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Full text of "Oeuvres choisies de N. Chamfort"

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ŒUVRES  CHOISIES 


DE 


N.    CHAMFORT 


OEUVRES  CHOISIES 


DE 


N.  CHAMFORT 


PUBLIEES 
AVEC  PRÉFACE,   NOTES  ET  TABLES 

PAR 

M.   DE   LESCURE 


TOME    SECOND 


PARIS 

LIBRAIRIE    DES    BIBLIOPHILES 

Rue    Saint-Honoré ,    3  38 


M    DCCC    LXXIX 


\\7^ 


PORTRAITS  ET  CARACTERES 

ANECDOTES  ET  BONS  MOTS^ 


M.  de  Voltaire,  passant  par  Soissons,  reçut  la 
visite  des  députés  de  l'Académie  de  Soissons,  qui 
disoient  que  cette  académie  étoit  la  fille  aînée  de 
l'Académie  Françoise.  «  Oui,  Messieurs,  répondit- 
il,  la  fille  aînée,  fille  sage,  fille  honnête,  qui  n'a 
jamais  fait  parler  d'elle.  » 

On  disoît  à  M...  académicien  :  «  Vous  vous 
marierez  quelque  jour.  »  Il  répondit  :  «  J'ai  tant 
plaisanté  TAcadémie,  et  j'en  suis;  j'ai  toujours 
peur  qu'il  ne  m'arrive  la  même  chose  pour  le  ma- 
riage. » 

1 .  L'astérisque  indique  les  morceaux  inédits, 
Chamfort.  II.  1 


2  PORTRAITS     ET    CARACTERES 

On  parloit  de  la  dispute  sur  la  préférence  qu'on 
devoit  donner,  pour  les  inscriptions,  à  la  langue 
latine  ou  à  la  langue  Françoise,  a  Comment  peut-il 
y  avoir  une  dispute  sur  cela  dit  M.  B...?  — Vous 
avez  bien  raison,  dit  M.  T...  —  Sans  doute,  re- 
prit M.  B...;  c'est  la  langue  latine,  n'est-il  pas 
vrai?  —  Point  du  tout,  dit  M.  T...,  c'est  la  langue 
Françoise.  » 

«  J'appelle  un  honnête  homme  celui  à  qui  le 
récit  d'une  bonne  action  rafraîchit  le  sang,  et  un 
malhonnête  celui  qui  cherche  chicane  à  une  bonne 
action.  »  C'est  un  mot  de  M.  de  Mairan. 

Un  certain  Marchand,  avocat,  homme  d'esprit, 
disoit  :  «  On  court  les  risques  du  dégoût  en  voyant 
comment  Tadministration,  la  justice  et  la  cuisine  se 
préparent.  » 

Un  homme  dé  lettres  menoit  de  front  un  poëme 
et  une  affaire  d'où  dépendoit  sa  fortune.  On  lui 
demandoit  comment  alloit  son  poëme.  «  Deman- 
dez-moi plutôt,  dit-il,  comment  va  mon  affaire.  Je 
ne  ressemble  pas  mal  à  ce  gentilhomme  qui,  ayant 
une  affaire  criminelle,  laissoit  croître  sa  barbe,  ne 
voulant  pas,  disoit-il,  la  faire  faire  avant  de  savoir 
si  sa  tête  lui  appartiendroit.  Avant  d'être  immor- 
tel, je  veux  savoir  si  je  vivrai.  » 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  3 

Une  femme  parloit  emphatiquement  de  sa  vertu, 
et  ne  vouloit  plus,  disoit-elle,  entendre  parler 
d'amour.  Un  homme  d'esprit  dit  là-dessus  :  «  A 
quoi  bon  cette  forfanterie?  Ne  peut-on  pas  trouver 
un  amant  sans  dire  tout  cela?  » 

M.  le  chancelier  d'Aguesseau  ne  donna  jamais  de 
privilège  pour  l'impression  d'aucun  roman  nou- 
veau, et  n'accordoit  même  de  permission  tacite 
que  sous  des  conditions  expresses.  Il  ne  donna  à 
l'abbé  Prévost  la  permission  d'imprimer  les  pre- 
miers volumes  de  Cleveland  que  sous  la  condition 
que  Cleveland  se  feroit  catholique  au  dernier  vo- 
lume. 

M.  d'Alembert  eut  occasion  de  voir  madame 
Denis  le  lendemain  de  son  mariage  avec  M.  du 
Vivier.  On  lui  demanda  si  elle  avoit  l'air  d'être 
heureuse.  «  Heureuse!  dit-il,  je  vous  en  réponds; 
heureuse  à  faire  mal  au  cœur.  » 

«  Comment  trouvez-vous  M.  de...?  —  Je  le 
trouve  très-aimable;  je  ne  l'aime  point  du  tout.  » 
L'accent  dont  le  dernier  mot  fut  dit  marquoit  très- 
bien  la  différence  de  l'homme  aimable  et  de  l'homme 
digne  d'être  aimé. 

La  jeune  madame  de  M...,  étant  quittée  par  le 


4  PORTRAITS    ET     CARACTERES 

vicomte  de  Noailles,  étoit  au  désespoir,  et  disoit  : 
<(  J'aurai  vraisemblablement  beaucoup  d'amans; 
mais  je  n'en  aimerai  aucun  autant  que  j'aime  le  vi- 
comte de  Noailles.  » 

Le  marquis  de  Villequier  étoit  des  amis  du  grand 
Condé.  Au  moment  où  ce  prince  fut  arrêté  par 
ordre  de  la  cour,  le  marquis  de  Villequier,  capi- 
taine des  gardes,  étoit  chez  madame  de  Motte- 
ville  lorsqu'on  annonça  cette  nouvelle.  «  Ah!  mon 
Dieu!  s'écria  le  marquis,  je  suis  perdu!  »  Madame 
de  Motteville,  surprise  de  cette  exclamation,  lui 
dit  :  «  Je  savois  bien  que  vous  étiez  des  amis  de 
M.  le  prince;  mais  j'ignorois  que  vous  fussiez  son 
ami  à  ce  point.  —  Comment!  dit  le  marquis  de 
Villequier,  ne  voyez-vous  pas  que  cette  exécution 
me  regardoit;  et,  puisqu'on  ne  m'a  point  employé, 
n'est-il  pas  clair  qu'on  n'a  nulle  confiance  en  moi?  » 
Madame  de  Motteville,  indignée,  lui  répondit  : 
«  Il  me  semble  que,  n'ayant  point  donné  lieu  à  la 
cour  de  soupçonner  votre  fidélité,  vous  devriez 
n'avoir  point  cette  inquiétude,  et  jouir  tranquille- 
ment du  plaisir  de  n'avoir  point  mis  votre  ami  en 
prison.  »  Villequier  fut  honteux  du  premier  mou- 
vement, qui  avoit  trahi  la  bassesse  de  son  àme. 

M.  de  La  Popehnière  se  déchaussoit  un  soirde- 
vant  ses  complaisans,  et  se  chauiîoit  les  pieds;  un 


ANECDOTES    ET    BONS     MOTS  5 

petit  chien  les  lui  léchoit.  Pendant  ce  temps-là,  la 
société  parloit  d'amitié,  d'amis  :  «  Un  ami,  dit 
M.  de  La  Popelinière  montrant  son  chien,  le 
voilà.  »    . 

M.  de  B.  et  M.  de  C.  sont  intimes  amis  au 
point  d'être  cités  pour  modèles.  M.  de  B.  disoit 
un  jour  à  M.  de  C.  :  «  Ne  t'est-il  point  arrivé  de 
trouver,  parmi  les  femmes  que  tu  as  eues,  quelque 
étourdie  qui  t'ait  demandé  si  tu  renoncerois  à  moi 
pour  elle,  si  tu  m'aimois  mieux  qu'elle?  —  Oui, 
répondit  celui-ci.  —  Qui  donc?  —  Madame  de 
M...  »  C'étoit  la  maîtresse  de  son  ami. 

M.  de  B.. .  voyoitmadame  de  L...  tous  les  jours; 
le  bruit  courut  qu'il  alloit  l'épouser.  Sur  quoi,  il 
dit  à  l'un  de  ses  amis  :  «  Il  y  a  peu  d'hommes 
qu'elle  n'épousât  pas  plus  volontiers  que  moi,  et 
réciproquement  :  il  seroit  bien  étrange  que,  dans 
quinze  ans  d'amitié,  nous  n'eussions  pas  vu  com- 
bien nous  sommes  antipathiques  l'un  à  l'autre.  » 

«  Je  repousse,  disoit  M...,  les  bienfaits  de  la 
protection.  Je  pourrois  peut-être  recevoir  et  ho- 
norer ceux  de  l'estime;  mais  je  ne  chéris  que  ceux 
de  l'amitié.  » 

La  nature,  en  nous  accablant  de  tant  de  misères, 


6  PORTRAITS     ET    CARACTERES 

et  en  nous  donnant  un  attachement  invincible  pour 
la  vie,  semble  en  avoir  agi  avec  l'homme  comme 
un  incendiaire  qui  mettroit  le  feu  à  notre  maison 
après  avoir  posé  des  sentinelles  à  notre  porte.  Il 
faut  que  le  danger  soit  bien  grand  pour  nous  obli- 
ger à  sauter  par  la  fenêtre. 

Le  jour  de  la  mort  de  madame  de  Châteauroux, 
Louis  XV  paroissoit  accablé  de  chagrin;  mais  ce 
qui  est  extraordinaire,  c'est  le  mot  par  lequel  il  le 
témoigna  :  Etre  malheureux  pendant  quatre-vingt- 
dix  ans  !  car  je  suis  sûr  que  je  vivrai  jusque-là.  Je 
l'ai  ouï  raconter  par  madame  de  Luxembourg,  qui 
l'entendit  elle-même,  et  elle  ajoutoit  :  «  Je  n'ai 
raconté  ce  trait  que  depuis  la  mort  de  Louis  XV.  » 
Ce  trait  méritoit  pourtant  d'être  su,  pour  le  sin- 
gulier mélange  qu'ail  contient  d'amour  et  d'égoïsme. 

M.  de  L...  me  disoit,  relativement  au  plaisir  des 
femmes,  que,  lorsqu'on  cesse  de  pouvoir  être  pro-- 
digue,  il  faut  devenir  avare,  et  qu'en  ce  genre, 
celui  qui  cesse  d'être  riche  commence  à  être  pauvre. 
«  Pour  moi,  dit-il,  aussitôt  que  j'ai  été  obligé  de 
distinguer  entre  la  lettre  de  change  payable  à  vue 
et  la  lettre  payable  à  échéance,  j'ai  quitté  la 
banque.  » 

M...,  à  qui  on  offroit  une  place  dont  quelques. 


ANECDOTES    ET    BONS    MOTS  n 

fonctions  blessoient  sa  délicatesse,  répondit:  «Cette 
place  ne  convient  ni  à  l'amour-propre  que  je  me 
permets  ni  à  celui  que  je  me  commande.  » 

«  L'homme,  disoit  M...,  est  un  sot  animal,  si 
j'en  juge  par  moi.  » 

Voltaire  disoit,  à  propos  de  V Anti-Machiavel  du 
roi  de  Prusse  :  «  Il  crache  au  plat  pour  en  dégoû- 
ter les  autres.  » 

Un  homme  disoit  à  table  :  «  J'ai  beau  manger, 
je  n'ai  plus  faim.  » 

Une  femme  d'esprit,  voyant  à  l'Opéra  une  Ar- 
mide  difforme  et  un  Renaud  fort  laid,  dit  :  «  Voilà 
des  amans  qui  ne  paroissent  pas  s'être  choisis,  mais 
s'être  restés  quand  tout  le  monde  a  fait  un  choix.  » 

M.  d'Argenson,  apprenant,  à  la  bataille  de  Rau- 
coux,  qu'un  valet  d'armée  avoit  été  blessé  d'un 
coup  de  canon  derrière  l'endroit  où  il  étoit  lui- 
même  avec  le  roi,  disoit  :  «  Ce  drôle-là  ne  nous 
fera  pas  l'honneur  d'en  mourir.  » 

On  offroit  à  M...  une  place  lucrative  qui  ne  lui 
convenoit  pas.   Il  répondit  :    «  Je  sais   qu'on  vit 


8  PORTRAITS     ET    CARACTERES 

avec  de  l'argent  ;  mais  je  sais  aussi  qu'il  ne  faut  pas 
vivre  pour  de  l'argent.  » 

M.  d'Argenson  disoit  à  M.  le  comte  de  Sé- 
bourg,  qui  étoit  l'amant  de  sa  femme  :  «  Il  y  a 
deux  places  qui  vous  conviendroient  également:  le 
gouvernement  de  la  Bastille  et  celui  des  Invalides. 
Si  je  vous  donne  la  Bastille,  tout  le  monde  dira 
que  je  vous  y  ai  envoyé;  si  je  vous  donne  les  In- 
valides, on  croira  que  c'est  ma  femme.  » 

*  Le  petit  père  André,  s'étant  avisé  de  pro- 
mettre au  prince  de  Condé  de  prêcher  impromptu 
sur  tel  sujet  qu'on  lui  donneroit  sur-le-champ,  le 
prince,  le  lendemain,  lui  envoya  un  Priape  pour 
texte  de  son  sermon.  Le  prédicateur  reçut  ce  beau 
sujet  étant  dans  sa  sacristie,  et,  montant  en  chaire, 
il  commença  ainsi:  «  Un  grand  vit  dans  l'opulence, 
et  les  pauvres,  les  frères  de  Jésus-Christ ,  expirent 
de  misère,  etc..  » 

M...  disoit  qu'il  y  avoit  tels  ou  tels  principes 
excellons  pour  tel  ou  tel  caractère  ferme  et  vigou- 
reux, et  qui  ne  vaudroient  rien  pour  des  caractères 
d'un  ordre  inférieur.  Ce  sont  les  armes  d'Achille 
qui  ne  peuvent  convenir  qu'à  lui,  et  sous  lesquelles 
Patrocle  lui-même  est  opprimé. 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  q 

L'abbé  Arnaud  avoit  tenu  autrefois  sur  ses  ge- 
noux une  petite  fille,  devenue  depuis  madame  du 
Barrj.  Un  jour,  elle  lui  dit  qu'elle  vouloit  lui  faire 
du  bien;  elle  ajouta  :  «  Donnez-moi  un  mémoire. 
—  Un  mémoire?  lui  dit-il;  il  est  tout  fait!  le  voici: 
je  suis  l'abbé  Arnaud.  » 

J'ai  entendu  un  dévot,  parlant  contre  des  gens 
qui  discutoient  des  articles  de  foi,  dire  naïvement  : 
«  Messieurs,  un  vrai  chrétien  n'examine  point  ce 
qu'on  lui  ordonne  de  croire.  Tenez,  il  en  est  de 
cela  comme  d'une  pilule  amère  :  si  vous  la  mâchez, 
jamais  vous  ne  pourrez  l'avaler.  » 

«  Les  athées  sont  meilleure  compagnie  pour  moi, 
disoit  M.  D...,  que  ceux  qui  croient  en  Dieu.  A 
la  vue  d'un  athée,  toutes  les  demi-preuves  de  l'exis- 
tence de  Dieu  me  viennent  à  l'esprit;  et,  à  la  vue 
d'un  croyant,  toutes  les  demi-preuves  contre  son 
existence  se  présentent  à  moi  en  foule.  » 

*  Un  Anglois  alla  consulter  un  avocat  pour  sa- 
voir comment  il  pourroit  être  à  couvert  de  la  loi 
en  enlevant  une  riche  héritière.  L'avocat  lui  de- 
manda si  elle  était  consentante,  a  Oui.  —  Eh  bien  ! 
dit-il,  prenez  un  cheval,  qu'elle  monte  dessus, 
vous  en  croupe,  et  en  passant  criez  par  le  premier 
village  :  «  Mademoiselle  X...  m'enlève!  »  La  chose 


10       PORTRAITS  ET  CARACTERES 

fut  ainsi  exécutée,  et  au  dénouement  il  se  trouva; 
que  c'étoit  la  fille  de  l'avocat  qui  avoit  été  en- 
levée. 

*  Un  Anglois  condamné  à  être  pendu  reçut  la 
grâce  du  roi.  «  La  loi  est  pour  moi,  dit-il  :  qu'on 
me  pende.  » 

M.  de  L...,  pour  détourner  madame  de  B..., 
veuve  depuis  quelque  temps,  de  l'idée  du  mariage, 
lui  dit  :  «  Savez-vous  que  c'est  une  bien  belle 
chose  de  porter  le  nom  d'un  homme  qui  ne  peut 
plus  faire  de  sottises!  » 

M...  avoit,  pour  exprimer  le  mépris,  une  for- 
mule favorite  :  «  C'est  l'avant-dernier  des  hommes. 
—  Pourquoi  l'avant-dernier?  lui  demandoit-on. — 
Pour  ne  décourager  personne  :  car  il  j  a  presse.  » 

On  demandoit  à  madame  de  Rochefort  si  elU 
auroit  envie  de  connoître  l'avenir  :  «  Non,  dit- 
elle  :  il  ressemble  trop  au  passé.  » 

Madame  d'Esparbès  couchant  une  nuit  ave< 
Louis  XV,  le  roi  lui  dit  :  «  Tu  as  couché  avec  tou! 
mes  sujets.  —  Ah!  Sire!  —  Tu  as  eu  le  duc  dt 
Choiseul.  —  Il  est  si  puissant!  —  Le  maréchal  d( 
RicheUeu.  —  Il  a  tant  d'esprit!  —  Manville.  — 


ANECDOTES    ET     BONS     MOTS  II 

Il  a  une  si  belle  jambe!  —  A  la  bonne  heure; 
mais  le  duc  d'Aumont,  qui  n*a  rien  de  tout  cela? 
■^  Ah!  Sire,  il  est  si  attaché  à  Votre  Majesté!  » 

Un  vieillard,  me  trouvant  trop  sensible  à  je  ne 
sais  quelle  injustice,  me  dit  :  «  Mon  cher  enfant, 
il  faut  apprendre  de  la  vie  à  souffrir  la  vie.  » 

On  accusoit  un  jeune  homme  de  la  cour  d'aimer 
les  filles  avec  fureur.  Il  y  avoit  là  plusieurs  femmes 
honnêtes  et  considérables,  avec  qui  cela  pouvoit  le 
brouiller.  Un  de  ses  amis,  qui  étoit  présent,  ré- 
pondit :  «  Exagération!  méchanceté!  il  a  aussi  des 
femmes.  » 

Louis  XV  demandoit  au  duc  d'Ayen  (  depuis 
maréchal  de  Noailles)  s'il  avoit  envoyé  sa  vaisselle 
à  la  Monnaie.  Le  duc  répondit  que  non.  «  Moi, 
dit  le  roi,  j'ai  envoyé  la  mienne.  —  Ah!  Sire,  dit 
M.  d'Ayen,  quand  Jésus-Christ  mourut  le  ven- 
dredi saint,  il  savoit  bien  qu'il  ressusciteroit  le  di- 
manche. » 

*  Madame  du  Deffand  disoit  à  l'abbé  d'Aydie  : 
«Avouez  que  je  suis  maintenant  la  femme  que  vous 
aimez  le  plus.  »  L'abbé,  ayant  réfléchi  un  moment, 
lui  dit  :  «  Je  vous  dirois  bien  cela  si  vous  n'alliez 
pas  en  conclure  que  je  n'aime  rien.  » 


12  PORTRAITS     ET    CARACTERES 

Madame  de...  disoit  de  M.  B...  :  «  Il  est  hon- 
nête, mais  médiocre  et  d'un  caractère  épineux  : 
c*est  comme  la  perche,  blanche,  saine,  mais  insi- 
pide et  pleine  d'arêtes.  » 

M.  de  L...  parloit  à  son  ami  M.  de  B..., 
homme  très-respectable,  et  cependant  très-peu 
ménagé  par  le  pubHc;  il  lui  avouoit  les  bruits  et 
les  faux  jugemens  qui  couroient  sur  son  compte. 
Celui-ci  répondit  froidement  :  «  C'est  bien  à  une 
bête  et  à  un  coquin  comme  le  public  actuel  à  ju- 
ger un  caractère  de  ma  trempe  !  » 

M...,  jeune  homme,  me  demandoit  pourquoi 
madame  de  B...  avoit  refusé  son  hommage,  qu'il 
lui  offroit,  pour  courir  après  celui  de  M.  de  L..., 
qui  sembloit  se  refuser  à  ses  avances.  Je  lui  dis  : 
«  Mon  cher  ami.  Gênes,  riche  et  puissante,  a  offert 
sa  souveraineté  à  plusieurs  rois,  qui  l'ont  refusée; 
et  on  a  fait  la  guerre  pour  la  Corse,  qui  ne  pro- 
duit que  des  châtaignes,  mais  qui  étoit  fière  et  in- 
dépendante. » 

Un  plaisant,  ayant  vu  exécuter  en  ballet,  à 
rOpéra,  le  fameux  Qu'il  mourut  de  Corneille, 
pria  Noverre  de  faire  danser  les  Maximes  de  La 
Rochefoucauld, 


ANECDOTES    ET     BONS     MOTb  l3 

Le  marquis  de  Villette  appeloit  la  banqueroute 
de  M.  de  Guéménée  la  Sérénissime  Banqueroute. 

On  compte  cinquante-six  violations  de  la  foi 
publique,  depuis  Henri  IV  jusqu'au  ministère  du 
cardinal  de  Loménie  inclusivement.  M.  D...  ap- 
pliquoit  aux  fréquentes  banqueroutes  de  nos  rois 
ces  deux  vers  de  Racine  : 

Et  d'un  trône  si  saint  la  moitié  n'est  fondée 
Que  sur  la  foi  promise  et  rarement  gardée. 

M.  de  Malesherbes  disoit  à  M.  de  Maurepas 
qu'il  falloit  engager  le  roi  à  aller  voir  la  Bastille. 
«  Il  faut  bien  s^en  garder,  lui  répondit  M.  de 
Maurepas  :  il  ne  voudroit  plus  y  faire  mettre  per- 
sonne. » 

Un  homme  très-pauvre,  qui  avoit  fait  un  livre 
contre  le  gouvernement,  disoit  :  «  Morbleu!  la 
Bastille  n'arrive  point;  et  voilà  qu'il  faut  tout  à 
l'heure  payer  mon  terme  !  » 

M.  Helvétius  dans  sa  jeunesse  étoit  beau  comme 
l'Amour.  Un  soir  qu'il  étoit  assis  dans  le  fojer  et 
fort  tranquille,  quoique  auprès  de  mademoiselle 
Gaussin,  un  célèbre  financier  vint  dire  à  l'oreille 
de  cette  actrice,  assez  haut  pour  que  Helvétius 
l'entendît  :  «  Mademoiselle,  vous  seroit-il  agréable 


14        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

d'accepter  six  cents  louis  en  échange  de  quelques 
complaisances?  —  Monsieur,  répondic-elle  assez 
haut  pour  être  entendue  aussi,  et  en  montrant 
Helvétius,  je  vous  en  donnerai  deux  cents  si  vous 
voulez  venir  demain  matin  chez  moi  avec  cette  fi- 
gure-là. » 

Je  demandois  à  M...  s'il  se  marieroit.  Il  me 
répondit  :  «  Pourquoi  faire?  pour  payer  au  roi  de 
France  la  capitation  et  les  trois  vingtièmes  après 
ma  mort?  » 

M.  de  Th...,  pour  exprimer  l'insipidité  des  ber- 
geries de  M.  de  Florian,  disoit  :  «  Je  les  aimerois 
assez  s'il  y  mettoit  des  loups.  » 

Le  curé  de  Saint-Sulpice  étant  allé  voir  madame 
de  Mazarin  pendant  sa  dernière  maladie  pour  lui 
faire  quelques  petites  exhortations,  elle  lui  dit  en 
l'apercevant  :  «  Ah!  monsieur  le  curé,  je  suis  en- 
chantée de  vous  voir;  j'ai  à  vous  dire  que  le  beurre 
de  l'Enfant-Jésus  n'est  plus  à  beaucoup  près  si 
bon  :  c'est  à  vous  d'y  mettre  ordre,  puisque  l'En- 
fant-Jésus est  une  dépendance  de  votre  église.  » 

On  disoit  à  un  homme  que  M...,  autrefois  son 
bienfaiteur,  le  haïssoit.  «  Je  demande,  répondit-il, 
la  permission  d'avoir  un   peu  d'incrédulité   à  cet 


ANECDOTES    ET    BONS    MOTS  l5 

égard.  J'espère  qu'il  ne  me  forcera  pas  à  changer 
en  respect  pour  moi  le  seul  sentiment  que  j'aie  be- 
soin de  lui  conserver.  » 

Après  le  crime  et  le  mal  faits  à  dessein,  il  faut 
mettre  les  mauvais  effets  des  bonnes  intentions,  les 
bonnes  actions  nuisibles  à  la  société  publique , 
comme  le  bien  fait  aux  méchans,  les  sottises  de  la 
bonhomie,  les  abus  de  la  philosophie  appliquée 
Dal  à  propos,  la  maladresse  en  servant  ses  amis, 
le,  fausses  applications  des  maximes  utiles  ou  hon- 
nêtes, etc. 

le  maréchal  de  Biron  eut  une  maladie  très-dan- 
gertuse;  il  voulut  se  confesser,  et  dit  devant  plu- 
sieurs de  ses  amis  :  «  Ce  que  je  dois  à  Dieu,  ce 
que  e  dois  au  roi,  ce  que  je  dois  à  l'État...  »  Un 
de  s«s  amis  l'interrompit  :  «  Tais-toi,  dit-il,  tu 
mouiras  insolvable.  » 

Le  lord  Bolingbroke  donna  à  Louis  XIV  mille 
preu/es  de  sensibilité  pendant  une  maladie  très- 
dangereuse.  Le  roi,  étonné,  lui  dit  :  «  J'en  suis 
d'au:ant  plus  touché  que,  vous  autres  Anglois, 
vous  n'aimez  pas  les  rois.  —  Sire,  dit  Bolingbroke, 
nous  ressemblons  aux  maris  qui,  n'aimant  pas  leurs 
femmes,  n'en  sont  que  plus  empressés  à  plaire  à 
cellesde  leurs  voisins.  » 


l6  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

M...  disoit  qu'il  falloit  qu'un  philosophe  com-  / 
mençât  par  avoir  le  bonheur  des  morts,   celui  de 
ne  pas  souffrir  et  d'être  tranquille;  puis  celui  des 
vivans,  de  penser,  sentir  et  s'amuser. 

J'ai  connu  un  misanthrope  qui  avoit  des  instans  I 
de  bonhomie,  dans  lesquels  il  disoit  :   «  Je  ne  se-  J 
rois  pas  étonné  qu'il  y  eût  quelque  honnête  homme/ 
caché  dans  quelque  coin  et  que  personne  ne  con- 
noisse.  » 

C'est  un  fait  avéré  que  Madame,  fille  du  rd, 
jouant  avec  une  de  ses  bonnes,  regarda  à  sa  mail, 
et,  après  avoir  compté  ses  doigts  :  «  Commeit! 
dit  l'enfant  avec  surprise,  vous  avez  cinq  dofgts 
aussi,  comme  moi?  »  Et  elle  recompta  pour  j'en 
assurer. 

! 

M.  de  Calonne,  au  moment  oii  il  fut  renvoyé, 
apprit  qu'on  offroit  sa  place  à  M.  de  Fourqumx, 
mais  que  celui-ci  balançoit  à  l'accepter.  «  Je  'tou- 
drois  qu'il  la  prît,  dit  l'ex-ministre  :  il  étoit  ami  de 
M.  de  Turgot,  il  entreroit  dans  mes  plans.  — 
Cela  est  vrai,  »  dit  Dupont,  lequel  étoit  fort  emï 
de  M.  de  Fourqueux,  et  il  s'offrit  pour  aller  l'en- 
gager à  accepter  la  place.  M.  de  Calonne  l'yen- 
voie.    Dupont    revient  une  heure  après,   criant  : 

/ 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  17 

«  Victoire!  victoire!  nous  le  tenons,  il  accepte.  » 
M.  de  Galonné  pensa  crever  de  rire. 

«Aujourd'hui,  i5  mars  1782,  j'ai  fait,  disoit 
M.  de...,  une  bonne  œuvre  d'une  espèce  assez 
rare  :  j'ai  consolé  un  homme  honnête,  plein  de 
vertus,  riche  de  cent  mille  livres  de  rente,  d'un 
très-grand  nom,  de  beaucoup  d'esprit,  d'une  très- 
bonne  santé,  etc.;  et  moi,  je  suis  pauvre,  obscur 
et  malade.  » 

Un  homme  d'une  fortune  médiocre  se  chargea 
de  secourir  un  malheureux  qui  avoit  été  inutile- 
ment recommandé  à  la  bienfaisance  d'un  grand 
seigneur  et  d'un  fermier  général.  Je  lui  appris  ces 
deux  circonstances,  chargées  de  détails  qui  aggra- 
voient  la  faute  de  ces  derniers.  Il  me  répondit 
tranquillement  :  «  Comment  voudriez-vous  que  le 
monde  subsistât  si  les  pauvres  n'étoient  pas  con- 
tinuellement occupés  à  faire  le  bien  que  les  riches 
négligent  de  faire,  ou  à  réparer  le  mal  qu'ils  font?  » 

Un  prédicateur  disoit  :  «  Quand  le  père  Bour- 
daloue  prêchoit  à  Rouen,  il  y  causoit  bien  du  dés- 
ordre :  les  artisans  quittoient  leurs  boutiques,  les 
médecins  leurs  malades,  etc.  J'y  prêchai  l'année 
d'après,  j'y  remis  tout  dans  l'ordre.  « 

Chamfort.   II.  3 


l8       PORTRAITS  ET  CARACTERES 

Vous  rencontrez  le  baron  de  Breteuil;  il  vous 
entretient  de  ses  bonnes  fortunes,  de  ses  amours 
grossières,  etc.;  il  finit  par  vous  montrer  le  por- 
trait de  la  reine  au  milieu  d'une  rose  garnie  de  dia- 
mans. 

Un  sot  fier  de  quelques  cordons  me  paroît  au- 
dessous  de  cet  homme  ridicule  qui,  dans  ses  plai- 
sirs, se  faisoit  mettre  des  plumes  de  paon  au  derrière 
par  ses  maîtresses.  Au  moins  il  y  gagnoit  le  plai- 
sir de...  Mais  l'autre!...  Le  baron  de  Breteuil  est 
fort  au-dessous  de  Peixoto. 

On  voit,  par  Texemple  de  Breteuil,  qu'on  peut 
ballotter  dans  ses  poches  les  portraits  en  diamans 
de  douze  ou  quinze  souverains  et  n'être  qu'un 
sot. 

C'est  un  sot,  c'est  un  sot,  c'est  bientôt  dit  : 
voilà  comme  vous  êtes  extrême  en  tout.  A  quoi 
cela  se  réduit-il?  Il  prend  sa  place  pour  sa  per- 
sonne, son  importance  pour  du  mérite,  et  son 
crédit  pour  une  vertu.  Tout  le  monde  n'est-il  pas 
comme  cela?  Y  a-t-il  là  de  quoi  tant  crier? 

Madame  de  Créqui  me  disoit  du  baron  de  Bre- 
teuil :  «  Ce  n'est,  morbleu!  pas  une  bête  que  le 
baron  :  c'est  un  sot.  » 


ANECDOTES    ET    BONS     MOTS  iq 

M.  de  Broglie,  qui  n'admire  que  le  mérite  mili- 
taire, disoit  un  jour  :  «  Ce  Voltaire  qu'on  vante 
tant,  et  dont  je  fais  peu  de  cas,  il  a  pourtant  fait 
un  beau  vers  : 

Le  premier  qui  fut  roi  fut  un  soldat  heureux. 

*  Madame  la  duchesse  de  B...  protégeoit  au- 
près du  baron  de  Breteuil,  ministre,  l'abbé  de  C... 
pour  qui  elle  venoit  d'obtenir  une  place  qui  de- 
mande des  talens.  Elle  apprend  que  le  public  a 
du  regret  que  cette  place  n'ait  pas  été  donnée  à 
M.  L...  B...,  homme  d'un  mérite  supérieur.  «  Eh 
bien!  dit-elle,  tant  mieux  que  mon  protégé  ait 
eu  la  place  sans  mérite;  on  en  verra  mieux  quelle 
est  l'étendue  de  mon  crédit.  » 

*  M.  Baujon,  porté  par  ses  gens  dans  son  salon, 
où  étoient  un  grand  nombre  de  belles  dames  qu'on 
appelle  ses  berceuses,  leur  dit  en  balbutiant  : 
«  Mesdames,  réjouissez-vous  :  ce  n'est  point  une 
apoplexie  que  j'ai  eue,  c'est  une  paralysie.  » 

*  Le  roi,  après  avoir  reçu  le  serment  de  fidélité 
des  Etals  de  Béarn,  fait  le  serment  de  fidélité  aux 
États,  et  promet  de  conserver  leurs  droits  et  leurs 
privilèges.  Voilà  des  Gascons  qui  ont  bien  su  faire 
leur  marché,  et  il  est  inconcevable  qu'ils  soient  les 


20       PORTRAITS  ET  CARACTERES 

seuls  peuples  parmi  tant  de  provinces  qui  aient  eu 
cet  esprit-là. 

Trois  choses,  disoit  N...,  m'importunent,  tant 
au  moral  qu'au  physique,  au  sens  figuré  comme  au 
sens  propre  :  le  bruit,  le  vent  et  la  fumée. 

Madame»..,  tenant  un  bureau  d'esprit,  disoit  de 
L...  :  «  Je  n'en  fais  pas  grand  cas;  il  ne  vient  .pas 
chez  moi.  » 

On  disoit  de  M...,  qui  se  créoit  des  chimères 
tristes  et  qui  voyoit  tout  en  noir  :  «  Il  fait  des' ca- 
chots en  Espagne.  » 

Un  catholique  de  Breslau  vola,  dans  une  église 
de  sa  communion ,  des  petits  cœurs  d'or  et  autres 
offrandes.  Traduit  en  justice,  il  dit  qu'il  les  tient 
de  la  Vierge.  On  le  condamne.  La  sentence  est 
envoyée  au  roi  de  Prusse  pour  la  signer,  suivant 
l'usage.  Le  roi  ordonne  une  assemblée  de  théolo- 
giens pour  décider  s'il  est  rigoureusement  impos- 
sible que  la  Vierge  fasse  à  un  dévot  catholique  de 
petits  présens.  Les  théologiens  de  cette  commu- 
nion, bien  embarrassés,  décident  que  la  chose  n'est 
pas  rigoureusement  impossible.  Alors  le  roi  écrit 
au  bas  de  la  sentence  du  coupable  :  «  Je  fais  grâce 
au  nommé  N...,  mais  je  lui  défends,  sous  peine  de 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  2I 

la  vie,  de  recevoir  désormais   aucune  espèce  de 
cadeau  de  la  Vierge  ni  des  saints.  » 

Un  homme  disoit  à  M.  de  Voltaire  qu'il  abusoit 
du  travail  et  du  café,  et  qu'il  se  tuoit.  «  Je  suis  né 
tué,  »  répondit-il. 

Le  marquis  de  ChoiseuI-la-Baume ,  neveu    de 
i'évêque  de  Châlons,    dévot  et  grand  janséniste, 
étant  très-jeune,   devint  triste  tout  à  coup.   Son 
oncle,  l'évêque,  lui  en  demanda  la  raison.    Il  lui 
dit  qu'il  avoit  vu  une  cafetière  qu'il  voudroit  bien 
avoir,  mais  qu'il  en  désespéroit.    «  Elle  est  donc 
bien  chère?  — Oui,  mon  oncle  :  vingt-cinq  louis.  » 
L'oncle  les  donna  à  condition   qu'il  verroit   celte 
cafetière.  Quelques  jours  après,  il  en  demanda  des 
nouvelles  à  son  neveu  :  «  Je  l'ai,  mon  oncle,  et  la 
journée  de  demain  ne  se  passera  pas  sans  que  vous 
l'ayez  vue.  »   Il  la  lui  montra,  en  effet,  au  sortir 
de  la  grand'messe.  Ce  n'étoit  point  un  vase  à  ver- 
ser du  café  :  c'étoit  une  jolie  cafetière,  c'est-à-dire 
limonadière,  connue  depuis  sous  le  nom  de  ma- 
dame   de    Bussi.    On    conçoit    la  colère   du  vieil 
évêque  janséniste. 

Un  entrepreneur  de  spectacles,  ayant  prié  M.  de 
ViUars  d'ôter  l'entrée  gratis  aux  pages,   lui  dit  : 


22        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

((  Monseigneur^  observez  que  plusieurs  pages  font 
un  volume.  » 


Je  proposerois  volontiers,  disoit  M.  D...,  je 
proposerois  aux  calomniateurs  et  aux  méchans  le 
traité  que  voici.  Je  dirois  aux  premiers  :  «  Je  veux 
bien  que  l'on  me  calomnie,  pourvu  que  par  une 
action  ou  indifférente  ou  même  louable  j'aie  fourni 
le  fond  de  la  calomnie,  pourvu  que  son  travail 
ne  soit  que  la  broderie  du  canevas,  pourvu  qu'on 
n'invente  pas  les  faits  en  même  temps  que  les  cir- 
constances, en  un  mot,  pourvu  que  la  calomnie 
ne  fasse  pas  les  frais  à  la  fois  et  du  fond  et  de  la 
forme.  »  Je  dirois  aux  méchans  :  «  Je  trouve  simple 
qu'on  me  nuise,  pourvu  que  celui  qui  me  nuit  y 
ait  quelque  intérêt  personnel;  en  un  mot,  qu'on 
ne  me  fasse  pas  du  mal  gratuitement,  comme  il 
arrive.  » 

J'ai  bien  examiné  M...,  et  son  caractère  m'a 
paru  piquant  :  très-aimable  et  nulle  envie  de  plaire, 
si  ce  n'est  à  ses  amis  ou  à  ceux  qu'il  estime;  en 
récompense,  une  grande  crainte  de  déplaire.  Ce 
sentiment  est  juste,  et  accorde  ce  qu'on  doit  à  l'a- 
mitié et  ce  qu'on  doit  à  la  société.  On  peut  faire 
plus  de  bien  que  lui,  nul  ne  fera  moins  de  mal. 
On  sera  plus  empressé,    jamais   moins  importun. 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  23 

On   caressera  davantage,  on   ne  choquera  jamais 
moins. 

Ne  me  vantez  point  le  caractère  de  N...  :  c'est 
un  homme  dur,  inébranlable,  appuyé  sur  une  phi- 
losophie froide,  comme  une  statue  de  bronze  sur 
du  marbre. 

Les  amis  de  M...  vouloient  plier  son  caractère 
à  leurs  fantaisies,  et,  le  trouvant  toujours  le  même, 
disoient  qu'il  étoit  incorrigible.  Il  leur  répondit  : 
«  Si  je  n'étois  pas  incorrigible,  il  y  a  bien  long- 
temps que  je  serois  corrompu.  » 

Madame  de  Maintenon  et  madame  de  Caylus 
se  promenoient  autour  de  la  pièce  d'eau  de  Marly. 
L'eau  étoit  très-transparente,  et  on  y  voyoit  des 
carpes  dont  les  mouvemens  étoient  lents,  et  qui 
paroissoient  aussi  tristes  qu^elles  étoient  maigres. 
Madame  de  Caylus  le  fit  remarquer  à  madame  de 
Maintenon ,  qui  répondit  :  «  Elles  sont  comme 
moi,  elles  regrettent  leur  bourbe.  » 

Le  roi  de  Prusse  a  plus  d'une  fois  fait  lever  des 
plans  géographiques  très-défectueux  de  tel  ou  tel 
pays.  La  carte  indiquoit  tel  marais  impraticable  qui 
ne  l'étoit  point,  et  que  les  ennemis  croyoient  tel 
sur  la  foi  du  faux  plan. 


24        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

Louis  XV  ayant  refusé  vingt-cinq  mille  francs 
de  sa  cassette  à  Lebel,  son  valet  de  chambre,  pour 
la  dépense  de  ses  petits  appartemens,  et  lui  disant 
de  s'adresser  au  trésor  royal,  Lebel  lui  répondit  : 
«  Pourquoi  m'exposerois-je  aux  refus  et  aux  tra- 
casseries de  ces  gens-là,  tandis  que  vous  avez  là 
plusieurs  millions  ?  »  Le  roi  lui  répondit  :  «  Je 
n'aime  point  à  me  dessaisir;  il  faut  toujours  avoir 
de  quoi  vivre.  »  [Anecdote  contée  par  Lebel  à 
M.  Buscher.) 

Ci  Au  ton  qui  règne  depuis  dix  ans  dans  la  litté- 
rature, disoit  M...,  la  célébrité  littéraire  me  paroît 
une  espèce  de  diffamation  qui  n'a  pas  encore  tout 
à  fait  autant  de  mauvais  effets  que  le  carcan;  mais 
cela  viendra.  » 

On  attribuoit  à  la  philosophie  moderne  le  tort 
d'avoir  multiplié  le  nombre  des  célibataires;  sur 
quoi  M...  dit  :  «  Tant  qu'on  ne  me  prouvera 
pas  que  ce  sont  les  philosophes  qui  se  sont  cotisés 
pour  faire  les  fonds  de  mademoiselle  Berlin  et 
pour  élever  sa  boutique,  je  croirai  que  ce  célibat 
pourroit  bien  avoir  une  autre  cause.  » 

Madame  de  C...  disoit  à  M.  B...  :  «  J'aime  en 
vous...  — Ah!  Madame,  dit-il  avec  feu,  si  vous 
savez  quoi,  je  suis  perdu!  » 


ANECDOTES     ET    BONS    MOTS  25 

Ondisoità  M...,  qui  n'étoit  plus  jeune:  «Vous 
n^êtes  plus  capable  d'aimer.  —  Je  ne  l'ose  plus, 
dit-il;  mais  je  me  dis  quelquefois,  en  voyant  une 
jolie  femme  :  «  Combien  je  l'aimerois  si  j'étois  plus 
«  aimable  !  » 

On  connoît  le  proverbe  :  «  On  ne  passe  jamais 
sur  le  pont  Neuf  sans  y  voir  un  moine,  un  cheval 
blanc  et  une  catin.  »  Deux  femmes  de  la  cour, 
passant  sur  le  pont  Neuf,  virent  en  deux  minutes 
un  moine  et  un  cheval  blanc.  Une  des  deux,  pous- 
sant l'autre  du  coude,  lui  dit  :  «  Pour  la  catin, 
vous  et  moi,  nous  n'en  sommes  pas  en  peine.  » 

Je  demandois  à  M.  R...,  homme  plein  d'esprit 
et  de  talent,  pourquoi  il  ne  s'étoit  nullement  mon- 
tré dans  la  révolution  de  1789.  Il  me  répondit  : 
«  C'est  que,  depuis  trente  ans,  j'ai  trouvé  les 
hommes  si  méchans  en  particulier  et  pris  un  à  un 
que  je  n'ai  osé  espérer  rien  de  bon  d'eux  en  pu- 
blic et  pris  collectivement.  » 

Un  homme  engagé  dans  un  procès  criminel  qui 
devoit  lui  faire  couper  le  cou  rencontra,  après  plu- 
sieurs années,  un  de  ses  amis  qui  dans  le  commen- 
cement du  procès  avoit  entrepris  un  long  voyage. 
Le  premier  dit  à  celui-ci  :  «  Depuis  le  temps  que 
nous  ne  nous  sommes  vus,  ne  me  trouvez-vous  pas 

4 


26  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

changé?—  Oui,  dit  l'autre,  je  vous  trouve  grandi 
de  la  tête.  » 

Il  y  a  une  chanson  qui  roule  sur  Hercule  vain- 
queur des  cinquante  pucelles.  Le  couplet  finit  par 
ces  mots  ; 

Comme  lui  je  les  aurai 
Lorsque  je  les  trouverai. 

M.  Brissard,  le  père,  écrivoit  à  sa  femme: 
«  Ma  chère  amie,  notre  chapelle  avance,  et  nous 
pouvons  nous  flatter  d'y  être  enterrés  l'un  et  l'autre, 
si  Dieu  nous  prête  vie.  » 

On  demandoit  à  madame  Cramer,  de  retour  de 
Genève  à  Paris  après  quelques  années  :  «  Que 
fait  madame  Tronchin  (personne  très-laide)?  — 
Madame  Tronchin  fait  peur,  »  répondit-elle. 

Massillon  étoit  fort  galant.  Il  devint  amoureux 
de  madame  de  Simiane,  petite-fille  de  madame  de 
Sévio-né.  Cette  dame  aimoit  beaucoup  le  style 
soiané,  et  ce  fut  pour  lui  plaire  qu'il  mit  tant  de 
soin  à  composer  ses  Synodes,  un  de  ses  meilleurs 
ouvrages.  Il  logeoit  à  l'Oratoire  et  devoit  être 
rentré  à  neuf  heures;  madame  de  Simiane  soupoit 
à  sept  par  complaisance  pour  lui.  Ce  fut  à  l'un  de 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  27 

ces  soupers  tête  à  tète  qu'il  fit  une  chanson  très- 
jolie,  dont  j'ai  retenu  la  moitié  d'un  couplet  : 


Aimons-nous  tendrement,  Elvire  : 
Ceci  n'est  qu'une  chanson 
Pour  qui  voudroit  en  médire  ; 
Mais,  pour  nous,  c'est  tout  de  bon. 


M.  le  comte  de  Charolois,  ayant  surpris  M.  de 
Brissac  chez  sa  maîtresse,  lui  dit  :  «  Sortez  !  »  M.  de 
Brissac  lui  répondit  :  «  Monseigneur,  vos  ancêtres 
auroient  dit  :  «  Sortons!  » 

M.  le  comte  de  Charolois  avoit  été  quatre  ans 
sans  payer  sa  maison ,  ni  même  ses  premiers  offi- 
ciers. Un  M.  de  Laval  et  un  M.  de  Choiseul,  qui 
étoient  du  nombre,  lui  présentèrent  un  jour  leurs 
gens  en  lui  disant  :  «  Si  Votre  Altesse  ne  nous  paye 
pas  ,  qu'elle  nous  dise  du  moins  comment  nous 
pourrons  satisfaire  ces  gens-ci?  »  Le  prince  fit  ap- 
peler son  trésorier,  et,  montrant  M.  de  Laval  et 
M.  de  Choiseul,  et  leur  livrée  :  «  Qu'on  paye  ces 
Messieurs,  »  dit-il. 

«  Au  physique,  disoit  M...,  homme  d'une  santé 
délicate  et  d'un  caractère  très-fort,  je  suis  le  roseau 
qui  plie  et  ne  rompt  pas;  au  moral,  je  suis,  au 


20        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

contraire,  le  chêne  qui  rompt  et  ne  plie  point.  » 
Homo  interior  totus  nervus,  dit  Van  Helmont. 


Il  est  d'usage  en  Angleterre  que  les  voleurs  dé- 
tenus en  prison^  et  sûrs  d'être  condamnés,  vendent 
tout  ce  qu'ils  possèdent  pour  en  faire  bonne  chère 
avant  de  mourir.  C'est  ordinairement  leurs  chevaux 
qu'on  est  le  plus  empressé  d'acheter,  parce  qu'ils 
sont  pour  la  plupart  excellens.  Un  d'eux,  à  qui  un 
lord  demandoit  le  sien,  prenant  le  lord  pour  quel- 
qu'un qui  vouloit  faire  le  métier,  lui  dit  :  «  Je  ne 
veux  pas  vous  tromper;  mon  cheval,  quoique  bon 
coureur,  a  un  très-grand  défaut  :  c'est  qu'il  recule 
quand  il  est  auprès  de  la  portière.  » 

La  duchesse  de  Fronsac,  jeune  et  jolie,  n'avoit 
point  eu  d'amans,  et  l'on  s'en  étonnoit.  Une  autre 
femme,  voulant  rappeler  qu'elle  étoit  rousse,  et  que 
cette  raison  avoit  pu  contribuer  à  la  maintenir  dans 
sa  tranquille  sagesse,  dit  :  «  Elle  est  comme  Sam- 
son,  sa  force  est  dans  ses  cheveux.  » 


D'Arnaud,  entrant  chez  M.  le  comte  de  Frise, 
le  vit  à  sa  toilette,  ayant  les  épaules  couvertes  de 
ses  beaux  cheveux.  «  Ah!  Monsieur,  dit-il,  voilà 
vraiment  des  cheveux  de  génie.  —  Vous  trouvez.? 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  20 

dit  le  comte.  Si  vous  voulez,  je  me  les  ferai  couper 
pour  vous  en  faire  une  perruque.  » 

Des  députés  de  Bretagne  soupèrent  chez  M.  de 
Choiseul.  Un  d'eux,  d'une  mine  très-grave,  ne  dit 
pas  un  mot.  Le  duc  de  Gramont,  qui  avoit  été 
frappé  de  sa  figure,  dit  au  chevalier  de  Court,  co- 
lonel des  Suisses  :  «  Je  voudrois  bien  savoir  de 
quelle  couleur  sont  les  paroles  de  cet  homme.  »  Le 
chevalier  lui  adressa  la  parole.  «Monsieur,  de  quelle 
ville  êtes-vous?  —  De  Saint-Malo.  —  De  Saint- 
Malo  !  Par  quelle  bizarrerie  la  ville  est-elle  gardée 
par  des  chiens?  —  Quelle  bizarrerie  y  a-t-il  là? 
répondit  le  grave  personnage;  le  roi  est  bien  gardé 
par  des  Suisses!  » 

Le  maréchal  de  Belle-Isle,  voyant  que  M.  de 
Choiseul  prenoit  trop  d'ascendant,  fit  faire  contre 
lui  un  mémoire  pour  le  roi  par  le  jésuite  Neuville. 
Il  mourut  sans  avoir  présenté  ce  mémoire ,  et  le 
portefeuille  fut  porté  à  M.  le  duc  de  Choiseul,  qui 
y  trouva  le  mémoire  fait  contre  lui.  Il  fit  l'impos- 
sible pour  reconnoître  l'écriture,  mais  inutilement. 
Il  n'y  songeoit  plus,  lorsqu'un  jésuite  considérable 
lui  fit  demander  la  permission  de  lui  lire  l'éloge 
qu'on  faisoitdelui  dans  l'oraison  funèbre  du  maré- 
chal de  Belle-Isle,  composée  par  le  père  Neuville. 
La  lecture  se  fit  sur  le  manuscrit  de  l'auteur,  et 


3o  PORTRAITS     ET    CARACTERES 

M.  de  Choiseul  reconnut  alors  l'écriture.  La  seule 
vengeance  qu'il  en  tira,  ce  fut  de  faire  dire  au  père 
Neuville  qu'il  réussissoit  mieux  dans  le  genre  de 
roraison  funèbre  que  dans  celui  des  mémoires  au 
roi. 

Quand  le  duc  de  Choiseul  étoit  content  d'un 
maître  de  poste  par  lequel  il  avoit  été  bien  mené , 
ou  dont  les  enfans  étoient  jolis,  il  lui  disoit  : 
«  Combien  paye-t-on  ?  est-ce  poste  ou  poste  et 
demie,  de  votre  demeure  à  tel  endroit?  —  Poste, 
Monseigneur. —  Eh  bien!  il  y  aura  désormais  poste 
et  demie.  »  La  fortune  du  maître  de  poste  étoit 
faite. 

Le  duc  de  Choiseul  avoit  grande  envie  de  ravoir 
les  lettres  qu'il  avoit  écrites  à  M.  de  Calonne  dans 
l'affaire  de  M.  de  La  Chalotais;  mais  il  étoit  dan- 
gereux de  manifester  ce  désir.  Cela  produisit  une 
scène  violente  entre  lui  et  M.  de  Calonne,  qui  ti- 
roit  ces  lettres  d'un  portefeuille,  bien  numérotées, 
les  parcouroit  et  disoit  à  chaque  fois  :  «  En  voilà 
une  bonne  à  brûler  »,  ou  telle  autre  plaisanterie, 
M.  de  Choiseul  dissimulant  toujours  l'importance 
qu'il  y  mettoit,  et  M.  de  Calonne  se  divertissant 
de  son  embarras  et  lui  disant  :  «  Si  je  ne  fais 
pas  une  chose  dangereuse  pour  moi,  cela  m'ôte 
tout  le  piquant  de  la  scène.  »  Mais  ce  qu'il  y  eut 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  3l 

de  plus  singulier,  c'est  que  M.  d'Aiguillon,  l'ayant 
su,  écrivit  à  M.  de  Calonne  :  «  Je  sais,  Monsieur, 
que  vous  avez  brûlé  les  lettres  de  M.  de  Choiseul 
relatives  à  l'affaire  de  M.  de  LaChalotais;  je  vous 
prie  de  garder  toutes  les  miennes.  » 

Christine,  reine  de  Suède,  avoit  appelé  à  sa 
cour  le  célèbre  Naudé,  qui  avoit  composé  un  livre 
très-savant  sur  les  différentes  danses  grecques,  et 
Meibomius,  érudit  allemand  ,  auteur  du  recueil  et 
de  la  traduction  de  sept  auteurs  grecs  qui  ont  écrit 
sur  la  musique.  Bourdelot,  son  premier  médecin, 
espèce  de  favori  et  plaisant  de  profession,  donna  à 
la  reine  l'idée  d'engager  ces  deux  savans,  l'un  à 
chanter  un  air  de  musique  ancienne,  et  l'autre  à  le 
danser.  Elle  y  réussit,  et  cette  farce  couvrit  de  ri- 
dicule les  deux  savans  qui  en  avoient  été  les  ac- 
teurs. Naudé  prit  la  plaisanterie  en  patience;  mais 
le  savant  en  us  s'emporta  et  poussa  la  colère  jusqu'à 
meurtrir  de  coups  de  poing  le  visage  de  Bourdelot  ; 
et,  après  cette  équipée,  il  se  sauva  de  la  cour,  et 
même  quitta  la  Suède. 

*  On  demandoit  au  valet  du  comte  de  Caglios- 
tro  s'il  étoit  vrai  que  son  maître  eût  trois  cents 
ans.  Il  répondit  qu'il  ne  pouvoit  point  satisfaire  à 
cette  question,  d'autant  plus  qu'il  n'y  avoit  que  cent 
ans  qu'il  étoit  à  son  service. 


32        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

*  Un  charlatan  disoit  la  bonne  aventure  au  peu- 
ple. Un  petit  décrotteur  s'avance  en  haillons, 
presque  nu,  sans  souliers,  lui  donne  un  sol  en 
quatre  liards.  Le  charlatan  les  prend,  lui  regarde 
les  mains,  fait  ses  simagrées  ordinaires  et  lui  dit  : 
«  Mon  cher  enfant,  vous  avez  beaucoup  d*envieux.  » 
L'enfant  prend  un  air  triste.  Le  charlatan  ajoute  : 
«  Je  ne  voudrois  pas  être  à  votre  place.  » 

*  M.  le  prince  de  Conti,  voyant  de  la  lumière 
à  la  fenêtre  d'une  petite  maison  du  duc  de  Lauzun, 
y  entra  et  le  trouva  entre  deux  géantes  de  la  foire 
qu'il  y  avoit  menées.  Il  resta  à  souper  et  écrivit  à 
madame  la  duchesse  d'Orléans,  chez  laquelle  il 
devoit  souper  :  «  Je  vous  sacrifie  à  deux  plus  grandes 
dames  que  vous.  » 

*  Le  peuple  dit  quelquefois  :\  «  Voilà  bien  du 
kankan  »,  pour  dire  :  «  Voilà  bien  du  bruit.  »  Cette 
expression  vient  de  la  dispute  élevée  dans  l'Univer- 
sité du  temps  de  Ramus,  dans  laquelle  il  s'agissoit  de 
savoir  s'il  falloit  prononcer  quanquam  ou  kankan. 
Il  fallut  un  arrêt  du  conseil  pour  défendre  à  quel- 
ques professeurs  de  soutenir  que  cette  phrase  ego 
amat  étoit  aussi  latine  que  ego  amo.  (V.  Bayle^ 
article  Kamus.) 

Fontenelle  avoit  fait  un  opéra  où  il  y  avoit  un 


ANECDOTES    ET     BONS    MOTS  33 

chœur  de  prêtres  qui  scandalisa  les  dévots.  Uarche- 
vêque  de  Paris  voulut  le  faire  supprimer.  «  Je  ne 
me  mêle  point  de  son  clergé,  dit  Fontenelle;  qu'il 
ne  se  mêle  pas  du  mien.  » 

La  maréchale  de  Luxembourg,  arrivant  à  l'église 
un  peu  trop  tard,  demanda  où  en  étoit  la  messe,  et 
dans  cet  instant  la  sonnette  du  lever-Dieu  sonna. 
Le  comte  de  Chabot  lui  dit  en  bégayant  :  «  Ma- 
dame la  maréchale, 

J'entends  la  petite  clochette, 

Le  petit  mouton  n'est  pas  loin.  » 

Ce  sont  deux  vers  d'un  opéra-comique. 

Le  cocher  du  roi  de  Prusse  l'ayant  versé,  le  roi 
entra  dans  une  colère  épouvantable.  «  Eh  bien!  dit 
le  cocher,  c'est  un  malheur;  et  vous,  n'avez-vous 
jamais  perdu  une  bataille  ?  » 

Le  roi  de  Prusse  causant  avec  d'Alembert,  il 
entra  chez  le  roi  un  de  ses  gens  du  service  domes- 
tique, homme  de  la  plus  belle  figure  qu'on  pût 
voir,  D'Alembert  en  parut  frappé.  «  C'est,  dit  le 
roi,  le  plus  bel  homme  de  mes  Etats.  Il  a  été 
-quelque  temps  mon  cocher,  et  j'ai  une  tentation 
bien  violente  de  l'envoyer  ambassadeur  en  Russie.  » 
Chamfort.  II.  5 


34  PORTRAITS      ET    CARACTERES 

M.  de  Voltaire  se  trouvant  avec  madame  la  du- 
chesse de  Chaulnes,  celle-ci,  parmi  les  éloges  qu'elle 
lui  donna,  insista  principalement  sur  l'harmonie  de 
sa  prose.  Tout  d'un  coup  voilà  M.  de  Voltaire  qui 
se  jette  à  ses  pieds  :  «  Ah  !  Madame,  je  vis  avec  un 
cochon  qui  n'a  pas  d'organe ,  qui  ne  sait  ce  que 
c'est  qu'harmonie,  mesure,  etc.  «  Le  cochon  dont 
il  parloit,  c'étoit  madame  du  Châtelet,  son  Emilie. 

Notre  siècle  a  produit  huit  grandes  comédiennes  : 
quatre  du  théâtre  et  quatre  de  la  société.  Les  qua- 
tre premières  sont  :  mademoiselle  d'Angeville, 
mademoiselle  Duménil ,  mademoiselle  Clairon  et 
madame  Saint  -  Huberti  ;  les  quatre  autres  sont: 
madame  de  Montesson ,  madame  de  Genlis,  ma- 
dame Necker  et  madame  d'AngiviUiers. 

Luxembourg ,  le  crieur  qui  appeloit  les  gens  et 
les  carrosses  au  sortir  de  la  Comédie ,  disoit ,  lors- 
qu'elle fut  transportée  au  Carrousel  :  «  La  Comédie 
sera  mal  ici,  il  n'y  a  point  d'écho.  » 

M..O  me  racontoit  avec  indignation  une  mal- 
versation de  vivriers.  «  Il  en  coûta,  me  dit-il,  la 
vie  à  cinq  mille  hommes ,  qui  moururent  exacte- 
ment de  faim.  Et  voilà j  Monsieur,  comme  le  roi  est 

servi!  » 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  35 

C'est  un  fait  certain  et  connu  des  amis  de 
M.  d'Aiguillon  que  le  roi  ne  l'a  jamais  nommé 
ministre  des  affaires  étrangères.  Ce  fut  madame  du 
Barry  qui  lui  dit  :  «  Il  faut  que  tout  ceci  finisse,  et 
je  veux  que  vous  alliez  demain  matin  remercier  le 
roi  de  vous  avoir  nommé  à  la  place.  »  Elle  dit  au 
roi  :  «  M.  d'Aiguillon  ira  demain  vous  remercier 
de  sa  nomination  à  la  place  de  secrétaire  d'État 
des  affaires  étrangères.  »  Le  roi  ne  dit  mot. 
M.  d'Aiguillon  n'osoit  pas  y  aller,  madame  du 
Barry  le  lui  ordonna;  il  y  alla.  Le  roi  ne  lui  dit 
rien  ,  et  M.  d'Aiguillon  entra  en  fonctions  sur-le- 
champ.  » 


C'est  un  fait  connu  que  la  lettre  du  roi  envoyée 
à  M.  de  Maurepas  avoit  été  écrite  pour  M.  de 
Machault.  On  sait  quel  intérêt  particulier  fit  chan- 
ger cette  disposition  ;  mais  ce  qu'on  ne  sait  point, 
c'est  que  M.  de  Maurepas  escamota ,  pour  ainsi 
dire,  la  place  qu'on  croit  qui  lui  avoit  été  offerte. 
Le  roi  ne  vouloit  que  causer  avec  lui.  A  la  fin  de  la 
conversation,  M.  de  Maurepas  lui  dit  :  «  Je  dé- 
velopperai mes  idées  demain  au  conseil.  »  On  as- 
sure aussi  que,  dans  cette  même  conversation,  il 
avoit  dit  au  roi  :  «  Votre  Majesté  me  fait  donc 
premier  ministre?  —  Non,  dit  le  roi,  ce  n'est 
point  du  tout  mon  intention.  —  J'entends,   dit 


36        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

M.  de  Maurepas,  Votre  Majesté  veut  que  je  lui 
apprenne  à  s'en  passer.  » 

Le  chevalier  de  Montbarey  avoit  vécu  dans  je 
ne  sais  quelle  ville  de  province,  et,  à  son  retour, 
ses  amis  le  plaignoient  de  la  mauvaise  société  qu'il 
avoit  eue.  «  C'est  ce  qui  vous  trompe,  répondit-il; 
la  bonne  compagnie  de  cette  ville  y  est  comme 
partout,  et  la  mauvaise  y  est  excellente.  » 

Un  jeune  homme  avoit  offensé  le  complaisant 
d'un  ministre.  Un  ami,  témoin  de  la  scène,  lui  dit, 
après  le  départ  de  l'offensé  :  s«  Apprenez  qu'il 
vaudroit  mieux  avoir  offensé  le  ministre  même  que 
l'homme  qui  le  sert  dans  sa  garde-robe.  » 

Diderot,  âgé  de  soixante-deux  ans  et  amoureux 
de  toutes  les  femmes,  disoit  à  un  de  ses  amis  :  «  Je 
me  dis  souvent  à  moi-même  :  «Vieux  fou!  vieux 
«  gueux!  quand  cesseras- tu  donc  de  t'exposer  à 
«  l'affront  d'un  refus  ou  d'un  ridicule  ?  » 

Une  fille,  étant  à  confesse,  dit  :  «  Je  m'accuse 
d'avoir  estimé  un  jeune  homme.  —  Estimé  !  com- 
bien de  fois?  »  demanda  le  père. 

Madame  de.,,  vivoit  avec  M.  de  Senevoi.  Un 
jour  qu'elle  avoit  son  mari  à  sa  toilette,  un  soldat 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  Sy 

arrive  et  lui  demande  sa  protection  auprès  de 
M.  de  Senevoi,  son  colonel,  auquel  il  demandoit 
un  congé.  Madame  de...  se  fâche  contre  cet  im- 
pertinent, dit  qu'elle  ne  connoît  M.  de  Senevoi 
que  comme  tout  le  monde,  en  un  mot,  refuse^ 
M.  de...  retient  le  soldat  et  lui  dit  :  «  Va  de- 
mander ton  congé  en  mon  nom,  et,  si  Senevoi  te 
le  refuse,  dis-lui  que  je  lui  ferai  donner  le  sien.  » 

M.  de  Chaulnes  avoit  fait  peindre  sa  femme  en 
Hébé  ;  il  ne  savoit  comment  se  faire  peindre  pour 
faire  pendant.  Mademoiselle  Quinault ,  à  qui  il 
contoit  son  embarras,  lui  dit  :  «  Faites-vous  pein- 
dre en  hébété.  » 

M.  de  Turenne,  voyant  un  enfant  passer  der- 
rière un  cheval  de  façon  à  pouvoir  être  estropié 
par  une  ruade,  l'appela  et  lui  dit  :  «  Mon  bel  en- 
fant, ne  passez  jamais  derrière  un  cheval  sans  lais- 
ser entre  lui  et  vous  l'intervalle  nécessaire  pour  que 
vous  ne  puissiez  en  être  blessé.  Je  vous  promets 
que  cela  ne  vous  fera  pas  faire  une  demi-lieue  de 
plus  dans  le  cours  de  votre  vie  entière  ;  et  souve- 
nez-vous que  c'est  M.  de  Turenne  qui  vous  l'a  dit.  » 

On  disoit  à  M...  :  «  Vous  aimez  beaucoup  la 
considération.»  Il  répondit  ce  mot  qui  me  frappa  ^ 


38        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

«  Non,  j'en  ai  pour  moi,  ce  qui  m'attire  quelque- 
fois celle  des  autres.  » 

M.  de  Bissi,  voulant  quitter  la  présidente  d'Ali- 
gre ,  trouva  sur  sa  cheiiinée  une  lettre  dans  la- 
quelle elle  disoit  à  un  homme  avec  qui  elle  étoit 
en  intrigue  qu'elle  vouloit  ménager  M.  de  Bissi  et 
s'arranger  pour  qu'il  la  quittât  le  premier.  Elle 
avoit  même  laissé  cette  lettre  à  dessein.  Mais 
M.  de  Bissi  ne  fit  semblant  de  rien,  et  la  garda  six 
mois  en  l'importunant  de  ses  assiduités. 

Madame  de  L...  est  coquette  avec  illusion,  en 
se  trompant  elle-même.  Madame  de  B...  l'est  sans 
illusion,  et  il  ne  faut  pas  la  chercher  parmi  les  dupes 
qu'elle  fait. 

M:  de  Boulainvilliers,  homme  sans  esprit,  très- 
vain  et  fier  d'un  cordon  bleu  par  charge,  disoit  à 
un  homme,  en  mettant  ce  cordon,  pour  lequel  il 
avoit  acheté  une  place  de  cinquante  mille  écus  : 
«  Ne  seriez-vous  pas  bien  aise  d'avoir  un  pareil 
ornement?  —  Non,  dit  l'autre;  mais  je  voudrois 
avoir  ce  qu'il  vous  coûte.  » 

L'évêque  d'Arras,  recevant  dans  sa  cathédrale  le 
corps  du  maréchal  de  Lévis,  dit  en  mettant  la  main 


il 


ANECDOTES    ET     BONS     MOTS  89 

sur  le  cercueil  :  «  Je  le  possède  enfin,  cet  homme 
vertueux  !  » 

Le  baron  de  La  Houze  ayant  rendu  quelques 
services  au  pape  Ganganelli,  ce  pape  lui  demanda 
s'il  pouvoit  faire  quelque  chose  qui  lui  fût  agréa- 
ble. Le  baron  de  La  Houze,  rusé  Gascon,  le  pria 
de  lui  faire  donner  un  corps  saint.  Le  pape  fut 
très-surpris  de  cette  demande  de  la  parL  d'un  Fran- 
çois. Il  lui  fit  donner  ce  qu'il  demandoit.  Le  baron, 
qui  avoit  une  petite  terre  dans  les  Pyrénées ,  d'un 
revenu  très-mince,  sans  débouché  pour  les  denrées, 
y  fit  porter  son  saint,  le  fit  accréditer.  Les  chalands 
accoururent,  les  miracles- arrivèrent ,  un  village 
d'auprès  se  peupla ,  les  denrées  augmentèrent  de 
prix ,  et  les  revenus  du  baron  triplèrent. 

La  maréchale  de  Noailles,  actuellement  vivante 
(1780),  est  une  mystique  comme  madame  Guyon, 
à  l'esprit  près.  Sa  tête  s'étoit  montée  au  point 
d'écrire  à  la  Vierge.  Sa  lettre  fut  mise  dans  le  tronc 
de  Saint-Roch,  et  la  réponse  à  cette  lettre  fut  faite 
par  un  prêtre  de  cette  paroisse.  Ce  manège  dura 
longtemps;  le  prêtre  fut  découvert  et  inquiété, 
mais  on  assoupit  cette  affaire, 

M.  de  Lassay,  homme  très-doux,  mais  qui  avoit 
une  grande  connoissance  de  la  société,  disoit  qu'il 


40       PORTRAITS  ET  CARACTERES 

faudroit  avaler  un  crapaud  tous  les  matins  pour  ne 
plus  rien  trouver  de  dégoûtant  le  reste  de  la  journée, 
quand  on  devoit  la  passer  dans  le  monde. 

Le  duc  de  La  Vallière,  voyant  à  l'Opéra  la  petite 
Lacour  sans  diamans,  s'approche  d'elle  et  lui  de- 
mande comment  cela  se  fait.  «  C'est,  lui  dit-elle, 
que  les  diamans  sont  la  croix  de  Saint-Louis  de 
notre  état.  »  Sur  ce  mot,  il  devint  amoureux  fou 
d'elle.  Il  a  vécu  avec  elle  longtemps.  Elle  le  sub- 
juguoit  par  les  mêmes  moyens  qui  réussirent  à  ma- 
dame du  Barry  près  de  Louis  XV;  elle  lui  ôtoit 
son  cordon  bleu,  le  mettoit  à  terre  et  lui  disoit  : 
«  Mets-toi  à  genoux  là-dessus,  vieille  ducaille.  » 

M...  disoît  d'un  sot  sur  lequel  il  n'y  a  pas  de 
prise  :  a  C'est  une  cruche  sans  anse.  » 

*  Le  duc  d'York,  depuis  Jacques  II,  proposoit 
à  Charles  II,  son  frère,  je  ne  sais  quelle  action  qui 
devoit  inquiéter  les  communes.  Le  roi  lui  répondit  : 
«  Mon  frère,  je  suis  las  de  voyager  en  Europe.  Après 
moi,  vous  pourrez  vous  mettre  dans  le  cas  de 
voyager  tant  qu'il  vous  plaira.  »  Celui-ci  put  se 
rappeler  ce  mot  de  son  frère  dans  le  long  séjour 
qu'il  fit  à  Saint-Germain. 

*  Jules  César,  ayant  entendu  un  orateur  qui  dé- 


ANECDOTES    ET    BONS    MOTS  41 

clamoit  mal,  lui  dit  :  «  Si  vous  avez  voulu  parler, 
vous  avez  chanté;  si  vous  avez  voulu  chanter, 
vous  avez  chanté  très-mal.  » 

*  Le  pape  Clément  XI  disoit,  en  pleurant  d'a- 
voir donné  la  constitution  :  «  Si  le  P.  Le  Tellier 
ne  m'eût  pas  persuadé  du  pouvoir  absolu  du  roi, 
jamais  je  n'aurois  hasardé  cette  constitution.  Le 
P.  Le  Tellier  a  dit  au  roi  qu'il  y  avoit  dans  le 
livre  condamné  plus  de  cent  propositions  censu- 
rables;  il  n'a  pas  voulu  passer  pour  un  menteur. 
On  m'a  tenu  le  pied  sur  la  gorge  pour  en  mettre 
plus  de  cent  :  je  n'en  ai  mis  qu'une  de  plus.  » 

*  Un  curé  écrivoit  à  madame  de  Créqui  sur  la 
mort  de  M.  de  Créqui-Canaples,  incrédule  bi- 
zarre :  «  Je  suis  bien  inquiet  du  salut  de  son  âme; 
mais,  comme  les  jugemens  de  Dieu  sont  impéné- 
trables et  que  le  défunt  avoit  l'honneur  d'être 
de  votre  maison,  etc..  » 

Le  comte  d'Argenson,  homme  d'esprit,  mais 
dépravé  et  se  jouant  de  sa  propre  honte,  disoit  i 
«  Mes  ennemis  ont  beau  faire,  ils  ne  me  culbuteront 
pas  :  il  n'y  a  ici  personne  plus  valet  que  moi. 

La  Fontaine,  entendant  plaindre  le  sort  des 
damnés  au  milieu  de  l'enfer,  dit  :  «  Je  me  flatte 

6 


42        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

qu'ils  s'y  accoutument ,   et  qu'à  la  fin  ils  sont  là 
comme  le  poisson  dans  l'eau.  » 

L'abbé  de  Dangeau,  de  l'Académie  françoise, 
grand  puriste,  travailloit  à  une  grammaire  et  ne  par- 
loit  d'autre  chose.  Un  jour,  on  se  lamentoit  devant 
lui  sur  les  malheurs  de  la  dernière  campagne  (c'étoit 
pendant  les  dernières  années  de  Louis  XIV).  «  Tout 
cela  n'empêche  pas,  dit-il  ,  que  je  n'aie  dans  ma 
cassette  deux  mille  verbes  François  bien  conjugués.  » 

Madame  de  Maurepas  avoit  de  l'amitié  pour  le 
comte  de  Lowendahl  (fils  du  maréchal),  et  celui-ci, 
à  son  retour  de  Saint-Domingue ,  bien  fatigué  du 
voyage, descendit  chez  elle.  «  Ah!  vous  voilà,  cher 
comte?  dit-elle.  Vous  arrivez  bien  à  propos  :  il 
nous  manque  un  danseur,  et  vous  nous  êtes  néces- 
saire. »  Celui-ci  n'eut  que  le  temps  de  faire  une 
courte  toilette  et  dansa. 

Avant  que  mademoiselle  Clairon  eût  étabh  le 
costume  au  Théâtre-François,  on  ne  connoissoit 
pour  le  théâtre  tragique  qu'un  seul  habit  qu'on 
appeloit  l'habit  à  la  romaine,  et  avec  lequel  on 
jouoit  les  pièces  grecques,  américaines,  espa- 
gnoles ,  etc.  Lekain  fut  le  premier  à  se  soumettre 
au  costume,  et  se  fit  faire  un  habit  grec  pour  jouer 
Oreste  d'Andromaque.   Dauberval   arriva  dans  la 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  4$ 

loge  de  Lekain  au  moment  que  le  tailleur  de  la 
comédie  apportoit  l'habit  d'Oreste.  La  nouveauté 
de  cet  habit  frappa  Dauberval,  qui  demanda  ce  que 
c'étoit.  «  Cela  s'appelle  un  habit  à  la  grecque,  dit 
Lekain. — Ah!  qu'il  est  beau!  reprend  Dauberval; 
le  premier  habit  à  la  romaine  dont  j'aurai  besoin, 
je  le  ferai  faire  à  la  grecque.  » 

Le  duc  de...,  qui  avoit  autrefois  de  l'esprit,  qui 
recherchoit  la  conversation  des  honnêtes  gens,  s'est 
mis,  à  cinquante  ans,  à  mener  la  vie  d'un  courtisan 
ordinaire.  Ce  métier  et  la  vie  de  Versailles  lui  con- 
viennent dans  la  décadence  de  son  esprit ,  comme 
le  jeu  convient  aux  vieilles  femmes. 

On  faisoit  la  guerre  à  M...  sur  son  goût  pour 
la  solitude.  Il  répondit  :  «  C'est  que  je  suis  plus 
accoutumé  à  mes  défauts  qu'à  ceux  d'autrui.  » 

Madame  du  Deffand,  étant  petite  fille  et  au 
couvent,  y  prêchoit  l'irréligion  à  ses  petites  cama- 
rades. L'abbé  fît  venir  Massillon,  à  qui  la  petite 
exposa  ses  raisons»  Massîllon  se  retira  en  disant  : 
«  Elle  est  charmante.  »  L'abbesse,  qui  mettoit  de 
l'importance  à  tout  cela,  demanda  à  l'évêque  quel 
livre  il  falloit  faire  lire  à  cette  enfant.  Il  réfléchit  une 
minute ,  et  il  répondit  :  «  Un  catéchisme  de  cinq 
sous.  ))  On  ne  put  en  tirer  autre  chose. 


44       'ORTRAITS  ET  CARACTERES 

M...  disoit  :  «  Je  ne  me  soucierois  pas  d'être 
chrétien,  mais  je  ne  serois  pas  fâché  de  croire  en 
Dieu.  » 

Quelqu'un,  ayant  entendu  la  traduction  des  Géor' 
gïques  de  l'abbé  DeHUe,  lui  dit  :  «  Cela  est  excel- 
lent; je  ne  doute  pas  que  vous  n'ayez  le  premier 
bénéfice  qui  sera  à  la  nomination  de  Virgile.  » 

M.  de  Maurepas  et  M.  d£  Saint-Florentin,  tous 
deux  ministres  dans  le  temps  de  madame  de  Pom- 
padour,  firent  un  jour,  par  plaisanterie,  la  répéti- 
tion du  compliment  de  renvoi  qu'ils  prévoyoient 
que  l'un  feroit  un  jour  à  l'autre.  Quinze  jours 
après  cette  facétie,  M.  de  Maurepas  entre  un  jour 
chez  M.  de  Saint-Florentin,  prend  un  air  triste  et 
grave,  et  vient  lui  demander  sa  démission.  M.  de 
Saint-Florentin  paroissoit  en  être  la  dupe,  lorsqu'il 
fut  rassuré  par  un  éclat  de  rire  de  M.  de  Maurepas. 
Trois  semaines  après  arriva  le  tour  de  celui-ci,  mais 
sérieusement.  M.  de  Saint-Florentin  entre  chez 
lui,  et,  se  rappelant  le  commencement  de  la  haran- 
gue de  M.  de  Maurepas,  le  jour  de  sa  facétie,  il 
répéta  ses  propres  mots.  M.  de  Maurepas  crut 
d'abord  que  c'étoit  une  plaisanterie,  mais,  voyant 
que  l'autre  parloit  tout  de  bon  :  «  Allons,  dit-il,  je 
vois  bien  que  vous  ne  me  persiflez  pas  ;  vous  êtes 


ANECDOTES     ET     BONS    MOTS  45 

un  honnête  homme  :  je  vais  vous  donner  ma  dé- 
mission. » 

Une  jeune  personne  dont  la  mère,  à  qui  les 
treize  ans  de  sa  fille  déplaisoient  infiniment,  étoit 
jalouse,  me  disoit  un  jour  :  «  J'ai  toujours  envie 
de  lui  demander  pardon  d'être  née.  » 

On  faisoit  compliment  à  madame  Denis  de  la 
façon  dont  elle  venoit  de  jouer  Zaïre.  «  Il  fau- 
droit,  dit-elle,  être  belle  et  jeune.  — Ah  !  Madame, 
reprit  le  complimenteur  naïvement,  vous  êtes  bien 
la  preuve  du  contraire.  » 

Un  avare  souffroit  beaucoup  d'un  mal  de  dent; 
on  lui  conseilloit  de  la  faire  arracher  :  «  Ah!  dit-il, 
je  vois  bien  qu'il  faudra  que  j'en  fasse  la  dépense  !  » 

Madame  Brisard ,  célèbre  par  ses  galanteries, 
étant  à  Plombières,  plusieurs  femmes  de  la  cour  ne 
vouloient  point  la  voir.  La  duchesse  de  Gisors  ctoit 
du  nombre,  et ,  comme  elle  étoit  dévote,  les  amis 
de  madame  Brisard  comprirent  que,  si  madame  de 
Gisors  la  recevoit ,  les  autres  n'en  feroient  aucune 
difficulté.  Ils  entreprirent  cette  négociation  et  réus- 
sirent. Comme  madame  Brisard  étoit  aimable,  elle 
plut  bientôt  à  la  dévote,  et  elles  en  vinrent  à  l'in- 
timité. Un  jour,  madame  de  Gisors  lui  fit  entendre 


46        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

que,  tout  en  concevant  très-bien  qu'on  eût  une 
foiblesse,  elle  ne  comprenoit  pas  qu'une  femme 
vînt  à  multiplier  à  un  certain  point  le  nombre  de 
ses  amans.  «  Hélas!  lui  dit  madame  Brisard,  c'est 
qu'à  chaque  fois  j'ai  cru  que  celui-là  seroit  le 
dernier.  » 

Madame  de  H...  me  racontoit  la  mort  de  M.  le 
duc  d'Aumont.  «Cela  a  tourné  bien  court!  disoit- 
elle.  Deux  jours  auparavant,  M.  Bouvard  lui  avoit 
permis  de  manger,  et,  le  jour  même  de  sa  mort, 
deux  heures  avant  la  récidive  de  sa  paralysie,  il 
étoit  comme  à  trente  ans,  comme  il  avoit  été  toute 
sa  vie;  il  avoit  demandé  son  perroquet,  avoit  dit  : 
«  Brossez  ce  fauteuil...  Voyons  mes  deux  brode- 
«  ries  nouvelles...  »;  enfin  toute  sa  tête,  ses  idées 
comme  à  l'ordinaire.  » 

«  Je  hais  si  fort  le  despotisme,  disoit  M..., 
que  je  ne  puis  souffrir  le  mot  ordonnance  du  mé- 
decin. » 

M.  de  Saint-Julien,  le  père,  ayant  ordonné  à 
son  fils  de  lui  donner  la  liste  de  ses  dettes,  celui-ci 
mit  à  la  tête  de  son  bilan  soixante  mille  livres  pour 
une  charge  de  conseiller  au  Parlement  de  Bordeaux. 
Le  père,  indigné,  crut  que  c'étoit  une  raillerie,  et  lui 
en  fit  des  reproches  amers.  Le  fils  soutint  qu'il  avoit 


ANECDOTES    ET     BONS    MOTS  47 

payé  cette  charge.  «  C'étoit,  dit-il,  lorsque  je  fis 
connoissance  avec  madame  Tilaurier.  Elle  souhai- 
toit  d'avoir  une  charge  de  conseiller  au  Parlement 
de  Bordeaux  pour  son  mari,  et  jamais,  sans  cela, 
elle  n'auroit  eu  d'amitié  pour  moi.  J'ai  payé  la 
place,  et  vous  voyez,  mon  père,  qu'il  n'y  a  pas  de 
quoi  être  en  colère  contre  moi,  et  que  je  ne  suis 
pas  un  mauvais  plaisant.  » 

On  disputoit  chez  madame  de  Luxembourg  sur 
ce  vers  de  l'abbé  Delille  : 

Et  ces  deux  grands  débris  se  consoloient  entre  eux  ! 

On  annonce  le  bailli  de  Breteuil  et  madame  de  La 
Reynière.  «  Le  vers  est  bon,  »  dit  la  maréchale. 

Diderot  étoit  lié  avec  un  mauvais  sujet  qui,  par 
je  ne  sais  quelle  mauvaise  action  récente,  venoit 
de  perdre  l'amitié  d'un  oncle,  riche  chanoine,  qui 
vouloit  le  priver  de  sa  succession.  Diderot  va  voir 
l'oncle,  prend  un  air  grave  et  philosophique,  prê- 
che en  faveur  du  neveu  et  essaye  de  remuer  la 
passion  et  de  prendre  le  ton  pathétique.  L'oncle 
prend  la  parole  et  lui  conte  deux  ou  trois  indigni- 
tés de  son  neveu.  «  Il  a  fait  pis  que  tout  cela,  re- 
prend Diderot.  —  Et  quoi?  dit  l'oncle.  —  Il  a 
voulu  vous  assassiner  un  jour  dans  la  sacristie ,  au 


48       PORTRAITS  ET  CARACTÈRES 

sortir  de  votre  messe ,  et  c'est  l'arrivée  de  deux  ou 
trois  personnes  qui  l'en  a  empêché.  —  Cela  n'est 
pas  vrai!  s'écria  l'oncle;  c'est  une  calomnie.  — 
Soit,  dit  Diderot;  mais,  quand  cela  seroit  vrai,  il 
faudroit  encore  pardonner  à  la  vérité  de  son  re- 
pentir, à  sa  position  et  aux  malheurs  qui  l'attendent 
si  vous  l'abandonnez.  » 

D...,  misanthrope  plaisant,  me  disoit ,  à  propos 
de  la  méchanceté  des  hommes  :  «  11  n''y  a  que 
l'inutilité  du  premier  déluge  qui  empêche  Dieu 
d'en  envoyer  un  second.  » 

M.  de  Brissac,  ivre  de  gentilhommerie,  désigne 
souvent  Dieu  par  cette  phrase  :  «  Le  gentilhomme 
d'en  haut.  » 

Louis  XIV,  après  la  bataille  de  Ramillies ,  dont 
il  venoit  d'apprendre  le  détail,  dit  :  a  Dieu  a  donc 
oubUé  tout  ce  que  j'ai  fait  pour  lui?»  [Anecdote 
contée  à  M.  de  Voltaire  par  un  vieux  duc  de 
Brancas.) 

Le  roi  de  Pologne  Stanislas  avançoit  tous  les 
jours  l'heure  de  son  dîner,  M.  de  La  Galaisière 
lui  dit  à  ce  sujet  :  «  Sire,  si  vous  continuez,  vous 
finirez  par  dîner  la  veille.  » 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  49 

M...,  qui  avoit  une  collection  des  discours  de 
réception  à  l'Académie  françoise  ,  me  disoit  : 
«  Lorsque  j'y  jette  les  yeux,  il  me  semble  voir  des 
carcasses  de  feu  d'artifice  après  la  Saint-Jean.  » 

Un  jour  que  l'on  ne  s'entendoit  pas  dans  une 
dispute  à  l'Académie,  M.  de  Mairan  dit  :  «  Mes- 
sieurs, si  nous  ne  parlions  que  quatre  à  la  fois  !  » 

Un  poëte  consultoit  C.  sur  un  distique,  a  Ex- 
cellent, répondit-il,  sauf  les  longueurs.  » 

Quinze  jours  avant  l'attentat  de  Damiens,  un 
négociant  provençal,  passant  dans  une  petite  ville 
à  six  lieues  de  Lyon  et  étant  à  l'auberge,  entendit 
dire  dans  une  chambre  qui  n'étoit  séparée  de  la 
sienne  que  par  une  cloison  qu'un  nommé  Damiens 
devoit  assassiner  le  roi.  Ce  négociant  venoit  à 
Paris;  il  alla  se  présenter  chez  M.  Berryer,  ne  le 
trouva  point,  lui  écrivit  ce  qu'il  avoit  entendu,  re- 

1  tourna  voir  M.  Berryer,  et  lui  dit  cjui  il  étoit.  Il 
repartit  pour  sa  province.  Comme  il  étoit  en  route, 

I  arriva  l'attentat  de  Damiens.  M.  Berryer,  qui 
comprit  que  ce  négociant  conteroit  son  histoire 
et  que  cette  négligence  le  perdroit,  lui  Berryer, 
envoie  un  exempt  de  police  et  des  gardes  sur  la 
route  de  Lyon.  On  saisit  l'homme,  on  le  bâillonne, 
on  l'amène  à  Paris ,  on  !e  met  à  la  Bastille ,  où  il 
Chamfort.   II.  7 


So       PORTRAITS  ET  CARACTÈRES 

est  resté  pendant  dix-huit  ans.  M.  de  Malesherbes, 
qui  en  délivra  plusieurs  prisonniers  en  177 5,  conta 
cette  histoire  dans  le  premier  moment  de  son  in- 
dignation. 

*  Néricault  Destouches  vivoit  dans  sa  terre  et  y 
faisoit  ses  pièces.  Il  les  apportoit  à  Paris,  et  s'en 
alloit  la  veille  de  la  première  représentation. 

*  Un  ordre  de  choses  où  le  supérieur  est  vil  et 
l'inférieur  avili» 

La  devise  de  Marie  Stuart  étoit  une  branche  de 
réglisse  avec  ces  mots  :  Dulcedo  in  terra,  par  allu- 
sion à  François  II,  mort  dès  sa  jeunesse. 

*  Diderot,  ayant  vu  en  Russie  une  classe  de 
paysans  esclaves  appelés  mougiks,  qui  sont  d'une 
pauvreté  affreuse,  rongés  de  vermine,  etc.,  en  fit 
une  peinture  horrible  à  l'impératrice,  qui  lui  dit  : 
«  Comment  voulez-vous  qu'ils  aient  soin  de  la  mai- 
son, ils  n'en  sont  que  locataires?  »  L'esclave  russe, 
en  effet,  n'est  point  propriétaire  de  sa  personne. 

On  agitoit  dans  une  société  la  question  :  «  Le- 
quel étoitplus  agréable,  de  donner  ou  de  recevoir?  » 
Les  uns  prétendoient  que  c'étoit  de  donner  ;  d'au- 
tres, que,  quand  l'amitié  étoit  parfaite,  le  plaisir 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  5r 

de  recevoir  étoit  peut-être  aussi  délicat  et  plus  vif. 
Un  homme  d'esprit,  à  qui  on  demanda  son  avis, 
dit  :  «  Je  ne  demanderai  pas  lequel  des  deux  plai- 
sirs est  le  plus  vif,  mais  je  préférerois  celui  de  don- 
ner. Il  m'a  semblé  qu'au  moins  il  étoit  le  plus  du- 
rable, et  j'ai  toujours  vu  que  c'étoit  celui  des  deux 
dont  on  se  souvenoit  plus  longtemps.  » 

Une  forte  preuve  de  l'existence  de  Dieu ,  selon 
Dorilas,  c'est  l'existence  de  l'homme,  de  l'homme 
par  excellence  ,  dans  le  sens  le  moins  susceptible 
d'équivoque,  dans  le  sens  le  plus  exact,  et,  par 
conséquent,  un  peu  circonscrit;  en  un  mot,  de 
l'homme  de  qualité.  C'est  le  chef-d'œuvre  de  la 
Providence,  ou  plutôt  le  seul  ouvrage  immédiat  de 
ses  mains.  Mais  on  prétend,  on  assure  qu'il  existe 
des  êtres  d'une  ressemblance  parfaite  avec  cet  être 
privilégié.  Dorilas  a  dit  :  «  Est-il  vrai?  Quoi  !  même 
figure,  même  conformation  extérieure?»  Eh  bien! 
l'existence  de  ces  individus,  de  ces  hommes,  puis- 
qu'on les  appelle  ainsi,  qu'il  a  niée  autrefois,  qu'il 
a  vue,  à  sa  grande  surprise,  reconnue  par  plusieurs 
de  ses  égaux;  que  par  cette  raison  seule  il  ne  nie 
plus  formellement,  sur  laquelle  il  n'a  plus  que  des 
nuages,  des  doutes  bien  pardonnables ,  tout  à  fait 
involontaires  ;  contre  laquelle  il  se  contente  de 
protester  simplement  par  des  hauteurs,  par  l'oubli 
des  bienséances  ou  par  des  bontés  dédaigneuses  ; 


52  PORTRAITS     ET    CARACTERES 

l'existence  de  tous  ces  êtres,  sans  douie  mal  défi- 
nis, qu'en  fera-t-il?  comment  l'expliquera-t-il? 
Comment  accorder  ce  phénomène  avec  sa  théorie? 
dans  quel  système  physique,   métaphysique,    ou, 
s'il  le  faut,  mythologique,  ira-t-il  chercher  la  solu- 
tion de  ce  problème?  Il  réfléchit,  il  rêve  ,  il  est  de 
bonne  foi;    l'objection    est  spécieuse,    il    en    est 
ébranlé.  Il  a  de  l'esprit,  des  connoissances;  il  va 
trouver  le  mot  de  l'énigme;  il  l'a  trouvé,  il  le  tient, 
la  joie  brille  dans  ses  yeux.  Silence.   On  connoît 
dans  la    théologie  persane   la  doctrine    des  deux 
principes,  celui  du  bien  et  celui  du  mal.  Eh  quoi! 
vous  ne  saisissez  pas?  Rien  de  plus  simple.  Le  gé- 
nie, les  talens,  les  vertus,  sont  des  inventions  du 
mauvais  principe,   d'Orimane ,   du    diable,    pour 
mettre  en  évidence,  pour  produire  au  grand  jour 
certains  misérables,  plébéiens  reconnus,  vrais  rotu- 
riers ou  à  peine  gentilshommes. 

Une  femme  venoit  de  perdre  son  mari.  Son  con- 
fesseur ad  honores  vint  la  voir  le  lendemain  et  la 
trouva  jouant  avec  un  jeune  homme  très-bien  mis. 
«  Monsieur,  lui  dit-elle,  le  voyant  confondu,  si 
vous  étiez  venu  une  demi -heure  plus  tôt,  vous 
m'auriez  trouvée  les  yeux  baignés  de  larmes  ;  mais 
j'ai  joué  ma  douleur  contre  Monsieur,  et  je  l'ai 
perdue.  » 

*Un  homme,  devant  un  grand  dîner,  ne  distin- 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  53 

guant  point  les  plats,  disoit  qu'il  ressembloit  à  cet 
homme  que  les  maisons  empêchoient  de  voir  la 
ville. 

*  Un  militaire  qui  s'étoit  souvent  battu  en  duel, 
se  trouvant  à  Paris,  fit  accepter  à  un  vieux  lieute- 
nant général  une  épée  qu'il  lui  vantoit  beaucoup. 
Quelques  jours  après,  il  alla  le  voir,  et  lui  dit: 
«  Eh  bien!  mon  général,  comment  vous  trouvez- 
vous  de  cette  épée?  »  Il  supposoit  que  celui-ci  en 
avoit  déjà  fait  usage  en  quelques  rencontres. 

Madame  du  Barry,  étant  h  Luciennes,eut  la  fan- 
taisie de  voir  le  Val,  maison  de  M.  de  Beauvau. 
Elle  fit  demander  à  celui-ci  si  cela  ne  déplairoit  pas 
à  madame  de  Beauvau.  Madame  de  Beauvau  crut 
plaisant  de  s'y  trouver  et  d'en  faire  les  honneurs. 
On  parla  de  ce  qui  s'étoit  passé  sous  Louis  XV. 
Madame  du  Barry  se  plaignit  de  différentes  choses 
qui  sembloient  faire  voir  qu'on  haïssoit  sa  personne. 
«  Point  du  tout,  dit  madame  de  Beauvau,  nous 
n'en  voulions  qu'à  votre  place.  »  Après  cet  aveu 
naïf,  on  demanda  à  madame  du  Barry  si  Louis XV 
;  ne  disoit  pas  beaucoup  de  mal  d'elle  (madame  de 
Beauvau)  et  de  madame  de  Grammont.  «  Oh  I 
beaucoup.  —  Eh  bien!  quel  mal  de  moi,  par 
I  exemple  ?  —  De  vous ,  Madame  ,  que  vous  étiez 
li  hautaine,  intrigante;  que  vous  meniez  votre  mari 


54        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

par  le  nez.  »  M.  de  Beauvau  étoit  présent  :  on  se 
hâta  de  changer  de  conversation. 

M.  Dubreuil,  pendant  la  maladie  dont  il  mou- 
rut, disoit  à  son  ami  M.  Pechméja  :  «  Mon  ami, 
pourquoi  tant  de  monde  dans  ma  chambre?  Il 
ne  devroit  y  avoir  que  toi  :  ma  maladie  est  conta- 
gieuse. » 

M.  Du  Bucq  disoit  que  les  femmes  sont  si  décriées 
qu'il  n'y  a  même  plus  d'hommes  à  bonnes  fortunes. 

La  Gabrielli,  célèbre  chanteuse,  ayant  demandé 
cinq  mille  ducats  a  l'impératrice  pour  chanter 
deux  mois  à  Pétersbourg,  l'impératrice  répondit: 
«  Je  ne  paye  sur  ce  pied-là  aucun  de  mes  feld- 
maréchaux.  —  En  ce  cas,  dit  la  GabrielH,  Votre 
Majesté  n'a  qu'à  faire  chanter  ses  feld-maréchaux.  » 
L'impératrice  paya  les  cinq  mille  ducats. 

Duclos,  qui  disoit  sans  cesse  des  injures  à  l'abbé 
d'Olivet,  disoit  de  lui  :  «  C'est  un  si  grand  coquin 
que,  malgré  les  duretés  dont  je  l'accable,  il  ne  me 
hait  pas  plus  qu'un  autre.  » 

Duclos  disoit  à  un  homme  ennuyé  d'un  sermon 
prêché  à  Versailles  :  «  Pourquoi  avez-vous  entendu 
ce  sermon  jusqu'au  bout? — J'ai  craint  de  dérangei 


ANECDOTES    ET     BONS    MOTS  55 

l'auditoire  et  de  le  scandaliser.  —  Ma  foi,  reprit 
Duclos,  plutôt  que  d'entendre  ce  sermon,  je  me 
serois  converti  au  premier  point.  » 

Mademoiselle  Duthé ,  ayant  perdu  un  de  ses 
amans ,  et  cette  aventure  ayant  fait  du  bruit ,  un 
homme  qui  alla  la  voir  la  trouva  jouant  de  la 
harpe,  et  lui  dit  avec  surprise  :  «  Eh!  mon  Dieu  ! 
je  m'attendois  à  vous  trouver  dans  la  désolation. 
—  Ah  !  dit-elle  d'un  ton  pathétique  ,  c'est  hier 
qu'il  falloit  me  voir  !  » 

«  Je  joue  aux  échecs  à  vingt-quatre  sous  dans 
un  salon  où  le  passe-dix  est  à  cent  louis,  »  disoit 
un  général  employé  dans  une  guerre  difficile  et 
ingrate,  tandis  que  d'autres  faisoient  des  cam- 
pagnes faciles  et  brillantes. 

M.  de  B...  est  un  de  ces  sots  qui  regardent  de 
bonne  foi  l'échelle  des  conditions  comme  celle 
du  mérite  ;  qui  le  plus  naïvement  du  monde  ne 
conçoit  pas  qu'un  honnête  homme  non  décoré  ou 
au-dessous  de  lui  soit  plus  estimé  que  lui.  Le  ren- 
contre-t-il  dans  une  de  ces  maisons  où  l'on  sait 
encore  honorer  le  mérite,  M.  de  B...  ouvre  de 
grands  yeux,  montre  un  étonnement  stupide  ;  il 
croit  que  cet  homme  vient  de  gagner  un  quaterne 
à  la  loterie  :  il  l'appelle  mon  cher  un  tel,  quand 


56        PORTRAITS  ET  CARACTÈRES 

la  société  vient  de  le  traiter  avec  la  plus  grande 
considération.  J'ai  vu  plusieurs  de  ces  scènes  dignes 
du  pinceau  de  La  Bruyère. 

M...,  qui  venoit  de  publier  un  ouvrage  qui 
avoit  beaucoup  réussi,  étoit  sollicité  d'en  publier 
un  second  dont  ses  amis  faisoient  grand  cas. 
«  Non,  dit-il,  il  faut  laisser  à  l'envie  le  temps 
d'essuyer  son  écume.  » 

Le  comte  de...  et  le  marquis  de...  me  deman- 
dant quelle  différence  je  faisois  entre  eux  en  fait 
de  principes,  je  répondis  :  «  La  différence  qu'il  y 
a  entre  vous  est  que  l'un  lécheroit  l'écumoire,  et 
que  l'autre  l'avaleroit.  » 

On  disoit  à  Louis  XV  qu'un  de  ses  gardes,  qu'on 
lui  nommoit,  alloit  mourir  sur-le-champ  pour  avoir 
fait  la  mauvaise  plaisanterie  d'avaler  un  écu  de  six 
livres.  «  Ah  !  bon  Dieu!  dit  le  roi,  qu'on  aille  cher- 
cher Andouillet,  Lamartinière,  Lassone  !  —  Sire, 
dit  le  duc  de  Noailles,  ce  ne  sont  point  là  les  gens 
qu'il  faut.  —  Et  qui  donc?  —  Sire,  c'est  l'abbé 
Terray.  —  L'abbé  Terray!  Comment?  —  Il  arri- 
vera, il  mettra  sur  ce  gros  écu  un  premier  dixième, 
un  second  dixième,  un  premier  vingtième,  un  se- 
cond vingtième;  le  gros  écu  sera  réduit  à  trente- 
six  sous,  comme  les  nôtres;  il  s'en  ira  par  les  voies 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  Sj 

ordinaires,  et  voilà  le  malade  guéri.  »  Cette  plai- 
santerie fut  la  seule  qui  ait  fait  de  la  peine  à  l'abbé 
Terraj;  c'est  la  seule  dont  il  eût  conservé  le  sou- 
venir :  il  le  dit  lui-même  au  marquis  de  Sesmai- 
sons. 

On  parloit  à  l'abbé  Terrasson  d'une  certaine 
édition  de  la  Bible;  on  la  vantoit  beaucoup.  «  Oui, 
dit-il,  le  scandale  du  texte  y  est  conservé  dans 
toute  sa  pureté.  » 

On  annonça,  dans  une  maison  où  soupoit  ma- 
dame d'Egmont,  un  homme  qui  s'appeloit  du  Gues- 
clin.  A  ce  nom,  son  imagination  s'allume;  elle  fait 
mettre  cet  homme  à  table  à  côté  d'elle*,  lui  fait 
mille  politesses,  et  enfin  lui  offre  dv.  plat  qu'elle  a 
devant  elle  (c'étoient  des  truffes).  «  Madame, 
répond  le  sot,  il  n'en  faut  pas  à  côté  de  vous.  »  — 
«A  ce  ton,  dit-elle  en"contant  cette  histoire,  j'eus 
grand  regret  à  mes  honnêtetés.  Je  fis  somme  ce 
dauphin  qui,  dans  le  naufrage  d'un  vaisseau,  crut 
sauver  un  homme,  et  le  rejeta  à  la  mer  en  voyant 
que  c'étolt  un  singe.  » 

La  comtesse  d'Egmont,  ayant  trouvé  un  homme 
du  premier  mérite  à  mettre  à  la  tête  de  l'éducation 
de  M.  de  Chinon,  son  neveu,  n'osa  pas  le  présen- 
ter en  son  nom.  Elle  étoit  pour  M.   de  Fronsac, 

8 


58        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

son  frère,  un  personnage  trop  grave.  Elle  pria  le 
poëte  Bernard  de  passer  'chez  elle.  Il  y  alla,  elle 
le  mit  au  fait.  Bernard  lui  dit  :  «  Madame,  l'auteur 
de  l'Art  d'aimer  n'est'pas  un  personnage  bien  im- 
posant; mais  je  le  suis  encore  un  peu  trop  pour 
cette  occasion  :  je  pourrois  vous  dire  que  made- 
moiselle Arnould  seroit  un  passe-port  beaucoup 
meilleur  auprès  de  monsieur  votre  frère...  —  Eh 
bien!  dit  madame  d'Egmont  en  riant,  arrangez  le 
souper  chez  mademoiselle  Arnould.  «  Le  souper 
s'arrangea.  Bernard  y  proposa  l'abbé  Lapdant  pour 
précepteur;  il  fut  agréé.  C'est  celui  qui  a  depuis 
achevé  l'éducation  du  duc  d'Enghien. 

Une  mère,  après  un  trait  d'entêtement  de  son 
fils,  disoit  que  les  enfans  étoient  très-égoïstes. 
«  Oui,  dit  M...,  en  attendant  qu'ils  soient  polis.  » 

Quelqu'un  disoit  que  la  goutte  est  la  seule  ma- 
ladie qui  donne  de  la  considération  dans  le  monde. 
«  Je  le  crois  bien,  répondit  M...,  c'est  la  croix  de 
Saint-Louis  de  la  galanterie.  » 

Le  lord  Rochester  avoit  fait  dans  une  pièce  de 
vers  l'éloge  de  la  poltronnerie.  Il  étoit  dans  un 
café.  Arrive  un  homme  qui  avoit  reçu  des  coups 
de  bâton  sans  se  plaindre;  milord  Rochester,  après 
beaucoup  de  complimens,  lui  dit  :   «  Monsieur,  si 


ANECDOTES    ET     BONS    MOTS  59 

Vous  étiez  homme  à  recevoir  des  coups  de  bâton 
si  patiemment^  que  ne  le  disiez-vous?  Je  vous  les 
aurois  donnés,  moi,  pour  me  remettre  en  crédit.  » 

Le  roi  de  Prusse,  qui  ne  laisse  pas  d'avoir  em- 
ployé son  temps,  dit  qu'il  n'y  a  peut-être  pas 
d'homme  qui  ait  fait  la  moitié  de  ce  qu'il  auroit  pu 
faire. 

«  Mes  ennemis  ne  peuvent  rien  contre  moi,  di- 
soit  M...,  car  ils  ne  peuvent  m'ôter  la  faculté  de 
bien  penser,  ni  celle  de  bien  faire.  » 

«  Vous  bâillez  !  disoit  une  femme  à  son  mari.  — 
Ma  chère  amie,  lui  dit  celui-ci,  le  mari  et  la  femme 
ne  sont  qu'un,  et,  quand  je  suis  seul,  je  m'ennuie.  » 

Mademoiselle  d'Entragues,  piquée  de  la  façon 
dont  Bassompierre  refusoit  de  l'épouser,  lui  dit  : 
«  Vous  êtes  le  plus  sot  homme  de  la  cour. — Vous 
voyez  bien  le  contraire,  »  répondit-il. 

«  La  manière  dont  je  vois  distribuer  l'éloge  et 
le  blâme,  disoit  M.  de  B...,  donneroit  au  plus 
honnête  homme  l'envie  d'être  diffamé.  » 

M.  de  R...  venoit  de  lire  dans  une  société  trois 
ou  quatre  épigrammes   sur  autant    de    personnes 


6o        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

dont  aucune  n'étoit  vivante.  On  se  tourna  vers 
M.  de...,  comme  pour  lui  demander  s'il  n'en  avoit 
pas  quelques-unes  dont  il  pût  régaler  l'assemblée. 
«  Moi!  dit-il  naïvement,  tout  mon  monde  vit  :  je 
ne  puis  vous  rien  dire.  » 

On  faisoit  une  procession  avec  la  châsse  de  sainte 
Geneviève  pour  obtenir  de  la  sécheresse.  A  peine 
la  procession  fut-elle  en  route  qu'il  commença  à 
pleuvoir.  Sur  quoi  l'évêque  de  Castres  dit  plaisam- 
ment :  «  La  sainte  se  trompe;  elle  croit  qu'on  lui, 
demande  de  la  pluie.  » 

Mjlord  Tyrauley  disoit  qu'après  avoir  ôté  à  un 
Espagnol  'ce  qu'il  avoit  de  bon,  ce  qu'il  en  restoit 
étoit  un  Portugais.  Il  disoit  cela  étant  ambassadeur 
en  Portugal. 

Je  me  promenois  un  jour  avec  un  de  mes  amis, 
qui  fut  salué  par  un  homme  d'assez  mauvaise  mine. 
Je  lui  demandai  ce  que  c'étoit  que  cet  homme;  il 
me  répondit  que  c'étoit  un  homme  qui  faisoit  pour 
sa  patrie  ce  que  Brutus  n'auroit  pas  fait  pour  la 
sienne.  Je  le  priai  de  mettre  cette  grande  idée  à 
mon  niveau.  J'appris  que  son  homme  étoit  un  es- 
pion de  police. 

Il  a  plu  un  moment  à  madame  la  duchesse  de 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  6l 

Grammont  de  dire  que  M.  de  Liancourt  avoit  au- 
tant d'esprit  que  M.  de  Lauzun.  M.  de  Créqui 
rencontre  celui-ci  et  lui  dit  :  «  Tu  dînes  aujour- 
d'hui chez  moi.  —  Mon  ami,  cela  m'est  impos- 
sible. —  Il  le  faut,  et  d'ailleurs  tu  y  es  intéressé. 
—  Comment?  —  Liancourt  y  dîne  :  on  lui  donne 
ton  esprit;  il  ne  s'en  sert  point,  il  te  le  rendra.  » 

Quelqu'un  ayant  lu  une  lettre  très-sotte  de 
M.  Blanchard  sur  le  ballon  dans  le  Journal  de  Pa- 
ris :  «  Avec  cet  esprit-là,  dit-il,  ce  M.  Blanchard 
doit  bien  s'ennuyer  en  l'air!  » 

On  condamna  en  même  temps  le  livre  De /'£s/)rif 
et  le  poëme  de  la  Pucelle.  Ils  furent  tous  deux  dé- 
fendus en  Suisse.  Un  magistrat  de  Berne,  après 
une  grande  recherche  de  ces  deux  ouvrages,  écri- 
vit au  sénat  :  «  Nous  n'avons  trouvé,  dans  tout  le 
canton,  ni  Esprit  ni  Pucelle.  » 

Quand  M.  le  comte  d'Estaing,  après  sa  cam- 
pagne de  la  Grenade,  vint  faire  sa  cour  à  la  reine 
pour  la  première  fois,  il  arriva  porté  sur  ses  bé- 
quilles et  accompagné  de  plusieurs  officiers  bles- 
sés comme  lui.  La  reine  ne  sut  lui  dire  autre  chose 
sinon  :  «  Monsieur  le  comte,  avez-vous  été  content 
du  petit  Laborde?  » 

«  J'estime  le  plus  que  je  puis,  disoit  M..,,  et 


02        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

cependant  j'estime  peu;  je  ne  sais  comment  ceh 
se  fait.  » 


«  C'est  bien  mal  fait,  disoit  M...,  d'avoir  laissé 
tomber  le  cocuage,  c'est-à-dire  de  s'être  arrangé 
pour  que  ce  ne  soit  plus  rien.  Autrefois  c'étoit  un 
état  dans  le  monde,  comme  de  nos  jours  celui  de 
jouer.  A  présent  ce  n'est  plus  rien  du  tout.  » 

Le  duc  de  Choiseul,  à  qui  l'on  parloit  de  son 
étoile,  que  l'on  regardoit  comme  sans  exemple, 
répondit  :  «  Elle  Test  pour  le  mal  autant  que  pour 
le  bien.  —  Comment?  —  Le  voici.  J'ai  toujours 
très-bien  traité  les  filles  :  il  y  en  a  une  que  je  né- 
glige, elle  devient  reine  de  France,  ou  à  peu  près. 
J'ai  traité  à  merveille  tous  les  inspecteurs,  je  leur 
ai  prodigué  l'or  et  les  honneurs  :  il  y  en  a  un  ex- 
trêmement méprisé  que  je  traite  légèrement,  il 
devient  ministre  de  la  guerre  :  c'est  M.  de  Mon- 
teynard.  Les  ambassadeurs,  on  sait  ce  que  j'ai  fait 
pour  eux  sans  exception,  hormis  un  seul;  mais  il 
y  en  a  un  qui  a  le  travail  lent  et  lourd,  que  tous 
les  autres  méprisent,  qu'ils  ne  veulent  plus  voir  à 
cause  d'un  ridicule  mariage  :  c'est  M.  de  Ver- 
gennes,  et  il  devient  ministre  des  affaires  étran- 
gères. Convenez  que  j'ai  des  raisons  de  dire  que 
mon  étoile  est  aussi  extraordinaire  en  mal  qu'en 
bien.  » 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  63 

M.  de  Castries,  dans  le  temps  de  la  querelle  de 
Diderot  et  de  Rousseau,  dit  avec  impatience  à 
M,  de  R...,  qui  me  l'a  répété  :  a  Cela  est  in- 
croyable; on  ne  parle  que  de  ces  gens-là,  gens 
sans  état,  qui  n'ont  point  de  maison,  logés  dans 
un  grenier  :  on  ne  s'accoutume  point  à  cela.  » 

Un  pape  causant  avec  un  étranger  de  toutes  les 
merveilles  de  l'Italie,  celui-ci  dit  gauchement  : 
«  J'ai  tout  vu,  hors  un  conclave,  que  je  voudrois 
bien  voir.  » 

On  sait  le  discours  fanatique  que  l'évêque  de 
Dol  a  tenu  au  roi  au  sujet  du  rappel  des  protes- 
tans.  Il  parla  au  nom  du  clergé.  L'évêque  de  Saint- 
Pol  lui  ayant  demandé  pourquoi  il  avoit  parlé  au 
nom  de  ses  confrères  sans  les  consulter  :  «  J'ai 
consulté,  dit-il,  mon  crucifix.  —  En  ce  cas,  ré-> 
pliqua  l'évêque  de  Saint-Pol,  il  falloit  répéter 
exactement  ce  que  votre  crucifix  vous  avoit  ré- 
pondu. » 

Duclos  avoit  l'habitude  de  prononcer  sans  cesse, 
en  pleine  Académie,  des  f. .. ,  des  b...  L'abbé  du 
Resnel ,  qui,  à  cause  de  sa  longue  figure,  étoit 
appelé  un  grand  serpent  sans  venin,  lui  dit  :  «  Mon- 
sieur, sachez  qu'on  ne  doit  prononcer  dans  l'Aca- 
démie que  des  mots  qui  se  trouvent  dans  le  Dic- 
tionnaire. » 


64        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

On  demandoit  à  un  ministre  pourquoi  les  gou- 
verneurs de  province  avoient  plus  de  faste  que  le 
roi.  «  C'est,  dit-il,  que  les  comédiens  de  cam- 
pagne chargent  plus  que  ceux  de  Paris.  » 

M...  me  disoit,  à  propos  des  fautes  de  régime 
qu'il  commet  sans  cesse,  des  plaisirs  qu'il  se  per- 
met et  qui  l'empêchent  seuls  de  recouvrer  la  santé  : 
«  Sans  moi,  je  me  porterois  à  merveille.  » 

Madame  de  Créqui,  parlant  à  la  duchesse  de 
Chaulnes  de  son  mariage  avec  M.  de  Giac,  après 
les  suites  désagréables  qu'il  a  eues,  lui  dit  qu'elle 
auroit  dû  les  prévoir,  et  insista  sur  la  distance  des 
âges.  «  Madame,  lui  dit  madame  de  Giac,  apprenez 
qu'une  femme  de  la  cour  n'est  jamais  vieille,  et 
qu'un  homme  de  robe  est  toujours  vieux.  » 

Le  feu  roi  étoit,  comme  on  sait,  en  correspon- 
dance secrète  avec  le  comte  de  Broglie.  Il  s'agis- 
soit  de  nommer  un  ambassadeur  en  Suède.  Le 
comte  de  Broglie  proposa  M.  deVergennes,  alors 
retiré  dans  ses  terres,  à  son  retour  de  Constanti- 
nople.  Le  roi  ne  vouloit  pas;  le  comte  insistoit.  Il 
étoit  dans  l'usage  d'écrire  au  roi  à  mi-marge,  et 
le  roi  mettoit  la  réponse  à  côté.  Sur  la  dernière 
lettre  le  roi  écrivit  :  «  Je  n'approuve  point  le  choix 
de  M.  de  Vergennes.  C'est  vous  qui  m'y  forcez  : 


I 


ANECDOTES    ET    BONS     MOTS  65 

îoit,  qu'il  parte;  mais  je  défends  qu'il  amène  sa 
vilaine  femme  avec  lui.  »  [Anecdote  contée  par 
Favier,  qui  avoit  vu  la  réponse  du  roi  dans  les  mains 
du  comte  de  Broglie.) 

Je  demandois  à  M.  de...  s'il  se  marieroit.  «  Je 
ne  le  crois  pas,  »  me  disoit-il.  Et  il  ajouta  en  riant  : 
«  La  femme  qu'il  me  faudroit,  je  ne  la  cherche 
point;  je  ne  l'évite  même  pas.  » 

M...  disoit  :  «  Les  femmes  n'ont  de  bon  que 
ce  qu'elles  ont  de  meilleur.  » 

M...,  connu  par  son  usage  du  monde,  me  di- 
soit que  ce  qui  l'avoit  le  plus  formé,  c'étoit  d'a- 
voir su  coucher,  dans  l'occasion,  avec  des  femmes 
de  quarante  ans,  et  écouter  des  vieillards  de  quatre- 
vingts. 

Madame  de  Brionne  rompit  avec  le  cardinal  de 
Rohan  à  l'occasion  du  duc  de  Choiseul,  que  le 
cardinal  vouloit  faire  renvoyer.  II  y  eut  entre  eux 
une  scène  violente,  que  madame  de  Brionne  ter- 
mina en  menaçant  de  le  faire  jeter  par  la  fenêtre. 
«  Je  puis  bien  descendre,  dit-il,  par  où  je  suis 
monté  si  souvent.  » 

N...  disoit  qu'il  s*étonnoit  toujours  de  ces  fes- 
Chamfort.  —  II.  a 


66        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

tins  meurtriers  qu'on  se  donne  dans  le  monde. 
Cela  se  concevroit  entre  parens  qui  héritent  les 
uns  des  autres;  mais,  entre  amis  qui  n'héritent  pas, 
quel  peut  en  être  l'objet? 

<c  J'ai  vu,  disoit  M...,  peu  de  fiertés  dont  j'aie 
été  content.  Ce  que  je  connois  de  mieux  en  ce 
genre,  c'est  celle  de  Satan  dans  le  Paradis  perdu.)) 

M.  de...,  qui  avoit  vécu  avec  des  princesses 
d'Allemagne,  me  disoit  :  «  Croyez- vous  que 
M.  de  L...  ait  madame  de  S...?  »  Je  lui  répon- 
dis :  «  Il  n'en  a  pas  même  la  prétention;  il  se 
donne  pour  ce  qu'il  est,  pour  un  libertin,  un  homme 
qui  aime  les  filles  par-dessus  tout.  — Jeune  homme, 
me  répondit-il,  n'en  soyez  pas  la  dupe  :  c'est  avec 
cela  qu'on  a  des  reines.  » 

M.  de...,  que  des  chagrins  amers  empêchoient 
de  reprendre  sa  santé,  me  disoit  :  «  Qu'on  me 
montre  le  fleuve  d'Oubli,  et  je  trouverai  la  fon- 
taine de  Jouvence.  » 

On  faisoit  une  quête  à  l'Académie  Françoise;  i! 
manquoit  un  écu  de  six  francs  ou  un  louis  d'or. 
Un  des  membres,  connu  par  son  avarice,  fut  soup- 
çonné de  n'avoir  pas  contribué;  il  soutint  qu'il 
avoit  mis;  celui  qui  faisoit  la  collecte  dit  :  «  Je  ne 
l'ai  pas  vu,  mais  je  le  crois.  »  M.  de   Fontenelle 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  6? 

termina  la  discussion  en  disant  :  «  Je  l'ai  vu,  moi, 
mais  je  ne  le  crois  pas.  » 

Fontenelle,  âgé  de  quatre-vingts  ans,  s'em- 
pressa de  relever  l'éventail  d'une  femme  jeune  et 
belle,  mais  mal  élevée,  qui  reçut  sa  politesse  dé- 
daigneusement. «  Ah!  Madame,  lui  dit-il,  vous 
prodiguez  bien  vos  rigueurs!  » 

Autrefois  on  tiroit  le  gâteau  des  Rois  avant  le 
repas.  M.  de  Fontenelle  fut  roi,  et,  comme  il  né- 
gligeoit  de  servir  d'un  excellent  plat  qu'il  avoit 
devant  lui,  on  lui  dit  :  «  Le  roi  oublie  ses  sujets.  » 
A  quoi  il  répondit  :  «  Voilà  comme  nous  sommes, 
nous  autres!  » 

On  demandoit  à  M.  de  Fontenelle  mourant  : 
«  Comment  cela  va-t-il?  —  Cela  ne  va  pas,  dit-il; 
cela  s'en  va.  » 

Une  femme  âgée  de  quatre-vingt-dix  ans  di- 
soit  à  M.  de  Fontenelle,  âgé  de  quatre-vingt- 
quinze  :  «  La  mort  nous  a  oubliés.  — Chut!  »  lui 
répondit  M.  de  Fontenelle  en  mettant  le  doigt  sur 
sa  bouche. 

M.  de...  demandoit  à  l'évêque  de...  une  mai- 
sonde  campagne  où  il  n'alloit  jamais.  Celui-ci  lui 


68  PORTRAITS     ET    CARACTERES 

répondit  :  «  Ne  savez-vous  pas  qu'il  faut  toujours 
avoir  un  endroit  où  l'on  n'aille  point,  et  où  l'on 
croie  que  l'on  seroit  heureux  si  on  y  alloit?  » 
M.  de...,  après  un  instant  de  silence,  répondit  : 
«  Cela  est  vrai,  et  c'est  ce  qui  a  fait  la  fortune  du 
paradis.  » 

«  Ce  n'est  pas,  me  disoit  M.  de  M,..,  un 
homme  très-vulgaire  que  celui  qui  dit  à  la  For- 
tune :  a  Je  ne  veux  de  toi  qu'à  telle  condition; 
«  tu  subiras  le  joug  que  je  veux  t'imposer  »,  et 
qui  dit  à  la  Gloire  :  «  Tu  n'es  qu'une  fille  à  qui 
«  je  veux  bien  faire  quelques  caresses,  mais  que  je 
«  repousserai  si  tu  en  risques  avec  moi  de  trop 
a  familières  et  qui  ne  me  conviennent  pas.  » 
C'étoit  lui-même  qu'il  peignoit,  et  tel  est  en  effet 
son  caractère. 

M...  disoit,  à  propos  de  madame  de...  :  «  J^ai 
cru  qu'elle  me  demandoit  un  fou,  et  j'étois  près 
de  le  lui  donner;  mais  elle  me  demandoit  un  sot, 
et  je  le  lui  ai  refusé  net.  » 

M.  de  Barbançon,  qui  avoit  été  très-beau,  pos- 
sédoit  un  très-joli  jardin  que  madame  la  duchesse 
de  La  Vallière  alla  voir.  Le  propriétaire,  alors  très- 
vieux  et  très-goutteux,  lui  dit  qu'il  avoit  été  amou- 
reux d'elle  à  la  folie.  Madame  de  La  Vallière  lui 


ANECDOTES    ET     BONS     MOTS  6o 

répondit  :    «  Hélas  !  mon  Dieu,   que  ne  parliez- 
vous  ?  vous  m'auriez  eue  comme  les  autres.  » 

«  Ce  qui  rend  le  monde  désagréable,  me  disoit 
M.  de  L...,  ce  sont  les  fripons,  et  puis  les  hon- 
nêtes gens  :  de  sorte  que,  pourque  tout  fût  passable, 
il  faudroit  anéantir  les  uns  et  corriger  les  autres. 
Il  faudroit  détruire  l'enfer  et  recomposer  le  para- 
dis. » 

*  J'ai  entendu  parler  d*un  fou  de  cour  appa- 
remment très-sage,  et  qui  disoit  :  «  Je  ne  sais 
comment  cela  se  fait,  mais  il  ne  me  vient  jamais 
de  bons  mots  que  contre  les  gens  disgraciés.  » 

*  Charles  le  Téméraire,  duc  de  Bourgogne, 
avoit  pris  pour  son  modèle  dans  la  guerre  An- 
nibal,  qu'il  citoit  sans  cesse.  Après  la  bataille  de 
Morat,  où  ce  prince  fut  battu,  le  fou  de  cour  qui 
l'accompagnoit  dans  sa  fuite  disoit  de  temps  en 
temps  :  «  Nous  voilà  bien  annibalés  !  » 

*  Le  roi  de  Prusse  combloit  un  officier  de  bontés, 
et  l'oublia  toutefois  dans  une  promotion  d'infan- 
terie. Cet  officier  se  plaignit,  et  ses  plaintes  furent 
rendues  au  roi  par  un  délateur,  auquel  le  roi  ré- 
pondit :  «  Il  a  raison  de  se  plaindre,  mais  il  ne 
sait  pas  ce  que  je  veux  faire  pour  lui.  Allez  lui 


70        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

dire  que  je  sais  tout,  que  je  lui  pardonne,  mais 
que  je  ne  lui  ordonne  pas  de  vous  pardonner.  »  En 
effet,  cette  histoire  fut  sue  de  l'officier  intéressé, 
ce  qui  occasionna  un  duel  au  pistolet  où  le  déla- 
teur fut  tué.  Le  roi  donna  ensuite  un  régiment  à 
l'officier  oublié  dans  la  précédente  promotion. 

*  Le  roi  de  Prusse  trouva,  à  la  prise  de  Dresde, 
beaucoup  de  bottes  et  de  perruques  chez  le  comte 
de  Brûhl.  «  Voilà  bien  des  bottes,  dit-il,  pour  un 
homme  qui  n'alloit  jamais  à  cheval,  et  bien  des 
perruques  pour  un  homme  qui  n'avoit  point  de 
tête!  » 

*  Les  habitans  de  Berlin  ayant  fait  trois  arcs  de 
triomphe  pour  leur  roi  à  son  retour  de  la  dernière 
campagne  de  la  guerre  de  Sept  ans,  il  publia  sous 
le  premier  arc  l'abolition  d'un  impôt,  sous  le 
deuxième  l'aboHtion  d'un  second  impôt,  enfin 
sous  le  troisième  l'abolition  de  tous  les  impôts. 

*  Le  roi  de  Prusse,  ayant  fait  faire  de  la  fausse 
monnoie  par  des  juifs,  leur  paya  la  somme 
convenue  avec  la  monnoie  qu'ils  venoient  de  fa- 
briquer. 

Le  roi  de  Prusse  avoit  fait  élever  des  casernes 
qui  bouchent  le  jour  à  une  église  catholique.  On 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  7I 

lui  fit  des  représentations  sur  cela.  Il  renvoya  la 
requête,  avec  ces  paroles  au  bas  : 

Beati  qui  non  viderunt  et  crediderunt, 

Milord  Hamilton,  personnage  très- singulier , 
étant  ivre  dans  une  hôtellerie  d'Angleterre,  avoit 
tué  un  garçon  d'auberge  et  étoit  rentré  sans  savoir 
ce  qu'il  avoit  fait.  L'aubergiste  arrive  tout  effrayé 
et  lui  dit  :  «  Milord,  savez-vous  que  vous  avez 
tué  ce  garçon?  »  Le  lord  lui  répondit  en  balbu- 
tiant :  «  Mettez-le  sur  la  carte.  » 

*  La  gabelle  n'est  connue  que  de  nom  en  basse 
Bretagne,  mais  très-redoutée  des  paysans.  Un  sei- 
gneur fit  présent  à  un  curé  de  village  d'une  pen- 
dule. Les  paysans  ne  savoient  ce  que  c'étoit.  Un 
d'eux  s'avisa  de  dire  que  c'étoit  la  gabelle.  Ils  ra- 
massoient  déjà  des  pierres  pour  la  détruire,  lorsque 
le  curé  survint  et  leur  dit  que  ce  n'étoit  pas  la 
gabelle,  mais  le  jubilé  que  le  pape  lui  envoyoit. 
Ils  s'apaisèrent  sur-le-champ. 

*  Un  grand  seigneur  russe  prit  pour  instituteur 
de  ses  enfans  un  Gascon,  qui  n'apprit  à  ses  élèves 
que  le  basque,  la  seule  langue  qu'il  possédât.  Cela 
fit  une  scène  plaisante  la  première  fois  qu'ils  se 
trouvèrent  avec  des  François, 


72        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

*  Un  Gascon,  ayant  à  la  cour  je  ne  sais  quelle 
place  subalterne,  promit  sa  protection  à  un  vieux 
militaire,  son  compatriote.  Il  le  fît  trouver  sur  le 
chemin  du  roi,  et,  le  lui  présentant,  dit  au  roi  que 
son  compatriote  et  lui  avoient  servi  Sa  Majesté  qua- 
rante-six ans.  «  Comment!  quarante-six  ans?  dit  le 
roi.  —  Oui,  Sire,  lui  quarante-cinq  ans,  et  moi  un 
an...  Cela  fait  bien  quarante-six  ans  complets.  » 

*  Mademoiselle,  étant  à  Toulouse,  disoit  à  un 
homme  de  distinction  de  la  même  ville  :  «  Je 
m'étonne  que,  Toulouse  étant  entre  la  Provence 
et  la  Gascogne,  vous  soyez  d'aussi  bonnes  gens 
que  vous  êtes.  —  Votre  Altesse,  répondit  le  Tou- 
lousain, ne  nous  a  pas  encore  creusés.  En  nous 
creusant  bien,  elle  trouveroit  que  nous  valons  à 
peu  près  les  Provençaux  et  les  Gascons  ensemble.  » 

*  Un  ivrogne,  buvant  un  verre  de  vin  au  com- 
mencement d'un  repas ,  lui  dit  :  «  Arrange-toi 
bien,  tu  seras  foulé.  » 

*  Un  ivrogne,  tenant  son  camarade  sous  le  bras, 
la  nuit,  dans  l'obscurité,  disoit  :  «  Voyez  comme 
la  police  est  faite  ici!  On  nous  fait  payer  les  boues 
et  lanternes...  Les  boues,  oh  !  ilyen  a,  il  n'y  a  rien 
à  dire;  mais  les  lanternes,  011  sont-elles?  Quelle 
friponnerie  !  » 


ANECDOTES     ET     BONS    MOTS  yj 

Un  gazetier  mit  dans  sa  gazette  :  «  Les  uns  di- 
sent le  cardinal  Mazarin  mort,  les  autres  vivant; 
moi,  je  ne  crois  ni  l'un  ni  l'autre.  » 

Le  vicomte  de  Saint-Priest,  intendant  de  Lan- 
guedoc pendant  quelque  temps,  voulut  se  retirer, 
et  demanda  à  M.  de  Calonne  une  pension  de  dix 
mille  livres.  «  Que  voulez-vous  faire  de  dix  mille 
livres?  »  dit  celui-ci,  et  il  fit  porter  la  pension  à 
vingt  mille.  Elle  est  du  petit  nombre  de  celles 
qui  ont  été  respectées  à  l'époque  du  retranche- 
ment des  pensions  par  l'archevêque  de  Toulouse, 
qui  avoit  fait  plusieurs  parties  de  filles  avec  le  vi- 
comte de  Saint-Priest. 

Le  comte  d'Artois,  le  jour  de  ses  noces,  prêt  à 
se  mettre  à  table  et  environné  de  tous  ses  grands 
officiers  et  de  ceux  de  madame  la  comtesse  d'Artois, 
dit  à  sa  femme,  de  façon  que  plusieurs  personnes 
l'entendirent  :  «  Tout  ce  monde  que  vous  voyez, 
ce  sont  nos  gens.  »  Ce  mot  a  couru,  mais  c'est  le 
millième,  et  cent  mille  autres  pareils  n'empêche- 
ront jamais  la  noblesse  françoise  de  briguer  en 
foule  des  emplois  où  l'on  fait  exactement  la  fonction 
de  valet. 

On  faisoit  entendre  à  un  homme  d'esprit  qu'il 
ne  connoissoit  pas  bien  la  cour.  Il  répondit  :  «  On 

10 


■74  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

peut  être  très-bon  géographe  sans  être  sorti  de 
chez  soi  :  d'Anville  n'avoit  jamais  quité  sa  cham- 
bre. » 

«  Dans  ma  jeunesse  même,  me  disoit  M..., 
j'aimois  à  intéresser,  j'aimois  assez  peu  à  séduire, 
et  j'ai  toujours  détesté  de  corrompre.  » 

M... disoit  que  la  goutte  ressembloit  aux  bâtards 
des  princes,  qu'on  baptise  le  plus  tard  qu'on  peut. 

Le  roi  nomma  M.  de  Navailles  gouverneur  de 
M.  le  duc  de  Chartres,  depuis  régent  :  M.  de 
Navailles  mourut  au  bout  de  huit  jours;  le  roi 
nomma  M.  d'Estrades  pour  lui  succéder  :  il  mou- 
rut au  bout  du  même  terme.  Sur  quoi  Benserade 
dit  :  «  On  ne  peut  pas  élever  un  gouverneur  pour 
M.  le  duc  de  Chartres.  » 

M...  me  disoit  que  madame  de  C...,  qui 
tâche  d'être  dévote,  n'y  parviendroit  jamais,  parce 
que,  outre  la  sottise  de  croire,  il  falloit,  pour  faire 
son  salut,  un  fonds  de  batise  quotidienne  qui  lui 
manqueroit  trop  souvent.  «  Et  c'est  ce  fonds,  ajou- 
toit-il,  qu'on  appelle  la  grâce.  » 

M.  de...,  qui  voyoit  la  source  de  la  dégrada- 
tion de  l'espèce  humaine  dans  l'établissement  de 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  jS 

la  secte  nazaréenne  et  dans  la  féodalité,  disoit 
que,  pour  valoir  quelque  chose,  il  falloit  se  dé- 
franciser et  se  débaptiser,  et  redevenir  Grec  ou 
Romain  par  l'âme. 

Ce  fut  le  comte  de  Grammont  lui-même  qui  vendit 
quinze  cents  livres  le  manuscrit  des  mémoires  où 
il  est  si  clairement  traité  de  fripon.  Fontenelle, 
censeur  de  l'ouvrage,  refusoit  de  l'approuver,  par 
égard  pour  le  comte.  Celui-ci  s'en  plaignit  au 
chancelier,  à  qui  Fontenelle  dit  les  raisons  de  son 
refus.  Le  comte,  ne  voulant  pas  perdre  les  quinze 
cents  livres,  força  Fontenelle  d'approuver  le  livre 
d'Hamilton. 

On  disoit  de  l'avant-dernier  évêque  d'Autun, 
monstrueusement  gros,  qu'il  avoit  été  créé  et  mis 
au  monde  pour  faire  voir  jusqu'où  peut  aller  la 
peau  humaine. 

«  Madame  de  G,..,  disoit  M...,  a  trop  d'esprit 
et  d'habileté  pour  être  jamais  méprisée  autant  que 
beaucoup  de  femmes  moins  méprisables.  » 

On  demandoit  à  La  Calprenède  quelle  étoit 
l'étoffe  de  ce  bel  habit  qu'il  portoit.  «  C'est  du 
Sylvandre,  »  dit-il  (un  de  ses  romans  qui  avoit 
réussi). 


! 


y6        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

Un  homme  alloit,  depuis  trente  ans,  passer  toutes 
ses  soirées  chez  madame  de...  Il  perdit  sa  femme; 
on  crut  qu'il  épouseroit  l'autre,  et  on  l'y  encoura- 
geoit.  Il  refusa.  «  Je  ne  saurois  plus,  dit-il,  où 
aller  passer  mes  soirées.  » 

Un  jour  que  quelques  conseillers  parloient  un 
peu  trop  haut  à  l'audience,  M.  de  Harlay,  premier 
président,  dit  :  «  Si  ces  messieurs  qui  causent  ne 
faisoient  pas  plus  de  bruit  que  ces  messieurs  qui 
dorment,  cela  accommoderoit  fort  ces  messieurs 
qui  écoutent.  » 

M.  de  Fontenelle,  âgé  de  quatre-vingt-dix- 
sept  ans,  venant  de  dire  à  madame  Helvétius, 
jeune,  belle  et  nouvellement  mariée,  mille  choses 
aimables  et  galantes ,  passa  devant  elle  pour  se 
mettre  à  table,  ne  l'ayant  pas  aperçue.  «  Voyez, 
lui  dit  madame  Helvétius,  le  cas  que  je  dois  faire 
de  vos  galanteries  :  vous  passez  devant  moi  sans 
me  regarder.  —  Madame,  dit  le  vieillard,  si  je 
vous  eusse  regardée,  je  n'aurois  pas  passé.  « 

L'abbé  Raynal,  dînant  à  Neuchâtel  avec  le 
prince  Henri,  s'empara  de  la  conversation  et  ne 
laissa  point  au  prince  le  moment  de  placer  un  mot. 
Celui-ci,  pour  obtenir  audience,  fit  semblant  de 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  77 

croire  que  quelque  chose  tomboit  du  plancher,  et 
profita  du  silence  pour  parler  à  son  tour. 

«  Henri  IV  fut  un  grand  roi;  Louis  XIV  fut  le 
roi  d'un  beau  règne.  »  Ce  mot  de  Voisenon  passe 
la  portée  ordinaire. 

M...,  ayant  lu  la  lettre  de  saint  Jérôme  où  il 
peint  avec  la  plus  grande  énergie  la  violence  de 
ses  passions,  disoit  :  «  La  force  de  ses  tentations 
me  fait  plus  d'envie  que  sa  pénitence  ne  me  fait 
peur.  » 

On  disoit  de  J.  J.  Rousseau  :  «  C'est  un  hibou. 
—  Oui,  dit  quelqu'un,  mais  c'est  celui  de  Minerve, 
et,  quand  je  sors  du  Devin  du  V/V/age,  j'ajouterois  : 
déniché  par  les  Grâces.  » 

Duclos  disoit  un  jour  à  madame  de  Rochefort 
et  à  madame  de  Mirepoix  que  les  courtisanes  de- 
venoient  bégueules  et  ne  vouloient  plus  entendre 
le  moindre  conte  un  peu  trop  vif.  Elles  étoient, 
disoit-il,  plus  timorées  que  les  femmes  honnêtes. 
Et  là-dessus  il  enfile  une  histoire  fort  gaie,  puis 
une  autre  encore  plus  forte;  enfin,  à  une  troisième 
qui  commençoit  encore  plus  vivement,  madame  de 
Rochefort  l'arrête  et  lui  dit  :  «  Prenez  donc  garde, 


yS        PORTRAITS  ET  CARACTÈRES 

Duclos  :  VOUS  nous  croyez  aussi  par  trop  honnêtes 
femmes.  » 

C'étoit  l'usage,  chez  madame  de  Luchet,  que 
Ton  achetât  une  bonne  histoire  à  celui  qui  la  fai- 
soit...  «  Combien  en  voulez-vous?  —  Tant.  »  Il 
arriva  que,  madame  de  Luchet  demandant  à  sa 
femme  de  chambre  l'emploi  de  cent  écus,  celle-ci 
parvint  à  rendre  ce  compte,  à  l'exception  de 
trente-six  livres,  lorsque  tout  à  coup  elle  s'écria  : 
«  Ah  !  Madame,  et  cette  histoire  pour  laquelle  vous 
m'avez  sonnée,  que  vous  avez  achetée  à  M.  Co- 
queley,  et  que  j'ai  payée  trente-six  livres!  » 

Un  homme  de  lettres  à  qui  un  grand  seigneur 
faisoit  sentir  la  supériorité  de  son  rang  lui  dit  : 
«  Monsieur  le  duc,  je  n'ignore  pas  ce  que  je  dois 
savoir;  mais  je  sais  aussi  qu'il  est  plus  aisé  d'être 
au-dessus  de  moi  qu'à  côté.  » 

Madame  du  D...  disoit  de  M...  qu'il  étoit  aux 
petits  soins  pour  déplaire. 

On  dit  d'un  homme  tout  à  fait  malheureux  : 
«  Il  tombe  sur  le  dos  et  se  casse  le  nez.  » 

«  Ce  jour-là,  je  fus  très-aimable,  point    bru- 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  7^ 

tal,»  me  disoit  M.   S...,  qui  étoit  en  effet  l'un  et 
l'autre. 

M.  de...,  homme  violent,  à  qui  on  reprochoit 
quelques  torts,  entra  en  fureur  et  dit  qu'il  iroit 
vivre  dans  une  chaumière.  Un  de  ses  amis  lui  ré- 
pondit tranquillement  :  «  Je  vois  que  vous  aimez 
mieux  garder  vos  défauts  que  vos  amis.  » 

Le  maréchal  de  Noailles  disoit  beaucoup  de 
mal  d'une  tragédie  nouvelle.  On  lui  dit  :  «  Mais 
M.  d'Aumont,  dans  la  loge  duquel  vous  l'avez 
entendue,  prétend  qu'elle  vous  a  fait  pleurer.  — 
Moi!  dit  le  maréchal,  point  du  tout;  mais,  comme 
il  pleuroit  lui-même  dès  la  première  scène,  j'ai 
cru  qu'il  étoit  honnête  de  prendre  part  à  sa  dou- 
leur. » 

M.  de  Buffon  s'environne  de  flatteurs  et  de  sots 
qui  le  louent  sans  pudeur.  Un  homme  avoit  dîné 
chez  lui  avec  l'abbé  Leblanc,  M.  de  Juvigny  et 
deux  autres  hommes  de  cette  force.  Le  soir,  il  dit 
à  souper  qu'il  avoit  vu  dans  le  cœur  de  Paris 
quatre  huîtres  attachées  à  un  rocher.  On  chercha 
longtemps  le  sens  de  cette  énigme,  dont  il  donna 
enfin  le  mot. 

Un  sot  disoit,  au  milieu  d'une  conversation  :  «  Il 


So  PORTRAITS  ET  CARACTERES 

me  vient  une  idée.  »  Un  plaisant  dit  :   «  J'en  suis 
bien  surpris.  » 

Un  malade  qui  ne  vouloit  pas  recevoir  les  sa- 
cremens  disoit  à  son  ami  :  «  Je  vais  faire  sem- 
blant de   ne  pas  mourir.  » 

Le  chevalier  de  Narbonne,  accosté  par  un  im- 
portant dont  la  familiarité  lui  déplaisoit,  et  qui  lui 
<lit  en  l'abordant  :  «Bonjour,  mon  ami!  Comment 
te  portes-tu?  »  répondit  :  «  Bonjour,  mon  ami! 
Comment  t'appelles-tu  ?  » 

Feu  madame  la  duchesse  d'Orléans  étoit  fort 
-éprise  de  son  mari  dans  les  commencemens  de  son 
mariage;  il  y  avoit  peu  de  réduits  dans  le  Palais- 
Royal  qui  n'en  eussent  été  témoins.  Un  jour,  les 
deux  époux  allèrent  faire  visite  à  la  duchesse  douai- 
rière, qui  étoit  malade.  Pendant  la  conversation, 
elle  s'endormit,  et  le  duc  et  la  jeune  duchesse 
trouvèrent  plaisant  de  se  divertir  sur  le  pied  du  lit 
<le  la  malade.  Elle  s'en  aperçut,  et  dit  à  sa  belle- 
iille  :  «  Il  vous  étoit  réservé.  Madame,  de  faire 
rougir  du  mariage  !  » 

Il  est  temps,  disoit  M...,  que  la  philosophie  ait 
aussi  son  index,  comme  l'inquisition  de  Rome  et 
de  Madrid.  Il  faut  qu'elle  fasse  une  liste  des  livres 


ANECDOTES    ET     BONS     MOTS  8l 

qu'elle  proscrit,  et  cette  proscription  sera  plus  con- 
sidérable que  celle  de  sa  rivale.  Dans  les  livres 
mêmes  qu'elle  approuve  en  général,  combien  d'i- 
dées particulières  ne  condamneroit-elle  pas  comme 
contraires  à  la  morale  et  même  au  bon  sens.' 

M.  de  R...  étoit  autrefois  moins  dur  et  moins 
dénigrant  qu'aujourd'hui;  il  a  usé  toute  son  indul- 
gence, et  le  peu  qui  lui  en  reste,  il  le  garde  pour 
lui. 

M.  de  Ségur  ayant  publié  une  ordonnance  qui 
obligeoit  à  ne  recevoir  dans  le  corps  de  l'artillerie 
que  des  gentilshommes,  et,  d'une  autre  part,  cette 
fonction  n'admettant  que  des  gens  instruits,  il  ar- 
riva une  chose  plaisante  :  c'est  que  l'abbé  Bossut, 
«xaminateur  des  élèves,  ne  donna  d'attestations 
qu'à  des  roturiers,  et  Chérin  qu'à  des  gentils- 
hommes. Sur  une  centaine  d'élèves,  il  n'y  en  eut 
que  quatre  ou  cinq  qui  remplirent  les  deux  con- 
ditions. 

L'abbé  Beaudeau  disoit  de  M.  Turgot  que  c*é- 
toit  un  instrument  d'une  trempe  excellente,  mais 
qui  n'avoit  pas  de  manche. 

Un  Américain,  ayant  vu  six  Anglois  séparés  de 
leur  troupe,  eut  l'audace  inconcevable  de  leur  cou- 
Chamfort.  —  II.  u 


8-2  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

rir  SUS,  d'en  blesser  deux,  de  désarmer  les  autres  et 
de  les  amener  au  général  Washington.  Le  général 
lui  demanda  comment  il  avoit  pu  faire  pour  se 
rendre  maître  de  six  hommes  :  «  Aussitôt  que  je 
les  ai  vus,  dit-il,  j'ai  couru  sur  eux  et  je  les  ai 
environnés.  » 

M.  de...  disoit  qu'il  ne  falloit  rien  dire,  dans 
les  séances  publiques  de  l'Académie  Françoise ,  par 
delà  ce  qui  est  imposé  par  les  statuts;  et  il  moti- 
voit  son  avis  en  disant  :  «  En  fait  d'inutilités,  il  ne 
faut  que  le  nécessaire.  » 

M...  me  disoit  :  «  J'ai  vu  des  femmes  de  tous 
les  pays  :  l'Italienne  ne  croit  être  aimée  de  son 
amant  que  quand  il  est  capable  de  commettre  un 
crime  pour  elle;  l'Angloise,  une  fohe,  et  la  Fran- 
çoise, une  sottise.  » 

Duclos  disoit,  pour  ne  pas  profaner  le  nom  de 
Romain,  en  parlant  des  Romains  modernes  :  Un 
Italien  de  Kome. 

*  La  plupart  des  règlements  de  police,  arrêts  du 
Conseil  portant  défense/et  même  de  lois  plus  im- 
portantes, ne  sont  guère  que  des  spéculations  de 
finance  qui  ont  pour  objet  d'avoir  de  l'argent 
en  vendant  la  permission  d'enfreindre  les  lois. 


ANECDOTES    ET    BONS     MOTS  85 

*  C'est  une  source  de  comique  neuf  qu'un  mot 
dit  pour  faire  un  effet  et  qui  en  produit  un  autre. 
C'est  surtout  à  la  cour  et  dans  le  grand  monde 
qu'on  voit  cet  effet  se  produire  fréquemment. 

*  Deux  jeunes  gens  viennent  à  Paris  dans  une 
voiture  publique.  L'un  raconte  qu'il  vient  pour 
épouser  la  fille  de  M.  de...,  dit  ses  liaisons,  l'état 
de  son  père,  etc.  Ils  vont  coucher  à  la  même 
auberge.  Le  lendemain,  l'épouseur  meurt  à  sept 
heures  du  matin,  avant  d'avoir  fait  sa  visite.  L'autre, 
qui  étoit  un  plaisant  de  profession,  s'en  va  chez  le 
beau-père  futur,  se  donne  pour  le  gendre,  se 
conduit  en  homme  d'esprit  et  charme  toute  la 
famille,  jusqu'au  moment  de  son  départ,  qu'il 
précipitoit,  disoit-il,  parce  qu'il  avoit  rendez-vous 
à  six  heures  pour  se  faire  enterrer.  C'étoit  en 
effet  l'heure  où  le  jeune  homme  mort  le  matin 
devolt  être  enterré.  Le  domestique  qui  alla  à  l'au- 
berge du  prétendu  gendre  étonna  beaucoup  le 
beau-père  et  la  famille,  qui  crut  avoir  vu  l'âme  du 
revenant. 

*  Dans  le  temps  des  farces  de  la  foire  Saint- 
Laurent,  il  parut  sur  le  théâtre  un  Polichinelle  bossu 
par  devant  et  par  derrière.  On  lui  demandoit  ce 
qu'il  y  avoit  dans  sa  bosse  de  devant .  «  Des  ordres, 
dit-il.  —Et  dans  ta  bosse  de  derrière? — Des  contre- 


84       PORTRAITS  ET  CARACTERES 

ordres.  »  C'étoit  le  temps  où  l'administration  étoit  la 
plus  folle  ou  la  plus  sotte.  Cette  plaisanterie,  très- 
bonne  en  elle-même,  fit  envoyer  le  plaisant  à  Bicêtre. 

*  M.  de  la  Briffe,  avocat  général  au  grand 
Conseil,  étant  mort  le  lundi  gras,  fut  enterré  le 
mardi,  et,  le  corbillard  ayant  passé  au  milieu  des 
masques,  il  fut  pris  pour  une  mascarade.  Plus  on 
vouloit  expliquer  tout  cet  appareil  à  la  populace, 
plus  elle  crioit  :  A  la  chienlit! 

Le  roi  Jacques,  retiré  à  Saint-Germain,  et  vivant 
des  libéralités  de  Louis  XIV,  venoit  à  Paris  pour 
guérir  les  écrouelles,  qu'il  ne  touchoit  qu'en  qua- 
lité de  roi  de  France. 

M.  de...,  ayant  aperçu  que  M.  Barthe  étoit  ja- 
loux (de  sa  femme),  lui  dit  :  «  Vous,  jaloux! 
Mais  savez- vous  bien  que  c'est  une  prétention? 
C'est  bien  de  l'honneur  que  vous  vous  faites.  Je 
m'explique.  N'est  pas  cocu  qui  veut  :  savez-vous 
que,  pour  l'être,  il  faut  savoir  tenir  une  maison, 
être  poli,  sociable,  honnête?  Commencez  par  ac- 
quérir toutes  ces  qualités,  et  puis  les  honnêtes  gens 
verront  ce  qu'ils  auront  à  faire  pour  vous.  Tel  que 
vous  êtes,  qui  pourroit  vous  faire  cocu?  Une  es- 
pèce !  Quand  il  sera  temps  de  vous  effrayer,  je  vous 
en  ferai  mon  compliment.  » 


ANECDOTES    ET    BONS    MOTS  85 

Le  marquis  de  Chastellux,  amoureux  comme  à 
vingt  ans ,  ayant  vu  sa  femme  occupée  pendant 
tout  un  dîner  d'un  étranger  jeune  et  beau,  Ta- 
borda  au  sortir  de  table  et  lui  adressa  d'humbles  re- 
proches. Le  marquis  de  Genlis  lui  dit  :  «  Passez, 
passez,  bonhomme;  on  vous  a  donné.  » 

Le  maréchal  de  Villars  fut  adonné  au  vin,  même 
dans  sa  vieillesse.  Allant  en  Italie  pour  se  mettre 
à  la  tête  de  l'armée  dans  la  guerre  de  1734,  il  alla 
faire  sa  cour  au  roi  de  Sardaigne  tellement  pris  de 
vin  qu'il  ne  pouvoit  se  soutenir  et  qu'il  tomba  à 
terre.  Dans  cet  état,  il  n'avoit  pourtant  pas  perdu 
la  tête,  et  il  dit  au  roi  :  «  Me  voilà  porté  tout  na- 
turellement aux  pieds  de  Votre  Majesté.  » 

M.  le  duc  de  Choiseul  étoit  du  jeu  de  Louis  XV, 
quand  il  fut  exilé.  M.  de  Chauvelin,  qui  en  étoit 
aussi ,  dit  au  roi  qu'il  ne  pouvoit  le  continuer, 
parce  que  le  duc  en  étoit  de  moitié.  Le  roi  dit  à 
M.  de  Chauvelin  :  «  Demandez-lui  s'il  veut  con- 
tinuer. »  M.  de  Chauvelin  écrivit  à  Chanteloup  ; 
M.  de  Choiseul  accepta.  Au  bout  du  mois,  le  roi 
demanda  si  le  partage  des  gains  étoit  fait  :  «  Oui, 
dit  M.  de  Chauvelin  :  M.  de  Choiseul  gagne  trois 
mille  louis.  —  Ah!  j'en  suis  bien  aise,  dit  le  roi; 
mandez-le-lui  bien  vite.  » 

*  Louis  XV  avoit  joué   avec  le  maréchal  d'Es- 


86  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

trées,  qui,  ayant  beaucoup  perdu,  se  retiroil.  Le  roi 
lui  dit  :  «  Est-ce  que  vous  n'avez  pas  une  terre  ?  » 

*  Fox,  célèbre  joueur,  disoit  :  «  Il  y  a  deux 
grands  plaisirs  dans  le  jeu  :  celui  de  gagner  et 
celui  de  perdre.  » 

*  Un  joueur  vouloit  sous-louer  un  reste  de  bail. 
On  lui  demanda  s'il  faisoit  bien  clair  dans  son 
appartement.  «  Hélas!  dit-il,  je  n'en  sais  rien  :  je 
sors  si  matin,  et  je  rentre  si  tard  !  » 

K  Que  peuvent  pour  moi,  disoit  M. . . ,  les  grands 
et  les  princes?  Peuvent-ils  me  rendre  ma  jeunesse 
ou  m'ôter  ma  pensée,  dont  l'usage  me  console  de 
tout?  » 

M...  me  disoit  que  ceux  qui  entrent  par  écrit 
dans  de  longues  justifications  devant  le  public  lui 
parolssoient  ressembler  aux  chiens  qui  courent  et 
jappent  après  une  chaise  de  poste. 

Le  comte  de  Mirabeau,  très-laid  de  figure,  mais 
plein  d'esprit,  ayant  été  mis  en  cause  pour  un  pré- 
tendu rapt  de  séduction,  fut  lui-même  son  avocat. 
«  Messieurs,  dit-il,  je  suis  accusé  de  séduction  : 
pour  toute  réponse  et  pour  toute  défense,  je  de- 
mande que  mon  portrait  soit  mis  au  greffe.  »  Le 


ANECDOTES     ET     BONS'    MOTS  87 

commissaire  n'entendoit  pas  :  «  Bêle,  dit  le  juge, 
regarde  donc  la  figure  de  Monsieur!  » 

Un  joueur  fameux,  nommé  Sablière,  venoit 
d'être  arrêté.  Ilétoit  au  désespoir,  et  disoit  à  Beau- 
marchais ,  qui  Vouloit  l'empêcher  de  se  tuer  : 
«  Moi,  arrêté  pour  deux  cents  louis!  abandonné 
par  tous  mes  amis!  C'est  moi  qui  les  ai  formés, 
qui  leur  ai  appris  à  friponner.  Sans  moi,  que  se- 
roient  B....,  D...,  N...?  Ils  vivent  tous.  Enfin, 
Monsieur,  jugez  de  l'excès  de  mon  avilissement  : 
pour  vivre,  je  suis  espion  de  police  !  » 

Le  duc  de  Lauzun  disoit  :  «  J'ai  souvent  de 
vives  disputes  avec  M.  de  Calonne  ;  mais,  comme 
ni  l'un  ni  l'autre  nous  n'avons  de  caractère,  c'est  à 
qui  se  dépêchera  de  céder,  et  celui  de  nous  deux 
qui  trouve  la  plus  jolie  tournure  pour  battre  en  re- 
traite est  celui  qui  se  retire  le  premier.  » 

Pendant  la  guerre  de  1745,  l'empereur  Fran- 
çois 1er  ayant  été  couronné  à  Francfort,  une  partie 
du  peuple,  vouée  à  k  faction  autrichienne,  s'avisa 
d'aller  sous  les  fenêtres  des  ambassadeurs  de  France 
et  d'Espagne,  alors  ennemies  de  l'Autriche,  témoi- 
gnant sa  joie  par  des  cris  de  :  Vive  Vempereur  !  L'am- 
bassadeur de  France  jeta  de  l'argent  à  cette  popu- 
lace, qui  cria  :  Vive  la  France!  et  se  retira.  Mais  il 


88        PORTRAITS  ET  CARACTERES 

en  fut  autrement  devant  le  palais  du  cardinal 
Aquaviva,  protecteur  d'Espagne.  Celui-ci,  se  croyant 
bravé,  ouvre  sa  fenêtre,  et  vingt  coups  de  fusil 
partis  à  la  fois  jettent  à  terre  autant  de  morts  ou 
de  blessés.  Le  peuple  veut  incendier  le  palais,  et  y 
brûler  Aquaviva;  mais  celui-ci  s'étoit  assuré  de 
plus  de  mille  braves  dont  il  couvrit  la  place.  Qua- 
tre pièces  de  canon  chargées  à  cartouches  en 
imposent  au  peuple.  Qui  croiroit  que  le  pape, 
avec  l'autorité  absolue  et  un  corps  de  troupes , 
n'ait  jamais  songé  à  faire  au  peuple  quelque  justice 
du  cardinal  ?  Voilà  de  terribles  effets  de  la  prepo- 
tenza.  Ce  n'est  pas  tout  :  ce  cardinal  Aquaviva 
eut,  dans  les  derniers  jours  de  sa  vie,  tant  de  re- 
mords de  ses  violences,  qu'il  voulut  en  faire  publi- 
quement amende  honorable  :  on  en  a  fait  à  moins  ; 
mais  le  sacré-collége  ne  voulut  jamais  le  permettre, 
pour  l'honneur  de  la  pourpre.  Ainsi,  dans  la  capi- 
tale du  monde  chrétien,  l'expression  du  remords, 
cette  vertu  du  pécheur  et  sa  seule  ressource,  fut 
interdite  à  un  prêtre  trop  peu  châtié  par  ses  re- 
mords, et  ce  triomphe  de  l'orgueil  sur  une  reli- 
gion d'humilité  fut  l'ouvrage  de  ceux  qui  se  por- 
tent pour  successeurs  de  ses  premiers  apôtres.  La 
religion  durera  sans  doute,  mais  la  prepotenza  ne 
peut  pas  durer. 

M.  de...,  fort  adonné  au  jeu,  perdit  en  un  seul 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  8q 

coup  de  dés  son  revenu  d'une  année  :  c'étoit  mille. 
écus.  Il  les  envoya  demander  à  M...,  son  ami,  qui 
connoissoit  sa  passion  pour  le  jeu,  et  qui  vouloit 
l'en  guérir.  Il  lui  envoya  la  lettre  de  change  sui- 
vante :  «  Je  prie  M...,  banquier,  de  donner  à 
M...  ce  qu'il  lui  demandera,  à  la  concurrence  de 
ma  fortune.  »  Cette  leçon  terrible  et  généreuse 
produisit  son  effet. 

Un  ambassadeur  anglois  à  Naples  avoit  donné 
une  fête  charmante,  mais  qui  n'avoit  pas  coûté 
bien  cher.  On  le  sut,  et  on  partit  de  là  pour  déni- 
grer sa  fête,  qui  avoit  d'abord  beaucoup  réussi.  Il 
s'en  vengea  en  véritable  Anglois  et  en  homme  à 
qui  les  guinées  ne  coûtoient  pas  grand'chose.  Il 
annonça  une  autre  fête.  On  crut  que  c'étoit  pour 
prendre  sa  revanche,  et  que  la  fête  seroit  superbe. 
On  accourt;  grande  affluence.  Point  d'apprêts. 
Enfin,  on  apporte  un  réchaud  à  l'esprit-de-vin. 
On  s'attendoit  à  quelque  miracle.  «  Messieurs, 
dit-il,  ce  sont  les  dépenses,  et  non  l'agrément 
d'une  fête  que  vous  cherchez  :  regardez  bien  (et 
il  entr'ouvre  son  habit,  dont  il  montre  la  doublure), 
c'est  un  tableau  du  Dominiquin  qui  vaut  cinq  mille 
guinées;  mais  ce  n'est  pas  tout  :  voyez  ces  dix 
billets,  ils  sont  de  mille  guinées  chacun,  payables 
à  vue  sur  la  banque  d'Amsterdam.  »  Il  en  fait  un 
rouleau  et  les  met  sur  le  réchaud  allumé.  «  Je  ne 

12 


^O  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

doute  pas,  Messieurs,  que  cette  fête  ne  vous  satis- 
fasse et  que  vous  ne  vous  retiriez  tous  contens  de 
moi.  Adieu,  Messieurs,  la  fête  est  finie.  » 

On  disoit  à  un  jeune  homme  de  redemander  ses 
lettres  à  une  femme  d'environ  quarante  ans  dont 
il  avoit  été  fort  amoureux.  «  Vraisemblablement 
elle  ne  les  a  plus,  dit-il.  —  Si  fait,  lui  répondit 
quelqu'un  :  les  femmes  commencent  vers  trente 
ans  à  garder  les  lettres  d'amour.  » 

On  appela  à  la  cour  le  célèbre  Levret,  pour  accou- 
cher la  feue  dauphine.  M.  le  dauphin  lui  dit  : 
«  Vous  êtes  bien  content,  monsieur  Levret,  d'ac- 
coucher madame  la  dauphine  ;  cela  va  vous  faire 
de  la  réputation.  —  Si  ma  réputation  n'étoit  pas 
faite,  dit  tranquillement  l'accoucheur,  je  ne  serois 
pas  ici    » 

N...  disoit  qu'il  falloit  toujours  examiner  si  la 
liaison  d'une  femme  et  d'un  homme  est  d'âme  à 
âme,  ou  de  corps  à  corps;  si  celle  d'un  particulier 
et  d'un  homme  en  place  ou  d'un  homme  de  la 
cour  est  de  sentiment  à  sentiment,  ou  de  position 
à  position,  etc. 

M...  disoit  à  un  jeune  homme  qui  ne  s'aperce- 
voit  pas  qu'il  étoit  aimé  d'une  femme  :    «  Vous 


ANECDOTES     ET    BONS    MOTS  9I 

êtes  encore  bien  jeune,  vous  ne  savez  lire  que  les 
gros  caractères,  » 

M...,  qu'on  vouloit  faire  parler  sur  différens 
abus  publics  ou  particuliers,  répondit  froidement  : 
«  Tous  les  jours  j'accrois  la  liste  des  choses  dont 
je  ne  parle  plus.  Le  plus  philosophe  est  celui  dont 
la  Hste  est  la  plus  longue.  » 

M.  d'Ormesson,  étant  contrôleur  général,  disoit 
devant  vingt  personnes  qu'il  avoit  longtemps  cher- 
ché à  quoi  pouvoient  avoir  été  utiles  des  gens  comme 
Corneille,  Boileau,  La  Fontaine,  et  qu'il  ne  l'avoit 
jamais  pu  trouver.  Cela  passoit,  car,  quand  on  est 
contrôleur  général,  tout  passe.  M.  Pelletier  de 
Morfontaine,  son  beau-père,  lui  dit  avec  douceur: 
«  Je  sais  que  c'est  votre  façon  de  penser;  mais 
ayez  pour  moi  le  ménagement  de  ne  pas  le  dire. 
Je  voudrois  bien  obtenir  que  vous  ne  vous  vantas- 
siez point  de  ce  qui  vous  manque.  Vous  occupez 
la  place  d'un  homme  qui  s'enfermoit  souvent  avec 
Racine  et  Boileau,  qui  les  menoit  souvent  à  sa 
maison  de  campagne,  et  disoit,  en  apprenant  l'ar- 
rivée de  plusieurs  évêques  :  «  Qu'on  leur  montre 
le  château,  les  jardins,  tout,  excepté  moi.  » 

On  faisoit  l'éloge  de  Louis  XIV  devant  le  roi 
de  Prusse.  Il  lui  contestoit  toutes  ses  vertus  et  ses 


92  PORTRAITS    ET    CARACTÈRES 

talens.  «  Au  moins  Votre  Majesté  accordera  qu'il 
faisoit  bien  le  roi.  —  Pas  si  bien  que  Baron,  »  dit 
le  roi  de  Prusse  avec  humeur. 

Louis  XIV,  voulant  envoyer  en  Espagne  un 
portrait  du  duc  de  Bourgogne,  le  fit  faire  par 
Coypel,  et,  voulant  en  retenir  un  pour  lui-même, 
chargea  Coypel  d'en  faire  faire  une  copie.  Les 
deux  tableaux  furent  exposés  en  même  temps  dans 
la  galerie  :  il  étoit  impossible  de  les  distinguer. 
Louis  XIV,  prévoyant  qu'il  alloit  se  trouver  dans 
cet  embarras,  prit  Coypel  à  part  et  lui  dit  :  «  Il 
n'est  pas  décent  que  je  me  trompe  en  cette  occa- 
sion :  dites-moi  de  quel  côté  est  le  tableau  origi- 
nal. »  Coypel  le  lui  indiqua,  et  Louis  XIV,  repas- 
sant, dit  :  «  La  copie  et  l'original  sont  si  semblables, 
qu'on  pourroit  s'y  méprendre;  cependant,  on  peut 
voir  avec  un  peu  d'attention  que  celui-ci'est  l'ori- 
ginal. » 

L'abbé  de  Canaye  disoit  que  Louis  XV  auroit 
dû  faire  une  pension  à  Cahusac.  «  Et  pourquoi? 
—  C'est  que  Cahusac  l'empêche  d'être  l'homme 
de  son  royaume  le  plus  méprisé.  » 

Le  roi,  quelque  temps  après  la  mort  de  Louis  XV, 
fit  terminer  avant  le  temps  ordinaire  un  concert 
qui  l'ennuyoit,  et  dit  :  «  Voilà  assez  de  musique.  » 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  çî 

Les  concertans  le  surent,  et  l'un  d'eux  dit  à  l'au- 
tre :  «  Mon  ami,  quel  règne  se  prépare  !  » 

Pendant  la  dernière  maladie  de  Louis  XV,  qui 
dès  les  premiers  jours  se  présenta  comme  mortelle, 
Lorry,  qui  fut  mandé  avec  Bordeu,  employa,  dans 
le  détail  des  conseils  qu'il  donnoit,  le  mot  :  //  faut. 
Le  roi,  choqué  de  ce  mot,  répétoit  tout  bas  et 
d'une  voix  mourante  :  //  faut!  il  faut! 

M...  disoit  à  M.  de  Vaudreuil,  dont  l'esprit  est 
droit  et  juste,  mais  encore  livré  à  quelques  illu- 
sions :  «  Vous  n'avez  pas  de  taie  dans  l'œil,  mais 
il  y  a  un  peu  de  poussière  sur  votre  lunette.  » 

Le  maréchal  de  Richelieu  ayant  proposé  pour 
maîtresse  à  Louis  XV  une  grande  dame  (j'ai  oublié 
laquelle),  le  roi  n'en  voulut  pas,  disant  qu'elle 
coûteroit  trop  cher  à  renvoyer. 

Un  bon  trait  de  prêtre  de  cour,  c*est  k  ruse 
dont  s'avisa  l'évêque  d'Autun,  Montazet,  depuis 
archevêque  de  Lyon.  Sachant  bien  qu'il  y  avoit  de 
bonnes  frasques  à  lui  reprocher,  et  qu'il  étoit  facile 
de  le  perdre  auprès  de  l'évêque  de  Mirepoix,  le 
théatin  Boyer,  il  écrivit  contre  lui-même  une  lettre 
anonyme  pleine  de  calomnies  et  facile  à  convaincre 
d'absurdité.  Il  l'adressa  à  l'évêque  de  Narbonne; 


94       PORTRAITS  ET  CARACTÈRES 

il  entra  ensuite  en  explication  avec  lui,  et  fit  voir 
l'atrocité  de  ses  ennemis  prétendus.  Arrivèrent  en- 
suite les  lettres  anonymes  écrites  en  effet  par  eux, 
et  contenant  les  inculpations  réelles;  ces  lettres 
furent  méprisées.  Le  résultat  des  premières  avoit 
mené  le  théatin  à  l'incrédulité  sur  les  secondes. 

M.  de  F...,  qui  avoit  vu  à  sa  femme  plusieurs 
amans,  et  qui  avoit  toujours  joui  de  temps  en 
temps  de  ses  droits  d'époux ,  s'avisa  un  soir  de 
vouloir  en  profiter.  Sa  femme  s'y  refuse.  «  Eh 
quoi!  lui  dit-elle,  ne  savez-vous  pas  que  je  suis  en 
affaire  avec  M...?  —  Belle  raison,  dit-il,  ne  m'a- 
vez-vous  pas  laissé  mes  droits  quand  vous  aviez 
L...,  S...,  N...,  B  ..,  T...?  —  Oh!  quelle  diffé- 
rence! étoit-ce  de  l'amour  que  j'avois  pour  eux? 
Rien,  pures  fantaisies;  mais  avec  M...,  c'est  un 
sentiment  :  c'est  à  la  vie  et  à  la  mort.  —  Ah!  je 
ne  savois  pas  cela  :  n'en  parlons  plus.  »  Et,  en  ef- 
fet, tout  fut  dit.  M.  de  R...,  qui  entendoit  conter 
cette  histoire,  s'écria  :  «  Mon  Dieu  !  que  je  vous 
remercie  d'avoir  amené  le  mariage  à  produire  de 
pareilles  gentillesses  !  » 

On  dit  à  la  duchesse  de  Chaulnes,  mourante  et 
séparée  de  son  mari  :  «  Les  sacremens  sont  là.  — 
Un  petit  moment...  —  M.   le  duc  de  Chaulnes 


ANECDOTES    ET    BONS     MOTS  9S 

voudroit  vous    revoir.   —  Est-il   là?  —  Oui.   — 
Qu'il  attende  :  il  entrera  avec  les  sacremens.  » 

M...  disoit  de  mademoiselle...,  qui  n'étoit  point 
vénale,  n'écoutoit  que  son  cœur  et  restoit  fidèle  à 
l'objet  de  son  choix  :  «  C'est  une  personne  char-" 
mante  ,  et  qui  vit  le  plus  honnêtement  qu'il  est 
possible  hors  du  mariage  et  du  célibat.  » 

M.  de  L...  disoit  qu'on  auroit  dû  appliquer  au 
mariage  la  police  relative  aux  maisons,  qu'on  loue 
par  un  bail  pour  trois,  six  et  neuf  ans,  avec  pou- 
voir d'acheter  la  maison,  si  elle  vous  convient. 

Madame  de  B...,ne  pouvant,  malgré  son  grand 
crédit,  rien  faire  pour  M.  de  D...,  son  amant, 
homme  par  trop  médiocre,  l'a  épousé.  En  fait 
d'amans,  il  n'est  pas  de  ceux  que  l'on  montre;  en 
fait  de  maris,  on  montre  tout. 

Un  mari  disoit  à  sa  femme  :  «  Madame,  cet 
homme  a  des  droits  sur  vous;  il  Vous  a  manqué 
devant  moi.  Je  ne  le  souffrirai  pas.  Qu'il  vous  mal- 
traite quand  vous  êtes  seule;  mais,  en  ma  pré- 
sence, c'est  me  manquer  à  moi-même.  » 

C'est  M.  de  Maugiron  qui  a  commis  cette  ac- 
tion horrible ,  que  j'ai  entendu  conter  et  qui  me 


<)h  PORTRAITS     ET    CARACTÈRES 

parut  une  fable.  Étant  à  l'armée,  son  cuisinier  fut 
pris  comme  maraudeur;  on  vint  le  lui  dire  :  «  Je 
suis  très-content  de  mon  cuisinier,  répondit-il; 
mais  j'ai  un  mauvais  marmiton.  »  Il  fait  venir  ce 
dernier,  lui  donne  une  lettre  pour  le  grand  prévôt. 
Le  malheureux  y  va,  est  saisi,  proteste  de  son  in- 
nocence, et  est  pendu. 

Marmontel,  dans  sa  jeunesse,  recherchoit  beau- 
coup le  vieux  Boindin,  célèbre  par  son  esprit  et 
son  incrédulité.  Le  vieillard  lui  dit  :  «  Trouvez- 
vous  au  café  Procope.  —  Mais  nous  ne  pourrons 
pas  parler  de  matières  philosophiques.  —  Si  fait, 
en  convenant  d'une  langue  particulière,  d'un  ar- 
got. »  Alors  ils  firent  leur  dictionnaire.  L'âme 
s'appeloit  Margot,  la  religion  Javoite,  la  liberté 
Jeanneton,  et  le  Père  éternel  M.  de  VEtre.  Les 
voilà  disputant  et  s'entendant  très-bien.  Un  homme 
en  habit  noir,  avec  une  mauvaise  mine,  se  mêlant 
à  la  conversation ,  dit  à  Boindin  :  «  Monsieur, 
oserois-je  vous  demander  ce  que  c'étoit  que  ce 
M.  de  l'Être  qui  s'est  si  souvent  mal  conduit,  et 
dont  vous  êtes  si  mécontent?  —  Monsieur,  reprit 
Boindin,  c'étoit  un  espion  de  police.  »  On  peut 
juger  de  l'éclat  de  rire,  cet  homme  étant  lui-même 
du  métier. 

M.  de  Marville  disoit  qu'il  ne  pouvoit  y"  avoir 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  97 

d'honnête  homme  à  la  police  que  le  lieutenant  de 
police  tout  au  plus. 

Il  paroît  certain  que  l'homme  au  masque  de  fer 
est  un  frère  de  Louis  XIV  :  sans  cette  explication, 
c'est  un  mystère  absurde.  Il  paroît  certain,  non 
seulement  que  Mazarin  eut  la  reine,  mais,  ce  qui 
est  plus  inconcevable,  qu'il  étoit  marié  avec  elle  : 
sans  cela ,  comment  expliquer  la  lettre  qu'il  lui 
écrivit  de  Cologne  lorsque,  apprenant  qu'elle 
avoit  pris  parti  sur  une  grande  affaire,  il  lui  mande  : 
«  Il  vous  convient  bien,  Madame,  etc.  »?  Les 
vieux  courtisans  racontent,  d'ailleurs,  que,  quelques 
jours  avant  la  mort  de  la  reine,  il  y  eut  une  scène 
de  tendresse,  de  larmes,  d'explications  entre  la 
reine  et  son  fils;  et  l'on  est  fondé  à  croire  que 
c'est  dans  cette  scène  que  fut  faite  la  confidence 
de  la  mère  au  fils. 

«  La  différence  qu'il  y  a  de  vous  à  moi,  me  di- 
îoit  M...,  c'est  que  vous  avez  dit  à  tous  les  mas- 
ques :  «  Je  vous  connois  »,  et  moi  je  leur  ai  laissé 
l'espérance  de  me  tromper.  Voilà  pourquoi  le 
monde  m'est  plus  favorable  qu'à  vous.  C^est  un 
bal  dont  vous  avez  détruit  l'intérêt  pour  les  autres 
■et  l'amusement  pour  vous-même.  » 

L'abbé  Maury  tâchant  de  faire  conter  à  l'abbé 
Chamfort.  —  II.  i3 


98       PORTRAITS  ET  CARACTÈRES 

de  Beaumont,  vieux  et  paralytique,  les  détails  de 
sa  jeunesse  et  de  sa  vie  :  «  L'abbé,  lui  dit  celui-ci, 
vous  me  prenez  mesure!  »  indiquant  qu'il  cher- 
choit  des  matériaux  pour  son  éloge  à  l'Académie. 

Il  existe  une  médaille  que  M.  le  prince  de 
Condé  m'a  dit  avoir  possédée  et  que  je  lui  ai  vu 
regretter.  Cette  médaille  représente  d'un  côté 
Louis  XIII,  avec  les  mots  ordinaires  :  Kex  Franc. 
et  Nav.,  et  de  l'autre  le  cardinal  de  Richelieu, 
avec  ces  mots  à  l'entour  :  Nil  sine  consilio. 

Un  médecin  de  village  alloit  visiter  un  malade 
au  village  prochain.  Il  prit  avec  lui  un  fusil  pour 
chasser  en  chemin  et  se  désennuyer.  Un  paysan  le 
rencontra,  et  lui  demanda  où  il  alloit.  «  Voir  un 
malade.  — Avez-vous  peur  de  le  manquer?  » 

M.  Lorry,  médecin,  racontoit  que  madame  de 
Sully,  étant  indisposée,  l'avoit  appelé  et  lui  avoit 
conté  une  insolence  de  Bordeu,  lequel  lui  avoit 
dit  :  «  Votre  maladie  vient  de  vos  besoins.  Voilà 
un  homme  »  ;  et  en  même  temps  il  se  présenta 
dans  un  état  peu  décent.  Lorry  excusa  son  confrère, 
et  dit  à  madame  de  Sully  force  galanteries  respec- 
tueuses. Il  ajoutoit  :  «  Je  ne  sais  ce  qui  est  arrivé 
depuis;  mais  ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  qu'après 
m'avoir  rappelé  une  fois,  elle  reprit  Bordeu.  » 


ANECDOTES    ET    BONS     MOTS  nn 

M.  de  Tressan  avoit  fait,  en  ijSS,  des  couplets 
contre  M.  le  duc  de  Nivernois,  et  sollicita  l'Aca- 
démie en  1780.  Il  alla  chez  M.  de  Nivernois,  qui 
le  reçut  à  merveille,  lui  parla  du  succès  de  ses  der- 
niers ouvrages,  et  le  renvoyoit  comblé  d'espé- 
rances, lorsque,  voyant  M.  de  Tressan  prêt  à 
remonter  en  voiture,  il  lui  dit  :  «  Adieu,  monsieur 
le  comte;  je  vous  félicite  de  n'avoir  pas  plus  de 
mémoire.  » 

Madame  de  Nesle  avoit  M.  de  Soubise.  M.  de 
Nesle,  qui  méprisoit  sa  femme,  eut  un  jour  une 
dispute  avec  elle  en  présence  de  son  amant;  il  lui 
dit  :  «  Madame,  on  sait  bien  que  je  vous  passe 
tout;  je  dois  pourtant  vous  dire  que  vous  avez  des 
fantaisies  trop  dégradantes  et  que  je  ne  vous  pas- 
serai pas  :  telle  est  celle  que  vous  avez  pour  le 
perruquier  de  mes  gens,  avec  lequel  je  vous  ai  vue 
sortir  et  rentrer  chez  vous.  »  Après  quelques  me- 
naces, il  sortit,  et  la  laissa  avec  M.  de  Soubise, 
qui  la  souffleta,  quoi  qu'elle  pût  dire.  Le  mari  alla 
ensuite  conter  cet  exploit,  ajoutant  que  l'histoire 
du  perruquier  étoit  fausse,  se  moquant  de  M.  de 
Soubise,  qui  l'avoit  crue,  et  de  sa  femme,  qui  avoit 
été  souffletée. 

«Je  me  refuse,  disoit  M...,  aux  avances   de 
M.  de  B...,  parce  que  j'estime  assez  peu  les  qua- 


Lnivtî/s 

B/BLfOTff 


100  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

lités  pour  lesquelles  il  me  recherche,  et  que,  s*il 
savoit  les  qualités  pour  lesquelles  je  m'estime,  il 
me  fermeroit  sa  porte.  » 

Milord  Hervej,  voyageant  en  Italie  et  se  trou- 
vant non  loin  de  la  mer,  traversa  une  lagune  dans 
l'eau  de  laquelle  il  trempa  son  doigt  :  «  Ah!  ah! 
dit-il,  l'eau  est  salée;  ceci  est  à  nous.  » 

«  Je  crois,  disoit  M...  sur  le  duc  de...,  que 
son  nom  est  son  plus  grands  mérite,  et  qu'il  a  toutes 
les  vertus  qui  se  font  dans  une  parcheminerie.  » 

L'abbé  Maury,  étant  pauvre,  avoit  enseigné  le 
latin  à  un  vieux  conseiller  de  grand'chambre  qui 
vouloit  entendre  les  Institutes  de  Justinien,  Quel- 
ques années  se  passent,  et  il  rencontre  ce  conseil- 
ler, étonné  de  le  voir  dans  une  maison  honnête. 
«  Ah'  l'abbé,  vous  voilà!  lui  dit-il  lestement;  par 
quel  hasard  vous  trouvez-vous  dans  cette  maison- 
ci?  —  Je  m'y  trouve  comme  vous  vous  y  trouvez. 
—  Oh!  ce  n'est  pas  la  même  chose.  Vous  êtes 
donc  mieux  dans  vos  affaires?  Avez-vous  fait  quel- 
que chose  dans  votre  métier  de  prêtre?  — Je  suis 
grand  vicaire  de  M.  de  Lombez.  —  Diable!  c'est 
quelque  chose!  Et  combien  cela  vaut-il? —  Mille 
francs.  —  C'est  bien  peu!  »  Et  il  reprend  le  ton 
icste  et  léger  :  »  Mais  j'ai  un  prieuré  de  mille 
écus.  —  Mille  écus!  bonne  affaire  (avec  l'air  de  la 


ANECDOTES    ET    BONS    MOTS  loi 

considération).  —  Et  j'ai  fait  la  rencontre  du  maî- 
tre de  cette  maison-ci  chez  M.  le  cardinal  de 
Rohan.  —  Peste!  vous  allez  chez  le  cardinal  de 
Rohan?  —  Oui,  il  m'a  fait  avoir  une  abbaye.  — 
Une  abbaye!  Ah!  cela  posé,  monsieur  l'abbé, 
faites-moi  l'honneur  de  venir  dîner  chez  moi.  » 

L'abbé  Raynal ,  jeune  et  pauvre,  accepta  une 
messe  à  dire  tous  les  jours  pour  vingt  sous;  quand 
il  fut  plus  riche,  il  la  céda  à  l'abbé  de  La  Porte, 
en  retenant  huit  sous  dessus;  celui-ci,  devenu 
moins  gueux,  la  sous-loua  à  l'abbé  Dinouart,  en 
retenant  quatre  sous  dessus,  outre  la  portion  de 
l'abbé  Raynal  :  si  bien  que  cette  pauvre  messe, 
grevée  de  deux  pensions,  ne  valoit  que  huit  sous 
à  l'abbé  Dinouart. 

Milton,  après  le  rétablissement  de  Charles  II, 
étoit  dans  le  cas  de  reprendre  une  place  très-lucra- 
tive qu'il  avoit  perdue;  sa  femme  l'y  exhortoit;  il 
lui  répondit  :  «  Vous  êtes  femme,  et  vous  voulez 
avoir  un  carrosse;  moi,  je  veux  vivre  et  mourir  en 
honnête  homme.  » 

Les  ministres  en  place  s'avisent  quelquefois, 
lorsque,  par  hasard,  ils  ont  de  l'esprit,  de  parler  du 
temps  où  lis  ne  seront  plus  rien.  On  en  est  com- 
munément la  dupe,  et  l'on  s'imagine  qu'ils  croient 


102  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

ce  qu'ils  disent.  Ce  n'est  de  leur  part  qu'un  trait 
d'esprit.  Ils  sont  comme  les  malades,  qui  parlent 
souvent  de  leur  mort  et  qui  n'y  croient  pas, 
comme  on  peut  le  voir  par  d'autres  mots  qui  leur 
échappent. 

Henri  IV  s'y  prit  singulièrement  pour  faire  con- 
noître  à  un  ambassadeur  d'Espagne  le  caractère 
de  ses  trois  ministres,  Vilieroi,  le  président  Jean- 
nin  et  Sully.  Il  fit  appeler  d'abord  Vilieroi  : 
«  Voyez-vous   cette   poutre    qui   menace    ruine? 

Sans  doute,  dit  Vilieroi  sans  lever  la  tête;  il  faut 

la  faire  raccommoder,  je  vais  donner  des  ordres.  » 
Il  appela  ensuite  leprésident  Jeannin  :  «  Il  faudra 
s'en  assurer,  »  dit  celui-ci.  On  fait  venir  Sully,  qui 
regarde  la  poutre.  «  Eh!  Sire,  y  pensez-vous? 
dit-il;  cette  poutre  durera  plus  que  vous  et  moi.  » 

Dans  le  temps  où  parut  le  Hvre  de  Mirabeau 
sur  l'agiotage,  dans  lequel  M.  de  Calonne  est 
très-maltraité ,  on  disoit  pourtant,  à  cause  d'un 
passage  contre  M.  Necker,  que  le  livre  étoit  payé 
par  M.  de  Calonne,  et  que  le  mal  qu'on  disoit  de 
lui  n'avoit  d'autre  objet  que  de  masquer  la  collu- 


sion. 


On  sait  que  M.  de  Luynes,  ayant  quitté  le  service 
pour  un  soufflet  qu'il  avoit  reçu  sans  en  tirer  ven- 


ANECDOTES    ET    BONS     MOTS  Io3 

geance,  fut  fait  bientôt  après  archevêque  de  Sens. 
Un  jour  qu'il  avoit  officié  pontificalement,  un 
mauvais  plaisant  prit  sa  mitre,  et,  l'écartant  des 
deux  côtés  :  «  C'est  singulier,  dit-il,  comme  cette 
mitre  ressemble  à  un  soufflet.  » 

M...,  à  propos  des  six  mille  ans  de  Moïse,  di- 
soit,  en  considérant  la  lenteur  des  progrès  des 
arts  et  l'état  actuel  de  la  civilisation  :  «  Que  veut- 
il  qu'on  fasse  de  ses  six  mille  ans?  Il  en  a  fallu 
plus  que  cela  pour  savoir  battre  le  briquet  et  pour 
inventer  les  allumettes.  » 

C'est  une  chose  remarquable  que  Molière,  qui 
n'épargnoit  rien,  n'a  pas  lancé  un  seul  trait  contre 
les  gens  de  finance.  On  dit  que  Molière  et  les 
auteurs  comiques  du  temps  eurent  là-dessus  des 
ordres  de  Colbert. 

L'abbé  de  Molière  étoit  un  homme  simple  et 
pauvre,  étranger  à  tout,  hors  à  ses  travaux  sur  le 
système  de  Descartes;  il  n'avoit  point  de  valet,  et 
travailloit  dans  son  lit,  faute  de  bois,  sa  culotte  sur 
sa  tête  par-dessus  son  bonnet,  les  deux  côtés  pen- 
dant à  droite  et  à  gauche.  Un  matin,  il  entend 
frapper  à  sa  porte  :  «  Qui  va  là?  —  Ouvrez..  » 
Il  tire  un  cordon  et  la  porte  s'ouvre.  L'abbé  de 
Molière,  ne  regardant  point  :  «   Qui  êtes-vous? 


104  PORTRAITS     ET    CARACTERES 

—  Donnez-moi  de  l'argent,  —  De  l'argent?  — 
Oui,  de  l'argent.  —  Ah!  j'entends,  vous  êtes  un 
voleur?  —  Voleur  ou  non,  il  me  faut  de  l'argent. 

—  Vraiment,  oui,  il  vous  en  faut?  Eh  bien! 
cherchez  là-dedans...  »  Il  tend  le  cou,  et  pré- 
sente un  des  côtés  de  sa  culotte;  le  voleur  fouille. 
«  Eh  bien!  il  n'y  a  point  d'argent.  —  Vraiment, 
non;  mais  il  y  a  ma  clef.  —  Eh  bien!  cette  clef...? 

—  Cette  clef,  prenez-la.  —  Je  la  tiens.  —  Allez- 
vous-en  à  ce  secrétaire;  ouvrez...  »  Le  voleur  met 
la  clef  à  un  tiroir.  «  Pas  celui-là,  dit  l'abbé,  ce 
sont  mes  papiers...  Ventrebleu!  finirez-vous?  ce 
sont  mes  papiers  !  A  l'autre  tiroir,  vous  trouverez 
de  l'argent.  —  Le  voilà.  —  Eh  bien'  prenez... 
Fermez  donc  le  tiroir...  »  Le  voleur  s'enfuit. 
«  Monsieur  le  voleur,  fermez  donc  la  porte.  Mor- 
bleu !  il  laisse  la  porte  ouverte!...  Quel  chien  de 
voleur!  il  faut  que  je  me  lève  par  le  froid  qu'il 
fait!  maudit  voleur!  »  L'abbé  saute  en  pied,  va 
fermer  la  porte,  et  revient  se  remettre  à  son  tra- 
vail. 

Quand  l'archevêque  de  Lyon,  Montazet,  alla 
prendre  possession  de  son  siège,  une  vieille  cha- 
noinesse  de...,  sœur  du  cardinal  de  Tencin,  lui 
fit  compliment  de  ses  succès  auprès  des  femmes, 
et  entre  autres  de  l'enfant  qu'il  avoit  eu  de  ma- 
dame de  Mazarin    Le  prélat  nia  tout  et  ajouta  : 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  Io5 

«  Madame,  vous  savez  que  la  calomnie  ne  vous  a 
pas  ménagée  vous-même;  mon  histoire  avec  ma- 
dame de  Mazarin  n'est  pas  plus  vraie  que  celle 
qu'on  vous  prête  avec  monsieur  le  cardinal.  —  En 
ce  cas,  dit  la  chanoinesse  tranquillement,  l'enfant 
est  de  vous.  » 

Le  chanoine  Recupero,  célèbre  physicien,  ayant 
publié  une  savante  dissertation  sur  le  mont  Etna, 
où  il  prouvoit,  d'après  les  dates  des  éruptions  et 
la  nature  de  leurs  laves,  que  le  monde  ne  pouvoit 
pas  avoir  moins  de  quatorze  mille  ans,  la  cour  lui 
fit  dire  de  se  taire,  et  que  l'arche  sainte  avoit  aussi 
ses  éruptions.  Il  se  le  tint  pour  dit.  C'est  lui-même 
qui  a  conté  cette  anecdote  au  chevalier  de  la  Trem- 
blay e. 

Madame  de  Montmorin  disoit  à  son  fils  :  «Vous 
entrez  dans  le  monde;  je  n'ai  qu'un  conseil  à  vous 
donner  :  c'est  d'être  amoureux  de  toutes  les  fem- 
mes. » 

J.  J.  Rousseau  passe  pour  avoir  eu  madame  la 
comtesse  de  Boufflers,  et  même  (qu'on  me  passe 
ce  terme)  pour  l'avoir  manquée,  ce  qui  leur  donna 
beaucoup  d'humeur  l'un  contre  l'autre.  Un  jour, 
on  disoit  devant  eux  que  l'amour  du  genre  humain 
éteignoit  l'amour  de  la  patrie.   «  Pour  moi,  dit- 


Io6  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

elle,  je  sais,  par  mon  exemple,  et  je  sens  que  cela 
n'est  pas  vrai  :  je  suis  très-bonne  Françoise,  et  je 
ne  m'intéresse  pas  moins  au  bonheur  de  tous  les 
peuples.  —  Oui,  je  vous  entends,  dit  Rousseau, 
vous  êtes  Françoise  par  votre  buste,  et  cosmopo- 
lite du  reste  de  votre  personne.  » 

Il  y  a  une  farce  italienne  où  Arlequin  dit,  à 
propos  des  travers  de  chaque  sexe,  que  nous  serions 
tous  parfaits  si  nous  n'étions  ni  hommes  ni  fem- 
mes. 

Fox  avoit  emprunté  des  sommes  immenses  à 
différens  juifs,  et  se  flattoit  que  la  succession  d'un 
de  ses  oncles  payeroit  toutes  ses  dettes.  Cet  oncle 
se  maria  et  eut  un  fils.  A  la  naissance  de  l'enfant, 
Fox  dit  :  «  C'est  le  Messie  que  cet  enfant  :  il  vient 
au  monde  pour  la  destruction  des  juifs.  » 

Louis  XV  se  fit  peindre  par  Latour.  Le  peintre, 
tout  en  travaillant,  causoit  avec  le  roi,  qui  parois- 
soit  le  trouver  bon.  Latour,  encouragé,  et  naturel- 
lement indiscret,  poussa  la  témérité  jusqu'à  lui 
dire  :  «  Au  fait.  Sire,  vous  n'avez  point  de  ma- 
rine. »  Le  roi  répondit  sèchement  :  «  Que  dites- 
vous  là?  Et  Vernet,  donc!  » 

Louis  XIV  se  plaignant  chez  madame  de  Main- 


ANECDOTES    ET    BONS    MOTS  I07 

tenon  du  chagrin  que  lui  causoit  la  division  des 
évêques  :  «  Si  l'on  pouvoit,  disoit-il,  ramener  les 
neuf  opposans,  on  éviteroit  un  schisme;  mais  cela 
ne  sera  pas  facile.  —  Eh  bien!  Sire,  dit  en  riant 
madame  la  duchesse,  que  ne  dites-vous  aux  qua- 
rante de  revenir  à  l'avis  des  neuf?  Ils  ne  vous  refu- 
seront pas.  » 

L'abbé  de  la  Galaisière  étoit  fort  lié  avec 
M.  Orry,  avant  qu'il  fût  contrôleur  général.  Quand 
il  fut  nommé  à  cette  place,  son  portier,  devenu 
suisse,  sembloit  ne  pas  le  reconnoître.  «  Mon  ami, 
lui  dit  l'abbé  de  la  Galaisière,  vous  êtes  insolent  beau- 
coup trop  tôt,  votre  maître  ne  Test  pas  encore.  » 

«  Pourquoi  donc,  disoit  mademoiselle  de..., 
âgée  de  douze  ans,  pourquoi  cette  phrase  :  «  Ap- 
«  prendre  à  mourir  »?  Je  vois  qu'on  y  réussit  très- 
bien  dès  la  première  fois.  » 

Je  ne  vois  jamais  jouer  les  pièces  de...,  et  le 
peu  de  monde  qu'il  y  a,  sans  me  rappeler  le  mot 
d'un  major  de  place  qui  avoit  indiqué  l'exercice  pour 
telle  heure.  Il  arrive,  il  ne  voit  qu'un  trompette  : 
«  Parlez  donc,  messieurs  les  b...  !  d'où  vient  donc 
est-ce  que  vous  n'êtes  qu'un  ?  » 

Madame  de  Prie,  maîtresse  du  régent,  dirigée 


lOO  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

par  son  père,  un  traitant  nommé,  je  crois,  Pléneuf, 
avoit  fait  un  accaparement  de  blé  qui  avoit  mis  le 
peuple  au  désespoir,  et  enfin  causé  un  soulèvement. 
Une  compagnie  de  mousquetaires  reçut  l'ordre 
d'aller  apaiser  le  tumulte,  et  leur  chef,  M.  d'A- 
vejan,  avoit  ordre,  dans  ses  instructions,  de  tirer  sur 
la  canaille  :  c'est  ainsi  qu'on  désignoit  le  peuple  en 
France.  Cet  honnête  homme  se  fit  une  peine  de 
faire  feu  sur  ses  concitoyens,  et  voici  comme  il  s'y 
prit  pour  remplir  sa  commission.  Il  fit  faire  tous 
les  apprêts  d'une  salve  de  mousqueterie,  et,  avant 
de  dire  :  Tirez!  il  s'avança  vers  la  foule,  tenant 
d'une  main  son  chapeau  et  de  l'autre  l'ordre  de 
la  cour  :  «  Messieurs,  dit-il,  mes  ordres  portent 
de  tirer  sur  la  canaille;  je  prie  tous  les  honnêtes 
gens  de  se  retirer  avant  que  j'ordonne  de  faire 
feu.  »  Tout  s'enfuit  et  disparut. 

On  avisoit  dans  une  société  aux  moyens  de  dé- 
placer un  mauvais  ministre,  déshonoré  par  vingt 
turpitudes.  Un  de  ses  ennemis  connus  dit  tout  à 
coup  :  «  Ne  pourroit-on  pas  lui  faire  faire  quel- 
que opération  raisonnable,  quelque  chose  d'hon- 
nête, pour  le  faire  chasser?  » 

N...  disoit  à  M.  Barthe  :  «  Depuis  dix  ans  que 
je  vous  connois,j'ai  toujours  cru  qu'il  étoit  impos- 
sible d'être  votre  ami;  mais  je  me  suis  trompé;  il 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  lOQ 

y  auroit  un  moyen.  —  Et  lequel?  —  Celui  de 
faire  une  parfaite  abnégation  de  soi  et  d'adorer 
sans  cesse  votre  égoïsme.  » 

Le  fameux  Ben-Johnson  disoit  que  tous  ceux  qui 
avoient  pris  les  Muses  pour  femmes  étaient  morts 
de  faim,  et  que  ceux  qui  les  avoient  prises  pour 
maîtresses  s'en  étoient  fort  bien  trouvés.  Cela  re- 
vient assez  bien  à  ce  que  j'ai  ouï  dire  à  Diderot, 
qu'un  homme  de  lettres  sensé  pouvoit  être  l'amant 
d'une  femme  qui  fait  un  livre,  mais  ne  devoit  être 
le  mari  que  de  celle  qui  sait  faire  une  chemise.  Il 
y  a  mieux  que  tout  cela  :  c'est  de  n'être  ni  l'amant 
de  celle  qui  fait  un  livre,  ni  le  mari  d'aucune. 

L'abbé  Delille  devoit  lire  des  vers  à  l'Académie 
pour  la  réception  d'un  de  ses  amis.  Sur  quoi  il  di- 
soit :  «  Je  voudrois  bien  qu'on  ne  le  sût  pas  d'a- 
vance, mais  je  crains  bien  de  le  dire  à  tout  le 
monde.  » 

*  Discours  d'un  homme  condamné  à  la  hâte  par 
la  Cour  des  monnoies  (Paris,  lyyS  ou  1776)  à 
être  pendu  :  «  Messieurs,  je  vous  remercie.  En 
vous  dépêchant  de  me  faire  pendre  pour  exercer 
votre  juridiction,  vous  me  servez  et  m'obligez  infi- 
niment. J'ai  commis  vingt  vols,  quatre  assassinats. 


IIO  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

Je  méritois  pis  que  ce  qui  m'arrive.  Je  suis  inno- 
cent, mais  je  vous  remercie.  » 

*  Le  maréchal  de  Luxembourg,  retenu  deux  ans 
à  la  Bastille,  sous  le  prétexte  d'une  accusation  de 
magie,  en  sortit  pour  aller  commander  les  armées. 
«  On  a  encore  besoin  de  magie,  »  dit-il  en  plai- 
santant. 

*M.  de...,  menteur  connu,  venoitde  raconter  je 
ne  sais  quel  fait  peu  croyable.  —  Monsieur,  lui 
dit  quelqu'un,  je  vous  crois;  mais  convenez  que  la 
vérité  a  bien  tort  de  ne  pas  daigner  se  rendre  plus 
vraisemblable. 

*  Un  abbé  demandoit  une  abbaye   au   régent. 

«  Allez  vous    faire  f !  répondit    le  prince  sans 

détourner  la  tête.  —  Encore  faut-il  de  l'argent 
pour  cela,  dit  l'abbé,  et  Votre  Altesse  en  con- 
viendra si  elle  daigne  me  regarder.  »  Il  étoit  fort 
laid.  Le  prince  éclata  de  rire  et  donna  l'abbaye. 

*  Un  Hollandois,  sachant  mal  le  françois,  étoit 
en  usage  de  conjuguer  tout  bas  les  verbes  qui 
échappoient  à  ceux  qui  causoient  avec  lui.  Un 
homme  grossier  lui  dit  :  «  Mais  vous  vous  moquez 
de  moi!  »  Il  se  mit  à  conjuguer  ce  verbe.  «  Sor- 
tons!   dit   l'autre^   —  Je   sors,  tô   sors,  etc.    — 


ANECDOTES    ET    BONS    MOTS  III 

Mettez-vous  en  garde!  —  Je  me  mets  en  garde.  » 
Ils  se  battent.  «  Vous  en  tenez.  —  J'en  tiens,  tu 
en  tiens,  il  en  tient,  etc.  » 

*  Un  homme  qui  parloit  mal,  entendant  conter 
cette  histoire,  dit  au  conteur  :  «  Monsieur,  je  vous 
la  prends,  et  je  la  conterai  plus  d'une  fois.  — 
Volontiers,  dit  l'autre;  je  vous  la  cède,  mais  à 
condition  que  vous  changerez  souvent  les  verbes, 
afin  que  cela  vous  apprenne  à  conjuguer. 

*  Un  homme,  ayant  été  voir  jouer  P/ièc?re  par  de 
mauvais  acteurs,  disoit,  pour  s'excuser,  qu'il  avoit 
été  à  la  Comédie  pour  s'épargner  la  peine  de  lire  et 
ménager  ses  yeux.  «  Eh!  Monsieur,  lui  dit  quel- 
qu'un, voir  jouer  Racine  par  ces  drôles-là,  c'est  lire 
Pradonl  » 

*  M.  le  maréchal  de  Saxe  disoit  :  «  Je  sais  que 
tel  bon  bourgeois  de  Paris,  logé  entre  son  bou- 
langer et  son  rôtisseur,  s'étonne  que  je  ne  fasse 
pas  faire  dix  lieues  par  jour  à  mon  armée.  » 

*  Mademoiselle  Pitt  disoit  à  quelqu'un  dont  la 
figure  l'intéressoit  :  «  Monsieur,  je  vous  connois 
depuis  trois  jours;  mais  je  vous  donne  trois  ans  de 
connoissance.  » 


112       PORTRAITS  ET  CARACTERES 

*  Un  curé  d'Hémon,  paroisse  d'une  terre  du 
marquis  de  Créqui,  dit  à  ses  paroissiens:  «  Mes- 
sieurs, priez  Dieu  pour  le  marquis  de  Créqui,  qui 
a  perdu  au  service  du  roi  son  corps  et  son  âme.  » 

*  Histoire  de  M.  de  Villars,  qui,  le  jour  de 
Noël,  entend  trois  messes,  et  se  persuade  que  les 
deux  dernières  sont  pour  lui.  Il  envoie  trois  louis 
au  prêtre,  qui  répond  :  «  Je  dis  la  messe  pour 
mon  plaisir.  » 

*  Un  soldat  qui  ne  se  souvenoit  plus  de  quelle 
religion  il  étoit,  se  trouvant  blessé  à  mort  dans  une 
armée  composée  de  catholiques,  calvinistes  et 
luthériens,  demanda  à  un  de  ses  camarades  quelle 
étoit  la  meilleure  religion.  Celui-ci,  qui  ne  s'en 
étoit  pas  plus  occupé,  dit  qu'il  n'en  savoit  rien, 
et  qu'il  falloit  consulter  le  capitaine.  Celui-ci, 
consulté,  répondit  qu'il  donneroit  bien  cent  écus 
pour  le  savoir. 

*  On  vola  à  un  soldat  son  cheval.  Il  attroupe 
ses  camarades,  et  déclare  que,  si  on  ne  le  lui  rend 
pas  d'ici  à  deux  heures,  il  prendra  le  parti  que  prit 
son  père  en  pareil  cas.  L'air  menaçant  dont  il 
parloit  effraya  le  voleur,  qui  lâcha  sa  prise.  Le 
cheval  revient  à  son  maître.  On  le  félicite;  on  lui 
demande   ce  qu'il  auroit  fait  et  ce   que    fit    son 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  Il3 

père.  «  Mon  père,  dit-il,  ayant  perdu  son  cheval, 
le  fit  crier  et  chercher  partout.  Il  ne  se  retrouva 
point.  Alors  il  prend  sa  selle,  la  charge  sur  son 
dos,  prend  son  fouet,  met  ses  bottes,  ses  éperons, 
et  dit  tout  haut  à  ses  camarades  :  «  Vous  voyez, 
je  suis  venu  à  cheval,  et  je  m'en  retourne  à  pied.  » 

*  Musson  et  Rousseau,  deux  bouffons  de  société, 
ayant  été  invités  à  dîner  dans  une  maison  considé- 
rable, buvoient,  mangeoient  à  l'envi  l'un  de 
l'autre,  sans  s'occuper  des  convives.  On  commen- 
çoit  à  le  trouver  mauvais,  lorsque  Rousseau  dit  à 
Musson  :  «  Ah  çà,  mon  ami,  il  est  temps  de  com- 
mencer à  faire  notre  état.  »  Ce  mot  répara  tout, 
mais  valut  mieux  que  tout  ce  qu'ils  dirent  ensuite. 

*  Un  chef  de  sauvages  aux  ordres  de  M.  de 
Montcalm,  ayant  avec  lui  un  entretien  dans  lequel 
le  général  se  fâcha,  lui  dit  d'un  grand  sang-froid  : 
«Tu  commandes,  et  tu  te  fâches? 

*M.  de  Mesmes,  ayant  acheté  l'hôtel  de  Mont 
morency,  y   fit    mettre  :    Hôtel   de   Mesmes.    On 
écrivit  au-dessous  :  Pas  de  même. 

*  Un  vieillard  que  j'ai  connu  dans  ma  jeunesse 
me  disoit,  à  propos  de  la  fortune  de  M.  le  duc 
de...  :   «  J'ai  presque  toujours  vu  le  bonheur  des 

Chamfort.  —  II.  i  5 


114  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

ministres  et  des  favoris  se  terminer  de  façon  à  leur 
faire  porter  envie  à  leurs  commis  ou  à  leurs  secré- 
taires. » 

*  Madame  la  duchesse  du  Maine,  ayant  un  jour 
besoin  de  l'abbé  de  Vaubrun,  ordonna  à  un  de  ses 
valets  de  chambre  de  le  trouver,  quelque  part  qu'il 
fût.  Cet  homme  va  et  apprend,  à  sa  grande  surprise, 
que  l'abbé  de  Vaubrun  dit  la  messe  dans  telle 
église.  Il  prend  l'abbé  descendant  de  l'autel  et  lui 
dit  sa  commission,  après  lui  avoir  témoigné  sa  sur- 
prise de  le  voir  dire  la  messe.  Celui-ci,  qui  étoit 
fort  libertin,  lui  dit  :  «  Je  vous  supplie  de  ne  pas 
dire  à  la  princesse  l'état  dans  lequel  vous  m'avez 
trouvé.  » 

*  Il  y  avoit  à  la  cour  une  intrigue  pour  marier 
Louis  XV,  qui  dépérissoit  par  une  suite  de  l'ona- 
nisme. Pendant  ce  temps,  le  cardinal  de  Fleury  se 
déterminoit  en  faveur  de  la  fille  du  roi  de  Pologne; 
mais  le  cas  étoit  urgent:  chacun  intriguoit  pour 
faire  marier  le  roi  le  plus  vite  qu'il  étoit  possible. 
Ceux  qui  Touloient  écarter  mademoiselle  de  Beau- 
mont  les  Tours  gagnèrent  les  médecins,  qui  dirent 
qu'il  falloit  au  roi  une  femme  d'un  âge  fait  pour 
réparer  le  mal  que  lui  avoit  fait  l'onanisme  et  pour 
donner  des  enfants.  Pendant  ce  temps-là,  toutes 
les  puissances  se  remuèrent,  et  il  y  eut  peu  de  prin- 


ANECDOTES    ET    BONS    MOTS  Il5 

cesses  dont  les  chauffoirs  n'aient  été  envoyés  au 
cardinal.  On  avoit  envoyé  à  la  reine  une  espèce 
de  traité  qu'on  lui  faisoit  signer  de  ne  jamais 
parler  au  roi  d'affaires  d'État,  etc. 

*  Scène  de  l'abbé  Maury  et  du  cardinal  de  La 
Roche- Aymon,  qui  lui  fait  faire  son  discours  pour  le 
mariage  de  Madame  Clotilde,  tout  en  le  grondant: 
«  Surtout  n'allez  pas  me  faire  ici  des  phrases;  je  ne 
suis  pas  un  bel  esprit.  Il  m'en  faut  trois  tout  au  plus, 
à  mon  âge...  etc.  —  Monseigneur,  mais  ne  fau- 
droit-il  pas...?  —  Ne  faudroit-il  pas...  Qu'est-ce 
que  c'est  que  cette  question?  Prétendez-vous  me 
faire  faire  mon  discours?  —  Monseigneur,  je  de- 
mande s'il  ne  faut  pas  parler  de  Louis  XV.  —  Belle 
demande  !  »  Et  là-dessus  le  cardinal  enfile  l'éloge 
du  roi,  puis  celui  de  la  reine.  «  Monseigneur,  ne 
seroit-il  pas  à  propos  d'y  joindre  celui  de  M.  le 
dauphin?  —  Quelle  question!  Me  prenez- vous 
pour  un  philosophe  qui  refuse  de  rendre  aux  rois 
et  aux  enfants  des  rois  ce  qui  leur  est  dû? — Mes- 
dames? »  Nouvelle  colère  du  cardinal  et  des  propos 
de  valet.  Enfin  l'abbé  prend  la  plume  et  écrit  trois 
ou  quatre  phrases.  Le  secrétaire  du  cardinal  arrive. 
«  Voilà  l'abbé,  dit  le  cardinal,  qui  vouloit  me 
faire  faire  de  l'esprit,  des  phrases,  etc.  Je  viens 
de  lui  dicter  ceci,  qui  vaut  mieux  que  toute  la 
rhétorique  de  l'Académie.  Adieu,  l'abbé;  au  re- 


Il6  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

voir.  Une  autre  fois,  soyez  moins  phrasier  et  moins 
verbeux.  » 


*Le  cardinal  disoit  à  un  vieil  évêque  :  «  Je  trai- 
terai votre  neveu  comme  le  mien,  au  cas  que  vous 
veniez  à  mourir.  »  L'évêque,  encore  moins  vieux 
que  le  cardinal,  lui  dit  :  «  Eh  bien,  Monseigneur, 
je  le  recommande  à  Votre  Eternité.  » 

*  On  contoit  un  jour  des  histoires  incroyables 
devant  Louis  XV.  Le  duc  d'Ayen  se  mit  à  conter 
celle  d'un  certain  prieur  de  capucins  qui  tous  les 
jours  tuoit  d'un  coup  de  fusil  un  capucin  au 
sortir  de  matines,  en  attendant  son  homme  à  un 
certain  passage.  Le  bruit  s'en  répand;  le  provin- 
cial vient  au  couvent.  Par  bonheur,  il  se  trouva 
qu'en  faisant  le  dénombrement  des  capucins,  il 
trouva  qu'il  n'en  manquoit  pas  un  seul. 

*  Mademoiselle  de...,  petite  fille  de  neuf  ans, 
disoit  à  sa  mère,  désolée  d'avoir  perdu  une  place 
à  la  cour  :  «  Maman,  quel  plaisir  trouvez-vous 
donc  à  mourir  d'ennui?  » 

*  Un  petit  garçon  demandoit  des  confitures  à  sa 
mère.  «  Donne-m'en  trop,  »  lui  dit-il. 

*  Un  homme  devoit  à   un  fossoyeur  quelque 


ANECDOTES    ET    BONS     MOTS  II7 

argent  pour  avoir  enterré  sa  fille.  Il  le  rencontre, 
il  veut  le  payer.  Celui-ci  lui  dit  :  «  Bon,  Mon- 
sieur, cela  se  trouvera  avec  autre  chose.  Vous  avez 
une  servante  malade,  et  votre  femme  ne  se  porte 
pas  trop  bien.  » 

*  Un  soldat  irlandois  prétendoit  dans  un 
combat  tenir  un  prisonnier.  «  Il  ne  veut  pas  me 
suivre  !  disoit-il  en  appelant  un  de  ses  camarades. 
—  Eh  bien!  lui  dit  celui-ci,  laisse-le,  si  tu  ne  peux 
l'emmener.  —  Mais,  reprit  l'autre,  il  ne  veut  pas 
me  lâcher.  » 

*  Le  marquis  de  C...,  voulant  passer  et  faire 
passer  ses  amis  dans  une  maison  royale  gardée  par 
un  suisse,  range  la  foule,  et,  les  prenant  pour  té- 
moins, dit  au  suisse  :  «  Rangez-vous.  Ces  messieurs 
sont  de  ma  compagnie;  je  vous  avertis  que  les 
autres  n'en  sont  pas.  »  Le  suisse  se  range  et  laisse 
passer;  mais  quelqu'un  vit  les  trois  jeunes  gens  rire 
et  se  moquer  du  suisse.  On  l'avertit;  il  court  à  eux, 
demande  au  marquis  :  a  Monsieur,  votre  billet?  — 
As-tu  un  crayon?  —  Non,  Monsieur.  —  En  voici 
un,  »  dit  un  des  jeunes  gens.  Le  marquis  écrit,  et, 
tout  en  écrivant,  dit  au  suisse  :  «  J'aime  qu'on 
fasse  son  devoir  et  qu'on  garde  sa  consigne.  »  En 
même  temps,  il  lui  remet  le  billet,  où  étoit  écrit: 
Laissez  passer  le  marquis  de  C...  et  sa  compagnie. 


Ïl8  PORTRAITS    ET    CARACTÈRES 

Le  suisse  prend  le  billet,  et,  tout  triomphant,  dit 
à  ceux  qui  l'avoient  averti  :  «  J'ai  le  billet  1  » 

*  Un  juge  disoit  naïvement  à  quelques-uns  de 
ses  amis  :  «  Nous  avons  aujourd'hui  condamné 
trois  hommes  à  mort;  il  y  en  avoit  deux  qui  le 
méritoient  bien!  » 

*  Un  homme  disoit  un  mal  horrible  de  Dieu. 
Un  de  ses  amis  lui  dit  :  «  Tu  dis  toujours  du  mal 
du  tiers  et  du  quart.  » 

*M...,  à  qui  je  disois  :  «  Votre  gouvernante  est 
bien  jeune  et  bien  jolie  »,  me  répondit  naïvement: 
«  Les  rapports  d'âge  ne  sont  pas  nécessaires;  celui 
des  caractères  suffit.  » 

*  Un  docteur  de  Sorbonne,  furieux  contre  le 
Système  de  la  Nature,  disoit  :  «  C'est  un  livre  exé- 
crable,  abominable!  C'est  l'athéisme  démontré!  » 

*  Il  y  a  une  chanson  qui  roule  sur  Hercule, 
vainqueur  de  cinquante  pucelles.  Le  couplet  finit 
par  ces  mots  : 

Comme  lui  je  les  aurai 
Lorsque  je  les  trouverai. 

*  On  demandoit  à  un  enfant  :  «  Dieu  le  père 


ANECDOTES    ET    BONS    MOTS  11^ 

est-il  Dieu?  —  Oui.  —  Dieu  le  fils  est-il  Dieu? 
—  Pas  encore,  que  je  sache;  mais,  à  la  mort  de  son 
père,  cela  ne  sauroit  lui  manquer.  » 

*  Une  petite  fille  disoit  à  M...,  auteur  d*un  livre 
sur  l'Italie  :  «  Monsieur,  vous  avez  fait  un  livre  sur 
l'Italie?  —  Oui,  Mademoiselle.  —  Y  avez-vous 
été?  —  Certainement.  —  Est-ce  avant  ou  après 
Votre  voyage  que  vous  avez  fait  votre  livre  ?  » 

*  M.  le  dauphin  avoit  défini  le  prince  Louis  de 
Rohan  un  prince  affable,  un  prélat  aimable  et  un 
grand  drôle  bien  découplé.  Un  M.  de  Nadaillac,. 
personnage  très-ridicule,  avoit  été  présent  à  ce 
propos,  qu'on  répétoit  devant  une  femme  qui  vi- 
voit  avec  le  prince  Louis.  Inquiète  de  ce  qu'on  en 
disoit,  elle  demanda  ce  que  le  dauphin  avoit  dit.' 
M.  de  Nadaillac  lui  dit  :  «  Madame,  cela  vous 
intéresse,  et  vous  en  serez  enchantée.  »  Il  répéta  le 
propos  de  M.  le  dauphin  en  substituant  à  la  fin 
le  mot  d* accouplé  à  celui  de  découplé. 

L'abbé  de  Fleury  avoit  été  amoureux  de  ma- 
dame la  maréchale  de  Noailles,  qui  le  traita  avec 
mépris.  Il  devint  premier  ministre;  elle  eut  besoin 
de  lui,  et  il  lui  rappela  ses  rigueurs  «  Ah  !  Mon- 
seigneur, lui  dit  naïvement  la  maréchale,  qui  l'au- 
roit  pu  prévoir?  » 


120  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

Une  petite  fille  de  six  ans  disoit  à  sa  mère  :  «  Il 
y  a  deux  choses  qui  m'ont  fait  bien  de  la  peine. 
—  Lesquelles,  mon  enfant?  —  Ce  pauvre  Abel 
tué  par  son  frère,  lui  qui  étoit  si  beau  et  si  bon  !  Je 
crois  le  voir  encore  dans  cette  estampe  de  la  grande 
Bible.  —  Oh!  oui,  cela  est  bien  fâcheux.  Mais 
quelle  est  la  seconde  chose  qui  t'a  affligée?  — 
C'est  dans  Fanfan  et  Colas,  quand  Fanfan  refuse  à 
Colas  une  portion  de  sa  tarte.  Dis-moi,  maman, 
la  tarte  étoit-elle  véritable?» 

«  Quand  j'ai  une  tentation,  disoit  M...,  savez- 
vous  ce  que  j'en  fais?  — Non.  —  Je  la  garde.  )> 

On  louoit  je  ne  sais  quel  président  d'avoir  une 
bonne  caboche.  Quelqu'un  répondit  :  «  C'est  le 
terme  que  j'ai  entendu  employer  cent  fois,  mais 
jamais  personne  n'a  osé  dire  qu'il  avoit  une  bonne 
tête.  » 

M.  Poissonnier,  le  médecin,  après  son  retour 
de  Russie,  alla  à  Ferney,  et,  comme  il  parloit  à 
M.  de  Voltaire  de  tout  ce  qu'il  avoit  dit  de  faux 
et  d'exagéré  sur  ce  pays-là  :  «  Mon  ami,  répondit 
naïvement  Voltaire,  au  lieu  de  s'amuser  à  contre- 
dire, ils  m'ont  donné  de  bonnes  pelisses,  et  ;e  suis 
très-frileux.  » 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  121 

Pendant  la  guerre  d'Amérique,  un  Écossois  di- 
soit  à  un  François  en  lui  montrant  quelques  pri- 
sonniers américains  :  «  Vous  vous  êtes  battu  pour 
votre  maître;  moi,  pour  le  mien;  mais  ces  gens-ci, 
pour  qui  se  battent-ils?  »  Ce  trait  vaut  bien  celui 
du  roi  de  Pégu,  qui  pensa  mourir  de  rire  en  appre- 
nant que  les  Vénitiens  n'avoient  pas  de  roi. 

Je  venois  de  raconter  une  histoire  galante  de 
madame  la  présidente  de...,  et  je  ne  Tavois  pas 
nommée.  M...  reprit  naïvement  :  «  Cette  prési- 
dente de  Bernières  dont  vous  venez  de  parler...  » 
Toute  la  société  partit  d'un  éclat  de  rire. 

Un  jeune  homme  sensible,  et  portant  l'honnê- 
teté dans  l'amour,  étoit  bafoué  par  des  libertins 
qui  se  moquoient  de  sa  tournure  sentimentale.  Il 
leur  répondit  avec  naïveté  :  «  Est-ce  ma  faute,  à 
moi,  si  j'aime  mieux  les  femmes  que  j'aime  que  les 
femmes  que  je  n'aime  pas?  » 

On  disoit  que  M  ..  étoit  peu  sociable  :  «  Oui, 
dit  un  de  ses  amis ,  il  est  choqué  de  plusieurs 
choses  qui,  dans  la  société,  choquent  la  nature.   » 

M..,,  faisant  sa  cour  au  prince  Henri,  à  Neu- 
châtel,  lui  dit  que  les  Neuchâtelois  adoroient  le  roi 
de  Prusse.  «  Il  est  fort  simple,  dit  le  prince,  que 

i6 


122  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

les  sujets  aiment  un  maître  qui  est  à  trois  cents 
lieues  d'eux.  » 

Le  duc  de  Chartres,  apprenant  l'insulte  faite  à 
madame  la  duchesse  de  Bourbon,  sa  sœur,  par 
M.  le  comte  d'Artois,  dit  :  «  On  est  bien  heureux 
de  n'être  ni  père  ni  mari.  » 

Au  Pérou,  il  n'étoit  permis  qu'aux  nobles  d'étu- 
dier. Les  nôtres  pensent  différemment. 

On  avoit  dit  à  un  roi  de  Sardaigne  que  la  no- 
blesse de  Savoie  étoit  très-pauvre.  Un  jour,  plu- 
sieurs gentilshommes,  apprenant  que  le  roi  passoit 
par  Je  ne  sais  quelle  ville,  vinrent  lui  faire  leur 
cour  en  habits  de  gala  magnifiques.  Le  roi  leur  fît 
entendre  qu'ils  n'étoient  pas  aussi  pauvres  qu'on 
le  disoit.  «  Sire,  répondirent-ils,  nous  avons  appris 
l'arrivée  de  Votre  Majesté;  nous  avons  fait  tout 
ce  que  nous  devions,  mais  nous  devons  tout  ce  que 
nous  avons  fait.  » 

*  M.  de  Lauraguais  écrivoit  à  M.  le  marquis  de 
Villette  :  «  Je  ne  méprise  point  du  tout  la  bour- 
geoisie, monsieur  le  marquis;  je  n'ai  point  ce  tra- 
vers, et  vous  êtes  bien  sûr,  etc.  » 

*  On  venoit  de  dire  que  M.  de...  étoit  chicané 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  123 

sur  ses  preuves  de  noblesse,  qui  dévoient  venir  de 
la  Martinique  et  qui  n'arrivoient  point,  ce  qui 
pouvoit  bien  lui  faire  perdre  la  place  qu'il  a  à  la 
cour.  On  lut  ensuite  une  pièce  de  vers  de  sa  com- 
position, et  les  huit  premiers  vers  se  trouvèrent 
très-mauvais.  M.  de  T...  dit  tout  haut  :  «  Les 
preuves  arriveront,  ces  vers  ne  valent  rien.  » 

*  M...  disoit  que,  quand  il  voyoit  un  homme  de 
qualité  faire  une  lâcheté,  il  étoit  toujours  tenté 
de  crier,  comme  le  cardinal  de  Retz  à  l'homme 
qui  le  couchoit  en  joue  :  «  Malheureux!  ton  père 
te  regarde!...  Mais,  ajoutoit-il,  il  faudroit  crier  : 
«  Tes  pères  te  regardent  »,  car  souvent  le  père  ne 
vaut  pas  mieux.  » 

*  Laval,  le  maître  de  ballet,  étoit  sur  le  théâtre 
à  une  répétition  d'opéra  L'auteur,  ou  quelqu'un 
de  ses  amis,  lui  crîa  à  deux  fois  «  Monsieur  de 
Laval,  monsieur  de  Laval!  »  Laval,  s'avançant, 
lui  dit  :  «  Monsieur,  voilà  deux  fois  que  vous 
m'appelez  M„  de  Laval.  La  première  fois,  je  n'ai 
rien  dit,  mais  cela  est  trop  fort.  .  Me  prenez-vous 
pour  un  de  ces  deux  ou  trois  MM  de  Laval  qui 
ne  savent  pas  faire  un  pas  de  menuet  ?  » 

*  M.  le  comte  de  Charolois  avoit  été  quatre 
ans  sans  payer  sa  maison,  même  ses  premiers  ofïi- 


124  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

ciers.  Un  M.  de  Laval  et  un  M.  de  Choiseul,  qui 
ètoient  du  nombre,  lui  présentèrent  un  jour  leurs 
gens  en  lui  disant  :  «  Monseigneur,  si  Votre 
Altesse  ne  nous  paye  point,  qu'elle  nous  dise  au 
moins  comment  nous  pourrons  satisfaire  ces  gens- 
ci.  »  Le  prince  fît  appeler  son  trésorier,  et,  montrant 
M.  de  Laval  et  M.  de  Choiseul  et  leur  livrée: 
«  Qu'on  paye  ces  messieurs'J  »  dit-il. 

Quelqu'un  disoit  d'un  homme  très-personnel  :' 
«  Il  brûleroit  votre  maison  pour  se  faire  cuire  deux 
œufs.  » 

Madame  Geoffrin  disoit  de  Madame  de  la  Ferté- 
Imbault,  sa  fille  :  «  Quand  je  la  considère,  je  suis 
étonnée  comme  une  poule  qui  a  couvé  un  œuf  de 
cane.  » 

Le  prince  de  Conti  actuel  s'affligeoit  de  ce  que 
le  comte  d'Artois  venoit  d'acquérir  une  terre  au- 
près de  ses  cantons  de  chasse.  On  lui  fit  entendre 
que  les  limites  étoient  bien  marquées,  qu'il  n'y 
avoit  rien  à  craindre  pour  lui,  etc.  Le  prince  de 
Conti  interrompt  le  harangueur  en  lui  disant  : 
((  Vous  ne  savez  pas  ce  que  c'est  que  les  princes  !  » 

M...,  voyant,  dans  ces  derniers  temps,  jusqu'à 
quel  point  l'opinion  publique  influoit  sur  les  gran- 


ANECDOTES    ET     BONS     MOTS  125 

des  affaires,  sur  les  places,  sur  le  choix  des  minis- 
tres, disoit  à  M.  de  L...,  en  faveur  d'un  homme 
qu'il  vouloit  voir  arriver  :  «  Faites-nous  en  sa  fa- 
veur un  peu  d'opinion  publique.  » 

Un  philosophe  me  disoit  qu'après  avoir  examiné 
l'ordre  civil  et  politique  des  sociétés,  il  n'étudioit 
plus  que  les  sauvages  dans  les  livres  des  voyageurs, 
et  les  enfans  dans  la  vie  ordinaire. 

M...  aime  qu'on  dise  qu'il  est  méchant,  à  peu 
près  comme  les  jésuites  n'étoient  pas  fâchés  qu'on 
dît  qu'ils  assassinoient  les  rois.  C'est  l'orgueil  qui 
veut  régner  par  la  crainte  sur  la  foiblesse. 

Je  demandois  à  M.,,  pourquoi,  en  se  condam- 
nant à  l'obscurité,  il  se  déroboit  au  bien  qu'on 
pouvoit  lui  faire.  «  Les  hommes,  me  dit-il,  ne 
peuvent  rien  faire  pour  moi  qui  vaille  leur  oubli.  » 

Duclos  parloit  un  jour  du  paradis,  que  chacun 
se  fait  à  sa  manière.  Madame  de  Rochefort  lui  dit  : 
«  Pour  vous,  Duclos,  voici  de  quoi  composer  le 
vôtre  :  du  pain,  du  vin,  du  fromage  et  la  première 
venue.  » 

Je  pressois  M.  de  L..:  d'oublier  les  torts  de 
M.  de  B...,  qui  l'avoit  autrefois  obligé;  il  me  ré- 


12b  PORTRAITS     ET    CARACTERES 

pondit  :  «  Dieu  a  recommandé  le  pardon  des  in- 
jures; il  n'a  point  recommandé  celui  des  bienfaits.  » 


Le  maréchal  de  Noailles  avoit  un  procès  au  par- 
lement avec  un  de  ses  fermiers.  Huit  ou  neuf  con- 
seillers se  récusèrent,  disant  tous  :  «  En  qualité  de 
parent  de  M.  de  Noailles...  »;  et  ils  l'étoient  en 
effet  au  huitantième  degré.  Un  conseiller  nommé 
M.  Hurson,  trouvant  cette  vanité  ridicule,  se  leva, 
disant  :  «  Je  me  récuse  aussi.  »  Le  premier  prési- 
dent lui  demanda  en  quelle  qualité.  Il  répondit  : 
«  Comme  parent  du  fermier.  » 

Le  duc  de  Choiseul  et  le  duc  de  Praslin  avoient 
eu  une  dispute  pour  savoir  lequel  étoit  le  plus 
bête,  du  roi  ou  de  M.  de  la  Vrillière.  Le  duc  de 
Praslin  soutenoit  que  c'étoit  M.  de  la  Vrillière; 
l'autre,  en  fidèle  sujet,  parioit  pour  le  roi.  Un  jour, 
au  conseil,  le  roi  dit  une  grosse  bêtise.  «  Eh  bien! 
monsieur  de  Praslin,  dit  le  duc  de  Choiseul,  qu'en 
pensez-vous  .'*  » 

Quand  Madame  de  F..,  a  dit  joliment  une  chose 
bien  pensée,  elle  croit  avoir  tout  fait,  de  façon 
que,  si  une  de  ses  amies  faisoit  à  sa  place  ce  qu'elle 
a  dit  qu'il  falloit  faire,  cela  feroit  à  elles  deux  une 
philosophe.  M,  de:v.disoit  d'elle  :  «  Quand  elle  a 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  127 

dit  une  jolie  chose  sur  l'émétique,  elle  est  toute 
surprise  de  n'être  point  purgée.  » 

Un  évêque  de  Saint-Brieuc,  dans  son  oraison 
funèbre  de  Marie-Thérèse,  se  tira  d'affaire  fort 
simplement  sur  le  partage  de  la  Pologne  :  «  La 
France,  dit-il,  n'ajant  rien  dit  sur  ce  partage,  je 
prendrai  le  parti  de  faire  comme  la  France,  et  de 
n'en  rien  dire  non  plus.  » 

Madame  la  duchesse  du  Maine, dont  la  santé  alloit 
mal,  grondoit  son  médecin  et  lui  disoit  :  «  Étoit- 
ce  la  peine  de  m'imposer  tant  de  privations  et  de 
me  faire  vivre  en  mon  particulier  ?  —  Mais  Votre 
Altesse  a  maintenant  quarante  personnes  au  châ- 
teau !  —  Eh  bien  !  ne  savez-vous  pas  que  quarante 
ou  cinquante  personnes  sont  le  particulier  d'une 
princesse?  » 

M...  étouffe  plutôt  ses  passions  qu'il  ne  sait  les 
conduire.  Il  me  disoit  là-dessus  :  «  Je  ressemble  à 
un  homme  qui,  étant  à  cheval  et  ne  sachant  pas 
gouverner  sa  bête  qui  l'emporte,  la  tue  d'un  coup 
de  pistolet  et  se  précipite  avec  elle.  » 

On  venoit  de  citer  quelques  traits  de  la  gour- 
mandise de  plusieurs  souverains.  «  Que  voulez- 
vous,  dit  le  bonhomme  M.  de  Bréquignj,   que 


128  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

voulez-vous  que  fassent  ces  pauvres  rois  ?  Il  faut 
bien  qu'ils  mangent  !  » 

On  demandoit  à  Pechméja  quelle  étoit  sa  for- 
tune? «  Quinze  cents  livres  de  rente.  — C'est  bien 
peu.  —  Oh!  reprit  Pechméja,  Dubreuil  est  riche.» 

Le  cardinal  de  la  Roche-Aymon,  malade  de  la 
maladie  dont  il  mourut,  se  confessa  à  je  ne  sais 
quel  prêtre,  sur  lequel  on  lui  demanda  sa  façon  de 
penser,  a  J'en  suis  très-content,  dit-il  :  il  parle  de 
l'enfer  comme  un  ange.  » 

Une  femme  disoit  à  M...  qu'elle  le  soupçonnoit 
de  n'avoir  jamais  perdu  terre  avec  les  femmes. 
«  Jamais,  lui  dit-il,  si  ce  n'est  dans  le  ciel.  »  En 
effet,  son  amour  s'accroissoit  toujours  par  la  jouis- 
sance, après  avoir  commencé  assez  tranquillement. 

Un  paysan  partagea  le  peu  de  biens  qu'il  avoit 
entre  ses  quatre  fils,  et  alla  vivre  tantôt  chez  l'un, 
tantôt  chez  l'autre.  On  lui  dit,  à  son  retour  d'un 
voyage  chez  ses  enfans  :  «  Eh  bien  !  comment 
vous  ont-ils  reçu?  comment  vous  ont-ils  traité  ?  — 
Ils  m'ont  traité,  dit-il,  comme  leur  enfant.  »  Ce 
mot  paroît  sublime  dans  la  bouche  d'un  père  tel 
que  celui-ci. 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  I  2Q 

Dans  le  temps  de  l'assemblée  des  notables,  un 
homme  vouloit  faire  parler  le  perroquet  de  madame 
de...  «  Ne  vous  fatiguez  pas,  lui  dit-elle,  il  n'ou- 
vre jamais  le  bec.  —  Comment  avez-vous  un  per- 
roquet qui  ne  dit  mot?  Ayez-en  un  qui  dise  au 
moins  i  Vive  le  roi!  —  Dieu  m'en  préserve,  dit- 
elle,  un  perroquet  disant  :  Vive  le  roi!  je  ne  l'au- 
rois  plus  :  on  en  auroit  fait  un  notable.  » 

On  engageoit  M.  de.,,  à  quitter  une  place  dont 
le  titre  seul  faisoit  sa  sûreté  contre  des  hommes 
puissans.  Il  répondit  :  «  On  peut  couper  à  Samson 
sa  chevelure,  mais  il  ne  faut  pas  lui  conseiller  de 
prendre  perruque.  » 

Dans  une  dispute  sur  le  préjugé  relatif  aux  pei- 
nes infamantes  qui  flétrissent  la  famille  du  coupa- 
ble, M...  dit  :  «  C'est  bien  assez  de  voir  des  hon- 
neurs et  des  récompenses  où  il  n'y  a  pas  de  vertu, 
sans  qu'il  faille  voir  encore  un  châtiment  où  il  n'y 
a  pas  de  crime.  » 

Une  femme  avoit  un  procès  au  parlement  de 
Dijon.  Elle  vint  à  Paris,  sollicita  M.  le  garde  des 
sceaux  (1784)  de  vouloir  bien  écrire  en  sa  faveur 
un  mot  qui  lui  feroit  gagner  un  procès  très-juste. 
Le  garde  des  sceaux  la  refusa.  La  comtesse  de  Tal- 
ley rand  prenoit  intérêt  à  cette  femme;  elle  en  parla 

Chamfort.  —  II.  i  y 


l3o  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

au  garde  des  sceaux  :  nouveau  refus.  M"^^  de  Tal- 
lejrand  en  fit  parler  par  la  reine  :  autre  refus. 
M""^  de  Talleyrand  se  souvint  que  le  garde  des 
sceaux  caressoit  beaucoup  l'abbé  de  Périgord,  soc 
fils;  elle  fit  écrire  par  lui  :  refus  très-bien  tourné 
Cette  femme,  désespérée,  résolut  de  faire  une  ten- 
tative et  d'aller  à  Versailles.  Le  lendemain  elle 
part  ;  l'incommodité  de  la  voiture  publique  l'en- 
gage à  descendre  à  Sèvres  et  à  faire  le  reste  de  la 
route  à  pied.  Un  homme  lui  offre  de  la  mener  par 
un  chemin  plus  agréable  et  qui  abrège  ;  elle  ac- 
cepte, et  lui  conte  son  histoire.  Cet  homme  lui 
dit  :  «  Vous  aurez  demain  ce  que  vous  deman- 
dez. »  Elle  le  regarde  et  reste  confondue.  Elle  va 
chez  le  garde  des  sceaux,  est  refusée  encore,  veut 
partir.  L'homme  l'engage  à  coucher  à  Versailles, 
et,  le  lendemain  matin,  lui  apporte  le  papier  qu'elle 
demandoit.  C'étoit  le  commis  d'un  commis,  nommé 
M.  Etienne. 

On  disoit  d'un  escrimeur  adroit,  mais  poltron, 
spirituel  et  galant  auprès  des  femmes,  mais  impuis- 
sant :  «  Il  manie  très-bien  le  iîeuret  et  la  fleurette, 
mais  le  duel  lui  fait  peur.  » 

La  finesse  et  la  mesure  sont  peut-être  les  quali- 
tés les  plus  usuelles  et  qui  donnent  le  plus  d'avan- 
tages dans  le  monde;  elles  font  dire  des  mots  qui 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  l3î 

valent  mieux  que  des  saillies.  On  louoit  excessive- 
ment dans  une  société  le  ministère  de  M.  Necker; 
quelqu'un  qui,  apparemment,  ne  l'aimoit  pas,  de- 
manda :  «  Monsieur,  combien  de  temps  est-il  resté 
en  place  depuis  la  mort  de  M.  de  Pezay  ?  »  Ce 
mot,  en  rappelant  que  M.  Necker  étoit  l'ouvrage 
de  ce  dernier,  fit  tomber  à  l'instant  tout  cet  en- 
thousiasme. 

«  Je  sais  me  suffire,  disoit  M...,  et,  dans  l'occa- 
sion, je  saurai  bien  me  passer  de  moi  »,  voulant 
dire  qu'il  mourroit  sans  chagrin. 

Un  philosophe,  retiré  du  monde,  m'écrivoit  une 
lettre  pleine  de  vertu  et  de  raison.  Elle  finissoit 
par  ces  mots  :  «  Adieu,  mon  ami;  conservez,  si 
vous  pouvez,  les  intérêts  qui  vous  attachent  à  la 
société;  mais  cultivez  les  sentimens  qui  vous  en 
séparent.  » 

Le  czar  Pierre  l^^,  étant  à  Spithead,  voulut  sa- 
voir ce  que  c'étoit  que  le  châtiment  de  la  cale 
qu'on  inflige  aux  matelots.  Il  ne  se  trouva  pour 
lors  aucun  coupable;  Pierre  dit  :  «  Qu'on  prenne 
un  de  mes  gens.  —  Prince,  lui  répondit-on,  vos 
gens  sont  en  Angleterre,  et  par  conséquent  sous 
la  protection  des  lois.  » 


l32  PORTRAITS     ET    CARACTERES 

M.  d'Espréménil  vivoit  depuis  longtemps  avec 
madame  Tilaurier.  Celle-ci  vouloit  l'épouser.  Elle 
se  servit  de  Cagliostro,  qui  lui  faisoit  espérer  la  dé- 
couverte de  la  pierre  philosophale.  On  sait  que  Ca- 
gliostro méloit  le  fanatisme  et  la  superstition  aux 
sottises  de  l'alchimie.  D'Espréménil  se  plaignant  de 
ce  que  cette  pierre  philosophale  n'arrivoit  pas,  et 
une  certaine  formule  n'ayant  point  eu  d'effet,  Ca- 
gliostro lui  fit  entendre  que  cela  venoit  de  ce  qu'il 
vivoit  dans  un  commerce  criminel  avec  madame  Ti- 
laurier. a  II  faut,  pour  réussir,  que  vous  soyez  en 
harmonie  avec  les  puissances  invisibles  et  avec  leur 
chef,  l'Être  suprême.  Epousez  ou  quittez  ma- 
dame Tilaurier.  »  Celle-ci  redoubla  de  coquette- 
rie; d'Espréménil  épousa,  et  il  n'y  eut  que  sa  femme 
qui  trouva  la  pierre  philosophale. 

M.  d'Invault,  étant  contrôleur  général,  demanda 
au  roi  la  permission  de  se  marier.  Le  roi,  instruit 
du  nom  de  la  demoiselle,  lui  dit  :  «  Vous  n'êtes 
pas  assez  riche.  »  Celui-ci  lui  parla  de  sa  place, 
comme  d'une  chose  qui  suppléoit  à  la  richesse. 
«  Oh!  dit  le  roi,  la  place  peut  s'en  aller,  et  la 
femme  reste.  » 

On  demandoit  à  M...  :  «  Qu'est-ce  qui  rend  le 
plus  aimable  dans  la  société  ?  »  Il  répondit  :  «  C'est 
de  plaire.  » 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  l33 

Une  femme  étoit  à  une  représentation  de  Mé- 
rooe,  et  ne  pleuroit  point;  on  en  étoit  surpris. 
«  Je  pleurerois  bien,  dit-elle,  mais  je  dois  souper 
en  ville.  » 

M...  disoit,  à  propos  de  l'utilité  de  la  retraite 
et  de  la  force  que  l'esprit  y  acquiert  :  «  Malheur 
au  poëte  qui  se  fait  friser  tous  les  jours  !  Pour  faire 
de  bonne  besogne,  il  faut  être  en  bonnet  de  nuit 
et  pouvoir  faire  le  tour  de  sa  tête  avec  sa  main.  » 

M.  de  Vergennes  n'aimoit  point  les  gens  de 
lettres,  et  on  remarqua  qu'aucun  écrivain  distingué 
n'avoit  fait  des  vers  sur  la  paix  de  lySB;  sur  quoi 
quelqu'un  disoit  :  «  Il  y  en  a  deux  raisons;  il  ne 
donne  rien  aux  poètes  et  ne  prête  pas  à  la  poésie.  » 

«  Il  faut  que  ce  qu'on  appelle  la  police  soit  une 
chose  bien  terrible ,  disoit  plaisamment  madame 
de...,  puisque  les  Anglois  aiment  mieux  les  voleurs 
et  les  assassins,  et  que  les  Turcs  aiment  mieux  la 
peste  !  » 

Un  malheureux  portier  à  qui  les  enfans  de  son 
maître  refusèrent  de  payer  un  legs  de  mille  livres, 
qu'il  pouvoit  réclamer  par  justice,  me  dit  :  «  Vou- 
lez-vous, Monsieur,  que  j'aille  plaider  contre  les 
enfans  d'un  homme  que  j'ai  servi  vingt-cinq  ans, 


l34       PORTRAITS  ET  CARACTERES 

et  que  je  sers  eux-mêmes  depuis  quinze  ?  »  II  se 
faisoit  de  leur  injustice  même  une  raison  d'être 
généreux  à  leur  égard. 

M.  de  Vendôme  disoit  de  madame  de  Nemours, 
qui  avait  un  long  nez  courbé  sur  des  lèvres  ver- 
meilles :  «  Elle  a  l'air  d'un  perroquet  qui  mange 
une  cerise.  » 

Un  marchand  d'estampes  vouloit  (le  2  5  juin) 
Tendre  cher  le  portrait  de  madame  de  Lamotte 
(fouettée  et  marquée  le  21),  et  donnoit  pour  raison 
que  l'estampe  étoit  avant  la  lettre. 

M...  est  un  homme  mobile,  dont  l'âme  est  ou- 
verte à  toutes  les  impressions,  dépendant  de  ce 
qu'il  voit,  de  ce  qu'il  entend,  ayant  une  larme 
prête  pour  la  belle  action  qu'on  lui  raconte,  et  un 
sourire  pour  le  ridicule  qu'un  sot  essaye  de  jeter 
sur  elle. 

On  demandoit  à  Diderot  quel  homme  étoit 
M.  d'Épinay.  «  C'est  un  homme,  dit-il,  qui  a  mangé 
deux  millions  sans  dire  un  bon  mot  et  sans  faire  une 
bonne  action.  » 

C'est  une  chose  curieuse  que  l'histoire  de  Port- 
Royal  écrite  par  Racine.   Il  est  plaisant  de  voir 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  l35 

l'auteur  de  Phèdre  parler  des  grands  desseins  de 
Dieu  sur  la  mère  Agnès. 

M.  Thomas  me  disoit  un  jour  :  «  Je  n'ai  pas 
besoin  de  mes  contemporains,  mois  j'ai  besoin  de 
la  postérité.  »  Il  aimoit  beaucoup  la  gloire.  «  Beau 
résultat  de  votre  philosophie,  lui  dis-je,  de  pouvoir 
se  passer  des  vivans  pour  avoir  besoin  de  ceux 
qui  ne  sont  pas  nés  !  » 

M.  de  C...,  parlant  un  jour  du  gouvernement 
d'Angleterre  et  de  ses  avantages  dans  une  assem- 
blée où  se  trouvoient  quelques  évêques,  quelques 
abbés,  un  d'eux,  nommé  l'abbé  de  Seguerand,  lui 
dit  :  «  Monsieur,  sur  le  peu  que  je  sais  de  ce  pays- 
là,  je  ne  suis  nullement  tenté  d'y  vivre,  et  je  sens 
que  je  m'y  trouverois  très-mal.  —  Monsieur  l'abbé, 
lui  répondit  naïvement  M.  de  C...,  c'est  parce 
que  vous  y  seriez  mal  que  le  pays  est  excellent.  » 

«  Savez-vous  pourquoi,  me  disoit  M.  de...,  on 
est  plus  honnête,  en  France,  dans  la  jeunesse  et 
juscju'à  trente  ans  que  passé  cet  âge  ?  C'est  que  ce 
n'est  qu'après  cet  âge  qu'on  s'est  détrompé;  que, 
chez  nous,  il  faut  être  enclume  ou  marteau;  que 
l'on  voit  clairement  que  les  maux  dont  gémit  la 
nation  sont  irrémédiables.  Jusqu'alors  on  avoit  res- 
semblé au  chien  qui  défend  le  dîner  de  son  maître 


l36  PORTRAITS     ET    CARACTERES 

contre  les  autres  chiens.  Après  cette  époque,  on 
fait  comme  le  même  chien,  qui  en  prend  sa  part 
avec  les  autres.  » 

Je  proposois  à  M.  de  L...  un  mariage  qui  sem- 
bloit  avantageux.  Il  me  répondit  :  «  Pourquoi  me 
marierois-je?  Le  mieux  qui  puisse  m'arriver,  en  me 
mariant,  est  de  n'être  pas  cocu,  ce  que  j'obtiendrai 
encore  plus  sûrement  en  ne  me  mariant  pas.  » 

On  reprochoit  à  M.  L...,  homme  de  lettres,  de 
ne  plus  rien  donner  au  public.  «  Que  voulez-vous 
qu'on  imprime,  dit-il,  dans  un  pays  où  V Ahnanach 
de  Liège  est  défendu  de  temps  en  temps?  » 

On  disoit  d'un  courtisan  léger,  mais  non  cor- 
rompu :  «  Il  a  pris  de  la  poussière  dans  le  tour- 
billon; mais  il  n^a  pas  pris  de  tache  dans  la  boue.  » 

Un  prédicateur  de  la  Ligue  avoit  pris  pour  texte 
de  son  sermon  :  Eripe  nos,  Domine,  a  lato  f3:cis, 
qu'il  traduisoit  ainsi  :  «  Seigneur,  débourbonnez- 
nous!  » 

Quelque  temps  avant  que  Louis  XV  fût  arrangé 
avec  madame  de  Pompadour,  elle  couroit  après 
lui  aux  chasses.  Le  roi  eut  la  complaisance  d'en- 
voyer à  M.  d'Etiolés  une  ramure  de  cerf.  Celui- 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  iSy 

ci  la  fit  mettre  dans  sa  salle  à  manger,   avec   ces 
mots  :  «  Présent  fait  par  le  roi  à  M.  d'Étiolés.  » 

Un  célibataire  qu'on  pressoit  de  se  marier  ré- 
pondit plaisamment  :  «  Je  prie  Dieu  de  me  pré- 
server des  femmes  aussi  bien  que  je  me  préserverai 
du  mariage.  » 

Maupertuis,  étendu  dans  son  fauteuil  et  bâil- 
lant, dit  un  jour  :  «  Je  voudrois,  dans  ce  moment- 
ci,  résoudre  un  beau  problème  qui  ne  fût  pas  diffi- 
cile. »  Ce  mot  le  peint  tout  entier. 

Le  roi  Stanislas  venoit  d'accorder  des  pensions 
à  plusieurs  ex-jésuites.  M .  de  Tressan  lui  dit  : 
«  Sire,  Votre  Majesté  ne  fera-t-elle  rien  pour  la 
famille  de  Damiens,  qui  est  dans  la  plus  profonde 
misère?  » 

Le  baron  de  Breteuii,  après  son  départ  du  mi- 
nistère, en  1788,  blâmoit  la  conduite  de  l'arche- 
vêque de  Sens;  il  le  qualifioit  de  despote,  et 
disoit  :  «  Moi,  je  veux  que  la  puissance  royale  ne 
dégénère  point  en  despotisme,  et  je  veux  qu'elle 
se  renferme  dans  les  limites  où  elle  étoit  resserrée 
sous  Louis  XIV.  »  Il  croyoit,  en  tenant  ce  dis- 
cours, faire  acte  de  citoyen  et  risquer  de  se  per- 
dre à  la  cour. 

18 


l38  PORTRAITS     ET    CARACTERES 

«  Pour  juger  de  ce  que  c'est  que  la  noblesse, 
disoit  M...,  il  suffit  d'observer  que  M.  le  prince 
de  Turenne,  actuellement  vivant,  est  plus  noble 
que  M.  de  Turenne,  et  que  le  marquis  de  Laval 
est  plus  noble  que  le  connétable  ^e  Montmo- 
rency. » 

On  disoit  à  Delon,  médecin  mesmériste  :  «  Eh 
bien!  M.  de  B...  est  mort,  malgré  la  promesse 
que  vous  aviez  faite  de  le  guérir.  —  Vous  avez, 
répondit-il,  été  absent;  vous  n'avez  pas  suivi  les 
progrès  de  la  cure  :  il  est  mort  guéri.  » 

Du  temps  de  M.  de  Machault,  on  présenta  au 
roi  le  projet  d'une  cour  plénière ,  telle  qu'on  a 
voulu  l'exécuter  depuis.  Tout  fut  réglé  entre  le 
roi,  madame  de  Pompadour  et  les  ministres.  On 
dicta  au  roi  les  réponses  qu'il  feroit  au  premier 
président;  tout  fut  expliqué  dans  un  mémoire  dans 
lequel  on  disoit  :  «  Ici,  le  roi  prendra  un  air  sé- 
vère; ici,  le  front  du  roi  s'adoucira;  ici,  le  roi  fera 
tel  geste,  etc.  )>  Le  mémoire  existe. 

Quand  l'abbé  de  Saint-Pierre  approuvoit  quel- 
que chose,  il  disoit  :  «  Ceci  est  bon  pour  moi, 
quant  à  présent.  »  Rien  ne  peint  mieux  la  variété 
des  jugemens  humains  et  la  mobilité  du  jugement 
■de  chaque  homme. 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  I  89 

Un  homme  parloit  du  respect  que  mérite  le  pu- 
blic. «  Oui,  dit  M...,  le  respect  qu'il  obtient  de 
la  prudence.  Tout  le  monde  méprise  les  harengères; 
cependant,  qui  oseroit  risquer  de  les  offenser  en 
traversant  la  halle?  » 

On  réfutoit  je  ne  sais  quelle  opinion  de  M... 
sur  un  ouvrage,  en  lui  parlant  du  public,  qui  en 
jugeoit  autrement  :  «  Le  public,  le  public!  dit-il; 
combien  faut-il  de  sots  pour  faire  un  public?  » 

Madame  Beauzée  couchoit  avec  un  maître  de 
langue  allemande.  M.  Beauzée  les  surprit  au  re- 
tour de  TAcadémie.  L'Allemand  dit  à  la  femme  : 
«  Quand  je  vous  disois  qu'il  étoit  temps  que  je 
m'en  aille!  ))  M.  Beauzée,  toujours  puriste,  lui 
dit  :  «  Que  je  m'en  allasse.  Monsieur.  » 

M...  disoit  du  prince  de  Beauvau,  grand  pu- 
riste :  «  Quand  je  le  rencontre  dans  ses  prome- 
nades du  matin  et  que  je  passe  dans  l'ombre  de 
son  cheval  (il  se  promène  souvent  à  cheval  pour 
sa  santé),  j'ai  remarqué  que  je  ne  fais  pas  une 
faute  de  françois  de  toute  la  journée.  » 

Madame  de...,  âgée  de  soixante-cinq  ans,  ayant 
épousé  M...,  âgé  de  vingt-deux,  quelqu'un  dit 
que  c'étoit  le  mariage  de  Pjrame  et  de  Baucis. 


140      PORTRAITS  ET  CARACTERES 

On  faisoit  une  question  épineuse  à  M...,  qui 
répondit  :  «  Ce  sont  de  ces  choses  que  je  sais  à 
merveille  quand  on  ne  m'en  parle  pas,  et  que 
j'oublie  quand  on  me  les  demande.  » 

M...  disoit  :  «  Je  ne  sais  pourquoi  madame  de 
L...  désire  tant  que  j'aille  chez  elle;  car,  quand 
j'ai  été  quelque  temps  sans  y  aller,  je  la  méprise 
moins.  »  On  pourroit  dire  cela  du  monde  en  gé- 
néral. 

M. . .  disoit  de  madame  la  princesse  de. . .  :  «  C'est 
une  femme  qu'il  faut  absolument  tromper,  car  elle 
n'est  pas  de  la  classe  de  celles  qu'on  quitte.  » 

M.  de  L...  me  disoit  de  M.  de  R...  :  «  C'est 
l'entrepôt  du  venin  de  toute  la  société';  il  le  ras- 
semble comme  les  crapauds  et  le  darde  comme 
les  vipères.  » 

M.  le  comte  d'Orsay,  fils  d'un  fermier  général, 
et  connu  par  sa  manie  d'être  homme  de  qualité, 
se  trouva  avec  M.  de  Choiseul-Gouffier  chez  le 
prévôt  des  marchands.  Celui-ci  venoit  chez  ce  ma- 
gistrat pour  faire  diminuer  sa  capitation,  considé- 
rablement augmentée  ;  l'autre  y  venoit  porter  ses 
plaintes  de  ce  qu'on  avoit  diminué  la  sienne,  et 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  141 

croyoit   que   cette   diminution    supposoit   quelque 
atteinte  portée  à  ses  titres  de  noblesse. 

M...  disoit  :  «  On  m'a  dit  du  mal  de  M.  de... 
J'aurois  cru  cela  il  y  a  six  mois;  mais  nous  sommes 
réconciliés.  » 

«  Une  idée  qui  se  montre  deux  fois  dans  un 
ouvrage,  surtout  à  peu  de  distance,  disoit  M..., 
me  fait  l'effet  de  ces  gens  qui,  après  avoir  pris 
congé,  rentrent  pour  reprendre  leur  épée  ou  leur 
chapeau.  » 

Fontenelle  avoit  été  refusé  trois  fois  de  l'Aca- 
démie, et  le  racontoit  souvent;  il  ajoutoit  :  «  J'ai 
fait  cette  histoire  à  tous  ceux  que  j'ai  vus  s'affliger 
d'un  refus  de  l'Académie,  et  je  n'ai  consolé  per- 
sonne. » 

Le  régent  vouloit  aller  au  bal  et  n'y  être  pas 
reconnu.  «  J'en  sais  un  moyen,  »  dit  l'abbé  Du- 
bois; et,  dans  le  bal,  il  lui  donna  des  coups  de 
pied  dans  le  derrière.  Le  régent,  qui  les  trouva 
trop  forts,  lui  dit  :  «  L'abbé,  tu  me  déguises  trop  !  » 

Le  régent  envoya  demander  au  président  Daron 
la  démission  de  sa  place  de  premier  président  de 
Parlement  de  Bordeaux.  Celui-ci  répondit  qu'on 


142  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

ne  pouvoit  lui  ôter  sa  place  sans  lui  faire  son  pro- 
cès. Le  régent,  ayant  reçu  la  lettre,  mit  au  bas  : 
Qu'à  cela  ne  tienne,  et  la  renvoya  pour  réponse. 
Le  président,  connoissant  le  prince  auquel  il  avoit 
affaire,  envoya  sa  démission. 

A  propos  des  choses  de  ce  bas  monde,  qui 
vont  de  mal  en  pis,  M...  disoit  :  «  J'ai  lu  quelque 
part  qu'en  politique  il  n'y  avoit  rien  de  si  mal- 
heureux pour  les  peuples  que  les  règnes  trop  longs. 
J'entends  dire  que  Dieu  est  éternel  :  tout  est  dit.  » 

Je  disois  à  M.  B...,  misanthrope  plaisant,  qui 
m'avoit  présenté  un  jeune  homme  de  sa  connois- 
sance  :  «  Votre  ami  n'a  aucun  usage  du  monde, 
ne  sait  rien  de  rien.  —  Oui,  dit-il,  et  il  est  déjà 
triste  comme  s'il  savoit  tout.  » 

M.    le  duc  de  Chabot  ayant  fait  peindre  une 

Renommée  sur  son  carrosse,  on  lui  appUqua  ces 

vers  : 

Votre  prudence  est  endormie 
De  loger  magnifiquement 
Et  de  traiter  superbement 
Votre  plus  cruelle  ennemie, 

M.  le  régent  avoit  promis  de  faire  quelque  chose 
du  jeune  Arouet,  c'est-à-dire  d'en  faire  un  impor- 
tant et  de  le  placer.  Le  jeune  poëte  attendit  le 


ANECDOTES    ET     BONS     MOTS  143 

prince  au  sortir  du  conseil,  au  moment  où  il  étoit 
suivi  de  quatre  secrétaires  d'État.  Le  prince  le  vit 
et  lui  dit  :  «  Arouet,  je  ne  t'ai  pas  oublié,  et  je  te 
destine  le  département  des  niaiseries.  —  Monsei- 
gneur, dit  le  jeune  Arouet,  j'aurois  trop  de  ri- 
vaux... En  voilà  quatre.  »  Le  prince  pensa  étoulTer 
de  rire. 

Lord  Marlborough  étant  à  la  tranchée  avec  un 
de  ses  amis  et  un  de  ses  neveux,  un  coup  de  canon 
fit  sauter  la  cervelle  à  cet  ami  et  en  couvrit  le  vi- 
sage du  jeune  homme,  qui  recula  avec  effroi. 
Marlborough  lui  dit  intrépidement  :  «  Eh  quoi  ! 
Monsieur,  vous  paroissez  étonné?  —  Oui,  dit  le 
jeune  homme  en  s'essuyant  la  figure,  je  le  suis 
qu'un  homme  qui  a  autant  de  cervelle  restât  ex- 
posé gratuitement  à  un  danger  si  inutile.  » 

J'étois  à  table  à  côté  d'un  homme  qui  me  de- 
manda si  la  femme  qu'il  avoit  devant  lui  n'étoit 
pas  la  femme  de  celui  qui  étoit  à  côté  d'elle.  J'a- 
vois  remarqué  que  celui-ci  ne  lui  avoit  pas  dit  un 
mot;  c'est  ce  qui  me  fit  répondre  à  mon  voisin  : 
«  Monsieur,  ou  il  ne  la  connoît  pas,  ou  c'est  sa 
femme.  » 

Le  vicomte  de  S...  aborda  un  jour  M.  de  Vaines 
en  lui  disant  :  «  Est-il  vrai ,  Monsieur,  que ,  dans 


144  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

une  maison  où  l'on  avoit  eu  la  bonté  de  me  trou- 
ver de  l'esprit,  vous  avez  dit  que  je  n'en  avois  pas 
du  tout  ?  »  M.  de  Vaines  lui  répondit  :  «  Mon- 
sieur, il  n'y  a  pas  un  seul  mot  de  vrai  dans  tout 
cela.  Je  n'ai  jamais  été  dans  une  maison  où  l'on 
vous  trouvât  de  l'esprit,  et  je  n'ai  jamais  dit  que 
vous  n'en  aviez  pas.  » 

M.  de  Sourches,  petit  fat  hideux,  le  teint  noir  , 
et  ressemblant  à  un  hibou,  dit  un  jour,  en  se  re- 
tirant :  «  Voilà  la  première  fois,  depuis  deux  ans, 
que  je  vais  coucher  chez  moi.  »  L'évêque  d'Agde, 
se  retournant  et  voyant  cette  figure  ,  lui  dit  en  le 
regardant  :   «  Monsieur  perche ,  apparemment.    » 

On  demandoit  à  M.  de  Lauzun  ce  qu'il  répon- 
droit  à  sa  femme  (qu'il  n'avoit  pas  vue  depuis  dix 
ans)  si  elle  lui  écrivoit  :  «  Je  viens  de  découvrir 
que  je  suis  grosse.  »  Il  réfléchit,  et  répondit  : 
«  Je  lui  écrirois  :  «  Je  suis  charmé  d'apprendre 
«  que  le  Ciel  ait  enfin  béni  notre  union.  Soignez 
«  votre  santé;  j'irai  vous  faire  ma  cour  ce  soir.  » 

Le  maréchal  de  Broglie  avoit  épousé  la  fille 
d'un  négociant;  il  eut  deux  filles.  On  lui  propo- 
soit,  en  présence  de  madame  de  Broglie  ,  de  faire 
entrer  l'une  dans  un  chapitre.  «  Je  me  suis  fermé, 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  14$ 

dit-il,  en  épousant  madame,  l'entrée  de  tous  les 
chapitres...  —  Et  de  l'hôpital,  »  ajouta-t-elle. 

Rulhière  disoit  un  jour  à  C...  :  «  Je  n'ai  jamais 
fait  qu'une  méchanceté  dans  ma  vie.  —  Quand 
finira-t-elle ?  »  demanda  C... 

L'abbé  Delille ,  entrant  dans  le  cabinet  de 
M.  Turgot,  le  vit  lisant  un  manuscrit  :  c'étoit  ce- 
lui des  Mois  de  M.  Roucher.  L'abbé  Delille  s'en 
douta,  et  dit  en  plaisantant  : 

«  Odeur  de  vers  se  sentoit  à  la  ronde. 

—  Vous  êtes  trop  parfumé,  lui  dit  M.   Turgot, 
pour  sentir  les  odeurs.  » 

Le  roi  de  Prusse,  voyant  un  de  ses  soldats  bala- 
fré au  visage,  lui  dit  :  «  Dans  quel  cabaret  t'a-t- 
on équipé  de  là  sorte?  —  Dans  un  cabaret  oii 
vous  avez  payé  l'écot,  à  Kollin,  »  dit  le  sol- 
dat. Le  roi,  qui  avoit  été  battu  à  Kollin,  trouva 
cependant  le  mot  excellent. 

Un  homme  étoit  en  deuil  de  la  tête  aux  pieds  : 
grandes  pleureuses,  perruque  noire,  figure  allon- 
gée. Un  de  ses  amis  l'aborde  tristement  :   «  Eh! 
bon  Dieu  !  qui  est-ce  donc  que  vous  avez  perdu  ? 
Chainfort.  —  II.  19 


146  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

—  Moi!  dit-il,  je  n'ai  rien  perdu  :  c'est  que  je 
suis  veuf.  » 

M.  l'évêque  de  L...  étant  à  déjeuner,  il  lui  vint 
en  visite  l'abbé  de...  L'évêque  le  prie  de  déjeuner; 
l'abbé  refuse.  Le  prélat  insiste.  «  Monseigneur, 
dit  l'abbé,  j'ai  déjeuné  deux  fois,  et  d'ailleurs  c'est 
aujourd'hui  jeûne.  » 

Dans  une  dispute  que  les  représentans  de  Genève 
eurent  avec  le  chevalier  de  Bouteville,  l'un  d'eux 
s'échauffant,  le  chevalier  lui  dit  :  «  Savez-vous  que 
je  suis  le  représentant  du  roi  mon  maître?  —  Sa- 
vez-vous, lui  répondit  le  Genevois,  que  je  suis  le 
représentant  de  mes  égaux?  » 

M...  disoit,  à  son  retour  d'Allemagne  :  «  Je  ne 
sache  pas  de  chose  à  quoi  j'eusse  été  moins  propre 
qu'à  être  un  Allemand.  » 

La  rareté  d'un  sentiment  vrai  fait  que  je  m'ar- 
rête quelquefois  dans  les  rues  à  regarder  un  chien 
ronger  un  os.  «  C'est  au  retour  de  Versailles, 
Marly,  Fontainebleau,  disoit  M.  de...,  que  je  suis 
le  plus  curieux  de  ce  spectacle.  » 

L*abbé  de  Vertot  changea  d'état  très-souvent. 
On  appeloit  cela  les  révolutions  de  l'abbé  de 
Vertot, 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  I47 

Dans  le  temps  qu'on  établit  plusieurs  impôts  qui 
portoient  sur  les  riches,  un  millionnaire,  se  trou- 
vant parmi  des  gens  riches  qui  se  plaignoient  du 
malheur  des  temps,  dit  :  «  Qui  est-ce  qui  est  heu- 
reux^dans  ces  temps-ci  ?  Quelques  misérables.  » 

Colbert  disoit,  à  propos  de  l'industrie  de  la  na- 
tion, que  le  François  changeroit  les  rochers  en  or 
si  on  le  laissoit  faire. 

M...  me  disoit  :  «  Je  ne  regarde  le  roi  de 
France  que  comme  le  roi  d'environ  cent  mille 
hommes  auxquels  il  partage  et  sacrifie  la  sueur,  le 
sang  et  les  dépouilles  de  vingt-quatre  millions  neuf 
cent  mille  hommes,  dans  des  proportions  détermi- 
nées par  les  idées  féodales,  militaires,  antimorales 
et  antipolitiques  qui  avilissent  l'Europe  depuis  vingt 
siècles.  » 

On  sait  quelle  familiarité  le  roi  de  Prusse  per- 
mettoit  à  quelques-uns  de  ceux  qui  vivoient  avec 
lui.  Le  général  Quintus  Icilius  étoit  celui  qui  en 
profitoit  le  plus  librement.  Le  roi  de  Prusse,  avant 
la  bataille  de  Rosbach,  lui  dit  que,  s'il  la  perdoit, 
il  se  rendroit  à  Venise,  où  il  vivroit  en  exerçant  la 
médecine.  Quintus  lui  répondit  :  «  Toujours  as- 
sassin! » 

Le  roi  de  Prusse  demandoit  à  d'Alembert  s'il 


148  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

avoit  VU  le  roi  de  France.  «  Oui,  Sire,  dit  celui-ci, 
en  lui  présentant  mon  discours  de  réception  à 
l'Académie  Françoise.  —  Eh  bien!  reprit  le  roi  de 
Prusse,  que  vous  a-t-il  dit?  —  11  ne  m'a  pas  parlé, 
Sire.  — A  qui  donc  parle-t-il  ?  »  poursuivit  Fré- 
déric. 

..  Plusieurs  officiers  françois  étant  allés  à  Berlin, 
l'un  d'eux  parut  devant  le  roi  sans  uniforme  et  en 
bas  blancs.  Le  roi  s'approcha  de  lui  et  lui  demanda 
son  nom.  «  Le  marquis  de  Beaucourt.  —  De  quel 
régiment?  —  De  Champagne.  —  Ah  !  oui,  ce  ré- 
giment où  l'on  se  f...  de  l'ordre.  »  Et  il  parla  en- 
suite aux  officiers  qui  étoient  en  uniforme  et  en 
bottes. 

Un  banquier  anglois,  nommé  Ser  ou  Stair,  fut 
accusé  d'avoir  fait  une  conspiration  pour  enlever 
le  roi  George  III  et  le  transporter  à  Philadelphie. 
Amené  devant  ses  juges,  il  leur  dit  :  «  Je  sais  très- 
bien  ce  qu'un  roi  peut  faire  d'un  banquier  ;  mais 
j'ignore  ce  qu'un  banquier  peut  faire  d'un  roi.  » 

Dans  les  malheurs  de  la  fin  du  règne  de  LouisXIV, 
après  la  perte  des  batailles  de  Turin,  d'Oudenarde, 
de  Malplaquet,  de  Ramillies,  d'Hochstett,  les  plus 
honnêtes  gens  de  la  cour  disoient  :  «  Au  moins, 
le  roi  se  porte  bien;  c'est  le  principal.  » 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  I^Q 

Je  causois  un  jour  avec  M.  de  V...,  qui  paroît 
vivre  sans  illusions  dans  un  âge  où  l'on  en  est  en- 
core susceptible.  Je  lui  témoignois  la  surprise  qu'on 
avoit  de  son  indifférence.  Il  me  répondit  grave- 
ment :  «  On  ne  peut  pas  être  et  avoir  été.  J'ai  été 
dans  mon  temps,  tout  comme  un  autre,  l'amant 
d'une  femme  galante,  le  jouet  d'une  coquette,  le 
passe-temps  d'une  femme  frivole,  l'instrument  d'une 
intrigante.  Que  peut-on  être  de  plus?  —  L'ami 
d'une  femme  sensible.  —  Ah!  nous  voilà  dans  les 
romans  !» 

M...  débitoit  souvent  des  maximes  de  roué  en 
fait  d'amour;  mais,  dans  le  fond,  il  étoit  sensible 
et  fait  pour  les  passions.  Aussi  quelqu'un  disoit  de 
lui  :  «  Il  fait  semblant  d'être  malhonnête,  afin  que 
les  femmes  ne  le  rebutent  pas.  » 

«  Dans  le  monde,  disoit  M...,  vous  avez  trois 
sortes  d'amis  :  vos  amis  qui  vous  aiment,  vos  amis 
qui  ne  se  soucient  pas  de  vous  et  vos  amis  qui 
vous  haïssent.  » 

J.  J.  Rousseau  étant  à  Fontainebleau,  à  la  re- 
présentation de  son  Devin  de  village ,  un  courtisan 
l'aborda  et  lui  dit  poliment  :  «  Monsieur,  per- 
mettez-vous que  je  vous  fasse  mon  compliment? 
—  Oui,  Monsieur,  dit  Rousseau,  s'il  est  bien.  » 


l5o  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

Le  courtisan  s'en  alla.  On  dit  à  Rousseau  :  «  Mais 
y  songez-vous  ?  Quelle  réponse  vous  venez  de 
faire!  —  Fort  bonne,  dit  Rousseau;  connoissez- 
vous  rien  de  pire  qu'un  compliment  mal  fait  ?  » 

On  disoit  à  J.  J.  Rousseau,  qui  avoit  gagné 
plusieurs  parties  d'échecs  au  prince  de  Conti,  qu'il 
ne  lui  avoit  pas  fait  sa  cour,  et  qu'il  falloit  lui  en 
laisser  gagner  quelques-unes  :  «  Comment  !  dit-il, 
je  lui  donne  la  tour.  » 

Voltaire  disoit  du  poëte  Roy,  qui  avoit  été  sou- 
vent repris  de  justice  et  qui  sortoit  de  Saint- 
Lazare  :  «  C'est  un  homme  qui  a  de  l'esprit,  mais 
ce  n'est  pas  un  auteur  assez  châtié.  » 

Ce  fut  l'abbé  S...  qui  administra  le  viatique  à 
l'abbé  Petiot  dans  une  maladie  très-dangereuse,  et 
il  raconte  qu'en  voyant  la  manière  très-prononcée 
dont  celui-ci  reçut  ce  que  vous  savez,  il  se  dit  à 
lui-même  :  «  S'il  en  revient,  ce  sera  mon  ami.  » 

M.  de  Roquemont,  dont  la  femme  étoit  très- 
galante,  couchoit  une  fois  par  mois  dans  la  cham- 
bre de  madame  pour  prévenir  les  mauvais  propos 
si  elle  devenoit  grosse,  et  s'en  alloit  en  disant  : 
«  Me  voilà  net;  arrive  qui  plante!  » 

La  marquise  de  Saint-Pierre  étoit  dans  une  so- 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  l5l 

ciété  OÙ  l'on  disoit  que  M.  de  Richelieu  avoit  eu 
beaucoup  de  femmes  sans  en  avoir  jamais  aimé 
une.  «  Sans  aimer!  c'est  bientôt  dit,  reprit-elle; 
moi,  je  sais  une  femme  pour  laquelle  il  est  revenu 
de  trois  cents  lieues.  »  Ici  elle  raconte  l'histoire 
en  troisième  personne,  et,  gagnée  par  sa  narra- 
tion :  «  Il  la  porte  sur  le  lit  avec  une  violence  in- 
croyable, et  nous  y  sommes  restés  trois  jours.  » 

M.  le  régent  disoit  à  M^^  de  Parabère,  dévote, 
qui,  pour  lui  plaire,  tenoit  quelques  discours  peu 
chrétiens  :  «  Tu  as  beau  faire,  tu  seras  sauvée.  » 

M.  de  Voltaire,  voyant  la  religion  tomber  tous 
les  jours,  disoit  une  fois  :  «  Cela  est  pourtant  fâ- 
cheux, car  de  quoi  nous  moquerons-nous?  —  Oh! 
lui  dit  M.  Sabatier  de  Castres,  consolez-vous;  les 
occasions  ne  vous  manqueront  pas  plus  que  les 
moyens.  —  Ah!  Monsieur,  reprit  douloureusement 
M.  de  Voltaire,  hors  de  l'Église,  point  de  salut.  » 

D'Alembert,  jouissant  déjà  de  la  plus  grande 
réputation,  se  trouvoit  chez  madame  du  Deffand, 
où  étoient  M,  le  président  Hénault  et  M.  de  Pont 
de  Veyle.  Arrive  un  médecin  nommé  Fournier, 
qui,  en  entrant,  dit  à  madame  du  Defîand  :  «  Ma- 
dame, j'ai  bien  l'honneur  de  vous  présenter  mon 
très-humble  respect»;  à  M.  le  président  Hénault: 


I 


l52  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

«  Monsieur,  j'ai  bien  l'honneur  de  vous  saluer  »  ; 
à  M.  de  Pont  de  Veyle  :  «  Monsieur,  je  suis  votre 
très-humble  serviteur  »  ;  et  à  d'Alembert  :  a  Bon- 
jour, Monsieur.  » 

Pendant  un  siège,  un  porteur  d'eau  crioit  dans 
la  ville  :  «  A  six  sous  la  voie  d'eau  !  »  Une  bombe 
vient  et  emporte  un  de  ses  seaux  :  «  A  douze 
sous  le  seau  d'eau!  »  s'écrie  le  porteur  sans  s'é- 
tonner. 

Un  homme  dont  la  santé  s'étoit  rétablie  en  assez 
peu  de  temps,  et  à  qui  on  en  demandoit  la  raison, 
répondit  :  «  C'est  que  je  compte  avec  moi,  au 
lieu  qu'auparavant  je  comptois  sur  moi.  » 

J'ai  vu  M.  de  Foncemagne  jouir  dans  sa  vieillesse 
d'une  grande  considération.  Cependant,  ayant  eu 
occasion  de  soupçonner  un  moment  sa  droiture,  je 
demandai  à  M.  Saurin  s'il  l'avoit  connu  particu- 
lièrement. Il  me  répondit  qu'oui.  J'insistai  pour 
savoir  s'il  n'avoit  jamais  rien  eu  contre  lui.  M.  Sau- 
rin, après  un  moment  de  réflexion,  me  répondit  : 
«  Il  y  a  longtemps  qu'il  est  honnête  homme.  » 

A  la  bataille  de  Raucoux  ou  de  Lawfeld,  le  jeune 
M.  de  Thiange  eut  son  cheval  tué  sous  lui,  et 
lui-même   fut  jeté  fort  loin;   cependant  il  ne  fut 


ANECDOTES    ET     BONS     MOTS  l53 

point  blessé.  Le  maréchal  de  Saxe  lui  dit  :  «  Petit 
Thiange,  tu  as  eu  une  belle  peur?  —  Oui,  mon- 
sieur le  maréchal,  dit  celui-ci;  j'ai  craint  que  vous 
ne  fussiez  blessé.  » 

Dans  une  société  où  se  trouvoit  M.  de  Schwa- 
low,  ancien  amant  de  l'impératrice  Elisabeth,  on 
vouloit  savoir  quelques  traits  relatifs  à  la  Russie. 
Le  bailli  de  Chabrillant  dit  :  «  M.  de  Schwalow, 
dites-nous  cette  histoire;  vous  devez  la  savoir, 
vous  qui  étiez  la  Pompadour  de  ce  pays-là.  » 

M.  de  C...  avoit  reçu  un  bienfait  de  M.  d'A... 
Celui-ci  avoit  recommandé  le  secret.  Il  fut  gardé. 
Plusieurs  années  après,  ils  se  brouillèrent.  Alors 
M.  de  C...  révéla  le  secret  du  bienfait  qu'il  avoit 
reçu.  M.  de  T...,  leur  ami  commun,  instruit,  de- 
manda à  M.  de  C...  la  raison  de  cette  apparente 
bizarrerie.  Celui-ci  répondit  :  «  J'ai  tu  son  bien- 
fait tant  que  je  l'ai  aimé.  Je  parle,  parce  que  je 
ne  l'aime  plus.  C'étoit  alors  son  secret;  à  présent, 
c'est  le  mien.  » 

Diderot,  voulant  faire  un  ouvrage  qui  pouvoit 
compromettre  son  repos,  confioit  son  secret  à  un 
ami  qui,  le  connoissant  bien,  lui  dit  :  «  Mais, 
vous-même,  me  garderez-vous  bien  le  secret?  » 
En  effet,  ce  fut  Diderot  qui  le  trahit. 

20 


l54       PORTRAITS  ET  CARACTERES 

On  s'étonnoit  de  voir  le  duc  de  Choiseul  se 
soutenir  aussi  longtemps  contre  madame  du  Barry. 
Son  secret  étoit  simple  :  au  moment  où  il  parois- 
soit  le  plus  chanceler,  il  se  procuroit  une  audience 
ou  un  travail  avec  le  roi,  et  lui  demandoit  ses 
ordres  relativement  à  cinq  ou  six  millions  d'éco- 
nomies qu'il  avoit  faites  dans  le  département  de  la 
guerre,  observant  qu'il  n'étoit  pas  convenable  de 
les  envoyer  au  trésor  royal.  Le  roi  entendoit  ce 
que  cela  vouloit  dire,  et  lui  répondoit  :  «  Parlez  à 
Bertin;  donnez-lui  trois  millions  en  tels  effets;  je 
vous  fais  présent  du  reste.  »  Le  roi  partageoit  ainsi 
avec  le  ministre,  et,  n'étant  pas  sûr  que  son  suc- 
cesseur lui  offrît  les  mêmes  facilités,  gardoit  M.  de 
Choiseul  malgré  les  intrigues  de  madame  du  Barry. 

M...  avoit  montré  beaucoup  d'insolence  et  de 
vanité  après  une  espèce  de  succès  au  théâtre  : 
c'étoit  son  premier  ouvrage.  Un  de  ses  amis  lui 
dit  :  «  Mon  ami,  tu  sèmes  les  ronces  devant  toi; 
tu  les  trouveras  en  repassant.  « 

Marivaux  disoit  que  le  style  a  un  sexe,  et  qu'on 
reconnoissoit  les  femmes  à  une  phrase. 

M.  de  Richelieu  disoit,  au  sujet  du  siège  de 
Mahon  par  M.  le  duc  de  Grillon  :  «  J'ai  pris  Ma- 
hon  par  une  étourderie,  et,  dans  ce  genre,  M.  de 
Grillon  paroît  en  savoir  plus  que  moi.  » 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  l55 

Le  prince  de  Conti  pensoit  et  parloit  mal  de 
M.  de  Silhouette.  Louis  XV  lui  dit  un  jour  :  «  On 
songe  pourtant  à  le  faire  contrôleur  général.  — 
Je  le  sais,  dit  le  prince,  et,  s'il  arrive  à  cette  place, 
je  supplie  Votre  Majesté  de  me  garder  le  secret.  » 
Le  roi,  quand  M.  de  Silhouette  fut  nommé,  en 
apprit  la  nouvelle  au  prince,  et  lui  ajouta  :  «  Je 
n'oublie  point  la  promesse  que  je  vous  ai  faite, 
d'autant  plus  que  vous  avez  une  affaire  qui  doit  se 
rapporter  au  conseil.  »  [Anecdote  contée  par  madame 
de  Bouf fiers.) 

L'Écluse ,  celui  qui  a  été  à  la  tête  des  Variétés 
amusantes,  racontoit  que,  tout  jeune  et  sans  for- 
tune, il  arriva  à  Lunéville,  où  il  obtint  la  place  de 
dentiste  du  roi  Stanislas,  précisément  le  jour  où  le 
roi  perdit  sa  dernière  dent. 

C'est  une  chose  bien  extraordinaire  que  deux 
auteurs  pénétrés  et  panégyristes,  l'un  en  vers, 
l'autre  en  prose,  de  l'amour  immoral  et  libertin, 
Crébillon  et  Bernard,  soient  morts  épris  passionné- 
ment de  deux  filles.  Si  quelque  chose  est  plus 
étonnant,  c'est  de  voir  l'amour  sentimental  pos- 
séder madame  de  Voyer  jusqu'au  dernier  moment, 
et  la  passionner  pour  le  vicomte  de  Noailles;  tan- 
dis que,  de  son  côté,  M.  de  Voyer  a  laissé  deux 
cassettes  pleines  de  lettres    céladoniques    copiées 


l56  PORTRAITS    ET    CARACTÈRES 

deux  fois  de  sa  main.  Cela  rappelle  les  poltrons, 
qui  chantent  pour  déguiser  leur  peur. 

Sixte-Quint,  étant  pape,  manda  à  Rome  un 
jacobin  de  Milan,  et  le  tança  comme  mauvais  ad- 
ministrateur de  sa  maison,  en  lui  rappelant  une 
certaine  somme  d'argent  qu'il  avoit  prêtée  quinze 
ans  auparavant  à  un  certain  cordelier.  Le  coupable 
dit  :  «  Cela  est  vrai,  c'étoit  un  mauvais  sujet  qui 
m'a  escroqué.  —  C'est  moi,  dit  le  pape,  qui  suis 
ce  cordelier;  voilà  votre  argent,  mais  n'y  retombez 
plus,  et  ne  prêtez  jamais  à  des  gens  de  cette  robe.  »■ 

On  accusoit  M...  d'être  misanthrope.  «  Moi, 
dit-il,  je  ne  le  suis  pas;  mais  j'ai  bien  pensé  l'être, 
et  j'ai  vraiment  bien  fait  d'y  mettre  ordre.  — 
Qu'avez-vous  fait  pour  l'empêcher?  —  Je  me  suis 
fait  solitaire.  » 

M.  de  L...,  connu  pour  misanthrope,  me  disoit 
un  jour,  à  propos  de  son  goût  pour  la  solitude  : 
«  Il  faut  diablement  aimer  quelqu'un  pour  le  voir.  » 

Madame laprincessedeConti,  fillede  Louis  XIV, 
ayant  vu  madame  la  dauphine  de  Bavière  qui 
dormoit  ou  faisoit  semblant  de  dormir,  dit,  après 
l'avoir  considérée  :  «  Madame  la  dauphine  est 
encore  plus  laide  en  dormant  que  lorsqu'elle  veille.  » 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  ibj 

Madame  la  dauphine,  prenant  la  parole  sans  faire 
le  moindre  mouvement,  lui  répondit  :  «  Madame, 
tout  le  monde  n*est  pas  enfant  de  l'amour.  » 

On  assure  que  madame  de  Montpensier,  ayant 
été  quelquefois  obligée,  pendant  l'absence  de  ses 
dames,  de  se  faire  remettre  un  soulier  par  quel- 
qu'un de  ses  pages,  lui  demandoit  s'il  n'avoit  pas 
eu  quelque  tentation.  Le  page  répondoit  qu'oui. 
La  princesse,  trop  honnête  pour  profiter  de  cet 
aveu,  lui  donnoit  quelques  louis  pour  le  mettre  en 
état  d'aller  chez  quelque  fille  perdre  la  tentation 
dont  elle  étoit  la  cause. 

Des  jeunes  gens  de  la  cour  soupoient  chez 
M.  de  Conflans.  On  débute  par  une  chanson 
libre,  mais  sans  excès  d'indécence;  M.  de  Fronsac 
sur-le-champ  se  met  à  chanter  des  couplets  abo- 
minables qui  étonnèrent  même  la  bande  joyeuse. 
M.  de  Conflans  interrompit  le  silence  universel  en 
disant  :  «  Que  diable  !  Fronsac ,  il  y  a  dix  bou- 
teilles de  vin  de  Champagne  entre  cette  chanson 
et  la  première.  » 

Le  maréchal  de  Duras,  mécontent  d'un  de  ses 
fils,  lui  dit  :  «  Misérable!  si  tu  continues,  je  te 
ferai  souper  avec  le  roi.  »  C'est  que  le  jeune 
homme  avoit  soupe  deux  fois  à  Marly,  où  il  s'étoit 
ennuyé  à  périr. 


l58       PORTRAITS  ET  CARACTERES 

M.  de  La  Reynière  ,  obligé  de  choisir  entre  la 
place  d'administrateur  des  postes  et  celle  de  fer- 
mier général,  après  avoir  possédé  ces  deux  places, 
dans  lesquelles  il  avoit  été  maintenu  par  le  crédit 
des  grands  seigneurs  qui  soupoient  chez  lui,  se 
plaignit  à  eux  de  l'alternative  qu'on  lui  proposoit 
et  qui  diminuoit  de  beaucoup  son  revenu.  Un 
d'eux  lui  dit  naïvement  :  «  Eh!  mon  Dieu,  cela 
ne  fait  pas  une  grande  différence  dans  votre  for- 
tune. C'est  un  million  à  mettre  à  fonds  perdus  ; 
et  nous  n'en  viendrons  pas  moins  souper  chez 
vous.  » 

M.  de  Stainville,  lieutenant  général,  venoit  de 
faire  enfermer  sa  femme.  M.  de  Vaubecourt,  ma- 
réchal de  camp,  sollicitoit  un  ordre  pour  faire  en- 
fermer la  sienne.  Il  venoit  d'obtenir  l'ordre,  et 
sortoit  de  chez  le  ministre  avec  un  air  triomphant. 
M.  de  Stainville,  qui  crut  qu'il  venoit  d'être  nom- 
mé lieutenant  général,  lui  dit  devant  beaucoup  de 
monde  :  «  Je  vous  félicite,  vous  êtes  sûrement  des 
nôtres.  » 

Le  roi  de  Pologne  Stanislas  avoit  des  bontés 
pour  l'abbé  Porquet  et  n'avoit  encore  rien  fait 
pour  lui.  L'abbé  lui  en  faisoit  l'observation.  «  Mais, 
mon  cher  abbé,  dit  le  roi,  il  y  a  beaucoup  de  votre 
îaute  :  vous  tenez  des  discours  très-libres;  on  pré- 


ANECDOTES     ET     BONS     MOTS  iSç 

tend  que  vous  ne  croyez  pas  en  Dieu.  Il  faut  vous 
modérer  :  tâchez  d'y  croire;  je  vous  donne  un  an 
pour  cela.  » 

Madame  de  Bassompierre ,  vivant  à  la  cour  du 
roi  Stanislas,  étoit  la  maîtresse  connue  de  M.  de 
La  Galaisière,  chancelier  du  roi  de  Pologne,  Le 
roi  alla  un  jour  chez  elle,  et  prit  avec  elle  des  li- 
bertés qui  ne  réussirent  pas.  «  Je  me  tais,  dit  Sta- 
nislas; mon  chancelier  vous  dira  le  reste.  » 

M.  de  B...,  âgé  de  cinquante  ans,  venoit  d'é- 
pouser mademoiselle  de  C...,  âgée  de  treize  ans. 
On  disoit  de  lui,  pendant  qu'il  soUicitoit  ce  ma- 
riage, qu'il  demandoit  la  survivance  de  la  poupée 
de  cette  demoiselle. 

M...  disoit  de  M.  de  La  Reynière,  chez  qui 
tout  le  monde  va  pour  sa  table,  et  qu'on  trouve 
très  ennuyeux  :  «  On  le  mange,  mais  on  ne  le  di-^ 
gère  pas.  » 

Jamais  Bossuet  ne  put  apprendre  au  grand  dau- 
phin à  écrire  une  lettre.  Ce  prince  étoit  très-indo- 
lent. On  raconte  que  ses  billets  à  madame  la  com- 
tesse de  Roure  finissoient  tous  par  ces  mots  :  Le 
roi  me  fait  mander  pour  le  conseil.  Le  jour  que  cette 
comtesse  fut  exilée,  un  des  courtisans  lui  demanda 


l6o       PORTRAITS  ET  CARACTERES 

s'il  n'étoit  pas  bien  affligé.  «  Sans  doute,  dit  le 
dauphin;  mais  cependant  me  voilà  délivré  de  la 
nécessité  d'écrire  le  petit  billet.  » 

Madame  de  Talmont,  voyant  M.  de  Richelieu, 
au  lieu  de  s'occuper  d'elle,  faire  sa  cour  à  madame 
de  Brionne,  fort  belle  femme,  mais  qui  n'avoit  pas 
la  réputation  d'avoir  beaucoup  d'esprit,  lui  dit  : 
((  Monsieur  le  maréchal,  vous  n'êtes  point  aveugle; 
mais  je  vous  crois  un  peu  sourd.  » 

Onreprochoit  à  M.  de...  d'être  le  médecin  Tant- 
Pis.  «  Cela  vient,  répondit-il,  de  ce  que  j'ai  vu 
enterrer  tous  les  malades  du  médecin  Tant-Mieux. 
Au  moins,  si  les  miens  meurent,  on  n'a  point  à  me 
reprocher  d'être  un  sot.  » 

Le  maréchal  de  Broghe  affrontant  un  danger 
inutile  et  ne  voulant  pas  se  retirer,  tous  ses  amis 
faisoient  de  vains  efforts  pour  lui  en  faire  sentir  la 
nécessité.  Enfin  l'un  d'entre  eux,  M.  de  Jaucourt, 
s'approcha  et  lui  dit  à  l'oreille  :  «  Monsieur  le  ma- 
réchal, songez  que,  si  vous  êtes  tué,  c'est  M.  de 
Routhe  qui  commandera.  »  C'étoit  le  plus  sot  des 
lieutenants  généraux.  M.  de  Brogiie,  frappé  du 
danger  que  couroit  l'armée,  se  retira. 

On  ne  distingue  pas    aisément    l'intention    de 


I 


ANECDOTES     ET    BONS    MOTS  l6l 

l'auteur  dans  le  Temple  de  Gnide,  et  il  y  a  même 
quelque  obscurité  dans  les  détails  :  c'est  pour  cela 
que  madame  du  Deffand  Tappeloit  l'Apocalypse  de 
la  galanterie^ 

Madame  de  Tencin  disoit  que  les  gens  d'esprit 
faisoient  beaucoup  de  fautes  en  conduite,  parce 
qu'ils  ne  croyoient  jamais  le  monde  assez  béte, 
aussi  bête  qu'il  l'est. 

Madame  de  Tencin,  avec  des  manières  douces, 
ëtoit  une  femme  sans  principes  et  capable  de  tout 
exactement.  Un  jour,  on  louoit  sa  douceur.  «  Oui, 
dit  l'abbé  Trublet,  si  elle  eût  eu  intérêt  de  vous 
empoisonner,  elle  eût  choisi  le  poison  le  plus  doux.  » 

Madame  la  comtesse  de  Tessé  disoit  après  la 
mort  de  M.  Dubreuil  :  «  Il  étoit  trop  inflexible, 
trop  inabordable  aux  présens,  et  j'avois  un  accès 
de  fièvre  toutes  les  fois  que  je  songeois  à  lui  en 
faire.  —  Et  moi  aussi^  lui  répondit  madame  de 
Champagne,  qui  avoit  placé  trente-six  mille  livres 
sur  sa  tête  :  voilà  pourquoi  j'ai  mieux  aimé  me  don- 
ner tout  de  suite  une  bonne  maladie  que  d'avoir 
tous  ces  petits  accès  de  fièvre  dont  vous  parlez.  » 

Le  vieux  d'Arnoncourt  avoit  fait  un  contrat  de 
-douze  cents  livres  de  rente  à  une  fille  pour  tout 
Chamfori,  —  II.  21 


l62  PORTRAITS     ET    CARACTERES 

le  temps  qu'il  en  seroit  aimé.  Elle  se  sépara  de 
lui  étourdiment,  et  se  lia  avec  un  jeune  homme 
qui,  ayant  vu  ce  contrat,  se  mit  en  tête  de  le  faire 
revivre.  Elle  réclama  en  conséquence  les  quartiers 
échus  depuis  le  dernier  payement,  en  lui  faisant 
signifier  sur  papier  timbré  qu'elle  l'aimoit  toujours. 

L'homme  arrive  novice  à  chaque  âge  de  la  vie. 

M...,  Provençal  qui  a  des  idées  plaisantes,  me 
disoit,  à  propos  de  rois  et  même  de  ministres,  que, 
la  machine  étant  bien  montée,  le  choix  des  uns  et 
des  autres  étoit  indifférent.  «  Ce  sont,  disoit-il, 
des  chiens  dans  un  tourne-broche;  il  suffit  qu'ils 
remuent  les  pattes  pour  que  tout  aille  bien.  Que 
le  chien  soit  beau,  qu'il  ait  de  l'intelligence  ou  du 
nez,  ou  rien  de  tout  cela,  la  broche  tourne,  et  le 
souper  sera  toujours  à  peu  près  bon.  » 

On  disoit  d'un  certain  homme  qui  répétoit  à 
différentes  personnes  le  bien  qu'elles  disoient  l'une 
de  l'autre,  qu'il  étoit  tracassier  en  bien. 

M.  Harris,  fameux  négociant  de  Londres,  se 
trouvant  à  Paris  dans  le  cours  de  l'année  1786,  à 
Tépoque  de  la  signature  du  traité  de  commerce, 
disoit  à  des  François  :  «  Je  crois  que  la  France  n'y 
perdra  un  million  sterling  par  an  que  pendant  les 


I 


ANECDOTES     ET    BONS    MOTS  l63 

vingt-cinq  ou  trente  premières  années,  mais  qu'en' 
suite  la  balance  sera  parfaitement  égale.  » 

Un  homme  d'esprit  ayant  lu  les  petits  traités  de 
M.  d'Alembert  sur  l'élocution  oratoire,  sur  la  poé% 
sie,  sur  l'ode,  on  lui  demanda  ce  qu'il  en  pensoit. 
Il  répondit  :  «  Tout  le  monde  ne  peut  pas  être 
sec.  » 

Un  François  avoit  été  admis  à  voir  le  cabinet 
du  roi  d'Espagne.  Arrivé  devant  son  fauteuil  et 
son  bureau  :  «  C'est  donc  ici,  dit-il,  que  ce 
grand  roi  travaille?  —  Comment,  travaille!  dit  le 
conducteur;  quelle  insolence  !  ce  grand  roi  tra^ 
vailler!  Vous  venez  ici  pour  insulter  Sa  Majesté!  » 
Il  s'engagea  une  querelle  où  le  François  eut  beau-, 
coup  de  peine  à  faire  entendre  à  l'Espagnol  qu'on 
n'avoit  pas  eu  l'intention  d'offenser  la  majesté  de 
son  maître. 

Le  roi  et  la  reine  de  Portugal  étoient  à  Belem, 
pour  aller  voir  un  combat  de  taureaux,  le  jour  du 
tremblement  de  terre  de  Lisbonne  :  c'est  ce  qui  les 
sauva;  et  une  chose  avérée  et  qui  m'a  été  garan- 
tie par  plusieurs  François  alors  en  Portugal,  c'est 
que  le  roi  n'a  jamais  su  l'énormité  du  désastre.  On 
lui  parla  d'abord  de  quelques  maisons  tombées, 
ensuite  de  quelques  églises,  et,  n'étant  jamais  re- 


164  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

venu  à  Lisbonne,  on  peut  dire  qu'il  est  le  seul 
homme  de  l'Europe  qui  ne  se  soit  pas  fait  une  vé- 
ritable idée  du  désastre  arrivé  à  une  lieue  de  lui. 

Un  homme  étoit  abandonné  des  médecins;  on 
demanda  à  M.  Tronchin  s'il  falloit  lui  donner  le 
viatique.  «  Cela  est  bien  collant,  »  répondit-il. 

M.  de  Choiseul-Gouffier  voulant  faire,  à  ses 
frais,  couvrir  de  tuiles  les  maisons  de  ses  paysans, 
exposées  à  des  incendies,  ils  le  remercièrent  de  sa 
bonté,  et  le  prièrent  de  laisser  leurs  maisons  comme 
elles  étoient,  disant  que,  si  leurs  maisons  étoient 
couvertes  de  tuiles  au  lieu  de  chaume,  les  subdé- 
légués augmenteroient  leurs  tailles. 

M.  de  Turenne  dînant  chez  M.  de  Lamoignon, 
celui-ci  lui  demanda  si  son  intrépidité  n'étoit  pas 
ébranlée  au  commencement  d'une  bataille.  «  Oui, 
dit  M.  de  Turenne,  j'éprouve  une  grande  agita- 
tion; mais  il  y  a  dans  l'armée  plusieurs  officiers 
subalternes  et  un  grand  nombre  de  soldats  qui 
n'en  éprouvent  aucune.  » 

M.  Turgot ,  qu'un  de  ses  amis  ne  voyoit  plus  de- 
puislongtemps,  dit  à  cet  ami,  en  le  retrouvant  :  «  De- 
puis que  je  suis  ministre,  vous  m'avez  disgracié.  » 


I 


ANECDOTES     ET    BONS    MOTS  l65 

La  comtesse  de  Boufflers  disoit  au  prince  de 
Conti  qu'il  étoit  le  meilleur  des  tyrans. 

«  Malgré  toutes  les  plaisanteries  qu*on  rebat 
sur  le  mariage,  disoit  M.».,  je  ne  vois  pas  ce  qu'on 
peut  dire  contre  un  homme  de  soixante  ans  qui 
épouse  une  femme  de  cinquante-cinq.  » 

D'Alembert  se  trouva  chez  Voltaire  avec  un  cé- 
lèbre professeur  de  droit  à  Genève.  Celui-ci ,  ad- 
mirant l'universalité  de  Voltaire,  dit  à  d'Alembert  : 
«  Il  n'y  a  qu'en  droit  public  que  je  le  trouve  un 
peu  foible.  —  Et  moi,  dit  d'Alembert,  je  ne  le 
trouve  un  peu  foible  qu'en  géométrie.  » 

M.  de  Calonne,  voulant  introduire  des  femmes 
dans  son  cabinet,  trouva  que  la  clef  n'entroit  point 
dans  la  serrure.  Il  lâcha  un  f...  d'impatience,  et, 
sentant  sa  faute  :  «  Pardon,  Mesdames,  dit-il;  j'ai 
bien  fait  des  affaires  dans  ma  vie,  et  j'ai  vu  qu'il 
n'y  a  qu'un  mot  qui  serve.  »  En  effet,  la  clef  entra 
tout  de  suite. 

Un  homme  qui  avoit  refusé  d'avoir  madame 
de  S...,  disoit  :  «  A  quoi  sert  l'esprit,  s'il  ne  sert 
à  n'avoir  point  madame  de  S...?  » 

M...,  qui  aimoit  beaucoup  les  femmes,  me  di- 


l66  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

soit  que  leur  commerce  lui  étoit  nécessaire  pour 
tempérer  la  sévérité  de  ses  pensées  et  occuper  la 
sensibilité  de  son  âme.  «  J'ai,  disoit-il,  du  Tacite 
dans  la  tête  et  du  TibuUe  dans  le  cœur.  »  * 

M...  disoit,  à  propos  de  sottises  ministérielles 
et  ridicules  :  «  Sans  le  gouvernement,  on  ne  riroit 
plus  en  France.  » 

Dans  le  temps  qu'il  y  avoit  des  jansénistes,  on 
les  distinguoit  à  la  longueur  du  collet  de  leur 
manteau.  L'archevêque  de  Lyon  avoit  fait  plu- 
sieurs enfans;  mais,  à  chaque  équipée  de  cette 
espèce ,  il  avoit  soin  de  faire  allonger  d'un  pouce 
le  collet  de  son  manteau.  Enfin  le  collet  s'allongea 
tellement  qu'il  a  passé  quelque  temps  pour  jansé- 
niste et  a  été  suspect  à  la  cour. 

On  se  souvient  encore  de  la  ridicule  et  excessive 
vanité  de  l'archevêque  de  Reims,  Le  Tellier-Lou- 
vois,  sur  son  rang  et  sur  sa  naissance;  on  sait 
combien,  de  son  temps,  elle  étoit  célèbre  dans 
toute  la  France.  Voici  une  des  occasions  où  elle 
se  montra  tout  entière  le  plus  puissamment.  Le 
duc  d'A...,  absent  de  la  cour  depuis  plusieurs 
années,  revenu  de  son  gouvernement  de  Berry, 
alloit  à  Versailles.  Sa  voiture  versa  et  se  rompit. 
Il  faisoir  un  froid  très-aigu.  On  lui  dit  qu'il  falloit 


ANECDOTES     ET    BONS     MOTS  167 

deux  heures  pour  la  remettre  en  état.  Il  vit  un 
relais  et  demanda  pour  qui  c'étoit.  On  lui  dit  que 
c'étoit  pour  l'archevêque  de  Reims,  qui  alloit  à 
Versailles  aussi.  Il  envoya  ses  gens  devant  lui, 
n'en  réservant  qu'un  auquel  il  recommanda  de  ne 
point  paroître  sans  son  ordre.  L'archevêque  arrive. 
Pendant  qu'on  atteloit,  le  duc  charge  un  des  gens 
de  l'archevêque  de  lui  demander  une  place  pour 
un  honnête  homme  dont  la  voiture  vient  de  se 
briser,  et  qui  est  condamné  à  attendre  deux  heures 
qu'elle  soit  rétablie.  Le  domestique  va  et  fait  la 
commission.  «  Quel  homme  est-ce?  dit  l'arche- 
vêque. Est-ce  quelqu'un  comme  il  faut?  —  Je  le 
crois.  Monseigneur*;  il  a  un  air  bien  honnête.  — 
Qu'appelles-tu  honnête?  Est-il  bien  mis?  —  Mon- 
seigneur, simplement,  mais  bien.  —  A-t-il  des 
gens?  —  Monseigneur,  je  l'imagine.  — Va-t'en 
le  savoir.  »  Le  domestique  va  et  revient.  «  Mon- 
seigneur, il  les  a  envoyés  (devant  à  Versailles.  — 
Ah!  c'est  quelque  chose,  mais  ce  n'est  pas  tout. 
Demande-lui  s'il  est  gentilhomme.  »  Le  laquais 
va  et  revient.  «  Oui,  Monseigneur,  il  est  gentil- 
homme. —  A  la  bonne  heure!  Qu'il  vienne,  et 
nous  verrons  ce  que  c'est.  »  Le  duc  arrive,  salue. 
L'archevêque  fait  un  signe  de  tête,  se  range  à 
peine  pour  faire  une  petite  place  dans  sa  voiture. 
Il  voit  une  croix  de  Saint-Louis.  «  Monsieur,  dit- 
il  au  duc,  je  suis  fâché  de  vous  avoir  fait  attendre; 


l68       PORTRAITS  ET  CARACTERES 

mais  je  ne  pouvois  donner  une  place  dans  ma  voi- 
ture  à  un  homme  de  rien  :  vous  en  conviendrez. 
Je  sais  que  vous  êtes  gentilhomme.  Vous  avez 
servi,  à  ce  que  je  vois?  —  Oui,  Monseigneur.  — 
Et  vous  allez  à  Versailles?  —  Oui,  Monseigneur. 
—  Dans  les  bureaux  apparemment?  —  Non,  je 
n'ai  rien  à  faire  dans  les  bureaux.  Je  vais  remer- 
cier... —  Qui?  M.  de  Louvois?  —  Non,  Mon- 
seigneur, le  roi.  —  Le  roi!  [Ici  Varchevêque  se  re- 
cule et  fait  un  peu  de  place.)  Le  roi  vient  donc  de 
vous  faire  quelque  grâce  toute  récente?  —  Non, 
Monseigneur  :  c'est  une  longue  histoire.  —  Contez 
toujours.  —  C'est  qu'il  y  a  deux  ans  j'ai  marié 
ma  fille  à  un  homme  peu  riche...  [l*archevêque  re- 
prend un  peu  de  V espace  qu'il  a  cédé  dans  la  voiture) 
mais  d'un  tiès-grand  nom.  »  [L'archevêque  recède 
la  place.)  Le  duc  continue  :  «  Sa  Majesté  avoit 
bien  voulu  s'intéresser  à  ce  mariage...  [l'archevêque 
fait  beaucoup  de  place)  et  avoit  même  promis  à 
mon  gendre  le  premier  gouvernement  qui  vaque- 
roit.  —  Comment  donc  !  Un  petit  gouvernement, 
sans  doute?  De  quelle  ville?  —  Ce  n'est  pas  d'une 
ville.  Monseigneur  :  c'est  d'une  province.  —  D'une 
province.  Monsieur  !  crie  l'archevêque  en  reculant 
dans  l'angle  de  sa  voiture,  d'une  province!  — 
Oui,  et  il  va  y  en  avoir  un  de  vacant.  —  Lequel 
donc?  —  Le  mien,  celui  de  Berry,  que  je  veux 
faire  passer  à  mon  gendre.  —  Quoi  !  Monsieur... 


ANECDOTES    ET    BONS    MOTS  169 

VOUS  êtes  gouverneur  du...?  Vous  êtes  donc  le 
duc  de...?  »  Et  il  veut  descendre  de  sa  voiture, 
«  Mais,  monsieur  le  duc,  que  ne  parliez- vous? 
Mais  cela  est  incroyable  !  mais  à  quoi  m'exposez- 
vous?  Pardon  de  vous  avoir  fait  attendre...  Ce 
maraud  de  laquais  qui  ne  me  dit  pas...  Je  suis 
bien  heureux  encore  d'avoir  cru,  sur  votre  parole, 
que  vous  étiez  gentilhomme  :  tant  de  gens  le 
disent  sans  l'être  !  Et  puis  ce  d'Hozier  est  un  fri- 
pon. Ah  !  monsieur  le  duc,  je  suis  confus.  —  Re- 
mettez-vous, Monseigneur.  Pardonnez  à  votre 
laquais  :  il  s'est  contenté  de  vous  dire  que  j'étois 
un  honnête  homme;  pardonnez  à  d'Hozier,  qui 
vous  exposoit  à  recevoir  dans  votre  voiture  un 
vieux  militaire  non  titré;  et  pardonnez-moi  aussi 
de  n'avoir  pas  commencé  par  faire  mes  preuves 
pour  monter  dans  votre  carrosse.  » 

M.  de  Fronsac  alla  voir  une  mappemonde  que 
montroil  l'artiste  qui  l'avoit  imaginée.  Cet  homme, 
ne  le  connoissant  pas  et  lui  voyant  une  croix  de 
Saint-Louis,  ne  l'appeloit  que  M.  le  chevalier.  La 
vanité  de  M.  de  Fronsac,  blessé  de  ne  pas  être 
appelé  duc,  lui  fît  inventer  une  histoire  dont  un 
des  interlocuteurs,  un  de  ses  gens,  l'appeloit  mon- 
seigneur. M.  de  Genlis  l'arrête  à  ce  mot,  et  lui 
dit  :  «  Qu'est-ce  que  tu  dis  là?  Monseigneur  !  On 
va  te  prendre  pour  un  évêque.  » 

22 


170      PORTRAITS  ET  CARACTERES 

Les  grands  vendent  toujours  leur  société  à  la 
vanité  des  petits. 

On  pressoit  l'abbé  Vatri  de  solliciter  une  place 
vacante  au  Collège  royal.  «  Nous  verrons  cela,  » 
dit-il.  Et  il  ne  sollicita  point.  La  place  fut  donnée 
à  un  autre.  Un  ami  de  l'abbé  court  chez  lui.  «  Eh 
bien!  voilà  comme  vous  êtes!  Vous  n'avez  point 
voulu  solliciter  la  place  :  elle  est  donnée.  —  Elle 
est  donnée  ?  reprit-il  ;  eh  bien  !  je  vais  la  demander. 

—  Etes-vous  fou?  —  Parbleu!  non;  j'avois  cent 
concurrens,  je  n'en  ai  plus  qu'un.  »  Il  demanda  la 
place  et  l'obtint. 

M.  de  Vaudreuil  se  plaignoit  à  C...  de  son  peu 
de  confiance  en  ses  amis.  «  Vous  n'êtes  point 
riche,  lui  disoit-il,  et  vous  oubliez  notre  amitié. 

—  Je  vous  promets,  répondit  C...,  de  vous  em- 
prunter vingt-cinq  louis  quand  vous  aurez  payé 
vos  dettes.  » 

Le  feu  prince  de  Conti,  ayant  été  très-maltraité 
de  paroles  de  Louis  XV,  conta  cette  scène  dé- 
sagréable à  son  ami  le  lord  Tirconnel,  à  qui  il 
demandoit  conseil.  Celui-ci,  après  avoir  rêvé,  lui 
dit  naïvement  :  «  Monseigneur,  il  ne  seroit  pas 
impossible  de  vous  venger,  si  vous  aviez  de  l'ar- 
gent et  de  la  considération.  » 


ANECDOTES     ET    BONS    MOTS  17I 

Un  des  parens  de  M.  de  Vergennes  lui  deman- 
doit  pourquoi  il  avoit  laissé  arriver  au  ministère  de 
Paris  le  baron  de  Breteuil,  qui  étoit  dans  le  casde 
lui  succéder.  «  C'est  que,  dit-il,  c'est  un  homme 
qui,  ayant  toujours  vécu  dans  le  pays  étranger, 
n'est  pas  connu  ici;  c'est  qu'il  a  une  réputation 
usurpée,  que  quantité  de  gens  le  croient  digne  du 
ministère.  Il  faut  les  détromper,  le  mettre  en  évi- 
dence et  faire  voir  ce  que  c'est  que  le  baron  de 
Breteuil.  » 

Un  homme  d*esprit  défînissoit  Versailles  un 
pays  où,  en  descendant,  il  faut  toujours  paroître 
monter,  c'est-à-dire  s'honorer  de  fréquenter  ce 
qu'on  méprise. 

M.  Lemierre  a  mieux  dit  qu'il  ne  vouloit  en  di- 
sant qu'entre  sa  Veuve  du  Malabar,  jouée  en  1770, 
et  sa  Veuve  du  Malabar,  jouée  en  1781,  il  y  avoit 
Ja  différence  d'une  falourde  à  une  voie  de  bois. 
C'est  en  effet  le  bûcher  perfectionné  qui  a  fait  le 
succès  de  la  pièce. 

Collé  avoit  placé  une  somme  d'argent  considé- 
rable, à  fonds  perdus  et  à  dix  pour  cent,  chez  un 
financier  qui,  à  la  seconde  année,  ne  lui  avoit  pas 
encore  donné  un  sou.  «  Monsieur,  lui  dit  Collé 
dans  une  visite  qu'il  lui  fît,  quand  je  place  mon 


172  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

argent  en  viager,  c^est  pour  être  payé  de  mon 
vivant.  » 

Un  homme  buvoit  à  table  d'excellent  vin  sans 
le  louer.  Le  maître  de  la  maison  lui  en  fit  servir 
de  très-médiocre.  «  Voilà  de  bon  vin  !  »  dit  le 
buveur  silencieux.  «  C'est  du  vin  à  dix  sous,  dit  le 
maître,  et  l'autre  est  un  vin  des  dieux.  —  Je  le 
sais,  reprit  le  convive;  aussi  ne  l'ai-je  pas  loué: 
c'est  celui-ci  qui  a  besoin  de  recommandation.  » 

On  disoit  au  satirique  anglois  Donne  :  «  Tonnez 
sur  les  vices,  mais  ménagez  les  vicieux.  —  Com- 
ment! dit-il,  condamner  les  cartes  et  pardonner 
aux  escrocs  ?  » 

L'abbé  Maurj,  allant  chez  le  cardinal  de  La 
Roche-Aymon,  le  rencontra  revenant  de  l'assem- 
blée du  clergé.  Il  lui  trouva  de  l'humeur  et  lui  en 
demanda  les  raisons.  «  J'en  ai  de  bien  bonnes,  dit 
le  vieux  cardinal;  on  m'a  engagé  à  présider  cette 
assemblée  du  clergé,  où  tout  s'est  passé  on  ne 
sauroit  plus  mal.  Il  n'y  a  pas  jusqu'à  ces  jeunes 
gens  du  clergé,  cet  abbé  de  La  Luzerne,  qui  ne 
veulent  pas  se  payer  de  mauvaises  raisons.  » 

M...  me  disoit  :  «  Toutes  les  fois  que  je  vais 
chez  quelqu'un,   c'est  une  préférence  que  je  lui 


ANECDOTES    ET    BONS    MOTS  lyB 

donne   sur  moi;   je  ne  suis  pas  assez  désœuvré 
pour  y  être  conduit  par  un  autre  motif.  » 

Un  homme  épris  des  charmes  de  l'état  de  prê- 
trise disoit  :  «  Quand  je  devrois  être  damné,  il 
faut  que  je  me  fasse  prêtre.  » 

Diderot,  s'étant  aperçu  qu'un  homme  à  qui  il 
prenoit  quelque  intérêt  avoit  le  vice  de  voler  et 
i'avoit  volé  lui-même,  lui  conseilla  de  quitter  ce 
pays-ci.  L'autre  profita  du  conseil,  et  Diderot 
n'en  entendit  plus  parler  pendant  dix  ans.  Après 
dix  ans,  un  jour,  il  entend  tirer  sa  sonnette  avec 
violence.  Il  va  ouvrir  lui-même,  reconnoît  son 
homme,  et  d'un  air  étonné  il  s'écrie  :  «  Ah  !  ah  ! 
c'est  vous  !  ))  Celui-ci  lui  répond  :  «  Ma  foi,  il  ne 
s'en  est  guère  fallu.  »  Il  avoit  démêlé  que  Diderot 
s'étonnoii  qu'il  ne  fût  pas  pendu. 

M.  de  Voltaire,  étant  à  Potsdam,  un  soir,  après 
souper,  fit  un  portrait  d'un  bon  roi  en  contraste 
avec  celui  d'un  tyran,  et,  s^échauffant  par  degrés, 
il  fit  une  description  épouvantable  des  malheurs 
dont  l'humanité  étoit  accablée  sous  un  roi  despo- 
tique, conquérant,  etc.  Le  roi  de  Prusse,  ému, 
laisse  tomber  quelques  larmes.  «  Voyez!  voyez! 
s'écria  M.  de  Voltaire,  il  pleure,  le  tigre  !  » 


174  PORTRAITS    ET    CARACTERES 

M.  de  Vaucanson  s'étoit  trouvé  l'objet  principal 
des  attentions  d'un  prince  étranger,  quoique  M.  de 
Voltaire  fût  présent.  Embarrassé  et  honteux  que  ce 
prince  n'eût  rien  dit  à  Voltaire,  il  s'approcha  de  ce 
dernier  et  lui  dit  :  «  Le  prince  vient  de  me  dire 
telle  chose  »  (un  compliment  très-flatteur  pour 
Voltaire).  Celui-ci  vit  bien  que  c'étoit  une  poli- 
tesse de  Vaucanson,  et  lui  dit  :  «  Je  reconnois 
tout  votre  talent  dans  la  manière  dont  vous  faites 
parler  le  prince.  » 

M.  d'Autrey  disoit  de  M.  de  Ximenès  :  «  C'est 
un  homme  qui  aime  mieux  la  pluie  que  le  beau 
temps,  et  qui,  entendant  chanter  le  rossignol,  dit: 
«  Ah  !  la  vilaine  bête  I  » 


*  L'abbé  de  Tencin  étoit  accusé  d'un  marché  si- 
moniaque.  Aubri,  avocat  adverse,  ayant  paru  foiblir 
dans  ses  allégations,  l'avocat  de  l'abbé  redoubla 
ses  clameurs.  Aubri  joua  l'embarras.  L'abbé,  qui 
étoit  présent,  crut  faire  merveille  de  saisir  ce  mo- 
ment pour  achever  de  confondre  la  calomnie, 
offrant  de  s'en  purger  par  serment.  Alors  Aubri 
l'arrêta,  dit  qu'il  n'en  étoit  pas  besoin,  et  produisit 
le  marché  en  original.  Huées,  clameurs,  etc. 
L'abbé  parvint  à  s'évader  et  partit  pour  l'ambas- 
sade de  Rome. 


ANECDOTES    ET    BONS    MOTS  lyS 

*M.  de  Silhouette,  renvoyé,  étoit  accablé  de  sa 
disgrâce,  et  surtout  des  suites  qu'elle  pouvoit  avoir. 
Ce  qu'il  redoutoit  le  plus,  c'étoit  les  chansons. 
Un  jour,  après  dîner  (et  il  n'avoit  rien  dit  à  table), 
il  s'approche  tremblant  d'une  femme  en  qui  il 
avoit  confiance,  et  lui  dit:  «Parlez-moi  vrai,  n'y 
a-t-il  pas  de  chansons?» 


LE 

MARCHAND    DE    SMYRNE 

COMÉDIE  EN   UN  ACTE  ET  EN   PROSE 

Représentée  pour  la  première  fois, 
le  26  janvier  1770, 


Chamfort.  II.  «5 


PERSONNAGES. 

HASSAN,  Turc  habitant  de  Smyrne, 

ZAYDE ,  femme  de  Hassan. 

DORNAL,  Marseillois. 

AMÉLIE,  promise  à  Dornal. 

KALED ,  marchand  d'esclaves. 

NÉBI,  Turc 

FATMÉ,  esclave  de  Zayde. 

ANDRÉ ,  domestique  de  DornaL 

Un  Espagnol. 

Un  Italien. 

Un  Vieillard  turc,  esclave. 

La  scène  est  à  Smyrne ,  dans  un  jardin  commun  à  Hassan 
et  à  Kaled,  dont  Us  deux  maisons  sont  en  regard  sur  le 
bord  de  la  mer. 


LE   MARCHAND 

DE    SMYRNE 


SCÈNE     PREMIÈRE. 

HASSAN,  seul. 

On  dit  que  le  mal  passé  n'est  qu'un  songe;  c*est 
bien  mieux  :  il  sert  à  faire  sentir  le  bonheur  pré- 
sent. Il  y  a  deux  ans  que  j'étois  esclave  chez  les 
chrétiens,  à  Marseille,  et  il  y  a  un  an  aujourd'hui, 
jour  pour  jour,  que  j'ai  épousé  la  plus  jolie  fille  de 
Smyrne.  Cela  fait  une  différence.  Quoique  bon 
musulman,  je  n'ai  qu'une  femme.  Mes  voisins  en 
ont  deux,  quatre,  cinq,  six,  et  pourquoi  faire?  .. 
La  loi  le  permet...  heureusement  elle  ne  l'ordonne 
pas.  Les  François  ont  raison  de  n'en  avoir  qu'une; 
je  ne  sais  pas  s'ils  l'aiment.  J'aime  beaucoup  la 


l8o  LE    MARCHAND    DE    SMYRNE 

mienne,  moi.  Mais  elle  tarde  bien  à  venir  prendre 
le  frais.  Je  ne  la  gêne  pas.  Il  ne  faut  pas  gêner  les 
femmes  :  on  m'a  dit  en  France  que  cela  portoit 
malheur...  La  voici. 


SCENE    II. 

HASSAN,  ZAYDE. 

Hassan. 
Vous  êtes  descendue  bien  tard,  ma  chère  Zajde? 

Zayde. 
Je  me  suis  amusée  à  voir,  du  haut  de  mon  pa- 
villon, les  vaisseaux  rentrer  dans  le  port.  J'ai  cru 
remarquer  plus  de  tumulte  qu'à  l'ordinaire.  Seroit- 
ce  que  nos  corsaires  auroient  fait  quelque  prise? 
Hassan. 
Il  y  a  long-temps  qu'ils  n'en  ont  fait,  et,  en 
vérité,  je  n'en  suis  pas  fâché.  Depuis  qu'un  chré- 
tien   m'a  délivré   d'esclavage   et   m'a  rendu  à  ma 
chère  Zayde,  il  m'est  impossible  de  les  haïr. 
Zayde. 
Et  pourquoi  les  haïr?  Parce  qu'ils  ne  connoissent 
pas  notre  saint  prophète?  Ne  sont-ils  pas  assez  à 
plaindre?  D'ailleurs  je  les  aime,   moi;  il  faut  que 
ce  soient  de  bonnes  gens,  ils  n'ont  qu'une  femme  ; 
je  trouve  cela  très-bien. 


SCÈNE    II  l8l 

Hassan,  souriant. 

Oui,  mais  en  récompense... 
Zayde. 

Quoi? 

Hassan. 

Rien.  [A  part.)  Pourquoi  lui  dire  cela?  C'est 
détruire  une  idée  agréable.  (^  Tout  haut.)  J'ai  fait 
vœu  d'en  délivrer  un  tous  les  ans.  Si  nos  gens 
avoient  fait  quelques  esclaves  aujourd'hui,  qui  est 
précisément  l'anniversaire  de  mon  mariage,  je 
croirois  que  le  Ciel  bénit  ma  reconnoissance. 
Zayde. 

Que  j'aime  votre  libérateur  sans  le  connoître! 
Je  ne  le  verrai  jamais,.,  je  ne  le  souhaite  pas  au 
moins. 

Hassan. 

Son  image  est  à  jamais  gravée  dans  mon  cœur. 
Quelle  âme!...  Si  vous  aviez  vu...  On  rachetoit 
quelques-uns  de  nos  compagnons;  j'étois  couché  à 
terre;  je  songeois  à  vous,  et  je  soupirois.  Un 
chrétien  s'avance  et  me  demande  la  cause  de  mes 
larmes.  «  J'ai  été  arraché,  lui  dis-je,  à  une  maî- 
tresse que  j'adore;  j'étois  près  de  l'épouser,  et  je 
mourrai  loin  d'elle,  faute  de  deux  cents  sequins,  » 
A  peine  eus-je  dit  ces  mots,  des  pleurs  roulèrent 
dans  ses  yeux.  «  Tu  es  séparé  de  ce  que  tu  aimes! 
dit-il;  tiens,  mon  ami,  voilà  deux  cents  sequins; 
retourne  chez  toi,  sois  heureux,  et  ne  hais  pas  les 


182  LE    MARCHAND    DE    SMYRNE 

chrétiens.  »  Je  me  lève  avec  transport,  je  retombe 
à  ses  pieds,  je  les  embrasse;  je  prononce  votre 
nom  avec  des  sanglots;  je  lui  demande  le  sien 
pour  lui  faire  remettre  son  argent  à  mon  retour. 
«  Mon  ami,  me  dit-il  en  me  prenant  par  la  main, 
j'ignorois  que  tu  pusses  me  le  rendre;  j'ai  cru  faire 
une  action  honnête  :  permets  qu'elle  ne  dégénère 
pas  en  simple  prêt,  en  échange  d'argent.  Tu  igno- 
reras mon  nom.  »  Je  restai  confondu,  et  il  m'ac- 
compagna jusqu'à  la  chaloupe,  où  nous  nous  sé- 
parâmes les  larmes  aux  jeux. 
Zayde. 

Puisse  le  ciel  le  bénir  à  jamais!  Il  sera  heureux, 
sans  doute,  avec  une  âme  si  sensible! 
Hassan. 

Il  étoit  près  d'épouser  une  jeune  personne  qu'il 
devoit  aller  chercher  à  Malte. 
Zayde. 

Comme  elle  doit  l'aimer! 


SCilNE  III. 

HASSAN,  ZAYDE,  FATMÉ. 

Zayde. 
Fatmé,  que  viens-tu  donc  nous  annoncer?  Tu 
parois  hors  d'haleine. 


SCÈNE    III  l83 

Fatmé. 
Il  vient  d'arriver  des  esclaves  chrétiens.  Cet  Ar- 
ménien dont  vous  êtes  fâché  d'être  le  voisin,  et 
que  vous  méprisez  tant  parce  qu'il  vend  des  hom- 
mes, en  a  acheté  une  douzaine,  et  en  a  déjà  vendu 
plusieurs. 

Hassan. 

Voici  donc  le  jour  où  je  vais  remplir  mon  vœu! 
J'aurai  le  plaisir  d'être  Ubérateur  à  mon  tour. 
Zayde. 
Mon  cher  Hassan ,  sera-ce  une  femme  que  vous 
délivrerez? 

Hassan,  souriant. 
Pourquoi?  Cela  vous  inquiète  ;  vous  craignez 
que  l'exemple... 

Zayde. 
Non,  je  suis  sans  alarmes.  J'espère  que  vous  ne 
me  donnerez  jamais  un  si  cruel  chagrin.  Vous  ne 
m'entendez  pas.  Sera-ce  un  homme? 
Hassan. 
Sans  doute. 

Zayde. 
Pourquoi  pas  une  femme? 
Hassan. 
C'est  un  homme  qui  m'a  délivré. 

Zayde. 
C'est  une  femme  que  vous  aimez. 


i8a  le  marchand  de  smyrne 

Hassan. 
Oui...  Mais,  Zayde,  un  peu  de  conscience.  Un 
pauvre  homme  en  esclavage  est  bien  malheureux; 
au  lieu  qu'une  femme,  à  Smyrne,  à  Constantinople, 
à  Tunis,   en  Alger,  n'est  jamais  à  plaindre.    La 
beauté  est  toujours  dans  sa  patrie.  Allons,  ce  sera 
un  homme  si  vous  voulez  bien. 
Zayde, 
Soit,  puisqu'il  le  faut. 

Hassan. 
Adieu.  Je  me  hâte  d'aller  chercher  ma  bourse; 
il  ne  faut  pas  qu'un  bon  musulman  paroisse  devant 
un  Arménien  sans  argent  comptant,  et  surtout  de- 
vant un  avare  comme  celui-là. 


SCÈNE  IV. 

ZAYDE,  FATMÉ. 

Zayde. 
Mon  mari  a  quelque  dessein,  ma  chère  Fatmé; 
il  me  prépare  une  fête.  Je  fais  semblant  de  ne  pas 
m*en  apercevoir,  comme  cela  se  pratique.  Je  veux 
le  surprendre  aussi,  moi.  J'entends  du  bruit  :  c'est 
sûrement  Kaled  avec  ses  esclaves.  Je  ne  veux  pas 
voir  ces  malheureux  :  cela  m'attendriroit  trop.  Suis- 
moi  et  exécute  fidèlement  mes  ordres. 


SCÈNE    V  l8S 


SCÈNE  V. 

KALED,     DORNAL,     AMÉLIE,     ANDRÉ; 
UN  ESPAGNOL,  UN  ITALIEN,  enchaînés. 

Kaled. 

Jamais  on  ne  s'est  si  fort  empressé  d'acheter  ma 
marchandise.  On  voit  bien  qu'il  y  a  long-temps 
qu'on  n'avoit  fait  d'esclaves;  il  falloit  qu'on  fût  en 
paix  :  cela  étoit  bien  malheureux. 

DORNAL. 

G  désespoir!  la  veille  d'un  mariage,  ma  chère 
Amélie! 

Kaled,  regardant  autour  de  lui. 

Qu'est-ce  que  c'est?  On  dit  qu'il  y  a  des  pays 
où  l'on  ne  connoît  point  l'esclavage...  Mauvais 
pays.  Aurois-je  fait  fortune  là?  J'ai  déjà  fait  de 
bonnes  affaires  aujourd'hui;  je  me  suis  débarrassé 
de  ce  vieil  esclave  qui  tiroit  de  ses  poches  de 
vieilles  médailles  de  cuivre  toutes  rouillées,  qu'il 
regardoit  attentivement.  Ces  gens-là  sont  d'une 
dure  défaite.  J'y  ai  déjà  été  pris.  Je  ne  suis  pas 
fâché  non  plus  d'être  délivré  de  ce  médecin  fran- 
çois.  Rentrons.   Avancez.    Qu'est-ce  qui  arrive? 

24 


l86  LE    MARCHAND     DE    SMYRNE 

c'est  Nébi;  il  a  l'air  furieux.  Seroit-il   mécontent 
de  son  emplette? 

SCÈNE  VI. 

LES  ACTEURS  PRÉCÉDENS,  NÉBI. 

NÉBI- 

Kaled,  je  viens  vous  déclarer  qu'il  faut  vous  ré- 
soudre à  reprendre  votre  esclave,  à  me  rendre  mon 
argent,  ou  à  paroître  devant  le  cadi. 
Kaled. 

Pourquoi  donc  ?  de  quel  esclave  parlez-vous  ? 
est-ce  de  cet  ouvrier,  de  ce  marchand?  Je  consens 
à  les  reprendre. 

NÉBI 

Il  s'agit  bien  de  cela!  Vous  faites  l'ignorant  : 
je  parle  de  votre  médecin  françois.   Rendez-moi 
mon  argent,  ou  venez  chez  le  cadi. 
Kaled. 

Comment?  Qu'a-t-il  donc  fait? 

NÉBI. 

Ce  qu'il  a  fait  ?  J'ai  dans  mon  sérail  une  jeune 
Espagnole,  actuellement  ma  favorite;   elle  est  in- 
commodée. Savez-vous  ce  qu'il  lui  a  ordonné? 
Kaled. 

Ma  foi,  non. 


SCÈNE    VI  187 

NÉBI. 

L'air  natal.  Cela  ne  m'arrange- 1- il  pas  bien, 
moi? 

Kaled. 

Eh!...  l'air  natal...  Quand  je  vais  dans  mon 
pays,  je  me  porte  bien. 

NÉBI. 

Quel  médecin  !  Apparemment  que  ses  malades  ne 
guérissent  qu'à  cinq  cents  lieues  de  lui  !  L'igno- 
rant! Il  a  bien  fait  d'éviter  ma  colère;  il  s'est  enfui 
dans  mes  jardins  :  mais  mes  esclaves  le  poursuivent 
et  vont  vous  l'amener.  Mon  argent,  mon  argent! 
Kaled. 

Votre  argent  ?  Oh  !  le  marché  est  bon  :  il  tiendra. 

NÉBI. 

Il  tiendra  !  Non ,  par  Mahomet  !  J'obtiendrai 
justice  cette  fois-ci.  Vous  vous  êtes  prévalu  du  be- 
soin que  j'avois  d'un  médecin.  C'est  bien  malgré 
moi  que  j'ai  eu  recours  à  vous;  mais  je  n'en  serai 
plus  la  dupe.  Vous  croyez  que  cela  se  passera 
comme  l'année  dernière,  quand  vous  m'avez  vendu 
ce  savant? 

Kaled. 

Quel  savant? 

.   NÉBI. 

Oui,  oui,  ce  savant  qui  ne  savoit  pas  distinguer 
du  maïs  d'avec  du  blé,  et  qui  m'a  fait  perdre  six 


l88  LE    MARCHAND    DE    SMYRNE 

cents  sequins  pour  avoir  ensemencé  ma  terre  sui- 
vant une  nouvelle  méthode  de  son  pays, 
Kaled. 
Eh  bien  !  est-ce  ma  faute,  à  moi?  Pourquoi  faites- 
vous  ensemencer  vos  terres  par  des  savans?  Est-ce 
qu'ils  y  entendent  rien?  N'avez-vous  pas  des  labou- 
reurs? Il  n'y  a  qu'à  les  bien  nourrir  et  les  faire 
travailler.  Regardez-le  donc  avec  ses  savans! 

NÉBI. 

Et  cet  autre  que  vous  m'avez  vendu  au  poids  de 
l'or,  qui  disoit  toujours  :  De  qui  est-il  fils?  de  qui 
est-il  fils?  et  quel  est  le  père,  et  le  grand-père,  et  le 
bisaïeuU  II  appeloit  cela,  je  crois,  être  généalo- 
giste. Ne  vouloit-il  pas  me  faire  descendre,  moi, 
du  grand  vizir  Ibrahim  ! 

Kaled. 

Voyez  le  grand  malheur!  Quel  tort  cela  vous 
fait-il?  Autant  vaut  descendre  d'Ibrahim  que  d'un 
autre. 

NÉBI. 

Vraiment,  je  le  sais  bien;  mais  le  prix... 
^Kaled. 

Eh  bien!  le  prix!  Je  vous  l'ai  vendu  cher.  Ap- 
paremment qu'il  m'avoit  aussi  coûté  beaucoup.  Il 
y  a  long-temps  de  cela;  je  n'étois  point  alors  au 
fait  de  mon  commerce.  Pouvois-je  deviner  que 
ceux  qui  me  coûtent  le  plus  sont  les  plus  inutiles  ? 


SCÈNE    VI  189 

NÉBI. 

Belle   raison!  Cela  est-il  vraisemblable?  est-il 
possible  qu'il    _y   ait    un   pays  où    l'on  soit  assez 
dupe...  Excuse  de  fripon,  excuse  de  fripon.  Je  ne 
m'étonne  pas  si  on  fait  des  fortunes. 
Kaled. 

Excuse  de  fripon!  des  fortunes!  Vraiment  oui, 
des  fortunes!  Ne  croit-il  pas  que  tout  est  profit? 
Et  les  mauvais  marchés  qui  me  ruinent?  N'ont-ils 
pas  cent  métiers  où  l'on  ne  comprend  rien?  Et 
quand  j'ai  acheté  ce  baron  allemand  dont  je  n'ai 
jamais  pu  me  défaire,  et  qui  est  encore  là-dedans 
à  manger  mon  pain?  Et  ce  riche  Anglois  qui  voya- 
geoit  pour  son  spleen,  dont  j'ai  refusé  cinq  cents 
sequins,  et  qui  s'est  tué  le  lendemain  à  ma  vue,  et 
m'a  emporté  mon  argent?  Cela  ne  fait-il  pas  sai- 
gner le  cœur?  Et  ce  docteur,  comme  on  l'appeloit, 
croyez-vous  qu'on  gagne  là-dessus  ?  Et,  à  la  dernière 
foire  de  Tunis,  n'ai-je  pas  eu  la  bêtise  d'acheter 
un  procureur  et  trois  abbés,  que  je  n'ai  pas  daigné 
exposer  sur  la  place,  et  qui  sont  encore  chez  moi 
avec  le  baron  allemand? 

NÉBI. 

Maudit  infidèle!  tu  crois  m'en  imposer  par  des 
clameurs;  mais  le  cadi  me  fera  justice. 
Kaled. 

Je  ne  vous  crains  pas;  le  cadi  est  un  homme 
juste,  intelligent,   qui  soutient  le  commerce,  qui 


190  LE    MARCHAND    DE    SMYRNE 

sait  très-bien  que  celui  des  esclaves  va  tomber, 
parce  que  tous  ces  gens-là  valent  moins  de  jour  en 
jour. 

NÉBI. 

Ah  çà!  une  fois,  deux  fois,  voulez-vous  repren- 
dre votre  médecin? 

Kaled. 
Non,  ma  foi. 

NÉBI. 

Eh  bien!  nous  allons  voir! 

Kaled. 
A  la  bonne  heure! 


SCÈNE  VII. 

KALED,  LES  ESCLAVES. 

Kaled,  aux  esclaves. 
Eh  bien  !  vous  autres,  vous  voyez  combien  on  a 
de  peine  à  vous  vendre.  Quel  diable  d'homme!  il 
m*a  mis  hors  de  moi.  Il  n'y  a  pas  d'apparence 
qu'il  me  vienne  d'acheteurs  aujourd'hui;  rentrons. 
Qui  est-ce  que  j'entends?  Est-ce  un  chaland? 


SCENE    VIII  I^I 


SCÈNE    VIII. 

UN   VIEILLARD   TURC, 
LES  ACTEURS    PRÉCÉDENS. 

Kaled. 
Bon!  ce  n'est  rien.  C'est  un  esclave  d'ici  près» 

Le  Vieillard. 
Bonjour,  voisin  :  est-ce  là  votre  reste? 

Kaled. 
Ne  m'arrête  pas,  tu  ne  m'achèteras  rien. 

Le  Vieillard. 
Je  n'achèterai  rien?  Oh!  vous  allez  voir. 

Kaled. 
Que  veut-il  dire? 

DoRNAL,  à  part. 
Je  tremble. 

Le  Vieillard. 
Avez-vous  bien  des  femmes?  C'est  une  femme 
que  je  veux. 

Kaled. 
Quel  gaillard,  à  son  âge! 

Le  Vieillard. 
Eh  !  il  n'y  en  a  qu'une? 

Kaled. 
Encore  n'est-elle  pas  pour  toi. 


192  le  marchand   de   smyrne 

Le  Vieillard. 
Pourquoi  donc  cela? 

Kaled. 
Je  l'ai  refusée  à  de  plus  riches. 
Le  Vieillard. 
Vous  me  la  vendrez. 

Kaled. 
Oui  !  oui  ! 

DORNAU 

Seroit-il  possible!  Quoi!  ce  misérable... 

Le  Vieillard. 
Combien  vaut-elle? 

Kaled. 
Quatre  cents  sequins. 

Le  Vieillard. 
Quatre  cents  sequins  !  C'est  bien  cher. 

Kaled. 
Oh  !  dame  !  c'est  une  Françoise  :  cela  se  vend 
bien;  tout  le  monde  m'en  demande. 
Le  Vieillard. 
Voyons-la. 

Kaled. 
Oh!  elle  est  bien. 

Le  Vieillard. 
Elle  baisse  les  yeux,  elle  pleure,  elle  me  touche. 
C'est  pourtant  une  chrétienne  :  cela  est  singulier. 
Trois  cent  cinquante! 


SCENE    VIII  lû3 

Kaled 
Pas  un  de  moins. 

Le  Vieillard. 
Les  voilà. 

Kaled. 
Emmenez. 

DORNAL. 

Arrêtez...  O  ma  chère  Amélie! 
Kaled. 

Ne  vas-tu  pas  m'empêcher  de  vendre?  Vraiment, 
je  n'aurai  pas  assez  de  peine  à  me  défaire  de  toi  ! 
Vous  autres  François,  les  maris  de  ce  pays-ci  ne 
vous  achètent  point.  Vous  êtes  toujours  à  rôder 
autour  des  sérails,  à  risquer  le  tout  pour  le  tout. 

DoRNAL. 

Vieillard,  vous  ne  paroissez  pas  tout  à  fait  in- 
sensible; laissez-vous  toucher.  Peut-être  avez-vous 
une  femme,  des  enfants? 

Le  Vieillard. 
Moi,  non. 

Dornal. 

Par  tout  ce  que  vous  avez   de  plus  cher,   ne 
îious  séparez  pas!  C'est  ma  femme. 
Le  Vieillard. 
Sa  femme?  Cela  est  fort  différent;  mais,   vrai- 
ment, Kaled,  si  c'est  sa  femme,  vous  me  surfaites. 
Dornal. 
Pour  toute  grâce,  achetez-moi  du  moins  avec 
elle. 

Chamfort.  II.  2  5 


194  le  marchand    de  smyrne 

Le  Vieillard. 
Hélas!  mon  ami,  je  le  voudrois  bien;  mais  je 
n'ai  besoin  que  d'une  femme. 

DORNAL. 

Je  vous  servirai  fidèlement. 

Le  Vieillard. 
Tu  me  serviras!  Je  suis  esclave. 

Kaled. 
Est-ce  que  tu  les  écoutes? 
André. 
Mes  pauvres  maîtres! 

Amélie. 
O  mon  ami,  quel  sort! 

Dornal. 
Ne  l'achetez  pas.  Quelque  homme  riche  nous 
achètera  peut-être  ensemble. 

Le  Vieillard. 
C'est  bien  ce  qui  pourroit  t'arriver  de  pis  :  il 
t'en  feroit  le  gardien. 

Dornal,  à  Kaled. 
Ne  pouvez-vous  différer  de  quelques  jours? 

Kaled. 
Différer!  On  voit  bien  que  tu  n'entends  rien  au 
commerce.    Est-ce  que  je  le  puis?  Je  trouve  mon 
profit,  je  le  prends. 

Dornal. 
O  Ciel!   se  peut-il?...  Mais  que  dirai-je  pour 


SCÈNE    VIII  1q5 

attendrir  un  pareil  homme?  Quel  métier!  quelles 
âmes!  Trafiquer  de  ses  semblables.! 

Kaled. 

Que  veut-il  donc  dire?  Ne  vendez-vous  pas  des 
nègres?  Eh  bien!  moi,  je  vous  vends...  N'est-ce 
pas  la  même  chose?  Il  n'y  a  jamais  que  la  diffé- 
rence du  blanc  au  noir. 

Le  Vieillard. 
En  vérité,  je  n'ai  pas  le  courage... 

Kaled. 
Allons,  toi,  ne  vas-tu  pas  pleurer  aussi?  Je  garde 
ton  argent;  emmène  ta  marchandise,  si  tu  veux. 
Il  se  fait  tard. 

Amélie. 
Adieu,  mon  cher  Dornal  ! 

DORNAL. 

Chère  Amélie  ! 

Amélie. 
Je  n'y  survivrai  pas  ! 

Kaled. 
Cela  ne  me  regarde  plus. 

Dornal. 
J'en  mourrai. 

Kaled. 
Tout  doucement,  toi,  je  t'en  prie  :  ce  n'est  pas 
là  mon  compte.  (Repoussant  Dornal.)  Ne  vas-tu 
pas  faire  comme  l'Anglois? 


196  LE    MARCHAND     DE    SMYRNE 

DORNAL. 

Ah!  Dieu!  faut-il  que  je  sois  enchaîné!... 

André. 
O  ma  chère  maîtresse! 


SCÈNE  IX. 

KALED,  DORNAL,  ANDRÉ,  L'ESPAGNOL, 
L'ITALIEN. 

Kaled. 
M'en  voilà  quitte  pourtant-  Je  suis  bien  heureux 
d'avoir  un  cœur  dur;  j'aurois  succombé.  Ma  foi, 
sans  son  argent  comptant,  il  ne  l'auroit  jamais 
emmenée,  tant  je  m'en  sentois  ému.  Diable!  si  je 
m'étois  attendri,  j'aurois  perdu  quatre  cents  se- 
quins.  [Il  compte  ses  esclaves.)  Un,  deux...  Il  n'y 
en  a  plus  que  quatre.  Oh!  je  m'en  déferai  bien. 


SCÈNE    X. 

LES  ACTEURS  PRÉCÉDENS,  HASSAN, 

Hassan  ,  à  Kaled. 
Eh  bien  !  voisin,  comment  va  le  commerce? 


SCENE    X  197 

Kaled. 
Fort   mal,    le   temps   est  dur.  [A  part.)   Il  faut 
toujours  se  plaindre. 

Hassan. 
Voilà  donc  ces  pauvres  malheureux  !  Je  ne  puis 
les  délivrer  tous  :  j'en  suis  bien  fâché.  Tâchons  au 
moins  de  bien  placer  notre  bonne  action.  C'est  un 
devoir  que  cela,  c'est  un  devoir.  [A  l'Espagnol.) 
De  quel  pays  es-tu,  toi?  Parle.  Tu  as  l'air  bien 
haut...  Parle  donc... 

L'Espagnol, 
Je  suis  gentilhomme  espagnol. 

Hassan. 
Espagnols  !  braves  gens  !  un  peu  fiers,  à  ce  qu'on 
m'a  dit  en  France...  Ton  état.»* 
L'Espagnol. 
Je  vous  l'ai  déjà  dit  :  gentilhomme. 

Hassan. 
Gentilhomme  !  je  ne  sais  pas  ce  que  c'est.  Que 
fais-tu  ? 

Hassan. 
Rien. 

Hassan. 
Tant  pis  pour  toi,  mon  ami;  tu  vas  bien  t'en- 
nuyer.  [A  Kaled.)  Vous  n'avez  pas  fait  une  trop 
bonne  empiète. 

Kaled. 

Ne  voilà-t-il  pas  que  je  suis  encore  attrapé  ? 


1^8  LE    MARCHAND    d£    SMYRNE 

Gentilhomme,  c'est  sans  doute  comme  qui  diroit 
baron  allemand.  C'est  ta  faute  aussi  :  pourquoi 
vas-tu  dire  que  tu  es  gentilhomme?  Je  ne  pourrai 
jamais  me  défaire  de  toi. 

Hassan,  à  V Italien. 
Et  toi,  qui  es-tu   avec   ta  jaquette  noire?  Ton 

pays? 

L'Italien. 

Je  suis  de  Padoue. 

Hassan. 

Padoue?  Je  ne  connois  pas  ce  pays-là...  Ton 

métier? 

L'Italien. 

Homme  de  loi. 

Hassan. 
Fort  bien.  Mais  quelle  est  ta  fonction  particu- 
lière ? 

L'Italien. 

De  me  mêler  des  affaires  d'autrui  pour  de  l'ar- 
gent, de  faire  souvent  réussir  les  plus  désespérées, 
ou  du  moins  de  les  faire  durer  dix  ans,  quinze  ans, 

vingt  ans. 

Hassan. 

Bon  métier  !  et  dis-moi,  rends-tu  ce  beau  service 
à  ceux  qui  ont  tort,  à  ceux  qui  ont  raison,  indiffé- 
remment ? 

L'Italien. 

Sans  doute;  la  justice  est  pour  tout  le  monde. 


SCENE    X  199 

Hassan,  riant. 
Et  on  souffre  cela  à  Padoue  ? 

L'Italien. 
Assurément. 

Hassan. 
Le  drôle  de  pays  que  Padoue  !    Il   se  passera 
bien  de  toi,  je  m'imagine.  {A  André.)  Et  toi,  qui 
es-tu? 

André. 
Moins  que  rien.  Je  suis  un  pauvre  homme, 

Hassan. 
Tu  es  pauvre  ?  Tu  ne  fais  donc  rien  ? 

André. 
Hélas  !  je  suis  fils  d'un  paysan  :  je  l'ai  été  moi- 
même. 

Kaled. 
Bon!  c'est  sur  ceux-là  que  je  me  sauve. 

André. 
Je  me  suis  ensuite  attaché  au  service  d'un  bon 
maître,  mais  qui  est  plus  malheureux  que  moi. 
Hassan. 
Cela  se  peut  bien  :  il  ne  sait  peut-être  pas  la- 
bourer la  terre.  Mais  c'est  l'habit  françois  que  tu 
as  là? 

'  André. 
Je  le  suis  aussi. 

Hassan. 
Tu  es  François  !  Bonnes  gens  que  les  François  ! 


200  LE    MARCHAND     DE    SMYRNE 

Ils  ne  haïssent  personne.  Tu  es  François,  mon  ami  f 
Il  suffit,  c'est  toi  qu'il  faut  que  je  délivre. 
André. 
Généreux  musulman,  si  c'est  un  François  que 
vous  voulez  délivrer,  choisissez  quelque  autre  que 
moi.  Je  n'ai  ni  père,  ni  mère,  ni  femme,  nienfans; 
j'ai  l'habitude  du  malheur  :   ce  n'est  pas  moi  qui 
suis  le  plus  à  plaindre.  Délivrez  mon  pauvre  maître. 
Hassan. 
Ton  maître!    Qu'est-ce  que  j'entends?  Quelle 
générosité!  Quoi!...  Ces  François...  Mais  est-ce 
qu'ils  sont  tous  comme  cela?...  Et  où  est-il,  ton 
maître  ? 

André,  lui  montrant  Dornal. 
Le  voilà  :  il  est  abîmé  dans  sa  douleur, 

Hassan. 
Qu'il  parle  donc!  Il  se  cache,  il  détourne  la  vue, 
il  garde  le  silence.   [Hassan  avance,   le  considère 
malgré  lui.)  Que  vois-je!  est-il  possible!  je  ne  me 
trompe  pas.   C'est  lui,  c'est  lui-même;  c'est   mon 
libérateur!  (7/  Vembrasse  avec  transport.) 
Dornal. 
O  bonheur!  ô  rencontre  imprévue! 

Kaled. 
Comme  ils  s'embrassent  !  Il  l'aime  :  bon  !  il  le 
payera. 

Hassan. 
Je  n'en  revienspoint.  Mon  ami  !  mon  bienfaiteur  ! 


SCENE    X  20r 

Kaled. 

Peste!  un  ami,  un  bienfaiteur!  Cela  doit  bien  se 
vendre,  cela  doit  bien  se  vendre. 
Hassan 

Mais,  dites-moi  donc ,  comment  se  fait-il?... 
par  quel  bonheur?...  Qu'est-ce  que  je  dis?  La  tête  me 
tourne.  Quoi!  c'est  envers  vous-même  que  je  puis 
m'acquitter?  J'ai  fait  vœu  de  délivrer  tous  les  ans 
un  esclave  chrétien:  je  venois  pour  remplir  mon 
vœu,  et  c'est  vous... 

DORNAL. 

O  mon  ami!  connoissez  tout  mon  malheur. 

Hassan. 
Du  malheur  !    il  n'y  en  a  plus  pour  vous.   (  Se 
tournant  du  côté  de  Kaled.)   Kaled,  combien  vous 
dois-je  pour  l'emmener? 

Kaled. 
Cinq  cents  sequins. 

Hassan. 
Cinq  cents  sequins...    Kaled,  je  ne  marchande 
point  mon  ami;  tenez. 

Dornal. 
Quelle  générosité  ! 

Hassan,  à  Kaled. 
Je  vous  dois  ma  fortune,  car  vous  pouviez  me 
la  demander. 

Kaled. 
Que  je  suis  une  grande  bête!  Bonne  leçon. 

26 


202  le  marchand  de  smyrne 

Hassan. 
Laissez-nous  seulement,  je  vous  prie  :    que  je 
jouisse  des  embrassemens  de  mon  bienfaiteur. 
Kaled. 
Oh!  cela  est  juste,  cela  est  juste.  Il  est  bien  à 
vous.  Allons,  vous  autres,  suivez-moi. 
André  ,  à  Dornal. 
Adieu,  mon  cher  maître. 

Dornal. 
(A  André.)  Que  dis-tu?  peux-tu  penser?...  (^4 
Hassan.)  Mon  cher  ami,  ce  pauvre  malheureux, 
vous  avez  vu  s'il  m'est  attaché,  s'il  est  fidèle,  s'il  a 
un  cœur  sensible! 

Hassan. 
Sans  doute,  sans  doute;  il  faut  le  racheter. 

Kaled. 
Quel  homme!  comme   il    prodigue  l'or!    Si  je 
profitois  de  cette  occasion  pour  faire  délivrer  mon 
baron  allemand...  Mais  il  ne  voudra  pas. 
Hassan. 
Tenez,  Kaled. 

Kaled,  regardant  les  sequins. 
En  vérité,  voisin,  cela  ne  suffit  pas! 

Hassan. 
Comment  !   cent  sequins  ne  suffisent   pas  ?  Un 
domestique,,. 


SCÈNE    X  2o3 

Kaled. 
Eh!  mais...  un  domestique...  Après  tout,  c'est 
un  homme  comme  un  autre. 
Hassan. 
Bon  !  voilà  de  la  morale  à  présent. 

Kaled. 
Et  puis  un  valet  fidèle,  qui  a  un  cœur  sensible, 
qui  travaille,   qui  laboure  la   terre,   qui  n'est  pas 
gentilhomme...  En  conscience... 

Hassan,  donnant  quelques  sequins. 
Allons,  laissez-nous.  Qu'attendez-vous?  qu'est- 
ce  que  vous  voulez? 

Kaled.  ^ 
Voisin,  c'est  que  j'ai  chez  moi  un  pauvre  malheu- 
reux; un  brave  homme,  qui  est  au  pain  et  à  l'eau 
depuis  trois  ans;  cela  fend  le  cœur  :  cela  s'appelle 
un  baron  allemand.  Vous  qui  êtes  si  bon,  vous  de- 
vriez bien... 

Hassan. 
Je  ne  puis  pas  délivrer  tout  le  monde. 

Kaled. 
A  moitié  perte. 

Hassan. 
Cela  est  impossible. 

Kaled. 
Quand  je  disois  que  cet  homme-là  me  resteroitî 
Oh  !  si  jamais  on  m'y  rattrape...   Allons,  homme 


204  ^^    MARCHAND    DE    SMYRNE 

de  loi,  gentilhomme,  rentrez  là-dedans;  allez  vous 
coucher,  il  faut  que  je  soupe. 


SCÈNE  XL 

HASSAN,  DORNAL. 

Hassan. 
Mon  cher  ami,  que  je  vous  présente  à  ma  femme. 
Savez-vous  que  je  suis  marié!  C'est  à  vous  que  je 
le  dois.  Et  vous,  cette  jeune  personne  que  vous 
deviez  aller  chercher  à  Malte? 
Dornal. 
Je  l'ai  perdue. 

Hassan. 
Que  dites-vous? 

Dornal. 
Je  l'emmenois  à  Marseille  pour  l'épouser  :  elle 
a  été  prise  avec  moi. 

Hassan. 
Eh  bien!  est-ce  l'Arménien  qui  l'a  achetée? 

Dornal. 
Oui. 

Hassan. 
Courons  donc  vite. 

Dornal. 
Il  n'est  plus  temps  :  le  barbare  l'a  vendue. 


SCÈNE    XI  2o5 

Hassan. 
A  qui  ? 

DORNAL. 

Je  l'ignore.  Un  esclave  de  quelque  homme  riche 
l'a  arrachée  de  mes  bras. 

Hassan. 
Ah!  malheureux!  c'est  peut-être  pour  quelque 
pacha.  Est-elle  belle? 

Dornal. 
Si  elle  est  belle  ! 


SCÈNE  XII. 

LES  ACTEURS  PRÉCÉDENS,  ZAYDE. 

Zayde. 
Mon  ami,  vous  me  laissez  bien  long-temps  seule. 
Et  votre  esclave  chrétien  ? 

Hassan. 
Mon  esclave!  c'est  mon  ami,  c'est  mon  libéra- 
teur que  je  vous  présente.  J'ai  eu  le  bonheur  de  le 
délivrer  à  mon  tour. 

Zayde. 
Étranger,  je  vous  dois  le  bonheur  de  ma  vie. 


20b  LE    MARCHAND    DE     SMYRNE 

SCÈNE  XIII. 

LES  ACTEURS   PRÉCÉDENS,    FATMÉ. 

Fatmé. 
Est-il  temps?  Ferai-je  entrer? 

Zayde. 
Oui,  tu  peux  . 

SCÈNE   XIV. 

ZAYDE,   HASSAN,   DORNAL. 

Hassan. 
Quel  est  ce  mystère  ? 

Zayde. 
Mon  ami,  vous  m'avez  tantôt  soupçonnée  de 
jalousie;  je  vais  vous  prouver  ma  confiance.  Je  me 
suis  servie  de  vos  bienfaits  pour  acheter  une  esclave 
chrétienne;  je  venois  vous  la  présenter,  afin  qu'elle 
tînt  sa  liberté  de  vos  mains. 


SCENE    XV    ET     DERNIERE  20' 


SCÈNE  XV   ET  DERNIÈRE. 

HASSAN,    ZAYDE,    DORNAL,    FATMÉ, 

UNE  Esclave  chrétienne  vêtue  en  musulmanej  avec 

un  voile  sur  la  tête, 

Zayde . 
La  voici.  Voyez  le  spectacle  le  plus  intéressant: 
la  beauté  dans  la  douleur. 

Hassan  s'approche  et  lève  le  voile, 
Qu'ell'e  est  touchante  et  belle! 

Dornal. 

Amélie  I  Ciel  !   (  //  vole  dans  ses  bras.) 

Amélie  ,  avec  joie. 
Que  vois-je!  mon  cher  Dornal! 

Dornal. 

Ma  chère  Amélie,  vous  êtes  libre!  je  le  suis 
aussi.  Vous  êtes  auprès  de  votre  bienfaitrice,  de 
mon  libérateur.  (//  saute  au  cou  de  Hassan,  et  veut 
ensuite  embrasser  Zayde,  qui  recule  avec  modestie.  ) 

Hassan,  à  Dornal. 
Embrassez  !   embrassez  !  il  est  honnête,  ce  trans- 
port-là. (A  Zayde,  qui  reste  confuse.)    Ma  chère 
amie,  c'est  la  coutume  de  France. 


2o8  LE    MARCHAND     DE    SMYRNE 

Amélie  ,  à  Zayde. 
Madame,  je  vous  dois  tout!    Que   ne  puis-je 
vous  donner  ma  vie  ! 

Zayde. 
C'est  à  moi  de  vous  rendre  grâces.  Vous  ne  me 
devez  que  votre  liberté,  et  je  dois  à  votre  époux 
la  liberté  du  mien. 

Amélie. 
Quoi  !  c'est  lui! 

Hassan. 
Oh  !  cela  est  incroyable  !  A  propos,  vous  n'êtes 
point  mariés? 

DORNAL. 

Vraiment,  non  :  nous  ne  le  serons  qu'à  notre 
retour.   Une   de  ses  tantes  nous   accompagnoit  : 
elle  est  morte  dans  la  traversée. 
Hassan. 

Vite,  vite,  un  cadi,  un  cadi  ! . . .  Ah  !  mais,  à  pro- 
pos, on  ne  peut  pas. . .  C'est  cet  habit  qui  me  trompe. 

Dornal. 
Ma  chère  petite  musulmane,  quand  serons-nous 
en  terre  chrétienne!  Ah!  mon  Dieu,   nos  pauvres 
compagnons  d'infortune  ! 

Hassan. 
Si  j'étois  assez  riche. . .  Mais,  après  tout,  l'homme 
de  loi,  et  cet  autre,  cela  ne  doit  pas  coûter  cher, 
n'est-ce  pas."* 


SCENE    XV     ET    DERNIERE  209 

DORNAL. 

Ah!  mon  Dieu,  non!  Nous  les  aurons  à  bon 
marché. 

Fatmé. 

Ah  !  c'est  bien  vrai.  Je  viens  de  rencontrer 
l'Arménien;  tout  ce  qu'il  demande,  c'est  de  les 
vendre  au  prix  coûtant. 

DORNAL. 

D'ailleurs,  moi,  je  suis  riche,  et  je  prétends 
bien... 

Hassan. 

Allons,  délivrons-les.  {A  Fatmé.)  Va  les  cher- 
cher. Qu'ils  partagent  notre  joie,  qu'ils  soient 
heureux  et  qu'ils  nous  pardonnent  de  porter  un 
doliman  au  lieu  d'un  justaucorps. 

{Fatmé  amène  l'Arménien,  suivi  des  esclaves  qui  ont 
paru  dans  la  pièce  et  de  ceux  dont  il  y  est  parlé. 
Ils  forment  un  ballet  et  témoignent  leur  recon- 
noissance  à  Zayde,  à  Hassan  et  à  Dornal.) 


Chamfort.  II. 


■■  I 


lif^#5Si 


LETTRES  DIVERSES 


LETTRE   PREMIÈRE. 

A   Madame  de... 

Ie  me  suis  douté,  Madame,  en  rece- 
vant votre  billet  et  avant  de  l'ouvrir, 
qu'il  m'arrivoit  malheur,  et  c'étoit 
pour  moi  une  nouveauté  d'ouvrir  un 
billet  de  vous  avec  chagrin.  Je  comptois  faire  ce 
soir  mon  entrée  dans  mon  nouvel  établissement 
d'Auteuil  ;  mais,  ayant  différé  de  deux  jours  pour 
vous  faire  ma  cour  avant  mon  départ,  il  faut  bien 
que  je  diffère  de  deux  autres  pour  que  les  deux 
premiers  ne  soient  pas  perdus.  Je  crois  ce  senti- 
ment-là plus  honnête  que  celui  qui  fait  recourir 
les  joueurs  après  leur  argent;  mais,  dans  le  fond, 
il  est  à  peu  près  du  même  genre. 


212  LETTRES     DIVERSES 

Ce  sont  plusieurs  de  mes  amis  qui  sont  cause 
que  je  viens  me  cacher  quelque  temps  à  la  cam- 
pagne dans  un  assez  mauvais  temps.  Croirez-vous 
que  c'est  pour  travailler,  pour  finir  ces  épîtres  de 
Ninon  '  sur  lesquelles  on  ne  cesse  de  m'impatien- 
ter?  N'est-il  pas  ridicule  d'aller  vivre  sagement 
pour  écrire  des  folies?  Etre  fou  de  sang-froid  ou 
par  réminiscence,  cela  n'est-il  pas  bizarre?  Voilà 
l'inconvénient  de  dire  à  ses  amis  les  choses  sur  les- 
quelles on  travaille.  On  ne  m'y  reprendra  plus. 
Être  exposé  à  finir  ce  que  je  commence,  à  mettre  de 
Tordre  dans  mes  caprices,  cela  me  paroît  un  peu 
dur,  et  je  n'en  serai  plus  la  dupe. 

Je  ne  vous  parle  plus,  Madame,  de  mon  res- 
pect ni  de  ma  tendre  amitié,  qui  dureront  autant 
que  moi. 


LETTRE  IL 
A 

Voilà  donc,  mon  ami,  comme  vous  vous  con- 
duisez, vous  que  je  croyois  la  raison,  la  prudence, 


I.  Ces  épîtres  ont  été  égarées,  ainsi  que  d'autres  papiers, 
à  la  mort  de  l'auteur.  Cette  perte  est  probablement  sans 
ressource,  car  les  recherches  les  plus  exactes  n'ont  pu  nous 
les  procurer.  (^Note  du  premier  éditeur.) 


I 


LETTRES     DIVERSES  2l3 

la  sagesse  même!  A  qui  se  fier  après  ce  que  je 
sais  de  vous,  et  sur  qui  compter  désormais?  On 
vous  ordonne  la  plus  grande  modération  dans 
l'usage  de  la  pensée,  et  madame  M...  m'a  dit 
qu'elle  avoit  reçu  de  vous  une  lettre  charmante  et 
pleine  d'esprit  :  ce  sont  ses  termes;  je  n'exagère 
rien,  et  je  suis  bien  éloigné  de  vous  chercher  des 
torts.  Vous  ne  pouvez  pas  la  récuser  non  plus. 
Elle  vous  aime,  elle  a  de  la  candeur  et  est  à 
mille  lieues  de  toute  espèce  de  médisance,  à  plus 
forte  raison  de  calomnie. 

Une  lettre  charmante  et  pleine  d'esprit!  Est-il 
possible  ?  Quoi!  c'est  vous  qui  vous  permettez  de 
pareils  excès!  On  est  tranquille  sur  votre  compte, 
et  tout  d'un  coup  voilà  une  infraction  de  régime 
qui  vient  effrayer  vos  amis.  Si  madame  M...  eût 
dit  simplement  une  lettre  charmante,  je  dirois  : 
«Cela  peut  se  passer;  peut-être  le  mal  n'est-il  pas 
si  grand  qu'on  le  fait.   «  Vingt  fois  j'ai  entendu 
dire  :  «  C'est  un  ouvrage  charmant  »,  et,  à  la  lec- 
ture, j'ai  vu  que  rien  n'étoit  plus  faux;  mais  pleine 
d'esprit  !  C'est  là  ce  qui  est  une  faute  absolument  im- 
pardonnable. Je  ne  vous  cache  pas  que  je  me  crois 
oblige  d'en  faire  avertir  M.  Tronchin,  qui  ne  plai- 
sante point  dans  ces  cas-là,  et  qui  saura  vous  en 
dire  son  avis.  De  l'esprit!  Vous  n'ignorez  pas  com- 
bien la  pensée  est  nuisible  à  l'homme;  que,  par 
cette  raison,  il  n'y  a  presque  point  d'homme  qui 


214  LETTRES     DIVERSES 

pense  la  vingtième  partie  de  sa  vie;  que  vous- 
même,  pour  avoir  pensé  seulement  la  moitié  de  la 
vôtre,  vous  vous  en  trouvez  très-mal.  Et  voilà  que 
non-seulement  vous  pensez,  mais  même  vous  osez 
avoir  de  l'esprit!  Vous  savez  qu'en  pleine  santé 
même  il  ne  fait  pas  sûr  de  se  donner  cette  licence; 
que  l'esprit  entraîne  de  grands  inconvéniens  à  la 
ville,  à  la  cour;  et  c'est  vous...  Je  n'en  reviens 
pas.  Bon  Dieu!  à  quoi  sert  la  philosophie?  Je  ne 
m'y  connois  point,  mais  je  soupçonne  qu'il  y  a 
entre  penser  et  avoir  de  l'esprit  la  même  diffé- 
rence qu'il  y  a  entre  marcher  et  courir;  et,  si  cela 
est  vrai,  jugez  combien  vous  êtes  coupable. 

Vous  allez  me  répliquer  que  vous  avez  beaucoup 
d'amitié  pour  madame  M...;  qu'au  moment  où 
vous  avez  pris  la  plume  pour  répondre  à  sa  lettre, 
le  sentiment  a  éveillé  l'esprit  chez  vous.  Je  sais 
qu'il  y  en  a  des  exemples,  que  ce  genre  d'esprit  est 
le  meilleur,  le  plus  rare  et  le  plus  aimable,  et  que 
vous  pouvez  être  dans  ce  cas;  mais,  de  bonne 
foi,  pensez- vous  que  cette  excuse  me  rassure  et 
me  satisfasse  ?  D'abord  il  s'agiroit  de  savoir  si 
M.Tronchin  vous  permet  le  sentiment.  Cela  m'é- 
tonneroit  beaucoup  dans  un  médecin  aussi  habile 
et  qui  connoît  si  bien  la  nature.  Je  doute  très-fort 
qu'il  vous  ait  rien  prononcé  là-dessus,  et  vous 
êtes  trop  honnête  pour  le  compromettre  avec  la 
Faculté.  On  sait  assez  que  le  sentiment  est  presque 


LETTRES     DIVERSES  2l5 

aussi  malsain  que  l'esprit,  et,  quoiqu'on  soît  dans 
l'habitude  de  le  contrefaire  et  de  le  jouer  encore 
davantage ,  parce  que  la  chose  est  beaucoup  plus 
facile,  vous  voyez  que,  dans  le  vrai,  on  se  le  per- 
met assez  rarement.  Il  est  donc  clair,  mon  cher 
ami,  que  votre  excuse  ne  seroit  qu'une  défaite; 
et,  au  fond,  je  ne  vois  pas  comment  vous  vous  en 
tirerez. 

La  faute  où  vous  venez  de  tomber  d'une  façon 
si  humiliante  m'a  fait  revenir  sur  le  passé,  comme 
il  arrive  en  pareil  cas ,  et  je  me  suis  rappelé  que 
les  deux  dernières  fois  que  j'ai  eu  le  plaisir  de  vous 
voir  il  s'en  falloit  bien  que  vous  ne  fussiez  net , 
et  même  je  me  souviens  de  quelques  réflexions  un 
peu  vigoureuses  ou  piquantes  qui  doivent  néces- 
sairement prendre  sur  la  machine.  J'ai  songé  alors 
que  vous  étiez  assez  mal  environné,  que  mademoi- 
selle Thomas,  outre  son  esprit,  ayant  encore  celui 
qui  naît  du  sentiment,  peut  très-fréquemment  re- 
doubler chez  vous  les  crises  de  ces  deux  facultés,  ce 
qui  ne  sauroit  manquer  de  vous  faire  beaucoup  de 
tort.  Il  ne  faut  pas  croire  que  je  sois  non  plus  sans 
inquiétude  sur  M.  Ducis.  Ceux  qui  ne  connoissent 
que  son  talent  tragique  ne  savent  pas  à  quel  point 
il  est  dangereux  pour  vous,  et  de  combien  de  fa- 
çons il  peut  vous  nuire  par  sa  conversation  forte, 
animée  et  attachante.  Vous  ne  connoissez  point, 
je  crois,  madame  Helvétius;  je  sais,  du  moins,  que 


2l6  LETTRES     DIVERSES 

VOUS  n'allez  point  chez  elle.  J'en  suis  enchanté 
pour  vous... 

LETTRE  III. 


20  août  I  765. 

Je  crois  assez  connoître  votre  âme,  mon  cher 
ami,  pour  pouvoir  vous  donner  des  conseils  utiles 
à  votre  bonheur.  Garantissez-vous  de  tout  senti- 
ment vif  et  profond.  J'ai  remarqué  que  toutes  les 
fois  que  vous  êtes  vivement  affecté  de  quelque 
chose  vous  tombez  dans  un  chagrin  qui  n'est  point 
cette  douce  mélancolie  si  délicieuse  pour  ceux 
qui  l'éprouvent.  De  plus,  les  travaux  rendent  la 
gaieté  nécessaire  à  votre  santé.  Quand  un  senti- 
ment profond  vous  rendroit  heureux,  du  moins 
est-il  certain  qu'il  ne  vous  délasseroit  pas,  et  vous 
avez  besoin  d'être  délassé.  Ne  craignez  pas  de  per- 
dre par  là  cette  sensibilité  nécessaire  à  l'homme  de 
lettres;  vous  en  avez  reçu  une  trop  grande  dose  : 
rien  ne  peut  l'épuiser.  La  lecture  des  excellens 
livres  l'entretiendra  davantage,  sans  exposer  votre 
âme  à  ces  secousses  violentes  qui  l'accablent  lors- 
que des  nœuds  qui  nous  étoient  chers  viennent  à  .j 
se  briser. 

Ne  donnez  jamais  à  personne  aucun  droit  sur 


LETTRES     DIVERSES  217 

VOUS.  La  roideur  de  votre  caractère  pouvant,  par 
la  suite,  vous  forcer  à  cesser  de  les  voir,  vous  au- 
rez l'air  de  l'ingratitude.  Tenez  tout  le  monde 
poliment  à  une  grande  distance;  prosternez-vous 
pour  refuser.  Je  crois  àTamitié,  je  crois  à  l'amour 
(cette  idée  est  nécessaire  à  mon  bonheur);  mais  je 
crois  encore  plus  que  la  sagesse  ordonne  de  re- 
noncer à  l'espérance  de  trouver  une  maîtresse  et 
un  ami  capables  de  remplir  mon  cœur.  Je  sais  que 
ce  que  je  vous  dis  fait  frémir;  mais  telle  est  la  dé- 
pravation humaine  ,  telles  sont  les  raisons  que  j'ai 
de  mépriser  les  hommes,  que  je  me  crois  tout  à 
fait  excusable. 

Si  quelqu'un  étoit  naturellement  ce  que  je  vous 
conseille  d'être,  je  le  fuirois  de  tout  mon  cœur. 
Est- on  privé  de  sensibilité,  on  inspire  un  senti- 
ment qui  ressemble  à  l'aversion;  est-on  trop  sen- 
sible, on  est  malheureux.  Quel  parti  prendre?  Ce- 
lui de  réduire  l'amour  au  plaisir  de  satisfaire  un 
besoin  spontané,  en  se  permettant  tout  au  plus 
quelque  préférence  pour  tel  ou  tel  objet.  Réduire 
l'amitié  à  un  sentiment  de  bienveillance  propor- 
tionné au  mérite  de  chacun,  c'est  le  parti  que  prit 
Fontenelle,  qui  avoit  toujours  les  jetons  à  la  main. 
Vous  êtes  né  honnête  :  je  suis  sûr  que  vous  ne 
pousserez  pas  cette  défiance  trop  loin.  Tout  ceci 
se  réduit  à  dire  que  votre  âme  ne  doit  jamais  être 
inséparablement   attachée  à   l'âme    de    personne , 

28 


21(5  LETTRES     DIVERSES 

qu'il  faut  apprécier  tout  le  monde  et  remplir  tous 
les  devoirs  de  l'honnête  homme,  et  même  de 
l'homme  vertueux,  d'après  des  idées  justes  et  dé- 
terminées, plutôt  que  d'après  des  sentimens  qui, 
quoique  plus  délicieux,  ont  toujours  quelque  chose 
d'arbitraire. 

C'est  par  le  travail  seul  que  vous  échapperez  à 
l'activité  de  cette  âme  qui  dévore  tout.  Le  temps 
que  vous  emploierez  chez  vous  sera  pris  sur  celui 
que  vous  perdriez  dans  le  monde,  où  vous  vous 
amusez  si  peu ,  où  vous  portez  le  sentiment  tou- 
jours pénible  de  la  supériorité  de  votre  âme  et  de 
l'infériorité  de  votre  fortune  ,  où  vous  trouvez  des 
raisons  de  haïr  et  de  mépriser  les  hommes,  c'est-à- 
dire  de  renforcer  cette  mélancolie  à  laquelle  vous 
êtes  déjà  trop  sujet,  qui  vous  met  souvent  de  mau- 
vaise humeur  et  qui  vous  expose  quelquefois  à 
vous  faire  des  ennemis.  La  retraite  assurera  en 
même  temps  votre  repos,  c'est-à-dire  votre  bon- 
heur, votre  santé,  votre  gloire,  votre  fortune  et 
votre  considération;  vous  aurez  moins  d'occasions 
de  vous  permettre  ces  plaisirs  qui,  sans  détruire  la 
santé,  affoiblissent  au  moins  la  vigueur  du  corps, 
donnent  une  sorte  de  malaise  et  détruisent  l'équi- 
libre des  passions, 

La  considération  de  l'homme  le  plus  célèbre 
tient  au  soin  qu'il  a  de  ne  pas  se  prodiguer.  Ayez 
toujours  cette  coquetterie  décente  qui  n'est  indi- 


LETTRES     DIVERSES  219 

gue  de  personne.  Votre  gloire  y  gagnera  aussi; 
l'emploi  de  votre  temps  l'augmentera  nécessaire- 
ment, et,  par  la  même  raison,  votre  fortune  :  car, 
croyez-moi,  ne  comptez  jamais  que  sur  vous. 

Il  y  a  encore  une  chose  que  je  ne  saurois  trop 
vous  recommander,  et  qui  vous  est  plus  difficile 
qu'à  un  autre  :  c'est  l'économie.  Je  ne  vous  dis 
pas  de  mettre  du  prix  à  l'argent,  mais  de  regarder 
l'économie  comme  un  moyen  d'être  toujours  indé- 
pendant des  hommes ,  condition  plus  nécessaire 
qu'on  ne  croit  pour  conserver  son  honnêteté. 


LETTRE    IV. 

A  Madame  S... 

Barèges,  le  i  5  septembre. 

Quoi  !  Madame,  vous  avez  eu  la  bonté  d'aller 
voir  mon  nouveau  taudis!  Je  vous  reconnois  bien 
là.  Vous  êtes  contente  de  mon  logement;  mais 
moi  je  ne  le  suis  point  :  je  m'y  prends  trop  tard 
pour  me  loger  près  de  la  rue  Louis-le-Grand. 

Madame  de  Grammont  est  partie  depuis  le 
commencement  du  mois.  Il  me  seroit  impossible 
de  désirer  autre  chose  que  ce  que  j'ai  trouvé  en 
elle,  et  nous  avons  fini  encore  mieux  que  nous 
n'avions  commencé.  J'ai  toutes  sortes  de  raisons 


220  LETTRES     DIVERSES 

d'être  enchanté  de  mon  voyage  de  Barèges.  Il  sem- 
ble qu'il  devoit  être  la  fin  de  toutes  les  contradic- 
tions que  j'ai  éprouvées,  et  que  toutes  les  circon- 
stances se  sont  réunies  pour  dissiper  ce  fond  de 
mélancolie  qui  se  reproduisoit  trop  souvent.  Le 
retour  de  ma  santé ,  les  bontés  que  j'ai  éprouvées 
de  tout  le  monde,  ce  bonheur  si  indépendant  de 
tout  mérite,  mais  si  commode  et  si  doux,  d'inspi- 
rer de  l'intérêt  à  tous  ceux  dont  je  me  suis  occupé  ; 
quelques  avantages  réels  et  positifs,  les  espérances 
les  mieux  fondées  et  les  plus  avouées  par  la  raison 
la  plus  sévère,  le  bonheur  public  et  celui  de  quel- 
ques personnes  à  qui  je  ne  suis  ni  inconnu  ni  in- 
différent, le  souvenir  tendre  de  mes  anciens  amis, 
le  charme  d'une  amitié  nouvelle,  mais  solide,  avec 
un  des  hommes  les  plus  vertueux  du  royaume, 
plein  d'esprit,  de  talent  et  de  simplicité,  M.  du 
Paty,  que  vous  connoissez  de  réputation  ;  une  au- 
tre liaison  non  moins  précieuse  avec  une  femme 
aimable  que  j'ai  trouvée  ici  et  qui  a  pris  pour  moi 
tous  les  sentimens  d'une  sœur,  des  gens  dont  je 
devois  le  plus  souhaiter  la  connoissance  et  qui  me 
montrent  la  crainte  obligeante  de  perdre  la  mienne, 
enfin  la  réunion  des  sentimens  les  plus  chers  et 
les  plus  désirables  :  voilà  ce  qui  fait,  depuis  trois 
mois,  mon  bonheur;  il  semble  que  mon  mauvais 
génie  ait  lâché  prise,  et  je  vis,  depuis  trois  mois, 
sous  la  baguette  de  la  fée  bienfaisante. 


LETTRES     DIVERSES  221 

D'après  ce  détail,  vous  croiriez  que  je  vis  envi- 
ronné de  tout  ce  que  j'ai  trouvé  d'aimable  ici, 
sous  un  beau  ciel  et  dans  une  société  charmante  : 
non,  je  vis  sous  une  douche  brûlante  ou  dans  une 
bouilloire  cachée  au  fond  d'un  cachot.  Tout  ce 
que  je  distinguois  est  parti  de  Barèges.  Il  y  fait  un 
temps  exécrable,  et  le  brouillard  ne  laisse  point 
soupçonner  que  les  Pyrénées  soient  sur  ma  tête; 
mais  je  n'en  suis  pas  moins  heureux  :  j'avois  be- 
soin de  revenir  sur  les  sentimens  agréables  dont 
j'ai  joui  avec  trop  de  précipitation;  je  les  recueille 
avec  une  joie  mêlée  de  surprise.  Mes  idées  sont 
faciles  et  douces,  tous  les  mouvemens  de  mon  cœur 
sont  des  plaisirs  :  voilà  le  vrai  beau  temps,  et  le 
ciel  est  d'azur. 

Le  ton  de  cette  lettre  est  un  peu  différent  de 
celles  que  je  vous  écrivois,  Madame,  de  la  rue  de 
Richelieu,  et  même  de  quelques  conversations  que 
je  me  souviens  d'avoir  eues  avec  vous  il  y  a  cinq  ou 
six  mois.  Que  voulez-vous  ?  je  vous  montrois  mon 
âme  alors  comme  je  vous  la  montre  aujour- 
d'hui, «  L'homme  est  ondoyant,  »  dit  Montaigne. 
J'étois  de  fer  pour  repousser  le  mal,  je  suis  de  cire 
pour  recevoir  le  bien.  Les  différentes  philosophies 
sont  bonnes;  il  ne  s'agit  que  de  les  placer  à  pro- 
pos. Zenon  n'avoit  pas  tort;  Epicure  avoit  raison. 
Le  régime  d'un  malade  n'est  pas  celui  d'un  conva- 
lescent; celui  d'un  convalescent  n'est  pas  celui  d'un 


222  LETTRES     DIVERSES 

athlète.  Je  me  trouve  bien  de  ma  manière  d'être 
actuelle;  je  reviendrois  à  l'autre  s'il  le  falloit,  mais 
je  tâcherai  d'écarter  ce  qui  pourroit  la  rendre  né- 
cessaire. Je  n'y  sais  que  cela. 

Madame  de  Tessé  et  M.  le  duc  d'Ayen  ont 
passé  ici  quelques  jours.  J'ai  fort  à  me  louer  de 
leurs  bontés;  je  n'ai  cependant  point  accepté  l'of- 
fre de  madame  de  Tessé  pour  Luchon.  Je  vous 
dirai  pourquoi. 

Je  pars  d'ici  vers  la  fin  de  septembre.  Je  comp- 
tois  m'en  aller  en  droiture  à  Paris;  je  pressentois 
le  besoin  que  j'aurois  de  revoir  mes  anciens  amis, 
car  je  ne  veux  rien  perdre;  mais  j'ai  de  nouvelles 
raisons  de  me  priver  encore  de  ce  plaisir.  M.  de 
B...  a  trouvé  absurde  que  je  négligeasse  l'occasion 
de  voir  M.  de  Choiseul;  il  prétend  que  ma  con- 
noissance  avec  M.  de  Gr...  pourroit  finir  par 
n'être  qu'une  connoissance  des  eaux.  C'est  ce  qui 
ne  peut  jamais  arriver.  Il  est  actuellement  à  Chan- 
teloup;  il  peut  s'en  assurer  par  lui-même,  et,  entre 
nous,  je  crois  qu'il  ne  laissera  pas  d'être  un  peu 
surpris.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  défère  à  son  conseil 
et  à  celui  de  mes  amis,  qui  blâment  mon  peu  d'em- 
pressement sur  cela.  Mais  je  ne  serai  à  Chanteloup 
qu'à  la  fin  d'octobre;  j'y  resterai  le  temps  qu'il 
conviendra.  J'étois  fort  tenté  de  m'en  retourner 
par  le  Languedoc  pour  voir  la  Provence,  qui  est 
un  fort  beau  pays. 


LETTRES     DIVERSES  22? 

Voulez-vous  bien,  Madame,  présenter  mes  res- 
pects à  M.  S...?  Je  vous  adresserois  aussi  bien 
des  compiimens  pour  les  personnes  que  vous  savez, 
si  je  ne  craignois  que  quelques-unes,  s'imaginant 
que  ma  lettre  contient  quelques  bonnes  histoires 
des  eaux,  ne  s'avisassent  de  vous  la  demander,  et 
je  vous  prie  de  vouloir  bien  ne  pas  la  leur  lire. 

Conservez,  je  vous  prie.  Madame,  votre  santé, 
celle  de  M.  S...,  votre  bonheur  commun,  vos 
bontés  pour  moi,  et  recevez  les  assurances  de  mon 
respect  et  de  ma  tendre  amitié. 


LETTRE    V. 
A  

Vous  me  demandez,  mon  ami,  si  ce  n'est  pas 
une  espèce  de  singularité  qui  me  fait  voir  la  litté- 
rature sous  l'aspect  où  je  la  vois;  s'il  est  vrai  que 
je  sois  dans  le  cas  de  jouir  d'une  fortune  un  peu 
plus  considérable  que  celle  de  la  plupart  des  gens 
de  lettres;  et  enfin  vous  voulez  que  je  vous  con- 
fie,  sous  le  sceau  de  l'amitié,  quels  sont  les 
moyens  que  j'ai  employés  pour  arriver  à  ce 
terme  que  vous  supposez  avoir  été  le  but  de 
mon  ambition.  Voilà,  ce  me  semble,  les  divers 
objets  de  votre  curiosité,  autant  que  je  puis  le  ré- 


224  LETTRES     DIVERSES 

sumer  de  votre  longue  lettre.  Mes  réponses  seront 
simples. 

Mais  je  commence  par  vous  dire  que  je  suis 
presque  offensé  de  voir  que  vous  me  supposiez  un 
plan  de  conduite  à  cet  égard.  Mon  tour  d"'esprit, 
mon  caractère  et  les  circonstances  ont  tout  fait, 
sans  aucune  combinaison  de  ma  part.  J'ai  toujours 
été  choqué  de  la  ridicule  et  insolente  opinion,  ré- 
pandue presque  partout,  qu'un  homme  de  lettres 
qui  a  quatre  ou  cinq  mille  livres  de  rente  est  au 
périgée  de  la  fortune.  Arrivé  à  peu  près  à  ce 
terme,  j'ai  senti  que  j'avois  assez  d'aisance  pour 
vivre  soUtaire ,  et  mon  goût  m'y  portoit  natu- 
rellement; mais,  comme  le  hasard  a  fait  que  ma 
société  est  recherchée  par  plusieurs  personnes 
d'une  fortune  beaucoup  plus  considérable,  il  est 
arrivé  que  mon  aisance  est  devenue  une  véri- 
table détresse,  par  une  suite  des  devoirs  que 
m'imposoit  la  fréquentation  d'un  monde  que  je 
n'avois  pas  recherché.  Je  me  suis  trouvé  dans  la 
nécessité  absolue  ou  de  faire  de  la  littérature  un 
métier  pour  suppléer  à  ce  qui  me  manquoit  du 
côté  de  la  fortune,  ou  de  solliciter  des  grâces,  ou 
enfin  de  m'enrichir  tout  d'un  coup  par  une  retraite 
subite.  Les  deux  premiers  partis  ne  me  convenoient 
pas;  j'ai  pris  intrépidement  le  dernier.  On  a  beau- 
coup crié;  on  m'a  trouvé  bizarre,  extraordinaire. 
Sottises  que  toutes  ces  clameurs.  Vous  savez  que 


LETTRES     DIVERSES  225 

j'excelle  à  traduire  la  pensée  de  mon  prochain. 
Tout  ce  qu'on  a  dit  à  ce  sujet  vouloit  dire  : 
«  Quoi  !  n'est-il  pas  suffisamment  payé  de  ses 
peines  et  de  ses  courses  par  l'honneur  de  nous 
fréquenter,  par  le  plaisir  de  nous  amuser,  par  l'a- 
grément d'être  traité  par  nous  comme  ne  l'est  au- 
cun homme  de  lettres?  » 

A  cela  je  réponds  :  J'ai  quarante  ans.  De  ces 
petits  triomphes  de  vanité  dont  les  gens  de  lettres 
sont  si  épris,  j'en  ai  par-dessus  la  tête.  Puisque, 
de  votre  aveu,  je  n'ai  presque  rien  à  prétendre, 
trouvez  bon  que  je  me  retire.  Si  la  société  ne  m'est 
bonne  à  rien,  il  faut  que  je  commence  à  être  bon 
pour  moi-même.  Il  est  ridicule  de  vieillir  en  qua- 
lité d'acteur,  dans  une  troupe  où  l'on  ne  peut  pas 
même  prétendre  à  la  demi-part.  Ou  je  vivrai  seul, 
occupé  de  moi  et  de  mon  bonheur;  ou,  vivant 
parmi  vous,  j'y  jouirai  d'une  partie  de  l'aisance 
que  vous  accordez  à  des  gens  que  vous-mêmes 
vous  ne  vous  aviseriez  pas  de  me  comparer.  Je 
m'inscris  en  faux  contre  votre  manière  d'envisager 
les  hommes  de  ma  classe.  Qu'est-ce  qu'un  homme 
de  lettres,  selon  vous,  et,  en  vérité,  sçlon  le  fait 
établi  dans  le  monde  ?  C'est  un  homme  à  qui  on 
dit  :  «  Tu  vivras  pauvre  et  trop  heureux  de  voir  ton 
nom  cité  quelquefois;  on  t'accordera,  non  quelque 
considération  réelle,  mais  quelques  égards  flatteurs 
pour  ta  vanité,  sur  laquelle  je  compte,  et  non  pour 
Chamfort.  —  II.  29 


220  LETTRES    DIVERSES 

Tamour-propre  qui  convient  à  un  homme  de  sens. 
Tu  écriras,  tu  feras  des  vers  et  de  la  prose  pour 
lesquels  tu  recevras  quelques  éloges,  beaucoup 
d'injures  et  quelques  écus,  en  attendant  que  tu 
puisses  attraper  quelques  pensions  de  vingt-cinq 
louis  ou  de  cinquante,  qu'il  faudra  disputer  à  tes 
rivaux  en  te  roulant  dans  la  fange,  comme  le  fait 
la  populace  aux  distributions  de  monnoie  qu'on  lui 
jette  dans  les  fêtes  publiques.  » 

J'ai  trouvé,  mon  ami,  que  cette  existence  ne 
me  convenoit  pas;  et,  méprisant  à  la  fois  la  glo- 
riole des  grandeurs  et  la  gloriole  littéraire,  j'ai 
immolé  l'une  et  l'autre  à  l'honneur  de  mon  carac- 
tère et  à  l'intérêt  de  mon  bonheur.  J'ai  dit  tout 
haut  :  «  J'ai  fait  mes  preuves  de  désintéressement, 
et  je  ne  solliciterai  pas.  J'ai  très-peu,  mais  j'ai  au- 
tant ou  plus  que  quantité  de  gens  de  mérite. 
Ainsi,  je  ne  demande  rien;  mais  il  faut  que  vous  me 
laissiez  à  moi-même  :  il  n'est  pas  juste  que  je  porte 
en  même  temps  le  poids  de  la  pauvreté  et  le  poids 
des  devoirs  attachés  à  la  fortune.  J'ai  une  santé 
délicate  et  la  vue  basse;  je  n'ai  gagné  jusqu'à  pré- 
sent dans  le  monde  que  des  boues,  des  rhumes, 
des  fluxions  et  des  indigestions ,  sans  compter  le 
risque  d'être  écrasé  vingt  fois  par  hiver.  Il  est 
temps  que  cela  finisse,  et,  si  cela  n'est  pas  terminé 
à  telle  époque,  je  pars.  » 

Voilà,  mon  ami,   ce  que  j'ai  dit;   et,  si  vous 


LETTRES     DIVERSES  227 

VOUS  étonnez  que  cela  ait  pu  produire  autant  d'ef- 
fet, il  faut  savoir  qu'une  première  retraite  de  six 
mois,  où  j'avois  trouvé  le  bonheur,  a  prouvé 
invinciblement  que  je  n'agissois  ni  par  humeur 
ni  par  amour- propre.  Il  reste  à  vous,  expli- 
quer pourquoi  on  se  faisoit  une  peine  de  me 
voir  prendre  le  parti  de  la  retraite.  C'est,  mon 
ami,  ce  que  je  ne  puis  vous  développer,  au  moins 
dans  le  même  détailj;  mais  je  puis  vous  dire  sans 
que  vous  deviez  me  soupçonner  de  vanité,  je  puis 
vous  dire  que  mes  amis  savent  que  je  suis  propre 
à  plusieurs  choses  hors  de  la  sphère  de  la  littéra- 
ture. Plusieurs  d'entre  eux  se  sont  unis  pour  me 
servir  :  les  uns  n'ont  écouté  que  leur  sentiment; 
d'autres  ont  fait  entrer  dans  leur  sentiment  quelque 
calcul  et  quelque  intérêt,  et,  les  circonstances  étant 
favorables,  il  en  est  résulté  la  petite  révolution  que 
vous  jugez  si  heureuse. 


LETTRE  VI. 

A  M.   l'abbé  Koman. 

4  mars  i  784. 

C'est  un  vœu  que  j'ai  fait,  mon  cher  ami,  de 
vous  répondre  toujours  à  l'instant  où  j'aurai  reçu 
votre  lettre,  et  je  n'ai  pas  besoin  d'effort  pour  le 


228  LETTRES    DIVERSES 

remplir.  Il  m'en  faudroit  pour  différer,   et  je  ne 
veux  pas  lutter  contre  moi-même. 

Ah  !  mon  ami,  que  j'ai  été  étonné  de  voir  que 
je  diffère  de  vous  dans  la  chose  par  laquelle  je 
vous  ressemble!  Vous  convenez  que  vous  avez  pris 
la  meilleure  part,  et  vous  ne  souhaitez  pas  que 
j'obtiennne  un  lot  pareil;  vous  me  le  dites  parce 
que  vous  le  sentez.  Cette  raison  est  sans  doute 
très-bonne;  mais  pourquoi  ou  plutôt  comment  le 
sentez-vous?  Voilà  ce  qui  m'étonne.  Quoi!  cette 
malheureuse  manie  de  célébrité,  qui  ne  fait  que 
des  malheureux,  trouve  encore  un  partisan,  un 
protecteur!  Avez-vous  oublié  qu'elle  exige  presque 
autant  de  misères,  de  sottises,  de  bassesses  même 
que  la  fortune?  Et  quel  en  est  le  fruit?  Beaucoup 
moindre,  et  surtout  plus  ridicule.  Son  effet  le 
plus  certain  est  de  vous  apprendre  jusqu'où  va 
la  méchanceté  humaine  en  vous  rendant  l'objet  de 
la  haine  la  plus  violente  et  des  procédés  les  plus 
affreux  de  la  part  de  ceux  qui  ne  peuvent  partager 
cette  fumée  et  qui  sont  jaloux  de  quelques  misé- 
rables distinctions,  presque  toujours  ennuyeuses  et 
fatigantes,  surtout  pour  moi,  qui  ai  tout  jugé. 

J'ai  aimé  la  gloire,  je  l'avoue;  mais  c'étoit  dans 
un  âge  où  l'expérience  ne  m'avoit  point  appris  la 
vraie  valeur  des  choses,  où  je  croyois  qu'elle  pou- 
voit  exister  pure  et  accompagnée  de  quelque  re- 
pos, où  je  pensois  qu'elle  étoit  une   source   de 


I 


LETTRES    DIVERSES  220 

jouissances  chères  au  cœur,  et  non  une  lutte  éter- 
nelle de  vanité;  quand  je  croyois  que,  sans  être 
un  moyen  de  fortune,  elle  n'étoit  pas  du  moins  un 
titre  d'exclusion  à  cet  égard.  Le  temps  et  la  ré- 
flexion m'ont  éclairé;  je  ne  suis  pas  de  ceux  qui 
peuvent  se  proposer  de  la  poussière  et  du  bruit 
pour  objet  et  pour  fruit  de  leurs  travaux.  Apollon 
ne  promet  qu'un  nom  et  des  lauriers  :  voilà  ce  que 
disoit  Boileau  avec  quinze  mille  livres  de  rente  des 
bienfaits  du  roi,  qui  en  valoient  plus  de  trente  d'à 
présent;  voilà  ce  que  disoit  Racine  en  rapportant 
plus  d'une  fois  de  Versailles  des  bourses  de  mille 
louis.  Cela  ne  laisse  pas  que  de  consoler  de  la  ri- 
valité et  de  la   haine  des  Pradon   et  des   Boyer. 
Encore  ne  put-il  pas  y  tenir  et  laissa-t-il,  à  trente- 
six  ans,   cette  carrière  de  gloire  et  d'infamie   qui 
depuis  lui  est  devenue  cent  fois  plus  turbulente  et 
plus  avilissante.  Pour  moi,   qui  dès  mon  premier 
succès  me  suis  attiré,  sans  l'avoir  mérité  le  moins 
du  monde,  la  haine  d'une  foule  de  sots  et  de  mé- 
chans,  je  regarde   ce  mal  comme  un   très-grand 
bonheur;  il  me  rend  à  moi-même,  il  me  donne  le 
droit  de  m'appartenir  exclusivement;  et,  les  amis 
les  plus  puissans  ayant  plus  d'une  fois  fait  d'inutiles 
efforts  pour  me  servir,  je  me  suis  lassé  d'être  un 
superflu,  une  espèce  de  hors-d'œuvre  dans  la  so- 
ciété.   Je   me  suis   indign'é   d'avoir  si  souvent  la 
preuve  que  le   mérite  dénué,  né  sans  or  et  sans 


23o  LETTRES    DIVERSES 

parchemins,  n'a  rien  de  commun  avec  les  hommes, 
et  j'ai  su  tirer  de  moi  plus  que  je  ne  pouvois  es- 
pérer d'eux.  J'ai  pris  pour  la  célébrité  autant  de 
haine  que  j'avois  eu  d'amour  pour  la  gloire  ;  j'ai 
retiré  ma  vie  tout  entière  dans  moi-même  :  penser 
et  sentir  a  été  le  dernier  terme  de  mon  existence 
et  de  mes  projets.  Mes  amis  se  sont  réunis  inuti- 
tilement  pour  ébranler  ma  fermeté  :  tout  ce  que 
j'écris  comme  à  mon  insu,  et  pour  ainsi  dire  malgré 
moi ,  ne  sera  tout  au  plus  que  titulus  nomenque 
sepulcri. 

J'ai  ri  de  bon  cœur  à  l'endroit  de  votre  lettre 
où  vous  me  dites  que  vous  m'avez  cherché  dans  les 
journaux  :  vous  m'avez  paru  ressembler  à  un  étran- 
ger qui,  ayant  entendu  parler  de  moi  dans  Paris, 
me  chercheroit  dans  les  tabagies  et  dans  les  tripots 
de  jeu.  J'en  étois  là  depuis  long-temps,  lorsque  je 
fis  la  rencontre  d'un  être  dont  le  pareil  n'existe 
pas  dans  sa  perfection,  relative  à  moi,  qu'il  m'a 
montrée  dans  le  court  espace  de  deux  ans  que  nous 
avons  passés  ensemble.  C'étoit  une  femme,  et  il 
n'y  avoit  pas  d'amour  parce  qu'il  ne  pouvoit  y 
en  avoir,  puisqu'elle  avoit  plusieurs  années  de  plus 
que  moi;  mais  il  y  avoit  plus  et  mieux  que  de  l'a- 
mour, puisqu'il  existoit  une  réunion  complète  de 
tous  les  rapports  d'idées,  de  sentimens  et  de  posi- 
tions. Je  m'arrête  ici,  parce  que  je  sens  que  je  ne 
pourrois  finir.  Je  l'ai  perdue  après  six  mois  de  se- 


LETTRES     DIVERSES  23l 

jour  à  la  campagne,  dans  la  plus  profonde  et  la 
plus  charmante  solitude.  Ces  six  mois,  ou  plutôt 
ces  deux  ans,  ne  m*ont  paru  qu'un  instant  dans 
ma  vie;  mais  le  bonheur  d'être  loin  de  tout  ce  que 
j'ai  vu  sur  cette  scène  d'opprobres  qu'on  appelle 
littérature,  et  sur  cette  scène  de  folies  et  d'iniqui- 
tés qu'on  appelle  le  monde,  m'auroit  suffi  et  me 
suffira  toujours,  au  défaut  du  charme  d'une  société 
douce  et  d'une  amitié  délicieuse.  L'indépendance, 
la  santé,  le  libre  emploi  de  mon  temps,  l'usage, 
même  l'usage  fantasque  de  mes  livres  :  voilà  ce 
qu'il  me  faut,  si  ce  n'est  point  ce  qui  me  suffit. 
C'est  ce  que  m'enlèvera  nécessairement  le  succès 
que  vous  avez  la  cruauté  de  souhaiter,  et  qui  mal- 
heureusement est  devenu,  depuis  ma  dernière  let- 
tre, encore  plus  vraisemblable'.  L'âne  qui  ne  veut 
point  mordre  son  voisin,  ni  en  être  mordu  devant 
un  râtelier  vide,  sera  forcé,  s'il  est  changé  en  che- 
val bien  pansé  devant  un  râtelier  plein,  de  faire 
quelques  courses  et  de  manéger  pour  gagner  son 
avoine;  et,  quand  je  songe  qu'en  se  déplaçant  il 
aura  plus  d'avoine  qu'il  n'en  pourra  manger,  je 
suis  bien  près  de  penser  qu'il  fait  un  marché  de 
dupe. 

Vous  voyez  par  là,  mon  ami,  combien  je  suis 


I .  On  proposoit  à  Chamfort  une  place  de  secrétaire  des 
commandemens  à  la  cour.  [Note  du  premier  éditeur.) 


23: 


LETTRES    DIVERSES 


attaché  aux  sentimensqi^i  m'appellent  à  la  retraite, 
et  vous  le  verriez  bien  davantage  si  vous  pouviez 
savoir,  fortune  mise  à  part,  combien  ma  position 
m'offre  de  côtés  agréables,  quels  combats  j'ai  à 
soutenir  contre  les  amis  les  plus  tendres  et  les  plus 
dévoués,  quels  efforts  il  me  faut  pour  repousser  ou 
prévenir  les  sacrifices  qu'ils  voudroient  faire  pour 
me  retenir.  Quelle  est  donc  cette  invincible  fierté 
et  même  cette  dureté  de  cœur  qui  me  fait  rejeter 
des  bienfaits  d'une  certaine  espèce,  quand  je  con- 
viens que  je  voudrois  faire  pour  eux  plus  qu'ils  ne 
peuvent  faire  pour  moi?  Cette  fierté  les  afflige  et 
les  offense  ;  je  crois  même  qu'ils  la  trouvent  pe- 
tite et  misérable ,  comme  mettant  un  trop  haut 
prix  à  ce  qui  devroit  en  avoir  si  peu.  Mon  ami,  je 
n'ai  point,  je  crois,  les  idées  petites  et  vulgaires 
répandues  à  cet  égard;  je  ne  suis  pas  non  plus  un 
monstre  d'orgueil;  mais  j'ai  été  une  fois  empoi- 
sonné avec  de  l'arsenic  sucré,  je  ne  le  serai  plus  : 
manet  alta  mente  repostum.  Vous  me  dites  que 
vous  tenez  mon  âme  dans  ma  première  lettre;  il 
en  est  restéquelque  chose,  jecrois, pour  la  seconde. 
J'accepte,  mon  ami,  avec  un  sentiment  bien 
vif,  l'offre  que  vous  me  faites  de  parcourir  avec 
moi  la  Provence  pour  chercher  l'asile  qui  me  con- 
vient, et  je  me  fais  d'autant  plus  de  plaisir  de  l'ac- 
cepter que  je  ne  vous  ferai  pas  faire  un  grand 
voyage  :  il  faudra  que  votre  pays  ait  de  grands  in- 


LETTRES    DIVERSES  233 

convéniens  si  la  retraite  la  plus  proche  de  vous 
n*est  pas  celle  qui  me  convient  le  mieux. 

Je  vous  avois  promis  des  nouvelles  littéraires; 
mais,  par  mon  mouvement  personnel,  je  suis  bien 
froid  sur  cet  article,  et  j'ai  besoin,  pour  vous  en 
envoyer,  de  songer  que  vous  y  mettez  quelque  in- 
térêt. On  joue  à  présent  avec  un  grand  succès, 
malgré  de  grandes  huées  sur  la  scène  et  de  gran- 
des réclamations  et  indignations  à  Paris  et  à  Ver- 
sailles, le  Mariage  de  Figaro  de  Beaumarchais. 
C'est  un  ouvrage  plein  d'esprit,  même  de  comique 
et  de  talent,  mais  qui  n'en  est  pas  moins  mons- 
trueux par  le  mélange  de  choses  du  plus  mauvais 
ton  et  de  trivialités.  Les  loges  sont  retenues  jus- 
qu'à la  dixième,  et  d'autres  disent  jusqu'à  la  ving- 
tième représentation.  Le  spectacle,  sans  petite 
pièce,  ne  dure  plus  que  trois  heures  un  quart,  de- 
puis les  retranchemens  qu'on  y  a  faits.  Je  ne  vous 
parle  point  du  Jaloux,  du  mauvais  Coriolan  de 
La  Harpe  :  les  journaux  se  sont  chargés  de  cela.  Un 
mot  sur  les  Danaïdes,  opéra  nouveau  oii  Gluck  a 
mis  la  main  :  c'est  un  ouvrage  de  Topinambous,  à 
jouer  devant  des  cannibales  ;  on  dit  pourtant  que 
cela  n'aura  qu'une  douzaine  de  représentations. 

Parlons  de  notre  Académie.  M.  de  Montesquiou 
a  eu  toutes  les  voix  :  c'est  qu'on  a  vu  que  tout 
partage  seroit  inutile,  et  il  faisoit  plaisir  en  se  pré- 
sentant à  l'Académie  ;  il  écartoit  l'abbé  Maury,  dont 

3o 


284  LETTRES    DIVERSES 

plusieurs  ne  veulent  pas  entendre  parler.  Mon 
amusement  actuel  est  de  voir  comment  ils  feront 
pour  l'évincer  à  la  première  vacance,  qui  est  très- 
prochaine,  si  elle  n'est  ouverte  par  la  mort  de 
M.  de  Pompignan.  L'abbé  a  huit  ou  dix  voix  tout 
au  plus;  mais  les  autres  gens  de  lettres,  ses  rivaux, 
n'en  ont  pas  à  beaucoup  près  autant.  Personne  n'y 
est  appelé  d'une  manière  positive.  Prendre  encore 
un  homme  de  qualité  seroit  le  comble  du  mauvais 
goût  et  le  chef-d'œuvre  du  ridicule.  Comment 
s'en  tireront-ils?  Je  me  divertirai  des  intrigues  :  ce 
sont  mes  seuls  jetons;  je  n'en  ai  point  d'autres.  J'y 
vais  si  peu  que  je  n'ai  pas  fait  la  moitié  d'une 
bourse  à  jetons  qu'on  m'avoit  demandée. 

Adieu,  mon  ami;  je  n'ai  plus  que  le  temps  de 
vous  dire  encore  un  petit  mot  de  moi.  Ma  mère 
se  porte  à  merveille,  et  n'a  d'autre  incommodité 
que  de  ne  pouvoir  faire  usage  de  ses  jambes;  mais 
j'ai  bien  peur  que  cette  seule  incommodité  n'a- 
brège les  jours  d'une  personne  aussi  vive  et  plus 
impatiente,  à  quatre-vingt-quatre  ans,  que  je  ne 
l'ai  jamais  été.  Il  me  semble  que,  si  je  restois 
en  place  une  année,  je  ne  pourrois  plus  vivre,  et 
cette  idée  m'afflige  sensiblement  sur  son  état, 
quoiqu'on  me  mande  d'ailleurs  tout  ce  qui  peut 
me  rassurer.  Adieu  encore  une  fois;  je  vous  aime 
et  vous  embrasse  de  tout  mon  cœur.  Il  me  semble 
que  nous  n'avons  pas  cessé  de  nous  entendre. 


LETTRES     DIVERSES  235 

LETTRE  VII. 

Au  même. 

Paris,  5  octobre. 

Que  devez-vous  penser  de  moi,  mon  cher  ami, 
et  d'un  si  long  silence?  Vous  devez  croire  que 
tous  les  maux  réunis  ont  fondu  sur  ma  tête.  Hé- 
las! vous  ne  vous  tromperiez  pas  beaucoup.  Il  y 
a  deux  mois  et  demi  que  j'ai  eu  le  malheur  de 
perdre  ma  mère,  et  ce  n'est  pas  vous  qui  vous 
étonnerez  de  l'effet  qu'a  pu  faire  sur  moi  cette 
affligeante  nouvelle;  ce  n'est  pas  vous  qui  me 
direz  que  quatre-vingt-cinq  ans  étoient  un  âge 
qui  devoit  me  préparer  à  ce  malheur,  et  que 
quinze  ans  d'absence  dévoient  me  le  faire  trou- 
ver moins  terrible.  La  raison  dit  tout  cela,  et  le 
sentiment  paye  son  tribut.  Je  n'en  dirai  pas  da- 
vantage, craignant  surtout  d'avoir  déjà  trop  réveillé 
chez  vous  le  sentiment  d'une  perte  qui  vous  a  rendu 
si  longtemps  malheureux  et  qui  ne  sera  de  long- 
temps oubliée.  Mon  second  malheur  est  d'avoir 
eu  pendant  deux  mois  une  fièvre  double  tierce, 
suivie  d'une  convalescence  très-pénible  et  qui 
n'est  pas  terminée.  Je  ne  sais  comment  toute  ma 
personne  étoit  devenue  un  amas  de  bile,  ce  qui 


236  LETTRES     DIVERSES 

m'a  empêché  d'avoir  recours  au  quinquina  :  c'est 
la  nature  qui  m'a  guéri,  comme  elle  eût  fait  avant 
la  découverte  du  spécifique.  C'est  un  mois  de  plus 
qu'il  m'en  a  coûté,  et  un  mois  de  peines  et  de 
souffrances  ,  pendant  lequel  il  m'a  été  impossible 
d'écrire.  Vous  mander  de  mes  nouvelles  par  une 
main  étrangère,  c'est  ce  que  je  n'ai  pas  voulu, 
dans  la  crainte  que  vous  ne  me  crussiez  mort;  et 
d'ailleurs  je  suis  d'une  stupidité  rare  pour  dicter. 

Je  passe,  mon  ami,  à  un  autre  article,  dont  je 
vous  ai  déjà  touché  quelque  chose  :  c'est  le  projet 
d'aller  vous   trouver   en  Provence.   Quand  il  n*y 
auroit  eu  d'obstacle  que  ma  maladie,  il  ne  pouvoit 
s'effectuer  et  ne    le  pourroit  même  encore  qu'au 
mois  de  décembre;  encore  cela  ne  seroit-il  pos- 
sible que  dans  le  cas  oii  j'aurois  un  compagnon 
pour   aller  en  chaise  de  poste  :  car  d'aller  par  les 
voitures  publiques  dans  cette  saison,  c'est  ce  qui 
me   seroit  aussi  difficile  qu'un  pèlerinage  dans  le 
Sirius.   Mais,  mon  ami,  il  y  a  d'autres  obstacles 
encore  plus  grands  :  ce  sont  ceux  qui  naissent  de 
ma  nouvelle  position.  Vous  avez  peut-être  lu  dans 
les  papiers  publics  qu'on   a  obtenu   pour  moi  la 
place  de  secrétaire  du  cabinet  de  madame  Elisa- 
beth, sœur  du  roi.   Cette  place  vaut  deux  mille 
francs,  et,  quoiqu'elle  ne  m'enrichisse  pas  pour  ce 
moment-ci,  puisque  dans  la  maison  du  roi  les  pre- 
mières échéances  ne  se  payent  qu'à  un  terme  fort 


LETTRES     DIVERSES  iZ'J 

reculé,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  je  suis  lié 
par  la  reconnoissance  et  par  l'attachement  aux 
personnes  qui  ont  sollicité  et  obtenu  cette  place 
pour  moi,  tandis  que  j'étois  cloué  dans  mon  lit  de- 
puis six  semaines;  je  passerois  pour  un  être  sau- 
vage et  indomptable,  un  misanthrope  désespéré, 
et  je  serois  condamné  universellement.  Il  faut  vous 
dire,  de  plus,  qu'indépendamment  de  ma  nouvelle 
place,  ma  liaison  avec  M.  le  comte  de  Vaudreuil  est 
devenue  telle  qu'il  n'y  a  plus  moyen  de  penser  à 
quitter  ce  pays-ci  :  c'est  l'amitié  la  plus  parfaite  et 
la  plus  tendre  qui  se  puisse  imaginer.  Je  ne  sau- 
rois  vous  en  écrire  les  détails;  mais  je  pose  en  fait 
que,  hors  l'Angleterre,  où  ces  choses-là  sont  sim- 
ples, il  n'y  a  presque  personne  en  Europe  digne 
d'entendre  ce  qui  a  pu  rapprocher  par  des  liens  si 
forts  un  homme  de  lettres  isolé,  cherchant  à  l'être 
encore  plus,  et  un  homme  de  la  cour  jouissant 
de  la  plus  grande  fortune  et  même  de  la  plus  grande 
faveur.  Quand  je  dis  des  liens  si  forts,  je  devrois 
dire  si  tendres  et  si  purs  :  car  on  voit  souvent  des 
intérêts  combinés  produire  entre  des  gens  de  let- 
tres et  des  gens  de  la  cour  des  liaisons  très-con- 
stantes et  très-durables;  mais  il  s'agit  ici  d'amitié,  et 
ce  mot  dit  tout  dans  votre  langue  et  dans  la  mienne. 
Voilà,  mon  ami,  quelles  sont  les  raisons  qui 
m'empêchent  d'aller  vous  chercher,  et  qui  vrai- 
semblablement me  priveront  toujours  du  plaisir  de 


238  LETTRES    DIVERSES 

VOUS  voir  dans  votre  retraite  de  Provence.  Il  n'en 
falloit  pas  moins,  je  vous  assure  :  car,  quoique, 
dans  votre  dernière  lettre,  vous  eussiez  eu  la  bar- 
barie de  vouloir  me  retenir  dans  la  capitale,  tou- 
jours par  votre  manie  de  me  voir  une  plus  grande 
fortune,  il  est  pourtant  certain  que  j'aurois  juré  au 
mois  de  mai  dernier  de  ne  pas  passer  l'hiver  à  Pa- 
ris. Les  obstacles  étoient  de  nature  à  pouvoir  être 
vaincus,  et  ma  fortune  n'en  étoit  pas  un.  Vous 
m'avez  mandé  qu'il  falloit,  pour  vivre  agréable- 
ment en  Provence,  avoir  trois  mille  livres  de  rente  : 
au  temps  où  vous  me  parliez,  j'en  avois  quatre 
mille.  Je  posois  la  barre  à  ce  terme,  et  je  n'étois 
pas  mécontent  :  c'est  vous  qui  avez  voulu  que  j'al- 
lasse plus  loin.  Vous  voilà  satisfait,  et  il  y  a  à  pa- 
rier que  d'ici  à  six  mois  vous  le  serez  infiniment 
davantage.  Il  restera  ensuite  à  satisfaire  votre  au- 
tre manie,  que  j'aie  de  la  célébrité.  Je  ne  promets 
pas  que  j'y  réussisse  également;  mais,  soit  que 
cette  fantaisie  me  prenne,  soit  que  je  garde  ma 
répugnance  pour  cette  célébrité,  dont  vous  parois- 
sez  faire  trop  de  cas,  il  est  sûr  que,  tranquille  sur 
mon  avenir,  je  travaillerai  beaucoup  davantage  et 
même  mieux,  et  que  j'aurai  plus  de  titres  à  cette 
célébrité  sije  les  manifeste  :  ce  que  j'ignore,  car  je 
suis  bien  endurci  dans  le  péché.  Je  crois  que  vous 
seriez  de  mon  bord  si,  comme  moi,  vous  veniez 
voir  de  suite  et  longtemps  notre  public  parisien. 


LETTRES     DIVERSES  239 

Au  surplus,  alors  comme  alors  :  je  ne  suis  pas  d'une 
pièce;  je  suis  immuable  quand  les  choses  ne  chan- 
gent pas,  mais  je  suis  mobile  quand  elles  changent, 
et  surtout  quand  elles  changent  à  mon  avantage. 

J'apprends  que  l'on  a  été  très-content  de  notre 
ambassadeur  à  Marseille,  et  c'est  pour  moi  une 
joie  très-vive.  J'espère  qu'on  le  sera  partout,  et 
on  le  seroit  bien  davantage  si  on  connoissoit  l'ha- 
bitude de  ses  sentimens  intérieurs.  C'est  un  de  ces 
êtres  qui  ont  contribué,  par  leurs  vertus  et  leur 
commerce,  .\  me  réconcilier  avec  l'espèce  humaine. 
Il  faut  qu'il  ait  prévu  de  grandes  tribulations  dans 
son  ambassade,  puisque  la  dernière  lettre  qu'il  m'é- 
crit finit  par  ces  mots  :  Ah!  mon  ami,  quand  dîne- 
rons-nous ensemble  au  restaurateur?  J'oublie  de  vous 
dire  qu'il  est  cause  que  je  n'ai  pu  répondre  à  votre 
avant-dernière  lettre,  parce  que  j'ai  passé  avec  lui 
exactement  les  quatre  derniers  jours  de  son  séjour 
à  Paris,  et  c'est  l'époque  où  votre  lettre  m'arriva. 

Adieu,  mon  ami;  je  vous  aime  et  vous  embrasse 
très- tendrement.  J'espère  que  notre  correspon- 
dance ne  sera  plus  interrompue,  et  que  la  suite  de 
contre -temps  qui  m'ont  mis  en  arrière  n'arrivera 
qu'une  fois  en  la  vie.  Donnez-moi  de  vos  nou- 
velles en  détail,  et  ne  me  parlez  que  de  vous.  Je 
vous  donne  un  bel  exemple  à  cet  égard.  Je  vous 
avertis  que  je  me  sais  par  cœur,  et  à  la  fin  on  se 
lasse  de  soi.  Adieu  encore.  Vale  et  ama. 


240  LETTRES    DIVERSES 

LETTRE   VIII. 

A  M.  de  V... 

1  3  décembre  i  788. 

Je  vois  que  vous  vous  souvenez  de  la  Requête 
des  filles  sur  le  renvoi  des  évêques,  et  que  vous 
voudriez  donner  un  frère  ou  une  sœur  à  cette  ba- 
gatelle dont  vous  êtes  le  parrain;  mais  je  vous  as- 
sure qu'il  me  serôit  impossible  de  faire  un  ouvrage 
plaisant  sur  un  sujet  aussi  sérieux  que  celui  dont  il" 
s'agit.  Ce  n'est  pas  le  moment  de  prendre  les 
crayons  de  Swift  ou  de  Rabelais,  lorsque  nous 
touchons  peut-être  à  des  désastres;  et  je  pense 
qu'un  écrivain  qui  jetteroit  du  ridicule  sur  tous  les 
partis  seroit  lapidé  à  frais  communs.  Je  ne  pour- 
rois  donc  faire  qu'un  ouvrage  sérieux,  et  de  quoi 
serviroit-il  ?  S'il  n'y  en  a  pas  encore  qui  présente 
sous  tous  les  points  de  vue  cette  intéressante  ques- 
tion, il  en  existe  un  grand  nombre  qui,  par  leur 
réunion,  l'éclaircissent  suffisamment.  En  effet,  de 
quoi  s'agit-ii?  d'un  procès  entre  vingt-quatre  mil- 
lions d'hommes  et  sept  cent  mille  privilégiés  ' .  J'en- 


I.  Il  n'y  en  avoit  pas  cent  mille,  mais  on  en  croyoit  sept 
cent  mille.  [Note  du  premier  éditeur.) 


LETTRES     DIVERSES  241 

tends  dire  que  la  haute  noblesse  forme  des  ligues 
pousse  des  cris,  etc.  :  c'est  ici,  je  crois,  qu'on  peut 
accuser  la  maladresse  de  la  plupart  des  écrivains 
qui  ont  manié  cette  question.  Que  n'ont-ils  dit  aux 
grands  privilégiés  :  «  Vous  croyez  qu'on  vous  at- 
taque personnellement,  qu'on  veut  vous  attaquer... 
Point  du  tout  :  une  grande  nation  peut  élever  et 
voir  au-dessus  d'elle  quelques  familles  distinguées, 
trois  cents,  quatre  cents,  plus  ou  moins;  elle  peut 
rendre  cet  hommage  à  d'antiques  services,  à  d'an- 
ciens noms,  à  des  souvenirs  ;  mais,  en  conscience, 
peut-elle  porter  sept  cent  mille  anoblis  qui,  quant 
à  l'impôt,  quant  à  l'argent,  sont  aux  mêmes  droits 
que  les  Montmorency  et  les  plus  anciens  chevaliers 
François?  Plaignez-vous  de  la  fatalité  qui  fait  mar- 
cher à  votre  suite  cette  épouvantable  cohue  ;  mais 
ne  brûlez  pas  la  maison  qui  ne  peut  la  loger.  Ne 
sommes- nous  pas  accablés,  anéantis  sous  cette 
même  fatalité  qui  enfin  a  mis  en  péril  ce  que  vous 
appelez  vos  droits  et  vos  privilèges?  Ne  voyez- 
vous  pas  qu'il  faut  nécessairement  qu'un  ordre  de 
choses  aussi  monstrueux  soit  changé,  ou  que  nous 
périssions  tous  également,  clergé,  noblesse,  tiers 
état?  »  Je  suis  vraiment  affligé  qu'on  n'ait  point 
dit  et  répété  partout  cette  observation  :  elle  eût 
ramené  les  esprits  prévenus;  elle  eût  désarmé  l'a- 
mour-propre;  elle  eût  intéressé  l'orgueil  aux  suc- 
tcès  de  la  raison,  et  peut-être  eût-elle  sauvé  aux 
Chamfort.   II.  3i 


242  LETTRES    DIVERSES 

notables  l'opprobre  ineffaçable  dont  ils  viennent 
de  se  couvrir  à  pure  perte.  Un  autre  avantage  de 
cette  réflexion ,  c'est  qu'elle  eût  sur-le-champ  fait 
apprécier  le  moyen  terme  que  quelques-uns  pro- 
posent ridiculement  :  celui  d'appeler,  pour  le  seul 
consentement  à  l'impôt,  le  tiers  état,  à  l'égalité 
numérique,  en  ne  l'admettant  que  pour  un  tiers 
seulement  à  délibérer  sur  les  objets  de  législation 
générale.  Qui  est-ce  qui  me  fait  cette  proposi- 
tion? Est-ce  un  membre  de  l'ancienne  chevalerie? 
est-ce  un  secrétaire  du  roi,  du  grand  collège,  du 
petit  collège,  car  tous  ont  le  droit  de  parler  ainsi? 
Je  réponds  à  ce  dernier...  Mais  non,  je  ne  réponds 
pas  :  vous  sentez  que  j'aurois  trop  d'avantage.  Per- 
mettre à  un  peuple  de  défendre  son  argent  et  lui 
ravir  le  droit  d'influer  sur  les  lois  qui  doivent  dé- 
cider de  son  honneur  et  de  sa  vie,  c'est  une  in- 
sulte, c'est  une  dérision.  Non,  cela  ne  sera  point, 
cela  ne  sauroit  être;  la  nation  ne  le  souffrira  pas, 
et,  si  elle  le  souffre,  elle  mérite  tous  les  maux  dont 
elle  est  menacée. 

Mais  on  parle  des  dangers  attachés  à  la  trop 
grande  influence  du  tiers  état;  on  va  même  jusqu'à 
prononcer  le  mot  de  démocratie.  La  démocratie! 
dans  un  pays  où  le  peuple  ne  possède  pas  la  plus 
petite  portion  du  pouvoir  exécutif  !  dans  un  pays 
où  le  plus  mince  suppôt  de  l'autorité  ne  trouve 
partout  qu'obéissance  et  même  trop  souvent  abjec- 


LETTRES    DIVERSES  243 

tion,  OÙ  la  puissance  royale  ne  vient  que  de  ren- 
contrer des  obstacles  de  la  part  des  corps  (dont 
presque  tous  les  membres  sont  nobles  ou  anoblis), 
où  le  luxe  le  plus  effréné  et  la  plus  monstrueuse 
inégalité  des  richesses  laisseront  toujours  d'homme 
à  homme  un  trop  grand  intervalle  !  Quel  pays  plus 
libre  que  l'Angleterre  ?  et  en  est-il  un  où  la  supé- 
riorité du  rang  soit  plus  marquée,  plus  respectée, 
quoique  l'inférieur  n'y  soit  pas  écrasé  impunément? 
Que  de  faux  prétextes,  que  d'ignorance,  ou  plutôt 
que  de  mauvaise  foi  !  Pourquoi  ne  pas  dire  nette- 
ment, comme  quelques-uns  :  «  Je  ne  veux  pas 
payer  »  ?  Je  vous  conjure  de  ne  pas  juger  des  au- 
tres par  vous-même.  Je  sais  que,  si  vous  aviez  cinq 
ou  six  cent  mille  livres  de  rente  en  fonds  de  terre, 
vous  seriez  le  premier  à  vous  taxer  fidèlement  et 
rigoureusement;  mais  vous  vous  rappelez  l'offre 
généreuse  faite  par  le  clergé  pendant  la  première 
assemblée  des  notables ,  et  l'indigne  réclamation 
qu'il  a  faite  ensuite  en  faveur  de  ses  immunités. 
Vous  voyez  le  parlement  feindre  d'abandonner  les 
siennes,  et  l'instant  d'après  se  ménager  les  moyens 
de  les  conserver  et  même  d'accroître  son  existence. 
Enfin,  vous  savez  ce  qui  vient  de  se  passer,  et  ce 
qui  a  si  bien  mis  en  évidence  le  projet  formel  de 
maintenir  les  privilèges  pécuniaireS:  M.  de  Chabot 
et  M.  de  Castries,  ayant  consigné  dans  un  mé- 
moire   leur    abandon  de   ces  privilèges  pour    ne 


244  LETTRES    DIVERSES 

conserver  que  leurs  droits  honorifiques,  n'ont  pu 
trouver  ni  nobles  ni  anoblis  qui  voulussent  signer 
après  eux.  Les  gentilshommes  bretons  ne  nous  di- 
sent-ils pas  qu'il  n'est  pas  en  leur  pouvoir  de  se 
dessaisir  de  leurs  privilèges  utiles,  que  c'est  l'héri- 
tage de  leurs  enfans,  que  ces  droits  seroient  ré- 
clamés par  eux  tôt  ou  tard  ?  Et  c'est  ainsi  qu'ils 
intéressent  leur  conscience  à  faire  de  l'oppression 
du  foible  le  patrimoine  du  fort,  de  l'injustice  la 
plus  révoltante  un  droit  sacré,  enfin  de  la  tyrannie 
un  devoir.  Je  l'ai  entendu...  et  vous  voulez  que 
j'écrive  !  Ah!  je  n'écrirois  que  pour  consacrer  mon 
mépris  et  mon  horreur  pour  de  pareilles  maximes.... 
Je  craindrois  que  le  sentiment  de  l'humanité  ne 
remplît  mon  âme  trop  profondément  et  ne  m'in- 
spirât une  éloquence  qui  enflammât  les  esprits  déjà 
trop  échauffés;  je  craindrois  de  faire  du  mal  par 
Texcès  de  l'amour  du  bien.  Je  m'effraye  de  l'ave- 
nir :  je  vois  mettre  aux  plus  petits  détails  une  suite 
et  un  intérêt  qui  m'étonnent  moi-même;  on  fait 
des  listes  de  ceux  qui  ont  été  pour  et  de  ceux  qui 
ont  été  contre  le  peuple;  on  prête,  on  ôte  tour  à 
tour  tel  ou  tel  propos,  bon  ou  mauvais,  à  tel  ou 
tel  homme.  Pour  mon  compte,  j'ai  nié  hardiment 
un  mot  attribué  à  M.  le  comte  d'Artois,  Ce  mou- 
vement machinal,  chez  moi,  a  été  l'effet  de  ma  re- 
connoissance  pour  les  marques  de  bonté  que  vous 
m'avez  attirées    de  sa  part.  On   suppose  que  ce 


LETTRES    DIVERSES  24$ 

prince  a  dit  à  un  notable ,  dont  l'avis  avoit  été  fa- 
vorable au  peuple  :  Est-ce  que  vous  voulez  nous  en- 
raturer?  Je  ne  crois  point  ce  mot;  mais,  s'il  a  été 
dit,  le  notable  pouvoit  répondre:  «  Non,  Mon- 
seigneur; mais  je  veux  anoblir  les  François  en  leur 
donnant  une  patrie.  »  On  ne  peut  anoblir  les 
Bourbons,  mais  on  peut  encore  les  illustrer  en 
leur  donnant  pour  sujets  des  citoyens,  et  c'est  ce 
qui  leur  a  toujours  manqué.  C'est  bien  M.  le 
comte  d'Artois  qui  y  est  le  plus  intéressé  ;  c'est  bien 
lui  qui  peut  dire,  à  la  vue  de  ses  enfans  :  Posteri, 
posterij  vestra  res  agitur.  C'est  de  cette  époque  que 
tout  va  dépendre.  J'ose  affirmer  que,  si  les  privi- 
légiés pouvoient  avoir  le  malheur  de  gagner  leur 
procès,  la  nation,  écrasée  au  dedans,  seroit  pour 
des  siècles  aussi  méprisable  au  dehors  qu'elle  est 
maintenant  méprisée.  Elle  seroit,  à  l'égard  de  ses 
voisins  réunis,  ce  que  le  Portugal  est  à  l'Angle- 
terre, une  grande  ferme,  où  ils  récolteroient,  en 
lui  faisant  la  loi,  ses  vins,  ses  moissons,  ses  den- 
rées, etc.  Si,  au  contraire,  il  arrive  ce  qui  doit  ar- 
river et  ce  qui  est  presque  infaillible,  je  ne  vois  que 
prospérité  pour  la  nation  entière  et  pour  ces  pri- 
vilégiés si  aveugles,  si  ennemis  d'eux-mêmes,  qui 
n'aperçoivent  pas  que  l'aisance  du  pauvre  fait  par- 
tie de  l'opulence  du  riche;  pour  les  premiers  hom- 
mes de  l'État,  qui  ne  voient  pas  qu'il  n'y  a  de 
liberté  et  de  dignité  particulière  que  sous  la  sauve- 


246  LETTRES    DIVERSES 

garde  de  la  liberté  publique  et  de  l'honneur  na- 
tional. Eh  !  grand  Dieu,  que  peuvent-ils  craindre 
pour  leurs  dignités  ?  Est-ce  le  tiers  état  qui  les  leur 
enlèvera?  est-ce  le  tiers  état  qui  arrivera  aux  places 
de  la  cour,  aux  grands  emplois?  Craignent-ils  pour 
leurs  fortunes?  N'est-ce  pas  un  'fait  avéré  qu'en 
Angleterre  les  grandes  fortunes  territoriales  des 
familles  illustres  ne  datent  que  de  la  révolution  de 
1688?  C'est  le  fruit  du  rehaussement  dans  la  va- 
leur des  terres,  effet  de  la  liberté  publique  et  d'un 
accroissement  marqué  dans  l'industrie  nationale , 
qui  l'un  et  l'autre  tournent  toujours,  en  dernière 
analyse,  au  profit  des  propriétaires  terriens.  Je  suis 
si  convaincu  de  cette  double  influence  que,  si  on 
me  demandoit,  dans  la  sincérité  de  mon  cœur,  à 
quelle  classe  d'hommes  je  crois  plus  profitable  la 
révolution  qui  se  prépare,  je  répondrois  que  cette 
révolution,  profitable  à  tous,  l'est  à  chacun  dans 
la  proportion  de  supériorité  déjà  existante  où  son 
rang  et  sa  fortune  actuels  le  mettent  sur  la  grande 
échelle  sociale.  J'en  excepte  le  clergé,  dont  nous 
ne  sommes  pas  en  peine,  ni  vous  ni  moi,  et  les 
ministres  (pour  le  temps,  quelquefois  très-court, 
pendant  lequel  ils  sont  ministres)  ;  mais  on  ne  se 
dégoûtera  pas  du  métier;  et  puis,  on  ne  sauroit 
parer  à  tout. 

Telle  est  ma  manière  de  voir  cette  unique  et  in- 
concevable crise.  J'ai  voulu  vous  faire  ma  profes- 


LETTRES     DIVERSES  247 

sion  de  foi,  afin  que,  si  par  hasard  nos  opinions  se 
trouvoient  trop  différentes,  nous  ne  revinssions  plus 
sur  cette  conversation.  Nos  opinions  ont  plus  d'une 
fois  été  opposées,  sans  que  d'ailleurs  nos  âmes 
aient  cessé  de  s'entendre  et  de  s'aimer  :  c'est  le 
principal ,  ou  plutôt  c'est  tout.  Je  me  souviens, 
entre  autres ,  qu'il  y  a  juste  deux  ans  dans  ce 
moment-ci,  nous  eûmes  une  discussion  très-animée 
sur  le  parti  que  prenoit  M.  de  Calonne,  sur  son 
projet  de  subvention  territoriale,  infaillible,  disiez- 
vous,  s'il  étoit  appuyé,  comme  il  l'étoit,  de  toute 
la  puissance  du  roi.  Je  vous  dis  que  le  roi  y 
échoueroit.  Je  vous  dis,  en  propres  termes,  que 
le  roi  pouvoit  faire  abattre  la  forêt  la  plus  im- 
mense ;  mais  qu'on  ne  faisoit  pas  quatre  cents 
lieues,  à  pied,  sur  des  lianes,  des  ronces  et  des 
épines.  Ce  que  l'on  entreprend  aujourd'hui  est 
bien  autrement  difficile.  Supposez,  ce  qui  paroît 
impossible,  que  la  nation  soit  vaincue  aux  pro- 
chains Etats  généraux,  je  demande  ce  qui  arrivera 
en  1791,  à  l'époque  où  le  troisième  vingtième 
cessera  d'être  dû,  où  les  impôts,  depuis  l'incom- 
pétence reconnue  des  parlemens,  exigeront  le 
consentement  national.  Croyez  -  vous  que  ces 
cinquante -cinq  millions  seront  perçus?  croyez- 
vous  même  que  les  autres  le  soient  exactement? 
Non,  non.  Croyez  plutôt  qu'on  ne  réduit  pas 
vingt-trois   ou    vingt -quatre    millions    d'hommes 


248  LETTRES    DIVERSES 

dont  le  mécontentement  ne  se  montre  point  sous 
la  forme  de  révolte,  mais  sous  celle  de  mauvaise 
volonté.  Alors,  que  restera-t-il  à  ceux  qui  auront 
favorisé  de  si  mauvaises  mesures  ?  Je  vous  supplie, 
au  nom  de  ma  tendre  amitié,  de  ne  pas  prendre 
à  cet  égard  une  couleur  trop  marquante.  Je  connois 
le  fond  de  votre  âme;  mais  je  sais  comme  on  s'y 
prendra  pour  vous  faire  pencher  du  côté  antipo- 
pulaire. Souffrez  que  j'en  appelle  à  la  noble  por- 
tion de  cette  âme  que  j'aime,  à  votre  sensibilité, 
à  votre  humanité  généreuse.  Est-il  plus  noble  d'ap- 
partenir à  une  association  d'hommes,  quelque  res- 
pectable qu'elle  puisse  être,  qu'à  une  nation  en- 
tière, si  longtemps  avilie,  et  qui,  en  s'élevant  à  la 
liberté,  consacrera  les  noms  ^de  ceux  qui  auront 
fait  des  vœux  pour  elle,  mais  peut  se  montrer  sé- 
vère, même  injuste,  envers  les  noms  de  ceux  qui 
lui  auront  été  défavorables  ?  Je  vous  parle  du  fond 
de  ma  cellule,   comme  je  le  ferois  du   tombeau, 
comme  l'ami  le  plus  tendrement  dévoué,  qui  n'a  ja- 
mais aimé  en  vous  que  vous-même,  étranger  à  la 
crainte  et  à  l'espérance  ,  indifférent  à  toutes   les 
distinctions  qui  séparent  les  hommes,  parce   que 
leur  coup  d'œil  n'est  plus  rien  pour  lui.  J'ai  cru 
remplir  le  plus  noble  devoir  de  l'amitié  en  vous 
parlant  avec  cette  franchise  :  puissiez-vous  la  pren- 
dre pour  ce  qu'elle  est,  c'est-à-dire  pour  l'expres- 
sion et  !a  preuve  du  sentiment  qui  m'attache  à  tout 


LETTRES     DIVERSES  249 

ce  que  vous  avez  d'aimable  et  d'honnête,  et  à  des 
vertus  que  je  voudrois  voir  apprécier  par  d'autres 
autant  qu'elles  le  sont  par  moi-même. 


LETTRE   IX. 

^  M,  p 

Je  n*ai  reçu,  Monsieur,  votre  billet  qu'hier  ma- 
tin, au  moment  où  je  sortois  pour  une  affaire  in- 
téressante qui  m'a  empêché  d'avoir  l'honneur  d'y 
répondre  sur-le-champ. 

Je  vous  dois  d'abord  des  remercîmens  de  la 
préférence  que  vous  me  donnez,  en  voulant  m'as- 
socier  à  des  gens  de  lettres  que  j'estime  et  que 
j'honore;  mais,  après  mes  remercîmens,  je  vous 
prie  d'agréer  le  véritable  regret  que  j'ai  de  ne 
pouvoir  être  leur  coopérateur.  La  partie  dont  je 
serois  chargé  entraîne  avec  soi  des  inconvéniens 
auxquels  ils  ne  se  sont  pas  exposés.  Je  vous  avoue 
franchement  que  je  ne  sais  pas  le  moyen  de  traiter 
trois  fois  par  mois  avec  l'amour-propre  des  auteurs, 
acteurs  et  actrices  des  trois  théâtres  de  Paris,  et 
surtout  de  la  Comédie  françoise.  Serai-je  un  cri- 
tique juste  et  sévère,  me  voilà  l'ennemi  de  tous 
les  mauvais  auteurs;  et,  malgré  leur  petit  nombre, 

32 


25o  LETTRES    DIVERSES 

ils  ne  laissent  pas  d'être  très-dangereux  ;  prendrai-je 
le  parti  de    la  grande  indulgence,  je  déshonore, 
je  décrédite  mon  jugement;  et,  ce   qui  n'est  pas 
indifférent  pour  vous,  le  nombre  des  souscripteurs 
diminuera,  car  le  public  veut  de  la  malignité.   Il 
faut  que  l'article  des  spectacles  soit  attendu,  qu'il 
inspire  de  la  curiosité,  de  la  crainte,  de  l'espérance; 
en  un  mot,  qu'il  remue   les  passions,  comme  les 
ouvrages  de  théâtre  dont  il  rend  compte.  Faut-il 
tout  vous  dire.  Monsieur  ?  gardez-moi  le  secret  : 
un  journal  sans  malice  est  un  vaisseau  de  guerre 
démâté,  à  qui  les  corsaires  même  refusent  le  salut. 
On  peut  insister  et  prétendre  qu'il  est  possible 
d'accorder  la  plus  exacte  politesse  avec  une  criti- 
que sévère.   Outre  que    je  crois  cet  accord  très- 
difficile,  l'amour-propre  des  auteurs  sait- il,  dans 
ses   chagrins,  vous  tenir  compte  de  vos  ménage- 
mens?  On  injurie,  on  insulte,  on  calomnie  le  cri- 
tique, et,  en  pareil  cas,  qui  peut  répondre  de  soi? 
Le  sentiment  de  l'injustice  irrite  ;  le  caractère  s'ai- 
grit; on  devient  injuste,  absurde  soi-même,  et  on 
finit  par  tomber  dans  un  décri,  dans  un  avilisse- 
ment qui  équivaut  à  une  flétrissure  publique  et  à 
une  véritable  diffamation.  Nous  en  avons  des  exem- 
ples déplorables  dans  la  personne  de   M.  F...   et 
de  M.  de  La  H...,  qui  n'étoient  point  sans  talens 
l'un  et  l'autre,  à  beaucoup  près.  Qui  sait  même 
s'ils  n'étoient  pas  nés  honnêtes?  En  vérité,  cette 


LETTRES     DIVERSES  25l 

destinée  fait  frémir.  Il  n'en  faut  pas  courir  les  ris- 
ques; il  ne  faut  pas  tenter  Dieu. 

Telles  sont  mes  raisons,  Monsieur;  et,  en  sup- 
posant, ce  qui  seroit  peut-être  en  moi  trop  d'a- 
mour-propre, qu'elles  ne  vous  satisfissent  point 
comme  propriétaire  du  privilège  du  [Mercure,  je 
suis  bien  sûr  que  vous  les  approuverez  comme 
homme,  et  comme  honnête  homme. 


LETTRE   X. 

A   Madame..,.. 

Voici  le  moment  où  je  commence  à  soulever 
mon  âme,  après  le  coup  qui  vient  de  l'accabler. 
C'est  ce  qui  m'a  empêché,  mon  aimable  amie,  de 
répondre  à  votre  lettre.  Un  autre  sentiment  m'a 
empêché  de  courir  à  vous.  J'ai  craint,  je  l'avoue- 
rai, j*ai  craint  votre  présence  autant  que  je  la  dé- 
sire; j'ai  craint  d'être  suffoqué  en  voyant,  dans  ces 
premiers  jours,  la  personne  que  mon  amie  aimoit  le 
plus  et  dont  nous  parlions  le  plus  souvent.  Le 
cœur  sait  ce  qu'il  lui  faut,  et  quand  il  le  lui  faut. 
C'est  de  vous  que  j'ai  besoin  maintenant  :  j'irai 
vous  voir  au  premier  jour,  mais  le  matin,  vers  les 
dix  heures.  Je  ne  réponds  pas  du  premier  mo- 
ment; mais  je  ne  suffoquerai  point,  parce  que  mon 


252  LETTRES    DIVERSES 

cœur  peut  s'épancher  auprès  de  vous.  Mais,  quand 
je  songe  que  ce  même  jour,  et  sans  doute  à  cette 
même  heure  où  je  serai  chez  vous,  elle  vous  ver- 
roit  aussi...  Je  m'arrête,  et  ne  puis  plus  écrire; 
les  larmes  coulent;  et  c'est,  depuis  qu'elle  n'est 
plus,  le  moment  le  moins  malheureux^ 


LETTRE    XL 

A  la  même.^ 

Paris,  juillet  i  789. 

La  veille  du  jour  où  j'ai  reçu  votre  lettre,  Ma- 
dame, j'avois  vu  M.  Marmontel  et  lui  avois  parlé 
de  celle  qu'il  avoit  reçue  de  vous,  avec  les  pièces 
justificatives  attestant  l'acte  de  vertu  auquel  vous 
vous  intéressez.  J'ai  pris  la  liberté  d'y  joindre  un 
petit  mot  de  reproche  sur  son  défaut  de  galante- 
rie. Sa  réponse  m'a  prouvé  que  si,  en  devenant 
vieux,  on  est  exposé  à  devenir  paresseux  ou  moins 
galant,  on  peut  du  moins  continuer  à  se  tenir  en 
règle  et  à  mettre  ses  papiers  en  ordre.  Il  m'a  mon- 
tré votre  paquet,  bien  étiqueté,  entre  ceux  de  vos 
rivales,  et  il  m'a  dit  que  sa  coutume  étoit  de  ré- 
pondre après  la  décision  de  l'Académie.  Je  m'ima- 
gine. Madame,  qu'il  ne  manquera  pas  à  ce  devoir; 
mais,  en  tout  cas,  je  me  ferai,  à  cet  égard,  le  sup- 


LETTRES    DIVERSES  253 

pléant  de  M.  Marmontel,   et  je   deviendrai  pour 
vous  le  secrétaire  de  notre  secrétaire. 

Vous  ne  me  paroissez  pas  bien  apitoyée  sur  le 
décès  de  notre  ami  feu  le  Despotisme,  et  vous 
savez  que  cette  mort  m'a  très-peu  surpris.  C'est 
avec  bien  du  plaisir  que  je  reçois  de  votre  main 
mon  brevet  de  prophète.  Il  vaut  mieux  que  celui 
de  sorcier,  qui  m'a  été  expédié  par  plusieurs  de 
mes  amis;  mais  les  femmes  sont  toujours  plus  po- 
lies, plus  aimables  que  les  hommes.  Au  reste, 
comme  on  ne  scie  plus  les  prophètes  et  qu'on  ne 
brûle  plus  les  sorciers,  je  jouis  en  toute  sûreté  des 
honneurs  de  ma  prévoyance.  Mais,  en  vérité,  il 
n'en  falloit  pas  beaucoup  :  il  ne  falloit  qu'appro- 
cher du  colosse  pour  s'apercevoir  qu'il  étoit  creux 
et  pourri,  vernissé  en  dehors  et  vermoulu  en  de- 
dans. Sa  chute,  pour  avoir  été  trop' soudaine,  nous 
mettra  dans  l'embarras  quelque  temps;  mais  nous 
nous  en  tirerons. 

Je  voulois,  ces  derniers  jours,  aller  causer  avec 
vous  et  récapituler  les  trente  ans  que  nous  venons 
de  vivre  en  trois  semaines;  mais  la  chaleur  acca- 
blante d'hier  et  d'aujourd'hui  m'a  retenu  chez 
moi.  J'irai  me  dédommager  quand  le  thermomètre 
sera  descendu  de  quelques  degrés.  Il  y  en  a  un 
qui  ne  descendra  pas  :  c'est  celui  de  l'amitié  que 
je  vous  ai  vouée  l'an  cinquantième  du  règne  de 
Claude-Louis  XV.  C'est  une  fort  bonne  raison  de 


254  LETTRES    DIVERSES 

ne  pas  douter  de  mon  tendre  et  respectueux  atta- 
chement sous  son  successeur. 

P.  S.  Voulez-vous  bien  vous  charger  de  tous 
mes  complimens  pour  M...,  et  le  prier  de  rendre 
le  Mercure  un  peu  plus  républicain  :  il  n'y  a  plus 
que  cela  qui  prenne.  Item,  que  la  Gazette  de  France 
soit  aussi  haussée  de  plusieurs  crans,  dans  la  pro- 
portion respectueuse  où  elle  doit  être  à  l'égard  du 
Mercure.  Ajoutez,  je  vous  demande  en  grâce, 
qu'à  ce  prix  je  lui  pardonne  la  peur  qu'il  a  voulu 
me  faire  des  baïonnettes,  auxquelles  il  avoit  une 
foi  trop  peu  philosophique. 

Mercr....  Paris,  P.  R.  n.   i8. 


LETTRE  XII. 

A  la  mêniç. 

Paris,  1789. 

Je  suis  mal  avec  moi-même,  mon  aimable  amie, 
et  j'ai  besoin  d'espérer  que  je  ne  suis  pas  aussi  mal 
avec  vous.  Pour  commencer  par  ce  qui  me  peine 
le  plus,  c'est  que  je  ne  puis  dîner  avec  vous,  ni 
même  vous  voir  aujourd'hui.  Je  suis  forcé  d'assis- 
ter au  dîner  de  notre  société  des  trente-six,  où  je 
veux   présenter    deux   de    mes   amis    pour   notre 


LETTRES     DIVERSES  255 

grand  club,  avant  qu'il  soit  formé  et  que  le  scrutin 
soit  établi.  Je  les  désobligerois  grossièrement  et 
les  exposerois  à  n'être  pas  reçus,  et,  de  plus,  je  dé- 
plais beaucoup  à  la  société  déjà  établie  pour  n'y 
avoir  pas  dîné  depuis  plusieurs  vendredis,  jour  qui, 
n'étant  pas  académique,  a  été  demandé  en  ma  fa- 
veur par  quelques  amis  particuliers;  mais  ce  n'est 
pas  cette   dernière   raison   qui    me  prive  de   vous 
aujourd'hui,  voilà  pourquoi  je  n'ai  pas  tant  d'hu- 
meur contre  elle.  Au   surplus,  je  ferois  mieux  de 
garder  tout  à  fait  ma  chambre  :  car,  sans  être  ma- 
lade, je  suis  excédé,  anéanti,  et  j'ai  grand  besoin 
de  repos.  Voilà  près  de  huit  jours  qu'il  m'a  été 
impossible  de  me  délivrer  d'une  fantaisie  de  poëte, 
vraiment    poétique  ,  au   moins  par  son   acharne- 
nement.  Le  jour,  la  nuit,  le  repas  même,  tout  s'en 
est  ressenti  :  je  ne  croyois  pas  être  si  jeune.  Rien, 
absolument   rien,  n'a  pu  faire  lâcher  prise  à  cette 
lubie.   C'est    être  mordu  d'un    chien    enragé.   Le 
chien     n'étoit   pas    gros,    mais  c'est    un    chien- 
loup,  ou  plutôt  un  chien-lion,  un  mélange  d'hor- 
rible et  de  ridicule,  de  raison  et  de  folie,  mais  où 
la  raison  ordonnoit  à  la  folie  de  paroître  domi- 
nante. J'irai  vous  faire  ma  cour  un  de  ces  matins, 
et  vous  présenter    à  votre  lever  mon  redoutable 
petit  Bichon.  J'espère  que,  malgré  ses  dents,   et 
non   pas  malgré  lui,  il  pourra  vous  amuser.  Je  ne 
me  servirois  pas  de  lui  pour  faire  ma  paix  avec 


256  LETTRES    DIVERSES 

VOUS,  car  je  ne  la  ferois  jamais  avec  moi-même, 
si  je  n'avois  pas  à  vingt  reprises  écarté,  repoussé 
cette  persévérante  folie,  souveraine  maîtresse  de 
mon  imagination.  Si  je  vous  en  demandois  par- 
don, ce  seroit  vous  demander  pardon  d'avoir  eu 
quelques  accès  de  fièvre.  Fièvre  soit,  la  comparai- 
son est  juste ,  et  il  ne  me  falloit  rien  moins  qu'une 
maladie  pour  m'empêcher  de  vous  envoyer  bien 
vite  ce  que  je  vous  ai  promis. 

Il  est  vrai  de  dire  que  je  me  suis  bien  mis  qua- 
tre à  cinq  fois  au  livre  de  M.  de  Saint-Pierre, 
dont  j'avois  mille  choses  à  dire,  toutes  préparées 
dans  ma  tête,  et  il  n'est  pas  moins  vrai  que  je  n'ai 
pu  les  retrouver,  que  rien  ne  venoit;  mais  à  là 
place  accouroient  les  idées  dont  j'étois  rempli  :  la 
folle  étoit  reine  dans  la  maison»  Qu'y  faire?  Céder 
pour  redevenir  le  maître.  La  voilà  chassée,  tout 
à  fait  chassée,  et  dès  demain  je  me  remets  à  la  sa- 
gesse, c'est-à-dire  à  ce  qui  peut  vous  faire  plaisir. 
Je  vous  l'enverrai  tout  de  suite,  ce  qui  est  bien 
généreux  :  car  je  ne  prétends  pas  différer  le  plaisir 
de  prendre  une  tasse  de  chocolat  auprès  de  votre 
chevet. 

Adieu,  mon  aimable  amie  ;  vous  connoissez  mon 
respect  et  mon  attachement.  Vous  chargez-vous 
de  tous  mes  complimens  et  de  tous  mes  regrets 
auprès  de  M...? 


LETTRES     DIVERSES  257 

LETTRE   XIII. 

A  la  même. 

Paris,   I  5  juillet   1790. 

Bon  Dieu!  que  j*admire  votre  courage  et  que 
j*aime  votre  bonté  !  Que  je  vous  ai  désirée  à  la 
place  où  j'étois,  en  face  de  l'autel,  et,  tout  au- 
près, un  asile  contre  les  averses!  Je  sais  oii  vous 
étiez,  et  vous  étiez  bien  mal.  Dans  ce  moment, 
je  vous  aurois  presque  grondée;  mais  je  vous  au- 
rois  aimée  davantage,  s'il  est  possible.  Comme  il 
n'y  aura  plus  de  fédération,  j'espère  que  vous  vous 
ménagerez,  que  vous  soignerez  ce  mieux  qui, 
Dieu  merci,  est  arrivé  bien  vite,  dont  j'irai  voir  les  i 
progrès  au  plus  tôt,  peut-être  aujourd'hui  même, 
et  dont  je  vous  remercie. 

J'aime  bien  encore  votre  nouvelle  profession  de 
foi  :  nous  sommes  inébranlables  dans  notre  reli- 
gion. J'entends  crier  à  mes  oreilles,  tandis  que  je 
vous  écris  :  Suppression  de  toutes  les  pensions  de 
France!  et  je  dis  :  «Supprime  tout  ce  que  tu  vou- 
dras, je  ne  changerai  ni  de  maximes  ni  de  senti- 
mens.  »  Les  hommes  marchoient  sur  leur  tête,  et  ils 
marchent  sur  les  pieds;  je  suis  content  :  ils  auront 
toujours  des  défauts,  des  vices  même  ;  mais  ils 
Chamfort.  —  II.  3  3 


258  LETTRES    DIVERSES 

n'auront  que  ceux  de  leur  nature,  et  non  les  dif- 
formités monstrueuses  qui  composoient  un  gou- 
vernement monstrueux. 

Adieu,  mon  aimable  amie,  conservez-vous  pour 
vos  amis.  Faisons  durer  tout  ce  qui  est  bon  de 
l'ancien  temps ,  qui  étoit  si  mauvais'. 


LETTRE  XIV. 

Paris,  17  janvier  1792. 

Je  n'ai  pas  répondu,  mon  ami;  à  votre  dernière 
lettre,  i*'  parce  que  je  ne  l'ai  pas  pu;  2°  parce 
que  je  savois  que  sous  trois  jours  les  journaux  se 
chargeroient  de  répondre  à  l'un  de  ses  articles 
principaux,  celui  qui  nous  occupoit  alors,  les  ras- 
semblemens  des  réfugiés  brabançons  à  Lille ,. 
Douay,  etc.  Il  j  a  des  siècles  depuis  ce  moment,, 
et  tout  est  bien  changé.  Je  vis  avec  des  personnes 
(et  ce  ne  sont  pas  celles  que  vous  connoissez)  qui 
se  trouvent,  par  une  position  bizarrement  favora- 
ble, très  au  fait  des  affaires  des  Pays-Bas.  Tou- 
jours est-il  vrai  que  depuis  un  mois  ils  m'annon- 
cent, quatre  jours  à  l'avance,  ce  qui  se  trouve 
vérifié  par  l'événement.  Ces  gens-là  soutiennent 
que  Léopold  craint  une  guerre  avec  nous  plus  que 
Les  badauds  de  Paris  ne  la  craignoient  il  y  a  deux 


LETTRES     DIVERSES  250 

ans.  Ils  prédisent  que  sa  réponse  du  lo  février 
prochain  sera  telle  que  nous  la  pourrions  désirer 
dans  le  système  le  plus  pacifique;  et  je  conçois 
que  les  mouvemens  déjà  sensibles  dans  plusieurs 
de  ses  Etats,  et  entre  autres  dans  la  Styrie,  sont 
bien  capables  de  l'inquiéter.  Mais,  supposons  qu'il 
veuille  agir  hostilement  dans  deux  mois,  que  fe- 
rons-nous si,  d'ici  à  ce  temps,  il  parle  en  allié  et 
en  bon  voisin?  Lui  déclarerons-nous  la  guerre? 
entrerons-nous  dans  le  Brabant,  comme  un  certain 
parti  nous  en  sollicite?  C'est  ce  qui  paroît  impos- 
sible, et,  dans  la  supposition  même  où  il  lieroit 
sa  partie  avec  les  princes  allemands  pour  nous 
faire  au  printemps  prochain  une  guerre  qu'il  rendra 
sûrement  une  guerre  d'Empire,  comment  forcerons- 
nous  notre  pouvoir  exécutif,  maître  des  combinai- 
sons militaires,  à  marcher  en  Brabant  plutôt  qu'à 
Liège,  à  Trêves,  etc.?  On  rit  de  pitié  lorsqu'on 
voit,  après  deux  ans  et  demi  de  révolution,  le 
parti  patriote  n'ayant  pas  eu  le  crédit  de  chas- 
ser un  commis  de  la  guerre,  M.  Bessière,  par 
exemple,  et  des  commis  des  affaires  étrangères, 
tels  que  Hennin  et  Rayneval.  Contraindra-t-il  le 
roi  à  agir  sérieusement  contre  son  beau-frère,  avec 
qui  se  sont  concertés  des  arrangemens  déjoués 
par  le  hasard  plus  que  par  la  politique?  C'est  ce 
qui  ne  pourroit  arriver  qu'après  une  crise  qui  com- 
pliqueroit  encore   notre    position   et  la    rendroit 


260  LETTRES     DIVERSES 

peut-être  encore  plus  embarrassante.  Mon  idée  est 
toujours  que  tout  ceci  est  un  problème  sans  solu- 
tion, un  drame  brouillé  et  confus,  dont  le  dénoû- 
ment  tombera  d'en  haut  comme  celui  des  pièces 
d'Euripide.  Ce  que  je  sais  seulement,  c'est  que  le 
mouvement  général  entravera  tous  les  mouvemens 
partiels  et  contradictoires  dont  on  cherche  à  le  re- 
tarder. 

N'avez -vous  pas  bien  ri  du  patriotisme  qui, 
dans  la  séance  du  14  de  ce  mois,  a  saisi  nos  mi- 
nistres et  les  huissiers?  J'ai  surtout  été  ravi  de 
l'enthousiasme  de  M.  de  Lessart,  quoique  celui  de 
M.  Duport  ait  bien  son  mérite,  M.  Duport  qui 
disoit  la  surveille  :  «  Tout  ceci  ne  peut  pas  aller, 
et  la  constitution  ne  marchera  jamais  sans  une 
chambre  haute  !  » 

La  plupart  de  nos  députés,  quelques  meneurs  et 
quelques  intrigans,  voient  que  M.  de  Lessart  tire  à 
sa  fin,  et  c'est  même  l'opinion  générale.  Ce  n'est 
pas  la  mienne,  et  j'ai  de  fortes  raisons  de  croire 
qu'il  sera  très-difïîcile  de  le  déraciner.  Peut-être 
en  savez-vous  autant  que  moi,  si  vous  n'en  savez 
pas  plus.  Quoi  qu'il  en  soit,  je  dis  à  qui  veut 
l'entendre  que  je  ne  compterai  sur  la  sincérité  des 
Tuileries  que  lorsque  vous  aurez  ce  ministère-là. 
Je  m'aperçois  que  je  ne  réussis  pas  également  au- 
près de  tout  le  monde  en  parlant  ainsi  :  cet  ar- 
rangement n'est  pas  celui  qui  convient  à  certaines 


LETTRES     DIVERSES  261 

gens  que  vous  savez  ;  mais  c'est  ce  qui  m'importe 
fort  peu.  Croiriez-vous  qu'il  y  a  eu  une  plate  in- 
trigue pour  y  placer  S.  L...?  L'ancien  régime  n'é- 
toit  pas  plus  impudent.  S.  L...  aux  affaires  étran- 
gères! lui  qui  ne  sait  pas  plus  la  géographie  que 
M.  de  Lessartl  Vous  jugez  bien  qu'on  croyoit 
le  gouverner  jusqu'au  moment  où  l'année  1793 
ouvriroit  la  porte  aux  nobles  de  la  minorité,  les 
seuls  hommes  vraiment  faits  pour  les  places.  Il  est 
bien  heureux  pour  les  auteurs  de  cette  plate  intri- 
gue d'avoir  été  siffles  avant  le  lever  de  la  toile  :  ils 
en  auroient  été  les  dupes;  il  les  eût  joués  tous  et 
probablement  foulés  aux  pieds.  Qu'eût  fait  S.  L...? 
Il  ne  manque  pas  d'esprit.  Il  a  cette  activité  que 
donne  à  un  ambitieux  l'habitude  du  travail  dans 
les  emplois  subalternes;  il  eût  pris  la  géographie 
de  Busching,  de  bonnes  cartes,  eût  parcouru  les 
cartons  et  les  portefeuilles  des  affaires  étrangères, 
se  seroit  bourré  la  cervelle  de  tout  ce  qui  pouvoit 
y  entrer  en  quinze  jours,  leur  eût  dit  qu'il  en  sa- 
voit  plus  qu'eux  en  politique,  et  leur  eût  du  moins 
prouvé  qu'en  intrigue  et  en  audace  il  étoit  leur 
maître  à  tous.  Voilà  l'homme,  et  tel  est  le  carac- 
tère qu'il  a  montré  depuis  qu'il  est  en  place.  Vous 
savez  qu'ils  veulent  M.  Dietrich.  Je  sais  que  c'est 
un  bon  citoyen  et  un  homme  de  mérite;  mais 
j'ignore  s'il  a  d'ailleurs  toutes  les  connoissances 
requises. 


202  LETTRES     DIVERSES 

Adieu,  mon  cher  ami;  je  vous  aime  et  vous  em- 
brasse de  tout  mon  cœur.  Vos  fanatiques  vous 
donnent  bien  du  tracas  dans  votre  département. 
Mais  le  dégoût  que  m'inspirent  ici  les  intrigans  et 
les  fripons,  ci-devant  honnêtes,  remplit  l'âme  d'un 
sentiment  plus  mélancolique. 

L'hommage  de  l'amitié  à  votre  peureuse  amie. 


LETTRE  XV. 

Paris,   I  2  août  i  792. 

Je  continue,  mon  ami,  de  me  bien  porter;  mais 
je  ne  néglige  point  mon  régime.  J'ai  fait  ce  ma- 
tin le  tour  de  la  statue  renversée  de  Louis  XV,  de 
Louis  XIV,  à  la  place  Vendôme,  à  la  place  des 
Victoires.  C'étoit  mon  jour  de  visite  aux  rois  dé- 
trônés, et  les  médecins  philosophes  disent  que  c'est 
un  exercice  très-salutaire.  Vous  serez  sûrement  de 
leur  avis.  En  tous  cas,  j'ai  pris  cela  sur  moi. 

De  la  place  Louis  XV  j'ai  poussé  jusqu'au 
château  des  Tuileries.  C'est  un  spectacle  dont  on 
ne  se  fait  pas  l'idée.  Le  peuple  remplissoit  le  jardin, 
comme  il  eût  fait  celui  du  Prato,  à  Vienne,  ou  ceux 
de  Potsdam  ;  la  foule  inondoit  les  appartemens 
teints  du  sang  de  ses  frères  et  de  ses  amis,  et  percés 


LETTRES     DIVERSES  263 

de  coups  de  canon  renvoyés  en  réponse  à  ceux 
qui  les  avoient  massacrés  la  surveille.  Les  conversa- 
tions étoient  analogues  à  ces  tristes  objets.  A  la 
vérité,  je  n'ai  pas  entendu  prononcer  le  nom  du  roi 
ni  celui  de  la  reine;  mais,  en  revanche,  on  y  parloit 
beaucoup  de  Charles  IX  et  de  Catherine  de  Médicis. 
Une  vieille  femme  y  racontoit  plusieurs  traits  de 
l'histoire  de  France.  Un  homme  en  haillons  citoit 
l'anecdote  de  la  jatte  et  des  gants  de  la  duchesse 
de  Marlborough  comme  ayant  été  la  cause  d'une 
guerre.  Il  se  trompoit  :  elle  fit  faire  une  campagne 
de  moins;  mais  je  me  suis  bien  gardé  de  rétablir 
le  texte  :  j'aurois  été  pris  pour  un  aristocrate; 
d'ailleurs,  la  méprise  étoit  si  légère,  et  l'intention 
du  conteur  étoit  si  bonne! 

Voulez-vous  savoir  de  combien  de  siècles  l'opinion 
a  cheminé  depuis  deux  mois?  Rappelez-vous  le 
symptôme  que  je  vous  citois  de  la  passion  françoise 
pour  la  royauté,  ce  que  je  prouvois  par  la  facilité 
avec  laquelle  les  danseurs  jacobins,  sous  mes  fenêtres, 
passoient  de  l'air  Ça  ira  à  l'air  Vive  Henri  IV!  Eh 
bien,  cet  air  est  proscrit,  et  au  moment  où  je  vous 
parle  la  statue  de  ce  roi  est  par  terre.  Rien  ne  m'a 
plus  étonné  dans  ma  vie.  Je  ne  vous  dirai  plus  que 
ceux  qui  voudroient  la  république  trouveroient  sur 
leur  chemin  la  Henriade  et  le  Lodoïx  de  l'univer-r 
site;  non,  cela  n'est  plus  à  craindre,  et  je  suis  sûr 
même  que  le  Versalicas  arces  de  nos  poëmes  latins 


264  LETTRES     DIVERSES 

modernes  ne  protégera  pas  Versailles.  Il  ne  falloit 
rien  moins  que  la  cour  actuelle  pour  opérer  ce 
miracle;  mais  enfin,  elle  l'a  fait:  gloire  lui  soit 
rendue!  Je  n'ai  plus  le  moindre  doute  à  cet  égard 
depuis  que  j'ai  entendu  les  discours  très-peu  badauds 
des  Parisiens  autour  des  statues  royales  qui  ont  eu 
ce  matin  ma  visite.  Pour  moi,  le  peu  de  badauderie 
qu'il  me  reste  m^a  engagé  à  lire  quelques  mots 
écrits  sous  un  pied  du  cheval  de  Louis  XIV.  Que 
croyez-vousque  j'y  ai  trouvé?  Le  nom  de  Girardon, 
qui  avoit  caché  là  son  immortalité.  Cela  ne  vous 
paroît-il  pas  l'emblème  de  la  protection  intéressée 
accordée  aux  beaux-arts  par  un  despote  orgueilleux,' 
et  en  même  temps  de  la  modeste  bêtise  d'un  artiste, 
homme  de  génie,  qui  se  croit  honoré  de  travailler 
à  la  gloire  d'un  tyran?  Plus  j'étudie  l'homme,  plus 
je  vois  que  je  n'y  vois  rien.  Au  reste,  il  seroit 
plaisant  que  Girardon  se  fût  dit  en  lui-même  :  «  La 
gloire  de  ce  roi  ne  durera  pas;  sa  statue  sera  ren- 
versée par  la  postérité  indignée  de  son  despotisme, 
et  son  cheval,  en  levant  le  pied,  parlera  de  ma 
gloire  aux  regardans.  »  Cet  artiste-là  auroit  eu  une 
philosophie  qu'on  pourroit  souhaiter  aux  Racine  et 
aux  Boileau. 

A  propos  de  roi,  on  m'a  dit  qu'on  parloît  de 
vous  pour  l'éducation  du  prince  royal.  J'y  trouve 
une  difficulté  :  comment  saurez-vous  quel  métier  il 
faut  faire  apprendre  à  votre  élève,  en  cas  que  les 


LETTRES     DIVERSES  205 

François  ressemblent  aux  Parisiens?  Prenez-y  garde  ! 
cette  difficulté  vaut  bien  qu*on  la  propose. 

Vous  êtes  sûrement  bien  aise  que  Grouvelle  soit 
secrétaire  du  conseil,  et  par  conséquent  qu'un 
mauvais  génie  ne  l'ait  pas  placé  il  y  a  sept  ou  huit 
jours,  comme  le  bruit  en  avoit  couru.  Il  trouvera 
ce  métier  bien  doux  auprès  de  celui  de  président 
de  section,  qu'il  a  fait  pendant  la  terrible  nuit 
d'avant-hier.  Un  président  de  section  étoit,  en  ce 
moment,  un  composé  de  commissaire  de  quartier, 
arbitre,  juge  de  paix,  lieutenant  criminel,  et  un 
peu  fossoyeur,  vu  que  les  cadavres  étoient  là  qui 
attendoient  ses  ordres,  comme  il  arrive  quand  le 
pouvoir  exécutif  force  la  souveraineté  à  recourir  au 
pouvoir  révolutionnaire.  Je  suis  bien  aise  aussi  que 
Lebrun  soit  aux  affaires  étrangères,  quoique  je  n'aie 
jamais  pu,  pendant  deux  mois,  obtenir  de  lui  une 
épreuve  de  la  Gazette  de  France  tandis  qu'il  la 
faisoit  sous  mon  nom.  Je  n'ai  pas  de  rancune. 

Adieu,  mon  cher  ami;  je  vous  aime  et  vous  em- 
brasse très-tendrement  :  vous  voyez  que,  sans  être 
gai,  je  ne  suis  pas  précisément  triste.  Ce  n'est  pas 
que  le  calme  soit  rétabli,  et  que  le  peuple  n'ait, 
encore  cette  nuit,  pourchassé  les  aristocrates,  entre 
autres  les  journalistes  de  leur  bord;  mais  il  faut 
savoir  prendre  son  parti  sur  les  contre-temps  de 
cette  espèce.  C'est  ce  qui  doit  arriver  chez  un 
peuple  neuf  qui  pendant  trois  années  a  parlé  sans 


206  LETTRES     DIVERSES 

cesse  de  sa  sublime  Constitution,  mais  qui  va  la 
détruire,  et,  dans  le  vrai,  n'a  su  organiser  encore 
que  l'insurrection.  C'est  peu  de  chose,  il  est  vrai, 
mais  cela  vaut  mieux  que  rien. 

Adieu,  encore  une  fois.  Je  vous  espère  sous 
huitaine,  ainsi  que  notre  cher  malade.  Je  ne  vous 
ai  point  parlé  de  lui,  parce  que  je  vais  lui  écrire. 


LETTRE  XVI. 

A  la  Citoyenne..... 
I  5  frimaire,  l'an  II  de  la  République. 

C*est  un  besoin  pour  moi,  mon  aimable  amie,  de 
vous  écrire,  et  je  suppose  qu'en  ce  moment-ci  vous 
êtes  disposée  à  faire  grâce  aux  défauts  de  mon 
écriture.  Je  ne  crojois  pas,  lorsque  vous  déchiriez 
votre  linge  pour  mes  blessures  et  pour  m'envoyer 
de  la  charpie,  que  je  pourrois  sitôt  tracer  de  ma 
main  les  remercîmens  que  je  vous  ai  adressés  du  fond 
du  cœur.  Ils  seront  courts,  cette  fois-ci,  mais  ils  n'en 
seront  pas  moins  vifs  :  appliquez-leur  ce  qu'on  dit 
des  prières,  ce  qui  n'empêche  pas  d'en  faire  quel- 
quefois de  longues  qui  valent  bien  leur  prix. 

On  me  flatte  d'obtenir  bientôt  ma  liberté.  Je 
suis  difficile  en  espérance,  mais  je  ne  veux  pas  avoir 


LETTRES     DIVERSES  267 

pour  moi-même  la  cruauté  de  repousser  celle-ci.  Je 
serois  pourtant  plus  voisin  de  vous  au  Luxembourg; 
mais  vous  ne  me  souhaitez  pas  d'être  votre  voisin 
à  ce  prix. 

Adieu,  mon  aimable  amie.  Respect  et  tendresse, 
et  sensibilité  à  vos  peines  que  je  sais. 


I 


DISSERTATION 


SUR 


L'IMITATION  DE  LA  NATURE 

RELATIVEMENT    AUX    CARACTERES 
DANS     LES     OUVRAGES     D  RAMATI  Q,U  ES. 


N  parle  sans  cesse  de  la  nécessité 
d'imiter  la  nature,  sans  que  personne 
daigne  fixer  le  vrai  sens  de  ce  terme, 
qui  devient  presque  une  abstraction 
par  le  petit  nombre  d'idées  claires  et  distinctes 
qu'on  y  attache.  Ordinairement  la  philosophie  , 
pour  mériter  ce,  nom,  a  besoin  de  voir  en  grand: 
ici,  elle  doit  descendre  dans  quelques  détails,  sous 
peine  d'être  absolument  illusoire.  Toutefois  il  est 


270  DISSERTATION 

nécessaire  de  remonter  d'abord  à  des  vues  géné- 
rales. 

Les  grandes  et  sublimes  proportions  que  la  na- 
ture a  mises  dans  ses  ouvrages  échappant  à  nos 
foibles  yeux,  les  arts  se  sont  proposé  de  créer  pour 
nous  un  monde  nouveau,  plus  parfait  en  apparence 
parce  que  nous  embrassons  plus  aisément  les  rap- 
ports de  ses  différentes  parties.  Ils  nous  placent 
dans  un  ordre  de  choses  d'un  choix  plus  exquis; 
ils  embellissent  notre  séjour;  ils  doivent  orner 
l'édifice  plutôt  que  d'en  élever  un  semblable. 
L'homme,  étant  ce  qu'il  y  a  dans  le  monde  de 
plus  intéressant  pour  l'homme,  a  été  le  principal 
objet  de  l'étude  des  artistes.  Ils  l'ont  considéré 
sous  toutes  les  faces,  sous  les  rapports  qui  le  lient 
à  ses  semblables  ;  ils  l'ont  observé  dans  presque 
toutes  ces  circonstances  si  nombreuses  qui  oppo- 
sent l'homme  de  la  nature  à  l'homme  de  la  société , 
qui  mettent  aux  prises  ses  goûts  et  ses  intérêts, 
ses  passions  et  ses  devoirs;  enfin  ils  l'ont  placé 
dans  les  attitudes  les  plus  pénibles,  et  lui  ont  fait 
subir  une  espèce  de  torture  pour  arracher  de  son 
âme  l'expression  véritable  d'un  sentiment  pro- 
fond. 

Quelle  a  dû  être  la  marche  de  leur  esprit  dans 
cette  opération?  qu'a  dû  faire  le  peintre?  qu'a  dû 
faire  le  poëte?  Ils  ont  regardé  autour  d'eux  :  l'un 
a  vu  que  les  hommes  bien  proportionnés  étoient 


SUR   l'imitation    de   la    nature     27F 

en  petit  nombre  ;  l'autre,  que  la  plupart  d'entre 
eux  avoient  une  âme  foible  et  froide,  indigne 
et  incapable  d'intéresser.  Le  peintre'  aperçoit  un 
homme  d'une  stature  plus  haute  que  celle  des 
autres  :  il  l'arrête,  il  lui  dit  :  «  Vous  serez  mon 
modèle.»  Le  poëte,  à  travers  une  foule  méprisa- 
ble, distingue  un  homme  qui  mérite  son  attention; 
son  âme  est  à  la  fois  sensible  et  forte,  ardente  et 
inébranlable  :  «Voilà,  dit  le  poëte,  l'homme  que 
je  veux  peindre.  » 

L'artiste  doit  m'offrir  sans  cesse  le  sentiment  de 
mon  excellence,  et  ce  sentiment,  je  serai  bien  loin 
de  l'éprouver  si  vous  peignez  les  hommes  exacte- 
ment comme  ils  sont  dans  la  nature.  Agrandissez- 
nous  à  nos  propres  jeux  :  c'est  une  flatterie  indi- 
recte et  d'autant  plus  ingénieuse,  par  laquelle  vous 
séduirez  à  coup  sûr  notre  jugement.  Corneille  a 
dit  :  «L'homme  s'admirera  en  m'écoutant,  en  me 
lisant.  Je  lui  montrerai  Rodrigue  tuant  par  hon- 
neur le  père  d'une  maîtresse  qu'il  adore;  Auguste 
pardonnant  à  son  assassin;  César  vengeant  la  mort 
de  son  ennemi.  Je  peindrai  de  grands  criminels, 
et  on  s'intéressera  à  leur  sort,  parce  que  le  crime, 
si  je  le  risque  sur  le  théâtre,  peut  attacher;  il  n'y 
a  que  la  bassesse  qui  soit  tout  à  fait  révoltante  : 
un  vil  intrigant  qui  sacrifie  son  gendre  à  de  lâches 
espérances  de  grandeur,  je  lui  donnerai  des  re- 
mords qui  feront  au  moins  tolérer  son  caractère.  » 


2^2  DISSERTATION 

Au  reste,  il  seroit  à  souhaiter  que  Corneille  eût 
pu  placer  Pauline  et  Sévère  dans  l'admirable  situa- 
tion où  il  les  a  mis,  sans  exposer  aux  yeux  un  ca- 
ractère aussi  vil  que  celui  de  Félix.  De  ce  qu'on 
n'ose  plus  en  hasarder  de  semblables,  quelques 
personnes  infèrent  la  médiocrité  des  successeurs  de 
Corneille  :  lui  seul,  dit-on,  pouvoit  mettre  un 
Félix,  un  Prusias,  sur  la  scène.  Il  falloit  conclure 
au  contraire  que  depuis  ce  grand  homme  on  a  fait 
des  progrès  dans  l'art  qu'il  a  créé.  On  a  senti  qu'il 
falloit  des  raisons  invincibles  pour  autoriser  un 
poëte  à  peindre  de  si  vils  criminels.  L'admirable 
rôle  de  Narcisse,  dans  Britannicus,  contient  une 
des  plus  belles  leçons  qu'on  ait  jamais  données 
aux  rois,  et  cependant  cette  considération  n'em- 
pêche pas  que  le  parterre  ne  voie  ce  personnage 
avec  peine,  et  l'on  sait  que  le  public  donna,  aux 
premières  représentations  de  ce  chef-d'œuvre,  des 
marques  d'un  mécontentement  peu  équivoque. 

Plus  on  sonde  ce  principe,  plus  on  le  trouve 
fécond.  Il  explique  d'une  manière  satisfaisante 
l'extrême  déplaisir  qu'on  éprouve  à  voir  des  carac- 
tères nobles  s'avilir  et  se  dégrader.  Je  sais  pour- 
quoi mon  âme  est  affectée  désagréablement  lorsque 
le  vainqueur  des  Curiaces  enfonce  le  poignard 
dans  le  sein  de  sa  sœur,  dont  le  seul  crime  est  de 
pleurer  la  mort  de  son  amant.  En  lisant  l'histoire 
même,  ne  sommes-nous  pas  sensiblement  affligés 


SUR   l'imitation   de   la   nature     273 
lorsqu'un  des  principaux  personnages  s'avilit  par 
quelque  action  qui  flétrit  une  âme  à  laquelle  la  nôtre 
s'intéressoit?  Cette  nécessité  de  maintenir  l'énergie 
du  caractère  est  si  reconnue  que  les  poètes  tragi- 
ques ont  Tattention  de  ne  jamais  laisser  entendre 
aux  héros  de  leurs  poèmes  rien  d'humiliant  pour 
eux  ,  même  dans  la  bouche  d'un  ennemi.  Woyez  si 
les  menaces  d'Assur,    dans   Sémiramis,    ont    rien 
d'avilissant    pour  Arsace  !    Ce  secret  de   l'art  qui 
consiste  à  faire  tomber  l'odieux  d'un  crime  sur  un 
confident    est  une  des  découvertes  les  plus  utiles 
à  la  tragédie.   Racine  l'a  mis  le  premier  en  usage 
dans  Phèdre.  L'auteur  de  Mahomet  en  a  pirofité  ha- 
bilement quand  il  s'est  servi  d'Omar  pour  donner 
à  Mahomet   l'idée   de   faire   immoler  Zopire  par 
Séide. 

Quoique  les  anciens  aient  négligé  plus  d'une 
fois  de  soutenir  les  caractères  dans  toute  leur 
force,  ils  ne  laissoient  pas  d'en  sentir  la  nécessité. 
Lorsqu'ils  étoient  obligés  d'avilir  un  héros,  un  dieu 
ou  une  déesse  venoit  partager  le  crime  avec  lui, 
ou  même  s'en  chargeoit  entièrement.  Les  hommes 
aimoient  mieux  qu'on  leur  montrât  un  dieu  vindi- 
catif ou  une  déesse  jalouse  qu'un  être  de  leur 
espèce  vil  et  dégradé.  C'est  ainsi  que,  dans  Ho- 
mère, Minerve,  la  déesse  de  la  sagesse,  conduit 
Uljsse  et  Diomède  aux  tentes  de  Rhésus.  Elle  ne 
5e  montre  ni  plus  juste  ni  plus  généreuse  dans 
Chamfort.  IL  35 


274  DISSERTATION 

VAjax  furieux,  où  elle  trompe  ce  malheureux  prince 
en  feignant  de  le  servir,  tandis  qu'elle  sert  en  effet 
son  rival.  L'usage  que  les  anciens  faisoient,  à  cet 
égard,  de  leurs  divinités,  paroît  plus  condamnable 
encore  que  la  manière  dont  ils  s'en  servoient  pour 
le  dénoûment  de  leurs  pièces. 

Il  est  à  peu  près  reconnu  que  les  modernes  sont 
très-supérieurs  aux  anciens  dans  l'art  de  tracer  les 
caractères.  Je  ne  doute  pas  que  ceux-ci  n'aient 
bien  peint  les  mœurs  existantes  sous  leurs  yeux;  je 
dis  seulement  que  les  caractères  des  bons  ouvrages 
anciens  ne  sont  pas  aussi  fortement  des&inés  que 
ceux  des  bons  ouvrages  modernes.  Je  crois  pou- 
voir en  assigner  plusieurs  raisons.  Ce  n'est  que 
depuis  la  renaissance  de  la  philosophie  qu'on  a 
profondément  réfléchi  sur  la  théorie  des  beaux- 
arts.  Les  Grecs  paroissent  avoir  peu  médité  sur  ce 
sujet.  Dominés  par  une  âme  sensible  et  une  ima- 
gination ardente ,  ils  se  laissoient  entraîner  par  ces 
guides,  qui  conduisent  rapidement  celui  qui  marche 
à  leur  suite ,  mais  qui  quelquefois  l'égarent.  En 
effet,  le  génie  ne  préserve  pas  des  écarts  du  génie. 
Il  a  besoin  d'être  dirigé  par  des  réflexions  qu'il  ne 
fait  ordinairement  qu'après  s'être  trompé  plus 
d'une  fois.  Plus  le  goût  de  la  société  s'étend,  plus 
les  objets  des  méditations  du  philosophe  se  multi- 
plient. Les  idées  de  la  vraie  grandeur  et  de  la 
vraie  vertu  deviennent  plus  justes  et  plus  précises. 


SUR     l'imitation     de     la     nature        275 

La  corruption  des  mœurs,  qui,  selon  quelques 
sages,  est  le  fruit  de  ce  goût  excessif  pour  la  société, 
est  pour  le  poëte  une  raison  de  plus  de  multiplier 
les  caractères  vertueux.  On  a  dit  que  plus  les 
mœurs  s'altèrent,  plus  on  devient  délicat  sur  les 
décences.  Par  cette  raison,  plus  les  hommes  de- 
viennent vicieux,  plus  ils  applaudissent  à  la  pein- 
ture des  vertus.  Fatigués  de  voir  des  âmes  com- 
munes, des  bassesses,  des  trahisons,  leur  cœur  se 
réfugie,  pour  ainsi  dire,  dans  ces  monumens  pré- 
cieux, où  il  retrouve  quelques  traits  d'une  grandeur 
pour  laquelle  il  étoit  né. 

Mais  telle  est  la  foiblesse  de  la  nature  humaine, 
même  dans  ses  vertus,  que,  pour  nous  rendre  in- 
téressans  à  nos  propres  yeux,  le  poëte  a  presque 
toujours  besoin  de  nous  embelhr.  Quel  est  le  terme 
auquel  il  doit  s'arrêter?  Je  crois  qu'il  peut  nous 
agrandir  tant  qu'il  voudra,  pourvu  que  l'illusion 
ne  disparoisse  point,  pourvu  que  nous  nous  recon- 
noissions  encore.  L'intérêt  cesse  avec  la  vraisem- 
blance; mais  ce  qui  est  vraisemblable  pour  l'un  ne 
l'est  pas  pour  l'autre.  Nous  jugeons  les  hommes 
vertueux  suivant  les  moyens  que  nous  avons  de  les 
égaler.  La  décision  de  ce  procès  appartient  exclu- 
sivement au  très-petit  nombre  d'hommes  qui,  nés 
avec  un  sens  droit  et  une  âme  élevée,  peuvent 
trouver  l'appréciation  vraie  de  chaque  chose,  peu- 
vent dire  :  «  Ce  sentiment  est  juste  et  noble,  celui- 


276  DISSERTATION 

ci  est  vrai,  celui-là  est  faux  ou  exagéré.  L'un  doit 
naître  dans  un  cœur  honnête,  l'autre  n'existe  que 
dans  la  tête  d'un  poëte  qui  s'efforce  de  créer  des 
vertus.  »  Croyons  qu'il  est  des  hommes  dignes  de 
porter'  un  tel  jugement. 

Souvent  un  seul  sentiment  faux  détruit  une  illu- 
sion délicieuse,  et  la  détruit  plus  désagréablement 
qu'une  invraisemblance.  Qu'une  mère,  réduite  à 
la  dernière  infortune  par  l'erreur  d'un  juge,  se 
retire  dans  un  cloître  avec  sa  fille;  qu'elle  passe 
pour  la  gouvernante  de  son  enfant;  qu'appelée 
ensuite,  par  un  concours  de  circonstances,  dans  la 
maison  de  son  juge,  elle  y  vienne  avec  sa  fille; 
que  le  fils  de  ce  juge  devienne  amoureux  de  la 
jeune  personne;  que  la  tendre  gouvernante  se  défie 
de  cet  amour,  et  veille  sur  sa  fille  avec  toutes  les 
inquiétudes  et  toutes  les  transes  de  la  maternité  : 
voilà  ce  qui  doit  intéresser  tous  les  cœurs.  Je  veux 
bien  passer  au  poëte  la  combinaison  d'incidens 
divers  dont  il  doit  résulter  de  si  grands  mouve- 
mens;  mais  que  cette  mère  dans  l'indigence,  souf- 
frant dans  elle-même  et  dans  sa  fille,  refuse  la 
restitution  de  ses  biens,  c'est-à-dire  ne  oermette 
pas  que  son  juge  s'acquitte  d'un  devoir  rigoureux, 
alors  je  vois  un  être  imaginaire,  produit  par  un 
auteur  qui,  dans  ce  moment,  n'avoit  pas  le  senti- 
ment juste  des  convenances  véritables. 

Une  autre  raison  pour  laquelle  un  auteur  doit 


SUR     l'imitation     de     la     nature       277 

s'attacher  à  n'exprimer  que  des  sentimens  vrais, 
c'est  que  plusieurs  bons  esprits,  ayant  vu  dans  la 
plupart  des  ouvrages  de  théâtre  une  fausse  gran- 
deur, rient  de  tout  ce  vain  étalage  dramatique 
dont  rien  n'est  à  leur  usage,  au  lieu  qu'un  senti- 
ment noble  et  juste  passe  rapidement  dans  une 
âme  bien  faite,  qui  l'adopte  avec  avidité. 

Il  faut  un  sens  très-exquis  pour  s'arrêter,  à  cet 
égard,  dans  les  justes  bornes,  et  ce  n'est  que  de- 
puis Racine  qu'on  les  a  fixées.  Pompée  implore  le 
secours  du  roi  d'Egypte  ;  il  a  mis  en  sûreté  la 
moitié  de  lui-même;  il  n'a  plus  rien  à  craindre 
que  pour  sa  vie;  il  prévoit  le  traitement  qu'on  va 
lui  faire;  il  s'abandonne  à  sa  destinée  sans  se 
plaindre  :  voilà  un  grand  homme.  Mais  il  dédaigne 
de  lever  les  yeux  au  ciel , 

De  peur  que,  d'un  coup  d'oeil,  contre  une  telle  offense 
Il  ne  semble  implorer  son  aide  ou  sa  vengeance  : 

voilà  un  capitan  impie.  Les  princesses  de  Corneille 
me  paroissent  quelquefois  avoir  pour  la  vie  un 
mépris  féroce  et  peu  intéressant.  Iphigénie  dit 
naturellement  : 

Peut-être  assez  d'honneurs  environnoient  ma  vie 
Pour  ne  pas  souhaiter  qu'elle  me  fiât  ravie. 
Ni  qu'en  me  l'arrachant  un  sévère  destin 
Si  près  de  ma  naissance  en  eût  marqué  la  fin. 


278  DISSERTATION 

Encore  plusieurs  gens  de  goût  ont-ils  blâmé  Racine 
de  n'avoir  pas  donné  à  cette  jeune  princesse  une 
plus  grande  frayeur  de  la  mort.  Aménaïde  avoue 
aussi  un  sentiment  semblable  : 

Je  ne  me  vante  point  du  fastueux  effort 

De  voir,  sans  m'alarmer,  les  apprêts  de  ma  mort  : 

Je  regrette  la  vie;  elle  doit  m'être  chère. 

Puisque  les  hommes  du  plus  grand  courage  ne 
doivent  mépriser  la  vie  que  lorsqu'ils  ne  peuvent 
la  conserver  qu'en  trahissant  leur  devoir,  à  plus 
forte  raison  de  jeunes  princesses  innocentes  ne 
doivent  point  la  quitter  sans  regret,  quoique  prêtes 
à  la  sacrifier  si  leur  devoir  l'exige. 

Mais,  s'il  est  vrai  qu'il  n'y  ait  point  de  grande 
action  dont  l'humanité  ne  soit  capable,  il  est  im- 
possible que  toutes  les  vertus  se  réunissent  sur  un 
seul  être.  Les  poètes  tragiques  ont  su  éviter  ce 
défaut ,  dans  lequel  sont  tombés  plusieurs  romanciers 
excellens.  Ceux-ci  ont  d'avance  affoibli  l'intérêt 
qu'ils  font  naître  dans  la  suite.  C'est  ce  qu'a  fait 
l'auteur  de  Grandisson  en  prenant  soin  d'accumuler 
sur  son  héros  toutes  les  vertus  et  tous  les  avan- 
tages que  la  nature  et  la  fortune  n'ont  jamais  réunis 
dans  un  seul  homme. 

Quelques  auteurs  célèbres,  las  de  voir  dans  la 
plupart  des  caractères  une  empreinte  romanesque  , 
se  sont  avisés  d'avilir  tout  à  coup  un  personnage 


SUR    L    IMITATION     DE     LA     NATURE        279 

qu'ils  avoient  rendu  intéressant  par  la  réunion  des 
sentimens  les  plus  délicats.  Ils  se  fondent  sur  ce 
que  nul  n'est  parfait  dans  la  nature,  et  qu'il  faut, 
en  présentant  au  lecteur  de  grands  écarts  ainsi  que 
de  grandes  vertus,  lui  persuader  qu'il  ne  lit  point  un 
roman.  On  répond  que  l'art  consiste  à  obtenir  cet 
effet  sans  employer  de  pareils  moyens.  Un  grand 
intérêt  pris  fortement  dans  nos  mœurs  véritables, 
quelques  taches  volontairement  répandues  dans  les 
caractères  principaux,  quelques  circonstances  com- 
munes dans  les  événements,  soutiendront  parfaite- 
ment l'illusion.  Le  poëte  et  le  romancier  doivent 
imiter,  en  ce  point,  l'artifice  de  ces  menteurs 
adroits  qui  assurent  la  croyance  à  leurs  récits  en 
y  mêlant  des  détails  frivoles.  Au  reste,  le  peu 
d'effet  qu'ont  produit  ces  ressorts  dans  des  mains 
habiles  et  vigoureuses  empêchera,  sans  doute,  que 
des  mains  plus  foibles  osent  jamais  essayer  de  s'en 
servir. 

Si  l'idée  de  grandeur  que  nous  attachons  à  notre 
nature  est  une  source  d'intérêt,  le  sentiment  de 
notre  foiblesse  contre  certains  coups  de  la  fortune, 
le  besoin  d'appui  et  de  consolation,  en  ouvrent 
une  autre  non  moins  abondante,  et  souvent  ces 
deux  sensations  se  réunissent,  La  simple  vue  d'une 
action  de  générosité  nous  transporte.  En  sommes- 
nous  les  objets,  elle  arrache  de  nos  yeux  des 
larmes  de  reconnoissance  et  d'admiration.  Quand 


280  DISSERTATION 

nous  avons  le  bonheur  de  la  faire  nous-mêmes, 
elle  excite  dans  nous  un  doux  tressaillement  qui, 
se  confondant  par  dégrés  avec  le  calme  d'une  joie 
pure  et  concentrée,  forme  la  jouissance  la  plus 
voluptueuse  que  la  nature  ait  accordée  à  l'homme. 
Oreste  et  Pylade  se  disputant  l'honneur  de  mourir 
l'un  pour  l'autre,  que  de  sentimens  délicieux 
s'élèvent  à  la  fois  dans  votre  âme  !  Vous  jouissez 
de  la  générosité  de  Pylade,  il  vous  semble  que 
vous  l'imiteriez;  l'infortune  d'Oreste  vous  attache 
et  vous  attendrit.  Une  identification  qui,  pour  être 
rapide,  n'en  est  pas  moins  réelle,  nous  transforme 
dans  l'homme  que  l'infortune  accable ,  et  dans 
l*ami  généreux  qui  veut  mourir  pour  lui.  Nous 
jouissons  des  deux  sentimens  qui  nous  sont  les 
plus  chers  :  du  sentiment  de  notre  grandeur  qui 
nous  flatte ,  et  de  celui  de  notre  foiblesse  qu'on 
soulage. 

Ce  seroit  peut-être  ici  la  place  d'examiner  pour- 
quoi les  grands  crimes  ne  sont  intéressans  au 
théâtre  que  quand  ils  sont  commis  par  des  hommes 
à  peu  près  vertueux.  Si  Œdipe  étoit  un  scélérat, 
il  ne  seroit  que  révoltant.  Qu'un  monstre,  pour 
remplir  une  vengeance  méditée  depuis  plus  de 
vingt  ans,  fasse  boire  à  un  malheureux  père  le 
sang  de  son  fils,  c'est  une  horreur  qui  n'est  point 
intéressante.  On  répond  que  l'intérêt  porte  sur 
Thyeste.  J'insiste,  et  je  dis  que  Thyeste  n'inspire 


SUR  l'imitation  de  la  nature  281 
point  un  intérêt  déchirant  tel  qu'on  devoit  l'at- 
tendre d'une  pareille  situation  si  elle  eût  été 
adoucie.  On  a  seulement  pour  lui  cette  pitié  qu'on 
accorde  à  tous  les  malheureux.  Un  écrivain  célèbre 
dans  une  lettre  éloquente  contre  les  spectacles, 
fait  un  grand  mérite  à  l'auteur  d'Atrée  d'avoir  in- 
téressé tous  les  spectateurs  pour  la  simple  huma- 
nité. Ce  point  de  vue,  sans  doute,  est  philoso- 
phique ;  mais  qu'on  examine  s'il  en  falloit  faire  un 
mérite  à  l'auteur.  Thyeste  est  jeté  par  la  tempête 
dans  un  port  soumis  au  cruel  Atrée.  Il  faut  échap- 
per à  sa  vengeance  ;  il  cache  sa  qualité  de  prince  : 
quoi  qu'il  fasse,  il  faut  bien  qu'il  reste  homme;  il 
ne  peut  renoncer  à  ce  titre.  Il  est  évident  que  la 
force  du  sujet  a  tout  fait,  et  qu'il  n'a  point  un  si 
grand  mérite  dans  cette  disposition,  qui  d'ailleurs 
appartient  tout  à  fait  à  Sénèque.  Mais  qu'un  amant 
sensible  et  généreux  tue  sa  maîtresse  vertueuse,  et 
qu'il  croit  infidèle;  qu'Oreste,  que  Ninias,  mas- 
sacrent leur  coupable  mère  avec  le  projet  de  ne 
jamais  cesser  de  la  respecter  :  voilà  un  genre  de 
tragédie  qui  aura  toujours  des  droits  sur  tous  les 
hommes.  L'événement  tragique  est  le  même,  sans 
qu'il  soit  besoin  d'offrir  des  monstres  aux  yeux  des 
spectateurs.  L'erreur  commet  le  crime,  l'homme 
reste  vertueux:  l'effet  théâtral  n'y  perd  rien. 

Le  dogme  de  la  fatalité,  répandu  chez  les  an- 
ciens, les  amena  par  degrés  à  concevoir  ainsi   la 

36 


2(52  DISSERTATION 

tragédie.  D'abord,  le  besoin  que  les  hommes  ont 
d'être  ébranlés  fortement  fit  qu'on  se  contenta 
d'une  émotion  vive,  de  quelque  manière  qu'elle  fût 
produite  :  Oreste  tourmenté  par  les  furies,  Prorné- 
thée  attaché  sur  le  [Caucase  tandis  que  des  vau- 
tours lui  déchiroient  le  cœur  ;  ces  affreux  spectacles 
suffirent.  Ensuite  on  s'efforça  de  rendre  intéressant 
le  héros  du  poëme  :  le  poëte  ménagea  tellement 
son  action  qu'on  ne  pouvoit  imputer  les  crimes  de 
son  héros  qu'à  une  fatalité  tyrannique;  c'est  ce  qui 
rend  Œdipe  et  Phèdre  si  attachans.  Depuis,  Cor- 
neille, aidé  de  Guilhem  de  Castro  et  de  son  génie, 
inventa  la  tragédie  fondée  sur  les  passions.  Enfin 
on  est  revenu  depuis  à  un  genre  de  tragédie  fondé 
en  même  temps  sur  les  passions  et  sur  cette  dépen- 
dance où  nous  sommes  d'une  cause  supérieure  : 
telle  est  Scmiramis ,  et  telles  sont  les  pièces  dont 
les  sujets  sont  tirés  du  théâtre  des  Grecs.  Quelque 
admiration  que  j'aie  pour  ce  genre,  dans  lequel  on 
peut  offrir  aux  hommes  de  grandes  leçons  et  pe 
grands  tableaux,  j'avoue  que  je  lui  préfère  la  tra- 
gédie qui  fait  couler  des  larmes  de  pur  attendrisse- 
ment :  telles  sont  Andromaque ,  Zaïre,  Alzire, 
etc. 

Les  différens  peuples  policés  ont  suivi  des  pro- 
cédés différens  dans  l'imitation  de  la  nature.  Les 
Grecs  ont  prodigué  les  grands  traits,  mais  s'en  sont 
souvent  permis  plusieurs  qui  avilissoient  leurs  héros. 


SUR   l'imitation   de   la   nature     283 

Ce  défaut  venoit  de  ce  que,  dans  ces  siècles  hé- 
roïques et  grossiers,  on  n'avoit  point  fixé  les  véri- 
tables notions  des  vertus  morales.  Les  Romains, 
nés  moins  heureusement,  mais  ayant  plus  d'idées 
sur  les  décences,  tracèrent  des  caractères  moins 
forts,  mais  plus  soutenus.  Les  deux  ou  trois  siè- 
cles qui  précédèrent  la  renaissance  des  lettres  doi- 
vent être  comptés  pour  rien.  Une  imitation  servile 
des  anciens,  tant  Grecs  que  Romains,  tint  lieu  de 
tout  mérite  dans  l'Europe  littéraire.  Les  Anglois, 
les  Italiens  et  les  François  prirent  des  routes  diffé- 
rentes. Les  deux  premiers  de  ces  peuples,  surtout 
les  Anglois,  se  piquèrent  d'imiter  la  nature  avec 
une  vérité  souvent  grossière  et  rebutante.  La 
preuve  qu'ils  n'étoient  point  dirigés  dans  cette 
marche  par  le  désir  d'opérer  une  illusion  par- 
faite, mais  seulement  par  une  rusticité  qui  n'est 
point  incompatible  avec  les  élans  du  génie,  c'est 
qu'en  même  temps  qu'ils  copioient  la  nature  com- 
mune, ils  choquoient  toutes  les  vraisemblances,  en 
resserrant  dans  l'espace  d'un  jour  des  événemens 
qui  avoient  rempli  trente  années.  Les  Italiens  imi- 
tèrent la  nature  dans  des  détails  moins  odieux, 
mais  peu  intéressans.  Dans  la  Mérope  de  Maffei, 
le  vieillard  qui  vient  chercher  le  jeune  Egiste  se 
permet  de  parler  beaucoup  ,  et  de  dire  plusieurs 
choses  inutiles  à  l'action.  Blâmez,  en  Italie,  cette 
absurdité,  on  vous  répondra  :  «Telle  est  la  nature.  » 


254  DISSERTATION 

En  France,  nous  pensons  qu'il  pourroit  exister  un 
vieillard  qui,  ayant  élevé  le  fils  de  son  roi,  et 
l'ayant  laissé  échapper  de  ses  bras,  viendroit  le  ré- 
clamer sans  bavardage. 

Combien  cette  imitation  servile  de  la  nature  est 
peu  intéressante!  Dès  lors,  le  goût,  ce  conducteur 
du  génie,  est  banni  de  l'empire  des  arts;  dès 
lors,  plus  de  nécessité  de  porter  du  choix  dans  les 
parties,  pour  en  former  un  ensemble  intéressant: 
une  vérité,  souvent  désagréable,  tiendra  lieu  de 
tout  mérite.  Plus  de  ces  nuances,  de  ces  adoucis- 
semens  que  la  perfection  du  goût  a  introduits  dans 
le  langage  et  dans  la  peinture  des  passions,  et  dont 
Racine  a  le  premier  donné  l'idée.  Si  vous  peignez 
les  anciens  exactement  tels  qu'ils  sont,  vous  pré- 
sentez le  tableau  de  mœurs  grossières  à  des  hom- 
mes dont  les  mœurs  se  sont  épuré'es  par  le  temps; 
vous  rappelez  à  un  nouveau  noble  le  souvenir  de 
sa  roture. 

Exiger  toujours  cette  froide  ressemblance,  c'est 
refuser  d'accéder  au  traité  secret,  mais  réel^  en 
vertu  duquel  l'artiste  dit  au  public  :  «  Admettez 
telle  et  telle  supposition  ,  et  je  m'engage  à  af- 
fecter votre  âme  de  telle  et  telle  manière.  »  Ces 
conventions  étant  au  théâtre  en  plus  grand  nombre 
que  partout  ailleurs,  vous  proscrirez  toute  repré- 
sentation dramatique;  la  tragédie  en  musique  vous 
deviendra  tout  à  fait  insupportable;  vous  n'aurez 


SUR   l'imitation    de   la   nature     283 

guère  plus  d'indulgence  pour  la  tragédie  parlée; 
vous  demanderez  pourquoi  Pulchérie  insulte  Phocas 
en  vers  alexandrins,  et  la  perfection  même  de  l'art 
va  devenir  un  défaut  pour  vous.  Dans  un  chef- 
d'œuvre  où  de  grands  événemens  sont  représentés 
et  réunis  d'une  manière  attachante,  vous  serez  en 
droit  de  remarquer  que  la  nature  ne  place  pas  ainsi 
l'un  auprès  de  l'autre  plusieurs  événemens  extra- 
ordinaires. Si  vous  continuez  à  vous  tenir  rigueur, 
vous  demanderez  pourquoi  César  parle  françois; 
vous  serez  le  plus  cruel  ennemi  de  vos  plaisirs  : 
vous  aurez  vu  Mérope,  et  n'aurez  pas  pleuré. 

Voulez-vous  voir  combien  la  nature  a  besoin 
d'être  embellie  ?  jetez  les  yeux  sur  la  pastorale.  Il 
est  à  croire  que  les  guerres  civiles  d'Auguste  et 
d'Antoine,  les  troubles  de  l'Italie  dans  le  siècle  du 
Guarini  et  du  Tasse,  l'abrutissement  où  les  paysans 
ont  toujours  été  plongés  en  France ,  n'ont  pas 
permis  que  la  patrie  des  Tityres,  des  Amyntes,  des 
Tyrcis,  des  Céladons,  ait  été  le  séjour  du  parfait 
bonheur.  Toutefois  nous  sentons  que  les  habitans 
de  la  campagne ,  libres  des  travaux  trop  pénibles 
de  leur  état,  abandonnés  à  la  simplicité  de  leurs 
goûts,  seroient  plus  près  du  bonheur  que  nous  ne 
le  sommes  dans  nos  villes,  où  toutes  les  passions, 
exaltées  au  plus  haut  degré,  se  livrent  sans  cesse 
dans  notre  âme  un  combat  qui  l'accable  et  qui  la 
déchire.  Le  poëte,  traçant  à  notre  imagination  le 


286  DISSERTATION 

tableau  des  plaisirs  champêtres,  fait  pour  nous  les 
frais  d'une  agréable  maison  de  campagne,  où  nous 
pourrons  nous  retirer  quand  nous  serons  fatigués 
des  plaisirs  brujans  de  la  ville.  Qu'il  prenne  garde 
seulement  de  détruire  le  prestige,  en  donnant  à 
ses  personnages  des  sentimens  ou  des  idées  étran- 
gers à  leur  état;  mais  qu'il  ne  craigne  pas  de  me 
les  montrer  plus  aimables  qu'ils  ne  le  sont  en  effet. 
Ses  bergers  sont-ils  de  beaux  esprits,  je  ne  suis 
point  à  la  campagne,°'ni  Fontenelle  non  plus;  sont- 
ils  grossiers,  je  m'y  déplais,  fût-ce  avec  Théo- 
crite. 

Un  philosophe  a  dit  que,  hors  Dieu,  rien  n'est 
beau  dans  la  nature  que  ce  qui  n'existe  pas.  On  ne 
peut  pas  condamner  plus  fortement  la  représenta- 
tion de  la  nature  commune.  Parmi  nous,  quelques 
auteurs ,  prenant  pour  guide  cette  philosophie 
froide  et  fausse  qui,  pour  mieux  mesurer  le  champ 
des  beaux-arts,  commence  par  en  arracher  les  fleurs 
et  les  fruits,  ont  cru,  comme  nos  voisins,  qu'il 
falloit  réduire  les  arts  à  cette  vérité  rigoureuse  qui 
fait  de  la  ressemblance  la  chose  même  qu'on  a 
voulu  imiter.  Si  l'artiste  qui  cherche  à  la  peindie 
se  propose  de  tromper  tout  à  fait  le  spectateur,  il 
méconnoît  l'objet  de  son  art.  Il  faut  donner  à 
l'âme  le  plaisir  de  s'exercer;  et  les  copistes,  en 
quelque  genre  que  ce  soit,  ne  donnent  jamais  ce 
plaisir.  Ce  tableau  du  Poussin  me  saisit  d'admira- 


SUR   l'imitation    de   la   nature     287 

tion  ;  toutefois  l'illusion   n'opère  pas    sur   moi  au 
point  de  me  faire  adresser  la  parole  aux  êtres  qui 
paroissent  animés  sur  la  toile;  ce  n'est  pas  même 
ce  plaisir  que  je  cherche.  Cette  statue  dont  j'ad- 
mire la  beauté,   essayez  de  la  peindre  des  vérita- 
bles couleurs  de  la  nature,  que  la  carnation  soit 
exactement  semblable  à  celle  d'un  homme,  assurez 
l'effet  du  prestige  en  la  couvrant  d'habits  sembla- 
bles aux  nôtres  :  mon  plaisir  est  évanoui;  une  ridi- 
cule   surprise  prend  la  place   de  l'admiration;  je 
vois  qu'on  a  voulu  créer  un  homme,  et  qu'on  n'a 
pas  réussi.  Je  me  demande  pourquoi  cette  figure 
ressemble  à  un  homme,   et  n'en  est  point  un.  Je 
souhaite  avec  Pygmalion  que  la  statue  soit  animée; 
je  sens  l'insuffisance  de  l'artiste  :  elle  me  rappelle 
la  mienne;  et  c'est  cette  idée  qu'il  doit  toujours 
écarter.  Il  est  à  croire  que  le  sentiment  de  la  diffi- 
culté  vaincue  est    un  charme    secret    et  toujours 
agissant,  qui  se  mêle  au  plaisir  que  nous  éprouvons 
à  la  vue  d'une  belle  imitation  de  la  nature. 
'-    D'après  ces   considérations,   on   est  en  état  de 
décider  si  la  philosophie  peut  faire  autant  de  tort 
à  la  poésie  que  le  prétendent  la  plupart  des  gens 
de    lettres.  Il  est  vrai  que  quelques   écrivains  en 
ont  abusé  en  la  faisant  dégénérer    en    une  vaine 
métaphysique  ;  mais  observez  les  avantages  qu'elle 
peut  produire  en  éclairant  la   marche  d'un  talent 
véritable.  Un  auteur  célèbre  a  dit  que  tout  ouvrage 


200  DISSERTATION 

dramatique  est  une  expérience  faite  sur  le  cc»ur 
humain.  C'est  le  philosophe  qui  la  dirige;  le  poëte 
ne  fait  que  passionner  le  langage  de  ses  acteurs. 
L*un  place  le  modèle,  l'autre  dessine  avec  feu.  Je 
sais  que  le  génie  peint  à  grandes  touches  et  dé- 
daigne les  nuances;  mais  je  ne  puis  croire  qu'il 
soit  toujours  emporté  par  une  impulsion  violente  : 
il  peut  laisser  échapper  subitement  un  morceau 
plein  de  sensibilité  ;  il  peut  même  concevoir  un 
plan  rempli  de  chaleur;  mais  il  a  besoin  de  la  mé- 
ditation pour  présider  à  l'ordonnance  des  parties 
et  les  diriger  à  un  but  moral.  Il  a  pu  fournir  à 
Molière  l'idée  de  la  cassette;  mais  il  a  été  secondé 
par  de  profondes  réflexions  lorsqu'il  a  compromis 
un  père  avare  et  usurier  avec  un  fils  libertin  qui 
emprunte  à  un  intérêt  ruineux.  Je  vois  le  doigt  de 
la  philosophie  empreint  sur  chaque  vers  du  Tartufe 
et  du  Misanthrope.  Ne  croyons  pas  que  cette  ha- 
bitude de  réfléchir  puisse  jamais  refroidir  un  poëte; 
elle  trace  au  contraire,  dans  son  imagination ,  l'i- 
mage d'un  beau  idéal  qui  le  dirige  à  son  insu, 
même  dans  la  chaleur  de  sa  composition.  Un  phi- 
losophe pourroit  donc  composer  un  nouvel  Art 
poétique,  dans  lequel  il  remonteroit  aux  sources  de 
l'intérêt  et  du  comique,  où  il  approfondiroit  l'art 
de  tracer  les  caractères,  où  il  feroitvoir  les  progrès 
que  cet  art  a  faits,  et  où  il  pourroit  donner  la  so- 
lution de  plusieurs  problèmes  littéraires.  On  peut 


SUR  l'imitation   de  la  nature     289 

assurer  à  celui  qui  exécuteroit  bien  cet  ouvrage 
un  très-grand  succès,  dont  l'auteur  ne  seroit  jamais 
témoin;  mais,  s'il  se  trouvoit  un  homme  digne  de 
l'entreprendre  ,  il  est  à  croire  que  cette  dernière 
réflexion  ne  seroit  pas  capable  de  l'arrêter. 


Chamfort.  IT. 


37 


NOTES  ET  VARIANTES 


Page  8,  ligne  17.  Et  les  pauvres,  les  frères  de  Jésus- 
Christ.  C'est  :  les  membres  de  Jésus-Christ,  qu'il  faut 
lire. 

P.  75,  1.  5.  Ce  fut  le  comte  de  Grammont  lui-même,  etc. 
Nous  avons,  dans  la  Préface  de  notre  édition  des  Mémoires 
du  comte  de  Grammont,  par  Hamilton,  publiés  dans  cette 
collection  même,  démontré  la  fausseté  absolue  de  cette  as- 
sertion, la  première  édition  des  Mémoires  étant  postérieure 
de  six  ans  à  la  mort  du  héros  d'Hamilton. 

P.  80,  1.  21.  Il  vous  éloit  réservé.  Madame,  défaire  rou- 
gir du  mariage.  D'autres  leçons  portent  :  de  faire  rougir  le 
mariage,  forme  encore  plus  énergique  de  la  même  pensée. 

P.  147,  1.  19.  Le  général  Quintus  Icilius.  On  peut  lire 
dans  Thiébault,  Souvenirs  de  vingt  ans  de  séjour  à  Berlin 
(édition  Didot,  t.  P"",  p.  400),  l'histoire  du  sieur  Guichard, 
né  à  Magdebourg  de  réfugiés  français ,  et  du  caprice  par 
lequel  Frédéric  II  le  fît,  de  professeur,  général,  et  lui  donna 
officiellement  le  nom  de  Quintus  Icilius,  aide  de  camp  farvori 
de  César. 

P.  i5  3,  1.  11,  M.  de  C...  avoit  reçu  un  bienfait  de 
M.  d'A...  Ces  initiales  cachent,  paraît-il,  M.  de  Condorcet 
et  le  duc  d'Anville. 

P.  154,  I.  I.  Nous  ne  pouvons  nous  empêchei  de  faire 
toutes  nos  réserves  comme  historien,  à  propos  de  cette  anec- 
dote. Le  secret  de  M.  de  Choiseul  pour  se  maintenir  en 
dépit  de  M™°  du  Barry  ne  saurait  avoir  résidé  dans  le  par- 


202  NOTES    ET    VARIANTES 

tage  avec  le  roi  des  économies  faites  sur  son  département. 
Le  roi  n'avait  garde  de  créer  entre  ses  ministres  et  lui  de  ces 
honteuses  solidarités.  Si  le  fait  eût  existé],  il  n'eut  jamais 
osé  renvoyer  le  duc  de  Choiseul  ;  et,  si  la  recette  pour  se 
maintenir  en  faveur  eût  été  si  efficace  que  cela,  M^^  du 
Barry  n'eût  jamais  pu  faire  congédier  le  premier  mmistre  qui 
avait  eu  le  courage  de  la  braver.   Or  c'est  le  contraire  qui 

arriva    Donc il  ne  faut  pas  croire,  parce  qu'elle  n'est 

pas  vraie,  à  l'anecdote  que  Chamfort  a  acceptée  comme 
vraie  parce  qu'elle  était  maligne. 

P.  170,  1.  i3.  M.  de  Vaudreuil  se  plaignait  à  C...,  etc. 
C'est  de  Chamfort  qu'il  est  ici  question. 

P.  219.  Lettre  IV.  Cette  lettre  est  adressée  à  M"-^  Sau- 
rin,*  femme  de  l'auteur  de  Spartacus ,  amie  dévouée  de 
Chamfort.  D'autres  ont  dit  à  tort  M™«  Suard  :  car  le  ma- 
riage de  M^i^  Panckoucke  avec  Suard  est  postérieur  à  la  d?te 
de  cette  lettre,  qui  doit  être  reportée  à  l'année  1774. 

P.  2  23.  lettre  V.  Cette  lettre  pourrait  bien  avoir  été 
écrite  à  Mirabeau. 

P.  227.  Lettre  VI.  Cet  abbé  Roman,  qui  fut  aussi  l'ami 
et  le  correspondant  de  Rivarol ,  était  un  littérateur  avigno- 
nais,  né  en  1726,  mort  en  août  1787,  sur  lequel  on  trouve 
une  bonne  notice  de  M.  Weiss  dans  la  Biographie  univer- 
selle de  Michaud,  2^  édition.  La  Biographie  Didot  ne  le 
mentionne  pas. 

P.  240.  Lettre  VIII.  Cette  lettre  est  adressée  au  comte 
de  Vaudreuil. 

P.  249.  Lettre  IX.  M-  P...,  c'est  M.  Panckoucke,  le  cé- 
lèbre éditeur.  La  Lettre  X  et  les  suivantes  sont  adressées  à  sa 
femme. 

P.  2  58.  La  Lettre  XIV  et  la  suivante  paraissent  adressées 
à  Condorcet. 

P.  266.  Lettre  XVI.  C'est  à  M^e  Ginguené  que  fut  adressé 
ce  billet,  un  des  derniers  qui  soit  sorti  de  la  main  de  Cham- 
fort. 


TABLE    ANALYTIQUE 

DES    PORTRAITS    ET    CARACTÈRES 

ET 

DES    ANECDOTES    ET    BONS    MOTS 


Abbé.  Singulière  excuse  d'un  abbé  à  un  évêque  qui  l'in- 
vite à  déjeuner.   146. 

Académie  française.  Mot  de  M...  sur  la  collection  des 
discours  de  réception  à  l'Académie.  49. — Comment  M.  de 
Mairan  arrête  une  dispute  à  l'Académie.  49.  —  M...  di- 
sait qu'il  ne  fallait  rien  dire,  dans  les  séances  publiques, 
au  delà  de  ce  qui  est  imposé  par  les  statuts.  82.  —  Le 
triple  échec  de  Fontenelle  ne  console  personne.    141. 

Académie  de  Soissons.  Mot  de  Voltaire  sur  elle,   i . 

Aguesseau  (Le  chancelier  d').  Condition  qu'il  met  à  la 
permission  d'imprimer  les  premiers  volumes  de  Cléi^eland, 
de  l'abbé  Prévost.   3. 

Aiguillon  (Le  duc  d').  Comment  il  est  fait  ministre  des 
affaires  étrangères  par  M™°  du  Barry.   3  5. 

Aimable.  Mot  qui  peint  la  différence  entre  l'homme 
aimable  et  l'homme  digne  d'être  aimé.   3. 

Alembert  (D').  Son  mot  le  lendemain  du  mariage  de 
M°^°  Denis  avec  M.  du  Vivier.  3.  —  Mot  que  lui  dit  le 
roi  de  Prusse  à  propos  d'un  de  ses  beaux  laquais.  3  3. — 
Comment  il  est  salué  par  M.   Fournier.   i5i.    —  Critique 


294  TABLE    ANALYTIQUE 

de  ses  petits  traités  littéraires.  i63.  —  Ne  trouve  Voltaire 
un  peu  faible  qu'en  géométrie.    i65. 

Aligre  (La  présidente  d').  Tour  que  lui  joue  M.  de 
Bissi.  38. 

Allemagne.  Mot  de  M...  à  son  retour  d'Allemagne.   146. 

Ambassadeur  anglais  à  Naples.  Comment  il  se  venge  de 
l'insuccès  d'une  fête,  89-90. 

Amis.  Dialogue  entre  deux  amis.  5.  —  Il  y  a  trois  sortes 
d'amis.    149. 

Amour.  Mot  de  M^^  de  C...  à  M.  B...,  et  réponse  de 
celui-ci,  24.  — Mot  d'un  homme  qui  n'ose  plus  aimer.  2  5. 

—  De  l'Italienne,  de  l'Anglaise,  de  la  Française.  82.  — 
Mot  dit  à  un  homme  qui  ne  s'aperçoit  pas  qu'il  est  aimé. 
91.  — Mot  d'un  jeune  homme  honnête  en  amour.    121. 

—  Mot  de  M...  sur  la  princesse  de...  :  c'est  une  femme 
qu'il  faut  absolument  tromper.  140.  —  M...  fait  semblant 
d'être  malhonnête  pour  que  les  femmes  ne  le  rebutent  pas. 

M9- 

André  (Le  petit  Père).    Début    de    son  sermon    sur   un 

étrange  sujet  proposé  par  le  prince  de  Condé.   8. 

Angivilliers  (M™^  d').  Est  une  des  quatre  grandes  co- 
médiennes du  siècle...  à  la  ville.   84. 

Anglais.  Refuse  sa  grâce  et  veut  être  pendu.   10. 

Anne  d'Autriche.  Était  mariée  avec  Mazarin.  97. 

Anville  (m.  d').  Fameux  géographe;  n'avait  jamais 
quitté  sa  chambre.   74. 

Aquaviva  (Le  cardinal).  Est  empêché  par  le  sacré-col- 
lége  de  faire  amende  honorable  de  ses  violences.  87-88. 

Argenson  (Le  comte  d').  Son  mot  à  la  bataille  de  Rau- 
coux.  7.  —  Son  mot  au  comte  de  Sebourg,  amant  de  sa 
femme.  8.  —  Son  mot  de  courtisan  cynique.  41. 

Arlequin.  Son  mot  dans  une  farce  italienne.   106. 

Arnaud  (Baculard  d').  Trouve  au  comte  de  Frise  des 
cheveux  de  génie.  Mot  de  celui-ci  à  ce  propos.  28-29. 

Arnaud  (L'abbé).  Son  mémoire  à  M™°  du  Barry.  9. 

Arnoncourt  (M.  d').  Singulier  contrat  qu'il  fait  à  une 
fille.  161-162. 


TABLE     ANALYTIQ^UE  295 

Arnoult  (Sophie).  C'est  chez  elle  qu'est  décidé  le  choix 
d'un  précepteur  pour  le  comte  de  Chinon.   58. 

Artois  (Le  comte  d').  Son  mot  le  jour  de  ses  noces.  73. 
—  Mot  du  duc  de  Chartres  en  apprenant  son  insulte  à  la 
duchesse  de  Bourbon.   122. 

Athées.  Mot  de  M.  D...  sur  les  athées.  9.  — Mot  d'un 
athée  qui  voudrait  ne  pas  l'être.  44. 

AuBRY,  avocat.  Tour  qu'il  joue  à  l'abbé  de  Tencin.    174. 

AuMONT  (Le  duc  d').  Récit  naïf  de  ses  derniers  moments. 
46. 

Auteur.  Il  faut  laisser  à  l'envie  le  temps  d'essuyer  son 
écume.  56.  —  Réponse  d'un  auteur  à  qui  on  reprochait 
de  ne  plus  rien  donner  au  public.  j3  6.  —  Ce  que  fait  dire 
une  idée  qui  se  montre  deux  fois  dans  un  ouvrage  à  peu  de 
distance.  141.  —  Mot  dit  à  un  auteur  insolent  après  un 
premier  succès.   1  54. 

AuTREY  (M.  d').  Son  mot  sur  M,  de  Ximénès.   174. 

Avances.  Comment  M...  expliquait  son  refus  des  avances 
de  M^e  de  ...  68. 

Avare.  Mot  d'un  avare  qui  avait  mal  aux  dents.  45. 

AvEjAN  (M.  d'),  officier  de  mousquetaires.  Comment  il 
évite  de  tirer  sur  le  peuple  dans  une  sédition.   108. 

Avocat.  Conseil  d'un  avocat  anglais  qui  tourne  contre 
lui.  9. 

Aydie  (L'abbé  d').  Son  mot  à  M™<^  du  Deffand,  qui 
prétendait  être  la  femme  qu'il  aimait  le  plus.   1 1. 

Ayen  (Le  duc  d').  Sa  réponse  à  Louis  XV,  qui  lui  de- 
mandait s'il  avait  envoyé  sa  vaisselle  à  la  Monnaie.  11.  — 
Histoire  incroyable  qu'il  conte  devant  Louis  XV.   116. 

Banqueroute  de  M.  de  Guéménée.  M.  de  Villette 
l'appelle  sérémssime,  i3.  —  Vers  de  Racine  que  M.  D.,. 
appliquait  aux  fréquentes  banqueroutes  de  nos  rois.    i3. 

Barbançon  (m.  de).  Aveu  que  lui  fait  la  duchesse  de  La 
Vallière.  68. 

Barthe  (m.).  Plaisante  semonce  que  lui  adresse  M.  de  ... 
sur  ce  qu'il  se  permet  d'être  jaloux.  84.  —  Mot  dit  à 
M.  Barthe.  io8c 

Barry  (La  comtesse  du).  Comment  elle  fait  le  duc  d'Ai- 


196 


TABLE    ANALYTIQ^UE 


guillon  ministre  des  affaires  étrangères.  3  5.  — Scène  avec 
M™^  de  Beauvau.  5  3.  —  Secret  du  duc  de  Choiseul  pour 
se  maintenir  malgré  elle,   154. 

Bassompierre  (m.  de).  Sa  réponse  à  M^^^  d'Entragues. 
59. 

Bassompierre  (M°i^  de).  Maîtresse  de  M.  de  la  Galai- 
sière,  chancelier  du  roi  de  Pologne.   iSg. 

Bastille.  M.  de  Malesherbes  est  dissuadé  par  M.  de 
Maurepas  d'engager  le  roi  à  aller  voir  la  Bastille.  i3.  — 
Mot  d'un  homme  très-pauvre  qui  avait  fait  un  livre  contre 
le  gouvernement.    i3. 

Beaujon  (Le  financier)  et  ses  berceuses.   19, 

Beaumarchais.  Ce  que  lui  dit  le  joueur  Sablière,  qu'il 
veut  empêcher  de  se  tuer.  87. 

Beaumont  (L'abbé  de).  Son  mot  à  l'abbé  Maury,  qui  est 
venu  le  voir.  98. 

Beauvau  (Le  prince  de).  Grand  puriste.  Mot  sur  lui.  139. 

Beauvau  (La  princesse  de).  Ce  que  lui  dit  M"^*^  du 
Barry  pendant  une  visite  au  Val.  5  3-54, 

Beauzée  (M,).  Leçon  de  grammaire  qu'il  donne  à 
l'amant  de  sa  femme.   139, 

Belle-Isle  (Le  maréchal  de).  Fait  faire  contre  le  duc  de 
Choiseul,  par  le  jésuite  Neuville,  un  mémoire  au  roi.  29. 

Ben-Johnson.  Dit  qu'il  faut  prendre  les  Muses  pour  maî- 
tresses, et  non  pour  femmes.  109, 

Benserade  (m.  de).  Son  mot  sur  les  précepteurs  du  duc 
de  Chartres,  74, 

Bernard  (Le  poëte).  Comment  il  arrange  le  choix  d'un 
précepteur  pour  le  comte  de  Chinon.  58.  —  Meurt  épris 
passionnément  d'une  fille.    i55. 

Bermère  (La  présidente  de).  Histoire  galante  sur  la  pré- 
sidente de  Bernière.    121. 

Berryer  (m.).  Fait  mettre  à  la  Bastille  un  négociant  qui 
!'a  prévenu  des  projets  de  Damiens,  49-50, 

Bienfaits.  Mot  de  M.,,  sur  les  bienfaits.  5.  —  Dieu  ne 
recommande  pas  le  pardon  des  bienfaits.   126. 

Bienfaiteur.  Mot  d'un  homme  à  qui  on  disait  que  M,.., 
autrefois  son  bienfaiteur,  le  haïssait.  i5. 


TABLE    ANALYTIQ^UE  207 

BiRON  (Le  maréchal  de).  Sa  confession  interrompue  par 
la  boutade  d'un  ami,   i5. 

Bissi  (M.  de).  Comment  il  s'impose  à  la  présidente 
d'Aligre,  qui  veut  le  quitter-  38. 

Blanchard  (L'aéronaute).  Mot  sur  une  sotte  lettre  de 
lui.  6i. 

BoiNDiN  et  Marmontel  au  café  Procope.  96. 

BoLiNGBROCKE  (Lord).  Son  mot  à  Louis  XIV  sur  les  rois. 
i5. 

BoRDEu  (m.  de),  médecin.  Soigne  Louis  XV  dans  sa 
dernière  maladie.  93.  —  Remède  étrange  qu'il  propose  à 
M°ïc  de  Sully.  98. 

BossuET.  Ne  put  jamais  apprendre  au  grand  dauphin  à 
écrire  une  lettre,   i  59. 

BouFFLERS  (La  comtesse  de).  Mot  piquant  que  lui  dit 
Rousseau.  106.  —  Appelle  le  prince  de  Conti  le  meilleur 
des  tyrans,   i  06. 

BouLAiNviLLiERS  (M.  de).  Mot  qui  lui  est  dit  à  propos 
de  son  cordon  bleu  par  charge.  38. 

Bourdaloue  (Le  P.).  Comment  il  cause  du  désordre  à 
Rouen.   1  7. 

Bourdelot.  Médecin  de  Christine,  reine  de  Suède.  Lui 
persuade  de  faire  danser  à  Naudé  et  chanter  à  Meibomius 
une  danse  grecque.  Meibomius  s'en  venge  en  le  battant.   3  i. 

BouTEViLLE  (Le  chevalier  de).  Réponse  d'un  représentant 
de  Genève  au  chevalier  de  Bouteville.   146. 

Bréquigny  (M.  de).  Son  mot  sur  la  gourmandise  des 
rois.   128. 

Breteuil  (Le  bailli  de).  Application  d'un  vers  de  nelille 
que  lui  fait  la  maréchale  de  Luxembourg.  47. 

Breteuil  (Le  baron  de).  Montre  le  portrait  de  la  reine 
au  milieu  d'une  rose  garnie  de  diamants.  18.  —  Est  fort 
au-dessous  de  Peixoto.  18.  — Montre  qu'on  peut  ballotter 
dans  ses  poches  des  portraits  de  souverains  et  n'être  qu'un 
sot.  18.  —  Comment  il  n'est  qu'un  sot,  18.  —  Ce  qu'en 
dit  M°i°  de  Créqui.  18.  —  Veut  renfermer  l'autorité 
royale  dans  les  limites  où  elle  était  resserrée  sous  Louis  XIV. 

38 


298  TABLE    ANALYTIQ^UE 

iSy.  —  Pourquoi  M.  de  Vergennes  l'a  laissé  arriver  au 
ministère.  171. 

Brionne  (La  comtesse  de).  Rompt  avec  le  cardinal  de 
Rohan  à  l'occasion  de  M.  de  Choiseul;  réponse  qu'elle 
s'attire.  65.  —  Mot  de  M^^  de  Talmont  à  Richelieu  à 
propos  de  la  comtesse  de  Brionne.    160. 

Briffe  (M.  de  la).  Incidents  à  ses  obsèques.  84. 

Brisard  (  M^^^  ).  Son  mot  naïf  à  la  comtesse  de  Gisors, 
qui  lui  reproche  b  nombre  de  ses  amants.  46. 

Brissac  (m.  de).  Sa  réponse  au  comte  de  Charolais,  qui 
l'a  surpris  chez  sa  maîtresse.  27.  —  Comment  il  appelait 
Dieu.  48. 

Brissard  (m.)  le  père.  Lettre  à  sa  femme  sur  leur  cha- 
pelle funèbre.  26. 

Broglie  (Le  comte  de).  Comment  Louis  XV  traite  le 
comte  de  Vergennes  dans  sa  correspondance  secrète  avec  le 
comte  de  Broglie.  Ô4-65. 

Broglie  (Le  maréchal  de).  N'admire  que  le  mérite  mili- 
taire, 19.  —  Réponse  de  sa  femme  à  son  regret  de  s'être 
mésallié.  145.  —  Comment  on  le  dissuade  de  trop  s'expo- 
ser.  160. 

Bucq^(M.  du).  Son  mot  sur  les  femmes.   54. 

BuFFON  (M.  de).  S'environne  de  flatteurs  et  de  sots  qui 
le  louent  sans  pudeur.  79. 

Bureau  d'esprit.  Mot  de  M°^°  X...  tenant  un  bureau 
d'esprit.  20. 

Cachots  en  Espagne.  M...  se  fait  des  cachots  en  Es- 
pagne. 20. 

Cagliostro  (Le  comte  de).  Hâblerie  de  son  valet.  3i. 
—  Comment  il  fait  épouser  par  M.  d'Espréménil  M™*'  Ti- 
laurier.   i3  2. 

Calomniateurs.  Traité  que  leur  proposerait  volontiers 
M.  D...  22. 

Calonne  (m.  de).  Veut  se  faire  remplacer  par  M.  de 
Fourqueux.  Manière  dont  Dupont  de  Nemours  se  charge 
de  la  négociation.  16-17.  —  Scène  entre  lui  et  M.  de 
Choiseul.  3o-3i.  —  Pension  qu'il  fait  avoir  à  M.  de 
Saint-Priest.    73.  —  Ce   que  M.   de  Lauzun   dit   de   leurs 


I 


TABLE     ANALYTIC^UE  299 

disputes,  87.  —  Est  maltraité  dans  le  livre  de  Mirabeau 
sur  l'agiotage.  102.  —  Dit  qu'il  n'y  a  qu'un  mot  qui 
serve.   i65. 

I  Calprenède  (m.  de  la).  Donne  le  nom  de  son  roman  à 
succès  à  l'étoffe  de  son  habit.   75. 

Canaye  (L'abbé  de).  Son  mot  sur  Louis  XV  et  Cahusac. 
92. 

Caractère  piquant  de  M.  N...  C'est  une  statue  de  bronze 
sur  du  marbre.  23.  — Mot  de  M...  sur  son  caractère.  23. 
—  Très-fort  uni  à  une  santé  délicate,  comparé  au  chêne  et 
au  roseau.  27-28.  —  Caractère  non  vulgaire;  ce  que  dit 
celui  qui  le  possède  à  la  Gloire  et  à  la  Fortune.  68. 

Castries  (m.  de).  Son  mot  à  propos  de  la  querelle  de 
Diderot  et  de  Rousseau.  63. 

Catherine  IL  Son  mot  à  Diderot  sur  la  malpropreté  des 
paysans  russes.    5o.   —  Mot  hardi  que  lui  dit  la  Gabrielli. 

CÉLÉBRITÉ  littéraire.  Est  une  espèce  de  diffamation.  24. 

Célibataires.  On  accuse  la  philosophie  moderne  d'en 
avoir  multiplié  le  nombre;  mot  de  M...  à  ce  sujet.   24. 

CÉSAR.  Son  mot  à  un  mauvais  orateur.  40-4 1 . 

Chabot  (Le  comte  de).  Comment  il  indique  à  la  maré- 
chale de  Luxembourg  à  quel  endroit  de  la  messe  on  en 
est.  3  3. 

Chabot  (Le  duc  de).  Épigramme  à  propos  de  la  Renom- 
mée peinte  sur  sa  voiture.   142. 

Chabrillan  (  Le  bailli  de).  Son  mot  au  comte  Schwalow. 
i53. 

Chamfort,  Comment  il  élude  l'offre  de  services  que  lui 
fait  M.  de  Vaudreuil,    170. 

Charlatan.  Dit  la  bonne  aventure  à  un  petit  décrotteur. 

32. 

Charles  IL  Son  mot  à  son  frère,  le  duc  d'York,  qui  lui 
donnait  un  conseil  imprudent.  40. 

Charles  le  Téméraire.  Mot  de  son  fou ,  après  Morat. 
69. 

Charolais  (Le  comte  de).  Réponse  qu'il  s'attire  de 
M.  de  Brissac.  27.  —  Sa  manière  de  payer  sa  maison.  27. 


3oo  TABLE    ANALYTIQ^UE 

Chartres  (Duc  de).  Son  mot  sur  l'insulte  faite  par  le 
comte  d'Artois  à  sa  sœur,  la  duchesse  de  Bourbon.   122. 

Chatelet  (La  marquise  du).  Dans  quels  termes  Voltaire 
se  plaint  à  la  duchesse  de  Chaulnes  de  ce  qu'elle  n'aime 
pas  l'harmonie.  84. 

Chatelux  (Le  marquis  de).  Amoureux  de  sa  femme,  est 
persiflé  par  M.  de  Genlis.  85. 

Chaulnes  (La  duchesse  de).  Dans  quels  termes  Voltaire 
se  plaint  à  elle  du  peu  de  goiit  de  M™°  du  Chatelet  pour 
l'harmonie.  34.  —  Son  mari  l'a  fait  peindre  en  Hébé;  mot 
de  M^i^  Quinault  à  ce  sujet.  87.  —  Ce  qu'elle  dit  à 
M™^  de  Créqui  sur  son  mariage  avec  M.  de  Giac.  64.  — 
Ses  derniers  moments.  94-95. 

Choiseul  (Le  duc  de).  Bon  mot  d'un  député  de  Bre- 
tagne soupant  chez  lui.  29.  —  Comment  il  se  venge  d'un 
Mémoire  contre  lui  rédigé  par  le  jésuite  Neuville.  29-30. 
—  Comment  il  récompense  les  maîtres  de  poste  dont  il  est 
content.  3o.  —  Scène  entre  lui  et  M.  de  Calonne  à  propos 
des  lettres  qu'il  lui  a  écrites  dans  l'affaire  La  Chalotais.  3o- 
3i.  —  Comment  il  prouve  qu'il  a  une  étoile  pour  le  mal 
autant  que  pour  le  bien.  62.  —  Est  la  cause  de  la  rupture 
du  cardinal  de  Rohan  avec  M°^°  de  Brionne.  65.  —  Con- 
tinue après  son  exil  à  être  intéressé  au  jeu  du  roi.  85.  — 
Sa  dispute  avec  M.  de  Praslin  sur  la  question  de  savoir  qui 
est  le  plus  bête  du  roi  ou  de  M.  de  la  Vrillière.  126.  — 
Son  secret  pour  se  maintenir  malgré  M'^'^  du  Barry.   154. 

Choiseul-Gouffier  (M.  de).  Les  paysans  refusent  sa 
proposition  de  faire  couvrir  leurs  toits  de  tuiles.    164. 

Choiseul-La  Baume.  (Le  marquis  de).  Comment  il  se  fait 
payer  une  cafetière  par  un  oncle  évêque.   21. 

Christine,  reine  de  Suède.  Fait  chanter  à  Meibomius  et 
danser  à  Naudé  une  danse  grecque  par  le  conseil  de  Bour- 
delot.   3i. 

Clairon  (M^^®).  Est  une  des  quatre  grandes  comédiennes 
du  siècle,  34.  —  Établit  au  théâtre  la  vérité  du  costume. 
42. 

Clément  XI  (Le  pape).  Accuse  en  pleurant  le  P.  Le 
Tellier  de  l'avoir  forcé  à  donner  la  Constitution.  41. 


TABLE    ANALYTIQ^UE  3or 

CoLBERT.  S'oppose  à  ce  que  Molière  attaque  les  gens  de 
finance.  io3.  —  Ce  qu'il  dit  de  l'industrie  française.   147. 

Collé.  Son  mot  à  un  financier.   171. 

Comédiennes.  Liste  des  huit  grandes  comédiennes  du 
siècle.   34. 

Comique.  Une  source  de  comique.  83. 

Conclave.  Mot  d'un  sot  à  propos  d'un  conclave.  63. 

CoNDÉ  (Le  prince  de).  Étrange  sujet  de  sermon  qu'il 
donne  au  petit  Père  André.  8. 

CoNDORCET  (M.  de).  Divulgue  le  bienfait  d'un  ami  qu'il 
n'aime  plus,    i  5  3. 

Confesseur.  Mot  d'une  comtesse  à  une  jeune  fille.   36. 

CoNFLANS  (Le  marquis  de).  Son  mot  à  M.  de  Fronsac. 
157. 

CoNTi  (  La  princesse  de),  fille  de  Louis  XIV,  Mot 
qu'elle  s'attire  d«  la  dauphine.   i  56-157. 

CoNTi  (Le  prince  de).  Dans  quels  termes  il  s'excuse  en- 
vers la  duchesse  d'Orléans  de  ne  pouvoir  souper  chez  elle. 
3  2.  —  Son  mot  sur  les  princes.  124.  —  Demande  au  roi 
le  secret  d'une  épigramme  contre  M.  de  Silhouette.  i5  5. — 
Ce  que  lui  dit  lord  Tyrconnel  en  réponse  à  ses  plaintes 
contre  Louis  XV.  170. 

Considération.  Comment  on  l'acquiert.  38. 

Coquette.  Avec  ou  sans  illusion.  38. 

Cour.  Mot  d'un  homme  à  qui  on  reprochait  de  ne  pas 
connaître  la  cour.   74. 

Courtisan.  Le  métier  de  courtisan  convient  à  la  déca- 
dence de  l'esprit,  comme  le  jeu  aux  vieilles  femmes.  43. — 
Mot  sur  un  courtisan  léger,  mais  non  corrompu.   1 36. 

Courtisane.  Définition  d'une  courtisane  non  vénale.  95. 

CoYPEL,  peintre.  Fournit  à  Louis  XIV  le  moyen  de  pa- 
raître un  connaisseur.  92. 

Cramer  (M™<^).  Son  mot  sur  M™^  Tronchin.  26. 

Crébillon  fils.  Mort  épris  passionnément  d'une  fille    i5  5. 

Créqui  (Le  marquis  de).  Son  mot  à  M.  de  Lauzun  à 
propos  de  M.  de  Liancourt.  61. 

Créqui-Hémon  (Le  marquis  de).  Manière  dont  un  curé 
annonce  sa  mort.   112. 


3o2  TABLE    ANALYTIQ^UE 

Créqui  (La  marquise  de).  Son  mot  sur  le  baron  de  Bre- 
teuil.  i8.  —  Lettre  que  lui  écrit  un  curé.  41.  —  Mot 
que  lui  dit  M™°  de  Chaulnes.  64. 

Grillon  (  Le  duc  de).  Mot  de  Richelieu  à  son  sujet.  154. 

Crime.  Ce  qu'il  faut  mettre  après  le  crime  et  le  mal  faits 
à  dessein,   i  5, 

Damiens.  Un  négociant,  informé  des  projets  de  Damiens, 
prévient  M.  Berryer,  qui  le  fait  mettre  à  la  Bastille.  49. 

Dangeau  (L'abbé  de).  Se  console  des  malheurs  de  la 
guerre  en  constatant  qu'il  a  dans  sa  cassette  deux  mille  verbes 
français  bien  conjugués.  42. 

Dangeville  (M^^^).  Est  une  des  quatre  grandes  comé- 
diennes du  siècle.   84. 

Daron  (Le  président).  Le  régent  exige  sa  démission  de 
la  charge  de  premier  président  à  Bordeaux.   142. 

Dauberval.  Déclare  à  Lekain  qu'il  fera  faire  à  la  grecque 
le  premier  habit  à  la  romaine  dont  il  aura  besoin.  43. 

Dauphin  (Le),  fils  de  Louis  XIV.  Est  consolé  de  l'exil  de 
M°^°  du  Roure  par  le  plaisir  de  n'avoir  plus  à  lui  écrire. 
1 59-1 60. 

Deffand  (La  marquise  du).  Mot  que  lui  dit  l'abbé 
d'Aydie.  11.  —  Massillon  lui  ordonne  le  remède  du  caté- 
chisme de  cinq  sous.  48.  —  Dit  de  M...  qu'il  est  aux  pe- 
tits soins  pour  déplaire.  78.  —  Comment  dans  son  salon  le 
médecin  Fournier  salue  les  gens.  1 5 1 .  —  Comment  elle 
appelait  le  Temple  de  Gnide.   161. 

Delille  (L'abbé).  Quelqu'un  lui  promet  le  premier  bé- 
néfice à  la  nomination  de  Virgile.  44.  —  Ne  sait  pas  gar- 
der le  secret  de  ses  vers.  109.  —  Mot  de  Turgot  à  l'abbé 
Delille.   145. 

Delon,  médecin  mesmériste.  Son  mot  sur  un  malade 
mort.   i38. 

Denis  (M"^"),  nièce  de  Voltaire.  Compliment  naïf  qu'elle 
reçoit  après  avoir  joué  Zai're.  4$. 

Despotisme.  Définition  d'un  certain  despotisme.  5o. 

Dévot.  Mot  d'un  dévot  sur  la  foi.  9. 

Diderot.  Comment  il  se  reproche,  à  soixante-deux  ans, 
d'être  amoureux  de  toutes  les  femmes.  36.  —  Fiction  dont 


\ 


TABLE    ANALYTIQ^UE  3o3 

il  use  pour  reconcilier  un  oncle  avec  son  neveu.  47.  — 
Mot  que  lui  dit  Catherine  II  sur  la  malpropreté  des  paysans 
russes.  5o.  —  Son  portrait  de  M.  d'Épinay.  184.  —  Trahit 
lui-même  son  secret.  i53.  —  Son  mot  à  un  aventurier. 
173. 

Dieu.  Preuve  de  l'existence  de  Dieu,  suivant  Dorilas.  5i- 
$2.  —  Mot  d'un  incrédule  au  sujet  de  l'éternité  de  Dieu. 
142. 

Différence  entre  les  principes  de  deux  hommes  de  cour. 
56. 

Dîner.  Mot  d'un  homme  qui,  à  un  grand  dîner,  ne  dis- 
tingue pas  les  plats,  5  3.  —  Festins  meurtriers  qu'on  se 
donne  dans  le  monde.  66. 

Discours  de  remerciement  d'un  homme  condamné  à  être 
pendu.   109. 

Distique.  Mot  sur  un  distique.  49. 

Donne.  Satirique  anglais.  Ne  veut  pas  tonner  sur  les 
vices  sans  attaquer  les  vicieux.  172. 

Donner.  Lequel  est  le  plus  agréable,  de  donner  ou  de 
recevoir.  5o-5i. 

Dubois  (L'abbé).  Mot  que  lui  dit  le  régent  au  bal  de 
l'Opéra.   141. 

DuBREUiL  (M.).  Son  mot  touchant  à  son  ami  Pechméja. 
54.  —  Dialogue  à  son  sujet  entre  M™°  de  Tessé  et  M°^°  de 
Champagne,   161. 

DucLos.  Sa  définition  de  l'abbé  d'Olivet.  $4.  —  Son 
mot  sur  un  sermon.  54-55.  —  Grondé  par  l'abbé  de 
Resnel  sur  ce  qu'il  jure  en  pleine  Académie.  63.  —  Con- 
versation avec  M™o  de  Mirepoix  et  M°^°  de  Rochefort.  77. 
—  Comment  il  nomme  les  Romains  modernes.  82.  —  Son 
paradis  d'après  M™'^  de  Rochefort.   126. 

Duel.  Mot  d'un  duelliste.   5  3. 

DuMÉNiL  (Mii°).  Est  une  des  quatre  grandes  comédiennes 
du  siècle.  34. 

Dupont  de  Nemours.  Se  charge  d'aller  négocier  le  rem- 
placement de  M.  de  Calonne  par  M.  de  Fourqueux.   16-17. 

Duras  (Le  maréchal  de).  Punition  dont  il  menace  son 
fils.   157. 


3o4  TABLE    ANALYTIQ^UE 

DuTHÉ  (M^^^),  Combien  de  tempselle  pleure  un  amant.  55. 

Écossais.  Mot  d'un  Écossais  à  propos  des  Américains.  121. 

Egmont  (La  comtesse  d').  Déception  que  lui  fait  éprouver 
un  descendant  de  du  Guesclin.  5 7.  —  Comment  elle  ar- 
range le  choix  d'un  précepteur  pour  son  neveu.   5  7-58. 

Egoïste.  Définition  d'un  égoïste.   124. 

Éloges.  La  manière  dont  on  les  distribue  donnerait  envie 
d'être  diffamé.   59. 

Embonpoint.  Ce  qu'on  dit  de  celui  de  l'avant-dernier 
évèque  d'Autun,  monstrueusement  gros. 

Enfants.  Égoïsme  des  enfants.  58. 

Ennemis.  Comment  ils  ne  peuvent  rien  sur  M...    59. 

Entragues  (M^^*^  d').  Réponse  qu'elle  s'attire  de  Bassom- 
piene.   59. 

Épigrammes.  Mot  d'un  faiseur  d'épigrammes.   59-60. 

Épinay  (M.  d').  Son  portrait  par  Diderot.    134. 

Esparbès  (M°^°  d'J.  Dialogue  nocturne  entre  elle  et  le 
roi  Louis  XV.   lo-i  i . 

Espion  de  police.  Définition   d'un   espion   de  police.  60. 

EspRÉMÉNiL  (M.  d').  Comment  Cagliostro  lui  fait  épouser 
M""^  Tilaurier.    182. 

Esprit.  Sert  à  M°^^  de  G...  à  être  moins  méprisée  que 
beaucoup  de  femmes  moins  méprisables.   75. 

Estaing  (Le  comte  d').  Ce  que  lui  dit  la  reine  à  son  re- 
tour de  la  campagne  de  la  Grenade.  61. 

Estime.  Mot  d'un  homme  qui  estime  autant  qu'il  le 
peut.  62. 

Estrées  (Le  maréchal  d').  Mot  de  joueur  que  lui  dit 
Louis  XV.  86. 

États  de  Béarn.  Serment  de  fidélité  du  roi  aux  États  de 
Béarn.   19. 

Étioles  (Le  Normand  d').  Mari  de  M™°  de  Pompadour. 
Ce  qu'il  fait  d'un  présent  cynégétique  de  Louis  XV.   i36. 

Évèque  de  Dol.  Prononce  un  discours  fanatique  au 
sujet  du  rappel  des  protestants.  63.  —  Réplique  qu'il  s'attire 
de  l'évêque  de  Saint-Pol.  63. 

Faim.  Mot  d'un  homme  sans  appétit.  7. 


TABLE    ANALYTIQ^UE  3o5 

Femmes.  Mot  de  M...  sur  les  femmes.  65.  —  En  quoi 
leur  commerce  est  nécessaire  à  M...    166. 

Fierté.  Ce  qu'il  y  a  de  mieux  en  ce  genre.  66. 

Filles.  Mot  dit  pour  excuser  un  jeune  homme  d'aimer 
trop  les  filles.  11.  _  Mot  de  M.  de  L...  sur  un  jeune 
homme  dont  on  disait  qu'il  n'aimait  que  les  filles.    166. 

Fleury  (L'abbé,  puis  cardinal  de).  Aveu  que  lui  fait  la 
maréchale  de  Noailles.   120. 

Florian  (m.  de),  m.  de  Th...  regrette  qu'il  n'y  ait  pas 
de  loups  dans  ses  bergeries.  14. 

Foncemagne  (m.  de).  Mot  de  M.  Saurin  sur  son  honnê- 
teté.   l5  2. 

Fontaine  de  Jouvence.  C'est  l'oubli.  66. 

FoNTENELLE  (M.  de).  Son  mot  dans  sa  querelle  avec 
l'archevêque  de  Paris  à  propos  d'un  chœur  de  prêtres  dans 
un  opéra.  3  3.  —  Son  mot  à  propos  d'une  quête  à  l'Acadé- 
mie française.  66.  —  Son  reproche  à  une  femme  qui  l'avait 
dédaigné.  67.  —  Son  mot  à  un  repas  de  gâteau  des  rois. 
67.  —  Sa  réponse  à  la  question  :  Comment  cela  va-t-il} 
67.  —  A  une  femme  qui  lui  disait  :  «  La  mort  nous  a  ou- 
bliés. »  67.  —  Le  comte  de  Grammont  l'oblige  d'approu- 
ver le  manuscrit  des  Mémoires.  -jS.  —  Son  compliment  à 
Mme  Helvétius.  76.  —  Avait  été  refusé  trois  fois  à  l'Acadé- 
mie. 141 , 

Fou.  Mot  d'un  fou  de  cour  très-sage.  69.  —  Mot  du 
fou  de  Charles  le  Téméraire.  69. 

Fournier,  médecin.  Ses  formules  diverses  de  salutation 
chez  Mme  du  Deffand.   i  5  i . 

Fox  (M.).  Trouve  deux  grands  plaisirs  au  jeu.  86.  — 
Son  mot  à  la  naissance  d'un  enfant  qui  le  déshérite.    106. 

Frédéric  II,  roi  de  Prusse.  Fait  grâce  à  un  homme  de 
Breslau  qui  a  volé  dans  une  église.  20-21.  —  Fait  ré- 
pandre de  faux  plans  topographiques.  2  3.  —  Mot  de  son 
cocher,  qui  l'a  versé.  3  3.  —  Son  mot  à  d'Alembert  sur  un 
beau  laquais  à  son  service.  3  3.  —  Dit  qu'il  n'y  a  pas 
d'homme  qui  ait  fait  la  moitié  de  ce  qu'il  aurait  pu  faire.  59. 
—   Sa   rigueur   contre    un   délateur.  69.    —  Son   mot  sur 

le   butin    fait   à   Dresde    chez  le   comte  de  Bruhl.    70.  

Chamfort.    II.  3  g 


\ 


3o6  TABLE    ANALYTIQ^UE 

Comment  il  récompense  les  habitants  de  Berlin  de  leur  ac- 
cueil triomphal  à  la  fin  de  la  guerre  de  Sept  ans.  70.  — 
Tour  qu'il  joue  à  des  juifs  faux-monnayeurs.  70.  —  Sa 
réponse  à  une  requête.  71,  —  Son  mot  sur  Louis  XIV.  92. 
—  Mot  de  son  frère  le  prince  Henri  sur  sa  popularité  à 
Neuchâtel.  122.  —  Réponse  d'un  soldat  à  qui  il  demande 
l'origine  d'une  balafre,  145.  —  Son  mot  à  d'Alembert  sur 
ce  que  le  roi  ne  lui  a  pas  parlé.  148.  —  Sa  définition  du 
régiment  de  Champagne.  148.  —  Ce  que  dit  Voltaire  en  le 
voyant  pleurer.  173. 

Frise  (Le  comte  de).  Son  mot  à  d'Arnaud  qui  lui  trouve 
des  cheveux  de  génie.   29. 

Fronsac  (Le  duc  de).  Comment  sa  force  est  dans  ses 
cheveux.  28.  —  M^i°  Arnoult  est  chargée  de  lui  indi- 
quer un  précepteur  pour  son  fils.  58.  —  Ses  chansons  à 
un  souper  chez  M.  de  Conflans.  157.  —  Manque  d'être 
pris  pour  un  évêque.   169. 

Gabelle.  Trait  de  l'horreur  des  paysans  bas  bretons  pour 
la  gabelle.   7  i  . 

Gabrielli  (La).  Célèbre  chanteuse.  Son  mot  hardi  à 
Catherine  II.   54. 

Galaisière  (L'abbé  de  la).  Son  mot  au  portier  de 
M.  Orry.    107. 

Galaisière  (M .  de  la).  Son  mot  au  roi  Stanislas  sur  les  1 
changements  d'heure  de  son  dîner.  48.  —  Mot  de  Stanislas  j 
à  sa  maîtresse,   i  59.  j 

Gascon.   Instituteur  des  enfants  d'un  seigneur  russe,  ne 
leur  apprend  que  le  basque.   71.  —  Mot  d'un  Gascon  au    j 
roi.   72. 

Gaussin  (M^^^).  Sa  réponse  à  un  financier  entrepre-  » 
nant.  i3.  j 

Gazetier.  Comment  il  évite  de  se  prononcer  sur  la  mort  | 
du  cardinal  Mazarin.  73.  S 

Général.  Mot  d'un  général  employé  dans  une  guerre 
difficile  et  ingrate.  5  5. 

Genève.  Belle  réponse  d'un  député  de  Genève  au  che- 
valier de  Bouteville.   146. 


TABLE     ANALYTIQ^UE  Soy 

Genlis  (M^o  ^e).  Est  une  des  quatre  grandes  comé- 
diennes du  siècle...  à  la  ville.   84. 

Genlis  (Le  marquis  de).  Son  mot  au  marquis  de  Cha- 
telux.  85.  —  Se  moque  de  la  vanité  de  M.  de  Fronsac.  169 

Geoffrin  (M^^).   Son  mot  sur  sa  fille.   124. 

Goutte.  Croix  de  Saint-Louis  de  la  galanterie.  58.  — 
Ressemble  aux  bâtards  des  princes.   74. 

GouvERNEMENTd'Angleterre.  Pourquoi  il  est  excellent.  i3  5. 

Gouvernement  en  France.  On  ne  rirait  plus  sans  le  gou- 
vernement.  166. 

Gouverneurs  de  province.  Mot  d'un  ministre  sur  les 
gouverneurs  de  province.  64. 

Grâce.  Ce  qu'on  appelle  la  grâce  suivant  M...  74. 

Grandir.  Comment  on  peut  grandir  de  la  tête.  2  5. 

Grammont  (Le  comte  de).  Vend  i,5oo  livres  le  manu- 
scrit des  mémoires  où  il  est  si  clairement  traité  de  fripon,  et 
oblige  Fontenelle  de  l'approuver.  75. 

GuÉMÉNÉE  (Le  prince  de).  Comment  le  marquis  de  Villette 
appelait  sa  banqueroute.   i3. 

Guesclin  (du).  Déception  qu'un  de  ses  descendants  fait 
éprouver  à  M"i°  d'Egmont.  57. 

Hamilton.  Le  comte  de  Grammont  oblige  Fontenelle  d'ap- 
prouver les  Mémoires.   75. 

Hamilton  (Lord).  Fait  porter  sur  la  carte  un  garçon  qu'il 
a  tué  dans  une  auberge.  71. 

Harlay  (M.  de).  Premier  président.  Sa  façon  d'imposer 
silence  à  l'audience.  76. 

Harris  (m.).  Ce  qu'il  dit  du  traité  de  commerce  de 
1786  avec  l'Angleterre.   i63. 

Helvétius.  Dans  sa  jeunesse  était  beau  comme  l'Amour. 
Mot  de  M^ic  Gaussin  à  ce  propos.   13-14. 

Helvétius  (M^e).  Compliment  que  lui  fait  Fontenelle 
76. 

Henri  IV.  Jugé  par  l'abbé  de  Voisenon.  77.  —  Com- 
ment il  s'y  prend  pour  faire  connaître  à  un  ambassadeur 
d'Espagne  le  caractère  de  ses  trois  ministres.   102. 

Henri  (Le  prince)  de  Prusse,  frère  de  Frédéric.  Comment, 
dans  une  conversation  avec  l'abbé  Raynal,  il  trouve  moyen 


3o8  TABLE    ANALYTIQ^UE 

de  placer  son  mot.  77.  —  Son  mot  sur  la  popularité  de 
son  frère  à  Neuchâtel.   122. 

Hercule.  Chanson  sur  Hercule,  vainqueur  des  cinquante 
pucelles.  26. 

Hervey  (Lord).  Son  mot  en  traversant  une  lagune.   100. 

Hollandais.    Aventure  d'un    Hollandais  qui    sait  mal  le 

français*  i  lo-i  1 1 . 

Hommages.  Pourquoi  certaines  femmes  refusent-elles  les 
hommages  offerts  pour  courir  après  ceux  qu'on  leur  refuse. 

12. 

Homme.  Sa  définition  par  M....  7. 

Homme  de  lettres.  Mot  d'un  homme  de  lettres  en  ré- 
ponse à  quelqu'un  qui  lui  demandait  des  nouvelles  de  son 
poëme,  2.  —  Mot  d'un  homme  à  qui  un  grand  seigneur 
faisait  sentir  la  supériorité  de  son  rang.  78. 

Honnête.  Pourquoi  on  est  plus  honnête  en  France  avant 
trente  ans  que  passé  cet  âge.   i36. 

HouzE  (Le  baron  de  la).  Rusé  Gascon.  Parti  qu'il  tire 
d'une  relique.  39. 

HussoN  (M.).  Conseiller  au  parlement.  Comment  il  se 
récuse  dans  un  procès  du  maréchal  de  Noailles.   126. 

Idéal  de  M.  de....  Se  défranciser  et  se  débaptiser.   75. 

Illusions.  Mot  d'un  homme  sans  illusions.   149. 

Importunité.  Trois  choses  qui  importunent  M.  N.,  au 
sens  figuré  comme  au  sens  propre.  20. 

Index.  La  philosophie,  disait  M...  ,  doit  avoir  aussi  son 
index.  80. 

Injustice.  Conseil  d'un  vieillard  à  un  homme  trop  sen- 
sible à  l'injustice,   i  i. 

Inscriptions.  Dispute  sur  la  préférence  qu'il  convient  de 
donner  à  la  langue  latine  ou  à  la  langue  française.   2. 

Ivrogne.  Mot  d'un  ivrogne.  72. 

Invault  (m.  d').  Contrôleur  général.  Le  roi  lui  refuse 
la  permission  de  se  marier.   182. 

Jacques  11.  Comment  Charles  11  repousse  un  conseil  du 
duc  d'York,  futur  Jacques  11.  ^o.  —  Touche  les  écrouelles 
en  qualité  de  roi  de  France.  84. 


TABLE    ANALYTIQ^UE  809 

Jalousie.  Mot  d'une  jeune  fille  dont  la  mère  est  jalouse. 

Jansénistes.  Comment  l'archevêque  de  Lyon  passe  pour 
être  janséniste.    1 66. 

Jaucourt  (m.  de).  Comment  il  dissuade  le  maréchal  de 
Broglie  de  trop  s'exposer.    160. 

JÉRÔME  (Saint).  Ce  que  M...  dit  de  la  lettre  où  il  peint 
sa  lutte  contre  ses  passions.  77. 

JÉSUITES.  N'étaient  pas  fâchés  qu'on  dise  qu'ils  assassi- 
naient les  rois,   i  2  5. 

Joueur.  Mot  d'un  joueur.  86.  —  Leçon  donnée  à  un 
joueur  par  un  de  ses  amis.  89. 

Kankan.  Locution  populaire  pour  bruit.  D'où  vient  cette 
expression.  3  2. 

Lacour  (M'^°),  de  l'Opéra.  Son  mot  au  duc  de  la  Val- 
lière  qui  le  subjugue  à  jamais.  40. 

La  Fontaine.  Se  flatte  que  les  damnés  s'accoutument  à 
l'enfer.  41. 

Lapdant  (L'abbé).  Comment  il  devient  le  précepteur  du 
comte  de  Chinon.   58. 

La  Roche-Aymon  (Le  cardinal  de).  Scène  entre  lui  et 
l'abbé  Maury.  11  5.  —  Son  mot  sur  son  confesseur.  128. 
- —  Ses  plaintes  à  l'abbé  Maury  sur  l'abbé  de  la  Luzerne.  172. 

Lassay  (Le  marquis  de).  Son  mot  sur  le  crapaud  à  avaler 
tous  les  matins  à  la  cour,  40. 

Latour  (de),  le  peintre.  Réplique  qu'il  s'attire  de 
Louis  XV.   I  06. 

Lauraguais  (M.  de).  Sa  lettre  au  marquis  de  Villette. 
122. 

Lauzun  (Le  duc  de).  Soupe  avec  deux  géantes  de  la  foire. 
82.  —  Mot  que  lui  dit  M.  de  Créqui  à  propos  de  M.  de 
Liancourt.  61.  —  Ses  disputes  avec  M.  de  Calonne.  87. 
—  Ce  qu'il  feroit  en  cas  de  grossesse  de  sa  femme.   144. 

Laval  ,  maître  de  ballet.  Offensé  d'être  pris  pour  un  des 
messieurs  de  Laval.  i2  3. 

Lekain.  Est  le  premier  à  se  soumettre  à  la  vérité  du  cos- 
tume au  théâtre.  42. 


3lO  TABLE    ANALYTIQUE 

Lemierre  (m.).  Différence  qu'il  trouve  entre  sa  pièce  de 
la  Veuve  du  Malabar^  en  1770  et  en  1781.    171. 

Le  Tellier  (Le  P.).  Accusé  par  le  pape  Clément  XII 
d'être  l'auteur  de  la  Constitution.  41. 

Le  Tellier-Louvois.  Archevêque  de  Reims.  Infatué  de 
son  rang  et  de  sa  naissance.  Aventure  qui  lui  arrive.  166- 
168. 

Lettres  d'amour.  Les  femmes  commencent  à  les  garder 
vers  trente  ans.   90. 

LÉvis  (Le  maréchal  de).  Mot  de  l'évêque  d'Arras  en  re- 
cevant le  corps  du  maréchal  de  Lévis.  3 8- 3 9. 

Levret  (m.),  célèbre  accoucheur.  Sa  réponse  au  dau- 
phin. 90. 

LiANCouRT  (Le  duc  de).  Mot  de  M.  de  Créqui  sur  lui, 
61. 

Lorry,  médecin.  Louis  XV  mourant  l'entend  avec  dépit 
dire  :  Il  faut.  93.  —  Comment  il  expliquait  sa  disgrâce 
auprès  de  M™^  de  Sully.  98. 

Louis  XIV.  Réponse  que  lui  fait  Bolingbrocke,  à  qui  il 
disoit  que  les  Anglais  n'aiment  pas  les  rois.  i5.  —  Re- 
proche à  Dieu  ce  qu'il  a  fait  pour  lui.  48.  —  Jugé  par 
l'abbé  de  Voisenon.    77.  —  Frédéric   II   en   est  jaloux.  92. 

—  Subterfuge  dont  il  use  pour  paraître  connaisseur.  92.  — 
Se  plaint  chezM"^*' de  Maintenon  de  la  division  des  évêques. 
Mot  de  M™°  de  Caylus  à  ce  sujet.  107.  —  Sa  santé  con- 
sole la  cour  des  plus  grands  malheurs.    148. 

Louis  XV.  Son  mot  à  la  mort  de  M"^^  de  Châteauroux. 
6.  —  A  un  trésor  particulier.  24.  —  Comment  il  prend 
le  duc  d'Aiguillon  pour  ministre  des  affaires  étrangères.   3  5, 

—  N'aime  pas  M.  de  Vergennes.  64.  —  Permet  que  le  duc 
de  Choiseul,  exilée  demeure  intéressé  à  son  jeu.  85. —  Son 
mot  de  joueur  au  maréchal  d'Estrées.  86.  —  Choqué  de  ce 
que  ses  médecins  disent  :  //  faut.  93.  —  Refuse  une  maî- 
tresse parce  qu'elle  coûterait  trop  cher  à  renvoyer.  93.  — 
Son  mot  au  peintre  La  Tour.  106.  —  Intrigues  pour  son 
mariage.  114.  —  Histoire  incroyable  contée  devant  lui  par 
le  duc  d'Ayen.  116.  —  Refuse  à  M.  d'Invault  la  permis- 
sion de  se  marier.   i3  2.  —  Envoie  à  M.  d'Étiolés  une  ra- 


TABLE    ANALYTIQ^UE  3  II 

mure  de  cerf.  i36.  —  On  lui  présente  le  projet  d'une  cour 
plénière.  Singulier  mémoire  à  ce  sujet.  i38.  —  Garde  au 
prince  de  Condé  le  secret  de  ses  épigrammes  contre  M.  de 
Silhouette,  i  5  5. 

Louis  XVI.  Comment  il  paraît  terrible  aux  musiciens.  93. 

LowENDAHL  (Le  comte  de),  fils  du  maréchal.  M™°  de 
Maurepas  le  fait  danser  le  jour  de  son  retour  de  Saint-Do- 
mingue. 42. 

LuCHET  (M'^o  de).  Compte  que  lui  fait  sa  femme  de 
chambre.  78. 

Luxembourg  (Le  maréchal  de).  Son  mot  plaisant  au  sor- 
tir de  la  Bastille,  i  10. 

Luxembourg,  crieur  de  la  Comédie  française.  Regrette 
qu'elle  soit  transportée  au  Carrousel.  84. 

Luxembourg  (La  maréchale  de).  Comment  le  comte  de 
Chabot  lui  indique  le  moment  de  la  messe  où  elle  arrive. 
3  3.  —  Vers  de  Delille  dont  elle  fait  l'application  plaisante. 

47- 

LuYNES  (M.  de).  Quitte  le  service  pour  un  soufflet  non 
rendu,  et  devient  archevêque  de  Sens.   io2-io3. 

Luzerne  (L'abbé  de  la).  Donne  de  l'humeur  au  cardinal 
de  La  Roche-Aymon.   172. 

Machault  (m.  de).  Comment  M.  de  Maurepas  devient 
premier  ministre  à  sa  place.  3  5  —  Projet  d'une  cour  plé- 
nière présenté  au  roi.    i38. 

Madame,  fille  du  roi  Louis  XV.  Son  étonnement  en 
voyant  que  sa  bonne  a  cinq  doigts  comme  elle.   16. 

Magistrat  de  Berne.  Mot  d'un  magistrat  de  Berne  sur 
le  livre  de  VEsprit  et  le  poëme  de  la  Pucelle.  61. 

Maine  (La  duchesse  du).  Ce  qu'elle  appelle  «  son  parti- 
culier ».   127. 

Maintenon  (M™*^  de).  Se  compare  aux  carpes  de  la  pièce 
d'eau  de  Marly.   2  3  . 

Mairan  (m.  de).  Sa  définition  de  l'honnête  et  du  mal- 
honnête homme.  2 .  —  Comment  il  obtient  le  silence  à 
l'Académie.  49. 

Major  de  place.  Mot  de  lui  que  rappellent  les  représen- 
tations de  certaines  pièces.    107. 


3l2  TABLE    ANALYTIQUE 

Malesherbes.  m.  de  Maurepas  le  dissuade  d'engager  le 
roi  à  aller  visiter  la  Bastille.  i3.  —  Conte  l'histoire  d'un 
négociant  mis  à  la  Bastille  par  M.  Berryer.   5o. 

Malheur.  Ce  qu'on  dit  d'un  homme  tout  à  fait  malheu- 
reux.  78. 

Marchand,  avocat.  Son  mot  sur  l'administration  ,  la  jus- 
tice et  la  cuisine.  2. 

Mariage.  Mot  d'un  académicien  sur  le  mariage,  i.  — 
Mot  de  M.  de  B...  à  propos  du  bruit  qu'il  allait  épouser 
son  amie  intime.  5.  —  Réponse  de  M...  à  la  question  s'il 
se  marierait.  14.  —  Mot  d'un  mari  qui  bâille.  Sg.  — 
Mot  de  M...  sur  la  femme  qu'il  lui  faudrait.  65.  —  His- 
toire d'un  homme  qui  refuse  d'épouser  sa  maîtresse  parce 
qu'il  ne  saurait  où  aller  passer  ses  soirées.  76.  —  Exemple  des 
gentillesses  que  lemariagepeutproduire.  94.  —  M. ..voudrait 
qu'on  put  le  faire  à  bail.  çS.  —  M°^°  de  B...,  ne  pouvant 
rien  faire  de  son  amant,  l'épouse.  95.  — Mot  d'un  mari  à 
sa  femme.  96.  —  En  quels  termes  M.  de  L...  refuse  de  se 
marier.  i36.  —  Mot  d'un  célibataire  qu'on  pressait  de  se 
marier.  187.  —  Mot  sur  le  mariage  d'un  homme  de  vingt 
deux  ans  avec  une  femme  de  soixante-cinq  ans.  89.  — 
Manière  de  reconnaître  à  table  deux  personnes  mariées.  143. 
—  Mariage  d'un  homme  de  cinquante  ans  avecune  fille  de 
treize  ans.   i  59. 

Marie-Antoinette.  Ce  qu'elle  dit  au  comte  d'Estaing  à 
son  retour.  61 . 

Marie-Stuart.  Sa  devise.  5o. 

Marie-Thérèse.  Comment  l'évêque  de  Saint-Brieuc,  dans 
son  oraison  funèbre,  se  tire  d'affaire  sur  sa  participation  à 
la  mutilation  de  la  Pologne.   126. 

Marivaux  (M.  de).  Disait  que  le  style  a  un  sexe.   134. 

Marlborough  (Lord).  Mot  qui  lui  est  dit  à  la  tran- 
chée.  143. 

Marmontel  et  Boindin  au  café  Procope.  96. 

Marville  (m.  de).  Dit  qu'il  ne  peut  y  avoir  d'honnête 
homme  à  la  police.  96. 

Masque  de  fer  (L'homme  au).  Est  un  frère  de  Louis  XIV. 

97- 


mi 


TABLE    ANALYTIQUE  3l3 

Massillon.  Vers  galants  adressés  par  lui  à  M^e  je  Si- 
liane  26.  —  Ne  trouve  de  remède  à  rincrédulité  précoce 
de  Muo  de  Vichy-Chamrond  qu'un  catéchisme  de  cina 
sous,  43.  ^ 

Maugiron  (m.  de).  Action  horrible  commise  par  lui    06 
Maupertuis.  Mot  qui  le  peint  tout  entier.   187 
Maurepas  (m.  de).  Comment  il   reçoit  une  lett're  du  roi 
destinée  à  M.  de  Machault  et  devient  premier  ministre.  2  5 
—  Fait  par  badinage  avec  M.  de  Saint-Florentin  la  répéti- 
tion du  compliment  de  renvoi.  44. 

Maurepas  (M^ic  ^^y  pait  danser  le  comte  de  Lovvrendal 
le  jour  de  son  retour  de  Saint-Domingue.  42. 

Maury  (Abbé).  Sa  visite  intéressée  à  l'abbé  de  Beau- 
mont.  98.  —  Scène  plaisante  entre  lui  et  un  vieux  con- 
seiller, loo-ioi.  —  Scène  entre  lui  et  le  cardinal  de  la 
Roche-Aymon.  ii5.  —  Ce  que  lui  dit  le  cardinal  en  re- 
venant de  l'assemblée  du  clergé.   172. 

Mazarin.  Étoit  marié  avec  Anne  d'Autriche.  97. 
Mazarin  (La  duchesse  de).  Sa  réponse  aux  exhortations 
suprêmes  du  curé  de  Saint-Sulpice.   14. 

MÉDECIN.  M...  hait  si  fort  le  despotisme  qu'il  ne  peut  souf- 
frir le  mot  «  ordonnance  de  médecin  ».  46.  —  Mot  dit  à  un 
médecin.  98.  —  Réponse  d'un  médecin  à  qui  on  reproche 
d'être  le  médecin  Tant  pis.   160. 

Meibomius.  Érudit  allemand.  Comment  il  se  venge  de 
Bourdelot,  qui  a  persuadé  à  la  reine  Christine  de  lui  faire 
chanter  un  air  grec.   3  i . 

Menteur.  Mot  dit  à  un  menteur,   iio. 
Mépris.  Formule  de  M...  pour  exprimer  le  mépris.    10. 
MÉROPE.    Pourquoi  une    femme  ne   pleure  pas  à  une  re- 
présentation de  Mérope.   i3  3. 

Mesmes(M.  de).  Épigramme  inscrite  sur  son  hôtel.  11  3. 
Millionnaire.  Mot  d'un  millionnaire.   147. 
MiLTON.  Son  désintéressement.  loi. 
Ministre.   Il   est  moins  dangereux  d'offenser  le  ministre 
que   l'homme  qui  le  sert    dans  la  garde-robe.   36.  —  Les 
ministres  en  place  parlent  de   leur  retraite  comme  les  ma- 
lades de  leur  mort,  sans  y  croire,   102,  —  Moyen  original 

40 


3l4  TABLE    ANALYTIQ^UE 

de  faire  chasser  un  ministre.  io8.  —  Les  ministres  finissent 
souvent  par  porter  envie  à  leurs  commis.   114. 

Mirabeau  (Le  comte  de).  Comment  il  se  défend  d'une 
accusation  de  rapt  et  de  séduction.  86.  —  Son  livre  sur 
l'agiotage  (où  M.  de  Calonne  est  maltraité)  n'en  a  pas 
moins,  dit-on,  été  payé   par  lui.    102. 

Misanthrope,  Mot  d'un  misanthrope.  16.  —  Autre 
mot  sur  la  méchanceté  des  femmes.  48.  —  Mot  d'un  mi- 
santhrope plaisant.  142.  —  Moyen  de  ne  pas  devenir  mi- 
santhrope. i56.  —  Autre  mot  d'un  misanthrope.   i56. 

Moïse.  Mot  de  M....  à  propos  des  six  mille  ans  de  Moïse. 
io3. 

Molière.  N'a  jamais  attaqué  les  gens  de  finance.   io3. 

Molière  (L'abbé  de).  Scène  entre  lui  et  un  voleur. 
10S-104. 

Montbarey  (Le  chevalier  de).  Son  mot  sur  la  société  de 
province.   36, 

Monde.  Ce  qui  le  rend  désagréable.  69.  —  Il  faut  dire 
aux  masques  :  Je  vous  connais,  ou  leur  laisser  l'espérance 
de  vous  tromper.  97.  —  Application  au  monde  d'un  mot 
de  M...   140. 

MoNTAZET  (M.  de).  Archevêque  de  Lyon.  Sa  ruse  pour 
éviter  l'effet  d'une  dénonciation.  93.  —  Scène  entre  lui  et 
une  chanoinesse  sœur  de  M™°  de  Tencin.   104-105. 

MoNTESSON  (Mn^°  de).  Est  une  des  quatre  grandes  comé- 
diennes du  siècle...  à  la  ville.   34. 

Montevnard  (m.  de).  Opinion  du  duc  de  Choiseul  sur  lui. 
62. 

MoNTCALM  (Le  marquis  de).  Mot  que  lui  dit  un  chef  de 
sauvages,   i  i  3. 

MoNTMORiN  (M™°  de).  Son  conseil  à  son  fils  entrant 
dans  le  monde.    io5. 

MoNTPENSiER  (La  duchesse  de).  Donne  à  ses  pages  de 
quoi  perdre  les  tentations  dont  elle  est  cause,   i  Sy. 

Mot  sublime  d'un  paysan  à  propos  de  ses  enfants.  128. 

Motte  (M™^  de  la).  Son  supplice  fait  renchérir  son 
portrait.   134. 

Mourir.  Il  est  inutile  d'apprendre  à  mourir.  107. 


TABLE    ANALYTIQ^UE  3l3 

MussoN  et  Rousseau,  bouffons  de  société.  Mot  de  l'un  à 
l'autre,   i  1 3. 

Mystification.  Exemple  d'une  mystification,  83. 

Nadaillac  (m.  de).  Dénature  un  mot  du  dauphin  relatif 
au  prince  cardinal  de  Rohan.   i  19. 

Naïveté  d'enfant.  116.  —  D'une  petite  filie.  116.  — 
D'un  fossoyeur.  11 6- 117.  —  D'un  soldat  irlandais.  117. 
—  D'un  Suisse  du  roi.  i  i  7-1  1  8.  —  D'un  juge.  118,  — 
D'un  docteur  en  Sorbonne.   118.  —  Traits  divers,   i  19. 

Narbonne  (Le  chevalier  de).  Comment  il  persifle  la  fa- 
miliarité d'un  inconnu.  80. 

Nature.  Comment  elle  a  agi  en  nous  accablant  de  mi- 
sères et  en  nous  donnant  un  attachement  invincible  pour  la 
vie.  6. 

Naudé.  Danse  devant  Christine  de  Suède  une  danse  grec- 
que. 3  i . 

Necker  (m.).  Observation  qui  fait  tomber  en  un  instant 
l'enthousiasme  qu'il  inspire.    i3i. 

Necker  (M'""^).  Est  une  des  quatre  grandes  comédiennes 
du  siècle...  à  la  ville.   34. 

Nemours  (M™°  de).  Portrait  qu'en  fait  M.  de  Ven- 
dôme.  134. 

Néricault-Destouches.  Quitte  Paris  la  veille  de  la  pre- 
mière représentation  de  ses  pièces.   5o. 

Nesle  (Le  comte  de).  Fait  battre  sa  femme  par  M.  de 
Soubise.  99. 

Nesle  (La  comtesse  de).  Est  battue  par  son  amant  sur  un 
conte  de  son  mari.  99. 

Neuville  (Le  P.).  Jésuite.  Comment  le  duc  de  Choiseul 
découvre  qu'il  est  l'auteur  d'un  mémoire  contre  lui,  et  s'en 
venge.  29-30. 

Nivernois  (Le  duc  de).  Rappelle  à  M.  de  Tressan  des 
couplets  faits  contre  lui.  99. 

N0AILLES  (Le  vicomte  de).  Mot  d'une  dame  quittée  par 
lui.  4.  —  Est  passionnément  aimé  par  M""^  de  Voyer.  i55. 

NoAiLLEs  (Le  maréchal  de).  Pleure  à  la  tragédie  par  hon- 
nêteté. 79. 


3i6  TABLE    ANALYTIQUE 

NoAiLLES  (La  maréchale  de).  Écrit  à  la  Vierge.  89.  — 
Son  aveu  au  cardinal  de  Fleury.   119. 

NoAiLLES  (Le  duc  de).  Sa  consultation  sur  le  cas  d'un  des 
gardes  du  roi  devenu  malade.  56. 

Noblesse.  Ce  que  M...  est  tenté  de  dire  quand  il  voit 
un  homme  de  qualité  faire  une  lâcheté.  i2  3.  —  Preuves 
de  noblesse  annoncées  par  de  mauvais  vers.  i2  3.  —  Ob- 
servation sur  la  noblesse.   i38. 

Nobles.  Au  Pérou  peuvent  seuls  étudier.   122. 

Nobles  de  Savoie.  Mot  de  quelques  nobles  de  Savoie  au 
roi  de  Sardaigne.    122. 

Notables  (Assemblée  des).  Plaisanterie  sur  l'Assemblée 
des  Notables,   i  29. 

Olivet  (L'abbé  d').  Sa  définition  par  Duclos.   54. 

Opéra.  Mot  d'une  femme  d'esprit  à  une  représentation 
d'Armide.  7.  —  Mot  d'un  plaisant  qui  voit  exécuter  en 
ballet  le  :  Qu'il  mourût!  de  Corneille.   12. 

Opinion  publique.  Mot  de  M,.,  sur  l'opinion  publique.' 
I 24-1 25. 

Œuvre.  Une  bonne  œuvre  de  M....   17. 

Orléans  (La  duchesse  d').  Remontrance  qu'elle  s'attire 
de  sa  belle-mère.  80. 

Ormesson  (M.  d').  Remontrance  qu'il  s'attire  de  M.  Pel- 
letier de  Morfontaine,  son  beau-père.  91. 

Orsay  (Le  comte  d').  Se  plaint  par  vanité  de  ce  qu'on 
a  diminué  la  capitation.   141. 

Parabère  (La  comtesse  de).  Mot  que  lui  dit  le  régent. 
i5i. 

Paradis,  Ce  qui  a  fait  la  fortune  du  paradis.  67. 

Passions.  Manière  dont  M...  étouffe  ses  passions.   127. 

Pechméja  (m.).  Mot  touchant  que  lui  dit  son  ami  Du- 
breuil  mourant.  54. 

Pelletier  de  Morfontaine  (M.).  Sa  semonce  à  son 
gendre  M.  d'Ormesson,  contrôleur  général.  91. 

Perche,  poisson.  Comparaison  de  M.  B...  avec  une 
perche.   12. 

Phèdre.  Mot  dit  à  un  homme  qui  avait  vu  jouer  Phèdre 
par  de  mauvais  acteurs.   1 1 1 . 


TABLE    ANALYTIQ^UE  3ïJ 

Philosophe.  Accroît  tous  les  jours  la  liste  des  choses  dont 
il  ne  parle  plus.  91.  —  Doit  commencer  par  avoir  le  bon- 
heur des  morts,  puis  celui  des  vivants.  16,  —  Mot  d'un 
philosophe  sur  les  sauvages  et  les  enfants.  i2  5.  —  Lettre 
d'un  philosophe,   i  3  i . 

Pierre  P""  (Le  czar).  Comment  il  cherche  à  savoir  ce 
que  c'est  que  le  supplice  de  la  cale,   i3i. 

PiTT  (M^i^).  Son  mot  à  un  homme  qui  l'intéresse. 

Place.  Mot  de  M...  en  refusant  une  place.  7.  —  Autre 
mot  sur  le  même  sujet.  8.  —  En  quels  termes  M...  refuse 
de  quitter  une  place.   129. 

Poissonnier  (M.),  médecin.  Mot  de  Voltaire  à  Poisson- 
nier.  120. 

Police.  La  plupart  des  règlements  de  police  ne  sont  guère 
que  des  spéculations  de  finances,  82.  — Mot  sur  la  police. 
i33. 

Polichinelle.  Est  envoyé  à  Bicêtre.  84. 

PoMPADOUR  (  M™^  de).  Court  après  Louis  XV  aux  chasses, 
n'étant  encore  que  M°^°  d'Etiolles.  i36.  —  Fait  présenter 
au  roi  le  projet  d'une  cour  plénière.  Curieux  mémoire  à  ce 
sujet.  i38. 

PoPELiNiÈRE  (M.  DE  la).  Son  mot  sur  son  chien.  5. 

PoRQUET  (L'abbé),  Réponse  du  roi  Stanislas  à  ses  plaintes 
de  n'avoir  point  de  bénéfice. 

Portier.  Mot  sublime  d'un  portier,   134. 

Portugais.  Définition  du  Portugais  par  lord  Tyrauley.  60. 

Prédicateur  de  la  Ligue.  Texte  pris  pour  son  sermon 
par  un  prédicateur  de  la  Ligue.   i36. 

Préjugé  relatif  aux  peines  infamantes.   129. 

Prêtrise  (État  de).  Mot  d'un  homme  épris  de  l'eut  de 
prêtrise.   173. 

Prie  (La  marquise  de).  Sédition  causée  par  un  accapare- 
ment de  blé  fait  par  elle.   108. 

Procession  de  Sainte-Geneviève.  Mot  d'un  évêque  à  ce 
sujet,  60. 

Protection.  Mot  de  la  duchesse  de  B....   19. 

Provençal.  Politique  d'un  Provençal  à  idées  plaisantes. 
162. 


3l8  TABLE    ANALYTIQ^UE 

Proverbe.  Rappelé  par  deux  femmes  de  la  cour  passant 
sur  le  pont  Neuf.  2  5. 

Public.  Mot  de  M.  de  B...,  peu  ménagé  par  le  public. 
12.  —  A  quoi  ressemblent  ceux  qui  se  justifient  devant  1^ 
public.  86.  —  Genre  de  respect  qu'il  mérite.  189.  —  Sa 
définition  par  M....   139. 

Question  épineuse.  Réponse  de  M...  à  une  question 
épineuse.   140. 

QuiNAULT  (M^^°).  Sa  réponse  au  duc  de  Chaulnes,  qui  lui 
demande  comment  il  doit  se  faire  peindre.  3 7. 

Racine.  Côtés  plaisants  de  son  histoire  de  Port-Royal. 
I 34-1 35. 

Raynal  (L'abbé).  Sa  conversation  en  monologue  avec  le 
prince  Henri  de  Prusse.  76.  —  Messe  à  vingt  sous  qu'il 
cède  à  l'abbé  de  la  Porte,  qui  la  cède  à  l'abbé  Dinouart, 
chacun  retenant  une  part.   101. 

Recupero  (Le  chanoine).  Est  tancé  par  la  cour  pour 
avoir  dit  que  le  monde  ne  peut  avoir  moins  de  14,000  ans. 
I  o5. 

RÉGENT  (Le  duc  d'Orléans,  plus  tard).  Difficulté  d'élever 
un  gouverneur  pour  lui.  74.  —  Comment  il  accorde  une 
abbaye  d'abord  refusée,  iio.  —  Son  mot  à  l'abbé  Dubois, 
au  bal  de  l'Opéra.  141.  —  Sa  réponse  au  président  Daron. 
141.  —  Réponse  plaisante  que  lui  fait  Voltaire.  143.  — 
Son  mot  à  M'"<^  de  Parabère.   i5i. 

RÉGIMENT  de  Champagne.  Ce  qu'en  dit  le  roi  de  Prusse. 
148. 

Religion.  Réponse  faite  à  un  soldat  qui  demande  quelle 
est  la  meilleure  religion.    112. 

Resnel  (L'abbé  du).  Sa  remontrance  à  Duclos,  qui  jure 
en  pleine  Académie.  63. 

Retraite.  Utilité  de  la  retraite  pour  la  force  de  l'esprit. 
i33. 

Retz  (Le  cardinal  de).  Son  mot  à  un  homme  qui  le 
couchait  en  joue,   i  2  3. 

RÉVOLUTION  de  1789.  Pourquoi  M.  R...  ne  s'y  est  nul- 
lement montré.  2  5. 


TABLE    ANALYTIQ^UE  3î() 

Reynière  (M™^  de  la).  La  maréchale  de  Luxembourg 
lui  applique  un  vers  de  Delille.  47.  —  Mot  que  lui  dit  un 
grand  seigneur  qui  soupait  chez  lui,  i58.  — Ce  que  dit  de 
lui  un  de  ses  convives.    159. 

Richelieu  (Le  cardinal  de).  Médaille  où  il  figure  avec 
Louis  XIII.  98. 

Richelieu  (Le  maréchal  de).  Propose  à  Louis  XV  une 
maîtresse  qui  est  refusée,  98.  —  Aveu  que  son  souvenir 
arrache  à  M""^  de  Saint-Pierre.  i5i.  —  Son  mot  au  sujet 
du  siège  de  Mahon.  i5  5.  —  Mot  de  M"^^  de  Talmont  au 
maréchal  de  Richelieu.   160, 

RocHEFORT  (La  comtesse  de).  Son  mot  sur  l'avenir.  10. 
—  Son  mot  à  Duclos.  77.  —  Son  autre  mot  à  Duclos  sur 
son  paradis,   i  2  5. 

RocHESTER.  Son  mot  à  un  poltron.  58-59. 

RoHAN  (Le  cardinal  de).  Son  mot  à  M™®  de  Brionne. 
65,  —  Mot  du  dauphin  sur  lui,  dénaturé  par  M.  de  Na- 
dailhac.  i  i  9. 

Roi  d'Espagne.  Colère  d'un  chambellan  à  qui  on  a  dit 
que  le  roi  travaillait.    i63. 

Roi  de  France.  Sa  définition  par  M....   147. 

Roi  DE  Portugal.  Était  absent  de  Lisbonne,  ainsi  que 
la  reine,  le  jour  du  fameux  tremblement  de  terre.  A  tou- 
jours ignoré  l'étendue  du  désastre.   164. 

RoQUEMONT  (M,  de).  Sa  philosophie  conjugale.   i5o. 

RoucHER.  Mot  que  dit  Turgot  à  Delille  en  lisant  son 
poëme  des  Mois.  14 5. 

RouRE  (La  comtesse  de).  Billets  que  lui  écrit  le  grand 
dauphin.   159, 

Rousseau  (J. -Jacques),  C'est  un  hibou,  mais  c'est  celui 
de  Minerve.  77.  —  Passe  pour  avoir  eu  la  comtesse  de 
Boufflers.  io5.  —  Comment  il  reçoit  un  faiseur  de  com- 
pliments.  149-150. —  N'est  pas  courtisan  aux  échecs,   i  5o. 

RoY.  Poète.  Ce  que  Voltaire  dit  de  lui.   i5o. 

RuLHiÈRE  (M,  de).  Mot  sur  lui.  140.  —  Sur  sa  méchan- 
ceté, 145. 

Sablière  (M,  de).  Joueur  fameux.  Ce  qu'il  dit  à  Beau- 
marchais, qui  veut  l'empêcher  de  se  tuer.  87, 


320  TABLE    ANALYTIQUE 

Saint-Huberti    (M^ie    de).  Est    une   des   quatre    grandes 
comédiennes  du  siècle.   84. 

Saint-Florentin   (M.   de).   Fait  avec  M.    de  Maurepas, 

par  plaisanterie,  la  répétition  du  compliment  de  renvoi.  44. 

Saint-Malo.    Réponse  d'un  Breton    de  Saint-Malo  à   la 

question  de  M.  de  Court  :  Pourquoi  la  ville  est-elle  gardée 

par  des  chiens?  29. 

Saint-Julien  (M.  de).  Compte  de  ses  dettes  que  lui  remet 
son  fils.  46-47. 

Saint-Pierre  (L'abbé  de).  Sa  manière  d'approuver  les 
choses.   i38. 

Saint-Pierre  (La  duchesse  de).  Aveu  qui  lui  échappe  à 
propos  de  Richelieu.   i5i. 

Saint-Priest  (Le  vicomte  de).  Comment  M.    de  Calonne 
lui  fait  avoir  une  pension  de  20,000  livres,   78. 
Santé.  Moyen  de  rétablir  sa  santé.   i52. 
Saurin.  Son  mot  sur  l'honnêteté  de  M.  de  Foncemagne. 

l52. 

Saxe  (Le  maréchal  de).  Son  mot  sur  les  critiques  des 
bourgeois  de  Paris.  11 1 .  —  Mot  que  lui  dit  M.  de  Thiange 
à  Raucoux.    i  5  2. 

ScHWALOw  (Le  comte).  Mot  du  bailli  de  Chabriilan  au 
comte  de  Schwalow.   i5  3. 

Secours  donné  à  un  malheureux  par  un  autre.   17. 

SÉGUR  (Le  maréchal  de).  Plaisante  conséquence  de  l'or- 
donnance par  laquelle  il  prescrit  de  n'admettre  dans  le  corps 
de  l'artillerie  que  des  gentilshommes.  81. 

Senevoi  (m.  de).  Comment  il  est  obligé  d'accorder  un 
congé  demandé.   36-37. 

Siège.  Sang-froid  d'un  porteur  d'eau  pendant  un  siège,  i  5  2 . 

Silhouette  (M.  de).  Contrôleur  général.  Le  roi  garde  au 
prince  de  Conti  le  secret  d'une  épigramme  contre  lui.  i5  5. 
—  Redoute  les  chansons  faites  contre  lui.   175. 

Simiane  (M™°  de).  Petite-fille  de  M^^e  de  Sévigné.  Est  en 
commerce  de  galanterie  avec  Massillon.  26-27. 

SixTE-QuiNT.  Tance  un  prieur  jacobin  de  Milan  pour  lui 
avoir  jadis  prêté  de  l'argent.  i56. 


TABLE    ANALYTIQ^UE  321 

Société.  Plusieurs  choses  y  choquent    la  nature.  121.  

Qu'est-ce  qui  rend  le  plus  aimable  dans  la  société?  182. 

Solitude.  Comment  M...  explique  son  goût  pour  la  so- 
litude. 43. 

Solliciteuse.  Obtient  par  le  commis  d'un  commis  ce  qui 
avait  été  refusé  par  le  ministre.    129-130. 

Sot.  Cruche  sans  anse.  40.  —  Portrait  d'un  sot.  5  5.  — 
Mot  d'un  sot.  80. 

SouBiSE  (Le  prince  de).  Le  mari  de  sa  maîtresse  le  pousse 
à  la  battre.  99. 

SouRCHES  (M.  de).  Mot  que  lui  attire  sa  fatuité.   144. 

Stair.  Banquier  anglais  accusé  de  conspiration.  Sa  ré- 
ponse à  ses  juges.   148. 

Stainville  (m.  de).  Son  quiproquo  avec  M.  de  Vaube- 
court.   i58. 

Stanislas,  roi  de  Pologne.  Mot  que  lui  dit  M.  de  la  Ga- 

laisière  sur  les   changements  d'heure  de  son  dîner.  48.  

Ce  qu'il  dit  à  l'abbé  Porquet.  i58.  —  Son  mot  à  M^^  de 
Bassompierre.    159. 

Subterfuge  d'un  soldat  à  qui  on  a  pris  son  cheval.  1 12- 
ii3. 

Sully  (M™°  de).  Étrange  remède  que  lui  propose  Bor- 
deu,  médecin.  98. 

Talmont  (La  princesse  de).  Son  mot  à  Richelieu  à  pro- 
pos de  Mi^o  de  Brionne.   160. 

Tencin  (L'abbé  de).  Tour  que  lui  joue  l'avocat  Aubry. 
174. 

Tencin  (M^o  de).  Ce  qu'elle  dit  sur  les  fautes  de  con- 
duite des  gens  d'esprit.  161.  —  Sa  douceur,  selon  l'abbé 
Trublet.  161. 

Tentations.  Ce  qup  M...  fait  des  siennes.  120. 

Terrassc:;  (L'abbé).  Son  avis  sur  une  édition  de  la  Bible 

Terray  (Abbé).  Est,  suivant  le  duc  de  Noailles,  un 
excellent  médecin.  56. 

Tessé  (La  comtesse  de).  Ce  que  lui  dit  M^o  de  Cham- 
pagne à  propos  de  M.  Dubreuil.  161. 

Thiange  (M.  deJ.  Son  mot  au  maréchal  de  Saxe.  i5  3. 
Chamfort.  II.  ^^ 


32  2  TABLE    ANALYTIQJJE 

TiLAURiER  (M°i6),  Portée  en  compte  dans  le  bilan  des 
dettes  de  M.  de  Saint-Julien  te  fils.  47.  —  Comment  elle 
se  fait  épouser  par  M.  d'Espréménil.   i32. 

Thomas  (  M.  ).  Mot  que  lui  attire  son  amour  de  la  gloire. 
i35. 

Toulousain.  Vaut  à  peu  près  les  Gascons  et  les  Proven- 
çaux ensemble.  72. 

Tressan  (m.  de).  Sa  visite  de  sollicitation  académique  à 
M.  de  Nivernois.  99.  —  Son  mot  au  roi  Stanislas  à  pro- 
pos de  pensions  accordées  à  plusieurs  jésuites.   137. 

Tronchin  (m.),  médecin.  Son  mot  sur  le  viatique,  164. 

Tronchin  (M"^°).  Manière  dont  M™®  Cramer  donne  de 
ses  nouvelles.  26. 

Trublet  (L'abbé).  Ce  qu'il  dit  de  la  douceur  de  M™°  de 
Tencin. 

Turenne  (Le  maréchal  de).  Conseil  qu'il  donne  à  un 
enfant  pour  éviter  les  ruades  de  son  cheval.  37.  —  Avoue 
qu'au  commencement  d'une  bataille  il  éprouve  une  grande 
agitation.   164. 

TuRGOT.  Son  mot  à  l'abbé  Delille.  14$.  —  Comment  il 
est  défini  par  l'abbé  Beaudeau.  81.  —  Son  mot  à  un  ami 
qui  le  néglige  depuis  qu'il  est  ministre.   164. 

Tyrauley  (Lord).  Ambasiadeur  en  Portugal.  Sa  défini- 
tion du  Portugais.  60. 

Tyrconnel  (Lord).  Ce  qu'il  dit  au  prince  de  Conti,  qui 
Voudrait  se  venger  de  Louis  XV.   170. 

Usage  du  monde.  Comment  M...  s'était  formé  à  l'usage 
du  monde.  65. 

Vaines  (M.  de).  Sa  manière  ironique  de  repousser  un 
reproche.   144. 

Valuère  (Le  duc  de  La).  Comment  il  est  subjugué  par 
la  petite  Lacour.  40. 

Valuère  (La  duchesse  de  La).  Son  aveu  à  M.  de  Bar- 
bançon.  68-69. 

Vatry  (L'abbé).  Comment  il  obtient  une  place.   170. 

Vaubecourt  (m.  de).  Plaisant  quiproquo  du  comte  de 
Stainville  à  son  égard.   i58. 

Vaubrun  (L'abbé  de).  Mot  de  lui.  114. 


TABLE    AN  ALYTIQ^UE  32  3 

Vaucanson  (m.  de).  Compliment  que  lui  adresse  Vol- 
taire.  174. 

Vaudreuil  (Le  comte  de).  Ce  que  M...  dit  de  lui.  93. 
—  Réponse  que  lui  fait  Chamfort,  à  qui  il  offre  ses  ser- 
vices. 170. 

Vendôme  (M.  de).  Son  portrait  de  M"^*^  de  Nemours. 
.34. 

Vertu.  Mot  dit  à  une  femme  qui  parlait  emphatique- 
ment de  sa  vertu,   3. 

Vergennes  (Le  comte  de).  Opinion  de  M.  de  Choiseul 
sur  le  comte  de  Vergennes.  62.  —  Est  maltraité  dans  la 
correspondance  secrète  de  Louis  XV  avec  le  comte  de  Bro- 
glie.  64-65.  —  N'aime  point  les  gens  de  lettres.  i3  3.  — 
Pourquoi  il  laisse  M.  de  Breteuil  être  ministre.   171. 

Versailles.  Définition  de  Versailles.   171. 

Vertot  (L'abbé  de).  Ses  changements  d'état.   146. 

Veuf.  Mot  d'un  veuf,   146. 

Veuve.  Mot  de  M.  de  L...  à  une  veuve  pour  la  détour- 
ner d'un  second  mariage.   10.  —  Perd  sa  douleur  au  jeu, 

52. 

Villars  (Le  maréchal  de).  Mot  que  lui  dit  un  entrepre- 
neur de  spectacles  qui  veut  ôter  l'entrée  gratis  aux  pages. 
21.  —  Adonné  au  vin.  85. 

Villars  (M.  de).  Entend  trois  messes  croyant  qu'elles 
sont  pour  lui.   112. 

ViLLEQUiER  (Le  marquis  de).  Comment  le  premier  mou- 
vement trahit  la  bassesse  de  son  âme,  4. 

Villette  (Le  marquis  de).  Son  mot  sur  la  banqueroute 
de  M,  de  Guéménée.  i3.  —  Lettre  que  lui  écrit  M.  de 
Lauraguais.   122. 

Violence.  Comment  un  homme  violent  fut  arrêté  dans 
son  accès  par  un  mot  d'ami,  79. 

VivRiERS.  Comment  M...  flétrit  une  malversation  de  vi- 
vriers.  34. 

Voleurs  anglais.  Condamnés,  vendent  ce  qu'ils  possèdent 
pour  en  faire  bonne  chère  avant  de  mounr.  Mot  d'un  vo- 
leur à  un  lord  qui  veut  lui  acheter  son  cheval.  28. 

Voltaire.    Son   mot   sur  l'Académie  de  Soissons.   i.  — 


324 


TABLE    ANALYTIQUE 


Sur  V Anti-Machiavel  de  Frédéric  II.  7.  —  Sa  réponse  au 
reproche  d'abuser  du  travail  et  du  café.  21.  —  Ses  plaintes 
contre  M'^'^  du  Châtelet.  84.  —  Son  mot  cynique  à  Pois- 
sonnier. 120.  — •  Sa  réponse  plaisante  au  régent.  143.  — 
Son  mot  sur  le  poëte  Roy.  i5o.  —  Sur  la  religion.  i5i. 
—  D'Alembert  ne  le  trouve  un  peu  faible  qu'en  géométrie. 
i65,  —  Fait  pleurer  le  roi  de  Prusse.  lyS.  —  Son  mot  à 
Vaucanson.   i  74. 

VoisENON  (Abbé  de).  Son  jugement  sur  Henri  IV  et 
Louis  XIV.  77. 

Volupté.  Mot  de  M.  de  L...  expliquant  pourquoi  il  a 
renoncé  à  la  volupté.  6. 

Vrillière  (Le  duc  de  la).  M.  de  Choiseul  a  disputé 
avec  M.  de  Praslin  sur  la  question  de  savoir  qui  est  le  plus 
bête,  de  lui  ou  du  roi.  126. 

VoYER  (M.  de).  Laisse  deux  cassettes  pleines  de  lettres 
céladoniques.   i55-i56. 

VoYER  (M™°  de).  Aime  sentimentalement  le  vicomte  de 
Noailles.   i5  5. 

Washington.  Héroïque  réponse  que  lui  fait  un  Améri- 
cain qui  a  fait  seul  six  prisonniers.  82. 

XiMÉNÈs  (M.  de).  Mot  de  M.  d'Autray  sur  de  Ximénès. 
174. 


I 


TABLE 


DU    TOME   SECOND 


Pages 

Portraits,  Caractères,  Anecdotes  et  Bons  Mots.      .  i 

Le  Marchand  de  Smyrne  ,  comédie  en  un  acte  et  en 

prose 177 

Lettres   diverses 209 

Dissertation  sur  l'imitation  de  la  nature  ,   relative- 
ment aux  caractères  dans  les  ouvrages  dramatiques.  269 

Notes  et  Variantes 291 

Table  analytique  des  Portraits,  Caractères,  Anecdotes 

et  Bons  Mots 29$ 


li;^8   3J& 


IMPRIME    PAR    D,    JOUAUST 

POUR    LA 

NOUVELLE   BIBLIOTHÈQUE   CLASSIQUE 

Paris  ,    1879. 


La  Bibliothèque 

Université  d'Ottawa 

Echéance 


The  Library 

University  of  Ottawa 

Date  due 


( 


a39003  002380086b 


CE  PQ    1963 
•C4A6  1879  V2 
COO   CHAMFORT, 
kCZié     1369591 


SE  OEUVRES  CH