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P/0
Book
CLASSIQUES
FRANÇAIS,
ÉDITION TRÈS-CORRECTE,
Imprimée par iimirt JUibot Jrcrr*.
PARIS f
CHEZ VICTOR MASSON,
rue de l'école de médecine, k° 4.
Classiques étrangers.
Nepos. . . . .
js. .....
ar of Wakefield.
Lettersof Montagne. . , i
The Sentimental Journey. i
Fables by Guy and Moore. i
An hua di "Tasso. . . . i
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OEUVRES CHOISIES
DE
DESPORTES, BERTAUT,
ET REGNIER.
OEUVRES CHOISIES
DE
DESPORTES, BERTAUT,
ET REGNIER,
Précédées de Notices historiques et critiques sur ces
poètes, et suivies d'un Vocabulaire,
Par M. PELLISSIER.
A»
ÉDITION STÉRÉOTYPE.
A PARIS,
DE L'IMPRIMERIE DE FIRMIN DIDOT
IMPRIMEUR DU ROI , ET DE i/ltf STITUT ,
RUE JACOB, N° 24.
l823
3C4Ô92
29
NOTICE
SUR DESPORTES,
Philippe Desportes, né à Chartres en 1040,
embrassa de bonne heure l'état ecclésiastique. S'étant
attaché à un évêque , il le suivit cà Rome , où il étudia
avec soin la langue et la littérature italienne. De retour
à Paris , il se livra tout entier à la poésie française ,
et il réussit principalement à la débarrasser des or-
nements étrangers qui la déparoient. La confusion e$
le désordre étoient alors dans les lettres ; on de-
passoit sans cesse le but dans tous les genres, parce
qu'on ignoroit que le vrai mérite consiste seulement à
l'atteindre. La plupart des écrivains de cette époque,
loin de chercher à fixer la langue , sembloient au
contraire vouloir en retarder les progrès par des ten-
tatives hasardées. Les uns appliquoient à la poésie les
formes métriques des anciens ; les autres s'étudioient a
introduire dans les vers toutes sortes de mots arecs et
latins, croyant que pour les faire adopter, il suffisait
de leur donner une terminaison française. Les succès
de Ronsard et de ses imitateurs eussent facilement
égaré le jeune Desportes, s'il n'avoit su se défier de
i
NOTICE
leurs exemples et se frayer lui-même une route nou-
velle. Sans doute , Desportes n'eut pas toujours un
goût sûr , qualité qui ne peut s'obtenir qu'avec le se-
cours du temps et de l'expérience; il manquoit quel-
quefois de verve et d'imagination ; il sacrifia trop
souvent aux idées recherchées de son siècle; mais il
eut le mérite de simplifier le mécanisme de notre ver-
sification , et de préparer des réformes utiles en se
permettant peu l'usage des hiatus et des enj ambements .
Admirateur passionné des anciens , il eut souvent l'art
de cacher son érudition sous des traits faciles et gra-
cieux. Il embellit son style d'imitations empruntées
aux figures brillantes des poètes italiens; il donna
plus de pureté et de douceur au langage , plus de clarté
à l'expression; en un mot, il apprit aux muses de la
France à parler français.
La poésie fut pour Desportes une source de faveurs
et de richesses. Accueilli avec distinction à la cour, il
eut bientôt des protecteurs puissants et nombreux.
Charles IX , à qui il dédia une pièce assez médiocre ,
imitée en partie de l'Arioste , lui donna , en cette oc-
casion, huit cents écus d'or et le combla de bienfaits.
Aussi Balzac , comparant le sort de quelques écrivains
de cette époque avec celui de Desportes , se plaint-il
hautement de la misère et de l'abandon dans lesquels ils
furent laissés. Il ajoute avec l'accent d'une noble in-
dignation: «Dans cette même cour, où l'on exerçoit
« de ces libéralités , Torquato Tasso a eu besoin d'uu
« écu, et l'a demandé par aumône à une dame de &a
« connoissance* »
SUR DESPORTES. 3
Desportes fut également honoré de la protection et
de l'amitié du duc d'Anjou, qui, ayant été élu roi de
Pologne en i5l3, emmena le jeune poète et l'associa
à ses ennuis jusqu'à l'année suivante où ce prince , par
la mort de son frère, fut appelé au trône de France
qu'il occupa sous le nom de Henri III. Dès -lors la
faveur de Desportes n'eut plus de bornes. Le nou-
veau roi le nomma lecteur de son cabinet ; il l'appelait
souvent dans son conseil privé. Il lui donna trente
mille livres (plus de cent mille francs de notre mon-
noie)pour faire imprimer ses poésies. Les bénéfices
ecclésiastiques qu'il reçut de lui s'élevaient à dix mille
écus de rente , sans y comprendre les libéralités de
plusieurs seigneurs , et notamment du duc de Joyeuse ,
qui lui fit avoir une abbaye considérable pour un seul
sonnet.
Il faut le dire toutefois , Desportes faisoit le plus
bel usage de ses richesses. Sa maison et sa bourse
étoient ouvertes à tous ceux qui cultivoient les lettres ;
ils trouvoient en lui un protecteur généreux et un ami
dévoué. Il employoit une partie de son revenu à
acheter des livres, et sa bibliothèque étoit à la dispo-
sition de tous ceux qui vouloient la consulter. Sa mo-
destie fut quelquefois assez grande pour mettre elle-
même des bornes à la munificence du souverain ; il
refusa l'archevêché «de Bordeaux. Tant de qualités
louables furent un moment altérées par sa conduite
politique. Après la mort tragique de Henri III, Des-
portes s'étoit retiré dans son abbaye de Bon-Port, en
Normandie ; là , son attachement et sa reconnoissanee
4 IOTICE
pour le. duc de Joyeuse l'entraînèrent dans le parti de
la ligue. Plus tard il changea de sentiment, et en i5g4
il contribua à ramener cette province sous l'obéissance
de Henri IV.
Les heureuses réformes que Desportes introduisit
dans la poésie française lui suscitèrent autant d'enne-
mis que sa fortune rapide et sa célébrité lui firent de
jaloux. Ses ouvrages devinrent l'objet de critiques
souvent minutieuses ou injustes, et l'envie trouva
dans l'infidélité passagère du citoyen une occasion
favorable d'attaquer le poète avec les traits enve-
nimés de la calomnie. Desportes reconnut ses erreurs
et les fit oublier à Henri IV lui-même par un repentir
sincère et par un dévouement utile. Il opposa toujours
aux reproches outrés de ses critiques une modération
ou une docilité qui fait également l'éloge de son es-
prit et de son cœur. On publia contre lui un ouvrage
intitulé la Rencontre des Muses, contenant quarante-
huit sonnets qu'il avait imités ou traduits de l'italien ;
et pour mieux dénoncer les prétendus larcins du
poète français, l'auteur fit imprimer le texte original
en regard de ces diverses imitations. Desportes prit la
chose gaiement, et blâma son ennemi de ne l'avoir
pas consulté : « J'aurois pu, disoit-il, lui fournir des
« mémoires pour grossir son livre. »
Les OEuvres de Desportes se composent de poésies
amoureuses et de poésies chrétiennes. Il a traduit
tous les psaumes en vers français ; mais ce dernier
ouvrage, qu'en a comparé aux foibles soupirs dune
muse expirante , se ressent beaucoup trop de la vieil-
SUR DESPORTES. 5
lesse de l'auteur. Le poète religieux fut moins bien
inspiré que le poète galant. Néanmoins cette traduction
du psautier est quelquefois remarquable par une grande
fidélité , seul mérite que le traducteur ambitionna
sans doute, lorsqu'à la fin de sa vie il crut par ce
travail expier les compositions un peu mondaines de
sa jeunesse. Desportes, en effet, avoit choisi l'état
ecclésiastique, et n'écrivit avec succès que sur la ga-
lanterie. Il célébra particulièrement trois de ses maî-
tresses dans des vers qu'il a publiés sous le titre des
Amours de Diane, d'Hippolite et de Cléonice, Un de
ses sonnets , en forme d'épitaphe , peut faire pré-
sumer que la première étoit cette infortunée Diane
de Cossé-Brissac , comtesse de Mansfeld, que son mari
surprit avec le comte de Maure, son amant, et qu'il
immola dans un accès de jalousie. Il est permis de
croire également que sous le titre des Amours d'Hip-
v otite , il a chanté Hélène de Surgères, fille d'honneur
de Catherine de Médicis, et à laquelle Ronsard, déjà
vieux , avoit adressé plusieurs pièces amoureuses.
Enfin Héliette de Vivonne de la Châtaigneraye * lui
fournit le sujet de Cléonice.
Outre ces poésies galantes , Desportes en a publié
d'autres sous le titre de Diverses Amours. Il a composé
aussi deux livres d'élégies qui lui firent donner le nom
de Tibulle français. Mais la postérité n'a point con*
firme à cet égard le jugement de ses contemporains.
Les élégies de Desportes manquent en général de na-
turel et de vérité ; on n'y trouve pas cette simplicité
touchante à laquelle on reconjioit le sentiment qui
I.
f> NOTICE
inspire le vrai langage de la souffrance ou celui de la
passion. Chez Desportes , l'esprit de l'auteur étouffe
presque toujours les plaintes de l'amant sous des an-
tithèses ou des proverbes rimes qu'il entasse froide-
ment sans goût et sans choix. Ses lamentations fati-
guent et ne touchent pas, sa douleur est sans intérêt,
ses grâces même ont perdu leurs charmes. J'aurois
moins insisté sur ces défauts si, dans plusieurs ou-
vrages modernes, trés-recommandables d'ailleurs, on
n'avoit, sans examen, conservé à ce poète un titre
trop flatteur, et qu'il n'a jamais mérité. J'ajouterai que
ces défauts étonnent d'autant plus, que Desportes a
vraiment réussi dans la chanson anacréontique , genre
qui se rapproche souvent de l'élégie.
Ses œuvres contiennent aussi deux pièces intitulées
Eurylas ou Avejiture première y et Cléophon ou Aventure
seconde. Dans l'une, sous le nom d'Eurylas, le poète
célèbre les amours de Henri III, alors duc d'Anjou, pour
Marie de Crèves , princesse de Condé , qu'il désigne
sous le nom à? Olympe. Le sujet de la seconde pièce
est le fameux duel de Quélus , Livarot et Maugiron
contre Ribérac , Schomberg et le jeune Antragues. Ces
deux pièces offrent quelques bons vers , mais qu'il est
difficile de détacher, parce qu'ils tiennent à la narra-
tion. Je citerai toutefois le morceau suivant extrait de
l' Aventure première. L'auteur suppose que Vénus ap-
paraît en songe à la belle Olympe , et qu'elle lui pro-
met les plus douces faveurs :
Vénus, ce lui sembloit, à ces mots l'a baisée ;
Laissant d'un chaud désir sa poitrine embrasée ,
SUR DESFORTES. .. J
Puis disparut légère. Ainsi qu'elle partoit,
Le Ciel tout réjoui ses louanges chantoit,
Les vents à son regard tenoient leurs bouches closes,
Et les petits Amours faisoient pleuvoir des roses.
Phébus aux cheveux d'or sur les monts paroissoit,
Et la nuit devant lui son grand voile abaissoit;
Les fleurs s'ouvroient au j our , et la gaie Arondelle
Saluoit en chantant la lumière nouvelle :
Quand, avec un penser plaisant et soucieux,
Olvmpe se réveille entrouvrant ses beaux yeux;
Doucement tout autour la vue elle a tournée ,
Puis se tint sans mouvoir comme toute étonnée.
>7e croiroit-on pas lire la description d'un tableau
de TAlbane?
Parmi les pièces en divers genres que leur inégalité
n'a pas permis de choisir ou d'extraire , on trouve
souvent des vers dignes d'être retenus. Si je suis
malheureux, dit-il, en s'adressant à sa maîtresse :
J'en accuse le Ciel plutôt que vous blâmer,
La faute en est à lui qui vous forma si belle.
Il est inutile de remarquer que ce dernier vers a été
copié depuis, et qu'il est devenu proverbe.
Cet autre vers n'est pas moins beau .
Et crois qu'en l'adorant je fais honneur aux Dieux.
Quelquefois Desportes joint la délicatesse du senti-
ment à une pensée bien exprimée :
Ceux qui sont altérés d'honneurs ou de richesse , '
8 NOTICE
Importuns feront presse à la suite du roi ;
Les Liens et la grandeur que je brigue pour moi,
C'est de finir ma vie en servant ma maîtresse.
Ailleurs il adresse les ouvrages de Pétrarque à la
beauté qu'il aime , et il lui dit que si l'amant de Laure
le surpassa comme écrivain , il a bien plus d'amour
que le poète de Vaucluse ,
Car sa Laure mourut , il demeura vivant ;
Si ma dame mouroit, je mourrois avec elle.
Les détails de ses narrations ont de la facilité et du
pxquant :
Un autre jour plus gai je m'en vais à la chasse ;
Je cherche un lièvre au gîte ou le suis à la trace ;
Je prends la simple caille , entr'imitant son chant :
Quelquefois je retourne avec le chien couchant
Lui dresser autre embûche , et le soir je devise,
Quand elle est dans le plat, comme je l'ai surprise.
On y trouve de belles images empreintes des cou-
leurs de la philosophie :
Les grands palais sont plus battus des vents,
Et les hauts monts vers le ciel s'élevants
Presque toujours sont frappés de l'orage.
Il s'exprime ainsi en parlant de l'aigle :
L'aigle , courrier du foudre , et ministre fidelle
Du tonnant Jupiter, roi des oiseaux s'appelle,
Pour ce que ^ sans fléchir, il soutient de ses yeu^
SUR DESPORTES. 9
Les traits éblouissants du soleil radieux ;
Et que d'une aile prompte au travail continue ,
S'élevant sur tout autre, il se perd dans ia nue.
Veut -il caractériser un jaloux?
Tout ce qu'on dit d'Argus de lui se peut bien dire ,
Jamais le doux sommeil ne lui ferme les yeux;
Et quand un papillon vole autour de la belle ,
Il crie , et veut savoir s'il est mâle ou femelle.
Ailleurs il fait cette réflexion sur l'amour :
Si l'Amour est un dieu, c'est un dieu d'injustice ,
Qui porte au lieu de sceptre un flambeau dans la main
Dont il brûle les cœurs de flammes éternelles,
Et tourmente plus fort ceux qui sont plus fidelles,
Il réussit également dans les comparaisons: .
Je fais comme la biche alors qu'elle est blessée ,
Elle fuit le chasseur, mais elle ne fuit pas
La flèche et la douleur qui causent son trépas.
On a déjà pu remarquer dans ces vers quelques
imitations heureuses des poètes anciens. Desportes,
nourri de la lecture de leurs ouvrages , en sentait vive-
ment les beautés, et il s'attacha moins à les copier
servilement, qu'à s'approprier, pour ainsi dire, l'art
qui les avait produites. Il a été souvent imité lui-
même après sa mort. Pour n'en citer qu'un exemple ,
je me bornerai à indiquer, dans ce recueil, le sonnet
de la page 65. Ce sonnet a évidemment fourni l'idée
I O NOTICE SUR DESPORTES.
de celui qui fit la réputation de Desbarreaux, et qui
commence par ce vers :
Grand Dieu, tes jugements sont remplis d'équité, etc.
En comparant les deux sonnets , il est facile de se
convaincre que cet auteur eut seulement la gloire de
perfectionner une pièce médiocre de son devancier.
Desportes mourut dans son abbaye de Bon -Port,
le 5 octobre 1606 , année remarquable parla naissance
du grand Corneille.
P.
OEUVRES CHOISIES
DE
DESPORTES.
AMOURS DE DIANE.
SONNET.
_/x3iouR,trie et choisis les plus beaux de ces vers,
Et raye à ton plaisir ceux de moindre mérite :
Qu'à ce fâcheux labeur ta louange t'excite ;
C'est dessous ton beau nom qu'Us vont par l'uni-
vers.
Ils sont nés de ta flamme et des tourments divers
Dont tu me fis présent , quand je vins à ta suite :
Ma prise et ta victoire au vrai s'y voit décrite,
C'est le papier journal des maux que j'ai soufferts.
Ceux qui ne t'ont connu sinon par ouï-dire 3
Ne doivent , curieux, s'arrêter aies lire :
Aux seuls vrais amoureux ce livre est réservé ;
Les autres ne croiroient tant d'étranges alarmes,
Las ! si n'ai-je rien dit que jen'aye éprouvé ,
Et chacun de ces vers me coûte mille larmes.
12 PHILIPPE DESPORTES.
CHANT D'AMOUR.
Puis que je suis épris d'une beauté divine J
Puis qu'un amour céleste est roi de ma poitrine,
Puisque rien de mortel je ne veux plus sonner ,
Il faut à ma Diane ériger ce trophée ,
Et faut qu'à ce grand dieu,quiin'ai'ame échauffée,
Je consacre les vers que je veux entonner.
C'est un grand dieu qu'Amour , il n'a point de
semblable ,
De lui-même parfait , à lui-même admirable ,
Sage, bon, connoissant, et le premier des dieux ;
Sa puissance invincible en tous lieux est connue :
Son feu prompt et subtil, qui transperce la nue,
Brûle enfer, la marine, et la terre et les cieux.
Durant le grand débat de la masse première,
Que l'air, la mer, la terre, et la belle lumière
Mêlés confusément faisoient un pesant corps :
Amour qui fut marri de leur longue querelle,
De la matière lourde en bâtit une belle,
Rangeant les éléments en paisibles accords.
C'est donc , Amour , par toi que les bois rever-
dissent ,
C'estpar toi que les blés es campagnes jaunissent,
C'est par toi que les prés se bigarrent de fleurs ;
Par toi le doux printemps suivi de la jeunesse ,
De Flore et de Zéphire , étale sa richesse ,
AMOURS DE DIAIE. IJ
Peinte diversement de cent mille couleurs.
Tout rit par où tu passe, et ta vue amoureuse
Qui brûle doucement, rend toute chose heureuse:
La Grâce quand tu marche est toujours au devant,
La Volupté mignarde en chantant t'environne ,
Et le Soin dévorant qui les hommes talonne ,
Quand il te sent venir s'enfuit comme le vent.
Par toi le laboureur en sa loge champêtre ,
Par toi le pastoureau menant ses brebis paître,
Se plaît en sa fortune et bénit ton pouvoir :
Et d'une vilanelle en chantant il essaie
D'amollir Galatée , et de guérir sa plaie ,
Modérant la chaleur qui le fait émouvoir.
Les rois par ta douceur tout remplis d'allégresse,
Donnent quelquefois trêve au souci qui les presse:
Des graves magistrats les pensers tu défais ;
Tu te prends, courageux, aux plus rudes gen-
darmes ,
Et souvent au milieu des combats et des armes
Tu chasses la querelle et nous donnes la paix.
Tu délectes les bons , tu contentes les sages ,
Tu bannis les frayeurs des plus lâches courages :
Rendant l'homme craintif, hautain et généreux,
Tu es le seul auteur de toute courtoisie ;
Et sans toi ne peut rien la douce poésie ,
Car un parfait poëte est toujours amoureux.
2
l f\ r in I, J P P R DES PORTES.
SO NN ET.
I J in ■ jour l'aveugle Amour, ©iane et m;» maîtresse,
Ne pouvam s'accorder de leur dextérité ,
S'essayèrent de l'arc vers mi but Limité,
Et mire ni pour le prix leur plus belle richesse.
Amour gagea son arc , et la chaste déesse
Qui commande aux forêts, sa divine beauté:
IVhi maîtresse gagea sa père pruauté
Qui me fait consommer éa mortelle tristesse.
Las! ma dame gagna , remportant pourguerdon
La beauté de Diane et L arc de Cùpidon ,
El la dure impitié dont son aine es! couve rie.
Pour essayer ses traits elle a percé mon CGÇUr,
Sa beauté m, éblouit , je meurs par sa rigueur;
Ainsi sur moi chétif tombe toute la perte.
CHANSON,
C K i) \ qUÎ peignent Amour sans yeux
N'ont pas bien sa force connue :
.1 1 voit plus clair (pf aucun des Dieux ,
Las! j ai trop essayé sa vue.
Hélas ! a-i-il mauvais regard ?
[De cent mille traits qu'il m'adresse,
Il ne me Trappe en nulle part
Qu'au cœur , où toujours il me blesse
AMOURS DE T)IAJÎ(E. Il}
II a donc des yeux et voit bien ,
A quelque but qu'il veuille atteindre ;
Mais il est sourd et n'entend rien ;
On a beau soupirer et plaindre.
Que me faut -il donc espérer ,
Suivant ce Dieu plein de furie ?
Il voit bien pour me martyrer ,
Et n'entend rien , quand je le prie.
SONNET.
Elle pleuroit , toute pâle de crainte ,
Lorsque la mort sa moitié menaçoit ,
Et tellement l'air de cris remplissoit ,
Que la mort même à pleurer eut contrainte.
Hélas , mon Dieu , que sa grâce étoit sainte !
Que beau son teint qui les lis elïaçoit!
Le trait d amour cependant me blessoit,
Et dans mon ame engravoit sa complainte.
L'Air en pleurant sa douleur témoigna ,
L.e beau Soleil de pitié s'éloigna ,
Les Vents émus retenoient leurs haleines ;
Et sur la terre où tombèrent les pleurs
De ses beaux yeux, amoureuses fontaines y
;Tout s'émailla de verdure et de fleurs.
lf> PHILIPPE DESPORTES.
PLAINTE.
Quand je pense aux plaisirs qu'on reçoit en ai-
mant , '
Et que le feu d'amour est une vive flamme
Qui fait mouvoir l'esprit et qui réveille l'ame ,
Rien ne me plait si fort que l'état d'un amant.
Mais quand je vois qu'Amour ses sujets tyrannise,
Qu'il les tient prisonniers, qu'il les paît de dou-
leurs ,
Quand j'ois tant de regrets, quand je vois tant de
pleurs ,
J'estime bienheureux qui garde sa franchise
Si est-ce un grand plaisir après un long tourment
D'adoucir à la fin la rigueur de sa dame 7
Baiser son front, sa bouche, et ses yeux pleins de
flamme ;
Non , il n'est rien si doux que l'état d'un amant.
Mais si durant le temps qu'elle nous favorise
Un rigoureux départ nous force à la laisser ,
Quelle extrême douleur peut la nôtre passer ?
Il est donc bienheureux qui garde sa franchise.
Encore on se contente en cet éloignement ,
Car l'esprit s'entretient de douces souvenances;
On pense à la revoir , on se paît d espérances :
Il n'est donc rien si doux que l'état d'un amant.
Mais après le retour trouver sa place prise ,
AMOURS DE DIANE. 1^
Lui voir le cœur changé , n être plus reconnu ,
Et se voir délaissé pour un nouveau venu ,
Est-il pas plus heureux qui garde sa franchise ?
Vous qui goûtez d'amour le doux contentement
Chantez qu'il n est rien tel que l'état d'un amant :
Vous qui la Liberté pour déesse avez prise ,
Chantez qu'il n'est rien tel que garder sa fran-
chise.
SONNET.
Mari jaloux , qui me défends la vue
De la beauté si bien peinte en mon cœur,
De tes fureurs mon désir prend vigueur,
Et mon amour plus forte continue.
Plus une place est chèrement tenue ,
Plus elle acquiert de louange au vainqueur ;
Plus tu seras vers moi plein de rigueur ,
Plus je rendrai ma constance connue.
Quand on ne peut un cœur froid allumer ,
Il faut sans plus lui défendre d'aimer:
Tout aussitôt le voilà plein de flamme.
Donc , si tu veux vivre bien assuré ,
Ferme les yeux, ne garde point ta femme ;
Le bien permis est le moins désiré.
CHANSON.
Amour, grand vainqueur des vainqueurs,
Et la beauté reine des cœurs ,
2.
PHILIPPE DESPORTES.
Jadis firent un vœu notable :
Et pour n'y manquer nullement,
Chacun jura maint grand serment ,
Qu'il le tien droit irrévocable.
Premier cet enfant passager
Jura de jamais ne loger
En esprit ou en fantaisie
Autant d'un mortel que d'un Dieu ,
Qu'il n'y retînt toujours an lieu
Près de soi pour la jalousie.
Beauté jurant après Amour,
Promit de ne faire séjour
Ni d'arrêter jamais en place ,
Sans y loger aussi soudain
L'orgueil fantastique et hautain ,
L'aigreur , le mépris et l'audace.
Serments cruels et rigoureux ,
C'est par vous que les amoureux
Sont pressés d'angoisses mortelles:
L'un rend leur esprit transporté ,
L'autre fait que la cruauté
A tant de force au cœur des belles.
De ces vœux trop bien observés
Nous avons été réservés ,
O ma belle et chère déesse !
Vos douces beautés et ma foi
AMOURS DE DIANE. I9
Sont du tout exempts de la loi ,
Et ne sentent point sa rudesse.
Puissions-nous vivre ainsi toujours ,
Maîtresse , heureux en nos amours ,
A qui nulle autre ne ressemble :
Et s'il faut sentir du malheur,
Que ce soit la seule douleur
De n'être pas toujours ensemble.
DE LA JALOUSIE.
Amour est bien cruel , sa pointure est mortelle ,
Mais l'âpre jalousie est beaucoup plus cruelle ;
Tout autre mal n'est rien au prix de ce tourment,
Amour aucunefois se lasse de nos peines ,
Et soulage nos maux par des liesses vaines ,
Mais cette autre fureur nous presse incessam-
ment.
Je ne saurois aimer rien que ma dame touche ,
Je hais l'air qu'elle tire et qui sort de sa bouche ,
Je suis jaloux de l'eau qui lui lave les mains ?
Je n'aime point sa chambre , et j'aime moins en-
core
L'heureux miroir qui voit les beautés que j'adore;
Et si n'endure pas mes tourments inhumains.
Je n'aime point ce vent qui folâtre se joue
Parmi ses beaux cheveux, et lui baise la joue \
Si grande privauté ne me peut contenter.
SO PHILIPPE DESPORTES.
Je couve au fond du cœur une ardeur ennemie
Contre ce fâcheux lit , qui la tient endormie ,
Pour la voir toute nue et pour la supporter.
Si quelqu'un est pensif, soudain je crois qu'il
pense
En ce bel œil guerrier, qui comme moi l'offense :
Si je le vois joyeux , je crains qu'il soit content ,
Et souhaite en pleurant que mes yeux me dé-
çoivent:
Bref tous ceux que je vois, j'estime qu'ils reçoi-
vent
Plus de faveurs que moi, bien qu'ds n'aiment pas
tant.
SONNET.
Lettres , le seul repos de mon ame agitée,
Hélas ! il le faut donc me séparer de vous ;
Et que par la rigueur d'un injuste courroux ,
Ma plus belle richesse ainsi me soit ôtée.
Ha ! je mourrai plutôt, et ma dextre indomptée
Fléchira par mon sang le Ciel traître et jaloux ,
Que j e m'aille privant d'un bien qui m'est si doux:
Non, je n'en ferai rien, la chance en est jetée.
Il le faut toutefois, elle les veut ravoir,
Et de lui résister je n'ai cœur ni pouvoir ;
Atout ce qu'elle veut mon ame est trop contrainte.
0 beauté sans arrêt ! mais trop ferme en rigueur,
AMOURS DE DIAJffE. 21
Tiens, reprends tes papiers et ton amitié feinte,
Et me rends mon repos ma franchise et mon cœur,
CHANSON.
La terre n'aguères glacée
Est ores de verd tapissée :
Son sein est embelli de fleurs ;
L'air est encore amoureux d'elle ;
Le ciel rit de la voir si belle ,
Et moi j'en augmente mes pleurs.
Des oiseaux la troupe légère ,
Cbantant d'une voix ramagère ,
Donne l'ame aux bois et aux champs ;
Leur doux bruif réveille ma peine ,
Et les plaintes de Pliilomène
-rie sont au cœur glaives tranchants.
Quand je vois tout le monde rire
C'est lors qu'à part je me retire ,
Tout morne, en quelque lieu caché ;
Comme la chaste tourterelle ,
Perdant sa compagne fîdelle ,
Se branche sur un tronc séché.
Le soleil jamais ne m'éclaire ,
Toujours une nuit solitaire
Couvre mes yeux de son bandeau :
Je ne vois rien que des ténèbres ,
2 2 PHILIPPE DESPORTES.
Je n'entends que des cris funèbres ,
Je n'aime rien que le tombeau.
Las , qu'Amour me rend misérable î
Las ? que la joie est peu durable !
Las , que constante est la douleur !
Que du sort la roue est légère !
Que l'espérance est mensongère !
Que l'homme est sujet au malheur !
La Parque aux traits inévitables ?
Seule est propre aux maux incurables
Viens donc , ô pâle déité î
Tu n'as autel ni sacrifices :
Mais si tes dards me sont propices ,
Mourant, je louerai ta bonté.
PLAINTE.
E nr quel désert , quel bois ou quel rivage \
Cruel Amour , me pourrai -je sauver ?
Pour t' empêcher de me venir trouver ;
Et m'affranchir de ton cruel servage ?
Las ! je pensois en m'éloignant de celle
Qui tient mon cceur en ses yeux arrêté ?
Me retirer hors de captivité ,
Et voir la fin de ma douleur cruelle.
Rien ne s'égale à ma dure souffrance 7
Belle Diane , et j'atteste vos yeux
A 31 OURS DE DIANE. Si
Que mon trépas me plairoit beaucoup mieux
Auprès de vous , que vivre en votre absence,
PRIÈRE AU SOMMEIL.
S o:\i3iE , doux repos de nos yeux ,
L'aimé des hommes et des Dieux ,
Fils de la nuit et du silence ,
Qui peux les esprits délier,
Qui fais les soucis oublier ,
Endormant toute violence !
Approche , ô Sommeil désiré !
Las ! c'est trop long-- temps demeuré ;
La nuit est à demi-passée ,
Et je suis encore attendant
Que tu chasses le Soin mordant .
Hôte importun de ma pensée.
Si tu peux nous représenter
Le bien qui nous peut contenter ,
Séparé de longue distance ,
O Somme doux et gracieux ,
Représente encore à mes yeux
Celle dont je pleure l'absence !
Mais las ! je te vais appelant,
Tandis la Nuit en s' envolant
Fait place k l'Aurore vermeille:
Amour, ô tyran de mon cœur,
C'est toi seul qui , par ta rigueur,
Empêches que je ne sommeille !
l/\ PHILIPPE DESPOllTES,
SONNET.
Si je me sieds à'I'ombre, aussi soudainement
Amour, laissant son arc, s'assied et se repose ;
Si je pense à des vers , je le vois qui compose ;
Si je plains mes douleurs, il se plaint hautement.
Si je me plais au mal, il accroît mon tourment ;
Si je répands des pleurs, son visage il arrose ;
Si je montre la plaie en ma poitrine enclose ,
Il défait son bandeau, l'essuyant doucement.
Si je vais par les bois, aux bois il m'aecompagne:
Si je me suis cruel, dans mon sang il se bagne ;
Si je vais à la guerre, il devient mon soudai t ;
Si je passe la mer, il conduit ma nacelle :
Bref, jamais l'inhumain de moi ne se départ ,
Pour rendre mon amour et ma peine éternelle.
SONGE.
Celle que j'aime tant, Lasse d'être cruelle ,
Est venue, en songeant, la nuit me consoler :
Ses yeux étoient riants, doux étoit son parler,
Et mille et mille amours voloient alentour d'elle.
O douce illusion ! ô plaisante merveille !
Mais combien peu durable est l'heur d'un amou-
reux !
Voulant baiser ses yeux, hélas, moi malheureux î
Pcu-à-peu doucement je sens que je m'éveille.
AMOTJRS.DE DIANE,. .2$
Encor long-temps depuis d'une ruse agréable
Je tins les yeux fermés, et feignois sommeiller :
Mais le songe passé, je trouve au réveiller
Que ma joie étoit fausse, et mon mal véritable.
RIMES TIERCES.
Si jamais plus ma liberté j'engage
Au faux Amour, jadis roi de mon cœur,
Que je languisse en éternel servage.
Si jamais plus son feu brûle mon ame ,
Que je n'éprouve en aimant que rigueur,
Et que mes pleurs fassent croître ma flamme,
Si jamais plus une beauté mortelle
Tient mon esprit en la terre arrêté ,
Que mon mal serve à la rendre plus belle.
Si jamais plus pour ses yeux je soupire,
Que mes soupirs croissent sa cruauté ,
Et de mes cris ne se fasse que rire.
Que les cheveux, dont mon ame fut prise ,
Laissent son chef, après avoir changé
Leur couleur d'or en une couleur grise.
Que de ses mains son miroir elle rompe
Voyant sa face , et que je sois vengé
De ce cristal qui maintenant la trompe.
Qu'elle ait regret a sa jeunesse folle ,
Et qu'elle apprenne hélas ! trop chèrement^
Que la beauté comme le vent s'envole.
3
26 PHILIPPE DESPORTES.
Lors sans danger, sans douleur et sans crainte
-Je me rirai d'avoir si longuement
A la servir ma liberté contrainte.
Puis je prendrai la vaine repentance ,
Et ses soupirs pour heureux payement
De mes douleurs et de son arrogance.
CONTRE AMOUR.
Je connois mon erreur, je commis la folie
Qui profonde a tenu mon aine ensevelie,
Je connois les flambeaux dont je fus embrasé ,
Je connois le venin qui troubla ma pensée ,
Et regrette en pleurant ma jeunesse passée ,
Maudissant le pipeur qui m'a tant abusé.
Que mon cœur , que ma voix , que mon esprit se
change ,
Au lieu de tant d'écrits sacrés à sa louange ,
Cependant qu'un chaud mal me rendoit insensé :
Que mon vers désormais déteste sa puissance ,
Afin que pour le moins chacun ait cônnoissance
Que je n ai pas grand peur qu'il en soit offensé.
Celui qui veut conter les douloureuses peines ,
Les regrets, les soucis, les fureurs inhumaines ,
Les remords , les frayeurs qu'on supporte en ai-
mant ,
Qu'il conte du printemps la richesse amassée,
AMOURS DE DIANE. 27
Les vagues de la mer quand elle est courroucée,
Et par les longues nuits les yeux du firmament.
Le forçat enchaîné quelquefois se repose ,
Le pauvre prisonnier dedans sa prison close
Clôt quelquefois les yeux et soulage ses maux ;
Au soir le laboureur met ses bœufs en Fétable ,
Et doucement forcé d'un sommeil agréable,
Remet jusques au jour sa peine et ses travaux.
Seulement le cliétif qui porte en la pensée
Le poignant aiguillon d'une rage insensée ,
Ne sent point de relâche entre tant de malheurs :
Si le jour le fàchoit , la frayeur solitaire
Et le silence coi rentament sa misère ,
Renveniment sa plaie et rouvrent ses douleurs.
Est-il dedans le lit? les pensers qui l'assaillent,
Mutins et furieux sans repos le travaillent :
L un cà , l'autre delà , chacun à qui mieux mieux.
De ses cuisants regrets le Ciel il importune ,
Il rêve, il se dépite , il maudit sa fortune ,
Noyant toute espérance au torrent de ses yeux.
S'il s'endort quelquefois , aggravé de tristesse ,
Hélas ! par le dormir sa douleur ne prend cesse 3
Mais plus fort que devant il se sent travailler ;
Car au premier sommeilles songes l'épouvantent,
Et mille visions à ses yeux se présentent
Qui le font en sursaut rudement éveiller,
20 VUlï-lVPEL DESPORTIÏS.,
Le jour est-il Venu f sa douleur recommence \
Il déteste le bruit , il cherche le silence ,
La clarté lui déplaît , et la voûte des cieùx ,-,
Le murmure des eaux, la fraîcheur des ombrages,
Herbes , rives et fleurs , forêts , prés et bocages ,
Et ne sauroit rien voir qui contente ses yeux A
SUR LA MORT DE DIANE.
SONNET.
Vawte-toi maintenant, outrageuse déesse,
D'avoir fait tout l'effort de ta plus grand rigueur^
Privant Amour de traits, d'allégresse mon cœur,
La terre d'ornement, de gloire et de richesse.
On ne sait plus que c'est de vertu ni d'adresse,
L'honneur triste languit sans force et sans vi-
gueur ;
Bref, de cent déités ton bras s'est fait vainqueur ;
Morte gît la beauté , la grâce et la jeunesse :
L'air, la terre et les eaux cet ouvrage ont pleuré,
Le monde en la perdant sans lustre est demeuré,
Comme un pré sans couleurs , un bois sans robe
verte :
Tandis qu'il en jouit , il ne la connut pas ,
Moi seul je la connus , qui la pleure ici - bas ,
Cependant que le Ciel s'enrichit de ma perte.
AMOURS D'HIPPOLITE.
CHANSON,
JLJouce Liberté désirée,
Déesse , où t'es -tu retirée ,
Me laissant en captivité ?
Hélas , de moi ne te détourne l
Retourne, ô Liberté, retourne,
Retourne , ô douce Liberté !
Ton départ m'a trop fait connoître
Le bonheur où je soulois être,
Quand douce tu m'allois guidant :
Et que sans languir davantage
Je devois , si j'eusse été sage ,
Perdre la vie en te perdant,
D'autre sujet je ne compose,
Ma main n'écrit plus d'autre chose ;
Là tout mon service est rendu ;
Je ne puis suivre une autre voie ,
Et le peu de temps que j'emploie
Ailleurs , je l'estime perdu.
Quel charme, ou quel Dieu plein d'envie?
A changé ma première vie ,
La comblant d'infélicité ?
3.
3® PHILIPPE DESPORTES»
Et toi , Liberté désirée ,
Déesse , où/ t'es - tu retirée ?
Retourne , ô douce Liberté !
Las ! donc sans profit je t'appelle ,
Liberté précieuse et belle !
Mon cœur est trop fort arrêté :
En vain après toi je soupire,
Et crois que je te puis bien dire ,
Pour jamais , adieu Liberté.
CHANSON.
Savez -vous ce que je désire
Pour loyer de ma fermeté ?
Que vous puissiez voir mon martyre ,,
Comme ie vois votre beauté.
Le Ciel ornant votre jeunesse
De ses dons les plus précieux ,
Pour mieux me montrer sa richesse
M'éclaira l'esprit et les yeux :
Toujours depuis je vous admire
D'un œil tout en vous arrêté :
Mais vous ne voyez mon martyre 7
Comme je vois votre beauté.
L'aveugle enfant qui me commande ,.
Qu'on nomme à tort Dieu d'amitié,
Les deux yeux , comme à lui , vous bande T
amours d'hippolite. 3i
Afin que soyez sans pitié.
Il le faut : car j'ose bien dire
Que n'auriez tant de cruauté ,
Si vouspouviez voir mon martyre
Comme je vois votre beauté.
SONNET.
Icare chût ici , le j eune audacieux ,
Qui pour voler au ciel eut assez de courage !
Ici tomba son corps dégarni de plumage ,
Laissant tous braves cœurs de sa chute envieux,
O bienheureux travail d'un esprit glorieux ,
Qui tire un si grand gain d'un si petit dommage !
O bienheureux malheur, plein de tan t d'avantage;
Qu'il rende le vaincu des ans victorieux !
Un chemin si nouveau n'étonna sa jeunesse ,
Le pouvoir lui faillit , et non la hardiesse ;
Il eut, pour le brûler, des astres le plus beau.
Il mourut poursuivant une haute aventure ,
Le ciel fut son désir, la mer sa sépulture.
Est-il plus beau dessein, ou plus riche tombeau?
CHANSON.
Pour faire qu'une affection
Ne soit sujette à l'inconstance ,
Il faut beaucoup de connoissanee
Et beaucoup de discrétion»
3a PHILIPPE DESPORTES.
Je suis bien d'avis qu'une daine
Ne doive aisément s'assurer
Qu'un jeune amant garde sa flamme ,
Pour le voir craindre et soupirer :
Car presqu' aussitôt qu'il commence 9
Le refus ou la jouissance
Eteignent ses feux si cuisants ,
Et n'y peut avoir d'assurance
Qu'il n'ait passé deux fois douze ans.
J'estime aussi peu recevable,
Au moins pour durer longuement 5
" Cette ardeur qu'on croit véritable ,
Du premier regard s' allumant.
L'amour est foible à sa naissance,
Mais le temps lui donne accroissance ?
Et le guide à perfection ;
Il faut donc de la connoissance
Pour fonder une affection.
Mais sur-tout qui veut vivre heureuse ,
La grandeur ne doit estimer ;
L'amour des grands est dangereuse ,
Et ne se peut assez blâmer ;
Sujette au bruit et à l'envie ,
De mille ennuis elle est suivie.
Colle qui s'y veut hasarder,
Se trouve à la fin asservie
Au lieu qu'elle doit commander.
amours d'hippolite. 33
Suivez le conseil des déesses ,
Qui n'ont aimé si hautement :
Et puisque vous êtes maîtresses ,
Retenez le commandement.
Fuyez aussi toute accointance
De ces muguets pleins d'apparence T
Qui se paissent de vanité,
Et qui fondent leur récompense
Plus au bruit qu'en la vérité.
Celui qui, discret et fîdelle ,
Sans gémir s'est laissé brûler.,
Et à qui la peine cruelle
N'a jamais rien fait déceler :
Qui cache au dedans son martyre ,
Que la peur d'aimer ne retire ,
Et trouve au mal contentement ,
Tel serviteur se peut élire
Sans avoir peur du changement,
SONNET.
A moue', à qui j'ai fait tant de fois sacrifice
De mon cœur tout sanglant réduit sous ton pou-
voir,
Si la voix d'un mortel peut les Dieux émouvoir ,
Tends l'oreille à la mienne, et te montre propice l
Je ne demande pas que mon mal s'adoucisse,
Que tu blesses madame, ou changes mon vouloir»
3.| PHILIPPE D ESP OU TE S.
Je sais qu'un si grand licur je ne puis recevoir,
Et que jusqu'à ma mort il faut que je languisse.
Pour fruit de mes labeurs donne-moi seulement,
Que son nom glorieux vive éternellement,
Et que mes vers plaintifs, courriers de son mérite,
Fassent qu'après mille ans les François étonnés
Gardent le souvenir d'une belle Hippolite ,
Plaignants les passions que ses yeux m'ont don-
nés.
CHANSON.
L' hiver n'a point tant de glaçons ,
L'été tant de jaunes moissons ,
L'Afrique de ebaudes arènes ,
Le ciel de feux étincelants ,
Et la nuit de songes volants ,
Que pous vous j'endure de peines.
Toute douleur qui nous survient ,
Peu-à-peu moins forte devient,
Le temps comme un songe l'emporte :
Mais il ne faut pas espérer
Que le temps puisse modérer
Le mal que votre œil nous apporte.
Le traître ennemi de ma paix
Me voyant tomber sous le faix ,
A peur que trop tôt je finisse :
AMOURS D HIPPOLITE. JJ
Et fait comme un bourreau cruel
Qui donne à boire au criminel
Pour le réserver au supplice.
ÉLÉGIE.
J y M aïs foible vaisseau , deçà delà porté
Par les fiers aquilons , ne fut tant agité ,
L'hiver en pleine mer, que ma vague pensée
Est des flots amoureux haut et bas élancée.
J'erre égaré d'esprit, furieux, inconstant,
Et ce qui plus me plait me déplaît à l'instant :
J'ai froid, je suis en feu, je m'assure et défie :
Sans yeux jevois ma perte, et sans langue je crie :
Je demande secours, et m'élance au trépas :
Or je suis plein d'amour, et or je n'aime pas,
Et couve en mon esprit un discord tant extrême
Qu'aimant je me veux mal de ce que je vous aime.
Mais si je perds mon temps sous l'amoureuse loi ,
Quel autre des humain s l'emploie mieux que moi?
L'un, à c|ui le Dieu Mars auralame enflammée ,
Accourcissant sa vie, accroît sa renommée :
L'autre moins courageux, d'avarice incité,
Cherche aux ondes sa mort , fuyant la pauvreté :
L'autre en la cour des rois, brûlé de convoitise ,
Pour un espoir venteux engage sa franchise :
L'autre fend ses guerets par les coutres tran-
chants ,
3G PHILIPPE DESI'ORTES.
Et n'étend ses désirs plus avant que ses champs :
Bref, chacun se travaille, et notre vie humaine
N'est que l'ombre d'un songe et qu'une la Me
vaine.
Ah, qu'amour m'a fait tort de m' avoir tant celé
L'heur où le ciel m'avoit en naissant appelé !
Amants désespérés , qui l'avez tant servie ,
Chargés de mille ennuis, que je vous porte envie!
Mais je me plains à tort: mon bonheur a souffert
Que j'aye aimé devant pour être plus expert ,
Et savoir mieux couvrir mon amoureuse flamme,
Quand les yeux d'Hippolite auroient forcé mon
ame:
L'expérience apprend. En ce commencement
J'apprenois à aimer pour l'aimer fermement.
Je sais comme l'amant en l'amante se change,
Et comme au gré d'autrui en soi-même on s'é-
trange,
Comme on se plaît au mal , comme on veille en
dormant ,
Comme on change d'état cent fois en un moment:
Je sais comme Amour vole^ errant de place en
place ,
Comme il frappe les cœurs avant qu'il les menace,
Comme il se paît de pleurs et de soupirs ardents :
Enfant doux dévisage , et cruel au dedans ,
Qui de traits venimeux et de flammes se joue,
Et comme instablcment il fait tourner .sa roue»
AMOURS d'hIFPOLITE. $J
Je sais des amoureux les regrets et les pleurs
Et leurs trop courts plaisirs pour si longues dou-
leurs.
CHANSON.
Blessé d'une plaie inhumaine,
Loin de tout espoir de secours,
Je m'avance à ma mort prochaine ,
Plus chargé d'ennuis que de jours.
Las ! que ne puis -je me distraire ,
Connoissant mon mal , de la voir ?
O ciel rigoureux et contraire ,
C'est toi qui contrains mon vouloir !
Ainsi qu'au clair d'une chandelle
Le gai papillon voletant ,
Va grillant le bout de son aile ,
Et perd la vie en s'éhattant.
Ainsi le désir qui m'affole,
Trompé d'un rayon gracieux ,
Fait hélas ! qu'aveuglé j e vole
Au feu meurtrier (i) de vos beaux yeux.
( i ) Corneille a su diviser en deux syllabes ce qui n'en
faisoit qu'une trop dure à prononcer. L'Académie Fran-
çoise , dans ses Observations sur le Cid, condamna ce
vers:
Il est juste , grand roi, qu'un meur-tri-er périsse.
Le Cid, act. Iï. se. IX.
4
CLEONICE,
DERNIÈRES AMOURS
CHANSON.
ZXïviour oy an t tant renommer
La Vénus qui me fait aimer ,
Entreprit yers elle un voyage ,
Tant il est désireux du beau !
Et se fit ôter son bandeau ,
Pour mieux voir si parfait ouvrage.
Alors ravi de tant d'attraits ,
Et navré de ses propres traits:
Sus, sus, dit-il, qu'on me rebande ,
Aussi bien revolant aux cieux ,
Il ne faut pas que je m'attende
De voir rien d'égal à ses yeux.
ÉPIGRAMME.
Vous m'avez fait jeter au plus vif de la flamme
Un sonnet que du cœur l'Amour m'a fait sortir :
Si c'est pour appaiser les courroux de votre ame,
La vengeance est petite, il n'en peut rien sentir.
Ah ! non, vous l'avez fait pour sauver votregloire,
PHILIPPE DE S PORTES. 3(_)
Qui couroit grand péril sans cet embrasement :
Car en brûlant mes vers, je brûle aussi l'histoire
De votre tyrannie et de mon long tourment.
STANCES.
Enfin les dieux bénins ont exaucé mes cris ,
La beauté qui me blesse , et qui tient mes esprits
En langueur continue ,
Languit dedans un lit d'un mal plein de rigueur,
Son beau teint devient pâle , et sa jeune vigueur
Peu à peu diminue.
Pour le moins tant de jours qu'au lit elle sera
Nonchalante de soi , ma frayeur cessera :
Car ceux qui me font crainte ,
D'approcher de son lit n auront pas le pouvoir
Et peut-être le temps qu'ils seront sans lavoir
Rendra leur flamme éteinte.
Sitôt que son beau corps sera froid et transi ,
Sur le point de sa mort je veux mourir aussi ,
La sentence est donnée :
Car ma vie à l'instant de regret finira ,
Ou par glaive ou poison du corps se bannira
Mon ame infortunée.
Avec ce dernier acte à tous je ferai voir
Que moi seul en vivant meritois de l'avoir
Pour mon amour fidelle :
4o PHILIPPE DESPORTES.
Car de tant de muguets qui l'aiment feintement,
Je suis sûr que pas un , fors que moi seulement
Ne se t uera pour elle.
O Dieux! qui d'ici-bas les destins gouvernez,
Et qui des suppliants les malheurs détournez ,
Oyez ce que je prie !
Rendez saine ma dame avec un prompt secours ,
Et s'il en est besoin , retranchez de mes jours
'Pour allonger sa vie.
ODE.
De mes ans la fleur se déteint ,
J'ai l'œil cave , et pâle le teint ,
Ma prunelle est toute éblouie :
De gris-blanc ma tête se peint ,
Et n'ai plus si bonne l'ouïe.
Ma vigueur peu-à-peu se fond ,
Maint sillon replisse mon front,
Le sang ne bout plus dans mes veines ;
Comme un trait mes beaux jours s'en vont
Me laissant foible entre les peines.
Adieu chansons , adieu discours ,
Adieu nuits que j'appelois jours ,
En tant de liesses passées ,
Mon cœur où logeoientles amours
N'est ouvert qu'aux tristes pensées.
CLEOTîICE , DEKN IÈRE5 AMOURS. 41
Le printemps les roses produit,
L'été plus chaud mûrit le fruit,
Des saisons divers est l'empire :
Aux amours la jeunesse duit ;
L'autre âge autre chose désire.
Connoissant donc ce que je doi ,
Faut- ii pas suivre une autre loi
Propre à mon âge et ma tristesse ?
Dois -je pas bannir loin de moi
Tous noms d'amour et de maîtresse ?
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POESIES DIVERSES
CHANSON.
yj bienheureux qui peut passer sa vie
Entre les siens , franc de haine et d'envie ,
Parmi les champs , les forets et les hois ,
Loin du tumulte et du bruit populaire :
Et qui ne vend sa liberté pour plaire
Aux fous désirs des princes et des rois !
Il ne frémit , quand la mer courroucée
Enfle ses flots , contrairement poussée
Des vents émus soufflants horriblement:
Et quand la nuit à son aise il sommeille ,
Une trompette en sursaut ne f éveille
Pour l'envoyer du lit au monument.
L'ambition son courage n'attise ;
D'un fard trompeur son ame il ne déguise ;
Il ne se plaît à violer sa foi ;
Les grands seigneurs sans cesse il n'impor-
tune ,
Mais en vivant content de sa fortune ,
Il est sa cour, sa faveur et son roi.
Dedans mes champs ma pensée est enclose ,
Si mon corps dort mon esprit se repose,
PHILIPPE DESPORTES. 43
Un soin cruel ne le va dévorant :
Au plus matin , la fraîcheur me soulage ;
S'il fait trop chaud , je me mets à l'ombrage ,
Et s'il fait froid , je m'échauffe en courant.
Dans les palais enflés de vaine pompe ,
L'ambition, la faveur qui nous trompe,
Et les soucis logent communément:
Dedans nos champs se retirent les fées
Reines des bois, à tresses décoiffées ,
Les Jeux , l'Amour, et le Contentement.
Que de plaisir de voir deux colombelles ,
Bec contre bec, en trémoussant des ailes,
Mille baisers se donner tour-à-tour !
Puis tout ravi de leur grâce naïve ,
Dormir au frais d'une source d'eau vive
Dont le doux bruit semble parler d'amour !
Que de plaisir de voir sous la nuit brune ,
Quand le soleil a fait place à la lune ,
Au fond des bois les nymphes s'assembler,.
Montrer au vent leur gorge découverte ,
Danser, sauter, se donner cotte-verte ,
Et sous leurs pas tout l'herbage trembler !
Ainsi la nuit je contente mon ame :
Puis quand Phcebus de ses rais nous en-
flamme ,
J'essaie encor mille autres jeux nouveaux :
44 PHILIPPE DESPORTES,
Diversement mes plaisirs j'entrelace ;
Ores je pêche, or je vais à la chasse,
Et or je dresse embuscade aux oiseaux.
Je fais l'amour , mais c'est de telle sorte
Que seulement du plaisir j'en rapporte ,
N'engageant point ma chère liberté :
Et quelques lacs que ce Dieu puisse faire
Pour m attraper,quand je m'en veux distraire,
J'ai le pouvoir, comme la volonté.
Douces brebis , mes fidelles compagnes ,
Hayes, buissons , forêts , prés et montagnes,
Soyez témoins de mon contentement z\
Et vous, ô Dieux ! faites, je vous supplie,
Que cependant que durera ma vie ,
Je ne connoisse un autre changement.
ADIEU A LA POLOGNE.
Adieu, Pologne, adieu , plaines désertes ,
f Toujours de neige ou de glaces couvertes ,
Adieu , pays d'un éternel adieu :
Ton air, tes mœurs m'ont si fort su déplaire,
Qu'il faudra bien que tout me soit contraire,
Si jamais plus je retourne en ce lieu.
Adieu, maisons d'agréable structure,
Poêles , adieu , qui dans votre clôture
Mille animaux pêle-mêle entassez ,
POÉSIES DIVERSES. ' 45
Filles, garçons, veaux et bœufs tout ensemble*
Un tel ménage à l'âge d'or ressemble ,
Tant regretté par les siècles passés.
Barbare peuple, arrogant et volage,
Vanteur, causeur, n'ayant rien que langage;
Qui jour et nuit dans un poêle enfermé
Pour tout plaisir se joue avec un verre ,
Ronfle à la table , ou s'endort sur la terre ,
Puis comme un Mars veut être renommé.
Ce ne sont pas vos grands lances creusées ,
Vos peaux de loup , vos armes déguisées
Où maint plumage et mainte aile s'étend ,
Vos bras charnus, ni vos traits redoutables ,
Lourds Polonois, qui vous font indomptables:
La pauvreté seulement vous défend.
Si votre terre étoit mieux cultivée ,
Que l'air fût doux , qu'elle fût abreuvée
De clairs ruisseaux , riche en bonnes cités ,
En marchandise , en profondes rivières ,
Qu' elle eût des vins, des ports et des minières,
Vous ne seriez si long- temps indomptés.
Neuf mois entiers, pour complaire à mon maî-
tre,
Le grand Henri , que le ciel a fait naître
Comme un bel astre aux humains flamboyant,
Pour ce désert j'ai la France laissée ,
4^ PHILIPPE DESPORTES.
Y consumant ma pauvre arae blessée ,
Sans nul confort, sinon qu'en le voyant.
ÉPIGRAMME.
Je voulus baiser ma rebelle ,
Riant elle m'a refusé :
Puis soudain , sans penser à elle,
Toute en pleurs elle m'a baisé.
De son deuil vint ma jouissance ,
Son ris me rendit malheureux.
Voilà que c'est ! un amoureux
A du bien , quand moins il y pense.
STANCES DU MARIAGE.
D e toutes les fureurs dont nous sommes pressés,
De tout ce que les cieux ardemment courroucés
Peuvent darder sur nous de tonnerre et d'orage,
D'angoisseuses langueurs , de meurtre ensan-
glanté ,
De soucis , de travaux , de faim , de pauvreté ,
Rien n'approche en rigueur la loi du mariage.
On dit que Jupiter ayant pour son péché
Sur le dos d'un rocher Pr orné thé e attaché ,
Qui servoit de pâture à l'aigle insatiable ,
Ne se contenta pas de tant de cruauté ,
Mais voulut , pour montrer qu'il étoit dépité ,
Rendre le genre humain de tout point misérable.
POESIES DIVERSES. 4j
Il -envoya la femme aux mortels ici -bas ,
Ayant dedans ses yeux mille amoureux appas ,
Et portant en la main une boîte féconde
Des semences du mal , les procès , le discord,
Le souci , la douleur , la vieillesse et la mort ;
Bref, pour douaire elle avoit tout le malheur du
monde.
Vénus dessus son front mille beaute's sema ,
Pithon d'autant d'attraits sa parole anima ,
Vulcain forgea son cœur, Mars lui donna l'audace:
Bref, le Ciel rigoureux si bien la déguisa ,
Que l'homme épris de flamme aussitôt l'épousa,
Plongeant en son malheur toute l'humaine race.
De là le mariage eut son commencement ,
Tyran injurieux , plein de commandement ,
Que la liberté fuit comme son adversaire :
Plaisant à l'abordée, à l'œil doux et riant ;
Mais qui sous beau semblant, traître, nous va lian t
D'un lien que la mort seulement peut défaire.
Il tient dessous ses pieds le repos abattu ;
De cordage et de fers son corps est revêtu :
Le soin est à côté , le travail le regarde ;
La peur , la jalousie , et le mal inconnu ,
Mal par opinion , qui rend l'homme cornu :
Puis vient le repentir chef de l'arrière -garde.
On parle des enfers où les maux sont punis ,
£8 PHILIPPE DESPORTES..
Trop cruel magasin de tourments infinis ,
Du chien toujours béant , des sœurs pleines de
rage,
Des douleurs de Titye et des autres esprits :
Mais je ne puis penser que ce soit rien au prix ,
Ni qu'il y ait enfer si grand que mariage.
Languir toute sa vie en obscure prison ,
Passer mille travaux , nourrir en sa maison
Une femme bien laide, et coucher auprès d'elle :
En avoir une belle , et en être jaloux ,
Craindre tout , l'épier , se gêner de courroux ,
Y a - 1 - il quelque peine en enfer plus cruelle ?
Ecoutez ma parole , ô mortels égarés ,
Qui dans la servitude aveuglément courez ,
Et voyez quelle femme au moins vous devez pren-
dre!
Si vous l'épousez riche , il se faut préparer
De servir, de souffrir, de n'oser murmurer,
Aveugle en tous ses faits, et sourd pour ne l'en-
tendre.
Si vous la prenez pauvre , avec la pauvreté
Vous épousez aussi mainte incommodité:
La charge des enfants , la peine et l'infortune ;
Le mépris d'un chacun vous fait baisser les yeux;
Le soin rend vos esprits chagrins et soucieux :
Avec la pauvreté toute chose importune.
POÉSIES DIVERSES. 49
Si vous l'épousez belle , assurez-vous aussi
De n'être jamais franc de crainte et de souci :
L'œil de votre voisin , comme vous , la regarde ,-
Un chacun la désire ; et vouloir l'empêcher,
C'est égaler Sisyphe et monter son rocher :
Une beauté parfaite est de mauvaise garde.
Si vous la prenez laide, adieu toute amitié :
L'esprit tenant du corps est plein de mauvaistié,
Vous aurez la maison pour prison ténébreuse ,
Le soleil désormais à vos yeux ne luira :
Bref, on peut bien penser s'elle vous déplaira,
Puisqu'une femme belle en trois jours est fâ-
cheuse.
Celui n'avoit jamais les noces éprouvé
Qui dit qu'aucun secours contre amour n'est
trouvé ,
Depuis qu'en nos esprits il a fait sa racine ;
Car quand quelque beauté vient nos cœurs em-
braser,
La voulons -nous haïr ? il la faut épouser :
Qui veut guérir l'amour, c'en est la médecine.
CHANSON.
Ah ! dieu , que la flamme est cruelle ,
Dont Amour me fait consumer !'
Je sers une dame infidelle ,
Et ne puis cesser de l'aimer.
5
5o PHILIPPE DESPORTES.
La marine est plus arrêtée ,
Et du Ciel les hauts mouvements ;
Bref, tout ce qu'on lit de Protée
Ne s'égale à ses changements.
Las ! ce qui plus me désespère
C'est qu'avec tout ce que j'en voi ,
Mon esprit ne s'en peut distraire,
Et l'adore en dépit de moi.
Si jaloux je franchis sa porte ,
Jurant de n'y plus retourner ,
Mon pied malgré moi m'y rapporte,
Et ne saurois l'en détourner.
C'est toujours accord ou querelle :
O misérable que je suis !
Je ne saurois vivre avec elle ,
Et sans elle aussi je ne puis.
ELEGIE.
Que serviroit nier chose si reconnue?
Je l'avoue , il est vrai , mon amour diminue ,
Non pour objet nouveau qui me donne la loi ,
Mais c'est que vos façons sont trop froides pour
moi .
Toute chose vous trouble et vous rend éperdue ;
Une vaine rumeur sans sujet épandue ,
Le regard d'un passant , le caquet d'un voisin ,
POÉSIES DIVERSES. 5l
Quelque parent de loin, un beau- frère, un cousin,
De mille étonnements laissent votre ame atteinte.
Vos femmes seulement vous font pâlir de crainte ;
Et quand de mes travaux j'attends quelque loyer,
Le temps en ces frayeurs se voit tout employer.
D'une flèche trop mousse Amour vous a blessée ,
Il faut à mes fureurs quelque amante insensée ,
Qui, mourant chacun jour, me livre cent trépas ;
Qui m'ôte la raison , le sommeil , le repas ;
Qui m'occupe du tout, que tout je la retienne,
Et qu'un même penser notre esprit entretienne:
Voila les passe- temps que je cherche en aimant.
J'aime mieux n'aimer point que d'aimer tiède-
ment.
L'extrémité me plaît. Desirez-vous que j'aime?
Soyez en vos ardeurs, comme en beautés, extrême,
Perdez tous ces respects qui nous ont abusés ;
Aveuglons les jaloux , trompons les plus rusés.
Cette mère d'Amour que tout être révère ,
Apprend la simple tille à tromper une mère ,
Une tante , une garde, et doucement la nuit
Se couler d'auprès d'elle, aller sans faire bruit
A tâtons à la porte , et sous l'obscur silence
Ouvrir à son amant qui bout d'impatience :
Aux gestes et aux yeux elle apprend à parler,
Et par chiffre inconnu son secret déceler :
Elle fait que la femme et jeune et peu rusée
Le soin d'un vieil époux convertit en risée ;
52 PHILIPPE DESPORTES.
Et que le cœur loyal, d'amour bien embrasé,
Ne trouve jamais rien qui lui soit malaisé.
Toujours cette déesse à mon secours se montre ;
Les batteurs de pavé qu'aux détours je rencontre,
Ne m'ôtent point ma cape, et leur fer rigoureux
Ne se trempe jamais dans mon sang- amoureux :
Le froid des nuits d'hiver ne me porte nuisance,
Ni le serein, ni l'eau qui tombe en abondance :
Je ne me sens de rien, tout aide à ma santé
Pourvu qu'à la parfin ayant bien écouté ,
Lasse de mes travaux, celle qui m'est si belle ,
Entr'ouvrantla fenêtre, à basse voix m'appelle.
O toi, quiconque sois, qui te vas retirant
Si tard en ton logis, ne sois trop enquérant,
Prends ton chemin plus haut, porte basse la vue,
Ne pense à remarquer ni l'endroit, ni la rue ;
Fais hâter ton flambeau, toi-même avance-toi ,
Et ne t'enquiers jamais de mon nom , ni de moi.
Toutefois quand la langue indiscrète et mauvaise
D'un sot entreprendroit de corrompre notre aise,
Il s'en faudroit moquer : car , maîtresse, aussibien
Votre mari l'oyant n'en croiroit jamais rien ;
J'y ai mis trop bon ordre : une de ces sorcières ,
Qui commande aux esprits, hôtes des cimetières,
Fort savante en son art, experte à conjurer,
Qui pourroit des enfers Proserpine tirer ,
Qui sait tous les secrets de Circe et de Médée ,
Et quelle heure, ou quelle herbe est plus recom-
mandée,
POESIES DIVERSES. 53
Avec de puissants mots par trois fois rechantés
A pour moi tous les yeux des maris enchantés :
Si le vôtre en mes hras vous vovoit toute nue ,
Il ne croiroit jamais la chose être advenue.
Mais sachez que ce charme est pour moi seule-
ment ,
Et ne vous serviroit pour aucun autre amant ;
Car si vous présumiez tant soit peu lui complaire,
Mari , frères , voisins sauroient toute l'affaire.
Cette bonne devine , avec son grand savoir ,
Fait serment qu'elle peut les courages mouvoir,
Soit des prisons d'Amour ouvrant toutes les por-
tes ,
Soit les plus libres cœurs chargeant de chaînes
fortes.
Moi-même en ai fait preuve, il le faut confesser ;
Elle m'a fait trois nuits à la lune passer ,
M a fait plonger trois fois la tète en la rivière ;
J ai fait maint sacrifice avec mainte prière ,
Tandis que de parfums mon corps elle purgeoit,
Et de noires liqueurs son bras nudm'aspergeoit.
Il est vrai qu'en mes vœux, ô seul but de ma vie,
D'échapper de vos mains je n'avois point d'envie-
Jepriois seulement, d'amour tout enflammé,
Qu'en vous aimant bien fort, j e fusse bien aimé ,
Que j amaîs notre ardeur ne se pût voir éteinte,
Et que plus désormais vous n'eussiez tant de
crainte.
5.
54 PHILIPPE DESPORTES.
VILLANELLE.
Je m'assurois, plein d'amoureuse flamme ,
Sur des serments qui souvent m'ont déçu :
Mais quel serment peut jurer une femme?
Hélas trop tard pour mon bien je l'ai su !
O que mon cœur est pressé de furie !
Il est aisé de tromper qui se fie.
Jamais ton nom en mes vers ne se lise ,
Afin qu'au moins on ne puisse avérer
Qui fut l'esprit si rempli de feintise :
Je t'aimois trop pour te déshonorer.
En ma douleur il suffit que je die :
Il est aisé de tromper qui se fie.
Rends-moi mon cœur, déloyale maîtresse ,
Ce n'est raison que tu l'ayes à toi :
Pour sa bonté trop grande est ta finesse ,
Il est fidelle , et tu n'as point de foi ;
Assez as-tu sa franchise asservie !
Il est aisé de tromper qui se fie.
Heureux amant , goûtant la jouissance .
Du fruit que j'ai tant de fois savouré ,
Serments , soupirs , faveurs en abondance ,
De son amour ne te rende assuré.
A tels appas elle arrêta ma vie :
J'en fus trompé , jamais je ne m'y fie.
POÉSIES DIVERSES. 5j
ÉPIGRAMME.
Je t'apporte, 6 Sommeil, du vin de quatre années ,
Du lait, des pavots noirs aux têtes couronnées ;
Veuille tes ailerons en ce lieu déployer,
Tant qu'Alizonla vieille accroupie au foyer,
( Qui d'un pouce retors, et d'une dent mouillée,
Sa quenouille chargée a quasi dépouillée)
Laisse cheoir le fuseau , cesse de babiller ,
Et de toute la nuit ne se puisse éveiller :
Afin qu'à mon plaisir j'embrasse ma rebelle ,
L'amoureuse Isabeau, qui soupire auprès d'elle.
CONTRE UNE NUIT TROP CLAIRE.
O nuit, jalouse nuit , contre moi conjurée ,
Qui renflammes le ciel de nouvelle clarté ,
T'ai-je donc aujourd'hui tant de fois désirée ,
Pour être si contraire à ma félicité ?
Pauvre moi! je pensois qu'à ta brune rencontre,
Les cieux d'un noir bandeau dussent être voilés :
Mais comme un jour d'été, claire tu fais ta montre,
Semant parmi le ciel mille feux étoiles
Et toi, sœur d'Apollon, vagabonde courrière ,
Qui, pour me découvrir, flambes si clairement,
Allumes-tu la nuit d'aussi grande lumière ,
Quand sans bruit tu descends pour baiser ton
amant ?
£>(> PHILIPPE I) I <> I'OKTKS.
Ali ! la fable a ment • ; les amoureuses flammes
N'échauffèrcnl jamais ta froide humidité;
Mais Pan <jm te connut du naturel des femmes'*
T'offrant une toison , y&inquil ta chasteté.
Que de fâcheuses gens! mon Dieu, quelle coutume
J)e demeurer si tard en la rue à causer !
Otez-vous du serein, craignez- VOUS point le
rhume?
La nuit s'en va passée ; allez vous reposer.
.le fais, je viens, je fuis, j écoule el nie promène,
Tournant tOUJOUrS mes yeux vers le lieu désiré :
JVdais je n avance rien, loulc la rue esl pleine
De jaloux impôt I uns dont je suis éclairé.
Jevoudroîsélreroi, pour faire une ordonna me
Oui- chacun dût la nuit au logis se tenir:
Sans plus les amoureux auroienl huile licence ;
Si quelque autre y failloEt, je le ferois punir.
Je m'en vais pour entrer, que rien ne me retarde;
Je veux de mon manteau mon visage houclier :
JVInis las ! je m'aperçois que chacun me regarde ;
Sans cire découvert je ne puis mapproclier.
»1<* ne crains pas pour moi , j'ouvrirois mu' armée
Pour entrer au séjour qui recèle mon bien :
Mais je cçains (pie ma dame en pûtétre blâmée ;
Son repOS m'est plus cher mille lois (pie le mien.
POÉSIES DÏVIiKSES. 5j
CHANSON.
Las! que nous sommes misérables
D'être serves dessous les lois
Des hommes légers et muables
Plus que le feuillage des bois !
Les pensers des hommes ressemblent
A l'air , aux vents , et aux saisons ,
Et aux girouettes qui tremblent
Au gré du vent sur les maisons.
Leur amour est ferme et constante
Comme la mer grosse de flots ,
Qui bruit, qui court, qui se tourmente,
Et jamais n'arrête en repos.
Hélas ! qui ne seroit éprise
Quand on ne sait leurs fictions ,
Lorsqu'avec si grande feintise
Ils soupirent leurs passions ?
Mais cet ardent feu qui les tue
Et rend leur esprit consumé ,
C'est un feu de paille menue ,
Aussitôt éteint qu'allumé.
Ainsi l'oiseleur au bocage
Prend les oiseaux par ses chansons :
Et le pécheur sur le rivage
Tend ses filets pour les poissons.
58 PHILIPPE DE S l'Oit TE S.
Sommes -nous donc pas misérables
D'être serves dessous les lois
Des hommes légers et muables
Plus que le feuillage des bois ?
ÉLÉGIE.
Je ne refuse point qu'en si belle jeunesse
De mille et mille amants vous soyez la maîtresse ,
Que vous n'aimiez partout, et que sans perdre
temps
Des plus douces faveurs ne les rendiez contents ;
La beauté florissante est trop soudain sécbée
Pour s'en ôter l'usage , et la tenir cachée :
Mais je crève de rage , et supporte au dedans
Des glaçons trop serrés et des feux trop ardents ,
Quand en dépit de moi vous faites que je sache
Le mal qui n'est point mal lorsque bien on le
cache.
M'est-ce pas grand regret, quand, sans le recher-
cher ,
Fuyantpour n'en rien voir, on me le fait toucher ?
On me le dit par force , et , ce qui plus me tue ,
On le crie à la cour, au palais, en la rue :
J'en entends le succès dès qu il est advenu.
Si vous faites un pas , votre coche est connu ,
Vos pages , vos laquais , et ces lieux ordinaires
Qui vous servent de temple aux amoureux mystè-
res.
POÉSIES DIVERSES. 5û,
Pour n'en connoître rien , fusse -je aveugle et
sourd !
Ou bien, las! que plutôtle commun bruit qui court
Ne vient-il a moi seul , sans que la renommée ,
L'éventant ça et là , vous rende diffamée ?
Si seul je le savois , que je serois content !
Le mal qu'on dit de vous ne m'iroit dépitant ,
Et lisant de mes yeux votre faute notoire
Pour me réconforter je n'en voudrois rien croire.
Je dirois que les sens se peuvent abuser,
Et sentirois mon cœur d'beure en heure embraser,
Voyant votre beauté de chacun poursuivie ;
Car j'aime fort un bien dont plusieurs ont envie.
Mais le bruit que de vous le commun va semant ,
Fait qu'un homme de cœur se hait en vous aimant,
Et dresse à meilleur but le trait de son attente.
Car notre opinion seule ne nous contente,
Et ce qui rend plus fort un esprit embrasé,
C'est de voir que son choix de chacun est prisé.
Pour Dieu ! prenez-y garde, et devenez discrète ;
Ne soyez pas plus chaste, ains soyez plus secrète ,
Faites les mêmes tours , et plus si vous pouvez ,
Joignez d'autres amants à ceux que vous avez ,
Et donnez, non ingrate, à tous la récompense ;
Mais qu'est-il de besoin qu'on en ait connois-
sance ?
Prenez - en le plaisir , fuyez - en le renom :
Celle ne pèche point qui peut dire que non.
60 PHILIPPE DESPORTES.
ÉPIGRAMME.
Si dessus vos lèvres de roses
Je vois mes liesses décloses ,
Mon esprit , ma vie , et mon bien ,
Vous ne pouvez me les défendre :
Il faut que chacun ait le sien ,
Partout le mien je puis reprendre.
CHANSON.
Que m a servi de vous avoir servie
Sept ans entiers , à mon mal conjuré ,
Le plus souvent de vos yeux séparé ,
Non de vos yeux , mais de ma propre vie ?
Que m'a servi la peine que j'ai prise
A gouverner un mari mal - plaisant ;
Et tant de jours avec lui m'amusant
Perdre à l'ouïr le peu de ma franchise ?
Que m'ont servi ces mépris ordinaires ,
Qui Fempêchoient de devenir j aloux :
Ces libertés , et ces feintes colères ,
Dont quelquefois vous entriez en courroux ?
Hélas de rien ! Tout me porte nuisance ,
Et mes respects vous rendent sans pitié :
Car vous croyez qu'en telle patience
J'ai peu de mal et fort peu d'amitié.
POESIES DIVERSES. fil
Si j'aimois bien , je ne pourrois connoître'<
Tant de dangers que je vais évitant :
Un fort désir tout conseil va domptant ;
Avec l'amour la raison ne peut être.
De tels propos , tyrans de mon courage ,
Vous me blâmez au lieu de m'estimer.
Qui voit si clair et qui demeure sage ,
Ce dites-vous , ne sauroit bien aimer.
Ah ! j e l'avoue , et tiens pour véritable
Que loin d'Amour la sagesse s'enfuit :
J'en sers de preuve , aimant ce qui me nuit ,
Et bannissant ce qui m'est profitable.
Si toutefois vous croyez le contraire ,
Et que je pense , en faisant autrement ,
Vous assurer d'aimer plus ardemment,
Bien , je suivrai la coutume ordinaire.
Aucun respect de mari ni de frère
Ne me pourra désormais abuser ;
A tous propos , sans peur de leur déplaire
Devant leurs yeux je viendrai vous baiser.
V alets fâcheux , qui , par votre présence ,
De voir mon bien m'avez tant su garder ,
Ne pensez plus me pouvoir retarder ;
Bien peu me chault qu'en ayezconnoissance.
M'advienne après ce qu'il faut que j attende
X 6
62 PHILIPPE DESPORTES.
De ces hasards , je veux tout endurer :
Au moins ma mort pourra vous assurer
Que non la peur, mais l'amour me commande.
BAISER.
Fais que j e vive , ô ma seule déesse ,
Fais que je vive , et change ma tristesse
En plaisir gracieux :
Change ma mort en immortelle vie,
Et fais , mon cœur , que mon ame ravie
S'envole entre les Dieux.
Fais que je vive , et fais qu'à la même heure,
Baissant les yeux , entre tes hras je meure 9
Languissant doucement :
Puis , qu'aussitôt doucement je revive,
Pour amortir la flamme ardente et vive
Qui me va consumant.
Ne me défens ni le sein ni la houche ,
Permets,mon cœur,qu à mon gré j e les toucher
Et baise incessamment ,
Et ces beaux yeux où l'Amour se retire :
Car tu n'as rien qui tien se puisse dire ,
Ni moi pareillement,
Embrasse-moi d'une longue embrassée ;
Ma bouche soit de la tienne pressée ,
Suçant également
POÉSIES DIVERSES. 63
De nos amonrs les faveurs plus mignardes ,
Et qu'en ces jeux nos langues frétilla *?des
S'étreignent mollement.
Au paradis de tes lèvres décloses ,
Je vais cueillant de mille et mille roses
Le miel délicieux;
Mon cœur s'y paît , sans qu'il se rassasie ,
De la douceur d'une sainte ambroisie ,
Passant celle des Cieux.
Ce ne sont point des baisers , ma mignonne ,
Ce ne sont point des baisers que tu donne ,
C'est un miel savoureux ,
C'est un doux air embaumé de fleurettes ,
Ou, comme oiseaux , volent les amourettes ,
Les plaisirs et les jeux.
Parmi les fleurs de ta bouche vermeille ,
Amour oiseau , vole comme une abeille ,
Amour plein de rigueur ;
Il est jaloux des douceurs de ta bouche:
Car aussitôt qu'à tes lèvres je touche ,
Il me perce le cœur.
VILLANELLi;.
Rosette , pour un peu d'absence
Votre cœur vous avez changé ,
Et moi sachant cette inconstance ,
64 PHILIPPE DESPOItTES.
Le mien autre part j 'ai rangé :
Jamais plus beauté si légère
Sur moi tant de pouvoir n'aura.
Nous verrons , volage bergère ,
Qui premier s'en repentira.
Tandis qu'en pleurs j e me consume
Maudissant cet éloignement ,
Vous , qui n'aimez que par coutume ,
Caressiez un nouvel amant.
Jamais légère girouette
Au vent sitôt ne se vira :
Nous verrons , bergère Rosette ,
Qui premier s'en repentira.
Où sont tant de promesses saintes,
Tant de pleurs versés en partant?
Est-il vrai que ces tristes plaintes
Sortissent d'un cœur inconstant?
Dieux que vous êtes mensongère !
Maudit soit qui plus vous croira !
Nous verrons , volage bergère ,
Qui premier s'en repentira.
Celui qui a gagné ma place
Ne vous peut tant aimer que moi :
Et celle que j 'aime vous passe
De beauté , d'amour et de foi.
Gardez bien votre amitié neuve ,
POÉSIES DIVERSES. 65
La mienne plus ne variera;
Et puis nous verrons à l'épreuve
Qui premier s'en repentira.
SONNET SPIRITUEL.
Hélas! si tu prends garde aux erreurs que j'ai
faites ,
Je l'avoue , ô Seigneur , mon martyre est bien
doux:
Maïs si le sang de Christ a satisfait pour nous ,
Tu décoches sur nous trop d'ardentes sagettes.
Que me demandes-tu ? mes œuvres imparfaites ,
Au lieu de t' adoucir , aigriront ton courroux :
Sois-moî donc pitoyable , ô Dieu, père de tous ;
Car où pourrai-j e aller, si plus tu me rejettes ?
D'esprit triste et confus , de misère accablé,
En horreur à moi-même, angoisseux et troublé
Je me jette à tes pieds, sois-moi doux et propice.
Ne tourne point les yeux sur mes actes pervers ,
Ou si tu les veux voir, vois-les teints et couverts
Du beau sang de ton fils , ma grâce et ma justice.
ODE SACRÉE.
Arrière, 6 fureur insensée,
Jadis si forte en ma pensée,
Quand d'amour j'étois allumé!
6.
0 () r h i L i p v R i» i: si'o h r R s .
Rempli d une flamme plus sainte .
Je sens maintenant toute éteinte
L ardeur qui m'a tant consumé.
Seigneur, change et monte ma lyre ,
Afin qu'au lieu du vain mai lyre
Qui se paît des cœurs oci eux ,
Elle ravisse les oreilles ,
Résonnant les hautes merveilles ,
Quand de rien tu formas les cieux.
Fais -moi voir ton œil pitoyable ,
Kt bien que je sois misérable ,
Mont ce-u>i gracieux et doux,
Ne nie châtie en ta colère:
Car hélas ! si tu le veux faire ,
Qui pourra porter ton courroux ?
C'est toi qui d'une main puissant*'
Dardes la foudre punissante,
Kt qui d'un clin dœil seulement
Fais tourner cette masse ronde ;
La flamme, l'air, la terre et l 'onde
Sont serfs de ton commandement.
C'est toi qui n'as point de naissance ,
Triple personne en une essence ,
Tout saint , tout bon , tout droiturier ;
Ton doigt ce grand univers range:
POÉSIES DIVERSES. Gj
Et bien que tonte chose change ,
Tu demeures sans varier.
Ta parole est seule assurée ,
Et quand plus n'aura de durée
Du ciel l'assidu mouvement ,
VAUt encor demeurera ferme ,
Comme n'ayant ni fin ni terme ,
Non plus que de commencement.
Fondé sur chose si certaine
Aurois-je une espérance vaine?
N'aurois-je ce qu'ai désiré?
Mon attente est en ta clémence,
Ta parole est mon assurance ,
Saurois-je mieux être assuré ?
Continue , 6 Dieu , continue ,
Afin que ta force connue
Soit toujours mon seul argument ,
Délaissant les fausses louanges
De mille et mille dieux étranges
Que j'ai chantés trop follement.
Je m'en repents , rouge de honte ,
Quand j e mets quelquefois en compte
Tant de propos que j'ai perdus ,
1 ant de nuits vainement passées ,
68 PHILIPPE DESPORTES.
Tant et tant cl errantes pensées
Et de cris si mal entendus.
Vois mon cœur plein de repentance r
J'en veux perdre la souvenance ,
Et l'avoir toujours en horreur :
O Seigneur, à qui je m'adresse ,
Ne souffre , hélas ! que ma j eunesse
Retombe plus en cette erreur.
Fais que mon luth toujours te sonne ;
Fais que mon doigt rien ne fredonne
Que tes œuvres grands et parfaits :
Que ma bouche se tienne close ,
Si je veux parler d'autre chose
Que de ta gloire et de tes faits.
FIN DES OEUVRES CHOISIES DE DESPORTES.
OEUVRES CHOISIES
DE
BERTAUT.
NOTICE
SUR BERTAUT
Jexn Bertaut naquit à Caen, d'une famille an-
cienne, dans l'année i552. Il embrassa l'état ecclé-
siastique, et cultiva la poésie avec succès. Ses talents
lui méritèrent les faveurs de Henri III, qui le choisit
pour secrétaire de son cabinet , et lui donna une
charge de conseiller au parlement de Grenoble. On
croit qu'après la mort de ce prince , il devint premier
aumônier de la reine Marie de Médicis : il fut nommé
par Henri IV à l'évêché de Séez , où il mourut en 161 1 ,
âgé de cinqnante- neuf ans.
Bertaut nous apprend lui-même que dès sa première
jeunesse il fut entraîné vers la poésie parla lecture
des ouvrages de Ronsard, qu'il chercha d'abord à
imiter. Bientôt , prenant Desportes pour guide et
pour modèle , il sut profiter des réformes heureuses
que ce dernier avait introduites dans la versification ,
et il en bannit totalement les hiatus.
Une femme d'esprit qui , dans le dix-septième siècle ,
mérita d'obtenir la palme académique, mademoiselle
Scudéry , en accordant à Bertaut une douceur char-
mante , une élévation naturelle et une graûde politesse
de style , remarque avec raison qu'il eut beaucoup plus
y 2 KOTICE
de retenue et de décence que la plupart des écrivains
de son temps , et que ses poésies donnent une haute
et belle idée des dames qu'il courtisa.
Le style de Bertaut en effet a de la grâce , de la
facilité et de l'harmonie; il est souvent correct, mais
on n'y trouve pas encore l'art des transitions , et il
manque en général de variété et de mouvement. En
un mot, cet écrivain évite soigneusement les écarts,
mais il a peu de ces élans qui annoncent les efforts
heureux du génie. Dans un siècle où tout étoit à former,
il eut toutefois le mérite de concourirpuissamment, par
la sagesse de son esprit, à préparer la révolution heu-
reuse que Malherbe opéra enfin dans la poésie française.
C'est ce qui a fait dire à Boileau, en parlant de Ron-
sard :
Ce poète orgueilleux, trébuché de si haut,
Rendit plus retenus Desportes et Bertaut.
Art Poét.
Les OEuvres de Bertaut se composent de poésies
amoureuses , de quelques poésies chrétiennes , d'une
traduction en vers du second livre de l'Enéide et de
diverses pièces historiques. Il a également laissé, mais
imparfaits , des traités de controverse , et une traduc-
tion du livre des devoirs des vierges de Saint-Ambroise.
Comme la plupart des ecclésiastiques de son temps
qui s'exercèrent à la poésie , Bertaut fit beaucoup
de vers sur des sujets de galanterie , mais il ne réussit
principalement que dans la chanson; quelques-unes
de ses compositions en ce genre sont remarquables par
une grande délicatesse et par une naïveté gracieuse.
Voltaire , dans son Dictionnaire Philosophique , au mot
SUR BERTAUT. 7 3
Esprit, section II, cite comme un modèle d'esprit et
de sentiment cette stance :
Quand je revis ce que j'ai tant aimé ,
Peu s'en fallut que mon feu rallumé
N'en fît l'amour en mon ame renaître ;
Et que mon cœur autrefois son captif,
Ne ressemblât l'esclave fugitif
A qui le sort fait rencontrer son maître.
Dans sa traduction , un peu paraphrasée , du second
livre de l'Enéide , Lertaut. réussit parfois à rendre assez
bien certains traits de ce magnifique tableau de la
dernière catastrophe de Troie ; et à travers la foiblesse
de sa copie , on aperçoit quelques légères lueurs des
beautés étincelantes de l'original. Il avoit senti l'har-
monie imitative de ces vers fameux :
Stetit Ma tremens , utero que recusso
ïnsonuere cavœ gemitumque dedere cavernœ ,
Le dard tremblant s'y fiche , et du grand coup reçu
Ses coupables cotés au dedans retentissent,
Et de son vaste sein les cavernes gémissent.
Peut -on mieux rendre la circonstance des deux ser-
pents élancés de Ténédos ? :
Pariterque ad lit tara tendant.
Et d'une égale ardeur tendent vers le rivage.
Je citerai un fragment de l'apparition d'Hector à
îWe :
L'ennemi tient nos murs; les superbes sommets
74 NOTICE
Du fameux Ilion vont tomber pour jamais ; _
La patrie a reçu ce qu'on lui devoit rendre .
Si les remparts troyens eussent pu se défendre
Par le tranchant du fer ou par un bras humain ,
Les cieux les eussent vus défendus par ma main.
Troie ici te commet ses plus saintes reliques ,
Ses mystères sacrés et ses dieux domestiques :
Prends-les pour compagnons de tes destins futurs^
Et va sous leur faveur chercher de nouveaux murs.
Ces vers reproduisent assez bien :
Hostis habet muros
Sat patriœ datum
Sacra suosqne tibi commendat Troja Pénates ■
Hos cape fatorum comités ; his mœnia quœre, etc.
On observera que Bertaut ajoute un trait heureux à
Virgile , dans ce vers :
Et va sous leur faveur chercher de nouveaux murs.
Il en est de même dans la comparaison suivante :
Sœvitque tridenti
Spumeusque atque imo Nereus ciet œquora fundo.
Et Nérée irritant
D'un trident écumeux tout l'empire flottant ,
Agite jusqu'au bas des mers les plus profondes
Le tempêteux orgueil de ses mobiles ondes.
Bertaut a composé plusieurs pièces fort longues sur
divers événements de son temps. Il a déploré la mort
de Catherine de Médicis , l'assassinat de Henri IIÏ , et
celui de Henri -le -Grand, à la conversion duquel il
SUR BERTAUT. j5
avoit contribué. Il a aussi consacré des vers à la mé-
moire de Ronsard , dans lesquels il prodigue à ce poète
les éloges outrés d'un panégyriste et d'un ami.
On trouve le morceau suivant dans la pièce adressée
au roi allant en Picardie , pour combattre les Espa-
gnols. L'auteur suppose que le peuple se plaint de
voir Henri IV affronter témérairement en personne les
dangers des batailles:
Ne se souvient-il point
Que le bien de l'Europe à sa vie est conjoint?
Il est roi, non soldat : chef, non main de Farmée :
Il siéroit mal aux rois d'avoir l'ame affamée
D'une gloire vulgaire , et du même laurier
Qui peut ceindre le front d'un simple aventurier.
Quel droit ou quelle loi permet à sa vaillance
D'exposer aux dangers le salut de la France ?
Ignore-il que souvent la cruauté du sort
Fait qu'en cherchant la gloire on rencontre la mort ?
Sa chair en l'eau de Styx n'a pas été trempée
Pour être inviolable au tranchant de l'épée ,
Et de son vif esprit la bouillante vigueur
N'a pas le corps d'Achille aussi bien que le cœur.
Dans un long discours , intitulé Hymne à Saint-
Louis, où il retrace les hauts faits et les vertus de ce
roi , Bertaut témoigne aussi sa reconnoissance au duc
de Montpensier dont il avoit reçu des bienfaits. Parmi
ses pièces historiques, la plus remarquable est celle
qu'il composa pour le baptême du dauphin , depuis le
roi Louis XIII. Je terminerai cette notice par l'analyse
succincte de ce petit poème intitulé Pannarelte , c'est-
à-dire réunion de toutes les vertus , auxquelles l'auteur
76 NOTICE
donne différents noms aIïêgoriquès~7teîs que Andrie ,
Phronèse ,' Eusebie, Dicée , Euménie, Everg-esije, etc. ,
qui ^désignent la. Valeur, la Prudence , la Piété,
la Justice, la Clémence, la Libéralité, etc.
Le poète suppose que Dieu commande à plusieurs
anges de rassembler les Vertus répandues sur la terre ,
pour que celle qui sera jugée le plus digne de diriger
l'enfant royal, lui départe son nom. Les messagers di-
vins obéissent. L'un amène la Valeur dont l'armure
précieuse fournit au poète une brillante description.
Sur le riche fourreau de son épée on y admiroit entre
autres ciselures, les bords du Granique. Là ,
Alexandre forçoit la Victoire elle-même
D'asservir tout le monde à son seul diadème.
Là, le vaillant César foudroyant de sa main
La puissance et du peuple et du sénat romain ,
Et soumettant leurs lois aux lois de son épée ,
Terrassoit sous ses pieds les lauriers de Pompée ,
Qui tout pâle , et saisi d'effroi non attendu ,
Quittoit et la Pharsale et son camp éperdu.
La déesse tient à l'ange un long discours dans lequel
elle blâme la fureur des duels , où le vainqueur , dit-
elle , n'a qu'à rougir du triomphe :
Outre que la victoire en est digne de larmes ,
C'est prophaner l'épée et la gloire des armes.
Et l'ange lui répond :
Il est plus mal aisé que peut-être il ne semble
D'être jeune et François et sage tout ensemble.
SUR BERTAUT. 77
Enfin ils se rendent au lieu de la réunion ; les
autres Vertus y étoient déjà arrivées , excepté la Justice
et la Piété, qui échappent long -temps à toutes les
recherches. La Piété,
Car une vive idole erre ici parmi nous ,
,De qui le simple habit, le parler humble et^doux ,
Le regard jeté bas, et le geste hypocrite ,
Se forme à son modèle , et de si près l'imite ,
Avec son même feint, et ses gestes rusés ,
Que les plus clair-voyants s'y trouvent abusés.
Vous diriez que son cœur n'a que Dieu pour délices :
Que jeûner et prier sont ses seuls exercices :
Cependant l'hypocrite en ses désirs cachés,
N'imagine qu'honneurs , ne songe qu'évêchés ;
Brûle après le désir de vivre en une histoire :
Suit la gloire , et la cherche es mépris de la gloire,
La Justice également ne se trouvoit nulle part ,
Fange voulut en connoitre la cause :
Il prit un corps visible , et se chargeant les mains
D'un sac gros de papiers et de vieux titres feints ,
il entre dans la grand -salle du palais,
Une suite de bancs l'un à l'autre enfilés,
Portants de divers noms leurs fronts intitulés ,
En bordoient les parois du long âge enfumées ,
Perches de maints oiseaux aux griffes emplumées ,
Et dont la plume agile est apprise à voler
Pour ce riche métal qui fait taire et parler.
Nul ordre n'y régnoit : une bruyante presse
Roulante en tourbillons , s'y démenoit sans cesse ;
L'un crioit sans respect, l'autre se courrouçoit:
7-
^3 IOTIGE
L'un courtisoit son juge , et l'autre le press'oif:
Qui parloit d'un défaut, qui d'une garantie :
Celui-ci querellant menaçoit sa partie :
Celui-là démentoit le rapport d'un témoin :
Huissiers alloient,venoient, leurs baguettes aupoing.
Un essaim d'avocats fourmilloit par la place ,
Dont les moins occupés en mesuroient l'espace.
L'ange s'adresse enfin à un vieillard qui lui dit
que la Justice est remontée aux cieux; il ajoute :
La cruelle Âdicie (i) en sa place est assise :
La haine , la faveur, la fraude et la feintise ,
Chassant les jugements, l'honneur et la vertu,
Font du tortu le droit, et du droit le tortu.
L'art et la tromperie y tiennent leurs écoles:
Les lois et la raison ne sont plus que paroles ,
Car on n'y pèse plus la raison ni les lois
Qu'en des balances d'or où l'or seul est de poids.
Mais bientôt ayant reconnu dans ce vieillard un
plaideur récemment condamné , l'ange ,. qui sait d'ail "
leurs
Que l'œil des passions voit mal la vérité ,
interroge un second personnage, et apprend de lui
que la déesse s'est réfugiée dans le conseil du roi de
France. Aussitôt le messager divin s'échappe
Et rend à l'air le corps qu'il avoit pris de l'air.'
Ci) L'Injustice,
SUR BBRTAUT. JQ
Toutes les Vertus étant enfin réunies ,v un ange leur
explique les volontés du Très -Haut, et les engage
à convenir d'abord qui d'entre elles donneroit son
nom au jeune prince. Toutes y prétendent à -la -fois,
et chacune appuie ses droits des services qu'elle peut
rendre au trône. C'est à moi , s'écrie la Valeur , qu'ap-
partient une telle gloire , à moi qui plutôt que nulle
de vous ,
Engendre les états , les conquiers et les fonde ,
Et plante dans le sang les empires du monde..,.
Vous ornez les états et moi je les conquiers,
"V ous savez les régir , moi je les sais défendre,
Tout beau , lui répond la Prudence ,
On peut bien se vanter
Sans blâmer ses égaux, et d'un superbe échange
Convertir leur mépris en sa propre louange.
Ton mérite est bien grand , mais la gloire du mien
Ou le surpasse encore , ou ne lui cède rien.
Après une longue énumération de ses titres , elle
finit en proposant entre elles une alliance dont le cœur
du grand Henri offre un parfait modèle. La Valeur
alloit répliquer , lorsque la Piété ,
Enflant tout-à-la-fois
Le zèle de son ame , et le ton de sa voix :
Voilà, voilà, dit-elle, avec quelle insolence
Les humains , admirant ou leur folle prudence ,
Ou leur foible valeur , se vantent tous les jours
Que ce n'est point le bras du céleste secours,
Mais le leur qui les sauve , ou leur seule conduite
Qui met sans coup frapper leurs ennemis en fuite.
8o NOTICE
A-
Ainsi le simple enfant à qui quelque écrivain
Pendant qu'il forme un trait conduit la foible main
Croit l'avoir fait lui-même, et s'en plaît, ets'en vante,
Et trouve qu'en ses doigts l'ignorance est savante.
Elle finit en disant qu'elle surpasse d'aussi loin toutes
les autres vertus
Que la grandeur de Dieu passe celle des hommes, i
La Justice , à son tour , prend la parole , et adresse
à chacune des prétendantes les reproches les plus sé-
vères. Elle dit à la Valeur:
L'effroyable théâtre où s'exercent tes jeux
Coûte trop au public ; tes palmes sont trop chères ^
Et ta gloire chemine entre trop de misères.
Enfin le débat se termine à l'arrivée d'un ange , an-
nonçant que l'Eternel leur accorde à toutes la gloire
de concourir à former le nom du jeune prince, et
qu' ainsi il s'appellera Paknarette. Elles se rendent
soudain à Fontainebleau où, invisibles, elles doteat
tour- à- tour l'enfant royal auquel le poète adresse
ensuite des vœux et des conseils. Il l'engage sur toute
chose à ne jamais ambitionner ces noms glorieux:
Qui tout nobles qu'ils sont rendent plutôt les princes
Craints de leurs ennemis qu'aimés de leurs provinces.
Ailleurs en lui recomandant d'être pieux, il ajoute :
Mais que ce soit en prince et non pas en hermite.
On pouvoit bien jadis , vivant l'antique loi,
SUR BERTAUT. 8l
Demeurer tout ensemble et grand prêtre et grand rci,
Car rien n'empêclioit lors qu'une puissance même
Ne mariât la mitre avec le diadème :
Mais ici leurs devoirs se trouvent divisés ;
Les moines -rois enfin deviennent méprisés,
Ets'égalant sous eux les serviteurs aux maîtres,
Les sujets font les rois quand les rois font les prêtres.
Cette pièce , dont le cadre est assez ingénieux ,
contient pins de huit cents vers , parmi lesquels on
trouve des morceaux remarquables et une censure ,
souvent heureuse, des usages et des vices du temps.
Ce dernier mérite annonçoit dans Bertaut un esprit
juste et observateur, et explique l'admiration qu'il
inspiroit au poète Régnier qui lui a adressé sa cin-
quième satire.
F.
OEUVRES CHOISIES
DE
BERTAUT.
POÉSIES DIVERSES.
STANCES.
^us, sus, résolvons -nous d'étouffer notre ennui ;
Tuons ce qui nous tue, armons-nous de constance ;
Et ce que nous cherchons en la pitié d' autrui ,
Tâchons de le trouver en notre résistance.
Mais pourquoi me voudrois-je essayer de guérir ,
Sachant bien que mon mal ressemble à ces ulcères
Qu'on ne sauroit fermer sans se faire mourir,
Et de qui les douleurs sont des maux nécessaires ?
Non , non , ne tuons point un si plaisant souci :
Rien n'est doux sans amour en cette vie humaine ;
Ceux qui cessent d aimer, cessent de vivre aussi ,
Ou vivent sans plaisir comme ils vivent sans
peine.
84 JEAN BERTAUT.
Tous les soucis humains sont pure vanité :
D'ignorance et d'erreur toute la terre abonde :
Et constamment aimer une rare beauté ,
C'est la plus douce erreur des vanités du monde.
Aimons donc et portons j usques dans le cercue 1
Le joug qui n asservit que les nobles courages :
Et souffrants sans gémir les rigueurs d'un bel œil,
Soyons au moins constants , si nous ne sommes
sages.
DIALOGUE.
DAMON, PANOPÉE.
DaMOIî.
De quoi vous sert tant de fierté ?
Belle et cruelle Panopée ?
PANOPEE.
De conserver ma liberté ,
Et m' empêcher d'être trompée.
DAMON.
Quoi ! craindriez-vous de voir changer
L'amour dont mon cœur vous révère ?
PANOPEE.
Ne m'en mettant point en danger,
La peur ne m'en travaille guère.
DAMON.
\' ous feriez grand tort à ma foi
POESIES DIVERSES. 85
D estimer mon ame infidelle.
PANOPÉE.
Je m'en ferois bien plus à moi
De vous aimer la croyant telle.
DAMOI.
Il n'en faut point avoir de peur ,
J'aime trop le nœud qui m'engage.
PANOPÉE.
Il ne fut jamais de trompeur
Qui ne tînt le même langage.
DAMOI.
Donc ne dois-je rien espérer ,
Fors toujours pleurer triste et blême ?
PANOPÉE.
J'aime mieux vous faire pleurer ?
Que me faire pleurer moi-même.
DAMON.
Pourquoi vous déplaît mon bonheur ,
Dont vous servir sont les délices ?
PANOPÉE.
Pour ce qu'aux dépens de l'honneur
Vous faites payer vos services.
DaM ON,
Las ! au moins voyez mon tourment ,
Puisque c'est de vous qu'il procède.
S
JEAN BERTAUT.
PAIOPÉE.
J'en verrais le mal vainement ,
N'y pouvant donner nul remède.
DAMON.
Mais vous en avez le pouvoir ,
Si ma peine en est susceptible.
r ANOPÉE.
Ce que me défend mon devoir ,
Je me le répute impossible.
DAMON.
Ah ! fière et cruelle beauté ,
Qu'inhumaine est votre rudesse î
p ANOPÉE.
Ce que vous nommez cruauté ,
D'autres l'appelleront sagesse.
D AMON.
Est-on sage pour maltraiter
L'amour d'un fîdelle courage?
PASOPÉE.
Est-on cruel pour éviter
Le péril de faire un naufrage.
DAMON.
Votre beauté vous garantit
Du sort d'Ariane abusée.
P ANOPEE.
Votre jeunesse m'avertit
De l'inconstance de Thésée*
POÉSIES DIVERSES* 87
CHANSON.
Celui seul qui méprise
Les appas amoureux ,
Et garde sa franchise ,
Est sage et bienheureux :
Et tout ainsi
Que d'amour il n'espère
Ni grâce ni salaire ,
Il n'en craint rien aussi.
Il se moque des larmes
Des amants insensés ;
Il se rit des alarmes
Dont ils sont traversés :
Et dans la mer ,
Sous l'effort de l'orage ,
Il les voit du rivage
Eux-mêmes s'abymer.
Le désir n'est que peine ,
L'attente que tourment :
La jouissance est pleine
De peur d'un changement.
Pensez quel heur
Suit la vie amoureuse ,
Puisque la plus heureuse
Est fertile en douleur.
8$ JEA-N BERTAUT.
Non , jamais plus , j*en jure ,
Mon cœur n'aura de feu :
Bienheureux si je dure
En F effet de ce vœu.
Mais , malheureux ,
De bien loin je menace,
Et crains que je ne fasse
Un serment d'amoureux !
DÉFENSE DE L'AMOUR.
Oiînese souvient que du mai ,
L'ingratitude règne au monde :
L'injure se grave en métal ,
Et le bienfait s'écrit en l'onde.
Amour en sert de preuve aux siens
Lui qui joint la peine aux délices :
Ceux que plus il comble de biens ,
N'en célèbrent que les malices.
Il prête à notre entendement ,
Pour voler au ciel , ses deux ailes :
Nous les engluons follement
Dedans les vanités mortelles.
Ainsi du plumage qu'il eut
Icare pervertit l'usage :
Il le reçut pour son salut ,
Il s en servit à son dommage.
POÉSIES DIVERSES. 89
STANCES.
jE.veùx mal au destin de m'être favorable :
'Je me plains des plaisirs qu'Amour me fait goûter:
Et prierois volontiers ce doux impitoyable
De ne me donner point ce qu'il me veut ôter*
Ainsi de verds festons et de fleurs couronnée ,
Au milieu des hautbois accompagnant ses pas ,
La victime païenne étoit jadis menée
Aux lieux qu'elle rendoit sanglants par son trépas ..
Impitoyable auteur du feu qui me consume ,
Tyran plutôt que roi de l'empire amoureux ?
Si même tes plaisirs sont mêlés d'amertume ,
Combien sont tes tourments cruels et douloureux!
SONNET.
Sur les figures de marbre et de bronze qui sont au
petit jardin de Fontainebleau.
Toi , qui vis affamé de voir un bel ouvrage ,
Assouvis maintenant ta généreuse faim ;
Voici les plus beaux traits dont le ciseau romain
Ou la fonte grégeoise ait orné le vieil âge.
Là 7 de Laocoon la douloureuse rage
Fait plaindre le métal , par un art plus qu'hu-
main :
8.
QO JEAN BERTAUT.
Ici , gît Cléopatre : oh ! qu'une docte main
A vivement portrait la mort en son visage !
Là , Diane chemine : ici , le Tibre ondeux
Verse les flots de bronze, arrêtant auprès d'eux
Le passant transformé de merveille en statue.
Aussi raviroient-ils l'esprit le plus brutal ;
Et qui n'est point ému d'une si rare vue ,
Il est certes comme eux de marbre ou de métal.
STANCES.
Hèlas ! que me sert-il d'aimer si l'on ne m'aime;
Pipé du vain espoir qui m'a presque charmé ,
Je ressemble au flambeau sur la table allumé
Qui, pour servir autrui , se consume soi-même.
Pourquoi , rare beauté ,. sous ces appas ai-
mables ,
Cachez-vous les tourmens dont l'esprit est gêné ?
Faut-il que , ressemblant au sucre empoisonné
Votre propre douceur vous rende redoutable.
Vainement ma raison à ma flamme s'oppose :
Mon amour est céleste , il ne sauroit périr :
Au moins il ne sauroit qu'avecque moi mourir ;
Car vivre et vous aimer , en moi c'est même chose-.
POESIES DIVERSES. g
CHANSON.
Las ! je meurs d'un secret martyre
Et d'une muette douleur.
Heureux qui librement soupire :
S'oser plaindre est l'heur d'un malheur,
Ainsi meurt l'agneau qu'on présente
A l'autel pour sacrifier ,
Et dedans sa gorge innocente
Reçoit le couteau sans crier.
Cependant heureux on me nomme ,
Et j'use ma vie en langueur ,
Ressemblant à la belle pomme
Qu'un ver ronge dedans le cœur.
O respect , ô crainte discrette ,
Que tyrannique est votre loi !
Mais envain ma bouche est muette :
Mes yeux parlent assez pour moi.
Mes yeux , il est bien raisonnable
Que vous témoigniez mes douleurs i
Par vous je languis misérable :
C'est pour avoir vu que je meurs !
gi JEAN BERTAUT.
SONNET.
AU ROI HENRI IV.
Sur la réduction de Paris en son obéissance.
Voir Alexandre assis sur le trône de Cyre ,
Ne fut oncques si doux à la grecque valeur ,
Qu'il nous est de vous voir, après tant de dou-
leur,
Assis dedans le vôtre au cœur de cet empire.
On croyoit , et le Ciel nous le sembloit prédire ,
Que vous y monteriez , triomphant du malheur ,
Par des degrés sanglans et peints de la couleur
Dont un prince offensé teint les traits de son ire.
Mais Dieu vous a fait prendre un chemin plus
heureux ,
Montrant par votre exemple aux princes géné-
reux ,
Qu'un Roi de qui sa main soutient le diadème ,
Détruit par sa valeur ses plus fiers ennemis :
Et puis , quand il les voit à son pouvoir soumis ,.
Détruit par sa douceur leur inimitié même.
CHANSON.
Les cieux inexorables
Me sont si rigoureux ,
POÉSIES DIVERSES. g3
Que les plus misérables ,
Se comparant à moi , se trouveroient heureux.
Mon lit est de mes larmes
Trempé toutes les nuits ;
Et ne peuvent ses charmes ,
Lors même que je dors, endormir mes ennuis.
Si je fais quelque songe ,
J'en suis épouvanté ;
Car même son mensonge
Exprime de mes maux la triste vérité.
L'ingratitude paye
Ma fidelle amitié :
La calomnie essaye
À rendre mes tourments indignes de pitié,
.Bref , il n'est sur la terre
Espèce de malheur
Qui ? me faisant la guerre ,
N'expérimente en moi ce que peut la douleur.
Et ce qui rend plus dure
La misère où je vi T
C'est , es maux que j'endure ,
La mémoire de l'heur que le Ciel m'a ravi.
. Félicité passée
Qui ne peux revenir y
g4 JEAN BERTAUT.
Tourment de ma pensée ,
Que n'ai-je en te perdant perdu le souvenir !
Hélas ! il ne me reste
De mes contentements
Qu'un souvenir funeste ,
Qui me les convertit à toute heure en tourments.
Le sort plein d'injustice
M'ayant enfin rendu
Ce reste un pur supplice ,
Je serois plus heurenx, si j'avois plus perdu.
BOURGUEIL (i)
A MONSEIGNEUR LE CARDINAL DE BOURBON
Tandis que la fureur du plus cruel orage
Qui menaça jamais un état de naufrage ,
Tempête en ce Royaume , ainsi qu'en une mer
Qu'un vent d'ambition fait partout écumer ,
Moi cependant , couvert de la main secourable
Dont un généreux Prince aux Muses favorable
Me retirant des flots , soigneux , m'a garanti
D'être , par la tourmente, es vagues englouti :
Maintenant en repos je passe ici ma vie :
(i) C'est le nom d'une abbaye dont le cardinal de
Bourbon étoit abbé.
POESIES DIVERSES. g5
Et malgré les malheurs dont elle est poursuivie ,
D'ici ,r comme du fait de quelque grand rocher
D'où les flots de la guerre ont crainte d'appro-
cher ,
Je regarde à l'entour forcener la tempête ,
Retiré sous l'abri que sa bonté me prête.
Ici pendent muets , donnant repos à l'air ,
Ces meurtriers instruments que le feu fait parler ;
Sinon lorsque leur sein, gros de plomb et de
poudre ,
Vomit en éclatant la fureur de sa foudre ,
Ou sur les animaux habitant aux forêts ,
Ou sur les passagers volant par les marais ,
Oiseaux demi-poissons , de qui l'humide chasse
Fait cueillir du plaisir même au cœur de la glace.
Ici le bruit tonnant dont on oit nos tambours
Changer le guet des nuits à la garde des jours
Ne rompt point en sursaut l'enchantement du
somme
Qui, si doux*~ au ' matin , charme l'esprit de
l'homme :
Ains un muet silence y nourrit le sommeil
De son jus de pavots sous les voiles de l'œil ,
Depuis l'heure du soir où les terres se taisent ,
Jusqu'à tant que la voix des pigeons qui se baisent
Faitentr'ouvrir les yeux et voir sur l'horison
Le soleil visiter sa dixième maison.
,Ah ! combien il s'en faut que cet heur n'accom-
pagne
$6 ÏEAÏÎ BERTAUT.
Le sort de nos voisins , habitant la^campagne ,
Qui manquent de^upport pet n'onf~pas"çonime
nous
Un bouclier qui les couvre et sauve de tels coups î
Las ! ces pauvres chétifs gémissent et lamentent
Sous le pesant fardeau des maux qui les tour-
mentent :
Leurs biens sont tous les jours au pillage exposés ;
Leurs champs rendus déserts ? leurs logis em-
brasés ;
Ces loups pleins de fureur , vêtus d humaines
formes ,
Exerçant de froid sang des cruautés énormes
Partout où quelque armée a ses flots débordé ,
Ont si barbarement tous les champs brigandé ?
Qu'on les peut comparer aux tristes champs de
Troye ,
Fumans encor du feu dont ils furent la proie :
Et ne peut maintenant, d'un misérable pain ,
Le soldat qui les passe y repaître sa faim ;
S' étant enfin rendus , au bout de tant de pertes ,
Les bourgs deshabités et les plaines désertes :
Car le renom des maux qu'exerce leur fureur
À semé tant de crainte au sein du laboureur ,
Qu'aussitôt que le bruit annonçant leur venue
Entre en quelque bourgade où leur rage est con-
nue ,
On voit , avec le bien qui peut être emporté ?
POESIES DIVERSES. 97
Fuir de toutes parts le peuple épouvanté ,
Criant et gémissant , et pour toute allégeance ,
Appelant à longs cris la céleste vengeance.
Maudite ambition , cause de ces douleurs ,
Que ta triste semence est féconde en malheurs !
L'infortuné qui tombe en leurs mains impla-
cable ,
Autant qu'il a de bien , autant il est coupable.
Il a contre leur chef son poignard aiguisé ,
Si du mal d'être riche il se trouve accusé :
Ses malheureux moyens lui tenant lieu d'offense,
Et sa seule rançon étant son innocence.
CHANSON.
Pour être plus jeune et plus beau ^
Et me passer en bonne grâce ,
O Phylis f un amant nouveau
Ne devoit point prendre ma place,
Ceux qui , de votre affection ,
Sauront la nouvelle accointance 3
S'ils prisent votre élection ,
ils blâmeront votre inconstance.
N'alléguez point que sa beauté
Vous a contrainte de vous rendre :
On est aisément surmonté ,
Quand on ne veut point se défendre,
S il a vaincu , ce n'est point tant
9
q8 • JEAN BERTAUT.
Pour force que sa grâce ait eue ,
Que pour ce qu'en lui résistant ,
Vous desiriez d'être vaincue.
Or , qu'il jouisse en bonne paix
Du bien qu'il a conquis sans armes :
Quant à la perte que je fais ,
J'en j etterai fort peu de larmes ;
Car , puisque les lois du destin
Vous ont fait naître si volage ,
Vous gagner n'est pas grand butin ,
Ni vous perdre aussi ? grand dommage,
CHANSON.
L'ennui qui tourmente ma vie 7
Et qui me fait perdre l'envie
De rien plus aimer désormais ,
Vient d'avoir tenu dans mon ame
Pour déesse une ingrate femme ,
La plus femme qu'on vit jamais.
J'estimais sa foi ferme et stable
Etre un diamant véritable
En or fermement enchâssé ;
Mais ce n'étoit qu'un peu de verre
Qui s'est brisé , tombant à terre ,
Au premier vent qui l'a poussé.
O toi ! qui que tu puisses être ,
POESIES DIVERSES. < ) <j
Qui t'en es sitôt rendu maitre ,
N'en brave point si fièrement ;
Le bonheur de cette accointance ,
Tu le dois à son inconstance ,
Et non pas à son jugement.
Mais que pouvois-je moins attendre
D'une ame si facile à prendre
Aux appas de la nouveauté ,
Qui croit qu'en l'amoureuse vie ,
De peu d'amans être servie ,
C'est preuve de peu de beauté ?
Quelque jour ) peut-être , toi-même ,
De cet heur qui te semble extrême ,
Tu te verras déposséder ;
Car la femme est comme une ville ;.
Quand la prise en est si facile ,
Elle est difficile à garder.
CHANSON.
Quand j'idolâtrois vos beaux yeux ,
Je vous jugeois égale aux Dieux :
Vos propos m'étoient des oracles ;
Les moindres de vos actions
Me sembloient des perfections ,"
Vos perfections , des miracles.
Voyant donc en vous chacun jour
iOO JEAN BERTAUT.
Ou naître ou mourir quelque amour y
Et le change être vos délices ,
J'allai soudainement juger
Que l'humeur de souvent changer
Est mise à tort entre les vices.
Lors , résolu d'en faire autant ,
Et de me rendre moins constant
Que la girouette d'un temple ,
Je rompis soudain ma prison ,
Estimant faire par raison
Ce quejefaisois par exemple.
Ainsi votre légèreté
Débaucha ma fidélité ,
Ce qu'elle est , m'apprenant à 1 être s
Tant qu'enfin je vous ai fait voir
Qu'en pratiquant ce doux savoir 7
L'écolier a passé le maître.
L'honneur de ma première foi
Se verra refleurir en moi 7
Quand vous ne serez plus légère ?
Faisant du même lieu sortir
L'exemple de me repentir ,
D'où me vint celui de mal faire.
CHANSON.
Enfin , ce tyran de nos âmes ,
Que tout reconnoît pour vainqueur ,
POESIES DIVERSES. IOI
Desarmé de traits et de flammes ,
A cessé d'assiéger mon cœur.
Pour moi sa flamme est étouffée ,
Et l'arc dont il m'avoit dompté ,
Pare maintenant le trophée
Que j'en dresse à la liberté.
Libre , je me moque à cette heure
Du mal pour Amour enduré :
Sinon quand quelque fois je pleure
De regret d'en avoir pleuré.
J'ai rendu ses armes sujettes :
Il en voit l'arrogance à bas ,
Et reçoit autant de défaites
Comme il me livre de combats.
Aussi , quoique la terre vante
Les vains miracles de ses coups ?
Les traits dont il nous épouvante ,
Sans nous ^ ne peuvent rien sur nous,
STANCES.
Ah ! qui ne sent point les traverses
Du soin et des peines diverses
Dont vivant nous nous travaillons !
Et qui , franc de crainte et d'envie ,
Cueille les roses de la vie ,
Sans se piquer aux aiguillons ?
ÏO-X JF.AI Il E II T A U T.
Les plaisirs de la vie humaine
Sont tous mêlés de quelque peine ,
Et Je bien suivi du malheur :
M ci ne L'Amour jamais n'envoie
Ni le déplaisir sans la j.oie y
Ni le plaisir sans la douleur.
CANTIQUE.
Bienheureux est celui qui ? parmi les délices
Dont le monde a sucré le poison de ses vices ?
Et parmi tant d'appas à mal faire alléchants ,
Régit si prudemment les désirs dé son ame ,
Que nul secret remords son courage n'entame ,
Pour avoir augmenté lé nombre des méchants !
Qui , 1 isant jour et nuit 7 des yeux de la pensée ,
1 1& Joi du Tout-Puissant en son ame tracée ,
Coneoii.de beaux désirs, produit de beaux effets;
Jm. de qui le courage abhorrant la vengeance ,
D'un volontaire oubli , noyé en sa souvenance
Les torts qu'il a reçus et les biens qu'il a faits.
Cet homme-là ressemble à ces belles olives
Qui, du fameux Jourdain , bordent les vertes
rives ,
Et de qui uni hiver la beauté ne détruit :
Les ruisselets d'eau vive autour d'elles ga-
zouillent ;
POESIES DIVERSES. lo3
Jamais leurs rameaux verts leur printemps ne
dépouillent ,
Et toujours il s'y trouve ou des fleurs ou du fruit.
Nul effroi , nulle peur en sursaut ne l'éveille :
Endormi , Dieu le garde ; éveillé , le conseille ;
Conduit tous ses desseins au port de son désir ;
Puis fait qu en terminant son heureuse vieillesse,
Ce qu il semoit en terre avec peine et tristesse ,
Il le recueille au Ciel en repos et plaisir.
Il n'en va pas ainsi de celui qui méprise
Et la loi du Seigneur , et la voix de l'Eglise ,
Soi-même étant son Dieu , son Eglise et sa loi :
Sa plus parfaite joie en douleurs est féconde ,
Et bien qu'il semble avoir son Paradis au monde ,
Si porte-il malheureux son enfer quant et soi.
Ni pompe, ni grandeur , ni gloire , ni puis-
sance
Ne sauroient détourner le glaive de vengeance
Pendant dessus son chef des mains de l'Éternel,
De qui l'inévitable et sévère justice
Fait qu'il est à toute heure , en un même sup-
plice ,
Témoin, juge et bourreau, non moins que
criminel.
Non , les fiers aquilons , de leur venteuse ha*»
leine ,
Ï04 J T'A IV It EUT ATT T.
Ne promènent pas mieux , sur Je dos d'un*
plaine ,
La paille rencontrée au champ <lu laboureur ,
Que Dieu le poursuivra sur Le Iront de la lerre ,
Si jamais son pouvoir , Jui déclarant Ja guerre ,
Change sa patience en ardente fureur*
Puis quand yiendra le jour , le jour épouvan-
table
Où les peuples jugés par sa bouche équitable ,
Seront de leurs forfaits eux-mêmes décéleurs z
Alors Je misérable , envoyé pour pâture
Au feu « 1 1 1 ■ sert là-bas aux âmes de torture ,
Paiera ses courts plaisirs d éternelles douleurs.
Car le Seigneur est juste autant que débonnaire.
Kl sa saiiile équité paye à tous le salaire
Que méritent leurs laits , soit connus 7 soit
cachés :
En COI que inoins enclin aux peines qu à Ja
grâce ,
Tous les jours sa bonté nos inéi îles surpasse ?
El jamais sa rigueur n'égale nos péchés.
I> Ali AIMI RASE
du PSEAUME <:x LVII.
Heureux hôtes (\u Ciel , saintes légions d'anges,
Guerriers qui triomphez du vice surmonté 7
POESIES DIVERSES. I()5
Célébrez à jamais du Seigneur les louanges ,
Et d'un hymne éternel honorez sa honte.
Soleil , dont la chaleur rend la terre féconde ,
Lune , qui de ses rais empruntes ta splendeur ,
Lumière , l'ornement et la beauté du monde ,
Louez , bien que muets , sa gloire et sa gran-
deur.
Chantez-la donc aussi , vous enfants delà terre
Qui , composés de cendre, en cendre retournez ,
Soit vous que l'océan dans ses vagues enserre ,
Soit vous qui librement par l'air vous pro-
menez.
Faites la dire aux bois dont vos fronts se cou-
ronnent ,
Grands monts , qui , comme Rois , les plaines
maîtrisez ;
Et vous , humbles coteaux , où les pampres
foisonnent ,
Et vous , ombreux vallons , de sources arrosés.
Féconds arbres fruitiers , l'ornement des col-
lines ,
Cèdres , qu'on peut nommer géans entre les bois,
Sapins , dont le sommet fuit loin de ses racines ,
Chantez-la sur les vents qui vous servent de voix.
Animaux , qui paissez la plaine verdoyante ,
ÏOi> - JEAN B EUT A UT.
Et vous que l'air supporte , et vous qui serpen-
tant
Vous traînez après vous d'une échine ondoyante,
Naissez , vivez , mourez 3 sa louange exaltant.
Vous , que la fleur de l'âge aux voluptés convie ,
Vous qui , chassés du monde , et jà prêts d'en
sortir ,
Touchez d'un pied tremblant les bornes de la
vie ,
Faites son nom sans cesse en vos chants retentir.
PARAPHRASE
DU PSEAUME CXXXVI.
Assis aux tristes bords des eaux de Babyione ,
Où le courroux vengeur qui renversa le trône
Des grands Rois de S ion , nous avoit exilés ?
Nous pleurions jour et nuit Jérusalem détruite
Que la flamme barbare en cendre avoit réduite ,
Rendant nos plus saints lieux déserts et désolés.
Nos cantiques de joie où Dieu daignoit se plaire,
Entre tant de douleurs , condamnés à se taire
Par le mortel ennui régnant en notre cœur ,
Et nos luths qui pendoient aux saules d.e la rive y
Pleuroient , en se taisant , sa liberté captive
Et soupirante aux pieds d'un superbe vainqueur»
POESIES DIVERSES. IO7
Chantez-nous , clisoient-ils , quelqu'un de ces
cantiques
Qui faisoient retentir les resonnans portiques
De votre fameux temple , en glorieux accents ,
Lorsque quelque victoire , à S ion advenue ,
Poussoit vos cris de joie au-dessus de la nue ,
Et cliargeoit vos autels d'offrandes et d'encens.
Non , jà ne plaise au Ciel que la barbare audace
Nous fasse prophaner , par prière ou menace ,
Les saints vers qu'Israël chantoit en son bon»
heur ;
Plutôt soient, par la mort, nos douleurs as-
soupies ,
Que nous fassions entendre à ces terres impies
Les hymnes consacrés au seul nom du Seigneur.
FI]V DES OEUVRES CHOISIES DE BERTAUT.
OEUVRES CHOISIES
DE
REGNIER.
ÎO
NOTICE
SUR REGNIER.
i\l at hurin Régnier, fils aîné de Jacques Régnier,
bourgeois notable de Chartres et de Simonne Des-
portes, sœur du poète de ce nom, naquit à Chartres,
le 2t décembre i57'3. Il fut destiné de bonne heure
à l'état ecclésiastique , et reçut la tonsure avant l'âge
de neuf ans. Ses talents précoces lui méritèrent d'abord
la protection du cardinal François de Joyeuse , arche-
vêque de Toulouse, qui l'emmena à Rome en i5g3.
Mais il parait, d'après la satire II, que ce prélat ne fit
rien dans la suite pour la fortune du jeune Régnier. Il
fit une seconde fois ce voyage , en 1601 , avec l'am-
bassadeur Philippe de Béthune , c'est à lui qu'il a
adressé sa sixième satire , composée pendant son séjour
à Rome. Peu de temps après son retour, il obtint par
dévolu un canonicat dans l'église de Notre-Dame a.
Chartres. On raconte à ce sujet que le résignataire de
ce bénéfice, pour avoir le temps de faire admettre sa
résignation en cour de Rome , avoit fait placer dans le
lit du dernier titulaire une bûche qui fut enterrée à la
place du défunt, qu'on avoit secrètement enseveli
quinze jours avant. Régnier prouva le stratagème, et
fut mis en possession du canonicat le 3o juillet 1604 =
112 KOTICE
A la mort de l'abbé Desportes , son oncle , qui étoit
revêtu de l'abbaye de Vaux-de-Cernay , le roi Henri IV
lui accorda, sur cette abbaye, une pension de deux
mille livres, qui ne lui fut pas toujours exactement
payée , s'il faut s'en rapporter à ce qu'il dit dans son
épître III.
Régnier annonça dès sa plus grande jeunesse son
inclination pour la satire; cependant la malignité de
l'esprit n'avoit point exclu chez lui la bonté du cœur.
Il a eu le soin de le rappeler lui-même,
Et le surnom de bon me va-t-on reprochant ,
D'autant que je n'ai pas l'esprit d'être méchant.
En effet, on disoit de son temps, et l'on a dit en-
core après , le bon Régnier.
Malherbes faisoit le plus grand cas de son talent;
ils se brouillèrent à l'occasion de l'aventure suivante ,
rapportée dans une vie de Malherbes, attribuée àRacan.
Régnier et le poète lyrique étoient allés dîner ensemble
chez Desportes; ils trouvèrent qu'on avoit servi. Des-
portes se leva de table , reçut Malherbes avec beaucoup
de civilité , et s'empressa de vouloir lui offrir un exem-
plaire de ses pseaumes; mais celui-ci le retint en lui
disant que son potage waloit mieux que ses pseaumes,
Cette boutade déplut à Desportes , qui ne dit pas un
mot pendant tout le repas , et qui ne le revit plus de-
puis. Régnier se tint aussi pour offensé de cette brus-
querie un peu dure envers son oncle , et il composa sa
neuvième satire où , à son tour , il devint injuste envers
Fauteur célèbre qui, selon l'expression de Boileau,
Aux auteurs de ce temps sert encor de modèle.
SUR REGNIER. Ili
Du reste , la postérité a confirmé les nombreux suf-
frages que Régnier avoit obtenus de ses contemporains.
Boileau a consacré plusieurs fois des vers à la louange
de son devancier; il en parle avec éloge dans son
discours sur la satire , ainsi que dans sa lettre à Perrault.
Il dit dans son épitre X :
J'allai d'un pas hardi , par moi-même guidé ,
Et de mon seul génie en marchant secondé,
Studieux amateur et de Perse et d'Horace ,
Assez près de Reguier m'asseoir sur le Parnasse.
Dans la cinquième réflexion critique sur Longin , il
l'appelle «le célèbre Régnier, c'est-à-dire le poète
« français qui , du consentement de tout le monde , a
« le mieux connu , avant Molière , les mœurs et le ca-
« ractère des hommes. »
J. B. Rousseau écrivoit à Brossette , dans le temps
que ce commentateur préparoit les notes de son édi-
tion in-4. de Régnier, publiée à Londres en 1729.
« Vous rendrez, lui disoit-il , un grand service à
« notre langue , dont ce poète est un ornement très-
« considérable. Aucun n'a mieux pris que lui le véri-
« table tour des anciens, et je suis persuadé que
« M. Despreaux ne l'a pas moins étudié que Perse et
« Horace. » Il ajoute : «Régnier a des vers si heureux
« et si originaux , des expressions si propres et si vives ,
« que je crois que , malgré ses défauts, il tiendra tou-
jours un des premiers rangs parmi le petit nombre
« d'excellents auteurs que nous connoissons. »
. Enfin on sait les vers que Boileau lui a consacrés
10,
Il4 NOTICE
dans son Art Poétique où, après avoir caractérisé les
satiriques latins, il dit;
De ces maîtres savants , disciple ingénieux ,
Régnier seul , parmi nous , formé sur leurs modèles ,
Dans son vieux style encore a des grâces nouvelles :
Heureux , si ses discours , craints du chaste lecteur ,
Ne se seutoient des lieux où fréquentoit l'auteur ,
Et si du son hardi de ses rimes cyniques
Il n'allarmoit souvent les oreilles pudiques.
Boileau, en adressant ce juste reproche à Régnier,
fait principalement allusion à la satire onzième , où ce
poète , sans égard pour les bienséances et sans ména-
gement pour ses lecteurs , les conduit dans des lieux
de débauches. Toutefois il est aussi vrai de dire que si
Régnier n'a point cherché à voiler ses tableaux par
l'artifice des couleurs , il faut en attribuer la principale
cause à l'esprit et au ton de son siècle; il semblait alors ,
comme le remarque M. de Valincour, dans son éloge
de Despréaux, que l'obscénité fût un sel absolument
nécessaire à la satire. On ne connoissoit point encore
l'art d'être piquant sans grossièreté , ou d'avoir de la
gaieté sans bouffonnerie; Boileau a sans doute plus de
finesse , d'esprit et de grâce ; ses railleries sont plus
délicates , ses tours plus variés, mais Régnier est plein
de sens et d'énergie , il a de l'originalité et du naturel ,
et quoiqu'il ait un peu vieilli, c'est encore, dans son
genre , un des meilleurs modèles que puissent étudier
les littérateurs dont le goût est formé. Son styte , riche
d'expressions heureuses , est souvent poétique ; il joint
quelquefois la force de Juvénal à l'enjouement d'Horace^
SUR REGNIER. Il5
et Boileau ne put guère y ajouter que de la correction
et de l'élégance.
Régnier a écrit aussi dans le genre de Tibulle et
d'Ovide. Ses élégies offrent des imitations faciles de
ces auteurs. On y trouve des tours gracieux et quelque-
fois de la passion.
Ses poésies spirituelles, dont la première a été com-
posée dix ans avant sa mort, portent l'empreinte d'un
véritable repentir des excès de sa jeunesse. Le dérè-
glement de sa vie en abrégea le terme. Il mourut à
Rouen, le 22 octobre i6x3, dans sa quarantième
année. Le père Garacht , jésuite , dans sa Recherche
des Recherches, page 648, dit que Régnier <« se bâtit
« jadis cette épitaphe à soi-même, en sa jeunesse dé-
« bauchée , ayant désespéré de sa santé , et étant ,
« comme il pensoit, sur le point de rendre l'ame : »
J'ai vécu sans nul pensement,
Me laissant aller doucement
À la bonne loi naturelle ;
Et si m'étonne fort pourquoi
La mort osa songer à moi,
Qui ne songeai jamais en elle.
P.
OEUVRES. CHOISIES
DE
REGNIER.
DISCOURS AU ROI.
SATIRE I.
JT uissant roi des François, astre vivant de
Mars(t),
Dont le juste labeur, surmontant les hasards ,
Fait voir par sa vertu que la grandeur de France
Ne pouvoit succomber sous une autre vaillance :
Vrai fils de la valeur de tes pères, qui sont
Ombragés des lauriers qui couronnent leur front,
Et qui, depuis mille ans indomptables en guerre,
Furent transmis du ciel pour gouverner la terre ;
Pu isses-tu,comme Auguste, admirable en tes faits,
Rouler tes jours heureux en une heureuse paix !
(i) Ce discours fut compost', et adressé à Henri IV,
après l'entière extinction de la ligue.
i i 8 m atiiii H i M »'• ,r<- N • i' Ri
< )res que la justice ici-bas descendue
Aux petits comme aux grands par tes mains est
rendue j
Que, sans peur <'«« lai ion, trafique le marchand ,
(Juc l'innocent ne tombe aux aguets du méchant.
Aujourd hui que ton ûls(i), imitant ton courage,
Nous rend de sa valeur un si grand témoignage ,
Que , jeune , do ses mains la rage il déconfil 7
Étouffanl le s serpents ainsi qu Hercule ut;
Ki T domptaul la Discorde à la gueule sanglante,
D'impiété, d horreur , encore frémissante,
Il lui (rousse les bras de ineui 1res cnlaclies ,
De ce ni cl la nies d'an ci sur le dos al lai lies;
Sous des monceaux de 1er dans ses armes l'enterre,
Kl renne pour jamais Je temple de la guerre ,
l'ai sa ni voîrclaircnienl, par ses lails I riompliaiils,
(Juc les rois et 'es dieux ne sonl jamais enlanls :
Si bien ques'élevant sous ta grandeur prospère,
Généreux héritier d un si généreux père,
Comblanl les lions d'amour et les méchants d'ef-
froi ,
Il se ic\n\ au herceau dejadi^nede toi.
IMais c èsl mal contenter mon humeur frénétique,
Passer de la satire (2) en un panégyrique,
,( i ) Lr© dauphin,, qui fut depuis le roi Louis XIII.
(•>.) Ce vers prouve «pie Régnier avob composé <1<
satires avant ce discours,
SATIRES. IIO,
Où mollement disert , sous un sujet si grand ,
Dès le premier essai mon courage se rend.
Et quand j'égalcrois ma muse à ton mérite ,
Toute extrême louange est pour toi trop petite ;
Où tout le monde entier ne bruit que tes projets;
Où ta bonté discourt au bien de tes sujets ;
Où notre aise , et la paix , ta vaillance publie;
Où le discord éteint, et la loi rétablie ,
Annoncent ta justice; où le vice abattu
Semble , en ses pleurs , ebanter un hymne à ta
vertu.
De tout bois , comme on dit , Mercure on ne fa-
çonne.
Et toute médecine à tout mal n'est pas bonne.
De même le laurier , et la palme des rois ,
N'est un arbre où chacun puisse mettre les doigts;
Joint que ta vertu passe, en louange féconde ,
Tous les rois qui seront, et qui lurent au monde.
Il se faut reconnoître , il se faut essayer,
Se sonder , s'exercer , avant que s'employer ,
Comme fait un luiteur entrant dedans l'arène ,
Qui , se tordant les bras , tout en soi se démène ,
S'alonge, s'accourcit, ses muscles étendant,
Et , ferme sur ses pieds , s'exerce en attendant
Que son ennemi vienne , estimant que la gloire
Jà riante en son cœur lui don'ra la victoire.
Il faut faire de même un œuvre entreprenant ,
Juger comme au sujet l'esprit est convenant;
1 Jt O M V T 11 U R I N R E G NIEIl.
Et quand on se sent ferme , et d'une aile assez
forte,
Laisser aller Ja plume où la verve l'emporte.
J'imite les Romains encore jeunes d'ans,
A qui l'on permettait d'accuser, impudents ,
Les plus vieux de l'état , de reprendre , et de dire
Ce qu'ils pensoient servir pour le bien de l'em-
pire*
Et comme la jeunesse est vive et sans repos ,
Sans peur , sans fiction, et libre en ses propos ,
Il semble qu'on lui doit permettre davantage :
Aussi que les vertus fleurissent en cet âge ,
Qu'on doit laisser mûrir sans beaucoup de ri-
gueur ,
Afin que tout à Taise elles prennent vigueur.
C'est ce qui m'a contraint de librement écrire ,
Et sans piquer au vil me mettre à la satire;
Où, poussé du caprice, ainsi que d'un grand vent,
J e vais haut dedans l'air quelquefois m'élevant ;
Et quelquefois aussi, quand la fougue me quitte,
Du plus haut au plus bas mon vers se précipite ,
Selon que , du sujet touché diversement ,
Les vers à mon discours s'offrent facilement.
Or, grand roi , dont la gloire en la terre épandue
Dans un dessein si haut rend ma muse éperdue,
Ainsi que l'œil humain le soleil ne peut voir ,
L'éclat de tes vertus offusque tout savoir;
Si bien que je ne sais qui me rend plus coupable ,
I
SATIRES. 121
Ou de dire si peu d'un sujet si capable,
Ou Ja bonté que j'ai d'être si mal appris ,
Ou la témérité de l'avoir entrepris.
Mais quoi ! par ta bonté, qui toute autre surpasse,
T'espère du pardon , avecque cette grâce ,
Que tu liras ces vers, où jeune je m'ébats
Pour égayer ma force ; ainsi qu'en ces combats
De fleurets on s'exerce , et, dans une barrière ,
Aux pages l'on réveille une adresse guerrière
Follement courageuse, afin qu'en passe-temps
Un labeur vertueux anime leur printemps ;
Que leur corps se dénoue, et se désangourdisse ,
Pour être plus adroit à te faire service.
Aussi je fais de même en ces caprices fous :
Je sonde ma portée , et me ta te le pouls ,
Afin que s'il advient, comme un jour je l'espère,
Que Parnasse m'adopte, et se dise mon père ,
Emporté de ta gloire et de tes faits guerriers ,
Je plante mon lierre au pied de tes lauriers.
122 MATHURIN REGNIER.
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A M. LE COMTEDE GARAMAIN.
SATIRE IL
LES POETES.
V> gmte, de qui l'esprit pénètre l'univers ,
Soigneux de ma fortune , et facile à mes vers ;
Cher souci de la muse , et sa gloire future ,
Dont l'aimable génie , et la douce nature
Fait voir , inaccessible aux efforts médisants
Que vertu n'est pas morte en tous les courtisans
Bien que foible et débile, et que mal reconnue
Son habit décousu la montre à demi-nue ;
Qu'elle ait sèche la chair, le corps amenuisé ,
Et serve à contre-cœur le vice autorise ;
Le vice qui , pompeux, tout mérite repousse ,
Et va, comme un banquier, en carrosse et en
housse.
Mais c'est trop sermonné de vice et de vertu ;
il faut suivre un sentier qui soit moins rebattu ,
Et, conduit d'Apollon , reconnoître la trace
Du libre Juvénal : trop discret est Horace
Pour un homme piqué , joint que la passion ,
Comme sans jugement, est sans discrétion.
Cependant il vaut mieux sucrer notre moutarde;
SATIRES. 123
L'homme, pour un caprice, est sot qui se hasarde.
Ignorez donc l'auteur de ces vers incertains ,
Et , comme enfants trouvés , qu'ils soient fils de
putains ,
Exposés en la rue , à qui même la mère ,
Pour ne se découvrir , fait plus mauvaise chère.
Ce n'est pas que j e croie, en ces temps effrontés,
Que mes vers soient sans père, et ne soient adop-
tes ,
Et que ces ri masseurs , pour feindre une abon-
dance ,
N'approuvent, impuissants, une fausse semence,
Comme nos citoyens de race désireux
Qui bercent les enfants qui ne sont pas à eux :
Ainsi , tirant profit d'une fausse doctrine ,
S'ils en sont accusés , ils feront bonne mine ,
Et voudront, le niant, qu'on lise sur leur front,
S'il se fait un bon vers, que c'est eux qui le font,
Jaloux d'un sot honneur, d'une bâtarde gloire ,
Comme gens entendus s'en veulent faire accroire;
A faux titre insolents , et sans fruit hasardeux ,
Pissent au bénitier afin qu'on parle d'eux.
Or avec tout ceci le point qui me console ,
C'est que la pauvreté comme moi les affole ,
Et que , la grâce à Dieu , Phébus et son troupeau ,
Nous n'eûmes sur le dos jamais un bon manteau.
Aussi , lorsque l'on voit un homme par la rue ,
Dont le rabat est sale , et la chausse rompue >
1 24 M A T II UIIIM REGNIER.
Ses grègues aux genoux, au coude son pourpoint,
Qui soit de pauvre mine, et qui soit mal en point ;
Sans demander son nom, on le peutreconnoilro ;
Car si ce n'est un poète (i) , au moins il le veut
être.
Pour moi , si mon habit, partout cicatrisé ,
Ne me rendoit du peuple et des grands méprisé ,
Je prendrois patience , et parmi la misère ,
Je trouverois du goût ; mais ce qui doit déplaire
A l'homme de courage , et d'esprit relevé ,
C'est qu'un chacun le fuit ainsi qu'un réprouvé.
Car, en quelque façon, les malheurs sont propices.
Puis les gueux, en gueusant, trouvent maintes dé-
lices ,
Un repos qui s'égaie en quelque oisiveté :
Mais je ne puis pâtir de me voir rejeté.
C'est donc pourquoi, si jeune abandonnant la
France ,
J'allai, vif de courage, et tout chaud d'espérance,
En la cour d'un prélat (2) qu'avec mille dangers
J'ai suivi , courtisan , aux pays étrangers.
J'ai changé mon humeur , altéré ma nature.
(1) Régnier fait presque toujours ce mot de deux
syllabes. C'étoiteucore l'usage du temps de Corneille ,
qui dit aussi daus sa comédie de la Galerie du Palais :
Un bon poète ue vient que d'un amant parfait.
(2) François de Joyeuse.
SATIRES I^S
J'ai bu chaud, mangé froid, j'ai couché sur la dure,
Je l'ai, sans le quitter, à toute heure suivi.
Donnant ma liberté je me suis asservi,
En public, à l'église, à la chambre, a la table ,
Et pense avoir été mainte fois agréable.
Mais instruit par le temps , à la fin j'ai connu
Que la fidélité n'est pas grand revenu ,
Et qu'à mon temps perdu, sans nulle autre espé-
rance ,
L'honneur d'être sujet tient lieu de récompense :
N'ayant autre intérêt de dix ans jà passes ,
Sinon que sans regret je les ai dépensés.
C'est pourquoi sans me plaindre en ma déconve-
nue,
Le malheur qui me suit ma foi ne diminue :
Et rebuté du sort, je m'asservis pourtant,
Et sans être avancé je demeure content :
Sachant bien que Fortune est ainsi qu'une louve ,
Qui sans choix s'abandonne au plus laid qu'elle
trouve ;
Qui relève un pédant de nouveau baptisé ,
Et qui par ses larcins se rend autorisé;
Qui le vice annoblit , et qui , tout au contraire,
Ka valant la vertu, la confine en misère.
Et puis jem'irai plaindre après ces gens ici?
Non, l'exemple du temps n'augmente mon souci.
Et bien qu'elle ne m'ait sa faveur départie ,
Je n'entends , quant à moi, de la prendre à partie,
11.
126 MATHURIJ* REGNIER.
Puisque, selon mon goût, son infidélité
Ne donne et n'ôte tien à la félicité.
Mais que veux -tu qu'on fasse en cette humeur
austère ?
Il m'est, comme aux putains, mal-aisé de me taire:
Il m'en faut discourir de tort et de travers.
La colère souvent engendre de bons vers.
Mais , comte , que sait-on ? elle peut être sage ,
Voire, avecque raison, inconstante et volage ;
Et, déesse avisée aux biens qu'elle départ,
Les adjuge au mérite, et non point au hasard.
Puis l'on voit de son œil, l'on juge de sa tête ,
Et chacun en son dire a droit en sa requête :
Car l'amour de soi-même , et notre affection ,
Ajoute avec usure à la perfection.
Toujours le fond du sac ne vient en évidence ,
Et bien souvent l'effet contredit l'apparence.
Il n'est à décider rien de si mal-aisé ,
Que sous un saint habit le vice déguisé.
Par ainsi j'ai donc tort, et ne dois pas me plaindre,
Ne pouvant par mérite autrement la contraindre
A me faire du bien ni de me départir
Autre chose à la fin, sinon qu'un repentir.
Mais quoi! qu'y feroit-on, puisqu'on ne s'ose
pendre ?
Encor faut-il avoir quelque chose où se prendre ,
Qui flatte, en discourant, le mal que nous sentons.
Or j laissant tout ceci , retourne à nos moutons ,
SATIRES. I27
Muse , et sans varier dis-nous quelques sornettes
De ces enfants bâtards , ces tiercelets de poètes ,
Qui par les carrefours vont leurs vers grimaçants,
Qui par leurs actions font rire les passants ;'
Et quand la faim les point, se prenant sur le vôtre,
Comme les étourneaux ils s'affament l'un l'autre.
Cependant sans souliers , ceinture , ni cordon ,
L'œil farouche et troublé, l'esprit à l'abandon ,
Vous viennent accoster comme personnes ivres ,
Et disent pour bon jour: Monsieur, je fais des
livres :
On les vend au Palais ; et les doctes du temps ,
A les lire amusés, n'ont autre passe-temps.
De là, sans vous laisser, importuns ils vous sui-
vent,
Vous alourdent de vers, d'allégresse vous privent,
Vous parlent de fortune, et qu'il faut acquérir
Du crédit, de l'honneur, avant que de mourir;
Mais que, pour leur respect, l'ingrat siècle où
nous sommes
Au prix de la vertu n'estime point les hommes ;
Que Ronsard , du Bellay, vivants ont eu du bien ;
Et que c'est honte au roi de ne leur donner rien .
Puis sans qu'on les convie , ainsi que vénérables ,
S'asseyent en prélats les premiers à vos tables,
Où le caquet leur manque, et, des dents discou-
rant ,
Semblent avoir des yeux regret au demeurant.
Or la table levée , ils curent la mâchoire.
Ï2& MATHURIH REGNIER.
Après grâces Dieu bu , ils demandent à boire y
Vous font un sot discours ; puis , au partir de là
Vous disent: Mais, Monsieur, me donnez- vous
cela?
Uii autre , renfrogné , rêveur, mélancolique ,
Grimaçant son discours , semble avoir la colique,
Suant, crachant, toussant, pensant venir au point,
Parle si finement que l'on ne l'entend point.
Un autre, ambitieux , pour les vers qu'il compose
Quelque bon bénéfice en l'esprit se propose ;
Et dessus un cheval, comme un singe, attaché,
Méditant un sonnet, médite un évéché.
Si quelqu'un , comme moi , leurs ouvrages n'es-
time ,
Il est lourd , ignorant, il n'aime point la rime ;
Difficile, hargneux, de leur vertu jaloux ,
Contraire en jugement au commun bruit de tous ;
Que leur gloire il dérobe avec ses artifices r
Les dames cependant se fondent en délices
Lisant leurs beaux écrits ; et de jour, et de nuit,
Les ont au cabinet sous le chevet du lit ;
Que portés à l'église ils valent des matines ,
Tant, selon leurs discours, leurs œuvres sont di-
vines.
Honsard, fais-m'en raison ; et vous autres esprits
Que , pour êt,re vivants , en mes vers je n'écris ,
Pouvez-vous endurer que ces rauques cigales
Egallent leurs chansons à vos œuvres royales T
Ayant Votre beau nom lâchement démenti ?
SATIRES. I29
Ha! c'est que notre siècle est en tout perverti.
Mais pourtant quel esprit, entre tant d'insolence,
Sait trier le savoir d'avecque l'ignorance ,
Le naturel de l'art, et, d'un œil avisé ,
Voit qui de Calliope est plus favorisé ?
Juste postérité, à témoin je t'appelle ,
Toi qui sans passion maintiens l'œuvre immor-
telle ,
Et qui , selon l'esprit, la grâce et le savoir ,
De race en race au peuple un ouvrage fais voir ;
Venge cette querelle, et justement sépare
Du cygne d'Apollon la corneille barbare ,
Qui , croassant partout d'un orgueil effronté ,
Ne couche de rien moins que l'immortalité.
Quel plaisir penses-tu que dans l'ame je sente ,
Quand l'un de cette troupe , en audace insolente ,
Vient à Vanves à pied , pour grimper au coupeau
Du Parnasse françois , et boire de son eau ;
Que froidement reçu , on l'écoute à grand' peine ;
Que la muse, en grognant, lui défend sa fontaine;
Et , se bouchant l'oreille au récit de ses vers ,
Tourne les yeux à gauche , et les lit de travers ;
Etpour fruit de sa peine aux grands vents disper-
sée ,
Tous ses papiers servir à la chaise percée ?
Mais comme eux je suis poète , et sans discrétion
Je deviens importun avec présouqnion.
IJ faut que la raison retienne le caprice ,
Et que mon vers ne soit qu'ainsi qu'un exercice ,
I 30 M A T II U H I N R 6 G N I E R .
Qui par le jugement doil être limité ,
Selon que le requiert ou l'âge, OU la santé.
Je ne sais quel démon m'a fait devenir poète ;
Je n'ai, comme ce Grec (ï),des dieux grand in-
terprète ,
Dormi sur Hélicon, où ces doctes mignons
Naissent en une nuit, comme? les champignon s t
Si ce n'est que ces jours , allant à l'aventure ,
Rêvant comme un oison allant à la pâture,' ,
A Vanves j'arrivai, où suivant maint discours
On me fil au jardin faire cinq ou six tours ,
Et comme? un conclavistc entre? dans le> exniclave,
Le sommeiller me prit, et m'enferme? en la ca ve> ,
OÙ, buvant et mangeant, je> lis mon coup d'essai,
Et OÙ, Si je sais rien (2), j'appris ce que je» sais.
Voilà ce qui m'a fait et poète et satirique ,
Réglant la médisance à la façon antique.
Mais, à ce que je vois, syrnpati saut : d'humeur ,
J'ai peur que tout-à-fait je eleviendrai rimeur.
J'entre sur ma louange? , et , bouffi d'arrogance ,
Si je nen ai l'esprit, j'en aurai l'insolence.
Mais retournems à nous, et, sages devenus,
Soyons à leurs dépens un peu plus retenus.
(1) Hésiode.
(2) Rien y <Jn latin Res, signifie' quelque chose , lors,
eju'il n'est pas joint à une négation..
SATIRES. l3l
A M. LE MARQUIS DE C OEUVRES (i).
SATIRE III.
LA VIE DE LA COUR.
IVAarquis, que dois-j e faire en cette incertitude?
Dois-je,las de courir, me remettre à l'étude,
Lire Homère , Aristote , et , disciple nouveau ,
Glaner ce que les Grecs ont de riche et de bea u ;
Reste de ces moissons que Ronsard et Desportes
Ont remporté du champ sur leurs épaules fortes ;
Qu'ils ont comme leur propre en leur grange en-
tassé ,
Égalant leurs honneurs aux honneurs du passé ?
Ou si , continuant à courtiser mon maître ,
Je me dois jusqu'au hout d'espérance repaître ?
Nous vivons à tâtons , et dans ce inonde ici
Souvent avec travail on poursuit du souci :
Car les dieux , courroucés contre la race humaine,
Ont mis avec les hiens la sueur et la peine.
Le monde est un hrelan où tout est confondu.
Tel pense avoir gagné, qui souvent a perdu ,
(i) François -Annihal, frère de Gabrielle d'Estrée§.
l32 _ MATHURIN REGIIER.
Ainsi qu'en une banque où par hasard on tire ;
Et qui voudroit choisir souvent prendroit le pire.
Tout dépend du destin , qui , sans avoir égard ,
Les faveurs et les biens en ce inonde départ.
Mais puisqu'il est ainsi que le sort nous emporte
Qui voudroit se bander contre une loi si forte ?
Suivons donc sa conduite en cet aveuglement.
Qui pèche avec le ciel, pèche honorablement.
Car penser s'affranchir , c'est une rêverie.
La liberté par songe en la terre est chérie.
Rien n'est libre en ce monde; et chaque homme
dépend
Comtes, princes , sultans , de quelque autre plus
grand.
Tous les hommes vivants sont ici-bas esclaves ;
Mais suivant ce qu'ils sont, ils diffèrent d'entra-
ves ;
Les uns les portent d'or , et les autres de 1er :
Mais, n'en déplaise aux vieux, ni leur philoso-
pher ,
Ni tant de beaux écrits qu'on lit en leurs écoles ,
Pour s'affranchir l'esprit ne sont que des paroles.
Puis , que peut-il servir aux mortels ici-bas ?
Marquis , d'être savants , ou de ne l'être pas ,
Si la science, pauvre, affreuse et méprisée ,
Sert au peuple de fable , aux plus grands de risée,
Si les gens de latin des sots sont dénigrés ,
Et si l'on n'est docteur sans prendre ses degrés ?
SATIRES. l33
Du siècle les mignons , fils de la poule blanche ,
Ils tiennent à leur gré la fortune en la manche ;
En crédit élevés ils disposent de tout,
Et n'entreprennent rien qu'ils n'en viennent à
bout.
Mais quoi ! me diras-tu , il l'en faut autant faire.
Qui ose a peu souvent la fortune contraire.
Importune le Louvre et de jour et de nuit :
Perds pour t' assujettir et la table et le lit :
Sois entrant , effronté , et sans cesse importune :
En ce temps l'impudence élève la fortune.
Il est vrai ; mais pourtant je ne suis point d'avis
De dégager mes j ours pour 1 es r en dr e asservis ;
Car pour dire le vrai , c'est un pays étrange ,
Où comme un vrai Protée à toute heure en se
change ,
Où les lois , par respect sages humainement ,
Confondent le loyer avec le châtiment ;
Et pour un même fait, de même intelligence 7
L'un est justicié, l'autre aura récompense.
Car selon l'intérêt, le crédit ou l'appui ,
Le crime se condamne et s'absout aujourd'hui.
Or, quant à ton conseil qu'à la eour je m'engage ,
Je n'en ai pas l'esprit, non plus que le courage.
Il faut trop de savoir et de civilité^
Et, si j'ose en parler, trop de subtilité.
Ce n'est pas mon humeur : je suis mélancolique ;
Je ne suis point entrant ; ma façon est rustique ;
12
I 3 4 MATIIURIN REGNIER.
Et le surnom de bon me va-t-on reprochant,
D'autant que je n'ai pas l'esprit d'être méchant.
Et puis, j e ne saurois me forcer, ni me feindre.
Trop libre en volonté , j e ne me puis contraindre.
Je ne saurois flatter , et ne sais point comment
II faut se taire accort, ou parler faussement,
Bénir les favoris de geste et de paroles ,
Parler de leurs aïeux au jour de Cërizolles (i) ,
Des hauts faits1 de leur race, et comme ils ont ac-
quis
Ce titre avec honneur de ducs et de marquis.
Je n'ai point tant d'esprit pour tant de menterie.
Je ne puis m'adonner à la cageollerie ;
Selon les accidents, les humeurs, ou les jours ,
Changer, comme d'habits, tous les mois de dis-
cours.
Suivant mon naturel , je hais tout artifice ;
Je ne puis déguiser la vertu, ni le vice;
Offrir tout de la bouche, et, d'un propos menteur,
Dire , Pardieu ! monsieur, je vous suis serviteur.
De porter un poulet je n'ai la suffisance :
Je ne suis point adroit , je n'ai point d'éloquence
Pour colorer un fait, ou détourner la foi :
Prouver qu'un grand amour n'est sujet à la loi ;
(i) Fameuse bataille gagnée eu i545, par l'armée
de François I, commandée par le duc d'Enguien , sur
celle de l'empereur Charles-Quint.
SATIRES. 1 35
Suborner par discours une femme coquette;
Lui conter des chansons de Jeanne et de Paquette ;
Débaucher une fille, et par vives raisons
Lui montrer comme Amour fait les bonnes mai-
sons ,
Les maintient , les élève ; et , propice aux plus
belles,
En honneur les avance , et les fait demoiselles ;
Que c'est pour leurs beaux nez que se font les bal-
lets ;
Qu'elles sont le sujet des vers et des poulets ;
Alléguant maint exemple en ce siècle où nous
sommes
Qu'il n'est rien si facile à prendre que les hommes;
Et qu'on ne s'enquiert plus s'elle a fait le pour-
quoi,
Pourvu qu'elle soit riche, et qu'elle ait bien de
quoi.
Quand elle auroit suivi le camp à laîlocheile(i) ,
S'elle a force ducats , elle est toute pucelle.
L'honneur estropié, languissant et perclus ,
N'est plus rien qu'un idole en qui l'on ne croit
plus.
Or pour dire ceci il faut force mystère ;
(i) Cette ville, où s'étoient réfugiés les Calvinistes,
fut assiégée en i J ; 3 par Keuri, duc d'Anjou , frère du
roi Charles IX.
ï36 MATHUEIK REGNIER.
Et de mal discourir , il vaut bien mieux se taire.
Il faut être trop prompt, écrire à tout propos ,
Perdre pour un sonnet et sommeil et repos.
Puis ma muse est trop chaste ,• et j'ai trop de cou-
rage ■
Et ne puis pour autrui façonner un ouvrage.
Pour moi j'ai de la cour autant comme il m'en
faut:
Le vol de mon dessein ne s'étend point si haut :
De peu je suis content ; encore que mon maître ,
S' il lui plaisoit un j our mon travail reconnoître ,
Peut autant qu'autre prince , et a trop de moyen
D'élever ma fortune et me faire du bien.
Que me sert de m' asseoir le premier à la table ,
Si la faim d'en avoir me rend insatiable ,
Et si le faix léger d'une double évêché ,
Me rendant moins content, me rend plus empê-
ché ;
Si la gloire et la charge à la peine adonnée
Rend sous l'ambition mon ame infortunée?
Et quand la servitude a pris l'homme au collet ,
J'estime que le prince est moins que sou valet.
C'est pourquoi je ne tends à fortune si grande :
Loin de l'ambition , la raison me commande ,
Et ne prétends avoir autre chose sinon
Qu'un simple bénéfice, et quelque peu de nom ,
Afin de pouvoir vivre avec quelque assurance ,
Et de m'ôter mon bien que l'on ait conscience.
SATIRES. l37
Alors vraiment heureux , les livres feuilletant ,
Je rendrois mon désir et mon esprit content.
Car sans le revenu l'étude nous abuse,
Et le corps ne se paît aux banquets de la muse.
Sais-tu, pour savoir bien, ce qu'il nous faut sa-
voir ?
C'est s'amner le goût , de connoître et de voir ,
Apprendre dans le monde et lire dans la vie
D'autres secrets plus fins que de philosophie ,
Et qu'avec la science il faut un bon esprit.
Or entends à ce point ce qu'un Grec en écrit :
Jadis un loup , dit-il, quelafaim époinçonne ,
Sortant hors de son fort rencontre une lionne ,
Rugissante à l'abord , et qui montroit aux dents
L'insatiable faim qu'elle avoit au-dedans.
Furieuse elle approche; et le loup qui l'avise
D'un langage flatteur lui parle et la courtise :
Car ce fut de tout temps que, ployant sous l'effortj
Le petit cède au grand , et le foible au plus fort.
Lui,dis-je,qui craignoit que, faute d'autre proie,
La bête l'attaquât , ses ruses il emploie.
Mais enfin le hasard si bien le secourut ,
Qu'un mulet gros et gras à leurs yeux apparut.
Ils cheminent dispos , croyant la table prête ,
Et s'approchent tous deux assez près de la bête.
Le loup qui la connoit , malin et défiant ,
Lui regardant aux pieds , lui parloit en riant :
D'où es-tu? qui es -tu? quelle est ta nourriture 1
12,
ï>8 MATH UK IN REGNIER.
Ta race, ta maison , ton maître, ta nature ?
Le mulet, étonné de ce nouveau discours ,
De peur ingénieux, aux ruses eut recours ;
Et, comme les Normands, sans lui répondre,,
•Voire !
Compère , ce dit-il, je n'ai point de mémoire ;
Et comme sans esprit ma grand' mère me vit v
Sans m'en dire autre chose, au pied me l'écrivit.
Lors il lève la jambe au jarret ramassée ;
Et d'un œil innocent il couvroit sa pensée ,
Se tenant suspendu sur les pieds en avant.
Le loup qui l'aperçoit se lève de devant,
S'excusant de ne lire avec cette parole ,
Que les loups de son temps n'alloient pointa l'é-
cole-
Quand la chaude lionne , à qui l'ardente faim
ALloit précipitant J a rage et le dessein ,
S'approche, plus savante, en volonté de lire.
Le mulet prend le temps , et du grand coup qu'il
tire
Lui enfonce la tête, et d'une autre façon ,
Qu'elle ne savoit point, lui apprit sa leçon.
Alors le loup s'enfuit , voyant la béte morte ,
Et de son ignorance ainsi se réconforte :
N'en déplaise aux docteurs, cordeliers, jacobins?
Fardicu, les plus grands clercs nesontpas les pins
fins.
satires. i3g
»^», VV^ '».'%.'».%. •%, -vv» ■* %^vw»^-*^w»^w-*.i
A M. MOT IN.
SATIRE IV.
LA POESIE TOUJOURS PAUVRE.
iVJLoTiN , la muse est morte, ou la faveur pour elle.
En vain dessus Parnasse Apollon on appelle ,
En vain par le veiller on acquiert du savoir,
Si Fortune s'en moque, et s'on ne peut avoir
Ni honneur, ni crédit, non plus que si nos peines
Etoient fables du peuple inutiles et vaines.
Or va , romps -toi la tête ; et de j our et de nuit
Pâlis dessus un livre, à l'appétit d'un bruit
Qui nous honore après que nous sommes sous
terre ,
Et de te voir paré de trois brins do lierre (i),
Connue s'il importoit , étant ombres là-bas ,
Que notre nom vécût, ou qu'il ne vécût pas.
Honneur hors de saison , inutile mérite ,
Qui vivants nous trahit , et qui morts ne profite ;
(i) La couronne de lierre étoit donnée aux poètes.:
Prima feres kedevœ victricis prasmia.
Hor.
l4o MATHUKIN REGNIER.
Sans soins de l'avenir je te laisse le bien ,
Qui vient à contre-'poil alors qu'on ne sent rien ,
Puisque vivant ici de nous on ne fait conte ,
Et que notre vertu engendre notre honte.
Donc par d'autres moyens à la cour familiers ,
Par vice, ou par vertu, acquérons des lauriers ,
Puisqu'en ce monde ici on nen fait différence ,
Et que souvent par l'un l'autre se récompense.
Apprenons à mentir, nos propos déguiser ,
A trahir nos amis, nos ennemis baiser ,
Faire la cour aux grands, et dans leurs anticham-
bres,
Le chapeau dans la main , nous tenir sur nos mem-
bres ,
Sans oser ni cracher, ni tousser, ni s'asseoir,
Et, nous couchant au jour, leur donner le bon soir.
Car puisque ta fortune aveuglément dispose
De tout, peut-être enfin aurons -nous quelque
chose.
Or , laissons donc la muse , Apollon , et ses vers ;
Laissons le luth, la lyre, et ces outils divers
Dont Apollon nous flatte ; ingrate frénésie ,
Puisque pauvre et quaymande on voit la poésie,
Où j'ai par tant de nuits mon travail occupé.
Mais quoi ! je te pardonne; et si tu m'as trompe' ,
La honte en soit au siècle, où, vivant d'âge en âge,
Mon exemple rendra quelque autre esprit plus
sage.
SATIRES. ~4ï
Mais pour moi , mon ami , j e suis fort mal paye
D'avoir suivi cet art. Si j'eusse étudié
Jeune , laborieux, sur un banc à l'école,
Galien , Hippocrate , ou Jason , ou Barthole ,
Une cornette au cou debout dans un parquet,
À tort et à travers je vendrois mon caquet.
Il est vrai que le ciel , qui me regarda naître ,
S'est de mon jugement toujours rendu le maître;
Et bien que , j eune enfant , mon père me tançât ,
Et de verges souvent mes chansons menaçât ,
Me disant de dépit , et bouffi de colère :
« Badin , quitte ces vers ; et que penses-tu faire ?
La muse est inutile ; et si ton oncle (i) a su
S'avancer par cet art, tu t'y verras déçu.
Un même astre toujours n'éclaire en cette terre :
Mars tout ardent de feux nous menace de
guerre (2) ,
Tout le monde frémit ; et ces grands mouvements
Couvent en leurs fureurs de piteux changements.
Penses-tu que le luth, et la lyre des poètes
S'accorde d'harmonie avecque les trompettes ?
Les plus grands de ton temps, dans le sang aguer-
ris
Comme en Thrace seront brutalement nourris ,
Qui rudes n'aimeront la lyre de la muse ,
(1) Philippe Desportes.
(2) Les guerres civiles de la ligue,
Ii\'2 MATHURIN REGNIER.
Non plus qu'une vielle ou qu'une cornemuse.
Laisse donc ce métier, et sage prends le soin
Ue t'acquérir un art qui te serve au besoin. »
Je ne sais, mon ami, par quelle prescience ,
Il eut de nos destins si claire connoissance ,
Mais pour moi , je sais bien que, sans en faire cas ,
Je méprisois son dire, et ne le croyois pas,
Bien que mon bon démon souvent me dît le même.
Mais quand la passion en nous est si extrême,
Les avertissements n'ont ni force, ni lieu ,
lit l'homme croit à peine aux paroles d'un Dieu.
Ainsi me tançoit-il d'une parole émue ;
Mais comme en se tournant je le perdois de vue ,
Je perdis la mémoire avecque ses discours ,
Et rêveur m'égarai tout seul par les détours
Des antres et des bois , affreux et solitaires ,
Où la muse, en dormant, m'enseignoit ses mys-
tères ,
M'apprenoitdes secrets, et, m' échauffant le sein,
De gloire et de renom relevoit mon dessein.
Inutile science, ingrate, et méprisée ,
Qui sert de fable au peuple, et aux grands de risée!
Eusses-tu plus de feu , plus de soin , et plus d'art
Que Jodelle n'eut oncq', Desportes, ni Ronsard,
L'on te fera la moue ; et pour fruit de ta peine ,
Ce n'est , ce dira-t-on , qu'un poète à la douzaine.
Car on n a plus le goût comme on l'eut autrefois.
Apollon est gêné par de sauvages lois
SATIRES. 143
Qui retiennent sous l'art sa nature offusquée ,
Et de mainte figure est sa beauté masquée.
Si pour savoir former quatre vers empoulés ,
Faire tonner des mots mal joints et mal collés ,
Ami , l'on 'étoit poète , on verroit ( cas étrange ! )
Les poètes plus épais que mouches en vendanges.
Or que dès ta jeunesse Apollon t'ait appris ,
Que Calliope même ait tracé tes écrits ,
Qu'ils soient pleins, relevés, et graves à l'oreille;
Qu'ils fassent sourciller les doctes de merveille :
Ne pense , pour cela , être estimé moins fol ,
Et sans argent comptant qu'on te prête un licol ,
Ni qu'on n'estime plus (humeur extravagante ! )
Un gros âne pourvu de mille écus de rente.
Ce malheur est venu de quelques jeunes veaux
Qui mettent à l'encan l'honneur dans les bor-
deaux ;
Et ravalant Phébus , les Muses et la Grâce ,
Font un bouchon à vin du laurier de Parnasse ;
A qui le mal de tête est commun et fatal ?
Et vont bizarrement en poste en l'hôpital :
Et puis en leur chanson , sottement importune
Ils accusent les grands , le ciel et la fortune ,
Qui fûtes de leurs vers en sont si rebattus ,
Qu'ils ont tirés cet art du nombre des vertus ;
Tiennent à mal d'esprit leurs chansons indiscrè-
tes ,
Et les mettent au rang des plus vaines sornettes.
ï44 - MATHURIJf REGNIER.
Encore quelques grands , afin de faire voir,
De Mécène rivaux,, qu'ils aiment le savoir ,
Nous voyent de bon œil , et tenant une gaule ,
Ainsi qu'à leurs chevaux nous en flattent l'épaule,
Avccque bonne mine , et d'un langage doux
Nous disent souriant : Eh bien , que faites-vous ?
Avez^vous point sur vous quelque chanson nou-
velle ?
J'en vis ces jours passés de vous une si belle ,
Que c'est pour en mourir: ha! ma foi, je vois bien
Que vous ne m aimez plus , vous ne me donnez
rien.
Mais on lit à leurs yeux et dans leur contenance
Que la bouche ne parle ainsi que l'aine pense;
Et que c'est , mon ami, un grimoire et des mots
Dont tous les courtisans endorment les plus sots.
SATIRES. l£5
*"WV%'"V%^%/%. •»•»•'». »-'%^-».'»»'»/"V**'%^»r'»^V«k'V»<"V%^V»,
A M. B EUT AU T, ÉVÈQUE DE SÉEZ.
SATIRE V.
LE GOUT PARTICULIER DECIDE DE TOUT.
JDertaut, c'est un grand cas, quoi que l'on puisse
faire ,
Il n'est moyen qu'un homme à chacun puisse
plaire ;
Et fût-il plus parfait que la perfection ,
L'homme voit par les yeux de son affection.
Chacun fait à son sens , dont sa raison s'escrime ;
Et tel blâme en autrui ce de quoi je l'estime.
Tout , suivant l'intellect , change d'ordre et de
rang:
Les Mores aujourd'hui peignent le diable blanc.
Le sel est doux aux uns , le sucre amer aux autres ;
L'on reprend tes humeurs, ainsi qu'on fait les
nôtres.
Les critiques du temps m'appellent débauché ,
Que je suis jour et nuit aux plaisirs attaché ,
Que j'y perds mon esprit, mon ame et ma jeunesse.
Les autres , au rebours , accusent ta sagesse ,
Et ce hautain désir qui te fait mépriser
i3
l/|f> MATHURIN IIF.GNIF.R.
Plaisirs, trésors, grandeurs, pour l'immortaliser.
Ainsi les actions aux langues sont sujettes.
Mais œs divers rapports sont de foibjetsagcttes,
Qui blessent seulement cvux qui sont mal armés;
Non pas les l>ons esprits , à va in ère accoutumés ,
Qui savent avisés , avecque différence ,
Séparer le vrai Lien du fard de l'apparence.
Ce qui plaît à l'œil sain offense un chassieux ;
L'eau se jaunit en bile au corps du bilieux ;
I ,e sang <\yun hydropiquç en pituite se change ,
Bt l'estomac gâté pourrit tout ce qu'il mange.
De la douce liqueur rosoyante du ciel ,
L'une en fait le venin , el l autre en fait le miel.
Ainsi c'est la nal lire et l humeur n'es personnes .
Et non la qualité j qui rend les choses bonnes.
Charnellemenl se joindre avec sa parenté ,
En France , c'est inceste; en Perse , charité.
Tellement qu'à tout prendre, en ce monde où nous
sommes ,
Et le Lien et le mal dépend du goût des hommes.
Or, sans me tourmenter des divers appétits,
Quels ils sont aux plus grands , et quels aux plus
petits,
Je te veux discourir comme je trouve étrange
Le chemin d'où nous vient le blâme et la louange.
Et comme j'ai l'esprit de chimères brouillé,
Voyant qu'un More noir m'appelle barbouillé,
Que les yeux de travers s'offensent que je lorgne ,
SATIRES. 147
Et que les Quinze-vingts disent que je suis borgne.
C'est ce qui me déplaît , encor que j'aie appris
En mon philosopher d'avoir tout à mépris.
Penses-tu qu'à présent un homme abonne grâce ,
Qui dans leFour-1 Evêque(i) entérine sa grâce,
Ou l'autre qui poursuit des abolitions ,
De vouloir jeter l'œil dessus mes actions ?
Un traître , un usurier qui, par miséricorde,
Par argent ou laveur , s'est sauvé de la corde !
Moi qui dehors , sans plus , ai vu le Châtelet ,
Et que jamais sergent ne saisit au colet ,
Qui vis , selon les lois , et me contiens de sorte
Que je ne tremble point quand on heurte à ma
porte ,
Voyant un président le cœur ne me tressaut ,
Et la peur d'un prévôt ne m'éveille en sursaut !
Scaures du temps présent , hypocrites sévères ;
Un Claude effrontément parle des adultères ;
Milon , sanglant encor , reprend un assassin ;
Gracche,un séditieux ; et Verres , le larcin.
Or pour moi , tout le mal que leur discours m'ob-
jecte ,
C'est que mon humeur libre à l'amour est sujette,
Que j'aime mes plaisirs , et que les passe-temps
(1) Le For-1'Evêque , Forum Episcopi, étoit alors le
siège de la jurisdictiou épiscopale de Paris. Elle fut
réunie au Châtelet, en 1674.
143 MATHURIK REGNIER.,
Des amours m'ont rendu grison avant le temps ;
Qu'il est bien mal-aisé que jamais je me change ,
Et qu'à d'autres façons ma jeunesse se range.
Mon oncle m'a conté que , montrant à Ronsard
Tes vers étincelans et de lumière et d'art ,
Il ne sut que reprendre en ton apprentissage ,
Sinon qu'il te jugeoit pour un poète trop sage.
Et ores au contraire on m objecte à péclié
Les humeurs qu'en ta muse il eut bien recherché.
Toute chose en vivant avec l'âge s'altère.
Le débauché se rit des sermons de son père :
Et dans vingt et cinq ans venant à se changer ,
Retenu , vigilant , soigneux et ménager ,
De ces mêmes discours ses iîis il admoneste ,
Qui ne font que s'en rire et qu'en hocher la teste.
Chaque âge a ses humeurs , son goût et ses plaisirs;
E t , comme notre poil , blanchissent nos désirs.
Nature ne peut pas l'âge en l'âge confondre :
L'enfant qui sait déjà demander et répondre ,
Qui marque assurément la terre de ses pas ,
Àvecque ses pareils se plaît en ses ébats :
Il fuit7 îl vient, il parle, il pleure, il saute d'aise;
Sans raison d'heure en heure il s'émeut et s'ap-
paise.
Croissant l'âge en avant , sans soin de gouverneur,
Relevé , courageux , et cupide d'honneur ,
Il se plaît anx chevaux , aux chiens , à la campa-
SATIRES. l/l9
Facile au vice , il hait les vieux et les dédagne :
Rude à qui le reprend , paresseux à son bien ,
Prodigue , dépensier, il ne conserve rien ;
Hautain , audacieux , conseiller de soi-même ,
Et d'un cœur obstiné s'aheurte à ce qu'il aime.
L'âge au soin se tournant, homme fait,il acquiert
Des biens et des amis , si le temps le requiert ;
Il masque ses discours comme sur un théâtre ;
Subtil, ambitieux, l'honneur il idolâtre:
Son esprit avisé prévient le repentir ,
Et se garde d'un lieu difficile à sortir.
Maints fâcheux accidens surprennent sa vieil-
lesse:
Soit qu'avec du souci gagnant de la richesse ,
Il s'en défend l'usage , et craint de s'en servir ,
Que tant plus il en a , moins s'en peut assouvir :
Ou soit qu'avec froideur il fasse toute chose ,
Imbécille , douteux , qui voudroit et qui n'ose ,
Dilayant, qui toujours a l'œil sur l'avenir;
De léger il n'espère , et croit au souvenir :
Il parle de son temps ; difficile et sévère ,
Censurant la jeunesse , use des droits derpère ;
Il corrige , il reprend , hargneux en ses façons ,
Et veut que tous ses mots soient autant de leçons»
Voilà donc, de par Dieu, comme tourne la vie,
Ainsi diversement aux humeurs asservie,
Que chaque âge départ à chaque homme en vivant-
De son tempérament la qualité suivant.
i3.
I0O MaTKUEIN REGNIER.
Et moi qui , jeune encor, en mes plaisirs m'égaie,
II faudra que je change ; et, malgré que j'en aie ,
Plus soigneux devenu , plus froid et plus rassis ,
Que mes jeunes pensers cèdent aux vieux soucis.
Aussi qu' importe- 1- il de mal ou de bien faire ,
Si de nos actions un juge volontaire ,
Selon ses appétits , les décide et les rend
Dignes de récompense , ou d'un supplice grand ;
Si toujours nos amis en bon sens les expliquent,
Et si tout au rebours nos haineux non s en piquent?
Chacun selon son goût s'obstine en son parti ,
Qui fait qu'il n'est plus rien qni ne soit perverti.
La vertu n'est vertu ; l'envie la déguise ,
Et de bouche , sans plus , le vulgaire la prise.
Au lieu du jugement régnent les passions ,
Et donne l'intérêt, le prix aux actions.
Ainsi ce vieux rêveur qui naguères à Rome
Gouvernoit un enfant et faisoit le prud'homme ,
Contrecarroit Caton , critique en ses discours,
Qui toujours rechignoit, et reprenoit toujours ;
Après que cet enfant s'est faitplus grand par l'âge,
Revenant à la cour d'un si lointain voyage ,
Ce critique, changeant d'humeurs et de cerveau,
De son pédant qu'il fut, devient son maquereau.
Donc à si peu de frais la vertu se profane ,
Se déguise , se masque , et devient courtisane ,
Se tran forme aux humeurs, suit le cours du mar-
ché,
SATIRES. l5l
Et dispense les gens de blâme et de péché.
Pères des siècles vieux, la vertu simple et pure,
Sans fard , de votre temps , imitoit sa nature ,
Austère en ses façons , sévère en ses propos ,
Qui dans un labeur juste égayoit son repos ;
Et sans penser aux biens où le vulgaire pense,
Elle étoit votre prix et votre récompense :
Où la nôtre aujourd'hui qu'on révère ici-bas
Va la nuit dans le bal , et danse les cinq pas ,
Se parfume , se frise , et de façons nouvelles
Veut avoir par le fard du nom entre les belles ;
Fait crever les cour taux en chassant aux forets;
Court le faquin , la bague ; escrime des fleurets ;
Monte un cheval de bois , fait dessus des pomma-
des ;
Talonne le genêt , et le dresse aux passades ;
Chante des airs nouveaux , invente des balets ,
Sait écrire et porter les vers et les poulets ;
A l'œil toujours au guet pour des tours de sou-
plesse;
Glose sur les habits et sur la gentillesse ;
Se plait à l'entretien, commente les bons mots ,
Et met à même prix les sages et les sots.
Et ce qui plus encor m'empoisonne de rage ,
Est quand un charlatan relève son langage ,
Et , de coquin , faisant le prince revêtu ,
Bâtit un paranymphe à sa belle vertu ;
Et qu'il n'est crocheteur, ni courtautde boutique,
IJ2 MATHUHIN REGNIER.
Qui n'estime à vertu l'art où sa main s'applique ;
Et qui , paraphrasant sa gloire et son renom ,
Entre les vertueux ne veuille avoir du nom.
Voilà comme à présent chacun l'adultérise ,
Et forme une vertu comme il plaît à sa guise.
Elle est comme au marché dans les impressions :
Et , s' adjugeant aux taux de nos affections ,
Fait que par le caprice , et non par le mérite ,
Le blâme et la louange au hasard se débite ;
Et peut un jeune sot , suivant ce qu'il conçoit ,
Ou ce que par ses yeux son esprit en reçoit ,
Donner son jugement , en dire ce qu'il pense ,
Et mettre sans respect notre honneur en balance.
Mais puisque c'estletemps,méprisantles rumeurs
Du peupie laissons là le inonde en ses humeurs ;
Et si selon son goût un chacun en peut dire ,
Mon goût sera , Berlaut , de n'en faire que rire.
SATIRES.
i53
►■%^w%.»^».-».i
A M. DE BETHUNE,
étant ambassadeur pour sa majesté à Roine
SATIRE VI.
l'honneur, ennemi de la vie.
JD é t h u n e , si la charge où ta vertu s'amuse
Te permet écouter les chansons que la muse ,
Dessus les bords du Tibre et du mont Palatin ,
Me fait dire en françois au rivage latin (i) ,
Où , comme au grand Hercule à la poitrine 'arge,
Notre Atlas de son faix sur ton dos se décharge,
Te commet de l'état l'entier gouvernement ,
Ecoute ce discours tissu bizarrement.
Non, ce n'est point devoir en règne la sottise,
L'avarice et le luxe entre les gens d'église ,
La justice à l'encan , l'innocent oppressé ,
Le conseil corrompu suivre l'intéressé ,
Les états pervertis , toute chose se vendre ,
Et n'avoir du crédit qu'au prix qu'on peut dépen-
dre :
(i) Régnier composa cette satire à Rome , où il étoit
allé a ia suite de M, de Béthune ; il en prit le sujet dans
deux Capitoli du Mauro , poète italien.
I 54 M AT H U Kl N REGNIER.
N i moins , que la valeur n'ait ici plus de lieu ,
Que la noblesse courre en poste à l'Hôtel-Dieu ,
Que les jeunes oisifs aux plaisirs s'abandonnent ,
Que les femmes du temps soient à qui plus leur
donnent ,
Que l'usure ait trouvé , bien que je n'ai de quoi ,
Tant elle a bonnes dents , que mordre dessus moi.
Tout ceci ne me pèse , et l'esprit ne me trouble.
Que tout s'y pervertisse , il ne m'en ebaut d'un
double.
Du temps ni de l'état il ne faut s'affliger.
Selon le vent qu'il fait l'homme doit naviger.
Mais ce dont jeme deuils est bien une autre chose,
Qui fait que l'œil humain jamais ne se repose ,
Qu'il s'abandonne en proie aux soucis plus cui-
sans.
Ha! que ne suis- je roi pour cent ou six-vingts ans!
Par un édit public qui fût irrévocable ,
Je bannirais l'honneur , ce monstre abominable,
Qui nous trouble l'esprit , et nous charme si bien
Que sans lui les humains ici ne voyent rien ;
Qui trahit la nature , et qui rend imparfaite
Toute chose qu'au goût les délices ont faite.
L'honneur, qui sous faux titre habite avecque
nous ;
Qui nous ôte la vie et les plaisirs plus doux ;
Qui trahit notre espoir , et fait que l'on se peine
Après l'éclat fardé d'une apparence vaine ;
SATIRES. [55
Qui sèvre les désirs, et passe méchamment
La plume par le bec à notre sentiment ;
Qui nous veut faire entendre , en ses vaincs chi-
mères ,
Que pour ce qu'il nous touche il se perd , si nos
mères ,
Nos femmes et nos sœurs font leurs maris jaloux :
Comme si leurs désirs dépendissent de nous.
Jepensc,quantàmoi, que cet homme fut ivre,
Qui changea le premier l'usage de son vivre ,
Et , rangeant sous des lois les hommes écartés ,
Bâtit premièrement et villes et cités ;
De tours et de fossés renforça nos murailles ,
Et renferma dedans cent sortes de quenailles.
De cet amas confus naquirent à l'instant
L'envie, le mépris , le discord inconstant,
La peur , la trahison , le meurtre , la vengeance ,
L'horrible désespoir, et toute cette engeance
De maux qu'on voit régner en l'enfer de la cour ,
Dont un pédant de diable (i) en ses leçons dis-
court ,
Quand par art il instruit ses écoliers pour être ,
S'il se peut faire , en mal plus grands clercs que
leur maître.
Ainsi la liberté du monde s'envola ;
Et chacun se campant , qui deçà , qui delà ,
(i) Machiavel.
Ii)i> MATH Ull IN REGNIER.
De haies , de buissons , remarqua son partage ;
Et la fraude fit lors la figue au premier âge.
Lors du mien et du tien naquirent les procès ,
A qui l'argent départ bon ou mauvais succès.
Le fort battit le foibie , et lui livra la guerre.
De là l'ambition fît envahir la terre ,
Qui fut, avant le temps que survinrent ces maux,
Un hôpital commun à tous les animaux ;
Quand le mari de Rhée , au siècle d'innocence ,
Gouvernoit doucement le monde en son enfance ;
Que la terre de soi le froment rapportoit ;
Que le chêne de manne et de miel dégouttoit ;
Que tout vi voit en paix ; qu'il n'étoit point d'usu-
res;
Que rien ne se venaoit par poids ni par mesures ;
Qu'on n'avoit point de peur qu'un procureur-
fiscal
Formât sur une aiguille un long procès-verbal ;
Et se jetant d'aguet dessus votre personne ,
Qu'un barisel vous mit dedans la tour de
Nonne (i).
Mais sitôt que le fils le père déchassa ,
Tout sens dessus dessous ici se renversa.
Les soucis , les ennuis , nous brouillèrent la tête;
(i) Ancienne tour qui servoit, à Rome , de prison ;
elle fut démolie vers 1690, et l'on bâtit un théâtre sur
son emplacement , près du pont Saint-Ange.
SATIRES. 107
L'on ne pria les saints qu'au fort de la tempête ;
L'on trompa son prochain, la médisance eut lieu,
Et l'hypocrite fit barbe de paille à Dieu.
L'homme trahit sa foi , d'où v inrent les notaires ,
Pour attacher au joug les humeurs volontaires.
La faim et la cherté se mirent sur le rang ;
La fièvre , les charbons , le maigre flux de sang ,
Commencèrent d'éclore, et toutcequel'automne,
Par le vent de midi , nous apporte et nous donne .
Les soldats , puis après , ennemis de ia paix ,
Qui de l'avoir d'autrui ne se soûlent jamais ,
Troublèrent la campagne , et , saccageant nos
villes ,
Par force en nos maisons violèrent nos filles ;
D'où naquit le hordeau qui } s'élevant debout ,
A l'instant , comme un dieri , s'étendit tout par-
tout.
Encore tous ces maux ne seroient que fleurettes,
Sans ce maudit honneur , ce conteur de sornettes ;
Mais ce traître cruel , excédant tout pouvoir ,
Nous fait suer le sang sous un pesant devoir ;
De chimères nous pipe, et nous veut faire accroire
Qu'au travail seulement doit consister la gloire ;
Qu'il faut perdre et sommeil, et repos et repas ,
Pour tâcher d'acquérir un sujet qui n'est pas ,
Ou s'il est, qui jamais aux yeux ne se découvre ;
Et , perdu pour un coup , j amais ne se recouvre ;
Qui nous gonfle le cœur de vapeur et de vent ,
i4
l58 MATHURIIT REGNIER.
Et d'excès par lui-même il se perd bien souvent.
Puis on adorera, cette menteuse idole !
Pour oracle on tiendra cette croyance folle
Qu'il n'est rien de si beau que tomber bataillant •
Qu'aux dépens de son sang il faut être vaillant,
Mourir d'un coup de lance , ou du cboc d'une pi-
que,
Comme les paladins de la saison antique ;
Et répandant l'esprit,blessé par quelque endroit,
Que notre ame s'envole en paradis tout droit l
Ha! que c'est cbose belle, et fort bien ordonnée,
Dormir dedans un lit la grasse matinée ,
En dame de Paris s'habiller chaudement,
A la table s'asseoir, manger humainement !
Ah Dieu! pourquoi faut-il que mon esprit ne vaille
Autant que cil qui mit les souris en bataille (i) ,
Qui sut à la grenouille apprendre son caquet ,
Ou que l'autre qui fit en vers un sopiquet (2) ?
Je ferois , éloigné de toute raillerie ,
Un poème grand et faux de la poltronnerie ,
En dépit de l'honneur , et des femmes qui l'ont
D'effet sous la chemise, ou d'apparence au front ;
Et m'assure pour moi , qu en ayant lu l'histoire ,
Elles ne seroient plus si sottes que d'y croire.
Celui le peut bien dire, à qui dès le berceau
(1) Homère , la Batrachojnyomachie,
(2) Virgile, dans son poème intitulé, Moretum.
S.YTIRES. 1JO,
Ce malheureux honneur a tins le bec en l'eau ,
Qui le traîne à tâtons , quelque part qu'il puisse
être,
Ainsi que fait un chien un aveugle son maître
Qui s'en va doucement après lui pas à pas ,
Et librement se fie à ce qu'il ne voit pas.
S'il veut que plus long-temps à ses discours je
croie ,
Qu'il m'offre à tout le moins quelque chose qu'on
voie
Et qu'on savoure, afin qu'il se puisse savoir
Si le goût dément point ce que l'œil en peut voir.
Que font tous ces vaillants de leur valeur guer-
rière ,
Qui touchent du penser l'étoile poussinière ,
Morguent la destinée , et gourmandent la mort ,
Contre qui rien ne dure , et rien n'est assez fort ;
Et qui , tout transparents de claire renommée ,
Dressent cent fois le jour en discours une armée ,
Donnent quelque bataille , et tuant un chacun ,
Font que mourir et vivre à leur dire n'est qu'un ,
Relevés , emplumés , braves comme sam t George ?
Et Dieu sait cependant s'ils mentent par la gorge :
Et bien que de l'honneur ils fassent des leçons ,
Enfin au fond du sac ce ne sont que chansons.
Mais , mon Dieu ! que ce traître est d'une
étrange sorte !
Tandis qu'à le blâmer la raison me transporte ,
iCo MA.THUB.IH REGÎUER.
Que de lui je médis , ii me flatte , et me dit
Que je veux par ces vers acquérir son crédit ;
Que c'est ce que ma muse en travaillant pour-
chasse ,
Et mon intention , qu'être en sa bonne grâce ;
Qu'en médisant de lui je le veux requérir ;
Et tout ce que je fais , que c'est pour l'acquérir.
Si ce n'est qu'on diroit qu'il me i'auroit fait faire,
Je l'irois appeler comme mon adversaire :
Aussi que le duel est ici défendu (i),
Et que d'une autre part j'aime l'individu.
Mais tandis qu'en colère à parler je m'arrête ,
Je ne m'apperçois pas que la viande est prête ;
Qu'ici, non plus qu'en France, on ne s'amuse pas
A discourir d'honneur quand on prend son repas .
Le sommeiller en hâte est sorti de la cave :
Déjà monsieur le maître et son monde se lave.
Trêves avec l'honneur. Je m'en vais tout courant
Décider au tinel un autre différent.
(i) Henri IV défendit les duels par deux édits , l'un
du mois de juin 1602 , et l'autre de l'année 1609.
SATIRES. ifil
►■v^.-w%^«^»«^-«^w%.'v-».%^%/w»--m^v%^»,'%.».-x^w»^»/%.
A M. LE MARQUIS DE COEUVRES.
SATIRE VII.
l'amour qu'oi ne peut dompter.
Uotte et fâcheuse humeur de la plupart des
hommes ,
Qui, suivant ce qu'ils sont, jugent ce que nous
sommes ,
Et, sucrant d'un souris un discours ruineux ,
Accu sent un chacun des maux qui sont en eux !
Notre mélancolie en sauroit hien que dire ,
Qui nous pique en riant , et nous flatte sans rire ,
Qui porte un cœur de sang dessous un front blêmi,
Et duquel il vaut moins être ami qu'ennemi.
Vous qui, tout au contraire, avez dans le courage
Les mêmes mouvements qu'on vous lit au visage;
Et qui , parfait ami , vos amis épargnez ;
Et de mauvais discours leur vertu n'éborgnez ;
Connoissant donc en vous une vertu facile
A porter les défauts d'un esprit imbécille
Qui dit, sans aucun fard , ce qu'il sent librement,
Et dont jamais le cœur la bouche ne dément ,
Comme à mon confesseur vous ouvrant ma pen-
sée,
i4
l(v2 MATUURIÏ REGNIER.
De jeunesse et d'amour follement insensée ,
Je yous conte le mal où trop enclin je suis ,
Et que prêt à laisser , je ne veux et ne puis :
Tant il est mal-aise d'ôier avec l'étude
Ce qu'on a de nature , ou par longue habitude !
J'obéis au caprice , et sans discrétion ;
La raison ne peut rien dessus ma passion.
Nulle loi ne retient mon ame abandonnée ;
Ou soit par volonté , ou soit par destinée ,
En un mal évident je clos l'œil à mon bien :
Ni conseil , ni raison , ne me servent de rien.
Je choppe par dessein; ma faute est volontaire:
Je me bande les yeux , quand le soleil m'éclaire ;
Et , content de mon mal , j e me tiens trop heureux
D'être , comme je suis , en tous lieux amoureux.
Et comme à bien aimer mille causes m'invitent ,
Aussi mille beautés mes amours ne limitent ;
Et , courant ça et là , je trouve tous les jours ,
En des sujets nouveaux , de nouvelles amours.
Si de l'œil du désir une femme j'avise ,
Ou soit belle , ou soit laide , ou sage , ou mal ap-
prise ,
Elle aura quelque trait qui,de mes sens vainqueur,
Me passant par les yeux , me blessera le cœur.
Et c'est comme un miracle, en ce monde où nous
sommes ,
Tant l'aveugle appétit ensorcelle les hommes ,
Qu'encore qu'une femme aux Amours fasse peur,
SATIRES. l63
Que le Ciel , et Vénus la voye à contre-cœur ;
Toutefois , étant femme , elle aura ses délices ,
Relèvera sa grâce avec des artifices
Qui dans l'état d'Amour ia sauront maintenir ,
Et par quelques attraits les amants retenir.
Si quelqu'une est difforme, elle aura bonne grâce,
Et par l'art de l'esprit embellira sa face :
Captivant les amants , de mœurs , ou de discours ,
Elle aura du crédit en l'empire d'Amours.
En cela l'on connoît que la nature est sage ,
Qui , voyant les défauts du féminin ouvrage ,
Qu' il seroit , sans respect , des hommes méprisé ,
L'anima d'un esprit et vif et déguisé ;
D'une simple innocence elle adoucit sa face ;
Elle lui mit au sein la ruse et la fallace ;
Dans sabouche, la foi qu'on donne à sesdiseours,
Dont ce sexe trahit les cieux et les amours :
Et selon, plus ou moins, qu'elle étoit belle, ou
laide ,
Sage , elle sut si bien user d'un bon remède ,
Divisant de l'esprit la grâce et la beauté ,
Qu'elle les sépara d'un et d'autre côté ;
De peur qu'en les joignant, quelqu'une eût l'avan-
tage,
Avec un bel esprit, d'avoir un beau visage.
La belle , du depuis , ne le recherche point ;
Et l'esprit rarement à la beauté se joint.
Or, afin que la laide, autrement inutife ,
I ($4 l\l A T H U II I N II B 0 N l E H .
Dessous le joug d amour rendît l'homme servile,
Elle ombragea L'esprit d'un morne aveuglement,
Âvecque le désir troublant le jugement,
De peur que nulle femme, ou fût laide, ou fût
belle,
Ne vécût sans le faire, et ne mourût pueelle.
Ravi de tous objets, j aime si vivement,
Que je n ai pour l amour ni choix, ni jugement*
De toute élection mon ame est dépourvue,
Et nul objet certain ne Limite ma vue.
Toute femme m agrée; et les perfections
k)u corps ou de l'esprit troublent mes passions*
J'aime le port de l'une, et de l'autre la taille ;
L'autre (V\m trait lascif me livre la bataille ;
Et l'autre, dédaignant, d'un œil sévère et doux,
Ma peine et mon amour, me donne mille COUDS :
S oit qu'une autre, modes te, à l' impourvu m'avise,
De vergogne et d'amour mon ame est toute éprise;
Je sens <V\\n sage feu mon esprit enflammer,
Et son honnêteté me contraint de l'aimer.
Si quelque autre, affectée en sa douce malice,
Gouverne son œillade avec' de 1 artifice,
J'aime sa gentillesse;; et mon nouveau désir
Se la promet savante en l'amoureu* plaisir.
Que L autre parle livre, et lasse des merveilles,
Amour, qui prend par-tout, me prend par les
oreilles;
Et juge par l'esprit, parfait en ses accords,
S \ T I H R S . 1 03
Dos pointsplus accomplis que pou l avoir le corps -
Si l'autre est, au rebours , des i ettres nonchal an te,
Je crois qu'au fait d'amour elle sera savante ;
Et que nature, habile à couvrir son défaut,
Lui aura mis au ht tout l'esprit qu'il lui faut.
Ainsi , de toute femme à mes yeux opposée ,
Soit parfaite en beauté, ou soit mal-composée,
Do mœurs, ou de façons, quelque chose m'en plaît;
Et ne sais point comment, ni pourquoi, ni que
c'est.
Que! que objet que l'esprit par mes y eux se figure,
Mon cœur, tendre à l'amour, en reçoitla pointure,
Cormne un miroir en soi toute image reçoit ,
Il reçoit en amour quelque objet que se soit.
Autant qu'une plus blanche il aime une brunette:
Si Tune a plus d'éclat, l'autre est plus sadi nette ;
Et, plus vive de feu, d'amour et de dos ir,
Comme elle en reçoit plus , donne plus de plaisir.
Mais sansparler demoi,que toute amour emporte:
Voyant une beauté folâtrement accorte ,
Dont l'abord soit facile , et l'œil plein de douceur,
Que semblable à Vénus on l'estime sa sœur,
Que le ciel sur son front ait posé sa richesse ,
Qu'elle ait le cœur humain , le port d'une déesse ,
Qu'elle soit le tourment et le plaisir des cœurs,
Que Flore sous ses pas fasse naître dos fleurs;
Au seul trait de ses yeux , si puissants sur les âmes,
l66 MATHURIN REGNIER.
Les cœurs les plus glacés sont tous brûlant* de
flammes :
Et fût-il de métal , ou de bronze, ou de roc,
Il n'est moine si saint qui n'en quittât le froc.
Ainsi, moi seulement sous l'amour je ne plie ;
Mais de tous les mortels la nature accomplie
Fléchit sous cet empire; et n'est homme ici-bas
Qui soit exempt d'amour, non plus que du trépas.
SATIRES. 167
A M. L'ABBÉ DE BEAULIEU,
nommé par sa majesté à l'évêclié du Mans (1'
SATIRE VIII(2).
L'IMPORTUN, OU LE FACHEUX.
VJharles, demes péchés j'ai bien fait pénitence.
Or toi , qui te connois aux cas de conscience ,
Juge si j'ai raison de penser être absous.
J'oyois un de ces jours la messe à deux genoux ,
Faisant mainte oraison , l'œil au ciel , les mains
jointes ,
Le cœur ouvert aux pleurs, et tout percé de poin-
tes ,
Qu'un dévot repentir élançoit dedans moi ,
Tremblant des peurs d'enfer , et tout brûlant de
foi ,
Quand un j eune frisé , relevé de moustache ,
De galoche , de botte , et d'un ample panache .
(1) En 1601 ; il étoit fils du seigneur de Lavardin ,
maréchal de France.
(2) Horace a traité le même sujet, lib. I , sat. 9.
I^>8 MATHURIN REGNIER.
Me vint prendre , et me dit , pensant dire un bon
mot :
Pour un poète du temps , vous êtes trop dévot.
Il me prit par la main , après mainte grimaee ,
Changeant , sur l'un des pieds , à toute heure de
place ,
Et dansant tout ainsi qu'un harhe encastelé ,
Me dit , en remâchant un propos avalé :
Que vous êtes heureux , vous autres belles âmes ,
Favoris d Apollon , qui gouvernez les dames ,
Et par mille beaux vers les charmez tellement ,
Qu'il n'est point de beautés que pourvous seule-
ment !
Mais vous les méritez : vos vertus non communes
Vous font dignes , monsieur, de ces bonnes fortu-
nés.
Glorieux de me voir si hautement loué ,
Je devins aussi fier qu'un chat amadoué ;
Et sentant au palais mon discours se confondre ,
D'un ris de saint Médard il me fallut répondre.
Je poursuis. Mais, ami, laissons-le discourir ,
Dire cent et cent fois : Il en faudroit mourir ;
Sa barbe pmçoter ; cageoller la science ;
Relever ses cheveux ; dire : En ma conscience ;
Faire la belle main ; mordre un bout de ses gants ;
Rire hors de propos ; montrer ses belles dents ;
Se carrer sur un pied ; faire arser son épée ;
Et s'adoucir les yeux ainsi qu'une poupée :
SATIRES. ifig
Cependant qu'en trois mots je te ferai savoir
Où premier, à mon dam , ce fâcheux me put voir .
J'étois chez une dame en qui, si la satire
Permettoit en ces vers que je le pusse dire ,
Reluit, environné de la divinité,
Un esprit aussi grand que grande est sa heauté.
Ce fanfaron chez elle eut de moi connoissance ;
Et ne fut de parler jamais en ma puissance ,
Lui voyant ce jour-là son chapeau de velours ,
Rire d'un fâcheux conte, et faire un sot discours;
Bien qu'ilrn'eût à l'abord doucement fait entendre
Qu'il étoit mon valet, à vendre et à dépendre:
Et détournant les yeux : Belle , à ce que j'entends,
Comment! vous gouvernez les beaux esprits du
temps !
Et, faisant le doucet de parole et de geste.
Il se met sur un lit, lui disant: Je proteste
Que je me meurs d'amour quand je suis près de
vous ;
Je vous aime si fort, que j'en suis tout jaloux.
Puis , rechangeant de note , il montre sa rotonde :
Cet ouvrage est -il beau? Que vous semble du
monde ?
L'homme que vous savez m'a dit qu'il n'aime rien.
Madame , à votre avis , ce jourd'hui suis-je bien ?
Suis-je pas bien chaussé? ma jambe est-elle belle ?
Voyez ce taffetas; la mode en est nouvelle;
C'est œuvre de la Chine. A propos, on m'a dit
i5
1^0 MATHURI1V RÉGNIER.
Que contre les clinquants le roi fait un édit (i).
Sur le coude il se met, trois boutons se délace :
Madame , baisez-moi; n'ai -je pas bonne grâce?
Que vous êtes fâcheuse ! A la fin on verra ,
Rosette, le premier qui s'en repentira (2).
D'assez d'autres propos il me rompit la tête.
Voilà quand et comment je connus cette bête ;
Te jurant, mon ami, que je quittai ce lieu
Sans demander son nom, et sans lui dire adieu.
Je n'eus depuis ce jour de lui nouvelle aucune.
Si ce n'est ce matin , que de maie fortune
Je fus en cette église, où, comme j'ai conté,
Pour me persécuter Satan l'avoit porté.
Après tous ces propos qu'on se dit d'arrivée,
D'un fardeau si pesant ayant l'ame grevée ,
Je chauvis de l'oreille , et , demeurant pensif,
L'ecliine j'alongeois comme un âne rétif,
Minutant me sauver de cette tyrannie.
Il le juge à respect. O ! sans cérémonie ,
Je vous supply , dit-il , vivons en compagnons.
(1) Henri IV fit trois édits contre les clinquants et
dorures; le premier en i5g4> Ie deuxième en 1601 et
le troisième en 1606.
(2) Allusion à une villanelle de Desportes qui se
cliantoit alors , et qui avoit pour refrain :
Nous verrons, bergère Rosette ,
Qui premier s'en repentira.
SATIRES. I^I
Ayant, ainsi qu'un pot, les mains sur les rognons,
Il me pousse en avant, me présente Ja porte,
Et, sans respect des saints, hors l'église il me porte.
Moi , pour m'en dépêtrer , lui dire tout exprès :
Je vous baise les mains; je m'en vais ici près
Chez mon oncle dîner. O Dieu! le galant homme î
J'en suis. Et moi pour lors, comme un bœuf qu'on
assomme ,
Je laisse cheoir la tète ; et bien peu s'en fallut ,
Remettant par dépit en la mort mon salut ,
Que je n'allasse lors , la tête la première ,
Me jeter du Pont-neuf à bas en la rivière.
Insensible, il me traîne en la cour du palais ,
Où trouvant par hasard quelqu'un de ses valets,
11 l'appelle , et lui dit : Holà ! hau ! Ladreville ,
Qu'on ne m'attende point , je vais dîner en ville.
Dieu sait si ce propos me traversa l'esprit !
Encor n'est-ce pas tout : il tire un long écrit ,
Que voyant je frémis. Lors , sans cajolerie ,
Monsieur, je ne m entends à la chicannerie,
Ce lui dis-je , feignant l'avoir vu de travers.
Aussi n'en est-ce pas ; ce sont de méchants vers
( Je connus qu'il étoit véritable à son dire)
Que , pour tuer le temps , je m'efforce d'écrire ;
Et pour un courtisan, quand vient l'occasion,
Je montre que j'en sais pour ma provision.
Il lit ; et se tournant brusquement par la place ,
Les banquiers étonnés admiroient sa grimace,
Et mon troient en riant qu'ils ne lui eussent pas
l~1 M AT H UK IN REGNIER.
Prêté, sur son minois, quatre doubles ducats ,
Que j'eusse bien donnés pour sortir de sapatte.
Je l'écoute; et durant que l'oreille il me flatte ,
Le bon Dieu sait comment, à chaque fin de vers
Tout exprès je disois quelque mot de travers.
11 poursuit, nonobstant, d'une fureur plus grande,
Et ne cessa jamais qu'il n'eût fait sa légende.
Me voyant froidement ses œuvres avouer ,
Il les serre, et se met lui-même à se louer:
Donc, pour un cavalier, n'est-ce pas quelque
chose ?
Mais, monsieur, n'avez -vous jamais vu de ma
prose ?
Moi de dire que si, tant je craignais qu'il eût
Quelque procès-verbal qu'entendre il me fallût.
Encore , dites-moi en votre conscience,
Pour un qui n'a du tout acquis nulle science ,
Ceci n'est-il pas rare ? Il est vrai , sur ma foi ,
Lui dis-je souriant. Lors, se tournant ver s moi ,
M'accole à tour de bras ; et , tout pétillant d'aise ,
Doux comme une épousée , à la joue il me baise ;
Puis , me flattant l'épaule , il me fit librement
L'honneur que d'approuver mon petit jugement.
Après cette caresse , il rentre de plus belle :
Tantôt il parle à l'un , tantôt l'autre l'appelle ;
Toujours nouveaux discours; et tant fût-il hu-
main ,
Que toujours , de faveur , il me tint parla main.
Quel heur ce m'eût été , si , sortant de l'église ,
SATIRES. I~3
îi m'eût conduit chez lui , et , m'ôtant la chemise ,
Ce heau valet à qui ce beau maître parla
M'eût donné l'an guillade, et puis m'eût laissé là !
Honorable défaite ! heureuse échappatoire !
Encore derechef me la fallut-il boire.
Il vint à reparler dessus le bruit qui court
De la reine, du roi , des princes , de la cour ;
Que Paris est bien grand; que le Pont-neuf s'a-
chève ( i ) ;
Si plus en pa'x qu'en guerre un empire s'élève.
Il vint à définir que c'étoit qu'amitié ,
Et tant d'autres vertus, que c'en étoit pitié.
Mais il ne définit, tant il étoit novice ,
Que l'indiscrétion est un si fâcheux vice,
Qu'il vaut bien mieux mourir de rage ou de regret,
Que de vivre à la gêne avec un indiscret.
Tandis que ces discours me donnoient la torture,
Je sonde tous moyens pour voir si d'aventure
Quelque bon accident eût pu m'en retirer ,
Et m'empêcher enfin de me désespérer.
Voyant un président, je lui parle d'affaire ;
S'il avoit des procès, qu'il étoit nécessaire
D'être toujours après ces messieurs bonneter;
(i) Ce pont fut commencé sons Henri III, qui en
posa la première pierre le 3r mai 1.578. Les guerres
civiles en firent suspendre les travaux que Henri IV fit
reprendre en 1604 ; il fut achevé en 1606.
i5.
174 MATHURIir REGNIER.
Qu'il ne laissât, pour moi, de les solliciter;
Quanta lui, qu'U étoit homme d'intelligence ,
Qui savoit comme on perd son bien par négli-
gence ;
Où marche l'intérêt qu'il faut ouvrir les yeux.
Ha ! non , monsieur, dit-il ; j'aimerois beaucoup
mieux
Perdre tout ce que j'ai que votre compagnie ;
Et se mit aussitôt sur la cérémonie.
Moi qui n'aime à débattre en ces fadaises-là ,
Un temps , sans lui parler , ma langue vacila.
Enfin je me remets sur les cajolleries ,
Lui dis (comme le roi étoit aux Tuilleries)
Ce qu'au Louvre on disoit qu'il feroit ce jour-
d'hui ;
Qu'il devroit se tenir toujours auprès de lui.
Dieu sait combien alors il me dit de sottises ,
Parlant de ses hauts faits et de ses vaillantises ;
Qu'il avoit tant servi , tant fait la faction ,
Et n'avoit cependant aucune pension :
Mais qu'il se consoloit, en ce qu'au moins l'his-
toire ,
Comme on fait son travail, ne déroboit sa gloire ;
Et s'y met si avant , que je crus que mes jours
Dévoient plutôt finir que non pas son discours.
Mais comme Dieu voulut, après tant de demeures
L'horloge du Palais vint à frapper onze heures ;
Et lui , qui pour la soupe avoit l'esprit subtil :
A quelle heure, monsieur, votre oncle dine-t-il ?
SATIRES. iy5
Lors bien peu s'en fallut, sans plus longtemps
attendre
Que de rage au gibet je ne m'ailasse pendre.
Encor l'eussé-je fait, étant désespéré ;
Mais je crois que le ciel, contre moi conjuré,
Voulut que s'accomplît cette aventure mienne
Que me dit, jeune enfant, une Bohémienne:
Ni la peste , la faim , la vérole , la toux ,
La fièvre, les venins, les larrons, ni les loups ,
Ne tueront cettui-ci ; mais l'importun langage
D'un fâcheux: qu'il s'en garde, étant grand , s'il
est sage.
Comme il continuoit cette vieille chanson ,
Voici venir quelqu'un d'assez pauvre façon.
Il se porte au-devant, lui parle, le cajolle ;
Mais cet autre à la fin se monta de parole :
Monsieur , c'est trop long-temps. . . Tout ce que
vous voudrez. . .
Voici l'arrêt signé. . . Non , monsieur , vous vien -
drez,
Quand vous serez dedans , vous ferez à partie. . .
Et moi, qui cependant n'étois de la partie ,
J'esquive doucement, et m'en vais à grands pas ,
La queue en loup qui fuit, et les yeux contre-bas,
Le cœur sautant de joie, et triste d'apparence.
Depuis aux bons sergens j'ai porté révérence ,
Comme à des gens d'honneur , par qui le ciel vou-
lut
Que je reçusse un jour le bien de mon salut.
ï 76* M V- T H U R I N II E G KIER.
i. »^»^v %^-». %.%,■*. w »<
A M. RAPIN.
SATIRE IX.
LE CRITIQUE OUTRE.
R
a p ï n , le favori d'Apollon et des muses ,
Pendant qu'en leur métier jour et nuit tu t'amu-
ses ,
Et que d'un vers nombreux , non encore chanté ,
Tu te fais un chemin à l'immortalité ,
Moi , qui n'ai ni l'esprit , ni l'haleine assez forte
Pour te suivre de près et te servir d'escorte ,
Je me contenterai , sans me précipiter ,
D'admirer ton labeur, ne pouvant l'imiter ;
Et pour me satisfaire au désir qui me reste
De rendre cet hommage à chacun manifeste ,
Par ces vers j'en prends acte , afin que l'avenir
Deanoi par ta vertu se puisse souvenir ;
Et que cette mémoire à jamais s'entretienne ,
Que ma muse imparfaite eut enhonneur la tienne;
Et que si j'eus l'esprit d'ignorance abattu ,
Je l'eus au moins si bon , que j 'aimai ta vertu :
Contraire à ces rêveurs dont la muse insolente ,
Censurant les plus vieux , arrogamment se vante
SATIRES. I-J
De réformer les vers , non les tiens seulement ,
Mais veulent déterrer les Grecs du monument ,
Les Latins , les Hébreux , et toute l'antiquaille ,
Et leur dire à leur nez qu'ils n'ont rien fait qui
vaille.
Ronsard en son métier n'étoit qu'un apprentif
Il avoit le cerveau fantastique et rétif:
Desportes n'est pas net; du Bellay trop facile :
Beileau ne parle pas comme on parle à la ville ;
Il a des mots hargneux, bouffis et relevés ,
Qui du peuple au jourd'hui ne sont pas approuvés .
Comment! il nous faut donc, pour faire une
œuvre grande,
Qui de la calomnie et du temps se défende , ,
Qui trouve quelque place entre les bons auteurs,
Parler comme à Saint-Jean (i) parlent les cro-
cheteurs !
Encore je le veux, pourvu qu'ils puissent faire
Que ce beau savoir entre en l'esprit du vulgaire :
Et quand les crocheteurs seront poètes fameux
Alors sans me fâcher je parlerai comme eux.
Pensent-ils, des plus vieux offensant la mémoire,
Par le mépris d'autrui s'acquérir de la gloire ,
Et , pour quelque ^ieux mot , étrange , ou de tra-
vers ,
(i) La place de Grève qui est proche de l'église
Saint-Jean.
Ij8 MATHURIIÎ REGNIER.
Prouver qu'ils ont raison de censurer leurs vers ?
Alors qu'une œuvre brille et d'art et de science ,
La verve quelquefois s'égaie en la licence.
Il semble, en leurs discours hautains et généreux,
Que le cheval volant n'ait pissé que pour eux ;
Que Phœhus à leur ton accorde sa vielle ;
Que la mouche du Grec ( i ) leurs lèvres emmielle;
Qu'ils ont seuls ici-bas trouvé la pie au nid ,
Et que des hauts esprits le leur est le zénit ;
Que seuls des grands secrets ils ont la connois-
sance;
Et disent librement que leur expérience
A raffiné les vers fantastiques d'humeur,
Ainsi que les Gascons ont faitle point-d'honneur ;
Qu'eux tous seuls du bien-dire ont trouvé la mé-
thode ,
Et que rien n'est parfait s'il n'est faità leur mode.
Cependant leur savoir ne s'étend seulement
Qu'à regratter un mot douteux au jugement ,
Prendre garde qu'un qui ne heurte une diphton-
gue ;
Épier si des vers la rime est brève ou longue ;
Ou bien si la voyelle à l'autre s'unissant
Ne rend point à l'oreille un vers trop languissant:
Et laissent sur le verd le noble de l'ouvrage.
Nul aiguillon divin n'élève leur courage ;
(i) Pindare.
SATIRES. I79
Ils rampent bassement, foibles d'inventions ,
Et n'osent, peu hardis, tenter les fictions ,
Froids à l'imaginer : car s'ils font quelque chose,
C'est proser de la rime , et rimer de la prose ,
Que l'art lime et reiime, et polit de façon
Qu'elle rend à l'oreille un agréable son ;
Et voyant qu'un beau feu leur cervelle n'embrase,
Ils attifent leurs mots , enjolivent leur phrase ,
Affectent leur discours tout si relevé d'art ,
Et peignent leurs défauts de couleur et de fard.
Aussi je les compare à ces femmes jolies
Qui par les affiquets se rendent embellies ,
Qui, gentes en habits, et sades en façons ,
Parmi leur point coupé tendent leurs hameçons ;
Dont l'œil rit mollement avec afféterie ,
Et de qui le parier n'est rien que flatterie.
Où, ces divins esprits, hautains et relevés ,
Qui des eaux d'HéUcon ont les sens abreuvés ;
De verve et de fureur leur ouvrage étincelle ,
De leurs vers tout divins la grâce est naturelle ,
Et sont , comme l'on voit , la parfaite beauté ,
Qui, contente de soi, laisse la nouveauté
Que l'art trouve au palais , ou dans le blanc d'Es-
pagne.
Rien que le naturel sa grâce n'accompagne :
Son front, lavé d'eau claire, éclate d'un beau
teint ;
De roses et de lis la nature ia peint ;
IOO M AT H UR IN REGNIER.
Et, laissant là Mercure et toutes ses malices ,
Les nonchalances sont ses plus grands artifices.
Or, Rapin, quant à moi, je n'ai point tant d'esprit.
Je vais le grand chemin que mon oncle m'apprit,
Laissantlà ces docteurs, que les muses instruisent
En des arts tout nouveaux: et s'ils font, comme
ils disent,
De ses fautes un livre aussi gros que le sien ,
Telles je les croirai quand ils auront du hien ,
Et que leur helle muse, à mordre si cuisante,
Leur don'ra comme à lui, dix mille écus de rente,
De l'honneur, de l'estime; et quand par l'univers
Sur le luth de David on chantera leurs vers ;
Qu'ils auront joint l'utile avec le délectable ,
Et qu'ils sauront rimer une aussi bonne table.
On fait en Italie un conte assez plaisant ,
Qui vient à mon propos, qu'une fois un paysan ,
Homme fort entendu, et suffisant de tête ,
Comme on peut aisément juger par sa requête ,
S'en vint trouver le pape, et le voulut prier
Que les prêtres du temps se pussent marier ;
Afin, se disoit-il, que nous puissions, nous autres,
Leurs femmes caresser, ains i qu'ils font les nôtres.
Ainsi suis-je d'avis, comme ce bon lourdaut,
S'ils ont l'esprit si bon , et l'intellect si haut ,
Le jugement si clair, qu'ils fassent un ouvrage
Riche d'invention , de sens et de langage ,
SATIRES. l8l
Que nous puissions draper comme ils font nos
écrits ,
Et voir, comme l'on dit, s'ils sont si bien appris :
Qu'ils montrent de leur eau, qu'ils entrent en car-
rière.
Leur âge défaudra plutôt que la matière.
Nous sommes en un siècle ouïe prince est si grand,
Que tout le monde entier à peine le comprend.
Qu'ils fassent, par leurs vers, rougir chacun de
honte:
Et comme de valeur notre prince surmonte
Hercule, Enée, Achil', qu'ils ôtent les lauriers
Aux vieux, comme le roi l'a fait aux vieux guer-
riers.
Qu'ils composent une œuvre ; on verra si leur livre
Après mille et mille ans sera digne de vivre ,
Surmontant par vertu l'envie et le destin ,
Comme celui d'Homère et du chantre latin.
Mais , Pvapin , mon ami , c'est la vieille querelle ;
L'homme le plus parfait a manque de cervelle ,
Et de ce grand défaut vient l'imbécillité,
Qui rend l'homme hautain, insolent, effronté ;
Et, selon le sujet qu'à 1 œil il se propose,
Suivant son appétit il juge toute chose.
Philosophes rêveurs , discourez hautement ;
Sans bouger de la terre, allez au firmament ;
Faites que tout le ciel branle à votre cadence,
Et pesez vos discours même dans sa balance:
16
Ïù2 MATHUKIN REGNIER.
Connoissez les humeurs qu'il verse dessus nous ,
Ce qui se fait dessus , ce qui se fait dessous ;
Portez une lanterne mix cachots de nature ;
Sachez qui donne aux fleurs cette aimahie pein-
ture (i) ,
Quelle main sur la terre eu broyé la couleur ,
Leurs seerettes vertus , leurs degrés de chaleur ;
Yoyez germer à l'œil les semences du monde ;
Allez mettre couver les poissons dedans l'onde ;
Déchiffrez les secrets de nature et des cieux:
Votre raison vous trompe, aussi bien que vos
yeux.
Or, ignorant de tout , de tout je me veux rire ;
Faire de mon humeur moi-même une satire ;
N'estimer rien de vrai , qu'au goût il ne soit tel ;
Vivre; et, comme chrétien, adorer l'immortel ,
Où gît le seul repos, qui chasse l'ignorance ;
Ce qu'on voit hors de lui n'est que sotte appa-
rence y
Piperie, artifice : encore , ô cruauté
Des hommes et du temps ! notre méchanceté
S'en sert aux passions ; et dessous une aumussc
L'ambition , l'amour , l'avariée , se musse.
L'on se couvre d'un froc pour tromper lesjaloux ;
Les temples aujourd'hui servent aux rendez-vous;
(i) Racine a dit dans les chœurs d'Atbalie :
Il donne aux fleurs leur aimable peinture.
SATIRES. l83
Derrière les piliers on oit mainte sornette ;
Et, comme clans un bal, tout le monde y caquette.
On doit pendre, suivant et le temps et le lieu ,
Ce qu'on doit à César, et ce qu'on doit à Dieu.
Et quant aux appétits de la sottise humaine ,
Comme un homme sans goût, je les aime sans
peine :
Aussi bien rien n'est bon que par affection ;
Nous jugeons, nous voyons, selon la passion.
Le soldat aujourd'hui ne rêve que la guerre ;
En paix le laboureur veut cultiver sa terre ;
L avare n'a plaisir qu'en ses doubles ducas.
L'amant juge sa dame un chef-d'œuvre ici-bas:
Encore qu'elle n'ait sur soi rien qui soit d'elle ,
Que le rouge et le blanc par art la fassent belle ,
Qu'elle ente en son palais ses dents tous les ma-
tins ,
Qu'elle doive sa taille au bois de ses patins ;
Que son poil , dès le soir, frisé dans la boutique ,
Comme un casque au matin sur sa tète s'applique;
Qu elle ait, comme un piquier, le corselet au dos ;
Qu'à grand peine sa peau puisse couvrir ses os;
Et tout ce qui de jour la fait voir si doucette,
La nuit , comme en dépôt , soit dessous la toilette ;
Son esprit ulcéré juge, en sa passion ,
Que son teint fait la nique à la perfection.
Le soldat tout ainsi pour la guerre soupire ;
Jour et nuit il v pense, et toujours la désire ;
84 MATHUKIK REGNIER.
Il ne rêve la nuit que carnage et que sang :
La pique dans lepoing, et l'estoc sur le flanc ,
Il pense mettre à chef quelque belle entreprise ;
Que forçant un château, tout est de bonne prise :
Il se plaît aux trésors qu'il cuide ravager ,
Et que l'honneur lui rie au milieu du danger.
L'avare, d'autre part , n'aime que la richesse ;
C'est son roi , sa faveur, sa cour et sa maîtresse :
IN ul objet ne lui plaît, sinon l'or et l'argent ;
Et tant plus il en a, plus il est indigent.
Le paysan d'autre soin se sentl'amc embrasée.
Ainsi l'humanité sottement abusée
Court à ses appétits qui l'aveuglent si bien ,
Qu'encor qu'elle ait des yeux, si ne voit-elle rien .
Nul choix hors de son goût ne règle son envie ,
Mais s'aheurte où sans plus quelque appas la con-
vie,
Selon son appétit le monde se repaît,
Qui fait qu'on trouve bon seulement ce qui plaît.
O débile raison ! où est ores ta bride ?
Où ce flambeau qui sert aux personnes de guide ?
Contre la passion trop foible est ton secours ,
Et souvent, courtisane, après elle tu cours ;
Et, savourant l'appas qui ton ame ensorcelle y
Tu ne vis qu'à son goût, et ne vois que par elle.
De là vient qu'un chacun, mêmes en son défaut,
Pense avoir de l'esprit autant qu'il lui en faut.
Aussi rien n'est parti si bien par la nature
Satires. i85
Que le sens; car chacun en a sa fourniture.
Mais pour nous, moins hardis à croire à nos rai-
sons ^
Qui réglons nos esprits par les comparaisons
D'une chose avec l'autre , épluchons de la vie
L'action qui doit être ou hlâmée ou suivie ;
Qui criblons le discours, au choix se variant,
D'avec la fausseté la vérité triant
( Tant que l'homme le peut) ; qui formons nos ou-
vrages
Aux moules si parfaits de ces grands personnages
Qui , depuis deux mille ans ont acquis le crédit
Qu'envers rien n'est parfait que ce qu'ils en ont
dit;
Devons-nous aujourd'hui , pour une erreur nou-
velle
Que ces clercs dévoyés forment en leur cervelle ,
Laisser légèrement la vieille opinion ,
Et, suivant leur avis , croire à leur passion ?
Pour moi , les huguenots pourroient faire mira-
cles,
Ressusciter les morts, rendre devrais oracles ,
Que je ne pourrois pas croire à leur vérité.
En toute opinion je fuis la nouveauté.
Aussi doit-on plutôt imiter nos vieux pères ,
Que suivre des nouveaux les nouvelles chimères*
De même, en Tart divin de la muse , doit-on
Moins croire à leur esprit qu'à l'esprit de Platon*
i6\
l86 MATHIRIS REGNIER.
Mais,Rapin,à leur goût si Jesvieux sont profanes,
Si Virgile, le Tasse et Ronsard sont des ânes ,
Sans perdre en ces discours le temps que nous
perdons ,
Allons comme eux aux champs, et mangeons des
chardons.
SATIRES. 187
,-%s*/^,%*msi
SATIRE X(i).
LE SOUPER RIDICULE.
U n de ces jours derniers, par des lieux détournés
Je m'en allois rêvant, le manteau sur le nez,
L'arae bizarrement de vapeurs occupée ,
Comme un poète qui prend les vers à la pipée :
En ces songes profonds où flottoit mon esprit ,
Un homme par la main hasardement me prit ,
Ainsi qu'on pourroit prendre un dormeur par
l'oreille ,
Quand on veut qu à minuit en sursaut il s'éveille.
Je passe outre d'aguet, sans en faire semblant ,
Et m'en vais à grands pas , tout froid et tout trem-
blant.
Craignant de faire encor , avec ma patience ,
Des sottises d'autrui nouvelle pénitence (2).
(1) Horace a décrit un repas ridicule dans la satire VIII
du livre II. L'imitation de Régnier, quoique un peu
trop longue, porte l'empreinte d'un vrai talent; elle
n'a point été inutile à Boileau lorsqu'il a traité le même
sujet.
( 1) Allusion à la satire VIII , où il a décrit l'ennui que
lui avoit causé un importun.
ïC8 . KATHURIN REGKIER.
Tout courtois il me suit , et , d'un parler remis :
Quoi ! monsieur,est-ce ainsi qu'on traite ses amis?
Je m'arrête, contraint; d'une façon confuse ,
Grondant entre mes dents, j e barbotte une excuse;
De vous dire son nom il ne garit de rien ,
Et vous jure au surplus qu'il est homme de bien :
Au compas du devoir il règle son courage,
Et ne laisse en dépôt pourtant son avantage.
Selon le temps , il met ses partis en avant.
Alors que le roi passe il gagne le devant ;
Et seroit bien fâché, le piince assis à table ,
Qu'un autre en fût plus près, ou fît plus l'agréable;
Qui plus suffisamment entrant sur le devis ,
Fit mieux le philosophe, ou dît mieux son avis ;
Qui de chiens ou d'oiseaux eût plus d'expérience,
Ou qui décidât mieux un cas de conscience :
Puis dites , comme un sot , qu'il est sans passion.
Sans gloser plus avant sur sa perfection ,
Avec maints hauts discours, de chiens, d'oiseaux,
de bottes ,
Que les valets de pied sont forl sujets aux crottes ;
Pour bien faire du pain , il faut bien enfourner ;
Si don Pèdre (i) est venu , qu'ai s'en peut retour-
ner:
(ï) Dom Pedro Manriqiiez , connétable de Castille,
allant en Flandre , séjourna à Paris en i6o3.
SATIRES. l8y
Le ciel nous fît ce Lien qu'encor d'assez bonne
heure
Nous vînmes au logis où ce monsieur demeure ,
Où, sans historier le tout par le menu ,
Il me dit: Vous soyez, monsieur, le bien-venu.
Après quelques propos, sans propos et sans suite ,
Avec un froid adieu je minute ma fuite ,
Plus de peur d'accident, que par discrétion.
Il commence un sermon de son affection ,
Me rit , me prend , m'embrasse avec cérémonie :
Quoi ! vous ennuyez-vous en notre compagnie ?
Non , non , ma foi , dit-il , il n ira pas ainsi ;
Et, puisque je vous tiens, vous souperez ici.
Je m'excuse ; il me force. O dieux ! quelle injus-
tice !
Alors, mais las! trop tard, je connus mon sup^
plice ;
Mais pour l'avoir connu, je ne pus l'éviter ,
Tant le destin se plaît à me persécuter !
A peine à ces propos eut-il fermé la bouche ,
Qu'il entre à l'étourdie un sot fait à la fourche ,
Qui, pour nous saluer, laissant cheoir son cha-
peau ,
Fit comme un entrechat avec un escabeau ,
Trébuchant par le cul , s'en va devant-derrière y
Et, grondant, se fâcha qu'on etoit sans lumière.
Pour nous faire , sans rire , avaler ce beau saut ,
Le monsieur sur la vue excuse ce défaut ,
1 ()() M A T II II il l JV 11 E G NI E II.
Que les gens de savoir ont la visière rendre.
L autre se relevant devers nous se vint rendre»
Moins honteux d'êl re chû que «le s'être pressé ;
El lui demandât-il s'il s'étoit point blessé.
Après mille discours, dignes d'un grand volume,
( )n appelle un valet ; la chandelle s'allume :
( )n apporte la nappe, el met-on le couvert ;
Et suis parmi ce s gens comme un homme sans vert,
Qui fait , en rechignant ,aussimaigrè visage
Qu'un renard que Martin porte au Louvre en sa
cage.
Un longtemps sans parler je regorgeois d'ennui.
Mais, n'étant point garant des sottises (Tautrui ,
.Teerus qu'Unie falloit d'une mauvaise affaire
En prendre, seulement ce qui m'en pouvoil plaire.
Ainsi considérant ces hommes (I leurs soins ,
Si je n'en disois mol , je n'en pensois pas moins ;
Et jugeai ce lourdaut,à son nez authentique ,
Quec'étoit u\\ pédant, animal domestique,
De qui la mine rogue, et le parler confus ,
Ijcs cheveux gras et longs j et les sourcils touffus ,
Fa isoient par Ireur savoir , comme il faisoit enten-
dre,
La figue sur le nez au pédant d'Alexandre.
Lors je fus assuré de ce que j'avois eru ,
Qu'il n'est plus courtisan de la cour si recru ,
Pour taire l'entendu, qu'il n'ait, pour quoi qu'il
vaille.
SATIRES. Kjl
Un poète, un astrologue , ou quelque pédan taille,
Qui, durant ses amours , avec un bel esprit ,
Couche de ses faveurs l'histoire par écrit.
Maintenant que l'on voit, et que je vous veux dire
Tout ce qui se fit là digne d'une satire ,
Je croirois faire tort à ce docteur nouveau ,
Si je ne lui donnois quelques traits de pinceau.
Mais étant mauvais peintre, ainsi que mauvais
poète ,
Et que j'ai la cervelle et la main maladroite ,
O Muse ! je t'invoque. Emmielle-moi le hec ,
Et bande de tes mains les nerfs de ton rebee ;
Laisse-moi là Phœbus chercher son aventure ;
Laisse-moi son B mol, prend la clef de nature ;
Et viens, simple, sans fard, nue, et sans ornement
Pour accorder ma flûte avec ton instrument.
Dis-moi comme sa race, autrefois ancienne ,
Dedans Rome accoucha d'une patricienne,
D'où naquit dix Gâtons, et quatre-vingts préteurs
Sans les historiens , et tous les orateurs.
Mais non ; venons à lui , dont la maussade mine
Ressemble un de ces dieux des couteaux de la
Chine ,
Et dont les beaux discours, plaisamment étourdis,
Feroient crever de rire un saint du paradis.
Ses yeux, bordés de rouge, égarés, sembloient être
L'un à Montmartre, et l'autre au château de Bi-
cétre.
IG2 MATHtTRIN REGNIER.
Pour sa robe, elle fut autre qu'elle n'étoit
Alors qu'Albert le Grand aux fêtes la portoit ;
Mais toujours recousant pièce à pièce nouvelle ,
Depuis trente ans c'est elle , et si ce n'est pas elle :
Ainsi que ce vaisseau (i) des Grecs tant renommé,
Qui survécut au temps qui l'avait consommé.
Une taigne affamée étoit sur ses épaules ,
Qui traçoit en arabe une carte des Gaules.
Les pièces et les trous , semés de tous côtés ,
Représentaient les bourgs , les monts et les cités.
Les filets séparés, qui se tenoient à peine ,
Imitoient les ruisseaux coulant dans une plaine.
Les Alpes, en jurant, lui grimpoient au collet ,
Et Savoi' qui plus bas ne pend qu'à un filet.
Or dessous cette robe illustre et vénérable
Il avoit un jupon , non celui de Constable,
Mais un qui pour un temps suivit l'arrière-ban ,
Quand en première noce il servit de caban
Au croniqueur Turpin , lorsque par la campagne
Il portoit l'arbalète au bon roi Cliarlemagne.
Pour assurer si c'est ou laine , ou soie , ou lin ,
Il faut en devinaille être maître Gonin.
(i) Celui qui servit à Thésée pour aller dans l'île de
Crète, combattre le minotaure. Les Athéniens conser-
vèrent très-long-temps ce navire , en substituant des
planches neuves à celles qui tomboient en pourriture.
Plutarq. Vie de Thésée.
satires. ig3
Sa ceinture honorable, ainsi que ses jartières ,
Furent d'un drap du Seau, mais j'entends des li-
sières
Qui sur maint couturier jouèrent maint roilet ;
Maispourl'heure présente ils sangloientle mulet.
Un mouchoir et des gants, avec ignominie ,
Ainsi que des larrons pendus en compagnie ,
Lui pendoient au côté, qui sembloient, en lam-
beaux ,
Crier, en se moquant: Vieux linges, vieux dra-
peaux !
De l'autre , brimbailoit une clef fort honnête ,
Qui tire à sa cordelle une noix d'arbalète.
Ainsi ce personnage , en magnifique arroi ,
3Iarchant pedete^"ti31 , s'en vint j usques à moi ,
Qui sentis a son nez, à ses lèvres décloses ,
Qu'il fleuroit bien plus fort mais non pas mieux
que roses.
Il me parle latin , il allègue , il discourt ,
Il réforme à son pied les humeurs de la cour :
Qu'il a pour enseigner une belle manière (i) ;
Qu'en son globe il a vu la matière première ;
Qu Epicure est ivrogne, Hippocrate un bourreau,
Que Barthole et Jason ignorent le barreau ;
(i) Boileau , dans sa cinquième réflexion critique sur
Longin , cite ces vers comme un portrait remarquable
du Pédant.
10,4 MATHURIIT SEGNIER.
Que Virgile est passable, encor qu'en quelques
pages /
Il méritât au Louvre être chifïlé des pages ;
Que Pline est inégal; Térence un peu joli :
Mais sur-tout il estime un langage poli.
Ainsi sur chaque auteur il trouve de quoi mordre.
L'un n'a point de raison, et l'autre n'a point d'or-
dre ;
L'autre avorte avant temps des œuvres qu'il con-
çoit.
Or' il vous prend Macrobe , et lui donne le foit.
Cicéron , il s'en tait, d'autant que l'on le crie
Le pain quotidien de la pédanterie.
Quant à son jugement , il est plus que parfait ,
Et l'immortalité n'aime que ce qu'il fait.
Par hasard disputant, si quelqu'un lui réplique ,
Et qu'il soit à quia : Vous êtes hérétique ,
Oupourlemoms fauteur; ou, vous ne savez point
Ce qu'en mon manuscrit j'ai noté sur ce point.
Comme il n'est rien de simple, aussi rien n'est
durable.
De pauvre on devient riche, et d'heureux , misé-
rable.
Tout se change: quifît qu'on changea de discours.
Après maint entretien, maints tours et maints re-
tours ,
Un valet , se levant le chapeau de la tète ,
Nous vint dire tout haut quela soupe étoitprête.
SATIRES. Rp
Je connus qu'il est vrai ce qu'Homère en écrit ,
Qu'il n'est rien qui si fort nous réveille l'esprit ;
Car j'eus, au son des plats, i'ame plus altérée ,
Que ne l'auroit un chien au son de la curée.
Mais , comme un jour d'hiver où le soleil reluit ,
Ma joie en moins d'un rien comme un éclair s'en-
fuit ;
Ainsi , parmi ces gens , un gros valet d'étahie 5
Glorieux de porter les plats dessus la table ,
D'un nez de majordome, et qui morgue la faim ,
Entra , serviette au bras , et fricassée en main ;
Et, sans respect du lieu, du docteur, ni des sausses,
Heurtant table et tréteaux, versa tout sur mes
chausses.
On le tance; il s'excuse; et moi, tout résolu ,
Puisqu'à mon dam le ciel l'avoit ainsi voulu ,
Je tourne en raillerie un si fâcheux mystère :
De sorte que monsieur m'obligea de s'en taire.
Sur ce point on se lave ; et chacun en son rang
Se met dans une chaire, ou s'assied sur un banc ,
Suivant ou son mérite , ou sa charge , ou sa race.
Des niais, sans prier, je me mets en la place ,
Où j'étois résolu, faisant autant que trois,
Déboire et de manger coiume aux veilles desRois.
Or, entre tous ceux-là qui se mirent à table ,
Il n'en étoit pas un qui ne fût remarquable ,
Et qui, sans éplucher, n'avalât l'éperlan.
L'un en titre d'office exercoit un brelan :
If}6 MaTHURIN RE G S 1ER.
L'autre étoit des suivants de madame Lipée ( i ) ;
Et l'autre, chevalier de la petite épée (2) ;
Et le plus saint d'entre eux, sauf le droit du cor-
deau,
Vivoit au cabaret, pour mourir au bordeau.
En forme d'échiquier les plats rangés sur table
N'avoient ni le maintien , ni la grâce accostable ;
Et bien que nos dîneurs mangeassent en sergents,
La viande pourtant ne prioit point les gens.
Mon docteur de menestre, en sa mine altérée ,
Avoit deux fois autant de mains que Briarée ;
Et n'étoit, quel qu'il fût, morceau dedans le plat ,
Qui des yeux et des mains n'eût un échec et mat ,
D'où j 'appris, en la cuite, aussi bien qu'en la crue,
Que l'ame se laissoit piper comme une grue ;
Et qu'aux plats , comme au lit, avec lubricité ,
Le péché de la chair tentoit l'humanité.
Devant moi j ustemen t on plante un gran d potage,
D'où les mouches à jeun se sauvoient à la nage :
Le brouet étoit maigre; et n'est Nostradamus ,
Qui , l'astrolabe en main , ne demeurât camus ,
Si, par galanterie, ou par sottise expresse ,
Il y pensoit trouver une étoile de graisse.
Pour moi , si j 'eusse été sur la mer de Levant ,
Où le vieux Louchali (3) fendit si bien le vent ,
(1) Un parasite.
(2) Un filou , un coupeur de bourses.
(3) Fameux corsaire.
SATIRES. IQ7
Quand Saint - Marc s'habilla des enseignes de
Thrace (1) ,
Je la comparerois au golphe de Patrasse :
Pour ce qu'on y voy oit , en mille et mille parts ,
Les mouches qui floîtoient en guise de soldarts.
Or durant ce festin demoiselle Famine ,
Avec son nez étique, et sa mourante mine ,
Ainsi que la Cherté par édit l'ordonna ,
Faisoit un beau discours dessus la Lezina (2) :
Et, nous torchant le bec, alléguoit Symonide ,
Qui dit, pour être sain, qu'il faut mâcher à vide.
Au reste, à manger peu, monsieur buvoit d'autant
Du vin qu'à la taverne on ne payoit comptant ;
Et se fàchoit qu'un Jean, blessé de la'logique ,
Lui barbouilloit l'esprit d'un ergo sophistique.
Emiant, quant à moi, du pain entre mes doigts,
A tout ce qu'on disoit doucet je m'accordois.
Le pédant, tout fumeux de vin et de doctrine ,
Répond, Dieu sait comment: le bon Jean se mu-
tine:
Et sembloit que la gloire, en ce gentil assaut ,
(1) Allusion à la bataille de Lépaute , gagnée contre
les Turcs, le 7 octobre 1071, par Dom Jean d'Autriche ,
fils naturel de Charles-Quint. Les enseignes prises sur
l'ennemi furent portées à Venise , et suspendues dans
l'église de Saint-Marc.
(2) Allusion à un ouvrage plaisant , composé eu ira-
lien , vers la fin du seizième siècle , par Viaîardi.
*7-
ï()S M AT H UR IN REGNIER.
Fût à qui parleroit, non pas mieux, mais plus haut;
Ne croyez en parlant que l'un ou l'autre dorme.
Comment ! votre argument, dit l'un, n'est pas en
forme.
L'autre, tout hors du sens : Mais c'est vous, ma-
lautru ,
Qui faites le savant, et n'êtes pas congru.
L'autre : Monsieur le sot, je vous ferai hien taire.
Quoi ! comment ! est-ce ainsi qu'on frappe Des-
pautère(i) ?
Quelle incongruité ! Vous mentez par les dents.
Mais vous ?. . . Ainsi ces gens, à se piquer ardents ,
S'en vinrent du parler à tic tac, torche, lorgne ;
Qui casse le museau; qui son rival éborgne ;
Qui jette un pain, un plat, une assiette, un cou-
teau;
Qui , pour une rondache , empoigne un escabeau.
L'un fait plus qu'il ne peut, et l'autre plus qu'il
n ose,
Et pense , en les voyant , voir la métamorphose
Où les centaures saouls, au bourg Atracien ,
Voulurent chauds de reins , faire noces de chien ;
Et, cornus du bon père , encorner le lapithe ,
Qui leur fit à la fin enfiler la guérite ,
Quand avecque des plats, des tréteaux, des tisons,
Par force les chassant mi-morts de ses maisons ,
(i) Faire des fautes de grammaire.
SATIRES. I99
Il les fît gentiment, après la tragédie ,
De chevaux devenir gros ânes d'Arcadie.
Nos gens en ce combat n'etoient moins inhumains,
Car chacun s'escrimoit et des pieds et des mains ;
Et, comme eux , tous sanglants en ces doctes alar-
mes ,
La fureur aveuglée en main leur mit des armes.
Je cours à mon manteau , j e descends l'escalier ,
Et laisse avec ses gens monsieur le chevalier.
Mais il sembloit qu'on eût aveuglé la nature ;
Et faisoit un noir brun , d'aussi bonne teinture
Que jamais on en vit sortir des Gobelins.
Argus pouvoit passer pour un des Quinze-vingts .
Qui pis est, il pleuvoit d'une telle manière ,
Queles rems, par dépit,me servoient de gouttière;
Et du haut des maisons tomboit uu tel dégoût ,
Que les chiens altérés pouvoient boire debout,
Alors me remettant sur ma philosophie ,
Je trouve qu'en ce monde il est sot qui se fie ,
Et se laisse conduire; et quant aux courtisans ,
Qui , doucets et gentils , font tant les suffisants ,
Je trouve , les mettant en même patenôtre ,
Que le plus sot d'entre eux est aussi sot qu'un au-
tre.
Pour éviter la pluie , à l'abri de l'auvent ,
J'allois doublant le pas, comme un qui fend le
vent:
Quand, bronchant lourdement en un mauvais
passage .
200 MATHURII REGNIER.
Le ciel me fît jouer un autre personnage ;
Car heurtant une porte, en pensant m' accoter
Ainsi qu'elle obéit, je vins à culbuter ;
Et s'ouvrant à mon heurt, je tombai sur le ventre.
On demande que c'est: je me relève, j'entre;
Et voyant que le chien n aboyoit point la nuit ,
Que les verroux graissés ne faisoient aucun bruit
Qu'on me rioit au nez , et qu'une chambrière
Vouloit montrer ensemble et cacher la lumière.
Je suis, je le vois bien... Je parle. L'on répond...
Où, sans fleurs de bien dire, ou d'autre art plus
profond ,
Nous tombâmes d'accord. Le monde je contemple,
Et me trouve en un lieu de fort mauvais exemple.
Toutefois il falloit, en ce plaisant malheur ,
Mettre, pour me sauver, en danger mon hou nfur.
Puis donc que je suis là, et qu'il est près d'une
heure ,
N'espérant pour ce jour de fortune meilleure ?
Je vous laisse en repos jusques à quelques jours ,
Que, sans parler Phœbus , je ferai le discours
De mon gîte, où pensant reposer à mon aise ,
Je tombai par malheur de la poêle en la braise.
SATIRES. 20 1
SATIRE XI(i).
SUITE.
LE MAUVAIS GÎTE.
oyez que c'est du monde, et des choses hu-
V
Toujours à nouveaux maux naissent nouvelles
peines ;
Et ne m'ont les destins, à mon dam trop constants,
Jamais, après la pluie, envoyé le beau temps.
Etant né pour souffrir, ce qui me reconforte ,
C'est que, sans murmurer, la douleur je supporte.
Et tire ce bonheur du malheur où je suis ,
Que je fais, en riant, bon visage aux ennuis ;
Que le ciel affrontant je nasarde la lune ,
Et vois, sans me troubler, l'une et l'autre fortune.
Entré donc que je fus en ce logis d'honneur,
Pour faire que d'abord on me traite en seigneur,
Et me rendre en amour d'autant plus agréable ,
La bourse déliant je mis pièce sur table ;
Dès-lors pour me servir chacun se tenoit prêt ;
(1) C'est au sujet de cette satire que Boileau a re-
proché à Régnier d'avoir prostitué les Muses.
202 MATHURIN REGNIER.
Et murmuroient tout bas : L'honnête homme que
c'est!
Toutes, à qui mieux nneux,s'efforçoient de me
plaire.
L'on allume du feu, dont j'avois bien affaire.
Je m'approche, me sieds ; et, m'aidan t au besoin ,
Jà tout apprivoisé jemangeois sur le poing (i).
Quand au flamber du feu trois vieilles rechignécs
Vinrent à pas comptés comme des araignées:
Chacune sur le cul au foyer s'accroupit,
Et sembloient, se plaignant, marmoter pr r dépit.
L'une , comme un fantôme affreusement hardie ,
Sembloit faire l'entrée en quelque tragédie;
L'autre , une Egyptienne, en qui les rides font
Contrescarpes, remparts, et fossés sur le front ;
L'autre, qui de soi-même étoit diminutive ,
Ressembloit, transparente, une lanterne vive.
Or j'ignore en quel temps d'honneur et de vertu,
Ou dessous quels drapeaux elles ont combattu ;
Si c'étoit mal de saint (2), ou de fièvre quartame;
Mais je sais bien qu'il n'est soldat, ni capitaine ,
Soit de gens de cheval , ou soit de gens de pié ,
(1) Allusion aux oiseaux de fauconnerie , qu'on rend
assez familiers pour qu'ils mangent sur le poing.
(2) Le peuple a donné le nom de quelque saint à
plusieurs maladies. Ainsi l'épilepsie se nomme mal de
saint Jean ; la rage , mal de saint Hubert, etc.
SATIRES. 20J
Qui dans la Charité soit plus estropié.
Bien que maître Denis, savant en la sculpture ,
Fit-il, avec son art, quinaude la nature ;
Ou, comme Michel-1' Ange , eùt-il le diable au
corps ,
Si ne pourroit-ii faire, avec tous ses efforts ,
De ces trois corps tronqués une figure entière ,
Manquant à cet effet , non i'art , mais la matière,
A ce piteux spectacle il iaut dire le vrai ,
J'eus une telle horreur que tant que je vivrai
Je croirai qu'il n'est rien au monde qui guérisse
Un homme vicieux, comme son propre vice.
Toute chose depuis me fut cà contre-cœur ;
Bien que d'un cabinet sortît un petit cœur ,
Avec son chaperon , sa mine de poupée ,
Disant: J'ai si grand peur de ces hommes d'épée,
Que si je n'eusse vu qu'étiez un financier ,
Je me fusse plutôt laissé crucifier ,
Que de mettre le nez où je n'ai rien à faire.
Jean , mon mari , monsieur, il est apothicaire.
Sur-tout, vive l'amour; et bran pour les sergents.
Ardez, voire, c est mon: jemeconnois en gens.
Vous êtes, je vois bien, grand abateur de quilles;
Mais au reste honnête homme , et pavez bien les
filles.
P »•»-» m'p -i-k /-»*->. io -i-,7^c-/-, !
^onnoissez-vousr.. niais non; je n ose le nommer.
Ma foi , c'est un brave homme , et bien digne d'ai-
mer.
204 MATHURIK REGNIER.
Il sent toujours si bon! Mais quoi ! vous l'iriez
dire.
Cependant, de dépit, il semble qu'on me tire
Parla queue un matou, qui m'écrit sur les reins
Des griffes et des dents, mille alibis forains.
Comme un singe fâché j en dis ma patenôtre ;
De rage j e maugrée et le mien et le vôtre ,
Et le noble vilain qui m'avoit attrapé.
Mais, monsieur , me dit-elle, auriez vous point
soupe ?
Je vous pri , notez l'heure (i) . Eh bien , que vous
en semble?
Etes-vous pas d'avis que nous couchions ensem-
ble?
Moi , crotté jusqu'au cul , et mouillé jusqu'à l'os,
Qui n'avois dans le lit besoin que de repos ,'
Je faillis à me pendre, oyant que cette lice
Effrontément ainsi me présentoit la lice.
On parle de dormir; j'y consens à regret.
La dame du logis me mène au lieu secret.
Allant, on m entretient de Jeanne et de Macette ;
Par le vrai Dieu, que Jeanne étoit et claire et nette
Claire comme un bassin , nette comme un denier.
Au reste, fors monsieur, que j'étois le premier.
Pour elle, qu'elle étoit nièce de dame Avoie ;
(i) Une heure après minuit, selon un des derniers
vers de la satire précédente.
SATIRES. 20J
Qu'elle feroit pour moi de la fausse monnoie ;
Qu'elle eût fermé sa porte à tout autre qu'à moi.
Et qu'elle m'aimoit plus mille fois que le roi.
Tout branloit dessous nous , jusqu'au dernier
étage.
D'échelle en échelon, comme un iinot en cage ,
Il falioit sauteler, et des pieds s'approcher ,
Ainsi comme une chèvre en grimpant un rocher.
Après cent souhre-sauts nous vînmes en la cham-
bre ,
Qui n'avoit pas le goût de musc, civette, ou d'am-
bre.
La porte en étoit basse, et sembloit un guichet ,
Qui n'avoit pour serrure autre engin qu'un cro-
chet.
Six douves de poinçon servoient d'ais et de barre,
Qui bâillant grimassoient d'une façon bizarre.
Or, comme il plut au ciel, en trois doubles plié ,
Entrant je me heurtai la caboche et le pié ,
Dont je tombe en arrière , étourdi de ma chute ,
Et du haut jusqu'au bas je fis la cullebutte ,
De la tête et du cul comptant chaque degré.
Puisque Dieu le voulut, je pris le tout à gré.
Aussi qu'au même temps voyant cheoir cette
dame ,
Par je ne sais quel trou je lui vis jusqu'à i'ame ,
Qui fit en ce beau saut, m'eclatant comme un fou ,
Que je pris grand plaisir à me rompre le cou.
" 18
200 MATHURIN REGNIER.
Au bruit Macette vint: la chandelle on apporte ;
Car la nôtre en tombant de frayeur étoit morte.
Dieu sait comme on la vit et derrière et devant ,
Le nez sur les carreaux, et le fessier au vent ;
De quelle charité l'on soulagea sa peine.
Cependant de son long, sans pouls et sans haleine,
Le museau vermoulu, le nez écarbouillé ,
Le visage de poudre et de sang tout souillé ,
Sa tête découverte , où l'on ne sait que tondre ,
Etlorsqu'on lui parloit qui ne pouvoitrépondre ;
Sans collet, sans béguin , et sans autre afïiquet -
Ses mules d'un côté , de l'autre son toquet.
En ce plaisant malheur, je ne saurois vous dire
S'il en falloit pleurer, ou s'il en falloit rire.
Après cet accident trop long pour dire tout ,
A deux bras on la prend , et la met-on debout :
Elle reprend courage; elle parle, elle crie ;
Et chan géant , en un rien , sa douleur en furie ,
Dit à Jeanne , en mettant la main sur le rognon ,
C'est , malheureuse , toi , qui me portes guignon .
A d'autres beaux discours la colère la porte.
Tant que Macette peut elle la reconforte.
Cependant je la laisse, et, la chandelle en main ,
Regrimpant i' escalier , j e suis mon vieux dessein .
J'entre dans ce beau lieu, plus digne de remarque
Que le riche palais d'un superbe monarque.
Étant là , je furette aux recoins plus cachés ,
Où le bon Dieu voulut que, pour mes vieux péchés,
SATIRES. 20y
Je susse le dépit dont l'âme est forcenée ,
Lorsque, trop curieuse, ou trop endemenée ,
Rodant de tous côtés, et tournant haut et bas ,
Elle nous fait trouver ce qu'on ne cherche pas.
Or , en premier item , sous mes pieds je rencontre
Un chaudron éhréché,la bourse d'une montre ,
Quatre boîtes d'onguents , une d'alun brûlé i
Deux gands despariés , un manchon tout pelé ;
Trois fioles d'eau bleue , autrement d'eau se-
conde ;
La petite seringue , une éponge, une sonde ,
Du blanc , un peu de rouge , un chiffon de rabat ;
Un balai , pour brûler en allant au sabat ;
Une vieille lanterne, un tabouret de paille ,
Qui s'étoit sur trois pieds sauvé de la bataille :
Et dedans un coffret qui s'ouvre avec enhan ,
Je trouve des tisons du feu de la Samt-Jean ,
Du sel , du pain béni , de la fougère , un cierge ,
Trois dents de mort, plies en du parchemin vierge;
Une chauve-souris , la carcasse d un geai ;
De la graisse de loup , et du beurre de mai.
Sur ce point Jeanne arrive, et faisant la doucette:
Qui vit céans , ma foi, n'a pas besogne faite :
Toujours à nouveau mal nous vient nouveau sou-
ci.
Je ne sais, quant à moi quel logis c'est ici :
Il n'est, par le vrai Dieu, jour ouvrier, ni fête.
Que ces carognes-là ne me rompent la tête.
208 . MAT II UR IN REGNIER.
Bien , bien , je m'en irai sitôt qu'il sera jour.
On trouve clans P.aris d'autres maisons d'amour.
Je suis là, cependant, comme un quel'on nasarde.
Je demande que c'est. Hé ! nj prenez pas garde ,
Ce me répondit-elle; on n'auroit jamais fait.
Mais bran , bran ; j ai laissé Là-bas mon attifet.
Toujours après souper cette vilaine crie.
Monsieur, n'est-il pas temps ?couchons*nous, je
vous prie.
Cependant, elle met sur la table les draps ,
Qu'en bouchons tortillés elle avoit sous les bras.
Elle approche du lit , fait d'une étrange sorte :
Sur deux tréteaux boiteux se couchoit une porte ,
Où le lit reposoit, aussi noir qu'un souillon.
Un garde-robe gras servoit de pavillon ;
De couverte un rideau, qui, fuyant (vert et jaune)
Les deux extrémités, étoit trop court d'une aune.
Ayant considéré le tout de point en point ,
Je fis vœu cette nuit de ne me coucher point ,
Et de dormir sur pieds , comme un coq sur la per-
che.
Mais Jeanne tout en rut s'approche, et me recher-
che
D'amour , ou d'amitié , duquel qu'il vous plaira.
Et moi : Maudit soit-il , m'amour, qui le fera.
Polyenne (i) pour lors me vint en la pensée 7
(i) Allusion à l'aventure de Polyacnos et de Circé ,
décrite dans Pétrone.
SATIRES. 209
Qui sut que vaut la femme en amour offensée ,
Lorsque, par impuissance , ou par mépris, la nuit
On fausse compagnie , ou qu on manque au dé-
duit.
Jeanne, non moins que Circe, entre ses dents
murmure ,
Sinon tant de vengeance, au moins autant d'in-
jure.
Or, pour flatter enfin son malheur et le mien ,
Je dis: Quand je fais mal, c'est quandjepaiebien.
Et faisant révérenee à ma bonne fortune ,
En la remerciant je le comptai pour une.
Jeanne , rongeant son frein , de mine s'appaisa ,
Et prenant mon argent, en riant me baisa :
Non, pour ce que j'en dis, je n'en parle pas, voire,
Mon maître , pensez-vous ? J'entends bien le gri-
moire ;
Vous êtes honnête homme, et savez l'entre-gent.
Mais, monsieur, croyez-vous que ce soitpour l'ar-
gent?
J'en fais autant d'état comme de chènevottes.
Non , ma foi , j'ai encore un demi-ceint , deux cot-
tes ,
Une robe de serge, un chaperon , deux bas ,
Trois chemises de lin, six mouchoirs, deuxrabats.
Et ma chambre garnie auprès de Saint-Eustache.
Pourtant, je ne veux pas que mon manie sache.
Disant ceci , toujours son lit elle brassoit ,
18.
2IO MATHURIN REGNIER.
Et les linceuls trop courts par les pieds tirassoit ;
Et fit à la fin tant , par sa façon adroite ,
Qu'elle les fit venir à moitié de la coite.
Comme son lit est fait: Que ne vous couchez-vous?
Monsieur, n' est-il pas temps? Et moi de filer doux .
Sur ce point elle vient, me prend et me détache ,
Et le pourpoint du dos par force elle m'arrache.
A la fin j e pris cœur , résolu d'endurer
Ce qui pouvoit venir, sans me désespérer.
Qui fait une folie, il la doit faire entière :
Je détache un soulier , je m'ôte une jartière ,
Froidement toutefois ; et semble, en ce coucher,
Un enfant qu'un pédant contraint se détacher ;
Que la peur tout ensemble éperonne et retarde :
A chacune aiguillette il se fâche, et regarde ,
Les yeux couverts de pleurs , le visage d'ennui ,
Si la grâce du ciel ne descend point sur lui.
L'on heurte sur ce point ; Catherine on appelle.
Jeanne, pour ne répondre, éteignit la chandelle.
Personne ne dit mot. L'on refrappe plus fort ,
Et faisoit-on du bruit pour réveiller un mort.
A chaque coup de pied toute la maison tremble ,
Et semble que le faîte à la cave s'assemble.
Bagasse , ouvriras-tu ? C'est celui-ci , c'est mon .
Jeanne, ce temps pendant , me faisoit un sermon :
Que diable aussi, pourquoi? que voulez -vous
qu'on fasse ?
Que ne vous couchiez-vous ? Ces gens , de ïa me-
nace
SATIRES. 211
Venant à la prière, essayoient tout moyen.
Ore ils parlent soldat, et ores citoyen.
] ls contrefont le guet ; et de vois magistrale :
Ouvrez, de par le roi. Au diable un qui dévale.
Un chacun , sans parler, se tient clos et couvert.
Or, comme à coups de pieds l'huis s'étoit presque
ouvert,
Tout de bon le guet vint. La quenailie fait gille.
Et moi, qui jusques-là demeurois immobile ,
Attendant étonné le succès de l'assaut ,
Cepensai-je,il est temps que je gagne le haut,
Et,troussant mon paquet,de sauver mapersonne.
Je me veux r'habiller , je cherche , je tâtonne ,
Plus étourdi de peur que n'est un hanneton.
Mais quoi ! plus on se hâte, et moins avance-t-on.
Tout, comme par dépit, se trouvoit sous mapatte.
Au lieu de mon chapeau je prends une savate ;
Pour mon pourpoint , ses bas ; pour mes bas , son
collet ;
Pour mes gands , ses souliers ; pour les mien s , un
ballet.
Il sembloit que le diable eût fait ce tripotage.
Or Jeanne me disoit, pour me donner courage ,
Si mon compère Pierre est de garde aujourd'hui ,
Non , ne vous fâchez point, vous n'aurez point
d'ennui.
Cependant , sans délai , messieurs frappent en
maître.
212 3IATHURIK REGKIER.
On crie, Patience; on ouvre la fenêtre.
Or, sans plus m'amuser après le contenu ,
Je descends doucement, pied chausse, l'autre nu;
Et me tapis d'aguet derrière une muraille.
On ouvre, et brusquement entra cette quenaille,
En humeur de nous faire un assez mauvais tour.
Et moi , qui ne leur dis ni bon soir , ni bon jour ,
Les voyant tous passés, je me sentis alègre :
Lors, dispos du talon, je vais comme un chat
maigre ,
J'enfile la venelle; et, tout léger d'eiïroi ,
Je cours un fort long temps sans voir derrière moi .
Jusqu'à tant que trouvant du mortier, de la terre,
Du bois, des estancons, maints plâtras , mainte
pierre
Je me sentis plutôt au mortier embourbé ,
Que je ne m'aperçus que je fusse tombé.
On ne peut éviter ce que le ciel ordonne.
Mon ame cependant de colère frissonne ;
Et prenant, s'eile eût pu, le destin à parti ,
De dépit, à son nez, elle l'eût démenti ;
Et m'assure qu'il eût réparé mon dommage.
Commejefussur pieds, enduit comme une image,
J'entendis qu'on parloit; et, marchant a grands
pas.
Qu'on disoit: Hâtons-nous; je i ai laissé fort bas.
Je m'approche , je vois , désireux de connoître.
Au lieu d'un médecin, il lui faudroit un prêtre ,
SATIRES. 2l3
Dit Vautre, puisqu'il est si proche de sa fin.
Comment! dit le valet, ètes-vous médecin ?
Monsieur, pardonnez-moi , le curé je demande*
Il s'en court , et disant, à Dieu me recommande ,
Il laisse là monsieur, fâché d'être déçu.
Or comme , allant toujours , de près je l'aperçu ,
Je connus que c étoit notre ami, je l'approche :
Il me regarde au nez, et riant me reproche ,
Sans flambeau, l'heure indue! et de près ine
voyant
Fangeux comme un pourceau, le visage effrayant,
Le manteau sous le bras, la façon assoupie :
Etes-vous travaillé de la licantropie ?
Dit-il, en me prenant pour me tâter le poulx.
£t vous, dis-je, monsieur, quelle fièvre avez-vous?
Vous, qui tranchez du sage ainsi parmi la rue !
Faites-vous sur un pied toute la nuit la grue ?
Il voulut me conter comme on i'avoit pipé ,
Qu'un vaiet, du sommeil ou de vin occupé ,
Sous couleur d'aller voir une femme malade ,
L'avoit gaiantement payé d'une cassade.
Il nous faisoit bon voir tous deux bien étonnés ,
Avant jour par la rue, avec un pied de nez ;
Lui, pour s'être levé, espérant deux pistoles ,
Et moi, tout las d'avoir reçu tant de bricolles.
Il se met en discours , je le laisse en riant.
Aussi que je voyois aux rives d'Orient ,
Que l'Aurore, s'ornant de safran et de roses ,
21 4 MATHURIN REGJVIEll.
iSe faisant voir à tous , iaisoit voir toutes choses ,
Ne voulant, pour mourir, qu'une telle beauté
Me vît, en se levant, si sale et si croté :
Elle qui ne m'a vu qu'en mes habits de fête.
Je cours à mon logis ; je beurte, je tempête ;
Et croyez à frapper que je n'étois perclus.
On m'ouvre ; et mon valet ne me reconnoît plus.
Monsieur n'est pas ici: que diable! à si bonne
beure !
Vous frappez comme un sourd. Quelque temps
je demeure.
Je le vois; il me voit, et demande, étonné ,
Si le Moine-bourru m'avoit point promené.
Dieu! comme étes-vous fait! Il va: moi de le sui-
vre ;
Et me parle en riant, comme si je fusse ivre.
Il m'allume du feu , dans mon lit je me mets ,
Avec vœu, si je puis, de n'y tomber jamais ,
Ayant à mes dépens appris cette sentence :
Qui gai fait une erreur, la boit à repentance ,
Et que quand on se frotte avec les courtisans .
Les branles de sortie en sont fort déplaisants.
Plus on pénètre en eux , plus on sentie remeugle.
Et qui, troublé d'ardeur, entre au bordel aveugle,
Quand il en sort , il a plus d'yeux , et plus aigus,
Que Lyncé l'argonaute , ou le jaloux Argus.
SATIRES. 21 J
V«V\*Vl'»WV\VW\'»VVW»aVVWVlV\\'VW%\'V\\\v1 -».■» -V-».
A MONSIEUR FREMINET(i).
SATIRE XII.
REGNIER, APOLOGISTE DE SOI-MÈ.ME,
KJy dit que le grand peintre (2) , ayant fait un
ouvrage ,
Des jugements cTautrui tiroit cet avantage ,
Que, selon qu'il jugeoit qu ils étoîent vrais ou
faux ,
Docile à son profit, réformoit ses défauts.
Or c'étoit du bon temps, que la haine et l'envie
Par crimes supposés n'attentoient à la vie ;
Que le vrai du propos étoit cousin germain ,
Et qu'un chacun parloitlecœur dedans la main.
Mais que serviroit-il maintenant de prétendre
S'amender par ceux-là qui nous viennent repren-
dre ,
Si selon l'intérêt tout le monde discourt ,
Et si la vérité n'est plus femme de cour ;
(1) Peintre ordinaire du roi Henri IV. Il a peint la
chapelle de Fontainebleau.
(2) Apelle.
liU M AT 13 UllI W REGNIEfi.
S'il n'est bon courtisan , tant irisé peut-il être ,
S'il a bon appétit, qu'il ne jure à son maître ,
Dès la pointe du jour, qu'il est midi sonné ,
Et qu'au logis du roi tout le monde a dîné ?
Ceci pourroit suffire à refroidir une ame
Qui n'ose rien tenter pour la crainte du blâme ,
A qui la peur de perdre enterre le talent :
Non pas moi, qui me ris d'un esprit nonchalant
Qui , pour ne faillir point, retarde de bien faire.
C'est pourquoi maintenant je m'expose au vul-
gaire ,
Et me donne pour butte aux jugements divers.
Qu'un chacun taille, rogne, et glose sur mes vei s;
Qu'un rêveur insolent d'ignorance m'accuse ,
Que je ne suis pas net, que trop simple est ma
muse ,
Que j'ai l'humeur bizarre, inégal le cerveau ,
Et, s'il lui plaît encor , qu'il me relie en veau.
Avant qu'aller si vite, au moins je le supplie
Savoir que le bon vin ne peut être sans lie ;
Qu'il n'est rien de parfait en ce monde aujour-
d'hui;
Qu'homme, je suis sujet à faillir comme lui ;
Et qu'au surplus, pour moi qu'il se fasse paroître
Aussi vrai que pour lui je m'efforce de 1 être.
Mais sais-tu, Fréminet, ceux qui me blâmeront :
Ceux qui dedans mes vers leurs vices trouveront;
A qui l'ambition la nuit tire l'oreille ;
SATIRES. 217
De qui l'esprit avare en repos ne sommeille ;
Toujours s'alambiquant après nouveaux partis ;
Qui pour Dieu ni pour loi n'ont que leurs appétits;
Qui rôdent toute nuit , troublés de jalousie ;
A qui l'amour lascif règle la fantaisie ,
Qui préfèrent, vilains, le profit à l'honneur ;
Qui par fraude ont ravi les terres d'un mineur.
Telles sortes de gens vont après les poètes (1) ,
Comme après les hiboux vont criant les chouettes .
Leurs femmes vous diront: Fuyez ce médisant ,
Fâcheuse est son humeur, son parler est cuisant.
Quoi ! monsieur, n'est-ce pas cet homme à la sa-
tire ,
Quiperdroit son ami plutôt qu'un mot pour rire?
Il emporte la pièce ! Et c'est là , de par Dieu ,
( Ayant peur que ce soit celle-là du milieu )
Où le soulier les blesse; autrement je n'estime
Qu'aucune eût volonté de m'accuser de crime.
Car pour elles, depuis qu'elles viennent au point*
Elles ne voudroient pas que l'on ne le sût point.
Un grand contentement malaisément se celle.
Puis c'est des amoureux la règle universelle ,
De déférer si fort à leur affection ,
Qu'ils estiment honneur leur folie passion.
Et quant est de l'honneur de leurs maris, je pense
(1) C'est le seul vers où Régnier ait fait poète de
trois syllabes.
19
2l8 MATHURIN REGNIER
Qu'aucune à bon escient n'en prendroit la dé-
fense ,
Sachant bien qu'on n'est pas tenu par charité
De leur donner un bien qu'elles leur ont ôté.
Voilà le grand-merci que j'aurai de mes peines.
C'est le cours du marché des affaires humaines ,
Qu'encore qu'un chacun vaille ici-bas son prix ,
Le plus cher toutefois est souvent à mépris.
Or , ami , ce n'est point une humeur de médire
Qui m'ait fait rechercher cette façon d'écrire:
Mais mon père m'apprit que des enseignements
Les humains apprenti f s formoient leurs juge-
ments ;
Que l'exemple d'autrui doit rendre l'homme sage:
Et guettant à propos les fautes au passage ,
Me disoit : Considère où cet homme est réduit
Par son ambition : cet autre toute nuit
Boit avec des putains, engage son domaine:
L'autre , sans travailler, tout le jour se promène :
Pierre le bon enfant aux dez a tout perdu :
Ces jours le bien de Jean par décret fut vendu ;
Claude aime sa voisine, et tout son bien lui donne.
Ainsi me mettant l'œil sur chacune personne ,
Qui valoit quelque chose , ou qui ne vaioit rien ,
M'apprenoit doucement et le mal et le bien ;
Afin que , fuyant l'un , l'autre je recherchasse ,
Et qu'aux dépens d'autrui sage je m'enseignasse.
Ainsi que d'un voisin le trépas survenu
SATIRES. 2I9
Fait résoudre un malade , en son lit détenu ,
A prendre malgré lui tout ce qu'on lui ordonne ,
Qui, pour ne mourir point, de crainte se par-
donne :
De même les esprits débonnaires et doux
Se façonnent, prudents, par l'exemple des fous ;
Et le blâme d'autrui leur fait ces bons offices ,
Qu'il leur apprend que c'est de vertus et de vices.
Car, quoiqu'on puisse faire, étant homme, on ne
peut
Ni vivre comme on doit, ni vivre comme on veut.
En la terre ici-bas il n'habite point d'anges :
Or les moins vicieux méritent des louanges ,
Qui, sans prendre l'autrui,vivent en bon chrétien,
Et sont ceux qu'on peut dire et saints et gens de
bien.
Quand je suis à part moi, souvent je m'étudie ,
Tant que faire se peut , après la maladie
Dont chacun est blessé : je pense à mon devoir ,
J'ouvre les yeux de l'ame, et m'efforce de voir
Au travers d'un chacun : de l'esprit je m'escrime,
Puis , dessus le papier , mes caprices je rime
Dedans une satire , où , d'un œil doux-amer,
Tout le monde s'y voit, et ne s'y sent nommer.
Voilà l'un des péchés où mon ame est encline.
On dit que pardonner est une couvre divine.
Celui m'obligera qui voudra m'excuser ;
A son goût toutefois chacun en peut user.
220 MATHTJRIN REGNIER.
Quant à ceux du métier, ils ont de quoi s'ébattre :
Sans aller sur le pré , nous nous pouvons combat-
tre ,
Nous montrant seulement de la plume ennemis.
En ce cas-là , du roi les duels sont permis :
Et faudra que bien forte ils fassent la partie ,
Si les plus fins d'entre eux s'en vont sans repartie.
Mais c'est un satirique , il le faut laisser là.
Pour moi , j'en suis d'avis , et connois à cela
Qu'ils ont un bon esprit. Corsaires à corsaires,
L'un l'autre s'attaquant,nefontpasleurs affaires.
SATIRES. l'Ai
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SATIRE XIII.
MACETTE,
ou
L'HYPOCRISIE DECONCERTEE.
I ja fameuse Macette à la cour si connue ,
Qui s'est aux lieux d'honneur en crédit mainte-
nue,
Et qui, depuis dix ans j usqu'en ses derniers jours,
A soutenu le prix en F escrime d'amours ;
Lasse enfin de servir au peuple de quintaine ,
N'étant passe-volant, soldat, ni capitaine,
Depuis les plus chétifs j usques aux plus fendants,
Qu'elle n'ait déconfit et mis dessus les dents ;
Lasse, dis-je, et non soûle, enfin s'est retirée,
Et n'a plus d'autre objet que la voûte éthérée.
Elle qui n'eut, avant que pleurer son délit,
Autre ciel pour objet que le ciel de son lit,
A changé de courage, et, confite en détresse,
Imite avec ses pleurs la sainte pécheresse ;
Donnant des saintes lois à son affection ,
Elle a mis son amour à la dévotion.
Sans art elle s'habille; et, simple en contenance,
Son teint mortifié prêche la continence.
19-
222 MATHURIN REGNIER.
Clerges6e elle fait j à la leçon aux prêcheurs :
Elle lit saint Bernard, la Guide des Pécheurs,
Les Méditations de la mère Thérèse;
Sait que c'est qu'hypostase avecque syndérèse ;
Jour et nuit elle va de couvent en couvent ;
Visite les saints lieux, se confesse souvent,
A des cas réservés grandes intelligences ;
Sait du nom de Jésus toutes les indulgences ;
Que valent chapelets, grains bénits enfilés ,
Et l'ordre du cordon des pères Récollets.
Loin du monde elle fait sa demeure et son gîte ,
Son oeil tout pénitent ne pleure qu'eau bénite.
Enfin , c'est un exemple , en ce siècle tortu ,
D'amour , de charité , d'honneur et de vertu.
Pour béate par-tout le peuple la renomme ;
Et la gazette même a déjà dit à Rome ,
La voyant aimer Dieu , et la chair maîtriser ,
Qu'on n'attend que sa mort pour la canoniser.
Moi-même, qui ne crois de léger aux merveilles,
Qui reproche souvent mes yeux et mes oreilles ,
La voyant si changée en un temps si subit ,
Je crus qu'elle l'étoit d ame comme d'habit ;
Que Dieu la retiroit d'une faute si grande ;
Et disois à part moi : Mal vit qui ne s'amende.
Jà déjà tout dévot , contrit et pénitent ,
J'étois , à son exemple , ému d'en faire autant:
Quand , par arrêt du ciel , qui hait l'hypocrisie ,
Au logis d'une fille , où j 'ai ma fantaisie ,
SATIRES. 223
Cette vieille chouette , à pas lents et posés ,
La parole modeste , et les yeux composés ,
Entra par révérence ; et , resserrant la bouche ,
Timide en son respect, sembloit Sainte Nitouche,
D'un Ave Maria. , lui donnant le bon jour,
Et de propos communs , bien éloignés d'amour ,
Entretenoit la belle , en qui j'ai la pensée
D'un doux imaginer si doucement blessée ,
Qu'aimants ?#t bien aimés , en nos doux passe-
temps ,
Nous rendons en amour jaloux les plus contents.
Enfin , comme en caquet ce vieux sexe fourmille,
De propos en propos , et de fil en aiguille ,
Se laissant emporter au flux de ses discours ,
Je pense qu'il falloit que le mai eût son cours.
Feignant de m'en aller , d'aguet je me recule
Pour voir à quelle fin tendoit son préambule
Moi qui , voyant son port si plein de sainteté
Pour mourir , d'aucun mal ne me fusse douté.
Enfin , me tapissant au recoin d'une porte ,
J'entendis son propos , qui fut de cette sorte :
Ma fille , Dieu vous garde et vous veuille bénir !
Si je vous veux du mal, qu'il me puisse advenir !
Qu'eussiez-vous tout le bien dont le ciel vous est
chiche !
L'ayant je n'en serois plus pauvre, ni plus riche :
Car n'étant plus du monde, au bien je ne prétends;
Ou bien si j'en désire, en l'autre je l'attends ;
224 MATHURIN REGNIER.
D'autre chose ici-bas le bon Dieu je ne prie.
A propos , savez-vous ? on dit qu'on vous marie.
Je sais bien votre cas : un homme grand, adroit,
Riche, et Dieu sait s'il a tout ce qu'il vous faudroit.
Il vous aune si fort! Aussi pourquoi, ma fille,
Ne vous aimeroit-il ? Vous êtes si gentille ,
Si mignonne et si belle, et d un regard si doux,
Que labeauté plus grande estlaide auprès de vous.
Mais tout ne répond pas au trait de ce visage,
Plus vermeil qu'une rose, et plus beau qu'un ri-
vage.
Vous devriez, étant belle, avoir de beaux habits,
Eclater de satin , de perles , de rubis.
Le grand regret que j'ai! nonpas,àDieuneplaise,
Que j 'en ai' de vous voir belle et bien à votre aise:
Mais pour moi je voudrois que vous eussiez au
moins
Ce qui peut en amour satisfaire à vos soins ;
Que ceci fût de soie et non pas d'étamine.
Ma foi les beaux habits servent bien à la mine.
On a beau s'agencer , et faire les doux yeux ,
Quand on est bien parée, on en est toujours mieux:
Mais , sans avoir du bien , que sert la renommée ?
C'est une vanité confusément semée
Dans l'esprit des humains , un mal d'opinion ,
Un faux germe, avorté dans notre affection ;
Ces vieux contes d'honneur dont on repaît les da-
mes
SATIRES. 225
Ne sont que des appâts pour les débiles âmes ,
Qui, sans choix de raison, ont le cerveau perclus.
L'honneur est un vieux saint que l'on ne chomme
plus.
Il ne sert plus de rien , sinon d'un peu d'excuse ,
Et de sot entretien pour ceux-là qu'on amuse ,
Ou d'honnête refus , quand on ne veut aimer.
Il est bon en discours pour se faire estimer :
Mais au fond c'est abus, sans excepter personne.
La sage se sait vendre, où la sotte se donne.
Ma fille, c'est par-là qu'il vous en faut avoir.
Nos biens, comme nos maux, ,ont en notre pou-
voir.
Fille qui sait son monde a saison opportune.
Chacun est artisan de sa bonne fortune.
Le malheur, par conduite, au bonheur cédera.
Aidez-vous seulement, et Dieu vous aidera.
Combien , pour avoir mis leur honneur en séques-
tre,
Ont-elles en velours échangé leur Limestre ,
Et dans les plus hauts rangs élevé leurs maris î
Ma fille , c'est ainsi que l'on vit à Paris ;
Et la veuve , aussi bien comme la mariée :
Celle est chaste, sans plus, qui n'en est point priée.
Toutes, au fait d'amour, se chaussent en un point:
Jeanne que vous voyez, dont on ne parle point,
Qui fait si doucement la simple et la discrète ,
Elle n'est pas plus sage,ains elle est plus secrète;
2 20* MATHURO REGNIER.
Elle a plus de respect, non moins de passion,
Et cache ses amours sous sa discrétion.
Moi-même, croiriez- vous, pour être plus âgée,
Que ma part, comme on dit, en fût déjà mangée ?
Non , ma foi; je me sens et dedans et dehors ,
Et mon bas peut encore user deux ou trois corps.
Mais chaque âge a son temps. Selon le drap larobe.
Ce qu'un temps on a trop, en 1 autre on le dérobe.
Étant jeune , j'ai su bien user des plaisirs :
Ores j'ai d'autres soins en semblables désirs.
Je veux passer mon temps et couvrir le mystère.
On trouve bien la cour dedans un monastère ;
Et , après maint essai , enfin j'ai reconnu
Qu'un homme comme un autre est un moine tout
nu.
Puis outre le saint vœu , qui sert de couverture ,
Ils sont trop obligés au secret de nature ,
Et savent, plus discrets, apporter en aimant,
Avecque moins d'éclat , plus de contentement.
C'est pourquoi, déguisant les bouillons de mon
ame ,
D'un long habitdecendre enveloppant maflamme,
Je cache mon dessein aux plaisirs adonné.
Le péché que l'on cache est demi-pardonné.
La faute seulement ne gît en la défense.
Le scandale , l'opprobre , est cause de l'offense.
Pourvu qu'on ne le sache, il n'importe comment.
Qui peut dire que non , ne pèche nullement.
SATIRES. 227
Puis la bonté du ciel nos offenses surpasse.
Pourvu qu'on se confesse, on a toujours sa grâce.
Il donne quelque chose à notre passion ;
Et qui , jeune , n'a pas grande dévotion ,
Il faut que, pour le monde, à la feindre il s'exerce.
C'est entre les dévots un étrange commerce ,
Un trafic par lequel , au j oli temps qui court ,
Toute affaire fâcheuse est facile à la cour.
Je sais bien que votre âge, encore jeune et tendre,
Ne peut, ainsi que moi, ces mystères comprendre:
Mais vous devriez, ma fille, en l'âge où je vous voi,
Etre riche, contente, avoir fort bien de quoi ;
Et, pompeuse en habits, fine, accorte et rusée ,
Reluire de joyaux , ainsi qu'une épousée.
Il faut faire vertu de la nécessité.
Qui sait vivre ici-bas n a jamais pauvreté.
Puisqu'elle vous défend des dorures l'usage ,
Il faut que les brillants soient en votre visage ;
Que votre bonne grâce en acquière pour vous.
Se voir du bien, ma fille, il n'est rien de si doux.
S'enrichir de bonne heure est une gran d sagesse .
Tout chemin d'acquérir se ferme à la vieillesse \
A qui ne reste rien , avec la pauvreté ,
Qu'un regret épineux d'avoir jadis été.
Où , lorsqu'on a du bien , il n'est si décrépite ,
Qui ne trouve , en donnant , couvercle à sa mar-
mite.
>7on , non , faites l'amour, et vendez aux amants
228 MATHURIN REGNIER.
Vos accueils, vos baisers et vos embrassements.
C'estgloire,etnonpashonte,en cette douce peine,
Des acquêts de son lit accroître son domaine.
Vendez ces doux regards, ces attraits, ces appas :
Vous-même vendez-vous, mais ne vous livrezpas.
Conservez-vous l'esprit; gardez votre franchise ;
Prenez tout, s'il se peut; ne soyez jamais prise.
Celle qui par amour s'engage en ces malheurs ,
Pour un petit plaisir, a cent mille douleurs.
Puis un homme au déduit ne vous peut satisfaire;
Et quand, plus vigoureux, il le pourroitbien faire,
Il faut tondre sur tout, et changer à l'instant.
L'envie en est bien moindre, et le gain plus com-
ptant.
Sur-tout soyez de vous la maîtresse et la dame.
Faites, s'il est possible, un miroir de votre ame,
Qui reçoit tous objets, et tout content les perd ;
Fuyez ce qui vous nuit, aimez ce qui vous sert.
Faites profit de tout, et même de vos pertes.
A prendre sagement ayez les mains ouvertes ;
Ne faites, s'il se peut, jamais présent ni don ,
Si ce n'est d'un chabot pour avoir nn gardon.
Parfois on peut donner pour les galauds attraire.
A ces petits présents je ne suis pas contraire ,
Pourvu que ce ne soit que pour les amorcer.
Les fines, en donnant, se doivent efforcer
A faire que l'esprit, et que la gentillesse
Fasse estimer les dons, et non pas la richesse.
satires. 229
Pour vous , estimez plus qui plus vous donnera.
Vous gouvernant ainsi, Dieu vous assistera.
Au reste, 11 épargnez ni Gaultier, niGarguille.
Qui se trouvera pris, je vous pri' qu on l'étrille.
Il n'est que d'en avoir : le bien est toujours bien.
Et ne vous doit chaloir ni de qui , ni combien :
Prenez à toutes mains, ma fille, et vous souvienne
Que le gain a bon goût, de quelque endroit qu'il
vienne.
Estimez vos amants selon le revenu:
Qui donnera le plus , qu'il soit le mieux venu.
Laissez la mine à part; prenez garde à la somme.
Riche vilain vaut mi eux que pauvre gentilhomme.
Je ne juge, pour moi, les gens sur ce qu'ils sont,
Mais selon le profit et le bien qu'ils me font.
Quand l'argent est mêlé, l'on ne peut reconnoître
Celui du serviteur d'avec celui du maître.
L'argent d'un cordon-bleu n'est pas d'autre façon
Que celui d'un fripier, ou d'un aide à maçon.
Que le plus et le moins y mette différence ,
Et tienne seulement la partie en souffrance,
Que vous rétablirez du jour au lendemain ;
Et toujours retenez le bon bout à la main :
De crainte que le temps ne détruise l'affaire j
Il faut suivre de près le bien que l'on diffère ,
Et ne le différer qu'en tant que l'on le peut
Aisément rétablir aussitôt qu'on le veut.
Tous ces beaus suffisants dont la cour est semée
20
23o MATHUKIK REGNIER.
Ne sont que triacleurs et vendeurs de fumée.
Ils sont beaux , bien peignés , belle barbe au men-
ton :
Mais quand il faut payer, au diantre le teston ;
Et faisant des mourants, et de l'ame saisie ,
Ils croyent qu'on leur doit pour rien la courtoisie.
Mais c'est pour leur beau nez. Le puits n'est pas
commun :
Si j'en avois un cent, ils n en auroient pas un.
Et ce poète croté (i), avec sa mine austère,
Vous diriez à le voir que c'est un secrétaire.
Il va mélancolique, et les yeux abaissés ,
Gomme un sire qui plaint ses parents trépassés.
Mais Dieu sait, c'est un homme aussi bien que les
autres.
Jamais on ne lui voit aux mains des patenôtres.
Il hante en mauvais lieux : gardez- vous de cela ;
Non, si j'étois de vous, je le planterois-là.
Et bien , il parle livre ; il a le mot pour rire :
Mais au reste, après tout, c'est un homme à satire.
Vous croiriez à le voir qu'il vous dût adorer.
Gardez, il ne faut rien pour vous déshonorer.
Ces hommes médisants ont le feu sous la lèvre ;
Ils son t matelmeurs, prompts à prendre la chèvre,
Et tournent leurs humeurs en bizarres façons ;
Puis , ils ne donnent rien, si ce n'est des chansons.
(t) C'est Régnier lui-même.
SATIRES. 2JI
Mais non, ma fille, non : qui veut vivre à son aise,
Il ne faut simplement un ami qui vous plaise ,
Mais qui puisse au plaisir joindre l'utilité.
En amours , autrement , c'est imbécillité.
Qui le fait à crédit n'a pas grande ressource :
On y fait des amis, mais peu d'argent en bourse.
Prenez-moi ces abbés , ces fils de financiers ,
Dont, depuis cinquante ans, les pères usuriers,
Volant à toutes mains , ont mis en leur famille
Plus d'argent que le roi n'en a dans la Bastille.
C'estlà que votre main peut faire de beaux coups.
Je sais de ces gens-là qui languissent pour vous :
Car étant ainsi jeune , en vos beautés parfaites ,
Vous ne pouvez savoir tous les coups que vous
faites ;
Et les traits de vos yeux haut et bas élancés ,
Belle, ne voyent pas tous ceux que vous blessez.
Tel s'en vient plaindre à moi , qui n'ose le vous
dire:
Et tel vous rit de jour, qui toute nuit soupire ,
Et se plaint de son mal, d'autant plus véhément,
Que vos yeux sans dessein le font innocemment.
En amour l'innocence est un savant mystère ,
Pourvu que ce ne soit une innocence austère ,
Mais qui sache, par art, donnant vie et trépas,
Feindre avecque douceur qu'elle ne le sait pas.
Il faut aider ainsi la beauté naturelle.
L'innocence autrement est vertu criminelle ,
232 MATHURIN REGNIER.
Avec elle il nous faut et blesser et guérir.
Et parmi les plaisirs faire vivre et mourir.
Formez-vous des desseins dignes de vos mérites.
Toutes basses amours sontpour vous trop petites.
Ayez dessein aux dieux : pour de moindres beau-
tés,
Ils ont laissé jadis les cieux déshabités.
Durant tous ces discours , Dieu sait l'impa-
tience !
Mais comme elle a toujours l'œil à la défiance,
Tournant deçà delà vers la porte où j'étois ,
Elle vit en sursaut comme je l'écoutois.
Elle trousse bagage ; et faisant la gentille:
Je vous verrai demain ; adieu , bon soir, ma fille.
Ha ! vieille, dis-je lors, qu'en mon cœur je maudis,
Est-ce là le chemin pour gagner paradis ?
Dieu te doit pour guerdon de tes œuvres si saintes,
Que soient avant ta mort tes prunelles éteintes;
Ta maison découverte, et sans feu tout l'hiver,
Avecque tes voisins jour et nuit estriver :
Et traîner, sans confort, triste et désespérée,
Une pauvre vieillesse, et toujours altérée !
SATIRES. 233
SATIRE XIV(i).
LA FOLIE EST GENERALE.
J 'ai pris cent et cent fois la lanterne en la main ,
Cherchant en plein midi, parmi le genre humain ,
Un homme qui fût homme et de fait et de mine .f
Et qui pût des vertus passer par l'étamine.
Il n'est coin et recoin que je n'aye tenté ,
Depuis que la nature ici-has m'a planté:
Mais tant plus je me lime, et plus je me rabote,
Je croîs qu'à mon avis tout le monde radote,
Qu'il a la tête vide et c'en dessus dessous ,
Ou qu'il faut qu'au rebours je sois l'un des plus
fous ;
C'est de notre folie un plaisant stratagème ,
Se flattant, déjuger les autres par soi-même.
Ceux qui pour voyager s'embarquent dessus l'eau
Yoyent aller la terre, et non pas leur Vaisseau.
Peut-être, ainsi trompé, que faussement je juge.
Toutefois, si les fous ont leur sens pour refuge, ,
Je ne suis pas tenu de croire aux yeux d'autrui :
Puis j'en sais pour le moins autant ou plus quelui.
Or ce n'est point pour être élevé de fortune :
(i) Cette satire paroît être adressée au duc de Sully.
20.
234 MATHURII REGNIER.
Aux sages, comme aux fous, c'est chose assez com-
mune;
Elle avance un chacun sans raison et sans choix;
Les fous sont aux échecs les plus proches des rois.
Aussi mon jugement sur cela ne se fonde ;
Au compas des grandeurs je ne juge le monde :
L'éclat de ces clinquants ne m' éblouit les yeux.
Pour être dans le ciel je n'estime les dieux ,
Mais pour s'y maintenir, et gouverner de sorte
Que ce tout en devoir règlement se comporte ,
Et que leur providence également conduit
Tout ce que le soleil en la terre produit.
Des hommes, tout ainsi, je nepuisreconnoître
Les grands , mais bien ceux-là qui méritent de
l'être,
Et de qui le mérite , indomptable en vertu ,
Force les accidents , et n'est point abattu.
Non plus que des farceurs je n'en puis faire
compte ;
Ainsi que l'un descend on voit que l'autre monte,
Selon ou plus ou moins que dure le rôlet ;
Et l'habit fait, sans plus, le maître ou le valet.
De même est de ces gens dont la grandeur se joue:
Aujourd'hui gros, enflés, sur le haut de la roue,
Ils font un personnage; et demain renversés ,
Chacun les met au rang des péchés effacés.
La Fortune est bizarre, à traiter indocile,
Sans arrêt, inconstante, et d'humeur difficile ;
SATIRES. 235
Avec discrétion il la faut caresser :
L'unlaperd bien souvent pour la trop embrasser,
Ou pour s'y fier trop ; l'autre par insolence ,
Ou pour avoir trop peu ou trop de violence ,
Ou pour se la promettre, ou se la dénier :
Enfin c'est un caprice étrange à manier.
Son amour est fragile, et serompt comme un verre,
Et fait aux plus matois donner du nez en terre.
Pour moi , j e n'ai point vu, parmi tant d'avancés ,
Soit de ces temps-ici, soit des siècles passés,
Homme que la fortune ait tâché d'introduire ,
Qui durant le bon vent ait su se bien conduire.
Or d'être cinquante ans aux honneurs élevé ,
Des grands et des petits dignement approuvé ,
Et de sa vertu propre aux malheurs faire obstacle.
Je n'ai point vu de sots avoir fait ce miracle.
Aussi, pour discerner le bien d'avec le mal,
Voir tout, connoitre tout, d'un œil toujours égal,
Manier dextrement les desseins de nos princes,
Répondre à tant de gens de diverses provinces,
Etre des étrangers pour oracle tenu,
Prévoir tout accident avant qu'être advenu,
Détourner par prudence une mauvaise affaire,
Ce n'est pas chose aisée, ou trop facile à faire.
Vo' x comme on conserve avecque jugement
C qu'un autre dissipe et perd imprudemment,
s/uand on se brûle au feu que soi-même on attise ,
Ce n'est point accident , mais c'est une sottise.
236 MATHURIN REGNIER.
Nous sommes du bonheur de nous-même arti san s,
Et fabriquons nos jours ou fâcheux, ou plaisants.
Lafortune esta nous, etn'estmauvaise, oubonne,
Que selon qu'on la forme , ou bien qu'on se la
donne.
A ce point le Malheur, ami , comme ennemi,
Trouvant au bord d'un puits un enfant endormi,
En risque d'y tomber, à son aide s'avance,
En lui parlant ainsi le réveille et le tance :
Sus , badin , levez-vous ; si vous tombiez dedans ,
De douleur vos parents, comme vous imprudents,
Croyant en leur esprit que de tout je dispose ,
Diroient en me blâmant que j'en serois la cause.
Ainsi nous séduisant d'une fausse couleur,
Souvent nous imputons nos fautes au malheur,
Qui n'en peut mais: mais quoi! l'on le prend à
partie ,
Et chacun de son tort cherche la garantie ;
Et nous pensons bien fins, soit véritable, ou faux,
Quand nous pouvons couvrir d'excuses nos dé-
fauts.
Maïs ainsi qu'aux petits, aux plus grands person-
nages ,
Sondez tout jusqu'au fond : les fous ne sont pas
sages.
Or, c'est un grand chemin jadis assez frayé ,
Qui des rimeurs françois ne fut onc essayé :
Suivant les pas d'Horace entrant en la carrière,
SATIRES. 2 J7
Je trouve des humeurs de diverse manière ,
Qui me pourroient donner sujet de me moquer ;
Mais qu'est-il de besoin de les aller choquer?
Chacun, ainsi que moi, sa raison fortifie,
Et se forme à son goût une philosophie :
Ils ont droit en leur cause; et de la contester ,
Je ne suis chicaneur, et n'aime à disputer.
Gallet(i) a sa raison; et qui croira son dire,
Le hasard pour le moins lui promet un empire :
Toutefois, au contraire, étant léger et net,
N'avant que l'espérance, et trois dez au cornet,
Comme sur un bon fonds de rente et de recettes,
Dessus sept, ou quatorze, il assigne ses dettes (2),
Et trouve sur cela qui lui fournit de quoi.
Ils ont une raison qui n'est raison pour moi,
Que je ne puis comprendre, et qui bien l'examine,
Est-ce vice ou vertu qui leur fureur domine ?
L'un, alléché d'espoir de gagner vingt pour cent,
Ferme l'œil à sa perte, et librement consent
Que l'autre le dépouille, et ses meubles engage,
Même, s'il est besoin, baille son héritage.
Or le plus sot d'entre eux, je m'en rapporte k lui,
Pour l'un il perd son bien , l'autre celui d'autrui.
Pourtant c'est un trafic qui suit toujours sa route,
(1) Fameux joueur de dés du temps de Régnier.
(2) Boileau a dit aussi, satire IY :
Attendant son destin d'un quatorze ou d'un sept.
238 MATHURIJV REGNIER.
Où , bien moins qu'à la place , on a fait banque-
route ,
Et qui dans le brelan se maintient bravement,
N'en déplaise aux arrêts de notre parlement.
Pensez-vous, sans avoir ses raisons toutes prêtes,
Que le sieur de Provins persiste en ses requêtes,
Et qu'il ait, sans espoir d'être mieux à la cour,
A son long balandran changé son manteau court,
Bien que, depuis vingt ans, sa grimace importune
Ait à sa défaveur obstiné la fortune ?
[1 n'est pas le Cousin ( i ) , qui n'ait quelque raison.
De peur de réparer, il laisse sa maison ;
Que son lit ne défonce, il dort dessus la dure ;
Et n'a, crainte du chaud, que l'air pour couver-
ture :
Il ne craint ni les dents, ni les défluxions,
Et son corps a, tout sain, libres ses fonctions.
En tout indifférent, tout est à son usage.
On dira qu'il est fou; je crois qu'il n'est pas sage ;
Que Diogéne aussi fût un fou de tout point ,
C'estcequele Cousin, comme moi, ne croitpoint.
Or, suivant ma raison et mon intelligence,
Mettant tout en avant, et soin, et diligence,
Et criblant mes raisons pour en faire un bon choix,
Vous êtes à mon gré l'homme que je cherchois.
(i) Espèce de fou, ainsi nommé parce qu'il disoitde
Henri IV, le roi mon cousin.
SATIRES. 2 3y
Un chacun en son sens selon son choix abonde.
Or, m' ayant mis en goût des hommes et du monde,
Réduisant brusquement le tout en son entier,
Encor faut-il finir par un tour du métier.
On dit que Jupiter, roi des dieux et des hommes ,
Se promenant un j our enla terre où nous sommes ,
Reçut en amitié deux hommes apparents ,
Tous deux d'âge pareils , mais de mœurs diffé-
rents :
L'un avoit nom Minos, l'autre avoit nom Tantale.
Il les élève au ciel; et d'abord leur étale ,
Parmi les bons propos, les grâces et les ris,
Tout ce que la faveur départ aux favoris :
Ils mangeoientà sa table, avaloient l'ambroisie,
Et des plaisirs du ciel soûloient leur fantaisie ;
Ils étoient comme chefs de son conseil privé ;
Etrienn'étoitbien fait qu'ils n'eussent approuvé.
Minos eut bon esprit, prudent, accort et sage,
Et sut, jusqu'à la fin , jouer son personnage :
L'autre fut un langard, révélant les secrets
Du ciel et de son maître aux hommes indiscrets.
L'un, avecque prudence, au ciel s'impatronise ;
Etl'autre en fut chassé comme un péteux d'église.
240 MATHURIU REGNIER.
SATIRE XV.
LE POETE MALGRÉ SOI.
\_/ui, j'écris rarement, et me plais de le faire:
Non pas que la paresse en moi soit ordinaire ;
Mais sitôt que je prends la plume à ce dessein ,
Je crois prendre en galère une rame en la main ;
Je sens, au second vers que la muse me dicte,
Que contre sa fureur ma raison se dépite.
Or, si parfois j'écris, suivant mon ascendant,
Je vous jure, encore est-ce à mon corps défendant.
L'astre qui de naissance à la muse me lie
Me fait rompre la tête après cette folie ;
Et qui pis est, ce mal, qui m afflige au mourir,
S'obstine aux récipés, et ne se veut guérir :
Plus on drogue ce mal, et tant plus il s'empire ;
Il n'est point d'ellébore assez en Anticyre,
Revêche à mes raisons, il se rend plus mutin ,
Et ma philosophie y perd tout son latin.
Encor si le transport dont mon ame est saisie
Avoit quelque respect durant ma frénésie ,
Qu'il se réglât selon les lieux moins importants,
Ou qu'il fît choix des jours , des hommes , ou du
temps ,
Et quelorsque l'hiver me renferme en la chambre,
SATIRES. 24l
Aux jours les plus glacés de l'engourdi novembre,
Apollon m'obsédât; j'aurois, en mon malheur,
Quelque contentement à flatter ma douleur.
Mais auxj ours les plus beaux delà saison nouvelle,
Que Zépîryre en ses rets surprend Flore la belle ,
Que dans l'air les oiseaux, les poissons en la mer,
Se plaignent doucement du mal qui vient d'aimer ;
Ou bien lorsque Cérès de froment se couronne,
Ou que Bacchus soupire, amoureux de Pomone ;
Ou lorsque le safran, la dernière des fleurs,
Dore le Scorpion de ses belles couleurs (1) ;
C'est alors que la verve insolemment m'outrage,
Que la raison forcée obéit à la rage ,
Et que, sans nul respect des hommes, ou du lieu,
Il faut que j'obéisse aux fureurs de ce dieu :
Comme en ces derniers jours , les plus beaux de
l'année ,
Que Cybèle est par-tout de fruits environnée ;
Que le paysan recueille, emplissant à milliers
Greniers, granges, chartis, et caves et celliers ;
Et que Junon , riant d'une douce influence,
Rend son œil favorable aux champs qu'on ense-
mence ;
Que je me resoudois , loin du bruit de Paris ,
Et du soin de la cour, ou de ses favoris ,
( r) Le safran ne fleurit qu'au mois d'octobre , époque
où le soleil entre dans le signe du scorpion.
21
242 MATHURIN REGNIER.
M'égayer au repos que la campagne donne ;
Et sans parler curé, doyen, chantre, ou Sorbonne
D'un bon mot faire rire , en si belle saison ,
Vous, vos chiens et vos chats, et toute la maison .
Et là, dedans ces champs que la rivière d'Oise
Sur des arènes d'or en ses bords se dégoise
( Séjour jadis si doux à ce roi qui deux fois
Donna Sidon en proie à ses peuples françois),
Faire maintssoubre-sauts, libre decorpsetd'ame;
Et, froid aux appétits d'une amoureuse flamme,
Etre vide d'amour comme d'ambition ,
Des galands de ce temps horrible passion.
Mais à d'autres revers ma fortune est tournée :
Dès le jour quePhœbus nous montre la journée
Comme un hibou qui fuit la lumière et le jour,
Je me lève, et m'en vais dans le plus creux séjour
Que Royaumont (i) recèle en ses forets secrettes,
Des renards et des loups les ombreuses retraites ;
Et là , malgré mes dents , rongeant et ravassant
Polissant les nouveaux, les vieux rapetassant,
Je fais des vers, qu'encor qu'Apollon les avoue,
Dedans la cour peut-être on leur fera la moue ;
Ou s'ils sont, à leur gré, bien faits et bien polis,
J'aurai pour récompense: Ils sont vraiment jolis.
Mais moi, qui ne me règle aux jugements des
hommes ,
(i) Abbaye fondée par saint Louis, vers l'an i23o.
C'est dans cette église que Régnier a été enseveli.
SATIRES. 243
Qui dedans et dehors connois ce que nous sommes,
Comme le plus souvent ceux qui savent le moins
Sont témérairement et juges et témoins ,
Pour blâme , ou pour louange , ou pour froide
parole ,
Je ne fais de léger banqueroute à l'école
DubonhommeEmpedocle,oùsondiscoursm'ap-
prend
Qu'en ce monde il n'est rien d'admirable et de
grand ,
Que l'esprit dédaignant une chose bien grande,
Et qui, roi de soi-même, à soi-même commande.
Pour ceux qui n ont l'esprit si fort, ni si trempé,
Afin de n'être point de soi-même trompé,
Chacun se doit connoître; et, par un exercice,
Cultivant sa vertu, déraciner son vice ;
Et, censeur de soi-même, avec soin corriger
Le mal qui croît en nous, et non le négliger.
Ils dévoient a propos tâcher d'ouvrir la bouche,
Mettant leur jugement sous la pierre de touche,
S'étudier de n'être en leurs discours tranchants,
Par eux-mêmes jugés ignares ou méchants ,
Et ne mettre sans choix , en égale balance ,
Le vice , la vertu , le crime , l'insolence.
Qui me blâme aujourd'hui, demain il me Jouera,
Et peut-être aussitôt il se désavouera.
La louange est à prix , le hasard la débite ,
Et le vice souvent vaut mieux que le mérite :
244 MATHUEIK REGNIER.
Pour moi, je ne fais cas ni ne me puis vanter
Ni d'un mal ni d'un bien que l'on me peut ôter.
Avec proportion se départ la louange ;
Autrement c'est pour moi du baragouin étrange.
Le vrai me fait dans moi reconnoître le faux ,
Au poids de la vertu je juge les déf«auts.
J'assigne l'envieux cent ans après la vie ,
Où l'on dit qu'en amour se convertit l'envie.
Le juge sans reproche est la postérité.
Le temps qui tout découvre en fait la vérité,
Puis la montre à nos yeux; ainsi dehors la terre
Il tire les trésors r et puis les y resserre.
Donc moi , qui ne m'amuse à ce qu'on dit ici ,
Je n'ai de leurs discours ni plaisir, ni souci ;
Et ne m'émeus non plus , quand leur discours
fourvoie ,
Que d'un conte d'Urgande (i) , et de ma mère
l'Oie.
Mais puisque tout le monde est aveugle en son
fait ,
Et que dessous la lune il n'est rien de parfait ,
Sans plus se contrôler, quant à moi je conseille
Qu'un chacun doucement s'excuse à la pareille.
Laissons ce qu'en rêvant ces vieux fous ont écrit ;
Tant de philosophie embarrasse l'esprit.
Qui se contraint au monde, il ne vit qu'en torture.
Nous ne pouvons faillir suivant notre nature.
(i) Fameuse magicienne du roman d'Amadis.
SATIRES. 245
Je t'excuse , Pierrot; de même excuse-moi ;
Ton vice est de n avoir ni dieu , ni foi , ni loi :
Tu couvres tes plaisirs avec l'hypocrisie.
Chupin se taisant veut couvrir sa jalousie ;
Rison accroît son bien d'usure et d'intérêts;
Selon ou plus ou moins Jean donne ses arrêts ,
Et comme au plus offrant débite la justice.
Ainsi, sans rien laisser, un chacun a son vice.
Le mien est d'être libre, et ne rien admirer,
Tirer le bien du mal, lorsqu'il s'en peut tirer ;
Sinon adoucir tout par une indifférence ,
Et vaincre le malheur avec la patience ;
Estimer peu de gens , suivre mon vercoquin ,
Et mettre à même taux le noble et le coquin.
D'autre part, j e ne puis voir un mal sans m'en
plaindre ;
Quelque part que ce soit je ne me puis contrain-
dre.
Voyant un chicaneur riche d'avoir vendu
Son devoir à celui qui dût être pendu ;
Un avocat instruire en l'une et l'autre cause ;
Un Lopet qui partis dessus partis propose ;
Un médecin remplir les limbes d'avortons ;
Un banquier qui fait Rome ici pour six testons ;
Un prélat , enrichi d'intérêt et d'usure ;
Plaindre son bois saisi pour n'être de mesure (1);
(1) La mesure du bois qui se vend à Paris a été réglée
21.
246 MATHURIN REGNIER.
Un Jean, abandonnant femme, filles et sœurs,
Payer mêmes en chair jusques aux rôtissenrs ;
Rousset faire le prince, et tant d'autre mystère :
Mon vice est, mon ami, de ne m'en pouvoir taire.
Or, des vices où sont les hommes attachés,
Comme les petits maux font les petits péchés ,
Ainsi les moins mauvais sont ceux dont tu retires
Du bien , comme il advient le plus souvent des
pires ,
Au moins estimés tels; c'est pourquoi, sans errer,
Au sage bien souvent on les peut désirer,
Comme aux prêcheurs l'audace à reprendre le
vice,
La folie aux enfants , aux juges l'injustice.
Viens donc ; et regardant ceux qui faillent le
moins ,
Sans aller rechercher ni preuve ni témoins ,
Informons de nos faits, sans haine et sans envie,
Et jusqu'au fond du sac épluchons notre vie.
De tous ces vices-là , dont ton cœur entaché
S'est vu par mes écrits si librement touché ,
Tu n'en peux retirer que honte et que dommage.
En vendant la justice , au ciel tu fais outrage ,
Le pauvre tu détruis , la veuve et l'orphelin ,
Et ruines chacun avec ton patelin.
particulièrement par une ordonnance de Charles VI , du
19 septembre 1439.
SATIRES. 247
Ainsi conséqueinment de tout dont je t'offense,
Et dont je ne m'attends d'en faire pénitence:
Car pariant librement , je prétends t'obliger
A purger tes défauts , tes vices corriger.
Si tu le fais , enfin , en ce cas j e mérite ,
Puisqu'en quelque façon mon vice te profite.
2/\S BÎATHURIN REGNIER
SATIRE XVI.
NI CRAINTE, NI ESPERANCE.
N«
'avoir crainte de rien, et ne rien espérer,
Ami, c est ce qui peut les hommes bienheurer.
J'aime les gens hardis, dontl'ame non commune,
Morguant les accidents , fait tête à la fortune ,
Et voyant le soleil de flamme reluisant ,
La nuit au manteau noir les astres conduisant ,
La lune se masquant de formes différentes ,
Faire naître les mois dans ses courses errantes ,
Et les cieux se mouvoir par ressorts discordants ,
Les uns chauds, tempérés, et les autres ardents ;
Qui ne s' émouvant point, de rien n'ont l'ame at-
teinte ,
Et n'ont, en les voyant, espérance ni crainte.
Même, si pêle-mêle avec les éléments
Le ciel d'airain tomboit jusques aux fondements,
Et que tout se froissât d'une étrange tempête,
Les éclats sans frayeur leur frapperoient la tête.
Dis-moi , qu'est-ce qu on doit plus chèrement
aimer
De tout ce que nous donne ou la terre ou la mer ;
Ou ces grands diamants, si brillants à la vue ,
Dont la France se voit à mon gré trop pourvue ;
SATIRES. 24y
Ou cea honneurs cuisants que la faveur départ ,
Souvent moins par raison que non pas par hasard ;
Ou toutes ces grandeurs après qui l'on abbaye,
Qui font qu'un président dans les procès s'égaye ?
De quel œil, trouble, ou clair, dis-moi, les doit-on
voir ,
Et de quel appétit au cœur les recevoir?
Je trouve, quant à moi, bien peu de différence
Entre la froide peur et la chaude espérance :
D'autant que même doute également assaut
Notre esprit, qui ne sait au vrai ce qu'il lui faut.
Car étant la fortune en ses fins incertaine ,
L'accident non prévu nous donne de la peine.
Quand le succès du bien au désir n'est égal ,
Nous nous sentons troublés du bien comme du
mal ;
Et trouvant même effet en un sujet contraire ,
Le bien fait dedans nous ce que le mal peut faire.
Or donc que gagne-t-on de rire ou de pleurer,
Craindre confusément , bien ou mal espérer;
Puisque même le bien , excédant notre attente,
Nous saisissant le cœur , nous trouble, et nous
tourmente ,
Et nous désobligeant nous même en ce bonheur,
La j oie et le plaisir nous tient lieu de douleur ?
Selon son rôle , on doit jouer son personnage.
Le bon sera méchant , insensé l'homme sage ;
Et le prudent sera de raison dévêtu ,
Si5o MlTHUEIJf REGNIER.
S'il se montre trop chaud à suivre la vertu.
Va donc ; et d'un cœur sain voyant le Pont-au-
Change, '
Désire l'or brillant sous mainte pierre étrange ,
Ces gros lingots d'argent qu'à grands coups de
marteaux
L'art forme en cent façons de plats et de vaisseaux^
Et devant que le j our aux gardes se découvre ,
Va, d'un pas diligent, à l'Arsenal, auLouvre ;
Talonne un président , suis-le comme un valet ;
Même , s'il est besoin , étrille son mulet.
Suis j usques au conseil les maîtres des requêtes ;
Ne t'enquiers curieux s'ils sont hommes ou bêtes ,
Et les distingue bien : les uns ont le pouvoir
De juger finement un procès sans le voir ;
Les autres, comme dieux, près le soleil résident,
Et , démons de Plutus , aux finances président ;
Car leurs seules faveurs peuven* , en moins d'un
an ,
Te faire devenir Chalange, ou Montauban (i).
Je veux encore plus ; démembrant ta province ,
Je veux, de partisan, que tu deviennes prince:
Tu seras des badauts en passant adoré ,
Et sera jusqu'au cuir ton carosse doré ;
Chacun en ta faveur mettra son espérance.
Mille valets sous toi désoleront la France.
(i) Riches partisans.
SATIRES. a5l
Tes logis , tapissés en magnifique arroi ,
D'éclat aveugleront ceux-là même du roi.
Mais si faut-il enfin que tout vienne à son compte,
Et, soit avec 1 honneur, ou soit avec la honte,
Il faut, perdant le jour, esprit, sens, et vigueur,
Mourir comme Enguerrand (i) , ou comme Jac-
ques Cœur (2) ;
Et descendre là-bas, où, sans choix de personnes,
Les écuelles de hois s'égalent aux couronnes.
En courtisant, pourquoi perdrois-je tout mon
temps ,
Si dehien et d'honneur mes esprits sont contents?
Pourquoi d'ame et de corps faut-il que je me
peine,
Et qu'étant hors du sens, aussi-bien que d'haleine,
Je suive un financier, soir, matin , froid et chaud,
Si j'ai du bien pour vivre autant comme il m'en
faut ?
Qui n'a point de procès, au palais n'a que faire.
Un président pour moi n'est non plus qu'un no-
taire.
(1) Enguerrand de Marigny , sur -intendant des
finances, sous Louis X, fut condamné , en i3i5, à être
attaché au gibet de Monfaucon , qu'il avoit fait dresser
lui-même.
(2) Jacques-Cœur . argentier (ministre des finances)
sous Charles VII, fut condamné à l'exil, et dépouillé
de ses biens en 1453.
25a MATHURIN REGNIER.
Adorant la vertu , de cœur , d'âme et de foi ,
Sans la chercher si loin , chacun l'a dedans soi
FIN DES SATYRES.
EFITRES,
^■V-V'«.'HVWWVWV»./VV«.'WV-WW»*.-»,-VV"V'V'».-a.-V'Wi'V» V». •>»•». %•»,-%,
DISCOURS AU ROI(i),
EPITRE I.
JL l étoit presque jour , et le ciel souriant
Blanchissoit de clarté les peuples d'Orient ;
L'Aurore, aux cheveux d or, au visage de roses ,
Déjà, comme à demi , découvroit toutes choses ;
Et les oiseaux, perchés en leur feuilleux séjour,
Commençoient,s'éveillant,à se plaindre d'amour:
Quand je vis en sursaut une bête effroyable (2) ,
Chose étrange à conter, toutefois véritable ,
Qui , plus qu'une hydre affreuse à sept gueules
meuglan t
Avoitles dents d'acier, l'œil horrible et sanglant,
Et pressoit à pas torts une nymphe fuyante (3) ,
Qui , réduite aux abois, plus morte que vivante,
Haletante de peine , en son dernier recours ,
Du grand Mars des François imploroit le secours,
Embrassoit ses genoux, et, l'appelant aux armes,
(1) Henri IV.
(2) La ligue.
(3) La France,
'2&4 MATHUEIÎT REGNIER.
N'avoit autre discours que celui de ses larmes.
Cette nymphe étoit d'âge, et ses cheveux mêlés
Flottoient au gré du vent, sur son dos avalés.
Sa rohe étoit d'azur, où cent fameuses villes
Elevoient leurs clochers sur des plaines fertiles.
La mer aux deux côtés cet ouvrage hordoit ;
L'Alpe de la main gauche en hiais s'épaneîoit
DuRhin jusqu'en Provence;etle mont qui partage
D'avecque l'espagnol le françois héritage ,
De Leucate à Bayonne en cornes se haussant,
Montroit son front pointu de neiges blanchissant.
Le tout étoit formé d'une telle manière
Que Fart ingénieux excédoit la matière.
Sa taille étoit auguste , et son chef, couronné ,
De cent fleurs de lis d'or étoit environné.
Ce grand prince, voyant le souci qui la grève ,
Touché de piété , la prend et la relève ;
Et de feux étouffant ce funeste animal ,
La délivra de peur aussitôt que de mal ;
Et purgeant le venin dont elle étoit si pleine ,
Rendit en un instant la nymphe toute saine.
Ce prince, ainsi qu'un Mars, en armes glorieux,
De palmes ombrageoit son chef victorieux ,
Et sembloit de ses mains au combat animées ,
Comme foudre, jeter la peur dans les armées.
Ses exploits achevés en ses armes vi voient:
Là, les camps de Poitou d'une part s'élevoient,
Qui, superbes, sembloient s'honorer en la gloire
ÉFiTHES. 2 S!)
D'avoir premiers chantés sa première victoire.
Dieppe, de l'autre part, sur la mer s'allongeoit,
Où par force il rompoit le camp qui l'assiégeoit ;
Et poussant plus avant ses troupes épanchées ,
Le matin en chemise il surprit les tranchées.
Là, Paris délivré de l'espagnole main
Se déchargeoit le cou de son joug inhumain.
La campagne d'Ivry sur le flanc ciselée
Favorisoit son prince au fort de la mêlée ;
Et de tant de ligueurs par sa dextre vaincus
Au dieu de la hataille appendoit les écus.
Plus haut étoit Vendôme, et Chartres, et Pontoise,
Et l'Espagnol défait à Fontaine-Françoise ,
Où la valeur du foible, emportant le plus fort ,
Fit voir que la vertu ne craint aucun effort.
Deçà, delà, luttoit mainte troupe rangée,
Mainte grande cité gémissoit assiégée ,
Où, sitôt que le fer l'en rendoit possesseur,
Aux rebelles vaincus il usoit de douceur :
Verturare au vainqueur, dont le courage extrême
N'a gloire en la fureur qu'à se vaincre soi-même !
Le chêne et le laurier cet ouvrage ombrageoit,
Où le peuple dévot sous ses lois se rangeoit ;
Et de vœux et d'encens au ciel faisoit prière
De conserver son prince en sa vigueur entière.
Maint puissant ennemi , dompté par sa vertu ,
Languissoit dans les fers sous ses pieds abattu ,
Tout semblable à l'Envie , à qui l'étrange rage
^56 MATHURO REGNIER,
De l'heur de son voisin enfîelle le courage ;
Hideuse , basanée , et chaude de rancœur ,
Qui ronge ses poumons , et se mâche le cœur.
Après quelque prière en son cœur prononcée 9
La nymphe, en le quittant, au ciel s'est élancée ;
Tandis que la faveur précipitoit son cours ,
Véritable prophète , elle fait ce discours :
Peuple , l'objet piteux du reste de la terre ,
Indocile à la paix, et trop chaud à la guerre ,
Qui, fécond en partis, et léger en desseins ,
Dedans ton propre sang souilles tes propres
mains ,
Entends ce que je dis , attentif à ma bouche ,
Et qu'au plus vif du cœur ma parole te touche.
Depuis qu'irrévérent envers les immortels ,
Tu taches de mépris l'église et ses autels ;
Qu'au lieu de la raison gouverne l'insolence ;
Que le droit altéré n'est qu'une violence ;
Que par force le foible est foulé du puissant ;
Que la ruse ravit le bien à l'innocent ;
Et que la vertu sainte , en public méprisée ,
Sert aux j eunes de masque,aux plus vieux de risée,
(Prodige monstrueux ! ) et, sans respect de foi,
Qu'on s'arme ingratement au mépris de son roi :
La Justice et la Paix , tristes et désolées ,
D'horreur se retirant , au ciel s'en sont volées :
Le Bonheur aussitôt à grands pas les suivit,
Et depuis le Soleil de bon œil ne te vit.
.EPITRES. 257
On a vu tant de fois la jeunesse trompée
De tes enfants passés au tranchant de l'épéc ;
Tes filles sans honneur errer de toutes parts ;
Ta maison et tes biens saccagés des soldarts ;
Ta femme insolemment d'entre tes bras ravie ;
Et le fer tous les jours s'attacher à ta vie.
Et cependant aveugle en tes propres effets , /
Tout le mal que tu sens, c'est toi qui te le fais ;
Tu t'armes à ta perte, et ton audace forge ^
L'estoc dont , furieux , tu te coupes la gorge.
Mais quoi! tant de malheurs te suffisent-ils pas?
Ton prince, comme un dieu, te tirant du trépas,
Rendit de tes fureurs les tempêtes si calmes ,
Qu'il te fait vivre en paix à l'ombre de ses palmes.
Astrée en sa faveur demeure en tes cités ;
D'hommes et de bétail les champs sont habités :
Le paysan, n'ayant peur des bannières étranges ,
Chantant coupe ses bleds, riant fait ses vendanges;
Et le berger, guidant son troupeau bien nourri ,
Enfle sa cornemuse en l'honneur de Henri.
Et toi seul cependant , oubliant tant de grâces ,
Ton aise trahissant , de ses biens tu te lasses.
Viens, ingrat, réponds-moi, quel bien espères-tu,
Après avoir ton prince en ses murs combattu ;
Après avoir trahi, pour de vaines chimères,
L'honneur de tes aïeux, et la foi de tes pères ;
Après avoir , cruel , tout respect violé ,
Et mis à l'abandon ton pays désolé ?
22,
2*58 MATHURO REGNIER.
Attends-tu que l'Espagne , avec son jeune prin»
ce(i),
Dans son inonde nouveau te donne une province,
Et qu'en ces trahisons , moins sage devenu ,
Vers toi , par ton exemple , il ne soit retenu ;
Et qu'ayant démenti ton amour naturelle ,
A lui, plus qu'à ton prince, il t'estime fidelle?
Mais quels exploits si beaux a faits ce j eune roi ,
Qu'il faille pour son bien que tu fausses ta foi ,
Trahisses ta patrie , et que , d'injustes armes ,
Tu la combles de sang, de meurtres et de larmes ?
Si ton cœur convoiteux est si vif et si chaud ,
Cours la Flandre, où jamais la guerre ne défaut ;
Et plus loin , sur les flancs d'Autriche et d'Alle-
magne f
î>e Turcs et de turbans enjonche la campagne ;
Puis,tout chargé de coups, de vieillesse et de biens,
Reviens en ta maison mourir entre les tiens.
Tes fils se mireront en si belles dépouilles ;
Les vieilles au foyer, en filant leurs quenouilles,
En chanteront le conte; et, brave en arguments,
Quelque autre Jean de Meung en fera des ro-
mans (2).
(1) Philippe III , qui succéda à son père Philippe II,
en 1.598.
(2) Jean cle Meung, dit Clopinel, continuateur du
soinan de la Rose , commencé par Guillaume de Lorris,
EPITRES. 259
Ha ! que ces paladins vivants dans mon histoire,
Non comme toi touchés d'une bâtarde gloire ,
Te furent différents, qui, courageux par-tout,
Tinrent fidellement mon enseigne debout ;
Et qui, se répandant ainsi comme un tonnerre,
Le fer dedans la main firent trembler la terre ,
Et tant de rois payens sous la croix déconfits
Asservirent vaincus aux pieds du crucifix ,
Dont les bras retroussés, et la tête penchée ,
De fers honteusement au triomphe attachée ,
Furent de leur valeur témoins si glorieux ,
Que les noms de ces preux en sont écrits aux ci eux !
Sitôt que cette nymphe, en son dire enflammée,
Pour finir son propos eut la bouche fermée ,
Plus haute s'élevant dans le vague des cieux ,
Ainsi comme un éclair disparut à nos yeux ;
Et se montrant déesse en sa fuite soudaine ,
La place elle laissa de parfum toute pleine ,
Qui , tombant en rosée aux lieux les plus pro-
chains ,
Réconforta le cœur et l'esprit des humains.
Henri, le cher sujet de nos saintes prières ,
Que le ciel rêseryoit à nos peines dernières ,
Dans le port de la paix , grand prince , puisses-tu .
Malgré tes ennemis , exercer ta vertu !
Attendant que ton fils , instruit par ta vaillance^
Dessous tes étendards sortant de son enfance ,
Plus fortuné que toi , mais non pas plus vaillant^
260 MATHURIN REGNIER.
Aille les Ottomans jusqu'au Caire assaillant ;
Et que , semblable à toi , foudroyant les armées
Il cueille avec le fer les palmes idumées.
Puis, tout flambant de gloire en France revenant,
Le ciel même là-haut de ses faits s' étonnant ,
Qu'il épande à tes pieds les dépouilles conquises ,
Et que de leurs drapeaux il pare nos églises.
Alors rajeunissant, au récit de ses faits ,
Tes désirs et tes vœux en ses œuvres parfaits ,
Tu ressentes d'ardeur ta vieillesse échauffée ,
Voyant tout l'univers nous servir de trophée !
É PITRES. 2Gl
A M. DE FORQUEVAUS.
ÉPITRE IL
JT uisQUEle jugement nous croît parle dommage,
Il est temps , Forquevaus , que je devienne sage ;
Et que par mes travaux j'apprenne à l'avenir
Comme, en faisant l'amour, on se doit maintenir.
Après avoir passé tant et tant de traverses ,
Avoir porté le joug de eent beautés diverses ,
Avoir, en bon soldat, combattu nuit et jour ,
Je dois être routier en la guerre d'amour.
Et, comme un vieux guerrier blanchi dessous les
armes ,
Savoir me retirer des plus chaudes alarmes ;
Détourner la fortune, et, plus fin que vaillant ,
Faire perdre le coup au premier assaillant ;
Et savant devenu par un long exercice ,
Conduire mon bonheur avec de l'artifice ,
Sans courir comme un fou saisi d'aveuglement ,
Que le caprice emporte, et non le jugement.
Car l'esprit en amour sert plus que la vaillance ;
Et tant plus on s'efforce, et tant moins on avance.
Il n'est que d'être fin , et de soir, ou de nuit,
Surprendre, si l'on peut, l'ennemi dans le lit.
Du temps que ma jeunesse, à l'amour trop ar~
dente ,
2Ï)2 MATHUIIIN REGNIER.
Rendoit d'affection mon ame violente ,
Et que de tous côtés , sans choix ou sans raison ,
J'aîlois comme un limier après la venaison ,
Souvent, de trop de cœur, j'ai perdu le courage ;
Et, piqué des douceurs d'un amoureux visage ,
J'ai si bien combattu, serré flanc contre flanc ,
Qu'il ne m'en est resté une goutte de sang.
Or sage à mes dépens, j'esquive la bataille ,
Sans entrer dans le champ j'attends que l'on m'as-
saille ;
Et pour ne perdre point le renom que j'ai eu ,
D'un bon mot du vieux temps je couvre tout mon
jeu;
Et, sans être vaillant, je veux que l'on m'estime.
Ou si par fois encor j'entre en la vieille escrime,
Je goûte le plaisir sans en être emporté ,
Et prends de l'exercice au prix de ma santé.
Je résigne aux plus forts ces grands coups de maî-
trise :
Accablé sous le faix , je fuis toute entreprise ;
Et sans plus m' amuser aux places de renom ,
Qu'on ne peut emporter qu'à force de canon ,
J'aime un amour facile, et de peu de défense.
Si je vois qu'on me rit, c'est là que je m'avance ,
Et ne me veux chaloir du lieu , grand ou petit.
La viande ne plaît que selon l'appétit.
Aimer en trop haut lieu une dame hautaine ,
C'est aimer en souci le travail et la peine ,
C'est nourrir son amour de respect et de soin.
EPI TRES. 2f)3
Je suis soûl de servir le chapeau dans le poing ;
Et fuis plus que la mort l'amour d'une grandi
dame.
Toujours comme un forçat , il faut être à la rame.
Naviguer jour et nuit ; et , sans profit aucun ,
Porter tout seul le faix de ce plaisir commun.
Ce n'est pas , Forquevaus , cela que je demande ;
Car si je donne un coup, je veux qu'on me le rende,
Et que les combattants , à 1 égal colletés ,
Se donnent l'un à l'autre autant de coups fourrés.
C'est pourquoi je recherche une jeune fillette ,
Experte dès long-temps à courir l'aiguillette ;
Qui soit vrve et ardente au combat amoureux ,
Et pour un coup reçu qui vous en rende deux.
La grandeur en amour est chose insupportable :
Et qui sert hautement est toujours misérable :
Il n'est que d'être libre , et en deniers comptants
Dans le marché d'amour acheter du bon temps ;
Et pour le prix commun choisir sa marchandise ;
Ou si l'on n'en veut prendre , au moins on en de-
vise ;
L'on tâte , l'on manie; et , sans dire combien ,
On se peut retirer , l'objet nen coûte rien.
Au savoureux trafic de cette mercerie
J'ai consumé les jours les plus beaux de ma vie.
C'est pourquoi tout-à-coup je me suis retiré n
Voulant dorénavant demeurer assuré ;
Et , comme un marinier échappé de l'orage ,
Du havre sûrement contempler le naufrage.
2^4 MATURIJ* REGNIER.
Mais aussi , Forquevaus , comme il est mal-aisé
Que notre esprit ne soit quelquefois abusé
Des appas enchanteurs de cet enfant volage ,
Il faut un peut baisser le cou sous le servage ,
Et donner quelque place aux plaisirs savoureux:
Car c'est honte de vivre et de n'être amoureux.
Mais il faut , en aimant , s'aider de la finesse
Et savoir rechercher une simple maîtresse ,
Qui , sans vous asservir , vous laisse en liberté ,
Et joigne le plaisir avec la sûreté ;
Qui ne sache que c'est que d'être courtisée;
Qui n'ait de mainte amour la poitrine embrasée;
Qui soit douce et nicette ; et qui ne sache pas ,
Âpprentive au métier, que valent les appas.
Que son œil et cœur parlent de même sorte ;
Qu'aucune affection hors de soi ne l'emporte;
Bref, qui soit tout à nous , tant que la passion
Entretiendra nos sens en cette affection.
Si parfois son esprit, ou le nôtre , se lasse ,
Pour moi , je suis d'avis que l'on change de place.
C'est le change qui rend l'homme plus vigoureux
Et qui jusqu'au tombeau le fait être amoureux.
Nature se maintient pour être variable ,
Et pour changer souvent son état est durable :
Aussi l'affection dure éternellement,
Pourvu , sans se lasser , qu'on changea tout mo-
ment.
De la fin d'une amour l'autre naît plus parfaite,
Comme on voit un grand feu naître d'une bluette.
EP1TRES. 3O0
ÉPITRE II L
_L erc lus d'une jambe et des bras ,
Tout de mon long entre deux draps ,
Il ne me reste que la langue
Pour vous faire cette harangue.
Vous savez que j'ai pension ,
Et que l'on a prétention ,
Soit par sottise , ou par malice ,
Embarrassant le bénéfice,
Me rendre en me torchant le bec ,
Le ventre creux comme un rebec.
On m'en baille en discours de belles ;
Mais de l'argent point de nouvelles.
Encore , au lieu de payement ,
On parle d'un retranchement ,
Me faisant au nez grise mine :
Que l'abbaye est en ruine ,
Et ne vaut pas , beaucoup s'en faut ,
Les deux mille francs qu'il me faut.
Si bien que je juge , à son dire ,
Malgré le feu roi notre sire ,
Qu il desireroit volontiers
Lâchement me réduire au tiers.
Je l?'sse à part ce fâcheux conte :
3*3
2.66 M AT H UIl IN REGNIER.
Au printemps que la bile monte
Par les veines clans le cerveau ,
Et que l'on sent au renouveau
Son esprit fécond en sornettes ,
Il fait mauvais se prendre aux poètes.
Toutefois je suis de ces gens
De toutes choses négligents ,
Qui , vivant au jour la journée ,
Ne contrôlent leur destinée ,
Oubliant pour se mettre en paix ,
Les injures et les bienfaits 7
Et s'arment de philosophie.
Il est pourtant fo^ qui s'y fie.
J'écris , je lis , je mange et boi ,
Plus heuseux cent fois que le roi
(Je ne dis pas le roi de France) ,
Si je n'étois court de finance.
POÉSIES DIVERSES
ÉLÉGIE ZÉLOTYPIQUE(i),
!iew que je sache au vrai tes façons et tes ruses ?
J'ai tant et si long-temps excusé tes excuses ;
Moi-même je me suis mille fois démenti ,
Estimant que ton cœur, par douceur diverti ,
Tiendroit ses lâchetés à quelque conscience :
Mais enfin ton humeur force ma patience.
J'accuse ma foiblesse; et, sage à mes dépens ,
Si je t'aimai jadis , ores je m'en repens ;
Et brisant tous ces nœuds dont j'ai tant fait de
compte ,
Ce qui me fut honneur m'est ores une honte.
Pensant m'ôter l'esprit, l'esprit tu m'as rendu ;
J'ai regagné sur moi ce que j'avois perdu.
Je tire un double gain d'un si petit dommage ;
Si ce n'est que trop tard je suis devenu sage.
Toutefois le bonheur doit nous rendre contents ;
(i) Cette élégie et la suivante sont imitées d'Ovide ,
Ain. 1. III , Eleg, i et 3. Elles contiennent les plaintes
et les reproches d'un amant jaloux ; c'est ce que signifie
zélotypique.
2f>8 MATHURIIT REGNIER.
Et pourvu qu'il nous vienne, il vient toujours à
temps.
J'ai donc lu d'autremain ses lettres contrefaites!
J'ai donc su ses façons, reconnu ses défaites ,
Et comment elle endort de douceur sa maison ,
Et trouve à s'excuser quelque fausse raison !
Un procès, un accord, quelque achat, quelques
ventes ,
"Visites de cousins , de frères et de tantes ;
Pendant qu'en autre lieu, sans femmes et sans
bruit ,
Sous prétexte d'affaire elle passe la nuit.
Et cependant, aveugle en ma peine enflammée ,
Ayant su tout ceci , je l'ai toujours aimée.
Pauvre sot que se suis ! Ne devois-je à l'instant
Laisser là cette ingrate, et son cœur inconstant ?
Encor seroit-ce peu, si, d'amour emportée ,
Je n'avois à son teint et sa mine affectée
Lu de sa passion les signes évidents
Que l'amour imprimoit en ses yeux trop ardents.
Mais qu' est-il de besoin d'en dire davantage ?
Irai-je rafraîchir sa honte et mon dommage ?
A quoi de ses discours dirai-je le défaut;
Comme , pour me piper , elle parle un peu haut ;
Et comme bassement, à secrettes volées ,
Elle ouvre de son cœur les flammes recelées ;
Puis sa voix rehaussant en quelques mots joyeux.
Elle pense charmer les jaloux curieux ;
POÉSIES DIVERSES, 2ÏÏg
Fait un conte du roi , de la reine , et du Louvre ,
Quand, malgré que j'en aie, amour me le dé-
couvre ,
Me déchiffre aussitôt son discours indiscret
( Hélas ! rien aux jaloux ne peut être secret) ;
Me fait voir de ses traits 1 amoureux artifice ,
Et qu'aux soupçons d'amour trop simple est sa
malice ;
Ces heurtements de pied en feignant de s'asseoir ;
Faire sentir ses gants, ses cheveux, son mouchoir;
Ces rencontres de mains, et mille autres caresses
Qu'usent à leurs amants les plus douces maî-
tresses ,
Que je tais par honneur, craignant qu'avecie sien,
En un discours plus grand t j 'engageasse le mien ?
Cherche donc quelque sot au tourment insen-
sible ,
Qui souffre ce qu'il m'est de souffrir impossible ;
Car pour moi j'en suis las, ingrate, et je ne puis
Durer plus longuement en la peine où je suis.
Vous autres que j'emploie à l'épier sans cesse,
Au logis , en visite , au sermon , à la messe ,
Connoissant que je suis amoureux et jaloux ,
Pour flatter ma douleur, que ne me mentez-vous ?
Ha ! pourquoi m'étes-vous à mon dam si fidèles ?
Le porteur est fâcheux de fâcheuses nouvelles.
Déférez à l'ardeur de mon mal furieux ;
Feignez de n'en rien voir, etvous fermez les y eux.
23.
27O MATHURIN REGNIER.
Si dans quelque maison sans femme elle s'arrête ;
S'on lui fait au palais quelque signe de tête 7
S elle rit à quelqu'un , s' elle appelle un valet ,
S'elle baille en cachette ou reçoit un poulet ,
Si dans quelque recoin quelque vieille inconnue,
Marmotant un Pater ? lui parle et la salue ;
Déguisez-en le fait; parlez-m'en autrement ,
Trompant ma jalousie et votre jugement.
Dites-moi qu'elle est chaste , et qu'elle en a la
gloire ;
Car,bien qu'il ne soit vrai , si ne le puis-je croire.
Surmontons par mépris ce désir indiscret :
Au moins , s'il ne se peut, l'aimerai-je à regret.
Le bœuf n'aime le joug que toutefois il traîne.
Et mêlant sagement mon amour à la haine ,
Donnons-lui ce que peut ou que doit recevoir
Son mérite , égalé justement au devoir.
C'en est fait pour jamais la chance en est jetée.
D'un feu si violent mon ame est agitée ,
Qu'il faut bon-gré ,mal-gré , laisser faire au destin .
Heureux si par la mort j'en puis être à la fin ,
Et si je puis 3 mourant en cette frénésie ,
Voir mourir mon amour avec ma jalousie !
Mais , dieu! que me sert-il de pleurs me con-
sommer ,
Si la rigueur du ciel me contraint de l'aimer ?
Où le ciel nous incline à quoi sert la menace ?
Sa beauté me rappelle où son défaut me chasse:
POESIES DIVERSES. 2 J I
Aimant et dédaignant , par contraires efforts ,
Les façons de l'esprit et les beautés du corps.
Ainsi je ne puis vivre avec elle , et sans elle.
Ha dieu ! que fusses-tu ou plus chaste , ou moins
belle!
Ou pusses-tu connoître et voir, par mon trépas ,
Qu'avecque ta beauté mon humeur ne sied pas !
Mais si ta passion est si forte et si vive ,
Que des plaisirs des sens ta raison soit captive,
Que ton esprit blessé ne soit maître de soi 9
Je n'entends en cela te prescrire une loi ;\
Te pardonnant par moi cette fureur extrême 9
Ainsi comme par toi je l'excuse en moi-même :
Car nous sommes tous deux , en notre passion ,
Plus dignes de pitié que de punition.
Encore, en ce malheur où tu te précipites ,
Dois-tu par quelque soin t'obliger tes mérites ,
Connoitre ta beauté , et qu'il te faut avoir ,
Avecque ton amour , égard à ton devoir.
Mais, sans discrétion , tu vas à guerre ouverte ;
Et , par sa vanité triomphant de ta perte ,
Il montre tes faveurs , tout haut il en discourt;
Et ta honte et sa gloire entretiennent la cour.
Cependant, me jurant, tu m'en dis des injures,
O dieux , qui sans pitié punissez les parjures ,
Pardonnez à ma dame , ou, changeant vos effets ,
Vengez plutôt sur moi les péchés qu'elle a faits !
S'il est vrai , sans faveur , que tu l'écoutés
plaindre ,
1"]% MÀTIÏURIN . REGNIER.
D'où vient pour son respect que l'on te voit con-
traindre ;
Que tu permets aux siens lire en tes passions ,
De veiller jour et nuit dessus tes actions ;
Que toujours d'un valet ta carrosse est suivie ,
Qui rend , comme espion , compte exact de ta vie ;
Que tu laisse un chacun pour plaire à ses soup-
çons ;
Et que , parlant de Dieu , tu nous fais des leçons,
Nouvelle Magdelaine au désert convertie ;
Et jurant que ta flamme est du tout amortie ,
Tu prétends finement, par cette mauvaitié ,
Lui donner plus d'amour, à moi plus d'amitié ;
Et , me cuidant tromper , tu voudrois faire ac-
croire ,
Avecque faux serments , que la neîge fût noire ?
Mais , comme tes propos , ton art est découvert ,
Et chacun , en riant , en parle à cœur ouvert ,
Dont j e crève de rage ; et voyant qu'on te hlâme ,
Trop sensible en ton mal, de regret je me pâme ;
Je me ronge le cœur , je n'ai point de repos ;
Et voudrois être sourd, pour l'être à ces propos.
Je me hais de te voir ainsi mésestimée.
T'aimant si dignement, j'aime ta renommée ;
Et si je suis jaloux , je le suis seulement
De ton honneur, et non de ton contentement.
Fais tout ce que tu fais , et plus s'il se peut faire ;
Mais choisis pour le moins ceux qui se peuvent
taire,
POÉSIES DIVERSES. 2 J 3
Quel besoin peut-il être, insensée en amour ,
Ce que tu fais la nuit, qu'on le chante le jour •
Ce que fait un tout seul , tout un chacun le sache ;
Et montres en amour ce que le monde cache ?
Mais puisque le destin à toi m'a su lier ,
Et qu'oubliant ton mal je ne puis t'oublier ,
Par ces plaisirs d'amour tout confits en délices ;
Par tes appas, jadis à mes vœux si propices ;
Par ces pleurs que mes yeux et les tiens ont versés ;
Par mes soupirs au vent sans profit dispersés ;
Pardonne, par mes pleurs, au feu qui me com-
mande.
Si mon péché fut grand, ma repentance est
grande.
Et vois , dans le regret dont je suis consommé ,
Que j'eusse moins failli si j'eusse moins aimé.
ELEGIE
SUR LE MEME SUJET.
^JLIMA
aujt comme j'aimois, que ne devois-je crain-
dre ?
Pouvois-je être assuré qu'elle se dût contraindre,
Et que, changeant d'humeur au vent qui l'em-
portoit ,
Elle eût pour moi cessé d'être ce qu'elle étoit ;
Que, laissant d'être femme, inconstante et légère,
2 74 MATHURIJC REGNIER.
Son cœur, traître à l'amour, et sa foi mensongère,
Se rendant en un lieu l'esprit plus arrêté ,
Pût , au lieu de mensonge , aimer la vérité ?
Non,jecroyois tout d'elle, il faut que je le die ;
Et tout m'étoit suspect hormis la perfidie.
Je craignois tous ses traits que j'ai su du depuis ,
Ses jours de mal de tète , et ses secrètes nuits ,
Quand , se disant malade et de fièvre enflammée,
Pour moi tant seulement sa porte étoit fermée.
Je craignois ses attraits, ses ris, et ses courroux ;
Et tout ce dont Amour alarme les jaloux.
Mais la voyant jurer avec tant d'assurance ,
Je l'avoue , il est vrai , j'étois sans défiance.
Aussi, qui pourroit croire, après tant de serments,
De larmes , de soupirs , de propos véhéments ,
Dont eile me juroit que jamais de sa vie
Elle ne permettroit d'un autre être servie ;
Qu' elle aimoit trop ma peine, et qu'en ayant pitié,
Je m'en de vois promettre une ferme amitié ;
Seulement, pour tromper le jaloux populaire ,
Que j e devoi s, constant, en mes douleurs me taire,
Me feindre toujours libre, ou bien me captiver ;
Et, quelque autre perdant, seule la conserver ?
Cependant , devant Dieu , dont elle a tant de
crainte ,
Au moins comme elle dit, sa parole étoit feinte ;
Et le ciel lui servit , en cette trahison ,
D'infidèle moyen pour tromper ma raison.
POÉSIES DIVERSES. 2~5
Et puis il est des dieux témoins de nos paroies ï
Non, non, il n'en est point: ce sont contes frivoles
Dont se repaît le peuple , et dont l'antiquité
Se servit pour tromper notre imbécillité.
S'il y avoit des dieux , ils se vengeraient d'elle ,
Et ne la verroit-on si fière ni si belle ;
Ses veux s'obscurciraient, qu elleatantparjurés;
Son teint serait moins clair, ses cheveux moins
dorés ;
Et le ciel, pour l'induire à quelque pénitence ,
Marquerait sur son front son crime et leur ven-
geance,
Ou s'il y a des dieux , ils ont le cœur de chair ;
Ainsi que nous d'amour ils se laissent toucher ;
Et de ce sexe ingrat excusant la malice ,
Pour une belle femme ils n'ont point de justice.
ELEGIE(i).
IMPUISSANCE.
viuoi ! ne Tavois-jc assez en mes vœux désirée ?
X'étoit-elle assez belle , ou assez bien parée ?
Etoit-eile à mes venx sans grâce et sans appas ?
Son sang étoit-il point issu d'un lieu trop bas ?
ï Cette pièce est imitée de l'élégie - du livre Kl
des Amours d'Ovide.
Zj6 MATHURIN REGNIER.
Sa race, sa maison , n'étoit-elle estimée?
Ne valoit-eile point la peine d'être aimée r
Inhabile au plaisir , n avoit-elle de quoi ?
Etoit-elle trop laide ou trop belle pour moi I
Ha ! cruel souvenir ! Cependant je l'ai eue ,
Impuissant que je suis , en mes bras toute nue ,
Et n'ai pu , le voulant tous deux également ,
Contenter nos désirs en ce contentement !
Au surplus , à ma honte , Amour, que te dirai-jc !
Elle mit en mon cou sesbras plus blancs que neige,
Et sa langue mon cœur par ma bouche embrasa ;
Bref, tout ce qu'ose Amour , ma déesse l'osa ;
Me suggérant la manne en sa lèvre amassée ,
Sa cuisse se tenoit en la mienne enlacée ;
Les yeux lui pétilloient d'un désir langoureux ,
Et son ame exhaloit maint soupir amoureux ;
Sa langue, en bégayant d'une façon mignarde ,
Me disoit : Mais , mon cœur , qu'est-ce qui vous
retarde ?
N'aurois-je point en moi quelque chose qui pût
Offenser vos désirs , ou bien qui vous déplût !
Ma grâce, ma façon , ha dieu î ne vous plaît-elle ?
Quoi ! n'ai-je assez d'amour ? ou ne suis-je assez
belle ?
Cependant, de la main animant ses discours ,
Je trompois,impuissant, sa flamme et mes amours;
Et comme un tronc de bois , charge lourde et pe«*
santé ,
POESIES DIVERSES. 277
Je n'avois rien en moi de personne vivante.
Mes membres languissants, perclus et refroidis
Par ses attouchements n'étoient moins engourdis.
Mais quoi ! que deviendrai-je en l'extrême vieil-
lesse.
Puisque je suis rétif au fort de ma jeunesse ,
Et si, las ! je ne puis , et jeune et vigoureux
Savourer la douceur du plaisir amoureux ?
Ha! j'en rougis de honte , et dépite mon âge ,
Age de peu de force et de peu de courage ,
Qui ne me permet pas, en cet accouplement,
Donner ce qu'en amour peut donner un amant.
Car, Dieux ! cette beauté, par mon défaut trompée
Se leva le matin de ses larmes trempée^
Que l'amour de dépit écouioit par ses yeux :
Ressemblante rAurore,alorsqu'ouvrantlescieux
Elle sort de son lit hargneuse et dépitée
D'avoir , sans un baiser , consommé la nuitée
Quand,baignant tendrement la terre de ses pleurs
De chagrin et d'amour elle en jette ses fleurs.
Pour flatter mon défaut , mais que me sert la
gloire
De mon amour passée, inutile mémoire l
Quand aimant ardemment , et ardemment aimé
Tant plus j e combattois , plus j'étois animé :
Guerrier infatigable en ce doux exercice ,
Par dix ou douze fois je rentrois en la lice .
Dix , vaillant et adroit , après avoir brisé ,
2j8 MATHURIN REGNIER.
Des chevaliers d'amour j'étois le plus prisé.
Mais de cet accident je fais un mauvais conte,
Si mon honneur passé m'est ores une honte.
Or quand je pense, ô dieux! quel bien m'est
advenu ,
Avoir vu dans un lit ses beaux membres à nu ,
La tenir languissante entre mes bras couchée ,
De même affection la voir être touchée ,
Me baiser haletant d'amour et de désir ,
Par ses chatouillements réveiller le plaisir.
Je l'avois cependant vive d'amour extrême;
Mais si je 1 eus ainsi , elle ne m'eut de même :
O malheur ! et de moi elle n'eut seulement
Que des baisers d'un frère, et non pas d'un amant.
En vain cent et cent fois je m'efforce à lui plaire ,
Non plus qu'à mon désir je n'y puis satisfaire ;
Et la honte pour lors , qui me saisit le cœur ,
Pour m' achever de peindre éteignit ma vigueur.
Gomme elle reconnut, femme mal satisfaite ,
Qu'elle perdoit son temps, du lit elle se jette ,
Prend sajuppe, se lace; et puis, en se moquant,
D'un ris et de ces mots elle m'alla piquant :
Non, si j'étois lascive, ou d'amour occupée ,
Je me pourrois fâcher d'avoir été trompée ;
Mais puisque mon désir n'est si vif, ni si chaud ,
Mon tiède naturel m'oblige à ton défaut.
Mon amour satisfaite aime ton impuissance,
Et tire de ta faute assez de récompense ,
POESIES DIVERSES. 279
Qui toujours dilayant m'a fait, par le désir ,
Ebattre plus long-temps à l'ombre du plaisir.
Mais étant la douceur par l'effort divertie ,
La fureur à la fin rompit sa modestie ,
Et dit en éclatant : Pourquoi me trompes-tu ?
Ton impudence à tort a vanté ta vertu ,
Si en d'autres amours ta vigueur s'est usée.
Quel honneur reçois-tu de m' avoir abusée?
Assez d'autres propos le dépit lui dictoit.
Le feu de son dédain par sa bouche sortoit.
Enfin , voulant cacher ma honte et sa colère ,
Elle couvrit son front d'une meilleure chère ;
Se conseille au miroir; ses femmes appela ;
Et , se lavant les mains , le fait dissimula.
ELEGIE(i).
JLj'homme s'oppose en vain contre la destinée.
Tel a dompté sur mer la tempête obstinée ,
Qui, déçu dans le port, éprouve en un instant
Des accidents humains le revers inconstant ,
Qui le jette au danger , lorsque moins il y pense.
Ores à mes dépens j'en fais l'expérience ,
Moi qui , tremblant encor du naufrage passé ,
Du bris de mon navire au rivage amassé
(1) Cette élégie fut composée pour Henri IV,
280 MATHURItf REGNIER.
Bâtissois un autel aux dieux légers des ondes ;
Jurant même la mer et ses vagues profondes ,
Instruit à mes dépens, et prudent au danger,
Que je me garderois de croire de léger ;
Sachant qu'injustement il se plaint de l'orage ,
Qui remontant sur mer fait un second naufrage.
Cependant ai-je à peine essuyé mes cheveux ,
Et payé dans le port l'offrande de mes vœux ,
Que d'un nouveau désir le courant me transporte,
Et n'ai pour l'arrêter la raison assez forte.
Par un destin secret mon cœur s'y voit contraint,
Et par un si doux nœud si doucement étreint ,
Que me trouvant épris d'une ardeur si parfaite ,
Trop heureux en mon mal je hénis ma défaite ;
Et me sens glorieux , en un si beau tourment ,
De voir que ma grandeur serve si dignement.
Changement bien étrange en une amour si belle !
Moi , qui rangeois au joug la terre universelle ,
Dont le nom glorieux aux astres élevé T
Dans le cœur des mortels par vertu s'est gravé ;
Qui fis de ma valeur le hasard tributaire ;
A qui rien , fors l'Amour , ne put être contraire ;
Qui commande par-tout,. indomptable en pou-
voir ;
(Jui sait donner des lois, et non les recevoir:
Je me vois prisonnier aux fers d'un jeune maître,
Où je languis esclave, et fais gloire de l'être;
Et sont à le servir tous mes vœux obligés.
POESIES DIVERSES. 2ÔJ
Mes palmes, mes lauriers en myrtes sont changés.
Belle et sainte planète, astre de ma naissance ,
Mon bonheur plus parfait, mon heureuse in-
fluence ,
Dont la douceur préside aux douces passions ,
Vénus , prenez pitié de mes affections ;
Soyez-moi favorable, et faites à cette heure ,
Plutôt que découvrir mon amour, que je meure,
Et que ma fin témoigne , en mon tourment secret ,
Qu'il ne vécut jamais un amant si discret ;
Et qu'amoureux constant, en un si beau martyre,
Mon trépas seulement mon amour puisse dire.
Ha ! que la passion me fait bien discourir !
Non, non, un mal qui plaît ne fait jamais mourir.
Dieux! que puis-je donc faire au mal qui me
tourmente ?
La patience est foible, et l'amour violente ;
Et me voulant contraindre en si grande rigueur,
Ma plainte se dérobe , et m'échappe du cœur.
Semblable à cet enfant que la mère en colère ,
Après un châtiment veut forcer à se taire:
Il s'efforce de crainte à ne point soupirer;
A grand peine ose-t-il son haleine tirer ;
Mais nonobstant l'effort , dolent en son courage,
Les sanglots à la fin débouchent le passage ;
S abandonnant aux cris, ses yeux fondent en
pleurs ,
Et faut que son respect défère à ses douleurs»
24-
2?32 MATHURIIÎ REGNIER.
De même je m'efforce au tourment qui me tue :
En vain de le cacher mon respect s'évertue.
Donc, beauté plus qu'humaine 3 objet de mes
plaisirs ,
Délices de mes yeux et de tous mes désirs ,
Qui régnez sur les cœurs d'une contrainte ai-
mable ,
Pardonnez à mon mal ? hélas ! trop véritable ;
Ne vous offensez point de mes justes clameurs ,
Et si, mourant d'amour, je vous dis que je meurs.
STANCES.
J_j if quel obscur séjour le ciel m'a-t-îl réduit ?
Mesbeaux jours sontvoilés d'une effroyable nuk;
Et dans un même instant, comme l'herbe fauchée ?
Ma j eunesse est séchée.
Mes discours sont changés en funèbres regrets
Et mon ame d'ennuis est si fort éperdue ,
Qu'ayant perdu ma dame en ces tristes forêts ,
Je crie, et ne sais point ce qu'elle est devenue.
S s vois bien en ce lieu, triste et désespéré ,
Du. naufrage d'amour ce qui m'est demeuré:
Et bien que loin d'ici le Destin l'ait guidée ,
Je m'en forme l'idée.
Je vois dedans ces fleurs les trésors de son teint ?
POÉSIES DIVERSES. 2&3
La fierté de son ame en la mer toute émue :
Tout ce qu'on voit ici vivement me la peint;
Mais il ne me peint pas ce qu'elle est devenue.
Las ! voici bien l'endroit où premier je la vi ,
Où mon cœur, de ses yeux si doucement ravi ,.
Rejetant tout respect, découvrit à la belle
Son amitié fidelle.
Je revois bien le lieu , mais je ne revois pas
La reine de mon cœur, qu'en ce lieu j'ai perdue :
O bois ! ô prés ! ô monts ! ses fidèles ébats ,
Hélas ! répondez-moi , qu' est-elle devenue ?
Durant qne son bel œil ces lieux embellissoit ,
L'agréable printemps sous ses pieds florissoit?
Tout rioit auprès d'elle; et la terre parée
Etoit énamourées
O bois ! ô prés ! ô monts ! ô vous qui la cachez 7,
Et qui , contre mon gré , l'avez tant retenue 7
Si jamais de pitié vous vous vîtes touchés 7
Hélas! répondez-moi, qu'est-elle devenue?
Fut-il jamais mortel si malheureux que moi?1
Je lis mon infortune en tout ce que je voi ;
Tout figure ma perte ; et le ciel et la terre
A l'envi me font guerre.
284 MATHURIN REGNIER.
Le regret du passé cruellement me point ;
Et rend l'objet présent ma douleur plus aiguë i
Mais , las ! mon plus grand mal est de ne savoir
point,
Entre tant de malheurs, ce qu'elle est devenue.
Ainsi de toutes parts je me sens assaillir ;
Et voyant que l'espoir commence à me faillir ?
Ma douleur se rengrege , et mon cruel martyre
S'augmente , et devient pire.
Et si quelque plaisir s'offre devant mes yeux ,
Qui pense consoler ma raison abattue ,
Il m'afflige; et le ciel me seroit odieux
Si là-haut j'ignorois ce qu'elle est devenue.
Plaisirs si-tôt perdus , nélas ! où êtes-vous ?
Et vous , chers entretiens , qui me sembliez si
doux,
Où étes-vous allés? hé ! où s'est retirée
Ma belle Cythêrée ?
Ha ! triste souvenir d'un bien si tôt passé !
Las ! pourquoi ne la vois -je ? ou pourquoi l'ai-je
vue?
Ou pourquoi mon esprit, d'angoisses oppressé ,
Ne peut-il découvrir ce qu'elle est devenue ?
En vain , hélas ! en vain la va-tu dépeignant,
POÉSIES DIVERSES. â8S
Pour flatter ma douleur, si le regret poignant
De m'en voir séparé d'autant plus me tourmente,
Qu'on me la représente.
Seulement au sommeil j'ai du contentement ,
Qui la fait voir présente à mes yeux toute nue ,
Et chatouille mon mal d'un faux ressentiment ;
Mais il ne me dit pas ce qu'elle est devenue.
Il la faut oublier ! . . . ha dieux ! je ne le puis,
L'oubli n'efface point les amoureux ennuis
Que ce cruel tvran a gravés dans mon ame
En des lettres de flamme.
Il me faut par la mort finir tant de douleurs.
Avons donc à ce point l'ame bien résolue ;
Et finissant nos jours , unissons nos malheurs ,
Puisqu'on ne peut savoir ce qu'elle est devenue.
Adieu donc , clairs soleils , si divins et si beaux ;
Adieu l'honneur sacré des forêts et des eaux ;
Adieu monts, adieu près, adieu campagne verte,
De vos beautés déserte.
Las ! recevez mon ame en ce dernier adieu.
Puisque de mon malheur ma fortune est vaincue
Misérable amoureux , je vais quitter ce lieu ,
Pour savoir aux enfers ce qu'elle est devenue.
286 MATKURIN REGNIER.
Ainsi dit Amiante , alors que de sa voix
Il entama les cœurs des rochers et des bois
Pleurant et soupirant la perte d'Yacée ,
L'objet de sa pensée.
Afin de la trouver , il s'encourt au trépas.
Et comme sa vigueur peu-à-peu diminue ,
Son ombre pleure , crie , en descendant là-bas
Esprits , hé ! dites -moi , qu'est-elle devenue ?
STANCES
CONTRE UN AMOUREUX TRANSI,
JT ourquoi perdez-vous la parole
Aussitôt que vous rencontrez
Celle que vous idolâtrez ,
Devenant vous-même une idole ?
Vous êtes là sans dire mot ,
Et ne faites rien que le sot.
Pensez-vous la rendre abattue
Sans votre fait lui déceler ?
Faire les doux yeux sans parler ,
C'est faire l'amour en tortue.
La belle fait bien de garder
Ce qui vaut bien le demander.
L'effort fait plus que le mérite:
POÉSIES DIVERSES. 287
Car , pour trop mériter un bien ,
Le plus souvent on n'en a rien ;
Et , dans l'amoureuse poursuite ,
Quelquefois l'importunité
Fait plus que la capacité.
En discourant à sa maîtresse ,
Que ne promet l'amant subtil?
Car chacun , tant pauvre soit-il
Peut être riche de promesse.
Les grands , les vignes , les amants ,
Trompent toujours de leurs serments.
Votre belle , qui n'est pas lourde ,
Rit de ce que vous en croyez.
Qui vous voit , pense que soyez
Ou vous muet , ou elle sourde.
Parlez , elle vous oira bien ;
Mais elle attend , et n'entend rien*
Elle attend , d'un désir de femme ,
D'ouïr de vous quelques beaux mots.
Mais s'il est vrai qu'à nos propos
On reconnoît quelle est notre ame 7
Elle vous croit 1 à cette fois ,
Manquer d'esprit comme de voix.
Qu'un honteux respect ne vous touche:
288 MATHURIN REGNIER.
Fortune aime un audacieux.
Pensez , voyant Amour sans yeux ,
Mais non pas sans mains , ni sans bouche,
Qu'après ceux qui font des présents
L'Amour est pour les bien-disants.
DIALOGUE.
CLORIS ET PHILIS.
CL O RIS.
Jl hilis, œil de mon cœur, et moitié de moi-
même ,
Mon amour , qui te rend le visage si blême ?
Quels sanglots , quels soupirs , quelles nouvelles
pleurs ,
Noyent de tes beautés les grâces et les fleurs ?
PHILIS.
Ma douleur est si grande, et si grand mon m arty re,
Qu'il ne se peut, Cloris, ni comprendre ni dire.
CLORIS.
Ces maintiens égarés , ces pensers éperdus ,
Ces regrets et ces cris par ces bois ép-andus ,
Ces regards languissants en leurs flammes dis-
crettes ,
Me sont de ton amour les paroles secrettes.
PHILIS.
Ha dieu ! qu'un divers mal diversement me point!
POÉSIES DIVERSES. a8()
J'aime : hélas ! non , Cloris ; non , non , je n'aime
point.
CLORIS.
La honte ainsi dément ce que l'amour décèle ;
La flamme de ton cœur par tes yeux étincelle ;
Et ton silence même , en ce profond malheur ,
N'est que trop éloquent à dire ta douleur.
Tout parle en ton visage; et, te voulant con-
traindre ,
L'Amour vient , malgré toi , sur ta lèvre se plain-
dre.
Pourquoi veux-tu, Philis, aimant comme tu fais,
Que l'Amour se démente en ses propres effets ?
N'en fais donc point la fine, et vainement ne cache
Ce qu'il faut malgré toi que tout le monde sache,
Puisque le feu d'amour, dont tu veux triompher,
Se montre d'autant plus qu'on le pense étouffer.
L'Amour est un enfant, nu, sans fard et sans
crainte ,
Qui se plaît qu'on le voie , et qui fuit la contrainte.
Force donc tout respect, ma chère fille , et croi
Que chacun est sujet à l'amour comme toi.
En jeunesse j'aimai ; ta mère fit de même ;
Lycandre aima Lysis , et Félisque Phylême :
Encore oit-on l'écho redire leurs chansons ,
Et leurs noms sur ces bois gravés en cent façons.
Même que penses-tu? Bérénice la belle ,
Qui semble contre Amour si fîère et si cruelle ?
2 0
2(JO MATHURIS REGNIER.
Me dit tout franchement en pleurant, l'autre jour,
Qu'elle étoit sans amant,mais non pas sans amour .
Telle encor qu'on me voit, j'aime de telle sorte ,
Que l'effet en. est vif , si la cause en est morte.
PHILIS.
Ha ! n'en dis davantage , et , de grâce , ne rends
Mes maux plus douloureux , ni mes ennuis plus
grands.
CLORIS.
D'où te vient le regret dont ton ame est saisie ?
Est-ce infidélité , mépris , ou jalousie ?
P HILIS.
Ce n'est ni l'un ni 1 autre ; et mon mal rigoureux
Excède doublement le tourment amoureux.
CLORIS.
Mais ne peut-on savoir le mal qui te possède ?
PHILIS.
A quoi serviroit-il , puisqu'il est sans remède ?
CLORIS.
Volontiers les ennuis s'allègent aux discours.
PHILIS.
Las ! je ne veux aux miens ni pitié , ni secours.
, clop. is.
La douleur que l'on cache est la plus inhumaine.
PHILIS.
Qui meurt en se taisant semble mourirsans peine.
CLORIS.
Peut-être en la disant te pourrai-je guérir.
POESIES DIVERSES. 2ijl
Y HILIS.
Tout remède est fâcheux alors qu'on veut mourir,
c loris.
Je crois lire en tes veux quelle est ta maladie.
PHILIS. j
Si tu la vois , pourquoi veux-tu que je la die ?
Aurai -je assez d'audace à dire ma langueur ?
Ha ! perdons le respect où j'ai perdu le cœur.
J'aime , j'aime , Cloris ; et cet enfant d Eryce ,
Qui croit que c'est pour moi trop peu que d'un
supplice ,
De deux traits qu'il tira des yeux de deux aman î s,
Cause en moi ces douleurs et ces gémissements :
Chose encore inouie , et toutefois non feinte ,
Et dont jamais bergère à ces bois ne s'est plainte î
CLORIS.
Scroit-il bien possible ?
r HILIS.
A mon dam tu le vois.
CLORIS.
Comment ! qu'on puisse aimer deux hommes à-
la-fois !
PHILIS.
Mon malheur en ceci n'est que trop véritable ;
Mais , las ! il est bien grand r puisqu'il n'est pas
croyable.
CLORIS.
Qui sont ces deux bergers dont ton cœur est
époint?
?(-)'£ MATHURIN REGITIER.
PHILIS.
Amynte et Philémon : ne les connois-tu point?
c LORIS.
Ceux qui lurent blessés lorsque tu fus ravie ?
PHILIS.
Oui, ces deux dont je tiens et l'honneur et la vie.
G LORIS.
J'en sais tout le discours; mais dis-moi seulement
Comme Amour , par leurs yeux, charma ton ju-
gement.
PHILIS.
Amour , tout dépité de n'avoir point de flèche
Assez forte pour faire en mon cœur une brèche ,
Voulant qu il ne fût rien dont il ne fût vainqueur,
Fit par les coups d'autrui cette plaie en mon cœur:
Quand ces bergers, navrés, sans vigueur, et sans
armes ,
Tout moites de leur sang , comme moi de mes
larmes ,
Près du Satire mort , et de moi , que l'ennui
Ptendoit en apparence aussi morte que lui ,
Firent voir à mes yeux , d'une piteuse sorte ,
Qu'autant que leur amour leur valeur étoit forte.
Ce traître , tout couvert de sang et de pitié ,
Entra dedans mon cœur sous couleur d'amitié ,
Et n'y fut pas plutôt , que , morte , froide , et
blême ,
Je cessai, tout en pleurs, d'être plus à moi-même.
POESIES DIVERSES. 2C)3
J'oubliai père et mère , et troupeau ] et maison.
Mille nouveaux désirs saisirent ma raison.
J'errois deçà , delà , furieuse , insensée ,
De pensers en penscrs s'égara ma pensée ;
Et comme la fureur étoit plus douce en moi,
Réformant mes façons, je leur donnois la loi.
J'accommodois ma grâce, agençois mon visage ;
Un jaloux soin de plaire excitoit mon courage ;
J'allois plus retenue , et composois mes pas ;
J'apprenois à mes yeux à former des appas ;
Je voulois sembler belle , et m'efiorçois à faire
Un visage qui pût également leur plaire :
Et lorsqu'ils me voyoient par basard tant soit peu,
Je frissonnois de peur, craignant qu'ils eussent
veu
(Tant j'étois en amour innocemment coupable)
Quelque façon en moi qui ne fût agréable.
Ainsi , toujours en transe en ce nouveau souci ,
Je disois à part moi : Las ! mon dieu ! qu'est ceci ?
Quel soin , qui de mon cœur s'étant rendu le
maître,
Fait que je ne suis plus ce que je soulois être ?
Mais, las ! en peu de temps je connus mon erreur»
Tardive connoissance à si prompte fureur \
J'aperçus, mais trop tard, mon amour vébémente,
Les connoissant amants, je me connus amante.
Depuis, de mes deux yeux le sommeil se bannit ,
La douleur de mon cœur mon visage fannit.
25,
%i)i MATHURO R-EGSIEK.
Du soleil , à regret , la lumière m'éclaire ,
Et rien que ces bergers au cœur ne me peut plaire.
Nos champs ne sont plus beaux; ces prés ne sont
plus^erts;
Ces arbres ne sont plus de feuillages couverts ;
Ces ruisseaux sont troublés des larmes que je
verse ;
Ces fleurs n'ont plus d'émail en leur couleur di-
verse ;
Leurs attraits si plaisants sont changés en hor-
reur ;
Et tous ces lieux maudits n'inspirent que fureur.
Ici , comme autrefois ? ces pâtis ne fleurissent ;
Comme moi, de mon mal, mes troupeaux s'a mai-
grissent ;
Et mon chien , m'aboyant , semble me reprocher
Que j'ai ore à mépris ce qui me fut si cher.
CLORIS.
Brûlent-ils comme toi d'amour démesurée ?
PHILIS.
Je ne sais ; toutefois j'en pense être assurée,
CLORIS.
L'amour se persuade assez légèrement.
PHILIS.
Mais ce que l'on désire on le croit aisément,
c l o it i s .
Le bon amour pourtant n'est point sans défiance.
PHILIS.
Je te dirai sur quoi j'ai fondé ma croyance.
FOJESIES DIVERSES. 20)5
Un jour, comme il advint qu'Amynte étant blessé,
Et qu'étant de sa plaie et d'amour oppressé ,
Ne pouvant clore l'œil , éveillé du martyre ,
Se plaignoit en pleurant d'un mal qu'il n'osoit
dire,
Je me mis à chanter; et le voyant gémir ,
En chantant, f invitois ses beaux yeux à dormir ;
Quand lui , tout languissant , tournant vers moi
sa tête ,
Qui sembloit un beau lys battu par la tempête ,
Me lançant un regard qui le cœur me fendit ,
D'une voix rauque et casse ainsi me répondit:
Philis , comme veux-tu qu'absent de toi je vive ;
Ou bien qu'en te voyant mon ame , ta captive ,
Trouve , pour endormir son tourment furieux ,
Une nuit de repos au jour de tes beaux yeux ?
Alors toute surprise en si prompte nouvelle ,
Je m'enfuis de vergogne où Philémon m'appelle,
Qui, navré, comme lui , de pareils accidents ,
Languissoit en ses maux trop vifs et trop ardents.
Moi , qu'un devoir égal à même soin invite,
Je m'approche de lui , ses plaies je visite ;
Mais , las ! en m' apprêtant à ce piteux dessein ,
Son beau sang qui s'émeut jaillit dessus mon sein ;
Tombant évanoui , toutes ses plaies s'ouvrent ,
Et ses yeux, confine morts, de nuages se couvrent,
Comme avecque mes pleurs je l'eus fait revenir ^
En me voyant sanglante en mes bras le tenir ?
2i)6 MATHURIK REGSIER.
Me dit : Belle Philis , si l'amour n'est un crime ,
Ne méprisez le sang qu'épand cette victime.
Ainsi de leurs deéseins je ne puis plus douter ;
Et lors, moi, que l'Amour oncque ne sut dompter,
Je me sentis vaincue , et glisser en mon ame ,
De ses propos si chauds et si brûlants de flamme ,
Un rayon amoureux qui m'enflamma si Lien ,
Que tous mes froids dédains n'y servirent de rien ,
Lors je m'encours de honte où la fureur m'em-
porte
N'ayant que la pensée et l'Amour pour escorte ;
Et suis comme la biche à qui l'on a percé
Le flanc mortellement d'un garot traversé ,
Qui fuit dans les forets , et toujours avec elle
Porte , sans nul espoir , sa blessure mortelle.
Las ! je vais tout de même , et ne m'aperçois pas,
O malheur! qu'avec moi je porte mon trépas.
CLORIS.
Si d'une même ardeur leur ame est enflammée ,
Te plains-tu d'aimer bien, et d'être bien aimée?
Tu les peux voir tous deux , et les favoriser.
PHILIS.
Un cœur se pourroit-il en deux parts diviser?
CLORIS.
Pourquoi non? c'est erreur de la simplesse hu-
maine ;
La foi n'est plus au cœur qu'une chimère vaine.
Tu dois , sans t'arrêter à la fidélité ,
POÉSIES DIVERSES. 3 J
Te servir des amants comme des fleurs d'été ,
Qui ne plaisent aux yeux qu'étant toutes nou-
velles.
Nous avons, de nature, au sein doubles mam-
melles ,
Deux oreilles , deux yeux , et divers sentiments ;
Pourquoi ne pourrions-nous avoir divers amants?
Combien en eonnoissé-je à qui tout est de mise .
Qui changent plus souvent d'amants que de che-
mise !
La grâce , la beauté , la jeunesse et l'amour ,
Pour les femmes ne sont qu'un empire d un jour,
En cor que d'un matin ; car , à qui bien y pense ,
Le midi n'est que soin , le soir que repentanee.
Puis donc qu'Amour te fait d'amants provision .
Use de ta jeunesse, et de l'occasion :
Toutes deux , comme un trait de qui Ton j^erd la
trace ,
S'envolent . ne laissant qu'un regret à leur place.
Mais si ce procéder encore t'est nouveau ,
Choisis lequel des deux te semble le plus beau.
PHILIS.
Ce remède ne peut à mon mal satisfaire.
Puis Nature et l'Amour me défend de le faire.
En un choix si douteux s'égare mon desïr.
Ils sont tous deux si beaux . qu'on n'y peut que
choisir.
L'un est brun ; h autre blond ; et son poil qui se
dore
298 MATIIUKI±\ REGUIER.
En filets blondissants est semblable à l'Aurore ,
Quand , tout échevelée , à nos yeux souriant ,
Elle émaille de fleurs les portes d'Orient.
Cette bouche si belle et si pleine de charmes ,
Où l'Amour prend le miel dont il trempe ses
armes ;
Ces beaux traits de discours , si doux et si puis-
sants ,
Dont l'Amour par l'oreille assujettit mes sens ,
À ma f oible raison font telle violence ,
Qu'ils tiennent mes désirs en égale balance :
Car si de l'un des deux je me veux départir ,
Le ciel , non plus que moi , ne peut y consentir.
Mais si l'un est pareil à l'Aurore vermeille ,
L'autre, en son teint plus brun , a la grâce pareille
A l'astre de Vénus , qui doucement reluit
Quand le soleil tombant dans les ondes s'enfuit .
Sa taille haute et droite , et d'un juste corsage ,
Semble un pin qui s'élève au milieu d'un bocage;
Sa bouche est de corail , où l'on voit au-dedans ,
Entre un plaisant souris , les perles de ses dents ,
Qui respirent un air embaumé d'une haleine
Plus douce que l'œillet , ni que la marjolaine.
C'est enfin, comme l'autre, un miracle des cieux.
Mon ame, pour les voir, vient toute dans mes yeux.
Laisser l'un, prendre l'autre, ô dieux ! est-il pos-
sible?
Ce seroit , les aimant , un crime irrémissible.
POESIES DIVERSES. 2<jy
Ils sont tous deux égaux de mérite et de foi.
Las ! je n'aime rien qu'eux , ils n'aiment rien que
moi.
Tous deux pour me sauver hasardèrent leur vie;
Ils ont même dessein, même amour, même envie.
De quelles passions me senté-je émouvoir !
L'amour , l'honneur , la foi , la pitié , le devoir,
De divers sentiments également me troublent ,
Et, me pensant aider, mes angoisses redoublent ;
Car si , pour essayer à mes maux quelque paix ,
Parfois oubliant l'un , en l'autre je me plais ,
L'autre, tout en colère à mes yeux se présente ,
Et, me montrant ses coups, sa chemise sanglante,
Son amour , sa douleur , sa foi , son amitié ,
Mon cœur se fend d amour , et s'ouvre à la pitié.
Las ! ainsi combattue en cette étrange guerre ,
Il n'est grâce pour moi au ciel ni sur la terre.
EPI G RAM ME S.
I.
SUR LE PORTRAIT d'uïï POETE C O URO W tf É.
VJT r a v e u r , vous deviez avoir soin
De mettre dessus cette tête ,
Voyant qu'elle étoit d'une bête,
Le lien d'un botteau de foin.
3oo MATHURIN REGNIER.
II.
I^E DIEU D'AMOUR.
Le âieu d'amour se pourroit peindre
Tout aussi grand qu'un autre dieu ,
N'étoit qu'il lui suffit d'atteindre
Jusqu'à la pièce du milieu.
III.
LES CONTRETEMPS.
Lorsque j'étois comme inutile
Au plus doux passetemps d'amour ,
J'avois un mari si habile
Qu'il me caressait nuit et jour.
Ores celui qui me commande
Gomme un tronc gît dedans le lit ;
Et maintenant que je suis grande ,
Il se repose jour et nuit.
L un fut trop vaillant en courage ,
Et l'autre est trop alangouri.
Amour , rends-moi mon premier âge ,
Ou me rends mon premier mari.
POÉSIES DIVERSES. 3o
IV.
LISETTE TUEE FAR ROBIN.
Lisette, à qui 1 on faîsoit tort ,
Vint à Robin tout éplorée ,
Et lui dit: Donne-moi la mort,
Que tant de fois j'ai désirée.
Lui, qui ne la refuse en rien ,
Tire son. . . vous m'entendez bien ;
Puis au bas du ventre la frappe.
Elle , qui veut finir ses jours ,
Lui dit: Mon cœur , pousse toujours ,
De crainte que je n'en réchappe.
Maïs Robin , las de la servir ,
Craignant une nouvelle plainte ,
Lui dit: Hâte-toi de mourir ,
Car mon poignard n'a plus de pointe.
STANCES.
VJuind sur moi je jette les yeux ,
A trente ans me voyant tout vieux ,
Mon cœur de frayeur diminue:
Etant vieilli dans un moment ,
Je ne puis dire seulement
Que ma jeunesse est devenue.
Du berceau courant au cercueil ,
26
3o3 MATHURI5 RE G K 1ER.
Le jour se dérobe à mon œil ,
Mes sens troublés s'évanouissent.
Les nommes sont comme des fleurs ,
Qui naissent et vivent en pleurs ,
Et d'heure en heure se fanissent.
Leur âge , à l'instant écoulé
Comme un trait qui s'est envolé ,
Ne laisse après soi nulle marque ;
Et leur nom ? si fameux ici ,
Sitôt qu'ils sont morts meurt aussi ,
Du pauvre autant que du monarque.
N'aguères , verd , sain etjpuissant
Comme un aubepin florissant
Mon printemps étoit délectable.
Les plaisirs logeoient en mon sein ;
Et lors étoit tout mon dessein
Du jeu d'amour et de la table.
Mais , las ! mon sort est bien tourné ?
Mon âge en un rien s'est borné ;
Foible languit mon espérance.
En une nuit , à mon malheur ,
De la joie et de la douleur
J'ai bien appris la différence !
Ha ! pitoyable souvenir !
Enfin, que dois-je devenir?
Où se réduira ma constance ?
POESIES DIVERSES. G,
Etant jà défailli de cœur ,
Qui me don ra de la vigueur
Pour durer en la pénitence ?
Qu'est-ce de moi ? Foible est ma main ;
Mon courage, hélas ! est humain ;
Je ne suis de fer , ni de pierre.
En mes maux montre-toi plus doux ,
Seigneur; aux traits de ton courroux
Je suis plus fragile que verre.
Le soleil fléchit devant toi ;
De toi les astres prennent loi ;
Tout fait joug dessous ta parole :
Et cependant tu vas dardant
Dessus moi ton courroux ardent ,
Qui ne suis qu'un bourrier qui vole.
Mais quoi ! si je suis imparfait ?
Pour me défaire m'as-tu fait?
Ne sois aux pécheurs si sévère.
Je suis homme, et toi Dieu clément!
Sois donc plus doux au châtiment ,
Et punis les tiens comme père.
Le tronc de branches dévêtu ,
Par une secrette vertu
Se rendant fertile en sa perte ,
De rejetons espère un jour
Oo\ M AT H UR IN REGNIER.
Ombrager les lieux d'alentour ,
Reprenant sa perruque verte.
Où , l'homme en la fosse couché ,
Après que la mort l'a touché ,
Le cœur est mort comme l'écorce :
Encor l'eau reverdit le bois ;
Mais l'homme étant mort une fois ,
Les pleurs pour lui n'ont plus de force.
HYMNE
SUR LA NATIVITÉ.
DE NOTRE SEIGNEUR,
fait par le commandement du roi Louis XIII,
pour sa musique de la messe de minuit.
Jlour le salut de l'univers
Aujourd'hui les cieux sont ouverts ;
Et par une conduite immense ,
La grâce descend dessus nous.
Dieu change en pitié son courroux ,
Et sa justice en sa clémence.
Le vrai fils du Dieu tout-puissant
Au fils de l'homme s'umssant
En une charité profonde ,
Encor qu'il ne soit qu'un enfant,
POÉSIES DIVERSES. 3o5
Victorieux et triomphant,
De fers affranchit tout le monde.
Ses oracles sont accomplis ;
Et ce que, par tant de replis
D'âge , promirent les prophètes
Aujourd'hui se finit en lui ,
Qui vient consoler notre ennui ,
En ses promesses si parfaites.
Grand roi, qui daignas en naissant
Sauver le monde périssant ,
Comme père, et non comme juge ,
De grâce comblant notre roi ,
Fais qu'il soit des méchants 1 effroi ,
Et des bons l'assuré refuge.
SONNET.
\_J Dieu ! si mes péchés irritent ta fureur ,
Contrit, morne et dolent, j'espère en ta clémence.
Si mon deuil ne suffit à purger mon offense ,
Que ta grâce y supplée, et serve à mon erreur.
Mes esprits éperdus frissonnent de terreur ;
Et ne voyant salut que par la pénitence ,
Mon cœur , connue mes yeux , s'ouvre à la repcn-
tance ;
Et me hais tellement que je m'en fais horreur.
26.
3o6 MATHUllIJV REGNIER.
Je pleure le présent , le passé je regrette ;
Je crains à l'avenir la faute que j'ai faite :
Dans mes rebellions je lis ton jugement.
Seigneur, dont la bonté nos injures surpasse ,
Comme de père à fils uses-en doucement.
Si j'avois moins failli, moindre seroit ta grâce.
COMMENCEMENT
D'UN POEME SACRE.
J 'ai le cœur tout ravi d'une fureur nouvelle ,
Or qu en un saint ouvrage un saint démon m'ap-
pelle ,
Qui me donne l'audace , et me fait essayer
Un sujet qui n'a pu ma jeunesse effrayer.
Toi dont la providence, en merveilles pro-
fonde ,
Planta dessus un rien les fondements du monde ,
Et, baillant à chaque être et corps et mouve-
ments ,
Sans matière donna la forme aux éléments ;
Donne iorce à ma verve , inspire mon courage ;
A ta gloire, ô Seigneur, j'entreprends cet ou-
vrage.
Avant que le soleil eût enfanté les ans ;
Que tout n'êtoit qu'un rien ; et que même le
temps ,
POESIES DIVERSES. 3oj
Confus, n'étoit distinct en trois diverses faces;
Que les cieux ne tournoient un chacun en leurs
places ,
Mais seulement sans temps , sans mesure a et sans
lieu ;
Que , seul parfait en soi , régnoit l'esprit de D ieu ,
Et que dans ce grand vide , en majesté superbe ,
Etoit l'être de l'être en la vertu du Verbe ;
Dieu, qui forma dans soi de tout temps l'univers ,
Parla : quand , à sa voix , un mélange divers. . . .
FIN.
VOCABULAIRE
DES POESIES
CONTENUES DANS CE VOLUME.
Al bayer, convoiter, aspirer.
Accointance, liaison intime.
Accort , te, adroit, poli, complaisant,
Admonester , reprendre , remontrer.
Agencer, ajuster, parer.
Aguet , embûche , subtilité.
Aheurter , obstiner,, contrarier.
Ains, mais , avant , jamais , plutôt.
Alangouri , engourdi , languissant.
Anguillade ( donner 1' ) allusion aux coups appliqués
avec uue peau d'anguille , ou une courroie qui y
ressembloit t et dont on frappoit à Rome les jeunes
nobles lorqu'ils étoient en faute. Plin.
Arondelle , hirondelle.
Arser , flamboyer , briller.
Attifer , parer , ajuster.
Ittraire , attirer , amorcer.
Aucunefois , quelquefois.
Avaler , descendre , abaisser.
Aviser, regarder, considérer, instruire.
Balandran , casaque de campagne, sorte de man-
teau.
0>IO VOCABULAIRE.
Déduit, passe-temps, plaisir.
Départir, séparer, partager, distribuer.
Desparié, dépareillé.
Deuls , voyez Douloir.
Devine, sorcière.
Deviser , raconter , discourir.
Dévoyé , hors de la voie , égaré.
Dextre , main droite , droit.
Dextrement , adroitement.
Dilatant, irrésolu, qui prend des délais.
Double , monnoie de cuivre qui valoit deux deniers.
Douloir, souffrir, se plaindre.
Droiturier, équitable, sincère.
Duire , conduire, accoutumer, convenir.
Election, choix.
Enamouré , amoureux.
EncastelÉ , boiteux ; il se dit d'un cheval dont les
talons pressent le petit pied.
Enfieler , mêler de fiel.
Engraver , graver , imprimer.
Enhan , bruit criard.
Entrant , hardi , entreprenant.
Epandre , répandre , verser, éparpiller.
Epoindre , piquer , élancer.
Eprendre , brûler , enflammer.
Es , au , en , dans.
Estriver , disputer , contrarier.
Etranger, écarter, abandonner.
Extrémité , extrême .
Fait , faîte , comble.
VOCABULAIRE. 3ll
Fallace , tromperie , ruse , trahison.
Fannir , rendre fané.
Faquin , mannequin contre lequel on couroit avec
une lance pour s'exercer.
Feintise , feinte , déguisement.
Figue , (faire la) se moquer, narguer, faire la moue.
Fors , hormis , excepté.
Franchise, affranchissement, liberté.
Gardon, petit poisson.
Garir , guérir , préserver.
Garot , bâton , bois d'une lance.
Genêt, sorte de petit cheval espagnol, très -prompt
à la course.
Grand , adjectif commun.
Guerdon , loyer, salaire, récompense.
Guerrier , ennemi.
Heur , bonheur.
Housse , botte , guêtre.
Huis, porte, entrée.
ïmpitiÈ, cruauté, sans pitié.
Instablement , d'une manière qui n'est pas stable.
Inciter, exciter, pousser.
Ire , colère.
Ja , déjà , alors , et.
Langard, bavard, indiscret.
Léger ( de ) légèrement.
Licantropie , maladie de celui qui croit être loirn.
Liesse , joie , plaisir.
3i
TOCABULAIR E.
Limestre, serge.
Loyer , salaire , récompense.
Luiteur , lutteur.
Maie, méchant, mauvais.
Marine , mer.
Matelineur , capricieux i fou.
Maugréer , blasphémer , faire des imprécations , en-
rager.
Mauvaistié , méchanceté , malice.
Médard , (ris de S. ) ris forcé.
Menestre , de l'italien minestra, soupe.
Minuter , projeter.
Montre , apparence.
Monument , tombeau.
Mousse , émoussé.
Navrer, blesser.
Nicette , ingénue , naïve , candide .
Nuisance, dommage.
Ocieux , oisif, tranquille.
Onc , oncques , autrefois , avec la négation, jamais.
Or , ores , présentement , à l'heure.
Ou , tandis que.
Parfi.it , à la fin, pour la conclusion.
Partir , séparer , diviser.
Passe-volant , homme qui passe en revue sans être
enrôlé.
Patis , pré , pacage.
Pedetentim , pié-à-pié, tout doucement.
Pitoyable , qui a de la pitié.
VOCABULAIRE. 3l3
Pointure , blessure , piqûre.
Pommade , tour qu'on fait en voltigeant et en se sou-
tenant d'une main sur le pommeau de la selle du
cheval.
Portuaire , peindre , faire le portrait.
Quaymande, mendiante .
Quen aille , canaille.
Quinaud , de, confus, attrapé.
Quintaine , mannequin contre lequel on s'exerce à
courir avec la lance , but, poteau auquel on tire au
blanc.
Rais , rayon de lumière.
Rancoeur, rancune , haine cachée.
Rf.bec , sorte de violon.
RecipÉ , remède 7 ordonnance.
Remeugle , pour remugle ^ rance , odeur fétide.
Rengreger , aggraver.
Renouveau, printemps.
Ressentiment, ressouvenir, reconnoissance.
Sacrer, consacrer.
Sade, gentil, propre.
Sagette , flèche.
Serf , ve , esclave.
Si, cependant, pourtant.
Sonner, chanter, dire.
Soudart , soldat.
Souloir \ avoir coutume,
Teston, pièce de monnoie d'argent.
Tinel , salle du commun , office.
27
3l4 VOCABULAIRE.
Tins , pour tenu.
Triacleur , charlatan.
Venelle, passage étroit.
Vercoquin , caprice , humeur.
Verd , (laisser sur le) négliger, abandonner.
Vergogne , pudeur.
Vert, (sans) au dépourvu.
Villanelle , sorte de chanson.
Virer , tourner.
TABLE GENERALE
DES MATIÈRES
CONTENUES DANS CE VOLUME,
ŒUVRES CHOISIES DE DESPORTES.
i5 otice sur Philippe Desportes. Page j
AMOURS DE DIANE,
Sonnet. u
Chant d'Amour, 12
Sonnet. !^
Chanson. ibid.
Sonnet. x5
Plainte. ï6
Sonnet. j„
Chanson . ibid.
De la Jalousie. Xq
Sonnet. ^
Chanson. 2I
Plainte.
22
Prière au Sommeil 23
Sonnet.
24
Songe, ibid.
3l6 TABLE GÉNÉRALE
Rimes tierces. page 25
Contre Amour. / 26
Sur la mort de Diane. Sonnet. 28
AMOURS D'HIPPQkYTE.
Chanson. 20
Chanson. 3o
Sonnet. 3r
Chanson . ibid.
Sonnet. 33
Chanson. 34
élégie. 35
Chanson. 3?
CLÉONICE, Derrières Amours.
Chanson. 38
Épigramme. ibid.
Stances. 3t)
Ode. 4.0
POÉSIES DIVERSES.
Chanson. 42
Adieu à la Pologne. 44
j£pi gramme. 46
Stances du Mariage. ibid.
Chanson. 49
.Élégie. 5o
Yillanelle. 5 A
Épigramme. 55
Contre une nuit trop daire. ibid
Chanson. 5j
DES MATIÈRES. 3l7
Elégie. page 58
Epigramme. 60
Chanson. *«*.
Baiser. 62
Villanelle. 63
Sonnet Spirituel. 65
Ode Sacrée. #**
OEUVRES CHOISIES DE BERTAUT.
Notice sur Jean Bertaut. 71
POÉSIES DIVEPvSES.
Stances. 83
Dialogue , Damon et Panopêe. 84
Chanson. 87
Défense de l'Amour. 88
Stances. 8g
Sonnet sur les statues de marbre et de bronze du
Jardin de Fontainebleau. ibid.
Stances. go
Chanson. gi
Sonnet à Henri IV, sur la réduction de Paris en
son obéissance. g2
Chanson. ibid.
Bourgueil, à monseigneur le cardinal de Bourbon. g4
Chanson. 97
Chanson. 98
Chanson. gg
Stances. 101
Cantique. 102
3l8 TABLE GÉNÉRALE
Paraphrase du psaume CXLVIÎ. page 104
Paraphrase du psaume CXXXVI. 106
OEUVRES CHOISIES DE REGNIER.
Notice sur Mathurin Régnier. 112
Satire I. Discours au roi. 117
Sat. II. A M. le comte Caramain. Les Poètes. 122
Sat. III. A M. le marquis de Cœuvres. La Vie
de la Cour. i3i
Sat. IV. A M. Mo tin. La Poésie toujours pauvre. i3q,
Sat. V. A M. Bertaut, évêque de Séez. Le Goût
particulier décide de tout. 14^
Sat. VI. A M. de Béthune. L'Honneur , ennemi
de la <vie. l53
Sat. VII. A M. le marquis de Cœuvres. L'Amour
qu'on ne peut dompter. 161
Sat. VIII. A M. l'abbé de Beaulieu. L'Importun
ou le Fâcheux. , 167
Sat. IX. A M. Rapin. Le Critique outré, 176
Sat. X. Le Souper ridicule. 187
Sat. XI. Suite. Le Mauvais Gîte. 201
Sat. XII. A M. Freminet. Régnier, apologiste de
soi-même. 2i5
Sat. XIII. Macette, ou l'Hypocrisie déconcertée. 221
Sat. XIV. La Folie est générale. 233
Sat. XV. Le Poète malgré soi. 240
Sat. XVI. Ni crainte ni espérance. 248
Epitre I. Discours au roi. 2.53
Epit. II. A 31. de Forquevaus. 261
Epit. III. 265
DES MATIÈRES. 3lg
Elégie zélotypique.- page 267
Eleg. sur le même sujet. 2;3
Eleg. Impuissance. 275
Eleg. composée pour Henri IV. 27g
Stances. 282
Stances , Centre un Amoureux transi. 286
Dialogue , Cloris etPhilis. 188
Epigrammes. I. Sur le Portrait d'un poète couronné . 29c)
II. Le Dieu d'Amour, 3oo
III. Les Contretemps, ibid.
IV. Lisette tuée par Robin. Soi
Stances. ibid.
Hymne sur la nativité de Nôtre-Seigneur. 3o4
Sonnet. 3o5
Commencement d'un poème sacré. 3o6
Vocabulaire. 3oq
FIN DE LA TABLE,
VICTOR MASSON,
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CLASSIQUES FRANÇAIS.
Il paraît un voîurpe tous les samedis.
CHAQUE VOLUME SE VEND SEPAREMENT.
liste des principaux Ouvrages qui composeront
la collection.
J. Racine. Théâtre. . « .
L. Racine, la Religion. . .
Boileau
Fénélon. Té'émaque. . . .
P. et Th. Corneille. . . .
Crébillon. ........
Molière. .......
Regnard
La Fontaine. Fables. . . .
— Théâtre
J.-B, Rousseau ,
Bossuet. Oraisons funèbres.
— Histoire universelle. . ,
Massillon. Petit Carême.
Flé^tiier. Oraisons fun. , frtc
Montesquieu. Esprit des lois
— Grandeur des Romains. • .
— Lettres persanes. . .
— OEuvres mêlées , etc.
Voltaire. Henriade. , .
— Théâtre
— Poèmes »
— Siècle de Louis XIV, etc.
— Charles XF1. . . .
— Histeire *'.e Russie. .
— Essai sur Hè mœurs. .
On peut se procurer dès à
— Dictionnaire philosoph. 14
— Mélanges historiques. . 6
J -J. Rousseau. Emile. . 4
Labruyère. Caractères. . 3
Pascal. Les Provinciales. 3
La Rochefoucauld. Maxim. 1
Nicole. Pensées. . . . 1
Lesage. Gil Blas. . . .5
— Diable JRoiteux. ... 2
Florian Gonzalve de Cord. 2
Vertot. Révolut. romaine.
— Révolut. de Suède. .
— Révolut. de Portugal. .
S. Real. Conj. cont. Venise.
Malherbe. , . . . ...
Clément Marot. . . .
Régnier
Gresset. . .....
Beaumarchais. .... 3
Piron . . . 1
Bernard. , . . , , . 1
Dufresny. . . . , 2
Dubelloy. .».,,.. 2
Colardeau. ; . , . . 1
Favart. ...... 3
Sedaine. ...... 3
présent des collections complètes.
On trouve à la même Librairie
La Fontaine. Contes. .
Voltaire. Contes en vers
— Pucelle. ....
— Romans. ....
Classique
Virgilîus. . « . ... .
Phaedrus. . ,
Horatius
Cornet. Nepos
Sallustius. .......
TheVicarofWakefield. * .
Rousseau. Nouv. Tléioïse.
— Les Confessions. .
Prévost. Manon Lescaut.
étrangers.
LeltersofjVîontagne. . ,
The Sentimental Journry.
Fables by Gay and Moore.
Amini» di Tasso. . . .
Gerusalemnif liberata.
u Ja'3;
Deacidified using the Bookkeeper process.
Neutra!izing agent: Magnésium Oxide
Treatment Date: Jan. 2008
PreservationTechnologies
A WORLD LEADER IN COLLECTIONS PRESERVATION
111 Thomson Park Drive
Cranberry Tcwnship, PA 16066
(724)779-2111