!  l'admi- 
rable trafic ,  le  riche  et  précieux  échange  !  il  veut 
avoir  l'habit  de  ce  pauvre,  et  pour  cela  il  lui 
donne  le  sien  ;  et  après,  ravi  d'avoir  fait  un  si  bel 
échange,  d'un  habit  honnête  contre  un  autre  tout 
déchiré ,  il  paraît  tout  joyeux  habillé  en  pauvre, 
pendant  que  le  pauvre  a  peine  à  se  reconnaître 
sous  son  habit  de  bourgeois. 

Jésus ,  mon  Sauveur,  qui  dites  que  l'on  vous 
habille  quand  on  couvre  la  nudité  de  vos  pauvres, 
pourrais-je  bien  ici  exprimer  combien  cette  ac- 
tion vous  fut  agréable  ?  L'histoire  ecclésiastique 
m'apprend  que  saint  Martin,  votre  ser\iteur, 
ayant  donné  la  moitié  de  son  manteau  à  un  pau- 
vre qui  lui  demandait  l'aumône,  vous  lui  ap- 
parûtes la  nuit  dans  une  vision  merveilleuse,  paré 
superbement  de  cette  moitié  de  manteau ,  vous 
glorifiant  en  la  présence  de  vos  saints  anges  que 
Martin ,  encore  catéchumène ,  vous  avait  donné 
cet  habit.  Me  permettrez- vous,  ô  mon  Maître, 
une  parole  familière ,  que  j  ose  ici  avancer  ensuite 
de  ce  que  vous  dites  vous-même?  S'il  est  vrai  que 
vous  estimiez  qu'on  vous  donne  lorsqu'on  fait 
largesse  à  vos  pauvres  » ,  combien  vous  glorifie- 
rez-vous  du  don  que  vous  fait  François  !  Ce  n'est 
pas  de  son  manteau  seulement  qu'il  se  dépouille 
pour  l'amour  de  vous  :  il  veut  vous  revêtir  tout 
entier  ;  il  vous  fait  présent  d'un  habit  complet. 
Bien  plus  :  ayant  appris  de  votre  Évangile  que , 
lorsque  vous  étiez  sur  la  terre ,  vous  vous  étiez 
toujours  plu  dans  la  pauvreté ,  non  content  de 

•  Matth.  x\y ,  sa. 


vous  avoir  habillé ,  il  semble  vous  demander  à 
son  tour  que  vous  l'habilliez  à  votre  façon  :  il  se 
couvre  d'un  habit  de  pauvre ,  afin  d'être  sembla- 
ble à  vous. 

Et  dans  ce  merveilleux  appareil ,  d'autant  plus 
magnifique  qu'il  était  abject,  suivons-le,  s'il  vous 
plaît ,  mes  chers  frères,  nous  verrons  une  action 
qui  sans  doute  sera  surprenante.  Il  s'en  va  à 
l'Église  de  Dieu,  à  la  mémoire  des  apôtres  saint 
Pierre  et  saint  Paul ,  ces  deux  pauvres  illustres 
qui  ont  vu  les  empereurs  prosternés  devant  leurs 
tombeaux  ;  là ,  sans  cousidérer  qu'il  pourrait  être 
aisément  connu  ,  et  vous  savez  que  le  commerce 
donne  toujours  beaucoup  d'habitudes,  il  se  mêle 
parmi  les  pauvres  qui  sait  être  les  frères  et  les 
biens-aimésdu  Sauveur;  il  fait  son  apprentissage 
de  cette  pauvreté  généreuse  à  laquelle  mon  Maî» 
tre  l'appelle  ;  il  goûte  à  longs  traits  la  honte  et 
l'ignominie  qui  lui  a  été  si  agréable  ;  il  se  durcit 
le  front  contre  cette  molle  et  lâche  pudeur  du 
siècle ,  qui  ne  peut  souffrir  les  opprobres ,  bien 
qu'ils  aient  été  consacrés  en  la  personne  du  Fils 
de  Dieu.  Ha!  qu'il  commence  bien  à  faire  pro- 
fession de  la  folie  de  la  croix ,  et  de  la  pauvreté 
évangélique! 

Mais  avant  que  de  passer  outre  à  ses  autres 
actions ,  fidèles ,  il  est  nécessaire ,  afin  que  nous 
en  connaissions  mieux  le  prix  ,  que  nous  tâchions 
de  nous  détromper  de  cette  folle  admiration  des 
richesses  dans  laquelle  on  nous  a  élevés  :  il  faut 
que  je  vous  fasse  voir,  par  des  raisonnements 
invincibles,  les  grandeurs  de  la  pauvreté  selon 
les  maximes  de  l'Évangile  ;  d'où  il  vous  sera  aisé 
de  conclure  combien  est  injuste  le  mépris  des 
pauvres ,  que  je  vous  représentais  tout  à  l'heure. 
Mais ,  afin  de  le  faire  avec  plus  de  fruit ,  laissons , 
laissons ,  s'il  vous  plaît ,  aux  orateurs  du  monde 
la  pompe  et  la  majesté  du  style  panégyrique;  ils 
ne  se  mettent  point  en  peine  que  l'on  les  entende, 
pourvu  qu'ils  reconnaissent  que  l'on  les  admire. 
Pour  nous  qui  sommes  ici  dans  la  chaire  du  sau- 
veur Jésus ,  ornons  notre  discours  de  la  simpli- 
cité de  sou  Évangile,  et  repaissons  nos  âmes  de 
vérités  solides  et  intelligibles. 

Je  dis  donc ,  ô  riches  du  siècle ,  que  vous  avea 
tort  de  traiter  les  pauvres  avec  un  mépris  si  in- 
jurieux :  afin  que  vous  le  sachiez ,  si  nous  vou-^ 
lions  monter  à  l'origine  des  choses,  nous  trouve-, 
rions  peut-être  qu'ils  n'auraient  pas  moins  de 
droit  que  vous  aux  biens  que  vous  possédez.  La 
nature  ou  plutôt ,  pour  parler  plus  chrétienne^ 
ment.  Dieu,  le  Père  commun  des  hommes,  a 
donné  dès  le  commencement  un  droit  égal  à  tous 
ses  enfantssur  toutes  les  choses  dont  ils  ontbesoiu 
pour  la  conservation  de  leur  vie.  Aucun  de  nous 
ne  se  peut  vanter  d'être  plus  avantagé  que  les 


SOb  PANÉGYRIQUE 

autres  pftr  la  nature;  mais  l'insatiable  désir  d'a- 
masser n'a  pas  permis  que  cette  belle  fraternité 
pût  durer  longtemps  dans  le  monde.  Il  a  fallu 
venir  au  partage  et  à  la  propriété,  qui  a  produit 
toutes  les  querelles  et  tous  les  procès  :  de  là  est  né 
ce  mot  de  mien  et  de  tien,  celte  parole  si  froide, 
dit  l'admirable  saint  Jean-Chrysostôme';  de  là 
cette  grande  diversité  de  conditions,  les  uns  vi- 
vant dans  l'affluence  de  toutes  choses ,  les  autres 
languissant  dans  une  extrême  indigence.  C'est 
pourquoi  plusieurs  des  saints  Pères  ayant  eu 
égard ,  et  à  l'origine  des  choses ,  et  à  cette  libé- 
ralité générale  de  la  nature  envers  tous  les  hom- 
mes, n'ont  pas  fait  de  difficulté  d'assurer  que 
c'était  en  quelque  sorte  frustrer  les  pauvres  de 
leur  propre  bien ,  que  de  leur  dénier  celui  qui  nous 
est  superflu . 

Je  ne  veux  pas  dire  par  là,  mes  frères,  que 
vous  ne  soyez  que  les  dispensateurs  des  riches- 
ses que  vous  avez;  ce  n'est  pas  ce  que  je  prétends. 
Car  ce  partage  de  biens  s'étantfait  d'un  commun 
consentement  de  toutes  les  nations,  et  ayant  été 
autorisé  par  la  loi  divine,  vous  êtes  les  maîtres 
et  les  propriétaires  de  la  portion  qui  vous  est 
échue  :  mais  sachez  que ,  si  vous  en  êtes  les  véri- 
tables propriétaires  selon  la  justice  des  hommes, 
vous  ne  devez  vous  considérer  que  comme  dis- 
pensateurs devant  la  justice  de  Dieu,  qui  vous  en 
fera  rendre  compte.  Ne  vous  persuadez  pas  qu'il 
ait  abandonné  le  soin  des  pauvres  :  encore  que 
vous  les  voyiez  destitués  de  toutes  choses ,  gar- 
dez-vous bien  de  croire  qu'ils  aient  tout  à  fait 
perdu  ce  droit  si  naturel  qu'ils  ont  de  prendre 
dans  la  masse  commune  tout  ce  qui  leur  est  né- 
cessaire. Non,  non,  ô  riches  du  siècle,  ce  n'est  pas 
pour  vous  seuls  que  Dieu  fait  lever  son  soleil .  ni 
qu'il  arrose  la  terre ,  ni  qu'il  fait  profiter  dans  son 
sein  une  si  grande  diversité  de  semences  ;  les 
pauvres  y  ont  leur  part  aussi  bien  que  vous.  J  a- 
voue  que  Dieu  ne  leur  a  donné  aucun  fonds  en 
propriété  ;  mais  il  leur  a  assigné  leur  subsistance 
sur  les  biens  que  vous  possédez,  tout  autant  que 
vous  êtes  de  liches.  Ce  n'est  pas  qu'il  n'eût  bien  le 
moyen  de  les  entretenir  d'une  autre  manière ,  lui 
sous  le  règne  duquel  les  animaux,  même  les  plus 
vils,  ne  manquent  d'aucunes  des  choses  conve» 
nables  à  leur  subsistance  :  ni  sa  main  n'est  point 
raccourcie,  ni  ses  trésors  ne  sont  point  épuisés; 
maisil  a  vouluque  vous  eussiez  l'honneur  de  faire 
vivre  vos  semblables.  Quelle  gloire  en  vérité , 
chrétiens,  si  nous  la  savions  bien  comprendre! 
Par  conséquent,  bien  loin  de  mépriser  les  pau- 
vres ,  vous  les  devriez  respecter,  les  considérant 
comme  des  personnes  que  Dieu  vous  adresse  et 
vous  recommande. 

'  //'•7W.  dt  s  Philoq.  n°  l,  t.  I ,  p.  «3. 


Car  enfin  méprisez-les ,  traitez-les  indignement 
tant  qu'il  vous  plaira,  il  faut  néanmoins  qu'ils 
vivent  à  vos  dépens ,  si  vous  ne  voulez  encourir 
l'indignation  de  celui  qui  parmi  ces  noms  si  au- 
gustes d'Éternel  et  de  Dieu  des  armées,  se  glo- 
rifie encore  de  se  dire  le  Père  des  pauvres.  Vive . 
Dieu,  dit  le  Seigneur,  c'est  jurer  par  moi-même, 
le  ciel  et  la  terre  et  tout  ce  qu'ils  enferment  estj 
à  moi  :  vous  êtes  obligés  de  me  rendre  la  rede- 
vance de  tous  les  biens  que  vous  possédez.  Mais^ 
certes  pour  moi  je  n'ai  que  faire  ni  de  vos  of-j 
frandes  ni  de  vos  richesses  :  je  suis  votre  Dieu,' 
et  n'ai  pas  besoin  de  vos  biens.  Je  ne  peux  souf»'; 
frir  de  nécessité  qu'en  la  personne  des  pauvres  ,^ 
que  j'avoue  pour  mes  enfants  ;  c'est  à  eux  que] 
j'ordonne  que  vous  payiez  fidèlement  le  tribut! 
que  vous  me  devez.  Voyez-vous,  mes  frères;  ces* 
pauvres  que  vous  méprisez  tant,  Dieu  les  établit 
ses  trésoriers  et  ses  receveurs  généraux  :  il  veut 
que  l'on  consigne  en  leurs  mains  tout  l'argent 
qui  doit  entrer  dans  ses  coffres.  Il  ne  leur  donne 
ici-bas  aucun  droit  qu'ils  puissent  exiger  par  une 
justice  étroite;  mais  il  leur  permet  de  lever  suc 
tous  ceux  qu'il  a  enrichis  un  impôt  volontaire, 
non  par  contrainte ,  mais  par  charité.  Que  si  on 
les  refuse,  si  on  les  maltraite,  il  n'entend  pas 
qu'ils  portent  leur  plainte  par-devant  des  juges 
mortels;  lui-même  il  écoutera  leurs  cris  du  plus 
haut  des  cieux  :  comme  ce  qui  est  dû  aux  pau- 
vres ce  sont  ses,  propres  deniers ,  il  en  a  réservé 
la  connaissance  à  son  tribunal.  C'est  moi  qui  les 
vengerai,  dit-il  :  je  ferai  miséricorde  à  qui  leur 
fera  miséricorde ,  je  serai  impitoyable  à  qui  sera 
impitoyable  pour  eux.  Merveilleuse  dignité  des, 
pauvres!  la  grâce,  la  miséricorde,  le  pardon  est 
entre  leurs  mains;  et  il  y  a  des  personnes  assez, 
insensées  pour  les  mépriser  :  mais  encore  n'esta 
ce  pas  là  par  où  saint  François  les  considère  le 
plus. 

Ce  petit  enfant  de  Bethléem ,  c'est  ainsi  qu'il 
appelle  mon  Maître ,  ce  Jésus  «  qui  étant  si  ri- 
«  che  s'est  fait  pauvre  pour  l'amour  de  nous, 
«  afin  de  nous  enrichir  par  son  indigence,  «  comme 
dit  l'apôtre  saint  Paul';  ce  roi  pauvre,  qui  ve- 
nant au  monde  n'y  trouve  point  d'habit  plus  di- 
gne de  sa  grandeur  que  celui  de  !a  pauvreté, 
c'est  là  ce  qui  touche  son  âme.  Ma  chère  pau- 
vreté, disait-il,  si  basse  que  soit  ton  extraction, 
selon  le  jugement  des  hommes,  je  ne  puis  que  je 
ne  t'estime  depuis  que  mon  Maître  t'a  épou- 
sée. Et  certes  il  avait  raison ,  chrétiens.  Si  un  roi 
épouse  une  fille  de  basse  extraction,  elle  devient 
reine  :  on  en  murmure  quelque  temps  ;  mais  en- 
fin on  la  reconnaît  :  elle  est  anoblie  par  le  mariage 
du  prince  ;  sa  noblesse  passe  à  sa  maison,  ses  pa- 

'  II.  Cur.  VIII ,  9 


DE  SAINT  1-IUNCOIS  D'ASSISE. 


209 


peuts  ordinairement  sont  appelés  aux  plus  belles 
charges,  et  ses  enfants  sont  les  héritiers  du 
royaume.  Ainsi  après  que  le  Fils  de  Dieu  a  épousé 
la  pauvreté  ;  bien  qu'on  y  résiste ,  bien  qu'on  en 
murmure ,  elle  est  noble  et  considérable  par  cette 
alliance.  Les  pauvres,  depuis  ce  temps-là,  sont 
les  confidents  du  Sauveur,  et  les  premiers  minis- 
tres de  ce  royaume  spirituel  qu'il  est  venu  établir 
sur  ?a  terre.  Jésus  même ,  dans  cet  admirable 
discours  qu'il  fait  a  un  grand  auditoire  sur  celte 
mystérieuse  montagne,  ne  daignant  parler  aux 
riches,  sinon  pour  foudroyer  leur  orgueil ,  adresse 
la  parole  aux  pauvres ,  ses  bons  amis ,  et  leur  dit 
avec  une  incroyable  consolation  de  son  âme  :  «  0 
"  pauvres ,  que  vous  êtes  heureux ,  parce  qu'à 
«  vous  appartient  le  royaume  de  Dieu  !  »  Beali 
pauperes,  quia  vestnim  est  reynumDei  •  ! 

Heureux  donc  mille  et  mille  fois  le  pauvre 
François,  le  plus  ardent,  le  plus  transporté,  et, 
si  j'ose  parler  de  la  sorte,  le  plus  désespéré  ama- 
teur de  la  pauvreté  qui  ait  peut-être  été  dans 
l'Église.  Avec  quel  excès  de  zèle  ne  l'a-t-il  point 
embrassée  !  combien  belle ,  combien  généreuse , 
combien  digne  d'être  consacrée  à  la  mémoire 
éternelle  de  la  postérité ,  fut  cette  réponse  qu'il 
lit  à  son  père  lorsqu'il  le  pressait ,  en  présence 
de  l'évêque  d'Assise,  de  renoncer  à  ses  biens!  Il 
accusait  sou  fils  d'être  le  plus  excessif  en  dépense, 
qui  fût  dans  tout  le  pays.  Il  ne  saurait,  disait-il, 
refuser  un  pauvre  :  il  ne  peut  souffrir  qu'il  y  ait 
dans  la  ville  des  familles  nécessiteuses.  Il  vend 
toutes  mes  marchandises,  et  leur  en  distribue  le 
prix.  Et  en  effet,  chrétiens,  à  voir  comme  Fran- 
çois en  usait ,  on  eût  dit  qu'il  avait  engagé  son 
bien  aux  pauvres  de  la  province ,  et  que  l'aumône 
qu'il  leur  faisait  était  moins  un  bienfait  qu'une 
dette.  Et  parce  que  tout  son  patrimoine  ne  pou- 
vait suffire  à  payer  ces  dettes  infinies  d'une  cha- 
rité immense  et  sans  bornes ,  sou  père  soutenait 
qu'il  était  obligé  à  faire  cession  de  biens  ;  d'autant 
plus ,  disait-il ,  qu'il  était  incorrigible ,  et  qu'il  n'y 
avait  aucune  apparence  qu'il  devint  meilleur 
ménager. 

Que  répondra  François  à  des  accusations  si 
pressantes,  faites  avec  toute  la  véhémence  de 
l'autorité  paternelle?  0  Dieu  éternel,  que  vous 
inspirez  de  belles  réponses  à  vos  servit^ui-s  quand 
ils  se  laissent  conduire  à  votre  Esprit  saint  !  Te- 
nez, dit  François  animé  d'un  instinct  céleste, 
tenez ,  ô  mon  père ,  je  vous  donne  plus  que  vous 
ne  voulez;  et  dans  le  même  moment ,  jetant  à  ses 
pieds  ses  habits  :  Jusqu'ici,  poursuit-il ,  je  vous 
avais  appelé  mon  père  ;  maintenant  que  je  n'at- 
tendrai plus  aucun  bien  de  vous,  j'en  dirai  plus 
hardiment  et  avec  une  confiance  plus  pleine  : 

'  Lac.  V! ,  20. 


Notre  Père,  qui  êtes  aux  cieux.  Quelle  éloquence 
assez  forte,  quels  raisonnementsassez  magnifiques 
pourraient  ici  égaler  la  majesté  de  cette  parole? 
0  la  belle  banqueroute  que  fait  aujourd'hui  «e 
marchand  !  0  homme, non  tant  iucapabii: d'avoir 
des  richesses ,  que  digne  de  n'eu  avoir  pas ,  digne 
d'être  écrit  dans  le  livre  des  pauvres  cvaiigéli- 
ques ,  et  de  vivre  dorénavant  sur  le  fonds  de  la 
Providence  !  Enlin  il  a  rencontré  cette  pauvreté 
si  ardemment  désirée,  en  laquelle  il  avait  rais  son 
trésor  :  plus  on  lui  ôte ,  plus  on  l'enrichit  Que 
l'on  a  bien  fait  de  le  dépouiller  entièrement  de 
ses  biens  ;  puisqu'aussi  bien  on  voulait  lui  ravir 
ce  qu'il  estimait  de  plus  beau  dans  toutes  ces 
possessions,  qui  était  le  pouvoir  de  les  répandre 
abondamment  sur  les  pauvres!  Il  a  trouvé  un 
Père  qui  ne  l'empêchera  pas  de  donner,  ni  ce 
qu'il  gagnera  par  le  travail  de  ses  mains,  ni  ce 
qu'il  pourra  obtenir  de  la  charité  des  fidèles. 
Heureux ,  de  n'avoir  plus  rien  dans  le  siècle,  son 
habit  même  lui  venant  d'aumône  !  Heureux ,  de 
n'avoir  d'autre  bien  que  Dieu ,  de  n'attendre  rien 
que  de  lui ,  de  ne  recevoir  rien  que  pour  l'amour 
de  lui!  Grâce  à  la  miséricorde  divine,  il  n'a  plus 
aucune  affaire  que  de  servir  Dieu  :  toute  sa  nour- 
riture est  de  faire  sa  volonté.  Que  son  état  est  dif- 
férent de  celui  des  riches  !  vous  le  verrez  dans  ma 
seconde  partie. 

SECOND    POINT. 

Quand  je  vous  considère ,  ô  riches  du  siècle , 
vous  me  semblez  bi'^'n  pau^Tes  en  comparaison  de 
François.  Vous  ne  sauriez  avoir  tant  de  richesses, 
que  vos  passions  déréglées  n'en  consument  encore 
davantage.  Il  vous  en  faut  pour  la  nécessité ,  pour 
la  vanité,  pour  le  luxe,  pour  les  plaisirs,  pour 
i  la  pompe,  pour  la  parade,  pour  mille  superflui- 
I  tés.  François,  au  contraire,  ne  saurait  avoir  ni 
I  un  habillement  si  sordide ,  ni  une  nourriture  si 
j  modique,  qu'il  ne  soit  parfaitement  satisfait; 
I  tout  prêt  même  à  mourir  de  faim  ,  si  telle  est  la 
volonté  de  son  Père.  Il  s'en  va  tantôt  dans  une 
sombre  forêt,  tantôt  sur  le  haut  d'une  montagne, 
admirant  les  ouvrages  de  Dieu,  invitant  toutes 
les  créatures  à  le  louer  et  à  le  bénir,  leur  prêtant 
pour  cela  son  intelligence  et  sa  voix,  passant  les 
jows  et  les  nuits  a  prononcer,  à  méditer,  à  goûter 
cttte  pieuse  parole  :  «r  Notre  Père ,  qui  êtes  aux 
«  cieux;  «  et  cette  autre  :  ^  Mon  Dieu  et  mon  tout,  » 
qu'il  avait  sans  cesse  à  la  bouche ,  Deus  meus  et 
omnia.  11  court  par  toutes  les  villes,  par  toutes 
les  bourgades ,  par  tous  les  hameaux  :  il  lève  hau- 
tement l'étendard  de  la  pauvreté  ;  il  commence 
à  exercer  un  nouveau  genre  de  négoce ,  il  établit 
le  plus  beau  et  le  plus  riche  commerce  dont  on 
se  puisse  Jamais  aviser.  0  vous,  disait-il ,  voua 


610 


PAiNÉGYRIQUE 


qui  désirez  acquérir  cette  perle  unique  de  l'Evan- 
gile, venez,  associons-nous ,  afin  de  trafiquer 
d  ans  le  ciel  :  vendez  tous  vos  biens ,  donnez  tout 
aux  pauvres,  venez  avec  moi,  libres  de  tous  soins 
séculiers  :  venez ,  nous  ferons  pénitence  ;  venez , 
nous  louerons  et  servirons  notre  Dieu  en  simpli- 
cité et  en  pauvreté. 

O  sainte  compagnie ,  qui  commencez  à  vous 
assembler  sous  la  conduite  de  saint  François, 
puissiez-vous ,  en  vous  étendant  de  toutes  parts, 
inspirer  à  tous  les  hommes  du  monde  un  généreux 
mépris  des  richesses ,  et  porter  tous  les  peuples 
à  l'exercice  de  la  pénitence!  Mais  que  prétendez- 
vous  faire  avec  ces  habits  d'une  forme  si  singu- 
lière ,  si  pesants  en  été ,  si  peu  propres  à  vous 
garantir  des  rigueurs  du  froid?  pourquoi  n'avez- 
.vous  plus  d'égard  à  la  nécessité  ou  à  la  faiblesse 
delà  chair?  Fidèles,  le  pauvre  François ,  qui  leur 
a  donné  ce  conseil ,  ne  comprend  pas  ce  discours  : 
il  est  prévenu  d'autres  maximes  plus  mâles  et  plus 
élevées.  Il  se  souvient  de  ces  feuilles  de  figuier 
qui  couvrirent,  dans  le  paradis ,  la  nudité  de  nos 
premiers  parents ,  sitôt  que  leur  désobéissance  la 
leur  eut  fait  connaître.  Il  songe  que  l'homme  a 
été  nu,  tant  qu'il  a  été  innocent  ;  et  par  conséquent 
que  ce  n'est  pas  la  nécessité ,  mais  le  péché  et  la 
honte  qui  ont  fait  les  premiers  habits.  Que  si  c'est 
le  péché  qui  a  habillé  la  nature  corrompue,  il 
juge  qu'il  sera  bienséant  que  la  pénitence  l'ha- 
bille après  qu'elle  a  été  réparée. 

Mais  pourquoi  vous  exténuez-vous  par  tant  de 
jeûnes?  pourquoi  vous  consumez- vous  par  tant 
de  veilles?  pourquoi  vous  jetez- vous  sur  ces 
neiges?  pourquoi  vois-je  ce  ciliée  inséparable  de 
votre  corps  ,  que  Ton  pourrait  prendre  pour  une 
autre  peau  qui  se  serait  formée  sur  la  première? 
Répondez ,  François ,  répondez  :  vos  sentiments 
sont  si  chrétiens  que  je  croirais  diminuer  quel- 
que chose  de  leur  générosité ,  si  je  ne  vous  les 
faisais  exposer  à  vous-même.  Qui  êtes -vous, 
dira-t-il,  vous  qui  me  faites  cette  question  ?  igno- 
rez-vous que  le  nom  de  chrétien  signifie  un 
homme  souffrant?  Ne  vous  souvenez-vous  pas 
de  ces  deux  braves  athlètes ,  Paul  et  Barnabe , 
qui  allaient  confirmant  et  consolant  les  Églises? 
et  que  leur  disaient-ils  pour  les  consoler?  «  Qu'il 
«  fallait  par  de  longs  travaux,  et  une  grande 
«  suite  de  tribulations ,  parvenir  au  royaume  des 
«  cieux  :  »  Quia  per  multas  angustias  et  tribu- 
lationes  oportet  pervenire  ad  regnum  Dei  '. 
Sachez,  poursuivra-t-il  ;  et  pardonnez-moi,  chré- 
tiens ,   si  je  prends  plaisir  aujourd'hui  à  vous 
faire  parler  si  souvent  ce  merveilleux  person- 
nage :  sachez  donc ,  dira-t-il ,  que  nous  autres 
chrétiens  «  nous  avons  un  corps  et  une  âme. qui 
'  Act.  XIV.  21. 


«  doivent  être  exposés  à  toute  sorte  d'incomrao- 
«  dites  :  »  Ipsani  animam  ipsumgue  corpus  ex- 
positum  omnibus  ad  injuriam  gerimus  '.  Et 
c'est  ainsi  que  pour  suivre  le  commandement  de 
l'apôtre  * ,  afin  de  ne  point  courir  en  vain ,  «  je 
«  travaille  à  dompter  raon  corps,  et  à  réduire  en 
«  servitude  l'appétit  de  ces  ^oluptésqui,  par  leur 
«délicatesse,  rendent  molle  et  efféminée  cette 
'■  mâle  vertu  de  la  foi  :  »  Discutiendœ  sunf  deli- 
ciœ,  quarum  mollitia  etjluxufidei  oirtus  efje- 
niinari  potest  ^.  Après  tout  «  quelles  plus  gran- 
«  des  délices  à  un  chrétien ,  que  le  dégoût  des 
«  délices?  »  Quœ  major  voluptas,  quamfasti- 
dium  ipsius  voluptaiis  '*?  «  Quoi!  ne  pourrons- 
n  nous  pas  vivre  sans  plaisir,  nous  qui  devons 
«  mourir  avec  plaisir?  »  No7i  possumus  vivere 
sine  voluptate,  qui  mort  cum  voluptate  debe- 
mus  ^?  Ce  sont  les' paroles  du  grave  Tertullien, 
qu'il  prêtera  volontiers  aux  sentiments  de  Fran- 
çois ,  si  dignes  de  cette  première  vigueur  et  fer- 
meté des  mœurs  chrétiennes. 

Sévère  mais  évangélique  doctrine,  dures  mais 
indubitables  vérités ,  qui  faites  frémir  tous  nos 
sens,  et  paraissez  si  folles  à  notre  aveugle  sa- 
gesse :  c'est  vous  qui  avez  rendu  l'inimitable 
François  si  heureusement  insensé;  c'est  vous 
qui  l'avez  enflammé  d'un  violent  désir  du  mar- 
tyre ,  qui  lui  fait  chercher  de  toutes  parts  quel- 
queinfidèlequi  ait  soif  de  son  sang.  Et  certes  il  est 
véritable,  encore  que  tous  nos  sens  y  répugnent, 
qu'un  chrétien  qui  est  blessé  de  l'amour  de  notre 
Sauveur  n'a  pas  de  plus  grand  plaisir  que  de  ré- 
pandre son  sang  pour  lui.  C'est  là,  peut-être,  le 
seul  avantage  que  nous  pouvons  remporter  sur 
les  anges.  Ils  peuvent  bien  être  les  compagnoDS 
de  la  gloire  de  Notre-Seigneur,  mais  ils  ne  peu- 
vent pas  être  les  compagnons  de  sa  mort.  Ces  bien- 
heureuses intelligences  peuvent  bien  paraître  de- 
vant la  face  de  Dieu  comme  des  victimes  brûlantes 
d'une  charité  éternelle,  mais  leur  nature  impas- 
sible ne  leur  permet  pas  de  faire  une  généreuse 
épreuve  de  leur  affection  parmi  les  souffrances, 
et  de  recevoir  cet  honneur ,  si  doux  à  celui  qui 
aime,  d'aimer  jusqu'à  mourir ,  et  môme  de  mou- 
rir par  amour.  Pour  nous,  au  contraire,  nous 
jouissons  de  ce  précieux  avantage  :  car  des  deux 
sortes  de  vies  qu'il  a  plu  à  Dieu  nous  donner, 
l'une ,  immortelle  et  incorruptible ,  fera  durer 
notre  amour  éternellement  dans  le  ciel  ;  et  pour 
l'autre,  qui  est  périssable,  nous  la  lui  pouvons 
immoler  pour  signaler  cet  amour  sur  la  terre.  Et 
c'est,  comme  je  vous  disais  tout  à  l'heure,  ce 


'  Tertull.  de  Patient,  n»  8. 
'  I.  Cor.  IX,  26,27. 
3  TeHull.  de  Cultufemm.  a" 
*  Idem  de  Spect.  n"  29. 
'•>  Ibid.  n"  28. 


DE  SAIMT  FRANÇOIS  D'ASSISE. 


611 


qui  pont  arriver  de  plus  doux  ù  une  àmc  vraiment 
percée  des  traits  de  l'amour  divin. 

.\e  voyez-vous  pas ,  chrétiens ,  que  le  sauveur 
Jésus  durant  le  cours  de  sa  vie  mortelle  n'a  point 
eu  de  plus  délicieuse  pensée,  ([ue  celle  qui  lui 
représentait  la  mort  qu'il  devait  endurer  pour 
l'amour  de  nous?  et  d'où  lui  venait  ce  goût,  ce 
plaisir  ineffable  qu'il  ressentait  dans  la  considé- 
ration de  maux  si  pénibles  et  si  étranges?  C'est 
parce  qu'il  nous  aimait  d'une  charité  immense, 
dont  nous  ne  saurions  jamais  nous  former  qu'une 
très-faible  idée.  C'est  pourquoi  il  brûle  d'impa- 
tience de  voir  bientôt  luire  au  monde  cette  pâque 
si  mémorable' ,  qu'il  devait  sanctifier  par  sa  mort. 
Il  soupire  sans  cesse  après  ce  baptême  de  sang* 
et  après  cette  heure  dernière,  qu'il  appelait  aussi 
son  heure  par  excellence^,  comme  étant  celle  où 
son  amour  devait  triompher.  Lorsque  Jean-Bap- 
tiste, son  saint  précurseur,  voit  reposer  le  Saint- 
Esprit  sur  sa  tète  *,  que  le  ciel  s'entrouvre  sur 
lui,  que  le  Père  le  reconnaît  publiquement  pour 
son  Fils;  ce  n'est  pas  là,  chrétiens,  ce  qu'il  ap- 
pelle son  heure.  Cette  heure,  qui  est  la  sienne, 
selon  sa  façon  de  parler  ordinaire,  et  selon  la 
phrase  de  l'Écriture,  c'est  celle  à  laquelle,  por- 
tant nos  iniquités  sur  le  bois,  il  se  doit  immoler 
pour  nous  par  un  sacrifice  de  charité. 

Que  si  le  Créateur  trouve  une  joie  si  parfaite 
à  mourir  pour  sa  créature,  quel  contentement 
doit  éprouver  la  créature  de  mourir  pour  son 
Créateur  !  Et  c'est  ici  où  l'âme  fidèle  ressent  de 
merveilleux  transports  dans  la  contemplation  de 
notre  Maître  crucifié.  Ce  sang  précieux,  qui  ruis- 
selé de  toutes  parts  de  ses  veines  cruellement  dé- 
chirées, devient  pour  elle  comme  un  fleuve  de 
'flammes,  qui  l'embrase  d'une  ardeur  invincible 
de  se  consumer  pour  lui.  Et  pourrions-nous  voir 
notre  brave  et  victorieux  capitaine  verser  son 
isang  pour  notre  salut  avec  une  si  grande  joie, 
fsans  que  le  nôtre  s'échauffât  en  nous-mêmes  par 
ce  spectacle  d'amour?  Les  médecins  nous  appren- 
,nent  que  ce  sont  certains  esprits  chauds,  et  par 
[conséquent  actifs  et  vigoureux,  qui  se  mêlant 
parmi  notre  sang  le  font  sortir  ordinairement 
avec  une  grande  impétuosité  sitôt  que  la  veine 
est  ouverte.  Ah  !  que  le  sang  de  Jésus-Christ ,  qui 
est  coulé  dans  nos  veines  par  la  vertu  de  ses  sa- 
crements ,  anime  le  sang  des  martyre  d'une  sainte 
et  divine  chaleur,  qui  le  fait  jaillir  d'ici-bas  jus- 
que sur  le  trône  de  Dieu ,  lorsqu'une  épée  infidèle 
l'épanché  pour  la  confession  de  la  foi  !  Regai'dez 
ces  bienheureiLx  soldats  du  Sauveur,  avec  quelle 


*  Luc.  XXII,  15. 
'  Ibid.  XII,  50. 

*  Joait.  XIII,  I. 

*  Malth.m,  16,  17. 


contenance  ils  allaient  se  présenter  au  supplice. 
Une  sainte  et  divine  joie  éclatait  dans  leurs  yeux 
et  sur  leurs  visages,  par  je  ne  sais  quelle  ardeur 
plus  qu'humaine  qui  étonnait  tous  les  spectateurs. 
C'est  qu'ils  considéraient  en  esprit  ces  torrents  du 
sang  de  Jésus,  qui  se  débordaient  sur  leurs  âmes 
par  une  inondation  merveilleuse. 

Je  ne  m'étonne  donc  plus  si  l'incomparable 
François  désire  si  ardemment  le  martyre,  lui  qui 
ne  perdait  jamais  de  vue  le  Sauveur  attaché  à  la 
croix ,  et  qui  attirait  continuellement,  de  ses  ado- 
rables blessures ,  cette  eau  céleste  de  l'amour  de 
Dieu,  qui  jaillit  jusqu'à  la  vie  étemelle.  Enivré 
de  ce  divin  breuvage ,  il  court  au  martyre  comme 
un  insensé  :  ni  les  fleuves ,  ni  les  montagnes ,  ni 
les  vastes  espaces  des  mers  ne  peuvent  arrêter 
son  ardeur.  Il  passe  en  Asie ,  en  Afrique ,  partout 
où  il  pense  que  la  haine  soit  la  plus  échauffée 
contre  le  nom  de  Jésus.  Il  prêche  hautement  à 
ces  peuples  la  gloire  de  l'Évangile  :  il  découvre 
les  impostures  de  Mahomet,  leur  faux  prophète. 
Quoi  !  ces  reproches  si  véhéments  n'animent  pas 
ces  barbares  contre  le  généreux  François  ?  au  con- 
traire ils  admirent  son  zèle  infatigable,  sa  fermeté 
invincible,  ce  prodigieux  mépris  de  toutes  les 
choses  du  monde  :  ils  lui  rendent  mille  sortes 
d'honneurs.  François  indigné  de  se  voir  ainsi 
respecté  par  les  ennemis  de  sou  Maître,  recom- 
mence ses  invectives  contre  leur  religion  mons- 
trueuse :  mais,  étrange  et  merveilleuse  insensibi- 
lité! ils  ne  lui  témoignent  pas  moins  de  déférence; 
et  le  brave  athlète  de  Jésus-Christ ,  voyant  qu'il 
ne  pouvait  mériter  qu'il  lui  donnassent  la  mort  : 
Sortons  d'ici,  mon  frère,  disait-il  à  son  compa- 
gnon ;  fuyons  ,  fuyons  bien  loin  de  ces  barbares 
trop  humains  pour  nous,  puisque  nous  ne  les 
pouvons  obliger  ni  à  adorer  notre  Maître,  ni  a 
nous  persécuter,  nous  qui  sommes  ses  serviteurs. 
0  Dieu  !  quand  mériterons-nous  le  triomphe  du 
martyre,  si  nous  trouvons  des  honneurs  même 
parmi  les  peuples  les  plus  infidèles?  Puisque  Dieu 
ne  nous  ju^e  pas  dignes  de  la  grâce  du  martyre, 
ni  de  participer  a  ses  glorieux  opprobres,  alîons- 
nous-en ,  mon  frère ,  allons  achever  notre  vie  dans 
le  martyre  de  la  pénitence  ;  ou  cherchons  quelque 
endroit  de  la  terre ,  où  nous  puissions  boire  à  longs 
traits  rignominie  de  la  croix. 

Ce  serait  en  cet  endroit ,  chrétiens ,  qu'il  se- 
rait beau  de  vous  représenter  le  dernier  trait  de 
folie  du  sage  et  admirable  François.  Que  vous 
seriez  ravis,  de  lui  voir  établir  sa  gloire  sur  le 
mépris  des  honneurs  !  Quelles  louanges  ne  don- 
neriez-vous  pas  à  la  naïve  enfance  de  son  inno- 
cente simplicité ,  et  à  cette  humilité  si  profonde, 
par  laquelle  il  se  considérait  comme  le  plus  grand 
des  pécheurs  ;  et  à  cette  confiance  fidèle,  qui  lui 


513 


PANÉGYRIC'T'E 


faisait  fonder  tout  l'appui  de  son  espérance  sur 
les  mérites  du  Fils  de  Dieu  ;  et  à  cette  crainte  si 
humble  qu'il  avait  de  faire  paraître  ces  sacrés 
caractères  de  la  passion  du  Sauveur,  que  Jésus 
crucifié,  par  une  miséricorde  ineffable,  avait 
imprimés  sur  sa  chair!  Mais  combien  seriez-vous 
étonnés  quand  je  vous  dirais  que  François, 
François,  cei;  admirable  personnage  ,  qui  a  mené 
une  vîe  plus  angélique  qu'humaine,  refuse  la 
sainte  prêtrise,  estimant  cette  dignité  trop 'pe- 
sante pour  ses  épaules  !  Hélas  !  quelque  impar- 
faits que  nous  soyons ,  nous  y  courons  souvent 
sans  y  être  appelés ,  avec  une  hardiesse ,  une  pré- 
cipitation qui  fait  frémir  la  religion  :  téméraires, 
qui  ne  comprenons  pas  la  hauteur  des  mystères 
de  Dieu  et  la  vertu  qu'ils  exigent  dans  ceux  qui 
prétendent  en  être  les  dispensateurs.  Et  François 
au  contraire ,  cet  ange  terrestre ,  après  tant  d'ac- 
tions héroïques,  et  Un  si  long  exircice  d'une 
vertu  consommée,  bien  que  tout  l'ordre  ecclé- 
siastique lui  tende  les  bras  comme  à  un  homme 
qui  devait  être  un  de  ses  plus  beaux  luminaires, 
tremble  et  frémit  au  seul  nom  de  prêtre ,  et  n'ose , 
malgré  la  vocation  la  plus  légitime,  regarder  que 
de  loin  une  dignité  si  redoutable!  Mais  certes,  si 
je  commençais  à  vous  raconter  ces  merveilles , 
j'entreprendrais  un  nouveau  discours;  et  sur  la 
fm  de  ma  course,  je  m'ouvrirais  une  carrière 
immense.  Puis  donc  que  nous  faisons  dans  l'É- 
glise les  panégyriques  des  saints,  moins  pour  cé- 
lébrer leurs  vertus,  qui  sont  déjà  couronnées, 
que  pour  nous  en  proposer  l'exemple;  il  vaut 
mieux  que  nous  retranchions  quelque  chose  des 
éloges  de  saint  François ,  afin  de  nous  réserver 
plus  de  temps  pour  tirer  quelque  utilité  de  sa  vie. 
Que  choisirons-nous ,  chrétiens ,  dans  les  ac- 
tions de  saint  François,  pour  y  trouver  notre 
instruction?  Ce  serait  peut-être  une  entreprise 
trop  téméraire ,  que  de  rechercher  curieusement 
celle  de  ses  vertus  qui  serait  la  plus  éminente  :  il 
n'appartient  qu'à  celui  qui  les  donne ,  d'en  faire 
l'estimation.  Que  chacun  prenne  donc  pour  soi  ce 
qu'il  sent  en  sa  conscience  lui  devoir  être  le  plus 
utile  ;  et  moi ,  pour  l'édification  de  l'Église ,  je 
vous  proposerai  ce  qui  me  semble  le  plus  profi- 
table au  salut  de  tous  :  et  je  ne  sais  quel  senti- 
ment me  dit  au  fondde  mon  cœur  que  ce  doit 
être  le  mépris  des  richesses ,  auxquelles  il  est  tout 
visible  que  nous  sommes  trop  attachés.  L'apôtre 
parlant  àTimothée,  instruit  en  sa  personne  les 
prédicateurs  comment  ils  doivent  exhorter  les 
riches  :  »  Commandez ,  dit-il ,  aux  riches  du  siè- 
«  cle ,  qu'ils  se  gardent  d'être  hautains ,  et  de 
«  mettre  leur  espérance  dans  l'incertitude  des  ri- 
*  diesses  :  «  Divitibus  hujus  sœculiprœcipe  non 
sublime  supere,  neque  sperare  in  inccrto  divi- 


tiarum  -.  C'est  ce  que  dit  l'apôtre  saint  Paul ,  où 
il  touche  fort  à  propos  les  deux  principales  ma- 
ladies des  riches  :  la  première,  ce  grand  atta- 
chement à  leurs  biens;  la  seconde,  cette  grande 
estime  qu'ils  font  ordinairement  de  leurs  per- 
sonnes :  parce  qu'ils  voient  que  leurs  richesses 
les  mettent  en  considération  dans  le  monde. 

Or,  mes  frères ,  quand  je  ne  ferais  ici  que  le 
personnage  d'un  philosophe ,  je  ne  manquerais 
pas  de  raisons  pour  vous  faire  \  oir  que  c'est  une 
grande  folie  de  faire  tant  d'état  de  ces  biens  qui 
nous  peuvent  être  ravis  par  une  infinité  d  acci- 
dents ,  et  dont  la  mort  enfin  nous  dépouillera  sans 
ressource ,  après  que  nous  aurons  pris  beaucoup 
de  peine  à  les  sauver  des  autres  embûches  que 
-leur  dressera  la  fortune.  Que  si  la  philosophie  a 
si  bien  reconnu  la  vanité  des  richesses ,  nous  au- 
tres chrétiens  combien  les  devons-nous  mépri- 
feer;  nous,  dis-je,  qui  établissons  ce  mépris  non 
sur  des  raisonnements  humains,  mais  sur  des 
vérités  que  le  Fils  du  Père  éternel  a  scellées  et 
confirmées  par  son  sang!  S'il  est  donc  vrai  que 
l'héritage  céleste ,  que  Dieu  nous  a  préparé  par 
son  Fils  unique,  soit  l'unique  objet  de  nos  espé- 
rances ,  nous  ne  devons  par  conséquent  estimer 
les  choses  que  selon  qu'elles  nous  y  conduisent, 
et  nous  devons  détester  au  contraire  tout  ce  qui 
s'oppose  à  un  si  grand  bonheur.  Mais  de  tous  les 
obstacles  que  le  diable  met  à  notre  salut,  il  n'y 
en  a  aucun  ni  plus  grand  ni  plus  redoutable  que 
les  richesses.  Pourquoi?  Je  n'en  alléguerai  aucune 
raison  ;  je  me  contenterai  d'employer  un  mot  de 
notre  Sauveur,  plus  puissant  que  toutes  les  rai- 
sons. Il  est  rapporté  par  trois  évangélistes,  mais 
particulièrement  par  saint  Marc  avec  une  mer- 
veilleuse énergie. 

Mes  enfants  bien-aimés ,  dit  notre  Maître  à  ses 
chers  disciples;  après  les  avoir  longtemps  regar- 
dés ,  afin  de  leur  faire  entendre  que  ce  qu'il  avait 
à  leur  enseigner  était  d'une  importance  extraor- 
dinaire :  «  mes  enfants  bien-aimés,  ô  qu'il  est 
«  difficile  que  les  riches  puissent  être  sauvés  !  Je 
«  vous  dis  en  vérité,  qu'il  est  plus  aisé  de  faire 
«  passer  un  câble  ou  un  chameau  par  l'ouverture 
«  d'une  aiguille  ^  »  Ne  vous  étonnez  pas  de  cette 
façon  de  parler,  qui  nous  paraît  extraordinaire. 
C'était  un  proverbe  i^armi  les  Hébreux,  par  le- 
quel ils  exprimaient  ordinairement  les  choses  qu'ils 
croyaient  impossibles  ;  comme  qui  dirait  parmi 
nous  :  Plutôt  le  ciel  tomberait,  ou  quelque  autre 
semblable  expression.  Mais  ce  n'est  pas  là  où  il 
faut  s'arrêter  :  voyez,  voyez  seulement  en  quel 
rang  le  Sauveur  a  mis  le  salut  des  riches.  Vous 
me  direz  peut-être  que  c'est  une  exagération  :  sans 

'  I.  Tim.  VI ,  17. 
2  Mure.  X  ,  24. 


DE  SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE. 


SIS 


doule  vous  vous  flatterez  tlo  cette  pensée;  et  moi 
je  soutiens  au  contraire,  qu'il  faut  entendre  cette 
iwrole  à  la  lettre.  J'espère  vous  le  prouver  par  la 
suite  de  l'Évangile  :  rendez-vous  attentifs;  c'est 
le  Sauveur  qui  parle  :  il  est  question  dentendie 
sa  parole,  qui  est  la  vie  éternelle. 

Quand  un  homme  parle  avec  exagération, 
cela  se  remarque  ordinairement  à  son  action ,  à 
sa  contenance ,  et  surtout  au  sentiment  que  son 
discours  imprime  sur  l'esprit  de  ses  auditeurs. 
Par  exemple ,  sil  m'était  arrivé  de  dire  quelque 
chose  de  cette  sorte  ;  vous  le  connaîtriez  beau- 
coup mieux  et  vous  en  seriez  meilleurs  juges, 
que  ceux  qui  ne  m'ont  pas  entendu  :  rien  de  plus 
constant  que  cette  vérité.  Or  qui  sont  ceux  qui 
ont  écouté  le  Sauveur?  ce  sont  les  bienheureux 
apôtres.  Quel  sentiment  ont-ils  eu  de  son  dis- 
cours? ont-ils  cru  que  cette  sentence  fût  pronon- 
cée avec  exagération  ?  Jugez-en  vous-mêmes  par 
leur  étonnement  et  par  leur  réponse.  A  ces  paroles 
du  Sauveur,  dit  l'evangéliste ,  ils  demeurent  en- 
tièrement interdits ,  admirant  sans  doute  la  vé- 
hémence extraordinaire  avec  laquelle  leur  maître 
avait  avancé  cette  terrible  proposition.  Faisant 
ensuite  réflexion  en  eux-mêmes  sur  l'amour  dé- 
sordonné des  richesses ,  qui  règne  presque  par- 
tout ,  ils  se  disent  les  uns  aux  autres  :  «  Et  qui 
«  pourra  donc  être  sauvé?  "  Et  quispotest  salmis 
fteri  •?  Ha!  qu'il  est  bien  visible,  par  cette  ré- 
ponse, qu'ils  avaient  pris  à  la  lettre  cette  parole 
du  Fils  de  Dieu!  car  il  est  très-certain  qu'une 
exagération  ne  les  aurait  pas  si  fort  émus.  Mais 
Jésus  n'en  demeure  pas  là  :  au  contraire,  les 
voyant  étonnés  ;  bien  loin  de  leur  lever  ce  scru- 
pule, comme  les  riches  le  souhaiteraient,  il  appuie 
encore  davantage.  Vous  dites ,  ô  mes  disciples , 
que ,  si  cela  est  ainsi ,  le  salut  est  donc  impossi- 
ble :  aussi  est-il  impossible  aux  hommes ,  mais  à 
Dieu  il  n'est  pas  impossible  ;  et  il  en  ajoute  la 
raison  :  parce  que,  dit-il,  tout  est  possible  à 
Dieu. 

Que  vous  dirai-je  ici,  chrétiens?  il  pourrait 
sembler  d'abord  que  le  Fils  de  Dieu  se  serait 
beaucoup  relâché  de  sa  première  rigueur.  Mais 
certes  ce  serait  mal  entendi'e  la  force  de  ses  pa- 
roles; expliquons-les  par  d'autres  endroits.  Je 
remarque  dans  les  Écritures ,  que  cette  façon  de 
parler  n'y  est  jamais  employée  que  dans  une  pro- 
digieuse et  invincible  difficulté.  C'est  alors  en 
effet ,  quand  toutes  les  raisons  humaines  défail- 
lent, qu'il  semble  absolument  nécessaire  d'allé- 
guer, pour  dernière  raison,  la  toute-puissance 
divine.  C'est  ce  que  l'ange  pratique  à  l'égard  de 
la  samte  Vierge,  lorsque,  lui  voulant  faire  en- 
tendre qu'elle  pourrait  enfanter  et  demeurer 

»  tJarc.  X ,  26. 

BOSSLET.  —  TOME  Kl. 


vierge,  il  lui  apporte  l'exemple  d'une  stérile 
qui  a  conçu  ;  parce  qu'enfin ,  poursuit-il ,  devant 
Dieu  rien  n'est  impossible.  Faites  comparaison 
de  ces  choses.  Une  vierge  peut  concevoir,  une 
stérile  peut  enfanter,  un  riche  peut  être  sauvé; 
ce  sont  trois  miracles  dont  les  saintes  Lettres  ne 
nous  rendent  point  d'autre  raison,  sinon  que 
Dieu  est  tout-puissant.  Donc  il  est  vrai,  ô  riche 
du  siècle,  que  ton  salut  n'est  point  un  ouvrage 
médiocre  ;  donc  il  serait  impossible ,  si  Dieu  n'é- 
tait pas  tout-puissant;  donc  cette  difficulté  passe 
de  bien  loin  nos  pensées,  puisqu'il  faut ,  pour  la 
surmonter,  une  puissance  infinie. 

Et  ne  me  dites  pas  que  cette  parole  ne  vous 
touche  point,  parce  que  peut-être  vous  n'êtes 
pas  riches.  Si  vous  n'êtes  pas  riches ,  vous  avez 
envie  de  le  devenir ,  et  ces  malédictions  des  ri- 
chesses doivent  tomber  non  tant  sur  les  riches , 
que  sur  ceux  qui  désirent  de  l'être.  C'est  de  ceux- 
là  que  l'apôtre  prononce  ' ,  qu'ils  s'engagent  dan.«4 
le  piège  du  diable ,  et  dans  beaucoup  de  mauvais 
désirs,  qui  précipitent  l'homme  dans  la  perdi- 
tion. Le  Fils  de  Dieu ,  dans  le  texte  que  je  vous» 
citais  tout  à  l'heure ,  ne  parle  pas  seulement  des 
riches ,  mais  de  ceux  «  qui  se  fient  aux  richesses  :  » 
confidentes  in  pecuniis.  Or  le  désir  et  l'espé- 
rance étant  inséparables ,  il  est  impossible  de  les 
désirer  sans  y  mettre  son  espérance. 

Vous  raconterai-je  ici  tous  les  maux  que  ce 
maudit  désir  des  richesses  a  apportés  au  genre 
humain?  les  fraudes,  les  voleries,  les  usures,  les 
injustices ,  les  oppressions ,  les  inimitiés ,  les  par- 
jures, les  perfidies,  c'est  le  désir  des  richesses 
qui  les  a  ordinairement  amenés  sur  la  terre 
Aussi  l'apôtre  a-t-il  raison  de  dire ,  que  «  le  désir 
«  des  richesses  est  la  racine  de  tous  les  maux  :  » 
lladix  omnium  maloruni  est  cupiditas  ».  Pour* 
quoi  l'avaricieux ,  mettant  sa  joie  et  son  espé- 
rance dans  quelque  mauvaise  année  et  dans  la 
disette  publique ,  prépare  et  agrandit-il  ses  gre- 
niers, afin  d'y  engloutir  toute  hi  substance  du 
pauvre,  qu'il  lui  fera  acheter  au  prix  de  son  sang, 
lorsqu'il  sera  réduit  aux  abois?  Pourquoi  le  mar- 
chand trompeur  prononce-t-il  plus  de  menson- 
ges ,  plus  de  faux  serments  qu'il  ne  débite  de 
marchandises?  Pourquoi  le  laboureur  impatient 
maudit-il  si  souvent  son  travail  et  la  Providence 
divine?  Pourquoi  le  soldat  impitoyable  exerce- 
t-il  une  rapine  si  cruelle?  Pourquoi  le  juge  cor- 
rompu vend  et  livre-t-il  son  âme  à  Satan?  N'est- 
ce  pas  le  désir  des  richesses? 

Mais  surtout  que  ceux  qui  les  possèdent  veil- 
lent soigneusement  à  leur  âme  :  elles  ont  des 
liens  invisibles,  dont  nos  cœurs  ne  se  i^euvent 

'  I.  Tint.  VI ,  9. 
»  liid.  10. 


:,i  » 


PANÊGYRÎOUE 


dt'prcndre.  Là  où  est  notre  trésor,  là  est  notre 
cœur  :  or  un  cœur  qui  aime  autre  chose  que 
Pieu  ne  peut  être  capable  d'aimer  Dieu.  «  0  si 
«flous  aimions  Dieu  comme  il  faut,  dit  l'admi- 
-  rable  saint  Augustin,  nous  n'aimerions  point 
«  du  tout  l'argent  :  «  0  si  Detmi  digne  amemus, 
niimmos  omnino  non  amabimus\  Partant  si 
nous  aimons  l'argent,  il  sera  impossible  que  nous 
aimions  Dieu. 

Tirez  maintenant  cette  conséquence  :  les  hom- 
mes qui  ont  beaucoup  de  richesses ,  il  est  pres- 
que impossible  qu'ils  ne  les  aiment;  quand  ils 
le  \oudraient  nier,  cela  paraît  trop  évidemment 
■par  la  crainte  qu'ils  ont  de  les  perdre.  Qui  aime 
si  fort  les  richesses ,  il  est  impossible  qu'il  aime 
Dieu  :  qui  n'aime  pas  Dieu ,  il  est  impossible  qu'il 
^oit  sauvé.  «  0  Dieu ,  qu'il  est  difficile  que  ceux 
"  qui  ontde  grands  biens  parviennent  au  royaume 
"  du  ciel!  »  Quain  difficile  qui pecunias  possi- 
dent,  possunt  pervenire  adrcymim  Dei! 

Si  les  richesses  sont  donc  si  dangereuses,  avi- 
sez, mes  frères,  à  ce  que  vous  en  devez  faire. 
"Dieu  ne  vous  les  a  pas  données  pour  les  enfer- 
mer dans  des  coffres,  ni  pour  les  employer  à  tant 
de  dépenses  superflues ,  pour  ne  pas  dire  perni- 
cieuses. Elles  vous  sont  données  pour  sustenter 
Jésus- Christ,  qui  languit  en  la  personne  des 
pauvres  :  elles  vous  sont  données  pour  racheter 
vos  iniquités,  et  pour  amasser  des  trésors  éter- 
nels. Jetez,  jetez  les  yeux  sur  tant  de  familles 
nécessiteuses  qui  n'osent  vous  exposer  leur  mi- 
sère; sur  les  vierges  de  Jésus ,  que  l'on  voit  pres- 
que défaillir  dans  leurs  cloîtres  faute  de  moyens 
j)0ur  subsister;  sur  tant  de  pauvres  religieux, 
qui  sous  une  mine  riante  cachent  souvent  une 
grande  indigence.  Un  peu  de  courage ,  mes  frè- 
res ,  faites  quelques  efforts  pour  l'amour  de  Dieu. 
Voyez  avec  quelle  abondance  il  a  élargi  ses  mains 
sur  nous  par  la  fertilité  de  cette  année  :  élargis- 
sons les  nôtres  sur  les  misères  de  nos  pauvres 
frères;  que  personne  ne  s'en  dispense.  Ne  vous 
excusez  pas  sur  la  modicité  de  vos  facultés;  Jé- 
sus mettra  en  ligne  de  compte  jusqu'au  moindre 
présent  que  vous  lui  ferez  avec  un  cœur  plein 
de  charité  :  un  verre  d'eau  même ,  offert  dans 
cet  esprit,  peut  vous  mériter  la  vie  éternelle. 

C'est  ainsi  que  les  biens ,  qui  sont  ordinaire- 
ment un  poison ,  se  convertiront  pour  vous  en 
remède  salutaire.  Loin  de  perdre  vos  richesses 
en  les  distribuant  ;  vous  les  posséderez  d'autant 
plus  sûrement,  que  vous  les  aurez  plus  sainte- 
ment prodiguées.  Les  pauvres  vous  les  rendront 
d'une  qualité  bien  plus  excellente,  car  elles  chan- 
gent de  nature  en  leurs  mains.  Dans  les  vôtres 
elles  sont  périssables  :  elles  deviennent  incorrup- 

»  InJoan.  Tract.  XL,  n"  10,  t.  Iil,  part,  ii,  col.  5G9. 


tlbles ,  sitôt  qu  elles  ont  passé  dans  les  leurs.  TIs 
sont  plus  puissants  que  les  rois.  Les  rois,  par 
leurs  édits,  donnent  quelque  prix  aux  monnaies  : 
les  pauvres  les  rehaussent  de  prix  jusqu'à  une 
valeur  infinie ,  sitôt  qu'ils  y  appliquent  leur  mar- 
que. Faites-vous  donc  des  trésors  qui  ne  péris- 
sent jamais,  thésaurisez,  pour  le  siècle  futur, 
un  trésor  inépuisable  :  mettez  vos  richesses  à 
couvert  dans  le  ciel  contre  les  guerres,  contre 
les  rapines,  contre  toute  sorte  d'événements; 
déposez-les  entre  les  mains  de  Dieu.  Faites- vous 
par  vos  aumônes,  de  bons  amis  sur  la  terre  ,  qui 
vous  recevront ,  après  votre  mort ,  dans  ces  éter- 
nels tabernacles  où  le  Pèrej,  le  Fils,  et  le  Saint- 
Esprit  ,  seul  Dieu  vivant  et  immortel ,  est  glorifié 
dans  tous  les  siècles  des  siècles.  Amen. 


•••«»«•« 


AUTRE  EXORDE 

SUR  LE  MÊME  SUJET. 


Si  quis  videhir  inter  vos  sapiens  esse  in  hoc  scvcnlci 
stullusfiat  ut  sit  sapiens. 

S'il  y  a  quelqu'un  parmi  vous  qui  paraisse  sage  selon  le 
siècle ,  qu'il  devienne  fou  afin  d'être  sage.  /.  Cor.  m,  18. 

Que  pensez- vous ,  mes  révérends  pères,  que  je 
veuille  faire  aujourd'hui  dans  cette  chaire  sacrée  ; 
Vous  avez  assemblé  vos  amis  et  vos  illustres  pro- 
tecteurs pour  rendre  leurs  respects  à  votre  saint 
patriarche ,  et  moi  je  ne  prétends  autre  chose  que 
de  le  faire  passer  pour  un  insensé  :  je  ne  veux 
raconter  que  ses  folies;  c'est  l'éloge  que  je  lui 
destine,  c'est  le  panégyrique  que  je  lui  prépare. 
David  ayant  fait  le  fou  en  présence  du  roi  Achis  ', 
ce  prince  le  fit  éloigner  :  mais  l'insensé  que  je 
vous  présente  mérite  qu'on  le  regarde  ;  et  David 
lui-même  ayant  prononcé  :  «  Bienheureux  celui 
«  qui  ne  regarde  pas  les  folies  trompeuses ,  «  qui 
non  respexitin  vanitates et  insanias  falsas  *,  a 
reconnu  tacitement  qu'il  y  avait  une  folie  sublime 
et  céleste,  qui  avait  son  fond  dans  la  vérité. 
C'est  de  cette  divine  folie  que  François  était  pos- 
sédé ;  c'est  celle  que  je  dois  aujourd'hui  vous  re- 
présenter. Donnez-moi  pour  cela,  ô  divin  Esprit, 
non  des  pensées  délicates,  ni  un  raisonnement 
suivi,  mais  de  saints  égarements  et  une  sage 
extravagance ,  etc. 

«  Le  monde  avec  la  sagesse  humaine  n'ayant 
«  pas  connu  Dieu  par  les  ouvrages  de  sa  sagesse, 
«  il  a  plu  à  Dieu  de  sauver  par  la  folie  de  la  pré- 
«  dication  ceux  qui  croiraient  en  lui  :  »  In  Det 
sapie7itia  non  cognovit  mundus per  sapientiam 

'  I.  Rcg.  XXI,  14. 

'  Ps.  XXXlX,5v 


DE  SAINT  FRANÇOIS  D'ASSISE. 


515 


Deum;  placuit  Dco  pcr  siultitiam  prœdicatio- 
His  salvosfacere  credenfes  '.  Dieu  donc  indigné 
contre  la  raison  humaine,  qui  ne  l'avait  pas 
voultt connaître  par  les  ouvrages  de  sa  sagesse, 
ne  veut  plus  désormais  qu'il  y  ait  de  salut  pour 
elle  que  par  la  folie.  Ainsi  deux  desseins  et  deux 
ouvrages  de  Dieu  forment  toute  la  suite  de  son 
œuvre  dans  le  monde.  Ces  deux  ouvrages  sem- 
blent diamétralement  opposés  entre  eux  :  car 
Tunest  un  ouvrage  desagesse  ;  l'autre,  un  ouvrage 
de  folie.  L'univers^est  celui  de  la  sagesse.  Y  a- 
t-il  rien  de  mieux  entendu  que  cet  édifice,  rien  de 
mieux  pourvu  que  celte  famille ,  rien  de  mieux 
gouverné  que  cet  empire?  Dieu  avait  dessein  de 
satisfaire  la  raison  humaine;  mais  elle  l'a  mé- 
prisé ,  elle  a  méconnu  son  auteur  :  Vive  Dieu ,  dit 
le  Seigneur,  je  ne  songerai  jamais  à  la  satisfaire  ; 
mais  "  j^  m'appliquerai  à  la  perdre  et  a  la  cou- 
«  fondre  :  »  Perdant  sapientiam  sapientium  *. 
Et  de  la  ce  second  ouvrage,  qui  est  la  réparation 
par  la  folie  de  la  croix  :  c'est  pourquoi  il  ne  garde 
plus  aucune  mesure  ;  et  en  voici  la  raison  :  dans 
le  premier  ouvrage,  Dieu  se  contentait  de  se  mon- 
trer; et  pour  cela  la  proportion  y  était  néces- 
saire, comme  devant  être  une  image  de  sa  sa- 
gesse et  de  sa  beauté  immortelle  :  c'est  pourquoi 
•  tout  y  est  avec  mesure,  avec  nombre,  avec 
«  poids  :  >-  Omnia  in  numéro,  pondère  et  men- 
i.ra^  :  Il  a  étendu  son  cordeau ,  dit  l'Écriture  ^  ; 
il  a  pris  au  juste  ses  alignements  pour  composer, 
pour  ordonner,  pour  placer  tous  les  éléments  : 
ici,  non  content  de  se  montrer,  il  veut  s'unir  à 
sa  créature  ;  c'est-à-dire ,  l'infini  avec  le  fini.  Il 
n'y  a  plus  de  proportion  ni  de  mesure  à  garder  : 
il  ne  s'avance  plus  que  par  des  démarches  insen- 
sées; il  saute  les  montagnes  et  les  collines,  du 
ciel  à  la  crèche ,  de  la  crèche  par  divers  bonds  sur 
la  croix ,  de  la  croix  au  tombeau  et  au  fond  des 
enfers,  et  de  la  au  plus  haut  des  cieux.  Tout  est 
sans  ordre ,  tout  est  sans  mesune. 

Par  les  mêmes  démarches  que  l'infini  s'est 
joint  au  fini ,  par  les  mêmes  le  fini  doit  s'élever  à 
1  infini  :  il  doit  se  libérer  et  s'affranchir  de  toutes 
les  règles  de  prudence  qui  le  resserrent  en  lui- 
même,  afin  de  se  perdre  dans  TinfiDi;  et  cette 
perte  dans  l'infini ,  parce  qu'elle  met  au-dessus 
de  toutes  les  règles ,  paraît  un  égarement.  Telle 
est  la  folie  de  François. 

La  perte  de  la  raison  fait  perdre  trois  choses  : 
Premièrement,  les  insensés  perdent  les  biens:  ils 
D'en  connaissent  plus  la  valeur,  ils  les  répandent , 
ils  les  prodiguent.  Secondement .  ils  perdent  la 


'  I.  Cor.  I,  2f. 
'  Ibid.  19. 

*  Sap   XI,  21. 

*  Job.  xxxvm ,  5. 


honte  :  louanges  ou  opprobres ,  tout  leur  est  égal  ; 
ils  s'exposent  sans  en  être  émus  à  la  dérision  pu- 
blique. Troisièmement,  ils  se  perdenteux-mêmes  : 
ils  ne  connaissent  pas  l'inégalité  des  saisons ,  ni 
les  excès  du  froid  et  du  chaud;  ils  ne  craignent 
pas  les  périls ,  et  s'y  jettent  à  l'abandon  avec  joie. 
François  a  perdu  la  raison ,  non  point  par  fai- 
blesse; mais  il  l'a  perdue  heureusement  dans  les 
ténèbres  de  la  foi  :  ensuite  il  a  perdu  les  biens , 
le  honte  et  soi-même.  Non  seulement  il  néglige 
les  biens,  mais  il  a  une  avidité  de  les  perdre; 
non-seulement  il  méprise  les  opprobres,  mais  il 
ambitionne  d'en  être  couvert;  non- seulement  il 
s'expose  aux  périls ,  mais  il  les  recherche  et  les 
poursuit.  O  le  plus  insensé  des  hommes ,  selon 
les  maximes  du  monde  ;  mais  le  plus  sage ,  le 
plus  prudent ,  le  plus  avisé  selon  les  maximes  du 
ciel! 

L'âme  qui  possède  Dieu,  ne  veut  que  lui. 
«  J'entrerai  dans  les  puissances  du  Seigneur  '. 
«  Seigneur,  je  ne  me  souviendrai  que  de  votre 
n  justice  :  »  Introibo  in  potentias  Domini  :  Do- 
mine, memoraborjusiitiœtuœsolius^.  Quand 
on  veut  entrer  dans  les  grandeurs  et  dans  iCS  puis- 
sances du  monde,  on  tombe  nécessairement  dans 
la  multiplicité  des  désirs  :  mais  quand  on  pénè- 
tre dans  les  puissances  du  Seigneur,  aussitôt  on 
oublie  tout  le  reste  ;  on  ne  s'occupe  que  des  moyens 
de  croître  dans  la  justice ,  pour  s'assurer  la  pos- 
session d'un  si  grand  bien  :  Domine,  memora- 
borjustitiœ  tuœ  solius.  C'est  ce  que  l'Évangile 
confirme  en  nous  exhortant  à  chercher  d'abord 
le  royaume  de  Dieu  et  sa  justice  :  Quœrite  pri' 
mum  regnum  Dei  etjustitiam,  ejus  '.  Le  règne, 
cest  potentias  Domini;  c'est  pourquoi  on  tra- 
vaille à  acquérh-  la  justice  pour  y  parvenir  :  me- 
morabor  justitiœ  tuœ  solius. 

Ce  n'est  pas  ici  le  temps  des  honneurs  :  il  faut 
porter  la  confusion  d'avoir  méprisé  notre  Roi. 
Nous  avons  dégradé  Dieu  et  sa  royauté  :  Jésus- 
Christ  n'est  plus  notre  Roi  ;  nous  avons  trans- 
gressé ses  lois,  violé  son  autorité ,  foulé  aux  pieds 
sa  majesté  sainte  :  c'est  pourquoi  il  n'a  plus  de 
couronne,  qu'une  couronne  d'épines  ;  et  sa  royauté 
devient  le  jouet  des  soldats ,  etc. 

'  Ps.  DUt,  16. 
»  .VattA.  vi,33. 


3^ 


510 


PAiNEGYRTOUE 


PANÉGYRIQUE 


SAINTE  THÉRÈSE, 

PRÊCHÉ   DEVANT   b*    REIXE   MÈRE  EN    16;)8. 

Trois  actions  de  la  charité,  l'espérance,  les  désirs  ardents, 
'es  souffrances,  par  lesquelles  sainte  Thérèse  enflammée  de 
l'amour  de  son  Dieu  s'efforce  de  s'unir  à  lui ,  en  rompant 
tous  ses  lieus. 


Nostra  autem  conversatlo  in  cœlis  est. 
^■ot^e  société  est  dans  les  deux.  Philipp.  m,  20. 

Dieu  a  tant  d'amour  pour  les  hommes,  et  sa 
nature  est  si  libérale ,  qu'on  peut  dire  qu'il  sem- 
ble qu'il  se  fasse  quelque  violence  quand  il  re- 
tient pour  un  temps  ses  bienfaits ,  et  qu'il  les 
empêche  de  couler  sur  nous  avec- une  entière 
profusion.  C'est  ce  que  vous  pouvez  aisément 
comprendre,  par  le  texte  que  j'ai  rapporté  de 
l'incomparable  docteur  des  Gentils.  Car  encore 
qu'il  ait  plu  au  Père  céleste  de  ne  recevoir  ses 
iidèles  en  son  éternel  sanctuaire ,  qu'après  qu'ils 
auront  fini  cette  vie;  néanmoins  il  semble  qu'il 
se  repente  de  les  avoir  remis  à  un  si  long  terme , 
puisque  le  grand  Paul  nous  enseigne  qu'il  leur 
ouvre  son  pai'adis  par  avance  :  et  comme  s  il  ne 
•pouvait  arrêter  le  cours  de  sa  munificence  infi- 
nie, il  laisse  quelquefois  tomber  sur  leurs  âmes 
■tant  de  lumières  et  tant  de  douceurs,  et  il  les 
^lève  de  telle  sorte  par  la  grâce  de  son  Saint-Es- 
•prit,  qu'étant  encore  dans  ce  corps  mortel  ils  peu- 
vent dire  avec  l'apôtre  que  leur  demeure  est  au 
ciel,  et  leur  société  avec  les  anges  :  Nostra  autem 
conversatio  in  cœlis  est. 

C'est  ce  que  j'espère  vous  faire  paraître  en  la 
vie  de  sainte  Thérèse;  et  c'est,  madame,  à  ce 
grand  spectacle  que  l'Église  invite  Votre  Majesté. 
Elle  verra  une  créature,  qui  a  vécu  sur  la  tei'rre, 
comme  si  elle  eût  été  dans  le  ciel  ;  et  qui  étant 
composée  de  matière  ne  s'est  guère  moins  appli- 
quée à  Dieu  que  ces  pures  intelligences  qui  bril- 
lent toujours  devant  lui  par  la  lumière  d'une  cha- 
rité éternelle,  et  chantent  perpétuellement  ses 
louanges.  Mais ,  avant  que  de  traiter  de  si  grands 
secrets,  allons  tousensemble  puiser  des  lumières 
danslasourcede  la  vérité  :  prions  la  sainte  Vierge 
de  nous  y  conduire;  et  pour  apprendre  à  louer 
un  ange  terrestre,  joignons-nous  avec  un  ange 
du  dei.  Ave. 

Vous  avez  écouté ,  mes  frères ,  ce  que  nous  a 
dit  le  divin  apôtre  :  qu'encore  que  nous  vivions 
sur  la  terre  dans  la  compagnie  des  hommes  mor- 
tels, néanmoins  il  ne  laisse  pas  d'être  véritable 


que  «  notre  demeure  est  au  ciel ,  »  et  notre  so- 
ciété avec  les  anges  :  Nostra  autem  conversatio 
in  cœlis  est.  C'est  une  vérité  importante ,  pleine 
de  consolation  pour  tous  les  fidèles;  et  comme  je 
me  propose  aujourd'hui  de  vous  en  montrer  la 
pratique  dans  la  vieadmirable  de  sainte  Thérèse, 
je  tâcherai  avant  toutes  choses  de  rechercher  jus- 
qu'au principe  cette  excellente  doctrine.  Et  pour 
cela ,  je  vous  prie  d'entendre  :  qu'encore  que  l'É- 
glise qui  règne  au  ciel  et  celle  qui  gémit  sur  la 
terre ,  semblent  être  entièren^nt  séparées  ;  il  y  a 
néanmoins  un  lien  sacré,  par  lequel  elles  sont 
unies.  Ce  lien,  messieurs,  c'est  la  charité,  qui  se 
trouve  dans  ce  lieu  d'exil  aussi  bien  que  dans  la 
céleste  patrie;  qui  réjouit  les  saints  qui  triom- 
phent ,  et  anime  ceux  qui  combattent  ;  qui  se  ré- 
pandant du  ciel  en  la  terre,  et  des  anges  sur  les 
mortels ,  fait  que  la  terre  devient  un  ciel ,  et  que 
les  hommes  deviennent  des  anges. 

Car,  ô  sainte  Jérusalem,  heureuse  Église  des 
premiers-nés  dont  les  noms  sont  écrits  au  ciel; 
quoique  l'Église  votre  chère  soeur,  qui  vit  et  qui 
combat  sur  la  terre,  n'ose  pas  se  comparer  à 
vous,  elle  ne  laisse  pas  d'assurer  qu'un  saint  amour 
vous  unit  ensemble.  H  est  vrai  qu'elle  cherche, 
et  que  vous  possédez;  qu'elle  travaille,  et  que 
vous  vous  reposez  ;  qu'elle  espère ,  et  que  vous 
jouissez.  Mais  parmi  tant  de  différences,  par  les- 
quelles vous  êtes  si  fort  éloignées ,  il  y  a  du  moins 
ceci  de  commun  :  que  ce  qu'aiment  les  esprits 
bienheureux,  c'est  ce  qu'aiment  aussi  les  hommes 
mortels.  Jésus  est  leur  vie,  Jésus  est  la  nôtre  ;  et 
parmi  leurs  chants  d'allégresse,  et  nos  tristes  gé- 
missements ,  on  entend  résonner  partout  ces  pa- 
roles du  sacré  Psalmiste  :  Mihi  autem  adhœrere 
Deo  bonum  est:  «  Mon  bien  est  de  m'unira  Dieu.  » 
C'est  ce  que  disent  les  saints  dans  le  ciel ,  c'est 
ce  que  les  fidèles  répondent  en  terre  :  si  bien  que 
s'unissant  saintement  avec  ces  esprits  immor- 
tels; par  cet  adniirable  cantique  que  l'amour  de 
Dieu  leur  inspire ,  ils  se  mêlent  dès  cette  vie  à  la 
troupe  des  bienheureux ,  et  ils  peuvent  dire  avec 
l'apôtre  :  «  Notre  conversation  est  dans  les  cieux  :  » 
Nostra  conversatio  in  cœlis  est.  Telle  est  la  force 
de  la  charité ,  qu'elle  fait  que  le  saint  apôtre  ne 
craint  pas  de  nous  établir  dans  le  paradis ,  n^ême 
durant  ce  pèlerinage ,  et  ose  bien  placer  des  mor- 
tels dans  le  séjour  d'immortalité.  Car  il  faut  ici 
remarquer  une  merveilleuse  doctrine,  qui  fera 
le  sujet  de  tout  ce  discours,  c'est,  mes  frères,  que 
cet  Esprit  saint  qui  est  l'auteur  de  la  charité,  qui 
la  fait  descendre  du  ciel  en  la  terre,  a  voulu  aussi 
lui  donner  des  ailes  pour  retourner  au  lieu  de 
son  origine. 

En  effet ,  il  est  véritable ,  le  mouvement  de  la 
charité    c'est  de  tendre  toujours  aux  choses  ce- 


DF  SAINTE  THÉRÈSE. 


4J7 


ksles  :  ni  le  poids  de  ce  corps  mortel,  ni  les  liens 
de  la  chair  et  du  sang ,  ne  sont  pas  capables  de 
la  retenir  ;  elle  a  trop  de  moyens  de  s'en  détacher 
et  de  s'élever  au-dessus.  Elle  a  premièrement  l'es- 
pérance, elle  a  secondement  des  désirs  ardents , 
elle  a  troisièmement  l'amour  des  souffrances. 
«  Mais  qui  pourra  entendre  ces  choses?  »  Quis 
sapiena,  et  intelliget  hœc  '  ?  Qui  pourra  com- 
prendre ces  trois  mouvements,  par  lesquels  une 
âme  enflammée  et  touchée  de  l'amour  de  Dieu 
se  déprend  de  ce  corps  de  mort?  Elle  se  voit  au 
milieudes  biens  périssables ,  mais  elle  passe  bien- 
tôt au-dessus  par  la  force  de  son  espérance  :  «  es- 
«  pérance  si  ferme  et  si  vigoureuse ,  qu'elle  s'a- 
«  vance,  dit  saint  Paul  ',  au  dedans  du  voile  :  » 
spem  incedentem  usque  ad  interiora  velaminis; 
c'est-à-dire ,  qu'elle  perce  les  cieux  pour  pénétrer 
jusqu'au  sanctuaire ,  où  «  Jésus  notre  avant-cou- 
«  reur  est  entré  pour  nous  :  «  Prœcursor pro  no- 
bis  introidt  Jésus  ^. 

Voyez,  mes  frères,  le  vol  de  cette  âme  que 
l'amour  de  Dieu  a  blessée  :  elle  est  déjà  au  ciel 
par  son  espérance  ;  mais,  hélas  !  elle  n'y  est  pas 
encore  en  effet ,  les  liens  de  ce  corps  l'arrêtent. 
C'est  alors  que  la  charité  lui  inspire  des  désirs 
pressants,  par  lesquels  elle  s'efforce  de  rompre 
ses  chaînes  en  disant  avec  saint  Paul  :  Cupio 
dissotvi,  et  esse  cum  Christo  ^  :  «  Ha!  que  ne 
«  suis-je  bientôt  délivrée ,  afin  d'être  avec  Jésus- 
«  Christ  !  »  Ce  n'est  pas  assez  des  désirs  ;  et  la 
charité,  qui  les  pousse,  étant  irritée  contre  cette 
chair,  qui  la  tient  si  longtemps  captive ,  semble 
la  vouloir  détruire  elle-même  par  un  généreux 
amour  des  souffrances.  C'est  par  ces  trois  divins 
mouvements ,  que  Thérèse  s'élève  au-dessus  du 
monde.  Ils  sont  grands ,  ils  sont  relevés  ;  et  peut- 
être  auriez- vous  peine  de  les  retenir,  ou  d'en  bien 
comprendre  la  connexion ,  si  je  ne  les  répétais 
encore  une  fois  en  les  appliquant  à  notre  sainte. 
Enflammée  de  lamour  de  Dieu ,  elle  le  cherche 
par  son  espérance  ;  c'est  le  premier  pas  qu'elle 
fait  :  que  si  l'espérance  est  trop  lente,  elle  y  court, 
elle  s'y  élance  par  des  désirs  ardents  et  impé- 
t'ieux  ;  tel  est  son  second  mouvement  :  et  enfin 
son  dernier  effort  c'est  que  les  désire  ne  suffisant 
pas  pour  briser  les  liens  de  sa  chair  mortelle,  elle 
lui  livre  une  sainte  guerre  ;  elle  tâche,  ce  semble, 
de  s'en  décharger  par  de  longues  mortifications , 
et  par  de  continuelles  souffrances ,  afin  qu'étant 
libre  et  dégagée,  et  ne  tenant  presque  plus  au 
corps ,  elle  puisse  dire  avec  vérité  ces  paroles  du 
saint  apôtre  :  IS'osira  autem  conversaiio  in  cœiis 


»   Osée  Mv,  II». 
*  Hebr.M,  19. 
»  Ihid.  -20. 
'  Phil.l. 


est  :  «  Notre  convei-sation  est  dans  les  cieux.  »  Ce 
sont,  messieurs,  ces  trois  actions  de  la  charité  de 
Thérèse,  qui  partageront  ce  discours.  Je  com- 
mence à  vous  faire  voir  quelle  est  la  force  de  sorv 
espérance.  Vous  comprenez  bien,  je  m'assure, 
que,  dans  une  matière  si  haute ,  j'ai  besoin  d'une 
attention  fort  exacte  :  mais  il  ne  faut  rien  médi- 
ter de  bas  quand  on  parle  de  sainte  Thérèse,  et 
qu'on  a  Ihoaneur,  madame,  d'entretenir  Votre 
Majesté. 

PREMIER    POINT. 

L'espérance  que  je  vous  prêche ,  celle  que  le 
Fils  de  Dieu  nous  enseigne,  et  qui  élève  si  fort 
l'âme  de  Thérèse,  n'est  pas  semblable  à  ces  es- 
pérances par  lesquelles  le  monde  trompeur  sur- 
prend l'imprudence  des  hommes,  ou  abuse  leur 
crédulité.  L'espérance  dont  le  monde  parle,  n'est 
autre  chose,  à  le  bien  entendre  ,  qu'une  illusion 
agréable;  et  ce  philosophe  l'avaU;  bien  compris,, 
lorsque  ses  amis  le  priant  de  leur  définir  l'espé- 
rance, il  leur  répondit  en  un  mot  :  •  C'est  un 
«  songe  de  personnes  qui  veillent  :  »  Sownium 
vigilantium  '.  Considérez  en  effet,  messieurs, 
ce  que  c'est  qu'un  homme  enflé  d'espérance.  A 
quels  honneurs  n'aspire-t-il  pas  ?  quels  emplois, 
quelles  dignités  ne  se  donne-t-il  pas  à  lui-même? 
H  nage  déjà  parmi  les  délices,  et  il  admirera 
grandeur  future.  Rien  ne  lui  paraît  impossible  : 
mais  lorsque,  s'avançant  ardemment  dans  la  car- 
rière qu'il  s'est  proposée ,  il  voit  naître  de  toutes 
parts  des  difficultés  qui  l'arrêtent  à  chaque  pas , 
lorsque  la  vie  lui  manque ,  comme  un  faux  ami, . 
au  milieu  de  ses  entreprises ,  ou  que  ,  forcé  par 
la  rencontre  des  choses,  il  revient  à  son  sens 
rassis,  et  ne  trouve  rien  en  ses  mains  de  toute 
cette  haute  fortune ,  dont  il  embrassait  une  vaine 
image;  que  peut-il  juger  de  lui-même,  sinon 
qu'une  espérance  trompeuse  le  faisait  jouir  pour 
un  temps  de  la  douceur  d'un  songe  agréable  ?  et 
ensuite  ne  doit-il  pas  dire ,  selon  la  pensée  de  ce 
philosophe,  que  l'espérance  peut  être  appelée  «  la 
«  rêverie  d'un  homme  qui  veille  :  »  Somnium  vi- 
gilantium? Mais,  ô  espérance  du  siècle ,  source 
infinie  de  soins  inutiles  et  de  folles  prétentions, 
vieille  idole  de  toutes  les  cours,  dont  tout  le 
monde  se  moque  ,  et  que  tout  le  nxonde  poursuit, 
ce  n'est  pas  de  toi  que  je  parle;  l'espérance  des 
enfants  de  Dieu,  que  je  dois  aujourd'hui  prêcher, 
et  que  nous  devons  tous  admirer  en  sainte  Thé- 
rèse, n'a  rien  de  commun  avec  tes  eiTcurs. 

Apprenez  aujourd'hui,  mes  frères,  à  remarquer 
la  dilférence  de  l'une  et  de  l'autre ,  afin  que  vous 
puissiez  dire  avec  connaissance  :  «  Ah  !  vraiment 

»  JpudS.  Bail.  Ljttët.  XIV,  Q°  i,  t.  m»  p.  93 


518  PANÉGYRIQUE 

«  il  est  meilleur  d'espérer  en  Dieu ,  que  de  se  con- 
«  fier  aux  grands  de  la  terre  :  »  Bonum  est  confi- 
dere  in  Domino,  qiiam  confidere  in  homine  '. 
Mais  pénétrons  profondément  cette  vérité,  et  di- 
sons, s'il  se  peut,  en  peu  de  paroles ,  que  cette 
différence  consiste  en  ce  point,  que  l'espérance 
du  monde  laisse  la  possession  toujours  incertaine, 
et  encore  beaucoup  éloignée ,  au  lieu  que  l'espé- 
rance des  enfants  de  Dieu  est  si  ferme  et  si  im- 
muable, que  je  ne  crains  point  de  vous  assurer 
qu'elle  nous  met  par  avance  en  possession  du  bon- 
heur que  l'on  nous  propose,  et  qu'elle  fait  un 
commencement  de  la  jouissance.  Prouvons-le  so- 
lidement par  les  Écritures  ;  et  parmi  un  nombre 
infini  d'exemples  par  lesquels  elles  nous  confir- 
ment cette  vérité ,  je  vous  prie  d'en  remarquer 
seulement  un  seul  qui  n'est  ignoré  de  personne. 

Dieu  avait  promis  Jésus-Christ  au  monde;  et 
Isaïe  voyant  en  esprit  cette  grande  et  mémorable 
journée  en  laquelle  devait  naître  son  libérateur, 
il  s'écrie  transporté  de  joie  :  «  Un  petit  enfant  nous 
«  estné,  un  fils  nous  est  donné  :  »  Parvulus  natus 
estnobis,  etfilius  datus  est  nobis^.  Chrétiens,  il 
écrivait  cette  prophétie  plusieurs  siècles  avant  sa 
naissance  ;  néanmoins  il  le  voit  déjà ,  il  soutient 
qu'il  nous  est  donné ,  seulement  à  cause  qu'il  sait 
qu'il  nous  est  promis ,  et  que  ,  comme  dit  le  grand 
Augustin ,  «  toutes  les  choses  que  Dieu  a  promi- 
<i  ses,  selon  l'ordre  de  ses  conseils  sont  déjà  en 
«  quelque  sorte  accomplies ,  parce  qu'elles  sont 
«  assurées:»  Quceventuraerant,jaminDeiprœ- 
destinatione  vehitfacta  erant,  quiacertaerant^. 
Vous  voyez  par  là ,  chrétiens  ,  que ,  selon  les 
Écritures  sacrées,  la  promesse  que  Dieu  nous 
donne ,  à  cause  de  sa  certitude ,  est  infaillible. 

Notre  incomparable  Thérèse  a  imité  ce  divin 
prophète.  Se  sentant  appelée,  par  la  Providence, 
à  procurer  la  réformation  de  l'ordre  ancien  du 
Carmel ,  si  renommé  par  toute  l'Église ,  elle  croit 
déjà  l'ouvrage  achevé ,  parce  que  c'est  Dieu  qui 
lui  a  ordonné  de  l'entreprendre.  C'est  un  mira- 
cle incroyable  de  voir  comment  cette  fille  a  bâti 
ses  monastères.  Représentez-vous  une  femme, 
qui ,  pauvre  et  destituée  de  tout  secours ,  a  pu 
bâtir  tous  les  monastères  dans  lesquels  elle  a  fait 
revivre  une  si  parfaite  régularité  :  elle  n'avait 
ni  fonds  pour  leur  subsistance ,  ni  crédit  pour 
en  avancer  l'établissement.  Toutes  les  puissances 
s'unissaient  contre  elle ,  j'entends  et  les  ecclésias- 
tiques et  les  séculières,  avec  une  teile  opiniâtreté, 
quelle  paraissait  invincible.Toutes  les  personnes 
?éléesque  Dieu  employait  à  cette  œuvre,  et  même 
ges  serviteurs  les  plus  fidèles,  désespéraient  du 

'  Ps.  CXVII ,  8 

ï  Is.  IX  ,  c. 

«  4»t  Civil.  Del,  \\h.  xvn.  cap.  xvm,  t.  vu,  col.  4sr. 


succès,  et  le  disaient  ouvertement  à  la  «5ainte 
mère.  Elle  seule  demeure  constante  dans  la  ruine 
apparente  de  tous  ses  desseins;  aussi  ferme 
que  le  fidèle  Abraham,  «  elle  fortifie  son  espé- 
«  rance  contre  toute  espérance  :  »  In  spem  con- 
tra spem ,  dit  le  grand  apôtre  '  ;  c'est-à-dire , 
qu'où  manquait  l'espérance  humaine ,  accablée 
sous  les  ruines  de  son  entreprise ,  là  une  espé- 
rance divine  commençait  à  lever  la  tête  au  mi- 
lieu de  tant  de  débris.  Animée  de  cette  espérance , 
lorsque  tout  l'édifice  semblait  abattu ,  elle  le 
croyait  déjà  établi.  Et  cela  pour  quelle  raison, 
si  ce  n'est  qu'il  est  bon  d'espérer  en  Dieu ,  et 
non  pas  d'espérer  aux  hommes  :  parce  qu'ainsi 
que  je  l'ai  déjà  dit,  l'espérance  que  l'on  a  aux 
hommes  ne  nous  montre  que  de  fort  loin  la  pos- 
session ,  n'est  qu'un  amusement  inutile  qui  subs- 
titue un  fantôme  au  lieu  de  la  chose  ;  et  au  con- 
traire l'espérance  que  l'on  met  en  Dieu  est  un 
commencement  de  la  jouissance  ? 

Mais,  mes  frères,  ce  n'est  pas  assez  d'avoir 
établi  cette  vérité  sur  des  exemples  si  clairs  : 
afin  que  vous  soyez  convaincus  combien  il  est 
beau  d'espérer  en  Dieu ,  il  faut  vous  montrer  la 
raison  de  cette  excellente  doctrine.  Je  vous  prie 
de  vous  y  rendre  attentifs,  elle  est  tirée  d'un  très- 
haut  principe  ;  c'est  l'immobilité  des  conseils  de 
Dieu ,  et  sa  consistance  toujours  immuable.  «  Je 
«  suis  Dieu,  dit  le  Seigneur,  et  je  ne  change  ja- 
«  mais  ^  ;  »  et  de  là  s'ensuit  une  conséquence  que 
je  ne  puis  vous  exprimer  mieux  que  par  ces 
beaux  mots  de  Tertullioi,  qui  sont  tous  faits 
pour  notre  sujet  :  «  Il  est  digne  de  Dieu  ,  dit-il , 
«  de  tenir  pour  fait  tout  ce  qu'il  ordonne ,  soit 
«  pour  le  présent,  soit  pour  le  futur;  parce  que 
«  son  éternité ,  qui  l'élève  au-dessus  des  temps, 
'<  le  rend  maître  absolu  de  l'un  et  de  l'autre  :  » 
Diviniiali  competit,  quœcumque  decreverit,  ut 
perfecta  reputare;  quia  non  sit  apud  illam  dij- 
ferentia  temporis,  apud  quam  uniformem  sta- 
fmn  temporum  dirigit  œternitas  ipsa  \ 

.  Voilà ,  messieurs ,  de  grandes  paroles  que 
nous  trouverons  pleines  d'un  sens  admirable ,  si 
nous  le  savons  bien  développer.  Il  veut  dire  qu'il 
y  a  grande  différence  entre  les  promesses  des 
hommes  et  les  promesses  de  Dieu.  Quand  vous 
promettez ,  ô  mortels ,  de  quelque  crédit  que  vous 
vous  vantiez ,  et  fussiez-vous ,  s'il  se  peut ,  plus 
grands  que  les  rois  dont  la  puissance  fait  trem- 
bler le  monde,  l'événement  est  toujours  doutcm  • 
parce  que  toutes  vos  promesses  ne  regardent  que 
l'avenir,  et  cet  avenir  n'est  pas  en  vos  mains  . 
un  nuage  épais  le  couvre  à  vos  yeux ,  et  vous  en 

'  Bom.  IV,  13. 
2  Miilarh.  III,  6. 

a  j  ivcrf!.  Mitrcion.  lib.  m,  n*  5. 


DE  SAINTE  THÉRfcSE. 


519; 


<\tc  la  connaissance.  C'est  pourquoi  l'espérance 
liuniaiue,  chancelante,  timide,  douteuse,  sans 
ai)[)ui  et  sans  fondement ,  ne  peut  mettre  l'esprit 
en  repos,  parce  qu'elle  le  tient  toujours  eu  sus- 
pens sur  un  avenir  incertain.  Mais  ce  grand  Dieu, 
ce  grand  Roi  des  siècles ,  dont  nous  révérons  les 
promesses ,  étant  éternel ,  immuable ,  seul  arbi- 
tre de  tous  les  temps,  il  les  a  toujoui*s  présents  à 
ses  yeux,  et  lui  seul  eu  a  mesuré  le  cours.  Comme 
donc  le  temps  à  venir  n'est  pas  moins  à  lui  que 
le  présent ,  il  s'ensuit  que  ce  qu'il  promet  n'est 
pas  moins  certain  que  ce  qu'il  donne.  Le  ciel  et 
la  terre  passeront ,  mais  ses  paroles  ne  passeront 
pas  •;  et  puisqu'il  se  trouve  toujours  véritable, 
soit  qu'il  donne,  soit  qu'il  promette ,  le  chrétien 
ne  se  trouve  pas  moins  assuré  lorsqu'il  espère, 
que  lorsqu'il  jouit. 

Kt  c'est  à  quoi  regarde  le  divin  apôtre,  lorsqu'il 
dit  que  notre  demeure  est  aux  cieux.  Eveillez- 
vous  ,  mortels  misérables ,  ne  vous  imaginez  pas 
être  en  terre  ;  croyez  que  votre  demeure  est  au 
ciel ,  oùvousêtes  transportés  par  votre  espérance. 
Vous  en  êtes  éloignés  par  votre  nature ,  mais  <  il 
'<  vous  a  tendu  sa  main  du  plus  haut  des  cieux  :  « 
Misit  manum  suam  de  cœlo;  c'est-à-dire,  il  vous 
a  donné  sa  promesse  par  laquelle  il  vous  invite  à 
sa  gloire.  Non-soulement  il  a  promis,  mais  en- 
core il  a  juré ,  dit  l'apôtre ,  et  <'  il  a  juré  par  lui- 
"  même  :  »  Juravit  per  semetipsum  '  ;  et  «  pour 
«  faire  connaître  aux  hommes  la  résolution  im- 
«  muablede  son  conseil  éternel,  il  a  pris  sa  vérité 
»  à  témoin  que  le  ciel  est  notre  héritage  :  Volens 
ostendere  pollicitationis  hœredibus  immobilita- 
lem  consiliisui,  interposuitjusjurandum^.  Après 
cette  promesse  fidèle,  après  ce  serment  inviolable 
par  lequel  Dieu  s'engage  à  nous,  le  chrétien  peut- 
il  être  en  doute?  Non ,  mes  frères ,  je  ne  le  crois 
pas.  Une  promesse  si  sûre ,  si  bien  confirmée  me 
vaut  un  commencement  de  l'exécution;  et  si  la 
promesse  divine  est  un  commencement  de  l'exé- 
cution, n'ai-je  pas  eu  raison  de  vous  dire  que 
l'espérance  qui  s'y  attache  est  un  commencement 
de  la  jouissance?  C'est  pourquoi  l'apôtre  saint 
Paul  dit ,  qu'elle  est  l'ancre  de  notre  âme  :  Quam 
sicut  anchoram  habemus  animœ  tutam  et  fir- 
i/iatnK  Qu'est-ce  à  dire,  que  l'espérance  est  l'an- 
cre de  l'âme?  Représentez-vous  un  navire,  qui, 
loin  du  rivage  et  du  port ,  vogue  dans  une  mer 
inconnue.  Si  la  tempête  l'agite,  si  les  nuages 
couvrent  le  soleil,  alors  le  pilote  incertain ,  crai- 
gnant que  la  violence  des  vents  et  des  flots  irrités 
ne  le  pousse  contre  des  écueils,  commande  aussi- 


«  Ma/th.  xxiv. 
»  Heb.  M,  13. 
ï  Ibtri.  17. 
4  Ibid.  lu. 


tôt  que  l'on  jette  l'ancre;  et  cette  ancre  lui  fait 
trouver  la  consistance  parmi  les  tlots,  de  peur  qvc 
le  vaisseau  ne  soit  emporté  :  la  terre  au  milieu 
des  ondes  est  comme  un  port  parmi  les  orages. 

C'est  ainsi ,  ô  enfants  de  Dieu  ;  et  pour  retour- 
nera notre  sujet  après  cette  digression  nécessaire, 
c'est  ainsi,  divine  Thérèse,  que  votre  âme  s'éta- 
blit au  ciel.  Battue  de  l'orage  et  des  vents  qui 
agitent  la  vie  humaine  comme  un  océan  plein  d'é- 
cueils,  et  ne  pou  vaut  encore  arriver  au  ciel,  vous 
y  jetez  cette  ancre  sacrée;  je  veux  dire,  votre 
espérance  :  par  laquelle  étant  attachée  dans  cette 
bienheureuse  terre  des  vivants,  vous  trouvez  la 
patrie  même  dans  l'exil,  la  consistance  dans  l'agi- 
tation, la  tranquillité  dans  la  tourmente  ;  et  mêlée 
avec  les  esprits  célestes ,  auxquels  votre  esprit  est 
uni ,  vous  pouvez  dire  avec  l'apôtre  :  Nostra  au- 
tem  conversatio  in  cœlis  est  :  «  Notre  conver- 
'  sation  est  aux  cieux.  »  Ne  pai'lez  donc  plus  à 
Thérèse  de  toutes  les  prétentions  de  la  terre.  Ac- 
coutumée à  une  autre  vie,  elle  n'entend  plus  ce 
langage  ;  et  son  âme ,  élevée  au  ciel  par  la  force 
de  son  espérance ,  n'a  plus  de  goût  ni  de  sentimen  t 
que  pour  les  chastes  voluptés  des  anges.  Que  le 
monde  s'irrite  contre  elle,  qu'il  contredise  ses 
pieux  desseins ,  qu'il  la  déchire  par  ses  calomnies, 
qu'on  la  traîne  à  l'inquisition  comme  une  femme 
qui  donne  la  vogue  à  des  visions  dangereuses  ; 
qu'elle  entende  même  les  prédicateurs  tonner 
publiquement  contre  sa  conduite  :  car  cela  lui 
est  arrivé,  sa  compagne  en  tremblant  d'effroi  ;  et 
figurez-vous ,  chrétiens ,  quelle  devait  être  son 
émotion ,  se  voyant  ainsi  attaquée  dans  une  célè- 
bre audience  :  toutefois  elle  ne  sent  pas  cet  orage; 
toutes  ces  ondes,  qui  tombent  sur  elle,  ne  sont 
pas  capables  de  l'ébranler.  Son  esprit  demeure 
tranquille ,  comme  dans  une  grande  bonace,  au 
milieu  de  cette  tempête  ;  et  cela ,  pour  quelle  rai- 
son? parce  qu'il  est  solidement  établi  sur  cette 
ancre  immobile  de  son  espérance. 

Chrétiens,  profitons  de  ce  grand  exemple.  Parmi 
tous  les  troubles  qui  nous  tourmentent,  parmi 
tant  de  différentes  agitations,  dans  les  morts 
cruelles  et  précipitées  de  nos  proches  et  de  nos 
amis,  jetons  au  ciel  cette  ancre  sacrée,  je  veux 
dire  notre  espérance.  Ah  !  si  nous  étions  appuyés 
sur  cette  espérance  immuable;  les  maladies  ,,les- 
pertes  de  biens  et  les  afflictions  ne  seraient  pas 
capables  de  nous  submerger!  Toutes  ces  ondes, 
qui  tombent  sur  nous ,  feraient  flotter  légèrement 
ce  vaisseau  fragile  ;  mais  elles  ne  pourraient  pas 
l'emporter  bien  loin ,  parce  qu'il  serait  appuyé 
sur  cette  ancre  de  lespérance. 

Et  vous ,  princes  et  grands  de  la  terre ,  pour- 
quoi offrez- vous  à  Thérèse  des  richesses  ?  Écoutei 
i  comme  elle  parle  à  ces  saintes  filles  qu'une  com- 


{.20  PANEGYRIQUE 

inune espérance  unit  avec  elle  :  Soyons  pauvres, 
meschers sœurs,  soyons  pauvres  dans  nos  mai- 
sons et  dans  nos  habits  :  Elle  ne  veut  rien  dans 
ses  monastères  qui  ne  sente  la  pauvreté  de  Jésus; 
elle  veut  toujours  être  pauvre  :  parce  que  ce  n'est 
pas  ici  le  temps  de  jouir,  mais  c'est  seulement  le 
temps  d'espérer.  Soyons  chrétiennes, mes  sœurs, 
leur  dit-elle.  Elle  craint  de  rien  posséder,  sa- 
chant que  le  vrai  chrétien  ne  possède  pas ,  mais 
qu'il  cherche;  qu'il  ne  s'arrête  pas,  mais  qu'il 
passe  comme  un  voyageur  pressé  ;  qu'il  ne  bâtit 
pas  sur  la  terre ,  parce  que  sa  cité  n'est  pas  de  ce 
monde ,  et  qu'une  loi  bienheureuse  lui  est  impo- 
sée de  ne  se  réjouir  que  par  espérance  :  Spe  gau- 
tlenfes\ 

Mais ,  chrétiens ,  si  vous  voulez  voir  jusqu'où 
la  sainte  espérance  a  élevé  l'âme  de  Thérèse ,  mé- 
ditez ce  sacré  cantique  que  l'amour  divin  lui  met 
à  la  bouche.  Je  vis,  dit-elle,  sans  vivre  en  moi; 
et  j'espère  une  vie  si  haute ,  que  je  meurs  de  ne 
mourir  pas.  Qu'entends-je ,  et  que  dites-vous, 
divine  Thérèse?  Je  vis,  dit-elle,  sans  vivre  en 
moi.  Si  vous  n'êtes  plus  en  vous-même,  quelle 
force  vous  a  enlevée  sinon  celle  de  votre  espé- 
rance? 0  transports  inconnus  au  monde,  mais 
que  Dieu  fait  sentir  aux  saints  avec  des  douceurs 
ravissantes  !  Thérèse  n'est  donc  plus  sur  la  terre , 
elle  vit  avec  les  anges;  elle  croit  être  avec  son 
Époux.  Et  ne  vous  en  étonnez  pas  :  l'espérance  a 
pu  faire  un  si  grand  miracle.  Car  comme  les  per- 
sonnes agiles ,  pourvu  qu'elles  puissent  appuyer 
la  main,  porteront  après  aisément  le  corps  ;  ainsi 
l'espérance ,  qui  est  la  main  de  l'âme ,  par  la- 
quelle elle  s'étend  aux  objets,  sitôt  qu'elle  s'est 
appuyé  sur  Dieu ,  elle  est  si  forte  et  si  vigoureuse , 
qu'elle  y  enlève  après  l'âme  tout  entière.  Vivez 
donc  heureuse ,  ô  Thérèse ,  vivez  avec  cet  époux 
céleste ,  qui  seul  a  pu  gagner  votre  cœur.  Si  vous 
ne  pouvez  encore  le  joindre ,  envoyez  votre  espé- 
,rance  après  lui  ;  et  enrichie  par  cette  espérance, 
méprisez  hardiment  tous  les  biens  du  monde.  Car 
quelle  possession  se  peut  égaler  à  une  espérance 
si  belle,  et  quels  biens  présents  ne  céderaient 
pas  à  ce  bienheureux  avenir  1 

Où  courez-vous,  mortels  abusés,  et  pourquoi 
allez-vous  errants  de  vanités  en  vanités ,  toujours 
attirés  et  toujours  trompés  par  des  espérances  nou- 
velles? Si  vous  recherchez  des  biens  effectifs, 
pourquoi  poursuivez -vous  ceux  du  monde,  qui 
passent  légèrement  comme  un  songe  ?  Et  si  vous 
vous  repaissez  d'espérances ,  que  n'en  choisissez- 
vous  qui  soient  assurées?  Dieu  vous  promet  :  pour- 
quoi doutez-vous?  Dieu  vous  parle  :  que  ne  sui- 
vez-vous? H  vaut  mieux  espérer  de  lui,  que  de 
recevoir  les  faveurs  des  autres;  et  les  biens  qu'il 

'  ^."'1  XI!,  1:2. 


promet  çont  plus  assurés  que  tous  ceux  que  le 
monde  doime.  Espérez  donc  avec  Thérèse  ;  et 
pour  voir  manifestement  combien  estgrand  le  bien 
qu'elle  cherche,  regardez  de  quelle  ardeur  elle 
y  court,  et  par  quels  désirs  elle  s'y  élance  :  c'est 
ma  deuxième  partie. 

SECOND  POINT. 

C'est  une  loi  de  la  Providence,  que  la  jouis- 
sance succède  aux  désirs  ;  et  le  chrétien  ne  mérite 
pas  de  se  réjouir  dans  le  ciel ,  s'il  n'a  auparavant 
appris  à  gémir  dans  ce  lieu  de  pèlerinage.  Car 
pour  être  vrai  chrétien ,  il  faut  sentir  qu'on  est 
voyageur  ;  et  vous  m'avouerez  aisément  que  celui- 
là  ne  la  connaît  pas,  qui  ne  soupire  point  après  sa 
patrie.  C'est  pourquoi  saint  Augustin  a  dit  ces 
beaux  mots ,  qui  méritent  bien  d'être  médités  : 
Qui  non  gémit  père  g  rinus,  non  gaudebit  civis'  : 
«  Celui  qui  ne  gémit  pas  comme  voyageur,  ne 
«  se  réjouira  pas  comme  citoyen  ;  »  c'est-à-dire,  si 
nous  l'entendons ,  il  ne  sera  jamais  habitant  du 
ciel,  parce  qu'il  a  voulu  l'être  de  la  terre  :  puisqu'il 
refuse  le  travail  du  voyage ,  il  n'aura  pas  le  repos 
de  la  patrie;  et  s' arrêtant  où  il  faut  marcher,  il 
n'arrivera  pas  où  il  faut  parvenir  :  Qui  non  gé- 
mit peregrinus,  non  gaudebit  civis.  Ceux  au 
contraire  qui  déploreront  leur  exil,  seront  ha- 
bitants du  ciel  ;  parce  qu'ils  ne  veulent  pas  l'être 
de  ce  monde,  et  qu'ils  tendent  par  de  saints  dé- 
sirs à  la  Jérusalem  bienheureuse.  Il  faut  donc, 
mes  frères,  que  nous  gémissions.  C'est  à  vous, 
heureux  citoyens  de  la  céleste  Jérusalem,  c'est  à 
vous  qu'appartient  la  joie  ;  mais  pendant  que  nous 
languissons  eu  ce  lieu  d'exil,  les  pleurs  et  les 
désirs  font  notre  partage.  Et  David  a  exprimé  nos 
vrais  sentiments ,  quand  il  a  chanté  d'une  voix 
plaintive  :  Super  flumina  BabyloniSy  illic  se- 
dimus;  etjlevimus,dum  recordaremur  Sio7i^  : 
"  Assis  sur  les  fleuves  de  Babylone ,  nous  avons 
«  gémi  et  pleuré  en  nous  souvenant  de  Sion.  « 

Remarquez  ici ,  chrétiens ,  les  deux  causes  de 
la  douleur  que  ressent  une  âme  pieuse ,  qui  at- 
tend avec  l'apôtre  l'adoption  des  enfants  de  Dieu^. 
Pour  quelle  cause  soupirez-vous  donc ,  âme  sain- 
te, âme  gémissante,  et  quel  est  le  sujet  de  vos 
plaintes?  Le  prophète  en  rapporte  deux;  c'est  le  . 
souvenir  de  Sion,  et  les  fleuves  de  Babylone.  Pou- 
quoi  ne  voulez- vous  pas  qu'elle  pleure,  éloignée 
de  ce  qu'elle  cherche ,  et  exposée  au  milieu  de  ce 
qu'elle  fuit?  Elle  aime  la  paix  de  Sion ,  et  elle  se 
sent  reléguée  dans  les  troubles  de  Babylone  ou 
elle  ne  voit  que  des  eaux  courantes  ;  c'est-à-  dire, 
des  plaisirs  qui  passent  :  Super  flumina  BabfjlO' 


r,)ifir.  in  PmI.  CXI.III , 

Ps.  (A\\VI. 

tvilJl.   VU!  ,   -i 


4,  t.  IV,  col 


DE  SAINTK  THERESE 


52  f 


nis.  Et  pendant  quelle  ne  voit  rien  qui  ne  passe, 
ri  le  se  souvient  de  Sion,  de  cette  Jérusalem  bien- 
luHireuse,  où  toutes  choses  sont  permanentes. 
Ainsi,  dans  la  diversité  de  ces  deux  objets,  elle 
ne  sait  ce  qui  l'afflige  le  plus,  de  Babylone  où 
elle  se  voit ,  ou  de  Sion  d'où  elle  est  bannie ,  et 
c'est  pour  cela  que  sainte  Thérèse  ne  peut  mo- 
dérer ses  douleurs. 

Que  dirai-jc  ici ,  chrétiens?  qui  me  donnera 
des  paroles,  pour  vous  exprimer  dignement  la 
divine  ardeur  qui  la  presse?  Mais  quand  je  pour- 
rais la  représenter  aussi  forte  et  aussi  fervente 
qu'elle  est  dans  le  cœur  de  Thérèse ,  qui  compren- 
dra ce  que  j'ai  à  dire?  et  nos  esprits  attachés  à 
la  terre,  enlendront  ils  ces  transports  célestes? 
Disons  néanmoins ,  comme  nous  pourrons ,  ce  que 
son  histoire  raconte;  disons  que  l'admirable  Thé- 
rèse, nuit  et  jour,  sans  aucun  repos  ni  trêve, 
soupirait  après  son  divin  Époux  ;  disons  que,  son 
amour  s'augmentant  toujours,  elle  ne  pouvait 
plus  supporter  la  vie ,  qu'elle  déchirait  sa  poitrine 
par  des  cris  et  par  des  sanglots ,  et  que  cette  dou- 
leur l'agitait  de  sorte,  qu'il  semblait  à  chaque 
moment  qu'elle  allait  rendre  les  derniers  soupirs. 

Je  vous  vois  étonnés ,  fidèles  :  l'amour  aveugle 
des  biens  périssables  ne  vous  permet  pas  de  com- 
prendre de  quelle  sorte  ces  beaux  mouvements 
peuvent  être  formés  dans  les  cœurs.  Mais  quittez 
cet  étonuement.  Il  faut ,  s'il  se  peut ,  vous  le  faire 
entendre,  en  vous  décrivant  en  un  mot  quelle  est 
la  force  de  la  charité ,  en  vous  le  montrant  par 
les  Écritures. 

Sachez  donc  que  c'est  la  charité  qui  presse 
Thérèse,  charité  toujours  vive,  toujours  agis- 
sante ,  qui  pousse  sans  relâche  du  côté  du  ciel 
les  âmes  qu'elle  a  blessées,  et  qu'elle  ne  cesse  de 
travailler  par  de  saintes  inquiétudes ,  jusqu'à  ce 
qu'elles  y  soient  établies.  C'est  pourquoi  le  grand 
Paul  en  étant  rempli ,  jeûne  continuellement;  il 
pleure,  il  soupire,  il  se  plaint  en  lui-même,  il  est 
pressé  et  violenté,  il  souffre  des  douleurs  pareilles 
à  celles  de  l'enfantement,  et  son  âme  ne  cherche 
qu'à  sortir  du  corps  :  Infelix  ego  homo  !  quis  me 
liberabitdecorpore  mortis  hujus  ■?«  Malheureux 
«  homme  que  je  suis!  qui  me  délivrera  de  ce 
■  corps  de  mort?  ■>  Quelle  est  la  cause  de  ces 
transports?  c'est  la  charité  qui  le  presse  :  c'est 
ce  feu  divin  et  céleste ,  qui,  détenu  contre  sa  na- 
ture dans  un  corps  mortel ,  tâche  de  s'ouvrir  par 
force  un  passage  ;  et  frappant  de  toutes  parts  avec 
violence ,  par  des  désirs  ardents  et  impétueux  il 
tbranle  tous  les  fondements  de  la  prison  qui  l'en- 
serre. De  là  ces  pleurs ,  de  là  ces  sanglots,  de  là  ces 
douleurs  excessives,  qui  mettraient  sans  doute 
TLérèse  au  tombeau ,  si  Dieu ,  par  un  secret  de 
'  &om.  vn,  24. 


sa  providence,  ne  la  voulait  conserver  encore 
pour  la  rendre  plus  digne  de  son  amour. 

Et  c'est  ici  qu'il  faut  vous  représenter  un  nou- 
veau genre  de  martyre  que  la  charité  fait  souf- 
frir à  l'incomparable  Thérèse.  Dieu  l'attire ,  et 
Dieu  la  retient.  Il  lui  ordonne  de  courir  au  ciel, 
et  il  veut  qu'elle  demeure  en  la  terre  :  d'un  côté 
il  lui  découvre  d'une  même  vue  toutes  les  misè- 
res de  cet  exil ,  tous  les  charmes  et  tous  les  at- 
traitsdesa  vision  bienheureuse,  non  point  dans 
l'obscurité  des  discours  humains,  mais  dans  la 
lumière  claire  et  pénétrante  de  sa  vérité  infinie  ; 
mais  comme  elle  pense  se  jeter  à  lui ,  charmée  de 
ses  beautés  immortelles ,  aussitôt  il  lui  fait  con  ' 
naître  qu'il  la  veut  encore  retenir  au  monde. 
Qu'est-ce  à  dire  ceci ,  ô  grand  Dieu  !  est-il  digne 
de  votre  bonté ,  de  tourmenter  ainsi  un  cœur  qui 
vous  aime?  Si  vous  inspirez  ces  désirs,  pourquoi 
refusez-vous  de  les  satisfaire?  Ou  ne  la  tirez  pas 
avec  tant  de  force ,  ou  permettez-lui  de  vous  sui- 
vre. IS'e  voyez-vous  pas ,  ô  Époux  céleste ,  qu'elle 
ne  sait  à  quoi  arrêter  son  choix?  Vous  l'appelez , 
vous  la  repoussez  :  si  bien  que,  pendant  qu'elle 
court  à  vous,  elle  se  déchire  elle-même;  et  son 
âme  ensanglantée  par  la  violence  de  ces  mou- 
vements opposés,  que  vous  la  forcez  de  souffrir, 
ne  trouve  plus  de  consolation.  En  cet  état,  où 
vous  la  mettez,  n'a-t-elle  pas  raison  de  vous 
dire  :  Quare  posuisti  me  contrarium  tibi  '? 
Dans  les  désirs  que  vous  m'inspirez,  c'est  vous 
qui  me  rendez  contraire  à  vous-même?  Ou  qu'une 
autre  main  l'attire ,  ou  qu'une  autre  main  la  re- 
tienne. 

0  merveille  des  desseins  de  Dieu  !  ô  conduite 
impénétrable  de  ses  jugements  dans  l'opération 
de  sa  grâce  !  Quis  loquetur  potentias  Domini, 
auditas  faciet  omncs  laudes  ejus  *?  Qui  nous 
expliquera  ce  mystère?  qui  nous  dira  les  moyens 
secrets  par  lesquels  le  Saint-Esprit  purifie  les 
cœurs?  Il  sait  bien  que  dans  ces  combats,  dans 
ces  mystérieuses  contrariétés,  il  s'allume  un  feu 
dans  les  âmes  qui  les  rend  tous  les  jours  plus  pu- 
res. Il  fait  naître  de  saints  désirs;  et  il  se  plaît 
de  les  enflammer,  en  diiférant  de  les  satisfaire. 
Il  se  plaît  à  regarder  du  plus  haut  des  cieux  (jue 
Thérèse  meurt  tous  les  jours,  parce  qu'elle  ne 
peut  pas  mourir  une  fois  :  Quotidie  morior^^  dit 
le  saint  apôtre;  et  il  reçoit  tous  les  jours  mille 
sacrifices,  en  retardant  le  dernier.  Mais  je  passe 
encore  plus  loin  :  pourrai-je  bien  dire  ce  que  je 
pense?  Il  voit  que,  par  un  secret  merveilleux, 
elle  se  détache  d'autant  plus  du  corps,  qu'elle  a 
plus  de  peine  à  s'en  détacher;  et  que  dans  l  tf- 

'  Joh.  vu,  20. 
»  Ps.  f.V,  2. 
'  1.  Cor  XV ,  31 


522 


PANEGYRIQUE 


fort  qu'elle  fait  pour  s'en  séparer  tout  entière ,  elle 
le  fuit  d'autant  plus  qu'elle  s'y  sent  plus  long- 
temps et  plusvioiemment  retenue.  C'est  pourquoi 
si  la  violence  de  ses  désirs  ne  peut  rompre  les 
liens  du  corps,  ils  en  éteignent  tous  les  senti- 
ments ,  ils  en  mortifient  tous  les  appétits  :  elle  ne 
vit  plus  pour  la  chair;  et  enfin  elle  devient  tous 
les  jours  et  plus  libre,  et  plus  dégagée  par  cette 
perpétuelle  agitation ,  comme  un  oiseau  qui  bat- 
tant des  ailes  secoue  l'humidité  qui  les  rend  pe- 
santes ,  ou  dissipe  le  froid  qui  les  engourdit  :  si 
bien  que ,  portée  par  ces  saints  désirs ,  elle  paraît 
détachée  du  corps  pour  vivre  et  converser  avec 
les  anges  :  Nostra  convei'satio  in  cœlis  est. 

Heureuses  mille  et  mille  fois  lésâmes  qui  dési- 
rent ainsi  Jésus-Christ  !  Mais  cependant  ses  ar- 
deurs s'augmentent,  et  ce  feu  si  vif  et  si  agissant 
ne  peut  plus  être  retenu  sous  la  cendre  d'une 
chair  mortelle.  Cette  divine  maladie  d'amour  pre- 
nant tous  les  jours  de  nouvelles  forces,  elle  ne 
peut  plus  supporter  la  vie.  Chaste  Époux  qui  l'a- 
vez blessée ,  que  tardez-vous  à  la  mettre  au  ciel , 
où  elle  s'élève  par  de  saints  désirs ,  et  où  elle 
semble  déjà  transportée  par  la  meilleure  partie 
d'elle-même?  ou ,  s'il  vous  plaît  qu'elle  vive  en- 
core ,  quel  remède  trouverez -vous  à  ses  peines  ? 
La  mort?  mais  il  vous  plaît  de  la  différer,  pour 
élever  sa  perfection  à  l'état  glorieux  et  surémi- 
nent  que  votre  providence  a  marqué  pour  elle. 
L'espérance?  mais  elle  la  tue;  parce  qu'en  lui 
disant  qu'elle  vous  verra,  elle  lui  dit  aussi  dans 
le  même  temps  qu'elle  n'est  pas  encore  avec  vous. 
Que  ferez-vous  donc ,  6  Sauveur,  et  de  quoi  sou- 
tiendrez-vous  votre  amante ,  dont  le  cœur  lan- 
guit après  vous?  Chrétiens,  il  sait  le  secret  de  lui 
faire  trouver  du  goût  dans  la  vie.  Quel  secret? 
secret  merveilleux.  Il  lui  enverra  des  afflictions; 
il  éprouvera  son  amour  par  de  continuelles  souf- 
frances :  secret  étrange,  selon  le  monde;  mais 
sage,  admirable,  infaillible,  selon  les  maximes 
de  l'Evangile.  C'est  par  où  je  m'en  vais  conclure. 

TBOISIÈME    POINT. 

La  langueur  de  sainte  Thérèse  ne  peut  donc 
plus  être  soutenue  que  par  des  souffrances  ;  et 
dans  l'ennui  qu'elle  a  de  la  vie,  elle  ne  trouve 
point  de  consolation  que  de  dire  continuellement 
à  son  Dieu  :  Seigneur,  «  ou  souffrir,  ou  mourir  :  » 
Aut  pati,  autmori.  Il  est  digne  de  votre  audience 
de  comprendre  solidement  toute  la  force  de  cette 
parole;  et  quand  je  vous  en  aurai  découvert  le 
sens,  vous  confesserez  avec  moi  qu'elle  renferme 
comme  eu  abrégé  toute  la  doctrine  du  Fils  de 
Dieu,  et  tout  l'esprit  du  christianisme.  Mais 
observez  avant  toutes  choses  la  merveilleuse  con- 


trariété des  inclinations  naturelles,  et  de  cclh» 
que  la  grâce  inspire. 

La  première  inclination  que  la  nature  nous 
donne,  c'est  sans  doute  l'amour  de  la  vie  ;  |a  se- 
conde, qui  la  suit  de  près  ou  qui  peut-être  est 
encore  plus  forte,  c'est  l'amour  des  plaisirs  du 
monde,  sans  lesquels  la  vie  serait  ennuyeuse. 
Car,  mes  frères,  il  est  véritable  :  quelque  amour 
que  nous  ayons  pour  la  vii! ,  nous  ne  la  pourrions 
supporter  si  elle  n'avait  des  contentements;  et 
jugez-en  par  expérience.  Combien  longues,  com- 
bien ennuyeuses  vous  paraissent  ces  tristes  jour- 
nées que  vous  passez  sans  aucun  plaisir  de  con- 
versation ou  de  jeu ,  ou  de  quelque  autre  diver- 
tissement! ne  vous  semble-t-il  pas  alors,  si  je 
puis  parler  de  la  sorte ,  que  les  jours  sont  durs  et 
pesants  :  Pondus  lUei;  c'est  ce  qui  s'appelle  le 
poids  du  jour  :  c'est  pourquoi  ils  vous  sont  à 
charge ,  et  vous  ne  pouvez  supporter  ce  poids. 
Au  contraire  est-il  rien  qui  aille  plus  vite  ni  qui 
s'écoule,  s'échappe  et  vole  plus  légèrement  que 
le  temps  passé  parmi  les  délices?  De  là  vient 
que  ce  roi  mourant ,  auquel  Isaïe  rendit  la  santé , 
se  plaint  qu'on  tranche  le  cours  de  sa  vie  lors- 
qu'il ne  faisait  que  la  commencer  :  Dum  adimc 
ordirer,  succidit  me  :  de  mane  usque  ad  vcspc- 
ram  finies  me  «  :  «  Je  finis  lorsque  je  commence, 
«  et  ma  vie  s'est  achevée  du  matin  au  soir  !  »  Que 
veut  dire  ce  prince  malade  :  il  avait  près  de  (jua- 
rante  ans  ;  cependant  il  s'imagine  qu'il  ne  fait 
que  de  naître,  et  il  ne  compte  encore  qu'un  jour 
de  son  âge?  C'est  que  sa  vie  passée  dans  le  luxe, 
dans  le  plaisir  du  commandement  et  dans  une 
abondance  royale,  ne  lui  faisait  prescpie  point 
sentir  sa  durée ,  tant  elle  coulait  doucement.  Je 
vous  parle  ici ,  chrétiens ,  dans  le  sentiment  des 
hommes  du  monde ,  qui  ne  vivent  que  pour  les 
plaisirs  ;  et  c'est  afin  que  vous  compreniez  quel 
étrange  renversement  des  inclinations  naturelles 
apporte  l'esprit  du  christianisme  dans  les  âmes 
qui  en  sont  remplies  :  et  voyez-le  par  l'exemple 
de  sainte  Thérèse. 

Les  afflictions ,  les  douleurs  aiguës ,  ce  cruel 
amas  de  maux  et  de  peines  sous  lequel  elle  pa- 
raît accablée ,  et  qui  pourrait  contraindre  les  plus 
patients  à  appeler  la  mort  au  secours  ;  c'est  ce  qui 
lui  fait  désirer  de  vivre  :  et  au  lieu  que  la  vie  est 
amère  aux  autres,  si  elle  n'est  adoucie  par  les 
voluptés  ;  elle  n'est  amère  à  Thérèse  que  lorsqu'el  le 
y  jouit  de  quelque  repos.  Qui  lui  donne  ces  désirs 
étranges?  d'où  lui  viennent  ces  inclinations  si 
cojitraires  à  la  nature?  En  voici  la  raison  solide; 
c'est  qu'il  n'est  rien  de  plus  opposé  que  de  vivre 
selon  la  nature ,  et  de  vivre  selon  la  grâce  :  c'est , 

I  is.  \x\vin,  li 


DE  SAINTE  THERESE. 


523 


fomme  dit  l'apôtre  saint  Paul  ■ ,  qu'elle  n'a  pas 
reçu  l'esprit  de  ce  monde,  mais  un  esprit  victo- 
rieux du  monde  ;  c'est  que ,  pleine  de  Jésus-Christ, 
elle  veut  vivre  selon  Jésus-Christ.  Ce  Jésus,  ce 
divin  Sauveur,  n'a  vécu  que  pour  endurer;  et  il 
m'est  aisé  de  vous  faire  voir,  par  les  Écritures 
divines,  qu'il  n'a  voulu  étendre  sa  vie  qu'autant 
fte  temps  qu'il  fallait  souffrir.  Entendez  donc 
rncore  cette  vérité,  par  laquelle  j'achèverai  ce 
iscours ,  et  qui  en  fera  tout  le  fruit. 

Je  ne  métonne  pas,  chrétiens,  que  Jésus  ait 
voulu  mourir  :  il  devait  ce  sacrifice  à  son  Père, 
pour  apaiser  sa  juste  fureur,  et  le  rendre  propice 
aux  hommes.  Mais  qu'était-il  nécessaire  qu'il 
passât  ses  jours ,  et  ensuite  qu'il  les  finît  parmi 
tant  de  maux  ?  C'est  pour  la  raison  que  j'ai  dite. 
Étant  l'homme  de  douleurs,  comme  l'appelait  le 
prophète',  il  n"a  voulu  vivre  que  pour  endurer; 
ou ,  pour  le  dire  plus  fortement  par  un  beau  mot 
de  Tertullien,  il  a  voulu  se  rassasier,  avant  que 
de  mourir,  par  la  volupté  de  la  patience:  Sagi- 
nari  voluptate  patientiœ  discessums  volebat^. 
^oilàune  étrange  faconde  parler.  Nediriez-vous 
pas ,  chrétiens ,  que ,  selon  le  sentiment  de  ce 
Père,  toute  la  vie  du  Sauveur  était  un  festin, 
dont  tous  les  mets  étaient  des  tourments?  Festin 
étrange,  selon  le  siècle;  mais  cpie  Jésus  a  jugé 
digne  de  son  goût.  Sa  mort  suffisait  pour  notre 
salut;  mais  sa  mort  ne  suffisait  pas  à  ce  mer- 
veilleux appétit  qu'il  avait  de  souffrir  pour  nous. 
11  a  fallu  y  joindre  les  fouets ,  et  cette  sanglante 
couronne  qui  perce  sa  tête,  et  tout  ce  cruel  ap- 
pareil de  supplices  épouvantables  :  et  cela  pour 
quelle  raison?  C'est  que  ne  vivant  que  pour  endu- 
rer, «  il  voulait  se  rassasier,  avant  que  de  raou- 
«  rir,  de  ia  volupté  de  souffrir  pour  nous  :  «  Sagi- 
nari  voluptate  patientiœ  discessums  volebat. 

Mais  pour  vousconvaincreplus  clairement  de 
la  vérité  que  je  proche,  regardez  ce  que  fait  Jésus 
à  la  croix.  Ce  Dieu  avide  de  souffrir  pour  Thom- 
me ,  tout  épuisé ,  tout  mourant  qu'il  est ,  consi- 
dère que  les  prophéties  lui  promettent  encore 
un  breuvage  amer  dans  sa  soif  :  il  le  demande 
avec  un  grand  cri ,  et  après  cette  aigreur  et  cette 
amertume  dont  le  Juif  impitoyable  arrose  sa  lan- 
gue, que  fait-il?  Il  me  semble  qu'il  se  tourne  du 
côté  du  ciel.  Ehbien  !  dit-il ,  ô  mon  Père,ai-je  bu 
tout  le  calice  que  votre  providence  m'avait  pré- 
paré ?  ou  bien ,  reste-t-il  quelque  peine  quïl  soit 
nécessaire  que  j'endure  encore  ?  Donnez ,  je  suis 
prêt,  ô  mon  Dieu!  Paratum  cor  7neum,  Deus, 
paratum  cor  meum  *.  Je  veux  boire  tout  le  calice 

'  I.  Cor.  n,  12. 
'  Isai.  LUI ,  3. 
3  /;.-•  Palkiit.  n°  3. 
'  Piul.C\ll,-i. 


de  ma  passion ,  et  je  n'en  veux  pas  perdre  uue 

seule  goutte.  Là,  voyant  dans  ses  décrets  éternels 

qu'il  n'y  a  plus  rien  à  souffrir  pour  lui  :  Ah  î  dit- 

;  il ,  c'en  e^t  fait ,  "  tout  est  consommé ,  »  Con- 

j  smnmatum  est'  :  sortons,  il  n'y  a  plus  rien  à 

t  faire  en  ce  monde  ;  et  aussitôt  il  rendit  son  âme 

I  à  son  Père.  Et  par  là  ne  paraît-il  pas,  chrétiens, 

qu'il  ne  vit  que  pour  endurer,  puisque,  lorsqu'il 

aperçoit  la  fin  des  souffrances,  il  s'écrie  :  Tout  est 

achevé,  et  qu'il  ne  veut  plus  prolonger  sa  vie? 

Tel  est  l'esprit  du  sauveur  Jésus,  et  c'est  lui 
qui  l'a  répandu  sur  Thérèse  sa  pudique  épouse. 
Elle  veut  aussi  souffrir  ou  mourir;  et  son  amour 
ne  peut  endurer  qu'aucune  cause  retarde  sa  mort, 
sinon  celle  qui  a  différé  la  mort  du  Sauveur, 
chrétiens ,  échauffons  nos  cœurs  par  la  vue  de  ce 
grand  exemple ,  et  apprenons  de  sainte  Thérèse 
qu'il  nous  faut  nécessairement  souffrir  ou  mourir. 
Et  un  chrétien  en  peut-il  douter?  Si  nous  som- 
mes de  vrais  chrétiens ,  ne  devons-nous  pas  dé- 
sirer d'être  toujours  avec  Jésus-Christ?  Or,  mes 
frères,  où  le  trouve- t-on  cet  aimable  Sauveur  de 
nos  âmes?  En  quel  lieu  peut-on  l'embrasser?  On 
ne  le  trouve  qu'eu  ces  deux  lieux  :  dans  sa  gloire 
ou  dans  ses  supplices,  sur  son  trône  ou  bien  sursa 
croix.  Nous  devons  donc,  pour  être  avec  lui,  ou 
bien  l'embrasser  dans  son  trône,  et  c'est  ce  que 
nousdonne  lamort,  ou  bien  nous  uniràsa  croix, 
et  c'est  ce  que  nous  avons  par  les  souffrances; 
tellement  qu'il  faut  souffrir  ou  mourir,  afin  de  ne 
quitter  jamais  le  Sauveur.  Et  quand  Thérèse  fait 
cette  prière  :  Que  je  souffre,  ou  bien  que  je 
meure ,  c'est  de  même  que  si  elle  eût  dit  :  A  quel- 
que prix  que  ce  soit ,  je  veux  être  avec  Jésus- 
Christ.  S'il  ne  m'est  pas  encore  permis  de  l'ac- 
compagner dans  sa  gloire ,  je  le  suivrai  du  moins 
parmi  ses  souffrances ,  afin  que ,  n'ayant  pas  le 
bonheur  de  le  contempler  assis  dans  son  trône, 
j'aiedu  moins  la  consolation  de  l'embrasser  pendu 
à  sa  croix. 

Souffrons  donc,  souffrons,  chrétiens,  ce  qu'il 
plaît  à  Dieu  de  nous  envoyer,  les  afflictions  et  les 
maladies ,  les  misères  et  la  pauvreté,  les  injures 
et  les  calomnies;  tâchons  de  porter  d'un  courage 
ferme  telle  partie  de  sa  croix  dont  il  lui  plaira 
de  nous  honorer.  Quoique  tous  nos  sens  y  répu- 
gnent, il  est  doux  de  souffrir  avec  Jésus-Christ  ^ 
puisque  ces  souffrances  nous  font  espérer  ia 
société  de  sa  gloire  ;  et  cette  pensée  doit  fortifier 
ceux  qui  vivent  dans  la  douleur  et  l'affliction. 

Mais  pour  vous ,  fortunés  du  siècle ,  à  qui  la 
faveur,  les  richesses,  le  crédit  et  l'autorité  fait 
trouver  la  vie  si  commode ,  et  qui ,  dans  cet  état 
paisible ,  semblez  être  exempts  des  misères  qui 
affligent  les  autres  hommes ,  que  vous  dirai-ja 

'  Joan.  XIX ,  30. 


52  4 


PANÉGYRIQUE 


aujourd'hui ,  et  quelle  croix  vous  laisserai-je  en 
partage?  Je  pourrais  vous  représenter  que  peut- 
être  ces  beaux  jours  passeront  bien  vite ,  que  la 
fortune  n'est  pas  si  constante  qu'on  ne  voie  aisé- 
ment finir  ses  faveurs ,  ni  la  vie  si  abondante  en 
plaisir  qu'elle  n'en  soit  bientôt  épuisée.  Mais 
avant  ces  grands  changements,  au  milieu  des 
prospérités,  que  ferez- vous,  que  souffrirez- vous 
pour  porter  la  croix  de  Jésus?  Abandonner  les 
richesses ,  macérer  le  corps?  Non,  je  ne  vous  dis 
pas,  chrétiens,  que  vous  abandonniez  vos  ri- 
chesses ,  ni  que  vous  macériez  vos  corps  par  de 
longues  mortifications  :  heureux  ceux  qui  le  peu- 
vent faire  dans  l'esprit  de  la  pénitence  !  mais  tout 
le  monde  n'a  pas  ce  courage.  Jetez ,  jetez  seule- 
ment les  yeux  sur  les  pauvres  membres  de  Jésus- 
Christ;  qui  étant  accablés  de  maux  ne  trouvent 
point  de  consolations.  Souffrez  en  eux ,  souffrez 
avec  eux,  descendez  à  leur  misère  par  la  compas- 
sion, chargez- vous  volontairement  d'une  partie 
des  maux  qu'ils  endurent;  et  leur  prêtant  vos 
mains  charitables ,  aidez-leur  à  porter  la  croix, 
sous  la  pesanteur  de  laquelle  vous  les  voyez  suer 
et  gémir.  Prosternez-vous  humblement  aux  pieds 
de  ce  Dieu  crucifié  ;  dites-lui,  honteux  et  confus  : 
Puisque  vous  ne  m'avez  point  jugé  digne  de  me 
faire  part  de  votre  croix ,  permettez  du  moins , 
ô  Sauveur,  que  j'emprunte  celle  des  autres,  et 
que  je  la  puisse  porter  avec  eux  :  donnez-moi  un 
cœur  tendre,  un  cœur  fraternel,  un  cœur  véri- 
tablement chrétien ,  par  lequel  je  puisse  sentir 
leurs  douleurs ,  et  participer  du  moins  de  la  sorte 
aux  bénédictions  de  ceux  qui  souffrent. 

Madame 

Permettez-moi  de  vous  dire ,  avec  le  respect 
d'un  sujet  et  la  liberté  d'un  prédicateur,  que 
cette  instruction  salutaire  regarde  principalement 
Votre  Majesté.  Nous  répandons  tous  les  jours 
des  vœux  pour  sa  gloire  et  pour  sa  grandeur  : 
nous  prions  Dieu ,  avec  tout  le  zèle  que  notre  de- 
voir nous  peut  inspirer,  que  sa  main  ne  se  lasse 
pas  de  verser  ses  bienfaits  sur  elle;  et  afin  que 
votre  joie  soit  pleine  et  entière ,  qu'il  fasse  que 
ce  grand  roi  votre  fils ,  à  mesure  qu'il  s'avance 
en  âge ,  devienne  tous  les  jours  plus  cher  à  ses 
peuples ,  et  plus  l'edoutable  à  ses  ennemis.  Mais 
parmi  tant  de  prospérités ,  nous  ne  croyons  pas 
être  criminels ,  si  nous  lui  souhaitons  aussi  des 
douleurs.  J'entends,  madame,  ces  douleurs  si 
saintes,  qui  saisissent  les  cœurs  chrétiens  à  la 
vue  des  afflictions,  et  leur  font  sentir  les  misères 
des  pauvres  membres  du  Fils  de  Dieu.  Votre  Ma- 
iesté  les  ressent,  madame;  toute  la  France  a  vu 
des  marques  de  cette  bonté  qui  lui  est  si  naturelle. 
Mais ,  madame,  ce  u  est  pas  assez  ;  tâchez  d'aug- 


menter tous  les  jours  ces  pieuses  inquiétudes 
qui  travaillent  Votre  Majesté  en  faveur  des  misé- 
rables. Dans  ce  secret,  dans  cette  retraite  où  les 
heures  vous  semblent  si  douces ,  parce  que  vous 
les  passez  avec  Dieu,  affligez-vous  devant  lui 
des  longues  souffrances  de  la  chrétienté  désolée, 
et  surtout  des  peuples  qui  vous  sont  soumis;  et 
pendant  que  vous  formez  de  saintes  résolutions 
d'y  apporter  le  soulagement  que  les  affaires  pour- 
ront permettre  ;  pendant  que  notre  victorieux 
monarque  avance  tous  les  jours  l'ouvrage  de  la 
paix  par  ses  victoires ,  et  par  cette  vie  agissante  à 
laquelle  il  s'accoutume  dès  sa  jeunesse  :  attirez- 
la  du  ciel  par  vos  vœux  ;  et  pour  récompense  de 
ces  douleurs  que  la  charité  vous  inspirera,  puis- 
siez-vous  jamais  n'en  ressentir  d'autres ,  et  après 
une  longue  vie  recevoir  enfin  de  la  main  de  Dieu 
une  couronne  plus  glorieuse  que  celle  qui  envi- 
ronne votre  front  auguste.  Faites  ainsi ,  grand 
Dieu ,  à  cause  de  votre  bonté  et  de  votre  miséri- 
corde infinie.  Amen. 

Sire  " 

Nous  prions  Dieu ,  avec  tout  le  zèle  que  l'a- 
mour et  le  devoir  nous  peut  inspirer,  que,  mul- 
tipUant  ses  victoires,  il  égale  votre  renommée  à 
celle  des  plus  fameux  conquérants.  Mais  parmi 
toutes  ces  prospérités ,  nous  ne  croyons  pas  être 
criminels  si  nous  lui  souhaitons  aussi  des  dou- 
leurs :  j'entends,  sire,  ces  saintes  douleurs  qui 
saisissent  les  cœurs  chrétiens  à  la  vue  des  afflic- 
tions, et  qui  leur  fait  sentir  les  misères  des  pau- 
vres membres  de  Jésus-Christ.  Sire,  ces  dou- 
leurs sont  dignes  des  rois,  et  s'ils  sont  le  cœur 
des  royaumes  qu'ils  animent  par  leur  influence, 
il  est  juste  que,  comme  le  cœur,  ils  ressentent 
aussi  les  impressions  des  maux  qu'endurent  les 
autres  parties.  Votre  Majesté  les  ressent,  sire; 
elle  fait  la  guerre  dans  cet  esprit  :  elle  étend  bien 
loin  ses  conquêtes,  elle  s'accoutume  dès  sa  jeu- 
nesse à  cette  vie  agissante ,  pour  assurer  la  tran- 
quillité publique  :  elle  sent  et  elle  plaint  les  maux 
de  ses  peuples;  elle  ne  i-espire  qu'à  les  soulager. 
Pour  récompense  de  ces  douleurs  que  sa  bonté 
lui  fait  pressentir,  puisse-t-elle  jamais  n'en  éprou- 
ver d'autres ,  et  après  une  longue  vie  recevoir  en-  ■ 
fin  de  la  main  de  Dieu  une  couronne  plus  glo- 
rieuse que  celle  qui  environne  son  front  auguste  !. 

*  Bossuet  adressa  ce  discours  nu  roi,  dans  une  autre  oc- 
casion où  il  préclia  ce  sermon  en  sa  présence.  (  Édit.  de  De^ 
J'oris.  ) 


DE  SAINTE  CATIIKRINE. 

PANÉGYRIQUE 


63S 


SAINTK  CATHKRLNK'. 

Abus  que  les  hommes  font  de  la  science.  I^i  bonne  vie,  IV-- 
dificntion  des  âmes,  le  triomphe  de  la  vérilé,  lin  à  laquelle 
doit  être  rapportée  toute  la  science  du  cluutiauisme. 


Dédit  un  sclenfiam  snncforum. 

n  lui  a  doDiié  /a  science  des  saiuts.  Sap.  x ,  10. 

Encore  que  rennemi  de  notre  salut  ne  se  dé- 
si.<*te  jamais  de  la  folle  et  téméraire  entreprise  de 
renverser  l'Église  de  Dieu ,  toutefois  nous  voyons 
par  les  Ecritures  qu'il  n'agit  pas  toujours  par  la 
force  ouverte.  Souvent  il  paraît  en  tyran,  il  per- 
sécute les  fidèles;  mais  souvent,  dit  Saint  Augus- 
tin', il  fait  le  docteur,  et  il  se  mêle  de  les  ensei- 
gner :  de  sorte  qu'il  ne  suffit  pas  que  Dieu  ait 
opposé  à  ses  violences  la  victorieuse  armée  des 
martyrs ,  dont  le  courage  invincible  a  épuisé  la 
cruauté  de  tous  les  supplices;  mais  il  est  égale- 
ment nécessaire  qu'il  éclaire  aussi  des  docteurs, 
pour  combattre  les  dangereuses  maximes  par 
lesquelles  son  ennemi  tâche  de  corrompre  la 
simplicité  de  la  foi ,  et  de  détruire  la  vérité  de 
son  Évangile. 

C'est  un  grand  miracle,  messieurs,  qu'une 
fiile  de  dix-huit  ans  ait  osé  marcher  sous  les  éten- 
dards de  cette  armée  laborieuse  et  entrepre- 
nante ,  dont  la  discipline  est  si  dure ,  qu'elle  ne 
doit  l'emporter  sur  SQg  ennemis  qu'en  les  lassant 
par  sa  patience  :  mais  je  ne  crains  point  d'assurer 
que  c'est  quelque  chose  encore  de  plus  admira- 
ble, qu'elle  tienne  rang  parmi  les  docteurs;  et 
que  Dieu  unissant  en  elle,  si  je  puis  parler  de  la 
sorte ,  toute  la  force  de  son  Saint-Esprit ,  elle  ait 
été  aussi  éclairée  pour  annoncer  la  vérité,  qu'elle 
a  paru  déterminée  à  mourir  pour  elle.  Un  tel 
prodige ,  messieurs ,  n'est  pas  proposé  en  vain  à 
l'Eglise  ;  et  nous  en  tirerons  de  grandes  lumières 
pour  la  conduite  de  notre  vie ,  si  Dieu ,  fléchi 
par  la  sainte  Vierge ,  dont  nous  implorons  le  se- 
cours, daigne  diriger  nos  pensées,  et  bénir  nos 
intentions.  Disons  donc  avant  toutes  choses,  Ave. 

Je  n'ignore  pas ,  chrétiens ,  que  la  science  ne 
soit  un  présent  du  ciel ,  et  qu'elle  n'apporte  au 
monde  de  grands  avantages  :  je  sais  qu'elle  est 
la  lumière  de  l'entendement,  la  guide  de  la  vo- 

'  Quoique  la  Légende  de  sainte  Catherine  qu'a  suivie  Bos- 
suet  dans  ce  discours,  n'ait  point  d'authenticité,  comme  les 
cntiques  en  conviennent ,  cela  ne  nuit  en  rien  à  la  solidité  des 
instructions  que  le  prédicateur  en  a  tirées.  (Édit  de  f'er- 
tatlles.  ) 

'  Eivir.  in  Psal.  xxxix ,  n"  i ,  ?.  -7 ,  »!.  326. 


lontc,  la  nourrice  ae  ,a  venu,  l'âme  de  la  vé- 
rité, la  compagne  de  la  sagesse,  la  mère  des 
bons  conseils;  en  un  mot,  l'âme  de  l'esprit,  et 
la  maîtresse  de  la  vie  humaine.  Mais  comme  il  est 
naturel  à  l'homme  de  corrompre  les  meilleures 
choses,  cette  science,  qui  a  mérité  de  si  grands 
éloges ,  se  gâte  le  plus  souvent  en  nos  mains  par 
l'usage  que  nous  en  faisons.  C'est  elle  qui  s'est 
élevée  contre  la  science  de  Dieu  :  c'est  elle  qui 
promettant  de  nous  éclaireir,  nous  aveugle  plu- 
tôt par  l'orgueil  ;  c'est  elle  qui  nous  fait  adorer 
nos  propres  pensées  sous  le  nom  auguste  de  la 
vérité;  qui,  sous  prétexte  de  nourrir  l'esprit, 
étouffe  les  bonnes  affections,  et  enfin  qui  fait 
succéder  à  la  recherche  du  bien  véritable,  une 
curiosité  vague  et  infinie,  source  inépuisable 
d'erreurs  et  d'égarements  très-pernicieux. 

Mais  je  n'aurais  jamais  fait,  messieurs,  si  je 
voulais  raconter  les  maux  que  fait  naître  l'amour 
des  sciences ,  et  vous  dire  tous  les  périls  dans 
lesquels  il  engage  les  enfants  d'Adam,  qu'uu 
aveugle  désir  de  savoir  a  rendu  avec  sa  race 
justement  maudite,  le  jouet  de  la  vanité,  aussi 
bien  que  le  théâtre  de  la  misère.  Un  docteur  ins- 
piré de  Dieu ,  et  qui  a  puisé  sa  science  dans  Yo- 
raison ,  en  réduit  tous  les  abus  à  trois  chefs.  Trois 
sortes  d'honames,  dit  saint  Bernard',  recher- 
chent la  science  désordonnément.  «■  Il  y  en  a  qui 
«  veulent  savoir,  mais  seulement  pour  savoir;  et 
«  c'est  une  mauvaise  curiosité  :  »  Quidam  scire 
volunt,  ut  sciant;  et  turpis  curiositas  est.  «  Il 
«  y  en  a  qui  veulent  savoir,  mais  qui  se  proposent 
«  pour  but  de  leurs  grandes  et  vastes  connais- 
«  sances ,  de  se  faire  connaître  eux-mêmes ,  et  de 
«  se  rendre  célèbres  ;  et  c'est  une  vanité  d'ange- 
«  reuse:  »  Quidam  scire  volunt,  utscianturipsi; 
et  turpis  vanitas  est.  «  Enfin  il  y  en  a  qui  veulent 
«  savoir,  mais  qui  ne  désirent  avoir  de  science 
-  que  pour  en  faire  trafic,  et  pour  amasser  des 
«  richesses:  et  c'est  une  honteuse  avarice  :  »  Qui- 
dam scire  volunt,  utscientiam  sûam  vendant; 
et  turpis  quœstus  est.  Il  y  eo  a  donc,  comme 
vous  voyez,  à  qui  la  science  ne  sert  que  d'un 
vain  spectacle;  d'autre  à  qui  elle  sert  pour  la 
montre  et  pour  l'appareil  ;  d'autres  à  qui  elle  ne 
sert  que  pour  le  trafic,  si  je  puis  parler  de  la 
sorte.  Tous  trois  corrompent  la  science,  tous 
trois  sont  corrompus  par  la  science.  La  science 
étant  regardée  en  ces  trois  manières,  qu'est-ce 
autre  chose,  mes  frères,  «  qu'une  très-mauvaise 
«  occupation  qui  travaille  les  enfants  des  hom- 
«  mes,  »  comme  parle  l'Ecclésiaste?  Pessimam 
hanc  occupationem  dédit  Deusjiliis  hominum, 
utoccuparenturtn  ea  '. 

'  lu  Cnnt.  Serm.  xxivi,  n"  3, 1 1,  col.  I40a 
■•  £ccles.i,  Vi. 


hIA  PANEGYRIQUE 

Curieux ,  qui  vous  repaissez  d'une  spéculation 
stérile  et  oisive,  saciiez  que  cette  vive  lumière, 
qui  vous  charme  dans  la  science ,  ne  lui  est  pas 
donnée  seulement  pour  réjouir  votre  vue,  mais 
pour  conduire  vos  pas ,  et  régler  vos  volontés. 
Esprits  vains ,  qui  faites  trophée  de  votre  doc- 
trine avec  tant  de  pompe ,  pour  attirer  des  louan- 
ges ,  sachez  que  ce  talent  glorieux  ne  vous  a  pas 
été  confié  pour  vous  faire  valoir  vous-mêmes, 
mais  pour  faire  triompher  la  vérité.  Ames  lâches 
et  intéressées,  qui  n'employez  la  science  que 
pour  gagner  les  biens  de  la  terre ,  méditez  sé- 
rieusement qu'un  trésor  si  divin  n'est  pas  fait 
pour  cet  indigne  trafic;  et  que  s'il  entre  dans  le 
commerce,  c'est  d'une  manière  plus  haute,  et 
pour  une  fin  plus  sublime ,  c'est-à-dire ,  pour  né- 
gocier le  salut  des  âmes.  C'est  ainsi  que  la  glo- 
rieuse sainte  Catherine ,  que  nous  honorons ,  a  usé 
de  ce  don  du  ciel.  Elle  a  contemplé  au  dedans  la 
lumière  de  la  science,  non  pour  contenter  son 
esprit,  mais  pour  diriger  ses  affections  :  elle  l'a 
répandue  au  dehors  au  milieu  des  philosophes 
et  des  grands  du  monde,  non  pour  établir  sa 
réputation ,  mais  pour  faire  triompher  l'Évangile  : 
enfin  elle  l'a  fait  profiter,  et  l'a  mise  dans  le  com- 
merce, non  pour  acquérir  des  biens  temporels, 
mais  pour  gagner  des  âmes  à  Jésus-Christ  :  c'est 
par  où  je  me  propose  de  vous  faire  entendre 
qu'elle  possède  la  science  des  saints  et  c'est  tout 
le  sujet  de  ce  discours. 

PREMIER    POINT. 

Je  ne  suis  pas  fort  surpris  que  les  sciences 
profanes  soient  considérées  comme  un  divertis- 
sement de  l'esprit  :  elles  ont  si  peu  de  solidité , 
que  l'on  peut,  sans  grande  injure,  n'en  faire 
qu'un  jeu.  Mais  que  l'on  regarde  Jésus-Christ 
comme  un  sujet  de  recherches  curieuses ,  et  que 
tant  d'hommes  se  persuadent  d'être  bien  savants 
dans  les  mystères  de  son  royaume,  quand  ils 
ont  trouvé  dtius  son  Évangile  de  quoi  exercer 
leur  esprit  par  des  questions  délicates,  ou  de 
quoi  l'amuser  par  des  méditations  agréables; 
c'est  ce  qui  ne  se  peut  souffrir  à  des  chrétiens. 
Parce  que  Jésus-Christ  est  une  lumière ,  ils  s'ima- 
ginent peut-être  qu'il  suffit  de  la  contempler  et 
de  se  réjouir  à  sa  vue  ;  mais  ils  devraient  penser 
au  contraire  que  cette  lumière  n'éclaire  que  ceux 
qui  la  suivent ,  et  non  simplement  ceux  qui  la 
regardent.  «  Qui  me  suit ,  nous  dit-il ,  et  non  qui 
«  me  voit ,  ne  marche  point  dans  les  ténèbres  :  » 
Qui  sequitur  me,  non  ambulat  in  tenehris^. 
Par  où  il  nous  fait  entendre  que  qui  le  voit  sans 
le  suivre ,  n'en  marche  pas  moins  dans  la  nuit 

'  Jonn.  vm,  >2. 


et  dans  les  ombres  de  la  mort.  Ainsi  «  celui  qui 
«  se  vante  de  le  connaître,  et  qui  ne  garde  pas 
«  ses  commandements,  est  un  menteur,  dit  saint 
«  Jean ,  et  la  vérité  n'est  pas  en  lui  :  »  Qv  dicit 
se  nosse  Deuni,  et  mandata  ejus  7ion  cmlodii^ 
mendaxest,  et  in  hoc  veritas  non  est^.  Pour- 
quoi ne  connaît-il  point  Jésus-Christ?  parce  qu'il 
ne  le  connaît  point  tel  qu'il  est  :  je  veux  dire 
qu'il  le  connaît  comme  la  vérité;  mais  il  ne  le 
connaît  pas  comme  la  voie:  et  Jésus-Christ, 
comme  vous  savez  ,  est  lun  et  l'autre.  «  Je  suis , 
dit-il ,  la  voie  et  la  vérité  Ego  sum  via  et  ve- 
ritas^ \  vérité  qui  doit  être  méditée  par  une  sé- 
rieuse contemplation  ;  mais  voie  où  il  faut  entrer 
par  de  pieuses  pratiques  ^. 

*  Cela  paraît  par  une  belle  distinction ,  que  nous  appre- 
nons de  l'Évangile.  11  y  a  le  temps  de  voir  :  alors  l'esprit 
sera  satisfait  dans  toutes  ses  curiosités  raisonnables.  «Nous 
«  verrons  face  à  face  :  »  Facle  adfaciem.  Maintenant  ce 
n'est  pas  le  temps ,  «  nous  ne  voyons  qu'en  énigme  :  » 
Spéculum  in  enigniate^.  Ainsi  il  ne  faut  pas  penser  en 
cette  vie  à  repaître  la  curiosité  et  le  désir  de  savoir  :  c'est 
pourquoi,  «  heureux  ceux  qui  ont  le  cœur  pur,  parce  qu'ils 
«  verront  Dieu  :  »  JBeati  mundo  corde,  quoniam  Deum 
videbunt^.  Videhunt,  ils  verront.  Alors  ce  sera  le  temps 
de  satisfaire  l'esprit  ;  maintenant  c'est  le  temps  de  purifier 
le  cœur.  Aussi  voyons-nous  que  le  Fils  de  Dieu  nous  a 
donné  des  lumières,  non  autant  qu'il  en  faut  pour  nous 
satisfaire ,  mais  autant  qu'il  en  faut  pour  nous  conduire. 
Qand  au  milieu  de  la  nuit  on  présente  une  lampe  à  un 
homme,  ce  n'est  pas  pour  réjouir  sa  vue  par  la  beauté  de 
la  lumière  :  le  jour  est  destiné  pour  cela.  Alors  on  voit  le 
soleil  qui  anime  toutes  les  couleurs ,  et  qui  réjouit  par  une 
lumière  vive  et  éclatante  toute  la  face  de  la  nature.  Celte 
petite  lumière  qu'on  vous  met  en  attendant  devant  les 
yeux,  n'est  destinée  que  pour  vous  conduire.  Ainsi  en  a-t-on 
fait  aux  hommes;  et  ce  n'est  pas  moi  qui  le  dis,  c'est  l'É- 
criture elle-même  qui  compare  la  saine  doctrine  «  à  une 
«  lampe  alluméependant  la  nuit:  »  Quasi  lucernœ  lucenli 
in  caliginoso  loco^.  Voici  le  temps  de  l'obscurité  :  ténè- 
bres de  toutes  parts.  Cependant ,  de  peur  que  nous  ne  nous 
heurtions,  «  Dieu  allume  devant  nos  yeux  un  petit  lumi- 
«  naire  :  »  Luminare  minus,  ut prœcsset  nocti^.  II  y  a 
le  grand  luminaire  qui  préside  au  jour  :  c'est  la  lumière 
de  gloire  que  nous  verrons.  11  en  faut  maintenant  un  moin- 
dre pour  présider  à  la  nuit;  c'est  la  doctrine  de  l'Evangile 
au  milieu  des  ténèbres  qui  nous  environnent.  «  Un  petit 
«  rayon  de  clarté  nous  trace  un  sentier  étroit  par  où  nous 
«  pouvons  marcher  sûrement ,  jusqu'à  ce  que  le  jour  ar- 
«  rive,  et  que  le  soleil  se  lève  en  nos  cœurs  :  »  Lucerna 
in  caliginoso  loco,  donec  dies  illucescat,  et  luci/er 
oriatur  in  cordibus  nostris.  Ne  vous  arrêtez  pas  à  cette 
lumière,  seulement  pour  la  contempler.  Si  vous  voulc» 
jouir  pleinement  du  spectacle  de  la  lumière,  attendez  le 
jour;  cependant  marcliez  et  avancez  à  la  faveur  de  cette 
lumière ,  qui  vous  est  donnée  pour  vous  conduire  :  Inspice 
et  fac  secundum  exemplar  quod  iibi  in  monte  mon- 
sttatuin  est  T.  Le  flambeau  allumé  devant  vous,  a  de  la 

•  I.  Joan.  II,  4. 

2  Ibid.  xiv  ,  6. 

3  I.  Coi:  XMI,  12. 
<  Mott.  V ,  8. 
s  II.  Peir.  I,  19. 
"  Celles.  I,  IC. 
■  Exod.  XXV,  40. 


DE  SAINTE  CATHERINE. 


C'est  donc  une  maxime  infaillible,  que  lascicnce 
du  christianisme  tend  à  la  pratique  et  l'action ,  et 
quelle  n'illumine  que  pour  échauffer  la  connais- 
sance ,  que  pour  exciter  les  affections.  Mais  nous 
l'entendrons  beaucoup  mieux ,  si  nous  réduisons 
les  choses  au  premier  principe  et  à  la  source  de 
cette  science.  Cette  source,  ce  premier  principe 
de  la  science  des  saints,  c'est  la  foi ,  de  laquelle 
il  nous  importe  aujourd'hui  de  bien  entendre  la 
nature ,  afin  de  connaître  aussi  son  usage ,  et  ce- 
lui de  toutes  les  connaissances  qui  en  dépendent. 

Pour  cela  nous  remarquerons  que  toute  la  vie 
chrétienne  nous  étant  représentée  dans  les  Ecri- 
tures comme  un  édifice  spirituel ,  ces  mêmes 
Écritures  nous  disent  aussi  que  la  foi  en  est  le 
fondement.  Saint  Pierre  ne  paraît  dans  l'Evan- 
çile  comme  le  fondement  de  l'Église,  qu'à  cause 
(f u'en  reconnaissant  Jésus-Christ ,  il  a  posé  la 
première  pierre ,  et  établi  le  fondement  de  la  foi. 
I /apôtre  enseigne  aux  Colossiens,  que  «  nous 
■'  sommes  fondés  sur  la  foi,  et  que  c'est  la  fermeté 
«  de  ce  fondement  qui  nous  rend  immobiles  et 

•  inébranlables  dans  lespérance  de  l'Évangile  ;  » 
/nfidefunilati,  et  stabileSy  et  immobiles  a  spe 
Evangclii\  Et  ensuite  le  même  saint  Paul  défi- 
nit la  foi ,  «  lappui  et  le  fondement  des  choses 

•  qu'il  faut  espérer*.  »  C'est  pourquoi  le  saint 
concile  de  Trente ,  suivant  les  traces  de  cette  doc- 
trine, nous  décrit  aussi  la  foi  en  ces  termes  :  Hu- 
manœ  salutis  initium ,  fundamentum  et  radix 
totius  justijîcationis^  :  «  Le  commencement  du 

lumière;  mais  il  a  encore  plus  d'ardeur.  Jésas-Chrisl  dit 
Af  saint  Jean ,  qui  a  commencé  à  faire  briller  la  lumière  de 
l'Évangile  et  la  science  du  salut,  ^  ces  paroles  importantes  : 
Jlle  erat  lucerna  ardens  et  lucens;  et  voluistis  ad  ho- 
ram  exultare  in  luce  ejus  ^.  Voilà  nos  curieux  qui  veu- 
lent se  réjouir  à  la  lumière.  Pourquoi  divisent-ils  le  flam- 
beau ,  en  admirant  son  éclat,  et  méprisant  son  ardeur?  il 
fallait  joindre  l'un  à  l'autre ,  et  se  laisser  plutôt  embraser  : 
car  encore  que  ce  flambeau  ait  de  la  lumière ,  il  a  beau- 
coup plus  d'ardeur.  La  lumière  est  comme  cachée ,  Tfic- 
sfitiri  scientiœ  absconditi  ^;  l'ardeur  de  la  charité  s'y 
découvre  de  toutes  parts  :  Apparuit  hiimanifas  et  be- 
nignifas^.  Jésus-Christ  nous  montre  quelque  étincelle  de 
la  lumière  de  vérité  à  travers  des  nuages  et  des  paraboles  : 
il  n'y  a  que  la  charité  qui  est  étalée  à  découvert.  Pour  la 
\>ren»ière  quelques  paroles  ;  pour  la  seconde  tout  son  sang. 
Pouripioi,  sinon  pour  nous  faire  entendre  qu'il  veut  luire, 
mais  qu'il  veut  encore  plus  échauffer  et  embraser  les  cœurs 
par  son  saint  amour  ? 

Bossnet  a  supprimé  ce  morceau,  en  revoyant  son  discours. 
HoQs  l'avons  laissé  en  note,  parce  qu'il  v  renvoie  dans  le  Pa- 
nc'gyrique  de  saint  François  de  Sales ,  comme  on  l'a  remarqué 
ci-dessus  {Edil.  de  fcrsailles.) 

»  Col.  1 ,  23. 
»  Heb.xi,  I. 

*  Sess.  VI ,  cap.  s 

*  Luc.  1 ,  77. 

*  Joan.  y,  3.1. 

*  Col.n,3. 
'  Tit.iw.i. 


"  salut  de  l'homme ,  la  racine  et  le  fondement  de 
"  toute  la  justice  chrétienne.  » 

Celte  qualité  de  fondement  ;  attribuée  à  la  foi 
par  le  Saint-Esprit ,  met ,  ce  me  semble ,  dans  un 
grand  jour  la  vérité  que  j'annonce  ;  et  il  est  main- 
tenant bien  aisé  d'entendre  que  la  foi  n'est  pas 
destinée  pour  attirer  des  regards  curieux ,  mais 
pour  fonder  une  conduite  constante  et  réglée.  Car 
I  qui  ne  sait,  chrétiens,  qu'on  ne  cherche  pas  la 
j  curiosité  dans  le  fondement  que  l'on  cache  en 
I  terre,  mais  la  solidité  et  la  consistance?  Ainsi  la 
I  foi  chrétienne  n'est  pas  un  spectacle  pour  les  }'eux , 
,  mais  un  appui  pour  les  mœurs.  Ce  fondement  est 
i  mis  dans  l'obscurité  ;  mais  ce  fondement  est  éta- 
;  bli  avec  certitude.  Telle  est  la  nature  de  la  foi, 
laquelle,  comme  vous  voyez ,  ne  pouvant  avoir 
l'évidence  qui  satisfait  la  curiosité,  mais  seule- 
■  ment  la  fermeté  et  la  certitude  capable  de  soute- 
nir  la  conduite,  il  est  aisé  de  comprendre  qu'elle 
déploie  toute  sa  vertu  à  nous  appliquer  à  l'action 
I  et  non  à  nous  arrêter  à  la  connaissance. 
;      Sainte  Catherine ,  messieurs ,  surmontant  par 
,  la  grandeur  de  son  génie  la  faiblesse  ordinaire  de 
;  son  sexe,  avait  appris,  dès  sa  tendre  enfance,  tou  - 
I  tes  les  sciences  curieuses  qui  peuvent  ou  égayer 
I  ou  polir,  ou  enfin  illuminer  un  esprit  bien  fait. 
\  Mais  le  maître,  qui  l'enseignait  au  dedans,  avait 
i  rempli  son  esprit  de  connaissances  bien  plus  pé- 
!  nétrantes  :  Aussi  le  chaste  amour  qu'elle  avait 
pour  elles  l'avait  tellement  touchée ,  que  mépri- 
sant tout  le  reste,  elle  rappelait  de  toutes  parts 
ses  autres  pensées  pour  les  réduire  à  la  foi ,  pour 
les  appuyer  sur  ce  fondement ,  pour  ensuite  les 
appliquer  de  toute  sa  force  aux  saintes  et  bien- 
heureuses pratiques  de  la  piété  chrétienne. 

Si  je  ne  me  trompe ,  messieurs ,  souvent  elle 
méditait  le  raisonnement,  et  je  ne  me  trompe  pas  ; 
car  quiconque  est  rempli  de  l'esprit  de  Dieu ,  s'il 
ne  le  fait  pas  dans  la  même  forme  que  j'ai  des- 
sein de  le  proposer,  il  ne  laisse  pas  toutefois  d'être 
persuadé  de  son  efficace.  Voici  donc  le  raisonne- 
ment de  la  sainte  que  nous  honorons,  ou  plutôt 
le  raisonnement  du  vrai  chrétien ,  que  chacun  de 
nous  doit  faire  en  soi-même  :  J'ai  cru  à  la  parole 
du  Fils  de  Dieu  ;  j'ai  reçu  la  doctrine  de  son  Évan- 
i  gile;  j'ai  posé  par  ce  moyen  un  bon  fondement, 
assuré  et  inébranlable ,  contre  lequel  les  portes 
de  l'enfer  ne  prévaudront  pas  :  c'est  le  fonde- 
ment de  la  foi,  capable  de  soutenir  immuablement 
laconduit«de  la  vie  présente,  et  l'espérance  de 
la  vie  future.  Mais  qui  dit  fondement ,  dit  le  com- 
mencement de  quelque  édifice  ;  et  qui  dit  fon- 
dement, dit  le  soutien  de  quelque  chose.  Que  sï 
la  foi  n'est  encore  qu'un  commencement ,  il  faut 
donc  achever  l'ouvrage  ;  et  si  la  foi  doit  être  un 
soutien ,  c'est  une  nécessité  de  bâtir  dessus.  Ko* 


S28 

tre  sainte  voit  si  clairement  dans  une  lumière  cé- 
leste cette  conséquence  importante ,  qu'elle  n'a 
point  de  repos  jusqu'à  ce  qu'elle  aitbâti  surlafoi, 
et  réduit  sa  connaissance  en  pratique.  Mais  un 
commencement  aussi  beau  qu'est  celui  de  la  foi 
en  Notre-Seigneur,  demande  pour  y  répondre , 
un  bâtiment  magnifique;  et  un  soutien  aussi 
ferme,  aussi  solide,  attend  quelque  structure 
hardie,  et  quelque  miracle  d'architecture,  si  je 
puis  parler  de  la  sorte.  Remplie  de  cette  pensée , 
elle  ne  médite  plus  rien  qui  soit  ordinaire;  elle 
n'a  plus  dans  l'esprit  que  des  choses  qui  surpas- 
sent toute  la  nature;  le  martyre,  la  virginité  : 
celui-là  capable  de  nous  faire  vaincre  toute  la  fu- 
reur des  démons ,  de  nous  élever  au-dessus  de  la 
violence  des  hommes;  celle-ci  donnée  pour  nous 
égaler  à  la  pureté  des  esprits  célestes. 

Et  plût  à  Dieu ,  chrétiens ,  que  nous  eussions 
aujourdhui  compris,  à  l'exemple  de  cette  sainte , 
que  quelque  grande  que  soit  la  foi ,  quelque  lumi- 
neuse que  soit  la  science  qui  est  appuyée  sur  ces 
principes,  tout  cela  n'est  encore  qu'un  commen- 
cement de  l'œuvre  qui  se  prépare  !  Peut-être  que 
nous  rougirions  de  nous  arrêter  dès  le  premier 
pas ,  et  que  nous  craindrions  de  nous  attirer  ce 
reproche  de  l'Évangile  :  Hic  homo  cœpit  œdiji- 
care^  ;  voilà  cet  homme  inconsidéré,  ce  fou,  cet 
insensé,  qui  fait  un  grand  amas  de  matériaux, 
et  qui  ayant  posé  tous  les  fondements  d'un  édi- 
fice superbe  et  royal ,  tout  d'un  coup  a  quitté 
l'ouvrage ,  et  laissé  tous  ses  desseins  imparfaits. 
Quelle  légèreté ,  ou  quelle  imprudence  ! 

Mais  pensons  à  nous ,  chrétiens  :  c'est  nous- 
mêmes  qui  sommes  cet  homme  insensé.  Nous 
avons  commencé  un  grand  bâtiment,  nous  avons 
déjà  établi  la  foi  qui  en  est  le  fondement  immua- 
ble, qui  rend  présentes  les  choses  qu'on  espère  : 
Sperandaruni  substantia  rerum,  dit  l'apôtre». 
Pour  poser  ce  fondement  de  la  foi,  quel  effort a- 
t-il  fallu  faire?  Le  fonds  destiné  pour  le  bâtiment 
était  plus  mouvant  que  le  sable  :  car  est- il  rien  de 
moins  fixe  que  l'esprit  humain ,  toujours  variable 
en  ses  pensées,  vague  en  ses  désirs,  chancelant 
dans  ses  résolutions?  Il  a  fallu  l'affermir  :  que  de 
miracles,  que  de  souffrances,  que  de  prophéties, 
que  d'enseignements ,  que  d'inspirations,  que  de 
grâces  ont  été  nécessaires  pour  servir  d'appui  !  Il 
y  avait  d'un  côté  des  hauteurs  superbes  qui  s'é- 
levaient contre  Dieu ,  l'opiniâtreté  et  la  présomp- 
tion; il  a  fallu  les  abattre  et  les  aplanir  :  de  l'autre, 
des  précipices  affreux,  l'erreur,  l'ignorance,  f ir- 
résolution qui  menaçait  de  ruine;  il  a  fallu  les 
combler.  Enfin ,  que  n'a-t-il  pas  fallu  entrepren- 


t   Luc.  \\\' .  30. 
»  liebr.  XI,  1 


PANÉGYRIQUE 


drp ,  pour  poser  ce  fondement  de  la  foi  ?  Et  aprèa 
dé  si  grands  efforts  et  tant  de  préparatifs  extra- 
ordinaires, on  abandonne  toute  l'entreprise,  et 
on  met  des  fondements  sur  lesquels  on  ne  bâtit 
rien  :  peut  on  voir  une  pareille  folie?  Insensés, 
ne  voyons-nous  pas  que  ce  fondement  attend  l'é- 
difice, que  ce  commencement  de  la  foi  demande 
sa  perfection  par  la  bonne  vie,  et  que  ces  murail- 
les à  demi  élevées,  qui  se  ruinent  parce  qu'on  né- 
glige de  les  achever,  rendent  hautement  témoi- 
gnage contre  notre  folle  et  téméraire  conduite? 
Hic  homo  cœpit  œdificare,  et  non  potuit  consuni" 
in  are. 

Mais  poussons  encore  plus  loin,  et  par  le  môme 
principe,  disons,  insistons  toujours  :  Quelles 
choses  devons-nous  bâtir  sur  ce  fondement  de  la 
foi?  Quelles  autres  choses?  Messieurs,  il  est  bien 
aisé  de  l'entendre  :  des  choses  proportionnées  au 
fondement  même ,  des  œuvres  dignes  de  la  foi 
que  nous  professons.  Car  un  architecte  avisé,  qui 
conduit  son  entreprise  avec  art,  proportionne  de 
telle  sorte  le  fondement  avec  l'édifice,  qu'on  me- 
sure et  qu'on  découvre  déjà  l'étendue ,  l'ordre , 
les  hauteurs  de  tout  le  palais,  en  voyant  la  pro- 
fondeur, les  alignements ,  la  solidité  des  fonda- 
tions. Ne  doutez  pas  qu'il  n'en  soit  de  même, 
messieurs,  de  l'édifice  dont  nous  parlons,  qui  est 
la  vie  chi'étienne  et  spirituelle.  Que  cet  édifice  est 
bien  entendu  !  Que  l'architecte  est  habile,  qui  en 
a  posé  le  fondement  !  Mais  de  peur  que  vous  en 
doutiez ,  écoutez  lapôtre  saint  Paul  :  «  J'ai  dit- 
«  il,  établi  le  fondement,  ainsi  qu'un  sage  archi- 
«  tecte  :  »  Ut  sapiens  architectus  fundamentum 
posui^.  Mais  peut-être  s'est-il  trompé.  A  Dieu  ne 
plaise,  messieurs!  car  il  n'agit  pas ,  dit-il,  de 
lui-même  :  «  il  agit  selon  la  grâce  qui  lui  est  don- 
«  née  ;  »  il  bâtit  suivant  les  lumières  qu'il  a  reçues  : 
Secundum  gratiam  quœ  data  est  miki.  Il  a  donc 
gardé  toutes  les  mesures;  et  il  ne  pouvait  se 
tromper,  parce  qu'il  ne  faisait  que  suivre  le  plan 
qui  lui  avait  été  envoyé  d'en  haut.  Secundum 
gratiam  quœ  data  est  mihi.  Que  s'il  a  conduit 
toute  l'entreprise  suivant  les  instructions  et  les 
règles  d'une  architecture  céleste ,  qui  doute  qu'il 
n'ait  gardé  toutes  les  mesures;  et  ainsi  que  le  bâ- 
timent et  l'ordre  de  l'édifice  ne  doivent  répondre 
au  fondement  qu'a  posé  ce  sage  entrepreneur? 

C'est  pour  cela ,  chrétiens ,  qu'il  n'y  a  rien  de 
plus  grand ,  ni  de  plus  magnifique  que  cet  édi- 
fice ,  parce  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  précieux,  ni 
de  plus  solide  que  ce  fondement.  Car  dites-nous, 
ô  grand  Paul,  quel  fondement  avez-vous  posé? 
N'entendez- vous  pas  sa  réponse?  «  On  ne  peui 
«  point,  dit-il,  poser  d'autre  fondement,  sicon 

'  I.  Cor.   m,  I(). 


DE  S  AIME  CATHERINE. 


52d 


•  celui  que  j'ai  mis,  qui  est  Jésus-Christ?  '■  Fun- 
damentum  aliud  nemo  potcst  ponere  prœtcr  id 
quod positumest,  quod est  Christus  Jésus'.  0 
le  merveilleux  fondement.,  qui  est  établi  en 
nous  par  la  foil  et  que  saint  Paul  a  raison  de 
nous  avertir  de  prendre  garde  avec  soin  à  ce  que 
nous  aurons  à  bâtir  dessus  !  Unusquisque  vident 
quomodo  superœdijicel^.  Certainement,  chré- 
tiens ,  sur  on  fondement  si  divin  ,  il  ne  faut  rien 
élever  qui  ne  soit  auguste  :  si  bien  que  toute  la 
science  des  saints  consiste  à  cpnnaftre  ce  fon- 
dement ,  et  toute  la  pratique  de  la  sainteté  à  sa- 
voir ériger  dessus  deschoses  qui  lui  conviennent, 
des  œuvres  qui  sentent  son  esprit,  des  mœurs  ti- 
rées sur  ses  exemples,  rrae  vie  toute  formée  sur 
ses  préceptes ,  sur  sa  doctrine. 

Ainsi  sainte  Catherine  ayant  établi  ce  fonde- 
ment, plus  elle  en  connaissait  la  dignité  par  la 
science  des  saints ,  plus  elle  s'étudiait  à  bâtir  des- 
sus un  édifice  proportionné  ;  et  il  est  aisé  de  i'en- 
tendre.  Un  Dieu  s'est  humilié  et  anéanti;  voilà, 
messieurs,  le  fondement.  Qu'est-ce  que  notre 
sainte  a  bâti  dessus?  Un  mépris  de  son  rang  et 
de  sa  noblesse ,  pour  se  couvrir  tout  entière  des 
opprobres  de  JésBis-€hrist ,  et  de  la  glorieuse  in- 
famie de  son  Évangile.  Un  Dieu  est  né  d'une 
vierge  :  voilà  le  fondement  du  christianisme  ;  et 
Catherine  érige  dessus,  quoi?  l'amour  immortel 
et  incorruptible  de  la  pureté  virginale.  Un  Dieu 
a  comparu ,  dit  le  saint  apôtre  ^ ,  devant  le  tribu- 
nal de  Ponce-PHate ,  poar  y  rendre  un  témoi- 
gnage fidèle  :  voilà  le  fondement  de  la  foi,  et  je 
vois  sainte  Catherine,  qui ,  pour  bâtir  sur  ce  fon- 
dement, marche  au  trône  des  empereurs,  pour 
y  rendre  un  témoignage  semblable ,  et  y  soutient 
invinciblement  la  vérité  de  l'Évangile.  Si  Jésus 
est  étendu  sur  la  croix,  Catherine  se  présente 
aussi  pour  être  étendue  sur  une  roue  :  si  Jésus 
donne  tout  son  sang,  Catherine  lui  rend  tout  le 
sien  :  et  enfin ,  en  toute  manière,  il  n'y  a  rien  de 
plus  convenable  que  ce  fondement  et  cet  édifice. 

Chrétiens,  il  est  véritable  :  le  même  fondement 
est  posé  en  nous  par  la  grâce  du  saint  baptême , 
et  par  la  profession  du  christianisme.  Mais  que 
l'édifice  est  différent ,  que  le  reste  de  la  structure 
est  dissemblable  !  Est-ce  vous ,  ô  divin  Jésus , 
qui  êtes  le  fondement  de  notre  foi?  Pourquoi 
donc  ce  mélange  indigne  de  nos  désirs  criminels 
vec  ce  divin  fondement  ?  0  foi  et  science  des 

retiens!  ô  vie  et  pratique  des  chrétiens!  Est-il 
rien  de  plus  opposé ,  ni  de  plus  discordant  que 
vous  êtes?  Voyez  la  bizarrerie.  Un  fondement 
d'or  et  de  pierres  précieuses  :  un  bâtiment  de 


I 


'  I.  Cor.  ui,  II. 

'  Ihid.  10. 

»  I.  7"i»w.  n,  13. 

■OSSIET    —  TOME  lU. 


bois  et  de  paille.  Je  parle  avec  l'apôtre  ' ,  qui  non» 
représente  par  là  les  péchés ,  matière  vraiment 
combustible,  et  propre  à  exciter  et  entretenir  le 
feu  de  la  vengeance  divine.  0  foi ,  que  vous  êtes 
pure!  ô  vie,  que  vous  êtes  corrompue!  Quels 
yeux  ne  seraient  pas  choqués  dune  si  haute  iné- 
galité ,  si  on  la  regardait  avec  attention?  et  faut-il 
autre  chose  que  la  sainteté  de  ce  fondement, 
pour  convaincre  l'extravagance  criminelle  de 
ceux  qui  ont  élevé  cet  édifice  ? 

Éveillons-nous  donc ,  chrétiens  ;  et  que  ce  mé- 
lange prodigieux  de  Jésus-Christ  et  du  monde, 
commençant  à  offenser  notre  vue ,  nous  presse  a 
nous  accorder  avec  nos  propres  connaissances. 
C£u-  comment  nous  pouvons-nous  supporter  nous- 
mêmes,  en  croyant  de  si  grands  mystères,  et  les 
déshonorant  tout  ensemble  par  un  mépris  si  ou- 
trageux?  «  Ne  porterons -nous  donc  le  nom  de 
it  chrétiens , que  pour  déshonorer  Jésus-Christ?  ' 
Dicuniiir  christiani  ad  conlumeliam  Christi  '. 
Quelle  crainte  vous  peut  empêcher  de  bâtir  sur 
ces  fondements?  Ce  qu'on  vous  prêche  est  grand, 
je  le  sais  :  se  haïr  soi-même,  dompter  ses  pas- 
sions ,  se  contraindre ,  se  mortifier,  vaincre  ses 
plaisirs,  naépriser  non-seulement  ses  biens ,  mais 
sa  vie  ,  pour  la  gloire  de  Jésus-Christ  ;  j'avoue 
que  l'entreprise  est  hardie  :  mais  voyez  aussi , 
chrétiens ,  combien  ce  fondement  est  inébranla» 
ble.  Quoi!  vous  n'appuyez  dessus  qu'en  trem- 
blant, comme  s'il  était  douteux  et  mal  affermi  : 
vous  marchez  dessus  d'un  pas  incertain ,  vous 
n'osez  y  mettre  qu'un  pied ,  et  tenez  l'autre  posé 
sur  la  terre,  comme  si  elle  était  plus  ferme!  Et 
pourquoi  chancelez-vous  si  longtemps  entre  ié- 
sus-Christ  et  le  monde?  Que  vous  sert  de  connaî- 
tre les  vérités  saintes,  si  vous  n'allez  point  après 
la  lumière  qu'elles  allument  devant  vos  yeux? 

0  Jésus ,  ô  di\in  Jésus ,  nous  allons  changer 
aujourd'hui  par  votre  grâce  une  conduite  si  dé- 
réglée ;  nous  ne  voulons  plus  de  lumières  que 
pour  les  réduire  en  pratique.  Nous  ne  désirons 
de  croître  en  science,  que  pour  nous  affermir 
dans  la  piété  :  nous  ferons  céder  au  désir  de  faire, 
la  curiosité  de  connaître  ;  et  nous  fortifierons  no- 
tre volonté  par  la  modération  de  notre  esprit. 
Ainsi  ayant  appris  saintement  à  profiter  au  de- 
dans de  notre  science ,  nous  pourrons  la  produire 
ensuite  dans  le  même  esprit  que  notre  sainte , 
pour  glorifier  la  vérité  par  un  témoignage  fidèle  : 
c'est  ma  seconde  partie. 

SECOND    POINT. 

La  vérité  est  un  bien  commun  :  quiconque  la 
possède,  la  doit  à  ses  frères,  selon  les  occasions 

'  I.  Cor.  m,  12. 

'  Salv.  de  Cub.  Dti,  lib.  Tm,  n*  2. 


530 


PANÉGYRIQUE 


que  Dieu  lui  présente  :  et  «  quiconque  se  veut 
'  rendre  propre  ce  bien  public  de  la  nature  rai- 
«  sonnable ,  mérite  bien  de  le  perdre ,  et  d'être 
"  réduit,  dit  saint  Augustin,  à  ce  qui  est  véritable- 
•<  ment  le  propre  de  l'esprit  de  l'homme ,  c'est- 
«  à-dire,  le  mensonge  et  l'erreur  :  »  Quisquis 
suum  vuitesse  guod  omnium  est,  a  communi 
propellitur  ad  sua,  idest,  a  veritaie  ad  men- 
âacium  \ 

Par  ce  principe ,  messieurs ,  celui  que  Dieu  a 
honoré  du  don  de  science  est  obligé  d'éclairer  les 
autres.  Mais  comme  en  faisant  connaître  la  vé- 
rité ,  il  se  fait  paraître  lui-même ,  et  que  ceux  qui 
sont  instruits  par  son  entremise ,  lui  rendent  or- 
dinairement des  louanges ,  comme  une  juste  re- 
connaissance d'un  si  grand  bienfait;  il  est  à 
craindre  qu'il  ne  se  corrompe  par  les  marques  de 
la  faveur  publique ,  et  qu  il  ne  perde  sa  récom- 
pense par  un  désir  empressé  de  la  recevoir. 

Que  si  les  têtes  les  plus  fortes  sont  souvent 
émues  d'un  encens  si  délicat  et  si  pénétrant,  com- 
bien plus  celle  d'une  jeune  fille,  en  qui  l'opi- 
nion de  science  est  d'autant  plus  applaudie, 
qu'elle  est  plus  extraordinaire  en  son  sexe?  C'est 
ici  le  miracle  de  la  main  de  Dieu  dans  la  sainte 
que  nous  honorons  ;  et  quoique  ce  soit  un  grand 
prodige  de  voir  Catherine  savante ,  c'est  encore 
quelque  chose  de  plus  surprenant  de  voir  Cathe- 
rine modeste ,  et  ne  se  servir  de  cette  science  que 
pour  faire  régner  Jésus-Christ. 

Les  dames  modestes  et  chrétiennes  voudront 
l)ien  entendre  en  ce  lieu  les  vérités  de  leur  sexe. 
I^ur  plus  grand  malheur,  chrétiens,  c'est  qu'or- 
dinairement le  désir  de  plaire  est  leur  passion  do- 
minante ;  et  comme  pour  le  malheur  des  hommes 
elles  n'y  réussissent  que  trop  facilement ,  il  ne 
faut  pas  s'étonner  si  leur  vanité  est  souvent  ex- 
trême ,  étant  nourrie  et  fortifiée  par  une  complai- 
sance presque  universelle.  Qui  ne  voit  avec  quelle 
pompe  elles  étalent  cette  beauté  qui  ne  fait  que 
colorer  la  superficie?  Que  si  elles  se  sentent  dans 
l'esprit  quelques  avantages  plus  considérables, 
combien  les  voit-on  empressées  à  les  faire  éclater 
dans  leurs  entretiens?  et  quel  paraît  leur  triom- 
phe, lorsqu'elles  s'imaginent  charmer  tout  le 
monde  ?  C'est  la  raison  principale  pour  laquelle , 
si  je  ne  me  trompe ,  on  les  exclut  des  sciences; 
parce  que  quand  elles  pourraient  les  acquérir, 
elles  auraient  trop  de  peine  à  les  porter  :  de  sorte 
que  si  on  leur  défend  cette  application ,  ce  n'est 
pas  tant ,  à  mon  avis,  dans  la  crainte  d'engager 
leur  esprit  à  une  entreprise  trop  haute ,  que  dans 
celle  d'exposer  leur  humilité  à  une  épreuve  trop 
dangereuse. 

»  Conjess.  lib.  xn ,  cap.  XXT;  1. 1 ,  col.  n\ 


Pour  guérir  en  elles  cette  maladie,  rÉgli.se 
leur  propose  sainte  Catherine  au  milieu  d'une  as- 
semblée de  philosophes,  également  victorieus« 
de  leurs  flatteries  et  de  leurs  vaines  subtilités,  et 
se  démêlant  d'une  même  force  des  pièges  qu'ils 
tendent  à  son  esprit ,  et  des  embûches  qu'ils  dres- 
sent à  sa  modestie  :  A  laqueo  linguœ  iniquœ, 
et  a  labiis  operantium  mendacium  •.  C'est 
qu'elle  sait,  chrétiens,  que  ce  beau  talent  de 
science  ne  lui  a  pas  été  confié  pour  en  tirer  avan- 
tage ,  et  lors  même  que  Dieu  nous  le  donne ,  qu'il 
n'est  pas  à  nous,  pour  deux  raisons.  Première- 
ment il  n'est  pas  à  nous,  non  plus  que  les  autres 
dons  de  la  grâèe,  parce  qu'il  nous  est  élargi  d'en 
haut.  Mais  outre  cette  raison  générale,  qui  est 
que  ce  don  ne  vient  pas  en  nous  de  nous-mêmes, 
il  a  ceci  de  particulier,  qu'il  ne  nous  est  pas 
donné  pour  nous-mêmes.  Car  la  théologie  n'ignore 
pas  et  je  le  dirai  en  passant,  que  la  science  n'est 
pas  de  ces  grâces  qui  nous  rendent  plus  agréables 
à  la  divine  majesté  ;  mais  de  cette  autre  espèce 
de  gr(ke  qui  sont  communiquées  pour  le  bien 
des  autres,  tel  qu'est,  comme  chacun  sait,  le 
don  des  miracles.  Comme  donc  nous  ne  sommes 
pas  plus  saints  ni  plus  justes  pour  être  éclairés 
par  la  science ,  je  ne  crains  point  de  vous  dire 
que  ce  n'est  pas  un  avantage  particulier  :  car  c'est 
une  espèce  de  trésor  public,  auquel  ceux  qui  le 
possèdent  peuvent  bien  prendre  leur  part  pour 
leur  instruction,  comme  les  autres  enfants  de 
l'Église  ;  mais  dont  ils  ne  peuvent  se  donner  la 
gloire,  non  plus  que  s'attribuer  la  propriété, 
sans  une  espèce  de  vol  sacrilège.  Car  si  l'on  nous 
défend  de  nous  glorifier  de  ce  qui  nous  est  donné 
pour  nous-mêmes,  combien  moins  le  devons-nous 
faire  de  ce  qui  nous  est  donn^  pour  les  autres , 
pour  toute  l'Église  1 

Ainsi  la  science  chrétienne  ne  se  doit  jamais 
produire  au  dehors ,  pour  se  faire  admirer  elle- 
même.  Elle  a  un  plus  digne  office ,  dont  elle  se 
doit  tenir  assez  glorieuse ,  c'est  de  faire  paraître 
Jésus-Christ  ;  et  la  raison  en  est  évidente.  Quand 
on  présente  au  miroir  quelque  beau  visage ,  di- 
tes-le-moi ,  chrétiens ,  n'est-ce  pas  pour  faire  pa- 
raître ,  non  la  glace ,  mais  le  visage?  et  tout  l'hon- 
neur du  miroir ,  si  je  puis  parler  de  la  sorte ,  n'est 
que  dans  une  fidèle  représentation.  La  science 
du  christianisme ,  qu'est-ce  autre  chose  qu'un  mi- 
roir fidèle  et  céleste ,  dans  lequel  Jésus-Christ  se 
représente?  Quand  Jésus-Christ  donne  à  ses  fi- 
dèles la  science  de  ses  vérités ,  que  fait-il  autre 
chose  en  eux ,  sinon  de  poser  dans  leur  esprit  un 
miroir  céleste  de  ses  propres  perfections?  ÎNe 
vous  persuadez  pas ,  ô  vous  qui  êtes  ornés  de  cette 
science ,  que  vous  deviez  la  faire  paraître  avec 

>  Eccli.  1.1 ,  3. 


DE  SAINTE  catherinf:. 


531 


wm ,  maïs  seulement  Jésus -Christ,  dont  elle 
montre  au  naturel  les  perfections.  C'est  pourquoi, 
dit  le  saint  apôtre,  irons  ne  nous  prêchons  pas 
nous-mêmes,  mais  Jésus- Christ  Notre-Seigneur  : 
nous  ne  montrons  le  miroir,  que  pour  faire  voir 
le  visage;  nous  ne  produisons  la  science,  que 
pour  faire  connaître  Jésus-Christ.  Il  est  vrai  qu'il 
a  plu  à  Dieu  de  répandre  sur  nous  ses  lumiè- 
res :  n  le  même  Dieu  qui  a  commandé  que  la  Ui- 
-  mière  sortît  des  ténèbres,  a  fait  luire  sa  clarté 
«  dans  nos  cœurs  :  »  Qui  dixit  de  tenebris  lu- 
men splendescere  y  ipse  illuxitin  cprdibus  no- 
stris  \  Mais  ce  n'est  pas  pour  nous  donner  un 
vain  éclat ,  à  nous  qui  n'étions  que  ténèbres  ;  c'est 
qu'il  a  voulu  imprimer  dans  la  science  qu'il  nous 
a  donnée,  comme  dans  une  glace  unie,  l'image 
de  son  Fils  notre  Sauveur,  afin  que  tout  le  monde 
adnùrât  sa  face,  et  fût  ravi  de  ses  beautés  immor- 
telles :  Tpse  illuxit  in  cordibus  nestris,  ad  illu- 
minationem  scientiœ  claritatis  Dei  in  fade 
Chrigti  Je  su. 

Catherine,  voyant  reluire  en  son  âme  l'image 
de  la  vérité  dans  celle  de  Jésus-Christ,  la  trouve 
si  belle  et  si  accomplie,  qu'elle  veut  l'exposer 
dans  le  plus  grand  jour  :  elle  n'emploie  sa  science 
que  pour  faire  connaître  la  vérité;  mais  afin 
qu'elle  paraisse  comme  triomphante,  elle  met  à 
ses  pieds  la  philosophie ,  qui  est  son  ennemie  ca- 
pitale. Pour  confondre  la  philosophie ,  elle  s'était 
instruite  de  tous  ses  détours  ;  et  afin  d'assurer  le 
triomphe  de  la  vérité  sur  cette  rivale ,  elle  fait 
deux  choses  admirables;  elle  la  désarme  et  la  dé- 
pouille. Elle  la  désarme,  comment?  Elle  détruit 
les  erreurs  qu'elle  a  établies;  c'est  ainsi  qu'elle 
la  désarme.  Elle  la  dépouille ,  en  quelle  manière? 
Elle  lui  ôte  les  vérités  qu'elle  a  usurpées;  c'est 
ainsi  qu'elle  la  dépouille.  Voici,  messieurs,  un 
beau  combat,  et  qui  mérite  vos  attentions. 

Encore  que  les  philosophes  soient  les  protec- 
teurs de  l'erreur,  toutefois  ils  ont  découvert  quel- 
ques rayons  de  la  vérité.  «  Quelquefois ,  dit  Ter- 
«  tullien ,  ils  ont  frappé  à  sa  porte  :  "  Verilatis 
fores  puisant  *.  S'ils  ne  sont  pas  entrés  dans  son 
sanctuaire,  s'ils  n'ont  pas  eu  le  bonheur  de  la 
voir  et  de  l'adorer  dans  son  temple,  ils  se  sont 
quelquefois  présentés  à  ses  portiques ,  et  lui  ont 
rendu  de  loin  quelque  hommage.  Soit  que  dans 
ce  grand  débris  des  connaissances  humaines, 
Dieu  en  ait  voulu  conserver  quelque  petit  reste , 
comme  des  vestiges  de  notre  première  institu- 
tion ;  soit ,  comme  dit  Tertullien ,  que  <  cette  lon- 
•<  gue  et  terrible  tempête  d'opinions  et  d'erreurs 
«  les  ait  quelquefois  jetés  au  port  par  aventure  et 
"  par  un  heureux  égarement  :  "  Nonnunguam 

»  II.  Cor.  IV ,  6. 

*-Me  lestim.  anim.  u"  i. 


et  in  2)rocella,  confusis  vcstigiis  cœli  et  freti, 
aliquis  portas  offenditur,  prospéra  errore\ 
soit  que  la  Providence  divine  ait  voulu  faire  écla- 
ter sur  eux  quelque  rayon  de  lumière  pour  la 
conviction  de  leurs  erreurs  :  il  est  assuré,  chré- 
tiens, qu'au  milieu  de  tant  de  ténèbres,  ils  ont 
entrevu  quelque  jour,  et  reconnu  confusément 
quelques  vérités.  Mais  le  grand  Paul  leur  repro- 
che qu'ils  les  ont  injustement  détenues  captives  '  ; 
et  en  voici  la  raison.  C'est  qu'ils  voyaient  le  prin- 
cipe,  et  ils  ne  voulaient  pas  ouvrir  les  yeux  pour 
en  reconnaître  les  conséquences  nécessaires.  Par 
exemple,  l'ordre  visible  du  monde  leur  décou- 
vrait manifestement  les  invisibles  perfections  de 
son  Créateur  ;  et  quoique  la  suite  de  cette  doc- 
trine fût  de  lui  rendre  l'hommage  qu'une  telle 
majesté  exige  de  nous,  ils  refusaient  de  servir 
celui  qu'ils  reconnaissaient  pour  leur  souverain. 
Ainsi  la  vérité  gémissait  captive  sous  une  telle 
contrainte,  et  souffrait  violence  en  eux,  parce 
qu'elle  n'agissait  pas  dans  toute  sa  force  :  de  sorte 
qu'il  la  fallait  délivrer  du  pouvoir  de  ces  violents 
usurpateurs,  et  la  remettre,  comme  une  vierge 
honnête  et  pudique,  entre  les  mains  du  christia- 
nisme, qui  seul  la  conserve  dans  sa  pureté. 

C'est  ce  que  fait  aujourd'hui  sainte  Catherine  : 
elle  fait  paraître  Jésus-Christ  avec  tant  d'éclat , 
que  les  erreurs  que  soutenait  la  philosophie  sont 
dissipées  par  sa  présence;  et  les  vérités  qu'elle 
avait  enlevées  violemment ,  viennent  se  rendre 
à  lui  comme  à  leur  maître ,  ou  plutôt  se  réunir 
en  lui  comme  dans  leur  centre  :  ainsi  la  philoso- 
phie est  forcée  de  rendre  les  armes.  Mais  quoi- 
qu'elle soit  vaincue  et  persuadée ,  elle  a  peiné  à 
déposer  son  premier  orgueil ,  et  elle  paraît  encore 
étonnée  d'être  devenue  chrétienne.  Mais  enfin 
les  raisonnements  de  Catherine  l'amènent  captive 
au  pied  de  la  croix  :  elle  ne  rougit  plus  de  ses 
fers;  au  contraire  elle  s'en  trouve  honorée,  et  il 
semble  qu'elle  prend  plaisir  de  céder  à  une  sa- 
gesse plus  haute. 

Apprenons  d'un  si  saint  exemple  à  rendre  té- 
moignage à  la  vérité ,  à  la  faire  triompher  du 
monde ,  à  faire  servir  toutes  no?  lumières  à  un 
si  juste  devoir  qu'elle  nous  impose.  0  sainte  vé- 
rité !  je  vous  dois  trois  sortes  de  témoignages  :  je 
vous  dois  le  témoignage  de  ma  parole  ;  je  vous 
dois  le  témoignage  de  ma  vie  ;  je  vous  dois  le  té- 
moignage de  mon  sang.  Je  vous  dois  le  témoi- 
gnage de  ma  parole  :  ô  vérité ,  vous  étiez  cachée 
dans  le  sein  du  Père  éternel,  et  vous  avez  daigné, 
par  miséricorde,  vous  manifester  a  nos  yeux. 
Pour  honorer  cette  charitable  manifestation ,  je 
vous  dois  manifester  au  dehors  par  le  témoignage 


•  De  Anima  ,  n'  2. 
'  Rom.  I,  18. 


S4. 


;32 


PANÉGYRIQUE 


de  ma  parole.  Périssent  tous  mes  discours ,  disait 
le  prophète  ' ,  et  que  ma  langue  soit  éternelle- 
ment attachée  à  mon  palais ,  si  je  t'oublie  jamais 
ô  vérité,  et  si  je  ne  te  rends  témoignage  ! 

Mais ,  chrétiens ,  il  ne  suffit  pas  de  lui  donner 
celui  de  la  voix ,  qui  n'est  qu'un  son  inutile  ;  et 
nôtre  zèle  est  trop  languissant,  s'il  ne  consacre 
que  des  paroles  à  la  vérité,  qui  ne  peut  être  as- 
sez honorée  que  par  des  effets  dignes  d'elle.  Car 
sa  solidité  immuable  n'est  pas  suffisamment  re- 
connue par  nos  discours ,  qui  ne  sont  que  des 
ombres  de  nos  pensées  ;  «t  il  faut  qu'elle  soit  gra- 
vée en  nos  mœurs  par  des  marques  effectives  de 
notre  affection.  Ne  donner  que  la  parole  à  la  vé- 
rité ,  c'est  donner  l'ombre  pour  le  corps ,  et  une 
image  imparfaite  pour  l'original.  Il  faut  honorer 
la  vérité  par  la  vérité ,  en  la  faisant  paraître  en 
nous-mêmes  par  des  effets  dignes  d'elle. 

Mais  outre  le  témoignage  des  œuvres ,  nous 
devons  encore  à  la  vérité  le  témoignage  du  sang. 
Car  la  vérité  c'est  Dieu  même  :  il  lui  faut  un  sa- 
crifice complet ,  pour  lui  rendre  tout  le  culte  qui 
lui  est  dû ,  et  pour  honorer  dignement  l'éternelle 
consistance  de  sa  vérité.  Nous  devons  nous  pré- 
parer tous  les  jours  à  nous  détruire  pour  elle ,  si 
jamais  elle  exige  de  nous  ce  sacrifice.  Ainsi  a  fait 
Catherine ,  qui ,  étant  remplie  si  abondamment 
de  la  science  des  saints ,  pour  en  rendre  ses  ac- 
tions de  grâce  à  la  vérité ,  l'a  glorifiée  devant 
tout  le  monde  par  le  témoignage  de  sa  parole , 
qu'elle  a  soutenu  par  celui  de  sa  vie,  et  enfin 
scellé  et  confirmé  par  celui  de  son  sang  :  de  sorte 
qu'il  ne  faut  pas  s'étonner  si  une  science ,  si  bien 
employée  au  service  de  la  vérité,  a  fait  un  si 
grand  profit  dans  ce  commerce  spirituel ,  et  a  ga- 
gné tant  d'âmes  à  Jésus-Christ;  c'est  ce  qui  me 
reste  à  vous  expliquer  dans  la  traisième  partie. 

TROISIÈME   POINT. 

C'est  un  indigne  spectacle,  que  de  voir  les 
dons  de  l'esprit  servir  aux  intérêts  temporels.  Je 
ne  vois  rien  de  plus  servile  que  ces  âmes  basses , 
qui  regrettent  toutes  leurs  veilles,  qui  murmu- 
rent contre  leur  science,  et  l'appellent  stérile  et 
infructueuse ,  quand  elle  ne  fait  pas  leur  fortune. 
Mais  que  les  sciences  humaines  s'oublient  de  leur 
dignité ,  jusqu'à  n'avoir  plus  d'usage  que  dans 
le  commerce;  ce  n'est  pas  à  moi ,  chrétiens,  de 
le  déplorer  dans  cette  chaire.  Faut-il ,  sainte  fille 
du  ciel,  source  des  conseils  désintéressés,  auguste 
science  du  christianisme ,  faut-il  que  je  vous  voie 
en  nos  jours  si  indignement  ravilie,  que  de  vous 
rendre  esclave  de  l'avarice?  Un  tel  opprobre, 
messieurs,  que  font  à  Jésus-Christ  et  à  l'Évan- 
gile les  ouvriers  mercenaires ,  mérite  bien ,  ce  me 

'  Fs   CXXXYI,  6. 


semble,  qut;  nous  établissions  ici  des  maxittJfS 
fortes  pour  épurer  les  intentions;  et  la  science 
de  notre  sainte ,  consacrée  uniquement  au  salut 
des  âmes ,  nous  en  donnera  l'ouverture. 

Vous  croirez  aisément ,  messieurs ,  que  les  lu- 
mières de  son  esprit  et  la  vaste  étendue  de  ses 
connaissances,  soutenue  de  l'éclat  d'une  jeunesse 
florissante  et  de  l'appui  d'une  race  illustre  dont 
elle  était  l'ornement,  lui  donnaient  de  grands 
avantages  pour  s'établir  dans  l«  monde.  En  effet , 
ses  historiens  nous  apprennent  que  l'empereur 
et  toute  sa  cour  l'avaient  regardée  comme  la  mer- 
veille de  son  siècle.  Mais  elle  n'a  garde  de  rabais- 
ser les  lumières  de  l'Esprit  de  Dieu ,  jusqu'à  les 
faire  servir  à  la  fortune ,  surtout  dans  une  coul» 
infidèle  :  elle  fait  valoir  ce  talent  dans  un  com- 
merce plus  haut;  elle  l'emploie  à  négocier  le  sa- 
lut des  âmes. 

Et  en  effet ,  chrétiens ,  ce  glorieux  talent  de 
science  est  destiné  sans  doute  pour  quelque  com- 
merce. Jésus-Christ  en  le  confiant  à  ses  serviteurs  : 
«  Négociez,  leur  a-t-il  dit,  jusqu'à  ce  que  je 
«  vienne  :  »  Negotiamini donec  venio^.  Mais  c'est 
un  commerce  divin,  où  le  monde  ne  peut  avoir 
part ,  et  deux  raisons  invincibles  nous  le  persua- 
dent. La  première  se  tire  de  la  dignité  de  ce  ce* 
leste  dépôt;  la  seconde,  de  celui  qui  nous  l'a 
commis ,  et  qui  s'en  est  toujours  réservé  le  fonds. 
Mettons  ces  deux  raisons  dans  un  plus  grand 
jour;  et  premièrement ,  chrétiens,  pour  appren- 
dre à  n'avilirpas  le  talent  de  la  science  chrétienne, 
considérons  sa  valeur  et  sa  dignité. 

La  matière  dont  est  composée  cette  céleste 
monnaie,  c'est  l'Évangile  et  tous  ses  mystères. 
Maisquelleimage  admirable  y  vois-je  empreinte? 
Cujus  est  imago  hœc  ^?  Je  l'ai  déjà  dit,  chrétiens, 
l'image  qui  est  imprimée  sur  notre  science ,  c'est 
l'image  de  Jésus- Christ,  roi  des  rois.  0  que  la 
marque  d'un  si  grand  prince  rehausse  le  prix  de 
ce  talent,  et  que  sa  valeur  est  inestimable! 

Que  faites- vous,  âmes  mercenaires,  lorsque 
vous  n'avez  autre  but  que  d'en  trafiquer  avec  le 
monde,  pour  acquérir  des  biens  temporels?  Le 
commerce  se  fait  par  échange;  l'échange  est 
fondé  sur  l'égalité  :  quelle  égalité  trouvez-vous 
entre  la  science  de  Dieu,  qui  comprend  en  elle- 
même  les  trésors  célestes,  et  ces  malheureux  avan- 
tages dont  la  fortune  dispose? 

Le  premier  homme ,  messieurs ,  qui  a  osé  met- 
tre de  l'égalité  entre  des  choses  aussi  dissembla- 
bles que  l'argent  et  les  dons  de  Dieu,  c'est  cet  in- 
fâme Simon  le  Magicien ,  qui  a  mérité  pour  ce 
crime  la  malédiction  des  apôtres ,  et  ensuite  est 
devenu  l'exécration  de  tous  les  siècles  suivants. 

'  Luc.  XIX,  13. 

î  Matt.  XXII,  20.     , 


DE  SAINTK  CATliEUINE. 


53S 


Mais  je  ne  crains  point  d'assurer  que  ceux  qui  ne  , 
s'étudient  à  la  science  ecclésiastique  que  pour  en-  ; 
trerdans  les  bénéfices,  ou  pour  ménager  par  quel-  | 
que  autre  voie  leurs  intérêts  temporels,  marchent 
sur  les  pas  de  ce  magicien ,  et  attirent  sur  eux 
comme  un  coup  de  foudre ,  cette  imprécation  ; 
apostolique  :  Pecunia  tecum  sit  inperditione  m  '  !  : 
«  Que  ton  argent ,  malheureux,  soit  avec  toi  en 
«  perdition  !  » 

Dirai-je  ici  ce  que  je  pense?  Ils  s'accordent 
avec  Simon,  en  égalant  les  choses  divines  aux 
biens  périssables  :  mais  il  y  a  cette  différence  hon- 
teuse pour  ceux  dont  je  parle ,  que  dans  le  mar- 
ché de  Simon,  l'argent  est  le  prix  qu'il  offre,  la 
grâce  do  Saint-Esprit,  le  bien  qu'il  veut  acquérir  ; 
et  que  ceux-ci  renversent  l'oidre  du  contrat ,  pour 
le  rendre  plus  profane  et  plus  mercenaire.  Ils 
prodiguent  et  prostitue&t  le  présent  du  ciel ,  pour 
avoir  les  biens  de  la  terre.  Simon  donnait  son  ar- 
gent pour  le  don  de  Dieu;  et  ceux-ci  dispensent 
le  don  de  Dieu  pour  mériter  de  l'argent.  Quelle 
indignité  !  Si  bien  qu'au  lieu  que  saint  Pierre  re- 
[iroche  à  Simon,  «  qu'il  avait  voulu  acquérir  le 
"  don  de  Dieu  par  argent  :  »  Donum  Dei  existi- 
muati pecunia  possideri'^^  nous  pouvons  dire  de 
ceux-ci,  qu'ils  veulent  acquérir  de  l'argent  par 
le  don  de  Dieu  :  en  quoi  ils  seraient  sans  compa- 
raison plus  lâches  et  plus  criminels  que  Simon, 
n'était  qu'il  a  joint  l'un  et  l'autre  crime,  et  que 
les  Pères  ont  sagement  remarqué^  que  sans  doute 
il  ne  voulait  acheter  que  dans  le  dessein  de  vendre. 

Certainement,  chrétiens,  ceux  qui  profanent 
ainsi  la  science  du  christianisme  n'en  connaissent 
pas  le  mérite;  autrement  ils  rougiraient  de  la  ra- 
vilir  par  un  usage  si  bas  :  aussi  voyons-nous  or- 
dinairement que  ces  ouvriers  mercenaires  altè- 
rent et  falsifient  par  un  mélange  étranger  cette 
divine  monnaie.  Ils  ne  débitent  point  ces  maxi- 
mes pures  qui  enseignent  à  mépriser,  et  non  à 
ménager  les.  biens  de  la  terre.  La  science  qu'ils 
étudient  n'est  pas  la  science  de  Dieu ,  victorieuse 
du  siècle  et  de  ses  convoitises  ;  mais  une  science 
flatteuse  et  accommodante ,  propre  aux  négoces 
du  monde ,  et  non  au  sacré  commerce  du  ciel  : 
Et  in  avaritiafctis  verbis  de  vobis  negotiabun- 
tur  ^  :  n  L'avarice  les  portera  à  vous  séduire  par 
«  des  paroles  artificieuses ,  pour  faire  de  vous  une 
«  espèce  de  trafic.  » 

Que  sinousméditonssaintement  la  pure  science 
du  christianisme,  mettons-la  aussi  à  son  droit 
usage,  liaisons  notre  gain  du  salut  des  âmes; 
prenons  un  noble  intérêt ,  et  tâchons  de  profiter 


»  ibid. 

»   s.  Auq.  in  Ps.  CX\I ,  n°  5,  t.  IT.  col.  Utf 
♦  U.  Petr.  it,3. 


dans  un  commerce  si  honorable.  Imitons  sainte 
Catherine,  qui  fait  valoir  de  telle  sorte  ce  divin- 
talent,  que  les  courtisans  et  les  philosophes, ses 
amis  et  ses  ennemis,  enfin  tous  ceux  qui  l'appro- 
chent, et  même  l'impératrice,  sont  poussés  d'utt 
désir  ardent  de  se  donner  à  Jésus-Christ. 

C'est  ainsi  qu'il  fallait  user  de  cet  admirable 
trésor,  qui  avait  été  commis  à  sa  foi.  Car  pour 
venir,  chrétiens,  à  la  seconde  raison  que  j'ai  pro- 
mis de  vous  proposer,  et  avec  laquelle  je  m'en 
vais  conclure,  la  science  du  christianisme  est  un 
bien  qui  n'est  pas  à  nous.  Jésus-Christ,  en  le 
mettant  en  nos  mains ,  s'en  est  réservé  le  fonds  : 
nous  l'avons  de  lui  par  emprunt,  ou  plutôt  il  nous 
l'a  confié ,  ainsi  qu'un  dépôt  duquel  nous  devons 
un  jour  lui  rendre  raison  :  Neyotiamini  dum  ve- 
nio  :  T  Négociez,  je  vous  le  permets;  «  mais  sa- 
chez que  je  viendrai  vous  demander  compte  de 
toute  votre  administration,  et  de  l'emploi  que 
vous  aurez  fait  de  mon  bien. 

S'il  est  ainsi ,  chrétiens,  ne  disposons  pas  de 
ce  bien  comme  si  nous  en  étions  les  propriétaires. 
Il  est,  ce  me  semble ,  assez  équitable  que  si  nous 
employons  le  bien  d'autrui,  ce  soit  dans  quelque 
commerce  dans  lequel  le  maître  puisse  prendre 
part.  Et  quelle  part  donnerez-vous  au  divin  Sau- 
veur dans  ces  terres,  dans  ces  revenus,  dans  ces 
bénéfices  que  vous  accumulez  sans  mesure?  «  Ne 
"  savez-vous  pas  qu'il  est  notre  Dieu ,  et  qu'il  n'a 
«  pas  besoin  de  nos  biens?  >»  Deus  meus  es  tu  y 
guoniam  bonorum  meorum  noneges\  Mais  s'il 
n'a  pas  besoin  de  nos  biens,  j'ose  dire  qu'il  a  be- 
soin de  nos  âmes.  Cest  pour  ces  âmes  chéries 
qu'il  descendra  bientôt  du  ciel  sur  la  terre  :  pour 
trouver  ces  âmes  perdues  et  égarées  comme  des 
brebis,  il  a  couru  tous  les  déserts;  pour  les  réunir 
au  troupeau  sacré ,  il  les  a  portées  sur  ses  épaules, 
pour  les  laver  de  leurs  taches ,  il  a  versé  tout  son 
sang  ;  pour  les  guérir  de  leurs  nwladies ,  il  a  ré- 
pandu l'onction  de  son  Saint-Esprit;  pour  les 
nourrir  et  les  fortifier,  il  leur  a  donné  son  propre 
corps. 

Par  conséquent ,  mes  frères ,  c'est  dans  ce  con»> 
merce  des  âmes  qu'il  faut  faire  profiter  ses  dons 
et  quand  viendra  le  temjjs  de  rendre  les  comptes, 
ce  grand  économe  ne  rougira  pas  de  partager 
avec  vous  un  profit  si  honorable.  Il  recevra  da 
votre  main  ces  âmes  que  vous  lui  aurez  amenées; 
et  de  sa  part,  pour  reconnaître  un  si  beau  tra- 
vail :  Venez,  dira-t-il,  serviteur  fidèle,  qui  avez 
fait  valoir  mon  dépôt  en  mon  esprit  et  selon  mes 
ordres;  il  est  temps  qyie  vous  receviez  votre  ré- 
compense*. 

'  Ps.  XV ,  2. 

*  Ost  pour  ce  ni'gi'Kîe  céleste  que  celte  luatsoD  est  éUr 


534 


PANEGYRIQUE 


Quelle  sera  la  proportion  de  cette  glorieuse  ré- 
compense? Le  prophète  Daniel  nous  le  fait  en- 
tendre :  Qui  docti  fuerint,  fulgebunt  quasi 
splendor ftrinamenti ;  et  qui  adjustiliam  eru- 
diunt  multos,  quasi  stellœ  in  perpétuas  œterni- 
taies*  :  «  Ceux,  dit-il,  qui  auront  appris  des 
«  autres  la  sainte  doctrine,  brilleront  comme  la 
«  splendeur  du  firmament;  et  ceux  qui  l'auront 
<  enseignée ,  paraîtront  comme  des  étoiles  durant 
"  toute  l'éternité.  »  Où  vous  voyez ,  chrétiens , 
par  quelle  sage  disposition  de  la  justice  divine  , 
ceux  qui  ont  reçu  d'ailleurs  leurs  instructions, 
sont  comparés  au  firmament  qui  luit  seulement 
par  réflexion  de  la  lumière  des  astres;  mais  que 
ceux  qui  ont  éclairé  l'Église  par  la  doctrine  de 
vérité,  sont  eux-mêmes  des  astres  brillants,  et 
sources  d'une  lumière  vive  et  immortelle. 

Ainsi  sainte  Catherine  réjouit  par  un  double 
éclat  la  céleste  Jérusalem.  Elle  est  toute  lumi- 
neuse pour  avoir  appris  humblement,  et  fidèle- 
ment pratiqué  ce  qu'on  enseigne  de  plus  excel- 
lent dans  l'école  de  Jésus-Christ  :  mais  cet  éclat  i 
est  relevé  au  centuple,  parce  qu'elle  a  répandu 
bien  loin  les  lumières  de  la  science  de  Dieu ,  et 
qu'elle  a  fait  luire  sur  plusieurs  âmes  les  vérités 
éternelles. 

Ne  croyez  pas,  chrétiens,  que  ceux  qui  ont 

Wie  :  oa  k«r  apprend  la  science,  non  pour  retenlir  dans 
un  barreau  >  c'est  la  science  ecclésiastique ,  destinée  pour 
négocier  le  salul  des  âmes.  C'est  pourquoi  on  les  choisit 
dès  cet  âge  tondre ,  pour  prévenir  le  cours  de  la  corrujv- 
tion  du  siècle ,  et  donner,  s'il  se  peut,  aux  autels  des  mi- 
nistres innocents.  O  innocence ,  que  tu  aurais  de  vertu 
dans  les  fonctions  sacerdotales  !  que  de  bénédictions  et  de 
{:;ràces  !  Mais  où  le  Irouvera-t-on  sur  la  terre  ?  On  travaille 
du  moins  en  cette  maison  à  te  conserver  des  vaisseaux  sans 
tiictic;  c'a  toujours  été  l'esprit  de  l'Église.  «  On  les  doil 
.<  retenir  sous  la  discipline,  les  instruire  par  la  doctrine 
«  ecclésiastique,  »  Ut  ecclesiasticis  utilitatibus  pa- 
reanf^.  Quelles  sont  ces  utilités  ecclésiastiques  Ce  n'est 
pas  d'augmenter  les  fermes ,  ni  d'accroître  le  revenu  de 
l'ÉgHse;  mais  c'est  afin  de  gagner  les  âmes.  C'est  dans  ce 
dessein  qu'on  les  élève  comme  de  jeunes  plantes ,  et  qu'on 
les  fait  instruire  dans  cette  maison.  Que  reste-t-il  mainte- 
nant ,  messieurs,  sinon  que  pendant  que  la  science,  comme 
un  soleil,  fera  mûrir  les  fruits,  vous  arrosiez  la  racine? 
I,a  science  éclaire  par  en  liaut  la  partie  qui  i-egarde  le  ciel; 
il  reste  que  vous  donniez  la  nourriture  à  celte  qui  esten* 
^«gce  dans  la  terre.  Cette  eau  salutaire  de  vos  aumônes , 
en  passant  par  ces  plantes  que  l'on  vous  cultive,  se  tour- 
nrra  en  fruits  de  vie,  pour  leur  profit  particulier,  pour  ce- 
lui de  toute  l'Église  au  service  de  laquelle  on  les  destine , 
cl  enfin ,  messieurs,  pour  le  vôtre,  en  vous  amassant  dans 
le  ciel  des  couronnes  d'immortalité,  que  je  vous  souhaite. 
Amen. 

0«  voit  qu«  ce  morceau  a  été  ajouté  par  le  prédicateur, 
pour  appliquer  son  discours  à  la  circonstance  d'un  autre 
lieu  où  il  devait  le  prêcher.  {Èdit.  de  Déforis.) 

«  Dan.  TkU ,  3. 

2  Concil.  Aqutsgr.  cap.  cxxxv;  apud  Lab.,  t.  vu,  col 
Ui.u. 


reçu  dans  l'Eglise  le  ministère  d'enseigner  te» 
auti-es ,  soient  les  seuls  à  prétendie  à  cette  ré- 
compense ,  que  môme  une  fille  a  pu  mériter.  Tou» 
les  fidèles  de  JésuS'Christ  doivent  espérer  cette 
gloire,  parce  que  tous  doivent  travailler  as' édifier 
mutuellement  par  de  saintes  instmctions.  C'est  j 
pourquoi  l'apôtre  saintPaul  avertiten général  les  '' 
enfants  de  Dieu ,  qu'ils  doivent  assaisonner  leur* 
discours  du  sel  de  la  sagesse  divine  :  Sernio  ves- 
ter  se7nper  in  gratia  sale  sit  conditus,  utscia- 
tis  quomodo  oporteat  vos  unicuique  responde- 
re'  :  *  Que  votre  entretien  soit  toujours  édifiant, 
«  et  assaisonné  du  sel  de  la  sagesse  ;  en  sorte  que 
"  vous  sachiez  comment  vous  devez  répondre  à 
'«  chaque  personne.  »  0  que  ces  conversations  sont 
remplies  de  grâce,  et  que  ce  sel  a  de  force  pour 
faire  prendre  goût  à  la  vérité!  Lorsqu'on  entend 
les  prédicateurs ,  je  ne  sais  quelle  accoutumance 
malheureuse  de  recevoir  par  leur  entremise  la 
parole  de  l'Évangile,  fait  qu'on  l'écoute  de  leur 
bouche  plus  nonchalammefit.  On  s'attend  qu'ils 
reprendront  les  mauvaises  mœurs ,  on  dit  qu'ils 
le  font  d'office;  et  l'esprit  humain  indocile  y  fait 
moins  de  réflexion.  Mais  quand  un  homme  que 
l'on  croit  du  monde ,  simplement  et  sans  affecta- 
tion ,  propose  de  bonne  foi  ce  qu'il  sent  de  Diei» 
en  lui-même  ;  quand  il  ferme  la  bouche  à  un  li- 
bertin qui  fait  vanité  «u  vice,  ou  qui  raille  im- 
pudemment des  choses  sacrées,  encore  une  fois, 
chrétiens,  qu'une  telle  conversation,  assaisonnée 
de  ce  sel  de  grâce,  a  de  force  pour  exciter  l'ap- 
pétit, et  réveiller  le  goût  des  biens  éternels! 

Donc ,  mes  frères ,  que  tout  le  monde  prêche 
l'Évangile  dans  sa  famille,  parmi  ses  amis,  dans 
les  conversations  et  les  compagnies  ;  que  chacun 
emploie  toutes  ses  lumières  pour  gagner  les  âme* 
que  le  monde  engage ,  pour  faire  régner  sur  la 
terre  la  sainte  vérité  de  Dieu ,  que  le  monde  tâche 
de  bannir  par  ses  illusions.  Si  l'erreur,  si  l'im- 
piété, si  tous  les  vices  ont  leurs  défenseurs;  6 
sainte  vérité!  serez-vous  abandonnée  de  ceux  qui 
vous  servent?  Quoi,  ceux  mêmes  qui  font  pro- 
fessfon  d'être  vos  amis,  n'oseront-ils  parler  pour 
votre  gloire?  Parlons,  mes  frères,  parlons  hau- 
tement pour  une  cause  si  juste;  résistons  à  l'ini- 
quité, qui,  ne  se  contentant  ptus  qu'on  la  souffre, 
ose  encore  exiger  qu'cyi  lui  applaudisse.  Parlons 
souvent  de  nos  espérances,  de  la  douce  tranquil- 
lité d'une  âme  fidèle,  des  ennuis  dévorants  de  la 
vie  présente ,  de  la  paix  qui  nous  attend  en  la  vie 
future.  Ainsi  la  vérité  éternelle,  que  nous  auron.s. 
glorifiée  par  nos  discours ,  nous  glorifiera  par  ses 
récompenses ,  dans  la  sainte  société  que  je  vous 
souhaite  aux  siècles  des  siècles  avec  le  Père,  lo 
Fils  et  le  Saint-Esprit.  Amen. 

'  Colcss.  IV ,  6. 


DE  SALNT  ANDRE,  APOTRE 


Sti 


PANÉGYRIQUE 


SAINT  ANDRÉ,  APOTRE, 

PRÊCHÉ  AUX  CAHMÉUTK  DU  FAUBOURG 

Saist-Jacqces. 

Conduite  étonnante  de  Jésus-Christ  dans  la  formaUon  de 
son  Église;  combien  inconcevable  et  divine  l'entreprise  des 
iUMVtres.  Triste  étal  de  la  religion  parmi  nous;  misérables  dis- 
positions des  chrétiens  de  nos  temps. 


Venile  post  me,  et  faciam  vos  fieri piscatores  hominiim. 
Venez  ipres  mot,  et  je  vous  ferai  devenir  des  pécheurs 
d'homniiA.  Matlh.  iv,  19. 

PKEilIEIl    POINT. 


Jésus  va  commencer  ses  conquêtes  :  il  a  déjà 
prêché  son  Évangile;  déjà  les  troupes  se  pres- 
sent pour  écouter  sa  parole.  Personne  ne  s'est 
encore  attaché  à  lui;  et  parmi  tant  d'écoutants, 
il  n'a  pas  encore  gagné  un  seul  disciple  :  aussi 
ne  reçoit-il  pas  indifféremment  tous  ceux  qui  se 
présentent  pour  le  suivre.  Il  y  en  a  qu'il  rebute, 
il  y  en  a  qu'il  éprouve,  il  y  en  a  qu'il  diffère.  Il 
a  ses  temps  destinés ,  il  a  ses  personnes  choisies. 
II  jette  ses  filets  ;  il  tend  ses  rets  sur  cette  mer  du 
siècle,  mer  immense,  mer  profonds,  mer  ora- 
geuse et  éternellement  agitée.  Il  veut  prendre  des 
hommes  dans  le  monde  ;  mais  quoique  cette  eau 
soit  trouble ,  il  n'y  pêche  pas  à  l'aveugle  :  il  sait 
ceux  qui  sont  à  lui  ;  et  il  regarde ,  il  considère , 
il  choisit.  C'est  aujourd'hui  le  choix  d'importance  ; 
car  il  va  prendre  ceux  par  qui  il  a  résolu  de  pren- 
dre les  autres;  enfla  il  va  choisir  ses  apôtres. 

Les  hommes  jettent  leurs  filets  de  tous  côtés  ; 
ils  amassent  toutes  sortes  de  poissons ,  bons  et 
mauvais,  dans  les  filets  de  l'Église,  selon  la  pa- 
role de  l'Évangile.  Jésus  choisit;  mais  puisqu'il 
a  le  choix  des  personnes ,  peut-être  commencera- 
t-il  ses  conquêtes  par  quelque  prince  de  la  sy- 
nagogue, par  quelque  prêtre,  par  quelque  pon- 
tife, ou  par  quelque  célèbre  docteur  de  la  loi, 
pour  donner  réputation  à  sa  mission  et  à  sa  con- 
duite. Nullement.  Écoutez,  mes  frères  :  «  Jésus 
«  marchait  le  long  de  la  mer  de  Galilée.  Il  vit 
«  deux  pêcheurs,  Simon  et  André  son  frère,  et 
«  il  leur  dit  :  Venez  après  moi ,  et  je  vous  ferai 
«  devenir  des  pêcheurs  d'hommes.  » 

Voilà  ceux  qui  doivent  accomplir  les  prophé- 
ties, dispenser  la  grâce,  annoncer  la  nouvelle 
alliance,  faire  triompher  la  croix.  Est-ce  qu'il  ne 
veut  point  des  grands  de  la  terre ,  ni  des  riches, 
ni  des  nobles,  ni  des  puissants,  ni  même  des 
doctes,  des  orateurs  et  des  philosophes  ?  Il  n'en  est 
pas  ainsi.  Vovez  les  âges  suivants.  Les  grands  vien- 


dront en  foule  se  joindre  à  l'humble  troupeau  du 
sauveur  Jésus.  Les  empereurs  et  les  rois  abais- 
seront leur  tête  superbe ,  pour  porter  le  joug.  On 
verra  les  faisceaux  romains  abattus  devant  la 
croix  de  Jésus.  Les  Juifs  feront  la  loi  aux  Ro- 
mains :  ils  recevront  dans  leurs  États  des  lois 
étrangères ,  qui  y  seront  plus  fortes  que:  les  leurs 
propres  :  ils  verront  sans  jalousie  un  empire  s'é- 
lever au  milieu  de  leur  empire,  des  lois  au-des- 
sus des  leurs  ;  un  empire  s'élever  au-dessus  du 
leur,  non  pour  le  détruire,  mais  au  contraire  pour 
l'affermir.  Les  orateurs  viendront,  et  on  leur 
verra  préférer  la  simplicité  de  l'Évangile  et  ce 
langage  mystique ,  à  cette  magnificence  de  leurs 
discours  vainement  pompeux.  Ces  esprits  polfe 
de  Rome  et  d'Athènes,  viendront  apprendre  à 
parler  dans  les  écrits  des  barbares.  Les  philoso- 
phes se  rendront  aussi  ;  et  après  s'être  longtemps 
débattus  et  tourmentés ,  ils  donneront  enfin  dans 
les  filets  de  nos  célestes  pêcheurs ,  où  étant  pris 
heureusement,  ils  quitteront  les  rets  de  leurs 
vaines  et  dangereuses  subtilités,  où  ils  tâchaient 
de  prendre  les  âmes  ignorantes  et  curieuses.  Ils 
apprendront ,  non  à  raisonner,  mais  à  croire ,  et 
à  trouver  la  lumière  dans  une  intelligence  cap- 
tivée. 

Jésus  ne  rebute  donc  point  les  grands,  ni  les  puis- 
sants, ni  les  sages  :  il  ne  les  rejette  pas,  «  mais 
«  il  les  diffère  :  »  Dif/erantur  isli  superbi,  ali- 
gna soliditale  sanandi  sunt  '.  Les  grands  veu- 
lent que  leur  puissance  donne  le  branle  aux  af- 
faires ;  les  sages  ,^e  leurs  raisonnements  gagnent 
les  esprits.  Dieu  veut  déraciner  leur  orgueil  ^ 
Dieu  veut  guérir  leur  enflure.  Ils  viendront  en 
leur  temps,  quand  tout  sera  accompli,  quand 
l'Église  sera  établie,  quand  l'univers  aura  vu, 
et  qu'il  sera  bien  constant  que  l'ouvrage  aura  été 
achevé  sans  eux;  quand  ils  auront  appris  à  ne 
plus  partager  la  gloire  de  Dieu,  à  descendre  de 
cette  hauteur,  à  quitter  dans  l'Église  au  pied  de 
la  croix  cette  primauté  qu'ils  affectent  ;  quand 
ils  se  réputeront  les  derniers  de  tous;  les  pre- 
miers partout ,  mais  les  derniers  dans  l'Église  ; 
ceux  que  leur  propre  grandeur  éloigne  le  plus 
du  ciel ,  ceux  que  leurs  périls  et  leurs  tentations 
approchent  le  plus  près  de  l'abîme.  Êtes-vous 
ceux,  ô  grands,  ô  doctes,  que  la  religion  estime 
les  plus  heureux,  dont  elle  estime  l'état  le  meil- 
leur? Non;  mais,  au  contraire,  ceux  pour  qui 
elle  tremble,  ceux  qu'elle  doit  d'autant  plus  hu- 
milier pour  les  guérir  et  les  sauver,  que  tout 
contribue  davantage  à  les  élever  et  à  les  perdre. 
Ainsi  votre  besoin ,  et  la  gloire  du  Tout-Puissant , 
exigent  que  vous  soyez  d'abord  rebutés  dan* 


.4iig.  Serm.  i.xxxvil,  n"  12,  t.  V,  col  468. 


536 


PANEGYRIQUE. 


l'exécution  de  ses  hauts  desseins,  pour  vous  ap- 
prendre à  concevoir  de  vous-mêmes  le  juste  mé- 
pris que  vous  méritez. 

En  attendant,  venez,  ô  pécheurs;  venez, 
saint  couple  de  frères ,  André  et  Simon  ;  vous 
n'êtes  rien,  vous  n'avez  rien  :  «  Il  n'y  a  rien  en 
«  vous  qui  mérite  d'être  recherché ,  il  y  a  seule- 
«  ment  une  vaste  capacité  à  remplir  :  «  Nihil  est 
quod  in  te  expetatur,  sed  est  quod  in  te  im- 
2)leatur\  Vous  êtes  vides  de  tout,  et  vous  êtes 
principalement  vides  de  vous-mêmes  :  «  venez 
"  recevoir,  venez  vous  remplir  à  cette  source 
«  infinie  :  »  Tarn  largo  jonti  vas  inane  admo- 
vendum  est.  Les  autres  se  réjouissent  d'avoir 
attiré  à  leur  parti  les  grands  et  les  doctes  5  Jésus , 
d'y  avoir  attiré  les  petits  et  les  simples  :  Confi- 
ieortibi,  Pater,  Domine  cœli  et  terrœ,  quia 
ahscondisti  hœc  a  sapientibus  et  prudentibus , 
et  revelasti  ea  parmlis'.  «  Je  vous  bénis,  mon 
«  Père ,  Seigneur  du  ciel  et  de  la  terre ,  de  ce  que 
«  vous  avez  caché  ces  choses  aux  sages  et  aux 
«  prudents ,  et  de  ce  que  vous  les  avez  révélées 
«t  aux  plus  simples.  » 

Et  quel  a  été  le  motif  d'une  conduite  qui  blesse 
si  fbrt  nos  idées  ?  C'est  afm  que  le  faste  des  hom- 
mes soit  humilié,  et  que  toute  langue  confesse 
que  vraiment  c'est  Bien  seul  qui  a  fait  l'ouvrage. 
Jésus ,  considérant  ce  grand  dessein  de  la  sagesse 
de  son  Père ,  tressaillit  de  joie  par  un  mouvement 
du  Saint-Esprit  :  fn  ipsa  hora  exultavit  Spi- 
rilu  sancto^.  C'est  quelque  chose  de  grand, 
qufr  ce  qui  a  donné  tant  de  joie  au  Seigneur  Jé- 
sus. «  Considérez ,  mes  frères,  qui  sont  ceux  d'en- 
«  tre  vous  qui  ont  été  appelés  à  la  foi;  et  voyez 
"  qu'il  y  en  a  peu  de  sages  selon  la  chair,  peu 
«  de  puissants  et  peu  de  nobles.  Mais  Dieu  a 
«  choisi  ce  qu'il  y  a  d'insensé  selon  le  monde , 
<•  pour  confondre  ce  qu'il  y  a  de  fort.  Il  a  choisi 
"  ce  qu'il  y  a  de  vil  et  de  méprisable  selon  le 
«  monde ,  et  qui  n*est  rien ,  pour  détruire  ce  qui 
«  est  grand  ,  afin  que  nul  homme  ne  se  glorifie 
«  devant  lui^.  » 

Rien  sans  doute  n'était  plus  propre  à  faire  écla- 
ter la  grandeur  de  Dieu  et  son  indépendance, 
qu'un  pareir  choix.  A  lui  seul  il  appartient  de  se 
choisir  pour  ses  œuvres  des  instruments ,  qui , 
loin  d'y  paraître  propres ,  semblent  n'être  capa- 
bles que  d'en  empêcher  le  succès  ;  parce  que  c'est 
lui  qui  leur  donne  toute  la  vertu  qui  peut  les  ren- 
dre efficaces.  Il  est  bon,  pour  qu'on  ne  puisse 
douter  qu'il  a  fait  tout  lui  seul,  qu'il  s'associe  des 
coopérateursqui,  en  eux-mêmes,  soient  absolu- 

»  s.  Âug.  Serm.  ixxxTii,  n»  12,  t.  V,  col.  46». 
»  Matth.  XI,  25. 
'  Luc.  x,21 
■^  I.  Cor.  1,26. 


ment  ineptes  anx  grands  desseins  qu'il  veut  n<s 
complir  par  leur  ministère.  Et  comme  autrefois, 
entre  les  mains  des  soldats  de  Gédéon ,  de  faibles 
vases  d'argile  cachaient  la  lumière  qui  devait 
jeter  l'épouvante  dans  le  camp  des  Madianites  • 
ici  de  même  ces  trésors  de  sagesse ,  que  Dieu  ? 
voulu  faire  éclater  dans  le  monde  pour  le  salut 
des  uns  et  la  confusion  des  autres ,  sont  portés 
dans  des  vaisseaux  très-fragiles',  afin  que  la 
grandeur  de  la  puissance  qui  est  en  eux  soit  recoiv- 
nue  venir  de  Dieu ,  et  non  de  ces  faibles  instru- 
ments, et  qu'ainsi  tout  concoure  à  démontrer  la 
vérité  de  PÉvangile. 

Et  d'abord  admirez ,  mes  frères ,  les  cireoBSn 
tances  frappantes  que  Dieu  choisit  pour  former 
son  Église.  Comme  il  avait  différé  jusqu'à  la  der- 
nière extrémité  l'exécution  du  commencement 
de  sa  promesse,  de  même  ici  il  en  prolonge  le 
plein  accomplissement  ,jusqii'au  moment  où  tout 
doit  paraître  sans  ressource.  Abraham  et  Sara 
se  trouvent  stériles ,  lorsque  Dieu  leur  annonce 
qu'ils  auront  un  fils  :  il  attend  la  vieillesse  décré- 
pite, devenue  stérile  par  nature,  épuisée  par 
l'âge,  pour  leur  découvrir  ses  desseins.  C'est 
alors  qu'il  envoie  son  ange,  qui  les  assure  de  sa 
part  que  dans  un  certain  temps  Sara  concevra. 
Sara  se  prend  à  rire ,  tant  elle  est  merveilleuse- 
nj«it  surprise  de  la  nouvelle  qu'on  lui  déclare. 
Dieu ,  par  cette  conduite ,  veut  faire  voîi*  que 
cette  race  promise  est  son  propre  ouvrage.  Il  a 
suivi  le  même  plan  dans  rétabfissement  de  sw 
Église.  Il  laisse  tout  tomber,  jusqu'à  l'espérance  : 
Sperabamus  '  ;  «  Nous  espérions ,  »  disent  ses  dis- 
ciples depuis  sa  mort.  Quand  Dieu  veut  faire 
voir  qu'un  ouvrage  est  tout  de  sa  main ,  il  réduit 
tout  à  l'impuissance  et  au  désespoir;  puis  il  agit. 
Sperabamus  :  C'en  est  fait,  notre  espérance  est 
tombée  et  ensevelie  avec  lui  dans  le  tombeau. 
Après  la  mort  de  Jésus.-Christ,  ils  retournent  à 
la  pêche  :  jamais  ils  ne  s'y  étaient  livi*és  durant 
sa  vie  ;  ils  espéraient  toujours ,  Sperabamus.  C'est 
Pierre  qui  en  fait  la  proposition  :  Vadopiscari; 
venimus  et  nos  iecum  ^  :  Retournons  aux  pois- 
sons ,  laissons  les  hommes.  Voilà  le  fopdement 
qui  abandonne  l'édifice,  le  capitaine  qui  quitte 
l'armée  :  Pierre ,  le  chef  des  apôtres ,  va  repren- 
dre son  premier  métier,  et  les  filçts,  et  le  bateau 
qu'il  avait  quittés.  Évangile,  que  deviendrez-vous? 
Pêche  spirituelle,  vous  ne  serez  plus.  Mais  dans, 
ce  moment  Jésus  vient  :  il  ranime  la  foi  presque 
éteinte  de  ses  disciples  abattus;  il  leur  commande 
de  reprendre  le  ministère  qu'il  leur  a  confié  ,  et 
les  rappelle  au  soin  de  ses  brebis  dispersées  : 

i  H.  Cor.  IV,  7. 
'  Luc.  XXIV,  2i. 
s  Joan.  XX,  b. 


DE  SAIIST  ANDRÉ,  APOTRE. 


Pascc  oves  métis.  Cen  est  assez  pour  leur  ren- 
dre la  paix  et  relever  leur  courage.  Rassurés  dé- 
sormais par  sa  parole,  fortifiés  par  son  esprit, 
nen  ne  les  étonnera ,  rien  ne  sera  capable  de  les 
iroubler  :  ni  le  sentiment  de  leur  faiblesse ,  ni  la 
vue  des  obstacles,  ni  la  grandeur  du  projet,  ni 
k*  définit  des  ressources  humaines,  rien  ne 
saurait  les  ébranler  dans  la  résolution  d'exé- 
cuter tout  ce  que  leur  maître  leur  a  prescrit.  Ar- 
més d'une  ferme  confiance  dans  le  secours  qui 
I^Hir  est  promis,  loin  d'hésiter,  ils  s'affermissent 
par  ks  oppositions  mêmes  qu'ils  éprouvent;  loin 
de  craindre,  ils  ressentent  une  joie  indicible  au 
milieu  des  menaces  et  des  mauvais  traitements, 
que  la  seule  idée  du  dessein  qu'ils  ont  formé  leur 
attire  ;  et  déjà  espérant  contre  toute  espérance , 
ils  se  regardent  comme  assurés  de  la  révolution 
qu'ils  méditent.  Quel  étrange  changement  dans 
ces  esprits  grossiers  î  Quelle  folle  pi-ésomption , 
ou  quelle  sublime  et  céleste  inspiration  les  anime  ! 

En  effet ,  considérez ,  je  vous  prie ,  l'entre- 
prise de  ces  pécheurs.  Jamais  prince,  Jamais  em- 
pire, jamais  république  n'a  conçu  un  dessein  si 
haut.  Sans  aucune  apparence  de  secours  humain, 
ils  partagent  le  monde  entre  eux  pour  le  conqué- 
rir. Ils  se  sont  mis  dans  l'esprit  de  changer  par 
tout  l'univers  les  religions  établies,  et  les  fausses 
et  la  véritable,  et  parmi  les  Gentils ,  et  parmi  les 
Juifs.  Us  veulent  établir  un  nouveau  culte,  un 
nouveau  sacrifice ,  une  loi  nouvelle;  parce  que, 
disent- ils ,  un  homme  qu'on  a  crucifié  en  Jérusa- 
lem l'a  enseigné  de  la  sorte.  Cet  homme  est  res- 
suscité, il  est  monté  aux  deux  où  il  est  le  Tout- 
Puissant.  Nulle  grâce  que  par  ses  mains ,  nul  ac- 
cès à  Dieu  qu'en  son  nom.  En  sa  croix  est  établie 
la  gloire  de  Dieu;  en  sa  mort,  le  salut  et  la  vie 
des  hommes. 

Mais  voyons  par  quels  artifices  ils  se  concilie- 
ront les  esprits.  Venez ,  disent-ils ,  servir  Jésus- 
Christ  :  quiconque  se  donne  à  lui  sera  heureux 
quand  il  sera  mort;  en  attendant,  il  faudra  souf- 
frir les  dernières  extrémités.  Voilà  leur  doctrine 
et  voilà  leurs  preuves;  voilà  leiwrs  fins,  voilà  leurs 
moyens. 

Dans  une  si  étrange  entreprise ,  je  ne  dis  pas , 
avoir  réussi  comme  ils  ont  fait ,  mais  avoir  osé 
espérer,  c'est  une  marque  invincible  de  la  vérité. 
Il  n'y  a  que  la  vérité  ou  la  vraisemblance  qui 
puisse  faire  espérer  les  hommes.  Qu'un  homme 
soit  avisé ,  qu'il  soit  téméraire ,  sïl  espère,  il  n'y 
a  point  de  milieu  :  ou  la  vérité  le  presse ,  ou  la 
vraisemblance  le  flatte;  ou  la  force  de  celle-là  le 
convainc ,  ou  l'apparence  de  celle-ci  le  trompe. 
Ici  tout  ce  qui  se  voit,  étonne  ;  tout  ce  qui  se 
prévoit ,  est  contraire  ;  tout  ce  qui  est  humain  , 
est  impossible.  Donc ,  où  il  n'y  a  nulle  vraisem- 


«3T 

blance,  il  faut  conclure  nécessairement  que  c'est 
la  seule  vérité  qui  soutient  l'ouvrage.  Que  le 
monde  se  moque  tant  qu'il  voudra  :  encore  faut- 
il  que  la  plus  forte  persuasion  qui  ait  jamais  paru 
sur  la  terre ,  et  dans  la  chose  la  plus  incroyable , 
et  parmi  les  épreuves  les  plus  difficiles ,  et  dans 
les  hommes  les  plus  incrédules  et  les  plus  timides, 
dont  le  plus  hardi  a  renié  lâchement  son  maître, 
ait  une  cause  apparente.  La  feinte  ne  va  pas  si 
loin ,  la  surprise  ne  dure  pas  si  longtemps,  la  fo- 
lie n'est  pas  si  réglée. 

Car  enfin,  poussons  à  bout  le  raisonnement  des 
incrédules  et  des  libertins.  Qu'est-ce  qu'ils  veu- 
lent penser  de  nos  saints  pêcheui-s?  Quoi?  qu'ils 
avaient  inventé  une  belle  fable,  qu'ils  se  plai- 
saient d'annoncer  au  monde?  mais  ils  l'auraient 
faite  plus  vraisemblable.  Que  c'étaient  des  in- 
sensés et  des  imbéciles,  qui  ne  s'entendaient  pas 
eux-mêmes?  mais  leur  vie,  mais  leurs  écrits, 
mais  leurs  lois  et  la  sainte  discipline  qu'ils  ont 
établie,  et  enfin  l'événement  même  prouvent  le 
contraire.  C'est  une  chose  inouïe  ,  ou  que  la  fi- 
nesse invente  si  mal ,  ou  que  la  folie  exécute  si 
heureusement  :  ni  le  projet  n'annonce  des  hommes 
rusés  ;  ni  le  succès ,  des  hommes  dépourvus  de 
sen^;.  Ce  ne  sont  pas  ici  des  hommes  prévenus , 
qui  meurent  pour  des  sentiments  qu'ifs  ont  sucés 
avec  le  lait.  Ce  ne  sont  pas  ici  des  spéculatifs  et 
des  curieux ,  qui  ayant  rêvé  dans  leur  cabinet 
sur  des  choses  imperceptibles ,  sur  des  mystères 
éloignés  des  sens ,  font  leurs  idoles  de  leurs  opi- 
nions ,  et  les  défendent  jusqu'à  mourir.  Ceux-ci 
ne  nous  disent  pas  :  Nous  avons  pensé,  nous 
avons  médité,  nous  avons  conclu.  Leurs  pensées 
pourraient  être  fausses ,  leurs  méditations  mal 
fondées ,  leurs  conséquences  mal  prises  et  défec- 
tueuses. Ils  nous  disent  :  Nous  avons  vu ,  nous 
avons  ouï ,  nous  avons  touché  de  nos  mains ,  et 
souvent,  et  longtemps,  et  plusieurs  ensemble^ 
ce  Jésus-Christ  ressuscité  des  morts.  S'ils  disent 
la  vérité,  que  reste-t-il  à  répondre?  S'ils  inven- 
tent, que  prétendent-ils? Quel  avantage,  quelle 
récompense ,  quel  prix  de  tous  leurs  travaux? 
S'ils  attendaient  quelque  chose,  c'était  ou  dans 
cette  vie ,  ou  après  leur  mort.  D'espérer  pendant 
cette  vie,  ni  la  haine,  ni  la  puissance,  ni  le  nom- 
bre de  leurs  ennemis,  ni  leur  propre  faiblesse  ne 
le  souffre  pas.  Les  voilà  donc  réduits  aux  siècles 
futurs;  et  alors,  ou  ils  attendent  de  Dieu  la  féli- 
cité de  leurs  âmes ,  ou  ils  attendent  des  hommes 
la  gloire  et  l'imraortahté  de  leur  nom.  S'ils  atten- 
dent la  félicité  que  promet  le  Dieu  véritable,  il  est 
clair  qu'ils  ne  pensent  pas  à  tromper  le  monde; 
et  si  le  monde  veut  s'imaginer  que  le  désir  de  se 
signaler  dans  l'histoire,  ait  été  flatter  ces  esprits 
grossiers  jusque  dans  leurs  bateaux  de  pêcheurs^ 


>3S 


PANÉGYRIQUE 


je  dirai  seulement  ce  mot  :  Si  un  Pierre ,  si  un 
André,  si  un  Jean,  parmi  tant  d'opprobres  et 
tant  de  persécutions ,  ont  pu  prévoir  de  si  loin 
la  gloire  du  christianisme ,  et  celle  que  nous  leur 
donnons,  je  ne  veux  rien  de  plus  fort  pour  con- 
vaincre tous  les  esprits  raisonnables  que  c'étaient 
des  hommes  divins,  auxquels  et  l'Esprit  de  Dieu, 
et  la  force  toujours  invincible  de  la  vérité ,  fai- 
saient voir,  dans  l'extrémité  de  l'oppression ,  la 
victoire  très-assurée  de  la  bonne  cause. 

Voilà  ce  que  fait  voir  la  vocation  des  pêcheurs  : 
elle  montre  que  l'Église  est  un  édifice  tiré  du 
néant,  une  création ,  l'œuvre  d'une  main  toute- 
puissante.  Voyez  la  structure,  rien  de  plus  grand  : 
le  fondement,  c'est  le  néant  même  :  Vocat  ea 
quœ  non  sunt  '.  Si  le  néant  y  paraît,  c'est  donc 
une  véritable  création  :  on  y  voit  quelques  parties 
brutes,  pour  montrer  ce  quie  l'art  a  opéré.  Si 
c'est  Dieu ,  bâtissons  dessus ,  ne  craignons  pas. 
Laissons-nous  prendre  ;  et ,  tant  de  fois  pris  par 
les  vanités ,  laissons-nous  prendre  une  fois  à  ces 
pêcheurs  d'hommes  et  aux  filets  de  l'Évangile, 
«  qui  ne  tuent  point  ce  qu'ils  prennent ,  mais  qui 
«  le  conservent;  qui  font  passer  à  la  lumière  ceux 
«  qu'ils  tirent  du  fond  de  l'abîme  ,  et  transpor- 
«  tent  de  la  terre  au  ciel  ceux  qtù  s'agitent  dans 
n  cettefange:»  Aposiolicainstrumentapiscandi 
retiasunt,  quœ  non  captos  perimunt,  sed  re- 
servant; et  de  profundo  ad  lumen  extrahunt, 
fluctuantes  de  infimis  ad  superna  traducunt  *. 

Laissons-nous  tirer  de  cette  mer,  dont  la  face 
est  toujours  changeante ,  qui  cède  à  tout  vent,  et 
qui  est  toujours  agitée  de  quelque  tempête.  Écou- 
tez ce  grand  bruit  du  monde ,  ce  tumulte ,  ce 
trouble  éternel  ;  voyez  ce  mouvement,  cette  agi- 
tation, ces  flots  vainement  émus  qui  crèvent 
tout  à  coup,  et  ne  laissent  que  de  l'écume.  Ces 
nides  impétueuses  qui  se  roulent  les  unes  contre 
les  autres,  qui  s'entrechoquent  avec  grand  éclat, 
et  s'effacent  mutuellement,  sont  une  vive  image 
du  monde  et  des  passions ,  qui  causent  toutes  les 
agitations  de  la  vie  humaine  ;  «  où  les  hommes, 
«comme  des  poissons,  se  dévorent  mutuelle- 
«  ment  :  »  Vbi  se  invicem  homines  quasi  pisces 
dévorant  ^.  Voyez  encore  ces  grands  poissons , 
ces  monstres  marins ,  qui  fendent  les  eaux  avec 
grand  tumulte  :  il  ne  reste  à  la  fin  aucun  vestige 
de  leur  passage.  Ainsi  passent  dans  le  monde  ces 
grandes  puissances,  qui  font  si  grand  bruit, 
qui  paraissent  avec  tant  d'ostentation.  Ont-elles 
passé ,  il  n'y  paraît  plus ,  tout  est  effacé,  il  n'en 
reste  aucune  apparence. 

11  vaut  donc  beaucoup  mieux  être  enfermé 


»  Eom.  IV ,  17. 

'  S.  Ambr.  lib.  IV,  in  Luc.  n"  72,  t.  i,  roi.  l.Tôi. 

»  Aug.  Scrm.  ctui,  n°  2,  t.  v ,  col  l'-;'9. 


dans  ces  rets  qui  nous  conduiront  au  rivage,  que 
de  nager  et  se  perdre,  dans  une  eau  si  vaste,  en 
se  flattant  d'une  fausse  image  de  liberté.  La  pa- 
role est  le  ret  qui  prend  les  âmes.  Mais  on  tra- 
vaille vîiinement,  si  Jésus-Christ  ne  parle  pas  : 
In  verbo  tuo  laxabo  rete  :  «  Sur  votre  parole, 
«  Seigneur,  je  jetterai  le  filet.  »  C'est  ce  qui  donne 
efficace. 

Saintes  filles ,  vous  êtes  renfermées  dans  ce 
filet  :  la  parole  qui  vous  a  prises ,  c'est  cet  ora- 
cle si  touchant  de  la  vérité  :  Quid  prodest  ho- 
mini  si  mundum  universum  lucretur^  animœ 
vero  suœ  detrimentum  patiatur  ■  ?  «  Que  sert  à 
'<  l'homme  de  gagner  le  monde  entier,  s'il  perd 
"  son  âme?  «Dès  lors  pénétrées,  par  l'efficace  de 
cette  parole,  du  néant  et  des  dangers  d'un  monde 
trompeur,  vous  avez  voulu  donner  toutes  vos  af- 
fections à  ces  biens  véritables ,  seuls  dignes  d'at- 
tirer vos  cœurs;  et  pour  vous  mettre  plus  en  état 
de  les  acquérir,  vous  vous  êtes  empressées  de  vous 
séparer  de  tous  les  objets  qui  auraient  pu,  par  des 
illusions  funestes,  égarer  vos  désirs,  et  détourner 
votre  application  de  cet  unique  nécessaire.  Per- 
sévérez dans  ces  bienheureux  filets  qui  vous  ont 
mises  à  couvert  des  périls  de  cette  mer  orageuse , 
et  gardez-vous  d'imiter  ceux  qui ,  par  les  diffé- 
rentes ouvertures  qu'ils  ont  cherché  dans  leur 
inquiétude  à  faire  aux  rets  salutaires  qui  les 
enserraient,  n'ont  travaillé  qu'à  se  procurer  une 
liberté  plus  déplorable  que  le  plus  honteux 
esclavage. 

SECOND   POINT. 

Saint  André  est  un  des  plus  illustres  de  ces 
divins  pêcheurs ,  et  l'un  de  ceux  à  qui  Dieu  a 
donné  le  plus  grand  succès  dans  cette  pêche  mys- 
térieuse. C'est  lui  qui  a  pris  son  frère  Simon,  le 
prince  de  tous  les  pêcheurs  spirituels  :  Veni ,  et 
vide  *.  C'est  ce  qui  donne  lieu  à  Hésychius ,  prê- 
tre de  Jérusalem,  de  lui  donner  cet  éloge  ^  : 
André ,  le  premier-né  des  apôtres,  la  colonne  pre- 
mièrement établie ,  Pierre  devant  Pierre,  fonde- 
ment du  fondement  même,  qui  a  appelé  avant 
qu'on  appelât,  qui  amène  des  disciples  à  Jésus 
avant  que  d'y  avoir  été  amené  lui-même.  «  Il 
«  rend  ainsi  au  Verbe  ceux  qu'il  prend  par  sa 
«  parole  :  »  Quosin  verbo  capit,  Verbo  reddil  '. 
Car  toute  la  gloire  des  conquêtes  des  apôtres  est 
due  à  Jésus-Christ  :  c'est  en  s'appuyant  sur  ses 
promesses  qu'ils  les  entreprennent  :  In  verbo  tuo 
laxabo  rete  *.  '<  Aussi  ne  sommes-nous  pas  appe« 
"  lés  pétriens ,  mais  chrétiens,  »  Nonpctrianvsy 


Matth.  XVI,  26. 
Joau.  1 ,  46. 
nibl.  Phot.  Cod  .  269. 
5.  Jmhr.  in  Luc.  lib.  tv,  n» 
'  Luc.  V,  5. 


78,  t.  I,  col.  1355. 


DE  SAINT  ANDRÉ,  APOTRE. 


scdchrislianos  :  ■>  et  ce  n'est  pas  Paul  qui  a  été 
•  crucifié  pour  nous  :  »  IS'umquid  Paulus  cruci- 
fi.ius  estpro  vohis  '  ? 

Bientôt  André,  rempli  de  ces  sentiments, 
soumettra  a  son  maître ,  avec  un  zèle  infatigable 
fl  un  courage  invincible,  l'Épire,  i'Achaie,  la 
Thrace,  la  Scythie,  peuples  barbares  et  presque 
scmvages ,  «  libres  par  leur  indocile  fierté,  par  leur 
»  humeur  rustique  et  farouche,  >•  omnes  illœ 
ferocia  libères  génies.  Tous  ces  succès  sont  l'ef- 
fet de  l'ordre  que  Jésus-Christ  leur  a  donné  à 
tous  :  Laxate  relia  :  «  Jetez  vos  filets.  »  Dès  que 
les  apôtres  se  sont  mis  en  devoir  de  l'exécuter,  la 
foule  des  peuples  et  des  nations  convertis  se 
trouve  prise  dans  la  parole. 

Si  nous  voulons  considérer  avec  attention 
toutes  les  circonstances  de  la  pêche  miraculeuse 
des  apôtres,  nous  y  verrons  toute  l'histoire  de 
l'Église,  figurée  avec  lestraits  les  plus  frappants. 
Il  y  entre  des  esprits  inquiets  et  impatients;  ils 
ne  peuvent  se  donner  de  bornes ,  ni  renfermer 
leur  esprit  dans  l'obéissance  :  Rumpebaturautem 
rele  eorum  '.  La  curiosité  les  agite ,  l'inquiétude 
les  pousse,  l'orgueil  les  emporte;  ils  rompent 
les  rets,  ils  échappent,  ils  font  des  schismes  et 
des  hérésies  :  ils  s'égarent  dans  des  questions  in- 
finies ,  ils  se  perdent  dans  l'abîme  des  opinions 
humaines.  Toutes  les  hérésies ,  pour  mettre  la 
raison  un  peu  plus  au  large ,  se  font  des  ouver- 
tures par  des  interprétations  violentes  :  elles  ne 
veulent  rien  qui  captive.  Dans  les  mystères ,  il 
faut  souvent  dire  qu'on  n'entend  pas  ;  il  faut  re- 
noncer à  la  raison  et  au  sens.  L'esprit  libre  et 
curieux  ne  peut  s'y  résoudre;  il  veut  tout  enten- 
dre ,  l'Eucharistie ,  les  paroles  de  l'Évangile.  C'est 
un  filet  où  l'esprit  est  arrêté.  On  force  un  pas- 
sage ,  on  cherche  à  s'échapper  à  travers  les  mau- 
vaises défaites  que  suggère  une  orgueilleuse 
raison.  Pour  nous,  demeurons  dans  l'Église, 
heureusement  captivés  dans  ses  liens.  11  y  en 
demeure  des  mauvais ,  mais  il  n'en  sort  aucun 
des  bons. 

Mais  voici  un  autre  inconvénient.  "  La  multi- 
"  tude  est  si  grande,  que  la  nacelle  surchargée 
"  est  prête  à  couler  à  fond  :  «  Impleverunt  ambas 
naviculas,  ita  ut  pêne  mergerenlur^  :  figure 
bien  sensible  de  ce  qui  devait  se  passer  dans  l'É- 
glise ,  où  le  grand  nombre  de  ceux  qui  entraient 
dans  la  nacelle ,  a  tant  de  fois  fait  craindre  qu'elle 
ne  fût  submergée  par  son  propre  poids  :  Sed  mihi 
cumulus  iste  suspectus  est,  ne  plenitudine  sui 
naiespene  mergantur*.  Mais  ce  n'est  pas  encore 

'  I.  Cor.  1 .  13 

»  Lue.  T.  6. 

»  Ibid.  1. 

*  S.  Amb.  in  Luc.  lib.  iv,  n"  77,  col.  135*. 


539' 

tout;  et  ici  le  danger  n'est  pas  moins  redoutable 
que  tous  les  périls  déjà  courus.  «  Pierre  est  agité 
«  d'une  nouvelle  sollicitude  ;  sa  proie  même ,  qu'il 
«  a  tirée,  à  terre  avec  tant  d'efforts,  lui  devient 
«  suspecte;  et  il  a  besoin  d'un  sage  discernement 
«  pour  n'être  pas  trompé  dans  son  abondance  :  ► 
Ecce  alia  sollicitudo  Pétri,  cuijam  sua  prœda 
suspecta  estK  Image  vive  de  la  conduite  que  les 
pêcheurs  spirituels  ont  dû  tenir  à  l'égard  de  tous 
ces  poissons  mystérieux  qui  tombaient  dans  leurs 
filets.  Faute  de  cette  sage  défiance  et  de  ces  pré-  * 
cautions  salutaires ,  l'Église  s'est  accrue  et  la  dis- 
cipline s'est  relâchée;  le  nombre  des  fidèles  s'est 
augmenté,  et  l'ardeur  de  la  foi  s'est  ralentie  : 
ISescio  quomodo  pugnante  contra  temetipsam 
tua  felicitate ,  quantum  tihi  auctum  estpopu- 
lorum,  tantum  pêne  vitiorum;  quantum  tibi 

copiœ  accessit,  tantum  disciplines  recessit; 

factaque  es,  Ecclesia ,  profectu  tuce/œcundita- 
tis  infirmior,  et  quasi  minus  valida  *.  Elle  est  dé- 
chue par  son  progrès ,  et  abattue  par  ses  propres 
forces. 

L'Église  n'est  faite  que  pour  les  saints.  Aussi 
les  enfants  de  Dieu  y  sont  appelés,  et  y  accou- 
rent de  toutes  parts.  Tous  ceux  qui  sont  du  nom- 
bre ,  y  sont  entrés  :  «  mais  combien  en  est-il  en- 
«  tré  par-dessus  le  nombre  !  «  Multiplicati  sunt 
super  numerum  ^.  Combien  parmi  nous,  qui 
néanmoins  ne  sont  point  des  nôtres  !  Les  enfants 
d'iniquité  qui  l'accablent,  la  foule  des  méchants 
qui  l'opprime,  ne  sont  dans  l'Église  que  pour 
l'exercer.  Les  vices  ont  pénétré  jusque  dans  le 
cœur  de  l'Église;  et  ceux  qui  ne  devaient  pas 
même  y  être  nommés,  y  paraissent  hautement  Ir 
tète  levée  :  Maledictum ,  et  mendacium,  et  adul- 
terium  iWM/tt/ayerwn/^.  Les  scandales  se  sont  éle- 
vés ;  et  l'iniquité  étant  entrée  comme  un  torrent, 
elle  a  renversé  la  discipline.  Il  n'y  a  plus  de  cor- 
rection ,  il  n'y  a  plus  de  censure.  Ou  ne  peut  plus, 
dit  saint  Bernard  '" ,  noter  les  méchants ,  tant  le 
nombre  en  est  immense  ;  on  ne  peut  plus  les  éviter, 
tant  leurs  emplois  sont  nécessaires;  on  ne  peut 
plus  les  réprimer  ni  les  corriger,  tant  leur  crédit 
et  leur  autorité  est  redoutable. 

Dans  cette  foule,  les  bons  sont  cachés;  sou- 
vent ils  habitent  dans  quelque  coin  écarté,  dans 
quelque  vallée  déserte  :  Us  soupirent  en  secret  y 
et  se  livrent  aux  saints  gémissements  de  la  péni-- 
tence.  Combien  de  saints  pénitents!  Helasl  •»  à 
«  peine  dans  un  si  grand  amas  de  pailles  aperçoit- 
«  on  quelques  grains  de  froment  :  »  Vix  ibi  aj>- 
parent  g ranaj'rumenti  in  tam  multo  numéros 

■  s.  Amh.  tn  Lue.  lib.  rr ,  n*  78,  col.  1366. 
»  Salvian.  adv.  Avar.  lib.  i,  p.  218. 

*  Psal.  xx\K ,  6. 

•  O».  iv,2. 

»  In  Caiit.  SeriH  xxxui,  u'  16,  t.  I.  col    12». 


.uo 


PANEGYRIQUE 


palearum'.  Les  uns  paraissent,  les  autres  sont 
cachés,  selon  qu'il  plaît  au  Père  céleste ,  ou  de 
its  sanctifier  par  l'obscurité,  ou  de  les  produire 
pour  le  bon  exemple.  , 

Mais  dans  cette  étrange  confusion ,  et  au  mi- 
lieu de  tant  de  désordres,  souvent  la  foi  chan- 
celé, les  faibles  se  scandalisent,  l'impiété  triom- 
phe ;  et  l'on  est  tenté  de  croire  que  la  piété  n'est 
(ju'un  nom ,  et  la  vertu  chrétienne  qu'une  feinte 
(le  l'hypocrisie.  Rassurez- vous  cependant,  et  ne 
wms  laissez  pas  ébranler  par  la  multitude  des 
mauvais  exemples.  Voulea-vous  trouver  des  hom- 
mes sincèrement  vertueux ,  et  vraiment  chré- 
tiens ,  qui  vous  consolent  dans  ce  dérèglement 
presque  universel ,  «  soyez  vous-mêmes  ce  que 
'-  vous  désireriez  voir  dans  les  autres;  et  vous  en 
«  trouverezsûrement,ou  qui  vous  ressembleront, 
«  ou  qui  vous  imiteront  :  »  Esiote  taies ^  et  inve- 
itietis  taies. 

TROISIÈME   POINT. 

L'Église  parle  à  ses  enfants  :  ils  doivent  l'é- 
couler avec  un  respect  qui  prouve  leur  soumis- 
sion ,  et  lui  obéir  avec  une  prcHnptitude  qui  té- 
moigne leur  lidélité  et  leur  confiance.  Dieu  parle 
aussi,  et  à  sa  parole  tout  se  fait  dans  la  nature 
comme  il  l'ordonne.  Si  les  créatures  inanimées, 
ou  sans  raison ,  lui  obéissent  avec  tant  de  dépen- 
dance; nous,  qui  sommes  doués  d'intelligence, 
lui  devons-nous  moins  de  docilité  quand  il  parle? 
Et,  en  effet,  la  liberté  ne  nous  est  pas  donnée 
pour  hésiter,  ni  pour  disputer  contre  lui  :  elle 
nous  donne  le  volontaire ,  pour  distinguer  notre 
obéissance  de  celle  des  créatures  inanimées  ou 
sans  raison;  mais  quel  que  soit  notre  avantage 
sur  elles ,  ce  n'est  pas  pour  nous  dispenser  de  ren- 
dre à  Dieu  la  déférence  qui  lui  est  due.  Le  même 
dvoit  qu'il  a  sur  les  autres  êtres ,  subsiste  à  notre 
égard;  et  il  nous  impose  la  même  obligation  de 
hii  obéir  ponctuellement  et  dans  l'instant  même. 
S'il  nous  laisse  notre  choix ,  c'est  non  pour  af- 
faiblir son  empire ,  mais  pour  rendre  notre  su- 
jétion plus  honorable. 

Ceux  qui  sont  accoutumés  au  commandement , 
senten-t  mieux  que  les  autres  combien  cette  obéis- 
sance est  juste  et  légitime ,  combien  elle  est  douce 
et  aimable.  Que  sert  donc  de  la  refuser  ou  de  la 
contester?  Les  hommes  peuvent  bien  trouver 
moyen  de  se  soustraire  à  l'empire  de  leui*s  sem- 
blables ;  mais  Dieu  a  cela  par  nature ,  que  rien  ne 
lui  résiste.  Si  la  volonté  rebelle  prétend  échapper 
à  sa  domination  ;  en  s'en  retirant  d'un  côté,  elle 
y  retombe  d'un  autre  avec  toute  l'impétuosité  des 
efforts  qu'elle  avait  faits  pour  s'en  affranchir. 

•  s.  Aitg.  Serm.  ccui,  n"  i.  l  v,  co!   loio. 


Ainsi  tout  invile,  tout  presse  l'homme  de  se  soir- 
mettre  à  son  Dieu ,  et  de  lui  obéir  sans  contradic- 
tion et  sans  délai. 

Quand  on  hésite  ou  qu'on  diffère ,  il  se  tient 
pour  méprisé  ou  refusé  tout  à  fait.  Lorsque  la 
vocation  est  claire  et  certaine,  qui  est  capable 
d 'hésiter  un  moment,  est  capable  de  manquer  tout 
à  fait;  qui  peut  retarder  un  jour,  peut  passer 
toute  sa  vie  :  nos  passions  et  nos  affaires  ne  nous 
demandent  jamais  qu'un  délai.  C'est  pour  Dieu 
une  insupportable  lenteur  que  d'aller  seulement 
dire  adieu  aux  siens,  que  d'aller  rendre  à  son 
propre  père  les  honneurs  de  la  sépulture.  Il  fau- 
dra voir  le  testament,  l'exécuter,  le  contester  : 
d'une  affaire  il  en  naît  une  autre,  et  un  moment 
de  remise  attire  quelquefois  la  vie  tout  entière  ; 
c'est  pourquoi  il  faut  tout  quitter  en  entrant  au 
service  de  Dieu  ".  Puisqu'il  faudra  nécessairement 
couper  quelque  part,  coupez  dès  l'abord,  tran- 
chez au  commencement,  afin  d'être  plus  tôt  à 
celui  à  qui  vous  voulez  être  pour  toujours. 

Et  combien  n'est-on  pas  dédommagé  de  ces 
sacrifices  !  et  quelle  confiance  ne  donnent-Ms  pas 
aux  âmes ,  pour  oser  tout  espérer  de  la  bonté  d'un 
Dieu  si  généreux  et  si  magnifique  !  Voyez  les  apô- 
tres, ils  n'ont  quitté  qu'un  art  méprisable  :  Pierre 
en  dit-il  avec  moins  de  force  :  <  Nous  avons  tout 
quitté,  «  Reliquimiis  omniO'^THes  filets  :  voilà- 
le  présent  qu'ils  suspendent  à  ses  autels;  voilà  les 
armes ,  voilà  le  trophée  qu'ils  érigent  à  sa  victoire. 
Qu'il  y  a  plaisir  de  servir  celui  qui  fait  justice  au 
cœur,  et  qui  pèse  l'affection  ;  qui  veut  à  la  vérité 
nous  faire  acheter  son  royaume,  mais  aussi  qui 
a  la  bonté  de  se  contenter  de  ce  que  nous  avons 
entre  les  mains  !  Car  il  met  son  royaume  à  tout 
prix ,  et  il  le  donne  pour  tout  ce  que  nous  pouvons 
lui  offrir  :  Tantum  valet  quantum  habes.  «  Rien 
«qui  soit  à  plus  vil  prix,  quand  on  l'achète;  rieiv 
«  qui  soit  plus  précieux ,  quand  on  le  possède  :  >» 
Quicl  vilius,  cum  emitur;  quid  carius,  cum 
possidetur^l 

Mais  ce  n'est  pas  assez  de  tout  quitter,  parents , 
amis ,  bien ,  repos ,  liberté  :  il  faut  encore  suivre 
Jésus-Christ,  porter  sa  croixaprèsluien  marchant 
sur  ses  traces,  en  imitant  ses  exemples,  et  se  re- 
noncer ainsi  soi-même  tous  les  jours  de  sa  vie. 
Cependant  qu'il  est  difficile,  quand  tout  est  heu- 
reux, quand  tout  nous  favorise ,  de  résister  à  ces 
attraits  séduisants  d'un  monde  qui  nous  amollit  et 
nous  corrompt  en  nous  flattant  !  A  qui  persuadera- 
t-on  de  fuir  la  gloire,  de  mépriser  les  honneurs, 
de  redouter  les. richesses,  lorsqu'ils  semblent  se 
présenter  comme  d'eux-mêmes,  et  venir  pour. 

'  s.  Chrysost.  inMatth.  Homil.  \xvii ,  t.  VU,  p.  33». 

>  >/a«A.  MX,27. 

3  S.  Gregor.  in  Ev.  Hom.  Y,  n"  2    3,  t.  1,  col.  UiJ. 


Dt:  SAINT  ANDRÉ,  APOTRE. 


541 


ftïisî  dire  nous  chorehcr  dans  notre  obscurité? 
Qui  peut  comprendre  qu'il  faille  se  mortifier  dans 
K'  sein  de  Talwndance  ;  faire  violence  à  ses  désirs , 
lorsque  tout  concourt  à  les  satisfaire;  devenir  à 
soi-même  son  propre  bourreau ,  si  les  contradic- 
tions du  debors  ne  nous  en  tiennent  lien  ;  et  sa- 
voir se  livrer  à  tous  les  genres  de  souffrances, 
l>our  mener  une  vie  vraiment  pénitente  et  cruci- 
fiée? Et  toutefois  y  a-t-il  une  autre  manière  de  se 
rendre  semblable  à  Jésus-Christ ,  et  de  porter 
fidèlement  sa  croix  avec  lui? 

«  O  croix  aimable ,  ô  croix  si  ardemment  dé- 
<■■  sirée,  et  enfin  trouvée  si  heureusement!  puis- 
«  sé-je  ne  jamais  te  quitter ,  te  demeurer  tendre- 
«  ment  et  constamment  attaché ,  afin  que  cehii 
«  qui ,  en  mourant  entre  tes  bras ,  par  toi  m'a  ra- 
"  cheté,  par  toi  aussi  me  reçoive  et  me  possède 
«  éternellement  dans  son  amour  :  »  Vtper  ie  me 
recipiat,  qui  perte  moriens  me  redemit!  Tels 
sont  les  sentiments  dont  doivent  être  animés  tous 
ceux  qui  veulent  sincèrement  appartenir  à  Jésus- 
Christ  :  point  d'autre  moyen  de  se  montrer  ses 
véritables  disciples. 

Quand  est-ce  que  l'Église  a  vu  des  chrétiens 
d'ignés  de  ce  nom?  c'est  lorsqu'elle  était  persé- 
cutée ,  lorsqu'elle  Usait  à  tous  le  poteaux  des  sen- 
tences épouvantables  contre  ses  enfants,  et  qu'elle 
les  voyait  à  tous  les  gibets ,  et  dans  toutes  les 
places  publiques ,  immolés  pour  la  gloire  de  l'É- 
vangile. Durant  ce  temps,  mes  sœurs,  il  y  avait 
des  chrétiens  sur  la  terre  ;  il  y  avait  de  ces  hommes 
forts,  qui ,  nourris  dans  les  proscriptions  et  dans 
les  alarmes  continuelles,  s'étaient  fait  une  glo- 
rieuse habitude  de  souffrir  pour  l'amour  de  Dieu. 
Ils  croyaient  que  c'était  trop  de  délicatesse  à  des 
disciples  de  la  croix ,  que  de  rechercher  le  plai- 
sir et  en  ce  monde  et  en  l'autre.  Comme  la  terre 
leur  était  un  exil ,  ils  n'estimaient  rien  de  meil- 
leur pour  eux  que  d'en  sortir  au  plus  tôt.  Alors 
la  piété  était  sincère,  parce  qu'elle  n'était  pas  en- 
core devenue  un  art  :  elle  n'avait  pas  encore  ap- 
pris le  secret  de  s'accommoder  au  monde ,  ni  de 
servir  au  négoce  des  ténèbres.  Simple  et  innocente 
qu'elle  était;  elle  ne  regardait  que  le  ciel ,  auquel 
elle  prouvait  sa  fidélité  par  une  longue  patience. 
Tels  étaient  les  chrétiens  de  ces  premiers  temps  : 
les  voilà  dans  leur  pureté,  tels  que  les  engendrait 
le  sang  des  martyi-s ,  tels  que  les  formaient  les  per- 
sécutions. 

Maintenant  une  longue  paix  a  corrompu  ces 
courages  mâles ,  et  on  les  a  vus  ramollis  depuis 
qu'ils  n'ont  plus  été  exercés.  Le  monde  est  entré 
dans  l'Église.  On  a  voulu  joindre  Jésus-Christ 
avec  Bélial  ;  et  de  cet  indigne  mélange  quelle  race 
enfin  nous  est  née?  Une  race  mêlée  et  corrom- 
pue ,  des  demi-chrétiens ,  des  chrétiens  mondains 


et  séculiers;  une  piété  bâtarde  et  falsifiée,  qui 
est  toute  dans  les  discours  et  dans  un  extérieur 
contrefait.  0  piété  à  la  mode ,  que  je  me  ris  de 
tes  vauteries  et  des  discours  étudiés  que  tu  dé- 
bites à  ton  aise  pendant  que  le  monde  te  rit  !  viens 
que  je  te  mette  à  l'épreuve.  Voici  une  tempête 
qui  s'élève;  voici  une  perte  de  biens,  une  in- 
sulte, une  di^âce,  une  maladie.  Quoi!  tu  te 
laisses  aller  au  murmure^  ô  vertu  contrefaite  et 
déconcertée!  tu  ne  peux  plus  te  soutenir,  piété 
sans  force  et  sans  fondement!  Va,  tu  n'étais 
qu'un  vain  simulacre  de  la  piété  chrétienne;  tu 
n'étais  qu'un  faux  or  qui  brille  au  soleil,  mais 
qui  ne  dure  pas  dans  le  feu ,  mais  qui  s'évanouit 
dans  le  creuset.  La  piété  chrétienne  n'est  pas  faite 
de  la  sorte  :  le  feu  l'épure  et  l'affermit.  Ah!  s'il 
est  ainsi ,  chrétiens ,  si  les  souffrances  sont  néces- 
saires pour  soutenir  l'esprit  du  christianisme, 
Seigneur,  rendez-nous  les  tyrans;  rendez-nous 
les  Domitieu  et  les  Néron. 

Mais  modérons  notre  zèle,  et  ne  faisons  point 
de  vœux  indiscrets  :  n'envions  pas  à  nos  princes 
le  bonheur  d'être  chrétiens ,  et  ne  demandons  pas 
des  pei-sécutioHS,  que  notre  lâcheté  ne  pourrait 
souffrir.  Sans  ramener  les  roues  et  les  chevalets 
sur  lest^uels  on  étendait  nos  ancêtres,  la  matière 
ne  manquH'apasà  la  patience.  La  nature  a  assez 
d'infirmités,  les  affaires  assez  d'épines ,  les  hom- 
mes assez  d'injustice,  leurs  jugements  a^ez  de 
bizarreries,  leurs  humeurs  assez  d'importunes 
inégalités  ;  le  monde  assez  d'embarras,  ses  faveurs 
assez  d'inconstance,  ses  engagements  les  plus 
doux  assez  de  captivités.  Que  si  tout  nous  pros- 
père, si  tout  nous  rit,  c'est  à  nous  à  nous  reudre 
nous-mêmes  nos  persécuteurs ,  à  nous  contrarier 
nous-mêmes. 

Pour  mener  une  vie  chrétienne,  il  faut  sans 
cesse  combattre  son  cœur ,  craindre  ce  qui  nous 
attire ,  pardonner  ce  qui  nous  irrite ,  rejeter  sou- 
vent ce  qui  nous  avance ,  et  nous  opposer  nous- 
mêmes  aux  accroissements  de  notre  fortune.  0 
qu'il  est  difficile ,  pendant  que  le  monde  nous  ac- 
corde tout,  de  se  refuser  quelque  chosel  Qui,  ayant 
en  sa  possession  une  personne  très -accomplie, 
qu'il  aurait  aimée ,  vivrait  avec  elle  comme  avec 
sa  sœur,  s'élèverait  au-dessus  de  tous  les  senti- 
ments de  l'humanité?  C'est  une  aussi  forte  réso- 
lution ,  dit  saint  Chrysostôme  ',  de  ne  pas  laisser 
corrompre  son  cœur  par  les  grandeurs  et  les  biens 
qu'on  possède.  Ah!  qu'il  faut  alors  de  courage 
pour  renoncer  à  ses  inclinations ,  et  s'empêcher 
de  goûter  et  d'aimer  ce  que  la  nature  trouve  si 
doux  et  si  aimable  !  Sans  cesse  obligé  d'être  aux 
prises  avec  soi-même,  pour  s'aracher  de  vive  fore  i 

>  /«  MaU.  Hom.XL,  n*  4,  t.  vu,  p.  ♦«. 


PANÉGYRIQUE 


&I2 

<à  des  objets  auxquels  tout  le  poids  du  cœur  nous 
entraîne;  combien  ne  s'y  sent-on  pas  plus  forte- 
ment incliné ,  lorsque  tout  ce  qui  nous  environne 
nous  invite  et  nous  presse  de  satisfaire  à  nos  dé- 
sirs? C'est  dans  une  si  critique  situation  qu'il  faut 
vraiment ,  pour  se  conserver  pur ,  se  rendre  en 
<juelque  sorte  cruel  à  soi-même ,  en  se  privant 
d'autant  plus  des  vains  plaisirs  que  la  chair  re- 
cherche ,  qu'on  a  plus  de  moyen  de  se  les  pro- 
curer. Si  l'esprit  veut  alors  acquérir  une  noble 
liberté,  qu'il  tienne  les  sens  dans  une  sage  con- 
trainte, de  peur  d'en  être  bientôt  maîtrisé  ;  et  que 
saintement  sévère  à  lui-même,  sévère  à  son  corps, 
il  tende,  par  une  bienheureuse  mortification  de 
tous  les  retours  de  l'amour-propre  et  toutes  les 
affections  charnelles ,  à  se  dégager  de  plus  en  plus 
de  tout  ce  qui  t'empêche  de  retourner  à  son  prin- 
cipe. Peu  à  peu  il  trouvera  dans  les  austérités 
<le  la  pénitence,  dans  les  humiliations  de  la 
croix,  plus  de  délices  et  de  consolations,  que 
les  amateurs  du  monde  ne  sauraient  en  goûter 
dans  toutes  les  folles  joies  qu'il  leur  procure ,  et 
dans  tous  les  contentements  de  leur  orgueil.  C'est 
ainsi  que ,  par  les  différents  progrès  du  détache- 
ment et  de  la  pénitence ,  nous  parvenons  à  être 
réellement  martyrs  de  nous-mêmes,  nous  deve- 
nons des  victimes  d'autant_  plus  propres  à  être 
consommées  en  Jésus-Christ,  qu'elles  sont  plus 
volontaires.  Nouveau  genre  de  martyre,  où  le  1 
persécuteur  et  le  patient  sont  également  agréa- 
bles ;  ou  Dieu  d'ime  même  main  anime  celui  qui 
souffre,  et  couronne  celui  qui  persécute. 

Saintes  filles,  vous  connaissez  ce  genre  de 
martyre,  et  depuis  longtemps  vous  l'exercez  sur 
vous-mêmes  avec  un  zèle  digne  de  la  foi  qui  vous 
anime.  Peu  contentes  de  vous  être  dépouillées , 
par  un  généreux  renoncement  que  la  grâce  vous 
a  inspiré,  de  tous  les  objets  capables  de  vous  af- 
fadir, vous  avez  encore  voulu  déclarer  une  guerre 
continuelle  à  toutes  les  affections,  à  tous  les  sen- 
timents d'une  nature  toujours  ingénieuse  à  recher- 
cher  ce  qui  peut  la  satisfaire  ;  et  dans  la  crainte 
de  céder  à  ses  empressements,  vous  avez  mieux 
aimé  lui  refuser  sans  danger  ce  qui  pourrait  lui 
être  permis ,  que  de  vous  exposer  à  vous  laisser 
entraîner  au  delà  des  bornes ,  en  lui  donnant  tout 
ce  que  vous  pouviez  absolument  lui  accorder. 
■  Persévérez ,  mes  sœurs,  dans  cette  glorieuse  mi- 
lice ,  qui  vous  apprendra  à  mourir  chaque  jour  à 
ce  que  vous  avez  de  plus  intime ,  et  qui ,  vous 
détachant  de  plus  en  plus  de  la  chair ,  vous  élè- 
vera par  une  sainte  mortification  de  l'esprit,  jus- 
(lu'à  Dieu,  pour  trouver  en  lui  cette  paix  que  le 
monde  ne  connaît  pas ,  ces  délices  que  les  sens  ne 
sauraient  goûter,  et  ce  parfait  bonheur  réservé  aux 
unies  vraiment  chrétiennes,  que  je  vous  souhaite. 


PANEGYRIQUE 


SAINT  JEAN,  APOTRE. 

Tendresse  particulière  de  Jésus  pour  saint  Jean.  Trois 
présents  inestimaMes  qu'il  lui  fait,  dans  les  trois élats  divers 
par  lesquels  ce  divin  Sauveur  a  passé  pendant  les  Jours  di  a 
mortalité.  Comment  le  disciple  bien-akné  répond  à  Fun^  ui 
de  son  divin  Maitre  pour  lui. 


Ego  dilecto  mee,  et  ad  me  conversio  ejtts . 
Je  sui.s  à  mon  bieB-aimé ,  et  la  pente  de  son  cœur  est 
tournée  vers  moi.  Cant.  vu,  10. 

Il  est  superflu ,  chrétiens ,  de  faire  aujourd'hui 
le  panégyrique  du  disciple  bien-aimé  de  notre 
Sauveur.  C'est  assez  de  dire  en  un  mot  qu'il  était 
le  favori  de  Jésus,  et  le  plus  chéri  de  tous  les 
apôtres.  Saint  Augustin  dit  très-doctement  que 
«  l'ouvrage  est  parfait  lorsqu'il  plaît  à  son  ou- 
«  vrier  :  »  Hoc  est  ^rfeclum  quod  arlijici  suo 
placet^\  et  il  me  semble  que  nous  le  connaissons 
par  expérience.  <}uand  nous  voyons  un  excellent 
peintre  qui  travaille  à  faire  un  tableau  ;  tant  qu'il 
tient  son  pinceau  en  main,  que  tantôt  il  efface 
un  trait ,  e*  tantôt  il  en  tire  un  autre ,  son  ouvrage 
ne  lui  plaît  pas ,  il  n'a  pas  rempli  toute  son  idée , 
et  le  portrait  n'est  pas  achevé  :  mais  sitôt  qu'ayant 
fini  toBS  ses  traits,  et  relevé  toutes  ses  couleurs, 
il  commence  à  exposer  sa  peinture  en  vue ,  c'est 
alors  que  son  esprit  est  content ,  et  que  tout  est 
ajusté  aux  règles  de  l'art;  l'ouvrage  est  parfait 
parce  qu'il  plaît  à  son  ouvrier,  et  qu'il  a  fait  ce 
qu'il  voulait  faire  :  Hoc  est  perfectum  quod  ar- 
tifici  suoplacet.  Ne  doutez  donc  pas,  chrétiens, 
de  la  grande  perfection  de  saint  Jean ,  puisqu'il 
plaît  si  fort  à  son  ouvrier;  et  croyez  que  Jésus- 
Christ,  créateur  des  cœurs,  qui  les  crée,  comme 
dit  saint  Paul%  dans  les  bonnes  œuvres,  l'a  fait 
tel  qu'il  fallait  qu'il  fût  pour  être  l'objet  de  ses 
complaisances.  Ainsi  je  pourrais  conclure  ce  pa- 
négyrique après  cette  seule  parole ,  si  votre  ins- 
truction, chrétiens,  ne  désirait  de  moi  un  plus 
long  discours. 

Sainte  et  bienheureuse  Marie,  impétrez-nous  les 
lumières  de  l'Esprit  de  Dieu  pour  parler  de  Jean 
votre  second  fils.  Que  votre  pudeur  n'en  rougisse 
pas;  votre  virginité  n'y  est  point  blessée.  C'est 
Jésus-Christ  qui  vous  l'a  donné ,  et  qui  a  voulu 
vous  annoncer  lui-même  que  vous  seriez  la  mère 
de  son  bien-aimé.  Qui  doute  que  vous  n'ayez  cru 
à  la  parole  de  votre  Dieu,  vous  qui  avez  été  si 
humblement  soumise  à  celle  qui  vous  fut  portée 
par  son  ange,  qui  vous  salua  de  sa  part,  en  di- 
sant :  Ave. 

»  De  Gènes,  contra.  Mamch.  lib.  1,  cap.  VIII,  n"  13, 1. 1, 
col.  6.50. 
2  Ephcs.  Il ,  10. 


DE  SAINT  JEAN,  APOTUE. 


Je  remarque  dans  les  saintes  Lettres  trois  états 
divers  dans  lesquels  a  passé  le  sauveur  Jésus 
pendant  les  jours  de  sa  chair,  et  le  cours  de  son 
pèlerinage.  Le  premier,  a  été  sa  vie;  le  second, 
a  été  sa  mort  ;  le  troisième ,  a  été  mêlé  de  mort 
et  de  vie ,  où  Jésus  n'a  été  ni  mort  ni  vivant  :  ou 
plutôt  il  y  a  été  tout  ensemble  et  mort  et  vivant  ; 
et  c'est  l'état  où  il  se  trouvait  dans  la  célébration 
de  sa  sainte  cène ,  lorsque  mangeant  avec  ses 
disciples,  il  leur  montrait  qu'il  était  en  vie;  et 
voulant  être  mangé  par  ses  disciples,  ainsi  qu'une 
victime  immolée ,  il  leur  paraissait  comme  mort. 
Consacrant  lui-même  son  corps  et  son  sang,  il 
faisait  voir  qu'il  était  vivant  ;  et  divisant  mysti- 
quement son  corps  de  son  sang ,  il  se  couvrait 
des  signes  de  mort ,  et  se  dévouait  à  la  croix  par 
une  destination  particulière.  Dans  ces  trois  états, 
chrétiens ,  il  m'est  aisé  de  vous  faire  voir  que 
Jean  a  toujours  été  le  fidèle  et  le  bien-aimé  du 
Sauveur.  Tant  qu'il  vécut  avec  les  hommes ,  nul 
n'eut  plus  de  part  en  sa  confiance  ;  quand  il  ren- 
dit son  âme  à  son  Père ,  aucun  des  siens  ne  re- 
çut de  lui  des  marques  d'un  amour  plus  tendre; 
Tjuand  il  donna  son  corps  à  ses  disciples,  ils  vi- 
rent tous  la  place  honorable  qu'il  lui  fit  prendre 
près  de  sa  personne  dans  cette  sainte  cérémonie. 

Mais  ce  qui  me  fait  connaître  plus  sensible- 
ment la  forte  pente  du  cœur  de  Jésus  sur  le  dis- 
ciple dont  nous  parlons ,  ce  sont  trois  présents 
qu'il  lui  fait  dans  ces  trois  états  admirables  où 
nous  le  voyons  dans  son  Évangile.  Je  trouve  en 
effet,  chrétiens,  qu'en  sa  vie  il  lui  donne  sa 
croix  ;  à  sa  mort,  il  lui  donne  sa  mère  ;  à  sa  cène, 
il  lui  donne  son  cœur.  Que  désire  un  ami  vivant, 
sinon  de  s'unir  avec  ceux  qu'il  aime  dans  la  so- 
ciété des  mêmes  emplois?  et  l'amitié  a-t-elle  rien 
de  plus  doux  que  cette  aimable  association? 
L'emploi  de  Jésus  était  de  souffrir  :  c'est  ce  que 
son  Père  lui  a  prescrit ,  et  la  commission  qu'il 
lui  a  donnée.  C'est  pourquoi  il  unit  saint  Jean  à 
sa  vie  laborieuse  et  crucifiée ,  eu  lui  prédisant  de 
bonne  heure  les  souffrances  qu'il  lui  destine  : 
«  Vous  boirez ,  dit-il  ' ,  mon  calice ,  et  vous  serez 
<«  baptisé  de  mon  baptême.  «  Voilà  le  présent  qu'il 
lui  fait  pendant  le  cours  de  sa  vie.  Quelle  marque 
nous  peut  donner  un  ami  mourant  que  notre 
amitié  lui  est  précieuse,  sinon  lorsqu'il  témoigne 
un  ardent  désir  de  se  conserver  notre  cœur,  même 
après  sa  mort,  et  de  vivre  dans  notre  mémoire? 
C'est  ce  qu'a  fait  Jésus-Christ  en  faveur  de  Jean 
d'une  manière  si  avantageuse,  qu'il  n'est  pas  pos- 
sible d'y  rien  ajouter;  puisqu'il  lui  donne  sa  di- 
vine mère ,  c'est-à-dire ,  ce  qu'il  a  de  plus  cher  au 
monde  •  Fils,  dit-il',  voilà  votre  mère.  »  Mais 

»  Marc.  X,  39. 
•  Joan.  \l\ ,  37. 


613 

ce  qui  montre  le  plus  son  amour,  c'est  le  lieau 
présent  qu'il  lui  fait  au  sacré  banquet  de  l'eucha- 
ristie ,  où  son  amitié  n'étant  pas  contente  de  lui 
donner  comme  aux  antres  sa  chair  et  son  sang 
pour  en  faire  un  même  corps  avec  lui,  il  le  prend 
entre  ses  bras,  il  l'approche  de  sa  poitrine  ;  et 
comme  s'il  ne  suffisait  pas  de  l'avoir  gratifié  de 
tant  de  dons ,  il  le  met  en  possession  de  la  source 
même  de  toutes  ses  libéralités,  c'est-à-dire,  de 
son  propre  cœur,  sur  lequel  il  lui  ordonne  de  se 
reposer  comme  sur  une  place  qui  lui  est  acquise. 
0  disciple  vraiment  heureux,  à  qui  Jésus-Christ 
a  donné  sa  croix ,  pour  l'associer  à  sa  vie  souf- 
frante ;  à  qui  Jésus-Christ  a  donné  sa  mère ,  pour 
vivre  éternellement  dans  son  souvenir  ;  à  qui  Jé- 
sus-Clirist  a  donné  son  cœur ,  pour  n'être  plus 
avec  lui  qu'une  même  chose!  Que  reste-t-il,  ô 
cher  favori ,  sinon  que  vous  acceptiez  ces  pré- 
sents avec  le  respect  qui  est  dû  à  l'amour  de 
votre  bon  Maître  ? 

Voyez ,  chrétiens ,  comme  il  les  accepte.  Il  ac- 
cepte la  croix  du  Sauveur,  lorsque  Jésus-Christ 
la  lui  proposant  :  Pourrez- vous  bien,  dit-il ,  boire 
ce  calice?  Je  le  puis,  lui  répond  saint  Jean,  et 
il  l'embrasse  de  toute  son  âme  :  Possumus  '.  Il 
accepte  la  sainte  Vierge  avec  une  joie  merveil- 
leuse. Il  nous  rapporte  lui-même  qu'aussitôt  que 
Jésus-Christ  la  lui  eut  donnée,  il  la  considéra 
comme  son  bien  propre  :  Accepit  eam  discipu- 
liis  in  sua  '.  Il  accepte  surtout  le  cœur  de  Jésus 
avec  une  tendresse  incroyable  ;  lorsqu'il  se  repose 
dessus  doucement  et  tranquillement,  pour  ninr- 
quer  une  jouissance  paisible  et  une  possession  as- 
surée. 0  mystère  de  charité  !  ô  présents  divins  et 
sacrés  !  Qui  me  donnera  des  paroles  assez  tendres 
et  affectueuses,  pour  vous  expliquer  à  ce  peu- 
ple? C'est  néanmoins  ce  qu'il  nous  faut  faire  avec 
le  secours  de  la  grâce. 

PBEMIEB  POINT. 

Ne  vous  persuadez  pas,  chrétiens,  que  l'ami- 
tié de  notre  Sauveur  soit  de  ces  amitiés  délicates 
qui  n'ont  que  des  douceurs  et. des  complaisances , 
et  qui  n'ont  pas  assez  de  résolution  pour  voir  un 
courage  fortifié  par  les  maux  et  exercé  par  les 
souffrances.  Celle  que  le  Fils  de  Dieu  a  pour  nous 
est  d'une  nature  bien  différente  :  elle  veut  nous 
durcir  aux  travaux,  et  nous  accoutumer  à  la 
guerre  ;  elle  est  tendre ,  mais  el  le  n'est  pas  molle  ; 
elle  est  ardente ,  mais  elle  n'est  pas  faible  ;  elle  est 
douce ,  mais  elle  n'est  pas  flatteuse.  Oui  certaine- 
ment, chrétiens,  quand  Jésus  entre  quelque  part , 
il  y  entre  avec  sa  croix,  il  y  porte  avec  lui  tou- 
tes ses  épines,  et  il  en  fait  part  à  tous  ceux  qu'il 

•  Marc.  X ,  39. 
>  Joiin.  XIX ,  27. 


14 


PANÉGYRÎQUK 


•aime.  Comme  notre  apôtre  est  son  bien-aimé,  il 
lui  fuit  présent  de  sa  croix;  et  de  cette  même 
main ,  dont  il  a  tant  de  fois  serré  la  tête  de  Jean 
sur  sa  bienheureuse  poitrine  avec  une  tendresse 
incroyable ,  il  lui  présente  ce  calice  amer,  plein 
de  souffrances  et  d'afflictions,  qu'il  lui  ordonne 
de  boire  tout  plein ,  et  d'en  avaler  jusqu'à  la  lie  : 
Calicem  quidem  meum  bibetis  '. 

Avouez  la  mérité,  chrétiens,  vous  n'ambition- 
nez guère  un  tel  présent,  vous  n'en  comprenez 
pas  le  prix.  Mais  s'il  reste  «ncore  en  vos  âmes 
quelque  teinture  de  votre  baptême ,  que  les  déli- 
ces du  monde  n'aient  pas  effacée,  vous  serez 
bientôt  convaincus  de  la  nécessité  de  ce  don,  en 
écoutant  prêcher  Jésus-Ghrist,  dont  je  vous  rap- 
porterai les  paroles  sans  aucun  raisonnement  re- 
cherché, mais  dans  la  même  simplicité  dans  la- 
quelle elles  sont  sorties  de  sa  sainte  et  divine 
bouche. 

Notre-Seigneur  Jésus  avait  deux  choses  à  don- 
ner aux  hommes ,  sa  croix  et  son  trône,  sa  ser- 
vitude et  son  ïègne,  son  obéissance  jusqu'à  la 
mort  et  son  exaltation  jusqu'à  la  gloire.  Quand  il 
est  venu  sur  îa  terre,  il  a  proposé  l'un  et  l'autre^ 
c'était  l'abrégé  de  sa  commisaon,  c'était  tout  le 
sujet  de  son  ambassade  :  €omplacuit  dare  vobis 
regnum^  :  «  Il  a  plu  au  Père  de  vous  donner  son 
«  royaume  :  «  Non  venipaceni  mittetey  sed  gla- 
dium  :  «  Je  ne  suis  pas  venu  apporter  la  paix , 
«  mais  le  glaive  :  »  Sicut  oves  in  medio  lupo- 
rum  3  :  «  Allez  comme  des  brebis  au  milieu  des 
«  loups.  »  Ses  disciples ,  encore  grossiers  et  char- 
nels ,  ne  voulaient  point  comprendre  sa  croix ,  et 
ils  ne  l'importunaient  que  de  son  royaume;  et 
lui ,  désirant  les  accoutumer  aux  mystères  de  son 
ÉvangUe ,  il  ne  leur  dit  ordinairement  qu'un  mot 
du  royaume ,  et  ri  revient  toujoure  à  la  croix.  C'est 
ce  qui  doit  nous  montrer  qu'il  faut  partager  nos 
affections  entre  sa  croix  et  son  trône,  ou  plutôt, 
puisque  ces  deux  choses  sont  si  bien  liées ,  qu'il 
faut  réunir  nos  affections  dans  la  poursuite  de 
l'un  et  de  l'autre. 

0  Jean ,  bien-aimé  de  Jésus ,  venez  apprendre 
de  lui  cette  vérité.  Il  l'a  déjà  plusieurs  fois  prê- 
chée  à  tous  les  apôtres  vos  compagnons;  mais 
vous,  qui  êtes  le  favori,  approchez-vous  avec 
^otre  frère,  et  il  vous  l'enseignera  en  particulier. 
Votre  mère  lui  dit  :  «  Commandez  que  mes  deux 
«  fils  soient  assis  à  votre  droite  dans  votre  royau- 
«  me  :  »  Die  ut  sedeant  ht  duofilii  mei  :  «  Pou- 
«  vez-vous,  leur  répondez- vous ,  boire  le  calice 
«  que  je  dois  boire?  »  Potestis  bibere  calicem 


■  Matlh  XX ,  23. 
»  Luc.  XII ,  2.1. 
»  Matth   X,34,I0. 


quem  ego  bibiturus  sum  '  ?  Mon  Sauveitr,  pcr* 
mettez-moi  de  le  dire ,  vous  ne  répondez  pas  à 
propos.  On  parle  de  gloire ,  vous  d'ignominie. 
Il  répond  à  propos;  mais  ils  ne  demandent  pas  à 
propos  :  Nescitis  qvid  peiatis  :  «  Vous  ne  sa- 
«  vez  ce  que  vous  demandez.  »  Prenez  la  croix, 
et  vous  aurez  le  royaume  :  il  est  caché  sous  cette 
amertume.  Attends  à  la  croix ,  tu  y  vèVras  les 
titres  de  ma  royauté.  «  Ce  n'est  pas  à  moi  à  vous 
«  donner  ce  que  vous  demandez  :  »  Non  est 
meum  dare  vobis  :  c'est  à  vous  à  le  prendre  > 
selon  la  part  que  vous  voudrez  avoir  aux  souf- 
frances. Cela  demeure  gravé  dans  le  cœur  dé 
Jean.  Il  ne  songe  plus  au  royaume ,  qu'il  ne 
songe  à  la  croix  avant  toutes  choses  ;  et  c'est  ce 
qu'il  nous  représente  admirablement  dans  son 
Apocalypse.  «  Moi  Jean,  nous  dit-il ,  qui  suis  vo- 
«  tre  frère ,  et  qui  ai  part  à  la  tribulation ,  an 
n  royaume  et  à  la  patience  de  Jésus-Christ ,  j'ai 
«  été  dans  l'île  nommée  Patmos  pour  la  parole  d« 
«  Seigneur,  et  pour  le  témoignage  que  j'ai  rendu 
«  à  Jésus- Christ;  et  je  fus  ravi  en  esprit  :  »  Ego 
Joannes f rater  vester,  et  socius  in  tribuiatione^ 
et  regno,  et patientia ,  fui  in  insula  quœappet- 
latur  Patmos,  propter  verbum  Dei,  et  tesii- 
monium  Jesu  :  fui  in  spiritu  *.  Pourquoi  fait-il 
cette  observation  :  J'ai  vu  en  esprit  le  Fils  de 
l'homme  en  son  trône ,  j'ai  o«ï  le  cantique  de  ses 
louanges?  pourquoi  ?  Parce quej 'ai été  banni  dans 
une  île  :fui  in  insula.  Je  croyais  autrefois  qu'on 
ne  pouvait  voir  Jésus-Christ  régnant ,  à  moins 
que  d'être  assis  à  sa  droite  et  revêtu  de  sa  gloire  ; 
mais  il  m'a  fait  connaître  qu'f)n  ne  le  voit  jamais 
mieux  que  dans  les  souffrances.  L'affliction  m'a 
dessillé  les  yeux ,  le  vent  de  la  persécution  a 
dissipé  les  nuages  de  mon  esprit ,  et  a  ouvert  l« 
passage  à  la  lumière.  Mais  voyez  encore  plus  pré- 
cisément :  Ego  Joannes,  socius  in  tribulations 
et  regno.  Il  parle  du  royaume,  mais  il  parle 
auparavant  de  la  croix;  il  mettait  autrefois  le 
royaume  devant  la  croix ,  maintenant  il  met  la 
croix  la  première  :  et  après  avoir  nommé  le 
royaume,  il  revient  incontinent  aux  souffrances  : 
et  patientia.  Il  craint  de  s'arrêter  trop  à  la  gloire , 
comme  il  avait  fait  autrefois. 

Mais  voyons  quelle  a  été  sa  croix.  Il  semble 
que  c'est  celui  de  tous  les  disciples  qui  a  eu  la 
plus  légère.  Pour  nous  détromper,  expliquoni 
quelle  a  été  sa  croix  ;  et  nous  verrons  qu'en  ef- 
fet elle  a  été  la  plus  grande  de  toutes  dans  l'in- 
térieur. Apprenez  le  mystère ,  et  considérez  les 
deux  croix  de  notre  Sauveur.  L'une  se  voit  au 
Calvaire ,  et  elle  paraît  la  plus  douloureuse;  l'au- 
tre est  celle  qu'il  a  portée  durant  tout  le  cours  de 

I  Matth.  XX,  21. 
»  yépoc.  1,9,  10. 


DE  SAINT  JEAN,  APOTRE. 


sa  vie,  oVsl  la  plus  ptiublc.  Dès  le  commence- 
ment, il  se  desline  pour  être  la  victime  du  goore 
;  humain.  11  devait  offrir  deux  sacrifices.  Le  der- 
;  nier  s.icrifice  s'est  opéré  à  l'autel  de  la  croix  : 
mais  il  fallait  qu'il  accomplît  le  sacrifice  qui  était 
appelé  Juge  sacrificium^  dont  sou  cœur  était 
l'autel  et  le  temple.  0  cœur  toujours  mourant, 
toujours  percé  de  coups,  brûlant  d'impatience 
de  souffrir,  qui  ne  respirait  que  l'immolation  î  Ne 
croyez  donc  pas  que  sa  passion  soit  son  sacrifice 
I  le  plus  douloureux.  Sa  passion  le  console  :  il  a 
I  une  soif  ardente  qui  le  brûle  et  qui  le  consume, 
sa  passion  le  rafraîchira  ;  et  c'est  peut-être  une 
des  raisons  pour  laquelle  il  l'appelle  une  coupe 
qu'il  a  à  boire,  parce  qu'elle  doit  rafraîchir  l'ar- 
deur de  sa  soif.  En  effet,  quand  il  parle  de  cette 
i  dernière  croix  :  «  C'est  à  présent,  s'écrie-t-il , 
■  que  le  Fils  de  l'homme  est  glorifié  :  »  ISunc 
clarificatus  est  \  C'est  ainsi  qu'il  s'exprime  après 
la  dernière  pâque ,  sitôt  que  Judas  fut  sorti  du 
cénacle.  Mais  s'agit-il  de  l'autre  croix,  c'est  aloi-s 
qu'il  se  sent  vivement  pressé  dans  l'attente  de 
l'accomplissement  de  ce  baptême  :  Baptismo  ha- 
beo  baptizari,  et  quomodo  coarctor^l  L'un  le 
dilate  :  Nunc  clarificatus  est;  l'autre  le  presse  : 
coarctor.  Lequel  est-ce  qui  fait  sa  vraie  croix, 
celui  qui  le  presse  et  qui  lui  fait  violence,  ou  ce- 
lui qui  relâche  la  force  du  mal? 

C'est  cette  première  croix,  si  pressante  et  si 
douloureuse,  que  Jésus-Christ  veut  donner  à 
Jean.  Pierre  lui  demandait  :  «  Seigneur,  que  des- 
"  tinez-vous  à  celui-ci?  »  Domine,  hic  autem 
guidai  Vous  m'avez  dit  quelle  sera  ma  croix, 
quelle  part  y  donncrez-vous  à  celui-ci?  Ne  vous 
en  mettez  point  en  peine.  La  croix  que  je  veux 
qu'il  porte  ne  frappera  pas  les  sens  :  jeme  réserve 
de  la  lui  imprimer' moi-même  :  elle  sera  princi- 
palement au  fond  de  son  âme  ;  ce  sera  moi  qui 
y  mettrai  la  main ,  et  je  saurai  bien  la  rendre 
pesante.  Et  pour  le  rendre  capable  de  la  soute- 
nir avec  un  courage  vraiment  héroïque ,  il  lui 
inspira  l'amour  des  souffrances.  Tout  homme 
que  Jésus-Christ  aime,  il  attire  tellement  son 
cœur  après  lui,  qu'il  ne  souhaite  rien  avec  plus 
d'ardeur  que  de  voir  abattre  son  corps ,  comme 
une  vieille  masure  qui  le  sépare  de  Jésus-Christ. 
Mais  quel  autre  avait  plus  d'ardeur  pour  la  croix 
que  Jean ,  qui  avait  humé  ce  désir  aux  plaies 
mêmes  de  Jésus-Christ;  qui  avait  vu  sortir  de 
son  côté  l'eau  vive  de  la  félicité ,  mais  mêlée  avec 
le  sang  des  souffrances?  II  est  donc  embrasé  du 
désir  du  martyre  :  et  cependant,  ô  Sauveur,  quels 


Dan.  yiir.  M,  12,  13. 
J>an.  XIII,  31. 
Lur.  XII,  .Ml. 
Jotên.  XXI,  21. 

BOtsÀlLT     —  TOME  III. 


545 

supplices  lui  donnerez- vous?  un  exil.  0  cruauté 
leute  et  timide  de  Domitien  !  faut-il  que  tu  ne 
sois  trop  humaiu  que  pour  moi,  et  que  tu  n'aies 
pas  soif  de  mon  sang!  Mais  peut-être  qu'il  sera 
bientôt  répandu.  On  lui  prépare  de  l'huile  bouil- 
lante, pour  le  faire  mourir  dans  ce  bain  brûlant. 
Vous  voilà  enfin ,  ô  croix  de  Jésus  î  que  je  sou- 
haite si  vivement.  Il  s'élnnce  dans  cet  étang 
d'huile  fumante  et  bouillante,  avec  la  même 
promptitude  que,  dans  les  ardeurs  de  l'été,  on 
se  jette  dans  le  bain  pour  se  rafraîchir.  Mais,  ô 
surprise  fâcheuse  et  cruelle!  tout  d'un  coup  elle 
se  change  en  rosée.  Bien-aimé  de  mon  cœur,  est- 
ce  là  l'amour  que  vous  me  portez?  Si  vous  ne 
voulez  pas  me  donner  la  mort ,  pourquoi  forcez- 
vous  la  nature  de  se  refuser  à  mes  empresse- 
ments? 0  bourreaux,  apportez  du  feu,  réchauf- 
fez votre  huile  inopinément  refroidie.  Mais  ces 
cris  sont  inutiles.  Jésus-Christ  veut  prolonger 
sa  vie,  parce  qu'il  veut  encore  aggraver  sa  croix. 
Il  faut  vivre  jusqu'à  une  vieillesse  décrépite  :  il 
faut  qu'il  voie  passer  devant  lui  tous  ses  frères 
les  saints  apôtres,  et  qu'il  survive  presque  à  tous 
les  enfants  qu'il  a  engendrés  à  Notre- Seigneur. 

De  quoi  le  consolerez-vous ,  ô  Sauveur  des 
âmes?  ne  voyez-vous  pas  qu'il  meurt  tous  les 
jours,  parce  qu'il  ne  peut  mourir  une  fois?  Hé- 
las !  il  semble  qu'il  n'a  plus  qu'un  souffle.  Ce 
vieillard  n'est  plus  que  cendre;  et  sous  cette  cen- 
dre vous  voulez  cacher  un  grand  feu.  Écoutez 
comme  il  crie  :  «  Mes  bien-aimés,  nous  sommes 
«  dès  à  présent  enfants  de  Dieu  ;  mais  ce  que  nous 
«  serons  un  jour  ne  paraît  pas  encore  :  >-  Dile- 
cfissimi,  nuncfilii  Deisumus,  et  nondum  ap- 
paruitquid  erimus  '.  De  quoi  le  consolerez-vous? 
sera-ce  par  les  visions  dont  vous  le  gratifierez? 
Mais  c'est  ce  qui  augmente  l'ardeur  de  ses  désirs. 
Il  voit  couler  ce  fleuve  qui  réjouit  la  cilé  de 
Dieu,  la  Jérusalem  céleste.  Que  sert  de  lui  mon- 
trer la  fontaine,  pour  ne  lui  donner  qu'une 
goutte  à  boire?  Ce  rayon  lui  fait  désirer  le  grand 
jour;  et  cette  goutte  que  vous  laissez  tomber 
sur  lui,  lui  fait  avoir  soif  de  la  source.  Écoutez 
comme  il  crie  dans  l'Apocalypse  :  Et  spiritus  et 
sponsa  dicunt,  Veni  :  «  L'esprit  et  l'épouse  di- 
"  sent.  Venez.  «  Que  lui  répond  le  divin  époux? 
«Oui,  je  viens  bientôt  :  «  Etiam  venio  cito^. 
"  0  instant  trop  long!  »  O  modicum  longum^l 
Il  redouble  ses  gémissements  et  ses  cris  :  «  Venez, 
'<  Seigneur  Jésus  :  »  Veni,  Domine  Jesu.  0  divin 
Sauveur,  quel  supplice!  votre  amour  est  trop  sé- 
vère pour  lui.  Je  sais  que  dans  la  croix  que  vous 
lui  donnez  «  il  y  a  une  douleur  qui  console ,  »  ipse 

'  I.  Joan.  111,2. 
»  Apocal.  xïll,  17,  20. 

»  S.  Aug.  in  Joan.  Tract,  a ,  n*  6 ,  t.  m ,  par»,  ii .  ce!.  Ti*. 

3j 


646  PANEGYRIQUE 

consolatur  dolor^  cl  (juc  le  calice  de  votre  pas- 
sion que  vous  lui  faites  boire  à  longs  traits ,  tout 
amer  qu'il  est  ù  nos  sens,  a  ses  douceurs  pour 
l'esprit,  quand  une  foi  vive  l'a  persuadé  des  maxi- 
mes de  l'Évangile.  Mais  j'ose  dire ,  ô  divin  Sau- 
veur, que  cette  manière  douce  et  affectueuse 
^•tvec  laquelle  vous  avez  traité  saint  Jean  votre 
bien-aimé  disciple,  et  ces  caresses  mystérieuses 
dont  il  vous  a  plu  l'honorer,  exigeaient  en  quel- 
<{ue  sorte  de  vous  quelque  marque  plus  sensible 
de  la  tendresse  de  votre  cœur,  et  que  vous  lui  de- 
viez des  consolations  qui  fussent  plus  appro- 
chantes de  cette  familiarité  bienheureuse  que 
vous  avez  voulu  lui  permettre.  C'est  aussi  ce  que 
nous  verrons  au  Calvaire  dans  le  beau  présent 
qu'il  lui  fait ,  et  dans  le  dernier  adieu  qu'il  lui  dit. 

SECOND   POINT. 

Certahiement,  chrétiens,  l'amitié  ne  peut  ja- 
mais être  véritable ,  qu'elle  ne  se  montre  bien- 
tôt tout  entière  ;  et  elle  n'a  jamais  plus  de  peine 
que  lorsqu'elle  se  voit  cachée  :  toutefois  il  faut 
avouer  que ,  dans  le  temps  qu'il  faut  dire  adieu , 
la  douleur  que  la  ticparation  lui  fait  ressentir  lui 
donne  je  ne  sais  quoi  de  si  vif  et  de  si  pressant, 
pour  se  faire  voir  dans  son  naturel ,  que  jamais 
«lie  ne  se  découvre  avec  plus  de  force.  C'est  pour- 
quoi les  derniers  adieux  que  l'on  dit  aux  person- 
nes que  l'on  a  aimées  saisissent  de  pitié  les  cœurs 
les  plus  durs  :  chacun  tâche ,  dans  ces  rencon- 
tres, de  laisser  des  marques  de  son  souvenir. 
IVous  voyons  en  effet  tous  les  testaments  remplis 
de  clauses  de  cette  nature;  comme sil'amour  qui 
lie  se  nourrit  ordinairement  que  par  la  présence, 
voyant  approcher  le  moment  fatal  de  la  dernière 
séparation ,  et  craignant  par  là  sa  perte  totale  en 
môme  temps  qu'il  se  voit  privé  de  la  conversa- 
tion et  de  la  vue ,  ramassait  tout  ce  qui  lui  reste 
de  force  pour  vivre  et  durer  du  moins  dans  le 
souvenir. 

Ne  croyez  pas  que  notre  Sauveur  ait  oublié 
son  amour  en  cette  occasion.  «  Ayant  aimé  les 
«  siens ,  il  les  a  aimés  jusqu'à  la  fm  ^  ;  »  et  puis- 
qu'il ne  meurt  que  par  son  amour,  il  n'est  jamais 
plus  puissant  qu'à  sa  mort.  C'est  aussi  sans 
doute  pour  cette  raison ,  qu'il  amène  au  pied  de 
sa  croix  les  deux  personnes  qu'il  chérit  le  plus , 
c'est-à-dire,  Marie  sa  divine  mère,  et  Jean  son 
fidèle  et  son  bon  ami ,  qui ,  remis  de  ses  premières 
terreurs ,  vient  recueillir  les  derniers  soupirs  de 
son  Maître  mourant  pour  notre  salut. 

Car,  je  vous  demande,  mes  frères,  pourquoi 
appeler  la  très-sainte  Vierge  à  ce  spectacle  d'in- 
humanité? Est-ce  pour  lui  percer  le  cœur,  et  lui 

•  5.  Àiifi.  Epist.  XXVII ,  n"  I ,  t.  il ,  col.  42. 
'^  Jouit.  XIII,  l. 


déchirer  les  entrailles?  Faut-il  que  ses  yeux  ma- 
ternels soient  frappés  de  ce  triste  objet,  et  qu'elle 
voie  couler  devant  elle,  par  tant  de  cruelles  bles- 
sures, un  sang  qui  lui  est  si  cher?  Pourquoi  le 
plus  chéri  de  tous  ses  disciples  est-il  le  seul  té- 
moin de  ses  souffrances?  Avec  quels  yeux  verra- 
t-il  cette  poitrine  sacrée ,  sur  laquelle  il  se  re- 
posait  il  y  a  deux  jours ,  pousser  les  derniers 
sanglots  parmi  des  douleurs  infinies?  Quel  plaisir 
au  Sauveur  de  contempler  ce  favori  bien-aimé, 
saisi  par  la  vue  de  tant  de  tourments ,  et  par  la 
mémoire  encore  toute  fraîche  de  tant  de  caresses 
récentes ,  mourir  de  langueur  au  pied  de  sa  croix  ? 
S'il  l'aime  si  chèrement,  que  ne  lui  épargne-t-il 
cette  affliction  ;  et  n'y  a-t-il  pas  de  la  dureté  de 
lui  refuser  cette  grâce?  chrétiens,  ne  le  croyez 
pas ,  et  comprenez  le  dessein  du  Sauveur  des 
âmes.  Il  faut  que  Marie  et  saint  Jean  assistent 
à  la  mort  de  Jésus  pour  y  recevoir  ensemble, 
avec  la  tendresse  du  dernier  adieu ,  les  présents 
qu'il  a  à  leur  faire ,  afin  de  signaler  en  expirant 
l'excès  de  son  affection. 

Mais  que  leur  donnera-t-il ,  nu,  dépouillé 
comme  il  est?  Les  soldats  avares  et  impitoyables 
ont  partagé  jusqu'à  ses  habits,  et  joué  sa  tunique 
mystérieuse  :  il  n'a  pas  de  quoi  se  faire  enterrer. 
Son  corps  même  n'est  plus  à  lui  :  il  est  la  victime 
de  tous  les  pécheurs;  il  n'y  a  goutte  de  son  sang 
qui  ne  soit  due  à  la  justice  de  Dieu  son  Père. 
Pauvre  esclave,  qui  n'a  plus  rien  en  son  pouvoir 
dont  il  puisse  disposer  par  son  testament  !  Il  a 
perdu  jusqu'à  son  Père,  auquel  il  s'est  glorifié 
tant  de  fois  d'être  si  étroitement  uni.  C'est  son 
Dieu ,  ce  n'est  plus  son  Père.  Au  lieu  de  dire 
comme  auparavant  :  «  Tout  ce  qui  est  à  vous  est 
«  à  moi,  »  il  ne  lui  demande  plus  qu'un  regard  : 
Respice  in  me;  et  il  ne  peut  l'obtenir,  et  il  s'en 
voit  abandonné  :  Quare  me  dereliquisti  '  ?  Ainsi , 
de  quelque  côté  qu'il  tourne  les  yeux ,  il  ne  voit 
plus  rien  qui  lui  appartienne.  Je  me  trompe ,  il 
voit  Marie  et  saint  Jean  :  tout  le  reste  des  siens 
l'ont  abandonné,  et  ils  sont  là  pour  lui  dire  : 
Nous  sommes  à  vous.  Voilà  tout  le  bien  qui  lui 
reste,  et  dont  il  peut  disposer  par  son  testament 
Mais  c'est  à  eux  qu'il  faut  donner,  et  non  pas  les 
donner  eux-mêmes.  0  amour  ingénieux  de  mon 
maître!  Il  faut  leur  donner,  il  faut  les  donner. 
Il  faut  donner  Marie  au  disciple,  et  le  disciple  à 
la  divine  Marie.  Ego  dilecto  meo,  dit-il.  Mon 
maître ,  je  suis  à  vous  ;  usez  de  moi  comme  il 
vous  plaira.  Voyez  la  suite  :  et  ad  me  conversio 
ejus \  «  Fils,  dit-il ,  voilà  votre  mère.  «  0  Jean , 
je  vous  donne  Marie  ;  et  je  vous  donne  en  même 
temps  à  Marie  :  Marie  est  à  saint  Jean ,  saint 

'  Maf th.  WMl,  4C. 
»  Cunt.  VII,  Kl. 


1 


DE  SAINT  JEAN ,  APOTRE. 


Jenn  a  Marie.  Vous  devez  vous  rendre  heureux 
l'un  et  l'autre  par  une  mutuelle  possession.  Ce  ne 
vous  est  pas  un  moindre  avantage  d'être  donnés 
que  de  recevoir;  et  je  ne  vous  enrichis  pas  plus 
j»ar  le  don  que  je  vous  fais,  que  par  celui  que  je 
fais  de  vous. 

Mais,  mes  frères,  entrons  plus  profondément 
dans  cet  admirable  mystère  :  recherchons ,  par 
les  Écritures ,  quelle  est  cette  seconde  naissance 
qui  faitsaint  Jean  le  fils  de  Marie,  quelle  est  cette 
nouvelle  fécondité  qui  rend  Marie  mère  de  saint 
Jean;  et  développons  les  secrets  d'une  belle  théo- 
logie ,  qui  mettra  cette  vérité  dans  son  jour  Saint 
Paul  parlant  de  notre  Sauveur  après  lïnfamie  de 
sa  mort  et  la  gloire  de  sa  résurrection ,  en  a  dit 
ces  belles  paroles  '  :  «  Nous  ne  connaissons  plus 
«  maintenant  personne  selon  la  chair  ;  et  si  nous 
«  avons  connu  autrefois  Jésus- Christ  selon  la 
«  chair,  maintenant  qu'il  est  mort  et  ressuscité 
«  nous  ne  le  connaissons  plus  de  la  sorte.  >-  Que 
veut  dire  cette  parole ,  et  quel  est  le  sens  de  l'a- 
pôtre? Veut-il  dire  que  le  Fils  de  Dieu  s'est  dé- 
pouillé, en  mourant,  de  sa  chair  humaine,  et 
quil  ne  Ta  point  reprise  en  sa  glorieuse  résurrec- 
tion? Non,  mes  frères,  à  Dieu  ne  plaise  !  Il  faut 
trouver  un  autre  sens  à  cette  belle  parole  du  divin 
apôtre,  qui  nous  ouvre  l'intelligence  de  ses  sen- 
timents. Ne  le  cherchez  pas,  le  voici  :  il  veut 
dire  que  le  Fils  de  Dieu,  dans  la  gloire  de  sa  ré- 
surrection, a  bien  la  vérité  de  la  chair,  mais  quil 
n'en  a  plus  les  infirmités  ;  et  pour  toucher  encore 
plus  le  fond  de  cette  excellente  doctrine ,  enten- 
dons que  l'Homme-Dieu,  Jésus-Christ,  a  eu  deux 
naissances  et  deux  vies ,  qui  sont  infiniment  dif- 
férentes. 

La  première  de  ces  naissances  l'a  tiré  du  sein 
de  Marie ,  la  seconde  l'a  fait  sortir  du  sein  du 
tombeau.  En  la  première  il  est  né  de  l'Esprit  de 
Dieu,  mais  par  une  mère  mortelle  :  et  de  là  il  en 
a  tiré  la  mortalité.  Mais  en  sa  seconde  naissance, 
nul  n'y  a  part  que  son  Père  céleste  ;  c'est  pour- 
quoi il  n'y  a  plus  rien  que  de  glorieux.  Il  était 
de  sa  providence  d'accommoder  ses  sentiments 

ces  deux  manières  de  vie  si  contrîures  :  de  là 
vient  que  dans  la  première  il  n'a  pas  jugé  indi- 
gnes de  lui  les  sentiments  de  faiblesse  humame; 
mais  dans  sa  bienheureuse  résurrection  il  n'y  a 
plus  rien  que  de  grand,  et  tous  ses  sentiments 
sont  duo  Dieu  qui  répand  sur  l'humanité  qu'il  a 
prise  tout  ce  ([ue  la  divinité  a  de  plus  auguste. 
Jésus,  en  conversant  parmi  les  mortels,  a  eu 
faim,  a  eu  soif  :  il  a  été  quelquefois  saisi  par  la 
crainte,  louché  par  la  douleur  :  la  pitié  a  serré 

In  cœur,  elle  a  ému  et  altéré  son  sang,  elle  lui 
»  II.  c 
I 


»  II.  Cor.\,  IG. 


547 

a  fait  répandre  des  larmes.  Je  ne  m'en  étonne 
pas,  chrétiens  :  c'étaient  les  jours  de  son  huml* 
liation,  qu'il  devait  passer  dans  l'infirmité.  Mai» 
durant  les  jours  de  sa  gloire  et  de  son  immorta- 
lité ,  après  sa  seconde  naissance  par  laquelle  son 
Père  l'a  ressuscité  pour  le  faire  asseoir  à  sa  droite, 
les  infirmités  sont  bannies  ;  et  la  toute-puissance 
divine  déployant  sur  lui  sa  vertu ,  a  dissipé  tou- 
tes ses  faiblesses.  Il  commence  à  agir  tout  à  fait 
en  Dieu  :  la  manière  en  est  incompréhensible , 
et  tout  ce  qu'il  est  permis  aux  mortels  de  dire 
d'un  mystère  si  haut,  c'est  qu'il  n'y  faut  plus  rien 
concevoir  de  ce  que  le  sens  humain  peut  imagi- 
ner ;  si  bien  qu'il  ne  nous  reste  plus  que  de  nous 
écrier  hardiment  avec  l'incomparable  docteur 
des  Gentils  :  que  si  nous  avons  connu  Jésus- 
Christ  selon  sa  naissance  mortelle  dans  les  sen- 
timents de  la  chair,  nunc  jam  non  novimus  : 
maintenant  qu'il  est  glorieux  et  ressuscité ,  nous 
ne  le  connaissons  plus  de  la  sorte,  et  tout  C6 
que  nous  y  concevons  est  divin. 

Selon  cette  doctrine  du  divin  apôtre,  je  ne 
craindrai  pas  d'assurer  que  Jésus-Christ  ressus- 
cité regarde  Marie  d'une  autre  manière,  que  ne 
faisait  pas  Jésus-Christ  mortel.  Car,  mes  frères , 
sa  mortalité  l'a  fait  naître  dans  la  dépendance 
de  celle  qui  lui  a  donné  la  vie  :  «  Il  lui  était  sou- 
«  mis  et  obéissant ,  »  dit  l'évangéliste  '.  Tout 
Dieu  qu'était  Jésus ,  l'amour  qu'il  avait  pour  sa 
sainte  mère  était  mêlé  sans  doute  de  cette  crainte 
filiale  et  respectueuse  que  les  enfants  bien  nés  ne 
perdent  jamais.  11  était  accompagné  de  toutes 
ces  douces  émotions ,  de  toutes  ces  inquiétudes 
aimables  qu'une  affection  sincère  imprime  tou- 
jours dans  les  cœurs  des  hommes  mortels  :  tout 
cela  était  bienséant  durant  les  jours  de  faiblesse. 
Mais  enfin  voilà  Jésus  en  la  croix  :  le  temps  de 
mortalité  va  passer.  Il  va  commencer  désormais 
à  aimer  Marie  d'une  autre  manière:  son  amour  ne 
sera  pas  moins  ardent  ;  et  tant  que  Jésus-Christ 
sera  homme  ,  il  n'oubliera  jamais  cette  vierge- 
mère.  Mais  après  sa  bienheureuse  résurrection , 
il  faut  bien  qu'il  prenne  un  amour  convenable  a 
l'état  de  sa  gloire. 

Que  deviendront  donc,  chrétiens,  ces  respects , 
cette  déférence,  cette  complaisance  obligeante, 
ces  soins  si  particuliers,  ces  douces  inquiétudes 
qui  accompagnaient  son  amour?  mourront-iis 
avec  Jésus-Clirist ,  et  Marie  en  sera-t-elle  à  jamais 
privée?  chrétiens,  sa  bonté  ne  le  permet  pas 
Puisqu'il  va  entrer  par  sa  mort  en  un  état  glorieux, 
ou  il  ne  les  peut  plus  retenir,  il  les  fait  passer  en 
saint  Jean,  et  il  entreprend  de  les  faire  revivre 
dans  le  cœur  de  ce  bien-aimé.  Et  n'est-ce  pas  ca 
que  veut  dire  le  '^  ulin  par  ees  élo- 

•   Luc.  11,51. 


n 


PAINÉGYRKjlj'E 


qucntcs  paroles  '  :  Jam  scilîcetab  humanafra- 
(jUitate,  qua  erat  natus ex  fœm'ma ,  percrucis 
inortem  demigrans  in  œternitatem  Del,  ut  es- 
set  in  gloria  Dei  Patris,  detegat  hominijura 
pictutis  liumanœ  :  «  Étant  prêt  de  passer,  par  la 
«  mort  de  la  croix ,  de  l'infirmité  humaine  à  la 
«  gloire  et  à  réternité  de  son  Père,  il  laisse  à  un 
«  homme  mortel  les  sentiments  de  la  piété  hu- 
"  mai  ne.  »  Tout  ce  que  son  amour  avait  de  ten- 
die  et  de  respectueux  pour  sa  sainte  mère  vivra 
maintenant  dans  le  cœur  de  Jean  :  c'est  lui  qui 
sera  le  fds  de  Marie  ;  et  pour  établir  entre  eux 
(•ternellement  cette  alliance  mystérieuse ,  il  leur 
parle  du  haut  de  sa  croix,  non  point  avec  une 
uclion  tremblante  comme  un  patient  prêt  à  ren- 
dre l'àme,  «  mais  avec  toute  la  force  d'un  liomme 
«  vivant ,  et  toute  la  fermeté  d'un  Dieu  qui  doit 
«  ressusciter,  »  plena  virtute  viventis  et  con- 
stantia  rcsurrecturi  ^  Lui  qui  tourne  les  cœurs 
ainsi  qu'il  lui  plaît,  et  dont  la  parole  est  toute- 
puissante,  opère  en  eux  tout  ce  qu'il  leur  dit,  et 
fait  Marie  mère  de  Jean,  et  Jean  fils  de  Marie. 

'Car  qui  pourrait  assez  exprimer  quelle  fut  la 
force  de  cette  parole  sur  l'esprit  de  l'un  et  de 
l'autre?  Ils  gémissaient  au  pied  de  la  croix,  tou- 
tes les  plaies  de  Jésus-Christ  déchiraient  leurs 
âmes,  et  la  vivacité  de  la  douleur  les  avait  pres- 
que rendus  insensibles.  Mais  lorsqu'ils  entendi- 
rent cette  voix  mourante  du  dernier  adieu  de  Jé- 
sus, leurs  sentiments  furent  réveillés  par  cette 
nouvelle  blessure  ;  toutes  les  entrailles  de  Marie 
furent  renversées ,  et  il  n'y  eut  goutte  de  sang 
tlans  le  cœur  de  Jean  qui  ne  fut  aussitôt  émue. 
€étte  parole  entra  donc  au  fond  de  leurs  âmes , 
ainsi  qu'un  glaive  tranchant  ;  elles  en  furent  per- 
cées et  ensanglantées  avec  une  douleur  incroya- 
ble :  mais  aussi  leur  fallait-il  faire  cette  violence, 
il  fallait  de  cette  sorte  entr'ouvrir  leur  cœur, 
afin,  si  je  puis  parler  de  la  sorte,  d'entrer  en 
l'un  le  respect  d'un  fils ,  et  dans  l'autre  la  ten- 
dresse d'une  bonne  mère. 

Voilà  donc  Marie  mère  de  saint  Jean.  Quoique 
son  amour  maternel,  accoutumé  d'embrasser  un 
Dieu ,  ait  peine  à  se  terminer  sur  un  homme ,  et 
qu'une  telle  inégalité  semble  plutôt  lui  reprocher 
son  malheur,  que  la  récompenser  de  sa  perte  : 
toutefois  la  parole  de  son  Fils  la  presse;  l'amour 
que  le  Sauveur  a  eu  pour  saint  Jean  l'a  rendu  un 
autre  lui-même,  et  fait  qu'elle  ne  croit  pas  se 
tromper  quand  elle  cherche  Jésus-Christ  en  lui. 
Grand  et  incomparable  avantage  de  ce  disciple 
ohcri  !  Car  de  quels  dons  l'aura  orné  le  Sauveur, 
pour  le  rendre  digne  de  remplir  sa  place?  Si  l'a- 
mour qu'il  a  pour  la  sainte  Vierge  l'oblige  à  lui 

•  Epixt.  i,,!!"  17. 

»  Zbia. 


laisser  son  portrait  en  se  retirant  de  sa  vue ,  ne 
doit-il  pas  lui  avoir  donné  une  image  vive  et 
naturelle?  Quel  doit  donc  être  le  grand  saint 
Jean ,  destiné  à  demeurer  sur  la  terre  pour  y  être 
la  représentation  du  Fils  de  Dieu  après  sa  mort; 
et  une  représentation  si  parfaite,  qu'elle  puisse 
charmer  la  douleur,  et  tromper,  s'il  se  peut ,  l'a- 
mour de  sa  sainte  mère  par  la  naïveté  de  la  res- 
semblance! 

D'ailleurs  quelle  abondance  de  grâces  attirait 
sur  lui  tous  les  jours  l'amour  maternel  de  Marie, 
et  le  désir  quelle  avait  conçu  de  former  en  lui 
Jésus -Christ!  combien  s'échauffaient  tous  les 
jours  les  ardeurs  de  sa  charité ,  par  la  chaste 
communication  de  celles  qui  brûlaient  le  cœur 
de  Marie!  et  à  quelle  perfection  s'avançait  sa 
chasteté  virginale,  qui  était  sans  cesse  épurée  par 
les  regards  modestes  de  la  sainte  Vierge ,  et  par 
sa  conversation  angélique  ! 

Apprenons  de  là,  chrétiens ,  quelle  est  la  force 
de  la  pureté.  C'est  elle  qui  mérite  à  saint  Jean  la 
familiarité  du  Sauveur;  c'est  elle  qui  le  rend  di- 
gne d'hériter  de  son  amour  pour  Marie,  de  suc* 
céder  en  sa  place ,  d'être  honoré  de  sa  ressem- 
blance. C'est  elle  qui  lui  fait  tomber  Marie  en 
partage,  et  lui  donne  une  mère  vierge  :  elle  fait 
quelque  chose  de  plus,  elle  lui  ouvre  le  cœur  de 
Jésus,  et  lui  en  assure  la  possession. 

TROISIÈME  POINT. 

Je  l'ai  déjà  dit ,  chrétiens ,  11  ne  suffît  pas  au 
Sauveur  de  répandre  ses  dons  sur  saint  Jean  ;  il 
veut  lui  donner  jusqu'à  la  source.  Tous  les  dons 
viennent  de  l'amour  ;  il  lui  a  donné  son  amour. 
C'est  au  cœur  que  l'amour  prend  son  origine  ;  il 
lui  donne  encore  le  cœur,  et  le  met  en  possession 
du  fonds  dont  il  lui  a  déjà  donné  tous  les  fruits. 
Viens ,  dit-il,  ô  mon  cher  disciple,  je  t'ai  choisi 
devant  tous  les  temps  pour  être  le  docteur  de  la 
charité;  viens  la  boire  jusque  dans  sa  source, 
viens  y  prendre  ces  paroles  pleines  d'onction  par 
lesquelles  tu  attendriras  mes  fidèles  :  approche 
de  ce  cœur  qui  ne  respire  que  l'amour  des  hom- 
mes ;  et  pour  mieux  parler  de  mon  amour,  viens 
sentir  de  près  les  ardeurs  qui  me  consument. 

Je  ne  m'étendrai  pas  à  vous  raconter  les  avan- 
tages de  saint  Jean.  Mais,  Jean,  puisque  \ ous  en 
êtes  le  maître ,  ouvrez-nous  ce  cœur  de  Jésus , 
faites-nous-en  remarquer  tous  les  mouvements, 
que  la  seule  charité  excite.  C'est  ce  qu'il  a  fait 
dans  tous  ses  écrits  :  tous  les  écrits  de  saint  Jean 
ne  tendent  qu'à  expliquer  le  cœur  de  Jésus.  En 
ce  cœur  est  l'abrégé  de  tous  les  mystères  du  chris- 
tianisme :  mystères  de  charité  dont  l'origine  est 
au  cœur  ;  un  cœur,  s'il  se  peut  dire ,  tout  pètii 
d'amour  :  toutes  les  palpitations,  tous  les  batte- 


DE  SAINT  JEAN,  APOTIIE. 


£49 


monts  de  ce  cœur,  c'est  la  cliarité  qui  les  produit. 
Voulez-vous  voir  saint  Jean  vous  montrer  tous 
les  secrets  de  ce  cœur  ;  il  remonte  <  jusqu'au 
«  principe  :  »  In  principio'.  C'est  pour  venir  à 
ce  terme  :  Kl  habitavit* ,  «  Il  a  habite  parmi 
•  nous.  »  Qui  l'a  fait  ainsi  habiter  avec  nous?  l'a- 
mour. «  C'est  ainsi  que  Dieu  a  aimé  le  monde  :  » 
Sic  Deus  dilexit  mundum  ^  C'est  donc  l'amour 
qui  la  fait  descendre,  pour  se  revêtir  de  la  na- 
ture humaine.  Mais  quel  cœur  aura-t-il  donné  à 
cette  nature  humaine ,  sinon  un  cœur  tout  pétri 
d'amour? 

C'est  Dieu  qui  fait  tous  les  cœurs,  ainsi  qu'il 
fui  plaît.  «  Le  cœur  du  roi  est  dans  sa  main  " 
comme  celui  de  tous  les  autres:  Cor  régis  in  manu 
Dei  estK  Rcgis,  du  roi  Sauveur.  Quel  autre  cœur 
a  été  plus  dans  la  main  de  Dieu?  C'était  le  cœur 
d'un  Dieu ,  qui  réglait  de  près,  dont  il  conduisait 
tous  les  mouvements.  Qu'aura  donc  fait  le  Verbe 
divin ,  eu  se  faisant  homme ,  sinon  de  se  former 
un  cœur  sur  lequel  il  imprimât  cette  charité  in- 
finie qui  l'obligeait  à  venir  au  monde:  Donnez- 
moi  tout  ce  qu'il  y  a  de  tendre,  tout  ce  qu'il  y  a 
de  doux  et  d'humain  :  il  faut  faire  un  Sauveur 
qui  ne  puisse  souffrir  les  misères,  sans  être  saisi 
de  douleur;  qui,  voyant  les  brebis  perdues,  ne 
l)aisse  supporter  leurs  égarements.  Il  lui  faut  un 
amour  qui  le  fasse  courir  au  péril  de  sa  vie,  qui 
fui  fasse  baisser  les  épaules  pour  charger  dessus 
sa  brebis  perdue  ;  qui  lui  fasse  crier  :  «  Si  quel- 
«  qu'un  a  soif,  qu'il  vienne  à  moi  :  »  Si  quis  si- 
fil,  veniat  ad  me  ^.  «  Venez  à  moi,  vous  tous  qui 
<<  êtes  fatigués  :  »  Veniie  ad  me,  otnnes  qui  la- 
boratis  ^.  Venez  pécheurs  ;  c'est  vous  que  je  cher- 
che. Enfin,  il  lui  faut  un  cœur  qui  lui  fasse  dire: 
«  Je  donne  ma  vie  parce  que  je  le  veux  :  »  Ego 
pono  eam  a  meipso  '.  C'est  moi  qui  ai  un  cœur 
amoureux,  qui  dévoue  mon. corps  et  mon  âme  à 
toutes  sortes  de  tourments. 

Voilà  ,  mes  frères,  quel  est  le  cœur  de. Jésus, 
voilà  quel  est  le  mystère  du  christianisme.  C'est 
pourquoi  l'abrégé  de  la  foi  est  renfermé  dans  ces 
paroles  :  «  Pour  nous,  nous  avons  cru  à  l'amour 
«  que  Dieu  a  pour  nous  :  »  Nos  credidimus  cha- 
ritati  quam  habet  Deus  in  nobis  *.  Voilà  la  pro- 
fession de  saint  Jean.  Pourquoi  le  Juif  ne  croit-il 
pas  à  notre  Evangile?  Il  reconnaît  la  puissance  ; 
mais  il  ne  veut  pas  croire  à  l'cunour  :  il  ne  peut 
se  persuader  que  Dieu  nous  ait  assez  aimés,  pour 


'   Jnfin.  1,1. 
»  IbiiL  \,\%. 
^  Ihid.  III,  ir,. 
*  Prof.  x\î  ,  I . 
'  JfMii.  VII,  37. 
«   V<»///(.  XI,  2H. 
'  JiniH.  X,  IS. 
'    l-   J-MH.  IV,  Ift. 


nous  donner  son  Fils.  Pour  moi ,  je  crois  »  sa 
charité  ;  et  c'est  tout  dire,  li  s'est  fait  homme,  je 
le  crois;  il  est  mort  pour  nous,  je  le  crois;  il 
aime,  et  qui  aime  fait  tout  :  Credidimus  chari- 
tati  ejus. 

Mais  si  nous  y  croyons ,  il  faut  l'imiter.  Ce 
cœur  de  Jésus  embrasse  tous  les  fidèles  :  c'est  là 
où  nous  sommes  tous  réunis,  »  pour  être  cousom- 
«  mes  dans  l'unité  :  »  Ut  sint  co7isummati  in 
U7ium\  C'est  le  cœur  qui  parlait,  lorsqu'il  di- 
sait :  «  Mon  Père,  je  veux  que  là  où  je  suis,  mes 
«  disciples  y  soient  aussi  avec  moi  :  »  Volo  ut 
ubi  sum  ego,  et  illi  sint  mecum*.  Il  ne  distrait 
personne ,  il  appelle  tous  ses  enfants ,  et  nous 
devons  nous  aimer  «  dans  les  entrailles  de  la  cha- 
«  rite  de  ce  divin  Sauveur,  "  in  visceribus  Jesth 
Christi  '.  Ayons  donc  un  cœur  de  Jésus-Christ, 
un  cœur  étendu ,  qui  n'exclue  personne  de  sou 
amour.  C'est  de  cet  amour  réciproque  qu'il  se 
formera  une  chaîne  de  charité  qui  s'étendra  du 
cœur  de  Jésus  dans  tous  les  autres,  pour  es  lier 
et  les  unir  inviolablement:  ne  la  rompons  pas; 
ne  refusons  à  aucun  de  nos  frères  l'entrer  dans 
cette  sainte  union  de  la  charité  de  Jésus- Christ. 
Il  y  a  place  pour  tout  le  monde.  Lsons  sans  en- 
vie des  biens  qu'elle  nous  procure  :  nous  ne  les 
perdons  pas  en  les  communiquant  aux  autres; 
mais  nous  les  possédons  d'autant  plus  sûrement  : 
ils  se  multiplient  pour  nous  avec  d'autant  plus 
d'abondance ,  que  nous  désirons  plus  généreuse- 
ment les  partager  avec  nos  frères.  Et  pourquoi 
veux-tu  arracher  ton  frère  de  ce  cœur  de  Jésus- 
Christ?  Il  ne  souffre  point  de  séparation  :  il  te 
vomira  toi-même.  Il  supporte-tontes  les  infirmi- 
tés, pourvu  que  la  charité  dont  nous  sommes 
animés  les  couvre.  Aimons-nous  donc  dans  le 
cœur  de  Jésus.  «  Dieu  est  charité;  et  qui  jiersé- 
«  vère  dans  la  charité  dfmeure  en  Dieu,  et  Dieu 
«  en  lui  ^.  »  Ah!  qui  me  donnera  des  amis  que 
j'aime  véritablement  par  la  charité?  Lorsque  je 
répands  en  eux  mon  cœur,  je  le  répands  eu  Dieu 
qui  est  charité.  «  Ce  n'est  pas  à  un  homme  que 
«  je  me  confie  ;  mais  à  celui  en  qui  il  demeure, 
«  pour  être  tel.  Et  dans  ma  juste  confiance,  je  Me 
n  crains  point  ces  résolutions  si  changeantes  de 
"  l'inconstance  humaine  :  »  JSon  homini  com- 
milio,  scd  illi  in  quo  manet  ut  talis  sit.  Nec  in 
mea  secvrifate  crastinum  illud  humanœ  cogi- 
tationis  incertum  omninoformido.  C'est  ainsi 
que  s'aiment  les  bienheureux  esprits. 

L'amour,  qui  les  unit  intimement  entre  eux, 
s'échauffe  de  plus  eu  plus  dans  ces  mutuels  en*- 

^Joitn.  \\\\,  23. 
'  Ibid.  21. 

*  Philip.  1,8. 

*  L  Joon.  L\^tC 


&50 


PANÉGYRIQUE 


brassements  de  leurs  cœurs.  Ils  s'aiment  en  Dieu, 
qui  est  le  centre  de  leur  union  5  ils  s'aiment  pour 
Dieu,  qui  est  tout  leur  bien.  Ils  aiment  Dieu  dans 
chacun  de  leurs  concitoyens,  qu'ils  savent  n'être 
grands  que  par  lui;  et  vivement  sensibles  au 
bonheur  de  leurs  frères ,  ils  se  trouvent  heureux 
de  jouir  en  eux  et  par  eux  des  avantages  qu'ils 
n'auraient  pas  eux-mêmes  :  ou  plutôt,  ils  ont 
tout;  la  charité  leur  approprie  l'universalité  des 
dons  de  tout  le  corps,  parce  qu'elle  les  consomme 
dans  cette  unité  sainte  qui ,  les  absorbant  en 
Dieu ,  les  met  en  possession  des  biens  de  toute  la 
cité  céleste. 

Voulons-nous  donc ,  mes  frères ,  participer  ici- 
bas  à  la  béatitude  céleste ,  aimons-nous  ;  que  la 
charité  fraternelle  remplisse  nos  cœurs  :  elle  nous 
fera  goûter,  dans  la  douceur  de  son  action ,  ces 
délices  inexprimables  qui  font  le  bonheur  des 
saints;  elle  enrichira  notre  pauvreté,  en  nous 
rendant  tous  les  biens  communs  ;  et  ne  formant 
de  nous  tous  qu'un  cœur  et  qu'une  âme,  elle  com- 
mencera en  nous  cette  unité  divine  qui  doit  faire 
notre  éternel  bonheur,  et  qui  sera  parfaite  en 
nous  lorsque ,  l'amour  ayant  entièrement  trans- 
formé toutes  nos  puissances ,  Dieu  sera  tout  en 
tous. 


•«)9««««« 


PANEGYRIQUE 


SAINT  THOMAS  DE  CANTORBERY, 

PRONONCÉ  DANS  L'ÉGLISE   DE   SAINT  THOMAS   DU 
LOUVRE   EN   1668. 

Motifs  de  la  résistance  de  saint  Thomas  à  l'égard  de  son 
prince.  Sa  conduite  toujours  sage,  toujours  respectueuse 
au  milieu  des  violentes  persécutions  qu'il  a  à  souffrir.  Suc- 
cès de  ses  combats  pour  la  discipline.  Admirable  change- 
ment que  produit  sa  mort  dans  ses  ennemis;  zèle  qu'elle 
inspire  à  ses  frères.  Usage  que  les  ecclésiastiques  doivent 
faire  de  leurs  privilèges,  de  leurs  biens  et  de  leur  autorité, 
pour  ne  pas  exposer  l'Église  aux  blasphèmes  des  libertins. 


Jn  morte  mirabllia  operatus  est. 

W  a  fait  des  choses  merveilleuses  dans  sa  mort.  Eccli. 
xLViii,  15. 

Les  mystères  de  Jésus-Christ  sont  une  chute 
continuelle;  et  tant  qu'il  a  vu  devant  soi  quelque 
nouvelle  bassesse,  il  n'a  jamais  cessé  de  descen- 
dre. Il  se  compare  lui-même  dans  son  Évangile 
à  un  grain  de  froment  qui  tombe  '  ;  et  en  effet, 
il  est  allé  toujours  tombant,  premièrement  du 
ciel  en  la  terre  ,  de  son  trône  dans  une  crèche  : 
4e  là  par  plusieurs  degrés  il  est  tombé  jusqu'à 


l'ignominie  du  supplice,  jusqu'à  l'obscurité  du 
tombeau  ,  jusqu'à  la  profondeur  de  l'enfer.  Mais 
comme  il  ne  pouvait  tomber  plus  bas ,  c'était  là 
aussi  le  terme  fatal  de  ses  chutes  mystérieuses  ; 
et  ce  cours  d'abaissements  étant  rempli ,  c'est  de 
là  qu'il  a  commencé  de  se  relever  couronné  d'hon- 
neur et  de  gloire. 

Ce  que  notre  chef  a  fait  une  fois  en  sa  personne 
sacrée,  tous  les  jours  il  l'accomplit  dans  ses  mem- 
bres; et  le  martyr  que  nous  honorons,  nous  en 
est  un  illustre  exemple.  Saint  Thomas,  archevê- 
que de  Cantorbéry,  s'étant  trouvé  engagé,  pour 
les  intérêts  de  l'Église ,  dans  de  longs  et  fâcheux 
démêlés  avec  un  grand  roi ,  avec  Henri  II ,  roi 
d'Angleterre ,  on  l'a  vu  tomber  peu  à  peu  de  la 
faveur  à  la  disgrâce,  de  la  disgrâce  au  bannis- 
sement, du  bannissement  à  une  espèce  de  pros- 
cription, et  enfin  à  une  mort  violente.  Mais  la 
Providence  divine,  ayant  lâché  la  main  jusqu'à 
ce  terme,  a  fait  commencer  de  là  son  élévation. 
Elle  a  honoré  de  miracles  le  tombeau  de  cet  il- 
lustre martyr  ;  elle  a  mené  à  ses  cendres  un  roi 
pénitent  ;  elle  a  conservé  les  droits  de  l'Église  par 
le  sang  de  ce  saint  évêque,  persécuté  injustement 
pour  sa  cause,  et  tirant  sa  gloire  de  ses  souffran- 
ces. Elle  m'a  donné  lieu  de  dire  de  lui  ce  que 
l'Ecclésiastique  a  dit  d'Elisée ,  que  «  sa  mort  a 
«  opéré  des  miracles  :  »  In  morte  mirabilia  ope- 
ratus est.  Mais  afin  de  vous  découvrir  toutes  ces 
merveilles,  demandons  l'assistance  du  Saint-Es- 
prit par  l'entremise  de  Marie.  Ave. 

C'est  une  loi  établie,  que  l'Église  ne  peut  jouir 
d'aucun  avantage  qui  ne  lui  coûte  la  mort  de  ses 
enfants;  et  que ,  pour  affermir  ses  droits,  il  faut 
qu'elle  répande  du  sang.  Son  Époux  l'a  rachetée 
par  le  sang  qu'il  a  versé  pour  elle,  et  il  veut 
qu'elle  achète  par  un  prix  semblable  les  grâces 
qu'il  lui  accorde.  C'est  par  le  sang  des  martyrs 
qu'elle  a  étendu  ses  conquêtes  bien  loin  au  delà 
de  l'empire  romain;  son  sang  lui  a  procuré  et  la 
paix  dont  elle  a  joui  sous  les  empereurs  chré- 
tiens ,  et  la  victoire  qu'elle  a  remportée  sur  les 
empereurs  infidèles.  Il  paraît  donc  qu'elle  devait 
;  dusangà  l'affermissement  de  son  autorité,  comme 
I  elle  en  avait  donné  à  l'établissement  de  sa  doe- 
trine  ;  et  ainsi  la  discipline  ,  aussi  bien  que  la  fui 
de  l'Église,  a  dû  avoir  des  martyrs. 

C'est  pour  cette  cause,  messieurs,  que  votre 
glorieux  patron  a  donné  sa  vie.  Nous  avons  ho- 
noré cesderniers  jours  le  premier  martyr  de  la  foi  ; 
aujourd'hui  nous  célébrons  le  triomphe  du  pre- 
mier martyr  de  la  discipline  :  et  afin  que  tout  le 
monde  comprenne  combien  ce  martyre  a  été  sent- 
blable  à  ceux  que  nous  ont  fait  voir  les  ancien- 
nos  persécutions;  je  m'attacherai  à  vous  montrer 


DE  SAIXr  THOMAS  DE  CANTORBl- RY. 


que  la  morl  de  notre  saint  archevêque  a  opéré 
It^  mêmes  merveilles  dans  la  cause  de  la  disci- 
pline, que  celle  des  autres  martyrs  a  autrefois 
opérées  lors([u'il  s'agissait  de  la  croyance. 

Kn  effet ,  pour  ne  pas  vous  laisser  longtemps 
en  suspens ,  comme  les  martyrs  qui  ont  combattu 
pour  la  foi,  ont  affermi,  par  le  témoignage  de 
leur  s<mg,  cette  foi  que  les  tyrans  voulaient  abo- 
lir; calmé  par  leur  patience  la  haine  publique  , 
qu'on  voulait  exciter  contre  eux  en  les  traitant 
comme  des  scélérats;  confirmé  par  leur  constance 
invincible  les  fidèles,  qu'on  avait  dessein  d'ef- 
frayer par  le  terrible  spectacle  de  tant  de  suppli- 
ces; en  sorte  que  profitant  des  persécutions  ils 
les  ont  fait  servir,  contre  leur  nature,  à  l'établis- 
sement de  leur  foi ,  à  la  conversion  de  leurs  en- 
nemis, à  l'instruction  et  à  l'affermissement  de 
leurs  frères  :  ainsi  vous  verrez  bientôt,  chré- 
tiens ,  que  des  effet»  tout  semblables  ont  suivi  la 
mort  du  grand  archevêque  de  Cantorbéry  ;  et  la 
suite  de  cet  entretien  vous  fera  paraître  que  le 
sang  de  ce  nouveau  martyr  de  la  discipline  a  af- 
fermi l'autorité  ecclésiastique,  qui  était  violera  • 
ment  opprimée  ;  que  sa  mort  a  converti  les  cœurs 
indociles  des  ennemis  de  la  discipline  de  l'Église  ; 
enfin ,  qu'elle  a  échauffe  le  zèle  de  ceux  qui  sont 
préposés  pour  en  être  les  défenseurs.  Voilà  ce  que 
j'ai  dessein  de  vous  faire  entendre  dans  les  trois 
parties  de  ce  discours. 

PREMIER    POINT. 

Pour  bien  entendre  le  sujet  des  fameux  com- 
bats du  grand  saint  Thomas  de  Cantorbéry  pour 
l'honneur  de  l'Égiise  et  du  sacerdoce,  il  faut 
considérer  avant  toutes  choses  quelques  vérités 
importantes,  qui  regardent  l'état  de  l'Église  :  ce 
qu'elle  est,  ce  qui  lui  est  dîi,  et  ce  qu'elle  doit; 
quels  droits  elle  a  sur  la  terre,  et  quels  moyens 
lui  sont  donnés  pour  s'y  maintenir.  Je  sais  que 
cette  matière  est  fort  étendue ,  et  pleine  de  ques- 
tions épineuses  :  mais  comme  la  décision  de  ces 
doutes  dépend  d'un  ou  deux  principes ,  j'espère 
qu'en  laissant  un  grand  embarras  de  difficultés 
fort  enveloppées  je  pourrai  vous  dire  en  peu  de 
paroles  ce  qui  est  essentiel  et  fondamental,  et 
absolument  nécessaire  pour  connaître  l'état  de  la 
cause  pour  laquelle  saint  Thomas  a  donné  sa  vie. 

I  J'avance  donc  deux,  vérités  qui  expliquent  par- 
faitement ,  si  je  ne  me  trompe ,  l'état  de  l'Église 
sur  la  terre.  Je  dis  qu'elle  y  est  comme  une 
étrangère;  et  qu'elle  y  est  toutefois  revêtue  d'un 
caractère  royal,  par  la  souveraineté  toute  divine 
et  toute  spirituelle  qu'elle  y  exerce.  Ces  deux 
vérités  éclaircies  nous  donneront  par  ordre  la  ré- 
solution des  difficultés  que  j'ai  proposées. 
Et  premièrement,  l'Église  est  dans  le  monde 


I 


à5l 

comme  une  étrangère  :  cette  qualité  fait  sa  gloire. 
Elle  montre  sa  dignité  et  son  origine  céleste, 
lorsqu'elle  dédaigne  d'habiter  la  terre  :  elle  imb 
s'y  arrête  donc  pas,  rauis  elle  y  passe;  elle  ne 
s'y  habitue  pas,  mais  elle  y  voyage.  Ce  qu'elle 
appréhende  le  plus  c'est  que  ses  enfants  s'y  natu- 
ralisent ,  et  qu'ils  ne  fassent  leur  principal  éta- 
blissement où  ils  ne  doivent  avoir  qu'un  lieu  de 
passage.  Mais  nous  comprendrons  plus  facilement 
cette  qualité  d'étrangère,  si  nous  faisons  en  un. 
mot  la  comparaison  de  l'Église  de  Jésus- Christ 
avec  la  Synagogue  ancienne. 

Il  n'y  a  personne  qui  n'ait  remarqué  que  les 
livres  sacrés  de  Moise,  outre  les  préceptes  de 
religion,  sont  pleins  de  lois  politiques,  et  qui 
regardent  le  gouvernement  d'un  État.  Ce  sage 
législateur  ordonne  du  commerce  et  de  la  police , 
des  successions  et  des  héritages,  de  la  justice  et 
de  la  guerre ,  et  enfin  de  toutes  les  choses  qui' 
peuvent  maintenir  un  empire.  Mais  le  prince  du 
nouveau  peuple,  le  législateur  de  l'Église,  a  pris 
une  conduite  opposée.  Il  laisse  faire  aux  princes 
du  monde  l'établissement  des  lois  politiques;  et 
toutes  celles  qu'il  nous  donne ,  et  qui  sont  écrites 
dans  son  Évangile ,  ne  regardent  que  la  vie  fu- 
ture. D'où  vient  cette  différence  entre  l'ancien  et 
le  nouveau  peuple  :  si  ce  n'est  que  la  Synagogue 
devant  avoir  sa  demeure,  et  faire  son  séjour  sur 
la  terre ,  il  fallait  lui  donner  des  lois  pour  y  éta-- 
blirson  gouvernement;  au  lieu  que  l'Église  de 
Jésus-Christ  voyageant  comme  une  étrangère 
parmi  tous  les  peuples  du  monde ,  elle  n'a  point 
de  lois  particulières  touchant  la  société  politique; 
et  il  suffit  de  lui  dire  généralement  ce  qu'on  dit 
aux  étrangers  et  aux  voyageurs,  qu'en  ce  qui 
regarde  le  gouvernement,  elle  suive  les  lois  du 
pays  où  elle  fera  sou  pèlerinage ,  et  qu'elle  en 
révère  les  princes  et  les  magistrats  :  0»i;uAa»iwa 
potestatibus  sublimioribus  subdita  sit  \  C'est 
le  seul  commandement  politique  que  le  nouveau 
Testament  nous  donne. 

Cette  vérité  étant  supposée,  si  vous  me  de- 
mandez ,  chrétiens ,  quels  sont  les  droits  de  l'É- 
glise ,  qu'attendez-  vous  que  je  vous  réponde ,  si- 
non qu'elle  a  sans  doute  de  grands  avantages  et 
des  prétentions  glorieuses  ;  mais  que,  celui  dont 
elle  attend  tout ,  ayant  dit  que  sou  royaume  n'est 
pas  de  ce  monde* ,  tout  le  droit  qu'elle  peut  avoir 
d'elle-même  sur  la  terre,  c'est  qu'on  lui  laisse, 
pour  ainsi  dire,  passer  son  chemin  et  achever, 
son  voyage  en  paix?  Tellement  que  rieti  ne  lui 
convient  mieux,  à  elle  et  à  ses  enfants,  que  ces 
mots  de  Tertullieu  :  «  Toute  notre  affaire  en  et 
«  monde ,  c'est  d'en  sortir  au  plus  tôt  :  ='  MJaL 

'  Rom.  \ui,  I.  "! 
•  Joan   xxuu  3C. 


552 


PANEGYRIQUE 


jiostra  rejerl  in  hoc  œvo,  nisi  de  eo  quam  celé-  \ 
ri  ter  excedere  '. 

Mais  peut-être  que  vous  penserez  que  je  re-  i 
présente  l'Église  comme  une  étrangère  trop  fai-  i 
i)Ie ,  et  que  je  la  laisse  sans  autorité  et  sans  fonc- 
tion sur  la  terre ,  enfin  trop  nue  et  trop  désarmée 
au  milieu  de  tant  de  puissances  ennemies  de  sa 
doctrine,  ou  jalouses  de  sa  grandeur.  Non,  mes 
frères ,  il  n'en  est  pas  ainsi.  Elle  ne  voyage  pas 
sans  sujet  dans  ce  monde  :  elle  y  est  envoyée  par 
un  ordre  suprême,  pour  y  recueillir  les  enfants 
de  Dieu ,  et  rassembler  ses  élus  dispersés  aux 
quatre  vents.  Elle  a  charge  de  les  tirer  du  monde  ; 
mais  il  faut  qu'elle  les  vienne  chercher  dans  le 
monde  :  et  en  attendant,  chrétiens,  qu'elle  les 
présente  à  Dieu ,  maintenant  qu'elle  voyage  avec 
eux  et  qu'elle  les  tient  sous  son  aile,  n'est-il  pas 
juste  qu'elle  les  gouverne ,  qu'elle  dirige  leure 
pas  incertains,  et  qu'elle  conduise  leur  pèleri- 
nage? C'est  pourquoi  elle  a  sa  puissance ,  elfe  a 
ses  lois  et  sa  police  spirituelle,  elle  a  ses  minis- 
tres et  ses  magistrats,  par  lesquels  elle  exerce, 
dit  Tertullien ,  «  une  divine  censure  contre  tous 
«  les  crimes  :  »  Exhortationes,  castiffationes,  et 
censura  divina  *.  Malheur  à  ceux  qui  la  trou- 
blent, ou  qui  se  mêlent  dans  cette  céleste  adnri- 
iiistration,  ou  qui  osent  en  usurper  la  moindre 
partie!  C'est  une  injustice  inouie  de  vouloir  pro- 
fiter des  dépouilles  de  cette  épouse  du  Roi  des 
rois,  à  cause  seulement  qu'elle  est  étrangère,  et 
qu'elle  n'est  pas  armée.  Son  Dieu  prendra  en 
main  sa  querelle ,  et  sera  un  rude  vengeur  contre 
ceux  qui  oseront  porter  leurs  mains  sacrilèges 
sur  l'arche  de  son  alliance.  Mais  laissons  ces  ré- 
flexions ,  et  avançons  dans  notre  sujet. 

Jusqu'ici  l'Église  n'a  aucun  droit  qui  relève 
de  la  puissance  des  hommes,  elle  ne  tient  rien 
que  de  son  Époux.  Mais  les  rois  du  monde  ont 
fait  leur  devoir;  et  pendant  que  cette  illustre 
étrangère  voyageait  dans  leurs  États,  ils  lui  ont 
accordé  de  grands  privilèges ,  ils  ont  signalé  leur 
zèle  envers  elle  par  des  présents  magnifiques. 
Elle  n'est  pas  ingrate  de  leurs  bienfaits,  elle  s'en 
glorifie  par  toute  la  terre.  Mais  elle  ne  craint  point 
de  leur  dire  que,  parmi  leurs  plus  grandes  libé- 
ralités, ils  reçoivent  plus  qu'ils  ne  donnent;  et 
enfin,  pour  nous  expliquer  nettement,  qu'il  y 
a  plus  de  justice  que  de  grâce  dans  les  privilèges 
(ju'ils  lui  accordent.  Car,  pour  ne  pas  raconter 
ici  les  avantages  spirituels  que  l'Église  leur  com- 
4nunu}ue,  pouvaient-ils  refuser  de  lui  faire  part 
de  quelques  honneurs  de  leur  royaume,  qu'elle 
prend  tant  de  soin  de  leur  conserver?  Ils  régnent 
sur  les  corps  par  la  force,  et  peut-être  sur  les 

'  .4}}olog.  n*  il. 
*  jàpolog.   ;    ,9 


cœurs  par  l'inclination  ou  par  les  bienfaits.  VP: 
glise  leur  a  ouvert  une  place  plus  sûre  et  pfus 
vénérable  :  elle  leur  a  fait  un  trône  dans  les 
consciences ,  en  présence  et  sous  les  yeux  de  Dieu 
même  :  elle  a  fait  un  des  articles  de  sa  foi  de  la 
sûreté  de  leurs  personnes  sacrées,  et  une  partie 
de  sa  religion  de  l'obéissance  qui  leur  est  du«. 
Elle  va  étouffer  dans  le  fond  des  cœurs,  non-sen- 
lement  les  premières  penst^es  de  rébellion,  mais 
encore  les  moindres  murmures  ;  et  pour  ôter  tout 
prétexte  de  soulèvement  contre  les  puissances 
légitimes,  elle  a  enseigné  constamment,  et  par 
sa  doctrine  et  par  ses  exemples ,  qu'il  en  faut  tout 
souffrir, jusqu'à  l'injustice,  par  laquelle  s'exerce 
secrètement  la  justice  même  de  Dieu.  Après  des 
services  si  importants,  si  on  lui  accorde  des  pri- 
vilèges ,  n'est-ce  pas  une  récompense  qui  lui  est 
bien  due?  et  les  possédant  à  ce  titre,  peut-on 
concevoir  le  dessein  de  les  lui  ravir  sans  une  ex- 
trême injustice? 

Cependant  Henri  II,  roi  d'Angleterre,  se  dé- 
clare l'ennemi  de  l'Église.  Il  l'attaque  au  spiri- 
tuel et  au  temporel  ;  en  ce  qu'elle  tient  de  Dieu , 
et  en  ce  qu'elle  tient  des  hommes  :  il  usurpe  ou- 
vertement sa  puissance.  H  met  la  main  dans  sou 
trésor,  qui  enferme  la  subsistance  des  pauvres. 
Il  flétrit  l'honneur  de  ses  ministres  par  l'abroga 
tion  de  leurs  privilèges ,  et  opprime  leur  liberté 
par  des  lois  qui  lui  sont  contraires.  Prince  témé- 
raire et  malavisé,  que  ne  peut-il  découvrir  de 
loin  les  renversements  étranges  que  fera  un  jour 
dans  son  État  le  mépris  de  l'autorité  ecclésiasti- 
que, et  les  excès  inouis  où  les  peuples  seront 
emportés ,  quand  ils  auront  secoué  ce  joug  né- 
cessaire l  Mais  rien  ne  peut  arrêter  ses  emporte- 
ments. Les  mauvais  conseils  ont  prévalu ,  et  c'est 
en  vain  que  l'on  s'y  oppose  :  il  a  tout  fait  lléeliir 
à  sa  volonté,  et  il  n^^  a  plus  que  le  saint  arche- 
vêque de  Cantorbéry  qu'il  n'a  pu  encore  ni  cor- 
rompre par  ses  caresses,  ni  abattre  par  ses  me- 
naces. 

A  la  vérité  il  met  sa  constance  à  des  épreuves 
bien  dures.  Qu'on  le  dépouille,  qu'on  le  désho- 
nore, qu'on  le  bannisse,  il  s'en  réjouit  :  mais 
pourquoi  ruiner  les  siens?  C'est  ce  qui  lui  perce 
le  cœur.  Il  n'y  a  rien  de  plus  insensible  ni  de 
plus  sensible  tout  à  la  fois  que  la  charité  vérita- 
ble. Insensible  à  ses  propres  maux,  et  en  cela 
directement  contraire  à  l'amour-propre,  elle  a 
une  extrême  sensibilité  pour  les  maux  des  autres. 
Aussi  le  grand  apôtre ,  très-peu  touché  de  tout 
ce  qui  le  regardait,  disait  aux  fidèles  :  «  J'ai 
«  appris  à  me  contenter  de  l'état  où  je  me  trouve  ; 
«je  sais  vivre  pauvrement,  je  sais  vivre  dans 
«  raboudance  ;  j'ai  été  instruit  en  toutes  choses 
«  et  en  toutes  rencontres  à  être  bien  traité  et  ù 


DE  SAIiM'  THOMAS  DE  CAMORBÉRY. 


:>h% 


'  "i'.jflVir  la  fiiim ,  à  être  dans  Tabondance  et  à 

•  i  tre  dans  l'indigence  :  »  Scio  et  humiliari,  scio 
cl  nbuiidare;  ubiquc  et  in  omnibus  institutus 
siim,  etsatiarietesurire,  etabundare  etpcnu- 
rioinpati\  Et  cependant  cet  homme  tout  céleste, 
si  indifférent,  si  dur  pour  lui-même,  ressent  le 
contre-coup  de  tous  les  maux,  de  toutes  les  peines 
(jue  peut  souffrir  le  moindre  des  fidèles.  «  Qui 
..  est  faible ,  s'écrie-t-il ,  sans  que  je  le  sois  avec 
"  lui  ?  qui  est  scandalisé  sans  que  je  brûle  ?  »  Quis 
iiifirmatur,  et  ego  non  infirmor?  quis  scanda- 
lizatur,  et  ego  non  uror^l  Sa  tendresse  pour  ses 
Aères  est  si  grande  qu'il  ne  peut  les  voir  dans  les 
larmes  et  dans  l'affliction  ,  qu'il  n'en  soit  péné- 
tré d'une  vive  douleur  :  «  Que  faites- vous  de 
•<  pleurer  ainsi ,  et  de  me  briser  le  cœur  ?  "  Quid 
^acilisjlentes,  et  affligentes*  cor  meum?  C'est 
en  vain  que  vous  me  fendez  le  cœur  par  vos  lar- 
mes :  «  car  pour  moi  je  suis  tout  prêt  de  souffrir 
«  non-seulement  les  chaînes ,  mais  la  mort  même 
«  pour  le  nom  du  Seigneur  Jésus  :  »  Ego  enim 
non  solum  alUgari,  sedet  mori paratus  sum  ^. 
Ce  cœur  de  diamant ,  qui  semble  défier  le  ciel , 
et  la  terre ,  et  l'enfer  de  l'émouvoir,  peut  souffrir 
la  mort  et  les  plus  dures  extrémités;  il  ne  peut 
souffrir  les  larmes  de  ses  frères.  Combien  a  dû 
être  touché  saint  Thomas ,  de  voir  les  siens  affli- 
gés et  persécutés  à  son  occasion!  Il  se  souvient 
de  Jésus,  qui  n'est  pas  plutôt  né,  qu'il  attire 
des  pei'sécutions  à  ses  parents,  qui  sont  con- 
traints de  quitter  leur  maison  pour  l'amour  de 
lui.  Il  a  reçu  sa  loi  d'en  haut,  et  ne  peut  rien 
faire  pour  les  siens,  sinon  de  leur  souhaiter 
qu'ayant  part  aux  persécutions  ils  aient  part  à  la 
grâce. 

Le  prophète  Zacharie  semble  avoir  voulu  nous 
représenter  l'immuable  et  éternelle  concorde  qui 
doit  être  entre  l'empire  et  le  sacerdoce.  «  Celui- 
«  là,  dit-il  parlant  du  prince,  sera  revêtu  de 
«  gloire ,  il  sera  assis  et  dominera  sur  son  trône  ; 
•  et  le  pontife  sera  aussi  sur  son  trône,  et  il  y 
«  aura  un  conseil  de  paix  entre  ces  deux  :  »  Ipse 
porlabit  gloriam,  et  sedebil,  et  dominabitur 
super  solio  suo  ;  et  erit  sacerdos  super  solio  suo, 
et  consilium  pacis  erit  inter  illos  duos^.  Vous 
A  oyez  que  la  gloire,  et  l'éclat,  et  l'autorité  do- 
minante sont  dans  le  trône  royal.  Mais  quoique 
le  Fils  de  Dieu  ait  enseigné  à  ses  ministres  qu'ils 
ne  doivent  pas  dominer  à  la  manière  du  monde, 
le  sacerdoce  néanmoins  ne  laisse  pas  d'avoir  son 
Irôue  :  car  le  prophète  en  établit  deux;  il  recon- 
naît deux  puissances,  qui  sont,  comme  vous 

•  Phil.n,  12. 

'  II.  Cor.  XI ,  29. 

•  firec,  foinminiicutes,  contercnlcs. 

•  Jet.  XX!,  13. 

•  iiit'.hur.  M,  li. 


voyez ,  plutôt  unies  que  subordonnées  consiliu/n 
pacis  inter  illos  '  ;  et  le  genre  humain  se  repose 
à  l'ombre  de  cette  concorde. 

Saint  Thomas  a  souvent  représenté  au  ro» 
d'.\ngleterre,  par  des  lettres  pleines  d'une  force , 
dune  douceur  et  d'une  modestie  apostolique, 
que  ces  puissances  doivent  concourir  et  se  prêter 
la  main  mutuellement ,  et  non  se  regarder  avec 
jalousie,  puist[u'elles  ont  des  fins  si  diverses, 
qu'elles  ne  peuvent  se  choquer  sans  quitter  leur 
route  et  sortir  de  leurs  limites.  Il  soutient  ces 
charitables  avertissements  avec  toute  l'autorité 
que  pouvait  donner  non-seulement  la  sainteté 
de  son  caractère,  mais  la  sainteté  de  sa  vie,  qui 
était  l'exemple  et  l'admiration  de  tout  l'univers. 
ÎN'otre  France  l'avait  connue ,  puisque ,  lorsqu'il 
fut  exilé,  elle  lui  avait  ouvert  les  bras;  et  le  roi 
Louis  VII,  témoin  oculaire  des  vertus  apostoli- 
ques de  ce  grand  homme,  a  toujours  constam- 
ment favorisé  et  sa  personne,  et  la  cause  qu'il 
défendait ,  par  toutes  sortes  de  bons  offices.  Ren- 
dons ici  témoignage  à  l'incomparable  piété  de 
nos  monarques  très-chrétiens.  Comme  ils  ont  vu 
que  Jésus-Christ  ne  règne  pas,  siijson  Église  n'est 
autorisée,  leur  propre  autorité  ne  leur  a  pas  été 
plus  chère  que  l'autorité  de  l'Église.  Cette  puis- 
sance royale,  qui  doit  donner  le  branle  dans  les 
autres  choses,  n'a  jamais  jugé  indigne  d'elle  de 
ne  faire  que  seconder  dans  les  affaires  spirituel- 
les; et  un  roi  de  France,  empereur,  u"a  pas  cru 
se  rabaisser,  lorsque  écrivant  aux  évêques,  il  les 
assure  de  sa  protection  dans  les  fonctions  de  leur 
ministère;  afin ,  dit  ce  grand  roi ,  que  notre  puis- 
sance royale  servant,  comme  il  est  convenable, 
à  ce  que  demande  votre  autorité,  vous  puissiez 
exécuter  vos  décrets  :  it  nostro  auxilio  .sujfulli, 
guod  vestra  auctoritas  exposcit ,  famulante ^  ut 
decet,  potestate  nostra ,  perficere  valeatis  ». 

Telles  sont  les  maximes  saintes  et  durables  de 
la  monarchie  très-chrétienne;  et  plût  à  Dieu  que 
le  roi  d'Angleterre  eût  suivi  les  sentiments  et 
imité  les  exemples  de  ses  augustes  voisins!  Saint 
Thomas  ne  se  verrait  pas  réduit  à  la  dure  ni*ces- 
sité  de  s'opposer  à  son  prince.  Mais  comme  ce 
monarque  se  rend  inflexible,  l'Église  opprimée 
est  contrainte  de  recourir  aux  derniers  efforts. 
Vous  attendez  peut-être  des  foudres  et  des  ana- 
thèmes.  Mais,  quoique  Henri  les  eût  mérités, 
Thomas,  aussi  modéré  que  vigoureux,  ne  ful- 
mine pas  aisément  contre  une  tête  royale.  Voici 
ces  derniers  efforts  dont  je  veux  pai'ler  :  le  saint 
archevêque  offre  à  Dieu  sa  vie;  et  sachant  que 
l'Eglise  n'est  jamais  plus  forte,  que  lorsqu'elle 
parle  par  la  voix  du  sang,  il  revient  d'un  long 

'  Mal  th.  x\,25,2C. 

'  Ludovk:  Puis,  Cap.  ann.  823,  cap.  IV,  1.  I,  p.  M*. 


554 


PANEGYRIQUE 


exil  avec  uu  esprit  de  martyr,  préparé  aux  vio- 
lences d'un  roi  implacable  et  de  toute  sa  cour 
irritée. 

Saint  Ambroise  a  remarqué  ',  dès  son  temps , 
que  les  hommes  apostoliques,  qui  entreprennent 
d'un  grand  courage  les  œuvres  de  piété  et  la  cen- 
sure des  vices,  sont  assez  souvent  traversés  par 
des  raisons  politiques.  Car  comme  les  pécheurs 
ne  peuvent  souffrir  ceux  qui  viennent  les  trou- 
bler dans  leur  faux  repos;  et  comme  le  monde 
n'a  rien  tant  à  cœur  que  de  voir  l'Église  sans 
force,  et  la  piété  sans  défense,  il  se  plaît  de  lui 
opposer  ce  qu'il  a  de  plus  redoutable,  c'est-à- 
dire  le  nom  de  César  et  les  intérêts  de  l'État. 
Ainsi  quand  Néhémias  relevait  les  tours  abat- 
tues et  les  murailles  désolées  de  Jérusalem ,  les 
ministres  du  roi  de  Perse  publiaient  partout  qu'il 
méditait  un  dessein  de  rébellion  ^  ;  et  comme  le 
moindre  soupçon  d'infidélité  attire  des  difficultés 
infinies ,  ils  tâchaient  de  ralentir  l'ardeur  de  son 
zèle  par  cette  vaine  terreur.  Quoique  le  saint 
archevêque  n'élevât  ni  des  tours  ni  des  forte- 
resses, et  qu'il  songeât  seulement  à  réparer  les 
ruines  d'une  Jérusalem  spirituelle,  toutefois  il 
fut  exposé  aux  mêmes  reproches.  Henri,  déjà 
prévenu  et  irrité  par  les  faux  rapports ,  témoigna , 
avec  une  aigreur  extrême,  que  la  vie  de  ce  pré- 
lat lui  était  à  charge.  Que  de  mains  furent  armées 
contre  lui  par  cette  parole  ! 

Chétiens ,  soyez  attentifs  :  s'il  y  eut  jamais  un 
martyre  qui  ressembla  parfaitement  à  un  sacri- 
fice ,  c'est  celui  que  je  dois  vous  représenter. 
Voyez  les  préparatifs  :  l'évêque  est  à  l'église  avec 
son  clergé ,  et  ils  sont  déjà  revêtus.  Il  ne  faut 
pas  chercher  bien  loin  la  victime  :  le  saint  pon- 
tife est  préparé,  et  c'est  la  victime  que  Dieu  a 
choisie.  Ainsi,  tout  est  prêt  pour  le  sacrifice,  et 
je  vois  entrer  dans  l'église  ceux  qui  doivent  don- 
ner le  coup.  Le  saint  homme  va  au-devant  d'eux 
à  l'imitation  de  Jésus-Christ;  et  pour  imiier  en 
tout  ce  divin  modèle,  il  défend  à  son  clergé 
toute  résistance,  et  se  contente  de  demander 
sûreté  pour  les  siens.  «  Si  c'est  moi  que  vous  cher- 
«  chez,  laissez,  dit  Jésus  ^,  retirer  ceux-ci.» 
Ces  choses  étant  accomplies ,  et  l'heure  du  sacri- 
fice étant  arrivée,  voyez  comme  saint  Thomas 
en  commence  la  cérémonie.  Victime  et  pontife 
tout  ensemble,  il  présente  sa  tête,  et  fait  sa 
prière.  Voici  les  vœux  solennels  et  les  paroles 
mystiques  de  ce  sacrifice  :  Et  ego  pro  Deo  mori 
paratus  sum,  et  pro  assertio7ie  justitiœ ,  et  pro 
iicclesiœ  libertate;  dummodo  effusione  sanyui- 
îiis  mei  pacem  et  libertatem  consequalur  :  «  Je 

'  Scrm.  contra  liauxent.  n"  30,  t.  Il ,  col.  872. 
»  II.  Esdr.  VI,  6,  7. 
»  Jvan.  xvm,  8. 


«  suis  prêt  à  mourir,  dit-il ,  pour  la  cause  de  Dieu 
«  et  de  son  Église,  et  toute  la  grâce  que  je  de- 
«  mande,  c'est  que  mon  sang  lui  rende  la  paix 
«  et  la  liberté  qu'on  lui  veut  ravir.  »  Il  se  pros- 
terne devant  Dieu  ;  et  comme  dans  le  sacrifice 
solennel  nous  appelons  les  saints  pour  être  nos 
intercesseurs ,  il  n'omet  pas  une  partie  si  consi- 
dérable de  cette  cérémonie  sacrée  :  il  appelle  les 
saints  martyrs  et  la  sainte  Vierge  au  secours  de 
l'Église  opprimée  ;  il  ne  parle  que  de  l'Église  ;  il 
n'a  que  l'Église  dans  le  cœur  et  dans  la  bouche; 
et  abattu  par  le  coup ,  sa  langue  froide  et  inani- 
mée semble  encore  nommer  l'Église. 

Mais  voici  un  nouveau  spectacle.  Après  qu'on 
a  dépouillé  le  saint  martyr,  on  découvre  un  autre 
martyre  non  moins  admirable ,  qui  est  le  mar- 
tyre de  sa  pénitence,  un  cilice  affreux  tout  plein 
de  vermine...  Ah  !  ne  méprisons  point  cette  pein- 
ture, et  ne  craignons  point  de  remuer  ces  ordu- 
res si  précieuses.  Ce  cilice  lui  perce  la  peau ,  et 
il  est  si  attaché  à  sa  peau ,  qu'il  semble  qu'il  soit 
une  autre  peau  autour  de  son  corps.  On  voit  que 
ce  saint  a  été  martyr  durant  tout  le  cours  de  sa 
vie;  et  on  ne  s'étonne  plus  de  ce  qu'il  est  mort 
avec  tant  de  force,  mais  de  ce  qu'il  a  pu  vivre 
au  milieu  de  telles  souffrances.  0  digne  défen- 
seur de  l'Église!  voilà  les  hommes  qui  méritent 
de  parler  pour  elle,  et  de  combattre  pour  ses  in- 
térêts :  aussi  sa  victoire  est-elle  assurée.  Les  lois 
qui  l'oppriment  vont  être  abolies;  et  ce  que  le 
saint  archevêque  n'a  pas  obtenu  vivant ,  il  l'ac- 
complira par  sa  mort. 

Le  ciel  se  déclare  manifestement.  Pendant  que 
les  politiques  l'affinent  et  raisonnent  à  leur  mode, 
Dieu  parle  par  des  miracles  si  visibles  et  si  fré- 
quents, que  les  rois  mêmes  et  les  plus  grands  rois , 
oui,  mes  frères,  nos  rois  très-chrétiens  passent 
les  mers  pour  aller  honorer  ses  saintes  reliques. 
Louis  le  Jeune  va  en  personne  lui  demander  la 
guerison  ae  son  fils  aîné ,  attaqué  d'une  maladie 
mortelle.  Nous  devons  Phifippe-Auguste  au  grand 
saint  Thomas,  nous  lui  devons  saint  Louis,  nous 
lui  devons  tous  nos  rois  et  toute  la  famille  royale 
qu'il  a  sauvée  dans  sa  tige.  Voyez,  mes  frères, 
quels  défenseurs  trouve  l'Eglise  dans  sa  faiblesse . 
et  combien  elle  a  raison  de  dire  avec  l'apôtre  : 
Cum  injirmor,  tune  potens  sutn  \  Ce  sont  ces 
bienheureuses  faiblesses  qui  lui  donnent  cet  in- 
vincible secours ,  et  qui  arment  en  sa  faveur  les 
plus  valeureux  soldats  et  les  plus  puissants  con- 
quérants du  monde,  je  veux  dire  les  saints  mar- 
tyrs. Quiconque  ne  ménage  pas  l'autorité  do 
l'Église,  qu'il  craigne  ce  sang  précieux  des  mar- 
tyrs ,  qui  la  consacre  et  qui  la  protège.  Pour  avoir 
violé  ses  droits,  Henri  est  mal  assuré  dans  son 

'  II.  Cor.  xu,  JO. 


DE  SAINT  THOMAS  DE  CANTORBÉRY. 


555 


I 


trône;  sa  couronne  est  ébranlée  sur  sa  tête,  son 
sceptre  ne  tient  pas  dans  ses  mains.  Dieu  pennet 
que  tous  ses  voisins  se  liguent,  que  tous  ses  su- 
jets se  révoltent  et  oublient  leur  devoir;  que  son 
propre  fils  oublie  sa  naissance,  et  se  mette  à  la 
tète  de  ses  ennemis.  Déjà  la  vengeance  du  ciel 
commence  à  le  presser  de  toutes  parts  ;  mais  c'est 
une  vengeance  miséricordieuse ,  qui  ne  l'abat  que 
pour  le  rendre  humble,  et  pour  faire  d'un  roi 
pécheur  un  roi  pénitent  :  c'est  la  seconde  mer- 
veille qu'a  opérée  la  mort  du  saint  archevêque  : 
In  morte  mirabilia  operatus  est. 

SECOND    POINT. 

Dans  ce  démêlé  célèbre  où  les  intérêts  de  l'É- 
glise ont  engagé  saint  Thomas  contre  un  grand 
monarque ,  je  me  sens  obligé  de  vous  avertir  qu'il 
ne  lui  a  pas  résisté  en  rebelle  et  dans  un  esprit 
de  faction  :  il  a  joint  la  fermeté  avec  le  respect. 
S'il  a  toujours  songé  qu'il  était  évêque ,  il  n'a  ja- 
mais  oublié  qu'il  était  sujet  ;  et  la  charité  pasto- 
rale animait  de  telle  sorte  toute  sa  conduite ,  qu'il 
ne  s'est  opposé  au  pécheur  que  dans  le  dessein  de 
sauver  le  roi. 

Il  ne  doit  pas  être  nouveau  aux  chrétiens  d'a- 
voir à  se  défendre  des  grands  de  la  terre  ;  et  c'est 
une  des  premières  leçons  que  Jésus-Christ  a  don- 
nées à  ses  saints  apôtres.  Mais  encore  que  cette 
instruction  nous  prépare  principalement  contre 
les  rois  infidèles,  plusieurs  exemples  illustres,  et 
entre  autres  celui  du  grand  saint  Thomas ,  nous 
fout  voir  assez  clairement ,  que  l'Église  a  souvent 
besoin  de  rappeler  toute  sa  vigueur  au  milieu  de 
sa  paix  et  de  son  triomphe.  Combien  ces  occasions 
sont  fortes  et  dangereuses ,  vous  le  comprendrez 
aisément ,  si  vous  me  permettez ,  chrétiens ,  de 
vous  représenter  comme  en  deux  tableaux  les 
deux  temps  et  les  deux  états  du  christianisme  ; 
l'empire  ennemi  de  l'Église ,  et  l'empire  réconcilié 
avec  l'Église. 

Durant  le  temps  de  l'inimitié,  il  y  avait  entre 
\'un  et  l'autre  une  entière  séparation.  L'Église 
n'avait  que  le  ciel ,  et  l'empire  n'avait  que  la 
terre  :  les  charges ,  les  dignités ,  les  magistratu- 
res, c'est  ce  qui,  selon  le  langage  de  l'Église, 
s'appelait  le  siècle  auquel  elleobligeait  ses  enfants 
de  renoncer.  C'était  une  espèce  de  désertion  que 
daspirer  aux  honneurs  du  monde  ;  et  les  sages  ne 
pensaient  pas  qu'un  chrétien  de  la  bonne  marque 
çùt  devenir  magistrat.  Quand  cela  fut  permis  à 
certaines  conditions  au  premier  concile  d'Arles, 
dans  les  premières  années  du  grand  Constantin, 
les  termes  mêmes  de  la  permission  marquaient 
toujours  quelque  répugnance  :  Ad  prœsidatum 
produire  '  ;  par  un  mot  qui  voulait  dire  qu'on 

'  Cancil.  Arelat.  I.  Can.  Tii;  Lab.  L  H,  col.  1427. 


I 


s'égarait  hors  des  bornes,  qu'on  s'échappait, 
qu'on  sortait  des  lignes.  Ce  n'est  pas  que  les  fidè- 
les ne  sussent  que  les  puissances  de  l'Etat  étaient 
légitimes,  puisque  même  saint  Paul  leur  avait 
appris  qu'elles  étaient  ordonnées  de  Dieu  '.  Mais , 
dans  cette  première  ferveur,  l'Église  respirait 
tellement  le  ciel ,  qu'elle  ne  voulait  rien  voir  dans 
les  siens  qui  ne  fût  céleste  ;  et  elle  était  encore  tel- 
lement remplie  de  la  simplicité  presque  rustique 
de  ses  saints  et  divins  pêcheurs,  quelle  ne  pou- 
vait accoutumer  ses  yeux  à  la  pompe  et  aux  gran- 
deurs de  la  terre. 

Il  faut  vous  dire ,  messieurs ,  l'opinion  qu'on 
avait  eu  ce  temps-là  des  empereurs ,  sur  le  sujet 
de  la  religion.  On  ne  considérait  pas  seulement 
qu'ils  étaient  ennemis  de  l'Église;  mais  Tertul- 
lien  a  bien  osé  dire  qu'ils  n'étaient  pas  capables 
d'y  être  reçus  :  vous  allez  être  étonnés  de  la  li- 
berté de  cette  parole.  «  Les  Césars ,  dit-il ,  se- 
«  raient  chrétiens ,  si  le  siècle  qui  nous  pereécute 
«  se  pouvait  passer  des  Césars,  ou  s'ils  pouvaient 
«  être  Césars  et  chrétiens  tout  ensemble  :  Cœsa- 
res  credidissent  super  Christo,  st  aut  Cœsares 
nonessentsœculonecessarii  ;  autsi  et  christiani 
potuissent  esse  etCœsares'.\oi\k,direz-\o\is,de 
ces  excès  de  Tertullien.  Et  quoi  donc  î  n'avons- 
nous  pas  vu  les  Césars  obéir  enfin  à  l'Évangile  , 
et  abaisser  leur  majesté  au  pied  de  la  croix?  Il  est 
vrai;  mais  il  faut  savoir  distinguer  les  temps. 
Durant  les  temps  des  combats,  qui  devaient  en- 
gendrer les  martjTs ,  les  Césars  étaient  nécessai- 
res au  siècle ,  le  parti  contraire  à  l'Église  les  de- 
vait avoir  à  sa  tête  ;  et  Tertullien  a  raison  de  dire 
que  le  nom  d'empereur  et  de  César,  qui ,  selon 
les  occultes  dispositions  de  la  Providence ,  était 
un  nom  de  majesté ,  était  incompatible  avec  le 
nom  de  chrétien,  qui  devait  être  alors  un  nom 
d'opprobre.  Les  fidèles  de  ces  temps-là,  regar- 
dant les  empereurs  de  la  sorte,  n'avaient  garde  de 
corrompre  leur  simplicité  à  la  cour  :  il  ne  fallait 
pas  craindre  que  les  faveurs  des  empereurs  fussent 
capables  de  les  tenter;  et  leurs  mains,  qu'ils 
voyaient  trempées  et  encore  toutes  dégouttantes 
du  sang  des  martyre ,  leur  rendaient  leurs  offres 
et  leurs  présents  non-seulement  suspects,  mais 
odieux.  Pour  ce  qui  regardait  leurs  menaces,  il 
fallait  à  la  vérité  beaucoup  de  ligueur  pour  n'en 
être  pas  ému  ;  mais  ils  avaient  du  moins  cet  avan- 
tage, qu'une  guerre  si  déclarée  les  déterminait  à 
la  résistance,  et  qu'il  n'y  avait  pas  à  délibérer 
si  on  s'opposerait  aune  puissance  qu'on  voyait  si 
ouvertement  armée  contre  l'Évangile. 

Mais  après  la  paix  de  l'Église,  après  que  l'em- 
pire s'est  uni  avec  elle ,  les  choses  peu  à  peu  ont 

'  Rom.  xni.  •■ 


S56 


PAiNÉGYRlQUE 


été  chauffées.  Comme  le  monde  a  paru  ami ,  les 
fidèles  n'ont  plus  refusé  ses  présents.  Ces  chré- 
tiens sauvages  et  durs ,  qui  ne  pouvaient  s'appri- 
voiser avec  la  cour,  ont  commencé  à  la  trouver 
belle  ;  et  la  voyant  devenue  chrétienne ,  ils  mit 
appris  à  en  briguer  les  faveurs.  Ainsi  les  dou- 
ceurs de  la  paix  ont  amolli  ces  courages  mâles, 
({ue  l'exercice  de  la  guerre  rendait  invincibles; 
I  ambition ,  la  flatterie ,  l'amour  des  grandeurs  se 
coulant  insensiblement  dans  l'Église  ont  énervé 
peu  a  peu  cette  vigueur  ancienne ,  même  dans 
l'oidre  ecclésiastique  qui  en  était  le  plus  ferme 
appui  ;  et ,  comme  dit  saint  Grégoire  •,  ou  a  cher- 
ché l'honneur  du  siècle  dans  une  puissance  que 
Dieu  avait  établie  pour  l'anéantir. 

Dans  cetétat  du  christianisme ,  s'il  arrive  qu'un 
roi  chrétien,  comme  Henri  d'Angleterre,  entre- 
prenne contre  l'Église ,  ne  faudra-t-il  pas,  pour 
lui  résister,  une  résolution  extraordinaire?  Com- 
bien a  désiré  notre  saint  prélat ,  puisqu'il  plaisait 
à  Dieu  qu'il  souffrît  persécution  pour  la  justice , 
que  Dieu  lui  envoyât  un  Néron,  ou  quelque 
monstre  semblable  pour  persécuteur?  Il  n'eût  pas 
eu  à  combattre  tant  de  fortes  considérations  qui 
le  retenaient  contre  un  roi ,  enfant  de  l'Église , 
son  maître ,  son  bienfaiteur,  dont  il  avait  été  le 
premier  ministre.  De  plus  ,  un  ennemi  déclaré,  à 
qui  le  prétexte  du  nom  chrétien  n'aurait  pas  donné 
le  moyen  de  tromper  les  évêques  par  de  belles 
apparences ,  aurait-il  pu  détacher  tous  ses  frères 
les  évêques ,  pour  le  laisser  seul  et  abandonné 
dans  la  défense  de  la  bonne  cause?  Voici  donc 
une  nouvelle  espèce  de  persécution,  qui  s'élève 
contre  saint  Thomas  ;  persécution  formidable ,  à 
qui  la  puissance  royale  donne  de  la  force ,  à  qui 
la  profession  du  christianisme  donne  le  moyen 
d'employer  la  ruse.  N'est-ce  pas  en  de  pareilles 
rencontres  que  la  justice  a  besoin  d'être  soutenue 
avec  toute  la  vigueur  ecclésiastique  :  d'autant 
plus  qu'il  ne  suffit  pas  de  résister  seulement  à 
ce  roi  superbe  ;  mais  il  faut  encore  tâcher  de 
l'abattre,  mais  de  l'abattre  pour  son  salut  par 
l'humilité  de  la  pénitence? 

Notre  saint  évêque  n'ignore  pas  qu'il  n'est  rien 
de  plus  utile  aux  pécheurs,  que  de  trouver  des 
obstacles  à  leurs  desseins  criminels.  Il  ne  cède 
donc  pas  a  l'iniquité ,  sous  prétexte  qu'elle  est  ar- 
mée et  soutenue  d'une  main  royale  :  au  contraire , 
lui  voyant  prendre  son  cours  d'un  lieu  éminent , 
d'où  elle  peut  se  répandre  avec  plus  de  force,  il 
se  croit  plus  obligé  de  s'élever  contre ,  comme  une 
digue  que  l'on  élève  à  mesure  que  l'on  voit  les  on- 
des enflées.  Ainsi  le  désir  de  sauver  le  roi  l'oblige 
à  lui  résister  de  toute  sa  force.  Mais  que  dis- je, 

»  rustor  [KuL  I,  o;ip.  viii,  l.  u. 


de  toute  sa  force?  Est-il  donc  permis  a  un  sujet 
d'avoir  de  la  force  contre  son  prince  ;  et  pensant 
en  faire  un  généreux,  n'en  ferons-nous  point  un 
rebelle?  Non,  mes  frères,  ne  craignez  rien,  ni 
de  la  conduite  de  saint  Thomas ,  ni  de  la  simpli- 
cité de  mes  expressions.  Selon  le  langage  ecclé- 
siastique ,  la  force  a  une  autre  signification  que 
dans  le  langage  du  monde.  La  force,  selon  le 
monde,  s'étend  jusqu'à  entreprendre;  la  force, 
selon  l'Église ,  ne  va  pas  plus  loin  que  de  tout 
souffrir  :  voilà  les  bornes  qui  lui  sont  prescrites. 
Écoutez  l'apôtre  saint  Paul  :  ISondum  usque  ad 
sanguinem  restitistis  •  ;  comme  s'il  disait  :  Vous 
n'avez  pas  tenu  jusqu'au  bout,  parce  que  vous 
ne  vous  êtes  pas  défendus  jusqu'au  sang.  Il  ne 
dit  pas,  jusqu'à  attaquer,  jusqu'à  verser  le  sang 
de  vos  ennemis;  mais,  jusqu'à  répandre  le  vôtre. 

Au  reste ,  saint  Thomas  n'abuse  pas  de  ces 
maximes  vigoureuses.  Il  ne  prend  pas  par  fierté 
ces  armes  apostoliques ,  pour  se  faire  valoir  dans 
le  monde  :  il  s'en  sert  comme  d'un  bouclier  né- 
cessaire dans  l'extrême  besoin  de  l'Église.  La  force 
du  saint  évêque  ne  dépend  donc  pas  du  concours 
de  ses  amis ,  ni  d'une  intrigue  finement  menée,  i  I 
ne  sait  point  étaler  au  monde  sa  patience  pour 
rendre  son  persécuteur  plus  odieux,  ni  faire 
jouer  de  secrets  ressorts  pour  soulever  lesesprits. 
Il  n'a  pour  lui  que  les  prières  des  pauvres,  les 
gémissements  des  veuves  et  des  orphelins.  Voilà 
disait  saint  Ambroise%  les  défenseurs  des  évê- 
ques; voilà  leurs  gardes,  voilà  leur  armée.  Il  est 
fort ,  parce  qu'il  a  un  esprit  également  incapable 
et  de  crainte  et  de  murmure.  Il  peut  dire  vérita- 
blement à  Henri,  roi  d'Angleterre,  ce  que  disait 
Tertullien,  aunomde  toute  l'Église,  à  un  magis- 
trat de  l'empire,  grand  persécuteur  de  l'Église  : 
No7i  te  terremus,  qui  iiec  timemus^ .  Apprends 
à  connaître  quels  nous  sommes,  et  vois  quel 
homme  c'est  qu'un  chrétien  :  «  Nous  ne  pensong 
«  pas  à  te  faire  peur,  et  nous  sommes  incapables 
«  de  te  craindre.  «  Nous  ne  sommes  ni  redoutables 
ni  lâches  :  nous  ne  sommes  pas  redoutables ,  parce 
que  nous  ne  savons  pas  cabaler  ;  et  nous  ne  som- 
mes pas  lâches,  parce  que  nous  savons  mourir. 

C'est  ce  que  semble  dire  le  grand  saint  Tho- 
mas, et  c'est  par  ce  sentiment  qu'il  unit  ensemble 
les  devoirs  de  l'épiscopat  avec  ceux  de  la  sujé- 
tion. ISon  te  terremus;  voilà  le  sujet  toujours 
soumis  et  respectueux  :  qui  nec  timemus;  voilà 
l'évêque  toujours  ferme  et  inébranlable.  ISon  te 
terremus;  je  ne  médite  rien  contre  l'État  :  qui 
nec  timemus;  je  suis  prêt  à  tout  souffrir  pour. 
l'Église.  J'ai  donc  eu  raison  de  vous  dire  qu'il 

•  Heh.  xn,  4. 

2  Serm.  ronlra' Aiixcnt.  n"  33,  t.  U,  Col.  873. 
-  .id  Hcuijul.  a'  i. 


ÛK  SAINT  THOMAS  T)E  CANTORBÉRV 


i557 


r«^lsle  il'*  toute  sa  force  ;  mais  cette  force  n'est 
point  rel)elle ,  parce  que  cette  force,  c'est  sa  pa- 
tk'nce.  Encore  n'étale- t-il  pas  au  monde  cette 
patience  avec  un  contenance  fière  et  un  air  de  dé- 
dain ,  pour  rendre  son  persécuteur  odieux  :  au 
contraire  sa  modestie  est  c«nnue  de  tous ,  selon 
le  précepte  de  l'apôtre'.  C'est  par  là  qu'il  espère 
convertir  le  roi  :  il  se  propose  de  l'apaiser,  du 
moins  en  lassant  sa  fureur.  II  ne  désire  que  de 
souffrir,  afin  que  sa  vengeance  épuisée  se  tourne 
à  de  meilleurs  sentiments.  Quoiqu'il  voie  que  ses 
biens  ravis,  sa  réputation  déchirée,  les  fatigues 
d'un  long  exil ,  l'injuste  persécution  de  tous  les 
siens ,  n'aient  pu  assouvir  sa  colère ,  il  sait  ce  que 
peut  le  sang  d'un  martyr;  et  le  sien  est  tout  prêt 
à  couler,  pour  amollir  le  cœur  de  son  prince.  II 
n'a  pas  été  trompé  dans  son  espérance  :  le  sang 
de  ce  martyr,  le  sacrifice  sanglant  de  Thomas ,  a 
produit  un  autre  sacrifice ,  sacrifice  d'humilité  et 
de  pénitence  ;  il  a  amené  à  Dieu  une  autre  vic- 
time, victime  royale  et  couronnée. 

Je  vous  ai  représenté  l'appareil  du  premier  sa- 
crifice :  que  celui-ci  est  digne  encore  de  vos  atten- 
tions! Là,  un  évéque  à  la  tête  de  son  clergé  ;  et 
ici,  un  roi  environné  de  toute  sa  cour  :  là,  un 
«vèque  nous  a  paru  revêtu  de  ses  ornements  ;  ici , 
nous  voyons  un  roi  humblement  dépouillé  des 
siens  :  là  vous  avez  vu  des  épées  tirées ,  qui  sont 
les  armes  de  la  cruauté  ;  ici  une  discipline  et  une 
haire ,  qui  sont  les  instruments  de  la  pénitence. 
Dans  le  premier  sacrifice,  si  vous  avez  eu  de  l'ad- 
miration pour  le  courage ,  vous  avez  eu  de  l'hor- 
reur pour  le  sacrilège  :  ici,  tout  est  plein  de 
consolation.  La  victime  est  frappée  ;  mais  c'est 
la  contrition  qui  perce  son  cœur  :  la  victime  est 
abattue;  mais  c'est  l'humilité  qui  la  renverse.  Le 
sang  qui  est  répandu,  ce  sont  les  larmes  de  la 
pénitence  :  Quidam  sanguin  animœ  *  ;  l'autel  du 
sacrifice,  c'est  le  tombeau  même  du  saint  martyr. 
Le  roi  se  prosterne  devant  ce  tombeau ,  il  fait 
une  humble  réparation  aux  cendres  du  grand 
saint  Thomas,  il  honore  ces  cendres,  il  baise  ces 
cendres,  il  arrose  ces  cendres  de  larmes,  il  mêle 
ses  larmes  au  sang  du  martyr,  il  sanctifie  ces 
larmes  par  la  société  de  ce  sang  ;  et  ce  sang  qui 
criait  vengeance ,  apaisé  par  ces  larmes  d'un  roi 
pénitent,  demande  protection  pour  sa  couronne. 
fl  affermit  son  trône  ébranlé,  il  relève  le  courage 
de  ses  serviteurs  ;  il  met  le  roi  d'Ecosse ,  son  plus 
grand  ennemi ,  entre  ses  mains  ;  il  fait  rentrer  son 
fils  dans  son  devoir  qu'il  avait  oublié;  enfin,  en 
lin  même  jour,  il  rend  la  concorde  à  sa  maison , 
la  tranquillité  à  son  État,  et  le  repos  à  sa  ccm- 
sciencc.  Voilà  ce  qu'a  fait  la  mort  de  Thomas , 


'  Philip.  IV,  5. 

*  5.  Aiiij.  St-rm  crci-i 


",  t.  V,  col.  I36fi. 


voilà  la  seconde  merveille  qu'elle  a  opérée,  la 
conversion  des  persécuteurs  :  la  dernière  dépend 
en  partie  de  nous;  c'est,  mes  frères,  qtie  notre 
zèle  pour  la  sainte  Église  soit  autant  échauffé, 
comme  il  est  instruit  par  l'exemple  de  ce  grand 
homme. 

TBOISIÈME    POINT. 

A  la  mort  de  Thomas ,  le  clergé  d'Angleterre 
commença  à  reprendre  cœur  :  le  sang  de  ce  mar- 
tyr ranima  et  réunit  tous  les  esprits,  pour  soute- 
nir, par  un  saint  concours ,  les  intérêts  de  l'Église. 
Apprenons  aussi  à  l'aimer  et  à  être  jaloux  de  sa 
gloire.  Mais,  messieurs,  ce  n'est  pas  assez  que 
nous  apprenions  du  grand  saint  Thomas  à  con- 
server soigneusement  son  autorité  et  ses  droits  : 
il  faut  qu'il  nous  montre  à  en  bien  user,  chacun 
selon  le  degré  où  Dieu  l'a  établi  dans  le  minis- 
tère ;  et  vous  ne  pouvez  ignorer  quel  doit  être  ce 
bon  usage  que  je  vous  demande ,  si  vous  écoutez 
un  peu  la  voix  de  ce  sang.  Car  considérons  seu- 
lement pour  quelle  cause  il  est  répandu ,  et  d'où 
vient  que  toute  l'Église  célèbre  avec  tant  de  dé- 
votion le  martyre  de  saint  Thomas.  C'est  qu'on 
voulait  lui  ravir  ses  privilèges ,  usurper  sa  puis- 
sance ,  envahir  ses  biens  ;  et  ce  grand  archevê- 
que y  a  résisté. 

Mais  si  l'on  ne  se  sert  de  ces  privilèges  que  pour 
s'élever  orgueilleusement  au-dessus  des  autres;  si 
l'on  n'use  de  cette  puissance  que  pour  faire  les 
grands  dans  le  siècle;  si  l'on  n'emploie  ces  riches- 
ses que  pour  contenter  de  mauvais  désirs ,  ou 
pour  se  faire  considérer  par  une  pompe  mon- 
daine :  est-ce  là  de  quoi  faire  un  martyr?  Était-ce 
là  un  digne  sujet  pour  donner  du  sang,  et  pour 
troubler  tout  un  grand  royaume?  N'est-ce  pas 
pour  faire  dire  aux  politiques  impies,  que  saint 
Thomas  a  été  le  martyr  de  l'avarice  ou  de  l'ambi- 
tion du  clergé ,  et  que  nous  consacrons  sa  mé- 
moire ,  parce  qu'il  nous  a  soutenus  dans  des  in- 
térêts temporels? 

Voilà,  direz-vous,  un  discours  d'impie;  voilà 
un  raisonnement  digne  d'un  hérétique  ou  d'un  li- 
bertin. Je  le  confesse ,  messieurs  ;  mais  répondons 
à  cet  hérétique ,  fermons  la  bouche  à  ce  libertin , 
justifions  le  martvre  du  grand  saint  Thomas  de 
Cantorbéry  :  il  ne  sera  pas  difficile.  Nous  dirons 
que  si  le  clergé  a  des  privilèges ,  c'est  afin  que  la 
religion  soit  honorée;  que  s'il  possède  des  biens, 
c'est  pour  l'exercice  des  saints  ministères,  pojir 
la  décoration  des  autels ,  et  pour  la  subsistance 
des  pauvres;  que  s'il  a  de  l'autorité,  c'est  afin 
qu'elle  serve  de  frein  à  la  licence ,  de  barrière  à 
l'iniquité,  d'appui  à  la  discipline.  Nous  ajoute- 
rons qu'il  est  peut-être  à  propos  que  le  clergé  ait 
quelque  force  même  dans  le  siècle ,  quelque  éclat 


55fi 


l'ANEGYRIQUE  DE  SAINT  THOMAS  DE  CANTORCÉRY. 


même  temporel  quoique  modéré,  afin  de  combat- 
tre le  monde  par  ses  propres  armes,  pour  attirer 
ou  réprimer  les  âmes  infirmes  par  les  choses  qui 
ont  coutume  de  les  frapper.  Cet  éclat ,  ces  secours, 
ces  soutiens  externes  de  l'Église ,  empêchent  peut- 
être  le  monde  de  l'attaquer,  pour  ainsi  dire,  dans 
ses  propres  biens ,  dans  cette  divine  puissance, 
dans  le  cœur  même  de  la  religion;  et  ce  sont,  si 
vous  voulez,  comme  les  dehors  de  cette  sainte 
Sion,  de  cette  belle  forteresse  de  David,  qu'il  ne 
faut  point  laisser  prendre  ni  abandonner,  et  moins 
encore  livrer  à  ses  ennemis.  D'ailleurs,  comme  le 
monde  gagne  insensiblement,  quand  saint  Tho- 
mas n'aurait  fait  qu'arrêter  un  peu  son  progrès, 
le  dessein  en  est  toujours  glorieux.  Voilà  une  dé- 
fense invincible,  et  sans  doute  on  ne  pouvait  pas 
répandre  son  sang  pour  une  cause  plus  juste. 

Mais  si  le  monde  nous  presse  encore ,  s'il  con- 
vainc un  si  grand  nombre  d'ecclésiastiques  de 
faire  servir  ces  droits  à  l'orgueil ,  cette  puissance 
à  la  tyrannie,  ces  richesses  à  la  vanité  ou  à  l'a- 
varice; si  cette  apologie  et  notre  défense  n'est 
que  dans  notre  bouche  et  dans  nos  discours ,  et 
non  dans  nos  mœui's  et  dans  notre  vie  :  ne  di- 
ra-t-on  pas  qu'à  la  vérité  notre  origine  était  sainte, 
mais  que  nous  nous  sommes  démentis  nous-mê- 
mes ,  que  nous  avons  tourné  en  mondanité  la  sim- 
plicité de  nos  pères,  et  que  nous  couvrons  du 
prétexte  de  la  religion  nos  passions  particulières  ? 
K 'est-ce  pas  déshonorer  le  sang  du  grand  saint 
Thomas,  faire  servir  son  martyre  à  nos  intérêts, 
et  exposer  aux  dérisions  injustes  de  nos  ennemis 


la  cause  si  juste  et  si  glorieuse  pour  laquelle  il  ft 
immolé  sa  vie? 

Fasse  donc  ce  divin  Sauveur,  qui  a  établi  le 
clergé  pour  être  la  lumière  du  monde,  que  tous 
ceux  qui  sont  appelés  aux  honneurs  ecclésiasti- 
ques, en  quelque  degré  du  saint  ministère  qu'ils 
aient  été  établis,  emploient  si  utilement  leur  au- 
torité, qu'on  loue  à  jamais  le  grand  saint  Thomas 
de  l'avoir  si  bien  défendue;  qu'ils  dispensent  si 
saintement,  si  chastement  les  biens  de  l'Église, 
que  l'on  voie  par  expérience  la  raison  qu'il  y  avait 
de  les  conserver  par  un  sang  si  pur  et  si  précieux  . 
Qu'ils  maintiennent  la  dignité  de  l'ordre  sacré 
par  le  mépris  des  grandeurs  du  monde,  et  non 
pour  la  recherche  de  ses  honneurs;  par  l'exem- 
ple de  leur  modestie,  plutôt  que  par  les  marques 
de  la  vanité  ;  par  la  mortification  et  la  pénitence, 
plutôt  que  par  l'abondance  et  la  délicatesse  des 
enfants  du  siècle  :  que  leur  vie  soit  l'édification 
des  peuples;  leur  parole,  l'instruction  dessimpltfs; 
leur  doctrine ,  la  lumière  des  dévoyés  ;  leur  vi- 
gueur et  leur  fermeté,  la  confusion  des  pécheurs; 
leur  charité,  l'asile  des  pauvres;  leur  puissance, 
le  soutien  des  faibles;  leur  maison,  la  retraite 
des  affligés;  leur  vigilance,  le  sàlut  de  tous. 
Ainsi  nous  réveillerons  dans  l'esprit  de  tous  les 
fidèles  cette  ancienne  vénération  pour  le  sacer- 
doce ;  nous  irons  tous  ensemble,  nous  et  les  peu- 
ples que  nous  enseignons,  recevoir  avec  s<iini 
Thomas  la  couronne  d'immortalité  qui  nous  est 
promise.  Au  nom  du  Père ,  et  du  Fiis,  et  du  S«iut 
Esprit.  Amen. 


K!N    I»FS    PANEOVBJOfES. 


^H^l-^'M-^f^^ 


MEDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


LErrRE 

t  <-ritp  aux  rplif^pnsffi  dp  la  Visitation  de  Sainte-Marie  de 
Meaux  «  ^n  leur  adreasaiit  c»  Méditations  sur  i'Évang  ile  ■. 

Jt»  VOUS  adresse,  mes  filles ,  ces  Méditations  sur 
l'Kvangile,  comme  à  celles  en  qui  j'espère  qu'elles 
porteront  les  fruits  les  plus  abondants.  C'est  pour 
quelques-unes  de  vous  qu'elles  ont  été  commencées-, 
H  vous  les  avez  reçues  avec  tant  de  joie,  que  ce 
m'a  été  une  marque  qu'elles  étaient  pour  vous  tou- 
tes. Recevez-les  donc,  comme  un  témoignage  de  la 
sainte  affection  qui  m'unit  à  vous,  comme  étant 
trhumbles  et  véritables  filles  de  saint  François  de 
Sales,  qui  est  l'honneur  de  l'épiscopat  et  la  lumière 
de  notre  siècle. 
Je  suis,  dans  le  saint  amour  de  Notre-Seigneur, 
Mes  filles, 

Votre  très-aft"ectionné  serviteur, 
+  J.  BÉNiG!<fE,  évéque  de  Meaux. 
A  Meaux,  ce  G  juillet  1695. 


AVERTISSEMENT. 

De  tous  les  sermons  de  Jésus-Christ ,  les  plus  re- 
marquables par  la  circonstance  du  temps,  sont  : 

Premièrement ,  celui  qu'il  a  fait  sur  la  montat^ne 
a;i  commencement  de  sa  prédication ,  où  sont  com- 
pris les  principaux  préceptes  de  la  loi  nouvelle  et 
où  Ton  voit  quel  en  est  l'esprit; 

Secondement,  ceux  qu'il  a  faits  sur  la  fin  de  sa 
vie,  depuis  son  entrée  triomphante  en  Jérusalem, 
jusqu'à  sa  mort  :  dont  le  plus  remarquable  est  en- 
core celui  qu'il  fit  au  temps  de  la  Cène:  et  depuis 
jusqu'à  la  nuit  de  son  agonie  dans  le  jardin  des  Oli- 
viers. 

Nous  allons  distribuer  par  journées  la  lecture  du 
sermon  deîN'otre-Seigneur  sur  la  montagne,  et  de 
ceux  dont  nous  venons  de  parler  :  en  sorte  qu'à 
chaque  journée  on  puisse  employer  à  de  pieuses 
méditations  un  quart  d'heure  le  l'natin ,  et  autant 
ie  soir. 

A  chaque  vérité  qui  sera  proposée,  il  faut  s'arrê- 
ter un  peu  ,  en  faisant  un  acte  de  foi  :  Te  crois;  cela 
est  vrai  :  celui  qui  le  dit  est  la  vérité  même. 

Ainsi,  il  faut  regarder  cette  vérité  particulière 

'  L'original  de  cette  lettre  est  conservé  par  ces  saintes  filles 
irec  l'ouvrage  même,  comme  un  dépôt  précieux ,  et  comme 
tWie  preuve  honorable  de  l'affection  singulière  qu'avait  pour 
telles  leur  saint  évw|ue ,  qu'elles  regardaient  comme  leur  vrai 
kpère,  et  qu'elles  pleurent  encore  tous  les  jours,  (yole  de 
VTtéiUoH  originale.) 


qu'il  a  révélée ,  comme  une  parcelle  de  la  vérité  qui 
est  Jésus-Christ  même  :  c'est-à-dire,  qui  est  Dieu 
même;  mais  Dieu  s'approchant  de  nous,  se  commu- 
niquant et  s'unissant  à  nous.  Car  voilà  ce  que  c'est 
que  Jésus-Christ. 

Il  faut  donc  considérer  cette  vérité  particulière 
qu'il  a  révélée  de  sa  propre  bouche;  s'y  attacher  par 
ie  cœur;  l'aimer  :  parce  qu'elle  nous  unit  à  Dieu 
par  Jésus-Christ ,  qui  nous  l'a  enseignée ,  et  qui 
nous  a  dit  qu'il  était  la  voie,  la  vérité  et  la  vie'. 
••«■■»■■ 

SERMON 

DE   NOTBE-SEIGNEUB   SUB   LA    MONTAGNE. 
MtMh.,  cliap.  V,  VI.  vir. 


PREMIER  JOUR. 

Abrégé  du  sermon.  La  félicilé  étemelle  proposée  sous  diven 
noms  dans  les  huit  béatitudes.  Matlh.  y,  i    12. 

Tout  le  but  de  l'homme  est  d'être  heureux.  Jé- 
sus-Christ n'est  venu  que  pour  nous  en  donner  le 
moyen.  Mettre  le  bonheur  où  il  faut,  c'est  la  source 
de  tout  bien;  et  la  source  de  tout  mal  est  de  le 
mettre  où  il  ne  faut  pas.  Disons  donc  :  Je  veux  être 
heureux.  Voyons  comment  :  voyons  la  fin  où  con- 
siste le  bonheur  :  voyons  les  moyens  d'y  parvenir. 

La  fin  est  à  chacune  des  huit  béatitudes  :  car 
c'est  partout  la  félicité  éternelle  sous  divers  noms. 
A  la  première  béatitude,  comme  royaume.  A  la  se- 
conde, comme  la  terre  promise.  A  la  troisième , 
comme  la  véritable  et  parfaite  consolation.  A  la 
quatrième,  comme  le  rassasiement  de  tous  nos  dé- 
sirs. A  ïà  cinquième,  comme  la  dernière  miséri- 
corde qui  ôtera  tous  les  maux ,  et  donnera  tous 
les  biens.  A  la  sixième ,  sous  son  propre  nom ,  qui 
est  la  vue  de  Dieu.  A  la  septième ,  comme  la  per- 
fection de  notre  adoption.  A  la  huitième,  encore 
une  fois,  comme  le  royaume  des  cieux.  Voilà  donc 
la  fin  partout;  mais  comme  il  y  a  plusieurs  moyens, 
chaque  béatitude  en  propose  un;  et  tous  ensem- 
ble rendent  l'homme  heureux. 

Si  le  sermon  sur  la  montagne  est  l'abrégé  de 
toute  la  doctrine  chrétienne,  les  huit  béatitudes 
sont  l'abrégé  de  tout  le  sernjon  sur  la  montage. 

S:  Jésus-Christ  nous  apprend  que  notre  justice 
doit  surpasser  celle  des  scribes  et  des  pharisiens , 
cela  est  compris  dans  cette  parole  :  Bienheureux 
ceux  qui  ont  faim  et  soif  de  la  justice.  Car,  s'ils  la 

'    /«MU»     XIT,  8r 


SCO 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


drsirent  comme  leur  vrrilable  nourriture,  s'ils  en 
sont  véritablement  affamés  ;  avec  quelle  abondance 
la  recevront-ils,  puisqu'elle  se présentedetouscôtés 
pour  nous  remplir?  Alors  aussi  nous  garderons  jus- 
qu'aux moindres  des  préceptes,  comme  des  hom- 
mes affamés  qui  ne  laissent  rien ,  et  pas  même,  pour 
ainsi  parler,  une  miette  de  leur  pain. 

Si  l'on  vous  recommande  de  ne  pas  maltraiter 
votre  prochain  de  parole,  c'est  un  effet  de  la  dou- 
ceur, et  de  cet  esprit  pacifique  à  qui  est  promis  le 
royaume  et  la  qualité  d'enfant  de  Dieu. 

Vous  ne  regarderez  pas  une  femme  avec  un  mau- 
vais désir  :  Bienheureux  ceux  qui  ont  le  cœur  pur  : 
et  vous  l'aurez  parfaitement  pur  lorsque  vous  l'au- 
rez purifié  de  tous  les  désirs  sensuels. 

Ceux-là  sont  heureux ,  qui  passent  leur  vie  plu- 
tôt dans  le  deuil  et  dans  une  tristesse  salutaire, 
que  dans  les  plaisirs  qui  les  enivrent. 

Ne  jurez  point  ;  dites  :  Cela  est ,  cela  n'est  pas. 
C'est  encore  un  effet  de  la  douceur  :  qui  est  doux, 
est  humble  ;  il  n'est  point  trop  attaché  à  son  sens, 
ce  qui  rend  l'homme  trop  affirmatif  :  il  dit  simple- 
ment ce  qu'il  pense  ,  en  esprit  de  sincérité  et  de 
douceur. 

On  pardonne  aiséijient  toutes  les  injures ,  si  l'on 
est  rempli  de  cet  esprit  de  miséricorde ,  qui  nous 
attire  une  miséricorde  bien  plus  abondante. 

On  ne  résiste  pas  à  la  violence;  on  se  laisse 
même  engager  à  plus  qu'on  n'a  promis  ;  parce  qu'on 
esit  doux  et  pacifique. 

On  aime  ses  amis  et  ses  ennemis ,  non-seulement 
à  cause  qu'on  est  doux ,  miséricordieux ,  pacifique; 
mais  encore  parce  qu'on  est  affamé  de  la  justice ,  et 
qu'on  la  veut  faire  abonder  en  soi-même  plus  qu'elle 
n'est  dans  les  pharisiens  et  dans  les  gentils. 

Cette  faim  qu'on  a  pour  la  justice  fait  aussi  qu'on 
la  veut  avoir  pour  le  besoin,  et  non  pour  l'osten- 
tation. 

On  aime  le  jeûne ,  quand  on  trouve  sa  principale 
nourriture  dans  la  vérité  et  dans  la  justice. 

Par  le  jeûne,  on  a  le  cœur  pur,  et  on  se  purifie 
des  désirs  des  sens. 

On  a  le  cœur  pur,  quand  on  réserve  aux  yeux 
de  Dieu  ce  qu'on  fait  de  bien  :  qu'on  se  contente 
detre  vu  de  lui  ;  et  qu'on  ne  fait  pas  servir  la  vertu 
comme  d'un  fard  pour  tromper  le  monde,  et  s'atti- 
rer les  regards  et  l'amour  de  la  créature. 

Quand  on  a  le  cœur  pur,  on  a  l'œil  lumineux,  et 
l'intention  droite. 

On  évite  l'avarice  et  la  recherche  des  biens,  quand 
on  est  vraiment  pauvre  d'esprit. 

On  ne  juge  pas  ,  quand  on  est  doux  et  pacifique; 
parce  que  cette  douceur  bannit  l'orgueil. 

La  pureté  de  cœur  fait  qu'on  se  rend  digne  de 
l'Eucharistie,  et  qu'on  ne  prend  pas  comme  un 
chien  ce  pain  céleste. 

On  prie,  on  demande,  on  frappe,  quand  on  a 
faim  et  soif  de  la  justice  :  on  demande  à  Dieu  les 
vrais  biens,  et  on  les  attend  de  lui ,  quand  on  n'as- 
pire qu'à  son  royaume  et  à  la  terre  des  vivants. 

On  entre  volontiers  par  la  porte  étroite ,  quand 
on  s'estime  heureux  dans  la  pauvreté,   dans  les 


pleurs,  dans  les  afflictions  qu'on  souffre  pour  la 
justice. 

Quand  on  a  faim  de  la  justice,  on  ne  se  contente 
pas  de  dire  de  bouche  :  Seigneur,  Seigneur;  et  on 
se  nourrit  au  dedans  de  sa  vérité. 

Alors  on  bâtit  sur  le  roc,  et  on  trouve  le  solide 
pour  affermir  dessus  tout  son  édifice. 

Les  béatitudes  sont  donc  l'abrégé  de  tout  le  ser- 
mon ;  mais  un  abrégé  agréable:  parce  que  la  récom» 
pense  est  jointe  au  précepte;  le  royaume  descieux  , 
sous  plusieurs  noms  admirables,  à  la  justice;  la  féli- 
cité, à  la  pratique. 

IF  JOUR. 

Première  béatitude  :  Élre  pauvres  d'esprit.  Matth.  v,  3. 

Pour  venir  au  détaif,  .Tésus-Christ  commence  en 
cette  sorte  :  Bienheureux  sont  les  pauvres  d'esprit, 
c'est-à-dire,  non-seulement  ces  pauvres  volontaires 
qui  ont  tout  quitté  pour  le  suivre ,  et  à  qui  il  a  pro- 
mis le  centuple  dans  cette  vie;  et  dans  la  vie  fu- 
ture ,  la  vie  éternelle  ;  mais  encore  tous  ceux  qui 
ont  l'esprit  détaché  des  biens  de  la  terre  ;  ceux  qui 
sont  effectivement  dans  la  pauvreté  sans  murmure 
et  sans  impatience;  qui  n'ont  pas  l'esprit  des  ri- 
chesses, le  faste,  l'orgueil ,  l'injustice ,  l'avidité  in- 
satiable de  tout  tirer  à  soi.  La  félicité  éternelle  leu»- 
appartient  sous  le  titre  majestueux  de  royaume. 
Parce  que  le  mal  de  la  pauvreté  sur  la  terre,  c'est  de 
rendre  méprisable,  faible,  impuissant;  la  félicité 
leur  est  donnée  comme  un  remède  à  cette  bassesse , 
sous  le  titre  le  plus  auguste,  qui  est  celui  de 
royaume. 

A  ce  mot  :  Bienheureux,  le  cœur  se  dilate,  et  se 
remplitdejoie.il  se  resserre  à  celui  de  la  pauvreté: 
mais  il  se  dilate  de  nouveau  à  celui  de  royaume,  et 
de  royaume  descieux.  Car,  que  ne  voudrait-on  pas 
souffrir  pour  un  royaume,  et  encore  pour  un 
royaume  dans  le  ciel ,  un  royaume  avec  Dieu ,  et 
inséparable  du  sien,  éternel,  spirituel,  abondant 
en  tout,  d'où  tout  malheur  est  banni? 

O  Seigneur,  je  vous  donne  tout,  j'abandonne 
tout  pour  avoir  part  à  ce  royaume  :  puis-jeêtre  as- 
sez dépouillé  de  tout  pour  une  telle  espérance!  Je 
me  dépouille  de  cœur  et  en  esprit  :  et  quand  il 
vous  plaira  de  me  dépouiller  en  effet ,  je  m'y  sou- 
mets. 

C'est  à  quoi  sont  obligés  tous  les  chrétiens.  Mai» 
l'humble  religieuse  se  réjouit  d'être  actuellement 
dessaisie,  dépouillée,  morte  aux  biens  du  monde, 
incapable  de  les  posséder.  Heureux  dépouillement, 
qui  donne  Dieu! 

IIP  JOUR. 

Seconde  béatitude  :  Être  doux.  Matth.  v,  4. 
Bienheureux  ceux  qui  sont  doux.  Apprenez  de 
moi  que  je  suis  doux',  sans  aigreur,  sans  enflure, 
sans  dédain,  sans  prendre  avantage  sur  personne, 
sans  insulter  au  malheureux,  sans  même  choquer 
le  superbe ,  mais  tachant  de  le  gagner  par  douceur; 

»   Mntth    XI,  29. 


MÉDITATIONS  SUR  I/ÉVA.NGILF. 


doux  même  à  ceux  qui  sont  aigres,  n'opposant  point 
riiumeur  à  l'iiumeur,  la  violence  à  la  violence;  mais 
corrigeant  les  excès  d'cutrui  par  des  paroles  vraiment 
douces. 

Il  y  a  de  feintes  douceurs,  des  douceurs  dédai- 
gneuses, pleines  d'une  fierté  cachée  :  ostentation 
et  affectation  de  douceur,  plus  désobligeante,  plus 
insultante  que  l'aigreur  déclarée. 

Mais  considérons  la  douceur  de  Jésus-Christ, 
dont  le  Saint-Esprit  parle  ainsi  dans  Isaïe  :  Mon  fils, 
mon  serviteur  que  J'ai  élu,  monbien-aimé  où  j'ai 
mis  ma  complaisance  :  je  mettrai  en  lui  mon  es- 
pjttj  et  il  annoticera  la  justice  aux  nations.  Il  ne 
sera  point  contentieux  ;  il  ne  criera  point,  et  on 
n'entendra  point  sa  voix  dans  les  places  publiques  ; 
il  ne  brisera  pas  le  roseau  cassé,  et  n'éteindra  pas 
la  mèche  qui  fume  encore^.  C'est  ce  qu'Isaïe  en  a 
vu  en  esprit ,  c'est  ce  que  saint  Matthieu  a  trouvé 
si  beau,  si  remarquable,  si  dignede  Jé^us-Christ, 
qu'il  prend  soin  de  le  relever  ». 

Il  est  doux  envers  les  plus  faibles  :  quoiqu'un  ro- 
seau déjà  faible  soit  rendu  encore  plus  faible  en  le 
brisant,  loin  de  prendre  aucun  avantage  sur  cette 
faiblesse ,  il  se  détournera  pour  ne  pas  appuyer  le 
pied  dessus.  Faites-en  autant  à  votre  prochain  in- 
firme. Loin  de  chercher  l'occasion  de  lui  nuire, 
prenez  garde  que,  par  mégarde  et  comme  en  pas- 
sant, vous  ne  marchiez  sur  lui ,  et  n'acheviez  de  le 
rompre.  Mais  quel  est  ce  prochaiif  infirme,  si  ce 
n'est  le  prochain  en  colère  et  le  prochain  qui  s'em- 
porte? Il  est  brisé  par  sa  propre  colère ,  et  ce  faible 
roseau  s'est  cassé  en  frappant;  n'achevez  pas  de  le 
rompre  en  le  foulant  encore  aux  pieds.  C'est  encore 
ce  que  veut  dire  la  mèche  fumante .  Elle  brûle; 
c'est  la  colère  dans  le  cœur:  elle  fume;  c'est  quel- 
que injure  que  le  prochain  irrité  profère  contre  vous. 
Gardez-vous  bien  de  l'éteindre  avec  violence  ;  écou- 
tez ce  que  dit  saint  PauP  :  .\e  vous  vengez  point, 
ne  vous  défendez  point,  mes  bien-aimés ;  mais 
donnez  lieu  à  la  colère.  Laissez-la  fumer  un  peu,  et 
s'éteindre  comme  toute  seule.  Si  elle  fume,  c'est 
qu'elle  s'éteint  :  ne  l'éteignez  pas  avec  force;  mais 
laissez  cette  fumée  s'exhaler  et  se  perdre  inutile- 
ment au  milieu  de  l'air,  sans  vous  blesser  ni  vous 
atteindre. 

C'est  ce  que  fait  le  Sauveur,  lorsqu'il  souffre 
tant  d'injures  sans  s'aigrir,  rous  êtes  possédé  du 
malin  esprit,  lui  dit-on.  Qui  est-ce  qui  songe  à  vous 
faire  mourir  i?  et  il  répond  sans  s'émouvoir  :  Je  ne 
suis  point  possédé  du  malin  esprit  ;  mais  je  rends 
honneur  à  mon  Père,  et  vous  me  déshonorez  ^  .  Et 
encore  en  un  autre  endroit ,  lorsqu'on  lui  fait  le 

mêmeveproche:  Tous  vous  fâchez  contre  moi,  parce 
que  j'ai  fait  îtn  miracle  le  jour  du  sabbat,  pour 
guérir  un  homme^.  Vous  le  voyez;  il  n'éteint  pas 
la  mèche  fumante;  mais  il  la'  laisse  s'évaporer, 
pour  voir  si  ces  malheureux ,  lassés  d'accabler  d'in- 
jures un  homme  si  humble  et  si  doux ,  ne  revien- 
dront point  eu  leur  bon  sens. 

'  /*.  XUI,  I,  2,  3.  —  »  Matth.  XM,  IR,  19,  20.  —^ Rnnuxu 
19.  —  *  Joan.  vu ,  20.  —  »  Ibid.  viii ,  4»    -   «  Joan.  ni ,  23.    ' 
SOSSCET.  —  TOKE  ni. 


5CI 

I     Telle  a  été  en  général  la  conduite  du  Fils  de  Dieu  ; 

I  en  particulier  dans  sa  passion.  Quand  on  le  mau- 

j  dit,  il  ne  maudit  pas  ;  quand  on  le  frappe ,  il  ne  se 

I  plaint  pas '. 

I  Si  j'ai  mal  parlé,  dit-il  à  celui  qjf  lui  donnait  un 
soafllet  * ,  faites-le-moi  connaître;  si  j'ai  bien  dit, 
pourquoi  me  frappez-vous?  Il  lui  appartient  de  dire  : 
Apprêtiez  de  moi  que  Je  s^âs  doux  ^.  Il  est  compara 
à  un  agneau ,  le  plus  doux  des  animaux ,  qui  se  laisse 
non-seulem'»nt  tondre,  mais  encore  mener  à  la  bou- 
cherie sans  se  plaindre  *. 

On  est  bien  heureux  dans  sa  douceur,  et  on  pos- 
sède la  terre.  La  terre  sainte  promise  à  Abraham 
est  appelée  une  terre  coulante  de  lait  et  de  miel^. 
Toute  douceur  y  abonde  ;  c'est  la  Ogure  du  ciel  et  de 
l'Église.  Ce  qui  rend  l'esprit  aigre ,  c'est  qu'on  ré- 
pand sur  les  autres  le  venin  et  l'amertume  qu'on  a 
en  soi-même.  Lorsqu'on  a  l'esprit  tranquille  par  la 
jouissance  du  vrai  bien,  et  par  la  joie  d'une  bonne 
conscience ,  comme  on  n'a  rien  d'amer  en  soi ,  on 
n'a  que  douceur  pour  les  autres;  la  vraie  marque  de 
l'innocence,  ou  conservée,  ou  recouvrée,  c'est  la 
douceur. 

L'homme  est  si  porté  à  l'aigreur,  qu'il  s'aigrit  très- 
souvent  contre  ceux  qui  lui  font  du  bien. Un  malade, 
combien  s'aigrit-il  contre  ceux  qui  le  soulagent  ? 
Presque  tout  le  monde  est  malade  de  cette  maîadie- 
là  :  c'est  pourquoi  on  s'aigrit  contre  ceux  qui  nous 
conseillent  pour  notre  bien ,  et  encore  plus  contre 
ceux  qui  le  font  avec  autorité,  que  contre  les  autres. 
Ce  fonds  d'orgueil  qu'on  porte  en  soi  en  est  la  cause. 
Bienheureux  donc  ceux  qui  sont  doux:  ils  possé- 
deront la  terre  où  abonde  toute  douceur ,  parce 
que  la  joie  y  est  parfaite, 

IV*  JOUR. 

Troisième  béatitude  :  Être  dans  les  pleurs.  Matth.  r,  5. 

Bienheureux  ceux  qui  pleurent  ^;  soit  qu'ils  pleu- 
rent leurs  misères,  soit  qu'ils  pleurent  leurs  péchés, 
ils  sont  heureux ,  et  ils  recevront  la  consolation  vé- 
ritable, qui  est  celle  de  l'autre  vie,  oit  toute  affliction 
cesse ,  oii  toutes  les  larmes  sont  essuyées  7. 

Abraham  disait  au  mauvais  riche  ^  :  Tu  as  reçu 
tes  biens  en  ce  monde ,  et  Lazare  a  reçu  ses  maux  : 
c'est  pourquoi  il  est  consolé,  et  tu  es  dans  les  tour- 
mefits.  Il  est  heureux,  car  il  a  souffert  avec  pa- 
tience :  son  état  pénible  le  forçait  souvent  à  pleurer 
des  maux  extrêmes,  et  il  n'avait  point  de  consolation 
du  côté  des  hommes  r  le  riche  impitovable  ne  dai- 
gnait pas  le  regarder.  Mais  parce  qu'il  a'souffert  avec 
patience,  il  est  consolé  :  Dieu  l'a  reçu  dans  le  lieu  où 
il  n'y  a  point  de  douleur  et  de  peine. 

Lf  monde  se  réjouira,  et  vous  serez  affligés: 
mais  votre  tristesse  sera  changée  en  joie  i.  Cesl  la 
promesse  du  Sauveur  à  ses  disciples,  La  tristesse  et 
la  joie  viennent  tour  à  tour  :  qui  s'est  réjoui  ser^ 
affligé;  qui  s'est  affligé  sera  réjoui  :  Bienheureux 

"  I.  Petr.  n,  23.  —  »  Joan.  XTiii,  23.  -  »  Jfatth.  xi  » 
j  *  /s.  un .  7.  —  » Exod.  m,n,et  ailleurs.  —  «  Matth.  y  ^ 
'   '  Jpoc.  XXI,  4.  —  »  Luc.  XTi,  as.  —  »  Joan.  xvî,  30     ' 


;C2 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


donc  ceux  qui  pleurent,  car  iîs  seront  consolés. 

Mais  parmi  tous  ceux  qui  pleurent,  il  n'y  en  a 
point  qui  soient  plus  tôt  consolés  que  ceux  qui  pleu- 
rent leurs  péchés.  Partout  ailleurs  la  douleur,  loin 
dYître  un  remède  au  mal ,  est  un  autre  mal  qui  l'aug- 
mente; le  péché  est  le  seul  mal  qu'on  guérit  en  le 
pleurant.  Pleurons  sans  fin,  pécheurs,  tous  tant 
que  nous  sommes  :  que  nos  yeux  soient  changés  en 
sources  intarissables,  dont  le  cours  perpétuel  creuse 
nos  joues,  comme  parle  le  psalmiste.  La  rémission 
des  péchés  est  lefruitdeces  pieuses  larmes.  Ah!  mille 
et  mille  fois  heureux  ceux  qui  pleurent  leurs  péchés  : 
car  ils  seront  consolés. 

Mais  ceux  qui  pleurent  d'amour  et  de  tendresse , 
qu'en  dirons-nous .^  Heureux,  mille  fois  heureux! 
Leur  cœur  se  fond  en  eux-mêmes,  comme  parle  l'É- 
criture, et  semble  vouloir  s'écouler  par  leurs  yeux. 
Qui  me  dira  la  cause  de  ces  larmes?  qui  me  la  dira? 
Ceux  qui  les  ont  expérimentées  souvent  ne  la  peu- 
vent dire,  ni  expliquer  ce  qui  les  touche.  C'est  tan- 
tôt la  bonté  d'un  père  :  c'est  tantôt  la  condescen- 
dance d'un  roi  :  c'est  tantôt  l'absence  d'un  époux  : 
tantôt  l'obscurité  qu'il  laisse  dans  l'âme  lorsqu'il  s'é- 
loigne, et  tantôt  sa  tendre  voix  lorsqu'il  se  rappro- 
che, et  qu'il  appelle  sa  fidèle  épouse  :  mais  le  plus 
souvent  c'est  je  ne  sais  quoi  qu'on  ne  peut  dire. 

y"  JOUR. 

Quatrième  béaUtude  :  Avoir  faim  et  soif  de  la  Justice. 
Mallh.y,  G. 

Bienheureux  ceux  qui  ont  faim  et  soif  de  la  jus- 
tice, car  ils  seront  rassasiés.  Faim  et  soif,  c'est  une 
ardeur  vive,  un  désir  avide  et  pressant,  qui  vient 
d'un  besoin  extrême. 

Cherche:^  le  royaume  de  Dieu  et  sa  justice  '.  La 
justice  règne  dans  les  cieux  :  elle  doit  aussi  régner 
dans  l'Église,  qui  est  souvent  appelée  le  royaume 
des  cieux.  Elle  règne  lorsqu'on  rend  à  Dieu  ce  qu'on 
lui  doit  :  car  alors  on  rend  aussi  pour  l'amour  de  Dieu 
tout  ce  qu'on  doit  à  la  créature  qu'on  regarde  en 
lui.  On  se  rend  ce  qu'on  se  doit  à  soi-même  :  car  on 
s'est  donné  tout  le  bien  dont  on  est  capable ,  quand 
on  s'est  rempli  de  Dieu.  Alors  on  a  accompli  toute 
justice,  comme  Jésus-Christ  disait  à  saint  Jean. 
L'âme  alors  n'a  plus  de  faim,  n'a  plus  de  soif  :  elle  a 
sa  véritable  nourriture  :  Ma  nourriture  est  de  faille 
la  volonté  de  mon  Père,  disait  le  Sauveur  ',  et  d'ac- 
complir son  œuvre.  C'est  aussi  là  ce  que  le  Sauveur 
appelle  toute  justice,  d'accomplir  en  tout  la  volonté 
toute  juste  du  Père  céleste,  et  d'en  faire  la  règle  de 
la  nôtre.  Mais ,  quand  nous  faisons  la  volonté  de 
Dieu,  il  fait  la  nôtre.  Le  psalmiste  a  chanté  :  Ilfeî'a 
la  volonté  de  ceux  qid  le  craignent^.,  et  ainsi  il 
rassasiera  tous  leurs  désirs.  Bienheureux  ceux  qui 
désirent  la  justice  avec  le  même  empressement  qu'on 
désire  nanger  et  boire,  lorsqu'on  est  travaillé  de  la 
faim  et  de  la  soif;  car  alors  on  sera  rassasié.  De 
quoi  sera-t-on  ras.-asié,  si  ce  n'tist  de  la  justice? 
On  le  sera  dès  cette  vie  :  car  le  juste  se  rendra  plus 

'  Vatth.  VI,  33.  —^Joan.  iv,  34.  -  ^  Ps.  CXUV,  19. 


juste ,  et  le  saint  se  rendra  plus  saint  pour  contenter 
son  avidité.  Mais  le  parfait  rassasiement  sera  dans 
le  ciel,  où  la  justice  éternelle  nous  sera  donnée  avec 
la  plénitude  de  l'amour  de  Dieu.  Je  serai  rassasié, 
disait  le  psalmiste  ' ,  lorsque  votre  gloire  m'appa- 
raifra. 

Doit-on  toujours  avoir  soif  delà  justice?  Puisque 
le  Sauveur  a  dit  à  la  Samaritaine  »  :  Celui  qui  boit 
de  cette  eau,  c'est-à-dirç  des  plaisirs  du  monde,  a 
encore  soif  :  inais  celui  qui  boira  de  l'eau  dont  je 
lui  donnerai,  n'aura  jamais  soij  ;  mais  l'eau  que 
je  lui  donnerai  deviendra  en  lui  une  fontaine  jail- 
lissante pour  la  vie  étermlle  :  il  n  aura  donc  point 
de  soif?  Il  n'en  aura  point  en  effet,  parce  qu'il  ne  dé- 
sirera plus  d'autie  plaisir,  d'autre  joie,  d'autre  bien, 
que  celui  qu'il  goûte  en  Jésus-Christ.  Il  aura  pour- 
tant toujours  soif;  car  il  ne  cessera  point  de  désirer 
ce  bien  suprême,  et  voudra  le  posséder  de  plus  en 
plus.  Le  voilà  donc  qui  a  toujours  soif  :  mais  tou- 
jours aussi  il  se  désaltère,  parce  qu'il  a  en  lui  la  fon- 
taine éternellement  jaillissante.  Il  n'aura  point  cette 
soif  fatigante  et  insatiable  de  ceux  qui  cherchent  les 
plaisirs  des  sens.  Il  aura  toujours  soif  de  la  justice; 
mais  la  bouche  toujours  attachée  à  la  source  qu'il 
a  en  lui-même ,  sa  soif  ne  le  fatiguera ,  ni  ne  l'affai- 
blira jamais  :  Celui  qui  croit  en  moi ,  dit  le  Fils  de 
Dieu  ^ ,  des  fleuves  d'eau  vive  couleront  éternelle- 
ment de  ses  entrailles  :  qu'il  vienne  donc,  et  qu'il 
boive.  Venez,  âînes  saintes,  venez  à  Jésus  :  désirez, 
buvez,  engloutissez  :  ne  craignez  point  que  cette 
eau  céleste  vous  manque  :  la  fontaine  est  au-dessus 
de  votre  soif  :  son  abondance  est  plus  grande  que 
votre  besoin  :  J-'ons  vincit  sitientem,  disait  saint 
Augustin. 

vr  JOUR. 

Cinquième  béatitude  :  Être  miséricordieux.  Matth.  v,  7. 

Bienheureux  les  miséricordieux ,  car  ils  obtien- 
dront miséricorde  4.  Le  plus  bel  effet  de  la  charité, 
c'est  d'être  touché  des  maux  d'autrui.  //  est  plus 
heureux  de  donner  que  de  recevoir,  disait  Jésus- 
Christ  5.  Cette  parole  n'avait  pas  été  rapportée  par 
les  évangélistes  :  mais  Dieu  a  voulu  donner  à  saint 
Paul  la  gloire  de  la  recueillir  :  Souvenez-vous ,  dit 
cet  apôtre  6,  de  cette  parole  du  Seigneur  Jésus  :  Il 
est  plus  heureux  de  donner  que  de  recevoir.  Bien- 
heureux donc  ceux  qui  donnent ,  et  qui  aiment  mieux 
donner  que  de  recevoir.  Bienheureux,  encore  un 
coup ,  celui  qui  appelle  à  son  festin ,  non  point  les 
riches,  qui  peuvent  lui  rendre  le  festin  qu'il  leur 
aura  fait;  mais  les  pauvres,  les  estropiés,  les  boiteux 
et  les  aveugles.  Mors ,  dit  le  Sauveur  7,  vous  serez 
heureux ,  car  ils  n'ont  rien  à  vous  rendre  :  et  il 
vous  sera  rendu  à  la  résurrection  des  justes.  Bien- 
heureux donc  les  miséricordieux  qui  donnent  sans 
espérance  de  rien  recevoir  de  ceux  sur  qui  ils  exer- 
cent la  miséricorde  :  car  ils  obtiendront  de  Dieu  une 
miséricorde  infinie. 

'  Ps.  XVI,  15.  — '  Joan.  VI,  13,  U.  — '  id.  vn,37,  38.— 
*Maith.yyl.—^Act.  xx,  35.  —  «iô.  — 'Xmc.  xiv,  12,  13, 
U. 


MÉDITATIONS  SUB  L'EVANGILE. 


5C2 


Ainsi  ceux  qui  sont  inflexibles,  insensibles,  sans 
tendresse,  sans  pitié,  sont  dignes  de  trouver  sur 
eux  un  ciel  d'airain ,  qui  n'ait  ni  pluie  ni  rosée.  Au 
contraire ,  ceux  qui  sont  tendres  à  la  misère  d'autrui 
auront  part  aux  grâces  de  Dieu ,  et  à  sa  miséricorde; 
il  leur  sera  pardonné  comme  ils  auront  pardonné 
aux  autres;  il  leur  sera  donné  comme  ils  auront 
donné  aux  autres  ;  ils  recevront  selon  la  mesure 
dont  ils  se  seront  servis  entiers  leurs  frères  '  ;  c'est 
Jésus-Christ  qui  le  dit;  et  autant  qu'ils  auront  eu 
de  compassion,  autant  Dieu  en  aura-t-il  pour  eux- 
mêmes. 

Il  faut  exercer  la  miséricorde  envers  tous  ceux 
qu'on  voit  souffrir;  envers  les  malades,  envers  les 
afflisés  :  adoucir  leurs  maux  par  des  paroles  de  con- 
solation, et  par  de  sages  conseils,  si  on  ne  peut 
autrement  leur  aider  à  les  porter;  les  partager  avec 
eux  autant  qu'on  peut.  C'est  le  plus  beau  de  tous 
les  sacrifices  :  J'aime  mieux  la  miséricorde  que  le 
sacrifice,  comme  il  l'a  dit  lui-nîénie  '. 

VII«  JOUR. 

Sixième  béatitude  :  Avoir  le  cœur  pur.  Matth.  v,  8. 

Bienheureux  ceux  qui  ont  le  cœur  pur.  Qui  pour- 
rait dire  la  beauté  d'un  cœur  pur.?  Une  glace  par- 
faitement nette,  un  or  parfaitement  afBné,  un  dia- 
mant sans  aucune  tache,  une  fontaine  parfaitement 
claire,  n'égalent  pas  la  beauté  et  la  netteté  d'un 
cœur  pur.  Il  faut  en  ôter  toute  ordure,  et  celles 
principalement  qui  viennent  des  plaisirs  des  sens  : 
car  une  goutte  de  ces  plaisirs  trouble  cette  belle 
fontaine.  Qu'elle  est  belle,  qu'elle  est  ravissante 
cette  fontaine  incorruptible  d'un  cœur  pur!  Dieu 
se  plaît  à  s'y  voir  lui-même  comme  dans  un  beau 
miroir  :  il  s'y  imprime  lui-même  dans  toute  sa 
beauté.  Ce  beau  miroir  devient  un  soleil  par  les 
rayons  qui  le  pénètrent  :  il  est  tout  resplendissant. 
La  pureté  de  Dieu  se  joint  à  la  nôtre,  qu'il  a  lui- 
même  opérée  en  nous;  et  nos  regards  épurés  le  ver- 
ront briller  en  nous-mêmes,  et  y  luire  d'une  éternelle 
lumière.  Bienheureux  donc  ceux  qui  ont  le  cœur 
pur,  car  ils  verront  Dieu^. 

Aimons  la  chasteté  plus  que  toutes  les  autres 
vertus  :  c'est  elle  qui  rend  le  cœur  pur. 

A  chaque  objet  qui  nous  touche,  craignons  tou- 
jours en  l'aimant  de  ternir  la  pureté  de  notre  cœur, 
ou  de  l'enfoncer  davantage  dans  l'ordure,  d'où  i! 
fallait  le  retirer. 

Bienheureux  le  cœur  pur;  il  verra  Dieu.  Il  ne 
faut  que  ces  deux  mots  pour  nourrir  l'âme  tout  un 
jour.  Il  verra  Dieu  :  il  verra  toute  beauté,  toute 
bonté,  toute  perfection,  le  bien,  source  de  tout 
bien,  tout  le  bien  uni,  comme  il  disait  à  Moïse  : 
Jeté  montrerai  tout  le  bieni,  lorsqu'il  se  montra 
lui-même.  Voir  un  objet  si  parfait,  et  l'aimer,  c'est 
la  même  chose.  Il  verra  donc,  et  il  aimera;  mais 
s'il  aime,  il  sera  aimé  :  i!  chantera  les  louanges  de 
Dieu,  qu'il  verra  et  qu'il  aimera  sans  fin.  Il  sera 
rassasié  de  l'abondance  de  sa  maison,  et  enivré  du 


•  Lue.  VI ,  .37,  38.  —  '  .Vatlh.  ix  ,13.-3  jUatth 
Ex.  XXXIII     19. 


T,8.  — 


torrent  de  ses  délices.  Heureuse  créature!  mais 
pour  cela  il  faut  avoir  le  cœuf  pur.  Bienheureux 
donc  celui  qui  a  le  cœur  pur.  Que  celui  qui  est  pur 
ne  cesse  de  se  purifier  davantage.  Que  celui  qui 
n'est  pas  pur  se  tire  de  l'ordure  où  il  croupit  :  qu'il 
lave  la  saleté  qui  le  déshonore  et  le  défigure. 

VilF  JOUR. 

Septième  Ix-atilude  :  Être  paciliques.  MaUh.  v,  P. 

Bienheureux  les  pacifiques ,  car  ils  seront  ap- 
pelés enfants  de  Dieu  '.  Dieu  est  appelé  le  Dieu  de 
paix  »  :  il  fait  habiter  dans  sa  maison  ceux  qui 
sont  demême  esprit  et  de  même  cœur  :  I?fHABiTAEE 
FACiT  uNius  Moais  (UNAMMES)  IN  DOMO,  dit  le  psal- 
miste^.  .Sa  bonté  concilie  tout.  Il  a  composé  cet 
univers  des  natures  et  des  qualités  les  pius  discor- 
dantes :  il  fait  concourir  ensemble  la  nuit  et  le  jour, 
Ihiver  et  l'été ,  le  froid  et  le  chaud ,  et  ainsi  du  reste, 
pour  la  bonne  constitution  de  l'univers,  et  pour  Id 
conservation  du  genre  humain.  Il  reçoit  ses  ennemis 
en  sa  paix;  et  il  faut,  dit  Jésus-Christ*,  qu'à  son 
exemple,  vous  aimiez  vos  ennemis,  et  que  vous 
fassiez  du  bien  à  ceux  qui  vous  haïssent.  Il  faut 
que  vous  le  priiez  pour  ceux  qui  vous  persécutent , 
afin  que  vous  soyez  les  enfants  de  votre  Père  cé- 
leste, qui  fait  lever  son  soleil  sur  les  bons  et  sur  les 
mauvais,  et  qui  pleut  sur  lesjmiet,  et  sur  les  injus- 
tes :  comme  nous  verrons  dans  la  suite.  Bienheureux 
donc  les  pacifiques,  ceux  qui  aiment  la  paix ,  et  qui 
la  procurent  :  Ils  seront  appelés  enfants  de  Dieu , 
parce  qu'ils  porteront  le  caractère  d'un  si  bo» 
père. 

Le  soleil  n'en  est  pas  plus  nébuleux  dans  les 
pays  où  Dieu  n'est  pas  connu  :  la  pluie  n'en  arrose 
pas  moins  abondamment  les  champs  et  les  pâtura- 
ges, et  n'y  est  pas  moins  rafraîchissante,  ni  moins 
féconde.  Ainsi ,  comme  disait  saint  Paul  s.  Dieu  ne 
se  laisse  point  sans  témoignage.  Le  soleil,  quand 
il  se  lève,  nous  avertit  de  son  immense  bonté,  puis- 
qu'il ne  se  lève  pas  plus  tard,  ni  avec  des  couleurs 
moins  vives ,  pour  les  ennemis  de  Dieu  que  pour 
ses  amis.  Adorez  donc,  quand  il  se  lève,  la  bonté 
de  Dieu  qui  pardonne  :  et  ne  témoignez  pas  à  votre 
frère  un  visage  chagrin ,  pendant  que  le  ciel ,  et  Dieu 
même,  si  l'on  peut  parler  de  la  sorte,  lui  en  montre 
un  si  serein  et  si  doux. 

Jésus-Christ ,  le  fils  unic/ue  du  Père  céleste ,  est 
le  grand  pacificateur.  Qui  a  annoncé  la  paix  a 
ceux  qui  étaient  de  loin ,  et  à  ceux  qui  étaient  de 
près,  faisant  mourir  en  lui-même  toutes  les  inimi- 
tiés 6  ;  ei pacifiant,  par  le  sang  qu'il  a  répandu  sur 
la  croix ,  tout  ce  qui  est  dans  le  ciel  et  dans  la 
terre 7,  comme  dit  saint  Paul. 

A  l'exemple  du  Fils  unîque,  les  enfants  d'adop- 
tion doivent  prendre  le  caractère  de  leur  père,  et 
se  montrer  vrais  enfants  de  Dieu  par  l'amour  de 
la  paix. 

Cette  grâce  d'être  enfants  de  Dieu  se  consomme 

»  Malth.  V,  9.  —  »  I.  Cor.  xiv,  33.  —  '  Ps.  lxtii,  7. 
—  <  .VaUh.  V,  44,  45.  —  5  Jet.  XIV,  16.  —*  Ep.U.l^  16, 
IS,  17. —' Co?.  1,20. 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


56<i 

dans  la  vie  future,  selon  ce  que  dit  le  Sauveur  : 
ils  seront  vrais  enfants  de  Dieu,  parce  qu'ils  se- 
ront des  enfants  nouvellement  engendrés  par  la 
résurrection^. 

Soyons  donc  vraiment  pacifiques  :  ayons  toujours 
des  paroles  de  réconciliation  et  de  paix ,  pour  adoucir 
l'amertume  que  nos  frères  témoigneront  contre 
nous ,  ou  contre  les  autres  :  cherchant  toujours  à 
adoucir  les  mauvais  rapports;  à  prévenir  les  inimi- 
tiés, les  froideurs ,  les  indifférences  ;  enfin  à  récon- 
cilier ceux  qui  seront  divisés.  C'est  faire  Tœuvre  de 
Dieu,  et  sp  montrer  ses  enfants,  en  imitant  sa 
bonté. 

Combien  sont  éloignés  de  cet  esprit  ceux  qui  se 
plaisent  à  brouiller  les  uns  avec  les  autres;  qui,  par 
de  mauvais  rapports,  souvent  faux  dans  le  tout, 
souvent  augmentés  dans  leurs  circonstances,  en 
disant  ce  qu'il  fallait  taire,  en  réveillant  le  souvenir 
de  ce  qu'il  fallait  laisser  oublier,  ou  par  des  paroles 
piquantes  et  dédaigneuses,  aigrissent  leurs  frères 
et  leurs  sœurs  déjà  émus  et  infirmes  par  leur  co- 
lère! 

LX*=  JOUR. 

Huitième  et  dernière  béatitude  :  Souffrir  pour  la  justice. 
Matlh.  V,  10. 

Bienheureux  ceux  qui  souffrentpersécutionpour 
la  justice,  parce  que  le  royaume  des  deux  leur 
appartient''.  Tous  ceux  qui  souffrent  pour  avoir 
bieu  fait ,  pour  avoir  donné  bon  exemple ,  pour  avoir 
obéi  simplement,  et  avoir  confondu  par  leur  exem- 
ple ceux  qui  ne  vivent  pas  assez  régulièrement,  en 
sorte  qu'on  se  prend  à  eux  des  reproches  qu'on  fait 
aux  autres,  souffrent  persécution  pour  la  justice. 
Ceux  qui  portent  leur  croix  tous  les  jours,  et  per- 
sécutent persévéramment  en  eux-mêmes  leurs  mau- 
vais désirs,  souffrentpersécutionpour  la  justice. 

C'est  ici  la  dernière  et  la  plus  parfaite  de  toutes 
les  béatitudes;  parce  que  c'est  elle  qui  porte  le  plus 
vivement  en  elle-même  l'empreinte  et  le  caractère 
du  Fils  de  Dieu. 

C'est  pourquoi  il  s'arrête  sur  celle-ci.  Non  con- 
tent d'en  avoir  parlé  comme  des  autres,  il  reprend 
encore  le  discours ,  en  disant  :  Vous  serez  heureux, 
quand  vous  serez  maudits  et  persécutés ,  et  qu'on 
dira  de  vous,  pour  l'amour  de  moi ,  toute  sorte  de 
mal.  Réjouissez-vous ,  et  soyez  remplis^  de  joie , 
ravis ,  transportés; parce  qu'ils  ont persécidé  de  la 
même  sorte  les  prophètes  qui  ont  été  avant  vous  3  ; 
et  non-seulement  les  prophètes,  mais  encore  le 
Messie  lui-même. 

On  revient  donc  ici  au  commencement,  et  au 
royaume  des  cieux,  qui  avait  paru  dès  la  première 
béatitude.  La  pauvreté  et  la  persécution  pour  L  jus- 
tice attirent  également  le  royaume  des  cieux. 

X*'  JOUR. 

Vrai  caractère  du  chrétien  dans  les  huit  béatitudes  :  Avec 
tes  caractères  opposés.  Matth.  v,  3,  12.  Luc.  vi,  20,  27. 

Que  la  semaine  s'est  heureusement  écoulée,  en 

»  LhC.  W  ,  36.  —  '  ^atth.  V,  10.  —  3  W.  V,  M  ,  12. 


parcourant  sept  béatitudes,  et  revenant  au  com- 
mencement dans  la  huitième  :  la  belle  octave  !  où 
l'on  tâche  d'imprimer  en  soi-même  huit  caractères 
du  chrétien ,  qui  enferment  un  abrégé  de  la  phi- 
losophie chrétienne  :  la  pauvreté ,  la  douceur,  les 
larmes  ou  le  dégoût  de  la  vie  présente,  la  miséri- 
corde, l'amour  de  la  justice,  la  pureté  de  cœur, 
l'amour  de  la  paix ,  la  souffrance  pour  la  justice. 

Trois  de  ces  caractères  paraissent  assez  sembla- 
bles ,  la  douceur,  la  miséricorde ,  l'amour  de  la  paix  : 
néanmoins  ils  ont  chacun  leur  propriété.  C'est  autre 
chose  d'être  pacifique,  et  de  savoir  finir  toutes  les 
querelles  qu'on  nous  fait ,  et  qu'on  fait  aux  autres  ; 
autre  chose  d'être  doux  sans  jamais  offenser  ni 
aigrir  personne  :  autre  chose  d'être  bienfaisant  et 
miséricordieux. 

Les  caractères  opposés  aux  huit  qu'on  vient  de 
voir  sont  :  l'esprit  de  propriété  ou  de  richesses , 
l'aigreur,  l'amour  du  plaisir,  l'injustice,  la  dureté, 
la  corruption  du  cœur,  l'esprit  de  querelle  et  de 
brouillerie,  l'impatience  dans  les  afflictions,  et  la 
crainte  qui  fait  abandonner  la  règle  de  la  vérité  et 
de  la  justice. 

Nous  trouverons  dans  saint  Luc  '  l'abrégé  des 
béatitudes  réduites  à  quatre  :  d'être  pauvre,  d'être 
affamé,  de  pleurer,  d'être  haï  et  persécuté  pour  l'a- 
mour.du  Fils  de  Dieu.  A  ces  quatre  béatitudes,  Jé- 
sus-Christ joint  quatre  malédictions  contre  les 
hommes  du  monde»  :  Malheur  à  vous,  riches! 
car  vous  avez  votre  consolation.  Malheur  à  vous 
qui  êtes  contents  et  rassasiés  des  biens  de  la  terre! 
parce  que  viendra  le  temps  que  vous  aurez  faim , 
et  que  vous  manquerez  de  tout.  Malheur  à  vous 
qui  riez,  et  qui  vous  laissez  emporter  aux  joies  du 
siècle!  car  vos  joies  seront  changées  en  pleurs. 
Malheur  à  vous,  lorsque  les  hommes  vous  applau- 
dissent! c'est  ainsi  qu'on  faisait  aux  faux  pro- 
phètes. Craignons  donc  d'avoir  notre  consolation 
sur  la  terre,  craignons  de  la  chercher,  craignons 
de  la  recevoir,  craignons  les  louanges  et  les  applau- 
dissements du  monde.  Aimons  cet  enchaînement  de 
béatitudes,  qui  de  l'amour  de  la  pauvreté  nous 
pousse  jusqu'à  celui  des  souffrances,  et  par  celui 
des  souffrances  nous  ramène  jusqu'à  celui  de  la  pau- 
vreté, et  nous  fait  trouver  le  même  royaume  des 
cieux  dans  l'un  et  dans  l'autre. 

Pour  conclusion ,  la  doctrine  des  béatitudes  est 
renfermée  dans  ces  trois  mots ,  que  je  vous  laisse  à 
peser. 

Toute  la  doctrine  des  mœurs  tend  uniquement  à 
nous  rendre  heureux.  Le  maître  céleste  commence 
par  là.  Apprenons  donc  de  lui  le  chemin  du  vrai  et 
éternel  bonheur. 

XP  JOUR. 

Quatre  caractères  du  chrétien.  Matth.  v,  13,  20. 

Après  cet  abrégé  du  christianisme,  que  Jésus- 
Christ  prépare  à  ses  disciples,  il  nous  marque  trois 
caractères  éminents  de  ses  disciples  3  :  D'être  le  sel 

•  Luc.  VI ,  20 ,  21 ,  22 ,  23.  —  '  lUd.  24 ,  ttc.  —  ^  Matth.  V , 
13   et  unir. 


MÉDITATIONS  SLR  L'ÉVANGILE. 


£« 


de  la  terre  :  d'élre  la  lumière  du  monde  :  d'clre 
d'une  extrême  exactitude  dans  l'observance  des 
commandements  :  le  goût  vif  de  la  piété,  l'excniple, 
la  régularité  et  l'exactitude.  Il  en  «joute  après  un 
quatrième ,  qui  est  l'éminence  et  la  perfection  :  Si 
votre  justice  n'abonde  :  et  voilà  l'idée  entière  de  la 
justice  chrétienne. 

Le  sel  assaisonne  les  viandes  ;  il  en  relève  le  goût; 
il  en  empêche  la  fadeur;  il  en  prévient  la  corruption. 
Ainsi  la  conversation  du  vrai  chrétien  doit  ranimer 
dans  les  autres  le  goût  de  la  piété.  C'est  ce  qui  a  fait 
dire  à  saint  Paul'  :  Que  votre  discours  soit  plein  de 
grâce ,  et  assaisonné  de  sel.  Et  c'est  de  quoi  sont 
bien  éloignés  ceux  qui  n'ont  quede  la  langueur  et  de 
la  mollesse  dans  toute  leur  conduite.  Il  faut  dans 
les  paroles  du  chrétien  une  sainte  vivacité;  il  faut 
reprendre  avec  force,  et  quelquefois  piquer  jus- 
qu'au vif,  comme  fait  un  grain  de  sel.  Mais  ne  mettez 
point  trop  de  sel  ensemble  :  au  lieu  de  piquer  la 
I  angue  pour  réveiller  l'appétit,  vous  mettriez  en  feu 
toute  la  bouche. 

Être  la  lumière  du  monde,  est  un  degré  encore  au- 
dessus  du  précédent  ;  car  il  emporte  l'exemple  qui 
édifie  et  qui  éclaire  la  maison  de  Dieu.  C'est  ce  que 
nous  nous  devons  les  uns  aux  autres.  Et  au  contraire, 
si  nous  nous  sommes  à  scandale  les  uns  aux  autres, 
cette  malédiction  du  Sauveur  tombera  sur  nous  : 
Malheur  au  monde!  à  cause  des  scandales  qui  ar- 
riveront. Il  est  impossible  qu'il  n'a)  ri  ce  des  scan- 
dales :  7nais  malheur  à  celui  par  qui  ils  ai'rivent  ! 
il  vaudrait  mieux  pour  lui  qu'on  le  jetât  dans  la 
mer  avec  une  meule  de  moidin  autour  du  cou  *.  Pe- 
sez ,  pesez  ces  paroles ,  chrétiens ,  qui  ne  craignez 
pas  de  scandaliser  les  infirmes  et  les  petits  de  l'É- 
glise. 

f'ous  êtes  la  lumière  du  monde  :  cela  s'entend 
non-seulement  des  pasteurs,  mais  encore  de  tous 
les  chrétiens.  Saint  Paul  le  dit  ainsi  '  :  fous  devez 
luire  au  milieu  d'une  nation  mauvaise  et  corrom- 
pue, comme  étant  les  luviinaires  dont  le  monde 
doit  être  éclairé.  Si  quelqu'un  parle ,  comme  dit 
saint  Pierre  4 ,  que  ce  soit  comme  des  discours  de 
Dieu  :  comme  si  Dieu  parlait  par  sa  bouclie.  Saint 
]Mathias  disait,  ainsi  que  le  rapporte  saint  Clément 
d'Alexandrie,  que  lorsque  quelqu'un  faisait  mal 
dans  le  voisinage  d'un  chrétien,  il  fallait  s'en  pren- 
dre à  ce  voisin,  qui  ne  lui  dounait  pas  assez  bon 
exemple. 

Enfin,  la  vie  chrétienne  demande  une  extrême 
exactitude.  Il  faut  prendre  garde  aux  moindres  pré- 

ptes,  et  n'en  mépriser  aucun.  Le  relâchement  com- 
lence  par  les  petites  choses ,  et  de  la  ou  tombe  dans 
les  plus  grands  maux.  Qui  méprise  les  petites  cho- 
ses ,  tombe  peu  à  peu^. 

Pour  établir  cette  exactitude  de  la  justice  chré- 
tienne ,  Jésus-Christ  pose  un  beau  principe  :  que  la 
parole  de  Dieu  est  inviolable,  et  s'accomplira  jus- 
qu'au  moindre  trait. 

Il  regarde  ici  en  particulier  ce  qui  avait  été  prédit 
de  lui  dans  la  loi  et  dans  les  prophètes  ;  et  c'est  pour- 

'  Coios.  rv,  6.  —  *  .Vatth.  xniï.  Marc.  i\ ,  4i.  Luc.  xvu ,  I. 
'^Pkitipp.u,  15.  —  *  1.  Petr.w,  M.—iEccli.  xi\,  I. 


I  quoi  il  dit  :  Je  viens  tout  accomplir.  Dans  ce  qui  a 
été  prédit  dans  la  loi,  il  y  a  les  grands  traits  :  la 
naissance  de  Jésus-Christ,  sorti  d'une  vicige,  ses 
souffrances,  sa  croix,  sa  résurrection,  la  conver- 
sion du  monde  et  des  gentils,  avec  la  réprobation 
et  le  juste  châtiment  des  Juifs  :  voilà  les  grands 
traits;  mais  ce  n'est  pas  tout  :  il  y  a  ïiota  et  les 
moindres  traits ,  qui  doivent  aussi  s'accomplir.  Il 
faut  qu'on  divise  ses  vêtements  :  il  faut  qu'on  joue 
sa  tunique  sans  couture.  Voyez  quelle  précision 
dans  une  distinction  si  subtile  et  si  exacte  :  c'est 
Viola,  c'est  le  petit  trait.  Il  sera  vendu  ;  ce  peut  être 
un  grand  trait  :  mais  ce  sera  trente  deniers  ;  mais 
on  achètera  le  champ  d'un  potier  :  c'est  Viota ,  c'est 
le  petit  trait,  qui  ne  doit  point  échapper  non  jdus 
que  les  autres.  C'est  ainsi  qu'il  faut  qu'il  ait  soif,  et 
qu'il  soit  abreuvé  de  vinaigre.  Il  souffrira  :  voila  le 
grand  trait  ;  mais  ce  sera  hors  la  porte  de  la  ville  : 
voilà  Viola-  Il  sera  immolé  comme  l'agneau  pascal; 
mais  ses  os  ne  seront  pas  brises  sur  la  croix,  non 
plus  que  ceux  de  cet  agneau  :  voiià  Viola;  et  ainsi 
du  reste.  Jésus-Christ  veut  dire  encore  plus  généra- 
lement, que  tout  ce  qui  est  dit  en  figure  et  en  ombre 
dans  la  loi,  sera  accompli  en  vérité  dans  l'Évangile, 
jusqu'aux  moindres  circonstances.  Tout,  jusqu'aux 
moindres  choses,  est  significatif  dans  la  loi  :  tout, 
jusqu'aux  moindres  choses ,  sera  accompli  dans  l'É- 
vangile. Fous  ne  lierez  pas  la  bouche  du  bœuf  qui 
foule  le  grain  '.  Saint  Paul  l'applique  aux  prédica- 
teurs ».  Il  en  est  ainsi  de  ces  autres  traits  :  /  ou.'!  ne, 
ferez  point  cuire  l'agneau  dans  le  lait  de  sa  mère. 
Quand  vous  prendrez  la  mère  dans  le  nid ,  vous 
la  laisserez  aller  en  gardaiit  ses  petits  ^.  Que  vos 
habits  ne  soient  point  tissus  de  laine  et  de  lin. 
Ayez  des  bordures  et  des  franges  dans  vos  habits  *. 
Tous  ces  petits  traits  ont  de  grandes  signifii^^tions, 
pour  inspirer  aux  chrétiens  la  douceur,  la  modéra- 
tion, la  simplicité,  la  droiture,  et  toutes  les  autres 
vertus. 

Et  ce  que  Jésus-Christ  conclut  de  là,  c'est  qu'il 
ne  faut  pas  oublier  les  moindres  préceptes  :  car  s? 
tout  ce  que  Dieu  dit  pour  son  Fils  doit  être  accom- 
pli jusqu'au  moindre  trait,  et  qu'il  n'en  doive  échap- 
per aucun ,  il  faut  aussi  accomplir  tout  ce  qu'il  a  dit 
pour  nous. 

Et  voyez  jusques  à  q*iel  point  :  Le  ciel  et  la  ferrt 
passeront;  mais  mes  paroles  ne  passeront  pas  =. 
Si  le  soleil  tout  d'un  coup  allait  disparaître,  et  que 
ce  flambeau  du  monde  s'éteignît  au  milieu  du  jour; 
si  le  ciel  se  mettait  en  pièces,  ou  se  retirait  comm.-; 
un  rouleau  qui  se  renveloppe  en  lui-même;  si  la 
terre  manquait  sous  nos  pieds,  et  qu'un  fondement 
si  solide  fût  tout  d'un  coup  réduit  en  poudre  :  quel 
malheur!  tout  serait  perdu  pour  nous.  Le  malheur 
est  bien  plus  grand,  et  tout  est  perdu  bien  davan- 
tage ,  si  le  moindre  des  commandements  de  Jésus. 
Christ  n'est  pas  observé. 

Que  si  on  ne  les  observe  pas ,  Jésus-Christ,  qui 
a  dit  qu'ils  seraient  inviolablcment  observés,  sera- 
t-il  menteur?  A  Dieu  ne  plaise!  car  il  y  a  une  coik 

'  Devt.  XXV,  4.  —   »  l.Tim.  v,   18.—*  Dent.  XJT ,  il 
i   —  «  /6.  XXII,  6,  7  ,  1 1  ,  12.  —  4  Mutth.  W\X,  a». 


6€6 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


dition  ,  que,  si  on  manque  à  les  observer,  on  sera 
puni.  Donc  si  vous  faites  la  faute,  et  que  vous  évi- 
tiez le  châtiment,  Jésus-Christ  se  sera  trompé  : 
mais  si  vous  ne  faites  pas  la  moindre  faute  dont  il 
ne  soit  parlé  au  jugement,  et  qu'il  y  faille  rendre 
raison',  non-seulement  des  paroles  d'injustice  et  de 
médisance ,  mais  encore  des  inutiles ,  la  vérité  de 
Jésus-Christ  demeure  ferme. 

La  peine  rectifie  le  désordre  :  qu'on  pèche,  c'est 
un  désordre;  mais  qu'on  soit  pun'  quand  on  pèche, 
c'est  la  règle.  Vous  revenez  donc  par  la  peine  dans 
l'ordre,  que  vous  éloigniez  par  la  faute.  Mais  que 
l'on  pèche  impunément,  c'est  le  comble  du  désor- 
dre :  ce  serait  le  désordre,  non  de  l'homme  qui  pè- 
clie,  mais  de  Dieu  qui  ne  punit  pas.  Ce  désordre 
r.e  sera  jamais ,  parce  que  Dieu  ne  peut  être  déréglé 
en  rien ,  lui  qui  est  la  règle. 

Comme  cette  règle  est  parfaite,  droite  parfaite- 
ment, sans  la  moindre  courbure,  tout  ce  qui  n'y 
convient  pas  y  est  brisé,  et  sentira  l'effort  de  l'in- 
vincible et  immuable  rectitude  de  la  règle. 

Mais  si  les  menaces  sont  accomplies,  les  promes- 
ses le  seront  aussi.  Viens,  chrétien,  à  t-^n  crucifix  : 
regarde-s-y  toutes  les  prédictions  accomplies,  jus- 
qu'aux plus  petites.  Dis  donc  en  toi-même  :  Tout 
s'accomplira,  et  le  bonheur  qui  m'est  promis  ne  me 
planquera  pas.  Je  verrai  Dieu,  je  l'aimerai, je  le  loue- 
rai durant  les  siècles  des  siècles  :  et  tous  mes  dé- 
sirs seront  rassasiés ,  toutes  mes  espérances ,  ac- 
complies :  Amen ,  amen. 

XIP  JOUR. 

Excellence  de  la  justice  chrétienne  au-dessus  de  celle  des 
païens  et  des  Juifs.  Matlli.  v,  20 ,  47. 

Jésus-Christ,  qui  jusqu'ici  a  donné  plus  en  géné- 
ral la  forme  et  les  caractères  de  la  vie  chrétienne, 
commence  ici  les  préceptes  particuliers  :  et  il  donne 
pour  fondement  cette  belle  règle',  que  Injustice 
chrétienne  doit  sw^asser  celle  des  plus  parfaits 
d'entre  les  Juifs,  et  les  docteurs  de  la  loi.  Prenons 
donc  garde  ici  à  bien  entendre  la  perfection  de  la  loi 
cvangélique,  dont  nous  avons  juré  l'observation 
dans  notre  baptême. 

Pour  nous  y  obliger,  Jésus-Christ  a  pris  som  de 
nous  élever  à  la  perfection  de  la  justice  chrétienne 
par  trois  degrés. 

Premièrement,  il  faut  s'élever  au-dessus  des  plus 
sages  des  païens.  C'est  pour  cela  qu'il  a  dit  :  Les 
païens  ne  le  font-ils  pas  "  ?  Voulant  dire ,  Vous  de- 
vez donc  faire  davantage.  On  vous  parle  de  mépri- 
ser les  richesses  :  les  sages  païens  ne  l'ont-ils  pas 
fait?  D'être  fidèle  à  vos  amis  :  les  païens  ne  l'ont-ils 
pas  été?  D'éviter  les  fraudes  et  les  tromperies  :  les 
païens  ne  les  outils  pas  détestées?  De  fuir  l'adul- 
tère :  les  païens  les  plus  licencieux  n'eu  ont-ils  pas 
eu  de  l'horreur  ? 

Le  second  degré  est  de  s'élever  au-dessus  de  la 
justice  de  la  loi ,  et  de  ceux  qui  connaissent  Dieu. 
Et  cela  encore  par  trois  degrés,  en  évitant  trois  dé- 
fauts de  la  justice  judaïque.  Le  premier,  c'est  qu  elle 

«  Matth.  V,  29.  —  »  Matifi.  V,  47. 


n'était  qu^extérieure  :   P'ous  autres  pharisiens, 
vous  êtes  soigneux  de  laver  l'extérieur  du  vaisseau  : 
et  c'est  pourquoi  il  les  appelait  des  sépulcres  blati' 
chis  '.  Voyez  la  justice  de  ce  pharisien  dans  saint 
Luc  :  Je  ne  suis  pas,  disait-il  »,  comme  le  reste  des 
hommes.  Et  en  quoi  excellez-vous  donc  ?  Je  Jeûne 
deux  fois  la  semaine  :  je  paye  la  dime  de  tout  ce 
qmj'ai  de  bien.  Il  ne  vante  que  l'extérieur  :  et  ceux- 
là  lui  ressemblent ,  qui  ne  s'attachent  qu'aux  obser- 
vances extérieures.  Dire  son  bréviaire ,  aller  à  l'é- 
glise ,  assister  au  sacrifice ,  à  matines ,  à  l'oraison , 
prendre  de  l'eau  bénite,  se  mettre  à  genoux,  sans 
prendre  l'esprit  de  tout  cela,  c'est  une  justice  phari- 
saïque  qui  semble  avoir  quelque  exactitude,  mais  qui 
s'attire  de  Jésus-Christ  ce  juste  reproche  :  Ce  peu- 
ple m'honore  des  lèvres  ;  mais  son  cœur  est  loin  de 
moi  ^.  C'est  une  fausse  justice.  Mais  que  dirons-nous 
de  ceux  qui  n'ont  pas  même  cette  justice  et  celte 
exactitude  extérieure,  si  ce  n'est  qu'ils  sont  pires 
que  les  pharisiens  et  que  les  Juifs? 

Le  second  défaut  de  la  justice  judaïque,  c'est, 
comme  dit  saint  Paul  'i,  qu'en  ignorant  la  justice 
par  laquelle  Dieu  nous  fait  justes ,  et  cherchant  à 
établir  leur  propre  justice,  se  croyant  justes  par 
eux-mêmes,  ils  ne  se  sont  point  sownis  à  la  justice 
de  Dieu;  parce  qu'ils  ont  cru  faire  le  bien  par  eux- 
mêmes  ,  au  lieu  de  reconnaître  que  c'est  Dieu  qui 
l'opère  en  eux. 

Saint  Paul  avait  eu  cette  justice  :  mais  voyez 
comment  il  en  parle  ^  :  Ma  conduite  était  sans  re- 
proche selon  la  justice  de  la  loi.  Remarquez  ces 
paroles,  sajis  reproche  :  on  ne  pouvait,  ce  semble, 
porter  la  perfection  plus  loin  ;  et  cependant  il  ajoute 
aussitôt  après  :  Mais  ce  qui  m'était  un  gain  selon 
la  loi,  Je  l'ai  estimé  une  perte  à  cause  de  la  connais- 
sance éminenfe  que  f  avais  de  Jésus-Christ,  pour 
qui  tout  m'a  été  une  perte,  et  comme  du  fumier  et 
de  l'ordure;  afin  de  gagner  Jésus-Christ ,  et  avoir 
en  lui,  non  pas  ma  propre  justicp  qui  vient  de  la 
loi,  mais  la  justice  qui  vient  de  la  foi  en  Jésus- 
Christ  ;  justice  qui  vient  de  Dieu  par  la  foi. 

Voilà  donc  le  second  défaut  de  la  justice  judaï 
que  :  c'est  qu'on  se  croyait  juste  par  soi-même  : 
ce  qui  fait  que  cette  justice  est  impure,  et  n'est 
qu'ordure,  selon  saint  Paul,  parce  qu'elle  n'est  qu'or- 
gueil. Étudions-nous  donc  à  l'éviter,  en  rapportant 
humblement  à  Dieu  le  peu  de  bien  que  nous  fai- 
sons. 

Mais  le  troisième  défaut  de  la  justice  des  Juifs, 
c'est  que  les  œuvres  en  étaient  fort  imparfaites, 
en  comparaison  de  la  perfection  oij  l'homme  est 
élevé  par  l'Évangile.  On  y  est  obligé  à  une  plus 
grande  perfection  que  ceux  qui  faisaient  bien.  Et 
pourquoi  ?  J  cause  de  la  connaissance  éminente 
qu'on  a  de  Jésus-Christ,  disait  saint  Paul  ;  et  c'est 
une  des  vérités  que  Jésus-Christ  renferme  dan» 
cette  parole  :  Si  votre  justice  n'est  plus  abon- 
dante que  celle  des  docteurs  de  la  loi  et  des  pha- 
risiens, etc^. 

.  Maith.  xxni ,  25 ,  27.  -  ^  Luc.  xvni ,  Il ,  12.  -  '  Natth. 
XV ,  8.  -  «  Rom.  X ,  3.  -  »  Philipp.  ui ,  C ,  7 , 8 ,  9.  -  •  m*tk, 

Y ,  20. 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


Voila  donc  la  justice  clirétienne  élevée  de  deux 
degrés  au-dessus  de  la  justice  des  sages  païens, 
au-dessus  de  la  justice  des  Juifs.  C'est  pourquoi 
et  les  païens  et  les  Juifs  s'élèveront  contre  nous, 
'es  Niiiivites,  la  reine  de  Saba,  Sodome  et  Go- 
morrhe,  dont  nous  aurons  surpassé  ies  iniquités, 
nous  qui  devions  surpasser  la  justice  des  plus  sa- 
ges. C'est  ainsi  qu'il  se  faut  former  une  grande  idée 
de  la  justice  chrétienne. 

Mais  voici  encore  quelque  chose  de  plus  excellent; 
et  c'est  le  troisième  degré  et  la  perfection  :  c'est 
«j«e  la  justice  chrétienne  se  doit  élever  au-dessus 
d'elle-même.  Non,  mes  frères,  disait  saint  Paul  ■ , 
je  ne  crois  pas  encore  avoir  atteint  la  justice  où  je 
tends,  ni  que  je  sois  parfait  :  je  poursuis  ma  course 
comme  un  homme  qui  ne  croit  pas  avoir  obtenu  ce 
qu'il  souhaite.  Unum  autem;  mais  tout  ce  que  je 
fais ,  tout  mon  but ,  toute  ma  pensée ,  c'est  qu'ou- 
bliant ce  qui  est  derrière  moi  (  voyez,  tout  le  pro- 
grès qu'il  a  fait  ne  lui  est  rien,  il  ne  s'y  arrête  pas, 
il  ne  s'y  repose  pas,  je  m'étends  à  ce  qui  est  devant. 
ïlntendez  ce  mot,  il  s'étend  :  il  fait  effort)  il  sort 
rn  quelque  manière  de  lui-même  :  il  se  disloque 
hii-iiiême,  en  quelque  sorte,  par  l'effort  qu'il  fait 
pour  5'avancer. 

Voilà  donc  le  vrai  chrétien,  le  vrai  juste.  Il  croit 
n'avoir  rien  fait  :  car  s'il  croit  être  sutïisamment 
juste,  il  ne  l'est  point  du  tout.  Il  taut  donc  toujours 
avancer,  etsortir  continuellement  de  son  état.  Soyez 
parfaits  comme  votre  Père  céleste  ».  Ayez-en  du 
moins  la  volonté  :  car  c'est  renoncer  à  la  justice 
que  de  se  reposer  dans  celle  qu'on  a,  comme  si  on 
était  assuré  qu'elle  fut  suffisante;  d'autant  plus  que 
si  vous  n'avancez ,  vous  reculez,  f'ous  regardez  en 
arrière,  contre  le  précepte  de  l'Évangile.  Et  que 
décide  le  Sauveur?  que  vous  n'êtes  pas  propre  au 
royaume  de  Dieu  ^. 

Voilà  pourquoi  il  disait ,  qu'il  fallait  avoir  faim 
et  soif  de  la  justice.  Ce  n'est  pas  un  désir  ordinaire; 
c'est  un  désir  comme  celui  qui  nous  porte  à  nous 
nourrir,  et  à  vivre  :  désir  ardent  et  invincible,  que 
vous  devez  sans  cesse  exciter.  En  quelque  état  que 
vous  soyez,  vous  devez  toujours  avoir  cette  faim 
et  cette  soif  :  parce  que  la  capacité  de  votre  intérieur 
est  inOnie,  comme  Test  aussi  la  justice  que  vous 
cherchez. 

Sur  ce  fondement  de  la  perfection  de  la  justice 
chrétiejine ,  Jésus-Christ  bâtit  tout  l'édifice ,  •. 'est- 
à-dire  tous  les  préceptes  de  son  Évangile,  pour  nous 
élever  au-dessus  des  païens,  des  Juifs,  et  de  nous- 
mêmes.  Ce  qu'il  a  compris  dans  cette  parole  ;  Soyez 
parfaits  comme  votre  Père  céleste;  et  ce  que  son 
apôtre  a  exprimé  de  la  manière  que  nous  avonî  vue. 

XIIP  JOUR. 

Haine,  colère,  parole  injurieuse  :  quelle  en  est  la  panition. 

Malth.  v,  21,22. 

Après  cette  belle  préparation,  après  cette  belle 
liée  de  la  justice  chrétienne,  .fésus-Christcommeiice 
à  régler  ce  qu'on  doit  au  procliain,  et  il  nous  ap- 

•  PMipp.  ni ,  12,  13.  —  '  Matth.  y,  48.  —  »  Lvc.  ix ,  62. 


£67 

prend  jusqu'oii  Ton  doit  éviter  de  lui  nuire.  Saint 
Jean  dit  que  celui  qui  hait  son  frère  est  un  meur- 
trier '.  Jésus-Christ  le  répute  tel.  C'est  pourquoi 
il  dit  que  ce  n'e^t  pas  seulement  en  le  tuant  qu'on 
se  rend  diqnc  d'être  puni  par  le  jugement;  mais 
encore  si  on  se  fâche  contre  lui  :  et  que  *i  on  té- 
moigne son  indignation  par  quelque  parole  de  co- 
lère ou  de  mépris,  on  mérite  d'être  condamné  par 
le  conseil,  on  est  digne  d'une  plus  grande  peine- 
mais  que  si  on  s'emporte  jusqu'à  f  appeler  insensé] 
on  n'évitera  pas  le  feu  étemel  ». 

Il  faut  ici  peser  ces  trois  degrés  :  se  mettre  en 
colère  ;  témoigner  sa  colère  par  quelque  parole  d'em- 
portement; dire  des  injures  atroces,  et  traiter  son 
frère  de  fou;  et  les  comparer  avec  les  trois  peines  • 
le  jugement ,  le  conseil ,  le  feu. 

Le  jugement  emportait  la  peine  capitale ,  puis- 
qu'il est  attribué,  selon  les  anciens,  au  meurtre 
que  la  loi  punissait  de  mort  irrémissiblement.  Mais 
Jésus-Christ,  pour  faire  voir  combien  la  justice 
humaine  était  faible  en  comparaison  de  la  divine 
qu'il  venait  déclarer  aux  hommes,  met  le  jugement 
c'est-à-dire  la  peinecapitale  des  jugements  luimains* 
pour  le  plus  faible  degré,  qui  est  la  colère.  Il  veui 
donc  dire  que  la  colère  contre  un  frère  est  par  elle- 
même  un  péché  digne  de  mort  devant  Dieu.  Et 
ainsi  il  ne  faut  pas  douter  qu'on  ne  commette  un 
péché  mortel,  lorsqu'on  demeure  volontairement 
aliéné  de  son  frère  ;  ce  qui  arrive  lorsqu'on  de- 
meure fàcliécontre  lui;  parce  qu'alors  la  colère  s'est 
tournée  en  haine.  En  cet  état,  rien  n'excuse  dépê- 
ché mortel,  que  la  résistance  qu'on  apporte  à  une 
disposition  et  impression  si  mauvaise  :  car  lors- 
qu'elle domine  dans  le  cœur,  la  charité  s'y  éteint 

Le  second  degré  de  supplice  est  le  conseil  ;  ce  qui 
se  dit  par  rapport  à  la  police  des  Juifs.  Au-dessus 
du  jugement  où  l'on  punissait  les  crimes  particu- 
liers jusqu'à  la  mort,  s'il  le  fallait,  il  y  avait  le  san- 
hédrin, ou  le  conseil  suprême  de  la  nation  3,  qnj 
était  d'autant  plus  sévère  qu'on  y  jugeait  les  crimes 
publics,  qui  regardaient  l'état  du  peuple  de  Dieu 
dans  la  religion  et  dans  le  gouvernement,  sans  au- 
cun appel.  Pour  exprimer  le  juste  supplice  de  ce- 
lui qui  s'emporterait  au  second  degré  de  colère , 
c'est-à-dire  jusqu'à  témoigner  sa  haine  par  quelque 
parole  de  fureur  ou  de  mépris,  Jésus-Christ  va  de 
ce  degré  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  rigoureux  et  de  plus 
inévitable  parmi  les  hommes,  qui  est  la  rigueur  ex- 
trême du  souverain  conseil  de  la  nation. 

Le  dernier  degré  suit  après  cela,  qui  est  dedirt» 
des  injures  atroces,  comme  d'appeler  son  frère  fou  : 
et  pour  cela,  il  n'y  a  plus  rien  parmi  les  hommes 
par  où  l'on  puisse  exprimer  la  vengeance  qui  en  sera 
faite,  qu'une  vallée  auprès  de  Jérusajem,  qu'on  re-- 
puta'rt  abominable,  et  qu'on  appelait  la  Vallée  des 
cadavres  et  des  cendres  ,  parce  que  c'était  celle  où , 
du  teuips  des  idolâtries  du  peuple  de  Dieu,  les  Israé- 
lites  brillaient  leurs  enfants  en  l'honneur  de  l'infâme 
idole  de  Moloch ,  et  où  on  jetait  leurs  cendres  et 
leurs  cadavres  à  demi  brûlés. 

•  1.  Joan.  ui,  15.  —  »  .V/«A.  v,  21 ,  2-i  —^  Joseph.  .4Htim. 

juddic.  XIV,  17. 


668 


MEDITATIONS  SUR  L'EV'A^'GILE. 


La  tradition  enseignait  encore  que  les  cadavres 
dos  soldats  de  Sennachérib  y  avaient  été  jetés  à 
tas;  de  sorte  qu'elle  fourmillait  de  vers  qui  sortaient 
de  ces  cadavres  :  les  marques  du  feu  étaient  dans 
les  cendres,  et  dans  les  cadavres  à  demi  brûlés  '. 
Cette  vallée  s'appelait  la  Vallée  du  fils  d'Ennom, 
Ben-Ennom  *  :  en  changeant  le  B  en  G ,  Gehen- 
iiom ,  Gehenna ,  Géhenne.  Par  où  l'on  exprima  en- 
suite l'enfer,  le  feu  dont  les  damnés  y  sont  dévorés , 
et  les  vers  qui  les  y  rongent,  dont  le  Sauveur  dit  : 
Leur  ver  ne  meurt  point,  ei  leur  feu  ne  s'éteint  ja- 
tfiais  3 . 

C'est  donc  à  cette  Vallée  des  cadavres,  qu'on  ap- 
j)elait  aussi  la  Vallée  de  la  mort,  que  Jésus-Christ 
compare  le  supplice  affreux  de  ceux  qui  traitent 
leurs  frères  d'insensés  et  de  fous.  Que  s'il  ordonne 
ce  supplice  pour  les  injures,  combien  seront  tour- 
mentés ceux  qui  frappent,  ceux  qui  tuent?  Le  Fils 
de  Dieu  n'en  parle  pas,  comme  ne  voulant  pas  sup- 
poser que  cela  puisse  arriver  parmi  le':  siens  ;  et  lais- 
sant assez  entendre  combien  les  actions  violentes 
seront  punies,  si  les  paroles  le  sont  avec  une  si 
terrible  rigueur. 

Pesons  donc  toutes  nos  paroles,  puisqu'elles 
sont  pesées  avec  une  telle  rigueur  dans  le  souverain 
jugement  de  Dieu. 

XIV«  JOUR. 

Réconciliation.  Matth.  v,  23, 26. 

C'est  encore  un  beau  et  grftnd  précepte,  et  par 
lequel  nous  pouvons  entendre  combien  Dieu  aime 
In  paix,  de  nous  ordonner,  comme  il  fait,  de  nous 
réconcilier  avec  notre  frère,  avant  que  d'approcher 
de  l'autel.  Il  ne  veut  point  de  l'oblation  qui  lui  est 
offerte  avec  un  cœur  plein  de  ressentiment,  et  avec 
des  mains  portées  à  la  vengeance. 

On  doit  encore  beaucoup  remarquer  cette  parole  : 
Si  votre  frère  a  quelque  chose  contre  vous  4,  et  non- 
seulement  si  vous  lui  en  avez  donné  sujet,  mais  en- 
core s'il  l'a  pris  mal  à  propos  :  il  faut  s'eclaircir  cha- 
ritablement avec  lui ,  de  peur  que  vous  ne  veniez  à 
le  haïr,  lorsque  vous  saurez  qu'il  vous  hait.  Le  pre- 
mier présent  qu'il  faut  offrir  à  Dieu,  c'est  un  cœur 
pur  de  toute  froideur,  et  de  toute  inimitié  avec  son 
frère. 

N'attendez  pas  même  le  jour  de  la  communion  : 
celui  de  l'oblation,  où  l'on  se  trouve  ensemble,  et 
où  l'on  assiste  même  seul  au  saint  sacriiice;  ce  jour 
doit  être  précédé  de  la  réconciliation. 

Il  faut  encore  porter  plus  loin  l'amour  de  la  paix  ; 
et  saint  Paul  dit  :  Que  le  soleil  ne  se  couche  point 
sur  votre  colère^.  Les  ténèbres  augmenteraient  no- 
tre chagrin  ;  notre  colère  nous  reviendrait  en  nous 
éveillant,  etdeviendrait  pUisaigre.  Les  passionstris- 
tes  et  sombres ,  du  nombre  desquelles  sont  la  haine , 
la  vengeance,  la  jalousie,  s'aigrissent  pendant  la 
nuit ,  ainsi  que  Icà  plaies ,  les  fluxions  ,  les  maladies. 

Dans  les  querelles,  dans  les  procès,  dans  toutes 
les  dissensions,  oa  se  livre  l'un  l'autre  au  juge, 

»  Joseph.  Antiq.  Judaic.  XV,  8.  et  xviii,  16.  —  MV.  Reg. 
XXIII ,  10. 11.  Parai,  xxvin,  3.-3  Marc,  ix ,  47.  —  ♦  Matth. 
V,23.  —  '  Ef.  IV,  26. 


parce  qu'on  s'offense  mutuellement  :  on  doit  donc 
craindre  la  prison,  d'où  l'onne  sort  qu'après  avoir 
tout  payé  dans  la  dernière  rigueur  :  et  il  faut  s'ac- 
corder volontairement  l'un  avec  l'autre,  plutôt  que. 
d'en  venir  à  un  jugement  qui  augmenterait  l'aigreur. 
C'est  ce  qu'il  faut  bien  considérer. 

Saint  Augustin  dit  que  cet  ennemi  avec  lequel 
il  se  faut  réconcilier,  pendant  qu'on  est  dans  la 
voie  ',  c'est  la  vérité ,  qui  nous  condamne  dans  cette 
vie,  et  nous  livre  en  l'autre  à  l'exécuteur,  qui  nous 
oblige  à  payer  jusqu'au  dernier  sou;  c'est-à-dire,  à 
demeurer  éternellement  dans  cette  affreuse  prison , 
puisque  nous  ne  pouvons  jamais  satisfaire  pour  nos 
crimes. 

XY«  JOUR. 

Délicatesse  de  la  chasteté;  s'arracher  l'œil;  se  couper  la 
main  :  indissolubilité  du  mariage.  Matth.  v,  27 ,  32. 

En  ce  qui  regarde  la  chasteté,  il  faut  craindre 
jusqu'à  un  regard  :  c'est  par  là  qu'entre  le  poison. 
Prenez  garde,  disait  Moïse»,  de  ne  peint  laisser 
aller  vos  yeux  et  vos  pensées,  en  vous  souillant 
dans  les  objets  qui  vous  environnent.  Job  disait 
aussi  dans  cette  vue  :  J'ai  fait  un  pacte  avec  mes 
7/eux^,  que  je  les  tiendrais  toujours  modestes,  ja- 
mais vagues  ni  dissipés.  Le  voile  des  vierges  sacrées 
est  la  marque  et  l'instrument  de  cette  retenue;  leur 
vie  est  un  mystère  ;  les  yeux  profanes  en  sont  ban- 
nis; elles  ne  veulent  ni  voir  ni  être  vues.  C'est  le 
premier  enseignement  de  Jésus-Christ  sur  cette  ma- 
tière. 

La  seconde  est  de  renoncer  aux  liaisons  non-seu- 
lement les  plus  agréables,  mais  encore  les  plus  né- 
cessaires, plutôt  que  de  mettre  notre  salut  en  péril. 
Le  secret  est  de  fuir,  d'éviter  les  occasions  prochai- 
nes, c'est-à-dire  celles  où  Ton  a  déjà  fait  naufrage; 
craindre  même  les  plus  éloignées,  se  précautionner 
de  toutes  parts,  couper  jusqu'à  sa  main  droite  et 
jusqu'à  son  pied,  arracher  jusqu'à  ses  yeux  :  tout 
doit  être  violent  dans  cette  matière.  Car  il  faut, 
autant  qu'il  se  peut,  éviter  même  d'avoir  à  com- 
battre; parce  qu'on  n'est  pas  longtemps  courageux, 
ni  ferme  contre  soi-même. 

Si  votre  œil,...  si  votre  main  droite  vous  scan- 
dalise à,  c'est-à-dire  si  ces  personnes  qui  vous  sont 
si  chères  vous  sont  une  occasion  de  tomber,  sépa- 
rez-vous-en. Ajoutez ,  si  elles  vous  font  scandaliser 
votre  frère  ;  car  tout  ce  qui  le  fait  tomber  est  aussi 
pour  vous  une  chute  semblable  à  celte  d'un  homme 
qu'on  jetterait  dans  la  mer  mie  meule  au  cou^. 

Le  troisième  enseignement  sur  cette  matière  re- 
garde le  mariage,  et  son  indissolubilité.  Mais  on 
peut  encore  porter  plus  loin  ses  pensées.  Car  comme 
cet  indissoluble  lien  du  mariage  signifie  l'insépara- 
ble union  de  Jésus-Christ  avec  son  Église ,  les  âmes 
qui  sont  entrées  dans  ce  bienheureux  contrat  doi- 
vent garder  la  foi  à  Jésus-Christ,  et  ne  faire  jamais 
divorce  avec  lui. 

Pourcela,  il  faut  éviter  jusqu'aux  moindres  choses 

'  Matth.  V,  25,  26.  —  »  Num.  xv,  39,  —  '  Job.  XXiX,  I. 
—  *  Matth.  V ,  29  ,  30.  —  '  M  XVIII ,  6. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


qui  déplaisent  à  TÉpoux  céleste.  Ce  ne  sont  pas  seu- 
lement les  ruptures  qui  sont  à  craindre  dans  les  ma- 
riages ,  mais  encore  les  moindres  froideurs.  Tout  va 
au  divorce,  si  on  n'y  prend  garde;  et  il  faut  promp- 
tement  réparer  les  moindres  négligences  :  la  délica- 
tesse de  l'Époux  en  est  blessée;  l'amour  refroidi 
s'éteint  bientôt. 

Veille  donc,  âme  chrétienne,  veille  sur  les  moin- 
dres choses  :  rien  ne  plaît  plus  à  celui  qui  aime, 
que  l'attention  à  le  contenter  en  tout  :  au  contraire , 
il  n'y  a  rien  de  plus  terrible  que  cette  parole  célè- 
bre du  Fils  de  Dieu'  :  Je  voxulrais  que  vous  fus- 
siez froid  ou  chaud.  On  vous  pourrait  tourner  au 
bien ,  et  vous  seriez  capable  de  quelque  action  ;  mais 
parce  que  rous  êtes  tiède  et  sans  efDcace ,  on  ne  peut 
rien  faire  de  \o\is,etjevous  vomirai  de  malx}uche. 

XVP  JOUR. 

Me  jurer  point  :  simplicité  chrélieune.  Mtitlh.  v,  33 ,  37. 

Je  trouve  cet  endroit  un  des  plus  touchants  de  la 
doctrine  chrétienne;  parce  que  le  Fils  de  Dieu  y 
établit  la  plus  aimable  de  toutes  les  vertus,  qui  est 
la  sincérité.  Le  chrétien  ne  ment  jamais  :  il  dit  : 
Cela  est  y  cela  n'est  pas*  :  et  cette  parole  tient  lieu 
de  tout  serment.  Car,  au  lieu  de  jurer  ou  par  le  ciel , 
ou  par  la  terre ,  ou  par  la  saiute  cité ,  ou  par  sa  tète , 
ou  en  quelque  manière  que  ce  soit,  on  lui  ordonne 
pour  toute  réponse  :  Cela  est,  cela  n'est  pas  :  oui 
et  non.  Le  mensonge  ne  trouve  point  de  place  dans 
une  expression  si  simple  :  elle  ne  souffre  point  non 
plus  de  déguisement;  car  sans  détour  ni  embarras, 
on  répond  :  Cela  est,  cela  n'est  pas  :  et  la  sincérité 
d'un  chrétien  doit  être  si  parfaite  et  si  connue ,  qu'on 
s'en  tienne  à  sa  simple  parole,  comme  s'il  avait  fait 
mille  serments  de  toutes  les  sortes. 

Cette  parole  est  bien  forte  :  Tout  ce  qui  est  au 
delà  vient  du  malin^  ou  du  mal.  Tout  ce  qu'on 
dit  de  plus,  que  cela  est,  cela  n'est  pas,  c'est  la 
dureté  des  cœurs,  c'est  la  malice  et  la  fourberie, 
c'est  le  démon  en  un  mot  qui  l'a  introduit.  Reve- 
nons donc  à  l'origine  :  rendons-nous  si  croyables 
par  notre  sincérité,  qu'on  se  fie  à  nous  à  cette  sim- 
ple parole  :  Cela  est,  cela  n'est  pas  :  oui  et  non. 

Ke  soyez  pas  si  décisif,  si  affirmatif;  n'exagérez 
pas  :  !S6  jurez,  pas  ^  :  c'est  une  partie  de  cette  dou- 
ceur dont  il  est  dit  :  Bienheureux  ceux  qui  sont 
doux^.  Ce  que  vous  direz  de  plus  fort  que  la  sim- 
ple affirmation  ou  négation ,  ne  serait  pas  iiéces>aire, 
si  les  cœurs  étaient  bien  disposés.  Soyez  de  votre 
côté  dans  cette  disposition  :  et  s'il  faut  aller  au  delà, 
que  ce  soit  uniquement  pour  les  autres  qui  ont  be- 
soin d'être  poussés  plus  fortement. 

Renouvelez- vous ,  quittez  le  vieux  levain^.  Le 
méchant  est  menteur,  parce  qu'il  a  intérêt  de  cacher 
et  de  déguiser  ce  qu'il  fait.  Revétez-vous  de  l'homme 
nouveau,  qui  est  Jésus-Christ,  qui  est  créé  selon 
Dieu,  en  justice,  et  dans  la  sainteté  de  la  vérités. 
Ainsi ,  quittant  le  mensonge,  qui  ne  convient  qu'au 
mauvais  qui  veut  se  cacher  :  Dites-vous  la  vérité 

'  Apoc.  m ,  15,  16.  —  »  Matth.  y,  37.  —  '  Tbia.  —  *  Ibid. 
—  5  Ibid.  4.  —  «  I.  Cur.  T,  7.  —  '  Epk.  IT,  24. 


ftG9 

les  uns  aux  autres ,  parce  que  rous  êtes  membres 
d'un  même  corps'.  La  main  ne  veut  pas  tromper  la 
tête,  lorsqu'elle  la  prend  pour  guide  parmi  les  té- 
nèbres; l'œil  ne  veut  pas  tromper  les  pieds,  ni  les 
pieds  cacher  leur  marche  aux  yeux  et  à  la  tête.  Si 
ces  membres  se  pouvaient  parler  et  interroger  l'un 
l'autre,  ils  se  diraient  simplement  la  vérité  en  tou- 
tes choses;  oui  et  non  :  cela  est ,  cela  n'est  pas.  Vi- 
vez ainsi ,  chrétien  :  ne  faites  point  le  mystérieux 
ni  l'important.  Taisez-vous  par  modération  et  par 
prudence,  et  non  pas  en  faisant  l'homme  sage  et 
l'homme  grave.  N'ayez  point  de  dissimulation  ;  sur- 
tout ne  faites  rien  de  mal,  de  douteux,  ni  de  sus- 
pect, afin  que  vous  n'ayez  rien  à  déguiser.  Si  vous 
péchez,  car  qui  ne  pèche  point?  et  qu'il  vous  faille 
découvrir  votre  péché  à  un  confesseur,  comme  la 
plaie  à  son  médecin  :  dites ,  Cela  est ,  cela  n'est  pas , 
sans  chercher  de  vaines  excuses  à  votre  faute ,  ni 
de  longues  circonlocutions  pour  l'envelopper.  L'hu- 
milité vous  fera  sincère  :  vous  guérirez  infaillible- 
ment, pourvu  que  vous  gardiez  la  sincérité. 

On  jure  par  le  nom  de  Dieu ,  et  on  le  prend  à  té- 
moin, afin  que  notre  parole,  faible  par  elle-même, 
devienne  ferme  et  inviolable  par  l'interposition  du 
nom  de  Dieu.  Mais  si  nous  sommes  remplis  de  Dieu 
et  revêtus  de  Jésus-Christ,  la  vérité  est  en  nous; 
et  nos  discours  étant  fermes  par  le  mérite  de  la 
source  d'oii  ils  sont  partis,  ne  demandent  pas  d'ê- 
tre appuyés  par  la  religion  du  serment. 

Il  y  en  avait  qui  croyaient  qu'on  ne  jurait  pas,  à 
moins  d'interposer  le  nom  de  Dieu.  Ils  ne  prenaient 
pas  pour  serment  de  dire  :  Par  le  ciel,  ou  Par  la  terre, 
ou  Par  la  sainte  cité;  et  ainsi  du  reste.  Mais  Jésus- 
Christ  décide  qu'il  y  a  dans  tout  cela  quelque  chose 
qui ,  ayant  rapport  à  Dieu ,  doit  être  regardé  avec 
une  espèce  de  religion,  sans  qu'il  soit  permis  à 
l'homme  de  le  profaner  par  ses  serments. 

Cette  parole  est  remarquable  :  Xe  jurez  point  par 
votre  tête;  car  vous  ne  pouvez  faire  blanc  ou  noir 
un  de  vos  clieveux*.  De  tout  ce  que  vous  appelez 
vôtre,  il  n'y  a  rien  dont  vous  pinssiez  disposer;  pas 
même  de  la  couleur  de  vos  cheveux.  Ne  dites  donc 
pas.  Je  jure  par  ma  tête,  c'est-à-dire,  je  me  dévoue, 
ou  comme  on  parle ,  je  dévoue  ma  tête  à  telle  et  à 
telle  peine  :  car  loin  d'avoir  pouvoir  sur  votre  tête, 
vous  n'en  avez  pas  même  sur  vos  cheveux  pour  les 
faire  venir  ou  croître,  ni  pour  en  changer  la  cou- 
leur. Soyez  donc  soumis  à  Dieu ,  et  ne  parlez  jamais 
comme  pouvant  disposer  de  la  moindre  chose. 

XVII»  JOUR. 

Charité  fralemeUe  :  étendae  de  la  perfection  chrétienne. 

Jtfa«A.V,  38,43. 

Jésus-Christ  revient  encore  à  l'obligation  de  la 
charité  fraternelle,  dont  il  avait  déjà  dit  que,  loin 
quil  fût  permis  de  tuer  ou  de  frapper,  il  ne  fallait 
pas  même  se  fâcher  contre  son  frère ,  ni  lui  marquejr 
de  l'aigreur  par  aucune  injure  :  que  si  on  avait  quel- 
que démêlé,  il  fallait  être  facile  à  se  raccommoder  ; 

'  Eph.  IV,  25.  —»  Matth.  V,  36. 


570 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


n'employer  point  de  juge,  s'il  se  peut,  pour  ter- 
miner nos  différends;  ni  même  de  médiateur  pour 
concilier  les  esprits  aliénés.  Nous  avons  un  média- 
teur naturel  de  notre  réconciliation  mutuelle ,  qui 
est  Jésus-Christ,  et  l'esprit  de  charité  et  de  grâce 
qui  nous  anime.  Il  faut  donc  se  rendre  traitables, 
et  chacun  s'accommoder  de  gré  à  gré  avec  son 
frère.  11  a  dit  que  si  nous  sentions  quelque  ai- 
greur dans  le  cœur  de  notre  frère,  il  fallait  le  pré- 
venir pour  le  calmer,  et  préférer  la  réconciliation 
au  sacriGce.  Maintenant  il  pousse  plus  loin  l'obliga- 
tion ;  et  il  déracine  tout  à  fait  l'esprit  de  vengeance. 

OKU  pour  œil  et  deM  pour  dent^.  C'est  ce  qu'on 
permettait  aux  anciens  :  il  paraissait  là  une  es- 
pèce de  justice  :  mais  Jésus-Christ  ne  permet  pas 
au  chrétien  de  se  la  faire  à  lui-même,  ni  de  la  re- 
chercher pour  se  satisfaire.  Si  la  justice  publique 
réprime  les  violences ,  le  chrétien  ne  l'empêche  pas, 
et  il  respecte  les  ordres  publics  :  mais  pour  lui , 
loin  de  se  venger  de  celui  qui  lui  donne  un  soufflet, 
il  tendra  plutôt  l'autre  joue  :  il  abandonnera  plutôt 
son  manteau  à  celui  qui  lui  dispute  sa  tunique ,  que 
d'entreprendre  un  procès  pour  peu  de  chose,  et 
entrer  dansun  esprit  de  chicane  et  de  ressentiment  ». 
Il  accordera  plutôt  de  son  bon  gré  deux  mille  pas 
à  celui  qui  l'aura  forcé  à  en  faire  mille ,  qu'il  ne  se 
fera  justice  a  lui-même ,  ou  qu'il  ne  songera  à  se 
venger  de  la  violence  qu'on  lui  aura  faite.  La  tran- 
quillité de  son  coeur  lui  est  plus  chère  que  la  pos- 
session de  tout  ce  qu'on  lui  peut  ravir  avec  injus- 
tice :  et  s'il  faut  manquer  à  la  charité  pour  recouvrer 
les  biens  dont  on  l'a  privé,  il  n'en  veut  point  à  ce 
prix.  O  Évangile,  que  tu  es  pur!  ô  doctrine  chré- 
tienne, que  tu  es  aimable!  Mais,  ô  chrétiens,  que 
vous  y  répondez  mal,  et  que  vous  êtes  peu  dignes 
d'un  si  beau  nom  ! 

Donnez  à  qui  vous  demande.  Ne  fuyez  pas, 
comme  on  fait  ordinairement ,  celui  qui  vous  em- 
prunte dans  son  besoin^.  Faites  ce  que  vous  pour- 
rez pour  le  soulager  :  soyez  libéral  et  bienfaisant. 
Toutes  les  richesses  de  l'univers  n'égalent  pas  le 
prix  de  ces  deux  vertus,  ni  la  récompense  qu'elles 
nous  attirent. 

Voici  donc  trois  degrés  de  charité  envers  ses  en- 
nemis :  les  aimer,  leur  faire  du  bien,  prier  pour 
eux.  Le  premier  est  la  source  du  second  :  si  on 
aime,  on  donne.  Le  dernier  est  celui  qu'on  croit 
pouvoir  faire  le  plus  aisément;  mais  c'est  pourtant 
le  plus  difficile,  parce  que  c'est  celui  qu'on  fait  par 
rapport  à  Dieu.  Rien  ne  doit  être  plus  sincère ,  ni 
plus  cordial,  ni  plus  véritable,  que  ce  qu'on  pré- 
sente à  celui  qui  voit  tout  jusqu'au  fond  du  cœur. 

XVI1I«  JOUR. 

Étendue  de  la  perfection  chrétienne.  Matth.  v,  46 ,  47 ,  48. 

Examinez-vous  sur  ces  trois  degrés  :  aimer,  faire 
du  bien,  prier.  Qu'est-ce  qu'aimer  ceux  qui  nous 
aiment?  Les  puhlicaîns  le  font  bien.  Qu'est-ce  que 
saluer  ceux  qui  vous  saluent?  Les  païens  le  font 
t^ien.  Ce  n'est  pas  pour  rien  qu'on  vous  propose  un 

y  Esod.  XXI ,  4.  —  '  Matih.  V ,  3'J ,  et seq.  —  ^  Ibid.  42. 


héritage  éternel ,  et  une  immuable  félicité  :  ce  n'est 
pas  pour  vous  laisser  demeurer  à  l'égal ,  ou  même 
au-dessous  des  païens.  Dites-vous  la  même  chose, 
ô  chrétiens,  dans  tout  le  reste  de  votre  conduite! 
Quelle  récompense  méritez-vous,  femmes  chrétien- 
nes, si  vous  méprisez  les  vaines  parures.?  Les  païen- 
nes l'ont  bien  fait.  Quelle  sera  votre  gloire,  si  vous 
méprisez  les  richesses.?  Les  philosophes  l'ont  bien 
fait.  Dites-vous  la  même  chose  sur  la  chasteté;  les 
vestales  l'ont  bien  gardée  :  sur  la  cordialité;'  les 
païens ,  les  sages  du  monde  en  ont  fait  gloire.  Por- 
tez donc  plus  haut  vos  pensées ,  et  soyez  parfaits  '. 
Mais  comme  qui.?  Comme  les  philosophes?  comme 
les  païens.?  comme  les  Juifs,  ou  comme  les  phari- 
siens et  les  docteurs  de  la  loi ,  qui  étaient  les  plus 
parfaits  d'entre  les  Juifs.?  Non  :  Jésus-Christ  vous 
a  dit,  que  vous  n'aurez  point  de  part  à  son 
royaume,  si  votre  justice  ne  surpasse  la  leur*. 
Soyez  parfaits  comme  votre  Père  céleste  est  par- 
fait^. Et  comme  vous  ne  pouvez  jamais  l'égaler 
croissez  toujours  pour  vous  approcher  de  cette 
perfection.  L'entreprise  est  grande  ;  mais  le  secours 
est  égal  au  travail  :  Dieu ,  qui  vous  appelle  si  haut , 
vous  tend  la  main  :  son  Fils,  qui  lui  est  égal,  des- 
cend à  vous  pour  vous  porter.  Dites  donc  avec  saint 
Paul  :  Courage,  mon  âme  -.je  puis  tout  avec  celui 
qui  me  fortifie^. 

O  chrétien,  qui  es  si  loin  de  la  perfection  de  ton 
état,  quand  commenceras-tu  à  surmonter  ta  non- 
chalance.? 

Que  chacun  se  dise  à  soi-même  dans  le  fond  du 
cœur  :  Çà,  je  veux  apprendre  à  être  chrétien.  Ar- 
rêtez-vous partout  à  ces  mots  :  On  a  dit  aux  an- 
ciens ;  et  moi  je  vous  dis.  Qui  est  celui  qui  nous  a 
donné  cette  loi  nouvelle.?  Jésus-Christ,  le  Fils  de 
Dieu  en  personne,  la  lumière  et  la  vérité  éternelle, 
le  maître  qui  nous  est  envoyé  du  ciel  pour  nous 
enseigner  ;  mais  en  même  temps  le  Sauveur  qui  nous 
aide,  et  qui,  comme  on  vient  de  voir,  mesure  ses 
grâces  au  travail  qu'il  nous  impose.  Disons  donc 
avec  saint  PauP  :  Si  la  loi  qui  a  été  donnée  aux 
anciens  Juifs  par  le  ministère  des  anges,  est  de- 
meurée ferme  ;  et  que  toute  transgression  et  dé- 
sobéissance contre  cette  loi  ait  reçu  %m  juste  châ- 
timent ;  comment  l' éviterons-nous ,  si  nous  négli- 
geons une  doctrine  aussi  salutaire  que  celle  qui 
nous  est  enseignée  par  Jésus-Christ,  qui,  ayant 
pris  son  conunencement  par  V  explication  qu'il 
en  a  faite  lui-même,  nous  a  été  confirmée  par  ceux 
qui  l'ont  ouïe  de  sa  propre  bouche  :  Dieu  y  rendant 
témoignage  par  tant  de  signes,  par  tant  de  raira- 
cles ,  par  tant  de  prodiges;  et  enfin  par  l'effusion: 
manifeste  de  son  Saiyit-Esprii  ?  Et  encore  avec  le 
même  saint  Paul^  :  Si  lorsqu'on  avait  violé  la  lui 
de  Moïse,  qui  n'était  que  le  serviteur,  oii  périssait, 
sans  miséricorde ,  sur  la  déposition  de  deux  ou  de 
trois  témoins;  quel  supplice  mériteront  ceux  qui 
ont  foulé  aux  pieds  le  Fils  de  Dieu;  qui  ont  tenu 
pour  profane  le  sang  de  l'alliance  par  lequel  ils 
ont  été  sanctifiés,  et  qui  auront  fait  outrage  à  l'es 

'  Matth.  V,  48.  —  ^  Ibid.  20.  —  »  Ibid.  48.  —  *  Philipp. 
IV,  13.  —  ^  llchr.  II,  2,  3,  4.— .«  iû/rf.  X,  28,  29,  :}«,  31. 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


571 


prit  de  la  gràcel  Carnom  savons  combien  puis-  \ 
saut  est  celui  qui  dit  :  A  moi  appartient  la  ven- 
geance, et  je  la  saurai  bien/aire.  Et  encore  :  Le 
Seigneur  jugera  son  peuple.  Il  est  horrible  de  tom- 
ber entre  les  mains  du  Dieu  vivant. 

XIX'  JOUR. 

Rechutes.  L^tc.  xi ,  21 ,  26.  S.  Paul.  Hebr.  Ti,  4 ,  9.  H. 
P«fr.  11,20,21,22. 

Pour  nous  affermir  contre  les  rechutes ,  appuyons 
sur  ce  qui  est  dit  dans  saint  Luc  an  fort  armé'. 

Le  fort  armé,  c'est  le  démon.  Considérez  ces 
paroles  :  Ce  qu'il  possède  est  en  paix.  Songez  à  la 
malheureuse  paix  dont  jouissent  les  pécheurs.  La 
conscience  assoupie,  on  se  voit  périr  de  sang- 
froid,  et  sans  s'émouvoir-,  les  sens  nous  enchantent, 
et  le  démon  règne  tranquillement.  Jésus-Christ  a 
chassé  ce  fort  armé ,  quand  il  a  ébranlé  ce  cœur 
endurci ,  et  qu'on  a  fait  pénitence.  Mais  ce  n'est 


dans  la  boue.  Cela  fait  horreur  seulement  à  enten- 
dre, et  ces  expressions  soulèvent  le  cceur  :  mais  ia 
chose  est  bien  plus  horrible,  et  ce  qu'on  voit  faire 
à  ces  animaux  est  au-dessous  de  ce  qui  arrive  au 
pénitent  qui  retombe. 

XX'  JOUR. 

Vaine  gloire  dans  les  bonnes  œuvres.  Matlh.  ti  ,  1 ,  4. 

Après  avoir  porté  la  justice  chrétienne  au  degré 
de  perfection  qu'on  vient  de  voir,  et  jusqu'à  nous 
donner  pour  modèle  la  perfection  de  Dieu  même , 
Jésus-Christ  voit  que  l'homme,  enclin  à  la  vanité, 
voudrait  tirer  de  la  gloire  des  pratiques  extérieu- 
res d'une  justice  si  parfaite;  et  c'est  ce  qui  donne 
lieu  à  ce  précepte  »  :  Prenez  garde  à  ne  pas  faire 
votre  justice  devant  les  hommes  pour  en  être  re- 
gardé. Il  ne  défend  pas  de  pratiquer  la  justice  chré- 
tienne en  toute  rencontre  pour  édiGer  le  prochain  ; 
I  au  contraire ,  il  a  dit  :  Que  votre  lumière  luise 


pas  tout ,  et  il  ne  quitte  pas  prise  :  il  revient  avec  i  devant  les  hommes ,  afin  que  votre  Père  céleste 


sept  démons  plus  méchants  que  lui.  Pesez  tout  :  ces 
esprits  immondes  souillent  de  nouveau  la  maison 


soit  glorifié  dans  vos  bonnes  ccuntcs  :  mais  prenez 
garde  de  ne  les  pas  faire  pour  être  regardés  des 


que  la  pénitence  a  nettoyée,  et  ils  y  établissent  leur  ;  hommes,  autrement  vous  perdez  votre  récom 


demeure  :  Et  le  dernier  état  de  cet  homme  est  pire 
que  le  premier*.  Si  toujours  à  chaque  rechute  l'état 
devient  pire ,  si  le  joug  du  démon  s'aggrave ,  si  l'on 
s'enfonce  de  plus  en  plus  dans  le  mal ,  si  les  forces  i 
diminuent  sans  cesse,  où  en  sera-t-on  à  la  fin,  et 
comment  sortir  de  cet  abîme  ?  Dieu  peut  nous  enti-  ■ 
rer;  je  le  sais  :  mais  s'il  n'y  a  rien  à  désespérer,  | 
tout  est  à  craindre.  \ 

Il  est  impossible  à  l'homme,  dit  saint  PauP,  se-  i 
Ion  le  cours  ordinaire  des  choses  humaines;  et  il  n'y  ' 
a  que  Dieu  qui  le  puisse  faire  par  un  effort ,  pour  , 
ainsi  parler,  de  sa  toute- puissance  :  Il  est  impossi- 
ble, dis-je ,  que  ceux  qui  ont  une  fois  été  illuminés 
par  la  gràee  du  baptême;  qui  ont  goûté  le  don  cé- 
leste, et  ont  été  faits  participants  du  Saint-Esprit, 
et  qui  ensuite  sont  déchus,  soient  renouvelés.  Si 
saint  Paul  parle  ainsi  de  ceax  qui  ont  violé  la  sain- 
teté du  baptême  :  que  doivent  craindre  ceux  qui 
ont  ajouté  à  cette  profanation  celle  de  la  pénitence, 
si  souvent  réitérée,  et  si  souvent  méprisée.'  La 
terre  qui  boit  souvent  la  pluie  qui  fondée  sur  elle,  et 
qui  ne  produit  que  des  épines  et  des  chardons ,  est 
à  la  veille  d'être  maudite,  et  enfin  on  y  met  le 
feui. 

Il  n'y  a  rien  à  expliquei^ci  :  les  paroles  sont  as- 
sez claires,  et  il  n'y  a  qu'à  les  méditer  les  unes 
après  les  autres  avec  attention.  Après  que  ces  pa- 
roles vous  auront  rempli  de  frayeur,  relevez  votre 
espérance  par  les  suivantes;  et  croyez  que  toute 
l'Eglise  vous  dit  avec  saint  Paul  :  Sous  espérons 
de  vous  de  meilleures  choses  *. 

Après  avoir  ouï  saint  Paul ,  écoutons  encore 
saint  Pierre^  :  Il  vaudrait  mieux  n'avoir  pas  connu 
le  chemin  de  la  justice,  que  de  retourner  en  ar- 
riére :  comme  un  chien  qui  ravale  ce  quil  a  vomi; 
et  comme  un  pourceau  qui  se  vautre  de  nouveau 

'  Luc.  XI,  21  et  seqq.  —  *  fbid.  26  —  *  Hebr.  vi,  4  et 
»mv.  —  ♦  Ibid.  7,8.—*  Ibid.  9.  —  *  II.  Petr.  u ,  21 ,  22.' 


petise  ».  Deraan<iez-la  aux  hommes  pour  qui  vous 
agissez  :  mais  n'attendez  de  Dieu  que  la  punition 
qu'il  a  réservée  aux  hypocrites. 

Toutes  les  fois  qu'on  vous  loue,  craignez  cette 
parole  du  Sauveur  :  En  vérité ,  je  vous  le  dis,  vous 
avez  reçu  voire  récompense^.  Parole  si  importante, 
que  Jésus- Christ  la  répète  à  chaque  action  qu'il 
marque  en  particulier  dans  ce  chapitre. 

Souvenez-vous  de  ce  qu'il  a  dit  du  mauvais  riche  : 
Il  a  reçu  ses  biens  en  cette  vie.  Et  ailleurs,  dans  la 
parabole  du  festin  :  On  vous  a  rendu  ce  qu'on  a 
reçu  de  vous  *. 

Heureux  donc  ceux  dont  la  vie  est  cachée  en  Dieu 
avec  Jéstis-Christ ,  comme  dit  saint  Paul  5;  que  le 

'  monde  ne  connaît  pas  ;  qui  vivent  dans  le  secret  de 
Dieu  ;  qui  se  contentent  de  ses  yeux  !  car  quelle  er- 

'  reur  et  quelle  folie  de  ne  se  pas  contenter  d'un  tel 
spectateur!  Ils  sont  comme  inconnus,  dit  le  même 
saint  Paul  ^  :  car  ils  ne  sont  point  dans  les  vains 
discours  des  hommes  :  Mais  ils  sont  connus  :  Dieu 
les  regarde  d'autant  plus  que  personne  ne  songe 
à  eux,  et  qu'ils  sont  comme  n'étant  pas  sur  la  terre. 

i  Heureux,  heureux!  Si  je  plaisais  encore  aux  hom- 

j  mes ,  dit  saint  Paul  i  ,jene  serais  pas  serviteur  de 

'■  Jésus- Christ. 

Il  faut  bien  prendre  garde  ici  à  une  certaine  non- 
chalance, qui  fait  négliger  les  actions  du  dehors  qui 
édifient  le  prochain.  On  dit  :  Que  m'importe  de  ce 
qu'il  pense?  Comme  qui  dirait  :  Que  m'importe  de 
le  scandaliser?  A  Dieu  ne  plaise!  Dans  les  actions 
du  dehors ,  édifiez  le  prochain,  et  que  tout  soit  réglé 
en  vous  jusqu'à  un  clin  d'oeil  ;  mais  que  tout  cela  se 
fasse  naturellement  et  simplement;  et  que  la  gloire 
en  retourne  à  Dieu. 

Gardez  -  vous  bien  aussi  de  vous  contenter  dre 


i   8 


'  .Vj//A.  VI,  I  et  seqq.  —'^  Ibid.  v,  16.  —  »  Ibid.w,  a, 
—  «  Luc.  XVI ,  26  ;  XJV ,  12.  —  »  Cul.  ui ,  3.  —  *  II.  Cor.  ti, 
8.  —  '  GaL  1,  20. 


,72 


MEDITATIONS  SUR  LÉVANGILE. 


vous  régler  à  l'extérieur  :  il  faut  à  Dieu  son  spec- 
tacle, c'est-à-dire,  dans  le  secret,  un  cœur  qui  le 
cherche. 

Que  votre  gauche  ne  sache  pas  ce  que  fait  la 
droite  '  :  Cachez  votre  aumône  à  vos  plus  intimes 
amis  :  cachez-la  dans  le  sein  du  pauvre,  dit  le  Sage  »  ; 
que  le  pauvre  même,  s'il  se  peut,  ne  vous  connaisse 
point.  Il  faudrait,  s'il  se  pouvait,  vous  pouvoir  ca- 
cher à  vous-même  le  bien  que  vous  faites  :  cachez- 
en  du  moins  le  mérite  à  vos  yeux  :  croyez  toujours 
que  vous  faites  peu,  que  vous  ne  faites  rien ,  que 
vous  êtes  un  serviteur  inutile  :  craignez  toujours , 
dans  vos  bonnes  œuvres,  que  votre  intention  ne  soit 
pas  assez  pure ,  assez  dégagée  des  vues  du  monde  : 
laissez  connaître  à  Dieu  seul  le  mérite  de  vos  ac- 
tions :  faites  bien  sans  retour  sur  vous-même ,  oc- 
cupez-vous tellement  de  la  bonne  œuvre  en  elle- 
même,  que  vous  ne  songiez  jamais  à  ce  qui  vous  en 
reviendra  :  laissez  tout  au  jugement  de  Dieu  ;  ainsi 
il  vous  verra  seul  :  vous  vous  cacherez  à  vous-même. 

Ne  sonnez  pas  de  la  trompette  devant  vous  3, 
comme  ceux  qui  parlent  sans  cesse  de  ce  qu'ils  font 
et  de  ce  qu'ils  disent.  Ils  sont  eux-mêmes  leur  trom- 
pette ,  tant  ils  craignent  de  n'être  pas  vus. 

XXP  JOUR. 

Prière  et  présence  de  Dieu  dans  le  secret. 
Matlh.  VI,  6,  6,  7,  8. 

Entrez  dans  votre  cabinet,  dans  le  plus  intime 
de  la  maison;  mais  entrez  dans  le  plus  intime  de 
votre  cœur.  Soyez  dans  un  parfait  recueillement  : 
Fermez  la  porte  sur  vous;  fermez  tous  vos  sens  : 
ne  donnez  accès  à  aucune  pensée  étrangère  :  Priez 
en  secret  :  épanchez  votre  cœur  devant  Dieu  seul  ; 
qu'il  soit  le  dépositaire  de  vos  secrètes  peines. 

Ne  parlez  pas  beaucoup.  Il  n'est  pas  ici  question 
d'apprendre  à  Dieu  par  un  long  discours  vos  be- 
soins secrets  :  il  sait  tout  avant  que  vous  parliez. 
Dites  intérieurement  ce  qui  peut  vous  profiter  à 
vous-même,  vous  exciter,  vous  recueillir  en  Dieu. 
Les  prières  des  païens ,  qui  ne  connaissaient  pas 
Dieu,  ne  sont  qu'une  surabondance  de  paroles  in- 
considérées. Parlez  peu  de  la  bouche,  et  beaucoup  du 
cœur.  Ne  multipliez  pas  vos  pensées  :  car  c'est  ainsi 
qu'on  s'étourdit  et  qu'on  se  dissipe  soi-même.  Ar- 
rêtez vos  regards  sur  quelque  importante  vérité  qui 
aura  saisi  votre  esprit  et  votre  cœur.  Considérez, 
pesez,  goiitez,  ruminez,  jouissez.  La  vérité  est  le 
pain  de  l'âme.  Il  ne  faut  pas  engloutir  d'abord,  pour 
ainsi  parler,  chaque  morceau  :  il  ne  faut  pas  sans 
cesse  passer  d'une  pensée  à  une  autre,  d  une  vérité 
à  une  autre  :  tenez-en  une  :  serrez-la  jusqu'à  vous 
l'incorporer  :  attachez-y  votre  cœur  plutôt  que  vo- 
tre esprit  :  tirez-en ,  pour  ainsi  parler,  tout  le  suc, 
à  force  de  la  presser  par  votre  attention. 

Dieu  vous  voit  dans  le  secret.  Songez  qu'il  vous 
voit  jusque  dans  le  fond,  infiniment  plus  que  vous 
même.  Faites  un  acte  de  foi  simple  et  vif  sur  sa  pré- 
sence. Ame  chrétienne,  mettez-vous  sous  ses  yeux 
tout  entière.  Il  est  intime,  il  est  présent  :  car  il 

»  Vatih.  ri,  3,  4.  —  >  Eccl.  XXIX  ,  15.  --  '  Klatth.  W,  S. 


donne  l'être  et  le  mouvement  à  tout.  Ne  vous  arrê- 
tez pas  néanmoins  à  cette  présence  dont  toutes  les 
créatures  animées  et  inanimées  sont  également  capa- 
bles. Croyez  par  une  foi  vive  qu'il  vous  est  présent, 
comme  vous  donnant  au  dedans  toutes  les  bonnes 
pensées,  comme  tenant  en  sa  main  la  source  d'où 
elles  sortent  :  et  non-seulement  les  bonnes  pensées , 
mais  encore  les  boi; s  désirs,  les  bonnes  résolutions 
et  toutes  les  bonnes  volontés ,  depuis  le  premier 
principe ,  qui  les  fait  naître,  jusqu'à  la  dernière  per- 
fection. Croyez  encore  qu'il  est  dans  les  justes,  et 
qu'il  y  fait  sa  demeure ,  selon  cette  parole  du  Sei- 
gneur :  Nous  viendrons  à  lui,  et  nous  ferons  notre 
demeure  en  lui  '.  Il  y  est  d'une  manière  stable  et. 
permanente  :  il  y  établit  sa  demeure.  Souhaitez  qu'il 
soit  en  vous  de  cette  sorte  :  offrez-lui  votre  intérieur, 
afin  qu'il  y  soit  et  qu'il  en  fasse  son  temple.  Sortez 
quelquefois  de  vous-même  ;  et  avec  la  même  foi  qui 
vous  le  fait  voir  dans  vous-même,  regardez-le  dans 
le  ciel,  où  il  se  manifeste  à  ses  bien-aimés.  C'est  là 
qu'il  vous  attend.  Courez,  volez,  rompez  vos  liens, 
rompez  toutes  ces  attaches  qui  vous  lient  à  la  chair 
et  au  sang.  G  Dieu,  quand  vous  verrai-je.'  quand 
aurai-je  ce  cœur  pur,  qxàfait  qu'on  vous  voit  en 
soi-même,  hors  de  soi-même,  partout.?  0  lumière 
qui  éclairez  tout!  ô  vie  qui  animez  tout!  ô  vérité  qui 
nourrissez  tout!  ô  bien  qui  rassasiez  tout!  ô  amour 
qui  unissez  tout!  Je  vous  loue,  mon  Père  céleste  , 
qui  me  voyez  dans  le  secret. 

XXIF  JOUR. 

Oraison  dominicale  :  Notre  Père.  Matth.  vi ,  9. 

Regardez ,  dans  toutes  les  demandes ,  un  exer- 
cice d'amour. 

Notre  Père.  Dès  ce  premier  mot  de  l'Oraison 
dominicale,  le  cœur  se  fond  en  amour.  Dieu  veut 
être  notre  Père  par  une  adoption  particulière.  Il 
a  un  Fils  unique  qui  lui  est  égal ,  en  qui  il  a  mis  sa 
complaisance  :  il  adopte  les  pécheurs.  Les  hommes 
n'adoptent  des  enfants  que  lorsqu'ils  n'en  ont  point  ; 
Dieu,  qui  avait  un  tel  Fils,  nous  adopte  encore.  L'a- 
doption est  un  effet  de  l'amour,  car  on  choisit  ceha 
qu'on  adopte  :  la  nature  donne  les  autres  enfants  : 
l'amour  seul  fait  les  adoptifs.  Dieu  qui  aime  son  Fils 
unique  de  tout  son  amour,  et  jusqu'à  l'infini,  étend 
sur  nous  l'amour  qu'il  a  pour  lui.  C'est  ce  que  dit 
Jésus-Christ  dans  cette  admirable  prière  qu'il  fait 
à  son  Père  pour  nous  :  Que  l'amour  dont  vous 
m'aimez  soit  en  eux  :  et  moi ,  je  suis  en  eux  *. 
Aimons  donc  un  tel  Père.  Disons  mille  et  mille 
fois  :  Notre  Père ,  notre  Père ,  notre  Père ,  ne  vous 
aimerons  -  nous  jamais?  Ne  serons-nous  jamais 
de  vrais  enfants  pénétrés  de  vos  tendresses  pater- 
nelles? 

Encore  une  fois ,  Notre  père.  Qu'est-ce  qui  nous 
fait  dire,  Notre  Père  ?  Apprenons-le  de  saint  Paul  ^  : 
Parce  que  vous  êtes  enfants ,  Dieu  envoie  en  vous 
l'esvrit  de  son  Fils ,  qui  crie  en  vous  :  Père,  Père. 
C'est  donc  le  Saint-Esprit  qui  est  en  nous  :  c'est 
lui  qui  forme  en  nous  ce  cri  intime  de  notre  cœur, 

»  Joan.  XIV,  23.  —  *  Ibid.  \\ll,ZG.  —  »  Ga[.  iv,  ft. 


MÉDITATIONS  SUR  L'KVANGIÎX 


573 


far  lequel  nous  invoquons  Dieu ,  comme  un  Père 
toujours  prêt  n  nous  entendre. 

Le  même  saint  Paul  dit  ailleurs  '  :  Ceux  ^«  sont 
vïus,  qin  sont  condtrts  }Xir  l'esprit  de  Dieu,  sont 
les  enfants  de  Dieu...  et  Dieu  nous  envoie  l'esprit 
d'adoption,  par  lequel  nous  crions  :  Père,  Père. 
C'est  donc  encore  une  fois  le  Saint-Esprit  qui  nous 
donne  ce  cri  ûlial,  par  lequel  nous  recourons  à  Dieu 
comme  à  notre  Père. 

Pourquoi  l'appelle-t-il  un  cri?  Un  grand  besoin 
fait  crier.  Un  enfant  ne  crie  que  lorsqu'il  souffre 
ou  qu'il  a  besoin.  Mais  à  qui  est-ce  qu'il  crie  dans 
son  besoin ,  sinon  à  son  père,  à  sa  mère,  à  sa  nour- 
rice, à  tous  ceux  dans  qui  la  nature  lui  fait  sentir 
quelque  chose  de  paternel.'  Crions  donc,  car  nos 
besoins  sont  extrêmes.  Nous  défaillons ,  le  péché 
nous  gagne,  le  plaisir  des  sens  nousentraîne.  Crions, 
nous  n'en  pouvons  plus;  mais  crions  à  notre  Père. 
Qu'est-ce  qui  nous  porte  à  crier?  Le  Saint-Esprit, 
le  Dieu-amour,  l'amour  du  Père  et  du  Fils,  celui 
qui  répand  l'amour  dans  nos  cœurs  » .  Crions,  crions 
donc  avec  ardeur,  et  que  tous  nos  os  crient  :  O 
Dieu ,  vods  êtes  notre  Père  ! 

Abraham  zX.  les  autres  Pères  ,  dont  nous  venons 
selon  la  chair,  nous  ont  ignorés  ;  et  Israël  ne  notis 
a  pas  connus.  Mais  vous,  6  Dieu ,  notre  vrai  Père , 
vous  nous  connaissez  -,  et  c'est  vous  qui  nous  envoyez 
du  sein  intime  de  votre  cœur,  et  de  la  source  infinie 
qui  est  votre  amour,  cet  esprit  qui  nous  fait  crier  à 
vous  comme  à  notre  Père. 

Cet  esprit ,  ajoute  saint  Paul  ^ ,  rend  témoignage 
à  notre  esprit  que  nous  sommes  enfants  de  Dieu.  O 
Dieu ,  qui  entendra  ce  témoignage  du  Saint-Esprit, 
qui  nous  dit  intérieurement  que  nous  sommes  en- 
fants de  Dieu?  Quelle  voix,  lorsque  dans  la  paix 
d'une  bonne  conscience,  et  d'un  cœur  qui  n'a  rien  à 
se  reprocher  qui  le  sépare  de  Dieu  ,  je  ne  sais  quoi 
nous  dit  secrètement,  et  dans  l'intime  silence  de 
notre  cœur  :  Dieu  est  ton  Père  :  tu  es  son  enfant  ! 
Passons  :  cette  voix  est  trop  intime,  trop  peu  de  per- 
sonnes l'entendent.  Passons  :  une  autre  fois  nous 
l'entendrons  mieux  :  il  faut  être  plus  affermi,  plus 
enraciné  dans  le  bien.  Le  Saint-Esprit  ne  rend  pas 
à  tous  ce  témoignage  secret.  Quant  à  lui,  il  voudrait 
le  rendre  à  tous  ;  mais  tous  n'en  sont  pas  dignes.  O 
Dieu,  faites-nous-en  dignes!  C'est  bien  fait  de  le 
demander  à  Dieu  ;  car  en  effet  c'est  lui  qui  le  donne  : 
mais  il  nous  repond  :  Agis  avec  moi,  travaille  de 
ton  côté,  ouvre-moi  ton  cœur,  fais  taire  les  créatu- 
res, dis-moi  souvent  dans  le  secret  :  ISotre  Père, 
notre  Père. 

XXI IP  JOUR. 

Notre  Père ,  qui  êtes  aux  cieiix.  Matth.  ti  ,  9. 

Encoreuncoup,  .Vo/rcPé/e:  mais  ajoutons  à  cette 
fois  :  yotre  Père,  quiètes  dans  les  deux. \ous  êtes 
partout;  mais  vous  êtes  dans  les  cieux  comme  dans 
le  lieu  où  vous  rassemblez  vos  enfants ,  oîi  vous  vous 
montrez  à  eux,  où  vous  leur  manifestez  votre  gloire, 
où  vous  leur  avez  assigné  leur  héritage. 

'  nim.  vm,  n ,  15.  —'  Ibid.  T,  5.  —  '  lUd.  Tin,  16. 


Saint  Paul  nous  disait  '  :  L'esprit  rend  lémoignayA 
à  notre  esprit  que  nous  sommes  enfants  de  Dieu. 
Mais  écoutons  ce  qu'il  ajoute  :  Que  si  nous  sommet 
enfants  y  nous  sommes  aussi  héritiers.  Ce  n'est  pas 
tout  :  concevons  le  comble  de  notre  bonheur  ;  Hé- 
ritiers de  Dieu,  et  cohéritiers  de  Jésus- Christ , 
nous  aurons  le  même  hérit;.ge,  le  même  royaume  : 
nous  serons  assis  dans  son  trône,  nous  aurons  part 
à  sa  gloire ,  nous  serons  heureux  en  lui ,  par  lui , 
avec  lui  ;  et  c'est  pourquoi  nous  crions  :  Notre  Père, 
qui  êtes  dans  les  cieux,  afin  de  bien  concevoir  où 
il  nous  appelle. 

Aimons  celui  qui  nous  fait  ses  héritiers,  et  les 
cohéritiers  de  son  cher  Fils  Jésus-Christ.  Qui  pour- 
rait ne  l'aimer  pas  ?  qui  pourrait  ne  pas  désirer  ce 
bel  héritage?  Il  n'est  donné  qu'à  ceux  qui  l'aiment. 
Notre  héritage ,  c'est  Dieu  même  :  il  est  notre  bien  : 
il  est  lui  seul  notre  récompense.  Je  suis,  dit-il  »,  tan 
protecteur  et  ta  trop  grande  récompen-^e.  Trop 
grande  pour  tes  mérites,  mais  proportioimée  à  l'im- 
mense bonté  de  ton  Dieu. 

XXIV»  JOUR. 

Votre  nom  soit  sanctilié.  Matth.  vi ,  9 ,  10. 

Votrenom  soit  sanctifié ;votre  règne  arrive;  vo- 
tre volonté  soit  faite  en  la  terre  commeauciel.  C'est 
la  perpétuelle  continuation  de  l'exercice  d'aimer. 
Sanctifier  le  nom  de  Dieu ,  c'est  le  glorifier  en  tout, 
et  ne  respirer  que  sa  gloire.  Désirer  son  règne,  c'est 
vouloir  lui  être  soumis  de  tout  son  cœur,  et  vouloir 
qu'il  règne  sur  nous,  et  non-seuiement  sur  nous, 
mais  encore  sur  toutes  les  créatures.  Son  règne  est 
dans  le  ciel ,  son  règne  éclatera  sur  toute  la  terre 
dans  le  dernier  jugement.  Mettons-nous  donc  en 
état  de  désirer  ce  glorieux  jour  :  puissions-nous  être 
de  ceux  dont  Jésus-Christ  dit^  :  Quand  ces  choses 
commenceront  à  se  faire ,  quand  les  signes  avant- 
coureurs  du  dernier  jugement  paraîtront;  aux  ap- 
proches de  ce  grand  jour,  pendant  que  le  reste  des 
hommes  séchera  de  crainte,  regardez,  et  levez  la 
tête,  parce  que  votre  rédeynption  approclie. 

Jésus-Christ  arrive  pour  chacun  de  nous,  quand 
notre  vie  finit.  Alors  donc,  aux  approches  de  ce 
dernier  jour,  quand  Jésus-Christ  frappe  à  la  porte 
pour  nous  appeler,  il  faudrait  être  en  état  de  le  re- 
cevoir avec  joie,  et  de  lui  dire  :  Que  votre  règne 
arrive  ;  car  je  désire  que  ce  qu'il  y  a  en  moi  de  mor- 
tel soit  englouti  par  la  vie*. 

Mais  qui  de  nous  désire  le  règne  de  Dieu?  qui  de 
!  nous  dit  de  bon  cœur  :  Que  votre  roj/aume  nous  ar- 
!  rive?  C'est  néanmoins  où  nous  préparait  cette  pa- 
role :  .\otre  Père,  qui  êtes  dans  les  cieux.  C'est  là 
notre  maison  ;  c'est  notre  demeure,  puisque  c'est 
là  qu'est  celle  de  notre  Père. 
Nous  ne  sommes  donc  pas  de  bonne  foi,  quand 
I  nous  disons  :  Que  votre  règne  arrive,  ou  ce  qui  est 
i  dans  le  fond  la  même  chose  :  Que  votre  royaume 
nous  arrive.  Ce  qui  étouffe  en  nous  ce  désir  qui 
devrait  être  si  naturel  aux  chrétiens,  c'est  que  nous 
aimons  le  monde  et  ses  plaisirs;  nous  aimons  cette 


»  Rom.  vin,  18,  17.  —  *  Gf».  XT,  l. 
—  «II.  Cor.  v,4. 


'  Luc.  xsi,  2a 


,?4 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVAISGILE. 


vie  pleine  de  toutes  sortes  de  maux,  et  ce  qui  est 
pis,  pleine  de  péché,  qui  est  le  plus  grand  de  tous 
les  maux. 

Rompons  ces  liens  et  disons  :  Votre  volonté  soit 
faite.  C'est  le  vrai  et  parfait  exercice  de  l'amour,  de 
conformer  sa  volonté  à  celle  de  Dieu.  0  notre  Père 
qui  êtes  dans  les  ci  eux  !  on  vous  y  aime,  et  c'est 
pourquoi  on  y  fait  son  bonheur  de  votre  volonté. 
Que  ce  qui  se  fait  dans  'e  ciel  se  fasse  sur  la  terre  ! 
Que  ce  qui  s'achève  là  se  commence  ici  ! 

Cette  vie  ne  doit  pas  être  aimée ,  mais  supportée , 
dit  saint  Augustin  :  Non  amanda,  sedtoleranda  : 
c'est  le  lieu  de  pèlerinage,  le  lieu  d'exil ,  le  lieu  de 
gémissements  et  de  pleurs. 

Donc,  ô  notre  Père  céleste,  que  votre  règne  ar- 
rive ,  que  votre  volonté  soit  faite. 

XXV^  JOUR. 

Donnez-nous  aujourd'hui  notre  pain  de  chaque  jour. 
Matlh.  VI,  II. 

Donnez-nous  aujourd'hui  notre  pain  de  chaque 
jour.  C'est  ici  le  vrai  discours  d'un  enfant  qui  de- 
mande en  confiance  à  son  père  tous  ses  besoins  , 
jusqu'aux  moindres.  G  notre  Père,  vous  nous  avez 
donné  un  corps  mortel  :  vous  ne  l'avez  pas  fait  tel 
d'abord  ;  mais  nous  vous  avons  désobéi ,  et  la  mort 
est  devenue  notre  partage.  Ce  corps  inOrme  et  mor- 
tel a  besoin  tous  les  jours  de  nourriture  ;  ou  il  tombe 
en  défaillance,  ou  il  périt.  Donnez-la-nous,  donnez- 
la-nous  simple,  donnez-la-nous  autant  qu'elle  est 
nécessaire.  Que  nous  apprenions,  en  la  demandant, 
que  c'est  vous  qui  nous  la  donnez  de  jour  à  jour. 
Vous  donnez  à  vos  enfrnts ,  à  vos  serviteurs ,  à  vos 
soldats,  si  on  veut  qu'ils  comL.;ttent  sous  vos  éten- 
dards, vous  leur  donnez  chaque  jour  leur  pain.  Que 
nous  le  demandions  avec  confiance!  que  nous  le  re- 
cevions comme  de  votre  main  avec  action  de  grâces  ! 

Mais  si  vous  trouvez  à  propos  de  nous  le  refuser, 
ô  Dieu  notre  bon  Père  !  cela  est  rare,  que  ceux  qui 
vous  servent  manquent  de  pain.  Vous  refusez  sou- 
vent ce  qui  nourrit  les  convoitises  et  les  appétits 
déréglés;  car  ils  sont  mauvais,  et  il  est  plus  digne 
de  vous  de  les  modérer  que  de  les  contenter.  Mais 
pour  le  nécessaire  de  la  vie ,  vous  ne  refusez  guère 
à  ceux  qui  vous  craignent,  et  qui  vous  le  demandent 
avechumilité.  Vous  avez  chargé  les  riches  de  la  sub- 
sistance des  pauvres;  et  vous  avez  tant  attaché  de 
biens  à  l'aumône,  que  la  source  n'en  peut  point  tarir 
dans  votre  Église.  Mais  enfin  ,  s'il  vous  plaît ,  ô  no- 
tre Père,  que  nous  manquions  de  ce  pain  ou  de  quel- 
que autre  chose  nécessaire,  que  dirons-nous  .?  il 
en  faudra  revenir  à  la  demande  précédente  :  l'otre 
volonté  soit  faite  ;  car  ma  vraie  viande ,  disait  Jé- 
sus-Christ ' ,  c'est  défaire  la  volonté  de  celui  qui  m'a 
envoyé. 

Une  autre  version  porte  :  Donnez-nous  notre 
pain,  qui  est  au-dessus  de  toute  substance;  par  oti 
l'on  entend  le  pain  de  l'eucharistie.  G  Dieu  !  donnez- 
le-nous  aujourd'hui ,  donnez-le-nous  tous  les  jours. 
Fussions-nous  dignes  de  communier  toutes  les  fois 

•  Joan.  IV ,  34. 


que  nous  assistons  à  votre  sacrifice  !  La  table  est 
prête,  les  convives  manquent  :  mais,  ô  Jésus  !  vous 
les  appelez.  Désirons  ce  pain  de  vie,  désirons-le  avec 
ardeur  et  avidilé!  Ceux  qui  ont  faim  et  soif  de  la 
justice  le  désirent;  c^r  toute  grâce  y  abonde;  et  le 
parfait  exercice  de  l'amour,  c'est  de  désirer  sans 
cesse  de  recevoir  Jésus-Christ. 

XXVIe  JOUR. 

Pardonnez-nous,  comme  nous  pardonnons.  Matlh.  vi, 
12,14, 15. 

Pardonnez-nous  comme  nous  pardonnons.  C'est 
une  chose  admirable  comment  Dieu  fait  dépendre 
le  pardon  que  nous  attendons  de  lui,  de  celui  qu'il 
nous  ordonne  d'accorder  à  ceux  qui  nous  ont  offen- 
sés. Non  content  d'avoir  partout  inculqué  cette 
obligation,  il  nous  la  met  à  nous-mêmes  à  la  bouche 
dans  la  prière  journalière;  afin  que  si  nous  nnan- 
quons  à  pardonner,  il  nous  dise  comme  à  ce  mau- 
vais serviteur  :  Je  te  juge  par  ta  propre  bouc/ie, 
mauvais  serviteur^.  Tu  m'as  demandé  pardon,  à 
condition  de  pardonner  :  tuas  prononcé  ta  sentence 
lorsque  tu  as  refusé  de  pardonner  à  ton  frère.  Va- 
t'en  au  lieu  malheureux  où  il  n'y  a  plus  ni  pardon, 
ni  miséricorde. 

C'est  ce  que  Jésus-Christ  appuie  en  cet  endroit  ; 
et  c'est  ce  qu'il  explique  encore  d'une  manière  ter- 
rible dans  la  parabole  du  serviteur  rigoureux. 

XXVIP  JOUR. 

Ne  nous  induisez  point  en  tentation  :  mais  délivrez-nons 
du  mal.  Ihid.  vi,  13. 

Ne  nous  induisez  point  en  tentation.  On  ne  prie 
pas  seulement  pour  s'empêcher  de  succomber  à  la 
tentation,  mais  pour  la  prévenir,  conformément 
à  cette  parole  :  f'eillez  et  priez,  de  peur  que  vous 
n'entriez  en  tentation  '.  Non-seulement  de  peur  que 
vous  n'y  succombiez,  mais  de  peur  que  vous  n'y 
entriez. 

Il  faut  entendre  par  ces  paroles  la  nécessité  de 
prier  en  tout  temps,  et  quand  le  besoin  presse,  et 
avant  qu'il  presse.  N'attendez  pas  la  tentation,  car 
alors  le  trouble  et  l'agitation  de  votre  esprit  vous 
em|)êchera  de  prier.  Priez  avant  la  tentation ,  et  pré' 
venez  l'ennemi. 

Dieu  ne  tente  personne,  dit  saint  Jacques  ^.  Ainsi 
lorsque  nous  lui  disons  :  Ne  nous  induisez  point  en 
tentation;  visiblement  il  faut  entendre  :  Ne  permet- 
tez pas  que  nous  y  entrions.  C'est  aussi  comme  parle 
saint  Paul  4  :  Dieu  est  fidèle  en  ses  promesses  ;  et  tl 
ne  souffrira  pas  que  vous  soyez  tentés  par-dessus 
vos  forces  ;  mais  nos  forces  consistent  principale- 
ment dans  nos  prières. 

Délivrez-nous  du  mol.  L'Église  explique  :  délivrez- 
nous  de  tout  mal ,  passé ,  présent  et  à  venir.  I<e  mal 
passé,  mais  qui  laisse  de  mauvais  restes,  c'est  le  pé- 
ché commis;  le  mal  présent,  c'est  le  péciié  où  nous 
sommes  encore  :  le  mal  à  venir  est  le  péché  que  nous 
avons  à  craindre.  Tous  les  autres  maux  ne  sont  rien 

»  Luc.  XIX ,  22.  —  ï  Matth.  XXVI ,  41.  —  »  Jac.  1 ,  13.  •  <  I. 
Cor.  X ,  13.  . 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


qu'autant  qu'ils  nous  portent  au  péché  par  le  mur- 
mure et  l'impatience.  C'est  principalement  en  cette 
vue  que  uous  demandons  d'être  délivrés  des  autres 
maux. 

Délivrez-nous  du  mal.  Délivrez-nous  du  péché  et 
de  toutes  les  suites  du  péché;  par  conséquent  de  la 
maladie,  de  la  douleur,  de  la  mort;  aQn  que  nous 
soyons  parfaitement  libres.  Alors  aussi  nous  serons 
souverainement  heureux. 

Une  autre  version  porte  :  DéUcrez-nous  du  mau- 
vais; c'est-à-dire,  du  démon  notre  ennemi,  et  de 
tojtes  ses  tentations. 

Quand  nous  demandons  des  forces  contre  la  ten- 
tation, ce  n'est  pas  seulement  contre  le  démon, 
c'est  encore  contre  nous-mêmes ,  selon  ce  que  dit 
saint  Jacques  :  Chacun  est  tenté  par  sa  propre  con- 
cupiscence, qui  l'attire  et  qui  l'emporte  '  :  c'est  la 
crande  tentation,  et  le  démon  même  ne  nous  peut 
prendre  que  par  celle-là.  Quelle  est  donc  notre  fai- 
blesse, puisque  nous  sommes  nous-mêmes  nos  plus 
grands  ennemis!  Et  nous  ne  craignons  pas!  et  nous 
dormons!  et  nous  négligeons  notre  salut!  et  nous 
ne  concevons  pas  la  nécessité  de  prier! 

xxvin''  JOUR. 

Du  Jeune.  .Valth.  ti  ,  I6,  17, 18. 

Jésus-Christ  joint  ici  la  doctrine  du  jeûne  à  celle 
de  l'oraison  et  de  l'aumôme.  Ce  sont  trois  sacrifices 
qui  vont  ensemble,  selon  cette  sentence  de  Tobie  »  : 
L'oraison  est  bonne  avec  le  jeûne  et  l'aumône. 
Par  l'aumône,  on  sacrifie  ses  biens  :  par  le  jeûne, 
on  immole  son  corps  :  par  loraison,  on  offre  à  Dieu 
les  affections ,  et ,  pour  ainsi  dire ,  le  plus  pur  en- 
cens de  son  esprit. 

Ce  qui  est  dit  ici  du  jeûne,  est  semblable  à  ce  qui 
est  dit  de  l'oraison  et  de  l'aumône  :  qu'il  ne  faut  le 
faire  que  pour  Dieu  seul ,  et  à  ses  yeux ,  sans  aucune 
vue  des  hommes.  Lors  pourtant  qu'on  a  mal  édiiié 
rÉ^tlise,  en  négligeant  ce  qu'on  devait  observer,  il 
est  bon  de  l'édifier  sans  affectation  par  des  observan- 
ces plus  sévères.  Mais  cela  demande  beaucoup  de 
précaution ,  et  il  y  faut  éviter  l'ostentation,  comme 
la  peste  des  bonnes  œuvres. 

Parle  jeûne,  il  faut  entendre  toutes  les  autres 
austérités  par  où  l'on  mortifie  son  corps.  Il  les  faut 
soigneusement  cacher,  et  n'avoir  pas  un  air  triste 
comme  les  hypocrites  :  mais  oindre  sa  tête  et  laver 
sa  face  :  témoigner  à  tout  le  monde  de  la  douceur 
et  de  la  joie  :  n'être  pas  comme  ceux  qui,  portant  im- 
patiemment les  austérités ,  semblent  s'en  prendre  à 
tous  ceux  à  qui  ils  parlent,  en  les  traitant  durement, 
et  leur  devenant  fâcheux.  L'austérité  qu'on  a  pour 
soi-même  doit  rendre  plus  doux,  plus  traitable  ;  cor- 
riger, et  non  exciter  la  mauvaise  humeur.  C'est  ce 
que  signifie  cette  onction  de  la  tête ,  et  ce  visage 
lavé  :  c'est  la  douceur  et  la  joie. 

XXL\«  JOUR. 

Trésor  dans  le  ciel  :  oeil  simple  :  impossibilité  de  servir 
deux  maitres.  Jbid.  I9 ,  20 ,  34. 

Jésus-Christ  déracine  l'avarice,  et  empêche  de 

'  Jac.l,  14.  —  »  Tob.  XII,  8. 


575 

craindre  jamais  la  pauvreté,  ^voir  son  trésor  dam 
le  ciel^t  c'est  y  mettre  son  affection  et  son  espé- 
rance :  avoir  son  trésor  dans  le  ciel ,  c'est  y  envoyer 
ses  richesses  par  les  mains  des  paurres. 

Où  est  votre  trésor,  là  est  votre  cœur'.  Cette  pa- 
role est  grande.  De  quoi  êtes-vous  rempli?  Où  he 
tournent  naturellement  vos  pensées,  c'est  la  votre 
trésor  :  c'est  là  qu'est  votre  cœur.  Si  c'est  Dieu, 
vous  êtes  heureux  :  si  c'est  quelque  chuse  de  mor- 
tel ,  que  la  rouille ,  que  la  corruption ,  que  la  morta  • 
lité  consume  sans  cesse;  votre  trésor  vous  échappe , 
et  votre  cœur  demeure  pauvre  et  épuisé. 

Cet  œil  simple  ^,  c'est  la  pureté  d'intention.  L'œil 
est  simple,  quand  l'intention  est  droite  :  et  l'inten- 
tion est  droite,  quand  le  cœur  ne  se  partage  pas. 
C'est  ce  qu'on  appelle  simplicité  et  droiture.  L'in- 
tention, c'est  le  regard  de  l'âme.  L'œil  ne  regarde 
Jamais  fixement  qu'un  seul  objet;  et  l'âme  ne  peut 
s'arrêter  qu'à  un  seul  bien.  Lorsque  les  regards 
sont  vagues  et  dissipés,  on  voit  tout  et  on  ne  voit 
rien.  Ainsi  quand  Tàrae  se  dissipe  en  vagues  désirs , 
elle  ne  sait  ce  qu'elle  veut ,  et  elle  tombe  dans  la 
nonchalance.  Dieu  veut  un  regard  arrêté  et  fixe. 

Cela  se  confirme  par  les  paroles  suivantes  :  On 
ne  peut  servir  deux  maîtres  *,  ni  aimer  deux  cho- 
ses à  la  fois.  Quand  on  ne  sait  ce  qu'on  aime ,  et 
qu'on  se  partage  entre  Dieu  et  la  créature.  Dieu 
refuse  ce  qu'on  lui  offre,  et  la  éréature  a  tout.  Il 
faut  donc  se  déterminer,  s'appliquer,  agir  avec  ef- 
ficace dans  la  voie  de  la  piété. 

La  bonne  intention  sanctifie  toutes  les  actions  de 
l'âme,  comme  le  regard  arrêté  assure  et  éclaire 
tous  les  pas  du  corps. 

Cest  cette  bonne  intention  qu'il  faut  renouveler 
souvent  pendant  le  jour  ;  et  continuellement  prier 
Dieu  de  la  fortifier.  Il  faut  sans  cesse  se  redresser, 
et  se  réduire  tout  entier  à  un  regard  simple. 

f^ous  ne  pouvez  servir  Dieu  et  les  richesses  ^. 
Selon  saint  Paul ,  l'avarice  est  un  culte  des  idoles  ^. 
Ceux  qui  aiment  la  bonne  chère  ont  leur  ventre  pour 
leur  dieu  7,  selon  le  même  apôtre.  Nous  nous  fai- 
sons un  dieu  de  tous  les  objets  de  notre  amour. 
Tout  attachement  vicieux  est  une  idolâtrie.  Qui  est- 
ce  qui  voudrait  servir  une  idole,  transporter  la  gloire 
de  Dieu  à  une  fausse  divinité .?  Cela  fait  horreur  à 
penser.  Cest  néanmoins  ce  que  font  tous  ceux  qui 
aiment  quelj5ue  chose  plus  que  Dieu.  Les  pensées, 
les  affections,  le  plus  pur  encens  du  cœur,  toute 
son  adoration  va  là.  Hélas  !  qu'on  est  misérable  !  Eh  ! 
une  créature  raisonnable  se  peut-elle  donner  elle- 
même,  mais  se  peut-elle  sacrifier  à  autre  qu'à  Dieu.' 

Déracinez  l'avarice,  déracinez  l'ambition,  déra- 
cinez l'amour  du  bien  sensible,  et  tout  amour  de 
la  créature  :  c'est  autant  d'idoles  que  vous  abattez 
dans  votre  cœur.  Que  la  créature,  loin  d'avoir  tout 
le  cœur,  n'en  occupe  pas  la  moindre  partie.  Donnez 
tout  à  Dieu  :  fouillez  jusqu'au  fond,  et  videz  votre 
cœur  pour  Dieu  :  il  saura  bien  l'occuper,  et  le  rem- 
plir. 

Se  remplir  de  la  créature,  c'est  se  remplir  de  ces 

'  JVatiA.  TI,  20.  —  Ibid.  21.  —  ï  Jbid.  22.  —  *  Ibid.  24.  — 
»  Ibid.  —  «  Col.  ui,  5.  —  '•  PhiUpp.  m,  I». 


676 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVAINGILE. 


viandes  qui  chargent,  et  qui  gonflent  sans  nourrir  ; 
et  qui  aussitôt  vous  affament,  parce  qu'elles  n'ont 
aucun  suc,  et  que  rien  ne  s'en  tourne  en  votre  subs- 
tance, Qu'oii  est  vide  quand  on  n'est  plein  que  de 
cette  sorte  ! 

XXX«  JOUR. 

Ne  se  point  inquiéter  pour  cette  vie  :  se  conlier  en  la 
Providence.  Matth.  vi,  25,  20  et  suiv. 

Ne  vous  inquiétez  point.  Cela  n'exclut  pas  une 
prévoyance  modérée,  ni  un  travail  réglé  :  mais  seu- 
lement l'inquiétude  et  l'agitation  de  l'esprit. 

La  vie  est  plus  que  la  nourriture ,  et  le  corps  est 
plus  que  l'habit  '.  Dieu  qui  vous  a  donné  la  vie,  et 
qui  a  formé  votre  corps  avant  que  vous  pussiez  en 
prendre  aucun  soin ,  vous  donnera  tout  le  reste.  Qui 
a  fait  le  plus  ne  dédaignera  pas  de  faire  le  moins. 

Jiegardez  les  oiseaux  du  ciel;  ils  ne  sèment,  ni  ne 
moissonnent ,  ni  ne  recueillent...;  ils  ne  travaillent 
ni  ne  filent  :  et  votre  Père  céleste  les  nourrit...  et  les 
habille*.  Heureux  ces  petits  aiiiaiaux,  heureuses  les 
fleurs,  heureuses  mille  et  mille  fois  toutes  ces  pe- 
tites créatures,  si  elles  pouvaient  sentir  leur  bon- 
heur! heureuses  des  soins  paternels  que  Dieu  prend 
d'elles  !  heureuses  de  tout  recevoir  de  sa  main  !  Pour 
nous,  notre  péché  nous  assujettit  à  mille  travaux  : 
mais  ne  les  poussons  pas  jusqu'à  l'agitation.  Tra- 
vaillons :  car  c'est  là  la  juste  peine  que  Dieu  ait  im- 
posée à  notre  péché  :  travaillons  en  esprit  de  péni- 
tence; mais  abandonnons  à  Dieu  le  succès  de  notre 
travail. 

Gens  de  petite  foi,  votre  Père  sait  que  vous  avez 
besoin  de  ces  choses  ^.  Doutez-vous  qu'il  ne  sache 
ce  qui  vous  est  nécessaire.^  il  vous  a  faits  :  doutez- 
vous  qu'il  veuille  pourvoir  à  vos  besoins  ?  il  vous  l'a 
promis.  Lui  qui  vous  a  prévenus  en  tout,  et  qui 
vous  a  donné  l'être  qu'il  ne  vous  avait  pas  promis, 
vous  refusera  t-il  ce  qu'il  vous  a  promis  pendant  que 
vous  n'étiez  pas,  après  vous  avoir  faits .^  Ne  vous 
inquiétez  donc  pas. 

Voyez  comment  vous  croissez,  comment  votre 
corps  se  nourrit.  Pourriez-vous  ajouter  une  coudée 
à  votre  taille  4?  Pendant  que  vous  dormiez,  Dieu 
vous  faisait  croître  ;  et  d'enfant  il  vous  a  fait  homme. 
Croyez  qu'il  fera  ainsi  tout  ce  qui  convient  à  votre 
corps  :  reposez-vous  sur  sa  puissance  et  sur  sa  bonté, 

A  ces  mots,  Ne  vous  inquiétez  pas,  que  saint 
Matthieu  a  rapportés,  saint  Luc  joint  ceux-ci  : 
Ne  soyez  point  comme  suspendus  en  l'air  s,  comme 
en  péril  de  tomber,  et  toujours  dans  l'agitation  : 
car  c'est  l'effet  de  l'inquiétude.  Soyez  donc  non  pas 
comme  suspendus,  mais  solidement  appuyés  sur  la 
divine  Providence. 

XXXl»  JOUR. 

Ne  ressembler  pas  les  païens.  Ihid.  3^. 

Les  païens  recherchent  ces  choses  ^.  Voyez  tou- 
jours comment  .Jésus-Christ  nous  élève  au-dessus 
des  vices  des  païens ,  et  même  au-dessus  de  leurs 

«  Matth.  VI,  25.  —  '  Ihid.  26,  23,  30.  —  »  Ibid.  30,  32.  — 
"Ibid.  27.  —  »  Luc.  XII ,  2  ,  9.  —  •  Matth.  vi ,  32. 


vertus.  Les  publicains  le  font  bien,  les  gentils  le 
pratiquent  bien  ',  nous  disait-il  tout  à  l'heure  :  son- 
geons bien  en  quoi  nous  les  surpassons.  Ce  n'est 
pas  sans  raison  que  Jésus-Christ  dit  que  les  Nini- 
vltes ,  et  tous  les  païens ,  s'élèveront  contre  nous 
au  jour  du  jugement  ».  A  quoi  nous  sert  ïe  chris- 
tianisme, si  nous  menons  une  vie  païenne?  Hélas, 
hélac!  que  de  paganisme  au  milieu  des  fidèles! 
Combien  de  chrétiens  vivent  coaime  s'ils  ne  con- 
naissaient pas  Dieu  !  Il  n'y  a  point  en  effet  de  Dieu 
pour  eux.  Hélas!  où  trouverons-nous  assez  de  lar- 
mes pour  déplorer  notre  aveuglement.^ 

XXXIP  JOUR, 

Chercher  Dieu  et  sa  justice,  et  comment.  Matth.  vi ,  33 ,  31. 

Cherchez  donc  le  royaume  de  Dieu ,  et  sa  jus- 
tice :  et  le  reste  vous  sera  donné  par  surcroit  ^. 

Le  royaume  de  Dieu  et  sa  justice  :  non  pas  une 
justice  simplement  morale,  à  la  manière  des  païens  : 
mais  la  justice  chrétienne,  fondée  sur  l'exemple  de 
Jésus-Christ,  et  sur  les  règles  de  l'Évangile,  que 
vous  venez  de  voir  :  une  justice  qui  vous  fasse  vi- 
vre autrement  que  ceux  qui  ne  connaissent  pas  Dieu  ; 
autrement  qu'on  ne  vivait  avant  que  Jésus-Christ 
eût  paru  :  une  justice  conforme  à  votre  vocation . 
à  votre  état ,  et  aux  grâces  que  vous  avez  reçues  • 
car  c'est  là  ce  qui  s'appelle  le  royaume  de  Dieu  et 
sa  ju.stice. 

Cherchez  :  dans  tout  le  reste  dont  il  a  parlé ,  il 
n'a  point  dit  ce  mot ,  cherchez  :  car  il  suppose  que 
Dieu  par  sa  bonté  nous  peut  tout  donner;  et  le 
fait  sans  que  nous  en  prenions  aucun  soin.  Cela 
arrive  souvent  à  l'égard  des  biens  de  la  terre  : 
mais  pour  le  royaume  de  Dieu  ,  cherchez  :  Opérez 
votre  salut  avec  crainte  et  tremblement,  comme 
dit  saint  PauH,  C'est  la  seule  chose  qui  mérite  vos 
inquiétudes. 

Et  toutefois ,  je  l'oserai  dire  :  il  faut  encore  ban- 
nir l'agitation  et  l'inquiétude  de  cette  recherche; 
Car,  comme  ajoute  le  même  saint  Paul  ^  :  Bleu 
opère  en  vous  le  vouloir  et  le  faire ,  selon  sa 
bonne  volonté.  Tremblez  donc  en  opérant  votre  sa- 
lut :  et  toutefois  ne  vous  défiez  pas  trop  de  vos 
forces;  car  Dieu  travaille  avec  vous  :  c'est  lui-même 
qui  fait  avec  vous  tout  ce  que  vous  faites.  Espérez 
donc  en  son  secours  :  abandonnez-vous  entre  ses 
bras.  Il  est  bon  :  il  aura  pitié  de  votre  faiblesse  :  il 
opérera  en  vous,  par  sa  bonne  volonté,  ce  qu'il 
faut  aussi  que  vous  opériez.  Opérez  donc  votre  sa- 
lut :  travaillez-y  avec  soin,  et  même  avec  tremble* 
ment  :  mais  travaillez-y  toutefois  avec  une  espèce 
de  repos,  comme  celui  qui  attend  tout  secours  d'ùu 
Dieu  tout-puissant  et  tout  bon. 

Ne  vous  inquiétez  pas  du  lendemain  :  le  lende- 
main sei^a  inquiet  pour  lui-même  :  à  chaque  jour 
suffit  son  mal^.  Ce  précepte,  si  important  pour 
tous  les  soins  de  la  vie,  l'est  encore  plus  pour  les 
affaires  du  salut.  Il  y  en  a  qui  se  tourmentent  en 
disant  :  Voilà  qui  est  bien  :  je  me  suis  confessé ,  j'ai 

'  Matth.  V .  46 ,  47.  —  *  Ihid.  XTI ,  4.  —  »  Jbid.  TI ,  53.  — 
«  Philipp.  II ,  12.  —i  Ibid.  13.  —  «  Matth.  VI,  34. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


677 


romnieiic»'  à  me  convertir  :  mais  que  de  peines 
viendront  dans  la  suite,  que  de  tentations,  que 
ilVnnuis  !  Je  n'y  pourrai  résister  :  la  vie  est  longue  : 
jH  suifomherai  sous  tant  de  travaux.  Allez,  mon 
lils;  allez,  ma  Olle;  surmontez  les  diflicultés  de  ce 
jour  :  ne  vous  inquiétez  pas  de  celles  de  demain  : 
Its  unes  après  les  autres,  vous  les  vaincrez  toutes. 
/  chaque  juin-  suffit  son  mai.  Celui  qui  vous  a  aidés 
;iiijourd*lmi  ne  vous  abandonnera  pas  demain  :  trop 
<le  prévoyance  et  d'inquiétude  vous  perd. 

xxxiir  JOUR. 

EiKore  de  l'avarice  et  des  richesses.  Ne  mettre  pas  sa  con- 
tiance  en  ce  qu'on  possède.  Luc.  xii ,  lô,  16  etsuiv. 

Joignons  ici  ce  qui  est  dit  dans  saint  Lue  :  Don- 
nez-vous de  garde  de  foute  avarice'.  Déracinez  un 
si  srand  mal  tout  entier,  et  jusqu'à  la  moindre  fibre  : 
n'en  souffrez  pas  en  vous  le  plus  petit  sentiment. 

Quelque  riche  que  vous  soyez,  il  vous  manque 
toujours  quelque  chose;  ou  dans  les  biens,  ou  dans 
la  santé,  ou  dans  la  fortune,  et  dans  la  grandeur, 
ftéjouissez-vous  de  ce  manquement;  acceptez  avec 
inie  et  consolation  cette  partie  de  la  pauvreté  qui 
vous  est  échue.  Aimez-la  comme  un  caractère  du 
i  hristianisme , comme uneimitation  de Jé^us-Christ. 
Aimez  votre  pauvreté,  votre  dépouillement.  Re- 
noncez à  tout  esprit  de  propriété,  si  vous  êtes 
religieux  :  réjouissez-vous  en  >'otre-Seigneur,  de  ce 
que  non-seulement  vous  ne  possédez  aucun  bien; 
mais  encore  de  ce  que  vous  êtes  par  choix  et  par 
état  incapable  d'en  posséder. 

/■:n  quelque  abondance  qu'on  soif ,  la  vie  ne  con- 
siste pas  en  ce  qu'onpossède  » .  Vous  avez  beau  dire  : 
lai  de  quoi  vivre.  Vous  n'en  vivrez  pas  davantage. 
Vous  avez  beau  dire  :  Je  n'ai  rien  à  craindre,  j'ai 
tout  avec  abondance.  Insensé,  vous  mourrez  cette 
tiidf.  Mais  comment  explique-t-on  la  mort?  On 
vous  redemandera  votre  âme  ^  :  elle  n'est  pas  à 
vous,  vous  n'avez  la  vie  que  par  emprunt.  On 
vous  la  redemandera  :  on  vous  en  demandera 
compte.  Et  quand?  Cette  nuit.  On  vous  trouvera 
demain  mort  dans  votre  lit,  sans  que  tout  ce  grand 
bien  que  vous  vantiez  vous  ait  pu  procurer  le 
moindre  secours,  ni  prolonger  votre  vie  d'un  mo- 
ment. 

Que  feraije ,  dit  cet  homme  riche*,  dans  une 
si  grande  abondance  de  toutes  sortes  de  biens? 
Voilà  le  premier  effet  des  grandes  richesses  :  l'in- 
quiétude. Que  ferai-je?  où  les  mettrai  je?  comment 
les  garder?  Mes  greniers  n'y  suffisent  pas  :  fen 
Jerai  d'autres ,  et  je  dirai  à  mon  âme  :  Réjouis-toi; 
'  faisgrand'chère*  :  ne  refuse  rien  à  tes  sens  :  bois, 
mange,  repose-toi  dans  ton  abondance.  Et  pendant 
(jue  tu  t'imagines  pouvoir  te  reposer  dans  tes  ri- 
cViesses,  on  t'ôte,  non  pas  ces  richesses,  mais  cette 
.'•lîie  môme  que  tu  invitais  à  la  jouissance.  Et  a  qui 
sera  ce  grand  bien  que  tu  avais  acquis  «  ?  Qui  est- 
ce  qui  en  jouira  pour  toi  quand  tu  n'y  seras  plus 
pour  en  jouir? 
.4insi  est  celui  qui  amasse  des  trésors  sur  la 

«  £uc.  XII,  \ô.  —  *lbid.  —  Ubid.itt.—  *P>id.  \7.-~^Ibid. 
»  — «  Ùid.  20. 

e«>»3i  I  T.  ~  ToWi  III. 


ten-e,  et  qui  n'est  pas  rich  e  en  Dieu  « ,  qui  ne  met 
pas  en  lui  toutes  ses  richesses.  Telle  est  son  aven- 
ture tel  est  son  état ,  telle  est  la  fin  'de  sa  vie  : 
c'est  à  cela  qu'aboutissent  toutes  ses  richesses. 

Apres  toutes  ces  réflexions,  revenez  encore  aux 
paroles  du  Fils  de  Dieu  :  relisez-les,  savouree-les 
encore  une  fois  :  vous  les  trouverez  sans  comparai  - 
sou  plus  fortes  par  elles-mêmes  que  tout  ce  que 
nous  avons  pu  dire  ou  penser,  pour  vous  en  faire 
sentir  la  vertu. 

XXX IV*  JOUR. 

Considérer  ce  que  Dieu  fait  pour  le  commun  des  plantet 
et  des  animaux  :  se  regarder  comme  son  troupeau  favori. 
Luc.  XII,  22 ,  24 ,  29  et  suiv. 

C'est  pour  cela  que  je  vous  dis  :  .We  soyez  point 
en  inquiétude  :  considérez  les  corbeatix  *. 

Dans  saint  Matthieu  il  est  dit  en  général  les  oi- 
seaux du  ciel^.  Dans  saint  Luc  on  lit  les  corbeaux, 
animal  des  plus  voraces;  et  néanmoins  sans  gre- 
niers ,  ni  provision  :  qui  sans  semer,  et  sans  labourer, 
trouve  de  quoi  se  nourrir.  Dieu  lui  fournit  ce  qu'il 
lui  faut,  à  lui  et  à  ses  petits  qui  l'invoquent,  dit 
le  psalmiste  ^.  Dieu  écoute  leurs  cris ,  quoique  rudes 
et  désagréables  :  et  il  les  nourrit  aussi  bien  que  les 
rossignols ,  et  les  autres ,  dont  la  voix  est  la  plus 
mélodieuse  et  la  plus  douce. 

Jésus-Christ  nous  apprend ,  dans  ce  sermon  ad- 
mirable, à  considérer  la  nature,  les  fleurs,  les 
oiseaux,  les  animaux,  notre  corps,  notre  âme, 
notre  accroissement  insensible;  afin  d'en  prendre 
occasion  de  nous  élever  à  Dieu.  Il  nous  fait  voir 
toute  la  nature  d'une  manière  plus  relevée,  d'un 
œil  plus  perçant,  comme  l'image  de  Dieu.  Le  cie! 
est  son  trôné  :  la  terre  est  l'escabeau  de  ses  pieds  : 
la  capitale  du  royaume  est  le  siège  de  son  empire  : 
son  soleil  se  lève ,  la  pluie  se  répand  pour  vous  assu- 
rer de  sa  bonté.  Tout  vous  en  parle  :  il  ne  s'est  pas 
laissé  sans  témoignage. 

Nous  avons  déjà  remarqué  que  pour  signifier 
l'inquiétude ,  Jésus-Christ  se  sert  de  ce  mot  dans 
saint  Luc  :  Ne  demeurez  pas  comme  suspendus  ett 
l'air  5,  conmie  quand  on  ne  sait  ni  comment  ni 
sur  quoi  on  est  soutenu ,  et  qu'on  se  croit  toujours 
prêt  à  tomber.  Ne  soyez  point  dans  cette  terrible 
inquiétude  ;  mais  croyez  que  Dieu  vous  soutient. 

Mais  de  toutes  les  paroles  qui  sont  particulières 
à  saint  Luc  dans  ce  discours  du  Fils  de  Dieu,  les 
plus  capables  de  nous  inspirer  du  courage  parmi  nos 
misères  et  nos  faiblesses  sont  celles-ci  :  Ne  craignez 
point,  petit  troupeau;  parce  qu'il  a  plu  à  votre 
Père  céleste  de  vous  donner  son  royaume^.  Dans 
tout  ce  qui  précède ,  on  nous  apprend  à  ne  pas  crain- 
dre de  manquer  de  nourriture  :  car  Dieu  y  pourvoit; 
et  sa  conduite  ordinaire  est  de  ne  pas  laisser  man- 
quer du  nécessaire  ceux  qui  se  fient  en  lui.  Mais  ici , 
il  nous  élève  plus  haut.  Car,  après  tout,  quand  vous 
viendriez  à  manquer  de  pain,  qu'en  serait-il?  Vous 
auriez  encore  un  royaume.  Et  quel  royaume  ?  Celui 

•  /.»/(.  XII. 21.  •/6<d.22,24.— »ilf«^M.  Vl,26.  —  *P«. 
CXI  VI    8    -    >  Lue.  XII ,  29.  —  *  Ibtd.  37. 

31 


573 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


de  Dieu.  Ne  craignez  pas,  petit  troupeau,  car 
Dieu  vous  donne  son  royaume.  Ce  royaume  n'est 
pas  pour  les  grands  du  monde  :  c'est  pour  les  petits , 
c'est  pour  les  humbles ,  c'est  pour  ce  petit  troupeau 
que  le  monde  compte  pour  rien,  mais  que  le  Père 
regarde  :  qui  en  effet  semble  n'être  rien  en  compa- 
raison de  la  multitude  immense,  et  de  Téclat  des 
impies.  Mais  c'est  pour  ce  petit  troupeau  que  Dieu 
conserve  le  reste  des  hommes. 

Que  craignez-vous  donc?  De  mourir  de  faim? 
Combien  de  martyrs  en  sont  morts  dans  les  prisons  ! 
•cette  mort  lesa-t-elle  empêchés  de  recevoir  la  cou- 
ronne du  martyre?  Au  contraire,  c'est  par  elle 
•qu'elle  a  été  mise  sur  leur  tête.  Ne  craignez  donc 
rien,  petit  troupeau,  f^endez  tout,  donnez  tout  aux 
pauvres  ;  et  faites-vous  un  trésor  qu'on  ne  puisse 
ni  voler,  ni  diminuer  •  :  c'est  celui  des  bonnes  oeu- 
v-res. 

XXXV^  JOUR. 

•"Le  même  sujet.  Se  garder  de  toute  avarice.  Lnc.  xri, 
13,  21. 

■On  ne  saurait  trop  méditer  cet  admirable  dis- 
-cours  de  Notre-Seigneur  :  Donnez-vous  de  garde  de 
toute  avarice  *.  Il  y  a  plusieurs  sortes  d'avarice.  Il  y 
•len  a  une  triste  et  sordide ,  qui  amasse  sans  fin  et  sans 
•jouir  ;9Mi  n'ose  toucher  à  ses  richesses,  et  qui  sem- 
•ble,  comme  dit  le  sage,  ne  s'être  réservé  sur  elles 
aucun  droit ,  que  celui  de  les  regarder,  et  de  dire  : 
Je  les  ai  *.  Mais  il  y  a  une  autre  avarice  plus  gaie  et 
plus  libérale,  qui  veut  amasser  sans  fin  comme  l'au- 
tre ;  mais  pour  jouir,  pour  se  satisfaire  :  et  telle  était 
l'avarice  de  l'homme  qui  nous  €st  dépeint  dans  cet 
évangile. 

Un  tel  avare  a  beaucoup  de  dédain  pour  cette 
sorte  d'avarice,  où  l'on  se  plaint  tout  à  soi-même 
au  milieu  de  l'abondance.  Il  s'imagine  être  bien  plus 
sage,  parce  qu'il  jouit  :  mais  cependant  Dieu  l'ap- 
|)elle  insensé  ^. 

L'un  est  fol  par  trop  d'épargne,  et  parce  qu'il 
s'imagine  pouvoir  être  heureux  par  un  bien  dont 
il  ne  fait  aucun  usage  :  mais  l'autre  est  fol  pour 
trop  jouir,  et  parce  qu'il  s'imagine  un  repos  solide 
dans  un  bien  qu'il  va  perdre  la  nuit  suivante.  Don- 
nez-vous do7ic  de  garde  de  toute  avarice  ;  et  autant 
de  celle  qui  jouit,  que  de  celle  qui  se  refuse  tout. 
Soyez  riche  en  Dieu  :  faites  de  Dieu  et  de  sa  bonté 
tout  votre  trésor.  C'est  ce  trésor-là  dont  on  ne  peut 
trop  jouir  :  c'est  ce  trésor-là  où  il  n'y  a  jamais  rien 
à  épargner,  parce  que  plus  on  l'emploie  plus  il  s'aug- 
mente. 

XXXVl*  JOUR. 

Ne  point  juger.  Matth.  vu,  l ,  2  et  suiv. 

Ne  jugez  pas  Ml  y  a  un  juge  au-dessus  de  vous  : 
un  juge  qui  jugera  vos  jugements,  qui  vous  en  de- 
mandera compte;  qui ,  par  un  juste  jugement,  vous 
punira  d'avoir  jugé  sans  pouvoir  et  sans  connais- 
sance, qui  sont  les  plus  grands  défauts  d'un  juge- 
ment. 

•  Luc.  XII ,  33.  —  »  Ibid.  15.  —  ^  Ecd.  v,  9,  10.  —  *  Luc. 
Xl\ ,  '20.   —  »  Maith.  VU  ,  I. 


Sans  pouvoir.  Qui  êtes-vovs  pour  juger  le  servi- 
teur d' autrui?  S'il  tombe,  ou  s'il  demeure  fermer 
cela  regarde  son  maître  '  :  c'est  à  lui  de  le  jugef. 

Ne  jugez  donc  pas  celui  dont  vous  n'êtes  pas  lô 
juge. 

Ce  que  saint  Paul  ajoute,  juge  téméraire,  vous 
ferme  encore  plus  la  bouche.  Vous  prononcez  sur 
l'état  du  service  d'autrui ,  et  vous  dites,  ou  qu'il 
tombe,  ou  qu'il  va  tomber.  Mais  il 7ie  tombera  pas, 
dit  saint  Paul  »  :Dieu  est  assez  puissant  pour  l'af- 
fermir. Ne  jugez  donc  pas  qu'il  va  tomber. 

Saint  Paul  continue  :  Pourquoi  jugez-vous  votre 
frère?  ou  pourquoi  méprisez-vous  votre  frère  ^? 
C'est  votre  frère,  c'est  votre  égal  :  il  ne  vous  appar- 
tient pas  de  le  juger.  Vous  êtes  tous  deux  justicia- 
bles du  grand  juge  devant  qui  tous  les  hommes  ont 
à  comparaître  .  Nous  avons  tous  à  comparaître 

devant  le  tribunal  de  Jésus- Christ Chacun  y 

rendra  compte  pour  lui-même  4.  Ne  songez  donc 
point  à  juger  les  autres  :  songez  au  compte  qu'il 
vous  faudra  rendre  de  vous-même. 

Saint  Jacques  n'est  pas  moins  fort.  Il  n'y  a,  dit- 
il  5,  qu'un  législateur  et  qu'un  juge,  quipeutper- 
dre  un  homme,  ou  le  délivrer.  D'où  il  conclut  :  Qui 
êfes-vous  donc,  vous  qui  jugez  votre  frère?  Ce 
qu'il  tire  de  ce  beau  principe  :  Celui  qui  juge  son 
frère ,  ou  qui  médit  de  son  frère,  juge  la  loi ,  et  mé- 
dit de  la  loi  6.  Car  la  loi  vous  a  interdit  ce  jugement 
que  vous  usurpez.  Mais,  poursuit  ce  grand  apôtre?, 
si  vous  jugez  la  loi,  vous  ne  voulez  donc  pas  vous 
en  rendre  l'observateur,  mais  le  juge.  Vous  vous 
élevez  au-dessus  de  votre  règle  :  la  loi  retombera 
bientôt  sur  vous  de  tout  son  poids,  et  vous  en  se- 
rez accablé.  Voyez ,  en  deux  versets  de  cet  apôtre , 
quelle  force  et  quelle  lumière  de  la  vérité  contre  vos 
jugements  téméraires. 

Vous  voyez  que  vous  jugez  sans  pouvoir  :  mais 
vous  jugez  encore  sans  connaissance.  Vous  ne  con- 
naissez pas  celui  que  vous  jugez  :  vous  n'en  voyez 
pas  l'intérieur  :  vous  ne  savez  pas  son  mtention , 
qui  peut-être  le  justifie;  et  si  son  crime  est  mani- 
feste, vous  ne  savez  pas  s'il  ne  s'en  repentira  point , 
ou  s'il  ne  s'en  est  pas  déjà  repenti ,  et  s'il  n'est  point 
un  de  ceux  dont  la  conversion  réjouira  le  ciel.  Ne 
jugez  donc  pas. 

Lm  charité  n'est  point  soupçonneuse  :  elle  ne 
pense  pas  le  mal  :  elle  est  douce  :  elle  est  patiente  : 
elle  souffre  tout  :  elle  croit  tout  :  elle  espère  tout  : 
elle  ne  se  réjouit  pas  du  mal  d'autrui;  mais  elle  se 
réjouit  quand  tout  le  monde  fait  bien  en  vérité  *. 
Ainsi  elle  ne  se  plaît  pas  à  juger. 

D'autant  plus  qu'en  jugeant  les  autres,  elle  se 
jugerait  et  se  condamnerait  elle-même,  f'^ous  êtes 
inexcusable,  ô  tout  homme  qui  jugez ,  parce  qu'en 
ce  que  vous  jugez  les  autres ,  vous  vous  condamnez 
vous-même  ;  puisque  vous  faites  les  mêmes  choses 
que  vous  condamnez.  Vous  vous  jugez  par  votre 
propre  bouche,  mauvais  serviteur,  et  vous-même 
vous  prononcez  votre  sentence.  En  telle  forme  que 

•  Kom.  XIV ,  4  —  '  Ibid  —  '  Ibid.  lo.  —  *  Ibid.  10,  12.  — 
»  Jac.  IV,  12.  —  «  Ibid.  il.  —  '  Ibid.  —  »  I.  Cor.  XIII,  4,5, 
6,7.-9  /{o„i.  1,^  j. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


5T9 


vous  jugerez,  vous  serez  jugé  :  et  la  mesure  que 
vous  aurez  faite  aux  autres,  sera  votre  règle  '. 

Quelle  joie  à  un  criminel  d'entendre  de  la  propre 
l.ouclie  de  son  juge  :  f  eus  ne  serez  pas  jugeai 
Mais  pour  cela ,  il  faut  qu'il  ne  juge  pas. 

xxxvir  JOUR. 

Voir  les  moindres  fautes  d'autrui ,  et  ne  voir  pas  en  soi  les 
plus  grandes.  Maith.  tu,  3,  4,  &■ 

Voici  une  autre  raison  de  ne  juger  pas,  que  Jésus- 
Christ  nous  explique  :  c'est  que  votre  crime  est  plus 
prand  que  celui  que  vous  condamniez.  Pourquoi 
voyez-vous  un  fétu  ?  Une  poutre  vous  crève  les  yeux , 
et  vous  ne  la  voyez  pas  ^ . 

Hypocrite!  La  plus  mauvaise  hypocrisie ,  c'est  de 
condamner  tout  le  monde.  On  fait  par  là  le  ver- 
tueux, on  prétend  faire  admirer  la  régularité  de  ses 
mœurs ,  la  sévérité  de  sa  doctrine  :  c'est  un  homme 
incorruptible,  qui  ne  flatte  et  qui  n'épargne  per- 
sonne; mais  l'hypocrite  qu'il  est,  il  ne  songe  pas 
seulement  à  se  corriger.  Il  épilogue  sans  cesse  sur 
les  défauts  les  plus  légers  des  autres  ;  et  il  ne  songe 
pas  seulement  aux  vires  énormes  qui  l'accablent.  Il 
n'y  a  point  d'hommes  plus  indulgents  pour  eux-mê- 
mes, que  ces  impitoyables  censeurs  de  la  vie  des 
autres. 

xxxviir  JOUR. 

La  chose  sainte  :  discernement  dans  la  prédicatioo  de 
l'Évangile.  Matih.  vu,  6. 

La  chose  sainte,  c'est  le  corps  de  Jésus-Christ, 
il  ne  le  faut  pas  donner  aux  chiens  ^ ,  aux  impurs, 
aux  impudents,  à  ceux  qui  jappent  indifféremment 
contre  toutle  monde;  àceuxqui  retombentdans  leurs 
péchés,  et  que  saint  Pierre  nous  a  flgurés  sous  l'i- 
mage d'un  chien  qui  retourne  à  son  vomissement  ; 
et  d'un  pourceau  qui,  s'étant  lavé ,  se  vautre  de 
nouveau  dans  la  boue^.  Nous  en  avons  parlé  dans 
les  méditations  précédentes,  à  l'occasion  d'un  pas- 
sage de  saint  Pierre. 

En  général ,  la  chose  sainte  signifie  tous  les  mys- 
tères que  les  pasteurs  de  l'Église  sont  avertis  de 
donner  avec  beaucoup  de  discernement;  et  de  ne 
les  pas  donner  à  profaner  aux  indignes. 

Les  perles  devant  les  pourceaux ,  sont  les  saints 
discours  devant  ceux  qui  sont  incapables  de  les 
goûter;  et  qui  pour  cette  raison  se  tournent  avec 
une  espèce  de  fureur  contre  ceux  qui  leur  présen- 
tent une  chose  si  peu  convenable  à  leur  nature. 

Considère,  chrétien,  à  quoi  tu  te  réduis  par  ton 
péché  !  Dieu  qui  t'avait  fait  à  son  image ,  et  qui  avait 
mis  ton  âme,  renouvelée  par  la  grâce,  au  rang  de 
ses  épouses,  te  met  au  rang  des  chiens  et  des  pour- 
ceaux. A  ie  pitié  de  ton  état ,  et  songe  à  t'en  retirer, 
ayant  recours  à  la  prière,  dont  il  va  être  encore 
parié  ci-après. 

XXXIX*^  JOUR. 

Prier  avec  foi  :  demander  :  cbercber  :  frapper. 
MaUh.  vu,  7. 

Après  avoir  fait  voir  au  pécheur  l'état  déplorable 

'  Hatth.  vu,  2.  —  '  Ibid.  vu,  I.  —  '  Ibid,  3.  —  •  Ihid. 
TU,  6.  —  *  W.Petr.  1,21,  22. 


et  honteux  où  il  tombe,  Notre-Seigneur  lui  montra 
dans  la  prière  le  moyen  d'en  sortir. 

Demandez  :  cherchez  :  frappez  «  :  ce  sont  troi!» 
degrés,  et  comme  trois  instances  qu'il  faut  faire 
persévéramment,  et  coup  sur  coup.  .Mais  que  faut- 
il  demander  à  Dieu  pour  sortir  de  cet  état  plus  que 
bestial  où  le  péché  nous  avait  mis.'  Il  faut  l'apprer» 
dre  de  ces  paroles  de  saint  Jacques  »  :  Si  quelqu'un 
manque  de  sagesse ,  qu'il  la  demande  à  Dieu,  qui 
donne  abondamment  à  tous ,  sans  jamais  repro' 
cher  ses  bienfaits  :  mais  il  la  faut  demander  avec 
foi ,  et  rans  hésiter. 

Cest  ce  que  Notre-Seigneur  nous  apprend  lui- 
même  :  En  vérité,  je  vous  le  dis  :  Si  vous  avez  la 
foi,  et  que  vous  n'hésitiez  pas ,  vous  obtiendrez  tout  y 
jusqu'à  précipiter  les  montagnes  dans  la  mer.  Et 
je  vous  le  dis  encore  un  coup  :  Tout  ce  que  vous  de- 
mcmderez  dans  votre  prière,  croyez  que  vous  le 
recevrez,  et  il  vous  arrivera^. 

Regardez  donc  où  vous  en  êtes  par  votre  péché , 
et  demandez  avec  foi  votre  conversion.  Ne  dites  pas 
qu'elle  est  impossible  :  quand  vos  péchés  seraient 
d'un  poids  aussi  accablant  que  celui  d'une  montagne, 
priez,  et  il  cédera  à  la  prière  :  Croyez  fermement, 
que  vous  obtiendrez  ce  que  vous  demanderez  ;  et  il 
vous  sera  donné.  Jésus-Christ  se  sert  exprès  de  ces 
comparaisons  si  ex-traordinaires,  pour  montrer  que 
tout  est  possible  à  celui  qui  prie. 

Animez  votre  courage,  chrétien,  et  ne  désespé- 
rez jamais  de  votre  safut. 

XL''  JOUR. 

Persévéraoce  et  hamilité  dans  la  prière.  Maith.  th,  7, 8. 
Luc.  xj,b,6  et  suiv. 

Frappez  :  persévérez  à  frapper,  jusqu'à  vous  ren- 
dre importun,  s'il  se  pouvait.  Il  y  a  une  manière  de 
forcer  Dieu ,  et  de  lui  arracher  ses  grâces  ;  et  cette 
manière  est  de  demander  sans  relâche,  avec  une 
ferme  foi.  D'où  il  faut  conclure  avec  l'Évangile  : 
Demandez ,  et  on  vous  donnera  :  cherchez,  et  vous 
trouverez  :  frappez ,  et  il  vous  sera  ouvert  ^.  Ce 
qu'il  répète  encore  une  fois ,  en  disant  :  Car  quicon- 
que demande,  reçoit;  et  quiconque  cherche,  trouve; 
et  on  ouvre  à  quiconque  frappe.  Il  faut  donc  prier 
pendant  le  jour,  prier  pendant  la  nuit,  et  tout  autant 
de  fois  qu'on  s'éveille.  Et  quoique  Dieu  semble  ou 
n'écouter  pas,  ou  même  nous  rebuter,  il  faut  frap- 
per toujours;  attendre  tout  de  Dieu,  et  néanmoins 
agir  aussi.  Car  il  ne  faut  pas  seulement  denjander 
comme  si  Dieu  devait  tout  faire  lui  tout  seul  ;  mais 
encore  chercher  de  son  côté ,  et  faire  agir  sa  volonté 
avec  la  grâce;  car  tout  se  fait  parce  concours.  Mais 
il  ne  faut  jamais  oublier  que  c'est  toujours  Dieu  qui 
prévient  ;  car  c'est  là  le  fondement  de  l'humilité. 

XLP  JOUR. 

Prière  perpétuelle.  Luc.  rvui,  l ,  8. 
Il  faut  prier  toujours,  et  ne  cesser  jamais^. 
Cette  prière  perpétuelle  ne  consiste  pas  en  une  per- 

'  MaUh.  vu,  7.  —  »  Jac.  i,  5,  «.  —  »  MatUi.  X\t,  21,  7X 
Marc.  XI,  2-1.  24.  —  •  Luc.  u,  9,  iO-  —  »  Luc.  xm\ ,  1. 

37. 


S-'îO 


MÉDITlATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


I)<^ti!p!le  tension  de  l'esprit,  qui  ne  ferait  qu'épuiser 
les  forces,  et  do^nt  on  ne  viendrait  peut-être  |>as  à 
bout.  Cette  prière  perpétuelle  se  fait,  lorsqu' ayant 
prié  à  ses  heures,  on  recueille  de  sa  prière  et  de  sa 
lecture  quelque  vérité ,  ou  quelque  mot,  qu'on  con- 
serve dansson  cœur,  et  qu'on  rappelle  sans  effort  de 
temps  en  teraps  ;  en  se  tenant  le  plus  qu'on  peut  dans 
un  état  de  dépendance  envers  Dieu,  en  lui  exposant 
son  besoin;  c'est-à-dire  en  l'y  remettant  devant  les 
yeux saiis  rien  dire.  Alors,  comme  la  terre  entr'ou- 
verte  et  dessécliée  semble  demander  la  pluie,  seule- 
ment en  exposant  au  ciel  sa  sécheresse  ;  ainsi  l'âme , 
en  exposant  ses  besoins  à  Dieu.  Et  c'est  ce  que  dit 
David  :  Mon  âme,  ô  Seigneur,  est  devant  vous 
comme  une  terre  desséchée^.  Seigneur,  je  n'ai  pas 
besoin  de  vous  prier;  mon  besoin  vous  prie;  mon 
indigence  vous  prie;  ma  nécessité  vous  prie.  Tant 
que  cette  disposition  dure,  on  prie  sans  prier;  tant 
qu'on  demeure  attentif  à  éviter  ce  qui  nous  met  en 
péril ,  on  prie  sans  prier;  et  Dieu  entend  ce  langage. 
O  Seigneur,  devant  qui  je  suis,  et  à  qui  ma  misère 
;  paraît  tout  entière ,  ayez-en  pitié  ;  et  toutes  les  fois 
qu'elle  paraîtra  à  vos  yeux ,  ô  Dieu  très-bon ,  qu'elle 
sollicite  pour  moi  vos  miséricordes!  Voilà  une  des 
manières  de  prier  toujours ,  et  peut-être  la  plus  effi- 
cace. 

XLlIe  JOUR. 

Iiapertuner  Dieu  par  des  cris  vif»  et  redoublés. 
-LiK,  XVIII,  4,  5,7. 

L'importanitédont  il  faut  se  servir  envers  Dieu , 
c'est  cette  manière  pressante  dent  il  a  été  parlé  ci- 
'  (levant. 

Songex  à  ce  cri  des  élus,  qui  s'élève  nuit  et  jour 
devant  Dieu.U  faut  être  persuadé  que  nos  injustices, 
nos  scandales,  tout  ce  que  nous  faisons  qui  édifie 
mal  les  sain  t-s,  et  qui  les  fait  souffrir,  crie  vengeance 
nuit  et  jour  contre  nous;  et  que  nous  ne  pouvons 
apaiser  ce  cri  que  par  un  cri  continuel  de  pénitence. 
Miséricorde,  mon  Dieu,  miséricorde!  C'est  ce  qu'il 
faut  crier  nuit  et  jour;  c'est  ce  que  notre  besoin  crie 
sans  cesse. 

Songez  au  triste  état  de  ce  juge  qui  ne  se  soucie 
ni  de  Dieu,  ni  des  hommes  ».  Quand  rien  ne  retient, 
il  n'y  a  plus  d'espérance.  Quand  on  a  quelque  frein, 
et  qu'en  ne  craignant  point  Dieu,  on  est  du  moins 
un  peu  retenu  par  la  crainte  des  hommes  ;  on  peut 
espérer,  et  les  passions  souffrent  quelque  sorte  de 
modération. 

XLIir  JOUR. 

Motifs  d'espérance  dans  la  prière.  Matth.  vu,  II. 

Le  fondement  assuré  de  cettefoi  que  Tésus-Christ 
exige  pour  prier  et  pour  obtenir,  c'est  de  bien  com- 
prendre que  Dieu  est  un  père.  Combien  plutôt ,  dit-il, 
voire  Père  céleste  sera-t-il  libéral  envers  vous^l 

Si  vous  donnez ,  rous  qui  êtes  mauvais  4 ,  combien 
plus.  Dieu  qui  est  la  bonté  même.'  Si  vous  donnez 
p.e  qui  vous  a  été  donné,  et  que  vous  n'avez  que  par 
emprunt  ;  combien  plutôt  Dieu  donnera-t-il ,  lui  qui 

'  P.i.  r.\ui,  6.  —  »  Luc.  xviu,  4.  —  '  Malth.  vn,  II. 
-  -  *  Ibid 


est  la  source  du  bien,  et  dont  la  nature  est,  pour 
ainsi  parler,  de  donner? 

Si  vous  qui  êtes  mourais.  Mais  est-on  mauvais, 
même  à  ses  enJanUI  Le  Fils  de  Dieu  nous  veut 
faire  entendre  que  l'homme  est  mauvais ,  même  à  ses 
enfants.  L'expérience  ne  le  fait  que  trop  voir,  et 
qu'on  se  regarde  soi-même  plutôt  qu'eux  dans  les 
biens  qu'on  leur  procure.  Il  n'y  a  que  Dieu  qui  étant 
la  bonté  même  et  le  bien  par  essence,  ne  peut  don- 
ner que  du  bien  à  ceux  qui  ont  recours  à  lui. 

Disons-nous  toujours  à  nous-mêmes  :  On  peut 
tout  espérer  d'un  père.  Disons  encore  avec  .Tésus- 
Christ  :  Qu'est-ce  qu'un  corbeau  ?  Notre  Père  céleste 
le  nourrit.  Qui  nourrit  les  serviteurs  laissera-t-il  les 
enfants  sans  secours?  Mais  qui  nourrit  les  animaux 
sera-t-il  insensible  au  besoin  de  ses  enfants.'  On  peut 
donc  tout  demander;  et  on  doit  espérer  de  tout  ob- 
tenir dès  qu'on  demande  à  un  père, 

XLÏV  JOUR. 

Demander  par  Jésus-Christ  :  Qualités  d'une  parfaite  plrière, 
Joan.  XVI,  23,  37. 

Il  faut  apprendre  à  demander  par  Jésus-Christ, 
Demander  par  Jésus-Christ,  c'est  demander  ce  qu'H 
commande;  c'est  demander  sa  gloire;  c'est  interpo- 
ser le  nom  du  Sauveur;  c'est  mettre  sa  confiance  en 
ses  bontés  et  aux  mérites  infinis  de  son  sang.  Ce 
qu'on  demande  par  le  Sauveur  doit  regarder  princi- 
palement le  salut;  et  le  reste  comme  un  accessoire. 
En  demandant  en  un  tel  nom ,  auquel  le  Père  ne 
peut  rien  refuser,  on  est  assuré  d'obtenir;  car  Jésus- 
Christ  l'a  promis  :  et  douter,  c'est  faire  Jésus-Christ 
menteur.  En  vérité,  en  vérité  je  vous  le  dis  :  Si 
vous  demandez  quelque  chose  à  mon  Père  en  mon 
nom,  il  vous  le  donnera'. 

Quand  donc  on  n'obtient  pas,  il  faut  tenir  pour 
assuré  qu'on  a  mal  prié,  selon  ce  que  dit  saint  Jac- 
ques »  :  fous  demandez,  et  n'obtenez  pas ,  parce  que 
vous  demandez  mal,  pour  avoir  de  quoi  satisfaire 
vos  mauvais  désirs. 

Demander  mal ,  c'est  demander  sans  foi ,  comme 
àh  le  même  saint  Jacques  ^  :  Si  vous  avez  besoin 
de  la  sagesse,  demandez-la;  mais  demandez-la 
avecjoi,  sans  hésiter,  sans  craindre,  en  croyant 
certainement  que  vous  obtiendrez  si  vous  deman- 
dez bien ,  si  vous  demandez  avec  foi ,  si  vous  deman- 
dez avec .persévérance. 

Le  Sauveur  ne  nous  donne  pas  ce  que  nous  deman- 
dons contre  notre  salut.  Demandons  notre  conver- 
sion :  attachons-nous  à  cela  :  nous  l'obtiendrons. 

Ame  religieuse!  le  fruit  de  la  doctrine  de  Jésus- 
Christ  sur  la  prière  doit  être  principalement  d'être 
fidèle  aux  heures  qu'on  y  consacre.  Fussiez-vous 
distraite  au  dedans,  si  vous  gémissez  de  l'être,  si 
vous  souhaitez  seulement  de  ne  l'être  pas ,  et  que 
vous  demeuriez  fidèle,  humble  et  recueillie  au  de- 
hors; l'obéissance  que  vous  y  rendez  à  Dieu,  à  l'É- 
glise, et  à  la  règle,  en  conservant  les  génuflexions, 
les  inclinations,  et  tout  le  reste  de  l'extérieur  de  la 
piété,  conserve  l'esprit  de  prière.  On  prie  alors  par 

'  Joan.  XVI,  23.  —  '  Jac.  iv,  3.  —  '  /6/d  I,  5,  6. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


58  ^ 


dtit ,  par  disposition ,  par  volonté  :  mais  sur\out  si 
on  s'humilie  de  ses  séciieresses  et  de  ses  distractions. 
O  que  cette  prière  est  agréable  à  Dieu!  qu'elle  mor- 
tifie le  corps  et  Fâme!  qu'elle  obtient  de  grâces,  et 
qu'elle  expie  de  péchés! 

XLV  JOUR. 

Abrégé  de  la  morale  chrétienne,  et  à  qiioi  elle  se  termine. 
Matth.  VI,  12,20. 

Faites  comme  vous  voulez  qu'on  vous  fasse.  Rien 
déplus  simple  que  ce  principe,  rien  de  plus  étendu 
dins  la  pratique  :  toute  la  société  humaine  y  est 
renfermée.  La  nature  même  nous  enseigne  cette 
règle.  Mais  Jésus-Christ  l'élève,  en  ajoutant.  C'est 
ici  la  loi  et  les  prophètes  ' .  C'en  est  le  précis ,  et  l'a- 
brégé de  toute  justice.  La  racine  en  est  dans  ce 
précepte  :  ^ous  aimerez  votre  prochain  comme 
vous-même  », 

Efforcez-vous^.  Le  salut  ne  doit  pas  être  entre- 
pris avec  mollesse.  La  porte  est  étroite  par  la  mor- 
tiflcation,  la  pauvreté,  et  la  pénitence.  /^  chemin, 
est  large  dans  la  licence.  Le  grand  nombre ,  le  petit 
nombre  :  sujet  infini  de  méditer,  et  inépuisable  con- 
solation pour  les  humbles. 

Un  bon  arbre  porte  de  bons  fruits  ;  un  mauvais 
arbre  en  porte  de  mauvais  4.  C'est  ce  qui  fait  dis- 
cerner la  bonne  pénitence  d'^avec  la  mauvaise. 

Étrange  état  d'une  créature  raisonnable,  qui, 
lauîede  porter  de  bons  fruits,  n'est  plus  propre  que 
pour  le  feu. 

f'otts  connaîtrez  les  bons  arbres  par  leurs  fruits^, 
et  non  par  leurs  feuilles:  c'est-à-dire  par  leurs  œu- 
vres, non  par  leurs  paroles.  Le  figuier  que  Jésus- 
Christ  maudit  avait  des  feuilles  :  mais  parce  qu'il 
n'avait  pas  de  fruits,  Jésus-Christ  le  rendit  sec. 
Que  jamais  fruit  ne  naisse  de  toi  ^.  Par  punition 
d'être  infructueux,  il  le  devient  encore  davantage. 
Si  on  ne  produit  des  fruits  dans  le  temps,  et  lors- 
que le  maître  en  attend,  il  vient  un  temps  qu'on 
n'en  peut  produire  aucun. 

T"n  saae  confesseur  doit  demander  à  son  péni- 
tent du  fruit ,  et  non  des  feuilles.  Il  ne  faut  pas  se 
contenter  de  l'apparence  d'un  bon  arbre  dans  ses 
feuilles,  ni  des  fruits  commencés  dans  la  fleur.  Il 
faut  de  vrais  fruits  :  autrement  il  a  raison  de  dou- 
ter que  la  pénitence  soit  sincère. 

XLVP  JOUR 

En  qaoi  consiste  la  vraie  vertu.  Matth.  \n,  2i. 

Jésus-Clirist  vient  de  parler  des  arbres  qui  n'ont 
point  de  fruits  :  en  voici  une  mauvaise  espèce.  Cest 
le  chrétien  qui  n'a  que  l'apparence  du  bien ,  et  qui 

effet  ne  porte  rien  de  bon  ;  celui  qui  parle  beau- 

up  et  ne  fait  rien  :  Seigneur,  Seigjteur,  A\\.-\\.  Il 
vaudrait  bien  mieux  ne  pas  tant  répéter  qu'il  est 
te  Seigneur,  et  faire  ce  qu'il  dit. 

Il  y  en  a  qui  ne  résistent  à  rien;  tout  ce  que 
vous  leur  proposez,  ils  l'entreprennent.  Oui  ,je  le 
ferai,  je  parlerai,  je  prierai  y  j'assisterai  à  tout; 

•  Matth.  TU,  12.  —  '  Ptid.  \\n,  39.  —  '  Ihid.  Yli<  13.  |  j. 
-  «  Ihid.  17,  18,  19.  —  *  Ibid.  ay.  —  f  76/j/.  j^,^  19,  ->o. 


!  mais  quand  il  faut  venirà  l'exécution,  toutdemetjrt>. 
'  Les  Juifs  étaient  de  ceux  qui  di.sent  beaucoup;  et 
;  Jésus,  leur  dit  :  J^s  femmes  de  mauvaise  vie  et  les 
I  pul)licains  fout  mieux  que  vous  '.  Votre  piété, 
j  tout  extérieure ,  vous  entretient  dans  une  fausse 
opinion  de  vertu.  Ceux  qui  .sont  manifestement 
I  mauvais  ont  honte  d'eux-mêmes  et  se  convertiront 
I  à  la  fin  plutôt  que  vous. 

j  Considérez  ces  deux  jeunes  hommes  delà  para- 
bole ».  L'un  a  honte  de  désobéir  ouvertement  à  son 
père,  en  lui  disant  •  Je  ne  veux  pas;  et  après  lui 
I  avoir  dit  :  Je  le  veux ,  il  suit  pourtant  son  penchant, 
et  il  ne  fait  rien.  L'autre  dit  ouvertement,  Je  n'en 
ferai  rien:  et  il  a  honte  de  son  insolence,  et  il  obéit. 
L'un  a  la  présomption  de  vouloir  passer  pour  ver- 
tueux ,  et  il  ne  lest  qu'en  paroles  ;  c'est  pourquoi 
il  tombe.  L'autre  a  horreur  de  sa  témérité,  et  II 
s'en  repeiit. 

Il  ne  faut  donc  ni  trop  déférer  aux  discours  pré- 
somptueux de  ceux  qui  promettent  tout,  ni  déses- 
pérer de  ceux  qui  semblent  tout  refuser.  Les  grands- 
crimes  mènent  plutôt  à  la  pénitence  que  la  fbde  et 
inefficace  pudeur,  qui  fait  tout  promettre  sans  avoir 
un  véritable  désir  de  Texécution  :  ou  que  la  fausse 
piété,  qui  ne  consiste  qu'en  paroles,  où  l'on  croit 
avoir  tout  fait  quand  on  parle  bien  de  la  loi  et  de 
la  vertu,  comme  faisaient  les  Juifs. 

Ame  fidèle,  évertuez- vous.  Avez-vous  promis 
quelque  chose?  Quelque  grande  qu'elle  soit,  faites 
plus  encore.  Avez-vous  refusé?  Ayez-en  honte,  et 
faites  ce  que  vous  aviez  dit  que  vous  ne  vouliez  ou 
TOUS  ne  pouviez  pas. 

Celui  qui  écoute  et  qui  fait ,  en  qui  la  vertu  se  - 
tourne  en  habitude  par  la  pratique,  c'est  l'homme 
sage  qui  bâtit  sur  la  pierre  3.  Les  tentations, 
viennent,  les  maladies  accablent,  les  afflictions, 
fondent  sur  cette  âme;  elle  se  soutient.  Ceux  qui 
ne  font  qu'écouter,  qui  se  délectent  de  la  beauté  ou 
de  la  vérité  de  la  sainte  parole ,  sans  en  venir  aux 
effets ,  ou  qui  n'y  viennent  qu'imparfaitement,  ont 
bâti  sur  le  sable  :  ils  tombent  à  la  première  occa- 
sion ,  et  leur  ruine  est  grande. 

XLVIIt  JOUR, 

Admirables  effels ,  et  invirvcible  puissance  de  la  doctrine 
de  Jésus-Christ.  Matth.  tu,  28,  29. 

Considérez,  la  doctrine  de  Jésus-Christ  :  elle  est 
si  belle  et  si  solide,  qu'elle  cause  de  l'admiration 
à  tout  le  peuple.  Car  qui  n'en  admirerait  la  pureté, 
la  sublimité,  l'efficace?  Elle  a  converti  le  monde  : 
elle  a  peuplé  les  déserts  :  elle  a  fait  prodiguer  à  des 
millions  de  martyrs  de  toute  condition^  detout 
âge  et  de  tout  sexe ,  jusqu'à  leur  sang.  EJÎe  a  rendu 
les  richesses  et  les  plaisirs  Hïéprisabfes  :  îes  hon- 
neursdu  monde  ontperdu  tout  leuréclal.  L'homme, 
est  devenu  un  anse  ;  et  il  s'est  fiorté  à  se  proposer 
pournKHlèle  Dieu  même.  Qui  ne  l'adirtirerait  donc 
cetie  ravissante  doctrine?  :Mais  ce  n'pàt  pas  tout 
de  Tadmirer,  Jésus  enseigne  comme  ayant  puis'- 

•  Matth  XX ,  31  i  3J.  -  »  Jbid.  28-,  »,  30.,— ^Itid.  WJ.  afc., 
2i.  •26,21.  —*— »- 


I 


S83 


MEDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


sance  :  il  faut  que  tout  cède,  et  que  tout  orgueil 
humain  baisse  la  tête. 

Dieu  vous  préserve  d'un  docteur  timide,  qui 
n'ose  vous  dire  vos  vérités ,  ou  qui  vous  natte  dans 
vos  défauts ,  à  la  manière  des  scribes  et  des  phari- 
siens,  qui  ne  songeaient  qu'à  s'attacher  le  peuple, 
et  non  à  le  corriger!  Demandez  à  Dieu  un  docteur 
qui  vous  parle  avec  efficace  et  avec  puissance ,  sans 
vous  épargner  dans  vos  vices.  C'est  à  celui-là  que 
votre  conversion  est  réservée.  Amen,  amen. 


PRÉPARATION 

A  LA   DERNIÈBE   SEMAINE   DU    SAUVEUR. 

Les  sermons  de  Notre-Seigneur  dans  sa  dernière 
semaine  sont  des  plus  dignes  d'être  médités,  par 
la  circonstance  de  sa  mort  prochaine.  Pour  les  lire 
avec  ordre  et  avec  fruit,  il  est  bon  de  les  partager 
par  journées,  comme  on  a  fait  le  sermon  sur  la 
montagne. 

Avant  que  d'en  venir  à  celte  semaine,  si  pleine 
d'instructions  et  de  mystères,  pour  en  prendre  l'es- 
prit il  faut  remonter  un  peu  plus  haut.  Et  c'est  à 
quoi  nous  donnerons  huit  jours. 


PREMIER  JOUR. 

Le  mystère  de  la  croix  prédit  par  Jésus  Christ,  et  non  com- 
pris par  les  apôtres  :  combien  on  craint  de  suivre  Jésus  à 
la  croix.  Matth.  xx,  f?,  jusqu'au  29.  Marc,  x,  32Jusqu'au 
46.  Luc.  XVIII,  31 ,  jusqu'au  35. 

L'heure  de  Jésus  approchant ,  il  va  volontaire- 
ment à  Jérusalem ,  oij  il  savait  qu'il  devait  mourir; 
et  il  le  déclare  à  ses  apôtres. 

Saint  Paul  disait  aux  disciples  >  :  Et  maintenant 
étmit  lié  par  le  Saint-Esprit,  doucement  contraint 
par  son  impulsion  particulière,  je  ))i'en  vais  à  Je- 
rusalem,  ne  sachant  ce  qui  m'y  doit  arriver.  Mais 
Jésus  va  à  Jérusalem  ,  sachant  très-bien  ce  qu'il  y 
doit  souffrir,  et  le  dénonçant  aux  apôtres  :  Voilà , 
dit-il  »,  que  nous  allons  à  Jérusalem;  et  le  Fils  de 
1^ homme  sera  livré  entre  les  mains  des  méchajits. 
Je  ne  sais,  disait  saint  Paul  3,  ce  qui  me  doit  ar- 
rivera Jérusalem,  si  ce  n^est  que  dans  toutes  les 
villes  où  je  passe,  le  Saint-Esprit  me  fait  témoi- 
gner, par  les  prophètes  qui  y  sont,  que  des  chaî- 
nes et  des  afflictions  m'y  sont  préparées.  IMais ,  au 
Jieu  qu'on  ne  montrait  les  choses  qu'en  confu- 
sion à  saint  Paul ,  Jésus  explique  tout  distincte- 
ment à  ses  apôtres,  comme  la  seule  lecture  le  fera 
connaître. 

A  ces  mots ,  saint  Luc  observe  4  que  les  disciples 
ne  comprirent  rien  de  ce  que  Jésus  leur  disait, 
quoique  Jésus-Christ  leur  parlât  sans  aucune  am- 
biguïté ;  que  cette  parole  était  cachée,  et  qu'ils  n'en- 
tendaient point  ce  qu'on  leur  disait.  Cet  évangéliste 
fait  voir,  par  le  soin  qu'il  prend  de  nous  faire  ob- 


'  ^ct.   XX,   22. 
*  Inc.  X\m  ,  34. 


■'atlh.  XX  ,18.-1  ^cl.  XX,  33.  — 


server  cette  ignorance  des  apôtres ,  combien  le  mys- 
tère de  la  croix  a  peine  à  entrer  dans  les  esprits. 

Jésus  s'étant  expliqué  ailleurs  de  ce  mystère  en 
termes  moms  clairs,  le  même  s.iint  Luc  fait  cette 
remarque  •  :  Les  apôtres  n'entendainit  point  celle 
parole,  et  elle  était  comme  collée  deranteux,  en 
sorte  qu'ils  n'en  setttaient  point  la  force,  et  i/s  crai- 
gnaient de  l'interroger  sur  cette  parole.  Ils  u'eu- 
tendaient  pas,  parce  qu'ils  ne  voulaient  pas  enten- 
dre. Ils  virent  bien  qu'il  faudrait  suivre  leur  maî- 
tre, et  ils  ne  voulaient  pas  savoir  les  souffrances 
ou  II  allait,  dans  la  crainte  d'avoir  un  sort  sembla- 
ble. C'est  pourquoi  Jésus  leur  disait  :  Mettez  bien 
ceci  dans  vos  cœurs  :  que  le  Fils  de  l'homme  sera 
livre  entre  les  mains  des  hommes  »  :  ce  qu'il  avait 
soin  de  leur  inculquer  dans  le  temps  que  tout  le 
monde^  était  en  admiration  des  prodiges  qu'il  fai- 
sait :  c'est  que,  flattés  par  sa  gloire,  ils  avaient  le 
cœur  bouché  à  ce  qu'il  leur  enseignait  sur  l'oppro- 
bre qu'il  avait  à  souffrir,  sans  vouloir  en  entendre 
parler.  INIais  c'était  là  néanmoins  ce  que  Jésus  vou- 
lait qu'ils  sussent.  Car  il  avait  mis  notre  salut  dans 
ses  souffrances,  et  dans  l'oblig;ition  de  le  suivre, 
etde  portersa  croix  après  lui.  Mettez  bien  cela  dans 
vos  cœurs,  leur  disait-il. 

Songez  ici  comme  l'homme  se  trompe  lui-même, 
comme  il  fait  le  sourd  quand  ou  lui  veut  dire  ce 
qui  choque  ses  passions  et  ses  sens,  comme,  quel- 
que clair  qu'on  lui  parle,  il  détourne  l'oreille;  il  ne 
fait  pas  semblant  d'entendre,  et  craint  d'approfon- 
dir la  matière.  Quitte  ce  commerce,  renonce  à  ce 
plaisir,  renonce  à  ta  propre  volonté  :  il  n'entend 
pas;  il  ne  veut  pas  entendre,  ni  savoir,  ni  interro- 
ger celui  qui  lui  parle.  C'est  pour  la  même  raison 
que  saint  Marc  raconte  la  même  chose  en  ces  ter- 
mes 3  :  Comme  ils  montaient  à  Jérusalem,  Jé- 
sus marchait  devant  eux,  et  ils  en  étaient  étonnés, 
et  ils  craignaient  en  le  suivant;  et  appelant  le.t 
douze,  il  leur  dit:  Nous  allons  à  Jérusalem,  pour 
y  souffrir  tout  ce  qu'il  leur  marque. 

Le  sujet  de  leur  étonnement  était  qu'ils  savaient 
que  les  pharisiens  et  les  docteurs  de  la  loi  le  cher- 
chaient pour  le  faire  mourir;  et  ils  ne  pouvaient 
comprendre  qu'il  allât  se  mettre  en  leurs  mains; 
et  ils  le  suivaient  en  tremblant.  On  craint  de  suivre 
Jésus  à  la  croix. 

Mais  pour  nous  encourager,  il  va  devant;  et  saint 
Luc  remarque  qu'il  affermit  son  visage  pour  aller 
à  Jérusalem  4 ,  voyant  son  heure  venue.  La  nature 
craignait,  comme  il  parut  dans  son  agonie  au  jar- 
din. Car  il  a  voulu  porter  nos  faiblesses  jusqu'à  ce 
point,  afin  de  nous  apprendre  à  les  vaincre.  Sui- 
vons-le donc,  et  à  son  exemple  affermissons  notre 
visage  lorsqu'il  faut  aller  à  la  pénitence,  à  la  mor- 
tification et  à  la  croix. 

Ce  fut  en  cette  occasion  que  ses  disciples  lui  di- 
rent: Maître,  il  n'y  a  que  peu  de  temps  que  les  Juifs 
vous  cherchaient  pour  vous  lapider,  et  vous  allez 
vous  mettre  encore  entre  leurs  mains  ^.  Ils  vou- 
laient le  détourner  de  ce  voyage  ;  et  il  n'y  eut  que 


'  Lue.  IX,   45.  —  *  Ibid.  44. 
<  Luc.  IX  ,  51.  —  '  Joan.  xi ,  8. 


3  Marc.   X,  32,  33.  — 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


58t 


Thomas  qui  entendit  le  mystère ,  lorsqu'il  dit  gêné-  ! 
reusement  :  Allons,  allons  aussi,  et  tnottrons  avec 
lui  '.  Belle  parole,  si  elle  eût  été  suivie  de  l'effet  ! 
Mais  Thomas  s'enfuit  comme  les  autres;  et  il  fut 
le  dernier  à  croire  sa  résurrection.  Voilà  l'homme  : 
celui  qui  parle  le  plus  hardiment,  le  plus  souvent,  _ 
est  le  plus  faible  lorsque  Dieu  l'abandonne  à  lui- 
même.  Entends,  chrétien,  combien  il  est  difOcile 
ilaller  à  la  croix  avec  Jésus ,  et  combien  on  a  besoin 
de  sa  grâce.  • 

II'  JOUR.  ! 

i 

Demande  ambitieuse  des  enfants  de  Zébédée;  calice  et  croix 
avant  la  gloire.  Matlh.  xx,  20  etsuiv.  Marc,  x,  3b,  el 
sviv. 

La  même  lecture ,  et  appuyez  en  particulier  sur 
la  demande  de  la  mère  des  enfants  de  Zébédée.  Saint 
Marc  dit  distinctement  que  ce  ne  fut  pas  seulement 
leur  mère ,  mais  les  deux  frères  eux-mêmes ,  c'est- 


si  souvent  pratiquée  dans  l'Evangile  et  dans  toute 
l'Écriture,  où,  pour  certaines  raisons  et  conve- 
nances ,  des  choses  diverses  sont  attribuées  au  Père- 
et  au  Fils.  Mais  il  faut  toujours  se  souvenir  dans  le- 
fond  de  cette  parole,  que  le  Sauveur  adresse  à  sou 
Père  :  Tout  ce  qui  est  a  vous  est  a  moi;  et  tout  ce 
qui  est  à  moi  est  à  vous  '. 

Tous  les  apôtres  furent  indignés  *  de  la  de* 
mande  des  deux  frères.  Aveugles,  qui  ne  songeaient 
pas  qu'ils  étaient  tous  dans  les  sentiments  qu'ils  re- 
prenaient dans  les  autres,  puisque  un  peu  aupara- 
vant, et  un  peu  après ,  Jésus-Christ  les  surprit  pen- 
sant en  eux-mêmes ,  et  se  disputant  qui  d'entre  eux 
serait  le  premier  ^.  C'est  ainsi  qu'on  ne  peut  souf- 
frir dans  les  autres  le  vice  qu'on  a  en  soi-même  : 
éclairé  pour  reprendre,  aveugle  à  se  corriger  et  à  se- 
connaître. 

Remarquez  le  changement  admirable  que  les  ins- 
tructions du  Sauveur,  et  l'effusion  du  Saint-Esprit 


à-dire  saint  Jacques  et  saint  Jean ,  qui  firent  cette  |  fit  dans  les  apôtres.  Ces  gens  qui  ne  cessaient  de 
demande.  Ce  qui  nous  montre  que  leur  mère  agis- 
sait à  l'instigation  de  ses  enfants.  Peut-être  même 
que  dans  la  suite  ils  se  joignirent  eux-mêmes  ouver- 
tement à  la  demande.  C'est  pourquoi  aussi  le  Sau- 
veur leur  adresse  sa  réponse  :  rous  ne  savez  ce  que 
vous  demandez- ;  pouvez-vous  boire  mon  calice^"} 
Il  n'y  a  rien  qui  fasse  sentir  combien  on  a  de  peine 
a  entendre  la  parole  de  la  croix.  Jésus  venait  d'en 
parler  aussi  clairement  qu'on  a  vu;  et  loin  de  l'en- 
tendre, saint  Jacques  et  saint  Jean ,  qui  étaient  des 
premiers  entre  les  apôtres,  lui  viennent  parler  de 
sa  gloire ,  et  de  la  distinction  où  ils  y  voulaient 

paraître. 
Pesez  ces  paroles  de  Jésus  :  fous  ne  savez  ce 

que  vous  demandez  '.  Vous  parlez  de  gloire  :  et 

vous  ne  songez  pas  ce  qu'il  faut  souffrir  pour  y 

parvenir.  Là  il  leur  explique  ces  souffrances  par 

deux  similitudes,  par  celle  d'un  calice  amer  qu'il 

faut  avaler,  et  par  celle  d'un  baptême  sangbnt  où  il 

faut  être  plongé.  Avaler  toute  sorte  d'amertume; 

être  dans  les  souffrances  jusqu'à  y  avoir  tout  le 

corps  plongé ,  comme  on  l'a  dans  le  baptême  :  la 

gloire  est  à  ce  prix. 
Les  apôtres  ambitieux  s'offrirent  à  tout;  mais 

Jésus,  qui  voyait  bien  qu'ils  ne  s'offraient  à  souf- 
frir que  par  ambition  ,  ne  voulut  pas  les  satisfaire. 

11  accepta  leur  parole  pour  la  croix;  mais  pour  la 

gloire,  il  les  renvoya  aux  décrets  éternels  de  son 

Père ,  et  à  ses  secrets  conseils.  Il  aurait  bien  pu 

leur  dire  ce  qu'il  dit  dans  la  suite  à  tous  les  apôtres  : 

Je  dispose  de  mon  royaume  en  votre  faveur,  comme 

mon  Père  en  a  disposé  en  la  mienne  ^.  Mais  des 

gens  qui  ne  voulaient  souffrir  que  par  ambition» 

n'étaient  pas  dignes  encore  d'entendre  cette  pro- 
messe :  et  pour  les  attacher  à  la  croix ,  dont  ils  n'en- 
tendaient pas  encore  la  vertu  ,  Jésus-Christ  remet 

à  son  Père  ce  qui  regarde  la  gloire ,  et  ne  se  réserve 
en  ce  lieu  qu'a  prédire  et  à  distribuer  les  afflic- 
tions. 
Tout  cela  se  faisait  piit  cette  profond'  économie 


«  Joan.  XI,  16.  —  *  Matth.  XX,  22.  Marc,  r.,  3«. 
—  •  Luc.  XXII ,  29. 


î  Ibid. 


disputer  entre  eux  de  la  primauté,  la  cèdent  sans 
peine  à  saint  Pierre.  Ils  lui  cèdent  la  parole  partout  ; 
il  préside  à  tous  leurs  conciles  et  à  toutes  leurs  as,- 
semblées.  Saint  Jean ,  un  des  deux  enfants  de  Zébé->. 
dée ,  qui  venait  de  demander  la  première  place  avecr 
son  frère  saint  Jacques,  attend  saint  Pierre  au  tom- 
beau du  Sauveur,  afin  qu'il  y  entre  le  premier;  et 
l'empressement  de  voir  les  marques  de  la  résurrec- 
tion de  son  maître,  ne  l'empêcha  pas  de  rendrt 
l'honneur  qu'il  devait  au  prince  des  apôtres. 

Appuyez  encore  sur  ces  paroles  de  saint  Mat- 
thieu *,  où  il  rabat  toute  ambition  par  son  exemple. 
Ne  sois  point  ambitieux ,  ô  chrétien  !  et  ne  désire 
point  le  commandement,  ni  aucun  avantage  parmi 
les  hommes  ;  puisque  tu  es  le  disciple  de  celui  qui 
étant  le  Seigneur  de  tous,  s'en  est  rendu  le  servi- 
teur, et  a  mis  sa  gloire  à  racheter  ses  élus  par  la . 
perte  de  sa  vie.  Racheté  par  l'humilité  et  la  croix  de  - 
ton  Sauveur,  ne  songe  point  à  t'élever,  ni  à  enfler 
toi-même  ton  cœur. 

Considérons  combien  nos  passions,  et  surtout 
l'ambition,  nous  aveuglent;  et  crions,  à  l'exemple 
de-ces  deux  aveugles,  et  de  Bartimée,  lUs  de  Timée  : 
O  Seigneur,  rendez-nous  la  vue  ^  !  faites-nous  con- 
naître nos  défauts. 

Que  nul  reproche  des  hommes  ne  nous-  empêche 
de  crier  à  Jésus  pour  en  implorer  le  secours  de  sa 
grâce.  Quittons  nos  habits,  courons  à  lui,  ouvrons 
les  yeux ,  glorifions  Dieu ,  cessons  de  nous  mécon- 
naître et  de  nous  glorifier  nous-mêmes. 

III*  JOUR. 

Victoire  et  puissance  de  Jésus-Christ  contre  la  mort,  dans 
la  résurrection  de  Lazare.  Jcum.  xj ,  l,  46. 

Jésus  approche  de  Jérusalem  ;  il  est  déjà  à  Bé- 
thanie,  bourgade  qui  ea  était  à  peine  à  six-vingts 
pas,  à  la  racine  de  la  montagne  des  OlKiers.  Sa 
mort  approche  en  même  temps  ;  et  ce  qu'il  va  faire 
à  cette  approche,  etpour  nous  y  préparer,  est  ad- 
mirable. 

«  Joan.  ivii,  10.  —  '  .Vaith.  xx,  24.  —  ^  Luc.  i\.  *«,47v 
xxn,  2» ,  25.  —  ♦  .Vaith.  XX,  25.  Marc.  X,  42.  —  »  Mattk  x.\ 
30.  Marc.  \,  16 ,  âl.Luc.  x\iu ,  42. 


&II4 


MÉDITATIONS  SUR  LKVANGILE. 


La  première  chose,  c'est  la  réstirreclion  de  La- 
zare. Il  allait  mourir,  et  il  semblait  que  l'empire  de 
(a  mort  allait  s'affermir  plus  que  jamais,  après  qu'il 
y  aurait  été  assujetti  lui-même.  INIais  il  fait  ce  grand 
miracle  de  la  résurrection  de  Lazare,  afin  de  nous 
faire  voir  qu'il  est  le  maître  de  la  mort. 

Elle  paraît  ici  dans  tout  ce  qu'elle  a  de  plus  af- 
freux. Lazare  est  mort,  enseveli,  enterré,  déjà  pourri 
et  puant.  On  craint  de  lever  la  pierre  de  son  tom- 
heau ,  de  peur  d'infecter  le  lieu  et  la  personne  de 
Jésus  par  cette  insupportable  odeur.  Voilà  un  spec- 
tacle horrible  :  Jésus  en  frémit ,  Jésus  en  pleure. 
Uans  la  mort  de  Lazare,  son  ami,  il  déplore  le 
commun  supplice  de  tous  les  hommes  ;  il  regarde 
la  nature  humaine  comme  créée  dans  l'immortalité, 
et  comme  condamnée  à  mort  pour  son  péché.  Il  est 
l'ami  de  tout  le  genre  humain;  il  vient  le  rétablir; 
il  commence  par  en  pleurer  le  désastre,  par  en  fré- 
mir, par  se  troubler  lui-même  à  la  vue  de  son  sup- 
plice. Ce  qui  lui  paraît  si  horrible  dans  la  mort , 
c'est  principalement  qu'elle  est  causée  par  le  péché; 
et  c'est  plutôt  le  pédié  que  la  mort  qui  lui  cause 
ce  frémissement,  ce  trouble,  ces  pleurs.  Il  est  saisi 
d'un  nouveau  frémissement  à  mesure  qu'il  appro- 
che du  tombeau.  Eu  voyant  cette  affreuse  caverne, 
où  le  mort  était  gisant,  on  dirait  qu'il  n'y  a  point 
«le  remède  à  un  si  grand  mal.  Celui,  dit-on,  qui 
a  édab^  l'aveugle-né ,  ne pouKait-il  pas  empêcher 
que  son  ami  ne  mourût  ■  ^  On  ne  dit  pas,  Ne  le 
pourrait-il  pas  ressusciter?  C'est  à  quoi  on  ne  son- 
geait seulement  pas.  Ou  croit  que  son  pouvoir  n'al- 
lait pas  plus  loin  que  de  l'empêcher  de  mourir;  mais 
le  tirf  r  de  la  mort ,  quoiqu'il  en  eut  déjà  donné  des 
exemples,  on  ne  voulait  ni  s'en  souvenir,  ni  le  croire. 
On  eroit  qu'il  n'a  que  des  larmes  et  cette  frémis- 
sante horreur  à  donner  à  un  tel  mal.  Voilà  tout  le 
genre  humain  dans  la  mort;  il  n'y  a  qu'à  pleurer 
son  sort,  on  n'y  voit  aucune  ressource.  C'est  le 
comnfiencement  de  l'histoire,  et  comme  la  première 
|)artie  de  ce  tableau  :  tout  y  est  rempli  d'horreur. 

Riais  voici  la  seconde ,  et  tout  y  est  plein  au  con- 
traire de  consolation.  Il  n'y  paraît  que  puissance 
contre  la  mort,  et  que  victoire  remportée  sur  elle. 

Jésus  dit  :  Cette  maladie  n'est  pas  pour  la  morty 
mais  pour  la  gloire  de  Dieu  K  Lazare  en  mourut 
pourtant  :  mais  le  Sauveur  voulait  dire  que  la  mort 
serait  vaincue,  et  le  Fils  de  Dieu  glorifié  par  cette 
victoire. 

Il  poursuit  :  Lazare  dort,  mais  je  vais  le  réveil- 
ler 3  :  appelant  la  mort  un  sommeil  plutôt  qu'une 
mort  ;  et  montrant  qu'il  lui  est  aussi  facile  de  res- 
susciter un  mort,  que  de  réveiller  un  endormi. 

A  mesure  qu'il  avance,  il  paraît  de  plus  en  plus 
le  vainqueur  de  la  mort.  ^7  vous  aviez  été  ici,  mon 
frère  ne  serait  pas  mort  :  mais  je  sais  que  Dieu 
vous  accordera  tout  ce  que  vous  lui  demanderez. 
Vous  avez  tout  pouvoir,  non-seulement  pour  pré- 
venir la  mort,  mais  encore  pour  lui  enlever  la  proie 
(|ii'elle  a  déjà  entre  ses  mains. 

/  ofre  frère  ressuscitera  i.  Je  le  sais,  dit  ^larthe, 
au  dernier  jour.  Klle  ne  doute  pas  que  Jésus  ne 

Josn.  XI    y7.  —  '  lOld.  i.  —  5  Ibid   1 1 ,  Ji   —  i  J'jtJ.  Zii. 


puisse  le  ressusciter  avant  ce  temps  :  mais  elle  ne  se 
juge  pas  digne  de  cette  grâce. 

Goûtons  ces  paroles  dti  Sauveur,  après  lesquelles 
la  mort  n'a  plus  rien  d'affreux  :  Je  suis  la  résur- 
rection et  la  vie;  celui  qxd  croit  en  moi ,  quand  il 
serait  mort,  il  vivra  :  celui  qid  vif  et  rjui  croit  en 
moi,  ne  mourra  point  éternellement  '.  11  ne  mouna 
point  pour  jamais  :  la  mort  ne  sera  pour  lui  qu'un 
passage  :  il  n'y  demeurera  pas,  et  il  viendra  à  un 
état  ou  il  ne  mourra  jamais. 

La  foi  de  Marthe  est  grande.  Les  Juifs  disaient 
de  Jésus  :  Ne  pouvait-il  pas  faire  que  Lazare  ne 
mourût  pas?  Celle-ci  dit,  non-seulement  qu'il  le 
pouvait  faire,  mais  qu'il  l'aurait  fait;  et  qu'il  pou- 
vait encore  le  ressusciter  s'il  voulait.  Elle  voit  eu 
esprit  la  résuireelion  générale,  et  confesse  Jésus- 
Christ,  comme  celui  qui,  étant  au  ciel  et  dans  le 
sein  de  son  Père,  est  venu  au  monde.  Jésus,  Fifs  du 
Dieu  vivant,  est  vivant  de  la  même  vie  que  son 
Père.  Comme  le  Père,  dit-il  *,  a  to  vie  en  soi,  ainsi 
a-t-il  donné  au  Fils  d'avoir  la  oie  en  soi.  Il  a  donc 
raison  de  nous  dire,  qu'il  est  la  résurrection  et  la 
vie  ^;  et  encore  :  Je  suis  la  vie  ;  et  encore  :  Comme 
le  Père  ressuscite  et  vivifie ,  aiiisi  le  Fils  vivifie  qui 
il  lui  plaît ^.  Il  est  une  source  de  vie,  il  est  la  vie 
même  comme  le  Père.  La  vie  est  venue  à  nous,  quand 
il  s'est  fait  homme.  Nous  vous  annonçons  la  vie 
éternelle  qui  était  dans  le  Père ,  etqtd  nous  est  ap- 
parue pour  se  répandre  sur  nous,  disait  saint  Jean  ^. 

Les  larmes  mêmes  de  Jésus  nous  remplissent 
d'espérance  :  si  le  médecin  tout-puissant  est  touché 
de  nos  maux,  s'il  les  pleure,  s'il  en  frémit,  il  les 
guérira. 

Otez  la  pierre  ^ ,  ouvrez  le  tombeau  ;  enlevez  la 
porte  de  cette  éternelle  prison.  C'est  sans  doute  pour 
en  délivrer  ceux  qui  y  sont  détenus. 

Père,  je  sais  que  vous  m'écoutez  toujours  7.  INoiis 
sommes  donc  délivrés,  puisqu'un  tel  intercesseur 
parle  pour  nous.  Lazare,  sortez,  parais.sez.  J,es 
prophètes  avaient  ressuscité  quelques  morts;  mais 
on  n'avait  point  encore  traité  la  mort  dline  manière 
si  impérieuse.  C'est  que  le  temps  devait  venir,  it 
déjà  il  était  venu,  disait  le  Sauveur,  que  ceujr  qui 
sont  dans  le  tombeau  entendront  la  voix  du  Fils  de 
Dieu;  et  ceux  qui  l'entendront ,  recevront  la  rie  '^. 
Ce  qui  se  fait  maintenant  pour  le  seul  Lazare  se  fera 
un  jour  pour  tous  les  hommes. 

Lazare  sortit  à  l'instant ,  quoique  lié  de  bande- 
lettes,  à  peu  près  comme  un  enfant  dans  le  bei- 
ceau,  le  visage  enveloppé  d'un  linge  9.  Un  honuuo 
vivant  ne  pourrait  se  remuer  en  cet  état  :  cependant 
un  mort  se  lève,  et  paraît  :  tant  il  y  a  d'efficace  dans 
la  parole  du  Sauveur  ! 

Il  importe  de  bien  méditer  toutes  ces  choses,  afin 
de  nous  affermir  contre  la  crainte  de  la  mort,  (jui 
est  si  extrême  dans  les  hommes,  qu'elle  est  capable- 
de  leur  faire  perdre  l'esprit,  quand  on  leur  annonce 
qu'il  faut  mourir;  comme  l'expérience  le  fait  voir. 
On  a  grand  besoin  de  se  munir  contre  cette  crainte. 

«  Joaii.  XI ,  25,  26.  —  2  Ibid.  X  ,  26  —  ^  Ibid.  xi ,  ».  — 
♦  Ibid.  \\  21.  —  il.  Jotiv.  r,  2.  —  *»  Ibid.  xi,  39.  —  "  Ibtd. 

42.  —  «  Ibid.  V  ,  2j.  —  •'  Ibid.  XI ,  H. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


585 


Ce  qui  p  f;iit  pnrui;  alement,  en  méditant  les  pro-  1  ?lise,  pour  enfanter  de  nouveau  ce  mort  tout  pourri, 
messes  de  l'Rvangile  contre  la  mort  et  s'attachant  I  Le  grand  cri  d 


par  une  vive  foi  à  la  vie  que  nous  attendons.  On  a 
besoin  d'une  grande  gràre  contre  une  si  vive  terreur. 
On  ne  la  sent  pas,  tant  qu'on  a  de  la  santé  et  de 
l'espérance  :  mais  quand  il  n'y  en  a  plus,  le  coup  est 
terrible.  Il  est  faible  pourtant,  si  nous  croyons  bien 
que  Jésus  a  vaincu  la  mort. 

Il  l'a  encore  vaincue  dans  une  jeune  fille  de  douze 
ans,  qui  ne  faisait  que  d'expirer,  et  qui  était  encosp 
dans  son  lit  '.  Il  l'a  vaincue  dans  un  jeune  liomme 
qu'on  portait  en  terre  ».  Enfin,  il  Ta  vaincue  dans 
le  tombeau,  et  au  milieu  de  la  pourriture,  en  la 
personne  du  Lazare'.  Il  restait  qu'il  empêchât  même 
la  corruption.  Il  avait  vaincu  la  mort  en  des  person- 
nes qui  étaient  mortes  naturellement  :  il  fallait  en- 
core la  vaincre  lorsqu'elle  serait  venue  par  violence. 
Ceux  à  qui  il  avait  rendu  la  vie,  demeuraient  mor- 
tels; il  restait  qu'avec  la  mort,  il  vainquît  même  la 
mortalité.  C'était  eu  sa  personne  qu'il  devait  faire 
voir  une  victoire  si  complète.  Après  qu'on  l'eut  fait 
mourir,  il  ressuscite  pour  ne  mourir  plus,  sans 
même  avoir  jamais  vu  la  corruption ,  comme  avait 
chanté  le  psalmiste  :  fous  ne  permettrez  pas  que 
rofre  Sainte  rôle  la  corruption  *.  Ce  qui  s'est  fait 
dans  le  chef  s'accomplira  dans  les  membres.  L'im- 
mortalité nous  est  assurée  en  Jésus-Christ  à  meil- 
leur titre  q'i'elle  ne  nous  avait  d'abord  été  donnée 
en  Adam.  Notre  prennière  immortalité  était  de  pou- 
voir ne  mo'irir  pas  :  notre  dernière  immortalité  sera 
de  ne  pouvoir  plus  mourir. 

IV  JOUR. 

M^me  sujet  Les  trois  morls  ressuscites  par  Notre-Seigneur, 
ligures  des  Irois  états  du  pécheur.  Joan.  xi,  I  et  suiv. 
Miitlh.  IX,  18,  25.  Marc,  v,  35,  42.  Luc.  VII,  12,  15. 

La  vraie  mort  de  l'homme  c'est  le  péché,  parce  que 
c'est  la  mort  de  l'âme. 

Dans  les  trois  morts  que  le  Sauveur  a  ressuscites, 
les  saints  ont  considéré  le  péché  vaincu  en  trois  états  : 
dans  son  commencement,  en  la  personne  de  cette 
jeune  fille  :  dans  son  progrès,  en  la  personne  de 
c«lui  qu'on  portait  en  terre  :  dans  sa  consommation, 
et  dans  l'état  d'endurcissement  et  d'habitude  invé- 
térée, en  la  personne  de  Lazare. 

I>a  corruption  dans  un  mort  de  quatre  Jours  fait 
voir  un  homme  qui  croupit,  et  pourrit,  pour  ainsi 
parler,  dans  son  péché.  La  mauvaise  odeur,  c'est  le 
scandale  et  la  diffamation  qui  suit  cet  état.  La  ca- 
verne où  le  mort  est  enterré  fait  voir  l'abîme  où  le 
pécheur  s'est  enfoncé.  La  pierre  sur  le  tombeau, 
c'est  la  dureté  dans  le  cœur.  Les  bandes  dont  le 
mort  est  lié,  sont  les  liens  du  péché  qu'il  ne  peut 
rompre.  Il  ne  paraît  plus  de  ressource;  les  gens  de 
Bien  même  n'espèrent  plus  rien.  Maître,  disait  Mar- 
the ',  //  sent  mauvais,  et  il  y  a  quatre  jours  qu'il 
est  mort.  C'est  ce  qui  cause  dans  Jésus  ce  frémisse- 
ment réitéré  par  deux  fois,  avec  ces  larmes  amères; 
ee  qui  signifie  l'effort,      comme  le  travail  de  l'É- 

'  Matth.  I\  ,  18,  25.  Marr.  v,  35,  iO,  42.  —  -  Luc.  vu,  12» 
I»,  15.  — ^7w/».  XI,  41,  42,  43,  44.  —  ^  P$.  W  ,  10,11.  Act. 

ll,.'T.  —  5  J-'.i!t.  XI,  :;u. 


de  Jésus  montre  encore  la  même  chose. 
Ressusciter  un  tel  mort,  c'est  quelque  chose  de 
plus  miraculeux  que  la  résurrection  de  Lazare. 

Ame  malheureuse,  ne  fais  point  pleuier  Jésus; 
ne  le  fais  point  tant  crier,  ni  tant  frémir;  em|>cche- 
toi  de  tomber  dans  ce  péché  d'habitude.  .Mais  si  tu 
y  es,  ne  perds  pas  toute  espérance;  il  te  reste  une 
ressource  infaillible  dans  les  cris  et  les  larmes  de 
Jésus. 

Déliez-le  y  dit  le  Sauveur";  ôtez-lui  ces  bande- 
lettes dont  il  est  serré;  c'est  le  ministère  des  apô- 
tres. Mais  il  faut  auparavant  que  Jésus  ait  parlé; 
que  le  mort  ait  ouï  sa  \oix;  qu'il  se  soit  déjà  réveillé 
de  son  profond  assoupissement,  et  qu'il  commence 
à  vivre  en  recevant  l'inspiration  qui  l'appelle  à  la 
pénitence.  Les  apôtres  peuvent  alors  user  du  pou- 
voir qui  leur  est  donné  de  délier  :  mais  si  le  pécheur 
n'a  déjà  reçu  aucun  principe  de  vie;  en  un  mot, 
s'il  n'est  déjà  sérieusement  converti ,  c'est  en  vain 
qu'on  le  délierait;  il  est  tout  mort  au  dedans;  et  les 
sacrements  ne  peuvent  rien  pour  lui.  Convertissez- 
vous  donc,  ô  pécheurs,  et  vivez! 

\"  JOUR. 

Amitié  de  Jésus,  modèle  de  I.t  notre.  Excellpule  maDïère 
de  prier.  Joan.  xi,  i  et  ruiv. 

Voilà  les  grands  mystères  de  cet  évangile.  ^lais  à 
ne  rien  regarder  que  l'histoire,  elle  est  ravissante. 

Lazare  notre  ami,  dit  Jésus  ».  Quel  bonheur  à 
des  mortels  de  pouvoir  avoir  Jésus  pour  ami!  A'o- 
tre  ami  :  Lazare  aimait  et  lui  et  sa  compagnie  :  ses 
disciples  avaient  part  à  son  amitié.  Jésus  aimait 
Marthe,  et  Marie  sa  sœur,  et  Lazare^,  qui  était 
malade.  Voilà  les  amis  de  Jésus;  leur  maison  était 
toujours  ouverte  à  lui  et  aux  siens;  ce  sont  ses  hô- 
tes et  ses  amis. 

Puisque  Jésus  n'a  pas  dédaigné  d'avoir  des  amis 
sur  la  terre,  suivons  ce  modèle  dans  nos  amitiés. 
Aimons  ceux  qui  sont  charitables,  et  qui  exercent 
volontiers  l'hospitalité;  car,  en  la  personne  de  leurs 
hôtes,  c'est  Jésus-Qirist  qu'ils  reçoivent.  Aimons 
une  Marthe  si  zélée  pour  servir  Jésus,  qu'elle  passe 
jusqu'à  un  empressement  excessif,  et  jusqu'à  une 
inquiétude  dont  elle  est  reprise.  Si  nos  amis  ont  des 
défauts,  que  ce  soit  des  défauts  fondés  sur  le  bien, 
^lais  aimons  surtout  une  Marie  qui  est  toujours  aux 
pieds  de  Jésus,  toujours  attentive  à  sa  parole,  et 
à  la  bonne  part  qui  ne  pouvait  lui  être  ôtée  <.  Voilà 
ceux  que  Jésus-Christ  honorait  dune  amitié  parti- 
culière. 

Celui  que  vous  aimez  est  malade  *.  C'est  ce  que 
mandent  à  Jésus  les  sœurs  de  Lazare.  Excellente 
manière  de  prier;  sans  rien  demander,  on  expose 
à  celui  qui  aime  le  besoin  de  son  ami.  Prions  ainsi  ; 
soyons  persuadés  que  .Tésus  nous  aime;  présentons- 
nous  à  lui  comme  des  malades,  sans  rien  dire, 
sans  rien  demander.  Prions  ainsi  pour  nous-mêmes  : 
prions  ainsi  pour  les  autres.  C'est  une  manière  de 
prier  des  plus  excellentes. 

ï  ibîd.  &—  *Luc.  X,  u^. 


'  Joan.  XI,  44. 
40,  42.  —  »  7cKiii 


-  î  Ibia.  1 1. 
XI,  3. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


536 

Souvent  on  dit  à  Jésus  dans  son  Evanpie  :  Ve- 
nez, Seigneur,  et  guérissez;  imposez  vos  mains, 
toucliez  le  malade  :  ici  on  dit  simplement  :  Celui 
que  vous  aimez  est  malade.  Jésus  entend  la  voix 
du  besoin ,  d'autant  plus  que  cette  manière  de  le 
prier  a  quelque  chose,  non-seulement  de  plus  res- 
pectueux et  de  plus  soumis,  mais  encore  de  plus 
tendre.  Qu'elle  est  aimable  cette  prière!  Pratiquons- 
ia  principalement  pour  les  maladies  de  l'âme. 

Marthe  et  Marie  conservent  toujours  leur  carac- 
tère. Marthe  est  toujours  la  plus  empressée  :  elle 
parle  plus;  elle  agit  plus.  Marie  arrive  :  d'abord  e//e 
se  prosterne  aux  pieds  de  Jésus  '  ;  elle  ne  dit  qu'un 
mot,  et  c'est  assez. 

Le  Maitre  vous  demande,  lui  disait  Marthe  ».  Jé- 
sus était  content  de  la  foi  de  Marthe  :  mais  pour 
achever  d'être  touché,  il  voulait  voir  les  pleurs,  la 
tendresse  intime  et  la  douceur  de  Marie,  toujours 
attachée  du  fond  de  son  cœur  à  sa  parole. 

Jésus  pleura^.  Où  sont  ces  faux  sages  qui  veulent 
qu^on  soit  insensible  ?  Ce  n'est  pas  là  la  sagesse  de 

Jésus.  ^    ^ 

royez  comment  il  l'aimait*.  Soyez  loué,  o  Sei- 
<^neur  Jésus!  d'avoir  bien  voulu  qu'on  pût  remar- 
quer la  tendresse  que  vous  avez  pour  vos  amis. 
Qu'il  nous  soit  permis  de  l'imiter,  et  d'aimer  à  vo- 
tre exemple  :  les  cœurs  durs  et  insensibles  ne  sont 
pas  ceux  qui  vous  plaisent.  Mais  réglez  nos  amitiés, 
et  sovez-en  le  modèle.  Ne  flattons  point  nos  amis, 
corrigeons-en ,  comme  vous ,  les  empressements  in- 
considérés :  aimons  dans  nos  amis  le  bon  et  le  so- 
lide comme  vous. 

O  Seigneur!  que  je  sois  du  nombre  de  ceux  à 
qui  vous  dites  :  P'ous  êtes  mes  amis  s  1  et  encore  : 
Je  vous  dirai  à  vous  qui  êtes  mes  amis^.  O  bon  et 
parfait  ami,  qui  pour  exercer  envers  eux  l'amour  que 
vous  avez  dit  vous-même  être  le  plus  grand  de  tous, 
avez  donné  votre  vie  pour  eux,  je  ne  veux  d'ami  que 
vous  ou  qu'en  vous.  O  bon  ami ,  ressuscitez-moi ,  je 
suis  plus  mort  que  Lazare. 

Marthe  appelle  Marie  en  secret.  Le  Maitre,  dit- 
cUe7,  vous  demande.  Il  y  a  un  certain  secret  entre 
Jésus-Christ ,  et  les  âmes  intérieures  qui  sont  figu- 
rées par  Marie.  Il  faut  entrer  dans  ce  secret,  et  ne 
le  pas  troubler  en  y  mêlant  le  monde.  Entends , 
chrétien ,  ce  doux  secret ,  ce  secret  entre  le  Verbe 
et  l'âme  détachée  des  sens ,  qui  l'écoute  au  dedans , 
et  qui  ne  connaît  que  sa  voix. 

A  l'instant  Marie  se  lève,  et  vient  à  Jésus». 
Quand  il  appelle,  on  ne  peut  y  apporter  trop  de 
promptitude.  Les  Juifs  les  voyant  partir  si  vite, 
disaient  :  Elle  va  pleurer  au  tombeau.  On  connais- 
sait son  bon  naturel  et  son  cœur  tendre  ;  mais  Jésus 
ovait  réglé  ses  tendresses,  dont  le  principal  objet 
était  sa  parole. 

Déliez-le,  et  laissez-le  aller  9.  On  n'a  point  dit  m 
pu  il  alla,  ni  ce  qu'il  fit,  ni  ce  qu'il  dit,  ni  ce  qu'on 
lui  dit,  ni  où  il  avait  été,  ni  comment  il  se  trou- 
vait :  toutes  questions  superflues.  Dieu,  qui,  dès 

'  Jo,m.  XI,  32.  —  ^  IbUL  2S.  -  ^  I!>id.  35.  —  «  Ibid.  .36. 
^'  Ibid.  XV,  14,  15.  —'  Luc.  XII,  4.  —  ■  Jo;:n.  \  ,  'Jb.  — 
»  li,i4.-:t9,Zl.  —9  Ibid.i\. 


le  moment  de  sa  mort ,  savait  ce  qu'il  en  voulait 
faire,  avait  tout  réglé;  il  savait  par  où  nous  de- 
vaient venir  les  vérités  de  l'autre  vie.  Jésus  notre 
docteur  savait  tout ,  et  avait  tout  vu  dans  la  source. 
La  simplicité  du  narré  nous  apprend  ce  qu'on  doit 
considérer  dans  les  grandes  choses,  et  comme  il  y 
faut  mépriser  les  minuties. 

Vie  JOUR. 

Jésus-Chrisl  mis  en  si^ne  de  coniradiclion  :  incrédulité 
des  Juifs  après  la  résurrection  de  T..izare.  Jonii.  xi,  46 
et  suiv. 

Ce  qui  fut  dit  du  Sauveur  à  sa  bienheureuse 
Mère,  par  le  saint  vieillard  Siméon,  est  bien  vrai  : 
Celui-ci  est  posé  en  ruine  et  en  résurrection  à  plu- 
sieurs en  Israël,  et  en  signe  de  contradiction  ;  afin 
que  les  pensées  de  leurs  cœurs  soient  découvertes  '. 
On  n'avait  point  encore  vu  la  profonde  malice  du 
cœur  de  l'homme,  ni  jusqu'à  quel  point  il  est  capa- 
ble de  résister  à  Dieu. 

Après  un  si  grand  miracle,  il  semble  qu'il  ne 
faut  pas  s'étonner  que  plusieurs  crussent.  La  ré- 
surrection de  Lazare  était  arrivée  en  présence  de 
tout  le  monde,  à  la  porte  de  Jérusalem,  avec  le 
concours  qu'attire  un  deuil  dans  les  maisons  con- 
sidérables :  Plusieurs  apurent.,  dit  l'évangéliste*. 
C'était  là  l'effet  naturel  d'un  si  grand  miracle.  Mais 
d'autres,  qui  savaient  la  haine  des  pontifes  et 
des  pharisiens  contre  Jésus ,  et  qui  y  entraient , 
leur  allèrent  dire  ce  qu'ils  avaient  vu.  Sur  cela, 
on  assembla  le  conseil,  et  la  résolution  en  fut 
étrange. 

Cet  homme  fait  beaucoup  de  miracles^.  Ils  ne 
nient  point  le  fait  ;  il  est  trop  constant.  Que  ferons- 
nous'^  La  réponse  paraît  aisée,  Croyez  en  lui  : 
mais  leur  avarice,  leur  faux  zèle,  leur  hypocrisie, 
leur  ambition  ,  leur  domination  tyrannique  sur  les 
consciences,  que  Jésus  découvrait,  encore  qu'il  la 
cachassent  sous  le  masque  du  zèle  de  la  religion , 
les  aveuglait.  En  cet  état,  ils  ne  peuvent  croire^, 
comme  nous  verrons  bientôt  ;  et  ils  aiment  mieux 
résister  à  Dieu,  que  de  renoncer  à  leur  empire. 

Ailleurs  ils  disent  encore  :  Qite  ferons-nous  à 
ces  hommesl  car  le  miracle  qu'ils  viennent  de 
faire  est  public.  Tout  Jérusalem  en  est  témoin,  et 
nous  ne  saurions  le  nier^.  La  réponse  naturelle 
était.  Il  y  faut  croire.  Mais  si  nous  y  croyons, 
nous  ne  serons  plus  rien  :  et  c'est  à  quoi  ils  ne  pou- 
vaient se  résoudre. 

Les  incrédules  s'écrient  :  Comment  tout  le  monde 
n'at-il  pas  cru  ,  s'il  y  a  eu  tant  et  de  si  grands  mi^ 
racles?  Us  n'entendent  pas  le  profond  attachement 
du  cœur  humain  à  ses  sens,  et  aux  affaires  qui  les 
flattent;  d'où  suit  une  indifférence  prodigieuse  pour 
le  salut.  Ce  qui  fait  qu'on  ne  daigne  pas  s'appliquer 
à  ce  qui  se  passe  qui  y  a  rapport,  ni  s'en  enquérir; 
et  que  ceux  qui  l'ont  vu ,  s'étourdissent  eux-mêmes 
pour  n'y  pas  croire;  de  peur  qu'en  y  croyant  ils  ne 
soient  forcés  de  renoncer  à  tout  ce  qu'ils  aiment 

•  /.)/('.  II,  :n,  35.  —  »  Joan.  Xi,  45.  —  ^  Ihid.  47.  —  *  .^i^ 
Xll,  37,  o8,a9.  —  "  Act.  IV,  16. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


et  d'embrasser  une  vie  qui  leur  paraît  si  insuppor- 
table et  si  triste. 

Il  faut  donc  entendre,  qu'outre  les  miracles  du 
dehors,  il  en  fallait  un  au  dedans,  pour  y  changer 
la  mauvaise  disposition  des  cœurs;  et  c'est  là  l'effet 
de  la  grâce.  De  là  vient  que  si  peu  de  gens  ont  cru  ; 
encore  qu'on  ait  vu  tant  di  prodiges ,  et  qu'ils  eus- 
sent été  écrits  dès  le  commencement  avec  des  cir- 
constances si  particulières,  qu'il  n'y  avait  rien  de 
plus  aisé  que  d'en  découvrir  la  vérité;  comme  il 
n'y  edt  rien  eu  de  plus  impudent,  ni  de  plus  capa- 
ble de  détromper  les  plus  crédules,  que  de  leur 
avancer  tant  défaits  positifs,  dont  le  contraire 
eût  été  si  constant.  Il  n'y  a  eu  que  ceux  qui  ont  as- 
sez aimé  leur  salut  et  la  vérité,  pour  prendre  soin 
ou  de  s'enquérir  des  choses  qui  se  passaient  en  Ju- 
dée à  la  vue  de  tout  le  monde ,  ou  d'y  faire ,  s'ils 
Ie5  voyaient,  les  réflexions  nécessaires,  aOn  de  les 
voir  d'un  autre  oeil  que  le  vulgaire  attaché  aux  sms 
et  aux  préventions. 

Ce  qu'il  y  a  ici  de  plus  étonnant,  c'est  que  ceux 
qui  ne  voient  pas  la  volonté  de  Dieu  dans  les  mi- 
racles qui  la  déclaraient  si  évidemment,  sont  les 
plus  savants  du  peuple,  les  pontifes,  les  pharisiens 
et  les  docteurs  de  la  loi ,  parce  que  des  hypocrites 
comme  eux,  qui  n'employaient  le  nom  de  Dieu  qu'à 
tromper  le  monde,  des  avares,  des  orgueilleux ,  qui 
foisaient  servir  la  religion  à  leurs  intérêts,  devaient 
être  naturellement  les  plus  opposés  à  la  vérité,  et 
les  plus  incapables  de  ses  secrets.  C'est  donc  ainsi 
que  les  pensées  de  plusieurs  furent  découvertes, 
parce  qu'on  devait  voir  jusqu'à  quel  point  l'intérêt 
devait  animer  les  hommes  les  plus  sages  en  appa- 
rence, comme  les  plus  considérables  du  peuple, 
contre  Dieu  et  la  vérité. 

Loin  de  proGter  du  miracle  de  la  résurrection  de 
Lazare,  ils  résolurent,  non-seulement  de  tuer  Jé- 
sus,  qui  était  l'auteur  du  miracle,  mais  encore 
Lazare  même' ,  en  qui  il  s'était  accompli.  Trop  de 
monde  le  venait  voir,  et  c'était  un  témoin  trop  vi- 
vant contre  eux.  Ils  voulurent  donc  le  tuer,  croyant 
obscurcir  par  là  le  miracle  de  sa  résurrection,  en 
montrant  du  moins  que  le  Sauveur  n'avait  pas  pu 
le  faire  vivre  longtemps.  Ils  songèrent  d(5nc  à  le 
tuer,  comme  si  par  cette  sorte  de  mort  ils  pou- 
vaient lier  les  mains  à  Dieu.  Et  il  fallait  encore  qyiQ 
la  gloire  de  Jésus-Christ  révéldt  au  monde  ce  pro- 
dige de  malignité  et  de  folie. 


i87 

sensibilité  de  ceux  qui,  élevés  dans  la  foi,  et  au 
milieu  des  lumières,  préfèrent  encore  leurs  sens  et 
les  plaisirs  qui  les  enchantent,  à  la  vérité  qui  luit 
dans  leur  cœur;  et  ne  craignent  pas  de  vivre 
connue  les  impies  et  les  inUdèles. 

VI1«  JOUR. 

Fausse  cl  aveugle  politique  dps  Juifs  dans  ia  mort  de  JésuS- 
Christ,  figure  de  la  politique  du  siècle.  Joan.  xi,  «8  et 
suiv. 

Les  Romains  viendront,  et  ils  détruiront  notre 
ville ,  notre  temple  et  toute  notre  nation  ' .  C'est  le 
prétexte  dont  ils  couvraient  leur  intérêt  caché  et 
leur  ambition.  Le  bien  public  impose  aux  hommes  ; 
et  peut-être  que  les  pontifes  et  les  phari.siens  en 
étaient  véritablement  touchés  ;  car  la  politique  mal 
entendue  est  le  moyen  le  plus  sûr  pour  jeter  les 
hommes  dans  l'aveuglement ,  et  les  faire  résister  à 
Dieu. 

On  voit  ici  tous  les  caractères  de  la  fausse  po- 
litique, et  une  imitation  de  ia  bonne,  mais  à  con- 
tre-sens. 

La  véritable  politique  est  prévoyante,  et  par 
là  se  montre  sage.  Ceux-ci  font  aussi  les  sages  et 
les  prévoyants  :  Les  Romains  viendront.  Ils  vien- 
dront, il  est  vrai ,  non  pas  comme  vous  pensez , 
parce  qu'on  aura  reconnu  le  Sauveur;  mais  au  con- 
traire parce  qu'on  aura  manqué  de  le  reconnaître. 
La  nation  pénra  :  vous  l'avez  bien  prévu;  elle  pé- 
rira en  effet;  mais  ce  sera  par  les  moyensdont  vous 
prétendiez  vous  servir  pour  la  sauver  :  tant  est 
aveugle  votre  politique  et  votre  prévoyance! 

La  politique  est  habile  et  capable  :  ceux-ci  font 
les  capables.  V^oyez  avec  quel  air  de  capacité  Caï- 
phe  disait  :  rous  n'y  entendez  rien  :  il  n'y  enten- 
dait rien  lui-même.  //  faut  qu'un  homme  meure 
pour  le  peuple  '  :  il  disait  vrai;  mais  c'était  d'une 
autre  façon  qu'il  ne  l'entendait. 

La  politique  sacrifie  le  bien  particulier  au  bien 
public  :  et  cela  est  juste  jusqu'à  un  certain  point.  // 
faut  qu'un  homme  meure  pour  le  peuple  :  il  enten- 
dait qu'on  pouvait  condamner  un  innocent  au  der- 
nier supplice,  sous  prétexte  du  bien  public  :  ce  qui 
n'est  jamais  permis.  Car  au  contraire  le  sang  in- 
nocent crie  vengeance  contre  ceux  qui  le  répandent. 
La  grande  habileté  des  politiques,  c'est  de  don- 
ner de  beaux  prétextes  à  leurs  niauvais  desseins. 
Il  n'y  a  point  de  prétexte  plus  spécieux  que  le  bien 


11  ne  faut  donc  plus  s'étonner  de  l'aveuglement     public',  que  les  pontifes  et  leurs  adhérents  font  sem- 


des  Juifs.  Celui  des  impies  et  des  hérétiques  est 
à  peu  près  de  même  genre  :  les  secrètes  dispositions 
de  tous  ces  gens-là  devaient  être  découvertes.  C'est 
que  l'effort  qu'il  faut  faire  contre  ses  sens  et  con- 
tre soi-même  ,  pour  se  donner  tout  entier  à  la  vé- 
rité et  à  Dieu,  est  si  grand,  que  plutôt  que  de  le 
faire, ils  aiment  mieux  étouffer  la  grâce  et  l'inspi- 
ration qui  les  y  porte,  et  s'aveugler  eux-mêmes. 

ÎS'ous  sommes  aussi  de  ceux  pour  qui  Jésus-Christ 
est  un  signe  de  contradiction;  et  une  de  ces  pen- 
sées du  cœur  humain,  que  Jésus-Christ  venu  au 
monde  devait  découvrir,  c'est  la  prodigieuse  in- 

'  Joan.  XI,  50,  53;  xu,  lo,  M. 


blant  de  se  proposer.  Mais  Dieu  les  confondit;  et 
leur  politique  ruina  le  temple,  la  ville,  la  nation 
qu'ils  faisaient  semblant  de  vouloir  sauver.  Et  Jé- 
sus-Christ leur  dit  à  eux-mêmes  :  L'os  tnaisons 
seront  abandonnées ,  vous  et  vos  enfants  portermit 
votre  iniquité  ^;  et  tout  périra  par  les  Romains  qu9 
vous  faites  semblant  de  vouloir  ménager. 

Sans  être  dans  les  affaires  publiques,  chacun 
peut  ici  considérer  ce  que  c'est  que  la  fausse  pru- 
dence, ou  la  prudence  de  la  chair  :  ses  artifices  pour 
cacher  aux  autres,  et  souvent  à  elle-même,  ses  mau-. 


'  Joan. 
Luc.  \i\ , 


4.8.  —  »  Ibid. 
ii;  \XI,  iO,  Z: 


49,    50. 


•  5  Malth.  XXUI,  38 


MEDITATIO.NS  StJR  L'ÉVANGILE. 


588 

fais  desseins  :  les  vains  prétextes  dont  elle  se  sert 
jiour  cola  :  sa  présomption  à  faire  l'habile,  pendant 
qu'en  effet  elle  est  dans  la  souveraine  ignorance  :  ses 
fausses  maximes  pour  décider  de  ce  qu'on  appelle 
cas  de  conscience,  et  l'abus  qu'elle  fait  des  bon- 
nes :  l'abus  qu'elle  fait  aussi  de  son  autorité ,  lors- 
qu'elle en  a;  et  même  quelquefois  de  la  grâce  de 
son  ministère,  comme  iil  Caïphe  de  laprophétie\ 
en  quelque  sorte  annexée  au  pontiUcat,  comme 
saint  Jean  le  remarque.  Tout  cela  peut  découvrir  à 
chacun  les  fautes  qu'il  fait  dans  la  conduite  de  sa 
famille ,  de  sa  communauté ,  de  soi-même  en  particu- 
lier :  comme  on  s'entête  du  bien  des  communau- 
tés, à  qui  souvent  on  sacrifie  des  particuliers  in- 
nocents. Encore  croit-on  rendre  service  a  Dieu; 
comme  Jésus-Christ  le  dit  distinctement  des  pon- 
tifes » ,  et  des  autres  ennemis  de  la  vérité. 

Pour  venir  à  quelque  chose  de  plus  tendre,  unis- 
sez-vous en  esprit  à  tous  ces  enfants  de  Dieu  dis- 
persés par  tout  l'univers,  que  la  mort  du  Sauveur 
devait  recueillir^. 

Le  verset  53  nous  fait  voir  le  résultat  du  conseil , 
et  la  mort  du  Fils  de  Dieu  résolue  ;  ce  qui  l'obligea 
à  se  cacher  jusqu'au  temps  qu'il  avait  résolu. 

Cependant  la  pâque  approchait,  vers  le  temps 
de  laquelle  il  devait  mourir.  Tout  se  préparait  à 
cette  pàque,  et  en  même  temps  à  la  mort  du  Sau- 
veur, puisque  déjà  l'ordre  était  donné  à  tous  ceux 
qui  sauraient  où  il  était ,  de  le  déclarer,  alin  qu'on 
le  prit. 

Demeurez  en  attente  de  ce  qui  doit  arriver  à 
Jésus.  Et  en  voyant  comment  on  venait  plusieurs 
jours  devant  la  pâque  pour  s'y  disposer,  considérez 
la  disposition  que  vous  devez  apporter  à  la  pâque 
véritable,  qui  est  la  communion. 

VHP  JOUR. 

Profusion  des  parfums  sur  la  léte  et  les  pieds  de  Jésus,  eu 
différents  temps.  Joan.  XH,  i,  12. 

Comme  le  temps  approchait,  Jésus  sort  de  sa 
retraite  autour  d'Ephrem  4,  et  revient  à  Béthanie, 
c'est-à-dire,  comme  on  a  vu,  aux  portes  de  Jéru- 
salem, six  jours  devant  Pâques. 

Ce  qui  s'y  passa  d'abord  de  plus  remarquable 
fut  un  festin,  où  Lazare  était  à  table  avec  lui  dans 
sa  maison.  Marthe  gardait  son  caractère,  et  servait, 
îdarie,  aussi  pour  garder  le  sien,  se  mit,  selon  sa 
couinme ,  aux  pieds  de  Jésus ,  qu'elle  oignit  d'un 
parfum  exquis,  et  les  essuya  de  ses  cheveux^.  Il 
est  arrivé  trois  fois  au  Sauveur  d'être  oint  par  de 
pieuses  femmes.  Ce  qui  paraît  non-seulement  dans 
saint  Jean,  comme  nous  venons  de  le  voir,  mais 
encore  dans  saint  Luc ,  vu ,  37  et  suiv.  ;  dans  saint 
Matthieu,  xxvi,  6  et  suiv.;  et  dans  saint  Marc, 
XIV,  3  et  suiv. 

En  saint  Luc  la  femme  n'est  pas  nommée  :  et  il 
paraît  seulement  que  c'était  une  pécheresse  péni- 
tente. Ses  larmes,  dont  elle  arrosait  les  pieds  de 
Jésus,  sont  le  caractère  de  sa  pénitence;  et  Jésus- 
Christ  lui  ayant  donné  expressément  la  rémission 

<  Joan.  XI,  61.  —  »  Ibid.  XVI,  2.  —  '  Ihid.  xi,  52  et  sefjq. 
—  '  Ibid.  L)i.  —  s  Ibhl.  XH,  3, 


de  ses  péchés,  confirme  ce  caractère  C'en  est  aussi 
une  belle  confirmation,  d'avoir  expliqué  comme  il  a 
fait  la  nature  et  les  devoirs  de  l'amour  pénitent,  et 
de  montrer  jusqu'où  le  porte  la  reconnaissance. 

Ce  caractère  d'amour  pénitent  ne  se  trouve  point 
dans  ce  chapitre  de  saint  Jean,  où  il  est  dit  seule- 
ment que  Marie  répandit  son  parfum  sur  les  pieds 
de  Jésus,  et  les  essuya  de  ses  cheveux,  mais  sans  y 
parler  de  larmes,  ni  des  doux  et  pieux  baisers  de  la 
pénitente.  Il  n'yenarien  nonplusen  saint  Matthieu, 
ni  en  saint  Marc.  Ces  deux  évangélistes  marquent 
le  parfum  répandu  sur  la  tête,  pendant  que  Jésus 
était  à  table  :  ce  qui  était  très-facile  en  ces  tem[)s, 
où  les  conviés  étaient  à  table  couchés.  Il  est  dit  dans 
saint  Jean  ,  que  la  maison  fat  toute  remplie  de  la 
bonne  odeur  du  parfum^.  Les  lieux  comme  les 
tempsdeces  onctions  sont  marqués.  La  pécheresse 
pénitente  fit  son  onction  longtemps  avant  la  der- 
nière pâque,  dans  la  maison  de  Simon  le  pharisien , 
comme  le  raconte  saint  Luc.  La  seconde  onction , 
qui  est  clairement  attribuée  à  !\larie,  sœur  de  La- 
zareetde  Marthe,  se  fit  à  Béthanie,  six  jours  de- 
vant Pâques,  dans  la  maison  de  Lazare  et  de  ses 
soeurs,  selon  saint  Jean.  Et  la  troisième  encore  à 
Béthanie,  mais  chez  Simon  lépreux,  et  seulement 
deux  jours  avant  Pâques,  comme  le  marqueut  saint 
j\lattliieu  et  saint  Marc».  Dans  la  première  et  dans 
la  troisième  onction,  la  femme  n'est  pas  nommée. 
Dans  la  seconde,  il  est  porté  expressément  dans  • 
saint  Jean  que  celle  qui  la  fit  fut  Marie,  soeur  de 
Lazare.  Et  soit  que  les  trois  différentes  onctions 
aient  été  faites  par  différentes  personnes ,  selon 
l'opinion  de  quelques-uns,  ou  parla  même,  selo-n 
quelques  autres,  en  divers  temps,  et  avec  différen- 
tes circonstances,  il  faut  profiter  de  chaque  carac- 
tère qui  nous  y  paraît. 

Il  faut  aussi  remarquer  que  ces  profusions  de 
parfums  scandalisèrent  deux  fois  les  hypocrites,  et 
même  les  disciples  qui  n'en  savaient  pas  le  mystère, 
et  que  Jésus  aussi  prit  deux  fois  la  défense  de  ces 
pieuses  profusions. 

Parfumer  Jésus,  c'est  lui  donner  des  louanges; 
parfumer  la  tête  de  Jésus ,  c'est  louer  et  adorer  sa 
divinité  :  car  la  tête  de  Jésus-Christ,  comme  parle 
saint  PauP,  c'est  Dieu.  Parfumer  ses  pieds,  c'est 
adorer  son  humanité  et  ses  faiblesses.  Essuyer  les 
pieds  de  Jésus  avec  ses  cheveux ,  c'est  mettre  à  ses 
pieds  sacrés  son  ornement,  et  sa  tête  même,  avec 
toutes  les  vanités  et  la  parure  du  siècle.  Tout  est  sa- 
crifié à  Jésus;  on  ne  veut  plaire  qu'à  lui  :  des  che- 
veux qui  ont  touché  les  pieds  de  Jésus  pourront- 
ils  jamais  servir  à  la  vanité  ?  C'est  ainsi  que  Jésus 
veut  être  aimé.  Il  est  seul  digne  d'un  tel  amour,  et 
de  tels  hommages. 

On  ne  répand  pas  seulement  ces  riches  parfums 
sur  Jésus  :  on  rompt  la  boite  d'albâtre  où  ils  étaient 
renfermés,  dit  saint  Marc^  afin  qu'il  ait  tout.  Sa 
tête  et  ses  pieds  ruisselèrent  donc  de  ces  admirables 
parfums  :  et  toute  la  maison  en  fut  embaumée. 

1  Joan.  xn,  3.  —  '  Ibid.  4;  Matth.  XXVI,  8;  Marc.  V.V,  » 
—  3 1  Cor.  XI ,  3.  -  ♦  Marc.  XIV,  3. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


589 


1 /exemple  de  la  piété  de  ces  saintes  femmes  a  rem- 
pli toute  rRglise  de  sa  bonne  odeur. 

Quand  la  pécheresse  approcha  des  pieds  de  Jé- 
sus, on  disait  •  :  S'il  était  prophète ,  il  ne  se  laisse- 
rail  pas  toucher  par  cette  pécheresse.  Ici  on  ne  lui 
reproche  rien  contre  celles  qui  le  touchent;  soit 
qu'elles  n'eussent  jamais  été  pécheresses  ;  soit  qu'il 
y  eiU  déjà  si  longtemps  que  la  mémoire  en  fût  effa- 
cée par  leur  pénitence.  On  leur  Gt  ici  un  autre  re- 
proche, et  c'est  celui  de  leur  profusion  :  on  pouvait 
vendre  ces  parfums  trois  cents  deniers  et  plus  : 
tant  ils  étaient  précieux,  tant  l'effusion  en  fut  abon- 
dante! et  les  donner  aux  pauvres  '.  L'amour  des 
pauvres  fut  le  prétexte  dont  on  se  servit  pour  con- 
damner la  piété  de  ces  femmes,  qu'on  appelait  in- 
discrète; et  pour  couvrir  l'envie  qu'on  avait  contre 
Jésus,  et  des  honneurs  qu'on  lui  faisait  :  et  Judas 
se  signala  parmi  ces  faux  charitables ,  et  ces  faux 
dévots-  Les  plus  méchants  sont  les  plus  sévères 
censeurs  de  la  conduite  des  autres  ;  soit  par  le  dérè- 
glement de  leur  esprit ,  soit  par  leur  hypocrisie,  ou 
par  un  faux  zèle.  Judas  avait  encore  une  autre  rai- 
son :  c'est  qu'il  gardait  et  volait  ce  qu'on  donnait 
au  Sauveur;  et  il  croyait  qu'on  ôtait  à  son  avarice 
ce  qu'on  ne  mettait  pas  entre  ses  mains.  Que  l'ava- 
rice parle  haut,  quand  elle  peut  se  couvrir  du  pré- 
texte de  la  charité  ! 

Ses  insolents  discours  n'attaquaient  pas  seule- 
niput  les  femmes  dont  il  accusait  la  profusion,  mais 
encore  Jésus-Christ  qui  la  souffrait;  mais  il  prit  en 
main  leur  défense ,  en  disant  qu'elles  VavaientfaU 
pour  l'ensevelir  ^ ,  se  considérant  comme  mort,  à 
1-ause  que  l'heure  approchait ,  et  qu'il  s'était  mis 
dans  l'esprit  et  dans  l'état  de  victime. 

II  voulait  en  même  temps  nous  faire  considérer 
(!c  quel  hoimeur  était  digne  ce  corps  virginal,  formé 
par  le  Saint-Esprit,  et  où  la  divinité  habitait;  par 
lequel  la  mort  devait  être  vaincue ,  et  le  règne  du 
péché,  aboli.  Quels  parfumsassez  exquis  pouvaient 
eu  marquer  assez  la  pureté.? 

41  voulait  aussi  que  les  parfums  qui  servaient  à 
Is  mollesse  et  au  luxe,  servissent  à  cette  fois  à  la 
piété,  que  la  vanité  fdt  sacriflée  à  la  vérité, 

f  ous  aurez  toujours  des  pauvres  avec  vous; 
ei  quand  vous  voudrez,  vous  leur  pouvez  faire  du 
bien  •». 

Les  onctions  étaient  salutaires  au  corps  :  on  s'en 
servait  non-seulement  par  délicatesse,  mais  encore 
par  précaution  et  par  remède.  On  faisait  nager  les 
corps  morts  dans  le  baume  et  dans  les  parfums, 
pour  les  conserver  et  en  prévenir  la  corruption , 
même  après  la  mort  :  et  c'était  tout  le  bien  dont  le 
corps  était  capable  alors.  On  pouvait  toujours  faire 
ces  sortes  de  biens  aux  pauvres,  disait  le  Sauveur  : 
mais  pour  lui,  on  n'aurait  pas  toujours  son  corps 
préserU  pour  lui  faire  ce  bien.  Il  fallait  donc  le  lui 
faire  pendant  qu'on  l'avait  :  et  quand  on  ne  l'aurait 
plus ,  se  consoler  en  le  faisant  aux  pauvres ,  dont  il 
imputait  le  soulagement  et  le  bien,  comme  fait  à  sa 
personne.  Combien  donc  les  pauvres  nous  doivent- 

•  Luc.  Tii ,  29.  —  ^  Joan.  xn ,  5.  Varc.  XIV ,  b.  —  '  Tbid. 
fcj»  .  8.  Joan.  XII  ,7.  —  *  .Varc.  XIV ,  7 


ils  être  chers,  puisqu'ils  nous  tiennent  la  place  d« 
Jésus-(>hrist!  Baisons  leurs  pieds;  prenons  part  à 
leurs  humiliations  et  à  leurs  faiblesses  :  versons  des 
larmes  sur  leurs  pieds;  pleurons  leur  misère;  com- 
patissons à  leurs  souffrances  :  répandons  des  par- 
fums sur  leurs  pieds,  des  consolations  sur  leurs  pei- 
nes et  sur  leurs  inûrmites,  un  baume  adoucissant 
sur  leurs  douleurs  :  essuyons- les  de  nos  cheveux  ; 
donnons-leur  notre  superQu;  et  privons-nous  des 
vains  ornements  pour  les  soulager. 

En  même  temps  parfumons  Jésus  ;  laissons  exha- 
ler de  nos  cœurs  de  tendres  désirs,  un  amour 
chaste ,  une  douce  espérance ,  de  continuelles  louan- 
ges. Et  si  nous  voulons  l'aimer  et  le  louer  digne- 
ment, louons-le  par  toute  notre  vie  :  gardons  sa 
parole. 

Disons-lui  dans  l'épanchement  de  nos  cœurs  ce 
que  lui  disait  saint  Paul',  qu'il  nous  est  justice, 
sainteté,  sagesse,  rédemption,  et  toutes  choses  : 
comme  il  est  dit  aux  Corinthiens.  Disons-lui  tout 
ce  que  dit  le  même  saint  Paul  aux  Colossiens  '. 
Chantons-lui  tous  les  doux  cantiques  que  lui  chante 
dans  l'Apocalypse  tout  le  peuple  racheté  :  L'Agneau 
qui  a  été  immolé  pour  nous  est  digne  de  recevoir 
la  vertu,  la  divinité,  les  richesses,  la  sagesse,  la 
force,  la  gloire ,  la  bénédiction^.  C'est  ce  que  lui 
doit  chanter  toute  créature  :  c'est  là  le  parfum  que 
nous  répandons  sur  lui  dans  l'épanchement  de  nos 
cœurs. 


LA 

DERINIÈRE  SEMAINE 

DU  S.AUVEUR. 

Huit  jours  se  sont  passés  à  considérer  les  appro- 
ches de  Jésus  vers  Jérusalem.  Nous  voilà  enGn  par- 
venus à  cette  dernière  semaine,  que  nous  nous 
sommes  proposé  de  considérer. 

INous  en  partagerons  les  discours  en  deux.  Pre- 
mièrement, nous  lirons  ceux  qui  ont  été  faits  de- 
puis le  dimanche  des  Rameaux  jusqu'à  la  Cène. 
Secondement,  nous  lirons  ceux  que  Jésus  a  faits  à 
ce  jour,  qui  est  le  plus  remarquable,  puisque  c'a  été 
la  veille  de  sa  passion. 


SERMONS 

ou   DISCOUBS   DE   NOTKE-SEIG.NF.rB, 
DEPCIS  LE  DOIANCHE  DES  RAMEACX  JCSQt'A  LA  CÈ\E. 


PREMIER  JOUR. 

Entrée  triomphante  de  Notre-Seigneur  dans  Jéras.-itein  :  il 
y  est  reconnu  roi,  fils  de  David,  et  le  Messie.  Jwn.  xii, 
12,  -20.  Matth.  Ml ,  I,  17.  Marc  si ,  I,  17.  Luc.  XlX ,  2»,  48. 

Toutes  ces  lectures  nous  apprendront  l'entrée 
triomphante  de  Jésus  dans  Jérusalem ,  ce  qu'il  y  flt , 

'  I.  Cor.  I,  30.  —  »  Colois.  I,  12,  13;  et  seqq.  —  '  Apoc 
V,  li,  13,  Vil,  10,  Il ,  12. 


et  ce  qu'il  y  tlil.  I-a  tradition  de  Tf^glise  met  cette 
pptrée  au  premier  jour  de  la  semaine,  qui  est  un 
dimanche  ,  qu'on  appelle  pour  cette  raison  le  diman- 
che des  Rameaux  :  Dominica  in  ramis  Palmarum. 

Quoique  le  premier  avènement  de  Jésus-Christ , 
contre  l'attente  des  Juifs ,  dût  se  passer  en  humilité , 
il  ne  devait  pas  être  destitué  de  cette  gloire  et  de 
cet  éclat  que  les  Juifs  attendaient.  Cet  éclat  était 
nécessaire  pour  leur  faire  voir  que  tout  humble 
qu'était  le  Sauveur,  et  tout  méprisable  qu'il  parais- 
sait selon  le  monde,  il  y  avait  dans  ses  actions  et 
dans  sa  personne  de  quoi  lui  attirer  la  plus  grande 
gloire  que  les  hommes  puissent  donner  sur  la  terre, 
et  jusqu'à  le  faire  roi ,  si  l'ingratitude  des  Juifs ,  et 
une  secrète  dispensation  de  la  sagesse  de  Dieu ,  ne 
l'eût  empêché. 

C'est  donc  ce  qui  parut  à  cette  entrée ,  la  plus 
éelatante  et  la  plus  belle  qui  fut  jamais,  puisqu'on 
y  voit  un  homme,  qui  paraissait  le  dernier  de  tous 
les  hommes  en  considération  et  en  puissance,  rece- 
voir tout  d'un  coup  de  tout  le  peuple,  dans  la  ville 
royale  et  dans  le  temple,  des  honneurs  plus  grands 
que  n'en  avaient  jamais  reçu  les  plus  grands  rois. 
Voilà  donc  cet  éclat  dont  nous  parlons  :  mais  le 
caractère  d'himiiliation  et  d'infirmité,  inséparable 
de  l'état  du  Fils  de  Dieu  sur  la  terre,  n'y  devait  pas 
être  oublié  ;  et  nous  l'y  verrons  aussi ,  après  que 
nous  aurons  auparavant  considéré  le  caractère  de 
gloire  et  de  grandeur. 

Il  faut  donc  savoir  que  le  Fils  de  Dieu ,  quoiqu'il 
parût  à  l'extérieur  le  dernier  des  hommes,  était  né 
pour  être  roi  de  la  manière  du  monde  la  plus  ad- 
mirable et  la  plus  auguste,  puisque  c'était  par  l'ad- 
miration que  causaient  ses  exemples ,  sa  sainte  vie, 
sa  sainte  doctrine,  ses  grands  ouvrages,  et  ses 
miracles,  sans  aucun  autre  secours.  Le  Sauveur 
avait  paru,  par  ces  merveilles,  si  secourable  au 
genre  liumain ,  que  les  troupes  oubliaient  tout  pour 
le  suivre  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants,  jus- 
qu'aux déserts  les  plus  éloignés,  sans  songer  à  au- 
cun besoin  :  et  Jésus  en  ayant  nourri  avec  cinq 
pains  d'orge  et  deux  poissons  jusqu'à  cinq  mille , 
sans  compter  les  femmes  et  les  enfants ,  ils  furent 
tellement  ravis,  qu'us  voulaient  venir  en  ioule  poul- 
ie fai7-e  roi,  et  le  reconnaître  pour  le  Christ.  On  eût 
donc  vu  dès  lors  quelque  chose  de  l'éclat  qui  a  paru 
aujourd'hui,  si  Jésus,  qui  avait  ses  temps  réglés 
pour  toutes  choses ,  ne  sefât  retiré  bien  avant  daiis 
le  désert  pour  l'empêcher  '. 

Mais  au  jour  des  Rameaux,  il  lui  plut  de  laisser 
éclater  l'admiration  que  les  peuples  avaient  pour 
lui.  C'est  pourquoi  ils  accoururent  au-devant  de  lui 
avec  des  palmes  à  la  main,  criant  hautement  qu'il 
était  leur  roi ,  le  vrai  fils  de  David  qui  devait  venir, 
et  enfin  le  Messie  qu'ils  attendaient.  I.es  enfants  se 
joignaient  à  ces  cris  de  joie;  et  le  témoignage  sin- 
cère de  cet  âge  innocent,  faisait  voir  combien  ces 
transports  étaient  véritables.  Jamais  peuples  n'en 
avaient  tant  fait  à  aucun  roi  :  ils  jetaient  leurs  ha- 
rits  [)ar  terre  sur  son  passage;  ils  coupaient  à  l'envi 
des  rameaux  verts  pour  en  couvrir  les  chemins;  et 

-  Ulutth.  xiv,  13,  21.  Joan.  vi,  r»,  15. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


tout,  jusqu'aux  arbres,  semblait  vouloir  s'incliner 
et  s'abattre  devant  lui.  Les  plus  riches  tapisseries 
qu'on  ait  jamais  tendues  à  l'entrée  des  rois,  n'éga- 
lent pas  ces  ornements  simples  et  naturels.  Tous  les 
arbres  ébranchés  pour  l'usage  qu'on  vient  de  voir; 
tout  un  peuple  qui  se  dépouille  pour  parer  en  cette 
manière  le  chemin  oîi  passait  son  roi ,  fait  un  spec- 
tacle ravissant.  Dans  les  autres  entrées ,  on  ordonne 
aux  peuples  de  parer  les  rues;  et  la  joie ,  pour  ainsi 
dire,  est  commandée.  lii  tout  se  fait  par  le  seul 
ravissement  du  peuple.  Rien  au  dehors  ne  frappait 
les  yeux  :  ce  roi  pauvre  et  doux  était  monté  sur  un 
ânon ,  humble  et  paisible  monture  ;  ce  n'était  point 
ces  chevaux  fougueux,  attelés  à  un  chariot,  dont  la 
fierté  attirait  les  regards.  On  ne  voyait  ni  satellites , 
ni  gardes,  ni  l'image  des  villes  vaincues,  ni  leurs 
dépouilles,  ou  leurs  rois  captifs.  Les  palmes  qu'on 
portait  devant  lui  marquaient  d'autres  victoires; 
tout  l'appareil  des  triomphes  ordinaires  était  banni 
de  celui-ci.  Mais  on  voyait  à  la  pbce  les  malades 
qu'il  avait  guéris,  et  les  morts  qu'il  avait  ressusci- 
tes. La  personne  du  roi  et  le  souvenir  de  ses  mira- 
cles faisaient  toute  la  recommandation  de  cette  fête. 
Tout  ce  que  l'art  et  la  flatterie  ont  inventé  pour 
honorer  les  conquérants  dans  leurs  plusbeauxjours, 
cède  à  la  simplicité  et  à  la  vérité  qui  paraissent  dans 
celui-ci.  On  conduit  le  Sauveur  avec  cette  pompe 
sacrée  par  le  milieu  de  Jérusalem  jusqu'à  la  mon- 
tagne du  temple.  Il  y  paraît  comme  le  seigneur  et 
comme  le  maître,  comme  le  fils  de  la  maison,  le 
Fils  du  Dieu  qu'on  y  sert,  ainsi  que  nous  verrons. 
Ni  Salomon  qui  en  fut  le  fondateur,  ni  les  pontifes 
qui  y  officiaient  a^vec  tant  d'éclat ,  n'y  avaient  jamais 
reçu  de  pareils  honneurs. 

Arrêtons-nous  ici ,  et  donnons  le  loisir  de  consi- 
dérer le  détail  de  ce  grand  spectacle. 

IP  JOUR. 

Le  règne  de  Jésus-Christ  sur  les  esprits  et  sur  les  cœurs, 
par  ses  miracles,  par  ses  bienfaits  et  par  sa  parole.  Joan. 
XII,  12,  19.  Matth.  XXI,  1 ,  17.  Marc,  xxi,  1 ,  18.  Luc.  xix, 

28 ,  48. 

Ce  qui  attira  au  Sauveur  toute  cette  gloire ,  ce 
fut  le  bruit  de  ses  miracles  ,  et  en  particulier  celui 
de  Lazare  ressuscité,  qui  venait  d'être  fait  à  la  porte 
de  Jérusalem.  Car  toute  la  troupe  qui  était  avec 
lui  lorsqu'il  le  fit  sortir  du  tombeau,  où  il  pourris- 
sait, lui  rendait  témoignage  :  et  c'est  pour  cela  que 
la  troupe  de  ceux  qui  étaient  venus  à  Jérusalem 
pour  y  célébrer  la  fête  de  Pâques,  accourut  au-de- 
vant de  lui,  par  ce  qu'ils  avaient  appris  qu'il  avaii 
fait  ce  jniracle  '.  On  célébrait  aussi  ses  autres  mi- 
racles, dont  la  réputation  avait  rempli  toute  la  Ju- 
dée. Et  pendant  qu'il  descendait  la  montagne  des 
Olives,  les  troupes  de  ses  disciples ,  saisies  d'une 
joie  subite,  se  mirent  à  louer  Dieu  de  toutes  les 
guérisons  et  de  toutes  les  merveilles  qu'ils  avaient 
vues  *. 

Sa  doctrine  demeurait  aussi  confirmée  par  ses 
miracles;  car  il  les  avait  faits  expresséuîent  eu  lé- 

»  Joan.  xn  ,  17,  18.  —  ^  Luc.  xix,  37. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


i 


moignnsP  de  sa  mission ,  et  de  la  vérité  qu'il  annon- 
çait! 3/o«  Père ,  avait-il  dit  en  ressuscitant  Lazare , 
je  sais  que  vous  m' écoutez  toujours;  mais  je  parle 
ainsi  devant  tout  ce  peuple,  afin  qu'ils  croient  que 
vous  ni  avez  envoyé^.  Et  dès  le  commencement  de 
sa  prédication,  il  avait  dit  aux  docteurs  de  la  loi  : 
Lequel  est  le  plus  facile  de  dire  à  un  paralytique  : 
Tes  péchés  te  sont  remis,  ou  de  lui  dire^  Lève-toi, 
prends  ton  lit  sur  tes  épaules,  et  marche?  Or,  afin 
que  vous  sachiez  que  le  Fib  de  l'homme  a  le  pou- 
voir sur  la  terre  de  remettre  les  péchés  :  Léve-toi , 
vionfils,  dit-il  au  paralytique,  et  va-t'en  en  ta  mai- 
son *.  C'est  pourquoi  il  joignait  ensemble  la  prédica- 
tion de  l'Évangile  et  la  guérison  des  maladies.  // 
allait  par  toute  la  Galilée,  enseignant  dans  leurs 
synagogues ,  et  prêchant  l'Évangile  du  royaume , 
et  guérissant  toute  inaladie  et  toute  infirmité  parmi 
le  peuple^.  C'est  aussi  ce  qui  lui  attirait  cette 
grande  réputation ,  et  amassait  tant  de  monde  au- 
tour de  lui;  car,  ajoute  le  même  évangéliste,  sa 
réputation  se  répandit  dans  toute  la  Syrie,  et 
plusieurs  troupes  le  suivaient  de  la  Galilée ,  et  de 
la  Décapote,  et  de  Jéi-usalem,  et  de  la  Judée,  et 
dxi  pays  d'au  delà  le  Jourdain  4.  Ce  furent  donc 
ces  troupes  qui  le  suivaient  qui  commencèrent  ces 
cris  de  joie ,  auxquels  tout  J  érusalem  et  tout  le  reste 
du  peuple  applaudit. 

Sa  doctrine  ainsi  confirmée  lui  attirait  cette  ad- 
miration, et  la  réputation  d'un  grand  prophète;  et 
il  y  avait  aussi  dans  ce  qu'il  disait  un  caractère 
d'autorité,  et  une  efficace  qu'on  n'avait  pas  encore 
vue  parmi  les  hommes.  Car  il  les  enseignait  comme 
ayant  autorité  et  puissance ,  et  non  comme  leurs 
docteurs  et  les  pharisiens  5.  Tout  le  monde  l'appe- 
lait Seigneur  et  Rabbi^;  c'est-à-dire,  maître  ,  quoi- 
qu'il n'eût  étudié  sous  aucun  docteur  de  la  loi ,  et 
qu'il  n'eût  fait  aucune  des  choses  qui  donnaient  ce 
titre  parmi  les  Juifs.  Tout  le  peuple  était  suspendu, 
et  ravi  en  admiration  en  V écoutant!  :  et  on  ne 
pouvait  douter  qu'il  ne  fût  celui  à  qui  le  psalmiste 
avait  chanté  :  O  le  plus  beau  des  enfants  des  hom- 
mes !  la  grâce  est  répandue  sur  vos  lèvres  *.  On 
quittait  tout  pour  l'entendre,  tant  le  charme  de  sa 
parole  était  puissant ,  et  tant  on  était  non-seulement 
touché,  mais  ravi  de  l'agrément  de  ses  discours, 
et  des  paroles  de  grâce  qui  sortaient  de  sa  bouche  ; 
car  tout  le  monde  lui  rendait  ce  témoignages.  Et 
ce  n'était  pas  seulement  ses  disciples  qui  lui  disaient  : 
Maître,  à  qui  irions-nous?  rous  avez  les  paroles 
de  vie  éteimelle'"  :  mais  encore  ceux  qui  venaient 
avec  ordre ,  et  dans  le  dessein  de  le  prendre ,  étaient 
pris  eux-mêmes  par  ses  discours ,  et  n'osaient  met- 
tre la  main  sur  lui'^  :  en  sorte  que  les  pontifes,  et 
les  pharisiens  qui  les  avaient  envoyés,  leur  deman- 
dant :  Pourquoi  ne  l'avez-vous  pas  amené?  ils  leur 
répondirent  :  Ja7nais  homme  n'a  parlé  comme  cet 
homme  ^^  :  ce  qui  fit  que  les  pharisiens  étonnés  leur 

'Joon.  XI,  41,42.  —  »  Matth.  ix,  5.  Marc,  u,  9,  10,  lî. 
Luc.  V ,  23 ,  -24.  —  '  Matlh.  IV ,  23.  —  <  Ibid.  2i ,  25.  —  *  Ibid. 
*II.  2^.  —  «  Joan.  ui,  2.  —  '  Luc.  xix,  48.  —  '  Ps.  XUV,  3. 
—  *  Imc.  IV,  22.  —  '•  Joan.n,  69.  —  "  Ibid.  vil,  44.  — 
''ifti*/.  45,45 


.''.91 

demandaient  :  Ne  voulez-vous  pas  aw-w/  vous  taiS' 
ser  séduire  comme  les  autres  '  ?  îkîais  ces  docteurs 
et  ces  pharisiens  eux-mêmes ,  qui  méprisaient  tant 
ceux  qui  croyaient  en  lui ,  et  ne  lui  parlaient  que 
pour  le  surprendre,  ne  savaient  eux-mêmes  que  lui 
répondre;  car  il  leur  fermait  la  bouche  par  des  ré- 
ponses précises  et  décisives ,  et  ils  n'osaient  plus 
l'interroger'. 

Voilà  donc  ce  règne  admirable  prédit  dans  le 
psaume;  et  tous  les  peuples  gagnés  au  Sauveur  par 
le  charme  de  sa  parole,  et  par  la  grâce  répandue 
sur  ses  lèvres.  Le  prophète  y  ajoutait  celle  de  la 
vérité  qu'il  annonçait ,  de  la  justice  dont  il  était  le 
parfait  modèle ,  de  la  douceur^  et  de  la  bonté  avec 
laquelle  il  guérissait  tous  les  malades;  ne  faisant 
servir  sa  puissance  que  pour  le  soulagement  des 
malheureux  et  de  tout  le  genre  humain. 

Qui  jamais  avait  régné  de  cette  sorte  ?  Mais  c'est 
ainsi  que  Jésus  régna.  Ainsi  sa  doctrine  et  ses  mi- 
racles firent  tout  l'effet  extérieur  qu'ils  devaient 
faire  naturellement  sur  tous  les  esprits.  On  le  sui- 
vait, on  l'admirait,  on  lui  applaudissait,  on  le  re- 
cevait avec  des  cris  de  joie  :  il  n'y  avait  que  ses  en- 
vieux qui  frémissaient ,  et  qui  néanmoins  n'osaient 
parler.  Mais  d'où  vient  donc  qu'il  eut  si  peu  de  vé- 
ritables disciples.'  D'oij  vient  que  les  cris  qui  l'en- 
voyaient à  la  croix  :  Crucifiez-le,  crucifiez-le *l  sui- 
virent de  si  près  ceux  qui  le  célébraient  comme  le 
fils  de  David  ?  et  que  l'on  compte  à  peine  six  vingts 
hommes  parmi  les  frères ,  c'est-à-dire  parmi  les 
disciples,  qui  se  renfermèrent  dans  le  cénacle  pour 
recevoir  le  Saint-Esprit  ?  C'est  que  les  disciples  de 
Jésus-Christ  ne  sont  pas  ceux  qui  l'admirent,  qui 
le  louent,  qui  le  célèbrent,  qui  le  suivent  même  à 
l'extérieur,  et  jusqu'à  un  certain  point;  mais  ceux 
qui  le  suivent  au  dedans  et  partout,  qui  observent 
tous  ses  préceptes,  qui  portent  sa  croix ,  qui  se  re- 
noncent eux-mêmes.  Et  le  nombre  en  est  petit  :  et 
il  faut,  outre  les  attraits  de  la  parole  et  des  mira- 
cles, une  parole  intérieure  que  tout  le  monde  ne 
veut  pas  entendre,  et  un  miracle  qui  change  les 
cœurs,  dont  notre  orgueil  et  notre  mollesse  empê- 
chent l'effet. 

Soyons  donc  de  vrais  disciples  de  Jésus  :  Si  vous 
demeurez  dans  ma  parole ,  vous  serez  vraiment, 
mes  disciples ,  et  vous  connaîtrez  la  vérité,  et  la 
vérité  vous  affranchira^ .  Et  encore  :  Mon  Père 
sera  glorifié,  en  ce  que  vous  rapporterez  beaucoup 
de  fruit,  et  que  vous  serez  mes  vrais  disciples^, 
des  disciples  dignes  de  ce  nom.  Et  enfin  :  Celui  qui 
m'aime,  dit-il,  est  celui  qui  garde  mes  comman- 
dements!. Les  autres  peuvent  me  louer,  m'admirer, 
me  suivre  au  dehors ,  et  se  glorifier  d'être  mes  dis- 
ciples :  car  on  se  fait  toujours  beaucoup  d'honneur 
d'avoir  un  tel  maître;  mais  ils  ne  m'aiment  pas,  et 
je  ne  les  connais  point,  ni  je  ne  les  mets  au  rang 
des  miens. 

'  Joan.  VII,  47.  —  '  Matth.  xxil ,  45.  —  '  Pu.  XLIV,  5,8.— 
«  Joan.  XIX,  6.  —  »  Ibid.  vm,  31 ,  32.  —  «  Ibid.  XV,  ».  - 
'/ôirf.  XVI,2I. 


i32 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


lir  JOUR. 


Entrée  triomphante  de,  Nofre-Seigneur.  Tout  en  avait  été 
prédit  jusqu'aux  moindres  circonstances.  Joan.  xii,  12, 
10.  Mutth.  XI,  I,  17.  Marc,  xxi,  1 ,  18  Luc.  xix ,  28,  48. 

Considérons  ce  que  dit  Jésus  pour  préparer  son 
«ntrée. 

Comme  il  était  en  Bethpiiagé ,  proche  de  Bétha- 
nie  ,  dans  le  penchant  du  mont  des  Olives,  presque 
à  la  porte  de  Jérusalem,  comme  on  a  vu,  il  envoya 
deux  de  ses  disciples,  avec  ordre  de  lui  amener  une 
finesse  et  son  ânon,  qu'ils  trouveraient  dans  un 
certain  château,  qu'il  leur  montrait  vis-à-vis  d'eux, 
hi  le  maître  y  apportait  quelque  obstacle ,  il  n'y  avait 
qu'à  lui  dire  :  Le  Seigneur  en  a  besoin  :  et  aussitôt 
«n  les  devait  laisser  aller.  Tout  se  fit  comme  Jésus 
l'avait  dit.  Ils  étendirent  leurs  manteaux  sur  ces 
paisibles  animaux  :  et  ils  mirent  Jésus  sur  l'ânon, 
que  personne  n'avait  jamais  monté.  Là  commencè- 
rent tout  d'un  coup  ces  cris  de  joie  dont  nous  avons 
parlé.  Sex  disciples  ne  savaient  pas  le  mystère  de 
ce  qu'ils  faisaient  ;  mais  après  que  Jésus  fut  glo- 
rifié, ils  se  ressouvinrent  que  toutes  ces  choses 
avaient  été  écrites  de  lui ,  et  qu'il  les  avait  accom- 
plies sans  y  penser".  Car  il  était  écrit  dans  Zacha- 
rie  :  Ne  crains  point ,  fille  de  Sion  :  ton  Roi ,  doux 
et  pauvre,  juste  et  sauveur,  vient  à  toi  monté  sur 
wie  ânesse  et  sur  son  ânon  *. 

Jésus  avait  tout  prévu  ;  et  sachant  les  prophé- 
ties, il  les  accomplissait  toutes  avec  connaissance. 
C'est  ce  qu'il  fit  jusqu'à  la  mort;  et  c'est  pourquoi , 
jusque  sur  la  croix,  voyant  que  tout  s'accomplis- 
sait, et  qu'il  ne  lui  restait  plus  rien  à  accomplir 
durant  sa  vie  que  cette  prophétie  de  David ^  :  Ils 
m'ont  donné  du  fiel  à  boire  ;  et ,  dans  ma  soif,  ils 
m'ont  abreuvé  avec  du  vinaigre,  il  dit  :  J'ai  soif. 
On  lui  présenta  le  breuvage  qui  lui  avait  été  prédes- 
tiné -.il  en  goûta  autant  qu'il  fallait  pour  accomplir 
la  prophétie;  après  il  dit  :  Tout  est  accompli;  il 
n'y  a  plus  qu'à  rendre  l'a  me.  A  l'instant  il  baissa 
la  tête,  et  se  mit  volontairement  en  la  posture  d'un 
homme  mourant,  et  il  expira^. 

Jésus  donc  savait  ce  qu'il  voulait,  qui  était  Tac- 
complissement  des  prophéties  :  mais  une  vertu  ca- 
chée exécutait  tout  le  reste.  Il  se  trouva  précisément 
un  vaisseau  où  il  y  avait  du  vinaigre;  il  se  trouva 
une  éponge  dans  laquelle  on  lui  pouvait  présenter 
à  la  croix  le  vinaigre  oii  on  la  trempa  :  on  l'attacha 
au  bout  d'une  lance,  et  on  la  lui  mit  sur  la  bouche. 
La  haine  implacable  de  ses  ennemis  que  le  démon 
animait,  mais  que  Dieu  gouvernait  secrètement, 
fit  tout  le  préparatif  nécessaire  à  l'accomplissement 
de  la  propliétie.  Ainsi ,  dans  cette  occasion ,  l'ânesse 
et  l'ânon  se  trouvèrent  à  point  nommé  près  du  lieu 
où  se  devait  faire  la  célèbre  entrée.  Le  maître  les 
laisse  aller  :  on  met  Jésus  dessus,  sans  savoir  ce 
qu'on  fait  :  une  soudaine  joie  saisit  les  peuples  :  les 
cris  s'en  ensuivent  :  et  Dieu  agit  secrètement,  non 
pî,s  sur  deux  ou  sur  quatre ,  ce  qu'on  pourrait  at- 
tribuer à  quelque  concert;  mais  sur  toute  la  mul- 

'  Joan.wx,  15,  IB.  —  ^  ZtfcA.iX,9.  Mdtlh.  xxi,  5. — 
»  Ps.  I.XVIH  ,  22.  —  •  Jonn.  xix  ,  2S,  50. 


titude,  et  jusque  sur  les  enfants,  parce  qu'il  était 
encore  ainsi  prédit.  Si  les  plus  petites  choses  s'ac- 
complissent, si  tout  jusqu'à  l'iinon  et  l'ânesse,  et 
jusqu'au  vinaigre  :  que  crains-tu,  chrétien?  et 
peux-tu  douter  des  magnifiques  promesses  qui  t'ont 
été  faites.^  Jésus  a  tout  vu,  tout  prévu,  pensé  à 
tout,  tout  préparé  :  marche  en  confiance,  et  ne 
crains  rien. 

I^s  saints  Pères  disent  que  l'ânon ,  que  nul  autre 
que  Jésus  n'avait  monté,  représentait  les  gentils, 
indomptables  et  indociles  animaux  que  nul  autre 
avant  Jésus  n'avait  subjugués.  Venez,  âmes  indis- 
ciplinées :  venez  vous  soumettre  à  Jésus  :  abaissez- 
vous,  et  laissez-vous  conduire  au  lien  qu'il  vous 
met  au  cou. 

Admirez  encore  une  fois  le  triste  et  pauvre  équi- 
page de  ce  roi  :  mais  aussi  était-ce  un  roi  pauvre, 
qui  n'était  riche  qu'en  grâces.  Foici,  dit  Zacharie, 
ton  roi  patwre,  juste  et  sauveur'.  Mais  écoute  la 
suite  de  la  prophétie  :  avec  ce  faible  équipage  ,  je 
mettrai  en  fuite  les  chariots  d'Éphraïm  attelés  à 
quatre  chevaux,  et  les  fiers  coursiers  de  Jérusa- 
lem :  et  tous  les  arcs  tendus  pour  le  combat  seront 
7'ompus  :  et  il  annoncera  la  paix  aux  gentils  ;  et 
sa  puissance  s'étendra  d'une  nier  à  l'autre,  et  de- 
puis les  fleuves  sur  lesquels  il  prêchera,  et  où  il 
donnera  le  nouveau  baptême,  jusqu'aux  extrémités 
de  la  terre.  Et  vous,  ô  Sauveur  victorieux,  vous 
avez ,  avec  le  sang  de  votre  alliance ,  tiré  vos 
prisonniers  du  lac  où  il  n'y  a  point  d'eau  »,  et  du 
cachot  ténébreux  d'une  prison.  Voilà  toutes  les  na- 
tions les  plus  belliqueuses  et  les  plusfières,  vain- 
cues, rachetées,  délivrées,  par  ce  roi  monté  sur 
un  âne. 

IV*^  JOUR. 

Jérusalem ,  iigure  de  l'âme  livrée  au  péché.  Notre-Seigneur 
prédit  ses  malheurs. 

Suivons  Jésus,  et  apprenons  de  saint  Luc  ce 
qu'il  fit  en  descendant  vers  Jérusalem ,  et  appro- 
chant de  ses  portes,  et  en  la  regardant.  Lisez  Luc, 
XIX,  29;  et  appuyez  sur  le  verset  41  et  suiv.  jus- 
qu'au 45. 

Dans  les  malheurs  de  Jérusalem  nous  voyons 
ceux  des  âmes  qui  périssent.  Il  viendra,  dit  Jésus  ^, 
un  temps  malheureuxpour  toi,  où  tes  ennemis  t'en- 
vironneront  de  tranchées;  ils  t'enfermeront ,  et 
te  serreront  de  toutes  parts.  Ainsi  arriva-t-il  à 
Jérusalem  de  point  en  point  :  on  sait  les  effroyables 
travaux  que  firent  les  Romains ,  et  cette  muraille 
qu'ils  élevèrent  autour  de  cette  ville  malheureuse 
qui  la  serrait  tous  les  jours  de  plus  en  plus  :  ce  qui 
causa  l'horrible  famine  que  tout  le  monde  sait,  où 
les  mères  mangeaient  leurs  enfants.  Ainsi  arrivera 
t-il  à  l'âme  pécheresse  :  serrée  de  tous  côtés  par  ses 
mauvaises  habitudes,  la  grâce  ni  le  pain  de  vie  n'y 
pourront  plus  trouver  d'entrée;  elle  périra  de  faim; 
elle  sera  accablée  de  ses  péchés  ;  et  il  n'y  restera  plus 
pierre  sur  pierre.  Étrange  état  de  cette  âme  :  ren- 
versement universel  de  tout  l'édifice  intérieur!  Plus 
déraison  ni  de  partie  haute  :  tout  est  abruti  :  tout 

'  Zach.  IX ,  9.  —  '  Ihid.  10,  U.  —  ^^Luc.  xlx,  45. 


MÉDITATIONS  SUR  LÉVANGILE. 


I 


9 


est  corps  :  tout  est  sons  :  loul  est  abattu ,  et  entière- 
ment 5  terre.  Qu'est  devenue  celte  belle  architecture 
qui  marquait  la  main  de  Dieu?  il  n'y  a  plus  rien  : 
il  n'y  a  plus  pierre  sur  pierre,  ni  suite  ni  liaison 
dans  cette  âme  :  nulle  pièce  ne  tient  à  une  autre  ;  et 
le  désordre  y  est  universel  Pourquoi  ?  le  principe 
en  est  ùté  :  Dieu,  sa  crainte,  la  conscience ,  ces 
premières  impressiœis  qui  font  sentir  à  ia  créature 
raisonnable  qu'elle  a  un  souverain  :  ce  fondement 
renversé  que  peut-il  rester  en  son  entier? 

A  ce  triste  spectacle ,  Jésus  ne  peut  retenir  ses 
larmes  :  Si  tu  savais,  è  âme!  si  tu  ^savais!  Il  n'a- 
chève pas  :  les  sanglots  interrompent  son  disco4irs, 
sa  langue  ne  peut  exprimer  l'aveuglement  de  celte 
âme  :  Si  tu  savais!  du  moins  en  ce  jour  qui  t'^st 
encore  donné,  et  où  Dieu  te  visite  par  sa  grâce. 
Il  y  a  un  jour  que  Dieu  sait  après  lequel  il  n'y  a  plus 
pour  rânîe  aucune  ressource  :  parce  que,  dit  Jésus, 
tu  n'aspas  connu  le  temps  oit  Dieu  te  visitait  ' .  Quand 
une  lumière  intérieure  te  montre  tes  crimes  ;  quand 
tu  es  Invitée  à  donner  gloire  à  Dieu ,  et  que  tout 
crie  en  toi  qu'il  faudrait  se  donner  à  lui;  comme  en 
ce  jour  de  la  visite  de  Jérusalem ,  tout  le  monde , 
et  jusqu'aux  enfants,  criaient  au  Fils  de  David  : 
Si  tu  n'écoutes ,  le  moment  se  passe  ;  cette  grâce  si 
vive  et  si  forte  ne  reviendra  plus. 

Tout  ceci  est  caché  à  tes  yeux  ».  Ton  cœur  est  ap- 
pesanti ;  tes  yeux  sont  fermés  et  obscurcis  :  tes  pas- 
sions l'aveuglent  :  un  voile  obscur  est  sur  tes  pau- 
pières :  un  affreux  assoupissement  les  appesantit. 
O  âme!  Jésus  en  pleure,  et  lu  ne  te  pleures  pas 
toi-même?  Pleure,  pleure  ,  ô  spirituelle  Jérusalem! 
pleure  ta  perte,  du  moins  en  ce  jour  que  le  Seigneur 
te  visite  d'une  manière  si  admirable  :sijusques  ici 
tu  as  été  insensible  à  ta  propre  perte,  pleure  aujour- 
d'hui ,  et  tu  vivras.  Ke  perds  aucun  moment  de 
grâce,  parce  q«e  tu  ne  sais  jamais  si  ce  ne  sera  pas 
le  dernier  qui  le  sera  donné. 

V  JOUR. 

Dernier  séjour  de  Jésus-Christ  ea  Jérusalem  ;  plus  digae  de 
remarque.  Lisez  Matth.  xxi,  10,  15.  Marc.  XJ,  n,  18.  Luc. 
XIX ,  45,  jusqu'à  la  fin. 

Toute  la  ville  est  émue  pendant  que  Jésus  la  tra- 
verse en  triomphe  :  Qui  est  ctîui-là?  Et  les  peuples 
qui  accompagnaient  le  nouveau  roi  répondaient  : 
C'est  Jésus  le  prophète,  de  Nazareth  de  Galilée  ^. 

Jésus-Christ  avait  commencé  sa  prédication  en 
Galilée ,  à  Capharnaùm  et  aux  environs ,  conformé- 
ment à  la  prophétie  d'Isaïe,  rapportée  en  saint 
Matthieu  •>.  Nazareth  était  la  demeure  de  ses  pa- 
rents et  la  sienne;  mais  depuis  sa  prédication,  il 
s'établit  avec  les  siens  à  Capharnaùm.  Cette  ville 
avec  les  villes  et  contrées  voisines  virent  la  plupart 
de  ses  miracles,  et  ouïrent  la  plus  grande  partie 
de  ses  instructions.  C'était  même  dans  la  Galilée 
qu'il  avait  choisi  ses  apôtres  :  la  troupe  de  ses  dis- 
ciples était  presque  toute  de  ce  pays  :  et  en  entrant 
avec  lui  dans  Jérusalem,  ils  faisaient  honneur  ù 
leur  patrie  du  nom  d'un  si  grand  prophète. 

"  Luc.  xrx,  42. 44.  —  '  Ihid.  42.  —  »  ^fatth.  XXI ,  10,  II.  — 
'  /s.  IX,  I,  a.  Mat:h.  IV,  13,  14,  15,  16. 
EOSSUET.  —  TOïE  Ul. 


«9S 

Cependant  le  nom  du  Sauveur  n'était  pas  moiii.i 
célèbre  dans  Jérusalem,  où  le  bruit  de  ses  miracles 
s'était  porté  de  toutes  parts  :  en  <;orte  que  dans  le 
temps  qu'il  prêchait  en  Gdiilée,  une  grande  troupe 
venue  de  Jérusalem  et  de  la  Judée  le  suivait  '. 

Il  ne  manquait  point  de  venir  à  Pâques,  selon 
l'ordonnance  de  la  loi ,  dans  cette  ville  et  au  tem- 
ple ;  et  il  y  venait  aussi  à  d'autres  solennités  prin- 
cipales. Il  y  faisait  éclater  sa  doctrine  et  ses  mira» 
des  d'une  manière  admirable,  et  autant  ou  plus 
qu'en  aucun  autre  endroit  de  la  terre  sainte,  comme 
dans  la  ville  royale,  où  Dieu  avait  établi  son  nom, 
et  qui  était  le  siège  et  le  chef  de  la  religion.  La 
résurrection  du  Lazare  avait  été  faite  à  la  porte  de 
Jérusalem  en  Béthanie  :  la  troupe  qui  l'accompa- 
gnait au  célèbre  jour  de  son  entrée  était  grossie  par 
les  habitants  de  Jérusalem,  qui  avaient  vu  cette 
étonnante  résurrection  ;  comme  il  est  aisé  de  le 
conclure  de  saint  Jean  ». 

Ce  qui  obligeait  le  Sauveur  à  demeurer  ordinai- 
rement en  Galilée,  c'était  que  les  pontifes,  et  les 
autres  qui  machinaient  sa  mort,  n'avaient  pas  le 
même  pouvoir  ni  les  mêmes  moyens  d'exécuter  ce 
noir  dessein  en  ce  pays-là,  que  dans  Jérusalem  et 
aux  environs.  C'est  aussi  ce  qui  donna  lieu  à  l'ac- 
complissement de  la  prophétie  d'Isaïe  qu'on  vient 
de  voir  :  et  tout  se  faisait  convenablement,  puisque 
Jésus  devait  passer  toute  sa  vie  dans  la  persécution, 
dans  les  périls,  avec  des  précautions,  et,  pour 
ainsi  dire,  dans  une  fuite  continuelle,  à  cause  de 
la  haine  des  Juifs.  Et  néanmoins  quand  il  fallait, 
et  dans  les  temps  les  plus  solennels,  il  paraissait 
dans  Jérusalem,  afin  que  la  lumière  de  l'Évangile 
se  répand'l  de  là  dans  tout  le  pays ,  comme  du  chef 
sur  les  menxbres. 

Admirons  les  douces  voies  de  la  sagesse  de  Dieu , 
qui  ne  veut  point  que  son  Fils  fasse  tout  par  mira- 
cle et  par  puissance  :  premièrement,  pour  accomplir 
les  mystères  de  son  humiliation  :  secondement,  pour 
apprendre  par  son  exemple,  à  ses  disciples,  les 
précautions  et  !a  prudence  avec  laquelle  ils  doivent 
agir  en  toutes  choses. 

Suivons  Jésus  à  Jérusalem,  où  il  va  paraître 
pour  la  dernière  fois ,  et  où  aussi  il  va  donner  les 
instructions,  et  accomplir  les  mystères  les  plus 
essentiels.  C'est  aussi  pour  cette  raison  qu'il  y  entre 
à  cette  fois  avec  plus  d'éclat  que  jamais  ;  pour  ren- 
dre les  peuples ,  et  de  ce  temps ,  et  de  tous  les  siè- 
cles, plus  attentifs  à  tout  ce  qu'il  y  allait  dire  et 
faire.  Voyons  donc  avant  toutes  choses  ce  qu'il  fera 
dans  le  temple  :  car  c'est  là  qu'il  va  descendre. 

VP  JOUR. 

Caractère  d'autorité  dans  le  triomphe  de  Jésus-Christ.  Son 
zèle  pour  la  sainteté  du  temple.  Lisez  Matth.  xxi,  lo,  15. 
Marc.  XI,  H,  18.  Luc.  xix,  ib,  jusqu'à  lajin. 

Jésus  va  descendre  au  temple ,  comme  les  triom- 
phateurs le  pratiquaient  ordinairement,  même 
parmi  les  peuples  idolâtres.  Car  il  y  avait  une  no- 
lion  dans  tout  le  genre  humain ,  qu'il  fallait  rap- 
porter à  la  Divinité  toute  la  gloire  :  que  ce  qu'il  y 

'  Matth.  IT,  25.  —  >  Joan.  XI,  18,  20;  et  XII,  17,  18. 

3S 


594^ 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


avait  de  plus  élevé  parmi  les  hommes  devait  s'abais- 
ser à  ses  pieds;  et  qu'à  vrai  dire,  c'était  à  Dieu 
seul  qu'appartenait  le  triomphe.  C'est  pourquoi  il 
est  appelé  le  Triomp/iateur  d'Israël  '.  Allez  donc, 
ô  Sauveur!  portez  à  votre  Père  dans  son  temple  la 
gloire  du  plus  beau  triomphe  qu'on  ait  jamais  vu 
parmi  les  hommes,  et  la  figure  de  tous  les  autres 
que  vous  devez  remporter  dans  le  ciel ,  sur  toute  la 
terre  et  sur  les  enfers. 

Jésus-Christ  devait  paraître  dans  le  temple ,  non- 
seulement  pour  y  rendre  à  Dieu  le  culte  suprême , 
«nais  encore  comme  son  fils ,  convne  le  fils  de  la 
maison*^  pour  y  ordonner  ce  que  son  Père,  qui 
l'y  envoyait,  lui  avait  prescrit. 

Ainsi,  d'abord  qu'il  y  entre,  il  regarde  tout  et 
de-  tous  côtés,  selon  la  remarque  de  saint  Marc  ^. 

Comme  il  était  tard,  il  se  retire  pour  ce  jour; 
mais  il  y  revient  le  lendemain.  Il  en  chasse  avec 
autorité  les  vendeurs  et  les  acheteurs  :  il  renverse 
leurs  bureaux,  leurs  tables,  leurs  chaises,  leurs 
marchandises,  leur  argent  :  il  n'épargne  pas  les 
personnes,  qu'il  chassa  du  saint  lieu;  apparemment 
à  grands  coups  de  fouet ,  et  avec  des  cordes  ramas- 
sées, comme  il  avait  fait  autrefois,  et  en  leur  di- 
sant :  Olez  tout  cela  d'ici ,  et  ne  faites  pas  une 
maison  de  trafic  de  la  maison  de  yyion  Père  '*.  11 
parle  donc,  et  il  agit,  encore  un  coup,  comme  le 
lils  de  la  maison ,  et  avec  une  pleine  autorité ,  sans 
que  personne  le  contredise. 

En  même  temps,  pour  montrer  cette  autorité, 
il  fait  dans  le  temple  ses  guérisons  ordinaires  :  il 
y  guérit  les  aveugles  et  les  estropiés  qui  se  pré- 
sentèrent 5.  11  confirme  ce  qu'il  avait  fait  par  l'É- 
criture :  Il  est  écrit,  dit-il.  Ma  maison  est  îine 
maison  de  prières  ^  :  c'est  ce  que  Dieu  avait  dit 
par  la  bouche  d'Isaïe,  Il  y  ajoute  le  reproche  :  Et 
vous ,  dit-il ,  vous  en  faites  une  caverne  de  voleurs  : 
ainsi  que  Jérémie  l'avait  prédit  7. 

Alors  donc  fut  accompli  cet  oracle  de  David  : 
Et  moi  j'ai  été  établi  de  Dieu  comme  roi  sur  Sio7i 
sa  sainte  montagne,  annonçant  et  prêchant  ses 
préceptes  ».  On  vit  dans  son  temple  le  Dominateur 
et  l'Ange  du  testament,  que  Malachie  avait  prédit9. 
Jésus-Christ  y  exerce  de  plein  droit  toute  l'autorité 
de  son  père  :  Une  souffrait  pas ,  dit  saint  Marc"», 
qu'on  passât  avec  un  vaisseau  par  le  temple,  ni 
qu'on  fit  servir  de  chemin  public  un  lieu  si  saint. 
L'Évangile  ne  dit  pas  qu'il  le  défendait,  mais  qu'il 
ne  le  souffrait  pas  :  et  c'est-à-dire ,  à  en  juger  par 
le  reste  de  ses  actions,  qu'il  les  repoussait  et  les 
chassait;  du  moins  qu'il  les  reprenait  avec  menaces. 
.S'il  n'avait  fait  qu'ordonner,  ce  serait  un  acte  d'au- 
torité ;  mais  il  agit ,  il  renverse ,  il  frappe  :  ce  qui  est 
encore  un  acte  de  zèle.  Ce  qui  fait  aussi  que  saint 
Jean,  et  tous  ses  disciples  appliquèrent  à  cette  ac- 
tion cette  parole  de  David  :  Le  zèle  de  votre  maison 
m'a  dévoré  ". 
Le  zèle  est  une  ferveur  de  l'amour  de  Dieu ,  trop 

I.  Reg.  XV,  29.  —  '  Hebr.  u\ ,  6.  —  '  Marc,  xi ,  1 1.  —  *  Joan. 
II,  15,18. —  i.Vo/M.  XXI,  li.—  ^Is.  LVI,7.  —  ■  Matth.  xxi, 
13.  Jerem.  vu,  1 1  .—*/'«.  il,  C.  —  »  Matacfi.  u\,  l.—'"  Marc. 
Kl,  18.  —  "  ^*'  LXVIII,  10.  Joan.  Il,  1". 


I 


vif  pour  attendre  le  secours  d'autrui ,  ni  pour  s'as- 
treindre aux  formes  ordinaires  ;  mais  agissant  par 
lui-même,  et  au-dessus  de  ses  forces,  avec  une  es- 
pèce d'excès,  par  une  absolue  confiance  en  la  puis- 
sance de  Dieu  :  c'est  ce  qui  paraît  dans  cette  action 
du  Sauveur. 

Remarquez  ces  paroles  :  Une  caverne  de  voleurs: 
qui  doit  faire  trembler  tous  ceux  qui  trafiquent; 
puisqu'elle  leur  fait  sentir  que  dans  f  usage  com- 
mun, et  si  l'on  n'y  prend  garde,  le  trafic  n'est 
qu'un  tissu  de  mensonge,  de  tromperie  et  de  vol. 
Remarquez  aussi ,  avec  tous  les  interprètes ,  que 
ce  qu'on  vendait  dans  le  temple  était  des  boeufs, 
des  brebis,  des  colombes;  toutes  choses  qui  ser- 
vaient aux  sacrifices  :  et  néanmoins  Jésus  chas«e 
tout  :  non  que  ces  ventes  fussent  mauvaises;  mais 
parce  que  ce  n'était  pas  le  lieu  de  les  faire.  Que 
ferait-il  des  discours,  des  irrévérences,  et  de  tant 
de  choses  infâmes  qu'on  fait  dans  le  temple? 

Remarquez  encore  qu'il  parle  en  particulier  à 
ceux  qui  vendent  des  colombes.  Ce  que  les  saints 
ont  entendu  des  simoniaques  qui  vendent  le  Saint- 
Ksprit  et  ses  grâces;  qui  entrent  par  d'indignes 
commerces  dans  les  emplois  ecclésiastiques  et  spiri- 
tuels; et  qui,  en  quelque  façon  que  ce  soit,  négo- 
cient pour  avoir  les  voix  de  ceux  qui  les  donnent. 
Otez,  ôtez  tout  cela,  dit  le  Sauveur. 

Le  temple  allait  périr  ;  et  Jésus  qui  le  va  prédire , 
comme  nous  verrons ,  ne  l'ignorait  pas  :  et  cependant 
il  en  défend  avec  tant  de  zèle  et  d'autorité  la  sainteté , 
pendant  qu'il  subsiste.  C'est  donc  pour  apprendra 
aux  chrétiens  ce  qu'ils  doivent  aux  nouveaux  temples, 
dont  fte  temple  de  Jérusalem  n'était  qu'une  faible 
et  imparfaite  figure,  et  infiniment  au-dessous  des 
mystères  des  chrétiens ,  dont  Jésus-Christ  fait  le 
fond ,  et  où  se  trouve  son  saint  corps  et  son  sang 
précieux.  Tremblons ,  tremblons  à  la  seule  vue  et  à 
l'approche  de  ce  sanctuaire. 

Mais  nous  avons  toujours  un  temple'.  Notre 
âme  en  est  un ,  nos  corps  en  sont  un  :  respectons 
ce  temple  si  saintement  consacré,  et  inséparable  de 
nous-mêmes.  N'y  laissons  entrer,  ni  même  passer 
rien  d'impur  ni  de  profane.  Gardons-nous  bien  de 
le  faire  servir  à  aucun  indigne  trafic.  Respectons 
ce  temple,  et  le  Saint-Esprit  qui  y  habite  *. 

VIP  JOUR. 

Caractère  d'humiliation  dans  le  triomphe  même  du  Sauveur. 
Jalousie  des  pharisiens.  Joan.  xn,  18  el  suiv.  Matth.  xi, 
!5,  IG.  Lîtc.  XIX,  39,40. 

Le  règne  du  Sauveur  devait  être  glorieux  et 
éclatant,  quoique  d'une  autre  gloire  et  d'un  autre 
éclat  que  celui  que  les  Juifs  charnels  s'étaient  ima- 
giné. Nous  avons  même  vu  que  Jésus  satisfaisait 
en  quelque  façon ,  même  à  cette  attente  grossière 
d'une  royauté  sur  la  terre ,  par  la  pompe  de  ce  jour  ;  j 
et  leur  montrait  que  rien  ne  lui  était  plus  aisé  que  de  | 
se  faire  reconnaître  pour  roi  partons  les  peuples,  et 
qu'il  y  avait  à  cela  des  dispositions  merveilleuses. 
jMais  afin  de  ne  point  sortir  de  ce  caractère  d'humi-     1 

»  1.  Cor.  III,  16,  17.  —  "  Ihi(J-  VI,  19. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


595 


lialion  et  de  persécution ,  qui  devait  le  suivre  partout 
jusqu'au  dernier  jour,  il  fallait  qu'il  y  eilt  de  la  con- 
tradiction dans  son  triomphe;  et  ce  caractère  y  pa- 
raît dans  la  jalousie  des  pontifes,  des  pharisiens,  et 
des  docteurs  de  la  loi.  Cette  jalousie  nous  est  expli- 
quée par  cette  parole  de  saint  Jean  :  Pendant  que 
tout  le  monde  allait  au-devant  du  Sauveur,  et  lui 
applaudissait,  les  pharisiens  se  disaient  les  uns  aux 
autres  :  Que  ferons-nous?  tout  le  monde  court 
après  lui'?  C'est  ce  qu'ils  ne  pouvaient  souffrir;  et 
c'est  ce  qui  leur  Ot  dire  deux  paroles  qui  sont  mar- 
quées dans  les  Évangiles. 

La  jalousie  les  dévorait  ;  et  pendant  que  jusqu'aux 
enfants,  tout  criait  qu'il  était  le  fils  de  David,  ils 
lui  disaient  :  Maître,  réprimez  vos  disciples.  En- 
tendez-cous bien  ce  qu'ils  disent?  Il  leur  répondit 
deux  choses  :  l'une ,  N'avez-vous  jamais  lu  ce  qui 
est  êcril  :  fous  avez  4iré  la  louange  la  plus  par- 
faite de  la  bouche  des  petits  enfants,  et  de  ceux 
qui  sont  à  ta  mamelle  '  ?  Vous  devez-vous  donc 
étonner  si,  dans  un  âge  plus  avancé,  les  enfants 
rendent  à  Dieu  en  ma  personne  des  louanges  et  un 
1^  témoignage  plus  éclatant  ?  Si  vous  aviez  la  simplicité 
et  la  sincère  disposition  d'un  âge  innocent ,  vous 
loueriez  Dieu  comme  eux;  comme  eux  vous  h  >  .<  - 
reriez  celui  qu'il  envoie  :  mais  votre  envie,  votre 
fausse  gloire  ,  votre  hypocrisie  et  votre  fausse  poli- 
tique vous  en  empêchent.  Dépouillons-nous  de  tous 
ces  vices ,  et  revétons-nous  de  l'innocence  et  de  la 
simplicité  des  enfants,  pour  chanter  sincèrement  et 
purement  les  louanges  de  Jésus-Christ. 

L'autre  réponse  du  Sauveur  sur  ce  reproche  des 
pontifes  et  des  docteurs  de  la  loi  :  Si  ceux-ci  se  tai- 
sent, leur  dit-il  5,  les  pierres  mêmes  crieront.  Dieu 
est  assez  puissant,  disait  Jean-Baptiste ■« ,  pour 
faire  naître  même  de  ces  pierres  les  enfants  d'J- 
brahara;  et  des  cœurs  les  plus  endurcis ,  en  faire  de 
vrais  fidèles.  Letemps|devait  venir,  et  il  était  venu, 
quelagloirede  Jésus-Christ  retentirait  si  hautement 
par  toute  la  terre,  que  les  gentils  s'assembleraient  à 
oette  voix  ;  et  que  Dieu  serait  adoré  par  un  peuple 
qui  jusqu'alors  ne  le  connaissait  pas ,  et  qui  dormait 
endurci  dans  son  péché.  O  pierres,  ô  cœurs  endur- 
cis, éveillez-vous  attendrissez- vous  à  cette  parole 
du  Sauveur. 

VIII'  JOUR. 

Le  même  sajet  Joan.  xn,  18  e(  suiv.  Mallh.  xxi,  15  ,  16. 
Luc.  XIX ,  39 ,  40. 

Pendant  que  les  peuples  applaudissaient  au  Sau- 
veur, et  en  portaient  les  louanges  jusqu'au  ciel ,  ses 
ennemis,  non  contents  de  faire  paraître  dans  leurs 
parolos  leur  envie  qu'ils  ne  pouvaient  retenir,  fai- 
saient de  secrètes  menées  pour  le  perdre,  et  y 
étaient  même  animés  par  la  gloire  d'un  si  beau 
jour.  Cétait  encore  un  trait  de  ce  caractère  de  per- 
sécution qui  le  devait  suivre,  et  qui  le  suivit  en  effet 
jusqu'à  la  fin. 

Contemplons  ici  les  effets  de  la  jalousie  :  c'est 
une  des  plus  grandes  plaies  de  notre  nature.  Jésus- 

'  Joan.  xn,  19.  —  »  Luc.  xix,  39.  Matth.  xxi,  15,  16.  Ps. 
▼Ml ,  3   —■>  Luc.  XIX  ,  40.  —  ♦  MaUk.  m,  9. 


» 


Christ,  qui  était  venu  pour  la  guérir,  en  devait 
sentir  toute  la  malignité;  et  les  souffrances  que 
l'envie  lui  devait  causer,  devaient  servir  de  r?mède 
à  son  venin.  L'envie,  c'est  le  noir  et  secret  effet  d'un 
orgueil  faible ,  qui  se  sent  ou  diminuer  ou  effacer 
par  le  moindre  éclat  des  autres ,  et  qui  ne  peut 
soutenir  la  moindre  lumière.  C'est  le  plus  dangereu.\ 
venin  de  l'amour-propre,  qui  commence  par  consu- 
mer celui  qui  le  vomit  sur  les  autres,  et  le  porte 
aux  attentats  les  plus  noirs.  Car  l'orgueil  naturel- 
lement est  entreprenant,  et  veut  é<;later  :  mais 
l'envie  se  cache  sous  toutes  sortes  de  prétextes,  et 
se  plaît  aux  plus  secrètes  et  aux  plus  noires  menées. 
Les  médisances  déguisées,  les  calomnies,  les  trahi- 
sons, tous  les  mauvais  artifices  en  .sont  l'œuvre  et 
le  partage.  Quand  par  ces  tristes  et  sombres  arti- 
fices elle  a  gagné  le  dessus,  elle  éclate,  et  joint  en- 
semble contre  le  juste,  dont  la  gloire  la  confond, 
l'insulte  et  la  moquerie,  avec  toute  l'amertume  de 
la  haine ,  et  les  derniers  excès  de  la  cruauté.  O  Sau- 
veur! ô  Juste!  ô  le  Saint  des  saints  !  c'est  ce  qui  de- 
vait s'accomplir  en  votre  personne. 

Déracinons  l'envie  :  et  dans  le  moindre  de  ses 
effets  que  nous  ressentirons  dans  notre  cœur, 
concevons  toute  la  malignité  et  toute  l'horreur  d'un 
tel  poison. 

IX*  JOUR. 

Jésus  donne  lui-même  à  son  triomplie  le  caractère  dt»a- 
miliation  el  de  mort  qu'il  devait  avoir.  Effets  différents 
que  fait  le  triomphe  de  Jésus-Christ  dans  les  Juifs  el 
dans  les  gentils.  Joan.  xii,  19,27. 

Saint  Jean  nous  fait  remarquer  deux  effets  bien 
différents  du  triomphe  de  notre  Sauveur.  Dans  les 
pharisiens  il  excita  les  sentiments  de  la  jalousie,  et 
les  noirs  complots  que  nous  avons  vus.  Les  phari- 
siens se  disaient  les  uns  aux  autres  :  Que  ferons- 
nous?  tout  le  monde  court  après  lui  '  ?  Mais  en  même 
temps ,  et  durant  ces  criminelles  menées  des  enfants 
d'Abraham  contre  le  Christ  qui  leur  était  promis; 
les  gentils,  qui  n'étaie^nt  pas  de  cette  race  bénite, 
et  qui  aussi  étaient  étrangers  de  cette  sainte  alliance, 
furent  touchés  d'une  sainte  admiration  pour  l'auteur 
de  tant  de  merveilles.  Quelques  gentils,  dit  saint 
Jean»,  qui  connaissaient  Dieu,  quoiqu'ils  ne  fus- 
sent pas  Juifs ,  puisqu'//5  venaient  adorer  à  la  fête, 
s'adressèrent  a  Philippe ,  un  de  ses  apôtres,  et  lui 
dirent  avec  respect  :  Seigneur,  nous  souhaitons  de 
voir  Jésus.  Ce  n'était  pas  simplement  le  voir  :  ear 
tout  le  monde  l'avait  assez  vu  dans  cette  journée, 
et  tout  le  monde  le  voyait  quand  il  prêchait;  mais 
ils  le  voulaient  voir  en  particulier  et  jouir  de  son 
entretien ,  qui  est  proprement  ce  qu'on  appelle  venir 
voir  un'horame. 

A  cette  approclie  des  gentils  qui  voulaient  le 
voir,  Jésus  arrête  aussitôt  sa  pensée  sur  la  vocation 
des  gentils,  qui  devait  être  le  fruit  de  sa  mort.  Ces 
grandes  prophéties ,  où  les  nations  lui  sont  données 
comme  son  héritage  et  sa  possession,  lui  sont  pré- 
sentes :  dans  le  petit  il  voit  le  grand.  Ce  que  les 


'  Joan.  xn,  19.—  »  Ihid.  20. 


-a». 


59G 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


Mages  avaient  commencé  dès  sa  naissance ,  qui  était 
la  conversion  des  gentils  en  leurs  personnes  ,  ceux- 
ci  le  continuent,  et  le  figurent  encore  vers  le  temps 
de  sa  mort  :  et  le  Sauveur  voyant  concourir  dans 
les  gentils  le  désir  de  le  voir  avec  celui  de  le  perdre 
dans  les  Juifs ,  voit  en  même  temps ,  dans  cet  essai , 
commencer  le  grand  mystère  de  la  vocation  des 
uns,  par  l'aveuglement  et  la  réprobation  des  au- 
tres. C'est  ce  qui  lui  fait  dire  :  L'heure  est  venue, 
que  le  Fils  de  l  homme  va  être  glorifiée  Les  gentils 
vont  venir,  et  son  royaume  va  s'étendre  par  toute  la 
terre. 

11  voit  plus  loin  ;  et  il  voit ,  selon  les  anciennes 
prophéties,  que  c'était  par  sa  mort  qu'il  devait 
acquérir  ce  nouveau  peuple,  et  cette  nombreuse 
postérité  qui  lui  était  promise.  C'est  après  avoir 
dit  :  Ils  ont  percé  mes  pieds  et  mes  mains ,  que 
David  avait  ajouté»  :  Toutes  les  contrées  de  la 
terre  se  ressouviendront ,  et  se  convertiront  au 
Seigneur.  C'est  après  qu'il  aurait  livré  son  âme  à  la 
mort,  qu'Isaïe  lui  promettait,  qu'îï  verrait  une 
longue  suite  d'enfants  ^.  Et  encore  :  Qui  racon- 
tera sa  génération?  qui  pourra  compter  sa  posté- 
rité, parce  qu'il  a  été  retranché  de  la  terre  des 
vivants!  Je  l'ai  frappé  pour  les  péchés  de  mon 
peuple^.  Et  encore  :  Je  lui  donnerai  la  dépouille 
des  forts.,  et  il  en  partagera  le  butin,  parce  qu'il 
a  donné  son  âme  à  la  mort^.  Il  voyait  donc  que 
c'était  à  ce  prix  qu'il  devait  acheter  ce  nouveau 
peuple  :  il  lui  en  devait  coûter  la  vie.  Plein  de  cette 
vérité,  après  avoir  dit  :  L'heure  est  venue,  que  le 
Fils  de  l'homme  va  être  glorifié;  il  ajoute  :  Si  le 
grain  de  froment  ne  tombe  et  ne  meurt,  U  demeure 
seul;  mais  s'il  meurt,  U  se  multiplie^. 

C'est  ainsi  qu«  dans  les  paroles  de  Jésus ,  nous 
voyons  le  vrai  commentaire  et  la  vraie  explication 
des  prophéties.  Mais  il  nous  en  doit  à  notre  ma- 
nière arriver  autant  qu'à  lui.  Nous  sommes  le  grain 
de  froment,  et  nous  avons  un  germe  de  vie  caché 
en  nous-mêmes.  C'est  par  là  que,  comme  Jésus, 
nous  devons  porter  beaucoup  de  fruit,  et  du  fruit 
pour  la  vie  éternelle.  jMais  il  faut  que  tout  meure 
en  nous  :  il  faut  que  ce  germe  de  vie  se  dégage  et  se 
débarrasse  de  tout  ce  qui  l'enveloppe.  La  fécondité 
de  ce  grain  ne  paraîtra  qu'à  ce  prix.  Tombons  :  ca- 
chons-nous en  terre  :  humilions-nous  :  laissons  pé- 
rir tout  l'homme  extérieur;  la  vie  des  sens,  la  vie 
du  plaisir,  la  vie  de  l'honneur,  la  vie  du  corps,  la 
curiosité ,  la  concupiscence ,  tout  ce  qu'il  y  a  de  sen- 
sible en  nous.  Ajors  cette  fécondité  intérieure  dé- 
veloppera toute  sa  vertu ,  et  nous  porterons  beau- 
coup de  fruit. 

X^  JOUR. 

Jésus-Chnst  est  le  grain  de  froment  Les  membres  doivent 
mourir  comme  le  chef.  Joan.  xii ,  25. 

Pour  entendre  la  nécessité  qui  était  imposée  à  tous 
les  membres  de  mourir  pour  fructilier,  il  suffisait 
d'avoir  aperçu  cette  vérité  dans  le  chef.  Mais  de  peur 

'  Joan.  MI ,  23.  —  '  Ps.  XXI,  17,  28.  —  •  h.  un,  10.  — 
«  Ibid.  8.  —  *  Ibld.  12.  —_^  Joan.  xii,  23,  24. 


que  nous  ne  vissions  pas  assez  tôt  cette  conséquenciS, 
Jésus-Christ  nous  la  découvre  lui-même.  Qui  aime 
son  âme,  dit-il  • ,  la  perd.  C'est  la  perdre  que  de 
l'aimer  :  c'est  la  perdre  que  de  chercher  à  la  satis» 
faire.  U  faut  qu'elle  perde  tout,  et  qu'elle  se  perde 
elle-même,  qu'elle  se  haïsse,  qu'elle  se  refuse  tout» 
si  elle  veut  se  garder  pour  la  vie  éternelle.  Toutes 
les  fois  que  quelque  chose  de  flatteur  se  présente  à 
nous ,  songeons  à  ces  paroles  :  Qui  aime  son  âme 
la  perd.  Toutes  les  fois  que  quelque  chose  de  dur 
se  présente,  songeons  aussitôt  :  Haïr  son  âme, 
c'est  la  sauver.  Périsse  donc  tout  ce  qui  nous  plaît; 
qu'il  s'en  aille  en  son  lieu  en  pure  perte  pour  nous. 

Haïr  son  âme!  Peut-on  haïr  son  âme  sans  haït 
tous  ses  avantages  et  tous  ses  talents  naturels ,  et 
peut-on  s'en  glorifier  quand  on  les  hait.?  Mais  peut^ 
on  ne  les  pas  haïr,  quand  on  considère  qu'ils  ne 
servent  qu'à  nous  perdre  dan%  l'état  d'aveuglement 
ou  de  faiblesse  où  nous  sommes?  Gloire,  fortune, 
réputation,  santé,  beauté,  esprit,  savoir, adresse, 
habileté,  tout  nous  perd  :  le  goût  même  de  notre 
vertu;  il  nous  perd  plus  que  tout  le  reste. 

Il  n'y  a  rien  que  Jésus  ait  tant  répété ,  et  tant  in- 
culqué que  ce  précepte  :  Qui  trouve  son  âme,  la 
perd;  qui  perd  son  âme,  la  trouve  K  C'est  ce  qu'il 
recommande  encore  en  un  autre  endroit  du  même 
Évangile.  Qui  cherche  à  sauver  son  âme,  lape^'dra, 
dit-il  ailleurs;  qui  la  perdra ,  lui  donnera  la  vie^. 
Il  se  sert  encore  ailleurs  du  mot  de  haïr  :  //  faut, 
dit-il  4,  tout  haïr,  si  l'on  veut  être  mon  disciple^ 
père,  mère,  frères,  sœurs,  femmes  et  enfants, 
et  sa  propre  âme. 

Entendons  la  force  de  ce  mot,  hojir.  Si  les  cho- 
ses de  la  terre  et  de  cette  vie  n'étaient  que  viles  et 
de  nul  prix ,  il  suffirait  de  les  mépriser;  si  elles  n'é- 
taient qu'inutiles ,  il  suffirait  de  les  laisser  là  ;  s'il 
suffisait  de  donner  la  préférence  au  Sauveur,  il  se 
serait  contenté  de  dire,  comme  il  fait  ailleurs  ;  ot 
'on  aime  ces  choses  plies  que  moi,  on  n'est  pas  di- 
gne de  moi^.  Mais,  pour  nous  montrer  qu'elles 
sont  nuisibles,  il  se  sert  du  mot  de  haine.  De  ce 
côté-là  il  faut  tout  haïr,  en  tant  qu'il  peut  s'opposer 
à  notre  salut. 

Entendons  encore  le  courage  que  demande  le 
christianisme.  Tout  perdre  :  jeter  tout  là.  Cette  vie 
est  une  tempête;  il  faut  soulager  le  vaisseau  quoi 
qu'il  en  coûte  :  car  que  sert  de  tout  sauver,  si  soi- 
même  il  faut  périr?  Voyez  ce  marchand  qui  dispute 
s'il  jettera  dans  la  mer  ces  riches  ballots.  Aveugle, 
tu  les  vas  perdre,  et  te  perdre  encore  toi-mcme 
par-dessus. 

XI"  JOUR. 

Suivre  Jésus  à  l'humiliation,  à  la  mort.  Joan.  xu,  26. 

CeM  qui  me  veut  servir,  qu'il  me  suive  ^-j  qu'il 
m'imite,  qu'il  soit  avec  moi ,  qu'il  passe  par  les  mê- 
mes voies  :  mon  Père  l'honorera  à  ce  prix ,  comme 
il  m'a  honoré  moi-même.  Il  a  fallu  tout  perdre, 
tout  abandonner ,  tout  prodiguer,  tout  haïr.  Marcho 

1  Joan.  xu,  25.  —  2  Matlh.  x,  39;  xvi,  25.  —  '  Luc.  xvii, 
33.  —  ^  Ibid.  XIV,  10.  —  '  Matth,.  X,  37.  —  «  Joan.  Xil,  2C 


MÉDITATIONS  SUR  LÉVA'NGILE. 


59' 


après  moi ,  chrétien ,  si  lu  veux  arriver  cù  j'nrrive. 
Marchez,  Jésus,  je  vous  suis.  En  aurai-jelecourage? 
llélas!  vous  me  dites  comme  à  Pierre  :  Tu  ne  peux 
pas  encore  me  suivre,  mais  tu  me  suivras  dans 
la  suites  O  Sauveur!  je  ne  dirai  pas  que  je  vous 
suivrai  partout  :  je  n'ose  le  dire  :  je  sens  ma  fai- 
blesse. J'en  ai  le  désir  :  aidez  ma  volonté  faible  : 
inspirez-moi  une  volonté  forte  tt  courageuse. 

Voyez  comme  Jésus  donne  lui-même  à  son  entrée 
triomphante  le  caractère  de  mort.  C'était  sa  cou- 
tume :  dans  la  gloire  il  rappelait  toujours  la  mort. 
Ainsi  dans  leThabor  même,  où  il  fut  enlevé  et  trans- 
flguré  d'une  manière  si  admirable,  Moïse  et  Élie 
qui  étaient  venus  l'honorer  en  cet  état,  et  s'entre- 
tenaientavec  lui,  ne  lui  parlaient  que  de  la  manière 
dont  il  devait  sortir  de  ce  monde  dans  Jérusalem  *, 
en  accomplissant  toutes  les  anciennes  prophéties 
^L  et  toutes  les  flgures  de  la  loi.  Et  en  sortant  de  cette 
f^  gloire ,  il  n'est  plein  que  de  sa  mort ,  et  il  défend  à 
ses  disciples  de  parler  de  ce  qu'ils  avaient  vu ,  jus- 
qu'à ce  qu'ilfûl  ressuscité  des  morts  '.  Il  fallait  donc 
mourir  :  et  c'est  ce  qu'il  voulait  que  l'on  comprît 
bien ,  afln  qu'on  vît  le  chemin  qu'on  avait  à  suivre 
après  lui ,  pour  arriver  à  la  résurrection  et  à  la 
gloire. 

Accoutumons-nous,  à  l'exemple  de  Jésus,  dans 
tout  C3  qui  nous  flatte,  de  rappeler  toujours  en 
notre  esprit,  le  plus  vivement  que  nous  pourrons, 
la  pensée  de  la  mort.  Mais  accoutumons-nous  à 
joindre  toujours  ces  deux  idées  :  gloire  et  plaisir  de 
la  terre ,  éternelle  confusion  ;  et  encore  ces  deux- 
ci  :  croix  et  mortification,  gloire  et  félicité  étemelle. 
C'est  à  force  d'y  penser  souvent,  qu'on  joint  en- 
semble des  idées  qui  paraissent  si  éloignées  l'une 
de  l'autre  :  mais  plutôt  c'est  à  force  d'entrer  dans 
cette  pratique.  Il  faut  faire  autant  qu'on  peut  vio- 
lence aux  sens ,  de  peur  qu'ils  ne  prévalent  et  ne 
nous  séduisent. 

XII'  JOUR. 

Caractère  d'hamUiation  et  de  mort  dans  le  triomphe  de 
Jésus.  Le  trouble  de  son  âme  est  notre  instruction  et 
notre  remède  Joan.  xu,  27,  23. 

Jésus  continue  à  donner  à  son  entrée  glorieuse 
le  caractère  d'humiliation  et  de  souffrance  :  Main- 
tenant mon  âme  est  troublée^.  Quoi  !  troublée  de 
Totre  gloire,  dont  vous  vaiez  de  dire  :  L'iieure  est 
venue ^  que  le  Fils  de  l'homme  va  être  glorifié'^? 
Pourquoi?  sinon  parce  qu'il  voyait,  comme  on  vient 
de  dire,  sa  gloire  unie  à  son  supplice  :  supplice  si 
rigoureux  et  si  plein  d'opprobre,  qu'il  dit  lui-même  à 
son  approche  :  Maintenant  mon^âme  est  troublée. 
Voici  le  commencement  de  son  agonie  :  de  cette 
agonie  qu'il  devait  souffrir  dans  le  jardin  des  Olives  : 
de  ce  combat  intérieur  où  il  devait  combattre  contre 
son  supplice,  contre  son  Père  en  quelque  façon, 
et  contre  lui-même.  MonPère,  si  vous  voulez  :s'ilse 
peut  :  non  ma  volonté,  mais  la  vôtre^.  Voilà  donc 
à  ce  coup  une  volonté  dans  le  Fils,  opposée  en  quel- 
que façon  à  la  volonté  de  son  Père.  Elle  lui  cède, 

»  Joan.  xm,  M.  —^  Luc.  ix,  3}.  —  ^  Matlh.  xvn,  9.  — 
*^Joan  xn,  27.  —  »  Ibid.  23.  —  «  .Vatlh.  xs  VI,  3». 


il  est  >Tai-,  mais  elle  est  :  elle  se  fait  sr'ntir  au  Sau- 
veur :  elle  se  déclare  jusqu'aux  yeux  du  Père  céleste. 

O  Jésus ,  mon  âme  est  troublée  de  votre  trouble  ! 
A  qui  sera  notre  recours,  si  vous  êtes  troublé 
vous-même,  vous  que  nous  réclamons  dans  notre 
infirmité.'  C'est  le  mystère  :  il  nous  porte  en  soi  : 
il  transporte  sur  luinnême  notre  trouble,  et  le  porte- 
dans  sa  sainte  âme.  IN'otre  infirmité  est  passée  à 
lui  :  et  c'est  ainsi  qu'il  nous  fortifie,  premièrement, 
par  l'exemple  qu'il  nous  donne;  secondement,  par 
la  force  qu'il  nous  mérite. 

Par  l'exemple;  car  s'il  n'avait  senti  cette  répu- 
gnance naturelle  à  la  mort,  et  cette  horreur  natu- 
relle de  la  douleur  et  du  supplice,  nous  n'appren- 
drions pas  de  lui  à  dire  dans  nos  douleurs  :  rotre 
volonté  soit /aile,  et  non  la  mienne.  Cette  instruc- 
tion nous  manquerait. 

Par  le  mérite  :  s'il  ne  souffrait  pas ,  il  n'offrirait 
point  de  sacrifice;  ou  le  sacrifice  ne  lui  coûterait 
rien;  et  ainsi  il  ne  serait  pas  un  vrai  sacrifice. 

O  mon  Sauveur  !  par  le  trouble  de  votre  sainte 
âme,  guérissez  le  trouble  de  la  mienne.  Votre 
troubîe,  ni  ne  venait  du  péché,  ni  ne  portait  au 
péché.  C'était  un  trouble  volontaire  et  mystérieux. 
Vous  portiez  en  vous  le  mystère  de  la  puissance 
perfectionnée  dans  l'infirmité^.  C'est  le  grand 
mystère  de  la  grâce  chrétienne ,  qui  se  commencé 
dans  le  chef,  et  s'accomplit  dans  les  membres. 

XIIP  JOUR. 

Trouble  de  Jésus.  Combat  et  victoire,  notre  modèle*. 
Joan.  III,  27,  2S. 

Maintenant  mon  âme  est  troublée;  et  que  dirai- 
je^  ?  Voilà  le  trouble  :  l'esprit  flotte  comme  incertain 
de  lui-même.  Et  que  dirai-jet  Voilà,  mon  Sauveur, 
mes  incertitudes  et  mes  agitations ,  que  vous  por- 
tez. Mon  Père,  sauvez-moi  de  cette  heure!  Dirai- 
je  cela  à  mon  Père?  lui  demanderai-je  absolument 
de  me  délivrer  de  cette  heure ,  de  cette  ignominie, 
de  ces  peines  si  affreuses  à  la  nature?  Mais  je  suis 
venu  pour  cette  heure.  Voilà  l'homme  faible  qui  s'ex- 
cite, qui  s'encourage  lui-même.  Je  suis  venu  pour 
cette  heure.  Je  suis  venu  allumer  un  feu  par  ma  pas- 
sion :  et  que  désir é-je,' sinon  qu'il  prenne  bien  vite  ? 
J'ai  un  baptême  où  il  me  faut  être  plongé  :  ah  !  corn- 
!  bien  suis-je  pressé  en  moi-même  jusqu'à  ce  que  je 
l'accomplisse  ^  !  Voilà  ce  que  dit  Jésus  dans  sa  force. 
Mais  Jésus  dans  sa  faiblesse  dit  :  Que  ferai-jet  K 
quoi  me  résoudrai -je  ?  Demanderai-je  à  Dieu  ma 
délivrance  particulière ,  ou  celle  du  genre  humain? 
Écouterai-je  la  nature  infirme  par  elle-même ,  ou  la 
gloire  de  mon  Père  dans  le  salut  des  hommes  per- 
dus? Mon  Père,  votre  gloire  l'emporte  :  glorifiez 
votre  nom  :  votre  nom  de  Père ,  glorifiez-le  en  glo- 
rifiant votre  Fils,  Non  via  volonté,  mais  la  vôtre*  : 
non  mon  repos,  mais  votre  gloire,  et  la  rédemption 
du  peuple  par  qui  vous  voulez  être  glorifié.  Voilà  le 
combat,  voilà  la  victoire.  Jésus  a  affermi  son  âme 
invincible ,  ou  plutôt,  parce  qu'elle  était  absolument 
invincible,  et  n'avait  à  combattre  que  pour  nous,  il 

»  II.  Cor.  XII,  9.  —  '  Joan.  xii,  27,  2S.  —>  Luc.  xii,  49,  M. 
—  ♦  J(,id.  XXII,  12. 


698 


MEDITATIOÎS'S  SUR  L'EVANGILE. 


nous  H  appris  à  combattre  et  à  vaincre.  Et  voilà  en- 
core ,  dans  la  victoire  de  l'âme  de  Jésus ,  l'image  de 
nos  combats  ,  et  le  caractère  d'bumiliation  qui  de- 
vait accompagner  le  Sauveur. 

XIV'  JOUR. 

Voix  du  ciel  rend  témoignage  à  la  gloire  de  Jésus  dans  son 
triomplie.  Joan.  xii,  28,  30. 

Afin  que  rien  ne  manque  à  la  gloire  du  Sauveur 
dans  son  entrée,  le  ciel  se  joint  avec  la  terre  pour 
riionorer  ;  et  à  cette  parole  du  Sauveur  :  Mo7i  Père, 
f/hrijiez  votre  nom,  une  voix  aussi  éclatante  que  le 
tonnerre,  vint  du  ciel  :  Je  l'ai  glorifié ,  et  Je  le  glo- 
rijlerai  encore^. 

Trois  voix  sont  venues  du  ciel,  et  de  la  part  du 
Père  céleste ,  pour  honorer  le  Fils  de  Dieu.  Le  jour 
de  son  baptêiTW ,  devant  qu'il  commençât  son  minis- 
tère, le  Père  le  fit  connaître,  et  lui  donna,  pour  ainsi 
parler,  sa  mission  par  cette  voix  :  Celui-ci  est  mon 
Fils  bien-aimé,  dans  lequel f  ai  mis  ma  complai- 
sance *  ;  ou ,  comtme  le  rapporte  saint  Luc  :  Fous 
êtes  mon  Fils  bien-aimé,  j'ai  mis  ma  complai- 
sance en  vous  ^. 

Jja  même  voix  fut  ouïe  encore  à  la  transfiguration  ; 
et  pendant  que  INtoïse  et  Élie  entraient  dans  une 
nuée  lumineuse  qui  les  environna ,  cette  voix  sortit 
de  la  nuée  :  Celui-ci  est  mon  Fils  bien-aimé,  clans 
lequel  j'ai  mis  ma  complaisance  ;  écoutez-le  4.  Cette 
parole ,  écoutez-le,  fut  ajoutée  à  ce  qui  avait  été  ouï 
dans  le  baptême. 

La  troisième  voix  est  celle  que  nous  lisons  au- 
jourd'hui dans  saint  Jean  :  Je  l'ai  glorifié ,  et  je  le 
glorifi£rai  encore  ^.  J'ai  glorifié  mon  nom  de  Père , 
en  honorant  mon  Fils  unique  :  je  l'ai  glorifié  dans 
l'éternité  ,  je  le  glorifierai  dans  le  temps.  Je  l'ai  glo- 
rifié lorsque  j'ai  fait  éclater  tant  de  merveilles  dans 
sa  naissance,  dans  son  baptême,  dans  le  cours  de 
son  ministère;  maintenant  même ,  en  inspirant  tant 
d'admiration  pour  lui  aux  Juifs  et  aux  gentils ,  qui 
commencent  déjà  à  le  vouloir  voir  :  et  je  le  glori- 
fierai encore  lorsque  je  lui  donnerai ,  après  sa  résur- 
rection ,  la  gloire  dont  il  a  joui  dans  mon  sein  avant 
que  le  monde  fut  ;  et  que  l'exaltant  comme  Dieu  au- 
dessus  des  cieux,  je  remplirai  toute  la  terre  de  son 
nom. 

La  seconde  de  ces  trois  voix,  à  la  transfiguration, 
n'a  été  ouïe  que  de  trois  disciples  choisis  ;  mais  nous 
devait  être  rapportée  par  eux,  après  sa  résurrection 
comme  l'a  fait  en  effet  l'apôtre  saint  Pierre*». 

Pour  les  deux  autres ,  elles  sont  venues  dans  des 
occasions  très-importantes.  I  a  première ,  pour  pré- 
parer les  esprits  à  la  prédication  du  Sauveur,  des  le 
commencement  de  son  ministère.  La  seconde,  à  la 
veille  de  sa  nwrt,  pour  soutenir  la  foi  contre  l'i- 
gnominie de  la  croix. 

L'Évangile  ne  marque  pas  ce  qu'opérèrent  ces 
voix  :  et  pour  en  juger  par  l'événement ,  leur  grand 
effet  ne  s'est  fait  paraître  qu'après  la  résurrection. 
Pour  celle  de  ce  jour,  saint  Jean  remarque  qu'elle 

'  .7o«».xu,  ÎS.  —  »  Matlh.  m.  17,  --  »  Inc.  m,  2?.  — 
*  Mallh.  XVII,  5.  —  »  Joa«.xn,28.  —^Il.Petr.  1,  16,  17,  18    ' 


causa  de  la  dissension  parmi  ceux  qui  l'ouïrent ,  h 
troupe  disant  :  C'est  le  tonnerre;  les  autres  di- 
saient :  Un  ange  lui  a  parlé  '.  Il  semble  qu'ils  ne 
voulurent  point  croire  que  Dieu  se  fût  déclaré  par 
cette  voix.  C'est  un  tonnerre;  c'est  un  bruit  confus 
qui  ne  signifie  rien.  Kt  pour  ceux  qui  disaient  le 
mieux  :  C'estun  anj/e,  -disaient-ils  ,  qui  lui  a  parlé  : 
soit  qu'ils  ne  voulussent  pas  remonter  plus  haut, 
par  un  esprit  d'incrédulité,  soit  qu'ils  crussent  de 
bonne  foi  que  Dieu  lui  avait  parlé  par  un  ange; 
comme  il  avait  fait  aux  patriarches ,  et  à  tout  le  peu- 
ple sous  Moïse.  Quoi  qu'il  en  soit,  Jésus  leur  dit.r 
Cette  voix  n'est  pas  jjour  moi,  mais  pour  vous  ». 
Et  il  leur  en  expliqua  le  mystère.  Appliquons-nous 
à  l'entendre  ;  et  m  attendant,  puisque  Jésus-Christ 
nous  déclare  que  cette  voix  est  pour  nous ,  prenons- 
la  donc  pour  nous ,  et  glorifions  Jésus  en  nous-mê- 
mes. Il  est  lui-même  la  voix,  ou  plutôt  le  Verbe 
qui  nous  parle.  N'écoutons  point  sa  voix  comme  un 
tonnerre ,  comme  un  bruit  confus;  entendons  qu'on 
nous  a  parlé  très-distinctement  de  sa  gloire  et  de  la 
nôtre;  et  que  la  vérité  nous  a  été  très-clairement 
annoncée.  Ne  disons  point  qu'un  ange  a  parlé  pour 
nous  au  Sauveur,  puisque  Dieu  qui  parlait  autre- 
fois par  les  anges,  parle  maintenant  par  son  Fils  ^, 
Écoutez-le,  nous  dit-on  :  réglez  vos  actions  et  toute 
votre  conduite  par  sa  doctrine.  Rendons  grâces  au 
Père  céleste  de  ce  qu'il  a  glorifié  son  saint  Fils  Jésus, 
puisque  sa  gloire  rejaillit  sur  nous,  et  qu'il  a  dit  lui- 
même  :  Je  leur  ai  donné  la  gloire  que  vous  m'avez 
rfonne'e'^.  Mais  entendons  toujours  en  quelle  conjonc- 
ture on  lui  promet  cette  gloire  :  c'est  lorsqu'il  va 
mourir.  Passons  donc  à  la  société  de  sa  gloire,  pat 
celle  de  ses  souffrances  et  de  ses  opprobres. 

XV»  JOUR. 

Mystère  de  la  voix  céleste  :  Le  monde  va  être  jugé  en 
jugeant  Jésus-Christ.  Joan.  xii,  3i,  34. 

Jésus-Christ  nous  va  expliquer  le  mystère  de  cette 
voix  céleste  :  C'est  maintenant  que  le  monde  va  être 
jugé^.  Comment?  En  exerçant  son  jugement  sur 
Jésus-Christ ,  dont  il  jugera  si  mal ,  que  son  juge- 
ment et  ses  maximes  demeureront  à  jamais  condam- 
nés. Qui  peut  juger  avec  le  monde  que  les  biens  de 
la  terre  sont  les  seuls  qu'il  faut  désirer,  et  que  les 
maux  de  la  terre  sont  les  seuls  qu'il  faut  craindre  ; 
si  Jésus  ,  privé  de  tous  les  biens,  et  chargé  de  tous 
les  maux  de  la  terre  par  le  jugement  du  monde , 
demeure  toujours  la  vérité  même,  et  le  bienheureux 
Fils  de  Dieu?  Qui  osera,  encore  un  coup,  juger 
avec  le  monde,  qu'il  faut  soutenir  ses  intérêts,  sa 
domination,  sa  gloire  propre,  au  préjudice  de  tout; 
si  à  la  fin  Jésus-Christ  se  trouve  condamné  par  ces 
maximes?  Le  monde  est  donc  jugé  par  le  jugement 
qu'il  a  porté  de  Jésus-Christ.  Le  Sauveur  a  jugé  le 
monde  en  se  laissant  juger  par  le  monde  :  et  l'iniquité 
de  ce  jugement  anéantit  tous  les  autres  à  jamais. 

Le  inonde,  à  vrai  dire,  ne  sera  jugé  qu'à  la  fin 
des  siècles.  Mais  saint  Augustin  distingue  ici  deux 


'  .Toaiy.  XII,  28,  29.  —  '  Ibid.  3o. 
'  Joan.  xrii,  22.  —  ''Ibid.  \u,  3i, 


—  iHebr.  u,  a,  3.  - 


MÉDriAllOiNS  SUR  L'ÉVANGILE. 


59»- 


sortes  de  jugement ,  celui  de  condamnation  à  la  fin 
des  siècles,  celui  de  discernement  dans  celui-ci.  Il 
applique  au  dernier  cette  parole  du  psalmiste  :  Ju- 
gez-moi, Seigneur,  et  discernez  ma  cause  de  celle 
de  la  nation  qui  n'est  pas  sainte'.  Ce  discernement 
se  fait  clairement,  par  bien  entendre  le  jugement 
que  le  monde  a  porté  de  Jésus-Christ.  Le  monde 
veut  être  flatté  :  le  monde  ne  veut  pas  qu'on  lui  dé- 
clare ses  vices  :  le  monde  ne  veut  pas  qu'on  condamne 
ses  maximes  :  le  monde  ne  veut  pas  qu'on  ne  vive 
pas  comme  le  monde,  parce  que  par  là  on  le  condamne. 
Tout  cela  a  fait  que  le  monde  a  condamné  Jésus- 
Qirist.  Quiconque  suit  les  maximes  par  lesquelles 
on  a  condamné  le  Juste ,  ne  se  discerne  pas  du 
monde ,  et  il  est  jugé  avec  le  monde.  Sois  attentif, 
chrétien,  et  discerne-toi  de  la  nation  qui  n'est  pas 
sainte,  en  condamnant  en  toi-même  de  bonne  foi 
toutes  ses  maximes. 

XVP  JOUR. 

Vertu  de  la  croix.  Jésus  tire  tout  par  la  croix.  Le  suivre 
jusqu'à  la  croix  Joan.  xu,  31 ,  M. 

Le  prince  de  ce  monde,  le  démon  qui  en  est  le 
maître  par  l'idolâtrie,  va  être  chassé*,  et  les  faus- 
ses divinités  abandonnées.  Mais  ce  n'est  pas  assez 
de  chasser  le  démon,  il  faut  rendre  l'empire  à  Dieu 
par  Jésus-Christ.  Et  moi,  dit-il  ^,  après  que  j'aurai 
été  élevé  de  terre  sur  la  croix,  Je  tirerai  tout  à  moi  : 
j'entraînerai  à  moi  toutes  choses.  Il  y  a  dans  la  vertu 
de  la  croix  de  quoi  attirer  tous  les  hommes.  Il  y 
aura  des  hommes  de  toutes  les  sortes,  et  non-seule- 
ment de  tout  sexe ,  mais  encore  de  toute  nation ,  de 
tout  génie,  de  toute  profession,  de  tout  état,  qui 
seront  si  puissamment  attirés  ,  qu'ils  viendront  en 
foule  à  Jésus.  Et  de  cette  bienheureuse  totalité, 
que  Dieu  a  unie  par  son  éternelle  et  miséricordieuse 
élection ,  aucun  ne  demeurera.  L'action  du  cruci- 
fiement semble  avoir  élevé  Jésus  pour  être  l'objet  de 
tout  le  monde  :  il  est  en  butte  à  toute  contradiction 
d'un  côté  -,  et  de  l'autre,  il  est  l'objet  de  l'espérance 
du  monde.  Il  fallait  q^i' il  fût  élevé  comme  le  serpent 
dans  le  désert,  afin  que  tout  le  monde  pût  tourner 
les  yeux  vers  lui ,  comme  il  dit  lui-même^.  La  gué- 
rison  de  l'univers  a  été  le  fruit  de  cette  cruelle  et 
mystérieuse  exaltation.  Allez  au  pied  de  la  croix ,  et 
dites-y  au  Sauveur  avec  l'Épouse:  tirez-moi,  nous 
courrons  après  vous  *.  La  miséricorde  qui  vous  fait 
subir  le  supplice  de  la  croix,  l'amour  qui  vous  fait 
mourir,  et  qui  sort  par  toutes  vos  plaies,  est  le  doux 
parfum  qui  s'exhale  pour  attirer  tous  les  cœurs.  Ti- 
rez-moi de  cette  puissante  et  douce  manière  dont 
vous  avez  dit,  que  votre  Père  tire  à  vous  tous  ceux 
qui  viennent^.  Tirez-moi  de  cette  manière  toute- 
puissante  qui  ne  me  permette  pas  de  demeurer  en 
chemin.  Quej'aillejusqu'à  vous,  jusqu'à  votre  croix  : 
que  j'y  sois  uni ,  percé  de  vos  clous ,  crucifié  avec 
vous,  en  sorte  que  je  ne  vive  plus  pour  le  monde, 
mais  pour  vous  seul.  Quand  dirai-je  avec  votre  apô- 
tre :  Je  vis;  non  plus  moi,  mais  Jésus-Christ  en 


'  Pi  XLII,  I.  —  î  Joan.  xu,  31.  —  »  Ibid.  32. 

U,  13    —  »  Cant.  I,  3.  —  <=  Joan.  vi,  41. 


^Ihid.  III, 


moi .  Et  encore  ;  Je  vis  en  lu  foi  du  Fils  de  Dieu  qui 
m'a  aimé,  et  s'est  livré  pour  moi'.  Et  encore  :  Je 
suis  attaché  àla  croix  avec  Jésus-Christ.  Etencore  : 
La  charité  de  Jésus-Christ  nous  presse;  estimant 
ceci,  que  si  un  est  mort  pour  tous ,  tous  aussi  sont 
morts  en  un  seul.  Jésus-Christ  est  mort  j)our  toits; 
afin  que  ceux  qui  vivent,  ne  vivent  plus  à  euX' 
mêmes,  viais  à  celui  qui  est  mort  et  ressuscité  pour 
eux*.  C'est  ainsi  que  Jésus-Christ  nous  attire.  Il' 
fallait,  comme  il  vient  de  dire,  que  ce  grain  de  fro- 
ment tombât  à  terre  pour  se  multiplier  ^.  Il  fallait 
qu'il  se  sacrifiât  lui-même,  pour  nous  faire  tous  en 
lui-même  une  offrande  agréable  à  Dieu.  Le  nouveau 
peuple  devait  naître  de  sa  mort. 

Le  Sauveur  avait  déjà  dit  :  Il  faut  que  le  Fils  de 
Vhomme  soit  exalté  comme  le  serpent  ■*.  11  avait 
dit  :  Quand  vous  aurez  élevé  le  Fils  de  l'homme^ 
vous  connaîtrez  qui  je  suis^.  La  connaissance  de  la 
vérité  était  attachée  à  la  croix. 

Je  tirerai,  j'entraînerai  :  considérez  avec  quelle 
douceur,  mais  ensemble  avec  quelle  force,  se  fait 
cette  opération.  Il  nous  tire,  comme  on  vient  de 
voir,  par  la  manifestation  de  la  vérité.  Il  nous  tire 
par  le  charme  d'un  plaisir  céleste  ;  par  ces  douceurs 
cachées,  que  personne  ne  sait  que  ceux  qui  les  ont 
expérimentées.  Il  nous  tire  par  notre  propre  vo- 
lonté, qu'il  opère  si  doucement  en  nous-mêmes, 
qu'on  le  suit  sans  s'apercevoir  de  la  main  qui  nous 
remue,  ni  de  l'impression  qu'elle  fait  en  nous.  Sui- 
vons, suivons;  mais  suivons  jusqu'à  la  croix.  Car 
comme  c'est  delà  qu'il  tire,  c'est  jusque-là  qu'il  le 
faut  suivre.  Il  le  faut  suivre  jusqu'à  expirer  avec  lui , 
jusqu'à  répandre  tout  le  sang  de  l'âme,  toute  sa 
vivacité  naturelle;  et  se  reposer  dans  le  seul  Jésus  : 
car  c'est  se  reposer  dans  la  vérité ,  dans  la  justice , 
dans  la  sagesse ,  dans  la  source  du  pur  et  chaste 
amour.  O  Jésus  !  que  tout  est  vil  à  qui  vous  trouve  ! 
à  qui  est  tiré  jusqu'à  vous,  jusqu'à  votre  croixîO  Jé- 
sus! quelle  vertu  vous  avez  cachée  dans  cette  croix! 
faites-la  sentir  à  mon  cœur.  Quand  je  serai  élevé  de 
terre!  Je  ne  veux  d'autre  élévation  que  celle-là  : 
c'est  la  vôtre  :  que  ce  soit  la  mienne. 

Songez  que  tout  ceci  se  dit  à  l'occasion  de  l'en- 
trée de  Notre-Seigneur,  et  peut-être  le  propre  jour 
ou  le  lendemain  qu'elle  se  fit.  Admirez,  encore  un 
coup ,  comme  il  conserve  à  ce  beau  triomphe  le  ca- 
ractère de  croix  et  de  mort. 

XVIP  JOUR. 

Les  incrédules  n'ouvrent  point  les  yeux  à  la  lumière  :  ils 
marchent  dans  les  ténèbres.  Joan.  xu,  34 ,  37. 

Comment  dites-vous  qu'il  faut  que  le  Fils  de 
l'homme  soit  élevé ^  de  terre?  Il  avait  parlé  si  sou- 
vent de  cette  exaltation  mystérieuse  ;  il  avait  d'ail- 
leurs si  souvent  parlé  de  la  croix  et  de  la  nécessité 
de  porter  sa  croix  pour  le  suivre,  qu'à  la  fin  le  peu- 
ple s'était  accoutumé  à  l'entendre.  C'est  ce  qui  cause 
cette  parole  :  Nous  avons  appris  par  la  loi,  que  le 
Christ  demeure  éternellement.  Et  comment  donc 
dites-vous  que  le  Fils  de  l'homme  doit  être  élevé, 

'  Gai.  II,  19,  20.  —  »  11.  Cor.  T,  U,  «5.  —  ^  Joan.  xu,  24. 
—  *  Ibid   ut,  U.  —  »  Ibid.  viu,  28.  —  *  Ibid.  xa,  34. 


600 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


est-5-dire  cvuddé?  qui  estce  fils  de  l'homme'?  Il  y 
a\  ait  de  la  vérité  et  de  l'erreur  dans  ce  discours.  Ils 
avaient  raison  de  dire,  que  le  Christ  devait  demeu- 
rer et  régner  éternellement;  mais  ils  ne  voulaient 
pas  entendre  par  où  il  lui  fallait  passer,  pour  arri- 
ver à  son  règne.  Le  maître  était  au  milieu  d'eux ,  et 
il  n'y  avait  qu'à  le  consulter,  après  que  Dieu  avait  at- 
testé sa  mission  par  tant  de  miracles.  Et  c'est  pour- 
quoi Jésus  leur  dit  :  La  lumière  est  encore  au  mi- 
lieu de  vous  pour  un  peu  de  temps  \  Je  m'en  vais  ; 
et  cette  lumière  ne  sera  plus  guère  avec  vous  :  ser- 
vez-vous-en pendant  que  vous  l'avez  :  Marchez  à 
la  faveur  de  cette  lumière,  de  peur  que  les  ténè- 
bres ne  vous  environnent,  ne  vous  surprennent, 
ne  vous  enveloppent  ;  et  lorsqu'on  est  daris  les  ténè- 
bres ,  on  ne  sait  où  l'on  va  :  on  se  heurte  à  toutes 
les  pierres ,  on  tombe  dans  tous  les  abîmes  ;  et  non- 
seulement  le  pied  manque,  mais  la  tête  ne  se  peut 
défendre. 

Jésus  est  la  lumière  à  ceux  qui  ouvrent  les  yeux 
pour  le  voir  :  mais  à  ceux  qui  les  ferment,  il  est  une 
,  pierre  où  l'on  se  heurte  et  on  se  brise.  Faute  d'avoir 
voulu  apprendre  de  lui  le  mystère  de  son  infirmité, 
ils  s'y  sont  heurtés  et  brisés,  et  ne  le  connaissent 
pas;  et  ils  demandent  :  Qui  est  ce  fils  de  l'homme, 
qui  doit  être  crucifié,  et  par  là  tirer  toutes  choses.' 
Est-ce  vous  que  nous  voyons  si  faible?  Comment  ti- 
rerez-vous  à  vous-même  tout  le  monde  ,  dont  vous 
allez  être  le  rebut  par  votre  croix.'  Aveugles,  ne 
voyez-vous  pas ,  à  la  majesté  de  son  entrée,  qu'il  ne 
tiendrait  qu'à  lui  d'avoir  de  la  gloire  :  qu'il  ne  la  perd 
donc  pas  par  faiblesse  ;  mais  qu'il  en  diffère  par  sa- 
gesse le  grand  éclat.'  Il  vous  dirait  cette  vérité  ,  si 
vous  la  lui  demandiez  humblement  :  mais  vous  lais- 
sez écJïapi)er  la  lumière  ;  et  celui  qui  était  venu  pour 
vous  éclairer,  vous  sera  à  scandale  :  scandale  aux 
Juifs,  dit  saint  Paul  ^  et  folie  aux  gentils. 

Pesons  ces  paroles  :  La  lumière  n'est  plus  avec 
vous  que  pour  un  peu  de  temps  i.  Concevons  un 
certain  état  de  l'âme  où  il  semble  que  la  lumière  se 
retire.  A  force  de  la  mépriser,  on  cesse  de  la  sentir  : 
un  nuage  épais  nous  la  couvre  :  nos  passions,  que 
nous  toissons  croître,  nous  la  vont  entièrement  dé- 
rober :  mardîons  tant  qu'il  nous  en  reste  une  pe- 
tite étincelle.  Quelle  horreur  d'être  enveloppé  dans 
les  ténèbres,  au  milieu  de  tant  de  précipices  !  C'est 
ton  état ,  ô  âme ,  si  tu  laisses  éteindre  ce  reste  de  lu- 
mière qui  te  luit  encore  pour  un  moment. 

Qui  marche  dans  les  ténèbres,  ne  sait  où  il  va^. 
Étrange  état!  on  va  :  car  il  faut  aller;  et  notre  âme 
ne  peut  pas  demeurer  sans  mouvement.  On  va  donc  ; 
et  on  n»  sait  où  l'on  va  :  on  croit  aller  à  fa  gloire , 
aux  plaisirs,  à  la  vie ,  au  bonheur ,  on  va  à  la  perdi- 
tion et  à  la  mort.  On  ne  sait  où  l'on  va ,  ni  jusqu'à 
quel  point  on  s'égare.  On  s'éloigne  jusqu'à  Tinlini 
de  la  droite  voie ,  et  on  ne  voit  plus  la  moindre  trace 
ni  la  moindre  route  par  où  l'on  y  pui«se  être  ra- 
mené. État  trop  ordinaire  dans  la  vie  des  hommes. 
Hélas!  hélas!  c'est  tout  ce  qu'on  en  peut  dire.  C'est 
car  des  cris ,  c'est  par  des  gémissements  et  par  des 

"  Joan.  xu,  34.—  »  Ibid.  35.  —  ^  I.  Cor.  i,  23.  —  *  Joan. 
Xii.  35.  —  »  Ibid. 


larmes ,  et  non  point  par  des  paroles  qu'il  faut  dé- 
plorer cet  état. 

Une  sait  où  il  va.  Aveugle,  où  allez-vous?  Quelle 
malheureuse  route  enfilez-vous.'  Hélas!  hélas!  reve- 
nez pendant  que  vous  voyez  encore  le  chemin.  Il 
avance  :  ah  !  quel  labyrinthe  et  combien  de  falla- 
cieux et  inévitables  détours  va-t-il  rencontrer!  Il 
est  perdu  :  je  ne  le  vois  plus;  il  ne  se  connaît  plus 
lui-même ,  et  ne  sait  où  il  est  ;  il  marche  pourtant 
toujours,  entraîné  par  une  espèce  de  fatalité  malheu- 
reuse, et  poussé  par  des  passions  qu'il  a  rendues  in- 
domptables. Revenez  :  il  ne  peut  plus;  il  faut  qu'il 
avance.  Quel  abîme  lui  est  réservé  !  quel  précipice 
l'attend!  de  quelle  bête  serat-il  la  proie?  Sans  se- 
cours, sans  guide,  que  deviendra-t-il  ?  Hélas!  hélas! 

XVIII«  JOUR. 

Ëtat  de  ceux  de  qui  la  lumière  se  retire.  Jésus  se  cache  «Feux. 
Merveilles  de  cette  journée  de  triomphe.  Joan.  xii,  34, 37.  ' 

Jésus  dit  ces  choses,  et  il  se  retira  et  se  cacha 
d'eux'.  Quel  état!  quand  non-seulement  on  se  re- 
lire de  la  lumière ,  mais  qu'à  son  tour,  par  un  juste 
jugement,  la  lumière  se  retire;  et  non-seulement  se 
retire,  mais  se  cache  !  C'est  l'état  de  ceux  dont  l'en- 
tendetnentest  enveloppé  et  obscurci  de  ténèbres,  par 
l'ignorance  qui  est  en  eux ,  à  cause  de  l'aveugle- 
ment de  leur  cœur  :  qui  désespérant  de  leur  retour, 
se  livrent  a  toute  impureté  et  à  toutes  actions  im- 
pudiques,  comme  à  l'envi,  et  à  qui  pis  fera.  Jhl 
ce  n'est  pas  ainsi  que  Jésus-Christ  vous  avait  en- 
seigné: si  toutefois  vous  favez  ouï*,  si  sa  voix  est 
parvenue  jusqu'à  vous. 

Ce  versetdesaint  Jean  semble  répondre  à  celui  de 
saint  Matthieu  où  il  est  porté  que  Jésus,  après  avoir 
répondu  aux  reproches  que  les  pharisiens  lui  fai- 
saient sur  son  entrée,  les  laissa  là,  et  sortit  de  la 
ville  pour  se  retirer  en  liéthanie^,  où  il  demeu- 
rait. C'est  ce  que  saint  Jean  appelle  s'en  aller  et  se 
cacher  d'eux.  Sa  retraite  était  donc  à  Béthanie  : 
c'est  là  qu'il  se  cachait  chez  quelques-uns  de  ses 
amis  et  de  ses  disciples  ;  et  apparemment  dans  la 
maison  de  Lazare,  de  Marie  et  de  Marthe,  ou  chez 
quelque  autre.  De  là  on  peut  conclure  que  tout  ceci 
s'est  passé  au  jour  de  l'entrée  du  Sauveur  :  que 
c'est  à  ce  jour  que  le  Père  fit  entendre  du  ciel  cette 
voix  que  nous  avons  ouïe  :  que  c'est  alors  que  Jésus 
développa  tout  le  mystère  de  son  exaltation,  et 
de  la  propagation  de  sa  doctrine ,  et  de  sa  gloire 
après  sa  mort.  Que  cette  journée  est  magnifique! 
Quel  concours  de  merveilles!  que  de  douces  conso- 
lations! que  d'étonnantes  menaces!  Quel  recucil- 
fement,  quelle  frayeur,  quel  doux/tonnement, 
quelle  attention,  quel  mélange  de  crainte  et  d'a- 
mour ne  doit  pas  inspirer  cette  journée!  Que  si 
l'on  veut  différer  jusqu'au  lendemain  une  partie 
de  ces  choses,  comme  il  pourrait  yen  avoir  quel- 
que raison;  c'était  toujours  une  suite  du  triomphe 
de  Jésus,  puisque  ce  fut  à  ce  jour  qu'il  purgea 
le  temple  avec  tant  d'autorité  et  de  zèle,  des  vo- 
leurs qui  en  faisaient  leur  caverne. 

O  jour  admirable!  je  n'avais  pas  encore  vu  toutes 

»  Joan  .  xn,  ZQ.r--Epfics.  iv,  18,  I9,  20.  —  KVaUh.  xsi,  17. 


MÉDITATIONS  SLR  L'EVANGILK. 


60  f 


vos  hiniières ,  ni  compris  toutes  les  merveilles  dont 
vous  êtes  plein. 

X1X«  JOUR. 

RéniAions  sur  les  merveilles  de  la  première  Journée.  Il  faut 
(■oiiUiuxr  sans  relàclie  l'œuvre  de  Dieu  a  l'exemple  de 
Ji'sus-Christ. 

Tous. ces  passages  font  voir  qu'à  cette  dernière 
semaine,  et  dès  le  jour  qu'il  Qt  son  entrée,  le  Sau- 
\eiir  sortait  tous  les  soirs  de  Jérusalem,  et  se 
iMchalt  à  Béthanie ,  d'où  il  revenait  tous  les  matins 
fure  ses  fonctions  dans  le  temple ,  où  tout  le  peu- 
ple s'assemblait  aussi  dès  le  matin  pour  l'entendre. 
Le  jour  ses  ennemis  étaient  retenus  par  la  crainte 
d'émouvoir  le  peuple ,  si  on  le  prenait  en  plein  jour  : 
Car  i7i  craignaieiit ,  dit  saint  Marc  »,  parce  que 
tout  le  peuple  qui  l  écoutait  était  ravi  de  sa  doctrine. 
Ou,  comme  le  rapporte  saint  Luc  »  :  Ils  ne  savaient 
que  lui  faire;  parce  que  tout  le  peuple  qui  l' écou- 
tait, était  ravi  et  hors  de  soi.  Ainsi  dans  le  jour 
il  demeurait  :  et  dans  la  nuit,  où  ses  ennemis  eus- 
sent trouvé  plus  d'occasions  de  le  perdre,  il  sortait 
de  la  ville,  et  se  retirait  à  Béthanie,  parmi  ses 
disciples,  aCn  d'achever  sa  semaine,  et  le  temps 
qui  lui  était  prescrit  pour  nous  instruire  ;  continuant 
à  se  servir  des  voies  douces,  si  naturelles  à  la  sa- 
gesse divine,  des  précautions  nécessaires  et  des 
moyens  ordinaires  de  se  conserver  jusqu'à  la  nuit 
où  il  devait  être  pris.  Voyons  donc ,  soit  qu'il  se 
ox)nserve,  soit  qu'il  se  livre,  qu'il  fait  tout  pour 
l'amour  de  nous.  Il  se  conserve  pour  achever  ses 
instructions,  sans  que  nous  perdions  une  seule  de 
ses  paroles  ;  et  il  se  livre  pour  consommer  son  sa- 
criGce.  O  Jésus  !  je  vous  adore  dans  ces  deux  états  ; 
et  je  vous  suivrai  tous  les  matins  de  cette  dernière 
semaine ,  pour  écouter  votre  parole ,  plus  touchante 
encore  en  ces  derniers  temps,  que  dans  tous  les 
autres. 

Ramassons  toutes  les  merveilles  que  nous  avons 
vues  accomplies  en  ce  sacré  jour  du  triomphe  de 
Jésus-Christ ,  toutes  les  marques  de  grandeur ,  d'au- 
torité, de  puissance,  qne  le  ciel  et  la  terre  donnent 
à  Jésus;  et  en  même  temps  tous  ces  caractères  d'in- 
lirmité,  de  persécution  et  de  fuite  qu'il  conserve. 
Adorons  ce  sacré  mélange.  Si  nous  sommes  ca- 
lomniés, maltraités,  persécutés  par  nos  ennemis, 
jusqu'à  être  contraints  de  fuir  et  de  nous  cacher 
devant  eux,  ne  nous  en  aftligeons  pas  :  c'est  le 
caractère  de  Jésus-Christ,  qu'on  doit  au  contraire 
être  ravi  de  porter.  Continuons  toujours ,  à  son 
exemple,  l'œuvre  de  Dieu,  s'il  nous  en  a  commis 
quelqu'un ,  quelque  petit  qu'il  soit ,  sans  nous  re- 
lâcherjamais;  et  accomplissons  la  volonté  de  Dieu, 

X.V  JOUR. 

Figuier  desséché  :  ligure  de  l'àrae  stérile  et  sans  bonnes 
oeuvres.  Mrtth.  xxi,  I8, 24.  Marc,  xi,  12,  28. 

Le  lendemain  de  son  entrée,  en  arrivant  de 
Béthanie  a  Jérusalem,  du  matin,  il  eut  faim: 
ayant  vu  de  loin  un  figuier,  il  s'en  approcha  pour 
voir  s'il  y  trouverait  du  fruit ;7nais  n'y  trouvant 

'  .Marc.  XI,  JH.  —  »  Luc.  XIX,  48. 


que  de  s  feuilles,  par  ce  que  ce  n'était  pas  le  temps 
des  fruits,  il  le  maudit  ' ,  comme  on  sait.  C'est  une 
parabole  de  choses,  semblable  à  celle  de  paroles 
que  l'on  trouve  en  saint  Luc,  xiii,  6.  11  ne  faut 
donc  point  demander  ce  qu'avait  fait  ce  flguier, 
ni  ce  qu'il  avait  mérité  :  car  qui  nesaitqa'un  arbre 
ne  mérite  rien?  ni  regarder  cette  malédiction  du 
Sauveur  par  rapport  au  figuier,  qui  n'était  que  la 
matière  de  la  parabole.  11  faut  voir  ce  qu'il  repré- 
sentait, c'est-à-dire,  la  créature  raisonnable,  qui 
doit  toujours  des  fruits  à  son  créateur,  en  quelque 
temps  qu'il  lui  en  demande;  et  lorsqu'il  ne  trouve 
que  des  feuilles ,  un  dehors  apparent  et  rien  de  so- 
lide, il  la  maudit. 

Que  jamais  Une  sorte  de  fruit  de  toi  ».  Étrange 
malédiction  sur  l'âme  dont  Dieu  se  retire  :  jamais 
il  n'en  sorte  de  bonnes  œuvres.  Qu'est-ce  qu'un  fi- 
guier sans  fruit ,  et  un  homme  sans  bonnes  œuvres  ? 

Quand  on  se  sent  desséché  et  stérile,  qu'on  doit 
craindre  alors  que  Jésus  n'ait  lâché  le  mot  fatal! 
Dieu  a  son  heure  où  il  attend  le  fruit  désiré  :  l'heure 
passée,  si  on  lui  manque,  il  laisse  partir  la  triste 
sentence;  et  l'arbre,  sans  être  coupé,  est  desséché 
jusqu'à  la  racine.  C'est  la  damnation  avant  la  mort  : 
on  voit  un  arbre  sur  pied  ;  mais  il  a  la  mort  dans  le 
sein,  fous  avez  le  nom  de  vivant,  mais  vous  êtes 
mort  ^.  Soyons  donc  fidèles  et  prêts  à  donner  du 
fruit  à  notre  Sauveur,  toutes  les  fois  qu'il  en  de- 
mandera. 

Jésus  eut  faim.  Selon  la  lettre,  il  jeûnait  beau- 
coup :  selon  le  mystère,  il  avait  faim  et  soif  quand 
il  fallait.  Il  a  toujours  faim  et  soif  de  notre  salut. 

Jésus-Christ  continua  son  voyage,  et  revint  à 
Béthanie ,  selon  sa  coutume;  et  la  matinée  d'après, 
ses  disciples  s'arrêtèrent  au  figuier,  qu'ils  trouvè- 
rent desséché  depuis  la  racine ,  et  Pierre  dit  au  Sau- 
veur :  Maître,  le  figuier  que  vous  avez  maudit  j  est 
séché*.  Jésus-Christ  ne  voulait  pas  sortir  de  ce 
monde,  sans  faire  voir  des  effets  sensibles  de  sa 
malédiction,  voulant  faire  sentir  ce  qu'elle  pouvait; 
mais,  par  un  effet  admirable  de  sa  bonté,  il  frappe 
l'arbre,  et  épargne  l'homme.  Ainsi  quand  il  voulut 
faire  sentir  combien  les  démons  étaient  malfaisants, 
et  jusqu'où  allait  leur  puissance,  lorsqu'il  leur  lâ- 
chait la  main ,  il  le  fit  paraître  sur  un  troupeau  de 
pourceaux  que  les  démons  précipitèrent  dans  la 
mer  ^.  Qu'il  est  bon ,  et  qu'il  a  de  peine  à  frapper 
l'homme  !  Ne  contraignons  pas  le  Sauveur,  contre 
son  inclination ,  à  étaler  sur  nous-mêmes  l'effet  de 
sa  colère  vengeresse. 

xxr  JOUR. 

Le  prodige  des  prodigîs  :  l'homme  révéla  de  la  puissance 
de  Dieu  par  la  foi  et  par  la  prière.  .Vatih.  xxi,  21 ,  22. 
Marc.  XI,  22,24. 

Les  apôtres  étant  étonnés  de  l'effet  soudain  de 
la  parole  de  Jésus-Christ  sur  le  figuier,  le  furent 
beaucoup  davantage  losqu'il  leur  dit  qu'ils  en  pou- 
vaient faire  autant,  et  même  beaucoup  plus,  pourvu 
qu'ils  eussent  la  foi.  Si  vous  tarez,  leur  dit-il^, 

'Matth.  XXI,  18  —^Ibid.  19.  — '  Jpoc.  m,  I.  —  «  Marc. 
Xl,21.  -  *J/«WA.  VUl,  32.  —  «  Jbid.  XXI,  21. 


603 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


vous  ne  pourrez  pas  seulement  dessécher  tin  fi- 
guier ;  mais  vous  direz  à  une  montagne  :  Déraci- 
nez-vous y  et  jetez-vous  dans  la  mer,  et  cela  se 
fera. 

Voici  le  prodige  des  prodiges  :  l'homme  revêtu 
de  la  toute-puissance  de  Dieu. 

Allez,  disait  le  Sauveur  » ,  guérissez  les  malades, 
ressuscitez  les  morts,  purifiez  les  lépreux ,  chas- 
sez les  démons.  Qui  fit  jamais  un  pareil  comman- 
dement } 

Il  les  envoya  prêcher  et  guérir  les  malades  ». 
Qui  jamais  envoya  ses  ministres  avec  de  tels  ordres  ? 
Allez ,  dit-il ,  entrez  dans  cette  maison ,  et  guéris- 
sez tous  les  malades  que  vous  y  trouverez.  Tout 
est  plein  de  pareils  commandements.  Mais  ici  il 
pousse  la  chose  encore  plus  loin  :  Tout  ce  que  vous 
demanderez  vous  l'obtiendrez  ^.  Vous  pourrez  tout 
ce  que  je  puis  :  vous  ferez  tout  ce  que  vous  m'avez 
vu  faire  de  plus  grand ,  et  vous  ferez  même  de 
plus  grandes  choses.  En  effet,  si  on  est  guéri  en 
touchant  le  bord  de  la  robe  de  Jésus-Christ,  pendant 
qu'elle  était  sur  lui  ;  ne  se  fait-il  pas  quelque  chose 
de  plus  dans  saint  Paul,  lorsque  les  linges  qui 
avaient  seulement  touché  son  corps,  guérissaient 
les  malades  à  qui  onlesportait^?  Et  non-seulement 
les  linges  qui  avaient  touché  les  apôtres  avaient 
cette  vertu,  mais  leur  ombre  même  :  l'ombre  qui 
n'est  rien,  quand  elle  passait  sur  les  malades,  ils 
étaient  guéris^. 

Voici  donc  le  grand  miracle  de  Jésus-Christ.  C'est 
cpie,  non-seulement  il  est  tout-puissant,  mais  il 
rend  encore  l'homme  tout-puissant,  et,  s'il  se  peut, 
plus  puissant  que  lui,  faisant  du  moins  constamment 
de  plus  grands  miracles  :  et  tout  cela  par  la  foi  et 
par  la  prière  :  Tout  ce  que  vous  demanderez ,  en 
croyant  sans  hésiter  qu'il  vous  sera  donné,  il  vous 
arrivera^.  La  foi  donc  et  la  prière  sont  toutes- 
puissantes,  et  revêtent  l'homme  de  la  toute-puis- 
sance de  Dieu.  Si  vous  pouvez  croire,  disait  le 
Sauveur  7 ,  tout  est  possible  à  celui  qui  croit. 

La  difficulté  n'est  donc  pas  de  faire  des  miracles  : 
la  difficulté  est  de  croire.  Si  vous  pouvez  croire  : 
c'est  là  le  niiracle  des  miracles,  de  croire  parfaite- 
ment et  sans  hésiter.  Je  crois,  Seigneur,  aidez 
vion  incrédulité^.,  disait  cet  homme  à  qui  Jésus 
dit  :  Si  vous  pouvez  croire.  Seigneur,  augmentez- 
nous  la  foi,  disaient  les  apôtres  9.  Nous  in'avons 
besoin  que  de  la  foi,  car  avec  elle  nous  pouvons 
tout.  Ohl  si  vous  en  aviez,  dit  le  Seigneur  ", 
comme  im  grain  de  sénevé ,  le  plus  petit  de  tous 
les  grains ,  vous  diriez  à  ce  mûrier  :  Déracine-toi, 
et  te  plante  dans  la  mer  ;  et  il  vous  obéirait  :  et  il 
trouverait  un  fond  sur  les  fîots  pour  y  étendre  ses 
racines. 

Ainsi  le  grand  miracle  de  Jésus-Christ  n'est  pas 
de  nous  faire  des  hommes  tout-puissants  ;  c'est  de 
nous  faire  de  courageux  et  de  fidèles  croyants,  qui 
osent  tout  espérer  de  Dieu,  quand  il  s'agit  de  sa 
gloire. 

•  Matth.  X,  8.  —  *  Lvc.  ix,  2;x,  3,  g.  —  *Joan.  xiv,  12,  la. 
—  *  Act.  XIX,  12.  —  »  Ibid.\.  15.  — «  Matth.  xxi,  22.  Marc,  xi, 
V4.  —'Ibid.  IX,  22.  —  8  Hid.  23.  — '  Luc  xvu,  5.  —  '»  Ibid.  G. 


Il  faut  donc  entendre  que  cette  foi  qui  peut  tout , 
nous  est  inspirée.  Pour  oser  faire  cet  acte  de  foi 
qui  peut  tout,  il  faut  que  Dieu  nous  en  donne  le 
mouvement.  Et  le  fruit  de  ces  préceptes  de  l'Évan- 
gile, que  nous  lisons  aujourd'hui,  c'est  de  nous 
abandonner  à  ce  mouvement  divin  qui  nous  fait 
sentir  que  Dieu  veut  de  nous  quelque  chose.  Quel- 
que grand  qu'il  soit,  il  faut  oser,  et  n'hésiter  pas 
un  seul  moment. 

Lorsqu'il  s'agit  de  demander  à  Dieu  les  choses 
nécessaires  pour  le  salut,  nous  n'avons  pas  besoin 
de  ce  mouvement  particulier  de  Dieu,  qui  nous 
apprend  ce  qu'il  veut  que  nous  obtenions  de  sa  puis- 
sance. Nous  savons  très-clairement  par  l'Évangile, 
que  Dieu  veut  que  nous  lui  demandions  notre  salut 
et  notre  conversion.  Demandons-la  donc  sans  hé- 
siter; assurés,  si  nous  le  faisons  avec  la  persévé- 
rance qu'il  faut,  que  tout  nous  sera  possible.  Quand 
nos  mauvaises  habitudes  auraient  jeté  dans  nos 
âmes  de  plus  profondes  racines ,  que  les  arbres  ne 
font  sur  la  terre,  nous  leur  pouvons  dire  :  Déra- 
cine-toi. Quand  nous  serions  plus  mobiles  et  plus 
inconstants  que  des  flots,  nous  dirons  à  un  arbre  : 
Va  te  planter  là;  et  à  notre  esprit  :  Fixe-toi  là;  et 
il  y  trouvera  du  fond.  Quand  notre  orgueil  s'élève- 
rait à  l'égal  des  plus  hautes  montagnes ,  nous  leur 
pourrions  ordonner  de  se  jeter  dans  la  mer,  et  de 
s'y  abîmer,  tellement  qu'on  ne  voie  plus  aucune 
marque  de  leur  première  hauteur.  Osons  donc  tout 
pour  de  tels  miracles,  puisque  ce  sont  ceux  que 
nous  savons  très-certainement  que  Dieu  veut  que 
nous  entreprenions.  Osons  tout  :  et  pour  petite  que 
soit  notre  foi ,  ne  craignons  rien  ;  car  il  n'en  faut 
qu'un  petit  grain,  gros  comme  du  sénevé,  pour 
tout  entreprendre.  La  grandeur  n'y  fait  rien,  dit 
le  Sauveur,  je  ne  demande  que  la  vérité  et  la  sincé- 
rité :  car  s'il  faut  que  ce  petit  grain  croisse,  Dieu 
qui  l'a  donné  le  fera  croître.  Agissez  donc  avec  peu, 
et  il  vous  sera  donné  beaucoup  :  et  ce  grain  de  sé- 
nevé, cette  foi  naissante,  deviendra  une  graiide 
plajite,  et  les  oiseaux  du  ciel  se  reposeront  dessus  '. 
Les  plus  sublimes  vertus  n'y  viendront  pas  seule- 
ment, mais  y  feront  leur  demeure. 

XXIP  JOUR. 

La  prière  persévérante;  elle  tient  de  la  plénitude  de  la  foi. 
Matth.  XXI,  21 ,  22.  Marc.  XI,  22  ,  24. 

Pesez  les  qualités  de  la  foi  et  de  la  prière.  Qu'en 
la  fasse  sans  hésiter,  pour  peu  que  ce  soit  avec  une 
pleine  persuasion  :  c'est  ce  que  saint  Paul  appelle 
plénitude  de  persuasion  ;  que  la  Vulgate  a  traduit 
simplement,  bi  plenitudine  multa  :  avec  une 
GRANDE  PLÉNITUDE  *.  Ce  quc  le  même  saint  Paul 
appelle  ailleurs  :  plénitude  d'intelligence^  \  et  ail- 
leurs en  termes  formels  -.plénitude  de  l'espérance,  et 
plénitude  de  la  foi  4.  C'est  donc  à  dire ,  qu'il  faut 
avoir  une  foi  si  pleine  qu'elle  ne  se  démente  par  au- 
cun endroit,  et  qu'on  n'ait  nulle  défiance  du  côté  de 
Dieu  ;  comme  le  même  saint  Paul  le  dit  d'Abraham , 
qu'il  n'hésita  point  par  défiance;  mais  se  fortifia 

'  Matth.  xni,  31 ,32.-2  i.  Thess.  1^5.  —  ^  Coloss.  Il,  2 
—  •  Hcbr.  VI,  II;  x,  22. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


60  a 


dans  fa  foi,  donnant  gloire  à  Dieu;  pleinement 
persuadé  et  convaincu  qu'il  est  puissant  pour  ac- 
complir tout  ce  qu'il  promet*.  Voilà  donc  la  foi  qui 
obtient  tout,  et  la  foi  qui  nous  justifie ,  selon  le 
même  saint  Paul  dans  le  même  endroit».  Telle  est 
donc  la  première  condition  de  la  prière  n)arquée 
dans  notre  évangile ,  qu'elle  se  fasse  avec  une  pleine 
foi.  La  seconde  y  est  encore  marquée  :  Qu'on  par- 
donne sincèrement  à  son  frère ,  si  on  a  quelque 
chose  contre  lui  ^.  On  obtient  donc  tout  ce  qu'on 
demande,  si  on  le  demande  avec  un  cœur  plein  de 
foi  en  Dieu,  et  en  paix  avec  tous  les  hommes.  Voilà 
ce  que  Dieu  demande,  un  cœur  sans  aigreur  et  sans 
défiance  :  on  a  tout  de  lui  à  ce  prix. 

Mais  peut-on  ne  se  pas  défler,  et  ne  doit-on  pas 
le  faire  ?  Oui ,  de  soi  ;  puisqu'on  est  si  faible ,  et 
qu'on  ne  sait  même  si  on  a  une  foi  vive,  encore 
moins  si  on  y  persévérera  :  mais  avec  toute  cette 
incertitude,  j'ose  dire  qu'il  ne  faut  pas  s'en  inquié- 
ter; et  sans  tant  de  retour  sur  soi-même,  il  faut, 
dans  le  temps  que  la  prière  s'allume,  oser  tout  at- 
tendre et  tout  demander  ;  et  être  si  plein  de  Dieu , 
qu'on  ne  songe  pfùs  à  soi-même. 

Est-ce  là  cette  téméraire  confiance  que  les  héré- 
tiques prêchent.'  Point  du  tout.  Mais  sans  éteindre 
les  réflexions  qu'on  peut  faire  sur  sa  faiblesse ,  c'est 
dans  la  ferveur  de  la  prière  s'oublier  tellement  soi- 
même,  qu'on  ne  demeure  occupé  que  de  ce  que  Dieu 
peut,  et  de  l'immense  bonté  avec  laquelle  il  a  tout 
promis  à  la  prière  persévérante. 

XXIIIe  JOUR. 

Distinction  des  jours  de  la  dernière  semaine  du  Sauveur. 
Matière  de  ses  derniers  discours.  Marc,  xi,  II,  33.  Maith. 
XXI,  23,  32.  Luc.  XX,  I,  8. 

En  comptant  avec  saint  Marc ,  c'est  ici  le  qua- 
trième jour  de  la  dernière  semaine  de  notre  Sauveur. 
Le  premier  est  celui  de  son  entrée,  qui  est  le  cin- 
quième avant  Pâques.  Le  second  jour  de  cette  se- 
maine fut  le  lendemain  matin  lorsque  Jésus,  venant 
de  Béthanie  à  la  ville ,  eut  faim ,  dessécha  le  Gguier, 
et  nettoya  le  temple  de  voleurs ,  comme  il  les  ap- 
pelle. Le  troisième  est  celui  où,  repassant  sur  le 
matin  devant  le  figuier,  on  le  vit  flétri  et  séché  ;  et 
c'est  celui  où  nous  avons  entendu  tant  de  merveil- 
les sur  la  foi.  Le  quatrième  est  celui  dont  saint 
Marc  dit ,  après  tout  ce  que  nous  venons  de  voir  : 
Jésus  vint  encore  une  autrefois  à  Jérusalem  ■»  ;  et 
c'est  celui  où  il  objecta  aux  Juifs  le  baptême  de 
saint  Jean,  comme  on  va  voir. 

Après  cela  je  ne  vois  plus  de  distinction  de  jours. 
Nous  apprenons  seulement  de  saint  Luc,  que  Jésus- 
Christ  venait  tous  les  jours  au  temple  pour  tj  en- 
seiqner,  et  que  le  peuple  l'y  venait  entendre  dès  le 
viatin  5.  En  sorte  qu'il  faut  partager  ce  qui  reste  de 
ses  discours  entre  le  mercredi  et  le  jeudi  durant  le 
jour;  car  il  fut  pris  la  nuit,  et  fut  crucifié  le  lende- 
main. 

Plus  nous  approchons  de  la  fin  de  Jésus,  plus 
nous  devons  être  attentifs  à  ses  discours.  Hier,  qui 

'  Rom.  w,  20,  21.  —  »  Ihid.  22.  —  »  Marc.  Xl,  2J,  23.  — 
*  Ibid.  27    —  »  Luc.  XXI,  37,  38. 


fut  le  mardi ,  il  nous  fit  voir  dans  la  foi  le  fondement 
de  la  prière  et  de  toute  la  vie  chrétienne.  Il  n'y  avait 
rien  de  plus  essentiel  à  la  piété.  Mais  dans  la  suite 
il  va  établir  la  foi ,  et  autoriser  sa  mission  d'une 
manière  admirable  :  premièrement  par  le  témoi- 
gnage de  saint  Jean-Baptiste,  et  ensuite  par  celui  de 
David ,  et  par  beaucoup  d'autres  choses  que  nous 
allons  voir  les  unes  après  les  autres  ;  fermant  la  bou- 
che à  tous  les  contr^isants ,  et  laissant  ce  téuioit 
gnage  au  monde,  que  sa  doctrine  était  absolumen- 
irrépréhensible,  puisque  ses  plus  grands  ennemis 
demeuraient  muets  devant  lui. 

Méditons  cette  vérité  :  considérons  de  quelle 
sorte  Jésus-Christ  répond  à  ceux  qui  l'interrogeaient 
avec  un  esprit  de  contradiction;  et  apprenons  com- 
ment il  faut  consulter  la  vérité  éternelle. 

XXIV«  JOUR. 

Jésus  refuse  de  répondre  aux  questions  des  Juifs  superbes  et 
incrédules,  et  répond  aux  esprits  humbles  et  dociles.  Matth. 
XXI,  27.  Marc,  xi,  33.  Luc.  XXI,  1,  2,  8. 

Comme  il  enseignait  dans  le  temple ,  les  princes 
des  prêtres  et  les  docteurs  de  la  loi ,  et  les  sénateurs 
du  ])€uple  s'assemblèrent,  et  lui  firent  cette  de- 
mande :  En  quelle  puissance  faites-vous  ces  cho- 
ses '  ?  il  paraît  que  cette  demande  regardait  princi- 
palement la  puissance  qu'il  se  donnait  d'enseigner; 
car  ils  vinrent  à  lui  comme  il  enseignait.  Mais  la 
demande  s'étend  aussi  à  tout  le  reste  que  venait 
de  faire  Jésus  :  et  c'est  comme  si  on  lui  eût  demandé  : 
En  quelle  puissance  êtes-vous  entré  si  solennelle- 
ment dans  le  temple.'  en  quelle  puissance  y  ensei- 
gnez-vous? en  quelle  puissance  en  chassez-vous  les 
vendeurs  et  les  acheteurs,  et  y  exercez-vous  tant 
d'autorité?  Ce  serait  à  nous  à  vous  donner  cette 
puissance  :  nous  ne  vous  l'avons  point  donnée;  d'où 
vous  vient-elle?  Voilà  une  demande  faite  dans  les 
formes  par  l'assemblée  et  par  les  personnes  qui 
semblaient  avoir  le  plus  de  droit  de  la  faire.  Et 
néanmoins  Jésus  ne  leur  donne  sur  ce  sujet  aucune 
instruction  :  Je  ne  vous  dirai  pas  nonplus,  leur  dit- 
il,  enquelle  puissance  j'agis'.  Mais  il  se  contente 
de  les  confondre  devant  le  peuple ,  de  mauvaise  foi 
et  d'hypocrisie,  comme  l'on  va  voir. 

Jésus  se  communique  si  facilement  aux  esprits 
dociles  et  humbles.  La  Samaritaine,  une  pécheresse, 
lui  parle  bonnement  du  Christ  :  Je  le  suis,  moi  qui 
vous  parle,  lui-dit-il  sans  circuit^.  Croyez- vous 
au  Fils  de  Dieu,  dit-il  à  l'aveugle-né?  —  Qui  est-il. 
Seigneur,  afin  que  jy  croiel —  Fous  l'avez  vu, 
et  c'est  celui  qui  vous  parle.  —  J'y  crois.  Seigneur; 
et  il  l'adora  ■*.  Ainsi  en  d'autres  endroits.  Quand 
donc  il  ne  répond  pas  de  cette  manière  simple ,  si 
digne  de  lui ,  c'est  que  les  hommes  ne  sont  pas  di- 
gnes qu'il  se  manifeste  à  eux  eu  cette  sorte. 

En  quelle  puissance  faites-vous  ces  choses  *  ?  Il 
leur  avait  déjà  répondu  sur  un  cas  semblable ,  ou 
plus  fort,  en  présence  de  tout  le  peuple.  Car  ayant 
dit  à  un  paralytique  qu'on  lui  présentait  pour  le 
guérir  :  Homme,  tes  péchés  te  sont  remis  ^  ;  ce  qui 

'  Luc.  XX,  I,  2.  —  »  Ibid.  8.  —  '  Joan.  \V;  26.  —  »  Ibid.  «» 
3  5 ,  36 ,  37,  38.  —  »  Maith.  XXI,  23.  —  •  Ibid.  JX,  2- 


604 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


dnns  le  fond  était  beaucoup  plus  grand  que  tout  ce 
qu'il  avait  jamais  fait  :  comme  les  docteurs  de  la 
loi  V;  trouvaient  étrange,  il  leur  parla  en  cette 
sorte  •  :  Lequel  des  deux  est  le  plus  facile,  ou  de 
dire  .•  Je  vous  remets  vos  péchés;  ou  de  dire  à  vn 
paralytique  :  Levez-vous,  et  marchez?  Or,  afin 
que  vous  sachiez  que  le  Fils  de  l'homme  a  le  pou- 
voir de  remettre  les  péchés  :  Homme,  c'est  à  toi 
que  je  parle,  lève-toi  et  marche.  Il  avait  donc  clai- 
rement établi  le  pouvoir  qu'il  avait  de  remettre  les 
péchés ,  qui  était  le  plus  grand  qui  pût  être  donné 
à  un  homme.  Il  n'y  avait  plus  à  l'interroger  sur  le 
reste;  il  n'y  avait  autre  chose  à  faire  qu'à  se  sou- 
mettre. Comme  ils  ne  pouvaient  s'y  résoudre,  ils 
viennent  encore  lui  demander  :  De  quelle  puissance 
faites-vous  ces  choses  '?  Comme  s'ils  eussent  dit  : 
De  quelle  puissance  guérissez-vous  tous  les  mala- 
des.' de  quelle  puissance  rendez-vous  la  vue  aux 
aveugles?  de  quelle  puissance  ressuscitez-vous  les 
morts?  Il  était  trop  clair  que  c'était  par  la  puissance 
divine;  et  ils  ne  l'interrogeaient  sur  une  chose  si 
claire  que  par  un  mauvais  esprit. 

Ailleurs  on  lui  demande  dans  le  même  esprit  : 
Jusqu'à  quand  nous  tiendrez-vous  en  suspens,  et 
nous  arracher ez-vous  l'âme?  Si  vous  êtes  le  Christ, 
dites-le-nous  franchement^'}  A  les  entendre  parler 
avec  cette  force,  on  dirait  qu'ils  veulent  savoir  de 
bonne  foi  la  vérité  ;  mais  la  réponse  de  Jésus  fait 
voir  le  contraire.  Vous  demandez  que  je  vous  dise 
ouvertement  qui  je  suis;  je  vous  le  dis,  et  vous  ne 
tne  croyez  pas  :  cepetidant  les  œuvres  que  je  fais 
au  nom  de  mon  Père ,  parlent  assez ,  et  me  ren- 
dent un  assez  grand  témoignage  *.  Us  avaient  donc 
deux  témoignages;  celui  de  sa  parole,  et,  ce  qui 
était  encore  plus  fort,  celui  de  ses  miracles.  S'ils 
consultaient  après  cela,  au  lieu  de  croire,  un  mau- 
vais esprit  les  poussait.  La  vérité  éternelle,  qu'ils 
consultent  mal,  n'a  rien  à  leur  répondre,  et  n'a 
plus  qu'à  les  confondre  devant  tout  le  peuple.  Ainsi 
nous  arrivera-t-il,  quand  nous  la  consulterons  con- 
tre notre  propre  conscience  sur  des  choses  déjà  ré- 
solues :  nous  ne  cherclwns  qu'à  tromper  le  monde, 
où  à  nous  tromper  nous-mêtiies.  Cessons  de  nous 
flatter  :  ces.«ons  de  diercher  des  expédients  pour 
nous  perdre.  Rompons  ce  commerce  dangereux  et 
scandaleux  :  rendons  ce  bien  mal  acquis  :  soyons 
fidèles  aux  devoirs  de  notre  profession  :  ne  reculons 
point  en  arrière  contre  le  précepte  de  l'Évangile  :  ne 
cherchons  point  à  nous  relâehec  et  à  tout  perdre. 

XXV*  JOUR. 

Aveuglement  des  liommes,  plus  disposés  à  croire  saint  Jean 
que  Jésus-Christ  même.  Malth.  xxi,  23,  25.  Marc,  xi,  27. 
Luc.  S.X,  1 ,  8. 

De  qui  est  le  baptême  de  Jean  ^  ?  Est-il  possible 
que  le  Sauveur  doive  tirer  son  témoignage  de  saint 
Jean-Baptiste,  qui  n'était  que  son  précurseur,  qui 
n'était  pas  l'Époux,  mais  l'ami  de  l'Époux ,  comme 
il  l'avait  dit:  qui  n'était  pas  le  Christ,  mais  celui 
qui  lui  devait  préparer  la  voie  :  qui ,  pour  tout 
dire  en  un  mot,  n'était  pas  digne  de  lui  délier  les 

<  Malth.  IX,  5,  6.  —  *  Lw.  \\,  2.  —  '  Joan.  X,  24.  — 
•  Jbid.  35.  —  •  Malth.  \%i,  25. 


cordons  de  ses  souliers  .=*  Voilà  ce  qu'était  Jean-Bap^ 
liste  ;  et  néanmoins  Jésus-Christ  se  sert  de  son  té- 
moignage, pour  convaincre  ceux  qui  ne  voulaient 
pas  croire  au  Christ  lui-même.  Cependant  Jean  n'a- 
vait fait  aucun  miracle;  et  Jésus  en  avait  rempli 
toute  la  .Tudée  :  Jean  parlait  comme  le  serviteur;  e*;;;;j 
Jésus-Christ  comme  le  Fils  disait  ce  qu'il  avait  vi 
dans  le  sein  du  Père.  Telle  est  la  faiblesse  de  nos 
yeux,  dit  saint  Augustin  :  un  flambeau  nous  ac- 
commode mieux  que  le  soleil.  Nous  cherchons  te^ 
soleil  avec  tin  flambeau.  Jésus  l'entendait  bies 
ainsi ,  et  il  avait  dit  :  J'ai  un  témoignage  plut 
grand  que  celui  de  Jean  ^.  Quand  donc  il  se  servait 
de  ce  témoignage,  c'est  qu'il  approchait  aux  yeux 
malades  une  lumière  plus  proportionnée  à  leur  fai- 
blesse, et  c'est  ce  qu'il  fait  encore  en  cette  occasion. 
Profond  aveuglement  des  hommes,  plus  disposés 
à  croire  saint  Jean  que  Jésus-Christ  même!  0 
Dieu,  qui  ne  tremblerait?  Mais  qui  ne  vous  deman- 
derait en  tremblant  :  D'où  vient  dans  le  cœur  des 
Juifs  une  si  étrange  disposition?  Ne  se  trouvera-t-il 
pas  quelque  chose  de  semblable  en  nous  ?  Nous  le 
pourrons  chercher  une  autre  fois  :^ous  frapperons 
à  la  porte  pour  entendre  ce  secret,  et  peut-être  nous 
sera-t-elle  ouverte.  Cependant  continuons  notre 
lecture. 

XXVF  JOUR. 

Les  Juifs  incrédules  confondus  par  le  témoignage  de  saint 
Jean.  Matth.  xxi,  23, 25.  Marc.  Xi,  27.  Luc.  xx,  1, 8  ;  et  Joan. 
V,  33 ,  36. 

Si  nous  disons  que  le  baptême  de  Jean  est  du 
ciel,  il  nous  dira  :  Pourquoine  l'avez-vous  pas 
cr«  »?  Il  le  leur  avait  déjà  dit,  et  ils  n'avaient  su 
que  répondre  :  Fous  avez  envoyé  à  Jean,  et  il  a 
rendu  témoignage  à  la  vérité  ^.  S'ils  avaient  donc 
avoué  la  mission  céleste  de  saint  Jean-Baptiste,  il 
leur  aurait  fermé  la  lx)uehe  par  son  témoignage. 
Que  dire  donc?  Que  le  baptême  de  Jean  ne  venait 
pas  de  Dieu?  Ils  n'osaient  le  dire  devant  le  peuple 
gui  le  tenait  pour  un  prophète.  Nous  n'en  savons 
rien,  disent-ils.  Et  moi,  dit-il,  je  ne  vous  dis  pas 
non  plus  en  quelle  puissance  f  agis  ^.  Gens  de  mau- 
vaise foi,  qui  n'osez  ni  avouer  ni  nier  la  mission  de 
saint  Jean-Baptiste,  vous  ne  méritez  pas  que  je 
vous  réponde.  Avouez,  niez,  pensez  ce  que  vous 
voudrez  :  vous  êtes  confondus  ;  et  il  n'y  a  de  parti 
pour  vous  que  de  vous  taire.  Il  y  en  aurait  un  autre; 
ce  serait  de  croire  en  Jésus  :  mais  vous  ne  pouvez, 
pour  les  raisons  et  à  la  manière  que  nous  verrons 
en  son  lieu. 

Lisezici le passageentierdesaint.Jean,v. 33: /'oMs 

avez  envoyé  à  Jean,  et  il  a  rendu  témoignage  à  la 
vérité.  Pour  moi  ,je  ne  reçois  pas  mon  témoignage 
de  l'homme;  7nais  je  parle  ainsi,  ]&  vous  allègue 
Jean  à  qui  vous  croyez,  afin  qiie  vous  soyez  sau- 
vés. Jean  était  un..,flambeau  ardent  et  luisant,  et 
vous  avez  voulu  vous  réjouir  pour  unpeude  temps, 
à  sa  lumière.  Pour  moi,  j'ai  un  témoignage  plus 
grand  que  celui  de  Jean  :  les  œuvres  que  mon. 

'  Joan. y, .63.-  ' Matth.  xxi,  25.  —  '  Joan.  V, 33.  —  <  Matth. 
XXI,  20 ,  27. 


MÉDITATIONS  SUR  L*ÉVANG1LE. 


C05 


Père  m'a  donné  le  pouvoir  de  faire,  rendent  assez 
témoignage  que  c'est  lui  qui  m'a  envoyé  '. 

C'est  ainsi  qu'il  se  servait  du  témoignage  de  saint 
Jean-Baptiste ,  afin ,  dit-il ,  que  cous  soyez  sauvés, 
et  pour  vous  convaincre  par  vous-mêmes.  Voilà 
donc  l'orgueil  et  l'hypocrisie  de  Ces  interrogateurs 
de  mauvaise  foi,  confondue.  Ils  ne  méritaient  pas 
que  le  Sauveur  leur  dît  davantage  ce  qu'il  leur  avait 
dit  cent  fois ,  et  que  cent  fois  ils  n'avaient  pas  voulu 
rroire. 

Que  sera-ce  au  dernier  jour,  lorsque  la  vérité , 
manifestée  dans  toute  sa  force,  nous  confondra 
éternellement  devant  tout  l'univers?  Où  irons- 
nous  ?  hélas  !  où  nous  cacherons-nous  ?  Mais  voyons 
comme  Jésus  confond  les  docteurs  et  les  pontifes. 

xxvir  JOUR. 

Parabole  des  deux  lils  désobéissants.  Application  aux  chré- 
tiens lâches  et  tièdes  et  aux  faux  dévots.  Matth.  xxi,  28, 
31. 

Que  vous  semble  de  ceci  :  Un  homme  avait  deux 
fils  » ,  etc.  Cette  parabole  va  convaincre  les  pontifes 
et  les  sénateurs  d'une  hypocrisie  manifeste.  Le  Fils 
de  l'ieu  nous  y  marque  deux  caractères  dans  ces 
deux  fils  :  l'un  est  celui  d'une  désobéissance  mani- 
feste-, l'autre  est  celui  d'une  obéissance  imparfaite, 
et  plus  apparente  que  solide  :  et  il  se  trouve  que  ce 
dernier  est  le  plus  mauvais. 

Il  y  a  des  gens  qui  promettent  tout ,  ou  par  fai- 
blesse, parce  qu'ils  n'ont  pas  la  hardiesse  de  résis- 
ter en  face,  ou  par  légèreté,  ou  par  tromperie.  Ils 
n'osent  vous  dire  qu'ils  ne  veulent  pas  se  corriger  ; 
et  quoique  peu  résolus  à  vous  obéir,  ils  vous  disent  : 
Seigneur,  je  m'en  vais.-Eo,  Domine.  Ils  vous 
appellent.  Seigneur  :  ils  ont  un  certain  respect  :  ils 
sont  en  apparence  prompts  à  obéir  :  ils  ne  disent 
pas  :  J'irai;  mais.  Je  vais  :  vous  diriez  qu'il  va  mar- 
cher, et  que  tout  est  fait.  Cependant  il  n'obéit  pas, 
il  ne  bouge  pas  de  sa  place,  ou  parce  qu'il  vous  veut 
tromper,  ou,  ce  qui  est  pis,  parce  qu'il  se  trompe 
lui-même ,  et  se  croit  plus  de  volonté  et  plus  de  cou- 
rage qu'il  n'en  a. 

Il  paraît  que  ce  caractère  est  manifestement  le 
plus  mauvais  :  ces  faibles  résolutions ,  et  cet  exté- 
rieur de  piété  font  qu'on  s'imagine  avoir  de  la  reli- 
gion, et  on  n'a  point  cette  horreur  de  soi-même  et 
de  son  état,  qui  fait  qu'on  le  change.  Mais  pour  celui 
qui  tranche  le  mot:  Je  ne  veux  pas  :  ]N"olo  :  comme 
il  résiste  à  Dieu  par  une  manifeste  désobéissance, 
et  ne  peut  se  flatter  d'aucun  bien,  à  la  fin  il  a  honte 
de  soi-même;  et  réveillé  par  son  propre  excès,  il 
s'enrepent  :  Pcenitentia  motus,  abiit  :  Touché 
de  repentir,  il  obéit. 

IN'otre-Seigneur  fait  voir  aux  pontifes  que  ce  der- 
nier caractère  est  le  leur.  IN'ourris  dans  la  piété, 
ils  ne  parlent  que  de  Dieu ,  que  de  religion ,  que 
de  l'obéissance  qu'on  doit  à  la  loi  ;  et  parce  qu'ils  en 
parlent  souvent,  ils  se  croient  assez  gens  de  bien, 
et  ne  se  corrigent  jamais.  C'est  pourquoi  Jésus- 
Christ  leur  parle  de  cette  manière  terrible  :  Les 
publicains  et  les  femmes  de  mauvaise  vie  arrive- 

'  yoan.  V,  33,  3i,  35,36. —  >  .Va«A.  xxi,  28,  29,  30,  31. 


ront  plutôt  que  vous  dans  le  royuame  de  Dieu  •; 
I  parce  que,  confus  de  leurs  excès,  ils  fn  ont  fait 
I  pénitence  à  la  voix  de  Jean  :  et  vous,  qui  par  vos 
lumières  et  la  dignité  de  vos  charges  deviez  donner 
l'exemple  aux  autres,  non-seulement  vous  n'êtes 
pas  venus  les  premiers,  comme  on  avait  raison  de 
l'attendre;  mais  vous  n'avez  pas  même  su  profiter 
de  l'exemple  des  autres.  Plus  endurcis  dans  le  crime 
que  les  publicains  et  les  femmes  de  mauvaise  vie, 
vous  les  avez  vus  se  convertir  sans  en  être  touchés. 
Double  enfoncement  dans  le  crime  :  premier;  ne 
faire  pas  mieux  que  de  telles  gens,  et  ne  leur  point 
donner  l'exemple  :  second;  ne  profiter  pas  même 
du  leur. 

Jean  est  venu  dans  la  voie  de  la  justice,  sans 
autre  marque  de  sa  mission  que  sa  vie  sainte  et 
austère  ;  et  néanmoins  les  publicains  et  les  femmes 
de  mauvaise  vie  en  ont  été  touchés  *.  Et  vous  qui 
avez  vu  Jésus-Christ ,  qui  non-seulement  marchait 
comme  Jean  dans  la  voie  de  la  justice,  puisqu'il  a 
dit,  non  dans  le  désert,  mais  dans  le  milieu  du  monde  : 
Qui  me  reprendra  de  péché^?  mais  qui  a  fait  de 
si  grands  miracles,  qu'il  y  avait  de  quoi  émouvoir 
les  plus  insensibles  :  vous,  dis-je,  qui  Tavez  vu  et 
qui  avez  ouï  sa  voix,  vous  n'avez  pas  cru.  Quelle 
est  votre  honte  et  quel  sera  votre  supplice! 

Vous,  ô  prêtres,  religieux  et  religieuses,  dont 
la  vie  ne  répond  pas  à  votre  état;  et  vous  tous,  6 
gens  de  bien  en  apparence ,  dévots  de  profession , 
appliquez-vous  cette  parabole.  IVe  vous  lasserez- 
vous  jamais  de  n'avoir  qu'un  vain  titre  de  piété,  à 
l'exemple  des  pharisiens,  des  pontifes  et  des  séna- 
teurs des  Juifs.' Rougissez,  rougissez  une  bonne 
fois  :  humiliez-vous,  confessez  vos  faiblesses,  et  les 
corrigez.  C'est  à  vous  que  Jésus  parle  dans  ce  dis- 
cours. 

XXVIIP  JOUR. 

Parabole  des  vignerons,  prise  de  David  et  dlsale.  Juste 
punition  des  Juifs  :  leur  héritage  transféré  aux  gentils , 
Matth.  XXI,  33,  46.  Marc.  XII,  1,  9.  Lnc.  xx,  9,  :9. 

Ecoutez  encore  cette  parabole  4,  Dans  la  précé- 
dente parabole,  Jésus  avait  fait  sentir  aux  séna- 
teurs, aux  docteurs  et  aux  pontifes,  leur  iniquité  : 
il  leur  va  faire  avouer  ici  le  supplice  qu'ils  méritent. 
Car  il  les  convaincra  si  puissamment ,  qu'ils  seront 
eux-mêmes  contraints  de  prononcer  leur  sentence. 

Écoutez  encore  cette  parabole;  c'est  à  nous  qu'il 
parle  aussi  bien  qu'aux  Juifs  :  écoutons  donc ,  et 
voyons ,  sous  la  plus  claire  et  sous  la  plus  simple 
figure  qui  fut  jamais,  toute  l'histoire  de  l'Église. 

Un  père  de  famille  a  planté  une  vigne.  C'est  ce 
que  David  avait  chanté  :  Vous  avez  transplanté  la. 
vigne  que  vous  aviez  en  Egypte;  vous  avez  chassé 
les  gentils  de  la  terre  de  Chanaan ,  et  vous  l'y  avez 
plantée.  Elle  a  pris  racine,  et  a  rempli  la  terre  : 
son  ombre  a  couvert  les  montagnes ,  et  ses  bran- 
ches se  sont  étendues  sur  les  plus  hauts  cèdres;  elle 
a  provigné  jusqu'à  la  mer  et  jusqu'à  VEuphrate^. 
Mais  voici  quelque  chose  de  plus  clair  en  Isaïe  :  Une 

'  Matth.  XXI,  31,  32.  —  >  Ihld.  32.  —  '  Joan.  TIII,  4C.  — 
*  Mallh.  XXI.  .^3.  —  Ps.  j  LXXlt,  9,  10,  II.,  12. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


COG 

vigne  a  été  plantée  pour  mon  bien-almé,  pour  le  i 
Fils  qui  a  été  oint,  pour  le  Christ  :  il  l'a  faite  du  \ 
meilleur  plant  :  il  a  élevé  une  tour  au  milieu,  pour  y 
loger  ceux  qui  la  gardaient  :  ilabâtiun  pressoir  '. 
Voilà  les  propres  paroles  de  notre  Sauveur. 

Il  a  loué  cette  vigne  à  des  vignerons  *  :  il  en  a 
^•ommis  la  culture  aux  pontifes,  enfants  d'Aaron, 
•et  aux  docteurs  de  la  loi. 

//  a  envoyé  ses  serviteurs,  pour  en  recueillir  les 
fruits  '.  J'ai  envoijé ,  dit  le  Seigneur  4 ,  mes  servi- 
teurs les  prophètes,  le  soir  et  te  matin,  pour  aver- 
tir et  les  princes,  et  les  pontifes,  et  le  peuple,  qu'ils 
■eussent  à  donner  à  Dieu  le  fruit  qu'il  attendait  de 
ta  culture  qu'il  avait  donnée  à  sa  vigne  par  la  loi  et 
par  les  saintes  Écritures.  Au  lieu  d'écouter  les  pro- 
phètes, ils  les  ont  persécutés,  ils  les  ont  massacrés  ^. 
Lequel  des  prophètes  vos  pères  n'ont-ils  point  per- 
jiccutéflexiTàitsamtÈtienne^.  Ils ontmassacréceux 
qui  nous  annonçaient  l'arHvée  du  Juste,  dont  vous 
nvez  été  les  traîtres  et  les  meurtriers.  C'est  juste- 
ment ce  que  Jésus-Christ  leur  reproche  dans  la  pa- 
rabole. Après  tous  les  prophètes,  il  a  envoyé  son 
Fils,  Jésus-Christ  lui-même  :  Us  respecteront  mon 
Fils.  Il  avaitde  quoi  se  faire  respecter  par  sa  doc- 
trine admirable  et  par  ses  miracles.  Mais  cependant 
ils  l'ont  traîné  hors  de  la  vigne,  hors  de  Jérusalem, 
sur  le  Calvaire  ;  et  ils  l'ont  inhumainement  tué  par 
les  mains  de  Ponce  Pilate  et  des  gentils.  Admirez 
combien. vivement  Jésus  les  presse,  comme  il  leur 
découvre  ce  qu'ils  machinaient,  ce  qu'ils  allaient  ac- 
complir dans  deux  jours.  Ne  devaient-ils  pas  être 
attendris?  D'autant  plus  que  le  Sauveur  leur  mit 
leur  crime  si  évidemment  devant  les  yeux ,  que ,  leur 
ayant  demandé  ce  que  le  père  de  famille  ferait  en 
cette  occasion,  ils  avaient  été  contraints  de  répondre: 
//  punira  ces  méchants  selon  leur  méchanceté,  et 
il  louera  sa  vigne  à  d'autres  vignerons  i  ;  ou  comme 
il  l'explique  après  :  Le  royaume  de  Dieu  vous  sera 
ôté ,  et  sera  donné  à  un  peuple  qui  en  rapportera 
les  fruits^.  C'est  ce  qui  devait  arriver  bientôt;  lors- 
que les  apôtres  leur  dirent  :  Il  vous  fallait  premiè- 
rement annoncer  la  parole  de  Dieu;  mais  puisque 
vous  la  rejetez,  et  que  vous  vous  jugez  indignes  de 
la  vieéternellé,  nous  passons  aux  gentils  :  car  c'est 
ainsi  que  le  Seigneur  nous  l'a  ordonné  :  Je  t'ai 
établi  pour  éclairer  les  gentils  9. 

Voilà  donc  l'accomplissement  de  la  parabole  du 
Sauveur  :  le  royaume  de  Dieu  est  ôté  aux  Juifs ,  et 
il  est  donné  à  un  peuple  qui  en  devait  porter  les 
fruits.  Car  les  gentils  entendant  la  déclaration  que 
les  apôtres  firent  aux  Juifs  si  hautement ,  se  ré- 
jouirent, et  glorifiaient  la  parole  de  Dieu  :  et  tous 
ceux  qui  étaient  préordonnés  à  la  vie  éternelle , 
crurent  ^°.  Ainsi  les  gentils  portèrent  les  fruits  que 
Dieu  avait  attendu  des  Juifs,  comme  dit  l'apôtre 
saint  Paul  :  Le  prépuce  est  imputé  à  circoncision 
aux  gentils  qui  gardent  la  loi;  et  il  jugera  les  cir- 
concis qui  en  sont  prévaricateurs  ". 

•  /.?.  V,  1 ,  2.  —  '  Matth.  XX!,  33.  —  ^  Ibid.  34.  —  '  Jerem. 
XXXV,  15,  et  XXV,  3,  i.—^ Matth.  xxill,  34,  37.  Luc.  xilt,  34. 
—  *  Act.  VII,  52.  —  '  Matt%.  XXI,  41.  —  8  Ibid.  43.  —^Act. 
XiR,  46,  4-7.  —  '"  Ibid.  48.  —  "   Rovi.  U,  2;'),  2C,27. 


Ne  trompons  point  l'attente  du  Sauveur  :  et  puis- 
que nous  sommes  cette  nation  qu'il  a  choisie  pour 
porter  les  fruits  de  sa  parole ,  fructifions  en  bonnes 
œuvres.  Ixs  fruits  de  l'esprit  sont  la  charité,  la 
joie,  la  paix,  la  patience,  la  bénignité,  la  bonté, 
la  douceur,  la  foi,  la  modestie,  la  chasteté,  la  tem- 
pérance '.  Voilà  les  fruits  qu'il  nous  faut  porter, 
et  non  pas  les  œuvres  de  la  chair  qui  fructifient  à 
la  mort  :  qui  sont  les  impuretés,  les  impudicités, 
les  querelles ,  les  jalousies,  les  ivrogneries ,  les 
débauches,  et  les  autres  que  saint  Paul  raconte 
dans  le  même  lieu  ».  Autrement  le  royaume  de  Dieu 
nous  sera  ôté  comnîe  aux  Juifs ,  et  un  autre  recevra 
notre  couron7ie  ^.  Car  si  Dieu  n'a  pas  pardonné 
aux  Juifs,  qui  étaient  les  branches  naturelles  de 
son  olivier,  il  vous  pardonnera  encore  moins  <*. 
Ce  sera  là  la  grande  douleur  des  Juifs ,  de  voir 
entre  les  mains  des  gentils  la  couronne  qui  leur 
était  destinée;  lorsque,  comme  drt  le  Sauveur,  ils 
verront  venir  les  élus  d'Orient  et  d'Occident, 
pour  s'asseoir  avec  Abraham,  Isaac  et  Jacob, 
dans  le  royaume  des  deux,  et  que  les  enfants  du 
royaume  seront  chassés  dans  les  ténèbres  exté- 
rieures. Là  sera  pleur  et  griticemeiit  de  dents  ^. 
Car  on  verra  la  place  qu'on  devait  avoir,  la  couronne 
qu'on  devait  porter  sur  la  tête  ;  si  réelle,  qu'on  verra 
actuellement  cette  place  remplie  par  d'autres ,  et 
cette  couronne  sur  une  autre  tête.  Alors  on  pleu- 
rera sans  fruit,  et  la  rage  sera  poussée  jusqu'esi  grin- 
cement de  dents.  Écoute,  écoute,  chrétien!  Lis  ta 
destinée  dans  celle  des  Juifs  :  mais  lis  et  écoute  dans 
le  cœur  ;  et  ne  laisse  pas  tomber  à  terre  une  para- 
bole si  claire  et  si  clairement  expliquée. 

O  mon  Dieu  !  vous  me  destinez  cette  couronne. 
Que  je  l'arrache  promptement  de  vos  mains  :  elle 
ne  périra  pas;  car  vous  savez  à  qui  la  donner  :  vous 
connaissez  vos  élus,  et  le  nombre  en  sera  complet. 
Mettez-moi  au  nombre  4e  ceux  qui  ne  perdent  pas 
leur  couronne. 

XXIX«  JOUR. 

Ce  que  c'est  que  rendre  des  fruits  en  son  temps ,  et  celte  pa- 
role :  L'héritage  sera  à  nous.  Matth.  xxi,  41.  Marc,  xii,  7. 

Pesons  en  particulier  cette  parole  :  Qui  rendront 
le  fruit  dans  le  temps  ^.  Autre  est  le  fruit  de  l'en- 
fance, autre  est  celui  de  la  jeunesse  et  de  l'âge  plus 
avancé  :  autre  «st  le  fruit  d'un  qui  commence  ;  au- 
tre le  fruit  de  celui  qui  est  consommé  dans  la  piété  : 
autre  le  fruit  d'une  novice,  autre  celui  d'une  reli- 
gieuse ;  autre  le  fruit  de  la  cléricature,  autre  celui  du 
sacerdoce,  autre  celui  de  l'épiscopat.  Songez  non- 
seulement  au  fruit,  mais  encore  à  la  maturité  qu'il 
doit  avoir;  autrement  le  père  de  famille  ne  le  rece- 
vra pas. 

Pesons  encore  ceci  :  L'héritage  sera  à  nous  i. 
C'est  l'indépendance  qu'on  cherche.  Le  prodigue 
veut  qu'on  lui  donne  son  partage  en  pleine  posses- 
sion :  il  se  lasse  d'être  en  tutelle  sous  la  conduite 
d'un  bon  père.  En  faisant  mourir  Jésus-Christ,  les 

'  GaL  y,  22.  —^Ibid.  lO,iO,2\.—*Apoc.ui,\J.—  ^l{om. 
XI,  21.  —  '  Matth.  vm,  II ,  12.  —  'Ibid.  xi,  41.  —7  Marc. 
xii,  7. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


C07 


I 


I 


]^onirfcs  s'imaginèrent  qu'ils  secoueraient  un  joug 
importun ,  et  se  déferaient  d'une  censure  incom- 
mode. Qui  désormais  oserait  troubler  la  domination 
qu'ils  exerçaient  sur  les  consciences,  et  les  pillages 
qu'ils  faisaient  sur  ces  prétextes?  Mais  la  prudence 
de  la  chair  est  confondue  même  sur  la  terre ,  et  ils 
perdirent,  non-seulement  les  fruits,  mais  jusqu'au 
fonds  de  l'héritage  qu'ils  voulaient  avoir.  Leur  puis- 
sance leur  fut  ôtée;  leur  ville,  leur  temple  furent 
renversés  :  et  les  voilà  l'opprobre  éternel  des  na- 
tions. 

XXX«  JOUR. 

Aveuglement  des  Juifs  de  méconnaître  le  Christ ,  qai  est  la 
pierre  de  l'angle  qu'ils  ont  rejetée.  Luc.  xx,  15,  20. 

A  Dieu  ne  plaise  !  dirent-Ws.  Ils  avaient  en  hor- 
reur ce  qu'ils  faisaient.  Us  étaient  ceux  qui ,  après 
avoir  tué  les  prophètes ,  voulaient  encore  tuer  le 
fils;  et  néanmoins  quand  on  leur  dit  qu'ils  le  vou- 
laient faire ,  ils  s'écrient  :  J  Dieu  ne  plaise  '  !  ne  se 
connaissant  pas  eux-mêmes,  et  ne  voulant  pas 
croire  que  celui  qu'ils  feraient  mourir  pût  être  lé 
Christ,  nique  sa  mort  pût  attirer  la  réprobation  de 
la  nation  :  car  ils  ne  connaissaient  pas  que  la  con- 
tradiction et  la  souffrance  était  un  des  caractères 
duIMessie  dans  son  premier  avènement.  Mais  le  Sau- 
veur leur  ouvrait  les  yeux  par  deux  prophéties  :  La 
pierre  qu'ils  ont  rejetée  en  bâtissant,  est  devenue 
la  pierre  de  l'angle  » ,  la  pierre  principale ,  le  nœud 
et  le  fondement  de  tout  l'édiOce.  Cette  pierre  princi- 
pale était  sans  doute  le  Christ,  Or  cette  pierre  de- 
vait être  rejetée.  Le  Christ  devait  donc  être  rejeté: 
par  qui,  sinon  par  ceux  à  qui  il  venait.^  Il  n'y  eut 
rien  de  merveilleux ,  qu'il  ne  fût  pas  écouté  ni  reçu 
de  ceux  à  qui  il  ne  parlait  pas,  tels  qu'étaient  les 
gentils.  Mais  les  Juifs  qui  devaient  bâtir  l'édifice 
spirituel ,  réprouvèrent  cette  pierre ,  qui  devint  par 
ce  moyen  la  pierre  de  l'angle ,  qui  unit  dans  un  seul 
bâtiment  les  Juifs  et  les  gentils.  Et  c'est  ce  qui  7ious 
a  paru  merveilleux ,  et  un  ouvrage  que  Dieu  seul 
pouvait  accomplir  ^. 

Voici  encore  un  passage  d'un  autre  prophète,  ou 
plutôt  deux  passages  prononcés  par  le  même  esprit, 
pt  pour  cela  unis  en  un  :  Je  poserai  dans  les  fon- 
dements de  Sion  une  pierre ,  une  pierre  choisie  et 
éprouvée  ;  unepierre  angidaire,  précieuse,  fondée 
sur  le  fondement^,  sur  Dieu  même.  Et  cette  pierre 
si  précieuse  et  si  importante  pour  construire  l'édi- 
fice n'y  sera  pas  mise  sans  contradiction.  Car  pour 
vous,  ô  enfants  de  Dieu,  tirés  des  gentils  selon  les 
conseils  de  sa  prédestination  éternelle,  ce  vous  sera 
une  pierre  de  sanctification ,  semblable  à  celle  sur 
laquelle  Jacob  avait  dormi  de  ce  sommeil  mysté- 
rieux, et  qu'îï  sacra  avec  de  F  huile  pour  être  un 
monuinent  de  la  gloire  de  Dieu  ^.  Mais  ce  sera  une 
pierre  contre  laquelle  on  se  heurtera -,6/  une  pierre 
de  scandale  aux  deux  maisons  d'Israël,  et  qui 
les  fera  tomber  :  un  piège  et  une  ruine  aux  habi- 
tants de  Jérusalem  :  plusieurs  s'y  heurteront  et 
seront  brisés,  et  ils  tomberont;  et  ils  seront  pris 

«  Luc.  XX,  1«.  —  *  Ps.  cxvii,  12.  —  '  lUd.  2.3. —<  It.  xxviii, 
16.  —  »  Gen.  xxvill,  II,  17,  18 


dans  le  piège  et  ils  y  seront  enlacés'.  Le  Christ  de- 
vait être  cette  pierre  unique  et  fondamentale  ;  et 
néanmoins  en  même  temps  il  devait  être  un  scan- 
dale à  Jérusalem;  scandale  aux  Juifs,  disait  saint 
Paul*.  Cehd  qui  se  heurtera  contre  cette  pierre  y 
ou  qui  tombera  dessus',  sera  brisé;  et  celui  sur 
qui  elle  tombera  sera  écrasé  et  mis  en  poudre  de 
son  poids,  dit  le  Sauveur  3. 

Jésus-Christ  est  notre  règle  et  notre  juge.  On 
tombe  sur  cette  pierre ,  et  on  se  heurte  contre  cette 
règle ,  quand  on  pèche  ;  elle  tombe  sur  nous  quand 
il  nous  punit  :  l'un  suit  de  l'autre.  Le  pécheur  qui 
s'est  brisé,  et  a  perdu  toute  sa  force  en  transgressant 
la  loi  de  Jésus-Christ ,  est  écrasé  par  sa  juste  et 
éternelle  vengeance.  Mais  on  peut  s'unir  à  cette  pierre 
d'une  manière  plus  heureuse  et  plus  convenable. 
Approchez-vous,  dit  saint  Pierre  -» ,  de  cette  pierre 
vivante,  réprouvée  des  hommes,  mais  honorée 
de  Dieu.  Établissez -vous  sur  cette  pierre;  et  entrez 
dans  la  structure  de  ce  bâtiment  comme  des  pierres 
vivantes,  et  devenez  la  maison  de  Dieu;  étant  unis 
par  la  foi  et  à  la  pierre  fondamentale,  qui  est  Jé- 
sus-Christ, et  à  tout  le  corps  des  fidèles,  qui  sont  les 
pierres  dont  est  composé  ce  saint  édifice.  Prenez 
donc  garde ,  continue  l'apôtre ,  que  Jésus-Christ 
ne  vous  soit  comme  aux  infidèles  ,  une  pierre  con- 
tre laquelle  on  se  brisera,  en  se  heurtant  contre  sa 
parole. 

Si  le  fondement  est  solide ,  bâtisse  dessus  sans 
crainte;  mettez-y  votre  appui;  ne  craignez  pas, 
n'hésitez  pas  :  la  pierre  est  ferme  :  ferme  à  ceux 
qui  s'y  appuient,  pour  les  soutenir;  ferme  à  ceux 
qui  se  heurtent  contre ,  pour  les  mettre  en  pièces. 

xxxr  JOUR. 

Parabole  du  festin  des  noces.  Les  Juifs  sont  les  conviés  qui 
refusent  d'y  venir.  Matth.  xxii,  l,  15.  Luc.  xiv,  16,  2u. 

On  voit  avec  quelle  convenance  la  sagesse  éter- 
nelle arrange  les  choses.  Rien  n'était  plus  conve- 
nable, dans  le  temps  qu'on  machinait  la  mort  du 
Sauveur,  que  de  parler  comme  il  a  fait  aux  chefs 
d'une  si  noire  conspiration,  en  leur  faisant  voir, 
quels  en  seraient  les  effets ,  et  combien  funestes  à 
eux-mêmes  et  à  toute  la  nation.  Il  était  bon  aussi 
de  prévenir  le  scandale  de  la  croix ,  et  faire  voir  que 
si  le  Sauveur  était  rejeté,  s'il  devenait  un  scandale 
aux  Juifs,  il  n'en  serait  pas  moins,  suivant  les 
anciennes  prophéties,  la  pierre  de  l'angle,  le  fonde- 
ment de  tout  l'édifice,  et  l'espérance  du  monde.  Le 
Fils  de  Dieu  enseigne  toutes  ces  vérités  deux  jours 
avant  celui  de  sa  mort.  Rien  n'était  plus  capable, 
ni  de  corriger  la  malice  de  ses  ennemis ,  ni  de  pré- 
venir le  scandale  de  ses  disciples.  Ce  qu'il  va  encore 
ajouter  n'est  pas  moins  à  propos. 

Et  Jésus  répondant  leur  dit  ^  :  ce  mot  de  répon 
dre  pourrait  marquer  qu'il  continuait  son  discours. 
Le  Fils  de  Dieu ,  qui  voyait  le  fond  des  cœurs,  ré- 
pondait souvent  aux  pensées  secrètes  de  ceux  qui 
l'écoutaient ,  comme  il  paraît  par  plusieurs  endroits 

»  Is.  vin,  14 ,  15.  —  '  I.  Cnr.  I,  23.  —  ^  Luc.  XI,  18.  —  *  l 
Pelr.  n,  4 ,  b ,  6 ,  7,  8.  —  '  Matth.  xxn,  1. 


(>08 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


de  l'Évangile.  Après  avoir  ouï  qu'il  se  choisirait  un 
autre  peuple ,  il  n'y  avait  rien  de  plus  naturel  que 
de  rechercher  en  soi-même  les  causes  les  plus  gé- 
nérales qui  feraient  abandonner  les  Juifs ,  et  les 
moyens  qu'il  aurait  pour  remplir  sa  maison.  C'est 
ce  qu'il  explique  par  la  parabole  suivante  : 

Le  royaume  des  cieux  est  semblable  à  un  roi 
gui  fait  à  son  fils  un  festin  de  noces  '.  Jésus-Christ 
était  l'Époux  de  cette  noce  :  Celui  qui  a  l'épouse  est 
l'époux,  disait  saint  Jean-Baptiste»,  en  parlant  de 
\\x\.  C'est  lui  qui  était  venu  pour  épouser  son  Église, 
la  recueillir  par  son  sang',  la  doter  de  son  royaume, 
la  faire  entrer  en  société  de  sa  gloire.  Il  fait  un  grand 
festin  quand  il  donne  sa  sainte  parole  pour  être  la 
nourriture  des  âmes,  et  qu'il  se  donne  lui-même  à 
tout  son  peuple  comme  le  pain  de  la  vie  éternelle. 

//  envoya  ses  serviteurs  pour  appeler  aux  no- 
ces ceux  qui  y  étaient  conviés;  mais  ils  refusèrent 
d'y  venir.  Il  envoya  encore  d'autres  serviteurs 
avec  ordre  de  dire  :  Tout  est  prêt,  venez  aux  noces^. 
Ceux  qui  y  étaient  invités ,  et  qui  refusaient  de  ve- 
nir, étaient  les  Juifs  qu'il  avertit  par  lui-même ,  et 
qu'il  fit  avertir  par  ses  apôtres  que  l'heure  du  festin 
était  venue,  qu'ils  vinssent  promptement,  ou  qu'il 
en  appellerait  d'autres.  Cela  regardait  les  Juifs  ; 
mais  cela  nous  regarde  aussi.  Nous  sommes  à  pré- 
sent les  invités;  et  nous  devons  apprendre  ce  qui 
empêche  les  hommes  de  venir  à  ce  céleste  festin. 

La  cause  la  plus  générale,  c'est  l'occupation  et, 
pour  ainsi  dire,  l'enchantement  des  affaires  du 
monde.  Jésus  ne  rapporte  pas  les  affaires  extraor- 
dinaires qui  surviennent  dans  la  vie.  C'est  le  train 
commun  des  affaires  qui  occupe  et  qui  enchante  les 
hommes,  de  manière  qu'ils  ne  se  donnent  pas  le 
loisir  de  penser  à  leur  vocation  ,  ni  d'écouter  Jésus- 
Christ  qui  les  appelle  à  son  festin.  Tous  négligeaient 
sa  parole  ;  l'un  allait  à  sa  métairie,  l'autre  à  son 
négoce,  et  personne  ne  l'écoutait.  Quelques-uns 
prirent  ses  serviteurs;  et  après  leur  avoir  fait  toute 
sorte  de  mauvais  traitements,  ils  les  tuèrent  *.  C'est 
en  effet  ce  qui  arriva  au  Sauveur.  Les unsîont  résisté 
ouvertement  à  la  prédication  de  l'Évangile;  mais  la 
cause  la  plus  générale  de  le  rejeter  fut  la  négligence, 
neglexerunt,  causée  par  l'occupation  des  affaires  de 
la  vie.  Jésus-Christ  avait  déjà  fait  cette  parabole  en 
une  autre  occasion;  et  saint  Luc,  qui  nous  la  rap- 
porte ,  nous  rapporte  en  même  temps  les  vaines 
excuses  de  ceux  qui  ne  venaient  pas  au  festin.  Les 
uns  disaient  :  J'ai  acheté  une  métairie;  les  autres  : 
fai  acheté  des  bœufs  pour  le  labourage  ;  les  autres  : 
Je  me  suis  marié  *.  Ceux-là  ne  méprisaient  pas  ou- 
vertement la  parole  ;  mais ,  occupés  des  soins  du 
monde ,  ils  allaient  et  venaient,  sans  songer  à  rien 
qu'à  leurs  affaires.  Ils  ne  disaient  pas  :  Je  n'ai  que 
faire  de  vous  ni  de  votre  festin;  ils  s'excusaient  avec 
une  espèce  de  respect.  Je  vous  prie ,  disaient-ils, 
excusez-moi  pour  cette  fois.  C'était  plutôt  un  délai 
qu'un  refus  :  telle  est  la  vie.  On  venait  dire  aux  Juifs, 
aux  Romains,  à  tout  le  monde  :  Une  grande  chose 
est  arrivée  à  Jérusalem  ;  la  vérité  s'y  est  manifestée, 

■1  Mitith.  XXII,  2.  —  »  Joan.  m,  29.  —  ^  .Va«A.  xxii,  3,4. 
*  Ibid.  5,  C.  —  '  Luc.  XXVI,  16,  18,  13.  20. 


et  la  voie  a  été  ouverte  pour  le  bonheur  de  la  vî^ 
future.  Que  m'importe? chacun  passait  son  chemin, 
et  allait  à  ses  affaires;  l'un  à  la  ville,  l'autre  à  la 
campagne  :  chacun  avait  son  plaisir  ou  son  petit 
intérêt.  Combien  plus  étaient  enchantés  ceux  qui 
n'étaient  pas  seulement  occupés  de  leur  domestique 
comme  les  particuliers,  mais  qui  attachés  à  ce 
qu'on  appelle  les  grandes  affaires  du  monde  ne  di- 
saient pas  seulement  :  J'ai  acheté  U7ie  métairie^ 
ou  J'ai  pris  une  femme;  mais,  J'ai  une  province^ 
j'ai  une  armée,  j'ai  une  importante  négociation, 
j'ai  l'empire  entier  à  conduire!  Qui  se  souciait  en 
cet  état  de  ce  qu'avait  dit  Jésus -Christ.?  ou  qui  se 
mettait  en  peine  de  s'en  informer.? 

Lien  est  ainsi  arrivé  aux  jours  de]Soé  :  Ils  man 
geaient,  il  buvaient,  ils  se  mariaient^  ou  ils  ma- 
riaient leurs  enfants  les  uns  aux  autres;  et  le  dé^ 
luge  vint  tout  à  coup ,  lorsqu'on  y  pensait  le  moinp, 
et  ils  y  périrent  tous.  Jinsi  aux  jours  de  Loth  dans 
Sodome,  ils  maiigeaient,  ils  buvaient,  ils  achetaient 
ik  vendaient,  ils  plantaient,  et  ils  bâtissaient;  et 
tout  d'un  coup  un  autre  déluge,  un  déluge  de  soufre 
et  de  feu  tomba  du  ciel,  et  ils  périrent  tous.  Jinsi  en 
sera-t-il  dans  les  jours  du  Fils  de  l'homme  K  II  ne 
dit  pas  :  Ils  tuaient,  ils  pillaient,  ils  commettaient 
des  adultères  :  l'occupation  des  affaires  les  plus 
innocentes  suffit  pour  nous  assourdir,  pour  nous 
aveugler,  pour  nous  enchanter.  Il  n'allègue  pas  non 
plus  les  grandes  affaires,  les  grands  emplois,  les 
grandes  charges  :  les  soins  les  plus  ordinaires 
sufQsent  pour  nous  étourdir,  et  nous  ôter  tout  le 
loisir  de  penser  à  nous  ;  et  la  mort  vient  toujours 
imprévue  :  et  pendant  qu'à  la  manière  de  ces  oiseaux 
niais,  nous  nous  repaissons  de  ce  qu'on  présente 
pour  nous  amuser;  le  lacet  vient  tout  à  coup, 
nous  sommes  pris ,  et  il  n'y  a  plus  moyen  d'échap- 
per. 0  pauvre  nature  humaine!  ne  faut-il  qu'un  si 
faible  appât  pour  t'amuser.?  ne  faut-il  qu'un  charme 
si  faible  pour  t'endormir,  une  si  faible  occupation 
pour  t'aveugler,  et  t'ôter  le  souvenir  de  Dieu  et  de 
ses  terribles  jugements?  Aucun  de  ceux  qui  sont 
invités  ne  goûtera  de  mon  repas  »  ;  c'est  la  sentence 
du  Juge.  Si  peu  de  chose  les  a  détournés  et  déçus! 
Où  trouverons-nous  des  larmes  pour  déplorer  notre 
aveuglement  et  notre  faiblesse! 

Telle  est  la  parabole  que  Jésus-Christ  avait 
faite ,  et  qu'il  trouva  à  propos  de  répéter  peu  de 
jours  avant  sa  mort.  Il  y  ajouta  pour  les  Juifs  l'en- 
droit qui  les  regardait,  et  les  noires  machinations 
qu'ils  faisaient  entre  eux  pour  le  perdre.  Quel' 
ques-uns  firent  mourir  ses  serviteurs  qui  les  ap- 
pelaient au  festin ,  et  le  roi  en  colère  envoya  ses 
armées ,  et  perdit  ces  meurtriers ,  et  mit  le  feu  à 
leur  ville  qui  fut  réduite  en  cendres^.  Encore  un 
coup,  appliquons-nous  tout.  Qui  conspire  contre  la 
justice  ,  en  quelque  manière  que  ce  soit ,  conspire 
contre  Jésus-Christ  :  qui  opprime  le  pauvre,  l'at- 
taque :  qui  n'est  pas  avec  lui ,  est  contre  lui  :  qui 
néglige  ses  commandements  et  les  foule  aux  pieds , 
le  crucifie,  et  tient  son  sang  pour  impur.  Lisez  : 

'  Litc.wu,  26,  27,28,  29,30.  —''- Ibid.xn,1i.  —^ Matth. 

XXII,  e,  7. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


C06 


TOUS  en  trouverez  la  sentence ,  aux  Hébreux ,  vi ,  6  -, 
x,2y. 

XXXII*  JOUR. 

Les  pauvres  et  les  inlirmes  sont  le-;  conviés  au  festin.  For- 
cez-les d'entrer.  Afatth.  xxii  ,8,9.  Luc.  xiv,  21 ,  23. 

le  festin  est  prêt  :  mais  ceux  qui  y  étaient  in- 
vités n'en  ont  pas  été  jugés  dignes.  Où  trouvera- 
t-on  des  convives?  ^Uez  dans  les  coins  des  rues  , 
et  amenez-moi  tous  ceux  que  vous  trouverez  '  ;  les 
bons ,  les  mauvais ,  les  pauvres,  les  estropiés ,  les 
aveugles  et  les  boiteux  ^....Jene  suis  pas  venu  ap- 
peler les  justes,  ynais  tes  pécheurs^.  Les  pharisiens 
et  les  docteurs  de  la  loi ,  qui  présumaient  de  leur 
justice ,  ont  été  exclus  :  car  ils  se  sont  heurtés 
contre  la  pierre,  et  ils  ont  trébuché,  en  venant  à 
moi,  non  point  par  la  foi,  mais  comme  par  leurs 
œuvres^.,  et  par  leurs  propres  mérites  :  en  recher- 
chant, non  point  un  médecin  qui  les  guérît,  et  un 
sauveur  qui  le5  délivrât  ;  mais  un  flatteur  qui  ap- 
plaudît à  leur  fausse  vertu.  Je  n'en  veux  point  :  ils 
s'en  iront  vides,  ceux  qui  viennent  à  moi  comme 
pleins  et  comme  riches  par  eux-mêmes  :  divites, 
dimisit  inanes,  comme  chante  la  sainte  Vierge*. 
Amenez-moi  les  premiers  venus  :  s'ils  sont  vides,  je 
les  remplirai;  s'ils  sont  pauvres,  je  leur  ferai  part 
de  mes  richesses  ;  je  les  redresserai ,  s'ils  sont  boi- 
teux; je  les  éclairerai,  s'ils  sont  aveugles;  je  leur 
ouvrirai  l'oreille,  s'ils  sont  sourds  :  c'est  pour  cela 
que  je  suis  venu.  Lisez-le  dans  saint  Matthieu  : 
Je  suis  venu,  afin  que  ceux  qui  ne  voient  pas  soient 
éclairés ,  et  que  ces  superbes  clairvoyants  qui  >'i- 
maginent  tout  voir  par  eux-mêmes,  et  sans  ma 
Iun?ière,  soient  aveuglés^.  Venez,  faibles;  venez, 
pécheurs  ;  ne  rougissez  pas  d'apporter  ici  vos  pieds 
engourdis  et  vos  membres  tors  :  la  grâce  de  Jésus- 
Christ  vous  redressera. 

Les  pharisiens  ne  se  laissaient  approcher  que  de 
ceux  qu'ils  croyaient  justes;  ils  disaient  :  Ne  me 
touchez  pas,  ne  m'approchez  pas  :  Si  celui-ci  était 
un  prophète,  il  saurait  que  cette  femme  qui  l'ap- 
proche, et  qui  lui  bai^e  les  pieds ,  est  pécheresse  i. 
Mais  il  n'en  était  pas  ainsi  de  Jésus-Christ  et  des 
apôtres  :  ils  amenaient  au  festin  tous  ceux  qu'ils 
trouvaient,  bons  et  mauvais  :  les  bons  pour  les 
conGrmer,  les  mauvais  pour  les  convertir  :  et  c'est 
ainsi  qu'ils  remplirent  la  maison  de  Dieu. 

Forcez-les  d'entrer  ».  S'il  n'y  avait  pas  dans  la  grâce 
une  espèce  de  violence ,  Jésus-Christ  ne  dirait  pas  : 
Personne  ne  vient  à  moi  que  mon  Père  ne  le  tire, 
et  encore  :  Quand  f  aurai  été  enlevé  de  terre;  je 
tirerai  tout  à  moi  9. 

Les  prédicateurs  de  l'Évangile  doivent  user  au 
dehors  d'une  espèce  de  force  :  Pressez,  priez, 
reprenez ,  corrigez ,  non-seulement  avec  toute  pa- 
tience et  toute  doctrine,  mais  encore  avec  tout  em- 
pire :  parlez  à  propos ,  et  hors  de  propos  :  ne 
smff-ez  pas  qu'on  vous  méprise^".  Cette  force  est 
salutaire ,  et  la  faiblesse  humaine  en  a  besoin. 

'  Matth.  xxn,  8,  9.  —  »  Luc.  XIV,  21.  —  '  Matth.  IX,  13. 
~  ♦  Rom,  IX,  32,  i3.  —  »I.w«.  1,53.  —*  Matth.  XI, 5,  I5;xv, 
30, 31.  Luc.  rv,  IS.  Joan.  IX,  39.  —  '  Luc.  vu,  39. — •  /6id.  XIT, 
».  —  »  Joan.  M ,  44  ;  xn ,  32.  —  >•  11.  Tim.  rv,  i.  TU.  U ,  15. . 
Bo&sen.  —  TOUS  ni. 


Les  fidèles ,  grands  et  petits ,  se  doivent  servir  du 
pouvoir  qifils  ont,  avec  prudence  toutefois  et  mo- 
dération, pour  réprimer  les  scandales,  et  abattre 
le  règne  de  l'iniquité.  Les  hommes  veulent  quelque- 
fois être  forcés ,  et  une  douce  violence  prépare  les 
esprits  à  écouter. 

Enfin  forcez-vous  vous-même  :  n'agissez  point 
mollement  :  employez  tout  pour  dompter  votre  corps 
rebelle,  et  vous  engager  dans  la  voie  étroite;  en 
sorte,  s'il  se  peut,  que  vous  ne  puissiez  reculer. 

xxxiir  JOUR. 

Robe' nuptiale,  le  festin  est  prêt  :  préparation  à  la  sainte 
Eucharistie  :  noces  spirituelles. 

Prenez  garde,  Matth.  xxii,  aux  f.  Il ,  12,  13, 
14.  N'y  a-t-il  donc  qu'à  entrer  dans  le  festin  dès 
qu'on  y  est  appelé ,  et  la  vocation  fait-elle  tout.'  Gar- 
dez-vous bien  de  le  croire.  Le  Roi  va  entrer  dans  la 
salle  du  banquet ,  et  celui  qui  n'aura  pas  l'habit  nup- 
tial sera  honteusement  chassé.  On  appelait  ancienne- 
ment l'habit  nuptial  une  sorte  de  parure  que  devaient 
avoir  ceux  qui  accompagnaient  l'époux  et  l'épouse, 
lorsque  celle-ci  passait  de  la  maison  paternelle  en 
celle  de  l'époux.  Il  fallait ,  pour  honorer  la  solennité , 
être  paré  d'une  certaine  manière  :  et  on  portait  cet 
habit  magnifique  dans  le  festin  nuptial.  De  là  vient 
que  le  Fils  de  Dieu ,  qui  prend  ses  comparaisons 
des  usages  les  plus  solennels  et  les  plus  connus  de 
la  vie  humaine,  allègue  ici  l'habit  nuptial ,  pour  ex- 
pliquer les  ornements  intérieurs  qu'il  faut  apporter 
à  son  banquet. 

Ces  ornements  sont,  premièrement,  l'innocence 
et  la  sainteté  baptismale.  On  donnait  autrefois  l'eu- 
charistie incontinent  après  le  baptême.  Il  fallait  tou- 
jours en  conserver  la  grâce  :  et  il  ne  faut  point  dou- 
ter que  la  sainteté  baptismale  ne  soit  la  disposition, 
et,  pour  ainsi  dire,  la  parure  naturelle  qu'il  fallait 
toujours  apporter  ;iu  festin  de  l'Époux.  Mais  la  para- 
bole du  Prodigue  tious  fait  voir  que  les  grands  pé- 
cheurs ,  qui  ont  été  assez  malheureux  pour  déchoir 
de  leur  innocence,  et  souiller  cette  robe  blanche  qu'on 
leur  avait  dbnnée  dans  le  baptême,  ne  laissent  pas 
détre  admis  au  banquet  du  père  de  famille,  après 
qu'il  leur  a  fait  rendre  leur  première  robe  ;  Ap- 
portez ,  dit-il  ' ,  5a  première  robe,  et  Ten  revêtez; 
rendez-lui  la  grâce  qu'il  a  perdue  :  et  mettez-lui  wi 
anneau  au  doigt,  et  des  souiiers  a  ses  pieds  ;  et 
amenez  le  veau  gras  et  le  tuez  :  mangeons  et  faisons 
bonne  chère.  Venez  donc,  âmes  innocentes;  venez 
du  baptême  à  la  sainte  table  :  venez,  vous  êtes  la- 
vées ;  le  festin  nuptial  vous  est  préparé  ;  et  non-seu- 
lement le  festin ,  mais  encore  le  lit  nuptial  :  car  toute 
âme  lavée  de  cette  sorte  est  épouse ,  et  le  fils  du  roi 
s'unit  à  elle.  Mais  je  ne  vous  bannis  pas  de  ce  fes- 
tin ,  ô  pécheurs ,  ô  épouses  infidèles,  qui  avez  man- 
qué à  la  foi  donnée!  revenez,  revenez,  et  je  vous 
recevrai,  dit  le  Seigneur  :  vous  rentrerez  au  festin; 
mais  pourvu  que  vous  ayez  repris  votre  premiers 
robe ,  et  que  vous  portiez  dans  î'aimeau  qu'on  vous 
met  au  doigt  la  marque  de  l'union  où  le  Verbe  divin 
entre  avec  vous. 

«  Luc.TTt  aa.is. 


Apportons  donc  riniiocence  et  la  sainteté  à  la  ta- 
ble de  rÉpoux.  C'est  riramortelle  parur*  que  nous 
demande  celui  qui  est  en  même  temps  Tépoux ,  le 
convive  et  la  victime  immolée,  qu'on  nous  donne  à 
manger  dans  le  festin.  Autrement  nous  serions  ces 
pourceaux  devant  qui  on  jetterait  des  perles  et  des 
pierreries. 

Les  riches  habits  sont  une  marque  de  joie  :  et  il 
est  juste  de  se  réjouir  à  la  table  du  roi ,  lorsqu'il  cé- 
lèbre les  noces  de  son  fils  avec  les  âmes  saintes; 
lorsqu'il  leur  en  donne  le  corps ,  pour  en  jouir,  et 
qu'elles  deviennent  un  même  corps  et  un  même  es- 
prit avec  lui  par  la  communion.  Car  ce  qui  s'appelle 
ici  le  festin  nuptial  est  aussi  en  un  autre  sens  la  con- 
sommation du  mariage  sacré,  où  l'Église  et  toute 
âme  sainte  s'unit  à  l'Epoux  corps  à  corps ,  cœur  à 
cœur,  esprit  à  esprit ,  et  où  s'accomplit  cette  parole  : 
Qui  me  mange pivra  pour  moi^.  Venez  donc  avec 
vos  habits  les  plus  riches  :  venez  avec  toutes  les  ver- 
tus; venez  avec  une  joie  digne  du  festin  qu'on  vous 
fait  et  de  la  viande  immortelle  qu'on  vous  donne  : 
Ce  pain  est  le  pain  du  ciel  :  ce  pain  est  un  pain  vi- 
vant qui  donne  la  vie  au  monde  ^.  Fenez,  mes 
amis,  mangez  et  buvez;  enivrez-vous ,  mes  très- 
chers,  de  ce  vin^,  qui  transporte  l'âme,  et  lui  fait 
goûter  par  avance  les  plaisirs  des  anges. 

Si  nous  étions  toujours  avec  l'Époux,  il  n'y  atnrait 
pour  nous  que  de  la  joie.  Mais  écoutons  ce  qu'il  dit 
lui-même  :  Les  amis  de  l'Époux  ;  les  enfants  des 
noces,  comme  on  les  appelait  dans  la  langue  sainte; 
ceux  qui  sont  conviés  au  banquet  nuptial ,  ne  peu- 
vent pas  jeûner  et  s'affliger  pendant  que  l'Époux 
est  avec  eux  :  le  temps  viendra  que  l'Époux  leur 
sera  ôté^  îU  s'affligeront  et  ils  jeûneront  dans  ces 
Jours*.  Nous  sommes  maintenant  dans  ces  jours. 
Nous  ne  sommes  point  dans  ces  jours  où  l'on  enten- 
dait sur  la  terre  la  voix  de  l'Époux  céleste,  qui  fai- 
«ait  dire  à  saint  Jean-Baptiste  :  L'ami  de  l'Époux 
se  réjouit  d'une  grande  joie ,  à  cause  de  la  voix  de 
l'Époux  qu'il  entend.  Cette  joie,  poursuit-il,  s'ac- 
conijD^/ en  TOoj  *.  Nous  nesommes  plusdans  ce  temps  : 
Jésus  est  retourné  à  celui  qui  l'a  envoyé,  et  l'Époux 
ne  paraît  plus  parmi  'nous.  Nous  ne  voyons  plus  ce 
jour  qu'Abrahpm  et  tous  les  prophètes  avaient  dé- 
siré; l'Époux  a  disparu  :  la  nuée  nous  l'a  enlevé,  et 
il  ne  nous  reste  plus  qu'à  crier  nuit  et  jour  avec  l'é- 
j)0use  :  Revenez,  revenez,  mon  bien-aimé^.  Nous 
devons  donc  apporter  au  festin  royal  une  joie  mêlée 
de  tristesse.  L'habit  nuptial  riche  et  magnifique 
par  la  grâce  de  la  sainteté,  ou  conservée,  ou  rendue, 
doit  tenir  quelque  chose  du  deuil.  Il  faut  jeûner,  il 
faut  s'affliger  dans  le  festin  nuptial  en  la  forme 
où  nous  avons  à  le  célébrer.  Car  le  festin  que  nous 
célébrons  est  la  commémoration  de  la  mort  de  l'É- 
poux. Revétons-nous  donc  d'un  deuil  spirituel  à  ce 
festin  :  apportons-y  le  jeûne  et  la  mortification  des 
sens: c'est  ce  que  nous  signifie  le  jeûne  du  carême, 
par  lequel  nous  nous  piéparons  au  festin  pascal. 

L'Église  jeûnait  autrefois  toutes  les  semaines  deux 
ou  trois  fois,  en  mémoire  de  la  douleur  que  la  re- 

»  Jodn.  VI ,  68.  —  »  rbid.  32,  33,  41 ,  61.  —  ^  Cant.  V,  I. 
•^*.V(itth.  IX,  15. —*/oan.  m,  29.  —  *  Can(.ii,\l. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


traite  de  l'Époux  lui  avait  causée.  Le  vendredi ,  qui 
était  le  jour  de  sa  mort;  le  samedi,  qui  était  le  jour 
de  sa  sépulture,  étaient  de  ces  jours  consacrés  au 
jeûne.  L'abstinence  nous  en  reste,  pour  marque  de 
l'abstinence  où  nous  devons  vivre  durant  l'absence 
de  l'Époux,  en  renonçant  à  la  joie,  et  annonçant  sa 
mort  jusqu'à  ce  qu'il  vienne.  C'est  peut-être  une 
des  raisons  qui  nous  obligent  à  ne  manger  pas  avant 
la  communion  :  c'est  une  espèce  de  jeûne  que  nous 
célébrons  par  ce  moyen;  il  faut  entendre  par  là 
qu'il  se  faut  préparer  au  pain  de  vie,  en  nous  re- 
fusant toute  autre  nourriture,  et  en  cessant  devi- 
vre  selon  les  sens.  Ainsi  la  mortification  des  sens 
doit  faire  une  des  parties  de  notre  habit  nuptial; 
et  il  faut  se  mortifier  pour  célébrer  la  mort  du  Sau- 
veur. 

XXXIV  JOUR. 

Entrer  au  festin  des  noces  sans  l'habit  nuptial.  Beaucoup 
d'appelés  et  peu  d'élus.  Petit  troupeau  chéri  de  Dieu. 
Matth.  XXII,  Il ,  14. 

Mon  ami,  par  la  vocation,  qui  devenez  mon  en- 
nemi en  la  méprisant  ;  comment  êtes-vous  entré 
ici  sans  avoir  l'habit  nuptial?  Et  il  n'eut  rien  à 
répondre  ' .  Car  que  répondre  au  Sauveur  qui  nous 
reproche  par  la  bouche  de  l'apôtre,  de  n'avoir  pas 
su  discerner  son  corps,  et  de  nous  en  rendre  cou- 
pables^? Liez-lui  les  pieds  et  les  mains,  dit  le  roi  : 
ôtez-lui  la  liberté  dont  il  a  fait  un  si  mauvais  usage  : 
jetez-le  dans  les  ténèbres  extérieures  ^.  Il  a  voulu 
entrer  dans  l'intérieur  de  la  maison  avec  des  dis- 
positions funestes,  chassez-le  :  plus  il  a  voulu  en- 
trer au  dedans,  plus  il  le  faut  pousser  dehors.  Mais 
qu'y  trouvera-t-il,  le  malheureux?  Loin  de  la  maison 
de  Dieu ,  où  la  lumière  réside ,  où  la  vérité  se  ma- 
nifeste ,  où  Jésus-Christ  luit  éternellement ,  où  les 
saints  sont  comme  des  astres,  qu'y  trouvera-t-il, 
sinon  les  ténèbres  d'un  éternel  cachot  ?  Voilà  ces 
ténèbres  extérieures  dont  Jésus-Christ  parle  si  sou- 
vent. Là  sera  pleur  et  grincement  de  dents.  Au 
lieu  des  chastes  délices  de  la  sainte  table,  il  y  aura 
un  pleur  éternel.  La  rage  contre  soi-même,  contre 
sa  témérité,  contre  les  lâches  confesseurs  qui  nous 
auront  trop  facilement  introduits  au  banquet  sa- 
cré, sera  poussée  jusqu'au  grincement  de  dents. 
Avoir  été  appelé  et  mis  au  nombre  deé  amis  par  1« 
Sauveur  fera  la  partie  la  plus  cruelle  et  la  plus  Vive 
de  notre  supplice.  La  voix  de  l'Époux  et  de  l'Épouse 
cessera  ;  toute  la  joie  sera  bannie  de  ce  triste  lieu  ; 
la  désolation  sera  éternelle. 

lly  a  beaucoup  d'appelés  et  peu  d'élus*  :  Jésus- 
Christ  nous  en  a  souvent  avertis  ;  et  il  avait  déjà 
dit  la  même  parole,  Matth.  xx,  16. 

Cela  est  vrai ,  premièrement  parmi  les  Juifs'  :  Je 
suis  veau,  dit  le  Sauveur,  pour  les  brebis  perdues 
de  la  maison  d'Israël  ^.  Jésus-Christ  a  prêché,  et  a 
fait  éclater  ses  miracles  par  toute  la  Judée  :  il  t» 
pas^é  en  bienfaisant,  et  guérissant  tous  les  op- 
pressés.^. Les  apôtres  ont  aussi  rendu  témoignage 
à  sa  résurrection  devant  tout  le  peuple,  comme  il 

'  Mattk.  XXII,  12.  —  '  I.  Cor.  XI,  27,  29.  —  3  Matlk.  XXII . 
13.  —  *  rbid.  XX ,  16.  —  '  Ibid.  xv ,  24.  —  «  Act.  x ,  38. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


611 


leur  avait  élé  ordonné  •  ;  et  néanmoins  dans  ce 
nombre  immense  des  Juifs,  il  n'y  a  eu  que  le  résidu, 
c'est-à-dire  un  très-petit  reste  du  peuple,  qui  ait  été 
sauvé.  Ainsi  Israël  n'a  pas  trouvé  ce  qu'il  cher- 
chait; c'est-à-dire,  le  Christ  et  son  royaume;  mais 
les  élits  en  très-petit  nombre  Vont  trouvé;  et  les  au- 
tres, dont  la  multitude  était  immense,  ont  été 
aveuglés  »  pour  leurs  péchés  par  un  juste  jugement 
de  Dieu  :  et  voilà  manifestement  la  parole  de  Jé- 
vus-Christ  vérifiée  sur  les  Juifs. 

Mais  le  Sauveur  ne  parle  pas  seulement  des  Juifs 
à  l'endroit  que  nous  lisons  de  la  parabole,  car  c'est 
après  nous  avoir  fait  voir  les  gentils  appelés ,  en  la 
personne  de  ces  aveugles  et  de  ces  boiteux  qui  sont 
invités  à  son  festin ,  qu'il  conclut  qu'il  y  a  beaucoup 
d'appelés  et  peu  d'élus.  E/Jorçom-nons  donc  d'en- 
trer par  la  petite  porte  qui  mène  à  la  vie  :  car  la 
voie  qui  mène  à  la  mort  est  très-spacieuse ,  et  plu- 
sieurs y  entrent.  Qu'il  y  en  a  peu ,  poursuit  le  Sau- 
veur, qui  entrent  par  la  voie  étroite  ^  !  Il  y  en  a  donc 
beaucoup  d'appelés  et  peu  d'élus.  Mais  la  condition 
de  ces  appelés ,  qui  ne  persévèrent  pas  dans  leur  vo- 
cation, est  plus  terrible  que  celle  des  autres  :  car 
ils  sont  ces  serviteurs  qui  ont  connu  la  volonté  de 
leur  maître  sans  la  faire,  qui  seront  les  plus  pu- 
nis.... Tvr  et  Sidon  et  les  Ninivites  s'élèveront  con- 
tre eux,  et  le  jugement  de  ces  villes  ingrates  sera 
léger  4  en  comparaison  de  celui  que  doivent  attendre 
les  chrétiens  infidèles  à  la  grâce  qu'ils  auront  reçue. 
O  Jésus,  ô  Jésus]  sauvez-moi  de  l'iniquité  du  peu- 
ple pervers  *  ;  sauvez-moi ,  car  l'iniquité  s'est  multi- 
pliée parmi  les  enfants  des  hommes ,  et  on  ne  voit 
point  de  saint.  Tout  est  plein  de  ces  appelés  qui  ne 
veulent  pas  seulement  penser  à  leur  vocation,  ni  se 
souvenir  qu'ils  sont  chrétiens. 

Ne  yivons  pas  comme  la  plupart;  car  il  y  a  long- 
temps qu'il  est  écrit  :  //  n'y  en  a  pas  un  qui  fasse 
te  bien  !  il  n'y  en  a  pas  un  seul  ^.  Ne  disons  pas  :  Tels 
et  tels  font  ainsi,  à  qui  on  le  souffre;  et  ne  nous 
excusons  pas  sur  la  multitude,  car  la  multitude 
elle-même  est  inexcusable.  Si  Dieu  eût  craint  la 
multitude ,  il  n'aurait  pas  consumé  ces  villes  abomi- 
nables par  le  feu ,  ni  noyé  tout  l'univers  dans  le 
déluge.  N'alléguons  point  la  coutume,  car  Jésus- 
Christ  a  dit  :  Je  suis  la  vérité  7  :  on  ne  prescrit  pas 
contre  Dieu.  Chacun  portera  son  fardeau* ,  et  on 
ne  nous  jugera  pas  par  les  autres.  Rangeons-nous 
avec  ce  petit  nombre  d'élus  que  le  monde  ne 
connaît  pas ,  mais  dont  les  noms  sont  écrits  dans 
le  eiel;  à  qui  le  Sauveur  a  dit  :  Petit  troupeau,  ne 
craignez  pas9  :  petit  en  nombre,  petit  en  éclat,  et 
la  balayure  du  monde,  qui  est  caché  avec  Jésus- 
Christ,  mais  aussi  qui  paraîtra  avec  lui.  0  petit 
nombre,  quel  que  tu  sois,  et  en  quelque  coin  de 
l'Église  que  tu  te  caches,  je  me  joins  à  toi  en  es- 
prit, et  je  veux  vivre  à  ton  ombre! 

'  Act.  H,  22;  IV,  19,33;  V,  29,  32.  —^  Rom.  XI,  3,  4,  7. — 
»  MaUh.  VII ,  13,  U.  —  ♦  Luc.  \u ,  45,  48 ,  47  ;  x  ,  13 ;  xi ,  32.  — 
'  Pi.  XI ,  2.  —  ♦  Ibid.  xni ,  1,2.  —  '  Joan.  XIT ,  6.  — .»  Gai. 
Ti,s.  —  »  Luc.  X,  30;xn,33. 


XXXV'  JOUR. 


Consultation  fraudulpose ,  et  dt-cision  plrinit  de  merveille 
cl  de  vérité  ;  Rendez  à  César  ce  qui  e»t  à  Cé^ar,  et  a  Dieu 
ce  qui  Pit  à  Dieu.  .Vatth.  xxii,  15,  22.  .Vare.  xii,  13,  11. 
Luc.  XX,  20,  26. 

Considérons  avant  toutes  choses  le  caractère 
de  ceux  qui  viennent  consulter  Je  Sauveur.  Saint 
Luc  les  appelle  des  hommes  artificieux,  propres 
à  dresser  des  embûches,  insidiatoees,  selon  le 
grec  et  selon  le  latin,  et  il  ajoute  :  qui  contrefai- 
saient les  gens  de  bien  '.  Tout  homme  qui  consulte 
fait  l'homme  de  bien;  car  il  fait  semblant  de  cher- 
cher la  vérité;  mais  sous  ce  bel  extérieur  on  cache 
souvent  beaucoup  d'arlifice ,  on  tend  des  pièges  aux 
autres ,  comme  ici  on  en  tendait  au  Sauveur^  on  en 
tend  jusqu'à  soi-même;  et  il  n'y  a  rien  qui  soit  plus 
mêlé  de  fraude  que  les  consultations,  parce  que 
chacun  veut  qu'on  lui  réponde  selon  sa  passion. 

Ceux  que  saint  Luc  a  désignés  par  ce  caractère 
général  étaient,  selon  saint  Matthieu  et  selon  saint 
Marc,  les  pharisiens,  dont  la  malice  et  l'hypocrisie 
est  bien  connue,  et  les  hérodiens.  Ces  derniers 
étaient  des  politiques,  qui  faisaient  profession  d'ho- 
norer la  mémoire  du  grand  Hérode ,  ce  politique 
raffiné  qui ,  pour  avoir  rebâti  le  temple  avec  une 
magnificence  presque  semblable  à  celle  de  Salomon, 
et  pour  avoir  établi  en  quelque  manière  le  royaunae 
de  Judée,  fort  faible  et  fort  appauvri  devant  lui, 
avait  paru  si  grand  aux  Juifs,  dont  il  professait  la 
religion,  que  quelques-uns  voulurent  le  prendre 
pour  le  Messie.  Les  politiques  et  les  hypocrites  s'en, 
tendent  fort  bien  ensemble  :  et  les  voilà  qui  cons^ 
pirentpour  surprendre  le  Sauveur. 

Us  commencent  par  la  flatterie  :  car  c'est  par  là 
que  l'on  commence  toujours ,  lorsqu'on  veut  trom- 
per quelqu'un  :  Maitre,  nous  savons  que  vous  ét^s 
véritable,  et  que  vous  enseignez  la  voie  de  Dieu  en 
toute  sincérité,  sans  vous  mettre  en  peine  de  qui 
que  ce  soit;  car  vous  ne  prenez  pas  garde  à  la  per- 
sonne des  hommes  ».  C'est  ainsi  qu'on  pique  d'hon- 
neur les  hommes  vains,  pour  les  faire  parler  hardi- 
ment et  sans  mesure ,  et  leur  faire  des  ennemis.  La 
matière  était  délicate,  puisqu'il  s'agissait  du  gouver- 
nement :  et  c'est  l'endroit  où  l'on  a  toujours  tendu  le 
plus  de  pièges  aux  serviteurs  de  Dieu ,  qui ,  parc« 
qu'ils  sont  simples  et  sans  ambition ,  sont  réputés 
par  les  gens  du  monde  avoir  moins  d'égard  pour  les 
puissances.  Mais  Jésus-Christ  leur  fait  bien  voir 
que  sans  prétendre  aux  emplois  publics,  on  sait 
connaître  l'endroit  par  où  il  les  faut  respecter. 

Est-il  permis  de  payer  le  tribut  à  César  ^?  Le 
peuple  juif  s'était  nourri  dans  cette  pensée,  qu'il  ne 
pouvait  pas  être  assujetti  à  des  infidèles.  Les  Re- 
mains avaient  occupé  la  Judée,  et  avaient  même 
réuni  à  leur  empire  une  grande  partie  du  royaume 
qu'ils  avaient  donné  autrefois  à  Hérode  et  à  sa  fa- 
mille; Jérusalem  était  elle-même  dans  cette  sujé- 
tion, et  il  y  avait  un  gouverneur  qui  commandait  au 
nom  de  César,  et  faisait  payer  les  tributs  qu'on  loi 
devait.  Si  Jésus  eût  décidé  contre  le  tribut,  t^  le 

'  Lttc.  zx ,  90.  —  *  Matth.  XXTt.,  IS.  —  '  IhUt-  7. 

M. 


612 


MÉDITATIOiNS  SUR  L'EVANGILE. 


livraient  aussitôt ,  comme  dit  saint  I.uc  ■ ,  entre  les 
mains  du  gouvernem' ;  et  s'il  disait  qu'il  fallait 
payer,  ils  le  décrieraient  parmi  le  peuple  comme  un 
flatteur  des  gentils  et  de  l'empire  infidèle.  Mais  il 
leur  ferme  la  bouche  :  premièrement,  en  leur  faisant 
voir  qu'il  connaissait  leur  malice;  secondement, 
par  une  réponse  qui  ne  leur  laisse  aucune  réplique. 

Hypocrites  ,.  pourquoi  me  tentez-vous  *?  Hypo- 
crites :  vous  faites  paraître  un  faux  zèle  pour  la 
liberté  du  peuple  de  Dieu  contre  l'empire  infidèle; 
et  vous  couvrez  de  ce  beau  prétexte  le  dessein  de 
perdre  un  inno(!ent  :  mais  donnez-moi  la  pièce  d'ar- 
gent dont  on  paye  le  tribut  ^\  je  ne  veux  que  cela 
pour  vous  confondre. 

De  qui  est  cette  image  et  celte  inscription  ?  De  Ce- 
ifar^.  Vous  voilà  donc  convaincus  de  la  possession 
oii  était  César  de  la  puissance  publique,  et  de  votre 
propre  acquiescement,  et  de  celui  de  tout  le  peu- 
ple. Qu'avez-vous  donc  à  répondre  ?  Si  vous  recon- 
naissez César  pour  votre  prince  ;  si  vous  vous  ser- 
vez de  sa  monnaie,  et  que  son  image  intervienne 
dans  tous  vos  contrats,  en  sorte  qu'ilsoit constant 
que  vous  faites  sous  son  autorité  tout  le  commerce 
de  la  vie  humaine,  pouvez-vous  vous  exempter  des 
charges  publiques  ,  et  refuser  à  César  la  reconnais- 
sance qu'on  doit  naturellement  à  la  puissance  légi- 
time pour  la  protection  qu'on  en  reçoit? /îe/irfe:; 
donc  à  César  ce  qui  est  à  César  ^ .  Reconnaissez  son 
empreinte;  payez-lui  ce  qui  lui  est  dû;  payez-le, 
dls-je,  par  cette  monnaie  à  qui  lui  seul  donne  cours  : 
ou  renoncez  au  commerce,  et  en  même  temps  au 
repos  public,  ou  reconnaissez  celui  par  qui  vous  en 
jouissez. 

Et  à  Dieu  ce-qui  est  à  Dieu.  Par  cette  parole,  il 
fait  deux  choses  :  la  première,  c'est  qu'il  décide  que 
se  soumettre  aux  ordres  publics  c'est  se  soumettre 
à  Tordre  de  Dieu,  qui  établit  les  empires  ;  la  seconde, 
c'est  qu'il  renferme  les  ordres  publics  dans  leurs  bor- 
nes légitimes.  J  César  ce  qui  est  à  César  :  car  Dieu 
même  l'ordonne  ainsi  pour  le  bien  des  choses  hu- 
maines; mais  en  même  temps,  à  Dieu,  ce  qui  est  à 
Dieu  :  son  culte,  et  l'obéissance  à  la  loi  qu'il  vous 
a  donnée.  Car  voilà  ce  qu'il  se  réserve;  et  il  a  laissé 
tout  le  reste  à  la  dispensation  du  gouvernement 
public.  ri 

Il  épuise  la  difficulté  par  cette  réponse;  et  non- 
seulement  il  répond  au  cas  qu'ils  lui  proposaient, 
par  un  principe  certain  dont  ils  ne  pouvaient  discon- 
venir, mais  encore  il  prévient  l'objection  secrète 
qu'on  lui  pouvait  faire  ;  si  vous  ordonnez  d'obéir 
sans  bornes  à  un  prince  ennemi  de  la  vérité,  que 
deviendra  la  religion?  Mais  cette  difficulté  ne  sub- 
siste plus,  puisqu'en  rendant  à  César  ce  que  Dieu  a 
mis  sous  son  ressort;  en  même  temps  il  réserve  à 
Dieu  ce  que  Dieu  s'est  réservé;  c'est-à-dire  la  reli- 
gion et  la  conscience.  Et  ils  s'en  allèrent  confus  : 
et  ils  admirèrent  sa  réponse^,  oh  il  réglait  tout 
ensemble  et  les  peuples  et  les  césars,  sans  que  per- 
sonne pût  se  plaindre. 

'  I.ur.  XX,  20.  —  »  Matth.  xxii,  18.  —^Ibid.  l9.  —  *Jbid. 
20.  21.  —iJbiJ.  xxii,  21.  —6  Ibid.  22. 


XXXVIe  JOUR. 

Injustice  des  Juifs  pri\ers  Jésus-Christ.  Jf'sns  calomnie?,  et- 
primé  par  la  puissance  publique,  en  maiiitienf  l';ailoril^. 
Matth.  XXII,  15,  22.  Marc,  xu,  13,  17.  Luc.  x,  20,  20. 

Un  peu  de  réflexion  sur  l'injustice  des  hommes. 
Ils  admirèrent  Jésus,  et  sentirentbien  qu'ils  ne  pou- 
vaient l'accuser  ni  devant  le  gouverneur,  ni  devant 
le  peuple".  Mais  se  convertissent-ils,  et  cesseut-iis 
de  le  vouloir  perdre?  Au  contraire,  plus  ils  sont 
convaincus,  et  moins  ils  ont  de  raison  à  lui  oppo- 
ser, plus  ils  lui  opposent  de  fureur. 

En  apparence  ils  fout  les  zélés  pour  la  liberté  du 
peuple  de  Dieu,  et  contre  l'empire  infidèle;  puis- 
qu'ils osent  même  demander  a  vis. sur  le  tribut  qu'on 
lui  doit.  AIais<;eux-là  même  qui  font  paraître  ce  faux 
zèle,  dans  trois  jours  crieront  à  Pilate  :  Si  vous  sau- 
vez cet  homme,  vous  n'êtes  pas  ami  de  César'. 
Bien  plus,  voici  un  des  chefs  de  l'accusation  :  ,\uus 
avons  trouvé  cet  homme  qui  empêchait  de  payer 
le  tribut  à  César  ^.  C'était  précisément  tout  le 
contraire ,  comme  on  vient  de  voir  par  sa  réponse. 
Qui  peut  empêcher  la  calomnie,  si  une  réponse  si 
nette  ne  l'a  pu  faire?  Il  ne  reste  qu'à  la  souffrir, 
si  Dieu  le  permet ,  et  à  savoir  se  contenter  de  son 
innocence. 

Maiscavons  encore  plus  avant  dans  le  cœur  hu- 
main, et  apprenons  à  en  bien  connaître  l'injustice. 
Ceux  qui  font  ici  les  zélés  contre  l'empire  infidèle 
y  vont  avoir  recours  contre  Jésus-Christ ,  et  ils  en 
useront  de  même  contre  ses  disciples.  S'agit-il  de 
flatter  le  peuple.  César  ne  peut  rien.  S'agit-il  de 
faire  mourir  leurs  ennemis.  César  peut  tout.  Les 
hommes  ne  trouvent  juste  que  leurs  passions  :  tout 
est  bon  pour  les  satisfaire;  et  on  veut  même  y  faire 
servir  la  puissance  publique,  qui  est  établie'  pour  ; 
les  réprimer. 

Au  reste,  jamais  réponse  ne  vint  plus  à  propos 
que  celle  de  Jésus-Christ;  jamais  instruction  ne  , 
fut  plus  nécessaire  au  peuple  juif  dans  la  conjonc-  j 
ture  et  la  disposition  où  il  était.  Ce  peuple  s'entre- 
tenait dans  un  esprit  de  révolte  qui  éclata  bientôt 
après,  et  en  causa  la  ruine.  Les  pharisiens  et  les 
faux  zélés  fomentaient  secrètement  ces  mauvaises 
dispositions.  Mais  Jésus-Christ,  toujours  plein  de 
vérité  et  de  grâce,  ne  veut  point  partir  de  ce  monde 
sans  les  avoir  bien  instruits  sur  ce  qu'ils  devaient 
au  prince,  et  sans  prévenir  la  rébellion  dans  laquelle 
toute  la  nation  devait  périr. 

Il  savait  aussi  que  ses  fidèles  devaient  être  persé- 
cutés par  les  césars,  dont  même  l'autorité  et  le  nom 
devaient  dans  deux  jours  intervenir  dans  le  supplice 
qu'on  lui  préparait.  Jésus  ne  l'ignorait  pas,  puisque 
même  il  l'avait  prédit,  et  qu'une  des  choses  qu'il 
avait  marquées  en  prédisant  son  supplice,  c'est  qu'il 
serait  livré  aux  gentils.  Le  Elis  de  l'homme,  dit-il, 
sei-a  livré  aux  gentils  pour  en  être  outragé,  Jîa- 
gellé* ,  crucifié.  Il  savait  aussi  qu'on  ferait  le  même 
traitement  à  ses  apôtres,  et  que  les  Juifs  les  livre- 
raient aux  gentils  aussi  bien  que  lui,  les  traînant 
devant  les  tribunaux  et((evant  tous  les  princes^, 

'  Luc.  XX ,  28.  —  »  Joftn.  XIX,  12.  —  3  Luc.  xxin,  2.— 
»  Matih.  XX,  18  ,  19.  —  »/!<■«/.  X,  17,  18. 


I 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


•tt 


» 


enliaine  de  son  Évangile.  Mais  quoiqu'il  stlt  toutes 
ces  choses,  il  fait  justice  aux  princes  ses  persécu- 
teurs :  il  maintient  leur  autorité  dont  il  devait  être 
opprimé,  lui  et  son  Église  :  et  il  apprend  en  même 
temps  à  ses  disciples  de  demeurer  comme  lui  sans 
aigreur,  et  en  toute  soumission  envers  les  Puis- 
sances, e«.ve//i;yaH/,  à  son  exemple,  comme  dit  saint 
Pierre  ' ,  à  celui  qui  le  jugeait  uniquement. 

Ne  nous  plaignons  donc  jamais  du  gouvernement 
ni  de  la  justice,  quand  même  nous  croirions  en 
être  opprimés  injustement.  Mais  imitons  le  Sau- 
veur ;  et  conservant  à  Dieu  ce  qui  est  à  lui ,  c'est-à- 
dire  ,  la  pureté  de  nos  consciences ,  rendons  de  bon 
ccenrà  tous  les  hommes,  et  même  aux  juges  iniques, 
si  le  cas  y  échoit ,  et  à  nos  plus  grands  ennemis  ce 
qui  leur  est  dd.  C'est  ce  qu'il  faudrait  faire  quand 
lis  auraient  tort,  à  plus  forte  raison  quand  ils  ne 
l'ont  pas,  et  que  notre  seule  passion  excite  nos 
plaintes. 

XXXVII^  JOUR. 

B-éflexions  sur  ces  paroles  :  D«  qui  est  celle  image?  Le  chré- 
tien est  l'image  de  Dieu.  Il  doit  vivre  de  la  vie  de  Dieu. 
*  Matlh.  XXII,  20. 

De  qui  est  cette  image  et  cette  inscription'? 
Quittons  la  monnaie  publique  et  l'image  de  César  : 
chrétien,  tourne  tes  yeux  sur  toi-même.  De  qui 
es-tu  l'image,  et  de  qui  portes-tu  le  nom  ?  0  Dieu  ! 
vous  nous  avez  faits  à  votre  image  et  ressemblance. 
^oîts  êtes  en  nous,  ô  Seigneur  I  comme  dans  votre 
temple,  et  votre  saint  nom  a  été  invoqué  sur  nous  ^. 
O  Père,  Fils,  et  Saint-Esprit!  nous  avons  été  bap- 
tises en  votre  nom  ,  votre  empreinte  est  sur  nous, 
votre  image,  que  vous  aviez  mise  au  dedans  de 
nous  en  nous  créant,  y  a  été  réparée  par  le  baptême. 
Ame  raisonnable,  faite  à  l'image  de  Dieu,  chrétien 
renouvelé  par  sa  grâce,  reconnais  ton  auteur,  et 
à  limage  que  tu  portes,  apprends  à  qui  tu  es. 

Connaître  Dieu,  aimer  Dieu,  s'estimer  heureux 
par  là,  c'est  ce  qui  s'appelle  dans  saint  Paul  u  te 
de  Dieu,  dont  les  gentils  étaient  éloignés  dans  leur 
ignoranceet  l'aveuglement  de  leur  cœur  4.  Car  c'est 
par  là  que  nous  entendons  que  Dieu  même  est  hpu- 
reux,  parce  qu'il  se  connaît  et  s'aime  lui-même  :  et 
lorsque  nous  l'imitons,  en  nous  estimant  heureux 
par  sa  connaissance  et  son  amour,  nous  vivons  de 
t'a  vie  de  Dieu. 

Que  la  connaissance  de  Dieu  ne  soit  pas  en  nous 
une  simple  curiosité,  ni  une  sèche  méditation  de 
ses  perfections  :  qu'elle  tende  à  établir  en  nous  son 
saint  amour  :  nous  vivrons  de  la  vie  de  Dieu,  et 
nous  rétablirons  en  nous  son  image. 

Unissons-nous  à  la  vie  de  Dieu,  à  la  connais- 
sance et  à  l'amour  qu'il  a  pour  lui-même  :  lui  seul 
se  connaît  et  s'aime  dignement.  Unissons-nous  au- 
tant que  nous  pouvons  à  rincompreliensible  con- 
naissance qu'il  a  de  'ui-même  ;  et  consentons  de 
tout  notre  cœur  aux  louanges  dont  il  est  digne, 
que  lui  seul  connaît  :  nous  vivrons  de  sa  vie ,  et 
son  image  sera  parfaite  en  nr.us. 

Tout  ce  que  nous  connaissons  de  Dieu,trans- 

'^I.  Pet.  U,  23.  —  '  .Vatth.  XXII,  iu.  ■  -  ^  Jerem.  XIV,  S. 
—  •"f./MV,  18. 


portons-le  en  nous.  Nous  connaissons  sa  miséricorde, 
ce  n'est  pas  assez;  imprimons  ce  trait  en  nous- 
mêmes  :  ICt  soyons  miséricordieux  comme  notre 

i  Père  céleste  est  miséricordieux'.  Nous  adnurons 
sa  perfection  :  ce  n'est  pas  assez;  imitons-la.  5oy?3 

^  parfaits, â\t  le  Sauveur»,  comme  votre  père  céleste 
est  par/ait. 

Pour  se  faire  connaître  à  nous  d'une  manière 
sensible  et  proportionnée  à  notre  nature,  Dieu  nous 
a  envoyé  son  Fils,  dont  l'exemple  est  notre  règle. 
Imitons-le  donc  :  .-/pprenotui  de  lui  qu'il  est  doux 
et  qu'il  est  huml)le^\  rendons-nous  semblables  à 
lui,  et  nous  serons  semblables  à  Dieu,  et  nous  vi- 
vrons de  sa  vie ,  et  son  image  sera  rétablie  en  nous  ; 
et  nous  parviendrons  à  la  vie  où  nous  lui  serons 
tout  à  fait  semblables,  parce  que  nous  le  verrons, 
tel  qu'il  est  i. 

Rendons-nous  donc  de  vrais  enfants  de  Dieu,  en 
portant  l'image,  et  en  faisant  les  œuvres  de  notre 
Père.  Ne  faisons  donc  point  les  œuvres  du  diable, 
de  peur  que  nous  n'entendions  la  dure  sentence  que 
Jésus-Christ  prononça  aux  Juifs  :  /  ou,s  êtes  les  en- 

jants  du  diable,  et  vous  voidez  faire  ses  oeuvres  : 
il  est  malin,  envieux,  calomniateur,  menteur  et 
père  du  mensonge,  cruel  et  homicide  dès  le  com- 
mencement^. Il  inspire  la  sensualité,  il  enflamme 
la  concupiscence,  afin  de  faire  servir  l'esprit  à  la- 
chair,  et  effacer  en  nous  l'image  de  Dieu, 

XXX VHP  JOUR. 

Sur  ces  paroles,  à  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu.  Malt  h.  xxii,  2o 

J  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu^.  Si  une  image  pouvait 
sentir,  s'il  lui  venait  un  esprit  de  vie  et  d'intelli- 
gence, elle  ne  cesserait  de  se  rapporter  elle-même 
à  son  original.  Trait  à  trait,  partie  à  partie ,  mem- 
bre à  membre,  elle  irait  sans  cesse  se  réunissant  u 
lui.  Si  elle  pouvait  connaître  qu'il  lui  manquât  quel- 
que trait,  elle  irait,  pour  ainsi  parler,  continuelle- 
ment l'emprunter.  S'il  s'en  effaçait  quelqu'un,  elle 
n'aurait  point  de  repos  jusqu'à  ce  qu'il  fut  rétabli;, 
et  si  elle  y  pouvait  contribuer,  ce  serait  là  toute  sort 
étude  et  tout  son  travail.  Nuit  et  jour  elle  ne  serait 
occupée  que  du  désir  de  lui  ressembler  :  car  c'est  là 
son  être.  Elle  n'aurait  point  d'autre  gloire  que  celle 
de  le  faire  connaître ,  elle  ne  pourrait  souffrir  qu'on 
terminât  son  amour  en  elle;  mais  elle  ferait  tout 
passer  à  son  original,  surtout  si  son  original  était 
en  même  temps  son  auteur,  parce  qu'elle  lui  devrait 
l'être  en  deux  manières.  EHe  le  devrait  à  sa  main  et 
à  son  art  qui  l'aurait  formée;  elle  le  devrait  à  sa- 
forme  primitive  et  originale,  dont  toute  sa  ressem-. 
blance  serait  dérivée ,  et  ne  subsisterait  que  par  ce- 
double  emprunt. 

Si  les  portraits  de  nos  peintres  étaient  animés, 
ils  seraient  étrangement  partagés  entre  le  peintre 
qui  est  leur  auteur,  et  le  roi  ou  quelque  autre  objet 
qui  est  leur  modèle,  et  qu'ils  ont  à  représenter.  Car 
à  qui  aller.'  Je  suis  tout  à  celui  qui  m'a  fait,  et  il  n'y 
a  trait  que  je  ne  lui  doive.  Je  Suis  tout  à  celui  que  j« 

'  Luc.  VI,  36.  —  »  .Vatth.  Y,  48.  —  3  Marc,  xi,  2C.  — 
•  I.  Joan.  m,  2.  —  *  Joan.  VIII    44.  —  «  Matlh.  XXII»,  2A. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


614 

représente,  et  il  n'y  a  trait  que  je  ne  lui  doive  d'une 
autre  manière.  La  pauvre  image,  pour  ainsi  dire, 
se  mettrait  en  pièces,  et  ne  saurait  à  qui  se  donner, 
étant  attirée  des  deux  cotés  avec  une  égale  force. 
Mais  en  nous  les  deux  forces  concourent  ensemble. 
Celui  qui  nous  a  faits  nous  a  faits  à  sa  ressemblance , 
il  est  notre  original  et  notre  principe.  Quel  effort 
ne  devons-nous  donc  pas  faire  pour  nous  réunir 
à  lui! 

Qui  peut  représenter  Dieu ,  si  ce  n'est  lui-même.? 
Lui  seul  se  connaît.  C'est  lui  qui  nous  a  faits,  ce 
n'est  pas  un  autre;  il  nous  a  faits  à  sa  ressemblance, 
et  nous  lui  devons  doublement  tout  ce  que  nous 
sommes  jusqu'au  moindre  trait.  Nous  ne  pouvons 
donc  ni  nous  reposer  ni  nous  glorifier  en  nous- 
mêmes.  A  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu.  C'est  notre  gloire , 
c'est  notre  enseigne,  c'est  notre  vie.  Notre  étude  et 
notre  travail  est  de  lui  ressembler  de  plus  en  plus; 
de  faire  tout  pour  lui ,  et  de  lui  rapporter  sans  cesse 
tout  ce  que  nous  sommes. 

Voyez  le  Fils  de  Dieu  :  il  est  la  parfaite  image 
du  Père,  son  verbe,  son  intelligence,  sa  sagesse, 
le  caractère  de  sa  substance  ,  et  le  rejaillissement 
(le  sa  gloire  '.  Mais  que  fait-il  sur  la  terre  ?  /iie^i , 
dit-il ,  que  ce  qu'il  voit/aire  à  son  Père  :  rien  de 
lui-même,  rien  pour  lui-même  :  Il  ne  fait  que  ce 
que  son  Père  lui  découvre  :  et  tout  ce  que  le  Père 
fait,  non-seulement  le  Fils  le  fait  aussi ,  mats  en- 
core il  le  fait  semblablement*,  avec  la  même  dignité 
et  la  même  perfection  que  lui,  parce  qu'il  est  le 
fils  unique ,  Dieu  de  Dieu ,  parfait  du  parfait.  Tel 
est  le  devoir  ou  plutôt  telle  est  la  nature  de  l'i- 
mage. Nous,  qui  ne  sommes  pas  l'image  et  la  res- 
semblance même ,  mais  qui  sommes  faits  à  l'image 
et  ressemblance;  c'est-à-dire,  qui  ne  sommes  pas 
Vimage  engendrée  du  sein  et  de  la  substance  du 
père ,  mais  un  ouvrage  tiré  du  néant  où  il  a  gravé 
son  image,  nous  devons  à  notre  manière  impar- 
faite et  faible  imiter  notre  modèle ,  qui  est  Jésus- 
Christ,  et  toujours  attentifs  à  son  exemple,  faire 
ce  que  Dieu  nous  montrera,  ne  nous  étudier  à  au- 
tre chose  qu'à  y  conformer  nos  désirs.  J  Dieu  ce 
qui  est  à  Dieu,  c'est  la  vérité  :  venons  à  la  prati- 
que, 

XXXLV  JOUR. 

Terrible  punition  des  corrupteurs  de  l'image  de  Dieu. 
Matth.  XXII, 20. 

Cette  image ,  qui  est  notre  âme ,  et  toute  créa- 
ture raisonnable  repassera  un  jour  par  les  mains 
et  devant  les  yeux  de  Jésus-Christ.  Il  dira  encore 
une  fois  en  nous  regardant  :  De  qui  est  cette  iinage 
.•t  cette  inscription^}  Et  notre  fond  lui  répondra  : 
De  Dieu.  C'est  pour  lui  que  nous  étions  faits  :  nous 
(levions  porter  son  empreinte.  Le  baptême  la  devait 
avoir  réparée,  et  c'était  là  son  effet  et  son  caractère. 
Mais  que  sont  devenus  ces  divins  traits  que  nous 
devions  porter?  L'image  de  Dieu  devait  être  dans 
lu  raison  ô  âme  chrétienne  !  toi ,  tu  l'as  noyée  dans 
ie  vin.  Toi,  tu  as  trouvé  cette  ivresse  indigne  et 

'  Hchr.  1,3.—*  Joan.  T,  1».  et  scqq.  —  »  Matth.  xxii,  20. 


grossière  ;  mais  tu  t'es  enivrée  d'une  autre  sorte 
encore  plus  dangereuse  et  plus  longue  lorsque  tu 
t'es  plongée  dans  l'amour  des  plaisirs.  Toi ,  tu  l'as 
livrée  à  l'ambition.  Toi,  tu  l'as  rendue  captive  de 
l'or  :  ce  qui  était  une  idolâtrie  ».  Toi ,  tu  l'as  sa- 
crifiée à  ton  ventre  dont  tu  as  fait  ton  Dieu  », 
j  Parlons  avec  confiance  quand  nous  parlons  avec 
l'Écriture.  Toi ,  tu  lui  as  fait  une  idole  de  la  vaine 
gloire;  au  lieu  de  louer  et  de  bénir  Dieu  nuit  et 
jour;  nuit  et  jour  elle  s'est  louée  et  admirée  elle- 
même.  En  vérité,  en  vérité,  dira  le  Sauveur,  je 
ne  vous  connais  pas  ^  :  vous  n'êtes  pas  mon  ou- 
vrage, et  je  ne  vois  plus  en  vous  ce  que  j'y  ai  mis. 
Vous  avez  voulu  vous  faire  vous-mêmes  à  votre 
mode  :  vous  êtes  l'ouvrage  du  plaisir  et  de  l'ambi* 
tion  ;  vous  êtes  Fouvrage  du  diable ,  dont  vous  avez 
fait  les  œuvres,  que  vous  avez  fait  votre  père  en 
l'imitant.  Allez  avec  celui  qui  vous  connaît ,  et  dont 
vous  avez  suivi  les  suggestions  :  Allez  au  feu  éter- 
nel qui  lui  a  été  préparé  ^\  O  juste  juge!  où  en  serai- 
je?  Me  connaitrai-je  moi-même,  après  que  mon 
Créateur  m'aura  méconnu? 

XL«  JOUR. 

Question  des  sadducéens  sur  la  femme  qui  a  ea  sept  maris 
l'un  après  l'autre.  Jésus-Christ  détaciie  le  ctirétien  de 
tout  le  sensible.  Lisez  Matth.  xxn,  23,  24.  Marc,  xu,  18, 
19,  et  plus  particulièrement  Lik.  xx  ,  27,  Jusqu'au  40 ,  où 
tout  est  expliqué  plus  au  long. 

Voici  le  jour  des  interrogations,  mais  le  jour 
des  résolutions  les  plus  admirables  que  la  sagesse 
incarnée  ait  données  aux  hommes. 

Ce  jour-là  les  saducéens  qui  nient  la  résurrec- 
tion ,  le  vinrent  trouver,  et  lui  proposèrent  une 
question ,  en  lui  disant  :  Maître ,  Moïse  a  ordonné 
que  si  quelqu'un  mourait  sans  enfants,  son  frère 
épousât  sa  femme,  et  qu'il  suscitât  des  enfants  a 
son  frère  mort.  Or  il  y  avait  sept  frères  parmi 
nous,  dont  le  premier,  ayant  épousé  une  femme, 
est  mort,  et  n'ayant  point  eu  d^ enfants,  il  a  laissé 
sa  femme  à  son  frère.  La  même  chose  arriva  au 
second,  et  au  troisième,  à  tous  les  autres  jusqu'au 
septième,  pnfin  cette  femme  est  morte  au^si  api'ès 
eux  tous.  Lors  donc  que  larésurrection  arrivera  ', 
duquel  de  ces  sept  sera-t-elle  femme,  puisqu'ils 
l'ont  tous  eue  ^? 

Moïse  nous  a  commandé...  Voyez  comme  ceux 

?ui  errent  cherchent  toujours  à  s'appuyer  sur  les 
Icritures ,  et  font  semblant  de  vouloir  obéir  à  la  loi. 
De  qui  des  sept  sera-t-elle  femme ,  car  elle  l'a 
été  de  tous?  Il  faut  encore  ajouter,  selon  saint  Marc 
et  selon  saint  Luc ,  qu'e//e  n'a  point  laissé  d'enfants 
au  septième,  non  plus  qu'aux  autres  :  de  sorte  qu'il 
n'y  a  rien  qui  détermine  en  sa  faveur. 

De  qui  sera-t-elle  femmel  Admirez  combien  les 
hommes  sont  charnels.  Ils  ne  peuvent  comprendre 
une  vie  ni  une  félicité  sans  les  objets  qui  flattent 
les  sens ,  et  sans  les  choses  corporelles  auxquelles 
ils  sont  accoutumés.  Ainsi  ils  n'entendent  pas  com- 

1  JîpA.  V,  2.  —  »  Philipp.  m  ,19.  -  •  Matth.  xxT,  41.  — 
4  Ibid.  —  '  Ibid.  xxil ,  23  et  suiv.  Lu^-  xx,  27  et  sulv. 


MEDITATIOINS  SUR  L'EVANGILE. 


ei:> 


nient  les  saints  sont  heureux.  Toute  cette  vie  in- 
corporelle leur  paraît  un  songe,  une  vision  des 
spéculatifs,  une  oisiveté  impossible  à  soutenir.  Si 
on  ne  va,  si  on  ne  vient,  comme  en  cette  vie;  si 
on  n'y  contente  les  sens  à  l'ordmaire,  ils  ne  savent 
ce  qu'on  peut  faire,  et  ne  croient  pas  qu'on  puisse 
fivre.  C'est  pourquoi  une  telle  vie  ne  les  touche 
pas;  et  la  croyant  impossible,  ils  croient  que  tout 
meurt  avec  le  corps.  Tels  étaient  parmL  les  païens 
les  disciples  d'Épicure.  Tels  étaient  les  sadducéens 
dans  le  peuple  de  Dieu.  Tels  sont  encore  parmi 
nous  les  iinpies  et  les  libertins  qui  ne  connaissent 
que  la  vie  des  sens.  Ils  sont  pires  que  les  saddu- 
céens :  car  ceux-ci  se  piquaient  d'être  zélateurs  de 
la  loi  ;  et  nos  impies  n'ont  aucun  principe. 

f-'ous  vous  tixtmpez'.  C'est  ainsi  qu'il  faut  par- 
ler à  ces  gens  qui  mesurent  tout  à  leurs  sens  char- 
nels et  grossiers  :  vous  vous  trompez.  Quelle  er- 
reur plus  grande  que  de  suivre  toujours  les  sens, 
sans  songer  qu'il  y  a  en  nous  un  homme  intérieur, 
et  une  âme  que  Dieu  a  faite  à  son  image .'  C'est 
pourquoi  Jésus-Christ  leur  dit  encore  à  la  fin ,  selon 
saint  Marc  :  f'oiAS  vous  trompez  donc  beaucoup*. 

Fous  vous  trompez  y  faute  d'entendre  les  Écri- 
tures et  la  puissance  de  Dieu^ .  C'est  la  source  de 
toutes  les  erreurs.  On  ne  veut  point  entendre  que 
Dieu  puisse  faire  des  choses  au-dessus  du  sens  et 
du  raisonnement  humain ,  ni  autre  chose  que  ce 
qu  on  voit.  C'est  pourquoi  on  n'entend  pas  les  Écri- 
tures, parce  que,  pour  ne  vouloir  pas  étendre  ses 
vues  sur  l'immensité  de  la  puissance  de  Dieu ,  on 
abaisse  les  Écritures  à  des  sens  proportionnés  à 
notre  faiblesse.  On  ne  veut  croire  ni  incarnation, 
ni  eucharistie ,  ni  résurrection ,  ni  rien  de  ce  que 
Dieu  peut,  et  de  ce  qu'il  veut  bien  faire  pour  l'a- 
mour de  ses  serviteurs.  Ainsi  les  sadducéens  ne  vou- 
laient pas  croire,  ni  qu'il  pût  conserver  l'âme  sans 
le  corps ,  ni  qu'il  pût  l'y  réunir  de  nouveau ,  ni  qu'il 
le  lui  pût  rendre  avec  de  plus  nobles  qualités  qu'en 
cette  vie ,  ni  enfin  donner  à  l'homme  d'autres  plai- 
sirs que  ceux  qu'il  a  coutume  de  sentiK 

Dans  ce  siècle,  tes  hommes  prennent  des  fem- 
mes, et  les  femmes  prenneiit  des  maris  :  mais  dans 
la  résurrection,  ou  comme  il  est  porté  dans  saint 
Luc  4,  parmi  ceux  qui  seront  jugés  dignes  du  siècle 
à  venir  et  de  ressusciter  des  ynorts  ;  ni  les  hommes 
ne  prendront  des  femmes ,  ni  les  femmes  des  maris; 
et  ils  seront  immortels ,  égaux  aux  anges  de  Dieu 
dans  te  ciel.  Ainsi,  pour  conserver  un  tel  peuple,  il 
ne  faudra  ni  de  génération  ni  de  mariage  :  et  on  n'en 
aura  non  plus  besoin  pour  les  hommes  que  pour 
les  anges.  Tout  ce  qui  est  établi  pour  soutenir  la 
mortalité  cessera  :  l'homme  sera  renouvelé  dans  son 
corps  et  dans  son  âme  ;  nous  serons  enfants  de  Dieu , 
parce  que  nous  serons  enfants  de  résurrection^  : 
ce  ne  sera  plus  de  la  chair  et  du  sang  que  nous  naî- 
trons comme  en  cette  vie  :  il  n'y  aura  plus  rien  de 
corruptible.  Avec  une  nouvelle  naissance  Dieu  don- 
nera à  nos  corps  de  nouvelles  qualités,  et  nous  se- 

*  Matth.  xxn,  29.  —  »  Mare.  XH,  27.  —  '  MaUh.  »«I,  ». 
—  4  lue.  X.X ,  3i,  35.  —  i  Ibid.  3a. 


rons,  non  enfants  des  hommes,  mais  enfants  de 
Dieu,  égaux  aux  anges,  parce  que  nous  serons 
enfants  de  résurrection. 

Le  corps  est  maintenant  conçu  et  semé  dons  la 
corruption,  il  re>,stixcitera  dans  fincofruptibiftlé; 
il  est  conçu  dans  la  dijformité,  ii  ressuscitera  dans 
la  gloire  ;  il  est  conçu  dans  la  faiblesse ,  il  ressusci' 
tera  dans  la  force  ;  il  est  conçu  pour  une  vi*'  ani- 
maie ,  il  ressuscitera  pour  une  oie  spirituelle  '.  Ke 
vous  étonnez  donc  pas  s'il  n'y  aura  point  alors  de 
mariage,  comme  il  n'y  aura  point  de  festins.  On  sera 
comme  les  anges,  sans  aucune  infirmité  des  sens, 
et  sans  avoir  besoin  de  les  satisfaire  :  Et  Dieu  sera 
tout  en  tous  ».  On  n'aura  besoin  que  de  lui. 

Commençons  donc  dès  cette  vie  ce  que  nous  fe- 
rons dans  toute  l'éternité.  Commençons  à  nous  dé- 
tacher des  sens ,  et  à  vivre  selon  cette  partie  divine 
et  immortelle  qui  est  en  nous.  Nous,  qui  vivons 
dans  le  célibat  ;  puisque  nous  voulons  dès  à  présent 
imiter  les  anges,  soyons  purs  comme  eux.  Ne  vi- 
vons que  pour  Dieu ,  comme  saint  Paul  l'ordonne  : 
Car  l'homme  qui  a  une  femme,  et  la  femme  qui  a 
un  mari,  a  le  cœur  partagé .  Qui  est  seul  ne  pense 
qu'à  Dieu  3.  Ceux  qui  mènent  une  vie  commune 
ne  laissent  pas  d'être  obligés  dans  le  fond  au  même 
détachement  ;  et  c'est  à  eux  que  le  même  apôtre 
adresse  cette  parole  :  Au  reste,  mes  frères,  te 
temps  est  court  :  ainsi,  que  ceux  qui  ont  des  fem- 
mes soient  comme  n'en  ayant  pas  et  n'y  soient 
point  attachés;  que  ceux  qui  pleurent,  et  qui 
sont  affligés,  soient  comme  s'ils  ne  l'étaient  pas  * , 
et  qu'ils  conçoivent  que  leurs  larmes  seront  bientôt 
essuyées.  Que  ceux  qui  se  réjouissent  conçoivent 
la  fragilité  et  l'illusion  de  leur  joie,  et  ne  s'y  aban- 
donnent pas  :  Que  ceux  qui  achètent  soient  comme 
nepossédant  point;  et  qu'ils  cessent  de  s'imaginer 
que  ce  qui  tient  si  peu  à  eux  soit  véritablement  en 
leur  puissance  :  Enfin  que  ceux  qui  usent  des  biens 
de  ce  monde  soient  comme  s'ils  n'en  usaient  point  ; 
car  la  figure  de  ce  inonde  passe....  Considérons  ce 
qu'on  ne  voit  pas,  et  non  pas  ce  qu'on  voit,  parce 
que  ce  qu'oTi^  voit  passe ,  et  ce  qu'on  ne  voit  pas  est 
éternel^.  Passons  donc,  et  prenons  tout  comme 
en  passant,  sans  y  attacher  notre  cœur  lorsqu'on 
le  possède,  ni  se  troubler  quand  on  le  perd.  Car  le 
temps  de  jouir  des  biens  de  la  terre  est  court  :  ce 
n'est  qu'un  moment,  et  ce  n'est  pas  la  peine  de  s'y 
arrêter.  S'y  arrêter  c'est  renoncer  au  christianisme 
et.  à  l'espérance  du  siècle  à  venir. 

Mais  si  nous  sommes  chrétiens,  pour  nous  déta- 
cher des  choses  même  permises ,  combien  est  grand 
notre  crime  si  nous  demeurons  attachés  à  celles  qui 
ne  doivent  pas  même  être  nommées  parmi  les  chré- 
tiens !  selon  ce  que  dit  saint  Paul  :  Que  l'impureté 
et  l'avarice  ne  soient  jkis  même  nommées  parmi 
rotis.,  ainsi  qu'il  est  convenable  parmi  les  saints. 
Et  encore  :  Ce  qu'ils  font  dans  le  secret,  est  hon- 
teux même  à  dire  ^. 

'  I.  Cor.  XV,  42,  43,  U.  -  >  Jbid.  28.  -  3  Ibid.  VU ,  32 
33,  34.  —  ♦  Ibid.  29,  30,  31.  —  »  IL  «irf.  iv,  18.  -  *  Eph,  ^ 


cie 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


XLI«  JOUR. 


Immortalité  de  l'âme  :  résurrection  des  corps. 
Luc.  XX ,  37, 38. 

Or,  que  les  morts  ressuscitent,  Moïse  même  vous 
l'a  dit K II  va  à  la  source,  et  il. leur  allègue  les  pa- 
roles du  législateur  et  le  fondement  de  l'alliance. 
Je  serai  ton  Dieu,  dit  Dieu  à  Abraham  »  :  et  c'est 
sur  cela  que  l'alliance  est  fondée.  Et  depuis  il  s'est 
toujours  appelé  le  Dieu  d'Abraham,  le  Dieu  d'I- 
saac ,  le  Dieu  de  Jacob.  Et  c'est  ainsi  qu'il  se  qua- 
lifia ,  quand  il  apparut  à  Moïse  pour  l'envoyer  à  son 
peuple  :  Je  suis  le  Dieu  de  ton  Père ,  le  Dieu  d'A- 
braham ,  le  Dieu  d'Isaac ,  le  Dieu  de  Jacob.  Et 
après  :  ^a,  dit-il ,  et  dis  aux  enjants  d'Israël  :  Le 
Seigneur  Dieu  de  vos  pères ,  le  Dieu  d'Abraham , 
le  Dieu  d'Isaac ,  le  Dieu  de  Jacob  :  c'est  là  mon 
nom  à  jamais ,  et  c'est  là  mon  mémorial,  et  le 
éitre  sous  lequel  je  veux  être  connu  de  génération 
en  génératio7i  '.  Or,  Dieu  n'est  pas  le  Dieu  des 
morts  4,  ni  le  Dieu  de  ce  qui  n'est  plus.  Les  morts, 
à  les  regarder  comme  morts,  dorment  dans  le  sé- 
pulcre; le  Seigneur  ne  s'en  souvient  plus ,  et  ils  ne 
sont  plus  sous  sa  main  ^.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi 
des  âraes  saintes,  des  âmes  des  amis  de  Dieu  :  car 
s'ils  sont  morts  à  l'égard  de  l'homme ,  ils  sont  vi- 
vants pour  Dieu.  Ils  sont  vivants  sous  ses  yeux  et 
devant  lui;  et  encore  :  Ils  sont  vivants  pour  lui  ^. 
S'ils  ont  perdu  le  rapport  qu'ils  avaient  à  leurs  corps 
et  aux  autres  hommes,  ils  avaient  un  autre  rapport 
à  Dieu,  qui  les  a  faits  à  son  image,  et  pour  en  être 
loué.  Ce  rapport  ne  se  perd  pas  :  car  si  le  corps  se 
dissout  et  n'est  plus  animé  de  l'âme ,  Dieu,  pour  qui 
l'âme  a  été  faite,  et  qui  porte  son  empreinte,  de- 
meure toujours.  Ainsi  les  amis  de  Dieu  subsistent 
toujours  par  le  rapport  qu'ils  ont  à  Dieu.  Et  c'est 
pourquoi  il  se  dit  leur  Dieu,  non-seulement  durant 
leur  vie,  mais  encore  après  leur  mort.  Car  leur  vie 
a  été  trop  courte  pour  donner  à  Dieu  une  dénomi- 
nation éternelle  :  Or  le  titre  de  Dieu  d'Abraham , 
d'Isaac,  et  de  Jacob,  est  éternel.  Dieu  donc  se  dit 
leur  Dieu,  parce  qu'ils  vivent  toujours  devant  lui , 
et  qu'il  les  tient  sous  sa  face;  et  comme  dit  l'apôtre 
saint  Paul  7  :  Dieu  ne  rougit  pas  de  s'appeler  leur 
Dieu,  parce  qu'il  leur  a  bâti  une  ville  permanente, 
et  qui  avait  des  fondements  éternels.  Autrement, 
comment  n'aurait-il  pas  honte  de  s'appeler  leur 
Dieu,  s'il  les  avait  abandonnés,  et  ne  leur  eilt 
laissé  pour  demeure  qu'un  tombeau?  Ils  sont  donc 
vivants  devant  lui  ;  et  ce  qui  leur  convient  convient 
à  tous  les  enfants  de  Dieu,  puisque  c'est  le  fonde- 
ment de  l'alliance ,  à  laquelle  par  conséquent  tout 
le  monde  a  part.  Car  ce  même  Dieu,  qui  se  dit  le 
Dieu  d'Abraham ,  se  dit  en  même  temps  le  Dieu 
de  nos  pères,  et  en  disant  à  Abraham  :  Je  serai 
tort  Dieu,  il  a  ajouté  :  Et  de  ta  postérité  après  toi  ^  : 
il  leur  a  donc  également  destiné  cette  demeure  éter- 
nelle. 

On  dira  que  Jésus  ne  prouve  que  l'immortalité 

•  Luc.  XX ,  37.  —  '  Gen.  xvil,  7,  8.  —  *  Exod  m ,  6 .  15.  — 
•  Luc.  XX,  38.  —  *  Ps.  Lxxxvii ,  6.  -  «  Luc.  XX ,  38.  -  '  Hebr. 
ÏJ,I0,I6.  —  •  Gm.\\u,7. 


des  âmes ,  et  non  pas  la  résurrection  des  corps. 
Mais  la  coutume  de  l'Écriture  est  de  regarder  uu». 
de  ces  choses  comme  la  suite  de  l'autre.  Car,  si  l'on 
revient  à  l'origine,  Dieu,  avant  que  de  créer  l'âme , 
lui  a  préparé  un  corps.  Il  n'a  répandu  sur  nous  ce 
souffle  de  vie,  c'est-à-dire,  l'âme  faite  à  son  image, 
qu'après  qu'il  a  donné  à  la  boue,  qu'il  maniait  si 
artistement  avec  ses  doigts  tout-puissants ,  la  forme 
du  corps  humain.  Si  donc  il  a  fait  Tâme  pour  la 
mettre  dans  un  corps ,  il  ne  veut  pas  qu'elle  en  soit 
éternellement  séparée.  Aussi  voulut-il  d'abord 
qu'elle  y  fût  unie  éternellement,  puisqu'il  avait  fait 
l'homme  immortel,  et  que  c'est  par  le  péché  que  la 
mort  a  été  introduite  sur  la  terre.  Mais  le  péché 
ne  peut  pas  détruire  à  jamais  l'œuvre  de  Dieu  :  car, 
le  péché  et  son  règne  doit  être  lui-même  détruit. 
Alors  donc  l'homme  sera  rétabli  dans  son  premier 
état  :  la  mort  mourra;  et  l'âme  sera  réunie  à  son 
corps,  pour  ne  le  perdre  jamais,  car  le  péché  qui 
en  a  causé  la  désunion  ne  sera  plus.  Il  a  donc  prouvé 
aux  sadducéens  plus  qu'ils  ne  voulaient,  puisqu'il  leur 
a  prouvé  non-seulement  la  résurrection  des  corps , 
mais  encore  la  subsistance  éternelle  des  âmes,  qui 
est  la  racine  et  la  cause  fondamentale  de  la  résur- 
rection des  corps ,  puisque  l'âme  à  la  fin  doit  attirer 
après  elle  le  corps  qu'on  lui  a  donné  dès  son  origine 
pour  son  éternel  compagnon. 

Que  reste-t-il  donc  après  cela,  sinon  de  nous 
réjouir  avec  les  pharisiens  de  ce  que  Jésus  a  fermé 
la  bouche  aux  sadducéens  \  qui  ne  voulaient  croire 
ni  la  résurrection,  ni  la  subsistance  des  âmes  après 
la  mort?  Le  Sauveur  les  a  confondus  :  il  est  allé 
d'abord  à  la  source  de  l'erreur,  en  leur  prouvant 
l'immortalité  des  âmes.  Joignons-nous  donc  à  ces 
docteurs  de  la  loi,  qui,  ravis  de  ce  qu'il  venait  de 
dire,  s'écrièrent  avec  une  espèce  de  transport  : 
Maître,  vous  avez  bien  dit  ».  Mais  ce  n'est  pas  de 
vains  applaudissements  que  Jésus  cherche.  S'il  a 
bien  dit,  profitons  de  sa  doctrine.  Vivons  comme 
devant  éternellement  vivre  ;  ne  vivons  pas  comme 
devant  mourir,  pour  terminer  tous  nos  soins  à  cette 
vie  :  songeons  à  cette  vie  qui  nous  est  réservée 
éternellement  devant  Dieu,  et  pour  Dieu.  Commen- 
çons donc  dès  à  présent  à  vivre  pour  lui ,  puisque 
c'est  pour  lui  que  nous  devons  vivre  dans  l'éternité. 
Vivons  pour  lui ,  aimons-le  de  tout  notre  cœur  : 
c'est  ce  qu'il  nous  va  enseigner  dans  la  lecture  sui- 
vante. 

XLIF  JOUR. 

Le  grand  commandement  de  la  loi ,  l'amour  de  Dieu  et  du 
prochain.  Matth.  xxii,  34,  36.  Marc,  xn,  28,  30.  Lue. 

Quel  est  le  grand  commandement  dans  lalol^? 
On  ne  sait  si  c'est  encore  pour  le  tenter  qu'on  lui  fit 
cette  demande,  en  saint  Matthieu  et  en  saint  Marc; 
ou  si  c'est  de  bonne  foi ,  pour  être  instruit  :  car 
nous  voyons  en  saint  Luc,  dans  une  autre  occasion , 
qu'un  des  docteurs  de  la  loi  lui  fit  une  demande  ap- 
prochante ;50Mr  le  te7iteri\ei  qu'après  avoit  ouï  de 

I  Matth.  xxn,  34.—  »  Luc.  xx,  39.  -  ^  Mattk.  xxu,  36. 
i  Lue.  X ,  26 ,  29. 


MÉDITATIONS  SIR  I/F.VAKGILR. 


ei7 


la  bouche  du  Sauveur  la  m^me  réponse  qu'il  fait 
aujourd'hui,  il  continua  sod  discours,  en  voulant 
te  justifier  lui-même. 

Je  ne  sais  s'il  en  est  de  même  en  celte  occasion  ; 
car  le  docteur  de  la  loi  qui  l'avait  interrogé  paraît 
si  satisfait  de  sa  réponse,  qu'il  mérita  de  recevoir 
cet  éloge  du  Sauveur  :  f^^'ous  n'êtes  pas  loin  du 
royaume  de  Dieu  '.  Par  où,  s'il  lui  montrait  qu'il 
n'y  était  pas  encore  arrivé,  il  lui  faisait  voir  en 
même  temps  qu'il  était  dans  le  chemin ,  comme  la 
suite  le  fera  peut-être  mieux  paraître. 

Il  semble  aussi  que  les  pharisiens  qui  firent  faire 
cette  demande  au  Fils  de  Dieu  »  furent  bien  aises 
qu'il  eût  confondu  les  saddncéens;  et  que,  recon- 
naissant en  lui  par  ses  admirables  réponses  une 
doctrine  supérieure  à  tout  ce  qu'ils  avaient  jamais 
entendu,  ils  furent  bien  aises  d'apprendre  sa  réso- 
lution sur  la  plus  importante  queetion  qu'on  pût 
faire  sur  la  loi  :  Quel  est  le  grand  commandement 
de  la  loi  ^  ?  ou,  comme  saint  Marc  le  rapporte  :  Quel 
est  le  pronier  de  tous  les  commandements  ^? 

Jésus,  qui  était  la  vérité  même,  allait  toujours  et 
d'abord  au  premier  principe.  Il  était  clair  que  le 
plus  grand  commandement  devait  regarder  Dieu. 
C'est  pourquoi  il  choisit  un  lieu  de  la  loi  qui  portait 
ainsi  :  Écoute,  Israël  :  le  Seigneur  ton  Dieu  est  le 
seul  Dieu ,  le  seul  Seigneur  '.  Par  là  la  grandeur 
de  Dieu  était  établie  dans  sa  parfaite  unité.  De  là  il 
s'ensuivait  encore  qu'il  lui  fallait  consacrer  celui 
de  nos  sentiments  qui  le  faisait  le  plus  régner  dans 
nos  cœurs,  et  réunissait  davantage  en  lui  toutes 
nos  affections ,  qui  était  l'amour  :  ce  qui  montrait 
encore  que  l'amour  qu'il  fallait  donner  à  un  être 
si  parfait  devait  aussi  être  parfait.  C'est  ce  qui  fait 
choisir  au  Sauveur  l'endroit  de  toute  l'Écriture  où 
la  perfection  de  l'amour  de  Dieu,  et  la  parfaite 
réunion  de  tous  nos  désirs  en  lui ,  était  expliquée. 
Mais  de  peur  que  quelque  ignorant  ne  soupçonnât 
qu'en  réunissant  en  Dieu  tout  son  amour,  il  n'en 
restât  plus  pour  le  prochain,  il  ajoute  au  premier 
précepte  le  second  qui  lui  est  semblable  ^  ;  et  il  porte 
l'amour  du  prochain  à  sa  perfection,  en  montrant 
encore  dans  la  loi  qu"i/  faut  aimer  son  prochain 
comme  soi-même  :  où  il  met  le  mot  de  prochain, 
au  lieu  de  celui  d'ami,  qui  est  dans  la  loi  7;  parce 
que  le  nom  d'ami  eût  semblé  restreindre  l'amour  : 
à  ceux  avec  qui  on  avait  des  liaisons  et  une  con-  ; 
fiance  particulière  :  au  lieu  que  le  mot  de  prochain,  i 
plus  général,  retendait  sur  tous  ceux  qui  nous  j 
touchaient  par  la  nature  qui  nous  est  commune,  i 
ainsi  que  le  Fils  de  Dieu  l'avait  déjà  expliqué  *. 

Voilà  donc  toute  la  loi  rappelée  à  ses  deux  prin-  ; 
cipes  généraux  ;  et  l'homme  est  parfaitement  îns-  \ 
truit  de  tous  ses  devoirs ,  puisqu'il  voit  en  un  clin  ; 
d'oeil  ce  qu'il  doit  à  Dieu  son  créateur,  et  ce  qu'il  ; 
doit  aux  hommes  ses  semblables.  Là  est  compris  ; 
tout  le  Décalogue  ;  puisque  dans  le  précepte  d'aimer  ; 
Dieu,  toute  la  première  table  est  comprise;  et  dans 
celui  d'auner  le  prochain ,  est  renfermée  toute  la  ; 

'  Marc,  xn,  32,  34.  —  *  MaUh.  XXII,  Si.  —  »  Ibid.  3«. 
—  *  .Van.  XII ,  38.  —  *  Veut,  vi ,  4.  Marc,  xn ,  M.  —  *  Mattk. 
XXU,  ».  —1  Lev.  XU,  18.  —  •  Luc  X,  2»,  37. 


seconde.  Et  non-scuicment  tout  le  DécaloRue  est 
compris  dans  ces  deux  préceptes ,  mais  encore  UnUe 
la  loi  et  tous  les  prophètes  ■ ,  puisque  tout  aboutit 
à  être  disposé  comme  il  faut  envers  Dieu  et  ejivers 
les  hommes;  et  que  Dieu  nous  apprend  ici  non-seu- 
lement lea  devoirs  extérieurs ,  mais  encore  le  priu- 
cipe  intime  qui  nous  doit  faire  agir,  qui  est  l'amour. 
Car  qui  aime  ne  manque  à  rien  envers  ce  qu'il  aime. 
jNous  voyons  donc  la  facilité  que  Jésus-Christ  ap- 
porte aujourd'hui  à  notre  instruction  ;  puisque  tans 
nous  obliger  à  lire  et  à  pénétrer  toute  la  loi ,  ce 
que  les  faibles  et  les  ignorants  ne  pourraient  pas 
faire ,  il  réduit  toute  la  loi  à  six  lignes  ;  et  que ,  pour 
ne  point  dissiper  notre  attention,  s'il  nous  fallait 
parcourir  en  particulier  tous  nos  devoirs,  il  les  ren- 
ferme tous,  et  envers  Dieu  et  envers  les  hommes, 
dans  le  seul  principe  d'un  amour  sincère,  en  disant 
qu'iï  faut  aimer  Dieu  de  tout  son  cœur,  et  son 
prochain  comme  soi-même.  De  ces  deux  pré- 
ceptes, dit-il ,  dépendent  toute  la  loi  et  tous  les  pro- 
phètes*. 

Adorons  la  vérité  éternelle  dans  cet  admirable 
abrégé  de  toute  la  loi.  Que  je  vous  suis  redevable, 
ô  Seigneur!  d'avoir  tout  ramassé  en  un;  en  sorte 
que  sans  avoir  toujours  à  me  fatiguer  dans  une 
immense  lecture ,  je  tiens  en  sept  ou  huit  mots  toute 
la  substance  de  la  loi  !  Et  lorsque  pour  donner  à 
mon  esprit  un  exercice  convenable ,  je  lirai  avec 
affection  et  attention  le  reste  de  votre  Écriture , 
vous  m'avez  mis  en  main,  dans  ces  deux  préceptes, 
le  fil  qui  me  conduira  dans  toutes  les  difficultés  que 
je  trouverai  dans  une  lecture  si  profonde ,  ou  plutôt 
la  résolution  et  le  dénoûraent  de  toutes  les  dif- 
ficultés :  puisque  je  suis  assuré  qu'en  entendant  ces 
deux  préceptes,  je  n'ignore  rien  de  ce  qui  m'est 
nécessaire.  O  Dieu!  je  vous  loue;  ô  Jésus!  soyex 
béni  ;  ô  Jésus  !  je  vais  m'appliquer  à  méditer  cet 
admirable  abr^é  de  la  doctrine  céleste.  Je  me  veux 
parler  à  moi-même  sans  paroles,  de  ces  paroles  si 
pleines  de  lumières  :  c'est-à-dire,  je  veux  tâcher  de 
les  pénétrer  plutôt  par  l'affection  que  par  le  dis- 
cours. J'en  contemplerai  la  vérité ,  afin  d'en  sentir 
la  force  et  de  m'en  remplir  tout  entier  au  dedans 
et  au  dehors.  O  Jésus!  donnez-m'en  la  grâce:  ô 
Jésus!  répandez  dans  mon  âme  votre  Saint-Esprit, 
qui  est  l'amour  éternel  et  subsistant  de  votre  Père 
et  de  vous,  afin  qu'il  m'apprenne  à  vous  aimer 
tous  deux ,  et  à  aimer  avec  vous  comme  un  seul 
et  même  Dieu  l'Esprit  qui  procède  de  l'un  et  de 
l'autre. 

Et  personne  n'osait  plus  rinterroger  *.  Cette 
réflexion  de  saint  ]\Iarc  fait  soupçonner  que  ceux 
qui  lui  firent  faire  cette  dernière  demande,  ou  du 
moins  quelques-uns  d'eux,  ne  le  consultaient  que 
pour  le  tenter.  Car  s'ils  eussent  consulté  pour  s'ins- 
truire de  bonne  foi  un  maître  dont  la  doctrine  était 
si  remplie  de  vérité  et  de  grâce ,  il  y  avait  à  l'inter- 
roger jusqu'à  la  fin.  Mais  comme  ils  l'interrogeaient 
dans  le  dessein  de  le  surprendre ,  et  pour  voir  s'il 
répondrait  mal ,  ou  s'il  demeurerait  court  dans  quel- 

'  Matlh.  XXII,  10.  —  '  Ibid.  3S,3i,  M.  —  '  M^rc.  ui, 
34. 


618 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


que  question ,  ils  cessent  de  le  consulter  aussitôt  1 
qu'ils  sentent  qu'ils  n'ont  aucun  avantage  à  tirer  ' 
«entre  lui  de  ses  réponses. 

Apprenons  de  ceux  qui  consultent  mal  la  vérité 
éternelle  comment  il  la  faut  consulter;  c'est-à-dire, 
non  pour  la  tenter,  ou  la  contredire,  ou  même  pour 
satisfaire  une  vaine  curiosité ,  mais  pour  se  nourrir 
de  sa  substance,  y  conformer  tous  nos  sentiments, 
et  vivre  de  la  véritable  vie ,  selon  cette  réponse  du 
Sauveur  :  Faites  ceci ,  et  vous  vivrez  K  Faites  ceci , 
aimez  Dieu  de  tout  votre  cœur  et  votre  prochain 
comme  vous-même.  Faites  ceci  :  ne  vous  contentez 
pas  de  discourir,  et  de  faire  une  matière  de  spécu- 
lation de  ce  qui  est  la  règle  de  votre  pratique.  Faites 
ceci,  et  vous  vivrez  :  vous  vivrez  de  la  véritable 
vie,  vous  vivrez  de  la  vie  qui  ne  meurt  jamais.  Car 
les  prophéties  s'évanouissent  dans  le  ciel;  les  énig- 
mes se  dissipent  par  la  manifestation  de  la  vé- 
rité :  la  foi  se  change  en  claire  vue,  et  l'espérance, 
eh  possession.  //  n'y  a  que  la  charité  qui  consiste 
en  ces  deux  préceptes;  il  n'y  a,  dis-je,  que  la  cha- 
rité qui  ne  finit  pas  et  ne  se  perdra  jamais ,  comme 
dit  saint  Paul».  Commençons  donc  de  bon  cœur  à 
entendre  et  à  pratiquer  ce  que  nous  pratiquerons 
éternellement.  Amen!  amen! 

XLIlIe  JOUR. 

Réflexion  sur  le  même  commandement  dans  la  loi. 
Deul.  VI ,  4,5,  10. 

Écoute ,  Israël  :  le  Seigneur  ton  Dieu  est  le  seul 
Dieu  ;  le  seul  Seigneur  :  Tu  aimeras  le  Seigneur 
ton  Dieu  de  tout  ton  cœur,  et  de  toute  ton  âme, 
et  de  toute  ta  force^  :  c'est  ainsi  que  nous  lisons 
dans  la  loi.  Et  l'Évangile  interprète  :  de  fout  ton 
esprit,  de  toute  ton  intelligence ,  de  toute  ta  pen- 
sée, de  toute  ta  puissance  ^.  11  ne  se  faut  pas  tour- 
menter l'esprit  à  distinguer  la  vertu  de  chacune  de 
ces  paroles,  ni  à  distinguer  par  exemple  le  cœur 
d'avec  l'âme ,  ni  l'un  ni  l'autre  d'avec  l'esprit  et  l'in- 
telligence, ni  tout  cela  d'avec  la  force  de  l'âme,  ni 
la  force  d'avec  la  puissance  :  encore  que  tout  cela 
se  trouve  expliqué  par  des  paroles  expresses  et  dis- 
tinguées. Mais  il  faut  seulement  entendre  que ,  le 
langage  humain  étant  trop  faible  pour  expliquer 
l'obligation  d'aimer  Dieu ,  le  Saint-Esprit  a  ramassé 
tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  fort ,  pour  nous  faire  en- 
tendre qu'il  ne  reste  plus  rien  à  l'homme  qu'il  puisse 
se  réserver  pour  lui-même  ;  mais  que  tout  ce  qu'il 
a  d'amour  et  de  force  pour  aimer  doit  se  réunir  en 
Dieu.  Pesons  donc  toutes  les  paroles  dans  cet  es- 
prit ,  et  par  le  cœur  et  l'affection ,  plutôt  que  par 
la  méditation  et  par  la  pensée.  Et  lisons  encore  la 
suite  de  ce  précepte  divin  dans  le  Deutéronome, 
d'oià  il  est  pris.  Écoute  donc,  Israël.  Écoute  du 
cœur;  impose  silence  à  toute  autre  parole,  et  à 
toute  autre  pensée.  Écoute,  en  un  mot,  comme  il 
faut  écouter  Dieu  quand  il  parle;  et  epcore  quand 
il  parle  de  la  principale  chosequ'il  exige  de  l'homme. 
Écoute,  ô  vrai  Israël  ;  è  clurétien,  ô  juste,  ô  fidèle! 

'  Luc.  X,  28.  —  *  II.  Cor.  xiu,  8,  12.  —  '  Deut.  VI.  4,  &. 
r-  ♦  Tdatth.  XXII,  ."î?.  Marc,  xii,  Luc.  x,  27. 


le  Seigfieur  ton  Dieu  est  le  seul  Seigneur  :  il  n'y  a 
pas  plusieurs  dieux  en  Israël ,  comme  dans  les  autres 
nations.  Il  n'y  a  pas  aussi  plusieurs  objets  entre 
lesquels  on  puisse  partager  son  cœur  :  en  un  mot, 
il  n'y  a  pas  plusieurs  personnes  ni  plusieurs  choses 
à  aimer.  Tu  aimeras  le  Seigneur  ton  Dieu ,  ce  Dieu , 
ce  Seigneur  unique ,  de  tout  ton  cœur,  de  toute  ton 
âme,  de  toute  ta  force  :  uniquement,  comme  il  est 
unique,  parfaitement,  conwne  il  est  parfait;  en  con- 
sacrant à  ce  premier  être ,  principe  et  moteur  de 
tout ,  ce  qui  est  aussi  le  principe  et  le  moteur  en  toi- 
même  de  toutes  tes  affections.  Je  le  veux ,  Seigneur  ; 
et  si  je  le  veiix,  je  le  fais  :  car  le  vouloir,  c'est  le 
faire;  le  vouloir  imparfaitement,  c'est  le  faire  im- 
parfaitement; le  vouloir  parfaitement,  c'est  le  vou- 
loir dans  la  perfection  que  vous  voulez  :  Rien  n'est 
plus  facile  ;  rien  n'est  plus  présent  à  la  volonté  que 
le  vouloir  :  Ce  précepte  n'est  pas  au-dessus  ds  moi ,. 
ni  loin  de  moi  :  il  ne  faut  point  monter  au  ciel, 
ni  passer  les  mers  pour  le  trouver.  Mais  la  parole 
es/fort  proche  de  toi  y  dit  le  Seigneur,  dans  ta 
bouche  et  dans  ton  cœur  pour  l'accomplir^.  Dans 
ta  bouche,  c'est  encore  trop  loin;  car  pour  cela  il 
faut  parler  ;  et  la  bouche  et  le  cœur  sont  deux  :  mais 
dans  le  cœur;  le  cœur  te  suffît  :  rien  n'est  plus 
proche  du  cœur  que  le  cœur  même  :  et  ce  précepte 
d'aimer,  qui  est  le  précepte  du  cœur,  est  vraiment 
fort  proche  de  nous.  Si  je  veux  donner  l'aumône, 
et  exercer  les  œuvres  de  miséricorde,  il  faut  sor- 
tir. Si  je  veux  me  réconcilier  avec  mon  frère,  et 
réchauffer  en  lui  la  charité  éteinte,  il  faut  le  cher- 
cher. Si  je  veux  chanter  des  psaumes,  il  faut  du 
moins  ouvrir  la  bouche.  Mais  pour  aimer,  que 
faut-il  faire,  sinon  aimer.'  O  Dieu!  que  ce  pré- 
cepte est  près  de  moi!  fais-le  donc;,  accomplis-le 
dans  ce  moment,  ô  cœur  humain!  Il  est  vrai  que 
pour  l'accomplir  j'ai  besoin  de  vous,  ô  Dieu  vivant, 
qui  êtes  le  seul  moteur  des  cœurs,  qui  seul  y  inspi- 
rez voire  saint  amour!  Mais,  ô  Dieu!  vous  êtes 
présent,  plus  présent  à  moi-même  que  moi-même. 
O  Dieu  !  que  ce  précepte  est  encore  proche  de  moi 
par  cet  endroit-là!  Qu'attends-tu  donc,  ô  mon  âme.' 
Mo7i  âme,  bénis  le  Seigneur  :  et  que  tout  ce  qui  est 
en  moi  célèbre  son  saint  nom  »....  O  Seigneur,  gui 
êtes  ma  force,  je  vous  aimerai  ^.  Mais,  ô  Seigneur! 
pourquoi  dire  :  Je  vous  aimerai  ?  Disons,  dès  à  pré- 
sent, Je  vous  aime.  O  que  ce  précepte  est  proche 
de  moi!  Mais,  ô  Dieu,  qu'il  est  loin  de  moi  d'une 
autre  manière!  et  quelle  est  ma  maladie!  Mais  nous 
n'en  sommes  pas  encore  là  :  nous  avoiis  à  lire  le 
précepte,  ainsi  qu'il  est  écrit  dans  la  loi.  Lisons, 
mais  lisons  du  cœur,  et  non  des  yeux-. 

XLIV*^  JOUR. 

Accomplissement  du  précepte  de  l'amour,  en  lout  temps,  en 
tout  lieu.  Ihid. 

Tu  aimeras  donc  le  Seigneur  ton  Dieu  de  tout 
ton  cœury  de  totde  ton  âme,  de  toute  ta  force. 
Et  parce  que  tu  l'aimeras  de  cette  sorte,  les  paroles 
qui  te  le  commandent  aujourd'hui,  les  préceptes 

•  Deut.  XXX,  II,  12, 13,  li.  —  *  Pt.  cil,  I.  —  ^  Ibid.  xtii,2 


MÉDiTATIOISS  SUR  L'ÉVANGILE. 


C19 


que  je  te  donne,  seroU  dans  ton  cœur  :  car  on 
teut  toujours  accomplir  la  volonté  de  celui  qu'on 
aime.  Et  tu  les  raconteras  à  tes  enfants;  et  tu  y 
mettras  ta  pensée,  assis  dans  ta  maison,  et  mar- 
chant dans  les  chemins;  te  couchant  et  te  levant  '. 
Car  de  quoi  s'occupe-t-on  durant  tout  le  cours  de 
sa  vie,  que  de  la  volonté  de  celui  qu'on  aime,  et  du 
soin  de  lui  plaire?  Pèse  donc  toutes  ces  paroles, 
(3  vrai  Israël!  songe  à  plaire  à  Dieu,  et  à  lui  obéir, 
allant  et  venant ,  dans  ton  repos  et  dans  ton  travail , 
ent'endormant  et  en  t'éveillant.  Tu  peux  bien  chan- 
ger tes  autres  emplois  ;  mais  celui  d'aimer  Dieu  et  de 
lui  plaire ,  est  le  soin  perpétuel  de  ta  vie.  Et  comme  i 
on  ne  peut  lui  plaire  qu'en  obéissant  à  sa  loi ,  et  en  | 
accomplissant  sa  volonté, il  faut  être  continuelle- 
ment occupé  de  ce  désir,  ^ies  donc  les  commande-  \ 
ments  de  Dieu  toujours  présents  nuit  et  four.  Tu 
les  tiendras  attachés  à  ta  main  comme  tm  mémo- 
rial éternel;  et  ils  seront,  et  ils  se  mouceront  conti- 
nuellement devant  tes  yeux,  et  tu  les  écriras  sur  le 
seuil  de  ta  porte ,  et  à  l'entrée  de  ta  maison  ».  Selon 
ce  que  dit  le  sage  :  Mon  Fils,  garde  mes  comman- 
dements, et  cache-les  en  toi-même  comme  ton  tré- 
sor ;  mon  Fils ,  observe-les ,  et  tu  vivras  ;  garde 
ma  loi  comme  la  prunelle  de  ton  œil,  lie-la  à  tes 
doigts;  qu'elle  te  guide  dans  tous  tes  ouvrages ,  et 
écris-la  sur  les  tables  de  ton  cœur^....  Tiens  mes 
commandements  continuellement  liés  à  ton  cœur  : 
mets-les  autour  de  ton  cou  comme  un  collier  ;  quand 
tu  marcneras,  qu'ils  marchent  avec  toi  :  qu'Us  te 
gardent  quand  tu  dormiras  ;  et  aussitôt  qve  tu 
seras  éveillé,  entretiens-toi  avec  eux;  parce  que  le 
commandement  est  2in  flambeau ,  et  la  loi  est  une 
lumière  ;  et  la  répréhension  qu'elle  noiis  fait  de 
nos  fautes,  est  la  voie  de  la  vie*. 

Voilà  donc  ce  que  produit  l'amour  de  Dieu  :  un 
inviolable  attachement  à  sa  loi,  une  application  à 
la  garder,  un  soin  de  se  la  tenir  toujours  présente, 
de  la  lier  à  ses  mains ,  et  de  ne  cesser  jamais  de  la 
lire,  de  l'avoir  toujours  devant  les  yeux.  Qu'elle 
n'y  soit  pas  comme  une  chose  morte,  mais  comme 
un  objet  qui  se  présente ,  et  se  remue  continuelle- 
ment devant  nos  yeux ,  pour  exciter  notre  atten- 
tion. Écrivons-en  les  sentences  à  l'entrée  de  notre 
maison,  afin  qu'autant  de  fois  que  nous  y  entrons, 
le  souvenir  s'en  réveille.  Les  Juifs  le  pratiquaient 
ainsi  à  la  lettre ,  et  ils  écrivaient  en  effet  des  senten- 
ces choisies  de  la  loi,  non-seulement  pour  les  met- 
tre à  l'entrée  de  leurs  maisons,  mais  encore  pour 
les  rouler  autour  de  leur  tête ,  en  sorte  qu'en  se 
mouvant  continuellement  devant  leurs  yeux ,  ils 
n'en  perdissent  jamais  la  mémoire.  Mais  toi,  ô  Juif 
spirituel!  accompUs  tout  cela  en  esprit;  aies  les 
préceptes  de  Dieu  toujours  présents  à  ton  esprit, 
pour  les  méditer  et  les  accomplir  dans  tous  tes  ou- 
vrages. Et  tout  cela,  parce  que  tu  aimeras  le  Sei- 
gneur ton  Dieu;  parce  qu'on  ne  peut  l'aimer  sans 
lui  obéir,  ni  lui  obéir  sans  l'aimer.  Ce  que  leSauveur 
explique  en  disant  :  Si  vous  m'aimez,  gardez  mes 

Deut.  VI,  5  rt  suiv.  —  j  Ibid.  7,  »,  ».  —   '  Prov.  va. 


commandements  ;  et  réciproquement  :  Celui  qn* 
garde  mes  commandements  est  celui  qui  m'aime  ' . 
Il  ne  suffit  pas  de  garder  l'extérieur  de  la  loi  :  l'âme 
de  la  loi ,  c'est  de  la  garder  par  amour  :  l'effet  de 
l'amour  est  de  garder  la  loi.  N'aimons  pas  en  paro- 
les ni  de  la  langue ,  mais  en  œuvre  et  en  vérité  '. 
De  belles  spéculations ,  de  beaux  discours ,  ce  n'est 
pas  là  ce  qui  s'appelle  aimer  ;  il  faut  venir  à  la  prati- 
que. Des  pratiques  extérieures,  ce  n'est  pas  là  ce 
qui  s'appelle  observer  la  loi  :  l'âme  de  la  loi  est  d'ai- 
mer et  de  faire  tout  par  amour;  le  reste  n'est  que 
l'écorce  et  l'extérieur  de  la  bonne  vie. 


XLVe  JOUR. 

La  loi  ïDcalqae  Tamoar  de  Dira  avec  une  noareUe  force. 
Deut.  X,  12  et  suiv. 

Continuons  à  considérer  le  commandement  de 
l'amour  de  Dieu ,  comme  il  est  écrit  dans  la  loi  *. 
Et  maintenant,  Israël!  qu'est-ce  que  te  demande 
le  Seigneur  ton  Dieu ,  si  ce  n'est  que  tu  le  craignes, 
et  que  tu  marches  dans  ses  voies  ,  et  que  tu  l'ai- 
mes ,  et  que  tu  le  serves  de  tout  ton  cœur  et  de  toute 
ton  âme ,  et  que  tu  gardes  les  commandements  du 
Seigneur,  et  ses  cérémonies  que  je  te  commande 
aujourd'hui,  afin  que  tout  bien  l'arrivé  et  que  tu 
sois  heureux?  Regarde  :  le  ciel  et  les  cieux  des 
deux  ,  ce  que  le  ciel  a  déplus  impénétrable  est  au 
Seigneur  ton  Dieu ,  et  la  terre  et  tout  ce  qui  y  est 
contenu;  et  toutefois  le  Seigneur  s'est  attachée  te* 
pères ,  et  les  a  aimés  ;  et  il  a  choisi  leur  postérité 
après  eux,  c'est-à-dire  vous,  parmi  toutes  les  na- 
tions, comme  vous  le  voyez  aujourd'hui.  CircoH' 
cisez  donc  votre  cœur,  et  n'endurcissez  point  contre 
Dieu  votre  col  inflexible  et  indomptable ,  pour  se- 
couer le  joug  de  sa  loi  ;  parce  que  le  Seigneur  vo- 
tre Dieu  est  le  Dieu  des  dieux ,  et  le  Seigneur  des 
seigneurs;  le  Dieu  grand,  puissant,  terrible,  qui 
n'a  point  d'égard  aux  personnes ,  ni  ne  reçoit  les 
présents.  Il  fait  justice  au  pupille  et  a  la  veuve  ;  il 
aime  l'étranger,  et  lui  donne  son  vivre  et  son  habil- 
lement partout  où  il  va.  Fous  donc  aimez  aussi  les 
étrangers^  parce  que  vous  avez  été  étrangers  dam 
la  terre  d'Egypte.   Fous  craindrez  le  Seigneut 
votre  Dieu,  et  vous  ne  servirez  que  lui  seul;  vous 
lui  serez  attachés,  et  vous  jurerez  en  son  nom, 
comme  au  seul  nom  quiest  pour  vous  éternellement 
vénérable  et  saint.  Il  est  votre  gloire  et  votre  Dieu^ 
qui  a  fait  les  choses  terribles  et  merveilleuses  que 
vous  avez  vues.  Fos  pères  sont  entrés  en  Egypte  au 
nombre  de  septante,  elle  Seigneur  vous  a  muitk 
plies  comme  les  étoiles. 

Dieu  explique,  par  ces  paroles,  non-seulement 
l'obligation,  mais  encore  les  motifs  de  l'aimer.  Pesez, 
ces  paroles  :  Et  toutefois  le  Seigneur  s'est  attcu:hé 
et  collé  à  vos  pères,  et  les  a  aimés.  Rendez-lui  donc 
amour  pour  amour,  et  attachez  vous  à  lui.  Pesez  ce 
mot. 

Pesez  ensuite,  dans  les  versets  18et  suivants,  les 
perfections  de  Dieu  et  ses  bontés,  que  vous  devei 


J  ,  2 ,  S.  —  *  Ibid.  VI,  21  ,  22,  2? 


'  Jofan.  xrv,  15, 
ft  seqq. 


21.  — '  I.  Jaan.  m,  I».  —  '  IK'ut.  x,  i 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


020 

non-seulement  aimer,  mais  encore  imiter.  Pesez 
encore  la  grâce  de  son  élection  :  il  vous  a  choisis 
parmi  toutes  les  nations,  comme  vous  voijfz.  Qu'a- 
viez-vous  mérité  de  lui?  Pesez  enfin  :  fous  n'êtes 
entrés  que  septante  dans  la  ferre  d'Egypte.  Il  n'en- 
tra dans  le  cénacleenviron  que  six-vingts  hommes'. 
Voyez  comme  Dieu  les  a  multipliés,  et  comme  l'E- 
glise s'est  étendue  par  toute  la  terre,  pour  vous 
recueillir  dans  son  sein ,  pendant  que  tant  d'autres 
nations  périssent  dans  leur  ignorance.  Mais  le  Sei- 
gneur votre  Dieu  ne  vous  a  pas  choisis  pour  votre 
mérite,  ou  parce  que  vous  étiez  le  peuple  le  plus 
nombreux  de  toute  la  terre  K  Car  vous  étiez  en  si 
petit  nombre,  lorsqu'il  vous  a  envoyé  son  Saint- 
Esprit!  et  vous  êtes  encore  environnés  de  nations 
immenses  qui  ne  connaissent  pointson  nom;  mais 
ilvous  a  choisis,  parce  qu'il  vous  a  aimés,  et  qu'il 
voulait  accomplir  le  serment  qu'il  avait/ait  à  vos 
pères ^,  Abraham,  Isaac  et  Jacob,  en  leur  pro- 
mettant que  toutes  les  nations  de  la  terre  seraient 
bénies  en  eux  et  en  leur  semence,  en  leurs  fils,  dans 
le  Christ  qui  sortirait  d'eux ,  et  afin  que  vous  ap- 
preniez que  le  Seigneur  votre  Dieu  est  le  Dieu  fort, 
et  fidèle  dans  sespromesses,  qui  garde  son  alliance 
et  sa  miséricorde  à  ceux  qui  l'aiment  et  qui  obser- 
vent ses  commandements,  jusqu'à  mille  généra- 
tions ♦.  ,    .  .      ., 

Dieu  est  parfait,  Dieu  vous  a  choisis;  il  vous 
a  choisis  par  pur  amour,  par  pure  bonté;  il  vous 
a  comblés  de  biens.  Pouvez-vous  n'aimer  pas 
celui  qui  vous  aime  avec  cette  immense  tendresse? 
Venez  au  Sauveur,  et  à  la  grâce  de  la  nouvelle 
alliance.  O  homme!  ô  peuple  racheté!  il  ne  faut  plus 
être  qu'amour. 

XLVI"  JOUR. 

I 
Conclusion.  Nécessaire  d'aimer  Dieu ,  et  de  garder  ses 

préceptes.  Deut.  xi ,  1 ,  7 ,  18 ,  19 ,  20.  j 

Voyez  ce  que  Dieu  conclut  de  toutes  ces  choses  :  | 
Aime  donc  le  Seigneur  ton  Dieu,  ô  chrétien!  p  I 
vrai  Israël  !  et  garde  ses  commandements ,  ses  cé- 
rémonies ses  jugements,  ses  préceptes  ^.  Songez 
à  toutes  les  choses  qu'il  a  faites  pour  vous  dans  le 
désert,  et  combien  ont  été  plus  grandes  celles 
qu'il  a  faites  pour  les  chrétiens  :  f'os  yeux  ont  vu 
les  œuvres  de  Dieu;  les  grandes  œuvres  qu'il  a 
faites,  les  merveilles  de  Jésus-Christ  et  le  grand 
ouvrage  de  la  rédemption.  Mettez  donc  mes  paro- 
les dans  votre  cœur  et  dans  votre  esprit,  et  atta- 
chez-les à  vos  mains  :  n'en  quittez  jamais  la  lectu- 
re :  mettez-les  entre  vos  yeux,  et  ne  les  perdez 
jamais  de  vue  :  enseignez  a  vos  enfants  à  les  mé- 
diter; et  soyez-en  occupés  en  marchant,  en  vous 
reposant,  en  vous  couchant  et  en  vous  levant  : 
écrivez-les  sur  les  poteaux  et  aux  portes  de  votre 
maison  «  :  que  tous  vos  sens  en  soient  remplis  et 
occupés ,  et  que  par  là  ils  entrent  dans  le  fond  de 
votre  cœur.  Voila  les  motifs,  voilà  la  nature,  voilà 
les  effets  et  les  fruits  de  l'amour  de  Dieu  !  En  con- 
sidérant sa  perfection,  sa  bonté,  ses  immenses  et 

.  Jet  I    15.  —'  Deut.  Vil,  7.  —  »  Jbid.  8.-4  Hid.  ». 
-  i  mJ.  11, 1.  -  ••  Ibid.  7,  IH,  19,  20. 


continuels  bienfaits,  il  faut  tellement  s'occuper  de 
lui ,  que  nuit  et  jour  rien  ne  nous  reviennetant  dans 
la  pensée,  que  le  soin  de  le  contenter  et  de  lui 
plaire. 

XLVII"  JOUR. 

Second  commandement,  semblable  au  premier  :  l'amour 
du  prochain.  Malth.  xxii,  39. 

Revenez  à  la  lecture  de  l'Évangile,  et  appuyez 
sur  cette  parole  :  Et  voici  le  second,  qui  lui  est 
semblable  :  P'ous  aimerez,  votre  prochain  comme 
vous-même'^ 

Quelle  dignité  de  l'homme!  L'obligation  d'aimer 
son  frère  est  semblable  à  celle  d'aimer  Dieu. 

Ces  deux  préceptes  vont  presque  d'égal  à  la  tête 
de  tous  les  commandements,  ou  plutôt  les  ren- 
ferment tous;  mais  le  premier  est  le  modèle  de 
l'autre. 

Comme  l'homme  est  fait  à  la  ressemblance  de 
Dieu,  ainsi  le  commandement  d'aimer  l'homme 
est  fait  à  la  ressemblance  du  commandement  d'ai- 
mer Dieu  :  Le  second,  qui  lui  est  semblable. 

11  faut  aimer  l'homme,  où  Dieu  a  imprimé  sa 
ressemblance,  parce  qu'on  aime  Dieu. 

Parce  qu'on  aime  Dieu ,  il  faut  aimer  l'homme , 
qui  est  son  temple ,  oiî  il  habite. 

Parce  qu'on  aime  Dieu,  il  faut  aimer  l'homme, 
qu'il  a  adopté  pour  fils,  et  à  qui  il  veut  se  com- 
muniquer tout  entier. 

Avec  quelle  pureté,  avec  quelle  sainteté,  avec 
quelle  perfection,  avec  quel  désintéressement,  faut- 
il  aimer  l'homme,  puisque  l'amour  qu'on  a  pour 
1  lui  est  semblable  à  celui  qu'on  a  pour  Dieu! 
Loin  de  cet  amour  la  chair  et  le  sang;  loin  de 
cet  amour,  l'esprit  d'intérêt  et  toute  corruption. 

Il  faut  aimer  tous  les  hommes,  parce  que  tous 
sont  chers  à  Dieu  :  ils  sont  ses  amis  et  ses  en- 
fants. ^ 

Comme  vous-même  :  en  leur  souhaitant  le  même 
bien ,  la  même  félicité ,  le  même  Dieu  qu'à  soi-même. 
Nulle  envie,  nulle  inimitié  ne  doit  troubler  cette 
union,  ni  la  joie  qu'on  doit  avoir  de  tous  les  pro- 
grès de  son  frère. 

Lorsque  la  possession  ou  la  recherche  de  quel- 
que bien  particulier  nous  divise,  comme  cehii  d'une 
charge,  d'une  dignité,  d'une  terre;  il  se  faut  bien 
garder  d'en  aimer  moins  notre  frère.  Ce  qu'il  faut 
moins  aimer,  c'est  le  bien  qui  nous  fait  perdre  notre 
frère,  qui  doit  nous  être  cher  comme  nous-mêmes 
à  nous-mêmes. 

Fous  aimerez  votre  prochain  comme  vous- 
même.  Il  ne  dit  pas  :  Vous  aimerez  Dieu  comme 
vous-même  ;  car  il  le  faut  aimer  plus  que  soi-même, 
et  ne  s'aimer  soi-même  que  pour  Dieu. 

Il  ne  dit  pas  aussi  :  Vous  aimerez  votre  prochain 
de  tout  votre  cœur,  de  toute  votre  pensée,  de  toute 
votre  force  :  cela  est  réservé  à  Dieu.  C'est  un  trans- 
port de  Pâme  qui  sort  d'elle-même  tout  entière  pour 
i  s'unir  à  Dieu  ;  qui  est  heureuse  de  ce  que  Dieu  est, 
j  et  de  ce  qu'il  est  heureux;  qui  ne  s'aime  que  pour 

i  Ma<tA.  XVil,  38. 


MKDirAlIONS  DE  I/ÉVANGILE. 


Dieu,  comme  elle  n'aime  son  prochain  que  pour 
Dieu.  C'est  s'aimer  véritablement ,  que  d'aimer 
Dieu  de  celle  sorte. 

Aimez  comme  vous-même  :  c'est  un  amour  de 
société  et  d'égalilé  :  c'est  ainsi  qu'on  aime  son  pro- 
chain. L'amour  de  Dieu  est  un  amour  de  sujétion 
et  de  dépendance  ;  mais  de  dépendance  douce ,  puis- 
que c'est  dépendre  du  bien ,  et  s'unir  à  lui. 

I!  faut  s'aimer  soi-même  pour  Dieu ,  et  non  pas 
Dieu  pour  soi.  S'il  fallait,  pour  plaire  à  Dieu ,  s'a- 
néantir, et  qu'on  sût  que  ce  saciifice  lui  fdt  agréable, 
il  faudrait  le  lui  offrir  sans  hésiter. 

L'amour  est  un  consentement,  et  une  union  à 
ce  qui  est  juste  et  à  ce  qui  est  le  meilhiur.  Il  est 
meilleur  que  Dieu  soit  que  nous. 

Prenons-y  garde.  L'omour-propre  est  le  vrai  fond 
que  laisse  en  nous  le  péché  de  notre  origine  : 
nous  rapportons  tout  à  nous,  et  Dieu  uiéme,  au 
lieu  de  nous  rapporter  à  Dieu ,  et  de  nous  aimer 
pour  Dieu. 

Qui  n'aime  pas  Dieu  n'aime  que  soi.  Pour  aimer 
son  prochain  comme  soi-même,  il  faut  être  aupara- 
vant sorti  de  soi-même ,  et  aimer  Dieu  plus  que 
soi-même.  L'amour,  une  fois  uni  à  cette  source,  se 
répand  avec  égalité  sur  le  prochain.  Nous  l'aimons 
on  société  comme  notre  frère,  et  non  pas  par  do- 
mination comme  notre  inférieur. 

L'amitié  est  la  perfection  de  la  charité.  C'est  une 
liaison  particulière ,  pour  s'aider  à  jouir  de  Dieu. 
Toute  autre  amitié  est  vaine. 

Autre  est  ramitié  de  besoin,  autre  l'amitié  de 
société  :  celle-là  vient  de  l'intérêt ,  celle-ci  de  la 
charité. 

Les  hommes  doivent  s'aimer  les  uns  les  autres , 
comme  les  parties  d'un  même  tout,  et  comme  fe- 
raient les  membres  de  notre  corps,  si  chacun  avait 
sa  vie  particulière.  Ils  s'aimeraient  l'un  l'autre  en 
société,  comme  soi-même  :  les  deux  yeux  et  les 
deux  mains  auraient  toutefois  une  liaison  particu- 
lière, à  cause  de  !a  ressemblance.  C'est  le  symbole 
de  l'amitié  chrétienne. 

Oui,  mon  frère,  que  je  jouisse  de  vous  en  Notre- 
Seigneur  :  faites  reposer  mes  entrailles  en  Notre- 
Seigneur,  disait  saint  Paul'.  C'est  l'amitié  chré- 
tienne. Toute  cette  lettre  à  Philémon  en  est  pleine. 

Conclusion  et  abrégé.  L'ordre  est  parfait ,  si  on 
a'ime  Dieu  plus  que  soi-même  :  soi-même  pour 
Dieu  ;  le  prochain ,  non  pour  soi-même ,  mais  comme 
soi-même  pour  l'amour  de  Dieu.  O  que  cela  est 
droit  !  que  cela  est  pur  !  Toute  vertu  est  là-de- 
dans. 

XLVIIP  JOUR. 

Réflexions  sur  notre  amoar  pour  Dieu  et  pour  le  prochain. 
Matth.  xxii ,  39. 

Faisons  réflexion  sur  nous-mêmes.  Est-ce  aimer 
Dieu  de  tout  son  cœur,  que  de  partager  son  cœur 
entre  lui  et  la  créature.'  Peut-on  aimer  deux  choses 
souverainement?  ou  peut-on  aimer  de  tout  son 
cœur,  si  on  n'aime  qu'à  demi?  Ne  faut-il  pas  aimer 

>  PhtUm.  20- 


€91 

parfaitement,  et  du  tout  le  tout  parait?  Peut-on 
avoir  (leujc  maîtres,  et  servir  Dieu  et  l'argent  ',  ou 
quelque  autre  rr^ature  que  ce  soit,  contre  la  parole 
exprt'ssedu  Fils  de  Dieu? 

Si  j'aime  Dieu  de  toute  ma  pensée,  et  de  toute 
mon  intelligence,  d'où  vient  que  j'y  pense  si  peu? 
Peut-on  ne  pas  penser  à  ce  qu'on  aime?  ce  qu'on 
aime  ne  revient-il  pas  naturellement  et  continuelle- 
ment à  l'esprit?  Faut-il  se  tourmenter  pour  s'en 
souvenir?  mais  du  moins  peut-il  échapper,  quand 
on  se  met  exprès  en  sa  présence,  et  pour  avoir  avec 
lui  une  douce  communication?  O  mon  Dieu!  com- 
ment donc  suis-jc  si  distrait  dans  la  prière?  D'oii 
vient  que  j'y  ai  si  peu  de  goût?  que  mon  cœur  m'é- 
chappe, et  que  j'ai  tant  de  peine  à  le  retrouver,  afin 
de  dire  avec  David  :  O  mon  Dieu  !  votre  serviteur  a 
trouvé  son  coeur  pour  vous  faire  cette  prière?  O 
mon  Dieu!  si  je  ne  puis  penser  à  vous,  comment 
est-ce  que  je  vous  aime  de  toute  ma  pensée  ? 

Mais  comment  e.st-ce  que  je  vous  aime  de  toute 
ma  force  et  de  toute  ma  puissance,  pendant  que 
je  me  trouve  si  faible  et  si  languissant ,  si  lâche,  si 
découragé  dans  ce  que  je  fais  pour  vous?  Pourquoi 
ai-je  si  peu  de  soin  de  vous  plaire?  A  votre  seul 
nom  tous  mes  sens  devraient  se  réveiller,  et  toutes 
les  forces  de  l'âme  et  du  corps  se  réunir  pour  faire 
votre  ouvrage  :  et  si  je  ne  le  fais  pas ,  comment 
est-ce  que  je  vous  aime  de  toute  ma  force? 

O  Seigneur!  si  je  vous  aimais  de  toute  ma  force, 
par  la  force  de  cet  amour  j'aimerais  mon  prochain 
comme  moi-même.  Mais  je  suis  si  insensible  à  ses 
maux,  pendant  que  je  suis  si  sensible  au  moindre 
des  miens!  je  suis  si  froid  à  le  plaindre,  si  lent  à  le 
secourir,  si  faible  à  le  consoler;  en  un  mot,  si  in- 
différent dans  ses  biens  et  dans  ses  maux!  Où  est 
cette  ardeur  et  cette  tendresse  d'un  saint  Paul  : 
Pleurer  avec  ceux  qui  pleurent ,  se  réjouir  avec 
\  ceux  qui  se  réjouissent*,  être  faible  avec  les/ai- 
'  bles^,  souffrir  comme  dans  le  feu,  et  être  brûlé, 
lorsque  quelqu'un  est  scandalisé*?  O  mon  Dieu! 
si  rien  de  cela  n'est  dans  mon  cœur,  ni  je  n'aime 
mon  prochain  comme  moi-même,  ni  je  ne  vous 
aime  de  toute  ma  force  et  de  tout  mon  cœur. 

Encore,  si ,  en  connaissant  mes  faiblesses  et  mes 
distractions,  mes  langueurs,  mon  indifférence, 
mon  insensibilité  et  mes  froideurs,  je  pouvais 
verser  à  vos  pieds  un  torrent  de  larmes  :  je  com- 
mencerais à  aimer,  en  déplorant  la  privation  et  la 
perte  de  l'amour.  Mais,  ô  Dieu!  tout  est  faible  en 
moi ,  et  même  la  douleur  de  n'aimer  pas. 

Est-ce  donc  que  je  ne  veux  pas  aimer?  ou  est-ce 
que  je  ne  le  puis  pas ,  et  que  je  n'en  ai  pas  la 
force?  En  effet,  n'aime  pas  qui  veut;  et  on  n'aime 
pas  ce  qu'on  veut;  et  il  faut  être  attiré.  Mais,  ô 
Dieu!  si  je  ne  pouvais  pas  aimer,  vous  ne  me  diriez 
pas  :  Aime;  si  je  n'avais  point  de  force  pour  aimer, 
vous  ne  me  diriez  pas  •  Aime  de  toute  ta  force. 
Mais,  ô  Dieu!  si  je  le  pouvais,  et  si  j'en  avais  la 
force,  ne  le  ferais-je  pas  maintenant,  qu'étant  de- 
vant vous ,  ou  je  le  veux ,  ou  je  tâche  de  le  vouloir 

'  MaUh.  Ti,  24.—  »  Bom.  xn,  15.  —  3  1.  Cor.  u,  SS.  - 
♦n.  Cor.  XI,  29. 


esiâ 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVAxNGILE. 


sincèrement?  Est-ce  que  je  veux  et  ne  veux  pas, 
tout  à  ia  fois?  Est-ce  qu'aimer  est  autre  chose  qu'un 
bon  vouloir?  O  mon  Dieu!  expliquez-moi  ma  ma- 
ladie, et  le  besoin  que  j'ai  de  vous,  pour  me  servir 
■de  mes  forces ,  pour  vouloir  ce  que  je  veux ,  ou  pour 
commencer  à  le  vouloir. 

Il  est  vrai,  comme  je  l'ai  dit,  n'aime  pas  qui 
veut;  et  on  n'aime  pas  ce  qu'on  veut  ni  autant 
qu'on  veut  :  il  faut  être  attiré;  et  surtout  on 
«'aime  pas  Dieu,  que  Dieu  n'attire.  Personne  ne 
vient  à  moi  que  mon  Père  ne  le  tire....  Quand  je 
^erai  élevé  de  terre,  je  tirerai  tout  à  moi  • .  Et  de  là 
vient  que  l'Épouse  disait  :  Tirez-moi  et  nous  coxtr- 
rons^.  Et  pour  dire,  Tirez-moi,  de  tout  son  cœur, 
«t  comme  il  faut,  il  faut  déjà  commencer  d'être  tiré. 
O  Seigneur!  tirez-moi  donc;  commencez,  et  faites- 
moi  suivre  :  commencez  ;  et  je  trouverai  mon  cœur 
<;t  mes  forces,  pour  tout  employer  à  vous  aimer. 

XLIX'^  JOUR. 

Suites  des  mêmes  réflexions.  Lumière  et  délectation  :  attraits 
de  l'amour  de  Dieu.  Matth.  xxii ,  39. 

Relis,  mon  âme,  ce  doux  commandement  d'ai- 
mer :  c'est  commencer  à  aimer,  que  d'aimer  à  le 
relire,  et  à  peser  toutes  les  paroles  qu'il  contient.  O 
Dieu!  j'ai  connu ,  et  j'ai  senti  que  pour  vous  aimer, 
il  faut  être  tiré  et  attiré.  Mais  comment  m'attirez- 
vous  ?  est-ce  seulement  en  me  manifestant  vos  beau- 
tés; c'est-à-'dire,  «n  me  montrant  tout  le  bien, 
comme  vous  disiez  à  Moïse  :  Je  te  montrerai  tout 
lebien^,  en  me  montrant  moi-même  à  toi? Hâtez- 
vous  donc,  ô  Seigneur!  montrez-moi  en  vous 
toute  vérité,  toute  perfection  et  tout  bien,  afin 
que  je  coure  à  vous ,  ravi  par  l'odeur  de  vos  par- 
fums, par  la  douceur  de  vos  attraits. 

Mais,  ô  Seigneur!  est-ce  assez  que  vous  éclai- 
riez mon  intelligence?  Ne  suis-je  qu'un  ignorant, 
qu'il  faut  instruire?  Ma  volonté  n'est-elle  pas 
aussi  malade  par  un  secret  et  invincible  attache- 
ment au  bien  sensible,  que  mon  entendement  est 
malade  par  une  ignorance  profonde  de  vos  véri- 
tés? Entrez  donc  au  dedans  de  moi,  ô  Seigneur! 
Saisissez-vous  du  secret  et  profond  ressort  d'où 
partent  mes  résolutions  et  mes  volontés.  Remuez , 
excitez ,  animez  tout  :  et  du  dedans  de  mon  cœur, 
de  cette  intime  partie  de  moi-même,  si  je  puis 
parler  de  cette  sorte;  qui  ébranle  tout  le  reste, 
inspirez-moi  cette  chaste  et  puissante  délectation 
qui  fait  l'amour,  ou  qui  l'est.  Répandez  la  charité 
dans  le  fond  de  mon  cœur,  comme  un  baume  et 
comme  une  huile  céleste.  Que  de  là  elle  aille, 
elle  pénètre ,  et  qu'elle  remplisse  tout  au  dedans 
et  au  dehors.  Alors  je  vous  aimerai  ;  et  je  serai 
vraiment  fort ,  pour  vous  aimer  de  toute  ma  force. 

Recommençons  la  lecture  du  divin  précepte, 
ou  plutôt  lisons-le  intérieurement  dans  ces  tables 
intérieures,  dans  ces  tables  de  notre  cœur,  oiî 
vous  avez  commencé  à  en  écrire  toutes  les  paro- 
les. Vous  dites  :   Aimez.  Je  veux  aimer.  Vous 

•  /«in,  VI ,  4i  ;  XII ,  32.  -  »  Ca»M ,  3.  —  '  Exod  xxxiii , 
-W. 


dites  :  De  tout  votre  cœur.  C'est  de  tout  mon  cœur. 
Vous  dites  :  De  toute  votre  pensée.  Venez ,  toutes 
mes  pensées,  tous  mes  sentiments,  tous  mes  mou- 
vements ,  tous  mes  désirs  :  venez ,  réunissez-vous 
pour  aimer  Dieu.  Vous  dites  :  De  toutes  vos  for- 
ces; c'est-à-dire,  de  toutes  ces  forces  que  vous 
excitez,  et  que  vous  m'inspirez  vous-même.  O  Sei- 
gneur! je  vous  suis,  je  cours  de  toute  ma  force, 
pour  m'unir  à  vous. 

Mais,  ô  Seigneur!  vous  fuyez  :  plus  j'approche, 
plus  je  vous  vois  loin  :  vous  êtes  près ,  et  vous  êtes 
loin  :  vous  êtes  en  moi,  plus  que  moi-même.  Vous 
n'y  êtes  pas  seulement  comme  vous  êtes  dans  toutes 
les  choses  animées  et  inanimées  :  vous  êtes  en  moi 
comme  la  lumière  et  la  vérité  qui  m'éclaire,  et 
comme  le  chaste  attrait,  oii  mon  cœur  se  prend.  O 
Dieu  !  vous  êtes  donc  bien  proche  :  mais,  6  Seigneur  ! 
vos  lumières  vous  rendent  inaccessible.  O  vérité! 
vous  croissez  à  mesure  que  je  vous  approche ,  et  sans 
cesse  vous  vous  retirez  à  ma  faible  intelligence.  Il 
faut  que  je  m'aille  perdre  dans  cette  nue  où  vous 
vous  cachez;  dans  ce  point  obscur  que  je  vois  de 
loin,  d'où  vous  vous  faites  sentir.  Dieu  si  connu  et 
si  inconnu ,  je  veux  vous  aimer  au  delà  de  mes  con- 
naissances ,  comme  un  être  incompréhensible ,  que 
l'on  ne  connaît  qu'en  s'élevant  au-dessus  de  toutes 
ses  connaissances,  sans  jamais  pouvoir  s'élever  as- 
sez, ni  comprendre,  ni  connaître  assez  combien 
vous  êtes  incompréhensible.  O  Seigneur!  je  m'unis 
à  vous,  à  vos  lumières,  à  votre  amour  :  vous  été» 
seul  digne  de  vous  connaître  et  de  vous  aimer.  Je 
m'unis  autant  que  je  puis  à  vos  lumières  et  à  vos 
attraits  incompréhensibles;  et  dans  ce  silence  in- 
time de  mon  âme,  je  consens  à  toutes  les  louanges 
que  vous  vous  donnez.  O  Seigneur  !  le  silence  est 
votre  louange!  David  le  chantait  ainsi  dans  un  de 
ses  psaumes  :  Le  silence  est  votre  louange  '.  Il  faut 
se  taire,  il  faut  se  perdre,  il  faut  s'abîmer,  et  recon- 
naître qu'on  ne  peut  rien  dire  de  digne  de  vous , 
ni  vous  aimer  comme  il  faut.  C'est  ainsi  qu'il  faut 
aimer  le  Seigneur  son  Dieu,  non-seulement  de  toutes 
ses  forces ,  mais  encore ,  s'il  se  pouvait  de  toutes  les 
forces  de  Dieu. 

L*  JOUR. 

Suites  des  mêmes  réflexions.  L'amour  doit  totJi]oart  croître. 
Matth.  xxUfZ9. 

Quand  j'aimerai  de  toute  ma  force,  ce  ne  sert 
plus  cette  vie;  la  charité  sera  consommée;  la  cupi- 
dité sera  éteinte;  la  sensualité  et  l'amour-propre  se- 
ront arrachés.  Mais  tant  que  nous  sommes  en  cette 
vie ,  ce  poids  qui  nous  entraine  au  mal  subsiste  tou- 
jours. La  loi  de  Dieu  nous  délecte  dans  l'homme  in- 
térieur :  muis  il  y  a  la  loi  des  membres....  Et  je  ne 
fais  pas  le  bien  que  je  veux,  mais  le  mal  que  je  ne 
veux  pas....  Malheureux  homme  que  je  suis!  qui 
me  délivrera  de  ce  corps  de  mort  »  ?  afin  que  j'aime 
Dieu  de  toutes  mes  forces ,  et  que  la  loi  de  l'esprit 
ne  trouve  plus  en  moi  de  résistance. 

'  Dans  le  psaume  uiv,  où  il  est  porté,  selon  la  VulgatA, 
Tedecet  hymnus,  La  louange  vous  appartint;  l'original 
porte  :Tipi  sile.ntium  laus.  Le  silence  est  votre  louange.— 
^Rotn.Mi,  19,22,33.  34. 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


C33 


I 


Eu  attendant,  ô  mon  Dieu  :  la  charité  doit  croî- 
tre toujours,  et  la  cupidité  toujours  décroître.  La 
forfie  augmente  en  aimant,  :  l'exercice  de  l'amour 
épure  le  cœur,  en  lui  apprenant  à  aimer  de  plus  en 
plus.  Dieu  est  en  nous  quand  nous  aimons,  et  c'est 
lui  qui ,  du  dedans  de  nos  cœurs ,  y  répand  et  y  ins- 
pire l'amour.  On  mérite  par  l'amour  de  posséder 
Dieu  davantage;  et  en  le  possédant  davantage,  d'ai- 
mer d'avantage  ' .  Je  n'ai  me  donc  pas  de  toute  la  force 
queje  puis  exercer  en  cette  vie ,  si  je  n'aime  mieux 
demain  qu'aujourd'hui,  et  si  lejour  d'après  je  n'aug- 
mente mon  amour,  jusqu'à  ce  que  j'arrive  à  la  vie 
où  le  précepte  de  la  charité  s'accomplira  parfaite- 
ment. On  ne  peut  s'y  préparer  qu'en  cette  vie  :  niais 
on  ne  peut  l'accomplir  parfaitement  que  dans  l'au- 
tre. Ce  qu'il  y  a  à  faire  en  cette  vie,  c'est  d'aimer 
toujours  de  plus  en  plus,  et  en  aimant,  d'acquérir 
de  nouvelles  forces  pour  aimer.  Excitons-nous  nuit 
et  jour  à  cette  pratique.  Faites  cela  et  vous  vivrez, 
dit  le  Sauveur. 

LP  JOUR. 

Pratique  de  la  charité  dans  l'Oraison  dominicale. 

Notre  Père*.  Si  nous  sommes  des  enfants  et  non 
des  esclaves  ,  servons  par  inclination  ,  et  non  par 
crainte  ;  par  volonté,  et  non  par  menaces.  Enfants 
d'adoption,  aimons  celui  qui  nous  a  choisis,  pour 
nous  unir  à  son  Fils  unique. 

Qui  êtes  dans  les  deux  :  qui  vous  y  manifestez 
à  vos  élus;  qui  nous  avez  donné  le  ciel  pour  notre 
héritage,  notre  patrimoine,  notre  ville,  notre 
patrie,  notre  maison.  Habitons-y  donc  en  esprit  : 
tournons  la  toutes  nos  pensées,  suhsum  cobda  :  le 
cœur  en  haut.  Purifions  notre  cœur,  afln  de  voir 
Dieu.  Unissons-nous  par  la  foi  à  ceux  qui  le  voient 
déjà  face  à  face  ;  aux  anges  et  aux  âmes  saintes.  Cher- 
chons partout  notre  Père,  car  il  est  partout  ;  mais 
cherchons-le  principalement  dans  le  ciel,  parce  qu'il 
y  est  dans  sa  gloire.  Aimons  sa  gloire.  Aimons  son 
saint  nom,  aimons  son  règne  et  sa  volonté;  c'est 
ce  que  la  suite  nous  explique. 

rotre  nom  soit  sanctifié.  Quel  nom ,  si  ce  n'est  le 
nom  de  Père  que  nous  venons  de  lui  donner  ?  Sanc- 
tifions ce  nom  ;  ne  portons  pas  indignement  le  nom 
de  fiis;  ne  dégénérons  pas  d'un  tel  Père  et  d'une 
telle  naissance.  Quel  nom  encore?  le  nom  de  bon, 
en  mettant  en  lui  notre  confiance  ;  le  nom  de  juste, 
en  observant  ses  justices,  c'est-à-dire  ses  comman- 
dements ;  le  nom  de  puissant ,  en  ne  craignant  rien 
sous  ses  ailes  ;  le  nom  de  saint ,  en  le  glorifiant 
comme  le  Saint  dlsraël,  en  lui  disant  continuelle- 
ment :  Saint ,  Saint ,  Saint  :  le  ciel  et  ta  terre  sont 
remplis  de  votre  gloire  ^  ;  en  nous  sanctifiant  nous- 
mêmes  pour  l'amour  de  lui  et  pour  l'imiter,  confor- 
mément à  cette  parole  :  Soyez  saint ,  comme  je  s:uis 
saint*;  enfin  ,  le  nom  de  Dieu,  de  Créateur  et  de 
Seigneur,  en  lui  obéissant  par  un  chaste  et  invaria- 
ble amour,  en  traitant  avec  révérence  les  choses 
saintes,  en  honorant  par  notre  vie  le  nom  de  chrétien, 

■  Luc.  X,  28.  —  *  Matth.  VI ,  9.  Luc.  xi ,  2.  —  '  1$.  ti ,  3. 
Apoc.  IV,  8.-4  LevU.  il,  44.  I.  Petr.  i,  •. 


eu  vivant  de  manière  sous  ses  yeux  au  dedans  et  au 
dehors ,  qu'il  soit  glorifié  en  nous. 

Si  on  parle,  que  ce  soit  des  discours  de  Dieu;  ti 
on  exerce  quelque  ministère  dans  l'Église,  qu'on 
le  fasse  comme  par  la  vertu  que  Dieu  donne ,  afin 
qu'il  soit  glorifié  en  toutes  choses  par  Jésus  Christ 
Notre -Seigneur ,  lui  à  qui  appartient  la  gloire  et 
l'empire,  aux  siècles  des  siècles,  Amen'. 

Sanctifier  le  nom  de  Dieu  en  cette  sorte ,  c'est  l'ai- 
mer parfaitement,  et  tout  faire  pour  lui  et  sa  pro- 
pre perfection. 

Que  votre  rè(jne  arrive.  Ce  règne  dont  il  est  écrit  : 
Tout  genou  fléchira  devant  moi,  et  toute  langue 
confessera  le  nom  de  Dieu*...  lorsque  la  plénitude 
des  nations  sera  entrée,  et  que  tout  Israël  sera 
saui'é^.  O  Seigneur  !  que  ce  règne  arrive,  et  que  vous 
soyez  glorifie  par  toute  la  terre. 

Que  voire  régne  arrive  :  ce  régne  que  nous  atten- 
dons, lorsque  vous  viendrez  juger  les  vivants  et  les 
morts  ,  et  que  vous  manifesterez  votre  puissance. 
Jour  terrible  et  plein  de  menaces,  mais  néanmoins 
désirable  à  vos  saints .  à  qui  le  Sauveur  a  dit  :  Quand 
ces  choses  commenceront  à  se  faire ,  regardez  et 
levez  la  tête,  parce  que  votre  rédemption  approche  *• 
Quelle  conscience  faut-il  avoir,  combien  pure,  com- 
bien innocente,  pour  désirer  ce  jour!  Lavez-vous, 
purifiez-vous  *,  soyez  nets.  C'est  d'une  telle  netteté 
que  sortent  la  confiance  et  l'amour. 

Que  votre  règne  arrive.  Il  arrive,  ce  règne  par- 
fait pour  chacun  de  nous,  lorsque  notre  âme,  réu- 
nie à  son  principe,  attend  en  son  temps  le  corps  qui 
lui  avjit  été  donné;  afin  que  l'homme  entier  soit 
soumis  au  règne  de  Dieu,  et  s'en  ressente. 

Je  désire  d'être  séparé  de  mon  corps ,  pour  être 
avec  Jésus- Christ^. 

Je  ne  désire  pas  d'être  dépouillé,  mais  d'être 
revêtu' par-dessus  ;  afin  que  ce  qu'il  y  a  de  mortel 
en  moi  soit  englouti  par  la  vie  t. 

Je  désire  m'éloigner  du  corps  et  d'être  présent  au 
Seigneur*. 

Alors  le  Seigneur  régnera  :  il  n'y  aura  plus  de  mau- 
vais désirs  à  combattre  ;  non-seulement  le  péché  ne 
régnera  plus,  mais  il  ne  sera  plus.  Commençons  à  le 
détruire  :  Qu'il  ne  régne  plus  du  moins  dans  nos 
corps  mortels^  :  alors  nous  désirerons  le  règne  par- 
fait de  Dieu  en  nous. 

Le  dernier  fruit  d'une  bonne  conscien«|e,  et  de 
l'union  de  l'âme  avec  Dieu ,  est  de  ne  pouvoir  plus 
souffrir  ce  corps  qui  nous  en  sépare ,  et  de  désirer 
le  sommeil  des  justes.  Un  secret  dégoût  de  la  vie, 
la  séquestration  de  l'âme  par  la  contemplation  et  le 
désir  des  choses  célestes ,  l'actuelle  séparation  de- 
vient alors  notre  plus  cher  objet.  O  Dieu  !  que  ce 
régne  arrive!  Quand  serai-je  dans  votre  royaume  ? 
Mon  âme  désire,  mon  âme  languit,  mon  âme  tombe 
dans  la  défaillance,  en  soupirant  après  vos  éternels 
tabernacles,  après  cette  cité  permanente.  Tout 
passe,  tout  s'en  va  :  quand  verrai-je  celui  qui  ue  passe 
pas?  Quand  serai-je  fixé  en  lui,  en  sorte  que  je  ne 

'  I.  Petr.  IT,  II.  —  *  /».  XLT,  2*.  —  3  Xom.  XIT,  11,  II. 
25 ,  28.  -.  ♦  Luc.  XXI ,  28.  —  5  /».  1 ,  18.  —  «  Philifp.  I ,  M. 
—  '  II.  Cor.  V,  4.  —  •  Ibid.  8.  —  »  Rom.  TI ,  I». 


624 


MÉDITATIONS  sua  L'ÉVAiXGILE. 


puisse  plus  le  perdre  ?  Oh  !  que  je  puisse  bientôt  arri- 
ver à  ce  royaume!  En  attendant,  régnez  en  moi,  ré- 
gnez sur  tous  mes  désirs,  régnez-y  seul.  On  ne  peut 
servir  deux  maitres  ' ,  ni  avoir  deux  rois,  deux  ob- 
jets dominants  dans  son  cœur.  Les  servir,  c'est  les 
aimer;  c'est  le  Fils  de  Dieu,  la  vérité  même,  qui 
l'explique  ainsi  :  Nul  ne  peut  seroir  deux  maîtres  : 
car,  ajoute-t-il ,  ou  l'homme  haïra  l'un,  et  aimera 
l'autre  :  ainsi  servir,  c'est  aimer  :  servir  sans  par- 
tage ,  aimer  sans  partage  :  ou  il  supportera  l'un ,  et 
méprisera  l'autre.  II  n'y  a  point  de  milieu ,  aimer 
ou  haïr,  supporter  ou  mépriser.  Régnez  donc  seul. 

Que  votre  volonté  soit  faite.  C'est  l'amour  pur; 
car  qu'est-ce  qu'aimer,  si  ce  n'est  avoir  en  tout  et 
partout  la  même  volonté ,  jusqu'à  l'entière  extirpa- 
tion du  moindre  désir  contraire;  et  un  total  assu- 
jettissement de  son  cœur  }  Que  votre  volonté  soit 
/ai7e  :  qu'elle  soit  faite  partout,  et  par  tous;  que 
j'aime,  que  tout  le  monde  aime  :  car  l'effet  de  cet 
amour  est  de  vouloir  que  tous  les  autres  y  soient 
entraînés.  Que  votre  volonté  soit  faite  :  que  toute 
justice,  que  toute  raison,  que  toute  vérité  soit  ac- 
complie :  car  c'est  là  votre  volonté.  Qu'elle  soit 
faite  dans  la  terre  comme  dans  le  ciel  ;  par  les  honi- 
.Ties,  comme  elle  l'est  par  les  anges,  ces  bieidieu- 
reux  esprits,  qui  vous  aiment  parce  qu'ils  vous 
voient.  Qu'elle  soit  donc  faite  par  amour,  par  un 
a'mour  pur,  par  un  amour  constant  et  invariable. 
Elle  ne  se  fera  jamais  de  cette  sorte  que  dans  le  ciel  ; 
m  nous  n'aurons  autre  part  que  dans  le  ciel  l'ac- 
complissement parfait  de  ce  précepte  :  Tu  aimeras; 
ni  nous  n'aurons  jamais  autre  part  l'accomplisse- 
ment parfait  de  cette  demande  :  Fotre  volonté  soit 
faite. 

Vous  arrivez  donc  par  cette  demande  à  la  per- 
fection et  au  dernier  effet  de  l'amour  divin.  Ab- 
sorbé dans  ce  saint  et  pur  amour,  vous  commencez 
à  penser  à  la  vie  mortelle;  non  pas  comme  à  un 
objet  désirable,  mais  comme  à  une  charge  néces- 
saire. DonTiez-nous  notre  pain.  Donnez-nous  de 
quoi  sustenter  cette  vie  dont  vous  nous  avez  char- 
gés ,  pour  accomplir  le  temps  de  notre  servitude  et 
de  notre  pénitence;  afin  que  ce  temps  étant  accom- 
pli, nous  venions  à  la  liberté  parfaite.  Donnez-nous 
donc  ce  pain  que  nous  devons  manger  dans  notre 
sueur  :  c'est  notre  servitude,  c'est  notre  supplice. 
Chacun  doit  travailler  à  sa  manière  pour  gagner 
son  pain.  Que  celui  qui  ne  travaille  pas ,  ne  mange 
pas  y  disait  saint  Paul».  Travaillons  donc  pour 
avoir  ce  pain  ;  Dieu  ne  nous  le  donne  pas  moins, 
parce  que  lui  seul  bénit  notre  travail.  Donnez-le- 
nous  donc  :  Donnez-le-nous  à  chaque  jour.  Sentons 
à  ce  mot  notre  perpétuelle  et  irrémédiable  indi- 
gence. Donnez-le-nous  :  nous  ne  le  voulons  que  de 
vous,  et  par  les  voies  que  vous  prescrivez.  Donnez- 
nous  le  pain  :  sous  ce  nom  nous  entendons  toutes 
les  choses  que  vous  nous  avez  rendues  nécessaires. 
Donnez-nous  les  nécessités;  ne  nous  donnez  pas 
les  délices.  Nous  derîiandons  ce  à  quoi  vous  nous 
avez  assujettis ,  parce  que  c'est  vous  qui  nous  avez 

«  Jifatth.  VI.  24.  -  '  II.  Thess.  m ,  10. 


imposé  cette  servitude.  Donnez-le-nous  aujourd'hui, 
ce  pain  nécessaire  chaque  jour  :  il  ne  sera  pas  moins 
nécessaire  demain  qu'aujourd^hui  ;  mais  je  dois  être 
content ,  pourvu  que  je  laie  aujourd'hui.  S*  vous  me 
donnez  davantage,  à  la  bonne  heure  :  mais  ie  suis 
content  d'aujourd'hui.  Â  chaquejour  siffitsonmal; 
ne  vous  laissez  pas  troubler  ni  iiiquiéter  pour  le 
lendemain^. 

Donnez-nous  le  pain  de  vie  :  donnez-nous  l'eu- 
charistie. Donnez  à  notre  âme  sa  nourriture;  nour- 
rissez-la de  la  vérité  et  de  votre  volonté  sainte.  Car 
notre  nourriture,  comme  celle  de  notre  Sauveur, 
est  de  l'accomplir  ».  Nourrissez-nous  donc  de  ce 
pain  qui  n'est  pas  moins  nécessaire  à  l'âme  que  l'au- 
tre l'est  au  corps;  que  nous  n'avons  pas  moins  be- 
soin de  recevoir  ournellement  de  votre  main.  Don- 
nez-le-nous aujourd'hui;  donnez-le-nous  dans  ce 
jour  qui  ne  finit  point.  Que  je  commence  aujour- 
d'hui ce  jour  bienheureux!  que  je  commence  à  vivre 
pour  l'éternité! 

Il  fallait  joindre  à  ces  exercices  de  l'amour,  celui 
de  l'amour  pénitent.  Et  le  voici  :  Pardonnez-nous. 
Que  je  puisse,  comme  la  pécheresse,  entendre  de 
la  bouche  du  Sauveur  cette  douce  et  consolante 
parole  :  Plusieurs  péchés  lui  sont  remis,  parce 
qu'elle  a  beaucoup  aimé  :  celui  à  qui  on  remetplus, 
aime  plus  :  celui  à  qui  on  remet  moins ,  aime 
moins^.  C'est  la  vérité  éternelle  qui  Ta  ainsi  pro- 
noncé. Pardonnez-moi  donc;  et  faites  que  je  vous 
aime  autant  que  j'ai  besoin  de  votre  pardon. 

Songeons  aux  larmes  de  cette  sainte  pénitente; 
songeons  à  ces  baisers  qu'elle  ne  cessait  de  donner 
aux  pieds  de  Jésus.  Le  publicain  n'osait  lever  les 
yeux  au  ciel  :  celle-ci  n'ose  pas  même  tenir  la  tête 
levée.  Prosternée  de  tout  son  corps  aux  pieds  du 
Sauveur,  elle  ne  met  point  de  fin  à  ses  regrets, 
parce  qu'elle  n'en  mettait  point  à  son  amour.  Disons 
dans  le  même  esprit  et  avec  les  mêmes  sanglots  : 
Pardonnez-nous. 

Comme  nous  pardonnons.  Afin  que  rien  ne  man- 
que ,  voici  encore  la  charité  fraternelle.  Rien  n'em- 
pêche notre  union  avec  nos  frères,  si  les  offenses 
mêmes  ne  l'empêchent  pas.  Nous  les  pardonnons  , 
ô  Seigneur!  comme  nous  voulons  obtenir  notre 
pardon,  avec  la  même  sincérité.  Nous  ne  réservons 
rien,  comme  nous  ne  voulons  pas  que  vous  réser- 
viez  rien  à  notre  égard.  Nous  lui  rendons  notre 
amour,  comme  nous  voulons  que  vous  nous  rendiez 
le  vôtre. 

Et  ne  nous  induisez  pas  en  tentation.  On  nous 
a  donné  le  remède  aux  péchés  passés ,  en  voici  un 
pour  l'avenir.  O  Seigneur!  ne  nous  livrez  pas  entre 
les  mains  du  tentateur.  0  Seigneur!  vous  pour- 
riez avec  justice  lui  permettre  tout  sur  nous,  par 
une  juste  punition  de  nos  péchés  :  ne  le  faites  pas, 
nous  vous  en  prions ,  à  cause  de  votre  bonté. 

Il  ne  suffit  pas  de  dire,  que  nous  ne  succom- 
bions pas  à  la  tentation.  Prions  que  nous  n'y  soyons 
jamais  induits.  Car  notre  faiblesse  est  si  grande, 
que  si  nous  étions  tentés,  nous  succomberions; 

»  Malth.  TI ,  34.  —  '  Joan.  iv,  34.  —  '  Luc.  ^n ,  43 .  47. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


Ml  du  moins  si  nous  n'étions  pas  tout  à  fait  vain- 
cus, nous  recevrions  quelque  blessure.  C'est  pour- 
quoi le  même  Sauveur  qui  a  dit  :  f'eillez  et  priez, 
de  peur  que  vous  n'entriez  en  tentation  ',  nous  fait 
«lemander  ici,  non  pas  seulement  que  nous  n'y  suc- 
combions point;  mais  que  nous  n'y  soyons  point 
induits ,  que  nous  n'y  entrions  point. 

Que  nous  sommes  aveugles,  hélas!  si  pendant 
que  nous  demandons  à  Dieu  qu'il  ne  nous  in- 
duise pas  en  tentation,  nous  nous  y  jetons  nous- 
mêmes  :  si  nous  nous  jetons  dans  ces  occasions, 
où  notre  chute  a  toujours  été  trop  certaine!  Fuyons, 
fuvons;  et  nous  pourrons  faire  sincèrement  celte 
demande. 

Délicrez-nous  du  mal  :  c'est  notre  parfaite  dé- 
livrance que  nous  demandons.  Délivrez-nous  du 
péché,  de  ses  causes,  de  ses  effets,  de  ses  peines. 
Ainsi,  libres  de  tout  mal,  nous  serons  des  enfants 
parfaits,  et  nous  pourrons  dire  véritablement  et 
parfaitement  :  Notre  Père.  En  attendant  cette 
parfaite  délivrance,  qui  n'est  autre  chose  que  le 
salut  éternel,  délivrez  -  nous  du  péché;  qu'il  ne 
rè^ne  point  en  nous.  Déli\Tez-nous  des  mauvais 
désirs;  que  nous  cessions  de  les  combattre  et  de 
les  vaincre.  Délivrez-nous  des  peines  du  péché, 
de  la  mort,  des  maladies,  des  autres  peines.  Dé- 
livrez-nous de  la  crainte  et  de  la  servitude  où 
elles  nous  jettent.  Délivrez-nous  de  leur  mali- 
gnité-, et  faites  qu'elles  nous  tournent  à  remède. 
Délivrez-nous  des  maux  de  cette  vie,  ou  donnez- 
nous  la  grâce  qu'ils  nous  servent  à  l'autre,  où  nous 
serons  parfaitement  libres.  Hâtez-vous  de  nous  dé- 
livrer :  nous  soupirons  après  cette  bienheureuse 
délivrance.  L'amour  divin  est  notre  liberté  :  c'est 
lui  qui  nous  délivre  de  l'amour  du  monde.  Régnez 
donc,  ô  amour  divin!  je  vous  livre  mon  coeur  : 
Délivrez-nous  de  tout  mal. 

Ainsi,  dans  toutes  ces  demandes,  on  ne  de- 
mande et  on  n'exerce  que  l'amour  divin.  Mais  re- 
marquons bien  qu'on  ne  l'exerce  que  comme  une 
chose  qu'on  demande  à  Dieu.  Car  que  lui  deman- 
dons-nous lorsque  nous  disons  :  Que  votre  nom 
soit  sanctifié  ;  que  cotre  régne  arrive;  que  votre 
volonté  soit  faite;  délivrez-nous  du  mal  :  que  lui 
demandons-nous  sinon ,  dans  un  amour  chaste ,  le 
saint  et  parfait  usage  de  notre  volonté?  Et  cela 
même  doit  encore  redoubler  notre  amour,  puisque 
notre  amour  étant  un  don  de  Dieu,  il  nous  oblige 
toujours  à  une  nouvelle  reconnaissance;  ce  qui 
enfin  le  doit  multiplier  jusqu'à  l'infini. 

Certainement  c'est  un  don  de  Dieu ,  que  d'ai- 
mer Dieu  :  Celui  qui  nous  a  aimés  lorsque  nous 
ne  songions  pas  à  l'aimer,  nous  a  donné  la 
grâce  de  l'aimer,  dit  saint  Augustin.  Aimons-le 
donc  de  tout  notre  cœur,  sans  fin  et  sans  cesse. 
On  se  tourmente  à  demander,  quand  est-ce 
qu'il  faut  exercer  l'acte  d'amour  :  la  réponse  est 
claire.  Il  faut  l'exercer  autant  qu'on  peut  :  au- 
trement on  n'aime  pas  de  tout  son  cœur.  Quand 
l'amour  est  sincère    et  dans  le  cœur,  il  s'exerce 

•  »atth.  xwi,  4r. 

BQ8.SIET.   —  TOME  UI. 


9ii 

assez  par  lui-même,  et  il  ne  faut  point  d'autre 
loi  que  lui-même  pour  son  exercice.  Il  faut  l'exer- 
cer toutes  les  fois  qu'on  dit  le  Pater;  puisque 
si  on  l'entend,  et  qu'on  le  dise  en  esprit,  on 
ne  le  peut  dire  sans  aimer. 

Rien  ne  manque  dans  cette  divine  oraison  : 
l'amour  de  Dieu  et  celui  du  prochain,  où  réside 
l'accomplissement  de  la  loi,  y  sont  accomplis  dans 
leur  perfection. 

On  demandera  pourquoi  Jésus-Christ  ne  nous  y 
fait  pas  parler  de  lui-même ,  ni  prier  en  son  nom  , 
coirmie  il  l'ordonne  si  souvent  ailleurs.  Mais 
pouvait-on  plus  prier  par  hii,  et  en  son  nom, 
que  de  dire  la  prière  qu'il  nous  dicte  par  sa  pa- 
role, et  qu'il  nous  inspire  par  son  esprit.' 

Pouvons-nous  seulement  nommer  notre  Père, 
sans  songer  au  Fils  unique,  à  qui  nous  sommes 
unis  par  cette  nouvelle  quaJité? 

Je  m'en  vais,  dit-il,  à  mon  Père,  et  à  votre 
Père'.  Il  n'est  pas  fils  comme  nous,  c'est  pour- 
quoi il  use  de  cette  distinction;  à  mon  Père,  et 
à  votre  Père.  C'est  le  premier  qui  a  droit  de  dire  : 
Mon  Père  ;  parce  qu'il  est  le  fils  par  nature  :  c'est 
en  lui  et  par  lui  que  nous  l'avons,  parce  que  nous 
sommes  faits  en  lui  enfants  d'adoption.  C'était  donc 
aussi  à  lui  à  nous  apprendre,  comme  il  fait  dans 
cette  admirable  oraison,  à  appel^-r  Dieu  notre 
Père.  C'est  en  envoyant  en  nous  l'esprit  de  son 
Fils,  que  Dieu  même  nous  fait  dire  :  Jbba  : 
Père  ».  Cest  donc  en  toutes  façons ,  et  au  dedans 
et  au  dehors,  qu'il  nous  forme  à  parler  à  Dieu 
comme  ses  enfants.  Aimons  le  Père  en  Jésus- 
Christ  son  Fils  unique,  par  leur  esprit  qui  est  en 
nous.  Aimons  aussi  tous  ceux  qui  sont  appelés 
à  la  même  grâce,  et  qui  peuvent  dire  comme 
nous  dans  le  même  esprit  :  Notre  Père.  Ainsi 
toute  la  Trinité  sera  adorée  et  aimée;  la  fra- 
ternité chrétienne  sera  exercée  :  et  en  disant  de 
bon  cœur  dans  le  Saint-Esprit  ce  seul  mot. 
Notre  Père,  nous  accomplirons  toute  justice. 

Lir  JOUR. 

Jésus-Christ ,  Médiateur,   Dieu,  Roi ,  Pontife.  .Va«A. 
XXII,  41 ,  44. 

Quoique  ce  qui  était  dd  à  Jésus-Christ  fiit 
compris  dans  le  précepte  de  l'amour  de  Dieu, 
puisqu'il  est  un  même  Dieu  avec  son  Père  et  le 
Saint-Esprit  :  néanmoins  il  nous  fallait  encore 
expliquer  ce  qui  était  dû  à  Jésus-Christ,  en  tant 
que  Christ,  médiateur  et  lien  de  l'amour  de  Dieu 
envers  nous,  et  de  nous  envers  Dieu;  et  c'est  ce 
qu'il  fait  encore  avant  que  de  mourir,  de  la  ma- 
nière la  plus  authentique  qu'on  pût  souhaiter; 
puisque  c'est  en  nous  expliquant  la  plus  célèbre 
prophétie  du  règne  du  Christ ,  publiée  par  la  bou- 
che de  David  qui  en  devait  être  le  père. 

Puiqu'une  des  qualités  par  laquelle  le  Christ  de- 
vait être  le  plus  connu,  était  celle  de  fils  de  Da- 
vid ,  il  était  beau  que  ce  fût  David  qui  nous  apprit 
à  le  connaître. 

Qu'il  est  beau  que  le  Christ  ait  été  vu  de  ses  pères  { 


'  Joan.  \x,  17.  —  '  Rom  viii,  15.  Gai.  iir,8. 


«0 


026 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


d'Abraham,  qui  a  vu  son  jour,  et  qui  s^enestré- 
youi^  :  de  David,  qui,  ravi  de  ses  grandeurs, quoi- 
<^'u"il  dilt  être  son  lils,  l'avait  appelé  son  Seigneur  ». 
Coniiiie  en  Abraham  étaient  données  les  promesses 
lie  la  multiplication  des  fidèles  de  Jésus-Christ  :  en 
David  étaient  données  celles  de  son  empire  éternel. 
Puisque  Dieu  lui  avait  promis  en  David,  vn  trône 
qui  durerait  plus  que  le  soleil  et  la  lune  ^  :  il  était 
beau  que  David,  à  qui  ce  trône  était  promis  en 
ligure  de  Jésus-Christ,  fi1t  le  premier  à  reconnaî- 
tre son  empire,  en  l'appelant  son  Seigneur.  Le  Sei- 
gneur a  dit  à  mon  Seigneur 'i.  Comme  s'il  eût  dit  : 
En  apparence  c'est  à  moi  à  qui  Dieu  promet  un 
empire  qui  n'aura  point  de  fin  :  mais  en  vérité 
c'est  à  vous,  ô  mon  Fils  ,  qui  êtes  aussi  mon  Sei- 
gneur, qu'il  est  donné  ;  et  je  viens  en  esprit  le  pre- 
mier de  tous  vos  sujets,  vous  rendre  honnnage  dans 
votre  trône,  à  la  droite  de  votre  Père,  comme  à 
ïnon  souverain  Seigneur.  C'est  pourquoi  il  ne  dit 
pas  en  général  :  Le  Seigneur  a  dit  au  Seigneur; 
mais ,  à  mon  Seigneur. 

S'il  est  le  fils  de  David ,  comment  l'appelle- 
t-ilson  Seigneur^?  Il  voulait  par  là  leur  faire  lever 
les  3'eux  à  une  plus  haute  naissance  de  Jésus-Christ, 
selon  laquelle  il  n'est  pas  Fils  de  David,  mais  Fils 
unique  de  Dieu  :  et  ils  n'avaient  qu'à  continuer  le 
psaume,  pour  trouver  cette  naissance  éternelle, 
puisque  Dieu  même  parle  ai  nsi  dans  la  suite  :  /ë  vous 
ai  engendré  de  mon  sein  devant  l'aurore,  dans  les 
splendeurs  des  saints  ^. 

Devant  l'aurore  :  devant  que  cette  lumière  qui 
se  couche,  et  qui  se  lève  tous  les  jours,  eût  com- 
mencé à  paraître ,  il  y  avait  une  lumière  éternelle 
qui  fait  la  félicité  des  saints  :  c'est  dans  cette  lu- 
mière éternelle  que  je  vous  ai  engendré. 

Je  vous  adore,  ô  Jésus,  mon  Seigneur!  dans  cette 
immense  et  éternelle  lumière.  Je  vous  adore  comme 
îa  lumière  qui  illumine  tout  homme  venant  au 
viondei;  Dieu  de  Dieu,  lumière  de  lumière,  vrai 
Dieu  de  vrai  Dieu. 

Quelle  joie  de  voir  Jésus-Christ  nous  expliquant 
lui-même  les  prophéties  qui  le  regardent,  et  nous 
apprenant-  par  là  comme  il  faut  entendre  toutes 
les  autres  ! 

Tout  ce  que  nous  devons  à  Jésus-Christ  nous 
est  montré  dans  ce  psaume.  IXous  le  voyons  pre- 
mièrement comme  Dieu;  et  nous  disons  :  C'est 
ici  notre  Dieu,  et  il  n'y  en  a  point  d'autre.  Car  s'il 
est  engendré,  il  est  Fils  :  s'il  est  Fils,  il  est  de 
même  nature  que  son  Père;  s'il  est  de  même  nature 
que  son  Père,  il  est  Dieu,  et  un  seul  Dieu  avec  son 
Père  :  car  rien  n'est  plus  de  la  nature  de  Dieu  que 
son  unité. 

Il  est  roi.  Je  le  vois  en  esprit  assis  dans  un  trône. 
Où  est  ce  trône?  A  la  droite  de  Dieu  :  le  pouvait-on 
placer  en  plus  haut  lieu?  Tout  relève  de  ce  trône  : 
tout  ce  qui  relève  de  Dieu  et  de  l'empire  du  ciel ,  y 
fst  soumis  :  voilà  son  empire. 

Mais  cet  empire  est  sacré  :  c'est  un  sacerdoce, 
et  un  sacerdoce  établi  avec  serment;  ce  qui  n'avait 

«  Joan.  vm,  56.  — '  Ps.  Cix,  \.—^Ps.  r.xxxvni,  38.  — «Ps. 
ax ,  1.  —  '  iilalth.  xxn,  44.  —  «  Ps.  cix ,  3.  —  '  Joan.  i ,  9. 


-jamais  été.  Dieu  voulant  par  une  déclaration  plus 
particulière  de  sa  volonté,  nous  marquer  la  smgu- 
larité  de  ce  sacerdoce  :  Dieu  jure ,  et  il  ne  s'en 
repentira  jamais.  Il  n'y  aura  point  de  changement 
à  cette  promesse  :  le  sacerdoce  de  Jésus-Christ  est 
éternel  :  Fous  êtes  pontife  à  jamais  selon  l'ordre 
de  Melchisédech  '.  Vous  n'avez  ni  commencement 
ni  fln  :  ce  n'est  point  un  sacerdoce  qui  vienne  de 
vos  ancêtres,  ni  qui  doive  passer  à  vos  descen- 
dants. Votre  sacerdoce  ne  passe  point  en  d'autres 
mains  :  il  y  aura  sous  vous  des  sacrificateurs  et  des 
prêtres  ;  mais  qui  seront  vos  vicaires  ,  et  non  point 
vos  successeurs.  Vous  célébrez  pour  nous  un  office 
et  une  fête  éternellement,  à  la  droite  de  votre  Père. 
Vous  lui  montrez  sans  cesse  les  cicatrices  des  plaies 
qui  l'apaisent,  et  nous  sauvent.  Vous  lui  offrez  nos 
prières;  vous  intercédez  pour  nos  fautes;  vous 
nous  bénissez,  vous  nous  consacrez.  Du  plus  haut 
des  cieux  vous  baptisez  vos  enfants  ;  vous  chan- 
gez des  dons  terrestres  en  votre  corps  et  en  votre 
sang;  vous  remettez  les  péchés;  vous  envoyez  vo- 
tre Saint-Esprit;  vous  consacrez  vos  nnnistres; 
vous  faites  tout  ce  qu'ils  font  en  votre  nom.  Quand 
nous  naissons,  vous  nous  lavez  d'une  eau  céleste; 
quand  nous  mourons,  vous  nous  soutenez  par  une 
onction  Gonfortative  :  nos  maux  deviennent  des 
remèdes,  et  notre  mort  un  passage  à  la  véritable  vie. 
O  Dieu!  ô  Roi!  ôPontifeîjC  m'unis  à  vous  en  toutes 
ces  augustes  qualités;  je  me  soumets  à  votre  divi- 
nité, à  votre  empire,  à  votre  sacerdoce,  que  j'ho- 
norerai humblement  et  avec  foi ,  dans  la  personne 
de  ceux  par  qui  il  vous  plaît  de  l'exercer  sur  la  terre. 

Toics  vos  ennemis,  ô  mon  Roi  !  doivent  être  Ces- 
cabeau  de  vos  pieds  *.  Ils  seront  réduits;  ils  se- 
ront vaincus  ;  ils  seront  forcés  à  baiser  vos  pas,  et 
kî  poussière  où  vous  aurez  marché.  Qu'attendons- 
nous?  Mettons-nous  volontairement  sous  les  pieds 
d£  ce  roi  vainqueur,  de  peur  qu'on  ne  nous  y  mette 
par  force;  de  peur  qu'il  ne  dise  du  haut  de  son 
trône  ?  Pour  ceux  qui  n'ont  pas  voulu  que  je  ré- 
gnasse sur  eux,  qu'on  les  fasse  mourir  à  mes 
yeux^;  devant  ma  vérité,  devant  ma  justice  éter- 
nelle. Car  ce  sera  leur  juste  supplice,  que  la  justice 
et  la  vérité  les  condamneront  à  jamais;  et  ce  sera 
la  mort  éternelle. 

Jsseyez- vous  en  attendant  dans  votre  trône,  ô 
Roi  de  gloire  !  jusqu'à  ce  que  le  temps  vienne  de 
metti'e  tous  vos  ennemis  à  vos  pieds  4;  c'est-à-dire, 
demeurez  dans  le  ciel,  jusqu'à  ce  que  vous  en  ve- 
niez encore  une  fois ,  pour  juger  les  vivants  et  les 
morts.  C'est  précisément  ce  que  nous  disons  tous 
les  jours  dans  le  symbole  :  //  est  assis  à  la  droite 
de  Dieu  ;  d'oie  il  viendra  juger  les  vivants  et  les 
morts.  Alors  donc  il  en  sortira  pour  les  venir  juger. 
Mais  il  retournera  bientôt  prendre  sa  place  avec  tons 
les  prédestinés  qui  ne  feront  qu'un  avec  lui;  et  il 
donnera  à  Dieu  ce  royaume  entier,  tout  le  peuple 
sauvé  ;  c'est-à-dire  le  chef  et  les  membres  :  Et  Dieu 
sera  tout  en  tous  ^. 

»  Ps.  Cix,  4.  Hch.  V,  6  ;  vu ,  17.—'  IhTH.  cix ,  i.  3.  Cor.  iv, 
25.  Heh.  I,  13;  X,  13.  —  '  Luc.  XIX,  27.  —  4  Pa.  CiX,  S.  i.  ter. 
XV.  25.  —  *  Ibid.  28. 


MEDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


627 


En  attendant,  il  ne  laissera  pas  d'exercer  son 
«npire  sur  la  terre  :  il  brisera  la  tête  des  rois  :  un 
Néron,  un  Domitien  attaqueront  son  Église;  mais 
il  brisera  leur  tête  superbe.  Un  Dioclélien,  un  Maxi- 
mien,  un  Galère,  un  Maximin  tourmenteront  les 
fidèles  :  mais  il  les  dégradera ,  il  les  perdra ,  il  les 
frappera  d'une  plaie  irrémédiable,  comme  il  Gt  un 
Antiochus.  Un  Julien  l'Apostat  lui  déclarera  la 
guerre  ;  mais  il  périra  d'une  main  inconnue,  peut- 
être  par  celle  d'un  ange ,  certainement  par  un  coup 
ordonné  de  Dieu.  Tremblez  donc,  ô  rois,  ennemis 
de  son  Église!  Mais  vous,  petit  troupeau,  ne  crai- 
gnez rien  '  :  votre  Roi  mettra  à  ses  pieds  tous  vos 
ennemis,  fussent-ils  les  plus  puissants  de  tous  les 
rois. 

//  boira  du  torrent  dans  la  voie.  Il  boira  le  ca- 
lice de  sa  passion;  mais  ensuite  il  élèvera  la  tête*. 
Buvons  avec  lui  les  afflictions,  les  humiliations,  la 
pénitence,  la  pauvreté,  les  maladies.  Buvons  de 
ce  torrent  avec  courage  :  que  ce  torrent  ne  nous 
entraîne  pas,  ne  nous  abatte  pas,  ne  nous  abîme 
pas,  comme  le  reste  des  hommes.  Alors  nous  lè- 
verons la  tête  :  les  têtes  orgueilleuses  seront  bri- 
sées ;  nous  le  venons  de  voir  :  mais  les  têtes  humi- 
liées par  un  abaissement  volontaire  seront  exaltées 
avec  Jésus-Christ. 

Et  personne  n'osa  l'interroger  ^.  Aveugles! 
parce  que  la  lumière  venait  trop  claire  à  leurs 
yeux,  ils  n'osaient  plus  l'interroger.  Il  fallait  l'in- 
terroger, non  par  un  esprit  superbe  et  contentieux, 
mais  pour  être  instruit.  Venez  donc;  interrogez; 
profitez  du  temps  :  il  ne  sera  plus  guère  avec  vous. 
Jm  lumière  n'est  plus  avec  vous  que  pour  peu  de 
temps:  Marchez,  interrogez,  pendant  qtie  vous 
avez  la  lumière,  de  peur  que  Les  ténèbres  ne  vous 
environnent  :  celui  qui  est  dans  les  ténèbres  ne 
sait  où.  il  vai. 

Mais  nous,  pour  qui  Jésus-Christ  ne  s'en  va 
pas  ,  ne  cessons  de  l'interroger,  et  de  consulter  sa 
vérité  éternelle,  pour  le  connaître,  et  pour  nous 
connaître.  Approchons-nous  de  lui ,  et  soyons  il- 
luminés^ :  fussions- nous  dans  les  ombres  de  la 
mort  :  écoutons  l'apôtre,  qui  nous  dit  :  O  vous 
qui  dormez  parmi  les  morts!  sortez  de  votre  tom- 
beau, et  Jésus  -  Christ  vous  éclairera  ^.  Amen, 
Amen. 

LUI^  JOUR. 

Chaire  de  Moïse  :  Chaire  de  Jésus-Christ  et  des  Apôtres. 
Matth.  xxiii,  1,2.  3. 

Après  avoir  confondu  les  pharisiens  et  les  doc- 
teurs de  la  loi  par  ses  réponses,  il  commence  à 
découvrir  au  peuple  leur  hypocrisie ,  pour  deux 
raisons  :  la  première,  afin  que  le  peuple  fût  pré- 
muni contre  leurs  artifices ,  puisque  ce  devait  être 
là  le  plus  grand  obstacle  à  leur  foi;  la  seconde, 
pour  l'instruction  des  maîtres  et  des  docteurs  de 
l'Église,  afin  qu'ils  évitassent  soigneusement  cette 
hypocrisie  pharisaïque,  qui  avait  fait  une  si  grande 


•  /,»/<•.  m  32.  —  •  Pi.  CIX,  7.  —  '  .VaUh.  XXII,  45 
-VU ,  35—  »  Ps.  ixxm,  6.  —  t»  Lphes.  v,  i* 


•*  Joan. 


opposition  à  l'Évangile ,  et  avait  mis  à  la  fîn  le  Fils 
de  Dieu  sur  la  croix.  Le  Sauveur  ne  devait  pas 
sortir  de  ce  monde,  sans  y  laisser  une  instruction 
si  essentielle. 

Alors  donc,  après  avoir  confondu  tous  les  doc- 
teurs de  la  loi  et  les  pharisiens,  Jésus  s'adressa  aux 
troupes  que  ces  hypocrites  séduisaient,  afin  de  les 
détromper;  et  à  ses  disciples,  de  peur  qu'ils  n'en 
suivissent  un  jour  les  mauvais  exemples;  et  leur 
parla  en  cette  sorte  :  Les  docteurs  de  la  loi  et  les 
pharisiens  sont  assis  sur  la  chaire  de  Moïse  ■  : 
et  le  reste;  où  il  fait  trois  choses  :  t.  il  établit  leur 
autorité  ;  2.  il  en  déclare  l'abus  ;  3.  il  en  prédit  le 
châtiment. 

Arrêtons-nous  ici,  et  préparons-nous  seulement 
à  bien  profiter  du  discours  de  INotre-Seigneur,  en 
sorte  que  nous  soyons  véritablement  purgés  du  pha- 
risaïsme;  conformément  à  cette  parole  du  Sauveur  : 
Do7inez-vous  de  garde  du  levain  des  pharisiens,  qui 
est  l'hypocrisie  ».  Hélas  !  hélas  !  qu'il  n'est  que  trop 
passé  de  ce  levain  jusqu'à  nous  !  Nous  Talions  voir. 

Jésus-Christ  parle  aux  troupes  et  à  ses  disciples, 
au  peuple  et  aux  docteurs.  Que  chacun  soit  attentif, 
et  prenne  ce  qui  lui  convient  dans  cette  instruction. 

La  première  chose  qui  est  à  observer  dans  le  ser- 
mon de  IVotre-Seigneur,  c'est  qu'ayant  à  découvrir 
les  abus  et  les  corruptions  qui  étaient  en  vogue  dans 
la  synagogue  et  dans  ses  docteurs,  il  commence  par 
établir  l'autorité  de  leur  ministère,  de  la  manière 
du  monde  la  plus  forte.  Car  autrement,  en  repre- 
nant les  abus ,  on  en  introduirait  un  plus  grand  que 
tous  les  autres  ;  qui  serait  de  se  retirer  de  la  société, 
et  de  mépriser  le  ministère  qui  est  de  Dieu,  à  cause 
des  vices  de  ceux  qui  l'exercent.  Le  docteur  du  genre 
humain  ne  voulait  pas  sortir  du  monde  sans  établir 
ce  fondement ,  qui  est  le  remède  à  tous  les  schismes 
futurs  :  et  on  ne  peut  pas  l'établir  avec  plus  de  force. 

Les  docteurs  de  la  loi  et  les  pharisiens  sont  as- 
sis sur  la  chaire  de  Moïse  ^.  Assis  pour  enseigner  : 
ils  en  ont  l'autorité.  Sur  la  chaire  de  Moïse.  Il  n'y 
avait  rien  de  plus  grand  pour  l'ancien  peuple ,  que 
d'être  assis  sur  la  chaire  du  législateur  ;  de  celui  que 
Dieu  avait  établi  alors ,  pour  être  le  médiateur  en- 
tre lui  et  son  peuple,  comme  l'appelle  saint  Paul  4. 
C'est  sur  cette  chaire  que  sont  assis  les  docteurs  de 
la  loi  et  les  pharisiens  :  ils  représentent  ces  soixante- 
dix  sénateurs  qui  partagèrent  l'esprit  de  Moïse,  pour 
juger  le  peuple. 

Aprèsavoir  établi  leur  autorité  sur  celle  de  Moïse, 
il  conclut  :  Gardez  donc, et  faites  tout  ce  qu'ils  vous 
diront  ^.  Il  attribue  clairement  à  la  synagogue  une 
vérité  infaillible;  en  sorte  qu'il  fallait  tenir  pour 
certain  tout  ce  qui  avait  passé  en  dogme  constant 
de  la  syuagogue.  Car  il  ne  donne  à  personne  le  droit 
de  juger  au-dessus  d'elle;  et  le  partage  du  peuj.Ie 
est  l'obéissance  :  Gardez,  et  faites. 

Songeons  donc  à  l'autorité  que  doivent  avoir  ics 
docteurs  de  l'Eglise  clirétiemie;  ^^uisquils  sont 
assis ,  non  pas  sur  la  chaire  de  ^loïse ,  mais  sur  celle 

>  Matth.  xsui,  2,  3.  —  î  Ibid.  xvi,  6.  Luc.  xo.  t.  — • 
*  Matth.  xxui,  2.  —  *  Gai.  m,  19.  —  '* Matth.  xxui,  3. 


en 


MÉDITATIO:SS  SUR  L'ÉVANGILE. 


(le  Jésus- Christ ,  et  des  apôtres  •  ;  et  qu'ils  y  sont 
établis  avec  une  promesse  bien  plus  authentique, 
que  les  docteurs  delà  synagogue,  puisque  la  syna- 
fiogue  devait  passer,  et  n'avait  que  des  promesses 
temporelles  :  au  lieu  qu'il  a  été  dit  à  l'Eglise  :  Je 
suis  avec  vous  jusqu'à  la  fin  des  siècles^. 

Gardez  donc ,  et  faites  ce  qu'ils  vous  diront. 
Mais  parce  que  l'assistance  qui  leur  est  promise  pour 
bien  enseigner  en  corps,  n'empêche  pas  la  corrup- 
tion qui  peut  être  dans  les  mœurs  des  particuliers,  et 
même  la  plupart ,  il  ajoute  :  Mais  ne.faites  pas 
selon  leurs  œuvres  :  car  ils  disent  et  ne  font  pas  ^. 
Prenez  donc  bien  garde  à  vos  docteurs.  Ils  n'o-' 
seront  vous  décider  que  ce  qui  a  passé  en  dogme 
certain  de  la  synagogue;  et,  s'ils  ne  le  font,  ils  se- 
ront redressés  par  l'autorité  de  la  chaire,  par  toute 
l'unité  de  la  synagogue.  Mais  la  discipline  pourra 
être  si  corrompue,  qu'on  ne  réprimera  pas  les  mau- 
vaises mœurs:  l'avarice,  l'hypocrisie,  les  conduites 
particulières  de  ceux  qui  chercheront  leur  intérêt, 
sous  couleur  de  religion.  Ainsi,  en  faisant  ce  qu'ils 
disent,  ne  faites  pas  ce  qu'ils  font  :  Et  prenez  garde, 
comme  disait  saint  Augustin,  qu'en  cueillant  la 
bonne  doctrine  comme  une  fleur  parmi  les  épines, 
vous  ne  vous  laissiez  écorcher  la  main  par  le 
mauvais  exemple  4. 

Voilà  l'abrégé  de  l'instruction  du  Sauveur.  Il  s'ex- 
pliquera davantage  dans  la  suite.  Arrêtons-nous  ici 
ci  considérons  la  merveilleuse  conduite  de  Dieu,  qui 
îîouvernera  tellement  le  corps  des  docteurs,  qu'ils 
fccutiendront  les  saintes  maximes  plus  qu'ils  ne  les 
pratiqueront  ;  et  qu'ils  ne  passeront  pas  leur  corrup- 
tion en  dogme  :  le  dogme  ayant  par  lui-même  une 
racine  si  forte,  qu'il  se  soutient  comme  de  soi. 

Jésus-Christ  nous  prémunit  donc  contre  les  scan- 
dales qui  ne  seront  jamais  plus  grands,  que  lorsqu'on 
les  verra  dans  les  docteurs  et  dans  les  pasteurs.  Et 
il  veut  que  nous  apprenions  à  honorer  le  ministère , 
même  dans  des  mains  indignes  :  parce  que  l'indi- 
gnité des  ministres  est  de  leur  fait  particulier,  et  le 
ministère  est  de  Dieu. 

LIV  JOUR. 

L'autorité  de  la  synagogue  reconnue  et  recommandée  par 
Jésus-Christ  dans  le  temps  même  qu'elle  conjure  contre 
lui.  .V((/^fe. xxni,  I,  2,3. 

Il  y  a  ici  quelque  chose  d'étonnant  :  car  Jésus- 
Christ  savait  bien  que  la  synagogue l'allait  condam- 
ner dans  trois  jours,  lorsque  le  conseil  assemblé  chez 
le  souverain  pontife,  déciderait  :  //  est  coupable  de 
mort,  parce  qu'il  s'était  dit  le  Christ  et  le  Fils  de 
Dieu^.  Et  la  confession  de  la  vérité  lui  fut  imputée 
à  blasphème.  Et  cependant  il  établit  son  autorité 
avec  les  paroles  les  plus  fortes  qu'on  pouvait  ima- 
giner :  tant  il  est,  en  tout  et  partout,  juste  et  vé- 
ritable. 

Mais  ne  semblerait-il  pas  ici  qu'il  parlerait  contre 
lui-même ,  et  qu'il  induirait  le  peuple  à  erreur  ?  Fai- 
tes  ce  qu'ils  vous  disent.  Rejetez  donc  le  Christ  :  car 
ils  vous  le  diront  bientôt. 

'  Ephes.  Il,  26.  —  *  Matth.  xxviii,  20.—  ^  Ibid.  wu'  ,  "<,  - 
4  Serin.  XLVi.  in  Ezech.  n.  22.  et.  Serm  cxxvvn.  deverb.  Ev. 
ifvaii.  n.  13.  —  *  Matth.  xxvi,  65,  66. 


Bien  plus  :  Ils  avaient  déjà  conspiré  entre  eux , 
que  si  quelqu'un  confessait  qu'il  fût  le  Christ,  il 
fût  excommunié,  et  chassé  de  la  synagogue  '.  Le 
sanguinaire  conseil  avait  déjà  été  tenu,  et  il  y  avait 
été  décidé  qu'il  fallait  que  Jésus  mourût.  Et  il  sem- 
ble que  la  synagogue  était  déjà  réprouvée.  Comment 
donc  en  parler  encore  d'une  manière  si  authentique, 
et  lui  donner  l'autorité  de  la  vraie  Église.'  O  Sei- 
gneur! pourquoi  parlez-vous  en  cette  sorte.?  Que 
ne  déclarez-vous  plutôt  à  toute  la  synagogue  qu'elle 
était  réprouvée?  Frappons,  cherchons,  demandons. 

LV"  JOUR. 

L'autorité  de  la  synagogue  cesse  a  la  desiruclion  du  temple, 
et  du  peuple  de  Dieu.  Immobilité  de  l'Église  chrétienne. 

En  cherchant  donc  soigneusement  dans  l'Écri- 
ture, je  trouve  que  la  synagogue  ne  devait  être  ab- 
solument réprouvée,  qu'après  qu'elle  aurait  actuel- 
lement fait  mourir  Jésus-Christ.  Bien  plus,  Dieu  la 
voulait  encore  attendre,  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  mé- 
prisé le  grand  signe  qu'il  lui  devait  envoyer,  pour 
reconnaître  le  Christ,  qui  était  celui  de  sa  résur- 
rection. Cette  race  itifidèle  cherche  un  signe,  et  il 
ne  lui  en  sera  poiiit  donné  d'autre,  que  le  signe 
de  Jonas  le  prophète;  et  le  reste  ». 

Ce  n'était  pas  assez  que  le  Christ  fût  ressuscité  ; 
il  fallait  que  sa  résurrection  fût  publiée ,  et  que  la 
pénitence  eût  été  prêchée  en  son  nom ,  en  commen- 
çant par  Jérusalem  :  ce  qui  ne  se  commença  qu'à  la 
Pentecôte. 

Ce  n'était  pas  encore  assez  :  car  les  apôtres  ne  se 
séparent  pas  encore  de  la  communion  du  reste  du 
peuple  ;  et  quoiqu'ils  fissent  déjà  un  corps  à  part 
avec  leurs  disciples ,  ils  allaient  au  temple  comme  les 
autres ,  et  ils  étaient  reçus  à  y  rendre  le  même  culte. 
Car  encore  qu'ils  s'assemblassent  dans  la  galerie  de 
Salomon,  et  que  personne  n'osât  se  joindre  à  eux; 
néanmoins  le  peuple  les  glorifiait  3,  et  on  ne  les  avait 
pas  publiquement  excommuniés. 

On  peut  donc  voir  maintenant  que  ce  qui  est  dit 
en  saint  Jean ,  qu'ils  avaient  conspiré  entre  ev^x  de 
chasser  de  la  sytiagogue  ceux  qui  reconnaîtraient 
Jésus  pour  Christ  4  ,  était  plutôt  une  conspiration 
secrète,  qu'un  décret  public.  Il  en  était  de  même  du 
dessein  de  le  faire  mourir.  Et  en  effet ,  tant  s'en  faut 
que  les  apôtres  fussent  excommuniés  et  exclus  du 
temple;  Jésus-Christ  lui-même  y  prêchait,  y  ordon- 
nait, y  était  reçu,  consulté,  écouté  de  tout  le  monde. 
Et  tout  ce  qu'on  fit  après  contre  les  apôtres  par  voie 
de  fait ,  ne  faisait  pas  qu'ils  fussent  privés  du  culte 
public,  ni  qu'eux-mêmes  s'en  séparassent,  comme 
on  vient  de  voir.  C'était  un  temps  d'attente,  où  plu- 
sieurs gens  de  bien ,  qui  pouvaient  n'avoir  pas  vu  les 
miracles  de  Jésus-Christ,  demeuraient  comme  en 
suspens.  On  venait  cepeyidant  de  toutes  les  villes  à 
Jérusalem,  pour  y  apporter  les  malades  aux  apô' 
très  :  on  les  exposait  à  l'ombre  de  saint  Pierre^ \ 
et  la  synagogue,  quoique  déjà  sur  le  penchant  de  sa 
ruine ,  n'avait  pas  encore  pris  absolument  son  parti. 

'  Joan.  IX,  •27..— ''Matth.  XII,  39,  W.—lAct.  v,  12,  \Z,eU. 
—  ^Joan.  IX  ,  22.  —  5  Act.  v,  15  ,  16. 


ftîÉDlTATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


639 


(fcst  une  chose  admirable,  comme  Dieu  la  sup 
portait  en  patience,  et  combien  de  formalités  et  de 
dénonciations,  pour  ainsi  dire,  il  pratique,  avant 
que  de  répudier  entièrement  cette  épouse  inlidcle.  il 
semble  que  lorsqu'elle  en  vint  à  répandre  le  sang  de 
saint  Etienne ,  elle  eût  rompu  tout  à  fait  avec  Dieu , 
et  Dieu  avec  elle.  Mais  non  ;  car  l'infidélité  de  la  ville 
de  Jérusalem  n'empêchait  pas  que  les  Juifs  de  la 
dispersion  n'écoutassent  encore  les  apôtres.  Ils  en- 
traient dans  les  synagogues  où  on  leur  offrait  la  pa- 
role, comme  on  faisait  à  des  frères  et  à  de  vrais 
Juifs.  On  écoutait  paisiblement  ce  qu'ils  disaient 
de  Jésus,  et  on  les  invitait  à  en  parler  encore  une 
autre  fois  dans  l'assemblée  suivante.  Et  le  samedi 
étant  venu,  toute  la  ville  accourut  pour  entendre 
la  parole  de  Dieu  de  leur  bouche.  Alors  les  Juifs  s'é- 
murent ,  et  contraignirent  les  apôtres  à  leur  décla- 
rer qu'ils  allaient  porter  aux  gentils  la  parole  qu'ils 
refusaient  de  recevoir  :  ce  qui  était  une  espèce  de 
rupture,  puisque  les  apôtres  s'en  allèrent,  secouant 
contre  eux  la  poussière  de  leurs  pieds.  Voilà  ce  qui 
arriva  à  Antioche  de  Pisidie  '. 

Mais  la  rupture  n'était  pas  encore  universelle  ; 
car  ils  continuaient  à  entrer  dans  les  autres  syna- 
gogues à  leur  ordinaire ,  et  on  leur  y  offrait  encore 
Fa  parole  ».  Ils  allaient  aussi  comme  les  autres  à  la 
prière  commune  dans  l'oratoire  destiné  à  cet  usage  ^. 
Saint  Paul  parla  paisiblement  dans  la  synagogue  à 
Thessalonique  durant  trois  samedis  consécutifs  *.  Il 
était  écouté,  et  parlait  aussi  à  Corinthe  tous  les  sa- 
medis *,  prêchant  toujours  le  Seigneur  Jésus  dans 
ses  discours  ;  et  ne  s'en  retirait  que  lorsqu'il  voyait 
leurs  blasphèmes  manifestes  ,  leur  dénonçant  tou- 
jours qu'ils  allaient  aux  gentils ,  qui  était  comme  le 
signal  de  la  rupture  :  saint  Paul  demeurant  pour- 
tant toujours  auprès  de  la  synagogue ,  sans  doute 
Pour  la  fréquenter  à  son  ordinaire,  autant  qu'on 
y  recevrait  ^. 

Ce  qui  se  passa  à  Éphèse  sent  un  peu  plus  la  rup- 
ture :  car  saint  Paul  y  ayant  prêché  trois  mois  du- 
rant dans  la  synagogue  avec  une  pleine  liberté,  le 
blasphème  de  quelques-uns  qui  entraînèrent  les  au- 
tres, lit  qu'il  sépara  ses  disciples,  et  continua  ses 
discours  dans  l'école  d'un  certain ,  nommé  Tyran  7. 
Mais  ce  n'était  rien  moins  encore  qu'une  rupture 
absolue  luec  la  synagogue,  puisqu'après  tout  cela 
le  même  saint  Paul,  étant  arrivé  à  Jérusalem,  parle 
conseil  de  saint  Jacques  et  de  tous  les  prêtres,  se 
joignit  à  quatre  lidèles  qui  avaient  fait  un  vœu,  et, 
se  sanctifiant  avec  eux ,  entra  dans  le  temple,  où  ils 
offrirent  leurs  oblations ,  et  accomplirent  leur  vœu , 
en  témoignage  de  leur  communion  avec  le  service 
du  temple,  et  le  peuple  qui  le  fréquentait*,  qui  par 
■conséquent  n'était  pas  encore  n>anifestement  ré- 
prouvé. Kt  pour  pousser  tout  d'un  coup  la  chose 
jusqu'à  la  fin  des  Actes,  les  Juifs  que  saint  Paul 
trouva  à  Rome ,  lui  déclarèrent  que  les  frères  de 
Jitdée ,  conlents  alors  de  l'avoir  chassé  du  pays,  ne 
leur  avaient  rien  écrit,  ni  rien  fait  dire  contre 

'  Acl.  XMI,  5  et  suiv.  —  »  Ibiil.  15.  —  '  Acl.  xvi,  13,  iC. 
—  «  Act.  XVII,  2.  —  *  Act.  XVIII,  4.  —  6  Ibld.  7.  —  '  Ibid. 
Ui ,  8  >  9.  —  *  Ibid.  XXI ,  23  et  suiv. 


lui.  Ce  qui  fit  qu'ils  l'écoutèrent  encore  un  jour 
entier,  depuis  le  malin  jusqu'au  soif. 

Pendant  ce  temps-là  les  gentils  venaient  en  foule 
à  l'Kglise,  qui  se  formait  tous  les  jours  de  plus  en 
plus.  La  persécution  s'éleva  de  tous  côtés  à  l'insti- 
gation des  Juifs  qui  allaient  partout  pour  animer 
les  gentils ,  jusqu'à  ce  qu'ils  excitèrent  Néron  à  cette 
première  et  grande  persécution  où  les  deux  apôtres 
saint  Pierre  et  saint  Paul  moururent.  Ce  fut  là 
comme  le  terme  fatal  marqué  à  la  synagogue  ;  car 
elle  avait  pris  alors  universellement  parti  contre  les 
fidèles.  Les  apôtres,  en  allant  au  supplice,  leur  dé- 
noncèrent le  châtiment  qui  leur  allait  arriver.  Dieu 
semblait  les  avoir  attendus  jusque-là  en  patience, 
et  leur  avoir  donné  tout  ce  temps-là  pour  faire  pé- 
nitence du  déicide  commis  en  la  personne  du  Fils  de 
Dieu.  Mais  enfin,  n'ayant  écouté  ni  lui,  ni  ceux  qu'il 
leur  envoyait  pour  les  obligera  se  repentir,  il  lança 
le  dernier  coup,  où  l'on  sait  que  la  cité  sainte  fût 
mise  en  feu  avec  son  temple,  avec  toutes  les  mar- 
ques de  la  dernière  extermination  que  Daniel  avait 
prédite.  Ce  fut  alors  que  le  peuple  juif  cessa  abso- 
lument d'être  peuple,  conformément  à  ce  qu'avait 
dit  le  même  prophète  :  Et  il  ne  sera  plus  le  peuple 
de  Dieu  *. 

On  voit  donc  l'état  de  l'Église  dans  cetintervallci 
L'Église  chrétienne  commençait  par  la  prédication 
de  la  vérité  que  Jésus-Christ  et  ses  apôtres  établirent 
par  tant  de  miracles ,  et  surtout  par  celui  de  la  ré- 
surrection de  Jésus-Christ  :  qui  était  qu'il  le  fallait 
reconnaître  pour  le  vrai  Christ.  Alors  cependant  la 
synagogue  n'était  pas  encore  entièrement  répudiée, 
ni  n'avait  pas  tout  à  fait  perdu  le  titre  d'Église , 
puisque  les  apôtres  communiquaient  encore  avec 
elle  à  son  temple  et  à  son  service.  C'était  comme  un 
temps  d'attente,  durant  lequel  se  faisait  la  publica- 
tion de  l'Évangile.  Il  y  en  avait  alors  qui,  peut-être, 
n'ayant  pas  vu  par  eux-mêmes  les  miracles  de  Jésus- 
Christ  et  de  ses  apôtres,  et  ne  sachant  encore  que 
penser,  voyant  aussi  qu'il  se  remuait  dans  le  monde 
quelque  chose  d'extraordinaire»  demeuraient  comrae 
en  suspens,  attendant  du  temps  le  dernier  éclaircis- 
sement, et  disant  comme  Gamaliel  :  Si  ce  conseU. 
n'est  pas  de  Dieu,  Use  dissipera  de  lui-même  ^  s'il 
est  de  Dieu ,  vmis  ne  pouirez  pas  le  dissiper  ^.  Ceux 
qui  demeuraient  dans  cette  attente,  docilesà  rece- 
voir la  vérité  quand  elle  serait  entièrement  notifiée, 
pouvaient  encore  être  sauvés,  comme  leurs  prédé- 
cesseurs, en  la  foi  du  Christ  à  venir;  parce  que  en- 
core qu'il  fut  arrivé ,  la  promulgation  de  sa  venue 
n'avait  pas  encore  été  faite  jusqu'au  point  que  Dieu 
avait  marqué,  et  après  laquelle  il  ne  voulait  plus 
tolérer  ceux  qui  n'ajouteraient  pas  une  foi  entière 
à  l'Évangile.  En  attendant ,  l'Église  judaïque  de-, 
meurait  encore  en  état.  Le  Fils  de  Dieu  lui  donnait 
toujours  la  même  autorité  qu'elle  avait,  pour  sou- 
tenir et  instruire  les  enfants  de  Dieu;  ne  dérogeant 
la  créance,  que  dans  le  point  que  Dieu  avait  révélé 
par  tant  de  miracles.  Car  la  croyance  qu'il  donnait 
par  ces  miracles  à  l'Église  chrétienne  ne  dérogeait 

'  Act.  xxvin,  il ,  23.  —  '  Da».  \x,  2S.  —  '  Act.  y.  3&^dlU 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


C30 

qu'à  cet  égard  à  la  foi  de  l'Eglise  judaïque.  L'Église 
chrétienne  naissait  encore,  et  se  formait  dans  le 
sein  de  l'Église  judaïque,  et  n'était  pas  encore  en- 
t'èriMiient  enfantée,  ni  séparée  de  ce  sein  maternel, 
-'frétait  comme  deux  parties  de  la  même  Église,  dont 
l'une  plus  éclairée  répandait  peu  à  peu  la  lumière 
sur  l'autre.  Ceux  qui  résistaient  ouvertement  et  opi- 
niâtrement à  la  lumière,  périssaient  dans  leur  infi- 
délité ;  ceux  qui  demeuraient  comme  en  supens ,  en 
attendant  le  plem  jour,  disposés  à  le  recevoir  aus- 
sitôt qu'il  leur  apparaîtrait,  se  sauvaient  à  la  fa- 
veur de  la  foi  au  Christ  futur,  à  la  manière  qu'on 
a  vue;  la  synagogue  leur  servait  encore  de  mère, 
et  tenait  encore  la  chaire  de  Moïse  jusqu'à  un  cer- 
tain point.  Qu'on  demandât  :  Quel  Dieu  faut-il 
croire.?  les  docteurs  de  la  loi  vous  répondaient  : 
Celui  d'Abraham,  qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre.  Que 
faut-il  faire  pour  son  culte,  et  qu'en  ordonne  Moïse? 
Telle  et  telle  chose.  Faut-il  attendre  un  Christ? 
Sans  doute.  Où  doit-il  naître?  en  Bethléem  ' ,  tout 
d'une  voix.  De  qui  doit-il  être  fils?  De  David,  sans 
hésiter  ^  iMais  ce  Christ,  est-ce  Jésus?  Dieu  le  dé- 
clarait ouvertement;  et  on  n'avait  pas  besoin  à  cet 
égard  de  l'autorité  de  la  synagogue  :  car  il  s'élevait 
une  autorité  au-dessus  de  la  sienne,  qu'd  n'y  avait 
pas  moyen  de  méconnaître  absolument.  Ceux  qui 
attendaient  néanmoins  ce  que  le  temps  devait  faire, 
pour  la  déclarer  davantage,  et  qui  se  gardaient  en 
attendant ,  à  l'exemple  d'un  Gamaliel ,  de  participer 
aux  complots  des  Juifs  contre  Jésus-Christ  et  ses 
apôtres,  faisaient  ce  que  disait  le  Sauveur  :  Faites 
ce  qu'ils  disent;   suivez  ce  qui  a  passe  en  dogme 
constant  :  inais  ne  faites  pas  ce  qu'ils  Jont.  INe  sa- 
crifiez pas  le  juste  à  la  passion  et  à  rwilerêt  de  vos 
docteurs  corrompus.  L'autorité  naissante  de  rKglise 
chrétienne  suffit  pour  vous  en  empêcher.  La- syna- 
gogue elle-même  n'a  pas  encore  pris  parti  en  corps, 
puisqu'elle  écoute  tous  les  jours  les  apôtres  de  Je- 
sus-Christ,  et  demeure  comme  en  attente:  Dieu  le 
permettant  ainsi ,  pour  ne  laisser  pas  tomber  tout 
à  coup  dans  la  synagogue  le  titre  d'Église,  et  pour 
donner  le  loisir  à  l'Église  chrétienne  de  se  former 
peu  à  peu.  La  synagogue  s'aveugle  à  mesure  que 
la  lumière  croît  :  les  enfants  de  Dieu  se  séparent.  La 
lumière  est-elle  venue  à  son  plein,  par  la  destruction 
du  saint  lieu,  par  l'extermination  de  l'ancien  peuple, 
et  l'entrée  des  gentils  en  foule,  avec  un  manifeste 
accomplissement  des  anciens  oracles  :  la  synagogue 
a  perdu  toute  son  autorité,  et  n'est  plus  qu'un  peu- 
pie  manifestement  réprouvé.  C'est  ce  qui  devait  ar- 
river selon  les  conseils  de  Dieu,  dans  cet  entre- 
temps  qui  se  devait  écouler  entre  la  naissance  de 
Jésus-Christ  et  la  réprobation  déclarée  du  peuple 

iviais  cette  diminution  et  cette  déchéance  d'auto- 
rité ne  doit  jamais  arriver  à  l'Église  chrétienne.  On 
dit  donc  absolument  à  ses  enfants  :  Vos  pasteurs 
n  vos  docteurs  sont  assis ,  non  plus  sur  la  chaire 
de  Moïse,  qui  devait  tomber;  mais  sur  la  chaire  de 
Jésus-Christ,  qui  est  immobile.  Faites  donc  en  tout 

•  Mulih.  H,  &  ~2/6i(Z.  xxn.  41. 


et  partout  ce  qu'ils  vous  tnseigneni.  Mais  prenez 
garde  seulement,  s'ils  sont  mauvais  ,  de  séparwr  les 
exemples  des  particuliers ,  des  préceptes  et  ensei- 
gnements soutenus  sur  leur  ministère. 

Admirons  donc  cette  autorité  de  l'Église  chré- 
tienne, qui  est  en  vérité  le  seul  soutien  des  inlir- 
mes  et  des  forts.  Et  admirons  aussi  comment  Dieu 
a  ôté  l'autorité  à  l'Église  judaïque,  plutôt  par  les 
choses  mêmes ,  et  par  la  destruction  du  temple  et 
du  peuple ,  que  par  aucun  décret  passé  en  dogme 
qui  lui  ait  fait  perdre  créance. 

LVP  JOUR. 

Qiractère  des  docteurs  juifs,  sévères,  orgueilleux,  et 
hypocrites.  Matlh.  xxm  ,4,5,6,7. 

Ils  lient  des  fardeaux.  Le  premier  abus,  c'est  que, 
pour  paraître  pieux,  ils  font  les  sévères.  Ils  lient 
des  fardeaux  pesants  :  ils  tiennent  les  âmes  capti- 
ves :  car  voyez  jusqu'à  quel  point  :  des  fardeaux 
insupportables;  sur  les  épaules'  :  bien  liés,  en 
sorte  qu'ils  ne  puissent  s'en  défaire  :  et  tout  cela 
pour  les  tenir  dans  leur  dépendance,  sous  prétexte 
d'exactitude. 

C'est  aussi  un  effet  de  la  superstition.  La  vérita- 
ble piété  étant  fondée  sur  la  confiance  en  Dieu ,  di- 
late le  cœur  :  mais  la  superstition  qui  se  veut  fonder 
sur  elle-même,  met  une  chose  sur  une  autre,  et  se 
charge  de  fardeaux  insupportables. 

IMais  voici  le  comble  du  mal.  Ces  faux  docteurs, 
quand  ils  vous  ont  bien  chargés,  ne  vous  aident  pas 
du  bout  du  doigt;  impitoyables  en  toutes  maniè- 
res, et  parce  qu'ils  vous  chargent,  et  parce  qu'ils  ne 
songent  pas  à  vous  soulager.  Voilà  leur  premier 
caractère ,  rigoureux  par  ostentation ,  et  en  même 
temps  durs  et  impitoyables. 

Ils  tiennent  captives  des  femmeUettes  chargées 
de  péchés  ',  sous  prétexte  de  leur  donner  des  remè- 
des à  leurs  péchés;  et  en  effet  pour  les  tenir  dans 
leur  dépendance,  sous  le  beau  nom  de  direction. 

Mais  vous,  ô  véritables  directeurs  :  si  vous  êtes 
obligés  d'ordonner  des  choses  fortes,  soyez  encore 
plus  soigneux  à  soulager  ceux  à  qui  vous  les  impo- 
sez. Loin  de  vouloir  vous  attacher  les  âmes  infir- 
mes ,  rendez-les  libres  :  et  autant  que  vous  pourrez, 
mettez-les  en  état  d'avoir  moins  besoin  de  vous ,  el 
d'aller  comme  toutes  seules  par  les  principes  de  cou 
duite  que  vous  leur  donnez. 

y/5  font  tout  pour  être  vus  des  hommes  ^.  Voilà 
la  source  de  tout  le  mal.  La  véritable  piété  ne  songe 
qu'à  contenter  Dieu.  Ceux-ci  n'ont  que  des  vues 
humaines;  et  ils  sont  sévères,  afin  qu'on  les  loue  : 
ils  veulent  conduire,  ils  veulent  diriger,  pour  se 
donner  un  grand  crédit;  afin  qu'on  voie  qu'ils  peu- 
vent beaucoup,  qu'ils  sont  de  grands  directeurs,  et 
qu'ils  ont  beaucoup  de  gens  de  grande  considération 
à  leurs  pieds. 

Ils  aiment  les  premières  places  4.  Les  voilà  peints  : 
non  que  tous  ils  aient  tous  ces  défauts;  les  uns  ne 
se  soucient  pas  tant  des  premières  places;  mais  ils 

•  Matlh.  xxin,  4.  — ^  II.  Tim.  m  ,  6.  — '  Matth.  XXiii ,  ï. 
—  *Ihid.  G. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


roudront  qu'on  les  craigne,  qu'on  les  visite,  qu'on 
leur  lasse  de  grandes  révérences  :  sensibles  au  der- 
nier point,  si  on  leur  manque  en  la  moindre  chose. 
Les  malheureux!  Us  ont  reçu  leur  récompense.  ^ 

Mais  ce  qu'ils  veulent  sur  toutes  choses ,  c'est 
mi'on  les  appelle  liahbi  ',  et  qu'on  les  tienne  pour 
maîtres;  qu'on  révère  leurs  décisions  comme  des 
oracles,  et  que  tout  le  monde  aille  à  eux  comme  à 

'•"ï  règle.  ^  j      .     , 

Que  ceux  qui  sont  en  place ,  ou  ces  devoirs  leur 
sont  rendus  naturellement,  craignent  de  s'y  plaire. 
La  tentation  est  délicate  :  car  on  passe  souvent  de 
la  fermeté  qu'on  doit  avoir  pour  maintenir  l'autorité 
légitime,  à  une  jalousie  de  grandeur  tout  humaine 
et  toute  mondaine.  Le  remède  est  dans  les  paroles 
suivantes. 

LVIP  JOUR. 

Jésus-Chrisl  seul  Père,  seul  maître.  Mailh.  xxni,  8,9, 
10,  II. 

/  ous  nacez  qu'un  seul  niailre  ^  Écoutez  le  maî- 
tre intérieur  :  ne  faites  rien  qu'en  le  consultant  : 
faites  tout  sous  ses  yeux.  Songez  ce  que  vous  feriez 
si  vous  aviez  à  chaque  moment  à  lui  rendre  compte. 
Vous  prendriez  son  esprit,  comme  vos  subalternes 
I)rennent  le  vôtre  :  vous  craindriez  de  vous  rien  at- 
tribuer au  delà  des  bornes,  pour  n'être  point  repris 
d'un  tel  supérieur.  Or,  encore  que  vous  n'ayez  point 
à  lui  rendre  compte  en  présence,  à  chaque  moment, 
il  viendra  un  jour  que  tout  se  verra  ensemble  :  et  en 
attendant  on  observe  tout;  et  celui  à  qui  vous  au- 
rez à  rendre  compte ,  viendra  lorsque  vous  y  pen- 
serez le  moins  ^  pour  voir  si  vous  n'avez  point  inso- 
lemment abusé  du  pouvoir  qu'il  vous  a  laissé  en  son 
absence. 

Fous  êtes  tous  frères  4.  Songez-y  bien  :  vous  qui 
êtes  supérieur,  vous  êtes  frère.  S'il  faut  donc  pren- 
dre l'autorité  sur  votre  frère,  que  ce  soit  pour  l'a- 
■nour  de  lui,  et  non  pour  l'amour  de  vous;  pour 
son  bien,  et  non  pour  vous  contenter  d'un  vain 
honneur. 

//  n'y  a  qu'un  Père  :  il  n'y  a  qu'un  maître  ^  Si  on 
vous  appelle  Pèz-e,  parce  que  vous  en  faites  la  fonc- 
tion, elle  est  déléguée,  elle  est  empruntée.  Reve- 
nez au  fond  :  vous  vous  trouverez  frère  et  disciple. 
Avez-en  donc  l'humilité  :  apprenez  d'un  moment  à 
l'autre  ce  que  vous  avez  à  enseigner.  Ainsi  vous  se- 
rez un  père,  vous  serez  un  maître  :  car  saint  Paul 
a  bien  dit  qu'zV  était  père,  et  qu'i/  engendrait  des 
enfants  ^  ;  mais  la  semence  de  Dieu ,  c'est  sa  parole. 
Recevez  donc  continuellement  de  Dieu.  Prêchez- 
vous?  Écoutez  au-dessus  le  Maître  céleste,  et  ne 
prêchez  que  ce  qu'il  vous  dicte.  Conduisez-vous? 
conseillez-vous?  consolez-vous?  Si  vous  parlez, 
que  ce  soient  des  discours  de  Dieu  i...  Si  vous  ser- 
vez quelqu'un  en  le  conduisant,  que  ce  soit  par  la 
vertu  que  Dieu  vous  fournit^  sans  cesse. 

Un  seul  maître  une  seule  lumière  qui  éclaire  tout 

■  Matth.  7.  —  '  Ihid.  xxui,  8.  —  *  Ihid.  xxrv,  45,  50.  — 
*-Ibid.  xxni,  8.  — '.  Ibid.  9,  lO.  — «  i.  Cor.  IV.  14,  15.  — 
'  Gai.  IV,  19    —  »I.  Pet.  IV,  11. 


6.U 

homme  venant  au  monde  ',  qui  a  parlé  an  dehors, 
et  parle  encore  tous  les  jours  dans  son  Évangile  : 
mais  qui  parle  toujours  au  dedans,  dès  qu'on  lui 
prêle  l'oreille.  Dans  quel  silence  faut-il  être,  pour 
ne  perdre  pas  la  moindre  de  ses  paroles! 

Le  plus  grand  d'entre  vous,  c'est  votre  servi- 
teur ».  Il  ne  dit  pas  qu'il  n'y  ait  pas  d'ordre  dans  son 
Église,  et  que  personne  n'y  soit  élevé  en  autorité 
au-dessus  des  autres  :  mais  il  avertit  que  l'autorité 
est  une  servitude.  Je  me  suis  fait  serviteur  de  tous, 
disait  saint  Paul  :  toid  à  tous ,  afin  de  les  saun-r 
tous  ^.  L'exercice  de  l'autorité  ecclésiastique  est  une 
perpétuelle  abnégation  de  soi-même. 

XYIll^  JOUR. 

Les  F<e,  ou  les  inalhinirs  prononcés  centre  tes  faux  doc 
teurs.  Mutlh.  xxiii,  13,  15,  IG. 

Écoutons  bien  ces  F  ce  :  Malheur  à  vous  ^.  Drs 
qu'on  se  fait  maître  pour  soi-même,  et  pour  être 
honoré,  malheur  à  vous  !  C'est  une  malédiction  sor- 
tie de  la  bouche  de  Jésus-Christ  :  c'est  une  sentence 
prononcée,  qui  sera  suivie  d'une  autre  :  Allez, 
\  maudits. 

\  Comment  est-ce  que  les  docteurs  ferment  le  ciel  ? 
;  En  débitant  de  fausses  maximes,  et  mettant  l'erreur 
I  en  dogme. 

i  Us  ne  voulaient  point  croire  en  Jésus-Christ,  et 
!  empêchaient  le  peuple  d'y  croire.  C'était  véritable- 
\  ment  la  porte  du  ciel ,  puisque  Jésus-Christ  est  cette 
I  porte. 

1      Un  autre  moyen  de  la  fermer,  c'est  de  la  faire  trop 
I  large,  peiidantque  Jésus-Christ  la  fait  étroite.  Car 
j  dès  là  ce  n'est  plus  la  porte  que  Jésus-Christ  a  ou- 
I  verte  :  c'en  est  une  autre  que  vous  ouvrez  de  vous- 
'  même;  et  parce  qu'elle  est  plus  aisée,  vous  faites 
;  abandonner  l'autre  qui  est  la  véritable. 
î      Mais  ce  ne  sont  pas  seulement  les  docteurs  trop 
:  relâchés  qui  ferment  la  porte  :  Jésus-Christ  attaque 
encore  plus,  dans  tout  ce  sermon,  ceux  qui  aug- 
mentent les  difficultés,  et  les  fardeaux.  Leur  du- 
reté rend  la  piété  sèche  et  odieuse,  et  par  là  elle 
ferme  le  ciel. 

Ces  faux  docteurs  gâtent  tout.  Il  n'y  a  rien  de 
meilleur  que  l'oraison:  ils  la  gâtent,  pai-çeque,;;o«/- 
dévorer  la  substance  des  veuves,  ils  font  semblant 
de  prier  Dieu  longtemps  pour  elles ,  ou  de  leur  vou: 
loir  apprendre  à  prier  longtemps.  xMais  leur  juge- 
ment sera  d'autant  plus  grand,  que  la  chose  dont 
ils  abusent  est  plus  excellente. 

Les  maisons  des  veuves,  faibles  par  leur  se.xe,. 
maîtresses  de  leur  conduite,  et  n'ayant  plus  de  niarv 
qui  saurait  bien  écarter  le  directeur  intéressé  :  voilà 
un  vrai  butin  pour  l'hypocrisie. 

La  plus  parfaite  action  d'un  docteur  c'est  Affaire 
un  prosélyte  *,  de  convertir  les  infidèles.  Plus  ils 
étaient  éloignés,  plus  ils  y  a  de  mérite  à  les  rame- 
ner. Us  gâtent  cela  :  ils  le  font  doublement  damner. 
Car  ils  l'attirent,  et  puis  ils  l'abandonnent  :  ils  le 

'  Joan.  ».  9.  —  *  Matth.  XXIII ,  II.  —  '  1.  Car.  ix  ,  19,  M. 
—  '^Miilth.  xxui.  13,  —  5  Ibld.  xxiu,  15. 


«83 


MÉDITATIOiVS  SUR  L'EVANGILE. 


gagntAit,  et  puis  ils  le  scandalisent;  et  ne  lui  font 
que  trop  sentir  qu'ils  n'ont  travaillé  à  le  convertir, 
que  pour  s'en  faijre  une  matière  d'un  vain  triomphe. 
Ces  malheureux  prosélytes  se  rebutent  de  la  piété, 
et  peut-être  de  la  foi  :  et  ils  se  damnent  double- 
ment; parce  qu'ils  deviennent  déserteurs  de  la  re- 
ligion, et  que,  sachant  la  volonté  du  maître,  ils  sont 
beaucoup  plus  punis.  Il  valait  mieux  les  laisser  dans 
leur  ignorance ,  que  de  manquer  à  ce  qu'il  leur  faut 
pour  profiter  de  la  doctrine  de  la  foi.  Ne  croyez 
donc  pas  avoir  tout  fait,  quand  vous  les  avez  con- 
vertis; c'est  ici  le  commencement  de  vos  soins.  Au- 
trement vous  ne  serez,  comme  vous  appellent  les 
hérétiques  par  mépris,  qu'un  malheureux  conver- 
tisseur. 

Ne  dites  pas  d'un  pécheur,  il  a  commencé  :  il  a 
fait  sa  confession  générale;  qu'il  aille  maintenant 
tout  seul.  Vous  ne  songez  pas  que  le  grand  coup  est 
de  persévérer.  Prenez  garde  que  vous  ne  vouliez  que 
la  gloire  de  convertir,  et  non  pas  le  soin  de  con- 
server. 

Le  faux  zèle  est  bien  marqué  dans  ces  paroles  : 
Fous  courez  la  mer  et  la  terre,  pour  Jaire  un 
seuiprosélijfe  ' .  Qu'ilest  zélé  !  tant  de  peine  pour  un 
seul  homme!  faux  zèle,  puisqu'il  ne  sert  qu'à  la  va- 
nité :  il  se  rei)aît  de  la  gloire  d'avoir  fait  un  prosé- 
lyte. Plus  la  chose  est  sainte,  plus  il  est  détestable 
de  la  gâter.  J'ai  fait  cette  religieuse ,  j'ai  attiré  cet 
hohime  à  l'ordre  :  achevez  donc;  cultivez  cette  jeune 
plante,  ne  la  déracinez  pas  par  les  scandales  que 
vous  lui  donnez  :  qu'elle  ne  trouve  pas  la  mort ,  oij 
elle  a  cherché  la  vie;  en  un  mot,  ne  la  damnez  pas 
davantage  par  le  mauvais  exemple.  Le  mauvais 
exemple  du  monde  lui  aurait  été  moins  nuisible  ;  le 
mauvais  exemple  des  serviteurs  et  des  servantes  de 
Dieu ,  la  perd  sans  ressource. 

Dieu  dissipe  les  os  de  ceux  qui  plaisent  aux 
hommes:  ils  sont  remplis  de  confusion,  parce  que 
le  Seigneur  les  méprise  »  comme  des  hommes  vains 
qui  préfèrent  l'apparence  au  solide  et  au  vrai. 

LIX«  JOUR. 

Docteurs  juifs  ;  conducteurs  aveugles  et  insensés.  Matth. 
xxiu,   IC  et  suiv. 

.Tusqu'ici,  il  ne  les  a  appelés  quliijpocrifes  :  parce 
qu'ils  mettaient  la  piété  dans  l'extérieur  seulement. 
A  oici  une  autre  qualité  qu'il  leur  donne  :  conduc- 
teurs aveugles;  et  encore  :  insensés  et  aveugles  ^. 

Marquez  la  liaison  de  ces  deux  paroles  :  conduc- 
tpurs,  et  aveugles  ;  guides  aveugles,  et  insensés. 
Hélas!  en  quels  abîmes  tomberez-vous,  et  ferez- 
vous  tomber  les  autres?  Car  tous  deux  tombent  dans 
l'abîme ,  et  l'aveugle  qui  mène,  et  celui  qui  suit. 

L'aveuglement  qu'il  reprend  ici  est,  lorsque  l'in- 
térêt fait  oublier  les  maximes  les  plus  claires  et  les 
l'Ius  certaines. 

Il  est  bien  manifeste  que  le  temple  et  l'aulel  qui 
sanctifient  les  présents  4,  sont  de  plus  grande  di- 
f;iiilé  que  le  don  qu'on  met  dessus  pour  les  sant-ti- 

•  .1/  i.'/'i.  xïiti ,  !5.  -  »  Ps.  LU ,  G.  —  3  Muith.  xxin ,  16  et 
SUlv.  —'  Ibid.  1».  {8.  i 


fier.  Et  cependant  ces  guides  aveugles  étaient  assfï 
insensés  pour  dire  que  le  serment  qu'on  faisait  par 
le  don,  et  par  l'or  qu'on  avait  consacré  dans  le  tem- 
ple et  sur  l'autel,  était  plus  inviolable  que  celui 
qu'on  faisait  par  le  temple  et  par  l'autel  même. 
Pourquoi.?  parce  qu'ils  voulaient  qu'on  multipliât 
les  dons  et  l'or  dont  ils  profitaient  :  et  c'est  pour- 
quoi ils  en  relevaient  le  prix;  et  ils  poussaient 
leur  aveuglement  jusqu'à  préférer  le  présent  au 
temple  et  à  l'autel ,  où  on  le  consacrait. 

Lorsqu'il  dit  que  le  temple  et  l'autel  sanctifient 
le  don ,  il  parle  pour  l'ancienne  loi ,  où  en  effet 
tous  les  dons  et  toutes  les  victimes,  qui  n'étaient 
que  choses  terrestres,  étaient  bien  au-dessous  du 
temple  et  de  l'autel,  qui  étaient  le  manifeste  symbole 
de  la  présence  de  Dieu.  IMais  dans  la  nouvelle  al- 
liance ,  il  y  a  un  don  qui  sanctifie  le  temple  et  l'au- 
tel. Ce  don,  c'est  l'eucharistie,  qui  n'est  rien  de 
moins ,  que  Jésus-Christ  et  le  Saint  des  saints  :  et 
ce  don  est  en  même  temps  un  temple.  Détruisez 
ce  temple,  dit-il  :  et  il  parlait  du  temple  de  son 
corps...  ',  où  la  divinité  habitait  corporellement  *. 
Il  est  donc  le  temple ,  et  plus  que  le  temple  :  Ce- 
lui-ci est  plus  grand  que  le  temple  méme^. 

Il  est  l'autel ,  en  qui  et  par  qui  nous  offrons  des 
victimes  spirituelles ,  agi^éabtes par  Jésus-Christ, 
comme  dit  saint  Pierre  •>. 

Ceux  qui  estiment  le  don  plus  que  le  temple  et 
plus  que  l'autel ,  sont  encore  ceux  qui  donnant  quel- 
que chose  à  Dieu,  le  font  valoir  en  eux-mêmes; 
au  lieu  de  songer  qu'on  ne  peut  rien  donner  à 
Dieu,  qui  ne  soit  beaucoup  au-dessous  de  la 
majesté  de  son  temple ,  et  de  la  sainteté  de  son 
autel. 

Comme  il  élève  l'esprit!  du  don,  à  l'autel  et 
au  temple;  du  temple,  au  ciel  dont  il  est  l'image  : 
du  ciel ,  à  Dieu  qui  y  est  assis ,  qui  y  règne ,  qui  y 
tient  l'empire  de  tout  l'univers. 

Apportez  votre  don  :  apportez-vous  vous-même 
à  l'autel  ;  et  ne  faites  cas  de  vous-même  qu'à  cause 
que  vous  êtes  consacré  à  Dieu.  Tirez  de  là  tout 
votre  prix  :  attendez  de  là  tout  ce  que  vous  espérez 
de  sainteté. 

O  le  grand  don  que  vous  avez  à  offrir  à  Dieu  ! 
son  corps  et  son  sang  que  tous  les  jours  vous 
pouvez  offrir  à  Dieu  en  sacrifice  :  don  qui  sanctifie 
l'autel  et  le  temple,  et  ceux  qui  s'offrent  dans  le 
temple. 

LX«  JOUR. 

Guides  aveugles  attachés  aux  petites  chosos,  et  méprisant 
les  grandes.  Matth.  23  et  24. 

Par  quelle  erreur  de  l'esprit  humain  arrive-t-îl 
qu'on  observe  la  loi  en  partie,  et  qu'on  ne  Tob- 
serve  pas  tout  entière  ;  qu'on  en  observe  les  petites 
choses ,  comme  de  payer  la  dîme  des  plus  vils  her- 
bages, et  qu'on  omet  les  plus  grandes,  la  justice, 
la  miséricorde,  la  bonne  foi^.?  Il  y  a  là  une  osten- 
tation et  un  air  d'exactitude  qui  s'étend  jusqu'aux 


'  ,1<Mn.  Il,  lo,  21.   —  '  Coloss.  II,  f>.  • 
-  4  I.  Pclr.  II,  5.  —  i  Multh.  x.Mii,  liJ. 


3  Matth.  \ii,   6. 


MÉDIT ATIOiNS  SUR  L'ÉVANGILE. 


moindres  observances.  Mais  il  faut  encore  remar-  ^ 
quer  ici  quelque  chose  de  plus  intime.  On  observe 
volontiers  dans  la  loi  ce  qui  ne  coûte  rien  à  la  na-  i 
ture  :  où  les  passions  ne  souffrent  point  de  violence. 
'  On  le  sacrifie  aisément  à  Dieu  ;  on  ne  veut  pas  avoir 
à  se  reprocher  à  soi-même  qu'on  est  sans  loi ,  qu'on 
est  un  impie  :  on  s'acquitte  p;ir  de  petites  choses , 
et  on  se  flatte  d'avoir  satisfait.  Mais  la  lumière 
éternelle  vous  foudroie  :  Il  fallait  s'attacher  à  ces 
grandes  choses,  maissans  omettre  les  moindres'. 
Il  ne  faut  pas  s'y  attacher  comme  aux  principales, 
ni  les  mépriser  non  plus  à  cause  qu'elles  sont  pe- 
tites. 

Vovez  ce  que  Jésus  estime ,  la  justice ,  la  misé- 
ricorde,  la  bonne  foi. 

Guides  aveugles ,  qui  coulez  le  moucheron,  et 
qui  avalez  un  chameau*.  Que  le  monde  est  plein 
de  ces  fausses  piétés  !  Ils  ne  voudraient  pas  qu'rl 
manquât  mw  Ave,  .1/ar/a ,  à  leur  chapelel;  ;  mais 
les  rapines,  mais  les  médisances,  mais  les  jalou- 
sies, ils  les  avalent  comme  de  l'eau  :  scrupuleux 
dans  les  petites  obligations;  larges  sans  mesure 
dans  les  autres. 

C'est  encore  la  même  chose,  que  ce  qui  est  dit 
au  i".  5.  Ils  étendent  des  parchemins ,  où  ils  écri- 
vaient des  sentences  de  la  loi  de  Dieu  ^.  Conformé- 
ment au  précepte  du  Deutéronome  *.  Soit  que  ce 
fiU  une  espèce  d'allégorie,  ou  une  obligation  effec- 
tive; ils  voulaient  bien  avoir  ces  sentences  roulan- 
tes et  mouvantes  devant  les  yeux  :  mais  ils  ne  se 
souciaient  pas  d'en  avoir  l'amour  dans  le  cœur.  Il 
était  commandé  aux  Israélites,  pour  se  distinguer 
des  autres  peuples ,  d'avoir  des  franges  au  bord  de 
leurs  robes,  qu'ils  nouaient  avec  des  rubans  vio- 
lets*. Ce  qui  leur  était  un  signal,  qu'ils  devaient 
être  attentifs  à  la  loi  de  Dieu ,  et  ne  laisser  pas 
errer  leurs  yeux  et  leurs  pensées  dans  les  choses 
qu'elle  défendait.  Les  pharisiens  se  faisaient  de 
I  grandes  franges,  ou  dilataient  ces  bords  de  leurs 
;  robes ,  comme  gens  bien  attentifs  à  la  loi  de  Dieu , 
qui  dilataient  ce  qui  était  destiné  à  en  rappeler  la 
mémoire.  C'est  tout  ce  que  Dieu  en  aura  :  une  vaine 
parade ,  une  ostentation ,  une  exactitude  apparente 
aux  petits  préceptes  aisés,  un  mépris  manifeste 
des  grands ,  et  un  cœur  livré  aux  rapines  et  à  l'ava- 
rice. 

Prenez  garde  dans  les  religions  :  un  voile  ;  l'ha- 
l'it  de  l'ordre;  les  jeunes  dérègle.  Mais  que  veut 
«'ire  ce  voile  ?  Pourquoi  est-il  mis  sur  la  têtej  comme 
l'enseigne  de  la  pudeur  et  de  la  retraite?  C'est  à 
quoi  il  fallait  penser,  et  ne  mépriser  pas  les  peti- 
tes choses ,  qui  sont  en  effet  la  couverture  et  la 
défense  des  grandes  :  mais  aussi  ne  se  pas  imaginer 
que  Dieu  se  paye  de  cette  écorce  et  de  ces  gri- 
maces. 

LXP  JOUR. 

Saite.  Sépulcres    blanchis.  Matlh.  xxiii,  26  et  27. 

Aveugle  pharisien  y  continue  >'otre-Seigneurfi, 
çvj  nettoies  le  dehors  d'une  coupe,  et  laisses  dans 

'  Halth.  XXVA,  23.— »/&*■</.  23,2i.— ï/6/rf.  5.  — «Ofu/.vi, 

•-  —*  Num.  iv.  33.  Dcul.  XXII,  vl.  —  *Malik.  xiut.iô,  iO. 


la  saleté  le  dedans  où  l'on  boit!  Nettoie  le  dedans , 
afin  que  le  dehors  soit  pur  :  caria  pureté  vient  du 
dedans,  et  se  doit  répandre  de  là  sur  le  dehors. 
Autrement,  malgré  ton  hypocrisie,  l'infection  du 
dedans  se  produira  par  quelque  endroit  :  ta  vie  .se 
démentira:  ton  ambition  cachée  sera  découverte; 
tu  paraîtras  de  couleurs  et  de  figures  différentes  ;  et 
avec  l'infamie  de  ton  ambition,  celle  de  ton  hypo- 
crisie attirera  la  haine  du  genre  humain. 

Quelle  affreuse  idée  d'un  hypocrite!  C'est  un 
vieux  sépulcre  :  tout  s'y  démentait  :  on  l'a  reblan- 
chi,  et  ilparaît  beau  au  d^Jiors  :  il  peut  même 
paraître  magnifique.  Mais  qu'ya-t-il  au  dedans? 
Infection ,  pourriture ,  des  ossements  de  morts  ' , 
dont  l'attouchement  était  une  impureté  selon  la  loi. 
Tel  est  un  hypocrite  :  il  a  la  mort  dans  le  sein  : 
que  sera-ce ,  et  où  se  cachera-t-il ,  lorsque  Dieu  ré- 
vélera le  secret  des  cœurs,  et  qu'où  verra  ces 
choses  honteuses  qui  se  passaient  dans  leseci'et, 
et  qu'on  a  honte  même  de  prononcer  ' } 

LXir  JOUR. 

Docteurs  juif^  persiéculears  des  propliëtes  :  Lear  paoitioD. 

Ibid. -20    36. 

Voici  le  comble  de  l'hypocrisie  :  des  actions 
de  piété  pour  donner  couleur  au  crime;  comme  de 
bâtir  les  sépulcres  des  prophètes.  Qu'il  est  aisé  de 
les  honorer  après  leur  mort,  pour  acquérir  la 
liberté  de  les  persécuter  vivants!  Ils  ne  vous  disent 
plus  mot,  et  vous  pouvez  les  honorer  sans  qu'il  en 
coûte  à  vos  passions.  On  fait  aisément  les  actes  de 
piété  qui  ne  leur  font  point  de  peine.  On  parera  un 
autel  ;  on  y  placera  les  reliques  ;  tout  y  sera  propre 
et  orné;  on  bâtira  des  Églises  et  des  monastères  : 
les  actions  de  piété  éclatantes,  loin  de  rebuter,  on 
s'en  fait  honneur.  Venons  à  la  pratique  de  la  piété, 
et  à  la  mortification  des  sens  ;  on  n'y  veut  pas  «»- 
tendre. 

Les  Juifs  étaient  prêts  à  faire  mourir  le  pro- 
phète par  excellence  et  ses  apôtres;  et  ils  disaient  : 
Si  nous  eussions  été  du  temps  de  nos  pères ,  nous 
n'eussions  pas  persécuté  les  prophètes.  /  ouséies 
leurs  vrais  enjants^,  puisque  vous  voulez  faire 
comme  eux  ;  et  vous  voulez  avoir  tout  ense«ible , 
et  la  gloire  de  détester  le  crime ,  et  le  plaisir  de  vous 
satisfaire  en  le  commettant.  Mais  vous  ne  trompe- 
rez pas  Dieu.  Au  lieu  de  recevoir  les  vaines  excuses 
que  vous  serablez  vouloir  faire  aux  prophètes,  ii 
vous  punira  de  tous  les  crimes  que  vous  aurez  imi- 
tés; à  commencer  par  celui  de  Caïn,  dont  vous 
avez  imité  la  jalousie  sanguinaire  *.  Le  moyen  de 
désavouer  vos  pères ,  est  de  cesser  de  les  imiter. 
Que  si  vous  les  imitez,  les  tombeaux  que  vous 
érigez  aux  prophètes  serviront  plutôt  de  monu- 
ment pour  conserver  la  mémoire  des  crimes  de  vos 
ancêtres,  que  de  moyen  de  les  éviter.  C'est  pour- 
quoi il  y  a  dans  saint  Luc^ .-  En  bâtissant  leurs  sé- 
pulcres ,  pendant  que  dans  votre  cœur  vous  désirez 
d'en   faire  autant  aux  prophètes  que  vous  avca 

'  Miitth.  XXIII,  27,  —  ^  Ephes.  t,  12.  -~*MaUh.  lUU, 
»y,  31.  —  '  Ibid.  Ca.  —  »  iuc.  XI,   iS. 


6S'i 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVAISGILE. 


parmi  vcus,  vous  montroz  bien  que  cet  extérieur  r  table  :  ses  ailes  vous  sont  encore  ouvertes.  .ih! 

[pourquoi  voulez-vous  périr,  maison  d' Israël*} 

Fous  ne  me  verrez  point ,  jusqu'à  ce  que  vous 
disiez  :  Bienheureux  celui  qui  vient  au  nom  du^ 
Seigneur  *  ! 

Ces  dernières  paroles ,  depuis  ces  mots  :  Jérusa- 
lem,  Jéi^usalem,  ont  déjà  été  dites  avant  l'entrée 
du  Sauveur  3  :  et  alors  il  voulait  dire  qu'on  ne  le 
reverrait  plus  jusqu'au  jour  de  cette  entrée.  Ici 
l'entrée  était  faite;  et  il  veut  dire  qu'il  s'en  allait 
jusqu'au  dernier  jugement,  qui  n'arriverait  pas 
que  les  Juifs  ne  fussent  retournés  à  lui,  et  ne  le 
reconnussent  pour  le  Christ. 

Le  Sauveur  a  achevé  ce  qu'il  voulait.  Il  a  établi 
l'autorité  de  la  chaire  de  Moïse;  il  a  fait  voir  les 
abus  ;  il  a  expliqué  le  châtiment  ;  il  n'a  pas  tenu  à 
sa  bonté  qu'ils  ne  l'aient  écouté  :  et  ils  ont  voulu 
périr.  O  quel  regret  pour  ces  malheureux  !  ù  quelle 
augmentation  de  leur  supplice! 

Apprenons  à  louer  la  miséricorde  divine  dans 
les  jugements  les  plus  rigoureux;  car  ils  ont  tou- 
jours été  précédés  par  les  plus  grandes  miséri- 
cordes. 

Combien  de  fois  ai-je  voulu!  Ce  n'est  pas  pour 


de  piété  ne  tend  qu'à  couvrir  vos  noirs  des- 
seins, et  à  les  exécuter  plus  sûrement  en  les  ca- 
chant. 

/(emplissez  la  mesure  de  vos  pères  :  et  que  tout 
le  sang  juste  vienne  sur  vous  depuis  Jbel'.  On  mé- 
rite le  supplice  de  ceux  qu'on  imite  :  Dieu  n'impute 
pas  seulement  le  péché  des  pères  aux  enfants; 
mais  encore  celui  de  Caïn ,  quand  on  en  suit  la 
trace  :  et  il  y  aura  parmi  les  méchants  qui  se  seront 
i-.nités  les  uns  les  autres  une  société  de  supplices  ; 
comme  parmi  les  bons  qui  auront  vécu  en  unité 
d'esprit,  une  société  de  récompenses. 

Il  prédit  un  supplice  affreux  aux  Juifs  :  et  en  ef- 
fet le  monde  n'en  avait  jamais  eu  de  semblable. 

Tout  viendra  fondre  sur  cette  génération  *  :  le 
temps  approchait,  et  ceux  qui  étaient  vivants  le 
pouvaient  voir. 

Appliquons-nous  à  nous-mêmes  ce  que  nous 
venons  de  voir.  Chacun  persécute  le  juste,  lorsqu'on 
en  médit,  lorsqu'on  le  tourmente  en  cent  façons. 
Et  on  dit  en  lisant  la  Vie  des  Saints,  oii  l'on  voit  la 
persécution  des  justes  :  Je  ne  ferais  pas  comme 
cela;  et  on  le  fait,  et  on  ne  s'en  aperçoit  pas  :  et 


on  attire  sur  soi  la  peine  de  ceux  qui  ont  persécuté  j  une  fois  que  vous  m'avez  appelé,  ô  la  plus  tendre 
les  gens  de  bien. 

Tout  est  écrit  devant  moi  ;  je  ne  m'en  tairai 
pas  ;  je  vous  rendrai  la  juste  punition  de  vos  pé- 
eliés  :  je  mettrai  dans  votre  sein  vos  péchés,  et 
ensemble  les  péchés  de  vos  pères,  et  je  mettrai 
dans  leur  sein  à  pleine  mesure  leur  ancien  ou- 
vrage^. 


LXIIIe  JOUR. 

Liimentalions ,  pleurs  de  Jésus  sur  Jérasalem.  Matth.  xxin, 
27,  29. 

Jérusalem ,  Jérusalem ,  qui  tues  les  prophètes , 
et  qui  lapides  ceux  qui  ont  été  envoyés  vers  toi, 
combien  de  fois  ai-je  voulu  rassembler  tes  enfants , 
comme  une  poule  rassemble  ses  petits  sous  ses  ai- 
les, et  tu  ne  l'as  pas  voulu!  Comme  il  a  pleuré 
Jérusalem!  avec  quelle  tendresse  il  a  présenté  ses 
ailes  maternelles  à  ses  enfants  qui  voulaient  périr! 
Une  poule ,  c'est  la  plus  tendre  de  toutes  les  mè- 
res. Elle  voudrait  reprendre  ses  petits ,  non  pas 
sous  ses  ailes,  mais  dans  son  sein  ,  s'il  se  pouvait  : 
digne  d'être  le  symbole  de  la  miséricorde  divine. 

.Te  trouve  trois  lamentations  dans  notre  Sau- 
veur, dont  celles  de  Jérémie  n'égaleront  jamais  la 
tendresse.  A  son  entrée  :  Jh!  si  tu  savais  au 
moins  en  ce  jour  qui  fest  encore  donné,  ce  qui  peut 
l'apporter  la  paix  4  !  Ici  :  Jérusalem ,  Jérusalem  ^  ! 
etc.  Allant  au  Calvaire  :  Filles  de  Jérusalem ,  pleu- 
rez sur  vous-mêmes....  Heureuses  les  stériles; 
iieureuses  les  entrailles  qui  n'ont  point  porté  d'eii- 
fants,  elles  mamelles  qui  n'en  ont  point  allaité^  \ 
O  malheureuse  Jérusalem  !  O  âmes  appelées  et  re- 
belles !  que  vous  avez  été  amèrement  pleurées  !  Re- 
venez donc  aux  cris  empressés  de  cette  mère  chari- 

'  MuHh.  XXIII,  35.  —  »  Ihid.  36.  —  ^  Is.  LXV,  6,7.— 
«  Luc.  XIX     4i.  —  *  ^faUh.  XXU! ,  37.  —  «  Luc.  xXiil ,  23 ,  2!) 


de  toutes  les  mères!  et  je  n'ai  pas  écouté  votre 
voix. 

LXIV^  JOUR. 

Vices  des  docteurs  de  la  loi:  ostentation,  superstition,  cor- 
ruption :  erreurs  marquées  par  saint  Marc  et  par  saint 
Luc. 

Voyez  en  saint  Marc  et  en  saint  Luc,  la  sul> 
stance  de  tout  ce  discours  de  ]\otre-Seigneur4.  Us 
remarquent  tous  deux  principalement  l'affecta- 
tion des  premières  places,  et  cet  artifice  de  piller 
les  veuves  sous  prétexte  d'une  longue  oraison, 
comme  les  choses  les  plus  odieuses,  comme  les 
plus  ordinaires  dans  la  conduite  des  pharisiens, 
dont  aussi  il  se  faut  le  plus  donner  de  garde.  Dieu 
nous  en  fasse  la  grâce  ! 

Tout  ce  que  Jésus-Christ  blâme  se  réduit  à  os- 
tentation, superstition,  hypocrisie,  rapine,  ava- 
rice, corruption;  en  un  mot,  jusqu'à  altérer  la 
saine  doctrine  ;  et  en  préférant  le  don  du  temple  et 
de  l'autel ,  au  temple  et  à  l'autel  même. 

Mais  comment  donc  vérifier  ici  ce  qu'il  a  dit  : 
Faites  ce  qu'ils  vous  diront?  car  ils  leur  disaieiit 
cela  qui  était  mauvais;  et  ils  avaient  encore  beau- 
coup de  fausses  traditions,  que  le  Fils  de  Dieu  re- 
prend ailleurs.  Tous  ces  dogmes  particuliers  n'a- 
vaient pas  encore  passé  en  décret  public ,  en 
dogmes  de  la  synagogue.  Jésus-Christ  est  venu 
dans  le  moment  que  tout  allait  se  corrompre.  Alais 
il  était  vrai  jusqu'alors,  que  la  chaire  n'était  pas 
encore  infectée,  ni  livrée  à  Terreur,  quoiqu'elle  fut 
sur  le  penchant.  Qui  nous  dira ,  s'il  n'en  arrivera 
peut-être  pas  à  peu  près  autant  à  la  fin  des  siècles.^ 
Qui  sait  où  Dieu  permettra  que  la  séduction  aille 
dans  les  docteurs  particuliers.^  Mais  avant  que  ces 


I  Ezcch.  xvin,  31.  —  »  Mtttth.  xxiii,  39. 
33.  —  *  Marc.  XII ,  3S ,  3t) ,  40. 


■^Luc.  xi'i,  2" 


MEDITATIONS  SUR  L  ÉVANGILE. 


«SS 


•  lativais  dosnios  aiout  passé  en  décret  public,  le  se- 
.  )n(l  avènement  se  fera.  Prenons  garde  cependant 
à  ce  levain  des  pharisiens ,  et  ne  le  faisons  pas  ré- 
gner parmi  nons. 

O  combien  disent  dans  leur  cœur  :   Le  temple 

n'est  rien,  lautel  nest  rien  :  le  don  ,  c'est  à  quoi 

I      il  faut  prendre  garde;  et  non-seulement  ne  le  reti- 

[      ver  jamais ,  mais  l'augmenter,  connue  ce  qu'il  y  a 

de  plus  précieux  dans  la  religion! 

Prenons  un  esprit  de  désintéressement,  pour  évi- 
ter ce  levain  des  pharisiens. 

Prenons  garde ,  tout  ce  que  nous  sommes  de  su- 
[crieurs,  de  ne  nous  réjouir  pas  de  la  prélature  ; 
mais  de  craindre  d'imiter  les  pharisiens  dans  ce 
point,  que  saint  I\[arc  et  saint  Luc  ont  observé 
comme  le  plus  remarquable. 

Nous  porterons  la  peine  de  tout  le  sang  juste  ré- 
pandu, de  tous  les  canons  méprisés,  de  tous  les 
abus  autorisés  par  notre  exemple  :  et  tout  sera  im- 
puté à  notre  ordre  depuis  le  premier  relâchement. 

La  prodigieuse  révolte  du  luthéranisme  a  été 
une  punition  visible  du  relâchement  du  clergé.  Et 
on  peut  dire ,  que  Dieu  a  puni  sur  nos  pères ,  et 
qu'il  continue  de  punir  sur  nous,  tous  les  relâche- 
ments des  siècles  passés ,  à  commencer  par  les 
premiers  temps  où  l'on  a  commencé  à  laisser  pré- 
valoir les  mauvaises  coutumes  contre  la  règle. 
Nous  devons  craindre  que  la  main  de  Dieu  ne  soit 
sur  nous ,  et  que  la  révolte  ne  dure  jusqu'à  ce  que , 
profitant  du  châtiment,  nous  ayons  entièrement 
banni  du  milieu  de  nous  tout  ce  levain  pharisaï- 
que;  cet  esprit  de  domination,  d'intérêt,  d'os- 
tentation ;  cet  esprit  qui  fait  servir  la  domination 
au  gain  et  à  l'intérêt,  soit  que  ce  soit  celui  de 
lambition  ,  soit  que  ce  soit  celui  de  l'argent. 

Pour  mieux  entendre  notre  devoir  et  notre  pé- 
ril, considérons  le  même  sermon  de  Notre-Sei- 
gneur,  déjà  fait  dans  saint  Luc  une  autre  fois  et 
avant  son  entrée. 

LXV^  JOUR. 

Les  f'œ,  ou  les  malheurs  prononcés  par  Noire-Seigneur 
contre  les  docteurs  de  la  loi.  En  saint  Luc.  xi.  37,  38 
el  suiv. 

L'occasion  de  ce  discours  fut  l'orgueil  de  ce  pha- 
risien qui  blâmait  le  Sauveur,  en  son  cœur,  parce 
{qu'il  ne  s'était  pas  lavé  avant  le  repas.  Il  com- 
mence, à  cette  occasion ,  à  leur  reprocher  qu'/& 
iavaient  le  dehors ,  et  négligeaient  le  dedans  '. 

La  comparaison  du  sépulcre  est  tournée  ici ,  au 
y.  44,  d'une  manière  différente  de  saint  ^Fatthieu; 
car,  au  lieu  que  dans  saint  INIatthieu  Jésus-Christ 
propose  des  sépulcres  reblanchis  :  ici  on  parle  de 
sépulcres  cachés ,  lorsque  les  hommes  marchent 
dessus  sans  le  savoir*  :  ce  qui  fait  voir  des  hypo- 
crites tout  à  fait  cachés ,  avec  qui  on  converse  sans 
les  connaître  pour  ce  qu'ils  sont,  tant  leur  malice 
est  profonde.  Mais  tout  cela  se  révélera  au  grand 
jour  :  et  [)lus  leur  désordre  était  caché,  plus  leur 
honte ,  qui  paraîtra  tout  d'un  coup,  sera  éclatante. 

•  Luc.  î!,  :!7,  3.S,  39.  —  *  Mcitlh.  xxiif,  27.  Luc.  XI,  44. 


'  Un  docteur  de  la  loi  inteirompt  cette  pressante 
invective  contre  les  pharisiens,  et  présuma  assez  de 
lui-même  pour  croire  que  le  Sauveur  se  tairait, 
quand  il  lui  aurait  témoigné  la  part  qu'il  prenait  à 
j  son  discours  :  Maître ,  lui  dit-il  » ,  voïts  nous  faite* 
I  injure  a  nous-mêmes.  Son  orgueil  lui  attira  ces 
justes  reproches  :  Malheur  à  vous  aussi,  docteurs 
de  la  loi  »!  et  le  reste. 

Ce  qui  est  dit  dans  saint  Matthieu ,  Je  vous  en- 
voie des  propfiétes^ ,  est  expliqué  en  saint  Luc: 
La  sagesse  de  Dieu  a  dit^  :  pour  montrer  que  le 
Sauveur  est  la  sagesse  de  Dieu. 

Fous  avez  pris  la  clef  de  la  science^.  On  dis- 
tingue la  clef  de  la  science  d'avec  celle  de  l'autorité. 
Les  docteurs  voulaient  s'approprier  la  clef  de  la 
science  :  que  n'ouvraient-ils  donc  au  peuple.'  Mais 
ils  se  trompaient  eux-mêmes,  et  trompaient  les 
autres  ;  et  non  contents  de  se  taire,  ce  qui  suffirait 
pour.leur  perte,  ils  étaient  les  premiers  à  autoriser 
les  fausses  doctrines. 

Dés  lors  les  pharisiens  et  les  docteurs  de  la  loi 
commencèrent  à  le  presser  et  à  l'accabler  de  ques- 
tions, en  lui  dressant  des  pièges  pour  exciter 
contre  lui  la  haine  du  peuple  ^.  Ils  sont  pris  dans 
les  pièges  qu'ils  tendaient  au  Sauveur,  et  ils  croient 
n'en  pouvoir  sortir  qu'en  le  perdant.  Ainsi  périt 
le  juste  pour  avoir  fait  son  devoir  à  reprendre  les 
orgueilleux  et  les  hypocrites. 

LXVP  JOUR. 

Quel  est  le  vrai  prix  de  l'argent.  Veuve  donnant  de  son 
indigence.  Marc,  xn ,  41 ,  44.  Luc.  xxi  ,1,4. 

Jésus-Christ  venait  de  parler  des  pharisiens,  et 
de  leur  artifice  à  tirer  l'argent  des  veuves  :  il  va 
montrer  ce  qu'il  faut  estimer  dans  l'argent,  et  quel 
en  est  le  vrai  prix. 

Jésus  s'assit,  et  regarde  ceux  qui  mettaimt 
dans  le  tronc  ou  dans  le  trésor  :  Une  paurre  vewe 
donna  deux  petites  pièces  d'un  liard  :  Elle  a  plus 
donné  que  tous  7.  Que  l'homme  est  riche!  Son  ar- 
gent vaut  tout  ce  qu'il  veut  :  sa  volonté  y  donne  la 
prix.  Un  liard  vaut  mieux  que  les  plus  riches  pré- 
sents. Manquez-vous  d'argent,  un  verre  d'eau 
froide  vous  sera  compté;  et  on  ne  veut  pas  même 
vous  donner  la  peine  de  la  chauffer.  N'avez-vous 
pas  un  verre  d'eau  à  donner;  un  désir,  un  soupir, 
un  mot  de  douceur,  un  témoignage  de  com|)assion  : 
si  tout  cela  est  sincère,  il  vaut  la  vie  éternelle!  0 
que  l'homme  est  riche,  et  quels  trésors  il  a  en 
main! 

Heureux  les  chrétiens  d'avoir  un  maître  qui  sait 
si  bien  faire  valoir  les  bonnes  intentions  de  ses 
serviteurs!  Aussitôt  qu'il  voit  cette  veuve  qui  n'a 
que  deux  doubles,  ravi  de  sa  libéralité,  il  convoque 
ses  disciples ,  comme  à  un  grand  et  magoifique 
spectacle. 

Elle  a  donné  plus  que  tous  les  autres  ;  quoique 
tous  les  autres  eussent  donné  largement  :  Mais 

'  Luc.  XI,  4.5.  —  »  Ibid.  46.  —  '  Matth.  xxni,  34.  —  •  Luc. 
XI,  49.  —  *  Ibid.  52.  —  ^  Ibid.  53,  64.  —  «  Marc,  xn,  43, 
44.  Luc   XXI,  I,  2,  3.  —  ■  Marc,  xn,  43,  44.  Luc.  xxi,  4. 


036 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


les  autres  on,  donné  le  superflu,  et  le  reste  de 
Leur  abondance ,  sans  s'apercevoir  d'aucune  dimi- 
nution ;  au  lieu  que  celle-ci  a  donné  tout  ce  qu'elle 
avait,  et  tout  son  vivre  '  :  s'abandonnant  avec 
foi  à  la  divine  providence. 

Voilà  les  aumônes  que  Jésus-Christ  loue  :  celles 
où  on  prend  sur  soi  :  car  de  telles  aumônes  sont 
les  seules  qui  méritent  le  nom  de  sacrilice. 

LXVII'=  JOUR. 

Ruine  de  Jérusalem ,  et  du  temple.  Matth.  xxiv ,  I  32. 
Maix.  xui,  I,  28.  Luc.  xxi,  5,  29. 

Ce  que  .lésus-Christ  avait  prédit  de  la  ruine  de 
Jérusalem ,  est  ici  plus  particulièrement  expliqué , 
et  Jésus-Christ  y  déclare  ce  qu'il  n'avait  pas  encore 
dit  •  que  le  temple  ne  serait  pas  excepté  d'un  mal- 
heur si  prochain,  et  périrait  comme  le  reste.  Il  ne 
voulait  pas  laisser  ignorer  à  ses  disciples  un  évé- 
nement si  important;  et  il  choisit  pour  s'en  ex- 
pliquer les  jours  prochains  de  sa  mort ,  dont  ii  de- 
vait être  la  punition. 

Maître ,  voyez-  quelles  pierres ,  et  quelle  sti'uc- 
ture  *  !  C'est  ainsi  que  parlent  les  disciples  en 
montrant  le  ten)ple  au  Fils  de  Dieu  :  ces  deux 
paroles  en  font  la  peinture  :  Quelles  pierres,  de 
quelle  beauté,  de  quelle  énorme  grandeur!  Quelle 
structure.,  quelle  solidité,  quelle  ordonnance, 
quelle  correspondance  de  toutes  ses  parties!  Saint 
Luc  ajoute  la  richesse  des  dons,  dont  le  temple 
était  rempli  ^.  Il  n'y  avait  donc  rien  de  plus  so- 
lide, ni  de  plus  riche,  et  néanmoins  il  périra  : 
tant  de  richesses ,  une  si  belle  structure,  tout  sera 
réduit  en  cendres. 

Foyez-vous  tous  ces  grands  bâtiments  f  En 
vérité,  je  vous  le  dis  :  il  n'y  demeurera  pas  pierre 
sur  pierre^.  Enorgueillissez-vous  de  vos  édifices, 
ô  mortels  :  dites  que  vous  avez  fait  un  immortel 
ouvrage,  et  que  votre  nom  ne  périra  jamais!  Ce 
grand  politique  Hérode  croyait  s'être  immortalisé, 
en  refaisant  tout  à  neuf  un  si  admirable  édifice, 
avec  une  magnificence  qui  ne  cédait  en  rien,  pour 
la  beauté  de  l'ouvrage,  à  celle  de  Salomon.  Si  quel- 
que chose  devait  être  immortel,  c'était  un  tem- 
ple si  auguste,  si  saint,  si  célèbre  :  tout  semblait 
le  préserver  des  injures  du  temps  ;  sa  structure, 
sa  solidité.  On  épargne  même  dans  les  villes  pri- 
ses ,  ces  beaux  monuments  comme  des  ornements , 
non  des  villes,  ni  des  royaumes,  mais  du  monde. 
Mais  sa  sentence  est  prononcée  :  11  faut  qu'il  tom- 
be. En  effet  Tite  avait  défendu  surtout  qu'on  ne 
touchât  point  à  ce  temple  :  mais  un  soldat  animé 
par  un  instinct  céleste,  comme  Josèphe,  historien 
juif,  qui  était  présent  à  ce  siège  et  qui  a  tout  vu  , 
le  témoigne ,  y  mit  le  feu  ;  et  on  ne  le  put  éteindre  *. 
Les  Juifs  avaient  voulu  le  rebâtir  sous  Julien  l'A- 
postat :  le  feu  consuma  les  ouvriers  qui  y  travail- 
laient^. Il  fallait  que  tout  fût  détruit  et  à  jamais; 
car  Jésus-Christ  l'avait  dit.  Dieu  voulait  punir  les 

»  Marc  xn,  43,  44.  Luc.  xxi,  4.  —  '  Marc.  \\n,  I.  — 
*  Luc.  XXI,  ï).  —  *  Marc,  xiii,  2.  —  ^  Joseph,  lil).  de  bel. 
Jud.  cap.  IG.  —  "'  .Jm7n.  Murcctl.  lib.  xmu  ,  //;.'/. 


Juifs,  et  en  même  temps  par  un  excès  de  miséri- 
corde leur  montrer  qu'ils  devaient  chercher  dans 
l'Eglise  un  autre  temple ,  un  autre  autel ,  et  un  sa- 
cnhce  plus  digne  de  lui.  Ainsi  les  justices  de 
Dieu  sont  toujours  accompagnées  de  miséricorde; 
et  il  mstriut  les  hommes  en  les  puin"ssant.  Il  ins- 
truit les  Juifs  en  deux  manières  :  il  leur  fait  sen- 
tir leur  crime  en  frappant  jusqu'à  sa  maison  :  en 
la  détruisant,  il  les  détache  des  ombres  de  la  loi 
et  les  attache  à  la  vérité.  ' 

Le  temple  avait  accompli,  pour  ainsi  parler 
tout  ce  à  quoi  il  était  destiné.  Le  Christ  y  avait 
paru,  selon  les  oracles  d'Aggée  et  de  Malachie  •. 
Qu'il  périsse  donc,  il  est  temps  :  quelque  saint 
que  soit  celui-ci  pour  tant  de  merveilles,  et  par  le 
sacrifice  qu'Abraham  y  voulut  faire  d'isaac  son 
fils  ,  il  faut  qu'il  cède  aux  temples  ,  où  l'on  of- 
frira, selon  le  même  Malachie»  un  plus  excel- 
lent sacrifice,  depuis  k  soleil  levant  jusques  au 
couchant. 


LXVIIle  JOUR 

La  ruine  de  Jérusalem ,  et  celle  du  monde  : 
ensemble?  Ibid. 


pourquoi  prédite» 


Dites -nous  quand  arriveront  ces  choses,  et 
quel  est  le  signe  de  votre  avènement  et  de  la  fin 
des  siècles  3.  C'est  la  demande  que  firent  à  Jésus 
ses  principaux  apôtres,  Pierre,  Jacques,  Jean  et 
André,  pendant  qu'il  était  assis  sur  la  monla-ne 
des  Olives  4, 

Remarquez  que,  dans  leur  demande,  ils  con- 
fondaient tout  ensemble  la  ruine  de  Jérusalem 
et  celle  de  tout  l'univers  à  la  fin  des  siècles.  C'est 
ce  qui  donne  lieu  à  .Tésus  -  Christ  de  leur  parler 
ensemble  de  l'une  et  de  l'autre. 

On  demandera  pourquoi  il  n'a  pas  voulu  dis- 
tinguer des  choses  si  éloignées.  C'est ,  première- 
ment, par  la  liaison  qu'il  y  avait  entre  elles;  l'une- 
étant  figure  de  l'autre  :  la  ruine  de  Jérusalem, 
figure  de  celle  du  monde,  et  de  la  dernière 
désolation  des  ennemis  de  Dieu.  Secondement, 
parce  qu'en  effet  plusieurs  choses  devaient  être 
communes  à  tous  les  deux  événements.  Troisiè- 
mement, parce  que,  lorsque  Dieu  découvre  les 
secrets  de  l'avenir,  il  le  fait  toujours  avec  quelque 
obscurité  ;  parce  qu'il  s'en  réserve  le  secret  ;  parce 
qu'il  ne  veut  pas  contenter  la  curiosité,  mais 
édifier  la  foi;  parce  qu'il  veut  que  les  hommes 
soient  toujours  surpris  par  quelque  endroit.  C'est 
pourquoi  en  les  avertissant ,  pour  les  obliger  à 
prendre  des  précautions,  et  encore  pour  leur  faire 
voir  que  l'événement  qu'il  leur  prédit  est  un  ou- 
vrage de  sa  main,  préparé  depuis  longtemps,  il 
ne  laisse  pas  de  réserver  toujours  quelque  chose  qui 
surprenne,  et  qui  inspire  une  nouvelle  terrei'r  lors- 
que le  mal  arrive. 

Voilà  pourquoi  la  prédiction  de  la  ruine  de  Jé- 
rusalem ,  est  en  quelque  sorte  confondue  avec  celle 

'  y^.7.17.  n,  8,  10.  Malach.  iri,  I.  —  ^  Ibid.  i.  II.  — 
*  Matth.  xx!V,  3.  Marc,  xiii,  4.  Ltic.  xxi,  7.-4  Matth.  et 

Marc.  Itiid. 


MÉD1TAT[0NS  SUR  L'EVANGILE. 


617 


du  Tïonde.  Apprenez,  ô  hommes!  par  l'obscurité 
qiie  Jésus-Christ  même  veut  laisser  dans  sa  pro- 
phétie ,  apprenez  à  modérer  votre  curiosité ,  à  ne 
vouloir  pas  plus  savoir  qu'on  ne  vous  dit ,  à  ne  vous 
avancer  pas  au  delà  des  bornes ,  et  à  entrer  avec 
tremblement  dans   les  secrets  divins. 

Quoique  Jésus-Christ  confonde  ces  deux  évé- 
nements, il  ne  laisse  pas  dans  la  suite,  comme 
nous  verrons ,  de  donner  des  caractères  pour  les 
dislHiguer. 

Voilà  de  grandes  choses ,  mais  encore  en  con- 
fusion. Considérons-les  en  particulier  :  et  tâchons 
de  tirer  de  chacune  toute  l'instruction  que  Jésus- 
Christ  a  voulu  nous  y  donner. 

LXIX«  JOUR. 

I>?s  marques  particulières  de  la  ruine  de  Jérasalem ,  et  de  la 
fin  du  monde.  Matlh.  xxiv,  1,  32.  Marc,  xiii,  I,  28. 
Luc.  XXI,  5,  29. 

Selon  ce  que  nous  venons  de  dire ,  il  faut  qu'il 
y  ait  dans  ces  deux  événements,  dans  le  dernier 
jour  de  Jérusalem,  et  dans  le  dernier  jour  du 
monde,  quelque  chose  qui  soit  propre  à  chacun, 
et  quelque  chose  qui  soit  commun  à  l'un  et  à  l'autre. 
Ce  qui  est  propre  à  la  désolation  de  Jérusalem , 
c'est  qu'elle  sera  investie  d'une  armée  :  c'est  que 
l'abomination  de  la  désolation  sera  dans  le  lieu 
saint.  C'est  qu'alors  on  pourra  encore  prendre  la 
fuite ,  et  se  sauver  des  maux  qui  menaceront  Jé- 
rusalem :  c'est  que  cette  ville  sera  réduite  à  une 
famine  prodigieuse,  qui  fait  dire  à  notre  Sauveur: 
Malheur  aux  mères;  malheur  à  celles  qui  sont 
grosses;  malheur  à  celles  qui  nourrissent  des 
enfants  '  !  Cest  que  la  colère  de  Dieu  sera  terrible 
sur  ce  peuple  particulier,  c'est-à-dire  sur  le  peuple 
juif;  en  sorte  qu'il  n'y  aura  jamais  eu  de  désas- 
tre pareil  au  sien.  C'est  que  ce  peuple  périra  par 
répée ,  sera  traîné  en  captivité  par  toutes  les  na- 
tions, et  Jérusalem  foulée  aux  pieds  par  les  gentils. 
C'est  que  la  ville  et  le  temple  seront  détruits  ,  et 
qu'il  n'y  restera  pas  pierre  sur  pierre,  comme  nous 
avons  déjà  vu.  C'est  que  cette  génération  ,  celle  où 
l'on  était,  ne  passera  point,  que  ces  choses-ci  ne 
soient  accomplies ,  et  que  ceux  qui  vivent  les  ver- 
ront ». 

Ce  qui  sera  particulier  au  dernier  jour  de  l'u  • 
nivers ,  c'est  que  le  soleil  sera  obscurci ,  la  lune 
sans  lumière ,  les  étoiles  sans  consistance ,  tout 
l'univers  dérangé  .  que  le  signe  du  Fils  de  l'homme 
paraîtra  ;  qu'il  viendra  en  sa  majesté  ;  que  ses  an- 
ges rassembleront  ses  élus  des  quatre  coins  de  la 
terre ,  et  le  reste  qui  est  exprimé  dans  l'Évangile^  : 
que. le  jour  et  l'heure  en  sont  inconnus;  et  que 
tout  le  monde  y  sera  surpris  ^. 

De  là  résulte  la  grande  différence  entre  ces  deux 
événements,  que  Jésus-Christ  veut  qu'on  observe. 
Pour  ce  qui  regarde  Jérusalem ,  il  donne  une  mar- 
que certaine.  Quand  vous  verrez  Jérusalem  in- 
vestie^ :  et  ce  qui  est,  comme  nous  verrons,  la 

•  Luc.  XXI,  Matth.  xxiv,  Marc,  xui  —  »  Marc,  xill.  — 
•  Luc.  XXI ,  Matth.  xxnr,  —  Marc.  xiii.  —  '  Matth.  rxrv, 
»,  3fc,  37.  —  *  Luc.   SXI,  20. 


nif^tne  chose  :  Quand  vous  verrez  rabomirMtion 
de  la  désolation  dans  le  lieu  saint,  où  elle  ne  doU 
j)as  être  :  sachez  que  sa  perte  est  prochaine  ',  et 
et  sauvez-vous.  On  pouvait  donc  se  sauver  dt  ce 
triste  événement.  Mais  pour  l'autre ,  qui  regarde 
la  fin  du  monde;  comme  ce  sera,  non  pas  ainsi 
que  dans  la  chute  de  Jérusalem ,  un  mal  particu- 
lier, mais  un  renversement  universel  et  inévitable; 
il  ne  dit  pas  qu'on  s'en  sauve,  mais  qu'on  s'y  pré- 
pare. Ce  qui  sera  commun  à  l'un  et  à  l'autre  jour, 
sera  l'esprit  de  séduction ,  et  les  faux  prophètes ,  la 
persécution  du  peuple  de  Dieu  ;  les  guerres  partout 
l'univers,  et  une  commotion  universelle  dans  les 
empires ,  avec  une  attente  terrible  de  ce  qui  devra 
arriver  ». 

Considérons  toutes  ces  choses  dans  un  esprit 
d'humiliation  et  d'étonnement.  O  Dieu ,  que  votre 
main  est  redoutable!  Par  combien  de  terribles  ef- 
fets déployez  -  vous  votre  justice  contre  les  hom- 
mes! Quelles  misères  précèdent  la  dernière  et  inex- 
plicable misère  de  la  damnation  éternelle!  Qui  ne 
vous  craindrait,  ô  Seigneur!  qui  ne  glorifiera 
votre  nom!  O  Seigneur  tout-puissant,  vos  œu- 
vres sont  grandes  et  merveilleuses  !  vos  voies  sont 
justes  et  véritables,  ô  Roi  des  siècles!  vous  seul 
êtes  saint,  et  toutes  les  nations  vous  adoreront^! 
Tout  genou  se  courbera  devant  vous^;  les  uns  en 
éprouvant  vos  miséricordes;  les  autres  se  sentant 
soumis  à  votre  implacable  et  inévitable  justice. 

LXXe.JOUR. 

Les  marques  de  distinction  de  ces  deux  événements  expli- 
qués encore  plus  en  détail  en  saint  Matthieu ,  en  saiot 
Marc  et  en  salut  Luc  Ibid. 

En  continuant  la  même  lecture,  nous  avons  à 
considérer  les  marques  de  distinction  des  deux  évé- 
nements qui  nous  sont  données  dans  l'Évangile.  La 
distinction  paraît  assez  clairement  dans  saint  Luc, 
Ce  qui  regarde  en  particulier  Jérusalem,  com- 
mence au  chapitre  xxi,  ^.  20,  et  se  continue  jus- 
qu'au f.  25  ;  et  ce  qui  regarde  le  dernier  jour  de 
l'univers,  commence  au  f.  2-5,  et  se  termine  au  f. 
31.  La  même  chose  paraît  à  peu  près  en  saint  Mat- 
tliieu,  chap.  xxiv,  ]^.  l.S,  à  ces  paroles  :  Lorsque 
vous  verrez  l'abomination  de  la  désolation,  d'où 
se  continue  le  récit  des  maux  de  Jérusalem  jusqu'au 
>'-.  27,  où  l'on  commence  à  parler  de  l'avènement 
du  Fils  de  l'homme  :  ce  qui  se  continue  principale- 
ment depuis  le  :^.  29 ,  jusqu'au  34.  On  voit  encore 
la  même  chose  en  saint  Marc ,  chap.  xiii ,  depuis 
le  f.  14 ,  où  l'abomination  nous  est  montrée  où 
elle  ne  doit  point  être  :  d'où  se  continue  la  ruine  de 
Jérusalem  jusqu'au  f.  24  :  et  là  commence  la  pré- 
diction delà  dernière  catastrophe  de  l'univers  jus- 
qu'au f.  30. 

11  nous  sera  maintenant  assez  aisé  d'arranger  la 
suite  des  événements ,  premièrement  dans  la  ruine 
de  Jérusalem ,  et  ensuite  dans  celle  du  monde.  L'a- 

'  Matth.  XIIV,  15.  Mare,  xin,  I*.  Luc.  ibid.  —  *  MaU» 
XXIV,  4.  Mire,  xiu,  5.  Luc.  xxi,  8  el  «eqq.  — *  jipx:.  i?,  a, 
*.  —  *  Js.  xiiV,  24. 


638 


MEDlTATIOxNS  SUR  L'ÉVANGILE. 


homînatlon  de  la  dcso/ailun  dans  le  lieu  saint,  se- 
lon saint  iNlatthieu,  et  où  elle  ne  doit  pas  être,  dans 
gaint  IMarc,  est  visiblement  la  mcme  chose,  que 
Jérusalem  environnée  d'une  armée,   dans  saint 
Luc,  comme  la  seule  suite  le  fera  paraître  à  un 
lecteur  attentif.  Mais  ce  qui  ne  laisse  aucun  doute, 
c'est  le  rapport  de  ces  mots  :  Quand  vous  verrez 
l'abomination  de  la  désolation  dans  le  lieu  saint; 
avec  ceux-ci  :  Quand  Jérusalem  sera  investie  d'une 
armée.  V abomination,  selon  le  langage  de  l'Écri- 
t;iip ,  signifie  des  idoles.  L'abomination  de  la  déso- 
lation, ce  sont  donc  des  idoles  désolantes,  tant  à 
cause  de  l'affliction  qu'elles  causent  par  leur  seul 
aspect  au  peuple  de  Dieu ,  qu'à  cause  de  la  dernière 
désolation  dont  elles  leur  étaient  un  présage.  Or  on 
sait  que  les  armées  romaines  portaient  dans  leurs 
étendards  les  idoles  de  leurs  dieux,  celles  de  leurs 
empereurs,  qui  étaient  du  nombre  de  leurs  dieux, 
et  des  plus  grands;  l'aigle  romaine  qui  était  consa- 
crée avec  des  cérémonies  qui  la  faisaient  adorer  elle- 
même.  Ainsi  investir  Jérusalem  d'une  armée  ro- 
maine, et  en  porter  les  étendards  aux  environs  de 
cette  ville,  c'était  mettre  des  idoles  dans  le  lieu 
saint;  aux  environs  de  Jérusalem,  qui  était  appelée 
la  cité  sainte;  auprès  du  temple,  qui  était  appelé 
par  excellence  le  lieu  saint;  dans  la  Judée,  dont  la 
terre  était  consacrée  à  Dieu,  sanctifiée  par  tant 
de  miracles,  et  pour  cela  appelée  la  terre  sainte. 
Selon  les  ordres  de  Dieu ,  les  idoles  n'y  devaient 
jamais   paraître.  Et  c'est  pourquoi  ce  que  saint 
TNlatthieu  exprime  par  ces  mots  :  L'abomination  , 
c'est-à-dire  l'idole,  dajis  le  lieu  sai?it,  saint  Marc 
l'exprime  par  ceux-ci  :  L'abomination  et  l'idole  oii 
elle  ne  doit  pas  être  :  c'est-à-dire  dans  un  lieu  et 
dans  une  terre  dont  la  sainteté  la  devait  éternelle- 
ment bannir  de  son  enceinte  :  ce  que  saint  Luc  a 
expliqué  plus  parliculièrement,  lorsqu'il  a  marqué. 
Une  àrméè  autour  de  Jérusalem  ;  une  armée  de 
gentils,  puisque  c'était  par  les  gentils  que  Jérusa- 
lem devait  être  foulée  aux  pieds  •  ;  par  conséquent 
une  armée  re"mplie  d'idoles,  puisque  même  elle  les 
portait  dans  ses  étendards;  et  en  un  mot,  une  ar- 
mée romaine. 

Ainsi  le  premier  présage  de  la  ruine  de  Jérusa- 
lem ,  6' est  d'être  environnée  d'idoles.  Car  aupara- 
vant on  voit  dans  Josèphe,  que  lorsqu'une  armée 
romaine  traversait  la  Judée ,  on  obtenait  des  princes 
qu'on  n'y  passât  point  avec  les  étendards,  de  peur 
de  souiller  d'idoles  une  terre  qui  n'en  devait  jamais 
voir  aucune.  Mais  à  cette  fois  l'armée  étalait  ses 
idoles  :  on  n'avait  plus  de  ménagement  pour  la 
terre  sainte  :  c'était  là  le  commencement  de  la  der- 
nière hostilité  contre  Jérusalem,  et  le  prochain 
présage  de  sa  chute. 

Chrétien ,  ton  corps  et  ton  âme  sont  la  terre 
vraiment  sainte,  oii  jamais  les  idoles  ne  doivent 
paraître.  Toute  créature  mise  à  la  place  du  Créa- 
it ur,  c'est  une  idole  abominable,  une  idole  déso- 
Jyiite  :  tout  ce  que  tu  aimes  plus  que  Dieu,  ou  avec 
Dieu,  ou  au   préjudice   de   Dieu  ,  renverse  son 

»   lue.  vxt .  50 ,  i4. 


trône,  ou  le  partage  :  c'est  là  le  premier  présage 
de  ta  perte.  Toute  désobéissance,  tout  ce  qui  levé 
l'étendard  contre  Dieu,  c'est  le  commencement  tie 
ton  malheur.  De  quelle  affreuse  désolation  sera 
suivi  ce  désorde!  de  quels  maux  ne  sera-t-il  pas  le 
présage  ! 

LXXr  JOUH. 

Deux  sièges  île  Jérusalem  prédits  par  Notre-Seigneur.  Le 
premier  en  saint  Mallh.  \xiv,  15,  16.  .V«rc.  xia,  Jl.  Luc. 
XXI,  20.  Le  second  en  sailli  Luc,  XIX,  43,  44. 

Ces  paroles  de  saint  Matthieu  et  de  saint  Marc  : 
L'idole  dans  le  lieu  où  elle  ne  doit  pas  être;  et  cel- 
les de  saint  Luc  :  Jérusalem  environnée  d'une  ar- 
mée; ne  marquent  pas  encore  le  dernier  siégo  de 
Jérusalem  sous  Tite,  où  elle  périt  sans  ressource. 
Car  les  évangélistes  disent  ici  :  Quand  vous  verrez 
ces  idoles ,  ce  siège  Juyez  dans  les  montagnes.  Or 
depuis  le  siège  de  Tite,  il  n'y  avait  pas  moyen  de 
fuir,  ni  de  sortir  de  la  ville  :  car  elle  était  tellement 
serrée  de  tranchées ,  de  murailles  et  de  forteresses , 
qu'il  n'y  avait  plus  aucune  issue.  C'est  ce  siège  par 
Tite  que  le  Sauveur  avait  prédit  en  entrant  dans 
Jérusalem,  lorsqu'il  disait  avec  larmes  :  Ville  in- 
fortunée, tes  ennemis  t'environneront  de  tran- 
chées, et  te  fermeront  de  toutes  parts  ^  Aussi  ne 
leur  parle-t-il  pas  alors,  comme  ici,  de  prendre 
la  fuite  :  car  il  savait  bien  qu'en  cet  état  il  n'y  au- 
rait plus  aucune  espérance  :  mais  d'une  perte  totale 
et  d'un  entier  renversement,  et  pour  la  ville  et 
pour  ses  enfants'.  Ici  donc  il  parle  d'un  autre 
siège,  qui  arriva  à  Jérusalem  quelques  années  avant 
celui  de  Tite,  lorsque  Cestius  Florus  l'investit.  Ces 
deux  sièges  sont  bien  marqués  dans  Josèphe,  et 
très-nettement  distingués  dans  l'Évangile.  Dans  le 
premier,  dont  il  est  parlé  dans  les  chapitres  que 
nous  méditons^,  on  ne  voit  ni  tranchées  ni  forts 
mais  seulement  une  armée  qui  se  répand  aux  envi- 
rons :  et  ce  qu'elle  avait  de  plus  détestable,  c'était 
ses  idoles.  Dans  le  second,  on  voit  des  forts,  des 
tranchées,  et  un  siège  dans  toutes  les  formes.  On 
pouvait  échapper  dans  la  première  occasion;  car 
les  troupes  n'arrivent  pas  tout  à  coup ,  et  la  garde 
n'est  pas  si  exacte  :  dans  la  seconde ,  il  n'y  a  rien  à 
attendre  qu'à  périr. 

On  voit  là  deux  états  de  l'âme.  Lorsque  le  péché 
commence  à  l'investir,  pour  ainsi  dire,  et  à  répan- 
dre detous  côtés,  comme  des  idoles,  les  mauvais 
désirs;  cette  armée  impure  ne  fait  que  nous  entou- 
rer, de  manière  que  nous  pouvons  encore  échap- 
per. Les  tranchées,  les  forts,  le  siège  en  forme, 
c'est  le  vice  fortifié  par  l'habitude.  Fuyons  des  h 
premier  abord,  d'ès  que  nous  voyons  paraître  l'é- 
tendard du  péché  :  car  si  nous  lui  laissons  élever 
ses  forts ,  et  former  ses  habitudes ,  il  n'y  a  presque 
plus  rien  à  espérer. 

LXXII^  JOUR. 

Réflexions  sur  les  maux  extrêmes  de  ces  deux  siépes.  llid. 

Si  à  ce  premier  abord  de  l'armée  romaine,  à 

«  Zttc.  SIX,  43.  —  '  Ihid.  44.  —  3  Maith.  xxîV,  Marc. 
xm,  Luc.  XXI. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÊVA.NGILE. 


Mite  première  apparition  de  ses  étendards  et  de 
ses  idoles  autour  de  Jérusalem,  on  ne  prend  la 
fuite  vers  les  montagnes  :  si,  sans  en  faire  à  deux 
fois,  on  n'emporte  d'abord  tout  ce  qu'on  pourra, 
et  de  la  ville  et  de  la  compagne  :  si  Ion  ne  sort 
promptement  de  cette  ville  réprouvée ,  ou  que  ceux 
qui  sont  dehors  osent  y  entrer;  on  sera  ravagé 
par  l'épée  :  on  sera  trainé  en  captivité  imr  toute  la 
terre K  La  famine  sera  si  horrible,  que  les  mères 
malheureuses  verront  périr  leurs  enfants  entre  leurs 
bras.  C'est  en  effet  ce  qui  arriva  à  Jérusalem  dans 
un  si  grand  excès ,  que  l'univers  n'avait  jamais  vu 
rien  de  semblable. 

Jésus-Christ  prédit  encore  la  même  calamité  al- 
lant au  supplice.  Filles  de  Jérusalem,  ne  pleurez 
pas  sur  moi,  7)iais  pleurez  sur  vous  et  sur  vos  en- 
fants :  parce  qu'il  viendra  des  jours  où  l'on  dira  : 
Bienheureuses  les  stériles!  bienheureuses  les  en- 
trailles qui  n'ont  pas  engendré,  et  les  mamelles 
çiii  n'ont  pas  nourri  »  !  qui  est  précisément  la 
même  chose  qu'il  marque  ici  par  ces  mots  :  Mal- 
heureuses les  mères  !  malheureuses  les  nourrices^  ï 
et,  pour  montrer  l'excès  de  cette  misère,  il  finit  par 
ces  paroles  :  .-ilors  ils  commenceront  à  dire  aux 
vwntagnes  :  Tombez  snr  nous  ;  et  aux  collines  : 
Couvrez-nous  :  car  si  l'on  fait  ainsi  au  bois  vert, 
à  la  justice,  à  la  sainteté,  à  Jésus-Christ  même, 
quefera-t-on  au  bois  sec^,  qui  n'est  plus  bon  que 
pour  le  feu  ;  aux  pécheurs  destitués  de  tout  senti- 
ment de  piété ,  qui  n'ont  plus  à  attendre  que  le  der- 
nier coup? 

Méditons  ceci  en  tremblant,  pécheurs  malheu- 
reux !  Pesons  les  maux  qui  nous  sont  prédits.  Tout 
l'univers  renversé  sur  nous,  en  sorte  que  les  mon- 
tagnes nous  écrasent,  et  que  les  collines  nous  en- 
terrent, ne  sont  rien  en  comparaison.  Ce  renverse- 
ment, qui  en  lui-même  paraît  si  affreux,  devient 
désirable,  à  comparaison  des  maux  qui  nous  atten- 
dent. Tombez  sur  nous,  montagnes;  enterrez- 
nous,  coteaux.  Pldt  à  Dieu  que  nous  en  fussions 
quittes  pour  cela  !  De  plus  grands  maux  nous  sont 
préparés  :  Dieu  déploiera  sa  main  vengeresse  par 
des  coups  plus  insupportables.  Et  en  voici  la  rai- 
son :  Si  Jésus-Christ  a  tant  souffert  pour  avoir  seu- 
lement porté  la  ressemblance  du  péché;  que  sera-ce 
de  nous,  en  qui  il  a  versé  tout  son  venin,  qui  en 
portons  au  dedans  de  nous  toutes  les  horreurs.' 

O  Seigneur!  chantait  le  psalmiste,  vous  avez 
donné  un  signe  à  ceux  qui  vous  craignent,  afin 
qu'ils  pussent  éviter  l'arc  tendu  contre  eux  ^.  O 
Seigneur!  vous  avez  aiguisé  vos  flèches,  elles  ne 
respirent  que  le  sang  :  votre  arc  est  prêt  à  tirer, 
et  nos  cœurs  seront  percés  de  vos  coups  :  mais 
avant  que  de  lâcher  la  main,  vous  menacez,  vous 
avertissez,  afin  qu'on  fuie  votre  colère  menaçante  : 
c'est  le  signe  de  salut  que  vous  nous  donnez.  Mais 
vous  ne  le  donnez  qu'à  ceux  qui  vous  craignent  : 
Jes  autres ,  endormis  dans  leurs  péchés ,  ne  veulent 
pas  seulement  vous  entendre ,  ni  écouter  d'autre 
»uix  que  celle  qui  les  porte  au  plaisir  :  mais  ceux 


*  Luc.  \xi,  24.  —  »  Luc.  xxin,  28,  29. 
— •  <  Luc.wiu,  îo,  31.  —  »Ps.  ux,  6. 


«8» 

à  qui  il  reste  encore  quelque  crainte  de  vos  juge- 
ments, 0  Dieu!  qu'ils  tremblent  à  vos  menaces,  a6n 
qu'ils  évitent  vos  coups. 

Serpents,  engeance  de  vipères,  qui  vous  ap- 
prendra à  fuir  la  colère  qui  vous  pcmrsuit  '  ? 
Ost  ce  que  saint  Jean  disait  aux  Juifs.  Jésus- 
Christ  leur  en  dit  encore  beaucoup  davantage  ;  et 
il  redouble  ses  menaces  à  la  veille  de  sa  mort,  qui 
devait  causer  tous  ces  maux  à  son  peuple  ingrat.  Il 
leur  avait  montré  tant  d'amour,  il  avait  confirmé 
sa  mission  par  tant  de  miracles;  il  leur  dénonce  en 
core  le  terrible  châtiment  qu'ils  avaient  à  craindre 
pourn' avoir  pas  profité  du  temps  où  il  les  avait 
visités  »!  Il  leur  prédit  ces  maux  avec  larmes,  afin 
de  leur  faire  voir  qu'il  n'en  faisait  pas  seulement 
unesèche  prédiction.  Ils  sont  insensibles  :  nous  nous 
en  étonnons  ;  mais  notre  étourdissement  n'est  pas 
moins  grand  que  le  leur  :  étonnons-nous  de  nous- 
mêmes. 

LXXIIP  JOUR. 

Suite  des  réflexions  sur  les  mêmes  calamités.  Ubi  supra. 

Ce  sont  ici  les  jours  de  vengeance,  pour  ar- 
complir  tout  ce  qui  a  été  écrit  :  Malheur  aux  fem- 
mes grosses,  et  a  celles  qui  nourrissent!  car  il  y 
aura  de  grandes  nécessités,  et  une  grande  colère 
se  déploiera  sur  ce  peuple  :  ils  passeront  par  le  fil 
de  l'épée  :  ils  seront  emmenés  captifs  par  toutes 
les  nations  :  et  Jérusalem  sera  foulée  aux  picd.i 
par  les  gentils,  jusqu'à  ce  que  le  temps  des  gentils 
soit  accompli  3.  Après  que  cette  ville  aura  été  in- 
vestie, après  qu'elle  aura  été  assiégée  régulière- 
ment ,  et  environnée  de  tranchées  et  de  forteresses , 
trois  plaies  tomberont  sur  elle  :  l'épée,  la  famine, 
la  captivité. 

L'épée  :  c'est  la  blessure  de  l'âme ,  la  division 
entre  ses  parties,  nulle  continuité,  nulle  union  : 
le  sang  de  l'âme  s'écoulera  par  cette  ouverture , 
toutes  ses  forces  se  dissiperont,  elle  n'aura  plus 
de  résistance.  Ah!  quel  état!  On  ne  résiste  plus 
aux  tentations,  le  péché  emporte  tout.  C'est  la 
faiblesse  de  l'âme  à  qui  tout  échappe,  et  qui  s'é- 
chappe à  elle-même. 

Les  chutes  sont  continuelles  et  irréparables  : 
on  ne  se  peut  plus  relever.  Telle  est  la  plaie  de  l'é- 
pée :  le  cœur  est  ouvert,  et  ne  retient  plus  ni  la 
grâce  ni  la  vérité. 

La  famine  :  c'est  la  soustraction  des  aliments  : 
non-seulement  quand  ils  manquent;  mais  encore, 
ce  qui  est  bien  pis,  quand  le  principe  pour  en  pro- 
fiter manque  tout  a  fait.  Tout  abonde  autour  du 
malade;  les  restaurants  sont  tout  prêts  :  mais  on 
ne  peut  les  prendre;  ou  l'estomac  contraint  par 
force  à  les  recevoir,  ni  ne  les  digère,  ni  ne  les  dis- 
tribue, ni  n'en  profite.  Au  milieu  des  sermons ,  des 
bons  exemples,  des  saintes  lectures,  des  observan- 
ces d'une  vie  toute  consacrée  à  Dieu ,  on  périt ,  on 
demeure  sans  nourriture.  La  vérité  ne  fait  plus  rien 
à  cette  âme  :  elle  ne  s'en  nourrit  pas  :  elle  n'en  vit 

'  .Valih.  et  Luc.  m,  7.  —  '  Luc.  wx,  41 ,  4a,  43,  «.  — 
*Luc.  XM.22.23,24. 


6^0 


pas.  Ses  œuvres,  qui  sont  les  enfants  qu'elle  nour- 
rit, tombent  en  langueur;  tout  y  dépérit  visible- 
ment :  ou  elle  ne  produit  rien  de  bon  :  ou ,  si  elle 
produit,  ce  bien  ne  se  soutient  pas.  Hélas!  hélas! 
Vju'y  a-t-il  de  plus  déplorable  que  cette  famine? 

La  captivité  :  Jérusalem  sera  foulée  aux  pieds 
par  les  gentils  :  l'âme  abattue  par  tous  les  vices , 
accablée  de  fers,  qu'elle  ne  peut  porter  ni  rompre  : 
elle  est  traînée  en  captivité  d'objet  en  objet  :  tou- 
tes les  passions  la  dominent  et  la  t3a'annisent  tour 
à  tour.  Elle  pense  être  en  repos  contre  l'amour  des 
plaisirs  :  l'ambition  la  met  sous  le  joug,  l'avarice 
l'assujettit,  et  ne  lui  laisse  pas  le  temps  de  respi- 
rer; tant  elle  l'accable  d'affaires,  de  soins,  de  tra- 
vaux. Hélas!  hélas!  où  en  es-tu,  âme  raisonnable, 
faite  à  l'image  de  Dieu?  blessée,  percée  de  tous  cô- 
tés :  outre  cela  affamée  :  pour  comble  de  maux , 
captive  :  sans  force,  sans  nourriture  pour  te  réta- 
blir, sans  liberté  :  ah  !  quel  malheur  est  le  tien! 

Il  faut  remarquer  ce  dernier  mot ,  jusqu'à  ce 
que  les  temps  des  nations  soient  accomplis  '.  Il 
y  a  un  temps  des  nations  :  un  temps  que  les  gen- 
tils doivent  persécuter  l'Église  :  un  temps  qu'ils  y 
doivent  entrer.  Après  ce  temps,  les  Juifs  que  les 
nations  devaient  jusqu'alors  fouler  aux  pieds,  re- 
viendront ;  et  après  que  la  plénitude  des  gentils  sera 
entrée,  tout  Israël,  tout  ce  qui  en  restera ,  sera 
sauvé  ».  L'aveuglement  d'Israël  n'a  été  permis  que 
pour  préparer  les  voies  à  l'accomplissement  d'un  si 
grand  mystère. 

Ame  pécheresse!  il  y  a  pour  toi,  malgré  tes  pé- 
chés ,  une  ressource  infaillible  :  l'excès  même  de  ton 
malheur  peut  être ,  comme  à  Israël ,  le  commence- 
ment de  ton  retour.  Israël  fatigué  de  ses  révoltes, 
(le  ses  malheurs,  de  sa  vaine  crédulité,  et  de  ses 
frivoles  espérances  ;  las  de  toujours  attendre  sans 
rien  voir,  de  soupirer  après  un  Messie  qui  ne  vient 
point,  parce  qu'il  est  déjà  venu,  se  réveillera  :  il  com- 
mencera à  connaître  combien  il  avait  tort  de  se  con- 
sumer en  espérances  frivoles,  au  lieu  de  jouir  de  son 
Christ,  qu'il  avait  si  longtemps  méconnu;et  déplo- 
rant l'excès  de  son  aveuglement,  il  ouvrira  enfin  les 
yeux  à  la  véritable  lumière.  Fais  ainsi ,  âme  chré- 
tienne! Le  péché  a  eu  son  temps  :  Le  temps  que  tu 
y  as  consumé  te  suffit  pour  contenter  des  désirs  fri- 
voles, et  nourrir  des  espérances  trompeuses.  En  un 
mot,  comme  dit  saint  Pierre  3,  le  temps  passé  est 
plus  que  svjfisajit  pour  accomplir  la  volonté  des 
gentils;  pour  mener  une  vie  païenne,  selon  les  dé- 
sirs de  la  chair,  comme  si  on  n'avait  point  de  Dieu, 
et  qu'on  ne  connût  pas  Jésus-Christ.  Nous  avons 
passé  assez  de  temps  dans  la  débauche,  dajis  la 
convoitise,  dans  le  vin,*dans  la  bonne  chère,  dans 
l'ivresse,  dans  le  culte  des  idoles  :  non-seulement 
de  celles  que  la  gentilité  adore,  mais  encore  de  cel- 
les que  nos  passions  érigent  dans  notre  coeur.  Il 
est  temps  de  revenir  de  si  grands  excès  :  l'égare- 
ment a  été  assez  grand,  pour  être  enfin  aperçu  :  il 
faut  maintenant  revenir  à  soi ,  et  qu'ow  le  péché  a 
abondé,  la  grâce  surabonde  ^  à  son  tour. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ËVAKGILE. 

LXXIV  JOUR. 


Luc.  xxi,  24.  —   »  Bôm.  XI,  25, 
Rem.  V,  2(J. 


26.  —M.  Pet.  IV,   3. 


Réflexions  sur  les  circonstances  de  la  fin  du  monde.  U  ter- 
reur de  l'impie.  La«onJianoe  du  fidèle.  Matth.  vv.„    «., 


31.  Luc. 


iimpie. 
XXI,  25, 


XXIV,  27, 


Vodà  ce  qui  regardait  Jérusalem  désolée,  et 
dans  sa  désolation ,  la  figure  de  l'âme  livrée  au  pé- 
ché. Ce  qui  regarde  la  fin  du  monde,  c'est  l'obscu- 
rité dans  le  soleil  :  celle  de  la  lune  :  le  dérange- 
ment dans  les  étoiles  :  le  signe  du  Fils  de  l'homme , 
c'est-adire,  comme  l'interprètent  les  saints  doc- 
teurs, l'apparition  de  sa  croix  :  sa  descente  sur  les 
nuées,  en  grande  puissance  et  majesté  :  la  trom- 
pette de  ses  anges  qui  citeront  tous  les  hommes  à 
son  jugement  ;  le  recueillement  de  ses  élus  :  l'as- 
semblée de  tous  les  aigles ,  c'est-à-dire  de  tous  lès 
esprits  élevés  autour  du  corps  du  Sauveur  »  :  le 
bruit  de  la  mer  et  des  flots,  avec  la  commotion  de 
tout  l'univers,  et  des  puissances  célestes  qui  sont 
préposées  à  sa  conduite  :  les  hommes  séchés  de 
trayeur,  dans  l'attente  de  ce  qui  devait  arriver  au 
monde  >  après  tant  de  mouvements  également  vio- 
lents et  irréguliers.  Pesez  toutes  ces  choses.  Et 
afin  de  voir  combien  e^t  ferme  l'espérance  du  chré- 
tien ,  et  combien  il  est  au-dessus  de  tous  les  trou- 
bles et  de  tout  le  monde;  accoisez  tous  les  mouve- 
ments de  votre  intérieur,  pour  écouter  cette  parole  : 
Quand  toutes  ces  choses  arriveront;  quand  toute 
la  nature,  déconcertée  par  des  agitations  si  impré- 
vues, ne  nous  menacera  de  rien  moins  que  d'une 
perte  inévitable,  regardez  alors  :  vous  qui  n'osiez 
seulement  lever  les  yeux,  levez  la  tête;  comme 
pour  vous  élever  au-dessus  des  flots  et  des  tempê- 
tes; parce  qu'alors  votre  rédemption  approche  '. 

A  quelle  épreuve  ne  doit  pas  être  la  confiance 
du  chrétien,  si  la  dernière  révolution  du  monde, 
loin  de  le  troubler,  ne  lui  inspire  que  de  l'espérance 
et  du  courage  ? 

LXXV«  JOUR. 

Le  même  sujet. 

Sans  lecture,  sans  raisonnement  étudié,  je  de- 
mande seulement  ici  que  l'on  considère,  d'un  côté, 
la  main  puissante  de  Dieu,  qui  pousse  à  bout  toute 
la  nature,  les  astres,  les  terres,  les  mers,  et  le 
courage  de  l'homme  qu'il  fait  sécher  de  frayeur  4  ; 
et  de  l'autre,  la  même  main,  qui  dans  ce  renverse- 
ment universel  relève  de  telle  sorte  le  courage  de 
ses  enfants ,  que  non-seulement  ils  ne  tombent  pas 
dans  ce  choc  que  souffre  le  monde ,  mais  ils  s'élè- 
vent au-dessus  de  ses  ruines.  Regardez  *  :  loin  de 
vous  cacher  dans  cette  tempête,  comme  un  autre 
Jonas ,  ouvrez  tout ,  et  considérez  ce  tumulte  avee 
un  regard  assuré  :  loin  de  vous  laisser  abattre,  le- 
vez la  tête  :  et  voyez  tout  au-dessous  de  vous. 

Tel  qu'un  homme  qui  lève  la  tête  au  milieu  des 
flots  :  tel  que  celui  qui  demeure  ferme  au  milieu 
d'une  maison  qui  tombe  :  ou  celui  qui  voit  d'un  oeil 
tranquille  le  chariot  où  tu  es,  que  des  chevaux  eni- 

'  Matth.  XXIV,  27,  28,  29,  30,  31.  —  »  Luc.  xxr,  M,  jS» 
—  '  Ihid.  28.  —  <  Iliid.  25 ,  29.  —  '  Ibid.  28. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


pnrU's,  après  avoir  secoué  les  rt^nes,  et  brisé  leur 
liiors,  traînent  deçà  et  delà;  tel  est  le  lidele  tou- 
jours iinniobile  et  inébranlable,  au  milieu  de  la  na- 
ture troublée,  et  de  ses  mouvpments  déconcertés; 
parce  que  le  Dieu  de  la  nature  le  tient  par  la  main. 
Tu  crains,  Pierre,  au  milieu  des  Ilots,  et  tu  ne 
connais  pas  celui  qui  te  tient!  Homme  de  peu  de 
foi,  pourquoi  as-tu  douté'  ? 

Cefui  qui  se  fie  en  Dieu,  est  comme  la  monta- 
gne de  Sion  :  celui  qui  a  sa  demeure  dans  Jérusa- 
ii'm ,  ne  serq jamais  ébranlé.  Comme  les  montagnes 
.--(int  a  l'entour  de  Jérusalem,  ainsi  Dieu  à  l'entour 
(te  son  peuple  pour  le  protéger  ».  La  sainte  mon- 
tviïue  de  Sion,  inébranlable  par  la  puissance  de 
J)ieu  qui  raffermit,  communique  sou  immobilité 
et  sa  tranquillité  à  ses  habitants. 

Chantez  aussi  le  psaume  cxx ,  Levavi  oculos  ; 
et  apprenez  à  ne  rien  craindre  sous  la  main  de 
Dieu. 

LXXVI*  JOLTl. 

Ces  prétliclions  certaines  :  leur  accomplissement  proche  : 
leur  jour  inconnu.  Multh.  xxiv ,  3i ,  35 ,  36.  Marc,  xin , 
no,  31,  32. 

En  vérité,  en  vérité ,  je  vous  le  dis  :  Cette  gé- 
nération-ci 7ie  finira  point,  jusqu'à  ce  que  toutes 
ces  choses-ci  soitnt  accomplies  :  le  ciel  et  la  terre 
passeront;  mais  mes  paroles  ne  passeront  point. 
Mais  pour  ce  jour  et  cette  heure-là,  ni  les  anges 
mCmes  qui  sont  dans  le  ciel,  ni  le  Fils,  ne  la  sa- 
vent pas;  ni  personne  que  mon  Fére  '. 

Voilà  deux  temps  bien  marqués.  Hxc ,  et  illa, 
en  grec  comme  en  latin ,  marquent  deux  temps 
opposés ,  l'un  plus  proche ,  l'autre  plus  éloigné. 
Cette   génération-ci   verra   toutes  ces   choses-ci 
accomplies  :  gexebàtio  h  ec  :  omma  hjec   : 
OMMA^  ISTA.  :  Mais  pour  ce  jour-là,  pour  cette 
/leure-là  :  De  die  autem  illa  et  hora.  •.per- 
sonne ne  la  sait.  Comme  s'il  disait  :  Je  vous  ai 
parlé  de  deux  choses  :  de  la  ruine  de  Jérusalem ,  , 
et  de  celle  de  tout  l'univers  au  jugement.  Ce  qui  : 
doit  arriver  dans  la  génération  où  nous  somm*?s,  [ 
et  dont  les  hommes  qui  vivent  doivent  être  les 
témoins,  je  vous  en  marque  le  temps  ;  et  cette 
génération  ne  passera  pas ,  qu'il  ne  s'accomplisse. 
Voilà  pour   l'événement    auquel   nous  touchons. 
Mais  pour  ce  jour-là,  ce  jour  où  je  viendrai  juger 
le  monde;  personne  n'en  sait  rien,  et  je  ne  dois 
pas  vous  le  découvrir.  Il  est  donc  marqué  clai- 
rement que  la  chute  de  Jérusalem  était  proche  ; 
et  l'Église  le  devait  savoir.  Mais  pour  ce  jour- 
là  ,  pour  ce  dernier  jour,  où  tout  l'univers  sera 
en  trouble,  et  où  le  Fils  de  l'homme  viendra  en 
personne,  on  n'en  sait  rien  :  on  ne  sait,  ni  s'il 
est  loin,  ni  s'il  est  près  :  et  le  secret  en  est  im- 
pénétrable, et  aux  anges  qui  sont  dans  le  ciel, 
et  à  l'Église  même,  quoiqu'elle  soit  enseignée  par 
le  Fils  de  Dieu. 
11  faut  donc  entendre  ici,  par  les  choses  que 

'  Moith.  XIV,  31.  —  »  Ps.  cxxiv,  1 ,  2.  —  3  Mattk.  XXIV, 
M ,  Jo,  6.  Marc.  XUI,  30  ,  31 ,  32. 
U>:iWET  —  T.   lu. 


le  Fils  ne  sait  pas,  celles  qu'il  ne  sait  pas  pour 
son  Église,  ni  dans  son  Église,  et  qu'il  ne  doit 
point  lui  révéler,  conforuiément  à  cette  parole  : 
fous  êtes  mes  amis,  et  je  vous  ai  fait  connaUre 
tout  ce  que  j'ai  oui  de  mon  Père  '  ;  tout  ce  que 
j'ai  ouï  pour  vous,  tout  ce  qui  était  compris 
dans  mon  instruction.  Ou ,  comme  il  dit  ici  :  Jn 
vous  ai  tout  prédit  » ,  tout  ce  que  je  devais  vous 
prédire.  Le  reste,  je  le  sais  bien  par  l'étroite  so-. 
ciété  qui  est  entre  mon  Père  et  moi  :  mais  je  ne 
le  sais  pas  par  rapport  à  vous,  et  selon  le  per- 
sonnage que  je  suis  venu  faire  parmi  les  hommes. 

Adorons  l'impénétrable  secret  de  Dieu,  et  ren- 
fermons-nous dans  les  bornes  où  il  a  voulu  termi- 
ner les  lumières  de  son  Église. 

Le  Fils  de  Dieu  doit  venir  comme  un  voleur. 
Mille  ans  de  délai,  c'est  devant  lui  le  délai 
d'un  jour  ^.  Ce  n'est  point  en  devinant  les  mo- 
ments que  vous  éviterez  la  surprise  :  il  viendra  de 
wj«Y,  parmi  les  ténèbres ,  et  sans  bruit,  comme 
un  voleur  4,  deux  choses  qui  rendent  sa  marche 
impénétrable.  Voulez-vous  donc  n'être  pas  surpris, 
veillez  toujours  :  ne  dormez  jamais  pour  votre 

1  salut  ;  et  vivez  comme  des  enfants  de  lumière, 
sans  participer  aux   œuvres  infructueuses   des 

!  ténèbres  *. 

:  LXXVIP  JOUR. 

l«  jour  du  jugement  dernier  n'a  pu- être  inconnu  au  Fih  de 
Dieu.  Marc,  xiii ,  32. 

Sans  entrer  dans  un  esprit  de  curiosité  et  de 
dispute,  permettez-moi,  ô  Jésus!  de  vous  de- 
mander d'où  vient  que  vous  avez  dit  que  per- 
sonne ne  connaît  l'heure  du  jugement  dernier, 
non  pas  même  les  anges,  ni  le  Fils.  Car  vous 
n'avez  pas  ignoré  combien  on  abuserait  de  cette 
parole  qui  a  fait  dire  aiLX  ariens,  ennemis  de  votre 
^  divinité,  que  vous  ignoriez  quelque  chose,  n^éme 
comme  Dieu  et  comme  Verbe  :  et  que  vous  n'étiez 
pas  de  même  science ,  et  par  conséquent  de  même 
perfection  ni  de  même  nature  que  votre  Père.  Et 
néanmoins ,  en  nommant  ceux  qui  ne  savent  pas  la 
dernière  heure ,  il  vous  a  plu  non-seulement  de 
nommer  les  anges  ;  mais  encore ,  votre  évangéliste 
saint  Mathieu  n'ayant  nommé  qu'eux ,  votre  évaji- 
géliste  saint  Marc ,  instruit  par  saint  Pierre ,  le 
prjnce  de  vos  apôtres  et  le  chef  visible  de  votre 
Église,  et  votre  Esprit  qui  les  conduisait,  a  voulu 
que  nous  sussions  que  vous  avez  dit,  ni  le  I-lis,  ni 
autre  que  le  Père  ^. 

Pour  moi,  mon  Dieu,  je  confesse  avec  votre 
apôtre  saint  Thomas ,  que  vous  êtes  mon  Seigneur 
et  mon  Dieu  7  :  avec  votre  apôtre  saint  Paul ,  que 
vous  êtes  égal  a  Dieu  ^  ;  et  Dieu  béni  au-dessus  de 
tout  9  :  et  avec  votre  apôtre  saint  Jean,  que  vous 
êtes  le  Ferbe  qui  était  au  commencement  avec 
Dieu,  et  qui  était  Dieu  lui-même  '»  :  et  que  voui 
êtes  le  vrai  Dieu ,  et  la  vie  éternelle  "  :  et  enfin  » 

'  Joan.  XT,  15.  —  ^Marc.  xiii,  23.  —'II.  Pel.  HI,  8,  10. 

—  *  I.  Thess.  y,  2,  4.  —  5  Eph.  v,  8,  II.  —* .Varc.  \ni,  3î. 

—  1  Joan.  XX  .28.  —  "  P/ii/ip.  u.c.  —  '  Kom.  ix  .&.—  '"  ./■•  i/.» 
i ,  I    —  "  lùid.  V ,  2«). 

«« 


e«2 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


avec  toute  votre  K<;Iiso  catholique ,  que  vous  êtes 
[\î  Fils  unique  de  Dieu ,  ooéleruci  et  consubstantiel 
à  votre  Père.  Et  loin  de  croire  que  comme  Verbe 
vous  ayez  pu  ignorer  quelque  chose,  et  ignorer 
en  particulier  le  jour  du  jugement ,  je  ne  veux  même 
pas  croire  que  vous  ayez  pu  l'ignorer  comme 
homme,  et  selon  la  dispensationde  votre  chair. 

Et  premièrement,  malheur  à  ceux  qui  osent  dire 
que  vous,  qui  êtes  le  Verbe,  la  parole,  la  raison,  l'in- 
telligence, la  sagesse  de  votre  Père-,  cette  sagesse  çwi 
lui  assistiez  lorsqu'il  a  créé  l'univers,  avec  laquelle 
il  disposait  et  composait  toutes  choses  ',  par  qui 
toutes  choses  ont  été  faites  *,  n'avez  pas  su  de 
toute  éternité  ce  qu'il  devait  faire  par  vous!  Or  il 
devait  faire  par  vous  toutes  choses ,  et  plus  encore, 
s'il  se  peut,  le  siècle  futur  que  le  siècle  présent; 
puisque  vous  êtes  celui  dont  il  est  écrit  :  que  par 
vous  il  a  fait  même  les  siècles^.  Car  n'est-ce  pas 
dire  clairement  que  tous  les  siècles  se  développent 
par  votre  ordre,  et  sont  disposés  dès  l'éternité  par 
votre  volonté?  Et  si  c'est  par  vous  que  tous  les 
siècles  sont  faits,  le  dernier  jour  ne  sera-t-il  pas 
aussi  votre  ouvrage?  Et  ce  jour  auquel  aboutit 
tout  votre  ouvrage,  qui  en  est  la  consommation, 
qui  en  est  la  fln,  sera-t-il  le  seul  que  vous  n'aurez 
pas  fait?  ou  l'ayant  fait,  sera-t-il  le  seul  que  vous 
n'ayez  pas  connu?  Et  ce  jour,  qui  est  le  terme  où 
se  rapportent  tous  vos  conseils,  n'aura-t-il  pas 
entré  dès  le  commencement  dans  vos  desseins  ?  Où, 
Y  aura-t-il  quelque  chose  que  Dieu  n'ait  pas  disposé 
par  sa  sagesse,  ni  ordonné  par  sa  parole?  quelque 
chose  qu'il  ait  caché  à  celui  qui  est  sa  sagesse  et 
son  conseil?  Et  le  Fils  unique  qui  réside  dans  le 
sein  du  Père,  n'y  a-t-il  pas  vu  ce  secret?  Personne 
n'a  vu  Dieu  que  lui ,  et  c'est  lui-même  qui  est  venu 
nous  l'annoncer  »°.  Mais  y  a-t-il  quelque  chose  dans 
le  sein  de  Dieu,  qui  lui  ait  été  caché?  Erreur,  im- 
piété, blasphème;  retirez-vous  :  rentrez  dans  l'en- 
fer dont  vous  êtes  sortis.  Car  faudrait-il  dire  en- 
core que  le  Saint-Esprit,  qui  sonde,  qui  pénètre 
tout,  et  même  les  secrets  et  les  profondeurs  de 
Dieu^,  ce  qu'il  y  a  de  plus  caché  dans  ses  desseins, 
n'aura  pas  vu  un  secret  si  important,  ni  connu  le 
le  dernier  jour?  ou,  que  cet  Esprit  l'aura  vu,  pen- 
dant que  le  Fils  de  qui  il  prend,  comme  du  Père^, 
l'aura  ignoré?  Absurdité  par-dessus  l'impiété  ,  que 
l'Esprit  qui  annonce  l'avenir,  et  qui  distribue 
comme  il  veut  les  dons  et  les  connaissances  7,  n'ait 
pas  tout  dans  la  perfection  qui  convient  au  prin- 
cipe et  à  la  source.  Car  il  faudrait  l'excepter  comme 
Fils,  s'il  fallait  prendre  à  la  rigueur  ce  que  vous 
avez  prononcé  :  que  ni  les  anges,  ni  le  Fils  ne 
savent  ce  jour,  ni  aucun  autre  que  le  Père  ». 

LXXVIIP  JOUR. 

Ce  dernier  jour  est  connu  au  Fils  de  Dieu  ;  mais  non  pas 
pour  nous  rapprendre.  Marc,  xni,  32. 

Je  continuerai,  ô  mon  Sauveur,  à  considérer  en 

'  Sap.  IX  ,  4,  9.  —  »  Jortn.  I,  3.  — 3//C&.  I,  2.  —  4  Joan.  I, 
—  »  I.  Cor.  Il,  10,  II.  —  •  Joan.  xvi,  15.  —  '  I.  Cor.  X!i,~ 


18 


4.  —  »  Marc.  Xin  »  3i. 


tremblant  cette  parole  que  vous  avez  prononcée 
ni  le  Fils.  Où  est  donc  cette  autre  parole  où  tous 
disiez  :  Tout  ce  qu'a  mon  Père  est  à  moi'  ?  et  celle- 
ci  :  Toutes  choses  ont  été  mises  entre  mes  mains 
par  mon  Père  :  et  personne  ne  connaît  le  Fils,  si 
ce  n'est  le  Père  :  et  personne  ne  connaît  le  Père,  si 
ce  n'est  le  Fils,  et  celui  à  qui  il  a  plu  au  Fils  de  le 
révéler  »?  Tout  est  commun  entre  votre  Père  et  vous  : 
et  la  connaissance  du  dernier  jour  ne  vous  sera  pas 
commune!  vous  qui  seul  connaissez  le  Père,  et 
qui  seul  le  faites  connaître  à  qui  il  vous  plaît ,  ne 
l'aurez  pas  connu  tout  entier,  ni  pénétré  tout  son 
secret!  S'il  faut  excepter  quelque  chose  dans  la 
connaissance  que  vous  avez  de  lui,  il  faudra  donc 
excepter  quelque  chose  dans  celle  qu'il  a  de  vous , 
puisqu'en  parlant  de  cette  connaissance  incom- 
municable à  tout  autre  qu'à  vous  deux,  que  vous 
avez  l'un  de  l'autre,  vous  dites  également  :  Nul  ne 
connaît  le  Père,  si  ce  n'est  le  Fils  :  et  nul  ne  connaît 
le  Fils,  si  ce  yi'est  le  Père.  Tout  vous  est  donné  par 
le  Père  :  le  Père  aime  le  Fils ,  et  lui  a  tout  mis  entre 
les  mains  ^  :  et  vous  ne  saurez  pas  tout  ce  qu'il  vous 
a  mis  entre  les  mains  !  Mais  comment  cela  se  pour- 
rait-il ,  puis(|ue  vous  dites  encore  :  Le  Père  aime 
le  Fils,  et  lui  montre  tout  ce  qu'il  fait  ^?  Ainsi  avec 
le  même  amour  qu'il  lui  donne  tout,  il  lui  montre 
tout  aussi.  Est-ce  ici  le  seul  endroit  où  il  ait  donné 
des  bornes  à  son  amour?  la  seule  connaissance  qu'if 
luiaitdéniée?  le  seul  don  qu'il  ait  reçu  avec  mesure, 
lui  qui  a  reçu  sans  mesure  tout  le  reste  ^ ,  afin  qui 
nous  reçussions  tous,  et  chacun  de  nous ,  ce  qu'ils 
du  fond  de  sa  plénitude  ^  ? 

Mais  parmi  toutes  choses ,  que  votre  Père  a  mises 
entre  vos  mains,  ce  qu'il  y  a  le  plus  mis  c'est  le  ju- 
gement; puisqu'il  s'en  est  en  quelque  sorte  dépouillé, 
lui-même  pour  vous  le  donner  :  d'où  vient  aussi  que 
vous  avez  dit  :  Le  Père  ne  juge  personne  ;  mais  il 
a  remis  au  Fils  tout  le  jugement  i  .Mais  en  même 
temps  vous  avez  dit ,  que  le  Fils  ne  fait  que  ce  qu'il 
volt  faire  à  son  Père.  Ce  qui  fait  aussi  que  le  Père 
l'aime,  et  lui  montie  tout  ce  qu'il fait^ ,  comme 
on  vient  de  voir. 

Mais  si  vous  devez  connaître  tout  ce  que  le  Père 
a  ordonné  sur  lejugement  dernier,  parce  que  c'est  à 
vous  qu'il  est  remis,  et  que  vous  êtes  vous-même 
ce  souverain  juge,  qui  paraîtrez  en  ce  jour  avec  une 
majesté  et  une  puissance  divine;  il  s'ensuit  que  vous 
connaissez  tout  cela,  même  commehomme,  parce 
que  c'est  comme  homme  que  vous  devez  juger  :  ce 
qu'il  vous  a  plu  de  nous  expliquer  en  disant  que  le 
Père  adonné  au  Fils  la  puissance  déjuger,  parce 
qu'il  est  le  Fils  de  l'homme  9.  Vous  savez  donc  tout, 
même  comme  homme  :  vous  savez  tout  ce  qui  re- 
garde le  jugement  :  vous  en  savez  sans  difûculté  le 
jour  et  l'heure,  puisque  vous  en  savez  toute  la  sa- 
gesse, et  que  la  sagesse  consiste  principalement  à 
prendre  les  moments,  conformément  à  cette  pa- 
role :  CJuique  chose  a  son  temps  •»;  et  dans  le 
monde  tout  est  compassé,  tout  est  rangé  dans  son 

•  Joan.  xvr,  15.  —  '  Matth.  xi,  27.  —  '  Joan.  m,  35.  — 
4  Ibid  V,  20.  —  ^  Ibid.  34.  —  ♦^  Ihid.  I,  16.  —  Ulnd.  V,  22. 
_  «  Ibid.  19 ,  20.  -  »  Ibid.  27.  —  '"Ecdis.  m  ,  I. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


Ci3 


lîea  ;  tout  se  passe  au  temps  qui  lui  est  marqué 
par  la  sagesse  qui  règle  tout. 

Vous  êtes  notre  chef,  et  nous  sommes  vos  mem- 
bres :  vous  savez  toute  l'économie  de  votre  corps. 
\  ous  connaissez  toutes  vos  brebis  :  vous  save*  cel- 
les qui  sont  venues ,  et  celles  qui  sont  encore  à  ame- 
ner :  vous  les  connaissez  et  les  nommez  distincte- 
ment. Vous  nommez  tous  ceux  que  votre  Père  vous 
a  donnés  ;  et  tout  vous  est  connu  depuis  le  premier 
jusqu'au  dernier  de  vos  élus  :  et  vous  marquez 
tous  les  temps,  où  vous  les  devez  appeler,  et  les 
incorporer  à  votre  corps'.  Car  c'est  vous  qui  les 
(levez  recueillir;  et  en  les  recueillant  vous  ne  faites 
qu'exécuter  ce  que  vous  aviez  destiné  avec  votre 
Père,  dès  que  vous  posâtes  les  fondements  de  votre 
Église.  Vous  en  avez  révélé  les  persécutions  à  votre 
apôtre  saint  Jean  :  il  en  a  vu  tout  le  cours  ;  il  a  vu 
la  dernière  comme  les  autres,  et  celle  qui  ne  uni- 
rait qu'avec  la  fin  du  monde ,  et  avec  le  Jeu  de  votre 
dernier  jugement*.  Les  temps  vous  sont  connus 
comme  tout  le  reste  :  vous  savez  ce  que  veulent 
dire  ces  mille  ans  où  vous  avez  déterminé  le  règne 
de  vos  saints  sur  la  terre  ;  et  ce  que  vous  avez  révélé 
en  énigme  à  votre  bien-aimé  disciple,  n'est  pas 
énigme  pour  vous.  Tout  vous  est  connu  ,  vous  êtes 
le  scrutateur  des  reins  et  des  cœui's.  Vous  avez  en 
votre  puissance  le  livre  où  sont  écrits  les  secretij  de 
Dieu,  et  ses  décrets  éternels;  et  les  sept  sceaux  qui 
le  ferment  n'y  sont  pas  pour  vous ,  puisque  vous 
les  ouvrez  quand  il  vous  plaît,  à  qui  il  vous  plaît,  et 
pour  les  raisons  qu'il  vous  plaît  ^.  Et  sous  le  sep- 
tîéme  sceau  étaient  enfermés  tous  les  événements 
futurs;  puisque  c'est  de  là  que  se  développent,  et 
les  trompettes  et  les  Fx^,  et  tout  le  reste,  qui  était 
l'histoire  de  l'Église.  C'est  pourquoi ,  lorsque  vos 
apôtres  vous  interrogeaient  sur  le  temps  où  vous 
rétabliriez  le  royaume  d'Israël ,  vous  leur  répondî- 
tes :  Ce  n'est  pas  à  vous  a  le  savoir^. 

O  Seigneur,  s'il  m'est  permis  de  vous  interroger 
encore,  que  ne  parliez-vous  en  la  même  sorte  à  vos 
apôtres;  et  que  ne  leur  disiez-vous':  Ce  n'est  pas  à 
vous  à  le  savoir  ;  au  lieu  de  dire ,  que  le  Fils  ne  le 
savaitpas? 

Peut-être  se  faudrait-il  taire  encore  ici;  et  qu'au 
lieu  de  se  fatiguer  à  examiner  ce  passage,  il  faudrait 
se  dire  à  soi-même  :  ce  n'est  pas  à  moi  à  l'entendre  ; 
ce  n'est  pas  à  moi  à  savoir  pourquoi  vous  avez  parlé 
en  cette  sorte.  J'acquiesce,  ô  mon  Sauveur!  et  je 
ne  recherche  ce  mystère  que  pour  y  trouver  quelque 
instruction,  s'il  vous  plaît  de  me  la  donner.  Mais 
peut-être  qu'elle  est  déjà  toute  trouvée  :  peut  être 
que  cette  parole,  Ce  n'est  pas  à  vous  à  entendre  les 
temps  et  les  moments  que  le  Père  a  mis  en  sapuis- 
sance^.,  est  le  dénoûment  de  celle  où  vous  avez  dit  : 
Pour  ce  jour  et  cette  heure-là,  nul  ne  la  sait  que 
le  Père  :  et  le  Fils  même  ne  la  sait  pas  i.  Ce  que  le 
Fils  ne  sait  pas  en  cet  endroit ,  c'est  ce  qu'il  ne  nous 
appartient  pas  de  savoir.  Le  Fils  comme  notre  doc- 
teur, le  Fils  comme  l'interprète  de  la  volonté  de  son 

'  Joan.  X.—  »  Jpoc.  \x,7,8,  9,  \0.—  ^Ihid.  u,  2.3;  v, 
I,  2 ,  et  seqq.  —  4  /j jrf.  y„i,  i  et  seqq.  —  »  Act.  i ,  7.  —*lbii. 
— '.Vurc.  \1U,  32. 


Père  envers  les  hommes,  ne  le  sait  pas.  parce quti* 
cela  n'est  pas  compris  dans  ses  instructions ,  ni  dans 
tout  ce  qu'il  a  vu  pour  nous,  ainsi  que  nous  l'avons 
dit.  Kt  le  Fils  de  Dieu  parle  ainsi  pour  transporter  on 
lui-même  le  mystère  de  notre  ignorance,  sans  préju- 
dice de  la  science  qu'il  avait  d'ailleurs,  et  nous  ap- 
prendre, non-seulement  à  ignorer,  mais  encore  à 
confesser  sans  peine  que  nous  ignorons;  puisque 
lui-même  qui  n'ignorait  rien,  et  surtout  qui  n'igno- 
rait pas  cette  heure  dont  il  était  le  dispensateur, 
ayant  trouvé  un  côté  par  où  il  pouvait  dire  qu'il 
l'ignorait,  parce  qu'il  l'ignorait  dans  son  corps  et 
qu'il  était  de  son  dessein  que  son  Église  l'ignorât,  il 
dit  tout  court  qu'il  l'ignore ,  et  nous  enseigne  à  ne 
rougir  pas  de  notre  ignorance. 

J'ignore  donc  de  tout  mon  cœur,  et  ce  mystère» 
et  tous  les  autres  que  vous  voulez  me  cacher,  et  que 
vous  ne  savez  pas  en  moi  ni  pour  moi.  J'ignore  le 
jour  où  vous  viendrez  ,  parce  que  vous  m'avez  dit 
que  vous  viendriez  co?n/?ie  un  voleur.  ÎMais  si  on  ne 
sait  pas  quand  le  voleur  viendra,  le  voleur  n'en  sait 
pas  moins  quand  il  veut  venir.  Vous  savez  donc, 
voleur  mystique!  vous  savez  quand  vous  viendrez  : 
et.les  enfants  de  ce  siècle  ne  seront  pas  plus  prudents, 
plus  avisés  dans  leurs  desseins,  plus  éclairés  dans 
l'ordre  qu'ils  mettront  à  leur  exécution,  que  vous  qui 
êtes  la  lumière,  même,  la  sagesse  même.  Vous  sa- 
vez donc,  encore  un  coup,  quand  vous  viendrez  à 
la  dérobée,  demander  à  chacun  de  nous ,  et  deman- 
der à  tout  le  genre  humain ,  le  compte  que  nous 
vous  devons  de  notre  conduite.  Vous  le  savez  :  et 
c'est  pourquoi  vous  avez  dit ,  que  lepère  defamiUe 
ne  sait  pas  l'heure  du  voleur,  mais  non  pas  que  le 
voleur  l'ignorât  lui-même.  Et  vous  avez  dit  :  f  cillez 
donc,  parce  que  vous  ne  savez  pas  à  quelle  heure  le 
Seigneur  viendra;  et  non  pas  que  le  Seigneur  qui 
doit  venir,  l'ignore  lui-même.  Et  vous  avez  dit,  en 
continuant  la  parabole  :  Soyez  prêts,  parce  que 
vous  ne  savez  pas  à  quelle  heure  viendra  le  Fils 
de  l'homme^. 

Vous  vous  êtes  aussi  comparé  à  un  père  de  famille, 
qui  revenant  de  son  voyage  surprend  son  économe, 
en  venant  aujour  que  ce  méchant  serviteur  ignore, 
et  à  r  heure  qu'il  n'attend  pas*.  Mais  vous,  vous 
êtes  le  Seigneur,  vous  êtes  le  père  de  famille,  qui 
sait  bien  quand  il  doit  venir;  et  si  le  serviteur  est 
imprudent,  le  père  de  famille  n'est  pas  pour  cela 
ignorant  de  ses  propres  desseins.  Vous  savez  donc, 
pour  la  dernière  fois,  quand  vous  voulez  venir,  et 
vous  ne  voulez  pas  que  nous  le  sachions.  Voilà  que 
mon  âme  est  prête,  quand  vous  me  la  redemande- 
rez ;  mon  compte  est  en  état  ;  recevez-le ,  et  me  ju- 
gez en  vos  miséricordes  :  voilà  du  moins  ce  qu'il 
faudrait  pouvoir  dire.  O  mon  Sauveur ,  quand  se- 
rai-je  en  cet  état.?  quand  pourrai-je  dire  de  bonne 
foi  :  Mon  cœur  est  prêt,  6  Dieu  !  mon  cœur  est 
prêt^} 

•  Matth.  IXIT,  42 ,  43,  44.    -  »  Ibid.  60.  —  ^  Ps-  IVI ,  H. 


tu 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


LXXIX«  JOUR. 


Tlaitons  profondes  de  notre  Sauveur  d'user  de  ces  réserves 
ui'.'sléricuses  pour  l'instruction  de  son  lï^jlise  :  mais  non 
pour  au1x)riser  les  homm&s  à  user  d'équivoques  et  de  res- 
trictions mentalee.  Marc,  xiii,  32. 

Gardons-nous  bien  de  conclure  de  ces  réserves 
mystérieuses  du  langage  de  notre  Sauveur,  qu'il 
nous  soit  permis  d'user  dans  nos  discours  de  dissi- 
mulation, d'équivoque  et  de  restriction  de  pensée; 
•car  il  ne  nous  appartient  pas  de  nous  donner  à  nous- 
mêmes  divers  personnages,  selon  lesquels  nous 
-puissions  nier  en  un  sens  ce  que  nous  avouerons  en 
l'autre.  Il  ne  nous  appartient  pas  non  plus  de  faire 
de  nos  réserves  une  instruction,  un  exemple  d'humi- 
lité, une  es;^èce  de  parabole  dont  il  faille  chercher 
le  sens,  un  mystère  dont  il  faille  approfondir  le 
secret.  Jésus-Christ  a  sa  science  comme  Verbe,  et 
tout  y  est  compris,  le  présent,  le  passé,  le  futur, 
le  possible,  l'existant,  tout  en  un  mot  ;  tout  ce  qui 
est  dans  la  science  du  Père  ;  car  il  est  lui-même 
cette  science,  puisqu'il  est  son  Verbe,  sa  raison, 
sa  parole  extérieure.  Il  a  sa  science  comme  homme, 
par  rapport  à  sa  perfection ,  et  comme  le  déposi- 
'taire  et  l'exécuteur  de  tous  les  secrets  de  son  Père. 
"Tout  ce  qui  regarde  le  genre  humain  est  compris 
dans  cette  science,  puisque  toute  puissance  lui  est 
donnée  dans  le  ciel  et  dans  la  terre'.  C'est  lui  qui 
doit  tout  faire;  c'est  lui  qui  doit  venir  pour  juger. 
Son  Père  ne  l'avertit  pas  à  chaque  moment,  de  ce 
qu'il  aura  à  faire  par  son  ordre;  mais  il  lui  donne 
tout  d'un  coup  une  pleine  compréhension  de  tout  i 
We  dessein  dont  il  a  l'exécution  en  son  pouvoir  :  au- 
trement il  agirait  comme  nous,  en  foi,  en  obscu-  1 
vrité,  par  morceaux,  par  pièces,  au  hasard  en  un 
certam  sens,  et  à  l'aveugle,  sans  entendre  le  rap- 
port de  chaque  partie  avec  la  fin  de  l'ouvrage  et 
avec  le  tout.  11  a  outre  cela  sa  science  comme  doc- 
teur de  son  Église,  comme  interprète  envers  elle 
des  volontés  de  son  Père;  comme  faisant  avec  elle 
un  même  corps.  Dans  cette  science  est  compris  tout 
ce  qu'il  faut  que  l'Église  sache.  Il  fallait  que  l'Église 
sût  ses  persécutions  pour  s'y  préparer  ;  la  chute  pro- 
chaine des  Juifs,  aûn  qu'ils  en  fussent  avertis,  et 
qu'ils  fissent  pénitence;  et  pour  ôter  aux  fidèles  la 
tentation  de  croire  que  le  déicide  et  les  autres  dé- 
loyautés de  ce  peuple,  avec  les  cruautés  qu'il  a  exer- 
cées sur  la  personne  du  Sauveur  et  de  ses  apôtres, 
demeurassent  longtemps  impunies  :  Jésus-Christ 
a  su  tout  cela  pour  son  Église,  et  il  l'a  expliqué. 
Il  fallait  que  l'Église  sût  les  signes  du  jugement  à 
venir,  afin  d'être  attentive  à  son  approche.  Jésus- 
Christ  a  su  encore  cela  pour  elle,  et  il  l'a  prédit. 
Il  ne  fallait  pas  qu'elle  sût  le  temps  ni  l'heure  :  Jé- 
sus-Christ à  cet  égard  ne  le  sait  pas,  et  n'en  dit 
rien  à  ses  fidèles.  Cette  science ,  qui  était  en  Jésus- 
Christ  par  rapport  aux  instructions  qu'il  devait  don- 
ner à  son  Église,  avait  sa  perfection  et  sa  totalité, 
qu»  lui  faisait  dire  :  Je  vous  ai  découvert  comme  à 
mes  amis  tout  ce  que  j'ai  oui  de  mon  Père  »  ;  et  en- 
core :  Je  vous  ai  tout  prédit^;  tout  ce  qu'il  fallait 

»  Uaith.  ixvui.  18.  —  '  Joan.  xv  ,15.-3  Marc,  xui ,  21. 


que  vous  sussiez ,  tout  ce  que  j'avais  appris  pour 
vous.  Si  je  dis ,  pour  vous  renfermer  dans  ces  bor- 
nes, que  je  ne  sais  pas  le  reste,  j'ai  mes  raisons  de 
parler  ainsi  selon  la  charge  qui  m'est  imposée,  selon 
le  personnage  que  je  fais  :  ne  soyez  pas  assez  témé- 
raires pour  vouloir  ou  critiquer  ou  imiter  ce  langage 
mystérieux  qui  ne  vous  convient  pas  :  c'est  à  vous 
à  dire  avec  sagesse  et  avec  simplicité  tout  ensemble  : 
Cela  est  :  cela  n'est  point  ^  :  ne  mentez  pas  ;  fie 
vous  trompez  pas  les  uns  les  autres  i  parce  que  vous 
êtes  mernbres  les  uns  des  autres  ». 

Tâchons  ici  de  nous  revêtir  de  l'esprit  de  sincé- 
rité, à  l'exemple  de  Jésus-Christ,  qui,  à  la  réserve 
de  ces  mystères,  où  il  était  obligé  à  nous  ménager 
la  lumière,  nous  a  tout  dit  comme  à  ses  amis,  se- 
lon qu'il  était  convenable ,  et  que  nous  le  pouvions 
porter. 

LXXX"  JOUR. 


Ce  qui  doit  être  commun  à  ces  deux  grands  événemeats  : 
séduction  générale.  Ihid. 

Relisons  les  commencements  de  ce  discours  pro- 
phétique de  Notre-Seigneur.  Nous  y  trouverons  les 
choses  qui  doivent  être  communes  aux  deux  événe- 
ments qu'il  prédisait,  à  la  ruine  des  Juifs,  et  au 
jour  du  jugement  dernier  :  c'est  que  l'un  et  l'autre 
devait  être  précédé  de  grands  mouvements,  d'une 
grande  persécution  de  l'Eglise,  d'une  grande  séduc- 
tion. 

Ses  disciples  lui  dirent  en  secret  :  Dites-nous 
quand  ces  choses  arriveront,  et  quel  sera  le  signe 
de  votre  avènement,  et  de  la  consommation  des 
siècles  ?  et  Jésus  leur  répondit  :  Prenez  garde  à 
n'être  pas  séduits  ^. 

Souvenez-vous  toujours  qu'ils  joignaient  deux 
choses,  la  chute  de  Jérusalem,  et  le  dernier  jour, 
comme  devant  arriver  dans  le  même  temps.  Et  saiîs 
les  désabuser  d'abord ,  parce  que  cela  n'était  pas 
nécessaire,  Jésus-Christ  leur  va  expliquer  ce  qui 
devait  être  commun  à  ces  deux  événements. 

Prenez  garde  que  personne  ne  vous  séduise. 
Ils  lui  faisaient  une  demande  curieuse  :  Quand  ces 
clwses  arriveront-elles^  Il  leur  donne  un  avis 
utile  :  Prenez  garde  qu'on  ne  vous  séduise; 
comme  s'il  disait  :  Il  vous  importe  peu  de  savoir 
quand  arriveront  ces  choses;  mais  ce  qu'il  faut  que 
vous  sachiez  c'est  qu'elles  seront  précédées  d'une 
périlleuse  et  horrible  tentation,  pour  vous  séduire. 
Car  il  viendra  plusieurs  christs;  et  plusieurs  seront 
trompés.  C'est  ce  qui  arriva  devant  la  ruine  de  Jé- 
rusalem, et  aux  environs  de  ces  temps-là.  C'est  ce 
qui  arrivera  encore  à  la  fin  des  siècles.  Je  suit 
venu  au  nom  de  mon  Père.,  et  vous  ne  me  recevez 
pas  :  si  un  autre  vient  en  son  nom,  vous  le  rece- 
vrez. C'est  ce  qui  est  déjà  souvent  arrivé  aux  Juifs  : 
et  quelque  chose  de  semblable  leur  arrivera  encore 
une  fois  vers  la  fin  des  siècles  ;  lorsque  ce  méchant, 
cet  impie,  qui  s'assiéra  dans  le  temple  de  Dieu, 
pour  s'y  montrer  comme  un  Dieu,  paraîtra  avec 
des  jyt'odîges  trompeurs,  et  avec  toute  sorte  de  se- 

•  Malth.  V,  27.—*  Coloss.  m,  9.  Eph.  IV,  23.  —^Matih. 
XXIV,  3.  .Vaic.  xui,  4,  5.  Luc.  xxi,  7,  8. 


î^rÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILFT. 


éviction;  en  sorte  qu'ils  soient  livrés  à  l'esprit  de 
mensonge,  pour  ne  s'être  pas  voulu  laisser  gagner 
a  l'amour  de  la  vérité'.  Ce  qui  convient  parfai- 
tement avec  la  parole  qu'on  vient  d"entendre  de  la 
bouche  de  Jésus-C.lirist,  et  semble  fait  pour  mar- 
quer d'une  façon  particulière  l'aveuglement  volon- 
Hire  avec  l'endurcissement  du  peuple  juif.  Quoi 
qu'il  en  soit,  le  démon  développera  toute  sa  mali- 
gnité aux  approches  du  dernier  jour  :  et  la  même 
chose  arriva  aux  approches  de  la  ruine  de  Jérusa- 
lem, n'y  ayant  jamais  eu  tant  de  faux  christs,  ni 
t;mt  de  faux  prophètes.  Remarquez  dans  saint  Mat- 
tliieu  les  versets  5,  1 1,  23,  24,  25,  26  :  et  à  peu  près 
la  même  chose  dans  saint  Marc  et  dans  saint  Luc. 
foilà  que  je  vous  l'ai  prédit  :  Prenez-y  garde  ». 
La  séduction  sera  si  puissante,  que  Jésus-Christ  ne 
craint  point  de  dire  qu'elle  ira,  s'il  se  peut,  jusqu'à 
induire  en  erreur  même  les  élus  ^.  S'il  se  peut  fait 
voir  deux  choses  :  l'une ,  l'extrême  péril  ;  l'autre , 
le  secours  présent  de  la  main  toute-puissante  de 

Dieu. 

Pesons  ces  paroles  :  considérons  à  quelles  épreu- 
ves Dieu  met  notre  foi;  jusqu'où  il  veut  que  nous 
hii  soyons  soumis;  ce  qu'ont  à  craindre  les  esppits 
superbes  ;  les  pièges  que  Dieu  permet  qui  leur  soient 
tendus;  combien  ils  sont  délicats,  combien  sub- 
tils; combien  il  est  dangeraix  que  les  saints  mê- 
mes' ne  s'y  prennent  :  avec  quelle  frayeur  et  quel 
tremblement  ils  doivent  donc  opérer  leur  salut*. 

Cet  esprit  de  séduction  qui  se  développera  tout 
entier  à  la  fin  des  siècles ,  se  fait  souvent  sentir 
avant  ce  temps  dans  les  subtilités  des  hérétiques  : 
une  apparence  de  réforme  ;  un  air  de  piété  et  de 
modestie;  des  paroles  douces,  tirées  le  plus  sou- 
vent de  l'Écriture;  une  véhémente  répréhension 
des  abus  criants ,  qui  semble  marquer  un^  vrai  zèle, 
Hne  vraie  horreur  des  vices ,  un  vrai  amour  de  la 
vertu.  La  chrétienté  s'émeut  :  les  nations  se  can- 
tonnent :  les  élus,  s'il  se  pouvait,  devaient  être 
pris  dans  ce  piège.  Mais  ceux  qui  y  ont  été  pris 
doivent  songer  que  nous  aurons  bien  à  soutenir 
d'autres  illusions  à  la  fin  des  siècles;  une  hypocrisie 
bien  plus  délicate,  bien  plus  raffinée  :  lorsque  les 
prodiges  trompeurs  se  joindront  à  une  doctrine  sé- 
duisante. O  Dieu,  je  tremble  pour  ceux  qui  seront 
mis  à  cette  épreuve!  Tremblez  dès  à  présent  à  la 
tromperie  de  vos  passions,  aux  belles  couleurs 
dont  elles  parent  vos  vices  secrets ,  à  ces  instincts 
trompeurs  de  l'ennemi ,  à  ces  illusions  secrètes  que 
vous  prenez  pour  inspirations.  Qui  a  des  oreilles 
pour  oHir,  qu'il  écmite>;  Ah!  c'est  de  quoi  sé- 
duire, s'il  se^peut,  jusqu'aux  élus.  Concloez  avec 
saint  Paul  :  Opérez^  votre  salut  avec  crainte  et 
tremblement.  Mais  ne  croyez  pas  l'opérer  de  vous- 
même.  Croyez  que  c'est  Dieu  qui  opère  en  vous  le 
vouloir  et  le  faire^  :  opérez,  et  croyez  que  Dieu 
0{)ère  :  ne  soyez  ni  lâche  ni  présomptueux  :  aban- 
donnez-vous à  cette  grâce  qui  agit  en  vous,  mais 
avec  une  courageuse  et  fidèle  coopération  :  c'est  ce 

^  Jomi.y,iZ.—  -U.Thess.n,Z,  4,9,10,  U.—  ^Matth. 
ÏWT,  25.  Marc.xm,  2.3.  —♦  Maith.  xxiv,24.  —  »  Philip.  U, 
VL  —  *Matlh.  XI,  li—''  Philip.  M,  12,  IX 


61S 

qui  soutient  les  élus;  c'est  ce  qiH  Ie&  eaipécheaa 
périr. 

Ijes  élus,  s'il  se  peut,  seront  induits  à  erreur*. 
S'il  se  peut.  Cela  donc  ne  se  peut  pas  :  une  main 
toute-puissante,  contre  laquelle  rien  ne  prévaut, 
détourne  ce  coup.  O  conduite  miséricordieuse  et 
toute-puissante,  qui  empêchez  vos  élus  de  pouvoir 
périr,  je  vous  reconnais,  je  vous  adore,  je  m'aban- 
donne à  vous!  mais  dans  cet  esprit  qui,  en  nous  di- 
sant :  Dieu  opère,  nous  dit  en  même  temps  :  Opé- 
rez, travaillez,  agissez  avec  une  infatigable  ferveur, 

LXXXI"  JOUR. 

Le  même  sujet.  Guerres,  famines,  pestes,  tremblements  da 
terre;  maui  extrêmes.  Marc,  xni,  32. 

Un  grand  mouvement  dans  le  monde  :  des  guer- 
res, des  bruits  de  guerre,  des  pestes,  des  famines, 
des  tremblements  de  terre  *.  seront  les  tristes  avant- 
coureurs  de  ces  deux  événements.  Voyez-les  en  saint 
Matth.,  XXIV,  6, 7  ,  et  la  même  chose  en  saint  Marc 
et  en  saint  Luc.  C'est  ce  qui  arriva  un  peu  devant 
la  guerre  de  Judée,  et  dans  la  dernière  année  de 
Néron  :  c'est  ce  qui  arrivera  encore  d'une  manière 
plus  formidable  aux  approches  du  dernier  jour. 

Des  guerres,  des  bruits  de  guerre  :  de  grandes 
guerres  en  effet;  de  plus  grandes  appréhensions  de 
mouvements  nouveaux  :  il  semblera  que  l'esprit  de 
guerre,  les  haines,  les  jalousies,  la  nature  même 
voudra  enfanter  quelque  chose  de  funeste  aux  grands 
États  :  on  remarquera  dans  \e  monde  un  esprit  d'é- 
branlement universel.  Au  milieu  de  tout  ce  tumulte, 
prenez  garde  de  n'être  pas  troublés;  car  il  faut  que 
cela  arrive,  et  ce  n'est  pas  encore  la  fin  ^. 

De  quoi  donc  sera-t-on  troublé ,  si  on  ne  l'est  de 
telles  choses  ?  de  rien  du  tout.  Car  le  chrétien  n'est 
troublé  de  rien  que  de  son  péché,  et  de  la  colère 
de  Dieu  qui  le  doit  punir.  Prenez  donc  garde  de 
n'être  point  troublés.  Vous  vous  enquérez  de  ce  qui 
se  passe,  non-seulement  avec  curiosité,  mais  en- 
core avec  frayeur  :  que  deviendront  ces  grandes  ar- 
mées qui  sont  en  présence?  Quel  ravage,  quel  em- 
brasement ,  quel  carnage ,  quel  déluge  de  maux ,  si 
une  fois  la  digue  est  rompue!  ah!  je  m'en  meurs! 
Vous  n'êtes  pas  chrétien.  Le  sort  des  empires  est 
entre  les  mains  de  Dieu  :  ils  meurent  enleur temps 
comme  le  reste  des  choses  humaines.  Priez  pour 
votre  patrie;  humiliez-vous;  faites  pénitence  :  mais 
ne  craignez  point;  ne  vous  troublez  pas  :  il  faut' 
que  cela  arrive.  Il  le  faut  non  par  une  aveugle  et 
fatale  nécessité  qui  nous  mettrait  au  désespoir  : 
mais  il  le  faut  par  une  raison ,  par  une  sagesse,  par 
une  bonté  qui  prépare  de  grands  biens  par  tous  ces 
maux.  Ne  craignez  point,  pent  troupeau ,  puisque 
le  royaume  qu'il  a  plu  à  votre  Père  céleste  de  vou.i 
préparer  *  est  hors  d'atteinte.  Toutes  les  puissances 
ennemies,  visibles  et  invisibles,  n'ont  point  de  prise 
dessus ,  et  if  ne  vous  peut  être  ravi. 

C'est  ici  le  commencement  des  doideurs*,  des 
douleurs  de  l'enfantement;  de  celles  qui  font  jeter 

'  Marc.  XXHI,  22.  —  »  .Varc.  xni  ,7,8.  Luc.  XXI,  S.  I-J. 
U.  —  *  Matth.  XXIV ,  C.  —  ^  Litc.  xii,  32.  —  '  Matth.  \\l\,  ». 


646 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


de  plus  grands  cris;  qui  s'augmentent  de  plus  en 
plus  :  on  croit  être  à  la  Gn,  ce  n'est  encore  qu'un 
commencement. 

Quoi!  ce  mouvement  effroyable  des  royaumes 
qui  s'entrechoquent,  ces  famines,  ces  pestes,  ces 
tremblements  de  terre,  ne  sont  que  le  commence- 
ment des  douleurs!  O  Dieu  !  que  vos  derniers  coups 
sont  redoutables,  si  ceux-là  qui  sont  si  terribles, 
dont  on  ne  peut  seulement  entendre  les  noms  sans 
être  saisi  de  frayeur,  ne  sont  qu'un  prélude!  Il  est 
ainsi,  Seigneur,  il  est  ainsi.  Par  tous  ces  grands 
coups,  les  corps  seuls  sont  menacés  :  mais  voici  ce 
qui  est  terrible,  au  delà  de  toutes  les  terreurs  : 
Craignez,  craignez  celui  qui,  après  avoir  fait 
mourir  le  corps ,  enverra  l'âme  dans  la  gêne.  Oui, 
je  vous  le  dis,  craignez  celui-là^.  O  Seigneur!  si 
je  sais  bien  craindre  cela,  je  ne  craindrai  autre 
chose;  et  je  verrai  tous  les  éléments  se  mêler  et  la 
nature  se  confondre,  sans  effroi.  Ah!  je  ne  puis 
craindre  que  ce  qui  tue  l'âme  :  mais  je  puis  ne  le 
craindre  pas,  si  je  commence  sérieusement  à  me 
convertir.  Je  n'ai  rien  à  penser  que  la  pénitence,  ni 
rien  à  craindre  que  de  mourir  dans  mon  péché. 
]\Iourir  ce  n'est  rien,  de  quelque  douleur  que  la 
mort  soit  accompagnée;  quelque  étrange, quelque 
imprévue,  quelque  cruelle  et  insupportable  que  la 
mort  paraisse.  Mourir  dans  le  péché,  c'est  tout  le 
mal ,  et  le  seul  qui  soit  à  craindre.  Malheureux,  in- 
grats, pécheurs  endurcis  :  Fite,  vite;  convertissez- 
vous,  et  vivez  ». 

LXXXJP  JOUR. 

Persécution  terrible  de  l'ÉglLse,  fraliisons,  charité  refroidie. 
Marc,  xui ,  32. 

Un  autre  avant-coureur,  la  persécution.  Elle  a 
ces  terribles  circonstances  :  une  haine  implacable 
de  tout  le  genre  humain  contre  l'Église;  la  fureur 
au  dehors ,  la  trahison  au  dedans  :  on  se  livrera  les 
uns  les  autres;  les  frères  livreront  leurs  frères,  et 
le  père  même  son  enfant;  les  enfants  se  soulèveront 
contre  leurs  pères,  et  les  familles  mêmes  seront 
divisées  :  les  scandales  seront  horribles ,  à  cause 
des  chutes  fréquentes  de  ceux  qu'on  croyait  les  plus 
fermes.  Au  milieu  de  tout  cela  la  séduction  redou- 
blera, et  de  faux  docteurs  gagneront  ceux  que  la 
violence  n'aurait  pu  abattre  :  la  cruauté  et  la  sé- 
duction iront  ensemble  au  dernier  degré.  C'est  ce 
qui  est  arrivé  à  l'Église  naissante,  à  commencer 
vers  les  dernières  années  de  Néron ,  un  peu  avant 
la  guerre  de  Judée.  C'est  ce  qui  arrivera  d'une  ma- 
nière bien  plus  terrible  à  la  lin  des  siècles  ^. 

Ce  n'était  pas  une  chose  aisée  à  prédire,  comme 
on  le  pourrait  penser  d'abord,  qu'une  telle  haine, 
et  une  telle  persécution  contre  l'Eglise  :  et  on  n'au- 
rait pas  pu  prévoir  que  le  monde  qui  laissait  en  paix 
toutes  les  religions,  et  jusqu'aux  sectes  les  plus 
impies,  comme  celle  des  épicuriens,  ne  pourrait 
souffrir  le  christianisme.  ]\Iais  Jésus-Christ  l'a  voulu 

»  Lur.  xu,  5.  --  »  Ezech.  xviil,  32.  —  ^  Matlh.  xxiv,  9  et 
■eqq.  Marc,  xiii,  12.  Luc.  xxi. 


prédire,  et  avertir  ses  lidèles  d'une  chose  aussi  sin- 
gulière, et  jusqu'alors  autant  inouïe  que  celle-là. 

Il  joint,  selon  sa  coutume,  la  consolation  aux 
maux.  Tout  le  monde  vous  haïra  :  mais  vous  ne 
perdrez  pas  un  seul  cheveu;  vous  posséderez  vorrc 
âm£  par  votre  patience  '  ;  non  en  combattant,  mais 
en  souffrant.  Fous  serez  traînés  à  tous  les  tribu- 
naux ,  comme  des  criminels  ;  mais  cela  leur  sera  en 
témoignage^  :  vous  y  paraîtrez  comme  des  témoins 
de  la  vérité,  comme  les  maîtres  du  genre  humain  : 
Je  vous  donnerai  une  bouche  que  nulle  impu- 
dence, nulle  violence  ne  pourra  fermer;  une  sa- 
gesse, une  force  contre  laquelle  il  n'y  aura  point 
de  résistance  ^  :  vous  n'aurez  rien  à  préméditer  : 
le  Saint-Esprit  parlera  par  votre  bouche^  :  et  le 
reste  qu'on  peut  voir  dans  l'Évangile. 

Ce  qui  sera  de  plus  déplorable,  c'est  que  ta  ma- 
lice s' augmentant  sans  fin,  la  charité  se  refroidira 
dans  la  multitude  ^  :  c'est  ce  qui  arriva  à  saint 
Paul ,  lorsqu'il  disait  :  Toics  m'ont  quitté  :  personne 
ne  m'a  assisté  dans  ma  première  défense  :  Démas 
même  m'a  abandonné,  attiré  par  l'amour  de  ce 
siècle  :  il  n'y  a  que  Luc  avec  moi  :  qu'Une  leur  soit 
point  imputé  '^.  Mais  ce  refroidissement  de  la  charité 
dans  ses  frères ,  ne  changeait  point  envers  eux  le 
cœur  de  Paul.  Ce  refroidissement  de  la  charité  pa- 
raîtra beaucoup  davantage  dans  la  lin  des  siècles  : 
car,  lorsque  le  Fils  de  l  homme  viendra ,  pensez- 
vous  qu'il  trouve  de  la  foi  sur  la  terre  i? 

Mais  à  ce  comble  de  maux ,  il  n'y  a  qu'un  seul 
remède  :  Qui  persévérera  jusqu'à  la.  fin  sera 
sauvé  ^.  Remarquez  ce  mot  -.jusqu'à  la  fin.  Dix 
ans,  vingt  ans,  trente  ans,  cinquante  ans,  ce  n'est 
rien  :  il  faut  aller  jusqu'à  la  fin.  Ne  vous  lassez 
point  de  travailler;  car  la  moisson  que  vous  recueil- 
lerez ,  sera  éternelle. 

Il  faut  que  cet  Évangile  soit  prêché  par  toute 
la  terres  :  de  peur  qu'on  ne  pense  que  la  persécu- 
tion qu'on  vient  de  voir  si  déchaînée,  en  arrête  le 
cours.  Paul  était  lié  :  mais  la  parole  de  Dieu  ne 
l'était  pas  ">  :  elle  courait  ■' ,  dit  cet  apôtre  :  le 
bruit  en  retentissait  par  toute  la  terre  :  la  foi  des 
liomains  y  était  annoncée  •»  :  l'Évangile,  qui  était 
venu  jusqiC  à  Colosse,  était,  etfructifia'it,  et  crois- 
sait en  même  temps  par  tout  le  monde  •^.  Ainsi  la 
prédiction  du  Sauveur  s'accomplissait  déjà  en 
quelque  façon ,  avant  la  dissipation  des  Juifs  :  mais 
le  grand  acconiplissement  en  est  réservé  à  la  fin 
des  siècles ,  et  la  prédication  aura  percé  par  tout  le 
monde  avant  qu'il  finisse. 

O  Dieu  !  donnez  vigueur  à  votre  parole  :  bénissez 
les  prédicateurs  apostoliques  :  envoyez  vos  ouvriers 
dans  cette  grande  moisson  ,  que  votre  ennemi  ra- 
vage. O  Seigneur  !  je  me  joins  en  esprit  à  ces  hé- 
rauts de  votre  Évangile,  et  à  ceux  qui  croiront  en 
vous  parleur  parole.  Sanctifiez-les  en  vérité,  et  que 
leur  sainteté  naissante  répare  les  ravages  que  fait 

'  Luc.  XXI,  17,  18,  19.  —  '  Ibid.  12,  13,  et  Marc,  xm,  9 
et  scqq.  —  »  Luc.  xxi  ,14,15.—''  Matlh.  x,  19,  20.  —  ^  Ibid. 

XXIV,  12.  — «  II.  Tim.  IV,  9,  11,  16.  —  '  i«C.  XVHI,  8.  — 
«  Matlh.  \\\V,  n.  —9  Ibid.  14.  —  '»  II.  Tim.  11,9.  —  '-  Il 
Thcss.  i!i,  1.  —  '-^  rlom.  1,8.  —  '^  Coloss-  I,  6. 


MÉDITATIONS  SUTl  L'ÉVANGILE. 


le  péché  dons  voire  héritage.  Sauvons-nous ,  sau- 
vons-nous de  la  corruption  de  cette  race  mauvaise. 
Mon  âme ,  sauve-toi  toi-même  :  ô  Dieu  !  sauvez-moi  ; 
je  péris. 

LXXXÎir  JOUR. 

Rénexions  sur  plusieurs  circonstances  de  ces  deux  événe- 
ments. Marc,  xiu ,  32. 

Priez  que  votre  fuite  n'arrive  point  durant 
l'hiver  ou  dans  le  Jour  du  sabbat  :  vous  aurez 
besoin  des  plus  grands  jours,  de  la  saison  la  moins 
embarrassante,  de  la  liberté  d*agir  la  plus  entière, 
pour  précipiter  votre  fuite  dans  les  déserts  et  dans 
les  montagnes,  et  pourvoir  à  tant  de  pressants  be- 
soins. Jamais  il  n'y  eut,  jamais  il  n'y  aura  d'af- 
fliction semblable  :  jamais  peuple  n'aura  été  ni  ne 
sera  plus  impitoyablement  livré  à  la  vengeance  : 
ef  si  Dieu  n'avait  abrégé  le  temps  nul  homme  ne  se 
sauverait  :  mais  Dieu  a  abrégé  le  temps  pour  la- 
mour  de  ses  élus  • .  Ce  Qéau  de  Dieu  sera  si  terrible , 
et  la  force  en  sera  si  insupportable,  qu'il  y  aurait 
de  quoi  accabler  tout  le  genre  humain.  Mais  il  fal- 
lait qu'il  restât  des  hommes  sur  la  terre  pour  en- 
fanter les  élus  et  les  saints,  qu'il  y  avait  encore  à 
recueillir.  Voilà  un  sens.  Dieu  fléchi  par  les  prières 
de  ses  élus,  a  tempéré  sa  colère  :  ils  sont  le  sel  de 
la  terre,  pour  en  empêcher  la  totale  corruption  :  il 
faut  qu'ils  y  soient  répandus  deçà  et  delà ,  et  de  tous 
côtés  :  autrement  le  genre  humain ,  qui  n'est  con- 
servé que  pour  eux ,  périrait  en  entier  :  c'est  un 
autre  sens.  Le  dernier  :  Dieu  a  abrégé  le  temps  des 
souffrances,  de  peur  que  ses  élus  n'en  fussent  enfln 
accablés  :  et  il  n*a  pas  voulu  qu'ils  fussent  tentés 
par-dessus  leurs  forces. 

Pour  l'amour  des  élus  qu'il  a  choisis,  dit  saint 
îMarc  ».  Ils  ne  sont  pas  élus  par  un  autre  :  c'est  par 
lui-même  :  l'amour  qui  les  lui  a  fait  élire,  l'oblige 
à  tout  faire  pour  eux;  et  il  n'épargne  la  terre  qu'à 
leur  considération. 

Respectons  les  saints  qui  sont  parmi  nous;  nous 
kur  devons  tout  :  et  Dieu  s'apaise  en  les  voyant; 
comme  un  père  qui  voit  ses  enfants  parmi  ses  en- 
nemis, retient  sa  main.  Après  la  séparation,  que 
n'auront  pas  à  souffrir  les  pécheurs  ! 

Ce  qui  est  vrai  en  un  certain  sens,  à  l'égard  des 
.luifs ,  est  encore  plus  véritable  à  l'égard  de  tout 
l'univers ,  dans  les  approches  du  dernier  jour  :  après 
que  la  patience  de  ses  saints  aura  été  épurée  jusqu'au 
degré  qu'il  voulait ,  il  mettra  fin  au  temps  des  épreu- 
ves, pour  donner  lieu  aux  récompenses. 

S'il  y  a  cinquante  justes  dans  Sodome,  s'il  y  en 
a  quarante,  s'il  y  en  a  dix,  je  pardonnerai  pour 
l'amour  d'eux  à  toute  la  vitle^.  Dieu  aime  tant  les 
siens,  que  non-seulement  il  les  épargne,  mais  il 
épargne  les  autres  pour  l'amour  d'eux.  Si  on  n'ai- 
mait pas  les  justes,  ni  on  ne  les  protégeait  pas  pour 
eux-mêmes,  il  les  faudrait  protéger  pour  le  bien 
public.  Que  notre  maison  soit  leur  asile  :  que  nos 
bras  leur  soient  toujours  ouverts  :  que  notre  secours 


•  Vntth.  XXJV,20,  21,22. 
lvui,-2C,  28  et  ^cqc^.. 


ï  Marc,  xni,  20.  —  ^  Gen. 


61T 

les  suive  partout.  Les  prêtres ,  les  religieux  les  re- 
présentent par  leur  état. 

LXXXIV*  JOUR. 

Réflexions  sur  d'autres  circonstances.  Ihid. 

Si  l'on  vous  dit  :  Le  voici  dans  le  désert  ;  le  voici 
dans  les  lieux  retirés  de  la  maison  :  ne  le  croyez 
point  ^.  Ceci  regarde  les  derniers  temps ,  lorsque  le« 
Juifs  fatigués  de  tant  attendre,  et  d'avoir  si  sou- 
vent été  trompés  sur  le  sujet  du  Messie,  s'en  di- 
ront les  uns  aux  autres  des  nouvelles  comme  en  se- 
cret :  //  est  venu,  mais  il  se  cache;  il  est  dans  ce 
désert;  il  est  dans  les  lieux  secrets  de  cette  mai- 
son :  ne  croyez  point  tout  cela.  Ce  n'est  plus  le 
temps  qu'il  doit  venir  de  celte  sorte,  d'une  maison 
I  particulière,  d'une  ville  obscure,  d'un  désert;  tan- 
I  tôt  caché  ,'^tantôt  découvert  :  il  paraîtra  tout  d'un 
I  coup  avec  un  éclat  surprenant;  et  un  éclair  ne  se 
fait  pas  voir  plus  rapidement  du  levant  jusqu'au 
I  couchant,  et  d'un  côté  du  ciel  à  l'autre,  que  le  FiAv 
I  de  l'homme  paraîtra  dans  toute  la  terre  ».  Voilà 
i  la  première  chose  qu'il  marque  de  ce  grand  évé- 
1  nement  :  une  apparition  soudaine,  et  un  éclat,  qui 
I  en  un  moment  se  fera  sentir  d'une  extrémité  du 
,  monde  à  l'autre.  Mais  voici  la  seconde  :  Où  sera  le 
corps,  là  s'assembleront  les  aigles^.  Si  les  aigles 
sentent  leur  proie  de  si  loin,  et  s'assemblent  rapi- 
dement de  toutes  parts  autour  d'un  corps  mort  : 
combien  plus  s'assembleront  les  élus  où  sera  le 
Fils  de  l'homme  ! 

Le  grec  porte ,  au  lieu  de  corps ,  un  corps  mort, 
un  cadavre  :  et  le  Fils  de  Dieu  se  compare  à  un 
corps  de  cette  sorte ,  à  cause  que  les  élus  seront  as- 
semblés par  le  mystère  de  sa  mort  ;  et  que  c'est  par 
là  qu'ils  auront  part  à  sa  résurrection.  Tout  cela 
regarde  visiblement  l'apparition  dernière,  et  le 
dernier  jour  de  Jésus-Christ.  Et  c'est  pourquoi 
il  ajoute  :  Mais  aussitôt  après  l'affliction  de  ces 
jours-là,  de  ces  jours  où  le  Fils  de  l'homme  devra 
paraître  si  vite,  et  rassembler  autour  de  lui  tous 
les  élus  :  aussitôt  après  cette  affliction;  car  il  a 
dit  qu'il  y  en  aurait  d'étranges  vers  ces  jours-là:  le 
soleil  s'obscw^cira  :  et  le  reste  *. 

Il  ne  faut  donc  pas  entendre  cette  affliction  ni 
ces  jours,  de  l'affliction  ou  des  jours  qui  seront  fâ- 
cheux pour  les  Juifs  ;  mais  de  l'affliction  de  tout  l'u- 
nivers ,  vers  le  jour  où  le  Fils  de  Dieu  devra  pa- 
raître, qui  sont  ceux  dont  il  venait  de  parler.  Le 
même  paraît  dans  saint  Marc  :  Mais  dans  ces  jours- 
la,  dans  cette  affliction-là,  le  soleil  s'obscurcira^: 
et  le  reste.  Comme  s'il  disait  :  Il  arrivera  de  grands 
maux  aux  Juifs  ;  mais  ce  n'est  point  dans  ces  maux , 
ou  dans  ces  temps,  qu'arriveront  ces  prodiges  du 
soleil  obscurci ,  et  les  autres  ;  mais  dans  ces  jours 
dont  je  viens  de  parler,  dans  ces  jours  où  le  Fils  de 
Ihomme  devra  paraître  ;  aux  approches  de  cette 
dernière  apparition ,  et  peu  après  les  afflictions 
dont  elle  sera  précédée,  le  soleil  s'obscurcira;  et  le 
reste. 

'  Matlh.  XMV .  C6.  —  »  Ibid.  27.  —  '  Luc.  XMI,  24.  MaU^ 
XiiV ,  28.  —  ^  lltd.  XXIV ,  2».  —  i  Marc.  Xin ,  24. 


648 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


Meltons-nous  en  esprit  dans  ce  dernier  jour, 
si  heureux  pour  les  uns ,  si  funeste  aux  autres.  Re- 
présentons-nous l'étonnement  où  l'on  sera  de  cette 
nouvelle  lumière  que  jettera  le  Sauveur,  de  ce  pro- 
<îigieux  éclat  qui  se  fera  sentir  d'une  extrémité  du 
monde  à  l'autre  avec  la  rapidité  d'un  éclair.  Con- 
templons ces  aigles  mystiques,  les  esprits  sublimes 
à  qui  le  monde  n'aura  rien  été,  et  qui  n'auront  pas 
été  troublés  de  tant  de  persécutions,  ni  de  cet 
ébranlement  universel  de  la  nature  éperdue ,  pren- 
dre tout  à  coup  leur  vol ,  et ,  comme  dit  saint  Paul , 
être  enlevés  dans  tes  nuées,  au  milieu  des  airs ,  à 
la  rencontre  de  Jésus-Christ ,  pour  être  ensuite 
toujours  avec  lui'.  Heureux  jour!  heureux  spec- 
tacle !  heureux  changement  î  heureux  ceux  qui  ver- 
ront ce  beau  feu ,  cet  éclair  nouveau  ,  cette  vive  et 
admirable  lumière  :  qui  verront  ce  corps  quela  mort 
a  consacré  à  notre  salut;  ces  aigles  qui  voleront 
après ,  et  qui  seront  enlevés  avec  lui  !  Soyons  de 
ces  aigles,  par  la  contemplation  en  foi  et  en  vérité, 
et  par  une  noble  élévation  au-dessus  des  choses 
mortelles.  Faisons  notre  proie  de  ce  corps ,  que  la 
mort  a  fait  nôtre.  Nous  l'avons  dans  l'eucharistie, 
ce  corps  mort  autrefois ,  à  présent  vivant,  mais  cou- 
vert d'un  signe  de  mort  :  dévorons-le;  prenons-en 
toute  la  substance,  tout  le  suc.  Vivons  de  Jésus 
et  de  sa  vérité ,  et  de  ses  souffrances ,  et  de  sa  mort , 
qui  est  notre  vie  :  imitons-la;  portons-la  sur  nous  : 
Portons  sur  nos  corps  ta  mortification  de  Jésus; 
afin  que  la  mede  Jésus 2)araisse  en  nous  *.  Si  parmi 
les  ténèbres  du  monde,  et  celles  qui  nous  environ- 
nent, il  lui  plaît  de  faire  tout  à  coup  reluire  sur 
nous  comme  une  espèce  d'éclair ,  une  lumière  rapide 
(|ui  se  répande  en  un  moment  dans  toute  notre 
âme,  et  qui  se  fasse  sentir  de  la  partie  haute  jus- 
qu'à la  plus  basse;  ô  lumière,  je  vous  adore!  ô 
lumière,  je  vous  veux  suivre!  Si  vous  vous  retirez 
comme  un  éclair,  et  que  vous  laissiez  mes  yeux 
éblouis  d'un  éclat  si  vif ,  je  me  souviendrai  de  vous 
avoir  vue  :  je  me  réjouirai  de  l'espérance  de  vous 
revoir  à  d'autres  moments  ;  je  tâcherai  de  mettre 
à  profit  tout  ce  que  vous  me  montrerez  dans  ces 
moments  rapides  :  et  j'aspirerai  nuit  et  jour  à  ce 
jour  unique  de  l'éternité,  où  vous  luirez  sans  vous 
retirer,  sans  être  obscurcie;  où  votre  levant  sera 
sans  couchant;  où  nous  jouirons  à  jamais  de  vous, 
ô  Père!  ô  Fils!  ô  Saint-Esprit!  qui  êtes  la  véritable 
et  seule  lumière. 

LXXXV<=  JOUR. 

nsiructions  à  recueillir.  Se  tenir  prêt  :  veiller  à  toute  heure. 
L'un  pris,  l'autre  Inissé.  A/utl/i.  xxiv,  37,  51.  . Vrirc.  xiil, 
33,  37.  Luc.  xvn,  24. 

De  tout  ce  que  nous  avons  vu,  il  y  avait  deux 
sortes  d'instructions  particulières  à  recueillir.  Dans 
la  ruine  de  Jérusalem  il  y  avait  à  s'en  sauver  par 
la  fuite  :  Jtors  que  ceux  qui  sont  dans  la  Judée 
^'enfuient  aux  montagnes  ^.  C'est  ce  que  firent  les 
chrétiens,  qui  s'enfuirent  en  effet  vers  les  pays  nion- 


ic. 


'  l.  TAe*.  nr,  16,  17.  — 'II.  Cor.iv.  10.  —  3  .¥a«A.  xxi?, 


tagnards,  à  la  ville  de  Pella,  comme  marquent  b-s 
histoires  :  ce  qui  fut  cause  qu'on  ne  voit  point  qu'ils 
aient  souffert  en  Jérusalem ,  ni  qu'il  s'y  en  soit 
trouvé  aucun  durant  le  siège  de  Tite.  A  l'égard  des 
calamités  qui  devaient  arriver  à  la  fin  du  monde,  il 
fallait  ne  pas  songer  à  s'en  sauver,  puisqu'elles  sont 
universelles  et  inévitables;  mais  s'y  préparer  :  et 
cette  préparation  nous  est  expliquée  dans  le  reste 
de  ce  chapitre. 

Elle  consiste,  premièrement,  à  veiller,  à  être  at- 
tentif,  à  se  tenir  toujours  prêt,  en  accompagnant 
de  prières  son  attention  et  sa  diligence  :  Prenez 
garde,  veillez  et  priez  :  car  vous  ne  savez  pas  le 
temps, ni  site  maître  viendra  sur  le  soir,  ou  vers  le 
jnimdt,  ou  au  clmnt  du  coq ,  ou  le  matin  K  Feillez 
donc  y  et  priez  en  tout  temps,  afin  d'être  rendus 
dignes  d'éviter  ces  choses,  c'est-à-dire  ta  rigueur 
du  dernier  jugement,  et  de  comparaître  devant  le 
Fils  de  thomme'.  Il  ne  faut  donc  pas  seulement 
prier ,  mais  prier  en  tout  temps. 

Secondement  :  Il  faut  songer  à  l'effet  de  ce  ter- 
rible jugement  ;  de  deux  qui  seront  ensemble ,  l'un 
sera  pris  et  l'autre  laissé^.  Et  pour  aller  où?  Oit. 
sera  le  corps ,  là  s'assembleront  les  aigles.  Qui  ne 
tremblerait ,  en  voyant  tout  à  coup  une  si  terrible 
séparation.?  L'un  enlevé  à  Jésus -Christ,  l'autre 
laissé  au  milieu  des  maux,  d'où  il  ne  sortira  que 
pour  rentrer  dans  de  plus  grands,  et  n'en  sortir 
jamais! 

Troisièmement  :  il  ne  faut  point  reculer  ni  regar- 
der en  arrière  :  Soiivenez-vous  de  la  femme  de  Lot^, 
qui,  pour  avoir  seulement  tourné  la  tête  vers  So- 
dome,  reçut  uu  châtiment  si  prompt  et  si  rigoureux. 
Il  ne  suffit  pas  d'éviter  les  mauvaises  compagnies, 
ni  de  fuir  le  monde  qu'on  a  quitté;  il  ne  faut  pas 
seulement  tourner  les  yeux  de  ce  cdté-là. 

Quatrièmement  :  il  faut  faire  toutes  ses  actions 
avec  une  activité  et  une  diligence  extraordinaire; 
se  sauver  à  quelque  prix  que  ce  soit;  laisser  périr 
beaucoup  de  choses  qu'on  aimerait,  plutôt  que  de 
hasarder  son  salut  :  si  ton  est  dans  le  haut  de  la 
maison,  ne  se  point  embarrasser  de  sauver  les  meu^ 
Mes  qui  sont  en  bas^  ;  se  contenter  de  sauver  ce 
qui  est  en  haut;  emporter  et  sauver  d'abord  à  la 
corruption  tout  ce  qu'on  peut;  ne  pas  dire:  Je  lais- 
serai cela,  maïs  je  retournerai  demain  le  quérir; 
demain  je  commencerai  à  me  corriger  de  ce  vice,  je 
me  contenterai  pour  aujourd'hui  de  modérer  celui- 
ci.  JNe  laissez  rien  qu'il  vous  faille  aller  requérir  : 
ne  laissez  rien  à  faire  à  une  autre  fois;  car  le  temps 
vous  manquera  tout  à  coup  ,  et  votre  attente  sera 
vaine. 

Cinquièmeiuent  :  il  faut  se  retirer  de  tout  ce  qui 
attache  trop  l'esprit ,  de  tout  ce  qui  appesantit  le 
cœur;  et  non-seulement  de  l'ivrogtierie ,  où  la  r.ii- 
son  est  absorbée ,  mais  encore  de  la  bonne  chère ,  et 
des  soins  de  cette  vie  *•.  Et  sur  les  soins  de  la  vie, 
il  faut  remarquer  ces  paroles  :  Jux  jours  de  JSoêih 
buvaient,  ils  mangeaient,  ils  se  mariaient,  ils  ma- 

»  Marc,  xiil,  33,  34,  35.  —  '  Luc.  xxi ,  30.  —  '  Matth.xwy, 
40,  41.  Luc.  wil ,  .34 ,  .35,  r,0,  37.  —  '  Ihid.  XVII,  31 ,  .32.  — 
»  Ibid.  31.  Mntth.  \mt,  17,  l«.  —  <=  Luc.  x\i,  34. 


MÉDITATIOiNS  SUR  L'ÉVANGILE. 


riaient  leurs  enfants  :  et  aux  jours  de  Lot  ils  bu- 
vaient et  mangeaient,  ils  vendaient  et  ils  ache- 
taient, ils  plantaient  et  ils  bâtissaient  :  et  ils  pé- 
rirent tout  d'un  coup  dans  les  eaux  du  déluge,  et 
par  le  feu  du  ciel '.Car  il  ne  dit  pas  :  Ils  tuaient,  ils 
commettaient  des  adultères  ,  et  le  reste  :  il  parle 
des  occupations  les  plus  ordinaires  et  les  plus  inno- 
centes de  la  vie  :  parce  qu  elles  occupent,  elles  em- 
barrassent, elles  accablent,  elles  enchantent ,  elles 
attachent,  elles  trompent,  en  nous  menant  d'un  soin 
à  un  autre  et  d'une  affaire  à  une  autre.  Il  ne  suffît 
donc  pas  d'éviter  les  actions  criminelles  ;  mais  il  faut 
encore  prendre  garde  à  ne  se  pas  laisser  jeter  par 
les  autres  dans  cet  esprit  d'empressement  et  d'oc- 
cupation, qui  fait  qu'on  n'est  jamais  à  soi. 

Sixièmement  :  on  ne  saurait  assez  songer  au 
grand  mal  dont  nous  sommes  menacés.  Ce  sera 
comme  le  déluge,  aux  temps  de  Noé;  comme  le  feu 
du  ciel,  aux  temps  de  Lot;  comme  un  lacet  où  nous 
serons  pris  tout  à  coup  »,  à  la  manière  des  oiseaux , 
par  un  vain  appât,  pour  être  la  proie  de  ceux  qui 
veulent  nous  dévorer.  Le  mauvais  serviteur ,  qui  ne 
songeait  qu'à  passer  sa  vie  dans  le  plaisir,  se  trou- 
vera tout  d'un  coup  séparé  de  Dieu,  de  sa  grâce, 
de  tout  le  bien  :  et  Usera  mis  avec  les  hypocrites, 
où  il  y  aura  un  pleur  et  un  grincement  de  dents^ 
éternel.  Terribles  paroles  :  séparé,  mis  avec  les 
hypocrites  :  pleur  et  grincement  de  dents ,  et  dou- 
leur jusqu'à  la  rage!  A  quoi  donc  penserons-nous, 
si  nous  ne  pensons  à  ces  choses?  Ah!  périssent 
toutes  nos  pensées ,  aûn  que  celles-là  vivent  seules 
dans  nos  cœurs  ! 

LXXXVI«  JOUR. 

Le  Père  de  famille  :  ses  serviteurs  :  la  figure  du  voleur. 
Matth.  XXIV,  45,46,47.  X«c.  XII,4I,44. 

Conférez  le  chapitre  xxiv  de  saint  Matthieu,  de- 
puis le  f.  45  jusqu'à  la  fin ,  avec  le  chapitre  xii  de 
saint  Luc,  depuis  le  x.  35  jusqu'au  49. 

Le  Fils  de  Dieu  instruit  ici,  premièrement  tous 
les  chrétiens ,  sous  la  figure  du  père  de  famille ,  et 
de  ses  serviteurs  :  et  encore  sous  la  figure  du  même 
père  de  famille ,  et  d'un  voleur.  Secondement ,  il 
instruit  en  particulier  les  supérieurs  ecclésiastiques, 
sous  la  figure  du  père  de  famille  qui  retourne  à  sa 
•naison ,  et  de  son  économe  ou  principal  domesti- 
que qui  le  doit  attendre. 

Voici  pour  les  premiers  ce  que  nous  trouvons 
dans  .saint  Lue.  Premièrement  :  Les  reins  ceints*  : 
c'est-à-dire  les  passions  resserrées,  comme  une 
robe  qui  se  répandrait  faute  de  ceinture.  C'est  l'état 
d'un  homme  laborieux  et  toujours  prêt  à  marcher. 
Car  lorsque  l'âme  se  répand  dans  les  passions,  elle 
Cîil  lâche,  sans  force,  sans  ordre,  sans  bienséance. 

Secondement  :  Des  flambeaux  allumés  à  la  main. 
C'est  encore  l'état  d'un  homme  prêt  à  aller  au-de- 
vant du  maître,  à  quelque  heure  de  la  nuit  qu'il 
vienne,  pour  l'éclairer. 

Des  lamj)€s  allumées  :  c'est  un  esprit  attentif, 

'  I.ih:  xvii  ,  26 ,  27 ,  28 ,  29.  —  •  Ihid.  XXI ,  35.  —  '  Malt.'i 
IXIV,  51.  —  '  l.tfc.  \U,  35. 


et  un  cœur  ardent.  On  a  comme  des  (lamhenux  m 
soi-même,  dans  le  fond  du  raisormement  ;  mais 
ils  ne  sont  allumés  que  par  l'attention.  Que  sert 
d'avoir  de  l'esprit,  du  raisonnement,  delà  foi  m«!me, 
si  tout  cela  n'est  réveillé  par  l'attention?  autant 
que  nous  serviraient  des  flambeaux  bien  préparés 
dans  notre  coffre ,  mais  sans  amorce,  sans  feu. 

Les  lampes  allumées  à  la  main ,  sont  aussi  le 
bon  exemple.  Ce  n'est  pas  assez  de  l'attention  ;  il 
en  faut  venir  aux  œuvres ,  à  l'application  sur  nous- 
mêmee  :  autrement  le  flambeau  nous  est  inutile. 

Troisièmement  :  Semblables  à  des  hommes  qui 
attendent  '  ;  par  conséquent  très-attentifs  :  et  qui 
attendent-ils?  Leur  maître;  celui  qui  les  peut  pu- 
nir, pour  peu  qu'il  les  trouve  négligents. 

Quatrièmement  :  Quand  il  viendra,  et  qu'il 
frappera.  Il  vient  à  chaque  moment  :  car  clia- 
que  heure  nous  avance  vers  la  mort.  Il  frappe 
par  les  maladies  :  il  faut  donc  être  attentif,  et  se 
tenir  prêt  dès  le  premier  coup.  Mais  à  peine  s'é- 
veille-t-on  au  dernier,  et  lorsque  la  mort  est  déjà 
presque  dans  le  cœur  :  et  alors  il  n'y  a  plus  de 
flambeaux  ,  plus  d'attention ,  ni  de  réflexion  :  tout 
est  presque  éteint. 

Cinquièmement  :  aussitôt  ils  lui  ouvrent. 
Comme  tout  ici  est  actif!  Il  faut  ouvrir  soi-même 
au  maître  qui  vient,  être  bien  aise  de  le  rece- 
voir :  mais  ouvrir  avec  diligence,  aussitôt  :  ou- 
vrir par  conséquent  avec  joie;  ne  pas  murmurer, 
ne  pas  se  plaindre  de  la  mort  qui  vient  si  tôt. 
Au  reste,  il  n'a  pas  besoin  qu'on  lui  ouvre,  afin 
qu'il  prenne  notre  âme  qu'il  vient  requérir;  car 
il  saura  bien  la  reprendre  sans  qu'on  la  lui  donne. 
Bon  gré,  mal  gré,  il  faut  mourir  :  et  souvent 
il  frappe  si  fort,  que  les  portes  brisées  s'ouvrent 
d'elles-mêmes,  sans  que  vous  ayez  le  loisir  d'ou- 
vrir ni  de  lui  offrir  vous-même  votre  âme  qu'il 
vous  redemande.  Il  n'a  donc  que  faire  de  vous 
pour  la  retirer  :  mais  pour  l'amour  de  vous, 
afin  que  vous  puissiez  lui  en  faire  le  sacrifice, 
il  veut  que  ce  soit  vous  qui  lui  ouvriez,  et  promp- 
tement,  et  avec  joie,  puisque  vous  ouvrez,  non 
pas  à  la  mort,  mais  à  un  maître  bienfaisant. 

Car,  sixièmement,  s'il-  trouve  ses  serviteurs 
vigilants ,  il  se  retroussera ,  et  les  fera  asseoir, 
et  passera  de  l'un  à  l'autre  pour  les  servir  '. 
Il  ne  faut  pas  chercher  dans  les  paraboles  à  tout 
expliquer  :  il  y  a  des  circonstances,  comme  cel- 
les-ci, qui  ne  servent  que  pour  la  peinture.  Le 
fond  est  ici,  que  Jésus-Christ  s'est  fait  serviteur 
de  ses  fidèles.  Le  fils  de  l'homme ,  dit-il ,  est  venu 
servir,  et  ce  service  est  de  se  donner  lui-métne 
en  rédemption  pour  plusieurs^.  C'est  de  lui  que 
nous  tenons  tout ,  et  en  ce  monde  et  en  l'autre  : 
et  nul  ne  demeurera  sans  récompense;  car  il  pas- 
sera de  l'un  .à  l'autre  pour  les  servir  tous.  H  leur 
donnera  abondamment  tous  les  biens  ;  car  pour 
j  lui  il  n'a  pas  besoin  de  vos  services,  ni  de  rien  : 
il  est  heureux ,  il  est  dans  la  gloire.  Il  vient  [)our 
vous;  et  sous  la  figure  de  la  mort,  qui  vous  parait 


Lhc.  XI! ,  30. 


Ihid. 


'  .Vtf«A.  XX,28w 


6>0 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


si  hideuse,  il  vous  apporte  sa  grâce,  son  royaume, 
sa  félicité  éternelle,  des  richesses  inestimables, 
des  plaisirs  sans  fin.  Ouvrez  donc  à  un  si  bon 
maître;  et  donnez-lui  de  bon  cœur  cette  âme, 
qu'il  ne  redemande  que  pour  la  rendre  bien- 
heureuse. 

Septièmement  :  S'il  vient  à  la  seconde  veille, 
et  s'il  vietit  à  la  troisième  '.  Remarquez  :  il  ne 
parle  point  qu'il  vienne  jamais  de  jour  :  il  sur- 
prend toujours.  On  ne  le  voit  pas,  et  il  se  cache 
dans  les  ombres  de  la  nuit;  et  cependant  l'homme 
insensé  veut  le  deviner.  Je  me  porte  bien,  je  ne 
mourrai  pas;  on  se  donne  toujours  bien  des  an- 
nées; et  cependant  l'expérience  fait  voir  qu'il  sur- 
prend toujours  :  il  vient  à  l'heure  qu'on  n'attend 
pas,  et  au  jour  qu'on  n'espère  jjas  *. 

Huitièmement  :  ce  père  de  famille,  qui  vient 
avec  tant  d'amour,  pour  nous  donner  des  biens 
éternels  sous  la  figure  de  la  mort,  prend  encore 
une  autre  figure,  celle  d'un  voleur^,  c'est-à-dire  celle 
d'un  ennemi,  qui  vient  nous  ravir  tout  ce  que 
nous  possédons  et  que  nous  aimons.  Première- 
ment, les  biens  temporels  et  les  plaisirs  des  sens, 
dont  nous  faisions  notre  bonheur.  Tout  d'un  coup 
tout  nous  sera  enlevé  :  ces  biens  passeront  en 
d'autres  mains  :  ces  plaisirs  se  dissiperont  comme 
une  fumée,  comme  une  paille  que  le  vent  emporte. 
Secondement ,  il  nous  ôtera  les  biens  spirituels  : 
tant  de  pensées  de  conversion ,  tant  de  désirs 
imparfaits  qui  nous  amusaient,  qui  nous  endor- 
maient dans  la  mort.  Tout  cela  nous  sera  ôté  ;  et 
nous  verrons,  malgré  tous  ces  faibles  commence- 
ments de  bonne  volonté,  de  bons  sentiments  ef 
de  vertus,  qui  nous  faisaient  dire  :  Je  suis  riche  : 
nous  verrons  que  nous  sommes  pauvres ,  miséra- 
bles, aveugles,  nus,  dignes  de  pitié;  ou  plutôt 
indignes  de  pitié,  à  cause  de  notre  malice;  sans 
aucun  de  ces  biens  qui  nous  ouvrent  la  porte 
du  ciel ,  ainsi  qu'il  est  écrit  dans  l'Apocalypse  4. 

En  neuvième  et  dernier  lieu.  Pesons  ce  mot  : 
Soyez  prêt  ^.  Que  vos  comptes  soient  en  état  : 
que  vos  dettes  soient  payées  :  que  vos  desseins 
soient  accomplis  :  car  après  ce  moment  il  n'y  a 
rien  à  espérer.  Quelle  a'ngoisse!  quelles  sueurs  à 
la  vue  de  ce  maître  rigoureux  qui  vous  pressera 
de  rendre  compte!  Vous  payerez  par  le  dernier 
et  inévitable  supplice  ce  que  vous  n'aurez  pas 
volontairement  payé  par  vos  bonnes  œuvres. 

LXXXYIF  JOUR. 

|>'économe  lidèle  et  prudent:  sa  récompense.  Matlh.  xxiv, 
45,  46  ,  47.  Luc.  xn,  41,  44. 

Pierre  lui  dit  :  Seigneur,  est-ce  pour  nous  que 
vous  dites  cette  parabole,  ou  pour  tout  le  monde  ^  ? 
IVous  tromperez-vous  comme  les  autres,  nous 
qui  sommes  les  dispensateurs  de  vos  mystères.'' 
Nous  serez-vous  un  voleur  qui  nous  surprendra, 
ou  un  maître  impitoyable  qui  arrivera  tout  d'un 
coup  pour  nous  punir?  Il  lui  répond  par  sa  pa- 

■    '  Luc.  xn ,  38.  —  ^  ^fatth.  xxiv ,  50.  —  '  Luc.  xxii ,  39.  — ' 
*  yip'jc.  m,  17  —  ^  Matth,  xxiVj  44.  -'^Luc.  xn,  41. 


rabole  de  l'économe,  ou  de  l'intendant  d'una 
maison ,  à  qui  le  maître  a  donné  la  charge  de 
tout,  et  en  particulier  celle  de  ses  conserviteurs. 
C'est  la  figure  des  supérieurs  et  supérieures, 
chacun  selon  son  degré,  et  le  poste  où  il  est  établi. 

Le  maître  a  établi  cet  économe,  cet  intendant, 
ce  dispensateur,  pour  ètr eJidél€;poîirélreprude7it; 
pour  donner  la  nourriture  à  sa  famille;  pour  la 
lui  donner  dans  le  temps;  pour  la  lui  donner  avec 
mesure  '.  Te  voilà,  ô  Pierre!  Vous  voilà,  pas- 
teurs! Il  faut  être  fidèles:  donner  fidèlement  ce 
que  le  maître  a  mis  en  vos  mains  pour  le  dis- 
tribuer, les  instructions,  les  sacrements.  Voilà  ce 
que  c'est  qu'être  fidèles  :  ne  s'attribuer  rien;  ne 
rien  retenir  de  ce  qu'il  a  voulu  que  vous  donnas- 
siez, O  économe!  ô  intendant  spirituel!  tu  n'as 
rien  à  toi,  tu  n'as  rien  pour  toi,  puisque  toi- 
même  tu  es  tout  aux  autres  :  Tout  est  à  vous, 
soit  Paul,  soit  Céphas ,  tout  est  à  vous  :  et  vous 
êtes  à  Jésus-Christ,  disait  saint  Paul  ».  Tout  est 
à  vous.  Il  faut  donc  être  fidèle ,  et  se  donner 
tout  entier  au  peuple  de  Dieu.  Mais  outre  la  fi- 
délité, il  faut  la  prudence,  pour  donner  dans  le 
temps,  pour  donner  avec  mesure  :  prendre  les 
moments  favorables  d'une  affliction,  du  ralentisse- 
ment d'une  passion,  d'une  maladie,  d'une  grande 
perte;  être  attentifs  à  ce  moment  :  voyez,  Dieu 
vous  avertit  ;  Dieu  vous  frappe  ;  Dieu  vous  réveille. 
Voilà  le  premier  effet  de  la  prudence  :  prendre 
le  temps  :  sinon  on  rendra  compte  à  Dieu  du 
moment  perdu,  et  de  la  damnation  de  son  frère  : 
Le  second  :  donner  avec  mesure;  pas  plus  qu'on 
ne  peut  porter  :  ne  donner  pas  le  .saint  aux  chiens, 
ni  les  perles  aux  pourceaux  ^  :  ne  prêcher  pas  les 
hauts  mystères  de  la  communication  avec  Dieu  aux 
âmes  encore  impures,  qui  ont  besoin  qu'on  les 
étonne,  qu'on  les  effraye  :  ne  donner  pas  l'absolution 
ni  la  communion  précipitamment  :  ne  la  donner 
pas  aux  chiens  et  aux  pourceaux  ,  aux  âmes  en- 
core impures  :  aller  par  degrés  :  gagner  peu  à 
peu.  Mais  néanmoins  il  vient  un  temps  qu'il  n'y 
a  point  de  temps,  qu'il  n'y  a  point  de  mesure  à 
garder.  Ici  on  dit  :  Ne  reprenez  pas,  mais  aver- 
tissez 4  ;  là ,  il  faut  reprendre  avec  modestie  ^  : 
ailleurs  :  reprenez  durement^  :  ailleurs  :  dans 
le  temps,  hors  du  temps,  à  propos,  et  hors  de 
propos  7  :  autrement  tout  est  perdu.  Voilà  donc 
la  fidélité  et  la  prudence  d'un  bon  serviteur. 

Deux  choses  nécessaires  à  régler,  le  fond  et  la 
manière.  Le  fond,  il  faut  donner  :  soyez  fidèle. 
La  manière  :  il  faut  donner  à  propos,  et  avec 
les  proportions,  les  convenances  requises  :  au- 
trement vous  n'êtes  pas  ce  serviteur  digne  que 
le  maître  l'emploie  à  gouverner  sa  famille, 
parce  que  vous  ne  donnez  rien  par  infidélité;  ou 
lorsque  vous  donnez ,  ce  que  vous  donnez  tourne 
à  rien  par  votre  imprudence. 

Remarquez  ici  un  faux  zèle.  Un  supérieur,  un 
pasteur  ne  prêche  pas  :  il  est  infidèle.  Il  prêche , 

'  Lur.  xn ,  42.  —  -  I.  Cor.  m  ,  22  ,  23.—'  Matlh.  vu ,  6.  — 
1  «  I.  nm.  V,  I.— *II.  Tim.  n,rà.~^Til.  i,  13.—  '  Titn.  iv,2. 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVAÎSGILE. 


ast 


I 


il  instruit,  mais  ruJeinenl,  mais  hors  de  pro- 
pos :  il  ne  fait  rien,  parce  qu'il  est  imprudent. 

A  un  tel  serviteur,  qui  dispense  bien  ce  qui  lui 
est  confié,  Is  maître  lui  dannera  tout  ce  qu'il  pos- 
sède '  :  et  non-seulement  son  royaume,  mais  en- 
core lui-même.  Car  si  le  père  de  famille,  qui 
n'est  qu'un  homme,  est  si  juste,  que,  trouvant 
son  serviteur  qui  a  bien  usé  du  pouvoir  et  des 
biens  qu'il  lui  a  mis  en  main  pour  les  dispenser,  il 
l'élève  à  de  plus  hauts  emplois,  et  lui  donne  un 
plus  grand  pouvoir  :  combien  plus  Jésus-Christ, 
qui  est  la  justice  même,  augmentera-t-il  les  biens 
de  ses  serviteurs,  qui  auront  bien  dispensé  ceux 
qu'il  leur  a  déjà  donnés? 

Pesez  ces  mots  :  //  leur  donnera  tout  ce  qu'il 
possède  :  c'est  un  Dieu  qui  parle  :  que  ne  pos- 
sède-t-il  pas  ?  Mais  tout  est  a  nous  dès  que  nous 
ysons  bien  de  ce  qu'il  nous  donne. 

LXXXVlir  JOUR. 

Le  serviteur  méchant  et  violent  :  sa  punition.  Malth.  xiiT, 
45,  46  ,  47,  Luc.  XII  ,  41  ,44. 

Nous  avons  vu  le  bon  serviteur  avec  ses  deux 
bonnes  qualités,  la  fidélité  et  la  prudence.  Voyons 
maintenant  la  peinture  que  Jésus-Christ  fait  du 
mauvais  dispensateur  de  ses  grâces  et  de  ses  mys- 
tères. 

Ce  serviteur  dit  en  son  cœur  >.  Il  ne  le  dit  pas  en 
termes  exprès  :  mais  il  agit  sur  ce  fondement ,  et  il 
le  dit. par  ses  œuvres. 

Mon  maître  tarde.  Malheureux  qui  croit  échap- 
per ses  mains,  à  cause  qu'il  ne  frappe  pas  d'abord  ; 
ou  qui  s'estime  heureux  ,  à  cause  qu'il  retarde  son 
dernier  supplice. 

Jfbatle.s  serviteurs  et  les  servantes  :  il  abuse  de 
«on  pouvoir;  il  les  maltraite,  quelquefois  en  les 
frappant  véritablement,  ce  que  saint  Paul  défend, 
en  disant  que  l'évéque  ne  doit  point  frapper,  ni  être 
violent  '  :  à  quoi  il  faut  aussi  rapporter  les  injures 
et  les  duretés  qu'il  leur  dit,  qui  sont  une  espèce  de 
plaie  à  la  réputation  ,  et  à  la  vie  de  l'honneur.  Mais 
le  grand  coup  que  donne  ce  mauvais  économe  à  ses 
conserviteurs ,  c'est  lorsqu'il  les  scandalise;  car  alors 
il  frappe  leur  conscience  faible;  en  quoi  il  pèche  con- 
tre Jésus-Christ;  et  fait  pécher  son  frère  pour  qui 
Jésus-Christ  est  mort  ^. 

Manger,  boire,  s'enivrer  '.  Le  royaume  de  Dieu 
n'est  pas  la  viande,  ni  le  boire,  mais  la  justice  et 
ta  paix ,  et  la  joie  dans  le  Saint-Esprit^.  Voilà  le 
festin  du  bon  économe  de  Jésus-Christ. 

Le  serviteur  qui  connaît  la  volonté  de  son  mai- 
ire  7.  Il  veut  dire ,  que  celui  qui  est  établi  dispensa- 
teur, sachant  mieux  que  les  autres  ce  que  veut  le 
maître,  puisqu'il  le  doit  prêcher  aux  autres,  sera 
plus  puni  :  mais  celui  qui  ne  le  sait  pas,  ne  sera 
pas  exempt  du  supplice  *  :  et  cette  moindre  punition 
que  le  m;iîtrede  famille  lui  réserve,  ne  laissera  pas 
d'être  terrible;  car  il  n'y  a  rien  de  faible  ni  de'mé- 
diocre  dans  le  siècle  futur. 

•  Luc.  XII,  41.  .1/,7///j.  \X1V,  47.  —  »  Luc.  XJI,  45.  —  '  I. 
Tint.  !ii ,  3  —  •  I.  Cur.  vi;i ,  1 1 ,  12.  >  Luc.  xn ,  45.  —  «  Hom. 
Xl\  ,  17.  —  •  f.iic.  \il,  47.    —  »  Jl'iJ.  *H. 


Deux  règles  de  la  justice  éternelle;  l'une,  de  pu- 
nir davantage  celui  qui  sait  davantage ,  parce  qu'il 
pèche  contre  sa  science  et  par  malice  ;  l'autre,  de 
redemander  plus  à  celui  à  qui  on  a  plus  donné', 
parce  qu'il  est  chargé  de  plus  de  choses  ,  et  par  con- 
séquent il  a  un  plus  grand  compte  à  rendre.  Ne 
vante  donc  pas  ta  science ,  qui  ne  sert  qu'à  te  ren- 
dre plus  coupable.  Ne  te  glorifie  pas  de  tes  dons, 
qui  ne  font  que  t'obliger  à  un  plus  grand  coiupie. 
Ne  t'excuse  pas  aussi ,  sous  prétexte  que  tu  ne  sais 
pas;  car  c'était  à  toi  à  l'instruire.  Ne  te  flatte  pas, 
sous  prétexte  que  le  maître  ne  te  menace  que  de  peu  ; 
car  c'est  un  peu  par  comparaison ,  qui  ne  laisse  pas 
en  soi-même  d'être  très-grand  ;  parce  que  tout  est 
grand,  tout  est  fort  dans  le  règne  de  la  vérité  et  de 
la  justice ,  où  Dieu  se  veut  faire  sentir  tel  qu'il  est. 

LXXXIX'  JOUR. 

Vierges  sages  et  folles.  Malth.  xxr,  I,  I3. 

C'est,  sous  une  autre  figure ,  un  autre  avertisse- 
ment de  se  tenir  prêt.  Combien  Jésus  le  répète-t-il? 
Et  cependant  nous  sonmies  sourds.  Il  semble  n'avoir 
destiné  les  derniers  jours  de  sa  vie  qu'à  nous  pré- 
parer à  la  mort,  et  que  ce  soit  là  son  unique  affaire  : 
c'est  en  effet  celle  d'où  tout  dépend. 

Dix  vierges  *.  C'est  un  état  saint,  qui  n'est  pas 
donné  à  tout  le  monde  :  ainsi  qu'il  le  dit  ailleurs  : 
Tous  n'entendent  pus  cette  parole ,  mais  ceux  a 
qui  il  a  été  donné  ^.  Eu  voici  dix  qui  ont  entendu 
c<tte  haute  parole,  à  qui  ce  don  excellent  a  été 
donné  :  et  néanmoins  i!  yen  a  cinq  qui  périssent. 
Tremblez  donc,  vous  tous  qui  avez  reçu  ce  don,  et 
apprenez  à  le  faire  valoir. 

Cinq  étaient  folles  ^  :  sans  précaution  ,  sans  pré- 
voyance. 

Ces  folles  ne  prirent  pas  de  l'huile.  Elles  disent  : 
Lliuile  nous  manque,  nos  lampes  s'éteignent.  La 
charité  leur  manque  :  les  bonnes  œuvres  leur  man- 
quent :  la  charité,  le  plus  excellent  de  tous  les  dons, 
1  sans  quoi  tous  les  autres,  et  même  celui  de  la  pro- 
i  phétie,  et  même  celui  du  martyre,  n'est  rien  ;  ni 
î  par  conséquent  celui  de  la  virginité. 
i      Elles  sommeillèrent,  et  elles  dormirent  ^.  Celles 
qui  ont  de  l'huile  leur  provision,  peuvent  demeurer 
tranquilles  :  mais  les  autres  ,  elles  doivent  prolitf  r 
du  temps  pour  acheter  de  Ihuile,  et  amasser  de  bon- 
nes œuvres. 

Donnez-nous  de  votre  huile  ^.  Ainsi  parlent  ceux 
qui,  sans  se  soucier  de  faire  eux-mêmes  de  bonnes 
œuvres,  mettent  toute  leur  espérance  aux  prière» 
et  aux  mérites  des  saints. 

Remarquez  :  Elles  s'éveillent  toutes  :  toutes  elles 

se  lèvent  :  toutes  elles  préparent  leurs  lampes  ^  : 

j  et  néanmoins  cinq  périssent,  et  sont  exclues  dq 

I  festin.  Ce  ne  sont  point  des  personnes  vicieuses» 

I  ni  insensibles,  ni  tout  à  fait  sans  bonnes  œuvres  : 

'  elles  commencent  beaucoup,  et  n'achèvent  rien.  G 

combien  périront  par  ce  défaut  ! 

iS'oits  n'en  avons  pas  pour  nous  et  pour  cous  *» 

'  Luc.  XII,  48.  —  »  Ibiil.  XXV,  I.  —  î  Jbid.  xix.  Il ,  12  -> 
*  Ibiil.   \xv,  3,  8.  —  »  Ibkl.  7.  —  «  Ihid.    8.  —  '  lltd.  X 
\  *  —  l'jtd.  \xy ,  « 


I 


652 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


Chacun  de  nous  parlera  son  fardeau  au  tribunal  de 
Jésus-Christ.  Que  chacun  s'éprouve  soi-même  :  car 
tn  cette  sorte  il  aura  sa  gloire  en  lui-même,  et  non 
dans  les  autres  »  :  car  encore  qu'en  un  autre  sens  , 
nous  devions  par  la  charité  porter  les  fardeaux  les 
uns  des  autres  :  néanmoins  en  ce  dernier  jugement, 
chacun  sera  jugé,  non  selon  les  œuvres  des  autres , 
niais  selon  les  siennes  ». 

Jllez  à  ceux  qui  en  vendent  ^.  Vous  à  qui  l'huile 
manque  :  vous  qui  ne  méritez  pas  de  véritables 
louanges,  allez  à  ceux  qui  les  vendent  :  allez  aux 
flatteurs ,  qui ,  par  un  bas  intérêt,  vous  feront  ac- 
croire avec  tous  vos  vices  que  vous  êtes  vertueux. 

Pendant  qu'elles  allaient  acheter  :  pendant  que 
leurs  flatteurs  les  amusaient,  par  la  vaine  opinion 
qu'ils  leurdonnaient  de  leur  sainteté,  f  Époux  vint; 
elles  viJirent  tard  ;  et  kl  porte  leur  fut  fermée  4. 

Elle  est  fermée  pour  ne  s'ouvrir  plus  :  et  votre 
exclusion  est  sans  remède. 

Seigneur,  Seigneur  l  ouvrez-nous  ^  !  Voyez  qu'el- 
les ne  sont  pas  de  celles  qui  n'ont  point  de  soin  de 
bien  faire,  ou  qui  négligent  entièrement  leur  salut. 
Ce  sont  des  vierges ,  séparées  des  sens  et  des  plai- 
sirs :  il  n'est  pas  dit  qu'elles  souillent  leur  chasteté  : 
elles  ont  des  lampes  :  elles  dorment,  à  la  vérité,  et 
ne  sont  pas  sans  beaucoup  de  langueur;  mais  enfin 
elles  s'éveillent  :  elles  vont  avec  diligence  acheter 
de  l'huile  :  elles  font  imparfaitement  quelques  bon- 
nes œuvres  :  enfin  elles  accourent  et  avancent  jus- 
qu'à la  porte  :  elles  frappent  même,  et  disent  :  Sei- 
gneur, Seigneur  !  Mais  totcs  ceux  qui  m'appellent. 
Seigneur,  Seigneur!  n'eiitreront point  pour  cela 
dans  le  royauyne  des  deux  ^.  Je  n'ai  pas  trouvé  tes 
œuvres  pleines  devant  mon  Dieu  7. 

La  pénitence  tardive  frappe  vainement,  parce 
qu'elle  n'est  pas  pleine ,  ni  sincère.  Viendra  le  temps 
qu'encore  qu'on  frappe,  on  n'entrera  point.  C'est 
ce  que  disait  saint  Jacques  :  Fous  demandez  etvous 
n'obtenez  pas;  parce  que  vous  demandez  mal  *. 
Ce  qui  arrive  à  ceux  qui  demandent  la  prolongation 
de  leurs  jours,  non  pour  faire  pénitence,  maispowr 
les  employer  à  leurs  convoitises.  Vient  enfin  le  der- 
nier moment,  et  les  hommes  croient  qu'on  demande 
bien;  mais  celui  qui  sonde  les  cœurs  sait  le  con- 
traire, et  il  nous  renvoie,  avec  les  hypocrites  et  les 
infidèles,  où  il  y  aura  des  pleurs  et  un  éternel 
grincement  de  dents  9. 

En  vérité,  je  vous  le  dis  :  Je  ne  vous  connais  pas. 
C'est  la  vérité  éternelle  qui  vous  parle,  et  qui  se 
prend  elle-même  à  témoin.  Vos  flatteurs  vous  pro- 
mettent tout  ;  mais  moi  je  vous  tiens  un  autre  lan- 
gage. Et  quel  Xd.ngagt'}  je  ne  vous  connais  pas.  Mal- 
gré vos  bons  désirs ,  vos  volontés  imparfaites,  vos 
commencements  de  vertu ,  je  ne  connais  en  vous  ni 
mon  image  que  j'y  avais  formée,  ni  le  caractère  de 
chrétien,  ni  celui  d'homme  raisonnable ,  ni  rien  en- 
fin de  solide  ni  de  véritable.  Allez  ,je  ne  vous  con- 
nais point:  vous  n'êtes  donc  pas  de  mes  brebis; 
car  je  connais  mes  brebis,  et  je  leur  donne  la  vie 

'  '  Gai.  VF,  2,  4,  5.  —  '  Matlh.  XVI,  27.  —  3  Ibid.  XXV,  9. 
—  «  ilid.  \0.  —  S  Ibid.  II.  —  «  Ibid.  vii,  21.  —  '  Apoc.  m , 
'i   .-  »  Juc.  IV,  3.  —  ■'  Matth.  XXIV    51.  —  '"  Ibid.  xxv,  lî. 


étemelle  '.  Vous  n'avez  donc  rien  à  prétendre,  vou« 
que  je  ne  connais  pas.  O  que  me  serviront  tant  d'a- 
mis, tant  de  connaissances?  Tout  le  monde,  toutou 
les  cours  vous  louent,  vous  connaissent;  de  gran- 
des entrées  partout  ;  mais  que  vous  sert  tout  cela , 
si  Jésus-Christ  ne  vous  connaît  pas.!* 

Cherchez  pourquoi  Jésus-Christ  ne  connaît  pas 
ceux  qui  semblent  le  connaître  si  bien ,  et  qui  l'ap- 
pellent deux  fois ,  Seigneur,  Seigneur.  C'est  que  ce- 
lui qui  dit  qu'il  le  connaît,  et  ne  garde  pas  ses  com- 
mandements, est  un  menteur  ».  Mais  il  en  garde 
une  partie  :  Je  ne  vous  connais  pas.  Soyez  parfait , 
comme  votre  Père  céleste  est  parfait  ^  ;  autrement 
il  ne  vous  connaît  pas. 

XC^  JOUR. 

Parabole  des  dix  talents ,  et  des  dix  mines.  Matth.  xxt, 
14,  30.  Luc.  XIX,  12,  27. 

La  parabole  des  talents,  et  celle  des  mines,  sem- 
ble avoir  été  prononcée  en  confirmation  des  derniè- 
res paroles  que  nous  avons  lues  de  saint  Luc  :  Ce- 
lui à  qui  on  donne  beaucoup ,  on  lui  redemande 
beaucoup. 

A  chacun  selon  sa  vertu  4  :  il  parle  ici  des  grâces 
qui  sont  données  en  récompense ,  ou  du  moins  en 
conséquence  d'autres  grâces;  mais  il  faut  toujours 
se  souvenir  qu'il  y  a  les  premières  grâces  qui  ne 
sont  pas  données  de  cette  sorte,  et  qui  sont  absolu- 
ment gratuites ,  ce  qui  paraît  en  d'autres  lieux  de 
l'Évangile.  Ici  nous  avons  à  considérer  la  distribu- 
tion des  grâces  qui  sont  les  suites  des  autres,  et  l'or- 
dre des  récompenses.  Et  ce  qu'il  y  a  premièrement 
à  observer,  c'est  la  proportion  et  les  convenances. 
07i  donne  à  chacun  selon  sa  vertu  :  chacun  travaille 
et  profite  à  proportion  de  ses  talents:  chacun  est 
récompensé  selon  son  travail.  Celui  qui  a  cinq  ta- 
lents gagne  cinq  talents.  Celui  qui  en  reçoit  deux 
en  gagne  deux  *.  Celui  dont  la  mine  en  a  produit 
dix  reçoit  dix  villes  :  et  celui  dont  la  mine  en  a 
produit  cinq  reçoit  cinq  villes  ^  ;  et  il  ne  reste  qu'à 
admirer  l'exactitude  de  la  divine  justice ,  par  rapport 
à  l'exactitude  et  à  la  fidélité  d'un  chacun. 

Celui  qui  enfouit  son  talent  et  sa  mine,  est  jeté 
lui-même  dans  le  cachot  et  dans  les  ténèbres  : 
et  non-seulement  il  ne  reçoit  rien,  ce  qui  lui  était 
dû  trop  visiblement;  mais  encore  il  est  puni  de 
sa  négligence. 

Outre  la  récompense  particulière  que  chacun 
reçoit  à  proportion  de  son  travail,  tous  reçoivent 
la  commune  récompense ,  d'entrer  dans  la  joie 
de  leur  Seigneur  i ,  et  d'être  rendus  participants 
de  sa  fidélité. 

Tout  est  donc  ici  dans  une  entière  proportion; 
la  peine,  la  récompense.  Il  y  en  a  une  commune 
à  tous  pour  la  fidélité  qui  l'est  aussi  :  il  y  en  a 
de  particulières  selon  la  diversité  du  travail  :  et 
tout  l'ordre  de"  la  justice  est  accompli.  O  Dieu! 
je  chanterai  vos  louanges  sur  votre  justice,  et  sur 
votre  vérité. 

'  Joan.  X,  14,  18.  —  - 1.  Ibid.  Il,  4.  —3  Matth.  V,  48.  -« 
«  Ibid.  xxv,  25.  —  '  Ibid.  2rt,  22.  —  6  Luc.  SIX,  l«,  1». 
la.—'  Matth.  XXV,  21,  % 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


cr>s 


Il  |)ar;ut ,  par  la  même  raison  de  proportion  et 
d'égalité,  que  si  celui  qui  avait  reçu  cinq  talents 
ou  deux  talents ,  avait  été  paresseux ,  il  aurait  été 
plus  puni  que  celui  qui  n'en  avait  reçu  qu'un;  et  il 
n'y  a  plus  à  chacun  qu'à  examiner  ce  qu'il  a  reçu, 
pour  voir  ce  qu'il  a  à  craindre.  O  mon  Dieu! 
que  vous  ai-je  rendu  pour  la  foi  que  vous  m'avez 
donnée;  pour  tant  de  saintes  instructions;  pour 
tanl  de  lumières;  pour  tant  de  crimes  pardonnes; 
pour  tant  de  temps ,  et  pour  votre  longue  patience? 
O  Dieu!  que  vous  ai-je  rendu?  et  ne  vous  ayant 
rien  rendu,  que  dois-je  craindre? 

Entrez  dans  la  joie  de  votre  Seigneur  :  jetez 
ce  mauvais  serviteur  dans  les  ténèbres  extérieu- 
res^. T.'un  est  mis  dedans,  l'autre  dehors  :  l'un 
dans  la  joie  et  dans  la  lumière,  l'autre  dans  la 
désespoir  et  dans  les  ténèbres.  O  heureux  sort  de 
l'un!  ô  cruel  partage  de  l'autre! 

Entrez  dans  la  joie  de  votre  Seigneur.  «  La 
»  joie  entre  en  nous,  lorsqu'elle  est  médiocre  : 
•  mais  nous  entrons  dans  la  joie,  dit  saint  Augus- 
«  tin,  quand  elle  surmonte  la  capacité  de  notre 
«  âme,  qu'elle  nous  inonde,  qu'elle  regorge,  et 
«  que  nous  en  sommes  absorbés  :  qui  est  la  par- 
"  faite  félicité  des  saints.  » 

Ce  qui  fait  le  malheur  de  ces  ténèbres,  c'est 
qu'elles  sont  extérieures.  La  seule  séparation  rend 
le  malheur  des  réprouvés  extrême  et  insuppor- 
table :  de  là  ce  pleur  éternel,  de  là  ce  grincement 
de  dents.  Si  vous  n'êtes  mis  dedans,  si  vous  n'en- 
trez dans  la  joie ,  toutes  sortes  de  maux  tombent 
sur  vous ,  et  la  seule  séparation  vous  les  attire. 

Chassez  le  serviteur  inutile ,  et  mettez-le  où 
règne  le  désespoir.  S'il  n'avait  rien  reçu  ,  il  n'aurait 
pas  tant  à  s'affliger;  mais  il  a  eu  le  talent,  il  l'a 
négligé  :  c'est  pourquoi  sou  déplaisir  n'a  point  de 
mesure. 

Pleur  et  grincement  de  dents  '.  Profonde  tris- 
tesse dans  l'un,  et  rage  dans  l'autre.  Il  est  en 
fureur  contre  lui-même  parce  qu'il  n'a  à  imputer 
qu'à  lui-même  le  malheur  dont  il  est  accablé. 

Je  sais  que  vous  êtes  un  homme  difficile  ; 
vous  moissonnez  où.  vous  n'avez  point  semé  :  vous 
ramassez  oit  vous  n'avez  point  répandu  ^.  A  Dieu 
lie  plaise  que  Dieu  soit  ainsi  !  car  où  n'a-t-il  pas 
semé,  et  quels  dons  n*a-t-il  pas  répandus?  Mais 
Jésus-Christ  nous  veut  faire  entendre ,  par  cette 
espèce  d'excès,  combien  est  grande  la  rigueur  de 
Dieu  dans  le  compte  qu'il  redemande.  Car  il  n'y  a 
rien  qu'il  n'ait  droit  d'exiger  de  sa  créature  infldèle 
et  désobéissante,  dont  le  fond  étant  à  lui  tout  en- 
tier, il  a  droit  de  punir  son  ingratitude  des  plus 
extrêmes  rigueurs. 

Serviteur  mauvais  et  paresseux  i.  Mauvais, 
parce  qu'il  est  paresseux  :  qui  doit  tout  à  la  di- 
vine justice,  seulement  pour  n'avoir  rien  mis  à 
profit  pour  elle. 

lu  seras  jugé  par  ta  bouche  ^.  La  lumière  de  la 
vérité  qui  parle  en  nous ,  prononcera  notre  sen- 
tence ;  chacun  avouera  son  crime  ,  et  ordonnera 

'  Vntth.  XXV,  22,  30.  -  ^  Jbid.  30.  —  '  Ibid.  %t.~*Ibi<i. 
S6.  —  »  Luc.  XIX ,  22. 


I  son  supplice.  On  aura  d'autant  moins  de  consola- 
'  tion,  qu'il  ne  restera  aucune  excuse,  ni  par  coij- 
I  séquent  aucune  espérance ,  aucun  adoucissement  : 
;  car  on  prononcera  cela  même  contre  soi,  qu'H 
1  n'y  en  doit  avoir  aucun.  De  là  cette  profondeur 
:  et  cet  abîme  de  tristesse.  O  mon  Dieu ,  la  seule 
!  vue  m'en  fait  horreur  :  que  sera-ce  du  sentiment 
I  et  de  l'effet? 

I  Otez-lui  son  talent  :  ôtez-lui  sa  mine ,  et  doik- 
j  nez-la  à  celui  qui  en  a  dix'.  Comment  est-ce 
;  que  les  élus  profitent  des  grâces  que  les  réprou- 
i  vés  auront  perdues  ?  Tieiis  bien  ce  que  tu  as , 
i  dit-il,  de  peur  qu'un  autre  ne  reçoive  ta  cou- 
;  ronne  ».  Les  justes  profitent  de  tout ,  et  autant 
\  de  la  négligence  des  autres  qui  les  instruit,  que 

de  leur  propre  travail. 
A  celui  qui  n'a  pas,  ce  qu'il  semble  avoir  lui 

sera  ôté^.  Ce  qu^il  semble  avoir ,  il  n'a  rien  en 

effet,  parce  qu'il  ne  garde  rien.  Un  panier,  un 
I  vaisseau  percé  n'a  jamais  d'eau,  parce  que  celle 
I  qu'il  reçoit ,  il  la  perd  dans  le  même  instant.  Ame 
'■  cassée  et  brisée ,  où  l'eau  de  la  grâce  ne  tient  pas , 
'■  elle  n'a  jamais  rien  de  propre  :  et  cependant  ce 

qu'elle  semble  avoir  lui  sera  encore  ôté.  Elle  demeu- 
j  rera  sèche,  dépouillée,  sans  bien,  sans  lumière, 
1  sans  aucune  consolation,  même  passagère;  et  il  est 
;  juste  :  car  il  fallait  lui  ôter  tout  ce  qu'elle  gardait 
;  mal.  0  mon  Dieu,  mon  Dieu,  mon  Dieu!  puis-je 
:  souffrir  la  vue  de  ma  pauvreté ,  de  ma  douleur,  de 
i  mon  désespoir  en  cet  état  malheureux  ?  Il  faut 

donc  prévenir  ce  mal  pendant  qu'il  est  temps. 

XCl*  JOUR. 

Jageinent  dernier.  Malth.  xxv ,  31 ,  jusqu'à  lajln. 

Après  avoir  préparé  ses  fidèles  au  jugement  der- 
nier avec  tant  de  soin ,  il  est  temps  qu'il  nous  fasse 
voir  ce  jugement  ;  et  c'est  ce  qu'il  fait  dans  le  reste 
de  ce  chapitre. 

Quand  le  Fils  de  l'homme  viendra  en  sa  ma- 
jesté ,  et  tous  ses  anges  avec  lui  <.  Quelle  ma- 
jesté! quelle  suite!  que  d'exécuteurs  de  sa  jus- 
tice! Mais  comment  viendra  t-il?  dans  une  nuée 
éclatante  *  :  du  plus  haut  des  cieux  ;  de  la  droite 
de  son  Père.  Avec  ses  anges.  Il  est  donc  le  Sei- 
gneur des  anges  comme  des  hommes.  //  s'assiéra 
dans  le  siège  de  sa  majesté  :  et  toutes  les  na- 
tions seront  assemblées  devant  lui  ^.  Quelle  jour- 
née! quelle  séance!  Qui  ne  tremblera  alors?  De- 
vant ce  grand  roi  assis  dans  le  trône  de  son 
jugement,  qui  dissipera  fout  le  mal  par  un  coup 
d'oeil,  qui  osera  alors  se  glorifier  d'avoir  le  cœur 
pur;  et  qui  osera  dire  :  Je  suis  innocent t}  Qui 
pourra  paraître  devant  celui  qui  a  les  yeux  comme 
un  flambeau  ardent,  comme  la  flamme  du  feu  le 
plus  pénétrant  et  le  plus  vif,  qui  sonde  les  cœurs 
et  les  reins ,  et  qui  donne  à  chacun  selon  ses  asu- 
vres  8  ?  Toutes  les  consciences  seront  ouvertes  en 
un  instant,  et  tout  le  secret  en  sera  manifesté  à 
tout  l'univers.  Où  se  cacheront  ceux  qui  mettaient 

'  Luc.  xrx,  24  —  '  .4poc.  m,  II.  —  '  Afatih.  xxt,  2».  — 
*  MaUh.  xxv, 31.  —  »  Luc.  xxi,  27.  —•  Matth.  XIT,  ».  — 
'  Prov.  XX  ,  8,  9.  —  *Jpoc.  u  ,  18,23. 


654 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


foute  leur  conûance  à  se  cacher  :  dont  les  actions 
étaient  honteuses ,  même  à  dire  et  à  penser^?  et 
qui  verront  tout  à  coup  leur  turpitude  révélée  de- 
vant tous  les  anges ,  devant  tous  les  hommes ,  et 
ce  qui  renferme  en  un  mot  toute  confusion  et  toute 
honte,  devant  le  Fils  de  l'homme,  dont  la  présence , 
dont  la  sainteté,  dont  la  vérité  convaincra  et 
confondra  tous  les  pécheurs?  Voilà  celui  que  vous 
nommiez  votre  Maître  :  pourquoi  ne  gardiez-vous 
pas  sa  parole?  Voilà  celui  que  vous  appeliez  votre 
sauveur  :  quel  usage  avez-vous  fait  de  ses  grâces  ? 
Voilà  celui  que  vous  attendiez  comme  votre  juge  : 
comment  ne  treinbliez-vous  pas  à  son  approche,  et 
à  la  seule  pensée  de  son  jugement?  Vous  croyiez 
avoir  tout  gagné  en  vous  cachant,  en  détournant 
vos  yeux,  en  gagnant  du  temps.  Vous  y  voilà 
maintenant,  devant  ce  tribunal  :1a  sentence  va  être 
prononcée,  sans  délai ,  en  dernier  ressort;  et  elle 
sera  suivie  d'une  prompte  et  inévitable  exécution. 


XCIP  JOUR. 


Séparation  des  justes  et  des  impies.  Matth. 


XXV.  31. 


//  les  séparera  les  uns  des  autres ,  comme  un 
pasteur  sépare  les  brebis  d'avec  les  boucs.  Il  dit 
ailleurs,  que  les  anges  feront  cette  séparation; 
et  sépareront  les  justes  d'avec  les  impies.  Les 
uns  seront  à  la  droite,  et  les  autres  à  la  gau- 
che '.  Que  n'aura  point  à  craindre  alors  la  troupe 
des  impies?  Ce  qui  est  cause  que  Dieu  ne  répand 
pas  sur  elle  toute  sa  colère,  c'est  le  mélange  des 
bons  et  des  mauvais  :  et  il  épargne  les  uns  pour 
l'amour  des  autres.  Après  la  séparation,  quelle 
vengeance!  Mais  quelle  horreur  aura-t-on  des  mau- 
vais ?  Ils  se  cachent  ici  parmi  la  foule ,  et  se  mêlent 
avec  les  bons  :  là,  que  toute  leur  difformité  pa- 
raîtra ,  et  qu'on  les  comparera  avec  les  justes  plus 
resplendissants  que  le  matin  4,  et  avec  le  Fils  de 
l'homme  qui  est  la  justice  même,  qui  les  pourra 
souffrir  et  qui  se  pourra  souffrir  soi-même?  O 
montagnes!  cachez-nous  ;  ô  collines!  tombez  sur 
nous  ^.  Dans  quelle  compagnie  es-tu ,  malheu- 
reux ?  On  a  honte  de  se  trouver  avec  un  seul  scé- 
lérat :  tu  seras  avec  tous  les  méchants,  et  tu  en 
augmenteras  le  nombre  infâme  :  chacun  portera 
sur  le  front  le  caractère  de  son  péché.  O  comment 
pourra-t-on  soutenir  la  lumière  d'un  si  grand  jour, 
et  comparaître  devant  le  Fils  de  l'homme? 

Qu'attendons-nous  davantage?  La  séparation  est 
faite.  Hypocrite!  qui  cachais  si  bien  ton  iniquité,  et 
qui  te  joignais  à  la  troupe  des  gens  de  bien  ;  te  voilà 
tout  d'un  coup  à  la  gauche  :  avec  Caïn ,  avec  Nem- 
rod ,  avec  Anliochus ,  avec  Judas,  avec  Caïphe ,  avec 
tous  ceux  qui  ont  crucifié  Jésus-Christ  et  massacré 
ses  prophètes,  ses  apôtres,  ses  martyrs;  avec  tous 
les  scélérats ,  tous  les  impies ,  tous  les  hérétiques  , 
tous  les  infidèles,  tous  les  idolâtres ,  tous  les  Juifs, 
tois  Ws  impudiques,  tous  les  voleurs;  avec  ceux 
dont  le  seul  nom  fait  horreur  :  pis  que  tout  cela, 

'  Eph.  V,  12.  —  '  Matth.  xxv,  32,  33;  xnr,  49.  —  3  Prov. 
T,  13.--*  Lw.  XXHI,  30. 


I  avec  les  démons,  qui  ont  inspiré  et  animé  tous  ces 
méchants.  C'est  avec  eux  qu'il-  faudra  vivre;  si 
c'est  là  une  vie,  que  de  ne  vivre  que  pour  son 
supplice  ou  pour  sa  honte.  O  néant!  je  t'invo- 
que :  c'est  en  toi  que  je  mets  mon  espérance  : 
ô  ïiéant  !  reprends-moi  dans  tes  abîmes  :  pour- 
quoi en  suis-je  sorti?  par  où  y  rentrerai-je?  Il 
faut  être  pour  périr  toujours.  Toi  qui  disais  : 
Tout  meurt  avec  moi,  mon  âme  s'en  ira  comme 
un  souffle  :  la  voilà  toute  vivante.  Voilà  même 
ton  corps  dissipé  qui  a  repris  sa  forme  et  sa  con- 
sistance ^  te  voilà  tout  entier.  Mais  pourquoi? 
pour  un  opprobre  éternel ,  pour  voir  toujours  •  ; 
et  quoi?  son  crime,  son  infamie,  son  ordure, 
celle  des  autres,  les  méchants,  leur  infâme  société, 
le  peuple  ennemi ,  les  démons,  une  implacable  jus- 
tice contre  une  méchanceté  incorrigible.  O  mes 
tristes  yeux  !  que  verrez-vous  donc  alors  ?  Ah  !  que 
ne  peut-on  être  aveugle,  pour  ne  voir  point  ces 
horreurs  !  Mais  on  verra ,  mais  on  sentira  tout  le 
mal  possible  :  tout  le  mal  qui  est  dans  le  crime , 
tout  le  mal  qui  est  dans  la  peine.  Fuyons  ,  fuyons 
le  péché;  puisque  si  on  ne  le  fuit,  on  ne  pourra 
fuir  le  supplice.  Pénitence,  pendant  qu'il  est  temps  : 
fléchissons  la  face  du  juge  :  prévenons-la  par  la 
confession  de  nos  péchés.  Pleurons ,  pleurons  de- 
vant celui  qui  nous  a  faits  '  :  pleurons  ,  avant  que 
de  retomber  dans  ces  pleurs  irrémédiables  et  inta 
rissables  ;  pleurons  avec  saint  Pierre,  de  peur 
d'aller  pleurer  éternellement  et  inutilement  avec 
Judas  et  tous  les  méchants. 

XCIIP  JOUR. 

Venez,  bénis  :  allez,  maudits.  Ihid. 

Alors  le  roi  dira  à  ceux  qui  sont  à  la  droite  : 
Fenez^.  aux  autres  :  Allez  :  à  ceux-ci,  Fenez; 
vous  êtes  déjà  avec  les  justes  :  venez  avec  moi  ; 
venez  à  mon  trône ,  dans  lequel  vous  serez  assis 
avec  moi  4  ;  car  je  l'ai  promis. 

O  paroles  qu'on  ne  peut  assez  méditer  !  re7iez  : 
Allez.  Taisons-nous  :  tais-toi,  ma  langue  :  tes  ex- 
pressions sont  trop  faibles.  Mon  âme,  pèse  ces 
mots  qui  comprennent  tout  le  bonheur  et  le  mai- 
heur,  et  toute  l'idée  de  l'un  et  de  l'autre  :  re?iez  : 
Allez:  Venez  à  moi ,  où  est  tout  le  bien.  Allez  loin 
de  moi,  où  est  tout  le'mal. 

Venez  les  bénis,  les  bien-aimés  de  mon  Père  : 
autrefois  maudits  et  haïs  des  hommes;  mais  dès 
lors  bénis  de  mon  Père,  dont  la  bénédiction  se 
déclare  en  ce  jour  :  venez  posséder  le  royaume 
qui  vous  était  préparé^.  Venez  ,  petit  troupeau  : 
ne  craignez  plus  rien ,  puisqu'il  a  plu  à  votre  Père 
de  vous  donner  son  royaume  ^.  Venez,  venez,  ve- 
nez :  entrez  dans  la  joie  de  votre  Seigneur  7  : 
jouissez  de  son  royaume  éternel.  O  venez,  venez! 
Quelle  parole!  quelle  joie!  quelle  douceur  !  quel 
transport! 

Un  royaume  :  quelle  grandeur  !  Un  royaume 
préparé  de  Dieu,  et  de  Dieu  comme  Père,  et  pré- 

'  Dan.  xn,  2.  —  »  Ps.  xciv,  6.  —  s  ^fatth.  xxv,  41.  — 
*  .4poc.ui,  21.— i  .Maitk.x\\,di.—^Luc.\u,32.—'A/ailh. 
XXT,  .^I ,  23. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


paré  pour  un  Fils  unique,  éternellement  bien- 
ainié;  car  c'est  le  ni^me  qui  est  aussi  préparé  pour 
les  élus.  Enfants  de  dilection  et  d'élection  éternelle  ; 
▼ousavez assez  souffert,  assez  attendu  :  venez'main- 
tenant  le  posséder.  On  ne  possède  que  ce  qu'on  a 
pour  l'éternité  :  le  reste  échappe  et  se  perd. 

XCIV»  JOUR. 

rai  ea  faim  :  j'ai  eu  soif.  Nécessité  de  l'aamtee  :  son 
mérite  et  sa  récompense.  Matih.  xxt,  31. 

J'ai  eu  faim  :  j'ai  eu  soif:  j'ai  été  nu  :j'ai  été 
malade  et  en  prison  «,  C'est  par  la  même  raison 
qui  lui  fait  dire  :  Saul ,  Saul ,  pourquoi  me  per- 
sécutes-tu? et.  Je  suis  Jésus  que  tu  persécutes  »  : 
c'est  par  la  société,  ou  plutôt  par  l'unité  qui  est 
entre  le  chef  et  les  membres  ;  c'est  parce  qu'il  est 
le  cep  ,  et  que  nous  sommes  les  branches  3.  Mais 
il  faut  ici  remarquer  que  les  pauvTcs  sont  de  tous 
ses  membres,  ceux  dans  lesquels  il  est  le  plus. 

Tous  les  Pères  relèvent  ici  l'avantage  et  le  mérite 
de  l'aumône,  que  Jésus-Christ  vante  tant ,  et  qu'il 
vante  seule  dans  le  siège  de  sa  majesté ,  dans  son 
dernier  jugement,  à  qui  seule  il  attribue  la  vie 
étemelle.  Ils  démontrent  aussi  par  le  même  endroit 
la  nécessité  de  l'aumône,  puisque  manquer  de  la 
faire  est  un  crime,  et  le  seul  crime  que  le  juste 
juge  allègue  pour  la  cause  de  la  damnation.  Et  la 
raison  en  est  évidente ,  en  ce  que , 

Premièrement ,  si  le  précepte  de  la  charité  est 
l'abrégé  de  la  loi  et  des  prophètes ,  comme  il  dit 
lui-même,  il  était  juste  de  renfermer  dans  la  charité 
toutes  les  bonnes  œuvres,  et  dans  la  privation  de 
la  charité  toutes  les  mauvaises'. 

Secondement ,  comme  dit  saint  Jean  :  Celui  qui 
n'aime  pas  son  frère  qu'il  voit,  comment  aimera- 
t-il  Dieu  qu'il  ne  voit  pas  *?  Ainsi  la  même  justice 
qui  l'oblige  à  punir  le  monde  pour  le  défaut  de  la 
charité,  l'oblige  aussi  à  marquer  le  défaut  de  la 
charité  dans  son  effet  le  plus  sensible  ,  qui  est  la 
chanté  envers  les  frères. 

Troisièmement ,  les  deux  préceptes  de  la  charité, 
dans  lesquels ,  comme  on  vient  de  dire  ,  consistent 
la  loi  et  les  prophètes,  sont  renfermés  manifeste- 
ment dans  ces  paroles  :  J'ai  eu  faim  :j'ai  eu  soif: 
et ,  toutes  les  fois  que  vous  F  avez  fait  à  un  de  mes 
frères,  vous  me  tavez  fait  à  moi-même'^;  puis- 
qu'il nous  montre  par  là  que  le  motif  d'exercer  la 
charité  envers  le  prochain,  est  la  charité  envers 
Dieu. 

Quatrièmement ,  tous  les  péchés  sont  en  quel- 
que sorte  renfermés  dans  le  défaut  de  l'aumône  ; 
parce  que  dans  l'aumône  était  renfermé  le  remède 
de  tous  les  péchés,  conformément  à  cette  parole  : 
Rachetez  vos  péchés  par  l'aumône^.  Et  encore  : 
La  charité  couvre  la  multitude  des  péchés  '.  Et  en- 
core :  Faites  [aumône,  et  tout  sera  pur  pour  vous*. 
Ainsi  tous  les  hommes  étant  pécheurs,  et  parla 
exclus  en  rigueur  du  royaume  des  cieux  ;  ce  qui  les 

•  Matth.  XXV,  35,  36.  —  '  Act.  IX,  4,  5.  —  »  Joan.  XV,  I , 
6. — •  I.  Joan.  IV,  20.  —  *  .Vatth.  XXV,  35 ,  40.  —  ^  Dan.  IV, 
ai.  —  '  I.  Pet.  IV,  8.  —8  Luc.  XI,  41. 


655 

en  exclut  en  dernier  lieu ,  c'est  de  négliger  le  re> 
inède. 

Cinquièmement  ,  la  vie  éternelle  nous  étant 
donnée  à  titre  de  miséricorde  et  de  grâce,  la  jus- 
tice demandait  que  cftte  miséricorde  nous  fût  ac- 
cordée au  prix  de  la  miséricorde,  conformément  à 
cette  parole  :  Bienheureux  les  miséricordieux , 
parce  qu'ils  obtiendront  la  miséricorde'.  Et  en- 
core :  Jugement  sans  miséricorde  à  celui  qui  ne 
fera  pas  miséricorde  ». 

Sixièmement,  comme  les  miséricordes  de  Dieu 
éclatent  au-dessus  de  toutes  ses  œuvres^.,  selon  ce 
que  dit  David  :  ainsi  en  est-il  des  miséricordes  de 
l'homme,  et  les  œuvres  de  miséricorde  devaient 
principalement  être  célébrées  au  jugement  dernier 
comme  les  plus  éclatantes  de  toutes  les  autres,  et 
comme  celles  qui  nous  rendent  le  plus  semblables 
à  Dieu  ,  conformément  à  cette  parole  :  Soyez  mi- 
séricordieux, comme  votre  Père  célestes  est  mi- 
séricordieux*. Ce  qui  répond  à  cette  parole  : 
Sotjez  parfaits,  comme  votre  Père  céleste  est 
parfait^  :  ainsi  que  la  conférence  des  deux  passa- 
ges le  fera  paraître.  Ainsi  la  perfection  où  nous  de- 
vons tendre  principalement ,  et  par  là  nous  rendre 
semblables ,  comme  le  doivent  de  >Tais  enfants ,  à 
notre  Père  céleste,  est  celle  d'exercer  la  miséricorde. 

Pour  ces  raisons,  tout  est  renfermé  dans  les 
œuvres  de  miséricorde  :  et  on  en  pourrait  rapporter 
une  infinité  d'autres  que  chacun  pourra  suppléer. 

Il  reste  donc  à  s'examiner  sur  l'obligation  de  l'au- 
mône ;  et  sans  écouter  les  vaines  excuses  dont  se 
flatte  notre  dureté,  considérer  sérieusement  si 
nous  pouvons  apaiser  véritablement  notre  con- 
science sur  un  point  si  décisif  de  notre  éternité. 

XCV  JOUR. 

J'ai  ea  faim ,  J'ai  ea  soif,  transportés  en  la  personne  de 
Jésuà-Christ  Jbid. 

Seigneur  Jésus ,  ma  vie  et  mon  espérance,  je  me 
mets  en  votre  sainte  présence ,  pour  voir  et  consi- 
dérer dans  votre  lumière ,  en  foi ,  et  en  perpétuelle 
reconnaissance  de  vos  bontés,  comment  vous  avez 
transporté  en  vous  nos  misères  et  nos  infirmités  , 
jusqu'à  pouvoir  dire  :  J'ai  eu  faim  :  j'ai  eu  soif  : 
j'ai  été  nu,  prisonnier,  malade ,  en  la  personne 
de  tous  ceux  qui  ont  eu  à  souffrir  des  maitx  sem- 
blables. 

Le  fondement  de  ce  transport ,  ô  Jésus  !  c'est 
i  l'amour  qui  vous  a  porté  à  prendre  notre  nature , 
!  et  à  la  prendre  non  point  immortelle  et  saine, 
comme  vous  l'aviez  fait  dans  son  origine  :  car  vous 
I  êtes  le  rerbe  par  qui  tout  a  été  fait^\  vous  êtes 
celui  à  qui  le  Père  a  dit  :  Faisons  l'homme  '  ;  et 
vous  l'avez  fait  avec  lui  et  avec  votre  Saint-Esprit, 
qui  est  avec  le  Père  et  avec  vous  un  seul  Dieu  sou- 
verainement parfait.  C'est  donc  vous  qui  avez  fait 
la  nature  humaine;  et  quand  vous  l'avez  prise,  vous 
n'avez  pris  que  votre  propre  ouvrage.  Mais  vous 
ne  l'avez  pas  prise,  encore  un  coup,  saine,  par- 

«  itatih.  V,  7.  —  >  Jac.  U,  13.  —  ^  Ps.  OUV,  9.  —  <  Iak. 
»»,  3«.  — *  MatfA.  V,48.  — *  Jba».  I,S-  — '  Cn».  i,2& 


S56 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


faite ,  immortelle,  et  selon  ràinc  et  selon  le  corps , 
telle  qu'elle  était  d'abord  sortie  de  vos  mains.  Vous 
l'avez  prise  telle  que  le  péché  et  votre  justice  ven- 
geresse l'avait  faite,  mortelle,  infirme ,  pauvre  : 
parce  que  vous  vouliez  porter  notre  péché.  Vous  le 
vouliez  porter  sur  la  croix,  victime  innocente  : 
vous  le  vouliez  porter  durant  tout  le  cours  de  votre 
vie,  agneau  qui  ôtez  les  péchés  du  monde  '  ;  mais 
qui  ne  les  ôtez  qu'en  les  transportant  première- 
ment sur  vous.  Mais  vous  êtes  le  Saint  des  saints , 
oint  d'une  huile  excellente  au-dessus  de  tous  ceux 
quiprennent  avec  vous,  et  en  figure  de  votre  per- 
sonne ,  le  nom  de  Christ^  :  car  cette  huile  dont  vous 
êtes  oint  et  sanctifié,  c'était  la  divinité,  qui  unie  à 
votre  sainte  ame,  et  par  elle  à  votre  corps  virginal , 
les  sanctifiait  d'une  manière  ineffable  :  en  sorte 
qu'étant  le  vrai  Christ  de  Dieu,  le  juste  par  excel- 
lence, et  le  Saint  des  saints,  comme  vous  ne  pou- 
viez pas  transporter  sur  vous  l'iniquité  et  la  tache 
de  notre  péché,  vous  en  avez  seulement  transporté 
sur  vous  la  peine,  le  juste  supplice,  c'est-à-dire  la 
mortalité  avec  toutes  ses  suites.  Par  là  donc  vous 
êtes  devenu  sensible  à  nos  maux.  Pontife  compa- 
tissant^, qui  les  avez  expérimentés  ;  car,  comme 
dit  votre  apôtre,  il/allait  que  vous  vous  fissiez  en 
tout  semblable  à  vos  frères ,  afin  que  vous  devins- 
siez unpontife  miséricordieux  et  fidèle,  poîir  ex- 
pier les  péchés  du  monde^.  Car  qui  doute  que  vous 
ne  puissiez  nous  aider  dans  les  choses  que  vous  avez 
éprouvées,  puisque  vous  ne  les  avez  éprouvées  que 
parce  qu'il  vous  a  plu  ,  et  parce  que  vous  vouliez,  en 
les  souffrant ,  faire  naître  en  vous  la  compassion 
secourable  que  vous  avez  pour  ceux  qui  ont  aussi 
à  les  souffrir*? 

Soyez  donc  loué  à  jamais,  ô  grand  pontife,  qui 
avez  pitié  de  nos  maux  :  non  pas  comme  les  heu- 
reux ont  pitié  des  malheureux,  mais  comme 
les  malheureux  ont  pitié  les  uns  des  autres,  par 
le  sentiment  de  leur  commune  misère  :  non  que 
vous  vous  soyez  jamais  tenu  pour  malheureux 
parmi  les  maux  que  vous  avez  soufferts,  vous  qui 
n'avez  souffert  ni  la  douleur  ni  la  mort,  que  par- 
ce que  vous  le  vouliez;  à  qui  aussi  personne  n'a 
ôtésonâme,  mais  qui  l'avez  donnée  de  vous-même: 
mais  parce  qu'il  vous  a  plu  de  vous  mettre  au  rang 
de  ceux  que  le  monde  appelle  malheureux;  qu'on 
vous  a  vu  comme  un  lépreux  ,  comme  un  homme 
chargé  de  plaies,  que  Dieu  a  frappé  et  humilié; 
en  un  mot ,  comme  un  homme  de  douleurs ,  et  qui 
savait  par  expérience  ce  que  c'est  que  l'infirmité 
et  la  faiblesse  ^.  En  sorte  qu'ayant  passé  par  tou- 
tes les  misères  de  notre  nature  pécheresse ,  et 
ayant  tout  éprouvé,  excepté  le  péché,  voiis  res- 
sentez tous  nos  maux,  et  vous  y  compatissez  7 , 
comme  à  des  maux  qui  vous  ont  été  communs  avec 
nous.  Et  quoique  vous  n'ayez  point  été  malade  de 
ces  maladies  particulières ,  dont  nous  sommes  si 
souvent  exercés  :  vous  avez  porté  la  faim,  la  soif, 
la  lassitude,  la  défaillance,  qui  sont  les  maladies 
communes  de  notre  nature.  Vous  avez  porté  la 

•  Jnnn.  t,  29.  —  ^  Ps.  XUY,  9.  —  ^  Heb.  V,  1 ,  2.— *  //t'6. 
H,  17.  —  ^  Ibkl.  V,  18.  —'^Is.  un,  2,  .3,  4.— '  Heb.  IV,  ID. 


frayeur,  la  crainte,  l'ennui,  la  détresse,  jusqu'à 
l'agonie,  qui  sont  d'autres  maladies  des  plus  ter- 
ribles. Vous  avez  porté  des  plaies,  qui  ont  comme 
mis  en  pièces  votre  saint  corps,  et  vous  ont  fait 
dire,  par  la  bouche  de  votre  prophète,  que  vous 
n'aviez  plus  de  figure  humaine  ' ,  et  que  vous  étiez 
U7i  ver,  et  non  un  homme  ».  Ce  qui  a  fait  dire  en- 
core à  un  autre  de  vos  prophètes  :  Nous  nous  som- 
mes approchés  de  lui,  nous  l'avons  regardé  de 
près,  et  nous  ne  l'avons  pas  connu  :  il  nous  a 
paru  le  dernier  des  hommes,  et  un  homme  abîmé 
dans  la  douleur  3,  Vous  avez  donc  ressenti  les 
plus  grandes,  les  plus  terribles  et  les  plus  doulou- 
reuses infirmités  du  genre  humain  malade  :  et  si 
vous  n'avez  pas  eu  la  fièvre,  et  les  maladies  de  cette 
nature,  qui  pouvaient  ne  convenir  pas  à  la  perfec- 
tion de  votre  tempérament,  parce  quelles  vien- 
nent d'un  dérèglement  des  humeurs ,  que  peut-être 
vous  n'avez  pas  voulu  souffrir  en  vous;  vous  les 
avez  toutes  éprouvées  dans  la  mortalité  qui  en 
est  la  source.  C'est  pourquoi  par  cette  même  sen- 
sibilité, qui  vous  a  fait  compatir  à  nos  autres 
maux,  vous  avez  aussi  compati  à  nos  maladies; 
et  vous  n'avez  jamais  guéri  les  malades ,  ou  res- 
suscité les  morts,  ou  considéré  nos  maux,  que 
cette  tendre  compassion  de  votre  cœur  attendri 
ne  vous  ait  ému.  Ainsi  vous  pleurâtes  avant  que 
de  ressusciter  le  Lazare.  Ainsi  vous  multipliâtes 
les  pains,  touché  de  compassion  du  peuple  épuisé 
de  travail  4.  Dans  une  occasion  semblable,  vous 
dîtes  encore  :  J'ai  pitié  d'une  si  grande  multitude 
d'hommes  :  et  je  ne  veux  pas  les  renvoyer  sans 
manger,  de  peur  que  les  forces  ne  leur  manquent  *. 
Ces  aveugles,  qui  connaissent  combien  vous  êtes 
sensible  à  nos  maux,  vous  disaient  à  cris  redou- 
blés :  Ayez  pitié  de  nous,  Seigneur,  Fils  de  Da- 
vid. Vous  écoutâtes  leur  voix  :  touché  de  compas- 
sion, vous  mîtes  votre  main  miséricordieuse  sur 
leurs  yeux  privés  de  la  lumière,  et  ils  reçurent  la 
vue^.  Lorsque  vous  vîtes  ce  sourd  et  ce  muet,  vous 
commençâtes  par  gémir  en  levant  les  yeux  au  ciel  7. 
Vous  pleurâtes  sur  les  malheurs  prochains  de  Jéru- 
salem *.  Ce  sentiment  de  compassion  vous  suit 
toujours ,  quoiqu'il  ne  soit  pas  toujours  exprimé. 
C'est  ce  cœur  tendre  et  compatissant ,  ce  cœur  ému 
de  pitié  qui  sollicitait  votre  bras  tout-puissant  en 
faveur  de  ceux  dont  vous  voyiez  les  souffrances. 
Ainsi  cette  compassion  fut  la  source  de  vos  mira- 
cles. Ce  qui  a  fait  dire  à  votre  évangéliste,  que  lors- 
que vous  guérissiez  tous  les  possédés,  et  tous  ceux 
qui  se  trouvaient  mal,  cela  se  faisait  pour  accom- 
plir cette  prédiction  du  prophète  :  Il  a  pris  nos 
infirmités,  et  il  a  porté  nos  maladies  9.  Vous  les 
portiez  véritablement  par  compassion,  et  vous 
soulagiez  votre  cœur  en  les  guérissant. 

O  mon  Sauveur  !  vous  avez  porté  ces  sentiments 
dans  le  ciel  :  et  quoique  vous  n'y  ayez  pu  porter 
ces  larmes ,  ces  gémissements ,  ces  émotions  de 
vos  entrailles,  ces  souffrances  intérieures,  que 

'  Js.  un ,  2.  —  »  fs.  XXI ,  7.  —  2  Is.  un  ,2,3.-4  Matth. 
IX ,  36.  —  *  Ihid.  XV,  32.  —  «  Matth.  xx ,  30  et  seq.  —  '  Mare. 
IX,  2i.  —  '  Luc.  XIX,  41.  —  »  .Vatth.  viii,  16,  17.  Is.  Ull,*. 


MEDITATIONS  SUR  UEVaNGILE. 


vous  ressentiez  à  la  vue  de  tant  de  maux  dont 
notre  nature  est  accablée ,  vous  y  en  avez  porté  le 
souvenir,  qui  vous  rend  tendre,  miséricordieux, 
compatissant  envers  tous  vos  membres,  et  envers 
tous  ceux  qui  souffrent  sur  la  terre.  Car  vous  êtes 
ce  charitable  Samaritain  ' ,  qui  avez  pitié  de  tous 
les  blessés ,  de  quelque  nation  qu'ils  soient ,  plus 
que  les  prêtres  et  les  lévites  de  la  loi.  Je  ressens 
donc,  mon  Sauveur,  la  vérité  d«  cette  parole  : 
f  ai  eu  faim  ;  f  ai  eu  soif  ;  f  aï  été  infitme ,  dans 
tous  ceux  que  tous  ces  maux  ont  affligés.  Otez- 
moi ,  ô  mon  Sauveur ,  ce  cœur  de  pierre.  Que  je 
sois  compatissant  comme  vous  :  que  je  puisse 
dire  avec  votre  apôtre  :  Qui  est  infirme  sans  que 
je  le  sois?  Qui  est  troublé  et  scandalisé,  sans  qu'un 
feu  intérieur  me  consume  '  ?  Que  je  me  réjouis- 
se, selon  son  précepte,  avec  ceux  qui  se  réjouis- 
sent, ce  qui  est  facile  et  agréable  à  la  nature  :  mais 
que  je  pleure  sincèrement  avec  ceux  qui  pleu- 
rent 3.  Que  je  puisse  dire  avec  vous  :  J'ai  faim; 
j'ai  soif;  je  suis  étranger,  sans  logement;  je 
tuis  prisonnier,  je  suis  malade  en  ceux  et  avec 
tous  ceux  qui  le  sont.  Que  ma  compassion  ne  soit 
pas  vaine,  et  qu'elle  me  porte  au  secours  :  que 
je  les  soulage  efficacement  comme  cherchant  moi- 
même  à  me  soulager.  Mais  que  je  porte  ma  vue 
plus  loin  :  que  je  médite  sans  cesse  que  vous  avez 
transporté  en  vous  leurs  infirmités  ;  que  vous  souf- 
frez en  eux  tous  :  enfin  que  vous  avez  dit ,  et  que 
vous  répéterez  en  votre  dernier  jugement  :  J'ou- 
ies  les  fois  que  vous  avez  donné  ce  secours  à  un 
de  mes  frères,  et  encore  des  plus  petits ,  afin  que 
vous  ne  méprisiez  aucune  sorte  de  petitesse  ;  vous 
me  l'avez  donné  à  moi-même  *.  A  vous  la  gloire,  à 
vous  la  louange ,  à  vous  l'action  de  grâces  de  tous 
ceux  qui  souffrent,  c'est-à-dire,  de  tous  les  hom- 
mes ,  pomr  la  bonté  que  vous  avez  eue  de  vous  ap- 
proprier et  d'adopter  leurs  souffrances ,  et  de  les 
recommander  à  tous  vos  enfants ,  par  un  précepte 
qui  est  le  seul  dont  vous  parliez  sur  votre  trône , 
à  la  face  du  ciel  et  de  la  terre,  en  présence  des 
hommes  et  des  anges.  Amen ,  amen. 

XCVP  JOUR. 

Venez ,  les  béais  de  mon  Père  :  récompense  des  Justes  Marc. 

XXT,  31. 

f^enez,  les  bénis  de  mon  Père  :  Allez,  maudits^. 
Venez  :  parole  d'amour  et  d'union,  parole  de 
l'Époux  :  Venez,  mon  épouse,  ma  bien-aimée^  : 
venez  dans  ma  couche  nuptiale  :  venez  à  la  jouis- 
sance de  mes  immortelles  beautés.  Car  tout  cela , 
sous  une  autre  figure,  c'est  le  royaume  qui  vous 
a  été  préparé  :  c'est  un  trône,  pour  signifier  la 
magnificence  et  la  gloire  :  c'est  la  couche  nuptia- 
le ,  pour  signifier  l'abondance  de  la  jore ,  et  l'ac- 
complissement  du  mystère  de  l'amour  divin ,  en 
faisant  avec  Dieu  un  même  esprit.  A  ce  Venez  de 
l'Époux  céleste,  l'épouse  de  son  côté  doit  dire  un 
autre  Venez  :  Venez,  mon  bien-aimé  i.  C'est  ce 

»  Ikc.x,  33.—  »  II.  Cor.  XI,  29.  —  »  Rom.  xii,  \h.—  *  Matth. 

IXT ,  40.  —  »  Ibid.  34 ,  41.  —  •  Cant.  iv ,  8.  —  :  Ibid.  TU ,  1 1 . 


687 

• 

qu'il  faut  dire  en  foi ,  en  espéranc»» ,  en  amom  d;ins 
l'esprit  et  avec  les  sentiments  d'une  épouse  ardente  et 
fidèle.  Et  l'esprit  et  l'épouse  disent:  Venez:  que  ce- 
lui qui  entend  dise:  Venez  •  :  qu'il  appelle  à  chaque 
moment ,  et  du  fond  du  cœur,  l'Époux  céleste.  Que 
votre  règne  arrive  ^  Que  celui  qui  a  soif  vien- 
ne :  qu'il  vienne,  celui  qui  a  faim  et  qui  a  soif  de 
la  justice,  et  qu'il  reçoive  gratuitement  l'eau  vice  * 
que  je  lui  prépare  gratuitement,  par  pur  amour, 
par  pure  miséricorde  :  car  encore  que  je  récom- 
pense les  œuvres,  c'est  dans  les  œuvres  mes  dons 
que  je  récompense  :  c'est,  à  remontera  l'origine, 
ma  grâce  que  je  couronne.  C'est  moi  qui  préviens  : 
c'est  moi  qui  attire  :  c'est  moi  qui  donne  le  pre- 
mier. Il  faut  donc  venir,  et  en  venant  m'inviter  à 
venir  moi-même,  et  à  dire  ce  dernier  Venez,  qui 
consomme  la  félicité  et  l'œuvre  de  la  rédemption. 
Oui,  je  viens  bientôt  :  Il  est  ainsi  :  amen.  Je  scelle 
cette  vérité  dans  les  cœurs  :  Venez,  Seigneur  Jé- 
sus, venez  4  :  c'est  par  où  finit  l'Écriture.  C'est  le 
dernier  avertissement  qu'elle  nous  donne,  comme 
celui  qu'elle  veut  laisser  le  plus  \ivement  empreint 
dans  nos  cœurs. 

Venez,  tes  bénis,  les  chéris  de  Dieu.  G  mon 
Sauveur,  que  j'entende  le  mystère  de  cette  secrète 
bénédiction ,  par  laquelle  vous  nous  avez  bénis  avant 
l'établissement  du  monde,  en  nous  préparant  votre 
royaume  !  Mais  qu'est-ce ,  ô  Seigneur ,  votre  royau- 
me? sinon  votre  justice,  votre  vérité  régnante 
sur  les  esprits,  pour  en  animer  tous  les  mouve- 
ments :  lorsque  Jésus-Christ  mettra  à  vos  pieds  tout 
le  peuple  racheté ,  se  l'assujettissant  totalemaïf 
par  l'opération  de  sa  toute-puissance  :  en  sorte 
qu'il  n'y  paraisse  que  lui,  et  que  Dieu  soit  tout  en 
tous ,  et  nous  avec  lui  en  un  même  esprit  *,  par 
l'effusion  de  sa  gloire,  et  la  parfaite  conformité  de 
notre  volonté  avec  la  sienu».  Ainsi  ce  qui  fera 
notre  règne,  c'est  le  règne  de  Dieu  sur  nous.  Lors- 
que tout  lui  sera  assujetti,  tout  ira  selon  le  mou- 
vement de  son  esprit.  Maintenant  il  v  a  en  nous 
quelque  chose  de  sujet ,  et  aussi  quelque  chose  de 
rebelle.  Mais  alors  tout  sera  sujet  :  et  cette  sujé- 
tion bienheureuse  qui  est  notre  parfaite  félicité , 
étant  accomplie  dans  le  chef  et  dans  les  membres  , 
l'œuvre  de  Jésus-Christ  sera  parfaite.  Venez  donc , 
ô  bénis  de  Dieu  !  venez  à  ce  bienheureux  royaume  ! 
entrez  dans  la  joie  de  votre  Seigneur. 

XCVIl*  JOUR. 

Retirez-Yoos ,  maudits  :  allez  aa  feu  éternel  :  condamnatioM 
des  impies.  Ibid. 

Au  lieu  de  ce  Venez  si  ravissant,  plein  d'une 
admirable  douceur,  qui  satisfera  le  cœur  de  l'homni'? 
sans  lui  laisser  rien  à  désirer,  les  méchants,  lea 
impénitents  entendront  cet  impitoyable  ^/&3,  lie- 
tirezrvous^  :  et  où  iront-ils ,  les  malheureux .'  Où,  en 
s'éloignant  du  souverain  bien,  sinon  au  souverain 
mal  ?  Où,  en  s'éloignant  de  la  lumière  éternelle ,  si. 

'  Apoc.  XXI! ,  16.  —  »  .Vatth.  TI.  10.  —  î  Jpoc.  X\n,  !«. 
—  «  Ibid.  20-  —  ♦  I.  Cor.  xv,  24  ,  25  et  seq.  Philip,  m,  2i. 
I.  Cor.  VI,  17.  —  «  A/a/M.  XXV,  41. 


6.W 


MÉDITATIOiNS  SUR  L'ÉVANGILE. 


non  à  ces  ténèbres  extérieures ,  ténèbres  affreuses , 
plus  palpables  que  celles  de  J'Égypte  ?  Où ,  en  per- 
dant la  joie  éternelle,  si  ce  n'est  aux  pleurs,  au 
désespoir,  à  la  rage,  au  grincement  de  dents,  à  Té- 
ternelle  fureur  ?  Allez  :  retirez-vous,  ouvriers  d'i- 
niquité. Retirez-vous ,  je  ne  vous  connais  pas.  Ma 
marque  n'est  point  en  vous  -.je  ne  vous  ai  jamais 
C071JIUS  «.  Vos  œuvres  ont  été  trompeuses,  défec- 
tueuses ,  passagères  en  tout  cas ,  et  destituées  de 
persévérance  :  vous  n'êtes  point  de  ceux  sur  les- 
<|uels  est  ce  sceau  de  Dieu  :  Le  Seigneur  connaît 
ceux  qui  sont  à  lui  ».  Jttez,  maudits.  Fous  avez 
aimé  la  malédiction  et  elle  viendra  sur  vous.  Elle 
vous  est  attachée  comme  votre  habit,  comme  la 
ceinture  qui  vous  environne;  elle  a  pénétré  la 
moelle  de  vos  os  ^  :  Allez  au  feu,  arbre  infructueux , 
qui  n'êtes  plus  bon  qu'à  brûler  :  allez  au  feu  éter- 
nel ^^  :  nulle  goutte  de  rosée,  nul  rafraîcbissement 
ne  viendra  jamais  sur  vous.  Allez  à  ce  feu  qui  est 
préparé  au  diable  :  à  celui  qui  dès  le  commence- 
ment n'ayant  point  voulu  demeurer  dans  la  vérité, 
est  menteur,  et  père  de  mensonge ,  meurtrier  *, 
calomniateur,  tentateur  et  accusateur  des  saints  ; 
d'oii  vient  toute  iniquité  :  allez  en  sa  détestable 
compagnie,  imitateurs  de  son  orgueil  et  de  son 
impénjtence,  participez  à  ses  peines  :  qu'il  soit  vo- 
tre tyran ,  votre  bourreau.  Puisque  vous  avez  voulu 
vous  mettre  dans  son  esclavage,  portez  éternel- 
lement ce  joug  de  fer,  vous  qui  avez  refusé  le  doux 
joug  de  Notre-Seigneur. 

Mais  voici  le  comble  des  maux  :  Dieu  contre  vous 
avec  toute  sa  justice  et  sa  puissance.  Écoutez ,  trem- 
blez ;  c'est  lui  qui  parle  :  Si  vous  ne  m'écoutezpas, 
si  vous  méprisez  mes  commandements,  je  mettrai 
ma  face  contre  vous  :  j'écraserai  votre  dureté  et 
votre  orgueil  :j€  multiplierai  vos  plaies  :  comme 
vous  marchez  contre  moi ,  je  marcherai  contre 
rous  avec  un  cœur  d'ennemi^.  Fous  serez  frap- 
pés tout  ensemble  dans  le  corps,  de  pauvreté,  de 
peste,  de  froid,  et  de  chaud  :  dans  l'esprit,  de  fo- 
lie,.  d'aveuglement,  et  de  fureur  :  le  ciel  sera  de 
fer  sur  vos  têtes ,  et  la  terre  d'airain  sous  dos 
pieds  :  votre  rosée  sera  la  poussière  7  :  vous  ne 
porterez  jamais  de  fruit  :  parce  que  vous  n'aurez 
pas  voulu  servir  le  Seigneur  ,en  joie  et  dans  l'a- 
bondance de  toutes  sortes  de  biens ,  vous  serez  mis 
dans  t  esclavage  de  votre  ennemi,  dans  la  faim, 
dans  la  soif,  dans  la  nudité ,  dans  l'indigence  de 
tout  :  il  niettra  su/r  vos  épaules  un  joug  de  fer  «. 
Outre  toutes  ces  plaies  que  vous  entendez,  Dieu 
vous  en  enverra  de  plus  terribles  qui  ne  sontpoiM 
écrites  dans  ce  livre,  et  qui  passent  tout  ce  qu'on 
peut  exprimer  par  le  langage  humain  :  et  comme  le 
Seigneur  s'est  réjoui  en  vous  faisant  du  bien ,  il 
prendra  plaisir  maintenant  à  vous  perdre,  à  vous 
renverser  9.  Vous  serez  à  jamais  sous  cette  impi- 
toyable verge;  sous  cette  verge  veillante,  qu'a  vue 
le  prophète  '"  :  car  le  Seigneur  veillera  éternelle- 

'  ^faUh.  vu ,  23;  XXV ,  12.  —  î  II.  Tim.  n ,  19.  —  ^  Ps.  cvlil , 
18,  19.  —  ♦  Matth.  XXV,  41.  —  '  Joan.  vui,  44.  -— .«  Lev. 
Jtxvi,  14,  17,  19,21,27,23. —  'DeM*.  XXVin,  22,  28,23,24. 
—  8  rbid.  47 ,  48.  —  »  iitXL   él ,  C3.  —  '»  Jcrem.  1,11,12. 


ment  sur  votre  iniquité  ' ,  et  ne  cessera  de  voui 
briser,  de  vous  mettre  en  pièces  ».  Pourquoi  criez- 
vous  inutilement?  Fotre  plaie  est  incurable  :  je 
l'ai  faite  à  cause  de  votre  iniquité  et  votre  dure 
malice,  dit  le  Seigneur  par  la  bouche  de  Jérémie  ^  : 
votre  endurcissement  a  causé  le  mien  :  vous  m'avez 
rendu  inexorable,  impitoyable,  inflexible  :^/fca.  Et 
ils  iront  au  supplice  éternel  :  et  tes  justes  à  la  vie 
éternelle  i.  C'est  par  là  que  Jésus  flnit  sa  prédica- 
tion. C'est  ce  qu'il  nous  laisse  à  méditer  :  et  il  n'a 
rien  de  plus  important  à  dire  au  peuple. 

Après  donc  qu'il  eut  fini  tous  ces  discours  s , 
il  ne  songe  plus  qu'aux  préparatifs  de  sa  mort  ;  à 
la  pâque  ancienne,  à  la  nouvelle  :  aux  dernières 
instructions  qu'il  voulait  laisser  à  ses  apôtres,  à  la 
cène  ;  et  après  la  cène ,  à  la  dernière  prière  par  la- 
quelle U  commença  son  sacrifice  :  finalement,  à  sa 
mort. 

XCVIU*  JOUR. 

Jérémie  figure  de  Jésus-Christ.  Prédictions  de  ce  prophète. 

Lequel  des  prophètes  vos  pères  n'ont-ils  point 
persécuté  ^  ?  Un  de  ceux  qu'ils  ont  le  plus  persé- 
cuté, pour  leur  avoir  dit  la  vérité,  et  qui  par  là 
s'est  rendu  une  des  plus  illustres  figures  de  Jésus- 
Christ  ,  continuellement  persécuté  pour  le  même 
sujet,  c'est  le  prophète  Jérémie. 

C'a  été  un  des  plus  saints  hommes  de  l'ancienne 
loi.  C'est  le  seul  de  tous  les  prophètes  dont  il  est 
écrit  :  Je  t'ai  connu  avant  que  de  t'avoir  formé 
dans  le  sein  de  ta  mère  ;  et  avant  que  tu  en  sor- 
tisses, je  t'ai  sanctifié  7.  Une  sainteté  avancée  dans 
ce  prophète,  a  été  une  des  figures  les  plus  excd- 
lentes  de  celle  du  Saint  des  saints  :  mais  comme 
Dieu  voulait  donner  à  Jérémie  une  grande  part  à 
la  sainteté  de  Jésus-Chfist ,  il  lui  en  a  donné  une 
très-grande  à  ses  persécutions  et  à  sa  croix. 

Dieu  avait  choisi  Jérémie  pour  annoncer  à  son 
peuple  deux  terribles  vérités  :  l'une,  que  la  cité 
sainte  et  le  temple  même  allaient  être  détruits  et 
réduits  en  cendre  par  l'armée  de  Nabuchodonosor  : 
l'autre,  que  le  seul  moyen  qui  restait  au  peuple, 
aux  princes ,  au  roi  même ,  d'éviter  le  dernier  coup , 
était  de  se  soumettre  volontairement  à  ce  roi ,  que 
Dieu  avait  choisi  pour  son  vengeur  :  en  sorte  qu'il 
ne  voulait  pas  qu'on  lui  résistât ,  mais  qu'on  subit 
volontairement  le  joig  que  Dieu  avait  mis  entre  ses 
mains  pour  l'imposer  au  roi  de  Judée,  «t  à  tout 
»a  peuple. 

Jérémie ,  par  ordre  de  Dieu ,  annonçait  ces  vé- 
rités :  Quoi?  je  ne  visiterai  pas  les  iniquités  de 
ce  peuple,  dit  le  Seigneur?  Je  ferai  de  Jérusalem 
un  monceau  de  sable,  la  retraite  des  serpents;  et 
les  villes  de  Juda  seront  désolées,  et  sa7is  habi- 
tants 8.  Foici  ce  que  dit  le  Seigneur,  s'écrie-t-il  en 
un  autre  endroit  9  :  J'amènerai  sur  cette  ville  des 
maux  horribles,  en  sorte  que  tous  ceux  qui  les 

I  Dan.  IX,  14.  —  »  Deut.  xxvni,  48,  61.  —  '  Jerem.  xxx, 
15.  —*  Matth.  XXV,  46.  —'  Ibid.  xxvi ,  i.  —  «  Act.  Vil.  ^s. 
—  '  Jerem.  I,  h.—*  Ibid.  ix,  9,  M.  — ^  Ibid.  xix,  3,  8,  10. 

!I. 


MKDI TAXIONS  SUR  L'EVANGILE. 


6Sf 


éeottteronl,  leurs  oreilles  lettr  tinteront  d'étonné- 
tnent  et  de  frayeur.  Llk  sera  un  sujet  d'étonne- 
tneni,  de  dérision ,  et  de  syjlement  à  toute  la  terre  : 
et  tu  briseras  en  lettr  présence  un  pot  de  terre  >•  et 
tu  diras  :  Ainsi  je  briserai  mon  peuple ,  et  je  met- 
trai celte  ville  en  pièces,  comme  ou  y  met  un  pot 
de  terre  :  ce  ne  sera  pas  comme  on  brise  un  vais- 
seau d'or,  ou  d'étain,  ou  de  quelque  autre  métal, 
qu'on  peut  refondre  ou  ressouder  :  mais  ce  sera 
comme  on  casse  et  on  met  en  pièces  un  pot  de  terre , 
qu'on  ne  peut  plus  raccommoder  :  et  ils  seront  en- 
sevelis dans  TophetfVievi  abominable,  parce  que 
toute  la  ville  sera  ruinée,  et  les  environs  seront  rem- 
plis de  ses  ruines  ;  et  il  ne  resterapour  les  ensevelir 
que  cette  exécrable  vallée ,  infâme  à  jamais  par  les 
sacrifices  impies  qu'y  ont  offerts  les  Israélites,  en 
brûlant  leurs  tils  et  leurs  Hiles  à  .Moloch  :  Ainsi  je 
ferai  à  cette  ville,  et  a  tous  ses  Imbitants  :  elle  sera 
déserte,  et  abominable,  comme  Tophet.  Et  pour 
ce  qui  regardait  le  temple  :  jVe  vous  fiez  point, 
disait-il  ',  en  ces  parafes  de  mensonge  ,  en  disant: 
Le  temple  du  Seigneur,  le  temple  du  Seigneur,  le 
temple  du  Seigneur  :  comme  si  la  sainteté  de  ce  tem- 
ple était  capable  de  vous  sauver  seule  :  car  je  ferai 
à  cette  maison,  en  laquelle  mon  nom  a  été  invoqué, 
comme  j'ai  fait  à  Silo,  ancienne  demeure  de  l'ar- 
che, que  j'ai  détruite  e^r^etée.  Et  le  Seigneur  dit 
encore  à  Jérémie  »  :  fa- t'en  à  l'entrée  de  la  maison 
du  Seigneur  :  car  c'est  là  que  je  veux  que  tu  en  an- 
nonces la  ruine  :  et  tu  leur  diras  :  Je  ferai  que 
cette  maison  sera  comme  Silo,  un  lieu  désert  et 
abandonné;  et  je  ferai  que  cette  ville  sera  en  ma- 
j  êédiction  à  tous  les  habitants  de  la  terre. 

Il  n'épargnait  pas  les  rois,  f^oici  ce  que  dit  le 
Seigneur  à  Joachim ,  Jtls  de  Josias,  roi  de  Juda  : 
On  ne  pleurera  point  à  sa  sépfdiure;  et  ses  sœurs 
ne  diront  pas  :  Hélas!  mon  frère;  ni  elles  ne  se 
plaindront  les  unes  les  autres ,  en  disant  :  hélas  ! 
ma  stsur  :  on  ne  criera  point  en  pleurant  :  Hélas! 
prince  :  hélas!  seigneur.  Il  sera  enseveli  de  la  sé- 
pulture d'un  âne  ;  il  est  pourri ,  et  on  l'a  jeté  hors 
des  portes  de  Jérusalem.  Son  fils  ne  sera  pas  plus 
heureux.  Quand  Jéchonias,  fis  de  Joachim ,  roi 
de  Juda ,  serait  comme  un  anneau  dans  ma  main 
droite,  je  l'en  arracherai,  dit  le  Seigneur  :  je  te 
livrerai  entre  les  tnains  du  roi  de  Babylone  ;  et  je 
€  enverrai  toi  et  ta  mère  qui  t'a  porté  dans  ses  en- 
trailles,  dans  une  terre  étrangère,  et  vous  y  mour- 
rez. Terre,  terre,  terre,  écoute  la  parole  du  Sei- 
gneur. Foici  ce  que  dit  le  Seigneur  :  Écris  que  cet 
homme  sera  stérile ,  et  n'aura  aucune  prospérité 
durant  ses  jours  :  parce  qu'encore  qu'il  doive  avoir 
des  enfants,  il  n'en  aura  point  qui  lui  succède,  ni 
qui  soit  assis  sur  le  trône  de  David  '. 

Il  ne  prédisait  pas  à  Sédécias  une  plus  heureuse 
destinée.  Foîci  ce  qu'a  dit  le  Seigneur  au  roi  qui 
est  assis  sur  le  trône  de  David,  et  à  tout  le  peu- 
ple :  Je  vous  enverrai  le  glaive,  et  la  famine,  et  la 
peste  :  et  vous  serez  en  étonnpment ,  en  sifflement, 
et  en  horreur  à  tous  les  peuples  du  monde  *.  Sé- 

•  Ibid.  vu,  4,  12,  14.—  »  Ibid.  XXVI,  2,  6.  —  »  Jenm. 
IXIl.  18,  19,24,25,  26,29,  30.— <  /fcjd.  XIIX.  IC.  18. 


décias,  rot  de  Juda  ,  n'évitera  pas  les  fnains  des 
ChcUdéens  et  du  roi  de  Babylone  • ,  et  la  reste  qu'il 
prophétisa  publiquement,  et  en  présence  du  roi. 
durant  que  la  ville  était  a.ssiégée  *. 

Jérémie  était  devenu  odieux  aux  rois ,  aux  sa- 
crificateurs, aux  prophètes  et  à  tout  le  peuple,  à 
cause  qu'il  annonçait  ces  vérités.  Et  ce  qui  ies  ani- 
mait davantage,  c'est  qu'il  leur  disait  que  c'était  à 
cause  de  leurs  péchés,  de  leurs  idolâtries ,  de  leurs 
injustices ,  de  leurs  violences  ,  de  leurs  fraudes ,  de 
leur  avarice,  de  leurs  impudicités  et  de  leurs  adul. 
tères,  de  leur  endurcissement  et  de  leur  impéni- 
tencc,  que  tous  ces  maux  leur  arriveraient,  sans 
qu'il  y  eût  pour  eux  aucune  ressource.  Foici  ce  que 
dit  le  Seigneur  :  Ne  vous  trompez  pas  vous-mê- 
mes, en  disant  :  Les  Chaldéens  se  retireront;  car 
ils  reviendront  bientôt,  e/  ne  se  retireront  plus  :  et 
ib  prendront  et  ils  brûleront  cette  ville.  Et  quand 
vous  auriez  défait  toute  leur  armée ,  et  taillé  en 
pièces  vos  ennemis,  en  sorte  qu'il  n'y  reste  qu'un 
petit  nombre  de  blessés,  ils  sortiront  de  leurs 
tentes  un  à  un,  et  ils  brûleront  cette  ville  ^.  La 
seule  ressource  qu'il  leur  annonçait,  était  de  se  ren- 
dre aux  ennemis  :  7><  diras  à  ce  peuple  :  l'oici  ce 
que  dit  le  Seigneur  :  Je  mets  devant  vous  la  voie  de 
la  vie  et'la  voie  de  la  mort  :  celui  qui  demeurera  en 
cette  ville  mourra  de  l'épée ,  de  la  famine  et  de 
la  peste  ;  7nais  celui  qui  en  sortira,  et  se  rendra 
aux  Chaldéens  qui  vous  assiègent,  vivra  :  et  son 
âme  lui  sera  comme  une  dépouille  qu'il  aura  sau- 
vée des  mains  des  ennemis  :  car  j'ai  mis  ma  face 
eontre  cette  ville  en  mal,  et  non  pas  en  bien  ;  et 
il  faut  qu'elle  soit  livrée  au  roi  de  Babylone,  et 
qu'il  la  consume  par  le  feu  <  :  ce  qu'il  répéta  en- 
core à  Sédécias  *. 

XCIX'  JOUR. 
Les  souffrances  de  Jérémie. 

Telles  étaient  les  dures  vérités  que  Dieu  mettait 
en  la  bouche  du  prophète  Jéréinie;  et  ce  qu'il  souffrit 
à  ce  sujet  pendant  quarante-cinq  ans  que  dura  soi» 
ministère,  est  inouï.  Il  avait  à  souffrir  mille  indi- 
gnités, qui  lui  faisaient  dire  :  J'ai  été  en  dérision 
à  tout  mon  peuple,  le  sujet  de  leurs  chansons 
tout  du  long  du  jour ,  et  l'objet  de  leur  moquerie. 
Il  m'a  rempli  d'amertume  ;  il  m'a  enivré  d'ab- 
synthe.  Je  ne  connais  plus  le  repos  :  j'ai  oublié 
tous  tes  biens.  On  en  venait  jusqu'aux  coups  :  et  il 
disait:  Le  solitaire  s'asseyera,  et  se  taira  :  û 
baisera  la  terre,  et  mettra  sa  bouche  dans  la 
poudre ,  pour  voir  s'il  lui  restera  quelque  espé' 
rance  d'être  écouté  dans  ses  prières.  //  livrera  sa 
joue  aux  coups  :  il  sera  rassasié  d'opprobres.  Ou 
voit  dans  ce  dernier  trait  une  image  expresse  du 
fils  de  Dieu.  Et  un  peu  après  :  O  Seigneur,  vous 
m'avez  mis  au  milieu  du  peuple  comme  un  arbre 
déraciné,  comme  le  mépris  de  tous  les  honmies  : 
Tous  mes  ennemis  ont  ouvert  impunément  la  bou- 
che contre  moi^.  Ce  fut  dans  sa  patrie,  dans  la  \  illo 

•  Ibid.  XXXn,  4.  —  '  Ibid.  XXXIV,  I.  2,4.  —  3  Jfre,:t. 
XXXVU,8,9.  — «/6i<f.  XXI,8,  9,  lO.  —  ^Iùid.  XXX\ill,  .— , 
iSelsuiv.  —  6  Lament.  \u,  14,  15,  17,  28,  29,  3«,  46,  4a. 

43. 


660 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


d'Anathotli,  ville  sainte  et  sacerdotale,  qu'il  eut  le 
plus  à  souffrir  de  ses  citoyens,  et  des  sacrificateurs 
ses  compagnons.  On  y  conspira  contre  sa  vie.  Et 
j'étais,  dit-il ,  comme  un  agneau  intiocent  et  doux 
gxi'on  porte  au  sacrifice:  et  je  ne  savais  pas  ce 
g u' ils  machinaient  contre  moi,  en  disant  :  Met- 
tons dans  son  pain  un  ôeis  empoisonné  ;  effaçons- 
le  du  nombre  des  vivants,  et  qu'on  ne  parle  plus  de 
lui  sur  la  terre.  Et  ils  lui  disaient  :  Ne  prophétisez 
plus  ail  nom  du  Seigneur ,  si  vous  ne  voidez  mou- 
rir entre  nos  mains.  INIais  il  fallut  obéir  à  Dieu  :  et 
il  prophétisa  contre  Anathoth ,  d'une  manière  terri- 
ble :  Je  visiterai  les  habitants  d' Anathoth  :  leurs 
jeunes  gens  mourront  de  l'épée,  dit  le  Seigneur 
des  armées  :  leurs  jeunes  enfants  et  leurs  filles 
7n0urr0nt.de  faim  et  de  peste;  et  il  ne  restera  rien 
de  cette  ville;  j'amènerai  tout  le  mal  sur  ylna- 
thoth ,  et  l'an  de  sa  visite  sera  plein  d'effroi  •• 

Ainsi  en  arriva-t-il  à  notre  Sauveur  dans  Naza- 
reth. Il  ne  pouvait  y  faire  beaucoup  de  miracles, 
à  cause  de  leur  incrédulité  :  car  ils  se  disaient  Ijin 
à  l'autre  :  If  est-ce  pas  là  ce  cluirpentier ,  fils  de 
Marie,  frère  de  Jacques  et  de  Jeanl  Et  n'avons- 
nous  pas  ses  sœurs  parmi  nous?  Et  ils  le  mépri- 
sèrent^. Il  éprouva,  comme  Jérémie,  la  vérité  de 
ce  proverbe  :  Le  prophète  n'est  point  reçu  dans 
sa  patrie.  Il  s'en  plaignit.  Et  ses  citoyens  remplis 
de  colère  le  trahièrent  hors  de  leur  ville,  au  plus 
haut  de  la  montagne  où,  lewr  ville  était  bâtie,  pour 
le  précipiter  du  haut  en  bas  ^. 

Ce  n'était  pas  seulement  ses  concitoyens  qui 
machinaient  contre  lui ,  à  cause  de  ses  prophéties  : 
tous  les  peuples  s'encourageaient  à  le  perdre,  et  ils 
se  disaient  les  uns  aux  autres  :  Venez,  entreprenons 
■  contre  Jérémie:  il  n'est  pas  le  seul  prophète ,  ni 
le  seul  sacrificateur,  ni  le  seul  sage  :  venez ,  frap- 
pons-le avec  la  langue,  et  ne  prenons  pas  garde  à 
tous  ses  discoîirs.  Fous  savez,  Seigneur,  tout  ce 
qu'ils  ont  entrepris  cojitre  ma  vie:  ils  creusaient 
des  abîmes  sous  mes  pieds,  partout  ils  me  ten- 
daient des  pièges'*.  Ses  meilleurs  amis,  qui  sem- 
blaient le  garder,  entraient  dans  ces  pernicieux 
conseils  :  tous  ne  songeaient  qu'à  le  tromper, 
et  à  se  venger  de  lui  * ,  parce  qu'il  leur  prophéti- 
sait des  malheurs.  Ainsi,  à  chaque  pas  du  Sauveur, 
il  trouvait  des  entreprises  contre  sa  personne.  On 
l'appelait  démoniaque,  imposteur  :  on  le  chargeait 
de  toute  sorte  d'injures,  pour  animer  contre  lui  la 
haine  publique  :  et  par  deux  fois ,  en  très-peu  de 
jours,  on  leva  des  pierres  pour  le  lapider  :  ses  frè- 
1  es  mêmes  ne  croyaient  pas  en  lui  ^  :  et  il  fut  livré 
par  un  de  ses  disciples. 

C  JOUR. 

Jérémie  persécuté  par  ses  disciples.  Autorité  publique. 

Venons  à  ce  que  souffrit  Jérémie,  non  plus  seu- 
lement par  de  secrets  complots ,  mais  par  l'autorité 
publique.  Phassur,  sacrificateur,  fils  d'Emmer, 

»  J^em.  xxr,  19,  21,  22,  23.—  *  Marc,  vi,  3,  4,  5.  — 
»  Luc.  IV ,  24 ,  28 ,  29.  —  *  Jerem.  xvni ,  18,  22  ,  23.  —  '  Jbid. 
Kit,  JO.  —  •  Joan.  viii,  &9;  X,  31, 


qui  était  prince  dans  la  maison  du  Seigneur,  en- 
tendit les  discours  de  Jérémie  ;  et  il  frappa  ce  pro' 
phète,  comme  le  prince  des  prêtres  fit  frapper  le 
visage  de  saint  Paul  :  et  il  mit  Jérémie  dans  les  en- 
traves, et  il  l'en  tira  le  ynafin^  :  et  le  prophète, 
qu'il  avait  injustement  maltraité,  lai  annonça  sa 
^estinée  et  celle  de  tout  le  peuple.  Une  autre  fois, 
comme  Jérémie  venait  de  prophétiser  la  ruine  du 
temple  devant  le  temple  même,  les  sacrificateurs 
et  les  prophètes ,  et  tout  le  peuple,  se  saisirent  de 
lui:  et  ils  disaient  tous  ensemble  :  Il  faut  qu'il 
meure  :  et  ils  le  déférèrent  aux  princes  de  la  maison 
de  Juda,  en  disant:  Cet  homme  doit  être  condamné 
à  iuort,  parce  qu'il  a  prophétisé  contre  cette  ville 
et  contre  le  temple ,  et  qu'il  a  dit  que  le  Seigneur 
enferaitco7nme  de  Silo'.  Jésus  fut  accusé  du  même 
crime  3  :  on  lui  imputait  d'être  le  destructeur  du 
temple  :  les  sacrificateurs  étaient  à  la  tête  de  ses 
ennemis;  et  comme  un  autre  Phassur,  Anne  et 
Caiphe,  les  souverains  sacrificateurs,  le  persécu- 
taient, et  prophétisèrent  contre  lui  :  Fous  ne  savez 
rien,  dit  Caïphe,  et  vous  ne  pensez  pas  qu' il  faut 
qu'un  homme  meure  pour 'tout  le  peuple,  et  que 
la  nation  ne  périsse  pas^  :  et  les  sacrificateurs  et 
les  docteurs  de  la  loi  prononcèrent  l'un  après  l'autre , 
comme  ils  avaient  fait  autrefois  contre  Jérémie  : 
Cet  homme  est  coupable  ??e  mort^.  Mais  Dieu  ne 
voulut  pas  que  Jérémie  mourût  selon  leurs  désirs , 
et  la  sentence  des  pontifes  contre  Jésus-Christ  fut 
exécutée. 

Jérémie  fut  fait  prisonnier  du  temps  du  roî 
Joachim,  à  cause  de  ses  prophéties  :  Mais,  comme 
dit  saint  Paul ,  la  parole  de  Dieu  n'est  point  liée^ 
L'ordre  de  Dieu  vint  à  ce  prophète  d'écrire  au  roi 
Joachim  ce  qu'il  avait  prophétisé  de  vive  voix  :  ii 
manda  Baruch,  fils  de  Nérias ,  et  il  lui  dicta  ce  qui 
devait  arriver  au  roi  et  au  peuple;  puis  il  lui  dit  : 
Je  suis  prisonnier,  et  je  71e  puis  entrer  dans  la 
maison  du  Seigneur.  Allez-y  donc,  et  lisez  au 
peuple,  au  jour  déjeune  solennel,  les  paroles  de 
Dieu  que  vous  venez  d'ouïr  de  ma  bouche  :  et  le 
discours  fut  porté  au  roi ,  et  un  secrétaire  le  mit  en 
pièces,  et  le  roi  le  fit  briller  :  et  Jérémie  dicta  de 
nouveau  tout  ce  qui  était  contenu  dedans ,  et  ajouta 
beaucoup  d'autres  choses  encore  plus  terribles  ^. 
Jérémie  fut  fidèle  à  Dieu,  et  continua  à  annoncer 
constamment  sa  parole. 

CV  JOUR. 

Jérémie  dans  le  cachot  ténébreux. 

Après  que  le  saint  prophète  eut  été  mis  en  liberté  , 
il  allait  dans  la  terre  de  Benjamin  pour  quelques 
affaires,  comme  Dieu  le  lui  avait  ordonné  :  et 
comme  il  avait  prophétisé  qu'il  n'y  avait  de  salut 
que  de  se  rendre  au  roi  de  Babylone  qui  assiégeait 
Jérusalem ,  on  le  soupçonna  de  s'y  aller  rendre  lui- 
même  ;  et  il  répondit:  Il  n'est  pas  vrai  :je  ne  vais 
pas  me  livrer  aux  Chaldéens  :  car  il  fallait  que  cela 

'  Jerem.  xx ,  I,  2,3.  —  '  Ihid.  XXVI,  2,6,7,  8,  9,  H. 
—  3  Matth.  XXVI,  57,  59,  61.  —  ♦  Joan.  XI,  47,  40,  50.  — 
5  Ihid.  xvui,  13,  14.  Matth.  XXVI,  60.  —  «  Jerem.  XXXVI,  3, 
4,5,  6,  8,  15,  21,28,  28,  32. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


6fff 


so  fit  par  autorité  publique ,  et  que  lè  roi  lui-mé^me 
en  donnât  l'ordre.  On  ne  voulut  pas  croire  le  saint 
prophète  :  et  les  princes ,  après  l'avoir  fait  battre  de 
verges,  lejetèreiit  dansie  cachot'  noir  et  profond, 
dont  le  fond  était  de  la  boue.  Jérémie  y  fut  descendu 
avec  des  cordes,  et  on  l'y  laissa  longtemps,  afln 
qu'il  y  mourût  :  car  il  n'y  avait  plus  de  pain  dans  la 
V  ille  :  et  on  le  laissait  mourir  de  faim  ;  et  les  princes 
dirent  au  roi  :  yous  vous  prions  que  cet  homme 
meure  :  car  il  abat  le  courage  de  ce  qui  reste  dans 
cette  ville  de  gens  courageux,  en  disant  qu'il  faut  se 
rendre  ».  Le  voilà  donc  accusé  de  crime  d'État  par 
les  seigneurs  :  et  le  roi  acquiesça  à  leur  sentiment; 
mais  Dieu  lui  changea  le  coeur ,  et  trente  hommes 
tirèrent  Jérémie  du  lac  de  boue  par  son  ordre. 

Lorsque  le  prophète  fut  jeté  dans  le  cachot  téné- 
breux il  fit  cette  lamentation  :  Je  vois  maintenant 
toute  ma  misère ,  et  je  sens  la  verge  de  la  colère 
de  Dieu  dont  il  me  frappe.  Il  m'a  éloigné  de  la 

lumière  :  il  m'a  jeté  dans  les  ténèbres Ma  peau 

s'est  desséchée  :  ma  chair  est  sans  suc;  mes  os 
sont  rompus.  Un  épais  bâtiment  me  serre.  Je  suis 
environné  de  fiel  et  de  travail.  Il  m  a  mis  dans  les 
ténèbres ,  comme  les  morts  qui  ne  sortiront  jamais 

de  leur  cercueil.  Je  suis  resserré  de  tous  côtés 

tnes  entraves  sont  appesanties Je  suis  enfermé 

dans  un  cachot  de  pierres  taillées,  et  il  n'y  a  point 

de  sortie On  ne  me  donne  que  du  pain  rempli 

de  pierre.  Je  ne  sui^  nourri  que  de  cendre  et  de 

poussière Je  suis  enfoncé  dans  le  lac,  et  on 

a  mis  sur  moi  une  pierre  :  les  eaux  d'un  lieu  si 
humide  sont  tombées  sur  moi;  j'ai  dit  :  Je  suis 
perdu  ^. 

Cir  JOUR. 

Jérémie  figure  de  Jcsns-Christ  par  sa  patience 

Telles  furent  les  souffrances  de  Jérémie,  pour 
avoir  dit  la  rérité  :  c'est  ainsi  qu'il  porta  les  traits 
de  celles  du  Sauveur,  qui ,  comme  lui ,  fut  accusé 
d'être  un  séducteur,  et  de  soulever  le  peuple  con- 
tre l'empereur  et  contre  l'empire  :  en  sorte  qu'il 
fallait  le  perdre  comme  un  séditieux,  et  comme  en- 
nemi du  prince.  Jérémie  eut  part  à  cet  opprobre 
du  Sauveur.  Mais  il  en  est  encore  plus  la  digne 
figure  par  sa  douceur  et  sa  patience ,  que  par  les 
cruautés  qu'on  exerça  sur  lui  injustement.  Lorsque 
les  sacrificateurs  et  les  prophètes ,  et  le  peuple ,  le 
voulaient  traîner  à  la  mort,  et  criaient  avec  fureur 
qu'il  le  fallait  faire  mourir,  il  dit  aux  princes  et  au 
peuple,  qui  l'allaient  juger  :  Le  Seigneur  m'a  en- 
voyé pour  prophétiser  toutes  les  choses  que  j'ai 
ziréditesàce  temple  et  à  cette  ville.  Maintenant 
amc  corrigez-vous ,  et  changez  ros  mauvaises 
inclinations ,  et  écoutez  la  voix  du  Seigneur  votre 
Dieu;  et  peut-être  que  le  Seigneur  se  repentira 
(hjmal  qu'il  a  prononcé  contre  vous.  Pour  moi, 
je  suis  entre  vos  mains;  faites  de  moi  ce  qu'il 
vous  plaira  ;  mais  sachez  et  apprenez  que  si  vous 
me  faites  mourir,  vous  livrerez  un  sang  innocent 

'  Jerem.  XXXYM,  4,  II,  12,  13,  14,  15.  —  »  Ibid.  XXXVIII, 
i  '->,*.  a,  10. -»£«lw»Mii,  1,2,4,5,0,  7,9,  10,5-1,54. 


I  contre  vous-mêmes ,  et  contre  cette  tille  et  *"« 
I  habitants  ;  car,  en  vérité,  le  Seigneur  m'a  tnroijé 
;  à  vous ,  afin  défaire  entendre  toutes  ces  paroles 
àvos  oreilles*.  Dion  permit  qu'il  les  apaisât  ()ar 
j  des  paroles  si  douces.  On  y  voit  une  disposition 
admirable,  puisque  par  lui-même,  prêt  à  mourir 
comme  à  vivre,  il  ne  craint  dans  sa  mort  que  les 
châtiments  qu'elle  attirera  sur  tout  le  peuple  :  et 
il  dit  à  Sédécias  dans  ce  même  esprit  :  Que  vous  ai- 
je  fait,  et  qu'aijefait  à  vos  serviteurs,  et  à  tout 
le  peuple,  que  vous  m'avez  jeté  dans  le  cachot?  Où 
sont  vos  prophètes  qui  vous  disaient  que  le  roi  de 
Babylone  ne  viendrait  point!  Le  voilà  à  vos  por- 
tes :  et  je  n'ai  fait  que  vous  annoncer  ce  que  Dieu 
avait  résolu.  .Ve  me  renvoyez  donc  poiiit  dans  ce 
lac,  de  peur  que  je  n'y  meure  *  :  où  il  faut  sup- 
pléer ce  qu'il  avait  dit  ailleurs  :  et  que  Dieu  ne 
vous  redemande  un  sang  innocent^.  Car  pour  lui 
la  mort  ne  le  touchait  pas,  et  surtout  après  la 
perte  de  sa  patrie;  puisqu'il  disait  :  Ae plaignez 
point  le  mort,  et  ne  versez  point  de  larmes 
sur  lui  ;  mais  pleurez  celui  qui  sort  de  son  pays , 
parce  qu'il  ne  retournera  plus ,  et  ne  verra  ja- 
mais sa  terre  natale  <. 

Un  prophète,  nommé  Hananias,  prêchait  tout 
le  contraire  de  ce  qu«  prêchait  Jérémie,  et  ne  don- 
nait que  deux  ans  au  peuple  ;  après  lesquels  on 
rapporterait  à  Jérusalem  tous  les  vaisseaux  qui 
avaient  été  enlevés  du  temple  :  et  Jérémie  enten- 
dant ces  belles  promesses,  sans  contredire  davan- 
tage le  faux  prophète,  lui  dit  devant  tous  les  pré- 
très  et  devant  le  peuple  :  Ainsi  soit-il ,  Hananias! 
Que  le  Seigneur  fasse  comme  vous  dites  :  puissent 
vos  paroles  être  accoinplies  plutôt  que  les  mien- 
nes :  et  que  nous  voyions  revenir  les  vaisseaux  sa- 
crés, et  tous  nos  frères  qui  ont  été  transportés 
à  Babylone!  Mais  écoutez   ces  paroles  que  je 
vous  annonce,  et  à  tout  le  peuple  :  Les  prophètes 
qui  ont  été  avant  vous  et  avant  moi,  n'ont  été 
reconnus  pour  tels  que  quand  leur  prédiction  a 
été  accomplie  :  et  alors  on  a  vu  qui  était  celui 
que  le  Seigneur  avait  envoyé  en  vérité.  Et  en  même  ■ 
temps  Hananias  ôta  du  col  de  Jérémie  la  chaîne 
de  bois  que  ce  prophète  y  avait  mis©  par  ordre  de 
Dieu ,  en  figure  de  la  captivité  future  de  plusieurs 
peuples  :  et  Hananias  la  mit  en  pièces;  et  il  dit.' 
Ainsi  Dieu  brisera  dans  deux  ans  le  joug  que 
-Xabuchodonosor,  roi  de  Babylone,  a  imposée 
fous  lespeuples  :  et  Jérémie ,  sans  rien  répliquer, 
se  retirait  tranquillement  :  mais  la  parck  du 
Seigneur  lui  fut  adressée ,  et  il  lui  fut  dit  :  l'a , 
et  tu  diras  à  Hananias....  :  Écoute  ,  Hananias  : 
le  Seigneur  ne  t'a  pas  envoyé;  et  tu  as  donné  à  ce 
peuple  une  confiance  trompeuse.  Pour  cela,  roici 
oe  que  dit  le  Seigneur  :  Je  Voterai  de  dessus  la 
terre  :  tu  mourras  dans  Fan,  parce  que  tu  as 
parlé  contre  le  Seigneur.  Et  le  prophète  Hananias 
mourut  dans  l'an,  au  septième  mois^.  Ainsi  Jé- 
rémie toujours  patient ,  et  par  lui-même  prêt  à 

'  Jerem.  xxvi,  ii,  12, 13, 14,  15.—  »  Ibid.  xxxvn,  17,  is. 
—  '  Ibid.  XXVI,  |(.  —  ♦  Ibid.  XXII,  10.  —  *  ibid.  4XV1B, 
I  et  seq. 


663 


MEDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


rcder  à  tous  ceax  qui  parlaient  au  nom  du  Sei- 
gneur, ne  disait  des  choses  fortes  que  lorsque  le 
Seigneur  le  faisait  parler,  et  se  montrait  tout  en- 
semble le  plus  doux  et  le  plus  ferme  de  tous  les 
hommes  de  son  temps,  en  figure  de  Jésus-Christ, 
qui  disait  lorsqu'on  lui  donnait  un  soufflet  :  Si  j'ai 
maldit,  co7ivainquez-moi  :  sij'aibien  dit,  pourquoi 
7ne  frappez-vous  '  ?  et  ailleurs  :  Je  ne  suis  point  un 
possédé,  mais  je  gkM'ifie  mon  Père*  \  et  encore  : 
fous  cherchez  à  me  tuer,  moi  qui  vous  ai  dit  la 
vérité  :  Abraham ,  dont  vous  vous  vantez  d'être 
les  enfants,  n'a  pas  fait  ainsi^.  C'est  ainsi  que, 
sans  armer  sa  justice,  il  leur  reprochait  leurs  san- 
guinaires desseins  :  et  encore  qu'il  eut  en  main  la 
vengeance  de  leur  incrédulité,  personne  n'a  été 
frappé  de  mort ,  comme  le  fut  Hananias  pour  avoir 
contredit  Jérémie.  Il  n'a  eu  que  de  la  douceur 
pour  ses  ennemis;  et  pour  épargner  les  hommes, 
il  n'^a  Bwntré  la  puissance  qui  lui  était  donnée  pour 
punir,  que  sur  cet  arbre  qui  fut  desséché  à  sa  voix; 
car  il  fallait  que  sa  bonté  éclatât  au-dessus  de  celle 
de  Jérémie;  et  nul  homme  ne  devait  périr  à  ses 
yeux ,  ni  à  sa  parole. 

Il  est  vrai  qu'il  apprend  aux  Juifs  avec  indignation 
le  châtiment  inévitable  de  leur  infidélité.  Et  vous 
disait-il'^,  accomplissez  la  mesure  de  vos  pères: 
serpents,  engeance  de  vipères ,  comment  évilerez- 
rous  la  damnation  de  la  gêne,  c'est-à-dire  l'en- 
fer? Mais  tout  cela ,  qu'était-ce  autre  chose  que 
leur  prédire  leurs  malheurs,  afin  qu'il  les  évi- 
tassent.' Je  vous  cnuoie,  disait-il,  des  prophètes , 
et  des  sages,  et  des  docteurs:  vous  en  tuerez  et 
crucifierez  quelques-uns;  vous  en  flagellerez  d'au- 
tres ^et  vous  les  poursuivrez  de  ville  en  ville,  afin 
que  tout  le  sang  innocent  tombe  sur  vous ,  depuis  le 
sang  d'Abelle  juste,  jusqu'au  sang  de  Zacharie, 
/Us  de  Bœrachie,  que  vous  avez  fait  mourir  entre 
le  temple  et  l'autel^.  N'était-ce  pas  leur  faire  voir 
leur  perte  future  ;  et  cependant ,  autant  qu'il  pou- 
vait, épargner  leur  sang?  Ce  qui  fait  même  qu'en 
leur  découvrant  la  tempête  qui  les  menaçait,  il 
leur  montre  le  sûr  asile  qu'ils  pouvaient  trouver 
sous  ses  ailes.  Jérusalem,  Jérusalem,  qui  fais 
mourir  les  prophètes ,  et  qui  lapides  ceux  qui  te 
«ont  envoyés ,  combien  de  fois  ai-je  voulu  rassem- 
bler tes  enfants  sous  mes  ailes,  comme  la  poule 
renferme  son  nid  sous  les  siennes  ;  et  tu  n^ as  pas 
voulu  s  !  N'impute  donc  tes  malheurs  qu'à  toi-même  : 
et  si  tu  veux  les  éviter,  reviens  à  moi.  Il  est  encore 
temps,  et  je  suis  prêt  à  te  recevoir. 

CII1«  JOUR. 

Patience  de  Jérémie  dans  le  cachot. 

Mais  l'endroit  où  Jérénaie  fit  le  mieux  paraître 
l'image  de  la  douceur  et  de  la  patience ,  qui  devait 
reiuire  dans  la  passion  du  Sauveur,  fut  celui  oii 
on  le  mit  dans  le  cachot.  Car  alors  ^  sans  murmu- 
rer, sans  se  plaindre ,  au  milieu  de  tant  de  douleurs 
et  de  tant  d'angoisses,  il  parla  en  cette  sorte  :  Mon 

•  Joan.  xvni,  23.  —  »  Ibid.  viii,  49.  —  ^  Ibid.  40.  — 
•  MaUh.  X\m,  32,  33,  —  »  Ibid.  34,  33.  —  »  Ibid.  37. 


âme  a  dit  :  Le  Seigneur  est  mon  partage  :  j'atten- 
drai ses  miséricordes,  sans  lesquelles  nous  serions 
déjà  tous  consumés.  Le  Seigneur  est  bon  à  celui 
qui  espère  en  lui,  et  à  l'âme  qui  le  cherche  :  (lest 
bon  d'attendre  en  silence  le  salut  que  Dieu  envoie. 
Loin  de  se  plaindre  de  la  longue  suite  des  maux 
qu'il  avait  eu  à  souffrir  :  Il  est  bon  à  l'homme, 
disait-il,  de  porter  le  joug,  et  d'être  exercé  par 
les  souffrances  cfes  sa  jeunesse.  Le  solitaire  sas- 
seyera  et  demeurera  dans  le  silence  :  il  ne  s'agitera 
pas  et  ne  criera  pas  dans  ses  douleurs;  />arce  qu'il 
lèvera  ce  joug  salutaire,  et  le  mettra  sur  lui-même. 
Quelque  rebuté  qu'il  se  sente  par  un  Dieu  qui  sem- 
ble le  frapper  sans  miséricorde ,  il  baisera  la  terre, 
et,  mettant  sa  bouche  dans  la  poussière,  il  at- 
tendra humblement  s'il  y  a  encore  quelque  chose  à 
espérer.  Loin  de  s'irriter  contre  ses  persécuteurs , 
ildonnera  sa  joue  à  qui  le  voudra  frapper,  et  se 
rassasiera  rf'ojoprofrres'  .C'est  ainsi  que  ce  solitaire, 
cet  homme  accoutumé  à  se  retirer  sous  les  yeux 
de  Dieu ,  et  à  répandre  son  cœur  devant  lui ,  porte 
en  patience  les  injustes  persécutions  que  lui  fait 
son  peuple,  et  ne  se  laisse  aigrir  par  aucune  in- 
jure. 

Loin  de  s'arrêter  à  la  main  des  hommes ,  qui , 
à  ne  regarder  que  l'extérieur,  semble  seule  le  frap- 
per, il  lève  les  yeux  au  ciel  :  Et,  dit-il ,  qui  est 
celui  qui  osera  dire  que  les  maux  puissent  arriver 
autrement  que  par  l'ordre  du  Seigneur  ?  Et  qui 
dira  :  Le  bien  et  le  mal  ne  sortent  point  de  la 
bouche  du  Très-Haut  ?  Oupourquoi  l'homme  mur- 
murera-t-il  de  ce  qui  lui  est  imposé  pour  ses  pé- 
chés? Recherchons  nos  voies  dans  le  fond  de  nos 
consciences,  et  cherchons  le  Seigneur,  et  retour- 
nons à  lui.  Levons  nos  cœurs  et  nos  mains  au  ciel 
vers  le  Seigneur,  et  disons-lui  :  Nous  avons  pé- 
ché, et  nous  avons  irrité  votre  colère  ;  c'est  pour 
cela  que  vous  êtes  inexorable,  fous  nous  avez 
couverts  de  votre  fureur  :  vous  nous  avez  frappés 
sa7is  miséricorde  :  et  vous  avez  mis  un  nuage 
entre  vous  et  nous,  pour  empêcher  notre  prière 
dépasser  jusqu'à  vous  ». 

C'est  ainsi  que  ce  saint  prêtre,  à  la  manière 
des  sacrificateurs  infirmes,  qui  sont  eux-mêmes 
revêtus  de  faiblesse ,  priait  pour  ses  péchés  et  pour 
ceux  du  peuple  :  laissant  au  vrai  sacrificateur,  selon 
l'ordre  de  Melchisédcch ,  la  gloire  de  ne  prier  et 
ne  gémir  que  pour  les  autres.  Et  pour  imiter  le 
gémissement  qu'il  a  fait  pour  nous  à  la  croix  avec 
U7t  grand  cri ,  et  beaucoup  de  larmes^;  ce  saint 
prophète  dans  ce  lac  affreux ,  dans  ce  cachot  plein 
de  boue,  où  le  jour  n'entra  jamais  :  sous  cette 
pierre  qui  le  couvrait  par  en  haut,  et  au  milieu  de 
ces  tristes  et  impénétrables  murailles ,  où  il  avait 
à  peine  la  liberté  de  respirer  :  dans  la  faim  qui  le 
pressait ,  prêt  à  rendre  les  derniers  soupirs ,  déplo- 
rait les  calamités  de  son  peuple  plus  que  les  sien- 
nes i.  Hélas ,  disait-il ,  mes  t7'istes prophéties  nous 
so7it  deve7iues  un  lacet  et  un  ravage  ijiévitable  : 
i7ion  œil  a  ouvert  des  ca7iaux  sur  mo7i  visage,  à 

«  Lament.  m,  22,  24,  25,26,27,28,  29,. 30.  —  '  Ibid.Zt 
7,  44.  —  '  Hco.  V,  7.  —  '  Lament.  m,  8,  7  et  seq. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


cause  de  ta  ruine  de  la  fille  de  mon  peuple.  Mes 
yeux  affligés  nont  cessé  de  pleurer,  et  n'ont  eu  de 
reposninuit  ni  jour,  jusqu'à  cequ'Uplaise  à  Dieu 
de  nous  regarder  en  pitié  du  plus  haut  descieux. 
Mes  regards  ont  livré  mon  àme  en  proie  à  la  dou- 
leur, pendant  que  j'ai  vu  périr  toutes  les  villes 
sujettes  à  Jérusalem  ' . 

C'est  ainsi  qu'il  pleurait  les  maux  de  ce  peuple 
ingrat;  de  ce  peuple  qui  avait  tant  de  fois  machiné 
sa  mort,  et  qui  l'avait  enfoncé  dans  le  cachot,  dans 
le  dessein  de  le  faire  mourir.  Ainsi,  au  milieu  de 
sa  passion ,  Jésus  traîné  au  Calvaire  par  le  même 
peuple,  et  portant  sa  croix,  se  retourna  vers  celles 
qui  pleuraient  ses  douleurs,  et  leur  dit  :  Filles  de 
Jérusalem,  ne  pleurez  pas  sur  moi,  mais  sur 
vous  et  sur  vos  enfants*.  Lui-même  en  regardant 
la  ville  où  il  devait  être  crucitié  dans  peu  de  jours , 
pleura  sur  elle,  en  disant  :  Ha!  si  tu  savais,  ville 
ingrate  et  malheureuse ,  ce  qui  te  pouvait  donner 
la  paix!  mais  ton  malheur  est  caché  à  tes  yeux  : 
viendront  les  jours,  et  ils  sont  proches,  que  tu 
seras  ruinée  de  fond  en  comble,  parce  que  tu  n'as 
pas  connu  le  jour  où  je  te  venais  visiter^.  Et  enfln  : 
Jérusalem,  Jérusalem ,  qui  fais  mourir  les  pro- 
phètes, combien  défais  ai-je  voulu  rassembler  tes 
enfants,  comme  une  poule  rassemble  ses  petits  ^  ! 
Et  le  reste  que  nous  venons  de  réciter. 

C'est  ainsi  que  Jésus  pleurait  Jérusalem  :  et  il 
n'a  point  de  plus  parfaite  figure  de  ses  douleurs,' 
que  celles  de  Jérémie,  et  ces  tristes  lamentations, 
où  il  a  si  amèrement  déploré  la  ruine  de  sa  patrie , 
et  pendant  qu'il  la  prédisait,  et  après  qu'il  leut  vue 
accomplir,  qu'encore  aujourd'hui  on  ne  peut  refu- 
ser des  larmes  à  des  chants  si  lugubres. 

Pleurons  à  cet  exemple  sur  nous-mêmes  :  pleu- 
rons la  perte  de  notre  âme  ;  et  tâchons  de  la  ré|)arer 
en  la  déplorant. 

CIV*=  JOUR. 

JéréfDïe  priant  avec  larmes  pour  son  peuple  qui  Toutrage , 
figure  de  Jésus-Christ. 

Ces  larmes  de  Jérémie  étaient  une  continuelle 
intercession  pour  son  peuple.  Que  mes  yeux  de- 
viennent une  fontaine  de  larmes,  et  ne  cessent  ni 
jour  ni  nuit  de  verser  des  pleurs  :  parce  que  la  file 
de  mon  peuple  est  affligée  d'une  très-mauvaise 
plaie.  Si  je  vais  aux  champs,  je  ne  trouve  que  des 
gens  passés  au  fil  de  Cépée;  et  si  je  rentre  dans  la 
ville,  je  n'y  vois  que  des  visages  pâles  et  exténués 
par  la  faim.  Est-ce  donc,  ô  Seigneur,  que  vausf 
avez  rejeté  Juda  ?  ou  que  vous  avez  Sion  en  abo- 
mination? Pourquoi  donc  les  avez-votts  frappés , 
en  sorte  qu'il  n'y  reste  rien  de  sain?  Nous  avons 
attendu  la  paix ,  et  il  n'y  a  aucun,  bien  à  espérer; 
nous  avons  cru  que  le  temps  de  notre  guérison  al- 
lait venir,  et  il  ne  nous  a  paru  que  trouble.  Sei- 
gneur, nmis  avons  connu  nos  impiétés,  et  les  ini- 
quités de  nos  pères  :  nous  avons  Péché  contre  ^•ol«. 
Toutefois  ne  nous  faites  pas  l'oppi'obre  des  na- 

'  Lnmenl.  n,  47,  51.  —  *  Luc.  ixill,  28.  —  '  Ibid.  Xl\,  41, 
M.  —  •  MatUi.  xxill,  Ï7. 


663 

tîons ,  à  cause  de  votre  saint  nom  :  et  ne  renver- 
sez pas  le  trône  de  votre  gloire'...  Si  nos  iniquités 
nous  répondent,  et  s'opposent  à  la  miséricorde 
que  nous  vous  demandons  ;  faites-la-nous  néan- 
moins, non  point  pour  l'amour  de  nous,  et  à 
cause  de  nos  mérites,  mais  à  cause  de  votre  saint 
nom  qui  a  été  invoqué  sur  nous.  Car  souvenez-vous 
de  l'alliance  que  vous  avez  contractée  avec  nous, 
et  ne  la  rendez  pas  inutile.  Hélas  !  ô  Seigneur, 
trouverons-nous  un  Dieu  seviblable  à -vous  parmi 
les  peuples  où  vous  nous  dispei'sez?  Quelqu'une  de 
leurs  idoles  nous  donnerat-elle  la  pluie;  ou  cette 
eau  bienfaisante  tombera- t-elle  du  ciel  toute  seule , 
et  sans  votre  ordre  ?  JS'êtes-vous  pas  h  Seigneur 
notre  Dieu,  dont  nous  avons  attendu  les  miséri- 
cordes? Cest  vous  qui  avez  fait  toutes  ces  choses  ». 

C'est  ainsi  que  Jérémie  priait  nuit  et  jour  aveo 
larmes  et  gémissements ,  pour  un  peuple  qui  ne  ces- 
sait de  l'outrager,  et  de  le  poursui\Te  à  mort  ;  en 
figure  de  Jésus-Christ  notre  grand  pontife,  qui 
dans  les  jours  de  sa  chair,  de  ses  faiblesses,  de 
ses  souffrances,  de  sa  vie  mortelle  ^  offrant  des 
prières  et  des  supplications  à  son  Père,  fut  exaucé 
selon  que  le  méritait  son  respect^  :  et  qui  enfin  à 
la  croix,  où  ce  même  peuple  l'avait  attaché,  criait 
à  son  Père  :  Mon  Père,  pardonnez-leur;  car  ils 
ne  savent  ce  qu'ils  font^ . 

Dieu  lui  apprenait  à  accomplir  le  précepte,  que 
Jésus-Christ  devait  un  jour  publier  :  Priez  pour 
ceux  qui  vous  persécutent^.  Car  il  disait  :  Rend-on 
ainsi  le  mal  pour  le  bien;  puisqu'ils  m'' ont  creusé 
une  fosse  pour  m^y  enterrer,  moi  qui  étais  sans 
cesse  occupé  du  soin  de  leur  bien  faire?  Souvenez- 
vous,  6  Seigneur  !  que  fêtais  toujours  devant  vous , 
pour  vous  demander  du  bien  pour  eux,  et  dé- 
tourner  d'eux  votre  colère^.  A  la  vérité,  ce  dis- 
cours de  Jérémie  semble  être  suivi  de  terribles  im- 
précations contre  ce  peuple;  mais  on  sait  que,  se- 
lon le  style  des  prophètes ,  cela  même  sous  la  figure 
d'imprécation ,  n'est  qu'une  manière  de  prédire  les 
malheurs  futurs  de  ces  ingrats.  Et  c'est  pourquoi 
nous  voyons  le  même  prophète,  quand  il  eut  vu 
tomber  sur  eux  les  maux  qu'il  leur  avait  prédits; 
loin  d'en  ressentir  de  la  joie ,  comme  il  aurait  fait 
s'il  leur  avait  souhaité  du  mal ,  fondre  en  larmes  à 
la  vue  de  leur  désastre  ,  et  finir  ses  lamentations 
par  cette  prière  :  Souvenez-vous ,  Seigneur,  de  ce 
qid  nous  est  arrivé  :  regardez-jious  :  voyez  notre 

honte Pourquoi  nous  oubliez-vous  à  jamais? 

l'os  délaissements  dureront-ils  encore  longtemps? 
Convertissez-nous  à  vous,  et  nous  serons  conver- 
tis, et  vous  nous  pardonnerez;  rendez-nous  les 
Jours  où  nous  étions  si  heureux  :  rétablissez-nous 
en  l'état  où  nous  étions  au  commencement.  Mais 
vous  noîts  avez  rejetés,  et  la  colère  que  vous  avez 
contre  nous  est  extrême":. 

'  Jerem.  xiv,  17,  21.  —  »  Ibid.  7,  21.  adjinetn.—^  h'rh. 
V,  7.  —  •  Luc.  XXIII,  3t.  —  ^Matth.  v,  44.  ~*  Jerem.  iviii, 
20.  —  '  Lament.  v ,  1 ,  2o,  21 ,  22. 


664 


MÉDITATIOiNS  SUR  LEVA.'VGILE, 


Cy«  JOUR. 


Jéréniie  excuse  au  nioms  son  peuple,  n'osant  priet 
pour  lui. 

Il  est  vrai  que  Dieu  déclarait  à  ce  saint  prophète 
qu'il  ne  voulait  plus  l'écouter  :  Cesse  de  prier  pour 
ce  peuple:  n'emploie  pour  eux ,  ni  la  prière,  ni 
ks  cantiques  de  louange  ;  et  ne  t'oppose  point  à 
7)ies  volontés  ;  car  je  ne  V  écouter  ai  pas  ^.  Et  il  lui 
disait  encore  :  Si  Moïse  et  Samuel  se  mettaient  de- 
vant ynoiifai  ce  peuple  en  exécration.  Chasse-le 
de  devant  ma  face.  Et  s'ils  te  demandent.  Où 
irons-nous?  tu  leur  répondras  :  A  la  mort,  celui 
qui  doit  aller  à  la  mort  :  A  l'épée ,  celui  qui  doit 
être  percé  par  son  tranchant  :  A  la  captivité,  ce- 
luvqui  doit  aller  en  captivité  :  et  que  chacun  suive 
soQ  mauvais  sort;  je  ne  veux  pas  l'en  tirer.  Car  qui 
aura  pitié  de  toi,  6  Jérusalem?  ou  qui  s'affligera 
iiour  toi,  ou  qui  ira  prier  pour  ton  repos?  Tu  as 
laissé  le  Seigneur  ton  Dieu^î  Mais  cela  même,  que 
re  saint  prophète  retenait  ses  gémissements  et  ses 
prières,  était  une  espèce  de  gémissement  et  de 
prière  cachée  :  et  sMl  n*osait  plaindre  les  malheurs 
de  ce  peuple  justement  puni,  il  en  pleurait  les  pé- 
chés. Qui  remplira ,  disait-il ,  ma  tête  d'eaux  et 
qui  fera  couler  de  mes  yeux  une  fontaine  de  lar- 
mes, afin  que  je  pleure  nuit  et  jour  ceux  de  mon 
peuple  qui  ont  été  tués  dans  leur  iniquité?  Car  qui 
pourrait  excuser  leurs  crimes?  qui  pourrait  demeu- 
rer davantage  parmi  eux?  qui  me  fera  trouver 
dans  la  solitude  une  petite  cabane,  de  celles  que 
(es  voyageurs  y  bâtissent,  pour  leur  y  servir  de  re- 
traite? et  que  je  laisse  mon  peuple ,  et  que  je  me 
l'étiré  d'avec  eux?  Car  ce  n'est  plus  qu'une  troupe 
di'adultères  et  de  prévaricateurs.  Leur  langue  res- 
semble à  un  arc  tendit,  d'où  il  ne  sort  que  men- 
songe et' calomnie.  Ils  se  fortifient  sur  la  terre, 
parce  qu'ils  vont  d'un  mal  à  un  autre,  et  soutien- 
nent le  crime  par  un  autre  crime  :  ils  ne  me  con- 
naissent plus ,  dit  le  Seigneur.  Ils  se  moquent  les 
uns  des  autres  :  ils  ont  appris  à  leur  langue  à 
ajuster  un  mensonge  :  ils  se  sont  beaucoup  tour- 
mentés; mais  à  mal  faire.  Leur  demeure  est  au 
milieu  de  la  tromperie^  :  et  le  reste  qui  n'est  pas 
moins  déplorable.  ,    • 

Biais  encore  qu'il  ne  pût  dissimuler  leur  malice, 
il  les  excusait  le  mieux  qu'il  pouvait  :  et  lorsque  Dieu, 
touché  de  leur  rébellion,  qui  les  faisait  soulever 
contre  lui  malgré  toutes  ses  menaces,  lui  défendait 
de  prier  pour  eux;  parce  que,  disait-il ,  Je  les  veux 
perdre,  et  je  ne  regarderai  ni  leurs  jeû>ies,  ni 
leurs  prières ,  ni  leurs  holocaustes^  :  il  leur  disait 
en  tremblant  et  en  bégayant,  comme  un  homme 
qui  n'osait  parler:  A ,  a,  a,  Seigneur  Dieu  :  leurs 
prophètes  les  séduisent!  f'otis  ne  verrez,  leur 
disent-ils,  ni  la  peste,  ni  lafamim;  mais  vous 
jouirez  d'une  véritable  paix  ^.  11  priait,  sans  oser 
prier  ;  il  excusait  ces  ingrats ,  et  portait  leurs  ini- 
quités devant  le  Seigneur. 

Jésus,  comme  Jérémie,  semblait  vouloir  s'éloi- 

•  Jcrcm.  vn ,  16.  —  '  Ihid.  xv ,  1 ,  3,5,6.  —3  lUd.  ix , 
I.  2,  3,5,«.  — ♦  thid.  XIV,  II,  12  — »  Ihid.  13, 


gner  des  Juift  :  Race  incrédule  et  maligne ,  jusqu'à 
quand  serai-je  avec  vous  et  vous  souffrirai-je  '  ? 
Niais  comme  lui ,  et  plus  que  lui  sans  comparaison , 
il  conserve  toute  sa  bonté  malgré  leur  malice,  et  se 
laisse  arracher  les  grâces,  comme  il  paraît  dans  le 
même  lieu  qu'on  vient  de  voir  :  Race  infidèle, 
serai-je  encore  longtemps  parmi  vous,  et  con- 
traint de  vous  supporter?  Amenés  ici  votre  fils  ^ 
que  je  le  guérisse  ! 

GVl*  JOUR. 

Les  Juifs  mêmes  reconnaissent  Jérémie  pour  leur 

intercesseur. 

Ce  peuple  ingrat  sentit  enfin  que  Jérémie  Ii 
était  donné  pour  intercesseur;  et  après  la  prise  d| 
Jérusalem,  ils  dirent  au  saint  prophète  :  Qul^ 
l'humble  prière  que  nous  faisons  à  Dieu  à  voi 
jneds ,  vienne  jusqu'à  vous  .-priez  le  Seigneur  vo- 
tre Dieu  jyour  ces  restes  de  son  peuple  ;,  et  qu'il 
nous  annonce  la  voie  où.  il  veut  que nous.mar'- 
chions.  Jérémie  leur  répondit  :  Je  yn'en  vais  prier 
le  Seigneur  votre  Dieu  seloii  vos  paroles  :jê  votes 
déclarerai  toutes  ses  réponses,  et  ne  vous  cacherai 
rien.  Et  ils  lui  promirent  d'exécuter  de  point  en 
point  tout  ce  que  le  Seigneur  lui  ordonnerait  pour 
eux.  Que  le  Seigneur,  dirent-ils,  soit  un  témoin  de 
vérité  et  de  bonne  foi  entre  vous  etnous  :  nousobéi- 
jrons  au  Seigneur  à  qui  nous  vous  envoyons,  soit 
que  vous'ayez  à  nous  dire  du  bien  ou  du  mal  de  sa 
part*.  Et  Jérémie  revint  après  dix  jotcrs  :  et  leur 
défendit  de  la  part  de  Dieu  d'aller  en  Egypte ,  où  il 
voyait  qu'ils  seraient  séduits  par  les  idoles  de  ce 
peuple.  Foilà,  leur  dit-il ,  ce  que  vous  prescrit  le 
Dieu  d'Israël,  à  qui  vous  m'avez  envoyé  pour 
porter  vos  prières  à  ses  pieds  :  et  il  les  avertit  en 
toute  douceur  et  patience  de  se  souvenir  de  leur 
parole,  et  d'obéir  au  Seigneur  à  qui  ils  l'avaient 
envoyé,  comme  ils  l'avaient  promis.  Et  après  qu'il 
leur  eut  tenu  ce  pressant  discours  ,  Azarias ,  et 
Johanam ,  et  les  autres  superbes  lui  dirent  :  Fous 
mentez  :  le  Seigneur  ne  vous  a  point  envoyé,  et  ne 
nous  a  poinfdéfendu  d'aller  en  Egypte;  mais  Ba- 
ruch  vous  irrite  contre  nous ,  pour  nous  livrer 
aux  Chaldéens,  et  nous  faire  périr  à  Babrjlone^. 
Après  lui  avoir  fait  cette  réponse  ,  ils  allèrent  tous 
ensemble  en  Egypte;  et  ils  arrivèrent  à  Taphnis, 
et  à  Memphis ,  et  à  Magdalo ,  et  dans  toute  la  terre 
de  Phaturès  :  et  sans  se  rebuter  de  leurs  injures  et 
dfi  leur  désobéissance,  Jérémie  les  y  suivit  avec 
-«jne  patience  infatigable  ,  pour  les  empêcher  de  pé- 
rir dans  leur  idolâtrie.  Us  s'obstinèrent  à  adorer 
les  faux  dieux  de  cette  nation  infidèle  :  et  le  saint 
prophète  vit  périr  encore  ces  malheureux  restes  de 
Juda ,  dans  le  lieu  qu'ils  avaient  choisi  pour  leur 
retraite  ;  avec  Pharaon  Épbréequi  les  y  avait  reçus*. 

CVIP  JOUR. 

Dieu  rejelteÉ'intercessioo  de  ce.  prophète. 
Une  sainte  et  véritable  réflexion  se  présente  ici  : 

«  Matth.  xvn,  16.—  *  Jerem.  XLH,  2,9,  etc.  —  '  Ibid 
XLUi,  2 ,  3,  4,  5,  6 ,  7  et  seq.  ;  xliv,  I,  2 ,  3 , 4  et  seq.  —  *  Ibid. 
15,  LC,  17,  18  et  seq., 29 ^ 30. 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


oes- 


.KVëinie  était  donné  pour  intercesseur  à  ce  peuple  : 
if  ne  cesse  de  prier  pour  lui  et  de  détourner,  au- 
tant qu'il  peut ,  la  colère  de  Dieu  de  dessus  sa  tête  ; 
mais  Dieu  ne  le  veut  pas  écouter  :  Moïse  et  Samuel 
étaient  aussi  d'agréables  intercesseurs ,  dont  Da- 
vid même  avait  chanté  le  pouvoir  par  ces  paroles  : 
Moïse  et  Aaron  sont  remarquables  parmi  ses  sa- 
crificateurs :  et  Samuel  est  renommé  entre  ceux 
qui  invoquent  son  nom  :  ils  invoquaient  le  Sei- 
gneur, et  il  les  écoutait'.  Mais  en  cette  occasion 
nous  avons  vu  que  Dieu  ne  voulait  pas  les  enten- 
dre». Qu'y  a-t  il  de  plus  saint  que  Noé ,  qui  est 
sauvé  du  déluge,  aGn  de  réparer  le  monde  perdu  , 
et  le  genre  humain  anéanti  :  que  Job,  dont  la 
patience  a  été  vantée  de  Dieu  comme  un  prodige , 
et  qui  pour  cette  raison  a  été  nommé  de  Dieu 
comme  intercesseur  de  ses  inGdèles  amis  :  Allez, 
disait  le  Seigneur,  et  priez  mon  serviteur  Job  de 
prier  pour  vous  :  et  je  recevrai  sa  face,  afin  que 
votre  folie  ne  vous  soit  point  imputée^  :  que  Da- 
niel, l'homme  de  désirs,  à  qui  il  envoya  son  ange 
pour  lui  déclarer  que  ses  vœux  pour  ses  frères ,  et 
pour  tout  son  peuple,  et  pour  la  sainte  montagne, 
et,  ce  qui  est  bien  plus  admirable,  pour  la  venue 
du  Messie,  étaient  reçus  devant  Dieu^  ?  Et  néan- 
moins ces  trois  hommes  ne  sont  pas  jugés  dignes 
d'être  écoutés  pour  le  peuple  juif  :  c'est  Ezéchiel 
qui  leur  dit*  :  Si  ces  trois  hommes,  Noé,  Daniel  et 
Job ,  étaient  au  milieu  de  ce  peuple,  ils  délivre- 
raient leurs  âmes  dans  leur  justice,  dit  le  Sei- 
gneur des  armées  : Mais  ils  ne  délivreront  ni 

leurs  fis  ni  leurs  filles  : oui ,  je  le  dis  encore 

un  coup,  «&  ne  délivreront  ni  leurs  fils  ni  leurs  fil- 
les, loin  dé  pouvoir  délivrer  les  étrangers  :  mais  il^ 
seront  délivrés  seuls  :  non,  Noé,  Daniel  et  Job , 
je  le  dis  pour  la  troisième  fois,  ne  délivreront  pas 
leurs  propres  enfants.  Afin  que  nous  entendions, 
qu'il  n'y  a  qu'un  seul  saint,  et  un  seul  juste;  qui 
étant  juste  pour  lui  et  pour  les  autres,  sera  écouté 
pour  tous.  Le  frère,  disait  le  psalmiste^,  ne  ra- 
chètera pas  son  frère,  l'homme  ne  rachètera  pas 
un  autre  homme,  7ii  n'offrira  pour  lui  une  digne 
j)ropitiation,  ou  le  prix  de  son  rachat  et  de  sa  vie. 
IVul  ne  peut  offrir  ce  prix ,  que  le  juste  par  excel- 
lence, et  le  Saint  des  saints,  qui  est  non-seulement 
homme,  mais  Dieu  et  homme;  qui  donnera  son 
iime  pour  nous ,  et  expiera  nos  péchés  par  son  sang. 

CVIlIe  JOUR. 

Regrets  de  Jérémie  de  n'être  au  monde  que  pour  anoonoer 
des  malheurs. 

Un  des  effets  les  plus  remarquables  de  la  dou- 
ceur et  de  la  bonté  de  Jérémie ,  c'e^t  le  regret  qu'il 
avait  de  n'avoir  à  annoncer  que  des  malheurs  à  ses 
citoyens  et  à  ses  frères.  Ma  mère,  disait-il,  tnal- 
heur  à  moi  :  pourquoi  m'avez-vous  enfanté , 
homme  de  querelles  que  je  suis,  homme  de  discor- 
de par  toute  la  terre?  Je  suis  séparé  de  tout  com- 
merce -.je  ne  prête  à  personne,  et  personne  ne  me 

'  Fs.  xcvnr,  6    —  »  Jerem,  xv,  l.  —  *  Job.  XLn,  8.  — 

*  Uan.  IX,  21,  22,  23.  -  »  Ezech.  XIV,  M,  16,  18,  20.  — 

•  i*».  XLTOI,  8,  «,10. 


f  prête  :  ils  me  chargent  tous  de  malédiction*  î  <?t 
encore  avec  le  transport  d'un  cœur  outré  :  Maudit 
soit  le  jour  oit  je  suis  né....  Maudit  l'homme  qui  a 
annoncé  à  mon  père ,  Il  vous  est  né  un  fils,  et  qui 
lui  a  donné  cette  joie  trompeuse....  Quenem'a-t-il 
plutôt  donné  la  mort  dans  le  sein  de-  ma  mère , 
en  sorte  qu'elle  me  fût  un  sépulcre,  ou  que  ne  de- 
meura-t-elle  grosse  étemeUement  sans  enfanter! 
Pourquoi  suis-je  sorti  de  ses  entrailles,  pour  ne 
voir  que  peine  et  que  douleur,  et  passer  tous  mes 
jours  en  confusion  »  ! 

Ce  qui  lui  causait  ces  transports,  c'est  qu'il 
voyait  que  ses  prophéties  ne  faisaient  (ju'accroître 
les  péchés  du  peuple.  Dieu  lui  mettait  dans  la  bou- 
che'des  paroles  pressantes ,  comme  si  le  mal  allait 
arriver  :  et  après ,  se  ressouvenant  de  ses  miséri- 
cordes et  de  sa  longue  patience ,  il  attendait  de  jour 
en  jour  son  peuple  à  résipiscence.  Ce  peuple  ingrat 
abusait  de  ses  bontés,  et  insultait  à  Jérémie,  en 
lui  disant  :  Oii  est  la  parole  de  Dieu,  que  vous 
nous  annoncez  depuis  si  longtempsl  Qii'elle  vienne 
donc  3.  Le  saint  prophète  s'en  plaignait  avec  amer- 
tume :  Seigneur,  vous  m'avez  troynpé!  Quelle  mer^ 
veille  que  vous  ayez  prévalu  contre  moi!  J'ai  été 
en  dérision  a  ce  peuple  tout  le  long  du  jour.  Tous 
m'insultent ,  et  se  moquent  de  mes  prédictions  : 
parce  que  je  ne  fais  que  crier  iniquité  et  malheur , 
et  inévitoitle  ravage  :  et  cependant  il  n'arrive  rien  ; 
et  la  parole  du  Seigneur  me  tourne  en  dérision  et 
en  opprobre.  Et  j'ai  dit  en  moi-même  :  Je  ne  veux 
plus  me  souvenir  du  Seigneur,  ni  prophétiser  en 
son  nom,  ni  exposer  sa  parole  à  la  moquerie,  et 
aggraver  l'iniquité  de  ce  peuple.  Mais  vous  êtes 
toujours  le  plus  fort  :  cette  parole  que  je  voulais 
retenir  dans  mon  comr,  y  a  été  un  brasier  ardent; 
elle  s'est  renfermée  dans  mes  os  ;  les  forces  me 
manquent,  et  je  n'en  puis  plus  soutenir  le  poids*  : 
il  faut  qu'elle  sorte.  Dieu  prévaut  de  nouveau  sur 
le  saint  prophète  ;  et  après  ces  agitations  il  faut  qu'il 
cède. 

Les  âmes  prophétiques  qiii  sont  sous  la  main  de 
Dieu,  reçoivent  des  impressions  d«  sa  vérité,  qui 
leur  causent  des  mouvements  que  le  reste  des  hom- 
mes ne  connaît  pas.  Deux  vérités  se  présentent 
tour  à  tour  à  Jérémie  :  l'une,  qu'il  fallait  annoncer 
au  peuple  tout  ce  que  Dieu  ordonnait,  quelque  dur 
qu'il  fût,  et  quoi  qu'il  en  coûtât,  car  il  est  le  maî- 
tre; et  qu'il  fallait  prendre  pour  cela  un  front  d'ai- 
rain :  l'autre,  que  prophétiser  à  un  peuple  qui  s»- 
moquait  de  la  prophétie,  à  cause  que  l'effet  n'en 
était  pas  assez  prompt  ;  loin  de  le  convertir,  c'était 
non-  seulement  aggraver  son  crime ,  et  augmenter 
son  supplice ,  mais  encore  exposer  la  parole  de  Dieu 
à  la  dérision  et  au  blasphème.  Dans  les  endroits 
qu'on  vient  de  voir.  Dieu  lui  imprime  cette  der- 
nière vérités!  vive,  qu'il  ne  peut  dans  ce  moment 
être  occupé  d'une  autre  pensée.  Car  il  imprime 
tout  ce  qu'il  lui  plaît ,  principalement  dans  les  âmes 
qu'il  s'est  une  fois  soumises  par  des  opérations  tou- 
tes-puissantes. A  la  vérité,  quand  il  veut,  il  sait 

•  Jerem.  xv,  10.  —  »  Jbid.  xx,  14  ,  18.  —*  Ibid.  xvn',  1k 

♦  IbH.  \x  ,  7,  8,  S». 


666 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


bien  les  rainener  à  lui ,  et  les  tenir  sous  le  joug; 
mais  dans  le  temps  qu'il  les  veut  pousser  d'un  côté, 
ils  paraissent  avoir  tout  oublié,  excepté  l'objet 
dont  ils  sont  pleins.  Car  Dieu  pour  certains  mo- 
ments les  laisse  à  eux-mêmes ,  et  aux  grâces  ordi- 
naires, pour  tout  autre  objet;  et  pour  celui  dont 
il  lui  plaît  de  les  remplir,  l'impression  en  est  si 
forte ,  le  caractère  si  vif  et  si  enfoncé  dans  le  cœur, 
qu'il  semble  n'y  rester  plus  d'attention  ni  de  mou- 
vement pour  les  autres  choses ,  ni  aucune  capacité 
de  s'y  appliquer.  Par  un  transport  de  cette  nature,  Jé- 
rémie ,  qui  se  voit  contraint  à  n'être  premièrement 
qu'un  prophète  de  malheurs  à  tout  son  peuple , 
c'est-à-dire  au  seul  objet  de  son  amour  et  de  sa 
tendresse  sur  la  terre,  et,  ce  qui  lui  paraissait  en- 
core d'une  plus  insupportable  rigueur,  à  ne  faire 
plus  autre  chose,  en  second  lieu,  qu'en  accroître 
en  quelque  façon  l'iniquité  et  le  supplice;  ne  veut 
plus  vivre  en  cet  état  :  il  voudrait  n'avoir  janoais 
été,  et  ne  trouve  point  d'expression  assez  forte 
pour  expliquer  ce  désir.  Un  troisième  objet  se  pré- 
sente à  lui  :  la  propliétie  méprisée,  la  parole  de 
Dieu  en  dérision ,  ses  prophètes  décriés ,  son  nom 
blasphémé,  et  sa  justice  exposée  au  mépris  des 
hommes,  à  cause  de  sa  bonté  dont  ils  abusent.  C'est 
le  comble  de  la  douleur  :  et  après  avoir  voulu  effa- 
cer du  nombre  des  jours,  celui  de  sa  nativité  ;  puis- 
qu'il ne  peut  point  s'empêclier  d'avoir  l'être ,  il  fait 
un  effort  secret,  pour  ne  plus  écouter  la  prophétie 
qui  se  présente  à  lui  avec  une  force  qu'il  ne  peut 
éluder.  Il  ne  faut  donc  plus  s'étonner  si  sus  agita- 
tions sont  si  violentes.  C'est  Dieu  de  tous  côtés  qui 
le  presse  ;  qui  lui  donne ,  pour  ainsi  parler,  des  for- 
ces contre  lui-même;  et  à  la  fin  le  réduit ,  après  des 
tourments  inexplicables,  à  continuer  ses  funestes 
et  fatales  prédictions. 

Il  ne  convient  pas  au  Sauveur  d'être  agité  de 
cette  sorte  :  car  son  âme  est  tellement  dilatée,  et 
d'une  capacité  si  étendue ,  que  toutes  les  impres- 
sions divmes  y  exercent,  pour  ainsi  dire,  au  large 
et  tranquillement  leur  efficace.  Mais  néanmoins 
il  a  dit  :  Si  je  n'étais  pas  venu,  etqu^Je  ne  leur 
eusse  pomC^parlé  ;  si  je  n'avais  pas  fait  en  leur 
présence  des  miracles  y  qu'aucun  attire  n'avait 
jamais  faits,  ils  seraient  sans  péché  :  mais 
maintenant  ils  n'ont  plus  d'excuse;  et  ils  haïssent 
gratuitement  et  moi  et  mon  Père  ' ,  ainsi  que  Da- 
vid l'avait  prédit  >,  C'est  donc  lui  qui  leur  ôte  toute 
excuse  :  sa  parole  les  jugera ,  et  les  condamnera 
m  dernier  jour.  Lui  qui  venait  eter  le  péché  du 
monde,  a  donné  lieu  au  plus  grand  de  tous  les  pé- 
chés ,  qui  est  celui  de  mépriser  et  de  poursuivre 
jusqu'à  la  mort  de  la  croix ,  la  vérité  qui  leur  ap- 
paraissait en  sa  personne.  Les  blasphèmes  se  sont 
nniltipliés,  et  on  lui  a  insulté  jusque  sur  sa  croix 
et  dans  son  agonie.  Sa  passion ,  sa  mort ,  son  sang 
répandu,  sont  la  matière  de  l'ingratitude  de  ses 
disciples,  et  leur  tourne  à  mort  et  à  péché.  Les 
crimes  s'augmentent  par  les  grâces  :  c'est  la  grande 
douleur  du  Sauveur;  c'est  le  calice  qu'il  voudrait 

*  Joa».  x\,  32  et  seq.  —  »  Ps.  xxiv,  19. 


pouvoir  détourner  de  lui  ;  c'est  ce  qui  lui  pcree 
le  cœur;  c'est  enfin  ce  qui  l'abat  devant  son  Père 
ce  qui  lui  fait  suer  du  sang,  ce  qui  est  le  véritable 
sujet  de  cette  profonde  tristesse  qui  pénètre  son 
âme  sainte  jusqu'à  la  mort,  et  enfin  de  sou  agonie. 

CIXc  JOUR. 

Jérémie  annonce  à  son  peuple  sa  délivrance. 
Il  n'en  est  pas  de  Jésus  comnae  des  prophètes , 
a  qui  Dieu  défend  de  le  prier,  et  à  qui  il  dit,  comme 
a  Jéremie  :  Je  ne  vous  exaucerai  pas  ».  Car  au 
contraire  il  dit  à  son  Père  :  Je  sais  que  vous  m'é- 
coûtez  toujours  >.  Et  afin  de  nous  donner  en  la 
personne  de  notre  prophète,  une  figure  quoique 
imparfaite  de  l'intercesseur  qui  est  exaucé,  ii  lui 
parle  en  cette  sorte ,  pendant  qu'il  était  arrêté  dans 
le  vestibule  de  la  prison  :  Crie  maintenant,  élève 
fa  voix;  et  je  t'exaucerai;  et  je  t'apprendrai  des 
cJwses  grandes,  et  d'une  inébranlable  fermeté 
que  tu  ne  sais  pas  3.  C'est  que  la  Judée  et  Jérusa- 
lem seraient  rétablies  ;  qu'il  y  ramènerait  son  peu- 
ple ;  qu'il  en  guérirait  les  plaies;  qu'il  les  purifierait 
de  tous  leurs  péchés  4.  H  répandit  alors  un  esprU 
de  prière  ^  dans  tout  son  peuple.  Réjouissez-vous, 
6  Jacob  !  hennissez  contre  les  gentils  et  contre  Ba- 
bylone,  qui  en  est  le  chef;  et  dites  :  Sauvez  Sei- 
gneur, les  restes  de  votre  peuple;  et  je  vous  rap- 
pellerai cle  la  terre,  où  je  vous  avais  envoyés  en 
captivité  ^.  Jérémie  annonça  au  peuple  ce  glorieux 
rétablissement  :  il  leur  en  marqua  le  temps,  et  leur 
déclara  qu'à  la  soixante-dixième  année  de  leur  ser- 
vitude ,  il  ferait  éclatoo*  ce  grand  ouvrage.  Car  je 
sais ,  dit  le  Seigmur,  les  pensées  que  j'ai  pour 
vous ,  des  pensées  de  paix  et  non  d'afjliction  ; 
pour  vous  donner  la  fin  de  vos  maux,  et  la  pa- 
tience en  attendant  pour  les  endurer;  et  vous 
m'invoquerez,  et  vous  irez  en  votre  patrie  ;  eè 
vous  me  prierez ,  et  je  vous  exaucerai  :  et  vous  me 
chercherez,  et  vous  me  trouverez,  lorsque  vous 
m'aurez  cherché  de  tout  votre  cœur  7.  Ainsi  le 
prophète  Jérémie  n'annonça  pas  seulement  au  peu- 
ple sa  désolation  ;  mais  pour  être  une  parfaite  fi- 
gure de  Jésus-Christ ,  il  leur  annonça  encore  sa 
délivrance ,  qui  devait  être  la  figure  de  celle  de  soa 
Église  :  et  il  fut  choisi  pour  la  demander  à  Dieu , 
et  pour  exciter  dans  tout  le  peuple  l'esprit  de 
prière.  Et  s'il  annonça  à  son  peuple  sa  prise,  sa 
ruine,  sa  captivité,  ce  ne  fut  pas  pour  toujours. 
Il  n'en  fut  pas  ainsi  des  autres  nations ,  auxquelles 
Dieu  lui  ordonna  de  prophétiser.  Fa,  lui  dit  le 
Seigneur  des  armées  :  prends  de  ma  main  la 
coupe  de  ma  colère  y  et  présente-la  à  tous  les  peu- 
ples auxquels  je  t'enverrai Et  je  la  pris...  et 

je  la  portai  à  Jérusalem  et  aux  villes  de  Juda;  à 
ses  rois  et  à  ses  princes...  et  à  Pharaon,  roi  d'É' 
gypte,  et  à  ses  serviteurs,  à  ses  princes,  et  à  tout 
son  peuple,  et  généralement  à  tous  les  rois;  aux 
rois  d'Orient,  aux  rois  des  PhilisUns,et  d' AscaioPi 

'  Jerem.  vil,  16.  —  '  Joan.  xi,  42.  —  '  Jerem.  xxxiii,  i,  a» 
3.  —  *  Jhid.  4  et  seq.  —  '  Zach.  xii ,  10.  —  «  Jerem.  XX»  l, 
7,  8.  —  '  Ibid.  ixv.  II';  xxix,  lo,  li,  12»  13, 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVA;\G1LK. 


Cdr 


et  ite  Tusa,  et  dldumte ,  et  de  Moab  ;  et  à  tous  les 
rois  de  Tijr  et  de  Sidon,  et  aux  rois  des  lies  éloi- 
gnées y....  et  à  tous  les  rois  d'Arabie,  et  à  tous  les 
rois  d'Occident,  et  aux  rois  de  Perse,  et  aux  rois 
de  Médie ,  et  à  tous  les  rois  du  Nord  de  prés  et  de 
loin....  et  le  roi  de  Babylone  boira  après  eux ,  lui 
(jui  fait  boire  ce  calice  de  la  colère  de  Dieu  à  tous 
les  autres  :  Buvez,  buvez,  leur  dira  le  Seigneur; 
tarez,  et  enivrez  vous,  et  vomissez,  et  tondiez, 
et  FOUS  ne  cous  relèverez  jatnais  ' .  f'oilà  le  tour- 
billon du  Seigneur;  sa  colère  part,  son  orage  tom- 
be; et  il  se  reposera  sur  la  tète  de  ses  enne^ 
mis  ». 

Ainsi  sont  traités  les  rois  et  les  peuples  idolâ- 
tres. Le  prophète ,  qui  leur  dénonce  leurs  maux , 
ne  leur  laisse  aucune  espérance.  Sion  seule  est 
frappée  en  ses  miséricordes ,  comme  un  enfant  que 
son  père  châtie.  Le  prophète  lui  montre  son  re- 
tour :  il  porte  ses  yeux  plus  loin ,  et  lui  prédit 
son  libérateur  :  ce  nouveau  David  dont  le  règne 
sera  éternel  :  cet  homme  parfait  en  sagesse ,  qui 
se  trouvera  environné  des  entrailles  d'une  femme, 
et  renfermé  dans  son  sein  :  et  la  nouvelle  alliance 
que  Dieu  fera  par  son  entremise  avec  le  peuple  rache- 
té 5.  Élevez  la  voix,  ô  Jérémic!  prophète  sanctifié 
dès  le  ventre  de  votre  mère  ;  prophète  vierge  et  fi- 
gure du  grand  prophète,  vierge  aussi ,  et  fils  d'une 
vierge  •*  :  chantez-nous  les  miséricordes  de  notre 
Dieu  :  reprochez-nous  nos  ingratitudes,  faites-nous 
rougir  de  nos  crimes  :  donnez-nous  l'exemple  d'hu- 
milité, de  patience,  de  douceur  :  entrez  encore  à 
nos  yeux  dans  votre  affreux  cachot,  en  figure 
de  la  sépulture  de  Jésus-Christ  :  sortez-en  aussi 
en  figure  de  sa  résurrection  :  exprimez  ses  per- 
sécutions dans  les  vôtres.  Et  nous  ,  Seigneur,  en 
attendant  que  nous  méditions  plus  à  loisir  les 
mvstères  de  votre  passion ,  et  de  votre  résurrec- 
tion triomphante,  nous  nous  y  préparerons  en 
contemplant  avec  foi  les  prophètes  qui  leur  ont 
servi  de  figure. 

ex*  JOUR. 

J«nas  dans  le  ventre  de  la  baleine;  aut^figure  de  Jésus- 
Christ  ^ 

Agité  d'un  de  ces  transports  que  nous  avons  re- 
marqués dans  les  prophètes,  et  que  nous  avons 
vus  dans  Jérémie,  Jonas  ne  veut  point  aller  prê- 
cher aux  Ninivites  leur  perte  prochaine  *  ;  de  peur 
que  si  Dieu  leur  pardonnait ,  comme  son  immense 
bonté  l'y  portait  toujours ,  les  peuples  païens  ne 
se  confirmassent  dans  leur  incrédulité,  et  ne  mé- 
prisassent ses  menaces,  et  les  fiiscoursdeses  pro- 
phètes. Et  pressé  par  cet  esprit  prophétique,  qui 
le  poussait  au  dedans  avec  une  force  invincible  à 
annoncer  la  ruine  de  Ninive,  il  lui  dit:  Voilà, 
Seigneur,  une  parole  que  je  ne  puis  porter  -.je  sais 
que  vous  êtes  un  Dieu  clément ,  plein  de  rniséri- 
eorde  et  de  patience,  d'une  compassion  infinie , 
et  toujours  prêt  à  pardonner  aux  hommes  leur 
malice  ^  :  vous  pardonnerez  encore  à  cette  ville 

•  Jfrem.  xx\,  15,  27.  —  »  Ibid.  XXX,  23.  —  '  Ibut.  xxxi,  22, 
II.  —  •  Ibid.  I,  6  ;  XVI,  2.  —  »  Jon.  i,  2, 3.  —  ^  Ibid.  i\,  2. 


infidèle.  On  ne  nous  écoutera  plus,  quand  nous  par- 
lerons en  votre  nom  :  nous  annoncerons  en  vain  à 
Juda  et  à  Israël  la  rigueur  de  vos  jugements  :  vo- 
tre facilité  et  votre  indulgence  ne  fera  qu'endurcir 
les  hommes  dans  le  mal.  Car  il  faut  suppléer  tout 
ceci ,  puisque  nous  l'avons  déjà  trouvé  dans  Jéré- 
mie. O  Seigneur!  ôtez-moi  la  vie,  continuait  Jo- 
nas" :  car  il  vaut  mieux  mourir,  que  d'être  trouvé 
un  prophète  menteur,  et  exposer  la  prophétie  à  la 
dérision.  On  voit,  en  passant,  que  les  âmes  tou- 
chées de  ces  impressions  divines ,  sont  élevées  au- 
dessus  de  tout ,  et  la  mort  ne  leur  coûte  rien.  Dans 
cette  extrême  détresse,  non  -  seulement  il  tâcha, 
comme  Jérémie,  de  ne  point  écouter  la  prophétie, 
et  de  s'étourdir  lui-même  contre  cette  voix  ;  mais 
pressé  par  cet  esprit  prophétique,  il  s'enfuit  de 
devant  le  Seigneur  :  et  s'embarque  à  Joppé  »,  pour 
aller  de  la  terre  sainte  oîi  il  était,  à  l'autre  extré- 
mité du  monde.  Car  encore  qu'on  ne  sache  pas 
précisément  quelle  était  la  ville  de  Tharsis ,  on 
convient  qu'elle  était  extrêmement  éloignée  du  côté 
de  l'Occident. 

Il  ne  faut  pas  se  persuader  que  le  saint  prophète 
crut  que  Dieu  ne  le  verrait  plus,  ou  qu'il  sortirait 
de  son  empire,  lorsqu'il  irait  dans  les  terres  lointai- 
nes. Car  nous  l'entendrons  bientôt  dire  aux  nauton- 
niers  :  Je  suis  Hébreu,  et  je  révère  le  Dieu  du  ciel 
qui  a  fait  la  mer  et  la  terre  ^.  De  sorte  qu'il  voyait 
bien  qu'on  ne  pouvait  échapper  à  sa  puissance,  ni 
sortir  de  son  domaine.  Cette  face  de  Dieu ,  qu'il 
tâche  de  fuir;  celte  présence,  qu'il  veut  éviter  : 
c'est  la  face  que  Dieu  montrait  intérieurement  à 
ses  prophètes  :  c'est  la  présence,  dont  il  éclairait 
leur  esprit ,  lorsqu'il  daignait  les  inspirer.  Cest 
cette  fac«  que  Jonas  crut  pouvoir  éviter  en  s'éloi- 
gnant  de  la  terre  sainte  et  du  milieu  du  peuple 
d'Israël ,  où  Dieu  avait  accoutumé  de  répanâre  la 
prophétie.  Il  s'éloigna  donc  tout  ensemble  et  de  la 
terre  sainte  et  de  Ninive,  où  il  ne  crut  pas  que 
Dieu  voulût  le  ramener  malgré  lui  d'un  pays  si 
éloigné.  Mais  il  ne  fut  pas  plutôt  embarqué,  que 
Dieu  fit  souffler  un  vent  impétueux  :  et  la  tem- 
pête fut  si  violente,  qu'on  craignait  à  chaque 
moment  que  le  vaisseau  7ie  s'entr'ounrit.  Pen- 
dant que  chacun  invoquait  son  Dieu  avec  des 
cris  effroyables,  et  qu'on  jetait  dans  la  mer 
toute  la  charge  du  vaisseau;  Jonas,  sans  s'é-. 
tonner  d'un  si  grand  péril ,  car  nous  avons  vu 
souvent  que  ces  âmes  fortes  qui  sont  sous  la  main 
de  Dieu  ne  craignent  rien  que  lui  seul,  (kscen^ 
dit  au  fond  du  vaisseau ,  et  dormait  d'un  pr**. 
fond  sommeil*.  C'est  quelque  trait  de  Jésus,  qu», 
dans  une  semblable  tempête ,  dort  tranquillement 
sur  un  coussin ,  et  laisse  remplir  de  flots  le  vaisseau 
où  il  était  avec  ses  disciples*.  Par  un  semblable 
mystère ,  et  pour  montrer  qu'on  n'a  rien  à  crains 
dre  quand  on  a  Dieu  avec  soi ,  et  qu'il  n'y  a  en 
tout  cas  qu'à  s'abandonner  à  sa  volonté;  Jonat 
dormait  parmi  tant  de  cris ,  et  tant  d'horrible^ 

'  Jon.  I,  3.  —  5  Ibid.  3.  -  »  Jbid.  1,9.—  '  Ibid.  i,  i. -* 
5  .Varc.  IV,  37, 38. 


MÉDITATIO^JS  SUR  L'ÉVANÇILE. 


668 

sifilemeitts  des  vciits  et  des  flots,  jusqu'à  ce  qu'on 
l'éveilla ,  à  peu  près  de  la  même  manière  qu'on  fit 
le  Sauveur,  en  lui  disant?  Pourquoi  dormez-vous'? 
invoquez  aussi  votre  Dieu,  afm  qu'il  se  souvienne 
de  nous,  et  que  nous  ne  périssions  pas  '.  La  main 
de  Dieu  ne  quittait  pas  le  saint  prophète.  II  sentit 
d'abord  que  la  tempête  était  envoyée  contre  lui  : 
il  vit  jeter  tranquillement  le  sort,  que  les  passa- 
gers jetaient  entre  eux  pour  découvrir  le  sujet  de 
la  tempête  :  il  le  vit  tomber  sur  lui  sans  s'effrayer; 
car  il  avait  toujours  dans  l'esprit  que  la  mort  lui 
était  meilleure ,  que  d'aller  prophétiser  pour  être  dé- 
dit, et  faire  blasphémer  la  prophétie  »  :  et  il  dit  har- 
diment aux  nautonniers,  quils  voulaient  épargner  : 
Jetez-moi  dans  la  mer  sans  hésiter,  et  la  tempête 
cessera  ;  car  je  sais  bien  que  c'est  pour  moi  qu'elle 
est  excitée  ^.  Cependant  ils  le  respectèrent,  étonnés 
de  sa  prodigieuse  tranquillité,  et  encore  plus  de  la 
grandeur  du  Dieu  qu'il  servait.  Car  comme  on  lui  de- 
manda qui  il  était,  il  avait  répondu  qu'il  était  Hé- 
breu, et  que  le  Dieu  qu'il  craignait  était  le  Dieu  du 
ciel,  et  le  Créateur  de  la  terre  et  de  la  mer  :  et 
ils  faisaient  les  derniers  efforts  pour  arriver  à 
terre,  sans  qu'il  en  coûtât  la  vie  à  un  si  grand 
homme.  Mdiis  ç\\is  ils  7'amaient ,  plus  la  mer  s'en- 
flait :  en  sorte  qu'ils  furent  contraints  de  jeter 
Jonas  dans  la  mer,  en  prenant  Dieu  à  témoin, 
que  c'était  à  regret  qu'ils  le  noyaient,  et  qu'ils 
étaient  innocents  de  sa  mort  ;  et  aussitôt  l'agitation 
de  la  mer  cessa  4.  Et  voilà  déjà,  en  figure  de  notre 
Sauveur,  tout  ce  peuple  sauvé  par  la  mort ,  comme 
l'on  croyait ,  du  saint  prophète ,  à  laquelle  il  s'é- 
tait lui-même  volontairement  offert.  Mais  ce  n'est 
pas  là  tout  le  mystère;  et  le  reste  nous  est  expli- 
qué par  le  Sauveur  même,  lorsqu'il  dit  :  Cette 
mauvaise  race  demande  un  signe,  et  il  ne  lui 
en  sera  point  donné  d'autre ,  que  le  signt  du  pro- 
priété Jonas  :  car  comme  Jotias  fut  trois  jours  et 
trois  nuits  dans  les  entrailles  de  la  baleine,  ainsi 
le  Fils  de  l'homme  sera  trois  jours  et  trois  nuits 
dans  le  cœur  de  la  terre  ^. 

L'esprit  de  prophétie  ne  quitta  point  Jonas  dans 
le  ventre  de  cet  énorme  poisson  :  car  il  y  chanta  ce 
divin  cantique^  :  J'ai  crié  du  fond  de  l'abîme,  et 
vous  avez  écouté  ma  voix  :  les  eaux  m'ont  env'i- 
ronné  :  tous  vos  gouffres  et  tous  vos  flots  ont  passé 
sur  moi:  et  j'ai  dit  :  Je  suis  rejeté  de  devant  vos 
yeux;  mais  je  reverrai  encore  votre  saint  temple. 
il  sent  donc  qu'il  sortira  de  cet  abîme  ;  et  il  le  re- 
commence encore  en  cette  sorte  :  l£seaux  m'ont 
pénétré  jusqu'au  fo7id  :  l'abîme  m'a  entouré  :  la 
mer  a  couvert  ma  tête  :  j'ai  descendu  au  fond 
de  la  mer,  et  jusqu'à  la  racine  des  montagnes  :  je 
suis  enfermé  pour  toujours  dans  les  soutiens  de  la 
terre  1.  Il  n'y  a  point  de  ressource,  dans  la  puis- 
sance créée.  Mais  vous,  ô  Seigneur  mon  Dieu, 
vous  vie  relèverez  d'un  si  grand  mal ,  et  vous  me 
préserverez  de  la  corruption.  Au  milieu  de  mes  an- 
"  goisses  ,je  nie  suis  ressouvenu  du  Seigneur,  afin 
que  ma  prière  parvint  jusqu'à  votre  saint  temple. 

'  .Ton.  I,  C.  —  '  Ibid.  IV,  3.—^Ibid.  I,  12,  13.  —  <  Ihid.  9, 
(3,  ir>.  —  '  Matth.  XII,  39,  40.  —  «  Jon.  U ,  2,  3.  —  Ibid.  8. 


Ceux  qui  mettent  leur  confiance  dans  de  fausse» 
divinités,  abandonnent  la  miséricorde qu\  lespeut 
sauver,  et  renoncent  à  la  sainteté  :  mais  moi  je 
vous  ai  immolé  par  ma  voix  un  sacrifice  de  louan- 
ge :  vous  me  sauverez,  et  je  rendrai  au  Seigneur 
les  vœux  que  je  lui  ai  faits  pour  v^a  délivrance. 
Et  le  Seigneur  commanda  ait  poisson ,  et  il  jeta 
Jonas  sur  la  terre  ^ ,  en  figure  de  notre  Sauveur, 
dont  il  est  écrit;  quHlfut  Vibre  entre  les  morts' , 
comme  Jonas  l'avait  été  dans  cet  abîme  vivant,  qui 
l'avait  englouti;  et  à  qui  David  a  fait  dire  au  milieu 
des  ombres  de  la  mort  :  J'avais  toujours  le  Seigneur 
en  vue ,  parce  qu'il  est  à  ma  droite,  pour  m'empê- 
cher  d'être  ébranlé  :  c'est  pour  cela  que  mon  cœur 
a  tressailli,  que  ma  langue  a  été  remplie  de  joie, 
et  que  mon  corps  s'est  reposé  en  paix  :  parce  que 
vous  ne  laisserez  pas  mon  âme  dans  l'enfer ,  et 
que  vous  nepermettrez  pas  que  votre  saint  éprouve 
la  corruption.  Au  milieu  de  la  mort,  vous  m'avez 
montré  le  chemin  pour  retourner  à  la  vie,  et  vous 
me  remplirez  de  la  joie  que  donne  la  vue  de  votre 
face^.  C'est  à  peu  près  et  avec  la  force  qui  conve- 
nait au  Sauveur  plus  qu'à  Jonas ,  accomplir  ce  qu'a- 
vait dit  ce  prophète  :  Je  reverrai  votre  saint 
temple^. 

Il  n'appartenait  pas  à  Jonas,  qui  n'était  que  la 
figure,  d'avoir  tous  les  traits  de  la  vérité,  ni  d'a- 
voir parmi  les  morts  cette  liberté  qui  était  réservée 
au  Sauveur ,  ni  de  prédire  lui-même  et  sa  mort  et 
sa  résurrection.  Mais  à  cela  près  il  n'y  avait  rien 
qui  ressemblât  mieux  à  la  mort  et  au  tombeau ,  que 
le  ventre  de  ce  poisson;  ni  rien  qui  représentât  plus 
vivement  une  véritable  et  parfaite  résurrection, 
que  la  délivrance  de  Jonas.  Adorons  donc  celui  qui 
n'a  laissé  aucun  trait  ni  aucun  iota  dans  les  pro- 
phètes, non  plus  que  dans  la  loi,  qu'il  n'ait  parfai- 
tement acconipli  :  et  apprenons  à  ne  perdre  jamais 
l'espérance  dans  quelque  abîme  de  maux  où  nous 
soyons  plongés;  puisque  Jonas  est  sorti  du  ventre 
de  la  baleine,  et  Jésus-Christ  notre  chef  du  tombeau 
et  de  l'enfer ,  assurant  ses  membres ,  qui  sont  ses 
fidèles ,  d'une  semblable  délivrance. 

CXI"  JOUR. 

Piédicajlioa  de  Jonas  à  Ninive. 

Pour  achever  l'histoire  de  Jonas ,  puisque  celte 
de  notre  Sauveur  nous  y  a  conduits  ;  aussitôt  que 
la  baleine  l'eut  rejeté  sur  le  rivage ,  le  voilà  de  nou- 
veau repris  par  l'esprit  de  la  prophétie  :  et  le  Sei- 
gneur lui  ordonne  d'aller  prêcher  à  Ninive ,  qu'elle 
périrait  dans  quarante  jours  5.  Dieu  ne  voulut  point 
que  Jonas  y  mît  la  condition  :  Si  elle  ne  faisait  pé- 
nitence. Cette  vHle  la  fit  toutefois  dans  le  sac  et 
dans  la  cendre  :  et  Dieu  voulut  faire  voir  qu'il  était 
toujours  prêt  par  sa  bonté ,  à- rétracter  sa  sentence, 
sans  même  l'avoir  promis.  Écoutons  sur  ce  sujet 
la  parole  de  Jésus-Christ  :  Les  gens  de  Ninive  s'é- 
lèveront cojitî^e  cette  race  dans  le  jugement,  et 
la  condamneront;  parce  qu'ils  ont  fait  pénitence 

»  Jon.  n,  7  et  seq.  —  *  Ps.  i-xxxvir,  6,  —  s  Ibid  xv,  8.  ^cfc 
n,  15.  —  '  Jon.  Il,  5.—  *  Ibid.  III,  I,  5. 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


.-k  tafri'dïcation  de  Jonas  :  et  celui-ci  est  plus  que 
Jonas  '.  faisons  donc  pénitence,  puisque  Jésus 
même  nous  y  exhorte  par  son  Évangile,  par  les 
pressantes  et  continuelles  impulsions  de  son  Saint- 
Ksprit  :  et  n'attendons  pas  que  les  Ninivites  s'é- 
fcvoiit  contre  nous  au  dernier  jour;  car  la  convic- 
tion serait  trop  forte ,  la  confusion  trop  inévitable. 
Jonas  ne  résista  point  à  cette  fois»  :  la  main  de 
Dieu  le  serrait  de  trop  près  :  mais  après  la  miséri- 
corde que  Dieu  eut  exercée  envers  Ninive,  le  pro- 
phète fut  affligé  d'une  affliction  extrême  ;  et  trans- 
porté de  colère,  il  pria  le  Seigneur,  et  il  lui  dit  : 
Je  vousprie.  Seigneur,  n'est-cepas  là  ce  que  je  di- 
sais, pendant  que  j'étais  encore  en  mon  pays  : 
que  vous  étiez  bon  et  indulgent  jusqu'à  l'infini^  : 
qu'ainsi  vous  pardonneriez  à  Ninive;  que  les  paroles 
de  vos  prophètes  seraient  méprisées  ;  et  que  sans  se 
soucier  de  vos  menaces ,  ni  rompre  le  cours  de  leurs 
crimes ,  les  peuples  s'attendraient  toujours  à  vous 
fléchir  par  la  pénitence ,  après  avoir  impunément 
accompli  leurs  mauvais  désirs?  Seigneur,  je  vous 
prie ,  faites-moi  mourir:  la  mort  me  sera  plus 
douce  que  la  vie.  En  même  temps  il  se  retira  de  la 
ville  4 ,  et  attendait  dans  le  voisinage,  quel  en  serait 
le  sort  :  car  à  peine  voulut-il  croire  que  Dieu  par- 
donnât tant  de  crimes ,  et  augmentât  la  licence  par 
cet  exemple  d'impunité.  Mais  Dieu  qui  le  voulait 
revêtir  de  l'esprit  de  la  nouvelle  alliance ,  qui  est 
une  alliance  de  miséricorde ,  de  réconciliation  et  de 
pardon ,  et  lui  ôter  cet  esprit  dur  qui  devait  comme 
régner  en  ce  temps-là  à  cause  de  la  dureté  du  cœur 
•de  l'homme,  sécha,  comme  on  sait,  la  branche 
verte  qu'il  avait  fait  élever  sur  la  tête  de  Jonas , 
pour  le  défendre  de  l'ardeur  brûlante  du  soleil , 
et  des  vents  de  ces  pays-là,  qu'il  avait  excités  ex- 
près'. Et  comme  Jonas  s'en  affligea  jusqu'à  dé- 
sirer la  mort  :  Tu  t'affliges,  lui  dit  le  Seigneur  s, 
de  ce  rameau  vert  que  tu  n'as  pas  fait,  et  la  nais- 
sance duquel  ne  t'a  coûté  aucun  travail  :  et  tu  ne 
veux  pas  que  j'aie  pitié  de  l'ouvrage  de  mes  mains, 
et  de  cette  ville  immense,  si  digne  de  compassion , 
quand  ce  ne  serait  qu'à  cause  du  nombre  infini  des 
enfants  qui  ne  connaissent  pas  le  bien  et  le  mal,  et 
de  tant  d'animaux?  Car,  ô  Seigneur!  votre  bonté 
s'étend  jusqu'à  eux ,  conformément  à  cette  parole 
du  psalmiste  :  fous  sauverez  les  hommes  et  les 
animaux,  parce  qu'il  vous  a  plu,  ô  mon  Dieu! de 
multiplier  totre  miséricorde! .  Prenons  donc  l'es- 
prit de  douceur  ;  et  ne  nous  laissons  point  transpor- 
ter par  ce  zèle,  qu'on  voit  paraître  même  dans  les 
saints  de  l'Ancien  Testament  :  car  Jésus  dit  à  ses 
disciples,  qui  le  voulaient  imiter,  et  à  l'exemple 
d'Élie* ,  faire  descendre  le  feu  du  ciel  :  Fous  ne  sa- 
vez de  quel  esprit  vous  êtes  9. 

Ne  blâmons  donc  pas  le  Eèle  de  Jonas ,  qui  était 
convenable  au  temps  ;  et  louons  Dieu  au  contraire , 
de  lui  avoir  inspiré  la  douceur  qui  devait  un  jour 
paraître  en  Jésus-Christ ,  et  de  l'avoir  forcé  à  prê- 
cher sa  miséricorde.  Ne  condamnons  pas  aisément 

'  Matth.  XH,  41.  —  »  Jon.  m,  3—3  Ibid.  nr,  2.  —  ♦  Ibid. 
3,  5.  —  *  Ibid.  8,  9.  —  *  Ibid.  10,11.  — '  Ps.  XXXT,  7,8.—  i 
•  IV.  Reg.  I,  10.  —  *  Luc.  rx,  ftô.  » 


CC9 

le  saint  prophète;  parce  que  ces  mouvements  dos  pro- 
phètes, et  la  communication  de  Dieu  avec  eux,  sont 
un  grand  mystère  qu'il  ne  nous  est  pas  permis  de 
pénétrer.  Non  que  je  m'attache  opiniâtrement  à 
vouloir  excuser  de  faute  ce  saint  homme  :  car  Dieu 
se  plaît  quelquefois  à  faire  paraître  son  bras  dans 
le  crime  même,  et  à  s'assujettir  les  âmes  les  plus 
rebelles  :  mais  c'est  que  ce  qui  se  passe  entre  Dieu 
et  ses  prophètes,  est  bien  caché;  et  qu'il  leur  fait 
sentir  sa  secrète  volonté  par  des  voies  bien  éloi- 
gnées des  nôtres.  Et  il  ne  faut  s'étonner ,  ni  de  ses 
paroles,  ni  même  de  sa  fuite.  Car  Dieu  pousse  ces 
âmes  qu'il  tient  sous  sa  main,  et  les  ramène  lui- 
même  ;  et  il  veut  leur  faire  sentir  par  des  expériences 
réelles,  la  force  invincible  de  cette  main  souveraine 
sous  laquelle  ils  sont.  Souvenons -nous  du  saint 
homme  Job,  que  Dieu  reprend  avec  tant  de  force, 
de  son  ignorance,  et  des  paroles  qu'il  avait  profé- 
rées' ;  et  de  qui  néanmoins  il  dit  ensuite  par  deux 
et  trois  fois,  qu'il  a  parlé  droitement».  Suspen- 
dons donc  notre  jugement  dans  les  violentes  agi- 
tations de  ces  âmes  prophétiques  ;  et  gardons-nous 
bien  de  tirer  à  conséquence  ce  qui  se  passe  en  elles  ; 
soit  que  ce  qui  leur  arrive  soit  une  simple  permis* 
sion  de  Dieu  ;  soit  qu'on  n'y  puisse  trouver,  en  ap- 
profondissant la  matière ,  une  réelle  influence  de  sa 
main,  dans  tout  ce  qui  nous  y  paraît  un  grand  pé- 
ché. Si  Jonas  paraît  si  troublé  des  miséricordes  de 
Dieu,  croyons  que  c'était,  selon  l'esprit  de  ces 
temps,  un  zèle  pour  la  justice,  et  pour  la  vérité  de 
sa  parole.  S'il  fuit  devant  Dieu,  entendons  qu'il  vou- 
drait pouvoir  se  fuir  lui-même ,  plutôt  que  de  four- 
nir aux  hommes  une  occasion  de  mépriser  Dieu  :  et 
en  quelque  sorte  qu'il  faille  juger  de  cette  fuite , 
admirons  la  main  de  Dieu  qui  le  soutient;  qui  lui 
envoie  parmi  la  tempête  ce  sommeil  mystérieux  qui 
témoigne  la  tranquillité  de  son  âme ,  et  figure  celui 
de  Jésus-Clwist  dans  la  nacelle.  Imitons  son  intrépi- 
dité ,  à  la  vue  de  la  mort  présente  ;  sa  charité ,  lors- 
qu'il veut  mourir  pour  sauver  les  compagnons  de 
son  voyage  ;  sa  prière  et  sa  prophétie  jusque  dans  le 
ventre  de  la  baleine.  Prions  donc  avec  lui ,  et  à  son 
exemple,  en  quelque  état  que  nous  soyons ,  en  quel- 
que abîme  que  nous  nous  sentions  plongés.  Admi- 
rons aussi  l'efficace  de  sa  prédication  ;  et  ne  faisons 
pasmoinspourJésus-Christ,  nous  qui  sommes  chré- 
tiens, que  les  Ninivites,  qui  n'étaient  que  des  infi- 
dèles, éloignés  de  l'alliance  de  Dieu*  firent  pour 
Jonas.  Enfin  en  contemplant  ces  vives  figures  que 
le  Saint-Esprit  nous  a  tracées  de  Jésus-Christ,  pré- 
parons-nous à  entendre  la  vérité  qui  a  été  accom- 
plie en  sa  personne.  Amen,  amen. 

*  Job.  xxxviu ,  XXXIX ,  XL ,  xLi.  —  »  Ibid.  xui ,  7,  s. 


«70 


MÉDITATIONS  SLR  L'ÉVANGILE 

LA  CÈNE. 


CE 


PREMIÈRE  PARTIE. 

QXn    S'ïST    PASSE    DA.NS     LE    CÉNACLE, 
AVANT   QUE   JÉSUS-CHRIST   SORTIT. 


ET 


PREMIER  JOUR. 

iLe  Cénacle  préparé. 

Kous  contiHUCTons  à  partager  ces  Méditations  en 
journées  ;  et  nous  lirons  le  premier  jour  dans  le  cha- 
pitre XXVI  de  saint  Matthieu,  les  versets  17,  18, 
19  ;  du  xiv^  de  saint  Marc ,  leverset  1 2  jusqu'au  17  ; 
et  du  xxii'  de  saint  Luc,  depuis  le  verset  7  jus- 
qu'au 13. 

Ju  premier  jour  des  azymes,  à  la  fin  duquel  il 
fallait  immoler  l'agneau  pascal,  les  disciples  vinrent 
«  Jésus  :  et  comme  ils  savaient  combien  il  était  exact 
à  toutes  les  observances  de  la  loi ,  ils  lui  deman- 
dèrent où  il  voulait  qu'on  lui  préparât  la  pâque  '. 
Ce  sont  les  disciples  qui  lui  en  parlent.  Les  maîtres , 
à  l'exemple  de  Jésus-Christ,  doivent  accoutumer 
tous  ceux  qui  sont  à  iearchatfçe,  à  songer  d'eux- 
fflêmes  à  ce  que  requièrent  la  loi  de  Dieu  et  son 
service ,  et  à  demander  sur  cela  l'ordre  du  maître. 
El  Jésus  leur  dit  :  Allez  à  la  ville,  à  un  certain 
homme  ».  Les  évangélistes  ne  le  nomment  pas  :  et 
Jésus  même,  sans  le  nommer  à  ses  disciples,  leur 
donna  seulement  des  marques  certaines  pour  le  trou- 
ver. JUez,  dit-il  ^,àla  ville.  En  y  entrant,  vous  y 
rencontrerez  un  Jwmme  qui  portera  une  cruche 
d'eau  :  vous  le  suivrez  ;  et  entrant  dans  la  maison 
où  il  ira ,  vous  direz  au  maître  :  Où  est-le  lieu  où 
je  dois  manger  Ut,  pâque  avec  mes  disciples?  et  il 
vous  montrera  une  grande  salle  tapissée  :  prépa- 
rez-nous-y tout  ce  qu'il/audra. 

Saint  Marc  nous  apprend  qu'il  donna  cet  ordre  à 
deux  de  ses  disciples;  et  saint  Luc  nomme  saint 
Pierre  et  saint  Jean. 

Voici  quelque  chose  de  grand  qui  se  prépare  et 
quelque  chose  de  plus  grand  que  la  pâque  ordinaire, 
puisqu'il  envoie  les  deux  plus  considérables  de  ses 
apôtres;  saint  Pierre  qu'il  avait  mis  à  leur  tête ,  et 
gaint  Jean  qu'il  honorait  de  son  amitié  particulière. 
Les  évangélistes  ne  marquent  point  que  ce  fût  son 
ordinaire  d'en  user  ainsi  aux  autres  pâques ,  ni  aussi 
qu'il  eût  accoutumé  de  choisir  un  lieu  où  il  y  eût 
une  grande  salle  tapissée.  Aussi  les  saints  Pères  ont- 
ils  remarqué,  que  cet  appareil  regardait  l'institution 
de  l'eucharistie.  Jésus-Christ  voulait  nous  faire  voir 
avec  quel  soin  il  fallait  que  fussent  décorés  les  lieux 
consacrés  à  la  célébration  de  ce  mystère.  Il  n'y  a  que 
dans  cette  circonstance,  où  il  semble  n'avoir  pas 
voulu  paraître  pauvre.  Les  chrétiens  ont  appris  par 
cet  exemple  tout  l'appareil  qu'on  voit  paraître,  dès 
les  premiers  temps,  pourcélébrer  avec  honneur  l'eu- 
charistie, selon  les  facultés  des  églises.  Mais  ce  qu'ils 


doivent  apprendre  principalement,  c'est  à  se  pré- 
parer eux-mêmes  à  la  bien  recevoir  :  c' est-a-dire  à 
lui  préparer,  comme  une  grande  salle ,  un  cœur  di- 
laté par  l'amour  de  Dieu,  et  capable  des  plus  gran- 
des choses;  avec  tous  les  ornements  de  la  grâce  et 
des  vertus ,  qui  sont  représentés  par  cette  tapisserie 
dbnt  la  salle  était  parée.  Préparons  tout  à  Jésus  qui 
vient  à  nous  :  que  tout  soit  digne  de  le  recevoir. 

L«  signe  que  donne  Jésus  de  ce  porteur  d'eau , 
devait  faire  entendre  à  ses  disciples  que  les  actions 
les  plus  vulgaires  sont  dirigées  spécialement  par  la 
divine  providence.  Qu'y  avait-il  de  plus  ordinaire , 
et  qui  parût  davantage  se  faire  au  hasard ,  que  la 
rencontre  d'un  homme  qui  venait  de  quérir  de  l'eau 
à  quelque  fontaine  hors  de  la  ville  .^  et  qu'y  avait-il 
qui  parût  dépendre  davantage  de  la  pure  volonté , 
pour  ne  pas  dire  du  pur  caprice  de  cet  homme ,  que 
de  porter  sa  cruche  d'eau  dans  cette  maison ,  au  mo- 
ment précis  que  les  deux  disciples  devaient  entrer 
dans  la  ville  ?  Et  néanmoins  cela  était  dirigé  secrè- 
tement par  la  sagesse  de  Dieu  ;  et  les  autres  actions 
semblables  le  sont  aussi  à  leur  manière,  et  pour  d'au- 
tres fins  que  Dieu  conduit  :  de  sorte  que  s'il  arrive 
si  souvent  des  événements  si  remarquables  i>ar  ces 
rencontres ,  qu'on  appelle  fortuites ,  il  faut  croire 
que  c'est  Dieu  qui  ordonne  tout,  jusqu'à  nos  moin- 
dres mouvements ,  sans  pourtant  intéresser  notre 
liberté ,  mais  en  dirigeant  tous  les  mouvements  à  ces 
tins  cachées. 

Cet  exemple  nous  fait  voir  que  Jésus  avait  des 
disciples  cachés,  que  ses  apôtres  ne  connaissaient 
pas  :  si  ce  n'est  quand  de  certaines  raisons  l'obli- 
geaient à  les  leur  déclarer.  Ainsi,  quand  il  voulut 
faire  son  entrée  dans  Jérusalem  ,  il  envoya  encore 
deux  de  ses  disciples  à  un  village  qu'il  leur  désigna  ; 
et  leur  ordonna  d'en  amener  une  ânesse  qu'ils  y 
trouveraient  avec  son  ânon  :  les  assurant  qu'aussi- 
tôt qu'ils  diraient  que  le  Seigneur  en  avait  araire, 
on  les  laisserait  aller'.  Il  avait  donc  plusieurs  dis- 
ciples de  cette  sorte ,  et  à  la  ville  et  à  la  campagne , 
dont  il  connaissait  la  fidélité  et  l'obéissance  :  et  ce- 
pendant il  ne  les  découvrait  à  ses  disciples  que  dans 
le  besoin  ;  leur  apprenant  par  ce  moyen  la  discré- 
tion avec  laquelle  ils  devaient  ménager  ceux  qui  se 
fieraient  à  eux ,  quand  ce  ne  serait  que  pour  ne  leur 
point  faire  de  peine  inutile,  et  ne  leur  point  attirer 
de  haine  sans  nécessité.  Cette  discrétion  des  disci- 
ples leur  fait  taire  encore  dans  leurs  évangiles ,  et  si 
longtemps  après  la  mort  du  Seigneur,  le  nom  de  celui 
dont  il  avait  ainsi  choisi  la  maison ,  aussi  bien  que 
de  celui  où  il  envoya  quérir  l'ânon  et  l'ânesse.  Ils  ne 
taisaient  pas  de  même  d'autres  noms  :  et,  par 
exemple,  non-seulement  on  a  remarqué  que  celui  qui 
lui  aida  à  porter  sa  croix,  était  un  nommé  Simon 
'_  Cyrénéen  ;  mais  on  circonstancié  encore  qu'iY  était 
I  pèj'e  d'Alexandre  et  de  Ru/us  » ,  connus  parmi  les 
fidèles.  Tout  se  doit  faire  avec  raison  :  il  y  a  des  per- 
sonnes qu'il  faut  nommer  pour  mieux  circonstancier 
les  choses;  il  y  en  a  d'autres  qu'une  certaine  discré- 
tion oblige  de  taire. 


I  Matth.  XXVI,  17.  Marc    xiv,  12.  —  '  .Va  «/t.  XXVI,  18.—  '  Matth.  xxi,  2,  3.  Marc,  xi,  2,  3.  Luc.  XIX,  SO,  31. 

5  Luc.  XXII ,  8  ,  10  et  seq.  i  »  Marc,  xv,  2i. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


Saint  Pierre  et  saint  Jean  trouvèrent  les  choses 
convne  Notre-Seigneur  les  leur  avait  dites.  Le  por- 
teur d'eau  ne  manqua  pas  de  se  trouver  à  l'endroit 
de  la  ville  par  où  ils  entraient ,  et  d'aller  à  la  maison 
que  Notre-Seigneur  avait  choisie  :  comme  l'ânon 
s'était  trouvé  à  point  nommé  à  l'entrée  de  ce  village , 
lié  à  une  porte  entre  deux  chemins.  Il  se  trouva 
aussi  là,  avec  beaucoup  d'autres  personnes  incon- 
nues ,  un  homme  qui  demanda  aux  deux  disciples 
ce  qu'ils  voulaient  faire  de  cet  dnon  •.  Et  il  sem- 
blait que  le  hasard  l'eût  fait  parler;  mais  non  :  car 
c'était  précisément  celui  qui  devait  laisser  aller  cet 
animal  au  premier  mot  des  disciples,  selon  la  parole 
de  leur  maître.  Enfin  il  se  trouva  que  cet  ânon  n'a- 
vait jamais  été  monté.  Car  il  le  fallait  ainsi  pour  ac- 
complir le  mystère,  et  pour  montrer  que  le  Sauveur 
devait  unjourmonter  etconduireun  peuple  indocile, 
c'est-à-dire,  le  peuple  gentil,  qui  jusqu'à  lui  n'avait 
point  de  loi,  ni  personne  qui  l'eûtpu  dompter.  Tout 
est  conduit,  les  petites  choses  Comme  les  plus  gran- 
des; et  tout  cadre  avec  les  grands  desseins  de 
Dieu. 

Voilà  donc  tout  disposé.  Le  grand  cénacle  tapissé 
est  prêt;  on  y  attend  le  Sauveur.  Voyons  mainte- 
nant les  grands  spectacles  qu'il  y  va  donner  à  ses 
fidèles.  Contemplons ,  croyons,  profitons;  ouvrons 
le  coeur  plutôt  que  les  yeux. 

IV  JOUR, 

la  p&qoe.  La  xk  du  cbrélien  n'est  qtfun  passage. 

Lisons  les  paroles  de  saint  Jean ,  xiii ,  1 .  De- 
vant le  jour  de  Pâques,  Jésus  sachant  qu£  son 
heure  était  venue  de  passer  de  ce  monde  à  son 
Père;  comme  il  avait  aimé  les  siens,  qui  étaient 
dans  le  monde,  il  les  aima  jusqu'à  la  fin. 

On  sait  que  le  mot  de  pâque  signifie  passage. 
Une  des  raisons  de  ce  nom ,  qui  est  aussi  celle  que 
saint  Jean  regarde  en  ce  lieu ,  c'est  que  la  fête  de 
Pâques  fut  instituée  lorsque  Tancien  peuple  de- 
vait sortir  dé  l'Egypte,  pour  passer  à  la  terre 
promise  à  leurs  pères;  ce  qui  était  la  figure  du 
passage,  que  devait  faire  le  peuple  nouveau ,  de 
la  terre  à  la  céleste  patrie.  Toute  la  vie  chrétienne 
consiste  à  bien  faire  ce  passage^  et  c'est  à  quoi 
Notre-Seigneur  va  diriger  plus  que  jamais  toute 
M  conduite,  aiasi  que  saint  Jean  semble  ici  nous 
en  avertir. 

La  première  chose  que  nous  devons  remar- 
quer, c'est  que  nous  devons  faire  cette  pàque  ,  ou 
ce  passage,  avec  Jésus-Christ.  Et  c'est  pourquoi 
•et  évangéliste  commence  le  récit  de  cette  pàque 
de  Notre-Seigneur  par  ces  mots  :  Devant  l^jour 
de  Pâques,  Jésus  sachant  qu'il  devait  passer  de 
ce  monde  à  son  Père. 

G  Jésus!  je  me  présente  à  vous,  pour  faire  ma 
pàque  en  votre  compagnie  :  je  veux  passer  avec 
vous  du  monde  à  votre  Père,  que  vous  avez  voulu 
qui  fût  le  mien.  Le  monde  passe,  dit  votre  apô- 
tre* :  la  figure  de  ce  monde  passe^\  mais  je  ne 
veux  point  passer  avec  le  monde,  je  veux  passer 

•  Marc.  XI.  4  ,  5  ,  e   —  »  /.  Josin.  II.I7.  —  '  I.  Cor.  \ll,  31. 


en 

à  votre  Père.  C'est  le  voyage  que  j'ai  à  faire ,  je  \% 
veux  faire  avec  vous.  Dans  l'ancienne  pâque,  les 
Juifs  qui  devaient  sortir  de  l'Egypte,  pour  pas- 
ser à  la  terre  promise,  devaient  paraître  en  habit 
de  voyageurs ,  le  bâton  à  la  main ,  une  ceinture 
sur  les  reins,  afin  de  relever  leurs  habits,  leurs 
souliers  mis  à  leurs  pieds,  toujours  prêts  à  al- 
ler et  à  partir;  et  ils  devaient  se  dépécher  <te 
manger  la  pâque  ' ,  afin  que  rien  ne  les  retînt , 
et  qu'ils  se  tinssent  prêts  à  marcher  à  chaque  mo- 
ment. C'est  la  figure  de  l'état  où  se  doit  mettre 
le  chrétien  pour  faire  sa  pâque  avec  Jésus-Christ, 
pour  passer  à  son  Père  avec  lui.  O  moh  Sauveur! 
recevez  votre  voyageur,  me  voilà  prêt,  je  ne 
tiens  à  rien;  je  veux  passer  avec  vous  de  ce 
monde  à  votre  Père. 

D'où  me  vient  ce  regret  de  passer?  Quoi!  je 
suis  encore  attaché  à  cette  vie?  Quelle  erreur  me 
retient  dans  ce  lieu  d'exil?  Vous  allez  passer, 
mon  Sauveur!  et,  résolu  que  j'étais  de  passer  avec 
vous,  quand  on  me  dit  que  c'est  tout  de  bon  qu'il 
faut  passer,  je  me  trouble ,  je  ne  puis  supporter 
ni  entendre  cette  parole.  Lâche  voyageur!  que 
crains-tu  ?  Le  passage  que  tu  vas  faire ,  est  celui 
que  le  Sauveur  va  faire  aussi  dans  notre  évan- 
gile :  craiodras-tu  de  passer  avec,  lui  ?  Mais  écoute  : 
Jészis  sachant  que  son  heure  était  venue  de  passer 
de  ce  monde  ».  Qu'y  a-t-il  de  si  aimable  dans  ce 
monde,  que  tu  ne  veuilles  point  le  quitter  avec  le 
Sauveur  Jésus?  Le  quitterait-il,  s'il  était  bon  d'v 
demeurer?  Mais  écoute,  encore  un  coup,  chrétien  : 
Jésus  passe  de  ce  monde  pour  aller  à  son  Père. 
S'il  fallait  seulement  sortir  du  monde ,  sans  aller  à 
quelque  chose  de  mieux  ;  quoique  ce  monde  soit 
peu  de  chose,  et  qu'on  ne  perdît  pas  beaucoup  eh 
le  perdant ,  on  pourrait  y  avoir  regret ,  parce  qu'en- 
fin on  n'aurait  rien  de  meilleur.  Mais,  chrétien, 
ce  n'est  pas  ainsi  que  tu  dois  passer.  Jésus  passe  da 
ce  monde ,  mffis  pour  aller  à  son  Père.  Chrétien , 
qui  dois  aller  avec  lui,  tu  passes  à  un  père;  le 
lieu  d'où  tu  sors  est  un  exil  ;  tu  retournes  à  la 
maison  paternelle. 

Passons  donc  de  ce  monde  avec  joie;  mais  n'at- 
tendons pas  le  dernier  moment ,  pour  commencer 
notre  passage.  Lorsque  les  Israélites  sortirent 
d'Egypte,  ils  ne  devaient  pas  arriver  d'abord  à 
la  terre  promise  :  ils  avaient  quarante  ans  à  voya- 
ger dans  le  désert;  ils  célébraient  néanmoins  leur 
pâque ,  parce  qu'ils  sortaient  de  l'Egypte ,  et  qu'il» 
allaient  commencer  leur  voyage.  Apprenons  à 
célébrer  notre  pâque  dès  le  premier  pas  :  que 
notre  passage  soit  perpétuel  :  ne  nous  arrêtons 
jamais;  ne  demeurons  point,  mais  campons  par- 
tout à  l'exemple  des  Israélites  :  que  tout  nous  soit 
un  désert,  ainsi  qu'à  eux;  soyons  comme  eux 
toujours  sous  des  tentes;  notre  maison  est  ail- 
leurs :  marchons  ,  marchons ,  marchons  ;  passons 
avec  Jésus-Christ  :  mourons  au  monde,  mou- 
rons-y tous  les  jours  :  disons  avec  l'apôtre  :  Je 
•meurs  tous  lesjours^  :  je  ne  suis  pas  du  monde; 
je  passe,  je  ne  tiens  à  rien. 

'  Exoé.  xn,  H.  —  »  Jean,  xni ,  I.  —  »  I.  Cor.  XT,  31. 


•672 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


nie  JOUR. 

Lavement  des  pieds.  Puissance  de  Jésus-Ciuisl  ;  son 
humilité.  Juan,  xm,  I,  B. 

Comme  il  avait  toujours  aimé  les  sîe)is,  il  les 
aima  jusqu'à  lafin\  En  ce  moment  de  son  pas- 
sage, lorsqu'il  les  allait  quitter,  il  les  aima  plus 
que  jamais,  et  leur  donna  des  marques  plus  sen- 
sibles de  son  amour.  C'était  la  consolation  qu'il 
leur  voulait  laisser  en  les  quittant.  En  effet,  tout 
ce  qu'il  leur  dit  est  plus  tendre;  tout  ce  qu'il  fait, 
plus  rempli  d'amour  :  témoin  l'eucharistie  qu'il 
leur  "va  donner.  Mais  voici  par  où  il  commence. 
Après  le  souper,  le  diable  ayant  déjà  mis  dans 
te  cœur  de  Judas ,  fils  de  Simon  Iscariote ,  le  des- 
sein de  le  livrer  :  Jésus  sachant  que  son  Père  lui 
ax'aittout  mis  entre  les  mains,  et  qu'il  était  sorti 
<le  Dieu,  et  qull  y  retournait  ;  il  se  leva  de  table, 
quitta  ses  habits ,  et  mit  un  linge  devant  lui  ; 
puis  aijarit  versé  de  l'eau  dans  un  bassin,  il  com- 
mença à  laver  les  pieds  de  ses  disciples,  et  les 
essuya  avec  le  linge  qu'il  avait  attaché  autour  de 
lui  ».  Voilà  notre  lecture  d'aujourd'hui.  Qu'elle  est 
belle! qu'elle  est  ravissante!  Mon  Sauveur,  vous  me 
remplissez  de  consolation  par  la  lecture  de  votre 
Évangile!  En  quelque  endroit  que  je  l'ouvre,  j'y 
trouve  partout  ces  consolations,  et  des  paroles  de 
vie  éternelle  ;  mais  je  ne  sais  si  j'y  ai  lu  rien  de 
plus  touchant  que  cet  endroit.  Mon  Sauveur,  aug- 
mentez ma  joie  dans  cette  sainte  lecture,  afin 
•que  la  chaste  délectation  dont  elle  me  remplit 
m'ôte  tout  le  goût  des  joies  du  monde.  Mais  pour 
cela  il  faut  peser  toutes  les  paroles. 

Après  le  souper^  :  saint  Jean  va  parler  d'un 
autre  souper,  où  il  était  couché  sur  le  sein  de 
Jésus;  où  Jésus  donna  à  Judas  le  morceau 
trempé  <.  Voilà  donc  un  autre  souper.  Il  y  en  eut 
deux,  dont  le  dernier  se  fil  après  le  lavement 
des  pieds;  et  ce  fut  celui  où  il  insti|pa  l'eucharis- 
tie :  souper  de  cérémonie ,  qui  peut-être  fut  pré- 
cédé du  souper  de  l'agneau  pascal.  Je  n'entre  pas 
dans  ces  questions,  je  ne  cherche  qu'à  m'édifier  : 
«t  il  me  suffit  d'entendre  que  le  festin  où  l'eucha- 
ristie fut  instituée  fut  un  festin  particulier,  qui 
fut  tout  plein  de  mystère,  comme  nous  le  verrons 
bientôt.  Que  le  premier  donc  soit  celui  où  l'on  sa- 
tisfit au  besoin.  Voilà  Jésus  qui  se  lève,  et  qui 
sort  de  table;  et  pour  préparer  ses  disciples  au 
mystérieux  festin  qu'il  leur  préparait ,  il  leur  lave 
les  pieds. 

Jésus  sachant  que  son  Père  lui  avait  tout 
remis  entre  les  mains,  et  qu'il  était  sorti  de 
Dieu  et  retournait  à  Dieu^.  Arrêtons-nous  : 
saint  Jean  est  ici  tout  occupé  des  grandeurs  et  de 
la  puissance  de  Jésus;  et  il  nous  veut  remplir  de 
cette  idée,  afin  que  la  peinture  qu'il  nous  va 
faire  de  son  humilité  et  de  son  amour  soit  plus 
vive.  Arrêtons-nous  donc,  encore  un  coup,  et 
goûtons  cette  première  parole  :  Son  Père  lui  a 
tout  remis  entre  les  mains,  selon  ce  qu'il  a  dit 

«  Joan.  xm,  l.  —  '  TtiJ.  2,  3,  4,  6.  -r^Ibid.  2.  —  *  Ibid. 
23 ,  ac   —  '  Joan  XIII ,  3. 


lui-même  :  Tout  a  été  f)ûs  •eritre  mes  mains  pat* 
mon  Père  ».  Et  ailleurs  :  I.a  toute-puissance 
m'est  donnée  dans  le  ciel  et  daîis  la  terre  ^.  Et 
quoique  cette  puissance  lui  appartînt  naturelle- 
ment, parce  que  dès  le  commencement  il  était 
Dieu,  toujours  résidant  en  Dieu  et  inséparable 
de  lui,  et  qu'il  était  ce  Yerbe-Dieu,  par  qui  Dieu 
a  tout  tiré  du  néant;  le  Père  par  ce  moyen  ne 
pouvant  avoir  aucune  créature  qui  ne  soit  la 
créature  du  Fils  et  ne  lui  doive  le  même  hom- 
mage ,  conformément  à  cette  parole  :  7'out  ce  qui 
est  à  moi,  est  à  vous;  et  tout  ce  qui  est  à  vous , 
est' a  moi^  :  néanmoins  cette  puissance  lui  ve- 
nait de  son  Père ,  qui ,  la  lui  ayant  déjà  donnée 
par  son  éternelle  naissance,  la  lui  donnait  au 
temps  de  sa  passion  d'une  façon  particulière; 
parce  que  c'était  par  sa  passion  qu'il  devait  tout 
acquérir,  et  avoir  à  titre  d'achat  et  d'acquisition 
ce  qu'il  avait  déjà  naturellement  et  par  le  droit 
de  sa  naissance.  Et  celui  à  qui  tout  est  donné 
d'une  manière  si  excellente,  c'est  celui  qui  nous 
va  laver  les  pieds.  Voilà  où  saint  Jean  en  veut 
venir.  Humilions-nous  donc  de  notre  côté.  O  Jé- 
sus! je  me  soumets  à  votre  empire;  à  celui  que 
vous  avez  sur  moi ,  comme  Créateur,  à  celui  que 
vous  avez  comme  Rédempteur  :  vous  êtes  mon 
souverain  Seigneur,  mon  doux  et  unique  Maître  : 
F^ous  êtes  le  Fils  de  Dieu,  vous  êtes  le  roi  d'Js" 
raél*.  Quelle  obéissance  ne  vous  dois-je  pas, 
étant  à  vous  à  tant  de  titres ,  et  par  des  titres  de 
cette  nature,  si  authentiques,  si  immuables,  si 
aimables,  si  divins! 

IV«  JOUR. 

Tout  remis  entre  les  mains  de  Jésas-Chrlst ,  spéclaleraenl 
les  élus.  ibid. 

Tout  lui  a  été  remis  en  main  par  son  Père''. 
Ce  tout,  qui  lui  a  été  remis  en  main  par  son  Père  ^ 
est  principalement  ^;e  tout  dont  il  a  dit  :  Tout  te 
que  mon  Père  me  donne,  vient  à  moi^.  Et  ce  tout 
c'est  son  Église  ;  c'est  dans  son  Église  spécialement 
les  saints,  et  parmi  les  saints  ceux  qui  le  sont  jus- 
qu'à la  fin,  et,  en  un  mot,  les  élus.  Voilà  c*  tout 
bienheureux  qui  est  spécialement  remis  par  le  Père 
entre  les  mains  de  Jésus ,  et  dont  il  a  dit  lui-même  : 
Ils  étaient  à  vous,  et  vous  me  les  avez  donnés. 
Et  un  peu  devant  :  Fous  avez  donné  puissance  sur 
toute  chair,  sur  tous  les  hommes,  à  votre  Fils,  afin 
qu'il  donne  la  vie  éternelle  à  tout  ce  que  vous  lui 
avez  donnéi.  Ajoutons  toujours  :  Et  celui  à  qui  le 
Père  a  remis  en  main  tout  ce  qui  lui  est  de  plus 
cher,  c'est-à-dire  ses  élus,  ses  bien-aimés,  c'est 
celui  qui  va  nous  laver  les  pieds.  Mon  Sauveur,  vous 
vous  abaissez  jusque-là!  Il  est  juste  que  je  m'a- 
baisse devant  vous.  Mon  Sauveur,  que  je  sois  de 
ce  '  tout  que  votre  Père  vous  a  donné ,  afin  que 
vous  lui  donniez  la  vie  éternelle!  J'en  serai,  si 
je  suis  fidèle  à  votre  grâce ,  si  je  garde  vos  com- 
mandements. Donnez-moi  ce  que  vous  me  com- 

I  Matth.  XI,  27.  —  *  Ii*id.  xxviu,  18.  —  '  Joan.  xvn,  10. 
—  *  rbid.  1 ,  49.—  »  Matth.  xi ,  27 ,  —  «  Joan.  y\..  37-  —  '  Ibiû. 
XVII,  6,2. 


MÉDITATIONS  SUR  L'RVANGILK. 


6/3 


mandez;  afin  que  je  sois  de  ce  troupeau  béni, 
dont  vous  avez  dit  :  Mes  brebis  entendent  ma 
voix ,  je  les  confiais ,  et  elles  me  suivent  ;  et  je 
leur  donne  la  vie  éternelle.  Ce  que  mon  Père 
m'a  donné  est  plus  grand  que  tout;  lui-même 
gui  me  Ca  donné,  est  au-dessus  de  toutes  cho- 
ses :  et  l'on  ne  peut  rien  ôter  de  mes  mains 
non  plus  que  des  siennes,  parce  que  mon  Père 
et  moi  ne  sommes  qu'une.  Qu'y  a-t-il  à  craindre 
après  cela?  Rien  du  tout,  sinon  de  manquer  à 
sa  vocation;  ii  n'y  a  qu'à  s'abandonner  à  ces 
mains  toutes-puissantes,  et  à  dire  à  Jésus  :  O 
Seigneur l  j'espère  en  vous;  je  me  livre  à  vous, 
je  ne  serai  point  conjondu  ». 

¥•=  JOUR. 

Jésos-Christ ,  vrai  Dieu,  et  vrai  homme.  Joan.  xin,  3. 

La  même  lecture,  et  s'arrêter  à  ces  paroles  : 
Jésus  sac/tant  que  tout  lui  était  remis  entre  les 
mains,  et  qu'il  était  sorti  de  Dieu,  et  qu'il  retour- 
nait à  Dieu  3.  Sorti  de  Dieu  sans  altération ,  sans 
succession,  sans  ordre  de  temps ,  avec  une  inexpli- 
cable pureté,  comme  le  rayon  sort  du  soleil  sans 
s'en  séparer,  et  toujours  partant  en  lui-même  toute 
la  vertu  de  son  principe;  ce  qui  fait  que  saint  Paul 
l'appelle,  Y  éclat  et  le  rejaillissement  de  la  gloire 
de  son  Père^  :  sorti  néanmoins,  non  par  extension 
comme  le  rayon  qui  n'est  que  la  lumière  étendue, 
et  portée  bien  loin  au  dehors  ;  mais  sorti  de  Dieu 
comme  la  pensée  sort  de  l'esprit,  en  y  demeurant 
toujours  :  sorti  de  lui,  par  conséquent,  comme  quel- 
que chose  de  vivant,  ou  plutôt  comme  la  vie  même; 
ce  qui  fait  dire  à  saint  Jean,  que  la  vie  était  en 
lui^  :  c'est-à-dire  qu'elle  y  était  comme  dans  le 
Père,  qu'elle  y  était  comme  dans  sa  source  ;  selon 
ce  qu'il  dit  lui-même  de  sa  propre  bouche  :  Comme 
le  Père  a  la  vie  en  lui-même;  ainsi  a-t-il  donné  au 
Fils  S'avoir  la  vie  en  lui-même^.  Il  est  donc  sorti 
de  Dieu  de  cette  manière,  vivant  de  vivant,  vie 
de  la  vie;  sorti  par  la  parfaite  connaissance  qu'il  a 
éternellement  de  lui-même,  comme  sa  pensée ,  son 
intelligence,  sa  sagesse;  comme  sa  parole  intérieure, 
par  laquelle  il  se  dit  à  lui-même  tout  ce  qu'il  est; 
comme  l'expression  vive  et  naturelle  de  ses  perfec- 
tions et  de  tout  son  être  ;  comme  portant  en  lui-même 
toute  sa  beauté  ;  comme  étant  sa  vive  et  parfaite 
image ,  et  Vempreinte  de  sa  substance  :.  Sorti  par 
conséquent  comme  un  autre  lui-même,  comme  son 
Fils,  de  même  nature  que  lui;  Dieu  comme  lui; 
mais  un  même  Dieu  avec  lui ,  un  même  Dieu  que 
lui  :  parce  qu'il  ne  sort  pas  par  l'effusion  d'une  partie 
de  sa  substance;  mais  il  sort  de  toute  sa  substance, 
puisque  sa  substance  ne  souffre  pas  de  division  ni 
de  partage  :  de  sorte  que  sa  substance,  sa  vie,  sa 
divinité  lui  est  communiquée  tout  entière;  lui  est 
commune  avec  le  Père ,  à  qui  il  ne  reste  rien  de 
propre  et  de  particulier  que  d'être  Père  :  comme  il 
ne  reste  à  la  source  que  d'être  la  source,  tout  le 

'  Joan.  X,  27,  28,  20,  30.  —  ^Ps.  XXX,  I.—  ^Joan.  xni,  .3. 
—  *  Sebr.  I,  3  —  *  Joan.  f,  4.  —  «  Ibid.  v,  26.  —  '  Bebr.  i ,  3. 
BOSSCET.  —  TOME  m. 


reste,  pour  ainsi  parler,  passant  tout  entier  dans 
le  ruisseau. 

Voilà ,  autant  qu'il  est  permis  aux  hommes  de 
bégayer  ,  voilà,  d'is-je,  ce  que  c'est  que  sortir  d«i 
Dieu.  Ce  sont  les  expressions  dont  se  sert  l'Écri- 
ture sainte,  pour  aider  notre  faible  intelligence, 
pour  l'élever  au-dessus  d'elle-même.  Et  tout  cela 
nous  est  dit  en  abrégé  dans  le  symbole  de  Kicée, 
lorsqu'il  y  est  dit  que  le  Fils  de  Dieu  est  engendré 
et  sorti  de  la  substance  de  son  Père,  Dieu  de  Dieu, 
lumière  de  lumière,  vrai  Dieu  d'un  vrai  Dieu,  de 
même  substance  que  son  Père,  et  un  même  Dieu 
avec  lui ,  parceque  le  Seigneur  notre  Dieu  est  un 
seul  Dieu,  et  que  tout  ce  qui  est  Dieu  et  vrai  Dieu, 
ne  peut  être  qu'un;  l'unité  étant  la  substance  et 
l'essence  même  de  la  divinité.  Mais  pourquoi  se  per- 
dre aujourd'hui  dans  ces  sublimes  pensées  ?  si  ce 
n'est  pour  considérer  avec  saint  Jean ,  par  une 
ferme  et  vive  foi ,  que  vous ,  mon  Sauveur,  étant 
Dieu,  égal  à  Dieu,  un  et  même  Dieu  avec  votre  Père, 
d'oij  vous  êtes  sorti  en  demeurant  éternellement 
dans  son  sein;  néanmoins  vous  avez  voulu  vous 
rabaisser  jusqu'à  laver  nos  pieds,  vous  humiliant 
de  cette  sorte  devant  votre  créature  pour  nous  ap- 
prendre à  nous  humilier,  non-seulement  devant 
vous ,  mais  encore  devant  nos  frères ,  devant  nos 
égaux ,  devant  des  hommes  faits  comme  nous ,  de- 
vaut  nos  inférieurs,  si  notre  bassesse  naturelle  nous 
permet  de  mettre  quelqu'un  en  ce  rang. 

VP  JOUR. 

Jésns-Christ  Dieu  de  Dieu ,  sorti  de  Dieu.  Ibtd. 

Encore  la  même  lecture ,  le  même  mot  :  Sorti 
de  Dieu  '.  Vous  êtes,  mon  Sauveur,  sorti  de  Dieu; 
sorti  premièrement  dans  l'éternité ,  conformément 
à  cette  parole  de  Michée  :  5a  sortie  est  dés  les  jours 
de  l'éternité  »  ;  d'une  parfaite  coexistence  avec  Dieu, 
de  qui  vous  sortez  :  autrement ,  vous  ne  seriez  pas 
le  rayon  de  ce  soleil ,  vous  ne  seriez  pas  l'éclat  de 
sa  gloire,  ni  l'empreinte  de  sa  substance,  puis- 
que sa  substance  c'est  l'éternité  :  vous  ne  seriez  pas 
sa  pensée,  vous  ne  seriez  pas  son  Fils,  le  Fils  par- 
fait d'un  Père  parfait;  d'un  Père  toujours  parfait, 
pour  produire,  pour  engendrer,  comme  pour  être. 
Vous  êtes  donc  sorti  de  Dieu  dans  l'éternité,  avant 
tous  les  temps;  mais  sorti  de  Dieu  dans  le  temps, 
lorsque  votre  Père  qui  vous  engendre,  et  vous  porte 
éternellement  dans  son  sein ,  unit  à  votre  personne 
qui  lui  est  égale  et  coéternelle ,  dans  le  sein  de  la 
bienheureuse  Vierge ,  la  nature  humaine  tout  en- 
tière, c'est-à-dire  une  âme  unie  à  un  corps  humain. 
aQn  que  le  même  qui  est  Dieu  parfait  fût  aussi 
homme  parfait  :  Fils  de  Dieu  et  Fils  de  Marie,  le 
même  Fils,  le  même  Dieu.  En  cette  sorte,  ô  Jésus  ! 
vous  êtes  encore  sorti  de  votre  Père  éternel ,  parce 
que  vous  n'avez  point  eu  d'autre  Père  que  lui  ;  el 
que  la  mère  que  vous  avez  eue  est  demeurée  vierge, 
n'ayant  été  rendue  féconde  qu'à  cause  que  le  Saint- 
Esprit  est  survenu  en  elle,  et  que  la  vertu  du  Tris* 

■  Joan.  xm,  3.  —  *  Mieh.  T,  s. 


674 


MÉDITATIONS  SÛR  L'ÉVaNGIEiE. 


Haut  l'a  couverte  de  son  ombrer  Conçu  d'une  ma- 
nière si  pure  et  si  divine  ,  celle  dont  vous  êtes  né 
ne  l'est  pas  moins  :  puisque  conçu  du  Saint-Esprit, 
vous  êtes  né  de  Marie  toujours  vierge  ;  et  vous  sor- 
tez en  cette  sorte  pour  paraître  aux  hommes,  comme 
vous  dites  vous-même  :  Je  suis  sorti  de  mon  Père, 
et  je  suis  venu  dans  lemonde  *  :  non  que  vous  soyez 
venu  où  vous  n'étiez  pas;  mais  vous  avez  paru,  où 
vous  ne  paraissiez  pas  :  et  voilà  votre  sortie  dans  le 
temps,  lorsqu'étant  fait  homme  mortel ,  vous  avez 
paru  parmi  les  mortels. 

C'est  ainsi  que  vous  êtes  venu  dans  le  monde  en 
qwalité  d'homme;  mais  en  même  temps  vous  êtes 
demeuré  comme  Dieu  dans  le  sein  de  votre  Père  , 
selon  ce  que  disait  saint  Jean  votre  précurseur  : 
Personne  n'a  jamais  vu  Dieu;  mais  le  Fils  unique 
qui  est  datis  te  sein  de  son  Père  nous  en  a  raconté 
les  merveilles^,  nous  l'a  fait  connaître.  Et ,  comme 
vous  dites  vous-même,  Personne  n'est  monté  au 
#iel  que  celui  qui  est  descendu  du  ciel,  à  savoir, 
le  Fils  de  l'homme  qui  est  dans  le  ciel  ^  :  vous  en 
êtes  descendu ,  et  vous  y  êtes.  Comme  Dieu  vous 
ne  quittez  jamais  le  ciel ,  qui  est  le  lieu  de  la  gloire 
de  votre  Père ,  et  vous  ne  le  pouvez  jamais  quitter. 
Comme  homme  mortel  vous  avez  quitté  cette  gloire , 
qui  vous  était  naturelle ,  et  vous  nous  avez  paru 
dans  la  bassesse  :  et  vous  vous  êtes  fait  homme, 
et  vous  avez  habité  au  milieu  de  nous,  et  nous  avons 
vu  votre  gloire ,  comme  la  gloire  du  Fils  unique 
plein  de  grâce  et  de  vérité  ^. 

Mais  comment  est-ce  que  saint  Jean  a  dit  qu'il 
avajt  vu  votre  gloire?  Est-ce  à  cause  qu'il  vous  a 
vu  ressuscité  et  montant  aux  cieux?  ou  même  qu'il 
vous  a  vu  transfiguré  sur  le  Thabor  ?  Tout  cela  en- 
tre dans  sa  pensée;  mais  il  déclare  qu'il  vous  a  vu 
dans  votre  gloire.,  lorsqu'il  vous  a  \u  plein  de  grâce 
et  de  vérité  ;  plein  de  la  grâce  des  miracles,  et 
guérissant  tous  les  maux  de  nos  corps  ;  plein  de  la 
grâce  qui  nous  sanctitie ,  puisque  vos  apôtres  vous 
disaient  :  O  Seigiieur,  augmentez-nous  la foi^\  et 
que  cet  affligé  vous  criait  du  fond  de  son  cœur  :  Je 
crois,  Seigneur!  aidezmo7i  incrédulitéT  .Cesidonc 
ainsi  que  saint  Jean  vous  a  vu  plein  de  grâce,  et  par 
la  même  raison  il  vous  a  vu  plein  de  vétité;  parce 
que  vous  annonciez  la  vérité  aux  hommes  par  vos 
prédications,  et  qu'en  même  temps  vous  la  leur  met- 
tiez dans  le  cœur  par  l'inspiration  de  votre  grâce,  les 
illuminant  tout  ensemble  et  au  dedans  et  au  dehors. 
Nous  avons  donc  vu  votre  gloire,  même  au  mi- 
lieu de  vos  bassesses  ;  parce  que  nous  y  avons  vu 
la  vérité  et  la  grâce  dont  vous  étiez  plein,  et  plein 
non-seulement  pour  vous,  mais  encore  pour  nous  : 
puisque  noiis  avons  tout  reçu  de  votre  plénitude , 
et  grâce  pour  grâce  *,  comme  le  disait  saint  Jean- 
Baptiste  votre  précurseur. 

Nous  voyions  donc  alors  votre  gloire  au  milieu 
de  vos  infirmités  :  et  si  nous  ne  la  voyions  pas  tout 
entière;  si  en  même  temps  que  nous  nous  voyions 
des  yeux  de  la  foi ,  comme  le  Fils  unique  de  Dieu, 

«  Luc.  1 ,  35.  --  »  Joan.  xvi  ,28.-3  /j>,jf.  j,  ig.  _  4  Ibid. 
m,  13.  —  »i6»6.  I,U.  —  «lUf.  XV1I,5.  —  '  A/arc.  IX ,  23. -^ 
*  Joan.  I,  le. 


nous  vous  voyions  des  yeux  du  corps  comme  le  der- 
nier des  hommes,  comme  l'homme  de  douleurs  cl 
tout  rempli  d'inGrmités ,  comme  un  ver  et  non  pas 
comme  un  homme;  c'est  que  vous  cachiez  volon- 
tairement votre  gloire  ;  vous  en  suspendiez  l'effet  : 
ce  n'était  point  par  force  que  vous  étiez  dans  l'a- 
baissement; c'était  par  amour  et  par  bonté.  Et 
néanmoins  avec  cette  gloire  dont  vous  étiez  plein , 
et  que  vous  aviez  apportée  en  sortant  de  Dieu,  vous 
venez  nous  laver  les  pieds  !  Quand  donc  j'aurais  de 
la  gloire,  je  la  voudrais  supprimer.  Mais  je  n'en  ai 
point  :  je  n'ai  rien  ;  je  ne  suis  rien  ;  et  il  ne  s'agit 
que  d'abaisser,  ou  plutôt  il  ne  s'agit  que  de  tenir 
bas  un  pur  néant. 

Vil»  JOUR. 

Jésus-Christ  sorti  de  la  gloire  de  Dieu ,  y  devait  retourneÉ*. 
Joan.  XIII,  3. 

Les  mêmes  paroles:  Sachant  qu'il  était  sorti  de 
Dieu,  etqu'ily  retournait^  Celui  qui  est  sorti  de 
Dieu  de  cette  manière,  ne  peut  pas  qu'il  n'y  re- 
tourne. 11  y  avait  en  lui  une  grandeur ,  qui  devait 
enfin  l'emporter.  Il  ne  pouvait  s'abaisser  que  par 
condescendance,  pour  s'approcher  de  nous;  pour 
nous  apporter  ses  grâces  ;  pour  nous  donner  un  par- 
fait modèle  d'humilité,  de  douceur,  de  patience, de 
toutes  les  vertus;  pour  se  rendre  la  victime  de 
nos  péchés.  Pour  cela  il  fallait  qu'il  descendît  jus- 
qu'au tombeau;  mais,  comme  dit  saint  Pierre, 
il  n'y  pouvait  pas  être  détenu  '.  Et  il  fallait  que 
la  vie  qui  était  en  lui,  prévalût.  Il  fallait  donc  aussi 
que  s'il  quittait  sa  gloire,  il  la  reprît  bientôt;  s'il 
s'humiliait  jusqu'à  la  mort,  et  à  la  mort  de  la 
croix,  Z>/eM  devait  ensuite  l'exalter  et  lui  donner 
un  nom  qui  fût  au-dessus  de  tout  noni^,  pour  accom- 
plir aussi  ce  qu'il  a  demandé  à  son  Père  :  Mon  Père, 
glorifîez--7noienvous-même  decelte  gloire  que  j'ai 
eue  en  vous,  avant  que  le  monde  fût  ^.  C'est  ce  que 
veut  dire  saint  Jean  par  ces  paroles  :  Sachant  qu'il 
sortait  de  Dieu,  et  qu'il  y  retournait.  Car  il  n'était 
pas  possible  qu'il  demeurât  toujours  séparé  d'une 
gloire  qui  lui  était  si  naturelle;  et  non-seulement 
il  y  devait  retourner,  mais  encore  nous  y  ramener 
avec  lui  :  ce  qui  aussi  lui  a  fait  dire  :  Mon  Père ,  je 
veux  que  là  où  je  suis ,  ceux  que  vous  m'avez  don- 
îles  y  soient  aussi  avec  moi  ;  afin  qu'ils  contemplent 
ma  gloire,  que  voUsm'avez  donjiée,  parce  que  nous 
m'avez  aimé  avant  la  création  du  monde^.  La  con- 
templer, c'est  en  jouir,  c'est  y  participer,  selon  ce 
que  dit  saint  Jean  :  Nov^  lui  serons  semblables, par- 
ce que  nous  le  verrons  comme  il  est^.  Et  c'est  l'ac- 
complissement de  ce  qu'il  a  dit  :  Je  leur  ai  donné  la 
gloire  que  vous  m'avez  donnée,  afin  qu'ils  soient 
U7i,  convne  nous  sommes  un;  et  qîiele  monde  sa- 
che que  vous  les  avez  aimés,  comme  vous  m'ave% 
aiméi. 

Que  ceux  qui  aiment  Jésus -Christ  goûtent  ces 
paroles;  et  qu'ils  goûtent  encore  celles-ci  :  Je  m'en 


'  Joan.  XIII,  3  —  »  Act.  II,  24.  —  '  Philip.  11,  8,  9.  — 
*  Joan.  XVII ,  B.  —  5  Ibid.  XV,  12 ,  24.  —  •  I.  Ibid.  m ,  2.  — 
'  Ibid.  xvu,22,  23. 


MÉDITATIONS  SUR  L  ÉVANGILE. 


vais  vous  préparer  la  place  .et  quand  je  m'en  serai 
allé,  et  que  je  vous  aurai  préparé  la  place,  je  re- 
viendrai, et  je  vous  retirerai  à  moi;  afin  que  là 
où  je  suis  y  vous  y  soyez  aussi  «.Voilà  donc  la  ma- 
nière dont  Jésus-Christ  devait  retourner  à  Dieu; 
voilh  ce  que  veulont  dire  ces  paroles  de  saint  Jean  : 
était  sorti  dv  Dieu,  et  y  retournait.  Et  lorsqu'il 
fut  sur  le  point  d'accomplir  ce  glorieux  retour,  étant 
tel,  et  se  sachant  tel,  comme  le  remarque  saint 
Jean  ,  il  voulut  bien  nous  laver  les  pieds.  Silence , 
silence  encore  un  coup  ;  taisez-vous ,  mes  pensées; 
laissez-moi  contempler  Jésus  aux  pieds  de  ses  apô- 
tres, à  nos  pieds  de  tous,  et  aux  pieds  de  tous  ses 
fidèles,  qu'il  regardait  dans  ses  apôtres. 

VHP  JOUR. 

Jésos-Christ  en  vient  au  lavement  des  pieds.  Joan.  xiii,  4. 

Lisez  f.  4  et  5.  Il  se  leva  de  fable,  et  ilpom  ses 
habits  ;  les  habits  d'honneur  que  portaient  les  per- 
sonnes libres,  et  ne  se  laissant  que  cette  sorte  d'ha- 
bits que  ceux  qui  servaient  avaient  accoutumé  de 
garder.  Et  ayant  pris  un  linge,  il  se  l'attacha  de- 
vant lui  :  de  mot  à  mot,  il  s'en  ceignit.  Se  cein- 
dre, en  général,  était  la  posture  de  celui  qui  allait 
servir,  selon  ce  qui  est  écrit  :  Que  vos  reins  soient 
ceints;  et  un  peu  après  :  Soyez  comme  les  servi- 
teurs qui  attendeîit leurs  maîtres;  et  un  peu  après  : 
Le  maître  se  ceindra  lui-même,  et  fera  asseoir  à 
table  sesjidèles  serviteurs;  il  viendra  lui-même 
les  servir  >.  Voilà  en  général  ce  que  c'est  que  se 
ceindre;  mais  se  ceindre  d'une  linge  est  l'habit 
d'un  service  encore  plus  vil,  qui  est  celui  de  laver 
les  pieds.  Et  remarquez  que  Jésus  fait  tout  lui- 
même  :  lui-même  il  pose  ses  habits;  il  se  met  lui- 
même  ce  linge;  il  verse  l'eau  lui-même  dans  le  bas- 
sin :  de  ces  mêmes  mains  qui  sont  les  dispensatrices 
de  toutes  les  grâces;  de  ces  mains  qui  sont  les  mains 
d'un  Dieu,  qui  a  tout  fait  par  sa  puissance;  de  ces 
mains  dont  laseule  imposition,  le  seul  attouchement 
guérissait  les  malades  et  ressuscitait  les  morts;  de 
ces  mêmes  mains,  il  versa  de  l'eau  dans  un  bassin ,  il 
lava  et  essuya  les  pieds  de  ses  disciples.  Ce  n'est  pas 
ici  une  cérémonie;  c'est  un  service  effectif  qu'il  leur 
rend  à  tous ,  et  le  service  le  plus  vil ,  puisqu'il  faut 
se  mettre  à  leurs  pieds  pour  le  leur  rendre  ;  il  faut 
laveries  ordures  et  la  poussière  qui  s'amassaient  au- 
tour des  pieds  en  marchant  nu -pieds,  comme  on  fai- 
sait en  ces  pays-là.  Voilà  ce  que  fait  Jésus,  sachant 
tout  ce  qu'il  était,  dès  l'éternité,  et  dans  le  temps , 
et  ce  qu'il  allait  devenir  par  sa  résurrection ,  et  son 
ascension  triomphante.  Pénétrez-moi,  ô  Jésus!  de 
votre  grandeur  naturelle,  et  de  vos  bassesses  vo- 
lontaires; afin  que  du  moins  dans  ma  petitesse 
naturelle,  je  n'aie  point  de  difficulté  à  me  tenir 
bas ,  et  à  servir  mes  frères  ! 

IX'  JOUR. 

Pierre  refuse  de  se  laisser  lavn  les  pieds  ;  pais  il  obéit. 
Jean,  xiu,  6,  9. 

Que  saint  Pierre  était  pénétré  de  ces  grandeurs 

>  Joan.  XIV,  2,  3.  —  »  Luc.  xn,  36,  36,  37. 


67S 

et  de  ces  bassesses  de  son  maître ,  lorsqu*il  s'écrie 
tout  transporté  :  Quoi ,  Seigneur,  vous  me  laveriez 
les  pieds  '  !  Vous?  à  qui.'  à  moi  :  Tu,  milii.  Vous, 
le  Fils  de  Dieu!  à  moi,  un  pécheur.  Il  lui  disait 
autrefois  :  Retirez-vous  de  moi ,  Seigneur,  car  je 
suis  homme  pécheur  »  :  un  homme,  un  mortel ,  un 
néant;  mais,  ce  qui  est  encore  pis ,  un  pécheur  : 
y/A  .'retirez-vous  de  moi;  je  ne  puis  souffrir  votre 
approche.  A  plus  forte  raison ,  niaintenaift ,  que 
vous  veniez  me  laver  les  pieds,  et  me  rendre  un 
service  si  indigne  de  vous  ;  un  maître  à  son  disci- 
ple; un  Seigneur,  et  un  tel  Seigneur,  à  son  esclave  : 
Jh! Seigneur!  quoi  que  vous  disiez,  je  ne  le  souf- 
frirai jamais  ;jc»ia/5  vous  ne  me  laverez  ks pieds  ^. 
Le  caractère  de  saint  Pierre  était  la  ferveur. 
Elle  n'était  pas  eucore  bien  réglée,  mais  elle  était 
extrême  ;  et  quoique  Jésus  lui  dît  :  T'ous  ne  savez 
pas  encore  ce  qtie  je  veux  faire ,  mais  vous  le  sau- 
rez bientôt,  et  en  son  temps;  comme  s'il  eût  dit  : 
Laissez-moi  faire ,  je  sais  pourquoi  je  le  fais;  Pierre 
s'obstine,  pour  ainsi  parler,  et  contraint  Jésus  de 
lui  dire  :  Si  je  ne  v,ous  lave ,  vous  n'aurez  point  de 
part  avec  moi.  Et  en  même  temps ,  avec  la  même 
ferveur  qui  lui  faisait  dire  :  Jamais  vous  ne  me 
laverez  les  pieds  ;  il  s'écrie  :  Âh  !  Seigneur!  non- 
seulement  les  pieds;  mais  encore  les  mains  et  la 
téte^.  Il  ne  savait  pas  encore  ce  que  c'était  d'être 
lavé  par  Jésus ,  et  dans  quel  baptême  il  fallait  être 
plongé  à  soa  exemple  :  il  n'avait  pas  encore  péné- 
tré cette  parole  de  son  maître  :  J'ai  à  être  baptisé 
d'un  baptême^;  il  faut  que  je  sois  baptisé  de  mon 
propre  sang,  et  je  réserve  ce  baptême  de  souffrance 
à  mes  serviteurs  :  je  leur  laverai  les  pieds  ,  je  leur 
laverai  les  mains,  je  leur  laverai  la  tête  par  ce  bap- 
tême. Pierre  ne  savait  pas  encore  tout  ce  mys- 
tère ;  il  ne  savait  pas  encore  parfaitement  combien 
nos  pensées, combien  nos  actions  étaient  impures; 
ni  combien  nous  avions  besoin  que  notre  tête  et  nos 
mains  fussent  lavées.  Et  néanmoins,  possédé  du  dé- 
sir d'être  avec  son  maître ,  et  d'avoir  part  avec  lui , 
à  l'abandon,  il  s'écrie  :  Je  vous  li\Te  tout ,  les  pieds , 
les  mains,  la  tête  même;  lavez-moi  comme  vous 
voudrez  ;  je  veux  être  avec  vous  quoi  qu'il  en  coûte  ; 
à  quelque  prix  que  ce  soit,  je  veux  vous  avoir  ;  faites 
ce  que  vous  voudrez,  non-seulement  de  mes  pieds, 
mais  encore  de  mes  mains  et  de  ma  tête.  Vous  serez 
écouté ,  Pierre  ;  vos  pieds  et  vos  mains  seront  la- 
vés; vous  serez  crucifié  comme  votre  maître;  votre 
tête  aura  son  partage  dans  votre  crucifiement, 
et  vous  serez  crucifié  la  tête  en  bas.  C'est  ainsv 
que  votre  maître  vous  lavera  :  voilà  le  bain  qu'il 
vous  prépare  :  f'ous  ne  le  savez  pas  encore;  mais 
on  vous  le  fera  savoir  en  son  temps.  O  Seigneur  ! 
non-seulement  les  pieds ,  mais  encore  les  mains  et 
la  tête.  Imitons  saint  Pierre  ;  abandonnons-nous  à 
notre  Sauveur.  Nous  ne  savons  pas  encore  ce  qu'il 
veut  faire  de  nous  :  notre  faiblesse  ne  le  pourrait 
pas  souffrir  ;  mais ,  quoi  que  ce  soit ,  mon  cœur 
est  prêt  :  mon  cœur  est  prêt,  û  Dieu  ^  !  encore  un 
coup,  je  vous  livre  tout;  pieds  et  mains ,  tout  ce 

'  Joan.  XJI},  6,  7.  —  '  Luc  v,  8.  —  *  Joan.  xm,  6.  —  '  itaU 
7,  8 ,  9.  —  »  Luc.  XII,  60.  —  *  Pt.  LVI ,  8. 

«a. 


676 


MEDITATIONS  SbR  L'ÉVANGILE. 


que  je  suis,  la  tête  même,  et  l'âme  dont  elle  est  le 
siège. 

X-^  JOUR. 

Se  laver  des  moindres  taches.  Fous  êtes  purs,  mais  non 
pas  tous.  Joan.  xin ,  8 ,  10. 

En  Orient,  dans  les  pays  chauds,  l'usage  du 
bain  était  fort  fréquent,  et  après  qu'on  s'était  lavé 
le  matin,  et  pendant  le  jour,  il  ne  restaft  plus  sur 
le  soir  que  de  se  laver  les  pieds  pour  se  nettoyer 
des  ordures  qu'on  amassait  en  allant  et  venant.  C'est 
le  sens  de  cette  parole  de  l'Épouse  :  J'ai  lavé  mes 
pieds  :  pourquoi  voulez-vous  que  je  me  lève  pour 
/ex  sa/ir  '  .3  Jésus-Christ  se  sert  de  cette  similitude, 
pour  faire  entendre  à  ses  fldèles  qu'après  s'être 
lavé  des  grands  péchés,  il  reste  encore  le  soin  de 
«e  purger  de  ceux  que  l'on  contracte  dans  l'usage 
de  la  vie  humaine,  lesquels,  bien  que  plus  petits 
à  comparaison  des  autres ,  ne  laissent  pas  en  eux- 
mêmes  d'être  toujours  grands,  parce  qu'une  âme 
qui  aime  Dieu  ne  trouve  rien  de  léger  dans  ce  qui 
l'offense;  et  si  elle  négligeait  de  se  purifler  de  ces 
fautes ,  elles  la  mettraient  dans  un  état  funeste , 
affaiblissant  insensiblement  les  forces  de  l'âme  :  en 
sorte  qu'il  ne  lui  resterait  que  très-peu  de  résistance 
contre  les  grandes  tentations;  ce  qui  la  ferait  suc- 
comber trop  aisément,  parce  que  ces  tentations 
violentes  ne  peuvent  être  vaincues  que  par  une 
très-ardente  charité.  C'est  ce  que  Jésus-Christ  nous 
.ipprend  par  ces  paroles  :  Celui  qui  a  été  lavé  n'a 
plus  besoin  que  de  laver  ses  pieds ,  et  il  est  pur 
danstout-ie  reste;  et  vous,  vous  êtes  purs,  mais 
non  pas  tous'.  Jésus-Clirist  nous  apprend  donc, 
par  cette  parole,  qu'il  ne  nous  est  pas  permis  de 
négliger  ces  moindres  péchés;  et  c'est  ce  qu'il  a 
voulu  signifier  par  le  lavement  des  pieds.  Et  afln 
de  pénétrer  tout  le  mystère ,  le  soin  qu'il  prend 
de  laver  les  pieds  à  ses  apôtres,  au  moment  qu'il 
allait  instituer  l'eucharistie  et  les  y  faire  partici- 
per, nous  apprend  que  le  temps  où  nous  devons 
nous  appliquer  à  purger  ces  fautes  vénielles,  c'est 
celui  oii  nous  nous  préparons  à  la  communion,  où 
il  s'agit  de  s'unir  parfaitement  avec  Jésus-Christ;  à 
quoi  ces  péchés  apportent  un  si  grand  obstacle, 
que  si  on  mourait  avant  que  de  les  avoir  expiés ,  la 
vision  bienheureuse  en  serait  retardée,  et  peut-être 
durant  plusieurs  siècles.  On  doit  donc  se  sentir  d'au- 
tant plus  obligé  à  puriQer  ces  péchés  avant  la  com- 
munion, que  c'est  par  elle  principalement  qu'on  s'en 
doit  relever,  les  autres  étant  lavés  par  un  autre 
sacrement;  et  la  négligence  de  purger  ces  fautes 
pouvant  aller  à  un  excès  qui  rendrait  l'attache  à 
ces  péchés  non-seulement  dangereuse ,  comme  elle 
l'est  toujours,  mais  encore  mortelle.  Car  celui  qui 
ne  se  soucie  des  péchés  qu'à  cause  qu'ils  damnent , 
montre  que  c'est  la  peine  qu'il  craint ,  mais  qu'il 
n'aime  pas  véritablement  la  justice ,  c'est-à-dire, 
qu'il  n'aime  pas  Dieu  comme  il  y  est  obligé;  et  il 
doit  craindre  de  perdre  bientôt,  par  son  extrême 
langueur,  tout  ce  qui  lui  reste  de  ce  feu  divin.  La- 

*  Cant.  v,  3.  ~  *  Joan.  xiii,  10. 


vons  donc  soigneusement,  non-seulement  nos  mair.s 
et  notre  tête,  mais  encore  nos  pieds,  avant  que 
d'approcher  de  l'eucharistie;  autrement  l'Épouîc 
viendra  à  nous  avec  une  espèce  de  dédain  :  et  en- 
core que  ces  péchés  journaliers  n'empêchent  psÈ 
qu'il  ne  nous  dise,  ainsi  qu'aux  apôtres  :  Fous 
êtes  purs;  il  nous  avertit  néanmoins  de  nous  en 
purger,  quand  nous  voulons  nous  approcher  de  son 
corps  et  de  son  sang  avec  toute  la  pureté  requise. 
Et  il  fait  bien  voir  combien  est  grande  cette  obliga- 
tion ,  lorsqu'en  lavant  les  pieds  à  ses  apôtres,  pouf 
leur  inspirer  le  soin  de  se  purifier  de  ces  péchés, 
il  leur  dit  :  Si  je  ne  vous  lave  :  c'est-à-dire,  si  je 
ne  lave  ces  taches  des  pieds  :  vous  n'aurez  point 
de  part  avec  moi  '  ;  non-seulement  à  cause  qu'el- 
les retardent,  comme  on  vient  de  voir,  la  vision 
bienheureuse,  et  la  parfaite  union  avec  Dieu;  mais 
encore  à  cause  que  la  négligence  de  les  nettoyer 
peut  causer  de  dangereuses  froideurs  entre  l'âme 
et  Jésus-Christ,  et  même  dans  un  certain  deoré  de- 
venir mortelle.  Lavez-vous  donc,  chrétien,  lavez- 
vous  de  tous  vos  péchés,  jusqu'aux  plus  petits 
lorsque  vous  devez  approcher  de  la  sainte  table! 
Lavez  vos  pieds  avec  soin ,  renouvelez-vous  tout  à 
fait,  de  peur  qu'il  ne  vous  arrive  de  manger  indi- 
gnement le  corps  du  Sauveur  ;  puisque  vous  voyez 
si  clairement  que  ce  péché,  qui  peut-être  ne  serait 
que  véniel  par  sa  nature,  deviendrait  mortel  par 
l'attache  que  vous  y  auriez.  Et  quand  même  vous  ne 
seriez  pas  tout  à  fait  indigne,  de  cette  indignité  qui 
nous  rend  coupables  du  corps  et  du  sang  du  Sau- 
veur, nous  pourrions  nous  rendre  indignes  des 
grandes  grâces,  sans  lesquelles  nous  ne  pouvons 
vaincre  les  grandes  faiblesses,  ni  les  grandes  tenta- 
tions dont  la  vie  est  pleine.  Nous  pourrions  nous 
rendre  indignes  de  cette  parfaite  communication 
avec  l'Époux,  et  causer  entre  lui  et  nous,  sinon 
la  rupture,  du  moins  ces  froideurs  qui  sont  des 
dispositions  à  la  rupture  même. 

Seigneur!  lavez-moi  les  pieds,  afin  que  je  dise 
avec  l'Épouse  :  Je  me  suis  lavé  les  pieds;  puis-je 
les  salir  de  nouveau  ?  La  pureté  est  un  attrait  pour 
conserver  la  pureté  :  plus  un  habit  est  blanc,  plus 
les  taches  qui  sont  dessus  se  font  remarquer  :  plus 
on  est  net,  plus  on  doit  éviter  de  se  souiller;  dans 
le  désir  d'être  rangé  avec  ceux  dont  il  est  écrit, 
qu'ils  sont  sans  tache  devant  le  trône  de  Dieu*. 
C'est  à  quoi  il  faut  aspirer,  et  se  souvenir  de  cette 
belle  doctrine  de  saint  Augustin  :  qu'encore  qu'on 
ne  puisse  vivre  ici  sans  fJéché,  on  en  peut  sortir 
sans  péché,  parce  que,  comme  les  .péchés  y  abon- 
dent, les  remèdes  pour  les  guérir  n'y  manquent 
pas. 

XV  JOUR. 

Jadas  lavé  comme  les  autres.  Joan.  xni,  lo,  H. 

roîts  êtes  purs,  mais  non  pas  tous  :  car  il  savait 
qui  était  celui  qui  le  devait  trahir,  et  c'est  pour 
cela  qu'il  dit  :  Fous  êtes  purs,  mais  non  pas  tous  '. 
Et  cependant,  quoiqu'il  le  connût,  et  que  le  diable 

■  Joan.  ïin,  8.  —  >  Jpoc.  xiT,  S.—  ^Joaa.  xi«,  10,  Ib 


MÉDITATIONS  SUR  LÉVAXGILE. 


fût  dijà  entré  dans  son  coeur  •  pour  luî  inspirer  k 
dessein  de  livrer  son  maître  ^  il  lui  lave  les  pieds 
comme  aux  autres  ;  et  il  l'avertit  qu'il  voit  son 
crime,  pour  le  porter  à  se  corriger!  Arrêtons-nous 
à  considérer  avec  saint  Paul  »  la  bonté  de  Dieu  qui 
nous  attend ,  disons  plus ,  qui  nous  invite  à  la  pé- 
nitence; pendant  qu'acte  notre  dureté  et  notre 
cœur  impénitent;  nous  nous  amassons  à  nous-mê- 
mes des  trésors  de  haine.  Telle  était  la  disposition 
de  Judas. 

Que  de  Judas  parmi  les  chrétiens!  Que  de  mal- 
heureux ,  que  mille  démonstrations  des  bontés  de 
Dieu  ne  peuvent  détourner  de  la  résolution  de  mal 
faire!  Ke  soyons  point  de  ce  nombre.  Si  nous  en 
avons  été,  n'en  soyons  plus;  songeons  du  moins 
quil  nous  voit ,  qu'il  voit  cdui  qui  le  doit  trahir  : 
et  cependant  il  lui  lave  les  pieds;  une  eau  sainte 
lui  est  présentée  dans  la  pénitence  ;  Jésus  est  prêt 
à  le  recevoir  à  son  amour  et  à  ses  grâces,  pourvu 
qu'il  se  lave  et  se  repente. 

XII«  JOUR. 

LaTement  des  pieds  commandé.  Bonté  et  humilité.  Joan. 

XUI,  12,  16. 

y  fallait  joindre  l'instruction  delà  parole  à  celle 
de  l'exemple.  Jésus  reprit  ses  habits,  et  s'étant 
reinis  à  table  ;  a\anl  que  de  reprendre  le  souper 
qu'il  avait  interrompu ,  avant  que  d'en  venir  au  re- 
pas céleste ,  il  y  parla  en  cette  sorte  :  f^ous  voyez 
C9  que  je  viens,  de  faire  :  vous  m'appelez  votre 
Maitre  et  votre  Seigneur  ;  et  vous  avez  raison , 
car  je  lesuis^.  Continuez  la  lecture,  jf.  14, 15, 16. 

Vous  y  apprendrez  que  le  Sauveur  nous  enseigne 
à  rendre  à  nos  firères  le  service  que  nous  pouvons , 
même  corporel ,  même  sans  y  être  tenus.  Celui  de 
laver  les  pieds  était  alors  en  grand  usage ,  comme 
il  paraît  par  ces  paroles  de  saint  Paul,OH  il  compte 
parmi  les  conditions  de  Ja  veuve  qu'on  devait  choisir 
pour  servir  les  pauvres  :  qu'elle  ait  été  hospitalière^ 
qu'elle  ait  lavé  les  pieds  des  saints*.  Choisissons 
à  cet  exemple  quelque  service  de  cette  nature,  qui 
revienne  à  celui-là  selon  nos  mœurs.  Par  exemple , 
allons  servir  les  malades  dans  un  hôpital;  ou  plu- 
tôt encore  quelque  malade  qui  soit  sans  secours , 
pl  qui  ait  besoin  d'un  tel  service  :  et  toutes  les  fois 
que  nous  le  rendrons  à  quelqu'un,  rendons-le 
comme  Jésus-Christ,  le  plus  sérieux,  le  plus  effec- 
tif, et  par  conséquent  le  plus  humble  qu'il  se 
pourra;  et  que  ceux  qui  rendent  quelquefois  aux 
pauvTes  de  tels  services  par  cérémonie ,  comme  les 
princes,  les  prélats,  les  supérieurs  des  communau- 
tés, entrent  dans  l'esprit  de  cette  cérémonie  :  qu'ils 
entrent  dans  une  profonde  et  sincère  humilité  ;  qu'ils 
(Sjmidèrentquedansle  fond  notre  nature  est  servile, 
que  nous  sommes  nés  serfs  par  le  péché,  et  que  la 
diflcrence  des  conditions  ne  peut  pas  effacer  ce  titre. 

iSe  servons  pas  seulement  nos  frères  avec  hu- 
milité comme  a  fait  le  Sauveur  ;  mais  servons-les 
avec  amour,  en  nous  souvenant  de  cette  parole  : 

•  Joan.\m,Z.-~  '  Rom.  u,  4,5.  -'»Jooji.  xiu,  13,  I3. 
•-  ♦  1-  Tèm.  f,  9, 10. 


677 

Jésus  ayant  toujours  atmé  les  siens,  il  les  aima 
jusqu'à  lajin*.  Ce  ne  fut  donc  pas  seulement  pour 
pratiquer  l'humilité  f  et  nous  en  donner  l'exemple , 
qu'il  lava  les  pieds  à  ses  disciples;  mais  ce  fut  par 
un  tendre  amour,  par  le  plaisir  qu'il  avait  à  leur 
montrer  combien  il  les  estimait;  pour  relever  la 
dignité  de  la  nature  humaine  tombée  dans  la  servi- 
tude. Servons  donc  nos  frères  dans  le  même  esprit, 
par  estime ,  par  tendresse ,  et  pour  honorer  Jésus- 
Christ  en  eux. 

Dans  un  sens  moral,  mais  très-véritable  et  très- 
solide,  nous  nous  lavons  les  pieds  les  uns  aux  au- 
tres, lorsque  nous  prenons  soin  de  nous  avertir  mu- 
tuellement de  nos  fautes,  toujours  prêts  à  les  ex., 
cuser,  ne  souffrant  pas  qu'on  déshonore  notre 
prochain  dans  les  moindres  choses,  et  le  purgeant 
par  ce  moyen  même  des  plus  petits  défauts  ;  et  cela* 
non-seulement  par  humilité,  de  peur  qu'en  jugeant 
les  autres,  nous  nous  attirions  à  nous-mêmes  un 
sévère  jugement  pour  nos  défauts;  mais  par  une 
sincère  et  véritable  tendresse  pour  tous  les  chré- 
tiens qui  sont  nos  frères,  et  pour  tous  les  hommes, 
qui  sont  notre  chair. 

Jésus-Christ,  après  avoir  dit  :  Faites  comme  je 
vous  ai  /(ùt',  et  avoir  montré  aux  hommes  le  ser- 
vice qu'ils  doivent  rendre  à  leurs  semblables;  afin 
de  leur  faire  entendre  à  combien  plus  forte  raison 
ils. doivent  servir  ses  ministres,  il  ajoute  :  Celui  qui 
reçoit  ceux  que  j'envoie  ,  me  reçoit  moi-même;  et 
celui  qui  me  reçoit,  reçoit  celui  qui  m'a  envoyé  K 
Le  bel  enchaînement  :  de  remonter  des  ministres 
de  Jésus-Christ  à  lui-même,  et  de  lui-même  à  Dieu 
son  Père!  Accoutumons-nous  à  regarder  Jésus- 
Christ  dans  nos  pasteurs,  et  dans  Jésus-Christ  toute 
la  majesté  de  son  Père. 

En  tenant  ces  discours  à  ses  apôtres,  Jésus:- 
Christ  y  insère  toujours  quelque  chose  du  traître 
Judas  pour  les  confirmer,  non-seulement  dans  la 
foi,  en  leur  faisant  sentir  qu'il  savait  tout;  mais 
encore  dans  les  sentiments  de  bonté  et.d"humilitë  : 
puisque  connaissant,  comme  il  dit,  ceux  qu'il  avait 
choisis,  et  sachant  les  noirs  desseins  de  ce  traître, 
il  n'avait  pas  laissé  de  lui  laver  les  pieds  ;  et  non- 
seulement  cela ,  mais  encore  de  le  faire  mettre  à 
sa  table,  de  lui  servir  à  manger  comme  aux  autres, 
et,  ce  qui  est  au-dessus  de  tout,  de  lui  donner, 
comme  aux  autres,  son  corps  et  son  sang, 

xm*  JOUR, 

Trooble  de  Jésus  :  Un  de  vous  me  trahira.  Joan.  xin,  Sf. 

Jésus  ayant  dit  ces  choses,  se  troubla  en  son 
esprit,  et  se  déclara,  en  disant  :  Un  de  vous  me 
trahira.  Ce  trouble  dans  l'âme  sainte  et  dans  l'es- 
prit de  Jésus,  est  digne  d'une  attention  extraor- 
dinaire. Ce  qui  se  présente  d'abord  à  notre  esprit, 
c'est  la  cause  de  ce  trouble  :  Un  de  vous  me  trahira. 
Le  crime,  la  trahison,  la  perfidie  d'un  des  disci- 
ples de  Jésus,  c'est  ce  qui  lui  cause  ce  trouble  inté- 
rieur. Ce  qui  le  trouble  donc ,  en  général ,  c'est  !• 
péché  :  c'est,  en  particulier,  les  péchés  de  c«nç 

'    Joan.  xiBy  I.  —  *  Ibid.  l^—'  Ihid.  «». 


678 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


qui  lui  étaient  le  plus  unis,  comme  Judas,  qu'il 
avait  mis  au  noml)re  de  ses  apôtres.  Quand  il  son- 
geait que  sa  passion,  par  laquelle  il  venait  détruire 
le  péché,  devait  introduire  dans  le  monde  taivt  de 
nouveaux  crimes,  des  crimes  si  énormes,  si  singu- 
liers, si  inouis,  la  trahison  d'un  Judas,  les  inhu- 
manités des  Juifs,  leur  ingratitude ,  en  un  mot,  le 
déicide  ;  c'est  là  ce  qui  lui  causait ,  plus  que  tout 
le  reste,  ce  trouble  intérieur;  et  on  ne  se  trompera 
pas  en  croyant  que  c'était  là  la  partie  la  plus  amère 
de  son  calice. 

Nous  voyons  trois  endroits  principaux,  oii  il  est 
parlé  du  trouble  de  la  sainte  Ame  de  Jésus  ;  celui-ci , 
au  chapitre  xii  du  même  évangile,  j^.  27  ,  lorsqu'il 
dit  :  Mon  âme  est  troublée;  et  dans  le  chapitre  xi, 
f.  33,  OÙ  voyant  les  larmes  des  Juifs  et  de  Marie 
sœur  de  Lazare,  qui  pleuraient  sa  mort,  il /remit 
en  son  esprit ,  et  se  troubla  lui-même. 

Il  n'y  a  nul  doute ,  dans  l'endroit  oh  nous  som- 
mes ,  que  le  sujet  de  son  trouble  ne  fût  le  crime  de 
Judas  et  de  tous  ceux  qui  devaient  coopérer  à  sa 
inort,  car  l'évangéliste  le  remarque,  lorsqu'il  dit 
qu'eï  se  troubla  et  qu'il  dit  en  même  temps  :  Un  de 
vous  me  trahira.  On  doit  croire  aussi  que  lorsqu'il 
dit,  à  la  veille  de  sn  passion  :  Mon  âme  est  trou- 
blée ^  c'était  là  principalement  ce  qui  le  troublait; 
c'était,  dis-je,  le  péché,  puisque  rien  ne  méritait 
tant  de  l'émouvoir.  Enfin  s'il  a  paru  si  troublé  à  la 
juort  de  Lazare  et  aux  larmes  qu'elle  fit  verser,  il 
ne  faut  pas  croire  que  la  seule  mort  du  corps  lui 
causât  ce  frémissement  et  ce  trouble  :  c'est  qu'il 
regardait  la  mort  de  l'âme  dans  celle  du  corps  qui 
en  était  la  figure;  il  regardait  que  c'est  le  péché  qui 
a  amené  la  mort  dans  le  monde.  Lazare  était  l'i- 
mage du  pécheur,  et  du  pécheur  dans  son  état  le 
plus  funeste  et  le  plus  affreux,  qui  est  celui  où  l'on 
est  par  le  péché  d'endurcissement  et  d'habitude, 
lorsqu'on  pourrit  dans  son  crime. 

Ainsi ,  ce  trouble  que  Jésus  ressentit  ici  dans  son 
esprit,  c'est  l'horreur  dont  il  fut  saisi  en  considé- 
rant le  péché  :  c'est  ce  qui  lui  causa  ce  saisissement 
qu'il  fit  paraître  en  frémissant.  Et  s'il  nous  est  per- 
mis de  pénétrer  dans  ses  sentiments  les  plus  inti- 
mes ;  ce  qui  le  troubla  le  plus  vivement  en  cette 
occasion,  c'est  qu'il  regarda  le  niauvais  effet  que 
sa  mort  et  le  mérite  de  son  sang  répandu ,  devaient 
produire  dans  les  pécheurs  ,  en  leur  étant  une  oc- 
casion de  s'abandonner  au  péché ,  par  l'espérance 
qu'elle  leur  donnait  d'en  obtenir  le  pardon.  C'est 
là  ce  qu'il  y  a  de  plus  horrible  dans  le  péché,  d'y 
faire  servir  la  bonté  de  Dieu  et  la  grâce  de  la  rédemp- 
tion. Si  c'est  là  ce  que  le  pédié  a  de  plus  horrible  , 
c'est  là  aussi,  pa/  conséquent,  ce  qui  causait  au 
Sauveur  le  plus  d'horreur,  le  plus  de  saisissement , 
le  plus  de  trouble. 

Et,  pour  venir  au  troublequ'il  ressentit  aux  ap- 
proches (Je  sa  mort,  il  n'était  pas  seulement  causé 
par  les  crimes ,  par  les  cruautés ,  par  les  injusti'*es 
et  les  perfidies  qui  devaient  le  mener  au  dernier 
s;pp!ice;  mai;  encore.  I'Hicp  qu'il  voyait  qu'il  en 
serait  en  (jneijue  façon  !';••  o;'sion  innocente.  Car 
encore  que  bien  éloigné  de  donner  lieu  à  la  jalousie 


et  aux  injustices  des  Juifs  il  n'ait  rien  omis  pour  les 
corriger,  et  que  leur  malice  seule  fût  la  cause  de  leurs 
fureurs  :  néanmoins  il  ne  laissaitpas  d'être  véritable 
que  la  sainteté  de  Jésus ,  sa  doctrine,  ses  miracles, 
ses  vives  et  pressantes  répréhensions,  qui  devaient 
opérer  leur  sa^ut  excitèrent  cette  jalousie,  et  cette 
haine  implacable  contre  Jésus-Christ;  et  que  Judas 
prit  occasion  de  s'éloigner  de  lui,  des  paroles  qu'il  j 
avait  dites  en  faveur  de  Marie  lorsqu'elle  avait  ' 
épanché  sur  lui  tant  de  parfums  précieux. 

Il  faut  ajouter  à  tout  cela,  qu'il  avait  à  souffrir 
la  mort  comme  la  juste  punition  de  tous  les  péchés 
dont  il  était  chargé;  et  il  y  allait  en  quelque  façon 
comme  coupable.  Ainsi  l'horreur  du  péché  le  sai-  \ 
sissait  ;  il  s'en  voyait  tout  environné,  tout  pénétré. 
Il  voyait,  ô  cruel  spectacle  pour  le  Sauveur  du 
genre  humain  !  il  voyait  croître  le  péché  par  le  mau- 
vais usage  qu'on  ferait  de  sa  mort.  Elle  faisait  dire 
à  plusieurs  qu'il  n'était  pas  le  Fils  de  Dieu;  que 
tous  les  miracles  par  lesquels  il  l'avait  prouvé, 
n'étaient  qu'illusion.  Elle  était  scandale  aux  Juifs, 
et  folie  aux  gentils,  et  aux  fidèles  mêmes.  Quelle 
occasion  de  vengeance  !  puisqu'en  général  tous  ceux 
qui  ne  voudraient  pas  en  profiter,  en  devenaient 
plus  coupables,  plus  punissables,  plus  damnés. 
Combien  était  touché  de  leur  malheur  ce  bon  Sau- 
veur, qui  aimait  si  tendrement  tous  les  hommes, 
particulièrement  ses  fidèles ,  et  qui  ne  s'était  fait 
homme  que  pour  les  sauver!  O  Jésus  !  c'est  ce  qui 
troublait  principalement  votre  sainte  âme  :  c'est  ce 
qui  lui  causa  cette  émotion ,  et  les  autres  que  nous 
verrons  dans  la  suite.  Ayons  donc  horreur  du  péché  ; 
et  voyons,  dans  le  trouble  de  Jésus,  combien  notre 
conscience  en  devrait  être  troublée. 

XIV  JOUR. 

Qu'est-ce  que  le  trouble  de  Jésus?  Joa».  xiri,  2i. 

Il  me  semble ,  6  mon  Sauveur  !  que  vous  me  fai- 
tes entendre  en  quelque  façon  ce  que  c'était  que  ce 
trouble ,  dont  il  est  si  souvent  parlé  dans  votre 
Évangile.  C'est  déjà  bien  certainement  un  trouble 
dans  l'intérieur;  autrement  l'Évangéliste  ne  dirait 
pas  :  Il  se  troubla  dans  son  esprit;  ni  lui-même  : 
Mon  âme  est  troublée.  Mais  qu'est-ce  donc ,  dans 
son  intérieur,  que  ce  trouble,  si  ce  n'est  l'horreur 
d'un  grand  mal,  d'un  mal  extrême,  du  plus  grand 
de  tous  les  maux ,  qui  est  le  péché  avec  toutes  les 
affreuses  circonstances  qu'on  vient  de  voir  que 
Jésus  avait  en  vue  :  horreur  qui ,  excitée  dans  son 
âme  sainte,  rejaillissait  sur  le  corps,  et  y  causait 
des  effets  à  peu  près  semblables  à  ceux  que  nous 
éprouvons  à  la  vue  des  objets  les  plus  fâcheux  ;  à 
quoi  il  faut  ajouter,  au  temps  de  la  passion  ;  ce  que 
je  vais  tâcher  de  pénétrer  avec  le  secours  de  l'Écri- 
ture .^ 

Le  trouble  de  l'âme  consiste  principalement  dans 
la  diversité  des  pensées  qui  nous  montent  dans  l'es- 
prit à  l'occasion  des  objets  extraordiaaires.  Pour- 
quoi âtcs-vous  troublés,  et  pourquoi  s'éléve-ttiliani 
de  différentes  pensées  dans  votre  cœur?  dit  Jé- 
sus lui-même  à  ses  disciples  • ,  lorsqu'il  les  vit  si  ef* 

'  Luc.  \\l\,  38. 


ArÉDlTATlO'NS  SUR  L'ÉVANGILE. 


£7» 


frayés  de  ce  qu'il  leur  apparaissait  après  sa  mort. 
Ces  pensées,  dont  l'iliue  est  distraite  et  agitée,  en 
sorte  qu'elle  ne  sait  quel  parti  prendre  et  à  quoi  se 
déterminer,  c'est  ce  qui  la  trouble  :  elle  ne  se 
possède  plus,  elle  n'est  plus  maîtresse  d'elle-même. 

Oserons-nous  dire  qu'il  y  a  eu  quelque  chose  de 
semblable  dans  l'àme  sainte  de  Jésus?  Maintenant, 
dit-il ,  mon  âme  est  troublée  :  et  que  dirai  -je  ?  Di- 
rai-je  à  mon  Père  :  Von  Père ,  sauvez-moi  de  cette 
heure  affreuse  où  j'aurai  tant  à  souffrir?  Mais 
c'est  pourcette  heure-là  que  je  suis  venu:  mon  Père, 
glorifiez  votre  nom'. 

Voilà  cette  diversité  de  pensées  :  on  voit  une 
espèce  de  perplexité  dans  ces  paroles  :  Çiie  dirai-  ' 
/e?une  espèce  d'irrésolution  dans  celles-ci,  Que 
demanderai-je  à  mon  Père  ?  qu'il  me  délivre  de  tant 
de  maux?  Mais  tout  se  termine  enfin  par  s'aban- 
donner tout  entier  à  Dieu  et  n'avoir  pour  objet 
que  sa  gloire. 

Y  a-t-il  eu  une  véritable  irrésolution  dans  la 
sainte  âme  de  Jésus?  A  Dieu  ne  plaise  î  car  l'irré- 
solution ne  venant  que  de  la  faiblesse  de  la  raison, 
lorsqu'on  ne  voit  pas  assez  clair  pour  se  déterminer 
à  ce  qu'il  faut  faire ,  une  telle  disposition  pouvait- 
elle  se  trouver  dans  l'âme  du  Sauveur,  à  qui  la  sa- 
gesse éternelle  était  unie  et  ne  cessait  de  la  diriger 
dans  tous  ses  mouvements  ?  Mais  encore  qu'il  n'y 
eût  point  une  véritable  irrésolution  dans  une  âme 
s\  ferme  et  si  éclairée ,  il  y  a  eu  quelque  chose  de 
semblable;  puisqu'il  a  souffert  en  lui-même  ces 
différentes  pensées ,  que  causent  d'un  côté  l'horreur 
naturelle  d'une  mort  accompagnée  de  tant  de  ter- 
ribles circonstances,  et,  de  l'autre,  une  parfaite 
détermination  à  s'y  livrer,  parce  que  Dieu  le  voulait 
ainsi. 

XV*  JOUR. 

L'horreur  du  péché,  cause  du  trouble  de  Notre-Sdgneur. 
Joan,  xui,2l. 

Pour  comprendre  combien  cet  état  est  fâcheux  et 
affligeant ,  il  ne  faut  que  se  souvenir  que  ce  qui 
faisait  l'horreur  de  Jésus-Christ  n'était  pas  seule- 
ment la  mort  douloureuse  qu'il  avait  à  souffrir. 
Car  encore  que  cette  horreur  de  la  mort  et  de  la 
douleur  soit  naturelle  au  genre  humain ,"  et  que 
Jésus-Christ  l'ait  dû  prendre  avec  toute  sa  vivacité 
en  prenant  notre  nature  tout  entière  ;  c'était  le 
péché  qu'il  regardait  comme  l'objet  qui  lui  était  le 
plus  opposé ,  et  qui  faisait  son  aversion.  Il  regardait 
la  mort,  ainsi  qu'on  l'a  vu,  comme  l'effet,  comme 
la  peine  du  péché;  la  sienne  était  causée  par  mille 
énormes  péchés  :  elle  en  augmentait  la  griéveté  et 
le  nombre ,  à  la  manière  qui  a  été  dite.  Ah  !  quel  ca- 
lice! combien  grande,  combien  excessive  en  est  l'a- 
mertume! 

Un  ancien  Père  raconte  la  disposition  de  trois 
solitaires  dans  les  injures  qu'on  leur  faisait.  L'un 
se  recueillait  en  lui-même ,  et  examinait  en  trem- 
blant s'il  ne  s'était  point  emporté,  s'il  n'avait  point 
manqué  de  patience.  L'autre  regardait  celui  par  qui 

■  J.oan.  xn,  27,  28. 


il  était  outragé  comme  un  homme  qui  s'attirait  à 
lui-même  de  grands  maux  par  les  justes  jugement» 
de  Dieu ,  et  il  en  était  attendri  jusqu'à  en  pleurer. 
Mais  les  larmes  du  dernier  étaient  bien  plus  abon- 
dantes ,  et  bien  plus  amères;  parce  qu'il  s'attachait 
à  considérer  que  les  outrages  qu'on  lui  faisait  étaient 
autant  d'offenses  contre  Dieu ,  dont  encore  il  avait 
été  l'occasion  quoique  innocente.  Laissons  la  pre- 
mière disposition,  qui  ne  peut  convenir  au  Sauveur  : 
mais  les  deux  autres  étaient  en  lui  d'autant  plus  vi- 
ves, qu'il  avait  plus  de  tendresse  pour  les  hommes . 
une  impression  beaucoup  plus  forte  des  jugements 
de  Dieu,  et  une  horreur  du  péché  au-dessus  de 
tout  ce  qu'on  peut  penser. 

Quand  donc  il  lui  plaisait,  quand  il  était  conve- 
nable, et  il  l'était  principalement  dans  le  temps  de 
sa  passion ,  de  se  livrer  tout  entier  à  ce  sentiment 
de  compassion  pour  les  pécheurs ,  et  d'horreur  pour 
le  péché  même;  ce  qu'il  souffrait  est  inexplicable  ; 
et  il  ne  faut  pas  s'étonner  de  lui  avoir  entendu  dire  : 
Mon  âme  est  troublée  •  ;  ni  de  lui  entendre  dire  bien- 
tôt :  Mon  âme  est  triste  jusqu'à  la  mort'. 

Mon  Sauveur  !  ce  trouble  de  votre  sainte  âme 
était  nécessaire,  d'un  côté,  pour  exciter  et  pour 
guérir  l'insensibilité  de  la  mienne  ,  qui ,  loin  d'être 
troublée  de  son  péché,  n'en  sent  ni  le  poids  ni  la 
blessure  ;  et  de  l'autre ,  pour  expier  ce  trouble  de 
mes  sens  émus  par  les  diverses  passions  qui  me 
tyrannisent  tour  à  tour.  Seigneur,  guérissez-moi 
de  tant  de  maux  ;  que  je  cesse  d'être  insensible  au 
péché;  que  je  cesse  d'être  si  sensible  aux  plaisirs 
et  aux  douleurs  qui  viennent  du  corps,  où  je  me- 
trouve  plongé  par-l'acquisition  et  la  perte  des  hiea^ 
périssables. 

XVP  JOUR. 

Ce  trouble  était  volontaire  en  Notre-Seignear  et  Décessair* 
pour  nous.  Ibid. 

Comment  s'accorde  ce  trouble ,  cette  agitation , 
et ,  pour  tout  dire  à  la  fois ,  cette  profonde  tristesse 
de  l'âme  de  notre  Sauveur,  avec  la  parfaite  union 
du  Verbe,  et  la  bienheureuse  jouissance  qu'elle  at- 
tirait avec  elle?  C'est  un  mystère  qu'il  ne  faut  pas 
espérer  de  pénétrer  en  cette  vie.  Il  nous  suffit  de 
penser  que,  comme  l'union  de  l'âme  avec  le  corps  a 
ses  règles,  qui  font  que  l'âme,  selon  ses  divers 
rapports  et  ses  différents  objets,  a  des  sentiments, 
reçoit  des  impressions,  forme  des  pensées  contrai- 
res en  quelque  façon  les  unes  aux  autres ,  ce  qui 
donné  lieu  non-seulement  aux  philosophes ,  mais 
encore  à  l'apôtre  même,  de  distinguer  Vâme  d'avec 
Vesprit^,  c'est-à-dire  de  distinguer  l'âme  comnw 
en  djeux  parties,  et  la  partie  animale  d'avec  la  spi- 
rituelle et  la  raisonnable  :  ce  qui  souffre  encore 
plusieurs  autres  subdivisions,  en  sorte  qu'il  semble 
quelquefois  qu'il  y  ait  plusieurs  hommes  dans  un 
seul  homme,  taut  ces  sentiments  différents  sont 
véritables  et  vifs  des  deux  côtés  :  ainsi  l'union  du 
Verbe  avec  l'âme,  et  par  l'âme  avec  le  corps,  et 
encore  celle  du  Verbe  fait  homme  avec  les  fidel«s 

'  Joan.  xn,  M.  —  »  Matlh.  xxvi,  38.  —  i  Heb    it,  y-i. 


680 


MÉDlTA'nOxNS  SUR  L'ÉVANGILE. 


qui  sont  ses  membres,  et  avec  tout  le  genre  hu- 
main qu'il  porte  en  lui-même,  ont  leurs  règles 
prescrites  par  le  Verbe  même,  qui,  demeurant 
toujours  immuable,  excite  dans  l'âme  qui  lui  est 
unie  et  appropriée  de  cette  admirable  manière  qui 
ta  fait  être  véritablement  l'âme  d'un  Dieu,  des 
sentiments  différents,  selon  les  divers  rapports 
qu'elle  a  avec  lui ,  avec  son  corps  naturel ,  avec  sou 
corps  mystique,  avec  tous  ses  membres,  et  en 
un  mot  avec  tous  les  hommes;  en  sorte  qu'il  a 
dû  souffrir  par  rapport  à  nous ,  et,  comme  par- 
lent les  Pères,  par  économie,  par  dispensation, 
par  condescendance,  ce  qui  n'edt  point  convenu 
à  son  état  s'il  n'eût  été  qu'une  personne  ordinaire 
et  particulière  :  d'oii  aussi  il  est  arrivé  que ,  sans 
aucune  diminution  de  la  force  qui  le  tenait  invin- 
ciblement et  inviolablement  uni  à  la  volonté  de 
Dieu,  et  au  Verbe  qui  réglait  tous  ses  mouvements; 
par  le  ministère  qu'il  exerçait  de  chef,  de  victime, 
de  modèle  du  genre  humain,  il  a  dû  souffrir  les 
délaissements  et  les  faiblesses  que  demandaient 
l'expiation  de  nos  péchés,  l'exemple  qu'il  nous 
devait ,  et  les  grâces  qu'il  fallait  nous  mériter  par 
ce  moyen.  C'est  pour  nous  que  sans  déroger  à 
la  vérité  de  cette  parole  :  Je  ne  suis  pas  seul , 
car  mon  Père  demeure  avec  moi^ ,  il  n'a  pas 
laissé  de  s'écrier  :  Mon  Dieu!  mon  Dieu!  pour- 
quoi m'avez-vous  délaissé^?  C'est  pour  noiis^que 
tout  heureux  qu'il  était  dans  la  haute  partie  de 
l'âme,  par  la  jouissance  du  Verbe  qu'il  ne  pouvait 
pas  ne  pas  posséder,  puisqu'il  faisait  avec  lui  une 
seule  et  même  personne;  il  a  fallu  qu'il  pût  dire 
selon  la  partie  inférieure  :  Je  suis  triste  jusqu'à 
la  mort;  et  encore  :  L'esprit  est  j)ro77ipt,  mais 
la  chair  est  infirme^;  et  le  reste  que  nous  trouve- 
rons dans  la  suite.  Car  ces  pehies  intérieures  fai- 
saient partie  de  ce  qu'il  devait  souffrir  pour  le 
péché  :  ces  faiblesses  faisaient  partie  du  remède 
qu'il  devait  apporter  aux  nôtres ,  et  de  l'exemple 
qu'il  nous  devait  donner  pour  les  soutenir  et  pour 
les  vaincre.  Il  fallait  qu'il  y  eût  en  lui  des  in- 
firmités, des  détresses ,  des  désolations,  des  délais- 
sements auxquels  nous  pussions  nous  unir  pour 
porter  les  nôtres.  C'est  par  là  qvCil  est  devenu 
ce  pontife  compatissant,  qui  sait  nous  plai7idre 
dans  nos  maux ,  à  cause  qu'il  les  a  expérimenté^^ , 
et  qu'il  apassépar  toute  sorte  d'épreuves  ;  tenté, 
comme  dit  saint  Paul  4 ,  ainsi^  que  nous,  en  toutes 
choses ,  à  la  réserve  du  péché. 

C'est  pour  toutes  ces  raisons ,  et  sans  doute  pour 
beaucoup  d'autres  qui  ne  sont  pas  encore  révélées  , 
que  l'âme  de  Jésus-Christ  a  été  livrée  par  le  Verbe 
aux  horreurs,  aux  troubles,  aux  faiblesses,  aux 
délaissements  que  nous  avons  vus;  qu'elle  s'y  est 
livrée  elle-même  volontairement,  en  s'appliquant 
aux  objets  capables  de  les  exciter,  et  se  mettant 
dans  des  dispositions  qui  y  étaient  le  plus  conve- 
nables :  ce  qui  fait  dire  à  saint  Jean,  qu'iV  étnit 
troublé  à  la  vérité  ;  mais  aussi  qu'27  se  troublait 
lui-même^,  n'y  ayant  rien  de  forcé  dans  le  trouble 

'  Joan.  XM,  32.  —  '  Mallh.  xwii,  4G.  —  *  Ibid.  xxi,  38, 
Jl.  —  ♦  Ueh.  n-,  là  ;  v,  2,  8.  —  ^.Joan.  \\i ,  27  ;  xi ,  33. 


qu'il  souffrait,  et  au  contraire  tout  y  étant  dirigé 
et  ordonné  par  le  Verbe  qui  présidait  dans  celte 
personne  adorable,  et  par  l'âme  qui  s'abandonnait 
à  cette  conduite,  de  toute  sa  volonté  et  de  toute 
sa  pensée. 

C'est  par  une  intime  participation  de  ces  états 
du  Sauveur,  que  des  âmes  saintes,  au  milieu  du 
trouble  des  sens,  et  parmi  des  angoisses  inexpli- 
cables ,  jouissent  dans  un  certain  fond ,  d'un  im- 
perturbable repos ,  où  elles  sont  dans  la  jouissance 
autant  qu'on  y  peut  être  en  cette  vie.  Elles  n'ont 
donc  qu'à  s'unir  au  trouble,  aux  infirmités,  aux 
délaissements  de  Jésus  ,  pour,  par  ce  moyen ,  trou- 
ver leur  soutien  dans  l'union  intime  qui  le  tenait 
si  inséparablement  attaché  à  la  divinité ,  et  aux 
ordres  de  la  sagesse  incréée. 

Ainsi  le  saint  homme  Job,  poussé  en  quelque 
façon  de  deux  esprits  opposés ,  pendant  qu'il  dis- 
pute avec  Dieu,  pour  soutenir  devant  lui  son  in- 
nocence; qu'il  fulmine ,  pour  ainsi  dire,  contre 
lui ,  et  qu'il  lui  fait  son  procès,  comme  à  celui  quî 
l'a  condamné  par  un  jugement  inique  et  par  une 
espèce  d'oppression  et  de  calomnie  '  :  pénétré  en 
même  temps  de  sa  souveraine  justice,  il  lui  demande 
pardon  avec  une  humilité  admirable,  et  reconnaît  en 
tremblant,  qu'il  n'y  a  point  de  sainteté  irrépréhen- 
sible à  ses  yeux  »  :  et  pendant  que  les  objets  affreux 
que  Dieu  lui  met  dans  l'esprit,  même  durant  son  som- 
meil ,  sans  lui  vouloir  laisser  aucun  repos,  semblent 
lui  faire  perdre  tout  courage ,  jusqu'à  dire  qu'i/  est 
au  désespoir,  qu'iV  en  est  réduit  au  cordeau,  et  à 
se  défaire  lui-même^;  dans  le  fond  de  sa  cons- 
cience il  jouit  du  repos  des  justes ,  et  pousse  la  con- 
fiance jusqu'à  dire  :  Quand  il  me  tuerait,  f  espére- 
rai en  lui;  et  encore  :  Mon  témoin  est  dans  le  ciel, 
et  celui  qui  me  justifie  dans  les  lieux  hauts  :  mes 
amis  sont  des  discoureurs  :  c'est  devaiit  vous  que 
mes  yeux  répandent  leurs  larmes  ^. 

XVIP  JOUR. 

J'ai  désiré  d'un  grand  désir  de  manger  celle  pâqtif.  Jésus- 
Christ  notre  pàque.  Luc.  xxii,  15. 

Pendant  que  Jésus  parlait  à  ses  disciples  de  oe-i 
lui  qui  le  devait  trahir,  ils  continuaient  le  .souper  ; 
et  le  Fils  de  Dieu  voulant  établir  la  nouvelle  pâque 
par  l'institution  de  l'eucharistie  ,  la  commença  par 
ces  paroles  :  J'ai  désiré  d'un  grand  désir  de  mau-^ 
ger  cette  pâque  avec  vous ,  devant  que  de  souf- 
frir^ :  ce  qui  fut  suivi ,  comme  on  verra,  de  l'ins- 
titution de  l'eucharistie  :  et  cette  institution  ,  et  ce 
grand  désir  qu'il  nous  témoigne  en  ce  lieu, 
de  faire  avec  nous  cette  pâque ,  avant  que  de  souf- 
frir, fait  partie  de  l'amour  immense  dont  Jésus, 
qui  avait  toujours  aimé  les  siens,  les  aima,  comme 
dit  saint  Jeanjusqti'à  la  fin  ^. 

Pour  donc  entrer  dans  son  dessein  ,  et  dans  des 
dispositions  convenables  aux  siennes ,  souvenons- 
nous  que  la  pâque,  la  sainte  victime  d'où  devait 

'  Job.  X,  3;  xui,  3;  XVI,  18;  xvii,  2;  xix,  6;  xxni ..  3,4, 
5  G  —^  Ibid.  IX,  isetseq.  — '/i/rf.  VII,  14,  15,— «/0/d. 
xùi,  15;  XVI,  20,  21.  -  *  Luc.  xxu  ,  I5.  -«  Joan.  xm,  I. 


MÉDITATIO.NS  SUR  L'EVANGILE, 


C81 


tortir  le  sang  de  la  délivrance,  devait,  comme 
beaucoup  d'autres  victimes  de  l'ancienne  alliance , 
non-seulement  être  immolée ,  mais  encore  mangée , 
et  que  Jésus-Christ  voulut  se  donner  ce  caractère 
de  victime,  en  nous  donnant  à  manger  à  perpétuité 
ce  même  corps,  qui  devait  être  une  seule  fois  of-  ' 
fert  pour  nous  à  la  mort;  c'est  pourquoi  il  disait  : 
J'aidésiré  avec  ardeur  de  manger  avec  vous  cette 
pùque  avant  que  de  mourir'.  Ce  n'était  pas  la  pâ- 
que  légale^  qui  allait  Onir,  que  Jésus-Christ  dési- 
rait avec  tant  d'ardeur  de  manger  avec  sesdisciples  : 
il  l'avait  souvent  célébrée  et  mangée  avec  eux  :  et 
une  autre  pâque  faisait  ici  l'objet  de  son  désir;  et 
c'est  pourquoi  quand  il  dit  :  J'ai  désiré  avec  ardeur 
démanger  avec  vous  cette pàque,\a  pâque  de  la 
nouvelle  alliance;  c'est  de  même  que  s'il  disait  : 
J'ai  désiré  d'être  moi-même  votre  pâque,  d'être 
l'agneau  immolé  pour  vous,  la  victime  de  votre 
délivrance;  et  par  la  même  raison  que  j'ai  désiré 
d'être  une  victime  véritablement  immolée,  j'ai  dé- 
siré aussi  d'être  une  victime  véritablement  mangée  : 
ce  qu'il  accomplit  par  ces  paroles  :  Prenez,  man- 
gez :  ceci  est  mon  corps  donné  pour  vous*  :  c'est 
la  pâque  d'où  doit  sortir  le  sang  de  votre  déli- 
vrance. Vous  sortirez  de  l'Egypte,  et  vous  serez 
libres  aussitôt  après  que  ce  sang  aura  été  versé 
pour   vous  :   il  ne  vous  restera  plus  qu'à  man- 
ger à  l'exemple  de  l'ancien  peuple,   la  victime 
d'oii  il  est  sorti.  C'est  ce  que  vous  accomplirez 
dans  l'eucharistie    que  je   vous   laisse  en  mou- 
rant, pour  être  éternellement  célébrée  après  ma 
mort.  Manger  les  chairs  de  l'agneau  pascal ,  était 
aux  Israélites  un  gage  sacré  qu'il  avait  été  immolé 
pour  eux.  La  manducation  de  la  victime  était  une 
manière  d'y  participer  ;  et  c'était  en  cette  sorte 
qu'on  participait  aux  sacriGces  paciGques,  ou  d'ac- 
tion de  grâces, comme  il  est  marqué  dans  la  loi 3. 
Saint  Paul  dit  aussi  que  les  Israélites  qui  man- 
geaient la  victime ,  par  là  étaient  rendus  parti- 
cipants de  r autel  et  du  sacrifice ,  et  s'unissaient 
mâme'à  Dieu  à  qui  il  était  ojjert;  de  même  que 
ceux  qui  mangeaient  les  victimes  offertes  aux 
démons,  entraient  en  société  avec  eux^.  Si  donc 
Jésus  est  notre  victime,  sti  est  notre  pâque,  il  doit 
avoir  ces  deux  caractères  :  l'un  d'être  immolé  pour 
nous  à  la  croix,  l'autre  d'être  mangé  à  la  sainte 
table  comme  la  victime  de  notre  salut.  Et  c'est  ce 
qu'il  désirait,  avec  tant  d'ardeur,  d'accomplir  avec 
ses  disciples.  L'un  et  l'autre  caractère  devait  être 
également  réalisé  en  sa  personne  :  comme  il  devait 
être  immolé  en  son  propre  corps  et  en  sa  propre 
substance,  il  fallait  qu'il  fût  mangé  de  même  : 
Prenez,  mangez:  ceci  est  mon  corps  livré  pour 
vous:  aussi  véritablement  mangé  qu'il  est  vérita- 
blement livré  ;  aussi  présent  à  la  table  où  on  le 
mange  qu'à  la  croix  où  on  le  livre  à  la  mort,  où 
il  s'offre  épuisé  de  sang  pour  l'amour  de  vous. 

Entrons  donc,  comme  dit  saint  Paul*,  dans 
les  mêmes  dispositions  où  a  été  le  Seigneur  Jésus. 
S'il  a  désiré  avec  tant  d'ardeur  de  célébrer  cette 

'  Imc.  xxn,  15.  —  »  Matth.  XXVI,  26.  —  '  Luc.  XXU,  19. 
"  *  Levit.  m,  7.  —  5  I.  Cor.  x ,  18.  I»,  20, 21. 


pâque  avec  nous,  ayons  le  même  désir  de  faire  la 
pâque  avec  lui.  Cette  pâque  est  la  communion; 
Jésus  a  faim  pour  nous  de  cette  viande  céleste  :  il 
désire  d'être  mangé,  et  par  ce  moyen  d'être  en 
tout  point  notre  victime.  Ayons  la  même  ardeur  de 
participer  à  son  sacrifice,  en  mangeant  ce  divin 
corps  immolé  pour  nous.  S'il  est  notre  victime, 
soyons  la  sienne.  Offrons  nos  corps,  comme  dit 
saint  Paul ,  ainsi  qu'une  Jwstie  vivante ,  sainte  et 
agréable  \  Mortifions  nos  mauvais  désirs  :  étei- 
gnons en  nous  toute  impureté,  toute  avarice,  tout 
orgr«e//»;  humilions-nous  avec  celui  qui,  se  sentant 
égal  à  Dieu ,  n'a  pas  laissé  de  s 'anéantir  lui-même^ 
en  se  rendant  obéissant  Jusqu'à  la  mort,  et  à  la 
mort  de  la  croix  ^.  Prenons  des  sentiments  de  mort  : 
si  nous  sommes  à  Jésus-Christ,  si  nous  le  man- 
geons, crucifions  notre  chair  avec  ses  vices  et 
ses  convoitises*.  C'est  là  notre  pâque  :  notre  pâ- 
que, c'est  d'être  unis  avec  lui  pour  passer  de 
cette  vie  à  une  meilleure,  des  sens  à  l'esprit,  du 
monde  à  Dieu.  Cest  à  ce  prix  que  nous  pour- 
rons nous  rendre  dignes  de  manger  avec  Jésus- 
Christ  la  pâque  qu'il  a  tant  désirée,  et  de  nous 
nourrir  de  la  chair  de  son  sacrifice. 

XVIII*  JOUR. 

Jésus-Chrisl  mangeja  pàque  avec  nous  :  nous  devons  la 
manger  avec  lui. 

Lisez  les  mêmes  paroles  de  saint  Luc ,  xxii , 
15 ,  16,  et  appuyez  sur  ces  mots  :  avec  vous ,  de- 
vant que  de  souffrir. 

Jésus,  qui  nous  a  institué  un  baptême,  a  voulu 
le  recevoir  lui-même;  Jésus,  qui  nous  a  institué 
l'eucharistie  pour  être  notre  pâque ,  a  voulu  avant 
toutes  choses  la  recevoir  avec  nous.  Il  est  notre 
chef,  eomprenons-le  bien;  car  c'est  là  le  grand 
mystère  de  notre  salut.  Il  est  notre  chef  :  et  ce 
qui  est  fait  pour  nous,  il  le  prend  lui-même.  II 
commence  en  sa  personne  l'usage  du  baptême  :  il 
commence  aussi  en  sa  personne  l'usage  de  l'eucha- 
ristie. Quand  il  est  baptisé,  nous  sommes  baptisés 
en  lui  :  nous  recevons  aussi  en  lui  l'eucharistie 
qu'il  reçoit.  Il  ne  faut  donc  point  douter  qu'en 
l'instituant  il  ne  la  reçoive;  il  ne  faut,  dis-je, 
point  douter  qu'il  n'ait  mangé  ce  qu'il  a  présente  à 
ses  disciples.  Quoi  donc,  aura-t-il  mangé  sa  pro- 
pre chair?  cela  fait  horreur.  Homme  charnel!  que 
craignez-vous,  et  jamais  ne  cesserez-vous  d'écou- 
ter vos  sens  ?  Ignorez-vous  le  pouvoir  de  celui  qui 
vous  parle?  S'il  se  donne  lui-même  à  manger  aux 
siens ,  d'une  manière  qui ,  loin  de  leur  faire  horreur, 
leur  inspire  de  la  confiance,  du  respect  et  de  l'a- 
mour; qui  doute  qu'il  n'ait  pu  se  manger  lui-même 
en  cette  sorte?  Sans  quoi  il  n'aurait  pas  dit  :  Tai 
désiré  arec  ardeur  de  manger  avec  vous  cette 
pàque ^.  Or  cette  pàque,  cet  agneau  pascal,  nous 
avons  vu  que  c'était  son  propre  corps.  Il  le  mange 
donc  d'une  manière  aussi  réelle,  et  tout  ensemble 
aussi  élevée  au-dessus  des  sens,  qu'il  nous  le 
donne  :  et  c'est  là  sa  pâque  et  la  nôtre  ;  c'est  son 

'  Philip,  n,  5.  —  »  Rom.  XM,  I.  —  »  Cot&ss.  m,  S.  ^ 
•  PMlip.  U ,  « ,  8.  —  »  Gai.  T,  24. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


.C82 

passage  et  le  nôtre.  Je  m'en  vais,  dit-il,  je mon/e 
vers  mon  Père  et  vers  le  vôtre ,  vers  mon  Dieu 
et  vers  le  vôtre'.  Je  monte  vers  lui,  parce  qu'il 
est  mon  Père  et  mon  Dieu  :  vous  y  monterez 
aussi  avec  moi,  parce  qu'il  est,  quoique  d'une 
autre  manière,  votre  Père  et  votre  Dieu.  Nous 
avons  donc,  vous  et  moi ,  à  accomplir  ce  passage, 
où  nous  passons  du  monde  à  Dieu. 

Mais  quand  Jésus  retourne  à  Dieu,  il  retourne 
au  sein  de  son  Père,  au  lieu  de  son  origine,  à 
son  lieu  natal,  pour  ainsi  parler,  où  il  est  tou-  1 
jours,  et  qu'il  ne  peut  jamais  quitter  :  il  retourne  , 
à  son  propre  bien,  à  sa  propre  gloire  :   il  re-  \ 
tourne  en  quelque  façon  à  lui-même  :  il  vit  de  j 
lui-même.  La  vie  était  en  lui,  comme  elle  était  j 
dans  le  Père  :  il  est  lui-même  la  vie  :  il  est  la  j 
nôtre,  il  est  la  sienne  :  il  est  la  nôtre,  et  nous 
avons  besoin  de  le  manger;  il  est  la  sienne,  et  ! 
il  n'a  besoin ,  pour  ainsi  parler,  que  de  se  man-  ; 
ger  lui-même.   C'est  le  mystère  qu'il  accomplit 
par  cette  pâque,  qu'il  désirait  tant  de  manger 
avec  ses  disciples.  Nous  le  mangeons,  nous  vi- 
vons de  lui   :  il  se  mange,  il  vit  de  lui-même,  et 
il  retourne  à  son  Père ,  pour  jouir  dans  son  sein 
de  cette  vie;  et  c'est  pourquoi  il  ajoute  :  Je  vous 
dis  en  vérité  que  Je  ne  ynangerai  point  de  cette 
pâque  si  désirée,  jusqu'à  ce  que  le  mystère  evi 
soit  accompli  dans  le  royaume  'de  Dieu  ».  Dans 
ce  bienheureux  royaume  ma  pâque  sera  accom- 
plie, parce  que  j'aurai  passé  du  monde  à  mon  Père. 
INIais  ma  pâque,  c'est  aussi  la  vôtre;  et  parce  que  je 
suis  votre  chef,  et  que  vous  êtes  mes  membres,  il 
faut  que  vous  fassiez  le  même  passage.  Mangez 
donc  la  victime  du  passage  :  mangez  mon  corps,  et 
passez  à  Dieu  avec  moi  ;  commencez  à  y  passer  en 
esprit  :  vous  y  passerez  un  jour  en  personne  et 
selon  le  corps,  lorsque  vous  ressusciterez  par  la 
vertu  de  mon  corps ,  qui  aura  sanctifié  le  vôtre. 
Alors  la  pâque  sera  accomplie  en  vous  comme  elle 
le  va  être  en  moi;  vous  passerez  à  ma  gloire  : 
votre  corps  y  passera  comme  votre  âme,  et  il  sera 
revêtu  d'immortalité;  et  tous  ensemble,  le  chef  et 
les  membres,  nous  jouirons  de  la  gloire  et  de  la 
félicité  de  notre  passage,  et  il  n'y  aura  plus  rien  à 
désirer  pour  le  parfait  accomplissement  de  notre 
pâque.  Célébrons-en  donc,  en  attendant,  le  sacré 
symbole  dans  l'eucharistie ,  et  mangeons  avec  Jésus- 
Christ  la  pâque  si  désirée. 

Mon  Sauveur,  par  combien  de  prodiges  y  signa- 
lez-vous votre  amour  envers  nous!  c'est  vous  qui 
nous  donnez  ce  sacré  banquet.  Vous  êtes  la  viande 
qu'on  y  mange  :  vous  êtes  celui  qui  la  mangez, 
puisque  ceux  qui  la  mangent  sont  vos  membres, 
c'est-à-dire  sont  d'autres  vous-même.  Remplissons- 
nous  donc  de  Jésus-Christ  :  on  lui  est  uni  dans  ce 
banquet  corps  à  corps,  âme  à  âme,  esprit  à  esprit. 
Qui  est  digne  de  cette  union  (*)  [sinon  celui  qui 
peut  dire  avec  l'apôtre  :  Je  vis,  non  plus  moi; 
mais  Jésus-Christ  vit  en  moi^]^  qui  est  déjà  en 

»  Luc.  xxii ,  15.  —  »  Joan.  xx ,  17.  —  *  Luc.  x\u ,  16. 
(♦)  Les  mots  placés  entre  deux  []  ne  sont  pas  dans  l'original. 


quelque  façon  un  Jésus-Christ,  pour  le  devenir 
encore  davantage  en  s'y  unissant.'  Qu'il  n'y  ait 
donc  plus  rien  d'humain  en  nous.  Revêtons-nous, 
connne  dit  saint  Paul  •,  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  de  sa  bonté ,  de  sa  douceur,  de  son  humilité, 
de  sa  patience,  de  son  zèle,  de  son  immense 
charité;  ne  respirons  que  le  ciel,  où  Jésus-Christ 
est  assis  à  la  droite  de  son  Père  :  qu'il  n'y  ait  plus 
que  notre  corps  qui  soit  sur  la  terre;  mais  qiie  nous 
vivions  dans  le  ciel*,  comme  en  étant  citoyens. 
Soyons  affamés  de  Jésus-Christ,  de  son  royaume, 
de  sa  justice,  car  il  est  aussi  affamé  de  nous  :  il  dé- 
sire d'un  grand  désir  de  ?nanger  avec  nous  cette 
pâque;  de  nous  unir  à  lui ,  et  d'agir  sans  cesse  sur 
nous  et  en  nous  par  son  esprit,  pour  nous  rendre 
de  plus  en  plus  conformes  à  lui,  jusqu'à  ce  qu'en 
nous  mettant  entièrement  avec  lui,  nous  lui 
soyons  tout-à-fait  semblables,  e)i  le  voyant  face  à 
face,  et  tel  qu'il  est^.  Et  c'est  là  cette  pâque, 
qu'il  accomplira  dans  le  royaume  de  Dieu,  dan^j 
le  texte  que  nous  méditons.  Amen!  amen! 

X1X«  JOUR. 

L'eucharistie  mémorial  de  la  mort  du  Sauveur. 

Jvant  que  de  souffrir.  Ce  sont  les  dernières 
paroles  du  verset  15  du  chapitre  xxii  de  saint 
Luc.  Cherchons  avec  humilité  pourquoi  il  fallait 
que  Jésus-Christ  instituât  et  qu'il  mangeât  cette 
pâque  avec  ses  disciples  avant  que  de  souffrir, 
plutôt  qu'après  et  lorsqu'il  fut  ressuscité. 

Il  avait  dessein  dans  ce  mystère  de  nous  rendre 
sa  mort  présente;  de  nous  transporter  en  esprit 
au  Calvaire,  où  son  sang  fut  répandu,  et  coula 
à  gros  bouillons  de  toutes  ses  veines.  Ceci,  dit-il 
est  mon  corps ,  donné  pour  vous ,  rompxi  pour 
vous,  et  percé  de  tant  de  plaies  :  Ceci  est  mon 
sang  répandu  pour  vous^.  Voilà  ce  corps,  voilà 
ce  sang,  qui  nous  sont  mis  devant  les  yeux, 
comme  séparés  l'un  de  l'autre.  Afin  que  tout  ca- 
drât à  son  dessein ,  il  fallait  que  ce  mystère  fiH 
institué  à  la  veille  de  cette  mort  sanglante,  la 
nuit  même  où  il  devait  être  livré ,  comme  remar- 
que saint  Paul  6,  lorsque  Judas  machinait  son 
noir  dessein,  et  qu'il  était  prêt  à  partir  pour 
l'exécuter.  Que  dis-je,  prêt  à  partir  :  Jl  part  de 
la  table  7  où  lui  et  les  autres  disciples  mangeaient 
pour  la  dernière  fois  avec  leur  maître ,  où  il  venait 
de  leur  donner  son  corps  et  son  sang ,  et  à  Judas 
comme  aux  autres  :  il  part  à  ce  moment  pour 
l'aller  livrer  :  dans  deux  heures  il  le  mettra  entre 
les  mains  de  ses  ennemis!  Jésus  est  lui-même  déjà 
tout  troublé  de  sa  mort  prochaine ,  du  trouble 
mystérieux  que  nous  avons  vu  :  c'est  en  cet  état, 
c'est  parmi  ce  trouble,  et  la  mort,  pour  ainsi  par- 
ler, déjà  présente,  qu'il  institue  la  nouvelle  pâque. 

Toutes  les  fois  donc  que  nous  assistons,  que 
nous  communions  à  son  mystère;  toutes  les  fois, 
que  nous  entendons  ces  paroles  :  Ceci  est  mon 
corps,  ceci  est  mon  sang;  nous  devons  nous  sou- 

•  Gai.  M ,  20.  —  '  Rom.  xiii  ,14.-3  philip.  m ,  lo.  — t 
«  \.  Joan.  !U,  2.-5  Matth.  xxvi ,  26,  28.  Liic.  XXII,  19,  «P. 
—  6  \.  Cor.  XI ,  23.  —  '  Joan.  xm ,  30. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


683 


vpnir  dans  quelles  conjonctures ,  à  quelle  nuit ,  au 
milieu  ie  quels  discours,  elles  furent  proférées. 
Ce  fut  en  disant  devant,  ce  fut  en  répelant  après  : 
L'n  de  vous  me  trahira  :  la  main  de  celui  qui 
me  trahira,  est  avec  moi  à  la  tablée  L'institu- 
tion de  la  cène  est  faite  dans  cette  conjoncture  : 
pendant  que  les  apôtres ,  avertis  de  la  perGdie  d'un 
de  leurs  compagnons,  se  regardaient  les  uns  les 
autres,  et  demandaient  avec  étonnement  et  avec 
frayeur  :  Sera-ce  moi?  que  Judas  le  demandait  lui- 
même,  et  que  le  Sauveur  lui  dit  :  Oui,  c'est  vous, 
vous  l'avez  dit*;  ajoutant  encore,  pour  lui  faire 
sentir  qu'il  lisait  au  fond  de  son  cœur  ses  noires 
machinations  :  Va,  achève,  malheureux  :  fais 
promptement  ce  que  tu  as  à  faire  ^.  C'est  au 
uiilieu  de  ces  actions  et  de  ces  paroles;  et  pendant 
qu'il  désignait  des  yeux  et  de  la  main,  celui  qui 
allait  faire  le  coup  :  c'est,  dis-je,  parmi  toutes  ces 
choses  ,  qu'il  institua  l'eucharistie. 

Ne  la  mangeons  donc  jamais,  n'assistons  jamais 
à  la  célébration  de  ce  mystère ,  que  nous  ne  nous 
transportions  en  esprit  à  la  triste  nuit  où  il  fut  éta- 
bli, et  que  nous  ne  nous  laissions  pénétrer  des  pré- 
paratifs affreux  du  sacrifice  sanglant  de  notre  Sau- 
veur; car  c'est  pour  cette  raison  que  saint  Paul ,  en 
racontant  cette  institution ,  nous  remet  devant  les 
yeux  cette  nuit  affreuse  :  J'ai,  dit-il,  appris  du 
Seigneur  ce  que  je  vous  ai  enseigné  :  que  le  Seigneur 
Jésus,  la  nuit  où  ildevaitêtre  livré,  prit  du  pain  ; 
et  le  reste  <.  C'est  dans  cette  nuit;  songez-y  bien, 
et  remarquez  cette  circonstance. 

Il  pourrait  sembler  que  l'eucharistie  étant  un 
mémorial  de  cette  mort ,  en  devait  être  précédée. 
Mais  non  :  c'est  aux  hommes ,  dont  les  connais- 
sances sont  incertaines ,  et  la  prévoyance  trem- 
blante, à  laisser  arriver  les  choses,  avant  que  d'or- 
donner qu'on  ^en  souvienne.  Mais  Jésus,  bien 
assuré  de  ce  qui  allait  arriver,  et  du  genre  de  mort 
qu'il  devait  souffrir,  sépare  par  avance  son  corps  et 
son  sang  :  Ceci  est  mon  corps ,  ceci  est  mon  sang, 
dit-il'  :  mon  corps  livré;  mon  sang  répandu  : 
sou  venez- vous-en  :  souvenez-vous  de  mon  amour, 
de  ma  mort,  de  mon  sacrifice  ,  et  de  la  manière  ad- 
mirable dont  s'accomplira  votre  délivrance. 

Ainsi  quand  Dieu  institua  la  pàque,  à  la  veille 
de  la  délivrance  du  peuple  de  Dieu;  lorsque  tout 
le  monde  était  en  attente  de  ce  qu'il  ferait  la  nuit 
suivante,  pour  accomplir  cet  ouvrage,  il  leur  dit  : 
Immolez  un  agneau,  prenez-en  le  sang,  lavez-en 
vos  portes  :  je  viendrai,  je  verrai  ce  sang,  et  je 
passerai;  l'ange  exterminateur  ne  vous  frappera 
pas  ;  et  j'épargnerai  à  cette  marquetés  ynaisons 
des  Israélites ,  pendant  que  je  remplirai  celles  des 
Égyptiens  de  carnage  et  de  deuil,  en  faisant  mou- 
rir tous  leurs  premiers-nés  :  et  ce  sera  la  le  coup 
de  votre  délivrance.  C'est  ce  que  Dieu  dit  dans 
l'Exode^.  Mais  que  dit-il  dans  le  même  lieu?  rous 
renouvellerez  tous  les  ans  la  même  cérémcnie  ; 
vous  immolerez  un  agneau,  vous  le  mangerez  avec 

•  Vatth.  XXVI,  2f.  Luc.  xxii,  21.  —  '  Matth.  \x\i,  22, 
25.  —  3  Joan.  xni ,  27.  —  •  I.  Cor.  \i ,  23.  —  ^  Matth.  x\M  , 
:«,  :i<.  Luc.  xxu,  19,  20.— «fzorf.  xn,  3,6,7,  12,  I3,2X 


les  mêmes  observances  ;  et  quand  vos  enfants  vous 
demanderont  :  Quelle  est  cette  religieuse  cérémo- 
nie? vous  leur  répondrez  :  C'est  la  victime  que  nous 
célébrons  en  mémoire  du  passage  du  Seigneur,  lors- 
que, frappant  toute  l'Egypte ,  U  épargna,  il  passa 
les  maisons  des  Israélites,  et  nous  délivra  par  ce 
moyen  de  la  servitude  où  nous  étions  ' . 

Dieu  donc,  qui  savait  ce  qu'il  voulait  faire,  en 
institua  aussi  le  mémorial,  avant  que  la  chose  fût 
arrivée;  afin  qu'en  faisant  la  pâque ,  non-seulement 
ils  se  souvinssent  de  leur  délivrance,  mais  qu'ils  se 
souvinssent  encore  que  ce  sacré  mémorial  avait  été 
établi  à  la  veille  d'un  si  grand  ouvrage,  et  pendant 
que  tout  le  peuple  était  en  attente  d'un  si  grand 
événement. 

La  nouvelle  pâqae  est  instituée  dans  le  même  es- 
prit :  et  toutes  les  fois  qu'on  la  célèbre  parmi  nous , 
et  on  la  célèbre  non  pas  tous  les  ans,  comme  la  pâ- 
que  ancienne ,  mais  tous  les  jours  ;  toutes  les  fois, 
dis-je,  qu'on  la  célèbre ,  et  que  nos  enfants,  qui 
nous  la  verront  célébrer  avec  tant  de  religion  et  de 
respect,  nous  demanderont:  Quelle  est  cette  cérémo- 
nie? nous  leur  dirons  :  C'est  le  mystère  que  Jésus- 
Christ  institua  avant  sa  mort,  mais  cette  mort  déjà 
présente,  pendant  qu'oq  tramait  le  noir  complot  qui 
le  devait  mettre  en  croix  le  lendemain;  pour  nous 
laisser  un  mémorial  de  cette  mort,  et  la  perpétuer 
en  quelque  sorte  parmi  nous.  Venez,  venez,  mes 
enfants  ;  préparez- vous  à  communier  avec  nous , 
et  souvenez-vous  de  votre  Sauveur  immolé  pour  l'a- 
mour de  vous. 

Il  fallait  donc  pour  accomplir  l'ancienne  figure 
de  la  pâque,  il  fallait  que  la  nouvelle  pâque  qui 
devait  être  le  mémorial  éternel  de  la  mort  de  Jésus- 
Christ,  fût  instituée  avant  cette  mort.  J'ai  désiré, 
dit  Jésus,  delà  manger  avec  vous  avant  que  de 
souffrir  ».  Et  qu'était-ce,  en  effet,  que  la  pâque  an- 
cienne, si  ce  n'était  la  figure  de  la  véritable  déli- 
vrance du  peuple  de  Dieu?  Immolez  un  agneau, 
prenez-en  le  sang ,  lavez-en  vos  portes ,  je  vous 
délivrerai  à  cette  marque  3. Dieu  avait-il  besoin  du 
sacrifice  d'un  agneau,  pour  accomplir  ses  ouvrages? 
avait-il  besoin  d'un  signal,  et  de  cette  marque  de 
sang,  pour  connaître  les  maisons  qu'il  voulait  épar- 
gner? Tout  cela  manifestement  se  faisait  en  notre 
figure,  pour  nous  apprendre  que  nous  ne  serions  dé» 
livrés  que  par  le  sacrifice  de  Jésus-Christ,  l'agneau 
sans  tache  immolé  pour  le  péché  du  monde ,  et  en 
vue  du  sang  de  son  sacrifice.  Et  Jésus-Christ  éta^ 
blit  le  mémorial  d'un  si  grand  bienfait  comme  Dieu 
avait  établi  celui  de  la  délivrance  du  peuple  ancien , 
avant  que  la  chose  fût  arrivée  ;  afin  que  nous  con- 
nussions que  notre  Dieu  n'est  pas  comme  les  hom- 
mes, qu'il  sait  prévoir  toutes  choses,  et  les  faire 
comme  il  convient  à  un  Dieu. 

Accoutumons-nous  donc,  en  assistant  au  saint 
sacrifice,  et  encore  plus  en  communiant,  à  nous 
remplir  la  ménioire  de  la  mort  de  notre  Sauveur» 
et  de  la  nuit  où  il  fut  livré.  Regardons  l'institu- 
tion de  l'eucharistie  comme  un  nouvel  engagemeni 

«  Exnd.  Sii,^ ,  26,  27.  —  '  Luc.  \\u ,  15.  —  ^ Ex0d.  W» 
3,4,6. 


t»t 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


qu'il  prenait  encore  avec  nous  et  avec  son  Père , 
pour  se  dévouer  à  la  mort.  Et  quelle  merveille,  qu'il 
l'ait  prévue  à  la  veillequ'elle  arriva  :  puisque  non- 
seulement  il  l'avait  prévue  longtemps  auparavant, 
comme  on  le  voit  en  tant  de  lieux  de  son  Évangile; 
mais  encore ,  comme  on  le  voit  dans  la  loi  et  dans 
les  prophètes  ,  dès  l'origine  du  monde ,  par  tant  de 
prédictions,  par  tant  de  ligures  admirables? 

XX*  JOUR. 

Paroles  de  Jésus,  pour  toucher  Judas  de  componction. 
Joan.  xin,  lO,  27. 

Rappelons  à  notre  mémoire  toutes  les  paroles  de 
Jésus-Christ  sur  le  sujet  de  Judas,  dans  cette  nuit, 
dès  le  lavement  des  pieds.  Fous  êtes  purs,  disait-il , 
mais  non  pas  tou,s.  Car  il  savait  qui  était  celui  qui 
devait  le  trahir  ;  et  un  peu  après  :  Je  ne  parle  pas 
de  vous  tous;  je  connais  ceux  que  f  ai  choisis  ; 
mais  il  faut  que  l' Écriture  soit  accomplie,  où  il 
est  dit  :  Celui  qui  mange  à  ma  table  lèvera  le  pied 
contre  moi  ;  et  je  vous  le  dis  avant  que  la  chose  ar- 
rive ,  afin  que  vous  connaissiez  qui  je  suis ,  lors- 
qu'elle sera  arrivée  '. 

Ce  n'était  pas  seulement  pour  l'instruction  de 
ses  fidèles  disciples  que  Jésus-Christ  parlait  ainsi; 
c'était  pour  la  conversion  de  ce  perfide.  Car  qu'y 
a-t-il  de  plus  puissant  pour  convertir  un  pécheur, 
que  de  lui  dire  :  Tu  es  vu;  comme  Nathan  disait  à 
David  :  C'est  vous  qui  êtes  cet  homme  *  ;  vous  êtes 
cet  adultère,  cet  homicide:  vous  l'avez  fait  en  se- 
cret, et  moi  je  le  découvrirai  à  toute  la  terre?  Et 
David,  averti  de  cette  sorte,  confessa  son  péché, 
et  commença  sa  pénitence.  C'est  ainsi  que  le  Sau- 
veur lui-mêmedit  à  Judas  ^:  C'est  toi,  c'est  toi,  mal- 
heureux! tu  caches  en  vain  les  noirs  desseins;  tu  vas 
en  vain  chercher  les  Juifs  dans  le  secret  et  parmi 
les  ténèbres  de  la  nuit  :  tu  es  vu;  on  lit  dans  ton 
cœur  :  perfide,  tu  veux  trahir  ton  Sauveur.  Pour- 
quoi nous  cachons-nous,  malheureux,  si  nous  ne 
pouvons  éviter  les  yeux  de  Jésus-Christ?  N'est-ce 
pas  assez  que  Dieu  nous  voie?  Le  comptons-nous 
pour  rien,  et  ses  yeux  nous  sont-ils  indifférents? 

Il  poursuit  ;  et  de  peur  de  n'être  pas  assez  en- 
tendu :  Un  de  vous,  dit-il,  me  trahira...  Ils  se 
regardaient  les  uns  les  autres,  ne  sachant  de  qui 
il  voulait  parler  ;  et  comme  ils  lui  demandaient 
chacun  en  particulier  :  Est-ce  moi.  Seigneur?  il 
leur  répondit  :  Celui  qui  met  la  main  au  plat  avec 
moi  me  trahira*.  Mais  comme  plusieurs  pouvaient 
l'y  mettre  ensemble,  et  que  ce  signal  n'était  pas 
précis,  Pierre  fit  signe  à  Jean,  le  disciple  bien-aimé 
de  Jésus ,  qui  reposait  dans  le  repas  sur  sa  poi- 
trine, qu'il  lui  demandât  qui  c'était  :  Et  c'est  celui, 
dit  Jésus,  à  qui  je  donnerai-v^n  morceau  trempé;  et 
l'ayant  trempé,  il  le  donna  à  Judas  fds  de  Simon 
Iscariote^.  Le  voilà  bien  connu  et  bien  désigné  par 
son  nom,  par  sa  famille,  par  son  caractère.  11 
s'appelait  Judas,  son  père  était  Simon,  le  titre 
de  sa  famille  était  Iscariote,  Y  homme  de  meurtres, 

'  Joan.  XIII,  10,  II,  18,  19.  —  '  II.  Reg.  xn,  7,  13.  — 
»  Matth.  XXVI,  25.  —  *  Joan.  xni,  21 ,  22.  Matth.  XXVI,  22, 
2a —  *  Joan.  Xlli ,  23 ,  24 ,  56 . 


parce  qu'il  devait  tuer  le  Sauveur,  et  parce  qu'H  tTe» 
vait  enfin  se  tuer  lui-même.  Où  fuiras-tu,  malheu- 
reux? tu  es  vu  :  ta  destinée  est  marquée.  Et  nous, 
sommes-nous  moins  vus,  quand  nous  trahissons 
notre  maître ,  quand  nous  allons  souvent  de  l'église , 
souvent  de  la  table  même  du  Sauveur ,  où?  à  quel 
complot?  à  quelle  entreprise?  Dieu  le  sait!  quand 
nous  nous  cachons  pour  vendre  notre  maître  ;  à  quel 
prix?  qui  n'en  rougirait,  et  oserons-nous  le  penser? 

Ils  furent  extrêmement  affligés  à  ces  paroles 
du  Sauveur,  de  savoir  qu'un  de  leur  compagnie, 
devait  trahir  leur  maître.  Quel  scandale  pour  les 
Juifs  :  C'est  un  méchant,  ses  propres  disciples  le 
livrent,  et  ne  le  peuvent  plus  souffrir!  Quelle  dou- 
leur à  ceux  qui  avaient  de  l'amour  pour  leur  maître,, 
de  lui  voir  faire  un  tel  affront!  Quand  quelqu'un! 
offense  le  Sauveur,  ce  devrait  être  une  aflliction, 
pour  tous  ses  disciples;  c'est-à-dire,  pour  tous  les. 
chrétiens.  Tous  furent  affligés,  et  lui  deman- 
daient :  N'est-ce  pas  moi  ' ,  qui  suis  ce  traître  et 
ce  malheureux?  Et  Judas,  qui  devait  se  confondre 
et  se  convertir  en  voyant  l'horreur  et  l'af/liction  que- 
ce  discours  causait  à  tous  ses  frères ,  loin  d'en  être 
touché,  prend  avec  les  autres  un  air  de  confiance^ 
et  dit  comme  eux  :  Seigneur,  est  ce  moi?  et  Jésus 
lui  répondit  :  f-ous  l'avez  dit,  c'est  vous-même  *^l 
Cependant  il  n'est  point  ému;  et  content  de  faire- 
bonne  mine,  il  persiste  dans  son  dessein.  Vous 
en  êtes  étonné!  Mais  quoi?  quand  vous  machinez 
quelque  crime,  et  que  vous  faites  cependant  bonne 
contenance,  Jésus  ne  vous  voit-il  |)as?  Ignorez-vous 
qu'il  ne  vous  dise  :  C'est  voîis-même?  N'est-ce  pas 
pour  vous  qu'il  dit  :  Le  Eils  de  l'homme  s'en  va , 
ainsi  qu'il  a  été  écrit  de  lui?  Il  n'y  a  pour  lui  rien 
de  surprenant,  ni  de  nouveau  dans  cette  entreprise  : 
mais  malheur  à  celui  par  qui  le  Fils  de  l'homme 
sera  livré'.  Ilvaiidrait  mieux  pour  cet  homme  qu'il 
neût  jamais  été^.  Il  ne  dit  pas  .-Il  vaudrait  mieux 
absolument  :  car  par  rapport  au  conseil  de  Dieu  , 
et  au  bien  qui  revient  au  monde  de  la  trahison  de 
Judas,  il  faut  bien  qu'il  vaille  mieux  qu'il  ait  été  : 
mais  la  puissance  de  Dieu  n'empêche  ni  n'excuse 
la  malice  de  l'homme.  Le  bien  qu'il  tire  de  notre 
crime  ne  nous  justifie  pas.  Malheur,  malheur  à  cet 
homme,  par  qui  Jésus  est  offensé!  Il  vaudrait  mieux 
pour  cet  homme  qu'il  n'eût  jamais  été,  puisqu'il  est 
né  pour  son  supplice ,  et  que  son  être  ne  lui  sert  de 
rien  que  pour  rendre  sa  misère  éternelle. 

Disons  donc,  non  plus  sur  Judas,  mais  sur  tous 
les  pécheurs  endurcis ,  et  sur  nous-mêmes  :  Mal- 
heur, malheur  à  cet  homme!  Maudit  soit  le  jour 
de  ma  naissance,  disait  Job,  disait  Jérémie,  en 
la  personne  des  méchants  et  des  réprouvés  :  M% 
mère,  pourquoi  m'avez-vous  conçu?  Malheureux 
celui  qui  est  venu  annoncer  à  mon  père  :  Un  fils 
vous  est  né!  Pourquoi  le  sein  de  ma  mère  n'a-tU 
pas  été  mon  tombeau?  Nuit  affreuse  ^nuit  malheu- 
reuse, où  j'ai  été  conçu  !  Que  ce  soit  une  nuit  d'ho?'- 
reur,  de  tourbillon  et  de  tempête  !  que  les  étoiles 
n'y  luisent  jamais!  que  l'aurore  n'en  dissipe  ja? 

'  Matlh.  XXVI,  22.  —  î  nid.  25.  —^Ibid.  24- 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


685 


mais  l'obscurité,  puisqu'elle  ne  m'a  pas  étouffé  en 
venant  au  monde,  et  n'a  pas  fait  de  moi  on  avor- 
ton !  Mais  s'il  fallait  que  je  naquisse,  pourquoi  m'a- 
(-on  nourri?  Que  ne  suis-je  mort  dans  mon  en- 
fance! Et  pourquoi  fallait-il  prolonger  mes  jours 
pour  augmenter  mes  malheurs  avec  mes  crimes  •  ? 
Il  n'y  aurait  de  remède  à  mes  maux  que  le  néant, 
et  je' ne  l'obtiendrai  jamais.  Je  subsisterai  malheu- 
reux pour  honorer  la  puissance  de  Dieu  par  mon 
supplice,  pour  être  en  butte  à  ses  traits ,  pour  être 
un  spectacle  de  sa  vengeance*.  Éternellement, 
éterneliement  :  ah!  malheureux  que  je  suis!  mal- 
heureux, encore  un  coup!  Disons  sans  cesse,  mal- 
heureux! disons-le  pendant  qu'il  est  temps  :  vien- 
dra le  temps  qu'on  le  dira  inutilement ,  et  qu'il  ne 
servira  de  rien  de  connaître  son  malheur. 

Malheur  a  celui  par  qui  le  Fils  de  l  homme  sera 
trahi;  malheur  à  lui!  Jésus  le  plaint:  s'il  le  plaint, 
s'il  en  a  pitié,  il  veut  qu'il  se  convertisse  :  ce  n'est 
pas  en  vain  qu'il  dit  :  //  vaudrait  mieux  pour  cet 
homme  que  jamais  il  ne  fût  né^.  Il  est  encore  temps 
de  se  convertir;  mais  après  le  crime  consommé ,  la 
miséricorde  épuisée,  tant  de  salutaires  avertisse- 
ments rendus  inutiles,  il  n'y  a  plus  pour  lui  de  mi- 
séricorde. Jésus  lui  parle  pour  la  dernière  fois 
ivant  son  crime  :  Fais  vite  ce  que  tuas  à  faire  ^\ 
de  même  qu'il  dira  bientôt  :  Dormez  maintenant , 
tt  reposez-vous ,  le  Fils  de  l'homme  va  être  livré^. 
C'était  dire  :  Il  serait  honteux  de  dormir  en  cette 
occasion ,  veillez  donc.  Le  Fais  vite  dit  de  ce  ton , 
veut  donc  dire  :  Se  le  fais  pas ,  tu  es  connu  ,  tu  es 
découvert;  reconnais-toi  aussi  toi-même,  ne  passe 
pas  outre  :  ou  bien ,  Fais  vite  pour  moi ,  car  je  suis 
pressé  de  souffrir,  et  de  sauver  les  hommes  :  mais 


dans  le  même  temps  qu'il  lui  dit  :  Cest  toi' ,  je  te 
connais  ;  ce  qui  était  ta  manière  de  l'avertir  la  plus 
pressante.  Judas  y  fut  insensible  ;  et  en  même  temps 
Satan  s'empara  de  lui  ».  Dès  auparavant  illui  avait 
mis  dans  le  cœur  de  trahir  son  mattre^.  Mais 
maintenant,  après  ce  morceau,  il  entre  en  lui,  il  se 
met  en  possession  de  ce  malheureux,  et  il  lai  est 
entièrement  livré.  Et  voilà  un  moment  après  qu'il 
sort  delà  compagnie  de  Jésus,  pour  ne  plus  y  reve- 
nir que  pour  le  livrer. 

Il  reçut  bien  un  autre  morceau ,  si  on  peut  l'ap- 
peler ainsi,  mais  qui  n'est  point  marqué  en  parti- 
culier, parce  qu'il  fut  donné  à  tous;  ce  fut  le  corp« 
du  Sauveur,  Car  saint  Luc  marque  expressément, 
qu'il  dit  encore  après  la  cène  :  La  main  de  celui 
qui  me  trahira  est  avec  moi  dans  cette  table*. 
Il  a  mis  sa  main  jusque  sur  la  viande  céleste ,  jus- 
que sur  la  coupe  qui  est  remplie  de  mon  sang  :  mor- 
ceau funeste,  breuvage  terrible  pour  Judas!  Je  ne 
puis  douter  que  sa  communion  impie  et  sacrilège 
ne  hâtât  sa  perte,  et  ne  lui  fut  une  occasion  de 
scandale  contre  son  maître.  Car  encore  que  l'Écri- 
ture ne  marque  point  en  ce  lieu  que  Judas  ait  été 
scandalisé  du  mystère  de  l'eucharistie,  il  suffit 
qu'elle  nous  le  marque  en  un  autre  endroit.  Judas 
fut  du  nombre  de  ceux  qui  murmurèrent  à  Caphar- 
naûm  à  la  première  proposition  de  ce  mystère.  Ce 
fut  lui  qui  donna  occasion  au  Sauveur  de  demander 
à  ses  apôtres  :  Et  vous,  voulez-vous  aussi  vous  en 
aller  avec  les  autres  qui  me  quittent.'  Car  comme 
saint  Pierre  lui  eut  répondu  au  nom  de  tous,  ainsi 
qu'il  avait  accoutumé  :  Seigneur,  à  qui  irions- 
nous?  fous  avez  des  paroles  de  vie  étemelle;  et 
nous  avons  cru  et  connu  que  vous  êtes  le  Christ,  le 


pour  toi,  que  veux-tu  faire.'  ami  Judas,  quel  est  i  Fils  de  Dieu;  Jésus  lui  fit  bien  connaître  qu'il  ne 


ton  dessein?  Pourquoi  viens-tu?  tu  trahis  le  Fils 
de  l'hvmme  avec  un  baiser^.  Ah!  tu  es  encore 
mon  ami ,  si  tu  le  veux  ;  et  ce  baiser,  qui  est  de  ta 
part  uu  baiser  de  traître,  pourrait  encore  être  de 
la  mienne  un  baiser  dami  et  de  Sauveur,  si  tu  avais 
recours  à  ma  clémence 7. 

Reviens,  reviens,  prévaricatrice  d'Israël;  et 
pourquoi  voulez-vous  périr,  maison  de  Jacob? 
Pour  moi,  je  ne  veux  point  la  mort  du  pécheur; 
mais  qu'Use  convertisse ,  et  qu'il  vive. 

XXP  JOUR. 

Pacte  et  trahison  de  JiiJas.  Joan.  xiii,  27,  30. 

Et  après  qu'il  lui  eut  donné  le  morceau  trempé, 
Satan  entra  en  lui;  et  Judas  l'ayant  reçu,  ilpar- 
tit  incontinent* .  C'était  là  le  dernier  avertissement 
qu'il  devait  recevoir  de  Jésus-Christ  avant  qu'il 
allât  consommer  son  crime.  Ce  signal  donné  à  saint 
Jean  de  servir  Judas  à  table ,  de  lui  présenter  un 
morceau  qu'il  avait  trempé  pour  lui ,  n'en  était  pas 
moins  à  ce  traître ,  selon  la  coutume ,  une  marque 
d'honneur  et  de  familiarité.  Ce  fut  apparemment 

•  Joh.  m ,  1 , 2 ,  ? ,  et  seq.  Jerem.  xv,  10  ;  xx ,  14 ,  15  et  seq.  — 
*Exod.  ï\,l6.Rom.ix,  17.— ' .Va«A.xxvi,a*.  Afarc.  xnr,2l. 

•  '  Joan.  xiu,  27.  —  *  .Vatth.  xxvi  ,43.  — «  Ibid.  50.  Luc. 
XXII ,  48.  —  '  Jerem.  m ,  12.  Ezech.  XXXJII,  II.  —  '  Joan.  XIU , 


recevait  pas  sa  déclaration  pour  tous,  puisqu'il  re- 
partit :  Ne  vous  ai-je  pas  choisi  vous  douze?  et  il 
y  en  a  un  de  vous  qui  est  un  diable.  Et,  dit  saint 
Jean ,  //  entendait  Judas ,  fis  de  Simon  Iscariote, 
qui  le  devait  livrer  * ,  encore  qu'il  fût  uu  des 
douze. 

Cette  parole  nous  fait  voir  que  Judas  fut  un  de 
ces  impies  murmurateurs,  à  qui  la  promesse  de  Jé- 
sus, die  donner  son  corps  à  manger,  et  son  sang  à 
boire,  fut  un  scandale.  S'il  fut  scandalisé  de  la  pro- 
messe, on  doit  croire  qu'il  ne  le  fut  pas  moins  de 
l'effet.  Judas  fut  précipité  de  crime  en  crime.  Aveu- 
gle premièreiiieiitparson  a\3r\ce ,  qui  lui  faisait  dé- 
rober i  argent  dont  son  maître  tarait  fait  le  gar- 
dien^, il  s'accoutumait  à  murmurer  contre  lui.  Il 
commença  ses  murmures  à  l'occasion  de  la  promesse 
de  l'eucharistie;  il  les  continua  lorsque  Marie  ré- 
pandit tant  de  précieux  parfums  sur  la  tête  et  sur 
les  pieds  du  Sauveur,  et  il  crut  qu'elle  lui  était 
tout  l'argent  qu'elle  employait  pour  cela?.  Il  partit 
incontinent  après,  pour  aller  faire  son  marché 
avec  les  Juifs *.Un  esprit  corrompu  tourne  tout  en 
poison.  Le  sacré  banquet  de  l'eucharistie  acheva  de 

'  .Vatlh.  XXVI,  25.  —''Joan  xin ,  27.  —  »/6t<f.  2.  --• 
<  Luc.  XXII.  2\.—^Jnan.  VI,  CO  ,68,  «9,  70,  71,  72.  — •  Ihid. 
xn  ,  «5.  —  :  Ibid.  5,  6.  —  •  ;VattA.  XXYI,  13, 14.  Marc.  XTT, 
io. 


686 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


perdre  le  traître  disciple;  et  ce  fut  en  sortant  de 
cette  table  sacrée  qu'il  alla  premièrement  à  la  tra- 
hison ,  et  de  là  au  désespoir  et  au  cordeau. 

Jésus ,  qui  fait  tout  pour  notre  salut ,  permit  que 
Judas  reçût  le  don  sacré  avec  les  autres  ;  afin  que 
nous  vissions  les  effets  funestes  d'une  communion 
indigne.  Voyez  le  bien-aimé  disciple  à  la  table  du 
Sauveur,  et  y  reposant  sur  sa  poitrine  ;  voilà  l'image 
de  ceux  qui  communient  dignement.  Ils  se  reposent 
sur  la  poitrine  de  Jésus  :  à  l'exemple  de  saint  Jean , 
ils  apprennent  à  cette  source  les  secrets  célestes  : 
comme  lui  ils  sont  honorés  de  la  familiarité  et  des 
caresses  de  leur  maître  :  et  fidèles  imitateurs  de  sa 
chasteté ,  de  sa  bonté ,  de  sa  douceur,  qui  sont  les 
vrais  caractères  de  saint  Jean ,  ils  sont  dignes  d'être , 
comme  lui ,  ses  disciples  bien-aimés.  Voyez  de  l'au- 
tre côté  un  Judas  à  la  communion  :  la  disposition 
où  il  est,  celle  où  il  entre  :  ô  Dieu,  quelle  opposi- 
tion! quel  effroyable  contraste!  qui  ne  tremblerait 
à  cette  vue  ! 

XXIV  JOUR. 

Institution  de  l'eutthàtistie. 

Lisez  les  paroles  de  l'institution  de  la  cène ,  en 
saint  Matthieu ,  xx vi ,  26 ,  27 ,  28  :  en  ajoutant  les 
paroles  des  autres  auteurs  sacrés ,  qui  sont  du  même 
sujet.  Pendant  qu'ils  soupaient;  comme  ils  man- 
geaient encore  (  suivant  le  grec  ) ,  Jésus  prit  du 
pain,  le  bénit,  et,  après  avoir  rendu  grâces' ,  le 
rompit, et  le  donna  à  ses  disciples,  en  leur  disant  : 
Prenez,  mangez;  ceci  est  mon  corps,  donné  pour 
vous  :fa  ites  ceci  en  mémoire  de  moi  » .  Et  prenant  la 
coupe  après  le  souper,  il  rendit  grâces ,  et  la  donna 
à  ses  disciples,  en  leur  disant  :  Buvez-en  tous; 
c'est  mon  sang;  le  sang  de  la  nouvelle  alliance, 
qui  est  répandu  pour  plusieurs  en  rémission  de 
leurs  péchés  :  foutes  les  fois  que  vous  le  boirez, 
faites-le  en  mémoire  de  moi^.  Voilà  tout  ce  qui 
regarde  l'institution.  Seulement  au  lieu  que  saint 
Luc  fait  dire  au  Sauveur  :  Ceci  est  mon  corps  donné 
pour  vous;  saint  Paul  lui  fait  dire  :  Ceci  est  mon 
corps  rompu  pour  vous  4  :  toujours  dans  le  même 
sens;  il  est  livré  à  la  mort,  il  est  froissé  de  coups, 
percé  de  plaies ,  violemment  suspendu  à  une  croix  : 
en  ce  sens  rompu  et  brisé  :  voilà  le  corps  que  Jésus 
nous  donne;  le  même  corps  qui  allait  bientôt  souf- 
frir ces  choses,  qui  les  a  maintenant  souffertes. 
Encore  un  mot  sur  le  texte.  Au  lieu  que  la  Vul- 
gate  traduit  :  le  sang  qui  sera  répandu  pour  vous; 
l'original  porte  :  qui  est  répandu ,  qui  se  répaiid; 
en  temps  présent,  dans  saint  Matthieu  et  dans  saint 
Marc  :  et  sur  le  corps ,  le  même  original  porte 
dans  saint  Paul  :  le  corps  qui  est  rompu;  qui  se 
rompt,  pareillement  en  temps   présent.  Et,  en 
effet ,  dans  saint  Luc,  la  version  porte ,  aussi  bien 
que  l'original  :  qui  est  donné,  qui  se  donne  :  quod 
DATUR,  et  non  pas  un  futur,  sera  donné^;  dans  le 
même  sens  que  Jésus  disait  :  Pâque  sera  dans 
deux  jours,  et  le  Fils  de  l'homme  sera  livré^\  est 

•  I.  Cor.  XI ,  24.  —  »  Luc.  XXII,  10.  —  '  Ibid.  20.  I.  Cor.  XI, 
2'..  *  Ibid  24,  dans  le  grec.  —  ^  Luc.  xxii,  19. —  '  Matth. 
Aivi,a.j 


livré,  selon  le  grect  il  te  va  être;  l'ouvrage  esf 
en  train,  on  tient  déjà  le  conseil  pour  trouver  Je 
moyen  de  le  prendre  et  de  le  faire  mourir'  :  Et  le 
Fils  de  l'homme  s'en  va ,  comme  il  a  été  écrit  ue 
lui  :  mais  malheur  à  celui  par  qui  le  Fils  de 
l'homme  sera  livré!  est  livré,  selon  le  grec».  Il 
parle  toujours  en  temps  présent,  à  cause  que  sa 
perte  était  résolue,  tramée  pour  le  lendemain,  et 
qu'on  allait  dans  deux  heures  commencer  à  procé- 
der à  l'exécution  ;  et  afin  aussi  qu'en  quelque  temps 
que  nous  recevrions  son  corps  et  son  sang,  nous 
regardassions  sa  mort  comme  présente. 

Chrétien,  te  voilà  instruit:  tu  as  vu  toutes  les 
paroles  qui  regardent  l'établissement  de  ce  mystère  : 
quelle  simplicité  !  quelle  netteté  dans  ces  paroles  ! 
il  ne  laisse  rien  à  deviner ,  à  gloser  :  et  s'il  y  faut 
quelque  glose ,  c'est  seulement  en  remarquant  que , 
selon  la  force  de  l'original ,  il  faudrait  traduire  ; 
Ceci  est  mon  corps,  mon  propre  corps  ;  le  même 
corps  qui  est  donné  pour  vous  :  Ceci  est  mon  sang , 
mon  propre  sang  ;  le  sang  de  la  nouvelle  alliance  ; 
le  sang  répandu  pour  vous  en  rémission  de  vospé' 
chés.  Car  c'est  aussi  pour  cette  raison  que  le  syrien, 
aussi  ancien  que  le  grec,  et  fait  du  temps  des  apô- 
tres ,  lit  :  Ceci  est  monpropre  corps  ;  et  que  dans 
la  liturgie  des  Grecs  il  est  porté ,  que  ce  qu'on  nous 
donne,  ce  qu'on  fait  de  ce  pain  et  de  ce  vin,  c'est 
le  propre  corps  de  Jésus,  son  propre  sang.  Voilà 
la  glose  s'il  en  faut.  Quelle  simplicité,  encore  un 
coup!  quelle  netteté!  quelle  force  dans  ces  paroles! 
S'il  avait  voulu  donner  un  signe,  une  ressemblance 
toute  pure ,  il  aurait  bien  su  le  dire  :  il  savait  bien 
que  Dieu  avait  dit,  en  instituant  la  circoncision  : 
Fous  circoncirez  votre  chair  :  ce  sera  le  signe  de 
l'alliatice  entre  vous  et  moi  ^.  Quand  il  a  proposé 
des  similitudes ,  il  a  bien  su  tourner  son  langage 
d'une  manière  à  le  faire  entendre;  en  sorte  que 
personne  n'en  doutât  jamais  :  Je  suis  la  porte  :  ce'' 
lui  qui  entre  par  moi,  sera  sauvé  -*.  Je  su  s  la  vl' 
gne,  et  vous  les  branches  :  et  comme  la  branche 
ne  porte  de  fruit  qu'attachée  au  cep  ;  ainsi  vous 
n'en  pouvez  porter,  si  vous  ne  demeurez  en  moi  ^. 
Quand  il  fait  des  comparaisons,  des  similitudes,  les 
évangélistes  ont  bien  su  dire  ;  Jésus  dit  cette  para' 
bole  ;  il  fit  cette  comparaison.  Ici ,  sans  rien  pré- 
parer ,  sans  rien  tempérer,  sans  rien  expliquer,  ni 
devant,  ni  après,  on  nous  dit  tout  court  :  Jésus  dit  : 
Ceci  est  mon  corps  ;  ceci  est  mon  sang  :  mon  corps 
donné;  mon  sang  répandu:  voilà  ce  que  je  vous 
donne.  Et  vous,  que  ferez- vous  en  le  recevant.!*  Sou- 
venez-vous éternellement  du  présent  que  je  vous 
fais  en  cette  nuit  :  souvenez-vous  que  c'est  moi  qui 
vous  l'ai  laissé,  et  qui  ai  fait  ce  testament;  qui 
vous  ai  laissé  cette  pâque ,  et  qui  l'ai  mangée  avec 
vous  avant  que  de  souffrir.  Si  je  vous  donne  mon 
corpscommedevantêtre,commeayantété  livré  pour 
vous  ;  et  mon  sang  comme  répandu  pour  vos  péchés; 
en  un  mot,  si  je  vous  le  donne  comme  une  victime  : 
mangez-le  comme  une  victime  ;  et  souvenez-vous  que 
c'est  là  un  gage  qu'elle  a  été  immolée  pour  vous.  G  mon 

»  Matth.xxM,  3.  —  *  Jhid.  24.  Marc,  xiv,  21.  Luc.  xxH, 
32.  —  »  Ce»,  xvil,  II.  —  4  Joan.  x,  9.  —  »  Ibtd.  xv,  &■ 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


6S7 


Sauveur!  pour  la  troisième  fois,  quelle  ncttet»'! 
quelle  précision  !  quelle  force  !  Mais  en  même  temps 
quelle  autorité  et  quelle  puissance  dans  vos  paroles! 
Femme,  tu  es  guérie  '  :  elle  est  guérie  à  l'instant. 
Ceci  est  mon  corps;  c'est  son  corps  :  Ceci  est  mon 
sang;  c'est  son  sang.  Qui  peut  parler  en  celte  sorte, 
sinon  celui  quia  tout  en  sa  main?  qui  peut  se  foire 
croire,  sinon  celui  à  qui  faire  et  parler  c'est  ta  même 
chose  ? 

Mon  âme ,  arrête  toi  ici ,  sans  discourir  :  crois 
aussi  simplement,  aussi  fortement  que  ton  Sau- 
veur a  parlé,  avec  autant  de  soumission,  qu'il  fait 
paraître  d'autorité  et  de  puissance.  Encore  un  coup, 
il  veut,  dans  ta  foi,  la  même  simplicité  qu'il  a 
mise  dans  ses  paroles.  Ceci  est  mon  corps;  c'est  donc 
son  corps  :  Ceci  est  mon  sang;  c'est  donc  son  sang. 
Dans  l'ancienne  façon  de  communier,  le  prêtre  di- 
sait :  Le  corps  de  Jésus-Christ;  et  le  fidèle  répon- 
dait :  Amen:  Il  es,\a\ns\  :  Le  sang  de  Jésus-Christ , 
et  le  fidèle  répondait  :  Amen  :  Il  est  ainsi.  Tout  était 
fait,  tout  était  dit,  tout  était  expliqué  par  ces  trois 
mots.  Je  me  tais,  je  crois .  j'adore  :  tout  est  fait, 
tout  est  dit. 

xxiir  JOUR. 

Fruit  de  l'euchariâtie  :  vivre  de  la  vie  de  Jésus-Christ. 
Ibid. 

Mon  âme,  tu  as  établi  le  fondement;  tu  as  cru 
en  simplicité,  par  un  simple  acte.  Épanche-toi  main- 
tenant, dans  la  méditation  d'un  si  grand  bienfait; 
développe-^toi  à  toi-même  tout  ce  qu'il  contient,  tout 
ce  que  Jésus  t'a  donné  par  ce  peu  de  mots.  Vous 
êtes  donc  ma  victime,  ô  mon  Sauveur!  mais  si  je 
ne  faisais  que  vous  voir  sur  votre  autel  et  sur  votre 
croLx  ,  je  ne  saurais  pas  assez  que  c'est  à  moi,  que 
c'est  pour  moi  que  vous  vous  offrez.  IMais  aujour- 
d'hui que  je  vous  mange ,  je  sais,  je  sens  pour  ainsi 
parler,  que  c'est  pour  moi  que  vous  vous  êtes  of- 
fert. Je  suis  participant  de  votre  autel,  de  votre 
croix,  du  sang  qui  y  purifie  le  ciel  et  la  terre ,  de  la 
victoire  que  vous  y  avez  remportée  sur  notre  ennemi, 
sur  le  démon ,  sur  le  monde ,  victoire  qui  vous  fait 
dire  ;  Le  monde  vous  affligera,  mais  prenez  cou- 
rage;/ai  vaincu  le  monde  ». 

Si  vous  vous  êtes  offert  pour  moi,  donc  vous 
m'aimiez  :  car  pour  qui  donne-t-on  sa  vie ,  si  ce 
n'est  pour  ses  amis?  Je  vous  niange  en  union  avec 
votre  sacrifice;  par  conséquent  avec  votre  amour  : 
je  jouis  de  votre  amour  tout  entier,  de  toute  son 
immensité;  je  le  ressens  tel  qu'il  est  :  j'en  suis  pé- 
nétré. Vous  venez  vous-même  me  mettre  ce  feu 
dans  les  entrailles,  afin  que  je  vous  aime  d'un  amour 
semblable  au  vôtre.  aIi!  je  vois  maintenant,  et  je 
connais  que  vous  avez  pris  pour  moi  cette  chair  hu- 
maine; que  vous  en  avez  porté  les  infirmités  pour 
moi;  que  c'est  pour  moi  que  vous  l'avez  offerte; 
qu'elle  est  à  moi.  Je  n'ai  qu'à  la  prendre ,  à  la  man- 
ger, à  la  posséder,  à  m'unir  à  elle.  En  vous  incar- 
nant dans  le  sein  de  la  sainte  Vierge ,  vous  n'avez 
pris  qu'une  chair  individuelle  :  maintenant  vous 

•  JLme.  un ,  tS.  —  '  Joan.  XVl,  33. 


prenez  la  chair  de  nous  tous,  la  mienne  en  partie» 
lier  :  vous  vous  l'appropriez,  elle  est  à  vous  :  vous 
la  rendez  comme  la  vôtre  par  le  contact,  par  l'ap- 
plication de  la  vôtre:  premièrement  pure,  sainte, 
sans  tache;  secondement,  immortelle,  glorieuse:  Je 
recevrai  le  caractère  de  votre  résurrection ,  pourvu 
que  jaie  le  courage  de  recevoir  celui  de  votre 
mort.  Venez,  venez,  chair  de  mon  Sauveur;  clia- 
bon  ardent,  purifiez  mes  lèvres,  brillez- moi  de 
l'amour  qui  vous  livre  à  la  mort.  Venez,  sang  que 
l'amour  a  fait  répandre;  coulez  dans  mon  sein, 
torrent  de  flamme.  O  Sauveur!  c'est  donc  ici  vo- 
tre corps,  ce  même  corps  percé  de  plaies.  Je  m'unis 
à  toutes;  c'est  par  là  que  tout  votre  sang  s'est  écoulé 
pour  moi.  Vous  languissez ,  vous  mourez,  vous  pas» 
sez;  c'est  ici  votre  passage  :  je  passe,  j'expire  avec 
vous.  Que  m'est  le  monde,  rien  du  tout.  Je  suis 
crucifié  au  monde,  et  le  monde  à  moi.  II  ne  me  plaît 
pas,  et  je  neveux  pas  lui  plaire.  Il  ne  me  goûte  pas  : 
tant  mieux  pour  moi,  pourvu  que  je  ne  le  goûte 
pas  aussi,  La  rupture  s'est  faite  de  part  et  d'autre  : 
ce  n'est  pas  comme  quand  l'un  aime  et  l'autre  hait  : 
je  ne  puis  souffrir  le  monde,  qui  de  son  côté  ne 
me  peut  souffrir  :  tel  qu'est  un  mort  à  l'égard  d'un 
mort,  tel  est  le  monde  pour  moi,  et  moi  pour  le 
monde.  Heureuse  rupture!  >îais  le  monde  dira  ceci 
dira  cela;  le  monde  dira  que  je  veux  encore  lui 
plaire  dans  ma  séparation  :  qu'importe  qu'il  dise? 
Je  suis  attaché  à  la  croix  avec  Jésus-Christ  :  Je 
vis,  non  plus  moi,  mais  Jésus  Christ  en  moi  : 
et  ce  que  j'ai  de  vie  dans  la  chair,  je  Vai  en  la  foi 
du  Fils  de  Dieu,  qui  m'a  aimé,  et  s'est  livré  pour 
moi  '. 
Si  je  suis  encore  touché  d'un  amour  humain ,  je 
j  vis  encore  ;  si  je  hais  celui  qui  me  hait,  je  vis  èn- 
i  core;  si  je  ressens  les  injures,  je  vis  encore;  si  je 
j  suis  touché  du  plaisir,  je  vis  encore;  si  la  douleur 
me  pénètre,  je  vis  encore.  Adieu,  adieu;  je  m'en 
vais  :  je  ne  suis  plus  de  rien;  je  ne  suis  plus  moi  ; 
c'est  pour  Jésus-Christ  que  je  vis ,  c'est  Jésus- 
Christ  qui  vit  en  moi.  C'est  ainsi  qu'il  faudrait  être  : 
c'est  le  fruit  de  l'eucharistie  :  ha!  que  j'en  suis  loin! 
mais  je  n'y  viendrai  que  par  elle. 

XXIV»  JOUR. 

Par  la  communion ,  le  fidèle  consommé  en  on  avec  J^sns- 
Christ.  Matih.  xxn,  2a. 

Ceci  est  mon  corps  *  :  c'est  donc  ici  la  consom- 
mation de  notre  union  avec  le  Sauveur  :  son  corps 
n  est  pas  à  lui,  nuis  à  nous;  notre  corps  n'est  pas 
à  nous ,  mais  à  Jésus-Christ  C'est  le  mvstère  de 
la  jouissance,  le  mystère  de  l'Époux  et  de  "l'Épouse. 
Il  est  écrit:  Le  corps  de  l'Époux  n'est  pas  en  sa 
puissance,  mais  en  celle  de  l'Époux^.  Sainte  Église, 
chaste  Épouse  du  Sauveur;  âme  chrétienne,  qui  l'avez 
choisi  pour  votre  Époux  dans  le  baptême,  en  foi,  et 
avec  des  promesses  mutuelles  :  le  voyez-vous ,  ce 
corps  sacré  de  votre  Époux;  le  voyez-vous  sur  la 
sainte  table  où  on  le  vient  de  consacrer?  il  n'est 

'  Cal.  u,  I»,  20;  Tl,  14.  —  >  Maah.  uti ,  26.  —  » I.  Cor. 
vil,  4. 


C8S 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


pîus  en  sa  puissance ,  mais  en  la  vôtre  :  Prenez-le, 
dit-il,  il  est  à  vous:  C'est  mon  corps  lu: ré  pour 
vous',  vous  avez  sur  lui  \\n  droit  réel.  Mais  aussi 
votre  corps  n'est  pas  à  vous  :  Jésus  le  veut  possé- 
der. Ainsi  vous  serez  unis  corps  à  corps  :  et  vous 
serez  deux  dans  une  chair;  qui  est  le  droit  de  l'É- 
pouse, et  l'acconiplissement  parfait  de  ce  chaste, 
de  ce  divin  mariage. 

L'usage  passe,  mais  le  droit  demeure.  On  n'est 
pas  toujours  dans  ce  chaste  embrassenient  ;  mais  on 
y  est  de  désir,  on  y  est  de  droit.  Ainsi,  dit  notre 
Sauveur,  qui  me  mange  demeure  en  moi ,  et  moi 
en  lui  »  :  il  n'y  demeure  pas  pour  un  moment;  cette 
jouissance  mutuelle  a  un  effet  permanent  :  Qui 
me  mange,  qui  jouit  de  moi,  demeure  en  moi: 
mais  l'union  est  réciproque  :  demeure  en  moi,  et 
moi  en  lui.  Que  cette  union  est  réelle!  que  l'effet 
en  est  permanent!  Le  corps  de  Jésus-Christ  est  en 
ma  puissance  :  j'ai  reçu  ce  droit  sacré  par  le  bap- 
tême; je  l'exerce  dans  l'euchai'istie  :  mon  corps 
est  donc  au  Sauveur,  comme  le  corps  du  Sauveur 
est  à  moi.  Il  y  faut  joindre  un  chaste  et  parfait 
amour.  Comme  mon  Père  est  vivant,  et  que  je  vis 
jwtir  mon  Père;  ainsi  celui  qui  me  mange  vivra 
pour  moi  3;  il  ne  respirera  que  mon  amour;  il 
n'aura  de  vie  que  celle  qu'il  recevra  de  moi. 

C'est  aussi  à  quoi  nous  conduit  le  souvenir  de 
la  mort  de  notre  Sauveur.  Dans  ce  tendre,  dans 
ce  bienheureux,  dans  ce  cher  souvenir,  l'amour 
de  Jésus-Christ  nous  presse,  pendant  que  notts 
pensons  que  si  un  seul  est  mort  pour  tous,  tous 
aussi  sont  morts;  et  un  seul  est  mort  et  l'essus- 
citépour  tous,  afiii  que  ceux  qui  vivent  ne  vivent 
plus  pour  eux-mêmes ,  ynais  pour  celui  qui  est 
mort  et  ressuscitépour  eux  <. 

Prenons  donc  ce  corps  sacré  avec  transport , 
avec  ce  bienheureux  excès  dont  parle  saint  Paul 
dans  le  même  endroit  :  Si,  dit-il  s,  nous  sommes 
transportés  en  notre  esprit,  et  hors  de  nous- 
mêmes,  c'est  pour  Dieu.  Oui ,  à  la  présence  de  ce 
corps ,  je  suis  hors  de  moi  ;  je  m'oublie  moi-même  : 
je  veux  jouir  de  l'Époux,  et  de  lui  seul.  Quoi!  je 
prendrais  ce  qui  est  uniavec  Jésus-Christ ,  jusqu'à 
faire  un  corps  avec  lui,  pour  l'unir  à  une  impu- 
dique, et  devenir  avec  elle  un  même  corps  !yl  Dieu 
ne  plaise  ^\  Mais  tout  ce  qui  partage  mon  cœur, 
tout  ce  qui  en  ôte  à  Jésus-Christ  la  moindre  par- 
celle ,  est  pour  moi  cette  impudique  qui  veut  m'en- 
lever  à  Jésus-Christ.  Que  tous  les  mauvais  désirs 
se  retirent  :  Mon  corps  uni  au  corps  de  Jésus  n'est 
pas  pour  l'impureté ,  mais  pour  Jésus-Christ,  et 
Jésus-Christ  aussi  est  pour  mon  corps  7.  Voici  le 
parfait  accomplissement  de  cette  parole  :  l'eucha- 
ristie nous  explique  toutes  les  paroles  d'amour, 
de  correspondance,  d'union,  qui  sont  entre  Jésus- 
Christ  et  son  Église,  entre  l'Époux  et  l'Épouse, 
entre  lui  et  nous. 

Dans  le  transport  de  l'amour  humain ,  qui  ne 
sait  qu'on  se  mange,  qu'on  se  dévore ,  qu'on  vou- 

«  Luc.  XXII,  19  ;  1.  Cor  vi ,  16.  —  '  Joan.  vi ,  57.  —  '  Ihid. 
m.  —•'  Il  Cor.  y,  14,  16.  —  »it»d  13. —«I  Cor.  Yi,  15, 
W.  —  '  ll>Ki.  13. 


drait  s'incorporer  en  toutes  manières,  et,connie 
disait  ce  poète,  enlever  jusqu'avec  les  dents  ce 
qu'on  aime,  pour  le  posséder,  pour  s'en  nourrir, 
pour  s'y  unir,  pour  en  vivre.?  Ce  qui  est  fureur,  ce 
qui  est  impuissance  dans  l'amour  corporel ,  est  vé- 
rité, est  sagesse  dans  l'amour  de  Jésus  :  Prenez, 
mangez,  ceci  est  mon  corps  :  dévorez,  engloutissez, 
non  une  partie,  non  un  morceau,  mais  le  tout. 

Mais  il  faut  que  l'esprit  s'y  joigne;  car  qu'est- 
ce  aussi  que  s'unir  au  corps,  si  on  ne  s'unit  à.l'es- 
prit  ?  Celui  qui  est  uni  au  Seigneur,  qui  lui  demeure 
attaché,  est  un  même  esprit  avec  lui  ■ .  Il  n'a  qu'une 
même  volonté,  un  même  désir,  une  même  félicité, 
un  même  objet ,  une  même  vie. 

Unissons-nous  donc  à  Jésus,  corps  à  corps, 
esprit  à  esprit.  Qu'on  ne  dise  point  :  L'esprit  suf- 
fit :  le  corps  est  le  moyen  pour  s'unir  à  l'esprit; 
c'est  en  se  faisant  chair  que  le  Fils  de  Dieu  est 
descendu  jusqu'à  nous  :  c'est  par  sa  chair  que  nous 
devons  le  reprendre  pour  nous  unir  à  son  esprit, 
à  sa  divinité.  Nous  sommes  faits  participants, 
dit  saint  Pierre  »,  delà  nature  divine;  parce  que 
Jésus-Christ  a  aussi  participé  à  notre  nature.  Il 
faut  donc  nous  unir  à  la  chair  que  le  Verbe  a  pri- 
se, afin  que  par  cette  chair  nous  jouissions  de  la 
divinité  de  ce  Verbe,  et  que  nous  devenions  des 
dieux ,  en  prenant  des  sentiments  divins. 

Purifions  donc  notre  corps  et  notre  esprit ,  puis- 
que nous  devons  être  unis  à  Jésus-Christ,  selon 
l'un  et  selon  l'autre.  Rendons-nous  dignes  de  re- 
cevoir ce  corps  virginal,  ce  corps  conçu  d'une 
vierge,  né  d'une  vierge.  Purifiez- vous,  sacrés  mi- 
nistres, qui  nous  le  donnez.  Que  votre  main,  qui 
nous  le  donne ,  soit  plus  pure  que  la  lumière;  que 
votre  bouche ,  qui  le  consacre,  soit  plus  chaste  que 
celle  des  vierges  les  plus  innocentes.  0  quel  mys- 
tère! avec  quelle  pureté  doit-il  être  célébré!  Le 
mariage  est  saint  et  honorable  entre  tous  ;  et  la 
couche  nuptiale  est  sans  tache  ^  :  mais  elle  n'est 
pas  encore  assez  sainte  pour  ceux  qui  doivent  con- 
sacrer la  chair  de  l'Agneau.  Par  cette  sainte  insti- 
tution de  la  continence,  que  l'Église  a  toujours 
eue  en  vue,  les  doctes  le  savent,  depuis  le  temps 
des  apôtres;  qu'elle  a  enfin  établie,  quand  elle  a 
pu ,  dès  les  premiers  siècles,  partout  où  elle  a  pu, 
et  d'une  manière  plus  particulière  dans  l'Église 
d'Occident,  et  dans  celle  de  Rome  spécialement- 
consacrée  et  fondée  par  les  deux  princes  des  apô- 
tres, saint  Pierre  et  saint  Paul  ;  l'Église  veut  pré- 
parer à  ce  corps  vierge ,  à  ce  corps  formé  d'une 
vierge,  des  ministres  dignes  de  lui ,  et  nous  donner 
une  vive  idée  de  la  pureté  de  ce  mystère.  Prenez, 
mangez,  ceci  est  mon  corps  ;  purifiez  votre  corps ^ 
qui  le  doit  recevoir;  votre  bouche  oii  il  doit  entrer. 
La  pureté  de  la  bouche,  c'est  qu'il  n'en  sorte  que 
des  paroles  de  bénédiction  ;  la  pureté  de  la  bouche, 
c'est  de  modérer  sa  langue,  la  tenir  le  plus  qu'on 
peut  dans  le  silence;  la  pureté  de  la  bouche,  c'es! 
de  désirer  le  chaste  baiser  de  l'Époux ,  et  renoncer 
à  toute  autre  joie  qu'à  celle  de  le  posséder.  Amen , 
amen  ! 

'  1.  Cor.  VI ,  17.  —  '  II.  Pet.  1 ,  4.  —  ^  Hebr.  \m,  3 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


XXV*  JOUR. 

L'ercharisiie  eslle  gaRC  de  la  n-misslon  des  péchés. 
/       Matth.  XXVI,  27, 28. 

Buvez- en  fous  :  ceci  est  mon  sang,  le  sang  de  la 
nouvelle  alliance  ;  le  sang  répandu  pour  vous  en 
rémission  de  vos  péchés'.  C'est  ici  la  partie  la 
plus  étonnante  du  mystère,  et  celle  aussi,  comme 
on  voit,  où  Jésus  parle  avec  plus  de  force.  Qu'il 
nous  donne  à  manger  la  chair  de  son  sacrilice,  la 
chair  de  la  pâque  ;  c'est  la  coutume  ;  c'est  le  dessein 
de  ce  sacrifice  :  mais  jamais  on  n'en  a  bu  le  sang, 
ni  celui  d'aucune  victime,  encore  qu'on  eût  man- 
gé les  chairs.  Mo'ise,  dit  saint  Paul ,  ayant  récité 
devant  tout  le  peuple  toutes  les  ordonnances  de  la 
loi ,  prit  du  sang  des  victimes  avec  de  l'eau,  et  en 
jeta  sur  le  livre  même  et  sur  tout  le  peuple,  en  di- 
sant :  C'est  le  sang  du  testament  que  Dieu  a  déjà 
fait  pour  vous  ».  Voilà,  ce  semble,  tout  ce  qu'on 
peut  faire  du  sang  des  victimes  ;  en  arroser  tout 
le  peuple,  mais  non  pas  le  lui  donner  à  boire.  Jé- 
sus-Christ seul  va  plus  avant.  Moïse  dit,  en  jetant 
le  sant'  des  victimes  sur  le  peuple  :  Ceci  est  le 
sang  de  l'alliance;  à  quoi  le  Sauveur  regarde  mani- 
festement, lorsqu'il  dit  :  Ceci  est  mon  sang  de  la 
nouvelle  alliance.  C'est  donc  du  sang  en  Tune  et  en 
l'autre  occasion.  Tout  le  peuple  en  est  touché,  mais 
différemment  ;  car  il  en  est  touché  par  aspersion  sous 
Moïse  ;  et  l'aspersion  qu'ordonne  Jésus,  c'est  de  le 
boire  :  c'est  la  bouche,  c'est  la  langue,  qui  en  doit 
être  arrosée  par  cette  aspersion  :  Buvezen  tous , 
dit-il ,  car  c'est  mon  sang ,  le  sang  de  la  nowelle 
alliance  ;  le  sang  répandu  en  rémission  des  péchés  ^. 
Cette  différence  des  deux  testaments  est  pleine  de 
mvstère.  Une  des  raisons  qui  étaient  données  aux 
anciens  pour  ne  point  manger  le  sang,  c'estàcau^e 
qu'il  était  donné,  dit  le  Seigneur,  q^«  qu'étant  ré- 
pandu autour  de  l'autel,  il  soit  en  expiation  de  nos 
âmes  et  en  propitiation  pour  nos  péchés;  et  pour 
cela  j'ai  commandé  aux  enjants  d'Israël,  et  aux 
étrangers  qui  demeurent  parmi  eux ,  de  n'en  man- 
ger points.  On  leur  défend  de  manger  du  sang,  a 
cause  qu'il  est  répandu  pour  la  rémission  des  pé- 
chés :  et  au  contraire  le  Fils  de  Dieu  veut  qu'on  le 
boive ,  à  cause  qu'il  est  répandu  pour  la  rémission 
des  péchés. 

C'est  par  la  même  raison  qu'il  était  écrit  :  Toute 
victime  qu'on  immolera  pour  expier  le  péché  dans 
le  sanctuaire  ne  sera  pas  mangée,  mais  elle  sera 
consumée  par  le  feu  ^  :  et  cette  observance  signifiait 
que  la  rémission  des  péchés  ne  pouvant  pas  s'ac- 
complir par  les  sacrifices  de  la  loi ,  ceux  qui  les  of- 
fraient demeuraient  sous  l'interdit,  et  dans  une  es- 
pèce d'excommunication,  sans  participer  à  la 
victime  qui  était  offerte  pour  le  péché.  Mais ,  par 
une  raison  contraire,  Jésus-Christ  ayant  expié  nos 
âmes ,  et  ayant  parfaitement  accompli  la  rémission 
des  péchés,  par  l'oblation  de  son  corps  et  l'effusion 

'  M-itlh.  xxvi,  28.  Marc.  Xiv,  24.  Lvc.  xxii,  20.  —  »  Exod. 
ixi  Jl  h  ■.  IN ,  19 ,  20.  —  *  Matth.  XXVI ,  27.  —  * LeviL  xvii , 
)1     ?2.   -  5  Ibid.  TI,  .10. 


es9 

de  son  sang,  il  noiis  ordonne  de  manger  ce  corps 
tir  ré  pour  nous ,  et  de  boire  le  sang  de  la  nouvelle 
alliance,  versé  pour  la  rémission  des  péchés;  pour 
nous  montrer  qu'elle  était  faite,  et  que  nous  n'avionx 
plus  qu'à  nous  l'appliquer. 

Goiltons  donc  dans  l'eucharistie  la  grâce  de  la  ré- 
mission des  péchés,  en  disant  avec  David  :  Bien- 
heureux ceux  à  qui  leurs  iniquités  sont  remises  ^ 
et  dont  les  péchés  sont  couverts.  Bienheureux  celui 
à  qui  le  Seigneur  n'impute  point  de  péché ,  et  qui 
ne  s'impose  point  à  lui-même',  dans  la  pensée  qu'il 
a  qu'ils  lui  sont  pardonnes.  Et  encore  :  .Mon  âme, 
bénis  le  Seigneur,  et  que  tout  ce  qui  est  en  moi  bé- 
nisse son  saint  nom.  Mon  âme,  bénis  le  Seigneur  y 
et  n'oublie  pas  ses  bienfaits. C'est  lui  qui  remettous 
tes  péchés;  c'est  lui  qui  guérit  toutes  tes  maladies.... 
Il  ne  nous  a  pas  traités  selon  nos  péchés  ;  il  ne  fious 
a  pas  rendu  ce  que  méritaient  nos  fautes...  Autant 
que  le  levant  est  loin  du  couchaut ,  autant  il  a  éloi- 
gné  de  7ious  nos  iniquités*. 

Quel  repos  a  une  conscience  troublée  deson  crime, 
et  alarmée  de  la  justice  divine  qui  la  presse ,  de  goû- 
ter dans  le  corps  et  dans  le  sang  de  Jésus  la  grâce  de 
la  rémission  des  péchés ,  et  par  là  même  d'en  effa- 
cer tous  les  restes  ! 

Apprenons  que  l'eucharistie  est  un  remède  des 
péchés.  Si  nous  nous  purgeons  des  grands,  elle  ef- 
facera les  petits ,  et  nous  donnera  de  la  force  pour 
éviter  et  les  petits  et  les  grands. 

C'est  le  péché  qui  met  la  séparation  entre  Dieu 
et  nous.  Se  purifier  des  péchés ,  c'est  ôter  tout  em- 
pêchement, et  rendre  les  embrassements  entre 
l'Époux  céleste  et  son  Église  plus  ardents,  plus 
purs,  plus  intimes. 

XXW  JOUR. 

Jésus-Christ  notre  victime  et  notre  Doorritoie. 

Dieu  a  tant  aimé  le  monde,  qu'il  a  donné  son 
Fils  unique,  afin  que  celui  qui  croit  en  lui  ne  pé- 
risse point ,  mais  q  u  il  ait  la  vie  étemelle  ^. 

Qu'est-ce'à  dire  ,  qu'il  a  donné  son  Fils  unique.' 
C'est  qu'il  l'adonné  à  la  mort,  ainSi  qu'il  avait  dit 
auparavant  :  comme  Moise  a  élevé  le  serpent  dam 
le  désert ,  il  faut  de  même  que  le  Fils  de  l'hommi 
soit  élevé*  :  c'est-à-dire  qu'il  soit  élevé  et  mis  ci 
croix.  C'est  donc  ainsi  que  Dieu  a  donné  son  Fil 
unique  :  il  l'a  donné  à  la  mort ,  et  à  la  mort  de  I. 
croix. 

Mais  comment  est-ce  que  Dieu  a  fait  pour  don 
ner  son  Fils  unique  à  la  mort?  Le  Fils  de  Dieu  ,  pi 
qui  est  la  vie  et  qui  est  lui-même  la  vie,  peut-i 
mourir  ?  Afin  qu'il  put  mourir,  Dieu  l'a  fait  homme 
l'a  fait  Fils  de  l'homme  d'une  manière  admirable 
incompréhensible,  très-véritable,  très-réelle,  mair 
singulière ,  qui  étonne  toute  la  nature  ;  et  par  ce 
moyen  s'est  accompli  ce  que  Dieu  voulait  ,  que  le 
Fils  de  l'homme,  qui  est  en  même  temps  le  Fils  d( 
Dieu ,  fût  élevé  à  la  croix  ,  et  donné  à  la  mort  pou^ 
la  vie  du  monde. 

'  P«.  XXXI,  f,  2.  —  »  Ibid.  aï,  1,2,  3,  10.  II.  — *Joon 
in,  I«.  —*  Ibid.  14. 


co*'.rr.  —  TOME  m. 


IW 


Mh'DITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE, 


Dieu  donc  a  tant  aimé  le  monde,  qu'il  a  donné 
son  Fils  unique.  Il  l'a  premièreinent  donné  au 
monde,  quand  il  s'est  fait  homme;  et  il  l'a  en  se- 
cond lieu  donné  au  monde ,  quand  il  l'a  donné  pour 
en  être  la  victime.  La  même  chair  qu'il  avait  prise, 
pour  se  rendre  scmhiable  à  nous  et  s'unir  à  nous, 
il  nous  la  donne  de  nouveau,  en  la  donnant  pour 
nous  en  sacrifice. 

Voilà  deux  choses  qui  devaient  être  accomplies 
dans  la  chair  de  notre  Sauveur  :  l'une,  que  le  Fils 
de  Dieu  devait  venir  en  chair,  pour  s'unir  à  nous  et 
nous  être  semblable ,  l'autre ,  que  le  même  Fils  de 
Dieu  devait  s'immoler  dans  la  même  chair  qu'il 
avait  prise,  et  l'offrir  pour  nous  en  sacrifice.  Une 
troisième  chose  se  doit  accomplir  en  cette  chair 
immolée  :  il  faut  encore  qu'elle  soit  mangée  pour 
la  consommation  de  ce  sacrifice,  en  gage  certain 
que  c'est  pour  nous  que  le  Fils  de  Dieu  l'a  prise  et 
qu'il  l'a  offerte,  et  qu'elle  est  tout  à  fait  à  nous. 
C'est  une  troisième  merveille  qui  doit  s'accomplir 
dans  la  chair  de  Jésus-Christ.  Comment  le  fera-t-il  ? 
Nous  faudra-t-il  dévorer  sa  chair,  ou  vive  ou  morte, 
en  sa  propre  espèce  et  nature  ?  Et  puisqu'il  faut 
que  son  sang  nous  soit  aussi  bien  donné  à  boire  que 
sa  chair  à  manger,  afin  que,  donné  ainsi,  il  nous 
soit  en  gage  que  c'est  pour  la  rémission  de  nos 
péchés  qu'il  a  été  répandu,  faudra-t-il  avaler  ce 
sang  en  sa  propre  forme  ?  A  Dieu  ne  plaise  !  Dieu  a 
trouvé  le  moyen  que ,  sans  rien  perdre  de  la  subs- 
tance de  son  corps  et  de  son  sang,  nous  les  pris- 
sions seulement  d'une  manière  différente  de  celle 
dont  ils  sont  naturellement  exposés  à  nos  sens. 
Par  ce  moyen,  nous  avons  toute  la  substance  de  l'un 
et  de  l'autre  ;  et  Dieu,  en  nous  les  donnant  dans  une 
forme  étrangère  ,  nous  sauve  l'horreur  de  manger 
delà  chair  liumaine,  et  de  boire  du  sang  humain, 
'Cn  leur  propre  forme. 

■Et  comment  a-t-il  fait  cela  ?  Il  a  pris  du  pain ,  et 

Il  a  dit  :  Ceci  est  mon  corps,  mon  vrai  corps ,  mais 

«ous  la  figure  du  pain;  il  a  pris  une  coupe  pleine 

de  vifî,  et  il  a  dit  :  Ceci  est  mon  sang ,  mon  vrai 

sang ,  sous  la  figure  de  ce  vin  dont  j'ai  rempli  la 

coupe  que  je  vous  présente.  Comme  donc,  afin  que 

son  Fils  éternel  et  immortel  pût  mourir,  il  l'a  fait 

Fils  de  l'homme  :  ainsi  afin  qu'on  pût  manger  cette 

chair  et  boire  ce  sang,  il  a  fait  ce  corps ,  pain  d'une 

certaine  manière;  puisqu'il  a  revêtu  son  corps  de 

l'espèce  et  de  la  forme  du  pain  :  il  a  voulu  que  son 

sahg  fût  encore  versé  dans  nos  bouches,  et  coulât 

en  nous  sous  la  forme  et  la  figure  du  vin.  Nous 

avons  donc  toute  la  substance  de  l'un  et  de  l'autre; 

les  figures  anciennes  s'accomplissent,  notre  foi  est 

contente,  notre  amour  a  ce  qu'il  demande  :  il  a 

Jésus-Christ  tout  entier,  en  sa  propre  et  véritable 

substance;  et  l'Église  le  mange:  l'Église  le  reçoit  : 

comme  épouse  elle  jouit  de  son  corps  ;  elle  lui  est 

unie  corps  à  corps,  pour  lui  être  aussi  unie  cœur 

à  cœur,  esprit  à  esprit.  Gomment  tout  cela  .s'cst-il 

pu  faire  ?  Dieu  a  tant  aimé  le  monde  :  l'amour  peut 

tout;   l'amour  fait,  pour  ainsi  dire,  l'impossible 

pour  se  contenter,  et  pour  contenter  son  cher  objet. 

Dieu  a  fait  aussi  pour  «ous  l'impossible;  je  dis 


pour  nous,  car  pour  lui,  il  n'y  en  a  point;  tout  lui 
est  possible.  Mais  ce  qui  était  impossible  àTIa  nature 
à  faire ,  et  au  sens  humain  à  comprendre ,  il  l'a  fait  : 
son  Fils  est  devenu  le  Fils  de  l'homm^e;  et  il  s'est 
approché  de  nous  :  la  nature  humaine,  qu'il  a  mise 
en  quelque  façon  entre  lui  et  nous ,  n'a  point  em- 
pêché que  ce  ne  soit  lui-même  en  personne  qui  vînt 
à  nous,  même  comme  Dieu  :  au  contraire  ,  il  y  est 
venu  par  l'homme  même,  et  la  chair  qu'il  a  prise 
a  été  notre  lien  avec  lui.  De  même,  quand  le  Fils 
de  l'homme  a  été  donné  à  la  mort ,  il  a  été  vrai  que 
le  Fils  de  Dieu  mourait  lui-même,  dans  la  nature 
qu'il  avait  prise.  S'il  faut  ensuite  manger  cette  chair 
donnée  pour  nous  en  sacrifice ,  son  amour  en  trou- 
vera le  moyen  :  Prenez ,  mangez  :  ceci  est  mon 
corps:  ne  vous  informez  pas  de  la  manière,  c'est 
la  substance  qu'il  vous  faut  ;  car  c'est  à  la  substance 
qu'est  unie  la  divinité  et  la  vie.  Sous  la  figure  de  ce 
pain ,  c'est  mon  propre  corps  ;  sous  la  figure  de  ce 
vin ,  c'est  le  même  sang  qui  a  été  répandu  pour  vous. 
Mangez ,  buvez  :  tout  est  à  vous  :  ne  songez  pas 
à  ce  que  vos  sens  vous  présentent  ;  c'est  à  votre  foi 
que  je  parle  ;  c'est  à  elle  que  je  dis  :  Ceci  est  mon 
corps.  Souvenez-vous  donc  que  c'est  moi  qui  vous 
le  dis.  Nul  autre  que  moi,  nul  autre  qu'un  Dieu, 
nul  autre  que  le  Fils  de  Dieu  ,  par  qui  tout  a  été 
fait ,  ne  pourrait  parler  de  cette  sorte.  Souvenez- 
vous  que,  sous  la  figure  de  ce  pain  et  de  ce  vin,  c'est 
mon  corps,  c'est  mon  sang,  que  je  vous  donne,  ce 
corps  donné  à  la  mort ,  ce  sang  répandu  pour  vos 
péchés. 

Et  comment  tout  cela  s'est-il  fait?  Dieu  a  tant 
aimé  le  monde.  Il  ne  nous  reste  qu'à  croire,  et  à 
dire  avec  le  disciple  bien-aimé  :  Nous  avons  cru  à 
l'amour  que  Dieu  a  eu  pour  nous  '.  La  belle  pro- 
fession de  foi!  le  beau  symbole!  Que  croyez -vous, 
chrétien?  Je  crois  l'amour  que  Dieu  a  pour  moi.  Je 
crois  qu'il  m'adonne  son  Fils;  je  crois  qu'il  s'est 
fait  homme  ;  je  crois  qu'il  s'est  fait  ma  victime  ;  je 
crois  qu'il  s'est  fait  ma  nourriture ,  et  qu'il  m'a 
donné  son  corps  à  manger,  son  sang  à  boire ,  aussi 
substantiellement  qu'il  a  pris  et  immolé  l'un  et 
l'autre.  Mais  comment  le  croyez-vous?  C'est  que  je 
crois  à  son  amour,  qui  peut  pour  moi  l'impossible , 
qui  le  veut ,  qui  le  fait.  Lui  demander  un  autre  com- 
ment, c'est  ne  pas  croire  à  son  amour  et  à  sa  puis- 
sance. 

Si  nous  croyons  à  cet  amour,  imitons-le.  Quand 
il  s'agit  de  la  gloire  de  Dieu  et  de  son  service ,  no- 
tre zèle  ne  doit  rien  trouver  d'impossible.  Si  vous 
pouvez  croire,  dit-il ,  tout  est  possible  à  celui  qui 
croit  ».  Remarquez  :  si  vous  pouvez  croire  :  toute 
la  difficulté  est  de  croire  ;  mais  si  une  fois  vous 
croyez  bien,  tout  vous  est  possible.  Dieu  entre  dans 
les  desseins  de  votre  zèle  ;  et  sa  puissance  vient  à 
votre  aide.  L'obstacle  que  vous  avez  à  vaincre  n'est 
pas  dans  les  choses  que  vous  avez  à  exécuter  pour 
Dieu  :  il  est  en  vous-même ,  il  est  en  votre  foi  :  Si 
vous  pouvez  croire.  Mais  Dieu  nous  aide  à  croire. 
Je  crois.  Seigneur  !  Aidez  mon  incrédulité^. 

■  I  I.  Joan.  IV,  IC  —  '  Marc,  ix  ,  22.  —  3  Ibid.  23. 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE.' 


XXVIl'  JOUR. 

Kotr^-Scigneur  aval  promis  sa  cliair  et  son  saog  dans 
reucharisUe.  Joan.  vi ,  :»"2,  b'J. 

Pour  comprendre  tout  le  dessein  du  Fils  de  Dieu 
dans  l'eucharistie ,  il  faut  encore  écouter  ce  qu'il 
en  dit  en  saint  Jean,  vi.  Nous  trouverons  qu'il  y 
fait  trois  choses.  Il  y  explique  premièrement  ce  qu'il 
nous  donne  ;  secondement ,  le  fruit  qu'on  en  doit 
tirer;  troisièmement,  le  moyen  d'en  tirer  ce  fruit. 
Ce  qu'il  nous  donne,  c'est  lui-même,  et  c'est  sa 
chair  et  son  sang  :  et  dès  qu'il  en  parle,  les  hommes 
s'écrient  :  Comment  cet  homme  nous  peut-il  donner 
sa  chair  à  manger  '  ?  L'homme  raisonne  toujours 
contre  lui-même,  et  contre  les  bontés  de  Dieu.  Quand 
Jésus ,  pour  nous  préparer  au  mystère  qu'il  devait 
■^  laisser  à  son  Église  au  jour  de  la  cène,  dit  qu'il  nous 
;  donnerait  sa  chair  à  manger  et  son  sang  à  boire,  les 
Juifs  tombèrent  dans  trois  erreurs.  Ils  crurent  qu'il 
leur  parlait  delà  chair  d'un  homme  pur,  du  flls  de 
Joseph,  voilà  leur  première  erreur;  d'une  chair 
semblable  h  celle  dont  les  hommes  nourrissent  leur 
corps,  voilà  la  seconde  :  d'une  chair  enQn  qu'ils 
consumeraient  en  la  mangeant ,  c'était  la  troisième. 
Contre  la  première  :  Je  suis,  dit-il,  le  pain  vivant 
descendu  du  ciel^.  La  chair  que  nous  mangeons 
n'est  donc  pas  la  chair  du  fils  de  Joseph  ;  c'est  la 
chair  du  Fils  de  Dieu,  une  chair  conçue  du  Saint- 
Esprit  ,  et  formée  du  sang  d'une  vierge.  Le  Saint- 
Esprit  surviendra  en  vous ,  cl  la  vertu  du  Très. 
Haut  vous  couvrira  de  sonombre;  et  ta  chose  sainte 
qui  naîtra  de  vous  aura  le  nom  de  Fils  de  Dieu  ^. 

QUOD  .\ASCETLR  EX  TE   SANCTUM.  SaXCTUM,  aU 

substantif,  pour  ceux  qui  savent  un  peu  la  gram- 
maire ,  et  qui  entendent  la  force  de  ce  neutre,  c'est- 
à-dire  une  chose  substantiellement  sainte  :  manière 
de  parler  qui  fait  voir  que  la  sainteté  est  substan- 
tielle en  Jésus-Christ.  Pourquoi  ?  Parce  que  sa  per- 
sonne est  sainte  par  elle-même ,  par  la  sainteté  es- 
sentielle et  substantielle  du  Fils  de  Dieu.  Et  c'est 
pourquoi,  continue  fange ,  //  sera  appelé  le  Fils 
de  Dieu.  Qu'est-ce  à  dire,  il  sera  appelé'?  est-ce 
qu'il  ne  le  sera  pas  essentiellement,  et  qu'on  lui  en 
donnera  le  nom  par  quelque  figure  7  A  Dieu  ne 
plaise  !  au  contraire ,  il  le  sera  appelé  parexcellence. 
Le  Père,  qui  l'engendre  dans  l'éternité,  l'engen- 
drera dans  le  sein  de  Jlarie  :  la  vertu  du  Très-Haut 
la  couvrira  de  son  ombre,  s'insinuera  dans  son 
sein;  et  la  chair  que  prendra  le  Fils  de  Dieu  dans 
le  sein  de  cette  vierge  sera  formée  par  le  Saint-Es- 
prit. Ce  sera  donc  une  chair  sainte,  de  la  sainteté 
du  Fils  de  Dieu ,  qui  se  l'unit  :  elle  sera  pleine  de 
vie ,  source  de  vie  :  vivante  et  vivifiante  par  elle- 
niêine.  Ainsi  la  première  erreur  est  détruite. 

Pour  réfuter  la  seconde,  qui  consistait  à  s'ima- 
giner que  la  vie  que  Jésus-Christ  promettait  par 
sa  chair  serait  cette  vie  commune  et  mortelle, 
il  répète,  il  inculque,  dans  tout  son  discours, 
que  c'est  la  vie  éternelle,  tant  de  l'âme  que  du 
corps,  qu'il  nous   veut  donner   :  La  volonté  de 

J(xin.yi,hZ.  —  2  Ibid.-n,Z-i,  34,41,42.43— îZuc.  r,35. 


691 

mon  Père  est  que  je  ne  perde  aucun  de  ceux 
qu'il  m'a  donnés,  et  qwje  les  ressuscite  au  der- 
nier jour Qui  mange  de  ce  pain,  do  cette 

viande  céleste ,  de  ma  chair,  que  je  donnerai  pour 
la  vie  du  monde,  vivra  éternellement  '. 

Pour  détruire  la  troisième  erreur  des  Juifs 
qui  s'imaginaient  une  chair  qu'on  consumerait 
en  la  mangeant,  il  leur  dit  :  Cela  vous  scanda- 
lise? Vous  serez  donc  bien  plus  étonnés  quand 
vous  verrez  le  Fils  de  l'homme  monter  au  lieu 
d'oii  il  est  venu  ».  Comme  s'il  disait  :  On  mangera 
ma  chair,  je  l'ai  dit;  mais  je  n'en  demeurerai 
pas  moins  vivant  et  moins  entier.  D'où  il  conclut  : 
Ne  vous  imaginez  donc  pas  que  je  vous  parle 
d'une  chair  humaine  à  l'ordinaire,  ou  de  la  chair 
du  fils  de  Joseph;  ni  que  je  vous  parle  d'une 
chair  qui  doive  vous  être  donnée  pour  entrete- 
nir cette  vie  mortelle,  ni  par  conséquent  d'une 
chair  qui  doive  être  mise  en  pièces  et  consumée 
en  la  mangeant  :  La  chair,  en  ces  sens ,  ne  sert  de 
rien  :  c'est  l'esprit  qui  vivifie  :  les  paroles  que 
je  vous  dis  sont  esprit  et  vie^.  Quoiqu'il  n'ait 
parlé,  pour  ainsi  dire,  que  de  sa  chair,  que  de 
son  sang,  que  de  manger  celle-là,  que  de  boire 
l'autre;  tout  ce  qu'il  a  dit  est  esprit,  c'est-à-dire 
manifestement  que  dans  sa  chair,  dans  son  sang, 
tout  est  esprit,  tout  est  vie,  tout  est  uni  à  la  vie  et 
à  l'esprit  ;  parce  que  sa  chair  et  son  sang  sont  la  chair 
et  le  sang  du  Fils  de  Dieu. 

Autant  donc  que  nous  désirons  la  vie ,  autant 
devons-nous  désirer  cette  chair  qui  nous  la  donne , 
qui  la  contient,  qui  est  la  vie  même.  //  est  sorti 
de  moi  une  vertu;  je  l'ai  sentie  sortir*.  C'était 
une  vertu  pour  guérir  les  corps  :  combien  plus 
en  sortira-t-il  pour  vivifier  les  âmes.'  Appro- 
chons-nous donc  de  cette  chair,  touchons-la,  man- 
geons-la :  il  en  sortira  une  vertu  qui  portera  la  vie 
dans  nos  âmes,  et  qui  dans  son  temps  la  donnera  à 
nos  corps. 

Il  en  est  de  même  du  sang  de  Jésus  :  ce  sang 
est  plein  de  vertu  pour  nous  vivifier;  car  c'est  le 
sang  du  Fils  de  Dieu,  le  sang  du  Nouveau  Tes- 
tament, comme  il  l'appelle  lui-même;  et  c'est-à- 
dire,  comme  l'interprète  saint  Paul  s,  le  sang  du 
Testament  éternel,  par  lequel  le  grand  pasteur  des 
brebis  a  été  tiré  de  la  mort.  Il  est  donc  lui-même 
ressuscité  des  morts  par  la  vertu  de  son  sang; 
parce  qu'il  devait  entrer  dans  sa  gloire  par  ses 
souffrances.  C'est  par  ce  même  sang ,  par  ce  sang 
du  Testament  et  de  l'alliance  éternelle,  que  nous 
devons  aussi  hériter  de  son  royaume,  et  avoir  la  vie 
éternelle.  Mangeons,  buvons,  vivons,  nourris- 
sons-nous, unissons-nous  à  la  vie  par  cette  chair, 
par  ce  sang  vivifiant.  Il  les  a  pris  pour  s'approcher 
de  nous.  Ce  n'est  pas  aux  anges  qu'il  a  voulu 
s'unir;  c'est  la  postérité  d'Abraham,  c'est  la 
nature  humaine ,  qu'il  a  voulu  prendre.  Et  par- 
ce que  les  hommes  sont  composés  de  chair  et  d4 
sang,  il  a  voulu  aussi  être  composé  de  tun  et  (h 

'  Joan.  VI ,  39 ,  52  el  59.  —  »  Ibid.  62  ,  63.  —  »  Ibid  M  -« 
*  Luc.  vill ,  46.  —  »  Hebr.  xni ,  30. 


692 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGTLE. 


('autre  '  :  c'est  par  là  qu'il  s'unit  à  nous ,  et  c'est 
par  là  qu'il  nous  sauve.  Nous  l'avons  dit  souvent, 
et  il  ne  se  faut  point  lasser  de  le  dire  :  cette  chair  et 
ce  sang  sont  devenus  le  lien  de  notre  union  avec  lui, 
l'instrument  de  notre  salut,  la  source  de  notre 
vie;  parce  qu'il  lésa  pris  pour  nous;  parce  qu'il 
les  a  offerts  pour  notre  salut;  parce  qu'il  nous 
les  donne  encore  pour  nous  vivifier.  Allons  avec 
une  sainte  avidité  à  cette  viande  céleste  :  tout 
y  est  esprit  et  vie. 

XXVIIP  JOUR 

La  foi  donne  l'intelligence  de  ce  mystère.  Joan.  vi,  43,  70. 

Ce  n'est  pas  tout  de  savoir  quel  don 'nous  re- 
cevons de  Jésus-Christ,  il  faut  encore  apprendre 
de  lui  deux  choses   très-nécessaires;  dont  l'une 
est  le  fruit  que  nous  en  devons  retirer,  et  l'autre 
est  le  moyen  de  le  recevoir.  Tout  cela  nous  est  ex- 
pliqué dans  4e  même  chapitre  vi  que  nous  avons 
commencé.  Mais  «e  qu'il  y  faut  d'abord  enten- 
dre ,  c'est  que  Dieu  seul  nous  en  peut  donner  l'in- 
telligence; conformément  à  cette  parole  :  Ne  mur- 
murez point  entre  vous  :  personne  ne  peut  venir  à 
moi,  si  mon  Père,  qui  m'a  envoyé,  ne  le  tire*. 
Afin  donc  de  venir  à  Jésus ,  et  pénétrer  ses  pa- 
roles ,  il  faut  être  tiré  par  le  Père.  Et  qu'est-ce 
qu'être  tiré  par  le  Père ,  sinon  être  enseigné  de 
Dieu,  comme  ajoute  le  Sauveur  :  Il  est  écrit  dans 
les  prophètes  :  Ils  seront  tous  enseignés  de  Dieu. 
Ceux  qui  ont  ouï  la  voix  de  mon  Père,  et  qui  07it 
appris  ce  qu'il  leur  enseigne,  viennent  à  moi^. 
Ainsi  être  tiré  de  lui,  c'est  écouter  sa  voix,  et  être 
enseigné  par  la  douce  et  toute-puissante  insinuation 
-et  inspiration  de  la  vérité.  Quand  on  est  instruit 
vde  cette  sorte ,  on  ne  murmure  point  de  ses  paroles  ; 
on  les  entend ,  on  les  goûte  :  et  c'est  pourquoi  il  dit 
à  la  fin  :  //  ?/  en  a  parmi  vous  qui  ne  croient  point  ; 
et  c'est  pour  cela  que  je  vous  ai  dit  que  personne 
ne  peut  venir  à  moi,  s'il  ne  leur  est  donné  par 
mon  Père  4.  Celui-^là  donc  est  tiré  à  Jésus-Christ, 
à  qui  il  est  donné  de  croire.  Le  Père  nous  tire  à 
Jésus-Christ ,  quand  il  nous  inspire  la  foi.  Je  crois , 
Seigneur,  je  crois  ;  je  ne  suis  pas  de  ceux  qui  veulent 
se  retirer  de  vous ,  à  cause  de  la  hauteur  de  vos  pa- 
roles :au  contraire,  je  suis  de  ceux  qui  vous  di- 
sent avec  saint  Pierre  :  Maître,  à  qui  irions-nous? 
vous  avez  des  paroles   de  vie  éternelle  :  nous 
avons  cru  et  connu  que  vous  êtes  le  Christ ,  le 
Fils  de  Dieu^.  Croyez  donc  et  connaissez  :  croyez 
premièresnent  comme  vrai  enfant  de  l'Église ,  docile 
et  soumis,  et  vraiment  enseigné  de  Dieu.  Après 
avoir  été  enseigné  de  Dieu ,  et  avoir  été  doucement 
tiré  à  la  foi,  vous  le  serez  encore  à  l'intelligence, 
autant  qu'il  est  nécessaire  pour  confirmer  votre 
foi;  et  vous  direz  en  toute  occasion ,  mais  particu- 
lièrement dans  la  communion  :  Nous  avons  cru 
et  zonnu  que  vous  êtes  le  Christ,  le  Fils  de  Dieu^. 

'  Tleh.  II ,  U ,  16.  —  *  Joan.  vi ,  43 ,  44.  —  '  Ihid.  45.  — 
Hid,  VI,  65,  66.  —  ^  Ihid.  69,  70.  —  ^  Ibid.  70. 


Ce  n'est  pas  assez;  au  jour  suivant  nous  iror? 
plus  loin,  s'il  plaît  à  Dieu.  Prions  le  Père  de 
Jésus-Christ,  qui  a  bien  voulu  être  le  nôtre,  qu^il 
nous  tire,  qu'il  nous  enseigne  au  dedans,  qu'il  nous 
fasse  entendre  sa  voix  et  pénétrer  sa  parole. 

XXIX*  JOUR. 

La  vie  éternelle  est  le  fruit  de  l'eucharisUe.  Joan.  vi,  26, 
35 ,  37. 

Le  même  chapitre.  Nous  y  devons  trouver  deux 
choses  :  la  première  est  le  fruit  spirituel  que  nous 
devons  tirer  de  l'eucharistie  :  la  seconde  est  le 
moyen  d'en  tirer  ce  fruit.  Pour  le  fruit,  il  est  aisé 
de  l'entendre  :  ce  fruit  est  de  nous  détacher  de  la 
vie,  et  de  nous  attacher  à  Dieu.  C'est  sur  quoi 
Jésus-Christ  s'explique  clairement  par  ces  paroles  *. 
En  vérité ,  en  vérité,  je  vous  le  dis  :  vous  me 
cherchez ,  non  pas  parce  que  vous  avez  vu  des 
miracles  ;  mais  parce  que  vous  avez  mangé  des 
pains   que  j'ai  multipliés  dans  le  désert,  et  que 
vous  en  avez  été  nourris.  Travaillez ,  non  point  à 
la  nourriture  qui  périt,  mais  à  celle  qui  ne  périt 
pas,  que  le  Fils  de  l'homme  vous  donnera  :  car 
c'est  celui  que  le  Père  céleste  vous  a  désigné,  en 
imprimant  sur  lui  .son  sceau  et  son  caractère  ' , 
et  en  confirmant  sa  doctrine  et  sa  mission  par  tant 
de  miracles.  Vous  vous  expliquez,  mon  Sauveur! 
Votre  dessein  est  de  nous  détacher  de  la  nourriture 
et  de  la  vie  périssable,  qui  fait  tous  nos  soins,  à  la- 
quelle nous  travaillons  toute  l'année  ;  et  transporter 
notre  diligence  et  notre  travail   à  la  nourriture 
et  à  la  vie  qui  ne  périt  point.   Enseignez-moi, 
mon  Sauveur  :  tirez-moi  de  cette  manière  admi- 
rable ,  qui  fait  qu'on  va  à  vous  :  dégoûtez-moi  de 
tous  les  soins  qui  n'aboutissent  qu'à  vivre  pour 
mourir  :   faites-moi  goûter  cette  vie  où  l'on  ne 
meurt  jamais. 

Quel  miracle  faites-vous,  afin  que  nous 
croyions  en  vous*?  Que  faites-vous  de  si  mer- 
veilleux? Il  est  vrai,  vous  nous  avez  rassasiés  de 
pain  dans  le  désert.  Mais  ce  pain  est-il  comparable 
à  la  manne  que  Moïse  a  donnée  à  nos  pères ,  de 
laquelle  il  est  écrit  :  //  leur  a  donné  à  maiiger  le 
pain  du  ciel.  Le  pain  que  vous  nous  avez  donné 
était  le  pain  de  la  terre  :  et  il  y  a  autant  de  diffé- 
rence entre  vous  et  Moïse ,  qu'il  y  en  a  entre  la 
terre  et  le  ciel. 

On  voit  clairement,  par  ce  discours,  qu'ils  ne 
songeaient  qu'aux  moyens  de  sustenter  celte  vio 
mortelle;  et  que  ce  n'était  pas  sans  raison  que 
Jésus-Christ  leur  avait  reproché  leurs  désirs  char 
nels.  Car  ils  ne  portent  point  leur  pensée  plus 
loin  que  la  manne,  dont  leurs  corps  furent  nour- 
ris dans  le  désert;  ni  ils  ne  connaissent  d'autre 
ciel ,  que  les  nuées  d'où  elle  leur  avait  été  en- 
voyée; sans  songer  quelle  n'avait  été  appelée  le 
pa'in  du  ciel,  et  le  pain  des  anges,  qu'en  figure 
de  Jésus-Christ,  qui  leur  devait  apporter  la  vie 
éternelle.  Il  se   sert  donc  de  l'expression  dont 

•  Joan.  VI,  2G,  27.  —  '  Ibid.  30,  31- 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


693 


rfirriture  se  sert  pour  relever  la  merveille  de  la  '  ou   plutôt  de  toute  la  nature   intelligente.  Elle 


manne,  à  élever  les  esprits  au  vrai  pain  des  an- 
Kes,  à  la  vérité  qui  les  rend  heureux,  et  qui  s'é- 
tant  incarnée  s'est  rendue  familière  et  sensible  aux 
hommes  pour  les  faire  vivre. 

Il  leur  dit  donc  qu'il  est  descendu  du  ciel; 
que  qui  vient  à  lui  n'a  jamais  faim ,  et  que  qui 
croit  en  lui  n'a  jamais  soif;  qu'il  est  par  consé- 
quent le  vrai  pain  ' ,  la  vraie  nourriture  des  âmes 
qui  viennent  à  lui  par  la  foi  ;  qu'il  ne  faut  pour- 
tant pas  que  les  hommes  espèrent  de  le  pouvoir 
atteindre  par  sa  divinité,  ni  de  s'y  unir  en  elle- 
même  ;  que  c'est  un  objet  trop  haut  pour  une  na- 
ture pécheresse,  et  livrée  aux  sens  corporels;  qu'il 
s'est  fait  homme  pour  s'approcher  d'eux;  que  la 
chair  qu'il  a  prise,  est  le  seul  moyen  qu'il  leur 
a  donné  pour  s'unir  à  lui  ;  et  que  pour  cela  il  l'a 
remplie  de  la  divinité  même,  par  conséquent 
d'esprit  et  de  grâce,  ou,  comme  parle  saint  Jean, 
cte  grâce  et  de  vérité  ;  et  ailleurs  :  L'esprit  ne 
liii  est  pas  donné  avec  mesure  :  et  nous  avo?is 
tous  reçu  de  son  esprit  *  ;  que  de  là  donc  il  s'en- 
suit que  nous  avons  en  lui  la  vraie  vie,  la  vie 
éternelle,  la  vie  de  l'âme  et  du  corps  :  et  non  pas 
précisément  en  lui  comme  Fils  de  Dieu ,  mais  en 
lui  comme  Fils  de  l'homme  :  car  c'est  par  là  qu'il 
commence.  Travaillez  à  vous  préparer  la  nourri- 
ture qui  vous  sera  donnée  par  le  Fils  de  l'homme  : 
pourvu  que  vous  le  croyiez  en  même  temps  le 
pain  descendu  du  ciel ,  c'est-à-dire  le  Fils  de  Dieu, 
et  que  vous  croyiez  que  sa  diair,  par  laquelle  il 
veut  vous  vivifier,  est  pleine  d'esprit  et  de  vie. 

Aiflsi  la  fin  où  il  veut  venir  est  de  nous  faire 
Tfvre  ;  mais  de  la  vie  étemelle ,  et  selon  l'âme  et 
selon  le  corps  :  C'est,  dit-il,  la  volonté  de  mon 
Père,  que  je  ne  perde  rien  de  ce  que  mon  Père 
m'a  donné,  et  que,  pour  donner  la  vie  au  corps 
comme  l'âme,  ^e  le  ressuscite  au  dernier  jour; 
et  encore  :  /os  pères  ont  ynangé  la  manne,  et 
sont  morts  :  celui  qui  mangera  de  ce  pain  vi- 
vra étern  ellem  ent^. 

C'est  donc  là  le  fruit  de  l'eucharistie  ;  elle  est 
faite  pour  contenter  le  désir  que  nous  avons  de 
vivre ,  et  pour  cela  nous  donner  la  vie  étemelle  ; 
dans  l'âme,  par  h  manifestation  de  la  vérité;  et 
dans  le  corps ,  par  sa  glorieuse  résurrection.  Sei- 
gneur, qu'ai-je  à  désirer? de  vivre;  de  vivreenvous, 
de  vi\Te  pour  vous,  de  vivre  de  vous  et  de  votre 
éternelle  vérité,  de  vivre  tout  entier,  de  vivre  dans 
Pâme,  de  vivre  même  dans  le  corps  ;  de  ne  perdre 
jamais  la  vie,  de  vivre  toujours!  j'ai  tout  cefa  dans 
l'eucharistie,  j'y  ai  donc  tout,  et  il  ne  reste  qu'à 
jouir. 

XXX«  JOLTl. 

Désir  insatiable  de  l'eucharistie.  Joan.  ti,  34,  40,  47. 

Seigneur,  donnez-nous  toujours  ce  pain^  :  ce 
pain  dont  vous  avez  dit  qu'il  donne  la  vie  éter- 
nelle. C'est  ce  que  disent  les  Juifs  :  et  ils  expri- 
ment par  là  le  désir  de  toute  la  nature  humaine , 

«  Joan.  VI,  33,  35,  48.  —  »  Ibid.l,  11,  16;  m,  U.  — 
»  aid.  M  y  39,  JO ,  59.  —  «  Ibid.  34. 


veut  vivre  éternellement  :  elle  veut  ne  manquer  de 
rien;  en  un  mot ,  elle  veut  être  heureuse.  C'est  en- 
core ce  qu'exprimait  la  Samaritaine,  lorsque  Jésus 
lui  ayant  dit  :  O  femme!  celui  qui  toit  de  l'eau 
que  je  donne  n'a  jamais  soif  :  eWe  répond  aus- 
sitôt :  Seigneur,  donnez-moi  cette  eau,  afin  que 
je  n'aie  jamais  soif,  et  que  je  ne  sois  pas  olAi- 
gée  à  venir  ici  puiser  de  l'eau  '  dans  un  puits  si 
profond,  avec  tant  de  peine.  Encore  un  coup,  la 
nature  humaine  veut  être  heureuse;  elle  ne  veut 
avoir  ni  faim  ni  soif;  elle  ne  veut  avoir  aucuu 
besoin ,  aucun  désir  à  remplir,  aucun  travail ,  au- 
cune fatigue  :  et  cela,  qu'est-ce  autre  chose,  sinon 
être  heureuse.^  Voilà  ce  que  veut  la  nature  hu- 
maine, voilà  son  fond.  Elle  se  trompe  dans  les 
moyens  ;  elle  a  soif  des  plaisirs  des  sens  ;  elle  veut 
exceller  ;  elle  a  soif  des  honneurs  du  monde.  Pour 
parvenir  aux  uns  et  aux  autres ,  elle  a  soif  de  ri- 
chesses; sa  soif  est  insatiable  :  elle  demande  tou- 
jours, et  ne  dit  jamais  :  C'est  assez;  toujours 
plus  et  toujours  plus.  Elle  est  curieuse  ;  elle  a  soif 
de  la  vérité  ;  mais  elle  ne  sait  où  la  prendre,  ni  quelle 
vérité  la  peut  satisfaire  :  elle  en  ramasse  ce  qu'elle 
peut  par-ci  par-là,  par  de  bons,  par  de  mauvais 
moyens  :  et  comme  toute  âme  curieuse  est  légère, 
el!e  se  laisse  tromper  par  tous  ceux  qui  lui  pro- 
mettent cette  vérité  qu'elle  cherche.  Voulez-vous 
n'avoir  jamais  faim,  jamais  n'avoir  soif?  venez  au 
pain  qui  ne  périt  point,  et  au  Fils  de  l'homme  qui 
vous  l'administre;  à  sa  chair,  à  son  sang,  où  est 
tout  ensemble  et  la  vérité  et  la  vie;  parce  que  c'est 
la  chair  et  le  sang,  non  point  du  fils  de  Joseph, 
comme  disaient  les  Juifs,  mais  du  Filsde  Dieu.  O  Sei- 
gneur, donnez-moi  toujours  ce  pain!  Qui  n'en 
serait  affamé?  qui  ne  voudrait  être  assis  à  votre 
table?  qui  la  pourrait  jamais  quitter? 

Mais,  pour  nous  piquer  davantage  du  désir  d'en 
approcher,  Jésus-Christ  nous  dit  que  ce  n'est  pas 
une  chose  aisée  ou  commune.  Il  faut  être  aimé  de 
Dieu,  touché,  tiré,  prévenu,  choisi.  Voyez  corn:, 
bien  de  ses  auditeurs  s'en  éloignent,  combier» 
murmurent,  combien  se  scandalisent!  Ses  disciples 
même  se  retirent  d'avec  lui  ;  il  y  en  a  même  parmi 
ses  apôtres  qui  ne  croient  pas.  Plus  ces  infidèles 
se  rebutent ,  plus  les  vTais  disciples  doivent  s'ap- 
procher. Venez,  écoutez;  suivez  le  Père  (jui  vous 
tire,  qui  vous  enseigne  au  dedans,  qui  vous  fait 
sentir  vos  besoins,  et  en  Jésus-Christ  le  vrai  moyen 
de  les  rassasier.  Mangez,  buvez,  vivez,  nourrissez- 
vous,  contentez-vous,  rassasiez- vous.  Si  vous 
êtes  insatiables,  que  ce  soLt  de  lui,  de  sa  vérité, 
de  son  amour  :  car  la  Sagesse  éternelle  dit  en  par- 
lant d'elle-même  :  Ceux  qui  me  mangent  auront 
encore  faim ,  et  ceux  qui  me  boivent  auront  en- 
core soif '.  Hé!  nous  venons  d'entendre  de  sa  bou- 
che :  Celui  qui  boit  de  l'eau  que  je  dcnnerai 
n'aura  jamais  soif^;  et  encore  :  Celui  qui  vient 
à  moi  n'aura  jamais  faim,  et  celui  qui  croit  en 
moi  n'aura  jamais  soif*.  Il  n'aura  jamais  ni  faim 

»  Joan.rt ,  10,  1 1 ,  13 ,  15.  —  '  Kecli.  xxir,  ».  —  3  joa;^ 

IV.ll.  —  ' /6irf.  YI,.3â. 


694 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


ni  soif  d'autre  chose  que  de  moi;  mais  il  aura 
une  faim  et  une  soif  insatiable  de  moi  :  et  jamais 
il  ne  cessera  de  me  désirer.  En  même  temps  qu'il 
sera  insatiable,  il  sera  néanmoins  rassasié;  car 
il  aura  la  bouche  à  la  source  :  Lesjleuves  d'eau 
vive  lui  sortiront  des  entrailles.  L'eau  que  je  lui 
donnerai  deviendra  en  lui  une  source  d'eau  jail- 
lissante pour  la  vie  éternelle  '.  Il  aura  donc  tou- 
jours soif  de  ma  vérité;  mais  aussi  il  pourra  tou- 
jours boire,  et  je  le  mènerai  à  la  vie  où  il  n'aura 
plus  même  à  désirer  ;  parce  que  je  le  réjouirai  par 
la  beauté  de  ma  face,  et  je  remplirai  tous  ses  dé- 
sirs. Venez  donc,  Seigneur  Jésus,  venez;  l'Esprit 
dit  toujours  :  Venez  :  l'Épouse  dit  toujours  :  Ve- 
nez. Vous  tous  qui  écoutez,  dites  :  Venez  :  et 
que  celui  qui  a  soif  vienne  :  vienne  qui  voudra 
recevoir  gratuitement  l'eau  vive  *.  Venez,  on  n'ex- 
clut personne  :  venez,  il  n'en  coûte  rien,  il  n'en 
coûte  que  le  vouloir.  Viendra  le  temps  qu'on  ne 
dira  plus  :  Venez.  Quand  cet  Époux  tant  désiré 
sera  venu,  alors  on  n'aura  plus  besoin  de  dire  : 
Venez.  On  dira  éternellement  :  Âmen :  il  est  ainsi, 
tout  est  accompli  :  Alléluia  ^  :  louons  Deiu  ;  il  a  bien 
fait  toutes  choses;  il  a  fait  tout  ce  qu'il  avait 
promis,  et  il  n'y  a  plus  qu'à  le  louer. 

XXXP  JOUR. 

Nouveaux  murmurateurs  capharnaïtes.  Joan.  vu,  64. 

Écoutons  un  peu  nos  murmurateurs;  je  ne  dis 
pas  ceux  du  peuple  juif,  les  Capharnaïtes,  et  les 
autres  dont  il  est  parlé  dans  saint  Jean.  Écou- 
tons les  murmurateurs  chrétiens,  qui  font  sem- 
blant de  s'éloigner  du  sentiment  des  murmura- 
teurs de  Capharnaiim,  et  qui  disent  :  Nous  ne 
leur  ressemblons  pas.  S'ils  avaient  compris  que 
ice  manger  et  ce  boire ,  dont  le  Sauveur  leur  par- 
lait, était  la  foi,  ils  n'auraient  pas  murmuré,  ils 
n'auraient  pas  à  la  fin  abandonné  Jésus-Clirist. 
lAinsi  tout  le  dénoûment,  c'est  qu'il  faut  avoir 
la  foi ,  et  que  tout  le  reste  ne  sert  de  rien  ,  con- 
formément, disent-ils,  à  cette  dernière  explication 
!du  Sauveur  :  C'est  Fesprit  qui  vivifie  :  la  chair 
*ne  sert  de  rien  :  les  paroles  que  je  vous  dis  sont 
esprit  et  vie  ^. 

Mon  Sauveur,  je  ne  suis  pas  ici  recueilli  devant 
vous  pour  disputer,  ni  pour  faire  une  contro- 
verse ,  mais  comme  vous  ne  permettez  pas  en  vain 
les  hérésies ,  et  que  vous  voulez  tirer  des  contradic- 
teurs un  plus  grand  éclaircissement  de  vos  vérités , 
j'écouterai  les  murmures  des  hérétiques,  pour 
mieux  entendre,  pour  mieux  goûter  votre  vérité. 
Ils  sont.  Seigneur,  je  le  crois,  ils  sont  vraiment, 
quoi  qu'ils  disent,  de  nouveaux  Capharnaïtes,  qui 
viennent  étourdir  votre  Église  douce  et  modeste, 
et  vos  enfants  qui  ne  sont  pas  disputeurs ,  ni  con- 
.tentieux ,  mais  fidèles,  du  bruit  de  cette  question  : 
'Comment  celui-ci  nous  peut-il  donner  sa  chair  à 
manger  s?  Et  ils  répondent  hardiment  :  Il  ne  le 

'     '  Jonn.  vu,  38;  iv ,  14.  —  '  Jpoc.  xxn,  17 ,  20.  —  '  lUd. 
»W,  4.  —  '  Ihid.  VI,  Ci.  —  '  Joan.  VI,  53. 


peut  pas,  au  pied  de  la  lettre  :  il  faut  entendre 
spirituellement,  c'est-à-dire,  selon  leur  pensée, 
il  faut  entendre  figurément  tout  ce  discours.  Qu'on 
est  grossier,  continuent-ils,  de  préparer  autre 
chose  que  la  foi  et  que  l'esprit  pour  manger  votre 
chair  et  votre  sang  !  Écoutons  donc  ces  hommes 
si  spirituels,  si  élevés,  qui  regardent  avec  dédain 
votre  humble  troupeau,  parce  qu'il  croit  simple- 
ment à  votre  parole ,  et  ne  cherche  point  à  en  dé- 
tourner le  sens  ni  la  force ,  pour  contenter  sa  rai- 
son. Donnez-moi  la  grâce,  ô  Seigneur!  de  décourrir 
leurs  vaines  subtilités,  et  les  pièges  qu'ils  tendent 
aux  ignorants,  qui  en  même  temps  sont  superbes. 
Car  ils  passent  jusqu'à  cet  excès  de  nous  prendre 
pour  de  vrais  Capharnaïtes,  à  cause  que  nous  ne 
voulons  pas  croire  avec  eux,  qu'avoir  dit  que  c'est 
l'esprit  qui  vivifie,  c'est  avoir  dit  qu'on  ne  mange 
votre  chair  et  qu'on  ne  boit  votre  sang  que  par 
la  foi.  Voici  donc  leur  explication  :  La  chair  ne 
sert  de  rien,  c'est-à-dire  qu'il  ne  sert  de  rien  de 
manger  réellement  votre  chair  :  Mes  paroles  sont 
esprit  et  vie,  c'est-à-dire,  tout  ce  que  j'ai  dit  de 
ma  chair  et  de  mon  sang  n'est  qu'une  figure.  Voilà 
Seigneur,  ce  qu'ils  disent;  mais  je  ne  vois  point 
tout  cela  dans  votre  Évangile.  .le  le  vais  relire. 
Seigneur,  et  en  peser  de  nouveau  toutes  les  paroles: 
et  j'espère  non-seulement  croire  toujours  d'une 
ferme  foi,  comme  je  le  crois,  mais  encore  enten- 
dre clairement,  si  vous  le  voulez,  que  ces  mur- 
murateurs se  trompent;  qu'ils  vous  font  dire  ce 
que  vous  ne  dites  pas.  Mais ,  Seigneur,  je  remet- 
trai à  un  autre  temps  cette  humble  lecture  :  au- 
jourd'hui j'ai  assez  gagné  de  m'être  humilié,  et 
d'avoir  soumis  mon  esprit  à  la  foi  de  votre  Église 
catholique. 

xxxir  JOUR. 

Notre  •  Seigneur  nous  donne  à  manger  le  même  corps 
qu'il  a  pris  pour  nous.  Joan.  vi,'29,  33,  50 ,  55,  59. 

L'œuvre  de  Dieu  est  que  vous  croyiez  en  ce- 
lui qu'il  a  envoyé.  Je  suis  le  pain  de  vie  :  celui 
qui  vient  à  moi  n'aura  jamais  faim;  et  celui 
qui  croit  en  moi  n'aura  jamais  soif  :  qui  croit 
en  moi  a  la  vie  éternelle  '.  Il  est  donc  constant 
que  c'est  par  la  foi  que  nous  devons  profiter  de 
cette  céleste  nourriture,  pour  en  recevoir  la  vie 
éternelle  :  et  il  ne  s'agit  plus  que  de  savoir  ce 
qu'il  nous  enseigne  aujourd'hui,  que  nous  de- 
vons croire  pour  cela.  Or  il  nous  enseigne  claire- 
ment qu'il  faut  croire  deux  choses  ;  la  première, 
que  le  Fils  de  Dieu  est  descendu  du  ciel  et  qu'il 
a  pris  une  chair  humaine,  en  laquelle  il  est  venu 
à  nous  ;  la  seconde ,  que  pour  avoir  part  h  la  vie 
qu'elle  contient,  il  la  faut  manger. 

La  première  de  ces  vérités  est  clairement  ensei- 
gnée dans  ces  paroles  si  souvent  répétées  :  Je  suis 
descendu  du  ciel:  ce  n'est  par  Moïse  qui  vous  donne 
le  vrai  pain  descendu  du  ciel,  mais  c'est  mon 
Père  qui  vous  donne  le  vrai  pain  descendu  du  ciel; 

I  Joan.  vu,  29,  35,  47. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


car  le  ixiîn  de  Dieu  est  celui  qui  descend  du  ciel, 
et  qui  donne  la  rie  au  monde  •  ;  et  encore  :  Je  suis 
descendu  du  ciel  pour/aire  la  volonté  de  mon  Père, 
et  ressusciter  tout  ce  qu'il  tn'a  donné  »  ;  et  encore  : 
C'est  ici  le  pain  descendu  du  ciel  ;  et  encore  :  Je 
suis  le  pain  descendu  du  ciel;  et  encore  :  C'est  ici 
le  pain  descendu  du  ciel  ^. 

Voilà  donc  le  fondement  de  toute  la  doctrine  du 
Sauveur  très-clairement  expliqué  :  qui  est  qu'il  est 
descendu  du  ciel,  c'est-à-dire  qu'il  s'est  incamé,  q^u'il 
a  pris  chair. 

Mais  la  seconde  vérité,  qu'il  faut  manger  cette 
chair  pour  avoir  part  à  la  vie  qu'elle  contient ,  n'est 
pas  moins  expliquée  ni  moins  inculquée  dans  tout 
le  discours  du  Fils  de  Dieu,  à  commencer  par  ces 
paroles  :  Et  le  pain  que  je  donnerai,  c'est  ma  chair 
pour  la  vie  du  monde;  ou  comme  porte  l'original  : 
Le  pain  que  je  donnerai  est  ma  chair,  que  je  don- 
nerai pour  la  vie  du  monde  ^  :  ce  qui  ayant  donné 
lieu  aux  Juifs  de  dire  entre  eux  :  Comment  est-ce 
guil  nous  peut  donner  sa  chair  à  manger  s  ?  le 
Fils  de  Dieu  s'explique  encore  davantage,  et  insiste 
de  plus  en  plus  à  dire  :  Si  vous  ne  maïujez  ma  chair 
et  ne  buvez  mon  sang ,  vous  n'aurez  point  la  vie  en 
vous  (parce  que  la  vie  est  pour  vous  dans  cette  chair 
que  j'ai  prise)  ;  et  sans  discontinuer  :  Qui  mange  ma 
chair  et  boit  mon  sang  aura  la  vie  éternelle  ".  Il  ne 
se  lasse  point  de  le  répéter,  puisqu'il  ajoute  aussitôt 
après  :  Car  ma  chair  est  vraiment  viande,  et  mon 
sang  est  vraiment  breuvage  :  qui  mange  ma  chair 
et  boit  mon  sang  demeure  en  moi,  et  moi  en  lui; 
qui  me  mange  vivra  pour  moi  ;  qui  mange  de  ce 
pain  aura  la  vie  éternelle '7. 

On  voit  comme  Jésus-Christ  enfonce,  pour  ainsi 
dire,  toujours  et  de  plus  en  plus  dans  la  matière  :  il 
introduit  le  discours  de  la  nourriture  céleste  à  l'oc- 
casion du  pain  matériel  qu'il  venait  de  leur  donner  : 
et  il  en  vient  jusqu'à  dire  qu'il  faudra  manger  sa  chair 
et  boire  son  sang  :  ce  qu'il  inculque  aussi  pressam- 
Bient  qu'il  a  fait  son  incarnation;  nous  enseignant 
clairement  par  là  que  nous  devons  aussi  réellement 
manger  sa  chair  et  boire  son  sang,  qu'il  les  a  pris 
l'un  et  l'autre  :  et  c'est  là  notre  salut,  c'est  notre 
vie;  car  par  ce  moyen  il  ne  prend  pas  seulement  en 
général  une  cliair  humaine ,  il  prend  la  chair  de  cha- 
cun de  nous,  lorsque  chacun  de  nous  reçoit  la  sienne . 
Alors  il  se  fait  homme  pour  nous,  il  nous  applique 
sou  incarnation  :  et,  conune  disait  saint  Hilaire, 
il  ne  porte ,  il  ne  prend  la  chair  que  de  celui  qui 
prend  la  sienne  :  il  n'est  point  notre  Sauveur,  et 
ce  n'est  ^)oint  pour  nous  qu'il  s'est  incarné,  si  nous- 
niêraes  nous  ne  prenons  la  chair  qu'il  a  prise. 
Ainsi  l'œuvre  de  notre  salut  se  consomme  dans  l'eu- 
eliaristie,  en  mangeant  lachair  du  Sauveur.  11  y  faut 
apporter  la  foi;  car  c'est  par  là  qu'il  commence  :  il 
Éaut  croire  en  Jésus-Christ  qui  donne  sa  chair  à 
manger,  comme  il  faut  croire  à  Jesus-Christ  des- 
cendu du  ciel,  et  revêtu  de  cette  diair.  Ce  a'est  pour- 

'  Joan.  V! ,  38 ,  32 ,  33.  —  »  Ibia.  3S ,  39.  *—  Ibid.  50 ,  51  , 
69.  —  «  Ibid.  52,  —  *  Uid.  53 ,  5i.  —  ^  lùid.  53.  —  ■  Uid.  50 , 
67 ,  hS  t 03. 


«9i 

tant  pas  la  foi  qui  fait  que  Jésus-Christ  est  descendu 
du  ciel ,  et  a  paru  en  chair;  ce  n'est  non  plus  la  foi 
qui  faitquecettecliair  est  donnée  à  manger.  Croyons 
ou  ne  croyons  pas,  cela  est  ;  croyons  ou  ne  croyons 
pas,  Jésus-Christ  est  descendu  du  ciel  en  chair  hu- 
maine; croyons  ou  ne  croyons  pas,  Jésus-Christ 
donne  à  manger  la  même  chair  qu'il  a  prise;  car  il 
est  dit  absolument  :  Ceci  est  mon  corps  '  ;  et  non 
pas  :  Ceci  le  sera ,  si  vous  y  croirez  ;  comme  il 
est  dit  absolument.  Le  Ferbe  a  été  fait  chair  »  ; 
le  Verbe  est  descendu  du  ciel  en  terre;  et  non  pas  : 
//  est  fait  chair  par  votre  foi  :  et  il  desce*id  du 
ciel  si  vous  y  croyez.  O  vérité  de  la  chair  mangée! 
je  vous  crois,  comme  je  crois  la  vérité  de  la  chair 
prise  par  le  Fils  de  Dieu ,  la  vérité  du  Fils  de  Dieu 
descendu  du  ciel.  Mon  Sauveur,  avec  quelle  force 
vous  me  confirmez  votre  incarnation!  Ah!  celui 
qui  ne  croit  pas  qu'on  reçoit  réellement  votre  propre 
chair,  en  sa  propre  et  véritable  substance ,  ne  croit 
pas  comme  il  faut  que  volis  ra\'ez  prise  ;  et  il  n'a 
point  de  part  au  pain  de  vie. 

XXXIIl»  JOUR. 

Présence  réelle  da  corps  et  da  sang  de  Jésas-Chrbt  dans 
l'eucharistie.  Joan.  vi,  54,  55,  56,  57.  MaMh.  xxvi,  26, 

27,  2«. 

Si  vous  ne  mangez  la  chair  du  Fils  de  l'homme  : 
Prenez ,  mangez  :  ceci  est  mon  corps  :  Si  vous  ne 
buvez  son  sang  :  buvez-en  tous  :  ceci  est  mon  sang. 
De  dire  qu'il  n'y  ait  pas  un  rapport  manifeste  dans 
ces  paroles  ;  que  l'une  n'est  pas  la  préparation  et  la 
promesse  de  l'autre ,  et  que  la  dernière  n'est  pas  l'ac- 
complissement de  celle  qui  a  précédé,  c'est  vouloir 
dire  que  Jésus-Christ,  qui  est  la  sagesse  éternelle, 
parle  et  agit  au  hasard.  Visiblement  il  a  parlé  en 
saint  Jean ,  chapitre  vi ,  pour  préparer  l'institution 
de  l'eucharistie.  Il  a  dit  en  saint  Jean  :  Travaillizu 
la  nourrilure  que  le  Fils  de  Vhomme  vous  donnera; 
et  encore  ;  Et  le  pain  que  je  donnerai ,  c'est  ma 
chair  que  je  donnerai ,  pour  la  vie  du  monde^.  Il 
la  donnera, dit-il  ;  c'est  visiblement  une  préparation 
et  une  promesse,  avec  laquelle  il  ne  faut  pas  s'éton- 
ner que  l'institution  et  l'e-xécution  ait  un  rapport  si 
manifeste  :  autrement  on  pourrait  dire  de  même  que 
lorsqu'il  est  descendu  dans  le  Jourdain ,  et  que  le 
Saint-Esprit  y  est  descendu  sur  lui  visiblement  ^,  il 
ne  songeait  ni  à  consacrer  l'eau,  ni  à  nous  montrer 
l'esprit,  desquels  il  a  dit  que  nous  renaîtrions.  Mais 
si  la  manifestation  de  la  Trinité  dans  son  baptétne 
a  préparé  la  déclaration  qu'il  en  voulait  mettre  dans 
le  nôtre,  lorsqu'il  a  dit  :  Allez,  baptisez  au  nom  du 
Père,  et  du  Fils,  et  du  Saint-Esprit^;  et  que^on 
baptême  et  le  nôtre  aieot  entre  eu.v  un  rapport  si 
manifeste ,  et  en  aient  en  même  temps  un  pareil  avec 
ce  qu'il  a  dit  en  saint  Jean  :  Si  vous  ne  renais.fez  d'eau 
et  du  Saint-Esprit^  :  on  doit  croire  qu'il  a  aussi 
préparé  l'institution  de  l'eucharistie,  et  que  ce  qu'il 
a  dit  en  saint  Jean ,  chapitre  vi,  est  fait  pour  cela  : 
et  sans  tout  ce  raisonnement  la  chose  parle. 

'  .Vatih.  xxvi,  2û.  —  •  Joan.  I,  U-  —  ^  Il>i±  Tl,  27,  U. 
^'/^id.  I,3l»34;ui,  &.  — i.tfaMA.XXTUl,  I».  — *Jctf«.  ui,*. 


eoG 


MÉDlïATIOiNS  SUR  L'ÉVANGILE. 

rapport  des  paroles  qu'on  lit  dans  saint  Jean , 
•elles  de  l'institution,  est  visible  '  :  là  manger. 


1  c  ra 
et  de  celles  , 

et  ici  manger;  là  boire,  et  ici  boire;  la  la  chair, 
et  ici  la  chair;  ou ,  ce  qui  est  la  même  chose,  le 
corps  :  là  le  sang,  ici  le  sang;  là  le  manger  et  k 
boire,  la  chair  et  le  sang  séparément;  et  ici  la  même 
chose.  Si  cela  ne  fait  pas  voir  précisément  que  tout 
cela  n'est  qu'un  seul  et  même  mystère ,  une  seule 
et  même  vérité,  il  n'y  a  plus  d'analogie  ni  de  conve- 
nance; il  n'y  a  plus  de  rapport  ni  de  suite  dans 
notre  foi ,  ni  dans  les  paroles  et  actions  du  Sauveur. 
INIais,  si  le  manger  et  le  boire  de  saint  Jean  est  le 
manger  et  le  boire  de  l'institution ,  donc  en  saint 
Jean",  c'est  un  manger  et  un  boire  par  la  bouche; 
puisque  dans  l'institution  visiblement  c'en  est  un 
lie  celte  nature.  Si  la  chair  et  le  sang,  dont  il  est 
parlé  en  saint  Jean,  n'est  pas  la  chair  et  le  sang  en 
esprit  et  eu  figure ,  mais  la  chair  véritable  et  le  sang 
véritable,  en  leur  propre  et  naturelle  substance,  il 
en  est  de  même  dans  Ttnstitution  :  et  l'on  ne  peut 
non  plus  interpréter  :  Ceci  est  mon  corps;  ceci  est 
mon  sang,  d'un  corps  en  figure,  d'un  sang  en 
Ogure,  que  dans  saint  Jean  :  Si  vous  ne  mangez  ma 
chair,  et  n  vous  ne  buvez  mon  sang,  de  la  figure  de 
l'un  et  de  l'autre.  Or  qui  pourrait  seulement  songer 
que  Jésus-Christ  ait  voulu  dire  :  Si  vous  ne  mangez 
via  chair  en  figure,  et  mon  sang  de  même,  il  n'y 
a  point  de  vie  pour  vous  :  et ,  ma  chair  en  figure  j 
est  vraiment  viande,  et  mon  sang  en  figure  est 
vraiment  breuvage,  et  ainsi  du  reste?  cela  serait 
insensé.  Il  ne  l'est  donc  pas  moins  de  dire,  que 
ceci  est  mon  corps  :  ceci  est  mon  sang,  ne  soit 
pas  la  vérité;  mais  la  figure  de  l'un  et  de  l'autre. 
Vous  dites  que  souvent,  dans  l'Écriture,  manger, 
c'est  croire;  boire,  c'est  croire;  et  que  c'est  là  le 
manger  et  le  boire  dont  il  est  parlé  dans  saint  Jean. 
Mais  puisque  manger  et  boire  à  la  fois,  c'est  la  même 
chose;  Jésus-Christ  ne  se  serait  pas  arrêté  jusqu'à 
quatre  fois  réitérées  à  distinguer  le  manger  d'avec 
le  boire ,  ni  la  viande  d'avec  le  breuvage ,  s'il  n'avait 
pas  regardé  à  autre  chose.  Visiblement  donc  il  a  re- 
gardé aux  paroles  de  l'institution,  oii  manger,  c'est 
prendre  par  la  bouche;  où  boire,  c'est  boire  dans 
une  coupe  et  en  avaler  la  liqueur.  Ainsi,  quoi  qu'il 
en  soitdes  autres  passages,  où  manger  et  boire,  c'est 
croire;  dans  l'endroit  que  nous  méditons,  il  n'est 
plus  permis  de  dire  que  le  manger  et  le  boire  soit  un 
manger  et  un  boire  impropre  et  allégorique,  ni  autre 
chose  qu'un  manger  et  un  boire  véritable  et  propre- 
ment dit,  un  manger  et  un  boire  par  la  bouche  du 
corps. 


Je  le  crois  ainsi ,  mon  Sauveur  !  si  vous  ne  mangez 
mm  chair,  si  vous  ne  buvez  mon  sang  :  c'est-à-dire 
si  vous  n'obéissez  à  cette  parole  :  Prenez,  mangez  : 
ceci  est  mon  corps;  buvez,  ceci  est  mon  sang  :  et 
il  n'y  a  d'autre  différence  entre  ces  paroles  sinon 
que  par  l'une  vous  promettez,  dans  l'autre  vous  don- 
nez; dans  l'une  vous  préparez,  dans  l'autre  vous 
instituez;  dans  l'une  vous  vous  étendez  davantage 
«ur  le  fruit,  dans  l'autre  vous  vous  attachez  plus  pré- 

•  JiiiiUh  .  \X VI ,  V!6 ,  :».  Joein.  vi,  6i ,  5». 


cisément  à  exposer  la  chose  même.  Mais  partout,  c'est 
le  même  corps,  le  même  sang,  reçu  de  la  même  ma- 
nière, et  toujours  pour  la  même  fin,  qui  est  de  s'unir, 
substance  à  substance,  à  la  chair  et  au  sang  que 
vous  avez  pris.  Encore  un  coup,  voilà,  mon  Sauveur 
ce  que  je  crois.  La  foi  me  vivifie;  il  est  certain  : 
mais  cette  foi  qui  me  vivifie ,  c'est  de  croire  que  vous 
avez  pris  une  chair  humaine,  un  sang  humain,  et 
que  vous  me  les  donnez  aussi  véritablement  à  manger 
et  à  boire,  même  par  la  bouche  du  corps,  que  vous 
les  avez  pris  dans  le  sein  de  votre  bienheureuse  mère. 

XXXIV*  JOUR. 

Manger  et  boire  le  corps  de  Notrc-Seigneur  réellement  et 
avec  foi.  Jbid. 

Que  l'homme  est  insensé  de  se  servir  de  la  foi 
pour  en  détruire  l'objet!  Il  faut  manger  votre  chair 
et  boire  votre  sang;  il  faut  croire  qu'on  la  mange., 
et  qu'on  le  boit  :  donc  manger  et  boire,  c'est  croire  : 
on  ne  mange  point,  on  ne  boit  point  autrement  : 
et  parce  qu'il  le  faut  faire  avec  foi ,  ce  n'est  que  par 
la  foi  qu'on  le  fait.  C'est  de  même  que  si  l'on  di- 
sait :  Jésus-Christ  est  descendu  du  ciel ,  et  il  a  p-is 
chair  humaine  dans  le  sein  d'une  vierge  :  cette 
vierge  a  cru  ,  et  ce  qu'elle  a  cru  s'est  accompli  en 
elle,  conformément  à  cette  parole  :  Bienheureuse, 
qui  avez  cru  :  ce  qui  vous  a  été  dit  s'accomplira  en 
vous'.  Vous  avez  cru  que  vous  concevriez  le  Fils 
de  Dieu ,  et  que  vous  en  seriez  la  mère  :  vous  l'avez 
conçu  ;  vous  l'enfanterez  ;  et  tout  ce  que  vous  avez 
cru  Vous  arrivera  :  vous  l'avez  conçu  en  quelque 
sorte  dans  votre  esprit  par  la  foi ,  avant  que  de  le 
concevoir  véritablement  dans  votre  sein  :  donc  cette 
conception  n'est  qu'une  conception  par  la  foi,  et 
vous  n'avez  pas  véritablement  conçu  le  Fils  de  Dieu 
dans  vos  entrailles;  il  n'y  est  pas  véritablement 
descendu  en  chair  et  en  os  ;  et  tout  cela  n'est  que 
figure  et  allégorie.  C'est  ainsi  que  raisonnent  ceux 
qui  disent  :  Il  faut  manger  la  chair  du  Sauveur; 
il  en  faut  boire  le  sang;  il  faut  faire  l'un  et  l'autre 
avec  foi  :  donc  la  foi  est  tout  ce  manger  et  tout  ce 
boire,  et  il  n'y  a  rien  davantage.  C'est  ainsi  que  les 
hommes  disputent  contre  Dieu  et  contre  eux-mê- 
mes :  contre  Dieu ,  en  ne  croyant  pas  qu'il  puisse 
faire  pour  l'amour  de  nous  des  choses  incompréhensi- 
bles; contre  eux-mêmes,  en  refusant  leur  croyance 
à  ses  bienfaits,  à  cause  qu'ils  sont  trop  grands. 

De  même,  quand  le  Sauveur  a  dit  :  Quel<]u'un 
m'a  touché:  car f  ai  senti  sortir  de  moi  une  vei  tu^ , 
et  qu'il  a  si  vivement  distingué  cette  femme  qui  le 
touchait  avec  foi ,  de  toute  la  troupe  qui  le  touchait 
simplement  en  pressant  son  corps ,  il  a  voulu  dire 
que  cette  femme  ne  l'a  pas  touché  véritablement 
selon  le  corps,  et  qu'elle  ne  l'a  touché  que  par  la 
foi  et  selon  l'esprit.  C'est  ainsi  que  pensent  ceux  qui 
disent  :  Manger  le  corps,  boire  le  sang,  par  la 
bouche  simplement,  ce  n'est  rien;  et  la  vertu  ne 
sort  que  lorsqu'on  mange  et  qu'on  boit  avec  foi  : 
donc  il  ne  faut  entendre  ici  que  la  seule  foi;  et  pour 
tirer  la  vertu  qui  est  dans  le  corps  et  dans  le  sang 


'  Luc.  I,  45.  —  '  MaLlh.  V,  30.  Luc.  vili,  46. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


697 


de  Jésus,  on  n'a  pas  besoin  de  joindre  ces  deux 
choses  ensemble  :  c'est  à  savoir,  d'un  côté ,  manççer 
et  boire  selon  le  corps ,  et  de  l'autre ,  s'y  unir  avec  la 
foi.  .le  me  perds,  mon  Sauveur  !  je  me  perds,  encore 
un  coup  :  non  point  dans  la  hauteur  de  vos  mystè- 
res; car  je  les  crois  sans  les  comprendre,  et  je  ne 
vous  demande  pas,  à  l'exemple  des  incrédules, 
comment  vous  pouvez  les  accomplir.  INIaisjeme 
[.L'rds  dans  l'éiiarement  des  hommes  et  dans  la  per- 
versité de  leurs  voies;  parce  que  je  vois  qu'ils  ai- 
ment mieux  raffiner  sur  vos  paroles ,  pour  en  éluder 
la  force,  que  d'y  croire  simplement  et  de  vivre. 

XXXV  JOUR. 

Manger  1p  corps,  pf  boire  le  sang  de  Jésus-Christ,  c'est 
y  particip«'r  véritablement  et  réellement.  Ibid. 

Tout  ceci,  dites-vous,  n'est  que  mystère  et  al- 
légorie :  manger  et  boire,  c'est  croire;  manger  la 
chair  et  boire  le  sang,  c'est  les  regarder  coumie 
séparés  à  la  croix ,  et  chercher  la  vie  dans  les  bles- 
sures de  notre  Sauveur.  Si  cela  est,  mon  Sauveur, 
pourquoi  ne  parlez-vous  pas  simplement,  et  pour- 
quoi laisser  murmurer  vos  auditeurs  jusqu'au  scan- 
dale et  jusqu'à  vous  abandonner ,  plutôt  que  de  leur 
dire  nettement  votre  pensée? 

Quand  le  Sauveur  a  proféré  des  paraboles,  quoi- 
que beaucoup  moins  embrouillées  que  cette  longue 
allégorie  qu'on  lui  attribue,  il  en  a  si  clairement 
expliqué  le  sens,  qu'il  n'y  a  plus  eu  à  raisonner  ni 
à  questionner  après  cela  ;  et  si  quelquefois  il  n'a 
pas  voulu  s'expliquer  aux  Juifs,  qui  méritaient  par 
leur  orgueil  qu'il  leur  parlât  en  énigme,  il  n'a  ja- 
mais refusé  à  ses  apôtres  une  explication  simple  et 
naturelle  de  ses  paroles?  après  laquelle  personne  ne 
s'y  est  jamais  trompé.  Ici,  plus  on  murmure  contre 
lui,  plus  on  se  scandalise  de  si  étranges  paroles; 
plus  il  appuie,  plus  il  répète,  plus  il  s'enfonce,  pour 
ainsi  parler,  dans  l'embarras  et  dans  l'énigme.  Il  n'y 
avait  qu'un  mot  à  leur  dire;  il  n'y  avait  qu'à  leur 
dire  :  Qu'est-ce  qui  vous  trouble?  Manger  ma  chair, 
c'est  y  croire;  boire  mon  sang,  c'est  y  penser;  et 
tout  cela  n'est  autre  chose  que  méditer  ma  mort. 
C'était  fait  ;  il  n'y  restait  plus  de  difficulté,  pas  une 
ombre.  Il  ne  le  fait  pas  néanmoins;  il  laisse succom- 
l)er  ses  propres  disciples  à  la  tentation  et  au  scan- 
dale, faute  de  leur  dire  un  mot.  Cela  n'est  pas  de 
vous ,  mon  Sauveur  ;  non ,  cela  assurément  n'est  pas 
de  vous,  vous  ne  venez  pas  troubler  les  hommes 
par  de  grands  mots  qui  n'aboutissent  à  rien;  ce 
serait  prendre  plaisir  à  leur  débiter  des  paradoxes 
seulement  pour  les  étourdir. 

Quand  le  Sauveur  eut  prononcé  cette  sentence  : 
Ce  qui  entre  clans  la  boucha  n'est  pas  ce  qui  souille 
riiomrne ,  mais  ce  qui  en  soi't  '  :  ses  apôtres  lui 
vinrent  dire  :  Savez-vous  bien  que  cette  parole  a 
scandalisé  les  pharisiens?  Laissez-les ,  dit-il,  ce 
sont  des  aveugles  et  des  conducteurs  d'aveugles. 
Mais  pour  ses  apôtres,  il  leur  expliqua  tellement 
rallégorie,  qu'il  n'y  eut  jamais  sur  cela  le  moindre 

•  ttatth.  XT,  1 1  et  geq. 


embarras,  ni  dans  leur  esprit,  ni  dans  l'esprit  de 
ceux  qui  les  ont  suivis. 

Prenez  garde ,  leur  disait-il ,  au  levain  des  pha- 
risiens et  des  saducéens  :  et  ils  pensaient  en  eux- 
marnes  qu'il  leur  reprochait  qu'ils  avaient  aublié  a 
porter  des  pains  :  mais  connaissant  leur  pensée , 
il  leur  dit  :  Gens  de  petite  foi ,  qui  croyez  que  je 
ne  songe  qu'au  pain;  ne  vous  souvenez-vous  pas 
combien  de  milliers  d'hommes  j'ai  nourris  première- 
ment de  cinq  pains ,  et  ensuite  de  sept  ?  Comment 
donc  n'avez-vous  pas  entendu  que  ce  n'est  pas  du 
pain  que  je  vous  parle  ?  Ils  entendirent  alors  qu'il 
parlait  de  la  doctrine  des  pharisiens  '. 

Il  les  vit  embarrassés  de  cette  parole  :  Encore  un 
peu  de  temps ,  et  vous  ne  me  verrez  plus  ;  et  encore 
un  peu  de  temps ,  et  vous  me  verrez.  Comme  il  leur 
vit  l'esprit  peiné,  et  qu'ils  se  disaient  l'un  à  l'autre  : 
Que  veut-il  dire?  Nous  ne  savons  ce  qu'il  veut  dire  : 
il  leur  répondit  :  Hé  bien!  il  faut  donc  maintenant 
vous  parler  sans  allégorie,  sans  proverbe,  sans 
similitude;  et  il  I^ur  parla  si  clairement,  qu'ils  lui 
dirent  enfin  eux-mêmes  :  Maître,  cette  fois  vous 
parlez  nettement,  et  il  n'y  a  point  de  proverbe  ni 
d'ambiguïté  dans  vos  discours  ».  N'y  a-t-il  que  cette 
occasion  où  les  paroles  vous  manquent?  N'aviez- 
vous  point  de  moyen  de  vous  expliquer,  ni  d'em- 
pêcher vos  disciples ,  non  pas  de  s'embarrasser  dans 
vos  discours,  mais  de  s'y  perdre,  et  de  vous  quitter 
tout  à  fait? 

La  Samaritaine  s'embarrasse,  et  croit  que  l'eau 
dont  vous  lui  parlez  est  une  eau  de  la  nature  de 
celle  qu'elle  venait  puiser  au  puits  de  Jacob,  pour 
étancher  sa  soif;  mais  vous  lui  expliquâtes  nettement 
que  l'eau  dont  vous  lui  parliez  était  une  eau  qui 
devenait  une  source  inépuisable  et  intarissable  dans 
ceux  qui  en  buvaient,  et  qui  leur  donnait  la  vie 
éternelle.  Qui  depuis  a  jamais  cru,  après  cela,  que 
l'eau  que  vous  donniez  à  boire  à  vos  disciples  fût 
une  eau  matérielle?  11  est  vrai  que  cette  femme  de- 
meure encore  un  peu  dans  l'embarras,  et  qu'elle 
dit  encore  au  Sauveur  :  Seigneur,  donnez-moi  celte 
eau,  afin  que  je  ne  sois  plus  obligée  de  venir  à  ce 
puits.  Mais  Jésus-Christ,  qui  sentit  qu'il  s'était  assez 
expliqué,  et  que  ce  reste  de  doute  se  dissiperait  de 
lui-même,  changea  de  discours.  La  femme  entre 
dans  d'autres  matières;  et  ravie  de  la  doctrine  du 
Sauveur,  sans  s'embarrasser  davantage  de  cette 
eau ,  elle  laisse  sa  cruche  auprès  du  puits ,  pour  aller 
dire  à  ses  citoyens  :  tenez  voir  un  homme  qui  m'a 
dit  tmit  ce  que  j'ai  fait.  N'est-ce  point  le  Christ^? 
ce  qu'elle  dit,  non  pas  en  doutant;  mais  pour  les 
induire  à  croire  aussi  ce  qu'elle  croyait  déjà.  A- 
t-elle  quitté  le  Sauveur,  comme  font  ici  ses  propres 
disciples,  sous  prétexte  de  cette  eau,  qu'elle  sem- 
blait n'avoir  pas  encore  bien  entendue?  Point  du 
tout  ;  elle  sentit  bien  que  ce  n'était  rien  :  personne 
aussi  n'a  relevé  son  doute;  et  s'il  edt  pu  rester 
quelque  embarras,  il  est  levé  clairement  dans  un 
autre  endroit  par  l'évangéliste,  lorsqu'après  avoir 
raconté  ce  discours  de  Notre-Seigneur,  semblable 

'  Matlh.  XVI,  6,  7 ,  s,  9, 12  —  ï  Joon.  xvi ,  16,  17,  18,  29.  — 
'  Ibid   IV,  10,  11,  13,  li,  15,  16,28,21». 


698 


MÉDITATIOINS  SUR  L'ÉVANGILE. 


à  ceux  qu'il  avait  ténus  à  la  Samaritaine  :  Celui  qui 
croit  en  moi ,  il  sortira  de  ses  entrailles  des 
fleuves  d'eau  vive  :  ajoute  aussitôt  après  :  Il  disait 
cela  de  l'esprit  que  ses  fidèles  devaient  recevoir  ^ 
Mon  Sauveur,  vous  ne  laissez  rien  sans  explica- 
tion :  tout  ce  qui  pouvait  donner  de  fausses  idées 
est  clairement  expliqué  dans  votre  Évangile  :  per- 
sonne ne  s'y  trompe  ;  personne  n'est  tenté  de  vous 
quitter.  Je  ne  vous  quitterai  pas,  à  Dieu  ne  plaise, 
pour  vous  avoir  entendu  parler  de  votre  chair  qu'il 
nous  faut  manger,  ni  de  votre  sang  qu'il  nous  faut 
boire  :  je  ne  chercherai  non  plus  à  éluder  la  force 
de  cette  parole;  je  la  prendrai  au  pied  de  la  lettre , 
comme  vous  l'avez  prononcée  :  s'il  le  fallait  prendre 
autrement,  vous  me  l'auriez  expliqué  comme  tout 
le  reste  des  paraboles,  des  similitudes,  des  allégo- 
ries. 

XXXYP  JOUR. 

Renaissance  spirituelle  expliquée  par  Notre-Seigneur  à 
Nicodème.  Joan.  ni ,  1 ,  2 ,  3  et  seq. 

Venons  enfin  à  Nicodème,  et  au  discours  que  lui 
tint  le  Fils  de  Dieu  sur  le  sujet  du  baptême.  Il  en- 
tendit trop  charnellement  ce  qui  lui  avait  été  dit  : 
qu'il  fallait  renaître  de  nouveau:  et  il  poussa  l'i- 
gnorance jusqu'à  demander  :  Comment  est-ce  que 
l'on  peut  renaître  étant  déjà  vieux?  Faudra-t-il 
rentrer  dans  le  ventre  de  sa  mère  » ,  pour  en  sortir 
encore  une  fois,  et  redevenir  dans  sa  vieillesse  un 
♦infant  nouvellement  né?  Jésus-Christ  pouvait  ici  lui 
répéter  :  Oui ,  je  vous  le  dis ,  il  faut  renaître  :  en- 
core un  coup ,  il  faut  renaître  :  si  on  ne  renaît,  on 
n'a  point  de  part  à  mon  royaume  :  il  pouvait,  dis-je, 
répéter  sans  cesse  son  premier  discours,  et  sans 
s'expliquer  davantage,  laisser  Nicodème  dans  ses 
grossières  idées.  Il  ne  le  fait  pas  :  et  aussitôt  que 
ce  pharisien  lui  a  fait  sentir  sa  difficulté ,  il  la  résout 
par  ces  paroles  :  Si  vous  ne  renaissez  de  l'eau  et  du 
Saint-Esprit,  vous  n'aurez  point  de  part  à  mon 
royaume  ^  :  ce  qui  veut  dire  manifestement  :  Ce 
n'est  pas  dans  le  ventre  de  sa  mère,  c'est  dans  l'eau, 
qu'il  faut  entrer  :  ce  n'est  pas  pour  y  recevoir  une 
naissance  charnelle ,  c'est  pour  y  être  renouvelés  par 
le  Saint-Esprit.  Il  n'en  fallait  pas  davantage,  et  toute 
la  difficulté  était  résolue.  Mais  le  Sauveur  ne  s'en 
tient  pas  là,  et  pour  ôter  toute  idée  d'une  naissance 
charnelle ,  il  poursuit  en  cette  sorte  :  Ce  qui  est  né 
de  la  chair  est  chair  :  et  ce  qui  est  né  de  l'esprit  est 
esprit.  Ne  vous  étonnez  donc  pas  si  je  vous  dis  qu'é- 
tant  né  selon  la  chair,  il  faut  encore  naître  4  selon 
l'esprit.  Que  pouvait-on  désirer  de  plus  sur  la  diffi- 
culté proposée?  Être  baptisé,  c'est-à-dire  se  plon- 
ger dans  l'eau  pour  être  purifié,  était  chose  bien 
connue  des  Juifs  :  et  il  ne  restait  qu'à  leur  expliquer 
qu'il  y  aurait  un  baptême,  où  le  Saint-Esprit  se  joi- 
gnant à  l'eau  ,  renouvellerait  l'esprit  de  l'homme. 
Cela  est  dit  clairement;  et  Nicodème  n'en  revient 
plus  à  sa  naissance  charnelle,  ni  personne  ne  se 
l'est  jamais  imaginée  à  son  exemple. 


8, 


Joan.  VII    38,  39.  —  '  Ihkl.  iil ,  4.—  ^  Ibid.  5.  —  '  Ihid. 


Il  est  vrai  qu'il  lui  restait  à  entendre  l'opéralion 
du  Saint-Esprit,  dont  Jésus-Christ  lui  parla  d'une 
manière  admirable,  de  laquelle  il  n'est  pas  ici  ques- 
tion. Mais  comme  sa  difficulté  sur  la  naissance 
charnelle  était  résolue  sans  retour,  et  qu'il  n'était 
pas  nécessaire  de  l'instruire  davantage  sur  la  ma- 
nière dont  le  Saint-Esprit  agissait  en  nous,  et  y  for- 
mait des  pensées,  dont  la  fin  comme  le  principe 
passaient  notre  intelligence;  Jésus-Christ  ne  lui  par- 
le plus  que  de  la  foi  qu'il  faut  avoir  à  ses  paroles  : 
Nous  disons  ce  que  nous  savons  :  et  nous  rendons 
témoignage  des  choses  que  nous  avons  vues  :  et  on 
ne  veut  pas  le  recevoir  '  ;  et  le  reste,  qu'il  serait 
aisé  d'expliquer,  s'il  en  était  question.  Quoi  qu'il  ea 
soit,  il  est  bien  certain  qu'il  ne  reste  aucun  doute 
à  Nicodème  :  il  n'est  point  tenté  de  quitter  le  Fils 
de  Dieu  :  et  la  renaissance  du  corps  n'a  fait  au- 
cune dispute  parmi  ses  disciples.  Pourquoi  ne  parler 
pas  avec  la  même  netteté  à  un  si  grand  peuple,  qui 
croyait  en  lui,  jusqu'à  dire  qu'il  était  vraiment  ce 
prophète  qui  devait  venir  ';  c'est-à-dire  qu'il  était 
le  Christ?  Pourquoi  ne  leur  ôter  pas  cette  peine  qui 
les  troublait  tant ,  d'avoir  à  manger  son  corps  et 
boire  son  sang  par  la  bouche  ;  et  ne  leur  pas  dire 
en  un  mot,  que  tout  cela  n'était  rien,  et  qu'il  ne 
voulait  parler  que  de  la  représentation  et  applica- 
tion qu'il  se  fallait  faire  à  soi-même  par  la  foi , 
dans  son  esprit,  de  la  mort  et  des  blessures  du  Sau- 
veur des  âmes? 

XXXVIP  JOUR. 

L'eucharistie  est  la  participation  réelle  au  corps  et  au  sang 
de  Notre-Seigneur,  en  mémoire  de  sa  mort  soufferte  pour 
nous.  Ihid. 

On  dira  :  Mais  n'est-il  pas  vrai  qu'il  faut  se  sou- 
venir de  cette  mort,  la  méditer  avec  foi,  croire  en 
cette  chair  percée  et  en  ce  sang  répandu  ;  et  par  ce 
moyen  avoir  la  vie?  Il  est  vrai  :  mais  ce  n'est  pas 
là  ce  qui  faisait  la  difficulté;  ce  n'est  pas  ce  qui  fai- 
sait dire  ;  Comment  cet  homme  nous  peut-il  donner 
sa  chair  àmangerl  et  :  Cette  parole  est  dure,  qid 
la  peut  ouïr  ^  ?  C'était  bien  assez  pour  des  hommes , 
de  les  obliger  à  croire  que  le  Fils  de  Dieu  avait  pris 
une  chair  humaine,  et  qu'il  la  devait  livrer  à  la  mort  ; 
sans  ajouter  à  la  peine  de  voir  percer  cette  chair, 
et  verser  inhumainement  ce  sang,  la  dureté  de  la 
manger  et  de  le  boire.  Car  c'est  là  précisément  ce 
qui  les  oblige,  non  pas  à  dire  :  Cela  est  haut,  cela 
est  incroyable ,  cela,  si  vous  voulez ,  n'est  pas  pos- 
sible; mais.  Cela  est  dur  et  insupportable,  d'avoir 
à  prendre  par  la  bouche  la  chair  et  le  sang  d'un 
homme.  Et  si  cette  difficulté  ne  se  trouvait  pas  en 
effet  dans  le  mystère  du  Sauveur,  on  ne  pouvait 
expliquer  trop  nettement  ni  trop  tôt  un  tel  disr 
cours. 

Qu'ainsi  ne  soit  :  mon  Sauveur,  j'écoute  sans 
peine  qu'il  faut  se  souvenir  de  votre  mort  ;  qu'il 
faut  contempler  par  la  foi  votre  chair  blessée,  et  vo- 
tre sang  répandu  ;  et  que  c'est  par  là  que  vous  m'a- 
vez racheté.  C'est  ce  que  je  fais  en  effet  dans  l'eticha' 

'  Joan.  m,  II.  —''Jbid.  vi,  IJ.  —  ^Ibid.  &3,ftl. 


MÉDITATIONS  SUR   L'ÉVANGILE. 


ristie,  dont  le  fruit  est  de  m'imprimer  votre  mort 
dans  la  pensée ,  d'y  mettre  mon  espérance ,  de  m'y 
conformer  par  la  mortification  de  mes  sens.  Il  n'y 
a  pas  là  de  difficulté  particulière;  et  si  vous  vous  étiez 
expliqué  ainsi,  on  n'aurait  pas  trouvé  dans  vos 
discours  cette  dureté  dont  on  se  plaint.  J'entends 
donc  que  vous  voulez  dire  autre  chose;  que  vous 
voulez  dire ,  qu'il  faut  à  la  vérité  se  souvenir  de  vo- 
tre mort;  mais  qu'il  faut  encore  s'en  souvenir 
comme  d'un  sacrifice  offert  pour  nous ,  dont  la  chair 
doit  être  mangée,  même  par  la  bouche,  comme  on 
mangeait  celle  de  l'ancienne  pâque ,  et  celle  des  au- 
tres victimes  qui  vous  figuraient ,  pour  nous  être  un 
gage  certain  que  c'est  pour  nous  que  s'est  faite  cette 
immolation ,  et  en  imprimer  dans  nos  cœurs  un  sou- 
venir plus  vif  et  plus  efficace.  Je  le  crois  ainsi ,  mon 
Sauveur!  ce  souvenir,  où  les  incrédules  veulent  tout 
réduire,  est  trop  humain. 

Un  homme  peut  s'immoler  pour  sa  patrie  ;  je  dis 
même  s'immoler  au  pied  de  la  lettre,  et  les  exemples 
n'en  sont  pas  si  rares  que  les  livres  sacrés  et  pro- 
fanes n'en  soient  pleins  :  il  n'est  pas  difficile  aux 
hommes ,  qui  s'immoleraient  de  cette  sorte ,  de  re- 
commander le  souvenir  de  cette  mort,  ni  d'établir 
quelque  fête,  quelque  signal  pour  en  perpétuer  la 
mémoire.  Mais  de  laisser  à  perpétuité  sa  chair  à 
manger  et  son  sang  à  boire,  afin  qu'en  se  les  appro- 
priant de  cette  sorte  on  se  souvienne  plus  tendrement 
qu'ilsont  été  immolés  pour  nous;  il  n'y  a  qu'un  Dieu 
qui  le  puisse  faire,  et  il  y  a  là  autant  de  puissance 
que  d'amour.  Il  est  vrai,  cette  parole  est  dure  à  son 
sens;  elle  est  insupportable,  elle  est  absurde;  mais 
votre  parole  est  véritable  :  je  croirai  cette  absur- 
dité ;  je  dévorerai  cette  dureté  ;  si  vous  ne  me  l'ôtez 
en  me  l'expliquant.  Car  je  sais  que  ce  qui  est  folie 
selon  les  hommes,  est  sagesse  selon  Dieu;  et  par 
la  même  raison ,  que  ce  qui  est  dur  et  absurde  selon 
Dieu  est  consolation  et  vérité. 

Je  le  crois,  mon  Sauveur,  je  le  crois;  me  voilà 
prêt  à  prendre  au  pied  de  la  lettre  tout  ce  que  vous 
dites  de  plus  dur,  si  vous-même  vous  ne  m'appre- 
nez à  le  prendre  d'une  autre  manière.  Mes  sens  se- 
raient soulagés  par  une  interprétation  plus  humai- 
ne ;  mais  si  je  cherche  à  les  soulager  de  cette  sorte, 
où  vais-je,  mon  Sauveur?  où  suis-je  entraîné  ?  dans 
quelle  incrédulité  ?  dans  quel  éloignement  de  vos 
mystères?  Je  veux  croire,  encore  un  coup,  et  non 
pas  raisonner  selon  l'homme  ;  et  s'il  faut  rabattre 
quelque  chosede  la  précise  vérité  de  vos  paroles,  il 
faut  que  vous  me  l'appreniez  vous-même. 

XXXVIII«  JOUR. 

Scandale  des  disciples.  Joan.  ti,  60,  61 ,  62  el  seq. 

Jésus  dit  ces  choses  à  CapharnaUm  dans  la  sy- 
nagogue. Plusieurs  de  ses  disciples  dirent  donc  : 
Cette  parole  est  dure  :  qui  la  peut  ouïr?  fit  Jésus 
sachant  en  lui-même  que  plusieurs  de  ses  disciples 
viwmuraienf ,  il  leur  dit  :  Ceci  vous  scandalise? 
Si  donc  vous  voyiez  le  Fils  de  l'homme  remonter 

'  \.  Car.  r.  îi 


C09 

où  il  était  auparavant?  C'est  l'esprit  qui  vivifie  : 
la  chair  ne  sert  de  rien.  Les  paroles  que  je  cous 
dis  sont  esfirit  et  vie  :  mais  il  y  en  a  parmi  vous 
qui  ne  croient  pas.  Car,  dés  le  commencement , 
Jésus  .savait  qui  étaient  ceux  qui  ne  croyaient  pas, 
et  qui  était  celui  qui  le  devait  trahir.  Et  pour  cela  , 
continuait-il ,  ye  vous  ai  dit  que  personne  ne  peut 
venir  à  moi ,  s'il  ne  lui  est  donné  par  mon  Père  '. 

V'oilà  les  paroles  où  l'on  prétend  que  Jésus  tem- 
père son  discours.  Vous  croyez  que  vous  me  man- 
gerez de  votre  bouche ,  mais  il  n'en  sera  pas  ainsi; 
car  vous  me  consumeriez,  et  je  ne  pourrais  pas  re- 
tourner entier  et  vivant  au  ciel ,  d'où  je  viens.  Vous 
vous  attachez  à  ma  chair  et  à  mon  sang  ;  vous 
croyez,  pour  avoir  la  vie,  qu'il  la  faut  manger,  qu'il 
le  faut  boire,  au  pied  de  la  lettre;  mais  c'est  l'es- 
prit qui  vivifie,  ce  n'est  point  la  chair  :  au  con- 
traire, elle  ne  sert  de  rien.  Les  paroles  que  Je  vous 
dis  sont  esprit  et  vie;  ce  n'est  donc  point  chair  et 
sang,  comme  vous  pensez;  tout  est  figure  et  allé- 
gorie dans  mon  discours  :  et  il  n'y  a  rien  à  prendre 
au  pied  de  la  lettre.  Ainsi  tout  est  apaisé;  le  scan- 
dale s'évanouit,  les  murmures  cessent.  Lisons  pour- 
tant ce  qui  suit,  et  voyons. 

Dès  lors  pltisie^rs  de  ses  disciples  se  retirèrent 
de  sa  suite,  et  n'allaient  plus  avec  lui  '.  Dés  lors  : 
nous  avons  lu  ces  paroles  jusques  au  y.  66;  et  sans 
interruption  ,  celles  qui  suivent  dans  le  t.  67 ,  con- 
tiennent ce  qu'on  vient  d'entendre  :  Dés  lors  :  de- 
puis ces  paroles  qui  levaient,  à  ce  qu'on  prétend, 
la  difficulté,  et  qui  ôtaient  le  scandale,  plusieurs 
de  ses  disciples  se  retirèrent ,  et  n'allaient  plus  à 
sa  suite.  Les  voilà  perdus;  qu'est-ce  qui  les  obli- 
geait à  se  retirer?  Est-ce  à  cause  qu'il  avait  dit  : 
Personne  ne  peut  venir  à  moi ,  *'//  ne  lui  est  donné 
par  mon  Père  ^  ?  Mais  il  l'avait  déjà  dit ,  sans  que 
personne  s'en  fût  allé  ;  et  il  remarque  lui-même  qu'il 
ne  fait  que  le  répéter.  Est-ce  à  cause  qu'il  avait  dit  : 
Ilyen  a  parmi  vous  qui  ne  croient  pas?  ce  n'est 
pas  de  quoi  s'en  aller;  et  il  n'y  a  rien  là  de  si  in- 
croyable ni  de  si  rebutant  :  car  il  n'en  blâmait  que 
quelques-uns ,  et  ce  n'est  pas  là  de  quoi  rebuter  les 
autres.  Ainsi,  ce  qui  les  rebute,  c'est  précisément 
ce  qui  précède  :  Que  sera-ce  si  je  retourne  dans  les 
cieux^l  et  :  C'est  l'esprit  qui  vivifie.  Voilà ,  dis-je, 
ce  qui  rebute  :  c'est  ce  qu'on  veut  qu'il  ait  dit  pour 
prévenir  le  rebut,  c'est  cela  précisément  qui  le  cause  ; 
tant  Jésus  s'est  bien  expliqué;  tant  il  a  levé  le  scan- 
dale. Cela  n'est  pas,  mon  Sauveur.  Ce  n'est  pas 
vous  qui  vous  expliquez  mai  ;  à  Dieu  ne  plaise!  ce 
sont  nos  murmurateurs  et  nos  inc.édules,  qui 
donnent  un  mauvais  sens  à  vos  paroles. 

XXXIX»  JOUR. 

Quel  est  le  sujet  de  ce  scandale?  Joan.  vi,  61 ,  62,  63. 

Cela  vous  scandalise?  Que  sera-ce  donc,  si 
je  m'en  retourne  au  ciel,  doù  je  viens  ^?  Vout 
vous  scandalisez  de  m'entendre  dire  que  vcis 

»  Joan.  TI,  60  elscq  —  »  Ibid.  (û.  —  '  Ibid.  65,  M.  -< 
*  JbiJ.  VI ,  63 ,  &I.  —  *  Ibid.  9-i ,  63. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


700 

mangerez  vraiment  ma  chair,  et  que  vous  boirez 
vraiment  mon  sang  :  que  sera-ce  donc  ,  si  avec  cela 
je  vous  dis  encore  que  je  retournerai  entier  et  vi- 
vant au  ciel  où  je  suis?  Il  n'y  a  rien  de  fort  mer- 
veilleux, que  celui  dont  on  ne  mange  la  chair  et 
tlont  on  ne  boit  le  sang  qu'en  croyant  en  lui  et  en 
niéditant  sa  mort,  s'en  retourne  au  ciel  tout  en- 
tier et  tout  vivant.  L'esprit  n'est  pas  accoutumé  de 
démembrer  sa  nourriture ,  c'est  s-dire  son  objet  ; 
la  foi  ne  consume  pas  ce  qu'elle  s'approprie;  c'est 
le  manger  qui  fait  cet  effet;  et  ce  qui  étonne  les 
Capharnaïtes ,  c'est  de  leur  apprendre  qu'il  ne  le 
fait  pas  à  cette  fois.  Ils  ne  songent  donc  pas  seu- 
lement que  le  manger  et  le  boire ,  au  pied  de  la 
lettre,  soit  retranché  du  discours  du  Fils  de  Dieu  ; 
ni  que  tout  cela  soit  réduit  à  méditer  et  à  croire  ; 
car  l'ascension  du  Sauveur  n'y  serait  pas   con- 
traire ;  et  on  ne  s'avisera  jamais  qu'un  manger  et 
un  boire  métaphorique  empêchent  un  homme  d'al- 
ler où  il  voudra,  ni   même  au  ciel,  s'il  y  peut 
parvenir.  I\Iais  de  croire  qu'on  mange,  au  pied  de 
la  lettre,  la  chair  de  cet  homme,  et  que  cependant 
après  cela  il  monte  au  ciel  tout  entier,  c'est  ajouter 
au  discours  une  nouvelle  difficulté  qui  passe  tou- 
tes les  autres.  On  peut  bien  s'iniûginer  qu'on  dé- 
vore un  homme  et  qu'on  vive  de  sa  chair;  mais 
qu'on  la  mange  et  qu'on  en  vive ,  et  qu'elle  demeure 
entière  jusqu'à  être  avec  cela  portée  dans  le  ciel , 
c'est  dire  que  cette  chair  est  indivisible  et  incon- 
somptible;  qu'on  la  donne  d'une  manière  spiri- 
tuelle, surnaturelle,  invisible,  incompréhensible, 
et  tout  ensemble  réelle  et  substantielle;  car  autre- 
ment ce  ne  serait  rien ,  et  il  ne  faudrait  pas  étour- 
dir le  monde  par  cette  emphase  de  mots,  ni  allé- 
guer la  réalité  de  l'ascension,  pour  expliquer  une 
métaphore.  C'est  pourquoi  à  ces  mots  ils  se  reti- 
rent. Cette  nouvelle  difficulté  les  pousse  à  bout ,  et 
ils  ne  peuvent  plus  porter  la  hauteur  de  ce  mystère. 
Ah!  qu'on  fait  tort  au  Sauveur,  quand  on  me- 
sure ses  paroles  au  sens  humain!  Tout  ce  qui  est 
à  moi  esta  vous  :  tout  ce  qui  est  à  vous  est  à  moi  ' . 
Personne  ne  connaît  le  Père ,  si  ce  n'est  le  Fils  : 
personne  ne  connaît  le  Fils,  si  ce  n'est  le  Père  *. 
Tout  ce  que  le  Père  fait ,  non -seulement /e  Fils  le 
fait;  mais  encore  il  le  fait  semblablement^ .  Comme 
le  Père  a  la  vie  en  soi ,  ainsi  le  Fils  a  la  vie  en  soi  4. 
Qui  me  voit,  voit  mon  Père.  Moi  et  mon  Père  ce 
n'est  qu'un  *.  Le  Fils  est  Dieu  :  il  est  le  vrai  Dieu, 
il  est  le  Dieu  béni  au-dessus  de  tout ,  celui  par  qui 
tout  est  fait^.  Tout  cela  n'est  rien,  nous  dit-on; 
il  est  Dieu  en  représentation;  Dieu  et  lui  ce  n'est 
qu'un  en  affection  et  en  concorde.  Et  pourquoi  donc 
ces  grands  mots,  s'il  en  fallait  tant  rabattre,  et 
les  réduire  enfin  à  des  choses  si  intelligibles.^  Mon 
Sauveur!  vous  et  vos  apôtres  vous  n'êtes  pas  ve- 
nus étourdir  le  monde  par  un  langage  prodigieux  : 
et  parce  que  vous  n'êtes  pas  venus  pour  Tétour- 


'  Joan.  xvn  ,10.  —  *  Luc.  x,  22.  —  ^  joan.  v,  19.  —  *  Ibid. 
afl  —*ïbid.  XIV,  9, 10;  x,  30.— */6/d.  I,  1,34,  \0.  Rom.  \\,h. 
hnn   1,  3.  Heb.  l,  2,  3,  i,  5,  6,  8,  9 ,  13.  .Ici.  Xlll,  33. 


dir,  ceux  qui  énervent  ainsi  vos  parolt s  sont  venus 
pour  le  tromper. 

De  même,  dire  avec  tant  de  force  :  Si  vous  ne 
mangez  ma  chair,  si  vous  ne  buvez  mon  sang  '  : 
le  répéter  quatre  et  cinq  fois,  et  le  répéter  d'autaut 
plus  qu'on  le  trouve  plus  étrange;  et  après  l'avoir 
tant  répété,  et  avoir  rebuté  le  monde  qui  ne  le  vou- 
lait pas  croire,  en  venir  encore  à  l'effet,  et  dire 
aussi  crûment,  aussi  durement  :  Prenez,  mangez  ; 
ceci  est  mon  corps;  buvez;  ceci  est  mon  sang  : 
ce  même  corps  donné  pour  vous ,  ce  même  sang 
répandu  à  la  croix*  :  il  le  faut  croire;  et  croire 
encore  avec  tout  cela  qu'on  ne  les  consume  point 
en  les  mangeant ,  et  que  je  suis  dans  le  ciel  en  mon 
entier,  avec  tout  ce  que  j'ai  pris  de  l'homme,  et  la 
nature  humaine  tout  entière  :  ou  cela  est  vrai,  au 
pied  de  la  lettre,  ou  tout  cela  est  inventé  pour 
mettre  le  trouble  et  la  division  dans  le  monde.  Que 
Dieu  fasse  des  choses  hautes,  incompréhensibles ,. 
il  n'y  a  rien  là  au-dessus  de  lui  ;  que  le  monde  en. 
soit  rebuté  et  résiste  à  une  si  haute  révélation, 
c'est  le  naturel  de  l'homme  animal  ;  mais  qu'on 
accable  les  esprits  de  difficultés  qui  ne  sont  que 
dans  le  langage;  que  tout  soit  exagération,  et 
qu'il  en  faille  venir  à  tout  rabaisser  à  la  capacité 
du  sens  humain,  cela  n'est  pas.  Que  ceux-là  le 
croient ,  qui  veulent  nous  ôter  la  vérité  simple 
des  paroles  de  Jésus-Christ  et  réduire  à  rien  son 
Évangile. 

XL«  .TOUR. 

Quelle  fut  l'incrédulité  des  Capharnaïtes.  Joan.  vi,  41,  43, 
50 .  51  et  seq. 

C'est  l'esprit  qui  vivifie;  donc  la  chair  ne  vivi- 
fie pas.  Si  cela  est,  il  ne  fallait  pas  dire  :  Le  pain 
que  je  donnerai,  c'est  ma  chair  que  je  donnerai 
pour  la  vie  du  monde;  ni  :  Celui  qui  mange  ma 
chair,  et  qui  boit  mon  sang ,  aura  la  vie  éternelle. 
La  chair  ne  sert  de  rien  :  si  cela  veut  dire  que  la. 
chair  de  Jésus-Christ  ne  sert  de  rien,  il  n'en  fallait 
donc  pas  parler  avec  tant  d'avantage.  Les  paroles 
que  je  vous  dis  sont  esprit  et  vie  :  si  cela  veut  dire 
qu'il  ne  faut  pas  s'attacher  à  la  chair  et  au  sang,  il 
n'était  pas  besoin  d'en  parler  tant ,  ni  de  tant  obli- 
ger à  les  manger  et  à  les  boire;  et  si  tout  cela  vou- 
lait dire  qu'il  ne  fallait  les  manger  et  les  boire 
qu'en  esprit,  il  ne  fallait  point  tant  inculquer  dts 
paroles  qui  portaient  visiblement  à  de  contraires 
idées.  Il  y  a  donc  ici  un  autre  sens,  qui  a  frappé 
les  Capharnaïtes.  Si  la  chair  de  Jésus-Christ  donne 
la  vie,  et  que  l'esprit  vivifie  aussi ,  c'est  donc  que 
cette  chair  est  remplie  d'un  esprit  vivifiant  ;  et 
si  cela  est,  quand  Jésus-Christ  dit  que  la  chai?' 
ne  sert  de  rien,  ou  il  ne  l'entend  pas  de  sa  chair, 
ou  si  c'est  de  sa  chair  qu'il  veut  parler,  il  veut  dire 
que  sa  chair  ne  sert  de  rien  en  la  prenant  toute 
seule;  mais  qu'il  la  faudra  prendre  avec  l'esprit 
dont  elle  est  pleine.  Et,  lorsqu'il  conclut  de  là  que 
ses  paroles  sont  esprit  et  vie,  après  avoir  tant 

'  Joan.  V,  54  ,  55.  58,  57.  —  *  Matth.  Xxvi,  20,  27,  28-  Luc 
XXXi,  19,20. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


parlé  de  chair  et  de  sang ,  c'est  dire  que  cette 
chair  et  ce  sang  sont  eux-mêmes  esprit  et  vie, 
tout  remplis  de  divinité,  de  l'esprit  de  Dieu 
et  de  la  vie  de  la  grâce;  et  de  plus,  qu'il  les 
faut  manger  d'une  manière  qui  passe  les  sens, 
d'une  manière  divine  qui  ne  les  consume  ni  ne  les 
altère,  mais  qui  les  laisse  tout  entiers  pour  le  ciel 
comme  on  a  vu.  EnOn,  ne  paraissant  rien  dans 
tout  ce  discours  de  ce  manger  en  Ogure,  de  ce 
boire  en  allégorie  qu'on  y  veut  trouver,  ni  rien 
1  nr  conséquent  qui  doive  obliger  à  renoncer  au 
manger  et  au  boire  au  pied  de  la  lettre;  mais  seu- 
lement à  entendre  qu'il  faut  manger  cette  chair  et 
boire  ce  sang,  comme  pleins  d'esprit  et  de  vie, 
d'une  manière  si  haute  et  si  divine ,  il  s'ensuit  que 
le  Fils  de  Dieu  n'a  point  tempéré,  mais  plutôt 
fortiûé  ce  qui!  avait  dit  :  d'où  vient  aussi  qu'à  ce 
coup  les  Capharnaïtes  l'abandonnent ,  et  ne  veulent 
plus  marcher  dans  sa  compagnie. 

Qui  ne  serait  étonné  du  progrès  de  leur  incré- 
dulité, et  ne  le  regarderait  avec  frayeur.?  Quand 
Jésus  Christ  leur  dit  qu'il  était  descendu  du  ciel , 
ils  commencent  à  murmurer,  et  ils  disent  :  JS'est- 
ce  pas  ici  le  fils  de  Joseph  ?  Et  comment  donc  se 
dit-il  descendu  du  ciel'?  Quand  il  enfonce  plus 
avant,  et  qu'il  dit  que  la  nourriture  qu'il  leur  veut 
donner  à  manger  est  sa  chair  qu'il  donnera  pour 
la  vie  du  monde  ;  ils  disputent  les  uns  contre  les 
autres,  en  disant  :  Comment  cet  homme  nous 
peut- il  donner  sa  chair  a  manger  »  ?  ce  qui  marque 
des  gens  encore  irrésolus  et  plutôt  ébranlés  que 
déterminés  à  le  quitter.  Il  poursuit  et  il  leur  dit 
si  affirmativement  et  si  souvent  qu'il  faudra  man- 
ger et  boire  son  corps  et  son  sang ,  qu'ils  ne  voient 
aucun  moyen  de  s'en  dispenser;  ce  qui  leur  fait 
dire  :  Cette  parole  est  dure,  gui  pourrait  l'enten- 
dre '  ?  Par  où  ils  se  précipitent  dans  un  scandale 
formel ,  et  dans  une  incrédulité  déclarée»  Cepen- 
dant ils  ne  s'en  vont  pas  encore  :  ils  attendent 
s'il  viendra  enfin  quelque  sorte  d'adoucissement. 
Mais  Jésus-Christ  leur  ayant  dit,  pour  toute  ex- 
plication ,  qu'ils  ne  se  trompaient  qu'en  ce  qu'ils 
croyaient  manger  sa  chair  et  boire  son  sang  d'une 
manière  qui  les  consumât,  et  que  d'ailleurs  ils 
n'entendaient  pas  de  quel  esprit  elle  était  pleine, 
ni  la  façon  incompréhensible  dont  il  voulait  les 
leur  donner,  ils  voient  tout  poussé  à  bout,  et  la 
dureté  qui  troublait  leur  sens  et  scandalisait  leurs 
esprits ,  portée  au  comble  :  si  bien  que ,  ne  pouvant 
la  porter,  ils  renoncent  tout  à  fait  à  la  compagnie 
de  Jésus  Christ,  et  ne  veulent  plus  se  ranger  au 
nombre  de  ses  disciples. 

Lui  aussi  qui  avait  tout  dit  de  son  côté ,  et  qui 
avait  expliqué  tout  ce  qu'il  voulait  qu'on  sût  de 
son  mystère,  s'adresse  à  ses  apôtres,  en  leur  de- 
mandant :  Et  vous,  voulez-vous  aussi  vous  en  al- 
ler i?  comme  s'il  eût  dit  :  Je  n'ai  rien  à  augmenter 
ni  à  diminuer  à  mon  discours  :  je  n'y  veux  rien 
ajouter,  ni  je  n'en  puis  rien  rabattre:  prenez  main- 
tenant votre  parti  :  je  ne  veux  point  de  disciple 


'  Joan.  VI ,  42.  —  '  Ibid.  53  et  seq.  —  '  Jbid.  61.  —  *Ibid. 


«8 


701 

I  qui  n'aille  jusque-là,  et  je  mets  leur  foi  à  ce  prix. 

!  Les  Capharnaïtes  ont  trouvé  étrange  qu'il  se 
dît  descendu  du  ciel  ;  et  pour  tout  adoucissement , 
il  leur  répète  qu'il  est  descendu  du  ciel  » ,  parce 
que  cela  est  vrai  au  pied  de  la  lettre  :  ils  commen- 
cent à  murmurer  en  demandant  comment  il  pourra 
donner  sa  chair  à  manger;  et  ils  reçoivent  pour 
toute  réponse  qu'il  leur  donnerait  sa  chair  à  man- 
ger; et  il  y  ajoute  son  sang» ,  aOn qu'il  neman({ue 
rien  à  ce  qu'il  avait  à  leur  dire.  Il  le  répète,  il 
l'inculque  :  encore  un  coup ,  parce  que  cela  était 
vrai  au  pied  de  la  lettre.  Ils  disent  que  cela 
est  dur  et  insupportable;  et  il  l'était  en  effet,  de  la 
manière  qu'ils  l'entendaient;  puisqu'ils  croyaient 
démembrer  son  corps  et  consumer  son  sang  :  il 
leur  ôte  ce  doute  en  leur  disant  qu'avec  tout  cela 
il  remonterait  au  ciel  dans  toute  son  intégrité,  et 
qu'au  reste ,  ce  qu'il  avait  dit  de  sa  chair  et  de  son 
sang,  et  quant  au  fond  et  dans  ta  manière  de  les 
prendre,  était  chose  au-dessus  des  sens,  et  pleine 
d'esprit  et  de  vie';  sans  rien  rabattre  du  littéral, 
mais  y  ajoutant  seulement  le  spirituel  et  le  divin. 
A  ce  coup  donc  ils  s'en  vont  :  leur  soumission  est 
à  bout,  et  ils  ne  veulent  plus  d'un  maître  qui  met 
leur  raison  à  cette  épreuve. 

Allez,  malheureux;  suivez  Judas:  pour  nous, 
nous  suivrons  saint  Pierre,  et  nous  dirons:  Maî- 
tre, où  irions-nous?  vous  avez  des  paroles  dévie 
éternelle 'i.  Oii  irions-nous,  Seigneur,  où  irions- 
nous?  Quoi!  à  la  chair  et  au  sang.'  à  la  raison.' à 
la  philosophie?  aux  sages  du  monde?  aux  murmu- 
rateurs?  aux  incrédules? à  ceux  qui  sont  encore  tous 
les  jours  à  nous  demander  ;  Comment  nous  peut-il 
donner  sa  chair  à  manger?  Comment  est-il  dans  le 
ciel ,  si  en  même  temps  on  le  mange  sur  la  terre  ? 
Non,  Seigneur!  nous  ne  voulons  point  aller  à  eux, 
ni  suivre  ceux  qui  vous  quittent  :  vous  seulavezdes 
paroles  de  vie  éternelle. 

\W  JOUR. 

Qu'est-ce  à  dire  :  La  chair  ne  sert  de  rien?  Joan.  ir,  M. 

Il  y  a  encore  une  vérité  à  pénétrer  dans  ces  pa- 
roles de  notre  Sauveur  :  La  chair  ne  sert  de  rien  : 
et  il  me  semble  que  Jésus,  conçu  dans  les  entrailles 
bénites  de  la  sainte  Vierge ,  me  la  va  faire  entendre. 
Cherchons,  demandons,  frappons,  et  il  nous  sera 
ouvert  :  nous  entendrons  ce  qui  rend  Marie  heureuse. 
L'ange  lui  vint  annoncer  qu'elle  serait  la  mère  de 
Jésus-Christ.  Elle  crut,  et  ce  qui  lui  avait  été  promis 
s'accomplit  dans  son  bienheureux  sein.  ^lais  que  lui 
dit  sur  cela  sa  cousine  sainte  Elisabeth?  Fous  êtes 
heureuse  d'avoir  cru  :  ce  qui  vous  a  été  dit  de  ta 
part  du  Seigneur,  s'accomplira^.  Une  partie  en 
a  déjà  été  accomplie ,  puisque  vous  avez  conçu  ;  il 
faut  encore  que  cet  enfant  que  vous  portez  en 
votre  sein,  naisse  de  vous,  et  cela  s'accomplira  en 
son  temps  comme  le  reste.  Voilà  ce  qui  vous  rend 
heureuse;  mais  pour  entendre  tout  votre  bonheur, 
il  faut  encore  savoir  que  vous  avez  cru  :  ce  Sauveur 

'  Joan.  TI,  42,  50,  51,  53.  —  '  /i/rf.  54,  61.  — 3i6Mf.e3,«4, 
67.  —  *  Ibid.  69.  —  *  Luc.  1 ,  4i. 


702 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


que  vous  portez  dans  votre  sein  ,  vous  vous  y  êtes 
encore  unie  par  la  foi  :  vous  avez  cru  qu'il  serait 
non-seulement  votre  fils,  mais  encore  le  Fils  de 
Dieu  :  vous  avez  cru  à  la  descente  du  Saint-Esprit 
sur  vous,  à  l'infusion  de  la  vertu  du  Très-Haut,  à 
la  manièreadmirable  et  inouïedont  vous  concevriez 
ce  béni  fruit  de  vos  entrailles  :  Fous  êtes  bénite 
par-dessus  toutes  les  femmes;  et  le  fruit  de  vos 
entrailles  est  béni'  :  vous  êtes  bénite  par  oij  vous 
êtes  heureuse ,  bénite  et  heureuse  par  deux  choses  : 
heureuse,  par  le  grand  mystère  qui  s'est  accompli 
en  vous  selon  la  chair,  et  heureuse  par  la  foi  qui 
vous  y  a  unie  selon  l'esprit. 

Cette  même  vérité  nous  est  encore  expliquée  en 
un  autre  endroit  par  Jésus-Christ  même.  Une  femme, 
ravie  de  son  discours,  s'écria  parmi  la  troupe  : 
Heureuses  les  entrailles  qui  vous  ont  porté  et  les 
mamelles  que  vous  avez  sucées!  Et  Jésus  dit  :  Mais 
plutôt  heureux  sont  ceux  qui  écoutent  la  parole  de 
Dieu ,  et  qui  la  gardent*.  Mais  plutôt  :  est-ce  qu'il 
veut  dire  que  sa  mère  n'est  pas  heureuse  de  l'avoir 
nourri  et  de  l'avoir  eu  pour  fils  ?  Non  sans  doute , 
ce  n'est  pas  cela  :  il  ne  dédit  pas  sainte  Elisabeth, 
qui  a  dit ,  par  l'instinct  du  Saint-Esprit  :  Fous  êtes 
heureuse  :  ce  qui  vous  a  été  dit  s'accomplira  : 
mais  il  veut  qu'on  reconnaisse  avec  elle  que  la  vraie 
cause  du  bonheur  de  sa  sainte  mère,  c'est  d'avoir 
cru  ;  non  pour  détruire  la  vérité  de  ce  qui  s'est  ac- 
compli en  Marie  selon  la  chair ,  mais  pour  y  joindre 
le  fruit  intérieur  qu'elle  a  reçu  en  croyant.  Il  faut 
donc  joindre  de  même  à  ce  qui  s'accomplit  en  nous, 
selon  la  chair,  dans  l'eucliaristie,  ce  qui  s'y  doit 
accomplir  par  la  foi  et  selon  l'esprit  ;  et  l'esprit  nous 
vivifiera,  si  nous  croyons  que  le  bonheur  qui  nous 
est  promis  nous  vient  à  la  véritéde  l'un  et  de  l'autre, 
mais  qu'il  nous  vient,  comme  à  Marie,  plutôt  de 
l'esprit  et  de  la  foi  que  de  la  chair  et  du  sang. 

De  même ,  quand  on  lui  vient  dire  :  Fotre  mère 
et  vos  frères  sont  là;  et  qu'il  répondit  :  Ma  mère 
et  mes  frères  sont  ceux  qui  écoutent  la  parole  de 
Dieu ,  et  qui  V accomplissent  ^  :  ce  n'était  pas  qu'il 
renonçât  à  la  liaison  du  sang  oîi  il  était  entré  en  se 
faisant  homme,  et  encore  moins  pour  nier  que, 
comme  les  autres  hommes,  il  n'eût  été  conçu  du 
sang  de  sa  mère;  mais  afin  que  l'on  entendit  d'où 
venait  la  liaison  véritable  qu'il  voulait  qu'on  eilt 
avec  lui  ;  et  que  sa  mère  ,  qu'on  estimait  avec  raison 
bienheureuse ,  selon  la  parole  de  sainte  Elisabeth  , 
ne  l'était  pas  tant  pour  l'avoir  conçu  selon  la  chair , 
qu'à  cause  qu'ayant  cru  à  la  parole  de  l'ange,  elle  l'a- 
vait auparavant  conçu  selon  l'esprit,  comme  parlent 
les  saints  Pères. 

Rendons-nous  donc  heureux  à  son  exemple.  Le 
Fils  de  Dieu  devait  prendre  en  elle  le  corps  et  le 
sang,  qu'il  voulait  non-seulement  donner  pour 
nous ,  mais  encore  nous  donner,  aussi  véritablement 
qu'il  les  a  pris  de  Marie ,  et  aussi  véritablementqu'il 
lésa  donnés  pour  nous  à  la  croix ,  aussi  véritablement 
devait-il  nous  les  donner  :  et  c'est  autant  la  propre 
substance  de  sa  chair  et  de  son  sang  qui  est  en  nous 

'  Luc.  1 ,  42.  —  2  Ibid.  XI ,  27 ,  28  —  '  îbid.  vui ,  20 ,  21. 


quand  il  nous  les  donne  à  manger  et  à  boire ,  que 
c'en  était  la  propre  substance  quia  été  en  Marie, 
quand  elle  l'a  conçu  ,  et  qui  était  à  la  croix  quand 
il  y  est  mort.  Croyons  donc  avec  la  Vierge  ce  qui 
s'accomplit  en  nous  selon  le  corps  :  mais  tâchons 
avec  elle  de  l'accomplir  en  même  temps  selon  l'es- 
prit. L'esprit  nous  vivifiera ,  comme  il  a  vivifié  la 
saint  Vierge  :  il  ne  lui  eut  servi  de  rien  de  le  conce- 
voir selon  la  chair,  si  elle  ne  l'eût  conçu  selon  l'es- 
prit :ilne  nous  servirait  derien  de lerecevoir  comme 
elle  en  notre  corps,  si  en  même  temps  nous  ne  le 
recevions,  à  son  exemple  ,  dans  notre  esprit  par  la 
foi.  C'est  par  une  manière  admirable ,  c'est  par  une 
opération  particulière  du  Saint-Esprit ,  qu'il  a  été 
conçu  dans  le  sem  de  Marie  :  c'est  par  une  manière 
admirable  et  par  une  opération  aussi  étonnante  du 
même  Esprit,  qu'il  est  tous  les  Jours  comme  coni;u 
et  enfanté  sur  l'autel.  Le  Fils  de  Dieu  n'a  pas  plus 
d'horreur  de  nos  corps  qu'il  en  a  eu  du  sein  de  Marie. 
Marie  a  cru  que  celui  qu'elle  concevait  n'était  pas 
seulement  le  Fils  de  l'homme,  mais  encore  le  Fils 
de  Dieu  :  nous  avons  la  même  croyance  de  ce  Dieu, 
qui  se  donne  à  nous.  Sommes-nous  grossiers  et 
charnels  en  croyant  toutes  ces  choses,  comme  l'a  été 
la  sainte  Vierge? 

Pourquoi  vous  quitter ,  mon  Sauveur  ?  Marie  crut  ; 
et  ce  quiluiavaitétéditfutaccompli  :nous  croyons, 
et  tout  ce  que  vous  nous  avez  dit  s'accomplit  tous 
les  jours:  Marie  est  appelée  bienheureuse;  nous  se- 
rons aussi  bienheureux ,  et  il  n'y  a  de  malheureux  que 
ceux  qui  vous  quittent. 

XLII»  JOUR. 

Discernement  des  disciples  lidèles  et  des  incrédules. 
Joan.  VI,  14,  15,  24,  25et  seq. 

Mon  Sauveur,  je  me  tairai  devant  vous,  pour 
considérer,  en  silence  et  avec  tremblement,  cette 
prodigieuse  différence  qui  se  manifeste  aujourdhui 
entre  vos  disciples ,  les  uns  demeurant  avec  vous , 
pendant  que  les  autres  vous  abandonnent.  Et  qui 
sont  ceux  qui  vous  abandonnent .!*  Ceux  qui  avaient 
dit  :  Celui-ci  est  vraiment  le  Messie;  ceux  qui  vous 
cherchaient  pour  vous  enlever  et  vous  faire  roi 
malgré  vous';  ceux  qui,  après  votre  retraite  au 
delà  de  l'eau,  la  passent  pour  vous  aller  joindre  à 
Capharnaiira  »  ;  de  tels  hommes  ne  semblent-ils  pas 
être  disposés  à  profiter  de  votre  parole.^  Ce  sont 
néanmoins  ceux-là  qui  vous  quittent,  qui  murmu- 
rent contre  vous ,  qui  ne  peuvent  supporter  voti« 
doctrine. 

Combien  y  en  a-t-il  qui  paraissent  croire  au  Sair^ 
veur ,  et  qui  au  fond  n'y  croient  pas,  parce  qu'il 
n'y  croient  pas  comme  il  faut,  et  cherchent  .lésus 
Christ  par  intérêt,  comme  ceux-ci  à  qui  il  dit  :  /Ji 
vérité,  en  vérité,  je  vous  le  dis  :  vous  me  cherclwi 
à  cause  des  pains  dont  vous  avez  été  rassasiés  ^\ 
A  combien  d'autres  pourrait-il  dire  :  Vous  me  cher- 
chez, afin  que  je  contente  votre  ambition,  votre 
avarice:  c'est  là  dans  le  fond  ce  que  vous  me  deman- 
dez  par  tant  de  vœux,  par  tant  de  prières  que 

>  Joan.  VI ,  n ,  15.  —  2  i<jid.  2i,  25.  —  ^  Ibid.  26. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


TOi 


TOUS  faites  dire.  Ce  n'est  pas  ma  volonté  que  vous 
cherchez ,  mais  la  vôtre  ;  et  vous  n'êtes  pas  con- 
tents de  moi  que  je  ne  vous  ôte  tout  ce  qui  vous 
peine  dans  l'esprit  et  dans  le  corps.  Sondez  vos 
cœurs  :  voyez  vos  œuvres ,  quelles  elles  sont  : 
examinez-vous  à  fond  ;  vous  ne  trouverez  rien  que 
de  charnel  dans  vos  pensées  :  Travaillez  aune  autre 
nourritures  Remplissez-vous  d'autres  objets. 

Mais,  Seigneur,  si  ceux-ci  étaient  charnels,  vos 
apôtres  l'étaient  encore  beaucoup  :  et  néanmoins 
ils  demeurent  avec  vous,  pendant  que  ces  murmu- 
rateurs  se  scandalisent  et  vous  quittent.  Vous  me 
découvrez  ici  un  terrible  secret;  car,  dès  que  vous 
voyez  naître  l'esprit  de  murmure  dans  ces  incrédules , 
vous  leur  dites  :  Ne  murmurez  point  :  personne  ne 
peut  venir  à  moi,  si  mon  Père ,  qui  tn'a  envoyé, 
ne  le  tire  »  ;  et  lorsque  vous  les  vîtes  déterminés  à 
vous  quitter,  vous  répétâtes  encore  une  fois  :  Il  y 
en  a  fxirmi  vous  qui  ne  croient  point  ;  et  c'est  pour 
cela  que  je  vous  disais  :  Personne  ne  vient  à  moi, 
qu'il  ne  lui  soit  donné  par  mon  Père  3.  Quand  donc 
saint  Pierre  vous  dit ,  et  les  autres  fidèles  avec  lui  : 
Seigneur ,  à  qui  irions-nous  ?  fous  êtes  le  Christ , 
le  Fils  de  Dieu^,  c'est  que  votre  Père  les  avait  tirés 
au  dedans;  c'est  qu'il  leur  avait  donné  de  venir  à 
vous;  et  non-seulement  d'y  venir ,  mais  encore  d'y 
demeurer;  c'est  qu'ils  étaient  de  ce  bienheureux 
nombre  dont  il  est  écrit,  comme  vous-même  vous 
le  rapportez  :  lU  seront  tous  enseignés  de  Dieu^  ; 
de  ce  bienheureux  tout,  dont  vous  prononcez  :  Tout 
ce  que  mon  Pèi  e  me  donne  vient  à  moi  :  c'est-à-dire 
tout  ce  qu'il  tire  de  cette  manière  secrète,  qui  fait 
qu'on  vient;  tous  ceux  à  qui  il  donne  de  venir  :  voilà 
ce  tout  bienheureux  qui  vous  est  donné  par  votre 
Père,  tous  ceux-là  viennent  à  vous;  et  comme  vous 
ajoutez  :  Fous  ne  les  mettez  point  dehors  ^  :  vous 
les  admettez  à  votre  intime  secret,  à  vos  intimes 
douceurs.  Vous  leur  dites  encore  ici  secrètement , 
comme  vous  fîtes  autrefois  à  saint  Pierre  :  f^ous 
êtes  heureux ,  Simon  fils  de  Jonas ,  parce  que  ce 
n'est  pas  la  chair  et  le  sang  qui  vous  l'a  révélé, 
mais  mon  Père  qui  est  dans  les  deux  t.  Réjouis- 
sez-vous ,  peuple  béni  ;  réjouissez-vous  jjse^iY  trou- 
peau, parce  qu'il  a  plu  à  votre  Père  de  vous  don- 
ner son  royaume^,  de  vous  révéler  son  secret,  de 
vous  tirer  à  son  Fils.  Et  les  autres ,  qu'en  faites- 
vous.'  ô  Seigneur,  je  trémis  en  le  lisant  !  vous  les 
livrez  à  eux-mêmes  par  un  juste  jugement  :  ils  se 
cherchent  eux-mêmes ,  et  vous  les  livrez  à  eux- 
mêmes,  à  leur  orgueil,  à  leur  sens  charnel ,  à  leur 
murmure,  à  leur  scandale  :  et  ils  y  demeurent  vo- 
lontairement :  ils  demeurent  dans  leur  mauvais 
choix  auquel  vous  les  avez  abandonnés  par  un 
jugement  caché,  mais  toujours  juste.  C'est  pour 
ce/a,  dites-vous,  que  je  vous  ai  dit  que  personne 
ne  peut  venir  à  moi,  s'il  ne  lui  est  donné  par  mon 
Père  3  :  personne  ne  peut  sortir  de  lui-même ,  de 
ses  sens ,  de  son  orgueil ,  que  votre  Père  ne  le  tire 

'  Joan.  TI,  27.  — »  Ihid  43,  44.  — '  Jbid.  65,  66.  — «  Ibid. 
68 ,  /O.  —  '  Ibid.  45.  —  6  Ibid.  37.  —  '  Mait/i.  XVI ,  17,  — 
•  Luc.  XII  ,32.-9  Joan.  vi ,  60. 


de  là,  pour  vous  le  donner.  Seigneur,  tirez-moi  ;  je 
vous  livre  tout. 

XLIir   JOUR. 

Saint  Pierre  et  les  catholiques  s'attachent  h  Jésus-Chritt 
et  à  l'Ëglise  :  les  Capharnaltes  et  les  hérétiques  s'en  sé- 
parent. Joan.  TI,  53. 

Seigneur,  vous  me  jetez  dans  des  vues  profon- 
des :  je  perce  dans  les  siècles  à  venir.  Dans  ceux 
qui  demeurent  avec  Jésus-Ghrist,  saint  Pierre  à 
leur  tête,  je  vois  tous  les  catholiques  immuable- 
ment attachés  à  Jésus-Christ  et  à  son  Église;  et, 
dans  ceux  qui  quittent  Jésus  ,  je  vois  tous  les  héré- 
tiques qui  doivent  quitter  son  Église.  Dans  saint 
Pierre  et  dans  les  apôtres,  je  vois  tous  ceux  oîi  la 
foi  prévaut  sur  le  sens  humain,  c'est-à-dire  tous 
les  fidèles  ;  et  dans  ceux  qui  font  bande  à  part  et 
cessent  de  suivre  Jésus ,  je  vois  tous  ceux  où  le 
sens  humain  l'emporte  sur  la  foi;  c'est-à-dire,  tous 
les  incrédules  qui  abandonnent  l'Église  ;  et  surtout 
ceux  qui  l'abandonnent  à  l'occasion  de  ce  mystère. 
Ils  se  perdent  avec  ceux  qui  disent  :  Comment  cet 
homme  nous  peut-il  donner  sa  chair  à  manger  »  ? 
et  ils  tournent  la  vérité  en  allégorie. 

Ma  chair  est  viande ,  mon  sang  est  breuvage  *  : 
ils  le  sont  vraiment  :  il  les  faut  manger,  il  les  faut 
boire;  trois  et  quatre  fois  :  c'est  là  une  allégorie? 
Mais  qui  en  vit  jamais  une  si  outrée.'  Il  ne  s'en 
trouve  aucun  exemple.  Mais  qui  en  vit  jamais  une 
si  peu  expliquée,  si  peu  démêlée?  Il  y  en  a  encore 
moins  d'exemple  :  en  un  mot,  il  n'y  en  a  point; 
nous  l'avons  considéré,  nous  l'avons  vu ,  et  néan- 
moins ils  s'obstinent  à  l'allégorie.  Que  le  sens  hu- 
main est  opiniâtre  à  demeurer  dans  ses  préjugés  ! 
C'est  qu'ils  ne  peuvent  sortir  de  cette  première 
peine ,  qui  a  été  celle  des  Capharnaïtes ,  comme  elle 
est  encore  la  leur  :  Comment  cet  homme  notes  peut' 
il  donner  sa  chair  à  matiger?  Ils  y  succombent  ; 
ils  y  périssent  avec  ces  grossiers  et  superbes  mur- 
murateurs. 

Et  cependant,  aies  écouter,  c'est  nousqui  sommes 
ces  Capharnaïtes  :  c'est  à  votre  humble  troupeau, 
c'est  aux  petits  de  votre  Église ,  qui  écoutent  en 
simplicité  votre  parole,  qu'ils  reprochent  d'être 
les  grossiers,  d'être  les  charnels  et  de  ne  pas 
écouter  votre  parole. 

Eh  quoi,  qu'y  a-t-il  que  nous  n'écoutions  pas? 
Jésus-Christ  a  dit  :  Que  sera-ce,  si  vous  me  voyez 
remonter  au  clel^?  Et  il  a  montré  par  là  que  sa 
chair  ne  serait  point  démembrée,  mise  en  pièces, 
consumée  :  croyons-nous  qu'elle  le  soit?  Ne 
croyons-nous  pas  que  Jésus-Christ  est  monté  au 
ciel,etqu'ily  vittout  entier?  Nous  le  croyons,  mou 
Sauveur;  toute  la  terre  le  sait.  Si  nous  croyons 
avec  cela  que  nous  vous  mangeons ,  et  que  ce  qu'il 
vous  plaît  nous  donner  à  recevoir  dans  nos  corps, 
est  votre  corps  et  votre  sang;  si  nous  le  croyons 
ainsi,  c'est  pour  ne  pas  dire  avec  les  murmura* 
teurs  :  Comment  cet  homme  nous  peut-il  donner  sa 

•  Joan.  VI ,  &3.  —  '  Ibid.  5C.  —  '  Ibid.  CX 


704 


MÉD1TATI0^S  SUR  L'EVANUILE. 


chair  à  mangerf  Qui  sont  donc  ceux  qui  le  disent , 
puis^jue  visiblement  ce  n'est  pas  nous  ?  Qui  sont 
ceux  qui  le  disent,  sinon  ceux  qui  ne  peuvent  se 
résoudre  à  croire  qu'on  puisse  manger  la  chair  de 
Jésus-Christ  sans  la  consumer,  la  mettre  en  pièces; 
ni  la  manger  véritablement  en  sa  propre  subs- 
tance sur  la  terre,  sans  la  tirer  du  ciel? 

Jésus-Christ  a  dit  :  C'est  l'Esprit  qui  vivifie  '  : 
est-ce  nous  qui  le  nions  ?  Ne  croyons-nous  pas  que 
sa  chair  est  toute  pleine  de  l'esprit  qui  vivifie?  S'il 
a  été  conçu  en  chair,  il  y  a  été  conçu  du  Saint-Es- 
prit :  nous  le  croyons.  Le  Saint-Esprit  est  swvenu 
en  Marie^  :  nous  le  croyons.  S'il  a  été  offert  en  la 
même  chair  avec  laquelle  il  a  été  conçu ,  c'est  par 
l'Esprit  saint  qxi' il  s'est  offert^;  ou  comme  porte 
l'original ,  c'est  par  l'Esprit  éternel  :  nous  le 
croyons.  Tout  ce  que  Jésus-Christ  accomplit  en 
chair,  s'accomplit  en  même  temps  en  esprit.  Ce 
n'est  pas  précisément  de  la  chair,  c'est  encore  prin- 
cipalement de  l'esprit  qui  lui  est  uni,  que  vient  la 
vie  :  nous  le  croyons.  Nous  ne  disons  pas  avec  les 
Capharnaïtes  que  Jésus  soit  le  Fils  de  Joseph ,  ni 
simplement  le  Fils  de  Thomme;  nous  disons  que  le 
Fils  de  l'homme ,  qui  est  conçu  de  Marie  ,  est  en 
même  temps  le  Fils  de  Dieu ,  et  doit ,  comme  lui 
dit  l'ange,  être  appelé  véritablement  et  proprement 
de  ce  nom.  Nous  croyons  de  même  que  ce  Fils  de 
l'homme,  qui  a  expiré  en  la  croix,  n'est  pas  seule- 
ment le  Fils  de  l'homme;  et  nous  disons  avec  le 
centenier  :  C'était  vraiment  le  Fils  de  Dieu*.  Et 
quand  on  mange  sa  chair  et  qu'on  boit  son  sang , 
nous  croyons  qu'il  le  faut  faire  en  corps  et  en 
esprit  tout  ensemble ,  et  que  c'est  l'Esprit  qui  vi- 
vifie. 

Il  a  dit  :  La  chair  ne  sert  de  rien^  :  nous  le 
croyons  et  nous  remarquons  premièrement,  car 
nous  pesons  avec  foi  toutes  ses  paroles ,  nous  re- 
marquons, dis-je,  qu'il  ne  dit  pas  :  Ma  chair  ne 
sert  de  rien  :  car  ce  ne  serait  pas  interpréter,  comme 
vous  le  prétendez,  mais  détruire  son  premier  dis- 
cours ,  oii  il  a  dit  tant  de  fois  que  sa  chair  nous  ser- 
vait à  avoir  la  vie.  S'il  dit  donc,  que  ta  chair  ne  sert 
de  rien,  c'est  la  chair  comme  l'entendaient  les  Ca- 
pharnaïtes, la  chair  du  fils  de  .Joseph  :  et  encore  la 
chair  tellement  mangée  avec  la  bouche  du  corps, 
qu'elle  soit  mise  en  pièces  et  consumée,  en  sorte 
qu'elle  ne  puisse  rester  pour  être  transportée  au  ciel  : 
car  c'est  ainsi  que  l'entendirent  ces  murmurateurs. 
Nous  ne  l'entendons  point  de  cette  sorte  :  et  quand 
enfin  il  faudrait  entendre  que  la  chair  de  Jésus- 
Christ  ,  quoique  prise ,  quoique  mangée  avec  la  bou- 
che du  corps ,  de  cette  manière  admirable  que  les 
incrédules  ne  peuvent  entendre,  ne  sert  de  rien; 
nous  le  croyons  encore  de  cette  sorte  :  car  en  man- 
geant cette  chair  nous  savons  qu'il  la  faut  manger 
comme  une  victime  qui  a  été  immolée,  et  se  souvenir 
de  lui  en  la  mangeant ,  s'attendrir  dans  ce  souvenir, 
se  rendre  avec  lui  une  hostie  sainte ,  participer  à  son 
esprit  comme  à  son  corps,  en  un  mot ,  lui  être  uni 


>  Joan.  VI,  64.  —  '  Luc.  i,  35. 
»xvn,  &4.  —  '  Joan.  \i,  64. 


■^Hcl).  IX,  H.  —  *  Matth. 


de  corps  et  d'esprit  comme  le  fut  la  sainte  Vierge, 
lorsqu'elle  le  conçut  dans  ses  entrailles  :  autren.ent 
cette  chair  ne  sert  de  rien,  quoiqu'on  la  mange ^ 
quoiqu'on  la  reçoive  dans  son  corps.  Jésus-Christ 
ne  dit  pas  aussi  qu'on  ne  la  mange  point,  qu'on  ne 
l'a  pointen  substance  ;  mais  qu'elle  ne  sert  de  rien  : 
comme  saint  Paul  ne  dit  pas  qu'on  n'a  point  le 
corps  du  Sauveur  quand  on  le  reçoit  indignement; 
mais  qu'on  ne  le  discerne  pas'.  Il  faut  donc,' 
non-seulement  le  recevoir  par  le  corps,  mais  le 
discerner  par  l'esprit;  autrement,  loin  de  servir,  il 
nous  condamne,  et  nous  sommes  rendus  coupa- 
bles du  corps  et  du  sang  du  Seigneur  ».  La  chair 
ne  sert  donc  de  rien,  de  quelque  façon  qu'on  l'en- 
tende :  elle  ne  sert  de  rien  toute  seule,  ni  par  elle- 
même  :  ce  n'est  point  à  elle  qu'il  faut  s'arrêter.  Et 
si  l'on  veut  encore  entendre  par  cette  parole ,  la 
chair  ne  sert  de  rien,  c'est-à-dire  le  sens  charnel 
ne  sert  de  rien  :  nous  le  croyons  encore  ;  car  ce 
n'est  point  la  chair  ni  le  sang  qui  nous  a  révélé^ 
ce  que  nous  croyons ,  ni  cette  manière  incompré- 
hensible avec  laquelle  nous  croyons  manger  la  chair 
du  Sauveur,  Ainsi  tout  ce  qu'il  a  dit  de  sa  chair 
mangée  et  de  son  sang  bu ,  encore  qu'il  le  faille  en- 
tendre au  pied  de  la  lettre ,  de  sa  chair  et  de  son 
sang  pris  en  leur  propre  substance,  est  esprit  et 
vie,  à  cause  qu'en  toute  manière  il  y  faut  toujours 
joindre  l'esprit  :  nous  le  croyons  :  et  pour  bien  en- 
tendre toutes  les  paroles  du  Sauveur,  nous  ne 
croyons  pas  que  les  dernières ,  où  il  a  parlé  de 
l'esprit,  excluent  les  autres  où  il  a  parlé  de  la 
chair  ;  mais  nous  apprennent  à  unir  l'un  et  l'autre 
ensemble, et  à  chercher  l'espritdans  la  vérité  etdans 
la  propriété  de  la  chair. 

Où  est  donc  la  foi  des  catholiques?  Elle  est  dans 
les  paroles  de  saint  Pierre  :  Seigneur,  à  qui  irions- 
nous;  vous  avez  des  paroles  de  vie  éternelle*} 
Nous  les  croyons  toutes  ;  et  celles  où  vous  inculquez 
avec  tant  de  force  qu'on  mangera  en  substance  vo- 
tre chair;  et  celles  où  vous  enseignez  avec  la  même 
netteté ,  qu'il  faut  profiter  de  votre  esprit.  Voilà 
quelle  est  notre  foi  :  voilà  ce  que  nous  croyons.  Et 
où  est  la  foi  de  ceux  qui  quittent  l'Église  ?  sinon 
dans  ces  paroles  des  Capharnaïtes  :  Comment  cet 
homme  nous  peut-il  donner  sa  chair  à  mangerf 
Nous  la  donner  pour  la  consumer,  c'est  chose  ab- 
surde et  inhumaine;  nous  la  donner  sans  la  consu- 
mer, et  en  sorte  qu'en  même  temps  elle  demeure 
entière  dans  le  ciel ,  c'est  chose  impossible. 

Seigneur ,  nous  ne  sommes  point  de  cette  troupe  : 
on  ne  peut  nous  attribuer  en  aucun  sens  ce  Com- 
ment des  murmurateurs.  Nous  nous  rallions  avec 
saint  Pierre ,  nous  retournons  au  cénacle  ^jour  y 
faire  la  cène  avec  vous  et  avec  vos  disciples.  Quelle 
simplicité!  quel  silence!  Prenez,  mangez,  c'est 
mon  corps  :  Buvez,  c'est  mon  sang.  Il  ne  dit  pas: 
Ils  seront  en  vous  parla  foi;  mais  ce  que  je  vous 
présente,  Ceto/'es^.  Croyez-y,  n'y  croyez  pas;  cela 
est  :  cela  est,  parce  que  je  le  dis,  et  non  pas  parce  que 

•  I.  Cor.  XI,  29.  —  »  rbid.  27.  —  ^  MaUh.  xvi.  —  «  Joan, 


MEDITATIONS  SDR  L'EVANGILE. 


705 


mus  le  provfz.  Que  ceb  est  étonnant!  Et  néanmoins 
Jésus  le  dit  sans  rien  expliquer  ;  les  apôtres  Técou- 
teut  sans  rien  demander  :  ces  ((uestionneurs  perpé- 
tuels, s'il  m'est  permis  une  fois  de  les  appeler  ainsi , 
se  laisent  :  ils  l'ont  ce  qu'on  leur  dit ,  non-seulement 
sans  contradiction  et  sans  murmure,  mais  encore 
sans  avoir  besoin  d'antre  instruction  que  de  celle 
qu'ils  avaient  reçue.  Les  murmures  avaient  été  trop 
repoussés,  les  questions  trop  précisément  résolues; 
tout  est  calme ,  tout  est  soumis  :  le  Père  les  a  ti- 
rés. Et  les  autres  ?  Ah  !  fidèles  ,  retirez-vous  de  leur 
compagnie  :  séparez-vous  de  ces  séditieux,  de  ces 
impies  qui  murmurent,  non  pas  contre  Moïse' , 
mais  contre  Jésus-Christ  même  :  séparez-vous-en , 
pour  n'être  point  enveloppés  dans  leur  péché.  Quoi  ! 
que  leur  va-t-il  arriver?  La  terre  se  va-t-elle  ouvrir 
sous  leurs  pieds,  pour  Ie5  engloutir  tout  vivants.' 
.Non;  c'est  quelque  chose  de  pis  :  ils  quittent  l'É- 
glise; ils  sont  livres  à  leur  propre  sens. 

XLIV  JOUR. 

CoBimunion  indigne.  I.  Cor.  xi,  27,  29. 

Et  ceux  fjui,  sans  quitter  l'Église,  conservant 
la  vraie  foi  du  corps  et  du  sang  de  Jé^us-Christ , 
les  reçoivent  indignement ,  sont-ils  tirés  par  le  Père 
céleste.'  les  a-t-il  donnés  à  Tésus-Christ?  et  vien- 
nent-ils à  lui  comme  il  faut?  Non  sans  doute;  puis- 
que, bien  éloignés  de  recevoir  la  vie,  saint  Paul  dit', 
qu'i/5  boivent  et  mangent  leur  condamnation,  par- 
ce qu'ils  ne  dUscernent  pas  le  corps  du  Seigneur. 

Le  saint  apôtre  parle  ici  d'une  manière  terrible, 
puisqu'après  avoir  rappelé  dans  la  mémoire  des 
fidèles  que  Jésus-Christ  avait  dit  que  ce  qu'il  don- 
nait à  manger  était  son  corps,  le  même  qui  devait 
être  percé  et  rompu  à  la  croix;  et  que  la  coupe 
qu'il  leur  donnait  à  boire,  était,  par  le  sans  versé 
qu'elle  contenait,  l'instrument  de  l'alliance  et  du 
testament  que  le  Sauveur  faisait  à  leur  avantage; 
il  en  conclut  ([utceuxqui  mangent  ce  pain,  remar- 
quez ce  pain,  c'est-à-dire  ce  pain  fait  corps,  ainsi 
qu'il  vient  de  le  raconter  ;  et  boivent  la  coupe  du 
Seigneur  indignement,  sont  coupables  de  son  corps 
et  de  son  sang  ^.  Et  qu'est-ce  qu'en  être  coupable  ? 
si  ce  n'est  non-seulement  les  profaner,  mais  encore 
leur  faire  un  outrage  de  même  nature  que  celui  qui 
,eur  avait  été  fait  par  les  Juifs,  lorsqu'ils  déchirè- 
rent l'un ,  et  répandirent  l'autre.  Et  c'est  pourquoi 
ils  boivent  et  mangent  leur  condamnation  ;  parce 
que,  semblables  à  ces  perGdes,  ils  n'avaient  mis 
aucune  différence  entre  le  corps  de  JésuJi-Christ 
•  t  celui  àes  voleurs  qu'ils  avaient  cruciûésavec  lui. 
Et  remarquez  que  l'outrage  que  les  Juifs  avaient  fait 
à  Jésus-Christ,  regardait  précisément  son  corps; 
car  ce  n'est  qu'au  corps  qu'on  peut  nuire,  en  le  li- 
vrant à  la  mort  ;  conformément  à  cette  parole  : 
iVe  craignez  pas  ceux  qui  ne  peuvent  que  tuer  le 
corps,  et  ne  peuvent  pas  étendre  plus  loinleurpuis- 

'  Nhv.  XVI,  26.  —  »  I.  Cor.  XI,  29,  30  —  '  Ib'4  37. 
Bossvrr  —  t.  ui. 


sance  '.  Les  Juifs  donc  outragèrent  ce  corps  en  lui- 
même,  et  en  sa  propre  substance,  lorsqu'ils  le  mi- 
rent en  croix;  ils  outragèrent  ce  sang  en  lui-même 
et  en  sa  propre  substance,  lorsqu'ils  le  firent  cou- 
ler sur  la  terre  par  un  inf;5me  supplice,  comme  si 
c'eut  été  le  sang  d'un  coupable.  Vous  faites  un  sem- 
blable sacrilège,  lorsque  vous  mangez  et  buvez  in- 
dignement ce  corps  et  ce  sang  ;  vous  les  profanez , 
vous  les  outragez  en  eux-mêmes  ;  et  cet  outrage 
que  vous  faites  au  corps  du  Sauveur  est  de  ne  le 
pas  discerner,  de  n'en  pas  connaître  la  sainteté  ni 
le  prix.  Il  ne  dit  pas  qu'ils  ne  le  reçoivent  point 
faute  de  foi ,  comme  le  disent  nos  hérétiques;  mais 
qu'ils  ne  le  discernent  pas ,  en  supposant  qu'ils  le 
reçoivent  :  comme  on  dirait  d'une  pierre  précieuse 
que  vous  jetteriez  dans  la  boue  comme  une  autre 
pierre,  après  l'avoir  reçue,  non  pas  que  vous  ne 
l'avez  point  reçue,  mais  que  vous  n'en  avez  pas  fait 
le  discernement  et  l'estime  qu'il  fallait. 

Ce  n'est  pas  non  plus  ce  que  disent  encore  ces 
hérétiques  :  Vous  êtes  coupable  de  ce  corps  et  de 
ce  sang,  comme  on  est  coupable  envers  la  personne 
du  prince,  lorsqu'on  en  déchire  injurieusement  le 
tableau.  Car  il  n'est  point  ici  parlé  de  tableau  ni  de 
figure  :  l'apôtre  fait  aller  de  même  rang  :  Ceci  est 
7non  corps  :  Coupable  du  corps  :  et ,  ne  pas  discer- 
ner le  corps.  Il  ne  faut  point  diminuer  le  crime  de 
ceux  contre  qui  l'apôtre  s'élève ,  ni  affaiblir  l'hor- 
reur qu'on  en  doit  avoir.  Il  est  vrai  qu'en  traitant 
indignement  l'image  du  prince,  on  l'attaque,  on 
le  déshonore  lui-même;  mais  par  une  injure  bien 
inférieure  à  celle  qu'on  lui  ferait  en  attentant  sur 
sa  personne  sacrée.  L'attentat  des  chrétiens ,  qui 
mangent  indignement  le  corps  du  Sauveur  et  boi- 
vent indignement  son  sang,  est  de  ce  dernier  genre  ; 
c'est  un  attentat  fait  immédiatement  sur  la  per- 
sonne :  en  un  mot,  il  y  a  deux  choses  à  considé- 
rer dans  le  supplice  de  Jésus-Christ;  le  crime  des 
Juifs  et  l'obéissance  du  Sauveur.  Ceux  qui  reçoi- 
vent dignement  sou  corps  et  son  sang,  participent 
au  mérite  de  son  obéissance  ;  ceux  qui  les  reçoi- 
vent indignement,  participent  au  sacrilège  de  ses 
meurtriers  et  attentent  comme  eux  inNuédiatement 
sur  sa  personne  adorable. 

Seigneur ,  tirez-nous  à  vous,  inspirez-nous  un 
juste  discernement  du  corps  que  nous  recevons  : 
ne  le  traitons  pas  comme  une  chose  immonde,  en 
le  recevant  dans  un  corps  impur  et  souillé.  Les  cho- 
ses saintes  sont  pour  les  saints,  comme  on  criait 
autrefois  au  peuple  fidèle,  lorsqu'on  allait  distri- 
buer le  corps  de  Jésus-Christ.  Ne  le  touchons  pas 
avec  des  mains  sacrilèges ,  ne  le  recevons  pas  arec 
une  bouche  impure,  ne  lui  donnons  pas  un  baiser 
de  Judas,  un  baiser  de  trattre  ;  que  ce  soit  un  bai- 
ser d'épouse,  un  baiser  rempli  d'ardeur,  et  qui  soit 
le  gage  d'un  chaste  et  perpétuel  amour.  Qu'il  me 
baise  du  baiser  de  sa  bouche  » ,  d'un  baiser  d'époux  . 
que  je  lui  donne  aussi  le  baiser  d'épouse;  celui  que 
lui  donnent  les  vierges,  des  âmes  chastes  dont  il 
est  aimé.  Tirez-nous,  Seigneur,  à   ce  cha.  te  cl 


*  Luc.  xn ,  4. 


Cant.  I,  I. 


To: 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


doux  baiser  :  tirez-nous,  et  nous  courrons  après 
vos  parfums.  Ceitx  qui  sont  droits  vous  aiment'. 
Ce  sont  ceux-là  qui  vous  donnent  ce  saint  baiser, 
ce  baiser  de  paix  et  d'un  amour  éternel.  Car  per- 
sonne ne  vient  à  moi  que  mon  Père  ne  le  tire  *  : 
personne  ne  vient  à  moi,  qu'il  ne  lui  soit  donné 
par  mon  Père  ;  nul  ne  communie  dignement  que  par 
cet  attrait. 

XLV  JOUR. 

Qui  sont  ceux  qui  communient  indignement. 

Lisez  I.  Cor.,  cbap.  x,  depuis  le  verset  16  jus- 
qu'au 22.  C'est  encore  une  terrible  sentence  contre 
ceux  qui  comnmnient  indignement  :  Fous  ne  pou- 
vez pas  boire  du  calice  du  Seigneur,  et  du  calice 
des  démons  :  vous  ne  pouvez  pas  participer  a  la 
table  du  Seigneur ,  et  à  la  table  du  démon  ^. 

Boire  la  coupe  des  démons ,  ce  n'est  pas  seule- 
ment boire  dans  la  coupe  dont  on  leur  fait  une  ef- 
fusion :  c'est  boire  à  longs  traits  les  plaisirs  du 
monde,  par  lesquels  on  se  livre  à  eux.  Participer 
à  la  table  des  démons,  ce  n'est  pas  seulement  man- 
ger des  viandes  qui  leur  ont  été  immolées  :  c'est  se 
livrer  à  l'avarice,  qui  est  une  idolâtrie;  à  la  gour- 
mandise, par  laquelle  on  fait  un  dieu  de  son  ventre; 
à  tous  les  autres  vices,  par  lesquels  on  livre  aux 
démons  ce  qui  était  dû  à  Dieu. 

Mais  un  des  pécbés  que  l'eucbaristie  souffre  le 
moins,  c'est  celui  de  la  dissension  et  de  la  haine 
contre  son  frère;  car  le  propre  effet  de  l'eucha- 
ristie, c'est  de  nous  unir  pour  ne  faire  qu'un 
même  corps,  selon  ce  que  dit  saint  Paul:  Quoi- 
que nous  soyons  plusieurs,  nous  tie  sommes  tous 
ensemble  qu'un  même  pain  et  un  même  corps  ^ 
nous  tous  qui  participons  àun  même  pain*.  Qui- 
conque donc  prend  ce  pain  de  vie;  qui  prend  ce 
■corps,  qui  nous  est  donné  sous  la  forme  et  sous 
l'espèce  du  pain,  pour  sustenter  notre  âme,  qui 
■étant  distribué  à  plusieurs ,  demeure  toujours  le 
înême  et  parfaitement  le  même ,  ne  souffrant  au- 
cune division  en  sa  substance  ;  doit  être  un  avec  tous 
Jes  membres,  comme  il  doit  être  un  avec  Jésus- 
Christ.  Et  c'est  l'impression  que  porte  en  soi  le  pain 
sacré  de  l'eucharistie.  Celui-là  donc  qui  la  reçoit 
ayant  la  haine  dans  le  cœur  contre  son  frère,  fait 
violence  au  corps  du  Sauveur  :  puisqu'il  vient  pour 
nous  faire  un  même  corps,  et  que  nous  demeurons 
dans  la  division. 

Mais  qu'arrivera-t-il  à  ceux  qui  demeurent  ainsi 
divisés,  pendant  que  le  corps  de  Jésus-Christ  les 
vient  unir?  Ce  divin  corps  ne  peut  demeurer  sans 
efficace  :  ceux  qui  ne  veulent  pas  se  laisser  unir  , 
1  les  brise,  il  les  met  en  pièces,  illes  divise  contre 
«ux-mêmes;  leur  propre  conscience  les  condamne  : 
il  les  arrache  de  son  unité ,  il  les  sépare  de  son  corps 
mystique.  S'ils  y  demeurent  à  l'extérieur,  ils  en  sont 
«éparés  selon  l'esprit  :  ce  sont  des  membres  pourris; 
des  arbres  infructueux ,  doublement  morts,  déra- 

»  Cant.  1,3.  —  '  Joan.  VI ,  44 ,  66.  —  ^  I.  Cor.  x ,  20 ,  21 ,  — 
*  ïbid.  X,  17. 


cinés,  comme  disait  l'apôtre  saint  Jude'.  Ils  sem- 
blent être  encore  sur  pied  et  se  tenir  sur  leur  ra- 
cine ;  mais  ils  ont  la  mort  dans  le  sein,  et  leur  racine 
ne  tire  plus  de  nourriture. 

Allez  donc,  et  comme  le  Sauveur  vous  l'a  ordonné 
lui-même,  allez  vous  reconcilier  avec  votre  frère  »  ; 
non-seulement  vous  n'êtes  pas  digne  de  participei* 
à  l'autel ,  mais  encore  vous  n'êtes  pas  digne  d'y  of- 
frir votre  présent;  non-seulement  vous  n'êtes  pas 
digne  de  participer  à  l'oblation  de  l'autel,  mais  vous 
n'êtes  pas  digne  d'y  assister.  Le  sang  de  Jésus- 
Christ,  qu'on  lève  au  ciel,  crie  vengeance  contre 
vous ,  parce  que  c'est  un  sang  qui  a  pUcifté  et  récon- 
cilié toutes  choses  dans  le  ciel  et  dam  la  terre  3  : 
et  non-seulement  les  hommes  avec  Dieu  ,  mais  en- 
core les  hommes  entre  eux.  Et  vous  n'écoutez  pas 
la  voix  de  ce  satig  qui  parle  mieux  que  celui  d'A- 
bel^.  Car  il  parle  pour  la  paix ,  et  le  sang  d'Abel 
criait  vengeance;  mais  vous  le  contraignez  à  crier 
vengeance,  si  vous  rejetez  la  paix  fraternelle  pour 
laquelle  il  est  répandu.  Ce  sang  crie  au  meurtre,  à 
la  vengeance;  vous  êtes  le  meurtrier  contre  qui  il 
crie  :  car  celui  qui  hait  son  frère  est  homicide^.  Re- 
tirez-vous, malheureux,  fuyez  la  voix  de  ce  sang. 

XLVr  JOUR. 

La  communion  est  la  préparation  à  la  mort  de  Jésus-Christ 
/.  Cor.  XI,  26. 

Toutes  les  fois  que  vous  mangerez  ce  pain  de  vie 
et  que  vous  boirez  ce  calice ,  vous  annoncerez  la 
mort  du  Seigneur ,  jusqu'à  ce  qu'il  vienne^.  Vous 
l'annoncerez  comme  une  chose  déjà  accomplie  pour 
le  salutdu  genre  humain  :  vous  l'annoncerez  comme 
une  chose  qui  se  doit  continuer  en  quelque  façon 
jusqu'à  la  fin  des  siècles.  La  mort  de  Jésus-Christ 
est  toujours  présente  dans  l'eucharistie,  par  la  sé- 
paration mystique  de  son  corps  et  de  son  sang  : 
l'impression  de  la  mort  de  Jésus-Christ  se  doit  faire 
sur  tous  les  fidèles  qui,  à  l'imitationduFils  de  Dieu, 
se  doivent  rendre  eux-mêmes  des  victimes.  Toute 
la  vertu  de  la  croix  est  dans  ce  mystère  ;  on  y  an- 
nonce par  tous  ces  moyens  la  mort  du  Sauveur. 

Quelle  est  la  vertu  de  la  croix.'  Quand  je  serai 
élevé  de  terre,  je  tirerai  tout  à  moii.  L'effet  a  suivi 
la  parole  :  tout  est  venu  à  Jésus  crucifié  :  telle  est 
la  vertu  de  sa  croix.  Cette  vertu  est  toute  vivante 
dans  l'eucharistie  :  ceux-là  y  croient,  ceux-là  en 
profitent ,  et  la  reçoivent  dignement ,  que  le  Père 
tire  à  son  Fils.  Jésus-Christ  dit  qu'ils  vivent  pour 
lui ,  comme  lui-même  il  vit  par  son  Père  et  pour  son 
Père;  ils  n'ont  d'autre  vie  que  la  sienne.  Sa  chair 
est  toute  pleine  de  l'esprit  qui  nous  communique 
cette  vie;  tout  est  esprit,  tout  est  vie  dans  ce  mystère; 
toute  l'efficace  de  la  croix  pour  nous  tirer  à  Jésus , 
pour  nous  faire  vivre  en  lui  et  de  lui ,  y  est  renfer- 
mée. Quelle  violence  souffre  le  Sauveur,  quand  on 
ne  répond  pas  à  son  amour  ;  quand  on  ne  se  laisse 
pas  posséder  à  lui  ;  quand  on  résiste  à  la  force  avec 

'  Jud.  Ep.  12.  —  »  Matlh.  V,  23,  24.—  '  Col.  i,  26.  -  • 
*  Heb ,  XII ,  24.  —  i  I.  Joan.  m,  15.  —  *  I.  Cor.  xi ,  26,  — 
'  Joan.  XII,  32. 


MÉDITATIONS  SUR  LÉVANGILE. 


70  r 


I.iqnelle  il  nous  tire!  Si  on  lui  refuse  son  cœur  pen- 
dant que  non-seulement  il  le  demande,  mais  qu'il 
fait ,  pour  ainsi  parler,  de  si  grands  efforts  pour  se 
luuir;  c'est  un  époux  méprisé  qui  entre  en  fureur 
contre  son  épouse  insensible;  il  n'y  a  plus  pour  elle 
(|ue  la  damnation  et  la  mort.  Hélas!  hélas  !  tout  est 
perdu  ;  de  toute  la  force  dont  il  nous  tirait ,  il  nous 
repousse  et  nous  détruit. 

XLVIP  JOUR. 

La  persévérance ,  effet  de  la  communion.  Joan.  vi,  57. 

Qui  mange  ma  chair  et  boit  mon  sang  demeure 
en  moi,  et  moi  en  lui'.  Le  grand  don  après  lequel 
soupirent  les  chrétiens,  est  celui  de  la  persévérance, 
qui  nous  assure  la  couronne,  qui  nous  unit,  qui 
nous  incorpore  à  Jésus-Christ,  pour  nous  faire 
éternellement  un  avec  lui,  sans  jamais  en  pouvoir 
être  séparés.  Voilà  le  grand  don  de  Dieu;  celui  qui 
est  joint  à  sa  prédestination  éternelle  :  et  Jésus- 
Christ  nous  apprend  qu'il  y  a  dans  l'eucharistie  une 
grâce  particulière  pour  nous  l'obtenir.  Si  donc  nous 
voulons  persévérer  dans  la  vertu ,  il  fautconmiunier 
et  communier  souvent  ;  car  c'est  le  plus  puissant 
moyen  qui  nous  soit  donné ,  pour  obtenir  la  persé- 
vérance *■:  c'est  le  pain  des  chrétiens ,  leur  nourri- 
ture ordinaire  et  de  tous  les  jours.  G  mon  Dieu, 
que  les  chrétiens  ont  le  cœur  dur,  puisqu'ils  vien- 
nent si  rarement  à  la  sainte  table!  S  ils  goûtaient 
Jésus-Christ  crucifié,  ils  viendraient  célébrer  souvent 
le  mystère  de  cette  mort.  On  est  touché  le  Vendredi 
saint,  à  cause  qu'on  y  célèbre  la  mémoire  de  la  mort 
du  Sauveur.  Venez,  mes  enfants,  c'est  tous  les 
jours  le  Vendredi  saint;  tous  les  jours  on  érige  le 
Calvaire  sur  le  saint  autel.  Venez,  et  souvenez-vous 
de  cette  mort  qui  est  notre  vie;  venez  recevoir  un 
sacrement  où  l'on  apprend  à  demeurer  en  Jcsus- 
Christ,  où  l'on  reçoit  la  force,  le  courage,  la 
grâce  d'y  demeurer. 

Mais  aussi  on  doit  trembler,  quand  on  retombe 
dans  ses  fautes  après  la  communion;  puisque  Jésus- 
Christ  ne  dit  pas  .•  Celui  qui  mange  ma  chair,  est 
en  moi  '  ;  mais  il  y  demeure  attaché  :  ni  Je  suis  en 
lui;  mais  J'y  demeure,  et  je  ne  le  quitte  jamais.  Jé- 
sus est  fidèle;  il  ne  nous  quitte  jamais  le  premier. 
Il  vient  bien  à  nous  le  premier;  mais  jamais  il  n'est 
le  premier  qui  quitte  :  c'est  nous  qui  le  quittons, 
quand  nous  tombons  dans  le  péché.  Malheureux! 
nous  devons  bien  craindre  de  ne  l'avoir  pas  reçu 
comme  il  faut,  car  nous  serions  demeurés  en  lui  ;  et, 
hélas!  nous  l'avons  quitté.  Le  recevoir  comme  il 
faut,  c'est  le  recevoir  en  détestant  ses  péchés,  en 
éloignant  les  occasions  de  le  commettre  ;  en  cher- 
chant dans  l'eucharistie  le  soutien  de  notre  fai- 
blesse et  de  notre  instabilité. 

XLVIIP  JOUR. 

S'éprouver  soi-même.  I.  Cor.  xi ,  28. 
Que  l'homme  s'éprouve  lui'-mémei  :  qu'il  éprouve 

'  Joan.  VI .  57.  —  *  Ibid.  24  ,  27.  —  '  Ibid.  57.  —  4  1.  Cor. 
XI,  2S. 


f  premièrement ,  s'il  n'est  point  indigne  de  cette  lalle 

j  sacrée;  s'il  ne  vient  point  au  banquet  de  l'Époux 

I  sans  la  robe  nuptiale,  sans  être  en  état  de  grâce  : 

1  car  on  lui  dirait  :  ^»u*  infidèle,  ami  téméraire,  rom- 

\  ment  avez-vous  osé  entrer  ici  sans  avoir  l'hahit 

j  nuptial?  Et  non-seulement  il  sera  jugé  indigne  du 

banquet ,  mais  encore  on  le  jettera  pieds  et  mains 

liés  dans  le  séjour  des  ténèbres,  où  il  y  aura  pleurs 

et  grincement  de  dents  '. 

Le  maître  entra  dans  la  salle  du  festin  pour 
y  voir  les  conviés,  et  il  y  vit  tin  homme  qui  n'avait 
point  l'habit  nuptial*.  Représentez-vous  Jésus  qui 
vient  lui-même  examiner  ceux  qui  sont  à  sa  table. 
Pour  éviter  un  si  terrible  examen,  que  chacun  s'exa- 
mine soi-même,  que  chacun  s'éprouve  soi-même. 

Mais  il  y  a  encore  d'autres  épreuves  plus  délicates. 
Le  pain  de  l'eucharistie  est  appelé  par  les  saints, 
le  pain  des  forts  :  et  il  y  faut  user,  en  le  donnant , 
du  même  discernement  dont  use  un  sage  médecin , 
en  donnant  le  solide  à  son  malade;  c'est-à-dire 
qu'il  faut  songer  non-seulement  au  refus  absolu 
qu'on  en  doit  faire  durant  la  fièvre ,  mais  encore  au 
ménagement  avec  lequel  il  le  faut  donner  aux  con- 
valescents. 

Outre  l'épreuve  qu'il  faut  faire  de  cette  viande 
céleste,  pour  n'y  pas  manger  sa  condamnation;  il 
ya  encore  une  épreuve,  une  préparation  nécessaire 
pour  la  manger  avec  profit.  Cette  viande  ne  nous 
est  pas  seulement  donnée  pour  entretenir  ia  vie; 
mais  encore  pour  nous  rendre  l'embonpoint  Klle 
renouvelle,  elle  engraisse,  elle  veut  détruiredeplusen 
plus  jusqu'aux  moindres  restes  du  mal.  Cette  viande 
ne  se  digère  pas  ;  mais  c'est  elle,  pour  ainsi  parler , 
qui  nous  digère  et  nous  change  en  elle-même.  Il 
faut  considérer  le  progrès  que  nous  faisons  en  la 
mangeant ,  et  la  prendre  avec  réserve ,  jusqu'à  tant 
que  nous  soyons  rendus  propres  à  recevoir  tout  son 
effet.  Sinon  elle  nous  surcharge  :  et  si  nous  n'avons 
pas  la  mort  dans  le  sein,  il  s'amasse  des  humeurs 
qui  doivent  nous  faire  craindre  une  recJiute.  Il  faut 
donc  craindre  le  fréquent  usage  de  l'eucharistie,  si 
on  n'en  vient  à  cet  embonpoint  spirituel  et  à  un 
état  de  force.  Il  est  vrai  que  c'est  en  ia  recevant 
que  nous  devenons  propres  à  la  recevoir  :  c'est  elle- 
même  qui  par  sa  vertu  nous  rend  propres  à  elle- 
même  et  à  ses  effets  ;  mais  il  en  faut  savoir  tem- 
pérer l'usage.  La  marque  la  plus  assurée  dans  les 
bonnes  âmes  pour  la  recevoir  souvent,  c'est  l'ap- 
pétit spirituel  qu'elles  en  ressentent  ;  mais  il  faut 
savoir  ménager  cet  appétit.  Il  y  a  des  appétits  de 
malade  :  il  y  en  a  que  la  santé  donne.  L'appétit  est 
donc  équivoque;  et  il  faut  le  savoir  connaître  :  il 
faut  savoir  le  réprimer,  il  faut  savoir  le  réveiller; 
il  faut  quelquefois  exciter  l'ardeur  par  quelque  délai, 
pour  aussi  augmenter  le  goût.  Telle  âme  aura  be- 
soin qu'on  le  lui  excite  par  quelque  temps  de  lecture 
et  par  la  seule  méditation  de  la  parole  divine.  Goû- 
ter la  parole  de  Jésus-Christ,  c'est  la  marque  qu'on 
le  goûte  lui-même,  et  la  meilleure  préparation  à  le 
goûter.    Qui  est  le  sage   qui  engendra  çt  gui 

'  M  :ll'i.  \\i\ ,  J2,  13.  —  >  Ibid.  U. 


7  ors 


MEDITATIONS  SUR  L  EVANGILE. 


discernera  ces  choses^?  Qui  est  cet  économe  fi- 
dèle et  prudent  qui  saura  donner  te  froment 
dont  la  distribution  lui  est  confiée,  en  son  temps 
et  selon  sa  mesure  *  ?  Remarquez  qu'il  y  a  le  temps 
et  la  mesure  à  garder,  et  que  ce  dispensateur  ne 
doit  pas  seulement  être  fidèle ,  mais  encore  pru- 
dent. Ainsi,  que  l'homme  s'éprouve  lui-même, 
car  le  temps  de  l'un  n'est  pas  toujours  le  temps  de 
l'autre,  et  la  mesure  de  l'un  n'est  pas  toujours  la 
mesure  de  l'autre.  II  faut  donc  s'éprouver  soi- 
niênie  :  et  quand  on  dit  s'éprouver  soi-même,  ce 
n'est  pas  à  dire  s'approcher  ou  s'éloigner  par  son 
propre  jugement,  car  cette  épreuve  ne  serait  ordi- 
nairement que  la  nourriture  de  l'amour-propre.  Une 
partie  de  cette  épreuve  est  de  bien  connaître  qu'on 
ne  se  peut  pas  juger  soi-même,  et  qu'on  doit  sa- 
voir chercher  ce  dispensateur  prudent  qui  con- 
naisse le  temps  et  la  mesure  qui  nous  est  propre. 
Car  ce  n'est  pas  sans  raison  que  le  prince  des 
pûsteurs  a  donné  à  ses  ministres  le  pouvoir  de  lier 
et  de  délier,  de  retenir  et  de  remettre.  Qu'on  s'é- 
prouve donc  soi-même  avec  ce  conseil  et  selon 
l'ordre  de  l'obéissance.  Tout  ce  qu'on  fait  dans 
cet  esprit  porte  grâce.  Tel  qui  entend  dire  que 
la  sécheresse  est  quelquefois  une  épreuve  et  un  exer- 
cice, prendra  sa  langueur  pour  une  grâce  :  tel 
aussi  s'imaginera  être  de  ces  tièdes  que  Jésus- 
Christ  vomit  de  sa  bouche,  quand  il  ne  sentira 
pas  son  gortt,  et  que  ce  goût  se  sera,  pour  ainsi 
dire,  retiré  bien  avant  dans  son  intérieur.  Qui  est 
lesage,  encore  un  coup,  qui  discernera  ces  choses? 
Il  faut  aussi  savoir  connaître  cette  viande,  qui 
sait  comme  la  manne  prendre  toute  sorte  de  goûts. 
Tantôt  on  nous  y  doit  faire  goûter  l'humilité,  tan- 
tôt la  mortification;  tantôt  l'amour  fraternel  et 
celui  des  ennemis ,  tantôt  la  joie  qui  nous  trans- 
porte en  esprit  dans  le  ciel  ;  tantôt  la  sainte  tris- 
tesse qui  nous  dégoûte  du  monde  et  nous  im- 
prime des  sentiments  de  pénitence.  On  nous  doit 
faire  prendre  cette  viande  avec  la  disposition  où  le 
Saint-Esprit  nous  met,  ou  dans  celle  oij  Ton  ressent 
qu'il  veut  nous  mettre.  Il  faut,  dis-je,  vous  la  don- 
ner ou  selon  votre  attrait  présent ,  ou  pour  vous  ins- 
pirer celui  dont  vous  avez  besoin.  Faut-il  exciter 
«n  vous  ou  y  entretenir  l'esprit  d'ardeur  et  de 
zèle,  le  charbon  pris  sur  l'autel  3  n'est  rien  pour 
vous  purifier,  pour  vous  embraser,  à  comparaison 
de  ce  corps.  Est-ce  l'esprit  de  componction  et  de 
larmes  qui  vous  est  nécessaire;  ce  divin  corps  en 
tirera  plus  de  vos  yeux ,  que  la  pécheresse  n^en 
versa  aux  pieds  du  Sauveur.  Seigneur!  donnez 
à  votre  Église  de  ces  prudents  dispensateurs,  qui 
sachent  faire  l'application  de  l'eucharistie.  Sei- 
gneur! donnez  à  vos  fidèles  cette  humble  doci- 
lité, et  la  soumission  aux  conseils  avec  lesquels 
ils  se  doivent  éprouver  eux-mêmes. 

XLIX"  JOUR. 

^ommarrede  la  doctrine  de  l'eucharistie. 
Nous  devons  maintenant  entendre  ce  que  c'est 

•  Otée.  XIV,  10—  *  Luc.  xil,  42.  —  5  Is.  VI,  6,  7. 


que  ce  sacrement ,  en  quoi  il  consiste,  quel  en  e^ 
le  fruit;  ce  qu'on  doit  appeler  le  sacrement  et 
le  signe,  ce  qu'on  en  doit  appeler  le  fruit  et  >a 
chose. 

Ceux  qui  ne  veulent  pas  croire,  que  ce  qui  nous 
est  présent  est  vraiment  le  corps  et  le  sang  de  Jé- 
sus-Christ, disent  que  le  pain  et  le  vin  sont  le  sa- 
crement et  le  signe;  et  que  la  chose  c'est  la  récep- 
tion de  la  chair  et  du  sang  de  Jésus-Christ  :  puis- 
que c'est  là,  disent-ils,  ce  qui  est  toujours  accom- 
pagné de  la  vie,  conformément  à  cette  parole  :  Qui 
majige  ma  chair  et  boit  mon  sang,  a  la  vie  éter- 
nelle :  et  qui  me  mange,  vit  pour  moi  '.  Aveugles, 
qui  ne  veulent  pas  entendre  qu'il  y  en  a  qui  pren- 
nent ce  corps  sans  le  discerner;  qu'il  yen  a  qui  le  re- 
çoivent en  le  profanant,  et  qui  s'en  rendent  coupa- 
bles ;  et  que  c'est  ce  qui  doit  être  reçu  avec  épreuve , 
pour  ne  le  pas  recevoir  indignement.  Mais  parce 
que  les  hommes  peuvent  recevoir  mal  un  si  grand 
don ,  en  e.*;t-il  moins  ce  qu'il  est  ? 

La  parole  de  Dieu  est  par  elle-  même  une  lu- 
mière qui  éclaire  l'homme,  qui  le  purifie,  qui  le 
nourrit;  en  laquelle  il  a  le  salut  et  la  vie  :  cela  em- 
pêche-t-il  qu'il  y  en  ait  qu'elle  étourdit,  qu'elle 
aveugle;  qu'elle  ne  soit  odeur  de  vie  pour  les  uns 
et  odeur  de  mort  pour  les  autres,  et  une  lettre 
qui  tue'?  Ce  que  les  hommes  la  font  devenir  par 
leur  mauvaise  disposition,  n'empêche  pas  ce  qu'elle 
est  par  elle-même;  ni  ne  lui  ôte  la  force  qu'elle 
tire  de  la  bouche  de  Dieu  d'oij  elle  sort.  Ainsi  le 
corps  de  Jésus,  ainsi  le  sang  de  Jésus,  n'en  sont 
pas  moins  en  eux-mêmes  esprit  et  vie,  encore 
qu'ils  ne  le  soient  pas  à  ceux  qui  les  reçoivent  mal. 
Ceux  qui  croiront  et  seront  baptisés,  sei'ont  sau- 
vés 3.  Qui  en  doute,  s'ils  croient  comme  il  faut; 
s'ils  persévèrent  à  croire,  s'ils  ne  mettent  point 
d'obstacle  à  la  grâce  du  baptême;  s'ils  sont  soi- 
gneux d'en  conserver  la  vertu  .?  Ainsi,  qui  mange 
la  chair,  qui  boit  le  sajig,  a  la  vie  :  oui,  qui  la 
mange  et  qui  le  boit  dignement ,  et  comme  il  faut. 
I.a  chair  mangée  dans  l'eucharistie,  est  au  chrétien 
un  gage  de  l'amour  de  Jésus-Christ,  un  témoi- 
gnage certain  que  c'est  pour  lui  qu'il  s'est  incarné 
et  pour  lui  qu'il  s'est  offert.  Voilà  le  gage ,  voilà  le 
signe,  voilà  le  témoignage  :  mais  il  faut  entendre 
ce  gage;  il  faut  être  touché  de  ce  signe;  il  faut 
croire  à  ce  témoignage  :  autrement,  qu'aurez- vous 
pris.?  Un  gage,un  signe,  un  témoignage  de  l'amour 
immense  de  votre  Sauveur  ;  mais  sans  en  être  touché, 
sans  y  prendre  part:  et  ce  précieux  gage  de  son  amour 
sera  en  témoignage  contre  vous  :  et  vous  serez  de 
ceux  dont  il  est  écrit  :  //  est  venu  chez  soi ,  et  les 
siens  ne  l'ont  pas  reçu  4.  Qu'est-ce  que  venir  chez 
soi,  si  ce  n'est  venir  à  ceux  qui  sont  à  lui.!*  n  y 
vient  donc ,  et  il  a  été  au  milieu  d'eux  :  mais  ils  ne 
l'ont  pas  reçu  ,  parce  qu'ils  ne  l'ont  pas  connu:  ils 
ne  l'ont  pas  discerné,  ils  ne  l'ont  pas  traité  comme 
le  méritaient  sa  dignité  et  son  amour. 

Quel  est  donc  le  vrai  effet ,  et  la  chose ,  pour 
ainsi  parler,  de  ce  sacrement.'  Être  incorporé  à 

'  Joan.  Tl,  55,  58.  —  *  II.  Cor.  n,  16;  m,  C.  —  3  Marc- 
XVI,  IC.  —  4  Joan.  1,  II. 


MÉDITATIONS  SDR  L'ÉVANGILE. 


J^sus -Christ  :  lui  être  parfaitement  uni  selon  le 
corps  et  scion  l'esprit  :  être  avec  lui  une  même 
chair  et  un  même  esprit,  par  la  consommation 
de  ce  chaste  mariage  •  :  être  de  ses  os  et  de  sa 
chair ,  comme  une  épouse  Odèle  »  ;  mais  être  aussi 
de  son  esprit,  en  sorte  qu'il  jouisse  tout  ensemble  de 
notre  corps,  de  notre  esprit,  de  notre  amour,  comme 
nous  jouissons  du  sien  :  en  un  mot,  être  le  corps 
dfe  Jésus-Christ,  lui  être  uni  membre  à  membre, 
comme  les  membres  sont  unis  entre  eux,  comme 
tous  le  sont  au  chef  ^  :  cl  cela  pour  toujours,  sans 
jamais  être  en  division  ,  ni  en  froideur,  ni  avec  lui, 
ni  avec  aucun  de  ses  membres;  parce  qu'il  veut  non- 
seulement  venir  en  nous,  mais  y  demeurer.  Il  ne 
s'unit  qu'à  regret  et  à  conlre-cœur  à  ceux  qu'il  voit 
désunis  dans  la  suite  et  jusqu'à  la  fin  :  il  ne  les  ré- 
pute pas  siens ,  de  cette  manière  secrète  et  per- 
manente, dont  il  veut  qu'on  soit  des  siens  :  au- 
trement, son  disciple  bien-aimé  dira  :  Ils  étaient 
au  milieu  de  nous  :  ils  en  so)it  sortis  :  mais  ils 
n'étaient  point  des  nôtres  :  et  pourquoi  ?  Parce  que 
s'ils  avaient  été  des  nôtres,  ils  seraient  demeurés 
avec  nous*.  Qui  me  mange  demeure  en  moi,  et 
moi  en  lui^  :  et  qui  n'y  demeure  pas ,  ne  me  mange 
pas  comme  il  faut. 

Eh  effet,  qu'avons-nous  dans  l'eucharistie,  qu'y 
avons-nous  en  substance,  si  ce  n'est  celui  qui  fait 
la  félicité  des  bienheureux?  C'est  la  même  chose, 
la  même  substance ,  et  il  n'y  a  qu'à  ôter  le  voile. 
Seigneur,  ôtez  ce  voile,  percez  ce  nuage  :  que  me  res- 
tera-t-il  entre  les  mains  et  devant  les  yeux ,  sinon 
cet  objet  qui  me  fera  ma  béatitude?  N'ai-je  pas  déjà 
cet  objet  dans  votre  corps?  Dans  le  corps  de  Jésus- 
Christ  n'ai-je  pas  son  âme  ?  IS'ai-jc  pas  toute  sa  per- 
sonne, et  dans  sa  personne  celui  qui  y  habite  corpo- 
Tellement,  avec  une  entière  plénitude  *>,  c'est-à-dire 
le  Verbe  divin:  et  dans  ce  Verbe,  n'ai-je  pas  son  Père? 
et  n'a-t-il  pas  dit  la  vérité,  quand  il  a  dit  •  Qui  me 
voit,  voit  ynonFére:?  J'ai  donc  tout.  Que  me  reste- 
t-il  à  désirer,  sinon  de  voir  ce  que  je  tiens,  de  percer  le 
voile,  de  voir  clairement  et  par  une  manifeste  vision 
ce  que  je  sais  bien  que  j'ai,  mais  ce  que  je  ne  vois  pas? 
Mais  il  n'y  a  qu'à  demeurer  en  lui  :  car  ainsi  il  demeu- 
reraennous.  Et  il  ne  demande  qu'à  être  vu,  qu'à  être 
parfaitement  possédé,  qu'à  jouir  parfaitement  de 
nous,  en  nous  donnant  tous  ses  biens  et  lui-même 
pour  en  jouir  ;  enfin  à  être  connu  comme  il  connaît  *  : 
c'est-à-dire  à  être  connu  clairement,  vivement,  éter- 
nellement ,  sans  obscurité ,  au-dessus  de  toute  vi- 
sion. Voilà  le  fruit,  la  vérité  ,  l'entière  consomma- 
tion du  mystère  de  l'eucharistie. 

L"'  JOUR. 

L'eucharistie  est  la  force  de  Vàme  et  du  corps. 

Mais ,  dites-vous ,  qu'était-il  besoin  d'avoir  Jé- 
sus -  Christ  dans  son  corps  ?  Dites  plutôt  :  Qu'é- 
tait-il besoin  d'avoir  le  corps  de  Jésus-Christ  en 
vérité,  en  substance?  d'avoir  la  chair  de  ce  sacri- 

'  I.  Cor.  VI ,  IC,  17.  —  '  Ephes.  v,  30.  -  ^  I.  Cor.  xil,  27. 
—  4  l.Joan.  n,  19.— ^ Ibid.  yi,b7.  —  ^  Colas.  ii,0.  —  '>  Joan. 
3UV ,  3.  —  *  I.  Cor.  xui>  IZ. 


709- 

fice?  d'avoir  dans  ce  sang  le  signe  crrtain  de  la  con- 
sommation de  la  rémission  des  péchés?  d'être  uni 
à  Jésus-Christ  tout  entier,  comme  une  chaste  épouse 
à  un  époux  chéri;  et  en  cette  qualité  d'avoir  pui.*- 
sance  sur  son  corps,  pour  jouir  en  même  temps 
de  son  esprit?  Et  pour  parler  du  corps  en  par- 
ticulier, n'y  a-t-il  rien  à  faire  dans  notre  corps? 
]N'est-ce  pas  la  chair  qui  convoite  contre  l'esprit? 
Qui  la  peut  mieux  tempérer,  que  le  corps  de  Jésus- 
Christ  appliqué  sur  elle?  iS'y  a-t-il  pas  dans  nos 
membres  une  loi  qui  combat  la  loi  de  l'esprit?  Qui 
la  peut  mieux  affaiblir,  et  mettre  nos  membres 
mortels  sous  le  joug  ?  Ne  faut-il  pas  porter  dans 
nos  corps  la  mortification  de  Jésus?  IMais  qui  peut 
mieux  y  en  imprimer  le  caractère  ,  et  sanctifier  les 
peines  d'un  corps  aflQigé?  Mais  ne  faut-il  pas  que 
ce  corps  mortel  sorte  un  jour  du  tombeau  et  de  la 
corruption?  Et  qui  peut  mieux  nous  en  tirer  que  ce 
corps  qui  ne  l'a  jamais  sentie?  pour  devenir  avec 
Jésus-Christ  un  corps  spirituel,  comme  l'appelle 
saint  Paul  ' ,  qu'y  avait-il  de  plus  efficace  que  son 
union  avec  ce  même  corps,  et  l'impression  de  ses 
divines  qualités?  Mon  Sauveur!  si  vous  touchez 
mon  corps,  il  en  sortira  une  vertu  :  et  il  faudra 
qu'il  devienne  semblable  au  vôtre.  La  vertu  qui 
en  sortira  ne  me  donnera  pas,  comme  à  cette  fem- 
me, une  santé  faible  et  fragile,  mais  la  véritable 
santé  qui  est  l'immortalité.  Mais  les  enfants  qui 
n'ont  pas  communié ,  ne  ressusciteront  donc  pas? 
Grossiers  et  charnels ,  qui  n'entendez  pas  que  ce 
corps  est  donné  à  toute  l'Église,  et  que  ce  levain 
mystérieux  est  capable  de  vivifier  toute  la  masse? 
Ces  enfants ,  dont  vous  parlez  :  n'ont-iJs  pas  reçu 
avec  le  baptême  un  droit  sur  ce  corps?  il  est  a 
eux,  encore  qu'ils  ne  le  reçoivent  pas  d'abord,  se- 
lon la  coutume  présente  :  mais  ce  qui  est  reçu  par 
quelques-uns ,  est  à  tous  un  même  gage  d'immor- 
talité. Consolez- vous  en  jSotre-Seigneur,  et  jouissez 
d'une  si  douce  espérance. 

LP  JOUR. 

L'eucharistie  est  le  viatique  des  mourants. 

Considérons  icî  le  corps  du  Sauveur,  comme  \o. 
doux  viatique  des  mourants.  Je  me  meurs,  mes 
sens  s'éteignent,  ma  vie  s'évanouit  :  qu'ai -je  h 
désirer  en  cet  état,  que  quelque  chose  qui  m'ôtn 
la  crainte  de  la  mort,  et  me  tire  de  l'esclavage  où 
cette  appréhension  m'a  tenu  durant  tout  le  temps 
de  ma  vie?  Mon  Sauveur!  on  m'apporte  votre  corps, 
ce  corps  immortel ,  ce  corps  spiritualisé  :  je  le  re- 
çois dans  le  mien^  :  Je  ne  mourrai  pas;  Je  vivrai  '. 
Qui  mange  ma  chair,  dites-vous^,  aura  la  vie  éter- 
nelle, et  je  le  ressusciterai  au  dernier  jour.  Il  res- 
tera dans  ce  corps  mort  un  germe  de  vie  que  la 
pourriture  ne  pourra  point  altérer  :  il  y  restera  une 
impression  de  vie  que  rien  ne  peut  effacer.  Tous 
les  jours  de  ma  vie  je  veux  communier  dans  cette 
espérance  :  je  veux  me  regarder  comme  mourant , 
et  je  le  suis  ;  je  veux  vous  recevoir  en  viatique.  .Iv. 
ne  craindrai  point  la  mort  :  vous  m'affranchissei 

'  L  Cor.  IV ,  ii  ,  t5 ,  iO.  —  »  Ps.  CWII,  17.  —  ^  Jodtu'M^  ^ 


710 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


de  fa  servitude  que  celte  crainte  m'iiiiiiosiiit.  Pour- 
quoi craindre  le  mal*,  si  j'en  ai  toujours  l'antidote? 
Sans  votis  la  mort  est  un  joug  insupportable  :  avec 
vouselleestun  remède,  et  un  passage  à  la  vie.  Que  je 
suis  heureux  !  On  m'apporte  votre  précieux  corps  : 
vous  venez  chez  moi,  hôte  céleste!  C'est  à  ce  coup 
que  je  puis  dire  :  Seigneur,  je  ne  suis  pas  digne  que 
îH)us  entriez  dans  ma  maison  '.  Vous  y  venez 
néaiunoins;  vous  y  entrez;  vous  y  êtes;  et  ce  n'est 
pas  encore  assez  pour  votre  amour  :  la  maison  o\x 
vous  voulez  entrer,  c'est  mon  corps. 

C'est  ici  le  temps  de  se  souvenir  de  votre  mort; 
«le  cette  mort  par  laquelle  la  mort  a  été  vaincue; 
de  cette  mort  qui  nous  fait  dire  avec  confiance:  O 
mort,  oii  est  ton  aiguillon?  6  mort,  où  est  ta  vic- 
toire'^'} de  cette  mort  par  laquelle  est  accomplie 
cette  parole  :  Je  romprai  cotre  pacte  avec  la  mort; 
et  votre  alliance  avec  le  tombeau  ne  subsistera 
plus  3.  Et  encore  :  La  mort  sera  précipitée  à  jamais 
dans  l'abime  4.  Faites  ceci  en  mémoire  de  moi  ; 
souvenez-vous  de  ma  mort  :  annoncez-la  ^. 

O  Seigneur!  on  m'a  annoncé  la  mienne;  mais 
qu'on  m'annonce  la  vôtre,  et  je  ne  craindrai  plus 
rien.  Oui,  maintenant  je  pourrai  chanter  avec  le 
Psalmiste  :  Si  je  marche  au  milieu  de  l'ombre  de 
la  mort,  je  ne  crmndrai  rien,  parce  que  vous  êtes 
avec  moi  •>.  Ah!  doux  souvenir  que  celui  de  votre 
mort ,  qui  a  effacé  mes  péchés  ,  qui  m'a  assuré  vo- 
tre royaume  !  Mon  Sauveur,  je  m'unis  à  votre  agonie  : 
je  dis  avec  vous  mon  In  manus  :  Mon  Dieu  je  remets 
mon  esprit  entre  vos  mainsi.  Seigneur  Jésus ,  re- 
cevez mon  esprit  *.  Quoi ,  vous  le  venez  quérir 
vous-même  pour  le  présenter  à  votre  Père!  C'en 
est  fait  :  tout  est  consommé  9.  Je  veux   mourir 
comme  vous  en  disant  cette  parole  :  Tout  est  con- 
sommé :  je  n'ai  plus  rien  sur  la  terre,  et  votre 
royaume  va  être  mon  partage.  Tout  est  consommé; 
je  vois  votre  royaume  céleste ,  ce  sanctuaire  éternel , 
s'ouvrir  pour  me  recevoir  par  grâce,  par  nuséri- 
corde,  eu  votre  nom ,  ô  .lésus  !  A  ce  coup  sera  ac- 
complie cette  parole  :  Qui  me  rnange  demeure  en 
moi,  et  moi  en  lui  '°.  Je  ne  vous  quitterai  plus. 
Maudite  soit  ma  malheureuse  et  criminelle  incons- 
tance, qui  m'a  fait  quitter  tant  de  fois  un  si  bon 
maître!  Et  maintenant,  mon  Sauveur,  je  serai  tou- 
jours avec  vous  :  vous  m'allez  marquer  de  votre 
sceau.  Ah  !  Seigneur,  gardez-moi  jusqu'au  dernier 
soupir ,  et  que  je  le  rende  entre  vos  bras  ! 

Et  ce  corps ,  que  deviendra-t-il  ?  Le  voilà  uni  au 
vôtre.  Par  votre  corps  ressuscité ,  je  ressusciterai 
tout  nouveau  :  je  ne  laisserai  à  la  terre  que  la  mor- 
talité. Je  vis  dans  cette  espérance;  mais  j'y  meurs. 
Je  meurs  tous  les  jours,  puisque  je  ne  cesse  d'avan- 
cer au  dernier  moment.  Mes  jours  se  dissip.ent  comme 
une  fumée,  s'en  vont  comme  une  eau  rapide,  dont  on 
ne  peut  arrêter  le  cours.  Dans  un  moment  on  pas- 
sera où  j'étais,  et  l'on  ne  m'y  trouvera  plus.  Voilà  sa 
chambre,  voilà  son  lit,  dira-t-on;  et  de  tout  cela, 

«  Matlh.  vui ,  8.  —  *  I.  Cor.  xv,  55.  —  ^  Is.  xxvu!,  10.  — 
*iiid.  XXV,  8.  —  ^  I.  Cor.  xi,  24,  25,  26.  —  «Ps.  xxn,4. — 
'•.  tac  xxin ,  46  ;  Ps.  xxx  «.  —  "  Act.  vu ,  58.  —  '  Joan.  X!X  , 
m,  -^  "  Ibid.  VI ,  67. 


il  n'en  reste  plus  que  mon  tombeau  :  où  l'on  dira 
que  je  suis;  et  je  n'y  serai  pas;  il  n'y  aura  qu'un 
reste  de  moi-même  ;  et  ce  reste ,  tel  quel ,  diminuera 
à  chaque  moment,  et  se  perdra  à  la  fin. 

Que  cela  est  triste;  Oui,  si  je  n'avais  pas  votre 
corps  pour  me  redonner  la  vie.  Cette  espérance  me 
soutient.  Je  veux  toujours  me  regarder  en  état  de 
mort;  me  confesser  comme  un  mourant;  commu- 
nier connue  un  mourant;  me  disposer  à  chaque  fois 
comme  si  j'allais  mourir.  Je  meurs  :  fermez-moi 
les  yeux  :  que  je  ne  voie  plus  les  vanités  :  envelop- 
pez-moi de  ce  drap  :  je  n'ai  plus  besoin  d'autre  chose  : 
rendez-moi  ma  pauvreté  naturelle  :  mettez-moi  en 
terre.  C'est  là  d'où  je  viens  selon  le  corps,  c'est  là 
où  il  faut  que  je  retourne;  c'est  là  ma  mère  qui  m'a 
engendré  pour  mourir  :  elle  m'enfantera  un  jour, 
pour  ne  mourir  plus.  Ne  parlons  donc  point  de  mort  ; 
ce  n'est  plus  qu'un  nom  :  il  n'y  a  de  mort  que  le 
péché. 

LII«  JOUR. 

L'eucharistie  jointe  par  Jésus-Chri.sf  au  iKin'juet  ordinaire, 
ligure  de  la  joie  du  lioiuiuet  éternel.  Ibid. 

Une  des  observations  les  plus  nécessaires  dans 
l'institution  de  l'eucharistie,  c'est  que  .fésus-Christ 
l'a  faite  dans  un  banquet  ordinaire,  en  convers.int 
à  l'ordinaire  avec  ses  disciples,  sans  marquer  dedis- 
tinction  entre  ce  qui  regardait  le  repas  commun ,  et 
ce  qui  regardait  ce  divin  repas  où  il  se  devait  don- 
ner lui-même.  Pendant  qu'ils  soupaient,  dit  saint 
Matthieu,  il  prit  du  pain,  le  rompit,  et  leur  dit  : 
Prenez  et  mangez  :  Ceci  est  moti  corps  ».  Il  conti- 
nue :  il  achève  le  souper;  et  après  le  souper,  disent 
saint  Luc  et  saint  Paul  * ,  il  prit  le  calice,  et  il  dit  : 
Ce  calice ,  elle  breuvage  que  je  vous  présente ,  est 
le  nouveau  Testament  par  mon  sang.  Puis  il  con-r 
tinue  son  discours,  et  il  dit  selon  saint  Luc  :  La 
main  de  celui  qui  me  trahit  est  avec  moi  à  la  table  ^  ; 
et  selon  saint  Matthieu  :  Jene  boirai  plus  de  cefruii 
de  vigne ,  jusqu'à  ce  que  je  te  boive  nouveau  dans 
le  royaume  de  mon  Père  4  :  toutes  paroles  qui  n'ap- 
partiennent point  à  l'institution,  et  dont  aussi  saint 
Paul  ne  rapporte  rien ,  encore  qu'il  se  fût  proposé 
de  raconter  toute  l'institution  de  ce  mystère ,  comme 
la  suite  de  son  discours  le  fait  paraître.  On  ne  dira 
pas  qu'il  n'y  ait  rien  de  singulier  et  d'extraordinaire 
dans  le  banquet  eucharistique  :  toutes  les  paroles  de 
l'institution  marquent  le  contraire.  Mais  cet  extra- 
ordinaire et  ce  divin  qui  paraît  dans  cet  endroit  ivi 
banquet,  est  joint  et  continué  avec  tout  le  reste; 
et  il  semble  que  le  repas  eucharistique  ne  fassQ 
qu'une  partie  du  repas  commun ,  que  Jésus  fit  avec 
les  siens. 

Ce  qui  se  présente  d'abord ,  pour  entendre  ce  mys- 
tère, c'est  que  manger  et  boire  ensemble  est  parmi 
les  hommes  une  marque  de  société.  On  entretient 
l'amitié  par  cette  douce  communication  :  on  partage 
ses  biens,  ses  plaisirs,  sa  vie  même  avec  ses  amis  : 
il  semble  qu'on  leur  déclare  qu'on  ne  peut  vivre  sans 
eux,  et  que  la  vie  n'est  pas  une  vie  sans  cette  société: 

«  Matlh.  xxvi,2G.  — ïZ?<c.xxn,  20-  ï.  Cor  Xi,25.  — ^  Imc 
XXU  ,  21.  —  '  Mattk-  XXVI,  29. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


Mangez,  buvez,  mes  amis  :  enivrez-vous ,  c'est- 
à-dire,  réjouissez-vous,  mes  tréschers,  disait  l'K- 
poux  à  ses  amis  '.  Et  la  sagesse,  pour  nous  inviter 
à  sa  compagnie,  n'a  rien  à  nous  proposer  de  plus 
attirant,  qu'un  repas  qu'elle  nous  prépare  :  Feiiez, 
mes  amis,  mangez  mon  pain,  buvez  le  vin  que  je 
vous  présente  '. 

(]'était  aussi  pour  cette  raison  que  Dieu  ordonnait 
à  son  peuple  de  venir  au  lieu  que  le  Seigneur  avait 
choisi ,  pour  y  faire  bonne  chère  devant  le  Seigneur 
avec  tout  ce  qu'on  avait  de  plus  cher,  avec  son  fils, 
avec  sa  fille,  avec  tout  son  domestique,  avec  son 
serviteur  et  sa  servante ,  avec  ceux  qu'on  honorait 
le  plus,  avec  le  Lévite  qui  demeurait  dans  son  pays^, 
sans  oublier  l'étranger,  non  plus  que  la  veuve  et 
l'orphelin  ;  et,  à  plus  forte  raison,  sous  oublier  ses 
voisins,  ses  proches,  afin  qu'ils  fussent  rassasiés 
des  biens  que  le  Seigneur  nous  avait  donnés,  et 
partageassent  notre  joie  <. 

Ces  festins  et  cette  joie  ont  été  la  cause  que  la 
béatitude  céleste  nous  est  représentée  comme  un  ban- 
quet, lien  viendra  d'Orient  et  d'Occident,  dit  le 
Sauveur  :  et  ils  se  mettront  à  table  avec  Abraham, 
avec  Isaac  et  avec  Jacob  *.  Et  lui-même ,  à  la  fin 
des  siècles,  il  fera  mettre  à  table  ses  bons  serviteurs; 
passant  de  table  en  table,  il  les  servira  ^.  Et  le  jour 
même  de  la  cène  ,  pour  appliquer  cette  idée  au  fes- 
tin qu'il  venait  de  faire  avec  ses  disciples,  il  leur 
dit  :  Je  vous  prépare  le  royaume  que  mon  Père  m'a 
préparé ,  ajîn  que  vous  mangiez  et  buviez  à  ma 
table  dans  mon  royaume  7. 

Il  voulait  donc  que  la  cène  fut  un  véritable  festin , 
pour  lier  la  société  entre  ses  disciples,  et  leur  figu- 
rer la  joie  de  ce  festin  éternel ,  où  ils  seront  rassasiés 
et  enivrés  de  l'abondance  de  sa  tnaison,  et  abreu- 
vés du  torrent  de  sa  volupté  *.  C'est  pourquoi  il 
célébra  ce  divin  banquet  sur  le  soir,  à  la  fin  du  jour, 
en  figure  de  ce  souper  éternel  qu'il  nous  fera  à  la 
fin  des  siècles ,  lorsque  toutes  choses  seront  con- 
sommées. 

C'est  encore  ce  qu'il  voulait  dire  lorsqu'en  pre- 
nant selon  la  coutume  la  coupe  de  vin ,  dont  tout  le 
inonde  buvait  dans  les  festins  en  signe  de  société, 
il  la  présenta  à  ses  disciples,  en  leur  disant  :  Par- 
tagez-la entre  vous  :  pour  moi,  je  ne  boirai  plus  du 
fruit  de  la  vigne,  jusqu'à  ce  que  le  royaume  de  Dieu 
vienne^.  Saint  Luc  marque  expressément  cette  ac- 
tion et  cette  parole  avant  l'institution  de  l'eucharis- 
tie :  et  Jésus-Christ  répéta  la  même  parole,  après 
avoir  consacré  le  saint  calice,  en  disant  :  Je  vous  te 
dis ,  je  ne  boirai  plus  de  ce  fruit  de  vigne,  dont 
j'ai  bu  avec  vous  dans  tout  ce  repas,  et  dont  je  me 
suis  ser-i  pour  en  faire  mon  sang  ,jusqu'aujour  où 
je  le  boirai  nouveau  avec  vous  dans  le  royaume  de 
mon  Père'°. 

Attendons-nous  donc  à  ce  repas  éternel,  où  le  pain 
des  anges  nous  sera  donné  à  découvert;  où  nous 
serons  enivrés  et  transportes  de  la  volupté  du  Sei- 

■  Cant.  V,  I.— 2  Prov.  ix,  4.  —  3  Deul.  xii,5,  7,  12,  18. 
~*  Jbid.  XXVI,  II,  12,  13.  —'  Mattk.  vni,  1 1.— «Xuc.xii, 
r».  — '  Ibid.  XXII, 29,  3(>.  —  'Ps.  xxxv,  9.  —  '■>  Luc.  xxii,  17, 
k«.  —  '"•  MattA,  XXVI ,  ii9. 


711 

gneur,  et  des  ravissantes  délices  de  son  amour.  i.e 
festin  de  Notre-.Seigneur  en  était  l'image  :  et  pour 
imiter  son  exemple ,  c'était  aussi  dans  des  festins 
que  les  premiers  chrétiens  célébraient  l'eucharistie: 
comme  saint  Paul  le  fait  bien  voir  dans  la  première 
Épître  aux  Corinthiens'.  Le  festin  de  l'eucharistie 
coi«erva  toujours  cette  forme  primitive,  jusqu'à 
ce  que  les  abus  la  firent  changer  :  mais  elle  n'en  a 
pas  moins  pour  cela  la  force  d'un  banquet  d'union 
et  de  société  entre  les  frères ,  et  d'espérance  pour 
le  repas  éternel  de  Dieu. 

Fréquentons  donc  ce  sacré  repas  de  l'eucharis- 
tie ,  et  vivons  en  union  avec  nos  frères  :  fréquen- 
tons-le ,  et  nourrissons-nous  de  l'espérance  de  la 
joie  céleste  :  mangeons  ce  pain  qui  soutient  l'homme  : 
buvons  ce  vin  qui  lui  doit  réjouir  le  cœur;  et  disons 
avec  un  saint  transport  :  Ha!  que  mon  calice  eni- 
vrant est  exquis  *  ! 

Jésus-Christ  s'est  servi  de  pain  et  de  vin  pour 
nous  donner  son  corps  et  son  sang,  afin  de  donner 
à  l'eucharistie  le  caractère  de  force  et  de  soutien , 
et  le  caractère  de  joie  et  de  transport;  et  afin  aussi 
de  nous  apprendre  ,  par  la  figure  de  ces  choses  qui 
font  notre  aliment  ordinaire ,  que  nous  devions  tous 
les  jours  non-seulement  soutenir,  mais  encore 
échauffer  notre  cœur;  non-seulement  nous  forti- 
fier, mais  encore  nous  enivrer  avec  lui,  et  boire  à 
longs  traits  dès  cette  vie  l'amour  qui  nous  rendra 
heureux  dans  l'éternité. 

Lin*'  JOUR. 

L'eucharistie  unie  par  Jésus-Christ  au  repas  comman ,  est 
plus  semblable  à  raucienne  pàque.  Ibid. 

On  peut  encore  remarquer  un  autre  dessein  ,  qui 
a  porté  Notre-Seigneur  à  unir  ensemble  le  festin  de 
l'eucharistie,  au  repas  ordinaire  ;  qui  était  de  la  ren- 
dre plus  semblable  à  l'ancienne  pâque,  qui  faisait 
aussi  partie  du  repas  commun.  Il  y  avait  cette  dif- 
férence, que  l'ancienne  pâque  ne  se  faisait  qu'une 
fois  l'année;  mais  maintenant,  chaque  jour  on  cé- 
lèbre la  nouvelle  pâque  :  tous  les  jours  des  chrétiens 
sont  une  fête  :  leur  vie  est  une  éternelle  solennité  : 
ils  doivent  aussi  toujours  être  en  joie,  comme  saint 
Paul  le  leur  dit  sans  cesse  :  et  c'est  par  là  qu'ils 
sont  initiés  à  la  joie  et  à  la  gloire  éternelle. 

L'année  signifiait  aux  Juifs  l'éternité  tout  en- 
tière et  l'universalité  des  siècles.  Mais  maintenant 
chaque  jour  nous  la  signifie  :  nous  sommes  plus  pro- 
ches qu'eux  de  l'éternité ,  et  l'idée  nous  en  doit  être 
plus  présente. 

La  pâque  se  célébrait  une  seule  fois;  l'entrée  du 
souverain  pontife  dans  le  sanctuaire  une  seule  fois  : 
tout  cela  pour  figurer  qu'en  effet  il  n'y  a  qu'une 
seule  pâque,  qui  est  celle  de  Jésus-Christ.  Car  ^'il 
y  a  aussi  une  pâque  et  un  passage  pour  nous,  c'est 
en  lui  ;  et  il  faut  qu'il  passe  dans  sa  gloire  tout  com- 
plet, c'est-à-dire  le  corps  et  les  membres.  Il  n'y  a 
non  plus  qu'une  seule  entrée  du  même  Jésus ,  sou- 
verain pontife,  dans  le  ciel  3;  lorsqu'il  y  entre  pour 
nous  et  pour  lui,  et  qu'il  nous  y  va  préparer  la 

'  I.  Cor.  XI,  20,  21  et  seq.  M.  —'  Ps.  xxn  ,  5.  —  »  ifctev 
'  vu  19,  2»;  IX,  7,  II,  14. 


TI2 


MÉDITATIONS  SUR  I/ÉVANGILE. 


pl.ice.  Il  ne  passe  donc  qu'une  fois ,  il  n'entre  qu'une 
l'niç  dans  le  sanctuaire  à  ne  regarder  que  sa  per- 
sonne ;  mais  dans  ses  membres  il  passe  tous  les  jours 
r.u  ciel  :  tous  les  jours  il  entre  dans  le  sanctuaire  : 
l' l  l'eucharistie  célébrée  tous  les  jours,  tous  les  jou  rs 
nous  représente  ce  mystère.  Passons  donc  tous  les 
jxîN  à  Dieu  :  passons  en  Jésus-Christ  de  plus  en 
j.lus;  que  sa  vie  paraisse  toujours  de  plus  en  plus 
dans  la  nôtre ,  par  l'imitation  des  vertus  qu'il  a  pra- 
tiquées. Entrons  tous  les  jours  dans  son  sanctuaire  : 
cntrons-y  par  la  foi  ;  courons-y  par  de  saints  désirs  : 
c'est  célébrer  tous  les  jours  le  banquet  de  Jésus- 
Christ,  comme  le  doit  un  chrétien. 

LIV«  JOUR. 

L'eucharistie  jointe  au  repas  commun ,  apprend  à  sancti- 
fier tout  ce  qui  sert  à  nourrir  le  corps.  Ibid. 

Je  dirai  tout,  Seigneur  :  je  me  dirai  à  moi- 
même,  et  je  dirai  à  tous  ceux  à  qui  je  destine  cet 
écrit  :  et  je  le  destine  à  tous  ceux  que  vous  avez 
mis  spécialement  à  ma  garde,  selon  que  je  les  croi- 
rai disposés  à  en  profiter,  et  à  tous  ceux  à  qui  vous 
permettrez  qu'il  tombe  entre  les  mains  :  je  leur  di- 
rai, mon  Sauveur,  tout  ce  que  vous  me  mettrez  dans 
l'esprit  sur  vos  saints  mystères,  dans  votre  sainte 
parole.  Je  vois  encore  une  autre  raison  qui  vous  a 
porté  à  unir  l'eucharistie  au  repas  commun  :  vous 
vouliez  sanctifier  toute  notre  vie,  dans  l'action  qui 
l'entretient  et  la  fait  durer  :  vous  vouliez  que  la 
nourriture  corporelle  fût  accompagnée  de  la  spiri- 
tuelle, afin  que  nous  apprissions  à  faire  tout  en  es- 
prit, même  les  choses  qui  devaient  servir  à  susten- 
ter notre  corps.  Nous  ne  devons  nourrir  ce  corps , 
que  pour  être  un  digne  instrument  à  l'esprit  :  nous 
(levions  prendre  le  manger  et  le  boire  dans  cet  es- 
prit. L'eucharistie,  prise  devant  le  repas,  devait 
être  un  tempérament  salutaire  au  plaisir  des  sens, 
de  peur  que  nous  ne  nous  y  laissassions  emporter, 
et  qu'il  ne  prît  le  dessus.  Mais  encore  que  l'Église,  à 
qui  Jésus-Christ  a  laissé  la  dispensation  de  ses  mys- 
tères, dans  la  suite  ait  séparé,  et  très-sagement,  ce 
que  Jésus-Christ  semblait  avoir  uni,  et  qu'elle  célè- 
bre l'eucharistie  hors  du  repas  ordinaire;  le  dessein 
de  Jésus-Christ  n'est  pas  anéanti  :  l'instruction 
qu'il  nous  a  donnée  subsiste  toujours.  Quand  nous 
raisons  nos  repas,  nous  devons  toujours  nous  sou- 
venir que,  selon  l'institution  primitive  de  l'eucha- 
ristif.elle  devait  les  accompagner;  que  Jésus-Christ 
l'a  fait  ainsi  ;  que  l'Église  l'observait  ainsi  sous  les 
.•ipôtres  :  qu'alors  donc  on  voulait  apprendre  aux 
chrétiens  que  toutes  leurs  actions ,  et  même  les  plus 
communes ,  devaient  être  faites  saintement.  Cette 
instruction  subsiste  toujours.  En  mangeant  et  en 
Imvant,  songeons  à  ce  boire  et  à  ce  manger  spirituel 
•le  la  table  de  Notre-Seigneur  :  ayons  l'esprit  appli- 
«jué  aux  choses  célestes  :  n'en  quittons  point  la  pen- 
sée durant  nos  repas.  Si  nous  ne  pouvons  pas  les 
-iccompagner  de  saintes  lectures ,  comme  on  le  fait 
dans  les  maisons  spécialement  consacrées  à  Dieu , 
îux'ompagnons-les  de  saints  discours,  du  moins  de 
s-uiites  pensées.  Ne  nous  livrons  pas  aux  sens,  ni  à 
ce  c«rps  misérable  qu'il  serait  honteux  d'engraisser 


et  de  nourrir,  si  on  ne  le  nourrissait  comme  le  mi- 
mstre  et  le  serviteur  de  l'esprit.  Car  autrement  nous 
nourrir,  ce  n'est  que  travailler  pour  la  mort,  Uii  ?i) 
graisser  sa  proie,  et  aux  vers  leur  pâture.  Nouriis- 
sons-nous  avec  règle,  et,  comme  disait  un  ancier 
mangeons  autant  qu'il  est  nécessaire  pour  nous  sus- 
tenter; buvons  autant  qu'il  convient  à  des  person- 
nes pudiques,  qui  ne  veulent  pas  irriter  les  désirs 
sensuels.  Enfin,  quoi  que  nous  fassions;  soit  que 
nous  buvions,  soit  que  nous  mangions,  soit  que 
nous  fassions  quelque  autre  chose  par  rapport  au 
coips,  Jaisons-le  pour  la  gloire  de  Dieu,  et  au 
nom  de  Noire-Seigneur  Jésus-Christ,  rendant  grâ- 
ces par  lui  à  Dieu  le  Père  ■ . 

Le  rorjaume  de  Dieu  n'est  pas  boire,  ni  man- 
ger; mais  justice  et  paix,  et  joie  dans  le  Saint-Es- 
prit ». 

LV^  JOUR. 

Pouvoir  donné  à  l'Église  de  changer  ce  qui  n'est  pas  de 
l'essence  de  l'instKution  divine.  La  communion  sous  une 
espèce  suflisante  et  parfaite.  Ihid. 

Que  Jésus-Christ  a  donné  un  grand  pouvoir  à  son 
Église  dans  la  dispensation  de  ses  mystères!  Il  a 
institué  l'eucharistie  dans  un  festin,  dans  un  souper, 
sur  le  soir  :  et  cela  faisait  à  son  mystère,  et  à  notre 
instruction.  Et  néanmoins  il  a  permis  à  son  Église 
de  séparer  ce  qu'il  avait  mis  ensemble,  encore  que 
ses  apôtres  aussi  eussent  suivi  religieusement  cette 
institution.  Et  non-seulement  l'Église  a  cessé  de 
faire  ce  que  Jésus-Christ  avait  fait,  et  les  apôtres 
suivi  :  mais  encore  elle  a  pris  la  liberté  d'interdire 
sévèrement  cette  pratique.  C'est  étant  à  table,  et  au 
milieu  d'un  repas,  et  y  mangeant  d'autres  vian- 
des, que  Jésus-Christ  a  commandé  à  ses  apôtres 
de  recevoir  Teucharistie;  et  l'Église  a  bien  osé  le 
défendre,  et  faire  une  loi  inviolable  de  communier 
à  jeun.  L'eucharistie,  qui  par  son  institution  était 
un  souper,  n'en  est  plus  un  :  on  la  prend  le  matin  : 
on  la  prend  avant  toute  autre  viande  :  on  la  prend 
séparément  du  repas  vulgaire;  et  il  n'est  plus  per« 
mis  de  la  prendre  comme  Jésus-Christ  l'a  donnée, 
comme  les  apôtres  l'ont  reçue. 

On  veut  dire  que  c'est  que  tout  cela  n'apparte- 
nait pas  à  l'essence  de  l'institution  du  Sauveur. 
Mais  le  Sauveur  a-t-il  voulu  laisser  aux  hommes  à 
distinguer  par  leur  propre  sens  ce  qui  était  de  la 
substance  de  son  institution ,  d'avec  ce  qui  n'en 
était  pas?  N'a-t-il  pas  voulu  au  contraire  leur  faire 
voir  qu'il  leur  laissait  son  Église,  pour  être  une 
fidèle  interprète  de  ses  volontés,  et  une  sûre  dis- 
pensatrice de  ses  sacrements? 

Quand  donc  on  veut  s'imaginer  qu'en  ne  rece- 
vant qu'une  espèce  on  ne  reçoit  qu'une  cène  et  une 
communion  imparfaite,  c'est  qu'on  n'entend  pas 
que  c'est  l'Église  qui  sait  le  secret  de  Jésus-Christ  : 
qui  sait  ce  qui  appartient  essentiellement  à  son 
institution,  ce  qui  doit  être  donné  à  chacun,  ce 
qui  doit  être  dispensé  diversement,  selon  les  temps 
et  les  conjonctures  différentes. 

Vous  vous  étonnez  qu'on  sépare  ce  que  Jésus- 

>  1.  Ccr.  X.  il.  Colos».  m,  17.  —  '  Rom.  xiv,  17. 


MÉDITATIO.NS  SUR  L'ÉVANGILE. 


7ff 


Christ  a  mis  ensemble,  et  qu'on  donne  le  corps  à 
manger,  sans  donner  en  morne  temps  le  sang  à 
boire.  Étonnez-vous  donc  aussi,  de  ce  que  la  cène 
sacrée  est  séparée  du  souper  commun.  Mais  plutôt 
ne  vous  étonnez  jamais  de  ce  que  l'Église  fait.  Ins- 
truite par  le  Saint-Esprit  et  par  la  tradition  de  tous 
les  siècles,  elle  sait  ce  que  Jésus-Christ  a  voulu 
faire;  et  que  ce  qu'il  a  séparé  par  une  représenta- 
tion mystique,  ne  laisse  pas  d'être  uni  non-seule- 
ment en  vertu,  mais  encore  en  substance.  Il  est 
vrai;  il  a  fallu,  pour  la  parfaite  représentation 
de  sa  mort,  que  son  corps  parut  séparé  d'avec  son 
sang,  et  qu'on  les  prît  chacun  à  part  :  maïs  elle 
sait  en  même  temps  que  la  vertu  du  corps  livré , 
n'est  pas  autre  que  la  vertu  du  sang  répandu  ;  et 
que  non-seulement  la  vertu ,  mais  encore  la  sub- 
stance même  de  l'un  et  de  l'autre,  après  sa  résur- 
rection ,  sont  inséparables. 

Elle  laisse  donc  ce  corps  et  ce  sang  dans  cette  sé- 
paration mystique.  Mais  au  fond  elle  sait  bien , 
quelque  partie  que  l'on  prenne,  qu'on  reçoit  la 
vertu  du  tout.  11  ne  faut  que  voir  comment  Jésus- 
Christ  a  célébré  la  cène.  Car  les  évangélistes  ont 
Mîarqué  distinctement,  qu'il  en  a  donné  les  deux 
parties  avec  quelque  distance  l'une  de  l'autre,  puis- 
qu'il a  donné  le  corps  pendant  le  souper,  selon  saint 
Matthieu  ■  ;  et  le  calice  du  sang  après  le  souper, 
selon  saint  Luc  et  saint  Paul  ».  Et  non  content 
d'avoir  comme  séparé  ces  deux  actions  par  ce  ca- 
ractère, il  a  voulu  montrer  que  chaque  partie  de 
son  action  était  complète  en  elle-même;  puisqu'il 
dit  après  chacune,  comme  saint  Paul  le  marque 
expressément  :  Faites  ceci  en  mémoire  de  moi  ^. 
Ainsi,  quelque  partie  que  je  prenne,  je  célèbre 
la  mémoire  de  la  mort  de  Jésus-Christ;  je  m'en 
applique  la  vertu  tout  entière;  je  m'incorpore  à 
Jésus-Christ.  Car  ne  lui  suis-je  pas  incorporé  en 
prenant  son  corps  ?  N'est-ce  pas  par  là  que  je  suis 
fait  os  de  ses  os ,  et  chair  de  sa  chair,  et  une  même 
ehair  avec  lui  ^,  ainsi  que  nous  avons  vu.'  Que  me 
faut-il  davantage  pour  accomplir  l'œuvre  de  mon 
salut,  surtout  en  mangeant  ce  corps  comme  le  pain 
descendu  du  ciel ,  c'est-à-dire  comme  le  corps  d'un 
Dieu,  comme  un  corps  uni  à  la  vie  même ,  et  rem- 
pli pour  moi  de  l'esprit  qui  me  vivifie  .!*  N'ai-je  pas 
en  même  temps  reçu  et  son  corps  et  son  esprit  ?  Ce 
qui  reste  me  peut  bien  donner  une  plus  entière 
expression  de  la  mort  de  Jésus-Christ;  mais  j'en  ai 
toute  la  vertu  dans  le  corps  seul.  Et  je  ne  m'étonne 
pas  si  saint  Paul  a  dit  que  quiconque  mange  ce 
pain  ou  boit  celte  coupe  indignement ,  est  coupa- 
ble du  corps  et  du  sang  '  :  Oui,  dit-il,  et  il  le  dit 
très-distinctement,  quiconque  reçoit  indignement 
l'un  ou  l'autre  est  coupable  de  tous  les  deux  :  et 
par  la  même  raison,  qui  participe  dignement  à  l'un 
^es  deux  honore  tous  les  deux  ensemble ,  et  en  re- 
çoit le  fruit  et  la  sainteté  ;  parce  qu'il  n'y  a  dans 
l'un  et  dans  l'autre  qu'une  seule  et  même  vertu , 
une  seule  et  indivisible  sainteté.  Ainsi  qui  reçoit 

■  Matlh.  XXVI,  26  ;  Marc.  xiv.  22.  —  '  Luc.  xxu ,  20  ;  I.  Cor. 
U ,».--»  L  Cor.  2i,  25.  —  «  Ephea.  v,  30.  —  >  I.  Cor.  XI , 


l'un ,  ou  qui  reçoit  l'autre ,  ou  qui  reçoit  tous  les 
deux ,  reçoit  toujours  également  son  .salut.  La  sub- 
stance n'en  est  pas  plus  dans  tous  les  deux  que  dans 
l'un  des  deux  ;  car  où  est  toute  la  substance  de  Jé- 
sus-Christ, là  est  aussi ,  pour  ainsi  parler,  toute  la 
substance  du  salut  et  de  la  vie.  Car,  comme  dit 
l'Église  elle-même ,  dans  lesaint  concile  de  Trente  ', 
le  même  qui  a  dit  :  Si  vous  ne  mangez  ma  chair j 
et  ne  buvez  mon  sa7ig,  vous  n'aurez  pas  la  vie  en 
vous,  a  dit  aussi  :  Quiconque  mange  de  ce  pain 
aura  la  vie  éternelle  :  et  le  même  qui  a  dit  :  Qui 
mange  ma  chair  et  boit  mon  sang ,  aura  la  vie 
éternelle^  a  dit  aussi  :  Le  pain  que  je  donnerai, 
est  ma  chair  pour  la  vie  du  monde  :  et  le  même 
qui  a  dit  :  Qui  mange  ma  chair  et  boit  mon  sang 
demeure  en  moi,  et  moi  en  lui,  a  dit  aussi  :  Qui 
mange  ce  pain ,  vivra  éternellement  :  et  Qui  me 
mange,  vivra  pour  moi  *. 

Sur  ce  fondement  inébranlable  l'Église  a  admi- 
nistré la  communion  en  plusieurs  manières  diffé- 
rentes. Elle  l'a  donnée  dans  l'Église,  elie  l'a  portée 
aux  absents;  les  nialades  l'ont  eue  sous  l'une  des 
espèces,  les  petits  enfants  l'ont  eue  sous  l'autre; 
les  fidèles  l'ont  emportée  dans  leur  maison ,  encore 
que  Jésus-Christ  n'eût  rien  fait  ni  rien  dit  de  sem- 
blable, et  l'ont  emportée  sous  la  seule  espèce  du 
pain.  Les  Grecs  ont  mêlé  les  deux  espèces,  et  les 
ont  données  au  peuple  toutes  deux  ensemble.  Tout 
est  bon,  pourvu  qu'on  ait  Jésus-Christ  des  mains 
de  l'Église.  Car  c'est  la  l'effet  véritable  que  doivent 
opérer  dans  chaque  fidèle  ces  différentes  manières 
de  communier  :  elles  doivent,  dis-je,  nous  appren- 
dre que  la  plus  parfaite  et  la  plus  nécessaire  dispo- 
sition qu'il  faut  apporter  à  l'eucharistie ,  c'est  d'en 
approcher  avec  un  sincère  et  parfait  attachement  à 
l'Église.  Elle  est  le  corps  de  Jésus-Christ  :  il  faut 
être  incorporé  à  l'Église,  pour  l'être  au  Sauveur. 

G  Jésus!  je  le  crois  ainsi  :  malheur  à  ceux  qui 
chicanent  contre  votre  Église!  C'est  chicaner  et 
disputer  contre  vous-même.  Si  l'on  écoute  ces  chi- 
canes, on  doutera  de  son  baptême.  Vous  avez  dit  : 
Baptisez,  plongez  dans  l'eau,  en  signe  qu'on  est 
enseveli  avec  moi  :  mais  votre  Église  se  contente 
de  jeter  quelques  gouttes  d'eau  sur  la  tête.  Vous  avez 
dit  :  Enseignez,  et  baptisez;  et  ceux  qui  croiront  et 
seront  baptisés ,  seront  sauvés^.  La  foi  et  l'instruc- 
tion sont  marquées  dans  ces  paroles  comme  la  pré- 
paration au  baptême  :  et  au  contraire ,  on  nous  bap- 
tise avant  que  nous  soyons  capables  d'être  instruits 
et  de  croire;  et  l'instruction  n'est  plus  ce  qui  nous 
prépare  au  baptême,  mais  c'est  le  baptême  qui 
nous  rend  dociles  pour  recevoir  l'instruction.  On 
nous  reçoit  sur  la  foid'autrui;  d'autres  disent  en 
notre  nom  :  Je  crois,  je  renonce;  et  votre  Église 
accepte  la  réponse,  sans  qu'il  en  soit  rien  écrit  dans 
votre  parole.  Quelle  sûreté  pour  nous,  si  nous  n'eu- 
tendons  que  la  foi  constante  de  l'Église ,  que  l'inter- 
prétation de  l'Église,  que  la  pratique  inviolable  de 
l'Église  est  aussi  bien  votre  parole,  que  votre  |)a- 
role  même  rédigée  dans  vos  Écritures  !  Oui ,  ce  que 

•  Seas.  XXI,  cap.  1.  —  *  Joan.  n,  52,  54,  55,  57^58,  69. 
»  Murv.  ivi,l6. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


714 

vous  avez  écrit  dans  les  cœurs,  et  que  l'Église  a 
toujours  prêché,  est  la  vérité.  Je  vis  en  cette  foi,  et 
je  m'unis  d'esprit  et  de  cœur  à  votre  Église  et  à  sa 
doctrine;  protestant  sincèrement  devant  vous  que 
je  suis  content  de  vos  sacrements,  suivant  qu'elle 
«ne  les  administre,  elle  que  vous  en  avez  établie  la 
dispensatrice. 

LVP  JOUR. 
Adoration ,  exposition ,  réserve  de  l'eucharistie. 

Mon  Sauveur,  puisque  les  chicanes  des  rebelles 
de  votre  Église  me  conduisent  à  une  grande  intel- 
ligence de  votre  vérité ,  je  veux  encore  considérer 
celles  qu'ils  lui  font  sur  l'adoration ,  sur  la  réserve , 
sur  l'exposition  de  votre  adorable  sacrement. 

On  ne  voit  point,  disent-ils,  dans  les  paroles  de 
l'Évangile,  que  les  apôtres  aient  adoré  le  corps  et  le 
sang  de  Jésus-Christ  en  les  recevant.  Et  voit-on 
qu'ils  aient  adoré  Jésus-Christ,  qui  bien  constam- 
ment était  assis  avec  eux  en  sa  forme  visible  et  na- 
turelle ?  O  mon  Dieu!  ces  disputeurs  ne  verront-ils 
jamais  que,  quoi  qu'ils  répondent,  ils  se  font  à 
eux-méme  leur  procès?  Les  apôtres  adoraient-ils 
Jésus-Christ  en  sa  propre  et  naturelle  figure?  Mais 
ils  le  croient  sans  qu'il  soit  écrit  en  ce  lieu-là.  Ne 
l'adoraient-ils  pas?  Et  que  veulent-ils  donc  conclure 
de  ce  qu'il  n'est  pas  écrit  qu'ils  l'aient  adoré  dans 
l'eucharistie? 

Mais  que  ces  hommes,  qui  se  croient  subtils, 
et  appellent  les  autres  grossiers ,  sont  grossiers  eux- 
mêmes  ;  puisqu'ils  n'entendent  seulement  pas  quelle 
est  la  véritable  adoration!  Car  à  nous  tenir,  mot  à 
mot,  à  ce  qui  est  écrit  dans  l'histoire  de  la  cène,  et 
sans  chercher  à  suppléer  un  endroit  de  l'Évangile 
par  les  autres  :  croire  en  Jésus-Christ ,  lorsqu'il  dit  : 
Prenez,  mangez;  ceci  est  mon  corps  •  :  le  croire, 
dis-je,  sans  hésiter  et  sans  disputer,  lorsqu'il  dit 
une  chose  si  étonnante  :  faire  ce  qu'il  dit,  et  man- 
ger ce  pain  apparent ,  avec  une  foi  certaine  que  c'est 
son  vrai  corps  ;  en  faire  autant  du  sacré  calice  : 
faire  un  acte  de  foi  si  pur  et  si  haut,  n'est-ce  pas 
adorer  Jésus-Christ?  Mais  discerner  avec  saint 
Paul  ce  corps  du  Sauveur;  le  discerner  tellement 
qu'on  entende  que  c'est  le  corps,  non-sculemcnt 
d'un  homme ,  mais  d'un  Dieu ,  et  le  vrai  pain  des- 
cendu du  ciel  ;  y  mettre  son  espérance ,  y  chercher 
sa  vie .  y  attacher  tout  son  amour;  n'est-ce  pas  en- 
core l'adorer  parfaitement?  et  qu'ajoute  à  cette  foi 
la  génuflexion,  l'inclination  du  corps,  son  proster- 
nement,  en  un  mot  l'adoration  extérieure,  sinon 
un  témoignage  sensible  de  ce  qu'on  a  dans  le  cœur? 
Croyez-vous  au  Fils  de  Dieu'?  dit  le  Sauveur  à 
l'aveugle-né  qu'il  avait  guéri  :  Qui  est-il,  répon- 
dit-il ,  afin  que  j'y  croie'?  C'est  celui  qui  vous  parle, 
répondit  Jésus  :  et  l'aveugle  repartit  :  J'y  crois. 
Seigneur  ;  et  se  prosternant ,  il  l'adora^,  (^ue  lit-il 
en  se  prosternant  devant  lui  sinon  de  répéter  d'une 
autre  manière,  et  par  un  autre  langage,  ce  Je  crois 
qu'il  venait  de  prononcer  avec  la  bouche?  Et  ceux 

qui  disent  :  Je  crois  sans  se  prosterner  devant  lui , 

»  MaUh.  XXVI,  26.  —  '  Joan.  ix,  35,  30,  37- 


l'adorent-ils?  ou  ceux  dont  on  n'a  point  écrit  qu'Ils^ 
l'aient  fait,  l'adorent-ils  moins  que  les  autres?  VA 
cette  femme  qui  le  toucha  pour  être  guérie',  ne 
l'avait-elle  pas  déjà  adoré  dans  son  cœur  avant  que 
de  se  jeter  à  ses  pieds?  Et  quand  les  apôtres  disent 
au  Sauveur  :  Seigneur,  augmentez-nous  la  foi  ^ , 
ne  connaissent-ils  pas  tout  ce  qu'il  est,  et  ne  l'a- 
dorent-ils pas  intérieurement  comme  un  Dieu,  en- 
core qu'alors  ils  ne  fussent  pas  à  genoux  devant  lui? 
Qui  ne  voit  donc  que  croire  à  Jésus ,  qui  dit  :  Ceci 
est  mon  corps ,  ceci  est  mon  sang  :  et  les  recevoir 
dans  cette  foi,  et  discerner  que  ce  corps  est  le 
corps  d'un  Dieu ,  par  lequel  la  vie  nous  est  donnée; 
quand  on  n'y  verrait  que  cela,  et  qu'on  ne  trouve- 
rait pas  dans  le  reste  de  l'Écriture  ce  qui  est  dû  à 
Jésus-Christ,  c'est  un  acte  d'adoration  de  la  nature 
la  plus  haute,  et  que  tous  les  prosternements  qu'on 
fera  à  Jésus-Christ  n'en  seront  que  l'expression  et 
le  témoignage?  C'est  donc  avec  raison  qu'on  joint 
dans  l'eucharistie  l'adoration  intérieure  et  l'exté- 
rieure, c'est-à-dire,  le  sentiment  et  le  signe,  la  foi 
et  lé  témoignage.  C'est  avec  raison,  comme  le  rap- 
portent les  saints,  qu'on  manifestait  au  dehors, 
par  la  posture  du  corps,  l'abaissement  de  l'esprit; 
et  que  nul  ne  prend  cette  chair,  qu'il  ne  l'ait  pre- 
mièrement adorée  :  ce  sont  les  mots  de  saint  Au- 
gustin 3,  et  le  témoignage  constant  de  la  pratique 
de  l'Église.  Mais  pourquoi  chercher  ces  témoigna- 
ges, quand  manger,  quand  boire  ce  corps  et  ce 
sang,  comme  le  corps  et  le  sang  de  Dieu,  et  y 
attachant  son  espérance,  c'est  une  si  haute  adora- 
tion, qu'on  voit  bien  qu'elle  doit  attirer  toutes  les 
autres  ? 

Vous  me  dites  :  Pourquoi  exposer?  où  cela  est-il 
écrit?  l'ancienne  Église  l'a-t-elle  observé?  Grossier 
et  charnel,  lequel  est  le  plus,  ou  d'exposer  dans 
l'Église  le  corps  du  Sauveur,  ou  le  porter  avec  soi , 
j  et  le  garder  dans  sa  maison?  Et  ce  dernier  est-il 
!  plus  écrit  que  l'autre?  Qui  ne  voit  donc  que  la 
:  substance  étant  écrite  et  bien  entendue  par  l'Église  ; 
I  tout  le  reste  qui  en  est  la  suite  a  été  diversement 
pratiqué,  selon  la  sage  dispensation  de  la  même 
Église,  pour  l'édification  du  peuple  saint? 
Allons  de  ce  pas,  ne  tardons  pas  davantage;  al- 
:  Ions  adorer  Jésus  qui  repose  sur  l'autel.  Ah!  c'est 
là  qu'on  me  le  garde;  c'est  de  là  qu'on  me  l'ap- 
portera un  jour  en  viatique,  pour  me  faire  heu- 
reusement passer  de  cette  vie  à  l'autre.  Pain  des 
voyageurs ,  qui   serez  un  jour  le  pain  des  com- 
préhenseurs,  le  pain  de  ceux  qui  vivront  dans  la 
céleste  patrie ,  je  vous  adore  ;  je  crois  en  vous  ;  je 
vous  désire;  je  vous  dévore  en  esprit  :  vous  êtes 
ma  nourriture  ,  vous  êtes  ma  vie. 

I  LVIP  JOUR. 

i  Le  sacrilice. 

I      A  Dieu  ne  plaise  que  nous  oubliions  la  sainte- 
!  action  du  sacrifice,  et  le  mystère  de  la  consécra- 
tion! Je  vois  un  autel;  on  va  offrir  un  sacrifice,  le 
sacrifice  des  chrétiens;  le  sacrifice  et  l'oblation- 

«  Luc.  viil ,  43  ,  44 ,  47.  —  =  Ihid,  xvH ,  5.  —  '  Enar.  in  F». 
xcviU,  n.  9. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


i.s 


purp,  Jont  il  est  écrit,  quelle  devail  être  offerte 
depuis  le  soleil  levant  jusques  au  couchant  '. 
Cl*  n'est  plus  ce  saorifice  qui  ne  devait  être 
offert  que  dans  le  temple  de  Jérusalem ,  et  en  un 
lieu  particulier  choisi  de  Dieu  :  c'est  un  sacri- 
fice qui  doit  être  offert  parmi  les  gentils  et  dans 
toutes  les  nations  de  la  terre.  Où  est  donc  l'ap- 
pareil du  sacrilice  ?  où  est  le  feu  ?  où  est  le  couteau  ? 
où  sont  les  victimes?  Cent  taureaux,  cent  génisses 
ne  suffiraient  pas  pour  exprimer  la  grandeur  de 
notre  Dieu.  On  offrait  aux  faux  dieux  mêmes  des 
hécatombes,  c'est-à-dire  des  bœufs  par  centaines  : 
je  ne  vois  rien  de  tout  cela. 

Quelle  simplicité  du  sacriGce  chrétien!  Je  ne 
vois  qu'un  pain  sur  l'autel,  quelques  pains  au  plus, 
un  peu  de  vin  dans  le  calice.  Il  n'en  faut  pas  da- 
vantage pour  faire  le  sacriOce  le  plus  saint,  le  plus 
auguste,  le  plus  riche  qui  se  puisse  jamais  com- 
prendre. Mais  n'y  aura-t-il  point  de  chair,  n'y  aura- 
t-il  point  de  sang  dans  ce  sacrifice?  Il  y  aura  de  la 
chair,  mais  non  pas  la  chair  des  animaux  égorgés; 
il  y  aura  du  sang,  mais  le  sang  de  Jésus-Christ  :  et 
cette  chair  et  ce  sang  seront  mystiquement  séparés. 
Et  d'où  viendra  cette  chair,  d'où  viendra  ce  sang? 
Il  se  fera  de  ce  pain  et  de  ce  vin  :  une  parole  toute- 
puissante  viendra  qui  de  ce  pain  fera  la  chair  du 
Sauveur,  et  de  ce  vin  fera  son  sang  :  tout  ce  qui 
sera  proféré  par  cette  parole,  sera  dans  le  moment 
ainsi  qu'il  aura  été  prononcé;  car  c'est  la  même 
parole  qui  a  fait  le  ciel  et  la  terre ,  et  qui  fait  tout 
ce  qu'elle  veut  dans  le  ciel  et  dans  la  terre.  Cette 
parole  prononcée  originairement  par  le  Fils  de  Dieu, 
a  fait  de  ce  pain  son  corps,  et  de  ce  vin  son  sang.  Mais 
il  a  dit  à  ses  apôtres  :  Faites  ceci  :  et  ses  apôtres 
nous  ont  enseigné  qu'on  le  ferait  jusqu'à  ce  qu'il 
vint  :  DOXEC  VENiAT  »  ;  juSqu'au  dernier  jugement. 
Ainsi  la  même  parole  répétée  par  les  ministres  de 
Jésus-Christ,  aura  éternellement  le  même  effet.  Le 
pain  et  le  vin  se  changent  ;  le  corps  et  le  sang  de 
Jésus-Christ  en  prennent  la  place.  O  Dieu  !  ils  sont 
sur  l'autel  ce  même  corps,  ce  même  sang;  ce 
corps  donné  pour  nous,  ce  sang  répandu  pour 
nous.  Quelle  étonnante  merveille!  C'est  une  mer- 
veille pour  nous;  mais  ce  n'est  rien  d'étonnant  pour 
le  Fils  de  Dieu,  accoutumé  à  faire  tout  par  sa  pa- 
role. Tu  es  guérie^  :  on  est  guéri  :  Tu  es  vivant  4  : 
on  vit,  et  la  vie  qui  s'en  allait  est  rappelée.  Il  dit  : 
cm  est  mon  corps  :  ce  n'est  plus  du  pain  ;  c'est 
ce  qu'il  a  dit  :  il  a  dit  :  Ceci  est  mon  sang  :  ce 
n'est  plus  du  vin  dans  le  calice,  c'est  ce  que  le  Sei- 
gneur a  proféré;  c'est  là  son  corps,  c'est  le 
sang;  ils  sont  séparés;  oui,  séparés;  le  corps  d'un 
côté,  le  sang  de  l'autre  :  la  parole  a  été  l'épée,  le 
couteau  tranchant  qui  a  fait  cette  séparation  mys- 
tique. En  vertu  delà  parole,  il  n'y  aurait  là  que 
le  corps,  et  rien  là  que  le  sang  :  si  l'un  se  trouve 
avec  l'autre,  c'est  à  cause  qu'ils  sont  inséparables 
depuis  que  Jésus  est  ressuscité  :  car  depuis  ce  temps- 
là  il  ne  meurt  plus.  Mais  pour  imprimer  sur  ce  Jé- 
sus ,  qui  ne  meurt  plus ,  le  caractère  de  la  mort  qu'il 


•  Mnlach.  \,  II.  —  »  I.  Cor.  xr,  2i  ,  25,  20. 


Mare.  V, 


a  véritablement  soufferte,  la  parole  vient,  qui  met 
le  corps  d'un  côte,  le  sang  de  l'autre,  et  chacun 
sous  des  signes  différents  :  le  voila  donc  revêtu  du 
caractère  de  sa  mort,  ce  Jésus  autrefois  notre 
victime  par  l'effusion  de  son  sang,  et  encore  au- 
jourd'hui notre  victime  d'une  manière  nouvelle  par 
la  séparation  mystique  de  ce  sang  d'avec  ce  corps? 

Mais  comment  ce  corps,  comment  ce  sang?  Cela 
se  peut-il?  et  un  corps  humain  peut-il  être  sous 
cette  mince  étendue?  Qui  en  doute,  si  la  parole  1« 
veut?  La  parole  est  toute-puissante  :  la  parole  est 
l'épée  tranchante,  qui  vaaux  dernières  divisions;  qui 
saura  bien,  si  elle  le  veut,  ôter  à  ce  corps  ses  pro- 
priétés les  plus  intimes,  pour  ne  nous  en  laisser  que 
la  nue  et  pure  substance  :  car  c'est  cela  qu'il  me  faut; 
c'est  à  cette  pure  substance  que  le  verbe  divin  est 
uni;  car  son  union  est  substantielle;  son  union  se 
fait  dans  la  substance  :  celle  qu'il  veut  avoir  avec 
moi ,  se  fera  aussi  par  la  substance  de  son  corps  et 
de  sou  sang  :  il  l'a  dit;  et  cela  est  fait  dans  le 
moment. 

Mais  je  ne  vois  rien  de  nouveau  sur  cet  autel  !  Je 
le  crois  bien;  la  parole  sait  ôter  au  sens  tout  c» 
qu'elle  veut,  lorsqu'elle  veut  exercer  la  foi.  Jésus- 
Christ,  quand  il  a  voulu ,  s'est  rendu  invisible  au.\ 
hommes:  lia  passé  au  milieu  d'eux  sans  qu'ils  le 
vissent  :  deux  disciples ,  à  qui  il  parlait ,  ne  le  con- 
nurent qu'au  moment  qu'il  le  voulut  :  Marie  le 
prit  pour  le  jardinier  jusqu'à  ce  qu'il  l'eut  réveillée, 
et  lui  ei)t  ouvert  les  yeux  par  sa  parole.  Il  entre, 
il  sort;  et  on  ne  le  voit  ni  entrer  ni  sortir  :  il  pa- 
raît, il  disparait  comme  il  lui  plaît.  Qui  doute 
donc  qu'il  ne  puisse  nou.s  rendre  invisible  ce  qui 
par  lui-même  ne  le  serait  pas?  La  parole,  ce  glaive 
tranchant,  est  venue ,  et  a  séparé  de  ce  corps  et  de 
ce  sang,  non-seulement  tout  ce  qui  pourrait  les  ren- 
dre visibles,  mais  encore  tout  ce  par  où  ils  pour- 
raient frapper  nos  autres  sens. 

Mais  je  vois  tout  ce  que  je  voyais  auparavant; 
et  si  j'en  crois  mes  sens,  il  n'y  a  que  pain  et  que 
vin  sur  cette  table  mystique.  Le  pain  y  est-il?  le 
vin  y  est-il?  Non;  tout  est  consumé.  Un  feu  invi-. 
sible  est  descendu  du  ciel  :  la  parole  est  descendue, 
a  tout  pénétré  au  dedans  de  ce  pain  et  de  ce  vin  : 
elle  n'a  laissé  de  substance  sur  la  table  sacrée ,  que 
celle  qu'elle  a  nommée  ;  ce  n'est  plus  que  chair  et 
sang.  Et  comment?  La  parole  est  toute-puissante; 
tout  lui  a  cédé,  et  rien  n'est  demeuré  ici  que  ce 
qu'elle  a  énoncé  :  ce  feu  a  tout  changé  en  lui-même  : 
la  parole  a  tout  changé  en  ce  qu'elle  a  dit. 

Mais  je  vois  le  même  extérieur?  Oui,  parce  que 
la  parole  n'a  rien  laissé  que  ce  qui  lui  était  néces- 
saire pour  nous  indiquer  où  il  fallait  aller  prendre 
ce  corps  et  ce  sang ,  et  tout  ensemble  pour  les  cou- 
vrir à  nos  yeux.  Les  anges  ont  apparu  en  forme 
humaine  :  le  Saint-Esprit  même  s'est  manifesté 
sous  la  forme  d'une  colombe  :  la  parole  veut  qua 
le  corps  de  Jésus-Christ  nous  apparaisse  sous  les  es- 
pèces du  pain,  parce  qu'il  fallait  un  signe  pour 
nous  annoncer  où  il  fallait  l'aller  prendre  :  ce  qu'elle 
vent,  s'accomplit.  Elle  a  consumé  toute  la  sub-? 
s'ar.cc;  ce  que  vous  voyez  est  comme  la  cendre  qii^ 


ce  feu  divin  a  laissée  :  mais  plutôt  ce  n'est  pas  la 
cendre,  puisque  la  cendre  est  une  substance,  et  ce 
(|iii  reste  de  cet  holocauste  n'est  que  l'enveloppe 
sacrée  du  corps  et  du  sang  :  c'est  enfin  ce  que  la 
parole  a  voulu  laisser  pour  nous  marquer  la  pré- 
sence occulte,  quoique  véritable,  de  ce  corps  et  de 
ce  sang  de  Jésus-Christ,  qu'elle  voulait  bien  met- 
tre là  en  vérité  et  en  substance,  mais  qu'elle  ne 
voulait  montrer  qu'à  notre  foi.  N'en  disons  pas  da- 
vantage? car  tout  le  reste  est  incompréhensible ,  et 
n>st  vu  que  de  celui  qui  l'a  fait. 

Voilà  le  signe  que  Jésus-Christ  nous  a  laissé, 
signe  auquel  nous  reconnaissons  qu'il  est  véritable- 
ment présent.  Car  la  parole  nous  le  dit;  et  il  ne 
faut  pas  être  en  peine  de  la  manière  dont  elle  exé- 
cute ce  qu'elle  prononce  :  il  ne  faut  songer  qu'à  ce 
qu'elle  signifie.  Car  elle  a  en  elle-même  une  vertu 
l)our  faire  tout  ce  que  veut  celui  qui  l'envoie.  //  a, 
t!it-il ,  envoyé  sa  parole,  et  elle  les  a  guéris,  et  elle 
les  a  arrachés  des  mains  de  la  mort  ■ .  Sa  parole 
ne  revient  point  inutile  :  elle/ait  tout  ce  qu'il  a 
ordonné^.  Entendez  donc  encore  un  coup  cette 
parole  :  Ceci  est  mon  corps.  S'il  avait  voulu  lais- 
ser un  simple  signe,  il  aurait  dit  :  Ceci  est  un 
signe  :  s'il  avait  voulu  que  le  corps  fût  avec  le  pain, 
il  aurait  dit  :  IMon  corps  est  ici.  Il  ne  dit  pas  :  Il 
est  ici ,  mais  Ceci  l'est:  par  là  il  nous  définit  ce  que 
c'était,  et  ce  que  c'est.  Quand  on  vous  demandera  : 
Qu'est-ce  que  ceci.'  il  n'y  a  qu'un  mot  à  répondre  : 
C'est  son  corps;  la  parole  a  fait  cette  merveille. 

Elle  n'en  demeure  pas  là.  Sortie  de  la  bouche  du 
prêtre  comme  de  celle  du  Fils  de  Dieu,  elle  a  fait 
sur  le  saint  autel  ce  changement  prodigieux  :  elle 
tourne  ensuite  sa  vertu  sur  nous  tous,  qui  assis- 
tons au  sacrifice  :  elle  éteint  en  nous  tous  nos  sens  : 
nous  ne  voyons  plus;  nous  ne  goûtons  plus,  par 
rapport  à  ce  mystère.  Ce  qui  nous  paraît  pain, 
n'est  plus  pain  :  ce  qui  nous  paraît  vin ,  n'est  plus 
vin  :  c'est  le  corps,  c'est  le  sang  de  Jésus-Christ. 
Nous  n'en  croyons  plus  lejugement  de  nos  sens;  nous 
en  croyons  la  parole  :  elle  a  tout  changé,  et  nous- 
mêmes  nous  ne  sommes  plus  ce  que  nous  étions, 
des  hommes  assujettis  à  leurs  sens,  mais  des  hom- 
mes assujettis  à  la  parole.  En  cet  état  nous  appro- 
chons du  saint  autel  :  Venez,  le  désiré  de  mon 
cœur!  suivit  in  te  anima  mea  :  mon  âme  a 
.soif  de  vous  :  en  combien  de  minières  ma  chair 
vous  dés ire-t- elle ^l  Oui,  ma  chair  prend  part  au 
désir  de  l'âme  :  car  c'est  en  elle  que  s'accomplit  ce 
qui  cause  à  l'âme  ces  transports.  Mon  cœur  et  ma 
chair  se  réjouiront  dans  le  Dieu  vivant^  :  tous  mes 
os  crieront  :  Seigneur,  qui  est  semblable  à  vous^? 
Qui  vous  est  semblable  en  puissance?  Mais  qui  vous 
est  semblable  en  bonté  et  en  amour  F 

LYIir  JOUR. 

Simplicité  et  grand(^ur  de  ce  sacrifice. 

Que  le  sacrifice  des  clirétiens  est  grand,  qu'il 
est  auguste!  mais  qu'il  est  siinpie!  qu'il  est  hum- 


MÉDlTATlOiNS  SUR  L'ÉVANGILE. 


iPs.CVI,20.  — ^is.  I,V,  II. 
—  »  Ibid.  xwiv,  10. 


■  '  Ps.  I.X1! ,  i-  —  '  Ibid.  i.xxxin , 


ble!  Un  peu  de  pain  ,  un  peu  de  vin  ,  et  quatre  pa- 
roles le  composent!  Je  reconnais  le  caractère  du 
Seigneur  Jésus.  Qui  voyez-vous?  un  homme  :  Qui 
croyez-vous  ?  un  Dieu.  Saint  Paul  dit  :  Qui  man- 
gera ce  pain'?  il  ne  parle  que  de  pain,  direz-vous. 
Il  parle  de  ce  qui  paraît,  et  il  se  plaît  à  marquer  ce 
qu'il  y  a  d'humble,  de  commun,  de  familier  dans 
ce  sacrifice;  mais  pénétrez  la  simplicité  de  cette 
parole;  voyez  ce  qui  suit,  ce  qui  précède:  vous 
entendrez  alors  quelle  force,  quelle  grandeur  il  y 
a  dans  cette  parole  :  Qui  mange  ce  pain.  Car  ce 
pain,  c'est-à-dire,  ce  pain  fait  corps  :  ce  pain  en 
apparence,  mais  corps  en  effet;  ce  pain  par  qui  un 
autre  pain ,  et  le  vrai  pain  de  vie  éternelle ,  nous  est 
donné.  Voilà  ce  que  veut  dire  ce  pain.  Il  faut  en- 
tendre de  même  le  calice  du  Seigneur.  Les  cali- 
ces qui  ont  servi  à  l'eucharistie  ont  été  des  matières 
les  plus  précieuses,  et  cela  dès  l'origine  du  christia- 
nisme, et  même  durant  le  temps  des  persécutions 
et  de  la  pauvreté  de  l'Église.  Je  ne  m'en  étonne 
pas  :  Jésus-Christ  nous  a  fait  entendre  de  quoi  soa 
corps  était  digne,  quand  il  a  permis  et  approuvé 
qu'on  employât  tant  de  parfums  exquis ,  non-seu- 
lement à  l'honorer  pendant  sa  vie ,  mais  encore  à 
l'oindre  après  sa  mort. 

Mais  quoiqu'il  approuve  ces  choses  ,  et  que  son 
Église  les  imite ,  elle  n'est  point  attachée  à  cet  ap- 
pareil extérieur.  La  persécution  lui  peut  ôter  l'or 
et  l'argent,  dans  lesquels  elle  sert  le  Fils  de  Dieu; 
peut-elle  lui  faire  perdre  la  richesse  de  son  sacrifice? 
Non  :  un  peu  de  pain  ,  un  peu  de  vin  lui  peuvent 
fournir  de  quoi  offrir  à  Dieu  le  plus  auguste  sacri- 
fice, et  de  quoi  donner  à  tous  les  fidèles  le  plus  ma- 
gnifique repas.  Voilà  les  vraies  richesses  de  l'Eglise  : 
les  autres  non-seulement  lui  peuvent  être  otées; 
mais  elle-même  elle  s'en  est  souvent  défaite.  Elle 
a  loué  ses  évêques ,  qui,  pour  assister  les  pauvres, 
se  réduisaient  à  porter  le  corps  de  Jésus-Christ  dans 
un  panier,  et  son  sang  dans  un  simple  verre;  ceux 
qui  employaient  les  vaisseaux  sacrés  à  racheter  les 
captifs,  à  acheter  de  la  place  pour  enterrer  ses 
morts.  Il  faut  donc  avoir  du  zèle  pour  honorer  les 
mystères,  et  ni  l'or  ni  les  pierreries  ne  doivent 
point  être  épargnés  pour  exciter  la  révérence  des 
peuples.  IMais  cependant  n'oublions  jamais  que  ce 
qu'il  y  a  de  vraiment  riche  dans  ce  sacrifice  ,  c'est 
ce  qui  est  le  plus  caché  ,  le  plus  humble.  INIais  que 
fait  là  .Tésus-Christ  !  Je  ne  vois  pas  qu'il  y  fasse 
rien  qui  soit  digne  de  lui.  C'est  cela  même  qui  est 
grand  :  car  c'est  par  là  qu'il  fait  voir  que  toute  sa 
grandeur  est  en  lui-même  :  c'est  en  cela  qu'il  fait 
voir  que  toute  sa  grandeur,  aussi  bien  que  toute 
notre  félicité ,  est  dans  sa  mort.  Plus  il  est  anéanti , 
plus  il  est  mort,  plus  il  nous  transporte  sa  vie.  Di- 
gne mémorial  d'un  Dieu,  qui  s'est  anéanti  lui- 
même. 

LL\"  JOUR. 

L'Agneau  devant  le  trône  de  Dieu.  Jpoc.  v,  6. 
Les  cieux  s'ouvrent  :  je  perce  au  dedans  du  \o\lt'. 

»  I.  Cor.  XI .  27 


WÉDITATIOINS  SUR  L'ÉVANGILE. 


71T 


Centre  dans  le  sanctuaire  éternel ,  et  j'y  vois  avec 
M'nt  Jean  ,  devant  le  trône,  l'.igneau  comme  tué, 
ef  autour  t'es  vingt-quatre  vieillards  vénérables  '. 
C'est  ce  que  je  vois  dans  le  ciel ,  c'est  ce  que  je  vois 
dans  la  terre.  I>à  Jésus  comme  mort,  comme  tué, 
avec  les  cicatrices  de  ses  plaies ,  au  milieu  de  ses 
saints:  ici  le  mcme  Jésus  encore  comme  tué,  et 
revôtu  des  signes  sacrés  de  la  mort  violente  qu'il  a 
soufferte,  environné  de  part  et  d'autre  de  l'assem- 
blée de  ses  prêtres.  Que  nous  dit  saint  Paul ,  de  ce 
Jésus  considéré  dans  le  ciel  ?  Qu'il  paraît  pour  nous 
devant  la  face  de  Dieu  .  qu'il  est  dans  le  ciel  tau- 
ours  vivant ,  afin  d'intercéder  pournous  »  :  qu'il 
intercède  pour  nous  par  sa  présence.  Et  que  dirons- 
nous,  à  son  exemple,  de  ce  Jésus  posé  sur  le  saint 
autel ,  sinon  que  sa  seule  présence,  et  la  représen- 
tation de  sa  mort,  est  une  intercession  perpétuelle 
pour  le  genre  humain? 

Accompagnons  donc  cette  action  de  saintes  priè- 
res :  cliargeons  de  nos  vœux  Jésus-Christ  présent. 
Nous  ne  prions  que  par  Jésus-Christ  :  le  voilà  pré- 
sent :  prions  donc  par  lui  plus  que  jamais.  Agneau 
sans  tache ,  Agneau  qui  ôtez  les  péchés  du  monde , 
détournez  les  yeux  de  votre  Père  de  dessus  mes  pé- 
chés. Je  comparais  devant  son  trône,  et  j'en  vois 
sortir  des  éclairs  et  des  tonnerres^,  etdesvoixterri- 
bles  et  fulminantes  contre  moi ,  contre  mes  crimes. 
Où  me  cacherai-je  ?  je  suis  perdu,  je  suis  foudrové. 
Araisjevous  vois  entre  deux.  Agneau  sans  tache! 
Vous  arrêtez  ces  foudres ,  et  le  feu  de  la  justice  di- 
vine s'amortit  devant  vous  :  je  respire ,  j'espère ,  je 
vis.  Mais  cet  Agneau  doux  et  paisible  me  dit  de- 
vant ce  trône  :  Jllez ,  et  ne  péchez  plus  <  :  il  ne  par- 
donne qu'à  cette  condition. 

LX'  JOUR. 

Jcsas  notre  victime  donné  à  la  croix ,  donné  dans  l'eacha- 
ristie.  Luc.  xxii,  19, 20. 

Que  je  trouve  de  douceur  à  méditer  votre  parole  ! 
que  j'en  trouve  dans  cette  parole ,  par  laquelle  vous 
établissez  et  continuez  ce  banquet ,  qui  est  en  même 
temps  un  sacrifice  !  Je  ne  me  lasse  point  de  la  mé- 
diter :  je  la  considère  de  tous  côtés  :  je  la  rumine, 
pour  ainsi  parler,  et  je  la  passe  et  repasse  sans 
cesse  dans  ma  bouche  pour  la  goûter,  pour  en  tirer 
tout  le  suc:  Ceci  est  mon  corps  donné  ponr  vcnis  ; 
erUemps  présent  :  qui  se  donne  :  Ceci  est  mon  sang 
répandu  pour  vous^;  dans  le  même  temps  :  qui 
se  répand.  Saisit  Matthieu  parle  ainsi,  saint  Marc, 
saint  Luc,  saint  Paul  :  quatre  témoins  parfaitement 
uniformes  de  votre  parole.  Tous  quatre  parlent  en 
présent  ;  cela  est  clair  dans  l'original ,  et  l'inter- 
prète latin  qui  a  traduit  au  futur  :  sera  livré,  sera 
répandu ,  par  rapport  à  la  croix,  où  ce  corps  al- 
lait effectivement  être  livré ,  et  où  ce  sang  allait 
être  répandu,  a  conservé  dans  saint  Luc  le  temps 
présent  :  Hoc  corpus  ,  quod  pbo  vobis  datur  : 
afin  que  nous  entendissions,  non-seulement  que  Jé- 
sus-Christ en  disant  :  Ceci  et* mon  corps,  l'enten- 

•  .^poc.  V,  6.  —  '  Heb.  IX ,  24  ;  \U ,  25.  —  '  Apoc.  iv,  5.  — 
*Joan.  viu,  II  —  '^  Luc.  xxu,  19,  Mj. 


daitdc  ce  même  corps  qui  allait  être  livré  |)0ur  nous; 
mais  encore  qu'il  entendait  que  ce  même  corps, 
qui  allait  être  livré  et  donne  pour  nous,  i'étaic 
déjà  par  avance  dans  la  consécration  mystique ,  et 
le  serait  à  chaque  fois  qu'on  célébrerait  ce  sacrifice. 
Croyons  donc,  non-seulement  que  le  corps  de  Jé- 
sus-Christ devait  être  donné  pour  nous  à  la  croix  , 
et  l'a  été  en  effet  ;  mais  encore  qu'à  chaque  fois 
qu'on  prononce  cette  parole ,  il  est  par  cette  parole 
actuellement  donné  pournous:  Hoc  corpus,  qlod 
PRO  VOBIS  datur. 

Il  veut  donc  dire  que  ce  corps  non-seulement 
nous  est  donné  dans  l'eucharistie  :  Prenez;  man- 
gez :  ceci  est  mon  corps  '  :  mais  encore  qu'il  y  est 
donné  pour  nous,  offert  pour  nous,  aussi  bieji 
qu'il  l'a  été  à  la  croix  :  ce  qui  marque  qu'il  est  en- 
core ici  notre  victime,  qu'il  y  est  encore  offert, 
quoique  d'une  autre  manière.  Ainsi  ce  terme  -.donné 
pour  vous,  se  dit  de  Jésus-Christ  sur  la  croix, 
et  se  dit  de  Jésus-Christ  dans  l'eucharistie;  et 
convient  à  ce  double  état  de  notre  Seigneur  du 
corps  présent  dans  l'un  et  dans  l'autre.  C'est  pour- 
quoi le  Sauveur  non-seulement  parle  en  temps  pré- 
sent, pour  nous  montrer  qu'il  est  ici  comme  en  la 
croix ,  se  donnant  actuellement  pour  nous  ;  mais 
encore  il  choisit  un  terme  qui  convient  à  son  sacré 
corps  dans  ces  deux  états.  S'il  avait  dit  :  Ceci  est 
mon  corps,  qui  est  crucifié,  percé  de  plaies,  misa 
mort  pour  vous;  on  ne  pourrait  pas  dire  que  cela 
lui  convient  dans  l'eucharistie;  car  il  n'y  meurt  plus  : 
et  il  faudrait  expliquer  nécessairement  et  unique- 
ment :  Ceci  est  ce  même  corps ,  qui  sera  mis  eu 
croix  pour  vous,  et  y  rendra  le  dernier  soupir 
pour  votre  salut.  Mais  il  a  dit  :  Ceci  est  mon  corps 
donné  :  cela  convient  à  ces  deux  états;  ce  corps  est 
donné  à  la  croix;  ce  corps  est  encore  donné  dans 
l'eucharistie  :  et ,  dans  l'un  et  dans  l'autre  état , 
donné  pour  vous.  Dès-là  qu'il  est  dans  l'eucharistie 
pour  vous  y  être  donné ,  il  est  donné  pour  vous  : 
avant  que  de  vous  le  donner  à  manger,  la  parole 
de  Jésus-Christ  le  rend  présent  :  et  cette  présence 
est  encore  pour  vous.  Jésus-Christ  estpré^nt  pour 
vous  devant  son  Père  ;  il  se  présente  pour  vous,  il 
s'offre  pour  vous;  et  sa  présence  seule  est  pour 
vous  une  intercession  toute-puissante. 

Voilà  donc  ce  qu'opère  dans  l'eucharistie  ce  pré- 
cieux terme  :  Ceci  est  mon  corps  donné. 

Mais  peut-être  que  les  autres  termes,  rapportés 
par  les  écrivains  sacrés,  n'ont  pas  été  prononcés 
avec  le  même  choix ,  et  ne  conviennent  pas  égale- 
ment aux  deux  états  de  la  présence  de  Jésus-Christ. 
Voyons,  lisons,  méditons  :  Ceci  est  mon  sang  ré- 
pandu :  il  est  répandu  sur  la  croix  ;  mais  n'est-il 
pas  encore  répandu  dans  le  calice  ?  IS'y  a-t-il  pas 
dans  ce  calice  de  quoi  faire  à  Dieu  pour  notre  salut 
la  plus  salutaire  effusion  qui  fut  jamais  ?  Ce  sang 
est  là  pour  être  répandu  sur  les  fidèles;  il  est  là  en 
état  d'être  répandu ,  et  sous  la  forme  d'une  liqueur, 
dont  le  propre  est  de  se  répandre.  Ce  sang  qui  ?.  été 
répandu  à  la  croix ,  et  qui  a  coulé  de  toutes  les  veii 
nés  rompues  du  Sauveur,  coule  encore  dans  ce  ca^ 

'  .Vatlh.  XXVI,  20. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


lice  de  toutes  ses  plaies,  et  principalement  de  celle 
dii  sacré  coté.  C'est  pour  cela  que  nous  melons  ce 
caliced'un  peu  d'eau,  en  mémoire  de  l'eau  qui 
coula  du  côte  ouvert ,  avec  le  sang.  Seigneur  Jésus, 
vous  êtes  la  parole,  et  vos  paroles  sont  prononcées 
avec  un  choix  digne  de  vous.  En  disant  :  Ceci  est 
mon  sang  répandu  pour  vous ,  en  temps  présent , 
vous  me  marquez  que  non-seulement  il  est  répandu 
pour  moi  sur  la  croix,  mais  encore  qu'il  se  répand 
pour  moi ,  et  pour  la  rémission  de  mes  péchés  dans 
ce  calice;  pour  m'en  assurer,  pour  me  l'appliquer, 
pour  continuer  éternellement  l'intercession  toute- 
puissante  que  vous  faites  pour  moi  par  ce  sang. 

Continuons  à  ruminer  ces  saintes  paroles  :  Ceci 
est  mon  corps  do7iné  pour  vous,  avons-nous  lu  dans 
saint  Luc;  mais  le  mot  que  saint  Paul  a  mis  en  la 
place  est  celui-ci  :  Ceci  est  mon  corps  rompupour 
vous  '  :  mais  que  veut  dire  ce  terme,  selon  l'usage 
de  la  langue  sainte.'  Isaîe  nous  l'a  expliqué  par  ces 
paroles  :  Romps  ton  pain  à  celui  qui  a  faim  *  : 
donne-lui  ce  pain,  fais-lui-en  part  :  saint  Paul  ex- 
plique donc  bien  :  Ceci  est  mon  corps  donné  pour 
vous  :  par  :  Ceci  est  mon  corps  7'ompu  pour  vous. 
Ce  corps  est  mis  en  état  de  nous  être  donné ,  de 
nous  être  distribué  ,  de  nous  être  rompu  dans  l'eu- 
charistie; et  dès  qu'il  est  mis  dans  cet  état ,  il  est 
déjà  rompu  et  donné  pour  nous,  dans  la  destination, 
et  par  la  parole  de  .lésus-Christ.  Mais  ce  même 
terme  a  aussi  son  rapport  au  corps  en  croix,  au 
corps  froissé  de  coups  et  percé  de  plaies,  suspendu 
à  une  croix  dans  un  état  si  violent,  où  son  sang 
ruisselle  de  tous  côtés  de  ses  veines  cruellement 
rompues.  Le  mot  de  rompre  convient  donc  encore 
aux  deux  états,  et  à  celui  de.Iésus-Christà  la  croix, 
et  à  celui  de  .Tésus-Christ  dans  l'eucharistie  :  le 
corps  est  donné  dans  l'un  et  l'autre  état;  il  est 
rompu  dans  l'un  et  l'autre.  Il  en  est  de  même  du 
sang.  Le  corps  est  partout  donné  pour  nous,  il  est 
partout  notre  victime:  le  sang  est  partout  versé 
pour  nous  ;  il  a  coulé  pour  nous  sur  la  croix ,  il  coule 
encore  pour  nous  dans  la  coupe  sacrée. 

Mon  Sauveur,  quel  sacrifice  !  mon  Sauveur,  en- 
core un  coup,  que  de  douceur  à  méditer  votre 
parole!  J'y  trouve  toujours  de  nouveaux  goûts, 
comme  dans  la  manne  :  votre  corps  et  votre  sang 
sont  mon  oblation,  mon  sacrifice,  ma  victime, 
et  sur  la  croix  et  sur  la  sainte  table;  et  comme 
la  croix ,  cette  table  est  un  autel.  Ah!  vrai- 
ment, ce  que  dit  saint  Paul  est  bien  véritable! 
Nous  avons  wi  autel,  dont  ceux  qui  demeurent 
attaches  au  tabernacle  ancien,  et  à  l'autel  de  la 
loi,  n'ont  pas  pouvoir  de  manger^.  Pour  y  par- 
ticiper, il  faut  ent.'-er  en  esprit  dans  le  taberna- 
cle, qui  n'est  pas  fait  de  main  d'homme  4. 

LXr  JOUR. 

L'eucharistie  est  le  sang  du  nouveau  Testament.  Matih. 

XXVI ,  28. 

Je  reviens  aux  paroles  de  l'institution  avec  un 

«  I.  Cor.  XI,  24.  Grœc.  —  '  Is.  i,viu,  7.  —  3  Heb.  xui,  10. 
—  ♦  Ibid.  JX,  M. 


nouveau  goût ,  et  j'y  trouve  ce  mot  qui  me  touch?  : 
Ceci  est  mon  sang  du  nouveau  Testament^,  .le 
trouve,  dans  ce  mot  de  Testament,  je  ne  sais  quoi 
qui  me  frappe ,  qui  m'attendrit.  C'est  ici  un  testa- 
ment :  c'est  l'assurance  de  mon  héritage;  mais  il 
faut  qu'il  en  coûte  la  mort  à  celui  qui  le  fait. 
J'ouvre  encore  la  divine  épître  aux  Hébreux ,  et  j'y 
trouve  ces  paroles  :  Partout  où  il  y  a  un  testament, 
il  faut  que  la  mort  du  testateur  s'y  rencontre  : 
car  le  testament  est  confirmé  dans  la  mort;  et 
il  n'a  pas  sa  valeur,  tant  que  le  testateur  est  en  vie  : 
c'est  pourquoi  l'ancien  Testament  même  n'a  pas 
été  consacré  sans  sang.  Car  après  que  Moïse  eut  lu 
le  commandement  de  la  loi  à  tout  le  peuple,  il 
prit  du  sang  de  la  victime,  et  le  jeta  sur  le  livre 
même ,  et  sur  tout  le  peuple,  en  disant  :  C'est  ici  le 
sang  du  Testament  que  le  Seigneur  a  fait  pour 
vous  ^  Je  vois  donc  l'héritage  céleste  donné  par 
testament  aux  enfants  de  Dieu.  Jésus-Christ  est  le 
testateur  :  il  faut  qu'il  meure  ;  le  testament  n'est 
valable  et  ne  reçoit  sa  dernière  force  que  par  la 
mort  du  testateur;  jusque-là  il  est  sans  effet;  on 
le  peut  même  changer  :  ce  qui  le  rend  sacré  et  in- 
violable; ce  qui  lui  donne  son  plein  et  entier  effet , 
et  saisit  l'héritier  de  tout  le  bien  qui  lui  a  été  laissé 
par  le  testateur,  c'est  sa  mort.  Et  tout  cela  s'accom- 
plit parfaitement  en  Jésus-Christ ,  qui  meurt  poui 
nous  assurer  notre  héritage.  C'est  pourquoi  l'ancien 
Testament,  qui  devait  être  la  figure  du  nouveau, 
n'a  pas  été  consacré  sans  sang  ;  tout  le  peuple,  et 
le  livre  même  de  la  loi ,  où  la  promesse  de  l'héritage 
était  renfermée,  est  sanctifié  par  l'aspersion  de 
ce  sang  :  tout  est  ensanglanté,  et  le  caractère  de 
mort  paraît  partout  :  et  Moïse,  en  jetant  ce  sang 
sur  le  livre  de  l'alliance ,  lui  donne  le  caractère  de 
testament,  en  disant,  selon  que  l'interprète  saint 
Paul  :  C'est  ici  le  sang  du  Testament  que  fait  le 
Seigneur  à  votre  avantage  ^  :  ce  que  Jésus  accom- 
plit en  disant  aussi  :  Ceci  est  le  sang,  non  de  Vancka 
Testament ,  mais  du  nouveau. 

Ce  qui  paraît  donc  en  ces  paroles,  et  par  le 
rapport  qu'elles  ont  avec  les  anciennes  figures, 
c'est  que  le  sang  de  Jésus-Christ  versé  à  la  croix , 
et  versé  d'une  manière  très-réelle  et  très-vérita- 
ble, quoique  différente  de  celle-là,  est  le  sang 
du  nouveau  Testament;  c'est-à-dire,  le  sang  versé 
pour  lui  donner  toute  sa  force.  Il  y  a  des  testa- 
ments dont  la  loi  est  qu'ils  sont  écrits  de  la  main 
du  testateur;  mais  la  loi  du  testament  de  Jésus- 
Christ,  c'est  qu'il  devait  être  confirmé,  et  comme  ' 
tout  écrit  de  son  sang.  L'instrument  de  ce  testa- 
ment, et  l'acte  où  il  est  écrit,  c'est  l'eucharistie. 
Les  promesses  de  Jésus-Christ  et  du  nouvel  hé- 
ritage nous  sont  faites  par  la  mort  de  Jésus- 
Christ,  qui  nous  tire  par  là  de  l'enfer,  et  nous 
assure  le  ciel  ;  et  l'acte  où  cette  promesse  est  ré- 
digée, l'instrument  où  la  volonté  et  la  disposition 
de  notre  Père  est  écrite;  cet  acte,  cet  instrument 
est  tout  écrit  de  son  sang  :  son  testament,  en  un 
mot,  c'est  l'eucharistie. 

•  Mailh.\\\i,18.~'  Heb.ix,  16,  17  ,  etc.  — ^  Heb. :j,i». 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


Qui  doue  no  serait  ému  en  entendant  tous  les 
jours  ces  paroles  du  Sauveur  :  Ceci  est  mon  sang 
du  nouveau  Testament:  ou ,  connue  le  tourne  saint 
I.uc  :  Ce  calice  est  le  nouveau  Testament  par  mon 
sang  ' ,  qu'il  contient  ;  parce  que  telle  est  la  nature 
de  ce  testament,  qu'il  doit  être  écrit  tout  entier  du 
sang  même  du  testateur.  Venez  lire,  chrétiens; 
venez  lire  ce  testament  admirable  :  venez  en  en- 
tendre la  publication  solermelle  dans  la  célébration 
des  saints  mystères;  venez  jouir  des  bontés  de 
votre  Sauveur,  de  votre  Père,  de  ce  divin  testateur 
qui  vous  achète  par  son  sang  votre  héritage,  et  qui 
écrit  encore  de  ce  même  sang  le  testament  par 
lequel  il  vous  le  laisse.  Venez  lire  ce  testament  : 
venez  posséder;  venez  jouir  :  l'hérilnge  céleste 
est  à  vous. 

LXir  JOUR. 

Cesl  le  nouveau  Testament  par  le  sang  de  notre  Seigneur. 

Ce  calice  est  le  nouveau  Testament  par  mon 
sang  :  c'est  ainsi  que  saint  Luc  et  saint  Paul  » 
tournent  ce  que  rapportent  saint  Matthieu  et 
saint  Marc  :  Ceci  est  le  sang  du  nouveau  Testa- 
ment. 

Il  n'y  a  pas  lieu  de  douter  que  les  paroles  pronon- 
cées par  Jésus-Christ  en  donnant  son  corps ,  ne 
soient  celles-ci  :  Ceci  est  mon  corps  ;  puisque  tous 
ceux  qui  ont  écrit  cette  institution,  saint  Matthieu, 
saint  Marc,  Saint  Luc  et  saint  Paul,  le  rapportent 
dans  ces  mêmes  termes. 

Il  n'y  a  non  plus  lieu  de  douter  que  Jésus-Christ 
n'ait  consacré  son  sang  avec  la  même  façon  de 
parler,  dont  il  a  consacré  son  corps,  c'est-à-dire, 
comme  le  rapportent  saint  ^latihieu  et  saint  Marc  : 
Ceci  est  fnon  sang  du  nouveau  Testament^.  Mais 
comme  il  y  avait  quelque  chose  de  particulier  à 
considérer  dons  ce  sang  du  nouveau  Testament,  et 
qu'il  y  fallait  entendre  que  ce  sang  versé  pour  nous 
sur  la  croix,  et  encore  versé  pour  nous,  et  trans- 
formé en  une  liqueur  dans  l'eucharistie ,  y  était  la 
confirmation  et  le  témoignage  certain  de  la  dernière 
disposition  de  notre  Père;  saint  Luc  et  saint  Paul 
l'expliquent  ainsi  :  Cette  coupe  est  le  nouveau  Tes- 
tament en  mon  sang  :  comme  si  on  disait  :  De 
même  que  ce  papier  où  est  écrite  de  la  main  de  votre 
père  sa  dernière  volonté,  est  son  testament;  ainsi 
celte  coupe  sacrée  est  le  testament  de  Jésus- 
Christ  par  son  sang  qu'elle  renferme,  et  dont  la 
dernière  disposition  devait  être  écrite. 

Il  n'y  a  donc  rien  de  plus  simple,  que  les  pa- 
roles dont  Jésus-Christ  a  usé  :  Ceci  est  mon 
corps  :  ceci  est  mon  sang  du  nouveau  Testa- 
înent  :  il  n'y  a  là  aucune  figure;  et  tout  y  est  véri- 
table au  pied  de  la  lettre.  Dans  ces  paroles  de 
saint  Luc  et  de  saint  Paul,  ou  plutôt  dans  ces  pa- 
roles de  Jésus-Christ,  ainsi  que  ces  deux  écrivains 
sacrés  les  ont  tournées  :  Cette  coupe  est  le  nouveau 
Testament  par  mon  sang ,  il  y  a  une  faron  de 
parler  un  peu  plus  tournée ,  aisée  toutefois  et  du 
discours  familier,  et  semblable  à  celle  qui  appelle 

'  Luc.  %xu  ,10.—*  Luc.  3ixn,  20  ;  I.  Cor.  xr ,  25.  —  '  Matlh. 
rxvi,  28;  Marc.  XTV,  »i 


?Î9 

du  nom  de  testament ,  l'inrtrument  où  est  déclarce 
la  dernière  volonté  du  testateur.  Mais  en  même 
temps  la  vérité  du  sang  est  marquée  avec  une  force 
particulière  :  car  il  y  est  expressément  marqué, 
que  si  la  coupe  qu'on  nous  présente  est  le  testament 
de  Jésus-Christ;  si  elle  est  l'instrument  sacré  où 
sa  dernière  disposition  est  marquée;  c'est  par  le 
sang  de  Jésus-Clirist  qu'elle  contient;  à  cause  que 
ce  testament,  comme  on  vient  de  voir,  était  de 
nature  à  être  écrit,  non  pas  de  la  propre  main, 
mais  du  propre  sang  du  testateur.  Et  les  paroles 
de  saint  Luc  marquent  ce  sens  évidemment.  Car  à 
les  traduire  mot  à  mot,  selon  qu'elles  se  trouvent 
dans  l'original,  il  faut  rapporter  ces  mots,  répandu 
pour  vous,  non  pas  au  sang,  mais  à  la  coupe;  et 
on  les  doit  traduire  ainsi  :  cette  coupe  versée  pour 
vous,  est  le  nouveau  Testament  par  tnon  sang  : 
ce  n'est  pas  seulement  le  sang  qui  est  versé  pour 
vous;  c'est  la  coupe,  au  même  seivs  qu'on  dit 
tous  les  jours,  quand  une  liqueur  est  répandue, 
que  le  vase  où  elle  était  est  répandu.  Entendons 
donc  aussi  que  cette  coupe  est  ici  répandue  pour 
nous;  c'est-à-dire,  que  le  sang  qu'elle  contient 
n'est  pas  seulement  répandu  pour  nous  à  la  croix  ; 
mais  qu'en  tant  qu'il  coule  encore  dans  cette  coupe, 
et  qu'il  en  découle  sur  nous,  c'est  encore  une 
effusion  qui  se  fait  pour  notre  salut ,  et  une  oblation 
véritable. 

Rendons  grâces  à  Jésus-Qirist ,  qui  nous  a 
expliqué  en  tant  de  sortes,  et  d'une  manière  si 
expresse ,  le  sacrifice  qu'il  continue  à  offrir  pour 
nous  dans  l'eucharistie.  Voyons-y  encore  couler 
pour  nous  le  sang  de  la  rédemption  en  vérité  comme 
sur  la  croix,  quoique  sous  une  forme  étrangère.  Il 
est  puissant  pour  opérer  tout  ce  qu'il  a  dit  :  son 
sang  est  ici;  cette  coupe  en  est  pleine;  il  s'y  répand 
tous  les  jours  pour  nous;  c'est  de  ce  sang  qu'est 
écrit  le  testament  de  notre  Père.  Et  quel  est  ce  tes- 
tament, sinon  celui  dont  il  est  écrit  :  Cest  ici  le 
testament  que  Je  ferai  avec  eux  :je  mettrai  ma  loi 
dans  leurs  cœurs ,  et  je  l'écrirai  dans  leur  esprit  ; 
et  je  ne  me  souviendrai  plus  de  leurs  péchés  '  ? 

Et  pourquoi  nous  léguer  par  testament  la  ré- 
mission des  péchés,  si  ce  n'est  pour  lever  l'ob- 
stacle qui  nous  empêche  d'entrer  dans  le  ciel , 
qui  est  notre  véritable  héritage.'  Et  pourquoi  faire 
cela  par  un  testament,  si  ce  n'est  pour  nous  faire 
souvenir  que ,  pour  être  en  droit  de  nous  léguer  cet 
héritage  céleste,  il  en  devait  coûter  la  vie  à  celui  qui 
nous  le  léguait  par  testament.?  Et  pourquoi  nous 
donner  le  sang  du  nouveau  Testament;  ou ,  comme 
le  tournent  saint  Luc  et  saint  Paul,  pourquoi  nous 
donner  ce  testament  scellé ,  confirmé,  écrit  avec  le 
sang  du  testateur,  sinon  pour  appuyer  notre  foi  et 
enllammer  notre  amour?  Qui  ne  serait  attendri, 
en  voyant  un  testament  écrit  de  cette  sorte.'  Que 
l'héritage  est  grand,  qui  nous  est  légué  par  un  tes- 
tament si  auguste,  si  précieux!  Qui  aurait  le  cœur 
si  endurci,  qui,  voyant  ruisseler  encore  de  cette 
coupe  sacrée  le  sang  de  ce  testament ,  par  lequel  nos 

'  J^em.  XXXI,  31 ,  33,  3»  ;  Heb.  vm,  S.  et  seq.  X,  16,  l7. 


Î5f) 

jx'chés  sonl  lavés ,  ne  les  aurait  en  horreur,  et  n'en 
déracinerait  jusqu'aux  moindres  restes,  à  la  vue  et 
par  la  vertu  de  ce  sang? 

LXIir  JOUR. 

La  messe  esl  la  conliruialion  de  la  cène  de  Jésus -Christ. 

Ibid. 


Reconnaiss.snns  donc,  chrétiens,  que  toutes 
grâces  abondent  dans  ce  sacrifice.  Jésus  est  mort 
une  fois,  et  n'a  pu  être  offert  qu'une  fois  en  cette 
•sorte;  autrement  il  faudrait  conclure  que  la  vertu 
de  cette  mort  serait  imparfaite;  mais  ce  qu'il  a  fait 
line  fois  de  cette  manière,  qui  était  de  s'offrir  ainsi 
tout  ensanglanté  et  tout  couvert  de  plaies,  et  de 
rendre  son  àme  avec  tout  son  sang,  il  le  continue 
'tous  les  jours  d'une  manière  nouvelle  dans  le  ciel, 
où  nous  avons  vu ,  par  saint  Paul,  qu'il  ne  cesse  de 
se  présenter  pour  nous  ;  et  dans  son  Église ,  où 
tous  les  jours  il  se  rend  présent  sous  ces  caractères 
de  mort. 

Peuple  racheté,  assemblez-vous  pour  célébrer 
les  miséricordes  de  votre  Père  céleste  par  Jésus- 
Christ  immolé  pour  vous.  Où  est  le  corps  de  Jésus, 
là  est  le  lieu  de  votre  assemblée  :  où  est  ce  corps ,  là 
les  aigles  doivent  accourir  '.  Kt  qu'y  ferons-nous? 
qu'a  fait  Jésus  ?  il  a  pris  du  pain  :  il  a  béni  :  il  a 
rendu  grâces  dessus  :  il  a  fait  de  saintes  prières  :  il 
a  pris  une  coupe  ^  :  il  a  fait  de  même  dessus.  Le 
yrétre  fait  comme  lui  ;  on  mange ,  on  boit  ce  corps 
et  ce  sang:  on  dit  l'hymne,  et  on  se  retire.  Soyons 
attentifs;  suivons  le  prêtre  qui  agit  en  notre  nom, 
qui  parle  pour  nous  ;  souvenons-nous  de  la  coutume 
ancienne  d'offrir  chacun  son  pain  et  son  vin,  et  de 
fournir  la  matière  de  ce  sacrifice  céleste.  La  céré- 
monie a  changé  ,  l'esprit  en  demeure;  nous  offrons 
tous  avec  le  prêtre  ;  nous  consentons  à  tout  ce  qu'il 
fait,  à  tout  ce  qu'il  dit.  PLt  que  dit- il?  Priez,  mes 
frères ,  que  mon  sacrifice  et  le  vôtre  soient  agréa- 
bles au  Seigneur  noti'e  Dieu.  Et  que  répondez-vous? 
Que  le  Seigneur  le  reçoive  de  vos  mains.  Quoi? 
notre  sacrifice  et  le  vôtre.  Et  que  dit  encore  le  prê- 
tre? Souvenez-vous  de  vos  serviteurs,  pour  qui 
nous  vous  offrons.  Est-ce  tout?  il  ajoute  :  ou  qui 
vous  offrent  ce  sacrifice.  Offrons  donc  aussi  avec 
lui  ;  ofifrons  Jésus-Christ,  offrons-nous  nous-mêmes 
avec  toute  son  Église  catholique,  répandue  par 
toute  la  terre. 

Le  prêtre  bénit,  il  rend  grâces  sur  ce  pain  et  sur 
ce  vin ,  qui  va  être  changé  au  corps  et  au  sang;  il 
prie  pour  toute  l'Église  :  bénissez,  rendez  grâces, 
priez.  On  vient  à  cette  spéciale  bénédiction,  par 
laquelle  on  consacre  ce  corps  et  ce  sang  :  écoutez , 
croyez,  consentez.  Offrez  avec  le  prêtre  ;  dites  Jmen 
sur  son  invocation,  sur  sa  prière.  Le  voilà  donc; 
il  est  présent;  la  parole  a  eu  son  effet;  voilà  Jésus 
aussi  présent  qu'il  a  été  sur  la  croix ,  où  il  a  paru 
pour  nous  par  l'oblation  de  lui-même  ^  ;  aussi  pré- 
sent qu'il  est  dans  le  ciel ,  où  il  paraît  encore  pour 
nous  devant  la  face  de  Dieu  «.  Cette  consécration , 


'  Matth.  XXIV,  28.  —  '  Ibid.xxyi,  2^,27  ,  HO;  Marc,  xiv, 
a2,2d,  2C.  —  3  Ileb.  IX,  26.  —4  Ibid.-Ii. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVAiNGILE. 

cette  sainte  cérémonie,  ce  culte  plein  de  .sang,  et 
néanmoins  non  sanglant,  où  la  mort  est  partout, 
et  où  néanmoins  l'hostie  est  vivante,  est  le  vrai 
culte  des  chrétiens;  sensible  et  spirituel,  simple  et 
auguste ,  humble  et  magnifique  en  même  temps. 
Quoi!  durant  un  si  grand  mystère,  pas  un  sou- 
pir sur  vos  péchés,  pas  un  sentiment  de  componc- 
tion! Vous  assistez  de  corps  seulement!  Eh  quoi! 
Jésus  n'est-il  ici  que  selon  le  corps  ?son  esprit  n'i-st- 
il  pas  aussi  avec  nous?  Et  que  veut  donc  dire  le 
prêtre,  lorsqu'il  nous  salue,  en  disant  :  Dominus 
voBiscuM  :  Le  Seigtieur  est  avec  vous  :  Et  avec 
votre  esprit,  répondez-vous.  C'est  donc  à  l'esprit 
du  prêtre,  à  l'esprit  du  sacrifice,  que  vous  voulez 
vous  unir;  et  votre  corps  est  là  comme  mort,  sans 
esprit,  sans  foi!  Quoi  donc,  vous  ne  sentez  rien! 
Vous  ne  songez  pas  que  ces  espèces  sacrées  sont 
l'enveloppe  où  est  renfermé  le  corps  de  votre  Sau- 
veur, et  comme  le  drap  mortuaire  dont  il  est  cou- 
vert! Vous  assistez  au  tombeau,  où  est  votre  Père 
qui  est  mort  percé  de  plaies  pour  vous  sauver;  et 
vous  êtes  insensibles!  Vous  vous  réveillez  à  ces 
paroles;  mais  songez-vous  bien  que  ce  Jésus  ici 
présent  ne  veut  pas  vous  voir  avec  le  moindre  res- 
sentiinent  contre  votre  frère  ;  ou,  pour  parler  comme 
lui,  avec  le  moindre  ressentiment  de  votre  frère 
contre  vous  '  !  Vos  autres  dérèglements  ne  lui  cau- 
sent pas  moins  d'horreur.  Allez,  hypocrites ,  qui 
ne  m'honorez  que  des  lèvres ,  et  dont  le  cœur  esi 
loin  de  moi  »  :  retirez-vous.  Non  :  revenez  :  ranimez 
vous  ;  rentrez  en  vous-mêmes  :  donnez  du  moins  un 
soupir  au  déplorable  état  de  votre  âme.  Dites  :  Je 
confesserai  à  Dieu  mon  péché,  et  vous  me  Cavez 
rends ^.  Oui;  vous  le  pourrez  confesser  avec  tant 
de  componction  et  de  si  bon  cœur,  qu'il  vous  sera 
pardonné  à  l'instant. 

LXIV  JOUR. 


La  communion.  11  faut  communier  au  moins  en  esprit. 
Ibid. 

On  vient  à  la  communion  :  heure  terrible  !  heure 
désirable!  Le  prêtre  a  communié  :  préparez-vous; 
votre  tour  viendra  dans  un  moment.  Communiez 
d'abord  en  esprit;  croyez,  adorez,  désirez.  C'est 
ma  viande,  c'est  ma  vie;  je  la  désire,  je  la  veux. 
Vous  n'êtes  pas  préparé  à  communier  ;  pleurez ,  gé- 
missez. Hélas!  où  est  le  temps  où  nul  n'assistait  que 
les  communiants ,  où  l'on  chassait ,  où  l'on  repre- 
nait, du  moins  où  l'on  blâmait  ceux  qui  assistaient 
au  banquet  sacré  sans  manger  ?  En  effet ,  y  assister 
sans  manger,  n'est-ce  pas  déshonorer  le  festin  et  en 
mépriser  les  viandes  ?  Quel  mépris  !  quelle  maladie  ! 
quel  dégoût!  Mais  ce  n'est  plus  la  coutume.  Écou- 
tez ce  que  dit  l'Église  dans  le  concile  de  Trente  : 
Le  saint  concile  désirerait  que  tous  ceux  qui  assis- 
tent au  sacrifice  y  participassent^.  Pourquoi  le 
saint  concile  le  désire-t-il,  si  ce  n'est  que  Jésus- 
Christ  le  désire?  Car  il  ne  se  change  en  viande  que 
pour  être  mangé.  L'Église  désire  donc  que  vous 
communiiez,  vous  tous  qui  assistez  au  sacrifice. 

*  Matth.    V,  23.    —  »  Ihid.  xv,  7  ,  8.  —  '  Ps.  X.O»,  ».  — 
^Scss.  XXII,  cap  6. 


MKDITATiONS  SLR  L'ÉVANGILE. 


7ÎI 


Le  (^uiicilc  toutefois  ne  dit  pas  qu'il  désire;  il  dit 
qu'il  désirerait  ;  Optaretsanctasynodus.  Pourquoi  ? 
l'Église  n'ose  former  un  désir  absolu  d'un  si  grand 
bien;  elle  désirerait  que  tout  le  monde  le  fit,  que 
tout  le  monde  en  filt  digne.  O  prêtre,  désirez 
aussi  que  tout  le  monde  communie  avec  vous  !  Kt 
vous  tous  qui  assistez,  répondez  à  ce  désir  de  l'É- 
glise et  de  son  ministre.  Si  vous  ne  communiez  pas , 
encore  un  coup,  pleurez  du  moins,  gémissez,  re- 
connaissez en  tremblant  que  le  chrétien  devrait 
vivre  de  manière  qu'il  pût  communier  tous  les  jours. 
Promettez  à  Dieu  de  vous  préparer  à  communier 
au  plus  tôt  :  vous  aurez  communié  du  moins  en 
esprit.  Le  prêtre  comnnmie  :  le  prêtre  achève,  af- 
fligé de  communier  seul;  ce  n'est  pas  sa  faute;  il 
ne  faut  pas  laisser  de  dresser  la  table,  encore  que 
tous  n'en  approchent  pas.  Telle  est  la  libéralité, 
telle  est  la  bonté  du  grand  Père  de  famille.  Enfin 
donc  le  sacrifice  est  consommé  :  retirez-vous  a\=€C 
douleur  de  n'y  avoir  pas  eu  toute  la  part  qui  vous 
était  destinée. 

LXV*  JOUR 

L'action  de  grâces.  Mailh.  xxvi,  80. 

Et  après  avoir  dit  l'hymne^  îh  s'en  allèrent  à  la 
montagne  des  Oliviers  '.  lis  y  allèrent  à  la  vérité; 
mais  avant  que  Jésus-Chrisl  partît,  il  se  passa  plu- 
sieurs choses,  que  nous  verrons  dans  la  suite.  Ar- 
rêtons-nous un  moment  sur  cet  hymne ,  sur  ce  can- 
tique 3'actton  de  grâces  et  d'allégresse ,  par  lequel 
Jésus  et  ses  apôtres  finirent  le  saint  mystère.  Que 
pouvaient  clianter  ceux  qui  étaient  rassasiés  de  Jé- 
îUS-Christ,  et  enivrés  du  vin  de  son  calice,  sinon 
■celui  dont  ils  étaient  pleins?  L'Agneau  qui  a  été 
immolé  est  vraiment  dign^  de  recevoir  la  force,  la 
divinité,  la  sagesse  y  la  puissance,  l'honneur,  la 
gloire,  la  bénédiction.  Et  j'entendis  toule  créature 
qui  est  au  ciel,  sur  la  terre,  sous  la  terre,  sur  la 
mer  et  dans  (a  mer,  et  tout  ce  qui  est  dans  ces  lieux, 
qui  criaient  en  disant  :  A  celui  qui  est  assis  sur  le 
trône  et  à  l'Agneau ,  bénédiction ,  honneur,  gloire, 
et  puissance  aux  siècles  des  siècles  »  ! 

Le  monde  chante  les  joies  du  monde;  et  nous  que 
chanterons-nous  après  avoir  reçu  le  don  céleste, 
que  les  joies  éternelles.' 

Le  monde  chante  ses  passions,  ses  folles  et  cri- 
minelles amours  ;  et  nous  que  chanterons-nous  sinon 
celui  que  nous  aimons? 

Le  monde  fait  retentir  de  tous  côtés  ses  joies 
dissolues;  et  qu'entendra-t-on  de  notre  bouche, 
après  avoir  bu  ce  vin  qui  germe  les  vierges  ^ ,  sinon 
des  cantiques  de  sobriété  et  de  continence?  Rem- 
plis de  la  mort  de  Jésus-Christ  ^  qui  vient  de  nous 
être  remise  devant  les  yeux,  et  de  la  chair  de  son 
sacrifice,  que  chanterons-nous,  sinon  :  Le  monde  est 
crucifié  pour  inoi ,  et  moipour  le  inonde*? 

Ne  vous  en  allez  pas  sans  dire  cet  hymne ,  sans 
réciter  le  cantique  de  la  rédemption  du  genre  hu- 
main. Quoi!  Moïse  et  l'aBcien  peuple  chantèrent 

'  Matth.  XXVI,  30.  —»  Jpoc.  v,  12 .  13.  —  '  Zach.  ix ,  17. 
»«  •  Cal.  yi,  14. 

B06SEET.  —  TOME  IIL 


avec  tant  de  joie  le  cantiqur  de  leur  délivrante, 
après  être  sortis  de  l'Egypte  et  avoir  passé  la  m<T 
Rouge!  Chantez  aussi,  peuple  délivré,  chante2  le 
cantique  de  Moïse  et  le  cantique  de  l'Agneau,  en 
disant  :  Que  vos  oeuvres  sont  grandes  et  admira- 
bles, ô  Seigneur,  Dieu  tout-puissant!  Que  l'os  voies 
sont  justes  et  véritables,  ô  Roi  des  siécks  !  Seigneur, 
qui  ne  vous  craindrait,  et  qui  ne  glorifierait  votre 
nom?  car  vous  seul  êtes  saint  :  toutes  les  nations 
viendront,  et  adoreront  devant  votre  face  :  parce 
que  vos  jugements  sont  manifestes  *.  rous  aveu 
détruit  par  votre  mort  celui  qui  avait  l'empire  de 
la  mort  :  c'est-à-dire  le  diable  »  :  le  prince  de  ce 
monde  est  chassé  ^  :  et  attachant  à  votre  croix  la 
cédulede  notre  condamnation,  vous  avez  désarmé 
les  principautés  et  les  puissances ,  vous  les  avez 
menées  en  triomphe  hautement ,  et  à  la  face  de 
tout  l'icnivers ,  après  les  avoir  vaincues  par  votre 
croix  *.  Et  maintenant,  en  mémoire  d'une  si  belle 
victoire,  nous  offrons  par  vous  et  en  vous,  à  votre 
Père  céleste ,  ce  sacrifice  de  louanges  et  d'actions  de 
grâces,  qui  au  fond  n'est  autre  chose  que  vons- 
meme,  parce  que  nous  n'avons  que  vous  à  offrir 
pour  toutes  les  grâces  que  nous  avons  reçues  par 
votre  moyen. 

LXVl*  JOUR. 

Trahison  de  Judas  découverte.  Joan.  xiii ,  2«,  00. 

Après  la  cène  achevée  ;  après  que  Jésus  eut  donné 
à  Judas  le  morceau  trempé,  qui  fut  un  signe  à  saint 
Pierre  et  à  saint  Jean  pour  connaître  ce  traître,  le 
malheureux  se  retira  incontinent;  et  il  était  nuit^. 

Pour  l'ordre  de  l'histoire ,  on  peut  observer  en 
qui  a  déjà  été  remarqué  dans  l'évangile  de  saint  Lur, 
qu'après  la  cène  Jésus  parla  encore  à  ses  disriplps 
de  celui  qui  le  devait  trahir  :  ce  qui  redoubla  lotir 
inquiétude  sur  l'auteur  de  la  trahison.  Ce  fut  alor-» 
que  saint  Pierre  fit  signe  à  saint  Jean,  Pt  que  Jésus 
leur  donna  à  eux  seuls  la  marque  du  morrrau 
trempé. 

Il  ne  le  fit  pas  connaître  à  tous  les  disciplps 
comme  saint  Jean  le  dit  expressément  s.  Cela  au 
fait  causé  parmi  eux  im  trop  grand  tumulte,  et  ils 
se  seraient  peut-être  portes  à  quelque  violence  ;  i 
laquelle  aussi ,  par  sa  bonté,  il  ne  voulait  pas  ex- 
poser le  traître,  ni  le  divulguer  plus  qu'il  ne  fallait. 
Mais  comme  il  voulait  qu'ils  sussent  qu'il  connais- 
sait parfaitement  toutes  choses,  et  que  cela  leu 
était  utile,  il  en  choisit  parmi  ses  disciples  deux, 
dont  il  connaissait  mieux  la  discrétion,  pour  être, 
quand  il  le  faudrait,  témoins  aux  autres  qu'il  re 
savait  pas  les  événements  par  de  vagues  connais- 
sances, ou  des  pressentiments  confus;  mais  avec 
une  lumière  claire  et  distincte. 

Il  parla  donc  à  saint  Jean  assez  bas,  pour  n'étr« 
entendu  que  de  lui  seul ,  ou  tout  au  plus  de  saint 
Pierre,  qui  y  était  attentif:  les  autres  ne  connurent 
rien  à  ce  signal  ;  et  Judas ,  après  avoir  pris  ce  mor- 
ceau, se  retira  incontinent,  selon  saint  Jean. 


'  Apoc.  XV,  3,  4.  —  ^  Heb.  n,  14.  —  *  Joan.  xii, 
Coloss.  n ,  14  ,  15.  —  *  Joan.  \\n ,  30.  —  •  thid.  Su. 

46 


SI   «- 


7M 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


Cette  sortie  précipitée  du  traître  disciple  eût 
étonné  les  autres  apôtres ,  s'ils  n'eussent  ouï  Jésus- 
Clirist,  qui  lui  avait  dit  :  Fais  vite  ce  que  tu  as  à 
faire'  :  ce  qu'ils  avaient  entendu  de- quelque  or- 
dre qu'il  lui  donnait  pour  la  fête  ou  pour  les  pau- 
vres. Ils  connaissaient  la  tendresse  de  leur  maître 
pour  ces  derniers.  Il  donnait  souvent  de  pareils  or- 
dres pour  eux;  et  on  jugeait  bien  qu'il  ne  les  ou- 
blierait pas  au  milieu  de  ses  extrêmes  périls.  Aimons 
donc  les  pauvres,  et  prenons-en  tant  de  soin, 
qu'on  ait  sujet  de  penser  que  nous  songeons  tou- 
jours à  eux. 

Quelques-uns  ont  cru  que  ce  morceau,  après  le- 
quel Satan  entra  en  Judas ,  fut  celui  du  pain  sacré 
de  l'eucharistie.  Mais  visiblement  ce  fut  un  mor- 
ceau que  Jésus-Christ  trempa  dans  quelque  plat; 
ce  qui  ne  convient  point  à  ce  pain  divin. 

Il  faut  donc  entendre  que  ce  morceau  fut  à  saint 
Jean  le  signe  qu'il  demandait,  et  à  Judas,  la  der- 
nière marque  de  familiarité  et  de  communication 
qu'il  aurait  avee  lui;  après  quoi  ce  cœur  ingrat, 
que  rien  ne  put  fléchir,  fut  livré  à  Satan. 

Quant  à  ce  que  dit  saint  Jean,  que  Judas  sortit 
incontinent  après,  on  peut  entendre  cet  incon- 
tinent en  deux  manières.  L'une,  que  ce  morceau 
trempé  fut  donné  au  traître  pendant  le  souper;  au- 
quel cas,  l'incontinent  ne  voudrait  pas  dire  le 
moment  immédiatement  suivant,  puisqu'il  y  eut 
entre  deux  la  consécration  du  sang  qui  se  fit  après 
le  souper,  et  à  laquelle  Judas  assista  selon  saint 
Luc,  comme  il  a  été  dit  souvent.  L'incontinent, 
en  ce  cas,  voudrait  dire  peu  de  temps  après,  et  si- 
gnifierait seulement  qu'il  n'y  eut  point  d'autre  ac- 
tion entre  la  sortie  de  table,  qui  devait  arriver  un 
moment  après,  et  la  retraite  de  Judas.  L'autre  ma- 
nière d'expliquer  ce  morceau  trempé,  c'est  qu'il 
fut  donné  à  Judas  après  la  consécration  de  la  coupe 
sacrée.  Car,  encore  que  le  souper  fût  achevé,  on 
voit,  par  saint  Luc,  qu'on  demeura  encore  quelque 
temps  à  table,  puisque  Jésus-Christ  y  parla  encore 
du  traître.  Ce  put  donc  être  alors  qu'il  donna  ce 
morceau  à  Judas  comme  extraordinairement ,  et 
après  le  souper;  peut-être  même,  pour  le  mieux 
marquer  aux  deux  disciples,  à  qui  il  voulut  bien  le 
faire  connaître.  Au  reste,  il  n'est  pas  besoin  d'être 
curieux  sur  ces  circonstances  :  et  lorsqu'on  voit  quel- 
que obscurité  dans  les  évangiles  sur  de  telles  cho- 
ses, on  doit  croire  qu'elles  ne  sont  pas  fort  impor- 
tantes, ou  du  moins  qu'elles  ne  le  sont  pas  pour  tout 
le  monde.  Quoi  qu'il  en  soit,  après  la  cène.  Judas 
sortit;  et  ce  n'est  pas  sans  raison  que  saint  Jean 
remarque ,  qu'il  était  nuit;  afin  de  nous  faire  en- 
tendre que  tout  ceci,  et  ce  qui  suit,  arriva  peu 
d'heures  avant  que  le  Sauveur  filtlivré.  Car  il  fut  livré 
la  même  nuit.  Cette  circonstance  du  temps  auquel 
.7ésus  parle,  sert  à  nous  rendre  attentifs  à  ses  der- 
nières paroles,  qui  contiennent  son  dernier  adieu 
et  ses  dernières  instructions;  celles  par  conséquent 
qu'il  veut  laisser  le  plus  profondément  gravées  dans 
le  cœur  de  ses  disciples.  En  voici  une  très-impor- 
tante que  nous  tirerons  de  saint  Luc. 

'  Jaan.  XIII,  27. 


LXVIIe  JOUR. 

Autorité  légitime  établie;  domination  interdite  dans 
l'Église.  Luc.  XXII,  24. 

Il  s'éleva  aussi  une  dispute  entre  eux,  leque, 
d'eux  tous  paraissait  être  le  plus  grande  Cette  dis- 
pute ,  assez  fréquente  parmi  les  apôtres ,  est  renou- 
velée au  temps  de  la  cène.  Saint  Luc  la  place  in- 
continent après  qu'il  en  a  fait  le  récit,  et  celui  de 
l'étonnement  où  se  trouvèrent  les  apôtres,  lors- 
qu'ils se  demandaient  les  uns  aux  autres,  lequel  d'en- 
tre eux  trahirait  leur  maître  ».  Rien  ne  peut  étein- 
dre l'ambition  dans  les  hommes.  L'exemple  de  la 
douceur  et  de  l'humilité  de  Jésus-Christ  devait  faire 
mourir  ce  sentiment.  Et  cependant  ses  disciples, 
gens  grossiers,  qu'il  avait  tirés  de  la  pêche  et  de  la 
nacelle,  s'y  laissent  emporter.  C'est  ce  qu'on  voit 
souvent  dans  l'histoire  de  l'Évangile;  et  Jésus  les 
avait  réprimés  par  les  paroles  les  plus  fortes  :  sur- 
tout lorsque  les  deux  fils  de  Zébédée  lui  demandè- 
rent les  premières  places  de  son  royaume  ^.  Cepen- 
dant la  même  dispute  renaît,  et  dans  le  plus  grand 
contre-temps  qui  fût  jamais.  Ils  venaient  de  voir 
le  lavement  des  pieds  :  et  Jésus,  qui  leur  ordonnait 
de  suivre  cet  exemple,  pour  les  y  exciter  davantage 
les  avait  fait  souvenir  que  lui,  qui  le  leur  don- 
nait, était  leur  Seigneur  et  leur  maître.  Combien 
plus  se  devaient-ils  abaisser,  eux  qui  n'étaient  que 
les  serviteurs  ! 

Ils  l'allaient  perdre;  déjà  il  ne  leur  parlait  que 
de  sa  mort  prochaine ,  de  la  trahison  qui  se  tramait 
contre  lui ,  et  de  toutes  les  suites  funestes  de  ce 
complot.  Quoiqu'ils  ne  dussent  être  occupés  que 
d'un  si  triste  et  si  étrange  événement ,  leur  ambition 
les  emporte.  Et,  encore  assis  à  la  table  où  Jésus  leur 
avait  donné  la  communion,  mystère  d'abaissement , 
où  le  caractère  de  l'humilité  de  Jésus  jusqu'à  la  mort 
de  la  croix  était  imprimé,  l'action  de  grâces  étant  à 
peine  achevée,  ils  se  disputent  entre  eux  la  pre- 
nu'ère  place.  Connaissons  le  génie  de  l'ambition, 
qui  ne  nous  quitte  jamais  au  milieu  des  événements 
les  plus  tristes,  et  parmi  les  pensées  et  les  exem- 
ples qui  nous  devraient  le  plus  porter  à  des  senti- 
ments contraires. 

Jésus-Christ  leur  dit  sur  ce  sujet  ce  qu'il  leur  avait 
déjà  dit  dans  les  occasions  que  nous  venons  de  mar- 
quer; et  il  le  répète  dans  un  temps  dont  toutes  les 
circonstances  le  devaient  encore  plus  imprimer 
dans  les  esprits ,  puisque  c'était  celui  de  sa  mort 

I  prochaine,  et  de  son  dernier  adieu. 

I  Mais  il  faut  encore  regarder  plus  loin.  Il  venait 
établir  un  nouvel  empire,  qui  aurait  son  gouverne- 
ment, et,  pour  ainsi  parler,  ses  magistrats;  et  il 
se  sert  de  cette  occasion  pour  montrer  quel  devait 
être  le  génie  de  ce  nouveau  gouvernement. 

Ce  qu'il  a  dessein  d'établir,  c'est  la  différence  des 
empires  et  des  gouvernements  du  monde,  d'avec 
celui  qu'il  venait  former.  Dans  ceux-là  est  le  faste, 
tout  s'y  fait  avec  hauteur  et  avec  empire,  souvent 
même  avec  arrogance,  avec  violence;  mais  parm» 

•  Luc  x\li ,  2i.  —  ï  Ilid.  23.  —3  Matlh.  XX ,  26.  Marc.  X, 
43. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


vous  le  premier  et  le  plus  grand  doit  devenir  le 
plus  petit,  et  celui  qui  gouverne  doit  être  le  servi- 
teur de  tous.  De  mime  que  le  Fils  de  l'homme  h' est 
pas  venu  se  faire  servir,  mais  servir  lui-même,  et 
donner  sa  vie  pour  la  rédemption  de  plusieurs. 
Car  vous  voyez  que  je  suis  parmi  vous  comme 
celui  qui  sert  '  ;  puisque  méuie  pendant  que  vous 
étiez  assis  à  table,  j'en  suis  sorti  pour  vous  servir, 
et  pour  vous  laver  les  pieds. 

Il  ne  dit  donc  pas  qu'il  n'y  a  point  de  conducteur, 
ni  qu'il  n'y  a  point  de  premier  parmi  eux;  mais  il 
dit  à  ces  conducteurs,  et  à  celui  même  qu'il  avait 
déjà  désigné  tant  de  fois  pour  être  le  premier,  que 
leur  administration  est  une  servitude  :  qu'ils  doivent, 
à  son  exemple,  être  la  victime  de  ceux  qu'ils  ont  à 
conduire;  et  qu'ils  doivent  paraître  les  derniers  de 
tous  par  leur  humilité. 

C'est  ce  qu'ont  pratique  les  apôtres.  Paul  se  rend 
serviteur  de  tous ,  et  se  fait  tout  à  tous ,  afin  de  les 
sauver  tous'  :  Pierre,  qui  était  le  premier  :  Je  parle 
à  vous,  quiètes  prêtre,  moi  qui  suis  prêtre  comme 
vous ,  et  qui  suis  de  plus  témoin  des  souffrances  de 
Jésus-Christ ,  et  devant  participer  à  sa  gloire  : 
paissez  le  troupeau  de  Dieu  qui  vous  est  commis  , 
veillant  sur  sa  conduite,  non  par  nécessité  et  par 
ûontrainte,  ni  par  intérêt;  mais  avec  une  affection 
sincère  et  volontaire;  non  en  dominant  sur  théri- 
tage  du  Seigneur,  77iais  en  vous  rendant  le  modèle 
de  fout  le  troupeau  :  et  lorsque  le  prince  des  pas- 
teurs paraîtra,  vous  recevrez  une  couronne  de 
gloire  qui  ne  se  flétrira  jamais  ^. 

Voyez  comme  il  se  souvient  des  paroles  de  Jésus- 
Christ.  Le  maître  dit  :  Les  rois  des  nations  les  do- 
minent; viais  il  n'en  est  pas  ainsi  parmi  vous*  : 
et  le  disciple.  Ne  dominant  point  sur  l'héritage 
du  Seigneur.  Il  faut  donc  ôter  du  milieu  de  nous 
i'esprix  de  domination ,  l'esprit  de  Oerté  et  de  hau- 
teur, l'esprit  d'orgueil,  l'esprit  d'intérêt;  mais  son- 
ger à  gagner  les  cœurs  par  l'humilité,  par  amour, 
et  en  donnant  bon  exemple. 

Le  maître  dit  :  Ceux  qui  exercent  la  domination 
et  la  puissance  sur  eux,  sont  appelés  bienfai- 
teurs *  :  c'était  un  titre  qu'on  avait  donné  à  de 
grands  rois,  qu'on  appelait  Evergètes,  bienfaiteurs  ; 
et  on  le  donnait  ordinairement  aux  grandes  puis- 
sances de  la  terre.  Elles  aimaient  à  être  honorées 
de  titres  qui  marquaient  bonté,  libéralité,  magni- 
ficence. Les  plus  grands  titres  des  grands  rois  sont 
ceux  qui  sont  tirés  de  la  douceur  :  témoin  ce  titre 
de  très-clément,  qu'on  donnait  aux  empereurs  : 
et  celui  de  scrénissime,  dont  on  honore  encore 
les  rois  et  les  princes.  Mais  vous ,  dit  le  Sauveur, 
ne  soyez  ^'ml  bienfaiteurs  en  cette  sorte,  pour 
vous  faire  honneur  de  ce  titre  ;  mais  en  vous  ren- 
dant en  effet  serviteurs  de  ceux  que  vous  aurez  à 
conduire. 

Le  maître  dit  :  J'ai  été  parmi  vous  comme 
serviteur  :  et  je  suis  venu  pour  donner  ma  vie 
en  rédemption  pour  plusieurs  ^.  Et  saint  Paul  a 

«  Va  «A.  11,26,27,28.  Luc.XXn,  26,27.  —  *I.  Cor.  IX, 
1»,  2>.  —  3  I.  Ret.  v,  1 ,  2,  3,  4.  —  <  Luc.  %XU,  25,  26.  — 
»  Ibii.  26.  —  «  laalt.  XX  ,  28. 


'M 

dit  aussi ,  comme  on  a  >-u ,  non-seulemont  :  Je 
me  suis  rendu  serviteur  de  tous;  mais  encore  : 
S'il  faut  que  jp  sois  immolé,  et  tout  mon  sang 
répandu  en  effusion  sur  le  sacrifice  de  votre  foi, 
je  m'en  réjouis  •  :  et  encore  :  Je  vais  être  immolé, 
et  l'ejfusion  commence  déjà  ». 

Ce  n'est  pas  qu'il  ne  doive  y  avoir  dans  les  pas- 
teurs de  l'Église  une  autorité;  et  s'ils  ne  devaient 
pas  agir  d'une  certaine  façon  avec  empire,  saint 
Paul  n'aurait  pas  écrit  à  Tite  :  Parlez  avec  tout 
empire  :  que  personne  ne  vous  méprise  ^  :  et  il 
n'aurait  pas  menacé  lui-même  de  venir  avec  la 
verge ,  et  de  châtier  toute  désobéissance  *.  Mais 
c'est,  dit  saint  Augustin,  que  ce  n'est  pas  nous, 
mais  Dieu  et  sa  vérité,  que  nous  voulons  faire 
craindre  dans  notre  parole. 

Voilà  donc  comme  à  cette  fois,  et  après  l'exem- 
ple de  la  mort  de  Jésus-Christ,  ses  apôtres  sont 
changés.  Ils  ne  songent  plus  à  exercer  un  empire 
hautain  :  ils  gagnent  tout  par  l'humilité  et  par 
la  douceur  ;  ils  n'envient  plus  à  Pierre  la  préémi- 
nence. Il  prend  partout  la  parole,  et  personne  ne 
la  lui  conteste  *.  Foyez,  dit  saint  Chrysostôme  *  , 
comme  il  se  met  partout  a  la  tête,  et  comme  il 
agit  dans  cette  sainte  société,  comme  en  étant 
le  chef.  Personne  ne  s'y  oppose  plus;  et  ce  désir 
de  préséance ,  dont  ils  ont  été  autrefois  si  animés , 
a  entièrement  cessé.  Pierre,  qui  agit  partout 
comme  le  premier,  se  laisse  reprendre  par  Paul  7  : 
sur  quoi  les  Pères  remarquent  :  Il  ne  dit  pas  :  Je 
suis  le  premier,  et  je  dois  être  révéré  et  obéi  par 
ceux  qui  sont  après  moi;  mais  il  se  laisse  con- 
tredire jusqu'à  lui  résister  en  face,  et  il  loue  les 
lettres  de  saint  Paul  «,  où  il  est  expressément 
porté,  qu'il  ne  marchait  pas  droit  selon  la  vérité 
de  r Évangile 9,  jusqu'à  les  mettre  au  rang  des 
Écritures  inspirées  de  Dieu. 

Changeons  donc  aussi  avec  les  apôtres.  Si  la 
mort  de  Jésus-Christ  a  éteint  en  eux  ces  senti- 
ments d'une  ambition  toujours  renaissante,  fai- 
sons-les aussi  mourir  en  nous;  et  puisque  les  chefs 
du  troupeau  sont  si  humbles,  songeons  à  l'humilité 
qui  convient  aux  simples  brebis. 

LXVm*  JOUR- 

Royaume  de  Diea ,  à  qui  destiné.  Luc.  xxii,  28 ,  2f ,  90. 

rov^  êtes  ceux  qui  êtes  demeurés  avec  moi  dans 
mes  tentations '° ,  dans  mes  peines  :  comme  s'il 
disait  :  Le  désir  de  la  gloire  vous  tourmente;  voici 
en  quoi  vous  devez  mettre  votre  gloire ,  c'est  de 
ne  m'avoir  point  abandonné  au  milieu  de  mes 
périls  et  de  mes  peines.  Et  moi  aussi,  je  tous 
prépare  le  royaume,  comme  mon  Père  me  l'a  pré-, 
paré  ",  le  même  qu'il  m'a  préparé,  un  royaume 
éternel  et  inébranlable.  N'y  a-t-il  pas  là  de  quoi 
contenter  votre  ambition?  au  lieu  de  vous  amuser 
à  vous  disputer  l'un  à  l'autre  sur  des  préférences 

'  Philip,  n,  17.  —  '  II.  Tim.  IT,  6.  —  »  Tit.  n,  15.  — 
*  I.  Cor.  nr,  21.  —  *  Act.  i,  13,  15;  n,  14;  m,  i2;  rv,  8;  T, 
29;x  ,  6;  XI,  4, 17;  XT,7,  etc.  —  *  In  Act.  Apost.  hom.  3  el 
aliki.  —  '  Gai.  n,  H  ,  14.  —  •  II.  Pet.  m,  16,  I«.  —  •  GaL 
ibid.  —  •  Liif.  \xa  ,  28.  —  »  Ihid.  2«. 


724 


MÉDITATIONS  SUR  UÉVANGILK. 


temporelles.  Quand  vous  sei^ez  clans  ce  royaume, 
je.  cous  y  ferai  asseoir  à  ma  table;  vous  y  mange- 
rez et  vous  y  boirez  avec  moi  '.  Vous  y  mangerez 
tous  sans  distinction  les  mêmes  viandes;  vous  serez 
tcus  également  rassasiés  des  délices  et  de  l'abon- 
dance de  ma  maison  :  nul  ne  portera  envie  aux 
autres,  parce  que  tous  ensemble  vous  serez  heu- 
reux. On  se  dispute  les  avantages  de  la  terre ,  par- 
ce que  qui  les  possède  les  partage,  et  ne  peut  les 
laisser  aux  autres  en  leur  entier  :  mais  à  ma  table 
et  dans  mon  royaume  la  plénitude  du  bien  y  est  si 
grande ,  que  tout  le  monde  le  peut  posséder  sans 
diminution. 

"S'ous  demandez  des  trônes  et  des  premières  pla- 
ces ;  voici  le  trône  que  je  vous  prépare  :  Fous  serez 
assis  sur  douze  trônes,  et  vous  jugerez  avec  moi 
les  douze  tribus  d'Israël  *.  Vous  les  jugerez  et  avec 
moi ,  vous  serez  tous  mes  assesseurs  :  et  vous 
songez  aux  petits  honneurs  et  aux  petits  avantages 
que  vous  pouvez  espérer  sur  la  terre!  Levez  les 
yeux  aux  grandeurs,  à  la  puissance,  aux  trônes  que 
je  vous  prépare  dans  ces  dernières  assises,  où  tout 
l'univers  sera  jugé  par  une  dernière  et  irrévocable 
sentence. 

Quoi  !  l'ambition  ne  mourra  pas  à  ces  paroles  ! 
il  ne  reste  plus  qu'à  songer  à  qui  cette  gloire  est 
promise.  C'est  à  ceux  qui  persévèrent  avec  Jésus- 
Christ  dans  ses  tentations,  qui  le  suivent  à  la  croix, 
qui  portent  sa  croix  avec  lui  tous  les  jours,  qui 
ont  tout  quitté  pour  lui  :  Fous,  dit-il,  qui  avez 
tout  quitté  pour  me  siUvre ,  vous  serez  assis  sur 
douze  sièges ,  jugeant  les  douze  tribus  d'Israël^. 

LXIX«  JOUR. 

Pouvoir  de  Satan. 

Et  le  Seigneur  dit:  Simon,  Simon;  je  t'appelle 
par  deux  fois  :  sois  attentif.  Satan  a  demandé  à 
vous  cribler  tous  vous  aidres ,  comme  on  crible  le 
froment  4.  Quelle  puissance  de  Satan  !  Cribler  les 
hommes ,  les  apôtres  mêmes ,  les  agiter,  les  jeter 
en  l'air,  les  précipiter  en  bas,  en  faire,  en  un  mot 
tout  ce  qu'il  veut.  Qui  a  donné  ce  droit  à  Satan  ] 
sinon  le  péché?  C'est  par  le  péché  qu'il  a  vaincu 
l'homme,  qui,  ensuite  de  la  victoire,  lui  a  été  li- 
vré comme  son  esclave.  C'est  pourquoi  il  en  use 
avec  un  pouvoir  tyrannique  :  néanmoins  il  ne  fait 
rien  de  lui-même;  il  demande  :  c'est  une  puissance 
maligne,  malfaisante,  tyrannique;  mais  soumise 
à  la  puissance  et  à  la  justice  suprême  de  Dieu. 

11  a  demandé  qu'on  mit  Job  en  sa  puissance^. 
Il  est  appelé  l'accusateur  de  nos  frères^.  Et  Dieu 
lui  livre  qui  il  lui  plaît  selon  les  règles  de  sa  jus- 
tice, selon  lesquelles  le  démon  a  droit  de  lui  de- 
mander ceux  en  qui  il  trouve  du  sien ,  c'est-à-dire 
ceux  où  il  trouve  le  péché.  C'est  pourquoi  Jésus 
dira  bientôt  :  Le  prince  de  ce  monde  avance;  il 
n'a  rien  du  tout  en  moi  i  ;  mais  pour  le  reste  des 
hommes,  il  n'a  que  trop  en  eux.  11  n'avait  que 

■  '  Luc.  XXn,  30.  — 'ifeid.  —  3  Matth.  XIX,  27,  28,  29.  — 
*  Luc.  Xïll,  31.  —^Job.\,  II,  12;  n,  3,  5,6,  l.—*Apoc, 
lU,  10.    -'  Joan.  XIV,  30. 


trop  sur  les  apôtres ,  qui  étaient  encore  posséd<''S 
de  la  vaine  gloire,  l'un  des  plus  mauvais  caractères- 
de  Satan,  qui  est  devenu  Satan  par  ambition  et 
par  orgueil.  Et  c'est  pourquoi  Jésus-Christ  prend      . 
occasion  de  leur  parler  de  la  demande  de  Satan ,      j 
à  l'occasion  de  la  vaine  gloire  qui  venait  de  paraî-      ' 
tre  en  eux,  et  de  leur  dispute  ambitieuse.  Vous 
vous  tourmentez  qui  aura  la  première  place;  vous 
avez  bien  d'autres  affaires  qui  devraient  vous  occu- 
per :  Satan  entre  au  milieu  de  vous  par  vos  dis- 
putes ;  vous  lui  avez  donné  lieu ,  et  lui  avez  fait 
une  ouverture  bien  grande  pour  vous  dissiper,  pour     J 
vous  cribler.  Tout  ce  qui  est  possédé  de  la  vaine    J 
gloire  est  léger,  et  propre  au  crible  de  Satan.  Au 
lieu  donc  de  vous  disputer  sur  des  préséances  ridi- 
cules, et  de  devenir  par  là  la  risée  et  la  proie  de 
l'enfer,  unissez- vous  contre  une  puissance  si  redou^ 
table. 

LXX«  JOUR. 

Primauté  de  saint  Pierre.  Prédiction  de  sa  chute  par  son 
orgueil.  Luc.  xxii,  31  ,34. 

Satan  a  demandé  de  vous  crible?-  tous;  mais, 
Pierre,  j'ai  prié  pour  toi  '.  Jésus-Christ  nous 
apprend  que  nous  n'avons  de  secours  contre  Satan 
que  dans  l'intercession  et  la  médiation  de  Jésus» 
Christ  même. 

Admirons  la  profondeur  de  sa  sagesse.  Parce 
qu'en  réprimant  l'ambition  de  ses  apôtres,  il  avait 
parlé  d'une  manière  qui  eût  pu  donner  lieu  à  ceux 
qui  n'auraient  pas  bien  pesé  ses  paroles,  de  croire 
qu'il  n'avait  laissé  aucune  primauté  dans  son 
Église ,  et  qu'il  avait  même  affaibli  celle  qu'il  avait 
donnée  à  saint  Pierre ,  il  parle  ici  d'une  manière 
qui  fait  bien  voir  le  contraire.  Satan,  dit-il ,  a  de- 
mandé de  vous  cribler  tous  ;  mais ,  Pierre,  j'ai 
prié  pour  toi ,  pour  toi  en  particulier,  pour  toi 
avec  distinction  :  non  qu'il  ait  négligé  les  autres; 
mais,  comme  l'expliquent  les  saints  Pères,  parce 
qu'en  affermissant  le  chef,  il  voulait  empêcher 
par  là  que  les  membres  ne  vacillassent.  C'est  pour- 
quoi il  dit  :  J'ai  prié  pour  loi  ;  et  non  pas ,  J'ai 
prié  pour  vous.  Et  que  l'effet  de  cette  prière  qu'il 
faisait  pour  Pierre ,  regardât  les  autres  apôtres  ; 
la  suite  du  discours  le  fait  paraître  manifestement , 
puisqu'il  ajoute  aussitôt  après  :  Et  toi,  quand  tu 
seras  converti,  confirme  tes  frères^. 

Quand  il  dit  :  J'ai  prié  pour  toi,  que  ta  fol  ne 
défaille  pas  :  il  ne  parle  pas  de  cette  foi  morte 
qui  peut  rester  dans  les  pécheurs ,  parce  que  celle- 
là  n'empêche  pas  qu'on  ne  soit  criblé  par  Satan  : 
c'est  cette  foi  qui  opère  par  la  charité,  laquelle, 
dit-il,  j'ai  demandé  qu'elle  ne  défaillît  point  en 
toi.  Jésus-Christ  le  demandant  ainsi ,  lui  qui  dit  : 
Je  sais,  mon  Père,  qiie  vous  m'éeoutez  tou- 
jours ^  ;  qui  peut  douter  que  saint  Pierre  n'ait  reçu 
par  cette  prière  une  foi  constante,  invincible,  iné- 
branlable ,  et  si  abondante  d'ailleurs ,  qu'elle  fiit 
capable  d'affermir,  non-seulement  le  commun  des 
fidèles ,  mais  encore  ses  frères  les  apôtres ,  et  les 

'  Luc.  XXII ,  31 ,  32,  —  '  Ibid.  32.  —  '  Joan.  xi ,  42. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


I 


pasteurs  du  troupeau,  tn  empêchant  Satan  de  les 
cribler? 

Et  cette  parole  revient  manifestement  à  celle 
où  il  avait  dit  :  Tu  es  Pierre,  je  t'ai  changé  ton 
nom  de  Sinjon  en  celui  de  Pierre ,  en  signe  de  la 
fermeté  que  je  te  veux  communiquer,  non-seule- 
ment pour  toi,  mais  encore  pour  toute  mon  f^lise; 
car  je  la  veux  bâtir  sur  cette  pierre.  Je  veux  met- 
tre en  toi,  d'une  manière  éminente  et  particulière, 
la  prédication  de  la  foi,  qui  en  sera  le  fondement, 
et  les  portes  d'enfer  ne  prévaudront  point  contre 
elle  »,  c'est-à-dire,  qu'elle  sera  affermie  contre 
tous  les  efforts  de  Satan ,  jusqu'à  être  inébranla- 
ble. Et  cela,  qu'est-ce  autre  chose  que  ce  que  Jé- 
sus-Christ répète  ici  :  Satan  a  demandé  de  vous 
cribler;  mais,  Pierre,  j'ai  prié  pour  toi,  ta  foi 
ne  défaudra  pas;  et  toi,  confirme  tes  frères? 

Il  est  donc  de  nouveau  chargé  de  toute  l'Église  : 
il  est  chargé  de  tous  ses  frères,  puisque  Jésus-Christ 
lui  ordonne  de  les  affermir  dans  cette  foi ,  qu'il 
venait  de  rendre  invincible  par  sa  prière. 

Voilà  quelque  chose  de  grand  pour  saint  Pierre. 
Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que ,  de  peur  qu'il  ne 
s'enorgueillît  d'une  si  haute  promesse ,  elle  est  sui- 
vie incontinent  de  la  prédiction  de  sa  chute  :  car 
voici  ce  qui  suit  :  £t  Pierre  lui  dit  :  Seigneur,  je 
suis  prêt  d'aller  avec  cous ,  et  dans  la  prison,  et  à 
la  mort  même  :  et  Jésus  lui  répondit  :  Je  te  le  dis , 
Pierre,  \%  te  le  déclare,  que  le  coq  ne  chantera  point 
aujourd'hui,  que  tu  n'aies  nié  trois  fois  que  tu  vie 
connaisses*. 

Quand  Dieu  fait  ou  promet  de  grandes  grâces , 
il  faut  s'humilier,  et  reconnaître  de  qui  elles  vien- 
nent. Au  lieu  de  considérer  sa  faiblesse,  Pierre 
s'emporta  jusqu'à  dire  avec  fierté  et  arrogance  : 
.Seigneur,  je  suis  prêt  à  vous  suivi'e  partout  et 
jusqu'à  la  mort.  Mais  Jésus  -  Christ ,  qui  l'avait 
élevé  si  haut,  sait  bien  rabattre  son  orgueil  :  Si- 
mon,  dit-il,  fai  prié  pour  toi,  ta  foi  ne  défau- 
dra point;  confirme  tes  frères.  Et  un  moment 
après  :  Je  te  le  déclare  à  toi,  à  qui  je  viens  de 
(lire  de  si  grandes  choses  ;  mais  à  toi ,  qui  pré- 
sumes de  toi-même,  au  lieu  de  t'humilier  de  mes 
àons,je  te  déclare,  dis-je,  que  tu  tomberas  ceffe 
nuit,  dans  un  moment,  et  par  trois  fois,  dans  une 
honteuse  et  manifeste  infidélité;  afin  que  tu  sentes 
que  si  tu  portais  un  grand  trésor,  tu  le  portais  dans 
un  fragile  vaisseau  de  terre,  et  que  ce  qui  se  fait 
en  toi  de  grand,  se  fait  non  point  par  toi-même, 
mais  par  la  sublimité  de  la  vertu  de  Dieu  ^. 

Et  si  nous  pénétrons  toute  la  suite  des  paroles 
de  Jésus-Christ,  nous  verrons  que  la  chute  de  saint 
Pierre  arrive  par  une  permission  spéciale  en  puni- 
tion de  son  orgueil,  et  pour  lui  apprendre  l'humi- 
Irté  :  car  celui  qui  dit  :  J'ai  prié  pour  toi,  afin  que 
ta  foi  ne  défaille  point ,  pouvait  prier ,  non-seule- 
ment afin  qu'elle  ne  défaillît  pas  finalement,  ni  pour 
longtemps,  comme  il  est  arrivé  à  Pierre,  qui  se 
réveilla  à  l'instant ,  et  au  premier  regard  de  Jésus- 
Christ;  mais  encore  afin  qu'elle  ne  souffrit  point 

•    •  Matlh  xvr  18.  — 'Iiir.  XXII.  33,  :M.  —  ^II.  Cor.  iv,7. 


4   A^ 

pour  ainsi  parler,  cette  courte  éclipse.  Mais  il  re 
le  voulut  pas  ;  et  il  aima  mieux  permettre  que  Pierre 
fût  humilié  par  sa  chute. 

Et  c'est  pourquoi  les  saints,  en  considérant 
toute  la  suite  de  l'Évangile ,  n'hésitent  pas  à  con- 
fesser que  saint  Pierre  fut  délaissé,  et  que  la  grAce 
se  retira  de  lui;  non  point  d'elle-même  (car  c'est 
ce  qui  ne  peut  jamais  arriver),  mais  comme  nous 
le  verrons  encore  plus  clairement  dans  la  suite , 
parce  qu'il  avait  présumé,  et  qu'il  est  utile  aux 
présomptueux  comme  lui  de  tomber  dans  un  pé- 
ché manifeste ,  pour  apprendre  à  se  défier  de  leurs 
forces.  Ce  qui  est  encore  plus  utile  à  ceux  qui , 
comme  saint  Pierre,  devaient  être  élevés  dans 
les  grandes  places  de  l'Église,  et  mis  bien  haut  sur 
le  chandelier.  Car  comme  leur  élévation  les  porte 
naturellement  à  s'enfler,  et  à  exercer  leur  puis- 
sance avec  hauteur,  Jésus-Christ  leur  apprend,  par 
l'exemple  de  saint  Pierre,  comme  saint  Pierre  lui- 
même  l'avait  appris  par  son  expérience,  à  crain- 
dre d'autant  plus  de  tomber,  que  leur  péril  est  plus 
grand,  et  leur  chute  plus  éclatante  et  plus  scanda- 
leuse. 

Au  reste,  en  élevant  saint  Pierre  si  haut,  no- 
tre Seigneur,  si  on  peut  parler  ainsi ,  avait  pris  ses 
précautions,  pour  prévenir  tous  les  sentiments  de 
présomption,  qui  pouvaient  entrer  dans  son  cœur. 
Car  en  même  temps  qu'il  lui  disait  :  Ta  foi  ne 
défaudra  point,  et  confirme  tes  frères  :  il  ajou- 
tait :  lorsque  tu  seras  converti,  lui  insinuant  sa 
chute,  et  lui  faisant  voir  qu'il  devait  attribuer  le 
bien  qu'il  ferait  à  la  bonté  de  son  maître,  qui  avait 
daigné  demander  pour  lui  de  si  grandes  choses. 
Mais  saint  Pierre  ne  veut  point  entendre  tout  cela  : 
au  contraire ,  piqué ,  ce  semble ,  de  ce  mot  de  con- 
version dont  Jésus-Christ  s'était  servi,  loin  de 
songer  qu'il  pouvait  tomber  d'autant  plus  dange- 
reusement, qu'il  était  élevé  plus  haut;  il  ne  songe 
qu'à  vanter  son  courage  ;  et  il  oublie  la  grâce  qui 
seule  le  pouvait  soutenir. 

Les  excès  où  il  a  poussé  sa  .présomption  se  dé- 
clareront davantage  dans  la  suite;  et  ils  obligèrent 
son  maître  à  retirer  sa  main  pour  un  moment. 
Mais  sa  chute  n'empêcha  pas  l'effet  des  promesses 
et  des  desseins  de  Jésus-Christ.  Car  encore  qu'il 
ait  renié ,  et  par  trois  fois ,  et  la  dernière  fois  avec 
blasphème  et  exécration;  en  sorte  que,  dans  ce 
genre  de  crime  ^  il  ne  pouvait  pas  tomber  plus  bas  : 
Jésus ,  qui  fond  les  cœurs  par  ses  regards ,  lui  en 
réserve  un  des  plus  efficaces  et  des  plus  tendres; 
et  cet  homme,  si  entêté  de  lui-même  et  de  son  cou- 
rage, se  retire  fondant  en  larmes;  et  celui  qui 
était  tombé ,  parce  que  son  maître  avait  détourné 
sa  face  pour  un  moment ,  apprend  qu'il  n'est  con- 
verti que  parce  qu'il  a  daigné  jeter  sur  lui  un  re- 
gard. 

C'est  donc  alors  qu'il  commença  à  recevoir  cette 
force  qui  lui  avait  été  promise,  il  fit  une  grande 
chute;  mais  il  fut  incontinent  relevé.  Sa  foi  ne  se 
perdit  que  pour  un  moment;  mais  elle  ne  défaillit 
pas  pour  longtemps.  Au  contraire,  elle  revint 
pins  ferme  et  plus  vigoureu.^e  qu'elle  n'avait  él4 


726 


MÉDITATIOiNS  SUR  L'ÉVANGILE. 


devant  sa  chute  :  Jésus-Christ  accomplit  en  lui  ce 
qu'il  lui  avait  promis;  et  il  se  servit  de  lui  pour 
confirmer  ses  frères.  C'est  pourquoi  il  fut  le  pre- 
mier des  apôtres,  à  qui  il  apparut  après  sa  résur- 
rection. //  apparut,  dit  saint  Paul',  à  Céphas , 
et  puîs  aux  onze  :  et  on  disait  parmi  les  disci- 
ples :  //  est  vraiment  ressuscité ,  et  il  a  apparu 
à  Simon  ».  Il  avait  apparu  à  ces  femmes  pieuses  ; 
mais  on  ne  parlait,  parmi  les  frères,  que  du  témoi- 
gnage de  Simon  qui  les  devait  confirmer.  C'est  lui 
aussi,  à  qui  saint  Jean  avait  réservé  l'honneur 
d'entrer  le  premier  dans  le  tombeau ,  où  il  n'était 
arrivé  que  le  second  ^  ;  afin  qu'il  fût  le  premier 
témoin  des  marques  de  la  résurrection.  Dès  lors 
il  est  marqué  que  saint  Jean  vit  ces  marques,  et 
qu'il  crut.  Mais  on  ne  célèbre  avec  distinction , 
parmi  les  disciples,  que  la  foi  de  Pierre,  et  non 
pas  celle  de  Jean  ^. 

Lorsqu'ils  allèrent  à  la  pêche  où  Jésus  devait 
apparaître,  pour  montrer  les  effets  de  la  pêche  spi- 
rituelle, pour  laquelle  il  les  avait  choisis,  ce  fut 
Pierre  qui  dit  le  premier  :  Je  m'en  vais  pêcher; 
et  les  autres  le  suivirent,  en  disant  :  Nous  y  al- 
lons aussi.  Le  bien-aimé  disciple  qui  connut  Jésus 
le  premier,  l'indiqua  à  Pierre  seul,  et  il  lui  dit  : 
C'est  le  Seigneur.  Ce  fut  Pierre  et  non  pas  Jean  , 
qui  se  jeta  dans  la  mer  :  ce  fut  Pierre  et  non  pas 
Jean ,  ni  les  autres ,  qui  amenèrent  au  Sauveur  les 
cent  cinquante-trois  poissons  mystérieux  qui  ne 
rompaient  point  le  filet,  et  qui  figuraient  les  vrais 
fidèles  qui  devaient  demeurer  pris  heureusement 
dans  les  rets  de  la  prédication  évangélique.  Pierre, 
toujours  à  la  tête  de  cette  pêche  mystérieuse,  à 
qui  Jésus  avait  dit  spécialement  durant  sa  vie 
mortelle  :  Mène  la  nacelle  en  pleine  eau,  et 
je  te  ferai  pêcheur  d'hommes  ^  :  qui ,  à  la  pa- 
role de  Jésus ,  avait  en  effet  amené  tant  de  pois- 
sons, que  deux  barques  en  furent  pleines,  jusque 
presque  à  couler  à  tond  :  ce  Pierre  lui-même  con- 
duit cette  pêche  encore  plus  belle  et  plus  mysté- 
rieuse ,  que  les  apôtres  firent  sous  les  yeux  de  Jé- 
sus-Christ ressuscité.  Et  tout  cela  en  figure  de  la 
prédication  apostolique ,  qui ,  commencée  par  saint 
Pierre  le  jour  de  la  Pentecôte  et  les  jours  suivants, 
amena  tant  de  milliers  d'âmes  à  Jésus-Christ,  et 
forma  à  Jérusalem  le  corps  de  l'Église,  qui  devait 
ensuite  se  multiplier  avec  une  telle  fécondité  par 
toute  la  terre. 

Voilà  ce  que  figurait  cette  pêche  des  apôtres , 
saint  Pierre  étant  à  la  tête,  et  les  confirmant  par 
son  exemple.  C'est  pourquoi  Jésus-Christ  lui  dit 
encore ,  et  non  pas  à  Jean ,  ni  aux  autres ,  dans 
le  temps  de  cette  pêche  :  Pais  mes  brebis,  pais 
mes  agneaux  ^  :  pais  les  mères  comme  les  petits  : 
«e  qui  revient  au  commandement  de  les  affermir 
dans  la  foi,  puisque  cela  même,  c'est  gouverner  le 
troupeau.  C'est,  dis-je,  le  gouverner,  que  d'y  af- 
fermir cet  esprit  de  foi ,  et  le  paître  par  la  parole. 
Aussi  est-ce  lui  qui,  en  attendant  la  descente  du 

»  I.  Cor.  XV,  5.  —  »  Luc.  XXIV,  34.  —  '  Joan.  xx ,  4,8.— 
*  nid.  XXI.  3,  7,  II.—'  Puc.\,  4,  II.  —  «  Joan.  XXI,  15, 
1«,  17'. 


Saint-Esprit",  fut  le  conducteur  des  apôlres  dons 
cette  mémorable  action  où  ils  firent  le  supplément 
du  collège  apostolique;  et  mirent  à  la  place  de  Ju- 
das ,  un  témoin  de  la  vie  et  de  la  résun^ection 
de  Jésus-Christ  ^  ^qu\,  recevant  avec  eux  tons  le 
Saint-Esprit  qu'ils   attendaient,  reçut  en  même 
temps  la  grâce  de  porter  ce  témoignage  dans  tout 
l'univers  '.  C'est  donc  par  Pierre  principalement, 
qu'il  est  rangé  parmi  les  apôtres  '.  Pierre  cal 
partout  à  la  tête  de  la  prédication,  et  mène,  pour 
ainsi  dire,  ses  frères  les  apôtres  au  combat.  C'est 
lui  qui  en  entreprit  la   défense  devant  tout  le 
peuple,  lorsqu'on  les  accusa  d'être  ivres  de  vin, 
pendant  qu'ils  ne  l'étaient  que  de  l'esprit  de  Dieu  4. 
Pierre  fait  le  premier  miracle  qui  parut ,  en  con- 
firmation de  la  résurrection  de  Jésus-Christ  *.  Ce 
fut  lui  qui  fit  un  exemple  d'Ananias  et  de  Saphira  ^  : 
ce  premier  coup  de  foudre,  qui  inspira  aux  fidè- 
les une  salutaire  terreur,  et  qui  affermit   l'auto- 
rité du  gouvernement  apostolique,   partit  de  sa 
bouche.  Ce  fut  lui  qui  frappa  d'anathème  Simon 
le  magicien,  et  en  sa  personne  tous  les  hérétiques, 
dont  cet  impie  était  comme  le  chef  7 .  Ce  fut  lui 
qui  visita  le  premier  les  Églises  persécutées,  comme 
leur  père  commun  :  afin    que  non-seulement  la 
prédication,  mais  encore  la  visite  des  églises,  qui 
est  le  nerf  du  gouvernement  ecclésiastique,  fût 
commencée  et  comme  consacrée  en  sa  personne. 
Quoique  apôtre  spécial  des  Juifs,  qui  étaient  dans 
ces  commencements  la  principale  portion,  et  comme 
le  premier  lot  de  l'héritage  de  Jésus-Christ,  ce  fut 
lui  qui   consacra   les  prémices  des  Gentils  en  la 
personne  de  Corneille  le  Centenier  •  :  les  disciples 
qui  appréhendaient  qu'il  n'eût  excédé,  en  annon- 
çant l'Évangile  aux  Gentils,  apprirent  de  lui  que 
le  Saint-Esprit  leur  était  commun  avec  eux;  et 
furent  affermis  dans  les  véritables  sentiments  par 
sa  paroles. 

Paul ,  destiné  par  Jésus-Christ  à  être  le  prédica- 
teur particulier  des  Gentils,  avant  que  d'être  em- 
ployé à  ce  ministère ,  et  que  d'exercer  pleinement 
son  apostolat,  va  voir  Pierre  pour  le  contempler, 
dit  l'original  •",  comme  le  chef  du  troupeau,  comme 
la  merveille  de  l'Église ,  ainsi  que  l'expliquent  les 
saints  Pères.  Saint  Jacques  y  était  :  mais  ce  n'est 
point  saint  Jacques  que  saint  Paul  allait  voir  :  il 
alla,  dit-il,  voir  Pierre:  il  demeura  quinze  jours 
avec  lui;  et  il  autorise  sa  prédication  par  ce  témoi- 
gnage. Ce  qui  nous  fait  voir  que  lorsque ,  quatorze 
ans  après,  suivant  une  révélation  du  Saint-Esprit , 
il  vint  à  Jérusalem  conférer  avec  les  apôtres  de  l'É- 
vangile qu'il  prêchait  aux  Gentils"  ,  c'était  encore 
principalement  saint  Pierre  qu'il  venait  chercher. 
Quand  il  fallut  autoriser  dans  le  concile  de  Jéru- 
salem la  liberté  des  Gentils  par  un  décret  qui  mé- 
rita d'être  prononcé  au  nom  du  Saint-Esprit ,  saint 
Pierre  y  paraît  le  premier  comme  partout  ailleurs  : 
ce  fut  lui  qui  résolut  la  question  pour  laquelle  on 

'  Act.  1 ,  15 ,  22.  —  »  Ibid.  26.  —  '  Ibid.  II ,  14.  —4  Ibid.  15. 
—  ^Ibid.in,  6.  —*  Ibid.  v,  3,  5,8,  10.  —  '  Ibid.\m,9,  18, 
20;  IX,  32.—»  Ibid.  X,  9,  19,35.  —  »  Ibid.  XI,  I,  2,  3,  4, 
15,  17.  —  '"  Gal.l,  18,  19,-^"  Jbid.U,  I,  6,  ». 


MEWTATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


était  assemblé,  et  snint  Jacques  déclare  qu'il  se 
rangeait  à  son  avis.  Il* est  à  la  tète  de  tout,  et  tout 
est  confirmé  par  son  sentiment'.  Ainsi  la  chute  de 
saint  Pierre,  loin  d'avoir  anéanti  la  promesse  de 
Jésus-Christ,  en  fait  éclater  davantage  la  vérité. 

Pierre,  instruit  d'où  venait  sa  force,  agit  avec 
d'autant  plus  de  confiance ,  que  sa  confiance  n'a- 
vait plus  rien  d'humain':  la  modestie  et  Thumilité 
le  suivent  partout.  Autant  que  son  autorité  est 
ominente  dans  l'Église,  autant  est-on  édifié  par  la 
douceur  de  son  gouvernement.  Nous  avons  vu  les 
belles  paroles  avec  lesquelles  il  bannit  de  l'Église 
l'esprit  de  domination ,  et  apprend  à  tous  les  pas- 
teurs, que  la  force  du  gouvernement  ecclésiastique 
est  à  faire  le  premier  ce  qu'on  enseigne  aux  autres  : 
forma  Jacti  gregis  ex  animo  :  en  un  mot ,  à  se  ren- 
dre le  modèle  du  troupeau  de  tout  son  cœur*.  Pour 
apprendre  par  son  exemple  à  tous  les  fidèles,  à  pro- 
fiter des  corrections  où  consiste  la  force  de  l'Église, 
tout  chef  de  l'Église  qu'il  était ,  il  reçoit  la  cor- 
rection de  saint  Paul  avec  une  déférence  qui  ne 
sera  jamais  assez  louée ^.  Car  encore  qu'iljie  fût  pas 
seul  à  tenir  envers  les  Gentils  la  conduite  que  saint 
Paul  blâmait,  et  que  saint  Jacques  en  fût  le  prin- 
cipal auteur,  il  reconnut  que  saint  Paul  avait  rai- 
son de  se  prendre  à  lui  de  cette  faute,  comme  à  ce- 
lui qui,  étant  à  la  tête,  l'autorisait  davantage  par 
son  exemple.  I!  se  laisse  donc  reprendre  en  face, 
devant  tout  le  monde;  et,  loin  de  s'offenser  de  ce 
qu'on  avait  consacré  la  mémoire  d'une  si  vive  ré- 
préhension  dans  une  épître,  que  toutes  les  Églises 
lisaient  comme  divine,  on  a  vu  qu'il  la  met  lui- 
même  ,  comme  les  autres  épîtres  de  saint  Paul ,  au 
rang  des  écritures  canoniques  4.  Une  seule  chute 
éteignit  pour  jamais  en  lui  la  présomption  :  il  mon- 
tra que  la  primauté  consiste  principalement  à  savoir 
céder  à  la  vérité  plus  que  les  autres.  On  ne  put  plus 
résister  à  la  conduite  que  tenait  saint  Paul ,  après 
que  le  prince  des  apôtres  eut  cédé  :  et  la  véritable 
manière  de  traiter  avec  les  Gentils  demeura  autant 
affermie  par  l'humilité  de  saint  Pierre,  que  par  la 
vigueur  de  saint  Paul. 

LXXP  JOUR. 

Constmetion  de  l'Église.  Prière  de  Notre-Seigneur  pour 
saint  Pierre  ;  et  en  sa  personne  pour  les  élus.  Luc.  xxii, 
32. 

Il  faut  encore  s'élever  plus  haut ,  et  pour  affer- 
mir notre  foi ,  contempler  dans  les  paroles  de  Jésus- 
Christ  toute  la  constitution  de  son  Église. 

La  prière  qu'il  fait  pour  saint  Pierre  n'est  pas 
particulière  à  cet  apôtre  :  il  est  la  figure  de  tous 
les  élus ,  pour  qui  Jésus-Christ  prie  spécialement  ; 
et  quoiqu'il  ne  leur  déclare  pas  à  tous,  comme  il 
fait  à  saint  Pierre,  qu'il  prie  que  leur  foi  ne  défaille 
pas,  il  a  pourtant  fait  pour  eux  tous  cette  prière 
d'une  certaine  façon.  Et  deux  choses  sont  vérita- 
bles :  l'une ,  que  Jésus-Christ  leur  a  obtenu  cette 
grâce  singulière,  que  leur  foi  ne  défaillit  pas  à 

'  ^ct.  rr,  7,  13,  li,  19,  20.  —  '  I.  Pet.  v,  3.  —  *  Gai.  u  , 
It,  12,  13,  I*.  —  <  II.  Pet.  III,  15,  IC. 


71'7 

jamais  et  finalement  :  ce  qui  emporte  la  grâce  de  la 
persévérance  finale.  L'autre ,  que  nul  ne  reçoit  cette 
grâce  pour  qui  Jésus-Christ  ne  l'ait  demandée ,  et 
ne  la  demande  continuellement  à  son  Parc,  par 
cette  perpétuelle  intercession  qu'il  fait  pour  nous. 
Reconnaissons  donc  l'effet  de  cette  intercession 
toute-puissante,  dans  tout  le  bien  qui  est  en  nous, 
en  quelque  degré  qu'il  nous  soit  donné;  et  recon- 
naissons-le principalement,  lorsque,  remplissant 
nos  cœurs  d'une  douce  confiance  en  sa  miséricorde , 
il  nous  fait  marcher  d'un  pas  ferme  dans  ses  voies , 
sans  nous  détourner  ni  à  droite  ni  à  gauche. 

Gardons-nous  pourtant  bien  de  croire  que  ce 
soit  \\ii  qui  fasse  tout  sans  notre  coopération  :  mais 
qu'à  l'exemple  de  saint  Pierre,  la  confiance  que 
nous  aurons  en  cette  puissante  intercession  de 
Jésus-Christ  nous  rende  plus  vigilants,  plus  atten- 
tifs à  notre  salut,  et  plus  fervents  à  la  prière.  Re- 
gardons saint  Pierre  qui  monte  au  temple  avec 
saint  Jean  à  l'heure  de  la  prière  de  none'  :  ce  qui 
marque  non-seulement  une  prière  réglée ,  mais  en- 
core une  prière  multipliée  dans  un  même  jour.  11 
ne  dit  pas  :  Je  n'ai  plus  besoin  de  prier,  puisque 
Jésus-Christ  m'a  dit  lui-même  qu'il  avait  prié  pour 
moi  :  au  contraire ,  Dieu  lui  fait  sentir  qu'il  faut  se 
joindre  en  esprit  à  cette  puissante  intercession  de 
notre  grand  avocat ,  de  notre  puissant  médiateur  ; 
et  demander  persévéramment  en  son  nom  tout  r*« 
qui  nous  est  nécessaire  pour  notre  salut. 

Et  saint  Pierre  n'était  pas  seulement  soigneux 
d'aller  faire  sa  prière  dans  le  temple  aux  heures 
marquées  pour  l'oraison  :  mais  encore  dans  la  mai- 
son ,  il  avait  ses  heures  réglées  pour  la  prière  :  il 
monta  à  l'heure  de  sexte,  c'est-à-dire,  vers  le  midi. 
au  plus  haut  de  la  maison,  au  lieu  le  plus  retiié, 
pour  prier*. 

Prions  donc,  à  son  exemple,  en  union  avec  Jésus- 
Christ.  Prions  avec  une  ferme  foi ,  et  une  pleine 
croyance  que  si  nous  persévérons  dans  la  prière, 
non-seulement  rien  ne  nous  manquera  pour  notre 
salut ,  mais  encore  nous  recevrons  une  abondance 
de  grâce  par  la  continuelle  influence  de  l'esprit  de 
Jésus-Christ  dans  nos  cœurs.  Car  il  veut  notre  salut , 
et  ne  veut  la  mort  de  personne ,  mais  plutôt  que 
nous  vivions  tous,  et  que  nous  soyons  sauvés  ^.  Vi- 
vons dans  cette  espérance  et  dans  cette  foi ,  tout  ce 
que  nous  sommes  de  chrétiens  que  le  baptême  a 
faits  ses  membres. 

LXXir  JOUR. 

La  foi  de  saint  Pierre  est  la  foi  de  l'Église  de  Rome,  où 
œt  le  centre  de  l'unité  catholique.  Luc.  xxii,  32. 

Suivons  le  mystère.  Cette  parole  :  Affermis  tes 
frères ,  n'est  pas  un  commandement  qu'il  fasse  en 
particulier  à  saint  Pierre  :  c'est  un  office  qu'il  érige 
et  qu'il  institue  dans  son  Église  à  perpétuité.  La 
forme  que  Jésus-Christ  adonnée  aux  disciples  qu'il 
rassemblait  autour  de  lui,  est  le  modèle  de  l'Église 
chrétienne  jusqu'à  la  fin  des  siècles.  Dès  le  moment 

'  Act.m,  I.  — '76Mf.x,9  —  3£=ec.  xyiu,32. 1.  Tim.  ii, 
4.  U.  Pelr.\a,9. 


728  ]MKDlTATIOi>S  SUR  L'EVANGILE 

que  Simon  fut  mis  à  la  tête  du  collège  apostolique, 
qu'il  fut  appelé  Pierre,  et  que  Jésus-Christ  le  fit  le 
fondement  de  son  Eglise  par  la  foi  qu'il  y  devait 
annoncer  au  nom  de  tous  :  dès  ce  moment  se  fit 
l'établissement,  ou,  si  l'on  veut,  la  désignation 
d'une  primauté  dans  l'Église  en  la  personne  de 
saint  Pierre.  En  disant  à  ses  apôtres  :  Je  suis  avec 
vous  jusqu'à  la  fin  des  siècks  «  :  il  montra  que  la 
forme  qu'il  avait  étaWie  parmi  eux,  passerait  à  la 
postérité.  Une  éterneire  succession  fut  destinée  à 
saint  Pierre,  comme  il  en  fut  aussi  destiné  une  de 
semblable  durée  aux  autres  apôtres.  Il  y  devait 
toujours  avoir  un  Pierre  dans  l'Église,  pour  con- 
firmer ses  frères  dtms  la  foi  :  c'était  le  moyen  le 
plus  propre  pour  établir  Tunité  de  sentiments,  que 
II'  Sauveur  désirait  plus  que  toutes  choses  ;  et  cette 
autorité  était  d'autant  plus  nécessaire  aux  succes- 
seurs des  apôtres,  que  leur  foi  était  moins  affermie 
qiie  celle  de  leurs  auteurs. 

En  même  temps  que  Jésus-Christ  institua  cet 
office  dans  son  Église,  il  lui  fallut  choisir  un  siège 
fixe  pour  son  exercice.  Quel  siège  lui  choisîtes- 
vous ,  ô  Seigneur  ?  Et  qui  pourrait  assez  admirer 
votre  profonde  sagesse  ?  Ce  ne  pouvait  être  Jérusa- 
lem, parce  que  le  temps  était  venu,  oij ,  faute  d'a- 
voir connu  le  temps  de  sa  visite ,  elle  allait  être  li- 
vrée aux  Gentils.  L'heure  des  Gentils  était  venue  : 
c'était  le  temps  où  ils  se  devaient  ressouvenir  du 
Seigneur  leur  Dieu ,  et  entrer  en  foule  dans  son 
temple;  c'est-à-dire,  dans  son  Église.  Que  fites- 
vous  donc,  ô  Seigneur.^  et  quel  lieu  choisîtes-vous 
pour  y  établir  la  chaire  de  saint  Pierre?  Rome,  la 
maîtresse  du  monde ,  la  reine  des  nations ,  et  on 
même  temps  la  mère  de  l'idolâtrie ,  la  persécutrice 
des  saints;  c'est  elle  que  vous  choisîtes  pour  y 
placer  ce  siège  d'unité,  d'où  la  foi  devait  être  pré- 
cise, coinme  d'un  lieu  plus  éminent  à  toute  k 
terre. 

Qiie  vos  conseils,  ô  Seigneur!  sont  admirables, 
et  que  vos  voies  sont  profondes!  Votre  Église  de- 
tj^t  être  principalement  établie  parmi  les  Gentils; 
et  vous  choisîtes  aussi  la  ville  de  Rome ,  le  chef  de 
la  gentilité,  pour  y  établir  le  siège  principal  de  la 
religion  chrétienne.  Il  y  a  encore  ici  un  autre  se- 
cret que  vos  saints  nous  ont  manifesté.  Dans  le 
dessein  que  vous  aviez  de  former  votre  Église,  en 
la  tirant  des  Gentils,  vous  aviez  préparé  de  loin 
l'empire  romain  pour  la  recevoir.  Un  si  vaste  em- 
pire, qui  unissait  tant  de  nations,  était  destiné  à 
faciliter  la  prédication  de  votre  Évangile,  et  lui 
donner  un  cours  plus  libre. 

Il  vous  appartient,  ô  Seigneur!  de  préparer  de 
loin  les  choses,  et  de  disposer  pour  les  accomplir, 
des  moyens  aussi  doux ,  qu'il  y  a  de  force  dans  la 
conduite  qui  vous  fait  venir  à  vos  fins.  A  la  vérité , 
l'Évangile  devait  encore  aller  plus  loin  que  les  con- 
quêtes romaines  :  et  il  devait  être  porté  aux  nations 
les  plus  barbares.  Mais  enfin  l'empire  romain  devait 
être  son  siège  principal.  O  merveille!  les  Scipion, 
les  Luculle,  les  Pompée,  les  César,  en  étendant 


»  .VaUh.  xxvm,  w. 


l'empire  de  Rome  par  leurs  conquêtes,  préparaient 
la  place  au  règne  de  Jésus-Christ;  et,  selon  cet  ad- 
mirable conseil ,  Rome  devait  être  le  chef  de  l'em- 
pire spirituel  de  Jésus-Christ,  comme  elle  l'était  de 
l'empire  temporel  des  Césars. 

Rome  fut  sous  ses  Césars  plus  victorieuse  et  plus 
conquérante  que  jamais  :  elle  contraignit  les  plus 
grands  empires  à  porter  le  joug;  en  même  temps 
eHe  ouvrit  une  large  entrée  à  l'Évangile.  Ce  qui  était 
reçu  à  Rome,  et  dans  l'empire  romain,  prenait  de 
là  son  cours  pour  passer  encore  plus  loin.  Roœe 
ruina  l'ancien  sanctuaire  de  Jérusalem,  et  ne  laissa 
d'espérance  à  ceux  qui  voulaient  adorer  Dieu  en  es- 
prit, que  le  nouveau  sanctuaire  que  le  Seigneur 
établissait  parmi  les  Gentils,  c'est-à-dire  l'Eglise 
chrétienne  et  catholique  :  et  peu  à  peu  Rome  de- 
venait le  chef  de  ce  nouvel  empire. 

Pour  préparer  les  voies  à  ce  grand  ouvrage ,  ô 
Seigneur!  vous  fîtes  dès  lors  éclater  la  foi  romaine; 
et  votre  apôtre  saint  Paul  écrivit  à  cette  Église,  que 
sa  foi  était  devenue  célèbre  par  tout  l'univers». 

Comme  c'était  dans  cette  Église  que  devait  prin- 
cipalement éclater  la  vocation  des  Gentils,  vous 
inspirâtes  à  ce  même  apôtre  de  lui  développer  le 
mystère  de  cette  vocation  :  et  l'Église  romaine 
reçut  dès  lors,  dans  la  divine  épître  aux  Romains, 
le  précieux  dépôt  de  la  révélation  d'un  si  grand  mys- 
tère, où  était  compris  le  secret  de  la  prédestination, 
et  de  la  grâce. 

Lorsqu'il  fallut  consommer  l'ouvrage,  et  mettre 
Rome  à  la  tête  de  toutes  les  Églises  chrétiennes  : 
Seigneur,  vous  y  envoyâtes  le  grand  pêcheur  d'hom- 
mes ,  je  veux  dire  Tapôtre  saint  Pierre  ;  afin  de^ 
consacrer  cette  Église  par  son  sang,  et  d'y  établir 
le  principal  siège  des  chrétiens ,  où  la  foi  devait  être 
confirmée. 

Ce  fut  alors  qu'il  eut  besoin  de  savoir  marcher 
sur  les  eaux,  de  savoir  fouler  aux  pieds  les  flots 
soulevés ,  comme  vous  le  lui  aviez  appris ,  et  de  ne 
pas  craindre,  lorsqu'il  enfoncerait.  Car  il  eut  à  sur- 
monter toutes  les  tempêtes  que  les  fausses  religions, 
la  fausse  sagesse ,  la  violence ,  et  la  politique  da 
monde,  excitèrent  contre  l'Église.  Saint  Paul  était 
le  maître  des  Gentils  :  mais  ce  n'était  pas  à  lui  qu'é- 
tait donnée  cette  chaire  principale  :  c'était  à  saint 
Pierre;  et,  pour  accomplir  le  dessein  de  Dieu  sur 
Rome,  il  fallait  que  saint  Pierre  y  fixât  son  siège. 
Paul  y  vint  dans  le  même  temps  :  la  direction  par- 
ticulière qu'il  avait  reçue  pour  les  Gentils  y  expira 
avec  lui.  Ces  deux  apôtres  scellèrent  dans  Rome  de 
leur  sang  le  témoignage  de  Jésus-Christ.  En  allant 
au  dernier  supplice ,  ils  annoncèrent  aux  Juifs  leur 
dernièredésolation,  comme  un  événement  qu'on  al- 
lait voir  au  premier  jour,  et  confirmèrent  par  là  la  vo- 
cation des  Gentils.  Les  évêques  qui  leur  succédèrent 
dans  l'Église  romaine,  qu'ils  venaient  d'illustrer  à 
jamais  par  leur  martyre ,  et  sanctifier  par  leur  tom- 
beau, recueillirent  leur  succession  :  mais  la  chaire 
qu'ils  remplirent  s'appela  la  chaire  de  saint  Pierre,  et 
non  pas  la  chaire  de  saint  Paul  v  et  ils  furent  nonj!' 


I  Rom.  i,  f. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


■lés  successeurs  de  saint  Pierre ,  et  non  pas  de 

saint  Paul.  ..        ,  , 

Dès  là ,  Seigneur,  vous  avez  tellement  disposé  les 
choses,  que  les  successeurs  de  saint  Pierre ,  à  qiii 
on  donna  par  exceUence  le  nom  de  papes ,  c'est-à- 
dire  celui  de  pères,  ont  confirmé  leurs  frères  dans 
la  foi  ;  et  la  chaire  de  saint  Pierre  a  été  la  chaire 
«Tunité ,  dans  laquelle  tous  les  évéques  et  tous  les 
fidèles,  tous  les  pasteurs  et  tous  les  troupeaux  se 
sont  unis. 

Que  vous  rendrons-nous,  o  Seigneur  !  pour  toutes 
tes  f,'râces  que  vous  avez  faites  à  votre  Eglise  par 
ce  siège?  C'est  là  que  la  vraie  foi  a  toujours  été  con- 
firmée. îTentrons  point  dans  les  disputes  qui  cau- 
sent des  dissensions,  et  non  pas  l'édification  de 
vos  enfants.  Suivons  les  grands  événements  et  les 
grands  traits  de  l'histoire  de  l'Église.  Nous  verrons 
fautorité  de  ce  grand  siège  être  partout  à  la  tête  de 
la  condamnation  et  de  l'extirpation  des  hérésies. 
La  foi  romaine  a  toujours  été  la  foi  de  l'Église.  La 
foi  de  sairit  Pierre ,  c'est-à-dire  celle  qu'il  a  prêchée, 
et  qu'il  a  laissée  en  dépôt  dans  sa  chaire  et  dans  son 
Église,  qui  s'y  est  toujours inviolablement  conser- 
vée ,  a  toujours  été  le  fondement  de  l'Église  catho- 
lique, et  jamais  elle  ne  s'est  démentie. 

Qu'importe  qu'il  y  ait  peut-être,  dans  toute  cette 
belle  suite,  deux  ou  trois  endroits  fâcheux?  la  foi 
de  saint  Pierre  n'a  pas  défailli,  encore  qu'elle  ait 
souffert  quelque  éclipse  dans  le  reniement  qui  lui  a 
été  particulier,  et  dans  l'incrédulité  qui  lui  a  été 
commune  avec  ses  frères  les  apôtres.  Il  en  est  ainsi 
de  saint  Pierre  considéré  dans  ses  successeurs  : 
tous  ses  successeurs  sont  un  seul  Pierre.  Quelque 
défaillance  qu'on  croie  remarquer  dans  quelques- 
uns  ,  sans  entrer  dans  ce  détail  plus  curieux  que  né- 
cessaire ,  il  suffit  que  la  vérité  de  l'Évangile  soit  de- 
meurée dans  le  total ,  et  qu'aucun  dogme  erroné 
n'ait  pris  racine,  ni  fait  corps  dans  la  succession  et 
la  chaire  de  saint  Pierre.  Si  bien  que  la  foi  romaine , 
c'est-à-dire  la  foi  que  Pierre  a  prêchée  et  établie  à 
Rome,  et  qu'il  y  a  scellée  de  son  sang,  n'a  jamais 
péri,  et  ne  périra  jamais. 

Voilà,  Seigneur,  le  grand  secret  de  cette  pro- 
messe :  Simon,  j'ai  prié  pour  toi  que  ta  foi  ne  dé- 
faille pas ,  et  toi,  confirme  tes  frères  '.  Nous  tenons 
cette  explication  de  vos  saints  :  et  toute  la  suite  des 
événements  la  justifie.  O  Seigneur,  qui  ne  vous 
louerait,  et  qui  ne  serait  ravi  en  admiration,  de 
voir  tout  l'état  de  votre  Église,  depuis  sa  première 
origine  jusqu'à  la  consommation  des  siècles,  si 
clairement  renfermé,  expliqué,  prédit,  et  promis  , 
dans  deux  lignes  de  votre  Evangile!  Que  reste-t-il, 
ô  Seigneur,  sinon  que  nous  vous  priions  de  remplir 
la  chaire  de  saint  Pierre  de  dignes  sujets;  de  leur 
ouvrir  les  yeux  pour  entendre  le  grand  mystère  de 
Dieu  sur  le  siège  qu'ils  occupent?  Faites,  Seigneur, 
qu'à  travers  la  pompe  ft  le  faste  qui  les  environ- 
nent ,  ils  considèrent  le  fond  qui  les  soutient  ;  quils 
songent  toujours  que  leur  vraie  gloire  est  de  succé- 
ifer  à  un  pêcheur  ;  que  la  nacelle  où  Us  sont  portés , 


72» 

et  dont  ils  tiennent  le  gouvernail ,  serait  couvert»^ 
de  fiots,  et  abîmée  par  la  tempête,  sans  les  promes- 
ses faites  à  Pierre  ;  et  que ,  devant  confirmer  leurs 
frères  dans  la  foi ,  ils  les  doivent  aussi  affermir  dan» 
la  règle  de  la  discipline. 


*  lue.  XXII,  a.4 


LXXIIl'  JOUR. 

Soin  de  Jésas  pour  les  apôtres.  II  est  mis  an  rang  des  soè> 
léraLs.  Luc.  XXU,  35,  36.  Marc,  xv,  a». 

Jésus  dit  à  ses  apôtres  :  Quand  je  vous  ai  en- 
voyéssans  sac,  sans  bourse,  sans  chaussure ,  vous 

a-t-il  manqué  quelque  chose?  Bien,  Seigneur 

Mais  maintenant,  que  celui  qui  a  un  sac  ou  une 
bourse,  les  prenne  :  et  que  celui  qui  n'en  a  point, 
vende  sa  robepour  acheter  une  épée  ». 

Rien  ne  vous  a  manqué.  Tel  a  été  le  soin  du  Sau- 
veur :  il  n'a  pas  voulu  que  ses  disciples  aient  man- 
qué de  rien.  Mais  quoi  !  n'ont-ils  pas  été  dans  le  be- 
soin ?  Qu'était-ce  donc ,  que  d'être  réduits  à  rompre 
des  épis  dans  leurs  mains  pour  se  nourrir  ?  N'était  ce 
pas  là  une  assez  pressante  nécessité?  Jésus-Christ 
ne  dit  pas  qu'ils  n'aient  jamais  souffert,  jamais  été 
dans  le  besoin  :  mais  il  dit  que  jamais  ils  n'ont  man- 
qué absolument ,  et  qu'ils  ont  été  bientôt  secourus  : 
non  que  Jésus-Christ  ait  fait  des  miracles  pour  cela  : 
car  nous  ne  lisons  pas  qu'il  ait  multiplié  les  pains  plus 
de  deux  fois  en  faveur  de  tout  un  grand  peuple,  et  la 
conduite  de  sa  famille  allait  par  des  voies  plus  natu- 
relles. Apprenons  donc  à  nous  fier  à  cette  conduite 
douce  et  imperceptible  de  Jésus-Christ,  par  laquelle, 
au  milieu  des  besoins  et  des  souffrances,  il  conserve 
pourtant  aux  siens  les  provisions  nécessaires. 

La  suite  du  discours  fait  voir  l'attention  qu'a- 
vait le  Sauveur  à  accomplir  les  prophéties.  C'en 
était  une  bien  particulière,  que  le  Christ  dût  être 
mis  au  rang  des  scélérats  *  :  et  elle  devait  être  par- 
faitement accomplie,  lorsqu'il  fut  crucifié  entre 
deux  voleurs.  Mais  c'était  un  préparatoire ,  qu'il  pa- 
rût comme  un  voleur  se  défendre  contre  les  minis- 
tres de  la  justice,  fous  êtes  venus  à  moi,  dit-il, 
comme  à  tin  voleur,  méprendre  avec/orce^.  Ou  le 
représentait  donc  comme  un  homme  dont  la  violence 
était  à  craindre ,  et  qu'il  fallait  attaquer  avec  armes. 
II  était  du  dessein  de  DieU;,  et  de  l'ordre  des  pro- 
phéties ,  qu'il  parût  environné  de  gens  de  main ,  et 
qui  usassent  de  l'épée  pour  le  sauver.  On  sait  pour- 
tant ce  qu'il  fit,  pour  réparer  cette  violence  des  siens  ; 
et  il  suffit  aujourd'hui  de  considérer,  comme  il  fal- 
lait qu'il  y  eût  quelque  sorte  de  fondement  à  la  ca- 
lomnie qu'on  devait  faire  contre  lui. 

Ne  nous  étonnons  donc  pas,  lorsque,  par  la  se- 
crète disposition  de  la  divine  Providence,  il  se 
trouve  dans  notre  vie  quelque  chose  qui  affaiblisse 
notre  gloire ,  et  qui  donne  lieu  à  la  médisance.  Dieu 
saura  en  tirer  sa  gloire ,  pourvu  que  nous  soyons 
sans  faute ,  et  que  nous  subissions  avec  soumission 
ce  qu'il  ordonne.  Il  faut,  dit-il,  que  tout  s'accom- 
plisse :  et  ce  qui  est  écrit  de  moi  tire  a  sa  fin  *. 
Ainsi  les  choses  allaient  s'accomplissant  peu  à  peu , 

•  Luc.  XXII,  35,  .36.  —  »  .VrtR.  XV,  28.  -  '  Malth.  \vn^ 

♦  fc5.  —  Luc  x.\n,  37,  ;i8. 


730 


MÉDITATIONS  SUU  L'ÉVANGILE. 


et  l'une  après  l'autre.  On  lui  dit  qu'il  y  avait  deux 
épées  dans  la  compagnie  :  il  le  savait  bien  :  mais 
il  voulait  qu'il  fût  marqué  qu'il  n'y  arrivait  rien 
par  hasard  dans  sa  passion.  11  répondit  :  C'est  as- 
sez •  ;  et  après  avoir  tout  accompli ,  et  donné  tous 
ses  ordres,  avant  que  d'aller,  selon  sa  coutume, 
dans  le  jardin  des  Oliviers,  il  commença  son  der- 
nier adieu  et  ses  dernières  instructions,  que  nous 
allons  voir  dans  saint  Jean. 

LXXIV'  JOUR. 

Glorification  de  Jésus.  Joan.  xui ,  31 ,  32. 

Maintenant;  remarquez  la  circonstance  :  main- 
tenant que  la  fin  approche;  que  le  perfide  disciple 
qui  a  machiné  ma  mort,  est  parti  pour  exécuter 
ce  complot,  qu'il  le  conclut,  et  que  je  vais  être 
livré  à  mes  ennemis  pour  souffrir  de  leur  violence 
les  dernières  extrémités  :  Maintenant  le  Fils  de 
riwnime  va  être  glorifié^  :  mais  ce  n'est  pas  là, 
poursuit-il,  à  quoi  je  m'arrête  :  la  gloire  de  Dieu 
fait  tout  mon  objet  ;  et  Dieu  va  être  glorifié  en  lui 
par  son  obéissance,  par  son  sacrifice ,  le  plus  par- 
fait qui  fut  jamais,  et  d'un  mérite  infini.  Sa  jus- 
tice, sa  vérité,  sa  miséricorde  va  éclater  dans  la 
rémission  des  péchés;  dans  la  peine  que  j'en  por- 
terai  ;  dans  l'expiation  que  j'en  ferai  par  mon  sang. 
Ma  doctrine  va  être  confirmée  par  ma  mort  :  je 
tirerai  tout  à  moi;  et  je  retournerai  à  la  gloire 
que  j'ai  eue  dès  l'éternité  auprès  de  mon  Père. 

Si  Dieu  est  glorifié  en  lui,  il  le  glorifiera  en 
lui-même,  et  il  ne  tardera  pas  à  le  glorifier 'i; 
car  ceux  en  qui  Dieu  est  glorifié  par  leur  obéis- 
sance et  leurs  humiliations,  il  ne  manque  pas  de 
les  glorifier,  et  de  les  glorifier  en  lui-même  ;  et  il  ne 
tardera  pas  à  les  glorifier  :  à  plus  forte  raison  glo- 
rifiera-t-il  son  Fils  bien-aimé ,  qui  ne  respire  que 
la  gloire  de  son  Père ,  et  par  là  a  mérité  que  son 
Père  songeât  à  la  sienne ,  et  sans  tarder. 

Que  de  gloire  !  Mais  considérons  d'où  elle  vient, 
et  dans  quelles  circonstances  Jésus-Christ  en  parle. 
C'est  au  moment  que  Judas  part  pour  aller  con- 
sommer son  crime,  et  livrer  son  maître  au  der- 
nier supplice.  C'est  donc  du  plus  grand  de  tous 
les  crimes  que  doit  naître  cette  gloire  de  Dieu,  la 
plus  grande  qui  fut  jamais  :  c'est  des  plus  grandes 
extrémités  où  Jésus  pût  être  poussé ,  que  sortira 
sa  plus  grande  gloire.  Chrétien,  ne  perds  pas 
courage ,  lorsque  le  crime  et  les  injustices  abondent  : 
Dieu  ne  permettrait  jamais  le  mal,  s'il  n'était 
puissant  pour  en  tirer  le  bien,  et  un  plus  grand 
bien  :  et  lorsque  l'iniquité  abonde  le  plus,  c'est 
alors  qu'il  trouve  moyen  d'accroître  sa  gloire.  Ne 
perds  pas  courage  non  plus,  quand  tu  es  livré  à  tes 
ennemis,  et  aux  plus  terribles  angoisses  :  c'est  en- 
core de  cette  source  que  doit  naître  ta  grande 
gloire,  et  la  grande  gloire  de  Dieu ,  à  laquelle  tu 
dois  être  plus  sensible  qu'à  la  tienne. 

Chrétiens,  membres  de  Jésus,  apprenez  d'où 
vient  la  gloire  a  votre  chef  :  c'est  ainsi  qu'elle 
doit  aussi  se  répandre  sur  les  membres.  Quand 

«  Luc.  39.  —  *  Joan.  xiii ,  31.  —  '  IhiO.  32. 


je  suis  faible,  dit  saint  Paul',  c'est  alors  que  je 
suis  puissant;  quand  je  suis  méprisé,  c'est  alors 
que  je  dois  être  glorifié  ;  et  glorifié  en  Dieu  :  non 
point  dans  les  hommes,  ni  dans  le  monde  qui  n'est 
rien  ;  mais  en  Dieu  où  est  la  gloire ,  parce  qu'en  lui 
est  la  vérité. 

LXXV  JOUR. 

Commandement  de  l'amour.  Joan.  xiii,  i ,  33,  34,  35. 


Lisez  avec  attention  les  fr.  13,  14,  l.");  et  en- 
trez dans  les  sentiments  de  la  tendresse  du  Sau- 
veur. 

Mes  petits  enfants^.  Souvenez-vous  de  cette 
parole  du  Sauveur,  jiyant  toujours  aimé  les  siens , 
nies  aima  jusqu'à  la  fin  3.  Et  maintenant  il  va  ra- 
masser toute  sa  tendresse ,  pour  leur  donner  le 
précepte  de  la  charité  fraternelle.  Car  pour  établir 
cette  loi  d'amour,  il  voulait  faire  ressentir  à  ses 
disciples  des  entrailles  toutes  pénétrées  de  ten- 
dresse. Mes  petits  enfants  :  il  ne  les  avait  jamais 
appelés  de  cette  sorte,  jamais  il  ne  les  avait  nom- 
més ses  enfants.  Et  pour  dire  quelque  chose  de 
plus  tendre  :  Mes  petits  enfants,  dit-il ,  comme 
s'il  eût  dit  :  Voici  le  temps  que  je  vais  vous  enfan- 
ter :  j'ai  été  toute  ma  vie  dans  les  douleurs  de 
l'enfantement  :  mais  voici  les  derniers  efforts  et 
les  derniers  cris  par  lesquels  vous  allez  naître; 
Mes  petits  enfants.  Écoutez  donc  cette  parole 
paternelle.  Je  serai  encore  avec  vous  un  peu  de 
temps  :  profitez  donc  de  ce  temps  pour  entendre 
mes  dernières  volontés,  f-^ous  me  chercherez  : 
viendra  le  temps  que  vous  rachèteriez  de  beau- 
coup la  consolation  d'entendre  ma  parole  :  et 
comme  j'ai  dit  aux  Juifs  :  Fous  ne  pouvez  pas  ve- 
nir où  je  vais,  je  vous  le  dis  aussi  présentement  : 
profitez  donc,  encore  un  coup,  du  temps  que  j'ai 
à  être  avec  vous  :  car  je  m'en  vais  en  un  lieu  où 
vous  ne  pouvez  pas  venir  :  ainsi  que  j'ai  dit  aux 
Juifs.  Avec  ce  préparatif ,  et  cette  démonstration 
d'une  tendresse  particulière,  où  en  veut-il  enfin 
venir .^  Écoutons,  profitons,  croyons.  , 

Je  vous  donne  un  commandement  nouveau, 
de  vous  aimer  les  uns  les  autres,  comme  je  vous 
ai  ai?nés  :  vous  devez  aussi  vous  entr'aimer  les 
uns  les  autres^.  Pourquoi  est-ce  un  commande- 
ment nouveau  ?  Parce  que  l'esprit  de  la  loi  nou- 
velle, c'est  d'agir  avec  amour,  et  non  pas  avec 
crainte  :  parce  qu'encore  que  le  précepte  de  la 
charité  fraternelle  soit  dans  l'Ancien  Testament, 
il  n'avait  jamais  été  si  bien  expliqué  que  dans  le 
Nouveau  ;  et  sur  cela  vous  pouvez  voir  le  chapi- 
tre X  de  saint  Luc,  depuis  le  f.  29  jusqu'au  37, 
où  .Jésus-Christ  explique  et  décide  que  tous  les 
hommes  sont  notre  prochain,  et  qu'il  n'y  a  plus 
d'étranger  pour  nous.  En  troisième  lieu,  ce  com- 
mandement est  nouveau ,  parce  que  Jésus-Christ 
y  ajoute  cette  circonstance  importante,  de  nous 
aimer  les  uns  les  autres  comme  il  nous  a  aimés.  Il 
nous  a  prévenus  par  son  amour,  lorsque  nous  ne 

'  II.  Cor.  xu ,  10.  —  »  Joan.  xin,  33  et  seqq.  —  '  IHd.  1. 
_  «  Ibid.  34, 


MÉDlTATIO^îS  SUR  L'ÉVAKGILE. 


731 


songions  |>as  à  lui  :  il  est  venu  à  nous  le  premier  : 
il  ne  se  rebute  point  par  nos  inlidélités,  par  nos 
ingratitudes  :  il  nous  aime  pour  nous  rendre  saints, 
pour  nous  rendre  heureux,  sans  intérêt;  car  il  n'a 
pas  besoin  de  nous,  ni  de  nos  services;  avec  un 
amour  qui  coule  de  source,  et  ne  s'est  jamais  re- 
buté. Allez  donc,  et  faites  de  même. 

Pourquoi  vois-je  parmi  vous  des  haines  bizar- 
res, des  oppositions  d'humeur  à  humeur,  et  de 
personne  à  personne;  des  inimitiés,  des  jalousies, 
de  l'aigreur,  de  l'emportement,  des  répugnances 
cachées?  Est-ce  en  cette  sorte  que  Jésus-Christ 
nous  a  aimés?  Mais  pourquoi  vois-je  d'un  autre 
côté  des  flatteries,  des  complaisances  ou  exces- 
sives ou  fausses?  Est-ce  ainsi  que  Jésus-Christ 
nous  a  aimés?  Et  pourquoi  vois-je  parmi  vous  des 
liaisons  particulières,  des  partis  et  des  cabales 
les  uns  contre  les  autres?  Est-ce  ainsi  que  Jésus- 
Christ  nous  a  aimés?  Mais  pourquoi  avancer  ou 
reculer  les  personnes  selon  rinclination  que  vous 
avez  pour  elles?  Est-ce  ainsi  que  Jésus-Christ  nous 
a  aimés? 

Il  a  témoigné  plus  d'inclination,  si  l'on  ose 
parler  de  cette  sorte,  pour  saint  Jean  :  c'était  le 
disciple  que  Jésus  aimait.  Mais  cette  inclination 
qu'était-ce  autre  chose ,  selon  la  tradition  des  saints 
docteurs ,  qu'un  amour  particulier  pour  la  chasteté 
virginale  qu'il  avait  trouvée  et  qu'il  conserva  en 
saint  Jean?  Et  pour  venir  aux  autres  qualités  de  ce 
bien-aimé  disciple ,  l'amour  qu'il  avait  pour  lui , 
qu'était-ce  autre  chose  que  l'amour  de  la  bonté, 
de  la  douceur,  de  la  simplicité,  de  la  candeur,  delà 
cordialité ,  de  la  tendresse ,  de  la  contemplation ,  par 
lesquelles  il  avait  une  convenance  particulière  avec 
son  maître?  Aimez  donc  en  cette  sorte.  Et  cet 
amour  particuher  dont  il  honora  saint  Jean ,  lui  flt-il 
avoir  de  l'indulgence  pour  lui ,  quand  il  avait  tort  ? 
Et  l'empêcha-t-il  de  lui  dire,  aussi  bien  qu'à  son 
frère  saint  Jacques:  Fous  ne  savez  ce  que  vous 
demandez  '  :  et  dans  une  autre  occasion  :  Fous 
ne  savez  de  quel  esprit  vous  êtes  »?  Faites  donc 
de  même.  Mais  sa  tendresse  lui  fit-elle  préférer  saint 
Jean  aux  autres?  N'est-ce  pas  Pierre  qu'il  mit  à  la 
tête  du  collège  apostolique  et  de  toute  l'Église?  A 
la  fin  il  confia  à  saint  Jean  sa  sainte  mère.  Qui 
convenait  davantage  avec  elle  comme  avec  lui  par 
toutes  les  qualités  que  nous  avons  vues,  et  en  par- 
ticulier par  la  virginité?  Il  s'agissait  de  sa  famille, 
de  son  domestique  ;  et  il  préfère  saint  Jean,  qui,  outre 
les  autres  choses  que  nous  avons  vues ,  était  encore 
son  proche  parent.  Aimez  donc  de  même  ;  ayez  les 
égards  que  le  sang  demande  :  mais  réglez  le  fond 
de  vos  affections  par  la  vertu.  Et  j\isqu'où  est-ce 
que  Jésus  a  porté  son  amour  ?  Jusqu'à  donner  sa 
vie  pour  ceux  qu'il  aimait.  Ne  doutez  pas  qu'il  n'y 
ait  des  occasions  ou  vous  en  devez  faire  autant 
pour  votre  frère.  Aimez  comme  fai  aimé  :  voilà 
mon  nouveau  précepte  :  le  modèle  de  votre  amour, 
c'est  le  mien.  Écoutez ,  mes  petits  enfants  :  faites 
connne  moi. 

»  XatiA-  x\ ,  22.  —  '  Liu.  ix ,  5i. 


Mais  voici  le  dernier  mot  qui  presse  plus  que 
tous  les  autres  :  An  cela  tous  connaîtront  que  vorus 
êtes  mes  disciples ,  si  vous  vous  aimez  mutuelle- 
ment\  Voilà  le  caractère  de  chrétien  et  de  disciple 
de  Jésus-Christ.  Qui  renonce  à  la  charité  renonce 
à  la  foi ,  abjure  le  christianisme,  sort  de  l'école  de 
Jésus-Christ,  c'est-à-dire  de  son  Église.  Tremblez 
donc,  coeurs  endurcis;  tremblez,  insensibles;  trem- 
blez, vous  tous,  dont  les  aversions  sont  implaca- 
bles, les  inimitiés  irréconciliables  :  vous  n'êtes  plus 
disciples  de  Jésus -Christ;  vous  n'êtes  plus  chré- 
tiens ;  vous  renoncez  à  votre  baptême. 

Voyez  l'Église  naissante  :  Un  cœur  et  une  âme  : 
tout  commun  :  et  ils  étaient  tous  unanimement 
assemblés  dans  la  galerie  de  Salomon  »  :  sans 
dissension,  sans  envie,  sans  intérêt;  rendant  le 
bien  pour  le  mal  :  et  tout  le  peuple  les  admirait; 
et  on  disait  :  Voilà  les  disciples  de  Jésus  :  c'était 
là  leur  caractère  particulier.  L'envie,  l'intérêt,  la 
haine  régnent  dans  tout  le  reste  des  hommes  :  l'in- 
nocent troupeau  de  Jésus  ne  connaissait  point  ces 
maux.  Mon  Sauveur,  où  sont  vos  disciples  mainte- 
nant? où  est  la  charité?  où  est  l'amour  fraternel? 
Qu'il  est  rare!  Aussi  avez-vous  dit,  que  le  temps 
viendrait;  que  les  scandales ,  que  l'iniquité  abon- 
deraient; que  la  charité  serait  refroidie  dans  la 
multitude  3;  et  que  quand  vous  viendriez  sur  la 
terre,  à  peine  y  trouveriez-  vous  de  la  foi  <,  de 
cette  foi  animée  de  la  charité. 

Pleurons ,  mes  frères ,  pleurons  la  charité  refroi- 
die, refroidie  dans  la  multitude,  dans  la  plupart  de 
ceux  qui  se  disent  chrétiens  :  mais  refroidie  en  nous- 
mêmes.  Réchauffons-la  :  venons  à  Jésus  :  écoutons 
avec  tendresse  son  dernier  discours,  avec  taidresse 
ce  qu'il  dit  si  tendrement.  La  charité  fraternelle 
nous  devient  recommandable  par  ces  raisons ,  par  la 
tendresse  avec  laquelle  Jésus-Christ  nous  la  recom- 
mande ;  par  le  temps  qu'il  choisit  pour  nous  la  re- 
commander ;  par  le  modèle  qu'il  nous  donne  de  Is 
charité  fraternelle  en  sa  personne  ;  par  le  carac- 
tère de  chrétien  qu'il  attache  à  cette  divine  vertu. 
Soyons  disciples  de  Jésus-Christ  ;  soyons  chrétiens  ; 
c'est-à-dire  aimons  nos  frères  :  et  comment  ?  Comme 
Jésus-Christ  nous  a  aimés.  A  ces  mots  il  se  tut, 
et  nous  laissa  à  goûter  ce  nouveau  commandemeot 
de  la  loi  de  grâce. 

LXXVP  JOUR. 

Présomption  et  chute  de  saint  Pierre.    Joan.  xm,  3  et  seqq. 

Comme  Jésus-Christ  se  fut  tu,  saint  Pierre, 
frappé  de  cette  parole  :  Fous  me  chercherez  :  et 
ainsi  que  fai  dit  aux  Juifs,  vous  ne  pouvez  pas 
venir  où  je  vas^  :  car  elle  paraissait  rude,  et  il 
semblait  les  avoir  rangés  avec  les  Juifs,  qui  ne 
croyaient  point  à  sa  parole  :  firappé  donc  de  ce 
discours,  il  dit  au  Sauveur  :  Seigneur,  oùallez-vous? 
Et  Jésus  lui  dit  :  Fous  ne  pouvez  maintenant  me 
suivre  où  je  vas;  mais  vous  me  suivrez  aprcs^, 

I  Joan.  XIII,  35.  —  '  Act.  IT,  32,  v,  12.  —  »  Malt.  XU», 
12.  -  «2,1/c.  xviu,  8  —»7oan.  XIII, 33.— */ï»m/.  3«. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


732 

.Tésu&  console  ses  apôtres  en  la  personne  de  Pierre, 
t't  leur  donne  espérance  de  le  suivre  un  jour  où  il 
allait.  Mais  il  leur  déclare  en  même  temps  qu'ils  ne 
l«  pouvaient  pas  encore.  Et  Pierre,  dont  le  zèle 
n'était  pas  content  de  cette  explication,  lui  répon- 
dit tout  ému  :  Pourquoi  ne  puis -je  pas  voxis  suivre 
maintenant! W  entendit  bien  que  son  maître  allait 
à  la  mort,  et  il  ajouta  :  Je  donnerai  ma  vie  pour 
vous,  /^ous  donnerez,  votre  vie  pour  moi  2Le  coq  ne 
chantera  point ^  que  vous  ne  m'ayez  renié  trois 
fois  *. 

La  faute,  la  grande  faute,  la  cause  de  son  re- 
niement, do  son  crime,  et  déjà  peut-être  un  terri- 
ble commencement  de  crime,  c'est  que  Jésus- 
Christ  lui  disant  :  yous  ne  pouvez  pas;  au  lieu  de 
reconnaître  son  impuissance ,  et  de  lui  dire  :  Il  est 
vrai,  Seigneur,  je  ne  le  puis  ;  jedevrais  bien  le  sentir, 
et  me  connaître  mieux  moi-même:  mais  je  veux  du 
moins  vous  en  croire,  m'humilier  devant  vous  et 
confesser,  non  pas  ma  faiblesse  mais  mon  impuis- 
sance :  mais  vous,  qu?étes  tout-puissant,  aidez-moi  ; 
donnez-moi  la  force  :  au  lieu  donc  de  répondre  ainsi , 
et  de  dire ,  comme  il  avait  dit  autrefois  avec  les  au- 
tres apôtres  :  Seigneur,  augmentez-moi  la  foi  '  ; 
rendez-la  forte,  rendez-la  ardente,  rendez-la  toute- 
puissante  :  ou  avec  cet  autre  :  Je  crois,  aidez  mon 
incrédulité  ^  :  en  un  mot ,  au  lieu  de  s'humilier  et 
de  prier ,  il  s'élève  contre  Jésus-Christ  :  et  avec  une 
témérité  pitoyable,  mais  punissable,  il  dit  qu'il 
peut  à  celui  qui  sait  tout,  et  qui  lui  dit  qu'il  ne 
peut  pas. 

Quand  Jésus  demande  à  Pierre  par  trois  fois  : 
M'aimez-vous,  m'aimez-vous ,  m'aimez-vous  plus 
que  ceux-cif  il  sut  bien  lui  dire  :  Seigneur,  vous 
savez  tout;  vous  savez  que  je  vous  aime  ^  :  il  de- 
vait donc  dire  ici  :  Seigneur,  vous  savez  tout,  vous 
savez  ce  que  je  puis,  mieux  que  moi-même  :  aidez- 
moi  donc ,  afin  que  je  puisse  ce  que  je  vous  pro- 
mets de  faire. 

Faute  d'avoir  fait  cette  réponse ,  il  tombe  d'une 
manière  déplorable;  mais  plutôt  il  est  déjà  tombé 
l^ien  bas,  faute  de  la  faire- >  car  il  est  tombé  dans 
la  présomption,  faute  qui  mérite  qu'on  soit  livré 
à  tous  les  crimes;  et  qui,  en  effet,  livra  saint  Pierre 
au  reniement  par  trois  fois. 

O  mon  Dieu!  qui  ne  tremblerait,  qui  ne  se  dé- 
lierait de  soi-même  ?  qui  ne  reconnaîtrait  humble- 
ment son  impuissance?  Avouons.-la  :  n'attendons 
pas  que  notre  Seigneur  nous  dise  :  Tu  ne  peux  pas  : 
prévenons  sa  face  par  la  confession  de  notre  im- 
puissance, de  peur  qu'il,  ne  nous  la  fasse  connaître 
par  notre  chute. 

Mais  encore,  qu'est-ce  qui  trompe  saint  Pierre? 
Qu'est-ce  q^ui  le  trompe?  sinon  cette  aveugle  estime 
qu'on  a  de  soi-même,  qui  nous  fait  croire  q^ue 
nous  pouvons  ce  que  nous  ne  pouvons  pas  ? 

Mais  enfin  qu'est-ce  qui  fait  croire  à  saint  Pierre 
qu'il  pouvait  ce  qu'il  ne  pouvait  pas  ;  si  ce  n'est 
qu'il  le  voulait,  et  qu'il  croyait  avoir  son  pouvoir 
dans  sa  volonté? 

•  Joan.  37, 38.  —  »  Ltic.  xvil,  5.  —  »  Marc,  ix,  23.  —  «  Joan. 
XXI,  15,  l(î,  17. 


En  effet,  en  cette  occasion  qu'était-ce  que  pou- 
voir, sinon  vouloir?  Il  ne  s'agissait  pas  de  suivre 
Jésus-Christ  par  les  pas  du  corps,  il  s'agissait  de 
le  suivre  par  une  ferme  résolution  de  mourir  pour 
lui  :  et  cette  ferme  résolution ,  qu'est-ce  autre 
chose  qu'un  vouloir?  Ainsi  saint  Pierre,  qui  le 
voulait,  et  le  voulait  sincèrement;  car  il  n'avait 
pas  dessein  de  tromper  son  maître  :  et  le  voulait 
ardemment,  à  ce  qu'il  lui  semblait,  et  en  vérité; 
car  il  était  en  effet  tout  plein  de  ferveur,  et  il 
aimait  Jésus-Christ  jusqu'à  vouloir  mourir  avec 
lui,  s'il  était  besoin;  et  il  croyait  qu'il  le  pouvait, 
parce  qu'il  le  voulait  de  cette  sorte. 

Il  ne  savait  pas  ce  que  c'était  que  la  volonté  de 
l'homme.  Car,  en  effet ,  quand  il  s'agit  de  prendre 
la  résolution  de  marcher  après  Jésus-Christ,  de 
l'imiter,  de  le  suivre;  pouvoir,  c'est  vouloir  ;  mais 
c'est  vouloir  fortement,  c'est  vouloir  invincible- 
ment ,  c'est  avoir  une  volonté  à  l'épreuve  de  tous 
les  périls,  et  capable  d'affronter  la  mort. 

La  volonté  de  saint  Pierre  n'en  était  pas  encore 
à  ce  degré  :  et  c'est  pourquoi  Jésus-Christ  lui  dit 
qu'il  ne  pouvait,  parce  qu'il  ne  voulait  pas  encore 
assez  :  et  lui,  au  lieu  de  sentir  qu'une  volonté 
faible  ne  peut  rien,  et  qu'elle  cesse,  pour  ainsi 
parler,  d'être  volonté,  dans  une  tentation  qui  la 
passe ,  disait  hardiment  qu'il  pouvait  tout  ce  qu'il 
sentait  qu'il  voulait,  et  qu'il  voulait  avec  force 
jusqu'à  un  certain  point ,  mais  non  pas  jusqu'au 
point  qu'il  fallait  pour  accomplir  sa  promesse, 
c'est  pourquoi  Jésus  lui  disait,  non  pas  simple- 
ment :  f^ous  ne  pouvez,  pas,  mais  vous  ne  pouvez 
pas  me  suivre  maintenant;  et  W  ajoutait  :  Fous 
me  suivrez  un  jour  '  :  qui  était  lui  dire,  comme 
dit  saint  Augustin  '  :  Vous  ne  le  pouvez  pas  en- 
core ,  parce  qye  votre  volonté  est  faible  ;  mais  vous 
le  pourrez ,  quand  vous  aurez  reçu,  une  volonté 
assez  forte. 

Saint  Pierre  était  juste;  car  Jésus-Christ  lui 
avait  dit  comme  aux  autres  :  Et  vous,  vous  êtes 
purs,  mais  non  pas  tous  ',  en  n'exceptant  que 
Judas.  Mais  sa  justice  tenait  encore  beaucoup  de 
cette  justice  de  la  loi ,  qui  croit  qu'il  n'y  a  rien 
qu'à  vouloir,  et  qu'à  faire,  sans  songer  par  qui  on 
veut,  et  par  qui  on  fait.  Saint  Pierre  voulait;  mais 
il  ne  voulait  pas  assez  fortement;  et  il  devait  avoir 
entendu  que  ce  commencement  de  bonne  volonté 
ne  lui  venait  pas  de  lui-même,  mais  de  Dieu.  S'il 
l'eût  entendu,  s'il  l'eût  cru  aussi  vivement  qu'il 
fallait  ;  il  aurait  commencé  par  confesser  que  le  peu 
qu'il  pouvait ,  venait  de  la  grâce;  et  que  par  consé- 
quent pour  pouvoir  beaucoup,  il  fallait  encore  que 
la  grâce  donnât  ce  pouvoir;  c'est-à-dire  qu'elle  for- 
tifiât sa  volonté  faible,  et  qu'elle  lui  en  inspirât  une 
si  forte,  que  toute  crainte  cédât  à  sa  puissance. 
Alors  donc  il  aurait  dit,  non  pas  :  Je  puis^  non 
pas  :  Je  voudrai;  non  pas  :  J'irai;  mais  :  Seigneur, 
aidez  ma  faiblesse;  faites-moi  vouloir  de  cette  ma- 
nière ,  à  qui  rien  n'est  impossible  :  je  veux  déjà  en.- 
quelque  façon;  et  c'est  un  effet  de  votre  grâce  :  à 

•  Joan.  XIII,  36.  —  '  Tract,  in  Joan.  Lxvi.  n.  I.  —  3  Joan, 
XIII,  10. 


MfÎDITATIONS  SUR  LÉVANGILE. 


731 


vous  la  gloire  de  ce  faible  et  tel  quel  commence- 
ment de  bonne  volonté  :  mais  achevez  votre  ou- 
vnige,  mettez-y  la  dernière  main  :  vous  qui  avez 
fonimencé,  achevez.  Car  vous  seul  pouvez  achever 
en  nous  ce  que  vous  seul  vous  y  pouvez  commencer 
de  bien.  Celui  qui  a  commencé  en  vous  la  bonne 
œuvre,  y  mettra  la  perfection  '. 

Saint  Pierre  ne  connaissait  pas  encore  parfai- 
tement cette  justice ,  qui  est  la  justice  chrétienne, 
qui  veut  faire  (car  on  n'est  pas  juste,  parce  qu'on 
ccoute,  mais  parce  qu'on  fait),  mais  qui  songe 
par  qui  on  fait,  et  qui  a  continuellement  recours 
à  la  grâce.  Cet  apôtre  était  zélé,  à  la  vérité,  mais 
tioti  pas  encore  selon  la  science  ;  parce  que  voulant 
établir  sa  propre  justice,  et  ne  connaissant  pas 
encore  que  la  véritable  justice  est  celle  qui  vient 
de  la  grâce,  il  ne  s'était  pas  assujetti  à  la  justice 
àe  Dieu  ».  Voilà  ce  que  dit  un  autre  apôtre ,  et 
c'est  ainsi  qu'il  explique  la  justice  chrétienne.  Saint 
Pierre  ne  l'avait  pas  encore  assez  entendu.  Ainsi 
étant  juste,  mais  non  encore  parfaitement  de  la 
justice  qui  est  en  Jésus-Christ,  c'est-à-dire  de  cette 
justice  qui  rapporte  entièrement  à  Dieu  tout  ce 
qu'elle  a  de  bien;  zélé  à  la  vérité,  mais  non  pas 
encore  comme  il  fallait  :  que  lui  sert  ce  faible  com- 
mencement de  vertu  et  de  justice,  sinon  à  présu- 
mer, à  l'engager,  à  l'égarer,  à  le  mener  au  lieu  où 
il  devait  renier,  au  lieu  où  sa  justice  et  sa  fidélité 
fit  un  si  horrible  naufrage? 

Vraiment  le  Sage  a  raison  de  dire  :  Bienheu- 
reux Chomme  qui  est  toujours  en  crainte^,  qui 
se  craint  toujours  lui-même.  Si  saint  Pierre  eût 
eu  cette  crainte,  il  n'aurait  pas  présumé  de  ses 
forces,  il  n'aurait  pas  suivi  Jésus-Christ  dans  la 
maison  de  Caîphe  :  car  personne  ne  le  lui  avait 
ordonné,  et  rien  ne  lui  demandait  cette  action  té- 
méraire, si  ce  n'était  sa  présomption.  Il  aurait 
craint ,  il  aurait  prié  ;  sa  foi  se  serait  fortifiée ,  et 
il  se  serait  rendu  capable  de  résister  à  la  crainte 
de  la  mort.  Mais  il  va,  croyant  tout  pouvoir;  il 
s'expose  volontairement  à  un  péril  trop  grand  pour 
sa  faiblesse  :  son  zèle  le  trompe,  son  amour  le 
trompe.  Quoi,  un  faux  zèle,  un  faux  amour!  Non, 
il  n'était  pas  tout  à  fait  faux ,  car  il  était  vraiment 
juste,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  :  il  aimait  donc 
véritablement,  il  aimait  même  beaucoup;  mais 
non  pas  encore  assez  pour  ce  qu'il  voulait  entre- 
prendre. Il  n'avait  donc  qu'à  se  tenir  dans  ses 
bornes ,  et  demander  humblement  et  persévéram- 
ment  la  perfection  de  cet  amour.  Mais  au  lieu  de 
remercier,  au  lieu  de  prier,  il  présume,  il  n'en- 
tend pas  encore  la  vérité  de  cette  parole  que  son 
maître  lui  dira  bientôt  :  Sans  moi  vous  ne  pouvez 
rien  4.  Son  propre  zèle,  sa  propre  vertu  tourne  en 
poison  à  sa  présomption,  et  lui  sert  de  nourri- 
ture :  et  il  lui  est  si  important  de  se  bien  connaître, 
et  d'entendre  qu'il  ne  peut  rien  de  lui-même,  que 
Jésus-Christ  permet  qu'il  l'apprenne  par  sa  chute. 
Hélas!  hélas!  pauvre  cœur  humain,  qui  ne  se 
connaît  pas  lui-même,  à  qui  sa  propre  vertu ,  je 

'  PhiUp.  I,  t. —  -Rom.  X,  »,  i.—^EccU.  XXXIT,  17.  — 
-Joan.  XI,  i. 


dis  même  la  véritable,  devient  un  piése,  l'appât 
et  la  pâture  de  l'orgueil!  Viens  t'instruire  paf 
l'exemple  d'un  si  grand  apôtre.  Il  présume,  SI 
s'engage,  il  renie  :  une  servante  fait  trembler  cet 
intrépide,  qui  se  vantait  de  ne  rien  craindre.  Ce 
n'est  pas  assez,  pour  rompre  l'enchantement  de 
son  amour-propre,  de  renier  une  fois  :  il  faut  qu'il 
renie  jusqu^à  trois,  et  encore  avec  jurement ,  avec 
blasphème,  avec  exécration.  Il  le  faut  :  qu'est-ce  à 
dire,  il  le  faut?  Esl-ce  qu'il  est  poussé  au  crime? 
A  Dieu  ne  plaise  !  il  a  présumé  de  lui-même  :  il  est 
livré  à  lui-même.  Pour  lui  ouvrir  les  yeux,  et  lui 
faire  sentir  son  mal,  qu'il  ne  peut  pas  voir,  il  faut 
qu'il  tombe  :  et  son  erreur  est  si  grande,  qu'il 
n'en  peut  revenir  (jue  par  là. 

Jésus  le  regarde  :  il  se  réveille,  îl  se  retire,  il 
commence  à  sentir  qu'il  ne  fallait  point  aller  au 
lieu  d'où  il  ne  peut  se  retirer  trop  tôt.  Hélas!  s'il 
y  demeurait,  il  renierait  peut-être  encore.  Mais 
quoi!  ne  pleure-t-il  pas  sincèrement  son  péché? 
Sans  doute  ;  mais  la  partie  la  plus  essentielle  de  la 
pénitence  ,  c'est  de  sortir  du  péril ,  c'est  de  le  fuir  : 
autrement  on  tombe  encore  ;  et  faute  d'avoir  profité 
de  sa  chute ,  on  tombe  sans  ressource  :  on  n'en  re^ 
lève  jamais. 

Et  voyez  la  faiblesse  du  cœur  humain  !  Pierre 
pleure  :  mais  voici  pour  lui  une  autre  épreuve  ;  le 
scandale  de  la  croix.  On  lui  vient  dire  comme  aux 
autres  que  Jésus-Christ  était  ressuscité  :  et  comme 
eux  il  est  incrédule  :  quoique  ceux  qui  lui  venaient 
annoncer  la  résurrection  de  Jésus-Christ  ne  fissent 
que  lui  raconter  l'accomplissement  de  ce  qu'il  avait 
dit  lui-même  à  ses  disciples,  et  à  Pierre  même. 
Autre  chute  déplorable  :  autre  preuve  de  l'infirmité 
humaine.  Jésus-Christ  nous  instruit  par  ces  exem- 
ples, et  ne  craint  point  d'étaler  au  monde  toute  la 
faiblesse  de  ses  disciples ,  et  du  chef  de  son  Église; 
afin  de  nous  apprendre  à  trembler,  à  être  humbles. 
Et  après  sa  résurrection ,  il  parle  encore  à  saint 
Pierre,  et  lui  demande  :  Pierre,  m'aimes-tu*} 
Comme  s'il  eût  dit  :  Prends  bien  garde  :  sonde 
bien  ton  cœur  :  tu  as  cru  pouvoir  ce  que  tu  ne  pou- 
vais pas  :  pense  donc  bien  si  tu  m'aimes  :  et  à  la 
troisième  fois  il  le  met  encore  à  une  plus  grande 
épreuve  :  M'aimes-tu  plus  que  ceux-ci  :  plus  que 
tous  les  autres  apôtres?  Et  Pierre  lui  répondit, 
comme  on  vient  de  voir  :  Seigneur,  vous  savez 
tout,  vous  savez  que  je  vous  aime*  :  et  il  disait 
vrai  :  car  Jésus  récompensa  son  amour,  et  lui  con- 
fia ses  brebis ,  et  ses  agneaux ,  et  les  grands  et  les 
petits  de  son  troupeau;  et  le  crut  si  élevé  au-des- 
sus de  tous  ses  apôtres ,  qu'il  le  mit  à  leur  tête  et  à 
la  tête  de  tout  le  troupeau,  de  toute  l'Église.  Il 
semble  donc  que  son  amour  était  alors  à  la  perfec- 
tion. Peut-être  donc  qu'il  pouvait  alors  suivre  Jé- 
sus-Christ jusqu'à  la  mort?  non  :  connais  ici,  chré- 
tien ,  par  combien  de  degrés  d'amour  il  faut  par- 
venir à  ce  grand  et  parfait  amour,  à  cet  amour 
dont  Jésus-Christ  nous  dira  bientôt  qu'il  n'y  en  a 
point  de  plus  grand,  et  gui  nous  fait  donner  notre 

'  Joam.  XXI ,  lî.  —  '  Jlfid.  17. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


734 

vkpour  nos  amis'.  Saint  Pierre,  avec  cet  amour 
qui  lui  a  mérité  sur  ses  frères  les  apôtres  une  si 
éminente  prérogative  n'en  est  pas  encore  à  ce  point. 
Et  qui  oserait  le  dire ,  si  Jésus-Christ  ne  l'avait  dit 
le  premier?  Je  vous  enverrai,  dit-il,  le  Saint-Es- 
prit' :  mais  vous  :  vous  :  à  qui  parle-t-il.'  A  ses 
apôtres  sans  doute,  parmi  lesquels  était  saint 
Pierre  :  vous  donc  demeurez  dans  la  ville  :  ren- 
fermez-vous dans  le  cénacle  pour  prier,  et  ne  sortez 
pas ,  jusqu'à  ce  que  vous  soyez  revêtus  de  la  vertu 
d'en  Jiaut^.  De  quoi  donc  avaient-ils  besoin  ?  de  ver- 
tu-, de  force,  de  puissance,  pour  être  capables  de  prê- 
cher sans  crainte  l'Évangile ,  et  de  goûter  la  joie  de 
souffrir  pour  Jésus-Chri.st.  Voilà  de  quoi  ils  avaient 
besoin  :  tous,  et  saint  Pierre  comme  les  autres,  avaient 
besoin,  par -dessus  la  foi,  et  par-dessus  l'amour 
qu'ils  avaient  déjà,  de  recevoir  une  vertu,  une  puis- 
sance d'en  haut.  Elle  vint  cette  vertu,  et  le  Saint- 
Esprit  descendit.  Les  voilà  forts  :  Pierre  ne  craint 
plus  :  Pierre  est  Pierre;  c'est-à-dire  un  rocher  con- 
tre qui  se  brisent  tous  les  flots  :  et  comment?  par 
la  nouvelle  vertu  qui  lui  est  venue  d'en  haut.  Mar- 
che, Pierre,  dis  hardiment  que  tu  suivras  Jésus- 
Christ  jusqu'à  la  mort.  Tu  le  peux,  et  voici  le  temps 
que  le  Sauveur  avait  marqué  :  Tu  ne  peux  me  sui- 
vre à  présent,  mais  après  tu  le  pourras  4.  Voilà  ce 
temps  arrivé  :  partez ,  Pierre  :  allez  à  la  tête  du 
troupeau  attaquer  le  monde,  subjuguer  le  monde  : 
TOUS  avez  expérimente  votre  impuissance,  vous  avez 
connu  la  grâce ,  vous  l'avez  reçue  ;  vous  n'avez  plus 
rien  à  craindre ,  vous  pouvez  tout. 

Recueillons-nous  un  moment  sous  les  yeux  de 
Dieu  :  rentrons  en  nous-mêmes  par  une  profonde 
connaissance  de  notre  impuissance  :  confessons 
que  nous  ne  pouvons  rien  sans  Jésus-Christ  :  ne 
nous  fions  point  à  notre  ardeur,  à  notre  zèle, 
à  ces  agréables  transports  de  piété  qui  nous  pa- 
raissent sincères,  qui  le  sont  peut-être,  mais  non 
encore  assez  forts  :  ne  nous  exposons  pas  volon- 
tairement aux  tentations,  aux  périls,  à  ce  com- 
merce ,  aux  dangereuses  compagnies  du  monde  : 
ne  disons  plus  :  Je  ferai,  je  puis  ;  car  c'est  là  ce 
qui  a  trompé  saint  Pierre.  Disons  :  Seigneur,  aidez- 
moi,  soutenez  mon  impuissance,  donnez-moi  la 
force-,  et  s'il  faut  dire  :  Je  puis  ,  que  ce  soit  comme 
saint  Paul  :  Je  puis  tout  en  celui  qui  me  fortifie^. 

LXXVir  JOUR. 

Préparation  à  l'intelligence  des  plus  hautes  vérités  par  la 
soumission ,  et  par  une  sainte  frayeur. 

Lisez  le  chapitre  xiv,  vous  y  trouverez  des  pro- 
fondeurs à  faire  trembler.  Seigneur,  j'en  suis  ef- 
frayé :  ceux  qui  ne  les  sentent  pas ,  n'entendent 
pas.  Profitez  de  ce  que  vous  entendez  :  adorez  ce 
que  vous  n'entendez  pas  :  c'est  une  grande  leçon. 
Voulez -vous  être  aidé  par  quelque  pieuse  expli- 
cation des  paroles  de  Jésus  -  Christ  ;  aidez -vous 
vous-même,  cherchez  vous-même,  demandez  au 
grand  Père  de  famille  qu'il  vous  donne  votre  pain  : 

»  Jo««.xv,i3.  — '/iid. xvi,7.  — '£mc. XXIV, 49.  —  * Joan. 
xin,3d.  —  '  Phil'ip.  IV,  13. 


prenez  toujours  ce  qu'il  vous  donnera  par  lui-m5ine, 
et  soyez  disposé  à  recevoir  ce  qu'il  vous  donnera 
par  ses  ministres.  Accoutumez-vous  à  cet  exer- 
cice :  c'est  ainsi  qu'on  vient  à  entendre.  Les  difficul- 
tés s'aplanissent  peu  à  peu.  Quand  elles  demeure- 
raient, que  vous  importe  ?  Ce  n'est  pas  la  curiosité  que 
vous  voulez  satisfaire;  vous  voulez  bien  ignorer  ce 
que  Jésus-Christ  ne  vous  veut  pas  découvrir.  Tout 
ce  que  vous  trouverez  clair,  c'est  ce  qu'il  vous  dit  : 
c'est  par  là  qu'il  vous  parle  :  et  lorsque  vous  n'en- 
tendez pas,  il  vous  parle  d'une  autre  manière,  il 
vous  dit  :  Crois,  adore,  humilie-toi,  désire,  cher- 
che :  heureux ,  soit  que  tu  trouves ,  soit  que  Dieu 
réserve  cette  grâce  à  un  autre  temps  ;  puisqu'en 
attendant  tu  te  soumets,  qui  est  plus  que  d'avoir 
trouvé  et  d'entendre,  puisque  c'est  le  principe  pour 
entendre ,  et  que  c'est  déjà  entendre  ce  qu'il  y  a  de 
meilleur. 

LXXVIII"  JOUR. 

Confiance  en  Jésus-Christ  notre  intercesseur.  Ihid. 

Que  votre  cœur  ne  se  trouble  pas ,  qu'il  ne  crai- 
gne rien  :  ily  a  plusieurs  demeures  dans  la  mai- 
son de  mon  Père  :  je  m'en  vais  vous  préparer  la 
place  ' . 

Les  temps  de  trouble  arrivaient  :  c'était  l'heure 
de  la  puissance  des  ténèbres;  les  apôtres  étaient 
déjà  comme  au  milieu  de  ces  troubles  :  Jésus-Christ 
leur  avait  déclaré  qu'il  allait  être  trahi  et  par  l'un 
d'eux;  il  avait  désigné  le  traître  à  quelques-uns ,  et 
ils  l'avaient  vu  partir  de  la  table  et  de  la  maison  : 
il  venait  de  leur  dire  le  dernier  adieu  :  Mes  petits 
enfants ,  je  m'en  vais,  et  je  ne  serai  plus  avec 
vous  '■  :  il  leur  faisait  voir  la  violence  de  ses  enne- 
mis prête  à  éclater  :  sa  sainte  cène  ne  leur  avait 
remis  devant  les  yeux  que  du  sang  répandu,  et  un 
corps  livré;  et  la  tentation  était  tout  ensemble,  et 
si  terrible ,  et  si  proche,  que  Pierre,  le  plus  fer- 
vent, le  plus  hardi,  le  plus  favorisé  d'eux  tous,  y 
devait  succomber  jusqu'à  renoncer  à  son  maître, 
et  cela  dans  la  nuit  même  oii  ils  allaient  entrer.  En 
cet  état,  il  n'y  avait  rien  de  plus  nécessaire  que  de 
les  précautionner  contre  tant  de  troubles.  C'est 
aussi  à  quoi  se  termine  tout  ce  discours ,  jusqu'à  la 
fin  de  ce  chapitre  :  et  après  avoir  dit  dès  le  commen- 
cement :  Ne  vous  troublez  pas,  ne  craignez  rien  : 
il  finit  encore  par  les  mêmes  mots  :  Je  vous  donne 
ma  paix ,  je  vous  laisse  ma  paix  ;  que  votre  cœur 
ne  se  trouble  pas ,  ne  craignez  pas  ^;  après  quoi  il 
termine  ce  discours,  et  se  lève  pour  aller  à  la  mort. 

Il  faut  donc  entendre  et  peser  toutes  ces  paroles. 
Par  rapport  à  celle-ci  :  Ne  vous  troublez  pas  :  nous 
verrons  qu'au  lieu  de  trouble ,  tout  inspire  la  con- 
fiance aux  apôtres.  Ce  qui  leur  causait  le  plus  de 
trouble,  c'est  qu'en  leur  disant  :  Je  m'en  vais,  il 
semblait  ne  leur  laisser  aucune  espérance  de  le  sui- 
vre :  il  les  avait  mis  au  rang  des  Juifs,  qui  sem- 
blaient exclus  de  cette  grâce  :  Je  m'en  vais;  et 
comme j*ai  dit  aux  Juifs,  vous  ne  sauriez  venir 
où  je  vais  4. 

I  Joan.  XIV,  I,  2.  —  2  Ihid.  XIIT,  33.  —  ^  Ibid.  XIV,  27, 
og.  _  4  Ibid.  XIII,  33. 


"MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


786 


11  est  vrai  qu'il  avait  dit  à  saint  Pierre  :  fous 
ne  poncez  encore  me  suivre,  mais  vous  me  sui- 
vrez après  '  :  par  oij  il  leur  donnait  quelque  espé- 
rance ;  puisque  saint  Pierre  devait  le  suivre  un  jour 
où  il  allait,  les  autres  semblaient  aussi  y  être  appe- 
lés. Mais  pour  ne  leur  laisser  aucun  doute  :  Il  y  a, 
dit-il ,  plusieurs  demeures  dans  la  maison  de  mon 
Père  *  :  il  n'y  en  a  pas  seulement  pour  moi  et 
pour  Pierre;  il  y  en  a  pour  plusieurs,  il  y  en  a  pour 
vous  :  Je  m'en  vais,  mais  c'est  pour  vov^  préparer 
la  place;  ne  vous  troublez  donc  pas;  ne  craignez 
rien.  Fous  croyez  en  Dieu;  c'est  dans  son  royaume 
que  votre  demeure  vous  est  préparée  :  Croyez  aussi 
en  moi;  car  c'est  moi  qui  y  vais  préparer  la  place. 
-Ve  vous  troublez  donc  pas,  ne  craignez  rien.  Croyez 
en  moi  comme  vous  vous  croyez  en  Dieu,  et  tout 
est  en  sûreté  pour  vous. 

Il  y  a  plusieurs  demeures  dans  la  maison  de 
mon  Père  ;  s'il  n'en  était  pas  ainsi,  je  vous  le  di- 
rais :  avec  tant  de  bonté ,  avec  tant  d'amour,  vous 
cacherais-je  votre  sort?  Admirez  et  ressentez  la 
tendresse  de  ces  paroles  :  S'il  n'en  était  pas  ainsi,  \ 
je  vous  le  dirais.  Ce  n'est  pas  aux  seuls  apôtres  j 
qu'elles  sont  dites,  c'est  encore  à  nous.  Répétons-  j 
les  encore  un  coup ,  et  laissons-nous-en  pénétrer  :  | 
s'il  n'en  était  pas  ainsi,  je  vous  le  dirais;  je  ne  ; 
vous  veux  rien  cacher,  et  avant  que  de  partir,  je 
veux  vous  apprendre  tous  les  secrets  qui  vous  regar- 
dent. Ayant  aimé  les  siens,  il  les  a  aimés  jusqu'à 
iafin^,  et  en  s'en  allant,  il  leur  veut  ôter  tout  su- 
jet de  crainte. 

Si  je  m'en  vais,  c'est  que  Je  vais  vous  préparer 
iaplace*.  Jésus  notre  avant-coureur  est  entré  pour 
nous;  et  c'est  pour  cela  qu'il  est  appelé  notre  pon- 
tife selon  l'ordre  de  Melchisédech  s.  Nous  avons  un 
grand  pontife  qui  a  pénétré  les  cieux^  :  il  est  entré 
dans  ce  sanctuaire  éternel ,  dont  l'entrée  était  inter- 
dite aux  hommes  à  cause  de  leurs  péchés.  Il  a  percé 
au  dedans  du  voilei  :  et  notre  foi,  notre  espérance 
V  entre  après  lui  ;  car  il  nous  est  allé  préparer  la 
place,  et  c'est  pour  cela  qu'il  y  entre. 

Remettons-nous  devant  les  yeux  la  structure  de 
l'ancien  temple ,  où  était  le  lieu  très-saint,  le  Saint 
des  saints,  la  partie  du  sanctuaire  la  plus  intime, 
celle  où  était  l'arche,  où  Dieu  même  avait  établi  sa 
résidence,  lieu  inaccessible  à  tout  autre  qu'au  sou- 
verain pontife,  qui  encore  n'y  pouvait  entrer  qu'une 
fois  l'an.  Il  était  couvert  d'un  grand  voile  parsemé 
de  chérubins,  pour  nous  faire  souvenir  de  ce  chéru- 
bin qui,  avec  une  épée  flamboyante  qu'il  remuait 
d'une  manière  menaçante ,  gardait  la  porte  du  para- 
dis * ,  pour  empêcher  nos  premiers  pères  d'y  en- 
trer, après  qu'ils  en  eurent  été  chassés.  Ce  voile  sa- 
cré et  ces  chérubins  répandus  dessus,  semblaient 
encore  nous  dire  à  l'entrée  du  sanctuaire  :  N'entrez 
pas  ;  rien  d'impur  ne  doit  entrer  en  ce  lieu;  c'est  la 
figure  du  ciel ,  où  personne  ne  doit  entrer  jusqu'à  ce 
que  le  souverain  pontife  en  ait  ouvert  l'entrée. 
C'est  là  ce  voile  qui  nous  cachait  la  gloire  de  Dieu  : 

'  Joan.  36.  —  *  Ibid.  XIV,  1 , 2.  —  '  Ibid.  xni ,  I.  —  *  Ihid. 
i,Y,  3.  _  »  /itb.  Yi ,  20.  —  «  Ibid.  IV,  U.  —  '  Ibid.  VI,  19.  — 


c'est  là  ce  voile  qui  nous  rendait  le  sanctuaire  inac- 
cessible :  c'est  le  voile  qui  nous  marquait  que  noui 
étions  interdits,  impurs,  incapables  d'entrer  jamais 
dans  le  Saint  des  saints  :  c'est  ce  voile  qui  fut  dé- 
chiré de  haut  en  bas  par  le  milieu ,  et  mis  en  deux 
par lS ,  lorsque  Jésus-Christ  expira'.  La  terre  trem- 
bla en  même  temps;  les  tombeaux  s'ouvrirent,  et 
les  morts  ressuscitèrent ,  en  témoignage  que  par  la 
mort  et  par  le  sang  de  Jésus ,  le  sanctuaire  était 
ouvert,  les  morts  recevaient  la  vie,  l'interdit  était 
levé,  tout  était  changé  pour  les  hommes. 

Le  pontife  s'ouvrait  l'entrée  dans  le  sanctuaire 
par  le  sang  des  animaux;  mais  Jésus-Christ  y  de- 
vait entrer  par  son  propre  sang,  par  l'oblation  de 
lui-même  *.  Le  pontife ,  avant  que  d'entrer  dans  le 
sanctuaire,  offrait  pour  ses  péchés  et  pour  ceux  du 
peuple;  mais  le  vrai  souverain  pontife  n'avait  pas 
besoin  d'offf  ir  pour  lui^  ;  et  en  qualité  de  Fils  unique 
il  entrait  dans  le  ciel  par  son  propre  droit  naturel. 
Et  c'est  pourquoi  n'offrant  que  pour  nos  péchés, 
c'est  à  nous  qu'il  ouvre  l'entrée  :  Je  m'en  vais 
vous  préparer  la  placée. 

Son  sacerdoce  s'exerce  principalement  dans  le 
ciel  ;  car  s'il  n'eût  été  sacrificateur  que  pour  la 
terre  ,  Une  C aurait  point  été  du  tout^;  puisqu'il 
y  avait  pour  la  terre  un  autre  sacerdoce  et  d'autres 
victimes.  Mais  celui-ci ,  dont  le  sang  est  non-seu- 
lement innocent  et  pur,  mais  encore  infiniment  pré- 
cieux ,  commence  à  la  vérité  l'exercice  de  son  sacer- 
doce sur  la  terre,  où  il  fallait  qu'il  mourût  pour  les 
pécheurs;  mais  il  le  consomme  dans  le  ciel ,  où 
il  parait  pour  nous  devant  la  face  de  Dieu^,  où 
assis  à  la  droite  de  ta  majesté  de  Dieu,  il  opère 
continuellement  la  rémission  des  péchés' ,  en  in- 
tercédant pour  nous  * ,  et  nous  ouvrant  la  porte 
du  ciel  par /e  sang  du  Nouveau  Testament  répandu 
pour  la  rémission  de  nos  péchéss. 

Ne  soyons  donc  point  troublés ,  ne  craignons 
rien.  Que  peut  faire  le  monde  contre  nous,  que 
de  nous  chasser  de  notre  pays,  de  notre  maison, 
de  toute  la  terre  et  de  la  vie  ?  Mais  quand  nous  per- 
drons tout  cela ,  il  y  a  plusieurs  demeures  dans  le 
ciel  :  nous  y  avons  notre  place  et  une  retraite  as- 
surée, où  le  monde  et  la  puissance  des  ténèbres 
ne  peut  plus  rien.  Croyons  donc  en  Dieu,  qui  nous 
y  reçoit  :  mais  croyons  aussi  en  Jésus-Christ,  qui 
nous  y  va  préparer  la  place  ;  adorons  le  sang  de 
l'alliance  par  lequel  il  y  est  entré;  adorons  ses 
plaies,  par  lesquelles  il  intercède  pour  nous  et  nous 
ouvre  l'entrée  du  ciel.  Fous  croyez  en  Dieu,  croyez 
aussi  en  moi'°:  car  je  suis  Dieu,  mais  un  Dieu 
homme,  un  Dieu  qui  ai  été  votre  victime;  un  Dieu 
qui  ai  offert  pour  vous  ce  que  j'ai  pris  de  vous- 
mêmes:  Croyez  en  Dieu,  croyez  en  moi:  après 
cela  ne  vous  troublez  pas,  ne  craignez  rien  " .  Si 
vous  aviez  quelque  chose  à  craindre,  et  capable  de 
vous  troubler,  ce  seraient  vos  péchés  qui  crient 
contre  vous,  et  ne  vous  permettent  pas  le  repos 

•  :aatth.  xxvn,  51 ,  52.  Lvc.  xxiii,  43.  —^Heb.  «,7, 12,28b 
— 'Zer.Xvi.C,  II.  Heb.yn,  21.  — ^  Joan.  XIV,  2.  —  ^Heb.  TllI, 
4.— «  Ibid.  IX,  21.  —■  Ibid.  I,  3.  —  •  Ibid.  vu,  26.  —  »  .VaUÂ 
XXYf,2S.  —  ^'Joan.Xlw,  I.—  ^^  Ibid.  28. 


TS6 

^e  la  conscience;  mais  ils  sont  purgés  :  Jésus-Christ 
a  levé  l'interdit ,  et  il  vous  tend  les  bras  du  haut 
du  ciel  pour  vous  y  recevoir.  Quittez  donc  comme 
lui  la  chair  et  le  sang;  sacrifiez  vos  passions  et  vos 
désirs  sensuels  :  c'est  le  sang  qu'il  vous  faut  ré- 
pandre pour  vous  conformer  à  Jésus-Christ  :  ne 
«craignez  rien,  ne  vous  troublez  pas,  encore  un 
coup.  Nous  avons  un  souverain  pontife  qui  a  pé- 
nétré les  deux  :  présentons-nous  donc  avec  une 
entière  confiance  devant  le  trône  de  la  grâce,  pour 
en  être  secourus  dans  nos  besoins  :  devenons  iné- 
branlables dans  la  confession  *  de  son  saint  nom. 
Mais  ne  soyons  pas  de  ceux  gui  le  confessent  de 
bouche  et  'te  tenonciint  par  leurs  œuvres  »  :  si  nous 
'  le  renonçons ,  il  nous  renoncera  ;  et  si  nous  lui 
■  sommes  infidèles ,  la  faute  en  sera  en  nous  :  car 
pour  lui  il  est  ferme  dans  ses  paroles,  et  il  ne 
se  peut  renoncer  lui-même^.  Ne  cfaignez  donc  rien, 
ne  vous  laissez  troubler  de  rien  :  croyez  en  Dieu, 
croyez  en  Jésos-Christ,  par  qui  vous  aoez  accès 
auprès  de  Dieu  *. 

LXXIX«  JOUR. 

Jésus-Christ  est  notre  assurance  et  notre  repus.  Joa-n. 
xiy,  3,  4,  B,  6. 

Après  que  je  m'en  serai  allé ,  et  que  je  vous 
aurai  préparé  la  place,  je  reviendrai  pour  vous 
prendre  et  vous  emmener  avec  moi ,  afin  que  vous 
soyez  où  je  suis^. 

"Voici  le  dernier  degré  d'assurance  et  du  repos 
que  Jésus-Christ  pouvait  donner  à  ses  fidèles. 
Quand  41  reviendra  au  dernier  jour;  que  tous  les 
hommes  sécheront  de  frayeur  dans  l'attente  de 
ce  qui  devra  arriver  à  tout  l'univers  :  Alors ,  dit- 
jT,  levez  la  télé,  parce  que  votre  rédemption  ap- 
proche^. Je  ne  viens  point  vous  juger  :  je  viens 
vous  quérir  et  vous  emmener  avec  moi.  Le  juge- 
ment n'est  que  pour  le  monde,  et  pour  ceux  qui 
aiment  le  monde  :  Celui  qui  croit  en  moi ,  de  cette 
foi  vive  et  véritable  (\m  fructifie  en  bonnes  œu- 
vres, n'est  pas  jugé  :  il  ne  vient  point  en  jugement, 
parce  qu'î7  est  déjà  passé  de  la  mort  à  la  viei^ 

Sans  attendre  ce  dernier  jour,  Jésus-Christ  nous 
visite  tous  les  jours ,  lorsqu'il  nous  appelle  à  son 
repos  éternel  ;  il  nous  visite  par  les  maladies  ;  il 
est  ce  grand  Père  de  famille  qui  frappe  à  la  porte  : 
alors  il  vient  nous  quérir,  afin  que  là  où  il  est, 
nous  y  soyons  avec  lui. 

C'est  là  donc  la  grande  parole  :  c'est  la  parole 
de  consolation  et  de  tendresse,  où  Jésus-Christ 
nous  fait  voir  qu'il  ne  veut  pas  être  sans  nous, 
qu'il  ne  veut  pas  que  nous  soyons  longtemps  sans 
lui.  C'est  donc  alors  que,  bien  loin  d'être  effrayés , 
nous  devons  nous  mettre  en  état  de  lever  la  t^te, 
parce  que  le  moment  arrive  où  nous  allons  être 
où  est  Jésus-Christ,  dans  son  royaume,  dans 
son  trône.  C'est  là  ce  qui  fait  dire  à  saint  Paul 
que  ce  corps  mortel  lui  est  à  charge,  qu'il  désire 

'  Ilehr.  IV,  H,  16.  —  '  TU.  1,  18.— ^II.  7ï»i.U,  12,  13.— 
•  Hplies.  II,  18.  —  *  Joan.  xiv, 3.  —  *  Luc.  xxi  2C,  UH. — 
'Jean.  III,  18;  V,  2i.   Colost.  l  ,  10. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


d'en  être  dégagé,  your  être  avec  /«.•nts-CZ/risf; 
qu'il  désire  d'être  défait  de  cette  demeure  terrestre^ 
et  de  quitter  ce  séjour,  où  il  est  éloigné  du  Sei- 
gneur*, pour  aller  habiter  où  il  est. 

Si  nous  aimons  Jésus-Christ,  rien  ne  nous  doit 
être  plus  cher  que  cette  parole  :  Je  m'en  vais,  et  je 
reviendrai  vous  quérir,  afin  que  vous  soyez  oiije 
suis.  Être  loin  de  Jésus-Christ ,  c'est  être  dans  b 
peine,  dans  la  mort,  dans  la  tentation,  dans  le  péché. 
Être  avec  Jésus-Christ,  c'est  être  dans  la  gloire, 
dans  la  paix,  dans  la  justice  parfaite.  Voilà  ce  qu'il 
nous  promet  :  voilà  où  il  appelle  les  apôtres,  en 
leur  disant  le  dernier  adieu.  Cet  adieu  n'est  dono 
que  pour  un  peu  de  temps;  Jésus-Christ  leur 
promet  de  revenir  pour  les  emmener  avec  lui  î  c^est 
la  dernière  marque  de  son  amour,  et  le  plus  puissant 
motif  pour  les  rassurer. 

Et  afin  de  leur  ôter  toute  incertitude,  il  ajoute  î 
rous  savez  où  je  vais ,  et  vous  en  savez  ta  voie  K 
C'est  en  quoi  est  la  différence  entre  eux  et  les 
Juifs.  Car  les  Juifs  ne  savaient  ni  où  il  allait,  ni 
par  où  il  fallait  aller;  leur  infidélité,  leur  aveu- 
glement les  empêchaient  de  le  suivre  :  mais  il  dit 
au  contraire  à  ses  apôtres  :  rous  savez  oit  je  vais , 
et  vous  savez  le  chemin  par  où  il  y  faut  aller.  Et 
ce  chemin  c'est  moi-même  :  Je  suis  la  voie,  la  vé- 
rité et  ta  vie  4.  Pourquoi  donc  seriez-vous  troublés 
démon  départ,  puisque  je  vous  montre  la  voie 
pour  venir  où  je  suis.' 

Seigneur,  lui  avait  dit  saint  Thomas,  nous  ne 
savons  où  vous  allez;  et  comment  en  pouvons-noui 
savoir  la  voie^?  Je  suis  la  voie,  la  vérité  et  la 
vie  .-je  suis  celui  où  il  faut  aller;  car  c'est  avec  moi 
qu'il  faut  être.  Je  suis  la  voie  par  où  il  faut  aller  ï 
parole  haute  et  impénétrable  au  sens  humain. 
Quelle  est  la  fin  de  tous  les  désirs ,  si  ce  n'est  là 
vérité  et  la  vie?  C'est,  dit-il,  ce  que  je  suis;  et 
quand  on  a  trouvé  le  chemin ,  que  reste-t-il  à  cher» 
cher?  Je  suis  encore  ce  chemin,  je  suis  la  voie. 
Comment  peut-on  être  à  la  fois ,  et  letenne  où  l'on 
va,  et  le  chemin  pour  y  aller?  Mon  Sauveur  unit 
l'un  et  l'autre,  et  dans  ce  peu  de  paroles  :  Je  suis 
la  voie,  la  vérité  et  la  vie,  il  renferme  toute  sa 
doctrine  et  tout  le  mystère  de  la  piété.  G  Seigneur, 
faites-moi  la  grâoe  de  goûter  cette  parole,  de 
vous  y  trouver,  de  vous  y  goûter  tout  entier! 

LXXX«  JOUR. 

Jésus-Chrisl  est  la  voie,  la  vérité  el  la  vie.  Joan.  xiv,  0. 

Je  suis  la  vérité  et  ta  vie.  Je  suis  le  rerbe  qui 
était  au  commencement,  la  parole  du  Père  éter- 
nel, sa  conception,  sa  sagesse,  la  véritable  lu- 
mière qui  éclaire  tous  les  hommes  qui  viennent  au 
monde  ^  :  la  vérité  même;  par  conséquent  le  sou- 
tien, la  nourriture  et  la  vie  de  tout  ce  qui  entend  : 
celui  en  qui  est  la  vie,  et  la  même  vie  qui  est  dans 
le  Père.  Il  faut  entrer  par  la  foi  dans  toutes  ces 
choses;  car  si  elles  n'étaient  pas  nécessaires  pour 
notre  salut,  Jésus-Christ  ne  nous  les  aurait  pas 
révélées. 

»  Philip.  I,  22 ,  23.  —  ' II.  Cor.  T,  1 , 4 ,  6 ,  8.  —  '  ./oaR .  XIV, 
4.  —  •  Jbïd.  6.  —  >  Jbid.  5.  —  «  Joan.  I,  ». 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


TS7 


Je  suis  donc,  dit-il ,  la  vérité  ei  la  vie,  parco  que  ] 
je  suis  Dieu  :  mais  m  même  temps  je  suis  homme. 
Je  suisvejiu  enseigner  le  genre  humain,  et  lui  ap- 
porter des  paroles  de  vie  éternelle  :  avec  la  doc- 
trine ,  je  hii  ai  donné  l'exemple  de  hien  vivre.  Riais 
comme  tout  cela  n'était  qu'au  dehors,  il  fallait  eii- 
core  apporter  la  grâce  aux  hommes ,  et  je  me  suis 
fait  leur  victime ,  pour  leur  mériter  cette  grâce  : 
Je  suis  donc  la  voie  :  on  ne  peut  approcher  de 
Dieu,  ni  de  la  vie  éternelle  que  par  nfôi.  Il  y  faut 
venir  par  ma  doctrine  :  il  y  faut  venir  par  mes  exem- 
ples :  il  y  faut  venir  par  mes  mérites ,  et  par  la 
grâce  que  j'apporte  au  monde.  La  loi  à  été  donnée 
par  Mcfise,la  grâce  et  la  vérité  a  été  donnée  par 
Jésus- Clirist:^  Et  nous  avons  vu  sa  gloire  comme 
celle  du  Fils  unique,  plein  de  grâce  et  de  vérité  '. 
Entrons  par  cette  voie ,  et  nous  trouverons  la  vé- 
rité et  la  vie. 

C'est  ce  que  l'Église  nous  enseigne  tous  les  jours 
par  la  formule  perpétuelle  dont  elle  finit  ses  orai- 
sons. Qu'on  adore  Dieu,  qu'on  le  loue,  qu'on  lui 
sacrifie,  qu'on  se  consacre  soi-même  à  lui,  qu'on 
le  prie,  qu'on  lui  demande;  tout  se  fait  par  Jésus- 
Christ.  Voilà  la  voie  :  mais  en  même  temps  on 
ajoute,  qu'étant  Dieu  ,  il  vit  et  règne  avec  le  Père 
et  le  Saint-Esprit  :  il  vit  de  la  même  vie,  il  règne 
avec  la  même  souveraineté.  Voici  donc  tout  le  mys- 
tère de  Jésus-Christ  :  Nous  savons  que  le  Fils  de 
Dieu  est  venu,  et  nous  a  donné  l'intelligence  pour 
nous  faire  connaître  le  vrai  Dieu ,  et  être  dans 
son  vrai  Fils.  C'est  lui-même  qui  est  le  vrai  Dieu 
et  la  vie  éternelle  ».  C'est  lui  qui  est  venu  pour  nous 
faire  connaître  le  vrai  Dieu  :  c'est  par  lui  que  nous 
y  allons  :  il  est  lui-même  le  vrai  Dieu,  la  vérité 
n«éme,  et  la  vie  éternelle.  Il  est  la  voie,  la  vérité 
et  la  vie. 

LXXXr  JOUR. 

Jésus-Christ  est  noire  luaiière.  Joan.  xiv,  C. 

Nous  nous  étonnions  tout  à  l'heure  comment  on 
pouvait  être  tout  ensemble  le  moyen  et  la  fin  ,  la 
vérité  et  la  vie,  qui  sont  le  terme,  et  en  même 
temps  la  voie  pour  y  aller.  Mais  Jésus-Christ  nous 
explique  ce  mystère.  Qui  nous  peut  mener  à  la 
vérité,  si  ce  n'est  la  vérité  elle-même?  Cette  vérité 
est  souveraine ,  nul  ne  la  force,  nul  ne  l'attire ,  et 
il  faut  qu'elle  se  donne  elle-même.  Mais  cela  même 
c'est  la  vie  ;  car  on  vit  quand  on  possède  la  vérité , 
c'est-à-dire,  quand  on  la  connaît,  quand  on  l'ai- 
me, quand  on  l'embrasse.  A  Dieu  ne  plaise  que 
nous  nous  imaginions  des  bras  pour  la  tenir  et  pour 
la  serrer!  Ou  en  jouit  comme  on  jouit  de  la  lu- 
mière, en  la  voyant;  mais  elle  gagne  tous  ceux  qui 
la  voient  telle  qu'elle  est  :  car  elle  nous  découvre 
tout  ce  qui  est  beau,  et  elle  est  elle-même  le  plus 
beau  de  tous  les  objets  qu'elle  nous  décou\Te. 

Mais  que  peut-on  entendre  entre  nos  yeux  et  la 
lumière,  pour  nous  la  découvrir?  Rien  du  tout;  il 
n'y  a  qu'a  ouvrir  les  yeux,  et  la  lumière  s'introduit 
par  elle-même.  Il  n'y  a  point  d'autre  voie  pour  aller 

'  Joan.  U ,  17.  —  '  /6id.  v,  20. 
BOSSirr.  —  TOME  lu. 


à  elle  :  la  vérité  est  plus  lumière  que  la  lumière  : 
rien  ne  peut  nous  amener  à  la  vérité  qu'elle-même. 
Il  faut  qu'elle  vienne,  qu'elle  s'approche,  qu'elle 
s'abaisse,  qu'elle  se  tempère.  Et  qu'est-ce  que 
Jésus-Christ,  si  ce  n'est  la  vérité  qui  s'iavanoe  vers 
nous ,  qui  se  cache  sous  une  forme  accommodée  à 
notre  faiblesse,  pour  se  inontrer  autant  que  nos 
yeux  infirmes  le  peuvent  porter?  Ainsi  pour  être 
la  voie ,  il  faut  qu'il  soit  encore  la  vérité.  Que  crai- 
gnons-nous davantage ,  que  d'être  trompés  ?  Ceux 
qui  veulent  tromper  les  autres ,  et  sont  de  ce  côté- 
là  ennemis  de  la  vérité ,  ne  veulent  pas  qu'on  les 
trompe;  et  la  vérité  ne  laisse  pas  d'être  leur  plus 
cher  objet.  Venez  donc,  ô  vérité!  En  vous-même 
vous  êtes  ma  vie  ;  et  en  vous  approchant  de  moi , 
vous  êtes  ma  voie.  Qu'ai-je  donc  à  Craindre  ,  et  de 
quoi  puis-je  être  troublé  ?  Ai-je  à  craindre  de  ne 
pas  trouver  la  voie  pour  aller  à  la  vérité  ?  La  voie 
même,  dit  saint  Augustin,  se  présente  à  nous 
d'elle-même,  la  voie  elle-même  vient  à  nous.  Viens 
donc  vivre  de  la  vérité,  âme  raisonnable  et  intelli- 
gente! Quelle  lumière  dans  la  doctrine  de  Jésus! 
Cette  lumière  est  d'autant  plus  belle,  qu'elle  luit 
au  milieu  des  ténèbres.  Mais  prenons  garde  d'être 
de  ceux  dont  il  est  écrit  :  La  lumière  est  venue  au 
monde,  et  les  hommes  ont  mieux  aimé  les  ténèbres 
que  la  lumière,  paire  que  leurs  œuvres  étaient 
mauvaises  '.  Que  me  servira  une  lumière,  qui  ne 
fera  que  découvrir  ma  laideur  et  ma  honte?  Lu- 
mière, retirez-vous ,  je  ne  vous  puis  souffrir.  Sainte 
doctrine  de  l'Évangile ,  éternelle  vérité ,  miroir  trop 
fidèle,  vous  me  faites  trembler!  Changeons-nous 
donc  :  nous  ne  pouvons  pas  changer  la  vérité;  et 
qui  serait  le  malheureux  qui  voudrait  que  la  vérité 
ne  fût  pas?  nous  ne  subsistons  nous-mêmes  que 
par  un  trait  de  la  vérité  qui  est  en  nous. 

Aimons  donc  la  vérité  :  aimons  Jésus,  qui  est 
la  vérité  même  :  changeons -nous  nous-mêmes, 
pour  lui  être  semblables.  Mettons-nous  en  étal 
de  n'être  point  obligés  à  haïr  la  vérité.  Celui  qu'elle 
condamne ,  la  hait  et  la  fuit.  Qu'il  n'y  ait  rien  de 
faux  dans  celui  qui  est  le  disciple  de  la  vérité.  Vi- 
vons de  la  vérité,  nourrissons-nous-en.  C'est  pour 
cela  que  l'eucharistie  ncus  est  donnée  :  c'est  dans 
le  corps  de  Jésus,  et  dans  son  humanité  sainte, 
le  pur  froment  des  élus ,  la  pure  substance  de  la 
vérité,  le  pain  de  vie  :  c'est  donc  en  même  temps 
la  voie,  la  vérité  et  la  vie.  Si  Jésus-Christ  est  no- 
tre voie,  ne  marchons  point  dans  la  voie  du  siècle; 
entrons  dans  la  voie  étroite  où  il  a  marché.  Sur- 
tout soyons  doux  et  humbles.  Le  faux  de  l'homme , 
c'est  la  fierté  et  l'orgueil ,  parc*  qu'en  vérité  il  n'est 
rien ,  et  que  Dieu  est  seul.  Bien  connaître  qu'il  est 
seul ,  c'est  la  pure  et  seule  vérité. 

LXXXII*  JOUR. 

Nul  ne  vient  à  son  Père ,  que  par  Jésus-Christ.  Ibid. 

Nul  ne  vient  à  mon  Père  que  par  moi  ».  Il  entre 
avec  ses  apôtres  dans  un  secret  plus  profond  ;  et 


«  Jean,  ui,  19.  —  »  Ibid.  Xiv,  6. 


» 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


73a 

pour  les  rendre  tout  à  fait  imperturbables,  il  leur 
apprend  tout  le  bien  qu'ils  trouveront  en  lui.  Ce 
bien  sera  qu'en  le  trouvant,  par  lui  ils  posséde- 
ront son  Père  même ,  qui  devait  être  tout  l'objet 
de  leurs  désirs ,  comme  c'était  le  terme  de  tous  les 
siens. 

Nul  ne  vient 'à  mon  Père  que  par  moi.  Si  le 
Sauveur  est  la  voie,  la  vérité  et  la  vie,  il  ne  faut 
point  qu'il  nous  mène  à  autre  qu'à  lui-même,  pour 
être  heureux.  Comment  est-ce  donc  qu'il  est  la  voie 
pour  nous  mener  à  son  Père?  Que  voulons-nous 
davantage  que  la  vérité  et  la  vie ,  que  nous  trou- 
verons en  lui?  Il  nous  explique  lui-même  ce  pro- 
fond secret,  en  disant  :  Si  vous  me  connaissiez, 
vous  connaîtriez  aussi  mon  Père  :  et  vous  le  con- 
naîtrez bientôt,  et  vous  l'avez  déjà  vu  '.  Ne  croyez 
pas  qu'en  vous  élevant  à  la  connaissance  de  mon 
Père ,  je  vous  mène  à  quelque  chose  qui  soit  hors 
de  moi  :  c'est  en  moi  qu'on  connaît  le  Père;  et 
vous  l'avez  déjà  vu.  Quel  est  ce  nouveau  mystère? 
Comment  est-ce  qu'on  connaît  le  Père  en  connais- 
sant Jésus-Christ?  Quand  les  apôtres  ont-ils  vu  le 
Père?  où  Font-ils  vu?  C'est  ce  qu'il  dira  dans  la 
suite;  mais  auparavant  il  nous  faut  entendre  ce 
que  lui  dit  saint  Philippe  :  Seigneur,  montrez-nous 
votre  Père,  et  il  nous  suffit  ». 

A  ces  mots,  et  pour  ainsi  dire,  au  seul  son  de 
cette  parole,  l'âme  chrétienne  ressent  quelque  chose 
de  grand;  mais  quelque  chose  de  tendre,  mais 
quelque  chose  d'intime.  Seigneur,  montrez-nous 
votre  Père,  et  il  nous  suffit.  IVIontrez-le-nous ,  c'est 
par  vous  que  nous  le  voulons  voir  :  il  nous  suffit; 
vous  nous  ordonnez  de  n'avoir  ni  crainte  ni  troûhle  : 
pour  cela  il  ne  nous  faut  qu'une  seule  chose;  t'o/re 
Père  nous  suffit.  Comprenons  bien  cette  pleine  sa- 
tisfaction de  notre  esprit  en  voyant  Dieu;  ce  sera 
le  remède  à  tous  les  troubles.  Car  nous  avons  trouvé 
un  bien  que  rien  ne  nous  peut  ôter  ;  et  ce  bien  nous 
suffisant  seul ,  rien  ne  pourra  troubler  notre  repos. 

LXXXIll'  JCLB. 

DiPU  seul  nous  suffit.  Joan.  xiv,  8. 
Montrez-7WUS  votre  Père,  et  il  nous  suffit  3. 
Dieu  seul  nous  suffit;  et  il  ne  faut  que  le  voir  pour 
le  posséder,  parce  qu'en  le  voyant ,  on  voit  tout  le 
bien^,  comme  îl  l'explique  lui-même  à  Moïse  :  on 
voit  donc  tout  ce  qui  peut  attirer  l'amour  :  on  l'ai- 
me sans  bornes;  et  tout  cela,  c'est  le  posséder. 
Disons  donc  de  tout  notre  cœur  avec  saint  Phi- 
lippe :  Seigneur,  montrez-nous  votre  Père,  et  il 
nous  suffit:  lui  seul  peut  remplir  tout  notre  vide, 
remplir  tous  nos  besoins,  contenter  éternellement 
tous  nos  désirs  ,  nous  rendre  lieureux. 

Vidons  donc  notre  cœur  de  toute  autre  chose  : 
car  si  le  Père  seul  nous  suffit ,  nous  n'avons  pas 
besoin  des  biens  que  nos  sens  goûtent  par  eux- 
mêmes,  encore  moins  des  richesses  qui  .-ont  hors 
de  nous,  encore  moins  des  honneurs  qui  ne  con- 
sistent qu'en  opinion.  Nous  n'avons  pas  même  be- 
soin de  cette  vie  mortelle  :  encore  moins  avons-nous 

«  /«in.  XIV,  7.  -  •  Ibid.  8.  -  3  Ibid.  -  *  Exod.  xxxni,  19. 


besoin  de  tout  ce  qui  est  nécessaire  pour  la  con- 
server; nous  n'avons  besoin  que  de  Dieu,  il  noua 
suffit  ;  en  le  possédant  nous  sommes  contents. 

Que  cette  parole  de  saint  Philippe  est  coura- 
geuse! Pour  la  dire  en  vérité,  il  faut  aussi  pou- 
voir dire  avec  les  apôtres  :  Seigneur ,  nous  avons 
tout  guilté  pour  vous  suivre^.  Il  faut  du  moins 
tout  quitter  par  affection,  par  désir,  par  résolu- 
tion; je  dis  par  une  invincible  résolution  de  ne 
s'attacher  à  rien,  de  ne  chercher  de  soutien  en 
rien  qu'en  Dieu  seul.  Alors  on  peut  dire  avec  saint 
Philippe  :  Montrez-nous  le  Père,  et  il  nous  suffit  : 
tout  est  content.  Heureux  ceux  qui  poussent  à 
bout  ce  désir,  qui  le  poussent  jusqu'au  dernier, 
actuel  et  parfait  renoncement!  Mais  qu'ils  ne  se 
laissent  donc  rien;  qu'ils  ne  disent  pas  :  Ce  peu  à 
quoi  je  m'attache  encore,  n'est  rien,  fie  connaissez- 
vous  pas  le  génie  et  la  nature  du  cœur  humain?  pour 
peu  qu'on  lui  laisse,  il  s'y  ramasse  tout  entier,  et 
y  réunit  tout  son  désir.  Arrachez  tout ,  rompez  tout , 
ne  tenez  à  rien.  Heureux,  encore  un  coup,  ceux  à 
qui  il  est  donné  de  pousser  à  bout  ce  désir,  de  le 
pousser  jusqu'à  l'effet!  xMaisil  y  a  obligation  pour 
tous  les  chrétiens  de  le  pousser  à  bout,  du  moins 
dans  le  cœur,  en  vérité,  sous  les  yeux  de  Dieu; 
d'avoir  du  bien  comme  n'en  ayant  pas,  d'être  marié 
comme  ne  l'étant  pas,  d'user  de  ce  monde  comme 
n'en  usant  pas,  mais  comme  n'en  étant  pas,  mais 
comme  n'y  étant  pas.  C'est  à  ce  vrai  bien  qu'il 
nous  faut  tendre;  et  nous  ne  sommes  pas  chrétiens, 
si  nous  ne  disons  sincèrement  avec  saint  Philippe  : 
Montrez-nous  le  Père,  et  il  nous  suffit. 

C'est  donc  le  fond  de  la  foi  qui  dit  cette  parole; 
c'est  en  quelque  façon  le  fond  même  de  la  nature. 
Car  il  y  a  un  fond  dans  la  nature  qui  sent  qu'elle 
a  besoin  de  posséder  Dieu  ;  et  que  lui  seul  étant 
capable  de  la  rassasier,  elle  ne  peut  que  s'inquiéter 
et  se  tourmenter  elle-même  loin  de  lui.  Quand 
donc,  au  milieu  des  autres  biens,  nous  sentons  ce 
vide  inévitable,  et  que  quelque  chose  nous  dit  que 
nous  sommes  malheureux  ;  c'est  le  fond  de  la  nature 
qui  crie  en  quelque  façon  :  Montrez-nous  le  Père , 
et  il  nous  suffit.  Mais  que  sert  au  malade  de  désirer 
la  santé,  pendantquetous  les  remèdes  lui  manquent, 
et  que  souvent  même  il  a  la  mort  dans  le  sein ,  sans 
le  sentir?  Tel  est  l'état  de  toute  la  nature  humaine. 
L'homme  abandonné  à  lui-même  ne  sait  que  faire, 
ni  que  devenir.  Ses  plaisirs  l'emportent,  et  ces 
mêmes  plaisirs  le  tuent;  il  se  tue  par  autant  de 
coups,  que  l'attrait  des  sens  lui  fait  commettre  de 
pèches;  et  il  ne  tue  pas  seulement  son  âme  par  son 
intempérance,  il  donne  la  mort  au  corps  qu'il 
veut  flatter  :  tant  il  est  aveugle,  tant  il  sait  peu 
ce  qu'il  lui  faut!  L'homme,  depuis  le  péché,  est 
né  pour  être  malheureux.  Il  est  malheureux  par 
toutes  les  infirmités  du  corps,  oij  il  met  son  bon- 
heur. Combien  plus  est-il  mallieureux  par  un  si 
grand  amas  d'erreurs,  de  dérèglements,  d'inclina- 
tions vicieuses,  qui  sont  les  maladies  et  la  mort 
de  l'âme  !  Quelle  malheureuse  séduction  règne  en 

'  Matth.  xtx,  27. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


nous!  Nous  ne  savons  pas  même  désirer,  ni  deman- 
der ce  qu'il  nous  faut.  Saint  Philippe  nous  apprend 
tout,  en  disant  :  Seigneur,  montrez-nous  votre 
Père,  et  il  nous  suffit.  Car  il  se  réduit  à  la  chose 
que  .lésus-Christ  nous  a  enseigné  être  la  seule  néces- 
saire. Seigneur,  vous  êtes  la  voie;  je  viens  a  vous 
pour  me  retrouver  moi-même,  et  dire  enBn  avec 
votre  apôtre  :  Montrezrnous  le  Père,  et  il  nous 
*uJfU. 

LXXXIV*'  JOUR. 

C  est  dans  le  Père  qu'on  voit  le  Fils.  Joan,  xiv.  9. 

Comme  il  ne  nous  paraît  point  dans  tout  l'É- 
vangile de  demande  plus  haute  que  celle  de  saint 
Philippe,  il  n'y  a  aussi  rieu  de  plus  haut  que  la 
réponse  de  notre  Seigneur.  ÎSous  avons  vu  que 
saint  Philippe  avait  bien  connu  deux  choses  :  l'une, 
que  pour  être  heureux,  c'était  assez  de  voirie  Père; 
l'autre,  que  c'était  au  Fiis  à  nous  le  montrer.  Le 
Fils  lui  va  donc  apprendre  ce  que  c'est  que  voir 
le  Père,  et  que  c'est  dans  le  Fils  même  qu'on  le 
voit. 

Remarquez  avant  toutes  choses  cette  espèce 
d'clonueinent,  avec  lequel  le  Sauveur  parle  :  Il 
tj  a  si  longtemps  que  je  suis  avec  vous ,  et  vous 
ne  vie  connaissez  pas?  Philippe  qui  me  voit,  voit 
mon  Père  '.Je  ne  parle  pas  de  celui  qui  me  voit 
seulement  des  yeux  du  corps  :  celui-là,  en  me 
voyant ,  ne  me  voit  poiiit.  Car  si  celui  qui  regarde 
l'homme  par  ces  yeux  mortels ,  n'en  voit  que  le 
dehors ,  et,  pour  ainsi  parler  que  l'écorce;  combien 
est-on  éloigné  de  voir  le  Fils  de  Dieu,  quand  on 
n'apporte  que  les  yeux  du  corps  à  cette  vue  !  Les 
apôtres  avaient  passé  beaucoup  au  delà ,  puisqu'ils 
avaient  cru  et  confessé  par  la  bouche  de  saint 
Pierre,  qu'il  était  le  Christ,  le  Fils  du  Dieu  vi- 
vant »  ;  et  le  même  apôtre  lui  avait  encore  dit  au 
nom  de  tous  :  Nous  avons  cru,  et  nous  avons  connu 
que  vous  êtes  le  Christ,  le  Fils  de  Dieu  ^. 

Ils  l'avaient  donc  connu,  et  ils  avaient  en  même 
temps  connu  son  Père,  puisqu'ils  avaient  très-dis- 
tinctement et  très-véritablement  connu  de  qui  il 
était  Gis. 

Cependant  ils  n'étaient  pas  encore  contents,  et 
lis  avaient  raison;  parce  que,  comme  ils  n'avaient 
pas  encore  connu  parfaitement  Jésus-Christ,  ils 
n'avaient  pas  encore  parfaitement  connu  son  Père. 
Et  c'est  pourquoi  il  leur  avait  dit  :  Si  7ious  m'aviez 
connw*;  leur  faisant  entendre  qu'ils  ne  l'avaient 
pas  encore  parfaitement  connu,  et  que  c'était  la 
raison  pourquoi  ils  ne  connaissaient  pas  encore 
[larfaitement  son  Père  ;  et  c'est  pour  expliquer  à 
fond  cette  vérité,  qu'il  dit  maintenant  :  Qui  me  voit, 
i.uii  mon  Père. 

Il  y  a  une  certaine  manière  de  me  voir  qui  ne  laisse 
pius  rien  à  désirer,  parce  que  celui  qui  me  voit  de 
cette  sorte ,  c'est-à-dire  celui  qui  me  voit  à  décou- 
vert et  tel  que  je  suis ,  il  voit  mon  Père.  Je  suis  moi- 
même  par  mon  fonds  et  par  manaissance,  la  manifes- 


•  Joan.  XIV,  0.  —  '  Mah.  xvi,  rc. 
'7min.  XVI,  7,  9. 


*  Joan.  VI,  70.  — 


739 

tation  de  mon  Père;  parce  que  je  suis  son  image  vi- 
vante, l'éclat  de  sa  gloire ,  l'empreinte ,  l'expression 
de  sa  substance.  Prenez  donc  garde,  Philippe;  ne 
souhaitez  pas  de  voir  mon  Père,  conime  si  mon  Père 
était  quelque  chose  hors  de  moi  :  c'est  en  moi  qu'il 
le  faut  voir  :  c'est  en  lui  aussi  qu'on  me  voit.  Ae 
croyez-vous  jms  queje  suis  dans  mon  Père,  et  mon 
Père  dans  moi  '?  Quand  donc  on  le  voit,  on  me  voit 
dans  mon  principe  ;  et  quand  on  me  voit,  on  le  voit 
dans  son  infage,  dans  son  expression,  dans  son  éclat, 
dans  le  rejaillissement  de  sa  gloire  :  et  la  vue  du 
Père  et  du  Fils  est  inséparcble.  Prenez  donc  garde, 
Philippe,  que  vous  n'ayez  pas  encore  entendu  ce  que 
c'est  que  de  voir  mon  Père  :  vous  l'entendrez  par- 
faitement ,  lorsque  vous  entendrez  que  qui  me  voit 
le  voit  aussi,  et  que  qui  le  voit  me  voit  en  même 
temps  :  et  à  mesure  qu'on  croit  en  la  connaissance 
de  lun,  on  croit  aussi  en  celle  de  l'autre. 

Il  venait  de  dire  :  Si  vous  me  connaissiez ,  vous 
connaîtriez  aussi  mon  Père  :  et  vous  le  connaîtrez 
bientôt,  et  vous  l'avez  vu  '.  Car  il  faut  toujours  re- 
venir à  cette  parole,  comme  au  principe  d'où  naît 
tout  ce  qui  suit,  f^ous  le  connaîtrez  :  vous  ne  le 
connaissez  donc  pas  encore  parfaitement,  fous  l'a- 
vez vu  néanmoins  :  mais  vous  l'avez  vu  imparfaite- 
ment. Viendra  le  temps  que  vous  le  verrez  à  décou- 
vert ;  et  ce  sera  dans  ce  même  temps  queje  me  mani- 
festerai moi-même  à  vous.  Celui  qui  m'aime,  diî- 
il,  //  sera  aimé  de  mon  Père,  et  je  l'aimerai,  et  Je 
me  manifesterai  moi-même  à  lui  ^  :  je  me  décou- 
vrirai tout  entier  ;  et  en  me  montrant  à  lui  à  dé- 
couvert, en  même  temps  je  lui  montrerai  njon  Père. 

Quand  sera-ce,  ô  Seigneur  !  que  vous  m'admettrez 
à  ce  secret ,  à  cette  vue  intime  et  parfaite  de  voire 
Père  et  de  vous.'  Quand  vous  verrai-je,  ô  Père  et 
Fils!  ô  Fils  et  Père?  Quand  verrai-je  votre  par- 
faite unité,  et  la  manière  admirable  dont  vous  de- 
meurez l'un  dans  l'autre ,  lui  en  vous ,  et  vous  en 
lui?  Quand  vous  verrai-je,  ô  Dieu,  qui  sortez  de 
Dieu,  et  qui  demeurez  en  Dieu!  ô  Dieu  Fils  de 
Dieu  ?  Ce  n'est  pas  assez  de  vous  prier  de  me  mon- 
trer votre  Père ,  si  je  n'entends  en  même  temps 
que  montrer  le  Fils ,  c'est  montrer  le  Père  :  que 
montrer  le  Père,  c'est  montrer  le  Fils  :  qu'on  les 
doit  aimer  du  même  amour,  et  les  voir  d'une 
même  vTie.  G  Père,  je  serai  heureux,  quand  je 
verrai  votre  face!  Mais  votre  face,  votre  manifes- 
tation, c'est  votre  Fi\s,  c'est  le  miroir  sans  ta- 
che de  po/re  incompréhensible  majesté,  de  votre 
beautéimmortelle:  l'imagede  votre  bonté  parfaite  : 
la  douce  vapeur,  l'émanation  de  votre  clarté,  et 
l'éclat  de  votre  éternelle  lumière  *  :  en  un  mot, 
votre  pensée,  votre  conception,  la  parole  substan- 
tielle et  intérieure  par  laquelle  vous  exprimez  tout 
ce  que  vous  êtes  :  parfaitement  et  exactement  un 
autre  vous-même  :  qui  sort  sans  diminution,  sans 
interruption ,  sans  retranchement  du  fond  de  votre 
substance.  Je  me  perds,  je  crois,  j'adore;  j'e?père 
voir  ;  je  le  désire  :  c'est  là  ma  vie, 

•  Joon.  XVI,  M.  —  »  Jbid.  7.  —  -  Ibid.  SI.  —  •  Sap.\U. 


?40 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


LXXXV  JOUR. 


Le  Père  esl  dans  le  Fils,  et  le  Fils  dann  le  Père.  Joan. 
XIV,  10. 

Entrons  encore  une  fois,  avec  hmnilité  et  trem- 
blement, dans  la  profondeur  des  paroles  dé  Jésus- 
Christ.  Il  nous  déclare  tout  ce  qu'il  est  par  ces  pa- 
roles ;  puisque  le  même  qu'on  voit  des  yeux  du 
corps,  et  qui  par  là  paraît  homme,  est  le  même  en 
qui  on  croit,  et  qu'on  voit  des  yeux  de  l'esprit ,  qui 
par  là  est  le  Fils  de  Dieu,  et  Dieu  lui-même,  le 
même  Dieu  que  son  Père  ;  parce  que  le  Seigneur 
notre  Dieu  est  un  '  :  parfaitement  un,  l'unité  même  : 
mais  non  pas  un  autre  Dieu  que  son  Père,  à  Dieu 
ne  plaise!  Son  Père  et  lui  sont  inséparables  :  l'un 
est  dans  l'autre,  des  deux  côtés  :  le  Père  à  sa  ma- 
nière dans  le  Fils  ;  le  Fils  d'une  autre  manière  dans 
le  Père  :  qui  voit  le  Père,  voit  le  Fils;  qui  voit 
le  Fils ,  voit  le  Père  :  on  ne  les  sépare  point  dans 
la  vue,  on  ne  les  doit  non  plus  séparer  dans  la  foi, 
conformément  à  ce  qu'il  a  dit  :  Fous  croyez  en  Dieu, 
croyez  aussi  en  moi  *. 

Je  m'en  vais;  et  vous  ne  me  verrez  plus  3.  C'est 
ce  qu'il  nous  dira  bientôt.  Vous  ne  me  verrez  plus 
des  veux  du  corps  :  mais  ne  le  verrons-nous  plus 
des  yeux  de  l'esprit?  A  Dieu  ne  plaise!  où  serait 
notre  foi  et  notre  espérance?  Mais  s'en  va-t-il 
tellement  qu'il  ne  demeure  plus  du  tout  avec  nous? 
A  Dieu  ne  plaise,  encore  un  coup!  Car  où  serait 
la  vérité  de  cette  parole,  que  nous  entendrons 
bientôt  :  Nous  viendrons  en  lui,  et  nous  y  ferons 
notre  demeure^.  Il  s'en  va  donc,  et  il  demeure  : 
comme  quand  il  est  descendu  du  sein  de  son  Père, 
il  y  est  demeuré;  ainsi  quand  il  y  retourne,  il  ne 
demeure  pas  moins  avec  nous.   De  cette  sorte, 
l'homme  qui  disparaît  est  le  même  que  le  Dieu 
qui  demeure;  celui  qu'on  voit  est  le  même  que 
celui  qu'on  ne  voit  pas  ;  et  lui-même  est  le  même 
avec  son  Père ,  afin  que  nous  entendions  que  tout 
est  à  nous.  Dans  celui  que  nous  voyons,  et  qui 
s'est  donné  à  nous  en  se  faisant  homme ,  nous  pou- 
vons posséder  celui  qui  est  éternellement  avec  le 
Père,  qui  est  dans  le  Père,  en  qui  le  Père  est,  que 
nous  verrons,  que  nous  aimerons,  que  nous  pos- 
séderons dans  son  Fils.  C'est  la  parfaite  explication 
de  cette  parole  :  Je  suis  la  voie ,  comme  homme  : 
comme  Fils  de  Dieu ,  je  suis ,  ainsi  que  mon  Père , 
la  vérité  et  la  vie  :  la  même  vérité ,  la  même  vie. 
Voilà  le   mystère,  voilà  l'espérance,  voilà  la  foi 
des  chrétiens  :  tenir  le  Fils  qui  s'est  fait  visible, 
pour  s'élever  par  lui ,  et  trouver  en  lui  l'invisible 
vérité  de  Dieu.  Ah!  que  Dieu  est  proche  de  nous! 
que  Dieu  est  en  nous  par  Jésus-Christ  !  Vraiment 
il  est  notre  Emmanuel  :  Dieu  avec  nous!  Allons  à 
sa  table;  mangeons ,  rassasions-nous;  là  est  notre 
nourriture  :  là  est  notre  vie. 

LXXXVP  JOUR. 

Jésus,  le  Verbe  éternel,  nous  fait  voir  le  Père.  Jbid. 

Quoique  nous    soyons  bien  éloignés  de  cette 

DeuU  Ti,  4.  —  Voon.  xrv,  I.  — '  Ibid.  xvi,  IG.  —  ♦  Ibid. 
Ç,  23. 


bienheureuse  vision,  où  nous  \TeiTOiis  clairement 
le  Père  dans  le  Fils  ,  comme  le  Fils  dans  le  Père  : 
le  Fils  de  Dieu  va  nous  apprendre  que  le  Père 
commence  déjà  à  se  manifester  en  lui,  par  deux 
moyens  admirables  :  par  sa  parole,  par  les  œuvres 
de  sa  puissance ,  qui  sont  ses  miracles. 

Ne  croyez-vous  pas  que  je  suis  dans  mon  Père, 
et  que  mon  Père  est  en  moi  ?  Les  paroles  que  je 
vous  dis,  je  ne  les  dis  pas  de  moi-même  '.  Si  je 
ne  suis  pas  de  moi-même ,  je  ne  parle  pas  de  moi- 
même;  si  je  suis  la  parole,  je  suis  la  parole  de 
quelqu'un  ;  celui  qui  me  prononce,  me  donne  mon 
être ,  et  toutes  mes  paroles  sont  de  lui ,  puisque  la 
parole  substantielle  d'où  naissent  toutes  les  pa- 
roles que  je  profère ,  est  de  lui-même. 

Les  paroles  de  Jésus-Christ  ressentent  quelque 
chose  de  divin  ,  par  leur  simplicité,  par  leur  pro- 
fondeur, et  par  une  certaine  autorité  douce  avec 
laquelle  elles  sortent.  Jamais  homme  n'a  parlé 
comme  cet  homme  '  :  parce  que  jamais  homme  n'a 
été  Dieu  comme  lui ,  ni  n'a  eu  sur  tous  les  esprits 
cette  autorité  naturelle  qui  appartient  à  la  vérité  ; 
qui  fait  que  sans  s'efforcer,  sans  se  guinder,  pour 
ainsi  dire,  elle  y  influe  si  doucement  et  si  intime- 
ment, qu'on  lui  cède  sans  violence. 

Mais  la  merveille  de  cette  parole,  c'est  que  cet 
homme  qui  parle  en  Dieu ,  parle  en  même  temps 
comme  prenant  tout  d'un  autre  :  Ce  que  je  dis, 
je  le  dis  comme  mon  Père  me  l'a  dit^\  et  comme 
il  me  le  dit  toujours,  parce  qu'il  me  parle  toujours, 
comme  toujours  je  suis  sa  parole. 

Ma  doctrine  n'est  pas  m^a  doctrine,  mais  celle 
de  mon  Père  qui  m'a  envoyé.  Et  quelle  preuve 
nous  en  donne-t-il?  Celui  qui  parle  de  lui-même, 
cherche  sa  propre  gloire  :  mais  celui  qui  cherche 
la  gloire  de  celui  qui  l'a  envoyé,  est  véritable; 
et  il  n'y  a  point  d'injustice  en  lui  -». 

Mon  Sauveur,  ne  parlez-vous  point  trop  comme 
une  créature?  Qu'est-ce  qu'une  créature,  sinon 
quelque  chose  qui  n'est  pas  de  soi ,  qui  n'a  rien  de 
soi ,  qui  est  toujours  à  l'emprunt  ?  La  différence 
est  immense ,  entre  ce  qui  est  produit  de  toute 
éternité,  et  ce  qui  est  produit  dans  le  temps  :  ce 
qui  est  produit  de  toute  éternité  est  toujours  ;  ce 
qui  est  produit  dans  le  temps  n'est  pas  toujours, 
et  peut  n'être  point  du  tout.  Il  est  donc  tiré  du 
néant,  il  est  néant  lui-même.  Par  conséquent,  quelle 
différence  entre  sortir  de  Dieu  comme  son  ouvrage , 
et  sortir  de  Dieu  comme  son  Fils!  L'un  est  créé, 
l'autre  engendré;  l'un  tiré  du  néant,  et  néant  lui- 
même;  l'autre  tiré  de  la  substance  de  Dieu,  et  par 
conséquent  l'être  même.  Parmi  les  hommes  mêmes , 
quelle  différence  entre  le  fils  et  l'ouvrage?  Tous 
deux  néanmoins  viennent  d'un  autre.  Mais  le  Fils 
est  de  même  nature  que  son  l'ère  ;  et  en  cela  n'est 
rien  moins  que  lui  :  mais  l'ouvrage  n'a  rien  de  son 
ouvrier,  et  lui  est  absolument  étranger. 

Mon  Dieu ,  oserai-je  suivre  je  ne  sais  quelle  lu- 
mière sombre  qui  me  paraît?  Dieu  est  Père,  Dieu 
est  ouvrier  :  l'honime  est  père,  l'homme  est  ou- 

'  Joan.  XIV,  10.—'  Ibid.  VU,  40.  —^  Ibid.  XII,  50.  — 
♦/ii/f.  VII.  16,  18. 


MÉDITATIONS  SUR  LÉVANGILR. 


74t 


vrier  ;  mais  avec  une  immense  différence.  L'homme 
est  ouvrier  ;  mais  il  trouve  sa  matière  toute  faite 
par  un  autre  dont  il  l'emprunte  :  Dieu  n'a  besoin 
d'aucune  matière,  et  il  tire  tout  du  néant. 

L'homme  est  père  :  est-il  un  vrai  père?  Et  que 
donne-t-il  à  son  Fils?  Son  Fils,  il  est  vrai ,  est  de 
même  nature  que  lui  :  mais  est-ce  lui  qui  lui  donne 
cette  nature?  Non,  sans  doute.  Comment  donc 
vient-il  de  lui?  Combien  imparfaitement!  La  véri- 
table paternité  est  en  Dieu ,  qui ,  engendrant  son 
Fils  de  tout  son  fond,  lui  donne  toute  sa  substance, 
tout  son  être,  par  conséquent  toute  son  éternité; 
et  le  fait  être  non-seulement  son  égal ,  mais  encore 
tm  aveclui^. 

Ne  dites  pas  qu'il  emprunte  :  car  son  Père  tou- 
jours fécond ,  en  lui  communiquant  tout  ce  qu'il 
e^t,  ne  se  dessaisit  de  rieu.  Autre  chose  est  prêter, 
ou  donner  par  sa  volonté  ce  qu'on  peut  ne  donner 
pas  :  autre  chose  est  être  fécond.  Il  faut  enten- 
dre dans  le  Père  l'abondance,  la  plénitude,  la  fé- 
condité, une  pleine  effusion  de  soi-même,  mais  en 
soi-même  pour  engendrer  un  autre  soi-même ,  qui 
reçoit  tout  en  naissant ,  et  qui  naît  par  conséquent 
ésàl  à  celui  de  qui  il  reçoit  tout ,  aussi  grand ,  aussi 
éternel,  aussi  parfait  que  lui.  Un  Dieu  ne  vient  pas 
d'un  autre  qui  le  tire  du  néant  :  mais  un  Dieu 
vient  d'un  autre,  qui  le  tire,  pour  ainsi  parler, 
de  sa  propre  essence;  qui,  le  produisant  en  soi- 
même,  se  dégraderait  soi-même,  s'il  le  produisait 
imparfait.  Cest  donc  un  Dieu,  qui  vient  d'un  Dieu  : 
Fils  parfait  d'un  Père  parfait,  parfaitement  un  avec 
lui ,  parce  qu'il  reçoit  sa  nature ,  dont  l'unité  fait 
fcssence.  Ecoule,  Israël  :  le  Seigneur  notre  Dieu 
est  un*',  le  Père  est  un ,  le  Fils  est  un  :  le  Père  est 
Dieu ,  le  Fils  est  Dieu ,  et  tous  deux  ne  peuvent  être 
qu'un  seul  Dieu;  autrement,  le  Fils  n'est  pas  Fils, 
et  il  n'a  point  la  nature  de  son  Père,  s'il  n'en  a  point 
la  parfaite  et  sou^-eraine  unité. 

Pourquoi  se  jeter  dans  ces  abîmes?  Pourquoi  Jé- 
sus-Christ nous  les  a-t-il  découverts?  Pourquoi  y 
revient-il  si  souvent?  Et  pouvons^nous  ne  nous  ar- 
rêter pas  à  ces  vérités,  sans  oublier  la  sublimité 
de  la  doctrine  chrétienne?  Mais  il  faut  s  y  arrêter 
eu  tremblant  ;  il  faut  s'y  arrêter  par  la  foi  :  il  faut , 
en  écoutant  Jésus-Christ,  et  ses  paroles  toutes  divi- 
nes, croire  que  c'est  d'un  Dieu  qu'elles  viennent; 
et  croire  aussi  en  même  tpmps  que  ce  Dieu  d'où 
elles  viennent,  vient  lui-même  de  Dieu,  et  qu'il 
est  Fils;  et  à  chaque  parole  que  nous  entendons,  il 
feut  remonter  jusqu'à  la  source ,  contempler  le  Père 
dans  le  Fils  ,  et  le  Fils  dans  le  Père. 

Voici  donc  l'acte  de  foi  que  je  m'en  vais  faire  : 
Le  Fils  n'^est  pas  de  lui-même  :  autrement  il  ne  se- 
rait pas  Fils  :  il  ne  parle  donc  pas  de  lui-même  : 
//  dit  ce  que  son  Père  lui  dit  ^  :  son  Père  lui  dit  tout 
en  rengendra»\t;  et  il  le  lui  dit,  non  par  une  autre 
parole ,  mais  par  la  propre  parole  qu'il  engendre  : 
il  rapporte  tout  à  son  Père,  parce  qu'il  s'y  rapporte 
lui-même  :  il  rapporte  sa  gloire  à  celui  de  qui  il 
tient  tout  son  être;  mais  cette  gloire  leur  est  com- 

•  Jomm.  s,  30.  —  *Devt.  vi ,  4.  — '  Joan.  Wl,  49 ,  60;  xiv, 


mune  '  quelque  chose  manquerait  au  Père  si  sou 
Fils  était  moins  parfait  que  lui.  Cest  cjt  que  je  crois, 
car  Jésus-Christ  me  le  dit  :  c'est  ce  que  je  verrai  au 
jour ,  parce  que  le  même  Jésus  me  l'a  promis. 

Parlez  donc ,  parlez ,  ô  Jésus  !  parlez,  vous  qui 
êtes  la  parole  même.  Je  vous  vois  dans  vos  paroles, 
parce  qu'elles  me  font  voir  et  sentir,  en  quelque  fa- 
çon ,  que  vous  êtes  un  Dieu  :  mais  j'y  vois  aussi  vo- 
tre Père,  parce  qu'elles  me  font  connaître  que  vou^ 
êtes  un  Dieu  sorti  d'un  Dieu,  le  f'erbe  et  le  FiU  de 
Dieu'. 

LXXXVII*  JOUR. 

Jésus-Christ  opérant  ses  miracles ,  nous  fait  voir  le  Père 
dans  ses  œuvres..  Jo&5.  xiv,  10. 

Le  tère  qui  demeure  en  moi/ait  les  œuvres  »  mi- 
raculeuses. C'est  la  seconde  chose  par  oiJ  Jésus- 
Christ  veut  qu'on  voie  son  Père  en  lui  :  on  le  voit 
dans  ses  paroles  ;  il  le  faut  encore  voir  dans  ses  œu- 
vres. 

Mon  Père  agit ,  et  moi  j'agis  aussi  :  Mon  Père  ne 
cesse  d'agir,  et  je  ne  cesse  d'agir^.  Si  le  monde  a 
été ,  c'est  que  mon  Père  l'a  fait ,  et  moi  aussi  :  si  lu 
monde  continue  d'être,  c'est  que  mon  Père  le  con- 
serve ,  et  moi  aussi.  Il  a  fait ,  et  il  fait  tout  par  son 
Fils  :  Le  Fils  ne  fait  rien  de  soi,  et  il  ne  fait  que 
ce  qu'il  voit  faire  à  son  Père^.  Est-ce  un  apprenti 
toujours  attaché  aux  mains  et  au  travail  de  son  maî- 
tre ?  toujours  apprenti  .jamais  maître  ?  Les  apprentis 
mêmes  ne  sont  pas  ainsi  parmi  les  hommes.  Qu'ima- 
ginez-vous ici,  homme  grossier?  Quoi  !  le  Père  qui 
fait  quelque  chose,  et  le  Fils  qui  l'imite ,  et  fait  aussi 
quelque  chose?  Quelle  folie !-Le  Père  a-t-il  fait  un 
autre  monde  que  le  Fils?  Y  a-t-il  un  monde  que  le 
Père  ait  fait ,  et  un  autre  monde  que  le  Fils  ait 
fait,  à  l'imitation  de  son  Père?  A  Dieu  ne  plaise  !  Le 
Père  fait  tout  ce  qu'il  fait  par  son  Fils ,  et  le  Fils 
ne  fait  rien  queca  qu'il  voit  faire;  comme  il  ne  dit 
rien,  que  ce  qu'il  entend  dire.  Mais  comment  lui 
parle-t-on?  En  l'engendrant  :  car  au  Père  éternel, 
parler  c'est  engendrer  :  prononcer  son  Verbe,  sa 
parole,  c'est  lui  donner  l'être.  De  même,  lui  mon- 
trer tout  ce  qu'il  fait,  lui  découvrir  le  fond  de  son 
être  et  de  sa  puissance,  en  un  mot,  lui  ouvrir  son 
sein,  c'est  l'engendrer  :  c'est  le  faire  sortir  de  ce 
seinfécond ,  et  en  même  temps  l'y  retenir ,  dans  ce 
sein  où  il  voit  tout ,  tout  le  secret  de  son  Père ,  et 
d'où  il  vient  l'apprendre  aux  hommes ,  autant  qu'il» 
peuvent  le  porter  et  qu'il  leur  convient. 

Il  ne  dit  donc  rien  que  ce  qu'il  entend  ;  il  ne  fait 
rien  que  ce  qu'il  voit  faire  :  mais  entendre  soo 
Père,  et  voir  ce  qu'il  fait  et  ce  qu'il  est,  c'est  naître 
de  lui.  Il  a  cela  par  sa  naissance:  il  lui  est  aussi 
naturel  d'agir  qu'à  son  Père;  et  c'est  pourquoi  il 
ajoute  :  Ce  que  le  Père  fait,  le  Fils  le  fait  sembla- 
blement  ^.  Écoutez  :  il  ne  le  fait  pas  seulement, 
mais  il  le  fait  semblabkment ,  aussi  parfaitement 
et  avec  pareille  dignité.  Le  Père  le  fait  infatigable- 
ment, et  le  Fils  de  même  :  le  Père  tire  du  néant, 

»  Joan  I,  I,  U.  —  '  Ihid.  Wf,  10.  —  »  Ihid.  V.  17.  —  ♦  Ibid. 
19.  —  *  Ibid.  y,  10. 


142 


MÉDlTATIO?iS  SUR  L'ÉVANGILE. 


et  le  Fils  de  inêine  :  le  Père  agit  sans  cesse,  et  le 
Fils  aussi.  Le  Père  ressuscite  qui  il  lui  plaît,  et  le 
J'ïls  resstiscite  aussi  qui  il  lui  plaît  ' ,  avec  une 
pareille  autorité,  parce  que  son  autorité,  comme 
sa  nature,  est  celle  de  son  Père.  Comme  le  Père 
a  la  vie  en  soi,  ainsi  il  a  donné  au  Fils  d'avoir 
la  vie  en  soi^.  On  la  lui  donne;  et  néanmoins  il 
l'a  en  soi,  parce  qu'on  lui  donne  tout  sans  réserve. 
Ainsi  la  vie  est  en  lui,  comme  elle  est  dans  son 
Père  ;  et  il  est  comme  lui  la  vie  par  nature. 

^^insi  le  Père  qui  demeure  en  moi ,  fait  les  œu- 
vres miraculeuses  que  vous  voyez  :  tout  est  par- 
tait dans  les  œuvres  de  Jésus-Christ ,  tout  y  res- 
sent une  autorité  et  une  origine  céleste.  C'est  pour- 
quoi saint  Jean  disait  :  Nous  avons  vu  sa  gloire, 
comme  la  gloire  du  Fils  unique ,  plein  de  grâce  et 
de  vérité^.  Comment  donc  ne  voyez-vous  pas, 
dit-il  à  Philippe,  que  mon  Père  est  en  moi,  et  moi 
en  lui  4  ?  Voyez-le  dans  les  vérités  que  je  vous  an- 
nonce, dans  les  paroles  de  vie  éternelle  que  je  vous 
apporte;  voyez-le  dans  les  oeuvres  que  je  fais  pour 
montrer  que  c'est  mon  Père  qui  m'a  envoyé.  Mon 
Père  m'écoute  toujours  ^  :  il  veut  tout  ce  que  je 
veux  :  je  veux  tout  ce  qui  lui  plaît  :  tout  ce  qui  est 
à  lui ,  est  à  moi;  tout  ce  qui  est  à  moi ,  est  à  lui. 
Comment  donc  ne  croyez-vous  pas  que  je  suis  en 
mon  Père,  et  mon  Père  en  tnoi?  Croyez-le  du 
inoins,  à  cause  des  œuvres  que  je  fais  ^.  Croyez-le 
du  moins;  comme  s'il  disait  :  11  y  a  une  autre  ma- 
nière de  voir  que  mon  Père  est  en  moi  et  moi  en 
lui ,  qui  est  de  voir  la  substance  de  l'un  et  de  l'au- 
tre :  c'est  ce  qui  fera  votre  parfaite  félicité.  Mais 
en  attendant,  voyez-le  du  moins  par  les  œuvres  : 
je  fais  ce  que  veut  mon  Père ,  ce  qu'il  me  montre  : 
c'est  lui  qui  fait  tout  en  moi.  Ne  fait-il  pas  tout 
aussi  dans  les  autres,  qu'il  appelle  à  travailler  à 
son  ouvrage  ?  Oui ,  sans  doute  ;  mais  il  ne  le  fait  pas 
comme  étant  en  eux  :  c'est-à-dire  comme  y  étant 
pleinement ,  comme  y  étant  réciproquement  et  dans 
une  parfaite  égalité  :  parce  que  nul  autre  que  le 
Fils  ne  peut  dire  :  Qui  me  voit ,  voit  mon  Père, 
parce  que  nio7i  Père  est  en  moi,  et  moi  en  lui. 

0  rapport!  ô  égalité!  ô  unité!  je  vous  crois,  je 
vous  adore  :  je  vous  rends  grâces,  mon  Sauveur, 
de  ce  que  vous  m'élevez  si  haut  par  la  foi  :  ce 
m'est  un  gage  que  vous  voulez  m'élever  encore 
plus  haut  par  la  claire  vue.  Qu'ai-je  donc  à  crain- 
dre? qu'ai-je  5  me  troubler?  Pour  n'être  jamais 
troublé,  je  ne  désirerais  avec  saint  Philippe  que  de 
voir  votre  Père.  Vous  me  montrez  où  je  le  puis 
voir  :  vous  me  le  montrez  dans  quelque  chose  qui 
m'est  bien  proche ,  puisque  c'est  un  homme  ;  et  qui 
est  bien  proche  de  vous,  puisque  c'est  un  autre 
vous-même.  Je  vois ,  je  verrai  :  qui  peut  m'ôter 
mon  bonheur? 

LXXXVIIF  JOUR. 

Les  miracles  des  apôtres  plus  grands  que  ceux  de  Jésus- 
Christ.  De  quelle  manière.  Joan.  xiv,  12., 

Envérité,  envérité,  je  vous  ledis,  celui  qui  croit 

i  Joan.  V,  21.  —  »  Ibkl.  26.  —  ^  Ibid.  i,  14.  —  *  Ibid.  XIV, 
10.  — »  Ibid.  XI,  41.  —  «  Ibid.  XIV,  II,  lï. 


en  moi,  non-seulement  fera  les  œuvres  que  je  fat  s; 
mais  il  en  fera  encOH  de  plus  grandes  :  parce 
que  je  m'en  vais  à  mon  Père  ^  Vous  crovez  tout 
perdre  par  ma  retraite  :  vous  y  gagnez;  et'la  puis- 
sance qui  vous  sera  donnée  d'en  haut  viendra  à  un 
tel  point,  que  non-seulement  vous  ferez  les  choses 
que  je  fais,  mais  encore  vous  en  ferez  de  plus 
grandes.  Ne  vous  troublez  donc  pas  ;  ne  craignez 
rien;  au  contraire,  remplissez-vous  de  foi  et  de 
confiance  :  de  cette  sorte ,  ce  qui  se  fera  par  vous 
après  ma  retraite  est  au-dessus  de  tout  ce  qui  a  été 
fait. 

C'est  la  merveille  de  Dieu  dans  les  disciples  de 
Jésus-Christ.  Ils  ont  fait  tout  ce  qu'il  a  fait  :  car  ils 
ont  guéri  comme  lui  tous  les  malades  qu'on  leur 
présentait  :  et,  comme  lui ,  ils  ont  été  jusqu'à  res- 
susciter des  morts. 

Ils  ont  fait  des  choses  qu'il  n'a  pas  faites  :  à  la' 
l)arole  de  Pierre,  Ananias  et  Saphira  sont  tom- 
bés morts  *  ;  et  à  celle  de  Paul ,  le  magicien  Kly- 
mas  a  été  frappé  d'aveuglement  ^.  Us  ont  livré  à 
Satan  et  à  des  maux  imprévus,  ceux  qu'il  fallait 
abattre  manifestement  pour  inspirer  de  la  crainte 
aux  autres.  Voilà  des  miracles  que  Jésus  n'a  pas 
faits  :  mais  c'est  aussi  qu'il  ne  devait  pas  les  faire, 
à  cause  qu'ils  répugnaient  au  caractère  de  douceur, 
au  personnage  de  Sauveur  qu'il  venait  faire.  Ce 
n'est  que  sur  un  figuier  qu'il  a  déployé  la  puis- 
sance de  perdre  et  de  détruire  :  ce  n'est  que  des 
pourceaux  qu'il  a  livrés  aux  démons.  Pour  les  hom- 
mes, il  doit  être  un  jour  leur  juge;  mais,  dans 
son  premier  avènement,  il  ne  devait  faire  sentir 
que  sa  qualité  de  Sauveur. 

Nous  pouvons  dire  néanmoins  encore  que,  dans 
ces  miracles  qui  viennent  d'une  puissance  bienfai- 
sante ,  les  apôtres  ont  fait  plus  que  Jésus.  En  tou- 
chant les  habits  qu'il  portait  actuellement,  il  sor- 
tait de  lui  une  vertu  salutaire  •^  :  mais  on  n'a  point 
vu  qu'on  guérît  par  Y  application  des  linges  qui  ra- 
valent touché  une  fois ,  comme  il  est  arrivé  à  saint 
Paul  ^  ;  et  mèm^  par  son  ombre ,  comme  il  est  ar- 
rivé à  saint  Pierre  ^. 

Mais  le  grand  endroit  où  il  paraît  dans  les  apô- 
tres un  miracle  plus  grand  que  ceux  de  Jésus,  c'est 
la  conversion  du  monde.  A  la  première  prédication 
de  saint  Pierre ,  trois  mille  hommes  se  convertis- 
sent?; à  la  seconde  cinq  mille**.  Après  la  mort  de 
Jésus,  ses  disciples  ne  se  trouvent  qu'environ  six 
vingts  dans  le  cénacle  9  :  il  y  avait  par-ci  par-là 
quelques  disciples  cachés;  mais  saint  Jacques  dit  à 
saint  Paul  :  Voyez,  mon  frère,  combien  de  mil- 
liers ont  cru  '".  Et  que  sera-ce  donc  si  nous  consi- 
dérons la  gentilité  convertie,  et  l'Évangile  reçu  dans 
tout  le  monde,  jusqu'aux  peuples  les  plus  barba- 
res? Voilà  les  miracles  de  la  prédication  apostoli- 
que, plus  grands  que  ceux  de  la  prédication  de 
Jésus-Christ  même. 

Ajoutons  à  ces  miracles  les  secrets  révélés  par 

I  Joan.  xiv,  12.—  -  Act.  v,  1, 2,  el seq.  —  ^ /6«rf .  xiii,  8, 10, 
II.  —<  /,MC.  viu,44,  4G.  —^  Act.  XIX,  II,  12.  — «  Fnd.  V,  15, 
16.  —  '  Ibid.  H ,  41.  —  »  Ibid.  ;v,  4.  —  »  Ibid.  1,15—'^  Ihid. 
XXI ,  20. 


MÉDITATIONS  SUR  L  ÉVANGILE. 


7  If 


les  apôtres,  que  Jésus  u'avait  pas  révélés  par  lui- 
même  :  en  sorte  que  nous  pouvons  dire  on  quel- 
que façon,  non-seulement  qu'ils  ont  fait  déplus 
grandes  choses  que  lui ,  mais  encore  qu'ils  en  ont 
dit  de  plus  hautes. 

Jésus  avait  bien  parlé  de  la  réprobation  des 
Juifs,  et  de  la  conversion  des  Gentils  :  mais  que  la 
réprobation  des  Juifs  dût  si  tôt  paraître,  et  dût 
donner  lieu  à  la  prochaine  conversion  des  Gentils; 
qu'Israël  dût  revenir,  mais  à  la  On  seulement,  et 
quarul  les  nations  seraient  pleinement  entrées  " 
dans  l'Église,  et  qu'il  plût  à  Dieu  de  tout  renfermer 
dans  rinfldélité,  afin  de  montrer  que  personne  n'é- 
tait sauvé  que  par  miséricorde;  c'est  un  secret  dont 
Jésus-Christ  avait  réservé  la  révélation  à  saint 
Paul ,  qui ,  étant  choisi  pour  être  le  docteur  des 
Gentils ,  devait  aussi  annoncer  aux  hommes  plus 
profondément  le  mystère  incompréhensible  de  leur 
vocation. 

C'est  ce  mystère  profond,  et  ce  secret  inconnu  au 
monde  dans  les  siècles  et  dans  les  races  passées, 
que  Dieu  lui  a  révélé  pour  les  Gentils;  par  lequel 
aussi  Dieu  a  fait  connaître  la  grande  science  qu'il 
lui  avait  donnée  du  mystère  de  Jésus-Christ.  C'est 
ce  secret-qui  a  été  révélé  aux  apôtres  et  aux  pro- 
phètes de  la  nouvelle  alliance  par  k  Saint-Esprit , 
et  particulièrement  à  lui  Paul ,  prisonnier  de  Jésus- 
Christ  pour  les  Gentils;  et  qui  a  été  révélé  par  eux 
et  par  l'Église,  non-seulement  aux  hommes,  mais 
encore  aux  anges  et  aux  puissances  célestes;  afin 
de  \euT  faire  admirer  les  divers  conseils  de  la  fé- 
conde sagesse  de  Dieu  ».  C'est  de  quoi  il  se  glori- 
fie dans  le  troisième  chapitre  aux  Éphésiens  :  parce 
qu'en  effet  il  lui  a  été  donné,  non-seulement  d'ex- 
pliquer clairement  et  amplement  ce  que  Jésus- 
Christ  avait  comme  enveloppé  dans  des  paraboles  ; 
mais  encore  de  proposer  ce  nouveau  secret  du  re- 
tour des  Juifs ,  après  seulement  que  les  Gentils 
auraient  rempli  l'Église. 

O  Dieu!  soyez  loué  pour  les  grâces  que  vous 
faites  aux  hommes,  et  pour  les  lumières  admira- 
bles que  vous  avez  données  à  votre  Église.  Qui  n'ad- 
mirerait l'honneur  que  Jésus-Christ  veut  faire  à 
ses  disciples ,  de  surmonter  en  quelque  façon  ses 
propres  ouvrages? 

Il  montre  pourtant  après ,  que  ce  que  feront  ses 
disciples  de  plus  grand  que  lui,  c'est  lui  encore  qui 
le  fait  :  Si  vous  demandez  quelque  chose  en  mon 
nom,  je  le  ferai  ^.  Et  ce  que  je  ferai  par  vous  sera 
plus  grand ,  en  quelque  façon ,  que  ce  que  je  ferai 
par  moi-même.  Pourquoi?  écoutons-en  la  raison, 
parce  que  je  m'en  vais  à  mon  Père.  Si  je  fais  de 
si  grandes  choses  en  descendant  de  mon  Père,  com- 
bien en  ferai-je  de  plus  grandes,  quand  je  remon- 
terai au  lieu  de  sa  gloire? 

Mon  Sauveur,  je  le  reconnais  :  vous  êtes  la  sa- 
gesse éternelle ,  et  vous  faites  tout  à  propos  et  dans 
son  temps  :  les  hommes  ne  pouvaient  pas  porter 
d'abord  tout  le  poids  de  votre  secret  :  vous  dispen- 
sez tout  par  ordre.  Vous  réservez  vos  plus  grands 

»  Rom.  XI,  25,  26,  29,  et  seq.  —  '  Ephes.  ni,  l,  3,  4,  5,  6, 
f-.a,  10,  M.  —  3  joan.  XJV,  13. 


ouvrages  pour  le  temps  où ,  retourné  à  votre  Père , 
les  jours  d'humiliation  étant  écoulés ,  vous  agirez 
avec  plus  d'empire.  Vous  montrerez  votre  puis- 
sance, en  faisant  de  si  grands  p'odigjs  par  vos  dis- 
ciples. C'est  vous  qui  aniniez  tout  :  vous  parais- 
sez au  haut  des  cieux  à  votre  premier  martyr  • ,  et 
vous  montrez  en  lui  le  secours  que  vous  donnez 
à  tous  les  autres.  Vous  révélez  votre  vérité  aux 
Gentils  par  un  saint  Paul  :  mais  ce  Paul,  par  qui 
vous  opérez  la  conversion  de  tant  de  peuples ,  vous 
le  convertissez  lui-même,  en  lui  parlant  du  haut 
des  cieux  » ,  et  lui  apprenant  que  c'est  en  vain 
qu'il  vous  résiste. 

Vous  faites  tout  ce  qu'il  vous  plaît  par  vous-même 
et  par  vos  disciples;  vous  faites  tout  convenable- 
ment, selon  que  les  hommes  le  peuvent  porter,  et 
selon  les  divers  états  où  vous  devez  être. 

Ce  que  vous  demanderez  a  mon  Père  en  mon 
nom  Je  leferai^.  Il  ne  dit  pas,  Mon  Père  le  fera; 
mais,  Je  le  ferai.  C'est  toujours  ce  qu'il  dit  :  Mon 
Père  agit,  et  j'agis  aussi*  :  ce  qu'il  fait,  c'est  moi 
qui  le  fais.  Car  il  fait  tout  par  son  Ferbe,  et  rien 
de  ce  qui  se  fait  ne  se  fait  sans  lui  *. 

Tout  ce  que  vous  demanderez  en  mon  nom ,  je  U 
ferai.  Tout  ce  que  vous  me  demanderez ,  je  le  ferai  : 
c'est  lui  par  qui  on  demande;  c'est  lui  qui  fait  ce 
qu'on  demande;  c'est  en  son  nom  qu'on  demande  : 
on  lui  demande  à  lui-même,  et  on  obtient  tout, 
non-seulement  par  lui,  mais  de  lui.  Et,  dit-il,  Je 
le  ferai,  afin  que  le  Père  soit  glorifié  dans  le  Fils  <». 
H  affermit  notre  foi,  en  nous  faisant  voir  qu'il  nous 
fait  du  bien  par  l'intérêt  de  sa  gloire.  Son  intérêt, 
c'est  le  nôtre;  sa  gloire,  c'est  notre  bonheur.  Qu'y 
a-t-il  donc  à  craindre  pour  nous?  Considérez ,  chré- 
tiens, quel  médiateur  vous  avez  :  combien  bon,  com- 
bien puissant.  Tout  est  possible  par  son  entremise  : 
il  ne  s'agit  que  de  savoir  ce  qu'il  faut  demander  et 
désirer  :  c'est  ce  qu'il  va  vous  apprendre. 

LXXXIX»  JOUR. 

Ce  qu'il  faut  demander  et  désirer  :  aimer  et  garder  ses 
commandements.  Joan.  xjt,  15,  21. 

Si  vous  m'aimez ,  gardez  mes  commandements. 
Et  il  conclut  :  Celui  qui  a  reçu  mes  commande- 
ments,  et  qui  les  garde ,  est  celui  qui  m'aime:  et 
celui  qui  m'aime,  sera  aimé  de  mon  Père,  et  je 
l'aimerai,  et  me  manifesterai  à  ///i7.  Tout  cela 
conclut  de  plus  en  plus  à  ne  se  laisser  troubler  de 
rien,  dans  les  moyens  qu'il  nous  donne  de  nous 
assurer  l'amour  de  son  Père  et  le  sien ,  comme  s'il 
disait  :  Ne  vous  mettez  en  peine  de  rien ,  que  de 
garder  mes  commandements  :  si  vous  les  gardez , 
tout  est  sûr ,  parce  que  mon  Père  et  moi  vous 
aimerons  d'un  amour  si  cordial,  que  nous  nous 
manifesterons  à  vous ,  sans  vous  rien  cacher. 

Les  apôtres  désiraient  de  voir  son  Père  ;  et  après 
leur  avoir  appris  où  il  faut  le  voir,  c'est-à-dire  eu 
lui ,  il  vient  à  la  pratique,  et  leur  apprend  le  moyen 
de  parvenir  à  cette  vision  bienheureuse,  où  l'on 

'  Act.  Tii,  55.  —  >  Ibid.  II ,  .3 ,  4,  5 ,  6 ,  7.  —  ^  Joan.  xrv,  13, 
—  4  Ibid.  V,  17.  —  '  Ibid.  1,3.-6  /j,j.  xvf,  li  —  '  Ibid. 
IS.2I 


744 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


voit  le  Ois  dans  le  Père,  et  le  Père  dans  le  Ois,  qui 
est  de  garder  ses  commandements. 

Je  me  vianlfesteixii  vxoi-même  à  lui.  N'espérez 
pas  pouvoir  me  voir ,  ni  voir  mon  Père  de  vous- 
même.  Nul  ne  me  peut  voir ,  que  je  ne  me  découvre 
moi-même  à  lui;  et  je  ne  me  découvre  qu'à  ceux 
qui  gardent  mes  commandements.  Je  me  découvre 
à  ceux-là  de  cette  manière  admirable ,  qui  fait  qu'on 
voit  mon  Père  en  moi,  et  qu'on  me  voit  dans  mon 
Père.  Ne  vous  contentez  pas  de  vous  attacher  aux 
sublimes  vérités;  ne  vous  repaissez  pas  de  la  plus 
haute  contemplation,  encore  moins  des  spéculations 
inutiles  :  venez  aux  moyens  et  aux  vérités  de  pratique; 
appliquez-vous  à  l'observance  des  commandements. 
JNe  croyez  pas  qu'il  sufiise  de  parler  hautement  de 
moi ,  car  toute  votre  hauteur  n'est  que  bassesse  à 
mes  yeux  ;  ni  d'admirer  ma  grandeur ,  car  je  n'ai  pas 
besoin  de  vos  louanges  ;  ni  d'avoir  quelque  tendresse 
vague  et  infructueuse  pour  ma  personne,  car  tout 
cela  n'est  qu'un  feu  volage,  qui  se  dissipe  de  lui- 
même,  et  se  perd  bientôt  en  l'air.  Si  vous  m'aimez 
véritablement,  sachez  que  l'amour  n'est  pas  dans  la 
spéculation ,  ni  dans  le  discours.  Tous  ceux  qui  me 
disent.  Seigneur,  Seigneur,  qui  le  disent  deux  fois, 
et  semblent  le  dire  avec  force,  n'entreront  pas 
pour  cela  dans  le  royaume  des  deux;  mais  celui 
gui  fait  la  volonté  de  mon  Père  entrera  dans  le 
royaume  des  cieux^  :  car  c'est  comme  j'ai  fait  moi- 
même,  et  j'ai  été  obéissant  jusqu'à  la  mort  de  la 
croix''.  Comment  serait-il  utile  aux  hommes  défaire 
sur  moi  de  beaux  discours ,  puisque  ceux  qui  auront 
prophétisé  et  fait  des  miracles  en  mon  nom ,  sans 
venir  à  la  pratique  des  vertus  et  à  observer  mes 
préceptes,  recevront  à  la  On  cette  terrible  sentence  : 
Je  ne  vous  connais  pas  :  allez,  retirez-vous  de  moi, 
ouvriers  d'iniquité^?  Combien  donc  la  vie  chrétienne 
est-elle  sérieuse!  Combien  est-elle  ennemie  des  vains 
discours!  Elle  est  toute  dans  l'obéissance,  dans 
l'humilité,  dans  la  mortification,  dans  la  croix; 
toute  à  crucifier  ses  mauvais  désirs,  et  à  abattre  la 
chair  qui  convoite  contre  l'esprit. 

Prenez  garde  à  l'amusement,  j'oserai  le  dire,  à  la 
séduction  des  entretiens  de  piété,  qui  n'aboutissent 
à  rien  :  tournez  tout  à  la  pratique. 

Ne  vous  attachez  néanmoins  pas  à  une  pratique 
sèche  et  sans  amour.  Si  vous  m'aimez ,  gardez  mes 
commandements  4:  commencez  à  aimer  la  personne  ; 
l'amour  de  la  personne  vous  fera  aimer  la  doctrine  ; 
et  l'amour  de  la  doctrine  vous  mènera  doucement 
et  fortement  tout  ensemble  à  la  pratique.  Ne  négli- 
gez pas  de  connaître  Jésus-Christ ,  et  de  méditer 
ses  mystères  :  c'est  ce  qui  vous  inspirera  son  amour  ; 
le  désir  de  lui  plaire  suivra  de  là ,  et  ce  désir  fructi- 
fiera en  bonnes  œuvres.  La  pratique  des  bonnes 
flBuvres,  sans  l'amour  de  Dieu  et  de  Jésus-Christ, 
n'est  qu'une  morale  purement  humaine  et  philoso- 
phique :  toutes  les  vertus  chrétiennes  sont  animées 
de  l'amour  de  Jésus-Christ.  Ainsi  on  fait  tout  en  foi , 
on  fait  tout  en  espérance,  on  fait  tout  en.charité;  on 
Eime  Dieu,  on  en  est  aimé;  Jésus-Christ  nous  aime. 


'  Matt.  vu,  21 ,  22.  —  »  PMI.  II,  8. 
Toan.  XIV,  15. 


'^  Matt.  VII,  23. 


et  il  se  manifeste  lui-même  à  nous;  et  en  lui,  il 
nous  manifeste  son  Père  :  nous  voyons,  nous  vi- 
vons, nous  sommes  heureux,  non  point  en  nous, 
mais  en  Dieu. 

XC  JOUR. 

Promesse  de  l'esprit  consolateur;  ce  que  c'est  que  le  monde 
Joaii.  XIV,  15,  16,  17. 

Si  vous  m'aimez,  gardez  mes  commandements  ; 
et  Je  prierai  mon  Père,  et  il  vous  donnera  un  autre 
consolateur,  pour  demeurer  éternellement  en  vous  : 
r esprit  de  vérité,  que  le  monde  ne  peut  recevoir, 
parce  qu'il  7ie  le  voit  pas,  et  ne  le  connaît  pas  '.  Il 
n'oublie  rien  pour  les  consoler  et  les  raffermir  ;  et 
après  leur  avoir  parlé  de  son  amour  et  de  celui  de  son 
Père,  afin  que  rien  ne  leur  manque  de  ce  qui  est 
divin,  ou  plutôt  afin  que  rien  ne  leur  manque  de  ce 
qui  est  Dieu ,  il  leur  promet  le  Saint-Esprit. 

L'aimable  titre  que  celui  de  consolateur,  que 
Jésus-Christ  donne  au  Saint-Esprit!  Ce  sera  donc 
cet  esprit  qui  vous  consolera  de  mon  absence;  ce 
sera  cet  esprit  qui  vous  inspirera  le  vrai  amour,  qui 
vous  fera  garder  mes  commandements.  Cet  esprit 
viendra  à  la  prière  de  Jésus-Christ  :  le  Père  le  don., 
nera;  et  nous  verrons  aussi  que  Jésus^Christ  le  don-, 
nera  lui-même.  C'est  cet  esprit  qui  est  venu  enflam-< 
mer  l'Eglise  à  l'amour  de  Jésus-Christ  et  à  la  pra- 
tique de  ses  préceptes. 

Uti  autre  consolateur.  Jésus-Christ  est  un  grand 
consolateur,  puisqu'il  dit ,  Foiezàmoi,  vous  tous 
qui  êtes  peines^.  Le  Saint-Esprit  insinue  cette 
douce  consolation  dans  le  cœur;  il  y  répand  la 
douceur  céleste ,  qui  fait  ressentir,  qui  fait  aimer 
les  consolations  de  Jésus-Christ. 

Un  autre  consolateur.  11  avait  parlé  de  son  Père , 
il  avait  parlé  de  lui-même  :  il  fallait  encore  parler 
de  cet  autre  consolateur,  et  nous  manifester  tout  ce 
qui  est  Dieu ,  la  Trinité  tout  entière. 

Pour  demeurer  en  vous  éternellement.  Cet  esprit 
consolateur  ne  quitte  jamais  que  ceux  qui  le  chas- 
sent; et  de  lui-même  il  demeure  éternellement. 

L'esprit  de  vérité.  Quelle  est  la  consolation  de 
l'homme  parmi  les  travaux  et  les  erreurs ,  si  ce  n'est 
la  vérité  ?  L'esprit  de  vérité  est  donc  notre  véritable 
consolateur ,  en  mettant  la  vérité  à  la  place  de  la 
séduction  du  monde  et  de  l'illusion  de  nos  sens. 

Que  le  monde  ne  peut  recevoir.  Le  monde  est 
tout  faux.  Qu'est-ce  que  le  monde,  sinon  la  con- 
cupiscence de  la  chair,  la  concupiscence  des  yeux, 
et  l'orgueil  de  la  vie  ^  ?  La  concupiscence  de  la  chair 
nous  livre  5  des  plaisirs  qui  nous  aveuglent.  La  con- 
cupiscence des  yeux,  l'esprit  de  curiosité  nous 
mène  à  des  connaissances ,  à  des  épreuves  inutiles  :' 
oncherche  toujours,  et  on  ne  trouve  jamais;  ou  bien 
on  trouve  le  mal.  L'orgueil  de  la  vie,  qui  dans  les 
hommes  du  monde  en  fait  tout  le  soutien,  nous 
impose  par  de  pompeuses  vanités.  Le  faux  est  par- 
tout dans  le  monde ,  et  l'esprit  de  vérité  n'y  peut 
entrer.  On  est  pris  par  la  vanité;  on  ne  peut  ouvrir 
les  yeux  à  la  vérité. 

«  Joan.  XIV,  16,  16.  17  -  »   Ma/i    X»,  23.-3  I.  Joan.  Il» 
16. 


MÉDITATIONS  SUR  LEVANGILE. 


74S 


Que  le  monde  ne  peut  recevoir,  parce  qu'il  ne 
le  voit  pas,  et  ne  te  connaît  pas;  parce  qu'il  ne  veut 
ni  le  voir,  ni  le  connaître;  il  est  li\Té,  il  est  séduit. 
Le  viande  est  tout  dans  la  malignité  ' ,  est  tout 
plongé  dans  le  mal.  Le  monde  pense  mal  de  tout; 
il  ne  veut  pas  croire  qu'il  y  ait  de  véritables  vertus, 
parce  qu'il  n'en  veut  point  avoir,  ni  qu'il  y  ait  d'autre 
motif  des  choses  humaines  que  le  plaisir  et  l'intérêt , 
ni  qu'il  y  ait  de  bien  solide  que  dans  les  choses  cor- 
porelles. Jouissons,  dit-il,  des  biens  qui  sont*] 
tout  le  reste  n'est  qu'idée,  imagination,  pâture  des 
esprits  creux  :  ce  qui  est,  c'est  ce  qu'on  sent,  c'est 
ce  qu'on  touche  ;  tout  le  reste  échappe.  Et  au  con- 
traire, ce  qu'on  sent ,  ce  qu'on  touche,  c'est  ce  qui 
échappe  continuellement  des  mains  qui  le  serrent. 
Plus  on  serre  les  choses  glissajites,  plus  elles 
échappent.  La  nature  du  monde  est  de  glisser ,  de 
passer  vite,  d'aller  en  fumée,  en  néant.  Mais  le 
monde  veut  s'imaginer  que  c'est  cela  qui  est.  Com- 
ment donc  pourra-t-il  connaître  l'esprit  de  vérité.' 
et  comment  pourra-t-il  le  recevoir? 

Le  monde  ne  peut  pas  le  recevoir.  Il  y  a  l'esprit 
de  vérité  et  l'esprit  d'erreur.  Qui  est  possédé  de  l'un , 
ne  peut  pas  recevoir  l'autre.  L'homme  sensuel  ne 
peut  entendre  ce  qui  est  de  l'esprit  de  Dieu;  ce  lui 
est  folie,  et  il  ne  peut  pas  V entendre ,  parce  qu'il 
le  faut  examiner  par  l'esprit^;  et  son  esprit  est 
tout  plongé  dans  les  sens;  il  fait  quelque  effort,  et  il 
ne  peut  pas ,  et  il  retombe  toujours  dans  son  sens 
charnel. 

XCI«  JOUR. 

La  demeare  de  Jésus-Christ ,  et  sa  manifestation  dans  les 
saintes  âmes.  Joan.  iiv,  17. 

Mais  vous,  vous  le  connaîtrez,  parce  qu'il  de- 
meurera en  vous ,  et  qu'il  sera  en  vous.  Y  être 
véritablement,  c'est  y  demeurer  :  il  ne  veut  pas 
être  dans  nous  en  passant  ;  où  il  ne  demeure  pas , 
si  on  peut  parler  de  la  sorte ,  il  ne  croit  pas  y  avoir 
été.  C'est  un  esprit  fertile ,  esprit  stable ,  cons- 
tant, assuré  <  ;  parce  qu'il  est  véritable;  et  ce  qui 
est  véritablement ,  c'est  ce  qui  demeure  ;  ce  qui 
passe  tient  plus  du  néant  que  de  l'être. 

Mais ,  Seigneur,  vous  avez  dit  :  L'esprit  souffle 
où  il  veut;  et  personne  ne  sait  d'où  il  vient,  ni 
où  il  va  :  ain^i  en  est-il  de  celui  qui  est  né  de 
l'esprit  ^.  Comment  donc  dites-vous  aujourd'hui  : 
fous  le  connaUrez,parce qu'il  demeurera  en  vous, 
et  qu'il  y  sera? 

Dans  les  premières  touches  de  l'esprit,  on  ne 
sait  d'où  il  vient,  ni  où  il  va;  il  vous  inspire  de 
nouveaux  désirs  inconnus  aux  sens  ;  vous  ne  savez 
où  il  vous  mène;  il  vous  dégoûte  de  tout,  et  ne 
se  fait  pas  toujours  sentir  d'abord  ;  on  sent  seu- 
Jeraent  qu'on  n'est  pas  bien,  et  on  désire  d'être 
mieux.  Quand  il  demeure ,  il  se  fait  connaître  ;  mais 
après  il  vous  rejette  dans  de  nouvelles  profondeurs, 
et  vous  commencez  à  ne  plus  connaître  ce  qu'il 
vous  demande  ;  et  la  vie  intérieure  et  spirituelle 
se  passe  aiusi  entre  la  couuaissance  et  l'ignorance, 

•  Joftn.  y,  19.  —'^Sap.  il,  6.  — 'I.  Cvr.  n,  H.  —  *Sap.  TII, 
2^  _  k  Juan,  m ,  6. 


jusqu'à  ce  que  vienne  le  Jour  où  ce  bienheureux 
esprit  se  manifeste. 

Je  ne  vous  laisserai  pas  orphelins;  je  viendiai 
à  vousK  11  venait  de  les  appeler  ses  petit*  en- 
fants; il  continue  à  parler  en  père  :  Je  viendrai 
à  vous;  je  vous  verrai  après  ma  résurrection. 
Mais  ce  n'est  pas  là  toute  ma  promesse;  car  je  dis- 
paraîtrai trop  tôt  pour  vous  satisfaire  par  cette 
courte  vision;  je  viendrai  en  vous  par  mon  esprit 
consolateur.  Les  orphelins  seront  consolés,parce  que 
l'esprit  de  leur  père  sera  en  eux,  et  qu'il  leur  ap- 
prendra à  prononcer  comme  il  faut  le  nom  de  père  : 
Dieu  enverra  dans  leurs  cœurs  l'esprit  de  son 
Fils,  qui  les  fera  crier.  Mon  Père,  mon  Père*; 
qui  leur  apprendra  à  parler,  à  agir  en  enfants ,  et 
non  en  esclaves:  en  esprit  de  confiance,  de  ten- 
dresse, d'amour  et  de  liberté. 

Encore  un  peu  de  temps,  et  le  monde  ne  me 
verra  plus;  mais  vous,  vous  me  verrez,  parce 
que  je  vivrai,  et  vous  vivrez^;  vous  vivrez  de 
cette  vie,  dont  il  est  écrit  :  Le  juste  vit  de  la 
J'ôi^.  Vous  vivTez  de  cette /ot  agissante  et  féconde 
en  bonnes  œuvres ,  qui  opère  par  l'amour  ^.  Pour 
voir  Jésus  vivant,  il  faut  vi\Te,  et  vivre  de  la 
vraie  vie.  Le  monde,  qui  est  mort,  ne  verra  point 
Jésus  qui  est  vivant.  En  ce  jow,  vous  verrez  que 
je  suis  en  mon  Père,  et  vous  en  moi,  et  moi  en 
vous  ^.  En  ce  jour,  lorsque  le  Saint-Esprit  vous 
sera  donné,  et  encore  plus  en  ce  jour,  où  vous 
verrez  à  découvert  la  vérité  même,  vous  verrez 
mon  union  intime,  substantielle  et  naturelle  avec 
mon  Père ,  et  celle  que  j'ai  contractée  avec  vous 
par  miséricorde  et  par  grâce.  Si  vous  m'aimez , 
je  vous  aimerai,  al  je  me  manifesterai  à  vous  par 
amour.  Douce  manifestation  que  l'amour  inspire, 
que  l'amour  attire!  Je  me  manifesterai,  non  point 
pour  satisfaire  des  yeux  curieux,  mais  poiur  contea» 
ter  un  coeur  ardent. 

XGU'  JOUR. 

La  prédestination.  Le  secret  en  est  impénétrable. 
Joan.  xrv,  22. 

Jude  lui  dit  :  Seigneur,  d'oie  vient  que  vous 
vous  découvrez  à  nous ,  et  non  pas  au  monde  7  ? 
Cette  question  devait  naître  naturellement  du  dis- 
cours qui  a  précédé;  puisqu'on  y  a  \-u  que  le  Sau- 
veur avait  déclaré  qu'il  se  manifesterait  par  son 
Saint-Esprit  à  ses  amis,  et  non  pas  au  monde. 
C'est  donc  ici  le  grand  secret  de  la  prédestination 
divine  :  saint  Jude  va  d'abord  au  grand  mystère  : 
D'où  vient?  Qu'avons-nous  fait,  qu'avons-nous  mé- 
rité plus  que  les  autres?  IS''étions-nous  pas  pé- 
cheurs comme  eux,  charnels  comme  eux  ?  Eussions- 
nous  cru ,  si  vous  ne  nous  aviez  donné  la  foi  ?  Vou« 
eussions-nous  choisi ,  si  vous  ne  nous  aviez  choisis 
le  premier?  f'ous  ne  m'avez  point  choisi,  dira-t-il 
bientôt;  7?iaw  c'est  moi  qui  vous  ai  choisis'.  En  cela 
parait  son  amour,  que  ce  n'est  pas  nous  qui  l'avons 
aimé;  7nais  c'est  lui  qui  nous  a  aimés  lejyremier  9. 

•  Joan.  XIT,  18;  xn  ,  33.  —  *  Gai.  IT,  6.  —  ^  Joan.  xrv,  19. 

—  ♦  Rom.  I,  17.  —  *  Gai.  v,  6.  — «  Joan.  xiv,  ».  —'  Ibid.  i^ 

—  »  Ibid.  XV,  1».  —  »  L  Joam.  IV,  10. 


N6 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


Pourquoi ,  Seigneur,  pourquoi?  dit  saint  Jude. 
Lui  seul  pouvait  résoudre  cette  question;  mais  il 
s'en  est  réservé  le  secret.  Et  c'est  pourquoi  il  n'y 
répond  pas  ;  et ,  sans  faire  même  semblant  de  l'en- 
tendre, il  répète  encore  une  fois  :  Si  quelqu'u7i 
vi'aime ,  H  gardera  mon  commandement;  et  mon 
Père  l'aimera,  et  nous  viendrons  à  lui,  et  nous 
ferons  notre  demeure  en  lui  •.  Comme  s'il  eût  dit  : 
O  Jude,  ne  demandez  pas  ce  qu'il  ne  vous  est  pas 
donné  de  savoir;  ne  cherchez  point  la  causé  de  la 
préférence;  adorez  mes  conseils  :  tout  ce  qui  vous 
regarde  sur  ce  sujet,  c'est  qu'il  faut  garder  les 
conimandements;  tout  le  reste  est  le  secret  de  mon 
Père;  c'est  le  secret  incompréhensible  du  gouver- 
nement que  le  souverain  se  réserve. 

Il  y  a  des  questions  que  Jésus  résout;  il  y  en 
a  qu'il  montre  expressément  qu'il  ne  veut  pas  ré- 
soudre ,  et  où  il  reprend  ceux  qui  les  font.  Il  y 
en  a,  comme  celle-ci,  où  il  réprime  la  curiosité 
j)ar  son  silence;  il  arrête  l'esprit  tout  court;  et 
pour  le  dôsoccuper  des  recherches  dangereuses, 
il  le  tourne  à  des  réflexions  nécessaires*.  [Saint 
Jude  entendit  bien  qu'il  ne  fallait  pas  pousser  plus 
loin  la  question.  Apprenons  de  ce  saint  apôtre  à 
demeurer  en  repos ,  non  sur  l'évidence  d'une  ré- 
ponse précise,  mais  sur  l'impénétrable  hauteur 
d'une  vérité  cachée.  Et  nous,]  passons,  évitons  cet 
écueil,  où  l'orgueil  humain  ferait  naufrage.  O  pro- 
fondeur des  trésors  de  la  science  et  de  la  sa- 
gesse de  Dieu  !  Que  ses  jugements  sont  impéné- 
trables, et  ses  voies  incompréhensibles  !  Qui  lui 
a  donné  quelque  chose  le  premier  pour  en  préten- 
dre récompense?  Parce  que  tout  est  de  lui,  tout 
est  par  lui,  tout  est  en  lui  :  à  lui  soit  gloire  dans 
tous  les  siècles  :  Amen  ».  Il  n'y  a  qu'à  adorer  ses 
conseils  secrets ,  et  lui  donner  gloire  de  ses  juge- 
ments, sans  en  connaître  la  cause.  C'est,  avec  ces 
niotsdel'apôtre,  expliquer  le  silence  de  Jésus-Christ. 
Taisez- vous,  raison  humaine!  O  Seigneur,  que  j'ai 
de  joie  de  la  faire  taire  devant  vous!  [C'est  assez 
de  savoir  dire  comme  David ,  avec  joie  et  recon- 
naissance :  qu'il  n'a  pas  aiiui  traité  toutes  les 
autres  nations  ;  et  ii  ne  leur  a  pas  manifesté  ses 
Jugements^  ;  et  encore  avec  saint  Paul  :  Jésus-Christ 
a  laissé  chaque  nation  aller  dans  ses  voies  ^  ;  sans 
lui  demander  pourquoi  il  l'a  fait.]  Qui  en  veut  sa- 
voir davantage ,  dit  saint  Augustin  5,  qu'il  cher- 
che de  plus  grands  docteurs  ;  mais  qu'il  craigne 
de  trouver  des  présomptueux. 

'  Joan.  XIV,  2.  • 

*  Ces  mots  [Saint  Jude...,  Jusqti'à  Et  nous],  et  oeux-ci 

[C'est  assez  de  savoir jusqu'à  il  l"a  fait],  ne  sont  point  dans 

le  manuscrit  original ,  et  ou  ne  peut  soupçonner  qu'ils  aient 
été  écrits  sur  un  papier  séparé  qui  se  serait  perdu  ;  car  il  n'y 
a  aucun  signe  de  renvoi.  Nous  les  avons  conservés  parce  qu'on 
les  lit  dans  les  éditions  précédentes.  11  est  permis  de  conjec- 
turer que  l'auteur  les  aura  ajoutés  à  quelque  copie  de  cet 
ouvrage.  Ou  trouve  dans  la  suite  deux  ou  trois  passages  sem- 
blables; nous  aurons  soin  d'en  avertir.  (  Edit.  de  Fcrsailles.) 


'  Rom   XI,  34,  36.-3  Pj.  cxlvii,  io.  — 
—  ''  Lib.  de  Spirit.  et  IH.  cap.Z  ,  n.  00. 


Jet.   XIV,    15. 


XCIIl"  JOUR. 

Demeure  lixe  du  Père  et  du  Fils  dans  les  ànatê. 
Joan.  XIV,  23. 
Ce  qui  est  certain,  ce  qu'il  faut  savoir,  ce  qu'on 
ne  saurait  assez  imprimer  dans  son  esprit;  c'est 
que  la  cause  prochaine  de  la  préférence  est  que  .]é- 
sus-Christ  et  son  Père  se  manifestent  à  celui  qui 
garde  les  commandements  :  Nous  viendrons  à  lui, 
et  nous  y  établirons  notre  demeure  ' . 

Il  va  toujours  les  affermissant  de  plus  en  plus , 
en  les  assurant  de  l'amour  de  son  Père,  du  sien  ] 
de  la  présence  et  de  l'assistance  de  son  saint  Esprit; 
et  afin  de  ne  rien  omettre,  il  leur  dit  encore  :  Nous 
viendrons  en  vous,  mon  Père  et  moi  :  nous  ne 
nous  contenterons  pas  de  vous  assister  au  dehors  : 
nous  viendrons  à  vous  :  nom  y  établirons  notre 
demeure.  Nous  vous  serons  intimement  unis;  et 
cela,  non  point  en  passant,  mais  par  un  établisse- 
ment permanent. 

Nous  viendrons.  Quel  autre  qu'un  Dieu  peut 
parler  ainsi?  Un  simple  homme,  une  simple  créa- 
ture, quelque  parfaite  qu'on  la  fasse,  oserait-elle 
dire  :  Nous  viendrons,  et  s'associer  avec  le  Père 
éternel,  pour  demeurer  dans  le  fond  des  âmes 
comme  dans  son  sanctuaire? 

Nous  viendrons  à  eux,  et  nous  y  établirons  no- 
tre demeure:  et  cela,  qu'est-ce  autre  chose,  sinon  ce 
qui  est  écrit  :  Fous  êtes  le  temple  du  Dieu  vivant  : 
comme  Dieu  dit  lui-môme  :  Je  ferai  ma  demeure 
en  eux,  et  je  me  promèîierai  au  milieu  d'eux,  et 
je  serai  leur  Dieu,  et  ils  seront  mon  peuple.  Sor- 
tez du  milieu  du  monde,  dit  le  Seigneur,  et  sépa- 
rez-vous, et  ne  touchez  point  aux  choses  impures; 
et  je  vous  recevrai ,  et  je  serai  votre  père,  et 
vous  serez  mes  fils  et  mes  filles,  dit  le  Seigneur 
tout-puissant*. 

Qui  nous  dira  quelle  est  cette  secrète  partie  de 
notre  âme  dont  le  Père  et  le  Fils  font  leur  temple 
et  leur  sanctuaire?  Qui  nous  dira  combien  intime- 
ment ils  y  habitent,  comme  ils  la  dilatent  comme 
pour  s'y  promener;  et  de  ce  fond  intime  de  l'âme, 
se  répandre  partout ,  occuper  toutes  les  puissances , 
animer  toutes  les  actions?  Qui  nous  apprendra  ce 
secret,  pour  nous  y  retirer  sans  cesse,  et  y  trou- 
ver le  Père  et  le  Fils  ? 

Ce  n'est  pas  là  cette  présence  dont  saint  Paul 
dit  :  Il  n'est  pas  loin  de  nous,  car  nous  vivons, 
nous  nous  mouvons,  et  nous  sommes  en  lui  et  par 
lui  ^.  Car  cette  présence  nous  est  commune  avec 
tous  les  hommes,  et  même,  en  un  certain  sens., 
avec  tout  ce  qui  vit  et  qui  respire.  Mais  l'uniou 
que  Jésus-Christ  nous  promet  ici  est  une  union 
qu'il  ne  promet  qu'à  ses  amis.  Qu'elle  est  profonde! 
qu'elle  est  intime!  qu'elle  est  éloignée  de  la  régioa 
des  sens! 

Quand  Dieu  nous  a  faits  à  son  image ,  il  a  créé  en 
nous,  pour  ainsi  parler,  ce  secret  endroit  où  il  se 
plaît  d'habiter.  Car  il  entre  intimement  dans  la 
créature  faite  à  son  image  :  il  s'unit  à  elle  par  l'en- 
droit qu'il  a  fait  à  son  image,  où  il  a  mis  sa  ressem- 

•  Joan.  XIV,  28.  —  »  II.  Cur.  VI,  10,  17,  \fi.  —  ^Act.  XTU. 

27,  as. 


MÉDlTATIOiNS  SUR   L'ÉVANGILE. 


141 


Mance.  L'homme  ne  lui  est  pas  étranger,  puisqu'il 
l'a  fait ,  comme  lui ,  intellifient,  raisonnable,  capa- 
ble de  !?  désirer,  de  jouir  de  lui  ;  et  lui  aussi  il  jouit 
de  l'homme;  il  entre  dans  son  fond ,  d'oii  il  possède 
Je  reste;  il  en  fait  son  sanctuaire.  O  homme,  ne 
comprendras-tu  jamais  ce  que  ton  Dieu  t'a  fait? 
Nettoie  à  Dieu  sou  temple;  car  il  y  veut  habiter; 
crois  seulement,  mais  d'une  foi  vive;  tu  n'auras 
besoin  pour  prier  d'autre  temple  que  de  toi-même. 
Que  Dieu  t'écoute  de  près!  11  est  en  toi,  il  y  de- 
meure, il  y  règne;  son  Fils  y  est  avec  lui.  Quand 
il  t'a  fait  a  son  image,  il  a  parlé  avec  son  Fils  de 
l'ouvTage  qu'il  allait  faire,  et  il  a  dit  :  Faisons 
l'homme  à  noh^e  image  et  ressemblance  •  :  et  main- 
tenant il  vient  en  toi  avec  lui  :  il  Teuvoie  continuel- 
lement de  son  sein  dans  le  tien  ;  il  y  envoie  aussi  son 
Saint-Esprit,  sanctificateur  invisible  de  ce  temple. 
Il  faut  être  juste  pour  cela,  car  il  ne  peut  pas  habi- 
ter dans  une.  âme  souillée.  0  homme,  comment  peux- 
tu  souffrir  le  péché?  Temple  de  Dieu,  comment 
peux-tu  mettre  une  idole  dans  ce  sanctuaire? 

?«on ,  je  me  veux  retirer  en  Dieu.  Et  que  faut- 
il  faire  pour  cela,  sinon  se  recueillir  en  soi-même? 
Mais  l'y  sentons-nous,  l'y  trouvons-nous?  Dieu 
u"est-il  pas  en  nous  d'une  manière  vive,  et  qui  se 
fasse  sentir?  Jésus-Christ  a  dit  du  Saint-Esprit  : 
fous  le  connaîtrez ,  parce  qu'il  sera  en  vous ,  et 
qu'il  y  demeurera  ».  S'ous  devons  donc  aussi  con- 
naître et  sentir  en  nous  lo  Père  et  le  Fils,  puisqu'ils 
y  sont  et  qu'ils  y  demeurent.  Oui,  sans  doute,  il 
est  ainsi  :  Dieu  se  fait  sentir  en  quelque  sorte,  lors- 
qu'il arrive  en  nous  :  c'est  ce  que  saint  Paul  vient 
de  nous  rapporter  :  Et  je  serai  leur  Dieu ,  et  ils  se- 
ront  mon  peuple  ^. 

Quand  je  ne  sais  quoi  nous  dit  dans  le  cœur  que 
nous  ne  voulons  que  Dieu ,  et  que  tout  le  reste  nous 
est  en  horreur,  alors  Dieu  se  fait  sentir.  Mais  ne 
croyons  pas  qu'il  se  fasse  toujours  sentit  bien  clai- 
rement, ni  que  dans  le  cours  de  cette  vie  il  se  fasse 
sentir  avec  certitude.  Il  nous  est  plus  intime  que 
nous  ne  le  sommes  à  nous-mêmes  :  ainsi  il  se  cache 
en  nous  autant  qu'il  lui  plaît  :  il  s'y  découvre  à  nous- 
mêmes  autant  qu'il  lui  plaît;  et  il  ne  s'y  découvrira 
pleinement  que  lorsqu'il  assouvira  tous  nos  désirs , 
que  sa  gloire  nous  apparaîtra^  et  que  Dieu  sera 
tout  en  tous,  comme  dit  saint  Paul  •♦. 

Ouvrons-lui  cependant  l'entrée  :  Jésus-Christ 
nous  eu  donne  le  moyen  :  Si  quelqu'un  m'aime^  il 
gardera  ma  parole;  celui  qui  ne  m'aime  pas  ne 
garde  pas  ma  parole  *.  N'aimez  point  en  discours, 
7ii  en  paroles;  aimez  par  les  œuvres  et  en  vérité^. 
Il  sonde  les  cœurs,  et  il  voit  que  celui  qui  parle ,  et 
qui  croit  aimer  sans  agir,  n'aime  pas.  Mais  aussi, 
celui  qui  garde  extérieurement  sa  parole,  et  qui 
n'agit  point  par  amour,  ne  garde  pas  véritablement 
cette  parole.  Il  faut  joindre  l'exécution  de  sa  parole 
avec  son  amour,  parce  que  sa  principale  parole  et 
i'abrégé  de  sa  doctrine,  c'est  qu'il  faut  aimer. 

<  GVn.  1 ,  26.  —  *  Joan.  xiv,  17.  —  *  IT.  Cor.  VI ,  16.  —  •  1. 
Or.  XV,  38.  —  5  Joan.  3UV,  23,  ?4.  —  •  Ibid.  Ul,  18. 


xciv  joun. 


£tat  ferme  de  la  vie  chrétienne.  Joan.  xiv,  16,  33 

Arrêtons-nous  sur  ces  paroles  :  .\fon  Père  vous 
donnera  le  Consolateur,  afin  qu'il  soit  en  vous  éter- 
nellement, fous  le  connaîtrez ,  parce  qu'il  demeu- 
rera en  vous.  Nous  viendrons  à  lui,  et  nous  y  éta- 
blirons notre  demeure  '.  Entendons  que  la  >ia 
chrétienne  n'est  pas  un  mouvement  perpétuel  du 
bien  au  mal,  et  du  mal  au  bien.  C'est  quelque  chose 
de  stable  et  de  permanent.  Celui  qui  n'a  rien  de 
ferme,  et  dont  la  vie  est  un  continuel  retour  du 
péché  à  la  pénitence  et  de  la  pénitence  au  péché,  a 
juste  sujet  de  craindre  que  le  bien  n'ait  jamais  été 
solidement  en  lui. 

Je  ne  veux  pas  dire  qu'on  ne  puis.se  jamais  perdre 
la  grâce;  car  pourquoi  la  pénitence  aurait-elle  été 
établie  après  le  baptême?  Je  ne  veux  pas  dire  que 
la  chute  après  la  pénitence  soit  sans  remède;  car 
Jésus-Christ  n'a  point  donné  de  bornes  à  la  puissance 
des  chefs  :  Tout  ce  que  vous  remettrez  sera  remis; 
tout  ce  que  vous  déÙerez  sera  délié  »  :  vous  pourrez 
remettre  et  délier  jusqu'à  l'abus  de  la  pénitence.  Je 
ne  veux  pas  dire  non  plus  que  le  passage  de  la  grâce 
au  péché ,  et  du  péché  à  la  grâce,  ne  puisse  pas  quel- 
quefois être  fréquent.  Saint  Pierre  était  juste  quand 
Jésus  lui  dit,  comme  aux  autres  :  fous  êtes  purs  ^  ;  et 
il  n'excepta  que  Judas.  Il  tomba  bientôt  après, 
quand  il  renia  son  maître;  il  se  convertit  bientôt 
après,  lorsque  Jésus  le  regarda,  et  qu'il  pleura  si 
amèrement.  Qui  osera  dire  qu'un  regret  si  amer  et  si 
sincère ,  le  fruit  d'un  regard  spécial  de  Jésus .  ne  lui 
rendit  pas  la  justice?  Mais  qui  osera  dire  aussi  qu'il 
ne  l'avait  pas  perdue  de  nouveau  lorsque  Jésus  lui 
reproche  comme  aux  autres  son  incrédulité  et  la 
dureté  de  son  cœur,  pour  n'avoir  pas  voulu  croire 
ceux  qui  leur  annonçaient  qu'il  était  ressuscité  *? 
Dieu  permet  ces  chutes  fréquentes,  lorsqu'il  fait  sen- 
tir à  une  âme  sa  propre  faiblesse.  Mais  où  en  veut-il 
venir  par  ces  terribles  leçons ,  sinon  à  affermir  l'âme 
dans  l'humilité ,  dans  la  défiance  de  soi-même ,  dans 
la  confiance  en  Dieu,  et  par  là  dans  la  vertu?  Il  en 
faut  donc  venir  à  un  état  de  fermeté  et  de  consis- 
tance. Chrétien ,  tu  as  assez  appris  tes  faiblesses 
par  tes  chutes  :  il  n'est  pas  question  de  l'expérimen- 
ter toujours  ;  il  est  temps  de  profiter  de  tes  expé- 
riences :  Pierre  n'a  été  vacillant  un  peu  de  temps 
que  pour  être  conduit  par  là  à  une  longue  et  per- 
pétuelle persévérance. 

XCV  JOUR. 

Le  maître  intérieur.  Joan.  xiv,  25 ,  26. 

Je  vous  ai  dit  ces  choses  pendant  que  j'étais 
parmi  vous  ;  mais  le  Saint-Esprit  consolateur,  que 
mon  Père  vous  enverra  en  mon  nom ,  vous  ensei- 
gnera toutes  choses ,  et  vous  inspirera ,  vous  sug- 
gérera, mot  à  mot,  selon  l'original,  vous  fera  res- 
souvenir de  toutes  les  choses  que  je  vous  aurai 
dites  *.  Quoi  donc  !  avions-nous  besoin  de  deux  maî* 


'  Jonn.  xiT,  16 .  17,  23.  —  •  Matt.  XTI  ,!!».• 
—  •  .V*rc.  JLTI,  U.  —  ^Joan.  XfT,  2i,  26. 


■  '  Joan.  un,  lOt 


748 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


très?  et  Jésus-Christ  ne  nous  sufHsait-il  pas  pour 
nous  enseigner  ?  Soyons  ici  attentifs  à  cette  école 
intérieure,  qui  se  tient  dans  le  fond  du  cœur.  Outre 
les  enseignements  du  dehors,  il  nous  fallait  un  maître 
intérieur,  qui  fît  deux  choses  :  l'une,  de  faire  enten- 
dre au  dedans  ce  qu'on  nous  avait  enseigné  au  de- 
hors; l'autre,  de  nous  en  faire  souvenir,  et  d'em- 
pêcher qu'il  ne  nous  échappât  jamais. 

Remarquons  hien  néanmoins  que  Jésus-Christ  et 
le  Saint-Esprit  ne  nous  enseignent  pas  des  choses 
différentes.  Écoutez  bien ,  fanatiques,  qui  attribuez 
à  la  doctrine  du  Saint-Esprit  des  choses  que  Jésus- 
Christ  n'a  pas  dites.  I!  enseigne  les  mêmes  choses  ; 
mais  l'un  enseigne  au  dehors,  et  l'autre  au  dedans  : 
et  lorsqu'on  dit  que  le  Saint-Esprit  enseigne  au 
dedans,  il  faut  entendre  que  Jésus-Christ  même 
enseigne  aussi  au  dedans;  parce  que  c'est  lui  qui 
envoie  le  Saint-Esprit,  qui  est  plein  de  lui ,  comme 
il  l'expliquera  bientôt. 

Et  pourquoi  cette  doctrine  intérieure  est-  elle  at- 
tribuée au  Saint-Esprit,  si  ce  n'est  pour  la  même 
raison  que  l'infusion  de  la  charité  lui  est  attribuée-^" 
la  charité,  dit-il,  est  répandue  dans  nos  cœurs 
l  ar  le  Saint-Esprit,  qui  nous  a  été  donné  '.  Qu'est- 
te  donc  qu'enseigner  au  Saint-Esprit,  si  ce  n'est 
faire  aimer  la  vérité  que  Jésus-Christ  nous  a  an- 
lioncée,  jusqu'à  pouvoir  dire:  Qui  nous  séparera 
de  la  char  il  é  de  Jésm- Christ?  Sera-ce  l'affliction, 
ou  la  persécution,  ou  lafairyi?  Nous  sommes  vic- 
torieux dans  toutes  ces  tentations ,  à  cause  de  celui 
qui  nous  a  aimés,  et  qui  nous  a  donné  son  amour  ^. 
Et  qu'est-ce  que  nous  faire  ressouvenir  de  ce  que 
Jésus-Christ  nous  aura  dit,  sinon  le  tenir  toujours 
présent  à  notre  esprit  par  l'attachement  que  nous 
y  aurons  au  fond  du  cœur?  C'est-à-dire  que  le 
Saint-Esprit  nous  inspire  non  tant  la  science  que 
l'amour,  et  que  c'est  par  lui  véritablement  que  nous 
sommes  enseignés  de  Dieu ,  comme  Jésus-Christ 
nous  l'a  dit  3. 

Soyons  donc  recueillis  et  intérieurs ,  puisque  c'est 
au  dedans  que  nous  parle  notre  docteur.  Homme , 
où  courez-vous  d'affaire  en  affaire,  de  distraction 
en  distraction,  de  visite  en  visite,  de  trouble  en 
trouble  ?  Vous  vous  fuyez  vous-même ,  puisque  vous 
fuyez  votre  intérieur  ;  et  vous  fuyez  en  même  temps 
le  Saint-Esprit,  qui  vous  y  veut  parler. 

XCVP  JOUR. 

Paix  intérieure.  Joan.  xiv,  27. 

Je  vous  laisse  ma  paix;  je  vous  donne  ma  paix, 
cette  paix  intérieure,  que  le  monde  ne  vous  peut 
donner^,  puisqu'au  contraire  c'est  lui  qui  la  trou- 
ble. Et  qu'est-ce  que  cette  paix?  Nous  viendrons  à 
lui,  et  nous  ij  ferons  notre  demeure  5.  Dieu  en  nous 
et  dans  notre  fond ,  c'est  notre  paix.  Car  il  est  écrit 
de  la  cité  sainte,  qui  est  la  ligure  de  l'âme  fidèle  : 
Dieu  ne  sera  point  ébra7ilé  au  milieu  d'elle^.  Que 
la  tempête  vienne,  c'est-à-dire  les  passions,  les  af- 
flictions, la  perte  des  biens  temporels  :  Dieu  au 

»  Honu  V,  5.  —  "^Ib'td.  viH,  35,  37.  —  ^  -Jom.  VI,  45.  — 
*lbid.  XIV  27.  —  »  Lbld.  S3.  —* l'a.  XLV,  €■ 


milieu  de  l'âme  ne  sera  point  ébranlé;  ni  par  lv.. 
séquent  le  fond  où  il  est ,  car  le  Psalmiste  poursuit  : 
Dieu  l'aidera  dès  le  matin  :  Dieu  la  préviendra  de 
ses  grâces;  et  c'est  là  sa  paix,  pourvu  qu'elfe  soit 
soigneuse  de  se  recueillir  en  elle-même,  car  c'est  là 
qu'elle  trouve  Dieu,  qui  est  sa  force.  Si  elle  se  dis- 
sipe, si  elle  court.  Dieu  sera  ébranlé  au  milieu 
d'elle;  non  en  lui-même ,  mais  au  milieu  d'elle.  Com- 
mencez-vous à  écouter  le  monde  et  la  tentation , 
Dieu  s'ébranle  au  milieu  de  vous,  il  est  prêt  à  vous 
quitter.  Consommez-vous  le  péché,  il  vous  quitte. 
Demeurez  donc  uni  à  vous-même,  et  à  Dieu,  qui 
est  en  vous  :  il  ne  s'ébranlera  pas  au  milieu  de  vous  ; 
par  là  vous  serez  en  paix ,  car  il  est  écrit  :  Le  lieu  où 
il  demeure  sera  en  paix  ■.  Iln^ij  a  point  de  paix 
pour  les  méchants,  dit  le  Seigneur  ».  Encore  un 
coup  :  Il  n'y  a  point  de  paix  pour  tes  méchants  : 
ils  sont  comme  une  mer  agitée  qui  n'a  jamais  de 
repos  ^;  qui  regorge  en  mauvais  désirs;  et  ses  flots  y 
et  710S  écume  jetée  au  bord  sei^a  foulée  aux  pieds  ^ 
et  ne  fer  a  que  de  la  boue  ->. 

XCVIP  JOUR. 

Paix  imperturbable.  Joan.  xiv,  27. 

Je  vous  laisse  ma  paix,  je  vous  donne  ma  paix:- 
je  ne  vous  donne  pas  ïine paix  comme  celle  que  le 
monde  donne.  Ne  sotjez  point  troublés,  ne  craignez 
rien.  C'est  ce  que  le  monde  ne  peut  vous  donner. 
Ce  qu'il  redouble  le  nom  de  la  paix ,  marque  l'affec- 
tion et  la  tendresse  avec  laquelle  il  fait  un  si  beau 
présent.  Vous  diriez  qu'à  coups  redoublés  il  veuille 
faire  pénétrer  la  paix  au  fond  du  cœur.  Il  la  leur 
donne  pour  eux,  il  la  leur  donne  pour  nous.  Il  leur 
donne  cette  paix  qui  reposera  sur  les  enfants  de  la 
paix,  qui  seront  dans  la  maison  où  ils  entreront; 
et  qui  reviendra  à  eux  si  personne  ne  la  veut  rece- 
voir. Recevons  donc  la  paix  des  apôtres ,  celle  des 
ministres  de  Jésus-Christ,  lorsqu'ils  entrent  dans 
nos  maisons  ;  soyons  pour  eux  des  enfants  de  paix  ; 
ne  soyons  ni  contredisants ,  ni  murmurateurs.  Re- 
cevons cette  paix,  non  celle  du  monde,  mais  celle 
que  Jésus-Christ  sait  faire  trouver  au  milieu  des  hu- 
miliations et  des  travaux. 

Ne  craignez  rien ,  ne  vous  troublez  pas.  C'est , 
comme  nous  avons  dit,  la  conclusion  de  tout  ce 
discours ,  et  le  terme  où  il  aboutit.  Considérons 
toutes  les  raisons  par  lesquelles  le  Fils  de  Dieu  ban- 
nit le  trouble  que  devait  causer  sa  mort.  Premiè- 
rement, s'il  s'en  va,  c'est  pour  nous  p-réparer  la. 
place  dans  la  maison  de  son  Père.  Ses  disciples  le 
peuvent  suivre;  et  en  leur  disant  où  il  va,  il  leur 
montre  aussi  le  chemin  pour  y  parvenir.  Il  leur  ap- 
prend où  ils  pourront  voir  le  Père ,  dont  la  vision 
leur  suffit,  dans  la  possession  duquel  ils  n'ont  plus 
rien  ni  à  désirer  ni  à  craindre.  Secondement,  quoi- 
qu'il les  quitte,  il  n'en  sera  pas  moins  leur  protec- 
teur; et  ils  peuvent  tout  obtenir  en  son  nom. 
Loin  que  son  absence  leur  nuise,  il  fera  pour  eux 

•  Ps.  LXW,  3.  —  »  /s.  XLVHI,  «2.-'/J/</.  LVH,  21.  — 
«  Jbid.  20. 


WÉDITATIONS  SUH  L'ÉVANGILE. 


rt  par  eiix  de  pins  crandos  choses  qu'il  n'avait  ja- 
mais faites.  Troisièmement ,  en  les  qnittant,  il  leur 
promet  un  consolateur  invisible,  qui  adoucira  leurs 
peines ,  et  leur  gravera  dans  le  cœur  toute  sa  doc- 
trine. Touchés  de  l'amour  qu'ils  auront  pour  sa 
personne,  ils  garderont  sa  parole.  Enfin,  il  ne  les 
quittera  pas  en  les  quittant  ;  il  viendra  à  eux ,  et  il 
y  viendra  avec  son  Père,  et  ils  établiront  leur  de- 
meure dans  leurs  âmes  :  ce  qui  les  fera,  jouir  dans 
le  fond  du  cœur,  au  milieu  des  persécutions  et 
des  tentations,  d'un  imperturbable  repos,  et  de 
cette  paijc  qui  surpasse  tout  sentiment ,  toute  pen- 
sée ^  toute  intelligence  '.  Après  cela  on  peut  con- 
clure :  Ne  vous  troublez  pas ,  ne  craignez  rien. 
Voici  néanmoins  encore  une  raison  plus  touchante 
pour  ses  vrais  disciples. 

XCVIII'  JOUR. 

Jésus-Cbrisl  rentre  en  sa  gloire ,  retournant  à  son  Père. 
Joan.  XIV,  28. 

rous  avez  otâ  que  je  vous  ai  dit  :  Je  m'en  vais, 
et  je  reviens  »  :  je  meurs ,  et  je  ressuscite ,  et  je  re- 
viens de  nouveau  à  vous  ;  je  m'en  vais  encore ,  je 
monte  au  ciel,  et  j'en  reviendrai  à  la  fin ,  pour  de- 
mander compte  de  mes  grâces.  Si  vous  m'aimiez , 
vous  seriez  bien  aises  que  je  m'en  allasse.  Je  vous 
ai  dit  les  raisons  de  vous  consoler  de  mon  absence, 
par  les  biens  qui  vous  en  reviennent.  En  voici  une, 
par  rapport  à  moi,  qui  vous  doit  toucher  davan- 
tage :  Si  vous  m'aimez ,  vous  devez  vous  réjouir 
que  je  retourne  à  mon  Père,  parce  que  mon  Père 
est  plus  grand  que  moi,  et  que  c'est  avec  lui  que 
je  trouverai  ma  véritable  grandeur. 

C'est  son  Père  qui  en  est  la  source,  parce  qu'il 
tient  tout  de  lui  :  il  est  toujours  dans  son  sein,  et 
ne  le  quitte  jamais.  Toutefois ,  en  se  faisant  homme , 
il  est  sorti  en  un  certain  sens  du  lieu  de  sa  gloire  ; 
et  il  s'est  fait  moindre  que  son  Père ,  lui  qui  est 
naturellement  son  égal.  Comme  homme,  il  va  re- 
tourner à  ce  lieu  de  gloire  ;  et  en  retournant  à  celui 
qui  est  plus  grand  que  lui ,  à  cet  égard  ,  il  devient 
aussi  plus  grand  lui-même,  parce  qu'il  entre  dans 
sa  gloire  ^ ,  ensuite  de  ses  souffrances ,  et  qu'assis 
à  la  droite  de  la  majesté  de  Dieu,  toute  puissance 
lui  est  donnée  dans  le  ciel  et  dans  la  terre  <.  C'est 
ce  qu'il  nous  dira  bientôt  :  Mon  Père ,  glorijiez- 
moi  de  la  gloire  que  j'ai  eue  auprès  de  vous ,  avant 
que  le  monde  fût  *.  Répandez  cette  gloire  sur  l'hu- 
manité que  j'ai  prise.  Telle  est  la  gloire  que  je  vais 
recevoir  en  retournant  à  mon  Père  :  Si  vous  m'ai- 
miez ,  vous  en  auriez  de  la  joie.  Réjouissez-vous 
donc,  vous  qui  m'aimez;  réjouissez -vous  de  la 
gloire  où  je  vais  entrer. 

C'est  ce  que  font  tous  les  bienheureux  esprits , 
en  disant  :  L'Agneau  qui  a  été  immolé  est  digne  de 
recevoir  puissance,  divinité ,  richesses ,  sagesse , 
force,  honneur,  gloire,  bénédiction,  action  de  grâ- 
ces .il  est  digne  de  les  recevoir  avec  son  Père  :  à 
celui  qui  est  assis  sur  le  trône,  et  à  l'Agneau,  bé- 

*  Philip,  nr,  7.  —  '  Joan.  xiv,  28.  —  '  Luc.  xxiy,  26.  — 
*  Xatt.  xxvui,  i8.—*Joitn.  XTU,  5. 


740 

nédiction ,  et  honneur,  et  gloire ,  et  puissance  ait.v 
siècles  des  siècles  •  ?  Vous  le  voyez,  ils  n'ont  point 
de  termes  pour  expliquer  un  si'  grand  transport  : 
c'est  qu'ils  aiment  Jésus,  et  se  réjouissent  de  la 
gloire  qu'il  a  reçue  avec  son  Père. 

C'est  pour  nous  exciter  à  cette  joie  qu'il  nous 
dit  :  Si  vous  m'aimiez ,  vous  vous  réjouiriez  de  ce 
que  je  vais  à  mon  Père  ».  O  Seigneur,  je  m'en  ré- 
jouis ;  je  ne  me  réjouis  pas  tant  de  mes  avantages 
que  je  me  réjouis  de  votre  gloire.  Allez  à  votre  Père, 
selon  ce  qu'il  est  plus  grand  que  vous,  afin  de  jouir 
des  avantages  de  votre  naturelle  grandeur.  Gloire, 
louange,  bénédiction,  puissance,  honneur,  soient 
donnés  à  l'Agneau ,  qui  a  été  immolé  pour  nous. 
Soyez  loué,  soyez  adoré,  soyez  servi  de  toute  créa- 
ture :  je  fais  ma  gloire  de  votre  gloire ,  ma'  gran- 
deur de  votre  grandeur,  ma  félicité  de  votre  félicilé. 
Voilà  ce  qu'il  nous  fout  dire  dans  toute  l'étendue  de 
notre  cœur,  en  honneur  de  cette  parole  du  Sau- 
veur :  Si  vous  m'aimiez ,  vous  vous  réjouiriez  de 
ce  que  je  vais  à  mon  Père,  parce  que  mon  Père  est 
plus  grand  que  moi. 

Mon  Sauveur,  que  vous  êtes  grand ,  puisque  vous 
avez  besoin  d'avertir  les  hommes  que  votre  Père 
est  plus  grand  que  vous  !  Si  un  autre  que  vous  di- 
sait :  Dieu  est  plus  grand  que  moi  ;  on  lui  répon- 
drait :  Qui  en  doute?  quelle  comparaison  y  a-t-il  à 
faire  entre  Dieu  et  vous.^  C'est  trop  présumer  de 
vous  que  de  croire  qu'on  vous  puisse  mettre  en 
comparaison  avec  Dieu.  Mais  comme  il  y  a  en  Jé- 
sus-Christ une  grandeur  pareille  à  celle  de  Dieu , 
en  sorte  qu'il  ne  craint  point  de  ce  côté-là  de  trai- 
ter d'égal  avec  Dieu ,  et  que  ,  dans  tout  le  discours 
que  nous  avons  ouï,  il  montre  cette  égalité,  il  a 
été  nécessaire  de  nous  faire  souvenir  aussi  de  l'en- 
droit par  où  le  Père  est  plus  grand  que  lui ,  de  peur 
qu'on  oubliât  qu'étant  Dieu ,  il  s'était  humilié  et 
anéanti  jusqu'à  prendre ,  non-seulement  la  forme 
d'esclave,  mais  encore  la  figure  du  pécheur. 

Que  vous  êtes  grand  ,  mon  Sauveur!  Que  j*ai  de 
joie  de  votre  grandeur  !  Que  j'ai  de  joie  de  la  gloire 
que  vous  avez  naturellement  dans  le  sein  de  votre 
Père  !  Que  j'en  ai  de  celle  où  vous  êtes  exalté  par 
votre  humiliation  jusqu'à  la  mort,  et  à  la  mort  de 
la  croix  ! 

Seigneur,  vous  m'avez  appris  comment  il  vous 
faut  aimer  :  oserai-je  voiis  dire  avec  saint  Pierre  : 
Seigneur,  vous  savez  que  je  vous  aime  ^  ?  Excitez- 
vous,  chrétien,  à  cet  amour  :  dites  mille  et  mille 
fois  à  Jésus  :  Je  vous  aime  ;  mais  souvenez-vous 
qu'il  vous  a  dit  :  Si  vous  m' aimez,  gardez  mes 
commandements. 

XCLX»  JOUR. 

Jéeos-Christ  prédit  toat  ce  qal  loi  doit  arriver  :  il  y% 
volontairement  à  la  mort  Joan.  xnr,  2». 

Je  vous  ai  dit  ces  choses  avant  qu'elles  arrivas- 
sent, afin  qtie  vous  crussiez  lorsqu'elles  seraient 
arrivées  *.  Que  vous  crussiez  quoi  ?  deux  choses. 


'   4POC 

-  *  Ibid. 


V,  12,  I?.;—  >  Joan.  XIT,  28.  —  '  Ibib.  XXI,  IS. 
XIT,  39. 


rso 


MEDITATIONS  SUR  L'EVAxNGILE. 


La  première,  que  je  vois  tout,  que  je  sais  tout, 
(ju'on  ne  me  peut  caciicr  ce  qu'on  trame  contre  moi 
dans  les  ténèbres.  Je  vois  le  traître  disciple  qui  me 
vend  ,  qui  me  va  livrer,  qui  se  met  à  la  tète  de  mes 
ennemis  pour  me  prendre.  Je  sais  tout  ce  qu'ils 
feront,  et  qu'ils  me  conduiront  à  la  mort.  Je  vous 
le  dis  avant  qu'il  arrive,  afin  que  vous  croyiez  en 
moi  :  au  même  sens  qu'il  venait  de  dire  :  Un  de 
vous,  qui  mange  avec  moi  :  me  trahira,  et  je  vous 
le  dis  avant  qu'il  arrive ,  afin  que  lorsqu'il  arri- 
vera vous  a'oyiez  que  c'est  moi  qui  suis  '  le  Christ  ; 
et  qu'il  avait  dit  peu  de  jours  auparavant  :  Notre 
ami  Lazare  est  mort  :je  m'en  réjouis  pour  l'amour 
de  vous,  afin  que  vous  croyiez,,  parce  que  je  n'y 
étais  pas"".  La  seconde  chose,  afin  que  vous 
croyiez  que  le  monde  ne  peut  rien  sur  moi ,  et  que 
personne  n'aurait  puissance  de  me  livrer,  si  je  ne 
me  livrais  moi-même  le  premier,  pour  obéir  à  mon 
Père. 

C'est  ce  qu'il  confirme  par  les  paroles  suivantes  : 
Je  n'ai  plus  guère  de  temps  pour  vous  parler  :  le 
prince  de  ce  monde  arrive,  et  il  n'a  rien  en  moi^. 
W  anime  les  Juifs,  et  je  les  vois  avancer  par  son 
instinct.  Il  n'a  aucun  droit  sur  moi,  parce  que  je 
suis  sans  péché;  ainsi  il  n'a  pas  le  droit  dem'assu- 
jettir  à  sa  puissance,  ni  de  me  donner  la  mort  :  Mais 
afin  que  le  monde  sache  que  j'aime  mon  Père,  et 
que  je  fais  ce  qu'il  me  coynmande  :  Levez-vous, 
sortons  d'ici  ^.  C'est  ainsi  que  finit  son  discours. 

Afm  que  le  monde  sache,  car  je  lui  dois  cet 
exemple,  que  j'aime  mon  Père,  et  que  je  fais  tout 
ainsi  qu'il  me  l'ordonne  :  c'est  l'exemple  que  je  veux 
donner,  non-seulement  d'obéir,  mais  d'obéir  par 
amour.  Je  viens  de  vous  dire  :  Si  vous  m'aimez-, 
gardez  mes  commandements  :  celui  qui  m'aime 
garde  ma  parole  :  il  faut  premièrement  aimer,  et 
ensuite  obéir,  mais  par  amour.  C'est  ce  que  je  com- 
mande, c'est  ce  que  je  fais  :  j'aime  mon  Père,  et 
j'obéis.  Je  m'avance  volontairement  pour  exécuter 
ses  ordres  :  Judas  sait  le  lieu  où  j'ai  accoutumé  d'al- 
ler prier,  et  il  se  sert  de  cette  connaissance  pour  me 
surprendre;  mais  il  ne  me  surprend  pas.  Je  vois 
ses  complots;  et  quelque  loin  qu'il  soit,  toutes  ses 
paroles  viennent  à  mes  oreilles  s.  Combien  ai-je 
rompu  de  complots  semblables  !  Combien  ai-je 
échappé  de  fois  aux  Juifs ,  qui  voulaient  me  pren- 
dre! Je  pourrais  encore  rompre  ce  coup,  en  n'al- 
lant point  au  jardin  où  l'on  vient  méprendre  :  mais 
il  est  temps,  mon  heure  est  venue ,  et  mon  Père  me 
fait  voir  que  c'est  cette  fois  qu'il  faut  que  je  meure. 
C'est  l'heure  de  mes  ennemis  et  de  la  puissance  des 
ténèbres  :  Levez-vous ,  sortons  d'ici  :  allons  au-de- 
vant de  ceux  qui  me  cherchent. 

Il  répète  les  mêmes  paroles  en  descendant  de 
la  montagne  des  Olives,  et  en  sortant  de  son  ago- 
nie :  Levez-vous ,  allons  ;  celui  qui  me  trahit  ap- 
proche^. Il  ne  recule  pas  :  il  marche  à  la  mort  avec 
une  volonté  déterminée,  il  y  mène  ses  disciples  : 
Levez-vous ,  partons.  Car  encore  que  leur  heure 

'  Joan.  xni ,  18.  —  '  Ihid.  XI ,  H  ,  14,16.-3  Jhid.  xiv,  .30. 
' Ibid.  31.  —  ^  Ibid.  xvm,  2,3,4.  —  'J  Matt.  x.vvi,  40. 


ne  soit  pas  venue ,  il  veut  pourtant  qu'ils  le  suivent , 
et  il  les  mène  au  combat  pour  les  aguerrir.  Us  fui- 
ront à  cette  fois,  mais  peu  à  peu  ils  s'accoutume- 
ront à  combattre  :  Allons  donc,  suivez-moi,  dil' 
\\,  levez-vous.  C'est  à  nous  qu'il  parle  aussi.  Revê- 
tons-nous, à  son  exemple,  de  résolution  et  de 
courage  :  ne  nous  troublons  pas  ;  ne  craignons 
rien  :  à  quelque  hasard  qu'il  nous  faille  aller  pour 
son  service,  faudrait-ii  aller  à  une  mort  assurée, 
levons-nous  ,  partons  ;  et  quand  il  sera  à  la  porte , 
lorsqu'il  frappera  le  dernier  coup,  et  qu'on  nous 
annoncera  la  mort  prochaine,  disons  avec  un  air 
libre  et  d'une  voix  ferme  :  Levons-nous,  sortons 
d'ici. 

Cela  dit,  Jésus  se  leva  :  il  partit  du  cénacle  et 
de  la  maison,  pour  aller,  selon  sa  coutume,  oh 
jardin  et  à  la  montagne  des  Oliviers;  et  ses  disci- 
ples le  suivire7it'. 


SECONDE  PARTIE. 

SUITE  DU  mSCOUBS  DE  NOTRE  -  SEIGNEUR  :  CE 
qu'il  DIT  DEPUIS  SA  SORTIE  DE  LA  MAISON, 
jusqu'à  CE  qu'il  MONTAT  A  LA  MO>*TAC.NE 
DKS  OLIVIERS. 


PREMIER  JOUR. 

Jésus  est  la  vigne,  et  les  fidèles  les  membres.  Nécessité, 
efficace,  influence  continuelle  de  la  grâce.  Joan.  xv,  I , 
jusqu'au  7. 

Je  suis  la  vraie  vigne,  et  mon  Père  est  le  vigne- 
ron, le  laboureur^.  On  croit  que  sur  le  chemin  de 
la  montagne  des  Olives  il  se  trouvait  beaucoup  de 
vignes,  qui  donnèrent  lieu  au  Sauveur  de  dire  ces 
paroles.  Nous  devons  apprendre  par  cet  exemple , 
et  par  les  autres  de  même  nature ,  à  nous  servir  de 
tous  les  objets  qui  se  présentent  pour  nous  élever  à 
Dieu,  et  parce  moyen  sanctifier,  pour  ainsi  par- 
ler, toute  la  nature. 

Nous  avons  ici  à  considérer  trois  choses  :  la  vi- 
gne ou  la  tige,  qui  est  Jésus-Christ;  les  branches 
de  la  vigne,  c'est-à-dire  les  fidèles  ;  et  le  laboureur, 
qui  est  le  Père  éternel.  Les  deux  premières  choses 
nous  font  sentir  combien  nous  sommes  unis  à  Jé- 
sus-Christ, et  le  besoin  extrême  que  nous  avons  de 
cette  union. 

Notre  union  avec  Jésus-Christ  présuppose,  pre- 
mièrement, une  même  nature  entre  lui  et  nous  : 
comme  les  branches  de  la  vigne  sont  de  même  na- 
ture que  la  tige.  Il  fallait  donc  que  Jésus-Christ 
fût  de  même  nature  que  nous  :  ce  qui  aussi  fait 
dire  à  saint  Augustin  qu'il  a  prononcé  ces  paroles 
selon  qu'il  est  homme. 

Elles  présupposent,  secondement,  une  intime 
union  entre  lui  et  nous,  jusqu'à  faire  un  même 
corps  avec  lui ,  comme  le  sarment  et  les  branches 
de   la  vigne  font  un  même  corps  avec  la  tige. 

Lite.  XXII,  Î9.  —  *  Joan.  n*,  I. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


751 


Elles  présupposent ,  en  troisième  lieu ,  une  in- 
fluence intérieure  de  Jésus-Christ  sur  nous,  telle 
qu'est  celle  de  la  tige  sur  les  branches,  qui  en  ti- 
rent tout  le  suc,  dont  elles  sont  nourries. 

De  là  suit  une  extrême  dépendance  de  tous  les  fi- 
dèles à  l'égard  de  Jésus-Clirist.  Comme  les  branches 
sécheraient  et  périraient  sans  ressource,  et  ne  se- 
raient plus  propres  que  pour  le  feu,  sans  le  suc 
qu'elles  tirent  continuellement  de  la  tige ,  il  en 
serait  de  même  de  nous,  si  nous  ne  recevions 
continuellement  de  Jésus-Christ  la  grâce  qui  nous 
fait  vivre. 

Remarquons  donc  bien  qu'il  ne  suffit  pas  que 
Jésus-Christ  nous  enseigne  par  sa  parole  et  par 
ses  exemples ,  mais  encore  que  nous  avons  besoin 
de  la  continuelle  influence  de  sa  grâce,  sans  la- 
quelle nous  péririons. 

Combien,  d'un  côté,  devons-npus  avoir  de  joie 
d'être  unis  si  intimement  à  Jésus-Christ;  et,  de 
l'autre,  quelledoitétre  notre  humilité  dans  le  besoin 
continuel  que  nous  avons  de  la  grâce! 

Elle  ne  pouvait  être  mieux  marquée  que  par  le 
besoin  que  les  membres  ont  de  leur  chef  :  ou, 
ce  qui  est  de  même  nature ,  par  celui  que  les  bran- 
ches ont  de  leur  tige;  car  un  seul  moment  d'inter- 
ruption d'une  influence  si  nécessaire  les  ferait 
mourir. 

Entrons  donc  dans  la  pratique  de  ce  comman- 
dement du  Sauveur  :  Demexirez  en  moi,  et  moi 
en  vous  :  comme  la  branche  ne  peut  porter  du 
fruit ,  il  en  est  de  même  de  vous  :  vous  ne  pouvez 
rien/aire  sans  moi  '. 

Fous  ne  pouvez  rien  faire  :  rien  du  tout  :  vous 
ne  pouvez  porter  le  moindre  firuit ,  ni  pousser  par 
conséquent  la  moindre  fleur,  parce  que  la  fleyr 
n'est  que  le  commencement  du  fruit.  Il  avait  dit 
t^ue  le  laboureur  purgerait  le  plant  qui  porte  du 
fruit,  afin  qxi'il  en  portât  davantage  '.  Mais  de 
peur  que  nous  ne  crussions  que  nous  ne  devions  à 
sa  grâce  que  l'abondance  des  fruits ,  à  cause  qu'il 
avait  dit  que  la  plante  serait  purgée  pour  porter 
beaucoup,  il  ajoute  :  fous  ne  pouvez  porter  de 
fruit ,  si  vous  ne  demeurez  en  moi  ;  et  encore  plus 
précisément  :  fous  ne  pouvez  rien  sans  moi  :  vous 
ne  pouvez  commencer  le  bien ,  loin  que  vous  le 
puissiez  achever.  Personne  ne  peut  rien  penser  de 
soi-même,  comme  de  soi-même^  :  personne  ne  peut 
prononcer  le  nom  du  Seigneur  Jésus  que  par  le 
Saint- E.^prit^  :  ni  avoir  le  Saint-Esprit  que  par 
Jésus-Christ,  qui  doit  l'envoyer,  comme  il  le  dira 
dans  la  suite.  Et  non-seulement  l'envoyer  au  dehors, 
mais  encore  au  dedans  :  selon  ce  que  dit  saint 
Paul  :  que  tous  les  membres  unis  ensemble  reçoi- 
vent l'accroissement  par  toits  les  vaisseaux ,  et 
par  toutes  les  liaisons  qui  portent  et  communi- 
quent la  nourriture  et  la  vie^ ,  chacun  selon  sa 
mesure  :  ce  que  le  même  apôtre  attribue  ailleurs  à 
la  distribution  de  la  grâce  du  Saint-Esprit ,  qui 
partage  ses  dons  à  chacun,  selon  qu'il  lui 
plaW^.  . 

'  Joan.  XT,  4 ,  5.  —  I  Ibid.  2.  —  *  II.  Cor.  iir,  5.  —  4  I. 
Cor.  an,  3.  —  »  Ephes.  iv,  IC,  —  «I.  Cor.  xu,  Il ,  13. 


Tenons-nous  dans  une  grande  dépendance,  a 
chaque  instant,  a  chaque  action. 

C'est  par  la  foi  qu'on  tire  le  suc  de  cette  divine 
racine  :  tenon'- nous  toujours  dans  la  foi. 

Jésus-Christ  dans  l'eucharistie  doit  être  notre 
cher  objet,  et  le  moyen  le  plus  efficace  de  s'unir 
à  lui  conune  à  celui  sans  lequel  on  ne  peut  rien, 
de  qui  on  tire  tout  le  bon  suc  de  la  grâce,  la  vraie 
nourriture  de  l'âme. 

Mais  voici  le  comble  de  la  joie.  C'est  que  la  ra- 
cine n'aime  pas  moins  à  communiquer  sa  vie  que 
les  branches  à  la  recevoir.  Le  chef  est  fait  pour  se 
communiquer,  et  Jésus-Christ  pour  se  donner  à 
nous.  C'est  pour  cela  que  tous  les  conduits  sont 
préparés  :  Les  uns  sont  apôtres ,  les  autres  doc- 
teurs '  :  mais  tout  cela  est  pour  les  membres ,  outre 
que  le  chef  influe  par  lui-même. 

Jpprochez-vous  de  lui,  et  recevez  la  lumière, 
et  vos  visages  ne  seront  jamais  chargés  de  con- 
fusion ». 

La  confusion  est  pour  ceux  qui  s'éloignent  de 
.lésus,  parce  que,  laissés  à  eux-mêmes,  ils  sèchent, 
ils  meurent ,  ils  ne  sont  que  faiblesse  et  péché. 

Si  la  vigne,  si  les  membres  du  corps  pouvaient 
sentir  ce  qu'ils  doivent  à  la  racine  et  au  chef,  ils 
seraient  en  continuelles  actions  de  grâces.  Ren- 
dons grâces  au  Seigneur  notre  Dieu.  Saint  Paul 
ne  nous  prêche  que  l'action  de  grâces.  La  foi ,  la 
prière,  l'action  de  grâces,  c'est  le  principe,  c'est 
le  moyen ,  c'est  le  fruit  de  notre  union  avec  Jésus- 
Christ. 

ir  JOUR. 

Le  père  est  le  vigneron.  Jean,  xv,  l. 

Mon  Père  est  le  laboureur,  ou  le  vigneron.  Il 
faut  exclure  ici  une  fausse  idée ,  qui  serait  de  croire 
que  le  Père  ,i*agisse  qu'au  dehors.  Ce  divin  labou- 
reur est  celui  qui  envoie  la  pluie  dont  la  vigne  se 
nourrit.  C'est  lui  qui  opère  dans  les  cœurs  :  qui 
donne  l'accroissement ,  comme  dit  saint  PauP  : 
qui  opère  le  vouloir  et  le  faire. 

Mais  ici  l'influence  intérieure  semble  être  attri- 
buée au  Fils  comme  chef,  afin  d'établir  la  confiance 
des  membres,  en  leur  montrant  que  celui  qui  agit 
en  eux  leur  est  intimement  uni. 

Le  Père  agit  dans  le  Fils ,  et  le  Fils  agit  en  nous  : 
le  Fils  n'a  rien  que  de  son  Père  ;  et  nous  n'avons 
rien  que  du  Fils  :  ainsi  tout  retourne  au  Père  : 
Le  Père  ne  ce.<;se  d'agir,  dit  le  Fils  de  Dieu  :  et 
moi  f agis  aussi*:  et  notre  propre  action  de  l'un  et 
de  l'autre,  c'est  d'agir  dans  les  cœurs  où  nous  en- 
voyons notre  Saint-Esprit,  agissant  par  lui  sans 
discontinuation ,  et  faisant  les  hommes  un  même 
esprit  avec  nous.  Le  Fils  donc  opère,  et  le  Père 
opère  :  et  il  n'y  a  de  différence  qu'en  ce  que  le 
Père  est  Dieu  seulement,  et  le  Fils,  Dieu  et  homme 
tout  ensemble.  Emmanuel  :  Dieu  avec  nous  :  Dieu 
uni  à  nous  :  Dieu  agissant  en  nous,  comme  dans 

'  I.  Cor.  XII,  28.  —  »  Pi.  XXXIII, 6.  —  »  I.  Cor.  i,  t,  7; 
P'ilip.  II,  13.  —  *Joan.  T,  17. 


MÉDITATIONS  SUR  LÉYANGILE. 


y:.2 

une  partie  de  lui-même.  C'est  donc  là  le  fonde- 
ment de  la  confiance. 

Quand  les  ariens  disaient  :  Si  l'un  est  la  vigne  , 
et  l'autre  le  vigneron  et  le  laboureur,  ils  ne  sont 
pas  de  même  es-sence;  ils  ne  songeaient  pas  que  ce 
même  Jésus,  qui  est  notre  chef,  notre  tige,  en 
qualité  d'homme,  et  de  même  nature  que  nous, 
en  tant  que  Dieu  est  de  même  nature  que  son  Père, 
et  laboureur  comme  lui ,  qui  ne  cesse  de  travailler 
à  sa  vigne  élue.  C'est  là  tout  le  fondement  de  notre 
espérance,  de  ce  que  tout  est  à  nous  par  Jésus- 
Christ.  Comme  holnme  il  est  à  nous;  l'homme  est 
Dieu,  Dieu  donc  est  à  nous  en  Jésus-Christ.  U 
Père  est  dans  le  Fils,  et  le  Fils  est  dans  le  PèreK 
Toute  la  substance  de  la  Divinité  étant  à  nous , 
tous  les  fruits  et  tous  les  dons  sont  à  nous;  le 
Saint-Esprit ,  qui  est  le  don  substantiel ,  est  à  nous  ; 
et  ce  don  nous  est  donné  avec  tous  les  dons  dont 
il  est  plein.  Voilà  les  richesses  du  chrétien.  Peut-il 
penser  à  d^autres  biens?  Il  en  a  besoin ,  je  le  sais  ; 
mais  pour  le  corps.  Qu'il  les  prenne  donc  en  passant 
pour  le  corps  qui  passe;  mais  qu'il  cultive,  quil 
nourrisse ,  qu'il  enrichisse  son  âme.  Travaillez  , 
non  point  à  une  nourriture  qui  périt,  mais  a  une 
nourriture  qui  mène  à' une  vie  éternelle,  que  le 
Fils  de  l'homme  vous  donnera^;  qu'il  vous  a  déjà 
donnée  en  s'incarnant;  qu'il  vous  donne  tous  les 
jours  par  sa  parole;  et  qu'il  vous  donnera  encore, 
en  se  donnant  à  vous  par  l'eucharistie. 

Ille   JOUR. 

Jésus-Christ  retranche  la  branche  infructueuse.  Joan.  xy,  2. 

La  branche  qui  ne  porte  point  de  fruit  en  moi , 
ce  céleste  vigneron  la  retranchera;  et  la  branche 
qui  en  porter  a,  il  la  taillera,  afin  qu'elle  en  pm-te 
davantage^  Voilà  deux  opérations  :  de  retran- 
cher le  bois  inutile;  et  de  tailler  l'autre  pour  n  y 
rien  laisser  d'impur  et  de  superflu. 

La  première  opération,  qui  est  de  retrancher 
la  branche  qui  ne  porte  point  de  fruit,  a  un  etlet 
terrible  marqué  anf6,  où  il  est  porté  que  cette 
branche  retranchée  séchera,  et  sera  jelee  aufm  et 

Il  ne  faut  qu'écouter  le  suint  Prophète  :  Fils 
de  l'homme,  que  ferez-vous  de  la  branche  delà 
vlgnel  En  ferez-vous  quelque  bel  ouvrage'^, 
comme  on  en  fait  du  cèdre,  des  autres  grands 
arbres,  qu'on  n'emploie  jamais  à  de  plus  beaux 
usages,  qu'après  qu'ils  sont  coupés?  En  est-il  de 
même  de  la  vigne?  Point  tout.  Quand  même  elle 
était  sur  pied,  on  voyait  bien  qu'elle  n'était  pro- 
pre à  aucun  ouvrage  :  combien  plus,  étant  arra- 
chée ,  verra-t-on  qu'elle  n'est  bomie  que  pour  le  feu  ? 
Plus 'elle  est  excellente,  lorsqu'elle  porte  son/rm7 
délicieux  qui  réjouit  Dieu  et  les  hommes  s  ;  plus 
elle  est  inutile,  quand  elle  n'en  porte  plus  ,  et  n'a 
plus  rien  à  attendre  que  le  feu ,  dont  elle  est  digne. 
Ainsi  en  est-il  du  chrétien. 
Et  remarquez  qu'elle  en  est  digne ,  non  a  cause 

1  Joan.  XIV,  10.  -  >  Ibid.  VI,  27.  -^  lUd-  xv,  2.  -  4  Ezech. 
ÏV,  2,  3,  4,  et  seq.  —  '  Jnà.  ix,  13. 


seulement  qu'elle  porte  du  mauvais  fruit;  ce  qui 
lui  arrive  lorsque  son  fruit  dégénère ,  et  que  son 
raisin  se  change  en  mauvais  verjus  ;  mais  lorsqu'elle 
ne  porte  pas  de  bon  fruit  :  ainsi  en  est-il  du  chré- 
tien :  Jetez  le  sei-viteur  inidile  dans  les  ténèbres, 
dans  les  cachots  éternels  ;  là  sera  pleurs  et  grince- 
ments de  dents  ^. 

IV*  JOUR. 

Il  taille  la  branche  chargée  de  fruit.  Ibîd. 

Mais  le  céleste  laboureur  ne  tranchera-t-il  que  le 
mauvais  bois  incapable  de  produire  du  fruit?  Non  : 
il  a  une  seconde  opération  sur  le  bon  bois;  il  le 
taille,  il  le  purifie;  il  coupe  dans  le  vif;  et,  non  con- 
tent de  retrancher  le  bois  sec ,  il  n'épargne  pas  le 
vert.  Ainsi  en  est-il  du  chrétien.  Que  de  choses  à 
retrancher  en  toi ,  chrétien  !  Veu.vtu  porter  un  fruit 
abondant?  il  faut  qu'il  t'en  coûte;  il  faut  retran- 
cher ce  bois  superflu  ;  cette  fécondité  de  mauvais 
désirs  ;  cette  force  qui  pousse  trop ,  et  se  perdrait 
elle-même  en  se  dissipant  :  tu  crois  qu'il  faut  tou- 
jours agir,  toujours  pousser  au  dehors;  et  tu  deviens 
tout- extérieur.  Non,  il  faut  non-seulement  ôtef 
les  mauvais  désirs,  mais  ôter  le  trop  qui  se  trouva 
souvent  dans  les  bons  ;  le  trop  agir  ;  l'excessive  acti- 
vité, qui  se  détruit  et  se  consume  elle-même,  qui 
épuise  les  forces  de  l'âme ,  qui  la  remplit  d'elle-même 
et  la  rend  superbe.  Ame  chrétienne,  abandonne-toi 
aux  mains ,  au  couteau ,  à  l'opération  de  ce  céleste 
vigneron:  laisse-le  trancher  jusqu'au  vif.  Le  temps 
de  tailler  est  venu  :  Tempus  putationis  advenif. 
Dans  le  printemps ,  lorsque  la  vigne  commence  à 
pousser,  on  lui  doit  ôter  même  jusqu'à  la  fleur, 
quand  elle  est  excessive.  Coupez,  céleste  ouvrier; 
et  toi,  âme  chrétienne,  coupe  aussi  toi-même  ;  car 
Dieu  t'en  donnera  la  force ,  et  c'est  par  toi-même 
qu'il  te  veut  taiUer.  Coupe  non-seulement  les  mau- 
vaises volontés,  mais  le  trop  d'activité  delà  bonne, 
qui  se  repaît  d'elle-même  !  Ame  toute  pleine  d'A' 
dam  et  du  vieux  levain ,  que  ne  dois-tu  pas  crain- 
dre de  tes  vices ,  si  tu  as  tant  à  craindre  de  tes  ver- 
tus mêmes? 

Qui  nous  dira  ce  que  c'est  que  cette  âme,  qui 
ne  cesse  point  d'agir  et  de  pousser;  qui  en  poussant 
néanmoins ,  ne  pousse  pas  trop,  et  en  agissant  n'a- 
git pas  trop  ;  qui  sait  retenir  cette  force  qui  se  dis- 
siperait au  dehors,  et  ne  garderait  rien  pour  le  de- 
dans; qui,  à  force  de  se  contenter  elle-même,  en 
agissant  comme  une  autre  Marthe  avec  trop  d'ac- 
tivité et  d'inquiétude,  même  sur  un  bon  objet, 
s'ôte  le  repos ,  et  le  veut  encore  ôter  à  Marie  as- 
sise aux  pieds  de.Iésus,  comme  sans  action,  et 
mettant  son  action  dans  le  repos,  avec  lequel  elle 
prête  son  attention  tout  entière  au  Sauveur  qui  parle 
au  dedans  ?  C'est  ainsi  que  doit  être  l'âme  chré- 
tienne; ni  oisive,  ni  empressée,  mais  tranquille 
aux  pieds  de  Jésus ,  écoutant  Jésus.  Oh  !  qu'elle 
s'est  utilement  taillée  ,  qu'elle  a  fait  une  salutaire 
blessure  à  son  trop  d'activité  !  Quand  il  faudra  agir, 
elle  trouvera  ses  forces  entières ,  et  son  action  d'au- 

«  Matt.  XXV,  30.  —»  Cant.  il,  12. 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


7&3 


tint  plus  ferme,  qu'elle  sera  plus  paisible;  non 
plus  comme  ces  terrents  qui  bouillent,  qui  cou- 
inent, qui  se  précipitent  et  se  perdent  ;  mais  comme 
ces  fleuves  bénins,  qui  coulent  tranquillement  et 
toujours.  Tel  est  le  fleuve  qui  rejouit  la  cité  de 
Dieu:  il  a  une  impétuosité^ ,  une  force,  un  mou- 
vement ferme  et  durable  ;  mais  en  même  temps 
doux  et  tranquille  :  l'âme  se  remplit  d'une  céleste 
h  TÎvacité  qui  ne  sera  plus  d'elle-même,  mais  de 
Dieu. 

Voyez  ce  cbeval  ardent  et  impétueux,  pendant 
que  son  écuyer  le  conduit  et  le  dompte  :  que  de 
mouvements  irréguliers!  C'est  un  effet  de  son  ar- 
deur; et  son  ardeur  vient  de  sa  force  ,  mais  d'une 
force  mal  réglée.  Il  se  compose,  il  devient  plus 
obéissant  sous  l'éperon,  sous  le  frein,  sous  la 
main  qui  le  manie  à  droite  et  à  gaucbe ,  le  pousse, 
le  retient  comme  elle  veut.  A  la  fin  il  est  dompté; 
il  ne  fait  que  ce  qu'on  lui  demande  :  il  sait  aller  le 
pas,  il  sait  courir,  non  plus  avec  cette  activité 
qui  répuisait,  par  laquelle  son  obéissance  était  en- 
core désobéissante.  Son  ardeur  s'est  changée  en 
force;  eu  plutôt ,  puisque  cette  force  était  en  quel- 
que façon  dans  cette  ardeur,  elle  s'est  réglée.  Re- 
marquez :  elle  n'est  pas  détruite,  elle  se  règle; 
il  ne  faut  plus  d'éperon ,  presque  plus  de  bride;  car 
la  bride  ne  fait  plus  d'effet  de  dompter  l'animal 
fougueux.  Par  un  petit  mouvement ,  qui  n'est  que 
l'indication  de  la  volonté  de  l'écuyer,  elle  l'avertit 
plutôt  qu'elle  ne  le  force  :  et  le  paisible  animal  ne 
fait  plus ,  pour  ainsi  dire ,  qu'écouter.  Son  action 
est  tellement  unie  à  celle  de  celui  qui  le  mène,  qu'il 
ne  s'en  fait  plus  qu'une  seule  et  même  action. 

Ame  chrétienne,  écoute  l'Époux  qui  te  dit  :  Je 
t'ai  comparép.  à  une  belle  cavale  *,  et  entièrement 
domptée.  Et  s'il  faut  t'atteler  à  un  chariot ,  te  faire 
agir  en  concours  avec  d'autres  âmes  également 
soumises,  ce  ne  sera  pas  de  ces  chariots  mal  as- 
sortis, où  l'un  tire  et  l'autre  demeure  sans  action; 
ce  qui  épuise  et  accable  ceux  qui  sont  de  bonne 
volonté,  et  se  donnent  de  bonne  foi  à  l'ouvrage. 
Sous  le  fouet  du  conducteur,  ou  pour  mieux  dire, 
non  tant  sous  le  fouet  que  sous  sa  voix ,  et  avec  la 
légère  indication  d'un  coup  bénin  qui  avertit ,  qui 
réveille  quelquefois;  les  deux  chevaux  sont  unis, 
parce  qu'ils  sont  tous  deux  également  soumis  à  la 
sage  main  qui  les  mène.  Ame  chrétienne,  agis 
ainsi ,  et  change  ton  ardeur,  ton  activité  en  gravité, 
en  douceur,  en  rè^le.  Noble  animal  fait  pour  être 
conduit  de  Dieu,  et  le  porter,  pour  ainsi  dire, 
c'est  la  ton  courage ,  c'est  là  ta  noblesse. 

Revenons  donc  à  la  vigne  :  il  faut  non-seulement 
retrancher  le  sec,  mais  encore  tailler  dans  le  vert 
et  dans  le  vif. 

V  JOUR. 

CTest  ane.opéralion  de  la  grâce  que  de  cûnscrvcr  la  justice. 
Joan.  XV,  3,  4. 

Fous  êtes  déjà  purs  à  cause  de  la  parole  (  selon 
la  parole)gttcJg  vousai  dite:(^rous étespurs,  viais 

•  Ps.  XLV,  5.  —  »  Cant.  i,  8. 
BOS»UET.  —  TOME  lU^ 


non  pas  tous.)  Demeurez  en  moi,  et  moi  en  vous*. 
\  uns  n'avez  pas  seulement  besoin  de  moi  pour  êtrr 
purifiés  :  mais  quand  vous  êtes  purs  ,  vous  avez 
encore  besoin  de  moi  pour  demeurer  dans  vo- 
tre pureté.  Car  l'opération  de  la  grâce  n'est  pas 
seulement  à  purifier,  mais  encore  plus  à  conserver 
la  pureté  et  la  justice  une  fois  données.  Le  soleil 
avance,  et  dissipe  les  ténèbres  :  l'air  illuminé  con* 
servera-t-il  de  lui-même  la  lumière?  Non, certaine- 
ment :  on  ne  doit  pas  dire,  dit  saint  Augustin,  Il 
a  été  une  fois  illuminé;  mais  il  l'est  continuelle- 
ment et  de  nouveau  à  chaque  moment  ;  autrement 
il  retomberait  dans  les  ténèbres.  La  lumière  dimi- 
nue par  tous  les  obstacles  qu'on  met  entre  le  corps 
illuminant  et  le  corps  illuminé.  C'est  ce  qui  fait 
les  ombres  et  les  diverses  teintes  de  lumière,  plus 
ou  moins  vives.  Combien  plus  l'dme  raisonnable, 
pour  conserver  la  justice,  dépend-elle  de  Dieu,  qui 
réclaire,  et  du  vTai  soleil  de  justice,  qui  est  Jé- 
sus-Christ !  Tiens-toi  donc  toujours  exposée  à  cette 
lumière  :  demeure  dans  cette  lumière ,  et  cette  lu- 
mière en  toi ,  sans  t'en  détourner  un  seul  moment. 
Il  ne  suffit  pas  qu'elle  t'ait  fait  juste  u;ie  fois;  il 
faut  que  continuellement  elle  te  le  fasse.  Entendez- 
vous  ,  âme  chrétienne  ?  Ne  vous  détournez  donc  ja- 
mais ,  pour  peu  que  ce  soit  ;  tenez-vous  le  plus  que 
vous  pouvez  sous  le  coup  direct  de  la  lumière;  car 
c'est  par  là  que  vous  serez  vivement  éclairée.  Ce  n'est 
pas  qu'il  ne  vienne  de  la  lumière  de  côté  et  d'autre, 
et  les  corps  illuminés  se  la  renvoient  mutuel- 
lement; mais  se  tenir  sous  ce  coup  direct,  et  de- 
meurer toujours  en  plein  soleil ,  c'est  la  perfeclioa 
de  l'âme  pour  être  éclairé*. 

On  dira  :  Je  suis  ébloui  ;  mais  c'est  le  propre  de 
la  lumière  extérieure ,  qui  affaiblit  l'organe  par  le- 
quel elle  est  aperçue.  La  vérité,  quand  elle  est  par- 
faite et  parfaitement  vue,  n'éblouit  pas;  elle  fortifie 
son  organe,  c'est-à-dire  Tintelligence,  et  lui  donne 
à  la  fin  une  éternelle  force  ;  c'est  ce  qui  fait  notre 
bonheur  dans  la  vie  future.  Il  est  vrai  qu'en  cette 
vie  nos  faibles  yeux ,  qui  se  purifient  et  ne  sont  pas 
entièrement  purs ,  ne  peuvent  porter  la  vérité  tout 
entière;  mais  elle  s'est  tempérée  elle-même  dans  la 
foi  :  tourne-toi  donc  toujours  à  elle,  âme  chré- 
tienne, sans  craindre  qu'elle  te  blesse.  La  foi  te  la 
présente,  te  l'applique  de  la  manière  qu'il  faut  :  sa 
douce  obscurité  tient  ton  esprit  en  état.  S'il  sort  de 
temps  en  temps  quelque  rayon  de  ce  doux  nuage, 
il  ne  sera  jamais  trop  fort.  Dieu  ,  qui  l'envoie,  sait 
ta  mesure,  et  ne  porte  qu'où  il  faut.  Pour  tei ,  tiens 
les  yeux  ouverts  et  le  cœur  soumis  :  la  lumière  se 
changera  en  ardeur,  et  le  cœur  gagné  vivra  de  Dieu. 

vr  JOUR. 

Parabole  de  la  vigne ,  tirée  d'Isale.  Joan.  xy,  ï. 
Isaïe,  y,  I. 

Nous  devons  avoir  entendu  la  parabole  de  la 
vigne;  c'est  le  mystère  de  notre  union  avec  Jcstij.- 
Christ.  Mais  pourquoi  elle  est  exprimée  sous  la  li- 
gure de  la  vigne  plutôt  que  sous  celle  d'uu  autrui 
,  arbre ,  on  l'entendra  en  remarquant  : 

•  Jiutn.  XV,  n,4. 


7.>4 

1 .  Cosl  l'andenne  parabole  :  Seigneur,  roits  rous 
^tesfaitnnevigne:  vous  t'avez  transplantée  cVli- 
gijpte  dans  la  terre  que  vous  lui  aviez  promise  :  vous 
avez  exterminé  tes  anciens  habitants  de  cette  terre , 
pour  lui  faire  place  :  elle  s'y  est  étendue  de  coteau 
en  coteau,  et  s'est  élevée  au-dessus  des  hautes 
montagnes  qu'elle  a  couvertes.  Toute  la  terre,  jus- 
qu'au fleuve,  jusqu'à  la  mer,  en  a  été  remplie  ', 
tant  le  provin  en  a  été  fécond  et  abondant.  Que 
nai-jepasfait  à  mavigne?  dit  le  Seigneur.  Ne 
l'ai-je  pas  travaillée  dans  toutes  les  saisons?  J'ai 
fossoj é ,  j'ai  taillé ,  j'ai  provigné ,  je  l'ai  environnée 
d'une  haie  ou  d'une  muraille,  et  je  l'ai  munie  de 
tous  côtés.  C'est  ma  ?7/g^7ie  élue  et  bien-aimée». 

2.  Jésus-Cbrist  ne  fait  qu'appliquer  la  parabole 
à  son  Église.  ]\Iais  afln  que  cette  nouvelle  vigne 
paraisse  encore  plus  une  vigne  élue  et  chérie,  il 
nous  apprend  que  cette  vigne  est  une  même  chose 
avec  lui.  Je  suis,  dit-il,  la  vraie  vigne,  dont  l'an- 
cienne vigne  n'était  que  la  figure  :  c'est  celle-ci  qui 
doit  porter  les  véritables  fruits  pour  la  vie  éternelle. 
Je  suis  la  vraie  vigne,  et  vous  êtes  les  branches  ^  : 
c'est  moi  qui  fais  toute  la  beauté  et  toute  la  force 
du  plant  ;  et  mon  Père  aime  d'autant  plus  cette  vi- 
gne, que  c'est  moi  qu'il  entend  et  qu'il  aime  en 

elle. 

3.  La  vigne  est  de  tous  les  plants ,  celui  qui  porte 
le  fruit  le  plus  excellent.  C'est  de  la  vigne  qu'il  a 
été  dit  en  figure  :  Que  son  vin  réjouit  le  cœur  de 
f  homme ,  et  qu'il  réjouit  Dieu  et  les  hommes  4. 
Dafis  le  froment  est  le  soutien  nécessaire  :  dans  le 
vin  est  le  courage,  la  force ,  la  joie,  l'ivresse  spiri- 
tuelle, le  transport  de  l'âme,  dont  les  effusions 
étaient  la  figure  dans  les  sacrifices;  et  encore  au- 
jourd'hui le  vin  entre  dans  le  sacrifice  :  avec  le  vin 
nous  sacrifions  à  Dieu  la  joie  sensible,  et  nous  la 
changeons  dans  la  sainte  joie  que  nous  donne  le 
sang  enivrant  et  transportant  de  Tésus-Christ ,  qui 
inspire  l'amour  qui  l'a  fait  répandre. 

4.  La  vigne  ne  paraît  rien  d'elle-même  ;  elle  rampe, 
elle  est  raboteuse ,  tortueuse,  faible ,  qui  ne  se  peut 
élever  qu'étant  soutenue;  sans  cela  elle  tombe. 
Mais  aussi  étant  soutenue,  où  ne  s'élève-t-elle  pas? 
Elle  s'entortille  autour  des  grands  arbres  ;  elle  a 
des  bras,  des  mains,  pour  les  embrasser,  et  n'en 
peut  plus  être  séparée.  De  ce  bois  tortu  et  raboteux , 
qui  n'a  rien  de  beau,  sortent  les  pampres  dont  les 
•nontagnes  sont  couronnées,  dont  les  hommes  se 
font  des  festons.  De  là  sort  la  fleur  la  plus  odorante , 
de  là  la  grappe  ,  de  là  le  raisin,  de  là  le  vin  ,  et  le 
plus  délicieux  de  tous  les  fruits  :  ainsi  l'écorce  du 
chrétien  n'a  rien  que  de  méprisable  en  apparence, 
et  tout  y  paraît  sans  force  :  toute  la  force ,  toute  la 
beauté  est  au  dedans;  et  on  peut  tout,  quand  on  ne 
s'élève  qu'étant  soutenu. 

6.  Le  bois  de  la  vigne  est  celui  où  la  destinée 
t*\\  chrétien  se  marque  le  mieux.  Il  n'y  a  pour  lui 
que  de  porter  du  fruit  ou  d'être  jeté  dans  le  feu  :  ou- 
tre que  c'e«t,  comme  on  l'a  dit,  le  plus  humble  et  le 
plus  exquis  de  tous  les  bois  ;  le  plus  vil  en  appa 


MÉDITATIONS  StTR  L'ÉVANGILE. 


«  Ps.  LXXIX,  »,  10,  II,  1-2.  — » /S.  V,  2, 4. 
—  *Ps.  OUI,  1&.  Jud.  IX,  13. 


-S  Joan.xy,  1,5. 


rence,  et  le  plus  précieux  en  effet.  Quoi  de  plu?  fai- 
ble?  D'où  vient  i)lu.s  abondammont  ce  qui  donne  et 
du  courage  et  de  la  force?  Trois  fruits  sont  recom- 
mandés dans  l'Écriture  :  le  froment,  qui  est  la  foi, 
le  soutien  de  l'âme;  l'huile,  qui  est  l'espérance, 
qui  adoucit  les  peines  d'attendre  par  la  promesse 
de  voir;  le  vin,  qui  est  la  charité,  la  plus  parfaite 
des  vertus. 

VII'  JOUR. 

Prière  par  notre  Seigneur  Jésus- Christ  obtient  toat 
Joan.  XY,  7. 

Si  vous  demeurez  en  moi ,  et  que  mes  paroles 
demeurent  en  vous ,  vous  demanderez  tout  ce  que 
vous  voudrez;  etilvous  sera  accordé  '.  Après  avoir 
jeté  sur  l'humilité  et  la  dépendance  les  fondements 
de  la  prière,  il  en  explique  la  vertu.  Quiconque  veut  i 
donc  prier,  il  doit  commencer  par  se  mettre  vérita- 
blement et  intimement  dans  le  cœur  cette  parole  : 
J^ous  ne  pouvez  rien  sans  moi  »  :  rien ,  rien  encore 
une  fols ,  rien  du  tout.  Car  c'est  pour  cela  qu'on 
prie,  qu'on  demande,  parce  qu'on  n'a  rien;  et  par 
conséquent  qu'on  ne  peut  rien,  ou  pour  tout  dire  , 
en  un  mot ,  qu'on  n'est  rien  ;  en  matière  de  bien  , 
un  pur  néant.  Et  c'est  pourquoi  il  a  dit  qu'on  doit  ' 
prier,  et  qu'on  n'est  ouï  qu'au  nom  de  Jésus-Christ  :  ; 
ce  qui  montre  que  de  soi-même  on  n'est  qu'un  ' 
néant;  mais  qu'au  nom  de  Jésus-Christ  on  peut 
tout  obtenir. 

Or  cela  enferme  deux  choses:  l'une,  que  quel- 
que prière  qu'on  fasse ,  on  n'est  point  écouté  pour 
soi ,  mais  au  nom  de  Jésus-Christ  ;  l'autre ,  qu'on 
n€  peut,  ni  on  ne  doit  prier  par  son  propre  esprit , 
nwis  par  l'esprit  de  Jésus-Christ  :  c'est-à-dire, 
non-seulement  selon  que  Jésus-Christ  l'a  enseigné, 
en  ne  demandant  que  ce  qu'il  veut  qu'on  demande , 
mais  encore  en  reconnaissant  que  c'est  lui-même 
qui  forme  en  nous  notre  prière,  par  son  esprit  qui 
parle  et  qui  crie  en  nous  :  autrement  il  ne  serait 
pas  véritable ,  et  nous  n'entendrions  pas  comme  il 
faut  cette  parole,  qui  est  le  fondement  de  la  prière 
Sans  moi  vom  ne  pouvez  rien.  D'où  il  s'ensuit  que , 
sans  lui,  nous  ne  pouvons  pas  même  prier,  confor- 
mément à  cette  parole  de  saint  Paul  :  rous  ne  sa- 
vez ce  que  vous  devez  demander  par  la  prière ,  ni 
comment  vous  devez  prier;  mais  l'esprit  prie  en 
vous  avec  des  gémissements  inexplicables  3, 

Mais  en  même  temps  que  pour  prier  on  se  met 
dans  l'esprit  bien  avant  cette  première  vérité  ;  Je 
ne  puis  rien  :  sans  moi  vous  ne  pouvez  rien  ;  on 
doit  encore  s'y  en  mettre  une  autre  :  Je  puis  tout 
avec  celui  qui  me  fortifie  4  :  je  ne  puis  rien  sans  Jé- 
sus-Christ :  je  puis  tout  avec  Jésus-Christ  et  en  «on 
nom.  C'est  pourquoi  on  entend  toujours  dans  les 
prières  de  l'Église  cette  conclusion  aussi  humble 
que  consolante,  Par  Jésus-Christ,  notre  Seigneur  : 
humble ,  parce  qu'elle  confesse  notre  impuissance  ; 
consolante ,  parce  qu'elle  nous  montre  en  qui  est 
notre  force.  Et  cela  s'étend  si  loin ,  que  lorsque 

»  Joan.  XV,  7.  —  '  Jhid.  xv,  5.—  3  Tyom.  vni,  26.  —  *  Philip. 
ï  4,  13. 


MEDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


•?55 


nous  interposons  envers  Dieu  les  intercessions  et  i 
les  mérites  des  saints,  même  ceux  de  la  sainte  j 
Vierge,  nous  y  ajoutons  encore  cette  nécessaire 
conclusion  :  Par  Jésus-Christ ,  notre  Seigneur  ;  par 
où  nous  confessons  qu'il  n'y  a  de  mérite,  ni  de  i 
prière,  ni  de  dignité  dans  les  saints,  à  quelque 
degré  de  gloire  qu'ils  soient  élevés,  que  par  Jésus- 
Christ  ,  et  en  son  nom. 

Et  il  faut  bien  prendre  garde  que  nous  ne  nous 
imaginions  pas  que  ce  soit  assez  de  dire  de  bouche 
ce  Per  Dominum  nostrum  Jesurn  Christum.  Di- 
sons-le en  effet ,  et  par  le  fond  du  cœur .  en  demeu- 
rant en  Jésus-Christ,  et  Jésus-Christ  en  nous  :  c'est- 
à-dire  ,  en  nous  attachant  à  lui  de  tout  notre  cœur, 
avec  une  vive  et  ferme  foi ,  et  lui  aussi  demeurant 
en  nous  par  sa  parole  qu'il  imprime  dans  notre 
cœur,  et  par  son  esprit  qui  nous  pousse  et  nous 
anime  à  la  prière. 

Il  y  a  donc  ici  ce  que  nous  faisons ,  qui  est  de 
demeurer  en  Jésus-Christ;  et  ce  qu'il  fait,  qui  est 
de  demeurer  en  nous;  et  cela  fait  l'ouvrage  com- 
plet. Si  nous  croyons  agir  seuls,  nous  nous  trom- 
pons, puisque  la  source  de  nos  actions,  c'est  que 
Jésus-Christ  demeure  en  nous.  Car  il  n'y  demeure 
pas  sans  action  ,  selon  ce  que  dit  saint  Paul ,  qu'il 
est  puissant  en  nous  '. 

C'est  donc  alors  que  nous  prions  véritablement 
au  nom  de  Jésus-Christ ,  lorsque  nous  demeurons 
en  lui ,  et  lui  en  nous,  nous  laissant  conduire  à  Jé- 
sus-Christ, qui  nous  meut ,  et  écoutant  ce  qu'il  dit 
en  nous,  afin  de  pratiquer  véritablement  et  inti- 
mement ce  qu'il  dit  :  Si  vous  demeurez  en  moi ,  et 
que  ma  parole ,  non  pas  seulement  cette  parole  que 
je  prononce  au  dehors ,  mais  encore  celle  que  je  fais 
entendre  au  fond  du  cœur,  demeure  en  vous;  et 
alors  nous  obtiendrons  ce  que  nous  voudrons. 

Or,  cette  parole  qui  doit  demeurer  en  nous  doit 
être  principalement  la  parole  de  la  croix ,  qui  est 
celle  dont  il  s'agit  principalement  dans  tout  ee  dis- 
cours. Car  Jésus-Christ  allait  à  ia  croix ,  et  il  y  me- 
nait ses  disciples  avec  lui ,  comme  la  suite  le  fera 
encore  bien  mieux  paraître. 

Croyons  donc  que  de  demeurer  en  Jésus-Christ, 
c'est  demeurer  dans  la  parole  de  la  croix ,  et  que 
la  parole  de  la  croix  demeure  en  nous  ;  et  que  de- 
mander au  nom  de  Jésus-Christ ,  c'est  demander 
par  son  sang  et  par  ses  souffrances,  les  aimer  et  y 
prendre  part. 

vni'  JOUR. 

Force  dans  la  parole  de  la  croix  :  porter  le  fruit  de  la 
croix.  Jean,  xv,  8,  9, 13. 

La  gloire  de  mon  Père  est  que  vous  rapportiez 
beaucoup  de  fruit,  et  que  vous  deeeniez  mes  vrais 
disciples  ».  Jésus-Christ  en  revient  au  fruit  qu'il 
avait  prorais  à  ceux  qui  demeureraient  en  lui;  et  il 
nous  apprend  que  nous  devons  désirer  ce  fruit  peur 
la  gloire  de  son  Père ,  et  non  pas  pour  la  nôtre.  Car 
à  Dieu  ne  plaise  que  nous  nous  glorifiions  en  autre 
qu'en  Dieu  !  Jésus-Christ  ne  veut  de  gloire  que  pour 

•  II.  Cor.  xni,  3.  —  »  Joan.  xv,  8. 


son  Père;  et  n'a  de  gloire  qu'en  lui,  ainsi  qu'il 
l'expliquera  dans  toute  la  suite,  ^'ous  devons  donc, 
à  son  exemple,  mettre  en  Dieu  toute  notre  gloire. 

Kt  que  vous  soyez  mes  vrais  disciples.  Qu'est-ce 
à  dire,  mes  vrais  disciples?  mes  vrais  imitateurs 
dans  le  chemin  de  la  croix  et  de  la  mortification; 
car  c'est  à  quoi  il  nous  veut  conduire;  mais  il  nous 
y  conduit  par  la  voie  d'amour. 

Je  vous  ai  aimés,  comme  mon  Père  m'a  aimé  '  : 
non  par  une  fausse  tendresse ,  comme  celle  des  pa- 
rents charnels.  IMon  Père  m'a  aimé  d'un  amour 
ferme,  et  il  m'a  envoyé  souffrir  :  je  vous  ai  aimés 
de  même  ;  souffrez  et  mourez  avec  moi ,  et  je  vi- 
vrai en  vous. 

Il  ne  parle  pourtant  point  encore  de  mort  ni  de 
croix  ;  mais  il  nous  y  prépare  par  l'insinuation  de 
l'amour  de  son  Père  et  du  sien.  Voyez,  dit-il, 
comme  mon  Père  m'aime  ;  je  vous  aime  de  ce  même 
amour;  et  vous  verrez  bientôt  où  il  me  porte.  Car 
il  dira  dans  un  moment  :  Personne  ne  peut  avoir 
un  plus  grand  amour  que  de  donner  sa  vie  pour 
ses  amis  >.  Mais  avant  que  de  nous  faire  entref 
dans  ces  courageux  desseins,  il  nous  fait  entrer  dans 
la  douceur  et  la  pureté  de  son  amour.  Laissons-nous 
donc  conduire  par  cette  douce  voie ,  en  quelque 
endroit  qu'elle  nous  mène* 

IX«  JOUR. 

Commandement  de  la  croix  par  l'amour.  Joan.  xt,  10.     * 

Si  vous  gardez  mes  commandements ,  vous  cfe- 
meurerez  dans  mon  amour  :  comme  je  garde  les 
commandements  de  mon  Père,  et  je  demeure  dans 
son  amour  ^.  Quel  commandement  gardez-vous,  ô 
mon  Sauveur.'  Il  l'a  dit  souvent  :  J'ai  la  puissance 
de  donner  mon  âme,  et  j'ai  la  puissance  de  la  re- 
prendre; et  c'est  la  le  commandement  que  j'ai 
reçu  de  mon  Père  ^.  Quoi  !  la  puissance  de  la  re- 
prendre seulement,  et  non  pas  celle  de  la  donner.' 
L'une  et  l'autre  :  et  celle-ci  est  celle  par  où  il  faut 
commencer.  Voyez  comme  il  insinue  doucement 
le  commandement  de  la  croix. 

Mais  avant  que  de  s'expliquer  ouvertement  là- 
dessus,  il  enseigne  que  le  véritable  amour  n'est  pas 
à  dire,  à  promettre  de  grandes  choses,  à  les  dé- 
sirer, à  s'en  remplir  l'esprit  ;  mais  à  entrer  par  là 
dans  une  pratique  sérieuse  et  réelle  des  commande- 
ments. Il  faut  commencer  par  aimer  Jésus-Christ, 
et  par-là  aimer  sa  vérité',  ses  paroles,  ses  maximes, 
ses  commandements.  Car  c'est  ainsi  qu'il  a  fait  :  et 
il  a  commencé  par  aimer  son  Père ,  pour  ensuite 
aimer  ce  qu'il  commandait ,  quelque  rigoureux  qu'il 
parût  à  la  nature  ;  car  l'amour  de  celui  qui  com- 
mande rend  doux  ce  qui  est  amer  et  rude.  Aimons 
donc  Jésus-Christ,  et  tous  ses  commandements 
nous  seront  faciles.  Souviens-toi ,  chrétien ,  que  ce 
n'est  rien  de  garder  l'extérieur  du  commandement , 
si  on  ne  le  garde  par  amour.  Tout  le  commandement 
est  compris  dans  l'amour  même.  Jésus-Christ  a 
gardé  le  commandement  de  son  Père,  parce  qu'il 


i& 


'  Joan.  XV,  9.  —  »  Ibid.  13.  —  »  Ibib.  10.  —  *  Ihii.  x. 


rRtj 

raiinait  ;  et  il  noas  donne'cet  exermple ,  en  nous  dé- 
l'iariuil  ijue  cot  exemple  est  notre  loi, 

X"^  JOUR. 

Joie  pleine  et  parfaite  d'obéir  par  amour,  et  non  par 
cra.TDte.  Joan.  xv,  H.  /.  Joun.  \i,  18. 

Je  vojis  ai  dit  toutes  ces  choses,  afin  que  ma 
joie  demeure  en  vous ,  et  que  votre  joie  soit  oc- 
complie  '  :  qu'elle  soit  pleine  et  parfaite.  Vous  Ter- 
rez à  quoi  il  vous  prépare  par  cette  abondance  de 
joie  ;  et  il  parle  ici  convenablement  de  la  joie,  après 
avoir  parlé  de  l'amour.  Car  il  n'y  a  que  le  vrai 
amour  qui  puisse  donner  de  la  joie.  La  terreur  a 
de  la  peine  * ,  dit  saint  Jean.  Elle  n'a  donc  point  la 
joie.  D'où  vient  la  joie,  si  ce  n'est  d'aimer?  Car  qui 
aime  veut  plaire,  et  met  là  sa  joie.  Et  quand  il  a 
trouvé  le  secret  de  plaire ,  il  jouit  du  fruit  princi- 
pardc  son  amour.  Vous  plaisez  quand  vous  obéissez 
nar  amour;  car  c'est  là  ce  qu'aime  Jésus-Christ. 
T^orsque  son  Père  a  déclaré  que  son  Fils  lui  plai- 
sait ,  et  qu'il  mettait  en  lui  ses  complaisances ,  c'est 
qu'il  voyait  que,  l'aimant,  il  aimait  à  lui  obéir,  et 
(jue  c'était  là  sa  joie.  Aimez  donc  aussi  :  Délectez- 
vous  dans  le  Seigtieur  ^  :  aimez ,  cherchez  à  lui 
plaire ,  et  mettez  là  votre  joie  comme  votre  gloire  : 
alors  votre  joie  sera  accomplie:  elle  sera  parfaite 
comme  votre  amour. 

Jfin  que  ma  joie  demeure  en  vous.  Quelle  est 
ma  joie?  d'obéir,  et  d'obéir  par  amour.  Ma  joie 
sera  donc  en  vous  quand  vous  aimerez  et  que  vous 
obéirez  :  Et  votre  joie  sera  accomplie.  Qui  n'ai- 
merait un  Sauveur  qui  ne  nous  promet  qu'une 
sainte  et  parfaite  joie,  par  un  saint  et  parfait 
amour? 

XI-^   JOUR. 

Mystère ,  précepte  de  la  croix;  amour  du  prochain;  donner 
sa  vie  pour  lui,  comme  Jésus-Clirist.  Joan.w,  12,  13. 

Le  commatidement  que  je  vous  ai  donné  est 
que  vous  vous  aimiez  les  uns  les  autres,  comme 
je  vous  ai  aimés.  Personne  ne  peui  avoir  un  plus 
grand  amour  que  de  donner  sa  vie  pour  ses  amis  ^. 
Voilà  la  croix  qui  se  déclare  ;  mais  pour  lui  ôter 
toute  sa  rudesse,  elle  se  déclare  par  le  précepte  de 
l'amour.  Jésus-Christ  a  aimé,  et  il  a  donné  sa  vie. 
.Aimons  de  même,  et  Jésus-Christ,  et  en  lui  nos 
frères,  que  Pamour  qu'il  a  pour  eux  nous  doit  ren- 
dre chers. 

Quelle  misère  était  la  nôtre,  lorsqu'il  a  fallu, 
pour  nous  en  tirer,  la  mort  d'un  tel  ami!  Quel 
crime  était  le  nôtre,  lorsque  pour  l'expier  il  a 
fallu  une  telle  victime;  et  pour  le  laver,  un  sang 
si  précieux!  De  quel  amour  nous  a  aimés  celui 
qui  nous  a  achetés  à  ce  prix  ! 

Pour  ses  amis  :  c'est  ainsi  qu'il  nous  appelle, 
pendant  que  nous  étions  ses  ennemis;  mais  il  était 
ami  de  son  côté,  puisqu'il  donnait  sou  sang  pour 
nous  racheter.  Écoutons  saint  Paul ,  le  digne  in- 
terprète de  cette  parole  du  sauveur  :  Pourquoi  est- 

'  Joan.xy,  l\.—^l. Joan.  iv,  18. —'R*.  xxxvr. 4.  — 'Joan. 
ST.  13,  iU. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


ce  que  dans  le  temps  que  nous  étions  malades,  et 
dans  le  jtéciie,  Jésus-Christ  est  mort  pour  les  im- 
pies? A  peine  trouve-t-on  quelqu'un  qui  veuille 
mourir  pour  les  justes;  peut-être  pourtant  qu'il 
se  trouverait  quelqu'un  qui  le  ferait.  Mais  lui ,  il 
est  mort  pour  les  impies,  c'est-à-dire ,  powr  nous 
tous;  et  c'est  en  cela  qu'il  fait  éclater  son  amour, 
en  ce  qu'il  est  mort  pour  des  ennemis ,  pour  des 
pécheurs  '. 

Voilà  donc  quel  ami  nous  avons  trouvé  en  la 
personne  de  Jésus-Christ.  C'est  un  ami  de  ses  en- 
nemis, un  ami  qui  nous  a  aimés,  lorsque  nous  lui 
faisions  de  toutes  les  forces  de  notre  âme  et  de  notre 
corps  une guerreperpétuelle.  Comprenonsdonc l'im- 
mensité de  son  amour,  en  ce  qu'il  nous  a  aimés 
étant  ennemis.  Mais  saint  Paul  sur  ce  fondement 
pousse  plus  loin  :  Si,  lorsque  nous  étions  ennemis 
de  Dieu ,  nous  avons  été  réconciliés  par  la  mort 
de  .son  Fils  ;  à  plus  forte  raison  étant  récoti  ciliés , 
nous  serons  sauvés  par  sa  vie  *  !  S'il  a  été  notre 
ami  jusqu'à  donner  sa  vie  pour  nous ,  pendant  que 
nous  étions  ses  ennemis;  combien  plus  le  sera-t-il 
après  que  l'amitié  étant  réconciliée  de  part  et  d'au- 
tre, on  est  ami  des  deux  côtés! 

Mais  que  conclut  de  là  le  même  saint  Paul? 
Qu'ayant  un  tel  ami ,  nous  n'avons  rien  à  craindre. 
Si  Dieu  est  pour  nous ,  qiii  sera  contre  nous?  S'il 
n'a  pas  épargné  son  Fils,  que  nous  pourra- t-il  re- 
fuser? et  comment  nous  l'ayant  donné,  ne  nous 
donnera-f-il  pas  en  lui  et  par  lui  toutes  choses  ? 
Qui  accusera  les  élus  de  Dieu?  Cest  Dieu  qui  les 
absout  et  les  justifie.  Qui  les  condamnera?  C'est 
Jésus-Christ  qui  est  mo7't  pour  eux;  qui  non-seu- 
lement est  mort,  mais  qui  est  ressuscité,  qui  est 
monté  aux  ciei/x,  et  a  pris  sa  place  à  la  droite 
de  son  Père,  et  qui  intercède  pour  eux  '.  Il  n'y  a 
rien  à  ajouter  à  ce  commentaire  de  saint  Paul  : 
nous  y  entendons  parfaitement  tout  l'amour  que 
nous  devons  à  celui  qui  nous  a  aimés  étant  ses  en- 
nemis, jusqu'à  donner  sa  vie  pour  être  notre  Ré- 
dempteur, notre  Sauveur,  notre  intercesseur  :  et 
il  ne  reste  qu'à  conclure  avec  le  même  apôtre  que 
ni  l'affliction,  ni  la  persécution ,  l'épèe  et  la  vio- 
lence, ni  la  vie,  ni  la  mort,  ni  les  maux  présents , 
ni  tous  ceux  que  nous  avons  à  craindre ,  ni  le  ciel, 
quand  il  serait  conjuré  contre  nous ,  ni  l'enfer, 
quand  il  lâcherait  contre  nous  tous  les  démons ,  et 
enverrait  contre  nous  toutes  ses  peines,  wi  quelque 
autre  chose  que  ce  soit,  ne  sera  capable  de  nous 
séparer  de  Jésus- Christ '^. 

Voilà  le  précepte  et  le  mystère  de  la  croix  dans 
toute  son  étendue,  en  le  commençant  par  Jésus- 
Christ  ,  et  le  finissant  par  nous. 

C'est  là  aussi  qu'est  renfermé  le  précepte  de  la 
charité  fraternelle,  qu'on  est  obligé  de  pousser  jus- 
qu'à mourir  pour  ses  frères,  selon  ce  que  dit  saint 
Jean,  autre  interprète  admirable  du  précepte  de  la 
charité  :  Encela  nous  connaissons  l'amour  de  Dieu, 
parce  qu'il  a  donné  sa  vie  pour  nous':  et  nous  de- 
vons aussi  donner  notre  oie  pour  nos  frères  *. 

'  Iion7.  V,  fi,  7,  8.  —  »  Ibid.  10.  —  ^  Ibid.  vui,  31,  et  suiv. 
—  *  lliid.  35.  etc.,  jusqu'à  la  fin  du  chap.  —  ^l.Joan.  m,  i*. 


MÉDITATIONS  SUR  LTÊVANGltE. 


Autrement  nous  n'ohscnons  pas  le  commandement  | 
d'aimer  comme  il  a  aimé,  c'est-à-dire  jusqu'à  don- 
ner sa  vie. 

Le  précepte  de  la  croix  est  donc  encore  dans  la 
cjiarité  fraternelle;  et  quoique  l'occasion  de  donner 
sa  vie  pour  son  frère  soit  rare,  néanmoins  l'amour 
fraternel  sera  dans  la  croix,  si  nous  pratiquons- ce 
que  dit  saint  Paul ,  de  ne  nous  regarder  pas  nous- 
mêmes  f  mais  ce  qui  est  de  l'intérêt  des  autres  '. 
Ainsi  l'amour  fraternel  sera  un  sacrifice  continuel , 
non-seulement  de  son  ressentiment ,  lorsqu'on  croit 
t*tre  offensé;  mais  même  sans  avoir  aucun  sujet  de 
plainte,  de  son  humeur,  de  son  intérêt,  de  son 
amour-propre;  et  c'est  à  quoi  nous  oblige  l'amour 
fraternel.  Et  si  nous  devons  sacriGer  ce  qui  nous 
touche  le  plus,  au  dedans  de  nous;  combien  plus 
les  biens  extérieurs,  et,  comme  les  appelle  saint 
Jean,  la  substance  et  les  richesses  de  ce  monde*] 
Celui  qui  s'épargne  sur  cela,  quoi  qu'il  dise,  n'est 
pas  chrétien;  et  s'il  dit  qn  il  aime  son  frère ,  c'est 
un  menteur.  Il  ferme  ses  entrailles  sur  son  frère; 
et  l'amour  de  Dieu  n'est  pas  en  lui  ^.  aimons  donc, 
non  point  en  parole ,  mais  en  effet  et  en  vérité  •», 
selon  leprécepte  du  même  apôtre.  Et  afin  que  notre 
aumône  soit  un  sacrifice,  ne  jetons  pas  seulement 
un  superflu  qui  ne  coûte  rien  à  la  nature;  mais 
prenons  quelque  chose  sur  le  vif,  en  sorte  que  nous 
souffrions  pour  notre  frère  ;  car  ce  n'est  pas  beau- 
coup faire  de  souffrir  pour  lui,  puisque  nous  de- 
vons être  disposés,  selon  le  précepte  du  Sauveur, 
à  donner  pour  lui  jusqu'à  notre  vie. 

Mais,  avant  que  de  passer  outre  sur  le  précepte 
de  la  charité  du  prochain,  entendons,  selon  l'ex- 
plication de  Jésus-Christ  dans  la  parabole  du  Sa- 
maritain ^ ,  que  le  prochain  est  tout  homme ,  et  que 
le  précepte  de  nous  aimer  les  uns  les  autres,  bien 
<ju'il  regarde  spécialement  les  fidèles  participants  de 
la  même  foi ,  et  cohéritiers  du  même  royaume ,  em- 
brasse tout  le  genre  humain ,  à  cause  qu'il  est  appelé 
àJa  même  grâce.  Cela  posé ,  continuons. 

XIP  JOUR. 

Motifs  de  ramoar  fraternd  :  les  fidèles ,  les  élus  sont  amis 

de  Jésus. 

Lisez  attentivement  les  T.  «4, 15, 16ei  17.  C'est 
encore  une  puissante  insinuation  du  commandement 
de  l'amour  que  nous  nous  devons  mutuellement. 
Jésus-Christ  nous  tourne  de  tous  côtés,  pour  nous 
obliger  à  aimer  nos  frères,  par  toute  la  tendresse 
qu'il  a  eue  pour  nous 

Il  nous  explique  premièrement,  qu'en  gardan. 
ses  commandements  nous  deviendrons  non  point 
seulement  ses  serviteurs  et  ses  sujets ,  mais  encore 
ses  amis.  Nous  sommes  naturellement  sujets  de 
Jésus-Clu-ist,  qui  est  le  Roi  des  rois  et  le  Seigneur 
des  seigneurs,  par  qui  tout  a  été  créé,  et  rien  n'a 
reçu  Kétre  que  par  lui.  Mais  outre  celte  première 
dépendance,  qui  n'a  point  de  bornes,  il  nous  a  ac- 
quis par  son  sang;  et  nous  sommes  ses  esclaves, 

•  Philip.  II ,  4.  —  M.  Joan.  ui,  17.  —^Ibid.  nr.  20.  —  •  Ibiil 

IU,I7,  i8,-»Zi<C.  X. 


parce  qu'il  nous  a  achetés  par  un  si  grand  prix. 
Mais  quoique  nous  soyons  tels,  sujets,  serviteurs, 
esclaves,  il  ne  nous  traite  pas  comme  tels,  mai» 
comme  amis  :  et  la  raison  de  cette  différence,  c'est 
que  le  sen  iteur  et  le  sujet  n'a  que  la  simple  exécu- 
tion de  la  volonté  de  son  maître,  sans  en  savoir  le 
secret  ;  mais  Jésus-Christ  nous  révèle  autant  qu'il 
nous  est  convenable  la  raison  de  ses  conseils ,  qui 
n'est  autre  que  l'amour  qu'il  a  pour  nous,  jusqu'à 
donner  sa  vie  pour  notre  salut,  et  pour  nous  faire 
ses  cohéritiers  :  et  tout  le  fruit  de  cet  amour,  c'est 
que  nous  nous  aimions  les  uns  les  autres,  et  que 
nous  gardions  ce  commandement  principal  de  la  loi 
nouvelle ,  non  par  crainte  et  d'une  manière  servile , 
mais  en  amis  qui  aiment  à  faire  la  volonté  de  celui 
qui  se  déclare  leur  ami,  étant  leur  maître.  C'est  la 
première  raison  de  notre  Sauveur. 

La  seconde  n'est  pas  moins  forte  :  Ce  n'est  pax 
vous  qui  m'avez  choisi,  c'est  moi  qui  vous  ai  choi- 
sis'. Il  semble  parler  ici  principalement  de  ses 
apôtres;  mais  en  général,  puisque  ce  n'est  pas 
seulement  les  chefs  du  troupeau,  mais  le  troupeau 
tout  entier,  qu'il  oblige  au  commandement  de  la 
charité  fraternelle,  l'élection  d'où  il  l'infère  doit  être 
commune  :  et  lorsqu'il  dit  dans  la  suite  :  Je  vous 
ai  choisis  du  milieu  du  monde ,  et  je  vous  en  ai  sé- 
parés, il  parle  visiblement  à  tous  les  fidèles.  En 
effet,  il  a  dioisi  non-seulement  les  apôtres,  mais 
tous  les  fidèles  :  et  c'est  là  l'effet  le  plus  sensible 
de  son  amour,  qu'il  nous  ait  choisis  un  à  un  ,  par 
pur  amour,  par  pure  bonté;  non  parce  que  nous^ 
avions  porté  du  fruit,  mais  afin  que  nous  en  por- 
tassions :  en  sorte  que  le  fruit  que  nous  portons  est 
l'effet,  et  non  le  motif  de  son  choix.  Mais  la  récom- 
pense qu'il  nous  demande  d'un  amour  si  pur  et  d'une 
bonté  sLgratuite,  c'est  que  nous  aimions  nos  frères 
aussi  purement  qu'il  nous  a  aimés  lui-même,  sans 
aucua  mérite  de  leur  part,  et  sans  attendre  qu'ils 
nous  préviennent,  mais  en  les  prévenant  en  tout 
et  toujours,  pour  l'âmour^e  Jésus-Christ,  qui  nous 
a  prévenus  en  toutes  manières  par  sa  grâc«. 

Et  il  est  vrai  qu'il  a  prévenu  singulièrement  les 
apôtres,  afin  qu'ils  allassent  par  toute  la  terre  y  por- 
ter son  Évangile,  et  que  leur  prédication  ait  non- 
seulement  un  grand  fruit  par  la  conversion  de  tous 
les  peuples,  mais  encore  que  ce  fruit  demeure  tou- 
jours, et  que  l'Église,  qu'ils  établiront,  soit  immor- 
telle. Mais  ces  paroles  ne  laissent  pas  aussi  de  re- 
garder chaque  fidèle;  puisque  tous  doivent  aussi, 
en  allant  et  conversant  sur  la  terre ,  porter  de  grands 
fruits  qui  demeurent  pour  la  vie  éternelle.  Or,  ce 
n'est  pas  nous  qui  l'avons  choisi  :  car  qui  est  celui 
qui  lui  a  donné  le  premier',  et  qui  s'est  attiré  sa 
grâce  en  le  prévenant?  C'est  lui  qui  nous  choisit  et 
nous  prévient;  c'est  lui  qui  nous  a  trouvés  ennemis, 
et  nous  a  faits  amis  :  c'est  lui  qui  nous  a  aimés, 
avant  que  nous  l'aimassions,  ou  q-js  nous  pussions 
1  amier,  puisque  c'est  lui  qui  nous  a  donné  l'amour 
dont  nous  l'aimons;  ce  qu'il  ne  peut  avoir  fait  que 
par  amour.  11  n'est  donc  pas  prévenu  :  il  nous  pré- 
vient, et  nous  prévient  à  chaque  moment,  nouj» 

•  Joan.  XY,  16.  —  >  Mom.  xi,  3i, 


738 


continuant  la  grâce  par  laquelle  il  nous  a  prévenus 
la  première  fois.  Et  encore  qu'un  effet  de  cette 
grâce  prévenante  soit  de  nous  attirer  les  grâces  qui 
suivent  ;  s'il  nous  traitait  rigoureusement  selon  nos 
mérites,  et  qu'il  voulût  punir  toutes  nos  infidélités, 
combien  de  fois  serait-il  forcé  à  nous  soustraire  les 
f^râces  auxquelles  nous  ne  répondons  pas  assez  !  Et 
bien  loin  d  y  répondre  par  une  bumble  reconnais- 
sance, nous  nous  enorgueillissons  de  ses  dons ,  que 
nous  nous  approprions  à  nous-mêmes,  comme  s'ils 
noiis  étiaent  dus,  et  eu  faisant  la  pâture  de  notre 
amour-propre.  Et  qui  serait  celui  qui  pourrait  dire  : 
J'ai  le  cœur  pur;  je  ne  suis  point  ingrat  envers  Dieu  ; 
je  lui  rends  l'action  de  grâces  qui  lui  appartient,  et 
ne  sors  jamais  de  sa  dépendance  .î*  Ce  n'est  pas  là  ce 
que  nous  dit  notre  conscience  :  elle  nous  dit  que 
ni  nous  ne  prions  comme  il  faut,  ni  ne  sommes 
assez  soigneux  de  marcber  fidèlement  dans  ses  voies. 
Qui  donc  pourrait  se  plaindre  quand  il  nous  reti- 
rerait ses  dons?  Mais  il  continue  à  nous  prévenir 
malgré  nos  ingratitudes  et  nos  négligences;  et  s'il 
accorde  la  persévérance  à  nos  prières,  il  nous  ac- 
corde premièrament  la  persévérance  à  prier,  par 
laquelle  nous  obtenons  la  persévérance  à  bien  faire. 
Et  la  récompense  qu'il  veut  tirer  d'un  amour  si 
gratuit,  c'est  que  nous  aimions  nos  frères  aussi 
purement  et  aussi  gratuitement  qu'il  nous  aime , 
sans  que  notre  amour  se  ralentisse  par  leur  froi- 
deur, par  leur  négligence  ni  par  leurs  injures,  puis- 
qu'au  milieu  de  tant  d'injures  qu'il  reçoit  de  nous, 
il  nous  aime. 

Et  la  raison  qui  l'oblige  à  réduire  toute  la  pratique 
de  la  vie  chrétienne  à  cet  amour  mutuel  est,  pre- 
mièrement, que  ne  pouvant  lui  faire  auctin  bien 
qu'en  la  personne  de  nos  frères ,  qui  sont  ses  mem- 
bres ,  c'est  là  aussi  qu'il  veut  recevoir  le  fruit  de 
Iiotre  reconnaissance  et  celui  de  son  amour,  confor- 
mément à  ce  qu'il  dit  :  Toutes  les  fois  que  vous  faites 
(lu  bien  mtx  moindres  de  ces  petits,  à  celui-ci  et  à 
celui-là,  qui  sont  petits  à  vos  yeux  et  grands  aux 
miens,  puisqu'ils  sont  mes  membres,  c'est  à  moi 
que  vous  le  fa  ites  ' . 

Et  la  seconde  raison,  c'est,  comme  dit  l'apôtre 
saint  Paul,  que  celui  qui  aime  son  frère  accom- 
plit la  loi  *  qui  est  renfermée  tout  entière  dans  le 
précepte  de  la  charité.  Car  tous  ces  préceptes  : 
rous  ne  tuerez  pas  :  vous  ne  déroberez  pas  :  vous  ne 
convoiterez  pas  la  femme  d'autrui,  ni  sa  maison, 
ni  son  serviteur,  ni  sa  servante,  ni  son  bien ,  en 
quelque  manière  que  ce  soit^  :  vous  ne  corromprez 
point  dans  les  autres  la  chair  que  Jésus-Christ  y  a 
sanctifiée,  ou  qu'il  a  destinée  à  la  sainteté;  et  vous 
ne  la  sacrifierez  point  à  votre  plaisir  :  tous  ces  pré- 
ceptes sont  renfermés  dans  celui  de  l'amour  fra- 
fernel  4;  qui  ne  pouvant  être  accompli  comme  il 
faut ,  s'il  ne  vient  de  la  source  de  l'amour  de  Dieu , 
il  s'ensuit  que  tout  est  compris  dans  l'amour  fra- 
ternel :  dans  lequel  par  conséquent  est  tout  l'objet 
des  désirs  de  Jésus-Christ,  puisque  c'est  là  aussi 
qu'est  tout  l'abrégé  de  la  justice  chrétienne. 

•  Matth.  \XY,  40 ,  45.  —  »  Rom.  XHI ,  8 ,  9.  —  ^  £xod.  X\ , 
17,  •».*  Rom.  xni,9,  10. 


MEDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 

Xlir  JOUR. 


Ils  servent  Jésus-Christ  comme  ses  amis,  à  qui  il  déconvr* 
tous  ses  secrets.  Joan.  XY,  16. 

Le  serviteur  ne  sait  pas  ce  que  fait  son  mailre. 
On  lui  dit  ce  qu'il  a  à  faire  sans  s'expliquer  davan- 
tage :  mais  ce  bon  maître,  qui  est  Jésus-Christ, 
non  content  d'exiger  de  nous  une  simple  exécution, 
nous  découvre  tout  ce  qu'il  fait;  d'où  il  vient,  et 
oii  il  retourne;  pourquoi  il  est  venu  au  monde; 
quels  biens  il  y  est  venu  apporter  aux  hommes;  l'é- 
troite union  qu'il  est  venu  contracter  avec  eux;  la 
grâce  qu'il  leur  a  voulu  faire  de  se  les  unir,  comme 
les  membres  le  sont  à  la  tête,  et  les  branches  à  la 
racine;  le  divin  secret  de  tout  impétrer  par  l'inter- 
position de  son  nom;  les  secrets  motifs  de  ses  pré- 
ceptes :  et  les  autres  choses  qui  lui  font  dire  :  Je 
vous  ai  appris  ce  que  fai  appris  de  mon  Père  \ 
Car  je  vous  ai  découvert,  dit-il ,  les  merveilles  de  sa 
bonté  prévenante ,  et  la  grâce  qu'il  vous  a  faite  en 
vous  donnant  son  Fils  unique,  de  le  donner  pour 
vous  à  la  mort.  Et  afin  que  vous  fussiez  capables 
d'entendre  les  secrets  du  royaume  des  cieux ,  je  vous 
les  ai  exposés  dans  des  paraboles  et  similitudes 
tirées  des  choses  humaines,  par  condescendance, 
pour  vous  les  rendre  sensibles.  Et  de  peur  que  ces 
paraboles  ne  fussent  pour  vous  des  énigmes  plus 
capables  de  vous  étourdir  que  de  vous  instruire, 
ainsi  qu'il  est  arrivé  aux  Juifs  en  punition  de  leur 
orgueil,  je  vous  les  ai  expliquées  en  ami,  avec  une 
familiarité  et  une  bonté  qui  ne  vous  a  rien  laissé  à 
désirer.  Voilà  ce  que  Jésus-Christ  a  fait  pour  nous  : 
il  a  voulu  quenousgardassionsses commandements, 
non  en  vils  esclaves ,  à  qui  on  dit  seulement  ce  qu'ils 
ont  à  faire ,  sans  leur  donner  la  consolation  de  sa- 
voir pourquoi;  mais  avec  connaissance,  afin  de  les 
accomplir  d'une  manière  plus  parfaite,  plus  agréa- 
ble, plus  proportionnée  à  la  condition  de  la  créature 
raisonnable.  C'est  pourquoi  il  nous  a  appris  des 
conseils  de  Dieu  et  des  siens,  tout  ce  que  nous  en 
pouvions  porter.  Entrons  donc  volontairement  et 
librement  dans  les  desseins  de  Jésus-Christ,  et 
obéissons,  non  par  force,  mais  avec  plaisir,  comme 
des  personnes  instruites,  et  qui  savent  les  raisons 
de  ce  qu'on  leur  demande  :  entendons  bien  que 
tout  ce  qu'on  nous  demande,  c'est  la  raison  même, 
parce  que  c'est  une  sagesse  aussi  bien  qu'une  bonté 
infinie ,  qui  a  digéré  tous  les  préceptes  et  tous  les 
conseils  dont  on  nous  propose  l'observance.  O  le 
plus  aimable  de  tous  les  maîtres!  ô  la  plus  sainte, 
la  plus  sage,  et  la  meilleure  de  toutes  les  lois!  Mon - 
Dieu,  j'aime  votre  vérité,  votre  équité,  votre  droi- 
ture ;  et  en  tout  cela  j'aime  Jésus-Christ  qui  est  tout 
cela,  sagesse,  justice,  droiture,  équité  :  parce  qu'il 
est  la  vérité  et  la  bonté  même;  Fils  très- bon  d'un 
Père  très-bon,  et  avec  lui  principe  du  très-bon  Es- 
prit, qui  nous  guide  à  tout  bien. 

'  Joan.  XV.  16. 


MEDITATIONS  SUR  LEVANGILE. 


7*f 


XIV«  JOUR. 

Ils  doivent  rt  peuvent  tont  demander  au  nom  de  Jésus- 
Chrbt.  JoiiH.  XV,  18. 

Je  VOUS  ai  choisis ,  ojin  que  vous  rapportiez 
du  fruit,  et  que  votre  fruit  demeure,  et  que  mon 
Père  vous  accorde  tout  ce  que  vous  lui  demanderez 
en  mon  nom  '.  C'est  donc  là  la  cause  de  ce  grand 
fruit  et  de  sa  durée  à  jamais,  que  le  Père  accor- 
dera tout  ce  qu'on  lui  demandera  au  nom  du  Fils. 
Dieu  disait  autrefois.  Je  le  ferai  pour  F  amour  de 
moi ,  et  pour  glorifier  mon  nom.  Ici  il  n'accorde 
plus  rien  qu'au  nom  du  Fils.  Ce  n'est  pas  qu'il 
change  de  langage  ;  ce  que  Dieu  fait  pour  l'amour 
de  sou  Fils,  il  le  fait  pour  l'amour  de  soi-même; 
parce  que  le  Père  et  le  Fils  ne  sont  qu'un  :  et  lors- 
qu'on nous  avertit  tant  de  fois  que  nous  n'avons 
rien  à  espérer,  ni  à  demander  qu'au  nom  de  Jésus- 
Christ  ,  on  nous  avertit  du  besoin  que  nous  avions 
d'un  médiateur,  pour  nous  réunir  à  Dieu,  dont 
le  péché  nous  avait  séparés. 

Songeons  donc  à  porter  du  fruit,  et  à  porter  un 
fruit  qui  demeure;  mais  demandons-en  la  grâce 
au  nom  du  Médiateur  ,  en  croyant  que  c'est  par  sa 
grâce  que  nous  commençons  à  porter  du  fruit ,  et 
par  la  continuation  de  la  même  grâce  que  nous  en 
portons  pcrsévérammenî  :  parce  qu'ainsi  qu'il  nous 
a  dit,  nous  ne  pouvons  porter  du  fruit  qu'eu  lui 
seul ,  et  qu'il  faut  qu  il  demeure  en  nous,  afin  que 
nous  puissions  demeurer  eu  lui  :  et  c'est  en  cela 
que  consiste  la  médiation  de  Jésus-Christ,  et  la 
vxaie  invocation  de  Dieu  au  nom  du  Sauveur. 

XV  JOUR. 

Jésus  et  ses  disciples  haïs  du  monde  :  injustice  de  la  haine 
du  monde.  Joan.  xv. 

Voici  la  doctrine  du  verset  16  et  des  suivants, 
jusqu'au  26.  Après  avoir  montré  à  ses  disciples 
t;ombien  ils  doivent  s'aimer  les  uns  les  autres,  et 
aimer  tout  le  monde;  parce  que  tout  le  monde  est 
des  nôtres  par  la  grâce  que  Dieu  fait  à  tous  de  les 
appeler  à  notre  unité;  il  leur  apprend  que  s'ils 
doivent  aimer  tout  le  monde ,  ce  n'est  pas  dans 
l'espérance  d'être  aimés  eux-mêmes,  puisqu'au 
contraire  ils  seront  haïs  de  toute  la  terre  :  et  c'est 
la  vérité  qu'il  leur  découvre  à  fond  dans  tous  ces 
versets. 

Il  commence  à  leur  découvrir  la  source  de  cette 
haine  par  ces  paroles  :  Si  le  monde  vous  hait,  sa- 
chez qu'il  m'a  haï  le  premier'.  On  ne  peut  assez 
admirer  la  bonté  de  notre  Sauveur;  il  n'y  a  rien  de 
si  fâcheux  à  de  bons  cœurs,  ni  en  soi  rien  de  plus 
triste  à  la  nature ,  que  d'être  haï.  On  a  besoin  d'être 
prémuni  contre  un  mal  qui  en  soi  est  si  dur,  et 
dont  aussi  les  effets  sont  si  étranges.  Mais  c'était 
pour  les  apôtres  la  plus  grande  de  toutes  les  conso- 
lations, que  cette  aversion  de  tout  le  genre  humain 
leur  fût  commune  avec  Jésus-Christ.  Si  le  monde 
vous  hait ,  dit-il ,  il  m'a  haï  le  premier.  La  cause 
de  cette  haine  nous  est  expliquée  par  cette  parole  : 

'  Joan.  XY,  16.  —  '  lUd.  i&. 


Celui  qui  fait  mal  hait  la  lumière*.  Le  monde 
me  hait  parce  que  je  lui  découvre  ses  mauvaises  œu- 
vres. Les  apôtres  associés  à  la  prédication  du  Sau- 
veur devaient  aussi  encourir  la  haine  du  monde , 
dont  ils  reprenaient  les  crimes  et  les  ignorances. 

Si  vous  étiez  du  monde,  le  monde  aimerait  ce 
qui  est  a  lui  *.  Ce  n'est  pas  que  les  hommes  du 
monde  s'aiment  les  uns  les  autres  ;  c'est  tout  le  con- 
traire, et  tout  le  monde  est  rempli  de  haines  et  de  ja- 
lousies; mais  c'est  que  les  plaisirs  et  les  intérêts  du 
monde  font  des  liaisons  et  des  commerces  agréa- 
bles ;  mais  les  disciples  de  Jésus-Christ  n'ont  riea 
qui  plaise  au  monde.  Le  monde  veut  des  flatteurs  : 
on  n'y  vit  que  de  complaisances  mutuelles,  en 
s'applaudissant  l'un  à  l'autre.  A  quoi  est  bon  uu 
chrétien?  Il  est  inutile  :  il  n'entre  ni  dans  nos  plai- 
sirs ni  dans  nos  affaires ,  qui  ne  sont  que  fraudes. 
Défaisons-nous-en,  disent  les  impies  dans  le  livre 
de  la  Sagesse  :  car  il  nous  est  inutile^  :  sa  vie  simple 
et  innocente  est  une  censure  de  la  nôtre  :  il  faut 
le  faire  mourir,  puisqu'il  ue  fait  que  troubler  nos 
joies.  Chrétiens,  innocent  troupeau,  c'est  ce  qui 
vous  fait  la  haine  du  monde!  Vous  ne  savez  point 
vous  faire  craindre,  ni  rendre  le  mal  pour  le  mal; 
vous  serez  bientôt  opprimés.  Quelque  paisibles  que 
vous  soyez,  on  ne  laissera  pas  de  vous  reprocher 
que  vous  faites  des  cabales  contre  l'État ,  pour  le- 
quel vous  levez  sans  cesse  les  mains  au  ciel  ;  et  vous 
serez  les  ennemis  publics. 

Parcequeje  vous  aichoisi*  du  milieu  du  monde, 
le  monde  vous  hait  •*.  Dans  votre  séparation,  on 
ne  vous  croit  pas  de  même  espèce  que  les  autres  : 
on  croit  que  vous  voulez  vous  distinguer;  et  on 
vous  accable. 

Le  serviteur  n'est  pas  jilus  grand  que  son  maî- 
tre^. Quelle  consolation  pour  un  chrétien,  pour  uu 
pasteur,  pour  un  prédicateur,  si  on  ne  le  croit  pas, 
si  on  le  méprise ,  si  on  le  persécute ,  si  on  le  déchire , 
si  on  le  crucifie ,  et  lui  et  ses  discours  !  On  en  a  fait 
autant  à  Jésus-Christ.  C'est  une  suite  du  mystère 
de  la  croix  ;  et  c'est  par  de  semblables  contradictions 
que  l'ouvrage  de  la  rédemption  a  pris  son  cours. 
Car,  à  travers  ces  contradictions.  l'Évangile  va  où 
il  doit  aller ,  et  les  bons  exemples  des  chrétiens  ga- 
gnent ceux  qu'ils  doivent  gagner  ;  et  la  main  de  Dieu 
se  fait  sentir  dans  la  résistance  des  liommes. 

Il  y  a  un  monde  dans  l'Église  même ,  il  y  a  des 
étrangers  parmi  nous.  On  déplaît  à  ceux-là,  quand 
on  vit  et  quand  on  prêche  chrétiennement.  Ce 
monde  est  plus  dangereux  que  serait  un  monde 
manifestement  infidèle.  Écoutez  saint  Paul  :  Ily  a 
des  périls  au  dedans  et  au  dehors ,  et  du  côté  des 
faux  frères  ^.  Demas  m'a  laissé ,  dit  le  même 
apôtre ,  aimant  ce  siècle.  Tout  le  monde  m'a  aban- 
donné; Dieu  leur  pardonne"! .  Le  mépris  qu'on  fait 
d'un  homme  qui  ne  songe  qu'aux  affaires  de  Dieu , 
en  disant  que  ce  n'est  pasuu  homme  d'affaires,  est 
une  espèce  de  persécution.  Faites,  Seigneur,  que 
je  fasse  bien  vos  affaires  ;  c'est  là  que  je  mets  toutt 


1? 


>  Joan.  m,  19, 20.  —  »  Ibid.  xv,  i».  —  ^Sap.  ir,  12,  U.  lé, 
20.  —  ••  Joan.  xv,.  19.  —  5  ibid.  20.  —  •  II.  Cor.  u ,  'A  -^ 
IL  Ji/H.IV,  10^  16. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


700 

ma  capacité  :  si  on  me  blâme ,  si  on  me  méprise ,  si 
on  me  traverse ,  si  on  m'accuse  de  toutes  sortes  de 
faussetés ,  je  le souffrepour  le  nom  de  mon  Sauveur  : 
c'est  qu'on  ne  le  connaît,  ni  lui  ni  son  Père. 

Après  avoir  montré  la  haine  du  monde,  Jésus- 
Christ  fait  voir  qu'elle  est  injuste  dans  le  f.  24 ,  et 
il  la  convainc  par  ses  miracles. 

Personne  n'en  avait  jamais  tant  fait,  ni  de  cette 
nature  :  il  allait  guérissant  tous  les  malades;  et  ja- 
mais il  n'a  fait  de  miracles  pour  punir  un  seul  homme. 
Tout  était  plein  de  miséricorde  et  d'indulgence.  Ainsi 
les  hommes  sont  convaincus;  et  la  bonté  de  ce  Jésus , 
tant  haï ,  paraît  non-seulement  par  la  qualité  et  par 
la  nature  de  ses  miracles. 

Ce  n'est  pas  assez ,  pour  être  conforme  au  Sau- 
veur, d'être  haï ,  il  faut  être  haï  sans  en  avoir  jamais 
donné  de  sujet.  Ils  m'ont,  dit-il ,  haï  satis  sujet  '. 

Prenez -y  garde  :  donner  sujet  à  la  haine  n'est 
pas  seulement  faire  injure  à  quelqu'un,  mais  en- 
core être  superbe,  hautain,  dédaigneux,  envieux, 
intéressé;  cela  offense  tout  le  monde.  Mais  Jésus- 
Christ  si  doux,  si  humble  de  cœur,  si  pauvre,  si 
patient,  qui  pouvait-il  avoir  offensé?  Il  est  haï  ce- 
pendant, et  ses  apôtres  le  sont  avec  lui.  Qui  ne  se 
consolerait  par  cet  exemple?  Qui  n'aimerait  mieux 
être  haï  avec  Jésus-Christ  et  pour  Jésus-Christ  que 
d'être  aimé  comme  ceux  qu'on  a  appelés,  soit  par 
vérité,  soit  par  flatterie,  les  délices  du  genre  hu- 
main? Je  ne  veux  point  être  aimédeshommesquiont 
haï  Jésus-Christ; j'aime  mieux  entendre  ces  cris: 
Qu'on  tôte,  qu'on  l'6ie;qiCon  le  crucifie  »  :  ou  ceux- 
ci  contre  saint  Paul,  d'un  peuple  en  fureur  qui  jetait 
de  la  poudre  en  l'air  et  sa  robe  à  terre  :  Otez  du 
vionde  cet  homme,  il  n'est  pas  permis  de  le  Utisser 
rivre^\  que  ces  acclamations  qu'on  fit  à  Hérode  : 
C'est  le  discours  d'un  Dieu,  et  non  pas  d'unhomme. 
Car  voyez  la  suite  :  L'Ange  du  Seigneur  le  frappa , 
parce  qu  il  n'avait  pas  donné  gloire  à  Dieu  :  et  il 
tnourut  mangé  des  vers  ^. 

C'est  ainsi  que  Dieu  brise  les  os  de  ceux  qui  veu- 
lent plaire  aux  hommes^  :  et  saint  Paul  disait  aux 
Galates  ;  Si  je  plaisais  encore  aux  hommes,  je  ne 
serais  pas  serviteur  de  Jésus-Christ  ^. 

Tous  les  hommes,  jusqu'aux  moindres,  veulent 
qu'on  les  flatte,  et  ne  peuvent  souffrir  qu'on  les 
reprenne.  C'est  un  vice  qui  est  entré  jusque  dans 
les  moelles  à  toute  la  nature  humaine,  à  ces  paro- 
les flatteuses  :  f^ous  serez  comme  des  dieux  7.  La 
jalousie,  naturellement,  empêcherait  les  louanges; 
ot  on  n'en  donne  guère  de  bon  cœur  ;  mais  on  en 
donne  pour  en  recevoir;  on  flatte  pour  être  flatté  : 
c'est  l'esprit  du  monde;  mais  l'esprit  de  Jésus- 
Christ  ,  c'est  d'aimer  mieux  être  haï  que  de  se  faire 
aimer  de  cette  sorte. 

XVr  JOUR. 

Le  témoignage  de  l'esprit  de  vérilé  rassure.  Joan.  xv, 
2G,  27. 

Après  avoir  fait  voir  dans  le  monde  une  haine 

<  Joan.  XV,  25.  —  ^  Ihid.  XIX ,  15.  —  ^  Act.  \U\ ,  22 ,  23.  — 
4  llàd.  XII,  21 ,22,23.—  »  Ps.  LU,  G.  —  *=  Gal.i,  10.  —  '  Gen. 


si  envenimée  contre  lui,  il  ajoute  pourtant  que 
Dieu  ne  le  laissera  pas  sans  témoignage,  et  qu'il  en- 
verra son  Saint-Esprit,  qui  rendra  témoignage  de 
lui  '.  C'est  là,  dit-il,  le  témoignage  que  je  veux  : 
car  ce  n'est  point  l'esprit  de  déguisement  et  de 
flatterie ,  qui  est  celui  qui  règne  dans  le  monde  ; 
ce  n'est  point  l'esprit  d'injustice  et  de  partialité; 
c'est  l'esprit  de  vérité,  spiritum  veritatis,  qui  est 
en  même  temps  un  esprit  de  concorde  et  de  dou- 
ceur; qui  unira  tous  les  cœurs,  et  n'en  fera  qu'un 
de  ceux  de  tous  les  fidèles.  Voilà  celui  que  mou 
Père  enverra  pour  me  rendre  témoignage  :  Et  vous 
aussi,  qui  avez  toujours  été  avec  moi ,  animés  de 
cet  esprit ,  vous  me  rendrez  témoignage  ».  Ce  sera 
un  témoignage  irréprochable,  rendu  par  des  per- 
sonnes qui  ont  tout  vu;  un  témoignage  sincère, 
confirmé  par  l'effusion  de  votre  sang.  Voilà ,  dit- 
il  ,  le  témoignage  que  je  me  suis  réservé  sur  la 
terre.  Il  vous  fera  haïr;  mais  votre  consolation, 
c'est  que  par  là  vous  prendrez  part  à  la  haine  qu'on 
me  porte  injustement.  Oui,  mon  Sauveur,  nous 
y  consentons.  S'il  faut,  pour  vous  glorifier,  que 
nous  soyons  haïs  et  méprisés  du  monde  en  lui  di- 
sant ses  vérités,  quelque  habit  que  ce  monde  porte, 
fût-ce  un  habit  de  piété ,  puisque  la  haine  se  cache 
si  souvent  sous  un  tel  habit,  ainsi  soit-ii  :  votre 
volonté  soit  faite.  On  n'est  point  votre  disciple 
qu'on  n'ait  mérité  par  quelque  bon  endroit  la  haine 
du  monde. 

XVIP  JOUR. 

Les  apôlres  persécutés ,  haïs  d'une  liaine  de  religion. 
Joan.  xvi,  1 ,  2,  3,  4,  5. 

Dans  les  versets  1,  2,  3,  4,  5  du  chapitre xvi, 
il  découvre  plus  ouvertement  à  ses  disciples  la  na- 
ture de  la  haine  qu'on  aura  contre  eux.  Car,  après 
leur  avoir  appris  qu'elle  leur  est  commune  avec 
lui,  et  qu'ils  se  l'attireront  en  lui  rendant  témoi- 
gnage par  le  Saint-Esprit,  qui  viendra  en  eux,  il 
croit  leur  pouvoir  tout  dire  :  et  il  leur  apprend  en- 
fin que  le  caractère  de  cette  haine  qu'ils  auront  à 
porter,  c'est  que  ce  sera  une  haine  de  religion  ; 
qu'on  les  excommuniera,  et  qu'on  les  aura  telle- 
ment en  exécration ,  qu'on  croira  rendre  service  à 
Dieu  de  les  exterminer.  Par  où  il  nous  fait  entendre 
que  ces  haines  pieuses  et  religieuses ,  qu'un  faux 
zèle  animera,  sont  la  dernière  et  parfaite  épreuve 
qu'il  réserve  à  ses  véritables  disciples.  Car  c'est  urie 
telle  haine  qu'il  a  essuyée  lui-même,  puisque  la 
sentence  que  la  synagogue  a  prononcée  contre 
lui ,  c'est  qu'il  avait  blasphémé,  blasphemavit  ^, 
contre  Dieu,  contre  la  loi,  contre  le  saint  lieu;  «t 
que  c'était  glorifier  Dieu  que  de  livrer  ce  blos|)lio- 
mateur  au  dernier  supplice.  Et  cette  haine  était  la 
même  que  Jérémie  avait  portée  en  figure  de  Jésus- 
Christ,  lorsqu'on  disait  :  Cet  homme  a  b\as^hémé 
contre  le  saint  lieu  et  contre  la  cité  sainte^. 

Voilà  ce  qu'il  promet  à  ses  disciples;  et  il  les 
console  en  même  temps,  leur  apprenant  que  cette 


'   Joint.  XV,  26.  —  ^  Ihid.  27.  ■ 
XWl,  G,  S;  9,   11,   12. 


:JaUh.\\\-i,Qb.  —  ''  Jerenu 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILK. 


haine  est  aveugle  et  insensée,  puisqu'elle  vient  à 
leurs  persécuteurs ,  pour  ne  pas  connaître  son  Père 
ni  lui'.  Jésus-Christ  est  la  vérité;  et  quiconque 
ignore  ou  combat  quelque  partie  de  la  vérité  quelle 
qu'elle  soit,  quelque  savant  qu'il  soit  d'ailleurs,  il 
ne  connaît  pas  Jésus-Christ  ni  son  Père  par  cet  en- 
droit-là :  et  si  vous  entreprenez  de  le  convaincre , 
Use  revêtira  d'un  faux  zèle,  d'un  zèle  amer;  mais 
il  en  faut  essuyer  l'aigreur  avec  foi  et  humilité,  en 
se  réjouissant  de  porter  ce  caractère  du  Sauveur 
et  de  ses  apôtres.  C'est  alors  qu'il  faut  écouter  le 
Sauveur,  qui  dit  :  Souvenez-vous  que  je  vous  aiacer- 
tis  de  ces  contradictions.  Et  il  ajoute  :  Je  ne  vous 
ai  pas  dit  ces  choses  au  commencement  ».  Il  leur 
avait  pourtant  souvent  parlé  des  persécutions  et  de 
la  haine  qui  leur  était  préparées  par  toute  la  terre  : 
fous  serez,  dit-il  ^,  en  haine  a  tout  le  monde,  et 
le  reste  ;  où  il  semble  qu'il  n'a  rien  oublié  pour 
leur  mettre  devant  les  yeux  la  vive  peinture  des 
persécutions  qu'il  leur  avait  destinées.   Qu'est-ce 
donc  qu'il  dit  aujourdbui ,  qu'il  n'avait  pas  voulu 
leur  expliquer  au  commencement?   Remarquez, 
pieux  lecteur,  qu'il  leur  a  tout  dit,  excepté  ce  seul 
endroit,  qu'on  les  excommunierait,  et  qu'on  croi- 
rait rendre  service  à  Dieu  en  les  exterminant  de 
la  terre  •*.  Car  c'était  aussi  l'endroit  sensible ,  et  le 
véritable  caractère  de  la  persécution  des  disciples  de 
Jésus-Christ.  Ce  ne  sont  pas  seulement  les  Gentils 
qui  les  ont  persécutés,  comme  les  ennemis  de  Dieu  : 
cette  injure  serait  consolante  du  côté  de  ceux  de 
qui  Dieu  n'est  pas  connu;  mais  ce  sera  le  peuple  de 
Dieu  qui  aura  en  exécration  Jésus-Christ  et  ses  dis- 
ciples, ce  peuple  à  qui  Jésus-Christ  était  envoyé, 
ceux-là  mêmes  dont  il  avait  dit  :  Hs  sont  assis  sur 
ta  chaire  de  Moïse;  croyez  donc  ce  qu'ils  vous  en- 
seignent^. Ce  seront  ceux-là  qui  condamneront  Jé- 
sus-Christ, et  ensuite  ses  apôtres,  avant  même  que 
le  caractère  de  réprobation  eût  paru  tout  à  fait  sur 
eux  ,  et  lorsqu'un  saint  Paul  respectait  encore  eu 
eux  le  caractère  de  leur  onction ,  en  disant  :  Mes 
frères ,  je  ne  savais  pas  que  ce  fût  le  souverain  pon- 
tife; car  il  est  écrit  :  Fous  ne  maudirez  point  le 
prince  de  votre  peuple  ^.  On  voit  donc  qu'il  faut 
s'attendre  à  être  persécuté,  quand  Dieu  le  veut,  par 
une  autorité  sainte.  Et  l'exemple  de  saint  Chrysos- 
tôrae  si  injustement  déposé  par  un  patriarche  or- 
thodoxe, et  même  persécuté  durant  ce  temps  et 
jusqu'après  sa  mort  par  des  saints ,  quand  il  n'y 
aurait  que  celui-là,  suffît  pour  nous  faire  voir  ce 
genre  de  persécution ,  qui  est  un  des  plus  délicats 
et  des  plus  sensibles  aux  disciples  de  Jésus-Christ. 
Et  il  faut  ici  considérer  la  modération ,  la  douceur 
et  l'humilité  de  ce  grand  honnne ,  qui  l'a  peut-être 
égalé  aux  martyrs  :  ce  qu'un  saint  martyr  qui  lui 
apparut  semble  avoir  voulu  lui  indiquer,  en  lui  di- 
sant dans  un  songe  :  Vous  serez  demain  avec  moi. 
Quoi  qu'il  en  soit,  il  faut  être  préparé  à  ce  genre 
de  persécution,  si  Dieu  le  permet,  et  ne  s'en  pas 
étonner,  mais  dire  avec  saint  Cyprien  :  Qu'il  im- 
porte peu  de  quel  côté  vienne  le  coup  de  l'épée  qui 

>  Joan.  XVI,  3.  —  •  Ihid.  4,5.   —  '  ^att.  x,  21 ,  32.  —♦ 
V<»a«.  XVI ,:!.—'  M'itl.  xs.in  .  2 ,  J.  —  ^  A  et.  XMii ,  i 


7CI 

tranche  notre  vie,  fût-ce  du  côté  de  nos  frères , 
pourvu  que  ce  soit  en  procurant  la  gloire  de  Jésus' 
Christ  ' .  Cette  persécution  n'en  est  pas  moins  sui- 
vie de  la  couronne  du  martyre.  Et  on  verra  quel- 
quefois dans  des  maisons  saintes,  dans  de  saintes 
communautés ,  des  acharnements  contre  des  per- 
sonnes saintes  dont  on  ne  voit  point  la  cause  :  on 
voit  seulement  dans  ces  innocents  persécutés,  une 
vraie  humilité  avec  un  vrai  zèle  pour  la  gloire  de 
Dieu.  Qu'ils  souffrent  ce  petit  martyre  sans  se 
plaindre ,  et  en  aimant  d'un  amour  humble  et  sin- 
cère ceux  qui  les  font  souffrir;  et  qu'ils  sachent  que 
c'est  un  des  caractères  de  Jésus-Christ  qu'il  leur  est 
donné  de  porter.  Je  ne  sais  pour  qui  j'écris  ceci ,  et 
je  n'ai  aucune  vue  ;  mais  aOn  qu'on  ne  pense  pas 
que  je  me  figure  des  chimères  de  persécution  ,  je 
suis  obligé  de  dire  que  celle-ci  est  très-fréquente, 
et  doit  être  très-chère  à  ceux  qui  la  portent,  pour 
peu  que  ce  soit  et  pour  quelque  cause  que  ce  soit. 

XVIIl»  JOUR. 

Tristesse  de  l'absence  de  Jésas.  Joan.  xvi,  .3,8. 

Depuis  le  f.  5  jusqu'au  ir.  8,  il  explique  la 
mission  de  l'Esprit  consolateur  qu'il  avait  promis 
à  ses  disciples ,  afin  de  les  consoler  de  son  absence. 
Il  venait  encore  de  leur  en  parler  au  i'.  26  du  chap. 
XV  ;  mais  ici  il  va  en  expliquer  à  fond  la  mission  : 
et  il  faut  invoquer  le  Saint-Esprit,  afin  qu'il  nous 
fasse  entendre  ce  qui  le  regarde  dans  la  suite  de  ce 
discours  de  notre  Seigneur. 

Je  ne  vous  ai  pas  dit  ces  choses  que  je  viens  de 
vous  exposer  touchant  le  haine  qu'on  aura  pour 
vous,  parce  que  j'étais  encore  avec  vous'.  Rien 
ne  me  pressait  de  vous  les  dire  ;  et,  comme  j'étais 
avec  vous,  je  vous  gardais  moi-même^;  et  je  n'a- 
vais pas  besoin  de  vous  prémunir  contre  les  persé- 
cutions qui  vous  devaient  arriver  après  ma  retraite. 
Mais  maintenant  je  m'en  vais  ,  et  il  faut  vous  parler 
à  fond  de  toutes  choses,  autant  que  vous  le  pourrez 
porter. 

Je  m'en  vais  donc  :  et  vous  ne  me  demandez  pas 
où  je  vais?  Mais  parce  que  je  vous  déclare  que  je 
me  retire,  la  tristesse  remplit  votre  cœur  <.  Comme 
s'il  disait  :  Vous  ne  songez  point  où  je  vais;  en 
quel  lieu,  à  quelle  gloire,  à  quelle  félicité;  mais 
sans  songer  où  je  vais  et  ce  que  je  vais  y  faire , 
vous  vous  afiligez.  En  quoi  il  les  reprend  secrète- 
ment du  peu  d'attention  qu'ils  ont  à  ce  qu'il  fait, 
et  du  peu  d'amour  qu'ils  ont  pour  lui ,  puisqu'ils  ne 
songent  qu'à  eux-mêmes  et  ne  s'occupent  que  de 
leur  tristesse.  Il  est  néanmoins  si  bon ,  que  sans  les 
reprendre  davantage,  il  tourne  tout  son  discours 
■  à  les  consoler,  et  leur  parle  du  Saint-Esprit  qui 
!  devait  venir,  leur  apprenant  qu'il  ne  lui  est  pas  in- 
:  férieur,  et  le  prouvant  premièrement  par  les  eiïeis 
I  de  sa  mission  ,  et  à  la  fin  par  son  origine  éternelle , 
!  comme  la  suite  le  fera  paraître. 


•  Epist.  ad  Corn.  Pap.  Edit  Baluz.  Episi  IT. 
XVI  ,5.-3  Ibid.  XVII  ,  Vi.—*  Jbid.  \V«,  b,  6. 


*  Juau 


762 


MEDITATIONS  SUR  L'KVANGILE. 


XIX*'  JOUR. 


Mission  du  Saint-Esprit  pour  convaincre  d'incrédulité 
les  Juifs  et  le  monde.  Joan.  xvi,  8,  9,  10,  et  suiv. 

Et  quand  il  viendra ,  il  convaincra  le  monde 
touchant  le  péché,  et  touchant  la  justice,  et  tou- 
chant le  jugement  '  :  et  le  reste. 

//  convaincra  le  monde  sur  le  péché  :  sur  quel 
péché?  Jésus-Christ  l'explique  :  c'est  de  n'avoir 
point  cru  en  lui.  Entendons  le  péché  des  Juifs, 
qui  est  de  n'avoir  point  cru  au  Christ,  qui  leur 
avait  été  envoyé;  d'avoir  par  là  démenti  leurs 
prophéties,  et  Dieu  qui  confirmait  la  mission  de 
Jésus-Christ  par  tant  de  miracles;  de  les  avoir  at- 
tribués au  démon.  C'était  là  le  péché  des  Juifs, 
le  grand  péché;  le  péché  contre  le  Saisit- Esprit, 
qui ,  poussé  à  un  certain  degré  de  malice  que  Dieu 
sait,  ne  se  remet  ni  en  ce  siècle  ,  ni  en  l'autre  ^. 
C'est  sur  ce  péché  et  de  ce  péché  que  le  Saint- 
Esprit  devait  convaincre  le  monde  incrédule. 

Jésus-Christ  avait  convaincu  les  Juifs  de  ce  péché 
en  deux  manières  :  l'une  en  accomplissant  les  pro- 
phéties ,  qui  est  la  manière  la  plus  efficace  de  les 
expliquer;  l'autre  en  faisant  des  miracles  que  per- 
sonne n'avait  jamais  faits;  ce  qui  leur  ôtait  toute 
excuse,  en  sorte  qu'il  ne  manquait  rien  à  la  con- 
viction. Et  toutefois  le  Saint-Esprit  la  pousse  en- 
core plus  loin,  lorsqu'il  descend  sur  les  disciples 
du  Sauveur. 

La  conviction,  dis-je,  est  portée  plus  loin.  Et 
premièrement  celle  des  prophéties.  Car  le  Saint- 
Esprit  inspire  à  saint  Pierre  la  preuve  de  la  résur- 
rection de  Jésus-Christ  tirée  de  David,  que  cet 
apôtre,  plein  des  lumières  et  du  feu  de  ce  divin 
Esprit,  pousse  à  la  dernière  évidence;  c'est-à-dire 
au  dernier  point  de  conviction,  et  avec  une  vi- 
gueur qui  ne  s'était  jamais  vue  :  comme  il  paraît 
aux  Actes,  ch.  ii,  f.  25  et  suiv. 

Secondement  :  quant  à  la  conviction  des  mira- 
cles ,  le  Saint-Esprit  y  met  la  perfection.  Car  si  la 
source  en  était  tarie  en  Jésus-Christ,  on  aurait  pu 
croire  qu'elle  était  passagère  et  trompeuse  en  Jésus- 
Christ  même;  mais  comme  elle  se  continue  dans 
les  apôtres,  qui  guérissent  pnbiiquement  et  à  la 
vue  de  tout  le  peuple  cet  impotent ,  en  témoignage 
de  la  résurrection  de  Jésus-Christ  3 ,  la  conviction 
est  poussée  bien  au  delà  de  la  suffisance  :  et  le 
Saint-Esprit  la  porte  par  les  apôtres  jusqu'à  la  der- 
nière évidence. 

Cette  continuation  de  miracles  était  l'ouvrage  du 
Saint-Esprit.  Jésus-Christ  avait  dit  qu'il  chassait 
les  démons  par  l'Esprit  de  Dieu  ;  et  tous  les  autres 
miracles  devaient  être  aussi  singulièrement  attri- 
bués au  Saint-Esprit.  Le  même  Esprit  de  miracles 
66  continuant  dans  les  apôtres ,  on  voyait  la  suite 
des  desseins  de  Dieu  et  l'entière  confirmation  de  la 
vérité. 

Et  afin  de  le  bien  entendre ,  il  faut  savoir  que 
les  Juifs,  quoique  convaincus  par  tant  de  miracles 
de  Jésus-Christ,  pouvaient  dire  qu'il  avait  eu  lé 

'  Joan.  \vi,  8,  et  suiv.  -  '  Matlh.  xir ,  24,  31 ,  32.  Marc,  m , 
J8,  2»,  30.  Luc.  XU,  10.  —  ^  .Ici-  111 ,  3 ,  e ,  et  scq. 


sort  des  faux  prophètes  que  le  démon  anime  et  à 
qui  il  donne  des  signes  trompeurs;  puisqu'il  avait 
été  condamné  et  mis  à  mort  par  le  jugement  de 
la  synagogue,  conformément  à  la  loi  de  Jloïse'. 
Si  donc  Jésus-Christ  était  demeuré  dans  la  inort. 
ou  que  sa  résurrection  n'eût  pas  été  confirmée 
d'une  manière  à  ne  laisser  aucune  réplique,  les  Juifs 
n'auraient  pas  été  convaincus  et  confondus  dans 
ce  vain  prétexte  de  leur  incrédulité.  Mais  puisque 
le  Saint-Esprit,  pour  donner  à  Jésus-Christ  des 
témoins  de  sa  résurrection,  descend  visiblement  sur 
ses  apôtres,  qui  étaient  les  témoins  qu'il  avait 
choisis  ;  puisqu'il  les  remplit  de  courage  ;  tpie  de 
faibles  qu'ils  étaient,  il  les  rend  forts;  d'idiots  et 
d'ignorants  qu'ils  étaient,  les  rend  pleins  d'une  di- 
vine science,  et  leur  donne  des  paroles  qui  fer- 
maient la  bouche  à  leurs  adversaires,  qui  n'étaient 
rien  moins  que  les  chefs  du  peuple;  puisqu'au  lieu 
qu'ils  étaient  des  lâches  qui  avaient  oublié  leur 
maître  tous  ensemble  en  prenant  la  fuite,  et  le 
premier  de  leur  troupeau  en  le  reniant,  il  en  avait 
fait  d'intrépides  défenseurs  de  sa  doctrine  et  de  sa 
résurrection;  puisqu'enfin  le  même  Esprit  des- 
cendu sur  eux  fait  des  miracles  par  leurs  mains , 
qui  ne  cèdent  en  rien  à  ceux  de  Jésus-Christ,  et 
même  qui  les  surpassent  en  certaines  circonstances, 
comme  il  l'avait  prédit  lui-même;  et,  non  content 
de  leur  inspirer  l'intelligence  des  prophéties  et  la 
force  de  les  défendre,  il  les  remplit  eux-mêmes  de 
l'esprit  de  prophétie,  et  les  fait  agir  et  parler  comme 
des  hommes  inspirés,  comme  il  parut  au  jour  de 
la  Pentecôte;  saint  Pierre  le  soutenant  avec  une 
assurance  étonnante,  et  une  force  à  laquelle  tout 
cédait  »  :  tous  ces  ouvrages  admirables  du  Saint- 
Esprit  prouvent  que  Jésus-Christ  a  dit  la  vérité,  en 
assurant  que  ce  même  Esprit  convaincrait  de  nou- 
veau, et  d'une  manière  encore  plus  concluante 
l'incrédulité  du  monde. 

Voilà  donc  le  témoignage  du  Saint-Esprit  dans 
les  apôtres ,  qui ,  en  confirmant  la  résurrection  de 
Jésus-Christ,  parlent  ainsi  :  Nous  sommes  témoins 
de  ces  choses,  et  le  Saint-Espi^it  que  Dieu  a  donné 
a  ceux  qui  lui  obéissent  ^.  C'était  le  dernier  et  le 
plus  clair  témoignage  que  Jésus-Christ  leur  réser- 
vait :  et  c'est  pourquoi,  prévoyant  que  le  cœur  de 
la  plupart  serait  assez  dur  pour  résister  encore  à 
ce  témoignage  et  à  cette  conviction ,  il  les  avertit 
d'éviter  ce  crime  comme  celui  qui  à  la  fin  leur  at- 
tirerait une  inévitable  punition  et  deviendrait  irré- 
missible pour  eux;  Dieu  ayant  déterminé  de  no 
le  remettre  jamais  à  ceux  qui  l'auraient  porté  à  de 
certains  excès  qui  lui  étaient  connus.  C'est  peut- 
être  ce  qui  donna  lieu  à  cette  sentence  du  Sau- 
veur 4  :  Que  les  blasphèmes  contre  le  Fils  seraient 
remis;  mais  que  celui  qui  blasphémerait  contre 
le  Saint-Esprit,  en  persistant  d'attribuer  au  démon 
les  miracles  de  Jésus-Christ  et  de  ses  disciples,  quoi- 
que confirmés  après  sa  mort  en  témoignage  de  sa  ré- 
surrection, nerecfvrait  aucun  pardon,  mais  serait 

«  DeuL  XIII,  l,  2,3,4,5;xvin,  20,  21 ,  22.  — -^f/.  il, 
17,  18.  —  3  Ibid.  Y,  32.  —  *  Malt.  XU,  31,  32.  MaK.  m,ii>, 

20,3a 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


res 


cohpat-'.e  (fuH  éternel  péché  :  à  cause,  poursuit  saint 
.Marc,  qu'ils  acaient  dit  que  Jésus-Christ  avait  en 
lui-même  un  esprit  impur  qui  faisait  par  lui  des 
niiracles;  et  qu'ils  étaient  disposés  à  porter  la  ré- 
volte jusqu'au  dernier  excès,  comme  ils  firent  en 
résistant  encore  aux  miracles  de  ses  disciples,  et 
osant  attribuer  à  l'esprit  d'erreur  la  continuation 
ferme  et  permanente  du  témoignage  du  Saint- 
Esprit. 

Ajoutez  à  toutes  ces  choses ,  la  sainteté  que  le 
Saint-Esprit  établissait  dans  l'Église,  par  des  ef- 
fets si  éclatants,  et  cette  parfaite  unité  des  cœurs 
qui  était  son  véritable  ouvrage  et  le  caractère  sen- 
sible de  sa  présence.  Ajoutez  la  redoutable  auto- 
rité que  Dieu  mettait  dans  l'Église ,  en  sorte  que 
mentir  à  Pierre,  c'était  mentir  au  Saint-Esprit'. 
On  voit  assez  par  toutes  ces  choses  l'efficace  du 
témoignage  de  ce  même  Esprit,  pour  convaincre 
l'incrédulité. 

Et  il  faut  aussi  remarquer  que  Dieu ,  qui  avait 
supporté  les  Juifs  après  le  crucifiement  de  son 
Fils,  résolut  enfin  de  faire  éclater  sa  justice  d'une 
manière  étonnante  et  jusqu'alors  inouïe,  après  que 
ce  peuple  ingrat  eut  continué  de  résister,  avec  une 
opiniâtreté  et  une  dureté  sans  exemple,  au  témoi- 
gnage des  apôtres  ;  c'est-à-dire ,  comme  on  a  vu , 
,T  celui  du  Saint-Esprit.  Ce  qui  était  la  figure  du 
iiàtiment  plus  terrible  qu'il  réservait  dans  les  en- 
itTS,  à  ceux  qui  avaient  péché  contre  le  Saint- 
Ksprit,  de  la  manière  et  avec  l'excès  qu'il  ne  vou- 
lait point  pardonner. 

Prenons  donc  garde  de  ne  point  tomber  dans  un 
semblable  péché.  ÎSous  commençons  à  y  tomber, 
lorsque  abusant  de  la  grâce  du  Saint-Esprit  dans  la 
rémission  des  péchés,  nous  en  faisons  une  occasion 
de  pécher  plus  facilement;  en  quoi  nous  faisons 
injure  à  Vesprit  de  rémission  et  de  grâce  ».  Et  à 
cause  que  nous  ne  savons  pas  le  degré  que  Dieu 
a  marqué  à  cet  attentat  pour  ne  le  pardonner  ja- 
mais ,  nous  ne  cessons  de  l'augmenter  de  jour  en 
jour,  et  nous  multiplions  nos  péchés  par  la  facilité 
que  nous  nous  imaginons  dans  le  pardon.  Mais  Dieu, 
qui  nous  voit  périr,  nous  avertit  qu'il  viendra  un 
point  où  il  cessera  de  pardonner,  et  auquel  à  la 
fin  nous  tomberons  au  dernier  degré  d'endurcisse- 
ment et  à  rimpénitence  finale. 

Craignons  donc  de  résister  au  Saint-Esprit,  de 
peur  qu'enfin  notre  résistance  ne  soit  poussée  jus- 
qu'à la  fin,  par  la  juste  soustraction  de  ces  grâces 
qui  convertissent  les  coeurs.  Craignons,  dis-je,  de 
pousser  à  bout  la  bonté  et  la  patience  de  l'esprit 
qui  remet  les  crimes;  parce  que  nous  ne  savons  jus- 
(ju'où  il  veut  pousser  son  indulgence,  et  que  peut- 
être  le  premier  péché  que  nous  commettrons  sera 
l)arvenu  à  ce  degré  de  malice  qui  lui  est  connu , 
et  qu'il  ne  veut  point  pardonner  à  ceux  qui  auront 
reçu  de  certaines  grâces.  Les  Juifs  en  sont  un 
exemple  ;  et  ils  n'ont  plus  trouvé  de  miséricorde  ni 
(Il  ce  monde  ni  en  l'autre,  à  cause  qu'ils  ont  mé- 
prisé, jusqu'au  point  que  Dieu  ne  voulait  plus  souf- 
frir, la  conviction  du  Saint-Esprit. 

'  Act.  V,  3,4,9.  —  -  Ueb.  \ ,  23. 


X.V  JOUR. 


Mission  du  Saint-Esprit  pour  convaincre  le  inonde  d In- 
justice. Pécbé  contre  le  S;iint-F>prit  Joan.  lo. 

//  convaincra  le  monde  sur  la  justice.  C'est  le 
second  point  sur  lequel  le  Saint-Esprit  devait  con- 
vaincre le  inonde  :  tarce  que  je  m'en  rais  a  mon 
Père;  et  que  vous  ne  me  verrez  plus.  Il  faut  sous- 
entendre  :  Sans  que  pour  cela  vous  cessiez  de  croire 
en  moi,  ou  que  votre  foi  se  ralentisse.  Et  pour 
entendre  cette  seconde  conviction  du  Saint-Esprit 
il  faut  savoir  que  la  justice  chrétienne  vieirt  de  là 
foi  :  selon  cette  parole  du  prophète,  répétée  trois 
fois  par  saint  Paul  :  Le  juste  vit  de  la  foi  «.  Mais 
la  véritable  épreuve  de  la  foi ,  c'est  de  croire  ce 
qu'on  ne  voit  pas.  Tant  que  Jésus-Christ  a  été  sur 
la  terre,  sa  présence  a  soutenu  la  foi  de  ses  dis- 
ciples :  aussitôt  qu'il  fut  arrêté,  leur  foi  tomba  : 
et  ceux  qui  auparavant  croyaient  en  lui  comme  au 
rédempteur  d'Israël ,  commencèrent  à  dire  froide- 
ment :  ^'ous  espérions  qu'il  devait  racheter  Israehf 
comme  s'ils  disaient  :  Mais  maintenant,  après  son 
supplice,  nous  avons  perdu  cette  espérance.  Voilà 
donc  la  foi  des  apôtres  morte  avec  Jésus-Christ. 
Mais  quand  le  Saint-Esprit  l'eut  ressuscitée,  en 
sorte  qu'ils  furent  plus  constamment  et  plus  parfai- 
tement attachés  à  la  personne  et  à  la  doctrine  de 
leur  maître,  qu'ils  ne  l'étaient  pendant  sa  vie  :  on 
vit  en  eux  une  véritable  foi ,  et  dans  cette  foi  la 
véritable  justice,  qui  étant  l'ouvTage  du  Saint-Es- 
prit ,  il  s'ensuit  qu'il  donna  au  monde  luie  parfaite 
conviction  de  la  justice. 

Soyons  donc  vraiment  justes  par  l'esprit  de  la 
foi;  et  sans  nous  attacher  à  ce  que  nous  vovons, 
unissons-nous  à  Jésus-Christ  que  nous  ne  vovons 
pas.  Croyons  fermement  avec  les  apôtres  que  sa 
mort  n'a  pas  été  une  extinction  de  sa  vie;  mais 
comme  il  l'a  dit,  un  passage  à  son  Père;  puisque 
depuis  qu'il  nous  a  qmttés ,  il  a  été  plus  fécond  pour 
nous  en  toutes  sortes  de  grâces.  Travaillons  sans 
cesse  à  la  mort  des  sens;  ne  jugeons  point  de  notre 
bonheur  par  le  jugement;  vivons  dans  l'esprit  de 
la  foi.  Fondons  tous  nos  sentiments  sur  sa  vérité, 
et  écoutons  d'autant  plus  Jésus-Christ  qu'il  nous 
paraît  moins,  fous  avez  cru,  Thomas,  parce  que 
vous  avez  vu:  bienheureux  ceux  qui  croient  et  ne 
voient  pas  ^.  C'est  par  une  telle  foi  que  nous 
sommes  justes. 

XXP  JOUR. 

Mission  du  Saint-Esprit  pour  convaincre  le  monde  de 
l'iniquité  de  son  jugement.  Ibid.  xvi  8  —  11. 

Le  Saint-Esprit  convaincra  le  monde  touchant 
le  jugement,  parce  que  le  prince  de  ce  monde  est 
déjà  jugé.  Jésus-Christ  a  dit  ci-dessus  :  Cest  main- 
tenant que  le  monde  va  être  jugé;  c'est  maintenant 
que  le  prince  de  ce  siècle  va  être  chassé  ^.  Comment 
est-ce  que  Jésus- Christ  juge  le  monde  dans  le  temps 
de  sa  passion?  C'est  en  se  laissant  juger  et  en  iair 

'  Heb.  Il ,  4.  Rom.  i .  17.  Gai.  Ui ,  H.  lUb.  \  ,  -38.  —  '  Luc. 
MIT,  21.  —  *  JmiH.  \X,  2».  —  •  Ibid.  XU,  31. 


9€4 


MÉDITATIONS  SLR  L'ÉVANGILE. 


sant  voîr  par  l'inique  jugement  du  monde  sur  Jé- 
sus-Christ, que  tous  ses  jugements  sont  nuls. 

Le  Saint-Esprit  qui  est  descendu  confirme  ce 
jugement  contre  le  monde.  Qu'a  opéré  le  jugement 
t^u  monde  sur  Jésus-Christ,  rien  autre  chose  qu'une 
démonstration  de  son  iniquité?  La  doctrine  de  Jé- 
sus-Christ, qu'on  croyait  anéantie  par  sa  croix,  se 
relève  plus  que  jamais  :  le  ciel  se  déclare  pour  elle , 
«t  au  détaut  des  Juifs  les  Gentils  la  vont  recevoir 
et  composer  le  nouveau  peuple.  C'est  l'ouvrage  du 
Saint-Esprit  qui,  descendu  en  forme  de  langue, 
montre  l'efficace  de  la  prédication  apostolique. 
Toutes  les  nations  l'entendent  :  de  toutes  les  lan- 
gues il  ne  s'en  fait  qu'une,  pour  montrer  que  l'É- 
vangile va  tout  réunir.  Le  prince  de  ce  monde  est 
jugé  :  tous  les  peuples  vont  consentir  à  sa  condam- 
nation. Jugeons  le  monde  :  condamnons  le  monde. 
L'autorité  qu'il  se  donne  de  nous  tyranniser  par 
ses  maximes  et  ses  coutumes,  a  donné  lieu  à  con- 
damner en  la  personne  de  Jésus-Christ  la  vérité 
même.  O  monde!  je  te  déteste  :  le  Saint-Esprit  te 
convainc  de  fausseté.  N'adhérons  au  monde  par 
aucun  endroit  ;  sa  cause  est  mauvaise  en  tout.  Mes 
petits  enfants ,  n'aimez  point  le  monde ,  ni  tout  ce 
qui  est  dans  le  monde  :  le  monde  n'est  autre  chose 
que  concupiscence  de  la  chair,  sensualité,  plaisirs 
du  corps,  ou  concupiscence  des  yeux,  curiosité, 
avarice  :  et  orgueil  de  la  vie ,  et  tout  cela,  toute 
cette  concupiscence,  ne  vient  point  de  Dieu,  mais 
du  monde  :  et  te  monde  passe  avec  ses  désirs  ' ,  et 
il  n'y  a  que  Dieu  qui  demeure. 

C'est  donc  par  là  que  le  monde  est  jugé  :  la  vie 
que  le  Saint-Esprit  inspire  aux  fidèles  condamne 
toutes  ses  maximes.  Il  n'y  a  plus  d'avarice,  où  cha- 
cun apporte  ses  biens  aux  pieds  des  apôtres;  il  n'y 
a  plus  de  divisions,  ni  de  jalousie,  où  il  n'y  a  qu'un 
cœur  et  qu'une  âme;  il  n'y  a  plus  de  plaisirs  sen- 
suels, où  l'on  a  de  la  joie  d'être  flagellés  par  l'a- 
mour de  Jésus-Christ;  il  n'y  a  plus  d'orgueil,  où 
tout  est  soumis  aux  conducteurs  de  l'Église,  qu'on 
rend  maîtres  de  tous  ses  désirs  et  plus  encore  de 
soi-même  que  de  ses  richesses,  (-ommenoons  donc 
cette  vie  chrétienne  et  apostolique,  et  laissons-nous 
convaincre  par  le  Saint-F^sprit. 

XXII«  JOUR 

L'esprit  de  vérité  enseigne  toute  vérité.  Joan.  xvi , 
12,  13. 

Nous  apprenons  dans  les  ir.  12  et  13,  que  le 
Saint-Esprit  nous  apprendra  ce  que  nous  n'eussions 
pas  pu  porter  sans  lui.  Mais  qu'est-ce  qu'il  y  avait 
de  si  nouveau  et  de  si  étrange  à  nous  dire,  que 
nous  ne  pussions  pas  le  porter  encore?  Notre  fai- 
blesse est  donc  bien  grande,  si  nous  ne  pouvons 
pas  porter  ce  que  Jésus-Christ  même  aurait  à  nous 
dire?  Cela  est  pourtant,  puisqu'il  le  dit. 

Jésus-Christ  attribue  deux  choses  au  Saint-Es- 
prit :  l'une  de  nous  suggérer,  de  rappeler  en  notre 
mémoire,  de  nous  faire  entendre  ce  que  Jésus- 
Chrisl  nous  auj'ait  dit  auparavant^;  c'est  ce  qu'il 

'  1.  Joan.  U,  15,  17.  —  -Jùid  xiv  3<J. 


a  dit  ci-dessus  :  l'autre,  de  nous  apprendre  des 
choses  nouvelles ,  que  nous  n'eussions  pas  pu  por- 
ter d'abord  ' ,  encore  même  que  Jésus-Christ  nous 
les  enseignât.  Apprenons  ici  à  ménager  les  âmes. 
Avec  toute  son  autorité  et  avec  toute  la  lumière 
dont  il  est  rempli,  Jésus-Chrrst  même  se  croit 
obligé  à  ce  ménagement  des  âmes  infirmes  :  à  plus 
forte  raison  les  autres  hommes  doivent-ils  entrer 
dans  cette  condescendance. 

Mais  où  trouverons-nous  des  vérités  plus  fortes 
que  celles  que  Jésus-Christ  vient  d'expliquer  à  ses 
apôtres,  en  leur  disant  qu'o«  les  haïra  jusqu'à 
croire  servir  Dieu  en  les  massacrant*]  Voici 
quelques  vérités  que  Jésus-Christ  n'a  pas  dites, 
ou  sur  lesquelles  il  n'a  pas  appuyé  :  que  les  apôtres 
seraient  obligés ,  non-seulement  à  subir  l'exécration 
de  la  synagogue,  mais  encore  à  se  séparer  d'eux- 
mêmes  du  reste  du  peuple,  comme  il  paraît  dans 
les  Actes;  à  relâcher  l'obligation  de  la  loi,  à  la  re- 
garder comme  un  fardeau  insupportable  aux  Juifs 
mêmes,  selon  ce  qu'ils  disent  dans  les  Actes  :  que 
ni  nos  pères  ni  nous  n'avons  pu  porter^;  à  faire 
voir,  ce  qui  est  bien  plus,  que  non-seulement  la  loi 
n'obligeait  point  les  Gentils,  mais  encore  les  ren- 
dait coupables,  conformément  à  cette  parole  :  Si 
vous  vous  faites  circoncire,  Jésus- Christ  ne  vous 
servira  de  rien  ^.  Voilà  quelque*  partie  des  vérités 
que  les  apôtres  n'auraient  pu  porter,  si  Jésus-Christ 
les  leur  avait  apprises  d'abord.  Et  c'est  pourquoi  il 
les  réserve  au  Saint-Esprit,  qui  aussi,  lorsqu'ils 
furent  obligés  de  les  expliquer  dans  le  concile  de 
Jérusalem,  leur  fait  dire  :  Il  a  semblé  bon  au  Saint- 
Esprit  et  à  nous^. 

,  Que  dirai-je  du  redoutable  secret  de  la  réproba- 
tion des  Juifs,  pour  donner  lieu  aux  Gentils  ;  et  du  re- 
tour futur  de  ces  mêmes  Juifs,  après  que  les  Gen- 
tils seront  entrés  ?  Secret  admirable  qui  donne  lieu 
à  celui  de  la  prédestination,  et  à  ces  terribles  pa- 
roles :  Dieu  a  tout  renfermé  dans  l'incrédulité, 
pour  montrer  que  nul  n'est  sauvé  que  par  sa  misé- 
séricorde^.  C'est  un  secret  dont  Jésus-Christ  a  posé 
les  fondements,  mais  dont  il  laisse  l'application  et 
le  fond  à  développer  à  saint  Paul. 

C'est  encore  un  grand  secret  que  ce  même  apô- 
tre apprend  aux  fidèles  :  qu'il  faut  joindre  à  toutes 
les  persécutions  la  mortification  volontaire,  en 
châtiant  S071  corps,  et  le  réduisant  en  servitude^  : 
chose  que  le  Fils  de  Dieu  n'avait  pas  si  clairement 
expliquée,  que  le  Saint-Esprit  l'a  fait  à  cet  apôtre. 
Ne  poussons  pas  plus  avant  nos  recherches  sur  ces 
vérités  que  Jésus-Christ  semble  réserver  au  Saint- 
Esprit.  Contentons-nous  d'admirer  la  dispensation 
de  la  doctrine  salutaire  ;  et  ne  nous  ménageons  plus 
nous-mêmes,  puisque  Jésus-Christ  nous  a  ménagés 
autant  qu'il  a  été  nécessaire. 

'  Joan.  XVI ,  12.  —  *  Ihid.  2 ,  3.  —  »  Act.  IV,  15,  18 ,  32 ,  .33; 
V,  12,  13,  14;  XV,  1,  2,  5,  7,  11),  2fl,  21  ,  28,  29.  —  '  Rom. 
III,  10.  Gai.  II,  10  ,  18,  20,  21  ;  III,  10,  Il  ,  24,  28;  IV,  9,  10» 
1 1  ;  V,  1 ,  2 ,  etc.  —  »  Act.  xv,.  28.  —  ^  liuiiu  M ,  32.  —  '  1.  Cttr>. 
lX,27.It.  Cor.  IV,  10. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


-'•S 


L 


XXIIl*  JOUR. 

Saint-Esprit  égal  au  Fils  par  ses  œuvres. 

Toules  ces  fonctions  du  Saint-Esprit  l'égalent 
manifestement  au  Fils  de  Dieu,  dont  il  accomplit 
l'ouvrage.  S'il  y  met  la  perfection ,  si  Jésus-Christ, 
pour  ainsi  parler,  lui  en  donne  toute  la  gloire  ;  c'est 
que  la  gloire  du  Saint-Esprit  est  celle  du  Fils  de 
Dieu;  comme  la  gloire  du  Fils  de  Dieu  est  celle  du 
Père,  et  que  la  gloire  de  la  Trinité  est  une  et  in- 
divisible. 

Si  ce  qui  est  réser>é  au  Saint-Esprit  est  si  grand , 
que  les  apôtres  ne  l'auraient  pu  porter,  quoique  an- 
noncé par  Jésus-Christ  même,  il  n'y  a  donc  point 
d'inégalité  dans  les  ouvrages  de  la  Trinité,  du  côte 
des  trois  divines  Personnes;  mais  une  dispensation 
diversifiée,  seulement  par  rapport  à  nous  :  mais 
Jésus-Christ  nous  va  encore  élever  plus  haut;  et 
après  avoir  égalé  le  Saint-Esprit  au  Père  et  au  Fils 
par  ses  œuvres,  il  va  encore  montrer  sa  parfaite 
égalité  par  son  origine. 

XXIV  JOUR  j 

Le  Saint-Esprit  égal  au  Fils  par  son  origine  :  il  annonce  les 
l.s  choses  futures  et  pénètre  le  secret  des  cœurs.  Joan. 

XM,  13.  ; 

Quand  cet  Esprit  de  vérité  viendra,  il  vous  ap-  \ 
prendra  toute  vérité  :  car  il  ne  parlera  pas  de  lui-  '. 
même;  mais  il  vous  dira  ce  qu'il  a  oui,  et  vous  j 
annoncera  les  choses  futures  ' .  ^    I 

Il  ne  dira  que  ce  qu'il  a  ouï  :  mais  il  a  tout  ouï  :  | 
aussi  ensciguera-t-il  toute  vérité.  Il  est  dans  le 
conseil  où  Ton  dit  tout.  Le  Père  dit  tout  par  son  ; 
Fils;  le  Fils  dit  tout  par  sa  naissance.  Si  tout  se  ; 
dit  par  lui ,  il  entend  tout  :  autrement  il  ne  s'en-  ; 
tendrait  pas  lui-même.  On  lui  dit  tout  en  le  pro- 
duisant, puisque  le  produire,  c'est  dire.  Le  Saint-  | 
Esprit  est  le  troisième  dans  ce  secret  :  nulle  créature  . 
n'y  entre.  On  ne  dit  rien  à  demi  dans  cette  unité  :  ; 
on  n'entend  rien  imparfaitement.  C'est  pourquoi , 
t  Esprit  approfondit  tout  :  il  entre  en  tout,  même 
dans  les  profondeurs  de  Dieu  ».  Et  c'est  le  caractère 
que  lui  donne  le  Sauveur  du  monde ,  en  disant  quil 
nous  enseigne  toute  vérité,  et  annonce  les  choses 
futures. 

Le  Saint-Esprit  est  celui  qui  parle  aux  prophè- 
tes. Quand  il  parle  eu  eux,  c'est  Dieu  qui  parle,  et 
on  l'appelle  l'esprit  prophétique  :  ce  qui  l'égale  par- 
faitement au  Père  et  au  Fils;  puisque  comme  eux 
il  entre  dans  le  grand  secret  réservé  à  Dieu,  qui  est 
celui  de  Pavenir^. 

Il  entre  par  la  même  raison  dans  cet  autre  intime 
secret ,  qui  est  la  connaissance  du  secret  des  cœurs. 
Qui  voit  le  secret  de  Dieu,  que  ne  voit-il  pas?  Par 
qui  est-ce  que  saint  Pierre  a  vu  le  secret  d'Ananias 
et  de  Saphira,  dans  la  vente  de  leurs  biens  ?  Aussi 
en  mentant  à  Pierre,  ils  mentirent  au  Saint-Esprit  ■>. 
Par  qui  est-ce  que  le  secret  des  cœurs  était  mani- 
festé ài^m  ces  assemblées  dont  parle  saint  Paul  :  ce 

'  Joan.  xs\,  13.  —  »  I.  Cor.  il ,  10.  —  '  /5.  XLvni ,  16;  ui, 
5\-  LU,  I.  Zach.  vn,  12.  I.  Cor.xiv,  32.  Apoc.  xxii,  Q  — 
♦  4r.L^,  «,4,9. 


qui  fait  dire  à  tout  le  monde ,  que  Dieu  est  au  mi- 
lien  de  nous  •  ?  Comment  ?  sinon  par  l'esprit  de  pro- 
phétie, qui  est  dans  le  même  lieu  l'ouvrage  du 
Saint-Esprit,  à  qui  toutes  ces  grâces  sont  attri- 
buées, conformément  à  cette  parole  :  Un  seul  Esprit 
opère  ces  choses,  les  partageant  a  chacun  selon 
qu'il  lui  plaît  '. 

XXV  JOUR. 

Origine  du  Saint-Esprit  Ordre  des  Personne»  dirines. 
Joan.  XVI,  M,  15. 

lime  glorifiera ,  parce  qu'il  prendra  du  mien  ^. 
Que  Jésus-Christ  daigne  nous  parler  de  ces  com- 
munications intérieures  des  Personnes  divines,  et 
nous  faire  entrer  en  quelque  façon  dans  cet  ineffa- 
ble secret ,  il  y  a  de  quoi  s'en  étonner.  Vraiment 
il  nous  traite  en  amis,  comme  il  disait  lui-même, 
en  nous  apprenant  non-seulement  ce  qu'il  fait  au 
dehors,  mais  encore  ce  qu'il  produit  au  dedans.  // 
prendra  du  niien  :  le  Fils  a  tout  pris  du  Père ,  et  il 
glorifie  le  Père  :  le  Saint-Esprit  prend  du  Fils  ,  et  il 
glorifie  le  Fils.  Il  semble  que  c'est  là  le  but  de  cette 
parole.  Mais  écoutons  de  quelle  sorte  Jésus-Christ 
s'explique.  11  ne  dit  pas  :  //  prendra  de  moi  :  mais. 
Il  prendra  du  mien.  O  Sauveur,  que  voulez-vous 
dire?  M'est-il  permis  de  le  chercher?  ou  bien  m'en 
tiendrai-je  à  ce  que  vous  dites,  sans  rien  dire,  ni 
rien  chercher  davantage  dans  cette  parole?  Mais 
votre  Église  y  a  trouvé,  que  le  Saint-Esprit  procé- 
dait de  votre  Père  et  de  vous,  et  que  c'était  pour 
cela  que  le  Saint-Esprit  était  votre  Esprit,  comme 
il  était  l'Esprit  du   Père.  Il  est  appelé  l'Esprit  de 
Jésus-Christ  :  Spiritus  Christi*.  Il  est  à  Jésus-Christ. 
Jésus-Christ  l'envoie  :  par  quelle  autorité,  si  ce  n'est 
par  l'autorité  de  principe  et  d'origine?  Car  il  ne 
peut  y  en  avoir  d'autres  entre  les  Personnes  divines. 
Voilà  la  doctrine  de  l'Église  catholique,  et  la  tra- 
dition des  saints.  Je  la  reçois,  j'adore  cette  vérité. 
O  Jésus,  encore  un  coup,  quelle  merveille  que  vous 
daigniez  nous  parler  de  ces  hauts  mystères,  à  nous 
qui  ne  sommes  que  terre  et  cendre!  Avec  quelle 
foi,  avec  quelle  reconnaissance,  avec  quel  amour 
devons-nous  écouter  ces  paroles  !  Seigneur,  ce  n'est 
pas  en  vain  que  vous  nous  parlez  de  ces  choses  :  vous 
nous  en  montrez  une  étincelle  durant  cette  vie, 
dans  le  dessein  de  nous  en  montrer  à  découvert  la 
pleine  lumière  au  jour  de  l'éternité,  rs'ous  verrons  ce 
que  veut  dire  :  Il  prendra  du  mien,  et  il  me  glori- 
fiera ,  et  il  vous  l'annoncera.  Tout  ce  qui  est  a  mon 
Père,  esta  moi  :  et  c'est  pourquoi  je  vous  ai  dit 
qu'il  prendra  du  mien  :  et  il  vous  annoncera  ce 
qu'il  en  aura  pm^. 

Le  Saint-Esprit  prend  du  Père  dont  il  procède 
primitivement ,  et  en  prenant  du  Père  ,  il  prend 
ce  qui  est  au  Fils,  puisque  tous  est  commun  entre 
le  Père  et  le  Fils  :  excepté  sans  doute  d'être  Père  : 
car  c'est  cela  qui  est  propre  au  Père,  et  non  pas 
commun  au  Père  et  au  Fils.  Le  Fils  a  donc  tout 
ce  qu'a  le  Père ,  excepté  d'être  Père  :  il  a  donc  aussi 

'  1.  Ctir.  XIV,  2t ,  2.5.  —  '  Ibi'l.  XII ,  M.  —  -JotUi.  XVI ,  14.  — 
'  «  I.  Piir.  1,1/.  —  ^  Joan.  XVI,  M,  15. 


?66 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


«rétre  principe  du  Saint-Esprit  :  car  cela  n'est  pas 
être  Père  :  le  Fils  prend  cela  du  Père;  et  le  Père, 
qui,  en  l'engendrant  dans  son  sein  ,  lui  communi- 
que tout  excepté  d'être  Père,  lui  communique  par 
conséquent  d'être  le  principe  productif  du  Saint-Es- 
prit. C'est  pourquoi  le  Saint-Esprit  est  l'Esprit  du 
Père  comme  du  Fils,  envoyé  en  unité  de  l'un  et  de 
l'autre ,  procédant  de  l'un  et  de  l'autre ,  comme  d'un 
seul  et  même  principe  :  parce  que  le  Fils  a  reçu  du 
Père  d'être  principe  du  Saint-Esprit.  Et  c'est  pour- 
quoi Jésus-Christ  ne  dit  pas  :  Il  prendra  de  moi; 
parce  que  ce  serait  dire  en  quelque  façon,  qu'il  en 
serait  le  seul  principe,  et  que  le  Saint-Esprit  procè- 
de du  Fils  comme  le  Fils  procède  du  Père  :  c'est-à- 
dire  de  lui  seul.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  :  car  le 
Saint-Esprit  procède  du  Père  radicalement;  et  s'il 
procède  du  Fils,  c'est  du  Père  que  le  Fils  a  pris  de 
le  produire  :  et  c'est  pourquoi  il  dit  plutôt  :  Il  pren- 
dra du  mien ,  que  de  dire  :  //  prendra  de  moi. 
Parce  qu'encore  qu'en  effet  il  prenne  de  lui,  il  ne 
prend  de  lui  que  ce  que  lui-même  a  pris  du  Père. 
Il  procède  donc  du  Père  et  du  Fils  :  mais  il  procède 
du  Père  par  le  Fils;  parce  que,  cela  même  que  le 
Saint-Esprit  procède  du  Fils,  le  Fils  l'a  reçu  du 
Père,  de  qui  il  a  tout  reçu. 

C'est  ce  qui  explique  la  raison  mystique  et  pro- 
fonde de  l'ordre  de  la  Trinité.  Si  le  Fils  et  le  Saint- 
Esprit  procèdent  également  du  Père,  sans  aucun 
rapport  entre  eux  deux,  on  pourrait  aussitôt  dire, 
le  Père,  le  Saint-Esprit  et  le  Fils,  que,  le  Père, 
le  Fils  et  le  Saint-Esprit.  Or,  ce  n'est  pas  ainsi  que 
Jésus-Christ  parle.  L'ordre  des  Personnes  est  invio- 
lable; parce  que  si  le  Fils  est  nommé  après  le  Père, 
parce  qu'il  en  vient;  le  Saint-Esprit  vient  aussi  du 
Fils,  après  lequel  il  est  nqmmé;  et  il  est  l'Esprit  du 
Fils  comme  le  Fils  est  le  Fils  du  Père.  Cet  ordre 
ne  peut-être  renversé  :  c'est  en  cet  ordre  que  nous 
sommes  baptisés,  et  le  Saint-Esprit  ne  peut  non 
plus  être  nommé  le  second,  que  le  Fils  peut  être 
nommé  le  premier. 

Adorons  cet  ordre  des  trois  Personnes  divines  et 
les  mutuelles  relations  qui  se  trouvent  entre  les 
trois,  et  qui  font  leur  égalité,  comme  leur  distinc- 
tion, et  leur  origine.  Le  Père  s'entend  lui-même, 
se  parle  à  lui-même;  et  il  engendre  son  Fils,  qui  est 
sa  parole.  Il  aime  cette  parole  qu'il  a  produite  de 
son  sein ,  et  qu'il  y  conserve  ;  et  cette  parole  qui  est 
en  même  temps  sa  conception,  sa  pensée,  son 
image  intellectuelle  éternellement  subsistante,  et 
dès  là  son  Fils  unique  l'aime  aussi,  comme  un  Fils 
parfait  aime  un  Père  parfait  :  mais  qu'est-ce  que 
leur  amour,  si  ce  n'est  cette  troisième  personne, 
et  le  Dieu  amour,  le  don  commun  et  réciproque  du 
Père  et  du  Fils,  leur  lien,  leur  nœud,  leur  mutuelle 
union,  en  qui  se  termine  la  fécondité,  comme  les 
opérations  de  la  Trinité  .'*  Parce  que  tout  est  accom- 
pli ,  tout  est  parfait,  quand  Dieu  est  infiniment  ex- 
primé dans  le  Fils ,  et  infiniment  aimé  dans  le  Saint- 
^:sprit;  et  qu'il  se  fait  du  Père,  du  Fils,  et  du 
Saint-Esprit ,  une  très-simple  et  très-parfaite  unité  : 
tout  y  retournant  au  principe,  d'où  tout  vient  ra- 
dicalement et  primitivement ,  qui  est  le  Père ,  avec 


un  ordre  invariable  :  l'unité  féconde  se  multipliant 
en  dualité,  c'est-à-dire  jusqu'au  nombre  de  deux, 
pour  se  terminer  en  Trinité  :  en  sorte  que  tout  est 
un,  et  que  tout  revient  à  un  seul  et  même  principe. 
C'est  la  doctrine  des  saints  :  c'est  la  tradition 
constante  de  l'Église  catholique.  C'est  la  matière 
de  foi  ;  nous  le  croyons  :  c'est  le  sujet  de  notre  es- 
pérance ;  nous  le  verrons  :  c'est  l'objet  de  notre 
amour  ;  car  aimer  Dieu  c'est  aimer  en  unité  le  Y*ère , 
le  Fils,  et  le  Saint-Esprit  ;  aimer  leur  égalité  et  leur 
ordre;  aimer,  et  ne  point  confondre  leurs  opéra- 
tions, leurs  éternelles  communications,  leurs  rap- 
ports mutuels ,  et  tout  ce  qui  les  fait  un ,  en  les  fai- 
sant trois  :  parce  que  le  Père,  qui  est  un  ,  et  prin- 
cipe immuable  d'unité ,  se  répand ,  se  communique 
sans  se  diviser.  Et  cette  union  nous  est  donnée 
comme  le  modèle  de  la  nôtre  :  O  mon  Père,  qu'ils 
soient  un  en  nous,  comme  vous,  mon  Père,  êtes 
en  moi,  et  moi  en  vous  ;  ainsi  qu'ils  soient  un  en 
nous  '.  O  Dieu,  Père,  Fils,  et  Saint-Esprit,  je  me 
reconnais  en  tout  et  partout,  fait  à  votre  image, 
à  l'image  de  la  Trinité  :  conformément  à  cette  parole  : 
Faisons  l'homme  à  notre  image  et  resse^nblance  »  : 
puisque  même  l'union  que  vous  voulez  établir  entre 
nous ,  est  l'image  imparfaite  de  votre  parfaite  unité? 
O  charité!  tu  dois  croître  et  te  multiplier  jusqu'à 
l'infini  dans  les  fidèles  :  puisque  le  modèle  d'union 
et  de  communication  qu'on  te  propose ,  est  un  mo- 
dèle dont  tu  ne  peux  jamais  atteindre  la  perfection  : 
et  tout  ce  que  tu  peux  faire ,  c'est  de  croître  tou- 
jours en  l'imitant,  en  communiquant  de  plus  en  plus 
tout  ce  qu'on  a  à  ses  frères,  lumière,  instruction  , 
conseil ,  correction  quand  il  lefaut;  amour ,  tendresse, 
vertu,  par  l'édification  et  le  bon  exemple,  support 
mutuel  ;  et  à  plus  forte  raison ,  biens ,  richesses , 
subsistance ,  et  tout  jusqu'au  pain  que  nous  man- 
geons, que  devons  partager  avec  les  pauvres. 

La  mission  du  Saint-Esprit  est  expliquée.  Nous 
en  avons  vu  les  effets  égaux  à  ceux  qu'a  produits 
le  Fils.  Nous  en  avons  vu  l'origine  dans  l'éternelle 
communication  des  trois  divines  Personnes.  Écou- 
tons la  suite  des  paroles  de  notre  Sauveur. 

XXVP  JOUR. 

Qu'est-ce  à  dire  :  Encore  un  peu  de  temps?  Joan. 
XVI,   16. 

Encore  un  peu  de  temps,  et  vous  ne  me  verrez 
plus  ;  encore  tin  peu  de  temps ,  et  vous  me  verrez, 
parce  que  je  m'en  retouriie  à  mon  Père  ^. 

Depuis  le  f.  9  du  ch.  xiv,  jusqu'à  la  fin,  que 
Jésus-Christ  sort  de  la  maison  ;  et  dans  le  ch.  xv  et 
dans  le  xvi%  jusqu'à  ce  verset,  Jésus-Christ  a 
parlé  seul  sans  discontinuation,  et  sans  être  inter- 
rompu par  ses  disciples ,  si  ce  n'est  par  ce  petit  mot 
de  saint  Jude  :  D'où  vient.  Seigneur,  que  vous  vous 
découvrirez  à  nous ,  et  non  pas  au  monde  •<  ?  A  quoi 
i  Jésus-Christ  ne  répond  pas,  ou  n'y  répond  qu.'in- 
I  directement,  en  continuant  son  discours.  Ils  Tin^ 
,  terrompent  ici  plus  ouvertement,  en  se  disant  les 
I 

]       '  Joan.  XVII,  21.  —  2  Gen.  i,  26,  —  ^Joan.  XVI,  16.  —  * Ibid. 
xiv,  22. 


MKDITATIOINS  SUR  L'ÉVANGILE. 


767 


uns  aux  autres  :  Que  veut-il  dire:  Kncore  un  peu , 
vtvous  ne  me  verrez  pi  us?  et  ils  disaient  :  Que  veut 
dire  ce  j)eu  de  temps  ?  yous  ne  savons  ce  qu'il  veut 
dire'.  Kt  Jésus,  qui  avait  prévu  cette  interruption, 
et  qui  avait  comme  jeté  cette  parole  pour  y  donner 
lieu,  dans  le  dessein  d'en  tirer  une  grande  consola- 
tion et  une  grande  instruction  pour  eux ,  reprend 
la  parole  en  cette  sorte  :  /  ous  vous  demandez  les 
uns  aux  autres,  ce  que  veut  dire  ce  peu  de  temps  : 
Ln  vérité  ;  en  vérité,  je  vous  le  dis  ;  vous  gémirez , 
et  VOUS  pleurerez,  vous  autres,  et  le  monde  se  ré- 
jouira :  7nais  votre  tristesse  sera  changée  en  joie  *. 

11  y  avait  quelque  sorte  d'ambiguité  dans  ce  dis- 
cours du  Sauveur  :  Encore  un  peu,  et  vous  tic  me 
verrez  plus,  etc.  On  pouvait  entendre  :  Dans  peu 
vous  cesserez  de  me  voir  ;  car  je  vais  mourir  :  et 
dans  peu  vous  me  reverrez,  car  je  ressusciterai  ;  les 
ombres  de  la  mort  ne  me  peuvent  pas  retenir,  et  il 
faut  que  je  retourne  à  mon  Père.  Durant  le  temps 
que  je  serai  dans  le  tombeau ,  le  monde  triomphera , 
et  il  croira  être  venu  à  bout  de  ses  desseins,  et  vous 
serez  dans  la  désolation  et  dans  l'oppression  comme 
un  troupeau  dispersé.  Mais  à  ma  résurrection,  qui 
suivra  de  près ,  la  joie  vous  sera  rendue ,  et  la  confu- 
sion à  vos  ennemis.  C'est  ainsi  qu'on  pouvait  enten- 
dre ces  prompts  passages  de  la  privation  à  la  vue, 
et  de  la  vue  à  la  privation.  Mais  la  suite  nous  fait 
voir  que  Jésus-Christ  regarde  plus  loin.  Nous  ces- 
serons de  le  voir  :  non  précisément  à  cause  qu'il  ira  à 
la  mort,  mais  à  cause  qu'il  montera  aux  cieux,  à  la 
droite  de  son  Père  :  et  nous  le  reverrons  pour  ne  le 
plus  perdre ,  lorsqu'il  viendra  des  cieux  une  seconde 
fois  pour  nous  y  ramener  avec  lui.  Ainsi  ce  qu'il  ap- 
pelle un  peu  de  temps,  c'est  tout  le  temps  de  la  du- 
rée de  ce  siècle  ;  tant  à  cause  que  ce  temps  finit  bien- 
tôt pour  chacun  de  nous,  qu'à  cause  qu'en  le 
comparant  à  l'éternité  qui  doit  suivre ,  c'est  moins 
qu'un  moment. 

Apprenons  donc  que,  selon  le  langage  du  Sauveur, 
qui  est  celui  de  la  vérité ,  tout  ce  qui  est  temps  n'est 
qu'un  point ,  et  moins  que  rien  ;  et  que  ce  qui  dure , 
ce  qui  est  véritablement,  c'est  l'éternité,  qui  ne  passe 
jamais.  Comptons  pour  rien  tout  ce  qui  passe.  Il  y 
a  près  de  dix-sept  cents  ans  depuis  l'ascension  de  notre 
Seigneur  :  et  tout  cela  devant  Jésus-Christ,  qin  est 
le  Père  du  siècle  futur  ^ ,  n'est  peut-être  qu'une  très- 
petite  partie  de  tout  le  temps  qui  se  trouvera  du  jour 
de  l'ascension  à  la  fin  du  monde,  que  Jésus-Christ 
a  compté  pour  rien.  Les  siècles  sont  donc  moins 
que  rien  :  mille  ans  valent  moins  qu'un  jour  selon 
cette  mesure.  Que  serait-ce  donc  que  les  souffrances 
de  cette  vie ,  si  nous  avions  de  la  foi  ?  Nos  sens  nous 
trompent  :  tout  le  temps  n'est  rien  :  tout  ce  qui  passe 
n'est  rien  :  accoutumons-nous  à  juger  du  temps  par 
la  foi.  Selon  cette  règle,  qu'est-ce  que  dix  ans,  qu'est- 
ce  qu'une  année,  et  un  mois,  et  un  jour  de  peine.? 
Et  cependant  cette  heure  nous  paraît  si  longue! 
Gens  de  peu  de  foi,  quand  serons-nous  chrétiens.' 
quand  jugerons-nous  du  temps  par  rapport  à  l'éter- 
i.ité.? 

•  yoaTi.XTI,  17,  18.  —  '  Ihld.  XVI,  19,  20.  —  '  Js.  ix,6. 


xxvir  JOUR. 


Tristesse  changée  en  Joie.  Jtam.  xvt,  20. 

rotis  pleurerez,  et  le  monde  se  réjouira  :  mais 
votre  tristesse  sera  changée  en  joie  '.  Disons  ici  avec 
cet  ancien  :  Je  ne  veux  pas  me  réjouir  avec  le  monde, 
de  peur  de  m'affliger  un  jour  avec  lui.  Je  ne  veux  pa.s, 
pour  sa  joie  courte  et  trompeuse,  m'attirer  l'acca- 
blement et  le  poids  d'une  éternelle  douleur.  Ne  vous 
laissez  pas  tromper  aux  joies  du  monde,  ni  à  cette 
fleur  qui  tombe  du  matin  au  soir.  Ne  nous  abandon- 
nons jamais  à  la  joie;  car  c'est  nous  abandonner  à 
l'illusion.  Disons  au  ris  :  Tu  es  un  menteur;  et  à  la 
joie  :  Tu  nous  trompes  >.  Les  saints  Pères  ne  vou- 
laient pas  qu'un  chrétien  s'abandonnât  à  la  joie,  jus- 
qu'à rire  avec  éclat.  Il  faut  nourrir  dans  notre  cœur 
une  sainte  et  salutaire  tristesse  par  le  souvenir  de 
nos  péchés ,  par  la  crainte  du  jugement  de  Dieu ,  et 
par  un  saint  dégoût  des  biens  du  monde.  Cette  tris- 
tesse ne  sera  pas  seulement  changée  en  joie  dans  le 
jour  de  l'éternité  ;  mais  dès  le  siècle  présent,  la  joie 
de  Jésus-Christ  triomphera  dans  notre  cœur  :  et 
c'est  de  ce  fond  de  joie  que  goûtera  au  dedans  un 
cœur  attaché  à  Jésus-Christ,  que  sortira  ce  dégoût 
des  plaisirs  du  monde,  qui  ne  sont  qu'illusion,  ten- 
tation et  corruption. 

Goûtez ,  et  voyez  combien  le  Seigneur  est  doux  ^l 
combien  est  douce  la  vérité,  la  justice,  la  bonne  es- 
pérance, le  chaste  désir  de  le  posséder  :  et  vous  gé- 
mirez de  vous  voir  au  milieu  des  tromperies  et  des 
erreurs;  et  vous  jetterez  un  doux  et  tendre  soupir 
vers  la  cité  sainte,  que  Dieu  nous  a  préparée,  où 
règne  la  venté ,  où  se  trouve  la  paix  éternelle ,  et 
tout  le  bien  avec  Dieu. 

XXVIIP  JOUR. 

Souffrir,  se  faire  \1olence.  Joan.  xvi,  21. 

Apprenons  du  :i^.  21 ,  à  enfanter  notre  salut  avec 
peine.  Quel  effort  ne  faut-il  pas  faire,  pour  faire 
mourir  ses  passions,  ses  mauvais  désirs,  et  tout  ce 
que  l'Écriture  appelle  le  vieil  homme!  On  croit 
mourir  en  effet,  quand  il  faut  s'arracher  du  cœur 
tout  ce  qui  plaît.  Quelle  vie,  dit-on,  sera  la  nôtre, 
quand  nous  aurons  retranché  ces  doux  commerces , 
ces  jeux,  ces  plaisirs!  tout  sera  triste,  ennuyeux, 
insupportable.  Songeons  que  c'est  là  le  temps  du 
travail,  où  il  faut  avec  violence  enfanter  un  nouvel 
esprit.  Tous  les  cris  d'une  femme  qui  accouche  sont 
oubliés  au  moment  qu'elle  a  mis  un  enfant  au 
monde*.  Quelle  doit  donc  être  notre  joie,  quand  ce 
n'est  pas  un  autre,  mais  nous-mêmes,  que  nous  fai- 
sons naître ,  pour  changer  la  vie  du  péché  en  la  vie 
de  Dieu. 

Qu'il  me  coûte  de  sacrifier  ce  ressentiment ,  de  re- 
noncer à  ce  plaisir,  de  pratiquer  cette  humilité ,  de 
supporter  cette  médisance  !  Chrétien ,  quand  veux-tu 
donc  t'enfanter  toi-même?  Tu  ne  feras  point  ton 
salut ,  tu  ne  rompras  point  tes  fers ,  tu  ne  deviendras 
point  un  nouvel  homme ,  sans  te  faire  cette  violencn. 

»  Joan.  XVI,  20.  —  *  Ecd.  il,  2.-3  Ps.  xxxiii,  9.  —  <  Joan, 
XVI.  a». 


76S 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


])c  quelle  paix,  de  quelle  joie,  la  verras-tu  bientôt 
suivie  !  Ha!  je  commence  à  vivre,  depuis  que  je  vis 
pour  Dieu,  et  que  je  me  suis  ouvert  le  ciel  ! 

Aimer  Dieu  ,  c'est  la  vie  :  on  ne  saurait  l'acheter 
par  trop  de  travaux ,  par  trop  de  morts. 

XXIX''  JOUR. 

Joie  qui  ne  peut  être  ravie.  Joan.  xvi,  22. 

Personne  ne  vous  ravira  votre  joie^ .  D'où  vient 
notre  joie?  De  notre  bonheur.  Quand  donc  nous 
mettrons  notre  bonheur  dans  un  bien  qui  ne  pourra 
nous  être  ravi,  notre  joie  ne  pourra  aussi  nous  être 
ôtée.  Qu'est-ce  qui  doit  faire  notre  bonheur.?  C'est 
que  Dieu,  que  nous  aimons,  soit  heureux  et  le  seul 
puissant  :  beatus  et  solus  potens ,  comme  dit  saint 
Paul  *.  Si  nous  aimons  Dieu  de  tout  notre  cœur,  de 
toute  notre  intelligence,  de  toutes  nos  forces;  comme 
nous  ne  pouvons  rien  contribuer  à  son  bonheur,  no- 
tre partage  est  de  nous  en  réjouir.  Réjouissons-nous 
de  la  gloire  de  Dieu,  de  sa  perfection ,  de  son  bon- 
heur, de  la  naissance  éternelle  de  son  Verbe,  de  l'é- 
ternelle procession  de  son  Saint-Esprit,  de  ce  qu'il 
se  connaît,  de  ce  qu'il  s'aime,  de  ce  qu'il  est  tout  ac- 
tion, tout  intelligence,  tout  amour,  toute  vie  :  si 
grand  ,  qu'il  ne  peut  rien  acquérir;  aussi  bienfaisant 
que  riche,  plein  de  vie ,  plein  d'être ,  l'être  même,  la 
vérité  même,  le  parfait,  le  tout.  Qui  nous  peut  ôter 
ce  sujet  de  joie?  Il  faudrait  pouvoir  ôter  Dieu  :  et  en 
rotant ,  s'ôter  soi-même,  et  tout  être ,  et  ne  laisser 
que  le  néant.  Tout  ce  qu'on  nous  peut  ôter,  c'est  la 
joie  que  nous  avons  de  l'être  de  Dieu.  Mais  qui  nous 
la  peut  ôter,  si  ce  n'est  nous-mêmes  par  le  péché? 
Viendra  le  temps  où  le  péché  étant  entièrement  dé- 
truit en  nous ,  nous  ne  cesserons  non  plus  de  mettre 
toute  notrejoie  dans  l'éternelle  félicité  et  perfection 
de  Dieu ,  que  Dieu  cessera  d'être  heureux  et  parfait. 
Alors  donc  nous  serons  parfaitement  heureux,  et 
notrejoie  ne  pourra  plus  nous  être  ravie. 

Réjouissons-nous  en  même  temps  de  ce  que  Jésus- 
Christ  est  entré  dans  la  gloire  de  son  Père  :  Si  vous 
m'aimiez,  dit-il,  vous  vous  réjouiriez  de  ce  que  je 
retourne  à  mon  f  ère, parce  que  mon  Père  étant  plus 
grand  que  moi^ ,  selon  la  nature  que  j'ai  prise ,  re- 
tourner à  mon  Père  c'est  retourner  au  centre  de  la 
grandeur  et  de  la  félicité. 

Dieu  est  une  nature  heureuse  et  parfaite,  et  en 
même  temps  une  nature  bienfaisante  et  béatifiante  : 
l'aimer,  c'est  vivre  ,  c'est  être  juste ,  c'est  être  véri- 
table ,  c'est  être  heureux,  c'est  être  parfait,  autant 
que  le  peut  être  ce  qui  n'est  pas  Dieu.  Mais  Dieu 
nous  apprend  qu'il  nous  fait  dieux  ;  un  même  esprit 
avec  lui;  participants,  associés  à  la  nature  divine, 
à  la  sagesse,  à  la  vie,  à  l'éternité,  à  la  félicité  de 
Dieu.  Lui  qui  est  son  bonheur,  devient  le  nôtre  : 
notre  bonheur  est  par  conséquent  le  bonheur  de 
Dieu.  Dieu  se  donne  à  nous  tout  entier  :  nous  le  ver- 
rons; nous  l'aimerons,  assurés  de  ne  cesser  jamais 
de  le  voir  et  de  l'aimer.  En  ce  jour-là ,  dit  le  Sau- 
veur, vous  ne  m'interrogerez  plus  de  rien;  car 
tvtus verrez  à  découvertla  vérité  même.  Vivez  donc, 

«  Joan.  XVI, 22.  —M.  Tim.y\,  16.  —  3  Joan-  xiv,  28 


et  réjouissez-vous  dans  cette  espérance.  INTois  en 
attendant,  que  ferons-nous  au  milieu  de  tant  de 
besoins,  de  tant  d'indigence?  Fous  n'avez  qu'a 
demander  :  tout  ce  qui  vous  sera  nécessaire,  vous 
sera  donné  enmonnom^.  Vous  n'êtes  donc  plus  in- 
digents, puisque  vous  avez  le  nom  par  lequel  vous 
pouvez  tout  obtenir. 

XXXe  JOUR. 

Qu'est-ce  qu'on    doit  demander  au  nom  de  Jésus-Christ 
Joan.  XVI,  24. 

Jusqu'ici  vous  n'avez  rien  demandé  en  mon 
nom\  Eh  quoi!  lorsqu'ils  lui  disaient  :  Seigneur, 
apprenez-nous  àprier  ;  et  encore  :  .augmentez-nous 
lafoi^  :  n'était-ce  pas  de  lui,  et  par  lui ,  qu'ils  es- 
péraient cette  grâce? 

Leurs  demandes  n'étaient  pas  encore  assez  épu- 
rées.  A  l'occasion  du  royaume  de  Jésus-Christ,  il.s 
s'étaient  mis  dans  l'esprit  des  idées  de  grandeur  et 
d'ambition,  qui  tenaient  beaucoup  de  l'esprit  judaï- 
que. L'attache  sensible  qu'ils  avaient  à  sa  personne  , 
était  un  obstacle  à  l'amour  spirituel  qu'il  leur  de- 
mandait. Lorsque  leur  foi  fut  épurée  par  sa  croix  , 
par  son  absence ,  et  par  l'opération  du  Saint-Espi  ii , 
ils  apprirent  ce  qu'il  fallait  demander  au  nom  (i> 
Jésus-Christ,  qui  était  de  lui  être  conforme,  et  d' 
marcher  après  lui  dans  la  route  des  croix  et  de  jd 
mort.  Que  pouvez-vous  demander  au  nom  de  Jésu-;- 
Christ,  sinon  les  choses  que  vous  voyez  en  lui  ! 
Prends  bien  garde ,  âme  chrétienne ,  ce  que  c'est  que 
Jésus-Christ;  et  par  là  tu  apprendras  ce  que  tu  dois 
demander  en  son  nom. 

C'est  ce  que  les  apôtres  n'entendaient  pas  en- 
core; et  loin  de  vouloir  porter  leur  croix  avec  Jé- 
sus -  Christ ,  ils  ne  voulaient  pas  même  entendre 
ce  qu'il  leur  disait  de  la  sienne.  Ce  discours  était 
caché  à  leurs  yeux  ;  et  ils  craignaient  de  l'interro- 
ger sur  ce  discours^  :  parce  qu'ils  craignaient  d'ap- 
prendre trop  leurs  obligations  ,  en  découvrant  les 
dispositions  de  leur  maître.  Ainsi  comme  ils  répu- 
gnaient beaucoup  à  la  croix,  ils  ne  savaient  guère 
cequ'il  fallait  demander  au  nom  de  Jésus-Christ  cru- 
cifié; et  c'est  pourquoi  il  leur  dit  .  Jusqu'ici  vous 
n'avez  rien  demandé  en  mon  nom  ;  demandez  et 
vous  recevrez,  afin  que  votre  joie  s'accomplisse  ^. 

La  joie  qu'il  leur  promet  ici  n'est  pas  une  joie 
sensible  :  c'est  une  joie  dans  la  foi,  c'est  une  joie 
dans  la  croix ,  comme  celle  de  Jésus  -  Christ,  "qui 
est  monté  sur  la  croix  en  se  proposant  une  granae 
joie  6.  Quelle  joie,  si  ce  n'était  celle  de  glorifier 
son  Père,  et  de  contenter  son  amour,  en  sauvant 
les  homnws?  Ainsi  nous  devons  apprendre  a  met- 
tre toute  notrejoie  à  le  glorifier,  ce  qui  nous  fera 
réjouir  dans  nos  souffrances;  ce  qui  inspira  aux 
apôtres  cette  joie  qu'ils  ressentirent  d'avoir  élc 
flagellés  pour  le  nom  de  Jésus-Christ  7.  Alors  donc 
ils  avaient  appris  ce  qu'on  reçoit  et  ce  qu'on  doit 
demander  en  son  nom ,  qui  est  d'apprendre  à  se 
glorifier,  à  se  réjouir  dans  ce  qu'on  gouffre  pour  lui. 

•  Joan.  XVI,  23.  —  >  Ibid.  24.   —  3  Luc.  XT,  I;  XTII,  5 

—  *  Ihid.  IV ,  44  ,  45  ;  XVIII ,  34.  —  '  Jmn.  xyi ,24 «  //,;& 

XII,  2.  —^  /tel.  V,  41.     ^ 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


i60 


La  pationcp  est  le  seul  moyen  de  surmonter  les 
vices ,  et  dVpurcr  les  vertus.  La  patience  chré- 
tienne apprend  noii-seulcment  à  porter  sans  mur- 
mure, mais  encore  à  se  réjouir  dans  les  souffran- 
ces que  Dieu  envoie.  Se  fonder  sur  la  patience  ,  et 
s'unir  à  la  croix  de  Jésus-Christ ,  c'est  le  moyen 
de  prier  en  son  nom ,  et  c'est  par  là  qu'on  obtient 
tout. 

XXX1«  JOUR. 

Trtul  noos  vient  par  Jésos-Chriât  Joan.  xvi ,  25 ,  —  28. 

Je  vous  ai  du  ceci  en  paraboles  :  je  ne  me  suis  pas 
encore  entièrenient  expliqué  sur  mon  départ;  je 
vous  en  vais  maintenant  parler  à  découvert  :  vous 
.-liiez  tout  voir  en  trois  mots  :  Je  suis  sorti  de  Dieu, 
cl  je  suis  venu  au  monde  :  maintenant  je  quitte  le 
inonde  j  et  je  m'en  retourne  à  mon  Père  '.  Il  Gnit 
là  son  discours ,  comme  n'ayant  plus  rien  à  leur 
expliquer,  après  leur  avoir  dit  si  nettement ,  d'où 
il  venait ,  et  l'obligation  qu'il  avait  d'y  retourner. 

Les  apôtres  vont  entendre  plu»  que  jamais  cette 
vérité  qui  leur  ôtera  toutes  leurs  erreurs  sur  le 
règne  de  Jésus-Christ.  Ils  s'étaient  grossièrement 
attendus  à  le  voir  établir  sur  la  terre  avec  un  éclat 
mondain  ;  mais  cette  pensée  n'a  plus  de  lieu  depuis 
que  Jésus-Christ  montait  au  ciel.  Car  on  voit  là, 
que  son  royaume  n'est  pas  de  ce  monde;  que  son 
trône  est  à  la  droite  de  Dieu ,  et  que  c'est  de  là 
qu'il  doit  mettre  tous  ses  ennemis  à  ses  pieds.  C'est 
ce  que  les  apôtres  entendirent,  comme  il  parait 
par  la  première  prédication  de  saint  Pierre ,  où  il 
allègue  un  passage  du  psaume  cix.  Alors  donc, 
quand  ils  entendirent  où  Jésus-Christ  devait  régner, 
et  d'où  il  devait  vaincre  ses  ennemis ,  ils  surent 
que  dorénavaut  il  fallait  tout  demander  en  son  nom; 
et  en  voici  tout  le  secret  :  Je  suis  sorti  de  Dieu 
pour  venir  à  vous  :  je  vous  aimais  et  je  suis  venu 
vous  chercher.  Si  je  vous  quitte  pour  retourner 
à  mon  Père,  je  porte  mon  amour,  celui  que  j'ai 
pour  vous ,  jusque  dans  son  sein;  et  je  serai  plus 
que  jamais  votre  avocat,  votre  intercesseur,  et  le 
parfait  médiateur  de  Dieu  et  des  hommes. 

Ainsi  demander  par  Jésus-Christ,  c'est  croire 
qu'il  est  dans  le  ciel  notre  avocat  ;  et  encore  qu'il 
ajoute  :  Je  ne  vous  dis  pas  que  je  prierai  pour 
vous  ;  il  ne  laisse  pas  de  le  faire  d'une  manière  ad- 
mirable, en  se  présentant  pour  nous  à  Dieu,  comme 
il  est  écrit  aux  Hébreux  ».  Mais  il  veut  dire  que, 
non  content  de  cela,  il  fait  plus,  puisqu'il  nous  con- 
cilie tellement  le  Père ,  que  de  lui-même  il  se  porte 
à  nous  aimer,  quoique  toujours  au  nom  de  son  Fils  ; 
puisqu'il  dit  :  Hlon  Père  vous  aime,  parce  que 
vous  m'avez  aimé ,  et  qiie  vous  avez  cru  que  je 
suis  sorti  de  Dieu  ^. 

Ainsi  demander  par  Jésus  -  Christ,  c'est,  en 
croyant  qu'il  est  sorti  de  Dieu ,  l'aimer  de  tout  no- 
tre cœur ,  et  ne  vouloir  plus  rien  que  ce  qu'il  veut  ; 
puisqu'il  n'y  a  rien  à  obtenir  que  par  lui.  Telle 
est  la  médiation  de  Jésus-Christ.  Nous  l'aimons,  et 
car  là  son  Père  nous  aime.  Nous  aimons  Jésus- 

»  Joan.  XVI ,  28.  —  »  Ileh.  n,  2».  —  '  Joan.  XTl ,  27. 
IM^SVET.  —  TOME  m. 


Ciirist ,  par  qui  nous  lui  demandons  toutes  cho.ses  ; 
et  tout  nous  revient  par  Jésus-Christ,  au  nom  du- 
quel nous  demandons  tout. 

Entrons  dans  cette  secrète  correspondance  du 
Père ,  qui  nous  aime ,  à  cause  que  nous  aimons  son 
Fils  :  et  croyons  que  c'est  lui-même  qui  nous  ins- 
pire cet  amour,  puisqu'il  est  vrai  que  ce  n'est  pas 
nous,  mais  lui  qui  a  aimé  le  premier;  et  son  amour 
est  la  source  de  celui  que  nous  lui  rendons. 

Mon  Sauveur,  mon  intercesseur,  mon  média- 
teur, mon  avocat;  je  n'ai  rien  à  espérer  que  par 
vous  :  j'entre  dans  vos  voies,  j'obéis  à  vos  précep- 
tes. Ainsi  se  justiOe  ce  que  vous  dites  :  Je  suis  la 
voie  '.  C'est  par  vous  qu'il  faut  aller,  c'est  par  vous 
qu'il  faut  demander ,  c'est  par  vous  qu'il  faut  rece- 
voir. Tant  de  grandes  vérités  qu'on  vient  d'entendre 
sont  renfermées  dans  la  conclusion  des  prières  de 
l'Église  :  Per  Dominum  nostrum  Jesum  Christum. 
Toutes  les  fois  qu'elle  retentit  à  nos  oreilles,  rap- 
pelons ces  vérités  dans  notre  esprit,  et  confor- 
mons-y notre  cœur. 

Les  vœux  montent  par  Jésus-Christ .  les  grâces 
reviennent  par  lui;  pour  t'iavoquer,  3 faut  l'iiuiter. 
C'est  l'abrégé  du  christianisme. 

-WXir  JOUR. 

Délaissement  de  Jésas-Ciuriat.  Joan.  xvi,  29,  30,  31 ,  S2. 

Les  disciples  ravis  d'avoir  entendu  ce  grand 
secret  de  leur  maître ,  lui  en  témoignent  leur  joie , 
en  lui  disant  :  C'est  à  cette  heure  que  vous  parlez 
à  découvert;  vous  avez  répondu  à  nos  plus  secrè- 
tes pensées ,  vous  avez  satisfait  à  nos  désirs  les  plus 
profonds  :  Fous  savez  tout,  et  vous  n'avez  pa.<t 
besoin  qu'on  vous  interroge  ;  c'est  pour  cela  que 
nous  croyons  que  vous  êtes  sorti  de  Dieu*.  Nul  au- 
tre qu'un  Dieu  sorti  de  Dieu  ne  peut  découvrir  le  se- 
cret du  cœur  humain  :  nous  croyons  en  vous.  Qui 
ne  croirait,  à  les  entendre  parler  de  cette  sorte, 
que  leur  foi  aurait  autant  de  persévérance  qu'il  y 
paraissait  de  sincérité.'  Mais  Jésus  les  connaissait 
mieux  qu'ils  ne  se  connaissaient  eux-mêmes,  et  il 
leur  dit  :  fous  croyez  maintenant.  Le  temps  va 
venir,  et  il  est  venu ,  que  vous  serez  dispersés  chC' 
cun  de  son  côté  et  que  vous  me  laisserez  seul; 
7nais  je  ne  suis  pas  seul,  parce  que  mon  Père 
est  avec  moi^. 

Qui  nous  donnera  ici  d'entendre  l'état  d'une  âme 
qui  n'a  que  Dieu,  d'une  âme  destituée  de  tout  appui, 
de  toute  consolation  humaine?  Quelle  détresse  d'un 
côté!  Quelle  joie  de  l'autre,  lorsqu'on  a  d'autant 
plus  Dieu,  qu'on  n'a  que  lui!  Cest  l'état  où  va 
entrer  Jésus-Christ  :  et  il  y  faut  ajouter  ce  dernier 
trait,  qui  met  le  comble  à  un  état  si  désolant; 
qu'on  a  Dieu  sans  sentir  qu'on  l'a,  puisqu'il  sem- 
ble s'être  retiré,  jusqu'à  réduire  Jésus -Christ  à 
dire  :  Mon  Dieu,  mon  Dieu!  pourquoi  m'avez- 
vous  délaissé  ■<? 

G  âmes,  qui  participez  à  îette désolation  de  lé- 
susChrist,  qui  vous  enfoncez  d'abîme  en  abîme,  si 

'  Joan.  XIV,  6.  —  »  Ibid.  XVI ,  29 ,  30.  —  »  Ibid.  .11 ,  S2.  — 
•  Mallk.  XX vu,  4C. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


770' 

loin  fie  Dieu,  ce  vous  semble,  et  tellement  sépa- 
rées de  lui  par  ce  grand  chaos,  que  votre  voix  ne 
peut  parvenir  à  ses  oreilles,  comme  si  vous  étiez 
dans  l'enfer  !  je  vous  remets  entre  les  mains  de  Jé- 
sus-Christ ,  qui  vous  donne  son  (iel  à  manger,  son 
vinaigre  à  boire,  sa  désolation  à  porter.  11  est  avec 
vous  ;  et  s'il  ne  veut  pas  se  faire  sentir,  c'est  là 
votre  épreuve.  Dites  avec  lui  dans  ce  creux ,  dans 
cet  abîme  profond  :  En  espérance  contre  l'espé- 
lance  '  :  je  me  meurs ,  je  vais  expirer  :  Mon  Père, 
je  recommande,  je  remets  mon  esprit  entre  vos 
mains  '  :  je  vous  remets  ma  vie ,  mon  salut ,  mon 
libre  arbitre  avec  tout  son  exercice.  Après  cela , 
taisez-vous,  et  attendez  en  silence  votre  délivrance. 
Amen,  amen. 

XXXIIP  JOUR. 

Acquiescement  à  la  volonté  divine.  Joan.  xvi,  33. 

Je  VOUS  ai  dit  ceci  ;  je  vous  ai  expliqué  la  désola- 
tion où  je  serai  jeté  par  votre  fuite ,  qui  ne  laissera 
que  Dieu  avec  moi  :  afin  que  vous  trouviez  la  paix 
en  moi  seul^  :  non  pas  en  vous-mêmes,  ni  dans 
votre  foi,  que  vous  voyez  si  chancelante.  Il  n'y  a 
donc  point  de  paix  pour  vous,  que  celle  que  je  vous 
donne  en  vous  protégeant.  Vous  m'allez  quitter , 
mes  enfants,  vous  m'allez  laisser  seul,  selon  le 
monde.  Si  dans  cet  abandon  je  ne  suis  pas  seul  ;  si 
mon  Père  ne  me  quitte  pas  un  seul  moment ,  quoi- 
qu'il semble  me  délaisser  :  apprenez  de  là  qu'il  n'y 
a  de  paix  ni  de  force  qu'en  lui  seul ,  et  dans  l'ac- 
quiescement à  sa  volonté,  rous  aurez  de  l'afjlic- 
tion  dans  le  inonde;  mais  prenez  courage,  j'ai 
vaincu  le  monde  4.  Destitué  de  toute  apparence 
de  secours,  et  n'ayant  pour  toute  ressource  qu'un 
Dieu  délaissant  et  irrité,  j'ai  vaincu  le  monde;  je 
l'ai  vaincu  pour  moi  et  pour  vous.  Prenez  courage, 
ayez  confiance.  Quelque  délaissés  que  vous  croyiez 
être ,  et  encore  que  vous  vous  voyiez  sur  le  bord 
du  précipice,  et  déjà  comme  engloutis  par  la  mort; 
le  monde  que  j'ai  vaincu  ne  peut  rien  sur  vous  :  et 
■pourvu  que  vous  sachiez  vous  commettre  à  ma  foi, 
votre  paix  est  inaltérable. 

Repassez  ici  toutes  les  persécutions  de  l'Église, 
tous  les  dégâts  qu'y  ont  faits  les  schismes  et  les 
hérésies ,  toutes  les  peines  intérieures  et  extérieu- 
res ,  et  tous  les  délaissements  de  ses  serviteurs. 
Voyez  de  quelle  sorte  ils  en  sont  sortis,  et  le  bien 
qui  est  arrivé  par  toutes  ces  tempêtes;  et  reposez- 
vous  comme  un  Jonas  au  milieu  des  vents  et  des 
flots.  Dieu  est  avec  vous;  et  quand  il  vous  faudrait 
être  jeté  dans  la  mer,  et  englouti  par  une  baleine,  le 
sein  affreux  de  ce  gouffre  vivant  sera  un  temple 
pour  vous,  et  c'est  là  que  commencera  votre  déli- 
vrance. 

XXXIV*  JOUR. 

Quatre  paroles  ou  prrères  de  notre  Seigneur  adressées 
a  jsoB  Pèfe. 

Là  finit  le  dernier  discours  et  comme  le  derniep 
'  ."îom.  rv,  18.  —  >  Luc.  xxni ,  46.  —  »  Joan.  xvi,  3.3.  — 


adieu  de  notre  Seigneur  à  ses  apôtres  :  après  leui 
avoir  parlé,  il  va  maintenant  parler  pour  eux  et 
pour  nous  tous  à  son  Père.  Car  ce  n'est  pas  assez 
d'instruire  les  hommes  par  la  prédication  de  la  vé- 
rité, si  on  ne  leur  obtient  par  la  prière  la  grâce  de 
la  connaître  et  de  la  pratiquer.  C'est  ce  que  Jésus- 
Christ  va  faire  dans  la  prière  suivante. 

Je  trouve  que  jusqu'ici  le  fils  de  Dieu  s'est  adressé 
quatre  fois  à  son  Père ,  et  lui  a  parlé  expressément. 
La  première,  lorsqu'il  dit  :  Je  vous  loue,  mon  Père, 
Seigneur  du  ciel  et  de  la  terre,  parce  que  vous  avez 
caché  ces  choses  aux  sages  et  aux  prudents,  et 
que  vous  les  avez  révélées  aux  petits.  Oui,  mon 
Père,  ainsi  soit-il,  puisque  vous  l'avez  voulu  ainsi  ' . 
C'est  une  parole  de  complaisance  et  d'action  de 
grâces,  qui  fait  entrer  l'âme  chrétienne ,  à  l'exem- 
ple de  Jésus-Christ,  dans  les  secrets  desseins  de 
Dieu,  pour  s'y  soumettre  et  s'y  complaire. 

Les  autres  paroles  de  notre  Seigneur  adressées 
au  Père  céleste  sont ,  en  second  lieu ,  celles-ci ,  à 
la  résurrection  du  Lazare  :  Mon  Père,  je  vous  rends 
grâces  de  ce  que  vous  m'avez  écouté;  pour  moi,  je 
savais  que  vous  m'écoutez  toujours  ;  mais  je  parle 
ainsi  à  cause  de  ce  peuple ,  afin  qu'ils  croient  que 
vous  m'avez  envoîjé  *.  C'est  encore  ici  une  action 
de  grâces,  mais  qui  présuppose  une  invocation, 
puisqu'il  dit  que  son  Père  l'a  écouté,  et  qu'il  a 
exaucé  ses  prières. 

La  troisième  parole  adressée  au  Père  par  Jésus- 
Christ  est  dans  saint  Jean  ,  encore  devant  tout  le 
peuple:  Et  que  dirai  je?  dirai  je  :  Mon  Père ,  je 
vous  prie  de  me  sauver  de  cette  heure?  qui  était 
celle  de  sa  passion  :  mais  je  suis  venu  pour  cette 
heure.  Mon  Père ,- glorifiez  votre  nom  ^.  C'est  une 
parole  de  demande  et  l'abrégé  de  tous  les  vœux  et 
de  toutes  les  demandes  comme  de  toutes  les  paro- 
les, de  tous  les  mystères,  de  toutes  les  actions  de  no- 
tre Sauveur.  Aussi  le  Père  y  répond-il  par  une  parole 
venue  du  ciel  à  la  manière  d'un  coup  de  tonnerre  ^^ 
La  quatrième  et  la  dernière  parole  de  Jésus-Chris» 
à  son  Père  est  la  prière  que  nous  allons  voir,  beau- 
coup plus  longue  que  toutes  les  autres ,  et  qui  est 
la  prière  même  de  son  sacrifice. 

L'âme  du  sacrifice  c'est  la  prière,  qui  déclare 
pourquoi  on  l'offre ,  et  qui  est  l'oblation  même  ou 
l'action  d'offrir.  C'est  ainsi  que  dans  la  prière  du 
canon,  où  commence  l'action  du  sacrifice,  l'Église 
déclare  à  qui,  pour  qui,  et  pour  quelle  cause  elle 
l'offre.  C'est  ce  que  va  faire  Jésus-Christ  prêt  à 
consommer  son  sacrifice,  et  à  se  consacrer  soi- 
même  :  et  cette  prière,  si  je  l'ose  dire,  est  comme  le 
canon;  ou  pour  parler  plus  dignement  de  Jésus- 
Christ,  est  la  prière  expresse  et  solennelle  qui  de- 
vait accompagner  son  sacrifice.  La  disposition  de 
son  cœur  et  les  demandes  qu'il  fait  à  son  Père ,  le 
suivent  partout  dans  le  cours  de  sa  passion  et  jus- 
qu'à la  mort  ;  et  c'est  l'âme  de  son  sacrifice. 

Soyons  donc  attentifs  à  cette  prière,  qui  com- 
prend et  renferme  en  soi  toute  la  vertu  du  sacrifice 


'  Matlh.\\,Tr,,1Q.Luc.x,'i\. 
XU ,  27  ,  23.  —  *  Joan.  xu ,  29. 


•  '  Joan.  XI ,  41 ,42.  —■  Jlid. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


771 


de  la  croix ,  et  qui  renferme  surtout  la  consécration 
que  Jésus  Christ  fait  de  lui-même  par  la  croix. 

Combien  doit-on  imposer  silence  à  tout  le  créé , 
pour  entendre  au  fond  de  son  cœur  les  paroles  que 
Jésus-Christ  adresse  pour  nous  à  son  Père,  dans 
cette  intime  et  parfaite  communication!  Taisons- 
nous  ,  Jésus-Christ  va  parler. 

XXXV  JOUR. 

lésus  lève  les  yeux  au  ciel  en  commençant  sa  prièie. 
Joan.  XTH,  I. 

Jésus  dit  ces  choses  ;  et  levant  les  yeux  au  ciel, 
il  dit. Mon  Père,  l'heure  est  venue  '.  C'était  une 
action  ordinaire  à  Jésus-Christ  de  lever  les  yeux  au 
ciel  avant  la  prière.  Lorsqu'il  multiplia  les  pains, 
il  regarda  le  ciel  »,  et  c'était  une  manière  de  s'y 
adresser  pour  l'ouvrage  qu'il  voulait  faire.  Saint 
Luc  remarque  la  même  chose.  En  saint  Jean,  lors- 
qu'il ressuscite  Lazare,  élevant  les  yeux  en  haut, 
Udit  :  Mon  Père  ^  ;  et  le  reste.  Et  l'Église  a  telle- 
ment eutendu  que  cette  action  était  naturelle  à  Jé- 
sus-Christ ,  qu'elle  l'a  suppléée  dans  la  bénédiction 
de  la  cène  ,  en  disant  dans  le  canon  que  Jésus  leva 
les  yeux  à  Dieu  son  Père  tout-puissant ,  quoique 
cela  ne  soit  point  marqué  dans  les  écrivains  sacrés 
qui  ont  récité  cette  sainte  action. 

Levons  donc  aussi  les  yeux  au  ciel  avec  Jésus- 
Christ,  en  qui  seul  nous  les  y  pouvons  lever.  Car 
le  Publicain,  qui  était  pécheur,  n'osait  seulement 
lever  les  yeux  au  ciel  ;  mais  il  se  frappait  la  poitrine 
en  disant.  O  Dieu!  ayez  pitié  de  moi,  qui  suis  un 
pécheur  i.  Et  le  prodigue  disait  :  Mon  Père,  j'ai 
péché  contre  le  ciel,  et  à  vos  yeux  5.  Comment  donc 
regarder  le  ciel ,  contre  qui  on  a  péché?  On  ne  l'ose 
qu'en  s'unissant  à  Jésus-Christ,  qui  lève  pour  nous 
les  veux  au  ciel,  et  l'apaise  en  les  y  levant. 

Mais  pourquoi  lever  les  yeux  au  ciel ,  si  ce  n'est 
pour  adorer  Dieu  et  sa  magniflque  présence  dans  sa 
gloire ,  et  pour  nous  y  transporter  en  esprit  ?  Allez 
donc,  mes  yeux;  allez  au  ciel,  et  y  enlevez  mon 
cœur.  Allez  par  désir  et  par  espérance  où  vous  êtes 
appelés,  où  vous  serez  un  jour  en  effet.  Allez  au 
séjour  qui  vous  est  montré;  et  aimez  cette  céleste 
patrie ,  où  Dieu  sera  tout  eu  tous. 

XXXVl'  JOUR. 

Gloire  da  Père  et  da  Fils  dans  rétablissement  de  l'Eglise. 
Joan.  XVII,  I ,  i. 

Mon  Père,  l'heure  est  venue;  glorifiez  votre 
Fils,  afin  que  votre  Fils  vous  glorifie  ^.  Le  sacriûce 
commence  par  le  nom  de  Père,  nom  d'autorité, 
mais  d'une  autorité  douce ,  qui  marque  l'auteur  de 
la  vie ,  de  qui  on  tient  tout,  à  qui  on  rapporte  tout; 
nom  de  bonté  et  d'indulgence,  autant  que  d'empire 
et  de  souveraineté.  C'est  encore  par  cet  endroit  que 
ïdius  commençons  notre  sacrifice  :  Te  igitub,  cle- 
UENTissiME  Pater.  C'est  vous,  Père  très-miséri- 
eordieux ,  que  nous  invoquons  par  Jésus-Christ  vo- 


tre Fils.  Mon  Père,  glorifiez  votre  Fils;  afin  que  vo- 
tre Fils  vous  glorifie.  Il  est  le  médiateur  entre  vous 
et  nous,  et  il  faut  lui  donner  la  gloire  qui  retournera 
à  vous.  C'est  ce  qui  arrive,  quand  nous  invoquoni 
par  Jésus-Christ  :  la  gloire  lui  est  donnée  d'abord  ; 
mais  pour  être  portée  à  Dieu ,  à  qui  elle  appartient 
toute.  Mon  Père ,  glorifiez  votre  Fils;  afin  que  vo- 
tre Fils  vous  glorifie.  La  gloire  que  vous  lui  donne- 
rez ne  fait  que  passer  en  lui ,  pour  aller  à  vous  : 
recevez-en  le  sacrifice,  puisque  vous  en  aimez  le 
médiateur. 

Mon  Père ,  l'heure  est  venue.  Le  sacrifice  a  son 
heure  :  c'est  le  matin ,  c'est  le  soir  ;  il  a  son  heure 
marquée.  L'heure  marquée  pour  le  sacrifice  de  Jé- 
sus-Christ est  venue  :  iMon  Père,  la  victime  est 
prête;  et  il  n'y  a  plus  qu'à  lâcher  le  coup. 

Je  me  sens  ici  élevé  à  je  ne  sais  quoi  d'intime, 
que  je  ne  puis  pas  bien  m'expliquer  à  moi-même.  Ct 
je  ne  sais  quoi  me  fait  sentir  dans  le  fond  de  Tâme 
qu'il  se  faut  unir  à  l'intention  secrète  de  Jésus- 
Christ  dans  cette  prière ,  et  que  c'est  là  le  véritable 
moyen  de  prier  en  Jésus-Christ  et  par  Jésus-Christ. 
Et  il  me  semble  que  cette  intention  secrète  de  Jé- 
sus-Christ est  celle  de  former  toute  son  Église ,  et 
de  s'offrir  lui-même  intérieurement  et  extérieure- 
ment en  sacrifice  pour  cela. 

Mon  Père ,  l'heure  est  venue,  que  se  doivent  ac- 
complir les  prophéties  de  l'effusion  de  votre  Esprit 
sur  tous  les  peuples ,  et  de  cette  grande  glorification 
qui  doit  vous  être  donnée ,  en  ramassant  votre  peu- 
ple de  toutes  les  nations.  Glorifiez  votre  Fils,  en  le 
ressuscitant  de  la  mort ,  et  en  répandant  sa  parole 
dans  toute  la  terre;  en  y  formant  la  société  où  doi- 
vent être  renfermés  tous  vos  amis ,  tous  vos  élus. 
Glorifiez  donc  votre  Fils  de  cette  sorte ,  en  lui  don- 
nant une  Église  qui  porte  son  nom  ,  qui  soit  l'É- 
glise chrétienne,  et  le  recueillement  intérieur  et 
extérieur  de  tous  ceux  qui  se  glorifient  d'être  ses  dis- 
ciples. C'est  la  gloire  que  vous  donnerez  à  votre  Fils 
et  qui  en  même  temps  retourne  à  vous,  ô  Père, 
premier  principe  des  émanations  tant  extérieures 
que  divines  et  intérieures ,  puisque  votre  Fils  vous 
rapporte  tout. 

Glorifiez  donc  votre  Fils  de  cette  sorte  :  comme 
vous  lui  avez  donné  puissance  sur  tous  les  hommes  ; 
avec  la  même  efficace  et  dans  le  même  dessein  que 
TOUS  lui  avez  donné  cette  puissance ,  glorifiez-le. 
Toute  puissance  m'est  donnée  dans  te  ciel  et  dans 
la  terre  '.  Ce  qui  ne  s'entend  pas  seulement  de  la 
toute-puissance  qu'il  lui  a  donnée,  en  lui  communi- 
quant sa  divine  essence;  mais  d'une  sorte  de  toute- 
puissance  que  le  Père  donne  au  Fils  en  le  ressusci- 
tant et  en  le  plaçant  à  sa  droite,  où  il  hii  donne 
comme  au  Christ  et  comme  au  Dieu-Homme,  et 
même  selon  son  humanité,  l'entière  dispensation 
de  toutes  ses  grâces.  Et  l'effet  de  cette  puissance  ne 
peut  pas  être  plus  doux  et  plus  agréable  aux  hom- 
mes ,  puisque  cette  puissance  lui  est  donnée  sur 
tous  les  hommes  afin  qu'il  donne  la  vie  étemelle  d 
tous  ceux  que  son  Père  lui  a  donnés  ».  Qui  n* 


'  JfKrv.XVil.  I.  —  »  -VaWA.xiV,  19.— »Jo(7«.xi,4I. 
l^U».  i3  —*Jtid.  XV,  IS.  —  *  Joan.  wil,  I. 


■*Luc. 


»  Matth,  xxvni  ,18.  -  »  Joan.  xvn,  1. 


4Ô. 


T7Î 


MÉDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


Sfi  soumettrait  à  cette  puissance ,  dont  Prffet  est 
de  nous  rendre  lieureux,  et  de  nous  faire  vivre  éter- 
iielleineiit  d'une  vie  qui  n'est  autre  chose  que  l'écou- 
lement <le  la  vie  de  Jésus-Christ  en  nous,  comme 
la  suite  le  fera  paraître? 

IMais  dirons-nous  que  la  puissance  de  Jésus-Christ 
ne  s'étend  que  sur  les  élus,  à  qui  il  donne  la  vie  éter- 
nelle? A  Dieu  ne  plaise!  car  ceux  qui  ne  veulent  pas 
se  soumettre  à  cette  salutaire  puissance  du  Fils  de 
Dieu,  il  a  reçu  sur  eux  une  autre  puissance,  qui 
est  celle  de  les  juger,  selon  qu'il  dit  ailleurs  :  Comme 
le  Père  a  la  vie  en  soi,  ainsi  il  a  donné  a/u  Fils 
d'avoir  la  vie  en  soi  '  :  et  comme  le  Père  donne  la 
vie  à  qui  lui  plaît ,  ainsi  le  Fils  donne  la  vie  à  qui 
il  lui  plait;  et  il  a  reçu  la  puissance  déjuger,  parce 
qu'il  est  le  Fils  de  l'hotnme  »  :  et  déjuger  qui?  si  ce 
n'est  ceux  qui  ne  voudront  pas  recevoir  la  vie  qu'il 
a  pouvoir  de  leur  donner?  Riais  il  ne  parle  que  du 
pouvoir  de  donner  la  vie,  parce  que  c'est  son  pou- 
voir primitif,  et  celui  qu'il  veut  exercer  naturelle- 
ment. Le  pouvoir  de  juger  et  de  condamner  est  un 
pouvoir  dont  il  n'use  qu'en  second  lieu  et  à  regret , 
désirant  que  tout  le  monde  reçoive  la  vie  qu'il  veut 
donner;  et  s'il  condamne  les  autres,  ce  n'est  que 
forcé. 

Jéfin  qu'il  donne  la  vie  éternelle  à  tous  ceux  que 
vous  lui  avez  donnés.  Comment  est-ce  qu'ils  sont 
donnés  à  Jésus-Christ,  si  ce  n'est  en  devenant  ses 
membres  vivants?  Et  il  faut  que  le  Père  les  donne 
à  son  Fils ,  conformément  à  cette  parole  :  Nul  ne 
vient  à  moi,  que  mon  Père  ne  l'attire^ \  et  cela 
d'une  manière  spéciale.  Ce  qui  paraît  en  ce  que  Jé- 
sus-Christ voyant  ceux  qui  se  retiraient  de  sa  com- 
pagnie, il  leur  disait  :  C'est  pour  cela  que  je  vous 
ai  dit, que  personne  ne  peid  venir  à  moi ,  s'il  ne  lui 
est  donné  de  mon  Père  4.  Ceux  donc  à  qui  le  Père 
le  donne  de  cette  manière  particulière  sont  ceux 
dont  il  dit  ici  que  son  Père  les  lui  a  donnés  ;  et  tous 
ceux  qu'il  lui  a  donnés  pour  lui  être  inséparalfle- 
mentunis  et  demeurer  ses  membres  vivants  et  per- 
pélnels,  il  leur  donne  la  vie  éternelle;  et  ceux  qui 
se  retirent  de  lui,  et  ne  .persévèrent  pas,  il  leur 
donne  aussi  cette  vie  de  son  côté,  ne  les  quittant 
jamais  s'ils  ne  le  quittent. 

Mon  Sauveur  !  je  me  soumets  donc  à  cette  divine 
et  salutaire  puissance  que  vous  avez  sur  tous  les 
hommes  pour  les  faire  vivre.  0  Père!  donnez-nous 
a  votre  Fils  de  cette  manière  intime  et  secrète  qui 
fait  qu'il  demeure  en  nous ,  et  nous  en  lui ,  eu  sorte 
que  nous  ne  nous  en  séparions  jamais. 

XXXVU''  JOUR. 

La  vi^éternelle  est  de  corwiaitre  Dieu  et  JésHS-Christ. 
Joan.  XVII,  3. 

Or,  la  vie  éternelle  consiste  à  vous  connaître , 
vous  qui  êtes  le  seul  vrai  Dieu,  et  Jésus-Christ,  que 
vous  avez  envoyé^. 

Voilà  doncen  quoi  consiste  la  formation  de  l'Église, 
dans  la  glorification  de  Jésus-Christ  par  la  mani- 

^  Joan.  y,fi6.—-^Ihid.  21,  27.  —  ' /6icf.  vi ,  ii.  —  *Jbid. 
te.  —  *  Ibid.  XVII ,  3. 


fpstation  de  son  Évangile  à  la  gloire  de  Dieu  soïi 
Père,  dont  la  fin  est  de  donner  la  vie  éternelle  à 
tous  ceux  que  le  Père  donnera  au  Fils ,  et  qu'il  at- 
tirera à  son  corps  mystique  par  cette  secrète  et 
particulière  vocation  dont  nous  venons  de  parler. 
Ainsi  tout  le  ministère  de  Jésus-Christ  tend  à  la 
vie  éternelle.  Les  promesses  temporelles  sont  finies, 
et  la  vraie  terre  coulante  de  lait  et  de  miel  que  Jé- 
sus-Christ promet  à  ses  amis  est  la  cité  perma- 
nente '  qu'il  leur  a  bâtie  dans  le  ciel  pour  y  vivre 
éternellement. 

Il  ne  restait  plus  qu'à  expliquer  ce  que  c'est  (jue 
cette  vie  éternelle;  et  c'est  ce  qu'il  fait  dans  le  f.  '4, 
que  nous  venons  de  transcrire. 

La  vie  éternelle  commencée  consiste  à  connaître 
par  la  foi ,  et  la  vie  éternelle  consommée  consiste  h 
voir  face  à  face  et  à  découvert;  et  Jésus-Christ 
nous  donne  l'une  et  l'autre,  parce  qu'il  nous  la  mé- 
rite, et  qu'il  en  est  le  principe  dans  tous  les  mem- 
bres qu'il  anime. 

La  vie  éternelle  n'est  pas  dans  les  sens,  qui  sont 
trop  attachés  au  corps  et  à  la  partie  de  l'homme 
grossière  et  mortelle,  que  les  bêtes  ont  comme  nous, 
et  plus  parfaite  par  certains  endroits;  elle  est  dans 
la  partie  immortelle  et  intelligente,  où  est  l'image 
de  Dieu,  dont  la  principale  opération,  et  la  source 
de  toutes  les  autres,  c'est  la  connaissance. 

On  n'aime  point  ce  qu'on  ignore ,  dit  saint  Au- 
gustin ».  Mais  quand  on  aime  ce  qu'on  a  commencé 
à  connaître  un  peu,  l'amour  j ait  qu'on  le  connaît 
plus  parfaitement ,  et  ensuite  qu'on  l'aime  davan- 
tage. 

La  connaissance  dont  parle  ici  Jésus-Christ  est 
une  connaissance  tendre  et  affectueuse  qui  porte  à 
aimer,  parce  qu'elle  fait  entendre  et  sentir  «ombien 
est  aimable  celui  qu'on  connaît  si  bien.  Celui  qui 
dit  qu'il k  connaît,  et  ne  garde  pas  ses  comman- 
dements, c'est  un  menteur,  et  la  vérité  n'est  pas 
en  lui;  mais  celui  qui  garde  sa  parole ,  l'amour  de 
Dieu  est  vraiment  parfait  en  lui  ^.  La  connaissance 
véritable  et  parfaite  est  une  source  d'amour.  Il  ne 
faut  point  regarder  ces  deux  opérations  de  l'àme , 
connaître  et  aimer,  comme  séparées  et  indépendan- 
tes l'une  de  l'autre;  mais  comme  s'excitant  et  per- 
fectionnant l'une  l'autre.  Dieu  même  dit  à  Moïse  : 
Je  te  connais ,  et  je  t'appelle  par  ton  nom  <,  c'est- 
à-dire  je  t'approuve,  je  t'aime.  Nous  connaissons 
Dieu  véritablement  quand  nous  l'aimons  :  une  con- 
naissance spéculative  et  purement  curieuse  n'est  pas 
celle  dont  Jésus-Christ  dit  qu'en  elle  consiste  la 
vie.  Les  démons  connaissent  Dieu  de  cette  sorte; 
et  leur  connaissance  fait  leur  orgueil  et  leur  dam- 
nation. Connaissons  donc  et  aimons  :  c'est  ce  que 
demande  Jésus-Christ. 

Jésus-Christ  s'égale  lui-même  à  son  Père  par 
cette  parole.  Premièrement,  parce  qu'il  dit  que 
c'est  lui  qui  donne  la  vie  éternelle  à  ceux  que  sou 
Père  lui  a  donnés,  ce  qui  ne  peut  être  qu'un  ou- 
vrage divin.  Secondement,  en  ce  que  le  connaître, 
comme  connaître  le  Père ,  est  la  vie  éternelle,,  ce 

'  Heb.  IX,  10  ;  xiii,  14.  —  *  Tract,  xcvi.  In  Joan.  n.  4.  — 
'  I.  Joan.  Il,  4,6.  —  <  Ex.  xxxiii,  12,  17. 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


773 


qui  iï8  se  dirait  pas  d'une  pure  créature,  en  laquelle 
la  vie  éternelle  ne  peut  jamais  être.  Et  ainsi  la  vie 
i-lernelle  étant  dans  le  Fils,  comme  dans  le  Père, 
saint- Jean  a  eu  raison  de  dire  de  lui  :  Celui-ci  est 
le  rrai  Dieu  et  la  rie  éternelle  •  ;  parce  qu'il  avait 
dit  auparavant  :  Et  voici  le  témoignage  de  Dieu 
eu  nous,  que  Dieu  nous  a  donné  la  vie  éternelle  :  et 
cvtfe  i>ie  est  dans  son  Fils  ». 

Quand  donc  il  dit  que  le  Père  est  le  seul  vrai  Dieu, 
it  ne  s'exclut  pas  d'être  le  vrai  et  seul  Dieu  avec  lui, 
puisqu'avec  lui  il  donne  la  vie  éternelle ,  et  qu'avec 
hii  il  est  la  vie  éternelle. 

Quand  il  dit  à  son  Père  qu'il  donne  la  vie  éter- 
nelle à  ceux  qu'il  lui  a  donnés,  il  se  fait  égal  à  lui. 
I>eqtiel  est  le  plus,  ou  que  le  Père  les  donne  au 
Fils,  ou  que  le  Fils  leur  donne  la  vie  éternelle? 
Riais  quand  il  dit  qu'il  donne  la  vie  éternelle,  exclut- 
il  le  Père?  A  Dieu  ne  plaise.  Ainsi,  quand  il  dit 
que  le  Père  est  le  seul  vrai  Dieu,  il  ne  s'exclut  pas 
tui-nième;  mais  il  fait  entendre  qu'il  est  un  seul  et 
vrai  Dieu  avec  son  Fils ,  qui  donne  avec  lui  la  vie 
éternelle,  et  qui  est  avec  lui  la  vie  éternelle.  Et  s'il 
nonmie  le  Père  le  seul  vrai  Dieu,  on  voit  bien  que 
c'est  sans  s'exclure  lui-même ,  puisqu'il  s'attribue 
à  lui-même  ce  qu'il  y  a  de  plus  divin,  qui  est  de 
donner  la  vie,  et  d'être  la  vie,  et,  sans  exclure  le 
Saint-Esprit,  qui  est  si  souvent  appelé  ailleurs  un 
Esprit  sanctifiant  et  vivifiant.  Et  tout  est  compris 
dans  le  nom  du  Père, selon  ce  langage  mystique,  où 
en  nommant  le  Père ,  qui  est  le  principe,  on  nomme 
tout  ce  qui  est  enfermé  en  lui,  comme  dans  la  source 
commune.  On  no'.nme  donc  tout  ensemble  et  le  Fils. 
et  le  Saint-Esprit  :  en  sorte  que  lorsqu'il  dit  que  son 
Père  est  le  seul  vrai  Dieu ,  et  que  la  vie  éternelle  est 
de  connaître  le  Père  et  le  Fils ,  il  insinue  que  tous 
deux  ensemble  avec  le  SaÎBfc-Esprit,  qui  procède  deux, 
sont  un  seul  et  même  et  vrai  Dieu ,  à  l'exclusion  des 
faux  dieux ,  à  qui  on  donne  ce  titre  incoinmunica- 
Lle.  Voici  donc  le  sens  entier  de  ce  verset  :  La  vie 
éternelle  est  à  vous  coimaitre,  vous  qui  êtes  la  vé- 
rité même  ;  et  à  connaître  votre  Fils ,  qui ,  comme 
Dieu,  étant  avec  vous  la  vérité  et  la  vie,  comme 
homme  est  le  milieu  pour  aller  à  vous. 

îS'ous  entendons  maintenant  ce  qui  fait  l'Église. 
C'est  que  le  Père  donne  au  Fils  ceux  qu'il  veut  faire 
ses  membres,  afin  que  le  Fils,  en  les  recevant  dans 
l'unité  de  son  corps,  leur  donne  la  vie  éternelle, 
qui  consiste  à  connaître  le  Père  et  le  Fils  de  cette 
Mianière  affectueuse  qui  fait  qu'on  les  aime. 

Il  ne  faut  donc  pas  exclure  la  connaissance  :  à 
Dieu  ue  plaise!  Et  les  mystiques,  qui  semblent  la 
vouloir  exclure,  ne  veulent  exclure  que  la  connais- 
sance curieuse  et  spéculative  qui  se  repaît  d'elle- 
même.  La  connaissance  doit,  pour  ainsi  dire,  se 
fondre  tout  entière  en  amour.  11  faut  entendre  de 
même  ceux  qui  excluent  les  lumières  :  car  ou  ils 
entendent  des  lumières  sèches  et  sans  onction,  ou 
en  tout  (as  ils  veulent  dire  que  les  lumières  de  cette 
•  ie  ont  quelque  chose  de  sombre  et  de  ténébreux, 
i^arce  que  plus  on  avance  à  connaître  Dieu ,  plus  on 
«oit,  pour  ainsi  parler,  qu'on  n'y  connaît  rien  qui 

•■  JfMH.  V,  20.  —  -  liid.  lU 


soit  digne  de  lui  :  et  en  s'élcvant  au-de  sus  de  tout 
ce  qu'on  eu  a  jamais  pensé,  ou  qu'on  en  put.nuil 
penser  dans  toute  l'éternité,  on  le  loue  dauN  *■  > 
vérité  incompréhensible;  et  on  se  perd  dans  cette 
louange,  et  on  tâche  de  réparer  en  aimantée  qui 
manque  à  la  connaissance  :  quoique  tout  cela  soit 
une  espèce  de  connaissance,  et  une  lumière  d'autant 
plus  grande ,  que  son  propre  effet  est  d'allumer  un 
saint  et  éternel  amour. 

Celait  un  flambeau  ardent  et  luisant,  dit  Jésus- 
Christ  en  parlant  de  saint  Jean-Baptiste;  et  vous 
avez  voulu  durant  quelque  temps  vous  réjouir  a 
sa  lumière^.  Ceux  qui,  comme  les  Juifs,  ne  font 
que  se  réjouir  à  l'aspect  de  la  lumière ,  ne  songent 
pas  que  le  flambeau  était  tout  ensemble  ardent  et 
luisant;  et  ils  séparent  la  lumière  d'avec  l'ardeur; 
et  leur  joie  ne  dure  qu'un  moment.  AOn  qu'elle  soit 
durable  et  véritable,  il  faut  se  laisser  briller  d'^un 
éternel  amour,  qui  est  le  fruit  de  la  connaissance 
oiî  Jésus-Christ  met  aujourd'hui  la  vie  éternelle. 

XXXVIIl*  JOUR. 

Gloire  infioie  du  Père  et  du  Fils.  Joan.  xTii,  4. 

Je  vous  ai  glorifié  sur  la  ferre  par  ma  prédication 
et  par  mesmiraides;  j'ai  achevé  l'ouvrage  que  vous 
m'aviez  donné  à  faire*  :  ce  qu'il  entend,  tant  de  ce 
qu'il  avait  à  faire  durant  le  cours  de  sa  vie  mor- 
telle ,  que  de  ce  qui  lui  restait  à  faire  dans  sa  pas- 
sion, qu'il  regarde  comme  fait,  parce  que  dans  un 
moment  il  l'alla'it  être ,  et  l'était  déjà  dans  sa  pen- 
sée. Puis  donc  qu'il  a  accompli  ce  que  son  Père  lui, 
avait  donné  à  faire  pour  sa  gloire,  que  restait-il 
autre  chose  sinon  ce  qu'il  dit  :  Et  maintenant- 
glorifiez-moi,  vous  mon  Père,  de  la  gloire  que  j  ai 
eue  en  vous  devant  que  le  monde  fût  ^? 

La  gloire  qu'il  donne  à  son  Père ,  c'est  de  dé- 
clarer son  imjuense  et  naturelle  grandeur  ;  la  gloire 
qu'il  lui  demande,  c'est  que  son  Père  déclare  aussi 
la  grandeur  dont  il  jouissait  éternellement  dans  son. 
sein  comme  son  Verbe ,  qui  étant  en  lui  ne  ppuvait 
rien  être  de  moins  que  lui ,  et  xjui  était  par  consé- 
quent un  seul  et  même  Diea.aveç  lui.  Il  le  prie 
donc  de  déclarer  cette  grandeur,  en  la  répandant 
sur  l'humanité  qu'il  s'était  unie,  comme  faisant, 
avec  lui  une  seule  et  même  personne ,  et  sur  les 
hommes  qu'il  s'était  unis,  comme  ses  membres  vi- 
vants. Et  c'est  tout  le  fond  de  sa  prière,  comme 
la  suite  le  fait  paraîlre. 

Voilà  donc  l'unité  parfaite  ,  et  la  parfaite  égalité 
du  Père  et  du  Fils.  Le  Fils  glorifie  le  Père,  comme 
le  Père  glorifie  le  Fils.  lisse  dtmnent  mutuellement 
une  gloire  infinie  dans  Téternité  par  leur  amour 
mutuel,  et  ils  se  donnent  dans  le  temps  la  gloire 
qui  leur  est  due ,  parce  que  le  Père  manifeste  le 
nom  du  Fils ,  et  le  Fils  le  nom  du  Père ,  dont  il  est 
lui-même /a  gbire  y  l'éclat,  Cimage  invisible,  l'em- 
preinte de  sa  substance  et  te  rejaillissement  de  sa 
lumière  éternelle^.  Et  notre  gloire  est  d'avoir  part 
à  celle,  que  se  donnent  mutuellement  le  Père  et  le 
Fils,  ainsi  que  les  paroles  suivantes  le  déclarent. 

«  Joan.  V,  35.  —  '  ma.  xvr  ,  4.  —  '  Ihid.  h  —  *  //<?*  ! .  î.. 


77  4 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


XXXIX'^  JOUR. 


Jésus  sauvp  tous  ceux  que  son  Père  lui  a  donnés.  Joan. 
XVII,  6;  VI  ,37  —  40;  X,  27— 30;  VI,  43,  05,00. 

J'ai  fait  connaUre  votre  nom  aux  hommes  que 
vous  m'avez  donnés ,  en  les  tirant  du  monde.  Ils 
étaient  à  vous,  et  vous  me  les  avez  donnés,  et  ils 
ont  gardé  votre  jjarole'.  Lisez  encore  le  Sr.  7  et  le 
t.  8,  et  remarquez  bien  tout  ce  qu'il  y  dit  de  ceux 
que  son  Père  lui  a  donnés.  Lisez  aussi  ces  paroles 
du  même  Sauveur  en  saint  Jean  :  Tout  ce  que  mon 
Père  me  donne  vient  à  moi  ;  et  je  ne  chasserai  point 
celui  qui  y  vient,  parce  que  je  suis  descendu  du 
ciel,  non  pour  faire  ma  volonté,  mais  pour  faire 
la  volontéde  mon  Père.  Or,  la  volonté  de  monPère, 
qui  m'a  envoyé,  est  que  je  ne  perde  rien  de  tout 
ce  qu'il  via  doniié ,  mais  que  je  le  ressuscite  au 
dernier  jour  *,  de  la  résurrection  des  justes,  et 
pour  lui  donner  la  vie  éternelle. 

Lisez  encore  ces  paroles  du  chapitre  x  :  Mes 
brebis  entendent  ma  voix  ;  et  je  les  connais  ,  et 
elles  me  stdvent  :etje  leur  donne  la  vie  éternelle, 
et  elles  ne  périront  point  éternellement ,  et  per- 
sonne ne  les  ôtera  de  ma  main.  Ce  que  mon  Père 
m'a  donné  est  plus  grand  que  tout  :  ou,  comme 
porte  le  grec  :  Mon  Père,  qui  me  les  a  données, 
est  plus  grand  que  tout,  et  personne  ne  peut  rien 
Cter  de  la  main  de  mon  Père.  Moi  et  mon  Père  ne 
sommes  qu'une  même  chose  '. 

Lisez  encore  ces  paroles  de  Jésus-Christ,  en  saint 
Jean  :  Ne  murmurez  point  les  uns  contre  les  au- 
tres :  personne  ne  peut  venir  à  moi ,  si  mon  Père, 
qui  m'a  envoyé,  ne  l'attire;  et  je  le  ressusciterai 
auderriierjour.  Il  est  écrit  dans  les  Prophètes  : 
Ils  seront  fous  enseignés  de  Dieu.  Quiconque  a  été 
enseigné  de  mon  Père,  et  a  appris,  vient  à  moi  4. 
Et  après  :  Il  y  en  a  parmi  vous  qui  ne  croient  pas; 
car  il  savait  dès  le  commencement  qui  étaient 
ceux  qui  ne  croyaient  pas ,  et  qui  était  celui  qui 
le  trahirait.  Et  il  disait  .-C'est  pour  cela  que  je 
vous  ai  dit  :  Personne  ne  peut  venir  à  ynoi  s'il  ne  lui 
est  donné  par  mon  Père  ^. 

Passez  quelques  heures,  quelques  jours ,  h  consi- 
dérer attentivement  et  humblement  toutes  ces  pa- 
roles dont  le  rapport  est  manifeste.  En  gros,  vous 
y  verrez  la  secrète  et  mutuelle  communication  du 
Père  et  du  Fils  pour  choisir  les  hommes,  pour  les 
attirer,  pour  les  séparer  du  monde;  et  leurs  secrets 
mais  justes  jugements  pour  les  laisser  à  eux-mêmes 
lorsqu'ils  ne  croient  point,  et  qu'ils  périssent  : 
comme  on  entendra  dans  la  suite  du  fils  de  perdi- 
tion, qui  devait  périr  ainsi  qu'il  avait  été  prédit. 
Voilà  ce  que  vous  verrez  en  général.  Ne  vous  dé- 
terminez encore  à  rien  ;  car  peut-être  aussi  qu'à  la 
fin  il  ne  faudra  se  déterminer  à  autre  chose  qu'à 
çidorer  ces  profondes  et  mystérieuses  paroles. 

Et  aussi,  comme  Jésus-Christ  ne  les  a  dites  que 
pour  nous  instruire,  peut-être  y  faudra-t-il  enten- 
dre quelque  chose,  plus  ou  moins  selon  qu'il 
plaira  à  Dieu  de  les  découvrir.  Lisez  donc  et  relisez , 

•  Joan.  XVIT ,  6.  —  »  Ibid.  VI ,  37 .  38 ,  39.  —  ^  Ibid.  X .  27  , 
^^.19^30  —*Ihii.  VI,  43,44,  ii.  —  *  Ibid.  C5,60. 


considérez,  ruminez,  recevez  toutes  les  pensées  qui 
vous  viendront  naturellement  et  simplement  dans 
l'esprit;  écoutez  tout,  pesez  tout.  Ecoutez  princi- 
palement ce  qui  prend  le  cœur,  ce  qui  l'incline  vers 
Dieu,  vers  Jésus-Christ;  ce  qui  l'abaisse,  ce  qui 
l'humilie,  ce  qui  le  relève,  ce  qui  le  fait  trembler, 
ce  qui  le  console,  et  dites  en  vous-mêmes  :  Tout 
cela  est  vrai,  tout  cela  est  juste;  soit  que  Dieu 
veuille  que  je  l'entende  ou  que  je  ne  l'entende  pas, 
tout  est  véritable,  tout  est  juste;  j'adore  cette  vé- 
rité, cette  justice,  aussi  content  de  l'entendre  que 
de  ne  l'entendre  pas,  parce  que,  quelque  intelli- 
gence qu'il  plaise  à  Dieu  de  m'en  donner,  l'intime 
de  ce  secret  sera  toujours  pour  moi  impénétrable. 
Ou  plutôt,  sans  y  rien  entendre,  je  me  contenterai 
de  croire,  et  je  m'unirai  de  cœur,  en  toute  sim- 
plicité et  candeur,  à  toutes  les  vérités  que  Jésus- 
Christ  a  voulu  ici  ou  cacher  ou  découvrir  à  l'hum- 
ble troupeau  qui  entend  sa  voix.  Taisons-nous  ici, 
et  écoutons  en  grand  silence  les  impénétrables 
vérités  de  Dieu. 

XL"  JOUR. 

Les  élus  sont  tirés  du  monde  par  le  Père.  Joan.  xvu,  6. 

La  première  vérité  qui  paraît  dans  les  paroles  de 
Jésus-Christ,  c'est  que  ceux  que  le  Père  donne  à 
son  Fils,  il  lésa  tirés  du  monde  :  J'ai,  dit-il,  ma- 
nifesté votre  nom ,  vos  perfections ,  vos  grandeurs , 
vous-même,  votre  sagesse,  vos  conseils  ;  et  encore, 
votre  notn,  ce  nom  de  Père,  qui  n'avait  point 
encore  été  révélé  parfaitement  :je  l'ai  manifesté 
aux  hommes  que  vous  m'avez  donnés,  en  les  ti- 
rant du  mondes  Ils  y  étaient  donc;  ils  en  étaient, 
de  ce  monde  dont  il  est  écrit  :  Le  inonde  ne  l'a  pas 
coiinu";  et  encore  :  N'aimez  pas  le  monde,  ni 
tout  ce  qid  est  dans  le  monde, parce  que  tout  ce 
qui  est  dans  le  monde  est  concupiscence  de  la 
chair,  ou  concupiscence  des  yeux ,  ou  orgueilde  la 
vie^  ;  ce  qui  est  ramassé  dans  ce  seul  mot  de  la 
même  épttre  :  Tout  le  monde  est  gisant,  plongé 
dans  le  mal  :  tout  y  est  mauvais,  tout  y  consiste 
en  malignité  ;  Totus  mundus  in  maligivo  posi- 
Tus  EST  4.  C'est  donc  de  ce  monde,  et  du  milieu  de 
la  corruption  et  du  péché,  que  Dieu  a  tiré  ceux 
qu'il  a  donnés  à  son  Fils.  Ce  n'est  point  pour  leurs 
mérites,  pour  leurs  bonnes  œuvres,  qu'il  les  a 
tirés,  séparés,  démêlés  du  monde.  Voilà  une  pre- 
mière vérité,  que  tout  homme  que  Dieu  a  donné  à 
Jésus-Christ  était  dans  la  corruption  ,  dans  le  mal , 
dans  la  perdition.  Et  quand  il  dit   :   Ils  étaient  a 
vous  5 ,  il  ne  veut  pas  dire  :  Ils  étaient  à  vous  pa) 
leur  vertu ,  ils  étaient  à  vous  par  leur  bonne  vo- 
lonté;  mais  ils  étaient  à  vous  par  la  vôtre  :  non  par 
leur  choix,  mais  par  le  vôtre;  non  parce  qu'ils 
étaient  bons,  mais  parce  que  vous  l'étiez,  vous, 
mon  Père,  qui  les  choisissiez  px)ur  me  les  donner. 
Il  est  vrai  qu'il  parle  ici  des  apôtres  que  le  Père 
a  donnés  au  Fils  par  cette  grâce  singulière  de  l'a 
postolat;  mais  cela  est  vrai  de  tous  ceux  que  le 

1  Joan.  XVII,  6.  —  »  Ibid  i,  TO.  -  ^  I-  Joan.  H  ,  H  ,  iC 
«  lûid.  V,  19.  —  '  P'iid.  XVII,  0. 


MÉDITATIONS  SUR  L ÉVANGILE. 


Pore  a  «lonnôs  au  Fils  en  qualité  de  lidèles  pour 
être  ses  membres,  ainsi  qu'il  paraîtra  au  >''.  24.  Le 
Père  les  donne  tous  à  son  Fils  par  la  incme  grdee 
et  par  la  même  bonté  gratuite  avec  laquelle  il  lui 
a  donné  les  apôtres.  Qu'avaient-ils  fait  pour  être 
«loonés  au  Fils  de  Dieu ,  pour  être  non-seulement 
les.  membres ,  mais  encore  les  principaux  membres 
fie  son  corps  mystique.'  Mon  Père,  vous  les  avez 
tirés  du  monde  :  ils  étaient  vôtres  par  votre  bonté' . 
ISe  nousgloriGons  pas  parce  que  nous  étions  au  Père 
et  qu'il  nous  a  donnés  à  son  Fils;  au  contraire  hu- 
milions-nous, parce  que  nous  n'étions  à  lui  que 
par  l'amour  gratuit  qui  nous  prévenait,  confor- 
mément à  cette  parole  uion  que  nous  l'ayons  aimé, 
car  c'est  lui  qui  nous  a  aimés  le  premier^. 

XLV  JOUR. 

Le  Fils  instruit  ceux  qui  lui  sont  donnés  par  le  Père. 
Joan.  XVII,  6. 

Voilà  donc  par  où  Dieu  commence  pour  former 
l'Église  :  le  Père  choisit  ceux  qu'il  donne  à  son 
Fils  dans  cette  secrète  communication  qui  est  en- 
tre eux;  et  ceux  qu'il  choisit  ainsi,  il  les  rend 
siens  par  ce  choix,  et  ils  sont  à  lui  :  mais  ils 
sont  aussi  à  son  Fils,  parce  qu'il  les  lui  donne,  et 
le  Fils  les  reçoit  de  sa  main ,  et  il  leur  fait  con- 
naître le  nom  de  Dieu,  Voilà  la  prédication  de  Jé- 
sus-Christ, qui  est  le  fondement  extérieur  de  cette 
Église  qu'il  venait  former.  Et  encoreque  cette  grâce 
de  la  prédication  soit  pour  le  peuple ,  elle  regarde 
principalement  les  apôtres  qu'il  établissait  pour 
en  être  les  docteurs.  Ainsi  il  les  instruit  en  particu- 
lier, et  leur  apprend  le  nom  de  son  Père,  ce  nom 
de  Père  qui  envoie  son  Fils,  et  l'envoie  par  un  pur 
amour,  pour  être  le  Sauveur  du  monde  :  voilà 
donc  la  prédication  de  Jésus-Christ. 

Mais  si  sa  prédication  était  purement  extérieure, 
les  apôtres  ne  lui  diraient  pas  :  Seigneur,  augmen- 
tez-nous lafoi^.  Par  cette  prière  ils  ne  voulaient 
pas  lui  dire  :  Prêchez-nous ,  car  ils  voyaient  bien 
qu'il  le  faisait  et  ne  cessait  de  les  instruire.  Ils  lui 
demandaient  qu'il  leur  parlât  au  dedans  pour 
leur  augmenter  la  foi  ;  et  quand  il  lui  en  deman- 
daient l'accroissement,  ce  n'était  pas  qu'ils  crus- 
sent en  avoir  eu  le  commencement  par  eux-mêmes , 
uiais  ils  demandaient  le  progrès  à  celui  de  qui  ils 
tenaient  le  commencement.  Et  quand  cet  autre  lui 
disait  :  Je  crois ,  Seigneur,  aidez  mon  incrédulité  -»  ; 
il  entendait  bien  que  celui  qu'il  priait  d'en  éteindre 
jusqu'au  moindre  reste,  était  celui  qui  avait  com- 
mencé de  la  détruire  dans  son  cœur.  Jésus-Christ 
était  donc  connu  comme  celui  qui  agissait,  qui 
parlait  au  dedans  et  au  dehors;  car  il  était  la  pa- 
role intérieure  du  Père  :  et  quand  il  s'était  revêtu 
de  notre  nature  pour  exercer  au  dehors  le  minis- 
tère de  la  parole,  il  n'avait  pas  perdu  pour  cela 
cette  qualité  de  parole  intérieure  qui  demeurait 
dans  le  sein  du  Père,  mais  qui  aussi  s'insinuait 
dans  tous  les  cœurs  en  illuminant  tout  homme  qui 


774 

vient  au  monde',  et  parlant  à  qui  il  lui  plaît, 
comme  il  lui  plaît,  sans  que  personne  puisse  en- 
tendre la  vérité ,  qu'autant  que  le  Verbe  lui  parle 
de  la  manière  qu'il  sait;  ni  en  particulier  les  vérité» 
du  salut,  qu'autant  qu'il  lui  insinue  dans  le  fond 
du  cœur  ce  nom  secret  de  son  père,  qui  veut  de- 
venir le  leur  en  les  donnant  à  son  Fils,  qui  le» 
fait  lils  et  enfants  à  leur  manière ,  lorsqu'il  les  unit 
à  lui  et  les  fait  ses  membres. 

Combien  donc  dois-je  être  attentif,  et  au  dedans 
et  au  dehors,  à  la  prédication,  à  la  lecture  de  l'É- 
vangile! et  combien  dois-je  prêter  l'oreille  du  cœur 
à  cette  douce  insinuation  de  la  vérité,  qui  se  fait 
entendre  sans  bruit,  et  sans  articuler  des  paroles 
qui  se  suivent  les  unes  les  autres ,  et  n'ont  de  sens 
qu'à  la  fin;  mais  tout  ensemble  et  par  un  seul  trait, 
autant  qu'il  lui  plaît  de  parler!  G  Jésus!  j'écoute  : 
parlez,  luisez,  éclairez,  tonnez;  échauffez,  fendez 
les  cœurs. 

XLir  JOUR. 

Comment  le  Père  donne  les  élus  an  Fils.  thid. 

Ils  étaient  à  vous ,  et  vous  me  tes  avez  donnés  '. 
Mais  le  Fils  ne  se  les  a-t-il  pas  donnés  lui-même.' 
D'où  vient  donc  qu'il  disait  dans  le  chapitre  précé- 
dent :  Ce  n'est  pas  vous  qui  m'avez  choisi ,  c'est 
moi  qui  vous  ai  choisis  ^.  Et  quand  le  Père  les  a 
choisis,  si  ce  n'est  pas  par  le  Fils  qu'il  a  fait  ce 
choix,  saint  Paul  aurait-il  dit  que  Dieu  nous  a  choi- 
sis en  lui  et  par  lui  i  :  autrement  il  ne  serait  pa». 
véritable  que  nous  lui  devrions  tout,  puisque  nous 
aurions  été  choisis  sans  lui.  Entendons  donc  que  le 
Père  inspire  à  lame  sainte  de  son  Fils  fait  homme, 
de  choisir  ceux  qu'il  devait  choisir;  et  le  Fils,  qui 
ne  fait  rien  que  ce  qu'il  voit  faire  à  son  Père  s,  les 
choisit  après  lui  :  et  le  Père  ne  veut  pas  que  son 
cboix  ait  son  effet,  jusqu'à  ce  que  le  Fils  y  soit 
entré.  Mais  le  Fils,  qui  de  son  côté  ne  fait  rien  que 
1  selon  qu'il  voit  la  volonté  de  son  Père,  choisit  ceux 
,  qu'il  veut.  Ainsi  le  Père,  qui  dirigeait,  animait  et 
inspirait  la  volonté  de  son  Fils,  était  le  premier 
qu'il  choisissait;  et  c'est  pourquoi  le  Fils  dit  :  //* 
étaient  à  vous,  et  vous  me  les  avez  donnés. 

Et  que  dirons-nous  du  Fils  comme  Dieu.'  Ces 
bienheureux  choisis  de  Dieu,  n'étaient-ils  pas  à  lui 
comme  au  Père.'  Oui  sans  doute,  comme  il  dit 
après  :  Tout  ce  qui  est  à  vous,  est  à  moi;  et  tout 
ce  qui  est  à  moi,  est  a  vous  ^.  Mais  c'est  son  langage 
ordinaire  de  tout  rapporter  à  son  Père,  de  qui  il 
tire  lui-même  son  origine  :  et  encore  selon  ce  sens, 
ils  étaient  au  Fils  dès  là  qu'ils  étaient  au  Père.  Tout 
leur  est  commun;  et  tout  venant  du  Fils  au  Père, 
tout  lui  est  aussi  rapporté.  C'est  le  langage  du  Fils, 
le  langage  mystérieux  et  sacré  de  sa  mutuelle  com- 
munication avec  son  Père  :  en  un  mot ,  le  langage 
de  la  Trinité;  que  Jésus-Christ  n'aurait  point  parlé 
devant  les  hommes,  s'il  ne  les  voulait  introduire 
dans  ce  secret  par  la  foi,  pour  un  jour  les  y  in- 
troduire par  la  claire  vue.  Croyons  donc,  et  nous 
verrons. 


'  Joon.  xvn, 
Uan.  IX ,  23- 


—  '  I.  Ihid.  IV,  10.  —  3  Luc.  xyii  ,5.-4 


'  Jean.  », 9.  —  »  Ihid.  xvn ,6.-3  Ibid.xr,  16. 
1,4,5.  — «  Joan.y,  l9.  —  *Ibid.  XTII,  IC 


&f/it^ 


776 


MEDITATIONS  SUR  L'EVANGILE. 


XLIir  JOUR. 


Jésus  parle  ici  des  onze  apôtres  Joaii.  xvii,  6,7,  8. 

Et  ils  ont  gardé  voire  parole  :  ils  ont  mainteiiant 
connu,  que  tout  ce  que  vous  m'avez  donné  vient  de 
vous ,  parce  que  je  leur  ai  donné  les  paroles  que 
vous  m'avez  données;  et  ils  ont  connu  véritable- 
ment, que  je  suis  sorti  de  vous  :  ils  ont  cru  que 
vous  m'avez  envoyé'. 

Il  parle  de  ceux  qui  étaient  actuellement  avec  lui. 
Jiidas  s'était  retiré  incontinent  après  la  cène,  et 
n'avait  aucune  part  au  discours  qui  avait  suivi.  Ce 
traître  s'étant  retiré  pour  consommer  son  crime, 
et  ensuite  aller  en  son  lieu^\  on  pouvait  dire  véri- 
tablement de  tous  ceux  qui  étaient  présents,  qu'ils 
avaient  reçu  la  parole,  et  qu'ils  avaient  connu  que 
Jésus-Christ  était  sorti  de  Dieu  ;  car  ils  venaient  de 
iui  dire  :  Nous  croyons  qtie  vous  êtes  sorti  de  Dieu  ^, 
qui  est  la  même  parole  que  Jésus-Christ  répète  ici , 
et  il  semble  avoir  approuvé  comme  véritable  ce  qu'ils 
lui  disaient  alors,  en  leur  répondant  :  Fous  croyez 
présentement?  Modo  ckeditis  4?  IMais  encore  que 
cela  soit  véritable  jusqu'ici,  et  que  les  apôtres  ne 
se  soient  pas  encore  démentis,  il  semble  que  Jésus- 
Christ  les  regarde  non-seulement  dans  l'état  où  ils 
étaient ,  mais  encore  et  beaucoup  plus  dans  celui  où 
ils  allaient  être,  incontinent  après  la  descente  du 
Saint-Esprit.  Et  de  même  que,  lorsqu'il  dit  qu'il 
a  consommer  ouvrage  que  son  Père\m  a  ordonné^  \ 
il  ne  parlait  point  seulement  de  ce  qu'il  avait  fait 
jusqu'alors,  et  regardait  principalement  ce  qu'il 
allait  faire,  qui  était  la  plus  essentielle  partie  et  la 
consommation  de  ce  grand  ouvrage;  ainsi  tout  ce 
qu'il  dit  à  ses  apôtres  regarde  principalement  l'a- 
venir. 

Et  en  effet,  cette  parole,  qu'il  dit  ici,  ils  ont  connu 
véritablement,  semble  regarder  quelque  chose  de 
plus  parfait  dans  la  foi ,  que  l'état  douteux  et  chance- 
lant où  étaient  alors  les  apôtres,  qui  dans  un  moment 
allaient  tomber  non-seulement  dans  la  faiblesse  de 
l'abandonner,  mais  encore  dans  une  entière  incré- 
dulité. C'est  aussi  ce  que  Jésus-Christ  lui-même 
venait  de  leur  répondre ,  après  qu'ils  lui  eurent  dit  : 
Nous  croyons  que  vous  êtes  sorti  de  Dieu.  Fous 
croyez  maintenant?  leur  avait-il  dit  :  l'heure  est 
venue  que  vous  allez  être  dispersés,  et  que  vous 
me  laisserez  seul^;  comme  s'il  eût  dit  :  Vous  ap- 
pelez cela  croire  ?  est-ce  croire ,  que  d'être  assez  fai- 
bles pour  me  quitter  dans  un  moment?  est-ce  là 
connaître  vraiment  que  je  suis  venu  de  Dieu?  Une 
foi  si  vacillante  méritait-elle  cet  éloge  de  la  bouche 
du  Fils  de  Dieu  :  Ils  ont  vraiment  connu? 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  ne  peut  douter  que  Jésus- 
Christ  ne  parle  des  onze  qui  l'écoutaient  actuelle- 
ment; et  que  ce  ne  soit,  par  conséquent,  ceux  qu'il 
regardait  comme  étant  à  lui ,  et  comme  lui  étant 
donnés  par  son  Père.  Écoutons  donc  ce  qu'il  en  va 
dire  :  mais ,  avant  que  de  passer  outre,  remarquons 
que  ceux  qui  sont  véritablement  à  lui,  sont  ceux 
qui  demeurent.  Les  autres  sont  de  ceux  dont  il  est 

'.fonu.  6,  7  ,  8.  —  '  -Vf/.  1 ,  25.  —  '  Joan.  XVl ,  30.  —  *  luid. 
t\i.ii.  —  'l!j^Jx\n,  ■•.— ^ii((/.  xvi,ùU,3l,  3::. 


écrit  :  Ils  étaient  parmi  nous,  mais  ils  n'étaient 
pas  des  nôtres;  ils  n'étaient  pas  vérilableinenl  de 
notre  troupeau  ;  car  s'ils  en  avaient  été,  ils  y  se- 
raient demeurés  '  ;  mais  leur  .sortie  fait  connaître 
que  tous  ceux  qui  sont  parmi  nous  ne  sont  pas 
pour  cela  de  notre  société.  Demeurons  donc  en 
Jésus-Christ,  et  Jésus-Christ  en  nous,  afin  d'être 
véritablement,  c'est-à-dire  sincèrement  et  constanj- 
ment,  de  ceux  qui  sont  en  lui. 

XLIV^  JOUR. 

Jésus  prie  pour  eux  el  pour  les  élus  .  Joan.  xvu ,  0,  10. 

Je  prie  pour  eux  :je  ne  prie  pas  pour  le  monde , 
mais  pour  ceux  que  vous  m'avez  donnés,  parce 
qu'ils  sont  à  vous.  Tout  ce  qui  est  à  moi,  est  à  vous  ■ 
et  tout  ce  qui  est  à  vous,  esta  moi  :  et  j'ai  été  gloriji'ê 
en  eux^.  Il  parle  des  onze,  et  de  ceux-là  seulement, 
dont  la  foi  et  l'obéissance  l'ont  glorifié,  selon  ce 
qu'il  avait  dit  :  Ils  ont  gardé  votre  parole,  et  ils  o?it 
cru,  et  ils  ont  connu  que  vous  m'avez  envoyé^. 
Voilà  donc  ceux  qu'il  a  en  vue,  et  pour  qui  il  prie 
en  cet  endroit.  Et  lorsqu'il  dit  qu'il  a  été  glorifié  en 
eux,  il  les  regarde  principalement  dans  l'état  où  ils 
seraient  mis  après  sa  résurrection  et  la  descente  du 
Saint-Esprit.  Car  c'est  alors  seulement  qu'il  a  été 
véritablement  glorifié  en  eux ,  ne  l'ayant  été  que  très- 
faiblement  jusqu'alors;  et  au  contraire  ayant  plutôt 
été  déshonoré  par  leur  fuite  et  par  leur  incrédulité. 
Mais  il  prie  Dieu  de  les  affermir;  et  voilà,  encore 
un  coup,  ceux  pour  qui  il  prie  dans  ce  verset.  Car 
priant  ici  principalement  pour  la  formation  de  son 
corps  mystique,  qui  est  son  Église,  il  commence 
par  prier  pour  ceux  qui  en  devaient  être  après  lui 
les  fondateurs  par  la  prédication  ;  et  il  prie  ensuite 
pour  ceux  qui  devaient  croire  par  leur  parole  •♦. 
Car  c'est  ainsi  que  tout  le  corps  est  complet,  par 
la  sainte  société  de  ceux  qui  enseignent  et  de  ceux 
qui  sont  dociles  à  apprendre  la  vérité  :  et  tout  cela 
est  une  suite  de  la  prière  du  Fils  de  Dieu. 

Il  semble  qu'on  voit  par  là  que  cette  prière  de 
.lésus-Christ  n'enferme  pas  tout  ce  dont  il  a  prié 
son  Père,  mais  seulement  tout  ce  dont  il  l'a  prié 
pour  une  certaine  fin.  Car  il  avait,  outre  les  apô- 
tres, beaucoup  de  disciples  qui  croyaient  en  lui  sin- 
cèrement, comme  Nicodème,  comme  Joseph  d'A- 
rimathie,  comme  Lazare  et  ses  sœurs,  comme  les 
Marie ,  comme  beaucoup  d'autres;  et  au-dessus  de 
tous  les  autres,  comme  sa  sainte  et  digne  mère  : 
qui  ayant  tous  part  à  son  sacrifice,  out  eu  aussi 
part  à  sa  prière  ;  quoique  celle-ci  semble  faite  pour 
une  autre  fin ,  et  ne  les  pas  regarder  :  car  ils  ne  sont 
point  du  nombre  des  apôtres ,  dont  il  parle  dans  ses 
versets  9  et  10.  Ils  ne  sont  non  plus  du  nombre  de 
ceux  dont  il  parle  au  J.  20  ,  parce  que  ceux-là  sont 
ceux  qui  devaient  croire  par  la  parole  des  apôtres. 
Or,  ceux  qu'on  vient  de  nommer  croyaient  déjà;  et 
ce  n'était  point  par  la  parole  des  apôtres,  mais  par 
celle  de  Jésus-Christ  :  et  sa  sainte  mère  avant  tout 
cela  par  celle  de  l'ange.  Et  dans  le  temps  de  sa  pjis- 


'  I.  Joan.  II,  !0.  • 
«  Ihid.  -M. 


Ibid.  xyiu  9.  10.  — ^Ibid.  6,7,  B.- 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


sioii,  ceux  qui  s'en  retournaient  frappant  leur  poi- 
lime;  et  Je  centenier  qui  disait  :  Vraiment  celui-ci 
était  le  Hls  de  Dieu  ' ,  étaient  bien  de  ceux  qui  de- 
vaient croire ,  mais  non  par  la  parole  des  apôtres. 
Kt  quand  on  voudrait  dire  que  quelques-uns  d'eux 
eurent  besoin  d'être  confirmés  dans  la  foi  par  leur 
ministère,  le  peut-on  dire  de  sa  sainte  mère?  et  le  , 
peut  on  dire  des  femmes  pieuses  qvri  persistèrent  à  \ 
suivre  Jésus  à  la  croix  et  dans  le  tombeau,  pendant 
que  les  apôtres  étaient  dans  !e  trouble  et  dans  l'in- 
crédulité; et  qui  furent  aussi  les  premières  à  qui  il 
apprit  lui-même  sa  résurrection?  Le  bon  larron  fut 
aussi  de  ceux  qui  crurent,  mais  on  sait  que  ce  ne 
fut  point  par  le  ministère  des  apôtres.  L'exemple 
de  Jésus-Christ  le  convertit,  et  sa  promesse  l'assura 
de  son  salut. 

Disons  donc  que,  cette  prière  regardant  princi- 
palement la  fondation  de  son  Église ,  Jésus-Christ 
n'y  a  considéré  que  les  moyens  ordinaires  dont  il 
se  voulait  servir  pour  l'établir;  et  que  pour  cela, 
il  ne  parle  dans  cette  prière  que  des  apôtres  qui 
étaient  présents  et  de  ceux  qui  devaient  croire  par 
leur  parole.  Il  ne  faut  donc  point  douter  que  Jésus- 
Christ  n'ait  recommandé  à  son  Père,  publiquement 
ou  secrètement,  d'autres  personnes  que  celles  dont 
il  est  fait  mention  en  cet  endroit  :  car  qui  doute 
qu'il  n'ait  st*crètement  recommandé  le  bon  larron  i 
et  qui  ne  sait  la  prière  qu'il  fit  hautement  à  la 
croix  pour  ceux  qui  l'y  avaient  mis  ?  Mais  la  prière 
qu'il  fait  ici,  regardait  principalement  les  apôtres, 
pour  l'instruction  de  qui  il  la  fit  tout  haut;  et  qu'il 
voulait  encourager  à  l'œuvre  qu'il  leur  avait  con- 
fiée ,  en  leur  faisant  voir  ce  qu'il  faisait ,  et  ce  qu'il 
demandait  à  son  Père  pour  en  assurer  le  succès. 

Dans  cet  esprit ,  il  dit  à  son  Père  :  Je  prie  pour 
eux  :  je  ne  prie  pas  pour  le  monde  :  mais  pour 
ceux  que  vous  m'avez  donnés  et  que  vous  avez 
tirés  du  monde  pour  me  les  donner  ».  Conmie 
donc  ils  sont  déjà  séparés  du  monde,  il  n'a  pas 
à  prier  son  Père  de  les  en  tirer.  Quand  Dieu  les 
tira  du  monde  pour  les  lui  donner,  ce  fut  sans 
doute  selon  le  désir  et  à  la  prière  de  son  cher 
Fils,  par  qui  il  les  appelait.  Lorsqu'il  voulut  for- 
mer le  corps  des  douze  apôtres,  il  est  expressé- 
ment marqué  qu'auparavant  il  se  retira  sur  une 
montagne  et  y  passa  la  nuit  en  prière  ^  :  ce  qui 
nous  donne  à  entendre  qu'une  prière  secrète  pré- 
cédait ses  actions;  ou  plutôt  qui  peut  douter  qu'il 
ne  fdt  dans  une  perpétuelle  communication  avec 
son  Père,  et  qu'il  ne  lui  demandât  tout,  et  n'ac- 
complît en  tout  sa  volonté? 

On  doit  donc  croire  très-certainement  qu'il  de- 
mandait à  son  Père  tous  ceux  qu'il  convertissait, 
et  qu'il  retirait  de  la  corruption  du  monde.  Alors 
il  priait  du  moins  pour  quelque  partie  du  monde , 
mais  afin  que  cette  partie  cessât  d'en  être.  Et 
«jiiaiid  il  dit  à  la  croix  :  Mon  Père,  pardonnez- 
kur,  parce  qu'ils  ne  savent  ce  qu'ils  font  ^  ;  ceux 
pour  qui  il  priait,  étaient  encore  de  ce  monde  per- 
vers. Mais  ici  ceux  pour  qui  il  prie  n'en  étaient 

»  Matih.  XXVII,  h\.  Luc.  xxiii ,  47,  48.  —  *  Joan.  XTII,  9.  — 
i.  Luc.  VI ,  li,  la.  —  '  Ibid.  XIUI ,  31, 


111 

déjà  plus,  puisque  son  Père  les  en  avait  tirés  pour 
les  lui  donner;  ce  qui  lui  fait  dire  dans  la  suite  :  Ils 
ne  sont  pas  du  monde,  comme  je  ne  suis  pas  du 
monde'.  Autre  est  donc  la  prière  par  laquelle  le 
Sauveur  prie  pour  tirer  quelqu'un  du  monde,  autre 
celle  par  laquelle  il  prie  pour  obtenir  ce  qu'il  faut 
à  ceux  qui  en  sont  déjà  tirés.  Et  c'est  ce  dernier 
genre  de  prière  qu'il  fait  ici ,  lorsqu'il  demande  pour 
ceux  dont  il  parle  :  qu'ils  soient  un  comme  le  Père 
et  le  Fils  sont  un  ' ,  qui  est  une  chose  dont  le  mon- 
de, tant  qu'il  est  monde ,  n'est  pas  capable. 

Il  est  vrai  que  cette  partie  du  monde  qui  devait 
croire,  comme  nous  verrons  dans  la  suite,  devait 
par  conséquent  venir  à  cette  unité  ;  mais  afin  qu'elle 
en  fût  capable ,  il  eût  fallu  demander  pour  elle  les 
dons  nécessaires  pour  l'y  préparer  par  la  grâce , 
qui  les  devait  tirer  du  monde.  Mais  nous  ne  voyons 
pas  que  Jésus-Christ  le  fasse  ici;  ni  enfin  qu'il  fasse 
autre  chose  que  de  prier  pour  ceux  qui  étaient  déjà 
tirés  du  monde,  ainsi  que  nous  le  venons  de  voir. 

Mon  Dieu,  n'est-ce  point  ici  un  vain  travail,  et 
une  recherche  trop  curieuse  de  vos  paroles?  Je  ne 
le  crois  pas  :  car  je  tâche  à  les  entendre  par  elles- 
mêmes,  et  par  ce  qu'elles  contiennent;  et  il  n'y  a 
rien  d'inutile  dans  ce  que  vous  dites.  Il  n'est  donc 
pas  inutile  de  le  rechercher.  Car  qui  sait  le  fruit  que 
vous  voudrez  qu'on  y  trouve?  Quoi  qu'il  en  soit, 
je  vous  offre  mes  faibles  recherches ,  mes  faibles 
pensées.  Criblez-les,  Seigneur,  criblez-les  :  que  le 
vent  emporte  la  poussière,  le  mauvais  grain,  les 
ordures ,  tout  ce  qui  n'est  pas  le  pur  froment;  et  ne 
permettez  pas  qu'il  demeure  autre  chose  dans  mon 
cœur ,  que  ce  qui  est  propre  à  le  nourrir  pour  la 
vie  éternelle. 

XLV»   JOUR. 

Jésus  ne  prie  pas  poor  le  moode.  Joan.  svii,  9. 

Je  ne  prie  pas  pour  le  monde^.  Je  ne  prie  pas  pour 
les  hommes  vains,  amoureux  d'eux-mêmes,  qui  ne 
veulent  que  paraître  bons ,  et  se  trompent  les  uns 
les  autres  :  car  tout  cela  c'est  le  monde.  Je  ne  prie 
pas  pour  ce  monde  plein  de  haine ,  de  jalousie ,  de 
dissimulation ,  de  tromperie  ;  pour  ce  monde  dont 
les  maximes  sont  toutes  contraires  à  la  vérité,  à 
la  piété,  à  la  sincérité,  à  l'humilité,  à  la  paix.  O 
monde,  la  vérité  te  condamne  ici!  et  Jésus-Christ 
t'exclut  de  sa  charité  ;  mais  plutôt  tu  t'en  exclus 
toi-même  ;  et  tu  te  rends  incapable  du  grand  fruit 
de  sa  prière,  qui  est  cette  parfaite  unité  qu'il  de- 
mande pour  ses  apôtres  et  pour  tous  ses  autres 
fidèles. 

Le  monde  porte  corruption  et  division,  parce 
qu'il  porte  concupiscence,  intérêt,  avarice,  or- 
gueil; et  tout  cela  ne  corrompt  pas  seulement,  mais 
encore  divise  les  cœurs.  Témoin,  dans  les  liaisuni 
qui  semblent  les  plus  étroites  et  les  plus  vives,  ou 
selon  l'esprit ,  ou  même  selon  la  chair ,  les  dégoûts, 
les  défiances,  les  jalousies,  les  légèretés,  les  iulidé- 
litës ,  les  ruptures.  Où  trouve-t-on  des  amis  qui  ne 

•  Joan.  XVII ,  le.  —  '  Jbld.  II.  —  '  Ihid, 


:'i 


i\JEDlTAT10NS  SUR  L'ÉVANGILE. 


soient  en  garde  l'un  contre  l'autre ,  et  séparés  par 
quelque  endroit?  Et  quand  on  trouverait  dans  tout 
l'univers  un  ou  deux  couples  d'amis  véritables,  qui 
peut  dire  que  celte  union  sera  durable,  et  qu'on 
n'en  viendra  jamais  au  point  délicat  oii  l'on  ne  se 
pourra  plus  supporter  l'un  l'autre?  Et  quel  est  ce 
point  délicat?  si  ce  n'est  l'amour  de  son  excellence 
propre  et  de  la  prééminence  du  mérite ,  qui  fait 
qu'il  n'y  a  rien  de  sincère  ni  de  cordial  parmi  les 
hommes?  On  se  sera  mis  au-dessus  d'un  bas  inté- 
rêt :  je  le  veux ,  quoique  cela  soit  rare  ;  mais  cet  in- 
térêt d'excellence,  cette  jalousie  de  gloire  et  de 
mérite,  qui  l'extirpera  du  fond  des  cœurs?  qui 
l'empêchera  de  régner  dans  le  monde ,  et  d'y  porter 
la  division  partout?  Non ,  le  monde  n'est  pas  capa- 
ble de  cette  union  d'esprit  et  de  cœur,  que  Jésus- 
Christ  demande  pour  ses  apôtres,  afin  qu'ils  soient 
tin  '.  Il  n'y  a  que  le  Saint-Esprit  qui  puisse  mettre 
cette  unité  dans  les  cœurs.  Elle  fut  dans  les  fidèles , 
après  que  cet  esprit  d'unité  fut  descendu  sur  eux  : 
et  ils  n'avaient  tous  qu'un  cœur  et  qu'une  âme; 
et  personne  ne  croyait  avoir  rien  de  propre  parmi 
eux  ».  Mais  cet  esprit,  qui  porte  la  paix  et  l'union 
dans  les  cœurs,  notre  Sauveur  vient  de  dire  que  le 
monde  ne  \q  peut  pas  recevoir  ^.  Et  c'est  pourquoi 
il  ne  faut  pas  s'étonner  si  Jésus-Christ  dédaigne 
de  prier  pour  le  monde.  Ce  n'est  pas  en  vain  qu'il 
parle  ainsi ,  lui  qui  est  si  bon ,  si  charitable  ;  ce 
n'est  pas  en  vain  qu'il  nous  dit  qu'il  ne  prie  pas 
pour  le  monde  :  il  faut  que  nous  entendions  com- 
bien nous  devons  haïr  le  monde  et  l'esprit  du  mon- 
de, de  ce  monde  dont  Jésus-Christ  ne  veut  passe 
souvenir  lorsqu'il  prie  pour  ses  fidèles. 

XLVP  JOUR. 

îl  prie  pour  ceux  en  qui  Dieu  est  glorifié.  Joan.    \\i,  9. 

Je  ne  prie  pas  pour  le  monde  ;  mais  pour  ceux 
que  vous  yn'avez  donnés ,  parce  qu'ils  sont  à  vous , 
et  j'ai  été  glorifié  en  eux^.  Jésus-Christ  est  glori- 
fié en  nous  quand  son  Père  y  est  glorifié  :  et  son 
Père  y  est  glorifié  quand  non-seulement  nous  por- 
tons beaucoup  de  fruit  ^ ,  comme  Jésus-Christ  le  dit 
lui-même;  mais  encore ,  que  nous  rapportons  tout 
ce  fruit  à  la  louange  de  la  gloire  de  sa  grâce,  par 
laquelle  il  nous  a  rendus  agréables  à  ses  yeux ,  et 
nous  a  élargi  ses  dons  en  Jésus- Christ  son  Fils  bien- 
aimé  ^  :  en  sorte  que  nulle  chair ,  nul  homme  ne 
se  glorifie  en  lui-même  ;  mais  que  celui  qtii  se  glo- 
rifie se  glorifie  uniquement  en  notre  Seigneur  7. 
Soyons  donc  de  ceux  dont  Jésus-Christ  se  glorifie 
auprès  de  son  Père  en  lui  disant,  comme  il  vient  de 
faire  de  ses  apôtres  :  Ils  ont  gardé  votre  parole  ;  et 
comme  je  leur  ai  donné  la  parole  que  vous  m'avez 
donnée,  ils  ont  été  fidèles  à  la  recevoir,  comme 
une  parole  qui  venait  de  vous ,  de  qui  moi-même 
je  viens  *.  Soyons  de  ceux  à  qui  Jésus-Christ  rend 
pe  témoignage ,  mais  soyons  aussi  de  ceux  qui  re- 
connaissent que  tout  cela  nous  vient  de  Dieu ,  et 

'  Joan.  XVII,  II.  —  '  Act.  iv,  32.  —  '  Joan.  Xiv,  17.  — 
♦  Joiin.  XVII,  !»,  ïO.  —  ''lbid.  XV,  8.  —  «  Ej)hcs.  i.  6.  —  '  l.Cor. 
t,  31.—  8  Joaii.  xvii,  Ç,8, 


que  notre  fidèle  coopération  à  la  grâce  de  Jésus- 
Christ  est  le  premier  effet  de  cette  grâce,  .^men  :  Il 
est  ainsi.  Et  si  nous  avons  en  nous-mêmes  ce  sen- 
timent ,  le  témoignage  de  Dieu  sera  en  nous  :  nous 
serons  les  vrais  disciples  de  la  grâce  de  Jésus-Christ, 
et  il  sera  vraiment  glorifié  en  nous;  ne  pouvant  ja- 
mais l'être  en  ceux  qui  se  glorifient,  pour  peu  que 
ce  soit,  en  eux-mêmes,  parce  qu'il  est  le  vrai  et 
seul  Dieu ,  'qui  ne  donnera  pas  sa  gloire  à  un  au- 
tre '.  Rentrons  donc  sérieusement  en  nous-mêmes; 
et  toutes  les  fois  que  nous  y  trouverons  un  secret 
appui  dans  nos  œuvres,  dans  nos  lumières,  dans  no- 
tre travail,  dans  notre  mérite,  dans  nos  propres 
forces,  sortons  de  nous-mêmes  pour  nous  laisser 
aller  à  l'abandon  entre  les  bras  de  celui  qui  nous 
soutient,  et  ne  tenons  qu'à  lui  seul. 

XLVIP  JOUR. 

Il  demande  qu'ils  soient  un  avec  son  Père  el  lui.  Joan. 
xva,  11. 

Je  ne  suis  plus  dans  le  monde  :  toujours  selon 
cette  façon  de  parier,  qui  lui  fait  énoncer  comme 
déjà  accompli  ce  qui  va  l'être.  Je  ne  suis  donc  plus 
dans  le  monde  :  Je  pars,  et  je  viens  à  vous;  mais 
pour  eux,  ils  sont  dans  le  monde.  Mon  Père  saint, 
conservez  en  votre  nom  ceux  que  votis  m'avez  don- 
nés, afin  qu'ils  soient  U7i  comme  nous  *.  Voilà  donc 
ce  que  Jésus-Christ  demande  pour  ses  apôtres,  et 
en  eux  pour  tous  ses  élus ,  ainsi  qu'il  l'expliquera  plus 
clairement  dans  la  suite.  S'il  demande  cela  pour 
eux,  il  n'est  pas  permis  de  douter  qu'il  ne  l'obtienne  ; 
car  c'est  lui-même  qui  a  dit  :  Je  sais,  mon  Père 
que  vous  tn'écoutez  toujours.'^  Il  est  donc  bien  assuré 
d'être  écouté  lorsqu'il  demande  à  son  Père  de  les 
garder  tellement,  qu'ils  soient  un  :  et  ils  le  seront, 
puisque  Jésus-Christ  a  demandé  qu'ils  le  fussent. 

Je  vous  prie,  mon  Père,  qu'ils  soient  un  :  que  l'es- 
prit de  dissension,  d'envie,  de  jalousie,  de  ven- 
geance, d'animosité,  de  soupçon  et  de  défiance  ne 
soit  point  en  eux  :  Qu'ils  soient  un  comme  nous. 
Ce  n'est  pas  assez  qu'ils  soient  un,  comme  le  Père 
et  le  Fils,  dans  la  nature  qui  leur  est  commune,  de 
même  que  le  Père  et  le  Fils  sont  un  dans  la  nature 
qui  leur  est  commune;  mais  qu'ils  aient,  comme 
eux,  une  même  volonté,  une  même  pensée,  un 
même  amour  :  qu'ils  soient  donc  un  comme  nmis. 

Ce  comme  ne  fait  pas  descendre  l'unité  du  Père 
et  du  Fils  jusqu'à  l'imperfection  de  la  créature, 
ainsi  que  les  ariens  se  l'imaginaient;  mais,  au  con- 
traire, il  relève  l'imperfection  de  la  créature,  jus- 
qu'à prendre  autant  qu'elle  peut  pour  son  modèle 
l'unité  parfaite  du  Père  et  du  Fils.  Qu'ils  soient  un 
'  comme  nous  :  c'est  donc  à  dire  que  nous  soyons  le 
modèle  de  leur  union;  non  qu'ils  puissent  jamais^ 
atteindre  à  la  perfection  de  ce  modèle,  mais  néan- 
moins qu'ils  y  tendent;  de  même  que  lorsqu'on  nous 
dit  -.Soyez  saints,  comme  je  suis  saint,  moi  le 
Seigneur  votre  Dieu  ^  ;  et  encore  :  Soyez  parfaits , 
soyez  miséricordieux ,  comme  votre  Père  céleste 


'  Is.  XLII ,  8 

II,  41. 


—  ï  Joan.  xvu,  U.—'^IUd.  xj,  il.—  ^ Lcv, 


MEDITATIONS  SUR  L'EVANGILK. 


773 


est  par/ait  ef  miséricordieux  '  ;  nous  entciidi>ns 
bien  qu'il  ne  nous  appartient  pas  dctrc saints,  d'ê- 
tre bons,  d'être  parfaits  dans  la  transcenJance  qui 
convient  à  la  nature  divine,  mais  seulement  qu'il 
nous  appartient  d'y  tendre,  et  que  nous  devons 
nous  proposer  ce  modèle,  pour  en  approcber  de 
plus  en  plus.  Ainsi  qu'ils  soient  un  comme  nous, 
c'est-à-dire  qu'ils  le  soient,  s'avançant  aujourd'bui 
et  après,  et  tous  les  jours  de  plus,  en  plus  à  cette 
perfection,  et  y  avançant  d'autant  plus  infatigable- 
ment qu'on  ne  peut  jamais  atteindre  au  sommet.  Car 
plus  on  avance,  plus  on  connaît  la  distance;  et  elle 
parait  de  plus  en  plus  iiiQnie  ;  et  on  s'abaisse ,  et  on 
s'humilie  jusqu'à  l'infîni,  jusqu'au  néant. 

Qu'ils  soient  donc  un  comme  nous ,  s'unissant 
ensemble,  en  toute  cordialité  et  vérité,  non  de  pa- 
roles seulement,  mais  par  oeuvres,  et  par  les  effets 
d'une  charité  sincère;  qu'ils  soient  un  véritable- 
ment; qu'il  soient  un  inséparablement;  qu'ils  mon- 
trent et  qu'ils  voient  en  eux-mêmes,  dans  la  perpé- 
tuelle persévérance  de  leur  union  mutuelle,  une 
image  de  cette  éternelle  et  incompréhensible  unité 
par  laquelle  le  Père  et  le  Fils  étant  ua  ,  dans  une 
même  et  simple  nature  individuelle,  ils  n'ont  aussi 
qu'une  seule  et  simple  intelligence,  avec  un  seul  et 
simple  amour ,  et  par  tout  cela  font  un  seul  Dieu  : 
ainsi  qu'ils  fassent  entre  eux  un  seul  corps,  une 
seule  âme  ,  un  seul  Jésus-Christ.  Car  s'il  est  réservé 
à  Dieu  et  aux  personnes  divines  d'être  un,  d'une 
parfaite  unité ,  il  nous  convient  d'être  un ,  comme 
faits  à  leur  image  :  et  c'est  la  grâce  que  Jésus- 
Christ  demande  pour  nous. 

Il  ne  dit  pas  :  qu'ils  soient  un  avec  nous  ;  ou  que 
nous  et  eux  nous  ne  soyons  qu'une  seule  et  même 
chose,  ce  qui  serait  égaler  les  hommes  à  Dieu; 
mais  qu'ils  soient  un ,  comme  nous,  selon  la  pro- 
portion qui  convient  à  ceux  que  nous  avons  faits 
à  notre  image,  en  disant  :  Faisons  F  homme  à  notre 
image  et  ressemblance  ».  O  image ,  de  qui  es-tu 
l'image?  Du  Père,  du  Fils,  et  du  Saint-Esprit, 
qui  ont  prononcé  d'une  voix  commune  :  Faisons 
t homme  à  noire  image  !  Achève  donc  le  portrait , 
et  imprime  en  toi  tous  les  traits  de  cette  divine  res- 
semblance. Otons  de  plus  en  plus  ce  qui  nous  divise 
de  nos  frères  ;  ôtons  nos  propriétés  ,  nos  propres 
désirs,  nos  propres  pensées,  notre  amour-propre  : 
il  ne  resterait  plus  que  le  bien  commun,  qui  est 
Dieu,  en  qui  nous  serons  une  même  chose. 

XLVIir  JOUR. 

L'enfant  de  perdition.  Joan.  xvii,  12. 

Pendant  que  fêlais  avec  eux ,  je  les  conservais 
en  votre  nom:  j'ai  gardé  ceux  que  vous  m'avez 
donnés;  et  aucun  d'eux  n'est  péri,  si  ce  n'est  l'en- 
fant de  perdition ,  afin  que  U Écriture  fût  accom- 
plie^. On  entend  bien  que  cet  enfant  de  perdition, 
c'est  le  traître  disciple.  Il  n'est  enfant  de  perdition , 
enfant  de  la  gêne,  enfant  de  l'enfer ,  que  par  lui- 
même  et  par  sa  faute.  Car  Jésus-Christ  l'avait  appelé 

'  Matth.  V,  48.  Luc.  Tl ,  38.  —  »  Gen.  1 ,  20.  —  '  Joan.  x  vu , 


non-seutement  à  la  foi ,  mais  encore  à  rapustolat  : 
et  s'il  se  fdt  purifié ,  il  aurait  été,  conmie  dit  saint 
Paul,  un  vaisseau  d'honneur  saru-tifié  au  Seigneur, 
au  lieu  qu'il  s'est  fait  lui-même  un  vaisseau  de  rebut 
et  de  mépris  «,  Ce  n'est  donc  pas  Dieu  qui  l'a  préci- 
pité dans  le  crime,  pour  accomplir  les  prédictions 
de  son  Écriture  :  car  ces  prédictions  du  péché  le 
supposent  comme  devant  être ,  et  ne  le  font  pas. 
Cela  est  clair,  cela  est  certain  ;  et  il  ne  faut  rien 
écouter  contre.  Judas  n'a  pas  été  poussé  au  crime, 
si  ce  n'est  par  le  diable  et  par  sa  propre  malice. 
Mais  Jésus-Christ  le  rappelait  :  pendant  le  traître 
baiser ,  il  l'appelle  encore  son  ami  ;  il  lui  dit  encore  : 
Monami,  pourquoi  es-tu  venu  ici?  Quoi!  tu  trahis 
le  Fils  de  l'homme  avec  un  baiser '\  Et  il  reçoit 
son  baiser,  et  lui-même  lui  donne  le  sien.  Mais, 
parce  qu'il  s'endurcit  au  milieu  de  toutes  ses  grâces , 
il  le  laisse  à  lui-même,  et  au  mauvais  esprit,  qui  le 
possédait ,  et  à  son  propre  désespoir.  C'est  ainsi 
qu'?7  est  allé  en  son  lieu ,  comme  il  est  porté  dans 
les  Actes  ^  :  au  lieu  qui  lui  avait  été  préparé  par  une 
juste  punition  de  son  crime,  mais  qu'il  avait  lui- 
même  choisi ,  et  qu'il  s'était  comme  approprié  par 
sa  libre  et  volontaire  dépravation. 

Il  /allait  donc  que  l'Écriture  s'accomplit  en  lui , 
conmie  dit  saint  Pierre-*  :  parce  que  Dieu  accomplit 
sa  volonté  juste  dans  ceux-là  mêmes  qui  s'opposent , 
autant  qu'il  est  en  eux,  à  sa  volonté.  Car,  comme 
dit  saint  Augustin ,  il  fait  ce  qu'il  veut  de  ceux  qui 
ne  font  pas  ce  qu'il  veut^\  et  en  voulant  se  sous- 
traire à  l'empire  de  sa  vérité,  ils  y  retombent  en 
subissant  les  lois  de  sa  justice.  O  justice  !  ô  justice! 
ô  justice!  il  faut  adorer  tes  saintes  et  inexorables 
rigueurs.  A  force  de  pardonner ,  Dieu  en  vient  enfin , 
en  quelque  façon,  à  ne  pouvoir  plus  pardonner  :  et 
il  faut  que  sa  justice  s'accomplisse. 

XLIX-^  JOUR. 

Qu'est-ce  à  dire  :  Jucun  n'a  péri  qv*  r enfant  de  perdi- 
tion ?  Ibid. 

Aucun  n'a  péri  que  l'enfant  de  perdition  ^. 
Je  ne  sais  que  dire  de  ce  perfide.  Est-il  venu  d'abord 
à  Jésus-Christ  avec  un  esprit  trompeur.'  Il  le 
semble,  selon  ces  paroles  :  Jésus  savait,  dés  le 
commencetnent ,  qui  étaient  ceux  qui  ne  croyaient 
pas,  et  qui  était  celui  qui  le  devait  trahir  i. 
Est-ce  donc  que  ce  perfide  ne  croyait  pas  dès  le 
commencement.'  ou  bien  est-ce  que  Jésus-Christ 
voyait  dès  le  commencement,  qui  étaient  ceux  qui 
dans  la  suite  ne  croiraient  plus.^  Mais  il  distingue 
les  temps  :  il  savait  ceux  qui  ne  croyaient  pas 
alors ,  et  dans  ce  temps-là  ;  et  ensuite  dans  le  futur , 
il  savait  qui  le  devait  trahir.  On  pourrait  donc 
soupçonner  que  ce  malheureux ,  qui  devait  trahir 
son  maître,  dès  le  commencement  n'y  croyait  pas^ 
et  qu'avec  toute  la  confiance  qu'il  lui  avait  témoin 
gnée ,  en  le  recevant  au  nombre  de  ses  disciples,  e| 
même  en  lui  confiant  la  garde  de  ce  qu'il  recevait 
des  peuples    pour  sa   subsistance ,  il  ne  faisait 

'  IL  Tim.  II,  20, 21.  —  '  .Vatth.  XXVI,  50.  Luc.  xxii,  48.  -r 
'  Acl.  1 ,  25.  —  4  Jbid.  1,16.  —  *  EnchiriJ.  cap.  civ,  «.  23 — 
*  J(m:>i.  XVII,  12.  —  •  Ibid-  TI,  65. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


7M 

que  lé  tolérer ,  pour  nous  donner  un  exemple  de 
patience. 

Mais ,  dirons-nous  que  la  vocation  de  Jésus-  j 
Christ  n'aura  eu  aucun  effet  dans  ce  traître?  S'il  | 
n'avait  jamais  cru,  aurait-il  dit  dans  son  désespoir  : 
J'ai  péché  en  livrant  le  sang  innocent  ':  et  aurait- 
il  rendu  aux  Juifs  le  prix  de  son  iniquité?  Il  semble 
donc  qu'il  ait  cru,  du  moins  durant  quelque  temps, 
de  bonne  foi  ;  et  qu'un  reste  de  sa  première 
croyance  s'étant  réveillé ,  au  lieu  d'en  profiter  pour 
son  salut ,  il  l'ait  fait  servir  à  sa  perte.  Car  s'il  eût 
bien  entendu  la  parole  qu'il  disait  :  J'ai  péché  en 
vous  livrant  ce  sang  innocent,  ce  sang  juste  ;  il  au- 
rait vu  que  ce  sang  étant  véritablement,  un  sang 
juste ,  où  le  péché  n'avait  jamais  trouvé  de  place,  il 
y  avait  dans  la  justice  et  la  sainteté  de  ce  sang  de 
quoi  expier  le  crime  de  celui  qui  l'avait  vendu.  Il  ne 
l'a  pas  compris,  le  malheureux;  et  sa  pénitence 
désespérée ,  avec  sa  croyance  infructueuse ,  lui  tour- 
nent à  damnation. 

Quoi  qu'il  en  soit,  j'oserai  dire  avec  assurance 
qu'il  n'est  pas  de  ceux  dont  Jésus-Christ  a  dit  ici  : 
Ils  étaient  à  vous ,  et  vous  me  les  avez  donnés  *. 
Car  ceux  dont  il  le  dit  étaient  ceux  qui  étaient  pré- 
sents lorsqu'il  priait,  qui  avaient  gardé  sa  parole, 
qui  croyaient,  en  la  foi  desquels  il  était  glorifié,  et 
le  devait  être.  Que  le  Père  l'ait  donné  au  Fils  en  un 
certain  sens,  lorsqu'il  le  lui  a  donné  pour  apôtre; 
et  que  le  Fils  l'ait  reçu  de  lui  lorsqu'il  l'appela , 
conformément  à  cette  parole  :  Je  vous  ai  élu 
dou:ie  ;  et  un  de  vous  est  un  diable  ^  :  on  n'en  peut 
douter.  Au  même  sens  qu'il  lui  a  été  donné,  au 
même  sens,  quel  qu'il  soit,  il  était  à  lui.  Mais  qu'il 
fiU  à  lui  de  cette  manière  singulière  dont  Jésus- 
Christ  parle  ici,  la  vérité  de  ses  paroles  ne  permet 
pas  de  le  penser.  S'il  n'est  pas  de  ceux  donc  Jésus- 
Christ  a  dit:  Ils  ont  cru  à  votre  parole  ;  et  fai 
été  glorifié  en  eux  :  il  n'est  donc  pas  aussi  de  ceux 
dont  il  a  dit  :  Je  les  conservais  en  votre  nom  : 
encore  moins  de  ceux  dont  il  a  dit  :  J'ai  gardé  ceux 
que  vous  m'avez  donnés  :  encore  moins  de  ceux 
dont  il  a  dit  :  Aucun  d'eux  n'a  péri  -*.  Et  quand 
il  ajoute  :  si  ce  nest  l'enfant  de  perdition  :  il 
semble  que  c'est  au  même  sens  dont  il  dit  ailleurs  : 
j^ersonne  ne  sait  rien  de  ce  dernier  jour ,  ni  les 
anges  ,  ni  le  Fils ,  si  ce  n'est  le  Père  ^  :  en  sous- 
ontendant,  ni  personne,  si  ce  n'est  le  Père;  ou 
bien ,  ni  personne,  mais  le  Père  seid  ''  :  ou ,  comme 
il  est  porté  dans  saint  Paul  :  Personne  n'est  justifié 
2)ar  les  œuvres  de  la  loi,  si  ce  nest  par  la  foi  en 
Jésus-Christ^  :  c'est-à-dire,  ni  autrement  que  par 
la  foi  en  Jésus-Christ;  ou  bien,  mais  seulement 
par  celte  foi;  ou,  comme  on  lit  dans  l'Apocalypse  : 
Iiie7i  de  souillé  n'entrera  dans  la  cité  sainte ,  ni 
aucun  de  ceux  qui  commettent  des  abominations 
et  des  mensonges,  si  ce  n'est  ceux  qui  sont  écrits 
au  livre  de  vie  de  l'Agneau^  :  c'est-à-dire,  mais 
seulement  ceux  ,  etc.  Ainsi  aucun  d'eux  n'est  péri , 
si  ce  n'est  l'enj'ant  de  perdition  .-c'est-à-dire,  mais 

«  Matth.  xxvn,  4,  5.  —  ^Joan.  xvii,  6.  —  ^  Ibid.  \f,  71.  — 
*  Ihid.  XVM,  «,  8,  10,  1-2.  —  ''  Mail,  x.xrv,  3(5.  —  *  Marc. 
MU  ,  Ji.  —  ■  Cul.  u ,  IG.  —  *  Jpoc.  XXI ,  27. 


seulement  cet  enfant  de  perdition  qui  s'est  perdu  luK 
même  en  me  quittant. 

*  [  Jésus-Cbrist  s'est  servi  lui-même  de  cette  fa- 
çon de  parler  en  deux  versets  consécutifs  :  Iltj avait, 
dit-il ,  plusieurs  veuves  en  Israël  du  temps  d'Élie  : 
et  ce  prophète  n'a  été  envoyé  chez  aucime  d'elles, 
mais  chez  une  femme  veuve  de  Sarepte,  dans  le  pays 
des  Sidoniens.  Il  y  avait  de  même  plusieurs  lé- 
preux en  Israël  du  temps  d'Elisée,  et  il  n'a  été  en- 
voyée aucun  d'eux,  mais  seulement  à  Naaman, 
Syrien  '.  Ainsi,  dit-il,  nidn'apériySi  ce  n'est  l'en- 
fant de  perdition  :  c'est-à-dire  qu'il  a  péri  seul ,  se- 
lon ce  que  dit  l'apôtre.  ] 

Qu'on  prenne  garde,  que  je  ne  dis  pas  que  .Tudas 
n'ait  été  en  aucune  sorte  donné  à  Jésus-Christ; 
mais  qu'il  y  a  une  certaine  manière  particulière  se- 
lon laquelle  nul  n'est  au  Père,  et  nul  n'est  donné 
au  Fils,  que  ceux  qui  gardent  sa  parole ,  et  en  qui  il 
est  glorifié  éternellement;  et  que  c'est  de  cette  ma- 
nière secrète  et  particulière  que  Jésus-Christ  parle 
ici.  Piions-Ie  donc,  que  nous  soyons  à  lui  de  cette 
manière.  Unissons-nous  à  sa  prière  avec  un  coeur 
rempli  de  confiance.  Seigneur,  que  je  sois  de  ceux 
qui  conservent  votre  parole  jusqu'à  la  fin ,  afin  que 
je  sois  de  ceux  en  qui  vous  serez  glorifié  éternel- 
lement. 

L"'  JOUR. 

Jésus-Christ  garde  les  lidèles  dans  le  corps  comme  dani 
l'àme.  Joan.  xvii,  I2. 

J'ai  gai'dé  ceux  que  vous  m'avez  donnés  ^.  Je  les 
ai  gardés,  même  selon  le  corps,  conformément  à 
l'explication  que  saint  Jean  nous  donne  lui-même  : 
Laissez,  dit  le  Sauveur  ^,  aller  ceux-ci;  afin  que 
la  parole  qu'il  avait  jjrononcée  fui  accomplie  ;  Je 
n'ai  perdu  aucun  de  ceux  que  vous  m'avez  donnés; 
pour  nous  montrer  que  Jésus-Christ  a  soin  et  de 
notre  corps  et  de  notre  âme ,  et  que  nous  ne  per- 
dons rien  de  ce  qu'il  veut  garder.  C'est  encore  ce 
qui  détermine  à  dire  que  cette  parole  ne  se  doit  en- 
tendre que  de  ceux  qui  étaient  présents.  Laissez, 
dit-il ,  aller  ceux-ci  :  en  montrant  les  onze  apôtres 
qui  restaient  auprès  de  lui.  Car  pour  Judas,  qui 
l'avait  quitté,  il  n'avait  rien  à  craindre  des  Juifs, 
à  qui  il  s'était  donné,  et  il  devait  périr  d'une  autre 
sorte.  Songeons  donc  à  ne  rien  craindre ,  mémo 
pour  nos  corps.  Car  Jésus-Christ  les  garde  tant 
qu'il  lui  plaît  :  et  un  seul  cheveu  ne  tombe  pas  de 
notre  tête  sans  notre  Père  céleste  4,  Dans  les  per- 
sécutions ,  dans  les  travaux ,  dans  les  maladies ,  Je-, 
sus-Christ  prend  soin  de  nos  corps  autant  qu'il  faut  ; 
et  on  ne  peut  rien  contre  nons ,  comme  on  n'a  rien 
pu  contre  lui ,  que  lorsque  l'heure  a  été  venue. 

Mais  songeons  qu'il  garde  nos  corps  au  prix  du 
sien.  C'est  en  se  livrant  à  ses  ennemis  qu'il  leur 
dit  :  Laissez  aller  ceux-ci.  Sa  mort  délivre  nos 
corps  comme  nos  âmes  :  et  c'est  la  marque  qu'un 
jour  ils  les  tirera  entièrement  de  la  mort. 

*  Cet  alinéa  entier  []  ne  se  trouve  pas  dans  le  manuscril  ori- 
ginal. {  Eclit.  de  Fersaillcs.  ) 

*  Luc.  IV,  25  ,  2(3,  27.  —  ^  Joan.  xv;»,  12.  —  ••  Ibid.  xvilt 
S,  9.  —  '  Luc.  XXI,  18. 


MÉDITATIONS  SUR  LGVAÎSGILE. 


81 


Apprenons  lïe  cette  explication  de  saint  Jean  que 
les  paroles  de  l'Écriture,  et  celles  du  Fils  de  Dieu 
niême,  peuvent  avoir  un  double  sens.  Il  est  clair 
que  celles-ci  de  Jésus-Christ  :  Juam  de  ceux  que 
vousjn'avez  donnés ,  ne  périra  ^  :  s'entendent  de 
rame;  et  toute  la  suite,  qui  regarde  l'âme ,  le  fera 
paraître  :  mais  il  est  clair  par  saint  Jean,  que  cette 
parole  s'entend  aussi  du  corps.  Méditons  donc  à  fond 
l'Écriture,  et  tournons-la  de  tous  côtés  pour  en  ti- 
rer tout  le  sens  et  tout  le  suc.  Car  tout  y  est  es- 
prit, tout  y  est  vie  :  et  Jésus-Christ  a  des  paroles 
de  vie  éternelle. 

LP  JOUR. 

Joie  de  Jésas.  Goûter  sa  parole ,  source  de  toute  Joie 
Joan.  xvn,  13,  14,  15. 

Et  maintenant  je  viens  à  vous  :  et  je  dis  ces  cho- 
ses, étant  encore  dans  te  monde;  afin  qu'ils  les  en- 
tendent, et  qu'ils  aient  ma  joie  accomplie  en  eux  '. 
Quelle  est  cette  joie  de  Jésus,  si  ce  n'est  celle  de 
leur  assurer  leur  bonheur  sur  les  bontés  de  son 
Père?  Et  comment  est-elle  accomplie  dans  ses 
apôtres ,  si  ce  n'est  en  espérance ,  et  par  la  certitude 
de  ses  promesses?  De  même  que  s'il  disait  :  Mon 
Père,  dans  la  joie  que  j'ai  en  vous  les  recommandant 
avec  tant  d'amour,  faites-leur  sentir  qu'ils  n'ont  rien 
à  craindre ,  et  qu'il  ne  leur  reste  qu'à  se  réjouir  de 
vos  bontés  et  des  miennes.  Ce  qu'il  explique  plus 
clairement  dans  les  deux  versets  suivants  :  Je  leur  ai 
donné  votre  parole,  et  le  monde  les  a  haïs  y  parce 
qu'ih  ne  sont  pas  du  monde;  et  je  ne  suis  pas  du 
monde.  Je  ne  vous  prie  pas  de  les  ôter  du  monde; 
mais  de  les  garder  du  mal  ^. 

Voulant  dire  qu'ils  ne  sont  pas  du  monde,  il  com- 
mence par  dire  :  Je  leur  ai  donné  votre  parole. 
■C'est  cette  parole  qui  les  a  tirés  du  monde.  Qu'elle 
fasse  donc  encore  cet  effet!  Toutes  les  fois  que 
nous  entendons  ou  que  nous  lisons  la  parole  de  Jésus- 
Christ,  c'est  cette  parole  qui,  venant  de  Dieu,  nous 
ramène  au  lieu  d'où  elle  est  venue.  C'est  cette  parole 
qui  ne  nous  permet  pas  de  goûter  le  monde ,  parce 
qu'elle  nous  fait  goûter  la  vérité,  que  le  monde  ne 
connaît  pas,  ni  ne  veut  connaître  ;  parce  que  la  vé- 
rité le  juge.  Le  monde  est  faux  en  tout,  trompeur  en 
tout,  et  la  parole  de  Jésus-Christ  nous  ouvre  les 
yeux  pour  voir  cette  illusion,  ce  faux  du  monde. 
Cette  parole  fait  les  chastes  délices  des  âmes  désa- 
busées et  dégoûtées  du  monde.  Goûtons  donc  cette 
parole,  aQn  que  le  monde  ne  nous  trompe  et  ne 
nous  surprenne  pas.  Récitons  le  psaume  cxviii, 
pour  nous  accoutumer  à  la  goûter.  David  la  tourne 
de  tous  côtés  dans  ce  psaume,  pour  en  découvrir 
toutes  les  beautés ,  pour  en  goûter  toutes  les  dou- 
ceurs. Il  l'admire  sous  tous  ses  noms  :  c'est  la  pa- 
role, la  loi,   le  témoignage,  le  commandement, 
l'ordonnance,  le  conseil,  la  justice  du  Seigneur.  Il 
ne  se  contente  pas  d'en  regarder  la  surface  :  il  la  pé- 
nètre, il  en  sonde  les  profondeurs;  il  la  cache  dans  son 
cœur;  il  ne  cesse  de  la  prononcer  dans  sa  bouche, 
tille  ie  fait  trembler,  en  même  temps  elle  le  dilate  : 

•  Joan.  XVII ,  12.  —  »  jUd.  13.  —  '  Ibid.  U,  16. 


elle  est  sa  con.solation  durant  son  p\il,  son  conseil, 
.sa  lumière ,  son  amuur,  son  espérance.  Kn  niênk« 
temps  qu'il  l'entend,  il  demande  de  l'entendre,  el 
reconnaît  que  l'entendre  c'est  un  don  de  Dieu.  Il 
s'y  attache  par  le  fond  de  l'âme.  £llc  brûle,  elle 
consume  le  cœur  :  elle  l'attendrit,  elle  le  fond,  et 
fait  couler  des  torrents  de  larmes;  les  joues  en  sont 
cavées,  et  deviennent  comme  un  canal  par  où  cou- 
lent les  ruisseaux  de  pleurs. 

Si  la  parole  de  l'Ancien  Testament  faisait  tous 
ces  beaux  effets ,  celle  de  Jésus-Christ ,  qu'il  a  re- 
çue de  son  Père ,  qu'il  a  puisée  dans  son  sein  |)our 
nous  la  donner,  que  fera-t-elle?  C'est  donc  cette 
parole  qui,  dans  un  grand  auditoire,  ira  choisir 
quelquefois  une  âme  mêlée  dans  la  foule,  mais  que 
Dieu  connaît  et  discerne,  et  lui  laissera  un  aiguil- 
lon dans  le  cœur.  Elle  ne  sait  d'où  lui  viennent  ces 
nouveaux  désirs  qui  vont  peu  à  peu  la  détachant 
du  monde,  en  sorte  qu'elle  n'en  est  plus,  et  qu'elle 
est  à  Dieu  :  pour  accomplir  cette  parole  de  no- 
tre Sauveur  :  Je  leur  ai  donné  votre  parole ,  et  Us 
ne  sont  pas  du  monde ,  comme  je  ne  suis  pas  du 
inonde;  et  le  monde  les  hait,  parce  qu'ils  ne  sont 
pas  des  siens  '  :  mais  ils  méprisent  sa  haine  injuste 
et  impuissante  :  injuste,  puisqu'elle  s'est  première- 
ment attachée  à  Jésus-Christ  :  impuissante ,  puis- 
qu'elle n'a  pu  empêcher  sa  gloire,  ni  l'accomplisse^ 
ment  de  la  volonté  de  Dieu. 

Ainsi  les  enfants  de  Dieu,  que  le  monde  hait,  à 
cause  que  l'esprit  desiinpiicité,  de  droiture  et  de  jus- 
tice est  en  eux,  méprisent  la  haine  du  monde,  et 
se  trouvent  trop  honorés  de  goûter  cette  partie 
des  opprobres  de  leur  cher  Sauveur.  Qu'attendez- 
Tous  du  monde  après  cela?  Voulez-vous  qu'il  vous 
estime,  lui  dont  vous  devez  plutôt  désirer  la  haine? 
Quant  à  ce  qui  vous  regarde,  ayez  la  paix  avec  tout 
le  monde;  mais  si  le  monde  ne  veut  point  avoir  la 
paix  avec  vous ,  ni  vous  laisser  en  repos,  que  vous 
importe?  Vous  n'êtes  pas  du  monde,  et  votre  repos 
est  ailleurs 

LIl*  JOUR. 

Qu'est-ce  à  dire  :  Garder  du  mal?  Joan.  xvii,  15. 

Je  ne  vous  prie  pas  de  les  tirer  du  monde,  mais 
de  les  garder  du  mal*.  Après  ce  que  Jésus-Christ 
vient  de  dire  de  ses  apôtres,  il  pourrait  sembler 
qu'il  les  voulût  retirer  du  monde,  et  qu'ils  ne  de- 
vaient plus  y  être  après  que  lui-même  il  l'aurait 
quitté.  Mais  il  fallait  qu'ils  y  fissent  leur  temps, 
comme  lui-même  l'y  avait  fait.  Ils  devaient  luire 
comme  de  grands  luminaires  dans  le  monde;  et  Jé- 
sus-Christ, qui  avait  dit  de  lui-même  :  Je  suis  la 
lumière  du  monde  ^ ,  avait  daigné  en  dire  autant  de 
ses  apôtres,  f^ous  êtes  la  lumière  du  monde,  et  des 
flambeaux  qu"  il  ne/autpas  mettre  sous  le  boisseau,, 
inais  sur  le  chandelier,  pour  éclairer  toute  la  ttiai' 
son  i.  Et  c'est  pourquoi  il  dit  à  son  Père  :  Je  m 
vous  rfw  pas  que  vous  les  tiriez  du  monde ,  mais 
que  vous  les  délieriez  du  uia.ldonth  monde  abonde, 

•  Joan.  XTII ,  M ,  16.  —  *  Ibid.  15.  —  3  Jbid.  \ut ,  12.  — 
*  Matih.  V,  H,  15,  IG. 


782 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


tout  le  monde  étant  dans  le  mal  :  disait  saint  Jean  ' . 
Ainsi ,  en  les  laissant  dans  le  monde,  je  vous  prie  de 
les  garder  du  mal  :  que  le  inonde  ne  les  gagne  pas 
par  ses  attraits  ;  qu'il  ne  les  épouvante  pas  par  ses 
menaces  :  Mon  Père,  gardez-les  du  mal,  et  qu'ils 
soient  dans  le  monde,  sans  en  être. 

C'est  la  grande  merveille  de  la  grâce  de  Dieu,  et 
c'est  cette  grâce  que  Jésus-Christ  demande  pour 
eux.  Il  nous  apprend  aussi  à  la  demander,  lors- 
qu'il nous  enseigne  à  dire  :  Délivrez-nous  du 
vial^.  Mais  nous  le  demanderions  en  vain,  s'il  ne 
{"avait  auparavant  demandé  pour  nous.  Mon  Père, 
gardez-les  du  mal.  Si  le  Seigneur  ne  garde  tine 
ville ,  ses  sentinelles  veillent  en  vain  sur  ses  mu- 
railles :  si  le  Seigneur  ne  garde  une  ville,  ceux 
gid  l'ont  bâtie  avec  tant  de  soin,  ont  travaillé 
inutilement  ^. 

Mon  Père,  gardez-les  du  mal.  Je  m'unis,  mon 
Sauveur,  à  votre  prière;  et  c'est  en  vous  et  avec 
vous  que  je  veux  dire,  comme  vous  l'avez  com- 
mandé :  Délivrez-nous  du  mal. 

Llir  JOUR. 

Qu'est-ce  que  le  monde?  Joun.  xvu,  16. 

Ils  ne  sont  pas  du  monde  :  et  moi  je  ne  suis 
pas  du  monde  4.  Jésus-Christ  ne  se  lasse  point  de 
répéter  cette  parole ,  parce  qu'il  veut  que  nous  la 
goûtions.  Goûtons-la  donc  :  repassons-la  nuit  et 
jour  dans  notre  cœur. 

Mes  bien-aimés,  disait  saint  Jean,  n'aimez  pas 
le  monde  ^.  Ce  n'est  pas  assez  de  ne  l'aimer  pas 
en  général;  il  s'explique  :  ni  tout  ce  qui  est  dans 
le  monde  :  car  que  trouverez-vous  dans  le  monde , 
si  ce  n'est  la  concupiscence  de  la  chair,  et  l'amour 
des  plaisirs  des  sens,  où  le  cœur  s'aveugle ,  s'épais- 
sit, se  corrompt,  se  perd  :  et  la  concupiscence  des 
yeux,  les  beaux  meubles,  l'or  et  l'argent,  les  pier- 
reries, tout  ce  qui  contente  les  yeux  :  quoique  après 
tout,  que  leur  en  revient-il?  possèdent-ils  véritable- 
ment tout  ce  qu'ils  voient?  Il  ne  font  que  l'effleurer 
par  leurs  regards  ;  tout  est  hors  d'eux ,  et  aussi  tout 
leur  échappe.  Fuyez  donc  aussi  la  concupiscence  dos 
veux,  la  vanité,  la  curiosité,  les  vaines  sciences  : 
car  encore  que  tout  cela  semble  être  en  vous  et 
vous  repaître  pour  un  moment,  dans  le  fond  tout 
est  hors  de  vous ,  et  se  peut  tellement  effacer  dans 
votre  esprit,  qu'il  ne  vous  restera  pas  même  le  sou- 
venir de  les  avoir  eus.  Voilà  pourtant  tout  ce  qu'il 
y  a  de  plus  beau  dans  le  monde. 

Mais  il  y  a  encore  V orgueil  de  la  vie  :  l'ambition  : 
les  charges,  les  grands  commandements  qui  sem- 
blent rendre  la  vie,  pour  ainsi  dire,  plus  vivante, 
parce  qu'on  devient  un  honune  public;  on  vit  dans 
l'esprit  de  tout  le  monde ,  qui  vous  recherche,  qui 
s'empresse  autour  de  vous;  et  vous  croyez  plus 
vivre  que  les  autres,  et  vous  vous  trompez.  Car 
tout  cela  n'est  qu'orgueil,  c'est-à-dire  une  vaine en- 
llure  :  on  croit  être  plein,  on  n'est  qu'enflé  :  il  n'y 
a  que  du  vent  au  dedans ,  et  tout  ce  dont  vous  vous 
repaissez  n'est  que  fumée. 

'  t.  Jonn.  V,  19.  —  2  Matlh.  TI,  1-3.  —  ^  Ps.  CXXVI,  I.  — 
«  jeun,  xvu,  IG.  —  5  I.  Jvan.  a,  15,  15. 


Goûtons  ces  vérités,  nourrissons-nous-en  :  Ma 
petits  enfants,  n'aimez  donc  pas  le  monde ,  parce 
que  voilà  ce  que  c'est  que  ce  monde  que  vous  aimez. 
Ces  désirs,  ces  concupiscences  ne  sont  pas  de 
Dieu,  et  par  conséquent  n'ont  rien  de  solide. 
Car  le  monde  passe ,  et  ses  convoitises  passent  '  : 
ce  sont  comme  des  torrents  qui  passent  avec  grand 
bruit,  mais  qui  passent;  qui  se  jettent  les  uns  dans 
les  autres,  mais  qui  passent,  et  autant  celui  qui  re- 
çoit que  celui  qui  vient  de  s'y  perdre.  Le  inonde 
passe  donc  et  ses  convoitises  :  et  il  n'y  a  rien  qui 
demeure,  que  celui  qid  fait  la  volonté  du  Sei- 
gneur »  :  parce  que  la  parole  de  Dieu ,  qui  ne  passe 
pas,  demeure  eii  eux.  Et  c'est  pourquoi  il  disait  : 
Je  leur  ai  donné  votre  parole,  et  ils  ne  sont  pas  du 
monde. 

LTV  JOUR. 

Jésus  n'est  pas  du  monde,  ni  ses  vrais  disciples.  Joan. 
XVH,  H,  16. 

Qui  pourra  dire  de  bonne  foi  avec  Jésus-Christ  : 
Je  ne  suis  pas  du  monde'^  Nous  nous  retirons 
dans  nos  cabinets.  :  le  monde  nous  suit,  Nous 
fuyons  dans  le  désert  :  le  monde  nous  suit.  Nous 
fermons  cent  portes  sur  nous,  nous  mettons  sur 
nous  cent  serrures  ,  cent  grilles,  si  vous  le  voulez  , 
cent  murailles  closes;  la  clôture  est  impénétrable  : 
le  monde  nous  suit.  Nous  nous  recueillons  en  nous- 
mêmes,  le  monde  nous  suit,  et  nous  nous  donnons 
à  nous-mêmes  tout  l'honneur  que  nous  voulons, 
même  celui  que  le  monde  nous  refuse.  Que  ferai-je 
donc  pour  quitter  le  monde  qui  me  suit,  qui  vit 
en  moi  au  dedans ,  et  qui  tient  à  mes  entrailles  ?  Et 
néanmoins  il  faut  pouvoir  dire  avec  Jésus-Christ  : 
Je  ne  sids  pas  du  monde;  puisqu'il  a  dit  :  //  ne 
sont  pas  du  monde,  comyne  je  ne  suis  pas  du 
monde.  O  Jésus  !  je  le  pourrai  dire  ,  quand  vous  au- 
rez dit  pour  moi  :  Je  ne  vous  prie  pas  de  les  tirer 
du  monde ,  mais  de  les  garder  du  mal,  c'est-à- 
dire  de  leur  ôter  l'esprit  du  monde. 

LV  JOUR. 

Être  sanctilié  eu  vérité,  qui  est  sa  parole.  Joan.  xvu, 
17,  18. 

Sanctifiez-les  en  vérité.  Fotre  parole,  que  je 
leur  ai  donnée,  est  la  vérité.  Comme  vous  m'avez 
envoyé  dans  le  monde ,  ainsi  je  les  envoie  dans  le 
monde  ,\)our  y  être,  non  pour  en  être;  et  je  me 
sanctifie  moi-même  pour  eux,  je  m'offre,  je  me 
consacre,  je  me  sacrifie,  et  je  me  rends  leur  vic- 
time, afin  qu'ils  soient  sanctifiés  en  vérité,  d'une 
véritable  et  parfaite  sanctification,  ou  qu'ils  soient 
sanctifiés  dans  la  vérité^;  dans  moi  qui  suis  la 
vérité  même ,  ce  qui  revient  dans  le  fond  à  la  même 
chose. 

Ces  paroles  sont  hautes  :  Sanctifiez-les  en  vérité. 
Non-seulement  elles  nous  élèvent  au-dessus  des 
sanctifications  et  purifications  de  la  loi,  qui  n'é- 
taient que  des  figures  et  des  ombres;  au  lieu  que 
les  chrétiens  sont  sanctifiés  dans  la  vérité,  qui  est 

•  1.  Joan.  II,  17.  —  '  Ihid.  —  ^ Ibid.  xvu,  17,  IS. 


MEDITATIONS  SUR  L'EVANGILE 


Jésus-Christ  ;  maïs  encore  elles  nous  apprennent 
(Tune  façon  plus  particulière,  quelle  est  la  propre 


I  pas  jugés  ».  Elle  nous  apprend  que  h  mtséricoiiU 
est  exaUée  au-dessus  du  Jugement,  et  que  le  j- 


sanctification  des  chrétiens.  Être  sanctifié,  c'est  être  i  gement  sans  miséricorde  ne  sera  que  pour  ceux 


séparé.  Pour  être  sanctilié  dans  la  vérité ,  et  à  fond , 
à  pueile  séparation  ne  faut-il  pas  être  venu  d'avec 
toute  créature  et  d'avec  soi-même  !  O  Dieu  !  je  suis 
effrayé,  quand  je  le  considère.  Être  sanctiûe  dans 
la  vérité ,  en  sorte  qu'il  ne  reste  en  nous  que  cette 
vérité  qui  nous  sanctiûe ,  et  que  tout  le  faux,  tout 
rimpur  soit  ôté  et  déraciné ,  c'est  quelque  chose  de 
si  pur  et  de  si  parfait,  qu'on  ne  peut  pas  y  atteindre 
en  cette  vie.  Mais  seulement  qu'il  y  faille  tendre  en 
vérité ,  sous  les  yeux  de  Dieu ,  c'est  de  quoi  cruciGer 
l'homme  tout  entier. 

Fotre  parole  est  la  vérité.  Cette  parole  est  la  vé- 
rité qui  nous  jugera  un  jour,  selon  ce  que  disait  le 
Sauveur  :  Celui  qui  me  méprise,  et  ne  reçoit  pas 
mes  paroles  y  a  un  juge  qui  le  jugera  ;  la  parole  que 
j'ai  prononcée  le  jugera  au  dernierjour,  parce  que 
je  n'ai  point  parlé  de  moi-même ,  et  que  mon  Père, 
qui  m'a  envoyé ,  m'a  prescrit  tout  ce  que  j'avais 
adiré  '. 

Ce  jugement  se  commence  dès  cette  rie ,  confor- 
mément à  cette  sentence  de  saint  Paul  :  La  parole 
de  Dieu  est  vive  et  ejficace,  et  plus  pénétrante 
qu'un  couteau  à  deux  tranchants  :  elle  perce  jus- 
qu'aux plus  secrets  replis  de  l'àme  et  de  V esprit, 
divisant  l'homme  animai  d'avec  l'homme  spirituel , 
et  discernant  ce  qui  vient  de  l'un  ou  de  l'autre; 
«/He  entre  jusque  dans  les  jointures  et  les  moelles  »  : 
elle  découvre  la  liaison  secrète  de  nos  pensées  et  de 
DOS  désirs,  jusqu'aux  moindres  fibres,  et  voit  jus- 
que dans  nos  os ,  c'est-à-dire  ce  qu'il  y  a  de  plus  ca- 
ché, de  plus  intime,  aussi  bien  que  ce  qu'il  y  a  de 
plus  délicat  et  de  plus  subtil  dans  nos  pensées  ;  eile 
discerne  les  mouvements  et  les  intentions  du  cœur  ; 
et  rien  ne  lui  est  caché  :  tout  est  à  nu  ei  à  décou- 
vert devant  elle  '  :  comme  on  ouvre  les  entrailles 
d'une  victime  à  qui  on  a  coupé  la  goi^e,  ainsi  tout 
est  ouvert  à  cette  parole  dont  nous  parlons. 

Si  l'apôtre  tait  ici  comme  une  personne  de  la  pa- 
role de  Dieu,  c'est  Jésus-Christ  qui  a  commencé, 
lorsqu'il  a  dit  :  Je  ne  vous  jugerai  pas  ;  la  parole 
que  j'ai  prononcée  sera  votre  juge  *.  Cette  parole 
prononcée  par  Jésus-Christ  est  l'image  de  la  parole 
éternelle  et  subtantielle,  qui  est  Jésus-Christ  même: 
et  elle  en  fait  en  quelque  façon  les  fonctions  dans 
les  cœurs.  Elle  nous  juge  donc,  parce  que  c'est  par 
elle,  et  selon  elle,  que  nous  serons  jugés.  Elle  fait 
la  séparation  de  toutes  nos  pensées ,  de  tous  nos  dé- 
sirs ,  de  toutes  nos  intentions;  de  celles  qui  viennent 
de  l'amour  de  Dieu  et  de  celles  qui  viennent  de  no- 
tre amour-propre.  Cette  parole  est  un  flambeau  al- 
lumé dans  notre  cœur,  et  la  lumière  en  pénètre  par- 
tout, pour  tout  distinguer.  Elle  discerne  où  le  bien 
et  le  mal  se  séparent ,  et  l'endroit  secret  où  ils  se 
mêlent.  Qui  pourrait  soutenir  la  rigueur  de  ce  juge- 
ment? Mais  cette  même  parole  nous  apprend  que 
si  nous  nous  jugeons  nous-mêmes,  nous  ne  serons 


»  Joan.  XII,  48 ,  49.  —  ^Heb.  rr ,  12.  —  »  Ibid.  1$.  —  *Joam 
XU  .ta 


qui  n'auront  point  fait  miséricorde  '.  Ainsi  celte 
parole  nous  munit  contre  sa  propre  sévérité  :  et 
nous  serons  sanctifiés  en  vérité,  selon  cette  parole, 
si  nous  confessons  en  vérité  nos  ùiutes  et  nos  fai- 
blesses. 

O  que  la  vue  en  est  affligeante!  ô  qu'on  aime  à 
discourir  de  ses  vertus,  de  ses  lumières,  de  ses 
grâces!  mais  qu'on  fuit  de  voir  ses  faiblesses,  ses 
fautes!  EUesse  présentent  malgré  qu'on  en  ait;  mais 
on  détourne  les  yeux.  On  parlera  tant  qu'on  voudra 
de  ses  faiblesses  en  général,  de  son  néant;  mais 
quand  on  fait  mettre  le  doigt  dessus,  l'on  ne  veut 
plus,  l'on  ne  peut  plus  voir.  Pour  être  sanctifié  en 
vérité,  il  faut  voir  la  vérité  de  ses  fautes  en  parti- 
culier. Car  c'est  là  ce  qui  rend  l'humilité  véritable  : 
toute  autre  humilité,  celle  qui  se  dit  un  néant ,  sans 
vouloir  voir  en  quoi  elle  l'est,  n'est  qu'un  oi^ueil 
d^isé.  Il  vaut  mieux  voir  ses  fautes,  dit  saint 
Augustin,  que  de  voir  toutes  les  merveilles  de  tu- 
nivers. 

LV1«  JOUR. 

Jésus  se  sanctifie  loi-méme.  Joan.  xvu,  I8, 19. 

Comme  nous  m'avez  envoyé  dans  le  monde, 
iùnsije  les  ai  envoyés  dans  le  monde  :  et  je  me 
sttHct^  moi-même  pour  eux,  afin  qu'ils  soient 
OMssi  sanctifiés  en  vérité^. 

On  voit  ici  la  raison  profonde ,  pourquoi  il  fal- 
lait que  les  apôtres  fussent  sanctifiés  en  vérité.  C'est 
que  le  Fils  les  envoyait  dans  le  monde,  comme  son 
Père  Favait  envoyé  dans  le  monde  :  mais,  en  l'en- 
Toyant  dans  le  monde,  il  l'avait  sanctifié  pour  y 
aller,  conformément  à  cette  parole  du  Sauveur  : 
Celui  que  le  Père  a  sanctifié,  et  qu'il  a  envoyé  dan* 
le  monde  :  vous  dites  qu'il  blasphème,  parce  qu'il 
s'appelle  lui-même  le  Fils  de  Dieu  *. 

Disons  donc  qu'est-ce  qu'a  fait  le  Père  céleste 
pour  sanctifier  son  Fils.'  d'abord,  le  sanctifier, 
c'est  le  déclarer  saint  :  ce  que  le  Père  céleste  a  fait 
par  tant  de  miracles,  que  les  démons  mêmes  furent 
contraints  de  s'écrier  :  Je  sais  qui  vous  êtes  : 
vous  êtes  le  saint  de  Dieu  *,  le  saint  qui  êtes  saint  de 
la  sainteté  de  Dieu;  le  saint  que  Dieu  a  promis  par 
tous  les  prophètes,  et  qu'il  a  oint  pour  être  le  Saint 
des  saints  *.  Mais  il  faut  entendre  uon-seulement 
la  manière  dont  Jésus-Christ  est  déclaré  saint,  mais 
encore  celle  dont  il  l'est  et  dont  il  l'a  été  fait. 

Il  est  saint  par  sa  naissance  étemelle  :  et  encore 
qu'il  reçoive  cette  sainteté  de  son  Père,  comme  il 
en  reçoit  son  essence,  il  n'a  non  plus  été  fait  saint, 
qu'il  a  été  fait  Dieu.  Ainsi  il  ne  convient  à  Jésus- 
Christ  d'avoir  été  sanctifié,  que  selon  sa  nature 
humaine;  et  ce  grand  ouvrage  fut  accompli  et  ma- 
nifesté au  milieu  des  temps,  lorsque  le  Saint-Esprit 
étant  descendu  sur  la  sainte  Vierge ,  et  la  vertu  du 
Très- Haut  l'ayant  couverte,  la  chose  sainte,  qui 
naqidt  de  cette  bienheureuse  Vierge,  fut  appelée 

•  I.  Car.  XI,  31.  —  *  Jœ.  ii  ,13.-3  joan.  xvil ,  IS ,  It.  — 
«i*/«f.x,36.  — *  £.«■.  IV,  «.  —  «  Ain.  xi,si. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ËVANGILE. 


Hr  lils  de  Dieu  '.  C'est  donc  ainsi  que  Jésus-Christ 
a  été  sanctifie  pour  être  envoyé  au  monde,  ou 
plutôt  lorsqu'il  y  fut  envoyé. 

Et  ce  qui  rend  cette  sanctification  plus  glorieuse, 
et  plus  abondante;  c'est  qu'outre  la  sainteté  per- 
sonnelle de  Jésus-Christ,  il  fut  oint,  consacré,  sanc- 
tifié par  sa  charge  de  médiateur  et  de  pontife, 
ayant  été  revêtu  de  ce  divin  sacerdoce  qui  lui  avait 
été  prédestiné,  selon  l'ordre  de  Melchisédech.  Ce  qui 
était -encore  une  suite  de  sa  filiation,  selon  ce  que 
dit  saint  Paul  :  qu'Une  s'est  pas  ingéré  de  lui-même 
dans  le  sacerdoce,  mais  qu'il  y  a  été  appelé  et 
nommé  par  celui  qui  lui  a  dit  :  Fous  êtes  mon  Fils,  je 
vous  ai  engendré  aujourd'hui  ». 

Cette  sanctification  de  Jésus-Christ  en  qualité 
de  pontifie,  en  induit  une  autre  du  même  Jésus  en 
qualité  de  victime.  Car  ce  divin  sacrificateur  ne 
devait  pas,  comme  le  grand-prêtre  de  la  loi,  offrir 
une  victime  étrangère,  ni  un  autre  sang  que  le 
sien  :  mais  il  devait  paraître  une  fois  pour  abolir 
le  péché  en  s'offi-ant  lui-même  3.  Il  était  donc  saint, 
et  consacré  à  Dieu,  non-seulement  eu  qualité  de 
pontife,  mais  encore  en  qualité  de  victime.  Et  c'est 
pourquoi  il  dit  à  Dieu  en  entrant  au  monde  :  Fous 
avez  rejeté  les  holocaustes  et  les  sacrifices  pour 
le  péché  :  alors  j'ai  dit  :  Je  viendrai  moi-même  4 , 
pour  tenir  la  place  de  toutes  les  hosties. 

C'est  pour  cela  qu'il  se  sanctifie,  qu'il  s'offre, 
qu'il  se  consacre,  comme  une  chose  dédiée  et  sainte, 
au  Seigneur.  Mais  il  ajoute  :  Je  me  sanctifie  pour 
eux,  en  parlant  de  ses  apôtres  ;  afin  que  participant 
par  leur  ministère  à  la  grâce  de  son  sacerdoce,  ils 
entrent  aussi  en  même  temps  dans  son  état  de  vic- 
time ;  et  que  n'ayant  point  par  eux-mêmes  la  sain- 
teté qu'il  fallait  pour  être  les  envoyés  et  les  minis- 
tres de  Jésus-Christ,  ils  la  trouvassent  en  lui. 

Ce  ne  sont  pas  seulement  les  apôtres,  mais  en- 
core tous  les  chrétiens,  qui  ont  part  à  ce  sacri- 
fice* [et  au  sacerdoce  de  Jésus-Christ.  Saint  Paul 
nous  apprend  à  offrir  nos  corps  comme  une  hostie 
vioante,  sainte,  agréable  à  Dieu^.  Celui  qui  a 
une  hostie  à  offrir  participe  au  sacerdoce  :  et  c'est 
ce  qui  fait  dire  à  saint  Pierre ,  que  tant  que  nous 
sommes  de  chrétiens ,  7ious  sommes  un  saint  sa- 
cerdoce offrant  à  Dieu  des  victimes  spirituelles, 
qui  sont  acceptées  par  Jésus-Christ  ^  ;  et  à  saint 
Jean  dans  l'Apocalypse  :  que  Jésus-Christ  nous  a 
faits  rois  et  sacrificateurs  à  notre  DiewJ .  Ce  ne  sont 
pas  seulement  les  apôtres  qui  sont  sanctifiés  par 
la  part  qu'ils  ont  au  sacerdoce  de  Jésus-Christ  ; 
nous  y  avons  tous  notre  part  à  cette  manière. 
Tout  ce  qu'a  fait  Jésus-Christ  nous  appartient 
comme  à  eux.]  Car  les  apôtres  mêmes  ne  sont  pas 
apôtres  pour  eux ,  mais  pour  les  autres ,  comme 
disait  l'apôtre  saint  Paul  :  Tout  est  à  vous ,  soit 
Paul,  soit  Céphas,  soit  ApoUo  :  tout  est  à  vous  : 
et  vous  êtes  à  Jésus- Christ,  et  Jésus-Christ  est  à 


'  Litr.i,  35.  —  »  Heh.  V,  5,  6,  10.  —  '  Ibid.  IX,  25 ,  2G. 
—  4  Ps.  xxxix ,  7 ,  8.  H<:b.  X ,  5, 6 ,  7 ,  etc. 

'  I,<'.s  mots  'jiii  .sont  enlri;  deux  croclict.s  []  ni;  se  trouvent 
poiii!  (I.iiis  it;  jiiaiiu.scrit  orij^iinl.  ;  /idit.  de  f  ersailUsA 

*  Hom.  XII ,  I.  —  6 1.  Pel  n,  5.  —  '  dpoc.  V,  10. 


Dieu  '.  Et  encore  :  Dieu  a  mis  en  nous  le  minis- 
tère de  réconciliation  :  parce  que  Dieu  était  en 
(  hrisf,  se  réconciliant  le  mondi ,  ne  leur  imputant 
point  leurs  péchés  :  et  il  a  mis  en  nous  la  parole 
de  réconciliation  ». 

Voilà  donc  la  mission  des  apôtres  fondée  sur  celle 
de  Jésus-Christ,  et  l'accomph'ssement  de  cette  pa- 
role du  Sauveur  :  Comme  vous  m'avez  envoyé , 
ainsi  je  les  envoie  3.  Vous  m'avez  envoyé  pour  ré- 
concilier le  monde;  et  je  les  envoie  avec  la  parole 
et  le  ministère  de  la  réconciliation,  pour  acconoplir 
mon  ouvrage.  Et  je  me  sanctifie  pour  eux  ,  et  poin- 
tons ceux  à  qui  je  les  envoie ,  afin  qu'ils  soient 
saints  en  vérité,  par  l'effet  de  mon  sacerdoce,  el 
par  la  perfectien  de  mon  sacrifice. 

Voici  donc  les  mots  solennels  du  sacrifice  de  Jé- 
sus-Christ, par  lesquels  il  s'offre  lui-même  pour 
nous  :  Sanctifiez-les  en  vérité  :  Je  me  sanctifie , 
je  me  consacre  moi-même  pour  eux,  afin  qu'ils 
soient  sanctifiés  en  vérité'^.  Il  fallait  que  nous  eus- 
sions un  tel  pontife,  saint,  innocent ,  juste , 
parfaitement  séparé  des  pécheurs ,  et  exempt  de 
toute  souillure,  qui  n'eût  pas  besoin  d'offrir  pour 
lui-même^ \  mais  qui  s'offrît  lui-même  pour  le 
peuple.  Lid,  qui  ne  connut  jatnais  le  péché,  a  été 
fait  péché  pour  nous ,  c'est-à-dire,  victime  pour  le 
péché ,  afin  que  nous  fussions  justice  de  Dieu  en 
lui^.  Il  s'est  revêtu  de  notre  péché,  pour  nous  re- 
vêtir de  sa  justice.  C'est  l'effet  de  cette  parole  :  Je 
me  sanctijie  pour  eux. 

Entrons  donc  avec  Jésus-Christ  dans  cet  esprit 
de  victime.  S'il  se  sanctifie,  s'il  s'offre  pour  nous, 
il  faut  que  nous  nous  offrions  avec  lui.  Ainsi  nous 
serons  sanctifiés  en  vérité ,  et  Jésus-Christ  nous  sera 
donnédeDieu  pourêtre  notre  sagesse,  notre  justice, 
notre  sanctification  et  notre  rédemption.  Et  l'effet 
d'un  si  grand  mystère,  c'est  Que  celui  qui  se  glo- 
rifie ne  se  glorifie  pas  en  lui-même  i  ;  mais  seule- 
ment en  Jésus-Christ,  en  qui  il  a  tout.  C'est  donc 
ce  que  Jésus-Christ  demandait  pour  nous  en  di- 
sant :  Je  me  sanctifie  pour  eux,  afin  qu'ils  soient 
sanctifiés  en  vérité.  Et  il  ne  faut  rien  ajouter  à  ce 
commentaire  de  saint  Paul,  qu'une  profonde  atten- 
tion à  un  si  grand  mystère. 

LVIIe  JOUR. 

Jésus  prie  pour  tous  les  élus,  qa'ils  soient  un.  Joan. 
xvn,  20. 

Je  ne  prie  pas  seulement  pour  eux  :  mais  pour 
ceux  qui  croiront  en  moi  par  leur  parole*.  Heu- 
reux chrétiens!  Jésus-Christ  vous  a  tous  en  vue 
dans  cette  prière.  En  priant  pour  les  apôtres  qu'il 
envoyait  au  monde,  il  priait  aussi  pour  ceux  à  qui 
il  les  envoyait.  Mais  pour  confirmer  notre  foi,  et 
nous  déclarer  davantage  ses  intentions ,  il  a  daigné 
s'expliquer  en  notre  faveur,  d'une  manière  plus  ex- 
presse ,  par  les  paroles  qu'on  vient  de  voir.  Et  afin 
de  nous  faire  entendre  qu'il  nous  associe  à  ses  aptî- 
tres ,  il  demande  pour  nous  la  même  grâce  qu'il  a 

«  I.  Cor.  m,  2-2,  23.  —  'II.  Cor.  v,  18,  I».  —^Joan.  x^^^, 
jK.  _  «  Ibid.   10.  —  i  lUh.  vil ,  2(î,  27.  —  «  II.   Cor.  V,  21.  — 
'  1  i    Cor.  I,  30,  3i.  —  '  Joun,  XVU,  20. 


MÉDITATIONS  SUB  L'EVANGILE. 


U& 


d«mandé«  pour  eux.  Je  ty)as  prie,  disait-il ,  qu'ils 
ioient  un  comme  nous.  Voilà  ce  quUI  demandait 
pour  ses  apôtres.  Et  que  dèinande-t-ii  maintenant 
pour  nous,  qui  devions  croire  par  leur  parole?  Je 
vous  prie,  dit-il  encore,  que  tous  ils  soient  un; 
tomme  vous,  mon  Père,  êtes  en  moi,  et  moi  en 
vous  :  ainsi  qu'ils  soient  un  en  nous  ». 

Qu'ils  soient  un  comme  nous,  qu'ils  soient  un 
en  nous.  Il  e.\plique  plus  distinctement  ce  qu'il  avait 
dit  de  notre  unité.  Qu'ils  soient  un  comme  nous  : 
c' était-à-dire  avec  la  proportion  qui  doit  être  entre 
l'original  toujours  parfait,  et  d'imparfaites  images. 
Mais  lorsqu'il  dit  :  Qu'ils  soient  un  en  nous ,  il 
explique  plus  distinctement  que  l'unité  est  en  Dieu 
commedanslasource,  comme  dans  lecentre,  comme 
dans  le  premier  principe ,  par  qui  et  en  qui  nous 
sommes  unis.  Qu'ils  soient  un  en  nous  :  que  nous 
soyons  non-seulement  le  modèle ,  mais  encore  le 
lien  de  leur  unité  :  qu'ils  aient  par  nous,  et  par 
grSce,  ce  que  nous  avons  par  nature  et  de  nous- 
mêmes;  qu'ils  soient  des  ruisseaux  qui  se  réunis- 
sent en  nous,  comme  dans  la  source  d'oià  ils  tirent 
tout.  Ainsi  ils  vivront  tous  d'une  même  vie,  et  ils 
ne  seront  qu'un  cœur  et  qu'une  âme. 

Si  les  chrétiens  sont  un  de  cette  sorte ,  ils  sont 
heureux  :  car  qu'y  a-t-il  de  plus  heureux  que  d'être 
un  dans  le  Père  et  dans  le  Fils,  que  d'être  un 
véritablement,  persévéramment,  sans  que  rien  nous 
puisse  séparer.'  C'est  ce  qui  nous  sera  donné  dans 
la  perfection  au  siècle  futur  :  mais  c'est  ce  qu'il 
faut  commencer  ici  par  la  sincérité  de  notre  con- 
corde. 

Repassons  souvent  ces  paroles  :  Ils  n'étaient 
qu'un  cœur  et  qu'une  âme  *.  C'est  par  où  a  com- 
mencé le  christianisme.  Mais  si  nous  tenions  quel- 
que chose  d'une  si  belle  origine,  la  charité  serait- 
elle  si  resserrée,  la  concorde  si  rare,  les  aumônes 
si  peu  abondantes? 

Le  cœur  de  l'homme  est  si  ennemi  de  la  concorde 
et  de  la  paix,  qu'au  milieu  de  cette  union  primi- 
tive ,  qui  ne  faisait  des  premiers  fidèles  qu'un  cœur 
et  qu'une  âme ,  il  s'éleva  un  principe  de  dissension 
entre  les  Grecs  et  les  Hébreux,  comme  si  les  veu- 
ves des  uns  étaient  plus  négligées  que  celles  des 
autres^.  Les  apôtres  remédièrent  bientôt  à  ce  dé- 
sordre :  et  ce  fut  ce  qui  donna  lieu  à  la  première 
promotion  des  diacres.  O  Dieu,  réveillez  dans  votre 
Kglise  cet  esprit  de  charité  apostolique  qui  répare 
les  dissensions  qu'on  voit  répandues  dans  tous  les 
ordres  de  l'Église!  Au  lieu  de  cette  première  unité, 
on  ne  voit  que  jalousie,  que  mépris,  que  froideur 
entre  tous  les  ordres,  entre  tous  les  particuliers. 
ODieu,  donnez-nous  des  Étiennes  qui  ne  respirent 
que  la  charité,  et  qui  entretiennent  la  concorde!  0 
Dieu,  mettez  fin  aux  schismes,  aux  hérésies,  aux 
guerres,  aux  jalousies  des  chrétiens!  Gardez  du 
moins ,  pacifiez  et  unissez  votre  Église  par  toute 
là  terre!  Qu'il  n'y  ait  qu'un  même  esprit,  et  un 
même  cœur,  comme  il  n'y  a  qu'une  même  foi  *  ! 

'  Joan.  11,20,21.  —  '^Act.  iv,  32.  — ^  Att.  Tl,  I.  —*Ephes. 
IV,  5. 

BOSSCST.  —  TOMS  m. 


LVin*  JOUR. 


UDité  et  égalité  parfaite  du  Père  et  du  Fils.  Joan.  XTit, 
21. 

Comme  vous,  mon  Père,  êtes  en  moi,  et  moi 
en  vous'.  Ces  façons  de  parler  réciproques,  dont 
la  propriété  et  la  lorce  est  de  marquer  une  parfaite 
égalité,  sont  familières  à  notre  Seigneur.  Ici  il  ne 
se  contente  pas  de  dire  à  son  Père  :  P'ous  êtes  en 
moi,  s'il  ne  dit  eu  même  temps  :  Je  suis  en  vous. 
Un  peu  au-dessus  :  Tout  ce  qui  est  à  moi,  est  a 
roM5;  et  incontinent  après  :  Tout  ce  qui  est  à  vous , 
est  à  moi  ».  En  un  autre  endroit  :  Personne  ne  con- 
naît le  Père ,  si  ce  n'est  le  Fils;  et  réciproquement  : 
Personne  ne  connaît  le  Fils,  si  ce  n'est  le  Père  ^. 
Toutes  manières  de  parler  naturelles  an  Fils  de 
Dieu,  pour  marquer  son  unité  parfaite  avec  son 
Père,  et  traiter  en  toutes  manières  d'égal  avec  lui  : 
en  sorte  que,  s'il  semble  recevoir  de  son  Père  quel- 
que avantage,  en  disant  :  rous  êtes  en  moi;  il  le 
lui  rend  en  disant  ;  et  moi  en  vous.  Ce  sont  paroles 
de  société,  d'égalité,  d'unité  parfaite;  c'est  un  lan- 
gage qui  n'a  lieu  qu'entre  le  Père  et  le  Fils,  entre 
le  Fils  et  le  Père.  Qui  osera  dire  :  P^ous  êtes  en 
moi,  et  je  suis  en  vous,  que  celui  qui  ne  reconnaît 
de  différence  entre  son  Père  et  lui,  que  dans  le 
rapport  mutuel  de  Père  et  de  Fils?  De  même  qui 
osera  dire  :  Tout  ce  qui  est  à  vous,  est  à  moi;  et 
réciproquement  :  Tout  ce  qui  est  a  moi,  esta  vous, 
sinon  celui  qui  est  un  avec  son  Père?  C'est  déjà 
quelque  chose  de  divin  de  pouvoir  dire  :  Tout  ce 
qui  est  à  vous,  est  à  moi  :  mais  d'ajouter  :  Tovt 
ce  qui  est  à  moi,  est  à  vous,  c'est  montrer  que 
l'avantage  est  égal  :  au  Fils,  d'avoir  tout  ce  qu'a 
le  Père;  et  au  Père,  d'avoir  tout  ce  qu'a  le  Fils. 
Par  ces  divines  façons  de  parler,  tout  est  égal  : 
dans  les  personnes,  ^ous  êtes  en  moi,  et  moi  en 
vous  :  dans  les  biens,  Tout  ce  qui  est  a  moi,  est  à 
vous  :  tout  ce  qui  est  à  vous,  est  à  moi  :  dans  la  con- 
naissance :  Personne  ne  connaît  le  Fils,  si  ce  n'est 
le  Père;  et  personne  ne  connaît  le  Père,  si  ce  n'est 
le  Fils.  L'avantage  est  égal  des  deux  côtés ,  en  tout 
et  partout.  La  gloire  de  recevoir  n'est  pas  moindre 
que  celle  de  donner.  Celui  qui  donne  reçoit,  parce 
qu'il  reçoitdans  son  sein  ce  Fiisuniyueà  qui  il  donne  : 
et  s'il  lui  était  inégal ,  il  recevrait  en  lui-même  quel- 
que chose  qui,  lui  étant  inférieur,  ne  serait  pas 
digne  de  lui.  Tout  fils  est  égal  à  son  père  par  la  na- 
ture :  et  c'est  là  le  propre  d'un  fils.  Que  s'il  y  a 
quelque  inégalité  entre  ces  noms  de  Père  et  de  Fils 
parmi  les  hommes,  c'est  que  le  fils  n'est  d'abord 
qu'un  homme  imparfait  et  commencé. 

Il  faut  ôter  tout  cela  en  Dieu,  où  il  n'y  a  rien 
d'imparfait.  Et  si  même  parmi  les  hommes  le  dé- 
sir du  père  est  que  son  fils  lui  devienne  égal  en 
tout,  en  croissant;  combien  plus  le  désir  de  Dieu 
doit-il  être,  pour  ainsi  parier,  non  que  son  Fils  lui 
devienne  égal ,  mais  qu'il  le  soit  en  naissant  !  Oir, 
par  ce  moven,  il  ne  dégénère  du  Père  en  aucun  ins- 
tant ,  étant  d'abord  tout  parfait.  Il  faut  ôter  sem- 

'  Joan.  XTH.ai.  —  '  /Wd.  10.  —  *  Matth.  XI,  27. 


786 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


blaltlement  dans  la  nature  divine,  que  le  Père  pré- 
cède le  Fils  :  car  cela  n'a  point  de  lieu ,  où  le  temps 
ne  se  trouve  pas,  et  où  tout  est  mesuré  par  l'éter- 
nité. Qui  ne  voudrait  être  père  d'abord,  puisque  être 
père  c'est  l'effusion  de  la  fécondité,  et  la  démons- 
tration de  la  plénitude?  On  voudrait  donc  être  père 
d'abord ,  et  n'attendre  pas  cela  du  temps  :  c'est  le 
désir  de  la  nature.  Or,  tout  le  bien  qu'on  désire 
p.inni  les  hommes,  est  naturel  en  Dieu  sans  le  dé- 
sirer. Et  d'ailleurs  quel  avantage  est-ce  parmi  nous 
à  un  père ,  d'être  devant  son  fils ,  si  ce  n'est  d'avoir 
vieilli  ?  Or,  comme  Dieu  ni  ne  change ,  ni  ne  vieillit  ; 
ni  le  Père  n'a  la  prééminence  de  l'âge,  ni  le  Fils 
n'a  l'avantage  de  la  jeunesse.  Car,  après  tout ,  ce 
qu'on  appelle  la  prééminence  de  l'âge  n'est  qu'un 
défaut  de  la  nature,  qui,  en  vieillissant,  tend  à  sa 
iîn. 

Tout  cela  est  donc  exclu  en  Dieu.  Ni  le  Père 
n'est  plus  vieux,  ni  le  Fils  n'est  plus  jeune  :  car  en 
cela  il  excellerait  au-dessus  du  Père.  Dans  le  Père 
qui  est  Dieu,  et  le  Fils  qui  est  Dieu  aussi,  l'anti- 
quité est  toujours  également  vénérable ,  comme  la 
jeunesse  est  toujours  également  dans  la  fleur;  par- 
ce que  l'éternité,  qui  est  toujours  ancienne  et  tou- 
jours nouvelle,  égale  tout.  Et  c'est  pourquoi  le  Fils 
dit  :  Tout  ce  qui  est  à  moi,  est  à  vous;  et  tout  ce 
qui  est  à  vous,  est  à  moi;  par  conséquent  l'éternité 
même  :  et  de  toute  éternité  je  suis  en  vous,  comme 
de  toute  éternité  vous  êtes  en  moi.  Ainsi  la  gloire 
est  égale  :  car  s'il  y  a  de  la  gloire  pour  le  Fils  d'a- 
voir un  tel  Père,  il  n'y  en  a  pas  moins  au  Père 
d'avoir  un  tel  Fils.  Et  si  même  parmi  les  hommes, 
où  le  fils  nécessairement  est  moins  que  son  père , 
et  dégénère  de  lui ,  du  moins  en  naissant  si  petit 
et  si  imparfait,  on  ne  laisse  pas  de  dire  :  Un  sage 
Jils  est  la  gloire  de  son  père  :  combien  plus  le  dira- 
Von  du  Fils  de  Dieu!  Si  c'est  la  gloire  d'un  père 
d'avoir  un  fils  qui  n'est  sage  qu'à  cause  qu'il  l'est 
devenu ,  quelle  gloire ,  pour  le  Père  éternel ,  d'avoir 
un  Fils  qui  est,  en  naissant  et  d'abord,  la  sagesse 
même  ! 

Il  est  si  beau  d'avoir  un  tel  Fils,  que  le  Père  en 
l'engendrant  le  conserve  en  soi.  Parmi  nous,  avoir 
un  fils,  c'est  le  mettre  hors  de  soi-même  :  en  Dieu, 
avoir  un  fils,  c'est  le  produire  et  le  conserver  éter- 
nellement dans  son  sein,  comme  quelque  chose 
d'égal  et  aussi  parfait  que  soi-même.  C'est  pourquoi 
il  est  unique,  et  il  ne  peut  y  en  avoir  deux  :  Le 
Fils  unique  qui  esldayis  le  sein  duFère^.  Il  est 
unique,  parce  qu'il  est  parfait  :  il  est  unique,  par- 
ce qu'il  tire  tout  et  épuise  si  parfaitement  la  fécon- 
dité ,  qu'un  autre  n'ajouterait  rien  à  la  gloire  d'être 
Père.  C'est  pourquoi  il  demeure  dans  le  sein  du 
Père,  parce  qu'il  est  digne  par  sa  perfection  d'y 
être  toujours;  et  tout  immense  qu'est  ce  sein  du 
Père;  il  n'y  a  point  de  place  pour  un  autre  fils  : 
parce  qu'on  ne  peut  en  avoir  qu'un,  quand  on  l'a 
parfait. 

Croyons  donc  la  vérité  de  cette  parole  :  fous 
êtes  en  moi,  et  moi  en  i-ous.  Et  adorons  également 
ie  Fils  dans  le  Père,  et  le  Père  dans  le  Fils,  parce 

■  Joan.  I,  18. 


que  ôtant  du  nom  de  Père  et  de  Fils  tout  ce  qui 
marque  imperfection,  commencement,  inégalité, 
il  ne  reste  qu'une  nature  parfaite  et  parfaitement 
commune.  En  sorte  que  si,  du  côté  de  l'origine, 
on  met  le  Père  devant  le  Fils;  du  côté  de  la  perfec- 
tion ,  on  les  met  naturellement  tous  deux  ensemble; 
et  qu'on  pourrait  aussi  hien  dire ,  le  Fils  et  le  Père , 
qu'on  dit,  le  Père  et  ].<i  Fils,  selon  aussi  que  l'ont 
dit  quelques  anciens,  pour  montrer,  qu'entre  le 
Père  et  le  Fils ,  être  le  premier  ou  le  second,  n'em- 
porte point  d'inégalité ,  mais  seulement  une  origine 
sans  imperfection. 

Pourquoi  osons-nous  parler  de  telles  choses?  Ne 
faudrait-il  pas  trembler,  et  adorer  en  silence  un  si 
grand  mystère?  Mais  puisque  Jésus-Christ  a  dai- 
gné nous  en  parler,  nous  pouvons  en  parler  aussi; 
pourvu  que  ce  soit  avec  lui,  après  lui  et  selon  lui. 
Ajoutons ,  que  ce  soit  encore  pour  la  fin  qu'il  s'est 
proposée.  Et  quelle  e^t-elle?  Elle  est  admirable  : 
Comme  vous,  mon  Père,  êtes  en  moi,  et  que  je 
suis  en  vous  ;  ainsi  qu'ils  soient  un  en  nous  :  qu'il 
y  ait  entre  eux,  comme  entre  nous,  une  parfaite 
égalité,  depuis  le  premier  d'entre  eux  jusqu'au, 
dernier  :  qu'il  y  ait  une  parfaite  unité  et  commu- 
nauté; que  chacun  puisse  dire  en  quelque  façon  à 
son  frère  :  Tout  ce  qui  est  à  moi,  est  à  vous;  et 
tout  ce  qui  est  à  vous,  esta  moi.  C'est  ce  qui  a  été 
en  effet ,  il  le  faut  souvent  répéter,  dans  la  naissance 
de  l'Église  :  Et  ils  n'avaient  qu'un  cœur  et  qu'une 
âme.  Et  aucun  d'eux  ne  disait  qu'il  eût  quelque 
chose  à  soi;  mais  tout  était  commun  entre  eux'. 
Cela  a  été  effectif  au  commencement  de  l'Église; 
pour  montrer  que  la  disposition  en  devait  être  dans 
le  fond  de  tous  les  cœurs.  Et  c'est  pourquoi  Ana- 
nias  et  Saphira ,  ces  deux  disciples  qui  violèrent  la 
loi  de  cette  communauté  de  l'Église ,  périrent  dans 
leur  malheureuse  propriété.  Pierre,  qui  était  le 
chef  de  l'unité,  les  frappa,  et  le  Saint-Esprit,  à 
qui  ces  malheureux  avaient  menti ,  fit  un  foudre  d« 
la  parole  de  ce  saint  apôtre,  pour  les  faire  mou- 
rir à  l'instant*.  Ainsi  fut  vengé  le  violement  de 
J'unité  des  fidèles. 

Portons  donc  cette  disposition  dans  le  fond  du 
cœur  :  communiquons  :  donnons  :  ne  resserrons 
point  nos  entrailles  :  qu'aucun  de  nous  ne  regarde 
son  frère  avec  mépris.  Dans  le  fond  tout  est  égal 
entre  nous  :  la  distinction  superficielle  qui  nous 
élève  les  uns  au-dessus  des  autres ,  regarde  l'ordre 
du  monde,  mais  ne  change  rien  dans  le  fond.  Nous 
sommes  tous  formés  d'une  même  boue  :  nous  por- 
tons tous  également  l'image  de  Dieu  dans  notre 
âme.  L'homme  n'a  que  la  nature  :  le  chrétien  n'a 
que  la  foi.  Que  la  charité  égale  tout;  selon  ce  que 
dit  saint  Paul  :  qu'il  faut  établir  l'égalité.  La  con- 
solation et  l'affliction,  le  bien  et  le  mal,  tout  doit 
être  égal  entre  les  frères.  Et  pour  cela ,  celui  qui 
est  riche  doit  suppléer  à  ce  qui  manque  au  pau- 
vre :  afin,  répète  l'apôtre,  que  tout  soit  réduit  à 
l'égalité  :  selon  ce  qui  est  écrit  de  la  manne  :  que 
celui  qui  e)i  recueillait  plus,  n'en  avait  pas  plus; 

'  Jet.  IV,  32.  —  '  Ilid.  T,  1, 2  et  seq. 


MEDITATIONS  SUR  LÉVANGILE. 


787 


et  celuîiful  en  recneillait  moins ,  n'en  avait  pas 
moins  » .  Dieu  Tfut  donc  de  réjialité  entre  les  frères  : 
c'est-à-dire,  que  personne  ne  soit  dans  l'indigence, 
mais  que  le  besoin  de  tout  le  monde  soit  soulagé, 
et  l'inégalité  compensée. 

Le  riche ,  qui  fait  meilleure  dière ,  qui  est  mieux 
têtu ,  mieux  logé ,  n'en  est  pas  plus  grand  pour  cela  : 
au  contraire,  dans  le  fond  il  est  plus  pauvre,  parce 
qu'il  s'est  fait  des  besoins  de  ce  que  la  nature  ne 
demandait  pas.  Il  seraitet  plus  riche  et  plus  heureux, 
s'il  ne  lui  fallait  que  ce  qui  contente  le  pauvre.  Qu'il 
regarde  donc  son  abondance  comme  une  preuve  de 
sa  pauvreté  et  de  son  infirmité;  qu'il  s'en  humilie; 
qu'il  en  ait  honte  :  ainsi  il  se  mettra  en  égalité  avec 
le  pauvre;  et  faisant  de  ses  biens  un  supplément  des 
besoins  de  l'indigent ,  il  participe  a  la  grâce  de  la 
pauvreté. 

Quand  dirons-nous  de  tout  notre  cœur  à  notre 
frère  qui  souffre  :  Tout  ce  qui  est  à  moi,  est  à  vous  : 
et  à  notre  frère  qui  est  dans  l'abondance  :  Tout  ce  qui 
est  à  vous ,  est  à  moi.'  Hélas  !  on  ne  verra  jamais  sur 
la  terre  un  si  grand  bien  dans  sa  perfection.  C'est 
pourtant  ce  que  veut  Jésus ,  lorsqu'il  dit  :  Comme 
vous,  mon  Père,  êtes  en  moi,  et  que  Je  suis  en  vous  : 
et  que  tout  ce  qui  est  a  moi,  est  à  vous  ;  et  tout  ce 
qui  est  a  vous,  est  à  moi  :  ainsi  qu'ils  soient  un 
en  nous  ».  Tendons  à  cette  unité  divine.  Mon  Dieu , 
j'étends  de  grands  bras  à  tous  mes  firères  :  je  leur 
ouvre  mon  sein  :  je  dilate  sur  eux  mes  entrailles  ; 
afin  de  leur  être  tout ,  père ,  mère ,  frère ,  sœur , 
ami ,  défenseur,  et  tout  ce  dont  ils  ont  besoin 
pour  être  contents. 

LIX*  JOUR. 

La  fol  pteioe  et  entière  est  l'effet  de  l'anite  des  fidèles. 
Joan.  XVII,  21. 

Jjin  que  le  monde  croie  que  vous  m'arez  en- 
voyé^. Quand  le  monde  croira  ainsi ,  le  monde  sera 
converti  :  cette  partie  du  monde  qui  le  croira 
cessera  d'être  du  monde  :  et  Jésus-Christ  attribue 
la  conversion  de  l'univers,  qui  devait  venir,  à  cette 
unité  de  ses  fidèles.  Il  avait  dit,  chapitre  xiv,  31  : 
^Jin  que  te  monde  sache  que  j'aime  mon  Père , 
et  que  je  fais  ce  quil  m'ordonne,  levons-nous, 
atlons  à  la  mort.  Il  avait  dit  en  parlant  de  la  cha- 
rité fraternelle  :  On  connaîtra  que  vous  êtes  mes 
disciples,  si  vous  vous  aimez  les  uns  les  autres  ■». 
Et  il  dit  encore  ici  plus  précisément  :  yijîn  que  le 
inonde  croie  que  vous  m'avez  envoyé.  C'est  la  foi 
pleine  et  entière ,  et  c'est  l'effet  de  l'unité  des  fidè- 
les. Il  persiste  :  Je  suis  en  eux,  et  vous  en  moi; 
afin  que  le  monde  connaisse  que  vous  m'avez  en- 
voyé^. La  meilleure  manière  de  prêcher,  c'est  de 
prêcher  par  l'exemple.  Si  vous  voulez  convertir  le 
monde ,  vivez  dans  cette  unité  parfaite  dont  je  vous 
ai  montré  le  parfait  modèle  dans  celle  qui  est  en- 
tre mon  Père  et  moi.  Imitez  cette  unité;  et  le  monde, 
qui  en  verra  l'image  en  vous,  s'élèvera  à  l'original  : 
et  il  verra  que  mon  Père  et  moi  sommes  en  vous  , 

'. Cor.  vni,   U,   15. —  *Joa«.  xni,   10,  il,  21,  23.— 
î/fc.'/.  21.  —  *  Ibid.  XIII,  35  — 'i6»rf.  23. 


y  imprimant  le  caractère  de  charité  et  de  concorde  : 
et  il  croira  que  je  suis  vraiment  l'envoyé  de  Dieu  ; 
en  ce  qu'unissant  les  hommes  d'une  manière  si  cor- 
diale .  je  fais  un  ouvrage  qui  marque  la  dignité  de 
mon  envoi  et  la  puissance  de  ma  grâce. 

LX'  JOUR. 
Jésos  fait  part  de  sa  gloire  à  ses  élus.  Joan.  xvn,  3S. 

Je  leur  ai  donné  la  gloire  que  vous  m'avez  don- 
née  :  afin  qu'ils  soient  un  comme  nous  sommes  un'. 
U  la  compte  comme  donnée,  parcequ'il  voulait  nous 
la  donner ,  et  qu'elle  sera  le  fruit  du  sacrifice  qu'il 
allait  offrir  pour  nous. 

U  commence  ici  à  nous  découvrir  une  nouvelle 
vérité,  qui  est  qu'après  avoir  été  un  dans  la  cha- 
rité sur  la  terre ,  nous  serons  un  dans  la  gloire  ;  et 
que  la  gloire  qui  nous  sera  donnée,  sera  celle  de 
Jésus-Christ.  Il  parle  ici  de  la  gloire  qui  devait 
être  donnée  à  Jésus-Clirist  selon  sa  nature  hu- 
maine, en  le  ressuscitant.  Cette  gloire  nous  sera 
donnée  ,  puisque  nous  aurons  part  à  la  gloire  de  sa 
résurrection.  Bien  plus,  il  a  daigné  dire  dans  l'A- 
pocalypse :  Je  donnerai  à  celui  qui  aura  remporté 
la  victoire,  d'être  assis  dans  mon  trône;  comme 
j'ai  remporté  la  victoire,  et  que  je  me  suis  assis 
avec  mon  Père  dans  son  trône  ». 

Toute  la  sainte  cité ,  toute  la  société  des  saints , 
n'est  qu'un  seul  trône  de  Dieu,  qui  a  dit  :  Je  serai 
eneux^.M  sera  comme  un  roi,  qui,  après  avoir 
abattu  le  règne  du  péché  et  de  la  mort,  établira  son 
empire  dans  tous  ses  sujets ,  en  les  rendant  éternel- 
lement et  parfaitement  heureux.  Ce  qui  leur  ar- 
rivera, parce  que  Dieu  sera  tout  en  tous*.  Alors 
donc  nous  serons  unis  dans  la  gloire ,  comme  sur  la 
terre  nous  aurons  été  unis  dans  la  charité  et  dans  la 
grâce.  Notre  gloire  sera  celle  de  Jésus-Christ  notre 
chef,  qui  se  répandra  sur  tous  ses  membres  :  et  la 
gloire  de  Jésus-Christ  sera  celle  de  son  Père  ;  la- 
quelle se  trouvant  en  lui  par  sa  naissance  étemelle, 
rejaillira  sur  l'humanité  que  le  Fi!s  de  Dieu'  s'est 
uni.  Voilà  donc  tout  réduit  en  un  par  la  gloire  et  la 
félicité  éternelle;  et  pour  être  reçus  dans  cette  gloire, 
il  faut  être  un  par  la  charité  :  car  Dieu  veut  faire 
de  ses  fidèles  un  corps  parfaitement  un  eu  Jésus- 
Christ  :  un  corps  dont  l'unité  aille  croissant,  jus- 
qu'à ce  qu'elle  se  consomme ,  et  re<joive  sa  dernière 
perfection  dans  le  ciel. 

Pour  donc  répondre  au  dessein  de  Dieu ,  nous  ne 
pouvons  nous  unir  assez  avec  nos  frères ,  ni  assez 
bannir  tout  ce  qui  peut  faire  entre  nous  la  moindre 
division.  Mon  Dieu,  plus  que  jamais  je  m'en  vais 
rechercher  en  moi  tout  ce  qui  me  divise  de  mes  frères 
par  quelque  endroit  que  ce  soit,  les  défiances,  les 
jalousies,  l'orgueil  qui  en  est  la  source.  L'orgueil 
i  tire  tout  à  soi ,  veut  tout  pour  soi  :  et  c'est  là  le 
principe  de  la  division.  Nous  vivrions  sans  partage 
si  nous  vivions  sans  orgueil. 

O  vie  sainte!  6  vie  heureuse  que  celle  qui  est 
sans  orgueil  !  c'est  le  vrai  commencement  de  la 

»  Joan.  XTII,  5i.  —  '  ylpoc.  m  ,  21.  —  '  Lgv.  xxn ,  II.  — 

*  II.  Cor.  Ti,  I«.  jipoc.  XXI ,  3.  —  »  I.  Cor.  xt,  ». 

se. 


78S 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


Tje  éternelle.  Commençons  donc  cette  vie;  et 
puisque  Jésus-Christ  ne  cesse  de  nous  inculquer 
cette  unité  ,  tournons  toutes  nos  pensées ,  tous  nos 
désirs,  tous  nos  soins  à  l'établir  dans  notre  cœur. 
Ayons  toujours  dans  la  pensée,  toujours  à  la  bou- 
che ce  précepte  de  saint  Paul  :  Que  chacun  ne  re- 
garde pas  ce  qui  lui  convient,  mais  ce  qui  con- 
vient aux  autres  '.  C'est  là  cette  parfaite  abnégation 
de  soi-même  tant  commandée  par  Jésus-Christ. 
Soyons  un  de  notre  côté,  même  avec  ceux  qui  ne 
veulent  pas  être  un  avec  nous  :  n'ayons  rien  à  nous  : 
que  tout  notre  déplaisir  soit  de  ne  pouvoir  pas  com- 
muniquer assez  tout  ce  que  nous  avons  et  tout  ce 
que  nous  sommes.  Cherchons  les  moyens  de  deve- 
nir autant  que  nous  pourrons,  un  bien  commun  à 
tous ,  en  nous  faisant  tout  à  tous ,  avec  saint  Paul  ». 
Ocharité!  ô  amour  !  ô  compassion!  ô condescen- 
dance! ô  support!  Aumône,  libéralité,  consola- 
tion ,  entrailles  de  miséricorde ,  paix  entre  les  frères 
en  Dieu  notre  Père  et  en  Jésus-Christ  Notre-Sei- 
gneur;  vous  êtes  l'objet  de  mes  vœux  :  je  ne  veux 
plus  penser  autre  chose.  Amen  ,  amen. 

LXr  JOUR. 

Les  élus  consommés  en  Un.  Joan.  xvii ,  23. 

Je  suis  en  eux,  et  vous  en  moi;  afin  qu'ils  soient 
consommés ,  réduits  en  un  :  et  que  le  mojide  con- 
naisse que  vous  m'avez  eiivoyé,  et  que  vous  les 
avez  aimés  comme  vous  m'avez  aimé^.  Il  revient 
toujours  à  cette  sainte  unité  :  elle  fait  les  délices  de 
son  cœur;  et  il  ne  peut  quitter  un  sujet  qui  lui  plalt 
si  fort.  Il  va  toujours  approfondissant  de  plus  en  plus 
cette  matière  ;  et  il  nous  apprend  ici  que  la  source  de 
cette  unité,  c'est  qu'il  est  eu  nous  comme  son  Père 
est  en  lui. 

Les  saints  Pères  ont  interprété  ces  paroles  en 
cette  sorte  :  je  suis  en  eux ,  par  mon  esprit  ;  Je 
suis  en  eux  par  ma  chair  que  je  leur  donne  dans 
l'eucharistie.  Je  leur  rends  par  ce  moyen  tout  ce  que 
j'ai  pris  d'eux  :  je  leur  donne  en  même  temps  tout 
ce  que  j'ai  reçu  de  vous  :  ma  divinité  est  à  eux  aussi 
bleu  que  mon  humanité.  Dans  l'humanité,  qui  est 
à  eux  et  en  eux ,  ils  trouvent  la  divinité  qui  lui  est 
unie  :  et  ils  en  peuvent  jouir  comme  de  leur  bien. 
C'est  donc  ainsi  que./e  suis  en  eux  :  et  vous,  ?non 
Père ,  vous  êtes  en  moi.  Tout  est  donc  en  eux ,  tout 
est  à  eux.  Que  leur  faut-il  davantage  pour  être  par- 
faitement consommés  en  un.^  Et  néannoins  voici  en- 
core quelque  chose  de  plus  touchant.  C'est ,  mon 
Père,  que  vous  les  aimez  comme  vous  m'avez  aimé. 
Ils  ne  sont  enfants  que  par  adoption  et  par  grâw; 
ot  moi ,  qui  suis  Fils  par  la  nature ,  j'ai  trouvé  cet 
admirable  moyen  de  me  les  unir  comme  mes  mem- 
bres ,  afin  que  cet  amour  paternel ,  que  vous  avez 
pour  moi ,  s'étendît  sur  eux  :  afin,  continue-t-il ,  que 
/'amour  dont  vous  m'avez  aimé  soit  en  eux,  comme 
Je  suis  aussi  eii  eux  4. 

G  homme,  regarde  donc  combien  tu  es  chéri  de 
Dieu  !  Quoi  !  le  monde  te  plaît  encore  !  Quoi  !  tu  peux 

'     Philip,  u,  4.-2  I.  Cor.  IX,  22,  —  '  Joan.  xvn,  23.  — 
«  llid.  26. 


penser  autre  chose  que  Dieu  même?  Il  en  faudraf» 
mourir  de  regret  et  de  honte.  Il  faut  se  taire  ici  dans 
une  profonde  admiration  et  action  de  grâces,  en 
considérant ,  en  goûtant  ce  que  nous  sommes  à  Dieu 
par  Jésus-Christ.  C'est  un  mystère  ineffable  et  iné- 
narrable. Oh,  si  le  monde  le  pouvait  connaître,  il 
connaîtrait  en  même  temps  que  Jésus-Christ  est 
vraiment  envoyé  de  Dieu  ;  et  qu'un  Dieu  envoyé  au 
monde  ne  pouvait  rien  enseigner  ni  opérer  de  plus 
grand. 

LXIF  JOUR. 

Gloire  de  Jésus  :  il  veut  que  les  élus  y  soient  avec  hiî. 
Joan.  xvn,  24. 

Mon  Père,  Je  veux  que  là  où  Je  suis,  ceux  que 
vous  m'avez  donnés  ij  soient  aussi  avec  moi  :  afin 
qu'ils  voient  la  gloire  que  vous  m'avez  donnée; 
parce  que  vous  m'avez  aimé  avant  l'étaMissemeiit 
du  monde  ^. 

Mon  père,  Je  veux.  Jusqu'ici  il  avait  dit  ;  Je  prie  : 
il  change  de  langage,  et  il  dit  plus  absolument  :  Je 
veux.  En  parlant  aux  hommes ,  il  pouvait  dire ,  Je 
veux,  à  même  titre  qu'il  leur  dit  :  Je  vous  com- 
mande. Car  il  est  leur  maître  et  leur  Seigneur  :  toute 
puissance  lui  est  donnée  sur  eux.  11  pouvait  aussi, 
même  en  parlant  à  son  Père,  parler  ou  en  inférieur, 
ou  en  égal;  et  étant  Dieu  comme  son  Père,  et 
étant  la  parole  même  de  son  Père,  il  pouvait  dire 
comme  lui  et  avec  lui  :  Je  veux.  Mais  pourquoi  il  ne 
l'a  fait  qu'ici ,  et  pourquoi  dans  une  prière  ;  et  pour- 
quoi, ayant  accoutumé  partout  ailleurs,  lorsqu'il 
parle  de  volonté  absolue,  de  ne  nommer  que  celle  de 
son  Père ,  à  laquelle  la  sienne  était  attachée  avec  une 
parfaite  soumission,  il  parle  ici  seulement  d'une 
manière  si  déterminée  et  si  absolue  :  mon  Sauveur! 
est-il  permis  de  vous  le  demander .? 

Commençons  par  adorer,  quelle  qu'elle  soit,  la 
vérité  enseignée  dans  cette  parole,  Je  veux.  Oui,  le 
Verbe ,  qui  est  la  sagesse  même,  a  eu  sa  raison  pour 
l'inspirer  à  l'âme  de  Jésus-Christ,  qui  lui  est  unie 
de  cette  manière  ineffable  :  et  cette  âme  sainte  a 
pu  dire,  en  conformité  de  la  volonté  suprême  du 
Père  et  de  son  Verbe  :  Je  veux.  Et  c'est  une  chose 
admirable ,  que  ce  soit  en  faisant  pour  nous  la  de- 
mande la  plus  importante,  que  Jésus-Christ  ait 
parlé  de  celte  sorte  :  Je  veux,  mon  Père,  que  la 
oùjesuis,  dans  votre  gloire  éternelle,  ceux  que  vous 
m'avez  donnés;  les  apôtres,  dont  il  a  dit  :  Ils 
étaient  à  vous,  et  vous  me  les  avez  donnés  :  et  ceux 
qui  devaient  croire  par  leurs  paroles^,  qui  n'au- 
raient pas  cru ,  si  son  Père  ne  les  lui  avait  aussi 
donnés  :  Je  veux,  dis-je,  que  tous  ceux-là  soient  là 
ail  Je  suis.  Il  semble  qu'après  avoir  dit ,  qu'ils  soient 
où  Je  suis,  il  ne  servait  de  rien  d'ajouter  :  qic'ils  y 
soient  avec  moi  :  mais  on  ne  pouvait  trop  exprimer 
ce  qui  fait  toute  la  douceur  de  celte  demande  :  puis- 
que être  avec  Jésus-Christ  c'est  ce  qui  satisfait  le 
cœur  de  l'homme.  Être  avec  Jésus-Christ,  c'est  être 
avec  la  vérité  et  la  vie  :  y  être  dans  le  ciel,  et  dans 
la  gloire  éternelle ,  ce  n'est  plus  être  avec  lui  comme 

'  Joan.  xvn,  24.  —  2  Ihid.  C,  20. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


a\'ec  celui  qui  est  la  voie,  mais  comme  avec  celui 
qui  est  le  terme  de  notre  course,  et  en  quf  nous 
trouvons  la  vie  éternelle  dans  la  consommation  de 
notre  amour.  C'est  pour  nous  obtenir  un  si  grand 
bien ,  que  Jésus-Christ  dit,  Je  veux,  d'une  manière 
si  déterminée. 

Mais  écoutons  la  suite  :  Je  veux  que  là  où  je  suis, 
ils  y  soient  aussi  avec  ynoi;  afin  qu'ils  voient  ma 
gloire.  Il  semble  qu'il  y  manquerait  quelque  chose, 
qu'elle  ne  serait  pas  complète,  si  ses  amis  ne  la 
voyaient.  Mais  est-ce  assez  de  la  voir?  Jésus-Christ 
ne  veut-il  pour  nous  que  cet  avantage,  et  ne  veut- 
il  pas  que  nous  y  ayons  part  :  comme  il  l'a  dit  tant 
de  fois?  La  voir,  c'est  y  avoir  part  :  la  voir,  c'est 
en  jouir.  Qui  voit  la  gloire  de  Jésus-Christ  dans  le 
sein  de  son  Père,  il  est  heureux.  Heureux,  pre- 
mièrement, du  bonheur  de  la  gloire  de  Jésus- 
Christ,  qui  fait  la  leur  :  et  heureux  ensuite  en  eux- 
mêmes,  parce  que  cette  bienheureuse  vision  de  la 
gloire  de  Jésus-Christ  nous  transforme  en  'elle- 
même;  et  que  qui  le  voit  lui  est  semblable,  confor- 
mément a  cette  parole  :  Nous  lui  serons  semblables, 
parce  que  nous  le  verrons  teLqiùil  est'. 

Commençons  donc  dès  cette  vie  à  contempler  par 
la  foi  la  gloire  de  Jésus-Christ,  et  à  lui  devenir 
semblables  en  l'imitant.  Un  jour  nous  lui  serons 
semblables  par  l'effusion  de  sa  gloire;  et  n'aimant 
en  nous  que  le  bonheur  de  lui  ressembler,  nous  se- 
rons enivrés  de  son  amour.  Ce  sera  là  la  dernière  et 
parfaite  consommation  de  l'œuvre  pour  lequel  Jé- 
sus-Christ est  venu;  et  c'est  peut-être  pourquoi  il 
en  demande  l'accomplissement  par  ce  Je  veux  si 
déterminé ,  si  absolu ,  si  aimable,  et  si  doux  à. enten- 
dre aux  hommes. 

Parce  que  vous  m'avez  aimé  avant  têtablisse- 
nient  du  monde.  Il  semble  qu'il  parle  ici  de  l'amour 
qu'il  a  de  toute  éternité  pour  son  Fils,  qui  lui  est 
coéternel.  C'est  proprement  cet  amour  qu  il  a  pour 
lui  avant  la  constitution  du  monde.  Car  encore  que 
le  Père  éternel  ait  un  amour  éternel  pour  ses  créa- 
tures, par  la  volonté  de  les  créer  et  par  celle  de  les 
rendre  heureuses;  si  c'était  d'un  amour  semblable 
qu'il  voulût  parler,  il  ne  se  distinguerait  pas  assez, 
ni  des  hommes,  ni  des  anges  bienheureux  qu'il  a 
aimés  d'un  semblable  amour,  quoique  dans  un 
degré  fort  inégal. 

Entendons  donc  que  le  Père  a  aimé  son  fils 
avaîit  l'établissement  du  monde;  parce  qu'il  était 
ce  Fils  unique  avant  cet  établissement ,  et  qu'il  était 
par  conséquent  aimé  de  son  Père.  Que  faisait  Dieu , 
s'il  est  permis  de  le  demander,  avant  qu'il  eût  fait 
le  monde?  Il  aimait  son  Fils,  il  le  produisait  dans 
son  sein,  il  l'embrassait,  il  se  l'unissait,  ou  plutôt 
il  était  un  avec  lui.  Et  pourquoi  nous  rappeler  tou- 
jours à  un  si  sublime  mystère  ?  Parce  que  c'est  toute 
la  source  de  notre  bonheur.  La  source  de  notre 
bonheur,  c'est  que  ce  Fils  que  Dieu  aime,  et  qu'il 
porte  dans  son  sein  avant  que  le  monde  fût  et  de 
toute  éternité ,  se  soit  fait  homme;  eu  sorte  que  ne 
faisant  qu'une  seule  et  même  personne  avec  l'homme 
qui  lui  est  uni,  il  aime  ce  tout  comme  son  Fils; 

'  1.  Joan.  III ,  2. 


783 

d'où  il  s'ensuit  que  répandant  sur  les  hommes,  qui 
sont  ses  membres,  le  même  amour  qu'il  a  pour 
lui;  il  s'ensuit,  dis-je,  que  l'amour  qu'il  a  pour 
nous  est  une  extension  et  une  effusion  de  celui  qu'il 
porte  dans  l'éternité  à  son  Fils  unique.  C'est  la 
source  de  notre  bonheur.  C'est  pourquoi  Jésus-Christ 
nous  y  rappelle  ;  et  il  veut  que  nous  entendions  par 
ces  dernières  paroles  combien  est  grande,  combien 
est  immense  la  gloire  que  nous  verrons ,  et  à  laquelle 
nous  aurons  part  en  la  voyant. 

Que  l'élévation  de  l'homme  est  un  grand  mystère! 
Tout  le  mystère  de  Dieu ,  et  toute  cette  éternelle  et 
intime  communication  du  Père  et  du  Fils  y  est  dé- 
clarée; et  c'est  ainsi  que  Dieu  est  tout  à  tous  ^seiou. 
l'expression  de  saint  Paul  '. 

Chrétien ,  es-tu  chrétien ,  si  après  cela  tu  languis 
encore  dans  l'amour  des  choses  de  la  terre?  Quand 
entendrons-nous  que  nous  ne  pouvons  assez  épurer 
nos  pensées,  nos  affections,  notre  esprit  et  notre 
cœur  ?  Seigneur  Jésus ,  achevez  ;  et  après  nous  avoir 
montré  de  si  sublimes  vérités,  élevez-nous-y,  et 
faites-les-nous  aimer  d'un  pur  et  éternel  amoiîr. 

LXII1«  JOUR. 

Justice  de  Dieu  inconnue  au  inonde.  Joan.  xvii,  25. 

Mon  Père  juste,  le  monde  ne  vous  a  pas  connu  ». 
Jésus-Christ  ne  donne  dans  cette  oraison  que  deux 
qualités  à  son  Père  :  Mon  Père  saint,  et  mon  Père 
juste. 

Mon  Père  saint,  sanctifiez-les  en  vérité  .je  me 
sanctifie  pour  eux,  afin  qu'ils  soient  saints  en  vé- 
rité ^\  par  la  communication  de  votre  sainteté,  qui 
est  aussi  la  mienne.  On  pourrait  entendre  de  même, 
mon  Père  juste,  parce  que,  comme  dit  saint  Paul  •», 
Dieu  est  juste,  et  jvstyiant  celui  qui  croit  en  Jé- 
sus-Christ^ 

ÎMais  la  suite  semble  demander  quelque  chose  de 
plus  :  Mon  Père,  vous  êtes  juste,  et  le  monde  ne 
vous  connaît  pas.  Non-seulement  il  est  corrompu 
et  ne  connaît  pas  votre  justice;  mais  c'est  encore 
par  votre  justice  que  l'abandonnant  à  sa  corruption, 
dont  il  ne  veut  pas  sortir  et  ne  le  peut  de  soi-même, 
vous  le  laissez  priv«  de  votre  connaissance  :  Le  monde 
donc  ne  vous  connaît  pas ,  et  moi  je  vous  connais: 
et  ceux-ci  ont  connu  que  vous  m'avez  envoîjé  K 
C'est  ainsi  qu'ils  vous  connaissent.  Ils  méritaient, 
comme  les  autres,  de  ne  vous  connaître  jamais; 
mais  moi,  qui  vous  connais  seul,  et  qui  seul  suis 
digne  de  vous  connaître,  je  vous  ai  fait  connaître  à 
eux ,  en  me  faisant  connaître  moi-même  ;  parce  qu'ils 
sont  ces  petits  et  ces  humbles  dont  je  vous  ai  dit 
ailleurs  :  Je  vous  loue,  mon  Père,  Seigneur  du 
ciel  et  de  la  terre,  parce  que  vous  avez  caché  ces 
choses  aux  sages  et  aux  prudents  de  la  terre,  et 
vous  les  avez  révélées  aux  petits  :  ainsi_soit-il ,  mon 
Père,  parce  que  vous  Favez  voulu.  Toutes  choses 
me  sont  données  par  mon  Père,  et  personne  ne 
connaît  le  Fils ,  si  ce  n'est  le  Père;  et  personne  ne 
connaît  le  Père,  si  ce  n'est  le  Fils,  et  ceux  à  qui  b 

'  ».  Cor.  X  v ,  28.  —  =  Joan.  ivii ,  -2i.  —  3  llid.  1 1 ,  17, 1»,  — 
♦  Rom.  ui,  2C  —  5  Joaw.  XVII,  26. 


790 

Fil*  te  voudra  faire  connaître  '.  C'est  pourquoi  il 
dit  ici  :  Le  monde  ne  vous  connaît  pas;  par  la  même 
vérité  qui  lui  fait  dire  :  Fous  avez  caché  ce  secret 
awa;sag'esrfi<»îaw€?e,  qui,  enflésde  leur  vainescienee, 
n'ont  pas  voulu  se  soumettre  à  la  justice  de  Dieu  : 
Mon  Père  juste ,  ceux-là  ne  vous  connaissent  pas , 
et  moi  je  vous  connais,  et  je  vous  ai  fait  connaître 
à  ceux-ci,  qui  ont  su  chercher  la  vérité  dans  la  pe- 
titesse et  dans  l'humble  abaissement  de  leur  esprit. 
IMon  Père  juste!  faites-leur  adorer  en  tremblant  le 
juste  et  terrible  jugement  que  vous  exercez  sur  le 
monde ,  qui  est  privé  de  votre  connaissance ,  et  la 
merveilleuse  miséricorde  avec  laquelle  vous  avez 
daigné  vous  faire  connaître  à  ceux  que  vous  avez 
séparés  de  la  corruption. 

Chrétien,  rendez-vous  petit,  si  vous  voulez  con- 
naître Dieu ,  et  en  Dieu  Jésus-Christ ,  de  la  manière 
qu'il  le  faut  connaître  pour  être  saint. 

LXIV  JOUR. 

JuiUce  de  Dieu  inconnue  aux  présomptueux.  Joan,  xvn,  25. 

Mon  Père  juste,  le  monde  ne  vous  connaît  pas. 
Quoi!  les  Juifs  ne  vous  connaissent-ils  pas,  eux  qui 
ont  votre  loi  ?  Et  n'êtes-vous  pas  celui  dont  il  est 
écrit,  qite  ses  beautés  invisibles  et  son  éternelle 
vertu  et  divinité  sont  manifestées  aux  Gentils  par 
tes  ouvrages  de  votre  puissance ,  en  sorte  qu'ils  sont 
inexcusables  ^?  Entendons  donc  de  quelle  manière 
Dieu  n'est  point  connu  du  monde. 

Il  n'est  point  connu  du  monde,  il  n'est  point 
connu  de  ceux  qui  présument  d'eux-mêmes  ;  et  c'est 
pourquoi  saint  Paul  ajoute  sur  ces  Gentils  qui  ont 
connu  Dieu ,  que  se  disant  sages ,  ils  sont  devenus 
fous  ^. 

En  ce  sens  les  Juifs  mêmes  ne  l'ont  pas  connu  ; 
puisqu'ils  ont  le  zèle  de  Dieu;  mais  non  pas  selon 
la  science  ;  et  qu'ignorant  la  justice  que  Dieu  donne 
et  cherchant  leur  propre  justice ,  celle  qu'on  croit 
avoir  de  soi-même,  ils  n'ont  pas  été  soumis  à  la 
justice  de  Dieu  ■*. 

Ainsi ,  pour  connaître  Dieu  de  cette  manière  se- 
crète dont  il  assure  que  le  monde  ne  le  connaît  pas , 
il  faut  bannir  toute  présomption  de  notre  propre 
justice,  et  reconnaître  que  Dieu  a  tout  renfermé 
dans  l'incrédulité,  afin  d'avoir  pitié  de  tous.  O 
profondeur  des  richesses  de  la  sagesse  et  de  la 
science  de  Dieu!  que  ses  jugements  sont  incompré- 
hensibles,  et  que  ses  voies  sont  impénétrables'.  Car 
qui  a  connu  les  desseins  de  Dieu,  ou  qui  est  entré 
dans  ses  conseils?  ou  qui  est-ce  qui  lui  a  donné  le 
premier  quelque  chose,  pour  ensuite  en  recevoir  la 
rétribution?  Parce  que  de  lui,  et  par  lui,  et  en  lui 
sont  toutes  choses  :  la  gloire  lui  en  soit  rendue  dans 
tous  les  siècles.  Amen^. 

LXV*  JOUR. 

Les  élus  aimés  de  Dieu  en  Jésus-Christ,  comme  ses  mem- 
bres et  ses  images.  Joan.  xvn,  25,  26. 

Cetix-ci ,  les  apôtres  qui  étaient  présents ,  et  en 

•  3fatth.  IX,  25,  26,  27.  —  »  Rom.  I,  20. —^Ibicl.  22.  - 
liid  x.ft.a    -~»  Ibid  71,32,33,31,35,36. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


leur  personne  toute  la  société  des  enfants  de  Dieu 
qu'ils  représentaient,  ont  connu  que  vous  m'avez 
envoyé,  et  je  leur  ai  fait  connaître  votre  nom , 
comme  il  a  été  déjà  expliqué  ,  vos  grandeurs ,  vos 
conseils,  ce  nom  de  Père,  et  je  leur  ferai  eticore 
connaître  davantage,  afin  que  l'amour  que  vous 
avez  pour  moi  soit  en  eux ,  et  moi  aussi  en  eux  '. 

Voilà,  dans  la  conclusion  de  la  prière  de  notre 
Seigneur,  le  dessein  de  tout  le  reste,  et  en  parti- 
culier le  dénouement  de  ce  que  nous  avons  vu  au 
f.  24.  C'est  ce  qu'il  nous  faut  considérer  avec  at- 
tention et  avec  respect,  comme  la  chose  du  monde 
qui  nous  doit  le  plus  donner  de  consolation.  Car 
c'est  ici  la  dernière  marque  de  la  tendresse  de  Jé- 
sus-Christ. 

Je  suis  en  eux  ».  Ils  sont  mes  membres  vivants  : 
ce  sont  d'autres  Jésus-Christ,  d'autres  moi-même. 
Ils  ont  en  eux  son  esprit ,  qui  fait  que  la  doctrine 
de  Jésus-Christ  reluit  dans  leur  vie ,  qui  les  rend 
semblables  à  lui ,  qui  les  rend  doux ,  humbles ,  pa- 
tients, tranquilles  dans  le  bien  et  dans  le  mal ,  soit 
que  le  monde  les  estime  ou  les  méprise ,  soit  qu'il 
leur  fasse  part  de  s«s  honneurs  ou  de  ses  rebuts , 
soit  qu'il  les  invite,  pour  ainsi  dire,  à  ses  festins, 
comme  il  y  a  invité  Jésus-Christ,  ou  qu'il  les  atta- 
che à  la  croix,  comme  à  la  fin  il  y  a  mis  le  même 
Jésus.  En  tout  cela ,  l'esprit  de  Jésus  qui  est  en  eux, 
comme  dans  ses  membres  vivants,  les  rend  sembla- 
bles à  lui  et  leur  fait  suivre  ses  exemples  ;  en  sorte 
qu'on  voit  en  eux  la  vie  et  la  mort  de  Jésus-Christ  : 
la  vie ,  parce  qu'ils  marchent  sur  ses  pas  ;  la  mort , 
parce  qu'ils  portent  l'empreinte  de  sa  croix,  et 
comme  parle  saint  Paul ,  la  mortification  de  /é- 
sus  3.  Ainsi  le  Père  éternel  ne  voit  en  eux  que  Jé- 
sus-Christ :  c'est  pourquoi  il  les  aime  par  l'effusion 
et  l'extension  du  même  amour  qu'il  a  pour  Jésus- 
Christ  même  ;  et  cet  amour ,  en  les  embrassant 
comme  les  images,  cpmme  les  membres  de  son  Fils, 
répand  sur  eux  la  même  gloire  que  Jésus-Christ  a 
reçue,  en  conséquence  de  ce  qui  était  dû  à  sa  gran- 
deur naturelle  en  tant  que  Dieu ,  et  à  ses  souffran- 
ces en  tant  qu'homme.  Qu'y  a-t-il  à  désirer  davan- 
tage? Jésus-Christ  même  n'a  rien  de  plus  à  nous 
donner.  C'est  pourquoi,  après  avoir  prononcé  avec 
une  tendresse  infinie  ce  grand  et  bienheureux  mot, 
il  met  fin  à  sa  prière ,  et  il  ne  lui  reste  plus  qu'à 
partir  pour  la  consommer  par  son  sacrifice. 

On  peut  donc  voir  maintenant  tout  le  dessein  et 
toute  la  suite  de  cette  prière  :  il  commence  par  de- 
mander que  son  Père  le  glorifie,  et  cette  glorifica- 
tion se  termine  à  nous  en  faire  part;  en  sorte  que 
la  perfection  de  la  glorification  de  Jésus-Christ  soit 
dans  la  nôtre  ;  ce  qui  nous  unit  tellement  à  lui , 
que  le  Père  même  ne  nous  en  sépare  point  dans  son 
amour.  Après  quoi  il  faut  se  taire  avec  le  Sauveur,  et 
demeurant  dans  l'étonnement  de  tant  de  grandeurs 
où  nous  sommes  appelés  en  Jésus-Christ ,  n'avoir 
plus  d'autre  désir  que  de  nous  en  rendre  dignes 
avec  sa  grâce. 

»  Joan.  XVII,  25,  28   —  ^  Bid.«6.  —  •  II.  Cor.  i?,  l% 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


791 


LXV1«  JOUR. 

Père  saint.  Joan.  XTU,  II. 

Mon  Père  saint,  mon  Père  juste  :  ce  sont  les 
deux  seuls  noms  que  le  Fils  de  Dieu  donne  à  son 
Père,  les  deux  seules  qualités  qu'il  lui  attribue;  ce 
qu'elles  renferment  est  inexpliquable. 

Il  est  parlé  dans  cette  divine  oraison  de  deux 
sortes  de  personnes,  dont  les  unes  sont  sanctifiées 
par  la  connaissance  de  Jésus-Christ;  les  autres 
n'ont  point  cette  connaissance  et  sont  privées  de 
l'effet  de  sa  sainte  prière ,  conformément  à  cette 
parole  :  Mon  Père  juste,  le  monde  ne  vous  connaît 
pas  '.  Nous  avons  vu  que  c'est  par  rapport  aux  pre- 
miers que  Jésus  appelle  son  Père  saint,  parce  qu'il 
est  saint  et  sanctifiant ,  et  auteur  dans  les  âmes 
saintes  de  toute  leur  sainteté.  Et  nous  avons  dit 
aussi  que  c'est  par  rapport  aux  seconds  que  le  Père 
est  appelé  Juste  i  parce  que  c'est  par  un  juste  et 
impénétrable  jugement  qu'ils  sont  privés  de  la 
sainteté  que  Jésus-Christ  leur  aurait  donnée  s'ils 
l'avaient  reçu. 

On  voit  donc  qu'il  n'y  avait  rien  de  plus  conve- 
nable que  d'honorer  ces  deux  attributs  dans  une 
prière  dont  ils  contiennent  tout  l'effet.  Mais  si  je 
viens  maintenant  à  la  contemplation  particulière  de 
ces  deux  divines  perfections,  je  m'y  perds. 

Je  vois  que  ce  qu'on  loue ,  ce  qu'on  célèbre  prin- 
cipalement en  Dieu  dans  le  ciel ,  c'est  sa  sainteté. 
Les  séraphins,  c'est-à-dire,  les  premiers  et  les  plus 
sublimes  de  tous  les  esprits  célestes ,  adorant  Dieu 
dans  son  trône ,  n'en  peuvent  dire  autre  chose,  si- 
non qu'il  est  saint;  encore  une  fois  qu'il  est  saint; 
pour  la  troisième  fois  qu'il  est  saint  »  :  c'est-à-dire , 
t^'il  est  inViniment  saint  :  saint  dans  sa  parfaite 
unité  :  saint  dans  la  Trinité  de  ses  personnes  :  la 
première ,  comme  le  principe  de  la  sainteté  :  et  les 
deux  autres ,  comme  sorties  par  de  saintes  opéra- 
tions du  sein  même  et  du  fond  de  la  sainteté.  Crions 
donc  aussi  :  Saint,  saint,  saint!  et  adorons  la 
samteté  de  Dieu. 

La  sainteté  dans  les  hommes  est  une  qualité 
morale  qui  leur  donne  toutes  les  vertus ,  et  les 
éloigna  de  tous  les  péchés.  Rien  n'est  plus  excellent 
dans  les  hommes  que  la  sainteté  :  rien  ne  les  rend 
si  admirables ,  si  vénérables.  La  sainteté  les  fait 
regarder  comme  quelque  chose  de  divin ,  comme 
des  dieux  sur  la  terre  :  J'ai  dit:  Fous  êtes  des  dieux; 
et  vous  êtes  les  enfants  du  Très-Haut  ^.  Quelle  ado- 
ration ne  doit  donc  pas  attirer  à  Dieu  sa  sainteté  in- 
finie? La  sainteté  est  en  nous  comme  quelque  chose 
d'accidentel ,  quoi,  peut  acquérir,  qu'on  peut  per- 
dre :  Dieu  est  saint  par  son  essence  ;  son  essence 
est  la  sainteté  :  le  fond  en  est  saint,  il  est  sacré; 
tout  y  est  sacré ,  tout  y  est  saint.  Profane ,  n'appro- 
chez pas ,  ne  touchez  pas  :  tout  est  saint  :  tout  est  la 
sainteté  même.  Dieu  est  lumière,  et  il  n'y  a  point 
de  ténèbres  en  lui  ^.  Dieu  est  celui  qui  est  ^  :  et  par 
son  être  il  est  infiniment  éloigné  du  néant.  Il  est 
saint ,  et  par  sa  sainteté  il  est  encore  plus  infini- 

^  Joan.  XVII,  H.  —  »  /j.  VI,3.— *i*«.LXXXl,6  —  «I.  Joan. 
UB.  —  *£'j<?rf.  111,14. 


ment ,  si  on  peut  parler  ainsi ,  éloigné  d'un  autre 
néant  plus  vil  et  plus  haïssable,  qui  est  celui  du 
péché.  Sa  volonté  est  sa  règle,  et  celle  de  toute 
chose.  Qu'y  aura-t-il  d'irrégulier  dans  la  règle 
même?  Il  n'est  pas  le  saint  par  grâce,  il  est  le  saint 
par  nature.  Il  n'est  pas  le  saint  sanctifié  ;  il  est  le  saint 
sanctifiant  :  toutes  ses  œuvres  sont  saintes ,  parce 
qu'elles  partent  du  fond  de  la  sainteté,  et  de  sa 
volonté  qui  est  toujours  sainte,  toujours  droite, 
puisqu'elle  est  la  droiture  même ,  la  règle  même  de 
toute  droiture- 
David  se  lève  le  matin ,  et  il  vient  contempler 
la  sainteté  de  Dieu  :  Le  matin  je  me  présenterai 
devant  vous,  et  je  verrai  que  vous  êtes  Dieu,  qui 
ne  voulez  point  l'iniquité  '  ;  qui  ne  pouvez  la 
vouloir;  qui  êtes  toujours  saint,  dont  toutes  les 
œuvres  sont  inséparables  de  la  sainteté. 

Demeurons  avec  David  en  silence  devant  la  très- 
auguste  sainteté  de  Dieu.  On  se  perd  en  la  contem- 
plant, parce  qu'on  ne  la  peut  jamais  comprendre; 
non  plus  que  la  pureté  avec  laquelle  il  faut  s'en  ap- 
procher. 

Isoïe  voit  de  loin  le  trône  de  Dieu ,  ce  trône  de- 
vant lequel  sa  sainteté  est  célébrée  par  les  séra- 
phins. J'ai  vu ,  dit-il,  /e  Seigneur  sur  un  trône  haut 
et  élevé  :  et  tout  était  à  ses  pieds  ;  et  tout  tremblait 
devant  lui  :  et  je  vis  les  bienheureux  esprits  qui 
approchent  le  plus  près  du  trône;  et  je  n'entendis 
autre  chose  de  leur  bouche  que  cette  voix  :  Saint  j 
saint,  saint.  Et  je  fus  saisi  de  frayeur.  Et  je  dis  : 
Malheur  à  moi  !  parce  que  j'ai  les  lèvres  souillées, 
et  que  je  demeure  au  milieu  d'un  peuple  dont  les 
lèvres  sont  souillées  aussi  :  et  j'ai  vu  de  mes  yeux 
le  Roi  dominateur  des  années  »,  de  toute  l'armée 
du  ciel ,  de  toutes  celles  de  la  terre.  La  sainteté  de 
Dieu  le  fait  trembler.  Saisi  à  sa  vue  d'une  sainte  et 
religieuse  frayeur,  il  s'en  retire.  Je  ne  m'en  étonne 
pas.  Il  voit  les  séraphins  mêmes  dans  l'étonnement. 
S'ils  ont  des  ailes  pour  voler,  ce  qui  montre  la 
sublimité  de  leurs  connaissances,  ils  en  ont  pour 
se  couvrir  les  yeux  éblouis  de  la  lumière  et  de  la 
sainteté  de  Dieu.  Tout  embrasés  qu'ilssont  du  di- 
vin amour,  ils  sentent  que  leur  amour  est  borné, 
comme  tout  ce  qui  est  créé  :  et  par  conséquent  qu'il 
y  a  en  eux,  pour  ainsi  parler,  plus  de  non  amour, 
que  d'amour  :  comme  il  y  a  aussi  toujours  plus  de 
non  être,  que  d'être.  Et  c'est  pourquoi  ils  se  cachent, 
et  ils  voilent  de  leurs  ailes  leur  face  et  leurs  pieds  ;  et 
se  trouvent  comme  indignes  de  paraître  avec  une 
sainteté  finie  devant  l'infinie  sainteté  de  Dieu.  Et  le 
cri  qu'ils  font  pour  se  dire  l'un  à  l'autre  Saint , 
saint,  saint!  fait  voir  l'effort  dont  ils  ont  besoin 
pour  entendre  et  pour  célébrer  la  sainteté  de  Dieu , 
laquelle  demeure  au-dessus  de  tous  leurs  efforts: 
en  sorte  qu'il  n'y  a  que  lui  qui  se  puisse  louer  lui- 
même  ,  et  que  c'est  en  lui  qu'il  faut  trouver  et  con- 
naître sa  digne  louange. 

Combien  plus  devons-nous  trembler  devant  l'au- 
guste et  redoutable  sainteté  de  Dieu  avec  nos  pé- 
chés !  Mais  si  un  charbon  de  l'autel  est  appliqué  à 
mes  lèvre.s ,  si  un  de  ces  séraphins  prend  l'ordrt 

•  Ps.  V,  5.  — '  ?«.  TI,  1,2,  3,  i,  6,  6,  7- 


792 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


êo  Dieu  pour  me  toucher,  comme  Isaïe ,  de  ce  feu 
céleste;  alors  je  louerai  Dieu  avec  des  lèvres  pures, 
parce  que  je  l'aimerai  d'un  pur  amour. 

Ne  croyons  pas  néanmoins  que  les  séraphins, 
ni  que  les  ministres  de  Dieu,  quels  qu'ils  soient, 
fussent-ils  élevés  à  leur  degré  par  la  perfection  de 
leur  amour,  puissent  nous  purifier.  Ils  peuvent 
bien  nous  toucher  les  lèvres  de  ce  feu  divin  par 
l'inspiration  de  quelques  bonnes  pensées;  mais 
pour  pénétrer  dans  le  fond ,  pour  nous  embraser 
de  l'amour  qui  nous  sanctifie ,  c'est  le  coup  ré- 
servé à  Dieu,  qui ,  plus  intime  dans  nos  cœurs  que 
le-plus  intime,  allume  et  cache  dans  notre  inté- 
rieur, et  dans  la  moelle  de  nos  os,  cette  flamme 
sanctifiante  et  purifiante.  Et  c'est  ainsi  que  s'ac- 
complit cette  divine  prière  :  Mo7i  père  saint, 
sanctifiez-les  en  vérité  :  je  me  sanctifie  pour 

Séparons-nous  donc  des  pécheurs  et  de  toute 
iniquité,  en  contemplant  la  sainteté  de  Dieu  notre 
Père  céleste.  Car  c'est  ainsi  que  David,  après  avoir 
vu  et  contemplé  dès  le  matin  que  Dieu  est  saint , 
et  ne  veut  point  l'iniquité,  c'est-a-dire  ne  la 
veut  jamais,  ni  par  quelque  endroit  que  ce  puisse 
être;  ajoute  aussitôt  après  :  Elle  viéchant n'habi- 
tera point  auprès  de  vous  :  et  les  injustes,  les  pé- 
cheurs ne  subsisteront  point  devant  vos  yeux  '. 
Encore  un  coup,  séparons-nous  donc  des  pécheurs  : 
séparons-nous-en,  non-seulement  par  une  vie  op- 
posée à  la  leur;  mais  encore,  autant  qu'il  se  peut, 
en  nous  retirant  de  leur  odieuse  et  dangereuse 
compagnie,  de  peur  d'être  corrompus  par  leurs 
discours  et  par  leurs  exemples ,  et  de  respirer  un 
air  inffecté. 

LXVIF  JOUR. 
Père  Juste.  Joan.  xvii,  ii. 

Après  avair  dit  par  Jésus-Christ  et  en  Jésus- 
Christ,  mon  Père  saint,  nous  pouvons  dire  aussi 
en  lui  et  avec  lui,  mon  Père  juste. 

Après  avoir  conçu  la  grâce  par  laquelle  il  nous 
sanctifie,  et  avoir  admiré  le  bonheur  de  ceux  qui 
l'ont  reçue,  nous  viendrons  à  considérer  ceux  qui 
en  sont  justement  privés  ;  et  nous  adorerons  les 
jugements  d'un  Dieu  juste ,  après  avoir  admiré  les 
sanctifications  d'un  Dieu  saint. 

La  vue  de  ces  sanctifications  n'a  rien  que  de  con- 
solant. Mais  quand  il  faut  venir  à  considérer  cette 
parole  :  Le  monde  ne  vous  connaît  pas  ^  :  et  celle- 
fii  :  Je  ne  prie  pas  pour  le  monde  ^  :  c'est  là  que 
l'on  tremble  :  l'esprit  est  confondu ,  le  cœur  s'a- 
bat ,  et  il  ne  reste  qu'à  dire  :  Mon  Père  juste  :  vous 
êtes  juste.  Seigneur,  et  tous  vos  jugements  sont 
droits  ^. 

Gardez-vous  bien  de  vous  jeter  dans  ces  profon- 
deurs. Tant  de  nations  qui  ne  connaissent  pas  Dieu, 
et  qu'il  laisse ,  comme  dit  l'apôtre ,  aller  dans 
leurs  voîes^,  a  qui  Jésus-Christ  n'a  pas  seulement 
été  nommé:  tant  d'hérétiques,  tant  de  schismati- 

»  Joan.  xvn.II,  17, 19.  — »  Ps.  V,  C  —^  Joan.  \\ii,2i.  - 
*  ibid  9.  —  *  Pi-  CXVHI,  t37  —  «  Act.  XIV,  16. 


ques ,  à  qui  on  ôte  dès  leur  enfance  la  connais, 
sance  de  la  vraie  Église  :  parmi  les  vrais  chrétiens . 
tant  d'ingrats,  tant  d'esprits  bouchés,  tant  de 
cœurs  durs,  tant  d'oreilles  sourdes!  O  Dieu,  je 
m'y  perds!  Que  dirai-je.  Mon  Père  juste,  c'est  par 
votre  juste  et  impénétrable  jugement  qu'ils  sont 
endurcis.  Qu'y  a-t-il  de  plus  juste  que  de  laisser 
à  eux-mêmes  ceux  qui  se  cherchent.'  Quelle  puni- 
tion plus  convenable  que  celle  qui  punit  l'homme 
par  sa  propre  faute  ?  Seigneur,  m'élèverai-je  con- 
tre vous?  Et  parce  que  je  vois  périr  dans  un  hôpi- 
tal, où  m'a  réduit  ma  misère,  une  infinité  de  ma- 
lades, me  rebellerai-je  contre  le  médecin,  qui 
daigne  m'apporter  un  remède  qui  me  guérit?  Lui 
dirai-je  :  Je  n'en  veux  point  que  je  ne  voie  tout 
le  monde  guéri  de  même?  Non ,  mon  frère,  prends 
le  remède.  Pourquoi  te  troubler  de  ceux  qui  péris- 
sent, à  qui  tu  vois  quelquefois  rejeter  avec  cha- 
grin et  aveuglement  le  secours  qti'on  leur  présente? 
Ce  n'est  pas  là  ce  que  le  céleste  médecin  demande 
de  toi.  Reçois  humblement  le  remède,  et  laisse  à 
la  divine  Providence  ceux  que  tu  en  vois  privés. 
Crois  seulement  que  nul  ne  périt  que  par  sa  faute  : 
que  dans  ce  grand  hôpital  de  Dieu ,  dans  le  monde , 
où  tout  est  malade,  il  n'y  a  point  de  mal  qui  n'ait 
son  remède;  et  que  tous  les  secours  qui  se  don- 
nent dans  l'univers,  dans  quelque  lieu  que  ce  soit , 
à  qui  que  ce  soit,  dans  quelque  degré  que  ce  soit, 
se  dispensent  avec  équité  et  avec  bonté,  sans  que 
personne  se  puisse  plaindre. 

Quand  donc  nous  entendons  ces  paroles  :  Le 
monde  ne  vous  connaît  pas  :  ne  demandons  point , 
comme  fit  saint  Jude  :  Seigtieur,  d'où  vient  qtie 
vous  vous  ferez  connaître  à  nous  et  nonpas  au 
ynonde'?  Car  Jésus-Christ  ne  répond  pas  à  cette 
demande,  et  il  répond  seulement  :  Celui  qui  m'aime 
gardera  ma  parole.  C'est-à-dire ,  ne  soyez  point 
curieux  de  savoir  pourquoi  Jésus-Christ  est  caché 
au  monde  :  ce  n'est  pas  là  votre  affaire  :  votre  af- 
faire est  de  profiter  de  la  lumière  qui  vous  est  don- 
née. Pour  vous,  et  pour  tous  ceux  qui  sont 
sanctifiés,  adorez  Dieu  qui  est  saint.  Pour  les  au- 
tres, qui  sont  justement  privés  de  la  grâce,  qui 
vous  sanctifie,  adorez  Dieu  qui  est  juste.- C'est  à 
ces  deux  points  qu'aboutit  toute  la  prière  de  notre 
Seigneur. 

En  passant,  où  sont  ceux  qui  veulent  que  ce 
soit  déroger  à  la  perfection  de  la  contemplation , 
que  de  s'attacher  aux  attributs  divins ,  auxquels 
il  faut,  disent-ils,  préférer  la  contemplation  de 
son  essence?  en  savent-ils  plus  que  Jésus-Christ, 
qui,  dans  la  plus  haute  oraison  qu'il  ait  daigné 
nous  manifester,  dit  :  Mon  Père  saint,  mon  Père 
juste?  Qui  sait  ce  que  c'est  que  l'essence  de  Dieu? 
Mais  qui  ne  sait,  ou  ne  doit  savoir,  que  c'est  son 
essence  qu'on  adore  sous  le  nom  de  sainteté  et  de 
justice  ?  Célébrons  donc  sans  fin  ces  deux  divins 
attributs.  Disons  avec  David  :  O  Seigneur,  je  vous 
chanterai  miséricorde  et  jugement*  :  parce  que 
c'est  dire  avec  Jésus-Christ  et  en  Jésus-Christ  : 
IMon  Père  saint,  mon  Père  juste. 

'  Joan.  XIV,  22  ,  Î3.  —  »  P*.  C ,  /. 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 
LXVIIl'  JOUR.  '  LXIX«  JOUR. 


703 


U  prière  de  Jésus-Christ  après  la  cène  esl  l'abrégé  du 
sermon  qui  la  précède. 

En  repassant  sur  la  prière  de  Jésus-Christ,  on 
verra  qu'il  y  ramasse  toute  la  substance  du  sermon 
de  la  cène.  S'il  dit  dans  sa  prière,  que  ses  apôtres 
ne  soiU  pas  du  niotulc,  c'est  ce  qu'il  avait  dit  aupa- 
ravant. S'il  dit  qu'il  quitte  le  monde  :  il  avait  dit  : 
Je  suis  sorti  de  Dieu,  pour  venir  au  monde  :  et 
maintenant  je  quitte  le  monde,  pour  retourner 
à  Dieu.  Comme  il  avait  donné  l'amour  et  l'union 
de  ses  disciples  comme  la  marque  de  son  école,  il 
inculque  la  même  chose  dans  sa  prière».  Ces  pa- 
roles :  fous  connaîtrez  en  ce  jour-la,  que  je  suis 
dans  mon  Père,  et  vous  en  moi,  et  moi  en  vous  »,  re- 
..viennentà  celles-ci  :  Je  suis  en  eux  :  et  vous  en  moi; 
et  à  celles-ci  :   Jfin  que  Camour  que  vous  avez 
pour  moi  soit  en  eux,  comme  je  suis  en  eux  '.  Ce 
qu'il  promet  par  ces  paroles  :  Là  où  je  suis,  celui 
qui  me  sert  y  sera  aussi*,  il  le  demande  à  son  Père 
par  celle-ci  :  Là  où  je  suis  Je  veux ,  mon  Père ,  que 
ceux  que  vous  m'avez  donnés,  y  soient  aussi  avec 
mol^.  Cela  nous  montre  deux  vérités.  L'une,  que 
ce  qu'on  enseigne  aux  hommes  doit  être  aussi  la 
matière  de  ce  qu'on  traite  avec  Dieu  dans  la  prière. 
La  seconde,  que  la  même  chose  qui  fait  la  matière 
du  commandement ,  et  celle  de  la  promesse ,  fait  en 
même  temps  la  matière  de  la  prière  :  parce  qu'on 
doit  demander  à  Dieu  l'observation  des  comman- 
dements ,  et  l'accomplissement  de  ses  promesses  : 
Ce  qu'il  promet ,  dit  samt  Paul^,  il  est  puissant 
pour  le  faire  :  Et  saint  Augustin  disait  aussi,  en 
parlant  des  commandements  :  Accordez-moi  ce 
que  vous  me  commandez.  Il  ne  dit  pas  :  Accordez- 
moi  ce  que  vous  me  promettez;  ce  qui  serait  natu- 
rel :  mais ,  Accordez-moi  ce  que  vous  me  com- 
mandez ;  qui  est  la  même  chose  que  s'il  disait  : 
Accordez-moi  ce  que  je  dois  faire;  c'est-à-dire. 
Faites  en  moi  mon  action  propre.  Cequi  est  conforme 
à  la  parole  de  Jésus-Christ,  qui ,  après  avoir  com- 
mandé la  charité  fraternelle ,  et  l'union  de  ses  fidè- 
les ,  demande  à  Dieu  qu'il  la  fasse  eu  eux ,  et  qu'ils 
soient  consommés  en  un. 

Unissons-nous  à  la  prière  sainte  de  Jésus-Christ  : 
rappelons  en  notre  mémoire,  et  méditons  devant 
Dieu,  les  vérités  qu'il  nous  enseigne,  et  surtout  raé- 
ditons-v  ce  qu'il  nous  promet ,  et  ce  qu'il  com- 
mande", pour  obtenir  en  Jésus-Christ  et  par  Jésus- 
Christ  l'accomplissement  de  l'un  et  de  l'autre,  et 
autant  de  ce  qui  dépend  de  nous ,  que  de  ce  qui  dé- 
pend de  Dieu. 

Apprenons  la  liaison  sainte  de  la  promesse,  du 
commandement  et  de  la  prière.  Le  commandement 
nous  avertit  de  ce  que  nous  avons  à  faire;  la  pro- 
messe nous  avertit  de  ce  que  nous  avons  à  espérer  : 
et  l'une  et  l'autre  nous  avertissent  de  ce  que  nous 
avons  à  demander  à  celui  sans  lequel  nous  ne  pou- 
vons rien  espérer,  ni  rien  faire. 


tcLiifi  foi  eo  Jésus  vrai  Messie.  Joan-  xfn,  K,  8. 

Ils  ont  connu  que  vous  m'avez  envoyé  '  :  ils  Pont 
connu  avec  une  ferme  foi  et  une  persuasion  ausif 
forte ,  que  celle  qu'on  a  des  choses  dont  on  est  W 
plus  assuré  :  lû  l'ont  connu    véritablement  ', 
comme  il  l'a  dit  :  tout  est  là  dedans  :  et  cela  posé, 
tout  s'ensuit,  lleureux  ceux  à  qui  Jésus-Christ  rend 
ce  témoignage!  Examinons-nous  nous-mêmes  sur 
cette  importante  disposition  de  notre  cœur.  Écou- 
tons saint  Paul ,  qui  nous  dit  :  Examinez-vous 
vous-mêmes,  si  vous  êtes  dans  la  foi:  éprouvez- 
vous  vous-mêmes  ^.  Voyez  combien  il  presse ,  com- 
bien il  inculque  :  Ejtaminez-vous ,  éprouvez-vous . 
Croyez-vous  avec  une  pleine  certitude  que  Jésus- 
Christ  soit  véritablement  envoyé  de  Dieu?  Quelle 
raison  pourriez-vous  avoir  de  ne  le  pas  croire?  >"a- 
t-on  pas  vu  en  lui  toutes  les  marques  que  les  pro- 
phètes et  les  patriarches  avaient  données  du  Christ 
qui  devait  venir  ?  î^a-t-il  pas  fait  tous  les  miracles 
qu'il  fallait  faire,  et  dans  toutes  les  circonstances 
qu'il  les  fallait  faire,  en  témoignage  certain  qu'il 
était  celui  qu'on  devait  attendre ,  et  le  véritable  en- 
voyé de  Dieu? 
I      Quel  autre  que  lui  a  donné  aux  hommes  une  mo- 
I  raie  si  sainte,  si  pure ,  si  parfaite?  et  qui  a  pu  dire 
j  comme  lui  :  Je  suis  la  lumière  du  monde  ^?  Où 
trouverons-nous  plus  de  charité  envers  les  hom- 
mes; de  plus  saints  exemples,  un  plus  beau  modèle 
de  perfection;  une  autorité  plus  douce,  plus  insi- 
nuante, plus  ferme;  une  plus  grande  condescen- 
dance pour  les  faibles,  pour  les  pécheurs,  jusqu'à 
s'en  rendre   l'avocat,  l'intercesseur,   la   victime? 
C'est  ce  qu'il  explique  lui-même  par  ses  aimables 
paroles  :  Prenez  a  moi,  vous  tous  qui  êtes  oppres- 
sés et  affligés,  et  je  vous  soulagerai  :  appro- 
chez, et  apprenez  de  moi  que  je  suis  doux  et 
humble  de  cœur;  et  vous  trouverez  le  repos  de  vos 
âmes  :  car  mon  joug  est  doux,  et  mon  fardeau  est 
léger  *.  Il  faut  à  l'homme  un  joug ,  une  loi ,  une 
autorité,  un  commandement  :  autrement,  emporté 
par  ses  passions ,  il  s'échapperait  à  lui-même.  Tout 
ce  qu'il  y  avait  à  désirer,  c'est  de  trouver  un  maî- 
tre comme  Jésus-Christ,  qui  sût  adoucir  la  con- 
trainte ,  et  rendre  le  fardeau  léger.  Où  trouverons- 
nous  la  consolation  ,  l'encouragement ,  et  les  pa- 
roles de  vie  éternelle,  si  nous  ne  les  trouvons  pas 
dans  sa~bouche?  Croyez-vous  bien  tout  cela?  C'est 
la  première  partie  de  cet  examen. 

Mais  quand  nous  aurons  dit  :  Oui,  je  le  crois,  je 
le  reconnais  avec  cette  plénitude  de  la  foi  *,  dont 
parle  saint  Paul;  avec  une  pleine  et  entière  persua- 
siom  :  saint  Jean  viendra  nous  dire,  a^ec  sa  divme 
et  incomparable  douceur  :  Cest  en  cela  que  noits 
savons  qtie  nous  le  connaissons,  si  nous  gardons 
sa  parole.  Celui  qui  ditqu'ille  connaît,  et  ne  garde 
pas  sa  parole,  c'est  un  menteur,  et  la  vérité  n'est 
pas  en  lui.  Et  un  peu  après  :  Celui  qui  dit  qu'il  de- 


•  /oon.  xvu,I6;  xv,l8,  I9;xvi,33;  xvii,  ll;xvr,28, 
ÏT .  12 ,  17  ;  XIII .  34,  35.  -  »  Ibid:  XIT,  20.  -  »  /î"d.  V.  23,  26. 
^  '  Ibid.  XII ,  26,  —  ^  Ihid  XVI- ,  U.  —  *  Rom.  nr,  21. 


»  Joan.  xvn,  25.  —  '  md.  s.  —  '  II.  Cor.  xiii,  5.  — •  /w» . 
i  tiii,!!.  — ».Va«A  xi,2S,23,30.-«fffft.X,22.— M  The»  t,h. 


7^* 


MEDITATIONS  SUR  L'ÉVAINGILE. 


meure  en  lui,  doit  marcher  comme  il  a  marché' , 
et  suivre  ses  exemples.  Bien  certainement,  il  y  en  a 
qui  le  confessent  de  bouche ,  et  qui  le  renoncent  par 
leurs  œuvres  ».  Saint  Paul  l'a  dit  :  et  saint  Jean  a 
dit  :  Mes  petits  enfants,  aimons,  non  de  bouche, 
et  de  la  langue,  mais  en  œuvre  et  en  vérité^.  Som- 
mes-nous ou  n'en  sommes-nous  pas,  de  ceux-là? 
Qu'avons -nous  à  nous  répondre  à  nous-mêmes  l-à- 
dessus.  C'est  la  seconde  partie ,  encore  plus  essen- 
tielle que  la  première ,  de  l'examen  que  nous  faisons. 

Et  la  troisième,  la  plus  importante  de  toutes  :  Si 
notre  cœur  ne  nous  reprend  pas ,  et  que  nous  mar- 
chions devant  Dieu  avec  confiance  4  :  si  nous  tâchons 
de  vivre,  de  sorte  que  nous  soyons  les  enfants  de  la 
vérité,  du  moins  que  nous  travaillions  à  le  devenir, 
et  que  nous  en  puissions  persîiader  notre  cœur  en 
la  présence  de  Dieu  :  croyons-nous  biea  que  c'est 
là  un  don  de  Dieu,  conformément  à  cette  parole  : 
La  paix  soit  donnée  aux.  frères  y  et  la  charité  avec 
la  foi  par  Dieu  le  Père,  et  par  Jésus-Christ  notre 
Seigneur  ^ ,  en  sorte  que  nous  n^evons  point  à  nous 
en  glorifier,  mais  plutôt  à  nous  humilier  jusqu'aux 
enfers;  parce  que  nous  n'y  avons  apporté  du  nôtre, 
à  ce  tel  quel  commencement  de  bonnes  œuvres,  que 
misère ,  pauvreté  et  corruption  ;  et  que  si  c'est  se 
perdre  que  de  s'écarter  de  la  vertu,  c'est  se  perdre 
encore  beaucoup  plus  d'en  présumer? 

Après  cela ,  il  ne  reste  plus  qu'à  confesser  nos  pé- 
chés ;  non  avec  découragement  et  désespoir,  mais 
avec  une  douce  espérance  :  parce  que  le  même  saint 
Jean  a  dit  çî/c  si  nous  confessons  nos  péchés,  il  est 
fidèle  et  juste  pour  nous  pardonner  nos  péchés,  et 
pour  -nous  purifier  de  toute  iniquité^.  Remarquez, 
fidèle  et  juste  :  non  qu'il  nous  doiv«  rien;  mais  à 
cause  qu'il  a  tout  promis  en  Jésus-Ghrist.  En  sorte 
que  pour  pouvoir  espérer  de  lui  notre  rémission  et 
notre  grâce,  il  suflit  de  croire  qu'il  a  envoyé  Jésus- 
Ghrist,  parce  que,  bien  constamment,  il  n'est  en- 
voyé que  pour  être  par  son  sang  la  propitiation  de 
710S  fautes  T. 

LXX«  JOUR. 

Diea  Père  et  Fils.  Joan.  xvn.  3,  B,  10,  2! ,  25. 

On  ne  peut  quitter  celte  divine  prière  de  notre 
Seigneur,  ni  le  discours  qui  la  précède ,  et  qui  en  a , 
comme  on  a  vu ,  fourni  la  matière.  On  lit  et  on  relit 
ce  discours,  ce  dernier  adieu,  cette  prière  de  Jésus- 
Ghrist  ,  et,  pour  ainsi  dire ,  ses  derniers  vœux ,  tou- 
jours avec  un  nouveau  goût ,  et  une  nouvelle  conso- 
lation. Tous  les  secrets  du  ciel  y  sont  révélés ,  et  de 
la  manière  du  monde  la  plus  insinuante  et  la  plus 
touchante. 

Quel  est  le  grand  secret  du  ciel ,  si  ce  n'est  cette 
éternelle  et  impénétrable  communication  entre  le 
Père ,  le  Fils,  et  le  Saint-Esprit?  C'est  là ,  dis-je,  le 
secret  du  ciel ,  qui  rend  heureux  ceux  qui  le  voient, 
et  qui  n'avait  point  encore  été  parfaitement  révélé  ; 
mais  Jésus-Ghrist  nous  le  révèle  ici  d'une  manière 
admirable. 

»  L  Joan.  Il ,  3 ,  4 ,  6.—  *  TH.  i ,  16.  —  3  I.  Joan.  m  ,  18.  — 
*Ibid.  21 ,  29.  —  '  Ephes.  VI ,  26.  —  «  I.  Joan.  1,9.—'  Ibid. 


Qui  dit  un  Père ,  dit  un  Fils  ;  et  qui  dit  un  Fils , 
dit  un  égal  dans  la  nature ,  et  qui  dit  un  égal  dans  une 
nature  aussi  parfaite  que  celle  de  Dieu ,  dit  un  égal 
en  toute  perfection  :  en  sorte  qu'il  n'y  puisse  avoir 
de  premier  et  de  second ,  que  par  une  sainte ,  par- 
faite et  éternelle  origine. 

C'est  ce  que  Jésus-Christ  nous  fait  entendre ,  lors- 
qu'il demande  à  son  Père  la  claire  manifestation  de 
la  gloire  qu'il  avait  en  lui  '  :  Apud  te  :  Chez  vous 
et  dans  votre  sein,  devant  que  le  monde  fût  fait*. 
Cette  gloire  qu'il  avait  dans  le  sein  de  Dieu  ne  pou- 
vait être  que  celle  de  Dieu  même  :  laquelle,  et  cette 
gloire  du  Fils,  étant  toujours,  et  précédant  tout  ce 
qui  a  été  fait ,  par  conséquent  n'a  point  été  faite  ;  par 
conséquent  elle  est  incréée,  et  la  même  que  celle  du 
Père.  Gela  est  ainsi ,  et  ne  peut  pas  être  autrement. 

Le  Fils  égal  à  son  Père  est  pourtant  en  même 
temps  son  envoyé,  à  cause  qii'il  sort  de  lui^.  Il  en 
est  sorti ,  pour  venir  au  monde  :  voilà  comme  il  est 
envoyé.  Il  quitte  le  monde ,  pour  y  retourner  :  voilà 
le  terme  de  la  mission;  voilà  tout  ce  qu'est  Jésus- 
Christ  en  sa  personne ,  parfaitement  égal  à  Dieu  qui 
l'envoie;  puisqu'il  est  son  propre  Fils,  Dieu  ne  vou- 
drait point  avoir  un  Fils  qui  serait  moindre  que  lui , 
et  qui  ne  le  valût  pas.  Pardonnez ,  Seigneur,  ces 
expressions  ;  ce  sont  des  hommes  qui  parlent.  Quand 
on  dit  :  Dieu  ne  voudrait  pas,  c'est-à-dire,  que  ce 
serait  une  chose  indi;j;ne  de  lui ,  et  qui  par  consé- 
quent ne  peut  pas  être.  C'est  pourquoi,  en  tout  et 
partout,  il  traite  d'égal  avec  son  Père  :  Tout  ce  qui 
est'  à  vous  est  à  moi  :  tout  ce  qui  est  à  moi  est  à 
vous*  :  cela  ressent  une  égalité  parfaite  et  des  deux 
côtés  :  c'est  plus  que  si  l'on  disait  qu'on  est  son  égal  : 
car  c'est  plus  de  traiter  d'égal  avec  lui,  que  d'énoncer 
simplement  cette  égalité. 

Mais  voyons  ce  qu'est  Jésus-Christ  par  rapport 
à  nous.  Il  est,  comme  son  Père,  notre  bonheur  : 
Connaître  son  Père  et  lui,  c'est  pour  nous  la  vie 
étemelle.  C'est  pourquoi  il  dit  :  Celui  qui  m'aime 
sera  aimé  de  mon  Père,  et  je  F  aimerai,  et  je  me  ma- 
nifesterai à  lui^.  C'est  là  le  grand  effet  de  mon. 
amour  :  c'est  par  là  que  je  rends  les  hommes  éter- 
nellement heureux.  Et  il  ajoute  :  Celui  quim'aime , 
gardera  maparole,  et  mon  Père  V aimera  :  et  7ious 
viendrons  à  lui,  et  nous  y  ferons  notre  demeure^. 

Nous  viendrons,  en  société,  mon  Père  et  moi.  Qui 
jamais  a  pu  ainsi  s'égaler  à  Dieu  ?  Nous  viendrons  : 
car  nous  ne  pouvons  venir  l'un  sans  l'autre  :  Nous 
viendrons  :  car  ce  n'est  pas  tout  d'avoir  le  Père;  il 
faut  m'avoir  aussi  :  Nous  viendrons.  Qui  peut  venir 
au  dedans  de  l'homme,  pour  le  remplir  et  le  sanc- 
tifier intérieurement,  que  Dieu  même?  Nous  vien* 
drons  en  eux,  et  nous  y  demeurerons  :  ils  seront 
notre  commun  temple ,  notre  commun  sanctuaire  : 
nous  serons  leur  commune  sanctification ,  leur  com- 
mune félicité,  leur  commune  vie.  Que  peut-il  dire 
déplus  clair,  pour  se  mcttreen  égalité  avec  son  Père  ? 
La  meilleure  manière  de  le  dire ,  c'est  de  le  montrer 
par  les  effets.  O  homme  :  que  désirez-vous?  d'avoir 
Dieu  en  vous.  Et  aûq  que  vous  l'ayez  pleinement , 

I  Joan.  1,1.  —  '  Ibid.  xvil ,  5.  —  ^  Ibid.  xvi ,  28  ;  xvu ,  8. 
—  <  Ibid.  xvn,  10.  —  *  Ibid.  xvu,  3;  xiv,2l.  -''Ibid.  xiT,2^, 


MP'DITATIO.NS  SUR  LÉVA>GILE. 


79S 


mon  Père  et  moi  nous  viendrons  dans  cet  intérieur  : 
si  vous  désirez  de  in'avoir  en  vous ,  en  désirant  d'y 
avoir  Dieu  :  je  suis  donc  Dieu. 

C'est  ainsi  que  les  Cdèles  seront  un  :  parce  que 
tous  ils  auront  en  eux  le  Père  et  le  Fils,  et  qu'ils  en 
seront  le  temple  :  lU  seront  un ,  dit  Jésus-Christ  ; 
mais  ils  seront  un  en  nous^.  ^'ous  serons  le  lien 
commun  de  leur  unité  :  parce  qu'étant  mon  Père  et 
moi  parfaitement  un,  toute  unité  doit  venir  de  nous, 
et  nous  en  sommes  le  lien  comme  le  principe. 

Cest  la  première  partie  du  secret  divin  :  l'unité 
parfaite  du  Père  et  du  Fils ,  aujourd'hui  parfaite- 
ment révélée  aux  hommes  :  pour  leur  faire  entendre 
combien  leur  union  doit  être  sincère  et  parfaite  à  sa 
manière  :  puisqu'elle  a  pour  modèle,  et  pour  lien, 
l'unité  absolument  paràiite  du  Père  et  du  Fils,  et 
leur  éternelle  et  inaltérable  paix. 

LXXl*  JOUR. 

Dieu  Saint-Esprit  Jooji.  xiv,  16,  17,  M. 

Venons  maintenant  au  Saint-Esprit  :  Je  prierai 
mon  Père,  et  il  vous  donnera  un  autre  consolateur ^ 
pour  demeurer  éteiiiellenient  avec  vous  ».  Un  autre 
consolateur!  un  consolateur  à  la  place  de  Jésus- 
Christ,  s'il  est  de  moindre  vertu  et  de  moindre  di- 
gnité, afllige  plutôt  qu'il  ne  console.  Ainsi  un  con- 
solateur à  la  place  de  Jésus-Christ,  ce  n'est  rien 
moins  qu'un  Dieu  pour  un  Dieu.  Et  c'est  pourquoi 
si  le  Fils  vient  en  nous,  et  y  demeure  comme  le  Père, 
le  Saint-Esprit  y  demeure  aussi,  et  y  est^  comme 
le  Père  et  le  Fils.  Il  habite  avec  eux  dans  notre  in- 
térieur; comme  eux  il  le  vivifie.  >'ous  sommes  son 
temple ,  comme  nous  le  sommes  du  Père  et  du  Fils. 
Ne  sarez-vous  pas ,  dit  saint  Paul ,  que  vous  êtes  le 
temple  de  Dieu ,  et  que  son  Esprit  habite  en  vous  4 .' 
Ne  savez-vous pas  que  vos  membres  sont  le  temple 
da Saint-Esprit ,  qui  habite  en  vous,  et  que  vous 
n'êtes  pas  à  vous-mêmes  »  ?  Car  un  temple  n'est  pas 
à  lui-même,  mais  au  Dieu  qui  y  habite.  Celui-là  donc 
qui  demeure  en  nous  et  qui  y  est ,  selon  l'expression 
de  Jésus-Christ ,  comme  le  Père  et  le  Fils ,  est  Dieu 
comme  eux  :  et ,  si  j'ose  parler  ainsi ,  il  fait  en  nous 
acte  de  Dieu,  quand  il  y  habite  et  qu'il  nous  pos- 
sède. 

//  vous  enseignera  toute  chose  :  et  il  vous  fera 
ressouvenir  de  ce  que  je  vous  aurai  dit^  :  Paraîtra- 
t-il  aux  yeux?  parlera-t-il  aux  oreilles?  >^on;  c'est 
au  dedans  qu'il  tient  son  école  :  il  se  fait  entendre 
dans  le  fond.  C'est  aussi  ce  même  fond  où  le  Père 
parle,  et  où  l'on  apprend  de  lui  à  venir  au  Fils.  Qui 
peut  parler  à  ce  fond,  sinon  celui  qui  le  remplit, 
et  qu!  y  agit ,  pour  le  tourner  où  il  veut ,  e'est-à- 
dire.  Dieu?  Le  Saint-Esprit  est  donc  Dieu  :  et  c'est 
encore  un  acte  de  Dieu  que  de  parler  et  se  faire  en- 
tendre au  dedans  le  plus  intime  de  l'homme. 

J'ai  beaucoup  de  choses  à  vous  dire  :  mais  vous 
ne  les  pouvez  pas  encore  porter  :  mais  l'esprit  de 
vérité  viendra,  qui  vous  enseignera  tout:.  Cest 

•  Joan.x\U,2l.  —  '  Ihid.xiv, 19.  — iJbid.  I7.  — M.  Cor. 
PI .  16.  —  5  Ibid.  m ,  19.  —  *  Joan.  xit,  m.  —  î  Ibid.  xvî ,  I2, 


à  lui  que  sont  réservées  les  vérités  les  plus  haute» 
et  les  plus  cachées  :  et  il  lui  est  réservé  en  même 
temps  d'augmenter  vos  forces ,  pour  T0uS*en  ren 
dre  capables.  Qui  le  peut,  si  ce  n'est  un  Dieu?  Il  est 
donc  Dieu. 

Et  il  vous  annoncera  les  choses  futures  ».  Il  veut 
dire  que  c'est  cet  Esprit  qui  fait  les  prophètes;  qui 
les  inspire  au  dedans,  qui  leur  découvre  l'avenir; 
car  il  sait  tout,  et  ce  qui  est  même  le  plus  réservé  à 
Dieu.  Il  est  vrai,  dit  le  Fils  de  Dieu,  qu'iV  ne  dit 
rien  que  ce  qu'il  a  oui  »  :  mais  il  n'a  pas  oui  autre- 
ment que  le  Fils  de  Dieu  :  il  a  ouï  ce  qu'il  a  reçu 
par  son  éternelle  procession ,  comme  le  Fils  a  ouï 
ce  qu'il  a  reçu  par  son  éternelle  naissance. 

Car  il  faut  entendre  que  cet  Esprit  procède  du 
Père,  d'une  manière  aussi  parfaite  que  le  Fils.  Le 
Fils  procède  par  génération;  et  le  Saint-Esprit, 
comment?  Qui  le  pourra  dire  ?  Nul  homme  vivant  : 
et  je  ne  sais  si  les  anges  mêmes  le  peuvent.  Ce 
que  je  sais,  ce  qui  est  certain  par  l'expression  de 
Jésus-Christ,  c'est  que  s'il  n'est  pas  engendré 
comme  le  Fils ,  il  est ,  par  manière  de  parler,  encore 
moins  créé  comme  nous.  // prendra  du  mien  ^ ,  dit 
le  Fils.  Les  créatures  viennent  de  Dieu,  mais  elles 
ne  prennent  pas  de  Dieu  :  elles  sont  tirées  du 
néant  :  mais  le  Saint-Esprit  prend  de  Dieu  comme  le 
Fils ,  et  il  est  également  tiré  de  sa  substance.  C'est 
pourquoi  on  ne  dit  pas  qu'il  soit  créé  :  à  Dieu  ne 
plaise  :  il  y  a  un  terme  consacré  pour  lui  ;  c'est 
qu'il  procède  du  Père.  Il  est  vrai  que  le  Fils  en  pro- 
cède aussi  :  et  si  sa  procession  a  un  caractère  mar- 
qué, qui  est  c^lui  de  génération;  c'est  assez  pour 
lui  égaler  le  Saint-Esprit,  d'exclure  tout  terme  qui 
marque  création,  et  d'en  chosir  un  pour  lui,  qui 
lui  puisse  être  commun  avec  le  Fils. 

Si  le  Fils  est  engendré,  pourquoi  le  Saint-Esprit 
ne  l'est-il  pas  ?  IS'e  recherchons  point  les  raisons  de 
cette  incompréhensible  différence.  Disons  seule- 
ment :  S'il  y  avait  plusieurs  fils ,  plusieurs  généra- 
tions ,  le  Fils  serait  imparfait ,  la  génération  le  se- 
rait aussi.  Tout  ce  qui  est  infini ,  tout  ce  qui  est 
parfait ,  est  unique  :  et  le  Fils  de  Dieu  est  unique , 
à  cause  aussi  qu'il  est  parfait.  Sa  génération  épuise , 
si  on  peut  ainsi  parler  de  l'infini ,  toute  la  fécondité 
paternelle.  Que  reste-t-il  donc  au  Saint-Esprit  ?quel- 
que  chose  d'aussi  parfait ,  quoique  moins  distinc- 
tement connu.  Il  n'en  est  pas  moins  parfait ,  pour 
être  moins  distinctement  connu  :  puisqu'au  con- 
traire ce  Caractère  ne  sert  qu'a  mettre  sa  proces- 
sion parmi  les  choses  inconnues  de  Dieu,  qui  ne 
sont  pas  les  moins  parfaites.  C'est  assez  de  savoir 
qu'il  est  unique ,  comme  le  fils  est  unique  :  unique 
comme  Saint-Esprit,  de  même  que  le  Fils  est  uni- 
que comme  Fils ,  et  procédant  aussi  noblement ,  et 
aussi  divinement  que  lui  ;  puisqu'il  procède ,  pour 
être  mis  en  égalité  avec  lui-même. 

C'est  pourquoi,  quand  il  paraît,  on  lui  attribue 
un  ouvrage  égal  à  celui  du  Fils.  C'est  ce  qu'on  a 
remarqué  sur  ces  paroles  du  Sauveur  :  Quand  Usera 
tenu,  il  convaincra  le  rnonde  sur  le  péché,  sur  ta 

'  Joan.  XJi,  —  -  Ibtd.  13  —  •  Ibid.  H. 


îl>G 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGlLË. 


jiisfire  et  sur  le  jugement^  :  ce  qui  n'est  rien  d'in- 
féïTEUr  aux  œuvres  du  Fils. 

Si  notre  sommes  soigneux  de  recueillir  toutes  les 
expressions  du  Fils  de  Dieu,  nous  y  trouverons  un 
langrige  qui  emporte  également  entre  ces  divines 
personnes  distinction  et  unité ,  origine  et  indépen- 
dance. Le  Fils  est  au  Père,  le  Père  est  au  Fils; 
chaciin  à  différent  titre ,  mais  à  titre  égal.  Le  Saint- 
Ksprit  est  au  Fils ,  il  est  au  Père  par  un  titre  pareil , 
et  sans  déroger  à  la  perfection.  Le  Père  l'envoie, 
1p  Fils  l'envoie,  il  vient.  C'est  ce  langage  mystique 
de  la  Trinité,  qui  ne  s'entend  pleinement  qu'en  con- 
ciliant l'unité  et  la  distinction  dans  une  perfection 
égale.  C'est  par  là  que  les  expressions  de  Jésus-Christ, 
que  nous  avons  vues,  conviennent  toutes:  et  c'est 
aussi  pour  les  rassembler  qu'il  a  dit  en  abrégé  : 
Baptisez  au  nom  du  Père ,  et  du  Fils ,  et  du  Saint- 
Espi'it  ».  Tout  ce  qu'il  dit  dans  un  long  discours 
se  rapporte  là.  Ce  qu'il  dit  là,  réunit  tout  ce  qu'il 
a  dit  dans  son  long  discours. 

Et  pourquoi  nous  parie-t-il  de  ces  hauts  mystè- 
res, si  ce  n'est  parce  qu'il  veut  un  jour  nous  les  dé- 
couvrir à  nu  ?  Avant  que  d'enseigner  pleinement 
la  vérité,  les  maîtres  commencent  par  dire  eu  gros 
à  leurs  disciples  ce  qu'ils  apprendront  dans  leur 
école.  Jésus-Christ  commence  aussi  par  nous  dire 
confusément  ce  qu'il  nous  montrera  un  jour  très- 
elairement  dans  sa  gloire.  Croyons  donc,  et  nous 
verrons.  Ne  nous  étonnons  pas  des  difficultés,  nous 
sommes  encore  dans  les  préludes  de  notre  science  : 
ne  souhaitons  pas  de  demeurer  dans  ces  premiers 
éléments  :  désirons  de  voir;  et,  en  attendant ,  con- 
tentons-nous de  croire. 

LXXIl*^  JOUR. 

Effet  secret  de  la  prière  de  Notre-Seigneur  :  Jésas-Oirist 
toujours  exaucé  :  Prédestination  des  saints. 

C'est  encore  un  autre  mystère  profond,  que  l'ef- 
fet secret  de  la  prière  de  Notre-Seigneur. 

Voici  un  premier  principe ,  que  Jésus-Clirist  nous 
apprend  en  ressuscitant  Lazare  :  Mo}i  Père,  Je  voiis 
rends  grâces  de  ce  que  tous  m'airez  exaucé.  Je 
suis  pour  moi,  que  vous  m'exaucez  toujours^. 
Quoi  qu'il  puisse  demander  à  Dieu,  fut-ce  la  ré- 
surrection d'un  mort  dequatrejours,  et  déjà  pourri, 
il  est  assuré  de  l'obtenir.  Et  pour  montrer  l'efficace 
de  sa  prière,  il  commence  en  remerciant  d'avoir 
été  écouté. 

Il  est  vrai ,  qœ  dans  le  jardin  des  Oliviers  il  fit 
eette  prière  v  Mon  Père ,  si  vous  le  voidez,,  si  cela 
se  peut,  éloignez  de  moi  ce  calice  :  toutejois  que 
votre  volonté  s'accomplisse,  et  non  la  mienne^. 
Mais  ces  paroles  font  voir  que  sa  demande  n'était 
que  conditionnelle  :  et  pour  montrer  que  s'il  eût 
voulu  la  faire  absolue,  il  eût  été  exaucé,  il  ne  faut 
qu'entendre  ce  qu'il  dit  lui-même  à  saint  Pierre , 
lorsqu'il  entreprit  de  le  défendre  avec  l'épée,  et  qu'il 
frappa  un  de  ceux  qui  le  venaient  prendre  :  Nepuis- 
je  pas ,  dit-il  alors ,  prier  mon  Père  ;  et  il  ni'en- 

«  Joan.  XVI,  8.  —  *  MaUh.  xxvin,  19.  —  '  Joan.  xi,  41, 
43.  — •  Matth.  XXVI,  39.  Luc.  xxii,  42. 


verrait  plus  de  douze  légions  d'anges  •  ?  H  savait 
donc  bien  que  s'il  l'avait  demandé,  il  l'eût  obtenu; 
et  que  son  Père  aurait  fait  ce  qu'il  eût  voulu.  Il  est 
donc  toujours  exaucé,  quoi  qu'il  demande;  fût-ce 
douze  légions  d'anges,  pour  l'arracher  des  mains 
de  ses  ennemis  ;  fût-ce,  comme  on  vient  de  dire, 
la  résurrection  d'un  mort  dont  le  cadavre  commen- 
cerait à  sentir  mauvais. 

Croyons-nous  qu'il  soit  moins  puissant,  et  moins 
écouté,  lorsqu'il  demande  à  son  Père  ce  qui  dépend 
de  notre  libre  arbitre?  Il  ne  le  demanderait  pas, 
s'il  ne  savait  que  cela  même  est  au  pouvoir  de  son 
Père ,  et  qu'il  n'en  sera  non  plus  refusé ,  que  de  tout 
le  reste.  Et  c'est  pourquoi  lorsqu'il  dit  :  Simon , 
Simon,  j'ai  prié  pour  vous,  afin  que  votre  foi  ne 
défaille  pas  »  ;  personne  ne  doute  que  sa  prière  n'ait 
eu  son  effet  en  son  temps.  Qui  doutera  donc  qu'elle 
ne  l'ait  dans  tous  les  autres  apôtres ,  pour  qui  il  a 
dit  :  ye  vous  prie  qu'il  soit  un  en  nous  ^  :  et  encore  : 
Je  ne  vous  prie  pas  de  les  tirer  du  monde,  mais  de 
les  préserver  de  tout  mal  •i  :  et  en  général ,  dans 
tous  ceux  pour  qui  il  a  dit  avec  une  volonté  si  dé- 
terminée :  Mon  Père  ,  je  veux  que  ceux  que  vous 
m'avez  donnés  soient  avec  moi ,  et  qu'ils  voicmt  ma 
gloire  ^  ?  Dira-t-on  qu'aucun  de  ceux  pour  qui  il  a 
fait  cette  prière,  dût  périr,  ou  n'être  pas  avec  lui, 
et  ne  voir  pas  sa  gloire.^  On  pourrait  diredemême, 
que ,  malgré  toute  la  prière  qu'il  avait  faite  pour 
saint  Pierre  ,  on  pouvait  douter  si  sa  foi  ne  défau- 
drait pas.  Mais  à  Dieu  ne  plaise  qu'un  tel  doute  en- 
tre dans  un  cœur  chrétien  !  Tous  ceux  pour  qui  il  a 
demandé  de  certains  effets,  les  auront  :  ils  auront, 
dis-je,  la  foi,  la  persévérance  dans  le  bien,  et  la 
parfaite  délivrance  du  mal ,  si  Jésus-Christ  le  de- 
mande. S'il  avait  prié  d'une  certaine  façon  pour  le 
monde,  pour  lequel  il  dit  qu'il  ne  prie  pas ^-^  le 
monde  ne  serait  plus  monde,  et  il  se  sanctifierait. 
Tous  ceux  donc  pour  qui  il  a  dit  :  Sanclifez-les  en 
vérité' ,  seront  sanctifiés  en  vérité. 

Je  ne  nie  pas  la  bonté  dont  il  est  touché  pour 
tous  les  hommes  ,  ni  les  moyens  qu'il  leur  prépare 
pour  leur  salut  éternel,  dans  sa  providence  générale. 
Car  il  ne  veut  point  que  personne  périsse,  et  il  at- 
tend tous  les  pécheurs  à  repentance  «.  Mais  quel- 
que grandes  que  soient  les  vues  qu'il  a  sur  tout  le 
monde  :  il  y  a  un  certain  regard  particulier  et  de 
préférence  sur  un  nombre  qui  lui  est  connu.  Tous 
ceux  qu'il  regarde  ainsi  pleurent  leurs  péchés,  et 
sont  convertis  dans  leurs  temps.  C'est  pourquoi 
lorsqu'il  eut  jeté  sur  saint  Pierre  ce  favorable  re- 
gard ,  il  fondit  en  larmes  :  et  ce  fut  l'effet  de  la- 
prière  que  .Tésus-Christ  avait  faite  pour  la  stabilité 
de  sa  foi.  Car  il  fallait  premièrement  la  faire  revi- 
vre, et  dans  son  temps  l'affermir  pour  durer  jusqu'à 
la  fin.  Il  en  est  de  même  de  tous  ceux  que  son  Père 
lui  a  donnés  d'une  certaine  façon;  et  c'est  de  ceux- 
là  qu'il  a  dit  :  Tout  ce  que  mon  Père  me  donne, 
vient,  à  moi;  et  je  ne  rejette  pas  celui  qui  y  vient  : 
parce  quejesids  venu  au  monde,  non  pour  fairo 

■  Matth.  XXVI,  33.  —  '  Luc.  XXII,  31,  32.  —  '  Joan.  xvi,, 
II,  2:î.  —  <  Ibid.  15.  —  5  Ibid.  24.  —  «  Ibid.  9  —  '  4  Ibid.  \T. 
—  'II.  /'««.Ul^». 


MÉDITATIONS  SLR  LEVANGILK. 


797 


ma  volonté,  mais pottr  Jnîre  la  volonté  de  mon 
Père  :  et  ta  volonté  de  mon  Fère  est  que  je  ne 
perde  aucun  de  ceux  qu'il  m'a  donnés,  mais  que 
je  les  ressuscite  au  dernier  Jour  '. 

ït  pourquoi  nous  fait-il  entrer  dans  ces  sublimes 
vérités  ?  est-ce  pour  nous  troubler,  pour  nous  alar- 
mer, pour  nous  jeter  dans  le  désespoir,  et  faire  que 
l'on  s'agite  soi-même ,  en  disant  :  Suis-je  des  élus , 
ou  n'eu  suis-je  pas?  Loin  de  nous  une  si  funeste 
pensée ,  qui  nous  ferait  pénétrer  dans  les  secrets 
conseils  de  Dieu,  fouiller,  pour  ainsi  parler,  jusque 
dans  son  sein,  et  sonder  l'abîme  profond  de  ses  dé- 
crets éternels.  Le  dessein  de  notre  Sauveur  est,  que 
contemplant  ce  regard  secret  qu'il  jette  sur  ceux 
qu'il  sait,  et  que  scfn  Père  lui  a  donnés  par  un  cer- 
tî»in  choix,  et  reconnaissant  qu'il  les  sait  conduire 
à  leur  salut  éternel  par  des  moyens  qui  ne  man- 
dent pas,  nous  apprenions,  preraièremenl ,  à  les 
demander,  à  nous  unir  à  sa  prière ,  à  dire  avec  lui  : 
Préservez-nous  de  tout  mal  *  :  ou ,  comme*  parle 
l'Église  :  Ne  permettez  pas  que  nous  soyons  sépa- 
rés de  vous  :  si  notre  volonté  veut  échapper,  ne  le 
permettez  pas  :  tenez-la  sous  votre  main,  chan- 
gez-la, et  la  ramenez  à  vous. 

C'est  donc  la  première  chose  que  Jésus-Christ 
nous  veut  apprendre.  Ce  n'est  point  à  nous  à  nous 
enquérir ,  ou  à  nous  troubler  du  secret  de  la  pré- 
destination ,  mais  à  prier.  Et  afin  de  le  faire  comme 
il  faut,  une  seconde  chose  qu'il  nous  veut  apprea- 
dre ,  c'est  de  nous  abandonner  à  sa  bonté  :  non 
qu'il  ne  faille  agir  et  travailler;  ou  qu'il  soit  permis 
^e  se  livrer ,  contre  les  ordres  de  Dieu ,  à  la  noncha- 
lance ,  ou  à  des  pensées  téméraires  :  mais  c'est 
qu'en  agissant  de  tout  notre  cœur,  il  faut  au  des- 
sus de  tout  nous  abandonner  à  Dieu  seul  pour  le 
temps  et  pour  Téternité. 

Mon  Sauveur!  je  m'y  abandonne  :  je  vous  prie  de 
me  regarder  de  ce  regard  spécial ,  et  que  je  ne  sois 
pas  du  malheureux  nombre  de  ceux  que  vous  haï- 
rez ,  et  qui  vous  haïront.  Cela  est  horrible  à  pronon- 
cer. Mon  Dieu ,  délivrez-moi  d'un  si  grand  mal  : 
je  vous  remets  entre  les  mains  ma  liberté  malade 
et  chancelante,  et  ne  veux  mettre  ma  confiance 
qu'en  vous. 

L'homme  superbe  craint  de  rendre  son  salut  trop 
incertain,  s'il  ne  le  tient  en  sa  main;  mais  il  se 
trompe.  Puis-je  m'assurer  sur  moi-même?  Mon 
Dieu ,  je  sens  que  ma  volonté  m'échappe  à  chaque 
moment  :  et  si  vous  vouliez  me  rendre  le  seul  maî- 
tre de  mon  sort ,  je  refuserais  un  pouvoir  si  dange- 
reux à  ma  faiblesse.  Qu'on  ne  me  dise  donc  pas  , 
que  cette  doctrine  de  grâce  et  de  préférence  met 
les  bonnes  âmes  au  désespoir.  Quoi  !  on  pense  me 
rassurer  davantage ,  en  me  renvoyant  à  moi-même , 
et  en  me  livrant  à  mon  inconstance  ?  Non ,  mon 
Dîeu ,  je  n'y  consens  pas.  Je  ne  puis  trouver  d'as- 
surance qu'en  m'abandonnant  à  vous.  Et  j'y  en 
trouve  d'autant  plus,  que  ceux  à  qui  vous  donnez 
cette  confiance ,  de  s'abandonner  tout  à  fait  à  vous , 
reçoivent  dans  ce  doux  instinct  la  meilleure  marque 
qu'on  puisse  avoir  sur  la  terre  de  votre  bonté.  Aug- 

'  )oan.  n,  37,  38,  39.  —  '  VaUh.  yi,  IX 


mentez  donc  en  mol  ce  désir;  et  faites  entrer,  par 
ce  moyen ,  dans  mon  cœur  cette  bienheureuse  espé- 
rance de  me  trouver  à  la  fin  parmi  ce  nombre  choisi. 
Ce  ne  sont,  dit  David,  dit  Salomon,  ce  ne  sont 
ni  de  bonnes  armes,  ni  un  bon  cheval  :  ce  n'est  ni 
notre  arc,  wi  notre  épée,  ni  notre  cuirasse ,  ni  no- 
tre valeur,  ni  notre  adresse ,  ni  la  force  de  nos 
mains,  qui  nous  sauvent  en  un  Jour  de  bataille; 
7nais  ta  protection  du  Très- Haut'.  Quand  j'aurai 
préparé  mon  cœur,  il  faut  qu'il  dirige  mes  pas  ». 
Je  ne  suis  pas  plus  puissant  que  les  rois,  dont  le 
cœur  est  entre  ses  mains ,  et  il  les  tourne  où  il  veut  *. 
Qu'il  se  rende  le  maître  du  mien!  qu'il  m'aide  de  ce 
secours  qui  me  fait  dire  :  Aidez-moi,  et  Je  serai 
sauvé  4  :  et  encore  :  Guérissez-moi,  et  Je  serai  gué- 
ri 5  :  et  encore  :  Convertissez-moi,  et  Je  serai  con- 
verti! Car  depuis  que  vous  m'avez  converti,  J'ai 
fait  pénitence  ;  et  depuis  que  vous  m'avez  toucfié , 
Je  me  suis  frappé  le  genou  ^,  en  signe  de  componc- 
tion et  de  regret. 

LXXIIP  JOUR. 

S^anir  à  Jésas-Christ. 

A  la  fin  de  ces  réflexions,  je  prie  tous  ceux  que 
j'ai  tâché  d'aider  par  tout  ce  discours ,  de  s'élever 
au-dessus ,  je  ne  dirai  pas  seulement  de  mes  pen- 
sées ,  qui  ne  sont  rien ,  mais  de  tout  ce  qui  leur 
peut  être  présenté  par  le  ministère  de  l'homme  :  et 
en  écoutant  uniquement  ce  que  Dieu  leur  dira  dans 
le  cœur  sur  cette  prière,  de  s'y  unir  avec  foi.  Car 
c'est  là  véritablement  ce  qui  s'appelle  prier  par 
Jésus-Christ  et  en  Jésus-Clwiçt,  que  de  s'unir  en 
esprit  avec  Jésus-Christ  priant,  et  s'unir  autant 
qu'on  peut  à  tout  l'effet  de  cette  prière.  Or,  l'effet 
de  cette  prière, c'est  qu'étant  unis  à  Jésus-Christ 
Dieu  et  homme ,  et  par  lui  à  Dieu  son  Père ,  nous 
nous  unissions  en  eux  avec  tous  les  fidèles ,  et  avec 
tous  les  hommes ,  pour  n'être  plus ,  autant  qu'il  est 
en  nous,  qu'une  même  âme  et  un  même  cœur.  Pour 
accomplir  cet  ouvrage  d'unité,  nous  ne  devons  plus 
nous  regarder  qu'en  Jésus-Christ  :  et  nous  devons 
croire  qu'il  ne  tombe  pas  sur  nous  la  moindre  lu- 
mière de  la  foi ,  la  moindre  étincelle  de  l'amour  de 
Dieu  ,  qu'elle  ne  soit  tirée  de  l'amour  immense  que 
le  Père  éternel  a  pour  son  Fils  ;  à  cause  que  ce  même 
Fils  notre  Sauveur  étant  en  nous ,  l'amour  dont  le 
Père  l'aime  s'étend  aussi  sur  nous  par  une  effusion 
de  sa  bonté  :  car  c'est  à  quoi  aboutit  toute  la  prière 
de  Jésus-Christ. 

C'est  en  cet  esprit  que  nous  pouvons  et  devons 
conclure  toutes  les  nôtres  avec  TÉglise  :  Par  Jé- 
sus-Christ notre  Seigneur  :  Peb  Dominum  nos- 
TBUM  Jeslm  Christum.  Car  n'ayant  à  demander 
à  Dieu  que  les  effets  de  son  amour,  nous  les  de- 
mandons véritablement  par  Jésus-Christ ,  si  nou« 
croyons ,  avec  une  ferme  et  vive  foi ,  que  nous  sona- 
mes  aimés  de  lui  par  une  effusion  de  l'amour  qu'il 
a  pour  son  Fils.  Et  c'est  là  tout  le  fondement  de 

«  fa.  xxxn,  16,  17,  IS,  19.  Ihii.  aavi,  lo,  n.  Prov.  ixi, 
31.  —  î  Prov.  XVI,  9.  —  *  Ibid  xxi,  1.  —  4  Ps.  CWIU,  117.-' 
»  Jerem.  XVII,  H.  —  '  H>id.  XXI,  18,  It- 


MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 


71)8 

•la  piété  et  de  la  confiance  clirétienne.  C'en  est ,  dis- 
je ,  tout  le  fondement ,  de  croire  que  l'amour  im- 
mense que  le  Père  éternel  a  pour  son  Fils  en  tant 
que  Dieu,  lui  fait  aimer  l'unie  sainte  qui  lui  est 
si  étroitement  et  si  substantiellement  unie ,  aussi 
bien  que  le  corps  sacré  et  béni  qu'elle  anime ,  c'est- 
à-dire  ,  son  humanité  tout  entière  :  et  l'amour  qu'il 
a  pour  toute  cette  personne ,  qui  est  Jésus-Christ 
Dieu  et  homme,  fait  qu'il  aime  aussi  tous  les  mem- 
bres qui  vivent  en  lui  et  de  son  Esprit  vivifiant. 

Croyons  donc  que  comme  Jésus-Christ  est  aimé 
par  un  amour  gratuit,  par  un  amour  prévenant, 
l'âme  sainte  qui  est  unie  au  Verbe  de  Dieu ,  n'ayant 
rien  fait  qui  lui  attirât  cette  union  admirable ,  mais 
cette  union  l'ayant  prévenue;  nous  sommes  aimés 
de  même  par  un  amour  prévenant  et  gratuit.  En 
un  mot ,  comme  dit  saint  Augustin  :  La  même  grâce 
qui  a  fait  Jésus-Christ  notre  chef,  a  fait  tous  ses 
membres  ^ . 

Nous  sommes  faits  chrétiens  par  une  suite  de  la 
même  grâce  qui  a  fait  le  Christ.  Toutes  les  fois  donc 
que  nous  disons  :  Per  Domintjm  Nostrum  Jesum 
Chhistum  :  Par  Notre  Seigneur  Jésus-Christ  ;  et 
nous  le  devons  dire ,  toutes  les  fois  que  nous  prions , 
ou  en  effet,  ou  en  intention ,  n'y  ayant  point  d'autre 
nom  par  lequel  nous  devions  être  exaucés  »  :  tou- 
tes les  fois  donc  que  nous  le  disons ,  nous  devons 
croire  et  connaître  que  nous  sommes  sauvés  par 
grâce ,  uniquement  par  Jésus-Christ  et  par  ses  mé- 
rites :  non  que  nous  soyons  sans  mérite ,  mais  à 
cause  que  tous  nos  mérites  sont  ses  dons ,  et  que 
celui  de  Jésus-Christ  en  fait  tout  le  prix ,  parce  que 
c'est  le  mérite  d'un  Dieu ,  et  par  conséquent  infini. 

C'est  ainsi  qu'il  faut  prierjaar  Jésus-Christ  notre 
Seigneur  :  et  l'Église ,  qui  le  fait  toujours ,  s'unit 
par  là  à  tout  l'effet  de  la  divine  prière  que  nous  ve- 
nons d'écouter.  Si  elle  célèbre  la  grâce  et  la  gloire 
des  saints  apôtres ,  qui  sont  les  chefs  du  troupeau , 
elle  reconnaît  l'effet  de  la  prière  que  Jésus-Christ  a 


»  i;<rrw;i«/.5anc/.  a.  31,  lom.  x.col.sio.  — *^c<.iv,  12.         »  Zw.xxn,43;  xxm,  4«. 


faite  distinctement  pour  eux.  ]\Iais  les  saints ,  qtrf 
sont  consommés  dans  la  gloire ,  n'ont  pas  moins 
été  compris  dans  la  vue  et  dans  l'intention  de  Jé- 
sus-Christ, encore  qu'il  ne  les  ait  pas  exprimés. 
Qui  doute  qu'il  ne  vît  tous  ceux  que  son  Père  lui 
avait  donnés  dans  toute  la  suite  des  siècles ,  et  pour 
lesquels  il  s'allait  immoler  avec  un  amour  particu- 
lier? 

Entrons  donc  avec  Jésus-Christ,  et  en  Jésus- 
Christ,  dans  la  construction  de  tout  le  corps  de 
l'Église  ;  et  rendant  grâces  avec  eWe  par  Jésus-Christ 
pour  tous  ceux  qui  sont  consommés ,  demandons 
l'accomplissement  de  tout  le  corps  de  Jésus-Christ , 
de  toute  la  société  des  saints.  Demandons  en  mémo 
temps,  avec  confiance,  que  nous  nous  trouvions 
rangés  dans  ce  nombre  bienheureux  ;  ne  doutant 
point  que  cette  grâce  ne  nous  soit  donnée ,  si  nous 
persévérons  à  la  demander  par  miséricorde  et  par 
grâce ,  c'est-à-dire ,  par  le  mérite  du  sang  qui  a  été 
versé  pour  nous ,  et  dont  nous  avons  le  sacre  gage 
dans  l'eucharistie. 

Après  cette  prière,  allons  avec  Jésus-Christ  au 
sacrifice  :  et  avançons-nous  avec  lui  aux  deux  mon- 
tagnes, à  celle  des  Oliviers ,  et  à  celle  du  Calvaire. 
Allons,  dis-je,  à  ces  deux  montagnes,  et  passons 
de  l'une  à  l'autre  :  de  celle  des  Oliviers ,  qui  est  celle 
de  l'agonie,  à  celle  du  Calvaire ,  qui  est  celle  de  la 
mort  :  de  celle  des  Oliviers ,  qui  est  celle  où  l'on 
combat ,  à  celle  du  Calvaire ,  où  l'on  triomphe  avec 
Jésus-Christ  en  expirant  :  de  celle  des  Oliviers,  qui 
est  Va  montagne  de  la  résignation ,  à  celle  du  Cal- 
vaire ,  qui  est  la  montagne  du  sacrifice  actuel  :  enfin 
de  celle  où  l'on  dit  :  Non  ma  volonté,  mais  la  vô- 
tre; à  celle  où  l'on  dit  :  Jeremets  mon  esprit  entre 
vos  ntaiîis';  et,  pour  tout  dire  en  un  mot,  de 
celle  où  l'on  se  prépare  à  tout,  à  celle  où  l'on 
meurt  à  tout  avec  Jésus-Christ ,  à  qui  soit  rendu 
tout  honneur  et  gloire,  avec  le  Père,  et  le  Saint* 
Esprit,  aux  siècles  des  siècles.  Amen. 


VIN  DU  TOMB  TBOIflitISrS. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CONTEINUES  DANS  CE  VOLUME. 


Pages. 


SUITES  DES  SERMONS. 


*  SERMON  POUR  tK  JOUR  de  la  'peîitecote.  — 
Ctombien,  depuis  le  péché,  nous  somnies  naturelle- 
ment portés  an  mal ,  et  combien  la  vertu  nous  est 
difficile.  Impuissance  de  la  loi  pour  nous  soulager 
Aans  nos  infirmités;  comment  n'est-elle  propre 
qu'à  augmenter  le  crime  et  qu'à  nous  donner  la 
mort.  De  quelle  manière  elle  nous  fait  sentir  notre 
impuissance  et  le  besoin  que  nous  avons  de  la 
^âce.  Chaste  délectation,  esprit  vivifiant,  carac- 
tère distinctif  de  la  nouvelle  alliance.  Pourquoi  la 
crainte  ne  peut-elle  changer  les  cœurs  ?  Amour  que 
nous  devons  à  Dieu;  excès  de  notre  ingratitude. 
Autre  exoroe  et  fragments  du  même  sermon. 

ir   SERMON   POCR   LE  jour    de    la    PFy?ECOTE.    — 

Quel  est  l'esprit  du  dmstianisme  ?  Mépriser  les 
présents  du  monde,  sa  liaine  et  sa  fureur  :  trois 
maximes  de  la  générosité  chrétienne.  Avec  quel 
courage  les  apôtres  et  les  premiers  chrétiens  mépri- 
sent les  présents  du  monde,  attaquent  sa  haine, 
triomphent  de  ses  menaces.  Merveilleuse  union 
que  le  Saint-Esprit  fait  de  leurs  cœnrs.  Pourquoi 
ne  devons-nous  pas -nous  regarder  en  nous-mêmes, 
mais  dans  l'unité  de  tout  le  corps  dont  nous  som- 
mes membres.  L'envie  et  la  dureté  exterminées  par 
la  fraternité  chrétienne. 

m*   SERMON  POUR  LE  JOUR  DE  LA  PESTECOTE ,  prêché 

devant  la  reine.  —  Caractère  des  hommes  spirituels 
que  le  Saint-Esprit  forme  aujourd'hui.  Esprit  de 
fermeté  et  de  vigueur,  nécessaire  pour  se  soutenir 
dans  la  vie  chrétienne.  Combien  notre  extrême  dé- 
licatesse est  opposée  à  la  fermeté  et  au  courage 
des  premiers  chrétiens.  Persécution  du  monde  : 
quelles  sont  ses  maximes  et  les  armes  qu'il  emploie 
pour  abattre  ceux  qui  lui  résistent.  D'où  vient  no- 
tre insensibilité  pour  les  maux  des  autres.  Envie 
et  esprit  d'intérêt,  deux  péchés  principaux  que  le 
Saint-Esprit  reprend  :  leurs  funestes  suites  :  iemè- 
des  à  ces  deux  défauts. 
Abrégé  d'un  sermon  pour  le  même  jour,  prêché 
dans  la  cathédrale  de  Meaux.  —  Profondeur  de  la 
malice  du  cœur  humain  :  combien  nous  avons  be- 
soin que  l'Esprit  saint  crée  en  nous  un  cœur  pur. 

SERMON  SUR  LE  MYSTÈRE  DE  LA  TRÉS-SAtNTE  TRINI- 
TÉ. —  Excellente  image  que  nous  portons  en  nous- 
mêmes  de  ce  mystère  ineffable.  Autre  image  de  ce 
grand  mystère  dans  l'unité  de  l'Église.  Pourquoi 
faut-il  que  le  Père  engendre  en  lui-même  le  Verbe  ; 
celte  génération  du  Verbe ,  représentée  dans  la 
bienheureuse  fécondité  de  l'Église.  Comment  le 
Fils  et  le  Saint-Esprit  reçoivent  du  Père  continuel- 


13 


22 


28 


lement  en  eux-mêmes  la  vie  et  l'intelligence.  Ton» 
les  fidèles  unis  dans  la  vie  de  l'intelligence.  Quel- 
les doivent  être  les  lois  de  leur  charité  mutuelle  : 
combien  ils  y  sont  infidèles. 

SERMON  POUR  LE  TROISIÈME  DIMANCHE  APRÈS  LA  PEK- 

TECOTE.  —  Grandeur  de  la  charité  des  saints  anges 
pour  les  hommes.  Pourquoi  se  réjouissent-ils  si 
fort  dans  la  conversion  des  pécheurs.  Trois  effets 
de  la  miséricorde  divine  à  l'égard  de  l'âme  péche- 
resse. Double  unité  dans  l'Église  :  l'une  extérieure, 
qui  est  liée  par  les  sacrements  ;  l'autre  invisible 
et  spirituelle ,  formée  par  la  charité.  Comment  les 
pécheurs  séparés  de  cette  unité  commencent  leur 
enfer  même  sur  la  terre.  Quels  sont  les  dignes 
fruits  de  pénitence.  De  quelle  manière  le  pécheur, 
sincèrement  touché,  s'accuse,  se  coodanuie  et  se 
punit. 

SERMON  POUR  LE  V«  DIMANCHE  APRÈS  LA  PE.VrEC0TE, 

sur  la  réconciliation.  —  Motifs  pressants  que  Jé- 
sus-Christ emploie  pour  nous  portera  une  affection 
mutuelle.  Le  sacrifice  d'oraison,  incapable  de  plaire 
à  Dieu,  s'il  n'est  offert  par  la  charité  fraternelle. 
Obligation  de  prier  avec  tous  nos  frères  et  pour 
tous  nos  frères  :  pourquoi  ne  pouvons-nous  nous 
en  acquiter  si  nous  les  haïssons.  Combien  aveugles 
et  injustes  les  aversions  que  nous  concevons 
contre  eux.  Condition  que  Dieu  nous  impose  pour 
obtenir  le  pardon  de  nos  fautes. 

SERMON  POUR  LE  IX»  DIMANCHE  APRÈS  LA  PEJnCOOTC. 

^  Doctrine  extravagante  des  nnrcionites  sur  la 
Divinité.  Combien  la  tendre  compassion  du  Sau- 
veur pour  les  hommes  a  été  vive  et  efficace  pendant 
les  jours  de  sa  vie  mortelle ,  et  est  encore  agissante 
dans  la  félicité  de  la  gloire.  Confiance  qu'elle 
doit  nous  inspirer  :  comment  nous  devons  l'imiter. 
Deux  manières  dont  il  peut  régner  sur  les  hommes  ; 
l'une  pleine  de  douceur,  l'autre  toute  de  rigueur. 
Exemple  qu'il  nous  en  donne  dans  sa  conduite  sur 
le  peuple  juif.  Leçon  que  nous  devons  tirer  de  la 
terrible  vengeance  qu'il  exerce  sur  cette  nation 
iufidèle. 
Abrégé  d'un  sermon  pour  le  XX*  dimanche  après 

LA  PENTECOTE. 
I"  SERMON  POUR  LA  FÊTE  DE  L'EXALTATION  DE  LA 

SAINTE  CRorx.  Sur  la  vertu  de  la  Croix  de  J.  C. 
—  Combien  grande  est  l'entreprise  de  rendre  la 
Croix  vénérable.  Puissance  absolue  et  miséricorde 
infinies,  deux  choses  dans  lesquelles  consiste  la 
gloire  de  Dieu  :  comment  éclatent-elles  mieux  dans 
la  Croix  du  Sauveur.  Changements  admirables 
qu'elle  a  produits  dans  le  monde  :  raisons  que  noua 
avons  de  mettre  en  elle  toute  notre  gloire.  Senti- 


30 


36 


4S 


50 


Cl 


mo 


TABLE  DES  MATIERES. 


Pages. 
menls  et  actions  qui  prouvent  que  la  Croix  est  pour 
nous  un  sujet  de  scandale.  62 

%il*  SERMON  POUR  l'exaltation  de  la  sauste 
Croix,  prôcliéaux  nouveaux  catholiques,  sur  les 
souffrances.  —  La  miséricorde  et  la  justice  conci- 
liées  en  la  personne  de  Jésus-Christ,  fondement 
de  son  exaltation  à  la  Croix.  Deux  manières  diffé- 
rentes dont  nous  pouvons  participer  à  la  Croix.  Le 
trouble  qu'on  nous  apporte  dans  les  choses  que 
nous  aimons ,  cause  générale  de  toutes  nos  peines. 
Trois  différentes  façons  dont  notre  âme  peut  y  être 
troublée.  Trois  sources  de  grâces  que  nous  trou- 
vons dans  ces  trois  sources  d'afflictions.  La  Croix, 
•un  instrument  de  vengeance  à  l'égard  des  impé- 
nitents. Terrible  état  d'une  âme  qui  so^lTre  sans 
se  convertir.  Éloge  de  la  foi  des  nouveaux  catholi- 
ques :  motifs  pressants  pour  les  fidèles  de  les 
soulager  dans  leurs  besoins.  72 

Précis  d'un  sermon  sur  le  même  sujet.  —  Tous  les 
mystères  et  tous  les  attraits  de  la  grâce  renfermés 
dans  la  Croix.  78 

Exhortation  faite  aux  nouvelles  cataouques  , 
pour  exciter  la  charité  des  fidèles  en  leur  faveur. 
—  Pauvreté  et  abondance ,  deux  genres  d'épreuve. 
Patience  et  charité ,  deux  voies  uniques  pour  arri- 
ver au  royaume  céleste.  Qu'est-ce  que  la  foi  :  mi- 
Tacîos  et  martyres ,  deux  moyens  par  lesquels  elle 
a  été  établie  etsoutentie.  Combien  Vhommagr  que 
nous  devons  à  la  vérité  exige  que  nous  soyons 
résolus  à  souffrir  pour  elle  :  grande  utilité  que 
nous  retirons  de  ces  souffrances.  Quelle  est  l'é- 
preuve des  riches  :  que  doivent-ils  faire  pour  y  être 
fidèles.  Obligation  qu'ils  ont  d'imiler,  à  l'égard 
des  pauvres,  la  libéralité  d»  Sauveur  envers 
nous.  79 

Fragment  dVn  discours  sur  la  vie  chrétienne.  — 
Dieu ,  la  vie  de  nos  âmes  par  l'union  qu'il  a  avec 
«lies.  Obligation  du  chrétien  de  mourir  au  péché, 
pour  recevoir  et  conserver  cette  vie  divine.  D'où 
vient  que  Dieu  laisse  Ici-bas  dans  les  saints  l'attrait 
au  mal.  Comment  déUuit-il  en  eux  le  péché, 
ménïe  dès  cette  vie.  85 

SFRMON  SUR  LES  OBLIGATIONS  DE  l*ÉTAT  REU6IEUX  , 

prêclié  devant  les  religieuses  de  Saint-Cyr.  — 
Fragilité  et  giande  misère  du  monde;  puissance 
et  funestes  effets  de  sa  séduction.  Motifs  pressants 
pour  porter  les  chrétiens  à  s'en  séparer  entière- 
ment. Origine  des  communautés  religieuses.  En 
quoi  consiste  la  pauvreté  dont  on  y  fait  j)rore.ssinn. 
Infidélités  sans  nombre  qu'on  commet  journelle- 
ment dans  les  monastères  contre  celte  vertu. 
Avantages  de  la  virginité  :  jusqu'bù  elle  doit  sé- 
tendre.  A  qui  se  rapporte  l'obéissance  que  l'on 
rend  aux  supérieurs.  Dans  quel  esprit  il  faut  se 
soumettre  à  ceux  qui  abusent  de  leur  autorité. 
Avec  quel  soin  les  religieuses  doivent  éviter  le 
fommerce  du  monde,  les  sentiments  de  la  vanité 
et  les  amusements  de  l'esprit.  89 

I'»  EXHORTATION  A  l'ouverture  d'une  visite 
faite  en  la  communauté  de  Sainte -Ursule  de 
Meaux,  le  9  avril  1685.  —  Quelle  est  la  fin  et 
quels  doivent  être  les  fruits  de  la  visite  du  prélat. 


Pajft's 
Dispositions  nécessaires  aux  Teligieuses  pour  en 
profiter.  Effets  admirables  que  produit  la  grâce 
dans  une  âme  qui  en  est  remplie.  Crucifiement  qui 
constitue  toute  la  perfection  religieuse.  Les  restes 
de  l'amour  du  monde,  combien  pernicieux.  Obli- 
gation imposée  aux  personnes  religieuses  de  priei 
pour  les  besoins  de  l'Église  et  de  gémir  sur  le 
tiiste  état  des  pécheurs.  Tendres  invitations  du 
prélat  pour  porter  toutes  les  sœurs  à  lui  ouvrir  leur 
cœur  sans  déguisement.  loi 

IP  EXHORTATION  faite  dans  le  chœur  ,  a  La 
conclusion  de  la  visite.  —  Silence  et  recueillemenl 
nécessaires  pour  écouter  l'Esprit  de  Jésus-Christ 
au  dedans  de  soi-même.  Funestes  suites  de  la  dis» 
sipation,  et  de  l'attache  aux  choses  sensibles. 
Obligation  d'écouter  Dieu  dans  ses  supérieurs. 
Soumission  et  respect  qui  leur  sont  dus,  ainsi 
qu'aux  confesseurs  et  directeurs.  Maux  que  cause 
dans  les  communautés  le  peu  de  respect  pour  le 
silence.  De  quelle  manière  on  doit  y  parler  de  ses 
mécontentements.  Partialités  qu'il  (aiit  en  bannir.     105 

Ordonnances  pour  les  religieuses  de  Sainte-Ur- 
sule DE  Meaux.  1 09 

Iir  EXHORTATION  sur  la  retraite  faite  chez  les 

RELIGIEUSES  URSULINES  DE  MEAUX  ,  à  tOUteS  ICS  pro- 

fesses  du  noviciat,  le  mercredi  saint  18  avril  1685. 
—  Avantages  de  la  retraite.  Maux  que  cause  la  dis- 
sipation. Comment  les  religieuses  doivent  l'éviter, 
et  travailler  à  se  séparer  des  créatures  pour  se  re- 
cueillir en  Dieu.  ji  { | 

IV'  EXHORTATION  faut;  aux  religieuses crsdlinÈs 
DE  Meaux,  le  4  mai  1685.  —  Avec  quelle  vigilance, 
quelle  religion  il  faut  qu'elles  travaillent  à  l'éduca- 
tion des  enfants  qui  leur  sont  confiés.  Soin  qu'elles 
doivent  avoir  de  se  renouveler  dans  l'esprit  de 
leur  profession.  Combien  il  est  nécessaire  qu'elles 
soient  en  garde  contre  l'ennemi  de  leur  salut.  Obli- 
gations renfermées  dans  le  vœu  de  pauvreté.  Im» 
portance  et  utilité  de  l'obéissance.  Devoir  des  re- 
ligieuses de  tendre  sans  cesse  à  la  perfection. 
Charité ,  zèle  et  tendresse  du  prélat  pour  elles.         !  16 

CONFÉRENCE  faite  devant  les  religieuses  ursc- 
LINB6  DE  Meaux.  —  Terrible  compte  qu'elles  auront 
à  rendre  des  grâces  qu'elles  ont  reçues.  Perfection 
qu'exigent  d'elles  les  vœux  qu'elles  ont  feits  dans 
leur  piolession.  Tendresse  et  sollicitude  pastorale 
du  prélat  i>our  ses  filles.  Motifs  qui  l'obligent  d'exi- 
ger d'elles  une  obéissance  entière.  Étroite  union 
qu'il  désire  voir  régner  entre  elles.  1  jo 

INSTRUCTION  faite  aux  religietoes  ursulines  de 

Meaux.  Sur  le  silence Trois  sortes  de  silence. 

Avec  quelle  exactitude  Jésus-Christ  les  a  gardés. 
Motifs  qui  ont  porté  les  instituteurs  d'ordre  à  le 
prescrire  dans  leurs  règles.  En  quoi  consiste  le  si- 
lence de  prudence,  et  comment  il  faut  le  pratiquer, 
à  l'exemple  de  Jésus-Christ.  Qualités  que  doit 
avoir  le  silence  de  patience  dans  les  souffrances  et 
les  contradictions  :  combien  il  est  salutaire  et  con- 
tribue à  la  perfection  des  âmes.  tH 

PRÉCIS  d'un  discours  fait  aux  religieuse»  de  la 
VISITATION  de  Mealtc,  daus  une  visite.  132 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Pag«» 
DISCOURS  son  t'imiOM  de  Jéscs-CaRiST  avec  son 
ÉPOC8E.  —  Conunait  Jésus-Christ  est-il  l'époux  des 
Âmes  dans  l'oraison  ?  1 33 

ï»»  SERMON  pom  la  rtrz  de  la  coyctmoy  de  la 
SAINTE  Vierge,  précl>é  la  veille  de  celte  fôte.  — 
Privilèges  de  Marie,  ses  prérogatives;  l'amour 
étemel  de  son  fils  pour  elle,  sa  victoire  sur  le  pé- 
ché en  la  personne  de  sa  mère.  Question  de  l'im- 
maculée conception ,  non  décidée.  Extrémité  de  la 
^blesse  de  l'homme;  son  impuissance  sans  la 
grâce  de  Jésus  Christ,  seul  vrai  médecin.  138 

n*  SERMON  POUR  LA  FÊTE  DE  LA   CONCEPTION  DE  LA 

SAiTFE  Vierge.  —  Marie  prévenue ,  séparée  par 
amour,  par  grâce  et  miséricorde.  Ce  qui  la  distin- 
gue du  reste  des  hommes  :  son  alliance  particu- 
lière avec  Jésus<:hrist  :  droits  qu'elle  lui  donne 
sur  ses  bienfaits.  Excès  de  l'amour  qui  nous  a 
prévenus  et  qui  nous  prévient  sans  cesse  :  com- 
ment nous  devons  y  répondre.  146 

nr  SERMON  POIR  LA  FÊTE  DE  LA  CONCEPTION  DE  LA 

SAINTE  Vierge,  prêché  à  la  cour.  —  Fondements  de 
la  dévotion  à  la  Vierge ,  sa  coopération  à  la  sanc- 
tification des  âmes.  Règles  qui  doivent  diriger 
l'esercice  de  cette  dévotion.  Dieu ,  principe  et  fin 
du  culte  que  nous  rendons  à  la  Vierge  et  aux 
saints  :  les  imiter  pour  leur  plaire  et  se  les  rendre 
propices.  Fausses  dévotions  qui  déshonorent  le 
christianisme;  illusions  de  la  plupart  des  chré- 
tiens. 154 
I**  SERMON  POCR  LE  jotnt  de  la  VAirmé  de  la  ikHh 
TE  Vierge.  —  Sur  les  grandeurs  de  Marie.  Marie, 
an  Jésus-Christ  commencé,  par  une  expression 
vive  et  naturelle  de  ses  perfections  infinies.  Raisons 
qui  doivent  nous  convaincre  que  Jésus-Christ  a 
fait  Marie  uinocente  dès  le  premier  jour  de  sa  vie  : 
qu'est-ce  qui  la  distingue  de  Jésus.  L'union  très- 
étroite  de  Marie  avec  Jésus ,  principe  des  grâces 
dont  elle  est  remplie.  Cette  union  commence  en 
elle  par  l'esprit  et  dans  le  c«ur.  La  charité  de  Ma- 
rie, un  instrument  général  des  opérations  de  la 
grâce.  Avec  quelle  efficace  elle  parle  pour  nous  au 
cœur  de  Jésus.  Charité  dont  nous  devons  être  ani- 
més ,  pour  réclamer  son  intercession.                     1 64 

II*  SERMON    POUR   LA   FÊTE  DE  LA   NATIVITÉ  DE   LA 

8AIRTB  Vierge.  —  En  quoi  consiste  la  grandeur  de 
Marie  :  combien  Jésus  a  le  cœur  pénétré  d'amour 
pour  elle.  L'alliance  de  ce  divin  fils  avec  Marie , 
comnaencée  dès  la  naissance  de  cette  >ierge  mère. 
De  quelle  manière  nous  pouvons  participer  à  la 
dignité  de  mère  de  Dieu.  En  Marie  une  double  fé- 
condité. Tous  les  fidèles  donnés  à  Marie  pour  en- 
fants :  extrême  affection  qu'elle  leur  porte  :  quels 
sont  ses  véritables  enfants.  Dans  quelles  disposi- 
tions il  faut  implorer  son  secours.  172 
III*  SERMON  POUR  LA  Ftrre  de  la  nativité  de  la 

SAiKTE  Vierge Marie ,  combien  heureuse  d'être 

mère  de  son  sauveur.  Amour  dont  elle  a  été  trans- 
portée pour  lui.  A  quel  degré  de  gloire  elle  doit 
être  élevée  dans  le  ciel.  Quels  étaient  les  senti- 
ments d'aflection  de  Jésus  pour  elle.  Liaison  étroite 
quelle  a  avec  nous  par  sa  qualité  de  Mère  des  fidè- 
les. Erreur  de  la  plupart  de  ceox  qui  se  c?3ient 
Bossnr.  —  TOVE  ui. 


•01 

PAge«. 
ses  dévots.  Qui  sont  ceux  qu'elle  admet  au  nombre 
de  ses  enfants.  |.j 

PRÉCIS  d'un  sermon  pour  le  ntême  jour Avantages 

qui  discernent  U  naissance  de  Marie  :  biens  qu'elle 
nous  apporte.  ^g^ 

PRÉCIS  d'un  serhon  pour  le  jour  de  la  Présenta- 
tion de  la  sainte  Vierge.  |gg 

K  SERMON  POUR   la   fête  de    L'ANNONCIAnO».    — 

Grandeur  du  mystère  de  l'incarnation.  Ordre  me^ 
▼eilleux  qui  y  est  gardé.  Méthode  dont  Dieu  sa 
sert  pour  guérir  notre  on^ueil.  Sentiments  dans 
lequels  nous  devons  entrer  à  la  vue  des  abaisse- 
ments du  Verbe  incamé.  Combien  son  appauvris- 
sem^t  est  étonnant  :  de  quelle  manière  il  relève 
la  bassesse  de  notre  nature.  ig^ 

II*  SERMON  POUR  LA  fête  de  l'annonciation  ,  prê- 
ché à  la  cour.  —  Combien  il  est  digne  d'un  Diea 
de  se  faire  aimer  de  sa  créature ,  de  n'exiger  d'elle 
que  l'amour  et  de  le  prévenir.  Effets  sensibles  da 
son  amour  pour  elle ,  dans  les  abaissements  d« 
son  incarnation  :  son  dessein  de  conquérir  les 
coMirs,  Modèle  qu'il  nous  fournit  de  l'amour  qu« 
nous  devons  avoir  pour  Dieu.  Quel  besoin  l'homme  * 
avait  d'un  médiateur,  pour  rendre  à  son  Dieu  un 
culte  digne  de  sa  majesté.  Toutes  les  qualités  né- 
cessaires à  ce  médiateur  rassemblées  en  Jésus- 
Christ.  Pressant  motif  de  nous  unir  à  lui  pour 
aimer  en  lui ,  par  lui  et  comme  lui.  193 

ni*  SERMON  POUR  LA  fête  de  l'annonoation.  — 
Combien  admirables  et  extraordinaires  les  abais- 
sements du  Dieu- Homme.  Pourquoi  les  moyens 
les  plus  efficaces  que  Dieu  a  d'établir  sa  gloire, 
se  trouvent  nécessairement  joints  avec  la  bassesse. 
Amour  que  Dieu  a  pour  Ihumilité;  quelle  part 
elle  a  dans  le  mystère  de  notre  réparation.  Anti- 
quité de  la  promesse  de  notre  salut.  Rapports  admi- 
rables de  Marie  avec  Ère.  204 

rV»  SERMON  POUR  LA  fête  de  l'annonciatkw.  — 
La  promesse  de  notre  salut  presque  aussi  ancienne 
que  la  sentence  de  notre  mort.  La  réparation  du 
genre  humain  figurée  même  dans  les  auteurs  de  sa 
raine.  Miséricordieuse  émulation  du  Rédempteur 
de  notre  nature.  De  quelle  manière  Dieu  fait  ser- 
vir à  notre  salut  ce  que  le  démon  avait  employé 
à  notre  ruine.  Rapports  admirables  entre  Eve  et 
Marie  :  par  quelle  fécondité  celle-ci  est  rendue 
mère  de  tous  les  fidèles.  200 

Autre  exorde  pour  le  même  jour. 

I*'  SERMON  POUR  LA  fête  de  la  tisitatios  de  la 
sainte  Vierge.  —  Pourquoi  Jésus  tient-il  sa  vertu 
cachée  dans  ce  mystère.  La  sainte  société  que  le 
Fils  de  Dieu  contracte  avec  nous,  on  des  pins 
grands  mystères  du  christianisme.  Trois  mocve- 
ments  qu'il  imprime  dans  le  cœur  de  ceux  qu'il 
visite.  L'abaissement  d'une  âme  qui  se  juge  Indigne 
des  faveurs  de  son  Dieu ,  représenté  dans  ÉKsa- 
beth  :  le  transport  de  ceDe  qui  le  cherche,  figiiré 
en  saint  Jean ,  et  la  p&ix  de  celle  qui  le  possède , 
marqué  dans  les  dispositions  de  Marie.  214 

Troisièjie  point  du  hêhe  sewion,  prêché  devant 
la  reine  d'Angleterre.  —  Caractère  d'une  véritable 
paix  :  quel  en  est  le  principe.  Maniàre  b\ea  difRh 


802 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Pages. 
rente  dont  les  enfants  du  monde  et  les  enfants  de 
Dieu  la  considèrent.  Discours  à  la  reine  d'Angleterre.    223 

II»  SERMON  POUR  LA  FÊTE   DE  L\  VISITATION*  DE  LA 

SAINTE  ViEUOE,  prêclié  devant  une  congrégation 
de  prêtres.  —  Union  de  l'Évangile  avec  la  loi.  La 
Synagogue  figurée  dans  Elisabeth,  et  l'Église 
en  Marie.  Caractère  de  l'une  et  de  l'autre.  Esprit 
de  ferveur,  dont  les  prêtres  doivent  être  animés  : 
pureté  qui  leur  est  nécessaire.  Sainteté  inviolable 
desnavstères  qu'ils  traitent.  Condescendance  qu'ils 
doivent  avoir  pour  les  faibles.  Quel  est  le  vrai  sa- 
crifice de  la  nouvelle  loi.  227 

DISCOURS  Acx  R0-IGIEUSES  DE  Sainte-Marie  le 
jodr  de  la  fête  de  la  visitation  de  la  sainte 
Vierge.  232 

\*'  SERMON  POUR  le  jolr  de  la  purification  de  la 
SAINTE  Vierge  ,  prêché  devant  le  Roi.  —  Esprit  de 
sacrifice  et  d'immolation  avec  lequel  Jésus-Christ 
s'offre  à  son  Père  :  obligation  de  nous  immoler 
avec  lui  :  trois  genres  de  sacrifices  que  nous  im* 
posent  son  exemple  et  celui  des  personnes  qui  con- 
courent au  mystère  de  ce  jour.  236 

11*  SERMON  POUR  LE  JOCR  DE  LA  PURIFICATION  DE  LA 

SAINTE  Vierge,  prêché  à  la  cour.  —  Nécessité  des 
lois  :  soumission  qui  leur  est  due.  Dépendance 
dans  laquelle  nous  devons  vivre  à  l'égard  de  Dieu 
et  des  ordres  de  sa  providence.  2'i3 

Autre  conclusion  du  même  sermon.  252 

ïll*  SERMON  POUR  LE  JOUR  de  la  purification  de  la 
SAINTE  Vierge.  —  Explication  des  trois  cérémonies 
de  la  purification.  Modestie  incomparable  de  Ma- 
rie. Sentiments  de  Jésus  dans  son  obiation.  Dis- 
positions pour  une  sainte  communion ,  ses  fruits  et 
ses  effets  désirables.  253 

1"    SERMON  POUR  LA  FÊTE  DE  L'ASSOMPTION   DE   LA 

SAINTE  Vierge.  —  Les  vertus  de  Marie ,  le  plus  bel 
ornement  de  son  triomphe.  L'amoui  divin ,  prin- 
cipe de  sa  mort.  Nature  et  transport  de  son  amour  : 
de  quelle  sorte  cet  amour  lui  a  donné  le  coup  de 
la  mort.  Désirs  que  nous  devons  avoir  de  nous 
réunir  à  Jésus-Christ.  Merveilles  que  la  sainte  vir- 
ginité opère  en  Marie  :  effets  de  cette  vertu  dans 
les  vierges  chrétiennes.  Comment  l'humilit^  cliré- 
tienne  semble-t-elle  avoir  dépouillé  Marie  de  tous 
ses  avantages,  et  les  lui  rend-elle  tous  éminem- 
ment. Prière  à  Marie  pour  nous  obtenir  celte  vertu 
,     essentielle.  259 

II*  SERMON  POUR  LA  fête  de  l' Assomption  de  la 
SAINTE  Vierge,  prêché  devant  la  reine.  —  Effets 
de  l'amour  divin  en  Marie.  Pourquoi  l'amour  n'est- 
il  dû  qu'à  Dieu  seul.  D'où  est  né  l'amour  de  la 
sainte  Vierge ,  cet  amour  capable  de  lui  donner  la 
mort.à  chaque  instant.  Quel  soutien  cherchait  son 
ainour  languissant.  Marie  laissée  au  monde  pour 
consoler  l'Église.  Point  d'autre  cause  de  la  mort 
de. Marie  que  son  aincur.  Quel  est  le  principe  de 
sop  triomphe,  et  quels  en  sont  les  caractères.  2G7 

/^BR^cÉ  d'un  sermon  PRÊCHÉ  LE  MÊME  joi'R.  —  Avan- 
tage,  que  nous  relirons  de  l'exaltation  de  Marie.  Le 
culte  que  nous  lui  rendons,  nécessairement  rap- 
porté à  Dieu.  Moyens  que  nous  devons  prendre 
pour  nous  unir  à  lui ,  en  honorant  Marie.  273 


Page». 

SERiMON  POUR  LA  FÊTE  DU  ROSAIRE  établie  en  l'hon- 
neur de  la  sainte  Vierge. —Marie associée  à  la  dou- 
ble fécondité  du  Père,  pour  devenir  mère  de  Jé- 
sus-Christ et  de  tous  ses  membres.  Les  pécheurs 
enfantés  par  celle  mère  charitable,  au  milieu  des 
tourments  et  des  cris  :  pourquoi.  Circonstances 
remarquables  dans  lesquelles  Jésus-Christ  lui  com- 
munique sa  fécondité  bienheureuse.  Souvenir  que 
nous  devons  avoir  desgémissementsde notre  mère. 
Les  fidèles  consacrés  à  la  pénitence ,  par  la  manière 
dont  Jésus  et  Marie  les  engendrent.  274 

^ERMON  SUR  l'unité  de  l'Église.  —  Quam  pulchra 
tabemacula  tua ,  Jacob ,  et  lentoria  tua ,  Israël  ! 

Que  vos  tentes  sont  belles ,  ô  enfants  de  Jacob! 
que  vos  pavillons,  6  Israélites,  sont  merveil- 
leux! C'est  ce  que  dit  Balaam,  inspiré  de  Dieu, 
à  la  vue  du  camp  d'Israël  dans  le  désert.  Au  livre 
des  Nombres ,  xxiv  ,1,2,3,5.  28 1 

SERMONS  POUR  les  vêtures  et  professions  reli- 
gieuses. 301 

SERMON  prêché  aux  carmélites,  le  8  septembre 

1660,  A  la  VÊTUREDE  MADEMOISELLE  DE  BoUILLON  , 

DE  Chateau-Thierrt —  Trois  vices  de  notre  nais- 
sance :  leurs  funestes  effets.  Servitudedanslaquelle 
tombent  les  pécheurs ,  en  contentant  leurs  pas- 
sions criminelles.  Dans  quel  péril  se  jettent  cenx 
qui  s'abandonnent  sans  réserve  à  toutes  les  choses 
qui  leur  sont  permises.  Lois  et  contraintes  auxquel- 
les se  soumet  la  vie  religieuse,  pour  réprimer  la 
liberté  de  péclier  :  sagesse  des  précautions  qu'elle 
prend.  Combien  la  chasteté  est  délicate ,  et  l'hu- 
milité, timide.  Amour  que  les  vierges  chrétiennes 
doivent  avoir  pour  la  retraite,  le  silence  et  la  vie 
cachée.  Mépris  qu'elles  sont  obligées  de  faire  de  la 
gloire.  ib. 

SERMON  POUR  UNE  véture,  prêché  aux  nouvelles 
catholiques — De  quelle  manière  l'homme  peut  se 
revêtir  de  Jésus-Christ.  Combien  étonnant  l'anéan- 
tissement du  Verbe  :  précieux  avantages  que  nous 
en  recueillons.  D'où  vient  que  les  hommes  ont  tant 
de  peine  à  modérer  leurs  désirs.  Résistance  qu'ils 
opposent  aux  leçons  que  Jésus-Christ  leur  a  don- 
nées ,  pour  les  réformer  :  son  exemple  infiniment 
propre  à  confondre  leur  liberté  licencieuse.  Ca- 
ractères de  la  vraie  liberté.  Comment  la  voie  étroite 
est-elle  une  voie  large.  Utilité  des  contraintes  de  la 
vie  religieuse.  Épreuve  nécessaire  pour  ne  pas  s'y 
engager  témérairement.  Ver  tus  dont  doit  être  ornée 
une  véritable  religieuse.  308 

SERxMON  POUR  LA  véture  d'une  postulante  ber- 
nardine. —  Trois  espèces  de  captivités  qui  existent 
dans  le  monde  :  l'une  par  le  péché ,  la  seconde  par 
les  passions ,  la  troisième  par  l'empressement  des 
affaires.  Moyens  efficaces  que  la  vie  religieuse  four- 
nit dans  sa  discipline ,  ses  austérités  ;  son  éloigne- 
ment  du  monde,  pour  délivrer  les  âmes  de  cette 
triple  servitude.  314 

SERMON  PRÊCHÉ  A  LA  véture  d'une  postulante  ber- 
nardine  Comment  l'homme,  par  son  péché,  est-il 

devenu  l'esclave  de  toutes  les  créatures.  Trois  lois 
qui  captivent  dans  le  monde  ses  amateurs.  Avec 
quelle  justice  l'homme  est  abandonné  à  l'iUusioD 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


ftS 


Pages. 
<!os  biens  apparents.  Combien  fausse  et  chimé» 
riqne  la  liberté  dont  se  vantent  les  pécheurs.  En  quoi 
consiste  la  liberté  véritable.  Toute  la  conduite  et 
tous  les  exercices  de  la  vie  religieuse,  destinés  à 
la  procurer  ou  à  la  maintenir.  323 

SER.MON  POIR  UNK  VÊTIRE,  PRÊCHÉ  LE  JOVR    DE  LA 

NATiTiTÉ  DE  L\  SAINTE  ViERCE.  —  Combien  les 
inclinations  des  hommes  sont  diverses  et  les 
noceurs  dissemblables.  Superfluitc  de  tant  de  soins 
et  vanité  de  la  multitude  de  nos  desseins.  L'empres- 
sement et  le  trouble ,  principes  de  nos  maladies. 
D'où  vient  en  nous  l'amour  de  la  dissipation.  Pour- 
quoi ne  pouvons  nous  trouver  la  santé  de  nos  Âmes 
et  le  repos  en  nous  répandant  dans  la  multitude 
des  objets  sensibles  :  l'un  et  l'autre  attachés  à  la 
▼le  intérieure  et  recueillie ,  et  à  la  recherche  de 
l'unique  nécessaire.  328 

SERMON  PRÊCHÉ  A  LA  VÊTCRB  D'ONE  NOCTELLE  CA- 
THOLIQUE, le  jour  de  la  Purification. — Grandeur  de 
la  miséricorde  que  Dieu  avait  fait  éclater  sur  elle. 
La  multitude  des  Églises ,  cette  Église  unique  et 
première  que  les  apôtres  avaient  fondée.  Combien 
il  est  nécessaire  de  demeurer  dans  son  unité  :  son 
éternelle  durée ,  justifiée  contre  les  sentiments  des 
protestants.  Erreurs  monstrueuses  et  absmdités 
qui  résultent  du  système  de  cette  Église  cachée 
qu'ils  ont  voulu  supposer.  La  perfection  de  l'Église 
dans  l'unité.  334 

SERMON  POCR  LA  PROFESSION  D'CSK  DEMOISELLE  QUE 
LA  REINE  MÈRE  AVAIT  TE>DREME-Vr  AIMÉE.  —  OppO- 

sition  de  la  gloire  du  monde  à  Jésus-Christ  et  à  son 
Évangile.  Pourquoi  ne  peut-il  être  goûté  des  su- 
perbes. Toutes  les  vertus  corrompues  par  la  gloire. 
Comment  les  vertus  du  monde  ne  sont-elles  que 
des  vices  colorés.  Dispositions  dans  lesquelles  doit 
être  un  chrétien  à  l'égard  de  la  gloire.  Grand  sujet 
de  craindre  de  se  plaire  en  soi-même ,  après  s'être 
élevé  au-dessus  de  l'estime  des  hommes  :  d'où 
\ient  celte  gloire  cachée  et  intérieure  ;  .est-elle  la 
plus  dangereuse.  Quelle  est  la  science  la  plus  né- 
cessaire à  la  vie  humaine.  Discours  à  la  reine 
d'Angleterre,  et  sur  la  reine  mère  défunte.  340 

SERMON  POCR  OE  PROFESSIO.N ,  PRÊCHÉ  LE  JOUR  DE 

l'épiphame.  —  Noces  spirituelles  qu'une  religieuse 
célèbre  avec  Jésus-Christ,  au  jour  de  sa  profession. 
Qualités  de  ce  divin  Époux.  D'où  vient  qu'il  est 
obligé  de  se  faire  pauvre,  pour  acquérir  ce  titre  de 
Roi.  La  pauvreté,  l'unique  dot  qu'il  exige  de  son 
épouse  :  pourquoi.  Combien  grand  l'amour  qu'il  a 
eu  pour  elle.  Moyens  qu'elle  doit  prendre  pour  con- 
server une  affection  si  inconcevable.  Précieux  ef- 
fets de  la  virginité  :  transports  que  le  Sauveur  a 
toujours  pour  elle.  Jalousie  miséricordieuse  qu'il  a 
témoignée  à  son  Épouse  :  avec  quelle  vigilance  il 
observe  toutes  ses  démarches.  Soin  qu'elle  doit 
avoir  de  se  garantir  des  effets  d'une  jalousie  si  dé- 
licate. -  347 
SERMON  pona  twe  profession  ,  prêché  le  ;ocr  de 
l'exaltation  DE  LA  SAi>-TE  Croix.  —  Combien  il 
en  a  coûté  à  Jésus-Clurist  pour  le  contrat  de  son 
mariage  avec  l'Église.  Trois  qualités  de  cet  Époux 
ies  Yiei^es  chrétiennes.  Dans  quel  dessein  a-t-il 


acquis  les  hommes.  Pourquoi  ne  devons-nous  re- 
chercher dans  ce  nouveau  Roi  aucune  marque  ex- 
térieure de  grandeur  royale.  Conditions  qu'il  exigr 
de  celles  qui  prend  pour  ses  épouses.  Prérogative 
des  vierges  chrétiennes  :  pur»>té  q.ii  leur  est  néces- 
saire. Extrême  jalousie  de  leur  É^joux  :  ccNnment 
elles  doivent  se  conduire,  pour  ne  {>as  offenser  ses 
regards.  3 ,7 

SERMON  pocB  csE  profession.  Sur  l*  vircimtk. 
—  Sainte  séparation  et  chaste  union ,  deux  choses 
dans  lesquelles  consiste  la  sainte  virginité  ;  combien 
elle  est  mâle  et  généreuse.  De  quelle  manière,  en 
établissant  son  siège  dans  l'âme,  rejaillit-elle  sur 
le  corps.  Avec  quel  soin  les  vierçes  doivent  garder 
tous  leurs  sens.  D'où  vient  que  la  sainte  virginité 
a  tant  d'attraits  pour  le  Sauveur.  Saint  ravisse- 
ment des  vierges  et  leurs  privilèges.  Précaution» 
qui  leur  sont  nécessaires,  pour  être  saintement 
unies  à  leur  Époux.  Son  amour  et  sa  jalousie . 
ses  doux  regards  sur  elles.  Qu'est-ce  qui  cause  sa 
retraite.  Funestes  effets  de  l'orgueil:  avantages  de 
l'humilité.  304 

SERMON  PotR  iNE  PROFESSION.  —  Quel  est  le  monde 
auquel  il  nous  faut  renoncer.  Combien  ce  renonce- 
ment doit  être  étendu  dans  une  religieuse.  Avec 
quel  soin  elle  doit  persévérer  dans  la  guerre  qu'elle 
déclare  au  monde,  et  éviter  les  moindres  relâche- 
ments. Obligation  que  sa  vocation  lui  impose,  d'a- 
vancer toujours  et  de  tendre  sans  cesse  à  la  per- 
fection. 37 1 

NOTICE   SCR   LA   DUCHESSE  DE   LA    VaLUÈRE. 
ilSERMON  POUR  LA  PROFESSION  DE  HADAME  DE  L*  VaL- 
LIÈRE ,   DUCHESSE   DE  VaCJOUR,  PRÊCHÉ  DEVANT   L.A 

REINE,  LE  4  JUIN  1675.  —  Spectaclc  admirable 
que  Dieu  nous  présente  dans  le  renouvellement  des 
cœurs.  Deux  amours  opposés,  qui  font  tout  dan? 
les  hommes.  Attentat  et  chute  funeste  de  l'âmej. 
qui  a  voulu ,  comme  Dieu ,  être  à  elle-même  sa  fé- 
licité. De  quelle  manière ,  touchée  de  Dieu ,  elle 
commence  à  revenir  sur  ses  pas  et  abandonne  peu 
à  peu  tout  ce  qu'elle  aimait ,  pour  ne  se  réserver 
plus  que  Dieu  seul.  Cette  vie  pénitente  et  détadiée, 
montrée  très-possible  par  l'exemple  de  madanie  de 
la  Vallière.  Réponse  que  Dieu  fait  aux  raisons  que 
les  mondains  allèguent  pour  se  dispenser  de  l'em- 
brasser. 37J 

PANÉGYRIQUE  de  saist  Solpice,  prêché  nzyun 
LA  REINE  MÈRE.  —  Trois  grâccs  daus  l'Église ,  pour 
surmonter  le  monde  et  ses  vanités  :  ces  trois  grâces 
réunis  en  saint  Sulpice.  Innocence  de  sa  vie  à  I» 
cour  :  ses  vertus  dans  l'épiscopat  :  sa  retraite  avant 
sa  mort,  pour  régler  ses  comptes  avec  la  justice 
divine.  Excellentes  leçons  qu'il  fournit,  ùans  ces  - 
diiférents  états,  aux  ecclésiastiques  et  à  tous  les 
chrétiens.  3S7 

PANÉGYRIQUE  de  Saint  François  de  Sales.  —  La 
science  de  saint  François  de  Sales,  lumineuse,  mais 
beaucoup  plus  aidante.  Avec  quel  fruit  il  a  tra- 
vaillé à  l'édificatiun  de  l'Église.  Son  éloignement 
pour  tous  les  objets  de  l'ambition  :  bel  exemple  de 
sa  niodération.  Douceur  extrême  qu'il  témoignait 
aux  âmes  qu'il  conduisait.  Cette  douceur  altsclck- 


S04 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Pages. 


ment  nécessaire  au  directeur  :  trois  vertus  princi- 
pales qu'elle  produit.  Combien  ie  saint  prélat  les 
'    possédait  éminemment.  395 

PANÉGYRIQUE  de  saint  Pierre  Nolasque.  —  Avec 
quel  zèle  saint  Pierre  Nolasque,  pour  imiter  et  ho- 
norer la  charité  du  divin  Sauveur,  a  consacré  au 
soulagement  et  à  la  délivrance  de  ses  frères  cap- 
tifs ,  ses  soins ,  sa  personne  et  ses  disciples.  4Û2 
PANÉGYRIQUE  de  saint  Joseph,  prêché  devant  ia 

REINE  MÈRE  ,  EN  1 660  ,  DANS  l'ÉGLISE  DES  RÉVÉRENDS 

FÈRES  FEUILLANTS Trois  dépôts  coufiés  à  saint 

Joseph  par  la  Providence  divine,  la  virginilé  de 
M»rie ,  la  personne  de  Jésus-Christ ,  le  secret  du 
Père  éternel  dans  l'incarnation  de  son  Fils.  Pureté 

.  angélique,  fidélité  persévérante  de  ses  soins,  amour 
de  la  vie  cachée,  trois  vertus  en  saint  Joseph  qui 
fépondent  aux  trois  dépôts  qui  lui  sont  commis, 
et  qui  les  lui  font  garder  inviolablement.  4 1 0 

II*  PANÉGYRIQUE  de  saint  Joseph,  prêché  devant 
LA  reine.  —  La  simplicité ,  le  détachement ,  l'a- 
mour de  la  vie  cachée,  trois  vertus  qui  forment  le 
caractère  de  l'homme  de  bien  et  qui  rendent  saint 
Joseph  digne  de  louange.  420 

PANÉGYRIQUE  de  saint  Benoît.  —  Trois  états  et 
comme  trois  heux  où  nous  avons  coutume  de  nous 
arrêter  dans  le  voyage  de  cette  vie,  et  qui  nous 
empêchent  d'arriver  à  notre  patrie.  Saint  Benoit 
attentif,  dès  sa  jeunesse ,  à  écouter  la  voix  qui 
lui  criait  de  sortir  des  sens.  Sa  vie  admirable  dans 
le  désert.  Que  devons-nous  faire,  à  son  imitation, 
lorsque  le  plaisir  des  sens  commence  à  se  réveil- 
ler en  nous?  Fin  et  avantages  de  la  loi  de  l'obéis- 
sance, prescrite  pai'  saint  Benoit  :  de  quelle  ma- 
nière ce  saint  l'a  pratiquée.  Obligation  du  chrétien 
de  toujours  avancer.  Attention  qu'à  eu  saint  Be- 
noit de  tenir  sans  cesse  ses  disciples  en  haleine. 
Motifs  qui  doivent  porter,  môme  les  plus  parfaits , 
à  opérer  leur  «alut  avec  crainte  et  tremblement.      429 

PANÉGY'RIQUE  de  l' apôtre  saint  Pierre.  —  Di- 
vers états  de  son  amour  pour  Jésus-Christ.  Quelle 
a  été  la  cause  de  sa  chute,  et  par  quels  degrés  son 
amour  est  parvenu  au  comble  de  la  perfection.        456 

PANÉGYRIQUE  de  l'apotre  saint  Paul.  —  Com- 
ment le  grand  apôtre ,  dans  ses  prédications,  dans 
ses  combats ,  dans  le  gou  vernemeat  ecclésiastique , 
est-il  toujours  faible ,  et  triomphe-t-il  de  tous  les 
obstacles  par  ses  faiblesses  mêmes.  460 

PRÉCIS  D'UN  PANÉGYRIQUE  du  même  apôtre. 
—  Son  amour  pour  la  vérité,  pour  les  souffrances 
et  pour  l'Église.  469 

PANÉGYRIQUE  de  saint  Victor,  prononcé  a  Paris, 
dans  l'arbaye  de  ce  nom,  en  1657.  — -  Mépris  de» 
idoles ,  conversion  de  ses  propres  gardes ,  effusion 
de  son  sang  ;  trois  manières  dont  saint  Victor  fait 
triompher  Jésus-Christ.  Comment  nous  devons  l'i- 
miter. 470 

PRÉCIS  D'UN  PANÉGYRIQUE  pour  la  fête  de 
saint  Jacqces.  -rr  Désir  ambitieux  des  deux  frères, 
ligature  de  leur  erreur  :  comment  Jésus-Christ  ]% 
corrige  et  leur  accorde  l'effet  de  leur  demande. 
Avec  quelle  fidélité  nous  devons  boire  son  calice.      480 

PANÉGYRIQUE  DE  saint  Bernard —  La  vie  chré- 


Pages. 

tienne  et  la  vie  apostolique  de  saint  Bernard ,  fon 
dées  l'une  et  l'autre  sur  la  vie  de  Jésus-Christ  cru- 
cifié. 481 

PANÉGYRIQUE  de  saint  Gorcon.  —  Générosité  du 
saint  martyr  dans  l'échange  qu'il  fait  des  grandeurs 
humaines  dont  il  pouvait  jouir,  pour  le  mépris  et  les 

,  humiliations  attachés  au  nom  chrétien.  Son  courage 
invincible  au  milieu  des  plus  cruels  supplices.  Sen- 
timents dont  il  était  animé.  Comment  nous  devons 
imiter  sa  foi.  493 

PRÉCIS  d'cn  autre  panégyrique  du  même  saint.  — 
L'heure  du  sacrifice ,  le  temps  le  plus  propre  pour 
célébrer  les  louanges  d'un  martyr.  Avec  quelle 
constance  saint  Gorgon  a  surmonté  les  caresses  et 
les  menaces  du  monde.  Vains  efforts  du  tyran 
contre  lui.:  grands  biens  qu'il  lui  a  procurés.  499 

PANÉGYRIQUE  de  saint  François  d'assise. —Folie 
sublime  et  céleste  de  saint  François ,  qui  lui  fait 
établir  ses  richesses  dans  la  pauvreté ,  ses  délices 
dans  les  souffrances ,  et  sa  gloire  dans  la  bassesse.    503 

AUTRE  EXORDE  sur  le  même  sujet.  5  i  4 

PANÉGYRIQUE  de  sainte  Thérèse,  prêché  devant 
LA  REINE  MÈRE  EN  1658 TroisactioHS  de  la  cha- 
rité, l'espérance,  les  désirs  ardents,  les  souffran- 
ces ,  par  lesquelles  sainte  Thérèse  enflammée  de 
l'amour  de  son  Dieu  s'efforce  de  s'unir  à  lui ,  en 
rompant  tous  ses  liens.  516 

PANÉGYRIQUE  de  sainte  Catherine.  —  Abus  que 
les  hommes  font  de  la  science.  La  bonne  vie ,  l'é- 
dification des  âmes,  le  triomphe  de  la  vérité,  tin 
à  laquelle  doit  être  rapportée  toute  la  science  du 
christianisme.  S2i 

PANÉGYRIQUE  de  saint  André,  apôtre,  prêché 

aux  carmélites  du  faubourg  Saint'-Jacques. 

Conduite  étonnante  de  Jésus-Christ  dans  la  forma- 
tion de  son  Église  ;  combien  inconcevable  et  di- 
vine l'entreprise  des  apôtres.  Triste  état  de  la  reli- 
gion parmi  nous;  misérables  dispositions  des  chré- 
tiens de  nos  temps.  535 

PANÉGYRIQUE  de  saint  Jean,  apôtre.— Tendresse 
particulière  de  Jésus  pour  saint  Jean.  Trois  pré- 
sents inestimables  qu'il  lui  fait ,  dans  les  trois  états 
divers  par  lesquels  ce  divin  Sauveur  a  passé  pen- 
dant les  jours  de  sa  mortalité.  Comment  le  dis- 
ciple bien-aimé  répond  à  l'amour  de  son  divin 
maître  pour  lui.  <|42 

PANÉGYRIQUE  de  saint  Thomas  de  Caniorbért, 

PRONONCÉ  DANS  l'ÉGLISE  DE  SAINT-ThOMAS-DU-LOUVRB 

en  1668.— Motifs  de  la  résistance  de  saint  Thomas 
à  l'égard  de  son  prince.  Sa  conduite  toujours  sage, 
toujours  respectueuse  au  milieu  des  violentes  per- 
sécutions qu'il  a  à  souffrir.  Succès  de  ces  combats 
pour  la  discipline.  Admirable  changement  que  pro- 
duit sa  mort  dans  ses  ennemis;  zèle  qu'elle  ins- 
pire à  ses  frères.  Usage  que  les  ecclésiastiques 
doivent  faire  de  leurs  privilèges,  de  leurs  biens  et 
de  leur  autorité,  pour  ne  pas  exposer  l'Église  aux 
blasphèmes  des  libertins.  650 

MÉDITATIONS  SUR  L'ÉVANGILE. 

Lettre  écrite  aux  religieuses  de  la  Visitation  m 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


soi 


Sainte-Marie  de  Meaux ,  en  leur  adressant  ces  Mé- 
ditalious  sur  l'Évangile.  ^-^^ 

A«SKTISSC]IE.>T.  •'*• 

SERMON 

PK  NOTRE-SEICNEfR  StR  LX  MO.VfACXE. 

!«  JOCB.  Abrégé  du  sermon.  La  félicité  éternelle  pro- 
posée, «MIS divers  noms,  dans  les  huit  béatitudes. 

Il«  JOCB.  Premier*  béatitude  :  Être  pauvres  d'esprit 

III'  KWR.  Seconde  béatitude  :  Être  doux. 

IV»  JotR.  Troisième  béatitude  :  Être  dans  le*  plenrs. 

V«  iOLR.  Quatrième  béatitude  :  Avoir  faim  et  soif 
de  la  justice. 

VI*  JOUR.  Cinquième  béatitude  :  Être  miséricordieux. 

VII«  JOCR.  Sixième  béatitude  :  Avoir  le  cœur  pur. 

VIII*  JOCR.  Septième  béatitude  :  Etre  pacifiques. 

IX"  JOCR.  Huitième  et  dernière  béatitude  :  Souffrir 
pour  la  justice. 

X*  JOCR.  Vrai  caractère  du  chrétien  dans  les  huit  béa- 
titudes :  Avec  les  caractères  opposés. 

XI*  JOCR.  Quatre  caractères  du  chrétien. 

XII' JOCR.  Excellence  de  la  justice  chrétienne  au-des- 
sus de  celle  des  païens  et  des  Juifs. 

XIII'  JOCR.  Haine,  colère ,  parole  injurieuse  :  qu'elle 
en  est  la  punition. 

XIV*  JOCR.  Réconciliation. 

XV'  JOCR.  Délicatesse  de  la  chasteté;  s'arracher  l'œil; 
se  couper  la  main  :  indissolubilité  du  mariage. 

XVI'  JOCR.  Se  jurer  point  :  simplicité  chrétienne. 

XVII'  JOCR.  Charité  fraternelle  :  étendue  de  la  per- 
fection chrétienne. 

XVIU*  JOCR.  Étendue  delà  perfection  chrétienne. 

XIX*  JOCR.  Rechutes. 

XX'  JOCR.  Vaine  gloire  dans  les  bonnes  œuvres. 

XXI*  JOCR.  Prière  et  présence  de  Dieu  dans  le  secret. 

XXir  JOOR.  Oraison  dominicale  :  Notre  Père. 

XXIII'  JOCR.  Notre  Père,  qui  êtes  aux  cieux. 

XXIV*  JOCR.  Votre  nom  soit  sanctifié. 

XXV*  JOCR.  Donner-nous  aujourd'hui  notre  pain  de 
chaque  jour. 

XXVI'  JOCR.  Pardonnez-nous,  comme  nous  pardon- 


XXVII'  JOCR.  Ne  nous  induisez  point  en  tentation  : 

mais  délivrez-nous  du  mal. 
XXMIl'  JOCR.  Du  jeûne. 

XXIX*  JOCR.  Trésor  dans  le  ciel  :  œil  simple  :  impossi- 
bilité de  servir  deux  maîtres. 
XXX*  JOCR.  Ne  se  point  inquiéter  pour  cette  vie  :  se 

confier  en  la  Providence. 
XXXI*  JoiR.  Ne  ressembler  pas  les  païens. 
XXXlI'jocTi.  Chercher  Dieu  et  sa  justice,  et  comment. 
XXXIH'JOCR.  Encore  de  l'avarice  et  des  richesses. 

Ne  mettre  pas  sa  confiance  en  ce  qu'on  possède. 
XXXIV  JOCR.  Considérer  ce  que  Dieu  fait  pour  le 

commun  des  plantes  et  des  animaux  :  se  regarder 

comme  son  troupeau  favori. 
XXXV*  JOCR.  Le  même  sujet.  Se  garder  de  toute 

avarice. 
XXXM'JOCR.  Ne  point  juger. 
XXXVII'  JOCR.  Voir  les  moindres  fautes  d'autrui, 

et  ne  voir  pas  en  «oi  les  plus  grandes. 


Jb. 

6C0 

Ib. 

5Ci 

5C2 
Ib. 

563 
Ib. 

564 

Ib. 
Jb. 

566 

567 
568 

Ib. 
5«9 

Ib. 

570 
571 

Ib. 
572 

Ib. 
573 

Ib. 

Ib. 

Ib. 

Ib. 
576 

Ib. 

676 
Ib. 
Jb 

577 


Ib. 

578 
Ib. 

579 


TAge*. 

XX.WIlI'jocR.  La  chose  sainte  :  discernement  dans 
la  prédication  de  l'Évangile.  S7i 

X.XXIX*  JOCR.  Prier  avec  foi,  demander,  cberciier, 
frapper.  /ft. 

XL*  JOCR.  Persévérance  et  humilité  dans  la  prière.        Ib. 

XLI*  JOCR.  Prière  perpétuelle.  /ft. 

XLII*  JOCR.  Importuner  Dieu  par  des  cris  vifs  et  re- 
doublés. ^f^^^ 

XLI  11*  JOCR.  Motifs  d'espérance  dans  la  prière.  ib. 

XLIV  joiR.  Demander  par  Jésus-Christ.  Qualités 
d'une  parfaite  prière.  //y, 

XLV*  JOCR.  Abrégé  de  la  morale  clu^tienne ,  et  a  quoi 
elle  se  termine.  ^| 

XLVl*  JOCR.  En  quoi  consiste  la  vraie  vertu.  ib. 

XLVII*  JOCR.  Admirables  effets  et  invincible  puis- 
sance de  la  doctrine  de  Jésus-Christ.  it. 

PRÉIWRATION  A  L\  DF.RMKRE  SEMAINE  DC  SiCTEOR.      582 

I"  JotR.  Le  mystère  de  la  croix  prédit  par  Jésus- 
Christ  ,  et  non  compris  par  les  apôtres  :  combien 
on  craint  de  suivre  Jésus  à  la  croix.  /&. 

II*  JOCR.  Demande  ambitieuse  des  enfants  de  Zébé- 
dce;  calice  et  croix  avant  la  gloire.  583 

III*  JOCR.  Victoire  et  puis.sance  de  Jésus-Christ  contre 
la  mort ,  dans  la  résurrection  de  Lazare.  Ib. 

IV*  JOCR.  Même  sujet.  Les  trois  morts  ressuscites  par 
Notre-Seigneur ,  figures  des  trois  états  du  pécheur.    585 

V*  JOCR.  Amitié  de  Jésus,  modèle  de  la  nôtre.  Excel- 
lente manière  de  prier.  yft. 

vr  JOCR.  Jésus-Christ  mis  en  signe  de  contradiction  : 
incrédulité  des  Juifs  après  la  résurrection  de  La- 
zare. à86 

VII*  JOCR.  Fausse  et  aveugle  politique  des  Juifs  dans 
la  mort  de  Jésus-Christ ,  ligure  de  la  politique  du 
siècle.  587 

VIII*  JOCR.  Profusion  des  parfums  sur  la  tète  et  les 
pieds  de  Jésus ,  en  différents  temps.  S88 

LA    DERMÈRE  SEMAINE  DC  SaCTECR. 

SERMONS  OU  DISCOURS  DE  NOTR E- SEIGNEUR , 

DETCIS  LE  DIMAKCHE  DES  RAMEACX  JCSQI}*A  LA  CiSE. 

P'jocR.  Entrée  triomphante  de  Notre-Seigneur  dans 
Jérusalem  :  il  y  est  reconnu  roi,  fils  de  David  et 
le  Messie.  5«9 

II*  JOCR.  Le  règne  de  Jésus-Christ  sur  les  e^MÏts  et 
sur  les  cœurs ,  par  ses  miracles ,  par  ses  bienfaits 
et  par  sa  parole.  590 

ni'  JOCR.  Entrée  triomphante  de  Notre-Seigneur. 
Tout  en  avait  été  prédit  jusqu'aux  moindres  cir- 
constances. 59| 

IV'  JOCR.  Jérusalem ,  figure  de  l'âme  livrée  au  pé- 
ché. Notre-Seigneur  prédit  ses  malheurs.  /&, 

V*  JOCR.  Dernier  séjour  de  Jésus-Christ  en  Jérusa- 
lem ;  plus  digne  de  remarque.  593 

VI*  JOCR.  Caractère  d'autorité  dans  le  triomphe  de 
Jésus-Christ.  Son  aèle  pour  la  sainteté  du  temple.      Ih, 

VII*  JOCR.  Caractère  d'humiliation  dans  le  triomplie 
même  du  Sauveur.  Jalousie  des  pharisiens.  59^ 

VIII*  JOCR.  Le  même  sujet.  59^ 

IX*  JOCR.  Jésus  donne  lui-même  k  son  triomphe  le 
caractère  d'humiliation  et  de  mort  qu'il  devait 
avoir.  Effets  différents  que  fait  le  triomplie  de  1er. 
sus-  Christ  dans  les  Juifs  et  dans  les  gentils.  ifr. 


bOG 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Pngos. 

X*  JODR.  Jesus-Chiist  est  le  grain  de  fiomnnt.  Les 
membres  doivent  mourir  comme  le  chef.  59G 

XI'  JOUR.  Suivre  Jésus  à  l'Iiumilialion ,  à  la  morl.  Ib. 

XII*  JOUR.  Caractère  d'humiliation  et  de  morl  dans 
le  triomphe  de  Jésus.  Le  trouble  de  son  âme  est 
notre  instruction  et  notre  remède.  597 

X m*  JOUR.  Trouble  de  Jésus.  Combat  et  victoire, 
notre  modèle,  Ib. 

XiV  JOUR.  Voix  du  ciel  rend  témoignage  à  la  gloire 
de  Jésus  dans  son  triomphe.  598 

XV"  JOUR.  Mystère  de  la  voix  céleste  :  Le  monde  va 
être  jugé  en  jugeant  Jésus-Christ.  598 

XVI*  JOUR.  Vertu  de  la  croix.  Jésus  lire  tout  par  la 
croix.  Le  suivre  jusqu'à  la  croix.  599 

XVII*  JOUR.  Les  incrédules  n'ouvrent  point  les  yeux 
à  la  lumière  :  ils  marchent  dans  les  ténèbres.  Ih. 

XVIIl*  JOUR.  Étal  de  ceux  de  qui  la  lumière  se  re- 
tire. Jésusse  cache  d'eux.  Merveilles  de  cette  jour- 
née de  triomphe.  600 

XIX*  JOUR.  Réflexions  sur  les  merveilles  de  la  pre- 
mière journée.  Il  faut  continuer  sans  relâche  l'œu- 
vre de  Dieu  à  l'exemple  de  Jésus-Christ.  601 

XX"  JOUR.  Figuier  desséché  :  figure  de  l'âme  stérile 
et  sans  bonnes  œuvres.  Ib. 

XXI*  JOUR.  Le  prodige  des  prodiges  :  l'homme  re- 
vêtu de  la  puissance  de  Dieu  par  la  foi  et  par  la 
prière.  Jb. 

XXir  JOUR.  La  prière  persévérante;  elle  tient  de  la 
plénitude  de  la  foi.  602 

XXIII*  JOUR.  Distinction  des  jours  delà  dernière  se- 
maineduSauveur.  Matière  de  ses  derniers  discours.    603 

XXI V*  JOUR.  Jésus  refuse  de  répondre  aux  questions 
des  Juifs  superbes  et  incrédules ,  et  répond  aux 
esprits  humbles  et  dociles.  Ib. 

XXV«  JOUR.  Aveuglement  des  hommes,  plus  dispo- 
sés à  croire  saint  Jean  que  Jésus-Christ  même.         604 

XXVI*  JOUR.  Les  Juifs  incrédules  confondus  parle 
témoignage  de  saint  Jean.  Ib. 

XXVII*  JOUR.  Parabole  des  deux  fds  désobéissants. 
.\j>plicatiou  aux  chrétiens  lâches  et  tièdes,  et  aux 
faux  dévots.  605 

XXVIII*jouR.  Parabole  des  vignerons,  prise  de  David 
et  d'Isaïe.  Juste  punition  des  Juifs  :  leur  héritage 
transféré  aux  gentils.  Ib. 

XXIX»  JOUR.  Ce  que  c'est  que  rendre  des  fruits  en 
son  temps,  et  cette  parole  :  L'héritage  sera  à 
nous.  606 

XXX*  JOUR.  Avcusloment  des  Juifs  de  méconnaître 
le  Christ,  qui  est  la  pierre  de  l'angle  qu'ils  ont  re- 
jetée. 607 

XXXI*  JOUR.  Parabole  du  festin  des  noces.  Les  Juifs 

sont  les  conviés  qui  refusent  d'y  venir.  Ib. 

XXXIP  JOUR.  Les  pauvres  et  les  infirmes  sont  les 

conviés  au  festin.  Forcez-les  d'entrer.  609 

XXXIII^  JOUR.  Robe  nuptiale,  le  festin  est  prêt  :  pié- 
paration  à  la  sainte  Eucharistie  :  noces  spirituel- 

■     les.  Ib. 

XXXIV*  JOUR.  Entrer  au  festin  des  noces  sans  l'ha- 
bit nuptial.  Beaucoup  d'appelés  et  peu  d'élus.  Pe- 
tit troupeau  chéri  de  Dieu.  610 
JiXXV*  joi:k.  Consultation  (rauduleuse,  et  décision 
jileine  de  merveille  et  de  vérité  :  Rendez  à  César 


P.igec. 


ce  qui  est  à  César,  et  à  Dieu  ce  qui  est  à  Dieu. 

XXXVI»  JOUR.  Injustice  des  Juifs  envers  Jésus- 
Christ.  Jésus  calomnié,  opprimé  par  la  puissance 
publique,  en  maintient  l'autorité. 

XXXVir  JOUR.  Réflexions  sur  ces  paroles  :  De  qui 
est  cette  image?  Le  chrétien  est  l'imige  de 
Dieu.  Il  doit  vivre  de  la  vie  de  Dieu. 

XXXVIIl*jouR.  Sur  ces  paroles,  à  Dieuce  qui  esta 
Dieu.  '  • 

XXXIX*  JOUR.  Terrible  punition  des  corrupteurs  de 
l'image  de  Dieu. 

XL»  JOUR.  Question  des  sadduriens  sur  la  femme 
qui  a  eu  sept  marisl'un  après  l'autre.  Jésus-Christ 
détache  le  chrétien  de  tout  le  sensible. 

XLI"  JOUR.  Immortalité  de  l'âme  :  résurrection  des 
corps. 

XLII*  JOUR.  Le  grand  commandement  de  la  loi, 
l'amour  de  Dieu  et  du  prochain. 

XLIIl'  JOUR.  Réflexions  sur  le  même  commandement 
dans  la  loi. 

XLIV'JOUR.  Accomplissement  du  préceptede  l'amour, 
en  tout  temps ,  en  tout  lieu. 

XLV*  JOUR.  La  loi  inculque  l'amour  de  Dieu  avec  une 
nouvelle  force. 

XL VI*  JOUR.  Conclusion.  Nécessaire  d'aimer  Dieu, 
et  de  garder  ses  préceptes. 

XLVII*JOUR.  Second  commandement,  semblable  au 
premier  :  l'amour  du  prochain. 

XLVIir  JOUR.  Réflexions  sur  notre  amour  pour  Dieu 
et  pour  le  prochain. 

XLIX*  JOUR.  Suites  des  mêmes  réflexions.  Lumière 
et  délectation  :  attraits  de  l'amour  de  Dieu. 

L*  JOUR.  Suite  des  mêmes  réflexions.  L'amour  doit 
toujours  croître. 

LI*  JOUR.  Pratique  de  la  charité  dans  l'Oraison  domi- 
nicale. 

LU*  JOUR.  Jésus-Christ ,  Médiateur, Dieu ,  Roi ,  Pon- 
tife. 

LUI*  JOUR.  Chaire  de  Moïse  :  Chaire  de  Jésus-Christ 
et  des  Apôtres. 

LIV*  JOUR.  L'autorité  de  la  synagogue  reconnue  et  re- 
commandée par  Jésus-Christ  dans  le  temps  même 
qu'elle  conjure  contre  lui. 

LV*J0UR.  L'autorité  de  la  synagogue  cesse  à  la  des- 
truction du  temple  et  du  peuple  de  Dieu.  Immobi- 
lité  de  l'Église  chrétienne. 

LVr  JOUR.  Caractère  des  docteurs  juifs,  sévères, 
orgueilleux  et  hypocrites. 

LVirjouR.  Jésus-Christ  seul  Père,  seul  maître. 

LVIII*  JOUR.  Les  Vœ,  ou  les  malheurs  prononcés 
contre  les  faux  docteurs. 

LIX*  JOUR.  Docteurs  juifs;  conducteurs  aveugles  et 
insensés. 

LX*  JOUR.  Guides  aveugles  attachés  aux  petites  cho- 
ses ,  et  méprisant  les  grandes. 

LXI*  JOUR.  Suite.  Sépulcres  blanchis, 

LXII*  JOUR.  Docteurs  juifs  persécuteurs  des  prophè- 
tes :  Leur  punition. 

LXIIl*  JOL'R.  Lamentations ,  pleurs  de  Jésus  sur  Jéru- 
salem. 

LXIV*  JOUR.  Vices  des  c|»cteurs  de  la  loi  :  osteutalioD,, 


etl 


612 


613 

Ib, 

614 
Ib. 

n. 

6t6 
Ib. 
618 
li). 
610 
620 
Ib. 
62r 

622 
Ib. 
623 
625 
«27 


628 


Ib. 

630 
631 

Jb. 

632 

Ib. 
633 

Ib. 

('7À 


TABLE  DES  MATIERES. 


•07 


PagrJ.   I 
ia|w>r8tiUon ,  coriiiptioii  :  orreurs  marquées  par  | 

fetint  Marcel  par  saiiit  Luc.  C34  \ 

LXV*  JOUR.  Les  Vcp,  ou  les  mallioiirs  prononcés  par  } 

Kolrc-Seigneur  c*)ntre  les  doclcurs  de  la  loi.  635  ■ 

LXVl*  jotR.  Quel  est  le  vrai  prix  de  l'argent.  YeuTC  j 

donnant  de  son  indigence.  Ib. 

LXVir  iOCR.  Ruine  de  Jérusalem  et  du  temple.    636 

LXVIIl'  JOLR.  La  ruine  de  Jérusalem  et  celle  du 
monde  :  pourquoi  prédites  ensemble?  Ib. 

LXJX*  JOCR.  Les  marques  particulières  de  la  ruine  de 
Jérusalem  et  de  la  fin  du  monde.  637 

LXX'JOCB.  Les  marques  de  distinction  de  ces  deux 
événements  expliqués  encore  plus  en  détail  en  saint 
Matthieu ,  en  salut  Marc  et  en  saint  Luc.  Ib. 

LXXl*  loiR.  Deux  sièges  de  Jérusalem  prédits  par 
Notre-Seigneur.  Le  premier  en  saint  Matth.  638 

LX.Xir  JOCR.  Réflexions  sur  les  maux  extrêmes  de 
ces  deux  sièges.  Ib. 

LXXiir  JOCR.  Suite  des  réflexions  sur  les  mêmes  ca- 
lamités. 639 

LXXIV*  JOUR.  Réfle\i(His  sur  les  circonstances  de  la 
fin  du  monde.  La  terreur  de  l'impie.  La  confiance 
du  fidèle.  640 

LXXV«  JOUR.  Le  même  sujet.  Ib. 

LXX  VL»  JOCR.  Ces  prédictions  certaines  :  leur  accom- 
plissement proche  :  leur  jour  inconnu.  64 1 

LXXVII'jom.  Le  jour  du  jugement  dernier  n'a  pu 
être  inconnu  au  Fils  de  Dieu.  Ib. 

LXXVIII*  JOCR.  Ce  dernier  jour  est  connu  au  Fils  de 
Dieu  ;  mais  non  pas  pour  nous  l'apprendre.  642 

LXXIX*  JOUR.  Raisons  profondes  de  notre  Sauveur  d'o» 
serde  ces  réserves  mystérieuses  pour  l'instruction 
de  son  Église  ;  mais  non  pour  autoriser  les  hom- 
mes à  user  d'équivoques  et  de  restrictions  men- 
tales. 644 

LXXX'  JOCR.  Ce  qui  doit  être  commun  à  ces  deux 
grands  événements  :  séduction  générale.  Ib. 

LXXXI*  JOUR.  Le  même  sujet.  Guerres,  famines, 
pestes,  tremblements  de  terre;  maux  extrêmes.        645 

LXXXII'  JOUR.  Persécution  terrible  de  l'Église ,  tra- 
hisons,  charité  refroidie.  646 

LXXXIII'  JOUR.  Réflexions  sur  plusieurs  circons- 
tances de  ces  deux  événements.  647 

LXXXIV'JOCR.  Réflexions  sur  d'autres  circonstan- 
ces. Ib. 

LXXXV'jocH.  Instructions  à  recueillir.  Se  tenir  prêt: 
veiller  à  toute  heure.  L'un  pris ,  l'autre  laissé.  648 

LXXXVI'  JOUR.  Le  Père  de  famille  :  ses  serviteurs  : 
la  figure  du  voleur.  649 

LXXXVIl'  JOUR.  L'économe  fidèle  et  prudent  :  sa  ré- 
compense. 650 

LXXXVIII»  JOUR.  Le  serviteur  méchant  et  violent  :  sa 
punition.  651 

LXXXIX*  JOUR.  Vierges  sages  et  folles.  Ib. 

XC*  JOUR.  Parabole  des  dix  talents ,  et  des  dix  mines.  652 

XCI'  JOUR.  Jugementdemier.  653 

XCirjocR.  Séparation  des  justes  et  des  impies.         654 

XCIIl'  JOUR.  Venez ,  bénis  :  allez ,  maudits.  Ib. 

XCIV'JOUR.  J'ai  eu  faim  :  j'ai  eu  soif.  Nécessité  de 
l'aumône  :  son  mérite  et  sa  récompense.  655 

XCV»  JOUR.  J'ai  eu  faim,  j'ai  eu  soif,  transportés  en 
\a  personne  de  Jésus  Clu-ist.  Jb. 


P«6« 

XCVI*iocH.  Venez,  les  liénisde  moo  Père  :  récon»- 
pense  des  justes.  657 

XCVlPjouR.  Retirez-vous,  maudits  :  allez  au  feu 
étemel  :  condamnation  des  impies.  Ib. 

XCVIll*  JOUR.  Jérémie  figure  de  Jésus-Christ.  Pré- 
dictions de  ce  prophète.  658 

XCIX'  JOUR.  Les  souffrances  de  Jérémie.  659 

C*  JOUR.  Jérémie  persécuté  par  ses  disciples.  Auto* 
rite  publique.  660 

CI*  JOUR.  Jérémie  dans  le  cachot  ténébreux.  Ib. 

eu*  JOUR.  Jérémie  figure  de  Jésus-Christ  par  sa  pa- 
tience. 661 

cm*  JOUR.  Patience  de  Jérémie  dans  le  cacliot.  6Cl 

CIV*  JOUR.  Jérémie  priant  avec  larmes  pour  son  peu- 
ple qui  l'outrage ,  figure  de  Jésus-Christ.  063 

CV*  JOUR.  Jérémie  excuse  au  moins  son  peuple, 
n'osant  prier  pour  lui.  664 

CVl*  JOUR.  Les  Juifs  mêmes  reconnaissent  Jérémie 
pour  leur  mtercesseur.  ib. 

CVII*  JOUR.  Dieu  rejette  l'intercession  de  ce  pro- 
phète. Ib. 

CVIll*  JOUR.  Regrets  de  Jérémie  de  n'être  au  monde 
que  pour  annoncer  des  maliieurs.  665 

CIX*  JOUR.  Jérémie  annonce  à  son  peuple  sa  déli- 
Trance.  CC6 

CX'  JODR.  Jonas  dans  le  Tenlre  de  la  baleine;  autre 
figure  deJésus- Christ.  667 

CXI*  JOUR.  Prédication  de  Jouas  à  Ninive.  668 

LA  CÈNE. 

DEUXIÈME  PARTIE. 

CE     QUI    s'est     passé    dans     LE    CÉNACLE,    ET 
AVAXT  QUE  JESUS-CHBIST  SOBTIT. 

l**"  jouTi.  Le  Cénacle  préparé.  670 

II*  JOUR.  La  pâque.  La  vie  du  chrétien  n'est  qu'un 
passage.  67  f 

ni*  JOUR.  Lavement  des  pieds.  Puissance  de  Jésus- 
Christ  ;  son  humilité.  672 

IV*  JOUR.  Tout  remis  entre  les  mains  de  Jésus-Clu-ist, 
spécialement  les  élus.  Ib. 

V*  JOUR.  Jésus-Christ ,  vrai  Dieu  et  vrai  homme.        673 

VI*  JOUR.  Jésus-Christ  Dieu  de  Dieu ,  sorti  de  Dieu.      /*. 

Vir  JOUR.  Jésus-Christ  sorti  de  la  gloire  de  Dieu,  y 
devait  retourner.  674 

VIII*  JOUR.  Jésus-Christ  en  vient  an  lavement  des 
pieds.  67i 

IX*  JOUR.  Pierre  refuse  de  se  laisser  laver  les  pieds  ; 
puis  il  obéit.  Ib. 

X*  JOUR.  Se  laver  des  moindres  taches.  T  oiM  êtes 
purs,  mais  non  pas  tous.  676 

XI*  JOUR.  Judas  lavé  comn;e  les  antres.  Ib. 

XII*  JOUR.  Lavement  des  pieds  commandé.  Bonté  et 
humilité.  677 

XII P  JOUR.  Trouble  de  Jésus  :  Un  de  vous  me  tra- 
hira. Ib. 

XIV*  JOUR.  Qu'est-ce  que  le  trouble  de  Jésus  ?  678 

XV*  JOUR.  L'horreur  du  péché,  cause  du  trouble  de 
Notre-Seigneur.  C79 


è08 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


PagM. 


XV^  rotm.  Ce  trouble  était  volontaire  en  NotreSei- 
gneur  et  nécessaire  pour  nous.  679 

XVII»  JOUR.  J^ai  désiré  dun  grand  désir  de  man- 
ger cette  pdque.  Jésus-Christ  notre  pâque.  680 

XVIir  JODR,  Jésus-Christ  mange  iapAque  avec  nous  : 
nous  devons  la  manger  avec  lui.  681 

XIX'joDR.  L'eucharistie,  mémorial  de  la  mort  du 
Sauveur.  682 

XX*  JOUR.  Paroles  de  Jésus,  pour  toucher  Judas  de 
componction.  684 

XXI»  JOUR.  Pacte  et  trahison  de  Judas.  685 

XXII*  JOUR.  Institution  de  l'eucharistie.  686 

XXIII»  JODR.  Fruit  de  l'eucharistie  :  vivre  de  la  vie 
de  Jésus'Christ.  687 

XXIV  JOUR»  Par  la  communion ,  le  fidèle  consommé 

en  nn  avec  Jésus-Christ.  jb. 

XXV  JOUR.  L'eucharistie  est  le  gage  de  la  rémission 

des  péchés.  689 

XXVI'JOCR.  Jésus-Christ  notre  victime  et  notre  nour- 
riture, ib. 
XXVir  JOUR .  Notre-Seigneur  avait  promis  sa  chair 

et  son  sang  dans  l'eucharistie.  C91 

XXVIII*  JOUR.  La  foi  donne  l'intelligence  de  ce  mys- 
tère. 692 
XXIX*  JOUR.  La  vie  éternelle  est  le  fniit  de  l'eucha- 
ristie, ib. 
XXX*  JOUR.  Désir  insatiable  de  l'eucharistie.  693 
XXXI*  JOUR.  Nouveaux  murmurateurs  capharnaïtes.  694 
XXXII*  JOUR,  Notre-Seigneur  nous  donne  à  manger 

le  même  corps  qu'il  a  pris  pour  nous.  Jb. 

XXXIir  JOUR.  Présence  réelle  du  corps  et  du  sang 

de  Jésus-Christ  dans  l'eucharistie.  695 

XXXIV"  JOURv  Mangeret  boire  le  corps  de  Noire-Sei- 
gneur réellement  et  avec  foi.  696 
XXXV  JOUR.  Manger  le  corps,  et  boire  le  sang  de 
Jésus-Christ,  c'est  y  participer  véritablement  et 
réellement.                                                               697 
XXXVI»  JOUR.  Renaissance  spirituelle  expliquée  par 

Notre-Seigneur  à  Nicodème.  698 

XXXVII»  JOUR.  L'eucharistie  est  la  participation  réelle 
au  corps  et  au  sang  de  Notre-Seigneur,  en  mémoire 
de  sa  mort  soufferte  pour  nous.  ib. 

XXXVIIl*  JOUR.  Scandale  des  disciples.  699 

XXXJX»  JOUR.  Quel  est  le  sujet  de  ce  scandale?  Ib. 

XL*  JOUR.  Quelle  fut  l'incrédulité  des  Capharnaïtes.  700 
XLI*  JOUR.  Qu'est-ce  à  dire  :  La  chair  ne  sert  de  rien .'  70 1 
XLU»  JOUR.  Discernement  des  disciples  fidèles  et  des 

incrédules.  702 

XLIII*  JOUR.  SaintPierre  etles  catholiques  s'attachent 

à  Jésus-Christ  et  à  l'Église  :  les  Capharnaïtes  et  les 

hérétiques  s'en  séparent.  703 

XLIV»  JOUR.  Communion  indigne.  705 

XLV*  JOUR.  Qui  sont  ceux  qui  communient  indigne-    706 

ment. 
XLVl*  JOUR.  La  communion  est  la  préparation  à  la 

mort  de  Jésus-Christ.  Ib. 

XL VII*  JOUR.  La  persévérance,  effet  de  la  commu- 
nion. 707 
XLVIir  JOUR.  S'éprouver  soi-même.  Ib. 
XLIX»  JOUR.  Sommaire  de  la  doctrine  de  l'eucha- 
ristie.                                                                   708 
L' JOUR .  L'eucharistie  est  la  force  de  l'âme  et  du  corps.    709 


Lr  JOUR.  L'eucharistie  est  le  viatique  dos  mourants 
LU»  JOUR.  L'eucharishe  jointe  par  Jésus-Christ  au 
banquet  ordinaire,  figure  de  la  joie  du  banquet 
éternel.  ^ 

LUI»  JOUR.  L'eucharistie  unie  par  Jésus-Christ  au 
repas  commun,  est  plus  semblable  à  l'ancienne 
pâque. 

LIV»  JOUR.  L'eucharistie  jointe  au  repas  commun, 
apprend  à  sanctifier  tout  ce  qui  sert  à  nourrir  le 
corps. 

LVjour.  Pouvoir  donné  à  l'Église  de  changer  ce  qui 
.rest  pas  de  l'essence  de  l'institution  divine.  La 
communion  sous  une  espèce  suffisante  et  parfaite. 

LVI»  JOUR.  Adoration,  exposition,  réserve  de  l'eu- 
charistie. 

LVII»  JOUR.  Le  sacrifice. 

LVIII»  JOUR.  Simplicité  et  grandeur  de  ce  sacrifice. 

LIX»  JOUR.  L'Agneau  devant  le  trône  de  Dieu. 

LX*  JOUR.  Jésus  notre  victime  donné  à  la  croix , 
donné  dans  l'eucharistie. 

LXI*  JOUR.  L'eucharistie  est  le  sang  du  nouveau  Tes- 
tament. 

LXII»  JOUR.  C'est  le  nouveau  Testament  par  le  sang 

de  notre  Seigneur. 
LXIII»  JOUR.  La  messe  est  la  continuation  de  la  cène 

de  Jésus-Christ. 

LXIV»  JOUR,  La  communion.  Il  faut  communier  au 

ntoins  en  esprit. 
LXV»  JOUR.  L'action  de  grâces. 

LXVI«  JOUR.  Trahison  de  Judas  découverte. 

LXVII"  JOUR.  Autorité  légitime  établie;  domination 
interdite  dans  l'Église. 

LXVIII*  JOUR.  Royaume  de  Dieu ,  à  qui  destiné. 

LXIX*  JOUR.  Pouvoir  de  Satan. 

LXX*  JOUR.  Primauté  de  saint  Pierre.  Prédiction  de 
sa  chute  par  son  orgueil. 

LXXI*  JOUR.  Construction  de  l'Église.  Prière  de  Notre- 
Seigneur  pour  saint  Pierre ,  et  en  sa  personne  pour 
les  élus. 

LXXII*  JOUR.  La  foi  de  saint  Pierre  est  la  foi  de  l'Église 
de  Rome,  où  est  le  centre  de  l'unité  catholique. 

LXXIII»  JOUR.  Soin  de  Jésus  pour  les  apôtres.  Il  est 
mis  au  rang  des  scélérats. 

LXXIV  JOUR.  Glorification  de  Jésus. 

LXXV*  JOUR.  Commandement  de  l'amour. 

LXXVI*  JOUR.  Présomption  et  chute  de  saint  Pierre. 

LXXVII»  JOUR.  Préparation  à  l'intelligence  des  plus 
l'autes  vérités  par  la  soumission,  et  par  une  saint« 
frayeur. 

LXXVIII*  JOUR.  Confiance  en  Jésus-Christ  notre  in- 
tercesseur. 

LXXIX*  JOUR.  Jésus-Christ  est  notre  assurance  et 
notre  repos. 

LXXX*  JOUR.  Jésus-Christ  est  la  voie,  la  vérité  et  la 


709 


710 


711 


711 


Ib. 

714 
/ft. 
716 
Ib. 

717 

718 

719 

720 

Ib, 

731 
Ib. 

72J 
723 
724 

Ib. 


727 

Ib. 

72» 
730 
Ib. 
731 


734 


Ib. 


vie. 


LXXXI*  JOUR.  Jésus-Christ  est  notre  lumière. 
LXXXIP  JOUR.  Nul  ne  vient  à  son  Père ,  que  par  Jé- 
sus-Christ. 
LXXXÏII»  JOUR.  Dieu  seul  nous  suffit. 
LXXXIV*  JOUR.  C'est  dans  le  Père  qu'on  voit  le  Fili. 


736 

Ib. 

737 

/*. 

733 
739 


TABLE  DES  MATIERES. 


809 


*  Page 

UXXY*  JOCB.  Le  Père  est  dans  le  Fils,  elle  Fils  dans 
le  Père.  740 

LXXXVl*  Jésus,  le  Verbe  étemel,  nous  (dit  voir  le 
Père.  Jb. 

LXXXVir  iocR.  Jésus-Clirist  opérant  ses  miracles, 
nous  fait  voir  le  Père  dans  ses  œuvres.  741 

LXXXVni'JOtR.  Les  miracles  des  apôtres  plus  grands 
que  ceux  de  Jésus-Christ.  De  quelle  manière.  742 

LX3CXIX*  iOVR.  Ce  qu'il  faut  demander  et  désirer  : 
aimer  et  garder  ses  commandements.  743 

XC*  JOCR.  Promesse  de  l'esprit  consolateur  :  ce  que 
c'est  que  le  monde.  744 

XCI*  JOCR.  La  demeure  de  Jésus-Christ  et  sa  manifes- 
tation dans  les  saintes  âmes.  74à 

XCir  JOCR.  La  prédestination.  Le  secret  en  est  im- 
pénétrable, ib. 

XCIH*  JOCR.  Demeure  fixe  du  Père  et  du  Fils  dans 
les  âmes.  746 

XCn'«  JOCR.  État  ferme  de  la  Tie  chrétienae..  747 

XCV*  JOCR.  Le  maître  intérieur.  |&. 

XCVT  JOCR.  Paix  intérieure.  748 

XCVII*  JOCR.  Paix  imperturbable.  Ib. 

XCNTII*  JOCR.  Jésus-Christ  rentre  en  sa  gloire,  re- 
tournant à  son  Père.  749 

XCIX*  JOCR.  Jesus-Cbrist  prédit  tout  ce  qui  lai  doit 
arriver  :  il  va  volontairement  à  la  mort.  Jb. 

SECONDE  PARTIE. 

Suite  ne  discocrs  de  notre-seioecr  :  ce  qu'il  iht 

DEPCIS  S\  sortie  de  LA   MAISON,   JUSQU'A   CE  QO'iL 
MONTAT  A   LA   MONTAGNE  DES  OLIVIERS. 

I*'  JOCR.  Jésus  est  la  vigne,  et  les  fidèles  les  membres. 
Nécessité,  eflicace,  influence  continuelle  de  la  grâce.    750 

U'  JOCR.  Le  père  est  le  vigneron.  751 

m*  JOCR.  Jésus-Christ  retranche  la  branche  infruc- 
tueuse. 752  I 

r\'*  JOCR.  n  taille  la  branche  chaînée  de  fruits.  Jb. 

\^  JOCR.  C'est  une  opération  de  la  grâce  que  de  con- 
server la  justice.  753 

VI*  JOCR.  Parabole  de  la  vigne ,  tirée  dlsaïe.  Jb. 

VII*  JOCR.  Prière  par  notre  Seigneur  Jésus-Christ  ob- 
tient tout.  754 

VIIP^  JOCR.  Force  dans  la  parole  de  la  croix;  porter 
le  fruit  de  la  croix.  755 

IX*  JOCR.  Commandement  de  la  croLx  p» l'amour.        Jb. 

X'  JOCR.  Joie  pleine  et  parfaite  d'obéir  par  amour, 
et  non  par  crainte.  756 

xr  JOCR.  Mystère,  précepte  de  la  croix;  amour  du 
procitain  ;  dramer  sa  vie  pour  lui ,  comme  Jésus- 
ChrisL  Jb. 

XII*  JOCR.  Motifs  de  l'amour  fraternel  :  les  fidèles, 
les  élus  sont  amis  de  Jésus.  757 

Xlir  JOCR.  Ils  servent  Jésus-Christ  conome  ses  amis 
à  qui  il  découvre  tous  ses  secrets.  758 

Xrv*  JOCR.  Ils  doivent  et  peuvent  tout  demanda-  au 
nom  de  Jésus.Christ.  759 

XY*  JOCR.  Jésus  et  ses  disciples  bais  du  monde  :  in- 
justice de  la  haine  du  monde.  Jb. 

XVI*  JOCR.  Le  témoignage  de  l'esprit  de  vérité  rassure.     70C 

XVII*  JOUR.  Les  apôtres  persécutés,  haïs  d'une 
haine  de  religion.  Ib. 

XVIll'  JOCB.  Tristesse  de  l'absence  de  Jésus.  7ci 

ijoj»scl~t.  —  ui. 


PafM. 
XIX*  JOCR.  .Mission  du  Saint-Esprit  pour  nxiTtincie 

d'incrédulité  les  Juifs  et  le  monde.  7S2 

XX*  JOCR.  Mission  du  Saint-Esprit  pour  convaincre 

le  monde  d'injustice.  PécJ»é  contre  le  Saint-Esprit.     763 
XXI*  JOCR.  Mission  du  Saint-Esprit  pour  convaincre 

le  monde  de  l'iniquité  de  son  jugement.  Jb. 

XXII*  JOCR.  L'esprit  de  vérité  enseigne  toute  vérité.    764 
XXIII*  JOCR.  Le  Saint-Esprit  égal  au  Fils  par  ses  œu- 
vres. 765 
XXTV*  JOCR.  Le  Saint-Esprit  égal  au  Fils  par  son  ori- 
gine :  il  annonce  les  choses  futures  et  pénètre  le 

secret  des  cœu  rs.  /ft . 

XXV*  JOCR.  Origine  du  Saint-Esprit  Ordre  des  per- 

sonn&i  divines.  jb. 

XX VP  JOTR.  Qu'est-ce  à  dire  :  Encore  un  peu  de 

temps?  766 

XXVII*  joi-R.  Tristesse  changée  en  joie.  767 

XXVIII"  JOCR.  Souffrir,  se  faire  violence.  Ib. 

XXIX*  JOCR.  Joie  qui  ne  peut  être  ravie.  768 

XXX*  jocH.  Qu'est-ce  qu'on  doit  demander  au  nom 

de  JésusChrist.  Jb, 

XXXI*  JoiTi.  Tout  nous  vient  par  Jésos-ChrisL  769 

XXXn*  JOUR.  Délaissement  de  Jésus<;hrist.  Jb, 

XXXm*  JOCR.  Acquiescement  à  la  volonté  divine.      770 
XXXIN'*  JOCR.  Quatre  paroles  ou  prières  de  Notre' 

Seigneur  adressées  à  son  Père.  Ib. 

XXXV  JOCR.  Jésus  lèT»  les  yeux  au  ciel  en  conunen- 

çant  sa  prière.  771 

XXXVI*  JOCR.  Gloire  du  Père  et  do  Fils  dans  l'éU- 

blissement  de  l'Église.  Jb. 

XXXMI*  JOCR.  La  vie  étemelle  est  de  connaître 

Dieu  et  Jésus-Christ.  772 

XXX>1ir  JOCR.  Gloire  infinie  du  Père  et  dn  Fils.       773 
XXXIX'  JOCR.  Jésus  sauve  tous  ceux  que  son  Père 

lui  a  donnés.  774 

XL*  JOUR.  Les  élus  sont  tirés  du  monde  par  le  Père.      Jb. 
XLI*  JOCR.  Le  Fils  instruit  cenx  qui  lui  sont  donnés 

par  le  Père.  775 

XLIl*  JOCR.  Comment  le  Pèredonne  les  élus  au  Fils.      Ib. 
XLUI*  JOCR.  Jésus  parle  ici  des  onze  apôtres.  776 

XLTN'*  JOUR.  Jésus  prie  pour  eux  et  pour  les  élus.         Jb. 
XLV*  JOCR.  Jésus  ne  prie  pas  pour  le  monde.  777 

XLVr  JOCR.  Il  prie  pour  ceux  an  qui  Dieu  est  glo- 
rifié. 778 
XLVII*  JOUR.  Il  demande  qu'ils  soient  un  avec  son 

Pèieetlui.  Ib. 

XLVIII*  JOUR.  L'enfant  de  perdition.  77S 

XLIX»  JOCR.  Qu'est-ce  à  dire  :  Aucun  n'a  péri  que 

Fenfant  de  perdition.  Ib. 

L*  JotR.  Jésus-Christ  garde  les  fidèles  dans  le  corps 

comme  dans  l'âme.  780 

LI*  JOCR.  Joie  de  Jésus.  Goûter  sa  parole,  source  de 

toute  joie.  781 

Ln*  JOCR.  Qu'est-ce  à  dire  :  Garder  du  mal?  Jt. 

LIII*  JOCR.  Qu'est-ce  que  le  monde.»  783 

Lr\'*  JOUR.  Jésus  n'est  pas  du  monde,  ni  ses  vrais 

disciples.  Jb. 

LV*.  JOCR.  Être  sanctifié  en  vérité ,  qui  est  sa  parole.    Jb. 
LVI*  JOCR.  Jésus  se  sanctifie  lui-même.  7^? 

LVII*  JOCR.  Jésus  prie  pour  tous  les  élus ,  qu'ils 

soient  un.         ■  7  ,»<  » 


8io 


TABLES  DES  MATIÈRES. 


LVIII»JOCB.  Unité  et  égalité  parfaite  du  t»ère  et  (lu  Fils.  ^85 
LIX"  JOUR.  La  M  pleine  et  entière  et  l'efletâe  l'unité 

des  fidèles.  787 

LX.'  JODR.  Jésus  fait  part  de  sa  gloire  à  ses  élus.  Ib.  ■ 

LXI'  JODR.  Les  élus  consommés  en  Un.  788 
LXII*  JOUR.  Gloire  de  Jésus  :  il  veut  que  les  élus  y 

soient  avec  lui.  ib. 
LXIII*  JODR.  Justice  de  Dieu  inconnue  au  monde.  789 
LXIV*  JODR.  Justice  de  Dieu  inconnue  aux  présomp- 
tueux. 790 
LXV*  JOUR.  Les  élus''aimés  de  Dieu  en  Jésus-Cbrist, 
cooune  ses  membres  et  ses  images .  '  ^  ■ 


LXVP  JOUR.  Père  saint. 

LXVIF  JOUR.  Père  juste. 

LXVIII»  JOUR.  La  prière  de  Jésus-Christ  après  la 

cène  est  l'abrégé  du  sermon  qui  la  précède. 
LXIX»  JOUR.  Ferme  foi  en  Jésus  vrai  Messie. 
LXX"  JOUR.  Dieu  Père  et  Fils. 
LXXI*  JOUR.  Dieu  Saint-Esprit. 
LXXIP  JOUR.  Effet  secret  de  la  prière  de  Notre-Sei- 

gneur  :  Jésus-Christ  toujours  exaucé;  Prédesthia- 
tion  des  saints. 
LXXIII"  JOUR.  S'unira  Jésus-Christ. 


Pages. 
791 
■792 


"793 

Ib. 

794 

795 


/9< 
797 


FIM    DE   lA   TABLE     DU  TOMB  TROISIEME. 


,  V. .  'kg/' 


V 


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/- 1 


PQ     Bossuet,  Jacques  Bénigne 

1725      Oeuvres 

A2 

1877 

t.3     ' 


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