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(E U V R E S
D E P I R O N.
(E U V R E S
COMPLEX TES
DALEXIS PIRON,
public e s
Par M. Rigoley de Juvignt,
Conseiller honoraire ati Parlement de Metz , dc
TAcademie des Sciences 8c Belles-Lcrtres de Dijon,
TOME SECOND.
A PARIS,
De l'Imprimerie de M. Lambert,
rue dc la Harpe , pres Saint C6n:ie.
M. DCC. LXXVi
m
E P I T R E
A MA DAME
LA COMTESSE DE***,
-rf^ux TRAITS de la censure en butteplus qu'un autre a
Et d'un Nom respectable ayanc a m'appuyer ,
Olympe , avec raison , j'avois choisi le votrci
Mais votre modestie a paru s'efFrayer.
Je defere humblement a sa delicatesse :
Sans ce Nom revere je publie une Piece
Dont , sous un tel abri , le triomphe ctoit sur ;
Dumoins , de vous a moi , recevez-en rhommagc;
Public , il m'eut plu davantage j
Secret , il n'en est pas moins pur.
Le langage du coeur se fera seul entendre.
Ce seroit a I'esprit a brocher sur le tout ;
Le mien en viendra mal a bout j
Mais est-ce i moi qu'il faut s'en prendre.
Si le Ciel ne I'a pas forme selon mon gout ?
Cen'est pas d'aujourd'hui que mon orgueil en grondc,
Et qu'il en gronde vainement j
11 me vient meme en ce moment
Une reflexion profonde ,
Que je veux rendre en peu de mots.
Entamons pourtant le propos
Par la creation du monde ;
Et prenons la matiere au sortir du chaos.
La Nature en faisant eclore le systemc
..J- Du globe tcrrestrc oii je vis ,
Tome Hi A
1 t P I T R E,
Devoir bien , n'en deplaise a son vouloir supreme ,
Elle ^ qui nous devons rant de Donneurs d avis ,
S'en reserver quelqu'un pour elle-meme.
Car je sais tels conseils , moi qui tres-peu ks aimc ,
Qu'a sa place j'aurois suivis.
Ce seroit , par exemple, un beau trait d'harmonic,
Lorsque d'un bel esprit sans vie ,
La depouille mortelle est mise au monument,
Qu'un Embrion forme dans ce fatal moment »
Servit de nouveau gite a son heureux Genie j
Et que de Successeurs une suite infinie ,
Des grands Hommes ainsi conservat les talens ;
Afin que , pour Thonneur de nos destins propiccs ,
Ce qui fit ici-bas une fois nos deliccs ,
Les fit jusqu'a la fin des temps.
Ah ! quand la Parque inhumainc
Eut fait payer le tribut
Au plus bel esprit qui fut ,
( Je crois nom.mer Lafontaine )
Que j'eusse ete fortune ,
Si , dans le meme instant , par hasard etant ne ,
J'eusse herite de sa veine !
Qu'iNSPiRE des neufs Soeurs dont je serois cheri ,
Je ferois sur ses pas des courses agreables !
Car j'aime le pays des Fables j
C'est mon voyage favori.
Le ciel en est si pur ! le terrein si fleuri !
Le continent si vaste & si riche en spedacles !
II s'en presente aux yeux de toutes les famous.
A chaque pas naissent quelques miracles.
Quadnipedes , Oiseaux , Lisedes & Poissons ,
Sujets,que, de pleiii droit^sous nos pieds nous placons.
i P I T R E, 5
Tous k rtiomme orgueilleux prononcent des oracles ,
Et donnent a leur Roi d'excellentes lemons.
Que de Tempe la charmanre Vallec
Est sur-tout uii canton du pays fabuleux
Bien digne du pinceau de cet Esprit fameux ,
Dont pour jamais la flamme en haut s'est exhalec!
Que , doue de son feu divin , .
Je ferois un tableau dilicieux & rare
De ce lieu qui n'est plus , mais ou I'esprit humajn ,
Si volontiers encor se promene & s'egare !
Mes naVfs &c tendres crayons
Peindroient un lieu champetre , un asyle , un bocagey
Quelquefois cultive , d'ordinaire sauvage ,
Toujours plus beau que n'est tout ce que nous voyons:
Le Soleil n'y pourroit faire entrer ses rayons >
Mais les Jeux dc les Ris s^y feroient tous passage.
Les Ruisseaux a flots d'argent ,
Et bordcs de marjoJaine ,
Tantot ne roulant qu'a peine ,
Tantot , d'un pas diligent ,
Scrpenteroicnt dans la plaine.
Philomsle , a perte d'haleine ,
Chanteroit les beautes du Vallon ravissant ;
Tandis que dans les airs ou s'etend son domainc ,
Le jeune enfant d'Eole , agile & caressant ,
Deployanf moUement ses aiJes ,
Sc plairoit a repandre une aimable fraicheur ,
Et le parfum de quelque fleur
Peinte de couleurs eternelles.
De CCS agreables recits ,
Ma Muse elegante & legerc
AH
\ £ P I T R E.
Passeroit aux moeurs du pays ,
Terre pour nous bien etrangere ,
Ou , sur un trone de fougere ,
L'Amour modestement assis ,
Donnoit s^s loix sans artifice i
Et gouvernoit les yeux ouverts ,
Sans Ics avoir jamais couverts ,
Que du bandeau de la Justice.
Lb plaisir coutoit pcu , ne s'alteroit jamais ,
Et sejournoit sur cette heureuse terre ,
Entre I'lndolence & la Paixj
Au lieu que , parmi nous il erre.
Precede de la Peine , & suivi des Regrets.
-La Candeur ingenue , honneur du premier age ,
Ainsi qu'aux moeurs , presidoit au langage ;
. Le double sens , & les tours ambigus ,
Comme le masque & le double visage ,
Etoient alors dts monstres inconnus.
Chaque terme a I'esprit ne portoit qu'une image \
Un Oiseau , vouloit dire "^ un Oiseau j rien de plus j
Et cage vouloit dire cage.
La basse Allusion , de son impurete ,
N'avoit rien encore infede j
Et , dans les jeux publics voues a I'lnnocencc ,
Jamais la sage Honnetete ,
Au gre de Tinfame Licence ,
Sur un mot mal interprete ,
N'eut vu J ni voulu voir , dans la simplicite ,
L'enveloppe de I'indecence.
♦ Voyez dans la Preface, pag. 14 & suivanies, un eclat£<
cisscmenc sur cec endroic.
t P I T R E. %
De I'Eleve de Mentor
Figurez-vous la jeunessc ',
Imaginez la vieillessc
Du pacifique Nestor i ^
De Phantaze & Phobetor ,
Realisez la richesse , . ^
Et Ics biens de toute espece ,
Qu'en prenant un libre essor y
L'idee avide & feconde
Puiseroit dans son tresor
Ou tout ce qui plait abonde j
En un mot , le siecle d'or ,
Tout pur & tout simple encor ,
Dans un petit coin du monde :
Voila ce que j'aurois peint ,
Si j'eusseete Lafontainej ,-
Mais, ne I'etant pas , j'ai craint
Le sort du Fils de Climene j
Ou ce qui jadis advint
A la Grenouille inscnsee ,
Qui, grosse en tout comme un ocuf ,
Creva , pour s'etre cfforcee
De se rendre egale au Boeuf.
Je n'ai done entrepris que selon mes ressources.
Des plaisirs diffcrens dont etoit occupe
L'amoureux Peuple de Tempe ,
Je n'ai retrace que les Courses.
Du MoiNs si de tous les talens
Du Fabuliste inimitable ,
J'avois celui de faire une esquisse durable
Des Heroines de mon temps ,
En leur dediant une Fable !
A ii)
I ^ P 1 T R E.
Si , comme lui , j'avois Ic don
D'lmmortaliser un beau nom ,
Dans urxe Epitre liminaire :
Jc me consolerois \ dc sur le meme ton
Que prlt saMuse epistolaire ,
Quand elle celebra la divine Conti ,
Bouillon , Sevigtsie , Silleri ,
Et nilustrp LA Sabltere ,
J'aurois pu celebrerV*"^*'
Matiere a ne jamais tarir sur la louange.
Olympe j c'est en vain qu'ici vous rcvitez.
De mille aimables qualites
J'aurois fair un si beau melange.
Que personne n^eut pris le change ,
Et que ce Portrait sans defaut ,
De'ja , dans plus d'un coeur , peint par la Renommec ,
Vous eut fait connoitre aussi-tot >
Saris que je vous eusse nommee.
ix/rt 3t /
■.,^^, PREFACE.
V o I c I lift rtbisienie genre de Drame qui com-
porte egalemeilt le gracieux & le frivole : deux
avantages qui sembleroient lui devoir attirer la plus
haute fdveur sur le Theatre fran§ois ; Sc qui nean-
moins n'empechenc pas que ce n'y sc^ , au con-
traire , le plus discredite de tous les Genres*
Le seul titre de Pastorale , n'annongant que des
Bergers & que de parfaits Amans , s'eloigne trop
de nos fa^ons de vivre & d'aimer , libres & cava-
lieres. II encraine apres soi Je ne sais quelles idees
fadf s &; pusriles, qui naturellement indisposent d'a-
bord centre la Piece , & meme centre le Pocte ,
qu'elles travestisse'nt en Berger extravagant. Car
je ne sais si je me trompe , & si ce n'est pas une
disposition d'esprit particuliere a moi seul : mais
tin Auteur est-il anonyme ou bien inconnu j il me
semble qu'on se figure un peu sa Personne , d'apres
le genre de son ouvrage. La Trag^die, par exem-
ple , nous fait envisager le Pocte sous un air fier
& de grands traits i la Romaine. L' Auteur de la
bonne Comedie s'oftre a I'esprit avec une physio-
nomie vive &: gaie. La Comedie moderne suppose
au sien un maintien sage & pose. De meme aussi ,
celui de la Pastorale se presente a nous sous la forme
d'un doucereux Thirsis , qui> vis-a-vis de son Iris
A iv
r PREFACE.
en I'air ,-la ho alette imaginaire a la main , I'oeU
jiiourant , & la tete nonchalamment penchee sue
une epaule , se provoque au ton langoureux &c pas-
sionne. Que sait-on meme si tous ces Messieurs ne
sont pas assez peu sages pour se trop complaire a
ces sortes d'idees qu ils se flattent de suscirer^ & pour
s'y fagonnerj & si, de cet exces de complaisance ,
ne naissent pas I'enflure dans la Tragedie , le bate-
lage dans la Comedie ancienne , la gravite froide
& pedahtesque dans la nouvelle , & la fadeur dans
la Pastorale ?
On sait bien que rien au fonds n'est moins res-
semblant , pour I'ordinaire , que ces portraits si le-
gerement imagines. N'importe : telle est, je pense ,
la premiere operation de nos espritsj & de-la , dis-f \
je , sur la seule affiche d'une Pastorale , c'est a qui
s'ecriera , secouant dedaigneusement la tete : que
va-t-onnous chanter ? Des maximes de Brunettes,
de petits madrigauxd'Opera, degalantes fadaises,
"des niaiseries surannees.
Voila de nos preventions & de nos hyperboles
frangoises ; mais ne voila pas moins ou en est pre-
cisemenc parmi nous la pauvre Poesie bucolique.
Elle est pourtant bien aimable en elle-meme , 5c
bien conforme, de plus , a notre gout decide pour
la mollesse & I'oisivete voluptueuse , tant arborees
& si elegamment chantees par des Poetes vivans ,
^ue ce ton seul a fait couronner.
PREFACE. y
Que fait & que ne defait pas le cours des temps!
Quelle etrange revolution est done celle-ci ! Qaoi !
Theocrite , Virgile , le Tasse , & Guarini , auront
plu dans la Grece ^ a Rome , & dans i'ltalie j Durfiy
Racan , Segrais & Deshoulieres , en France \ tout
ce qu'ils auront fait dire a leurs Bergers se sera , de
leur temps , appele , & s'appelle encore du notre
par habitude , les dclices du coeur & de I'esprit : &
tout ce que produiroient leurs Imitateurs, ( fussent-
ils dignes de I'etre ) ne s'appellera plus qu'ennui ;
glace & reveries de nos bons vieux Peres ? D'oii
viendroit ce degoiit subit qui , tout a coup , fait
voir les memes choses d'un ceil si different ? Car
enfin la forme & le fonds de ces sortes d'ouvrages
n'ont pas plus, change que les loix de la Nature,
ni que les regies de I'Art. N'aimeroit-on plus ? L'A-
mour, le plus bel Ecre de la Folie, ne seroit-il plus
pour nousqu'unEtrederaison? Et n'auroit-il laisse
de lui , que son ombre froide , errante encore ici-
bas sous le nom barbare & national de Galanteriel
Quoi ! Nos Catules sophistiques I'emporteroient
enfin sur les QidrMults & X^^Rac'inesf Le Corregc
& VAlhanc seroient pour jamais eclipses par Vat-^
tcau ? Et le bon Lafontaine j tout en badinant ,
auroit dit la triste verite , quand il a dit :
Amour eft mort j le pauvre Compagnon
Put enterre fur Ics bords du Lignon j
Plus n'en avons ici ni vent ni voic.
,v^,^;...^.M^.t
lo P R i F A C B.
Non, non J ces vers ne sont qii'une exageration
pCK'aqae , & mes soup^ons qu une chimere. Du
moins me replacant en idee , de I'age od je suis >
ilage des passions ou je fus , je ne crois ni ne senii
toiu cela vrai , ni vraisemblable.
O mifti priteriios reidatji Jupiter annos /
O ! fijamais les Deftinees
Me rcndoient mcs jciines annecs ,
^oe je le proaverois bien ! ou , si ma fa^on ds
penser & de senrir la-d^ssus ^toit ^ffedivemenc
devemte une espece d'heresie, J6 le declare, je
serois le dernier a Tabjurer. Mais encore ane fols »
cda n*e$c, ni ne saiiroit etre. L'Amoiir n'est point?
mort; on aime tdujoars quelqiie part, & meme
forr tendrement, A la bonne heure que le gout aic
irarie , ^ varie sans cesse sur toute autre chose,
Tonte autre chose peur ressortir au Tribunal da
Caprice humain, Mais quelque ridicule qu'on
^eaille Jetef sur Tamour^ & quoiqu'en ait dit Za-
fontaitie^ tant que , sur terre, il y aura des graced
& de la beaute, des coeurs 5^ des yeux , il v aura
tendresse , amour & sympathie \ &par consequent
Sy aura toujours des amesdouces, qui seplaironi
a la peinturedes plaisirs tranquilles de la campa-
gne & des belles passions \ dernieres & seules
images de I'age d'or.
Ce quin estquetrop veritable & que ir6p avere.
PREFACE, 11
c^est que , de temps immemorial , ce bel age a.
disparuj & que noussommes ecrangemenc enfoti-
ces aujourd'hui dans un sihcit de fer : de fer poli ,
a la verite ; d'acier msme, si Ton veut ; mais, en
ce cas, cinquieme & derniere espece de siecle, qiii
ne rend le grand nombre que plus sourd aux tefi-
dres sons de nos Lyres amoureuses & cliampetres.
Ainsi presque rout etant devenu pour nous pire
que tygre , chene & rocher , fussions-nous de no-
tre cote devenus des Orphees > sur quel ton nous j
prendre au Theatre , pour interesser & pour remuer
un pareil Auditoire ?
On me dira qu'il n'y a qu'un seul ton pour la
Pastorale : le ton simple 8c tout naturel. D'accord.
Mais il y faut repandre des graces j & quelle espece
de graces ? C est-la le point de la difficulte. Point
sur lequel , de part & d'autre , on ne veut plus
s'accorder.
Nues J comme autrefois , ces Graces ne sont pas
du gout de nos beaux- esprits moins delicats peut-
etre que rafines. L'ingenu pour eux , est peu tou-
chant. Ornees de quelque draperie a la moderne ,
les scrupuleux amateurs de I'antique , peut-etre
aussi moins cquitables qu'entetes , les traitent de
fausses , &c de purement artificielles , de Pre-
cieuses ridicules.
N'y auroit-il pas moyen d'accorder ces deur
Puissances irreconciliables ? Oserois- je clever entre
11 PREFACE,
elles ma foible voix? Ec daigneront-elles accep-
ter mon humble mediation ? Tachons de nous
faire ecouter des deux partis , en avan^ant que
Tancienne & la nouvelle Bergerie ont , routes les
deux , & chacune d'elles en particulier , leur por-
tion d'agrement comme de verite.
Pour le mieux faire sentir , comparons d'abord,
& Tune & I'autre ensemble , aux flcurs en general.
Divisons ensuite' les fleurs en deux principales
especes : en fleurs des champs , &: en fleurs de par-
terre. Comparons maintenant les Bergeries Grec-
ques & Romaines , traitees par les uns d'insipides ,
a cause de leur trop de simplicite j aux fleurs des
champs j & les Bergeries modernes regardees par
les autres comme fausses , a cause de leur trop de
culture & d'eclat, aux fleurs de parterre. Les fleurs
^Qs champs J pour etre simples , sont-elles denuees
de tout agrement ? Rejouissent-elles moins la vue
■& memerodorat dans le vaste sein d'une prairie ,
que les fleurs de parterre ne font dans leur enclos
ctroit ? Et celles-ci , d'autre cote , pour etre plus
brillantes & plus cultivees , en sont-elles moins
vraies , moins naturelles ? Non j sans doute. Eh
bien ! les Anciens ont forme de belles guirlandes
avec les unes , & les Modernes , avec les autres j
n'est-ce pas avoir des deux parts decore la Scene
poctique d'ornemens egalement dignes qu on em-
ploye toutes ses forces a les perpetuer ^
PREFACE, 13
J'essayai done ici les miennes 5 non que ]tn
presumasse rien de bien rare , ni d'cgal a mes mo-
deles j mais enfiii la foiblesse ne condamne pas to-
talement a rinadion. Loin de-la, I'adion souvent
est un remede a la foiblesse j 6c comme aussi I'on
ne voir pas que Tintrepidite de bonne opinion soit
toujours une fort bonne Muse ; de meme , il n'est
pas dit que la defiance de soi-meme soit toujours
la marque assuree d'une impuissance absolue.
Quoi qu il en soit, une nouvelle edition du beau
Roman de Tharsis & Zclie , qui venoit d'etre fa-
vorablement re^ue du Public , ayant reveille vive-
ment en moi les images delicieuses dont I'Astree
enchanta ma premiere jeimesse , j'entrepris cette
Pastorale. J'avois atteint I'age ou Ton veut deji
qu'il ne soit pas trop scant de se livrer encore a de
si douces illusions j mais je ne les abandonnois
qu'a regret.
Ainsi je composai , comme on volt ^ cette Pas-
torale , plutot par I'attrait de mon amusement pac-
ticulier , que dans aucune vue d'en faire parade ,
encore moins dans aucune esperance de reussir aux
yeuxdu Public : disposition naive & dcsinteressee ,
qui peut-etre nest pas , a beaucoup pres , la plus
mauvaise qui se puisse apporter a la composition
de ces petits ouvrages , ou le sentiment seul doit
agir & se montrer.
44 P R t F A C E,
tJn autre essor que prit aussi le gout Ubre qui
m'entrainoit , fut de se laisser alter a rous les tons
indilferemment. Tendresse , galanterie , enjoue-
menc , haut comique , terreur meme & pitie , jus-
qua du burlesque j il entra de tout dans ma Pasto-
rale : espece de cacophonie qui vrai-semblablement
n'eut gueres du s'attendre au favorable accueil
qu'on lui fit; mais qui , s'il en faut juger par I'e-
venement , vaut apparemment encore mieux que
I'ennuyeuse & froide monotonie presque inevi-
table en ces sortes de pieces. Du moins cette va-
riete . legitime ou non , prcserva , je crois , mon
petit Poeme de la disgrace commune. Qui nous
donneroit I'art de violer a propos les regies , nous
donneroit plus & mieux qu'un art poctique \ mais
de meme que j'ai cru ce dernier inutile , je crois
I'autre impossible.
J'insinue en passant , que j'eus I'agreable sur-
prise d'un succes inespere. Je me serois bien garde
d'en faire la moindre mention indirede ou posi-
tive , si ce succes n'eut pas ete melange , comme il
le fut , de I'amertume d'une critique odieuse que
j'avois bien moins du prevoir assurement , & que
je meritois trop peu , pour ne pas en porter ici ma
plainte au Ledeur equitable. J'espere que je n'au-
rai pas en vain proteste , devant lui , de mon inno-
cence attaquee par cette critique injurieuse.
De quelque autre nature qu elfe eut ete , je n'err
PREFACE, ij
aurois non plus parle que du succes. Ne la pas sa-
voir supporter patiemment quand elle est juste 8c
qu'elle n'esc que litceraire , rint-elle un peu Ai\x
raillerie piquanre , ce n'est pas seulemeiit , selon
nioi , une petiresse d'esprit , ni un risible ecarc
d'amour-propre 5 c'est encore une veritable ingra-
titude. Tout ce qui nous est utile * est de la nature
du bienfait : or il n'y a , nulle part , rant a profitec
pour nous , qu'avec la critique. Si, par le joar
qu'elle repand sur nos fautes , elle nous rabaisse
un peu j en revanche , elle nous eclairs , &
nous eclaire meme a ses depens j car elle nova
arme genereusement contre elle-mcme , pais-
qu'en nous eclairant , elle nous met en erat de
la faire taire une autre fois. L' Academic Fran^oise
ne I'a-t-elle pas dit si sagement dans ses senrimens
sur le Cid ? On ne nous coupe alors quelques bran-
ches de laurier j que pour Us faire pousser davantage
en une autre saison,
Mais quelle difference entre les heureuses dc-
couvertes de la saine critique j & les hideux fan-
t&mes d'une imagination corrompue , ou mal-in-
tentionnee ! On verra que |e ne puis guere aurre-
ment qualifier la censure dont je me plains. Elle
ne fut, ala verite, que verbalej &, par cetteraison,
il sembleroit qu'en ne la relevant pas, j'aurois dii
la laisser cetomber dans son neant. Mais le verba
volant n' a d'application qu'aux propos indifferens
T,f PREFACE.
ou avantageux ^ des qu'ils sont nuisibles & calom-
nieux , ils prennent du poids & de la racine. Cette
censure done , bien qu'elle n'ait ete que verbale ,
n'eut peut-erre que trop d'efFet. D'ailleurs elle fuc
debitee en plein Theatre , &: devant telles person-
nes , qu'il ne pouvoic manquer d'y en avoir dont
la faq:on de penser sur mon compte ne m'interesse
infiniment. 11 ne m'eut fallu , pour me justifier de-
vant elles qu'un seul mot j que la devise de I'Ordre
de la Jarretiere i je me serois fait croire aisemenr;
mais je n'etois pas la pour m'en armer j & Ton ne
salt que trop le beau jeu que la calomnie euttou-
jours contre les absens.
Quelque esprit credule pourroit done avoir em-
porte , contre certains endroits de cette Piece j des
impressions facheuses , qui se reveilleroient a la
lecture , si je ne prenois ici le soin de les efFacer , en
crayonnant seulement mon Accusateur & sa fa9on
de s'y prendre. C'en sera bien assez pour laisser a
penser du fait , ce qu'il en faut penser.
Ce troisieme Caton tombe des nues , etoit un
de nos Dameretsdes plus brillans alors& des plus
courus^bel-espritmondain, pensant, parlant, agis-
sant selon son gout , son age , & son etat j de ces
demi-Lettres qui possedent a fond leurs Theatres
& leurs Conteurs ; assez-bien leur Brantome 8c
I'histoire amoureuse des Gaules ; tant soit peu
leur Montaigne &c leur Baile ; mais qui savent
a
PREFACE. i-f
k peine que Bossuet &c Pascal ont ecrir. Tout cela
nous annonce & veut dire un personnage peu grave
Sc de la meilleure composition du monde avec lui*
meme , en matiere de morale*
D'un autre cote , c'etoit aussi de ces Important
de coulisses , de ces jolis Virtuoscs , qui prennent
sous leur bruyaiite protection le seul Auteut en
vogue 3 qui lui devouent leur suffrage & leur ad-
miration 5 qui veulent qi^'on meprise , comme
eux , tous ies autres sans exception j qui ne dai-
gnent pas meme Ies apprecier ni Ies connoitre \ 8c
qui , pour peu qu'un de ces malheureux proscrits
ait le bonheurde percer, I'egorgeroient volontiers
aux pieds de leur Idole. 11 y a trop de gens de ce
caradlere in juste ^ pour qu'on me puisse accuser de
designer ici nommement qui que ce soit.
Celui-ci done, avec de si belles dispositions , se
trouva, malheureusementpourmoi, a la premiere
representation des Courses de Tempi. Dieu sait
tout le mal qu'il en dit, avant qu*oneut leve la toile.
L'ouvrage etoit d'un autre que de Voltaire ; ce
grand nom ne decoroit pas I'affichej la Piece pou-
voit-elle , devoit-elle valoir quelque chose ? Meri-
toit-elle seulement qu'on y vint ? Cependant I'in-
dulgence du Public n'eut point d'egard a cet arret.
La faveur se declara des Ies premieres scenes. Pi-
que au vif , il jura tout bas de n'en pas avoir jusi
Tome 11, B
iS > it E F A C K
<qa ail tyout k deiiienti , 6c de tirer raison de cetfd
injure 3 en m^ faisant player la peine qii'il a!loit s^
donner d ecouter. Ce n'est plus a I'ho'tineUr seule-
ment de la Piece qu'il eii veut, ce n'est pas moins
qu^a celui meme de I'Auceur. II reussit j qu'ii soit
fletril voila done mon petit- maitre a la torture,
c'est-a-dire, pour la premiere fois de sa vie , atten-
tif. 11 pese , epie /sue , & fait enfin si bien jouer
les ressorts de la malveillance, que , pour ie coup »
il se croit a son but , & saisi du beau secret de
changer I' or pur en un plomh viL A force de tordie
be d'alambiquer les expressions les plus honnetes *
les plus simples 5l les plus univoques , il se llatte
d'en avoir fait des mots k double entente , siiscep-
ribles des plus indccentes .allusions
Ce grafrd (felivre acheve, TOperateur tres-satis-
fait de lui-mcme , s'ecria , I'indignation sur le
front : Oh ! e'en est tiopj je n'y tiens plus ! Ceux qui
m'ont conte la chose , me Ie represenrent-la , sa
dressant en pieds au milieu des bancs du Theatre ^
publiant sa dccouverte aux echos d'alentour ( car
il y a bien des echos dans ce Pays-la ^ quand il n'esc
pas desert ) distribuant glose & paraphrase a la
ronde , & s'echauiFant dans son faux harnois , jus-
qu'a s'alarmer bien serieusement pour la pudeur
des premieres Loges.
Plein d'uhe si charitable inqulMd^ ^ il y Vdli $
PREFACE. i^
(oxc^ les portes , fait rferourher les Dames , lei
avertir du scandale qui leiit vient d'echapper ^ le$
exhorte a ne plus revenir voir cette Piece , ou da
ihoins i lev6 rtthe aurre fdis Teventail a tels &
tels endroits qu'il leui: indique & qu'il leur in-
rerprcte a sa irliatilcre \ le tout, d'un air & d'un toti
si penetres du zele de Thcirin^bSte publique &C d^
leur int^ret parriculisr, qu6 d'abord les plus sim-
jiles , ou celles qui cortnoissoient peu le person-^
liage i durfefit he si'^dir trop bonneilieht qu'en pen-
set ; tandiS que \^t ciiirvoyaiites adrtiiroient la sin-
gularite d'un jeU pa'reil , & rioient sous cape , d^
voir ce vercueux & nouveau Bellerophon se gen-i
darmfer si gratuitement pour elles j SCj sur soft
hippbgriphe eii I'aii: , s'escrinier a foiit6 btlcrahc^
contre une chiili^t^ de son invehfcioh > invisible 4
rous les yeut , &c de iiatiire , en rous cas , a devoit
moins blesser les siens que ceui de qui qiie ce fut,
Une de ces Dames , iiiipatiehr^e (^ Qc ]q\q sais
d'elle-meme ] ne put se tenir de lui dire : rhais
taisez-vous done , Chevalier ! avei-vbils perdu i'es»'
prit avec vos idees ? Laissez nos innocences eh paixf
je n'entehds hi nfe vtiiiit eht^hdre iilciind malice i
tout cela \ 6c la s^Ule quS je crois enrtevoit iei ,
c'est la v&tre. La mlenhe, Madame! quoi «' voils..,
Ilalloit la rembarer de bonne sorte a mes depehs,
^uahd le Parterre lui ayam fait quelques rsmoij*
Bij
xq PREFACE,
trances sur la paix, I'obligea de remettre a d'autres
temps, oa de porter ailleurs ses hostilites.
,i. Est-il rien , tout a la fo'is , Sc de plus choquant
& de plus risible que ces faux airs de delicatesse
& de reserve subite , repandus sur une figure fri-
vole & de la trempe de celle-ci? On peut dire que
c'est bien mal entendre a se masquer , pour quel-
qu'un du metier &c qui cherche .a plaire. Qu'un
homme grave , un homme d'autorite , d'un certain^
^ge,d'une certaine robe, & sur-tout de mcEurs con-
venables a son caradtere , tonne , eclate ^ fulmine
centre une produdion cyniquej & I'attribuant mal-
heureusement au premier qu'on lui nomme , elcve,
aussitot centre lui sa formidable voix , 8c , sans'
autre formalite , le sacrifie a la passion qu'il a pouty
le maintien du bon ordre : il pourroit bien y avoir--
quelque chose a dire sur cette severite precipitee >.
la victime egorgee peut-ctre etoit innocente , ou le-
cas, graciable j laissons cela ^ il n'estici question que ,
de la convenance des roles. On ne verroir du moins-r<
dans celui-ci rien que d'ordinaire j que d'assez na-
turel , & que d'a-peu-pres dans sa place. Un beau
zele auroit sans doute anime le pieux Persecuteur.
A quelque point que ce zele emporte , il nait d'un
motif qui purifie I'adion. Enfin celuiqui frappe dc
ip fer son: sacres j il est du devoir de les reverer : ,
PREFACE, ii
onles revere aussi.Mais qu'un jeune courtisan, des
moins preserves du raauvais air qii'il respire , ar-
bore efFrontement la meme austerire, s'cfFarouche,
se herisse j &: du ton du Sage que je viens de peiu-
dre , fronde , improuve & reprouve , ou ce sage
lui-ineme n'auroit pas trouve seulement de quoi
sourciller : de bonne foi , pour en parler modere-
ment , une forfanterie , une morgue si deplacees ,
ne forment-elles pas un vrai personnage de farce?
N'esr-ce pas Armand qui se prcsenteroit en scene
souscelui de Joad? Qui ne riroitd'un role si mal
assorti ? & qui n'en riroit aux depens du Comc-
dien qui le joueroit ? Mais ce role joue , de plus ,
dans la venimeuse intention que j'ai dice, n'est-il
que ridicule , n'est-il que bouffon ?
Voila pourtant de nos juges , &: de ces grands
btailleurs, comme die le Misantrope ....
Qui , je ne sais comment ,
Ont gagn^ dans la Cour, de parler hautemcnt.
De-la , souvent , nos reputations bonnes ou mau-
vaises en tout genre. Le dangereux , le dur metier
que le notre ! Le feu de I'age & de I'imaginarion
nous egare assez , & le pied dcja ne nous glisse que
trop. Qui le sait mieux , qui s'en repent plus que
moi ? Eh ! qu'esperer en ce malheur , de I'indul-
gence de nos Censeurs-nes, quand des gens si pen
B iij
%l P R 4 P ^ ^ ^*
fa^ts ponx I'efre , son: nqs plus vifs d?Iateuts & Ie«
plus prets a nous lapider , |.e ne dis pas sur les plus
minces , mais , comma ici , st^r les plus fausses ap-
parences ?
Pour cette fpis-cij j*etois Sc je suis encore pair
consequent clans la plus grande innocence. Cepen-
dant , Gomme les Muses valent bien la femme de
Cesar , & qu'il ne leur suflSt pas de n'etre poinC
coupables , mais qu'elles ne doivent pas meme
^tfe soup^onnces j instruit des endroits de la Piece
que ce galanc homme avoir si joliment travestis ,
je voulus d'abord les retoucher ^ & les retranchef
meme , s'il le falloic \ mais le falloit-il ? Non j 6i ,
teflexion faice , j'ai cru devoir m'en abstenir,
Aihij que la vcrtu , le scrupule a ses bornes*
Me teformef , 'ce seroic, en passcint condamn^t-*
tion , comprometrfe Taimable & pure simplicite ^
ce seroit la livrer a la merci de la malice &: de la
corruption qui en triompheroient. Je laisse done
taut , exad^ement comme tout ecoit. Si le teeteuf
yeut decouyrir ces endroits. , & ne le peut, sa peine
Ji^rd.tt? ac^evera ma justification. Si , aide du peu
que j'cn laisse voir dans mon Epitte dedicaroire,
il les apper^oit \ il plaidera ma cause lui-meme
k son propre tribunal , & ne condamnera que la
jpUte $i. malheuteuse subtilice du bel- esprit de
PREFACE. 15
travers a qui j'aurai dontie prise , m^is pns,e
telle que les flcrivains les plus itrepiochrvbles la
donneront tpujours a ses parens. J? m'en repqsje
sur le §age La Bru y^re qyi ^ dit ( 6c que puis-jp
dire ici pour moi de rnieux & de plus 4 propos ?)
Un Auteur * n'ejl pas ohii^i de rempli/ s,on esprit de
toutcs les extrayaaances , d^ toi^us les sq,lete(S j ^
tous. les mauyai^ mots q^uQn pent: dire;, & di t(xut,es^ les
ineptes applications que Vot), pent faire an suyet de
quelques endroits de son Quyrage , & encore n^oins die
les supprimet. II es^t CQnyaincu que quelque s(;rupu-
kuse exaclitude que Von c(it dans sa mqnier^ d'efd^
re , la raillerie froide des mauvais plaisaris est in^yi"
table ; & que les meilleures ckoses ne leur servent
sQuvent qua leur faire rencQrjtr^r i^ne sottise.
Je crains de m'etre uti peu trop etendu sur une
apologie qu'on ne me demandoic pas , & trop pen
sur celle qu'on esc en droit de me demander. Pour-
quoi , me dira-t-on , nous faire part d'un ouvrage
dont vous parlez comma d*un simple amusement ?
Vous futes soufFerc au Theatre , dites-vous j niais
est-ce un titre pour oser vous produire au grand jour,
vous sur-tout , qui, pour la justesse , metrez la ba-
lance de I'Auditeur debout , si fort au-dessous dit
"^ Des Ouv rages de I'Efpric, Tom.I, Chap, i, p. 147:
Edition de Cofte , 173 1.
• B iv
24 P R i FA C E.
trebuchet du Ledeur assis. Je conviens de taut
ce que Ton peut me reprocher la-dessus : j'allegue-
rai , pour toute excuse, la repugnance natureile
qu'on a de sevir centre soi-meme. Je suis Auteur,
apres tout , & j'ai la singularite de ne me piquer
aucunement d'etre Philosophe. Or tous les jours ,
ne nous voit-on pas oser ^ du Spedtateur qui nous
condamne , appeler au Ledteur plus pret encore a
nous condamner? Bien regudu premier, pourquoi
n'oserois-je done pas me presenter a I'autre ? Et
puis mon Leibeur me doit quelque chose en consi-
deration du petit sacrifice que je lui fais. Je lui
epargne , en cet endroit de mon Recueil , une Co-
medie de quinze cens vers , qui se joua immedia-
tement avant la Pastorale. Cette Comedie fut a la
verite fort mal re9ue , mais encore plus mal ecou-
Itee, II ne tenoit qu'a moi , . . . i
D'appelcr en Auteur foumis, mais peucraintif,
Pu Parterre en tumulce , au Parterre attentif.
Je n*en fis rlen. J'aimai mieux la retirer sur Ic
champ; &r, dans ce moment-cij je la jette au feu *.
S'executer si rigoureusement sur une premiere &
■^ II s'agit ici de VAmantMyfttrieux, Comedie , qui
fut jouee immediatement avant les Courfes de Tempi , &
dont on n'a pas cru devoir priver le Public. Voyei k
fe fujet h Difcours ■priliminaire.
PREFACE. 1$
legere condamnation ^ n'est-ce pas , quand on me
fait grace , avoir acquis le droit d'en profiter &c de
me la faire aussi ? Puis-je enfin ne pas trailer avec
quelque complaisance paternelle une Piece , qui ,
s'etant montree au moment fatal qu'on proscrivoit
sa devanciere , coupa , pour ainsi dire , le sifflet au
Parterre , & nous renvoya paisiblement tous les
deux J lui de bonne humeur, & moi sur mon
gain ?
Pour achever de faire voir que la presomptlon
n'entre en tout ceci pour quoi que ce soit au mon-
de, je finis en reconnoissant que je dus peut-etre
tout I'honneur d'une belie retraite a des talens
tout-a-fait etrangers aux miens. Je n'entends pas
seulement parler du jeu parfait des Adieurs ^ je me
persuade encore , & j'aime a me persuader que je
dus une partie da succes a I'illustre Rameau, mon
cher Compatriote , qui voulut bien embellir le Di-
vertissement des sons brillans de sa musique.
. !. I.I II III! Jilwr.iJ.iMi ^'MMmmiYnmrpm
PERSQNNAGBS..
DORIS, Sceurde The mire j aimee de CeUmante^
-§ir^.¥ANPHE.i
H Y J^ A S , vleux Berger ridicule,
T R O U P E t/e Bergers & di Berg^eres,
La. Schie est dans le Vallon de Tern ft.
LES COURSES
D E T £ M P £ ,
PASTORALE.
SCENE PREMIERE.
HYLAS, SYLVANDRE, TH^MIRL
H Y L A S.
\J Le dclicieux asyle !
Qu au grc d'un coeur passionnc ,
Zephyrc y souffle un air amoureux &: tranquillc !
Et qu'un Amant heureipc y seroit .... fortune I
Sylvandre a part,
Le pcsant Personnage !
THEMlREa Hylas.
A CO langage orne
Des graces de I'ifeglogue , &" des fleurs de I'ldylle,
On reconnoit le tendre &" le galant Hylas.
Sylvandre /^a^ a Themlfe,
Vous ne le congedierez pas >
T H E M I R E ^^j <i Syivaadre,
Irouvez-voiis cela si facile ?
xS IMS COURSES
H Y L A S a part.
Maudit soit le Facheux qui s'attache a nos pas I
S Y L V A N D R E ^tf J ^ Themire.
Pour econduire un Imbecillc ,
11 y faut bien tant de facon !
Themire has a Sylvandre.
Sans doute : &, sur ce point, chacun a sa methodc.
Sylvandre has a Themire.
Qu'il s'en aille pour tant •, sinon . . .
H Y L A S.
Vous vous parlez tout has : serois-je un incommodeJ ' J
Sylvandre 3<w<z Themire. j
Eh ! dites franchement qu'oui.
Themire^ Hylas. j
Non.
Hylas.
A mon age , en eflfet , je plais comme un jeune hommc.
Que je me montre , ou qu'on noe nomme ;
D'abord on est tout rejoui.
N'est-ilpas vrai, Bergerc?
Sylvandre ^^j a Themire.
Ici , dites non.
THEMIREa Hylas.
Oiii
D' E T E M P i. iQ
SylvaNDRE has a Themire.
Vous voulez done qu il nous assomme ,
Et ne voir d'aujourd'hui finir cet entretien ?
H Y L A s ^ pan.
La presence d'un tiers met Tamour en deroute.
Mon esprit ne me fournit rien. . . .
( ^ Themire j apris avoir un peu rive. )
Doris est votre soeur ?
Themire.
Eh bien !
H Y L A s.
Et Celemante est son amant ?
Themire.
Sans doute.
Celemante aime fort Doris : elle est ma sosur.
Apres ?
Sylvandre.
Que voulez- vous en dire \
H Y L A S embarrasse.
Que . . . que je suis leur serviteur.
Sylvandre.
J'aurai soin de les en instruire.
H Y L A S a part.
En m'cloignant un peu , voyons s'il se retire.
^6 L E S COURSES
( a Themife, )
Bcllc i jusqu au revoin
T H E ]Vt I R E.
Bon jour.
H Y L A S s'en allanu
De tout mon corur.
Sylvandre.
Ccrtc. ...
H Y L A S rcvenanu,
A propos.
Sylvandre.
Encor !
ThEMIRE iz Sylvandre.
Quelle humeur pctulante!
H Y L A S iz Sylvandre.
Que Elites- vous ici ?
Sylvandre.
Comment', ce que j'y fais ?
H Y L A S.
OuL Vous devriez ctre aupres dc Celemantc.
Sylvandre.
Et pourquoi done ?
H Y l A s.
Pour Faire avec lui votre paix.
Jc ne sais contrc vous quelle raison Tirrite ,
^ V E T E M P E, 51
Mais il vient de jnrer qli'avant k fih du jour ,
11 vouloit vous jouer un tour.
Sylvan DRE.
Eh bien ! qu'il me le joue. ; [
H Y L A s.
{has a Th/mire.)
Ah! d'accord. Je vous q'uitte.
Mais je suis bicntoc de retour.
S C E N E IL
SYLVftkDREiTHt'MlRE.
Sylvandre. ..;, «„o
'uoi '. lorsqUc du moment la fatalite presse ,
Etqu on ne pent trouver de remede assez proitt^t}
Je VDUS voisi sans egard a ce qui m'interessipj
ioibn'jiav Lasereniie sur Ic fronts r[o0 2r.'ol''l
Recevoir avec palitesse ;.;I<{H
Le premier qui nous inrerrompt?,. :Z
De vous-memc a ce point vous ttQs la maitresse,
Dans le trouble ou vous me trouvez ! ^
Ah! quand on aimc, a-t-on I'hurrieur que vous avez ?
Non, vous nc savez point ce que c'est que tendresse.
T H i M I li fe.
Vcta^iavisz quereller sans cesse ,
Voti^i c'es^t rout ce que vous sav'e2. ''^^ ^"^
ft LESCOURSES
S Y L V A N D R E. : :
Rien ne vous impatiente.
T H E M I R E.
Et tout vous met en courroux.
Sylvanure.
C'est que je suis sensible.
T H i M I R E.
Et moi , tres-cndurante j
Temoin I'amour que j'ai pour vous. :^_
Sylvandre.
Je nc songe , en tout , qu'a vous plaire;
Mafautc, quand j'ynianque, est bieninvolontaire.
Mais vous ne disconviendrez pas
Que, si vous m'aimiez bien. Ton vous eut vu tout fairc
Pour nous debarrasser d'Hylas.
Votre pere a parle de se donner un gendre. :i
Etranger en ces lieux , je n'ai que peu d'espoir. i
Nous consultions par ou nous pourrions nous y prendre :
Hylas vient a travers un entretien si tendre ,
Sans que le contre-temps senible vous emouvoir i
Ma tristesse n'a pu suspendre
La vive attention que vous lui faisiez voir !
Que venoit-il toutefois nous apprendre ?
Belles nouvelles a savoir ,
Pour s'occuper a les entendre !
Lc nombre de ses boeufs , celui de scs moutons }
La nature des lieux qu'ici nous habitons j
Qu'il
r> E t E M P i. 5j
Qu'il fait une belle joiirnce j
Qu'une telle heure , a I'horloge , a frappe ;
Que de r01ympe,aux Dieux dcmeurc abandonnee,
Voila le sommet escarpe ;
Que e'est-la le fleuve Penee ;
lei , le Vallon de Tempe j
Que pour Doris enfin j Celemante soupire ;
Et qu'elle est votre sceur. En verite , j'admire
Qu'il n'ait pas dit aussi que Sylvandre est mon nom \
Que vous vous appelez Themirc ,
£t votre pere , Pulemon.
T H E M I R E.
De Vous instruire il s'est fait une affaire,
Vous sachant , depuis peu, venu dans cc canton j
Et pour moi , j'ignore le ton
Que Ton prend avec ceux dont on veut se dcfairc.
Sylvandre.
Nous battons froid a leurs civilites ;
Nous afFedons avec eux le silence j
Et leur faisons sentir , a notre contenance ,
Qu'ils sont de trop a nos cotes.
T H E M I R E.
Et si vous prononciez ici votre sentence ?
Si je mettois la remontrance ,
Au rang des importunites ?
Tome J I. C
34 L E S COURSES
Sylvandre.
Ah! vous sercz plus equitable !
JEt , puisque vous m'avez marque quelque rctour]
Vous ne nommerez pas de ce nom detestable ,
Les eflfets du plus tendre amour !
A mon entree en ce fatal sejour ,
La liberte par vous me fut ravie :
Pour jamais de la votre on dispose en ce jourj
£t je m'etois flatte d'un sort digne d'envie. ,>
Songez , quand il s'agit d'imaginer comment
Je puis de votre pere obtenir I'agrement ,
Qu un seul instant perdu peut me coiiter la vie :
Et votre exemple me convie
A perdre cet instant , sans en etre agite !
Ah! Themire, Themire ! est-ce done etre Amante?
De votre soeur Doris , ainsi que la beaute ,
Pour achever d'etre toute charmante , j
Que n'avez-vous la sensibiliteJ
Themire.
Ex. vous , la tranquillite
De votre ami Celemante ?
Sylvandre.
II n'est point inquiet, parce qu'il est heurcux;
Parce que Doris est telle ,
Qu'en la prenant pour modelc, b. : i
D'un Amant delicat vous combleriez les vociix.
Attentive a lui seul , a tout autre cruelle ,
D E T E M P L 3 5
A lui seul unie & fidelle ,
EHe CToitque le jour ne luic que pour eux deux.
Pour elle , tout est grave, & rien n'est bagatelle.
Tout devient matiere entre eux
D'un redoublement de feux ,
Ou dune tendre querelle.
T H E M I R E,
Par une conduite si belle ,
Et ce Caradere epineux ,
Doris, de TEmpire amourcux,
Malheureusement pour elle ,
Bannit les ris &c les jeux j
Et de la plainte eternelle
En fait le sejour afireux.
V Sylvandre.
Le sejour voluptueux
De la felicite meme.
T H E M I R E.
Dites , dites un Enfer.
Quoi ? la plainte ennuyeuse & le reproche amer
Dans Tempire amoureux sont done le bien supreme?
Sylvandre.
On sait de votre soeur I'inquietude extreme 5
Elle fait du reproche un usage frequent.
Mais d'une bouche qu on aime,
Le reproche est-il choquant ?
. De Tamitie veritable ,
Cij
}6 L E S COURSES
Cest le sigrie convainquant j
Cest le langage eloquent
Du sentiment respedable.
Plus il est, par consequent,
Continuel &" piquant ,
Plus TAmant est redevable.
T H £ M I R E.
Et moi, je ne sais rien de plus insupportable I
L'amour & I'amitie veulent un ton plus doux.
CelemUnte n'a pu retenir son courroux ,
Lui , dont la patience etoit inalterable.
A-t-il si grand tort , entre nous ?
Et vous croyez-vous excusable
De vous etre montre jaloux
D'un ami qui, pour vous , pres de moi , s'interesse ?
Qui ne me parle que de vous ?
Qui meme me veut mal , & me blame sans cesse
De ne pas menager assez votre foiblcsse?
Franchement , apres cela ,
Je ne m'etonnerois guere ....
Sylvandre.
Eh I de grace , laissons-la
Celemante &" sa colere.
T H E M I R E.
D'une humcur douce, enfin, vous faites pcu dc cas :
Vous la voulez rebelle &: haute ;
Une Grondeusc auroit, seloa vous, plus d'appas j
: D E T EM P t. f7
Et ce n'est pas votre faute ,
Si je ne la deviens pas.
Eh bien! je la suis done ; &: j'ai sujet de I'etrc.
Oui , justifiez-vous 5 oui , vous , qui vous plaignez.
Quoil bcrger, on vous aime, on vous le fait paroitre.
On est tranquille , &" vous craignez ?
Sylvandre.
Comment d'un juste eflfroi puis-je encor me defendre ?
T H E M I R E.
Depuis qu'Hylas est retire , <
Si vous aviez daignc m'entendre , /
Vous seriez deja rassure. y
Jusqu'a-present , mon cher Sylvandre ,
Etranger parmi nous , vous avez ignore
Que .... Mais Hylas revient. \^
Sylvandre has & vivement.
Si mon repos vous touche ,
De grace , point d'accueil qui flatte son ardeur !
Du silence &: de la froideur !
Songez, au premier mot qui vous sort de la bouche.
Que vous me percerez le coeur 1
-t^
G iij
L E S COURSES
S C E N E 1 1 1.
HYLAS^SYLVANDRE,THtMIRE.
H Y L A S a Themire.
' J 'avois quitte la place , esperant que Sylvandrc,
La voulant bien quitter aussi ,
Vous laisseroit seulette ici :
Mais je risquerois tout , a vouloir plus attendre.
Votre pere, aujourdluii, songe a vous marier.
Ne devinez-vousrien,amonairhunVoIe & tendre?
Bcrgere , je vousaime, &: jevicns vousl'apprendre.
Cela vous fache-t-il ? Non. Je vais parier ,
Au plaisir que toujours vous a fait ma presence >
Que si j'ai pour moi Polemon >
II n'aura pas besoin d'un rigoureux sermon ,
Pour vous insinuer un peu de complaisance.
Vous ne me repondez rien ? Bon !
Comme un aveu , je prends votre silence \
Et vais chez lui marchander , de ce pas,
Unc Brcbis si douce , & si pleine d'appas.
L'or , en de tels marches , emporte la balance :
Et le bon-Homme en fait cas.
Comptez sur mon opulence.
SylVANDRE I'arretanu
Mais votre precede ticnt de la violence.
ZDE TEMP t. ' 1 y^,
f, Ne voyez vous pas bien , Hylas , .,
Que Thcmire a I'esprit occupe d'aiitre chose ;
Qu'ellcn'est point a ce qu'on liii propose ,
Et qu'elle ne vous entend pas ?
; Pour cettc afF^lirc , ou pour quelque autre,
Prcnez mieux votre temps j c'est moi qui vous le dis.
Hylas.
Men petit Pastoureau ! pour donner des avis,
Vous-mcme , prenez mieux le votre.
Themire cst-elle sourde , aveugle , hors de sens ?
Ou moi-meme suis-je en delire ?
Themire rne Gonnoit : je connois bien Themire :
Elle nfecoute ; 8>z je I'entends.
Tenez meme , elle vient de rire.
On a du revenu peut-ctre en sens commun j
Sur un bon titre je me fonde :
Dans routes Ics langucs du monde ,
Se taire &: conscntir n'est qu'un. -
Que rheureux succes confonde
Quiconque me le niera. ^
Aujourd'hui , I'envie en grondc -,
Demain , elle en crevera.
'(*
C iv
/o L E S COURSES
S C £ N E IV.
SYLVANDRE,THEMIRE.
Sylvandre.
JlVIais aussi Ic silence , au lieu d'etre farouche ,
A I'air , en certains cas , d'une tendre faveur.
T H E M I R E.
Un mot sorti de ma bouche ,
Vous auroit perce le coeur 1
Sylvandre.
Quittez cet affreux badinage. '^'*-' ' ^^^
Un jeu pareilj en verite ,
Sied mal en cette extremite. j
Menagez mon foible courage ;
Et n'afFedez pas davantage
Un exces de malignite ,
Qui tiendroit enfin de Toutragc.
T H E M I R e.
Ferez-vous encor des loix ?
Ou , libre d'un soin frivole ,
Et plus sage une autre fois,
Lai sserez- vous a mon choix , .
Le silence & la parole J
D E T E M P i. 4»
Sylvandre.
Ah ! je n'ai pas devine
L'ofirc qu'on alloit vous fairc.
T H E M I R E.
Encor moins imagine
Les raisons qui m'ont fait taire.
Sylvandre.
De ce silence obstine
Seroit-il une autre cause.
Que le plaisir malin de m'avoir chagrine ?
T H E M I R e.
Je I'y comptois pour quelque chose.
Mais , je veux bien en convenir i
A I'amusant j'ai joint le necessaire.
Le dessein d'engager Hylas a m'obtenir ^
Est mon vrai but en cette affaire.
Sylvandre-
Vous lui souhaiteriez I'avcu de votre Pere ?
T H E M I R E.
Oui : je desire fort qu'il puisse y parvenir.
Sylvandre.
Vous dont Tamitie sincere
Ne devoir jamais finir ?
T H E M I R E.
Moi-memc,
4i-» L F S C OURS IS S
Sylyandre.
Infidelle bergere *
Vous perdez done le souvenir
D'une promesse a mon amour si chere !
Them I r e. .^ ^ofia
Loin de-la , je la reitere , • 20J >
Et ne SQnge qu a la tenir.
S Y L V A N D R E.
Et sera-ce en faisant qu'un autre vous obtienne
Themire.
C'est Tuniquc moyen d'unir .
Votre destinee a la mienne. ^'
S Y L V A N D R E.
O Dicu ! quel etrange moyen I h oJ
- Themire ^^^^"^^'^^
Hylas passe la soixantaine ;
Et Tinegalite de son age & du mien '
Rompra bientot I'alliance.
/. Ne dcsesperez de rJen, : . . ;: . . j
De la patience ; -.^
Et tout ira bien. 1 --
Sylvandre.
L'abominable prevoyance !
ttablir mon bonheur sur la mort d'un epoux J
^ D E T E MP A 4 J
T H £ M I R E.
' ' ^^" " Gardez cette honnete croyance.
Par Icnrs propres errenrs , on punit les jaloux,
Voiis en fercz Texpcrience ;
Car voLis n'eres pas digne , excitant mon courroux
Par une injuriciise & sotte defiance ,
Qu'on s'explique mieux avec vons.
£Ile veut sorttn
SylVANDRE/^ retenant.
- -t -
Ah ! de grace ! calmez cette injuste colerc
<: SCENE V. ,„i
SYLVANDRE,TH6MIRE, DORIS.
Doris. ^^'"-^
ELICITEZ-MOI tOUS dcuX. .
Cclcmantc est chez mon pcrc} "
On I'aime, on le confidere :
Bientot nous serons heiireiix-
Alors , en soeur qui vous aime ,
Je fervirai vos amours ;
Et je veux , dans pen de jours ,
Vous feliciter de meme.
S Y L V A N D R E.
Prcs d'cUc, cmployez done vos obligeans discours,
44 L E S COURSES
Doris ! au nom de Celemante 1
Au nom des noeuds qui vont vous unir pour toujours I
Un Amant glace d'epouvante ,
Implore ici votre secours.
En disant qu'elle m'aime, elle en epouse un autre I
Doris.
Themirc ?
Sylvandre.
Oui. Pour aller s'offrir en ce moment ,
Hylas , I'indigne Hylas a son consentement, j ,. *
Comme Celemante a le votre.
T H E M I R E.
Par son indignite, le choix vous deplait-il ?
Qui voulez-vous que je prefere ?
Le jeune Acis? Le beau Myrtil?
Je n'ai qu'a dire un mot j ils volent chez mon perc.
Sylvandre.
De quel sang froid elle me desespere ! '
T H E M I R E.
Oh! Laissez-moi done mon Hylas.
D O R I S a Themire.
Votre consentement seroit-il done sincere ?
Themire.
Hylas s'est declare. Des raisons m'ont fait taire ;
£t je ne le flattois qu'en ne repondant pas.
D E T E M P ^. 45
Sylvandre.
L'Ingrate , a ce silence a trouve des appas :
£lle vient meme de se plaire
A m'en faire I'aveu moqueur.
Doris.
Seroit-il possible ?
T H E M I R E.
Oui , ma scEur.
Hylas plaira d'abord. A Sylvandre , au contraire ,
( Piiisqu'il faut vous ouvrir mon cceur )
Beaucoup de temps est necessaire.
Pour faire approuver son ardenr.
Mon pere cependant me prcssc avec rigneur ;
Et je Grains le choix qu il pent faire.
Vous , qui savez nos loix , n'imaginez-vous pas ,
Pour mieux me tirer d'affaire ,
Ce qui me fait , dans Hylas ,
Choisirun sexagenaire?
Doris.
Ah ! J'enrends. Eh ! pourquoi , d'abord ,
N'avoir pas explique le mystere a Sylvandre ?
Le passe -temps est uu peu fort;
Cela n'est pas dune ame tendre : '-'"
Et franchement , vous avez tort.
T H E M I R E.
Je hais sa folle inquietude ; a,*
Et Ten punis , en I'y plongeanr.
4^ L E S COURSES
Doris.
^ais sacrainte, aprcs tout, n a rien que d'obligeant,
Et ne mcritoit pas un chatiaient si rude.
T H i M I R E.
Doiiter de notrc foi, n'est done pas outrageant ?
Et yous oe traitez pas cela d'ingratitude ?
Lcs sermens que leur ^\t notre honneur indulgent,
Ne sent done que de foibles gages ,
Qui nc pous rcndront pas cxemptes de soupcon i
I *^ Je pcnsc d'une autre facon.
Apres dc pareils temoignages ,
Qaelqae tort apparent qu'avec eux nous ayons ,
Qui nous ose croire volages ,
Mcritc que nous le soyons.
Ec ptm i! s cnnuyoit d'un bonheur trop paisiblc.
Si Ion ne gronde, il croitque I on est peu sensible.
Mais il me fait compassion j
Et je redeviens bienfaisante.
Donnez-lui quelque instrudion.
A votre humeur complaisante ,
J'en laisse la fondion. ,,, '
Je n*y puis etre presente.
La recherche d'Hylas est une nouveaute ,
Qu'aux bergeres je dois appreadre.
Adieu pour unmoment.Une autrefois, Sylvandrc,
Uu peu de confiance & de securice*^
rp^; - ....
D E T E M P 6. 47
• S C £ N E VI.
SYLVANDRE, DORIS.
Sylvandre.
J^ioi , jnsqucs-la pousser la deference !
Elle consent qu'Hylas parvienne a Tobtenir ,
Et veut que je I'entende avcc indifference !
Que je vive en pleine assurance !
Doris.
Belle lecon a retenir ,
Pour ne jamais , a I'avcnir ,
Prendre feu sur une apparence.
Tout vous doit remplir d'esperancc j
Et vous allez en convenir.
Prctez- moi seulement une oreille attentive.
Chacun sait que ce fut sur ce bord fortune ,
Qu'cpris de I'ardeur la plus vive ,
ApoHon poursuivit Daphne....
Sylvandre.
Apollon n'est-il pas ici bien amene ?
Doris. r
On sait aussi que , sur la memc rive,
Dans son attente , il dcmeura frustrc j
4« L E S COURSES
Et qu'atteignant en vain la belle fugitive,
Cet Amant n'embrassa que Tecorce plaintive
De I'Arbre qui , depuis , lui resta consacre.
Sylvandre.
Puisqu'on salt tout cela, pourquoi done nous le dire 5
Doris.
Jc vous ai prie d'ecouter.
Sylvandre.
Vous m'aviez promis de m'instruirc....; '
Doris.
Et ce recit va m'acquittcr.
Sylvandre.
Mais que peut-il en resulter.
Qui me rassure sur Themire ?
Doris.
Plus que vous n'osez souhaiter. i
Votre impatience extreme ,
Interrompant mon discours ,
Et me retardant toujours ,
Se persecute elle-meme.
Sylvandre.
Venez done au fait 1
Doris*
J'y cours.
Ea
En memoire de la fuite,
Ou pour unique rccours ,
Daphne fut id reduite ;
Parmi nous , est une loi
Qui permet a nos bergeres ,
Quand d'impitoyables peres
Tyrannisent notre foi ,
t)'eluder , en fuyant , leurs volontes severcs.
Restc a Tobjet de nos mepris ,
De conqucrir , s'il peut , autrement , la rcbelle.
D'une course , en un mot , nous devenons le prix j
Et , pour la course solennelle ,
Au gre de la bergere , un bel espace est pris.
Si le berger triomphe , il a tout droit sur elle j
Nous pcrdons notre libcrce.
Mais si nous avons la vidoirc ,
Notre loi , sur un choix un pen mieux consulte ,
Des parens , pour un an , suspend I'autorite.
Des son enfance done , ainsi que Ton peut croire ,
Une fiUe s'exerce a la legerete.
Aussi dirai-je, a notre gloire,
Qu instruites a I'agilite ,
Nous primons dans cet exercice ;
Et que plus d'un bon Coureur
Entre tous les jours , en lice.
Sans que pas un rcussisse ,
Ni sen tire a son iionneur.
Sylvandre.
Ah ! je vois les bontes dc votre aimable soeur I
Tomcll. D
^5© L E S COURSES
Doris.
Hylas n'est pas d'lm age a demeurer vainqneur.
Le temps gagne ponrroit vons rendre un bon office j
Et , par qiiclque soin flatteiir ,
Polemon rendu propice ,
Avant que Tan saccomplissc,
Approuveroit votre ardeur.
Sylvandre.
Quoi ? Poifr m'etrc fideic , employer I'artifice !
Ah! c'est le comble du bonheur J
Doris.
Ruse , pour vcus , d'autant plus obligeante.
Que prcferer Hylas , c'est avoir quelque peur;
Et que Tiiemire en doit bien etre exempte.
Car , a moins qu'un berger
Ne soit assez leger ,
( Ce qui ne se pcut sans prestige )
- - Pour tVanchir pendant les hivcrs ,
Les champs que la neigc a converts ,
Sans laisser le moindre vestige -,
Ou , lorsque le printemps les peint de ses couleurs.
Pour pouvoir courir sur les 6eurs ,
Sans en fliire plier la tigc ;
Soyez sur qu'a la course , on ne la vaincra point.
Sylvandre.
Que tout ce que j'entends me rassure & m'enchantc!
Doris.
En un mot , de Tempe , Thcmirc est I'Athalante.
D E T E M P i. 5 1
D'Atlialante pourtant difitjrentc en cc point ,
Que i'or n'cst pas ce qui la tenrc.
Ainsi n'ayez pas peur qu'un appat presentc
Suspende son agilice.
Son tardif Hyppomcne , en cette concurencc ,
Des jardins d'Hcspcrie , epuisant le Trcsor ,
Lui jctteroit cent pommes d'or ,
Sans y gagner un pas d'avance.
I^jp mi. i..j.'iti«^ViBMii«^.jn.Liujiy; ■tJMaj.ji.W'jm.l-«LU>.iiJiipHUi,m<lnliJM>WWmi«iiin
^ ....... . ■ ■ ■ I ii.iW
S C £ N E VIL
; THEMIRE, SYLVANDRE, DORIS.r_|
.:T H E M I R E a Doris.
Jl H bien ! etois-Jc un monstre ? Et s ccrie-t-il encorj
i> L'abominable prcvoyancc I
■ Sx L V A N D R E.
Ah ! The mi re , a vorre bontCi,-
'" ' 'Mesurez ma reconnoissance 1 '''
Mais ayez un pen d cquite.
Convened de mon innocence ,
El dc v6tre severite.
L* Amour vous a, sur moi , donneplcine puissance :
Mais i'Amoiir pcrmet-il que , fautc dc parler ? .
T H E M r R E.
UAmcur encot va querellcr I
J epuiserai notre unique ressourcc.
Dii
51 IMS c o 17 n. s E s
Je m'enfuirai j ne me fatiguez pas.
De tous cotes , deja fuyant Hylas j
Tantot J qiiand il faudra vous servir a la course ,
Jc ne pourrai plus faire un pas.
Doris.
Oh ! je prends son parti. C'est une barbaric j
Et vous poussez aussi trop loin la raillerie.
Par votre cceur , jugez du sien.
Qui vous alarmeroit de meme ?
Jc ne le voudrois pas , parce que jc vous aime ;
Mais vous le meriteriez bien.
S C E N E VIII.
HYLAS, SYLVANDRE, THEMIRE,D0RI5.
H Y L A S a Themire.
J E vicns vous combler d'alegrcssc.
Je disois bien que ma richesse
Themire.
Paix I je ne m'informe de rien.
D E T E M P E, 53
SCENE IX.
.CfeLiMANTE,SYLVANDRE,HYLAS^
THEMIRE, DORIS.
ThEMIRE a Celemante qui entrc
V ENEZ , joyeux Celemante ,
Vencz , des sombres humenrs ,
Et d'a-travers les grandeurs ,
Sauver ma gaite mourante.
Celemante.
Adorable Themirc , a parlcr franchement ,
Ma belle humeur n'est pas inutile a la votrc^
Je devois etre votre Amant*
Oui , dites votre sentiment j
N'etions-nous pas faits Tun pour I'autrc It
T H E M I R E,
On diroit en effct que 1' Amour ayant peiir
De ne pas signaler un pouvoir assez vaste,
AfFede d'attacher un coeur
Presque tou jours a son contrastc*
C'est ainsi que Ton voit unis
Lc vif & le fougueux Eraste ,
A I'indolente &: froide Iris ;
La belle Galathee , au difForme Nicandrc j,
Diij
■^4 lis COURSES
lL*enjoue Celemante , a la triste Doris ;
Et moi qui suis si gave, au serieux Sylvandrc.
Doris.
Notre humeur est le sceau des pins tendrcs amouM,
Laissons la badinerie
Et tons vos mauvais disconrs.
Si j'etors, de vous deux , bien tendrement chcrie ,
Tous deux eussiez paiu bien plus interesses
A ce qu'un pcre vient de dire :
Et vous vous seriez plus presses ,
Vous, ma soeur , de lappreiidre j & lui, de m'en instruirc
Celemante.
Mon air satisfait dit assez
Qu'apparemment j'ai ce que jc desire.
H Y L A S ^ Celemante.
Tant mieux 1 rouche-la , mon Garcon,
Grace a THymen , nous voila freres :
Du moins nous ne tarderons gueres.
Tu m'as vu demandcr Themirc a Polemon.
L'apparence , pour moi , pent-elle etre meillcure \
Le bon papa n'a pas dit non ;
Et , pour se consulter , ne demande qu'une heurc.
Celemante.
Mais a peine ctiez-vous sorti ,
Qu a mon tour , je I'ai dcmandec
D E T E M P i, 5 5
H Y L A S.
Qui ? Themire ? •
Celemante.
Oui.
H Y L A S.
Bon ! quelle idee !
CiLEMANTE.
Son pere accepte le parti ,
Ec me I'a d'abord accordee* ^
Themire.
Moi !
Sylvandre.
Themire !
^ Doris.
Ma soeur !
H y L A s.
A vous !
Celemante.
A moi , mon pauvrc Hylas. Cest une affaire faite.
Consolez-vous. Adieu. Songez a la retraite.
Et vous, belle Themire, embrassez votre Epoux.'
Hylas.
Non pas , non pas , Tami y tout doux 1
Div "
W:
5^ LES COURSES
a Themire,
"Ne vous chagrincz point , moia aimablc bergere.
On a ce qu'on veut pour dc Tor.
Cc coup mal-a-propos , Doris , vous desespere.
On ne Ta pas livree encore j
Et je vais y mettre Tcnchere.
Mta
SCENE X.
C^L^MANTE, SYLVANDRE, THEMIRE,
DORIS.
Doris.
ItJ-a sceur a commence. C'cstaujourd'builc jour
Dcs mauvaises plaisanteries.
Sylvan d^r e.
Je suis ravi qu'elle ait son tour ;
Et voila de sqs railleries.
Themire.
Jc n'ai pas la foiblesse, au moins , de m'eJSraycr,
Ni de quereiler Celcmante :
J'ai I'csprit de voir qu il plaisante,
Et qu'aux depens d'Hylas , il vouloit s'^gayer.
Celemante.
Voici quelque chose d etrangc !
Desabusez-vous, tous. Jc ne plaisante pas.
T> E T E M P E, 57
J'ai voulusupplantcr, & je supplante Hylas.
Themire, a votre avis, perd-clle done au change?
TheMIRE^z Sylvandre.
Voilalc tour qu'Hylas vous avoit annonce.
Celemante veut rendre alarme pour injure.
CiLEMANTE.
Je nesais ce qu'Hylas aura dit j mais jc sai
Que ce que je vous dis , est la verite pure.
Themire.
Celemante , c'est par bonte
Que Tonhesitc de vous croirc.
Doris.
Vous n'avez pas ete tente
D'une infidelite si noire ?
Sylvandre.
Une marque cvidente , ami , que sur ce point ,
Je ne vous crois pas plus qu un autre j
C'est que jc ne vous ofFre point
Un combat qui terminc ou ma vie , ou la votrc.
CilEMANTE.
Eh ! point d'inutile courroux.
Vous me faites rire , Sylvandre.
Quel intcret , de grace , encore y prenez-vous ?
Sylvandre.
Quel interet j'y prends ! I'interet Ic plus tendrc ,
5? L E S COURSES
Et le plus sensible de tous ;
Tout celiii qu'un rival furieux &■ jaloux ,
Centre un ami perfide, est capable d'y prendre.
C E L E M A N T E.
Bon , si vous pouviez vous attendrc
A vous voir jamais son epoux;
Mais vous n'y devez pkw prctendre ;
Le debat n'est plus cntre nous.
Mcme , plus que Jamais , votre amitie m'est due ;
Car je veux vous venger : &, de plus, vous servir.
Sylvandre.
Qui vous dit que , pour moi , Themire ctoit perdue?
Celemante.
Hylas alloit vous la ravir.
Sylvandre.
Vous connoissez les loix qui I'auroicnt dcfendue
Elle eiit pare cc coup fatal ,
En courant contre mon rival -,
Et son agilite me I'cut bientot rendue.
Celemante.
S'en prevant-on contre un Amant qui plait ?
C'est dc son propre aveu , qu Hylas I'a demandce.
11 Tobtient d'elle-meme ; &c riche comme il est,
J'ai concu le noble interet
Qui , dans ce choix , I'aura guidee.
D E T E M P E. 55>
Voyant done Polcmon tout prec
Dc former ce ntrud ridicule ,
Sur le marche d'Hylas , j'ai coiiru sans scrnpulc ,
Er j'ai fait prononcer TArrcr.
Ce precede ne dcsoblige
Que Themire &: celui qui vous I'alloit ravirj
Et jc n'ai prctendu , vous dis-je ,
Que vous venger , & vous servir.
SYLVANDREiZ Themire.
Voila ce qu'a produit le malhcureux silence,
Qu'avcc Hylas , a tort , vous avez affedlc.
Themire.
Vous eutes part a I'imprudencc.
Mais votre ami , dc son cote ,
Affede, sur men compte , unc crcdulitc
Qui cheque route vrai-semblance.
Adresscz le reproche a qui I'a nicnte.
Doris.
Themire, vous seriez lepouse d'un pcrfide.
Qui nous met, a tous trois, le poignard dans le cosur?
Sylvandre.
Non , Doris \ croyez-en la fureur qui me guide.
Ne rcclamez pas votre socur.
II faut que le fcr en decide ,
Et donne a tous trois un Vengeur.
( ^ Cslcmante. )
Viens , suis-moi . traitrf?.
So L E S COURSES
Celemante.
Qui te pressc ^
Pourquoi d'abord ne se prevaloir pas
Du secours qui pouvoit debarrasser d'Hylas ?
La course pcut encore m'enlever ta maitresse,
Jusques-la , suspendons le soin premature
Que ta iiiauvaise bumeur se forge.
Si mon bonheur alors dcvient plus assure ,
Nous aurons tout Ic temps de nous couper la gorge*
T H E M I R E.
Oui , Sylvandrc, je vous defends
De me fermer une carriere aisee ,
Ou jc vais , a pas triomphans ,
Le rendre , dc Tempe , I'opprobre & la risee..
( a Celemante. )
Lache ! viens rccevoir ce premier chatiment
Du volontaire aveuglement
Qui m'ose imputer les foiblesses
D'un coeur , ou I'amour des ricliesscs.
EtouflFe tout beau sentiment.
Viens , viens voir echoucr tes ruses criminelles.
Lahonte & les remords courront a tes cotes;
Jc vcux qua leur voix , tu chancelles j
Viens ! I'horreur que me font tes infidelites ,
Pour fuir un Scelerat , va me donner des ailes»
^
D E T E M P t. 41
■ll" !■! I ■ ■IWII ■ ..■■■I !■ ■! ■^■■-.l^■■ IMWi—i^
S C £ N E XL
SYLVANDRE, C^L^MANTE, DORIS.
SylVandre.
JCtT moi , perfide ! & moi , je vais la secourir
De mes voeux , & de ma presence.
,Tu pourrois, par hasard , tromper son esperance*
Mais qiielque heureux que tu sois a courir ,
Tu ne fuiras pas ma vengeance.
S C fi N E XII. '
CfeLfeMANTE,DORIS» '"^
Celemante.
4-«ES tendres protestations!
Et vous , belle Doris , vous etes la derniere
A charger d'imprecations
Mes honnetes intentions ?
Vous qui deviez vous plaindre la premiere !
Doris.
Vous etes trop paisible. Oui 5 j'ouvre enfin les yeux* ^
N ctre pas plus emu , c'est n'etre point coupable.
Ct L n S COURSES
Oui , tandis qu'on vciis prend pour nn monstre efh'oyablc » j
VoLisetesnn ami fidcle , ofiicicux,
Dont, malgre ses discours, on devoit juger mieux.
Mais la crainte rend tout croyabie,
Qnand I'intcrct est precieiix.
Elle a produit sur vous un effbt tout scmblablc.
Elle vous a rendu capable
Dc croire , non pas que ma soeur ,
De Tor ait eu la soif honteusc ;
Mais qu'a la course , entre elle &" son pcrsecutcur,
Lavidoircseroit douteuse :
Et vous laissant vaincre a propos ,
Vous pretendez, sans en ricn dire ,
Et de Sylvandrc &: dc Themire
Vous-meme assurer le repos.
Id CeUmantc qui a ecoute dc I' air (Tun hoinme qui
convient (Tune verite ^ baise la main de Doris lvcc ^
un transport de tendresse & de joic qui acheve dt la.
rassurer. Elle continue,
Un coup d'oeil obligeant devoit done m'cn instruire.
L'esperance , en mon coeur, facilement s'cteint i-r
Vous savcz qu'un rien Ic dechire ,
Berger , & vous n'avcz pas craint
La proFondeur du coup dont vous. I'avez attcint !
Souvent la vcrite se faisr.nt trop attendre ,
Arrachc cnvain Ic t'rait dont I'crreur a blessc.
- C E t EM A N T-Ei<;{OJj ;•■ '
""' " Vous vciia conime Sylvandf©.i - - -
D E T E M P £. 6%
Les alarmes ont cesse ;
La qnerelle va reprendre.
Epargnez-vous , Doris , ce chagrin pen scnsL
Ayez , sur le present , I'esprit un peu fixe.
Goutez en paix sqs douceurs passageres ,
Sans Tempoisonncr dzs chimcres
De Tavenir &: du passe.
Quand vous mc croyiez un vclage ,
C'etoic a moi de m'offenser :
Ouhliezles tcrreurs, ainsi que moi, I'outrage.
Doris sourit.
La paix est-elle Faite ? Oui ! ce sera , Jc gage ,
Tout-a-rheure a recommencer.
»iamjwu!J!g,MJuffla*iri.'"i/>^v s .a
S C £ N E X 1 1 1.
HYLAS, CELtMANTE, DORIS.
H Y L A S
wtScLERTE , Celemante ! On ouvre la barriere.
Pour donner le signal, on n'attcnd plus que vous j
JEc Themire , dcja vetue a la legcre ,
Impatience en son courroux ,
Adrcsse a Daphne sa priere.
CtLEMANTEa DotlS.
Quoi qu'il arrive au moins, moderez vos esprits.
Montrez-vous raisonnable Amante ;
(f4 L E ^ COURSES
Et croyez , sans songer a qui sera le prix ,
Que le sort peut livrer Themire a Celemante ,
Sans oter pour cela Gelemante a Doris.
SCENE XIV.
HYLAS, DORIS.
Tout le commencement de cette Scene jus^u aU
vingt-septieme vers se passe^ sans que Doris occupee
uniquement de ses profondes reflexions & de ses in-
quietudes J s appercoive des reponses ni de la pre^
sence c^'Hylas j qui de son cote applique a ses inte-^
rets particuliers ^ tous les a-parte de Doris j & croit
quelle park de Polcmon j tandis quelle ne park qui.
de Sylvandre.
Doris bas&a part*
,UE le sort peut livrer Themire a Celemante j
Sans oter pour cela Celemante a Doris*
( kaut. )
Ceci, tout de nouvcau , commence a m'intcrdirc
H Y L A s.
Votre pere jamais n'a youlu s'en dedire.
Doris a part*
Et jc ne sais plus qu'en penser.
H Y L A S.
H Y L A S*
Ni moi , sinon qu'au jeu I'on veut m'intcrcsser j
Mais je prcnds le parti d'en rirc.
D o R i S i part.
Ma flamme ingenieiise a prendre de I'espoir,
S'est laissee , a coup sur , foUement decevoit
Siir une apparence frivolc.
H Y L A s.
L'esperance n'etoit point folic :
II etoit permis d'en avoir.
Un homme est honnete homme, & n'a que sa parole*
D o R I s a part.
Dans le peu qu'il a dit , ce n'est qu'ambiguitc*...
H Y L A S.
II joue un assez vilain role.
D o R I s <z pare
Que mystere & subtilitc.
H Y L A S.
Oui , vous voyez comme on melcurre;
Pour en choisirun autre, il me demandcune heur^
Belle finesse , en veritc !
Do R I s , ^ part.
Mais toutefois quelle apparence
Qu'il songc a me tromper, en s'ofirant a courisi
TcmcIL E
X^^ COURSES
Quelle seroit son esperance ?
Et quand il en auroit , quelle est ma defiance ?
Suffit-il d'aspirer ici pour conquerir ?
D'une vidoire impossible ,
Dois-je avoir la moindre peur ?
Ai-je oublie que ma soeur ,
A la course , est invincible ?
H Y L A s.
Invincible ! Oh que non ! ne vous en flattez point,
Le berger n'cst pas sot au point
D'accepter le defi , sans en savoir plus qu'elle.
Doris I'ecoutant enfin.
Que dites-vous ?
H Y L A s.
Que I'infidclc
N'est pas une tete a I'event j
Qu'a la course , ou Ton croit que votre soeur exccUc
Dcs long-temps, en secret , il s'est rendu savant,
Et que dans I'erreur il vous laissc
Par malice , ou par politesse.
Mais moi qui I'ai surpris a s'eprouver souvent
" , Je vous Tavouerai sans finesse ;
La fleche vole avec moins de vitessc;
Et j'oserois, pour lui , gager contre le vent.
Doris.
Ah ! que vous redoublcz ma craintc I
Cicl I quel est le projet qu'il aura medite J
D B T E M P i. it
Sa demarche est-elle une feinte ?
Esc-elle une infidelite ?
H Y L A S.
Si peu de chose vous tourmente !
Cest faire injure a vos appas.
Mettons la chose au pis: la, serez-vous contentc,
Si je vous presente Hylas ,
En place de Celemante ?
Oh ! que nous saurons bien vous le faire oublierl
Comme un jeune &: sot ^colier ,
Jc ne m'en tiendrai pas a la»simple fleurette.
Tous les matins , au chant de I'alouette,
Mon amour vif & reguUer o :'
Vous promet une chansonette,
Quelqu'air de vielle , ou de Musette , _
Des fleurs , plein le petit panier , '^
De beaux rubans a la houlettc , , ,- .-.
Dedans la cage , une fauvette,
Nouvelle devise au collier
Du levron & de la levrette
Le petit coeur fut-il plus dur que les cailloux >
Jc lui peindrai si bien Tamour &: tous ses charmcs,
Vous me verrcz si tendre a vos genoux j
Et j'y serai si doux , si doux ,
Qu'il faudra bien rendre les armes
Doris.
Ah I Je vois revenir Thcmire route en larmes I
Mon Infidcle est son epoux !
Eij
tfS L E S COURSES
S C J: N E XV.
HyLAS, TH^MIRE, DORIS.
Doris continue.
3 USTES DicLix ! Qui I'auroit pu croireJ
Que vous nous eussiez du favoriser si peu ,
Contre une trahison si noire ?
T H E M I R E.
A leur honte , j'en fais Tavcu j
Tous mqs efforts n'ont pu balancer la vidoire.
H Y L A S.
II n'est que les fripons , pour etre heureux au jeu.
■■MHKMHMiMMMMMMBHaHHMMMMMMMnMMMaMMMWi
S C £ N E XVI.
SYLVANDRE, HYLAS, THl^MIRE, DORIS.
SylVANDRE<z Themirc
3 'f TOis venge, sans votre perc j
Sans Polemon , e'en etoit fait.
Du lachc qui triomphe au bout de la carrierc ,
Mon javelot lance punissoit le forfait.
Mais en ces lieux il doit se rendrc :
7 "^ D E T E M P i, 69
II n'a, tant que jc vis , que de vains droits sur vous.
Qu'il vienne ! je I'attends. Rien ne pent Ic defendre ;
J'en jure par les pleurs que vous daignez repandrc :
Le perfide , a vos pieds , va tomber sous mcs coups.
T H E M I R E.
Ah ! moderez cette fureur extreme.
Sylvandre. '-^^
Themire exhorteroit Sylvandre a laceden
T H E M I R E.
Je vous ai dit que je vous aimc'
H Y L A S a pan,
Oui-da ? J'etois bien dupe ! -^^^
S Y L V A N D RE.
Eh ! c'est pour cela meme
Que nul autre que moi ne doit vous posseder.
Themire.
J'ai dit aussi que rien ne pourroit me resoudre , Jl
A couronner d'autres amours j
Que Ton verroit plutot les Rochers se dissoudrc 5
Pence , interrompre son cours j
Nos monts sacres , reduits en poudre ,
' Dans ce delicieux valon ,
Livrer passage a I'aquilon ; • '
Et le laurier frappe du foudre ,
Sur le front mcmc d'Apollon.
Eiij
7© I E S COURSES
C^toit vousdireassezqu'au point oii nous en sommcs
Quand j'aurois contre moi mes parens &: le sort ,
Je saurois faire un noble effort ;
Et contre les dieux , ^ les hommes , ' ^
Trouver le secours dc la mort.
Sylvandre.
Ah ! ce discours ne fait que redoubler ma rage.
C'est mon sang, c'est le sien qui doit vous etre offert.
La mort doit n'etre le partage ,
Que du ftialheuteux qui vous perd,
Ou du cruel qui vous outrage.
Suspendez les effets de ce juste courrotiu: » r^B-ji.O
Sylvandre ! auparavant laissez agir nos larmes.
Ma soeur & mpi , par dc si tcndres armes j
S#R53^^: ' ' Peut-^tfc le iiechirons-nous.
Pour dei bagatelles pareilles ,
Fawc il en Q^^..^m&^' " '
^ .i < -^ppercevant Celemdnte. ' ^' „ ^^
f zihuozh^ 9z --p^x! ne lui t^moignez rien""
i 21?JO0 fiOi 'Ji'.' ^
Voyons cc qu'il va dire. Ik fer oient potff tant bien
De se donner un peu , tons deux* gur k$ oreilles.
D E T E M P i. ii
SCfiNE XVII & dcrnicre.
I W-J. iiO J .
CtL^MANTE, SYLVANDRE, HYLAS^
TH^MIRE, DORIS.
Cblemante.
JCiHbien, Thetnire, les rcmords
N'ont pas , du scelerat , cmpeche la vi<3:oire I
{a Doris,)
Pour vous, je gagerois le prix de mes efibrts.
Que deja , du traite , vous perdez la memoire j ,
( a Syhandrc, ) i.oG
Et toi , si Polemon n'cut retenu ton bras y '' ■ ^'''^'^
Tu donnois au vainqueuc une belle couronne ! -
En verite , tous trois , vous etes bien ingrats i • ••
Et vous ne meriteriez pas....
Mais je suis bon ; je vous pardonne.
T H E M I R E.
Ame sans pudeur & sans foi !
Tu joins I'insulte aux perfidies. ;
Mais ne tc flatte point I plutot que d'etre ^ toi,
Je m'arracherois mille vies.
Jcnerecoistat main qu'apr^sie coup naortek. ;n ,
Ew
71 L E S COURSES
J'cn meste les Dieux j jc le jure a Sylvandrc.
Pour ne pas en douter , cruel ,
Acheve ton forfeit ; vicns 5 &c sans plus attendrc ,
Ose mc conduirea I'Autel.
'■ ' Eile veut sortlr.
CelEMANTE/^ rcunanu
EcoutcZn...
Sylvandre,
Monstre ! ....
CelEMANTE^z Sylvandrc,
Ettoi,tache aussi de m'entendrc
Tu t'ois commc clle t'aime •, & tes soup^ons jaloux
Que J souvent, on a vu jusques sur moi s*etendre,
Doivent etre gueris par un si beau courroux.
Oest la moindre vengeance , ami , que j'aidu prendre
D un travers qui rompoit tout commerce entre nous.
Theniire a pour sa part, paye de quelque larme,
Le plaisir malin qu elle a pris
De te donner souvent Talarme ,
Comme , a regret , j'ai du la donner a Doris.
Enfin , admire ici le zele
D'un ami prudent &: fidele :
Sans ctre , de Themire , aujourd'hui le vainqucur ,
Je ne pouvois, en ta faveur ,
Comme ;e fais , disposer d'elle ,
Ni, d'un facheux delai, t'epgrgncr la rigueur.
D E T E M P E, 75
{a Themire.)
Jc viens, a Polemon , d'en porter la nouvelle ,
En lui demandant votre scjeur.
( a Sylvandre. )
Au double mariage il souscrit de bon coeur ;
Et son impatience egale au moins la notre.
Ainsi j'ai du courir , & j'ai vaincu pour vous.
Qu'on sc fasse justice a present Tun a Tautre.
A Themire lui presentant Sylvandre.
Themire, de ma main , recevez cet epoux.
Vous , Doris , pardonnez au votre :
( a Sylvandre. )
Et toi , si tu le veux , maintenant battons-nous.
Sylvandre.
Quelle etoit mon erreur ! &■ qu'ai-je pense faire?
H Y L A S.
Mais je ne trouve pas mon compte en cette afiaire.
Et moi done , qui m'epousera ?
Celemante.
Un autre contretemps qu'Hylas excusera ,
C'cst la danse &: les chants , qu'exige ici I'usagc.
On entend un bruit d'instrumens.
,^4 LES COURSES DE TEMVt,
H Y L A S.
L^ la , je ne perds pas courage.
II faut voir comme tout ira.
L'un des deux peut n'etre pas sage ,
Et , des demain , faire mauvais menage j
L'un des deux alors le paira.
71
DIVERTISSEMENT.
Une troupe dc Berbers & de Bergeresy au son des
hautbois & des musettes j arrivent en dans ant sur
une marche j dans les chants dc laquelle ils melent
les paroles suivantes.
CHCEUR DE BERGERES.
Une BergERE akernativement avec le Ch(E\JK,
if5
ERGERES, Berge-res, la lege-re- te Gon-
fer-ve notre liber- te : Ne fubiirons de loix
z:::ri:iZi:zzrz==]Szd^qr-zi!:r=p=:=i^a«=fcaiswr»i!
^^^--
t^'
ni de choix que les n6tres ; Que les Eer- gers
EHEf^EEES
r^piouvent tous : Pour un qui, par ha- zard, I'em-
portera fur nous , Nous rempcr-te- rons fur
mil- ie au-tres. Bcrgcres. Pour une Beau-t^
1^
D IFE RTISSEMENT.
gir>j?i:;=^^pzgz^^^g^gE^«EfegEi:z
ligou-reule. Que fert de cou- rir comme on
I'g^^E^^aii^
fait! Quelqu'avan- ta- ge que I'on ait, Jamais
t^
, |~~*'j~r~ '^^r'w~r n: s'
la cour- fe n'eft heu- reu-
UNBERGER.
fe. Bergeres,&c.
arziizzBZi
'EVERES Berge- res, A la courfe, le-
lgr3=^.zjj^.zj=
la=3-°^'=Ei
ge-rcs J Comme les Ze- phirs ! Laif-fez une
fuite Qui traine a fa fui- te Mille repen-tirs :
— , ... , L-J— p, ^f^'t ■ -■* ■ .. I . '^g^i *
U-ne vai- ne gioi- re Vous en fait ac-
1^
zrrzp
^^^^^t
bs — [^ i— {
£i;
croi- re ; Com blez nos de- firs : De notje
vie- toi-re, Nai- tront vos plai-firs, De no- tre
vie- toi- re, Nai- tront vos piai- firs, ^
DIFERTISS EMENT.
UNE BERGERE.
77
tei==;
:t
£
[^?5fe
t
»2tl
eEES
£iA Co-lombe Sur qui tombe Lc Vau-tour,
£E=
Ne prend pas la fuite plus vite Qu'une Belle ,
^^i^iy^i^^l^l
quand elle ^-vi-te La pour- fui-te D'un impor-
tun a- mour : Mais que cette vitelTe extreme Se
^J^^gSjii^ip^sgi^g
rallen-tit, Lorfque Ton fuit Ce que Ton ai- me.
i^^S^S^ig^^=gM
ts'-
*OUR fuir un doux li- en , Nous n'^-pargnons
rien ; Soin fri-vole ! Nous cou-rons bien ; Mais
I'Amour vo- - -^ 1^ » Mais I'Amour
vo- - - - - le , I'A-mour vo- le.
7*
rAVDEVItLE.
VAUDEVILLE.
^
^iiiii
1
IP
JL EU
de chofe ar- re- te le cours De
E=i=^
[=f=t
g=^ii|E^
la Fortune & des A- mours, Dans
— ^»-^ — — ■
i=g:^g=EI=^^±^£p^i
Tune & dans I'au- tre carrie- re ; A
^i^:^
S
feE=Ei
^
prfes tnille & mille embar- ras, Sou-
;^^^igs^--j=^feg
vent Ton n*a qu'un pas ^ fai- re , Par mal«
^P^=|j^^---.-
heur^ on fait un faux pas.
Un Berger qui couroit gaiment ,
Du triomphe vit Ic moment i
Tout pret d'attcindre sa Bergerc,
II etendoit dcja Ic bras ,
U n'avoit plus qu'un pas a faire j
Par malheur , il fit un faux pas.
Unc simple &r jeune beaute
Ne fuyoit que par vanite.
Son Berger n'y comptoit plus gucrc :
De la poursuivre il etoit las.
Elle n'avoit qu'un pas a fairc ;
Expres , elk fit un faux pas.
Unc prude approchoit du temps
Qui fait taire les Mcdisans j
Son honneur antique & severe
Nous regardoit du haut en basj
II n'avoit plus qu'un pas a faire j
Par malheur , il fit un faux pas.
Un Trafiquant, dans son etat ,
Sur rhonneur etoit delicat ;
Les autres faisoient leurs affaires ,
Lui seul ne s'enrichissoit pas j
A I'exemple de ses Confreres,
Par bonheur, il fit un faux pas.
S» VAUDE FILLS.
Dans le cirque des beaux-esprits ,
Plus d'un Coureur manque Ic ^tva*
Du Parterre , en vain on I'espere,
Meme apres bien des brouhahas \
Si , n'ayant plus qu'un pas a fairc ,
Par malheur , on fait un faux pas.
FIN.
GUSTAVE-WASA
GUSTAVE-WASA,
TRAGtDlE.
Beprescniee, pour la premise foiS) parks Comedkns
Francois U 7 Janvier 1 7 j j.
Temt I J. F
,A2
.3. 1 a ^
is:<si k
85
A MONSIEUR
LE COMTE DE LIVRY,
En lid envoy ant ma Tragedie dc GuSTAVM
ecrite de ma main,
^oMTE 5 de plus en plus , je ressemble a rAmour >
Mais c'est par un endroit qui fera peu d'envie :
La lumiere a mes yeux sera bientot ravie.
O Comte aimablc a voir i je vais perdre le jour
Long-temps peut-etre avant la vie.
Lc Philosophe en moi park du mieux qu'il peut ;
La ceciti , dic-il, a de t,Tands avantages ,
Meme elle a fait far fois lambirion des Sages.
Ici bas , ilest vrai , Ton vjit plus qu'on ne veut ,
(s^uand on lit bien sur les visages.
Foible soulagement que se forge I'esprit i
Le seul qu'oitre mon c ear a ma douleur mortellc ,
Ce sera dc Sanger dans 'a nuit eceri.clle ,
Que mes derniers regards dans ce dernier ecrit
Vous auront tcmoigne mon zele.
II a pris , dira-t-on, bien de la peiiic en vain,
Et ce prctenda z Me tst d'une etrange espscc :
L'esprit ave^ la vue apparemmcnt iui baisse.
A quoi bon presenter ua biouiilon de sa main ,
Quand le miS au net est sous-presse }
Fij
Mais c'est nc raisomifir , nc sentir qu'a moitie.
De TAmour delicat j'ai suivi le systeme :
On veut de sa main proprc ecrire a ce qu'on aimc*
Eh ! pourquoi le resped , Testime & Tamitie
Ne penseroient*ils pas de meme ?
Pour vous au fond du coeur j'ai ces trois sentimens s
Qu'au Ledeur k jamais ce Manuscrit I'attestc !
J'cpargne un long eloge i votre front modeste j
J'ai dit ce que je dois vous dire en ces momens.
Le Public va lire le reste.
«f
A MONSIEUR
LE COMTE DE LIVRY,
Chevalier des Ordres du Roi , Lieutenant General
des Armees de Sa Majeste, son premier Maitrc
d'Hotel, &c.
^MlONS lEURy
Ce que le cours de cette Piece imprime'e ^ s'il eto'it
heureux 3 auro'it de plus agreable pour moij ce seroic
quen vous la dediant^ j'en repandrois plus au loin
le sentiment de reconnaissance qui me fait de cet
hommage un devoir indispensable, II est vrai que jc
commets une espece d* indiscretion ^ & que ceci sajustc
mal a votre noble facon de penser. Je n'en saurois
douter a V extreme attention quen me prodiguant vos
hienfaitSj vous ave:( eu de m'en cacher la source, N&
m' avoir pas voulu mettre moi-mime dans votre secret^
cest avoir encore moins voulu sans doute y mettre Ic
Public. Mais J MONSiEUR ^ je ne dois pas j ce mc
semble y deferer aveuglement aux delicatesses d'unc
pareille repugnance. Celle queje sens a me taire^ est,
je croisj de nature A devoir itre ecoutee preferablement
a la votre. Pardonne:(~moi donc^ Monsieur ^ sije
me satis fais j au risque de vous deptaire innocemment.
Laisse:^ - moi commencer a m'acquitter selon mon
pouvoir. Laisse\-Tnoi publier^a lag hire de I'humanite^
F jij
86r E P I T R E.
quen niohligeant depuis long-temps^par tes endroits
les plus sensibles & Us plus esscnticls ^ vous aver
craint les remerciemens _, comme un autre eut craint
tingraiimde ; en sorte quil ma fallu recpurir aux
plus subtiles recherches j pour decouvrir quelle etoit
^invisible main d'ou me venoient continuellement de si
hons offices. Generos'ite bien pure^ bien rare ^ & bien
digne d' avoir eu pour objets des talens plus capahles
de la celebrer que ne le sont les miens. Mais j apres
tout ^ de quoi sert le talent ou le sentiment supplee ?
^u'importe tout I'art du monde ou I' expression la
plus simple peut tenir lieu de la plus vive eloquence ?
£n aurai-je moins publie^ en saura-t-on moins quil no.
pas dipendudevous 3 MONSIEUR, quevousn'aye:(ete
jusqu'a la fin un BiENFAiTEUR anonyme ? Et une
qualite si extraordinaire ne fera-t-elle pas toujours ,
entrt mille autres j un des beaux endroits de votre
iloge f Une panic de cet eloge est deja grave'e dans le
coeur des grands & des petits qui vous aiment ; I' autre
se manifeste asse:( dans les honneurs que vous a decernes
tequite du Prince. Pour moi le seal auquel j' aspire j
c'est de me faire connoitre par- tout ouje pourrai j pou r
Vhomme du monde qui est & qui doit etre toute sa vicj
avec la plus vive reconnaissance & le plus profond
re specif .«.--'-
:monsieuRj v-T/v
"''^ ^'^' Votre tres-humble & tres-
. ,4^ v.u \ ^ ^ \j,. obcissant Servitcur , PIRON.
87
A SA MEMOIRE
En 1755. :?hlL'pT!tok
OMTE qui dans mon coeur revis a tous momeiis ,
Et dont la bonte pcu commune ,
Me fit seiitir les premiers agremens
Que repand sur la vie un rayon de fortune ! , ,
Belle & grande ame a sentimens,"
Si digne d'un beau sort, si visiblement nee
Pour habiter les licux charmans ,
Ou Ton nous peint la vertu couronnee I
Prcs de toi j'y vole en esprit •,
Que ma reconnoissanse & t'y park & t'y suive !
Leplus doux des devoirs veut qu'elle te survive j-i.^I^J
Puisque le bienfait te survit. ^ .,;j:;pin-t
Reconnois , aimc encor cette Muse naVve
A qui chez toi tant de fois ont souiij^r.^ilj-jg;
L'Amphitrion dc le Convive ; ' ^
Dont le ton naturel fut le ton favori •■,
Et qui fit si souvent de ses chansons a table,,) qjiycd
Retenrir Techo deledable
Du vestibule de Livri.
La verve me transporte au-dela du Cocite.
Je les vols ces beaux lieux que ta chere ombre habitc ,
Rendez-vous des plaisirs de la terre 8c des cieux ,
Sejour pur & delicieux;
Retraite & celeste & champetre ,
* M. le Comcc de Livry avoir laissc a i*Au:cur une pension
ic 600 livres.
Fiv
"S* A SA MEMOIRE.
Ouvcrte aux seuls amis des hommes & des Dicux,
Ou tu ne pouvois manquer d'etre.
Lieux ou I'on nous dit qu'un Heros
S'amuse, s'exerce & s'applique
A cc qui fit sa peine ainsi que son repos \
Achille, a manier la pique ,
Or/Ae'e, uninstrament lyriquc
Et Diomede j des clievaux \
Ou 5 dans sa cervelle heroiquc j
Cormilhy cn consequence , arrange un plan tragiquc >
Le grand Conde , des bataillons ,
Quinault , des mots pour la musiquc ,
Et Defcartes , des tourbillons.
* La , sous un des beaux Pavilions
Qu'ait jamais dresse la Nature ,
Plafonne de jasmins , de pampre , & de lauriers ,
Parquete de gazon , lambrisse de rosiers >
J'apper^ois ta noble figure ,
Brillante des rayons de Timmortalite ,
Qui , faisant les honneurs d'une fete eternelle ,
Represente avec grace , aisance & dignite j
Invite , engage , arrete , & retient aupres d'elle
L'amateur delicat dc tout ce qui s'appelle
Ordre , choix , elegance ^ abondance & gaite.
A ta voix attrayante accourent a la ronde ,
Pour se venir ranger a tes cotes y
Nombre de Gens d'elite, & meme des Beautes,
Celle-ci brune , I'autrc blonde ,
Dont les aimables qualites ,
* Conspicit ecce alios dextra lacvaquc per hcibam
Vcscentes , lajcamtjue choro Parana cane nres ,
Inrcr odoratum lauii nemus. JEneid. Lib. VL
A SA MtMOlRE. 8^
Lcs dons & les talcns firent en notre mondc ,
Sentir de celui-ci les pures voluptes.
Que leurs noms soient un mysterc.
Sur des levres de coral ,
Leur doigt me fait un signal
Qui m'ordonne de me taire.
Bien k regret je m'y rends.
Que j'ose au moins nommer tes Hotcs ,
Et les nommer , sans observer les rangs.
Est-il ici petits & grands?
Conditions basses ni hautes 1
Non : c'est comme chez toi , quand le Poete admis
Dans le cercle brillant de tes nobles amis ,
De Bourgogne , avec eux y celebroit les cotes j
Et par eux invest! des droits du siecle d'or ,
A tout son enjoument donnoit un plein essor.
Sans que sa liberte fut mise au rang des fautes.
Fait au bruit des festins , souple , ardent , vif & gai ,
Zele Panegyriste , & rival de Nolai ,
A tout ce que tu veux , le premier se devouc ,
Le complaisant , le doux , le nedtareux Launai,
Des tresors de la table il fait TofFre & I'essai j
Avec son app6tit sa langue se denoue ,
Et s'embarrassant peu ( comme souvent je fai )
S'il reussit ou s'il echoue ,
Plein de son La Fontaine , ou de son Me:^erai ,
II conte en prose , en vers , rit , boit , mange , tc louc ,
Et te louant , dit toujours vrai.
Vicnt ensuite a pas lents , le Generalissime
Saint -Martin , Philantrope a la fois 8c Timon ,
Grave ensemble & joyeux , goguenard & sublime ,
Citant a tout propos , Torfac & Ciceron y
Merlinrcocaie ^ Horace j Euripide 8c Scaron j
5)0 A SA MEM O I R E.
Digne par cela seul du suffrage unanime ,
Qui J chez toi dans sa main mit le sceptre d'Aimon.
Fete unique &c solennelle ,
Dont I'appareil glorieux
Eut merite d'un ^pel/e ,
Le pinceau laborieux ,
Et , dans un tableau fideic ,
De passer a nos neveux , .
Par route autre main que cellc 4,
De I'Auteur du Parejfeux.
Temps ecoule 1 temps heureux ,
En comparaison du notre !
Helas , tous plaisirs ont pris fin !
Jeunes gens , quel siecle &st le votre ?
Dans un cercle , ou dans un festin ,
Tout etoit Sage ou Calotiii j
I Nul , a present n'est Tun ni I'autrc j
Et , grace au Perfiflage intrus ,
L'ennui qui n'ose ici paroitre ,
De chez vous ne disparoit plus.
Applaudis-toi de n'y plus etre ,
CoMTE , & de te voir au milieu
De cette meme compagnie
Que la haut t'amenoit le Dieu
De la Rime , de THarmonie ,
Des Sciences , des Arts , du Gout dc du Genie.
Je te revois avec elle en effet.
Jc vols Tirreparablc & gracieux Mouret ,
Bo:^e J La Faye , Aimon j Chirac , La Peyronie , ^ „ ,
Fa'^elier i Grecourt^ & Danchet,
Cclui-ci d'un signe de tete ,
-. .5' * =' ■■ De loin me disant grandmerci
Des vers qu'a fait ma Muse honnetc
ASA ME MOIR g. 9*
Sur son entree en ces lieux-ci."**
Et je le remercic aussi ,
L'ayant dans ce petit ouvragc ,
Charge comme chacun le sait ,
De te presenter mon hommage ;
Ce que sans doute il aura fait.
D'Esculapc , d'Amour , dcs soeurs de Calliope ,
Je vois Taimable Seclateur ,
Le nouveau debarque, Procope ,
Galand-couru , Poete & Dodeur,
Plus recemment encor sorti de la Nacelle ,
Ou jamais Ton n'entra vif ,
Arrive , a grands pas , Nivel/e
Dont la Muse au ton plaintif
A si fort mis en cervelle
Momus au bee affile ,
Qu'il ciie encore apres cllc ,
C'est Melpomene en dentelLe I
C'est Thalic en ejfile I
Ah ! treve *, & plus de querellc^
Ndtre ami desabuse
Du socque informe & bronze
Dont j'ai donne le modele , **
A ce coup I'a dechausse j
Et , le pied debarrasse ,
Vole ou le bon gout I'appellc.
Son genie ayant passe
Par la celeste coupelle ,
Naturellement sense ,
S'est aisement redresse ;
* Danchet aux Champs Elisc'es , Poemc.
+* Voyez la Preface de I'Ecole des Peres , Tome I. pages
«4& 15.
^1 A SA ME MOIRE.
Et deja I'ami NivelU
Dans tes repas de grand coeur >
Prefere au bon le meilleur ,
A I'humeur sombre la belle ,
Le chaud a la tiedeur ,
Le piquant a la fadeur ,
L'Ambrosiea FAsphodele ">'.
Soit antipathic ou raison ,
J*evitois , jc frondois son phlegme de Caton >
Mais , sous des cieux nouveaux toute chose nouvclle*
CoMTE , loin de le fuir , le comble de mes voeux y
Laissant des ce moment , ma depouille mortelle y
Seroit d'avoir entre vous deux ,
Telle que je la vols , unc place eternelle.
En attendant mon passeport >
De lui pour t'amuser daigne apprendre mon sort.
Qu'il te disc comment , malgre les vents contraires ,
Ma Barque enfin surgit au Port \
Tu fus sensible a mes misercs i
Tu le seras a mon bonheur.
Apprends done par sabouche & la grace & I'honncur
Que m'orit fait a la fois ses illustres Confreres ,
Etleurauguste Protecteur.
Mais du Banquet divin reprenons les delices.
Serrez-vous ! place , place a tous ces Ex-Seigneur^^
Qui , de notre Theatre ont passe les coulisses \
Tous Guerriers distingues , ou fins Ambassadeurs ,,
Tous des Ajax ou des Ullsses.
* Plantc qu'on faisoit croitrc ancicnncment anpres des
tombcaux, dans la persuasion ou Ton ^toit que Ics Manes
s'cn noiimssoienr.
A SA Mt MOIRE, 99
Ceux-ci n'enviant plus du pas les vains honneurs ,
Mais ayant oublie sous des astres meiUeurs ,
Et I'Espagne , & Ic Nord, & Vieniie & TAngleterre ,
Sans autre affaire que les leurs ,
Que le repos & ses douceurs ,
L'esprit libre , le front couronne de lierre ,
Tels enfin qu'autrefois , quand la saison des fleurs
Et rOranger hors dc sa serre
Avoient a peine reverdi
Tes bois , ton pare & ton parterre ,
On les voyoit rasant les plaines de Bondi ,
Chez toi , voler , vers le Midi ,
Des extremites de la Terre.
Ta main , ta noble main , d'un jet preste & hardi ,
A la ronde a verse le nedar )i plein verre.
Quelqu'un s'ecric : au sage Seneterre !
Les convies ont applaudi;
Et des cristaux en I'air le bloc est arrondi.
Survient du monde : on se resserre.
Au bonpere Bacha Mehemet Effendi !
Au Due ! A Milord ! a Czar - Pierre !
A Charles d'Armagn Ac,Homme &Prince excellent,
Jadis ficr & brave ^ la guerre ,
Autant qu'en paix doux & galant*
A son nom , de ne£tar une cruche est sablee :
Et Ton en va sabler une autre que voila.
La delicieuse Assemblee I
(Que n'en suis-je encore ! ) ou dejjt
Par aucun contretemps la Fete n*est troublee.
Tous serains , lumineux , satisfaits & riants !
D'inquietudes , pas la moindre !
Sculement quelquefois ils sont impatiens
De rcvoir leurs amis qui sont si peu friands
$4 ^ SA MEMOIKE.
Du bonhcur d'aller les rejoindrc ,
Qu'a tous nos Medecins sans cesse ils se font voir*.
Tant mieux , tant mieux ! leur dit Procope f
Que dela naisse votre espoir.
Qui mieux que moi doit le savoir ?
Des que chez ces Messieurs , la Faculte galope ,
Vous allez bientot les ravoir. ^
Devanr le grand Chirac on rit d'un trait si libre.
Ne tient-il qu'a cela ? Vous n'avez qu'a vouloir j
J'en ai mille en mon sac au moins de ce calibre ,
Qui meme pourroient mieux valoir. ^
Bonnes gens ! laissez-moi , de grace etre des votres I
Et tant defunts soyez-vous ,
Je vous ferai voir a tous , f
Qu'un vivant en vaut bien d'autrcs. \
Est-ce ici la langue du lieu ?
Non, je detonne. Ousuis-je? Ah! I'lilusion cesse I
Je revois nos cieux '-, le jour baisse : i
Tout disparoit. Cher Comte , adieu.
Oh! comme tout s'enva , tout s'eclipse & tout passe I
Quelle difference , grand Dicu !
< Je me sentois tout de feu ,
Et je me sens tout de glace.
Mais je m'en etonne peu. • A
Helas ! je te parlois , te voyois face a face ! h
Tout le ccEur en etoit \ I'esprit avoit beau jeu j I
Et je vais faire une Preface.
95
■■■— illWIiMIWH III II 1 1 1 1 llll ■
PREFACE.
jltL l'amour pres , qu'il a fallu faire cntrer dans mon
sujet , pour me conformer ^ Tusage bien ou mal etabli
SLir iios Theatres , tout est id tres-exadement tire de
I'Histoire des Revolutions de Suede , publiec par
M. I'Abbe de Venot , Tun des Ecrivains de nos jours
qui, pour Tetendue des lumieres , la solidite du jugc-
ment , les graces de I'esprit & la noble simplicite du
style, a le mieux merite de tenir parmi nous la plume
historique.
Ainsi Ic caradere du barbare Christierne , celui du
vcrtueux Frederic & celui du grand Gustave •, I'empri-
sonnement de ce dernier contre le droit des gens i son
evasion long-temps apres les malheurs de sa Patric
mise a feu & a sang a la faveur de sa detention \ sa
fuite & ses penibles epreuves au fond des deserts glaces
de la Dalecarlie \ sa marche contre TUsurpateur avec
une poignee de Sauvages , que , dans sa misere, il avoit
su gagner , aguerrir &c discipliner j sa tete mise a prix \
la menace de faire expirer devant lui fa Mere dans les plus
cruels tourmens y s'ilne mettoit has les armes ; son com-
bat sur la glace \ sa plcine vi6toire suivie de son cou-
ronnement a Stockolm & de celui du Prince Frederic
en Dannemarck ••, enfin la catastrophe de Christierne
detrone , abhorre & chasse de routes parts \ tous ces
evenemens repandus , les uns dans les expositions ,
les autres dans Tadion de cette Piece , sont puises im-
mcdiatement a la source que j'indic^ue.
t,3 P R E F A CM.
Que ce detail serve de reponsc en general a tousceiije
qui m'ont reproche le Romanesque •■, & que I'article de
/a Mere menace e d'une mort cruelle aux yeux de fon tils ^ s'il
ne mettoit has les arrhes , serve en particulier a redresscf
TAuteur des Feuilles qui nous venoient de Londres en
1733 , sous ce titre connu : Le Pour & Contre. Oh-
vrage periodique d'un gout tout nouveau , par I'Auteur des
Memoires d'un Homme de qualite.
Get Auteur , de Romancier devenu fubitement Cri-
tique d)C Journalifte , me traite sans aucun menage-
ment , vol. I. N^. 6, pag* 134. Non content d'attri-'
buer tout I'honneur du succes de ma Piece aux talens
eminens de nos A6teurs tragiques \ &c de pousser la
froide 5c mordante hyperbole jusqu'a dire: qu'onfoup-
fonnoit les Comediens de t avoir eu>t-memes fait imprimer ^
pour donner une juste opinion de leur habilete a ceux qui vien-
droient a Id lire apres avoir appris les applaudis semens
quelle a re^us / il veut encore me depouiller impitoya*
blement du peu qui pourroit apres cek me rcvenir dc
ma miserable part d' Auteur \ il se plaint que je I'ai dc-
poUille lui-meme. A propos de quelques personnages
qui lui ont paru de trop dans la Piece , il me denoncc
comme son Plagiaire en s'ecriant : Quel besoin de la Mere
de Gustave , si ce nest pour avoir occasion de prendre le
sujet d'une Scene interessante , dans le quatrieme tome des
Memoires d'un Homme de qualite ! Sur quoi en vrai
Paon jaloux d'une de ses plus belles plumes , & qui
veut Tarracher a la pretendue Corneille , il renvoie a
cette note , au bas de la page : Dona Pafirino tient le poi-
gnard suspendu sur le sein de Dona Diana De Vele:^.
Je voudrois bien, pour Tamour du Ledeur, du
Journaliste Sc ds moi-meme, avoir pu me dispenser dc
cette
^ P I T R E: fy
cecte petite discussion polemique qui peut-etre ne
sera guere amusante pour tous les trois. Mais on doit
je crois reponse publique , malgre qu'on en ait , a route
imputation publique ', & surtout lorsqu'elle existe ,
comme celle-ci , dans des ecrits aussi dignes de passer
a la posterite , que le sonr ceux de I'Auteur des Mi-
moires d'un Homme de qualite ^ ^ de Marion Lescot.
Ce que je vols d'un peu plus facheux encore pour ce
celebre Auteur , aussi bien que pour moi qui suis son
Partisan , & qui voudrois n'avoir qu'a le faire admirer
en tout, c'est qu'en me for^ant de me justifier , il mc
reduit a la necessite de Taccuser & de le convaincrc
lui-meme du propre plagiat qu'il me suppose.
En effet , le sujet de cette Scene interessanre qu'il
revendique si hautement , ou I'ai-je trouve ? Ou I'ai-je
pris ? OCi naturellement je le devois trouverj ou j'avois
tout droit de le prendre •, dans i'Histoire des Revolutions
de Suede ; c*est-a-dire , dans I'Histoire memc de mon
Heros qui y est comprise. Remarquons ensuite que cec
Ouvrage si connu &c si digne de Tetre , est fort anre-
rieur aux Mimoires d'un Homme de qualite i Sc de^la noUS
concluerons que c'est sur I'Auteur de ces Memoires ,
non sur moi , que retombe a plomb <Sc que deraeurc
imprimee la tache du plagiat.
L'Histoire est ici ma source unique , autentique &
legitime. Plus j'y prends , plus je suis en regie* Jetons
les yeux sur les Prefaces de Corneille & de Racine ,
nous y verrons que moins ces grands Maitres ont sub-
stitue du leur dans un sujet pris de I'Historien, plus ils
s'en sont felicites. L' emotion effedivement nait plutot
du vrai que du faux. Plus done le plan d'une Tragedic
Tome IL G
ft PREFACE.
est travaille sur Thistorique , mieux il est congu j &
tout episode imagine alors pour etre lie au fait prin-
cipal , n'est jamais qu'une machine auxiliaire qu'on
tolere en faveur ou de la secheresse du fond , ou du
gout particulier de notre Theatre. Mon sujet , dans sa
source , se trouvant done hcureusement enrichi d'un
incident aussi pathetique que celui d'une Mere menace^
de la mon aux yeux de son Fils viciorieux , s'il ne met has
les armes ^ n'eusse-je pas ete bien malhabile , bien mal-
instruit de mes droits & de mes avantages , si j'eussc
fait scrupule d'en user , parce que j'aurois su qu'un
autre se les seroit injustement appropries ? Etoit-ce a
iui de les reclamer & de m'en faire un sujet de repro-
che , comme s'il ne savoit pas , ainsi que je viens de Ic
dire , qu'autant le Poe'te dramatique a bonne grace dc
suivre Tnistoire pas a pas , autant il sied mal au Ro-
tnancier de ne pas s'en e carter le plus qu'il peut , afin
4e ne devoir qu'a soi seul le merite d'un ouvrage qui
fj'en a gueres d'autres que celui de Tinvention ?
_ Je serai avec Iui de meilleure composition sur la pro-
priete des honneurs du premier succes. II la decerne
aux Comediens : je la leur abandonne. Le plus ou le
moins d'habilete dans les Adeurs^influe en efFet presque
toujours sur le sort des Nouveautcs. C'est une verite
dont j'ai trop profite &: trop souffert pour ne pas Tat-
tester , &: pour n'en pas convcnir avec qui le voudra.
Oui , sans doute , I'Acteur est alors un de nos princi-
paux mobiles j quand sur-tout nous n'avons pas le don
ni les facultes necessaires pour presider egalement aux
repetitions & aux premieres representations -, pour
donner le ton d'abord aux Adeurs , ensuite aux Spec-
tateurs, & puis a tous les Journalistes ; pour savok
PREFACE. ff
cnfin , a toute sorte de prix , tant par nous-memcs que
par nos Devoues , prcveiiir , captiver , violenter , har-^
celer, acheter meme s'll le faut , les suffrages qich
qu'ils soient , de poids ou non , pourvu qu'ils soieiic
bruyans ou nombreux ; dut la Piece , de dessus le
Theatre ou elle viendroit de triompher , aller echouer
sous la presse , 8c greler le Libraire , apres avoir un
peu refait le Comedien. Qui , encore une fois , tout
Auteur qui se sera produit sur la Scene sans de si bellej
precautions , tout Auteur , dis-je , honnetement jaloux
de ne reussir que par les bonnes voies , ne pourra giieres
y parvenir d'emblee , qu'a la faveur des talens du Co*
medien j & s'll en sort a son honneur , sa cause alors ,
fut elle aussi bonne par eile-meme , que la mienne au
fond peut-etre etoit douteuse , il doit leur en attribuer
le gain pour la meilleure partie j ou c'est un presomp-
tueux, &Cy qui pis estmcme, un ingrat.
Ou le succes commence a nous devenir un peu plus
propre , c'est aux diverses reprises , & quand , apivs 1^
retraite des premiers Ad:eurs , la Piece remise au Ihca-
tre produit toujours le mcme effet entre les diffcrenres
mains de ceux qui les remplacejit. Alors la critique ,
qui fut si vive & si prematuree , soutiendra t-elle en-
core que I'Auteur n'y est pas pour quelque chose ? Ce
seroit en vouloir trop aussi a Tamour-propre de son
Prochain , en bien craindre les egaremens , 8c pousser
etrangement loiii le charitable soin de les reprimer.
Que ce beau zele se tranquillise sur mon compte , en
s'assurant que je ne suis pas plus enfle du suce^s thear
tral qui a continue , que je le fus de celui qui I'annonca :
or , celui-ci ne me tourna pas la tcte le moins du monde.
Je nq fus dong pas ^ssez enorgueiUi du premier accueil
Gij
leo PREFACE.
fait ^ Gustavey pour aVoir cu besoin que rAuteur<!a
Four & Contre se mit si fort en peine de me rappeler k
mon neant ; puisquememe encore aujourd'hui , quand
jc serois assez peu sense pour me laisser eblouir du
bonheur constant des reprises , 8c pour m'oser preva-
loir d'un titre si foible, je serois toujours force de re-
descendre bientot a ma place , aux cris humilians de la
plupart de mes Led:eurs , Juges severcs , mais eclaires ,
a qui rien n'impose , &c qui , non sans grande apparence
de raison , n'attribuent la bonne fortune de cette Trage-
die qu'a Tun des defauts qu'ils lui reprochent, je veux
dire a la multiplicite des evenemens.
J'avoue que je venois de me trouver si mal de la sim-
plicite du sujet de CalHsthene , que je laissai I'esprit
s'emparer de tous les rempUssages que lui presenta Tima-
gination , tant que le jugement crut n'y rien voir qui
donnat la moindre atteinte aux trois unites principales,
Je ne dissimule pas , comme on voir , & je pretends
encore moins excuser absolument ce defaut si sensible
dans ma Piece. Je pense la-dessus comme tout autre ,
& comme le plus simple raisonnement invite a penser ,
sans le secours des Poetiques. Rien n'est mieux sans
doute que de savoir , avec un sujet simple , entretenir
pendant le cours de cinq ades , I'attention du Speda-^
teur dans route sa vivacite , sans autre magie que celle
du flux & du reflux des passions embellies de cettc
elegance & sage & continue dont fut doue I'unique &
Tinimitable Racine. Quiconque y parviendra , meritera
toujours infiniment plus que celui , qui , bondissant ,
pour ainsi dire , d'incidens en incidens , se tire enfin
d'affaire , moins par la fertilite de son propre fonds ,
que par celle d'un sujet aussi fourni que celui-ci.
PREFACE, tot
La mulriplicite des evenemcns , sans contredit , est
inexcusable quand clle affoiblit , qu'elle extcnue , &
qu'elle absorbe Tinteret principal j quand elle est mal
amenee , mal tissue & mal debrouillee. Les objets se
dispersent alors & se croisent j I'attention du Speda-
teur sc divise avec ces objets j &: I'esprit les suivant
quelque temps avec contention^ sc relache enfin , s'em-
barrassc & se perd dans le labyrinthe. Des-lors Touvrage
n'amuse plus •, il egare , il fatigue , & par-la meme il
cesse d'etre un ouvrage d'agrement j ce n'est plus pour
les Spedateurs qu'une etude vaine & fatigante.
Mais si , au contraire , tous ces evenemens prece-
dent sans peine les uns des autres , & se succcdent par
une progression immediate \ s'ils s'entrelacent &c se
demelent avec ordre & sans embarras i si toujours su-
bordonnes a I'adtion principale , ils ne font , en con-
duisant a la catastrophe , que la suspendre agreable^
ment ; si ce ne sont enfin que des points de lumiere
tres-vifs & tres-distin6ts qui , sur le chemin arretent
le regard sans le trop fixer , & sans faire perdre de vuc
k. centre essentiel & lumineux ou ils doivent tous
aboutir 6c s'eteindre j reprocher Tabondance alors ,
je le crois pouvoir dire , c'est mauvaise humeur i peut-
ctre mauvaise foi 5 je dirai meme ingratitude.
' Or , pour faire voir comme les evenemens se produi-
sent ici ^ s'enchainent & se developpent naturellement
&sans confusion ^je vais, en joignant k ITiistoriquc
par oil j'ai debute , ce qu'exigeoit de moi Tusage du
Theatre Francois, je vais, dis-je, dans le moins <SqS'
pace que je pourrai , devider ici tout le fil de ma Fable »
& conduire ce fil d'un bout a Tautre , precisement &
G iij
lot PREFACE.
localenient corame il se trouve etendu dans le cours
du Po'eme.
A laverite , j'ote par-la un peu du plaisir de la sur-
prise a ceux qui , lisant cette Preface , n'auroient encore
ni vu ni lu la Piece. Mais peut-etre aussi n'auront-
ils voulu ni la voir ni la lire , par une prevention
fondee sur le rapport des Feu'dles piriodiques du temps j
& cette analyse alors pourra les en guerir , ou les en-
courager du moins a juger des choses par eux-mcmes.
Combien de meilleurs Ouvrages en tous genres , ont
souffert & souffrent encore du degout qu'en ont inspire
d'avance a des Curieux nonchalans , ces sortes d'arrets
epistolaires que didtoient a la hate , I'ignorance , I'er-
reur & la partialite ! Ne doutons pas meme qu'ils
ji'ayent fait tomber la plume des mains a plus d'un bon
Ecrivain , dont la juste delicatesse se sera revoltec
vis-a-vis d'un pareil desagrement. Car enfin c'etoit
avoir a passer par une espece d'insulte , avant que d'eu
etre au vrai peril", & se voir deja , pour ainsi dire , a
moitie proscrit , en arrivant au pied du seul tribunal
oil Ton doit commencer a tout craindre. Ayant done
cssuye cet echec , je ne m'en puis relever que par un
^xtrait , qui , sans cette raison , seroit aussi deplacc
qu'inusite dans une Preface.
Deployons d'abord I'avant - Scene , c'est-a-dire , la
maticre des expositions.
Fable de l' avant- Sczne.
- Adelaide , Fille de Stenon , Prince & Administra-
teur de Suede , avoir ete des I'cnfance , engagee par son
pere a Gustave , \ qui elle demeuroit attachee par
rinclination la plus tendre. A la mort de Stenon , quand
PR i F A C E, 105
eet Amaht etoit devenu la ressource unique de sa Prin-
cesse , &c le dernier defenseur de la liberce des Su>;d jis ,
il se trouvoit malheureusement d-tenu prisonnier i
Copenhague , contre le droit des gens , par les ordreS
de Christierne , Roi de Dannemarck & de Norwege,
surnomme pour ses cruautcs , le Neron duNord. Celai-
ci , a la faveur d'un avantage si mal acquis , s'ctant
avancs sans obstacle jusqu'au pied des murs de :5to*«
ckolm, avoir prisl^ Ville d'assaut, &:yavoit commis
toutes les cruautes d'un vainqueur de son caractere.
Entr'aucres violences , en haine & dc Gustave & de la
memoire de Stenon, il avoit fait emprisonner Adelaide,
sans daigner seulement la voir ni I'entendre. il avoit
aussi fait enfermer avec elle , sans qu'il s'en doutat, &c
a titre de simple Suivante , Leonor , mere de Gustave ,
laquelle passoic pour avoir peri dans le massacre g6*
neral. Quelque temps apres , des raisons d'iitat avoieiit
engage Christierne , qui etoit marie & sans enfans , i
conclure , contre son gre , le mariage de sa Prisonniere
avec Frederic , heritier presomptif de ses deux couron-
nes. Ce Prince vivementepris des charmes d'Adelaidc,
mais aussi vertueux que Christierne I'etoit peu , non-
seulement avoit eu la grandeur d'ame de sacritier son
bonheur au repos de cette Amante infonunee ^ mais
poussoit encore la magnanimite jusqu'a justifier, jus-
qu'a soUiciter mcme aupres duTyran , les delais qu'elle
demandoit j jusqu'a flatter enfin I'esperance assez mal
fondee qu'elle conservoit toujours de revoir bientot son
Liberateur. Aussi Christierne egalement impatiente &
des egards de Tun & des retardemens de Tautre , avoit
cru se mieux faire obeir, enportant lui-meme ses ordres
^ la Princesse. II I'avoit done vue j & de ce moment eti
etoit devenu eperdument amoureux. Des-lors , occup^
du soin dc satisfaire sa passion effrenee , en prenant
la place de Frederic , & ne se faisant pas une affaire ,
quand il en serait temps , d'en agir avec lui sans ad*-
cune mesurc, il avoit songe d'abord a se debarrasser de
la Reine par un divorce: & dans le meme temps , pour
oter a la Princesse un teste d'esperance nuisrble a ses
desseins secrets, il avoit mis i prix la tete du Rival
G iv
104 P R E F A C E.
aime , la tete de Gustave , dont les armes vidorieuse*
nc ralarmoient dejaque trop. Carce Prince, qui, dc
son cote , ne s'etoit pas endormi , ayant enfin trompe
la vigilance de sts gardes , & ramasse quelques trou-
pes , venoit a grandes journees , venger & dclivrer sa
rrincesse & sa Patrie. Son armee n'etoit pas loin de
Stockolm •, & , d'intelligence avec un Parti conside-
rable cm'il s'y etoit fait , il tenoit embusquec aux portes
de la Ville , I'elite de ses troupes , prete a fondre au
premier signal. Mais , au moment d'un triomphe qu'il
regardoit comme assure , craignant , non sans raison ,
que son ennemi reduit au desespoir , ne le privat du
ixuit dc sa vidoire , en attentant , dans sa rage , a la
pcrsonne d'Adelaide , il avoit , devant tout , forme le
hardi projet de Penlever , & ne s'etoit repose de Texe-
cution que sur lui-meme. C'est ou les choses en sont
quand la toile se leve \ dc que Christierne en raconte
une partie , flatte des deux plus agreables nouvelles
qu'il pouvoit recevoir i Tune vraie , c'etoit la mort de
la Reiiie i I'autre faussc , c etoit la mort de Gustave.
Fa b le d e la Piece.
Gustave done , qui s'est fait devancer du bruit dc
sa mort , 8c de qui la personne est inconnue * a Chris-
tierne, s'annohce Sc se presente a lui comme un Guer-
rier , qui , dans un combat singulier , vient de se defairc
: * C A S I M I R.
Et ne craigncz-vous pas, Seigneur, en vous montranr,
D'an Tyran soup^ouneux le regard penetrant ?
GUSTAVE.
Non. Lorsque le Barbare usa de violence j
Son ordre m'epargna I'horreur de sa presence ;
Et rendu par le temps , m^connoissable aux miens ,
Je puis me presentci- sans risijue aux yeux des siens.
t Act. t.Sc. 3.
P R i F A C E. 105
de rennemi dont il avoit mis la tcte a prix. II repond
d'une maniere precise a toutes les questions qu'on lui
fait , & rejette fierement ce prix , en noble & zele ci-
toyen qui n'avoit eu en vue que sa propre gloire , Ic
repos d!e son Maitre & celui de sa Patrie. L'honneur
seul ayant done ete son motif, il ne veut , pour toute
recompense , que le degagement d'une parole qu'il a
cru pouvoir donner a son Adversaire expirant. C'est
de remetrre a la Princesse , en main propre , un billet
ou cet Amant malheureux , en lui faisant ses derniers
adieux , lui conseille de ceder au temps. Christierne
reconnolt Tecriture , & , ne voyant rien dans le billet
qui ne lui fasse desirer que la Princesse le voie , il ac-
corde a I'lnconnu I'entrcvue qu'il demande. Gustave a
done un tete-a-tete avec Adelaide. II I'instruit du bon
etat dcs affaires , & du projet de son enlevement. Elle
lui apprend qu'il en est un plus essentiel & plus diffi-
cile encore a tenter j c'est celui de sa Mere qu'il croyoit
avoir perdu , & qui , non-seulcment est vivante , mais
qui de plus , sur le bruit de la mort de son Fils (la dou-
leur I'ayant trahie dc fait reconnoitre ) venoit d'etre
mise dans les fers , ou , d'un instant a I'autre , elle est
en danger du dernier supplice. II s'agit done de s'as-
surer avant tout d'un si precieux otage. Adelaide s'y
emploie vivement la premiere , en faisant agir Frederic
qui demande en effet a Christierne la liberte de Leonor ;
mais avec tant de hauteur & si peu de succes , que
deja desagreable &: supe6t au Tyran , il perd la sienne
lui-meme & se voir arrete. Gustave , de sa part , com-
me on peut croire , n'agit pas moins avec toute I'ar-
deur que son devoir exige. Mais ses mesures , qui ,
jusques-la n'avoient ete prises que pour le salut de la
Princesse , etant ici doublement precipitees , ne sau-
roient etre bien justes. Aussi se reduisent-elles a tenter
un peu brusqueraent , au poids de I'or , la fidelite des
gardes ; & , par un hasard que le plus sage eut pu nc
pas prevoir , non-seulement les gardes se trouvent in-
corruptibles , mais , qui pis est , ils feignent de ne Ic
pas etre. Ce dernier contretemps fait tomber Gustave
dans le plus funeste piege qu'on puisse apprehender
to6 P R i F A C E.
fjour Iai» Trop plein de confiance , il est trahi , saisi',
charge de fers , 6c conduit a Christierne. II est reconnu.
pout Gustave , au transport douloureux de sa Mere ^
devant qui , sur de foits soupgons , le Tyran le fait
paroitre expres en cet etat. II est envoye tout de suite i
rechafaud. N'y ayant done plus rien a menager , sa
Fadtion leve I'etendard. On I'arrache des mains de ceux
qui Ic menent a la mort. Le signal se donne , sts trou-
pes se montrcnt j & , suivi d'elles , il revient & rentre
au Palais. Christierne n'y etoit plus. Comme le plus
foible , a la premiere nouvelle de ce tumulte , il avoit
foi \ & emmenant avec lui la Princesse , il tachoit de
icgagncr sa flotte , ou ses fideles Serviteurs avoient eu
la. precaution de transporter par avance & Frederic &
Leonor. Gustave le poursuit & I'atteint qu'il n'ctoit
encore que sur la partie des eaux glacees qui separent
la cote 6c la rade. Apres un combat rare , opiniatre &
^nglant, il arrache Adelaide au Ravisseur, & lelaisse
ediapper, ignorant malheureusement que Leonor de-
meuroit en son pouvoir. 11 ne Fapprcnd qu'au moment
que , de retour au Palais , on lui propose de la part da
Tyran, I'horrible alternative , ou de la voir poignarder
surle tillac, ou de livrer la Princesse. L'heure qu'on
lui laisse pour se resoudre suffit aux Danois pour faire
eclater sur la flotte une conspiration formee de longue-
main en faveur de Frederic j il en est fait assez de men-
tion dans le cours de la Piece, pour que ce dernier in-
cident qui denoue , ne soit pas unc pure machine. Ainsi
Frederic , de la captivite, remonte sur un trone que son
peu de gout pour la souverainete lui avoit fait ceder a
Christierne. En Roi digne de Tetre , en Rival genereux ,
il signale son avenement par renvoyer la Mere au Fils ,
& avec elle leur ennemi commun charge des fers dont
ils sortoient tous les trois. Gustave se vengc , mais en
Heros. II laisse la vie avec la liberte a Christierne , &
le fait embarquer a Hnstant pour aller trainer Tune &
Tautre ou Pon voudra bien qu'il en jouisse. La ten-
dresse & la valeur couronnees , couronnent a Icur tour
riieureux denouement.
PREFACE. 107
Que voit-on la d'obscur , de vague , de force , & qui
ne tienne intimement a rinteret principal ? Tout n'y
est-il pas clair , naturel , prepare , conduit , & dans Ic
degre dc vraisemblance qu'on peut jaisonnablement
exiger des Pieces de Theatre? La simplicite resserre, il
est vrai , le plan de CalUsthene en une seule page j &c la
multiplicite en fait occuper ici quatre ou cinq a celui de
Gustave. Si leur difference est grande a cet egard ^ cellc
de leur sort ne le fut pas moins. CalUsthene est tombe :
Gustave a. reussi. Peut-ctre aussi ni Tun ni Tautre n'eut-
11 ce qu'il merita ; je suis fonde du moins a le croire ^
sur ce que le premier , dans sa disgrace , a trouve des
apologies jusques sous la plume de feu M. I'Abbe
Desfontaines , dc sur les levres de M. de Voltaire , deux
Priseurs competens , &c qui ne penchoient pour moi
rien moins que vers la flatterie : au lieu que ces memes
Apologistes se sont tu sur Gustave \ & que mes autres
Confreres les Auteurs ne m'ont jamais felicite de sa
chance, que dc ce ton, dont a la Cour on se felicite les
uns les autres des graces du Maitre. Je m'en tiens done
au bon ton , a celui dont mes deux illustres Defen-
seurs se servirent enfaveurdel'infortuns CaUistkene\)Q
m'endors sur leur genereuse protection , & les en re-
mercie. Quant au trop heureux Gustave y de quelque
facon qu'ils en ayent pense eux & les mecontens , tous
conviendront au moins que, si le Public Ta injustc-
ment favorise , c'est de ces injustices qu'un Auteur lui
pardonne aisemenf, Sc moi, de moncote , je conviens
que ce ne sont pas la de ces lauriers si bien plantes ni
fii verdoyans , que le Pocte ait lieu de se reposer fort
tranquillement a leur ombre.
De tant d'evenemens en effet rassembles les un$
proche des autres , il nc pouvoit manqucr dc jaillir unc ,
io8 PRE FA C E.
gcrbc de ces traits lumineux, appeles- par les Nco-
logues, coups de Theatre y legers pheiiomenes , jolis
eclairs toujours les tres-bien venus &: revenus sur le
modcme horizon de nos Parterres : coups d'autant
plus surs ici de leur eflfet dans la nouveaute , qu'ils
ctoient animes du feu seduisant, & soutenu^ de la
figure interessante d'un des plus brillans Adteurs"*' ,
qui J depuis Baron , ayent joint sur le Theatre les fi-
nesses de Tart aux dons de la nature. Rapporter le
succes en partie a la facilite de satisfaire au gout do-
minant , en partie au talent de I'Adieur , c'est , je crois ,
apprecier la Piece a-pcu-pres ce que ceux qui la rabais-
sent le plus veulent bien qu'elle vaille. lis doivent etre
eontens. Tachons maintenant de rcpondre a d'autres
objections.
Pour commencer par Texces de confiance qu'on re-
proche a Chris tierne \ quand meme , a toute rigueur ,
onauroit quelque raison , ne pourrois-je pas dire qu'en
pareil cas , n'avoir raison qu'a toute rigueur , c'est
avoir extreraement tort ? Ne nous doit-on pas , dans
nos Pob'mes , quelques libertes , quelques licences
Bieme , en consideration du plaisir qui en resulte y
aussi bien qu'en dedommagement du mauvais role
que , vis-a-vis des ecrits utiles , jouent ces penibles
bagatelles ? Malheureux Ouvrages , ( dit sensement TAu-
teur d'AiziRE dans TEpitre dedicatoire ) ?"i n'ont quart
temps ; qui doivent leur merite a la faveur du. Public , & a
tillufion du Theatre ^ pour tomber enfuite dans la foule 6t
dans I'obfcurite. Tant de veilles pour si peu de fruit ,
msritent bien , dis-je , quelques commodites & quel-
- *Du Frcfnc. 'qmlt ,
P R i P A C E. IC5
^uc tolerance. Nous qui n'ambitionnons qu'k divcrtit
-&: qu'a plaire, demandons-nous trop, pour notrc peine
uii peu gratuite , quand nous demandons quelquc
relacheraent sur la rigidite du vrai & du vraisembla-
ble? Aussi, depuis le Cid jusqu'a Zaire qui preceda
immediatement Gustave, le Theatre a-t-il joui du prL
vilege qu'on veut m'oter , & que je reclame. Auroit-il
cte revoque precisement pour moi ? Et Tindulgence di-
minueroit-elle a mesure que Ics talens diminuent?
Mais faisons voir que Tindulgence de mes juges part
encore d'un plus grand principe d'equite.
Tout le monde salt que la peinture a deux sortes de
vrai : le vrai simple & le vrai ideal. La Poesie a le$
deux memes sortes de vraisemblable. Lc vraisemilaiU
simple est celui qui , dans Un evenemenr , sc presentc
naturellement a I'esprit : lc vraisemilaile ideal consiste
en un cboix de diverses conjondtures qu*on rasscm-
ble , & qui rarement se trouvent reunics dans le coucs
d'un cvenement ordinaire. Le Po'etc alors , pour former
\in objet bien theatral , dispose a son gre , des coups
de la fortune , a peu pres comme le Peintre , pour era-
bellir son tableau , commande , en quelque sorte , iL
la Nature. C'est ce vraifemblabU ideal que mes Censcurs
appellent impossibiliti\ mais , selon Tusage du Theatre,
on verra qu'il n'y a plus ricn que de regulicr dans la
credulite de Chrisdeme ; &c que je n'ai pas pris met
aises, si fort a la volee qu'on veut le faire penscr.
D'abord , tout est prepare. Le bruit de la mort dc
Gustave a devance son arrivee : Chrisderne en a deji
parlc comme d'une chose qu'il ne revoque plus oi
doute. II ctoit pourtant necessaire pour le vraifemblo'
hit simple , qu'jl demandat ^ voir la tctc qu'on luiap-
110 P R t F A C E.
porte. II n'y manque pas non plus j Pourquoi , dit-il ^
I'inconnu ,
Pourquoi fe prerentcr , Tans ce gage \. la main ?
L'inconnu etant Gustave lui-meme, si le Tyran insistc
par de-la un certain point , la pyramide aussitot s'e-
boule. Ilinsistedonci mais ne passe pas mes vues ■, &
c'est ici ou , a la faveur du vraifemblabU ideal , je prends
decemment mes commodites dramatiques. Christierne
interroge cet inconnu sur son nom, sur les lieux, sur
les temps , & sur les circonstances. Est-ce en croire les
gens si fort les yeux fermes ? Les reponses sent positi-
ves , mais enveioppees a la verite sous quelques mots
a double entente si agreables au Theatre en ces sortes
de cas ; mots peses si curieusement par I'Auditeur mis
au faiti mots officieux qui sauvent egalement le Heros,
& de la honte du mensonge devant lui-meme , & dii
danger de la verite devant le Tyran. De plus la con-
tenance ferme & tranquille du brave inconnu, le noble
refus qu'il fait du salaire honorablement acquis , scs
sentimens imposans & releves qui frappent le Tyran
lui-mcme d'admiration , la teneur artificieuse du billet
qu*il donne k lire , enfin cette facilite qu'il y eut tou-
Jours a persuader les hommes de ce qu'ils desirent
le plus ardemment j tout cela, nci\ deplaisc a la chicane
des mal-intentiomies , tout cela , dis-je , devaiit des
Auditeurs entraines de bonne foi par I'amour du plai-
sir , suffit 5 & de teste , pour etablir la confiance dans
le ccBur d'un Tyran de Theatre j & pour asseoir en
consequence la pierre fondamentale de mon edifice.
Jc n'aurai pas recours au vraisemblablc ideal pour
justifier Taveuglement pretendu - volontaire , donton
taxe Adila'idg. EUe a long-temps , dit-on , son Amant
PREFACE. Ill
devanr elle , sans le reconnoitre, Elle ne I'a point d'ar-
bord devant elle \ quand il s'y trouve ensuite , elle nc
Ic voit point. Rien n'est plus naturel , ni plus dans la
vraisemblance. On en va juger. Que le Ledtcur veuiiie
bien seulement se faire un peu spedateur. Le jeu que
je le prie de se representer , doit aider a mon raifon-
nement.
Comment Adelaide pourroit-elle reconnoitre sitot
Gustave ? Dans quelle circonstance , en quel instant
paroit-il ? Au moment qu'elle ne peut plus douter de
sa mort qui vient de lui etre confirmee ; au moment
que sa chere Leonor arrachee d'entre ses bras , est peut-
erre livrec aux bourreaux j au mv^ment enfin qu'on lui
declare qu'elle ait a venir aux Autels pour y donner sa
main. Trois coups de foudre, qui Taccablant h. la fois,
font qu'elle ne voit , n'entend , ni ne sent plus. Qu'on
se la figure done , au-devant du Theatre , abysmee en
elle-meme dc comme petrifiee , tandis que , du fond j
Gustave s'avance a pas leats ; Gustave annonce commc
un simple particulier porteur des dernieres volontes
de celui qu'elle ne croit plus en vie : Gustave change
par onze ou douze ans d'absence 8c de travaux , &
surtout aux yeux d'une personne qui n'en avoit que
dix ou ohze lots de leur separation j enfin Gustavt
jaloux , & justement alarm^ des preparatifs du ma-
riage de la Priricesse , viveiiient interesse par conse-
quent a ne se paslaisser demeler sitot , pour la mieux
pcnetrer , & voir quel effet la ledure du billet qu'il
apporte va produfre en elle. II avance, dis-je, a pas
lents & le front baisse , vers Adelaide qui , sans I'envi-
sager , sans presque tourner la tcte , prend le billet
apres quelques mots mal articules qu'a peine elle ^cou^
Hi PR t F A C E.
te, &: qu'il ne prononce que d'une voix basse & altc-
ree* Voila dans quelle position de part & d'autre se
donnc &: se regoit ce billet qui arrache a la Princesse
les larmes , les plaintes &: les regrets les plus tendres.
Gustavo alors tout transporte , tombe a ses pieds , 6c
se fait reconnoitre. Est-ce4a cette absurdite , cettc
situation si denuee de toute vraisemblance ? Les clair-
Voyans qui demandent ou sont les yeux de la Princesse ,
voudroient^ls bien nous dire maintenant oil etoient
les leurs ? Et ne sont-ils pas eux-memes accusables de
I'aveuglement volontaire qu'ils lui imputent ?
Venons \ Leonor. Absolument parlant , on eut pu se
passer ici de ce role de mere \ mais n'eut-il pas fallu
toujours celui d'une confidente a sa place , puisque
cette mere en fait I'office j & que , de tous les temps ,
la bienseance & le dialogue en exigcrent une ^ cote de
nos Princesses. Or on ne sait que trop ce que cette
sorte de role postiche , ( mcme dans M. Racine qui nq
s'en passa jamais ) cntraine souvent aprcs soi de foi*
ble & d'ennuyeux. Qui n'eut cru bien faire , de fondre
ce personnage oisif 6c necessaire , dans celui d'une
mere qui donne lieu <l de grands incidens ? Dcs-lors ,
de froid & de subalterne , le role devient noble , in-
teressant , & par consequent celui d'une principale
A6trice. Ou la scene eut done ete vuide &: tampan te,
die est ornee & soutenue •, le pathetique & le gran4
prennent la place du ridicule &: du languissant \ enfiu
la chaleur egalement repandue dans tout le corps dc
I'ouvrage, en vivifie un membre frappe d'une paralysis
invcteree , & fait ainsi mouvoir ce corps en entier.
S'ily a dans tout cela quelque sur-abondance , en est^
ce une , au fond , si vicieusc \ jqfi
Cc
PREFACE., II)
Ce que je n'accordcrai jamais , c'est que la Pi^e
ait pu se passer dc Fridirk ; dc cc que jc nlc encore
davantagc , c'est que son caraA^re ne soit ni he'roi'que
ni naturcl. Mollir sur ce second article , ce serolc pri-
variquer. U ne s'agit plus ici de ma cause , il ne s'aglc
pas moins que dc celle des mocurs.
Cc Prince est , dit-on , foible &: mcprlsable au point
^'q\\ ctrc une espccc dc monstrc en morale : i". parcc
qu'il s'est dcmis volontaircmcnt des droits qu'il avoit
sur deux couronnes. En second lieu , parce qu'aimanc
une bcUc Princcssc ( que Ic devoir & I'amour atta-
chent i ua Hcros qui 1 adore ) il nc se prcte pas k U
politique d'un Tyran qui la lui veut faire cpouser. Cc
sont li , suivaiit mcs critiques , les rcves d'une imagi-
nation dercglcc , & deux excels de gincrositc qui ne
«ont ni I'un ni I'autrc dans la nature.
Voili done deux si beaux triomphcs sur soi-m(?mc ,
rclcgucs parmi Ics fairs monstrucux. Pour mol , cc que
je trouve ici de vraimcnt monstrueux \ c'est que ccla
puisse le paroitre j Ik ce qui Test peut-ctre encore plus ,
c'est qu'il y ait des gens qui ne se fassent pas une affaire
du dcshonncur oii Ton s'exposc en I'osant dire ouver-
tcmcnt. J'aurois cru , vu la corruption rafincc dc noi
mcfurs , I'hypocrisic & plus d'usage 6c plus dclicr.
Qu'on manque dc gout pour les vertus peu commu-
nes , cela n'est que trop possible & que trop ordi-
naire i mais qu'un peu de pudcur au moins nc plitrc
pas cc manque dc gout •, encore une fois , une si rare
indifference sur cc qu'on laissc «t penscr de soi , en
pensant si mal tout haut , me paroit sans comparaison
moins naturelle , que celle qu'on reprochc a, mon
Frederic sur Ics intercti de son amour & dc sa grandeur.
Tome U. H
ii4 Preface.
Mais quoi ? C'etoient encore ici de ces sortes d'honni*
tes gens crayonnes dans la Preface de L'Ecok des peres ,
qui trouvoient a redire que je nommasse Fils ingrats ,
des enfans enrichis par un pere qu'ils abandonnent
dans son indigence. Ce ne font , disoient-ils froidement
que des hommes fails comme les autres > que des hommes
uniquement occupes de leurs inter its particuliers. Ces hon-
netes gens cffedtivement se connoitroient - ils mieux
que moi aux hommes de leurs temps 1 Et feroir-ce U
veritablement comme il sont faits t En ce cas , je m'^cric
avec Curiace :
Je rends graces aux Dieux de n'etre pas Romaiii ,
Pour conferver encore quclque chofe d'humain.
Et j'ajoute sur le ton de Xipkares , en revenant a
Frederic :
Si Tavbir pcint tel , est un crime ;
Mon esprit n'en est pas fcul coupable aujourd'hui j
Men coeur est mille fois plus cnminel que lui.
Car , en compofant ce role > je m'en fouviens trcs-
bien, je sentois plus que je n imaginois j & j'y prenois
trop de plaifir apres tout , pour que la fi€fcion ne fut
pas plus que moins dans I'ordre des chofes naturelles.
En effet , & je Tai toujours penfe , la generosite ( ce
mot pris dans routes ses acceptions , & surtout dans
celle dont il s'agit ici , ) est de toutes les vertus , la
seule peut-etre, qui , fans rifque de degenerer en vice ,
peut ne se point prefcrire de bornes ; c'est de plus ,
selon moi , celle de toutes les vertus , dont la pratique
doit ctre la plus delicieufe a qui Texerce. Mais aufTi cc
genre de felicite , dans toute son etendue ^ n'etant re-
PREFACE. 115
serve , qu'a la grandeur & qu'a Topulence , & me trou-
vant ne si loin de Tane &: de Tautre , je me dedomma-
geois en Poete j c'esc-ar-dire que mon esprit fe frans-
plantoic dans le cceur d'un Prince de ma fabrique : &:
que la , comme dans la sphere nacalc d'un sentiment
si glorieux a Thumanite , il se deledoit a lui donnej
tout I'essor imaginable. Ne suffit - il pas que cette ;
felicitc soit deja pour moi purement chimerique ,
sans que me soutenant que le principe Test aussi , Toil
me la veuille encore totalement aneantir r On n'en ;
viendra point a bout. Le principe est bon. Les deux
sacrifices que je fais faire a Frederic sont dans la nature*
Eh quoi ? Parce que la haute vertu feroit malheureu-
fement devenue plus rare que la scelerateiTe , celie-ci
conferveroit fur nos Theatres , un air de vraisemblance
qu'on ne trouveroit plus a Tautre ! Graces au Ciel, le
fcandale ne va pas encore 11 loin. La clemence d'Augusu
dans Cinna nous paroit auili vraisemblable pour le
moins, que la rage effrenee de Cleopatre dans Rodogune;
que les forfaits de Nardsse , de Mathan Sc de Rhada-
miste. Disons plus. N'y a-t-il pas de la mechancetc
d'efprit , ou tout au moins , de la noire mlfantropig , ,
a croire qu'il n'est plus d'ames de la belle trerripe ?
Quand meme il ne s'en trouveroit plus ( ce qu'a Dieu
ne plaise que je suppose pour plus d'un moment ) ne
suffiroit-il pas ici , pour ma justification , qu'autrefois
11 y en ait eu , d>c qu'il fut fort a souhaiter qu'il y en eut
encore aujourd'hui ? Or , il est sur qu'autrefois il y
en eut. Le refus du trone a , dans I'histoire , plus que
ses equivalens. Des ames qu'assurement on ne taxera
pas de foibles se , Diode tien , Charles K, rant d'autres ,
& sans sortir du lieu de ma schie , Christine </<;
^uede^ tous ont abdique Tautorite souvcraine. Effort
Hij
1 1 (? PREFACE.
qui passe peut-etre celui de la refuser. Tel en efFet pour-'
roir ne la jamais ambitionner, qui , I'ayant en main ,
ne s'en dessaisiroit jamais. Quant a sacrifier les intercts
d'une passion aulTi frivole que Tamour , au bonheur de
la personne aimee , ou seulement a celui d'un rival
estimable •, nous en avons , pour exemples signales , la '
continence de Scipion, 3c le don q\i' Alexandre fit de sa
Iv aitresse, au Peintre qui en devint amoureux. Allons '
plus loin. La vengeance est une passion bien autre-*
ment puissanre encore sur le malheureux coeur hu-*
main , que I'amour 8c que Tambition , temoin ces''
vers d' A tree : '^
Je voudrois mc venger, fut-ce mcmc des Dieux! /i
Du plus puissant de tous ,j'ai re^u la naissance j j
Jele sens au piaifir que nie faic la vengeance. p
Cependant combien de pardons genereusement ac-,
cordes 1 Qui ne salt le bel ade & I'excellent mot dc'
M. De Guise ? Tous les deux si pieusement & si fi-
delenient employes dans le denoument d' Aliire , o\i y
en expirant , Guiman dit a Zamore qui vient de le poi-
gnarder :
Ton Dicu t'a commande le meartrc & la vengeance i ")
Et le mien , quand ton bras vient de m'assassiner ofi
M'ordonne de tc plaindre , & de te pardonncr. .yi
Cela n'a paru ni romanesque ni fabuleux , quoiquc
transfere dans le coeur & la bouche d'un Espagnol , &
d'un Espagnol des plus feroces.
Si je n'ai done peint Thomme tel qu'il est , je I'ai
peint assurement tel qu'il fut. Au pis aller , n'eusse-jc
fait que le peindre tel qu'il doit etrc , j'aurai du moins
PREFACE. 117
rempli le devoir Ic plus essentiel de mon etat : j'aurai
joint Tutile a I'agreable. Du reste , Frederic , dans tour
ce qu'il dit , exprime du mieux que j'ai pu , les senti-
mens de courage & d'honneur convenables , pour im-
primer a son desinterressement tout le caradtere dc
noblesse que ce dv^sinteressement doit avoir.
Plus d'un Lefteur vertueux & sense desapprouvera
peut-etre une apologie si serieuse , ne pouvant sc
persuader que la censure ait pu Tetre. Rien n'est pour-
rant plus vrai , & j'ai cru devoir y rcpondre serieuse-
ment , parce qu'il arrive souvent , qu'en gardant Ic
silence, la bonne cause demeure en butte a la froide dc
mauvaise plaisanterie , laquelle prcnd toujours faveur>
& quelquefois racine.
Quant a la verification de ma Piece , je me tais,
Non que je Tavoue aussi negligee qu'on le veut dire ;
tant s'en faut. Eh , qui mieux que moi pent savoir Ic
contraire ? II n'y a point ici de negligence. Les efforts
n'ont discontinue precisement qu'ou le talent man-
quoit. Mais je vois ce que c'est. N'ayant eu en vue
que la precision , la clarte , I'ordre , I'energie & le
naturel , dans un Poeme aussi plcin d'evenemens &
d'adrion que celui-ci , je n'aurai fait de mes person-
nages , rien moins que des Poetes. Attentif unique-
ment a remuer le coeur , ou a saisir Timagination ,
j'aurai trop neglige de flatter Tesprit & Toreille. Figu- •
res brillantes , metaphores ecartees , grands mots ,
longues epithetes , maximes temeraires , portraits ma-
lins , madrigaux , Sec. j'aurai trop mis tout cela mal-
heureusement au rang de ce qu'Horace appelle nugt
eanord, \ en un mot , j'aurai trop suppose a mon siecle ,
H iij
US P R i F A C E,
un goat pareil a celai <ie nos Ancient , qui aimohm
mieux , dit le sage m^derhe auqiiel nous devons
THiSTOiRE CRITIQUE t)lE LA PhILosophie , itre emas
par lis beaiit'es fortes qui risul'tent du tout enstmhle^ que par
Its beauth de detaiL
Jusques-lk , je ii'aurai peut-etre pas eu grand tortj
mais il me resteratoujours celui d'avoir laisse adesiier
dart^ mes vers plus de pompe & d'harmonie qu'il n'y
tn a. Des Illusrres du metier ont avance que cettc
pompe & cette harmonic , essentielles a la verite dans
rEpopec & daiis I'Ode , non seulement ne letoient
point dans le Draiiiatique , mais que mcme ellcs j
■&:orent quelquefois nuisibles & deplacees. lis s'abu-,
isoieilt. M, Rdcihe temoigne contre eux. Ses endroits
les plus simples s'en sont troiives & susceptibles &
toujours embellis. Mais ce grand homme cmporte
avec lui le secret d'un si precieux melange. Sts suc-r
cesseurs ont moins recueilli Theritagc , qu'ils ne I'ont
demembre. Chez les uns , on desire cette chaleur S>c
ce beau simple si essentiels , & chez les autres , cettc .
harmonie si desirables. Vouloit-on que je reunisse en
moi miserable glaneur , des tresors que je n'ai pas
seulement eu Tavantage de partager J Cette versifiea-»
tion-ci sera done assurement destituee de pompe &
d'harmonie : & principalement de cette harmonie ex-
quise , si chere a nos declamateurs de Ruelles , qui
f)lus envitonnes de leur talent im^ginaire, que touches
des vraies beautes de ce qu'ils savent par cceur , vont
iccitant a qui veut 6c ne veut pas les entendre » tantot
avec emphase :
Rhodes , des Otromans le rcdoutablc ccueil , &c, '
I bAlAiET , Adt. 1, Sc. I,
PREFACE, 119
Ou J d'un air voiuptueux & passionne :
Triste , levant au ciel ses yeux mouiiles d- lairaes , &c. '
Ou bien , d'un ton fier & farouche :
Mon palais, tout tci n'a qu'un faste sauvagc , &c. *
Encore une fois , je n'ai rien fait pour ces mauvais
Comediens la ; & des lors , je sens dans quel neant ,
devant eux , je dois tomber a la lefture, Mais je ne
m'interessois qu'a mes Speilateurs , pour qui j'espere
avoir assez fait , en cas que Ton admette ce principe
avance par un ^crivain verse dans ces matieyes ^'. Ce
nest autre chose , dit-il , $«e la prononclation qui consti->^
tue la douceur ou la rudesse des mots y & Voreille juge dc
I'harmonie d'apres la prononclation seule. Or les vers dc ,
Gustave y tels qu'ils sont , furent tres-bien prononces ,
& fort bien rccus ; TAuteur duP<?«r & Contre, comme
on a vu J n'en rend que trop bon temoignage. Je
pourrois done n'ctre pas tout a fait sans repliqu«
sur ma versification •, mais la preterition n'est dejk
que trop longue, Et qui ne sait d'ailleurs le danger
qu'il y a de se trop bien defendre ', ne courut - on
que le risque d'avoir raison devant des Adversaires
qui ne le pretendent ni ne le pardonnent jamais ? Ne
nous brouillons avec personne^ Un Auteur doit le
plus qu'il peut s'assurer del'indulgence de tout le mon-
de J un Auteur tel que moi , plus qu'aucun autre i &
de celle de ces Messieurs , plus que de celle des gens
raisonnables qui n'en manquent jamais.
I Britannicus , Ad. 2. Sc. I.
1 Rhadamiste, A(ft. 2. Sc. ll.
3 Refutation des principes de M. Rousseau dc Geneve j|
page zi, ,
1 20
=«
STANCES
En tite d'un Exemplaire prcsente
a LA Reine de Suede ^ en 1733.
jO I g ne sang du grand Roi que j'ai peint dans mes vers,
Du prix de ses hauts fairs pacifique heririere ,
D'un coup d'oeil obligeanr qu'enviera Tunivers ,
Favorisez Tessor d'une Muse etrangere.
II nous sufiir souvenr , pour nous faire un grand nom ,
Du seul nom des Heros que nous faisons paroitre ;
Si , de les bien chanter , je n'ai pas I'heureux don ,
J'ai du moins , comme on voir, celui de m'y cennoitrc.
Virgile , Ovide , Horace , a nos derniers Neveux
Iront a plus d'un titre , & d'un titre bien juste :
Lc talent , toutefois , qui fit beaucoup pour eux ,
Peut-etre aura-t-il fait moins que le nom d'Auguste,
GusTAVE est un Heros , est un ^ nom dont I'appui
Pent aussi me transmettre a la race future.
Grand guerrier , tendre amant , fils vertueux , en lui
Triomphent la valeur , I'amour & la nature.
Plus d'un prodige encore illustra sa maison.
Charle , Christine , Adolphe , a I'envi Font omee.
Les retrouvant en vous , I'Europe avec raison ,
Admire vos vertus , sans en etrc etonnee.
iUlric EleonoR:, dc;nierePrinccsscduSangdcGustaYC.
_ 1 GusrAYE es: lanaxrammc d'AocosTE.
STANCES, 111
Tous quatre , a la Suede , ont coiite bien des pleurs.
Mais vos prosperites finiront leur histoire :
Et sans avoir cu part jamais a leurs malheurs ,
Vous n'aurez partage que leur trone & leur gloirc.
Tout vous en est garant : les droits de vos ayeux ,
L'amour de vos sujets , les voeux du nord , les notresj
L'heureuse etoile enfin du Prince aime des cieux ,
Dont les nobles destins se sont unis aux votres.
p '%■- 'j^ V
PERSONNAGES.
GUST AVE , Prince du Sangdes Rois de Suede.
ADELAIDE, Princesse de Suede.
CHRISTIERNE, Roi de Dannemarck & de Korvege.
FREDERICj Prince de Dannemarck,
LEONOR, Mere de Gustave.
C A S I M I R , Seigneur Suedois.
RODOLPHE, Confident de Christierne.
SOPHIE, Confidente d'Adcidide & de Lebnor.
GARDES.
La Scene est a Stockolm j dans Vancien Palais des
Rois de Suede.
GUSTAVE-WASA^
T RA C t D I E,
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
CHRISTIERNE/RODOLPHE.
ChrI S T I E RNE,
.ODOLPHEjqud rapport viens- tufliire a ton Roi?
De Christierne absent _, revere-t-on la loi ?
Ettandis que Stockolm exige ma presence ,
Le Dannemarck en paix soufire-t-il la regencc ?
La Reine....
R o D o L p H E.
Elle n'est plus , Seigneur ; &• cette more
Peut-etre enleve un sceptre au Monarque du Nord.
Du Senat mecontent rautorirc jalouse
Ne ployoit qu'a regret sous votre augnste epouse ;
A peine a-t-il en main le timon dc 1 ctat ,
Que le peuple , sous lui , respire I'attentat \
Traite d'invasion , de puissance nsnrpee ,
Ce qu'ici vous tenez dc Rome &: dc Icpec ; •
124 GUSTAVE^yrASA ^
Et s'erigcant en juge entrc Stockolm & vons ,
Pretend borner vos droits , ou vous les ravir tous.
Christierne.
Gustave est mort. Sa chute & decide &: prononcc.
C'est une autre nouvelle , ami , que je t'annoncc i
Nouvelle dont le bruit , effrayant Ics Mutins ,
Dissipera bientot I'orage que tu crains.
Jusqu'ici , dans le cours d'une guerre inconstantc,
Du malheureux Stenon la depouille flottantc
Divisa la Suede , &" retint suspendu ,
Entre Gustave & moi , Thommage qui m'est du.
Fatigue des complots de cc rival habile ,
Je mis sa tete a prix : il n'a plus eu d'asyle ;
Chacun se disputoit I'honneur de I'immoler ;
Et son hcurcux vainqueur demande a me parler.
Je crains peu les effets , ayant detruit la cause ;
Et le chef abattu , le reste est peu de chose. \
Laissons done , pour un temps ces soins ambitieux;
Et que je m'ouvre ici tout entier a tes yeux.
Tu m'annonces le sort d'une epouse importune
Dont I'epoux, des long- temps, meditoit Tin fortune:
Oui , la mort la frappant de scs traits imprevus ,
Rompt des noeuds que bientot le divorce eiit rompus.
RODOLPHE.
Quellesraisons, Seigneur, I'avoient done condamnee ?
Christierne-
Le pjrojet resolu d'un nouvel Hymenee ,
tRAGEDIE. 115
Les transports d'un amour vainemcnt combattu , '
Et d'autant plus ardent , que toujours il s'est tu. »
RODOLPHE.
Tout le monde en efFet , Seigneur, en est encore
A connoitre I'objet que votre flamme honore.
Christierne.
Que ta surprise augmente en apprenant son nomj
Adelaide.
RODOLPHE.
EUc!
Christierne.
Oui: la fille de Stenon,
Heritiere du trone , attachee a Gustave , .,„,.,,. ^ ,
Promise a Frederic , detenue en esclavc ,
Reste unique &" plaintif d'un sang que j'ai verse j
Voila d ou part , ami , le trait qui m'a perce.
R o D o L p H e.
Si sa possession , Seigneur , vous est si chere ,
Pourquoi permettre done que Frederic espere?
Christierne.
Helas ! Souvent , ainsi nous-memes , contre nous ,
Du sort qui nous poursuit, nous preparons les coups ,
Juste punition de la facon barbare, '-/yV. ■
Dont ma rage accueillit une beaute si rare !
jfecoute •, & plains un coeur qui n'a pu s'attendrir ,
Qu'apres avoir tout fait , pour n'oser plus s'offrir.
ixS GUSTAFE-JTJS A,
Par un dernier assaut , cette ville emportee
Couvroit de sqs debris k mer ensanglantee j
La vengeance y faisoit eclater sa fureur j
Et le droit de la guerre y repandoit Thorreur.
Ce Palais rcnfermant de nombreuses cohortcs,
Nousy courons. La hache en fait tomberles portcs ;
J'entre, on fuit de vant nous, le sang coule, &: nos cris
Font voler la terreur , sous ces vastes lambris.
Mouranteentrelesbras dune femme eperduc,
Adelaide alors fut ofFertc a ma vue.
Sa paleur , a mon oeil de colere enflarnme ,
Deroba mille appas qui m'auroient desarme.
Dun mortel ennemi, je ne vis que la fille ,
Que le reste d'un sang funeste a ma famille.
Les armes de son pere ont fait perir mon fils ;
Et cette image alors fut tout ce que je vis.
De peur de trahir meme un courroux legitime,
Je detournois les yeux de dessus la vidime ,
Et ce courroux ainsi , libre dans son essor ,
L'envoya dans la tour , ou je la tjens encor.
A n'en sortir jamais , ellc etoit condamnee j
Mais on adore ici le sang dont elle est net j
II etoit important de tout pacifier •,
Et ce fut a ma haine a se sacrifier j
A souflfrir que I'Hymen unit a sa personne ,
L'Heritier presomptif de ma triple couronne.
Frederic , avoue de rEtat & de moi ,
Eut done ordre d'aller lui presenter sa foi.
11 y fut J le penchant suivit I'obcissanee j
T RJ G E D I E, iiy
Mais quoiqu'il eiit pour lui rang , merite &: naissance ,
Qu'au plus dur esclavage, en s'ofFrant , il mit fin ,
Deux ans de soins n'ont pu faire accepter sa main.
Cent fois, las dumepris dont on payoit ses peines,
D'un mot, j'aurois tranche ces difficultes vaines j
Si le Prince alarmc , rejetant ce secours ,
N'eiit heureusement su m'en empecher toujours.
Enfin je m'accusaide trop de complaisance j
Et croyant qu'a mon ordre, il manquoit ma presence,
Je vis Adelaide. Ah , Rodolphe I peins-toi
Tout ce qu a la beaute de seduisant en soi !
Toutce qu ontd'engageantla jeunesse &: des graces,
Ou la tendre langueur fait remarquer ses traces !
Jamais, de deux beaux yeux , le charme en un moment
N'a , sans vouloir agir , agi si puissamment ;
Ni jamais, dansun coeur, I'amour ne prit naissance,
Avec tant d'ascendant , & si peu d'esperance.
De quoi pouvois-je alors en eflfet me flatter J
Les suites d'un divorce etoient a redouter.
Qu'eus-je opere d'aillcurs sur cette ame inflexible
Que , de loin , dominoit un rival invincible J
Je n'osai done parler j mon feu se renferma j
Mais , sous ce feu convert , le depit s*alluma.v'j. j
Du fugitif aime , craignant Taudace adive ,
Je resserrois toujours les fers de ma captive j
Enfin pour n'avoir plus ^ la persecuter ,
Je publiai I'arret qu'on vient d'cxecuter.
Frederic ici done est le seul qui me gene.
Qu il aille a Copenhague y remplacer la Reinc ;
iiSJ GUSTAFE-TTAS/l,
Qii'il parte \ &: que llionnenr d un si brillant emploi
Serve d'heureux pretexte a I'eloigncr de moi.
RODOLPHE.
Frederic est encor vertueux &: fidele ;
Mais il est adore dans le parti rebelle :
Et des ecrits publics font revivre des droits
Que Ton pretend qu'il a de nous donner des loix.
Erreur pernicieuse , ou damnable artifice
Qui travestit le crime en ade de justice ,
Du maitre & des sujets , rompt le sacre lien ,
Et fait , d'un parricide un zele citoyen.
N'exposez pas le Prince au danger trop visible
D oublier ses devoirs , en trouvant tout possible j
Etsurtout J au moment qu'environne d'amis ,
Son amour offease se croiroit tout permis.
Laissez-le , s'occupant de sa folle tendresse ,
Vainement soupirer aux pieds de la Princesse i
Cependant , sous Ic joug , ramenant le Danois ,
Et bicntot , pour un sceptre, en pouvant offrir trois,
Satisfaites ce feu dantvous daignez vousplaindre :
Declarez-vous en Roi qui n'a plus rien a craindre :
Et vous verrez alors qu'un amant couronne
Devient , des qu'il lui plait , un epoux fortune.
Christierne.
Des soucis devorans ou mon coeur se consume ,
Je sens que ta presence adoucit I'amertume.
Sur tes conseils , ami, je reglerai mes pas.
Veille , ecoute &cyQ^. tout , ne te ralentis pas. :
Perce
T RA G t D I E. 119
Perec dc cettc Cour Tobscurite perfide.
Sous ta garde aujourd'hui je mets Adelaide ;
Fais-la , de sa prison, passer en ce Palais ;
Mais , aupres d'elleencor, n'accorde aucun acces*
Du sort de son amant, gardons-nous de I'instruirc i
Chargeons-en le rival a qui nous voulons nuirc.
Vas ; tache seulement, lui peignant ma grandeur,
Tache a la disposer a ToflFre de mon coeur.
a
SCENE 11.
CHRISTIERNE.
ES faveursqueleCielm'annonce & me prepare
Un si fidele ami sans doute est la plus rare.
De mes exploits en vain je veux gouter le fruit.
La fortune me cherche , & le bonheur me fuit.
Sous le superbe dais des trones que Ton vante ,
Siegent les noirssoupcons, ^Taveugle epouvantcj
Un sommeil inquiet en suspend les travaux ;
Et le trouble m'y suit , jusqu'au sein du repos.
Quoi ! Pour objets de crainte, on de guerre eternelles ^
Des voisins ennemis , ou des sujets rebelles !
J'aidompte les premiers; &: les autres, cent fois,
D'un chatiment severe , ont ressenti le poids.
Deja , si je n'accours, I'Hydre est prete a renaitre.
Esclaves revokes , tremblez sous votre maitre I
Redoutez un courroux trop souvent rallume 1
Traitres , je serai craint , si je nc suis aime.
Tom€ II, i
150 GUS TAVE-yrJSA^
SCENE III.
CHRISTIERNE, FRfeD^RIC,CASIMIR.
Christieri5[e.
3r REDERiC , savez-vous Ic destin de la Rcinc ?
F R £ D E R I c.
Seigneur, on me I'apprcnd : & le devoir m'amenc.M.
Christierne.
Vous a-t-on dit aussi , qu'infidele a son Roi ,
Mon peuple ose , pour vous , s'elever centre moi?
Frederic.
Ah 1 je le desavoue I & jc n'ambitionne....
Christierne.
Prince, on ne s'ouvre guere a ceux que Ton soupconnc.
Qui m'eut ete susped sur un tel intcret ,
Pour route confidence , eut recu son arret.
Je vous connois si bien , que mon ordre supreme ,
Du soin de nous venger vous eut charge vous meme.
Si je n'avois pascraint, pour vous , Tctat facheux
D'un amant qu on arrache a Tobjet de ses feux.
Frederic.
A de pareils egards , je dois ctre sensible ;
Mais cet objet aime , Seigneur , est, inflexible 3
TRAGEDIE. i 5 i
11 le sera toujours •, & qudque eloignement
Seroit,pour moi, plutot un secours qu'un tcurment.
Chkistierne.
Le desespoir vous tronipe : &: n'est qu'une foiblcsse
Que de justcs raisons dcfcndent qu'on vous laisse j
Et je veux.....
Frederic.
Vous voulez croitre ce desespoir,
Seigneur , en vous armant de tout votre pouvoir.
Ah ! laissez-moi me vaincre, &: soycz moins rigide I
Ne persecutons plus la triste Adelaide !
Croyant par nion Hymen , adoucir scs malheurs,
Mes assiduites secondoient vos rigueurs \
Mais puisque sa Constance, & vous &: moi, nous bravej
Puisque le ncrud fatal qui Tattache a Gustave ,
Est serre par le temps , loin d'en etre affoibli i
Jc ne veux , &" n'ai plus que la mort ou Toubli.
Christierne.
Espercz mieux d'un bruit que la crusUe ignore.
Frederic. ,
Etquel bruit? "[ >
Christierne.
Ce n'est plus qu'une ombre qu'ellc adore.
Frederic. , ^
Qu'une ombre I quoi 1 Gustave.... /^V . .,1
Christierne. k/T."
Est tombc sous les coups
i^^ GUS TJ rE-JTJSJj
D'tine sccrette main vendue a mon courroux.
Voila pour son amante une triste nouvelle j
Mais c est une raison pour tout obtenir d'ellc.
L'interet de vos feux demandoit ce trepas.
Informez-l'en , vous-meme , & ne m'accuscz pas.
D'un glorieux Hymen , lui relevant les charmes ,
Achevez d'epuiser & d'essuyer ses larmes.
Du reste vantezlui vos soins officieux ,
Je leur accorde enfin son retour en ces lieux :
Elle y peut revenir. Mais , plus de resistance.
Sachez faire cesser sa desobeissance ,
Lui faire respeder mes ordres absolus :
Ou le maitre offense ne vous consuke plus.
S C'S N E IV.
FRtDfeRIC, CASIMIR.
C A S I M I R.
JxioN AME, des long-temps, Seigneur, vous est connue:
Souffrez qu'en liberte je pleure a votre vue ,
Les malheurs de Gustave , &■ c6ux de mon pays.
Frederic.
Les interetsdu mien ne sont pas moins trahis.
JRepandons, Casimir, Tun & I'autre des larmes;
Toi , sur ton Prince i & moi j sur la hontc des armc J
Dont nous venonsd'abattrc un ennemi si grand.
"^^ RA G t DIE. i^Y
Christierne triomphe en nous deshonorant !
L'Inhumain ! &: je suis son sujetl lui , mon maitrc ! ^
Ah! laissant lales droits dii sang qui m'a fait naitrc^-^
C'cst un cri qui du del doitetre autorisey' -■■ >'
Tout sceptre que Ton souille , est un sceptre brise !^
casimir. ::^:^
L'infortune publique , & ce noble langagc ■ 3n A
Montrent bien que le trone etoit votre partag^ --' ^
Helas , que plus d'ardeur en vous pour ce haut rang
Nous eiit bienepargne des regrets &: du sang i - -'
Faut'il que la vertu modestc &: magnanime y^^^
Neglige ainsi ses droits , pour en armer le crime !
Frederic.
Donne a mon indolence , Ami , des noms moins beaux.
Je n'eus d'autres vertus que I'amour du repos. .,
Je ne meprisai point les droits de ma naissancc :
J'evitaile fardeaudela toute- puissance,
Je cedai sans effort des honneurs dangereux ,
Etle penible soin de rendre un peuplc heureux. >
D'un noble devouement je ne fus pas capable.
Des forfaits du Tyran , ma mollesse est coupable ;
Et pour mieux me charger de tous ceux qu'il commet,
Le cruel m'associe au comble qu'il y meti'^P •^^''^'•\
Par un assassinat qui tient lieu de vidoire ,
C'est peu que de son peuple il ait terni la gloirc i
C'est peu de publier qu'a cette cmaute , " : "^'t
De mcs feux malheureuxrinteret I'a porte : '
liij
1.54 GUSTA F E- WJSJ^
Pour achevcr ma hontc , &: consommer son crime ,>
11 vent que ce soit moi qui frappe la vidime 1 : j
Que , de moi , la Princesse apprenne son malheur!
Qu'en lui tendant la main , je lui perce le coeur ^'*)
Evitons-la. Fuyons. Prevenons ma foiblesse.
Son amour inquiet m'interroge sans cesse ,
Et sans ccssc , a regret , le mien se voit reduit
A ne lui pas orer I'espoir qui la seduit : j
Lui laisserai-je encor cet espoir inutile ?
Et quandje le voudrois ,serois-je assez tranquillc?
Un scul mot, un regard, un soupir.... Je la voi.
Retiens , cher Casimir , tes pleurs •, ou laisse-moi.
S C E N E V.
FRJEDfeRICADELA'fDE, LEONOR.
Adelaide.
&EioURo\i commandoitrAuteurde ma naissance,
Lieux temoins du bonheur de ma paisible enfance,
Palais de mes ayeux j oii leur sang est proscrit ,
Helas ! que votre aspcdt mc frappe & m'attendrit ! ;
Fred eric ^ pan. ^
Pourquoi nc pas avoir evite sa presence ?
Mon trouble a cbaquc instant pcut trahir mon silence.
T RA G t D I E. 155
Adelaide.
Un bonbcur apparent cause un nouvel efiroi ,
Seigneur, a qui subitles cruautes du Roi.
A la clartc du jour il veut bien que je vive.
Avec quelque douceur il parle a sa Captive.
Ce changcment qui rient en suspens mes esprits ,
De ma soumission devoir etre le prixj
Vous I'etes-vous promise? Auriez-vous laisse croirc
Que je songe a trahir &" Gustave & ma gloire \
% Frederic.
Non, Madame. Vous-meme a vez- vous un moment
Accuse mon amour d'un tel egarement?
Non: sincere &: soumis j'ai sur votre Constance,
Ainsi que mes discours regie mon esperance.
Frederic qui vous aime, &" que vous avez craint,
N'aspirc qu'^a I'exili &: ne veut qu'etre plaint.
Adelaide. £>•%&?. \1
litre plaint! Ah, Seigneur! Ledestinquim'outrage
Ne permet qu'a moi seule un si triste langage.
Vous aimez , dites-vous j voila tous vos malheurs.
Mais n'est-ce que I'amour qui fait couler mes pleurs?
Frederic.
Madame , Ton ressent , quand I'amour est extreme,
Avec ses proprcs jnaux , ceux de I'objetqu'on aime ;
Souffrant done a la fois , ma peine & vos ennuis ,
Nul ici n'est a plauidre autant que je le suis. -
I iv
13^ GUS TA FE'TTAS A,
Adelaide.
Vous avez , je le sais , partage mes alarmes.
La prison d'ou je sors vous a coute des larmes ;
Et votre appui sans doute en eclaircit I'horreur.
J'ai pii craindre un moment qu'a mon Perseciiteur,
De la meme pitie I'adresse temeraire
Ne m'eutpeinteincertainc&rprcte a lui complaire.
Grace au Ciel , elle a su plus noblement agir,
Et je puis en gouter les efFets sans rougir.
Soyez sur a jamais dc ma reconnoissance.
Que le don de mon coeur n'est-il en ma puissance !
Mais vous savez, Seigneur, si j'en puis disposer.
Ce n'est plus un tribut qu on me doive imposer.
Lassez-vous d un recit qui tou jours vous afflige,
Et que de moi pourtant sans cesse Ton cxige.
Je dois etre a Gustave : il en a pour garant ,
La volonte d un Perc, &: d'un Pcre expirant.
^a mie J me dit-il, comptons sur sa vaillances
II sera mon vengeur j soye:^ sa recompense.
Cetordre , mes sermens, mon amour, sa valeur,
Voila, ses droits : j'en compte encore un : son mallieur.
La fuitc ou le condamne un pouvoir tyrannique j
Exil ou mon image est sa ressource unique !
Cela seul en mon coeur a droit de le graver:
Et le votre est trop grand pour ne pas m'approuver.
Si la Fortune aussi pour nous moins inhumaine.
Si la Vidoire un jour en ces lieux le ramene,
De ce Heros instruit de vos bontcs pour moi ,
L'estime & I'amitie paieront ce que je doi.
T KA G t D I E, I 3f
J'esperc tout encor. Seigneur, puisqu*il respire :
Et c'est vous tous les jours qui mc le daignez dirc»
II m'aime : il saura vaincre ; il brisera mes fcrs.
Les Tyrans sont-ils seuls a Tabri des revers \
\.^^ notres finiront.
Frederick part,
Malheureuse Princessc !
Adelaide.
Vous vous troublez ! Quelle est la douleur qui vous prcssc?
Frederic.
Vous connoissez le Roi , Madame \ $c vous savez...«
Adelaide.
Je sais que Ic Barbare ose tout. Achevez. '■
Frederic.
'.oUiti^KVf:^ lioNOR. .
Va-t-il sur nous fondre un nouvel oragc?
^j,Q Frederic.
Leonor , sout^ez aujourd'hui son courage.
Adieu. , , . ^
{II sort.) ' '^ " '
L E O N O R /<r suivant,
Qu'annonce enfin ce douloureux transport ?
Adelaide.
Ah ! mon coeur a fremi , Seigneur ! Gustavccstmortl
ijg GUSTAFE'JTASA:,
S C E N E V I.
ADELAIDE, LfeONOR, j
A D E L A Y D E.
jt%L Ce comble de maiix vous m'aviez rcscrvee,
Madame , & par vos soins je m'y vois arrivec I
Non, ce coeur dcchire ne vouspardonnc pas I
Pourqnoi , mille fois prete a mourir dans vos bras ,
Le jour ou dans les fcrs par vous je fus suivic ,
Pourquoi m'avoir rendue aux horreurs de la vie ?
Mes yeux, mes tristes yeux qu a regret je r'ouvris,t
N'auroicnt pas maintenant a pleurer votre Fils. -^l
L E O N O R.
Montrons , montrons , Madame , uneame plus virile :
Est-ce a vous a pleurer quand sa Mere Qst tranquille ?
A D E L A i D E.
Calme denature qui ne sert en ce jour
Qu'a prouver que le sang est moins fort qneramour.
L E o N o R.
II prouve qu'a mon age un pcu d*expcrience
Condamnc cntre ennemis I'exccs de confiancc.
Un Fils m'est aussi cher que vous Test un Amant ;
Et je ne voudrois pas lui survivre un moment.
Mais n est-cc pas, Madame, ctre aussi trop credule >
T R J G ^ n I E. 159
De nous tromper ici , se fait-on un scrupulc ? :.
On vcut vous dcgager de vos premiers sermens, "^
Adelaide.
Ab ! Ic Prince eut toiijours de nobles scntimcns !
Frederic est sincere.
L E o N o R.
."L'otsi c.i Q^^j . nf^aij^ Madame, il aime/
Cbristiei-ne cf'ailleurs peutrabiiser lui-meme:
Celui-ci , sur un bruit qui flatte sa fureur ,
Tout le premier peut-etre est aussi dans I'erreur.
Se plaisant an recit d'evenemens semblables ,
Lc Pcuplea,de tout temps, donnecours a des fables.
Guitave ( sans chercher d'exemples au-dehors )
Sur cemauvaisgarant, mecompte au rang des morts.
Dans lc sanglant desastrc ou je perdis son Pere ,
L'opinion publique enveloppant saMcre,
Sans doute quand le bruit en parvint jusqu'a lui ,
Je lui coutai les pleurs qu'il vous coute aujourd'hui.
Comme moi , sous un nom qui le fait meconnoltre ,
Peut-etre il vit ? que dis je ? II triomphe peut-etre I
Pour un heureux augure acceptons mon espoir.
C'est un coeur maternel qui tarde a s'emouvoir.
Enfin , Madame , enfin si le vouloir celeste ,
Par un songe aux Mortels souvent se maniteste ,
Le bras, le bras vengeur est levc sur ces lieux.
Deux fois le Ciel, deux fois cette nuit a mes ycux,
Ce Ciel au chatiment trop lent a se rcsoudre ,
A prcsente Gustave ayant en main la foudrc.
*4o^ GUSTJ VE-ITASA^
De la pourpre royale il etoit revetii : ^
Tandis que , sous ses pieds , Christierne abattn ,^
Cachant dans la poussierc un front sans diademe ,
Restoit dans cet opprobre, en horreur aux siens memc.
Est-ce nous annoncer moh fils prive du jour?
Adelaide.
Eh biendonc ! de Sophie attendons le retour.
Sophie , a sqs parens , pour un moment renduc y ^3
Saura d'eux la nouvelle , &: qui l*a repandue.
Vous aurez, jusques-la , suspendu mes tourmens.
Puisse Teflxit repondre a vos pressentimens I ^^
Fin du premier Jcie,
:1
,*-- - 1 —
T RA G i D I £.
141
A C T E 11.
SCfiNE PREMIER E,
C A S I M I R.
JhiEROS de la patrie , ombre auguste &: plaintiyc.
Prince , a qui les destins veulent que je survive j
Si je Icur obeis , si ma douleur se tait ,
C'est dans I'espoir vengeur dont mon coeur se rcpaiC
Ici bientot , ici , ton bourreau mercenaire
Doit venir , de ton sang , demander le salaire ;
Ce fer le lii» reserve ; il mourra! fut-ce aux ycux
Du cruel abreuve dun sang si precieux ,
Lui-mcme eut satisfait le premier a tes manes.
Mais le juge des Rois , le ciel, aux mains profanes,
Dans leur sang, quel qull soit, defend de se trcmpcr^
Et le tonnerre seul a droit de Ics frapper,
Soufiredonc
;nr.
C<3i^
SCENE II.
FREDERIC, CASIMIR.
C A S I M I R.
i\.H ! Seigneur! ou courez-vous? D'ou naissciit
Les transports &: le trouble oii tout vos sens paroissent ?
Fuycz-vous un sejour ou I'avcugle fureur..^
Frederic.
Ah! je me fuis moi-meme , & je me fais horrcur !
Casimir , e'en est fait ! j'ai part au parricide.
J'ai , du sort de Gustave , instruit AdcIa'ide^ ''
Je n'ai pu surmontcr la pitic qu'inspircHt .
Une esperance vaine ou son coeur s'cgaroit.
Mes pleurs I'ont detrompeei &: j'en porte la peinc#
Son malheur, conrre moi, va redoubler sa haine.
Annoncer ce malheur, I'avoir moi-meme ose ,
C'est m etre mis au rang de ceux qui Tont cause.
Ma douleur , a ses ycux , peut-ellc ctre sincere ?
Ellc craint mon amour •, elle croit que j'espere ;
Qu'un triomphe secret renferme dans mon sein ,
Les laches sentimens d'un rival inhumain j
Je ne la blame pas : d'ennemis entouree ,
Sur quelle foi veut-on qu'elle soit rassuree ?
11 nest , pour elle ici , qu'injure ou faux respedt j
Ricn qui ne lui doive ctre odicux ou suspcd.
TRAGEDIE. 145
Jc nc m*en prends qu'aux soins dii tyran qui Taccablc.
Plusilveut mon bonheur,plusil me rend coupablc.
A sa honte , a la mienne , il veut etre obei j
Et s'il mc servoit moiiis, je serois moins hai.
C A s I M I R.
Courez done Tarrachcr d'aupres de la Princesse ,
Que sans doute,pour vous, en ce moment ilpresse.
Frederic.
Eh! c'est la le sujct de mon emportement I
Je courois la rejoindre a son appartement ,
Epancher a ses pieds & mon coeur &■ mcs larmcs,
Jurer de ne jamais attenter a ses charmes ,
Et la-dessus du moins la laisser sans effroi.
Christierne venoit de s'y rendre avant moi-,
Et quand je veux I'y suivre, on m'cn defend I'entree,
De douleur , de depit, je me sens Tame outree !
C'est trop mettre a Tcpreuve un Prince au dcsespoir.
Qui , hors de I'equite, meconnoit tout pouvoir :
Qui pent briser un joug qu'il s'imposa lui-meme.
Je ne reponds de rien , blessc dans ce que j'aime.
Tant de mechancetes , d'injustices , de sang,
Ne rappellent que trop Frederic a son rang.
C A s I M I R,
Remontcz-y , Seigneur. Abattcz qui vous brave.
Attaquez-le en un temps , ou Ic sang de Gustavc ,
Ou le sang indigne de tant d'autres proscrits ,
Aux lieuxd'ou part lafoudrc, a fiit monter ses cris.
Vos amies, dans Ic cours d'une si juste guerre ,
Auront Tappui du del , & les voeux de la terre.
Que dis-je J Le Tyran n est-il pas depose ?
Le peuple &: le Senat, pour vous, ont tout osc.
La clameur vous couronne ; & la flotte informec,
Deja , du meme zele , est sans doute animee.
jfeclatez: la vidoire est sure, & n'est pas loin.
Mais n'en attendez plus Casimir pour temoin.
Je le fus trop long-temps des maux de ma patric.
Je vais de Christierne affronter la furie.
Meure le scelcrat dont le bras I'a servi 1
Et que le jour , apres , s'il veut , me soit ravi \
Trop content, si jc suis la derniere vidime
D'un pouvoir si funeste & si peu legitime !
Frederic.
Adieu , le meurtrier s'avance vers ces lieux ;
Et j'evite un aspect qui me blesse les yeux.
SCENE III.
GUSTAVE, CASIMIR.
Casimir a pan ^ voyant Gustave qui detourne la
vue a sa rencontre j & semble vouloir I'eviter,
Uevrois-ie , d'un defi , favoriser le traitrc?
( Uauty & dram l*e'pee )
Monstre souille du sang de monaugustc Maitrc,
ivite ,
T RA C i D t E. 145
Evitc , si tu peux , le peril que tu cours !
Je nc t'imite point , lache 1 defends tes jours !
GUSTAVEjc decouvrant & allant alii^ - u
Arrete. Ouvre les ycux, Casimir: envisage ' ' '
L'ennemi qui t'aborde , &: que ton zele outrage.
Cetaccueil, pour Gustave, est un accueil bien doux.
C A S t M 1 R se jetant k ses pieds» ^
Que vois-je ? Quel prodige ! Ah ! Seigneur, est-cc vous ?
Vous , de qui la Suede a pleure la disgrace 1
Gustave.
Parlons bas. Leve-toi , Casimir , & m'embrasse.
Je saurai dignement recompenser ta foi. '. ' '^
Casimir. '
Moi-meme , dans vos bras , a peine je ni'en croi.p
Ma surprise est egale a ma frayeur extreme.
Vous , vivant 1 voits , ici ! vous , dans le palais m^mc
D'un barbare qui va partout ,. I'or a la main,o uT
Mendier contre vous le fer d'un assassin!
.: 'd r.>02;»iji3li-; G U S T A V E» ..q^q
Je connois Christierne , &: sais ou jc m'cxposc :
Sois tranquille. J'espere encor plus que je n'osp. :
Envain la.barbarie habite ce sejour ,
Cher ami , si , pour moi , j'y rctrouve Tamour.
Plus avant que jamais, rentre en ma confidence.
Mais se peut-on parler ici sans imprudence ?
Tome IL K
t4(J GVSTAFE- ITj^SJj
C A S I M I R.
Cet endroit du palais est Ic plus assure.
De tous ses courtisans, Christierne cntoure
Ne revient pas sitot d'avec Adelaide.
G U S -T A V E.
Avantr tout autre sornVtassure tin feu timidc
Qui , d? dix ans d'absence , a lieu d'etre alarmc.
Le iidele Gustave est-il encore aime ?
Casimir.
Osc-t-il soupconner la foi de la Princesse ?
Gustave.
Sur le bruit de ma niort , libre de sa promesse , ■
N'eut-elle pas laisse disposer de sa main ?
Ca si MIR.
Tel qui s'en flatte ici ^^'cn flatte bien en vain.
itt6:ii-^hr r:^ ^ S T A V E. :
Tu crois quesa Constance eut honore ma cendre?
Casimir.
Dans la tombc, avdc tous, elle est prete a descendrc.
G ¥ ST A V Ei'vr; ) ^
Jc nc connois done plus ni crainte , m danger , '
Ami i Stockolm est libre , &: je vais vous venger.'
Casimir.
Et quelle trame heureusc a done ete tissue ?
J'ignore Tentreprise , au moment de Tissue t
t k A G i D t E. 147
Ibt Vos secrets , Seigneur , ) etois moi scul exclus ,
Ex. de votre amitie , vous ne m'honoriez plus ?
G U S T A V E.
En entrant ( tu Tas vu ) sur un bruit qui t'offense ,
J'evitois , je I'avoue, & craignois ta presence.
Christierne, dit-on , est devenu ton Roi ,
I'appellc a ses conseils , & ne s'ouvre qu*a toi.
C A s i M I R.
A tous beaux sentimens une ancie inaccessible ,
" D'aucune con fiance est-elle susceptible ?
Non, Seigneur, nonj le traitre,au crime abandoiine,
Se croit, de s^s pareils , toujours environne;
Et s'il me distingua , ce ne fut qu'un caprice
Qui fut une faveur pour moi, moins qu'un supplied*
J'en soutenois I'afiront : mais le motif est beau.
Vos amis , sans cela , seroient tous au tombeau.
Je flattois sans rougir , une injuste puissance
Qui souvent , a ma voix , epargna I'innocencc ;
Et vous devez , Seigneur, a ce zele , a ma foi ,
Ceux que vous avez cru plus fideles que moi.
G u s T A V E.
Pardonnci & desormais , n'ayons Tame occupce^
Que du plaisir de voir route erreur dissipee.
Je te rctrouve stable & ferme en ton devoir ;
Tu me revois vivant , & plein d'un bel espoir.
Dans le piege mortel , je tiens enfin ma proie.
Concois-tu , Casimir, mon audacc & ma joie ?
Ki;
148 GUS TAFE-JTAS Ay
Pour re les peindre , songe aiix horreurs dii passe ,
A tant d'exces commis , a tant de sang verse i
Rappelons nous id ma premiere inforcune ;
Image a des vengeurs pins douce qu'importunc I
A la Cour da tyran , Gustave Ambassadeur , ^
Et d'un sang dont I'on dut rcverer la splendeur ,
jfeprouve dQS cachots la rigueur & Tinjurc.
Je languis dans les fers -, tandis que le parjure
En vient charger ici des peuples eperdus
Qu'il craignoit que mon bras n'eiit trop bien defendus.
fechappe, mais trop tard , & fuyant nos frontieres ,
Depuis cinq ans en proie aux armes etrangeres , ,
Je passai sous un ciel encor plus ennemi ,
Ou le soleil n ecliaufFe & ne luit qu'a demi ,
Tombeau de la nature , effroyables rivages "
Que Tours dispute encore a des hommcs sauvages ,
Asyle inhabitable , & tcl qu'en ces deserts ,
Tout autre fugitif eiit regrcte scs fers.
Sans amis , sans patrie , ignore sur la terrc ,
C'est-la , durant trois ans , que je fuis &;que j'errc ;
Qu'impuissant ennemi , qu'amant infortune ,
Je maudis mille fois le jour ou je suis ne.
Une misere enfin si profonde & si rare
Trouva quelque pitie dans ce climat barbare. \
Des cavernes du nord , du fonds de sqs frimats , )
Je sus faire sortir des hommes, des soldats ,
Et meme des amis genereux & fideles
A ne le pas ceder aux ames les plus belles.
SuiVi d'cux , je rcvicns j & les apres hivers
T KA G E D I E. 14^
Nous font d'un pied Icger , franchir de vastes mers.
A peine ai-je aborde cette triste contree ,
Et , de quelques siicces , signale mon entree ,
Que Tcspoir , a ce bruit, renaissant dans les coeurs ,
Range nos vieux guerriers sous mes drapeaux vengeurs.
C'est alors , que pour vaincre, il fallutdisparoitre \
Et qu'un prix public ( dignes armes d'un traitre )
Abandonnant ma vie aux plus indignes mains , .
Environna mon camp , le remplit d'assassins.
Je depouille d'un chef I'apparence nuisible:
Travesti , mais des miens partout I'ame invisible ,
Je marche a la faveur de ce deguisement ;
Et Gustave a couvert , triomphe impunement.
Dans Stockolm , a I'abri de I'heureux stratageme,
Je viens seul me servir d'emissaire a moi-meme.
La, je vois mon devoir ccrit de tout cote. .
D'un temple , d'un palais le marbre ensanglante ,
Une veuve , une fille , une mere plaintive ,
Tout m'cmeut; tout retrace a mon ame attentive,
L'instant ou , de leur fils reclamant le secours ,
Perirent sous le fer les auteurs de mes jours.
Et juge de ma tendre & vive impatience y
Quandjlecceur embrase d'amour & de vengeance,
Je lance mes regards vers Thorrible prison ,
Ou vous kissez gemir Ic beau sang de Stcnon.
J'assemble mes amis ; mon aspcd les anime j
J'ai peine a reprimer une ardeur magnanime >
lis doivent , cette nuit , attaquer le palais •,
Tandis qu'^ fondre ici dcs bataillons tout prets ,
Kiij
,5* GUSTJFE'JTJSJj
Du creux de nos rochers , sortant sous ma conduitc,
Ameneront I'alarme & le meurtre a ma suite.
Du carnage, mon nom sera I'afFreux signal.
Mais je veux m'assurer , avant Tinstant fatal ,
D'un saUit dont le soin m'agiteroit sans cesse j
Je veux , de ce palais enlever ma Princesse.
Dansce dessein ( qu'envaintu n'approuverois pas }
Aprcs avoir seme le bruit de mon trepas ,
J ose me presenter au tyran que je brave ,
A titre de vainqueur du malbeureux Gustave.
J'hesitois, je I'avoue , a m'y determiner j
L'ombre de I'imposture a de quoi m'^tonncr ;
Mais songeons qu'i] y va dcs jours d' Adelaide :
£t croyons tout permis , pour punir un perfide.
C A s I M I R.
Et nc craigncz-vous pas , Seigneur , en vous montrant,
Du tyran soupconneux le regard penetrant ?
Gustave.
Non. Lorsque le barbare usa de violence ,
Son ordre m'epargna I'horreur de sa presence;
Et rendu par le temps meconnoissable aux miens,
Je puis me presenter sans risque aux yeux des siens.
Miiis quand , pour m'introduire auprcs dela Princesse ,
II ne me faut pas moins de courage & d'adrcsse ;
Que pcrsonne ( du moins tel est le bruit public }
Ne la voit , ne lui parle , cxcepte Frederic •, ^
Ami , j'y rcfiechis. Dis moi. Comment t'en croirc ?
Sur quoi lassurcs-ui fiddle a ma hiemoire ?
T RA G E D I E. 151
C A S I M I R.
Sur cc que Frederic lui-meme a laisse voir j
Sur sa pitie pour elle , & sur son descspoir.
N'encherchezpas, Seigneur, de prcuve plus solidej
Son desespoir nous peint celui d' Adelaide.
Quoiqu'amant maltraite , son coeur compatissant
N'a de maux &: d'ennuis que ceux qu'ellc rcsscnt.
Et nc m'allcguez pas que peut-etre il m abuse.
11 s'emporte, il menace, il vous plaint , il s'accuscj
Du tyran qui le sert, il deteste Tappui ;
^Qs pretentions meme ont cesse d'aujourd'hui.
D'aujourd'hui , commeun crime, il regardesaflammc.
G u s T A V E.
■iir -fir
Voila, poiirun rival , bien dc la grandeur d'amel
C A S I M I R. . ^
Et c'est ce que je vois de plus flatteur pour vous.
Plus Je rival est grand , plus le triopop^ ^%^9S^t
■ ^f' ''-^^'^'^ G U S T A V Ei ;.!^.:T3vrjOfrr r.U
J'aimerois mieux une ame &: moins noble^ mbih$ tcndre.
Moins Frederic pretend , plus il a du pretencjr^.
Que n'cut pu sa vertu sur un coeur vertueuk? "*'
Je serois bien injuste & bien presomptueux ,
Si le ciel aujourd'hui vouloit que je perisse ,
D'exiger ou d'attendrc un si grand sacrifice.
La mort rompt tons lesnoeuds qui peuvent nous lier.
On I'estime; on I'eut plaint: il m'eut fait oublier.
Dej a peut-etre Maismesyeuxvont m'en instruire*
Kiv
ijA GUSTAFE-WASA^
Un plus long entretien , ami, nouspourroit nuira
Sors; jc cours te rcjoindre au sortir.de cqs lieux,
Apprendre a nos amis a te connoitre mieux ,
Te rcdonner entre eiix le rang que tu m^rites ,
Concerter not re marche , en mesurer les suites ,
Et t'indiquer , en cas de revers imprevus ,
Les moyens d'y pourvoir, &: de n'en craindre plus.
.■Zi^TJfJJfilij^i^; .
S C £ N E IV.
GUSTAV E,
Les yeu!i?: vont lire au fond ducocur d' Adelaide!
Jc tremble ! Voila done ce Gustave intrepide
^Qui vient changer la face & les destins du Nord ?
Ce guerrier redoutc qui , meprisant la mort ,
Jusques dans son palais vient braver Christierne ?
XJn mouvement jaloux Tabat & le consterne !
,^ De quoi jaloux encor ? J'en rougis: mais, helas !
Tendre& toujours absent, quels soupcons n'a-t-on pas?
Quclqu'unparoit.Gardons qucce trouble n'eclate!
9^^
T RA G i D I E. 151
Wmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmtmmmmmmmmmmmm
S C £ N E V,
GRISTIERNE, GUSTAVE, RODOLPHE
Christierne.
>^5uELairtranquille& fier ! je voisce qui la flattc ;
Elle croit qu on la trompe , & loin de renoncer..».
Est-ce la le soldat qu'on vient de m'annoncer j
Cclui qui de Gustave apporte ici la tote J
G u S T A V E.
Oui Seigneur. Triomphez ; & que le del apprkc
A tous vos ennemis un semblable destin !
Christierne.
Pourquoi se presenter sans ce gage a la main J
Gustave.
Je ne paroitrois pas avec tant d'assurancc ,
Si ce gage fatal n etoit en ma puissance.
C'est un spedacle afireux dont vous pouvez jouir :
Etc'est a vous. Seigneur, a vous faire obeir.
Christierne,
Ton nom ?
. ' : ' G u s T A V e. l:*
En avoir un que tout le monde ignore ,
C'est, selonmoi, Seigneur, n'en point avoir encore;
I J 4 G US TA VE - VTA SA;
Mais je me sens une amc au-dessus du commun i
Qui bicntot m'cn promet & saura m'en faire un.
Christierne.
Tous les deguisemens dc ce chef temerairc,
A tes ycux vigilans , n ont done pu le soustraire I
G U S T A V E.
Quelque forme qu'il prit. Seigneur , pour echaper,
Jc le connoissois trop, pour m'y laisscr tromper.
Christierne.
Ou I'as-m rencoQtre ? Dans quelle circonstance ,.
Le ciel a-t-il livre le traitre a ma vengeance ?
G u s T A V E.
Quand vous aviez , pour vous, tout a craindrc de lui*
Christierne*
En quels lieux ? Dans quel temps?
G u s T A V E.
AStokolm. Aujourd'huL
Christierne.
Sous nos ycux I
G u s t A V e.
Ici meme ; & dans Tinstant peut-etre ,
Qu'au peril de vos jours , il alloit rcparoitre.
Christierne.
Tu m'etonnes. Poursuis. Comment triomphes-tu >
L'as-tu pris sans defense? Ou I'as-tu combattu? >
T RA G E D I E. 155
G U S T A V E.
jc n'ai point a rongir d'lin honteux avantage.
Vous pourrez dans la suite eprouver mon courage;
Et vous verrez alors , quand jc cueille un laurier ,
Que je le sais cueillir en genereux guerrier.
Christierne.
{a Rodolphe. ) ( a Gustavc )
J'aime sa noble audace. Indiquc ton salaire.
^\ j ai promis trop peu , dis ce qui pent te plairc.
G u s T A V E.
Mon bras , dans ce motif ne s'etoit point armc.
Un interet si bas I'auroit mal anime.
J'eus pour objet unique, en exposant ma vie,
La gloire de servir mon maitre &" ma patrie :
Et puisque Thonneur seul excita ma valeur ;
Vcuillez , pour tout salaire , acquitter cethonncur.
Christierne.
Tu n'auras pas congu d'esperance frivolc.
Prononce. Que veux-tu ?
G U S T A V E.
Degager ma parole.
, • J J --.'"Q H R I S,T I E.R N E.
Explique-toi, :7hii: a'rnmro imda u
i:.nu3.-.iG u STAVE tirant un billet.
Gustave, aux portes de lamort,
A trace cet ecrit par un dernier efibrt 5"
15^ GU'STAFE-WASA,
Et j'ai era lui pouvoir hasarder la promessc
Dc le rendre aujourd'hui moi-memea laPrincessc.
Ch?.istiern e.
Voyons cc qu'il contient ; tu seras satisfait, I
Jc connois sa main j donne. Oui, c'est clle en efict.
(Illk.)
Adieu J Princesse infortunee.
La vicloire nest pas du plus juste parti.
Je vous servoisjje meurs j telle est ma destinec :
Etmon astre cruel ne s'est point dementi, '-
D'une felicite vainement attendue ^
Si vous m'aime\ encore , ouhlie:^ les douceurs.
Votre repos m'occupe au moment ouje meurs ^
Regne:^;je vous remets lafoi qui m etoit due y
Laisse:^-en desormais disposer les P^ainqueurs.
( a Gustavc lui rendant le billet. )
Sors. Avant que le jour de ces lieux disparois&c , .
Rodolphe te fera parler a la Princesse.
G u s T A V E.
11 mc restc une grace a demander.
.^_y.^J,.U.
Christierne*
,'^" ' ^' Et quoi?
Gu S'T AVE.
Que, par nnenagement & pour elle & pour moi ,
On ne m'annonce point comme auteur de sa pertcj
Mais comme un fimple ami dont la main s'est offertc.
Christierne.
Jc t'enteads : c'cut etc le premier de mes foins.
TKAGEDIE, 157
■^■H^IHBBIHBIHHBBBBHHHHBHHHi
S C £ N E V L
CHRISTIERNE, RODOLPHE.
Christierne.
Eh bien j lui Faudra-t-il encor d'autres temoins \
Elle en croira Guftave : elle verra sa lertre j
Et ion dernier avis peut enfin la foumettre.
Mais que son coeur se rende ou non j j'aurai sa main.
RODOLPHE.
Sans doute , un pen de temps.....
"' GhR IS TIERNE. '^'i^i'-
Non , Rodolphe ; demain.
C'est toutle temps que peut souffrir la violence
D*un amour qu'ont lasse la gene & le filence.
Soumise ou non , demain , elle m'a pour epoux.
Rodolphe.
Sans yous embarrasser des fureurs d'un jaloux , ,-f
D'un rival qu'appuiront des sujecs infideles ?
Christierne.
Vains discours ! je ne crains oi lui , ni les rebelles.
Frederic y renonce j osanr le declarer ,
Lui-meme, il s'est prive du droit d'en murmurcr.
Et quant a mes sujets, tout le mal ne proccde
Que du feu de la guerre allumee en Suede.
Ici , par mon hymen , quand j'aurai tout calitie , ,-
La bientot , par la peur , tout sera desarmc.
Je te dispense cnfin de ces marques de zelc.
J'adore Adelaide , & je ne vois plus quelle.
Toi-meme qui I'as vue , a d'amoureux transports
Peux-tu , sans injustice , opposer tes efforts ?
Quel est done mon pouvoir ? Maitre de tant de chatmes ,
S'agira-t-il toujours de contrainte , d'alarmes ,
D'obstacles , de delais , de mesure a garder ?
II s'agit de mourir , ou de la posseder.
11 n'est point de perils que I'amour ne dedaigne. '
Differer est Ic seul aujourd'hui que je craigne*
II me reste un rival qui s'est fait estimer j
Si je perds un instant , il pent se faire aimer.
RopoLPHE.
Reposez-vous, Seigneur, sur ceux qui vous secondenta
Ellele verra peu : mes soins vous en repondent.
Je veillerai sur cux. Vous^ si vous m'en croyez , .
Ne precipitez rien -, daignez plaire : essayez
D'ecarter ce qui peut occuper sa pensce.
De quoi n'est pas capable une amante insensee ?
Voulcz-vous . . .1^2^ ' <^> .^^-'"P i^'Vi'J ^" U
Christierne.
.i^wiorjjQyi , Rodolphc, oui ; telle est mon ardeuri
Dut-elle , entre mes bras , signaler sa furcur ,
Fut-ce, a la perfidie, allier la tendresse ,
Et placer dans mon lit la haine vengcressc.*...^
Mais de quoi s'alarmer au seti de la vertu }
T RA C £ D t E. tjp
J*aurai sa foi j je I'aime , & je regne. Crois-tu
Que , du lien forme , la saintete soit vaine >
Les Autels sont alors les bornes dc la haine.
Les noms de Roi , d epoux, ne desarment-ils pas i
L'hymen a des devoirs j le trone a des appas :
L'lm ou I'autre peut-etre adoucira son ame.
Tantot , tu permettois plus d'espoir a ma flammc*
D'un amant couronne , tu relevois les droits j
Et I'amour , a t'entendre , obeissoit aux Rois.
RODOLPHE.
Aussi je ne crois pas la Princesse inflexible.
Quclque soin , quelque egard peut la rendre sensible*
Si meme a Frederic ellc resiste encor ,
Ne I'en accusez point.
t
/f. n^.f/! C H R I S T I E R N E.
Et qui done ?
■ '"; ' R O D O L P H E.
. .M^hno-^d.. Leonof.
Cette temme , Seigtieur , vous est-ellc connue J
Christierne.
C'est , s'il m'en souvient bien , la suivante eperduC,
Qui , le jour qu en ces licux je portois le trcpas ,
Soutenoit la Princesse expirante en ses bras.
R o D o L P H E.
Cest votre veritable & mortelle ennemie.
Seigneur, Adelaide est , par elle , ajBFermie
i<?o GUSTArE-WASA,
Dans le ressentiment qu'elle fait eclater.
J'ai surpris des discours a n'en pouvoir doutcr..
Je dis plus ; je la crois route autre qu'on ne pense*
Ce qu'elle est , se demcle a travers I'apparence -,
Et tout son air denonce , a lorgueil qu'on y lit,
Quelqu un bien au-dessus du rang qui Tavilit.
Ep tout ceci , daignez souffrir que je vous guided
Separons Leonor d avec Adelaide.
Christierne.
Ayant a la flechir , ce sera I'irritcr.
N'importe : ton avis n'est pas a rejeter.
VsQ , en homme eclaire , de ton zele ordinaire.
Obser\'c-les de pres : & , s'il est necessaire ,
Pour peu que tes soupcons penetrent plus avant , V
Tu peux les separer. Vas •, mais auparavant ,
A quelque grand peril qu'un prompt hymen expose.
Vole au temple ! Que tout, pour demain s'y dispose.
Prcviens-en de ma part la Fille de Stenon.
Ds Tepoux seulement laisse ignorer le nom ;
C'est au pied de TAutcl ou je dois la conduire ,
Qu en Monarque absolu , je pretends Ten instruirc.
RODOLPHE.
Vous pouvez tout , Seigneur. Si pourtlnt . .^i. ;' ^7
C HR I S T I E R N E;,| ;,., ,.,? .
Plusd'avis,
Ni de rctardemcns. Je le veux. Obeis.
Finjlu fc^gni Acie.
A C T E III.
S»^
SCENE PREMIERE.
ADELAIDE, SOPHIE.
Adelaide.
JCtH bien ! chere Sophie , apres tantde misere,
Libre enfin tu t es vue entre les bras d\m Pere ?
Je partage avec toi.... Mais je vois, a tes pleurs
Que tu viens d eprouver le plus grand desmalheurs.
Sophie*
Que la prison n a-t-clle ete ma sepulture !
J'eusse ignore des maux dont ff emit la nature.
Adelaide.
Aihsi , dans notre sang , Tennemi s*cst baigiie ?
Et le fer destrudeur n aura rien epargne i
Sophie.
II a laisse partout le deuil & le ravage.
Nous ne nous en faisions qu'une imparfaiie image.
Cette ville n'est plus qu'un debris effrayant ,
Ou Toeil epouvante la cherche , en la voyant.
Stockolm a disparu j sa splendeur est eteinte ;
Tome J I. L
1^1 GUSTAFE-VTASAy
Un desert est reste. Vaste &r lugubre enceinte ,
Ou tout ce que la guerre epargna de Heros ,
A peri des long-temps par la main des bourreaux.
Mon perefutdunombre,&: je viens de Tapprendrcj
Mais en vain je demande ou repose sa cendre j
Et c'est m'apprendre assez que de son triste sort ,
L'horreur s'est etendue au-dela de sa mort.
Adelaide.
Ton pere fut fidele &: cher a sa patrie ;
Pour oublier sa mort , souviens-toi de sa vie ;
Et te sers des conseils dont tu savois si bien
Combattre ma douleur, quand je pleurois le mien.
Helas ! quels sont tes maux pres de ceux que j'endureJ
Vois gemir a la fois I'amour & la nature....
Car enfin , sois sincere , en crois-tu Leonor ?
Qu'cn pense-tu? Sonfils respire-t-il encor?
Sophie.
Non, Madame j sa mort n'est que trop averee;
Adelaide.
Cruellei Eh, quel temoin t'en a done assuree?
Sophie.
Le Meurtrier poursuit son salaire a la Cour.
Adelaide.
Le mcme coup , deux fois , m'assassine en un jour !
Sophie.
Ce qui doit rendre encor nos regrets plus sensibles,
C'est I'espoirdont flattoient sq^ amies invincibles.
TRAGiDIE. i<?3
Le ciel , depuis six mois , favorisoit ses coups.
De triomphe en triomphe il s'avancoit vers nous.
Nos malheurs rattcndoient au bout de la carriere :
Cest-la qu'il est frappe d une main meurtriere ;
Et qu'a ce defenseur long- temps vidorieu:^.
On arrache la palme & la vie , a nos yeux.
Sa deplorable mere est enfin convaincue ;
Et du coup trop certain sa grande ame abattuc...
Adelaide.
Nous nous importunons dans notre accablement.
J'ai besoin , comme toi , d'etre seule un moment.
S C £ N E IL ^
ADELAIDE.
JCtT ma douleur profonde , a ce recit funcste , T
De mes jours malheureux n a pas tranche le rests I
Ainsi done la vertu cede au crime impuni !
Toute erreur est cessee \ Sc tout espoir , fini !
Ai-je bientot du ciel epuise la colere I
O mort ! 6 seul asyle ! ... ^
Li;
,tf4 GUSTArE-JTASJ^
»— — — ^"— '^^■™^'^'~*™™'^~^~~" ' ^
S C £ N E 1 1 1.
ADELAIDE, LfcONOR.
L E O N O R.
AHmafiUe!
Adelaide.
Ah ma mere !
L E o N o R.
Moi sans fils , comme vous maintenant sans epoux,
Notre unique ressource est a des noms si doux.
Adelaide.
De notre liberte voila done les premices ?
L E o N o R.
Et I'equite des cieux que j'ai crus plus propices I
Adelaide
Pressentimens trompeurs I
L i O N O R.
Tous nos voeux sont trahis.
Adelaide.
O mon dernier espoir 1 6 Gustave I
^ T RA G t D I E, kJj
L i O N O R.
O mon fils \
Adelaide.
Heureuses, qu'en ce jour d*amertnme & d'alarmes,
II nous soit libre encor de confondre nos larmesl
L i O N O R.
Qu'il vive en votre coeur ! ne Toubliez jamais I
Je vivrai du plaisir d'adoucir vos regrets.
Adelaide.
S'il vivra dans mon coeur! oubliez- vous, vous memc,
Combien , depuis quel temps , a quel titre, je I'aime I
Oubliez-vous , Madame , en ce triste moment ,
Que je le pleure a titre &: d'epoux & d'amant >
L'un a I'autre promis presque des ma naissance ,
Le desir de lui plaire occupa mon enfance :
Et quand ce Prince aimable abandonna ces lieux ^
Un souvenir si cher attendrit nos adieux.
Bien que mon second lustre alors finit a peine,
t'cloignemcnt n'a fait que resserrer ma chaine.
Ma flamme , en attendant des noeuds plus solennels,
Croissoit de jour en jour sous vos yeux maternels.
A ma vive amitie, je mesurois la sienne.
Mon pere fut le sien , sa mere ctant la mienne.
Vous cultiviez en moi des sentimens si doux.
llsfaifoient notrejoie.Ah, Madame! est-ceavous,
Quand la mort nousl'enleve, est-ce a vous d'ofer croirc
Qu'uq autre le pourroit bannir de ma memoire i
L iij
^66 G USTArZ-lTA S A ^
Qui seroit-ce ? Jamais Frederic , a mes yeiix ,
Tout soumis qu'il parole , ne fut plus odieux !
L E o N o R.
Encore est-cc un bonheur que, dans notre infortune,
11 sache commander a sa tiamme importune »
Et que I'usurpateur , jusqu'ici son appui ,
Semble craindre a present de vous unir a lui.
Oh ! que vous voyant Hbre & moins tyrannisec ,^'
Etrangement , tantot , je ni'ctois abusce ! • ' '"
A de justes remords , j'imputois sa douceur.
Mais c'est qu'il nevoit plus d'obstacle a sa grandeur,
Ne craignant plus mon fils, il n'a plus rien a craindre.
Plus rien qui maintenant le force \ vous contraindre.^
II ne s'^toit plie qu'i des raisons d'£tat , '*
Qu'il a su mieux trancher par un assassinat. ' "'f*
Adelaide.
Madame, attendons-nous a quelque ordre sinistre.
Lc tyran se fait craindre a Tasped; du Ministre.
SCENE VL^i
ADELAIDE, LfiONOR,RODOLPHE.
R O D O LP H B. .
jN ON, Madame ; lc Roi veut feire d^somiais
A la sev6rite , succedcr les bienfaits.
En ce jour, ou tout prend une paisible face ,
TRAGiDIE, I ij~~^
II veut que le passe se repare & s'efTacc ;
Qu'avec la liberte , vous repreniez vos droits j
Et que votre bonheur couronne %z% exploits.
La garde qui vous suit deja n'est plus la sienne.
Ce palais reconnoit en vous , sa souveraine :
Commandez-y , Madame , & remplissez un rang
Oii la vertu vous place encor plus que le sang.
Adelaide.
Si tonMaitre est touche des pleurs qu'il fait repandre ,
Si , dun tel bienfaiteur , mon bonheur pent dependre ,
Si tout , dans ce palais , se doit assujettir ,
Si j y commande enfin , qu'on m'en laisse sortir.
Trop d'horreur est melee a I'air qui s y respire.
11 est d'affreux climats qui bornent cet Empire j
La nature y languit loin de I'astrc du jour \
Mon repos, mon bonheur est la ; c'cst le sejour ,
L'asyle &: le palais qu'on demande a ton Maitre ;
Et non des lieux souilles du sang qui m'a fait naitre.
Qu'il daigne en ces deserts me faire abandonner.
Loin de lui je consens a lui tout pardonner.
R o D o L p H E.
Madame , il faut s'armer d'un plus noble courage.
Que parlez-vous d'aller dans un climat sauvagc ,
D'un Peuple qui vous aime ensevelir I'espoir J
Faites ceder pour lui la tristesse au devoir.
Faites ceder pour vous la foiblesse \ la gloire.
On depose a vos pieds les fruits de la vi(3:oire.
Votre Perc n'eut eu qu'un Sceptre a vous laisscr.
Liv
i(?8 GUSTAFE-WASA,
Dans un rang trop commun c'etoit vous abaisscr.
La Fprtune se sert de votre malheur meme ,
Pour vous ccindre le front d'un triple diademej
Mais c'est en exigeant le don de votre main ,
Madame > 6c les Autels sont pares pour demain.
L E o N o R,
De nos Persecutcurs le Ministre barbare
Leur a-t-il inspire I'ordre qu'il nous declare?
Ou peut-il ignorer, s'il ne fait qu'obeir j
Qu'obeir aux Tyrans souvent c'est les trahir!
Parlons a coeur ouvert, &: laissez I'insolence
Qui, sous un beau semblant masque la violence }
L'Usurpateur a mis le comble a ses forfaits j
De leur fruit dangereux il veut jouir en paix j
Et I'Hymen qu'il oppose a la haine publique,
De ses pareils toujours fonda la politique.
Mais quel temps choisit-il pour en former les noeuds?
Qu'il soit prudent du moins, s'il n'est pas genereux,
Qu'insultant lachement aux pleurs de la Princesse,
Toutepudeur en lui, toutc humanite cesse.^
Bravera-t-il un Peuple encor mal asservi \
Idolatre d'un Sang dont on s'est assouvi ?
Qui, pour premier trophee, a cette horrible ^ie.^
De Gustave cgorge, verra porter la tqte ?
Que CCS restes. sanglans , nos, cris , notre fureur^ .'
Soicnt; a,u Neron du Nord des sources de terreur \ ,
R O D o t p H E^
R^rimez, Leonor, une aydace. iauuk^
r RA G i D i E, 1(^9
Du Vainqueur a jamais le pouvoir est tranquile;
Et du Vaincu la tete exposee en ces lieux,
N'y doit epouvanter que les Seditieux.
L E O N O R.
Cicl vengeur ! Sc peut-il que ta justice endure
D'un semblable Vaincu le malheur Sc I'injurc >
De ceux qu on assassine est-ce done la le nom >
Ten)eraire ! En nonimant le Geiidre dc Stenon ,
Rcspede d'un Heros I'auguste caradere i
Sur-tout en adressant la parole a $a Mere.
RODOLPHE,
Vous ! sa Mere !
Adelaide.
II manquoit cette horreur a mon sort,
Vous avez prononce I'arret de votre morr.
RODOLPHE.
Non,Madame. Le Roi ne chcrchant qu'a vous plairc,
Je reponds de ses jours des qu'elle vous est chere. )
Elle vivra. Souffrez seulement qu'on ait soin
D ecarter de FAutel un semblable temoin ;
Et que, pour contenir la douleur qui I'egarc,
D'avec vous aujourd'hui mon devoir la separe.
Adelaide.
Nous separer , cruel I Et qui t'en a charge ?
Rodolphe.
Pour mon Maitrc, pour vous , je my crois oblige.
tyo GUSTJFE- TTASA^
Gardes!
Adelaide.
Qu*oses-tu faire ? Est-ce la ma puissance?
RODOLPHE.
Vous servir , ce n'est pas manquer d'obeissance.
L E o N o R.
Adieu, Madame, adieu. Cctriste eloignement
D un trepas desire hatera le moment,
Le Tyran m'offriroit une grace inutile.
Adelaide.
Entre mes bras encore il vous restc un asyte !
Animes de Texces des plus vives douleurs ,
Ges foibles bras sauront vous disputer aux leurs!
Eh , quqi ! Vous me laissez desolee & con^se ?
A mes embrassemens ma Mere se refuse I
L E o N o R.
Que me rcprochez-vous ? He bien , je les recois »
Madame j bonorez-m'en pour la derniere fois.
Mais prenez dans les miens un peu de ma Constance.
Ne vous oubliez pas jusqu'a la resistance.
Qu'esperer des efforts d'une tendre amitie J
Est-il ici pour nous ni resped ni pitie \
Et le sexe & le rang y sont sans privileges.
Le sort nous abandonne a des mains sacrilege;,
Les desarmerez-vous par d'inutiles cris >
A tant d'indignitcs opposons le mcpris i
TRA6EDIE. 171
Que le votre , en cc jour, plus que jamais delate;
Confondez hardiment I'espoir dont on se flatte.
Redoutant vos Sujers prets a se revolter ,
ChrJstierne a vos jours n'oseroit attenter :
A qui done ose ici vous traiter en esclave ,
ExpJiquez-vous en Reine , en Veuve de Gustave.
Redemandez le sang d'un Pere , d'un Epoux.
Pleurez-les: Pleurez-moi : Vengez-les: Vengez-vous
Je ne me croirai point d'avec vous separee ,
Si , fidelle a Tamour que vous m'avez juree...
Vous le serez. C'cst trop oflFenser votre foi.
Vous nc trahirez point Stenon, mon Fils , ni moi.
( a Rodolphe. ) ( Ellc sort, )
Adieu. Fais ton devoir.
RO D OtV HE. --
Gardes ! Qu on la reticnnc.
am
S C E ME V.
ADfeLAKDE, RODOLPHE.
Rodolphe.
1Vj.adame , unc autre voix plus forte que la sicnnc,
Du cote le plus silr saura guider vos pas.
La Meresur le Fils ne I'emportera pas.
On nc veut rien de vous qu'il n'ait voulu lui-m^mct
i7i GUS TJFE-ITJSJ^
Du moins, si voiis bravcz raiitorite supreme ,
Un A'l^ant pent ne pas vous supplier en vain.
On a de lui pour vous un billet de sa main :
Scs derniers sentimens s'y font assez connoitre.
Un des siens vous I'apporte j 6.: je le vois paroitrcw
Je vous laisse.
S C £ N E VI.
GUSTAVE, ADjfeLAiDE
Gvsr AYE apart &au fond du Theatre.
J ' Ai vu tout ce que j'avois craint,
Mon bonheur n'est pastel que Ton me I'avoit peint.
Au Temple ou tout est pret ma memoire est proscritc.
Adelaide.
Sans presque tourner les yeux deson cBte,
Approchez. Je cx)ncois quel trouble vous agitc.
Mon asped: vous rappelle un Prince qui n'est mort
Que pour avoir trop pris d'interet a mon sort.
Sans moi vous n'auriez pas a regrctter sa vie.
G u s T A V E.
JElevant peu la voix & s*avancant lenttment}' '"' ^
Son malheur jusques-la n'est digne que d'envie ,
Madame i i vos Sujets rien ne paroit plus doux.
T RA G i D I E. i^j
Que rhonncur de combatcre & de moiirir pour vous.
Gustave, je I'avoue, avoir plus a pretendrej
11 croyoit ....
Adelaide, sans Vmvlsagtr.
Vous avez un billet a me rendrc.
Gustave.
Oui, Madame i au milieu des horreurs du trepas,
II a , de vos sermens , affranchi vos appas j
Et le dernier eflPort de son amour extreme
Est alle jusqu'au soin de vous rendre a vous-memc
Adelaide prenant le billet,
11 eut du s'epargner des efforts superflus.
( Vayant ouvert,)
Cest lui-meme. tcoutons un Amant quin'estplus.
( Jpres avor lu has quelque temps. )
. . . 7 • • • . (Haut.)
D*une felicite vainfnent attendue^
Si vous mLCLimc^ efore^ ouhlie-^ les douceurs.
Votre repos m^o^'^P^ au moment ou je meurs,
Regne:i; je vouf^fnets lafoi qui m'etoit due;
Laissei-en des'^^is disposer les Fainqueurs.
Que plutot »ilJe fois perisse Adelaide I
Voila donc^on arret , & sur quoi Ton decide >
In juste Fr^^^ic ? Est-ce-la ta vertu !
Ton Riv expiroit : de quoi te prevaux-tu >
Son av*» ^^ ^^^^ sort ne te rend pas Tarbitre-j-i
174 GU^TAVE-rrASA,
II est pour toi plutot un exemple qu'un titre.
Ah ! sur ce titre en vain ton espoir est fonde I
Gustave emportera le coeur qu'il a cede.
De ce Heros a toi daignerois-je descendre ?
Ce qu'il a fait pour moi je le dois a sa cendre
Et m'embarrassant peu d'unc paix qui me fuit ,
Mon amour veut le suivre oii le sien I'a conduit.
Reprenons le recit que ma douleur exige.
( Se tournant vers Gustave. )
( // est a ses pieds, )
Ditcs-moi .... Mais que vois-je >
Gustave.
Adelaide !
A D i L A i D E.
Ousuis-je?
Gustave.
Dans les bras d'un Amant qui -it encor pour vous !
A D E L A i Be.
Ah! ... Je le reconnois 1 J'embrtse mon ^poux.
Gustave.
O nom dontla douceur me paytivec usure,
Des malheurs dont )'ai cru voir con>ier lamesurcl
Adelaide.
Ettu veuxdonc combler la mesure d miens.
Cruel ! Je n'attendois qu'une mort ; & , ^{q^^
M'cQ Faire soufirir milkj en mourant a ^ vue!
T RA G E D I E. 175
GusTAVEjc relevant avecfierte,
D'un billet captieux Ic sens vous a dccue ,
Madame ; si j'accorde aux Vainqueurs votre foi ,
C'estqu'il n'est plus ici d'autres Vainqueurs que moi.
Vos Bourreaux & les miens vont payer de leurstetes ,
Lescruautes...
Adelaide.
Songez & voyez oii vous etcs!
Si quelqu'un...
G U S T A V E.
Je nc suis ecoute que de vous.
Casimir nous seconde &" veille ici pour nous.
Adelaide.
Et d'erreur en entrant ne m'avoir pas tiree !
Avoir de mes regrets prolonge la duree !
Et , sur des fidtions , laisse couler mes pleurs !
G U S T A V E.
Ces pleurs m'etoient garants du plus grand des bonheurs.
lis remettoient la paix dans une ame saisie
Des terreurs d'une aveugle & tendre jalousie.
Terreurs que j'avouerai comme un crime a present;
^ais dont mon coeur alors ne pouvoit etre exempt.
Le bruit de mon trepas , pres de neuf ans d'absence ,
Les feux de Frederic , ses vertus, sa puissance ,
Et dans le Temple enfin son bonheur annonce—
17^ GUSTA FE-tTAS Ai
Adelaide.
Ah! qu'iin moment plutot mon amo^ir offens^ ,
A cette jalousie injnste &: criminelle ,
Opposoit iin Temoin bien cher &: bien fidele I
G U s T A V E.
Et qu'attester encore apres ce que j'ai vu ?
Au fonds de votre coeur I'heureux Gusrave a lu.
Ne songeons qu a Texploit qui va me faire absoudre*
Cette nuit vous regnez *, je vous venge \ & lafoudrc
Tombe sur Christieroe , avant qu'elle ait gronde.
Sans le soin de vos jours , le coup cut moins tarde.
Mais vous etiez, Madame, a la mcrci d'un traitrej
Qui , dans son desespoir , vous saisissant peut-etre ,
Le poignard , a nos yeux , leve sur votre sein ,
Nous auroit arrache les armes de la main.
Nous-memcs des fureurs desarmons la plus noire.
Qu'il ne dispose pas du prix de la vidoire.
Du peu de liberie qu'aujourd'hui Ton vous rend,
L usage estd'importance, &: Tavantageest grand.
11 en faut profiter. Sitot que la nuit sombre
Sur ces lieux menaces epaissira son ombre ,
Hatez-vous de vous rendre au portique ici pres ,
Ou I'element glace joint la rade au Palais.
La Valcur attend- la votre auguste presence.
A rinstant mon triomphe & le votre commence^
Et j'immole a vos yeux celui qui fit aux siens I
Immoler les Auteurs de vos jours & des miens. 4
Vous pleurez ! Doutez- vous du succes de mes armej ?
Adelaide.
TRAGEDIE. 177
Adelaide.
Non, jc vous con nois trop pour vous donner des larmcs.
Que n'a pas deja fait , qite nc peut vbtre bras ?
Et vos feux rassures ne raffbibliront pas.
Mais qu'a cet ennemi doiit vous cf aigtiez la rige ,
Ma fuite laisse encore un precieux otage !
G U S T A V E.
De le faire avertir , il faut prendre le soin , ^.;,.^^
Madame , quel est-il ?
. i Adelaide.
Ce fidele temoin ,
Pres de qui s'instruiroic votre flamme jalouse : ^
Une tete aussi chere a vous qu'a votre epouse :
Votre mere.
G u s T a V E.
Ma mere ! Eh quoi ? Ma mere vit \
[■ Adelaide. .-^.^MA
Dans les fers d'ou je sors , seule elle me suivit ^ ^•
Et , pres de moi , resta tout ce temps inconnuc..*.,
Mais enfin sadouleur ne s'est plus contenue ,
Des que de votre mort le bruit s'est confirme ;
De ce qu elle est , par elle, on vient d'etre informe j
Et deja , dans la Tour , elle rentre peut-etre
Tome IL M
\-^i G trs TJ VE - WA!SA^
mm
S C fi N E VII.
GUSTAVE, ApiLAKDE, CASIMIR.
C A S I M J R.
J'appercois Frederic , Seigneur j il va paroitre.
Sortons !
G D s T A V E.
Ah,Casimir! qii'ai-jeappris? Viens , snis moi.
Adelaide.
Gustave '..«..
G U S T A V E.
Demeurez •, & calmez cet efFroi.
Au lieu marque , songez seulement a vous rendre !
Adelaide.
Ah! vous allez tout perdre, osant trop entreprendre I
Laissez de Frederic implorcr Ic credit
SCENE VIII.
A D ife L A i D E. -
JLL m cchappc. Imprudcnte ! ou suis- je, &r qu'ai-;c dit ?
Mais que devois-je faire ? O fatale journec !
Par quels eveneraens seras-tu terminec i
T R A G i D I E. 179
■ -- . _ — ■> ! -. — ;=-^ im,
SCENE IX.
FREDERIC, AD^LAKDE.
Adelaide.
OEiGNEUR 1 si yous m'aimez
Frederic.
Ne me reprochez rien ,
Madame ; cet amour se JHStifiera bien.
De notre Hymen en vain la pompe se prepare :
Malheur a qui Tordonne ! oiii , puisque le barbare
Insulte a ma priere , aussi bien qu'a vos pleurs ,
II est temps d'opposer fureurs contre fureurs.
L'honneur , votre rcpos , voiia ma loi supreme.
Jc n'aurai pas , pour rien , triomphe de moi-memc.
L'efibrt m'a trop coute pour en perdre le fruit,
Madame , soyez libre , & partons cette nuir.
La flotte est route a moi , je disposerai d'elle.
La Fortune , Ics vents, ies coeurs, tout nous appcllc.
je n'ai que trop tarde. L'infortune Danois
Me reproche ses fers &: I'oubli de mes droits.
Vos malheurs & Ies siens sont devenus mes crimes.
Pour un monstre abhorre , ce sont trop de vidimes.
Pouvant parler en maitrc , &z las de supplier.
Cause de tant de maux , j'y dois remedier.
D'un si juste projet, soyez I'heureux mobile.
Ouje retrouve un trone, acceptez un asyle ,
Madame \ & que , du soin qui m'anime pour vous ,
Rcnaissent 6c ma gloire & Ic bonheur de touj.
Mi;
,8o GUSTJFE-JTJSJj
Adelaide.
Non; je dois respeder I'asyle qu'on m'accordc ,
Et ne pas y trainer uiie affreuse discorde
Dont je serois , Seigneur , le flambeau detcste.
TJn autre espoir en vous aujourd'hui m'est reste.
S vous ne la sauvez, Leonor est perdue !
Qu'avant la fin du jour , elle me soit rendue !
Sa vie est en peril 5 &: la mienne en depend.
F R IE D E R I c.
J'avois traite de fable un bruit qui se repand.
De Gustave , en effet , scroit-elle la mere ?
Adelaide.
Vous concevez par- la combien elle m'est chere ,
Et tout le prixdu temps qu'avec moi vous perdez.
Seigneur 1 avant la nuit , si vous me la rendez ,
Si , de votre amitie , j'obtienscette assurance....
Mais dois-je vous parler de ma reconnoissancc ?
La gloire seule emeut la magnanimity j
Et son premier salaire est d'avoir eclate.
■—— a— a— — teow b a Hiuw.i
S C £ N E X.
FREDERIC.
A--AISSONS-LA mon depart. Courons la satisFaire.
Elle m'ofire sans doute un moyen de lui plaire ;
Et de lui plaire encor par un som genereux.
Quel plaisir, a ce prix, de pouvoir etre heureux !
Fin du tro'isteme Aclz,
T RA G E D I £, 1 8 1
A C T E IV.
SCENE PREMIERE.
CHRISTIERNE, RODOLPHE,
Christierne.
J E pretends faire ainsi remonter ma vengeance
Aux sources du meprisqui bravoitma puissance ; •
Leonordont Torgueil osa la balancer,
Expiera ce mepris , ou le for a cesser ;
De ses derniers discours retradera I'audacc,
Ou sentira TefFet dc ma juste menace.
Est-elle , par ta bouche , instruite de son sort > '.
R o D o L P H E.
EUe a , devant les yeux , I'appareil de sa mort ;
Et j'attendojs qu*il fit tout I'effct qu'il doit Faire ,
Pour vous la ramener plus prcre a vous complaire.
Christierne.
Et , dis-moi>d'un bonheur qu'il n'acccpta jamais ^^
De quel oeil Frederic a-t-il vu les apprcts j
R o D o t p K e.
Je le fais observer , sans penetrer encore
S'il cede , ou s'il rcsiste ait feu qui le devore.
M iij.
,S2 ausTJ rS'irJSJ,
Son depart, a la nuit , d'abord etoit marque •,
l^-ais , presque sm le champ , 1 ordre s'est revoqui
Anime d'autres soins , & pkin de confiance,
Maintenant il vous cherche avec impatience ;
Et moi , d'uH entretien que vote ne cherchez pas.^
J'ai voulu , mais en vain , vous sauver I'embarras,
Siir mes pas, devant volis, il est pret a se rendre^
G H ^ I S T I E R N E.
Tot ou tard il faut bien se resoudre a I'entendrCi,
Et du peuple quels sont cependant les discours J
R O D O L F H E.
Dcla mort deGustave il vcutdoutcr toujours.
Sans perdre un seul instant , rendons-la manifested
Ou ce doute , aujourd'bui , peut vous etre funestQis
Chrxstierne^
J'ignore quelle idee engageoit Casimir
Am'eloigner de celle ou tu viens m'aflfermir.
Oui, pour eteindre tin feu que Terreur perpetue^^
Presentons aux mutins letir idole abattuej
Djins la place publique , ou fut lu son arret ,,
Qua I'instant le proscrit paroisse tet qu'il est.
Vas le prendre des mains de son brave adversaipe*
Et d(t la , devant moi , fais paroitre sa mere,
Voici le Prince. Vas, cher Rodolpbej & reviens, '
Intcrrompre au plutot de facheux entretiens.
T KAGEDI E, ^Z^
SCENE II.
CHRISTlERNE^FREDfeRia
F R ]E D E R I C.
V ous avez desire , Seigrteitr , que ma tendresse
Se chargeat d'essuyer les pleurs de la Princessc s
Et je vols qu'on la prive j eti ce jour de douleur ,
Du seul soulagement qu'elle c\Xt dans sou malheurst
N'est-il pas temps enfin que le vainqueur commence;
A triompher des coeurs , s'il peut , par la clemenceJ-
Des cris du malheureux ne vous lassez-vous pas 2
Et faut-il que le sang marque ici tous vos pas ?
Custave a succombe ( puisse , pour notre gloire,
"Un semblable triomphe echapper a I'histoire! )
Enfin Gustave est mortj &" tout vous est soumis..
Un coup infrudueux joindroit la mere au fils.
La Princesse nVimplore, & nous la redemandc.
Pour I'interet commun , soufirez que je la render,.
Seigneur: &■ qu'une fois vous ayant dcsarmc ,
Je serve ce que j'aime, &: puisse en etre aimc.
Christie RNE.
Prince , on ose abuser de votre ministere.
Le rival de Gustave en doit craindre la mere;
Le passe, ce mesemble,a tous deux nous I'apprend^i
Et c'cst une imprudence ^n vous qui me surprend.
Miv
i84 GUS TA Vn-W^ASAy
Frederic.
La generosite jamais n'est imprudence.
Christierne.
Elle n'ouvrc que trop la porte a la licence.
Frederic.
Mais si Ton obeit ; si Ton vous satisfait 3
Christierne,
Leur separation produira cet cffet.
Frederic,
Mcs soins Tauront produit.
Christierne.
Quoi ! cette ame hautainc,.«.
Frederic.
Obtenant Leonor , seroit moins inhunaaijie,
Christierne.
Vous avez sa parole 2
Frederic.
Elle n*a rien promis ;
Mais jc crois m'en pouvoir tout promettre a ce prix.
Christierne.
PrincCjcUe y compte en vain : c'est moi qui vous I'annoncc.
Fredj^ric.
Quoi , jc lui portcrois cette triste reponse ?
Christierne.
Tdste Qu non j j'ai parle. Ce decret vous suffit.
T RA G E D I F. 185
Frederic.
J'aurois cru meriter que Ton me satisfit,
Christierne.
A son retour du temple , on lui pourra complairc
Frederic.
11 s'agit d'une grace, & non pas d'lin salairc.
Christierne.
J'en crois faire une aussi , quand jc laisse cspercr.
Frederic.
Mais la Princesse craint ; il faut la rassurer.
Christierne.
Sa crainte nous repond de son obcissance.
Leonor lui rendroit bientot son arrogance.
De leurs derniers adieux on sait remportement.
Souvent I'amour d'ailleurs se flatte aveuglement.
Le votre , un peu credule &: prompt a vous seduire ,
A pcut-ctre entendu plus qu'on n'a voulu dire.
Vous esperez beaucoup. Ne pourroit-on savoir
Les discours echappes d'ou vous nait cet espoir ;
Frederic.
Non, Seigneur : je vous crois i je I'ai mal entenduc.
Tant de gloire en elFet pcut ne m'etre pas due ;
Je le veux. Mais en dois-jc aimer moins lequite J ;
Et ne consultant quelle , etre moins ccoute ?
Sommes-nous plus en droit d'opprimcr I'lnnocencc?
Ah! nepouvoir m'aimet j cc li'est pas line offense
A meriter les maux qu'elle endure k mes yeux :
Et j'en ai trop ete le pretexte odieux.
La Princesse m'est chere ; oui , Seigneur, je Tadorc..
Je I'ai dit mille fois , je le repete encore^
Si j'en etois aime , le soin de mon repos
Me rendroit redoutable an plus fier des rivaux j.
Je soutiendrois mes droits au prix de mille vies ;
Mais s'ii faut renoneer aux douceurs irifinies
D'unchoix qu'avant ma flainme un autre a meritc,
Je ne veux rien tenir d'aucune autorite ;
Rien ajouter au poids des fers d'une captive
Si digne du haut rang dont le destin la prive ;
Rien devoir en un mot a ses nouveaux malheurs...
Je respedois sqs feux : je respecte ses pleurs.
Pour la derniere fois enfin je le declare :
Je n'y pretends plus rien. Le sacrifice est rare ;
Mais, nes pour commander, soyons dans nosprojets,.
Nous-memes , & nos Rois & nos premiers Sujets.
Je dis plus. Ceda-t-elle au pouvoir qui I'opprime ,,
Et mon plus bel espoir devint-il legitime ,
( Ainsi qu'il est permis dc s'en flatter encor )
Des qu'elle a , par ma voix , demande Leonor ,,
Leonor, de ma main , lui doit etre amenee.
Vous avez , malgre moi , conclu notre Hymenee i
Je nc vous ai que trop seconde la dessus ;
Contentez-la , Seigneur 5 ou ne me pressez plus^
Chris TiERNE.
Soyez done satisfait ; loin que je vous en presses.
f R A G i D I E. tif
Je pretends qu'entre vous toutc liaison cessei
Et j'anrois deja du vous avoir declare
Que ce n'estpas pour vous que TAutel est pai;^.
Frederic.
Et pour qui done ?
Christierne,
Pour moi.
Frederic.
Pour vous \
Christierne.
Oui, pour moi-memc5
Jc Tepouse. D ou vient cette surprise extreme ?
Quel autre dans ma Cour , degageant votre foi ,
Pouvoit plus dignement vous remplacer que moi ?
Frederic,
Est-ce moi ? ( moi , pour qui son cceur est tout de glace. )
C'est celui qu'elle aimoit qu'il faut que Ton remplacc i
Et si quelqu'un le peut dignement remplacer ,
Je ne reconnois qu elle en droit de prononcer.
Quoi, Seigneur ? C'est done la Tusage que vous faites
Des droits de manaissance, & du rangou vousetes?
Mes refus gen^reux vous ont-ils couronne ,
Ce rang qui fut le mien , vous Tai-je abandonne
Pour voir deshonorer Teclat du diadcme ?
Pour voir gemir le foible, & pour gemir moi-memc3
Ainsi , vous confiant le plus saint des depots,
J'ai QXVi , de plus d'un pcuple, assurer le repos ;
iS8 GUS TAFE-TTASJ :,
Et j'aurai prepare ma honte &: leiirs supplices !
Que dis-je ? Malheureux dans tons mes sacrifices ^
J'adore Adelaide j & j'en suis estime ;.
Jc survis au rival qui seul en est aime ;
Tout me force ou m'invite a m en rendrc le maitrei
Seul je me le defends \ & vous pretendez I'etre ?
Du prix de ceteflFort , je serai plus jaloux.
Jc me suis immole pour elle , & non pour vous*
L appui de Frederic ne sera point frivole.
Vous oserez me perdre : ou je tiendrai parole r
Oui , d un si juste prix , vous pairez mes bienfaits ;
Ou vous vous souillcrez du plus noir des forfaits 1
Christiern. E»
Demeurez. Je ne veux vous perdre nl vouscraindre r
Mais j'aijde mon cote, comme vous, a me plaindrc j.
Et laissant la le ton dont vous m'osez parler ,
Perfide ! cctte nuit, ou vouliez-vous aller X
Gardes !
Frederic.
J'ai merite que le mediant m'accable.
Je fus son bienfaideur. Poursuis , ciel equitable!
Protege Adelaide , en foudroyant I'ingrat j.
Et que ce soit ici son dernier attentat 1
Christierne.
En imprecations , Timpuissance est fecondc*
1r RA G i D 1 £. 185
S C £ N E III.
CHRISTIERNE,RODOLPHE, GARDES.
ChrISTIERNE aux Gardes.
^^ UE Ton sui ve sqs pas, allez : qu'on m'en reponde ;
Et qu'il ne sorte plus de son appartemenr.
Rodolphe , je te vois frappe d'etonnement.
Eh quoi ! devois-je encor souffrir qu'un temerairc^.
Rodolphe.
La rigueur n'a jamais etc plus necessaire.
Tout me devient susped j tout vous doit I'etre ici *,
Et ce qui me surprend , va vous surprendre aussi.
Gustave n'est point mort.
Christierne.
Qu'entends-je ?
Rodolphe.
Adelaide
Nous en apprendroit plus sur un projet periide
Dont elle a vu tan tot le Complice ou TAuteur.
Christierne.
Quoi, cefier inconnu
Rodolphe.
N'etoit qu'un imposteur
Dont Taudace a d'abord appuye Tartifice i
Et qu'eile a fait courir ensuite au precipice.
tjfi^ G US TA p-B - rrA SA^
Christierne.
Son recit , cc billet , tons ces bruits....
RODOLPHE.
^toicnt faujti
Christierne.
Et le Traitre , dis-tu , qui tramoit ces complots...*
RODOLPHE.
Est en nos n^ains. Dc plus, par un bonhcur extreme.
Get inconnu , je crois , est Gustave lui-meme.
Christierne.
Gustave ! d'ou te nait ce soupcon ?
R Q D O L P H E.
De tout Tor t
Oflfert a I'un 6its miens qui gardoit Leonpr.
Dans scs empressemens pour cette prisonnierc
On a cru voir un fils alarme pour sa mere.
Le garde incorruptible a feint de I'ecouter.
Par ce moyen, sans bruit, on a su I'arreter.
Jc I'ai vu. Sur son front, au lieu dc lepouvante," ^ ^
Sont pcints le fier depit & la rage impuissante.
Ses regards dedaigneux, un silence obstine ,
Tout me I'annonce tel que je Tai soupconne.
Quand vous le reverrez, vous jugerez de meme j
Mais, pour nous en con vaincre, usons de stratagemc.
II ne peut etre ici reconnu que des siens
Moins prcts ^ resserrer qu'a rompre scs liens.
Songeons done a percer prudcmment cc mysterc.
t R A G i D t B, 151
Christierne.
H en est un moyen. Tu m'amenois sa mere?
RODOLPHE.
Je ne I'ai dcvancee ici que d'un moment ,
Pour vous entretenir de cet evenem.ent.
Christierne.
Dans \t salon prochain , tais conduire le traitre ,
Et qu'au premier signal , il soit pret ^ paroitre.
Leonor le verra. S'il est son fils , ami ,
La nature jamais ne s'echa.ppe a demi.
Bientot la verice se verra confirmee
Dans les regards surpris d'une mere alarmec.
Pour me nommer Gustave j elle n'a qu'a fremir.
Que cependant Ton fasse arreter Casimir.
II me trahit: ceci le condamne & m'eclairc.
Ainsi que Frederic , a mesdesseins contrairc,
II a pour Leonor employe son credit.
Elle entre. Vas , cours , fais tout ce que je t'ai dit.
SCENE IV.
CHRISTIERNE, LliONOR, SOPHIE.
Christierne.
V OTRE Juge oJSense n'est pas inexorable.
Dans vos premiers transports, vous etiez excusable j
Peut- ctre , dans les miens, me suis-je trop permis j
En les desavouant , cessoi^s d'etre ennqniw ;
1572 GUSTJ FE-irJSJ^
Mais sachez profiter de ma bonte facile ,
Et ne vous parez pas d'un orgueil inutile ,
Qui pourroit vous couvrir de blame en vous perdant. ^
On signale a sa honte un courage imprudent.
Le votre ne seroit qu'une aveugle fbiblesse.
Car cxposant des jours si chers a la Princessc ,
Vous exposez les siens. Songez-y , Leonor.
Sauvez-Ia ! Sauvez-vous ! II en est temps encor.
Promettez-moi pres d'elle une heureuse entremisc.
A mes intentions rendez-la plus soumise.
En un mot , reparez ce que vous avez fait.
A ce prix, je pardonne j & je suis satisfair.
Leonor.
N*esperej pasTyran , que mon orgueil se lasse.
Le tien se satisfait a me parler de grace ,
Et le mien a vouloir n'en meriter jamais.
Puissent mes soins te nuire autant que je te hais 1
Vas! J'ai de la Princesse affermi le courage.
Pour moi , je respirois apres un long orage.
1.CS apprets de ma mort fixoient tout mon espoir.
Pourquoi se changent-ils en I'horreur de te voir?
Que nous proposes- tu ? quelle offre oses-tu faire ?
Quels traites ? Nous pleurcns> moi , Gustave &: son Perc 5
Elle , un Trone usurpe , son Pere & son Epoux.
Ce n'cst qu'a des Vcngcurs a traiter avec nous j
Et du traite , ta mort seroit le premier gage.
Christierne.
Toujours la m^mc audace dc le meme langage !
Et
t RA G i D t E. 195
Et pourquoi toutes deux imputer a ma main
Les attentats d'un autre , &r les coups du Destin >
Le Ciel favorisa mes armes legitimes ;
Son Pere & ton Epoux en furent les vidimes.
J'ai vaincu , j'ai conquis, & n'ai rien usurpe.
Pour ton Fils , dans son sang, ma main n'a point tremp6.
Suis-je son meurtrier? Veut-on que je reponde
Dun coup?..
L E o N o R*
Merites-tu, lache, qu'on te confonde?
Ta main n a pas ifcmpedans le sang de mon Fils?
Et son assassin vient t'en dcmander le prix !
Et tes tresors ouverts s epanchent sur le Traitre !
Tu n'as pas ignore qu'en payer un , c'est Tetre.
Aux yeux des Nations dont tu te rends Thorreur ,
Crois-tu, par ce detour, excuser ta fureur ?
D'un forfait si visible , est-ce ainsi qu'on se lave ?
Pour te justifier du meurtre dc Gustave ,
Inflige au Scelerat des tourmens ignores !
Que du Monstre,a mes yeux, les membresdechires,
Nousprouvent...
C HR I S T lERN E. -'' ''^ ■'-'
J*y consens. Qu'il meure en ta presence.
Tu verfas si le crime ici se recompense •,
Si je me rends coupable aux yeux de I'Univers.
Rodolphe, paroisscz I
Tome IL N
194 GUSTAVE-TTASA^
S C E N E V.
CHRISTIERNE, LEONOR, GUSTAVE,
RODOLPHE, SOPHIE, GARDES.
Christierne.
X lENS, regarde cesfers»
Est-cc la done un prix digne de tes reproches ?
Suis-jeaccusable encor dti meurtredctesProches?
Qu'il perisse \ & qu'enfin ce coup nous rende amis.
Qu'on rimmole. Frappez !
L E O N O R , retenant Ic bras du Garde.
Arretc !
Christierne.
Ah , c'est ton Tils !
G u s T A V E.
Oui, je le suis. Je fais cet aveu sans contrainte.
Pour d'autres que pour moi j j'eus rccours a la feinte ;
Mais mon proprc peril me defend d'en user j
Et je le sens trop peu pour daigner t'abuser.
L E O N O R embrassant Gustave.
Osang d uncher ^poux! Fils d'un malheureux Pere!
Dans quel etat le sort te rend-il a ta Mere?
Gustave. ^
Madame, excitez moins un tendre sentiment
Qui, de notre malheur, vient d'etre I'instrument.
r KA G t D I E. lyji
"La seule piete nous ravit la vidoire.
Snr le point de vous rendre un fils couvert de gloire ,
J'aicraint de vous laisser pourotage en ceslieux j
Et , voulant vous sauver , je peris a vos yeux.
Daignez , pour prix d'un soin si funeste & si tendf e ,
( Si pourtant le devoir a des prix a pretendre)
Daignez ou retenir , ou me cacher vos pleurs.
Dcrobons un triomphe a nos Persecuteurs !
Gustave , a peine emu de sa propre misere ,
Oseroit-il s'oflrir pour exemple a sa Mere?
Que perdez- vous , Madame? Un Filsdejapleure;
Mais moi qui vois la mort d'un visage assure.
Que de regrets mortels au moment ou j'expire !
Je perds, avec la vie, une Mere , un Empire,
D'incroyables travaux le fruit presque certain j
Ma gloire , ma vengeance ; Adelaide enfin j
Pour tout laisser.... Helas! A qui?
L E o N o R*
Qu'on me soutienne!
Gustave.
Ma Mere ! ... mais ^zs, yeux ne s'ouvi'entplus qu'a peine!
EUe se meurt! Soldat , frappe ! Delivre-moi
De tant d'objets d'horreur,, de tcndresse &d'e£Froi!
Frappe I
Christierne.
Prenez soin d'elle; emmenezla, Sophie j
Et que votre secours la rappelle a la vie.
N ij
I5>tf GUSTJ FE-JTAS A,
SCENE VI.
gUSTAVE, CKRISTIERNE , RODQLPHE,
GARDES.
Christierne.
CfUSTAVE , il n'est pas temps encore de mourir,
11 faut auparavant ou me tout decouvrir ,
Oil s'attendre a languir long-temps dans les tortures.
Reponds. A quoi tendoient toutes tes impostures >
Est-ce a I'assasinat qu'aspiroit ta vertu ?
Quel espoir, quel dessein , quel complice avois-tu?
G u s T A V E.
Si la Nature en moi tantot eut pu se taire ,
Sourd a la voix du Sang , si j'avois pu me fairc
Un coeur aussi farouche, aussi bas que le tien ,
Je ne subirois pas ce funeste entretien.
Je veux bien m'abaisser encore a te repondre;
Et c'est pour t'obcir , moins que pour te confondrc;
Tache a te rappeler ici tons mes discours.
Tu n'y remarqiicras que de legers detours ,
Sous qui la vcrite maintenant reconnue ,
A d'autres yeux qu'aux tiens eut paru route nuc.
Mais la soif de mon sang qui te les fascmoit ,
Vers Terreur ,a mon gre, plus que moi t'entrainoit.
Sois sur qu'un vrai courage animoit Tentreprise.
On n'assassinc point I'cnnemi qu on meprise. . • -
, T RA G B D I E. 15^7
Je te I'ai dit. Celui qui t'cuc fait succomber,
Sait arracher la palme , &" non la derober.
Aux attentats ma main ne s'est point eprouvec.
A la tete des miens , la Princesse enlevee ,
Je t'aurois done oflFert la victoirc ou la mort ,
Et le droit du pins brave eut regie notrc sort.
Tels etoient mes projets. Le Destin qui nous joue,
Couronnant le plus lache, ordonne que j echoue.
Tu regnes, &: je meurs. Triomphe -, mais, crois-moi.
Ton bonheur sera court , triomphe avec efiroi.
Tant de calamite que Stockolm a souflferte,
Messoins & mon exemple ont prepare taperte.
Elle suivra la mienne , &: la suivra de pres.
Sois maitre de mes jours ; &: tandis que tu Tes ,,
Eprouve ma Constance au milieu des supplices.
Je n'y dirai qu un mot. Cest que j'eus pour complices >
Tous les gens vertueux qu'ont lasses tes forfaits.
Je ne les trahis point : tu n'en connus jamais.
Christierne.
Ce mot seul va couter bien chcr a ta patrie.
Moins tu veux la trahir , plus tu I'auras trahie.
A qui tout est susped , tout est indiflferent.
Le sang des Suedois coulera par torrent.
Que , sur un cchaffaut , le tien les en instruisc :
Vas-y trouver la mort. Gardes ! qu'cnTy conduiscv
Et que , dans un moment , je me sache obei.
N ii)
15,8 GUSTAVE-WASA,
SCENE VII.
CHRISTIERNE, GUSTAVE , ADELAIDE,
RODOLPHE, GARDES.
Ad ELAiDEj courant k Gustave,
H 1 Prince infortune ! quel arret ! qu'ai-je oui ?
{Se jetant au devant des Gardes.)
Soldats, n'avancez point 1 N'oscz rien entrcprendre ,
Qu'apres quevotre maitreauradaignem'entendrej
Et que sensible ou sourd a mes cris douloureux ,
U n'ait revoque I'ordre , ou n'en ait donne deux.
Christierne.
Rodolphe , demcurez,
Gustave.
Adieu , belle Princessc.
Vous sortirez bientot des fers ou je vous laisse.
Si Gustave en doutoit , vous ne le verriez pas
Si courageuscment s'avancer au trepas.
Adelaide.
Eh ! pourquoi voulez-vous renoncer a la vie J
Flechissez ! Lconor , moi , tout vous y con vie.
( Tomhant aux pieds de Christierne, )
Serez-vous sans pitic , Seigneur j & ne peut-on...;
T RJ G t D I E, ,9,
G U S T A V E.
Adelaide anx pieds du bourreaude Stenon!
Christierne.
Que direz-vous pour lui? Vous Tentendez, Madame.
Adelaide.
Par tout ce qui jamais eut pouvoir sur votre ame ,
Plaignez mon infortune , & daignez m'ecouter I
Christierne.
Rien ne me plairoittant que de vous concenter.
C'est de vous seule ici que depend ma clemencc.
Sa grace est aux Autels.
Adelaide, bas»
^loignez sa presence.
Christierne^ Rodolphe,
Qu'on le mene ouj'ai dit ; mais, en le gardantbien.
Que, jusqu'a nouvel ordre , on n execute rien. ^
a Adelaide,
Parlez j je vous cntends.
G u s T A V e.
Point de pitie cruelle.
Laisscz frapper , Madame , &: soyez-moi fideUc !
N iv
SCENE VIII.
CHRISTIERNE, ADELAIDE.
Christierne.
3M Ais consultez-vous bien ; & songcz qu aujourd'hui
L'eflfort seroit funeste a bien d'autres qu a lui j
Que si le fils perit , la mere est condamnee j
QueStockolm, a laflamme, au fer abandonnec ,
Regorgera du sang de tous ses Citoyens.
Balancez main tenant mcs avis 6c les siens.
Adelaide.
Quelles extrcmites , & quel arret terrible !
Vous n'adoucirez point ce courroux inflexible ?
Quelle raison peut done si fort interesscr .
A ce fatal hymen ou Ton veut me forcer ?
Isfes droits que la naisSahce attache a ma Personnel
Eh , s'il m'en reste encor , je vous les abandonne T
La fortune aujourd'hui vous les a confirmesj
Jouissez-en ! jamais les ai-je reclames ?
Cesdroitsdepuis dixan$, cedes au droit des armcs,
Qnt-ils eu jusqu'ici quelquc part a mes larmes ?
Les ai-jeun seul instant regretes? Non , Seigneur.
Toute ambition ccsse , ou regne la douleur.
Dc mon perc egorge la deplorable image ,
De mon amant proscrit la mort ou I'escIavagCj
TRAGEDIE. 201
Son rival importun , I'horreurde ma prison,
Occupoient de trop pres mon coeur & ma raison.
Aiix soupcons toutefois si votre ame est livrce ,
Dans le sejour affreux dont vous m'avez tiree,
Renvoyez-moi trainer le reste dc mes jours !
Oli moins severe, helas, terminez-en le cours 1
Mais ne me forcez point a me noircir d'un crime!
A trahir un amant fidcle &: magnanime ,
A qui ma bouche a fait les sermens les plus doux ,
Qu'elle a meme deja nomme du nom d'^poux !
'■ Veut-on qu' Adelaide infidelle , par jure....
\. C H R I S T I E R N E.
Rompons, rompons le noeud d'oii naitroit cette injure !
Gustave , en expirant , va vous en afiiranchir.
Je ne vous laisse plus le temps d'y reflechir.
Aussi-bien Ton conspire ; &" je dois un exemplc.
Hola, gardes! ^loadTI
Adelaide.
Seigneur ! qu'on me conduise au temple. I
Contentez Frederic j & le faites chercher ! ''' .
Qu'il vienne ! sur ses pas, je suis prete a marcher.
Christierne. / ^
De vous servir encor , vous le croyez capable. ^
Mais vous comptez en vain sur I'appui d'un coupal^Ie ,
Qui trop long-temps rebelle a mon autorite,
Lui-mcme ici n a plus ni voix ni libertc.
Nous saurons aehever, sans lui, cet Hymenec,
Venez , ^^lodame, ,v *..,.,;,, _
zoi GUSTAVE-WASA;
Adelaide.
A qui suis-je done destinee ?
Quel est celui , Seigneur , a qui vous pretendez....
Christierne.
Le Nord n'a plus deReine , &: vous le demandez ?
Venez mettre, Madame, un terme a vos disgraces ,
Surmonter votre haine , en efface r les traces ,
Sauver , en partageant le rang dont je jouis ,
Gusrave,Leonor , & tout votre pays....
Rodolphe de retour ! que viendrois-tiim'apprendre?
SEaaazaaBKSsaft
S C £ N E I X.
CHRISTIERNE, ADELAIDE, RODOLPHE.
Rodolphe.
i^UR la flotte, Seigneur , hatons-nousde nous rendre j
^ ar ces lieux detournes, on pent gagner le port.
*^uyons 1 Vous tenteriez un inutile effort. ^ .
Grace a Tadivite d'Othon qui nous devance ,
Le Prince &: Leonor sont en votre puissance.
Saisi d'eux , vous avez de quoi faire la loi. '
Christierne. . '
Moi, fuir ! , ; /j
/y)-... Rodolphe.
C'est un parti qui revolte un grand Roi.
T RA G E D I E. loj
Mais vos armes , Seigneur , sont id ies moins fortes.
A des flots d'ennemis Scockolm ouvre ses portes.
Le traitre Casimir , qu'on cherchoit vainement,
Se fait voir a leur tete , & paroit au moment
Que la Place deja de mucins ecoit pleine ,
Et que rous nos soldats ne resistoient qu'a peine.
Le nombre nous accable j &:, pour tout dire enfin,
Le terrible Gustave a le fer a la main.
Rien ne I'arrete ; il vole j & bientot ...
Christierne.
Qu'ilmcvoic!
Je cours le recevoir. ( emmenant Adelaide. )
Toi , tremble ! & de ta joic
Viens payer a sqs yeux ce transport indiscret !
A D E LA IDE.
Qu il vive ! Qu'il triomphe 1 Et je meurs sans regret.
Christierne s*arretant.
pen suis le possesseur, &c je la sacrifie I
( a Rodolphe. )
Puis avec elle , Ami j ton Roi te la confie :
Je te suis : mais , avanr que de quitter ces bords.
On s'y ressentira de mes derniers efibrts.
Fin du quatriemc Acle,
X04 GUSTA rE-WASJy
A GTE V.
SCENE PREMIERE.
ADfeLA'lDE, SOPHIE.
Ad e laid e.
J E RE vois la lumiere , & tu veux que \q vive;
Mais, sous quel astre enfin ? Suis-je Reine ou captive \
Parle , dois-je benir ou detester tes soins ?
Tes yeux de tant d'horreurs etoient-ils les temoinsJ
Sophie.
Non , Madame; j'etois dans ce Palais errantc ,
Lorsque , sans mouvement, pale, froide 6c mourantc^
Je vous ai prise ici dc la main des Vainqueurs.
Etoicnt-ce vos Tyrans ou vos Liberateurs ?
Ma vuc , 1 tout cela , ne s*est guere attachec* ' *
Leonor, dc mes bras venoit d'etre arrachce. "" '^
Mon trouble , votre etat , des cris renouveles ,
Par ces cris les Vainqueurs au combat rappeles,
De tant d cvenemens & le nombre &: la suite ,
N'ont pu de notre sort me laisser bien instruitc >
Et du feu meurtrier le bruit sourd &: lointain ,
Dit trop que le succes est encore incertaiii*
T RA G E r> t n^ 105
Mais I'inhnmanite que j'ai le moins concue ,
C'est Tetat deplorable ou je vous ai recue.
Adelaide.
Tu paliras, Sophie, au recit du danger ,
Qu'en ce desordre afFreux Ton m'a fait partager.
Sur CQs bords J dont I'hiver a glace la surface,
Mes ravisseurs fiiyoient j & franchissant Tespace
Qui semble separer le rivage & les eaux,
M'enlevoient vers la rade ou flottoient leurs vaisscaux.
J'encroyois Frederic-, &" je nVetois flattee
De voir, en sa faveur, la Flotte revoltee;
Mais plus nous approchions, moins j'avois cet espoir.
Tout ce que j'appercois , paroit dans le devoir.
Laissant done pour jamais Gustavc &c ma Patrie ,
Je demandois la mort 3 quand ce Prince en furie ,
Du Palais ou szs yeux ne me rencontroient point,
Entend mes cris , me voit , vole a nous, & nous joint.
On se mele. Je veux regagner le rivage j
Par tout je me retrouve au centre du carnage.
La fortune se joue en ce combat fatal.
Sur la glace , long-temps , Tavantagc estegalj
EUe nuit a la force , elle aide a la foiblesse \
Et chaque pas trahit la valcur ou I'adresse.
Parmi des cris de rage & de mourantes voix ,
Un bruit plus efirayant , plus sinistre cent fois ,
Sous nous , autour de nous , au loin se fait entendre.
La glace en milleendroits , menace de se fcndre ,
Se fend , s'ouvre , se brise , & s'epanche en glacons
Qui nagent sur un goufFre ou nous disparoissons.
io6 GUSTJFE- WAS A:,
Rien encor, quelque effroi qui dut m'avoir ^muc,
Rien n'avoit echappe jusqualors a ma vue \
Mais , du voile mortel , mes yeux enveloppes ,
D'auciin objet , depuis , n'ont plus ete frappes.
Dureste , mieux que moi, tu n es pas informee:
Ainsi , de plus en plus , tu me vois alarmee.
D'un rude & long combat, peut-etre qu'aflfoibli,
Gustave est demeure sous I'onde enseveli ;
Peut-etre que , sans chef, nos troupes fugitives
Auront , a son rival , abandonne ces Rives ;
Et quand jc me figure , en proie a scs transports,
. L'epouvantable abysme ou je retombe alors..«i
Sophie.
Non , non, d'un tel peril avoir ete sauvce,
Au bonhcur le plus grand , c'est etre reservee ;
Madame; esperez tout. Cessant d'etre ennemi,
Le Destin rarement favorise a demi.
Adelaide.
Etquepcut-rilpoiir moi? Que veux-tu que j'esperc^
Le fils m'etant rendu , s'il faut pleurer la mere ?
Quelle joie ofFrira la vidoire a mon coeur ,
Si Christierne fuit, s'il echappe au vainqueur ?
Lconor , au tyran demeure abandonnee.
Elle , a qui je dois plus qua ceux dont je.suis nee I
Elle , dont le malheur n'est venu que du mien!
Qui me tint lieu de tout ! sans qui tout ne m'est rien I
Son sang payeroit bientot la commune alegresse.
, Lconor pcrira !
t R A G t D I E, 207
Sophie.
Le bruit d^ts> armes cesse.
Elles ont decide , Madame. On vient a nous.
»W.».mM'><''»-.— «»'>'-L-ll-i,l.UBi-L.i.--l.ig-!Ji»JII I null IIHI-^LL.....„H'IMWM«
t> ■ *
SCENE II.
»C AS I MIR, qui veut rentrer en voyant Adelaide,
ADELAIDE, SOPHIE.
Adelaide.
C-/ A.SIMIR! Gasimir ! pourqnoi me fuyez-vous \
Ce jour auroit-ii mis le comble a nos miseres J
C A s I M I R.
Vous remontez, Madame, au trone de vos percs,
Adelaide.
Je puis y regretter Tetat ou j'ai vecu.
Gustave , Leonor
C A s I M I R.
Christierne est vaiiicu.
Adelaide.
Et peut-etre venge >
C A S I M I R.
Non , mais tout pret a Tetrc.
'''Ad i L A i D e.
Ah, vous n'avez rien fait !
ioS GVSTAFE-VTASA^
C A S I M I R.
Ayant vu fuir Ic traitre,
Qui, du milieu des flots , brave a present nos coupSj
Gustave impatient revcnoit pres de vous.
Mais , par des furieux qui refusoient la vie ,
Presque de pas en pas , sa course ralentie ,
Veut qu'il combatte encor, & vainque a chaque instant*
Ami J prends ^ m'a-t-il dit , un soin plus important ;
Je saurai disperser cette fbule impuissante.
Dans la Tour ^ cependant ^ ma mere est gemissante ^
Chasse de devant elle & la crainte & la mort ;
E't J pour la ras surer ^ instruis-la de mon sort*
Je le qtiitte , & j'accours. Mais , helas ! du rivagc^
Sur un navire expres approche de la plage ,
Je decouvre.... 6 spectacle , ou de la cruautc ,
Triomphe, sous nos yeux, Thorrible impunitc!
Christierne , a ses pieds , d'une main forcenee ,
Tenant sur le tillac Leonor prosternee ,
Et de Tautre , dcja haussantpour sevenger,
Le fcr etincelant tout pr6t a I'cgorger.
A cet asped , vers lui , nos mains sont etendues.
Du peuple suppliant le cri perce les nues.
Pour une heure , le coup demeure suspendu \
Et , par un trait lance^ ce billet est rendu.
A D E L A 'i D E /^ recevant.
Ah! je ne vois que trop le choix qu on nousy laissc.
{Elle lit has. )^^^
SCfeNE
T RA G £ D t M. tcf
S C fi N E III.
GUSTAVE, ADELAIDE, GASIMIR , SOPHIE.
GUSTAVE a ceux q^ui le suivent^
OOLtTATS , qu on se retire, & que Ic meurtre cessc.
Que le sang le plus vil, devenu precieux ,
Temoigne que c'est moi qui commande en ces lieux*
( Appercevatit & abordant Adelaide. )
O faveur , que du ciel je n'osois presque attendre !
Que de graces deja n'ai-je pas a lui rendre ,
Madame, vous vivezj & par d'heureux moyens ,
Les secours de Sophie ont seconde les miens !
Vous vivez ! Quelle crainte en mon coeur est cessee I
Dans quel etat afl^eux je vous avois laissee ,
Pour courir assurer un succes balance
Par I'enacmi , qu'enfin vos amies ont chass^ I
Adelaide.
Hclas !
G u s T A y E.
Votre vengeance euE etc mieux servie.
11 eut , avec le trone , abandonne la vie j
Mais dessoins plus sacresmeprcssoienttour a tour..
J'avois a rassurer la nature & I'amour.
Vous & ma mere avez favorise sa fliite.
Vous avez Ifunc ^ Taiitrcarrcte ma poursuitc.
Tome IL O
-tia GUSTAFE-W^ASJ,
Sans vous deux, mes lauriers devenoient superfliis.
Je vous vois : je respire. 11 ne me reste plus ,
Pour goiiter sans melange une faveur si chere ,
Que de m'en applaudir dans les bras de ma mere.
Voyons-la. Quelle joie , apres tant de malhcurs ! ...
Mais que m'annonce- t-on ? Je ne vois que des pleursl
Vous qui la secouriez, repondez-moi , Sophie?....
Casimir....Tout se tait. Ah ! ma mere est sans vie ! "
Adelaide.
Leonor voit le jour. '
G U S T A V E.
£t vous soupirez tous ?
Adelaide lui donnant le killet.
Voyez quel sacrifice on exige de vous.
G u s T A V E /ir.
Ou dcviens Parricide^ ouflechis ma coVere ^
Gustavc. Je t*accordc une heure pour le choix.
Songe a ce que tu peux : songe a ce que tu dots.
Ou rends moi la Princejje^ ou voisperir ta mere.
Lebarbare , en fuyant , Tavoit en son pouvoir I
C A s I M I R.
Du haut de ce palais , Seigneur , on pent tout voir.
Le poignard, a nos yeux, reste leve sur elle.
Adelaide.
J'attcnds le mcme coup de ma douleur mortelle. ,
. , V "T RA G t D I E, 2 1 1
G U S T A V E.
Juste ciel 1 a qui done sera du votre appui ?
La piete deux fois m'est fatale aujourd'hui.
Adelaide.
I'redcric cut ete notre ressource unique j
. Je pourrois tout encore sur son ame heroique ,
Ec j'irois me jeter, sans rien craindre, a ses pieds j
Si ce rival etoit le seul que veut eussiez.
G tj S f A V E.
Le seul I ce n'est pas lui que 1 ec^nge toncerne ?
; Adelaide.
Non , Seigneur.
G u s t A V Ei
Eh qui done ? j,
^ ; . A D E L A i D E.
.is\u\W. Le tyrin.
G u s T A V E.
Christicrnel
Adelaide.
Lui-meme. J'apprenois ce dernier coup du sort ,
Lorsque, sur 1 echafaUt , vous attendiez la mort.
G y s T A.v^*
Aussi n'est- ce pas vous qu'on livrera , Madame.
Cest.a moi d'assouvir le coiirroux qui renflamme.
Oij
ill GVStAVE-WASA,
( k Casimlr. )
Vas le trouver , ami y sache s'il y consent.
De ce courroux, ma mere est Tobjet innocent.
Qu'il accepte au lieu d'EUe un rival qu'il detestc.
C A s I M I R.
Moi , je me cbargerois d'un emploi si funestc !
To,iit ordre qui vous nuit , passe votre pouvoir ,
Seigneur; & je vous fuis , pour n'en plus rccevoir.
SCENE IV.
GUSTAVE, ADELAIDE, SOPHIE.
G U S T A Y E.
jutS. A mere , je le vois , n'a plus que moi pour elle.
{ II veut sordr.)
A D, ]§ L A i D E Carrhanu
Ah 1 Prince , ou ccyrezTVOus ?
G U s T A V E.
Ou le devoir m'appellc.
p % L A 1 D E.
Insense! le devoir te fait-il uneloi
De pcrir , sans sauver ni ta mere , ni moi ?
Pease-tu qu'a son fils. elle veuiUe survivre >
Qu'cn tous lieiix ton spouse hesite de tc suivirc? '
r^'^'
T RA G i D I E, xti
Qu*il ttie rcste untefuge aillcnrs que dans tcs brasi
Et qu'en m'abandonaant , tu ne me livres pas ?
Que deviens-je , s'il fautque ton sang se repandc ?
Qui veux-tu, si tu naeurs, cruel , qui me defends
Contre les attentats d'un mortel ennemi ,
Plein du projet fatal dont ton cdsur a frcmi ?
S'ii s'endurcit dcja contre une telle imagfe ,
Si , courant au trepas, tii erains peu qu'on rn'outrage^.
Respede ta patrie , &: daigne au moins songer
Aux maux ou, par ta mort , tu vas la replonger.
Ta valcur n'aura fait qu accroitre nos miseres.
La cruaute sans frein brisera ses barrieres ,
Et , jointe a la vengeance, aura bientot verse
Le peu du sang qu'ici ses execs ont laisse.
Amant peu tendre , appui temeraire & fragile ^
Pernicieux vainqueur , &: viftime inutile,/ z\ znd''
Vas perdre , n'ecoutant qu'un aveugle transpdrt,
Ta Reine., ton pays , ta vi<^Gire &: ta mort !
G u s T A V E.
Je serai , si Ton veutun appui miserable ,
Une aveugle vidime, un vainqueur condamnable^
D'un regrdt Velontaire un amant dC-ehirc ;
Mais je ne serai point un fils denature !
Ma vie appartenant a qui me I'a donneci,
Dc remords eternels seroit empcisonnee ,
ti , faute de Toffrir, I'oubli d6 ri-6n devoir
Laissoit tomber un c©up» .. que j*auroisdu prevoir
Que ma Mere , pour moi , voit leve sur sa tete ,
Que memc a partager votrc amitie s*apprete ,
O iij
i.14 GUSTAFE-TTASAy
Qui , dans I'atfentc cnfin d'un echangc odicttx ^
Des deux Peuples sur moi fixe a present les yeux.
Justice , amour, honneur , tout veut que je me livro?
Madame, encouragez ma Mere a me survivre.
Pour recevoir ses pleurs , ouvrez-lui votre scin.
Soyez-vous Tune a I'autre une ressourcc. Enfin ,
Pour Stockolm &: pour vous cessez d'etre alarmec.
Je vous laisse au milieu d'un Peuple , d'unearmee,
Dont ma vidoire a fait d'invincibles remparts...,
Mon coeur est penetre de vos tristes regards 1
L'amour me fait sentir tout le prix de la vie 1
Mais j'aurai dclivre ma Mere &: ma Patric.
Je vous aurai laissee au trone en vous quittant.
Mourant si glorieux , je dois mourir content.
Duplus lache abandon dejaron mesoupconnc.
Sous le fer menacant la Vid;ime frissonne: -^
Et chaque instant qu'ici j'accorde a mon amour , /
C'est la mort que je donne a qui je dois le jour. T
( a Sophie. )
Aclicu. Retenez-Ia '!:.
Ad E l a I d E sejeaant au-devant de lu'u- [
Vainement on I'espere !
.' G tJ STAVE.
He que pretendez-vous ? Laisser perir ma Mere I
"' A D E L A ID E.
Non'j inais t'accompaffnant , ic veux....
T K A G t B I E, if 5
■■
S C E N E V.
LtoNOR, GUSTAVE, AD^LAitDE, SOPHIE,,
L E O N O R.
M.EGNEZ , mon Fils.
Nous triomphons , Madame j & nos maux sont finis.
A D E L A I D E»
Ah que votre salut alloit couter de larmcs!
G u s T A V E.
Eh quel prodigc heureux fait cesser nos alarmes?
L E o N o R.
Puissc-t-il a jamais ^pouvantcr Ics Rois ,
Qui , sur la violence , erabliront Icurs droits I
Christicrne laissant une foible cspcrance ,
Ou , peut-etre, a Tamour prcfcrant la vengeance ,
Partoit , &: de mon sang pret a rougir les flots ,
Du geste & de la voix pressoit les matelots.
Un tumulie soudain I'intimide & Tarretc.
Tous les Chefs de la flotte , &: le Prince a leur tete ,
Les armes a la main , volant sur notre bord,
Fondent sur le tillac ou j'attendois la morr.
Rodolphe , trop fidele aux volontes d'un traitre ,
Glorieux &: puni, meurt aux ycux de son Maitre..
Je demeurc sans force aux pieds de rinhumaiia. , ,
O iv
t,tf GV STAVE- rrJSJj,
Lc nouveauRoi m'abordc ; & me tcndant la main I
Honteux de mes liens , les detache lui-meme.
Pour prdmic.es , dic-il, de mon p&uvoir supreme ^
Madame ijevous rends k votre illustre Fils*
Que son Epouse & m'aime & m'esiime b. ce prix*
Alh-^^ & de lapaix soye:(^ U premier gage.
Mon cceur ncn goutera de long^temps I'avantage*
C'est pour l*y tetahlir queje vais m* eloigner :
Et ne mettrc mes soins desormais quk regner.
Frederic a ces mots , qu uii soupir accompagne »
Me laisse , & fait partir la flotte qu'il regagne \
Taadis que sur ces bords on ramene avec moi,
Le Monstre dont la rage y scma tant d'effroi.
! ■ =a
S C fi N E VI.
GUSTAVE, ADfeLAifDE, LlONOR, CASIMIR ,
SOPHIE,
C A S I M I R,
JL'alegresse par-tout , Seigneur , vicnt de rcnaitre.
Christierne cnchaine, dcvant vous va paroitre.
Son sang sur le rivage cut aussi-tot coule ,
Et le peuple en fureur I'eut cent fois immol^ ;
Mais on vous eut prive du plaisir legitime
D'egaler, s'il se peut, le chatiment au crime s
De la mortdont pour vous il ordonna Tappret ,
Vous-m^me vous allez lui prononcer I'arrct,
T RA C i D I E. ii7
»iiii ■" ■ ■■■— ■ ■■ ——■-.—■ ' I — "'^
SCfiNE VII & dtrnihe.
GUSTAVE,CHRISTlERNEcAar^/</^/err^,
AD^L AiDE , llONOR , SOPHIE , CASIMIR,
GARDES.
G U S f A V E.
^^UEL spedacle ! 6 Fortune ! Ainsi done ton caprice
Quelquefois se mesure au poids de la justice.
Tygre! Thorreur, Topprobre &: le rebut du Nerd!
Rcgarde en quelles mains t'a mis ton mauvais sort.
Vois a quel Tribunal il t'oblige a paroitre.
Sur ces terribles lieux oii je te parlc en maitre,
Leve les yeux , Barbate , &: les Icve en tremblant,
Voici de tes forfaits le theatre sanglant.
Qui te garantira du coup que tu redoutes ?
Ces marbrcs prophanes , & ces murs , &r cts voutes,
Et I'ombre de mon Perc, & celle de Stenon,
Et ce teste cplore d'une illustre Maison ,
Que vois-tu qui n'cvoque en cqs lieux la vengeance ?
Toi-m^me en as banni des long-temps la clemence.
Le jour , I'heure , I'instant deposent contre toi.
J'ai vu lever le fer sur ma Mere & sur moi.
La Reine a craint encore un destin plus horrible . . i
CHRIStlERNE.
Tranche dc vains discours. Tu dois etrc inflexible.
ii8 GUSTAVE^TTASAy
En me le declarant , pense-tu m'emouvoir ,
Toi , de qui la pitie croitroit mon desespoir ?
Je me reproche moins nacs fiireurs que ta vie.
Ta vengeance deja devroit etre assouvie.
Gustave triomphant , le trcpas m'est bien dii.
Tu vois ce que me coiite un seul instant perdu.
Profite de I'exemple, & satisfais ta rage,
Gustave.
Nomme autrement la haine ou I'equite m'engagc.
Je la satisfais done. Je t epargne. Survis
A la perte des biens qu'un Rival t'a ravis.
Eprouve le depit , la honte & I'epouvante.
Memc a ta libertc je defends qu'on attentc.
Errant & vagabond , jouis-en si tu pcux.
Execrable par-tout , sois par-tout malheureux ;
Par- tout , comme un Captif que poursuit le supplicc ,
Et qui du monde entier s'est fait un precipice.
Je vous charge du soin de son embarquement ,
Casimir; qu'on leloigne; & que dans le moment,
De ce Monstre a jamais on purge le rivage.
Et nous, Madame, aprcs un si long esclavage.
En de tendres liens allons changer nos fers,
Et reparer les maux que Stokolm a soufferts.
Fin du cinquieme & dernier Aclt.
^
I A
METROMANIE,
C O M i D I E.
Representee^ pour la premiere fols^ par les Comediens
Francois le 7 Janvier 1733.
iit
A MONSiJGNEUR
IE COMTE DE MAUREPAS,
i^ OBLE Module 4u vrai Sage,'
Philosophe au-dessus du ^oxt ,
Aussi tranquille en plein oragCi
Qu'un autre le seroit au port.
UEscARBoucLE miraculcusc
Tient d'elle seule sa clarte :
Et n'en est que plus lumii^USC*
Pour etre dans lobscurite.
Telie Yotre verta supreme
JLijit , quclquc part que vous soyez}
Vous y suihsez a vous-meme ,
Ainsi qu'a tout vous suffisez.
'Que w pyisrje dans qette tpituei ,'
Sans vous causer le moitudre ciuiui ,
En vous annoncant; des le titrq ,
M'honorer d'un si bel appuL ?
Mais vous.ne vouJLez pas qu'on s^ciJie
Que c'est le nom cie M '♦^ "^^ * ,
Qui dans Ics etojles s,e cache j -^
He bien , ne Ten tirons done pas. ^
* Jt sAURAi Bj^^H, sans qu'il en socle ;
De mon d^sseixi venir a bout.
Eh desi^nant rHuma^n qui portg.
Ce Noui si revere par-tout.
ii,£ STANCES,
*L- ■ Le Dechifreur le plus ignare
N'aura pas fort a ruminer.
Ce qui vous ressemble est trop rare j
Pour qu'on tarde a me deviner.
"^ Parlons d'abord de votre aurore ,
Et du merite personnel ,
Qui vous rendit , tout jeune cnCDre >
Si digne du rang Paternel.
Votre excessive modestie
S'akmie-t-elle \ ce debut ?
Pour la satisfaire en partie ,
Du premier pas je vole au but,
Aussi-BiEN ce que je vais taire ,
Seroit plus analogue au son
De latrompette de Voltaire, ^ _ r
Que^u chalumeau de Pirom " '' "■'},
J'abrege DONCj & je renferme
Votre Portrait dans un Quatrain :
Et , dans ce Quatrain-la , le germc
D'un Panegyrique sans fin.
Raison , Graces , Lumiere infuses ,'
Font qu'en vous seul est exalte
L'Homme d'Etat , I'Ami des Muses ,
UAmour de la Societe. ,. ,
II faudra , pour que Ton confonde
Qu'ainsi que plus d'un M * "^ * ,
11 soit plus d'un Phenix au monde j
Et c'est , je crois , ce qui n'est pis.
Qu'oN apprenne done d'age en age ,
« Si le hasard m'y fait passer ,
Lorsque j'adressois un hommagd, i
Que je savois bien I'adresser. J
FIN.
mmmmmmmtmaBmrnmamBommmmmm
^ • » .1 — <
P R £ FJ C E.
%) N Chasseur passionne, qui se trouvc en Automne
au lever d'une belle aurore , dans une plaine ou dans
une foret fertile en gibier j, ne se sent pas le coeur plus
rejoui, que dut I'etre Tespritde Molicre, quand, aprcs
avoir fait le plan du Misantrope , il cntra dans ce champ
yaste , ou tous les ridicules du monde se venoient pre-
senter en foule &c comme d'eux-memes , aux traits qu'il
savoit si bien lancer. La belle journee dc Philosophe !
Pouvoit-elle manquer d'etre Tepoque du Chef-d'cEUvre
de notre Theatre ?
Telle etoit la reflexion continuelle que je faisois en
composant la Mkromanie , le Verfiiicateur se trouvant
ici dans son element , a peu pres comme ce grand
Poete & ce sage pcrsecuteur du ridicule s'etoit trouve
la dans le sien j mais avec la difference bien f acheusc
pour moi , que, dans le Misantrope, le Poete etoit sou-
verainement doue des talens n^cessaires au Philoso-
pher aulieu qu'ici les talens necessaires au Poete, man-
quoient totalemenr au Versificateur. De-la s'elevoit en
inoi , comme s'elevera sans doute aussi dans I'ame du
Lecteur , un vif regret que le Maitre ne se soit pas avise
de traiter un sujet assez fccond , assez piquant , pour
n'avoir pu meme etre tout-a-fait malheureux enrre les
mains du Disciple. Que n'eut pas dit en effet ce grand
Homme, ou j'ai dit si pea? Quelles fieurs n'eut- il pas
fait briller , quels fruits n'eut-il pas fait naitre sur un
tcrrein plus connu de lui que de nul autre , & que jc
n'aurai tout au plus tapisse que d'un peu de mousse &
dc verdure? „ .
*i4 P R i F A C E.
Penetre done de mon insuffisance a si juste titre , U
plume ^ chaque vers eut dii me tornber de la main j
mais que peut k raisonnement contrc la phnete , & dc
quel pQlds sont des reflexions balancees par Tasccn-
<Jant ? Je ae pretends pointy par les grands, mots de
planete & d'ascendant , nie donner pour un de ccs
hommes heureusement nes sous I'astre qui forme Ics
vrais Poctes i je ne viens pas de me rendre justice tout-
i-rheuxe , pour me contredjre si-tot. Je nc me donne
que pour ce que je suis , que pour un de ces csprits trop
ordinaires^ qui re^oiveni le jour, non sous Tastre benin
dont I'infiuence est si rare , nuis sous cet astre pesti--
lentiel & non moins dominant , qui fait qu'on a U
fureur d'etre Poete , & souvent , qui pis est , celle de
9e le cK>ire.
Jc cedai done ^ la force majeure: ainstpetit bieii
s*appeler cette manie qui fait iei tout-a-lafois , Texcuse
bomie ou mauvaise de T Auteur , & le titre de la Piece ,
& je hii cedai d'autant plus naturellement , qu'apres
tout le bien & le mal qu'elle m'a cause , je ne pouvois
manquer cfavoir une vive demangeaison d'en dire tout
le mal & le bien que j'en pense.
Quiede douceurs imaginaires, & que d'amertumes
bieu jtelks i-Va-t-elle pas en effet repandues sur le
^ours de ma vie ! A commencer par les amertumes,
que de pei:secutions des mon enfance , & qui n abou-
lircnE qu'a Teffet ordinaire des persecurioosj c'est-a-
dire , qu'a rcngreger le mal 1 Je ne pechai plus qu'en
secret i & si des pecheurs c'est I'espece la moiiis scan-
dakuse , c'est aussi , corame on salt ,, la plus endurcie.
Que ceux qui veilloient a mon education n'eurent-ils
un peu d'adrcsse &: de patience , j'ctois peut-eCK sauve :
peut-
PREFACE. 115
pcut-etre que s'ils m'eussent laisse faire , soit degout
ou legerete , je mc fusse redresse de moi-mcme. Cette
facon de s'y prendre, route simple qu'elle est , a corrige
plus d'une sorte de fous. Pourquoi notre Jeunesse j
par exemple , ne s'egare-t-elle plus dans les douces
illusions du tendre amour ? A quel heureux manege
a-t-elle acquis sur ce point un degre de sagesSc auquel
nos Peres , avec toute la leur , n'arrivoient qu'a peine
sur la fin de leur vie? Elle doit ce bonheur au bel usage
ou sont aujourd'hui les Parens de ne la plus reprimer
dans ses premieres saillics j de Tabandonner a la fou*
gue des passions naissantes \ & meme de pousser sou-
vent la complaisance jusqu'a vouloir bien prendre la
peine de lui donner I'exemple.
Mais je veux que la persecution qu'on me faisoit fut
juste \ comment Tentendoit-on , puisquc , tandis qu'st
la maison ce n'etoit que chatimens de toute espece
pour rompre I'enchantemcnt j au College, au contraire,
on n'epargnoit rien pour en augmenter la force ? Les
Regens nous mettoient en main les Poetes classiques ,
en chargeoient nos memoires , en abreuvoient nos
esprits , nous en faisoient sentir , & par de-la , Tele-
gance Sc les graces , les exaltoient avec enthousiasmc ,
6c finissoient par nommer ce langage le langage des
Dieux. Pour moi qui les ecoutois avidement &c de la
meilleure foi du monde , je n'en rabattois rien dans ma
foible judiciaire. J'observois de plus que ces Poetes >
sans avoir effuye ni la fatigue, ni le danger des annes ,
& moins encore I'embarras des richesses ; sans avoir
cte ni des Cyrus ni des Cresus , n'avoient pas laisse ,
dans Ic calme de leur cabinet , que de se faire une ce-
lebrite sinon plus graiide , au moins plus pure , plus
Tome I L P
11^ P R ^ FJ C K
pcrsonnclle sans doute , & plus durable peut-etre que
cclle de ces kommes si fameux. Est-il jeune tete , pour
peu qu'il y petillc deja quelque bluette de feu poetique ,
qui soit assez ferrae , pour ne se pas toumer vers un
point de vue si brillant ? Se connoissant si peu, quenc
presumc-t-on pas de soi ? Je ne serois pas surpris que
r^tourneau sous Taile encore de la mere , appercevant
I'Aigle au haut des nues , se flattat de I'y suivre au
sortir du nid. Un de mes camarades de classes , jeunc
homme vif & bien fait , ne brave ( car il en est , je
crois , du brave comme du Po'ete : nafdtur uurque j )
celui-ci done , Timagination echaufFee ^ sa fa^on, de la
ledure de I'lliade , de rJEneTde & de nos merveilleux
Romanciers , s'enrola des I'age de quinze ans dans les
Dragons. Je n'en avois que douze ou treize alors ; &
j'cn etois encore «i mon premier enthousiasme , quand
cc jeune etourdi partoit tout rempli du sien. Adieu
mon ami , mc dit-il d'un ton d'Artaban : J'y perdrai la
vie J ou je ferai voir jufquoii pent monter un brave soldat,
U croyoit deja tenir k coup sur & son epee & le baton
du MarechalpABERT dans le meme fourreau. Courage,
ami, lui repondis-je 4 peu pres dumcme air : 6" moi
^ mon cote, j'y perdrai mon latin , ou j'aurai moissonne
d'aussi beaux lauriers que les tiens. Reviens un Achille, &
iois sur de retrouver en moi j a ton retour , un Homere qui te
thantera comme tu V auras merite, Tels furent nos adieUX
heroiques. Nous nous separames ; & depuis nous
avons tous les deux atteint notre but a peu pres Tun
comme Tautre. Lepauvre gargon, avec quarante-cinq
ans de plus & unbras demoins^ estmort soldataux
Xnvalides.
Revenant \ men propos , je crois done pouvoir
PREFACE. 117
dire que Its enfans ne sont pas si peu Ats hommes ,
qu'ils ne soient deja presque aussi vains que Peic &"
Mere. Or des vanites , comrne de raison , la plus folic
doit avoir chez eux le droit de preference. A Tattrait
de celle-ci qui rioit a ma sotte imagination , se joignoit
I'amour du passe-temps j ajoutons-y le glorieux plaisir
de la difficulte vaincue : plaisir vraiment puerile , &
qui , si j'ai bonne memoire , ent're pour quelque chose
dans tous les jeux de I'enfance aussi. bien que dans
notre ancienne Poesie & notre nouvelle Musique.
Tout cela pose , n'est-ce pas pour un vieil enfant de
dix a douze ans, une amusstte assez propre a lui piquer
le gout , que celle d'agencer , d'enfiler , & de scander
des syllabes fran^oises j de les arranger ens uite en li-
gnes *, & d'ourler enfin ces lignes de rimes qui , selon
lui , sont le caraitere essentiel de notre Poesie ? Ce-
pendantdes mots, petit a petit, naissent les pensees \
des pensees , les figures •, des figures , les images : Fes-
prit s'accoutume au mouvement qui TechaufEint de
de plus en plus , le fait enfin parvenir jusqu'a former
des plans tels quels. Qu'on y reflschissc un peu ; ne
seroit-ce pas quelquefois cette marche qui , parmi
nous , auroit fait insensiblement du petit Rimeur, un
Versificateur de profession j comme une version cou-
ronnee en troifieme , aura fait par hasard d'un iScolicr
un Tradudleur ? Peut-ctre n'est-ce mems qu'a la faveur
de 'ces premiers pas enfantins , que nos vrais Poetcs ,
( sans en excepter les plus illustres ) se seront apper^us
dc la superiorite de leur etoile. Le premier rcssorr qui
fait mouvoir tous ceux du ccrur & de Tesprit humain ,
est toujours quelque chose de bien cache. En combieii
d'erreurs I'envie de dccouvrir ce premier mobile n'a-
Klle pas induit Ic jugemenr des Speculateurs ? L*essain>
ii8 PREFACE.
d'abeilles qui par hasard se posa sur le berceau de Fla*-
ton &c sur cclui de S. Ambroise , ne passa que pour un
presage de leur eloquence i qui sait s'll n'en fut pas la
cause ? Cette eloquence , en eux , s'eveilla pent - etre
moins par leurs dispositions naturelles , que de ce
qu'on leur dit que ces abeilles , symboles alors de VE-
loquence , s'etoient posees sur leur berceau. Quoi
qu'ilen soit, laissant-la de sihautes destinees , Sc sans
sortir davantage de mon sujet ni de mon humble
sphere , tels fiircnt les demiers jeux de mon enfance
3c mes premiers pas vers le Parnasse. Aux boules de
savon , aux chateaux de cartes , succederent immedia-
tement le badinage de la rime & les chateaux en
Espagne.
L'adolescence arrivee , tout cela s'evanouit & s'e-
boula comme ce qui I'avcit precede. U fallut , malgre
moi, songer au solide , &c repondre au sage empresse-
ment de mes Parens qui me prescrivirent le choix d'un
ctat proportionne a la mediocrite de leur fortune &
dema naissance. Ilsauroient bien voulu , laissant agir
la simple vocation , attendre en moi quelque talent
decide qui me detemiinat par moi-memcj mais le te-
moignage de mes Regens les avoir habitues a ne m'en
supposer aucun. Dc ce que j'etois de ces jcunes egril-
lards qui nc sont pas tou jours uniquement occupes de
leurs tristes devoirs , ces Maitres m'avoient declare
atteint 8c convaincu d'une incapacite totale & perpe-
tuelle. Voila de leurs oracles rigoureux , quand il ne
s'agit pas de Thoroscope d'un faiseur de themes sans
faute , ou d'un ecohcr appartenant a gens d'une cer-
lainc importance , soit par la naissance , par les em-
plois , ou par les richesscs j car alors ils n adoucissent
PREFACE. 119 .
que trop Ics termes ; & quelles en sont les suites? J'ai
assez vecu pour en avoir ete long-temps le temoin. La
plupart de ces Heros des classes ont cte , durant Icur
vie , le rebut de la societe •, & seeks,
Je pensois des-lors assez sensement & assez haut
de Tetat ecclesiastique , pour m'etre bien persuade
moi-meme & pour avoir egalement persuade les au-
tres , que cc ne pouvoit ni ne devoit jamais etre Ic
mien. Cela chagrina beaucoup. Les families tant pau-
vres que riches , n'aiment rien tant que de voir les en-
fans s'embarquer dans un genre de vie qui debarrasse
^'eux a peu de frais , & qui ne laisse pas d'attircr
souvent de la consideration , & presque toujours de
mettre a I'aise. Mais mes parens n'e'toient pas gens i
me blamer ni meme a jamais oser insister le moins du
monde la-dessus. C'etoient de ces bons Gaulois , qui ,
s'il en existe encore , sont le jouet du siecle poli : on
m'entend , je crois : de ces bonnes ames devenues aussi
rares que ridicules , cent fois plus occupecs de Icur
salut & de celui des leurs , que de tout ce qui s'appellc
ici-bas gloire & fortune. Le Ciel les en a benis dans la
personne d'un frere que je viens de perdre chez les PP.
de rOratoire , & qui pour ses longs travaux comme
pour sapiete , meurt honore des regrets de son illustre
Congregation.
Ce saint etat done mis \ part , & s'agissant de fixer
un pen les irresolutions du jeune ecer\'ele , on me mit
vis-a-vis de Justinien y de Bareme dc d'Hippocrate , ^Ton
me dit de choisir. Je le demande a qui m'a pu connoitrc :
ctois-je mieux appele a pas un de ces trois etats qu'au
premier? Riant, ouvert, ingenu, sensible & compatis-
P iij
4 5© PREFACE,
sant jusqu'a la foiblesse , elcv6 dans les principcs Bt
sous les exemplcs de la simplicite la plus franche & la
plas naive , qui pis est , par consequent , nuUc ardeur
du gain , pas la moindre etincelle ni d'ambition ni dc
bonne opinion ; etoient-ce la des dispofitions pour dcs
€tats dans Icsquels on n'entre & Ton ne reussit plus
gueres qu'autant qu'avec des qualites toutes contraires
a celles-ci , on a la gloire & la fortune en vue? Etoit-cc
^e fait sur-tout pour la Finance dont on m'insinua
foption , j'entends pour la Finance telle qu'alors '•' on
lapratiquoit? Carmaintenantj ce qu'avec admiration
j'apprends au fond dc ma retraite , tout est change dc
mal en bien j & , malgre le nos nequiores mox daturas ,
tout va de bien en mieux. Le manteau de la saine Phi-
losophic s'estetendu , dit-on , sur toutes les conditions ,
au point que dans celle-ci meme , I'urbanite , la recti-
tude & le desinteressemcnt regnent autant qu'en toute
autre-, de sorte que nous voila , grace au Ciel, arrives
h. I'age inespere oii Ton ne peut plus s'ecrier qu*en
bonne part : 6 Tempora .' 6 Mores I
Mis sur les voies, & sous la protedion d'un des
plus excellens Maitres , je vis done en vain que , ne sous
le chaume , on pouvoit en ce temps-la , par un chemin
tres-court , tres-facile & tres-battu , se flatter de vivre
un jour sous dcs lambris dores , & , de millions en
millions , s'elevcr par dcgres jusqu'k mourir Gendre
ou Beau-perc de tout ce qu'il y avoir de micux : tout
cela ne me gagna point i deux choses mc rebuterent de
cette sorte d'elevation : Taller & Ic revenirj lafa^on
cl*y parvenir , & les d^sagremens d'y ctre parvenu.
* En 1710,
PREFACE. 151
La Medecine & la Jurisprudence me durcnt done
infiniment plus tenter. Tout frivole que j^etois, je ro»
gardois dejk ces arts du mcme aeil que je les voij en-
core aujourd'hui. Eh ! quoi de plus digne de I'liomme
en efFet , que la science de la Nature & des Loix? Quoi
de plus noble que des emplois dont Tobjet est de veiller
a la conservation des biens, de I'honneur, ou de la vie
desCitoyens ? Ne loin des grandeurs & de Topulence ,
un homme obscur se peut-il mieux titer du pair que
par Tune ou I'autre de ces deux professions, qui le
font egalement rechercher du Peuple , des Grands 8c
du Prince ? Est-il , en un mot , deux plus belles portes
ouvertes a des gens de coeur , pour sortir du second
neant dans lequd , en les tirant du premier , il a plu »
pour ainsi dire , a la Providence de les faire entrer sous
la malheureuse enveloppe §c le facheux titre d^homrac
de n^kit \
Maisi^,moi Medecin! Moi qui , par-dessus tou*
les foibles que je viens d'annoncer , eus toujours cclui
d'aimer d savoir ^ peu-prcs ce que je dis , & sans com-
paraison plus encore ce que je fais , quand sur-tout il
y va , comme il y eut etc ici , du plus precieux interct
de mon cher Prochain ! Moi , dis-je , oser prendre pos-
session d'un benefice ^ charge de corps ! Oser exercer
un art ou le plus grand savoir souvent ne guerit de
rieni & dans lequel une bevue , une imperitie n'expo-
sent pas a moins qu'a commettre un homicide ! Prenons
quemalheureusement I'habitude & le mauvais exemple
m'eussent assez aguerri , pour que bientot je ne mc
fusse pas beaucoup soucie d'une faute involontaire »
dont on ne croit pas avoir un certain compte a rendre
a DieUa aux hommes, ni ^ soi^neme ; seroit-ce done
P iv
iji PREFACE.
tout ? La roue d'lxion , le rocher de Sysiphe , sont-ils
pires que ce que jeconsidere au-del^ ? Eh ! quoi, avoir
a soutenir de sang froid , a combattre , a dissiper sans
cesse les tristes visions d'un Hypocondre ! Avoir ^
calmer les impatiences du vrai Malade , ou les justes
alarmes de I'homme en danger ! Avoir a repondre aux
questions sans nombre d'une famillc sensible ou dena-
turee qui les environne ! Avoir enfin , vingt-fois par
jour , a laisser de porte en porte , &c d'un ton decisif
en s'en allant , Tesperance ou le desespoir a la ronde ,
au hasard d'essuyer a son retour les plus sanglans de-
mentis ! Quels dons , quels talens , quel courage ne
faut-il pas , pour faire d'un si facheux role , son role
unique & perpetuel ? Gaudeant bene nati I Pour moi ,
du premier coup d'oeil , je reculai d'epouvante \ & ,
franchement , ni la fortune solide , & le puissant cre-
dit de nos Medecins , ni leur belle securite au milieu
de tant d'ecueils & de degouts , ne m'ont pu faire un
moment repcntir d'en avoir eu peur & de les avoir
evites.
Restoit \ prendre le parti du Barreau •, je le pris done ,
& ne le pris pas encore sans bien trembler. Get etat,
du cote de I'incapacite , n'expose pas une ame delicate
\ moins de scrupules que le precedent. Car enfin I'Avo-
cat , outre la defense des biens de ses Concitoyens , a
quelquefois encore en main celle de leur vie , & sou-
vent , qui plus est , celle de leur honneur, Une chose
merassuroit: c'est qu'ici du moins , outre les prin-
cipes d'equite naturelle dont tout le monde a sa por-
tion, Tesprit humain a pour second point d'appui,
I'etude opiniatre des Loix & ^t^ Coutumes \ Ocean
vaste J a la verite , mer qui , coiiime les autrcs , a ses
PREFACE, 235
bras , ses detroits , scs courans , ses golphes & scs
bales ■, mais dont I'etendue immense, apres tout , n'est
pas a comparer a Tabysme impenetrable des regies Sc
des caprices de la Nature, qui , tous les jours, au
chevet du lit des Malades , se joue de la dodrine la
plus ferree , & de la plus longue experience.
Cs qu'il devroit y avoir , 'k mon gre , de plus rebu-
tant pour un Candidat du Barreau , c'est que les fruits
d'une si belle & si longue etude ne puissent percer ni
se recueillir qu'a travers les gravois & les halliers de
la chicane. Pour moi , j'avois courageusement franchi
routes ces landes. Deja je possedois assez joliment
Pere^e , Daumat , & le Pradeien Francois. J'allois enfill
debuter , au grand soulagement des Curieux bien ou
mal prevenus , & tous egalcment impatientes de tant
d'apprcts & de precautions , quand un revers de for-
tune , accablant tout-a-coup mes pauvres Parens, ren-
versa mes projets & ruina tant d'esperances vaines ou
malignes. Devenu du jour au lendemain plus a plaindre
cent fois que bien des Veuves 8c des Orphelins , ce fut
k moi jt me reposer de leurs interets sur d'autres De-
fcnseurs , & a ne plus songcr qu'a me titer moi-meme
d'affaire par route autre voie •■, car celle-ci me devenoit
absolument impratiquable , la profession d'Avocat
etant , ce me semble , trop noble pour etre compatible
avec le besoin d'un ecu. U y fallut done ou renoncer
ou deroger ; & je n'hesitai point : j'y renoncai. En quoi
je ne fis pas , a tout prendre , un bien grand sacrifice.
Quel regret au fond pourrois-je en avoir , puisque, de
la trempe singuliere dont je suis j de mcme qu'a mon
premier Malade enterre , j'aurois cru devoir abdiquer
le Doclorat •-, je sens egalement que j'cusse mis robe ,
ij4 PREFACE.
sac &: bonnet bas a: la premiere bonne cause que fmt^
lois perdue. Et a qui ce maihcur-ci n'arrive-t-il point?
Quant aux autres metiers , depuis leplus honorable,
qui, si Ton veut, est eelui des armes, jusqu'au plus-
abjedt qu'il plaira dlmagincr , la Nature me les avoic
cous interdits •, j'etois ne presquc aveugle.
X\
En pareil cas , un Provincial infortune , pour cachet
SSL misereou pour y subvenir, n'a d'asyle que Paris,
M'y voila done , nouveau - debarquc > un peu plus
qu'adolescent , sans yeux , sans Industrie , sans con-
noissances J & , non-seulementsans Protedcurs , mais-
naeme entierement denue de tout cc qui contribue a
s'en procurer. Ou voudroit-on que je me fusse pourvu
de ces rares qualites ? Ou le&aurois-je acquis , ces airs
aises > souples, avantageux , insinuans, capables seuls
d'irapatroniser le premier Sot qui les a , par-tout ou
bon lui semble de se presenter ? Auroit-ce ete dans la
poussiere d'un College de Province ? Dans la solitude
obscure dcs foyers paternels ? Dans Tausterite d'une
education simple , grave Sc singuliere , au point d*avoir
voulu me faire passer le chant , la danse, les ledures
profanes , toute sorte de liaisons , en un mot , tout cc
qui peut orner le corps & I'esprit > pour des monda-
nites dangereuses qu'il etoit bon d'ignorer ou de nc-
gliger toute la vie J Quelle ecole , en comparaison des
Colleges & des Academics de la Capitale, d'ou le jeunc
homme , quel qu'il soit , s'introduit gaiment Sc de
plain pied aux toilettes des hommes & des femmcs ,
va s'asseoir aux grandes tables , figurcr iur les bancs
d'un theatre , 8c tenir la place d'un rayon dans ces
cercles appelesBo/wM Compagnies , sources de lumieres^
PREFACE. 251
de bonnes fortunes & de protedions I Helas i c*etok
peu d'avoir ete prive de ces dernieres ressources ! Jc
ne savois pas , je ne me poiivois pas dourer qu'ellcs
cxistassent \ qui meles eut indiquees, me les eut memc
indiquees vainement : ou je ne Ten aurois pu croire ,
ou cette malheureuse modestie , si naturelle ^ la jeu-
nesse trop erroitement morigenee, m'en auroit plus
ccarte qu'approche.
Voila done , comme je viens de le dire , ma nacelle au
milieu d'une mer inconnue , le jouet des vents , des
flots & des ecueils •, elle faisoit eau de tous cotes \ jc
me noyois , quand la Poesie , bien ou mal-a-propos ,
me revint a la memoire. Je m'en saisis comme de la
seule & derniere planche que je voyois Hotter autour
de moi dans mon naufrage. Je sais trop quelle epithetc
on va dormer i. cette planche \ mais que veut-on ? Par
inclination peut-etre autant que par extremite , touec
metaphore cessant , j'embrassai I'unique & bizarre
cspece de profession dont le debut & I'exercice n'exi*
gent outils , chef-d'ceuvres , lettres de maitrise , avan-
ces , degres , naissance , credit ni protection. L'on
s'etablit comme on peut.
Jc n'entreticns mon Le6leur de si petites choscs , &
n'ose parler de moi si long-temps contrela loi duSage,
qu'en vue de me justifier humblement devant la Societe
dont bientot je me separe dans un age avance , sans
avoir eu le bonheur de lui pouvoir etre utile ni neces-
saire, n'ayant laboure , bati, calcule , medicamente,
plaide, juge, preche ni combattuj n'ayant fait pour
elle, en unmot , que des versi & quels vers encore !
Des vers, comme on vient de le voir, moins inspires
1^6 PREFACE,
par Minervc que par la Necessite. Celle-ci , dit-on ,
est la mere des arts ; c'est done le notre excepte i car
chacun sait ou en etoit le bon homme Horace , quand
il disoit , ohe. Et si de la Necessite ou de la Poesie
Tune des deux doit la naissance a I'autre , je suis paye
pour croire que c'est a la Poesie que sont dus les hon-
neurs de la matemite. Quoi qu'il en soit , n'ayant con-
tribue qu'en si chetive monnoie a ce que la Societe a
droit d'exiger de tous scs membres , je me trouve ^
son egard dans un tort qui merite bien , etant involon-
taire, qu'en partant, je le diminue par quelques excuses
melees i mes demiers adieux.
Du reste, si mon esprit, dans sa maturite, se rappro-
cha des folies de mon premier age , on ne doit pas dou-
rer , apres ce que je viens de dire , que ce ne fut bien
tristement & dans des idees fort eloignees de celles
qui , dans ce premier age , m'avoient enchante. Quelle
difference en effet entre ce qui ne fut qu'un amusement
& ce qui devient une derniere ressource ! N'envisa-
geant pour lors la Poesie Fran^oise que par son vrai
cote , j'esperai peu , & presumai encore moins. Quelle
carriere a courir en effet , sur les pas de tant de grands
Hommes , qui , par leurs ouvrages inimitables , sem-
blent I'avoir fermee plutot qu'ouverte a ceux qui les y
veulent suivre ! Mais disons tout aussi : plus d'une
pensee consolante me soutenoit dans ce coup de de-
sespoir. Le gout pour la retraite ; les douceurs de I'in-
dependance \ Tinnocence d'un metier dont I'exercice ,
entre mes mains surtout , ne pouvoit ni ne devoit
faire ombrage , envie , ni tort a personne j enfin la
satisfadion de songer que du moins je saurois , des
les premiers pas, si je m'etois bien oumal engage j
PREFACE. 257
n'ctant gueres possible , quelque illusion qu'on se
fasse paif-rout ailleurs , de se la faireici long-temps. Car
ici le but se manque ousetouche,du premier coup, a
ne laisser aucun doute. Au Theatre , une comedie
fait rire ou bailler 3 une tragedie , pleurer ou rire j
d^s-lors le Maitrea prononce, & prononce sans appel :
au lieu qu'en tout autre canton des Muses , dais les
sciences d'esprit , de memoire & de raison , dans les
hautes & dans les exactes comme dans les autres , Ic
point de decision , le tort & le droit du Savant demeu-
rent a jamais suspendus. Histoire , Jurisprudence ,
Physique , Morale , une autre Science encore sans
comparaison plus importante & plus ennemie du pro-
bleme : tout cela, salles d'armes eternellement ouvertes
aux assauts du pour & du contre. Le Ledeur &: I'E-
crivain, le Professcur & I'Etudiant , I'Orateur & I'Au-
ditoire , le Litterateur, son Antagoniste, & leurs Juges,
tout teste en I'air. L'un propose, Tautre objede, tous
veulent opiner. C'est que ce sont de grandes matieres
qui intercssent le repos ou I'orgueil de I'esprit humain *,
& dcs-lors il n'cst petit ni grand qui he veuille inter-
venir \ on combat pour sa dame , pour la souverainc
de ses pensses , pour la verite dont il sied bien a tous ,
meme a des Sanchos-Pansas , d'etre les Doms Quickotes.
D'abord on ne cherchoit peut-etre d'assez bonne foi
qu'a s'kiclairer les uns les autres j bientot la dispute &c
Taigreur s'en sont mises y & de route part ensuite il y
est alle de la gloire a n'en pas dcmordre ; aussi ne dc-
mord-on plus nulle part. De-la des controverses i perte
de vue , qui , de sophisme en sophisme , jettent les
fondevncns tenebreux d'un Pyrronisme universel. Quel
supplice pour les amateurs & pour les defenseurs du
vrai, mais sur-tout pour les Autcurs qui seroient presses
i^S PREFACE,
de savoir s'ils sont a leur place ou non ! Chez nous, paf
honheur , il ne s'agit que de fables amusantes j le
succes de si petites choses ne meritant pas d'exciter la
moindre jalousie, & n'interessant pas plus serieusement
Famour-propre des Juges du camp , que le veritable
honneur des Champions , notre cause se decide mili-
tairement , & d'ordinaire assez bien. La recolte, il est
vrai , de part & d'autre , est ici proportionnee ^ la
valeur du fond j la pcrte & le gain, des deux cotes,
sont on ne pent moins considerables j il en revicnt a
nos auditeurs une heurc ou deux de divertissement ou
d'ennui j a nous , un peu de vent dans la tete y ou de
rongeur au front •, rien par de-la pour les premiers >
mais pour nous , cc qu'au moins nous en rapportons
de plus, & d'un peu reel , c'est la certitude d'avoir eu
tort ou raison de nous en etre meles j & sachant ainsi
h quoi s*en tenir , pour peu qu'il soit sense , s'en va
d'entre nous content ou corrige qui veuf, perspedivc
qui J scion moi , ne laisse pas d'avoir son agrement.
Mais des perspe(^ves, la plus belle, au gre
Dit Souriceau tout jeune 6f qui n'avoit rien vw^ ,
c'etoit I'idee touchante que je m'etois formee de nos
Auteurs contemporains , dont , en nouveau confrere ,
je me rejouissois de recherchcr la frequcntation j car
jc ne devois pas douter qu'elle ne fut delicieuse> Ta-
mour des Lettres , ce me semble , supposant une ame
&des macurs pareilles^ celles des premiers temps. Mc
voila , me disois-je en moi-mcme , ce que le vulgairc
appelle un hommc a plaindre. O vulgairc bien plus ^
* La Font. fab. loS.pag. ij j. Edit. i7}o.
P R i F A C E. r;9
fiaindre que moi ! k serai- je done en fraternisant avec
ce qui re ressemble s\ peu , avec ce que je congois dc
plus rare & de meilleur en ce raonde , avec les restcs
precieux de TAged'or ? Ou se trouveroient-ils en cifec,
Jes testes de ce bei age , si ce n'est parmi les seules gens
qui le depeignentsi bien & qui sans ccssele regrettcnc
$i fort ? Enfin je vais n'etre & ne respirer qu'avec Ic
bel esprit , la saine raison , Taimable candeur , & k
•desinteresseraent philosophique. Quel etat ravissant 5
CcHTime eux , sans cupidite , sans pretention , sans ar-
tifice , puis-jc manquer de sympathiser avec eux 3 lis
seront mes amis & mes protedeurs. Vivent de parcifc
appuis , & non les Riches &c les Grands •
* Gens faii ant tel bruit t til fracas ,
Q^ue moi qui , grace au del , de courage me pi^^
J'en ai pris lafuite de peur,
Ceux-la'*'*,</ou*, beruTtSy modesteSy veloutes, d'humble C9».
tenance , sont bien mieux mon fait. lis m'aideront dans
mes tentatives , me releveront dans mes chutes , mc
proneront dans mes succcs. L'amour du travail , av5cc
<ie tels secours , s'il ne me tient lieu de talent , m'ea
donnera du moins I'apparence qui souvent mene plus
loin que le talent meme. Pensant & raisonnant ainsi ,
je ne craignois , je ne dcsirois presque plus rien. Jc
pleurois de joie. Cette belle esperance , au sein de la
miscrc , etoit un rayon de lumiere , qui , du plus leger
crepuscule en moi , faisoit d'avancc un bel orient , &:
deja del'espece d'enfcr ou j'etois, un paradis terrestrc,
* Meme Fable.
♦■■>' Meme Fable.
24© PREFACE,
II y cut bien dans tout cela quelque petite crreur dc
calcul. Les riches & les grands , ( la reconnoissancc
me force a Tavouer ; ont un peu plus fait poui/raoi ,
que Messieurs de I'age d'or. A tout bon compte reve-
nir. Somme toute , resterent de net , comme je I'ai dit
plus haut , quelqucs plaisirs chimetiqucs & nombre
de maux reels dont le souvenir m'induisit a composer
hiMetromaaie.
Je ne compte pas entre ces maux reels le manque de
gloire & de fortune qui m'a tenu si fidelle compagnie
dans tout le cours de ma carriere. J'eus toujours trop
mollement I'une & Tautre en vue , pour avoir du mc
trouver fort sensible a ces deux privations. J'espere qu'on
m'en croira facilement quant au mepris de la fortune.
Ce mepris est inne dans tout cceur passionne pour la
liberte. Etre libre , & faire fortune , on le sait trop ,
ce sont deux bonheurs incompatibles 5 qui veut jouir
de Tun , doit absolument lui sacrifier I'autre. Ou
Ton pourroit done n'en pas croire aisement ici le Poete
jt sa parole , c'est lorsqu'il tranche encore de I'indif-
ferent pour la gloire , s'entend pour cette gloire de
succes passagers & d'honneurs litteraires si vivcment
poursuivis par les Auteurs , & dont aucun d'eux n'ose
parler du ton que je fais , sans se faire aussitot jeter
au nez la fable du Renard & des raisins. En eflfet la
manie de versifier passant pour un travers , persuade-
rai-je qu'un travers jouisse d'un des plus solides avan-
tages de la vcrtu , en soutenant , comme il est pour-
tant vrai , qu'il se peut suffire comme elle , &: seul se
servir k lui-meme de recompense ? Non , je n'y par-
viendrai point. Faisons done mieux j supposons , pour
avoir la paix , accordons mcme s'il Ic faut , qu'en moi
seu
P R ^ F J C K 141
tseul soit rassemble tout le sot orgueil dont on veut
qiie notre espece entiere soit enivree j la belle indiffe-
tence dont je me pare , n'en restera pas , pour cela ,
moins naturelle ni moins vraisemblable. Eh ! qui nc
sait que le sot orgueil, en cas de revers, a des res-*
Sources infinicsi & que plus il est mortifie , plus il est
ingenieux a se forger des motifs de consolation ? Or
n'entrevoit-on pas d'ici ceux qui , sur Tarticle de la
gloire dont je parle , peuvent s'offrir tout d'un coup
i Tesprit d'un Auteur presomptueux & mecontent >
Le di^racie , dans son chagrin, n'a qu'a sc rcpresen-
ter non - seulement par quelles voies 8c sur quels
fronts k plus souvent tombent aujourd'hui les cou-
ronnes litteraires , mais encore combien de gens cele-
bres sont morts sans les obtenir. Avec ■ le talent que
Sans faute il aura de savoir alterer un peu le fonds dei
choses ^ son avantage , il trouvcra la bientot de quoi
se consoler ; & meme , sans de grands eiForts de rai-
sonnement , de quoi se fairc de son propre abaisse-
ment un triomphe secret & fonde. Eh bien ! me suis-
je enfin rendu croyable ? Est-on content ?
Les seuls &c vrais malheurs qui mirent done & qui
durent mettre ma foible Constance a Fepreuve , ce sont
ceux dont I'oncle menace le neveu , Adt. 3. Sc. 7,
quand il dit :
Tremble , & vois fous tes pieds ttiillc abysmesouvertsi
L'impudence d'autrui va devenir ton crime.
On mettra fur ton compte un libelle anonymc.
Pourfuivi j condamne , ptofcrit fur ces rumeurs ,
A qui vcux-tu qu'un homme en appelle i
Le Po'cte repond laconiqueraent :
A fes mocurs.
Tome IX. Q
i4i P R £ FJ C E.
Reponse de Theatre i buut-rkne. Le plaisant boucliCf
que les meilleures mcEurs du monde a presenter aiix
traits de la calomnie appuyee sourdement par des
rivaux accredites, mal-faisans, & ruses ! Lasceleratesse
attaquec en opposeroit un d'Ajax , ou la probite nuc
n'en auroit jamais d'autres que la negative & les lar-
mes. Irreprochable tant qu'il vous plaira ; la perversite
qui jura votre perte de sens froid , peut-etre par passe-
temps , le croiroit-on ? 8c simplement pour exercer
son industrie , n en sera que plus apre & que plus
subtile k dresser ses machines. Les ressorts jouent i
voyons ce qu'ici fera pour vous cette innocence eton-
nee , peu sur ses gardes , & , comme je dis , moins
versee mille fois que le crime dans Tart de se defen-
dre i bicn pis , ignorant meme le plus souvent qu'ellc
est accusee, au moment qu'on la fletrit & qu'elle suc-
combe. Le temps , je le veux , devoilc enfin la verite.
On vous reintegre vous ou votre memoire. A la bonne
heure, quoique toujours trop tard j mais jusques-la ,
que n'aurez-vous pas souffert pendant que vos bour-
reaux auront savoure tranquilkment votre affliction ?
Et n'ont-ils pas encore de reste , pour se consoler de la
Justice qui vous est enfin rendue , la secrete 8c dam-
hable satisfadion de vous laisser sur le papier rouge ?
Le Sage a cela vous crie : que vous importe ? 8c de.
clame des merveilles. Mon Dieu , le Sage voir les cho-
ses de moins pres que raiflige ne les sent ! J'cn atteste
ces vidimes reconnues sans tache i la fin d'unc vie
trainee dans I'humiliation , tandis que leurs persecu-
tcurs triomphans n'en haussoient que plus orgueil-
Icusemcnt la tete «& le sourcil.
a:-
Que sera-ce done , pauvre Poctc, si jadis vous avcz
PREFACE. 141'
donne malheureusemciit a ces faux Inquisiteurs la
moindre prise sur vous , par une heure ou deux de feu
mal employe dans votre premiere jeuncsse? Ce n'au-
ront pas ete , comme on croit bien , des volumes dc
contes lascifs & dangereux , ni des Livres complets de
Satires mordantes , dont le fiel aura distille sur I'hon-
neur du Prochain , & peut-etre sur ce qu'on reconnoit
de plus sacre dans ce monde-ci & dans I'autre ^ oh !
non sans doute j une si prodigieuse depense n'est pas
Finiquite ni Touvrage d'un moment. Ce n aura meme
heureusement rien ete de comparable a tout cela j
rien de satirique , de seduisant , ni d'impie \ rien que
vous ayez ni produit au grand jour , ni mcme avoue
jamais. Qu'aura-ce done ete ? Une folic , une dcbau-
che d'esprit fugitive & momentanee , une exageration
burlesque , un croquis non moins informe qu'incon-
sidere , auquel votre coeur ne doit pas etre plus accuse
d'avoir eu part , que celui d'un Peintre en peut avoir
^ de legeres etudes d'apres le nud '■, que celui de nos
Poetes rragiques en eut a Texpression qu'ils donnent
aux sentimens affreux de leurs scelerats , & d'un per-
sonnage incestueux , perfide , sacrilege ou sanguinaire.
Que vous dirai-je enfin ? Ce n'auront ete que des rimes
cousues presque en pleine table , a de la prose qui s'e-
gayoit a la ronde sur la fin d'un repas. Folie tres-bla-
mable; on ne peut trop le dire ni trop le reperer*, mais
si courte , qu'en faveur & de Tage Sc des circonstances ,
un sage , un vrai devot meme n'auroit attendu qu'^
peine au lendemain pour passer Teponge dessus ,
n'eut-ce ete que pour etouffer le scandale a sa nais-
sance. Belle intention qui n'est pas celle des mechans,
Perissc Ic pechcur , & vive le scandale!
£a ces soites de cas » voilk de lear morale.
Q ij
144 PREFACE.
Vous vous etes mis a dos cette peste de la society ;
^ qui, sans se soucier de la vertu , sans se donner memc
la peine de la pratiquer exterieurement , sans la con-
noitre enfin que de nom , s'arme dc ce nom si beau ,
des qu'il est question de nuire , & Tarbore alors
cffrontement : semblable a ces pirates qui , selon la
rencontre & le besoin , font usage de tout pavilion.
Plus de prescription pour vous. Quarante annees de
repentir sincere , de moeurs irreprehcnsibles , d'ou-
vrages approuves & decens j oui , ces quarante an-
nees , vis-a-vis de deux heures de fol enthousiasme ,
ne seront plus pour vous , grace k la charite de ces
honnetes zelateurs , qu'un moment , dc qu'un mo-
ment perdu.
En effet , au bout de ce temps , quelques succes
vous cuvrcnt-ils passage aux honneurs de votre pro-
fession \ c'est a ce passage etroit qu on vous attend.
Vous ne le renterez pas , dites-vous ; vous ne recher-
cherez point ces honneurs , soit par une modestie
extrcmement en place , & de peur meme qu'en les
recherchant , par cela meme , vous ne les meritiez
encore moins ; soit par prudence seulement , &c pour
cchapper a la malveillance embusquee. Fort bien i
mais a quoi bon , si , malgre cette inadion louable ou
judicieuse , vous n'echappez point a la bienveillancc
deceux quiconfercnt ces sortes d'honneurs? Ne vous y
fiez pas ! Oui, vous dis-je , il pent arriverpar unhasard
bien rare a la verite , mais non sans exemple , que ces
sages , quoiqu'instruits des saillies de votre jeunesse ,
d'une voix unanime , & de leur propre mouvement ,
dnignent vous appeler entre eux. Plus votre bonheur
alors paroit grand , plus votre malheur va le devcnir.
PREFACE. 145
Au bruit d'une si glorieuse acclamation , TEnvie in-
quicte , eveillee par consequent avant vous & debout
la premiere , se revet en Prude , & vole au tribunal
de la vraie Piete , trop simple souvent:, pour n'etre pas
quelquefois un peu credule j souvent aussi trop deli-
cate , pour n'etre pas d'autres fois un peu trop severe
ou trop prompte. La , votre ennemie ,
"^ Sous le dehors platre d'un :^ele specieux ,
vous denonce humblement j ouvre en gemissant &:
comme a regret son memorial scandaleux \ y donne a
lire sur votre compte deux ou trois lignes presque
effacees par vetuste i aide elle-meme , en se signant ,
a les dechifFrer j y joint des faits & des ecrits suppo-
ses ; & de cette sorte , armee a la fois &: d'une lueur
de veritc , & d'un nuage epais de mensoiiges , forte
sur-tour du sommeil d'un accuse , qui ne se doute ce-
pendant ni de son danger , ni de sa gloire , elle allumc
la foudre ;i son aise , Sc vous ecrase en riant. Le beau
triomphc ! Ne vaut-U pas mieux encore etre sous les
roues i que sur le char J
Mais je m'appercois que , sans le vouloir & d'abon-
dance de cceur , tout en dcclamant contre la cnJomnie
& la detraction qui Tune & I'autre m'ont , dc tons les
temps , poursuivi sans relache , j'ai insensiblement
fait un Fadum , & conte ma propre histoire. Ce Test
en effer. Qu'on m'y reconnoisse : je I'adopte en rou-
gissant , & k ratific dans tous ses points. Aussi-bien
vient-on de la manifester , en I'incrustant asscz mal-
proprement dans un elogc funebre de M. le President
t MOL. Tart. Ail. L Sc. Y.
Q iij
24^ PREFACE,
de Montesquieu , prononce si Berlin en pleine Aca-
demic. Ah ! si ce grand homme ( qu'on me pardoiinc
ce cri de la nature) , si ce grand homme , du haut des
demeures celestes ou sa belle ame a revole sans doute ,
s'interesse encore aux miseres d'ici-bas , on se le doit
peindrc bien surpris d'avoir ete Toccasion d'un ecarc
si bizarre & si peu decent 1 Comment ne le desavoue-
roit-il pas avec indignation I Lui la sagesse , Tequite ,
la politesse , & I'humanite meme 1 lui qui m'honora
d'une si constante amitie 1 vrai Philosophe qui , malgre
mille vertus reconnues & couronnees , ayant essuyc
comme un autre les plus vives persecutions , voyoit
ma faute & ma disgrace d'un ceil si different de celui
de son dur panegyriste ! Cette faute etoit toutefois
de nature a meriter plus d'indulgence de ce dernier ,
que de qui que ce soit j car enfin
Cc sage qui si haut , crument , & sans detour ,
Rcleve les exces dc la gaiete cynique ,
Qui , du Nord au Midi, va battant le tambour,
Et contant ma difgrace aux echos d'alentour ,
Pour la rcndrc plus grande , en la rcndant publiquci
Ce Philosophe errant dc portique en portique ,
A Venus Uranie a-t-il bien fait sa cour ,
Quand sa Muse accoucha de la Venus physique ?
Ccttc Muse, aujourd'hui fi grave & si pudique »
Avant d'etre sur le rctour »
A-t-ellc ^t^ si pure & si morigenec ,
Qu'onne lui puisse rieu reptocker a son tour J
Et ne lisons-nous pas dans un livrc du jour\
Qu'en demoiselle assez maUnee ,
Qui dc Paphos aimoit outriment Ic scjooir j,
Ellc envia la deftin^c
Dcs colima^ccs en amour J
P R E F J C E. ±4r
Mais en loyal adversaire , au lieu d*uscr de repre-
dailies en badinant avec un tel agresseur , je prends an
contraire fort serieusement le parti de le seconder , en
eonfessant de tout mon cceur , 8c pour une premiere-
fois de ma vie , la ^cheuse verite qu'il craignoit si
fort qu'on n'ignorat. A vingt ans ( mauvais exemple ».
jeunesse , mais bonnes lecons ) , a vingt ans , je tombai
dans le court egaremcnt dont je viens de parler , 8c je
le payai cher a soixante. Sans parler de plus d'une
grace accordce sous nos yeux en des cas- pent - etre
plus graves , ne devois-je pas du moins un peu comp-
ter sur la double prescription ? Puisse enfin cet humi-
liant&libre aveu, qui d'ailleurs manquoit esscntielle-
ment au sceau de ma condamnation , achever d'expier
une si vieille extravagance ! Puisse le regret mortel que
fen eus presque en la commettant , regret que ma ve-
neration pour les bonnes mcEurs me fait emporter att
tombeau ; puisse-t-il me meriter le pardon dans les
deux mondes ! Du reste , comme il est tres - juste ,
Veniam petimufque damufque vicisxim y je veux dire que -
de ma part je pardonne aussi tres-sincerement tant i
mes dclateurs qu'a leur suppot. Ce me seroit meme une
espece d'ingratitude envers les premiers , de conserver
le moindre ressentiment contre eux , vu I'heureux
tour que I'affaire a pris , graces , il est vrai , a la noble
8c courageuse amitie d'un Montesquieu •, au puissant
credit d'une Dame qui n'en use que pour le signaler,
par des bienfaits ; a la genereuse protection d'un
MiNisTRE egalement bien voulu du Royaume 8c du
Roi ; graces enfin a I'extreme bonte de ce R O I, le plus
clement , le plus aime , le plus auguste 8c le plus
admire des Monarques. Quel rare concours de forces'
& de vertus. y necessaire au salut d'un malhcureux.
Q iv -^
248 PREFACE.
dont un homme ou deux de mauvaisc volonte , sanjf
haine particuliere & de gaiete de coeur , avoient medite
la mine ! L'oncle a-t-il done tort de dire a son neveu :
Tremble , & vols sous tes pieds miile abysmcs ouverts ?
Celui-ei que je m'etois creuse si follemcnt , n'est pas
meme si bien cicatrise , malgre rant de puissance & de
benignite conciliecs en ma faveur , qu'il n'en sorte
encore , comme on voit , de terribles exhalaisons. Elles
ne me sufFoquent pas ; je respire \ mais non si fort X
I'aise J qu'il ne m'en teste encore un peu d'oppression,
C'est ce qui me fit dire dans le temps :
D'etre gai , Paul a cent taisons pour une.
Des gens de bien il est goute, cheri j
Tous , en leurs coeurs , ont plaint son infortune.
Quelques m^chans feuleraent avoient ti.
D'Achilc cnfin la pique a tout gueri ;
Pa«/ toutefois n'est pas si gai qu'on pensc.
En France heureux , Paul est un peu niarri
Qu'cn Prusse , Pierre ait crie fa sentence. j
Passons de ce qui peine k ce qui soulage \ 8c puis-
que a de I'entier & volontairc aveu de nos fautes s'en-
suit naturellement le droit de protester contre celles
qui nous sont faussement imputees , saisissons I'occa-
sion de m'inscrire iei contre mille miseres en tout
gente , repandues sur mon compte dans des recueils
abominables , dont les Compilateurs, apres avoir foule
aux pieds route pudeur dc tout resped humain , ne se
5ont pas moins fait un jeu de nos reputations 8c de
nos noms. La Piece sur laquelle , entre tant d'autrcs ,
depuis longues annces je vols le mien avec le plus
dc doulcur J en est une, intitulee: le Dibauche converti^
PREFACE. i49
Melange horrible & revoltant d'ordures & d'impietes.
Le Debauche devenu peut-etre depuis ce qu'assure-
ment alors il etoit fort peu , feroit beaucoup a Tacquit
de sa conscience , si , pour penitence , il s'lmposoit Ic
juste & pieux effort de me laver , en faisant sa con-
fession publique ainsi que je fais la mienne. N'a-t-il
pas assez joui de mon malheur ? S'il pense autrement,
& qu'il fasse etat d'en jouir long-temps encore , je lui
parle en ami ;
Qu'iI foit prudent du moins , s'il n'cst pas gen^rciir.
Qu'il se garde de ces ecumeurs de Manuscrits , dont Ic
plus fameux & le plus vigilant de nos Poetes vivans a
plus que jamais a se plaindre aujourd'hui , & dont en
effet il se plaint si fort. Qu'U jette au feu son porte-
feuille , enfle , dit-on , de pieces d'un style & d'un gout
pareils , qui , publiees , le deceleroient sans repliquc ,
&:, me justifiantmalgre lui, me recompenseroient enfin
de la plus meritoire peut-etre &: de la plus penible
des discretions.
Les sottises d'autrui souvent , comme on voir , sont
done mises sous notre nom j souvent aussi ce que
nous aurons pu faire d'un peu raisonnable , sera mis
sous le nom d'autrui. Ainsi , deshonores d'un cote
sous les plumes du Geay , de I'autre quelqucfois nous
voyons le Geay se glorifier sous les notres. Tels sont les
jolis emolumens du metier. Mais de ses vrais malheurs
&: de ses grands dangers dont je me suis plaint d'abord ,
passer a ses desagremens , ce seroit , par une gradation
vicieuse , passer ^ Tinfini , & descendre dans des de-
tails qui doivent etre aussi indifferens au Public , qu'ils
iui peuvent etre comius par les contes qu'on n'en fait
i^o P R ]& FA C E.
que trop. Qui nesait nos sechercsses , nos insomnies ,.
nos tortures pendant le cours d^^ compositions ? Qui
ne rit At ce que doivent nous couter ensaite les cere-
monies d'une le6hire & d'une reception \ les correc-^
tions qu'on nous danande , & qui nous repugnent
peut-etrc avec raison j les pas qu'il faut faire , les me-
nagemens sans nombre qu'il faut avoir a la distribution
des roles ? L'un dedaigne le sien y. Tautre envie celui de
son camarade. Est-ce du tragique \ TAdrice en fa-
veur , a qui vous presentez le sceptre , vous dira ma-
jestueusement : Que M. un tel ( desagreable au Public )
foit Prince , ou cherchei^ vos Pnncejfes. Dans le COmique ,,
tout de meme : Que Mile une telle , vous dit fierement
THeccor ou le Sganarelle en vogue yfasse la Soubrctte ,.
ou. ckerche:^^ vos Valets , &c. &c. &:c. Que faire ? L'Au-
teur cut-il la reputation d'un Corneille , le credit d'un
Moliere , la force d'un Parterre , il faut qu'il cede ou
qu'il laisse tout la. En est-il aux repetitions > autre
galere. Ce role- ci est trop long , celui -la trop court. On
vous rogne Tun de pleine autorite v on vous force d'a-
longer I'autre. N*est-ce pas etre loge chez cer hote in-
humain , qui faisant coucher les passans dans son lit ,,
les tirailloit ou les tronquoit par la tete ou par les^
pieds , selon qu'ils etoient plus ou raoins longs que
ce maudit lit \ &c qui ne cessoit d'accourcir ou d'eten-
dre > que Thomme & le lit ne fussent de niveau ? Tel
est , a peu pres , le traitement que recoivent nos Pie-
ces. Quel ensemble , aprcs ces diflocations 8c ces de-
membremens faits a la hate , veut-on qu'il reste d'un
corps organise par des annees de travail & de re-
flexions ; Plus d'un bon ouvrage pourroit bien y avoir
peri. La toile cnfin se Icve^ & ce sont ici les grandes
angoisses. Pour se les peindre , on n'aura qu'a passer
PREFACE. 251
au monologue , par ou s'ouvre le cinquieme Adc.
Cependant d'un role mutile , d'un autre defigure , de
celui-la mal sn , de celui-ci joue k contre-sens , da
ferment d'uiie cabale , d'une iubie du Parterre , de tout
cela joint k nos propres fautes , resultent assez naru-
rellement des chutes , 8c de ccs chutes , mille beaux
complimens de condoleance de la part de gens qui
seroient bien f aches d'en avoir d'autres *l nous faire.
Ne soyons gueres moins contens qu'eux ; car si par
hasard nous eussions reussi , mieux nous eut vaiu
peut-etre cent fois avoir essuye les disgraces du Thea-
tre , que celles qui nous eusscnt ailleurs ete machi-
nees par I'envie adive & souterraine. Nous ne laissons
pas de nous rembarquer tous Ics jours du milieu de
ces degoLits , & de bien d'autres que je tais , parce
qu'apres tout , avec un pcu d'ardeur , de verve , ou
de virilite , le Metromane, sans un grand fond de phi-
losophie 3 les oublie ou Ics brave aisement.
A travers ces milliers d'epines , avant que de finir ,
j'en distingucrai seulemcnt encore une,qui, pour n'etre
pas tout a fait si poignante que celles dont j'ai parle
d'abord , ne laisse pas d'incommoder etrangement la
marche de tout honnete Ecrivain. J'en ai touche quel-
que chose dans la Preface de ma Pastorale , page 1 6 &
juiv. Ce sont les allusions indecentes, & les applica-
tions dangereuses que la sottise , le libertinage ou la
malignite savent tirer de nos produdtions les plus
mesurees ; ecueil d'autant plus a craindre que , vu la
tournure des esprits du jour , il devient de plus en
plus inevitable a la circonspedion la plus en garde ; &
circonspedion dont on nous doit tenir d'autant plus
dc compte , que tandis qu'il n'y a qu'a perdrc , 4
251 PREFACE.
plus d'un egard , en tachant d'eviter cet ecueil , nous
voyons sur les cheminees , les toilettes & le Theatre
meme , qu'il y a tout a gagner , d'une certaine fa^on ,
a le heurter de pleiiie proue , la corruption exercee a
rourner toujours la decence en ridicule , ne manquant
jamais , par le meme principe , d'applaudir a la licence
©uverte. Et c'est un abus qui fut de tous les temps :
Dat veniam Corvis , vexat Censura Columbas.
Le mal nc se soiitient qu'en derruisant le bien j
£t ne d^truit le bien qu'en soutenant le dial.
Mais nous manquent a jamais tous suffrages , plutot
que jamais nous en meritions un seul , ni I'obtenions it
pareil prix I
D'apres un sentiment si juste & si naturcl , a force
d'attention , je m'etois flatte d'etre parvenu a mettre
ces Hourets de haut nei en defaut y du moins quant aux
applications. J'avois espere I'impossible. Je fus relan-
ce, & relance par les aboyeurs dont je me devois le
moins defier , parce qu'etant ceux dont justement je
m'etois defis le plus , j'avois pris, pour leur echapper ,
les meilleures mesures que je pouvois prendre. On en
va convenir.
En conservant a mon Poete quelques-uns des petits
ridicules essentiels a la profession , je n'en avois pas
moins fait un jeune homme bon , franc , genereux ,
brave & desinteresse. C'etoit , je crois , pour le temps
ou j'ecrivois , se precautionner assez bien contre le
danger des applications. Personne aussi ne s'avisa d'en
faire •• mon Pocte , aux yeux de tous , resta I'unique
original de son cspcce. Seulement deux ou trois jeuncs
PREFACE. 2 5 J
Auteurs , alors plus ou moins celebres , persuades que
parler d'un bon Poete , c'etoit devoir les montrer au
doigt, jugerent 4 propos , pour fixer sur eux les re-
gards , de se compromettre un peu , en s'honorant
beaucoup ; & se plaignirent tous a Tenvi qu'ils eroient
visiblement personiiifies dans M. de TEmpiree. Me
peut-on meconnoitre a ce trait malin , disoit I'un ? 6" moi ,
a cdui-la, crioit I'autre ? C'etoit , pour ainsi dire , a qui
s'arracheroit la pretendue insulte des mains j ouplutot ,
comme j'ai dit , i qui voulant bien partager avec ce
Personnage quelques travers tres-excusables , donne-
roit superbement a entendre qu'il etoit I'aimable ori-
ginal en entier j comme si le Peintre , avec un grain de
leur bonne opinion en tete , n'eut pu s'e crier aussi de
son cote : Anchio son Po'eta , & revendiquer ou s'appli-
quer a titre egal , la part bonne ou mauvaise qu'ils pre-
tendoient avoir a son tableau ? Mais fusse-je plus poctc
cent fois qu'eux & moi nous ne le sommes , a Dieu ne
plaise que jamais j'eusse, a leur place , ose me plaindre
ou me parer d'une si glorieuse resscmblance ! Le ca-
radere moral de M. de I'Empirce Temportant sur notre
pretendu merite litteraire, autant que la belle ame
Temporte sur ce qu'on veut bien appeler bel-esprit ,
se plaindre ici de la. personnification^ c'est moins se plain-
dre que se glorifierj c'est moins jouer le role d'un hom-
me offense , que celui d'un Fier-en^fat. Cela dit unc
bonne fois , je me repose de mon apologie aupres des
Complaignans , sur leur modestie , ou sur le secret
temoignage de leur conscience.
Veritablement, voyant avec chagrin que dans tous les
temps , 8c chez toutes les Nations , les Poetes en ge-
neral etoient livres ^ la risee du Public par les Pocres
i^4 P R £ F A C E.
meme , Be de plus les voyant taxes , par ce Public , cfe
bien des vices , qui sont , quoi qu'en puisse dire le beau
monde , pires que des ridicules , j'avois pris a tache de
presenter sur la Scene un Poete, qui , sans sortir de son
caradlere singulier , fut une fois fait de fa^on a nous
relever d'un prejuge si peu favorable *, un Poete tel qu'il
y en eut sans doute , & qu'il y en pent avoir encore j
un Poete enfin lequel apres qu'on a dit :
On peut etrc honnete homme & faire mal des vers ,
put faire aussi dire & penser ,
Qu'en faisant bien des vers , on peut etre honnete homme.
J'eus seulement grand soin d'eviter le ton de la nouvelle
Comedie , qui y tristement guindee sur les echasses de
la morale , n'auroit pas manque de nous regaler ici
d'un Poete grave & rengorge , d'un Pedant herisse dc
ces trivialites edifiantes auxquelles on applaudit en
baillant , & qui ne passent en effet gueres plus a I'ame
des Spedateurs , qu'elles ont I'air de venir de celle de
TAuteur. Je crus done devoir m'y prendre tout d'une
autre fa^on. M. de i'Empiree , honnetement fourni des
ridicules de son etat , ne laisse pas d'etre leste , gai ,
doux J sociable &c galant j qualites engageantes , qui ,
jointes aux essentielles , en le rendant agreable & di-
vertissant , ont eu le bonheur d'interesser pour lui
jusqu'a m'attirer des reproches d'avoir neglige sa for-
tune au denouement. Du moins I'Aristarque de cc
ta-nps-la le veut-il ainsi persuader. On estfdche^ dit-il *,
de lui voir prendre conge des Speclateurs pauvre & desherici,
Peut-etre ce qu'il donne ici pour le sentiment general ,
n'est-il que le sien particulier; & certes , en ce cas, il y
* Obscrv. sur les Ecr. des Mod. Lett. 17;.
P R i F A C E, 255
tyXTOix \ mc felicitcr d'avoir su Tattendnr : mais ne
seroit-ce pas , aussi bienque son sentimentparticuiier,
une critique degiiisee , qui m'averrit que , selon lui ,
jc renvoie les Spedrateurs mecontens 1 A quoi je re-
ponds qu'il faut savoir mieux entrer dans le carailere
des gens , quand on veut decider de leur bonheur on
de leur maliieur. Si le Journalisre eCit voulu s'abaisscr
ou s'elevcr jusqu'a i'ame d'un vrai Pocce, dont , sans
en avoir les talens , je concois tres-bien la rare fagoji
de penser; il n'eutpas eu , ou plutot il n'eutpas affcdlc
une commiseration que celui-ci ne demande point. II
se trouve fort bicn comme il est. Que M. I'Abbe Dcs-
fontaines , avant de publier ses observations & son
cxtrait , n'avoit-il parcouru la brochure un peu moins
legerement que de coutume? M. de I'EmpirU I'auroir,
avant moi , redresse la-dessus en vingt endroitsj enrrc
autres , quand il dit positivement , que sa vertu se borne
<m mepris des richesses , &c. & ailleurs :
Cc melange degloire & de gain m'importnnc.
On doit tout a I'honncur, & rien a la Fortune,
Le Nourrisson du Pinde, ainsi que le Guerricr,
A tout I'or du Pirou prdfere un beau iauricr.
Ou si , presse par le jour de la vente , il n'eut que Ic
remps de faire transcrirc les huit ou ncuf pages dc
vers dont il nourrit sa feuille , & dans lesquelles mcme
ceiix-ci se trouvent sans qu'il y ait pris garde i du moins
pouvoit-il d'un coup d'ceil appercevoir ces deux
derniers de la Piece :
Vous a qui cependant jc confacrc mcs jours ,
Muses , tenez rtioi lieu Ac fortune & d'amours 1
Faute de cela, il se laisse entrainer a sa facon de pcnser,
hquelle a crop influe sur son raisoiinemcnt. Voila leS
156 PREFACE.
Ecrivains periodiques. Serieusement & par etat occil-
pes de cc qu'ils appellent le soUde , ils n'ont garde de
concevoir ni de soup^onner rheroisme ou la folie da
vrai Poete, qui, vis-a-vis delamisere,pense, enparlant
de sa Muse , comme , vis-a-vis d'un avcnir menaganr,
en parlant de son fils, pensoit Agrippine : Moriar, mod6
regnet. Quel soin en effet prirent de leur fortune Ic
div'm Homere , Vimmond Plaute , le grand Corneille ,
le dellcieux La Fontaine , &c ? Furent-ils pour cela des
objets de pitie ? Pas plus que la memoire des Midas dc
leurs temps & des notres , est digne d'envie.
Je ne dois pas finir sans dire un mot du personnagfi
singulier de Francaleu , & d'une partie de son role , ni
sans bien marquer la distindtion qu'il faut faire de ce
personnage , en entier de mon imagination , &c de son
role qui , renfermant un evenement du temps , sem-l
bleroit par-1^ dementir Tattcntion que j'eus d'ecarter
route application maligne. Voici quel fut cet evene-
ment.
Un homme d'esprit , de talent & de merite s'etoit
divcrti pendant deux ou trois ans au fond de la Bre-
tagne , a nous dormer le change , en publiant tous les
mois dans les Mercures , des pieces fugitives en vers ,
sous le nom suppose d'une Mile DeMalcraisde la Vlgnd.
La mascarade avoir parfaitement reussi. Ces pieces
ingenieuses & joliment versifiees , en droit par con-
sequent de plaire deja par elles-memes , ne perdoient
rien , comme on pent croire , a se produirc sous Ten-
v'eloppc d'un sexe dont la seule & charmante idee
suffit pour disposer les ccEurs a la complaisance , &
les esprits a I'admiration. La Sapho supposee fit done
honncur &: profit ^ ces Mercures. Ellc triompha au
point
P K £ P A C E. i^f
Jjoint que k galanterie bientot mit pour elle en jeu k
plume de plus d'un bel-esprit qui vit encore , & qui ,
s'il ecrivoit jamais son histoire amoureuse , nous souf-
fleroit assurement cette anecdote. lis rimerent de$
fadeurs a Mile De Malcrais. Elle , de riposter j Tintri-
gue se noue ; les galans prennent feu de plus en plus j
tout alloit le mieux du monde au gre du Public amu-
se i & la comedie n'etoit pas pour finir sitot , si notre
Poete Breton, ayantri ce qu'il en vouloit , & dcsirant
jouir de sagloire a visage decouvert , n eut precipite
le denouement en venant mettre le masque bas a Paris.
Ily perdit peu sous les yeux du Public,qui,dcsabuse sue
le sexe , ne rabattit presque ricn de ses eloges •■, en cela
plus sage & plus equitable que nos Beaux - esprits ,
chez qui la chose se passabien differemment, lorsqu'en
Icurs cabinets , ou peut-etre ils etoient i polir encore
un Madrigal pour Mile De Malcrais , on la leur vine
annoncer. Grand cri de joie ! La plume tombe des
mains •, les portes s'ouvrent a deux battans ; on vole au-
devant de la Muse les bras en I'air , que d'ici Ton
voir s'abaisser brusquement a I'asped: de M. Des Forges
Malllard. La politesse , aptes un court eclaircissemenr,
eut beau les relever pour en venir a la froide accolade :
la barbe du Poete y piqua si fort , qu'on ne la lui par-
donna point. II faut dire aussi la verite : certaine espe-
rance frustree met de bien mauvaise humeur. On ne
se souvint pas que M. Des Forges Maillard eut seulemenc
fait un bon vers en sa vie. Les talens & les eloges tom-
berent avec le cotillon. Voila , s'ecrieici Francaleu , dans
la meme situation que ce Poe'te aussitot meconnu que
demasque :
Voila de vos arrets, Mcflieurs les gens degout !
L'ouvrage est peu de chofe j & le nom feul fait tout.
Tome II, R
ijg P R i F A C E.
Apostrophe qui , tous Ics jours , seroit bieii de mise
en plus d'uii cas. Suivons celui-ci. De bonne foi ,
eroit-ce une aventure a derober au plaisir public , sur
un Theatre d'ou nos mauvais Serieux ( car il en est
pour le moins autant que de mauvais Plaisans ) n'ont
que trop banni le plaisir & la joie ? Pouvois-je imagi-
ner jamais une Scene plus comique & plus du ton de
mon sujet ? Je laproduisis done , mais avec Tattention
de nc la produire que sous le jeu d'un personnage de-
pouille de tout ce qui pouvoit faire tourner les yeux
sur le Po'ete estimable k qui nous la devons d'original ,
ni sur quelque autre que ce fijt. Plutot que de manquer
a cette bienseance , j'aimai mieux pecher a mon es-
cient contre les bonnes regies de la Comtdic qui n'ad-
met que des caradcres tcls que la Societe , chaque
jour , en presente sur la scene du monde. J'en forgeai
de ma tete un qui vraisemblablemcnt n'cxista jamais >
un bon-homme qui se plait a faire de mechans vers ,
les sachant tels , & ne les faisant que pour son amu-
sement , & que pour celui de sts Amis qui s'en di-
vertissent. Aussi le Critique Observateur ne manque-
t-il pas son coup : C'est , dit-il fort bien , un Mkene-
bourgeois i unriche &vieuxRimail/eur^qui^connoijfantdis-
tinBement fon impertinence , 6" /a confessant hautement ,
forme un caraBere purement ideal et sans exemple. J'ai
done trcs-bien pris mes mesures pour ne compromet-
tre personnc. Ainsi Francaleu , non plus que Mile
De Malcrais , n'est qu'un fantome qui n'entraine au-
cune appUcation. Ainsi la partie du role relative a I'e-
venement du jour, ne se peut nommer qu'une realite
cncadree dans une chimere.
Qu'un fait public & tout arrange comme celui-1^ ,
mis sur le Theatre , fasse grand honiieur a I'imagina-
PREFACE. 159
tion du Poete : je ne le dis pas ; mais que nous devionj
etre jaloux aussi de nous tout devoir k nous-memes ,
jusqu'a dedaigner de nous accommodcr quelquefois,
en passant , d*un incident qui se trouve heureusement
sous la main , & que n'eut peut-etre jamais cree cette
imagination j ce n'est pas non plus mon sentiment.
Qu'importe au plaisir public d'ou lui viennent ses
sources ? Et que fait tant a notre gloire , apres tout , Ic
merite de I'invention ? Tels Auteurs a qui ce don ne
fut que mediocrement departi , en ont vu, duhaut dcs
nues , d'autres qui le possedoient superieurement ,
tamper bien au-dessous d'eux', n'eusse-je k citer que
Malherbe 3c Saint-Amant; que Racine dc Th, CorneilU.
Pour moi , je pretends si peu me targuer ici de ce don
particulicr , qu'iu contraire je n'cntends qu'^l regret
appeler souvent le sujet de cette Piece , une point©
d'aiguille sur laquelle on s'etonne , dit-on , que j'aye
entrepris d'elever un edifice de cinq A6tes. Oui , loin
de me prevaloir dc I'erreur ou du compliment , j'crt
reviens au debut de cette Preface en la finissant. L'e-
difice fut-il mieux etoffe cent fois , des seules recoupcs
I'Architede en eleveroit un, bien superieur a celui que ,
taillant en pleins materiaux , presente ici le Ma^on.
Enfin , je le repetc : sous la plume d'un Auteur tel que
celui du Misantrope , la Mitromanie , sans en etre plus
longue ni moins reguliere , conriendroit , a coup sur ,
une fois plus , & mille fois mieux.
:^
Rij
BBBBSeggSBBB
PERSONNAGES.
FRANCALEU, Pen de Lucik.
BALIVEAUj Cap'uoul^ Oncle de Damis,
0^M1 S, Po'ite.
D O R A N T E , Amant de LuciU.
LU C I L E , Fille de Frcaicaleu.
LISETTE, Suivante de LuciU.
M O N D O R , Falet de Damis.
La Scene est che-^ M. Francalcu j dans Us Jardins
d'une maison de plaisance aux pones de Paris.
til
LA
METROMANIE,
C O M E D 1 E,
ACTE PREMIER.
SCENE PREMIERE.
MONDOR, LISETTE.
M O N D O R/
C/ ETTE maison des champs me paroit un bon gitc.
Jc voudrois bien ne pas en decamper si vite :
Sur-toLit m'y retrouvant avec tcs yeux fripons,
Anpres de qui, pour moi , tous les gites sont bons.v
Mais de moiiMaitreici n'ayant point de nouvelles,
H faut que je rcvole a Paris.
L I s E T T E.
Tu I'appcllcs 5
MoNDOR.
Damis. Le connois-tu ?
Riij
V<ri LA METROMANIE^
L I S E T T E. \
Non.
M O N D O R.
Adieu done.
Lis EXT E.
Adieu.
M O N D O R revenant.
On m'a pourtant bien dit ; chez Monsieur Francaleu.
Li s E T T E.
Cest ici.
M o N D o R.
Vous jouez chez vous la Comedic ?
L I s E T T E.
Temoin cc role encor qu'il faut que j'etudie.
M o N D o R.
Le Patron n*a-t-il pas une fille unique?
L I s E T T E.
Oui.
M O N D O R.
Et qui sort du Couvent dcpuis peu ?
L I s E T T E.
D'aujourd'hui.
M O N D O R.
Vivemcnt recherchee ?
L I S E T T E.
Et trcs-digne de I ctrc.
C O M t D 1 E, 16^
■ ' M O N D O R.
Et vous avcz grand mondc ?
L I s E T T E.
A ne pas nous connoitrc.
M o N D o R.
Illuminations, bal, concert?
L I s E T T E.
Tout ceb.
M O N D O R.
Vn beau feu-d'artifice ?
L I S E T T E.
11 est vrai.
M O N D O R.
M'y voila.
Damis doit etre ici ; chaque mot me !e prouve.
Quand le Diable en seroit , il faut que je I'y trouve.
L I S E T T E.
Sa mine ? Ses habits ? Son etat i Sa facon ?
M O N D O R.
Oh ! c'est ce qui n'cst pas facile a peindre , non.
Car, selon la pensee ou son esprit se plonge ,
Sa face , a chaque instant, s'eiargit ou s'alonge.
11 se neglige trop , ou se pare a I'exces.
D etat , il n'en a point , ni n'en aura jamais. ^
C'est un homme isole qui vit en volontaire ;
Qui n'cst Bourgeois, Abbe, Robin, ni Militairc y
R iv
i(f4 LA M^TROMANIE^
Quiva, vient , veille , snCj &, se tourmentant bien,
Travaille nuit &: jonr , &: jamais ne fait rien ;
All surplus , rassemblanc dans sa seule personnc ,
Plusieurs originaux qu'au Theatre on nous donne :
Misantrope , Etourdi , Complaisant , Glorieux ,
Distrait.... ce dernier-ci le designe le mieux j
Et tiens, s'il est id, je gage mes oreilles,
Qu'il est dans quelque allee a bayer aux corneilles,
S'approchant , pas a pas , d'un ha-ha qui I'attend,
Et qu il n'appercevra qu en s*y precipitant.
L I s E T T E.
Jc m'oriente. On a Thomme que tu souhaites.
N'est-ce pas de ces gens que Ton nomme Poetcs ?
M o N D o R.
Oui. • ^
L I S E T T E.
Nous en avons un.
M o N D o R.
C'est lui.
L I S E T T E.
Peut-etrc bien.
M O N D O R.
Quoi done ?
L I S E T T E.
Le Personnage en tout ressemble au tien :
Sinon que ce n'est pas Damis que Ton le nomme.
C O M i D I E. x€f
M O N D O R.
Contentc-moi, n'importe, & montre-moi cet hommc-
L I s E T T E.
Cherche ! il est a rever la-bas dans ces bosquets.
Mais vas-y seul ; on vientj & je crains les caquets.
S C E N E II.
DORANTE LISETTE.
Li s e t t e.
ORANTE ici ! Dorante !
D O R A N T E.
Ah Lisette! ah, ma Belle!
Que je t'cmbrasse ! Eh bien , dis-moi done !a nouvellc !
Felicite-moi done ! Quel plaisir ! L'heureux jour 1
Que ce jour a tarde long-temps a mon amour I
De la chose , avant moi , tu dois etre avertic.
Que ne me dis-tu done que Lucile est sortie ?
Que je vais... que je puis... concois-tu ? ... Baise-moi.
Lisette.
Mais vous n'etes pas sage , en verite.
Dorante.
Pourquoi?
tC6 LA MiTROMANlE^
L I S E T T E.
Si Monsieur vous trouvoit? Songez done ou vous ctcs.
Y pensez-vous, d'oser venir, comme vous faites ,
Chez un homme avec qui votre Pere en proces. . .
D o R A N T E.
Bon ! m'a-t-il jamais vu ni de loin ni dc pres I
Je vois le pare ouvert : j'entre.
L I s E T T E.
Vous le dirai-Jc ?
Eussiez-vous cent fois plus d'audace & de manege,
Lucile meme a nous daignat-elle s'unir j
Je nc sais rrop comment vous pourrez I'obtcnir.
D O R A N T E.
Oh I je le sais bien , moi. Mon Pere m'idolatre ;
11 n'a que moi d'cnfans : je suis opiniatre :
Je le veux j qu'il le veuille ; autrement ( j'ai des moeurs )
Je nc lui manque point j mais je fais pis. Je meurs.
L I S E T T E.
Mais si le grand proces qu'il a .. . .
D O R A N T E.
Qu'il y rcnonce.
lie Pere de Lucile a gagne. Je prononcc.
L I s E T T E.
Mais si votre Pere ose en appeler ?
D O R A N T E.
• • Jamais.
^ C O M A D I E. 167
L I S E T T E.
Mais si....
D O R A N T E.
Pinis de grace j & laisse-la tes mais.
L I s E T T E.
Croyez-vous done, Monsieur, vous seul avoir un perc ?
Le notre y voudra-t-il consentir ?
D O R A N T E.
Je Tcspcrc.
L I S E T T E.
Moi , je I'espere pen.
D O R A N T E.
Sois en paix la-dcssus.
L I s E T T E.
Le Vieillard est entier.
D O R A N T E.
Le jeune homme encor plus.
L I s E T T E.
Lucile est un parti....
D O R A N T E.
Je suis bon pour Lucilc.
L 1 S E T T E.
Elle a cent mille ecus.
D O R A N T E.
J'en aurai deux cent mille.
i6t LA METROMANIE^
L I S R T T E.
Mais vous aimera-t-elle ?
D O R A N T E.
Ah! laisse-latapeur!
Qaand je t*en vois douter , tu me perces le coeur.
L I s E T T E.
Je vous Tai dit cent fois •, c'est une nonchalantc
Qui s'abandonne au cours d'une vie indolente j
De Tamour d'elle-meme eprise uniquement ,
Incapable en cela d'aucun attachemcnt.
Une idole du Nord , une froidc femeile ,
Qui voudroit qu'on parlat, que Ton pensat pour cllc ;
Et, sans agir, sentir , craindrc , ni desircr ,
N avoir que I'embarras d'etre &■ de respirer.
Et vous voulez qu'elle aime? EUe, avoir une intrigue!
Y songez-vous, Monsieur ? Fi done ; cela fatigue.
Voyez, dcpuis un mois que le coeur vous en dit ,
Si votre amour vous laissc un moment de repit.
Et c'est ma foi bien pis chcz nous que chez les hommes.
D O R A N T E.
Enfin , depuis un mois , sachons ou nous en sommcs.
L I s E T T E.
EUc aimc cperdument ces vers passionnes ,
Que votre ami compose, & que vous nous donnez ;
Et je guettc I'instant d'oser dire a la belle ,
Que ces vers sont de vous, &:qu'ilssont faits pour ellc.
C O M i D I E, i€9
D O R AN T E.
Qu'ils sontde moi! mais c'est mentir cffrontemcnt»
L I s E T T E.
Eh bien ! je mentirai : mais j'aurai I'agrement
D'interesser pour vous rindiflFerence meme.
D O R A N T E.
Lncile en est encore a savoir que je I'aime !
Que ne profitions-nous de la commodite
De ces vers amoureux dont son gout est flatte }
Un trait pouvoit m'y fairc aisement reconnoitre 5
£t , mieux que tu ne crois , m'eiit reussi peut-etre.
L I S E T T E.
Eh non ! vous-dis-je , non 1 Vous auricz tout gat^.
L'indifierence incline a la severite.
II falloit bien d'abord preparer routes choscs ,
De I'empire amoureux lui dcplicr les roses ,
L'induire a sc vouloir baisser pour en cueillir.
D'aise , en lisant vos vers , je la vois tressaillir *,
Sur-tout quand un amour qui n'est plus guere en vogue
Y brille sous le titrc ou d'Idylle ou d'Eglogue.
Elle n'a plus Tesprit maintenant occupe ,
Que des bords du Lignon , des vallons de Tempe,
De bergcrs figurant quelques danses legeres ,
Ou , tout le jour assis aux pieds dc leurs Bergeres,
Et , couronnes de fleurs , au son du chalumeau ,
Le soir , a pas comptes , regagnant le hameau.
i7d l^ METROMANIE,
La voyant s'emouvoir a cgs fades esquisses ,
Et de CGS visions savoiirer les delices ,
J'ai cru devoir mener tout doucement son coeur,
De I'amour de I'ouvrage , a I'amour de I'Auteur.
D O R A N T E.
C'est tine Eglogue aussi qu'on liii prepare encore*^
Damis se leve expres , chez vous , avant I'aiirore.
L I s E T T E.
Damis ?
D O R A N T E.
UAuteur des riens dont on fait tant de cas.
Et sa rencontre ici , tout franc , ne me plait pas.
L I S E T T E.
Celui que nous nommons Monsieur de TEmpiree ?
D O R A N T E.
Oui. Son talent, chez nous, Ini donne aussi Tentree.
Mon pere en est epris jusqu'a Taimer , je croi ,
Un peu plus que ma mere , &" presque autant que moi.
L I s E T T E.
Laissons-la son Eglogue.
D O R A N T E.
Ah ! soit : je Ten dispense.
Sur un pareil emprunt tu sai^ comme je pense.
L I s E T T E.
Monsieur de Francaleu ne vous connoit pas ?
C O M E D I E. 171
D O R A N T E.
Non.
L I S E T T E.
Faitcs vous presenter a liii sons un fanx nom.
Ici , ramour des vers est un tic de famille.
Le pere qui les aime encor plus que la fille ,
Regarde votre ami comme un homme divin j
Et vous plairez d'abord , presente dc sa main.
D o R A N T E.
II peut me demandcr la raison qui m'attire ?
L I s E T T E.
Lc gout pour le theatre en est une a lui dire.
Desirez de jouer avec nous. Justement , ,:^ . r,
Quelques Adeurs nous font faux-bond, en ce moment.
D O R A N T E.
Oui-da,Je les remplace , & je m ofire a tout faire.
L I S E T T E.
A la piece du jour rendez-vous necessaire.
II s'agit de cela maintenant. Apres quoi....
D o R A N T E.
Voici notre Poete. Adieu. Rctire-toi.
^i^A
171 lA METROMANin^
S C fi N E 1 1 L
DORANTE, DAMIS*
D O R A N T E.
A o u T a rheure, tnoti cher, il faut prendre la peind*
D A M I S sans I'ecouter.
Non ! jamais si bean feu ne ni echaufia la veine.
Ma foi, j'ai fait pour vous bien des vers jusqu'icii
Maisjc donnemavoix &: la palme a ceux-ci.
D O R A N T E.
11 s'agit..*.
D A M I S Interfompant condnueltement Dorante,
De vous faire une Eglogue \ elle est faitc.
Dorante*
Eh ! n'allons pas si vite ! ...
D a M I s.
Oh ! mais faite Sc parfaitc*
Dorante.
Jelecrois..* 7
D A M I S.
Au bon coin ceci sera frappe*
D O R A N T E«
D'accord...
D A M I s.
C O M i D i E, iyj
D A M I S.
Et j€ le donne en quatrc au plus hupe.
Do R A N T E.
Laissons j je voiis demande....
D A M I S.
Oui, du noble & du tendrc
Do RANT E perdant patience,
Non! du tranquille.
D A M I S tirantses tabkttes.
Aussi , vous en allez entendre.
D o R A N t E.
Eh ! j'en jugerois mal I
D A M I S.
Mieux qu'un autre, fecoutci;*
D O R A N T I.
^e suis sourd^
D A M I S.
Je crierai.
D o R A N T E.
Vainement !
D A M I s.
Permcttez,
D O R A N T E.
(Quelle rage I
Tome IL S
^74 L^ M&TROMAh^IE y
D A M I S lit.
Daphnis & L'tcHO J Dialogue.
Daphkis.
DORANTE a part.
Au Diable soient I'echo, THomme & T^glogue i
D A M I S avcc emphase.
Echo J queje retrouvi en ce hoc age epais..»
D O R A N T E d'une voix eclatante.
Paix 1 dit r^cha Paix 1 dis-jej une bonne fois ; Paixl
Sinon.....
D A M I s.
Comment, Monsieur ? Quand pour vous jc compose-.
D O R A N T E.
JMais qliand de vous, Monsieur, on dcmande autre chose.
D A M I S reprenant sa volubilitd.
Ode > fepitrc ? Cantate ?
D O R A N T E.
Ahiel
D A M I S.
jfelegieJ
D O R A N T E.
Ehbicn!
D A M I S.
3?ortrait J Sonnet j Bouquet ? Triolet ? Ballet >.
CO M E D i ^. 47.
D O R A N T E.
Mon amour se retranchc au langage ordinaire 5
Ec desormais du votre il n'aura plus affaire.
D A M I S ress$rrant ses tablettes.
C'est autre;glK)se : alors ces vers serpnt pour m:Qi^
Do R A N T E.
Nonque jene ressente, ainsi que je le dc^rjo- l")
La bonte que ce jour erjcor voiis avez eue.
J'ai regret a la peine. ^ il'o" oO
Pamis.
- EUe n'cst pas perdue.
Mesvers, sans aller loin, sauront 011 se placer j
jEt Ton a, pour son compte , a qui les adresser,
D O R A N T E avec emotion.
Ah ! vous aimez > "
D A M I S.
Qui done aimeroit, je vous prie?
La sensibilite fait tout notre genie.
Le ccEur dun vrai Poete est prompt a s'enflammcr ;
'Er i'on ne l^cst qu'autant que Ton sait bien aimer.
DURANTE.
( a part. ) ( haut.) ^-.n ^-J -:• j\
Je le crois mon Biival. QiTclk est votre Bergere?
D A M I S.
De la votre , pour moi^ le nom fiit un mysterc ;
.-^ue le nomdc la a^enne en puisse ctre un pour vous.
S ij
47^ L^ MifROMANlt^
D O R A N T E.
Et votre sort , Monsieur , sans doute. . . ♦
D A M I S.
Est des plus douX»
D O R A N T E.
tine plume si tendre a dc quoi plaire aiix Belles.
D A M I S.
Cc jouf Vous en dira peut-etre des nouvellcs.
D O R A N T E.
Ce jour?
D A M IS.
Est un grand jour.
D O R A N T E.
{^ part.) {haul.)
Ah ! c est Lucile ! Oh ca !
Si vous ne k nommez , du moins depeignez-la,
D A M I S.
Je le voudrois.
D O R A N T E.
( ci part. )
Aquitient-il? SonfroidmetucJ
D A M I S.
Je nc le puis.
D O R A N T E.
Pourquoi ?
D A M I S.
Je ne I'ai jamais vuc
\- ^C O M E D I E. ^ji
D O R A K T E.
(^part.) (kaut.)
C'estelle. Expliquez-voas..
^. D A M I S.
Mes termes sont fort clairs^
D O R A N T E»
D'ou naitroient done vos feux i ;^ • V
D A M I S. ^
De son gout pour les vcr&.
D O R A N T E.
- (has.)
Deson gout pour les vers ! Mon infortune est sure t
Mais n'importe j feignons , &■ poussons Taventurc.
D A M I s..
Qu'est-cedonc? Qu'avez-vous? D'ou vient tant d!apar£s^
D O R A N T E.
.•J .',0 :r o.i,:
De mon premier objet c'est trop m'etre ecarte..
Revenons au plaisir que de vous j'ose attendrev
D A M I S.
Pa?lezj mevoilapret. Que faut41 entreprcndre ?
D O R A N T E.
Donnez-moi pour Adeur a Monsieur Francaleu.
Jc, me sens du talent \ &■ je voudrois un peu ,
£a ^Vessayant Qhej, lui , voir ce que je sais faire,.
S iij
17-8^ LJ METROMA NIE^
D A M I s.
Venez»
D O R A N T E4;''^ i^-i ^-'^ -^ -— J*
Mon nom pourroit me nuire*
•^---.-' D A M I S.
II fatit le tair©.
Vons etes mon ami j ce titre suffixa. " , ■ . Q
J&coutez seulement les vers qu'il volts lira.
C'est un fort galant homme, excellent caradere^
Son Ami, bon Mari, bon Citoyen , bon Pere j
Mais a rhumanite , si parfajr queTon fut ,
Toujours , par quelqne foible , on paya le tribut.
JLe sien est de vouloir rimer malgr^Minqrye^, „rT
I3e s'ctre , en cheveux gris , avise de sa verve* .
Si Ton peut nommer verve une demangeaison
Qui fait honte a la rime, ainsi qu'a la raison,
Et, malheureusement, ce qui vicieabonde. , p
i)u torrent de sqs vers sans cesse il nous inonde*
Tout le premier liii-meme , il en raille , il en rit.
Grimace ! I'Auteur percc; il les lit ^ les relit ,
Pretend qu'ils fasseiu rire-, &, pour peu qu on en riei
Le poignard sur la gorge, en fait prendre copic ,
Rentre en fougue , s'acharne impitoyablement ^ q
Et, charme du flatteur, le paie en I'assommant*
D OR A N T E. ' ' "^I
Oh, je suis patient \ Je veux lasser votre hommcj
Et que de Tencensoir ce soit rnoi qui rassommei
C O M E D I E. ij<^
D A M I s.
Pour moi jc meurs, jc tombe, ecrase sous le faix*
D o R A N T E.
Qui voiis retient chez lui ?
D A M I S.
Des raisons qiie je tais j
Et je m*y f>lairois fort , sans sa Muse fiinestc
Dontle poison maudit nous glace &: nous empeste*
Heureux , quand mon esprit vole a sa region,
S'il n'y porte pas I'air de la contagion !
Le voici. Tout le corps me frissonne a I'approchc
Du grifFonnage afFreux qu'il a toujoiirs en poche*
SCENE IV.
FRANCALEU, DORANTE, DAMIS.
Francaleu.
Jl ESTE soit de ces coups ou Ton ne s'attend pas Ji
Voila ma piece au diable , &" mon theatre a bas^
D A M I S.
Comment done >
* Francaleu.
"I
Trois Adcurs: rAmant,rOncIe, TePere,
Maaquant a point nonime, font cette belle afiaire.
Siv
iSo lAMiTROMAKlE,
L'lin est inoculc ; I'autre , aux eaux ; I'autre , mort*
C'est biea prendre son temps !
D A M I S.
* Le dernier a grand tort*
Franca LEU.
Jc croyois celebrer le retour de ma fille.
A grands frais, je convoque amis, parens , famitle |
J assemble un auditoire & nombreux &: galant i, ^
Et nous fermons., Cela n'est-il pas regalant \
D A M I S froidement.
Ccrtesjes trois sujetsetoientbonsj e'est doniniage<
F R A N C A L E U^
Quelle serenite ! Savcz-vous , quand J'enrage ^
Que j'enrage encor plus , si Ton n'ejtirage aussi>
D A M I S.
C'est que je vois , Monsieur , bon rcmede a cedk
Le role des Vieillards n'est pas de longue haleine ^
Lcs deux premiers-venus le rempliront sans peine^
F R A N C A L E U.
EtTAmant?
D A M I s presentant J)orant^.
Mon ami s'en acquitte a j^avir^
D O R A N T £. 4 Francaleu.
Vous me voyez , Monsieur , tout pre.t a vous servijf\
C O M E D i E. zti
FranCALEU^ Damis.
U a d'un amoureux tout a fait I'encolure.
Damis.
Le jeu bicn au-dessus encor de la figure.
Francaleu.
Mais il s'agit icid'un amant maltraite ;
Et peut-etre Monsieur ne I'a jamais etc.
Or il faut, quelque loin qu'un talent puisse attcindrc,
Bprouver pour sentir , & sentir pour bien feindre.
Damis avec un rire malin^
Aussi n'ira-t-il pas se chercher en autrui.
Le role qu'il accepte est modele sur lui.
Le pauvre infortune meurt pour une inhumainc , "
Sans oser declarer son amoureuse peine j
De facon qu'il en est encore a s'aviser ,
Quand peut-etre quelqu'autre est tout prct d'^pouscr.
D O R A N T E outre.
Ma situation sans doute est peu commune ;
Et je sens en effet toute mon infortune. -
Francaleu.
Bon ! tanjt mieux ! vous voila selon notre desin
Venez j &■ , croyez-moi , vous aurez du plaisir.
// sort avec Dor ante*
Damis seuU
J*ai beau 1^ voir parti ; je ne m'en crois pas quittc.
iS» LA METROMANIE,
Mais, grace a I'embarras qui Toccupe & Tagitc-^
Sain & sauf , line fois , j'echappe a mon bourreau*
FrANCALEU r&venanu
Attendcz-vous a voir quelque chose de beau.
J'acheve de brocher une Piece en six Ades.
La rime &: la raison n'y sont pas trop exades ;.
Mais j'cn apprete mieux a rire a mcs depens.
// s*en rctourne^
S C E N E y.
D A M I S. "" ~ ^
SiltJ je n^armerois pas centre ce guet- apens ? I
Ce devroit etre fait. Qu'il reste a sa campagne^T
Ou me vienne chercher au fond de la Bretagne.
L'amour m'y tend Ics bras. Mon cceur m'a devance*
C'est un noeud que de loin I'esprit a commence.
11 est temps que la vue &: Tacheve &: le serre.
Partons.
S C E N E V I.
DAMIS, MONDOR. ;
M O N D O R rendant une Lettre a Damis.
xSLH ! grace au Cicl, enfin je vous dcterre !
Jc vous cherche. Monsieur, depuis huit jours entiersj,
/ C O M t D I E. 28 J
Et de Paris cent fois j'ai fait tous les quartiers.
J ai craint , aii bord de I'eau, vos visions cornnes ;
Que, cherchant quelque rime, <k lisant dans les niies,
Pegase imprudemment, la bride sur le cou ,
N'eut voiture la Muse aux filets de Saint Clou.
D A M I S resserrant la Lettrequila lue.
Oh , oh ! bon gre, mal gre, voici qui me retardc !
M o N D o R.
tcoutez done ^ Monsieur : ma foi , prcnez-y garde!
Un beau jour....
D A M I S.
Un beau jour , ne tc tairas-tu point?
M o N D o R.
A votre aise ! aprcs tout , liberte sur ce point, .-j
En fin quelqu'un m'a dit qu'ici vous pouviez etrc,
Mais personne. Monsieur, ne veut vous y connoitrej
Et, dans ce vaste enclos que j'ai tout parcouru , ^
Je vous manquois encor j si vous n'eussiez paru.
D A M I S.
Dd mcs adniirateurs tout cec enclos fourmille :
Mais tu m'as demand^ par mon nom de famiile 2
M o N D o R.
Sans doute. Comment done aurois-je interroge J
D A M I s.
Jc n'ai plus ce nom-1^.
iJ4 l^ MiTROMATTIE,,
^ M O N D O R» •
Yous en avez change *
D A M I S.
Oiii;.j'ai , depuis huit jours , imite mes confreres.
Sous leur nom veritable , ils ne s'illustre.nt gueres j,
Et> panni ccs Messieurs , c'est Tusage commun ,
I>e prendre un nom de terre, ou de s'en forger im-,..
M o N D o R.
Votre nom maintenant , c'est done ^
D A M I s,
De rEmpircei.
Et j*cn oserois bien garantir la duree.
M o N D o R.
De TEmpir^e? Ouida ! n'ayant sur riiorizoiil-,'^'' '
Ni feu ni lieu qui puisse al^nger votre nom ,
Et ne possedant rien sous la voiite celeste ,
Le nom de I'enveloppe est tout ce qui vous restCi.
Voila done votre esprit de vcnu grand terrien.
L'espace est vaste : aussi s'y promene-t-il bien.
Mais quand il va la-baut lui seul a s.a campagne %..■ ■%
Que le corps, ici bas, s.oufire.qu'Qnl'accompagne*
D AM I S.
Et crois-tn done qu'un homme a talens , tel que moi^
Puisse regler sa marche , &: disposer de soi ?
Les gens de mon espcce ont le destin des Belles..
Toutlemondc vondroitnous enlever commeeUes^,
V O M i D I E, 185
Jc me laisse entrainer chez Monsieur Francaleu ,
Par un impertinent que je connoissois peu.
C'est lui qui me presentc > &" , dupe du manege ,
Je sers de passeport au fat qui me protege.
On tenoit table encore. On se serre pour nous.
La joie , en circulant , me gagne ainsi qu'eux tous.
Je la sens : j'entre en verve \ & le feu prend aux poudres.
II part de moi des traits , des eclairs & des foudres 9
J'ai le vol si rapide &: si prodigieux ,
Qu a me sui vre, on se perd^ apres moi, dans les cieux :
Et c'est la, qu'a grands cris, je recois des convive,
Ce nom qui va da Pinde enrichir les Archives..^
M O N D O R.
Qui va nous appauvrir , a coup sur , tous les deux»
D A M I s.
Ensuite un equipage &: commode &■ pompeux
Me roule, en un quart-dlieure, a ce lieu de plaisanCc ,
Ou je ris, chante , &: bois : le tout, par complaisance.
M o N D o R.
Par complaisance , soit. Mais vous ne savez pas?
D A M I S.
Et quoi ?
M o N D o R.
Pendant qu'aux champs vous prenez vos cbats.
La Fortune , a la villc , en est un peu jalouse.
Monsieur Baliveau....
i.ts LA MiTROMANIE,
D A M I S.
( Heim ?
M o N D o R.
Votre Oncle de Toulouse...,
D A M I s.
Apre$ ?
M o N D o R*
Est a Paris.
Dam is.
Qu'il y reste.
M O N D O R.
Fort bi'en.
Sans croirc , sans vouloir que vous en sachiez rieii.
D A M I s.
Pourquoi done me le dire ?
M o N D o R.
Ah ! quelle indifference !
Et rien est-il pour vous de plus de consequence ?
Un Oncle riche & vieux dont votre sort depend ;
Qui du bien qu'il vous veut , sans cesse se repent 5
Pretendant , sur son goiit , regler votre genie j
De vos diables de vers , detestant la manie ;
Et qui , depuis cinq ans bien comptcs, Dieu merci.
Pour faire votre Droit , nous pensionne ici !
Attendez-vous, Monsieur , a d'horribles tempetcs.
II vicnt incognito , pour voir ou vous en ctes.
C O M E D IE, itf
Pcut-etre il sait deja que vous donnant lessor ,
Vous n'avez pris ici d'autre licence encor ,
Que celles qu'il craignoit,&: que,dans vos rubriqucs,
Vous nommez , entre vous, licences poeciques.
Ah ! Monsieur I redoutez son indignation.
Vous aurez encouru Texheredation.
Ce mot doit vous toucher, ou votre ame est biendurc.
D A M I S /wi donnant un papier.
Mondor , porte ces vers a I'Auteur du Mercurc.
M o N D O R refusant de U prendre*
Beau fruit de mon sermon !
D A M I S.
Digne du Scrmonneur,
Mondor.
Et que doit nous valoir cc papier ?
D A M I S.
De rhonncur.
Mondor secouant la the.
Bon ! dc I'honneur !
D A M I s.
Tu crois que je dis des sorncttes }
Mondor.
C'cst qu'on n'a point d'honneur a mal payer scs dettes ,
Et qu'avec celui-ci , vous Ics paierez tres-mal.
A«8 LA MiTROMANtE^
D A M I S.
Qu'nn Valet raisonneur est un sot animal !
£h 1 fais ce qu'on te dit»
M o N D O R. _
Aussi , DC voiis deplaise ,
Vous en parlez, Monsieur, un peu trop a votre aisc*
Vous avez les plaisirs j & moi , tout I'embarras.
Vous &■ vos Cr^anciers, je vous ai sur les bras,
G*est moi qui les ecoute , & qui les congedie*
Je suis las de jouer , pour vous , la comedie ,
De vous celer, d'oser remettre au lendemain ,
Pour empruntcr encore , avec un front d'airaitt. ^
Ma probite repugne k ces facons de vivre.
De ce monde aboyant , cherchez qui vous d^livre.
Pour moi , plein desormais d'un juste repentir ,
J'abandonne le role , &: ne veux plus mentir.
VicnnentBaigneur,Marchand,Tailleur,H6te,Aubergistc,
Que leur cour vous talonne , & vous sui ve a la piste ;
Tirez-vous-en vous seulj &: voyons unc fois....
D A M I S lui tendant le me me papier*
Tu me rapporteras le Mercure du mois j
Entcnds-tu ?
M O N D O R leprenanu
Trouvez bon aussi que Je revienne
Environne des gens que je vous nomme.
D A M I S.
Amenc.
MONJDOR.
C O M i D I £, 48^
M O N D O R.
Vous pensez rire i
:■ ■■^:-^'^':'.r'D AMIS. :;;oM7M>l
Non. ,/, rj
M O N D O R.
Vous verrez.
D A M I S.
Je t'attends,
M O N DOR sonant.
Oh bicn! vous en allez avoir le passe -temps.
D A M I S.
Et toi, celui de voirdes genscomblesde joic.
M O N D O R revenant.- -'raffrrT, ;V
Les paierez-vous ?
D A M I S.
Sansdoute. ■■_
M o N D o R.
^ q /-^ Et de quelle monnoie ?
D A M I S.
Nc t'embarrasse pas.
MoN D o R ^pari.
Ouais I seroit-il en fonds ?
D A M I S.
Arrangeons-nous deja sur ce que nous dcvons.
Tome I If T
x^<» LA MtTROMANIE^
M O N D O R d part.
Morbleu ! c'est pour m'apprendre a pescr mes paroles,
D A M I S.
Au Repetiteur ?
M 6 N D O R £un ton radouc'u
Trente ou quarante pistoles.
D A M I S.
A la Lingere J A THote ? Au Perruquier ?
M o N D o R.
Autant;
Au Tailleur >
M o N D o R.
Quatre-vingt.
D A M I S.
A TAubergiste?
M o N D o R.
1 i^ A c ; Cent.
O A M I %<.A.^ ■jiLii'ilU'MV:.. * i
A toi ? > r .
M O-N DOR faisant d' humbles reverences*
Monsieur..^
D A M I S>
Combiea'i"'
C O M i D I E. ftpi:
M o N D o R.
Monsieur....
D A M I S.
Parle.
M O N D O R.
J'abuse...i
D A M I S,
De ma patience !
M O N D O R.
Oui : jc vous demande excuse,
II est vrai que... le zele... a manque de... resped j
Mais le passe rendoit Tavenir trcs-suspedt
D A M I S.
Cent ecus , supposons. Plus ou moins , 11 n'importe.
^a, partageons Ics prix que dans peu je remporte.
M o N D o R.
Les prix >
D A M I S.
Oui ; de I'argent , de I'or qu'en lieux divers,
La France distribue a qui fait niieux les vers.
A Paris , a Rouen , a Toulouse , a Marseille.
J'aiconcouru par-tout : par-tout j'ai fait merveille,„»
M o N D o R.
Ah! Si bien que Parispaiera done le loyer;
Rouen, le Maitre en Droit; Toulouse, le Barbierj
Marseille, la Lingerer & le Diable, mes gages,
Tij
M.9i LA METROMANIE^
D A M I S.
Tu doutes qu*en tons lieux j'emporte Ics suffrages ?
M o N D o R.
Non •, ne doutons de rien, Et , sur un fonds meilleur,
N'hypothcquez-voiis pas TAuberge & le Tailleur ?
D A M I S.
Sans donte ; &: sur un fonds de la plus noble espece.
Le Theatre Francois donne aujourd'hui ma Piece.
Le secret m'est garde. Hors un Adbeur & toi ,
Personne au monde encor ne sait qu'elleest de mou
Ce soir meme on la joue : en voici la nouvelle*
Mon talent a I'Europe aujourd'hui se revele.
Vers rimmortalite je fais les premiers pas ;
Cher ami, que pour moi ce grand jour a d'appas !
Autre espoir....
M o N D o R.
Cliimerique.
D A M I S.
Une Fille adorable ,
Rare , celebre , unique , habile , incomparable....
M o N D o R.
Dc cettc incomparable, apres, qu'esperez-vous ?
D A M I S.
Aujourd'hui triomphant , demain j'cn suis Tepoux.
Dcmaia... Ou vas-tu done , Moqdor j
C O M E D I E. 29|t
M O N D O R.
Chercher un Maitre»
D A M I S.
Et pourquoi tout-a-coup suis-je indignc de VetreJ^
M O N D O R.
C'cst que fair est , Monsieur, un fort sot alimcAt^
D A M I S, I
Qui tc vcut nourrip d'air ? Es-tu fou ?
M o N D o R.
NuUemcnt.
D A M r s.
Kla foi, tu n*es pas sage. Eh quoi! tu te revoltes
A la veille , que dis-je ? au moment des recoltcs I
Car enfin rassemblons ( puisqu'il faut avec toi- ,,,^< j
Descendre a des details si peu dignes de moi )
Rassemblons en un point de precision sure y
L'etat de ma fortune & prcsente & future. f
De tes gages deja le paiemcnt est certain.
Ce soir une partie ; & Tautre apres demain..
Je reussis. J'epouse une femme savante.
Vois le belavenir qui de la se presente!
Vois naitre tour-a-tour, de nos feux triomphan»»
Des Pieces de Theatre & de rares enfans!
Lcs aiglons genercux, & dignes de leurs races,
A peine encor eclos , voleront sur nos traces.
Ayons-en trois. Leguons le Comique au prcmicrv
Tiij
15^4 i^ MiTROMANIE ^
Lc Tragique au second ; le Lyrique au dernier.
Par cux seuls , en tous lieux, la Scene est occupee.
Qu'a Tenvi cependant , donnant dans Tifepopee ,
Et nnon Epoiise &: moi nous ne lachions par an ,
Moi , qu'un demi-Poeme \ elle , que son Roman :
Vers nous, de tous cotes, nous attirons la foule.
Voila dans la maison I'or & I'argent qui roule j
Et notre esprit qui met , grace a notre union ,
Le Theatre & la Presse a contribution.
M o N D o R.
En bonne opinion vous etes un rare hommc;
Et, sur cet oreiller , vous dormezd'un bonsommc;
Ivlais un coup de sifflet peut vous reveiller.
D A M I S lui faisant prendre enfin le papier, ' 1
Pars.
L'cmbarras ou Je suis merite un peu d'egards.
tJne Piece affichee ; une autre dans la tete ;
Une ou je joue j une autre , a lire toute prete :
Voila de quoi, sans doute , avoir Tesprit rendu.
M o N D o R.
Ditcs un heritage & bien du temps perdu.
cjafirlnr.. Fin du premier Acle*
C O M E D I E, 195
^JL . ■ ■ ' »
A C T E 11.
it ' ^
SCENE PREMIERE.
BALIVEAU, FRANCALEU.
i
B A L I V E A U.
JL'heureu X temperament ! Ma joie en est extreme.
Gai, vif, aimant a rire j enfin toujours le memc.
" F R A N C A L E U. ' , . '
C'est que jc vous revois. Oui , mon cher Baliveau ,
Embrassons-nous encore 5 &: que, tout de nouveau,
De I'ancienne amitic ce temoignage eclate. ' "* '
La separation n'est pas de fraiche date j
Convenez-en : pendant I'intervalle ecoulc ,
La Parque , a la sourdine , a diablement file.
En auriez-vous I'humeur moinsgaillarde & moins.vivc?
Pour moi , je suis de tout} joueur, amant , convive j
Frequentant , fqtoyant les bons faiseurs de vers.
J'en fais meiTie comme cux.
arn:bY'(.uB AL IVE A U. ^
r^vy^ffvj Commeeux? n sf.
'. F R A N C AL E U.
.'ii,:,^ -i,.. .^,.^^, Oui... .:^: a
TlT
ir^tf LA M^TROMANIE,
Baliveau.
QucltraversJ
Franc ALE u.
Pas tout-a-fait comme cux ; car je les fais sans peine
Aussi me traitent-ils de Poete a la douzaine j
Mais, en depit d'euxtous, ma Muse, en tapinois ,
Se fait, dans le Mercure, applaudir tous les mois.
Baliveau.
Comment ?
Fr A N c AL e u.
J yprends le nom d'une Basse-Breton nc»
Sous ce voile etranger , je ris, je plais, j'etonnei
Et le masque femclle agacant le Ledteur ,
De tel qui m'a raille fait mon adorateur..
Baliveau<z paru
B est dcvenu fou !
'A
Francaleu. ,; (
Lisez-vous le Mercure? 3
Baliveau. >,
Jamais. '^
F R A N C A L E U. '♦ ,
Tampis , morbleu, tampis \ bonne ledurct
Lisez celui du mois j vous y verrez encor,
Comme , aux depens d'un fou , je m'y donne I'essor.
Je ne sais pas qui c'est 5 mais le.benet s'abuse ,
Jusques-la qu'il me nomme une dixieme Muse ;
Et qu'il me veut, pour femme , avoir absolument.
C O M E D I E. 297
Moi j'ai , par un Sonnet , riposte galamment.
Jc go ate , a ce commerce , un plaisir incroyable 1
Et vous ne trouvez pas Taventure impayable J
B A L I V E A U.
Ma foi , je n'aime point que vous ayez donnc
Dans un gout pour lequel vous etiez si peu ne.
Vous Pocte ! eh ! bon Dieu , depuis quand ? Vous !
Francaleu.
Mai-meme.
Je ne saurois vous dire au juste le quantieme.
Dans ma tete , un beau jour , ce talent se trouva;
Et j'avois cinquante ans , quand cela m'arriva.
Enfin je veux,chczmoi, que tout chante &: toutric.
Uage avance ^ & le goiit avec Tage varie.
Je ne saurois fixer le temps ni les desirs -,
Mais je fixe du moins chez moi tous les plaisirs.
Aujourd'hui nous jouons une Piece excellente j
J'en suis I'Auteur. Elle a pour titre : I' Indolente, - -
Ridicule jamais ne fut si bien daube -,
Et vous ctes, pour rire ,'on ne peut micux tombc.
%'sni.i'o\-i-.. B AL I VE A U
Ne comptez passur moi. J'ai quelqucaflEiireentere,
Quine feroit chez vous,de moi, qu'un troublc-fetc«
Francaleu.
Et quelle affaire encore \
Baliveau.
" * - Un diable de Neveu
Mc fait , par ses ecarts,mourir a petit-feu.
^p€ LA MtTROMANlEy
C'est un garcon d'esprit , d assez belle apparencc ,
:De qui j'avois concu la plus haute esperance \
J'en fis I'unique objet d'un soin tout paternel j \ \
Mais rien ne redifie un mauvais naturel.
Pour acbever son droit, ( n'est-ce pas une home J
11 est , depuis cinq ans , a Paris , de bon compte.
J'arrive : je le trouve encore au premier pas ,
Endette , Vagabond , sans ce qu'on ne sait pas.
Ne pourrois-je obtenir, pour peu qu'on mc seconde,
'Un ordre qui le mette en lieu qui m'en reponde ?
Ne connoissant personne , & vous sachant ici ,
Je venois....
Francaleu.
Vous aur?z cet ordre. . -r • f
B A L I V E A u.
Grand merci,
F R A N C A L E XT*'^' liJii i>lu :.• A
Mais plaisir pour plaisir. '
; i , Bali v e a u. v ,
, , , Pgur vous que puis-je fairc 1
,3r^:ri3ui;./ Francaleu. ^jqa- ..• t f\ '
•Dkns'ia Pidce du jour prendre un role de'P^e.
B A L I V E A u.
Unrolc! amoi?
Francaleu.
Saosdoutc , a yoiis, :^
€ O M t T> I E, 4«>p
B A L I V E A U.
Cesttoutdebon)
Francaleu.
Oui. Netes-vous pas bien de 1 age d'un barbon?
B A L I V E A U.
Soit. Mais....
Francaleu.
Vous en avez les dehors.
B AL I V E AU.
JeVavouc.
Francaleu,
Assez rhumcur.
B A L I V E A u.
Que trop.
Francaleu.
""' '" '" Ettantsoitpeulamouc.
Baliveau. -t
Avec raison.
Francaleu. '•
Et puis le role n'est pas fort.
Baliveau.
Quel qu'il soit , j'y repugne.
Francaleu.
11 faut faire nn cfibrt* "
joa LA METROMANIE^
Baliveaij.
Ehfi rqtic diroit-on ?
F R A N> C A LEU.
Que voulez-vous qii*on disci
B AL I V E KM.
tlnCapitouI ♦
Fran c AL e u..
Eh bien f
B a L r V E a ir.
.•u; Lagravitet
Francaleu.
Sottisel -'^■
B A L I V E A U.
Ma noblesse d'ailleurs !
Francaleu.
Vous n'etes pas connm.
Baliveau.
Caccord.
Francaleu /ai faisant prendre te roliiL
^ Tenez,tenez.
B A L I V E A U.
Quoi ! Jc seroi§ yenu i,^
Francaleu.
Pour reccvoir ensemble &: rendre uii bon office*
C O M E D I E. |o,
B A L I V E A U.
Jfc vois bien qu'il faudra qu a la fin j'obeissc
Mon coquin paicra done...
Francaleu.
Oui , oui : j'en suis garant.
Demaia on vous le coffre au fauxbourg S. Laurcnc
B a L I V E a u.
U faudra commenccr par savoir ou Ic prendre
Francaleu.
Dans son lit.
Baliveau.
C'est bien dit, s'il kii plait de s'y rcndrcj
Mais son hote ne sait ce qu'il est devenu.
Francaleu.
On saura bien I'avoir, apres I'ordre obtcnu.
Adieu ', car 11 est temps de vous mettre a I'etudc
Baliveau.
Je vais done m'enfoncer dans cette solitude -,
Et la , gesticulant & braillant tout le soii ,
Faire un apprcntissage, en verite, bien fbu.
|oi LA M^TROMANIE^
S C E N E II.
FRANCALEU, LISETTE.
Francaleu.
ju^jLOije faisTOncle', & toi,Lisette,es-tu contente?
Tu voulois un beau role j &: tu fais lindolente.
Reste a s'en bien tirer. Ma Fillc est sous tes yeujc
Tachc a la copier. Tu ne peux faire mieux.
Le modele est parfait.
L I s E T T E.
N'en soyez pas en peine*
Je veux lui rcssembler au point qu'on s'y meprennc«
J ai d'abord un habit en tout pareil au sien ;
J'ai sa taille j j'aurai son geste & son maintien :
Enfin je veux si bien repreienter I'ldole ,
Quelle se reconnoisse a la fadeur du role ;
Et, comme en un miroir,s'y voyant traits pour traits.
Que Tinsipidite Ten degoute a jamais.
Car, Monsieur, excusez; mais vous &" votre femme^
Vous avez fait un corps oii je veux mettrc uneame.
Francaleu.
L'indolence en cfFet laisse tout ignorer }
Et combien I'ignorance en fait-elle egarer ?
Le danger vole autour de la simple Colombc ;
Et , sans lumierc enfin , le moyen qu'on ne tombe J
C O M E D I E. ^05
Til feras done fort bien dc la morigener.
Qu'elle sache connoitre , applaudir , condamner.
Qu'a son gre d'elle-meme elle dispose ensuite.
Le pemchanc satisfait repond de la conduite.
C'est centre le torrent du siecle interesse :
Mais , me regardat-on comme un pere insense ,
Je veux qn'a tons egards tna filie'soit contentej
Que I'epoux qu'elle aura soit selon son attente ;
Qu'elle n'ecoute qu'elle & que son propre coeur ,
Sur un choix qui fera sa perte ou son bonheur j
Qu'elle s'explique cnfin la-dessus sans finesse.
Ce lieu rassemble expres une belie Jeunesscj
Vingt honnetes Partis, dont le meilleur , )e croi,
Ne refusera pas de s'allier a moi.
Ma Fille est riche &: belle. En un mot , je la donne
Au premier qui Ini plait; je n'excepte personne.
L I s E T T E. , . .^ ,
/: £ h i
Pas meme le Poete ?
Francaleu.
Au contrairc , c'est lui
Que jeprcfererois a tout autre au/ourd'hui.
. nvwI/JC L I SE T T E.
Je ne le crois pas iriche.
^ ' Francaleu.
Eh bien I j'en ai de restc.
J'aurai fait un heurcux : c'est passe- temps celeste.
}04 LJ MtTROMANIE^
Favorisant ainsi rhonn^te-homme indigent,
Le merite une fois aura valu I'argent.
L I S E T T E.
Jevois, danscechoixlibre,iin contretemps a craindrc.
Qui rendroit votre Fille extr^mement a plaindre.
Francaleu.
Et quel >
L I s E T T E.
C'estque son choix pourroittomber tres-bien
Sur tel , qui , sur une autre , auroit fixe le sien ;
Et pour lors il seroit moins aise qu on ne pense ,
Dc ramener son coeur a de rindifierence.
SCENE III.
FRANCALEU, DOR ANTE ecoutant sans
etre vu que dc Lisette ^ LISETTE.
Francaleu.
jl u paries juste. Aussi j'ai pris soin de savoir 0
L'histoire de tous ceux qu'ici j'ai voulu voir.
Lisette.
Et cclle du jeune-homme a qui Ton donne un role.
La savez-vous ?
( Doranu redouble id d^ attention. )
Francalev
C O M E D I Ei i<55
Francaleu.
On dit , a propos , que le Dr6le,v*
L I s E T T E.
Jc vous en avertis , il est fort amourcux.
Pour ne pas nous jeter dans un cas dangereux ,.
Tres-positivemcnt songez done a I'exclure.
FltANCALEU.
J'y cours tout de ce pas ; tu peux en ctre s^re i '
Et vais , a la douceur joignant Tautorite ,
Laisser un Ubre choix ^ ce jcune hon^me excep^^-
S C £ N E I V.
DORANTE, LISETTE.
DorANTEj^ presentant devant Lisette,
E ne t'interromps point,
Lisette.
Bien malgre vous , je gage.
D o R A N T E.
Non J j'ecoute, j'admire , &: je me tais. Courage!
Lisette.
Vous vous trouverez bien de n'avoir point parlc.
D O R A N T E.
En cffet , mc voila joliment installe.
Tome II. V
jo^ LA Mi T ROMAN IE;
L I S E T T E»
-Ittstalle ? Tout des mieux 1 J'efi reponds.
D O R A N T E.
Quelle audace!
Quoi! tu peux, sails rougir, imc regarder en face 2
L I S E T T E.
Pourquoi done, sll vous plait, baisserois-jc les yeux i
D O R A N f E.
Apres Texclusion qu'on me donne en ccs lieux \
L I s E T T E.
Eh! c'est Ic coup de niaitre.
D O R A N T E.
11 est bon lal
L I S E T T E.
Sans doutc*
Nc decidons jamais ou nous ne voyons goutte.
D O R A N T E.
Dc grace , fais-moi voIfm.
L I S £ T T E.
Ohl qui va rondemcnt
Ne daigne pas entrer en eclaircissement. . ^
D O R A N TE.
Jc n'en demande plus. Ma perte etoit jurec.
Je trouve en mon chemin Monsieur dc I'Empirec.
fi aime ; il a su plaire : oui , je le tiens de lui.
J'ignorois seulement quel etoit son appui ;
Mais , sans voir ta Maitresse , il osoit tout ecrire ,
Tandis qu'en la voyant, moi , je n osois ricn dire j
Et ta bouche infidelle , ouverte en sa faveur,
T>Qs vers que j'empruntois le declaroit I'auteur.
L I S E T T Ei
Vous croyez que je sers le Poete ? riori ar?
D o R A N TE. p^n.. J
• ''^'^ Li S E T T E.
Vous ne croyez done pas que I'interct me guide?
Pauvre cervelle! Ainsi je I'ai done bien servi,
Quiind j'ai forme le plan que vous avcz suivi ?
Quand je vous etablis dans les lieux oil vous etesJ
Quand je songe a tenir les routes toutes pretes j
Pour vous conduirc au but ou pas un ne parvient ?
Et quand enfin... allez ! Je ne sais qui me tient...*
D O R A N T E.
Mais cette exclusion, que veux-tu que j'en pense?
L I S E T T E.
Tout ce qu'il vous plaira. Je hais la defiance.
D O R A N T E.
Encore J A quoi d'heureux peut-elle preparer?
L I s E T T E.
A vous tircr du pair , a vous faire adorer.
5o8 LA MiTROMANlE^
Tel est le ca;urhumain,sur-toiit celui dcs Femmes;
Un ascendant mutin fait naitrc dans nos ames.
Pour cequ'on nouspermet ,un degout triomphant,
Et le goiit le plus vif , pour cc qu on nous defend.
D O R A N T E.
Mais si cet ascendant se taisoit dans Lucile ?
L I s E T T E.
Oh , que non ! L'indolence est toujours indocile.
Et telle qu'est la sienne , a ce que j'en puis voir >
La contrariete seule pent Icmouvoir.
Ce n'est pas meme assez des defenses du Pere,
Si je ne les secondc en Duegne severe.
D O R A N T E.
Eh bien ! les yeux fcrmes , je m'abandonne a toi.
L I S E T T E.
Defense encor d'oser iui parler avant moi.,
D o R A N T E.
Oh I c*est aussi trop loin pousser la patience.
L I s E T T E.
Dans unquart-d'heureau plus, je vous Hvre audience.
Dor ANTE.
Dans un quart-d'heure ?
L I s E T T E.
Au plus. Promenez-vous la- has ,
Tenez ; dans un moment j'y conduirai sQ:S pas.
La voici. Partez done. Laissez-pous.
.-^ C O M E D I E, J 09
D O R A N T E hesitant.
Quel supplied !
L I S ET T E.
Desirez-voiisou non qu'on vous rende service?
D O R A N T E.
L'eviter! ,; .,,. : "i
Lis ET Tl^ ' "
Oil tout perdre.
D O R A N T E.
Ah ! que c'est a regret I r
// fait des reverences ^ Lucile > qui les lui rend. II
les reitere jusqua ce que , par un geste imperieux j
Lisette lui fait signe de se retirer , au moment qu'd
paroissoit tente d'aborder.
LISETTE, LUfclLE.
Lisette.
V OIL A , Mademoiselle, un Cavalier bien (tdt»
Lucile.
J'y prends pcu garde.
Lisette* >
Aimablc , autant qu'on le peut 6trC«
Viij
|I0 IJ ME TRO MANIB;
L U CIL E.
Tuk^isi je Iccrois.
tlSETTE;
Vous semblez le eonnoitre,
L U C F L E^ '
Jc5 Tai vu quclcjuefois au Parloic. -oiivj a
t IS eVtt E*,
Sans plaisurl
.d-x ,: A .'■ :,' 'i
L U C I L E.
Si j'avois , cbmme vous , a ehpisir^ " ^*
Cclui-Iaj jeravoue, auroit la preference.
L u C I L e.
La multitude augmcnte en moi rindiflferchccA
Je hais de ces Galants Iq concours iinportun^
Et tu ne verra? pas que j^en regard^ aucuo.
Quoi I sans yeux pour eux tous ? On vous f^ra dedirc^
L U C I L E,
Si j*Cft ai, ee sera pour un seul, '^^^^^^^ « ajio
tlS ET TE,
. ' Cest-i-dire,
Qu'en faveur de ceie'617 votrc eoeur se resouu
{it quQ ie choix cp est deja fait X
,v C O M E D I E. jit:
L U C I L E»
Point du t6u^3'3
Je ne le venx choisir , ni nc le connois meme.
Mon Pere ledesigne; il defend que je Taime}.
J'obeirai. Je sais le devoir d'un enfant.
Nous n'oserions aimer, lorsqu'on nous le defend*
L 1 s E T T Ek
Ch!:non»:i £l d-t^i ;'
. L u c I L E. -ssfJ:!!"- V/:0\' tjU
Mais devoit-on , sachant mon caradlerci,
M'embarrasser Tesprit d'une defense austetei- " :^
L I s E T T E;
Eaefe^,,_,. ., ,
Exiger par-dela ma froideur; -
Et de I'obeissance , ou m'eut si^ rhumeuci
Cela pique, . '
• ^ I U C I t E,
Voyons cc Conquerant tcrrjbI'C:>.Q
Pour qui fon craint si fort que je ne sois sensible."
La curiosite me fera succomber ;
Et sur lui scul^ejifin , mes regards vont tomber.t.^^
• Lis e t t b. '
On vous Taura done bien design^' ? Lcq.uel est*-c.e >
' '■',;, LuctiTEv.";."^
Cest cclui qiii Jo.uera I'Amoureux dans.ki Piecq»,,,y
V iv
^9 It L£^ MtTKOMANlE;,
L I 8 £ T T fi.
C'estccJui qui jonera..,.
L u c I L E.
Quel air d'austerite !
f_; L I s E T T E.
Mademoiselle, point de curiosite,
Ccsc bien innocemment que j'ai pris la liccncQ 'iO
De vous insinuer la desobeissance,
I. IS ^ T T eJ
Oubliez ce que je vous ai dit;,
tuciLE.
Quoij ',33
lis E TTE.
Vous venez de voir celui dont il s'agit, , ~.
Ma preference etoit un fort mayvais precepte.
L U C I L E.
Que me dis-tu ? C'cst-la celui que I'on exccpte J
L I S E T T Cfiii 3ffi blizr^hlJU Jti
Lui-m^me. Rendez grace a I'inattention ^ 34
Qui ferma voire coeur a la seduction.
Vous gagnez tout au monde a ne le pas connoitrc, j
Le devoir eilt eu peine a se rendre le maitre j
Et, sure de I'aveu d'un Pere complaisant, .... *,«"^
Vous n'cussiez pas remis le choix jusqu'k prcsenC "
c C O M £ D J E, It J
L U C I L E.
Mille choscs dc lui maintenant me rcvicnncnt.
Qui vcritablement engagent & previenncnt,
L I s E T T E.
Ce que , depuis un mois , de lui vous avez lu ,
Temoigne assez combien son esprit vous eut plu,
L u c I L E,
Quoi ? Ces vers que je lis, que je relis sans cesse.,..
L I s E T T E,
Spnt les siens,
L u c I L E,
Quel esprit ! Quelle delicatesse !
De plaisirs &■ de jcux quel m^^Iange amusant !
Que, sous des traits si doux , Tamour est seduisantl
U Auteur veut plaire, &r plait sans doute a quelque Belle,
A qui Ton doit le feu dont sa piume etincellc.
L I S E T T E»
C'estcc qu apparemment votre Perc en conclut,
Et la raison qui fait que son ordre I'cxclut.
II craint que vous n'aimiez la conquc-ce d'une autre...
D'une autre 1 Mais j'y songe : &: s'il etoit la votre ?
Vous riezl Et moi, non. C'est au plusserieux.
Les vers ctoient pour vous. J'ouvre a present lesyeux.
Oui , je vous reconnois traits pour traits dans Timage
Pc celle a qui s'adrcsse «n si galant hommage.
3;i4 l^ METROMAKIE,
L U C I L E.
Je remarque en eflfet.... Prenons par ce chemin. ".
Monsieur de rEmpiree approche , un livre eamairu
On m'a, pour le choisir , presque tyrannisee »
Et mon ame jamais n'y fut moins disposce,
L I S. E T T E S€uU^
Bon! Ce preliminaire est, je crois, sufEsant;:
£t Uorante , s'il veut , peut traiter a present.
SCENE V U^^^^-r.
LISETTE, MO N DOR..
Mo N D OR. }j cninJy
JUiSETTE, ai-je un Rival ici ? Qu'il disparoisscvf "j
■^■y^i. Lis. JET TE..
S'il me plait. ^ .
M 6 5 D 6 R.
I ^ Plaiic ou non j tu n'es plus ta maitr essfe.'
•I
... : -
L I S E T T E.
• '.:i •:
jp f:i>c;..i ^) \:
Comment?
M O N D O R.
. /-
-T 1 ... ;.,
Tu
m'apparticns.
.!.• . \ J[
L I S E T T E.
Etdc
quel
droit encjesc?;
■rC O M E D I E. H5
M O N D O R.
Lucilc est aDamisj done, Lisettc a Mondor.
L I s E T T E.
Lucile est a ton Mattre ? Ah ! tout bean j j'cn appellc.
Mondor.
11 ne lui manqnc plus que I'avcu de la Belle.
Celui du Pere est sur, a tout ce que j'entends,
L I S E T T E s'en allanu .. ,4
La belle avance ! ri H
1 Mondor courant avres* . , ..,.. ., ;?
,-::? -Ificouteil
:i-- LiSETTE,
Oh ! jc n'ai pas le temps.*
— aBBHBM;jLiiuim,."u jiMm%jmBBssgesBamammmammmmmmmm
SCENE VII.
D A M I S seul:^ k Mercure a la maitt*0
Oui , divine Inconmie ! Oui , celeste Bretonnc!
Possedez scule un coeur que jc vous abandonne.
Sans la fatalitc de cc jour ou mon front
Ceint le premier Uurier , ou rougit d'un affi'ont ,
Jo desertois ccs lieux , & volois ou vous etes*
ji6 LA METROMANtEy
mammmmmmmttKmmBammmmmmmmBBaoBBBsm
■ m
SCENE VIII.
DAMIS,MONDOR. ^
M O N D O R.
J E nc m'etonne plus si nous payons nos dettcs. )
Enrre vingc Pretendans, on vous le donne beau j
Et vousavez pour vous , Monsieur , I'air du bureau.^
D A M I S je croyant toujours seal. •
Si , comme )e le crois , ma Piece est applaudie ,
Vous etes la Puissance a qui je la dedie.
Vous eutes un esprit que la France admira ;
J'en eus un qui vous plut.^ L'Univers le saura.
^ // donnc ^ Mondor du Livre par le ne:^.
^Er^5..; Mondor. -'
D A M I S.
Qui tc savoit la ? Dis,
Mondor. }
Maugrebleu du ^csttl \J
D A M I s.
Til m'ecoutois ? Eh bien ! raille , blame , corltestc.
Dis encor que mon art ne sert qua m'eblouir,
Tu vois I Je suis heurcux I
C O M E D I E, 317
M O N D O R.
Plus que sage.
D A M I S.
A t ouir,
Je ne me repaissois que de vaines chimeres.
M o N D o R.
Votre bonheur, tout franc, nc se devinoit gueres.
D A M I S.
Par un sot comme toi.
M o N D o R.
Mon Dieu , pas tant d'orgueil !
Vous ne pouviez manquer d'etre vu de bon ceil.
Vous trouvez un esprit de la trempe du votre ;
Mais vous n'eussiez jamais reussi pres d'une autre.
^ D A M I S.
De pas unc autre aussi je ne me soucierois.
Celle-ci seule a tout ce que je desirois.
De ma Muse elle seule epuisant les caresses.
Me fait prendre conge de routes mes Maitresscs.
M O N D O R.
II faudroit en avoir , pour en prendre conge,
D A M I S.
Je ne te parle aussi que de celles que j'ai.
M o N D o R.
Vousn'en eutes jamais. J'aidebonsyeux, peut-etrc!
3i8 IJ METROMANi£i
Un Valet vent tout voir , voit tout j &■ salt son Maitf^,
Comme a VObservatoire un Savant sait les Cicux j
Et vous-meme. Monsieur, ne vous savezpas mieux.
D A M I S.
Pas tant d'orgueil , toi-niemfc, ami ! Vas , tu t'abiises*
En fait d'amour, le coeur d'un Favori dcs Muses
Est un astre , vers qui I'entendement humain
Dresseroit d'ici bas son telescope en vain.
Sa sphere est au-dessus dc toutc intelligence.
L'illusion nous frappe autant que I'existence j
Et, par le sentiment , suffisamment heureux ,
De I'Amour seulement nous sommes amoureux.
Ainsi le fantastique a droit sur notre hommage:
Et nos feux , pour objet, ne veulent qu'une image- ?
M O N D O R.
Monsieur, a ma portee ajustez-vous un peu;
Et, de grace, en Francois, mettcz-moi cet hebrciU
D A M I S.
Volontiers. Imagine une jeune Mcrveille ;
Elegance , fraicheur , &c beaute sans pareille;
Taille de Nymphe.-...
M O N D O R , regardant aiix Logis.
Apres. Je vois ccla d'ici4
D A M I s.
C'cst dc mes premiers feux I'objct en raccourci.
T'accommoderois-tu d'une femme ainsi faite I
-' C O M t D I E. 519
~ M O N D O R.
La peste I
D A M I S.
Aussi ma flamme a-t-ellc ete parfaite.
M o N D o R.
Mais je n'ai jamais vu cct objet plein d'appas.
D A M I S.
Parbleu ! je le crois bien , puisqu'il n'existoit pas,
M o N D o R.
Et vous I'aimiez ?
D A M I S.
Tres-fort.
M O N D O R.
D'honiieurJ
D A M I S.
A la folic •
M o N D o R.
Unc Maitresse en I'air, & qui n'eut jamais vie i
D A M I S.
Oui, je I'aimois, avec autant de voluptc.
Que le Vulgaire en trouve a la realite.
La realite meme est moins satisfaisante.
Sous une meme forme elle se representc:
M^is une Iris en I'air en prend mille en un jour.
}io LA M^TROMAt^lMi
La micnne etoit Bcrgere &" Nymphe tour-a-touf.
Brune ou blonde , coquette ou prude, fiUe ou veuvcj
Et, Gomme tu crois bien , fidelle a toute epreuve.
M o N D o R*
Monsieur , parlez tout bas.
D A M I S.
Et par quelles raisons ?
M o N D o Rs.
C'est qu'on pourroit vous mettre aux Petites-Maisom.^
D A M I S*
Get amour, il est vrai , me parut un peu vuide j
Et je ne pus tenir a I'appat du solide.
Je repudiai done la chimerique Iris.
D'une Beaute palpable enfin je Ris epris.
J'ai chante ceilc-ci sous le nom d'Uranie.
Ah ! que j'ai bien pour elle exerce mon genie?
Et que de tendres vers consacrent ce beau noml
M O N D O R.
Et jc n'ai pas plus vu Tune que I'autre ?
D A M I S.
Non.
La fierte , la naissance , & le rang de la Dame,
Renfermoient dans mon coeur le secret de ma flamme.
Comment aurois-tu fait pour t'en etre appergu?
Elle-mcme elle etoit aimee k son iiosu. ,
MONDOR.
M O N D O R
Mais vraiment un amour de si legere espece ,
Pourroit prendre son vol bien par-dela rAltesse*
D A M I S.
N'en doute pas -, &: meme y gouter des douceursi
L' Amour impuncment badine au fond des cocurs.
A ce que nous sentons , que fait ce que nous sommes »
L'Astrc du jour se levej il luit pour tous les hommes ^
Et le plaisir commun que repand sa clarte ,
Represente Teffet que produit la beaut6»
M O N D O Ri
J'entcnds. Tout vous est bon 5 rien ne vous importune,
Pourvu que votre esprit soit en bonne fortune.
A ce compte , un Jaloux ne vous craindra jamais;
Et vos Rivaux, Monsieur, peuvent dormir en paix.
Et deux 1 A I'autre.
D A M I s.
Helas! En ce moment encore,
Je revois son image ; & mon esprit I'adorc.
Pour la derniere fois , tu me fais soupirer ,
Divinite cherie 1 II faut nous separer.
Plus de commerce ! Adieu. Nous rompons^
M o N D o R.
Queldommage!
Uunion etoit belle. Et que repond I'lmage ?■ ""•
Temc IL X
■3Z2 LA MtTROMANIE:,
D A M I s.
De mon cociir attendri pour jamais ellc sort;
Et fait place a Tobjec dont nous parlions d'abord.
M o N D o R.
D'un poste mal acquis Tequite la depose :
Et rien , avec raison , fait place a quelque chose.
D A M I S.
Que celle-ci , Mondor , a de grace &: d'esprit !
M o N D o R.
C'est qu elle aime les vers ; &: cela vous suffit.
D A M I s.
C'est que., c'est qu'elle en fait des mieux tournes du mondc.
Mondor.
Pour moi , ce qui m'en plait , c'est la source feconde
Oil nous allons puiser desormais les ducats.
D A M I s.
Les ducats ?
Mondor.
C'est de quoi vous faites peu de cas.
L'un de nous deux a tort ; mais qu'a cclu ne tienne.
Aura tort qui voudra, pourvu que I'argent vienne.'
D A M I S.
Enfin tu concois done qu'on en saura gagflcr ?
C O M t D I E, 315
M O N D O R.
Lc bon-Homme du moins nc veut pas repargner."
Da mis.
Lc bon-Homme ?
M o N D o R.
Oui, Monsieur; si vous etes son gcndrc,
Monsieur de Francaleu dit a qui veut I'entendrc,
Qu il rendra la-dessus votre bonheur complet.
D A M I S. ^•''^'^
■J'
Extravagues-tu ? \
M O NDO R, J, ,^(r '
Non; foi d'honncte Valet.
D A M I S.
Et qui diable tc parle, en cette circonsrancc , ^
De Monsieur Francaleu, ni dc son alliance?
M o N D o R.
Bon ! Ne voila-t-il pas encore uii qui-pro-quo.
De qui parlez-vous done, Monsieur? • j -,,.^,^,-. \ '
Da MIS.
D'uneSAPHO.
D'un Prodige , qui doit, aide de mes lumicres,
EflFacer, quelquejour, I'illustreDESHOULiERESi
D'une Fillc a laquelle est uni mon destin.
^14 LA METROMAmn^
M O N D O R.
Ou diantre est cctte Fille j
D A M I S.
A Quimpercorentid*
M o N D o R*
A Quimp....
D A M I s*
Oh , cc n'est pas un bonheur en idee ,
Celui-ci ! L*esperance est saine &: bicn fondee.
La Bretonne adorable a pris gout a mes vers.
Douze fois Tan, sa p-lume en instruit Tunivers.
Elle a, douze fois Tan , reponse de la notre ;
Et nous nous cncensonstous les mois Tun & I'autrc.
M O N l> 0 R.
Ou VOUS CteS-VOUS VUS ? : 33 ai'J
^^^' Da MIS.
' .' Nulie part. A quoi bon ?
.Q:ip-c M o N D o R.
Et vous repouscriez !
D A M I s.
'OH? / Sans doutc. Pourquoi non ?
M O N D O R.
Et si c'etoit un monstre ?
€ O M E D I E. jt5
D A M I S. ■ *
Oh ! tais-toi ! Tu m'excedes.
Les Personnes d'esprit sont-ellcs jamais laides?
M O N D O R. . '
}
Ouij mais.repqadra-t-elle a votre fplle ard^US.I.l
■•■■■ •■"''^'■- • ■■ D AM I s.--^'-'^' ^-:^^^i A •
-J
Je SLiis assez instruit par notre Ambassadpuf. ,
M QN D O R,
Et quel est rintrigant d'une telle aventure ? 'r'^ I
D A M I s,
Le Messager des Dieux. Lui-meme. Le Mercure.
M O N D O R.
Oh , oh 1 bel entrepot vraiment , pour coqugtt;er !
D A M I S. rr/T!
Tiens , lis dans celui-ci que tu viens d'apporter.
M o N D o R /zV.
Sonnet de Mademoiselle MeYiadec de Kersic^ ds
QuimperenBHtagne jO. Monsieur cinq Etoilcs.....
D A M I S.
Ton esprit aisement pcrce a traversces voiles;
Et voir bien que c'est moi qui suis les cinq Etoiles,
Oui ! Qu'a jamais pour moi , belle Meriadec ,
Pegase soit retif, &: THypocrcne a sec;
Xiij
^%6 LA MiTROMANIE ^
Si ma lyre, dc myrtc &: dc palmes ornec,
Nc consacre les noeudsd'un si rare Hymenee!
M o N D o R. X
i.
Je respede, Monsieur, un si noble transport.
Quivous chicaneroit, franchement auroit tort,
Mais prenez un conseil. Votre esprit s'cxtenuc
A se forger les traits d'une Femme inconnue.
Peignez-vous celle-ci sous quelque objet present.
LuciFe a , par cxemple , un visage amusant
D A M I S.
J'cntcnds.
M o N D o R.
.^^^^ . Suivcz , lorgnez , obsedez sa personnc.
Croycz voir & voyez en elle la Bretonne....
D A M I S.
Cest bien dit. Cette idee, ^chauffant mcs cspriti,
N'en portera que plus de feu dans mes ecrits.
Le bon sens du Maraud quelqucfois nVepouvante.
M o N D o R.
Molierc, avec raison , consultoit sa Servante.
,..'-, D A M I S.
On se pcfnt, dans Tobjet present & pleiri d'ap'pas,
L'objet qfi'on idolatre 5^ que Ton ne voit pas.
Aussi-bien , transportc du bonheur de ma flamme,
, Deja, dans mon cerveau , roule un Epithalame , \
Que, devantqu'ilsoitpeUjje pretends mcttreau net,
Et donner au Mercure , en paicment du Sonnet..
~ C O M E D I -E.t ^ 3 17
MusCjCvertuons-notis ! Ayons Ics ycux , sans ccsse,
Sur I'Astre qui fait naitrc en ces lieux la tendressc 1
Cherchc , en le contemplant, maticre a tes crayons j
Et que ton feu divin s'allume a ses rayons i . , -
Que cette solitude est paisible ck toucbantet""
J'y veux relire encor le Sonnet qui m'enchante.''
( // va s'asseoir a I'eccrt. )
M O N D O R seal.
Quelle tete 1 II faut bien le prendre comme il est.
Voyons ce qui naitra dc ce jeu qui lui plait. ;
Uassiduite pent , Lucile etant jolic,
Lui faire de Quimper abjurer la folic. , ''"'^
•^ S C fi N E. IX. -.o/iur^L
D O R A N T E , L U C I t E,
D A M I S a Vecart & sans etre vu.
! )ii? (f-/5laxjiijr.i?D O R A N T E.
jl^ cet aveu si tendre , a de tels sentimens
Que je viens d'appuyer du plus saint des sermens;
A tout ce que j'ai craint , Madame; a ce que j'ose;
A vos charmes enfin plus qu'a route autre chose ,
Reconnoissez que j'aime ; & rcparez I'erreur
D'un Pcre qui m'exclut du don de votrc coeur.
Je nc veux pour tout droit que sa volonte memc.
P ere equitable ^ tendre , il vcut que Ton vous aimc
Xiv
3iB LA ME TROMANIE ,
Des que c'est a ce prix que Ton met votre foi ,
Qui jamais vpus pourra meriter mieux que moj !
' -'- - Lu c I L E.
Mais enfin la-dcssus , qu'importe qu'on I'eclaire ,
S'il ne vous en est pas pour cela moiiis contraire j
Et si , dls qu'il saura de qui vous etes fils ,
Nul espoir, pres de moi, ne vous est plus permisJ
D O R A N T E.
J'obtiendrai son aveu s rien ne m'est plus facilcr^
Mais, parmi tant d'Amans, adorable Lucile , j
N'auriez-vous pas deja nomme votre VaipqueurJ
Lucile drant des vers de sa poche.
-^ ■'■-"'■ -■'■""' -'^
L'Auteur seul de ces vers a su toucher mon cceuF|
Je Tavoue , &r pour lui me voila declaree.
D O R A N T E appercevant- jP-amis,
Onnousecoute!
Lucile.
Eh ! Cest Monsieur de I'Empiree !
Lisons-les-lui , ces vers j il en sera charme. a
iiivjU' D O R A N T E a part, \^
: :>p$|j^^|i^^ juste Ciel ! ou moi qu'elle a nomme }^
.-- '» ■ Lu CILE fl Damis.
Vcne2,Monsieur,venez, pour qu'en votre presence^
Nous discutions un fait de votre competence j *
11 s'agit d'une Idylle ou j'ai quelque interet;
ft vous nous en direz votre avis , s'il vous platt»
" C O M E D I E. 3Z9
D O R A N T E.
Madame, on fait grand tort a Messieurs Ics Poetes,
Quandon les interrompt dans leurs dodes retraites.
Laissons done celui-ci rever en liberie ;
Et detournons nos pas de cet autre c6tc.
D A M I s.
Le plus grand tort , Monsieur , que Ton puisse nous fairc ,
C'est de pri ver nos yeux de ce qui peut leur plaire.
Peut-on penser si bien, etant seul en ces lieux/""'
Qu etant avec Madame , on ne pense encor mieux ?
Madame, je vous prete une oreille attentive.
Rien ne me plaira tant. Lisez \ &" s'il m'arrive
Quelque distradion dont Je ne reponds pas V '
Vous ne Timputerez qu'a vos divins appai^""^ : T
L u c r L E.
Votre facon d'ecrire elegante &: fleurie
Vous accoutume au ton de la galanterie.
Allons , Messieurs , passons sous ce feuillagc epais ,
Ou, loin des Importuns, nous puissions lire en paix.
Damis lu'i presente la main quelle acceptCy au moment
que Dorantt lui presentoit aussi la sienne.
D O R A N T E seul.
pst-ce un coup du hasard , ou de leur perfidie?
Voyons. U faut, de pres, que je les etudie j
Et que je sorte enfin de la perplexite ,
1^4 plus grande ou peut-etre on ait jamais etc.
Fin du second Acle.
5JO LA METROMJNIE,
A C T E III.
■i. - i
SCfiNE PREMIERE.
D O R A N T E ramassant des tahkttes.
>^UELQU'UN regrette bien les secrets confics ^
A ces tablettes-ci que je trouve a mes pieds.
^ . . ' ^ H Ics ouvre.
Epithalame. An! an ! j'en rcconnois le Maitre.
J'y pourrois bien,aii;jsi,dcvelopper unTraitre... ,
Lisons.
. , ,, .,s G EN-'''r-'r-i;"?r^"',;!
.X ;,r| no CD o R A N T E , L I S E T T E,
Lis e t te.
OUis-JE lint fourbc? Ai-jc trahi vos fenx;
Le scul qu'on veut cxclure , est-il si malheureux r
Dcs que je vous ai vu pret d'aborder Lucile ,
Je mc suis eclipsee en confidente habile ;
Et je voiis ai laisse Ic champ libre a I'instant.
Eh bien ! Quelle nouvelle ? En etcs-vous content ■
, C O M E D 1 E. 331
^iiijij 1..::. .:\-::::^ O R A N T E.
Ah ! quelle est ravissante ! &z que ce tete-a-tete
Acheve dc lui bien assurer sa conquete !
JeTaimois, radorois,ridoIatroJ&i mais rien ^
N'exprime mon ctat , depuis cet entretien.
Jusqu'au son de sa voix , tout me penetre en elle.
Son defaut me la rend plus piquante &: plus belle *,
Oui, ce qu'en elle on nomme indolence &: froideur.
Redouble de mes feux la tendresse & I'ardeur. \
L I s E T T E. :?u , UOIU.V3':! A
La dedaigneuse enfin s'est-elle humanisee?^' ' ^
Je I'avois , ce me semble , assez bien disposec.
Dor an T'E.. . v j'J
Tu me vois dans un trouble..;. *
L I s E T T E.
, " Eh ! vivez en rcpos.
D O R A N T E.
Ses graces m'ont charmd , mais non pas ses propos.
LiSETTE. ■''''"■']
A-t-elle , avec rigueur , ferme I'orcille aux votrcs?
D o R A N T E.
Non. Mais j'aurois voulu quelle en eiittenu d'autres.
L I S E T T E. .,-. [i;^
Quoi ; Qu'elle eut dit : Monsieur^ je suis folk de vous.
Je voudrois que deja vous fussle:^ mon Epoux.
j5t lA MJkTROMANIE ^
Mais oui j c'est avoir Tame assurement bien dure,
De ne pas abreger ainsi la procedure.
Do R A N T E.
Ayant fait de ma flamme un libre & tendre avcii^,.
Et promis d'agreer a Monsieur Francaleu j
Comme je temoignois la plus ardente envie ,^
D'entendre mon arret ou de mort ou de vie ,
Elle m'a repondu : ( dirai-je avcc douceur ? )
L'Auteur seul de ces vers a su toucher mon coeur.
A CCS mots , de sa poche elle a tire I'ldylle ,
Dont le succes me rend de moins en moins tranquille^
L I s E T T E.
Ocst qu'elle a cru parler a TAuteur.
D o B. A N T E. r
Je ne sais*
Mais elle a mis mon ame a de rudes essais.
Elle a vu mon rival d'un ceil de complaisance.
Elle a lu , malgre moi , ridylle en sa presence,
C etoit me demasquer. Sous cape, il en rioit , '
Peut-etre en homme a qui Ton me sacrifioit '.
Le serois-je en eflfet ? Seroit-ce lui qu'on aime? >
Me joueroicnt-ils tous deux ? Me jouerois-tu toi-memc ?
L I s E T T E.
Les honnetes soupcons ! rendez grace, entre nous,
Au cas particulier que je fais des jaloux.
Sans les egards qu'on doit a leur tendre caprice j
Mon honneur ofiensc se feroit bien justice.
C 0 M i D> I E. 53 J
D O R A N T E.
L'Auteur seul de ces vers a su toucher son coeur ,
Dit-elle 1 encore un coup, je n'en suis point I'auteun
Suppose qu'on la trompe , &: qu'elle me le croie j
Oil done est cncor la le grand sujet de joie >
Je jouis dune erreur j & j'aurois souhaite
Une source plus pure a ma felicite !
Un merite etranger est cause que Ton m'aime ;
Et je me sens jaloux d'un autre j dans moi-meme 1
L I s E T T E.
Que la delicatesse est folle en scs exces I
Eh! Monsieur , y faut-il regarder de si pres ?
Qu'importe du bonheurla source fausse ou vraie?
D O R A N T E.
Tout ce que j'entrevois , de plus en plus m'effraic.
Le bonheur du Poete etoit encor douteux ;
Mais il est mon rival , & mon rival heureux.
De Lucile , sans cesse , il contemple les charmes.
11 se voir vingt rivaux , sans en prendre d alarmes.
A I'estimc du pere il a le plus de part.
Seule , avec son valet , je te trouvc a Tecart.
Que te veut-il ? Pourquoi s'enfuit-il a ma vue ?
Quels etoient vos complots ? D'ou vient paroitre cmue ?
Reponds.
L I s E T r E.
Tout bellement 1 vous prenez trop de soin,
Etc'est aussi pousser I'interrogat trop loin ; --'-i
354 ^^ MJ^TROMAN lE^
D O R A N T E.
Je t'epierai si bien aujourd'hui.... Prends-y garde.
Quelque part que tu sois , crois que je te regarde.
Cependant allons voir , en les feuilletant bien ,
Si ces tab!ettes-ci ne m'instruiront de rien.
SCENE III.
L I S E T T E.
jM.'inpiER 1 doucement ! ce scroit iine chainc.
Quoiqu'on soit sans reproche , on ne veut rien qui gene.
Ah I c'estpeu d'etre injustci il ose etre importun!
Aux trousses du facheux je vais en lacher un ,
Qui , s attachant a lui , saura bien m'en defairc. _
Le voici justement;
SCENE IV.
FRANCALEU,L1SETTE.
Francaleu.
u'as-tu done tanta fairc
Avec ce Cavalier qui ne semble chez moi
S'ctre impatronise , que pour ctre avec toi ?
L I s E T T E.
De tous nos entxetiens vous seul etes la cause.
Francaleu.
Voyons iin pcu le tour qii'elle donne a la chose."
L I s E T T E.
Tout simple. Le jeune-homme entend vanter a tous,
Certaine Tragedie en six acles , de vous ,
Que I'on dit fort plaisante , & qu'il brule d'entendre.
Sans qu'il sache par qui , ni trop comment s'y prendre.
Francaleu.
Et n'a-t-il pas I'ami qui me I'a presence s
L I s E T T E.
Monsieur de I'Empiree ? II aura plaisante ;
Dc caustique & dc fat joue les mauvais roles ,
Et parle de vos vers, en pliant Ics epaules. .^i iw 1>
Francaleu. .^.^>.t^i
J'en croiroisquclque chose , a son rire moqueur.
Le serpent de Tenvie a siffle dans son cccur.
Oh ! bien, bien, double joie, en ce cas, pour le notrc !
Je mortifierai I'un , &■ satisferai Tautre ;
L'autre aussi-bien m'a plu, comme il plaira par-tout.
11 a tout-a-fait I'air d'un homme de bon gouti
Et d'ailleurs il me prend dans mon enthousiasme. .
Je suis en train de rire ; & veux, malgre mon asthmc ,
Lui lire tous mes vers , sans en excepter un.
L I s E T T E.
Vous me deferez la d'un terrible importuni - - - •
j3^ lA METROMANlEi
F R A N C A L E U.
Vas done me le chercher.
L I S E T T E.
Faites-en votre aflFaird
Ic me vais occuper d'un soin plus necessaire.
11 fautque je m'habille.
Francaleu.
Et pourquoi done sitot ?
L I s E T t E.
Voulant reprcsenter Lucile comme il faut ,
J'ote des-a-present mes habits de soubrette ,
Pour etre, sous les siens, pluslibre &: moins distraite*
Francaleu.
C'est fort bien avise. Vas. Je me charge , moi..« .
S C fi N E V.
FRANCALEU, BALIVEAU.
Francaleu.
jCslH ! c'est vous ! comment va la memoire ! t {
B A L I V E A u.
Ma foi !
Quelques raisonnemens que votre gout m oppose,
Je hais bien la demarche ou mon neveu m'expose :
Pour
C O M JE D 1 is, 5 37
Pour s'y resoLidre , il faut , a cet original ,
Vouloir etrangement & de bien &: de mal.
Enfin moil role est su : voyons , que faiit-il faire ?
F R A N C ALE U. 'V :»l
Et moi , de mon cote, je songe a votre aflFaire.
Cependant soycz gai. Debutez seulement j
Et vous serez bientot de notre sentirkient.
De vos talens , a peine aurons-nous les premices ,
Que nou« voulons vous voir un pilier de coulisses j
Et, quoi que vous disiez, versun plaisir si doux ,
De la force du charme , entraine comme nous.
J'ai vu ce charme , en France , operer des miracles j
Nos Palais devenir des salles de spedacles ;
Et nos Marquis , chaussant a I'envi I'escarpin / y
Representer Hedor , Sganarelle & Crispin. • ' •' '
Baliveau.
Je ne le cache pas. Malgre ma repugnance ,
Une chose me fait quelque plaisir d'avance.
C'est le parfait rapport, qui, par un cas plaisant,
Se trouve entre mon role &" mon etat present; -
Je represente nn pcre austere & sans foiblesse ,
Qui , d'un fils libertin gourmande la jcunesse..,
Le vieillard , a mon gre, parle comme un Caton :
Et je me rejouis de lui donner le ton.
Francaleu.
Celui qui fait le fils s'y prend le mieux du monde.
Car nous ne jouons bien , qu'autant qu'on nous seconde,
TomclL Y
558 LA ME TROMANIE y
Tout depend de TAdeur mis vis-a-vis de nous.
Si celui-ci venoit repeter avec vous ?
Baliveau.
Je voudrois que ce fut dcja fait.
FrANCALEU appelant ses valets,
Hola hee !
Que Ton aille chercher Monsieur de TEmpiree.
a Baliveau,
Tencz , voila par ou le jeune hommc entrera. ,^
Vous pouvez commencer si-tot qu il paroitra. j J
Faites comme Ton fait , aux choses imprevues. X I
Soyez comme quelqu'un qui tomberoit des nues }
Car c'est Tesprit du role : &: vous vous souvenez
Que vous vous trouvez , vous & ce fils, nez a nez ,
L'instant precis qu'il sort , ou d'une Academic ,)H
Ou de quelque autre lieu que vous voulez qu'il fuie j
Et qu'k cette rencontre , un silence facheux
Expririie une surprise egale entre vous deux.
C'est un coup de theatre admirable : &: j'esperc....
J. "^— — —^
S C fi N E V I.
FRANCALEU, BALIVEAU, DAMIS.
F R il:N C,A..L E U a Damis.
J^4oNSiEUR , voila celui qui fcra votre pcrc.
11 sa^t son role *, allons , concertez-vous un pen ;
Et , tout en vous voyanc, commencez votre jeu.
C O M E B I E. 339
v. Balivcau , voyant son. profond etonncm&nt.
Comment diable ! A mervcille ! A miracle ! courage !
Personne ne jouera mieux que vous , xiu visage.
a Dam'is,
Vous avez joue, vous, la surprise assez bien > ..
Mais le rire vous prend ; & ccla nc vaut rienl*"^
II faut ctre interdit , confus, couvcrt dc hontc. "^
B A L I V E A U.
Je sens qu'ainsi que lui , votrc asped me dcmontc.
D A M I S ^ Francaleu.
C'qsi que, lorsqu'on repete, un tiers estimportun.
Francaleu.
Adiea donci aussi-bien je fais laiiguir quelqu'un.
a Damis
Monsieur Thomme accompli , qui du moins croyezletrc :
Prencz , prenez lecon : car voila votre maitre.
u Baliveau.
Bravo 1 bravo ! bravo 1
s c i: N E VII.
BALIVEAU, DAMIS.
V
Baliveau a part.
i«E sotevenemcnt I
Damis.
Jc ne puis revenir de mon etonnement.
Yij
340 LA M^.TROMJNIE ^
Apres nn tel prodigc, on en croira mille autres.
Quoi, mon oncle, c'est vous ? Et vous etes des notres !
Heureux le lieu, Tinstant, I'emploi qui nous rejoint !
B A L I V E A u.
Raisonnons d'autre chose , & ne plaisantons point.
Le hasard a voulu....
D A M I S.
Voici qui paroit drole.
Est-cc vous qui parlez , ou si c'cst votre role ?
•'' • Baliveau.
C'est moi-meme qui parle, & qui parle a Damis.
Voila done ccque fait mon Neveu dans Paris ?
Qu'a produit un sejour de si longue duree ?
Que veut dire ce nom : Monsieur de I'Emplree ?
Sied-t-il , dans ton etat , d'aller ainsi vetu ?
Dans quelle compagnie , en quelle ecole es-tu ?
Damis.
Dans la votre , mon oncle. Un peu de patience.
Imitez-moi. Voyez si je romps le silence
vSur mille questions, qu'en vous trotivant ici ,
Peut-etre suis-je en droit d'oser vous faire aussi.
Mais c'est que notre role est notre unique affaire i
Et que de nos dcbats, le Public n'a que faire.
BaliVE AU levant la canne,
Coquin ! tu te prevaux du contretemps maudic... ,
/ C O M E D I E, 3^}
Monsieur, cc gcste-la vous devicnt intcrdit. j j.^
Nous sommes , vous & moi , membrcs de comedie.
Notre corps .n'admct point la mechodehardie , .
De s'arroger ainsi la pleine autorite ; ' ' /^' '■*
Et ron tie connoit point , chez nous , de primautc.
BaLIVEAU a part.
C'est a moi de plier, apr^s mon incartade*^^^ y^^^
D A M I S gaiement. . .:,r ..,q
Repetonsdonc en paix. Voyons, mon camarade. >
Je sui« un fils«;. ^^^^
' 'B A LI V £ Ay apart, § ^^"^'^^
\. . ; -; :• J ^^ ^^- •^^ voila desarme.
D A M i s.
j V
Et vous, unpere.... ■ :..J0-»
Baliveau.
■ ,^T . . • , Eh oui , bourrcau ! tu m'as nomme;,
te n'ai que trop pour toi des entraillej de pere v
Et ce fut le seul bien que te Is^issa mon frefe. .,.,
Quel usage en fais tu? Qu'ont servi tous mes soins ?
A me mettrcen ctat de les implorer mbins. ^ -3
Mon oncle , vous avcz cultive mon enfance. -
Jc ne mets poinc dc borne a ma reconnoissanccs
Et c'est pour le prouver , que je veux desormais
Commcncer par tacher d'en mettre a vos bienfaits j
Y iij
141 l^ METROMANIEj
Me suffire a moi-meme , en volant a la gloire ^
£t chcrcher la fortune , au temple de Memoire.
B A L I V E A U.
Ou la vas-tu chcrcher ? Ce temple pretendu
( Pour parler ton jargon ) n'est qu'un pays perdu,
Cu la necessite , de travaux consumee ,
Au sein du sot orgueil , se repait de fumee.
Eh ! mafheureux ! crois-moi : fuis ce terroir ingrat,'
Prends un parti solide , & fais choix d'un etat
Qn'ainsi que le talent, le bon sens autorise j J?
Qui te distingue •-, & non , qui te singularisc ; si
Ou le genie heureux brille avec digiiite ;
Tel qu'enfin le barreau roflfrc a ta vanitc.
D A M I S.
te barreau ! ,„^.^ ,3
Baliveau.
Protegeant la veuve & la pupille ,
C'est-taqu'a Fhonorablc, on peutjoindre I'litile j
Sur la gloire & Icgain ,^tablir sa maison j
Et ne devoir qu'^ soi sa fortune & son nom.
D A M I S.
Cc melange de gloire & de gain m'importunc.
On doit tout a I'honneur, & rien a la fortune;' -^^
Le nourrisson du Pinde, ainsi que le guerrier ,' '*
A tout Tor du Perou , prefere un beau laurier.
L'Avocat se peut-il egaler au Poete ?
De ce dernier la gloire est durable & complcttc.
. '^ 'C O M £ D I E, 341
II vit long-tctnps apres que Tautre a disparn. "-■ «-
ScARON meme remporte aitjourdliui sur Patru.
Vous parlcz^du barreau de la Grece 6^ de Roaic,
Lieux propres autrefois )i produire un grand hon:irae.
L'antre de la chicane &: sa barbare voix
N'y dcfiguroient pas I'tloquence & les Loix. ' '■;
Que des traces du monstre , on purge la tribune i
J'y monte : & mes talens voues a la fortune ,
Jusqu'a la Prose encor , voudront bien dcrogcr.
Mais Tabus ne pouvant si-tot se corriger ,
Qu'on melaissc,amongre,n'aspirantqu'a laglbire,
Des titres du Parnasse , anoblir ma mcmoire >• '^^
Et primer dans un Art plus au-dessus du Droit ,
Plus grave, plus sense, plus noble qu'on ne croit.
La fraude impunement, dans le siecle ou hous sommes ,
Foule aux pieds I'equite, siprecieuse auxhommes:
Est-il pour un esprit solide &r genereux ,
line cause plus belle a plaidcr devant eux ?
Que la Fortune done me soitmere ou maratrdj'l'
C en est fait: pour Barreau , je choisis le Theatre t
Pour Client , la Vertu ; pour Loix , la Verite :
Et pour Juges^ , mon Siecle &: la Posterite. ' '^'"' "'""^ -
. .; ;:.^^ .' ,P A L I y E A U. ., •.
Et bien , porte plus haut ton espoir &: tes vues. ■ ■
A ces beaux sentimens les dignites sont dues.
La moitie de mon bien remise en ton pouvoir ,
Parmi nos Senateurs ^ s'offre a tc faire asseoir.. ...
Ton esprit genereux, si la vertu t'est chcre , wO
Yiv
144 LA MtTROMANIE^
Si tn prends a sa cause un interet sincere > / 11
Ne preferera pas , la croyant en danger ,
L'eflbrt de la defendre, au droit de la juger.
D A M I S.
Non ; mais d\in si beau droit Tabus est trop facile.
L'esprit est genereux , & le cc^ur est fragile. ;
Qu'un Juge incorruptible est un homme etonnant \
Du Guerrier le merite est sans dcute eminent :
Mais presque tout consiste au mepris de la vie i.^,/.
Et de s?rvir son Roi la glorieuse envie , ,,o
L'esperance , i'exemple , un je ne sais quel prix^rr
L'horreur du mepris meme , inspire ce mepris.
Mais avoir a braver le sourire ou les larmes ; -
D'une Solliciteuse aimable &: sous les armes ! t
Tout sensible, tout hoaime enfin que vous soyez ,
Sans oser etre emu , la voir presque a vos pieds,!,^
Jusqu'a, la. cruauie pousserle Sto'icisme !
Je ne me sens point fait pour un tel Heroisme.
De tous nos Magistrats la vertu nous confond :
Et je ne concpis pas , comment ces Messieurs font^
La mienne done se borne au mepris des-fichesses ji
A chanter des Heros de routes les especes;
A sauver , s'il se pent , par mes trivaux constans,
Et leiirs noms &: le mien , des injures du temps,-: 'I
Infortune ! je touche a mon cinquieme lustre, A
Sans avoir publi^ rien qui mc rende illustre !
On m'ignore ; &: je rampe encore , a Tage heureux,
Ou CoRNEiLLE &'Racine ctoient dejafameuxl
B A L I V EAU. ,;,| jjf^
Quelle etrange manic 1 &c. dii-nioi , miserable !
Ade si grands esprits , te crois tu comparable i^ti
Et ne sais-tu pas bien qii'au metier que tu fais ^
11 faut , ou les atteindre , ou ramper a jamais ?. .
Da MIS. •f«o}6*''^
Eh bien ! voyons le rang que le Destin m'appretc.
11 ne couronne point ceux que la crainte arrctc; ' -
Ces maitres meme avoient les leurs , en debutarft j
Et tout le monde alors put leur en dire awtant. - '
Mais les beautes de Tart ne $orit pas infinies.^ '9 ,_
Tu m'avoueras dumoins que ces rares genics, '^^,
Outre le don qui fut leur principal appui ^ ■
Moissonnoientileuraise.ouronelanneaiiiourd'huL
■■ ■ ;!'-/; '.; ' D-AM[-i,s..,, .-. . ; ?^;;/;'r 'vvJ-
IIsontdic, il est vrai ,.pr;esque tout cc qu'on pensfe.
Leurs ecrits sont des vols^ qu'ils-nous ont faits d'avancc j
Mais le rem.cde est simple : il faut faire comme eux i
lis nous.ont dcrobcs j derobons nos ncvcu5i; },_,,-■
Et tarissant la source ou puiseun beaudelire.^ .-> j
A tous nos successcurs ne laisso'ns rien a dire. . • =
Un demon triomphant m eieyc a cet emploi. .
Malheur aux Ecrivains qui viendront aprcs moi !
B A L I V E A U.
Vas, malheur a toi-meme, ingrat ! cpurs ata perte \
A qui veut s'egarer , la carricrc est ouvqrtc.
54<?^ l^ METROMANIE,
Indigne du bonheur qui t'etoit prepare,
Reiitre dans le neant dont je t'avois tire. O
Mais ne crois pas que, pret a remplir ma vengeance ,
Ton chatimcnt se borne a la seule indigence.
Cetre soif de briller , ou se fixent tes vaeux ,
Seteindra, mais trop tard, dans des degouts affircujc
Vas subir du Public les jugemens fantasqucs , r
Dune Cabale aveugle , essuyer les bourasques , , ,•
-Chercher en vain quelqu'un d'humeur a t'admirer ,
Et trouycr tout Ic monde adif a censurer I
Vas, des Auteurs saps npm , grossir la foule obscure ,
Egayer U Satire, & servir depature . .
A je ne sais quel tas de Brouillons affames,
Dont Tes J^crit^ mordans siir les Quais sont semes !
E|(;ja, dans les Cafes tes prbjets se rcpandent.
' L'e'Pafoats'tc bisif & tes Foraiiis t'attendent, "^^ '"•
Vas, aprcs t'etre vu^itt" ieur Scene avili,
De:l'9pprb|yrc, avec eux , retomber dan&l'Qublil
Que peut , centre le roc \ uile vagiic aniniee ? \
Herciil6 a-t;-il peri sous I'effort du PigrrieeV ;''''' "^ f
L'Olympie' volt en paix fumer le Mont iCth'ffi" ^
Zoile, contre Homcre, en vain se dcchainaj^^'' .
Et la palme du Cid, malgre la meme audac^,'. *'\,
Cirbk & s'oleve encoTe au sommet du Parnasse.
B A L I V E A U.
Jitmais Textravagancc alla-t-elle plus loin? ' ,
He bien , tu braveras la hontc 6c le bcsoin.
c' C O M^ D I E. ^47
Je veiix que ton esprit n'en soit que plus rebelle 5 l
Et qu'aux siecles futurs ta sottise en appelle 1 . '!
Que , de ton vivant meme , on admire tes vers -,
Tremble ! &: vois sous tes pas mille abysmes ouvcrts!
L'impudence d'autrui va devenir ton crime. '^''^
On mettra, sur ton compte , un Libellc anort^rBeX
^ Poursuivi, condamne, proscrit sur ces rumeurs,
A qui veuxTtu. qu un homme en appelle r^ij advo2
. M-. . , . Ascsmoeurs,
B A L I V E ^U.
A ses moeurs? Et le monde , en ces sortcs d'orages ,
Est-il instruit des ma*urs, ainsi que des outrages? -
Dam is. '
Oui. De mcs moeurs bientot j'instiruirai tout Paris/
Baliveau.
/' '■ •
Et comment . s'il vous plait,? ,. ^
.ji.n^jirijsqafiztio-. I^ A-M I s. :f,,. .■„. , ^ . ,->
Comment? Par mes Ecrits,
Je veux que la vcrtu plus que I'esprit y brille.
La mere en prescrira la ledure a sa fillej
Et j'ai , grace a vos soins , le cceur fait de fa^on ,
A monter aisement ma lyre sur ce ton. ' '
Sur la Scene aujourd'hui , mon coup d'essai I'annoncc.
Je suis un malheureux •■, mon Oncle me renonce j
Je me tais : mais Tcrreur est sujette au retour j
54^ LJ Mi TROMA NIE;
I'espere triomphcr , avant la fin du Jour : -jov H,
Et peut-etre la chance alors tournera-t-ellc. '
B A L I V E A u.
U" ■ ■ < ' '
Quoi! votis seriez rAuteur de la Piece houvellc* I
Que cesqir, aux Francois, Ton doit representcr>
.. ^, -::m D-AMi S.
Soyez done le premier k m'en feliciter. 'A
B A L'FV'E AU.
Puisque vous le voulez, je vousen felicite.
D^A MIS.
J'en augure une heureuse & pleine reussitc. .^
B A L I V E A U.
Cependant, gardez-vous de dire a Francal^, ^.
Que de son bon Ami , vous etes le neveu. '^
Dam I s.
Tout comme il vous plaira: mais je voisavec peine.
Que vous ne vouliez pas que je vous appartienne.
•''■""" ■ ';;"",'■■' ' Bali v e a u.
J ai de bonnes ralsons pour en a^ir ainsi.- -
J'obeirai , MbitefcUrJ' '"• {• i-'" inomoziu i^jnorn A
'''^ '-^'-' ;BAL?V^'ir^^'^'^"^^^^'''^^
,• ounootJi am 3b: . >:ii
iwoioi f//, nrj^iii. J'y compte. ^^^ . ^j^^ ^..^ ^r
^ C O M t D I E. 349
D A M I S.
Mais aussi ,
Daignantdememeentrer dans I'esprit qui m'anime,
Laissez- moi , quelqiie-temps, jouir de Tanonyme ,
Pour goutcr du succes les plaisirs plus entiers ,
Et m'entendre louer , sans rougir.
^ Baliveau.
— — Volontiers. -
( a part. )
A demain , Scelerat ! Si jamais tu rimailles ;
Ce ne sera, morblcu, qu'entre quatre muraillesl
SCENE VIII. ^..
D AMIS. -
jX ne veut m'avouer qa'apres I'evenemenr.
Nous nous sommes id rencontres plaisamment.
La Scene est theatrale, unique, inopince.
Je voudrois , pour beaucoup , I'avoir imaginec; -
Mon succes seroit sur. Du moins profitons-en ;
Et songeons a la coudre a quelque nouveau plan.
Jen ai plusieurs. Voyons. Ou sont done mes tablertes
La perte, pour le coup, seroit des plus complettes.
Tout-a-l'heure, 4 la main , je les avois encor.
Ah ! je suis ruine ! J'ai perdu mon tresor I
Nombre de canevas, deux Pieces commencees,'^
5 5© LA -METRO MAN IE,
Caraderes, Portraits, Maximes & Pensccs,
Dont la plus triviale , en vers Alexandrins ,
Au bout d'unc tirade , cut fait battre des mains f
Que j'ai regret, sur-tout, a mon Epithalame!
Helas ! ma Muse, au gre de Tespoir qui m'enflammc,
Dans un premier transport, venoitde lebaucher.
Deuxfoisdumeme enfant pourra t-elle accoucher?
S C E N E IX.
DORANTE, DAMIS.
D A M I S.
A.H! Monsieur! secourezles Muses attristces !
Mes tablettes , la-bas , dans le bois sont restees.
Suivez-moi ! cherchons-les ! aidons-nous !
D O R A N T E Us luL rmdant.
Les voila.
D A M 1 S.
Je ne puis exprimcr le plaisir....
D O R A N T E.
Brisons-la.
Dam IS.
Vous me rendez I'espoir, le repos &: la vie.
Dora n t £.>,„,.,• ,,jux 3-
Mon dcssein n'est pas tel j car je vouj signific „ vi
C O M E D I E. 551
Qu'il fant J en cc logis, ne plus voiis remontrer ;
Ex. voiis faire une affaire, ou n'y jamais rentrer.
D A M I s.
I ctrangc alternative ! un ami la propose !
Ne puis-je , avant d'opter, en dcmander la cause ?
D O R A N T E.
Eh fi ! Tair ingcnu sied mal a votre front j
Et ce doute aflPede n'est qu'un nouvel affront.
D A M I S.
C'est la pure franchise. En verite j'ignore....
D O R A N T E. i^.iii^vi Ji.:^ J •
Quoi , Monsieur? Que Lucile est celle que j'adore?
D A M I s.
Non. Quand j'ai vu tantot mes vers entre $cs mains.....
Do R A N T E. Y.
Vous m'avez insultc ; c'est de quoi jc me plains.
D A M I S.
En quoi done J
D O R A N T E. ^
Oui , c'est vous qui les lui faisiez lire.
D A M I s.
Moil
D O R A N T E.
Vous. Plus je souffirpis j plus je vous voyois rire—
551 LA MttROMANlE,
D A M I S.
De cc qu'innocemment , la belle , malgre vous ,
Reveloit un secret dont vous eticz jaloiix.
D O R A N T E.
Non. Mais dela noirccur de cette amc cruelle ,
Et du plaisir malin de jouir avec elle
De la coi'ifusion d'un rival malheureux
Que vous avez joue de concert tous les deux.
C'est a quoi votre esprit, depuis un mois , s'occupe j
Mais je ne serai pas jusqu'au bout , votre dupe.
Je veux , de raon cote , mettre aussi les railleurs :
Et votre Epithalame ira servir aillcurs.
D A M I S.
Ah ! cc nfiot echappe me fait enfin comprendre....
D o R A N T E. ii.M9.n0/:
Songez vite au parti que vous avez a prendre.
D A M I S.
Dorante!
D O R A N T E.
Vous voulez temporiscr en vain.
Rcnoncez a Lucile j ou lepee a la main.
D A M I S.
Opposons quelque flegmc aux vapeurs de la bile.
La valeur n'est valeurqu autant quelle est tranquille j
£t je vois.«*
Dorante.
C O M E D I E. 3 51
D O R A N T E.
Oh ! je vois qu'un Versificateur
Entend I'art de rimer, mieux que le point d'honneur,
D A M I S.
C'cn est tr op. A vous meme, un mot eut pu vou$ rendrc i
Je ne le dirois plus j voulussiez-vous Tentendre.
C'est moi , qui maintenant vous demande raison.
Cependant on pourroit nous voir de la maison.
La place , pour nous battre , id pres est meilleure.
Marchons!
■■1 i\ A ~
I' , , 1.11
S C fi N E X.
FRANCALEU, DORANTE, DAMIS,
Francaleu
pnnant Dorante par le bras & ne le lachant plus,
SuiH \ venez done , Monsieur ! depuis une heure ,
Je vous cherche par-tout , pour vous lire mes vers.
Dorante. ,)
A moi, Monsieur?
Francaleu.
A vous.
D a M I s ^ part.
Autre esprit a I'envers !
Tome II. Z
J54 ^^ METROMANIB
Francaleu.
Vous desirez , dit-on , ce petit sacrifice.
D O R A N T E.
Et qui m'a , pres de vous , rendu cc bon office \
Francaleu.
C'est Lisette.
DoranTE a Damls*
C'est vous qu elle veut servir.
Francaleu.
Lui
11 voudroit qu'on fvit sourd aux ouvrages d'autrui.
D A M I S.
Loin de I'en detourner , c'est moi qui I'y con vie.
DoRANTEa Damis,
Je lis dans votre coeur \ &: je vois votre envic
Francaleu.
Vous dites bien ; I'envie ! Oui , c'est un envieux,
Qui voudroit , 5ur lui seul , attirer tous les yeux.
D A M I s.
Mon Amii par bonheur, est la pour me defendrc*
Tantot je Texhortois encore a vous entendre.
DoRANTE has a Damis.
Yous osez m'attcster )
D A M I S has a Dorante.
'■" ' Jc songe a votre amour,
Songez , si voiis voulez , a faire votre cour.
Francaleu.
On me voudroit pourtant assurer du contraire.
D A M I S.
Lisez : & qu'il admire j il ne sauroit micux fairc,
D o R A N T E bas^
Tu crois m'cchapper. Mais...
P A M I S iz Francaleu*
D'autant plus que Monsieitir
A besoin maintenant dun peu de belle humeur.^
Francaleu drant un gros cahler de sa poche.
Ah ! quclque humeur qu'il ait, il faudra bien qu'il riei
Et pour cela d'abord, je lis ma Tragedie.
.-' D A M I s.
Hien ne pouvoit pour lui venir plus k propos.
Francaleu.
Pourvu que les Fachcux nous laisscnt en repoJ*
D A M I S has a Dorante* ■ ■
Des que vous le pourrcz , songez a disparoitre.
Je vous attends*
Zi)
'35^ i^ metromanie;
FrANCALEU a Damis.
Et vous , vous n'cn voulez pas etrc?
DORANTE au meme ,
s'efforfant de faire Idcher prise a Francaleiu
Jc ne vous quitte point.
D A M I S ^ Francaku.
Monsieur, excuscz-moi ,
J'aime : & c'cst un etat , ou Ton n'est guere a soi.
Vous savez qu'un Amant nc peut rester en place.
// s'en ycu
D o R A N T E voulant courir apres lui.
Par la meme raison..«
S C E N E XL
FRANCALEU, DORANTE. ;
FraNCALEU le retcnant ferme.
A-aAissEZ , laissez de grace !
II en veut a ma Fille \ & jc scrois charme
Qu'il parvint a lui plaire , &: qu'il en fut aime.
D O R A N T E.
Oh parbleu, qu'il vous aime , & vous &: vos ouvragesl
Francaleu.
Commye si noii* avions besoin de sqs suffrages ?
C O M E D I E. 3 57
D O R A N T E.
He mien meritc peu que vous vous y teniez,
Francaleu.
Je serai trop hcureux que vous me le donniez.
D O R A N T E.
Prodiguer a mbi seul le fruit de tant dc veilles !
Francaleu.
Moins I'assemblce est grande,&: plus elle ad'oreillcsr
D O R A N T E.
Si vous vouliez , pour lui ^difix:rer dun moment?
Francaleu.
Non i qui satisfait tot , satisfait doublement.
// Idche Dor ante pour tirer ses lunettes. Dorante
s* evade; & Francaleu continue^ sans s en appercevoir.
Et c'est le moins qu on doive a votre politesse ,
D'avoir bien voulu prendre un role dans la Piece.
// deroule son cahier & lit :
La Mort de BucEPHALE Se retournanu
Ou diablc est-il ? Comment,
On me fuit ! Oh , parbleu , ce sera vainement.
Jg cours apres mon hommej &: s'il faut qu'ilm echappc,
Je me cramponne apres le premier que j'attrapej
Et , bcnevole ou non , dijc-il ronfier debout ,
L'Auditeur entendra ma Piece jusqu'au bout.
Fin du troisieme Acle.
Z iij
558 LA METROMANIE,
A C T E IV.
SCENE PREMIERE.
MONDOR, LISETTE habilUe pour jouer ;
& tirant Mondor apres die d'un air inqideu
M O N p O R.
jHJl QUO! bon , dans le pare, ainsi tourner s^ns cesse,
PirQuetcfa courir , voltigcr >
L I s E T T E.
Mondor \
Mondor.
L I s E r T E.
T« ne voyois pas t
Mondor,
Quoi ?
L I s E T T E.
Qu'on nous epioit.
Mondor,
Qtiand )
C O M £ D 1 E. jjj^
L I S E T T E.
I.C voila bien sot !
M o N D o R.
Qui?
L I S E T T E.
Le trait certe est piquant^
M o N D o R.
Quel >
L I S E T T E.
Quel, qu'est-ce, quoi, quand, qui ? Uamant de Lucilc^
Que son mauvais demon ne peut laisser tranquille.
Dorante.
M o N D o R.
Eh bien ! Dorante >
L I s E T T E.
II nous a vns de loin ^
Ainsi que tu croyois m'aborder sans temoin.
Sous ce nouvel habit , du bout de Tavenue ,
Qu'il ait cru voir Lucile , ou qu'il m'ait reconnue
Prcs de toi , I'un vautTautrej &" surtout son destia
Semblant tc mettrc exprcs une lettre a la main.
Nous entrons dans le pare : il nous guette, ilpetille j
11 se ghsse , oc nous suit le long de la charmille.
Moi qui, du coin de I'ceil, observe tous ses tours ^
Je me laisse entrevoir , & disparois tou jours :
Dicu salt si le cervcau de plus en plus lui tinteii
Z iv
^66 tA Ml^TROMANIE^
Tant qu'cnfin jele plante, au fondduLabyrinthe;
Ou le pauvre jaloux , pour long-temps en defaut I
Peste &■ jure , je crois , maintenant , comme il faut.
Je ferois encor pis , si je pouvois pis faire.
De CCS coeurs defians Tespece atrabilairc
Ressemble , je le vois , aux chevaux ombrageux 5
II faut les aguerrir , pour venir a bout d'eux.
M o N D o R.
Oh parbleu ! ce n'est pas le foible de mon maitre \
Au contraire,ilse livre aux gens, sans les connoitrej
Et presume assez bien de soi-meme &" d'autrui ,
Pour sc croire adore , sans que Ton songe a lui.
Dureste , sait-il bien se tirer d'uneafikire?
L I s E T T E.
Ceux qui Tont separe d'avec son adversaire ,
Disent qu'il s'y prenoit en brave Cavalier j
£t , pour un bel-esprit , qu'il est franc du colier.
M o N D o R.
II n*est sorte de gloire , a laquelle il ne conrc.
Le bel-esprit , en nous, n'exclud pas la bravoure. -
D'ailleurs , ne dit-on pas , telles gens, tel Patron 5
Et des que je le sers , peut-il etre un poltron ?
> ,. LiSE T T E.
Voil^ done cet amour dont j'etois ignorante t
Et que j'ai cru toujours un reve de DoranteJ
C O M i D I E, )6i
M O N D O R.
Mon maitrc ne dit mot; mais a la verite ,
Ce combat la tient bien de la rivalite.
En ce cas , mon adresse a tout fait,
L I s E T T E.
Ton adresse ?
M o N D o R.
Oui. J'ai , de sa conquete , honore ta maitressc.
Celle qu'il recherchoit ne me convenant pas ,
De Lucile , a propos , j'ai vante les appas ,
Lui conseillant d'avoir souvent les yeux sur clle ,
Et de mettre un pen I'une 6c I'autre en parallelle.
11 paroit qu'il n'a pas neglige mes avis.
L I s E T T E.
II se repentiroit de les avoir suivis.
Envers & contre tous , je protege Dorante.
M o N D o R.
Gageons que, malgre toi, mon maitre le supplantc.
Car etant ne Poece au supreme degre,
Lucile va d'abord le trouver a son gre.
Monsieur de Francaleu, dejaTaime & I'estime.
Du pere de Dorante , il n'est pas moinsl'intime:
Et je porte un billet a ce pere adresse ,
Qu'apres s'ctre battu, sur I'heure, il a trace.
Sachant des deux vieillards la mcsintelligence,
11 mande a celui-ci , selon toute apparence ,
^62, LA METRO MANIE y
De rappeler un fils qui fait iei ramour ,
Et dont rentetement croitroit de jour en jour,
II saura , la-dessus , le rendre impitoyable.
S'il aime enfih Lucile, ainsi qu'il est croyable j
Prends de mes almanachs \ & tiens pour assure
Que le bonheur de I'autrc est fort aventure,
L I s E T T E.
Mais cet autre , avec qui je suis de connivence,,
A pris, depuis un mois, terriblement I'avance.
J'ai vu palir Lucile, au recit du combat.
D'une tendre frayeur , le coeur encor lui bat.
Lucile s'est emue , ^ c'est pour lui , te dis-je.
H a visiblement tout I'honneur du prodige.
Depuis, ils se sont meme entretenus long-temps j,
Et s'etoient separes , I'un de I'autrc contens ,
Lorsque, dans cet Esprit soupconneux a la rage ,
Ma presence equivoque a ramene Torage j
Mais le calme ne tient qu'a Teclaircisscment
Qui coulera ton maitre a. fond dans le moment*
M o N D o R.
Je rcponds de la barque , en depit dc Neptune.
$onge done quelle porte un Poete & sa fortune !
Telle gloire Ic pent couronner aujourd'hui ,
Quimcttroit pcrc & filie a. genoux devant lui.
De ce coup decisif I'instant fatal approchc.
L' Amour m'arrache un temps que I'honneur me reproche*
Adieu. Que devant nous , tout s'abaisse en ce jour j
Et que tous nos rivaux tremblent a mon retour !
C O M i T> I E. 3<rj
1 ■■— — — g— — Ilia
1 ■ ' < i^
S C E N E II.
L I S E T T E.
Jt ELZE gloire lepeut couronner.... J'ai beau dirc ,
Dorante pourroit bien avoir ici du pire.
Faisons la guerre a I'oeil ; & mettons-nous au fait
De ce coup qui doit faire un si terrible efFet.
SCENE III.
FRANCALEU, DAMIS, LISETTE
Francaleu
a Lisette ■, qu'il ne voit que par derriere.
ijUCiLE , redoublez de fiertc pour Dorante ,
Voiis n'etes pas encore assez indiflR^rente.
Voiis souflrcz qu'il vous parle j & jc defends cela
Tout net! entendez-vous , ma fiUe?
Lisette
se tournant &faisant la reverence.
Oui , mon perc,
Francaleu.
Ahi
Cesttoi, Lisette* ;:; -S
5^4 LA MtTROMANIE s
L I S E T T E.
Eh bien ! c'est moi , je tiens parole;.
Lui ressemble-je assez ? Jouerai-je bien son role ?
L'oeil du pere s'y trompe \ & je conclus d'ici
Que i>ien d'autres, tantot, s'y tromperontaussi.
FraNCALEU a Damis.
Admirez en efiet, commc elle lui ressemblc !
L I s E T T E.
Quand commencera-t-on?
Francaleu.
Tout-a-l'heure : on s'assemblc.
Cependant, vas chercher ta mattresse \ &: I'instruis
Des dispositions oii tu vois que je suis.
Si j'eus unc raison , maintenant j'en ai trente
Qui doivent a jamais disgracier Dorante.
SCENE IV.
FRANCALEU, DAMIS.
Francaleu.
Suik coquine le scrt indubitablement ,
Et m'en a , sur son compte , impose doublement.
Sur quoi done, s'il vous plait, vous a-t-il fait querelle?
; Damis.
Sur un mal entcndu : pour une bagatelle.
C O M i D I E. 5^5
Francaleu.
Ce precede I'exclud du rang de vos amis ?
D A M I s.
Quelque ressentiment pourroit m'etre permis •,
Mais je suis sans rancune ; &: ce qui se prepare
Va me vcnger assez de cet esprit bizarre.
Francaleu.
Ce que j'apprcnds encor lui fait bien moins d'honneiir.
D a M I s.
.Quoi done ?
Francaleu.
Qu'il est le fils d'un mauditChicaneur,
Qui , n'ecoutant priere , avis , ni remontrance ,
Depuis dix ou douze ans , me plaidc a route outrance.
Dcs sottises d'un pere , un fils n'est pas garant ;
Mais le tort que me tkit ce Plaideur est si grand,'
Que je puis, a bon droit, hair jusqu'a sa race.
Ce proces me ruine en sotte paperasse ;
Et sans le tems, les pas, &: les soins qn'il y faut,
J'aurois ere Poeie onze on douze ans plutot.
Sont-ce la, dites-moi , des pertes reparables ?
D A MI S.
Le dommage est vraiment des plus considerables.
U faut que le Public intervienne au proces ,
Et conclue, avcc vous, a de gros intcrets.
Et Dorante a'a^t-il contrc lui que son Pere ?
j<?^ LA METRO MAntE^
Francaleu.
Pardonrjcz-moi , Monsieur 5 il a son carader e. ;.
Je lui croyois du gout , de I'esprit, du bon sens %
Ce n'est qu'un etourdi. Cela tourne a tous vents.
Cervelle evaporee, esprit jeune &■ frivole
Que vous croycz tenir au moment qu'il s'envole j
Qui me choque , en un mot , &: qui me choque au point.
Que chez moi , sans ma Piece , il ne resteroit point.
Mais il le faut avoir , si je veux qu'on la joue ;
Et voila trop de fois que mon Spedacle echoue.
A propos , ce Bonhomme avec qui vous jouez,
Plait-il> Que vous ensemble? Excellent! Avouei
D A M I S.
Admirable !
Francaleu.
A-t-il Tair d'un Pere qui querelle!
Heim ! Comme sa surprise a paru naturelle !
.-) . D A M I S.
Attendcz a juger de ce qu'il pent valoir ,
Que vous en ayez vu ce que je viens d'en voir.
II est original en ces sortes de role.
Francaleu.
pour un mois, avec nous , il faut qwp je reprolc.
D A M I s.
DeThumeur dont il est, j'admire seulement
Qu'il daigne se pretpr a iious pour un momenta
C O M E D t E. 5^7
Francaleu.
C*est que je I'ai flatte dii succes d'une affaire.
Tirons-en done parri , tandis qu'a nous complairc,
Et qua nous menager il a quelque interet.
D A M I S.
La Troupe ne sauroit faire un meillcur acquet.
Francaleu.
Si vous Ic souhaitez , c'est une affaire faitc.
. (it .
D a M I s.
Persoonc plus que moi , Monsieur , nc le souhaitcf.
' ' ' Francaleu.
Et pcrsonne , Monsieur , n'y peut nyeux reiissir.,
D a M I s.
Que moi ?
Francaleu.
Que vous.
D A M I S.
Par ou? Daigncz m'en eclaircir,
Francaleu.
Vous pouvez, a la Cour, lui rendre un bon office.
D A M I S.
Plut au Cicl ! II n'est riea que pxiur lui je nc fissc.
Francaleu.
Vous etes bien venu des Ministrcs J
}6S LA METROMANIEj
D A M I S.
Un Fac
Avoueroit que la Cour fait de lui quelque etatj
Et, passant du mensonge a la sottise extreme.
En le faisant accroire , il le croiroit lui-meme.
Mais je n'aime a tron^iper ni les autres ni moi.
Un Poete , a la Cour est de bien mince aloi.
Des superfluites il est la plus futile.
On court au necessaire •■, on y songe a I'utile :
Ou si, vers I'agreable , on pcnche quelquefois.
Nous sommes eclipses par le moindre minois ;
Et la , comme autre part , les sens entrainant Thomme
Minerve est cconduite , & Venus a la pomme.
Ainsi , je n'oserois vous promettre pour lui ,
Sur un credit si frele , un bicn solide appui.
Francaleu.
Ma parole, en ce cas, sera done mal gardee;
Car je comptois sur vous quand je i'ai hasardee.
D A M I S.
Et de quoi s'agit-il encor ? Voyons un peu.
Francaleu.
11 veut faire enfermer un fripon de Neveu ,
Un libertin qui s'est attire sa disgrace ,
En ne faisant rien moins que ce qu'on veut qu'il fassc.
D A M I S vivement.
Oh , je le servirai , si ce n*est que cela;
Et mon peu de credit ira bien jusques-la.
Francaleu.
C O M ]k D I E. ^i^
pRANCALEU voidant rentrer.
Uon , non , laissez ! Parbleu , j'admire ma sottisc 1
D A M I S l*arretant,
Quoi done ?
Francalexj-
J'en vais charger quelqu'un dont je m*avi$c#
D A M I S.
^\ gardez-vous-cn bien, s*il vous plait !
Francaleu.
Et pourquoi i
D A M I S.
Quand jc vous dis qu'on peut s'en reposer sur moi J
Francaleu.
C'est qu'avec celui-ci Tafltaire ira plus vitc /
D A M I S.
Je serois tres-fache qu'il en eut ie meritc.
Francaleu.
Songez done que ee soir il aura mon billet ;
Et que j'aurai demain la Lettre de cachet.
D A M I S.
Mon Dieu! laissez- moi faire ! Aycz cette indulgence*
Francaleu.
Mais vous ne ferez pas la meme diligence ?
Tome IL A 4
^570 I-^ METROMANIE ^
D A M I S.
Plus grande encor.
JFrancaleu.
Oh non 1
D A M I S.
.-.I; Que direz-vouspourtant.
Si votre hommc ce soir , ce soir meme est content !
Francaleu.
Ce soir ! Ah , sur ce pied , je n'ai plus rien a dire.
Mais comment ce temps-la pourra-t-il vous suffire ?
D A M I S.
Je.ne yous promets rien par-dela mon pouvoir. n
Francaleu.
Vous promettez pourtant beaucoup. )
D A M I S.
Vous allez voir^
Mais , Monsieur -, on diroit a cette ardeur extreme ,
Qu'a ce pauvre Neveu vous en voulez vous-meme.
Francaleu. '?'
Sans doute : &: j'ai raison. L'OncIe me fait pitic.
Et tout mauvais sujet merite inimitic.
Tenez , j'ai roujours eu Pamour de I'ordre en tcte.
Vous menez , par exemple , un train de vie honnete ,
Vous j cela fait plaisir, mais n etonnera pas :
Car vous me frequentez , & vous suivez mes pas. -'"-
C O M E D I E, 371]
t)es travers dii Jeune homme un Fou sera la cause.
Aiissi I'ordre du Roi, pour le bieii de la chose ,
Devroit faire enfermer j avcc le Libertin ,
Tel chez qui Ton saura qu'il est soir & matin.
Vous riezi mais je parle en Pere de famille.
SCENE V.
FRANCALEU, DAMIS, LISETTE.
Francaleu.
UE viens-tu m'annoncer ?
L I s E T T E.
Que je me deshabille.
Francaleu.
Quoi ! la Piece . . .
L I s E T T E.
Est au cf oc urie seconde fois.
Francaleu.
Faute d'Adleurs ?
L I S E T t E.
Tantot, il n'en manquoit que trois ;
Mais , ma foi , maintenant c'est bien une autre histoire.
Francaleu.
Quoi done ?
Aa ij
371 LA METROMANIE:,
L I S E T T E.
Vous n'avcz plus d'Adcurs , ni d'Auditoirc.
Francaleu.
Que dis-tu
L I s E T T E.
Tout defile, & vole vers Paris,
Francaleu.
Desertion totale !
L I s e T T e.
Oui, pour avoir appris
Que ce soir on y joue une Piece nouvelle
Dont le titre les pique &: les met en cervellc.
FpvANCAleu.
Ah ! j'en suis 1
L I s e T T e.
L'heure presse 5 & tous ont decampe,
Comptant se retrouver ici pour le soupe.
D A M I S.
Quelle rage! A quoi bon cette brusque sortie ?
Comme s'ils n'eussent pu remettre la partie.
Francaleu.
Non. Lc sort d'une Piece est-il en notre main ?
Nous en voyons mourir du soir au lendemain.
Celle-ci peut n'avoir qu'une heure ou deux a vivre.
Si nous la voulons voir, songeons done alessuivre.
Vcnez,
C O M t D I E, ,71
D A M I S.
J'augure mieux de la Piece que voas.
D*aillenrs, ce qui se vientde conclure entre nous,
De soins tres-serieux remplira ma soiree.
Francaleu.
Adieu done. Demeurez, Monsieur de I'Empirec.
Votre reFus fait place a Monsieur Baliveau,
Qui , dans Tart du Theatre etant encor nouveau ,
Ne sera pas fache qu'on le mene a I'ecole.
Qui plus est , son Neveu I'occupe &: le desole :
Et la Piece nouvelle est un amusement
Qui pourra le lui faire oublier un moment,
D A M I S a pan.
Oui-da, c'est bien s'y prendre.
SCENE VI.
D AMIS, LISETTE.
L I S E T T E a part.
\j N peu de hardiesse !
Cct homme-ci, je crois, est I'Auteur de la Piece l
Faisons qu'il se trahisse. 11 en est un moyen.
( haut. )
Vous risquez, en tardant, dc ne trouver plus ricn.
A a iij
r^j4 LA METROMANIEy
Monsieur raisonnoit juste ; &: votre attente est vaine \
Car la Piece est mauvaise , & sa chute est certaine.
D A M I S,
Certaine \
L I s E T T E.
Oui i cet arret dut-il vous chagriner,
D A M I s..
Mademoiselle a done le don de deviner \
: L I S E T T E,
Non; mais c'est cc que mande un Connoisseur en titrc,
Dont Ic gout n'a jamais erre sur ce chapitre.
D A M I S.
Et ce grand Connoisseur dont le gout est si fin. .. ♦
L I s E T T E.
Nc croit pas que la Piece aille jusqu'a la fin,
D A M I S.
Je voudroij bien savoir , sur quelle conjedure?
L I s E T T E.
Sur cc qu'hier, chez lui j TAuteur en fit le(^ure,
D A M I S.
Chez lui ! L'Auteur I Hier !
L I s E T T E.
Oui. Qu'a done ce discours ?.,.
C O M E D I -E. I 375
D A M I s.
Jc ne suis pas sorti d'ici depuis huit jours l
LiSETTEa part.
Je le tiens.
D A M I S.
Cest Alcippe ! Oh! c'est liii , je le gage.
Nouvelliste effionte , suffisant Personnage ,
Qui raisonne , au hasard , de nous &: de nos vers,.-,
Et pour , ou centre nous, prcvient tout Tunivers.^
Cela salt ses Foyers, sa Ville, ses Provinces,
Ses intrigues de Cour, son Cabinet des Princes;
Pese ou regie a son gre les plus grands interets ,
Et croit ses visions , d'immuables arrets.
Present , passe , futur , tout est de sa portee.
Le Livre des Destins s'emplit sous sa didee.
Rien ne doit arriver , que ce qu'il a predit : ' -^ -*■
Et 1 evenement seul toujours le contredit.
( a Lisette. )
Et n'a-t-il pas pousse Timpertinence extreme
Jusqu'a nommer I'Auteur?
Lisette.
Non , Monsieur j c'est vous-meme
Qui venez de tout dire & de vous dcceler.
Alcippe, en tout ceci n'a rien a demeler.
Moi seule je mentois ; & je m'en remercie,
Vu le plaisir que j'ai de me voir eclair cie.
( Elle veut sonir, )
Aa iv
|7<^ lA MtTROMANlE,
D A M I S la retenant*
Lisettcl r
L I S E T T E.
He bicn?
D A M I s.
De grace ! . . . jfetourdi que je sais I
L I s E T T E,
Que voulcz-vous de moi 2
D A M I S.
Du sec ref*
L I s E T T E.
Jc nc puk
D A M I s.
Quclqucs jcjurs seulcment !
L I s E T t E.
Cela n'est pas possible*
D A M I S.
H^l ne me faites pas ce deplaisir sensible!
Laissez-moi recevoir un encens qui soit pur^
En cas de reussite, ainsi que j'en suis sur.
L I s E T T E.
J'imagine un marchc dont Tespece est plaisantA
t)'un secret tout entier la charge est trop pesante*
Partagcons celui-ci par la belie moitie.
C O M E D I E, nf
Tcnti, si vous tombez, je parle sans pirie.
Si vous reussissez , je consens de me taire.
Voila, pour vous servir , tout ce que je puis fairc.
D A M I s.
Et jc n*en veux pas plus -y car je reussiraL
L I s E T T E.
Oh bien , en ce cas-la , Monsieur , jc me tairai
( Doranu ^ du fond du Theatre ^ les voit & Us ecoutc. ) .
D A M I S hcLisant les mains de Lisettc
Avec cette promesse ou mon espoir sc fonde,
Je vous laisse , &: m'en vais Ic plus content tlu monde.
SCENE VII.
DORANTE, LISETTE
L I S E T T E has ^ appercevant Dorante, & lid
tournant brusquement le dos.
jLmE Jaloux nous surprend; le voila furienx;
Car je passe , a coup sur , pour Lucile a ses ycux.
DoRANTE se tenant a trois pas derrlhe elle,
Avec cette promesse oh. mon espoir se fonde ,
Je vous laisse^ & men vais Ic plus content du mondc.
^% LA ME TRO MAKIE,
Madame , on n'aura pas de peine a concevoir
Quelle etoit la promesse ^ &r qnel est cet espoir.
Mais ce que Ton auroit de la peine a comprendre ,
C'est que cette promesse 6«: si douce & si tendre,
Recue a la meme heure , & presque au meme lieu ,
Mot-a-mot dans ma bouche ait mis le meme adieu.
II faut vous en fairc un deplus longue duree,
JEt dont vous vous teniez un peu moins honoree.
Adieu, Madame; adieu ! Ne vous flattez jamais.
Que je vous aye aimee autant que je vous hais !
II fait quelques pas pour s'en allcr^
L I S E T T E has.
Donnons-nous a notre aise ici la comedie ,
Car il va revenir. s
Elle s'assied a run des coins du Theatre j en
face du Parterre j & leve VeventaXl du cote, par oh
Dorante peut I'aborder.
Dor ANTE croy ant voir dans cette attitude Vemharras
" <t une personne confondue ^ & sans avancer.
Monstre de perfidie !
Pouvoir ainsi passer , d'abord &: sans egard , ":
Des mains de la Nature a ce comble de I'art!
M'avoir peint ce Rival comme le moins a craindre !
M'avoir persuade, presqu'au point de le plaindrel
Qu avez-vous pretendu par cette trahison ?
Pourquoi, d'un vain espoir y mclant le poison,, .
C O M i D I E, 579
Me vcnir etaler d'obligeantes alarmes ?
Me dire , en paroissant prete a verser des larmcs :
Dor ante ! oujeflechis mon Percj ou de mes jours ^
A Vasylc oufetois , je cons acre le cours !
Quels etoient vos desseins ? Repondez-moi, cruelle!
Ne les dois-je imputer qu'a rorgneil d'une Belle,'.
Qui , jalouse des droits d'un eclat peu commun , '^
Veut gagner tousles coeurs, &: nepasenperdreun?
Ce reproche fut-il le seul que j'eusse a fairc ! ^
Mais ,heias! malgre moi, la vcritc m'eclaire.'^''
Ce Rival , des long temps ^ est le Rival aime.
C'est pour lui que j'ai vu votre front alarm^;
Et quand vous me disicz que J'en etois la cause ,
Quand vous me prom.ettiez bien plus que I'amour n'ose,
C'est que de votre Amant vous protegiez les jours j
Et vouliez ralentir la vengeance ou je cours.
Oui, i'j vole; on ne Ta tantot que difFeree, ,;^ hj
Et ma rage, a vos yeux, Tauroit deja tiree ;
J'attaquois devant vous le Traitre en arrivant ,
Si je n'eusse voulu jouir auparavant
De la confusion qui vous ferme la bouche 1
Que ma plainte a preseiK vous revoke ou vous touche ;
Repentez-vouSjOu non, d<? m'avoir outrage;
Vous ne mc verrez plus que mort , ou que venge?
L I S E T T E effrayee,
Dorante !
D o R A N T E.
Je nVarrcte ai] cri de rinfidellef^-' ''^-^
|S<s LA MiTROMANIEy
Ellc tremble , il est vrai : mais pour qui tremble-t-ellc?
N'importe : je I'adore j ecoutons-la. Parlez.
( S& rapprochant. )
Je veux encor , je veux tout ce que vous voulez.
Rcjetons le passe sur rinexperience :
Et rcdemandez-moi toute ma ccnfiance.
Un regard , un seul mot n a qua vous echappcr.
Mon coeur vous aidcra lui-meme a me tromper.
Ah ! Lucile! Ai-je pu si-tot pcrdre le votre J
Vous me haissez 1
L I S E T T E tendrement.
'' ' Non.
D O R A N T E.
, c i; Vous en aimez un autrel
L I S E T T E.
Eh non! aJosTf;
Do RANT E.*^^^ t^S^''-
.. .-„i ,: ^.
Vous m'aimez done ?
L I S E T T E. •dB^nd'J"
Oui.
D O R A N T E.
M'y fierai-je2
L 1 S E T T E.
Helas!
D O R A N T E.
Eh bien , je n'cn veux plus douter ! Ne sais-jc pas
C O M i D I E. 381
Que rinfidelite , sur-tqut dans la jeunessc ,
Souventest moins un crime au fond, qu'nne foiblesse.
Qui peut servir ensuite a vous en detourner,
Lorsque la notre va jusqu'a vous pardonner.
( // s'approche enfin d'elle tout transporte. )
Je vous pardonne doncj & mcme vous excuse.
Lisette est contre moi j Lisette vous abuse ;
Ce sont ici des coups qu'elle seule a conduits j
C'est elle qui me met dans I'etat ou je suis.
Lisette sans mettrc has encore I'eventaiL
ii est vrai.
D o R A N T E.
( Sejetant a ses genoux ^ & lid prenant la main. )
C'est assezl Mon ame sarisfaite....
,<wnwcv-mt.!UA«.; 11 imiiinw iutwu trui 11.1.H unwiiffmcsag— niiii iiiiiiil
SCENE VIII.
LUCILE, DOR^NTE, LISETTE.
L U C I L E hautj dufond du Theatre.
¥ EiLLE-iE OU non? Dorantc aux genoux de Lisette !
Lisette baissant enfin Vcvcntail & se levant,
Lui-mcme ! &: qui me fait fort joliment sa cour.
( a Dorante. )
On vous prend sur le fait , Monsieur , a votre tour;
Songez a bicn jouer le role que je quitte ; i "" •
3 Si LA METROMJNl£j
Car vous nous voyez deux c[ue votre faute irrite.
Enfin concevcz-vous combien vous vous trompiez ?
D O R A N T E.
Je croyois en eflfet , Madame , etre a vos picds.
Son habit m'a fait faire une lourde bevue.
L I s E T T E.
Madame, vous ptait-il que je vous restitue
Les fleurcttes qu'avant d'embrasser mes genoux ,
Monsieur me debitoit , croyant parler a vous ?
N'en deplaise a I'amour si doux dans ses peintures,
Je vous restituerois un beau torrent dlnjures.
D O R A N T E.
Eh ! quel autre , a ma place , eut pu se contenir J
LiSETTE.
Je vous devois cela , Monsieur , pour vous punir.
L u c I L E.
Eh quoi ! Dorante , apres mille & mille assurances.
Qui, tout-a-l'heure cncor,passoient vos esperances,
Le rcproche & Tinjure aigrissoient vos discours j
Et sur le ton plaintif, on vous trouve toujours>
Dorante.
Avant que , sur ce ton , vous le preniei^ vous-meme,
Vous qui savez, Madame, a quel point je vous aime,
Soufirezqu'onvous instruisc j apres quoi decidez
Si mes soupcons jaloux n'etoient pas bien fondes.
Je surprens mon Rival..«
C O M t B I E. 38J
L U C I L E.
Oui , j'ai tort de me plaindrc !
En cflFet , ma foiblesse autorise a tout craindre ;
Et ravcLi que j'ai fait , trop naif & trop prompt ,
De vorre defiance a merite I'affront.
Mais vous trouverez bon qu'en me faisant justice ,
Cette justice mcme aussi nous dcsunisse 5
Et rompe, entrc nous deux , un nceud mal assorti,
Dont jamais on ne s'est assez tot repenti.
D O R A N T E.
Entendons-nousjde grace ! encor un coup,Madame,
Bien loin , qu'en tout ceci , je merite aucun blame \
Croyez, si j'eusse pu neme pas alarmer ,
Que je ne serois pas digne de vous aimer.
Devois-je voir en paix....
L u c I L E.
Depuis quand, je vous pric ,
N'est-on digne d'aimer , qu'autant qu'on se defie \
Ainsi I'amour jamais doit n'ctre satisfait ?
Etle plus soupconneux est done le plus parfait ?
Vos vers m'en avoient faittoute une autre peinture.
Juste sujet pour moi , de crainte &■ de rupture !
J'aime trop mon repos , pour le perdre a ce prix j
Et ne jugerai plus dcs gens par leurs ecrits.
D O R A N T E.
Mais ayez la bonte....
j84 LA METROMANIE^
L U C I L E.
Ma bonte m'a trahie !
Vous fcriez , je le vois , le malheur de ma vie.
Jc ne recueillerois de mes soins les plus doux ,
Qac ledat scandaleux des furcurs d'un jaloux.
Que n*ai-ic conserve , prevoyante & soumisc ,
L'inscQ&ibiHte que je m'etois promise !
liscite, jc t'ai cme j &: toi seule , tu m'as....
LiSETTE a Dor ante voyant pleurcr Luc'de,
N'avez-voas point de Iionte >
D O R A N T E.
Eh ! ne m'accable pas.!
To sais mon innocence. Appaisez vos alarmes ,
Lucile ! retenez ces precieuses larmes 1
C'est mon injuste amour qui les a fair couler ;
Ccst loi qui toutefois , pour moi doit vous parler.
UAmour est defiant , quand TAmour est extreme.
Lucile.
S'il se faut quelquefois defier quand on aime ,
C'estde tout ce qui peut , dans le coeur alarme ,
Soulever dcs soupcons contre I'objet aime.
Je tiens , vous le savez , cette sage maxime ,
De ces vers qui vous ont merite mon estime j
De votre propre Idylle , ouvrage sedudeur ,
Ou votre esprit semontrci & non pas votre coeur.
DORANTE.
t O M £ D I E, 385
Do R A N T E.
Ni run ni I'antre. 11 faut qu'enfin je le conFesse,
Madame , & que je cede au remords qui me pressc.
Dumoins, vous concevrez , apres un tel avcu ,
Pourquoi tout mon bonheur me rassuroit si peu.
C'est que je n'en jouis qu'a titre illegitime ;
C'est que tousces Ecrits , source de votre estime,
Vous venoient par mes soins , mais ne sont pas de moi.
L u c I L E.
Hs ne sont pas de vous 1 *
D O R A N T E.
Non.
L I S E T T E.
Le sot homme 1
L u c I L E.
Quoi ? ..»
D O R A N T E.
Laissantlire, il est vrai , dansle fond demon ame ,
J'inspirois lePoetc, en lui peignant ma flamme.
Que son Art , a mon gre , s*y prenoit foiblement !
Et que Ic bel esprit est loin du sentiment !
Mais cet Art vous amuse j il a fallu vous plaire ,
Laisser dire des riens, sentir mieux, & se taire.
N'est-ce done qu a I'esprit que votre coeur est dAi
Et ma sincerite m'auroit-elle perdu ?
Tom& IL Bb
5S^ LA ME TROMJNIEj
L U C I L E.
Votre sincerite merite qu'on vous aime ,
Dorante ; aiissi pour vous suis-je toujours la memc.
Tel est enfin Toffct de ccs vers que j'ai lus :
J'ecois indifferente, &z jc ne le suis plus ;
Et je sens que , sans vous, je le serois encore.
Dorante.
Vous ne vous plaindrcz plus d'un coeur qui vous adorC j
Ou vousetablissez la paix & le bonheur ,
Ec qui commence enfin d'en gouccr la douceur.
L I S E T T E a Doranie,
Tre vc de beaux discours ! il est temps que j'y pensc,
De par Monsieur , expresse &■ nouveile defense
De soufirir que jamais vous osicz nous parler.
Dorante.
II aura su mon nomt
L u c I L E.
Ah ! tu me fais trembler !
L I s E T T E.
Et meme ici quelqu'un peut-ctre nous (Jpie.
Scparez-vous : rentrez , Madanie , je vous prie.
Nousallons concerter un projet important.
Dorante.
Ra&surcz-moi d'un mot encore, en mc quittant ;
Ou dcja mon cspoir est rout prct a i'cteindrc.
L U G I L E.
I3e vos Rivaux du moins vous n'avcz rich a craindre.
Mon Pere pourra bicn , en ce commun danger ,
DcsapproLiver mon choix , mais jamais le changer*
IkG^JiBSASUUMh*^
S C £ N E IX.
DORANTE, LISETTE.
D O R A N T E.
\f UELQU'UN ma desservi prcs de lui, jc pari^'/,
L I s E T t E.
Eh ! ne vous en preiiez qu'a votrc ctonrderie ,
Et qu'au brusque mepris dent vous avez heurt^
La rage qu'il avoic , tantot , d'etre ecoutc.
D o R A N T E. :-
Oui , j'ai tort , je Tavoue, a present il petit lire t
Je I'ccoute : ou plutot , sans ccla , jc I'admire ; ' -
£c m offre , en trouvant beau toutce qui lui plaira >
De me couper la gorge avec qui le niera.
L I S E T T £.
Ce n'est pas maintcnant votre plus grandc aS^iirc.
Songez a profirer d'un avis salutairc.
Pourriez-vous nous trouvcr de ces Perturbateufs
Du repos du Parterre *v dcs pauvres Auteurs , -
Bb i;
jSS LA METRO MANI E ,
Centre Ics nonveautes signalant Icurs proiiesses,
Et se faisant un jeu de la chute des Pieces ?
D O R A N T E.
Que diable en veux-tu faire? Ouij poor un, j'en saistrois.
L I s E T T E.
Courez les ameuter , pour aller aux Francois ,
Sur ce qui se jouera , faire eclater Torage.
La Piece est de 1' Auteur qui vous fait tant d'ombrage.
Le Pere de Lucilc y vient d allcr....
D o R A N T E.
Tu veux....
L I S E T T E.
Ah! j'cnscrois d'avis: faitesle scrupuleux.
Damis ne I'est pas tant , lui j car , a votre Perc ,
11 a de votre amour ecrit tout le mystere. j
Ce n'aura pas etc pour vous servir, je croi.
Et vous le Toudriez menager ? Et sur quoi >
Les plaisans intercts pour balancer les votres
Une Piece tombee , il en renait miilc aucres.
Mais Lucile perdue , ou sera votre espoir ?
Monsieur de Francaleu , vous dis-je, va la voir.
II n'a deja que trop ce bel Auteur en tetc. >
S'il le voit triompher 5 c'est fait; rien ne rarrete:'.!
11 lui donnc sa fille, &: croiroit auiourd'hui
S'allier a la gloire , en s'alliant a lui.
O R A N T M. .^
Ah ! tu me fais fremir , &■ des transcs pareilles
Me livrent en aveugle , a ce que tu conseilles !
>
r
C O M i D I E,
389
S C E N E X.
L I S E T T 5 se^le, _ ,^ _
x\H ! ah ! Monsieur rAutelit, ivtfc votreair humain ,
Vous endormez les gensj vous ecrivez sous maiiij
Vous avez du manege i &: votre esprit superbe ' '
Croit, deja sous le pied , nous avoir coupe I'herbe I
Un bon coup de sifflet va vous etre lache }
Ec vous savez alors quel est notre mardhe.
.:;^rf:
:;.:;*; njt'
J , ^. I
-y.f
' t ." •? ' '
I »
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'Q^:;o.
^rf*^^? ^T
■)ii-).>r:.;;.
■hVL -ir.:.'
Bb iij
J9Q
LA mATROMANJE ^
mams/MB
A C T E V.
SCENE PREMIERE.
D A M I S seuL
J E nerneconnoisplus , aiix transports qui m agitent.
En touslicnx, sans dcssein, mcs pas sc prccipitent.
Le noir presscntiment, le repentir, rcflrroi ,
Lcs prdsacjes facheux volent autour de moi\
Je ne snis plus Ic mcmc cnfin , depuis deux heures.
Ma Piece, anparavant,mcsembIoicdesmeilleiires.":
Maintenant jc n y vois que d'horriblesdcfauts ,
Du foible , dn clinquant , de Tobscur &; dn faux.
De-la , plus d'uri image annoncant Tinfamie :
La Critique eveillce , unc Logc endormic >
Le rcste , de fattguc ik d'cnnui harassc,
Le Souffleur ct6urdi, TAdcur embarrasse ,
Le Theatre distrait ;> Ic Parterre en balance ,
Tantot bruyant, tant^t dansuaprofond silence;
Mille autres visions, qui toutcs, dans mon coeur>
Font naitre cgalement le trouble tk la tcrreur,
( Regardant a sa montre. )
Voici I'heure farale , ou I'arrct se prononcc !
Je scche. Je me meurs. Quel metier ! J'y renoncc.
Qnclque f^atteurqucsoitrhonneur que je poursuis,
Lst-cc un equivalent d Tangoisse ou je suis ?
^ ' COME D IE, 5^1
n n'cst force , courage , ardetrr qui n'y succombe.
Car enfin , e'en est fait ; je peris, si je tombe.
Ou me cacher ? Ou fuir? Et par ou dcsarmer
L'honncte Oncle qui vient pour me faire enfermer>
Quelle ]&gide opposer aux traits de la Satire ?
Comment paroitreauxyeux de celle a qui J'aspiret
De quel front, a quel titre , oserois-je m'offrir ,
Moi , miserable Auteur qu on vieridroit de fletrir ?
( Apres qmlques momens de silence & d' agitation.)
Mais mon incertitude est mon plus grand supplicc*
Je supporterai tout, pourvu qu'elle finissc.
Chaque instant qui s'ecoule, empoisonnantson cours,
Abrege , au moins d'un an , le nombre de mes jours. -
S C E N E II.
FRANCALEU , BALlVEAtf , DAMIS. .,
JQH bien ! une aiitre fois, malgrt: mes conjedurcs,,
Vous fierez-vOus encore a vos heureux augures.
Monsieur? J'avois done tort tantot de vous prechec:
Que , lorsqu'on veut tout voir, il faut se dcpcche.r?^
Voila pourtant j vbila la aouveautc.... flambcel
s no am .]& A M I Stwo-JHi.- t.-:;irrisjnij "iv
( a part, ) .•:::: -i-y^ rjv r:- ' (haut)
Et mon sort decide r'Jc'respirbi Tombec ?
Tome II. Bbiv.
'0 2<I
j^» LA M^TROMAlsriE ^
^^.'.„ Francaleu.
Toutra-plat !
■::::■■•' ':':■ ;-n-D A MIS.
^r. Too t-a- plat I
-B A Li V E A ir.
" " " ' Oh ! tout-a-plat.
, ^ D A M I S froidement,
Tant-pis.
Cest qti'ils auront jone, cbmmcdes etourdisi^Jf^^"^
BALiy E A u. .!j
7 T -Jt le meritoit-elle ?
^ . ^ Bali v E A u.. , . , ,
II ne faiit pasdonter que I'Auteur n'en appelle.
Le plus impertiirent n'a jamais dit : j'ai tort.
F R A N C A L' E U'. 'jm/i^iTlsirl H vX
Celui-ci poiirroit bien n'en pas tomber d'accordj;'
Sans etfe , pour ccla', faXe de suffisance: -"--''-
Car jamais le Public ii'eiit moins de complaisariccP
Comment veut-il jug^r d'une Piece en effet, ' ^
Au tintamare aflfreux qu'au Parterre on a fait ?
Ah, nous avons bien vu des fureurs de cabalcj
Mais jamais il n'en fut, ni n'en sera d'egale. »,d
C O M i D I E. 395
La Piece etoit vendue aux sifflets aguerris
Dc tons les ifetourneaux des Cafes de Paris.
II en est venu fondre un essaim des nuees \
Cependant 4 travers les brocards, les huecs ,
Le carillon des toux, des nez , des paix-la, paix,
J'ai trguve..... ' . j ^( iuof\ , :* -
B A L I V E A U.
Ma foi , moi, j'ai trouve tout mauvais.
' ■ F R A N C A L E U.
On en peut micux juger, puisque Ton s'en escrime.
MorbleUjjeie maintienscj'aitrouve.,.. telle rime....
(a Dafnis qui I'icoutoit avidement, & quine I'ecouteplus.)^
Oui ; telle rime digne elle seule, a mon gre.,
De relever I'Auteur que Ton a deni^re. . .^ ,
Baliveau.
Tout ce que pent de mieux TAuteur , avec sa rime,
Ge sera, s'il m'en croit, de garder ranonymej i
Et de n'exercer plus un talent suborneur ,
Dont les produdions lui font si peu d'honneur,
D A M I S.
C'est, s'il eut reussi, qu il pourroit vous en croirc,
Et demeurer oisif , au sein de la vidoire ,
De peur qu'une demarche a de nouveaux lauriers
Ne portat quelque atteinte a I'eclat des premiers;
Mais contre ^t^ rivaux , &: leur noire malice ,
Le parti qui lui reste , est dc rentrer en lice,
^^4 '^^ MJETROMAKIE^
Sans que jamais il songe a la descmparcr,
Qu'il ne les force meme a venir I'admirer.
Le Nocher , dans son art, s'instruit pendant I'oragc;
11 n'y devient expert , qu'apres plus d'un naufrage.
Notre sort est pareil , dans le metier des vers:
Et , pour y triompher , il y faut des revers*
Francaleu.
C'estparler en Heros;, en grand Homme, en Poetel
[ k Baliveau. J
Vdus etes stupefait ? Moi non. Je le repete.
Vivent les grands csprits, pour former les grands coeurs !
Mais cela n'appanient qu k nous autres Auteurs.
[ k Damis.'^
N'est-ce pas mon Confrere?
BALIVEAU, FR ANCALEU, DAMIS, MONDOR.
^ D A M t S <i Mondor qui k veut titer d pdrt,
^. -,^ o "m x> o K has & sanglcttant.
Je vous annonce,**
^ C O M E D J E. 355
D A M L S
Jc sai , jc sal Ma lettrc ?
O N D O R.
En voila la rcnonse.
J A H V I vl A >.. •'•
D A M I S.
Laisse-nous , je te suis. Messieurs , permcttcz-moi
D'aller dccachcter a I'ecart ; aprcs quoi ,
Jc compte vpus rejoindre : &:, laissant vers & prose.
Nous nous enrretiendrons, s'il vous plait, d'autrc chose.
^^^ S C £ N E iY^^-i\^p^^^i
': r,; ■,;... . ; c ■■■ •■'• •- --'^'^ -iliu'i
BALIVEAU, f RANCALEU.
BALft'lEAU.
ui : changcons dc propos, & laissons toutccla.
•'^-'■--F R A i^ d A t ^ tJ.- - "
Si vous iaviez combien j'airtie ce garcon-l£.U^'^'"" ^
B A L 1 V t A u.
C'est qu'a cc que je vois., Sa hiarotc est k v<itre.
FraNcaleXj. ,
C est que ccia jamais n'a ricn dit cotiinpeima^ltrci
B A n V£A u. :. -
Belle prerogative I '; j : "^ :,<'• ': : c.:-
59^ lA ME TR OMANIEy
Francaleu.
Unt Lice ! Un Nocher !
Commenous n'allons droits qua force de broncher !
Plait- il ? Vous Tentendiez ?
Baliveau.
' ' Moi? non; j'avoisen tete,
Lalettre de cachet qui , dites-vous , est prete.
F R A N C A.L EU.
Ce jeune-homme n'est pas du commun des humains.
Peste! les Grands Seigneurs selarrachent des mains.
Baliveau. " — ~~'" '
J'enrage! revenons, de gr^ce, a la promesse
Dont vous m'avez, tantot , flatte pendant la Piece.
Francaleu.' ^-^^^'^
Vous parlez d'une Piece ? kh\ s'il en fait jamais ,
Ce sera de I'exquis \ c'est moi qui le promets j
Et jedefierai bien la Cabale d'y mordre.
Baliveau s'emponant.
Parlez! aurai-je enfin , naurai-je pas monordrci '2
Francaleu.
Eh , tranquillisez-vous 1 soyez sur de Tavoicp i^JZ}
Oui ; vous serez content , ce soir meme-, ce soir!
C'est le tcrme qu*il prend. Votre affaire est certainc.^
Et , tenez , son retour va vous titer de peine V "
Car je gagerois bien que , tout en badinant,
L ordre est dans le paquet qu'il ouvremaintenant.
C O M J^ D I E, 3 97
Baliveau.
Qu'il ouvre maintenant I qui? •
Fr Ai? C AL EU.
Celui qui nous quitte.
Baliveau.
Plait-il?
/ Francaleu.
fetes vous sourd ? Get Homme de mcritc.
Baliveau.
Monsieur De TEmpiree ?
Francaleu.
Et qui done ?
Baliveau.
Quoi ? C'est lui ,
Dont Ic zele , pour moi , soUicite aujourd'hui !
Francaleu.
Lui-meme. U a trouve que vous jouiez en maitre *,
Ec votre admirateur , autant que Ton doit I etre ,
11 veut vous enroler pour up mois , parmi nous.
Moi , le voyant d'humeur a tout faire pour vous,
J'ai du le mettre au fait de ce qui vous intrigue ,
Et des egaremcns de votre Enfant prodigue.
U a, sur cette affaire , obligeamment pris feu ,
Comme si c eut etc la sienne propre.
Baliveau.
. -,i ,, Adieu.
39$ IJ MJ^TRQMJNl^^
FraNCALEU rarrctanL
Comment done J
Baliveau.
Vous avez opere dcs prodigcs I
Fr A N C A L E U.
Monsieur le Capitoul , vous avez des vcrtiges.
B A L I V E A U.
Eh ! c'est vous qui , plutot que mon Neveu cent £ois^
Mcritenez...Je suis le moins sense des trois.
Serviteur 1
Francaleu.
Mais encore! cntre amis, Ton s'expliquc*
Ne pourroit-on savoir quelle mouche vous pique I
Quoi lorsque nous tenons....
B A L I V E A u.
Non , nous ne tenons rien >
Puisqu'il fautvous le direj &: cet hommedc bkn,
Au nicritc de qui , vous ctes si sensible ,
Est le Pcndard a qui j'en veux.
Francaleu*
Est-il possible ?
B A L I V E A U.
Lc voil^ ! maintcnant , soycz emerveiHe
Du jcu de la surprise ovi j'ai tantot brille.
Si j'cusse vu lc Diable , elle cut cte moins grandc
^ C O M i t> I E. )^f
]^R A N C A L E U.
Je vous en offre autant. A present , je demande
Oil vous prcnez le mal que vous m'en avez dit.
Uii Garcon studicux , de probite , d'esprit ,
Beau feu , judiciairc , en qui tout se rassemble -,
Un PhcEiiix , mi Tresor....
Baliveau.
Un Fou qui vous ressemble !
Allcz , vous mcritez ccttc apostrophe-Ik.
De bonne foi , sied-t-il , a I'age oii vous voila, .
Fait pour morigcner la Jeunesse ctourdie ,
Que , par vous-mcme , au mal elle soit enhardic ,
Et que I'Ecervelc qui me brave aujourd'hui ,
Au lieu d'un Advcrsaire, en vous trouve un appui?,
II vcrsifiera done ! le beau genre de vie !
Ne se rendre fameux , qu'a force de folic !
litre , pour ainsi dire , un hommc hors des rangs ,
Et le jouet titre dcs Petics &z des Grands !
Examinez les gens du metier qu'il embrasse.
La paresse ou Torgueil en ont produit la Race.
Devant quelques Oisifs , elle peut triompher j
Mais , en bonne police , on devroit letouffer.
Oui ! comment sou {fre-t- on leurs licences extreme??
Que font-ils pour I'Etat, pour les leurs, pourcux-^mcmes?
De la Socicte veritables Frelons ,
Cliacunles y meprise , ou craint leurs aiguillanSk.?,
Damis eut figure dans un poste honorable ; ' .
Mais cenc sera plusqu'unGucux,qu'un Miserable,
400 LA METROMANIE^
A la pcrtc duquel , en homme if^atue,
Vous aurez eu I'honneur d'avoir contribue.
Fclicitez-vous bien , I'oeuvre est tres-meritoire !
Francaleu.
Oncle indignc a jamais d'avoir part a la gloirc
D'un Neveu qui deja vous a trop honore !
Savez-vous ce que c'est que tout ce long narrc ?
Prejuge populaire , esprit de bourgeoisie ,
De tout temps , gendarme contre la Pocsie.
Mais apprenez de moi qu'un Ouvrage d'eclat,
Anoblit bien autant que le Capitoular.
Apprenez....
Baliveau.
Apprenez de moi, qu'on ne voit gucre
Lesbonncurs, en cesiecle, accueillir lamisere:
Et que la pauvretc , par qui rout s'avilit ,
Faite pour degrader , rarement anoblit.
Forgcz-vous des plaisirs de routes les especes.
On fait comme on rentend,qiiand on a vos richessesj
Mais lui , que voulez-vous qu'il cicvienne a la fin ?
Son partage assure , c'est la soif & la faim.
Et d'un ceil satisfait , on veut que je le voie J
Soit ! a vos visions , je Tabandonne en proic.
11 peut • e repcser de sts nobles dentins ,
Sur ccux ,qui , dites-vous , sel'arrachent des mains.
Qu'il p^risse ! il est libre. Adieu !
''' Francaleu.
C O M i D 1 Ei 4ot
Francale u.
Je vousarrete,
En veritable Ami dont la replique est prete j
Et vais vous faire voir , avec precision ,
Que nous ne sommcs pas des gens il vision.
Si j'admire en Damis tin don qui vous irrite ,
Votre chagrin me touchc , autanr qite son meritc j *
Afin done que son sort ne vous alarme plus , g
Je lui donne ma Fille , avec cent mille ecus*
B A L I y E A u*
Avec cent mille ecus ?
Francale u.
"'-' '^ Eh bien ! esr-il a plaindre ?
Car ellc a de I'esprit, est belle , faite a peindre...^
Hola, Quelqu'un ! ....Vous-meme en jugerez ainsi* -
{ a un Valet, )
Que Ton cherche Lucile j &" qu'elle vienne ici.
impart.)
Aussi-bien elle hesite j &: rien he se dccidCi ^
( ^ Baiiveau. )
Qu'est-ce ? Vous mollissez? Votfe front se deride?
Vous paroissez emu ? ' I
B A L I v E A U. '
Je le suis en effet. ', -
Vous ete$ un ami bien rare & bien parfeit !
Un procede si noble est-il imaginable ?
Ne me trouvez done pas , au fond , si condamnablc.
Tome IL C c
40Z LA METROMANIE
Nous pcrcons Tavenir ainsi que nous pouvons ,
Et sur le train des moeurs du sicclc ou nous vivons.
Qiiand , a faire dcs vers, un jeune Esprit s'adonne,
Memc enl'applaudissant, je voisqu'on I'abandonne.
Damis , dc ce cote , se porte avec chaleur ;
Et je ne lui pouvois pardonner son malheur j
Mais, des que d'un tel choix votre bontc I'honore...
BALIVEAU, FRANCAL^t), DAMIS.
FRANCALEUtz Damis.
V ENEZ , venez , Monsieur! Une autrefois encore
Vous^serez a la Cour notre soliiciteur.
Vous vous flattiez, ccsoir, de contentcr Monsieur.
D A M I S a Baliveau.
M avez'.vous trahi ? ,j,,\
Baliveau.
Non. Qu'entre nous tout s'oublie,
Damis. Voici quelqu'un qui nous reconcilie;
Quisignale a tel point s6n amitic pour nous,
Qu'il s'acquicrt a jamais les droits que j'cus sur vous.
Monsieur vous fait I'honneur de vous choisinpour gcndrc.
( Voyani Damis in;cxdit. )' t a
Ainsi que moi , la chose a lieu dc vous surprcndre ;
C O M E D I E, 40 J
Car, dc quelques talcns dont voiis fussiez pourvu.
Nous n'osions esperer ce bonheur imprevn.
Mais la joie auroit du , snspendant sa puissance ,
Avoir deja fait place a la reconnoissance.
Tombez done aux gcnoux de votre Bienfaiteur.
D A M I S , d^un air embarrassed
Mon Oncle....
'i .M'J B AL I VE A U.
Eh bien ?
D A M I s.
,' .i'rc'i. Jesuis.^.
Fr A^N C A L E U.
^ Quoi?
D A M I S.
L'humble adof ateur
Des graces , de I'esprit , des vertus de Lucile j
Mais de tant de bontcs I'exccs m'est inutile.
Rien ne doit I'emporter sur la foi des sermensj
Et j'ai pris, en un mot, d'autres engagemens.
Francaleu.
Ha! Z..^-
BaLIVEAU a Francaleu. '" ^^"^''"^"-^
Le voila cet homme au-dessus du yulgajrc ,
Dont vous vantiez I'esprit & la judiciaire ,
Qui, tout-a Iheurc etoit un phenix, un trcsor!
Eh bien, de ccs beaux noms le nommez-vous encor ?
Vas! Mauditsoit I'instant ou mon malhcurcuxFrerc,
M'embarrassa d'un monstre en devcnant ton Pere I
C c I)
404 I-^ METROMANIE y
wmtmmmBBsamBBmmam
SCENE V I.
FRANCALEU, DAMIS.
Francaleu.
.ONSiEUR , la Poesic a sts licences ; mais
Celle-ci passe un peu les bornes que j'y mets ;
Et votre Onclc, entre nous, n'a pas tort de se plaindrc.
D A M I S.
Les inclinations ne sauroient se contraindrc.
Je suis fache dc voir mon Oncle mecontent ;
Mais vous-meme , a ma place, en auriez fait autant.
Car je vous ai surpris , louant celle que j'aime ,
A la louer en homme epris plus que moi-meme ,
Et dont le sentiment sur le mien rencherit. "
Francaleu.
Comment ! La connoitrois-je ?
D A M I S.
Ouij du moins son esprit.
Grace a Theureux talent dont Torna la Nature ,
11 est connu par-tout ou se lit le Mercurc.
C*est-la que , sous les yeux de nos Ledeurs jaloux ,
L' Amour, entre elle &: moi , forma dcs noeuds si doux.
Francaleu.
Quoi, ce seroit?.... Quoi ? C'est,... la Muse originate ,
Qui, de ses impromptus , tous les mois nous regale I
C O M ^ D I E. 405
D A M I S.
Jc ne m'en cache plus.
Francaleu.
Ce Bel-esprit sans pair....
D A M I S.
Eh, oui! -7 IriA
Francaleu.
Meriadec... De Kersic... de Quimper..«
D A M I s.
En Bretagne. EUc-meme I U feut etre equitable. ^
Avoucz maintenant ; rien est-il plus sortable i
Franc a L E U ^datant dc rire,
Embrassez-moi !
Da MI s.
De quoi riez-vous done si haut ?
Francaleu.
Du pauvre Onclc qui s'est eflFarouchc trop tot j
Mais nous I'appaiserons j rien n'est gate.
Da m I s.
Sans doute.
II sortira d'erreur , pour peir qu'il nous ccoute.
'■''''^Francaleu. ''**"'■*'"' *
Oh, c'est vous qui, pour peu que vous nous ecoutiez,
Laisserez , s'il vous plait , Terreur ou vous eticz. -
Cc iij
4o<5 LA METRO MAN IE,
D A M I S.
Quelle crreur ? Qu insinue un parcil verbiage?
Francaleu.
Que vous comptez en vain faire ce mariagc.
D A MI S.
Ah ! Vous aurcz beau dire !
Francaleu.
Et vous , beau protester !
D AMIS.
Jfe I'ai mis dans n^a tete.
Francaleu.
II faudra Ten 6ter.
D A M I s.
Parblcunon?
Francaleu.
Parbleu si ! Parions.
D A MI S.
Bagatelle!
Francaleu.
La Personne pourroit, par exemple , ctre telle...
D A MI S. : -?^S r^fV
Telle qu'il vous plaira ! suffit (ju'ellc ait un nom.
C O M i D 1 E, 407
Francaleu.
Mais, laissez dire un mot i &: vous verrez que non !
D A M I S.
RicntRicn! .^..^^^u^ Tj
Fr AN C AtEV/
Sans la cherchcr si loin...
D A M I s.
J'irois a Rome,
'v n - jP R A N C A L E U.
. ' '■•I'L-H .r-JinO nub;;
Quoi faire ?
D A M I s.
L'epouscr. Je I'ai promise
Francaleu-
Quel hommc.l.
D A M I S.
Et, tout en vous quittant , j'y vais tout disposer,
Francaleu.
Oh! disposez-vous done. Monsieur, \ mepouscr!
A m'cpon.ser,vousdis-je?Oui, Moi! Moi! C'estmoi-mcmCj,
Qui suis le bcl objet de votre amour extreme.
D A MI &
Vous ne plaisantez point J ->
C c iv
4o8 LA MiTROMANIE^
Francaleu.
Non; mais, en verite,
5'ai bicn , a vos depens , jusqu'ici plaisante j
QuandjSous le masque heureux qui vous donnoit le change,
Je vous faisois chanter des vers a ma louange.
Voila de vos arrets , Messieurs les Gens de gout I
L'Ouvrage est peu de chose : & le seul nom fait tout.
Oh ca , laissons done la ce burlesque hymenee.
Je vous remets la foi que vous m'aviez donnee.
Ne songeons dcsormais qu'a vous dedommager
De la faute ou cp jeu vient de vous engager.
Je vous fais perdre un Oncle , & je dois vous le rendre.
Pour cela , je persiste a vous nommer mon Gendre.
Ma Fille , en cas pareil , me vaudra bien , je croi j
Et n'est pas uq parti moins sortable que Moi,
Tenez , lui pourriez-vous refuser quelque estime \
P A M I S a pan.
Ah! Lisette la suit ! malheur a TAnonyme!
S C E N E VII.
I : IRANCALEU , DAMIS , LUCILE, LISETTE.
■M^Oii: FRANCAtEy, .
J^XiGNONE, venez-ca! vous voyezdevantvous,
Celui dont j'ai fait choix pour etre votrc tpoux.
Ses talcns..,. I -^:JS;.ikb ^: ■: -jV
^ C O M E D I E. ^o%
L I S E T T E.
Sqs talens ! c'cst ou je vous arrcte.^
Francaleu.
Qu'on sc taise !
L I s E T T E.
Apprenez.,..
Francaleu.
Ne me romps pas la tctc ,
Coquine ! tu crois done que je sois a sentir
Que , tout le jour ici , tu n'as hit que mcntir t
D A M I S has a Francaleu,
Faites quelle nous laisse un moment j & pour cause
Fran c a j, e u.
Vas-t-cn.
L I s E T T e.
Qu'auparavant je vous disc une chose.
Francaleu.
Je ne veux rien entendre.
- L I s E T T E.
' Et moi , je veux parler.
Tencz , voila TAuteur que Ton vient de siiBer.
D A M I S a Francakiu"
Maintcnant , elle peut rester.
410 LA METRO MA Nit ,
F R AN C A L E I}.
L'lmpertinente I
D 4. M I S.
A dit vraL
L I S E T T^ has a Lucile,
Tencz bon j je vais chercher Dorantc.
{Elk sort.)
SCENE VIII.
FRANCALEU, DAMIS, LUCILE
Francaleu.
JuLLE a dit vrai ?
D A M I S.
Tres-vrai.
Francaleu. • '
La nouvelle , en ce cas ^
M etonnq bien un peu, mais ne me change pas.
Nan, je n'en rabats ricn ,de ma premiere estime :
Loin de-la i votre cnuce est si peu legitime,
Fait voir tant de Rivaux-dcchaines centre vous, '-'
Qii'elle prouve combien vous les surpassez tous.
Et ma Fille n'est pas non plus si mal habile.^.
Lucile. Aliliov ^ ::
MonPcrc-
D A M i s.
Permettez , belle &: jeune Lucile— '-
, J^ O M E D I E. 411
L U C I L E.
Permettez-moi j Monsieur , vous-memc , de parler,
Mon Pere , il nest plus temps dc rien dissimuler.
D*un Pere , je le sais , Vautorite supreme
Indique ce qu'il faut qu'on haisse ou qu'on aime;
Mais , de ce droit , jamais vous ne futes jaloux.
Aujourd'hui mcmc cncor, vous vouliez, disiez-vous.
Que, par mon propre choix,je me rendisse heureusej
Vous vous en etiez fait une loi genereuse ;
Et c'est ainsi qu'un Pere est toujours adore ;
Et que moins il est craint , plus il est revere.
Vous m'avez ordonne sur-tout d'etre sincere ,
Et d'oser la-dessus m'expliquer sans mystere.
Mon devoir le veut done , ainsi que mon repos.
Francaleu.
[has)
Au fait I j'augurc mal de cct avant-propos.
L u c I L E.
Parmi les jeunes-gens que ce lieu-ci rassembleu^
Francaleu. ^ ^'ivJ ri •
Ah • fort bien! : xir,
L u c I'i'tl; ^
Rassurez votre Fillc qui tremble ,
Et qui n ose qu a peine embrasser vos genoux.
Francaleu.
Vous penchicz pour quclqu'un ? J'en suis fach^ pour vous.
Pourquoi tardiez-vous tanc a me le venir dire ?
4ii LJ MiTROMANlE ^
L U C I L E.
Cest que cclui vers qui cc doux penchaat m'attire,
i^ le seiil justement que vous aviez exclus,
Francaleu.
Quoi 2 Quand j'ai mes raisons..^
Luc I L E
Vous ne les av«z plus.
Son coeur, a mon egard , etoit selon le votre.
Vouscraigniez qu'il ne fut dans les liens dune autre :
Et jamais un soup^on ne fut si mal fonde.
II m'adore : & , de moi , pres de vous , seconde..,^
Ah I jc lis mon arret sur votre front severe t
Eh bien ! )*ai merite toute votre colere :
Je n'aipas, contre moi, fait d'assez grands efforts;
Mais est-ce done avoir merite mille morts ?
Car enfin , c'est a quoi je serois condamnec ;^^ "^
S'il falloit, a tout autre , unir ma destinee.
Non , vous n'userez pas de tout votre pouvoir , "
Mon Pere ! Accordons mieux mon coeur & mon devoir.
Arrachez-moi du monde a qui j'etois rendue 1 3^
Helas 1 il n'a brille qu'un instant a ma vue.
Jc fermerai les yeux sur ce qu'il a d'attraits.
Puisse le Ciel m'y rendre insensible a iamais I
Frangalbxt.
La sottc chose en nous , que I'amour patcrnelle !/
Ne suis-je pas deja pret a pleurer , comme elle ? ]
C O M E D I E. 41 J
D A M I s.
Eh \ laisscz-vous aller a ce doux mouvemcnt ,
Monsieur i ayez pitie d cUe & de son amanr.
Je ne vous rejoignois, apres ma letrrc lue.
Que pour servir Dorante a qui Lucilc est due.
Laissez-la ma fortune ; & ne songez qu'a lui.
Francaleu
Votre ennemi mortel ! qui vouloit aujourd'hui....
D A M I S.
Soufirez que ma vengeance a ccla sc terminc.
Francaleu.
Mais c'est le fils d'un homme ardent a ma ruine....
D A M I S lui remettant unc Lettre ouverte.
Non. Voila qui met fin a vos inimities.
SCfiNE IXS* dcrnierc,
DORANTE, FRANCALEU, DAMIS, LUCILE,
LISETTE.
Dorante scjetant aux genoux de Francaleu.
JbteoUTEZ-MoijMonsieurjOujemeursavospieds,
Apres avoir perce le coeur de ce Perfide ! , . -
II est temps que jc rompe un silence timide. ..
J'adore votre Fille. Arbitre de mon sort ,
Vous tenez eii vos mains 6c ma vie & maiiipxt.
414 L^ M.E TRO MANIEy
Prononccz ; &■ souffrez ccpendant que j'esperc*
Un riialhciireux proces vous brouille avec mon Pere.
Mais volis futes Amis ; il m'aime tendrement j
Le proces finiroit par son desistement.
Je cours done me jeter a ses pieds comme aux votres,
Faire, a vos interets, immolcr tous les notrcs,
Vous reunir tous aeux, tous deux vous emouvoir,
Ou me laisscr aller a tout mon desespoir 1
( a Damis. } "^
D'une ou d'autre facon , tu n'auras pas la gloirc >
Traitre, decouronner la mechancete noire
Qui croit avoir ici dispose tout pour toi j
Et qui t a fait ecrire, a Paris, contre moi,
Damis.
Enfin Ton s'entendra malgrc votre colcrc. "^
J'ai vcritablement ecrit ^ votre Pere ,
Dorante; mais je crois avoir fait ce qu'il faut.
Monsieur tient la reponsc; &: peut lire tout haut.
F R A N C A L E U lit,
Aux traits dont vous peigne:^ la charmante Lucile.^
Je ne suis pas surpris de I' amour dc mon Fils.
Par son mediateur ^ il est des mieux servis ',
Eivous plaide:^ sa cause en Orateur habile.
La rigueurj il est vrai^seroit tres-inutile ;
Et je defere a vos avis.
Rested lui faire avoir cette Beaute qu'il aime.
C O M E D I E, 415
// naura que trop mon avtu ;
■ Celui de Monsieur Francaleu , -'■ r
Puijfe-t-il s'obtenir de mtnie !
Parley y presse^ , prie^ • J^ desire a I'exzes .'njin-rf;!
Q^ue sa Fillc j aujourd'hui j termine nos pri3ces ;
Et que le don d'un Fils quun tel Ami protege ,
Entre voire Hote & moi j renouvelle a jamais
La vieille amide de College.
Metrophile
Maitrcsse, Amis, Parens, puisquc tout est pour voos;
Aimez done bien Lucile, &" soyez son EpoicE, '
D O R A N T E. iCUS7^'i,
(^. Lucile.)
Ah I Monsieur ! 6 monPere ! Enfin je vouspossedc^
D A M I 5. , ■
Sans en moi|i$ cstimer TAmi qui vous la cede J ■ 'v
-, : •' D O R A N T E.
Cher Damis ! vous devez en efict m'cn vouloif i •
Et vous voy cz un homme^iw ■ > .^'^i ^m u M
Damis.
Hcureux.
D O R A N T E.
Audesespoirl
Je suis un monstre ! "*; ^ -^
D X'M I s.
Non i mais ; en termes honnetes ,
Amourcux &: Francois ; voila cc que vous ctcs.
416 LJ METROMANiSi
D O R A N T E aux autres.
Un fiirieux ! qui , plein d'un ridicule eflFiroi,
Tandis qu'il agissoit si noblement pour moi ,
Impitoyablement ai fait siffler sa Piece.
D A M I s.
Quoi?..Mais jc m'en pf ends moins a vous qu'a la traitrcss€i
Qui vous a confie que j'en etois I'Auteur.
Je suis bien console : j'ai fait votre bonheur.
D O R A N T E*
J'ai dcmain , poar ma part , cent places retenueS;
Et veux , apres deniain , vous fairc aller aux nues.
D A M I S.
Non ! j'appelle, en Auteur soumis, mais peu craintif ,
Du Parterre en tumulte, au Parterre attentif.
Qu'un si frivole soin ne trouble pas la fete.
Nesongez qu'aux plaisirs que I'Hymen vous apprete.
Vous \ qui cependant je consacre mcs jours , ■ >
Muses, tenez-moi lieu de fortune & d amours!
Fin du cinquieme & dernier Acle,
iiit^
FERNAND-
T R A G E D I E.
Mise au Theatre _, pour la premiere foisj le S
Janvier i 744.
Arma virumque cano.
Tome 11, Dd
41?
AU ROI D'ESPAGNE*.
.ONARQUE issu du sangdc Charle & dc Louis
Heritier de la gloire & de TAigle &c des Lys ,
Dont I'empire etendu sur les deux Amphitrires ,
Est y ainsi que le Cicl, sans nuit & sans limites j
Philippe , s'il est vrai que nos chants quelquefois
Ont merite Toreille 8c la faveur des Rois ,
Permets qu'au pied du Tione , ou le saint Hymenec
Fait seoir a tes cotes la Vertu couronnee ,
Du Cothurne Frani^ois I'aimable amusement,
De tes nobles travaux te delasse un moment.
II est , a cet hommage , aise de reconnoitre
Le cosur d'un Citoyen des lieux qui t'ont vu naitrc»
Pour le sang de nos Rois notre zelc est fameux.
Tout put-il prendre exemple &'sur nous & sur cux!
Bientot du monde entier , bientot seroit bannie
La peur des attentats & de la tyrannie >
Et I'amour unissant par-tout le foible au fort ,
Du Prince & du Sujet confondroit Thcureux sort.
^ l^HIUPPE V.
D d ij
42C? E P I T R E.
Rare felicite 5 delices enviees
Qu'a tant de Nations I'Olympc a deniees ,
Precieuse faveur que nous lui derobons ,
Et dont on ne jouit qu'ou regnent les Bourbons J -
Combien de fois nos ccEurs , depuis quarante aiinees ,
Ont, pour voler vers toi , franchi les Pyrenees ,
Comme , a la voix du sang , ton tendre coeur aussi
N'aura pas moins souvent revole jusqu'ici !
Ce grand coeur , je le sais , est tout a Tlberie i
Pere de tes Sujets , leur terre est ta patrie j
Ainsi qiie de Louis le sceptre glorieux ,
Rend route autre Puissance etrangere a nos yeuxj
Mais Louis aux Francois ne faisant pas un crime
D'oser aimer en toi lebeau sang qui Tanimej
Ta dignite non plus , ni tes Peuples jaloux
Ne t'en sauroient faire un d'un souvenir si doux.
L'exigeas^ent-ils meme , & tentant I'impossible ,
Au rigoureux effort d'un oubli si penible,
Voulusses-tu plier ta constante vertu j
Quel que fut ton courage , y reussirois-tu ?
Verrois-tu tes drapeaux suivis de la Vi(5toire ,
Sans qu'un si beau destin remit en ta memoirc
Get Aieiil immortel, ce Heros , ce grand Roi
Dont I'astre & la sagesse ont influe sur toi ? ^
Lui ressemblerois-tu , sans trouver quelques charmer ,
A songer que tu fus Ic digne objet^es larmes
Que ton auguste Pere , en ses derniers adieux ,
Surtonfront couronne J repandit a nos yeux J •-''■*
£ P I T R E. 4ii
Sans , de tes jeunes ans , te retracer Thistoire ?
Sans t'ecrier enfin du faite de ta gloire :
France ! Ai-je merite ton anwur & mon rang?
Reconnois-tu Philippe ; & suis-je ton vrai sang ?
Oui , tu I'es ', & jamais de la faveur celeste ,
EUe 8c son Roi n'ont eu gage plus manifeste ,
Que le jour solennel ou THymen a leur gre ,
Aux liens de ce Sang joignit son noeud sacre *.
Aussi , quand a ce Dieu rendit-on plus d'hommage?
Quand vit-il plus jeter de fleurs sur son passage?
Et quand de plus d'encens son Temple a-t-il fume !
De I'aurore au couchant Tair en f ut parfume y
Et J des bords arroses de la Seine 8c de TEbre ,
L'odeur en exhala jusqu'a I'antre funebre
De celle qui n'a ri qu'au moment malheureux
Ou Pandore , sur nous , pencha son vase affreux.
Ce Monstre dont nos pleurs font I'espoir 8c la joie ,
De soi-meme a la fois le Vautour 8c la proic ,
L'Envie interessee a la disunion ,
Court , de son souffle impur , infeder Albion ;
AUume , en secouanc ses serpens homicides ,
Le flambeau de la guerre au feu des Eumenides ;
Et , de sa voix terrible , anime , en peu de mots ,
Le superbe Insulaire a traverser les flots.
"♦^ Manage de I'lnfantDon Philippe avec Madame Louisi-
Elisabeth de France.
Dd iij
4ii i P I T R E,
Arme^ &paroissc:^; ['Amerique est soumise,
he Tage va cider son or it la Tamise.
Pour Vous , pour vos NeveuXj Cortss aura vieu,
Anglo'is 1 VencT^ , voyei^ , & vous aure\ vaincu.
EUe dit : on la suit •> & ce Fleau du Monde ,
De sa torche fumante empestant I'air & Tonde »
Au Mexique , de loin , sur Thumide elemenr ,
Annonce les horreurs d'un vaste embrasement.
La Flotte arrive \ on niouille, & Cibcle effrayic
Dans k sang Espagnol se croit deja noyee.
La Mort l^ve sa faulx ; le Tartare est ouvcrt.
De ses fcux eelatans le rivage est couvert ^
Mais TEnfer tonne en vain : c'est le Ciel qui foudioie.
De TEspagne a ce bf uit I'etendard se depioie >
L'Anglois palit , recule , & rout fuit disperse.
Xe Lion a rugi : la Pcur a tout chasse.
Tel , imposant silence au tonnerre qui gronde ,
D'un coup de son trident , Neptune applanit I'onde j
Et , reprimant des airs les Tyrans vagabonds ,
D'un mot les fait rentrer drtns leurs antics profonds.
Roi vainqueur , laisse-moi , des Mexiquains sauvages,
A ton char de triomphe attacher les images •,
Vois-les , tels qu'aatrefois Charle se les sounut :
Et partagc I'eclat du nom qu'il s'en promit.
Tu n'as pas moins quelui pour toi Mars & Minervc,
Ce que Charle cohquit, Philippe le conscrvej
Ik)me , qui mit le prix i toutes les vertus ,
N'egala-t-ellc pas Camile k Romulus I
£ P I T R E, 4^^
Enfin , du grand Cortes celebrant la vi£boIrc «
Jc chante le Guerrier qui prepara ta gloire ;
Qui , sous un aurre Maitrc , a signale son nom *
Mais que , dans Cartagene , a retrouve Vernoju.
Phenomene , au surplus , digne des yeux d'un Prince;
La valeur d'un Soldat change un Monde en Province.
De I'Histoire Espagnole admire un trait si beauj
Et d'un Heros si rare aime ^ voir le tableau*
A I'aspcdt de celui du Vainqueur de TAsie ^
Le premier des Cesars pleura de jalousie i
De son noble depit quel eut ete I'exces ,
Si le Grand Alexandre eut egale CoRxis 1
Que le Grec , le Romain se compare a Tlberc,.
Celui-ci, presqueseul, subjugueun hemisphere j,
Et , s'il a reussi dans de si hauts projets ,
Quel doit etre le Prince ou sont de tels Sujetsi
Quel doit ctre le Sang de ce Prince invincible I
Et que n'en pas attendre apres le soin visible
Que le Ciel en a pris par lesplus sages mains
Qui pouvoient de I'Espagne assurer les destins !
Grand Roi , c'est designer, c*est nommer rHeroine
Qui partage ton Tronc & ta noble origine,.
Chaste Epouse , rhonneur du plus sacre dies noeudlf^
Reine dont le grand coeur & I'esprit lumineux
Savent de la Fortune asservir les caprices j
Ta gloire , ton conseil , ta force , tes deUces *
L'amour des Nations que soumet ton pouvoir>,
Des deux Mondes eniiii romement & Tespoir^
Ddix
414 E P I T R E.
Philippe , J^lisabeth , Couple uni , Couple auguste ,
Puisse votre Genie & triomphant & juste
Regir long-temps encore un Peuple a qui nos yeux
Doivent une moitie de la Terre & des Cieux !
Puissiez-vous , sans quitter vos dignites supremcs ,
Les partager long-temps avec d'autres Vous-memcsj
Et de vos Petits-Fils par vos mains couronnes ,
Xe Diademe au front, vous voir environnes !
Que Farneze & Bourbon soient un cri d'alegressej
Et que tous vos Sujets se rappellent sans cesse ,
Pleins des biens que sur eux votre union repand ,
La celebre Isabelle ;, & I'heureux Ferdinand 1
Jl
4M
PREFACE.
/HSl Remonter de nos jours jusqu'a la naissancc des
temps, la decouverte de TAmerique est , je crois , Te-
venement le plus frappant & le plus memorable dc
tous ceux dont Thistoire profane ait embelli ses
fastes.
Que pouvoit - il arriver , en effet , de plus digne de
memoire id -has , &: de plus interessant pour la totalite
du Globe , que la communication de ses deuxmoities ,
Tune a I'autre inconnues depuis leur creation ? Quelle
Epoque pour routes les deux , que le coup du Ciel
qui decouvrit a celle-ci les tresors de la terre ; a Tautre ,
ceux de la raison ! En quoi tout I'avantage , comme
cnle voit , demeura du cote des Americains , puisqu'ils
passerent en un moment , des tenebres de la barbaric
au peu de notions & de clartes que nous avions si la-
borieusement accumulees depuis trente ou quarantc
siecles \ au lieu que nous ne gagnames a cette peniblc
decouverte , que celle des bornes de I'esprit humain ,
qui jusqu'alors avoir erre si lourdement en fait dc
Geographie. Et cependant , qu'eumes-nous en dedom-
magement d'une si triste connoissance ? Ce que mepri-*
soient ces Americains \ de Tor •, & , qui pis est , ses
suites contenues ici dans les imprecations du Grand
Pretre , Acl. 3 . Sc. 4.
Mais si I'Epoque fut humiliante pour les lumicrcs
de nos Ecoles , elle ne le fucpas moiiis pour ces aiiciens
4ifr P R i FA C E.
Foudres cfe guerre , qui , depuis si longteraps , se dis-
puroient la. preeminence i (S«:qui , depuis Cones , n'eu-
rent plus rien a se disputer. Ce n'est point une hyper-
bole. Toute prevention cessant , rendons hommagc
a la verite. La grandeur des perils surmontes , le
nombre & la singularite des exploits , I'etendue & la.
nouveaute d^ conquetes , n'est-ce pas la tout ce qui
constitue , parmi nous , riieroTsme belliqueux ? Et
des-lors , peut-on refuser a Cones , parmi les Heros
de son genre , le rang que la dccouverte de TAmeri-
que obtient parmi les cveneniens I
Parcourons le champ de Mars , depuis Shostris 8c
Czrus , jnsqn'a. Thamas-KouHkan ; Sc comparons la con-
queteduMexique,avec routes celles qui I'ontprecedee
& suivie. Qu'ont-ils conquis ces guerriers si vantes I
Quelques regions mediterranees de notre Continent »
& les bords du Golfe de la vaste Mer , que notrc
Espagnol a traversee. Observons de plus que ces autres
Conquerans marchoient armes de I'autorite souverai-
ne , & soutenus des grandes ressources qui I'accom-
pagnent. Le Sarrazin , le Goth , le Vandale etoieni
meme suivis de Nations entieres que la necessite de
remigrarion emprisonnoit , pour ainsi dire , sous leurs
ctendars. Torrens impetueux dont les debordemens ,
apres tout , pour se repandre , n'avoient a renverser
que d&s digues deja mille & mille fois rompues en
pareil cas. Rien dans tout cela que de tres-possible &
que de repete. Voici de I'unique & du merveilleux* Un.
simple Armateur , avec quelques Brigantins , cinq on
six cens hommes de pied , quinze chevaux& six pieces
dc canon , sans autres ressources par-dela , que son.
■genie & que son epcc , ose affronter un espace im-
PREFACE, 417
mcnse de Mcrs inconnues , pour toucher ensuitc a un
Continent plus grand & plus peuple que le notre ,
nomme depuis par nous , assez plaisarnnieni,le Vieux
Monde : comme s'il y avoit un droit d'ainesse entre Ics
deux Hemispheres. Le nouvel Hercule , en abordant ,
passe sur le ventre a deux Armies qui s^ prcsentent
Tune apres I'autre , 8c coup sur coup , pour Tarrcter;
la premiere de quatre vingt-dix mille , la seconde dc
cent cinquante mille Sauvages aguerris a leur maniere.
Ce debut jette par-tout Tepouvante : Cortes , plus sage
qu'Annibal , en salt profiter. II avance avec sa poignee
d'hommes •, ne donne pas a des millions d'autres Ic
temps de se reconnoitre \ presse , attaque 3c soumet
tout. En adroit politique ensuite , il cimente ses succcs
par des traites , s'insinue , gagne la confiance des pre-
miers Vaincus , s'en fait des Allies , & parvient a poser
enfin , chez ces Peuples sans nombre , au nom d'un
Prince qu'ils ignorcnt & dont mcmc lis sont ignores ,
une domination , qui , depuis pres de trois siccles ,
s'est accrue , & s'affermit de plus en plus. Un simple
Cavalier ainsi , presque seul , & pour son Prince , fait
plus que tous les Conquerans &c les Souverains du
monde , a la tete de leurs Armees , n'avoient encore
fait pour eux-memes.
Je n'ecrirois qu'en PoeW&qu'en Romancier, si ]t
dissimulois que , pour operer ces merveilles , 11 fallut
qu'une premiere merveille y contribuat. C'eiit ete peu
de toute la valeur imaginable , jointe au dernier rafine-
ment de I'art & des ruses militaires ; c'eut ete peu dc
nos hommes a cheval pris pour des Centaures , du
tranchant , de la pointe &: dc I'eclat de nos epees ,
quoique toutes choscs aussi peu coiinucs sous cc uou-
4i8 PREFACE.
veau Ciel , que nos barbes & nos boussoles j tous
ces avantages , dis-je , a les supposer encore sotitenus
de la tere & du bras des Turennes, des Condes,
& de tant d'autres graiids Capitaines dont la liste ,
en France, se grossit tous les jours ^ n'eussent eu que
peu d'efFet , sans le secours d'une force bien superieurc
a routes celles-la. On sent assez que je veux parler de
la grandc & terrible decouverte faite avant celle de
I'Amerique : de la poudre a canon. Les armes a feu ,
sans contredit , jouent i(^i le role essentiel & principal.
Leur atteinte prompte , invisible & mortelle , le bruit ,
la lueur seule arretoit , renversoit , dissipoit des Ar-
' mees innombrables , qui , pour la defensive & I'ofFen-
sive 5 ne connoissoient que le bouclier de cuir , Tare
& La massue. L'Europeen , sa foudre a la main , etoic
une espece de Divinite dont la presence suiHsoit pour
glacer les plus fermes courages. En un mot. Cones , ert
debarquant , avoir les terreurs paniques a sa disposi-
tion y a peu pres comme en s'embarquant , le fabu-
Icux Ulisse , - au sortir d'Eolie , eut les vents a la
sienne : ou pour mieux dire , passant de I'antique au
moderne , & d'Homere a I'Arioste , Cones avoit le
Cor d'Astolphe. C'etoitbeaucoup, mais etoir-ce assez ?
Un peu de justice , pesons les equivalens j & nous ver-
rons que ccci n'enlevant de Texploit, que le surnaturel
. & Timpossible , n'en laisse pas moins a mon Heros
ts&ixt Teclat & toute Tunite de sa gloire.
r.
Quelle grandeur de courage ne fallut-il pas pour'
cntreprendre , quelle longanimite pour pousser des
navigations & des marches de si long cours a travers
tant de tempetes & de bonaces , de villes & de soli-
wdes,-de guerres & d'alliances , routes egalement
PREFACE. 419
perilleuses ? Quels talens superieurs , pour se faire
suivre si constairiment , non par des gens plies a la
subordination ni soumis a quelque discipline ; mais
par autant de compagnons que de soldats , par des
volontaires fondes a se rebuter sans cesse , comme k
se mutiner sans crainte , & qui .plus d'une fois , en
effet , artenterent a la vie de leur condudieur ? Quelle
intrepidite ne devoir pas avoir un Chef si mal obei i
pour oser , a la faveur d'une experience physique ,
attendre & combattre de pied fcrme des millions
d'hommes en bataille rangee ? Quelle adrcsse & quelle
vigilance , pour prolonger I'illusion jusqu'au terms
de tout I'effet qu'on en desiroit ? Enfin quelle habilete>
quelle sages se & quelle force de genie , pour en tirer
le parti qu'il en tira \ qui fut d'introduire & d'etablir
en ce nouveau monde , la domination , les loix , les
moeurs & la Religion de celui-ci ? Belle matiere aux
speculations du Missionnaire , du Guerrier , du Phi-
losophe & du Politique 1
II existe , parmi nous , une petite Sedre de faux-Mcn
ralistes , qui , sans avoir peut-etre ete jamais bons fils,
bons peres de famille , bons amis , ni bons patriotes >
que dis-je , qui , sans avoir jamais senti peut-etre , ni
seulement soupgonne ce que c'est que le prochain , se
donnent gravement pour des Citoyens du monde j &
qui s'arrogeant , a ce titrele ton des Socrates & des
MoNTESQUiEux , prcnucnt hautement le Genre-hu-
main sous leur proted:ion. Parlez4eur de I'Amerique:
A quoi bon , s'ecrieront-ils , 6* de quel droit , avoir ete ckei^
eux inquieter ces bonnes Genst Le Ciel avoit mis dix-huit
cens lieues de mers entre eux & nous. C'etoit une barriere
sacree qu'on auroic du respeBer jusqu'a la fin des Siecles.
436 P R ^ F J C E,
L'avoir ose franchir , ce fut insulter aux decrets de la Vr$-
vidcnce. Attaquer , soumettre & civiiiser ces Hommes quels
qu'ils fussent i c'etoit deraison^ injustice ^ 6* tyrannic I Mais ,
Messieurs Ics zeles Cosmopolires , est-ce etre bien
bons amis du Genre -humain, que de vouloir exclurc
de notre commerce des Peuples miserables , a qui de-
puis cinq ou six mille ans manquoient morale , agri-
culture , beaux-arts , metiers , vetemens , premieres
teintures des loix humaines & divines , en un mot »
tous biens spirituels & temporels ? Sont-ce bien memc
des hommes que vous plaignez , en plaignant des Bar-
bares , des especes d'animaux sauvages , des monstres
qui massacroient religieusement & de sang froid leurs
semblables au pied des autels , en jetoient avec cere-
monie le cceur palpitant au nez d'une Idole , en ser-
voient les membres sur table & le sang au buffet , ta-
pissoient les Temples de leurs peaux , & pour sc
recreer la vue , de leurs ossemens elevoient les Tours
& decoroient les frontispices de ces Temples ? De
bonne-foi cela se doit - il appeler des hommes ? Vous
nous le soutiendrez sans doute, en beaux raisonneurs,
prets a nous supposer des vices , qui , dans le fond ,
direz-vous , peuvent bien aller de pair avec de pareilles
horreurs. Passons j mais dans Tesperance que ces pau-
vres gens pourroient ne pas contradter nos vices ,
ayez done pour eux une pitie plus raisonnable. Vous
voyez qu'Antropophages , impies & sanguinaires , en
dcshonorant Thumanite , ils n'en vivoient que plus
a plaindre de routes famous. Desirez charitablement
qu'on les tire de la condition des brutes \ qu'on les
cclaiie des lumicres de la raison & de la foi •, qu'on leur
indique , qu'on leur procure , qu'on leur enseigne 4
perpctuer chez eux les douceurs d'une vie telle que la.
PREFACE, 451
votre. C'est ce qu'a fait Cortes, Le premier , au hasard
mille fois de la sienne , 11 leur tend une main viAo-
rieuse 8c bienfaisante j pour les engager a venir parta-
ger ces douceurs avec nous. U y reussit. De vidimcs
qu'ils etoient les uns des autres , il en fait des frercs ;
d'imbeciles Esclaves d'une liberte honteuse 3c sans
frein , des Sujets senses , paisibles 8c fidcles de soa
Prince 8c de Rome. Enfin Cones a pour lui la valeur ,
la prudence , I'humanite , la fortune , & la Religion,
A quels titres plus justes meritera-t-on jamais le»
honneurs de rherofsme ? Vous I'aurez quelque part
oui nommer Cruel , Avare , Exterminateur. Hyperbole
& mauvaise foi ! Jalousie narionale qui se plait a con-
fondre Piiare & ses pareils avec Cortes j ou bien,
vaines declamations supportables tout au plu-s , dins
la bouche du furieux Amant d'Alzire , 8c de mon frip-
pon de Grand-Pretre ! Enfin c'est au Ledeur equitable a
prendre Cortes pour tel que je le presente ici fidele-
ment , 8c qu'a son amour prcs > je le recois de la main
des plus graves Historiens de sa nation. Eh qui salt si
I'Amerique n'etoit pas une terre de Chanaan , desti-
nee a devenir une terre de promission ? Ne devrions-
nous pas meme regarder les conquetes de ce grand
Homme , comme I'ouvrage de la Sagesse 8c de la Jus-
tice d'en-haut ? Les regarder du meme oeil dont il les
voyoit lui - meme , ainsi qu'il I'a tcmoigne par cetrc
inscription si digne d'un guerrier Chretien , * qu'il
avoir fait mettre autour de ses amnes 8c de ses tapisse-
ries : Judicium Domini apprehendit eos ; & fortitudo ejus
corroboravit brachium meum ?
* Franjois Lopes de Coraarc. Hist, des /ndes.
43 i P R JE F A C E.
Le caradere eleve de Cortes , & le Mcxique pfe»^
que aussi-tot conquis que decouvcrt , sont done Ic
principal objet de cette Tragedie , dont la more de
Monteiume est la catastrophe. Quel evenement & quel
personnage a mettre sur la Scene ! Si pour Thonneur
de la notre , je fus sincerement fache que MoLiere
n'eut pas traitd la Metromanie , je ne dus pas Tetre
moins de voir un dessein si riche execute par un aussi
foible pinceau que le mien. Le Genie ami de la France ,
qui , entre autres couronnes litteraires j lui destinoit
la dramatique , devoit bien o£Frir a la Muse du grand
Corneille , une matiere si susceptible de sublime , & ne
la pas remettre non plus que tant d'autres matieres pre-
mieres des deux genres , a des temps de decadence.
Ainsi j'appelle a regret , mais puis-je appeler autre-
ment les jours d'un Parnasse enerve ; ou par-tout , du
cepte dans' les courageuses Prefaces du Glorieux &c est
Dissipatekr , j'entends se plaindre & s'ecrier sans cessc
que tout est dit. Telle est I'opinion generale. Sujets ,
Episodes , Incidens , Sentimens , Caraderes , le meil-
leur & le plus beau de tout cela , dit-on , est enleve ;
tout est fait , tout est epuise \ I'Art est a sa fin. Pure
illusion de I'insuffisance ou de la paresse •, & source
malheureuse de ces pretendues nouveautes , qui , dans
le Tragique sur-tout, ne sont depuis si long-temps-
qu'une puerile repetition des memes choses , &c pres-
que des mcmes paroles un peu diiferemment combi-
nees , &c reproduites a la faveur d'un titre inoui ou dc
quelques personnages fad:ices. Consultons I'oracle de
Gascogne : selon Montaigne , loin que tout soit dit , il
s'en faut presque tout , que tout ne le soit. Et pour
moi qui n'ai que trop ose me meler de parler & d'e-
crire , j'ai senti mille fois , & j'eprouve tous le« jours ,
que
P R £ P J C £, 4^}
qiie presque rien ne Test encore , en fait seulcment de
sentimens boiis , tendres , genereux ou reconnoissans*
. L'Art ayaiiCi en effet, la nature pour ressouice &pout
objet 3 il ne sauroit tarir qu'avec elle qui ne carit ja-
maisw Ce n'est done point Mrt , c est TArtiste qui
manquei Ars longa y Musa l>revis. Que de tresors de
moins en Europe , si , aprcs k premiere fouille deS
mines du Perou , on avoir pense la , comrae on pensc
aujourd'hui sur notre Parnasse ! Heureusement pouc
ies Affames d'or & d'argelit , la cupidite n'est paS
une passion qui s'endorme ni qui se relache. Elle fait
encore & fera creuser , s'il se pcut , jusqu'au centre de
laterre. Que la Poesie de meme ne redouble-t-elle aussi
de courage ? Et tandis que Tavarice , sous le fouet de
cette cupidite , descend &: s'enfonce auTartare-, que ,
de son cote , le Genie poetique > pique du plus noble
des aiguillons , ne s'eknce-t-il aux nues sur Ies ailes
du pur amour de k gloire ? J'avoue que ce pur amour
dela gloire dont j'ai toujours ete embrase , laisse biert
un libre essor aux talens i mais qu'il n'ajoure rien
a leur etendue , & que je dois craindre d'avoir tente
au-dela de mes forces ^ & certes le poids ici grossis-
sant a chaque pas , cut bien du me faire a chaque pas
sentir que je Ies avois mal mesurces. Qu'on daigne
Jeter un coup-d'oeil isur k carriere ou je m'etois engage ,
on s appercevra bien-tot de k disproportion que je
reconnois trop tard , &; que me caehoient le piquanC
du neuf , & I'amour du travail.
11 ne s'agissoit pas moins d'abord , que de repandre
<i'un bout a I'autre dans k Piece , & de kisser apres
elle une idee suflisante & ckire dd la plus rare des
Cionquetes & du plus grand des Conquerans. 11 fii||Qit
Tome lit JE c
4^4 PREFACE,
apres , merrre en action plus qu'en reck , quantite de
fairs , de moeurs , 5c de caraderes d'un genre tout
nouveau ; parler presque une langue etrangere j atta-
cher de la vraisemblance a des verites qui n'en oiit
point j Jeter un interet vif & quelque amenite dans
tout ce Barbaresque ; faire cnfin marcher avec grace &
•dignite , notre Melpomene fran^oise , par les chemins
'^u monde les moins frayes & les plus raboreux pour
elle. II falloir rout a la fois narrer , agir , etonner ,
■persuader , roucher 8c plaire. Quelle enorme eiirre
prise pour moi , sans parler de Tespace erroit de trois
unites , non plus que du labeur ingrat de notre epi-
neuse versification \ dans laquelle , qui pis est , les
•inutilites sonorcs Sc brillantes , nommees recemment
Beautes de detail , I'emportent aujourdliui tout d'une
voix sur la precision , la regularite , la jusresse 6c la
force J sur le bel ensemble j sur ce qu'Horace appelle
Series junciuraque J
Voila , dis-je , une terrible tache*, 8c n'en voila tou-
tefois que la moitie. L'usage me prescrivoit I'autrc.
L'irapitoyable usage , ce Tyran devant qui tout rai-
•sonnement tombe , a statue qu'il y auroit de I'amour
^ns nos Tragedies.
Comment , sans detonner , fondre une couleur si
tendre 8c si douce avec d'autres si dures 8c si fieres'J
Tout ce que j'y sus, pour conserver quelque hap-
monie dans I'ordonnance & dans le coloris du Tableau ,
te fut , en construisant ma Fable avec toute la pre-
cision donr j'etois capable , de faire que TAmour ,
cet accessoirc embarrassant , devint la base meme du
€ujet principal. II est eu cffet le ressort primitif & con^
P R i F J C E. 4^^
tinucl de radtion. Pour en juger , on ne sera pdut-etr0
pas fache de v^-ir cette i able , ou tout,.iioaTUS TA-^
mour , esc purement histonque. ir
FABLE DE,L*AVANT-S C E N E.?;.
Cortes raal, paitage dcS bidis de la fortune ,' dc-
vient amoureux en i^s^agne , ik parvieiit a. s? faare
aimer d£/v/V<r, fple de D.^<'«ire,.irreconcilial?le.fnnerai
delamaison 6.ts Cones. L'niegafitc des fortunes & la
haine invitsrce des deux families forment dieur graiids
obstacles au Iponheurde cecamour^ Le brayc:&: pasa
sionne Cascillan j, ne voir qu'un moyea de les siirmoii*
ter. Detexrer des trcscts; &: les d^terrerpatdesvoies
Si gloneases ,pour lui^ :&.'$i avantageuses en memc* j
temps aux Espagnols , qu'cn lui doniiant des droits .
$ur I'estimede JD. i?^afre , clle pussent lui miritorencore
la mediatiqrtdarMonarcjae aUprjs de ce pc'ie rnikxi^
ble. L'AtuaiqueVenoit d'etre decouverte. II y portb
ses vues , y pas^e, y combat, y -conquiert , y tricmJ
phe. Omnia vkiat amor,: De p.todi2,es en prodiges^i
Cortes ayaor: pcnctrj jusrqu'au hlexique,y fait SsDo
€ntree daiis. la;Capitale.eaa;vainqueur pacihque , &c re'^
vctu dacara "l:ere saci^ d'Aihbassadeur deCHARLE.Vi
U y demande en cecte quaUte I'hammage que rout
f Jmveis , dit41 i doit &.renda son Alai^tre , I'ob*
dent, & lejrer-oit solennelleraenT; Mais ce n'etoit.dc
la parcde.cesBarbares qu'uiif vaine d^firence , pour
mener a .maxunte le .conipJbt .d'uin massacre general
des Esp^qQls^CoRiES ayanr, evelice Tccage, le con-
jure , ou.du-moiiis le suspend par un coup de vivB
force & d'eciat qiiin'eut jamais d'exemple. remerite,
si Ton veucv mais remerite nicessaire , & qui de plus
fiuc heureuse. Jl fait mourir publiquement., & ^i^as
E e ij
4^^ P R i F A C 1£,
toutes les formes de h. Justice , les Chefs de k cons-
piricion. Tour de suite , a la tetc des sieus bien armes ,
il passe de son quartier au Palais du Roi , Tinterroge
au milieu de s&s Gardes , le fait charger de fers , &;
remmsne en cet etat, jusqu'au logement des Espa-
gnols , £i travers un Peuple que la terreur saTibloit
avoir petrifie.
FABLE D£ LA P f f t^'fe
Cortes est informe quelques jours apres , qyxt <
sans le menager, on se dispose au Temple a sacrifier
deux Europeens, que la tempctc avoit jetes sans armes
sur ce5 bordsi Patriotisme , humanite , bravoUre <
honneur , son propre interet , tout veut qu'une se-=»
conde fois , il ose encore au-dela des bornes. II sc
remet done sans balancer a la tete de ses Determines ^
vole aux autels , & le Pistolet a la main , enleve leS
deux vidimes de dessous le couteau des Sacrificateurs*
Ces deux vidimes ctoient Ehire &c D. Pedre ^Coktes
ne les reconnoit point dabord par des circonstances
ajustees trcs-naturellement au Theatre. Le tissu deS
eyenemens qui d'Espagne conduisent ici deux person*
nages si necessaires a ma Scene , se developpe k rouy
verture du second Adle y mais ce n'est qua la fin dii
troisieme, que CoRxis reconnoit Elvire , aii moment
fatal , ou , par sa propre eiitremise Sc de I'aveu de D:
Pkdre , Mvate^ume est pret a I'epouser. La derniere
hostilite commise au Temple , quoique phis dange-*
reuse encore pour lui que la precedente , puisqu'elle
hiteressoit au vif les Pretres & leursorte deRehgion ^
ij'a que des suites heureuses. Apres bien de nouveauiS
obstacles , suscites d'un cote , par la fureur des Pre^
«Bes'> dc I'autre par la parole domiee 3.MQn:eiumeLjSc
T R i F A C E. 457
par Ic depit CGurageux de riiifortune D. Pedre , mais
ieves tous par la tendre magnaniniite dc son Libera-
tcur , par sa vaiUance & par la mort du Roi > ce nouvd
exploit , dis-je , occasionne & determine le triomphe
df, I'Amour & de rheroisme. Le Mexique acheve dc
se soumettre , le coeur du vicil Espagnolde se rendre ,
& C0B.T6S d'etre heurcux.
L' Amour ici me paroit d'autant plus artistement
imagine , que tout intrus qu'il y est, au lieu d'y nuire,
il y preside ', 8z que c'e&t lui qui prepare , qui noue 8c
quidenoue tout le reste. L'heroisme & lui se donnent
mutuellement la main d'un bout a I'autre de la Piece,
II a meme encore cet avantage , qu'il ne forme point
de ces unions subites , monsrrueuses , & mal-assor-
ties , que Timagination peu reglec d'un Aureur , fait
naitre quelquefois entre deux coeurs & deux personnes
effroyablement etrangeres Tune a I'autre , par le climat
& par la Religion. Ici la sympathie y source ordinaire
de cette passion ^ emane au moins du sein de la par-
faite vraisemblance^ Ehire 8c Cones transportes sepa-
rement 8c se retrouvant dans un nouveau monde ,
sont ries sous le meme Ciel , eleves dans les memes
principes , 8c depuis long-temps epris Tun de Tautrc*
Ici le Theatre , la Nature 8c la Morale se raprochent
8c se concilient^ Rien n'est violente. Aus&i THeroi'smc
8c I'Amour se trouvent-ils riecessairement couronnes
ensemble a la fin , legitimement couronnes j, & ce qui
n'en est que mieux , couronnes sans le secours de la
jnachine usee , je veux dire du melange politique 8c
rebattu des droits de jl'Heriticre avec ceux du Con-
querant d'UR Trone.. Ferai-je ci^ore observer dans
cet amour dont je m'applaudis pcut-etre un peu trop j^
Ee iii
43 8 1* n E T A C P.
tine circonstance qui devroit , ce me semble , le renctep
agreable du moins aux piemijies loges ? C'est qu'amsi
que le via.semblaDle , comme on vieat de le voir , a sx
|)ai.t au pouvoir de cec amour i le Beau-sexcde I'liu-^
Tope a la sienne aussi aux launers des Vi tlorieux , 6d
>que ses charmes ayant etc le mobile de la valeur & Ic
but de la conquete , participcnt a la gloirc du Con-
querant. i ant d'heureuses convenances n'etoient pas
Faciles a rassembler avec ordre & precisiori. J 'en fais
juge la Galefie , & le cHC^bre Auteur de Zaire &
d'Alzire lui-meme , tout le premier.
■ ' •'■?
, Mais aussi , de tant de difficultes a vaincre , il poar-
roit b:€n crre arrivi , comme j'ai dit, que j'eusse plie
50US le fatdcau j je saurois a quoi m';en tenir a cec
egard , si le I ublic eut voulu m'^clairer : car moij
Ouvrage j quoiqije jous plusieiirs fois^* nefut jamais
cntendu nj vu. Vi>ici COHiii|ej-ijE> ■ -- r , j 3;;
,11 essuya d'abbrd un furieux'contre-temps. Ce fut
cl*erre donne dans le cours des repetitions de Merope,
La juste impatience publique ou particulicre , 6.1s.
Igu'il sagit' des nouvelles produ6bions du celebre ' Au-
reur de cetre Ijece , est un torrent qu'il est trcs-dan-
^ereiix pour ses CoiTipetiteurs d'avoir derri>re eux. Il
h'est digue , tant forte s .it-elle , qui bientct liC rompe ^
5^ nous yoila submerges.' Gufr<2vc eut eu le sort de
Cortes , s'll eut eu le malKeiif de preceder Zn'ireVll la
%^saprudemmcnt passer (ieVkh^, & s'ttlXtoriHhieni
.y . :' :: ::; ■' :. ' . ;:"'r:r:''^:; , /: r.rr, ■::^'o j?.z r (
^ Mais un d:;savantage moms-t?i^it.ivdque' & pltis-'-red j^
cjui du resr^ pouvoit fort bien* etle uric suite assez rifitu-
jeile-de-celui que je viehs de ^drre, eest 'que la pre-'
wiere tt^rcseritation fut-fe jbllbt du tuitiulte-extradir*
PREFACE. 4j^
dinaire d'une Assemblee trop nombreuse & mal a son
aise. De ce tumulte se devoit ensuivre , & ne s'ensui-
vit que trop aussi , le desordre de la memoire «Sj da
jeu des Acteurs. De manicre que I'auditoire , en sor-
tant , n'emporta que i'idee d'une grandc foute & de
biendu bruit. Telle fut la premiere representation, qui
par consequent n'en fut point une. On va voir que
toutes les autres en meriterent encore moins le nom.
La toile baissee, les Comediens ne s'imputant rien, non
plus qu'aux circonstances , s'en prirent uniquement a la
Piece. lis la remirent sur leur bureau , Sc croyant y voir
des longueurs , conclurent a des retranchemens consi-
derables , Sc les firent , d'un jour a I'autre , a tort & h..
travers , sans me consulter. Par cettc belle operation ,
disparurent du Theatre trois ou quatre cens vers qui
ne pouvoient manquer d'etre fort essentiels a I'inteili-
gence d'un Po'eme dcja si concis selon mon pouvoir ,r
dc si precis dans son tout , szs parties &c ses details.
Que penser , en effet , de ces coupures faites a la hate ,
& de pareille main , quand pour le faire sous ceuvre
&: sans endommager Tedifice , I'Auteur eut au moins-
demande autant de temps que tout I'ouvrage en a pa
couter S Les tenebres le couvrircnt done. Jc devins.
chaos. Je n'avois pu me faire ecouter la premiere fois j.
toutes les autres , je fus inintelligible. J'oi^'re done ici
au Ledeur la Tragidie de >Cort£S , telle que je I'ai
faite , sans aucune correAion y puisque , comme je
viens de le dire plus haut , le Public ne m'ayant point
entendu , szs avis n'ont pii m'eclairer. Ainsi j'ose I4
produire coiimie une ebauche qui pourroit , avec l^
temps J parvenir a quelque chose de micux. Peut-<!^'tie
se trouveta-t-U quel^u'un .4? ,9PS J^apidaires ils^^^
E e i?
44<^ PREFACE.
qui, pour n'avoir pas eu lebonheurde deterrer une
belle pierre &: I'avoir fa^onnee les premiers , ne dedai-
gnent pas la peine & Thoniieur dc la repoHr & de la
hrillanter au gout du temps. Un troisieme Artiste , plus
liabile encore que le second, peut le suivre & rencherir.
Ainsi , de degres en degres , cette Tragedie s'embel-
lissant , il en resteroit au Theatre un bon Ouvrage de
plus. Mes Successeurs se rapproprieront \ 8c le pre—
inier Metteur en oeuvre , tandis c^u'ils triompheront ,
sera dans Toubli,
Je ne mets done pas , conime on a vu , ce mauvais
succes si fort sur le compte d'autrui , qu'avec justice
& franchise , je ne m'en attribue une bonne partie k
jnoi-meme ', & des-lors , je serois bien peu raisonna-
t>le , si loin de me lamenter sur une si petite disgrace ^^
au contraire , je ne m*en felicitois pas j puisqu'en m'a-
vertissant de mon declin , die m'a fait prendre le sage
& paisible parti de la retraite ; au lieu qu'un peu de
bonheur , en m'encourageant mal-a-propos , n^eutr
$ervi qu*a prolonger Tegarement , &: qu'a me faire
tenter encore de vains 8c penibles efforts dont assu-
lemenc je me passe tres-bien , 8c le Public encore
mieux i revenu sat-tout , comme je commence a m''ap-
percevoir qu'il Test , des Ouvrages de pur agrement,
X.a Bagatelle en effet , si je ne me trompe , est un peu
sur le cote, Les esprits me semblent avoir passe du
blanc au noir. D'hier ou d'avant-hicr , pour jusqu*4
Je ne sais quand , le gout sur Faile ctendue des Sciences
Utiles , nous abandonne 8c tire droit au solide. Du
jTioins je voii qu'aux tables , dans les Cafes , aux pro-
menades , aux toilettes , tout est deja Physicien , Ne-«
gaci^it, Guerrier ^ Ministry* On ne park pins qu'Ektr
PREFACE. 441
tricitc , Finance , Agriculture , Commerce , Industrie ,
Population , Politique & Marine. Quel role a tra-
vers de si grands objets , veut-on que joue bientot
la malheureuse Poesie , & sur-tout la Francoise ? Nc
toucherions-nous pas meme au moment ou les Biblio-
teques vont se debarrasser de son poids immense,
& nous reduire tous au nombre de quatre ? Ce se-
roient sans doute Moliere, Corneille , Racine Sc
La Fontaine. C'est assei d'eux , dira-t-on , pour U
besoin qu'on a de ces sortes d'Ecrivains : Corneille sera le
Vo'ete des Hommes , Racine celui des Femmes , La Fontaine
celui des Enfans , & MoLiERE celui de tout le Monde, Si
le grand Despreaux n'en est pas , qu'il s'en prenne a son
chef-d'oeuvre. Sa Po'etique est son titre d' exclusion. A quoi
pourroit-elle servir , qu'au pr ogres tout au plus d'un art pue-
rile & superfiu ? Adieu mes Confreres ; adieu Ledeurs j
adieu Muses. ] \
Vixi: & quern dederat curfum fortuna peregL
Voilk ma course tcrminee ,
£t j'ai lempli ma dcstincc
Vi ■;> i?.!i" 'rsf.^Vi v\
sa
PERSONNAGES.
G O R T E S , Conquerant du Mexique.
MGN'TIZUME, Roi du Mexique.
t^2^RAND-PRETRE du Mexique.
D*-.p £ D.RE, Goiiverfieur de la Jama'ique*
i^-i= '■ --.1 .-J ' .-.■::■■ ■
ELVIRE, Fille de D. Pedre.
A G U I L A R , Parent de D. Pedre.
Troupes d'Espagnols & d'Ameriquains.
La Scene est a Mexico j dans un des Palais de
Monte\ume j dccupe par les Espagnols.
"^'^ 445
iiMi'iii"ii'iriHwiiit'PiinnEs
T RA G E D I E.
A C T E - P R E M I E R.
SCENE PREMIER E,,^
M O N 1' E Z U M E les fers aux mains ,
L£ GRAND-PRfelRE.
MONTEZUME.
jLTi.iNiSTREclesfanxDienxc]uerAmcnqucencensc,
Tcmoin dc mon opprobre& delenr impuissance,
De quelle paix tncor , siir cle pareils appuis ,
Me viendroistu flatter dans le trouble ovi je siiis ?
Tci-ivieme, laissant la ces Dicux que je meprisc ,
Calnic tes proprcs sens ; reviens de ra surpriise j
Am rapport de tes yeux tache d'ajouter foi j
lis net'abusent point. Oui: c'est moi, c'est ton Roij
Le Roi des Mexjquainsj'orgueilleux Montczume
Qua ces. fers queru vois sa tri tesse accoutume j-
Et qui , d'un esclavatre ncrovable a iamais , -
Eart cette eprcuv<J horribleai son pi opre Palais. >l
'444 FERNAND-CORT&S,
LeGrand-Pretre.
Quel spedacle en effet ! quel exemple effroyablc
DticeicstereoiirrouxqLi'allumeun Roi conpabie!
Dii poiivoir de nos Dieux faiit-il d'ailtfCs teiiioms ?
MaHieureiix Monfiznme, instruisez-vousdu moins.
Reconnoissez la maui dontles coups vousctonnent.
Yotis meprtsiez nos Dieux : nos Dieux vous abandomient.
Et jouetd'un pouvoir dont vous osez douter ,
Vouslcurservez vous-mlmc a le&ice cclater.
MONTEZU ME.
Ou sefoitTcur justice? EIi pourquoi fa vengeance
Auroit-elle cclate long- temps avant roffensc t
De FAstre dont le cours mesure idles mois ,
La face entiere a peine a resplendi six fbis ,
Dcpuis que du Soleil les Enfans invincibles
Toucherent, sous Cortes, nosbordsinaccessiblesj
Ec maitrisant la Mcr & les Vents en courroiix , ;.
S;ir des Chateaux flottans voguerent ^usqu'a nous^
Quel autre, avant ce jour pour nous si memorable,.
Fut plus que moi fidele au culte abominable
Que, du sang des Captifs a Tautel egorges y
Consacrent par tes mains d'aveugles prqllges^
TouteFois, tule sais ; enfus-jeplus tranquillc i^~. :A
Ma piece toujours Rit un crime inutile. '. i i\l
C'en etoit fait deja. Les sources de refirot , :^>^ t) I
Du fond du noir abysme avoienc jailli sur moi. p
Deja persecute de visions funestes , i
Je tombois sous le poids des vengeances cclestct.
All pied dc tes Autek , au sein des volnptoi^'f : :>
Un ^pedre , jour &" nuit , debout ^ mes cotes ,
D'un avenir affreux me prescntant Vimigt^ ^ ^'^4
Abattok , comme encore il abat mon courag^^'/
Le doigpd'un Iiivinsible, au milieu de ma Cour,j|;
Sur ce lanibris superbe appuyje OT.it ■& i.mir;,^:- 33
.OfFroit a -mes regards , me peignoir a Tidee , r~)
De rivieres 4e -sang I'Amcrique inondec , , if^^
Devarit un Hon^me seui tous Jes Miens e^raycs/^p
Nos Villes y mes Palais , tcs Temples foudroycs ,\^
Men Pevipie disparu* Voila d€,qv^"el? auspice&:rr:D(i
Tes pieuXilepuis un an , payoicnt mes sacrifices^ j:
Et faux ou vrai ton zele ardent a m egarcr-.;, v^;;^^
Veut encore k ce prix me les faire adorer J ri^jrji''^
Oui: croyez-eriHQe &ele S?^ pjeux & si?ic€re»j.rr ,^^
N«l espoir, qu'entachaudfiflticbir ieur colei^i
NuUe trjsve, aux te r reut^ ^dfent ;"YQV1? ;Gre?:a;teint # [{
Qu'en rallumant I'encens que vous avez cteinr.
Qu'osez-vous i:cprodiEr:5.t:e5 Dieiix tutelaires ?
lis vous ouvroient les yeux. Leurs avis salutairei
Vous annoncant des mauxaises;4 pr^vemr;, <"'tj'*'l
De sa fatalite desarmoient- raVcfnir. ^ • i" -jdA
Que n'en profitiez-vous ? L'Ennemi q«i 4otttiiic^
Exterminera tout; si foft Hfe I'ttxtafminel-'XfiO) i?I
Un Dcmon-destruc^eur ;- 8c'qti*a jvomi t E"Fi.fcr ,": ;1>
L'amenc expres arme de la'iiamme Sc du fcr. >A
Vil rebut du Coiichant ainsi que de I'Aurore v-^P
44^ FERNAND'CORTiS,
Sur I'onde, au grc desvents ,que n'erre-t-il encore?
Ou que , pour expirer sous le couteau mortel ,
N*a-t-il eie trainc du rivage a I'autel ? Ci
Vous avez mieux ainic , Roi foible & trop facile*,
Entre ces murssacrcs Thonorer d'un a^yle.
Et de quel air encor vint il s'en emparer ?
C'est lui qui , Tacceptant , sembloit vous honorer,
Mais que n*a pas depuis attente son aiidace ? 'i- -i--
G'est peu que du Mexique il ait change la face ;'^
C'est peu qu'il ait , au nom de je ne sais quel Roi,
Demande voire hommage, cxige votre fo¥j'-f'^^
Et, de Tabaissement de votre rang supreme, '^
Releve la splendenr d'un autre diademe \ 3
Violant tous les droits des hoiiimes & dcs DieiKS^,
II pille vos tresors , le^ disperse a yos ycux ,
Ose porter sur vous une main sacrilege ;
Er, par un charme enfin qui tient du sortilege , '
Pour ne vous rien laisser dont vous puissiez jouir,
II vous restoit des Dieux, il vous les fait trahir/^
M O N T i^Z tJ M E. ' ^
Non, jeu'ai rien trahi , quand j'ai de r.Amtriquc
Abjure pour jamais le cuke chimcrique. i
De,£oiles visions tu m'avois infedc i O
Et ton zele, entre nous , n'est qu'un zele afFedevI
Coqviens-cn. J'en ippelle a tes propres lumicresjr
A ce qui brille en toi de cqs clartes premieres
Qup refusa le Ciel a aos An:eriquains,i
T R A G E D I E. 447
Tu fais craindre des Dieux que cu n'as jamais crainrs.
Ta bouche les annonce , & ton coeur Ics rcprouve.
Tu Ics jugeas toujours tels que je les eprouve,
*^^^' Muets, sourds, impuissans, simulacres affieux, ■"
Teintsd'unsang mille foisplus respedabic qu'cust
Mais leui' fable servant de base a ta fortune, '*'"'
' Tu hais la verite j son flambea^u t'importune 5
L'interet 6c I'orgucil sont les Dieux que tu sers ;
*Et tu sacrifierois pour eux tout I'univers.
Pour moi je me conduis par un plus beau principe*
Je nepeuxfuir le jour, quand I'ombre se dissi|)^. '.
Je n'examine plus ce qu'irpeut m'en coutdr/ '» j
L'erreur est le seulmal que j'aye a redouter. '' '
^ J'aime, je plains mon Peuple; & ma plus chere envie
Seroit, dusse-je y perdre ^& le trone & lal/i&'l^ .
Qu'il seritit^ comme rhdi , les horribles abus .; '^'/
Dont ta Secle odieuse dime a nous voir iiiibusi ."
" ' ' Cours a tes Zelateurs etalpr mes foiblesses ; ;'
Peins-leur , avec mepris, retat'ou tu me Jilkes : ^
. Etonne-les du joug ouje suis attache . -"^y "'^'''
Dis-leur bien plus j dis-leur que j*en suis |)feu.f ouclhe.
Non que je ne pensasse en vrai Roi, mais pourTetrc
D'un vaste continent sufflt-il d'etre maifri^T "'^.^ ', .
II faut encore avoir des hommes pour siijets.""^-',"^
A ce compte, le suis-je, & I'ai-je ete jamais?
Ah! si, comme il est vrai , les Mortels sont Timage
De la Divinite qui recoit leur hommage;
A des Monscres de sang votre hommage adrcsse
Ne dit qUe'tfdp le nom de mon Peuple insensei
:448 PERNAND-COilTiS,
LE GRAND-PRiTRE.
Juste Ciel ! Etqucl nom donner a des Barbarcs
Qui , dii pouvoir magique armant leurs mains avares,
Et repandant par-tout le ravage & reflfiroi ,
Eux seuls ont deja plus verse de sang ....
MONTESUME*
Tais'toii
Voyons-les d'un autre oeil, Je pese &" considere
Ce qu'ils disent du Ciel & de leur hemisphere.
J'y decouvre, j'y sens d'utiles verites j
Et nous serions heureux , sUls etoient ecoutes.
Peux-tu les comparer a nous tels que nous sommes ,
Sans reconnoitre en eux de veritables hommes
Fairs pour nous inspirer le resped &" Tamour ,
Et dignes d'etre nes a la source du jour j
Si leurs coursiers fougucux , leur fer &c leur tonnerre
En font dans le combat les Demons de la guerre i
Leurs sciences > leurs arts, & leurs loix desormais
Vous feroicnt voir en eux des Dicux pendant la paix*
Tlascala dont le Prince est un exemple au Votre , ,
S'est ressenti de rune, & refleurit sous l%ittref t
Mieux conseille que vous, le fier Sicotenfal ,
S'en est fait un appui qui vous sera fatal.
Cest a nos ennemis laisser trop d'avantage |, . ^ a
Que de ne pas entrer avec eux en partage / ^^-r
P'un bien inestimable , &■ que ne pairoit pi^.C a
Tout ror que je possede, &: qui nait sous vos paSr
' Lfi
T R A G E D I E, 44J)
Le Gr and-P retre.
Ainsi lasse dti sceptre , &: juraiit notre perte, .
D'ellc-meme , ^ ces fers , Votre main s'est offerte J
MONT£ZU]ME.
5'ai vu fondre sur moi cent Guerriers plus qirhumains,
Dont le moindre est I'efffoi de mille Americains. ,
Leur General , aux yeux de ma Garde interdite , ''^'
Se venoit plaindre a. moi d'un complot qu'on medite >
Me demandoit raison de qui I'osoit trahir ,
Et , la foudre a la main , se faisoit obcir.
J'ai cede. Qui de vous nva creuse cet abysme t^ ?r!LE
Tu dis que rinfortune est un effet du crime: j i
Celui-ci n'etant pas dans le nombre d^s raiens^ ^-'^^
Serois-je, par hasard, la vidime des tiens?
Le Grand-Pretre.
Le salut de I'Etat, lorsqite son Roi succombe ,
Pour appaiser nos Dieux , demande une hccatombc.
De cent Tlascaliens , ceints du bandeau mortel ,
Demain , le sang va done arroser leur autel.
Un sang plus rare encor rougira leurs images.
La peur a, parmi nous , glace bien des courages j^
Mais son vol inconstant pent se rourner ailleurs j , •
lEt vos Maitres bientot reconnoitront les leurs. '-jrvSS)
tome II. F f
450 FERNAND-CORTiS^
SCENE II.
MONT^ZUME.
V AS, retourne a ton Temple 1 Egorge , tue , immolc }
Baigne-toi dans le sang; souilles-en ton Idole ;
Et digne ordonnateur d'execrables festins ,
Hate, par tes forfaits, nos malheureux destinsi
Incertain, agite, plonge dans la tristesse.
Sans cesse y resistant, y retombant sans ccssz ,
Le desir de la mort est le seul sentiment
Qui demcure a mon ame attache constamment.
UA,, ..'iBJt ' ,wr8a'„,ijg!urr!a',{'r -^'-'"-'■' |"i-u.u"-^'i'*'--'^-j..^-"-.i. i.mj.-i-tiji,jiiL]^
SCENE III.
CORT:feS, MONTi^ZUME, AGUILAR,
Soldats Espagnols,
MONTEZUME continue.
t^'EST me trop epargner innocent ou conpablc ,
Cortes! Lcve sur moi ton fer impitoyable 1
Je deteste les jours que tu m'as conserves ;
Frappe !
C o R T E S /ui otant ses fers.
Roi de Mexique, esperez micux ; vivez:
T R A G E D I ^'^i^ 45 1
Soycz librcj regnezj je Ic veux, &" j'ordonne
Qu'a cc titre on respcde ici votre personne.
Je devois un exemple a la temerice
Fertile en attentats sous votre antorite.
Vous n'avez part arien ) j'aime &: veux voiis en croirc j
Mettcz a le prouver vos soins & votre gloire.
En arrivant ici, j'aides droits les plus saints
Confie le depot en vos royales mains ;
Qu'elles en prennent mieux dcsormais la defense ; .
Et quand on nous attaque, apprenez qu'on oflfensc
La majeste d'un Roi souverain de ces mers ,
Et dont le bras s'etend au bout dc I'univers. ~
N*allumez pas la foudre en ses mains pacifiques;
Allez en informer vos Pretres, vos Caciques.
En tumulte ici pres ils desirent vous voir ;
Allez , & les rangez vous-meme a leur devoir.
Qu'ils ne se flattent pas non plus , que ma justice "
Laisse achever demain I'horrible sacrifice " ' " "^
Dont j'apprends que deja I'appareil est dresses ''""^
Sur-tout si Tlascala s'y trouvc interesse.
Songez-y. Paroissez; parlez4eur en MonarquC;
Reprenez-cn le ton , le pouvoir &: la marque.
Et vous *, qu'on I'accompagne •, &: que votre fierte
Reprime ici I'audace & la fcrocite.
* Asz Suite.
*m
Ff ij
4J1 FEKNAND'CCRTiS^
» II I ■ I ' ' ■ ' ■ ■■ ' *m
SCENE IV.
.• ... CORTES, AGUILAR.
Cortes.
JQh bien, brave Aguilar ^ai-je cCarte lesTraitrcs?
Oscront-ils encore agir au gre des Pretres,
Apres avoir souflFert I'enlevement du Roi ?
A G u I L A R. ;
La fureur se rallume & succede a TefFroi. .:
Le zcle Mexiquain , deja Chretien dans Tame,
Qui, de tous leurs complots, nous decoiivre la tramc,
Dit que les Mecontens se rassemblent sans bruit.
Leur rage n'attend plus que I'ombre de la nuir.
Dans les bras du sommeil ils comptent nous surprendrc;
Et ce palais ,& nous, reduire tout en cendre. :
Tous en ont fait serment. Demain , a son lever ,
Le Soleil sous leur ciel ne doit plus nous trouver.
Cortes.
Ceux qu'a vus Tabasco dans sa plaine sanglantc,
Acentmille Guerriers inspirer lepouvante ;
Contre un Peuple en desordre, & par des coups plus surs,
Sauront bien se defendre a I'abri de ces murs.
A G U I L A R.
Nous n'avionsla, Seigneur, nul espoir de retraitc.
W,ous vaincjuimcs, croyant veager notre defaitej
T R A G t T) 1 E. 45 J
Mais ce jour mit un terme a nos calamites \
Et nous n'en sommes plus a ces extremitey.
Le lac ou vous avez cent barques routes prctcs j-
Lavant le pied des murs du Palais ou vous etes ,
Vous peut faire aiscment regagner Tezeuco.
%Q^ Ports nous sont ouverts. D'ailleurs a Tabasco^
Vous le savez, Seigneur, Tardeur etoit nouvelle,
Et d'un premier butin I'esperance etoit belle ;
Mais le Soldat courbc sous le poids des tresors ,
Craint de perdre aujourd'hui ce qu'il cherehoitalors.
- ■" "' C o R T E s.
Quand le Soldat sous moi marchoit a la vidloire,
S'il cherchoit des tresors, moi je cherchois la gloircj
Et m en etant convert, je crains ainsi que lui^
Ce que j'acquis alors, de le perdre aujourd'hui. , ^
Sur ce Soldat enfin j'ai d'autantplus d'empire^^ , -^
Qu'il partage avecmoi cette gloire ou j'aspire^ .
Et que jusqu'a present , la peine &: le danger
Sont tout ce qu'avec lui I'on m'a vu partager*.
A G u I L A R.
A vouloir tcop voler de vidoire en vidoire ,
Plus d'un Ambitieux diminua sa gloire.
La Fortune en ces lieux vous a fait un accueil ,
Qui, du grand Alexandre eut assouvi I'orgueiL
De I'Hidaspe Sc du Gauge ayant traverse I'onde-^
Sa valeur a I'etroit desira plus d'un monde.
Les voeux qu'il fit pour lui , pour vous sont exauces;^.
L'Ocean I'arretoit, & vousle franchissez.
ffii|
454 FERNAND-C ORTiS,
Qu'opposez-vous encore a des millions d'hommcsj
Mesurez votre gloire a ce peu que nous sommes.
Quatre ou cinq cens tant CheFs , Soldats , que Matelots ,
Qui , transformes sous vous en autant de Hero5,
Ont si bien seconde votre main triomphante ,
Qu'on nous prend pour des Dieux que le Solcil enfantc ;
Ec que de Tlascala le Roi presque a genoux
S'est cru trop honore de traiter avec vous.
Sur tous ses Devanciers , Cesar a I'avantage.
Le Tibre disparoit sous les lauriers du Tage. '
L'Aigle a, du Globe eiitier , fini presque le tour ;
Ec I'Espagne est par-tout ou luit I'Astre du jour.
Qu'esperiez-vous de plus ? D'ailieurs, que seit de feindre ?
Ce Peuple nous a craints plus qu'il n'a dii nous craindre :
Mais il craint de ses Dieux encor plus le courroux.
Des deux illusions la moins forte est pour nous.
Ne le bravons done pas. Risquons moins 5 &■ que Charic
En Maitre desormais se presente & lui parle.
Nous, de rant d'hcureux jours menageons mieux le fruit ,
Et ne lesrendons pas le jouet d'une nuit.
Dans votre cceur cnfin , s'il est fidcle & tendre.
La Fille de Dom Pedre cut dii se faire entendre.
Elvire vous rappelle, & reste a conquerir.
Que dis- je ? Elle esc a vous 5 & vous voulez perir ?
Cortes.
Elvire !
A G U I L A R.
Eh quoi, I'aurois-je en vain nommee>
T RA G JE D I E. 455
C O R T E-S.
Elvirc 1
A G U I L A R.
N'est-elle plus le prix oii votre coeur aspire?
Cortes.
Ne songcons qua la guerre; elle est notre metier,
Aguilar j laissez-moi m'y livrer tout entier !
A G u I L A R.
Ainsi done , enpartant, vous m'auriez fait Tinjurc
De me prendre a temoin du plus afFreux parjure J
Cortes.
Oui; je voulus vous voir present a nosadieuxJ
Qui ; je vous fis temoin d'un parjure odieux 1
Mais, encore une fois, soufircz que jeloublic.
A G u I L A R.
Un sang digne du votre, Elvirc &" moi nous lie »
Et je rappellerai, malgre vous, un sermenc
Que je ne verrois pas trahir impunement.
Cortes.
Rappelez-le moi done: parlez : je vous ecoutc»
Aguilar.
Deja vous soupirez. Vous ferez plus sans doutc,,
En vous ressouvenant d'Elvire toute en pleurs^
D'Elvire qui sanbloit prcsager scs malheurs^ y
Ffiv
-45<^ FERNAND'CORTiSy
L'eflfet auroit-il done ^ustifie ses craintes,
Et repondu si mal aux propos que voustintes?
Je ne puis I'oublier : par de plus nobles traits ^
Le Guerrier amoureux ne s'exprima jamais.
33 Elv'trZy dices- vous ,/'<zi/70ttr astre contrairey
» Et de nos deux Maisons la kaine hereditaire ^^
.3} Et le desavantage auquel est expose
» L'lwmmc que la Fortune a peufavorise.
» Mais que ne peut un coeur que le voire seconde ?
a> Le Ciela ma valeur presente un nouveau mondez
»' J'y vole ; & cette epeey fera des exploits
3x Dont se glorifieront & I'Espagne 6" nos Rois.
»y Que Charle a man Elvlre en doive la conquete t
>y Que d.e myrtes lui-mime il couronne ma tete;
3> Et que y pour s'^acquitter envers de si beaux feux >
»> II contraigne Don Pedre a nous unir tous deux.
Yous parliez de la sorte en prenant conge d'ellc*.
Cortes.
Vous me voyez muet a ce recit fideic*
A G U I L A R.
Vous rend-il avotis-m€n>e,ou si vous nous bravGzJ
Cortes.
Que me repondit-elle , Aguilar I Achevcz.
- ri:;of/T A G U I L A R.
Tout cc que la tendrcsse & I'honneur peut repoiidrc
T RA G E D I E, 457
Cortes.
Tout cc qui doit servir un jour a la confondrc!
A G u I L A R.
A la confondre ? 6 Cicl ! Aurois-je bien oui ?
Cortes.
Elvire m'abandonne.
A G u I L A R.
Elle, Seigneur? Ellc?
Cortes.
OuL
laterrogez Henrique. Oui j cctte Elvire memc
Que vous vites , au fort de sa douleur extreme^
Deplorer sa naissance , injurier le sort ,
Detester mon courage , & desirer la mortj
Qui jura , si Tarret de notre destinee
Detruisoit entre nous tout espoir d'hymenee.
Que du moins a nul autre aucun pouvoir humain
N engageroit jamais ni son coeur ni sa main ;
Cette Elvire aujourd'hui n'est plus qu'une infidcllc;
Et qiiand de nos succes I'Espagne a la nouvelle ,
Quand de notre bonheur Tunivers s'entretient;
Don Sancheest amoureux, la demanded & I'obtient.
A G u I L A R.
Je ne m etonne plus de la melancolic
Ou votre ame a paru toujours ensevelic ,
Depuis que, parmi nous, Henrique est de rctour.
458 FEKNAND-CORTJ^S ,
Cortes.
Don Pedre, avec Henrique, arrivoit a la Cour.
Rappele de Texil ou, dcpuis vingt annees ,
Sa fierte gemissoit au pie des Pyrenees ,
II venoit exercer on ne sait quel emploi.
Mais a peine avoit-il entretenu le Roi ,
Qu'au trop heureux Don Sanche en accordant sa Fillc»
ll se fit suivre d'eux , & quitta la Castillc.
A G u I L A R.
Elvire , sans douleur , n'aura pas obei ;
Et c'est son devoir seul qui vous aura trahi.
Cortes.
Ah, quand nous cherissons les chaines qui nous lient„
Nos coeurs & nos devoirs bientot se concilient !
Libre ou non , qui le veut garde aisement sa foi.
Elvire a pu tout faire , & n'a rien fait pour moi.
De son rigoureux Pere alleguant la puissance ,
Vous ne m*alleguez rien , helas ! pour sa defense.
Elevce a la Cour, Elvire, loin de lui.
Put du pouvoir supreme interposer Tappui.
Son rang & la faveur I'attachoient a la Reine.
L'ingrate pour asyle avoir sa Souveraine.
Centre un Pere du moins , un abri si puissant
Presentoit des delais I'artifice innocent.
En ressources I'amour est-il si peu fertile?
Cc que j'ai fait pour ellc etoit-il plus facile ?
T RA G E D I E. 459
Mais reserve moi seul aux feux les plus constans,
Seul je subis I'effet de Tabsence &: du temps.
Sa flamme s'est etcinte j &■ moi je briile encore !
Oui, telle est ma foiblesse, Aguilar : jc Tadorel
Je la vois; je lui parle j elle existe en ces lieux.
Plus j'en suis eloigne , plus elle est sous mes yeux.
La difformite meme en ce climat sauvage ,
Ne sert qua rapprocher sa triomphante image. -
Mon coeur de tant d'appas occupe malgre moi ,
Les compare sans cesse a tout ce que je voi.
Mais enfin e'en est fait. J'oublierai la Cruelle !
Mon courage indigne se revoke contrc elle.
Quels soins pour votre Chef, en des lieux ovile sort
Nous laisse pour tout choix le triomphe ou la mort \
Ovi reculer d'un pas ,quoi que vous puissiez dire.
Est de tous les perils le dernier & le pire I
Sentons mieux desormais ce que nous nous devons,
J'aimois : j'ai vouluvaincre : de j'ai vaincu. Suivons
Des exploits que le ciel voudra que j'accomplisse.
L'amour les commenca: que I'honneur les finisse \
Qu'Elvire qui par-tout les entend publier ,
Trouvant par-tout mon nom , ne me puisse oublier;
Et compare a son tour, non sans regret peut-etre,
Avec If-heureux Epoux, I'Amant qui devoit I'etrcl
'^
c^
4^0 FERNAND-CORTiS,
S C fi N E V.
MONTfezUME,CORTfeS, AGUILAIt
MONTEZUME.
J Ai dc vos volontcs instruit fes Mexiquainy^
Seigneur, en y joignant mcs ordres souverains*
Mais le Ciel vent nm chute , &: leur ignominici
La soif dii sang les livrc a leur mauvais Genie,
l-c Grand Prccre, appuyeducri des Anciens,
Les provoque an mcprisde vos droits &: des miens;.
Wappelle votre esclavc , & traite de chimcre
Votrc force invincible & votre caradcrc.
Loin de revoquer done I'appareil inhumaia
Du sacrifice impie ordonnc pour dennain ;
11 presse avec ardcur cette fete funcbrc :
Aujourd'huij dans une heure,il veut qu'on la celcbra.
Cortes.
J*ea reglerai la pompe j il ni'y verra marcher^
MoNxizuME, «
Cc que mon zelc encor ne sauroit vous cacher y
Soigneux d'accumuler nos uialhcurs &: scs cringes >
Entre vos Allies il choisit cent vidimes ,
Et d un horrible deuil menace Tlascala^
T RA C t D I E, 4^1
Cortes.
Ccst asscz.
MONT^ZUME.
Sa fureur n'en demeure pas IL
C o R T i s.
A quel exces plus grand pcut monter son audacc ?
MONTEZUME.
A massacrcr desgens deyotrc anguste Racc^ ' '' '
Trouves dans nos Deserts, errans 6z desarmcs,"' '^
Et, depuis quclques jours, dans Ic Temple cnfcrindt '' ■
C O R T E S a Aguilau
Dcs Espagnols ! Qu'entcnds-je J
MONTEZUME. "' -
Oui , Seigneur ; &: sa rage
Pretend m^me , par eux , commence r le carnage
D'un pareil attentat plus indigne que vous,
Je n'adoucirai point votre juste courroux.
Qu'il eclate a son grc sur un peuple barbare
Que je voudrois conduire , &: que le crime egarc
Pour moi , captif ici , moins honteux de mes fers ,
Que d'avoirete Roi d'un Peuple si pervers ,
Je vais , ne doutant pas du succes de vos armes ,
Honorcr les ingrats de mes dernicres larmes.
1^
4^i FERNAND-CORTiS^
5
SCENE V I.
CORTES, AGUILAR.
Cortes. ^
J E vous ai Vii palir , moi je fremis d'horreur.
Ami , plus de conseils que de notre fureur !
Pour empecher demain cc qu on ose entreprendrc , ;■
Sicotenfal ici , la nuic , se devoit rendre ; r
Nous devious de concert semer ici I'efFroi :
On leprevient. N'importc. Osons tout. Suivez-mdL
Verrons-nous egorgcr nos Amis &: nos Freres ,
Sans qu'ilen soit parle sousles deux Hemispheres?
Le sang a trop souillc vos sacrileges mains ,
Monstres , soyez rayes du nombre ^qs Humains I , . ,
Fin du premier Jicle. I
TRAGEDIE. j^6 ^
A C T E IL
SCENE PREMIERE.
D. P^DRE, AGUILAR.
A G U I L A R.
O I notre course heureusc est ici terminec ,
Au moins ne pouvoit-elle etre mieux couronnee*
Qui nous eilt dit. Seigneur , tantot quand aux autels ,
Nous courions desarmer ou punir les cruels ,
Que Don Pedre seroit la premiere Vidime
Que leur enleveroit cet efFort magnanime ;
Et quon auroit, avant d'abandonner ces lieux,
Le bonheur de sauver des jonrs si prccieux ?
D. P E D R E.
La vie est quelquefois Ic plus grand des suppliccs.
De la fortune aveugle admirons les caprices ,
Ami : Cortes & Moi nous les signalons bien.
La gloire est son partage ; & la honte est le mien.
A G u I L A R.
La honte est un malheurj mais, s'il ne nous surmonte,
Aucun autre malheurn'est, je crois j une honte i
Et les v6tres..«
4(J4 pbrnand-cort£s^
D. Pedre.
Les miens les reuniront tous ,
Qiiand tit m'auras, d'un mot, porte les derniers coups.
Sons le bandeau mortel , depuis une heure entiere>-*
J'etois , comme tu sais , prive de la lumiere.) ^
Ce jeune Castillan qui partageoit mon sort ?
U ne reparoit point j &: sans doute il est mort \
A G u I L A R.
Vousallez vousrevoir dans les bras Tun de I'autre.
Le Ciel a son salut veilloit ainsi qu'au votre.
D'instrumens & de cris un melange infernal
Dumeurtre avoit deja donne Taffixux signal;
Un Satellite , Monstre indigne du nom d'hommc.
Que du saint nom de Pretre ici pourtant Ton nomme.
Le bras leve sur vous, paisible en sa fureur ,
Deja, de votre san^ s'abrcuvoit dans son coeur.
Nos armes , tout-a-coup , nous faisant faire place ,
Reportent Tepouvante ou renaissoit I'audace.
Cortes que rien n'arrete & qui semble voler.
Fond sur leScelerat pret \ vous immoler ;''^';* ^ . '
Tandis que non moins prompt je releve Sirdelie
L'Espagnole a vos pieds pale & presque sans vie.
Le nom de notre Chef lui fait rouvrir les yeux.
Que de viens-je a mon tour, quand lexaminant mieux ,
Dans SQ^ traits delicats oii la couleur expire ,
Jc vlemele . . . Je vois . . , Jc recoiinois . . . Elvire !
D. P £ D R E.
T RA G 6 D I m\ X 4^5
D. P E D R E.
Que veiix-rii ? Ni la mort , ni toutes scs horreurs
Ne sont , cher Aguilar , le comble des malheurs ;
Et du moins, dc la sorte Elvire travestie,
Dcs outrages du sort saavoit plus que sa vie.
. .^....u Aguilar. ^,^
Voudriei-Vous , Seigneur, m'instr-uirc a votrc tour)
tine brigue vous fit eloigner de la Cour. j
Un rappel honorable a repare Tinjure \ ^
Mais , depuis cc rappel , quelle ctrange aventure
A de vous 6c d'£lvire ici conduit les pas ?
D. P E D R E. ymYmCi
Eh ! mon astre par-tout ne me poursuir-il pas I i
Le Conseil informe du pouvoir tyrannique ; .'.,.1
Dont I'avare Don Diegiieusea la Jamaique ,' ■ Q
De cette llle (in secret me norama Gouverneur.-'i
Mais je fus moins tiatte de ces marques d'honneiir,
Que revoke d'entendre en cette Cour funeste,; i x
Elever jusqu'au ciel un nom c]ue je deteste ; ;n ti-i
Et de n'y revenir que pour voir de plus pres q. ^ A
Le triomphe insukant du pere de Cortes.
Audi ne desirois-je approcher cette Plage ?roY
Que pour y disputcr I'honneur del'avantage j
Une carriere immense offrant encor de quoi
Partagcr la fortune entre Cortes &: moi*""^*^^"'
Venant done affronter ce qu'ont de redoutabic
La guerre, un nouveau ciel, & la mer indcmptable
De cent preparatifs je dus etre occupe.
Tome II, G g
4^^ PERKAI^D-CORTJ^S^
Malgre le peu de temps , j'y pourvus i j'equipai.
Don Sanchc vint alors me dcmander Elvire.
Je n'eus , ou j'en etois , c]ue deux mots a lui dire :
Je cours a des perils dignes de vous tenter j i .
Jeune hornme ; en me suivant y vene:^ la mer'uer.
11 y consent , je pars , & des mers inconnues
Ne nous montrent long-temps que leurs flots & les nues j
J'artivbis j quand la nuit &: I'orage a nos yeux
Derobent a la fois I'cau , la terre &: les cieux.
De la vague &: des vents le caprice &■ la rage
Prolongentplusieurs jours leshorreurs du naufragej
Sur unecueil enfin mon vaisseau retentit;
D'un second choc , 11 s'ouvre ; & Tonde Tengloutit.
Le genereux Don Sanche , en ce peril extreme ,
Fait tout pour notis sauver en perissant lui-meme.
Quelques debris flottans &: s^s derniers efforts
Mettent ma fille & moi sur ccs malheureux bords.
C'est la que la fortune &: ce peuple execrable
Trou vent Tart de me rendre encor plus miserable ^
En nous jetant au pied des autels , oii Cortes
A, par notre salut , couronne scs succes.
A<i u I L A R.
Vous vous consolerez en re voyant Elvire.
D. Pi D R E.
L'infortunee ! Enfin , tu dis qu'cllc respire J t
-r,f. Agu IL A R. ''
Revcnu d'un premier &■ juste etonnement ,
L'etat ou je la vols m'occupe uniqucmentj
T RA G E D I E. 4^7
Et , tandis que Cortes tonne , abat , met en fuite ,
Elvire , en ce Palais, sous ma garde est conduite,
Et remise en des mains, quij pour la secourir, .V
Seules , sans I'ofienser , avoient droit dc s'ofFrir.
Son retour a la vie est un efFet du zele
Des Femmes qu'adoroit Montezume avant ellc-
Car 11 ne I'a pu voir sans tcmoigner d'abord
Une admiration qui va jusqu au transport.
Je ne suis pas surpris du pouvoir de ses charmes.
Leur prodige est egal a celui de nos armes ;
Et maitresse du coeur des Peuples &: des Rois,
La Beaute brille ici pour la premiere fois.
D. P E D R E.
Que ne te suivoit-ellei 6c qui I'arrete encore f ^'^
Aguilar. ■'"'•'''^
Elle reprend I'habit d'un sexe qu'elle honore.
Les Femmes qui d'abord prenoient soin de sqs jours,
A Tenvi maintenant Tornent de leurs atours 5
Et bientot , parmi nous , on va la reconnoitre
Sous I'eclat convenable au sang qui Ta fait naitrc *
D. P E D R E.
Grace a vingt ans d'exil , heureusement pour moi,
Jc ne puis etre ici reconnu que de toij
Du fils de I'enncmi dont le seul ncm nVirrite , .
Etde cette jeunesse attachee ksa suite, "-' '"^^'^^
Lesyeux n'etant au jour qua peine encore ouvcrts,
Lorsque Ton m'envoya .vicillir dans des deserts.
G g i;
4^8 FERNAND- COR TiS ^
A G U 1 L A R.
La nouvclle est qu'on saiive &■ la fille &: le perc.
Voila tout ce qu'on salt : le reste est un mystere....
•'^^ D. Pedre.
Que je pretends qui dure encore un jour ou deux.
A G u I L A R.
Cortes loin de vous etre importun nificheux.-.
D. P E D R E.
Garde unprofond secret, c'est moi qui t'en supplic.
Donne-m'en ta parole j ou m'arrache la vie.
A G u I L A R.
Je le garderai ; mais, de grace , ecoutez-moi. )
Cortes....
D. P E D R E. !
,r Bientot ma mort degagera ta foi. ^
Un jour ou deux encore ecartc de nia fille
Ceux qui Tauroient pu voir a la Cour de Castillo:
Cortes plus que tout autre. 'OO Jjib^'I aaO'-
A G U I L A R.
^ic 11 sufiit.... Le voick '
D. Pedre.
Des qu'il m'aura laissc , conduis Elviie ici.
T KA G i D I E, 4^9
S C E N E 1 1.
CORTfeS, D. Pi:DRE.
Cortes lid presentant une epee,
&EIGNEUR , f car a ce front peint d'une noble audacc,
D'nn sang illustre en vous on reconnoit la trace )
Reprenez , en guerrier plein de ressentiment ,
De votre libertc le signe & rinstrument.
Qu'il serve a vous venger ! Qu'il serve a notre gloire I
Un Espagnol de pins nous vaut une vidoire.
Oui, le jour d'un combat, tout I'or des Mcxiquains
Nous vaut moins que ce fer en de vaillantes mains.
Votre salut sans doute a grossi la tempete.
Venez, on meriter part a notre conquete ;
Ou vendre cher un sang qui ne doit pas couler.
Sans tenir de sa source , & sans la signaler*
D. P E D R E.
Marchons. Conduisez-moi, Seigneur, oii la justice
Veut que pour m'acquitter je vainque , ou jc perisse.
Cortes.
Dans le tumulte encor d'un premier mouvemcnc ,
Nous pouvons , vous & moi , respirer un mcment,
Des Sacrificateurs le zele merccnaire
N'armera que trop tot ce Peuple sanguinaircj.
G^ ii|
47© FERNAND-CORTESy
Et d'ennemis sans nombre alors environncs,
Nous mourrons glorieux,oii vivrons couronnes.
Mais, Seigneur, qui I'eut cru , qu'une telle journee
Feroit naitre en son cours des projets dliymeneeJ
Le Roi met sa couronne aux pieds de la Beaute
Que soumet la naissance a votrc autorite.
Accable d'autres soins , je n ai pu voir encore
Ces charmes si puissans que Montezume adorer '
Mais j'ai vu Montezume ; &" de son coeur emu
Le trouble me peint bien tout ce que j'aurois vu.
N'osant rien esperer , pcnsif , hors de lui-meme »
11 n'a tresors, amis , foi, sang, ni diademe,
Rien qui ne soit a nous, si d'un heureuxiicn,
Au sort de votre Fille on veut joindre le sien.
Seigneur, m'honorez-vous d*un peudeconfianceJ
N'hesitez point. Formcz une auguste alliance ,
Qui , nous rendant bien-tot plus forts en ce Palais,.
Assure aux Espagnols le Mexique a jamais.
Le Vulgaire insense vole aux ordres du Pretrc ;
Mais le Noble n'en prend que de la voix du Maitrer
Ou, s'il nous faut perir \ votre fille, apres nous,
N'a du moins rien a craindre avec un tel epoux.
D. P E D R E.
Que ma religion s'immole a ma patrie ?
Non , Seigneur. Point de pad avec I'ldolatrie t
Cortes.
Etqui vous dit que j'^aye, en cettcoccasioaji
Neglige rinteret de la Religion >
TRACED IE, 471
Montezume meprise &: deteste la sicnne.
Sa grande ame en secret dcs-long-temps est Chretienne j
Et deux engagemcns pris au pied des Autels ,
L'attacheroient a nous par des noeiids cternels.
Helas ! peut-etre aussi , quand je sers sa tendresse,
Peut-etre est-ce TefFet d'un reste de foiblesse !
J'eprouve ce qu il sent, j'aimc •, & n'esperant rien,
Comme je plains mon sort , je plains aussi le sien.
Qu'il vous parle. Pour moi, plein d'une ardeur plus belle,
11 est temps que je courre ou Ic devoir m'appelle.
Vous, de votre cote, consultez-vous. Seigneur;- •
Vous avez des amis , une epee , un grand coeur ,.; /
Un Trone a votre Sang presente pour asyle v it/\
De quoi mourir enfin gloricux & tranc^uiUc^^H
tmuwwTimjT.'Aifijfl
> S C E N E H I.
D. PfeDRE.
V/ ui , je mourrai ! Tu peux t'en reposer sur moi ;
Oui, Cortes ; je hais trop le jour que je tc doi ,
Pour ne pas rencontrer la mort que je desire.
Au Trone cependant faisons monter Elvire ;
Et qu'au moins en ces lieux il soit, si j'y peris ,^
D'une vertu si pure &: Tasyle ^ le prix.
G § k
47* FERNAND-CORT^S^
S C E N E I V.
D. PEDRE, ELVIRE, AGUILAR.
E L V I R E.
Itjion Pere, entre vosbras, sonffrez que je deploic
Une ame qui snccombe a. I'exces dc sa joie !
Puis-je , sans en nionrir , passer en un moment
De Tadieu le plus triste a cet embrassement ?
Voiis traiterez encor mes larmes dc foiblesse."" V^
Pardonnez-lcs , mon Pere , a ma tendre alegresse !
Hclas! pnissent mes yeux, apres tant de malheurs,
Ne plus jamais verscr , pour vous, que de ces pleurs !
D. P E D R E.
Ma Fillc , cofin le Ciel termine vos disgraces.
Applaudissons-nous-eni mais , en lui rendant graces,
Felicitez-vous moins de ce que je lui doi :
Ses faveurs sont pour vous j 6^ son courroux pour moi.
E L V I R E.
En quoi vous plaignez-vous encor de sa colere ?
D. P E D R E.
En prolongcant ma vie , il accroit ma miserc.
El V IRE. q'«^^^^'^
Quel discours ! Est-ce done ^ est-cc a ma foible voix
A vous rendre un courage admire tant de fois?
r RA G E D I E. 475
Je vons ai vii tranquille au milieu dc nos pertes,
Sur les tlots en fureur , dans dcs Iflcs desertcs ,
Sons Ic couteau fatal qu'unc barbare main ,
Sans celle de Cortes , plongeoit dans votre sein...J
D. P E D R E.
Sans celle de Cortes ! Ah comble d'infamie !
E L V I R E.
Eh ! cette main n'est pas unc main ennemic
Dont le secoiirs ait du vous paroitre iin afiront !
Le sang se piirifie ainsi qu'il se corrompt;
Et , Gomme il est souvent tel fiis qui degenere.
En vertus quelquefois tel autre c&icq un pcrc.
Cortes n'a jamais eu I'lnjustice du sien.
Aguilar peut vous dire....
D. P E D R E.
11 ne me dira rien
Dont ma confusion ne renaisse &" n'augmente.
Je veux que de Cortes la haine se demente ;
Mais de qiielque facon qu'il pretcndc en agir ,
De mon abaissement ai-je moins a rougir ?
Je le venois braver, & c'est lui qui me brave !
Je m'embarque en rival , & j'aborde en esclave !
Je lui dois cette epee ! Enfin , cher Aguilar ,
Moi-m.eme je me viens attacher a son char.
O honte ! Heureusement la more nous environnc.
Je combattrai pour lui. Mais avant qu'il soupconnc
Un trait de sa fortune & si rare &: si beau ,
Je me serai cache dans la nuit du tombeau.
474 FERNAND-COR Tis ^
£ L V I R E. .
Non, mon Pere, il rendra votre perte impossible^
Malgre vous, avec lui , voiis serez invincible.
II vous devra sa gloire j &c je pi;ctends vous voir
Tousles deux
D. P E D R E.
Par pitic, laissez-moi mon espoiri
Hcureux, en terminant ma triste destinee,
Dc vous laisser ici paisible &■ couronnee i
E L V I R E.
Quelle paix, quels honneurs nous reserve le sorty
Si votre inimitie nous devoue a la mort?
D. P E D R E.
Non, vous ne mourrez point: vous regnerez, maFiHcij,
Et vous honorerez mon sang & la Castille.
Montezume vous aime. En lui donnant la main,.
Vous devenez sacree a son peuple inhumain^
Cet hymen glorieux illustre ma memoire ,
Des Conquerans de Tlnde acbeve la vidoire >
Va m'acquitter envers nos fiers Liberateurs ,
Er remplir I'univers de vos admirateurs.
Notre sort coutera des larmes a I'envie.
A ce prix , sans regret , j'abandonne la vie i.
Et vais a Montezume annoncer un aveu
Qu'il m'a fait demander , & qu il esperoit peu»
E L V I V E.
Qu*ai-je oui? Quel aveu I Moi , Seigneur I Moi, rfepouscH
T R A G E D I E, 475
D. P E D R E.
Dc vos premiers devoirs voiis connoissant jalousc,
Je devois en effet vons tirer d une erreur
Qui fait avec raison naitre en vons cette horreur.''
VoLis croyez Montezume imbu de rimposturc
D'une Religion dont gemit la Nature.
Non , ma Fille ; &: c'est meme un des fruits Ics plus doux
Que produiront les nosuds qui vont I'unir \ vous.
Ce Prince abolira, par de pieux exemples,
Le Paganisme afFreux qui souille ici les Temples.
Du flambeau de la foi son cceur est eclaire.
J'ai fremi , comme vous j Cortes m'a rassurc..»
E L V I R E,
Cortes ! Quoi ? C'est Cortes ...
D. P E D R E.
Oui, qui sert Montezume.
Oui , c'est lui qui promet tout ce que j'en presume.
Calmez Temotion d'un zcle impetueux.
Cortes est , dites-vous , un homme vertueux.
Uu semblable garant merite qu'on I'en croie.
E L V I R E.
Seigneur ! Un seul instant souffrez que je le voie j
Et que , pour mon repos , j'ose Tinterroger !
D. P E D R E.
Le voiravant ma mort! Gardez-vous d'y songer.
47^ FERNAND-CORTiS^
Mais plutot, pour cacher votre malhcureux pere,
Vous-meme, jusqnes-la, cachez-vous la premiere.
Aguilar nous scconde , & j 'obtiendrai du Roi^
Que vous ne soyez plus visible ici qu'a moi.
SCENE V.
ELVIRE, AGUILAR.
E L V I R E.
V ous voyez, Aguilar, a qui Ton m'abandonne J
Cortes adore Elvirej & c'est Ini qui la donne.
C'csc lui qui m'assassine ! Informez-ren \ courez.
Un moment peut tout pcrdre. Eh quoi ! Vous demeurez !
Aguilar.
Madame , je vous plains. Je concois vos alarmcs.
Mais je nc vois, pour vous, de secours que vos larmes,
Et c'cst a votre perc a s'en laisser flechir.
Pour moi , de mes sermens je ne puis m afFranchir.
II veut etre inconnu. J'ai promis de me taire ;
Et je manque a I'honneur , si j ose vous complaire,
E L V I R E.
Vous , le scul confident , le temoin de la foi
Que me donna Cortes , & qu'il recut de moi !
Aguilar.
Qui : j'ai flatte des feux environnes d'obstacles j
Mais > qui devant conduire a de si grands nuracles ,
I
TRAGiDlE, 4,Tr
Pour vous de quelquc espoirme flattoieiit \ leur tour.
Aujourd'hui mcme encor , je servois votre amour.
Oui , Madame \ a Cortes je rappelois vos charmes ,
Quclques instans avant que nous prissions les armes.
Pour voler ou jamais nous n'eussions cru vous voir.
A son ambition j'opposois son devoir.
Cortes est trop avide aussi de renommee.
Je voulois Tarreter : &: je vous ai nommee.
Ne me demandez point ce qu'il m'a repondu.
Don Pedre est pres du Roi. Vous Tavez entendu.
Sa parole a present se donne , & vous engage.
Madame, il faut s'armer de tout votre courage.
Votre douleur profonde ebranle trop le mien ;
Et je sens qu'il s'epuise a ce triste entretien.
S C E N E V I.
EL V IRE.
A^E quelles cmautes redcviens-je vidime ?
O Cicl 1 Par oil sortir de ce nouvel abysme j
Et qui dissipera le trouble ou je me voi ?
Cher Amant! Qu'as-tu fait contre moi, contre toi?
Aux ondes, a Don Sanche, a Tautel echappee ,
Du coup mortcl enfin je me verrai frappee!
Et ce coup, ( qui jamais eut du le presscntir? )
Ce coup , c'est de ta main qu'on I'aura vu partir!
L'amour n'a-t-il en toi nulle voix qui t'inspire >
Ton cceur cst-il muet, si pres de ton Elvire \
4/8 FERNAND-CORTiS^
Le vaste scin des mers , leurs gouffres spacienx.
Nous separoient-ils moins que ces murs odieux?
Cortes ! Mon cher Cortes!... Mais sais-je qui j'appclle^
Tout couvert de lauriers Cortes est-il iidele >
.iL'amour partage-t-il les soins d'un Conqucrant?
Que sais-je meme, helas! N'est-il qu'indifFcrent ?
A-t- il innocemment conclu cet hymenee ?
Non , non 1 Oavre les yeux , Amante infortunee I
De I'eclat d'un grand nom Cortes est enivre.
Au seul desir de vaincre on te le peint livre.
On Ten blame j on me nomme ; on me tait sa reponsc.
Ah ! c'est sa perfidic &: la mort qu on m'annonce !
L'ingrat me sait presente , & feint dc I'ignorer ,
Pour me manque r de foi sans se deshonorer I
Pour me vanter apres peut-etre sa Constance,
Oser me reprocher mon pen dc resistance ,
Et couronner ainsi ses infidelites ,
En m'accablant des noms qu'il aura merites 1
O crime 1 O trahison !.... Mais je lui fais injure.
Cortes n'est ni cruel , ni lache , ni parjurc.
Un soupcon contre lui si funeste & si noir
Est un monstre qu'enfante en nioi le desespoir.
^ Malheureuse ! Necrainsquecequetudoiscraindre.
Cherc encore a Cortes , en es-tu moins a plaindre ,
Si tcs cris ne pouvant ar river jusqu'^ lui ,
A son ins^u lui-meme il t'immole aujourd'hui? ^
T RA G E D I E. 479
SCENE V I I.
MONTEZUME,ELVlRE.
MONTEZUME.
aXare &■ celeste objet, le plus beau que TAurore
De son sein lumineux put jamais faire eclore ,
Mortelle incomparable , oii cesseront vos pi curs.
Si ce n'est ou TAmour vous soumet tons les cccurs?
Mon ame a qui s'ofFroient mille images funebres,
Languissoit abattue en d'epaisses tencbres.
Vousbrillez enccslieux-, Fhorreuren disparoit.
L'astre ennemi s'eclipsc; &: laclarte renait.
D.u Ciei persccuteur la haine rallentie , " , ;
Suspend enfin mes maux, me laisse aimer la vie« >
Cependant vou5 plcurez j & ce calme si doux, • ;
Quand vous me le rendez , reste eloigne de vous.
Pour vous en rapprocherj joignez mon sortau votre^
Devenons desormais le bonheur I'un de I'autre. . \
Unissez-vous a moi. Votreperey consent.
11 vient dem'endonner un gage en m'embrassant.
Parlez. Toutm'esticimoins soumis qu'a vos charmes.
Que faut-il faire encor pour cssuycr vos larmes ?
"^'^>':^Cir>A:X-- E L V I R E.
N'esperez pas , Seigneur, qu'elles puissent tarir j
ignorez-en la source , & aie laissez mourir.
48o FERNJND-CORTJ^S^
MONTEZUME.
Je me croyois encor d'lin rang dont Ic partagc
Auroit du relever un genereux courage ;
Et qu'avoue d'un perc , en m offrant pour cpoux...,
E L V I R E a part.
O mon Pere ! 6 Cortes ! Ou me reduisez-vous >
MONTESUME.
Est-ce Tadversite qui me rend mcprisable ?
A des coeurs vertueux rien n'est plus respedablc. -
E L V I R E^ *' '
Daignez, si ce resped sied bien a de grands coeurs,
Daignez done respeder ma misere & mes pleurs.
MoNTizUME^ pan & hauu
Que devient ma Constance &: qzx. orgueil extreme
Qui meprisoit la mort, qui la demandoit meme?
Puis-jc , en un meme jour, si peu me ressembler >
Une Femme a le don de me faire trembler!
Grand Dieu de qui deja le courroux se rallume \ i
A quel Peuple etonnant livres-tu Montczimie ? '
La foudre est dans leurs mains ; & jusqu'a la Beaute^
Tout semble fait chez eux pour etrc redoute I \l
{Retenant Elvire qui veut rentrer precipitdmmenU *
Eh! ne me fuyez point! Simple encore & sauvage.
Si mon amour n'a pas uii asscz doux langage s
Non plus par des discours, mais par de tendressoins,
Mieux cxprime, peut-ctre, il vous deplaira moins.
Vos
T RA G i D I S. 4^ r
V"ds yeuxkisscnttrop voir les maux que je m'appr^tej
Ces superbes vainqueuts dedaignent leur conquete s
Roi d*un peliple odieux qu'ignoroit I'univers ,
Je ne snis qu'^un Barbare indigne de vos fcrs.
Mais si le desaveu de rerreur & dii crime
Peut de vous toittefois meriter quelque estime ,
till rayon d'esperance a de quoi me flatter.
L'invincible Cortes pourra vous Tattester.
Des Dieux qu'idolatroient mes credules Ancetres;
J'ai tantot, devant lui, desavoue les Pretres.
C'est moi dont les avis I'ont fait voler vers vous.
J'ai centre eux implore ses redoutables coups :
Comme si j'avois su que leur troupe inhumaine
Attaquoit une Vie ou s'attachoit la micnne.
Aussi Cottes est-il favorable a mes feux.
Ainsi que votre fere, il me souRaite heureux.
Vous seule cependant dont I'aveu m'int^rcsse ^
Voiis seule ddfcndez I'espoir a ma tendresse . . .,i
Mexique ! Aurois-tu erU qu un jour ton Souveraiit
Supplieroit en aimant j &" supplicroit en vain I ^
Tremble de ce prodige. Un si nouvel outrag^, 7
De ta ruine entiere est le dernier presage*
.::*ijv:.i E t V 1 R Ek ^^11^^
La paSisiOri voiis livre a d'aveugles transports.
Ne me reprochez rien. Quand I'etat d'ou je sors^
Quand I'ctat ou je rentre, &: la perte prochaine
D'un pere infortune dont la mort est certaine,
Quand de tant de malheurs &t la suite &• le coufs
Tome Hi H h
4Si FERNAND'CQRTtS^
; Ne me fermeroient pas Toreille a vos discours j
11 ne seroit pas temps encor de les entendre.
Mon pere vainement vous a nomme son Gendre ;
Si notre auguste Prince informede son choix,
Ne le rend legitime , en y joignant sa voix.
Oui , de nos Roissur noustels sont les droits suprcmesj
Nous ne saurions, sans eux, disposer de nous memes.
Cette prerogative est un droit naturel
Que leur acquit sur nous leur amour paternel.
Ce droit nous suit par-tout j rien ne nous en exempcc.
Charle nest point absent : Cortes le represente.
Vous avez, dites-vous , obrcnu son aveu.
C'est sans doute beaucoup j mais c'est encor trop peu.
Qu'amcne devant moi , lui-meme il me I'annonce.
Get arret confirme reglera ma reponse.
Allez i & flattez-vous que vos soins empresses
M'obligeront , Seigneur , plus que vous ne pensez.
MONTEZUME.
De votre pere ici , la defense absolue,
A tons les Espagnols intcrdit votre vue;
Mais en des lieux ou j'ose encor donner des loix,
S'il y faut obeir , ce n'est qu'a votre voix.
u li
^'""'fiiJ G E D t n.
S C £ N E VIII.
ELVIJUE,.
48J
jmiua-jiii.ti... .1 m
jSbtT VOU5, pardonnez-moi , cher Auteur dem^ vie.
Si votre haine injuste est si mal obeie.
J'oppose a votre pe,rte un obstacle piiissant ;
Et du moins je vous sauve , en desobeissant.
Tin du second Acle.
••'i> i^ JL X
'j''ij"k
Hh i]
4S4 FERNAND-CORTiS,
A C T E III.
S C £ N i'-'f^'R E M I E R E.
CORTfeS,AGUILAR.
A G U I L A R.
C-/E vestibule ouvert conduit chez I'EspagnoIe.
Vous pourrez la trouver. Mais de quel soin frivole,
S'occupe ici Cortes , en ce moment fatal ,
Ou tout demandc ailleurs les yeux du General ?
Cortes. ,
JLe soin dont je m'occupe est de mon ministerc.
EUe croit que c'est peu de I'aveu de son pere ,
S'il nest autorise de celui de son Roi j
Et, puisque, parmj vqus , Cbarlc reside en moi ,
Je dois la satisfaire , &: servir avec zele
Un Monarque amoureux qui fera tout pour elle j
Et qui , sous nos drapeaux , de ses plus fiers sujeti
Rassemblera I'elite en ce vaste palais.
A GU XL A R.
Si pourtant....
•CORTE-S^-
-Mes raisons awoientdu voiis sujffire.
Desvotrcs, amon tour , voudriez-vous nVinstruirei
Vous etes inquiet, & pcut-ctre jaloiix;
De la jeiine Espagnole envieriez-vous I'epouxJ
? n-jn eulq ^^ .^' ! i^fr^-^frn^ n? lo -rf-j riO
X'indiffereoce en vous fut-elle aussi parfaite ! -
Mais vous avez aime, e'est ce qui m'inquiete* ,
Vers, cqlle done riiymen impai;tje a nos destins ,■ r
Vous portez uo esprit nuisibk a vos. desseins.
Ce que votts avez fait , vous allez le detmire-., ^ j
Dans le food de^on coeur elle m'a laisse lire. . ; •
XJtx tendre engagement coptraire a son devoic^ j
Arrache de$ soupirs qui vont vous emouvoir^. ^>
Moi qui suis si peu fait a ces sortes d'alarmes^^Y
Moi-ii\eaie je la fuis , attendri de scs larmes>
Et vous , dont le coeur saigne encor desmemes coups,
Yous, qiti peo5ez,conime elk , y resisterei-vous.?
.2311»: C o R T i S, '- ^livB
Elle est bien malheu reuse en effet des qu^ellc airae^
, Et |e la, plains deja j n'uis cette pitic n"i(eme,^^\ ;^,
Fait que de plus en plus je veux rentretenir ,
Pour Tengager a perdre un si doux souvenir.
Je lui peindrai Tabus d'une flamme constante>.
Elle le sentira. Qu'elle se reprcsente
Leshorreurs qui pourroient accompagnersa fin;
Le lieu , le temps , un trone j &: mon exemple enfin.
Hii ii;
,.,.-r V
48<f FERNAND-CORTiS^
A G U I L A R.
Je laisserois agir I'antorite d'un pere ,
Sans vouloir.... i
Co Rxis. - -^
Parlerai-je en anii plus sincere,
Ou plutot en amant qui n'ecbute plus rien ?
Mon coeur, mon foible coeur vole a cet entretiert.
11 suppose , il espere , il croit ce qu'il desire. ..' M
L'Espagnole a pu voir, a pu connoitre ElvirepV
Savoir plus de son sort qu'on n'cn a public j, "-'oV
£t si Cortes est plaint j ou s'il est oublie. ' ' ' ''^
Ah ! si , comme tantot vous le disiez vouis meme ^
I^e devoir seul cut part a mon malheur extreme j
Si j'apprends qu'elle en ait seulement soUpir6M*,.V^
Vous voyez les perils dont je suis entoure , ' M
Vous verriez sur mon front la vidoire assurcc ,'
^'' - Justifier la foi quelle m'avoit juree; • ^-i
Et plus presente encore en ces lieux que jamais ,7^
Elvire a I'Amerique etaler tout Cortes,
fntarons,
Agu'dar sort d'nn cote ; & Cortes sortant de VauCri^
est rencontre & retenu par Don Pedre,
T RJ G E D I E. j^,7
mmmmmmamMJimMmm!^^ . iiumlw ■.wwmubi—mb—>
SCENE II. rro^^r:.<l3
CORTfeS^D. P^DRE. '
D. P EDRE. -.-^^^ZJuO
Lk'e AU salutaire estprete, & I'encens fume*
Ma fille , a nos autels , va suivre Montezume.
Moi, jc vous suis Seigneur: hatez-vousdem'ouvrHT
La carriere ou je dois m'acquitter ou mourir.
iigtanknis :■ ^^ ^ .^ .^' y^-^i^&jiCM&Zid^
Combattrai- je avec vous, Seigneur, sans vous connoitrc?
Car ne fuffiez- vous point ce que vous semblez ctre ,
Quel que soir votre sang , recommandableou non,
Cecoeur que vous montrez vous a du faireunnoiu.
Que ce nom desormais ne soit plus un mystere^ ^i
Pret de I'eterniser , daignez ne le plus taire. - 'j
Non pourtant que je veujUe insister la-dessus. 3
Si c'esc trop exiger , Seigneur , n'en parlous plus.
p. P E D R^»
Qui , Seigneur , attendcz la fin de la journee.
Ignorez jusques-la mon nom , ma destinee.
Je saurai , si je vis , reparcr ce refus j
Ma fille , si je meurs, vousdira qui je fus ^
Et si nous perissons &: vous & moi; qu'importe
Ua nom plus ou moins grand que je laisse ou j'emportei
Hhiv
4$S Fernand-cor t&s^
Cortes,
Changeons done de propos. foiez-vousa ta Cour»
Quaad Dou Pedre. y parnt , & n'y parut qu ua jour ^
D. P I P R E>
Oui , Seigneur, ' *
C o R T i Sv
I .Of Etde grace cncor,daigneznfapprcndre
Ovi , dela sont; alles lui , sa fille , 6c son gendre ^ 4
• D. Pedre. v iii^vuohi
DonSanche, avant THymen , a termine son sort*
{U'l Cortes reprendAH airdc (ran<iuiUite qu^ remar^ne:
Don,P^dre.) -v
>
ILcnr vaisseau fit naufrage *, &" par un bel efibrt ,^
En saiivant sa Mattresse, ily perdit la vie* ■> x" y*
Pc quels evenemens sa pertc fut suivie , P 2*^1
Ou Don Pedre & sa fille ont depuis respire-^ noH
C'est ce qui dans Totcde esc encore igi^iorc* ^
C o R T E s.
Mais ceux dont le rapport attesta leur naufrage"^
Auront pudire auffi quelles mers, quel riYag^e;> .
- t R J G i T> IE. 489
Wfc ■■■■ ■ II ■ ■■■■—■■■ -■-,» II.. ■ ,1^ .1— I pll W 11 III ■■ ■ WM^
SCENE III.
CORTfeS,D. PiDRE, MONT^ZUME,
Troupe (TEspagnols & d' Americains, --.~
M ON T E 2 U M E ^ Cortes,
-t'l V : A R ^ 3 J ^ a V jM.es plus braves soldats
Pour vaincrc a vos cotes, suivent ici mes pas.
Dejk mon meme esprit les eclaire & les guide.
Le Grand-Pretre, a leursyeuit, n'est plus qu'un parricide,
Qu'un rebelle , qu un fourbe, & qu'un seditieux
Qui , pour trahir son Roi, s'armedu nom des Dieux.
Consacrons ce moment par une double fete ;
Et du pied de TAutel revolant a leur tcte ,
Forcons ce peuplc ingrat d'accepter un Traite i
Dont le premier objet est sa felicite. ^ x.; 33
, . . Cortes. ^^^iMa
' " '■ M o N T Ez xr'M-%." ■ -I-' -'■■•'' •
Auparavant j ecoutons le Grand-Pretrc.
Devant nous , yn instant , il demande a paroitre.
Mes yeux ouverts peut-etre ont dessille les siens.
De se plaindre du moins otons lui tous moyens.
Qu'il entre & sorte exempt de peril &: de craintc
II me I'a fait promettre ; & ma parole est sainte.
Que sa liberte done &: sQi jours soieiit sacres.
490 FERNAJ^D' CORTES:,
w Cortes.
Vous le voulez ainsi ; qu'il sc presente.
MoNTEZUME^i^j Gardes.
« Ouvrez. -
S C £ N E IV.
CORTfeS,MONT^ZUME, LE GRAND-
PRtTRE, D. PEDRE, Troupe d'EspagnoIs
_, .. & d'Ameriquains.
LeGrand-Pretre. >
ItIe^ cris sont descendus au centre de la terre j
lis en ont evoqu6 le Demon de la guerre \
Dev^uK lui , vont s'ouyi;ir les portes de I'enfer j
Et la fleche sacree * est prete a fend re lair.
Deja Tare est tend«. Mais avant qu avcc elle
La mort vole, & consacre a la nuit etcrnelle ^,
Des ennemis souilles du plus grand des forfaits ,
Je veuxhien ctre .encore un ministre de paix.
C Q R T E S.
On voudra bien t*£ntendre,&: pardo,nner peut-etrA*
( Se montrant.) ( Montrant Monte^ume.)
Mais-en parlant , respede un vainqueur, &: ton maStre.
^ CirimonU ^^ui donnoU U Atgntil du combat xhei les Bjirbarcs. ^
^zST RA G i D I E, 491
Lb GRAND-PRixREa:/ Rol .
O toi que sans combat la terreur a vaincu ,
Prince aveugle , repons ; N'as-tu pas crop vecu ?
Quand tu montas au trone, a tes Dicux qu'on oflfensc,
De nos droits & des leurs tu juras la defens<?v'^^-
Jusqu'en leur sanduaire on yient nous ^gorger ;
Et quand tous tes sujets s'arment pour nous venger ,
(Lahonte de leurRoipeut-eileetre plusgrande? )
Ce Roi les desavoue : un autre les commande ;
Un Pretre est a leur tete , &: toi , dans les liens >
Cest moi qui les anime , & toi qui les retiens.
Dui J tout prets k Frapper, ils ont craint pour ta vie
Qui reste abandon nee au glaive de Timpic.
Ma vengeance etoit sure : un traite Tinterromptfi
Et ton interct seul en faic subir Xz&ontfUu^iUdO.
. -'..<• MoNxizUME. ~
Tavehg^artcc etoit svlre! eh, surquoi, temeraire.
En osois-tu fonder Tespoir imaginaire ?
''■•^IL E G R A N D - P R t T R E.
Un nionde armc, nos Dieiixm'en avoient repondu.
.,...''■■ cpjRTE^^'' . ';
Tes Dieux t'auroient venge comme ils t'ont defendu.
Le Grand-Pretre.
Ne mont-ils pas dejavenge , quand leur justice
A, partes propres mains, creuse ton precipice ?
Ton crime a reveille les Mexiquains scduits. ■
En vain jc les poussois ou tu les as rcduits j
494 ^^ ^^ ^^^ ^^ -CORTiS:,
Lcs Moeurs ayant d'entre eux chasse Tinstind sauvage ,
Vinrent, de leur lumiere eclairer ce rivagej
Ton Souvcraiii la vit & ne t'eJvita pas.
De la tes cris, ta rage, & tes noirs attentats.
Tu ne pouvois souffrir qu'en lui peignant mon Maitre,
Je lui pcignisse un Roi', je rinstrnisisse a Tetrej
Qu'il apprit que le trone est I'autel eminent
D'ou part du Roi des Rois I'orade dominant;
Que le sceptre est la verge & haute & redoutable
Sous laquelle ici-bas doit trembler le coupablc j
Qu* ici tout Test ; Soldats, Pretres &: Citoyens j
Et que tous leurs forfaits desormais sont les tiens.
LfiGllAND-PRiTRE.
Et qui t'a confie , d'ou te nait la puissance
De decider ici le crime &" J'innocencc ? j^^Jj;": -i
Quelles que soient nos lois,pretends-tu les changer ?
Ce droit fut-il jamais le droit de TEtranger ?
Es-tu I'Ange du Ciel ? Est-ce a nous a t'en croire?
Et t'oses-tu flatter....
C o R T E s.
Oui , j'en aurai la gloirc;
Oui, la Nature entierc , outragee en celieu, >>
Me demande vengeance , &: Tobtiendra dans pcu.
Apprends d'elle aujourd'hui sur quels droits je me fondc.
Des Temples infedes du sang qui les inondc ,
Leur enceinte & leurs tours , triste amas d'ossemens |
De-tes impietes barbares monumens j -. i iii^ ..
TRAG^DIE, 49 5
D'cxecrables fcstins , & Icur scandale atroce
Qui du convive impur fait un monstre feroce,
Lc sacrifice affreux qui s'achevoit sans moi j
Voil^ ce qui soumet I'Amerique a ma loi.
Veux-tu bien epargner &: du sang &■ des larmes?
A ce Peuple cfFrene fais mettrc has les armes. ^
Ferme un Temple oii deja ton Prince n'entre plus j
Sinon, plus de clemenccj &: malheur aux vaincusi
Et bien -tot , sous tes yeux, deserte &■ ravagee,
Si dans des flotsde sang I'Amerique est plongce ,
Et ne prononce plus mon nom qu'avec efFroi ,
Pleurc sur ton pays j mais ne t'en prends qu'a toi.
Le Grakd- Pretre.
On t'accordoit la fuite , & c'est toi qui menaces I
Puisque tu ne sais pas autrement rendre graces,
Puisque ce Roi captif est content de son sort ,
Attendant la rigueur de la loi du {ilus fort ;
Tenons- nous- en tous deux a nos droits legitimes.
Garde ton prisonnier, & rends-moi mes vidimcs.
Cortes un pistokt a la main.
Ah ! ma fureur....
MoNTEZUME/«i haussant le bras.
Avant de la laisser agir,
Qu'il sache tout son crime , &" voyez-l'en rougir.
Tout barbare en efifet que I'autel t'ait fait naitre ,
Quand d'assouvir ta rage, on t'eut laisse lemaitre ,
494 F£R^''J]SfD-CORT^S„
Lcs Moetirs ayant d'entre eux chasse Tinstind sauvagc ,
Vinrent, de leiir lumiere eclairer ce rivagej
Ton Souvcrain la vit & ne I'eJvita pas.
De la tcs cris , ta rage , & tes noirs attentats.
Tu ne pouvois souffrir qu'en liii peignant mon Maitre,
Je lui peignisse un Roi 5 je I'instruisisse a Tetrej
Qu'il apprit que le trone est I'autel eminent
D'ou part dii Roi des Rois Toracle dominant;
Que le sceptre est la verge &: haute & redouta'ble
Sous laquelle ici-bas doit trembler le coupablc ;
Qu' ici tout Test ; Soldats , Pretres &■ Citoyens ;
Et que tous leurs forfaits desormais sont les tiens.
Le Grand-Pr^tre.
Et qui t'a confie , d'ou te nait la puissance
De decider ici le crime &" rinnocence ? auini i
Quelles que soient nos lois,pretends-tu les changer ?
Ce droit fut-il jamais le droit de TEtranger ?
Es-tu I'Ange du Ciel r Est-ce a nous a t'en croire?
Et t oses-tu flatter....
C o R T i s.
Oui , j'en aurai la gloirei
Oui, la Nature entierc , outragee en celieu, 5-^
Me demande vengeance , &: Tobtiendra dans peu.
Apprends d'elle aujourd'hui sur quels droits je me fonde.
Des Temples infedes du sang qui les inondc ,
Leur enceinte & leurs tours , triste amas d'ossemens
De tes impietes barbares monumens^ « ;>vi>vi \s
T R A G ^ D I E. 495
D'cxecrables fcstins , &" leur scandale atroce
Qui du convive impur fait un monstre feroce,
Lc sacrifice affreux qui s'achevoit sans moi j
Voil4 cc qui soumet I'Amerique a nna loi.
Venx-tu bien epargner &" du sang &■ des larmes?
A ce Peuple cffrene fais mettre has les armes.
Ferme un Temple oii dqaton Prince n'entrc plusj
Sinon , plus de clemencei &■ malheur aux vaincust
Etbien-tot, soustes yeux, deserte &: ravagee,
Si dans des flotsde sang TAmerique est plongce ,
Et ne prononce plus mon nom qu'avec efFroi ,
Pleurc sur ton pays \ mais ne t'en prends qu'a toi.
Le Grand- Pretre.
On t'accordoit la fuite , & c'est toi qui menaces !
Puisque tu ne sais pas autrement rendre graces ,
Puisque ce Roi captif est content de son sort ,
Attendant la rigueur de la loi du {ilus fort ;
Tenons-nous-en tous deux a nos droits legitimes.
Garde ton prisonnier, & rends-moi mes vidimcs.
Cortes un pistolu a la main.
Ah ! ma fureur....
MoNTEZUME///i haussant le bras.
Avant de la laisser agir,
Qu'il sache tout son crime , &" voyez-I'enrougir.
Tout barbare en effet que Tautel t'ait fait naitre ,
Quand d'assouvir ta rage, on t'eut laisse lemaitre ,
4p6 Pernand-cor TiS^
La seconde vidime , en presentant son seiil ^
Cruel I t'eut fait tomber le couteaude la main*
De ce noble etranger c'est la fiUe adorable.
Vols de quel attentat tu te rendois coupabic*
Tu voulois , & tu veuxetre encor le bourreau
De tout ce que le cicl a forme de plus beau ,
D'un objet dont la vie est desormais la mienne >
D'une tete sacrec , en un mot de ta Reine.
Je I'epouse.
Le GRAND-PRiTRfi*
Qu'entends- je ? Ah ! comble de I'horretit' !
L'epouser !
C o R T i s.
( Au Roi )
A tes yeux* Amenez-la , Seigneui** .',\
{ Le Roi sort. ) rr
D. P E D R E a Cortes.
Ma fiUe fremiroit a son asped. Qu'il sorte.
Du palais cependant nous defendrons laporte;
Et Ton celebrera les deux fetes sans nous*
Venez.
C o R T E Si ■'^^
Non devant elle il pliei'a les genouXi
C'est a lui de fremin
(Arrttant le Grand-Pritre qui se disposoit a sortir.)
Oui , demeure 5 oui , toi-memc *
Tu verras sur soa front poser le diademe^
Le
T RA G £ D t E. j^^r
Le premier tu rendras hommage a la beaute
Que jusques dans nos bras poursuit ta cruaute.
Et ne compte echapper au courroux qui m'anime ,
Qu'en implorant I'appui de ta propre vidime.
( S'avan^ant au-devant d' t hire qui parou. )
SCENE V. '"'''''''!
CORT]^,MONTEZUME,ELVlRE,D PEDRE,
^LE GRAND -PRfeTRE, Troupes d'tspagnols
'^& d'Americains»
C o R T B S continue,
V ENEZ , Madame.... Ciel I que vois-je ? '' '"-^ ^
Le Gr and-Pretre.
:,^v\ia. •.\ ^ th^tv. ^'^^ vengeurs !
Qu'attcndez-vous ? Tonn6z sur ces profanateurs !
Cortes a pan.
Ah , perfide Aguilar !
Le GRA^fD-PRiTRE.
Tonnez , Dieux du Mcxiquc ,
Avant qu'un tel outrage ait fletri I'Amerique I
C O R T i S a part.
Que faisois-jc i
Tome 11. I i
4 9 S Fe R NAND -CORTJ^S^
Le GRANb-PREtR£ Voyufit U trdJihie -dt Corthl
Deja, tel qui nVa menace,
trappe d'lin coup subit, en paroit terrassc.
( au Roi. )
Et toi , tombe a ma voix, tombe du rang supreme,
Vil epoux d'une esclave! esclave ici toi-meme ! ?
Et Tautcl , &■ nos loix, & le trone , & ton lit,
Rien ne te fut sacre j tu il'es plus qu'un proscrit.
'u}]SS. 11 sort.
SCENE VI.
CORTfeSjMONT^ZUME, ELVIRE,
D. PEDRE.
CbktES dii Roi , surpris de le voir immobile,
JLaissons pouf itn moment son audace impunic.
Je songe a differer unc ceremonie
Qui veut plus d'appareil &: de solennite.
( a Don Pedre. )
II en eut en effet souille la Majeste.
( au Roi. )
Choisissons mieux. Seigneur , & I'heurc & la journec.
11 s'agit d'un combat, &c non d'unhymenee.
» T RA G E D 1 E, 499
Qu'auf oienc pense dc nous vos soldats & les miens ?
( a Elvire. )
Madame , avec ardeur j'ai tissu vos liens 5
Nous saurons les serrer j mais dans un temps plus calmc.
Le niyrte ne se doit cueillir qu'apres la palme.
Les premiers soins remplis, d*autres auront Icur tour ;
Et la vidoire ici ramenera I'amour.
( au Hoi. )
Allons , Prince , flattes d'esperances si belles ,
Allons en paroissant disperser les rebelles.
( se decouvrant. )
Vous , Don Pedre, croyez que rien ne m'est pltisdoux
Que d'avoir k combattre a vos yeux , & sous vous.
SCENE V I L
D. PfeDRE, ELVIRE/
D. Pedre.
>^UElesflotsncm'ont-ils cache dansleurabysnie,
Ou que le Mexiquain n'a-t'il pris sa vidime 1
Tout ce que je craignois , ma fiUe, est arrive :
Cortes m'a rcconnu vivant j & m'a brave !
Elvire.
Faudra-t-il qu'nne haine irreconciliable ,
Oii tout me semble heureux , vous rende inconsolable ?
li i)
500 FERNAND-CORT^S^ '
Ces vifs ressentimens qu'un ayeiil irrite
Transmct dc peie en fils a sa posteritc ,
Que la destrudion , que le meurtre accompagne ,
N'ont que trop jusqu'ici dcshonore I'Espagne.
Si quelque grandeur d'ame aide a les eiouffer,
Quimieuxque vous,mon Pere, en pourroittriompher ?
D. P E D R E.
Oui J j'en triompherois , si , quand je le retrouve ,
Le superbe eprouvoit le destin que j'eprouve ,
Et que je fusse au faite ou je le vois brilier •,
Mais quel instant fatal , pour me le conseiller 1
Quand son inimicie hautaine &: satisfaite
Pleinement , devant tous , jouit de ma defaite;
Et, pour mieuxnVenfoncerlepoignard dans lecoeur,
D'un resped outrageantprend le voile imposteur.
E L V IRE.
Lui J de I'inimitie ! la votre vous abuse.
Eh ! sur quoi done , Seigneur, faut-il qu'on Ten accuse ?
Je Tobservois. Ses yeux, ses gestes n'ont eu rien....
D. P E D R E.
N'ont eu rien qui demente un sang tel que le sicn.
L'ai-je moins observe ? Les sentimens du traitre
N'avoient pas attendu si long-temps a paroitre.
Avant que vous vinffiez , pres de moi s'informanc
Des licux ou nous etions, moi, vous, &■ votre amant;
II a su mon naufrage & la mort de Don Sanche.
Mon age est clairvoyant, &: la jeunesse estfiranche.
T RA G E D I E^^_-\ 501
J'ai vu , j'ai vii la joie eclater dans xs yeux.
II prenoit a m'entendrc, un plaisir odieux.
L'inhiimain comparoitsa gloire a ma misere j
Et pour lui cette gloire en devenoir plus chere.
Sont-ce-la les vertus , m'etois-je deja dit.
Que me vantc Aguiiar, & qutlvire applaudit?
Et quand votrc presence annoncc enfin la mienne.
Son propre honneur n'est plus un frein qui le retienne.
Le perfide auffi-tot vous enleve un epoux ,
Jette un frivole obstacle entre le rronc & vous,
( Simple deiai d'abord , bientot rupture enticre )
Rend ma parole un jeu de sa puissance altiere j
Et s'imagine encor qu'apres un tel affront ,
Jamais a le servir je ne serai trop prompt.
Moi , te suivre, Cortes ! ta voix envain m'appelle:
Cette main s'armeroit plutot pour la querelle
Du Ministre insolent de la barbare loi
Qui, demandant ma mort, demande moins que toi.
E L V I R E. .2)J<ni.:i
Que diriez-vous. Seigneur, si ce jeune courage ,
De tout ce qu'il a fait vous rcservoit I'hommage ?
Si revenant a nous , avec empressement ...«
D. P E D R E.
Nous preserve le c.iel d'un tel abaissement !
Je le desire encor , moins que je ne I'esperc i
Non, non ! qu'ilsoit pour nous ce que seroit son pcrcj
Et que se repentant de son dernier exploit ,
11 signale a son gre lahaine qu'il nous doit.
1 i iij
501 FERNAND-CORTj^Sj
G'est le seul sentiment que nous puiffions lui rendre;-
Le seul auffi de lui que nous devious attendre.
11 nous le prouve assez. Mais peut-etre a son tour '^
Me connoitra-t-il mieux avant la fin du jour.
De mon sort croit-il etre impunement I'arbitre ?
Nc suis-je done ici qu'un vagabond sans titre ?
Honore des secrets de mon maitre &r du sien „
Pour la fierte du rang , je ne lui cede en rien.
Reconnu des soldats , j'en deviens Tesperancc.
Sa course temeraire a lasse leur vaillance :
A ne pas reculer lui seul est obstine j
Et si je dis un mot , il est abandonne.
E L V I R E effrayee.
Votrc courroux voulant du moins etre equitable ,
S'instruira mieux avant un coup si redoutable.
D. P E D R E.
Quel que soit mon courroux, jevoisqu'ilvoiisdeplait.,
Serions-nous done ici divises d'interet ?
E L V I R E.
Moi, mon Pere, en avoir de plus chers que les votres J
D. P E D R E.
J'aipourtant mes projets -, &■ vous en avez d'autres.
E L V I R E.
Je crois que mes projets sont les votres , Seigneur ,
Quand ils sont animes du soin de votre honneur.
D'un sentiment si pur c'est la force invincible
Qui m'affermit la voix en ce moment terrible ,
Et porter , mf Igrq vo;is , vq^^^ Qceujc a ki p:^^^. ^,;.r [
11 a sauve yo< foyr? iSi; (?fivi^, 51^^91:56 fil}p, <,y| .j
Tout ce qui desunit I'une &: raj.itre famille,
Ne sauroit plus, en nous, Balancer un instant ,
De cet heurcux guerrier le service importar^' >-
Ses soldats mecornenssonttout prets a vous suivre:
Un mot, quand vous voudrez , le per J &: vous les livre j
Mais que publieroit-on d'un pareil attentat ?
Cortes fut gencreux- : & Doti Pedre j un ingrat.
]Le Conqiterant orne des vertui ies plus rares j, , _^l/[
Sauva son enneml de lea nfain dje^ Barbares ;
Et lui-meme » a son tour . d'eux tons environne\
Par celui qu'il sduva 3 leur fut abandonne ! - - '^
Ah plutot, rejetons un bienfait si funeste !
La vi^ est a cf ,pj:jx,„pri bien ^u.e; jie detesi;^ : 4 .,
Desapprouveriez-vous des sentiwsus d'honneur .
Que vos lecons, mon Pere,ont graves dans mon coeur >
. , . ;.D. PiDRE. . _, , , , „
Conservcz-en la noble 6f constante habitude j
Mais debar rassez- vous de cette inquietude j
Quand je ne m'en sens point , est ce a vous d-en avoir ?
Reposez-voussur moi des regies du devoir^i ^^^'^
Cortes fut genereux , faute de nous connoitre.
Des qu'il nous a connus , il a cesse de I'ctre. _
tt s est peu soucie que j eusse , sur sa roi ,
Engage votre main & ma parole au Roi.
En disposant de Tune , il s'est joue de Tautre ; - D
I i IV
504 FERNJND'CORTiSj
Des-Iors, il a blesse mon honneur & Ic votrcj -
Des-lors , je meconnois notre liberateur ;
Et Toffenseur efface en lui le bienfaiteur.
El VI re/
Seigneur ! .... Que j'ose enfin.... ^q
D. P EDR E. <i3?
N'ose rien d'inutilc.'
El.yjj^le-, .^-)
Mon Pere, ccoutez-moi d un esprit plus tranquillc.
D. p ic^i^. '""^
Peut-erre ai-je ecoute plus que je n'aurois du. ,^r[
E L V I R E.
Ah I vous jetez rcffroi dans un coeur eperdu ' ""^
Qui pourroit vcus flechir par un aveu sincere.'
b. P EDR E.
Vous avez des secrets qu'ignoroit votre pere ?
E L V I R E tombant a ses genoux.
Mon coeur entre vos mains , ne sauroit etre mieuxj
Mais la moindre foiblesse estun crime a vos yeux.
D. P E D R E la relevant, ^
Rassurez-vous. Parlez : quelle est cette foiblesse ?
E L V I R E.
C'est la douleur de voir que d'un jour d'alegresse
" T R A G ]^ D 1 E, 505
Qui pouvoit de mes jours etrc le plus heurcux ,
Votre haine inflexible en fait le plus aflfireux.
J'esperois...
D. P ED R E.
£tre Reine: & j'approuve tes larmes.
Mais crois-tu , si le trone eut pour toi quelques charmes ,
Qu a mes yeux ta fortune ait ofFert moins d'appas ?
Je mourrois de douleur, si tu ne regnois pasj ~,
Si tu perdois Thonneur d'efFacer dans I'histoire,
L'ennemi qui nous croit ofilisqucs de sa gloirej
Et si Ton ne devoit a mon sang, a ta main , *
Un monde , que , sans nous , il eut conquis en vain.
Je rejoms Montezume. Espere tout encore
D un pere ambitieux , & d'un roi qui t'adore.
E L V I R E.
Juste Ciel ! ^ d oh ib ^oj^^i^. ;=b ii'jMj^.f
D. P^DRE.
Les momens sent precieux. Rentrons.
Vous regnerez , ma FiUe j & nous triompherons.
Fin du troisieme Acte^
joS FERNAND'CORT i S:,
1 1^\ J f "J*
A C T E IV.
MONTtZUME. i'iiP
i,UGUBRES Messag?r$ des vengeances celeisc^e, -:
Spedres persecureurs , t^bkaux nqjrJi ^ fwnej>?e$ ,1
L'Amour vons avoit fait disp^roitrf yHi nioiDQptt
L'Amour vous fait renaitrc av^c achari><?fiftfttt. '
Quel surcroitames nmix .'L'Amour ! linQf©^i?kss^
Dont j'eusse rougi , meme au sein de J» iBo'lles&e >
Un lien qui des Rois doit c^re deteste ;
L'ecueil de la s2i^tssQ &: de la majeste | j^ ^. ,,t
L'Amour ! Egarement d'^utant plus deplorable,
Que je my laisse aller , helas ! cjuand pout m'accable :
Quand pour moi, quelque vgeu que je forme en mon sein ,
Le Cicl , &: tous les coeurs sont devenus €l'airain.
Dcnos autels sanglans le defenseur impie
Livre au bras sacrilege & mon trone &" ma vie.
Mon Peuple qu'il seduit, devient sourd a ma voix. J
Je m etois fait du moins un bonheur a mon choix. '
11 m'eut suffi de plaire a la belle fetrangcre.
Et je lui fais horreur ! Qu'importe que son pcre
En ma faveur exerce un pouvoir inhumain ?
Des qu'elle se refuse , il me Taccorde en vain.
T RA G E D I E, 507
Pour la premiere fois , je ressens , quand on aime,
Qu'un vain titre d'Epoux n'est pas le bien supreme ;
Et que Ton n'est qu'a peine a demi possesseur.
Si , maitre dela main , on ne I'est pas dii coenr.
Le temps m'eut obcenu Tun &: Taut re , peut-etre ;
Mais mon plus ferme appui , le fleau du Grand-Pretre ,
Le meme a qui tantot cet hymen avoit plu ,
Cortes , dit-on , s'oppose a ce qu'il a voulu.
Je le chercbe j & crois voir en eflfet qu'il m'cvitc.
D'un mot , il calmeroit le trouble qui m'agite.
II vient. Ret'rons-nous pour observer de loin
L'instanc ou je pourrai I'aborder sans temoin.
Il I III .,■,.,. . _ : m
SCENE IL "I
CORTilS, AGUILAR. "^
A G U I L A R. :
i^'HONNEUR , vous le voyez , me forcoit au silence.
J'eusse, a vos feux du moins, prete quelque assistance ,
Mais Don Pedre est rempli de tout autres desseins j
Vous-mcme , en Ty portant , m'avez lie les mains.
Et vou^ savez d'ailleurs la haine inveteree
Que de vos deux maisons les chefi se sont juree j
De flechir celui-ci j'ignore le moyen ;
Trouvez-le toutefois ; ou n'esperez plus rien.
Cortes.
Oui , je Ic flechirai j mais veuillez me le dire,
Sera-ce prendre un soin qui touche encore Elvirc?
5o8 FERNJND-CORTiS^
A G U I L A R.
Repassant dc chezlui dans son appartement,
Elvire va paroitre ici dans un moment.
Vous vous expliquercz.
{II sort.)
BB
S C £ N E 1 1 1.
CORTJfeS. '^
A^UE faut-il que j'en croie >
Ma vive inquietude est egale a ma joie.
J'ai revu ce que j'aime. Hcureuxsi je revoi
Celle qui merica mes travaux &: ma foi !
SCfiNE IV,
CORTfeS, MONTJfeZUME.
XT ' ^
MONTEZUME.
J E vous cherchois , Seigneur , avec impatience ,
Pour apprendre de vous ce qu'il faut que je pensc
1!>QS bruits nouvellement parmi nous repandus.
C O R T E S <^ pan.
Elvire I Loin de vous , que de momens perdus !
r RA G t D I E, 50 J
MONTEZUME.
L'art de feindredans I'line & dans Tautre fortune ,
Netant que l'art d'une amc ou perfide ou commune;
Je demande &: je cherche un eclaircissement.
Sans employer ni craindre aucun deguisement.
Vous pressiez le bonheur de I'ardeur la plus tendre ;
Et, tout-a-coup,Seigneur, on vous le voit suspendre.
Les choses ont leur temps sans doute & leurs saisons \
Et vous m'avez donne de plausibles raisons ,
Qui , d'abord ont plie mes volontes aux votres :
Mais Don Pedre me dit que vous en avez d'autres;
Et d'une vieille haine , enle reconnoissant.
Que vous avez suivi Tinteret tout-puissant.
Ma mediation ne peut-elle etre oflferte ?
Pour le desobliger, conjurez-vous ma perteJ
Et le haissez-vous avec tant de fureur,
Qu'a ce prix vous vouliez..-
Cortes.
Don Pedre est dans Terreur.
Je I'estime & I'honore , & I'aime & le respede.
L'assurance bientot n'en sera plus suspede ;
Et vous verrez alors combien il est peu vrai
Qu'un mouvement de haine ait eu part au delai.
Sont-ce la cependant , puisqu'il faut le redire,
Sont-ce les soinsd'un Roi contrequil'on conspire?
Le Grand-Pretre pretend vous avoir detrone :
De sa main , dans le Temple , un autre est couronne i
Et du peuple , aux autels, la barbate alegressc
510 FERNAND-CORTiS^
Fait que , pour iin moment , toutc hostilite cesse }
A quoi le perdez-vous ce precieux moment >
All lieu d'agir en Prince , a vous plaindre en amant ',
A laisser refroidir la valeur inccrtaine
De ceux que sur vos pasquelque pudeur entrainc ,
Et qui seront bientot les premiers attaques
Dans les postes d'honneur que je leur ai marques.
S'ils vous doivent leur foi,vous leur devez I'exemple.
Courez done a leur tetej & qu'au sortir du Temple,
Le Peuplc en vous voyant eprouve cet efiroi
Qu'inspire aux Fadicux I'auguste front d'un Roi.
Non qu'ici , contre tons , seul je ne vous suffise j
Mais ayez quelque part a ma noble entreprise >
Ne tenez pas le sceptre a titre de bienfait \
Et qu'il ne soit pas dit que mon bras a tout fait.
MONTEZUME.
Non , Seigneur , non \ le mien aura part a la gIoire«
Je n'ai pas jusqu'ici donne lieu dc le croire.
Par un prodige afireux , des long-temps menace,
D'une secrete horreur je mc sentois glace.
J'avois pris en dedain & le tronc & la vie.
Grace a plus d'un cspoir dont mon ame est ravie,
L'un &: I'autre m'etant devenu precieux ,
Je saurai meriter l'un &: I'autre a vos yeux,„.
{Allant au-devant d'tlvire qui entre,)
t^>'^r KA G i D I E. 511
,...,,......§ c £ N E V.
MONT6zUME,CORTfeS, ELVIRE.
Mo N T i 2 U M £ continue.
EiNE , (car vous regnez , puisqne je vis encore )
Que d'un regard plus doux votrc bonte m'honorc !
L'Amant avoir du Prince oublie le devoir.
Sur un Trone ebranie je vous faisois asseoir,
Le reflrs ctoit juste j & lofire t^nneraire:
Cest a moi de rougir d'avoir ose la faire;
A moi de ramener mon peuple a vos genouxj
Et de ne revenit qu'cn Roi dignc de vous.
S C fi N E V I.
CORTl:S, ELVIRE.
CORT'is se voyant Hbre^& tomhant auxpieds d*Elvire.
\) PRESAGE assure du triomphe ou j'aspire!
Au moment du combat , je suis aux pieds d'EIvirc !
D'Elvire , qui, de loin , m'anima tant de fois,
Et dont Timage seule a feit totis mes exploirs !
Elvire I Chere Elvire 1 Est^cc vous?
511 FERNAND-CORTiSj
E L V I R E.
Malheureusc !
Sous quel del ennemi, dans quelle terre affteuse^
Aux pieds de quels autels m'a conduite le sort I
Cortes.
Apres unlong orage, il nous montrc le port.
E L V I R E.
Helas ! qu'il me vend cher sa faveur imprevue!
Cortes.
Nc beoissez-vous pas une heureusc entrevue
Que notre amour jamais ne devoit esperer >
E L V I R E.
UAmour n'entrc en nos coeurs que pour les dechirer.
Cortes.
Que pour les dechirer 1 Pour qui done cette plaintc ?
E L V I R E.
Pour qui !
Cortes.
Faites cesser men espoir ou ma craintc.
Au-dela du trepas, Don Sanche est-il heureux?
Le regretteriez-vous ?
E L V I R E.
Ingrar! Qui de nous deux.
En ce funesre jour de trouble & d'epouvante ,
Dut a I'autre inspirer une crainte offencante :
Ou
T RA G i D I EJ 515
Ou de moi qu'un Monarque aime & ponrsuit en vain,
Ou de VQUS qui. pour lui disposiez de ma maia i -
:::ob^t;ln:- C O R T E S. orbfjnMuB
Ah ! nc vous armez pas de cctte erreur extreme !.
J'etois moins traitre i vous , mille fois qu a moi-memc
Moi, ceder votre main 1 Moi, qui, pour I'obtenir,
Ai fait plus que jamais n'en croira I'avenir j
Moi qui , ce jour encore, vous croyant infidellc^
Arretois mes Soldats, dont la valeur chancellc'Ti
> '/I
Sans rien envisager dans mes nouveaux projets^ ^
Que le sterile honneur d*exciter vos regrets.
,;.-3.;..r,^. El VI RE.
'Que je me plaigne au moins de cette erreur extreme
Qui vous rendoit injuste a vous, comme a moi-meme;
Mon coeur est-il un coeur , pour qui sut I'acquerir ,
Moins facile a garder , qu'un monde a conquerir >
Ne m'aviez-vous pas dit , en essuyant mes larmes.
Que notre flamme auroit meme sort que vos amies?
rChacun de vos exploits serroit done nos liens ;
Et , remplissant vos voeux, vous repondoit des miens.
Ah ! quand des Mexiquains la splendide Ambassade
ttonna de sa pompe &: Tolede & Grenade, -^''i
Que du tribut d'un m.onde ignore jusqu'alors ,-» '/
Lc Tage enorgueilli vit grossir sqs tresors ,
Et quun si beau triomphc, avant-coureur du notre,
Reporta votre nom d'un hemisphere a I'autrcp-^
Que ne me voyiez-vous? Queletat ravissant! '-
Je vous tendois les bras. Vous n etiez plus absent.
Tomt IL Kk
514 FERNAND-CORT is ^
Un granci homme est par-tout oii se repand sa gloire.
Nous nous reunissions an sein de la Vidloire ;
Surson char que suivoient mille Peuples domptcs,
Dija je me croyois assise a vos cotes
D'ou j'entendois de Charle & Tun &: I'autre empire
Porter anx cieux les noms de Cortes & d'Elvire.
La nuit la plus profonde eclipsa ce beau jour. ,^
Mon Pere, en ce moment , reparoit ala Cour,>y[
Et dans le desespoir me rejette & me plonge. a.
Nous fiimes, un instant, couronnes par unsonge.'
Lc plus mortel poison distilla de scsfleurs. , q
Ce ne fut plus qu'ennuis, qu'amertumes, que pleurs ;
Qu'abysmes sous nos pieds,que foudres sur nos tetes i
*-'^:^Qiie ce que je retrouve ici meme ou vous etes.
, > i - .' '<5'^9LT E S. •
cin-npno-:. /'• obnom vAriH> ,^^\y\£^ t olhiul nmM
J\ n'est plus ou je suis qu'ennemis foudrdyes,' '-'"^
'C ejQue lauriers sur nos fronts , & queRois a nos piecfi^
Que parlez-vous d'ennuis,de pleurs &" d'ifliertiimes?
,?n'w.lComparez notre etat a I'etat ou nous fumes. ' : ^-^
-4.Que d'obstacles se sont depuis applanis tous ! ^; ^
Plus de mers, de rivaux , d'infortune entre noui?
Vojci de nos malheurs le terme desirable.
Elvireici presente est Tastre favorable'^ --:^ i *^^
5 Pont I'aspeci me devoit en garantir k fiiii^ ^'p ^3
Ce miracle manquoit a mon heureux destin. ""''^'
Ma passion pour vous, echauffant mon courag^J
.J^'-uae vaste conqu^tc a commence rouvragej •
T R A G E D I E. 5 i j^
Pour I'achever sans doutc , il ne falloit pas moins
Quevosjoursadefendre, & vosyeuxpourtemoins.
E L V I R E.
Vantez moins de mcs ycux Teffet &: la puissance.
Temoins de tant d'amour &: de tant de vaillancc ,'
lis n'en auront ete qu'un instant mieux oiivcrts,
Sur ce que vous valez , & sur ce que ;e perds.
Cortes,
Meperdrc! : ^.;;> .-. -■ f
El VI RE.
Pour jamais.
C o R T 1^ s.
Que craignez-vous , Madame ?
L'aveu dont j'ai du Roi favorise la flaiiime ?
Fragile engagement que I'erreur a forme.
Quand il en sera temps , de mes droits informe,
CroyonSjpour son honncur, que se rendant justice,
11 nous fera des siens Ic noble sacrifice j
Ou , pour plus de repos & de tranquillite ,
Croyez que s'il usoit de pleine autorite,
Bientot , a sa ruine , il Tauroit usurpee.
11 sait ce que le sceptre ici doit a lepee ;
II sauroit , s'il osoit jusques-la m'ofienser ,
Qu'un Trone qu'on releve, on peutle renvcrscr.
Et je n'avance rien en Soldat temeraire.
Ce que j'oi fait repond de ce que je puis fairc* .,
Kk ij
5i<r FERNAND'CORTiS^
L'amour a fait ma force; & la force, a son tour,
S'il y faut recourir , fera tout pour Tamour.
E L V I R E.
Quand du Roi seconde par un Pere inflexible,
U Amour pourroit pour vous se rendre aussi terrible.
Que pour lui jusqu ici vos armes Tont etc,
Croyez, qu'ainsi que vous , j'ai de la fermete;
Et , la-dessus vous-meme ayez Tame tranquille.
Eh ! n'ai-je pas toujours le Temple pour asyle,
Et ces memes Autels , ou , sans votre valeur ,
En oflFrande a Tldole on presentoit mon coeur ;
Vous m'y verricz rcntrer, & rentrer avec joie.
Ce coeur s'y feroit voir tel qu'il veut qu'on le voic,
Vraiment digne du votre. Honneur , helas ! moins doux,
Mais aussi grand pour moi que celui d'etre a vous.
C o R T i s.
Loin de nous cette image & funeste & frivole !
La vidoire m'attend, chere Elvire; & j'y vole.
E L V I R E /e retenant.
Trop de securite ne vous seduit-il point >
Craignez....
C ok T li s.
J'espcre tout du Ciel qui nous rcjoint.
E L V I R E le rappelant encore
[has.)
jfecoutez-moi , Cortes ! Est-ce a moi de lui dire
Que mon Pere peut-etre en ce moment conspire? ^
TRAGiDIE. 517
Cortes.
Eh quoi I toujours dcs pleurs !
E L V I R E.
Vous ne I'ignorcz pas •
Le danger ici nait &: renait sous vos pas.
Cortes.
Encore un coup de foudre , & I'Hydre est etouflfec.
E L V I R E.
Des Heros ont peri couverts de leur trophee.
Cortes.
Contre quels cnnemis vais je done m'eprouvcr?
Ne me les vit-on pas cent &" cent fois braver >
Mon courage inadif se lasse de leur fuite.
E L V I R E.
Connoissez-vous tous ceux que ce jour vous suscite l
Cortes*
Dut toute TAmerique armer contre mon bras ,
J'ai pour moi la Fortune , Elvire & mes Soldats.
E L V I R E.
La Fortune toujours a nos voeux repond-elle?
Des Soldats, ditcs-vous, le courage chancclle;
lis vouloient vous quitter.
Kkii^
5 1 8 FERNJND-CORTiS,
Cortes.
II est vraij mais dcpuis
On Ics a vus au Temple otl je les ai conduits.
Que scra-ce , Don Pedre etant leur Capitaine J
E L V I R E.
Ce que nous vousdcvons scmble aceroitre sa hame»
Cortes.
Appelez autrcment un courageux depit.
Don Pedre a Tame haute ; & sa iierte gemit.
Mais il va me connoitre ; &" jc veux qu'il oublie
Les chagrins dont mon Pere empoisonna sa vie.
Je sortirai pour lui d'un sang moins odieux ,
Lui prouvant a quel point le sien m'est precieux.
II ne verra qu amour , resped , obeissance.
En ce climat barbare il n'a pas pris naissance.
Chretien , pere d'Elvire, Espagnol &:guerrier.
Sans doute il est encor plus genereux qu'altier.
En Espagne , apres tout , d'une sainte promesse ,
Chaque jour votre bouchc honoroit ma tendresse;
J*y vivois tropheureux, vivant a vos genouxj
J'ai done passe les mers plus pour lui que pour vous.
Et chcrchant les dangers je cherchois son estime.
Je Taurai meritecj il sera magnanime.
Nations , clemens , j'ai tout vaincu pour lui ;
Et,devant son grand coeurj j'echouerois aujourd'hui?
7 AT RAGiDIE. : 4tp
E L V I R E.
Cc que pour nous a fiiit votre valeiir insignc
De route notre amour ne vous rend que trop dignct
Mais du fatal hymen conclu sur vos avis ,
Sa grande ambition s'etoit beaucoiip promis^
En nous reconiioissant , vous faites que tout cesse ;,
Et ne soupconnant rien du motifqui vous presse>
11 impute a la haine un changement si prompt ;
Se le peint des couleurs du plus sanglant aiFront.i
Et dcia ne met plus de borne a sa colere.
Cortes.
Et Je n'ai pas trouve la Fille aux pieds du Perc^
Ardente en ma favetir a le desabuserf ,,,,., ,„
E L y I R E. -■ ip^iii il
M'a-t-il laisse le teinpSj^ la force de Toserf^^^^ •■'■ '
A vous justi&er tantot determinee ,
Ici mcme ases pieds tremblante &" prostcrneer^', 1
Cent fois j'ai voulu dire : il maime ; & ne I'ai pilw
Je ne sais dans mon coeur s'ifavoit deja lu ;
Je nc sais s'il ne suit qu'im sentiment farouche ;.
Mais d'un mot eflfrayant il m'a fermc la bouche.
Ah! Cortes! Quel dessein roule dans son. esprit h
Cortes..
II cherche un beau trepas r Agnitar me I'a diu.
Nc vous alarmez point dc sa funestc envicii"^: ? aCl
On saura, malgre lui , prendre soin dc sa vie..wP5J
Adieu, Madame. Mais que vient-on nVannonecr?
K k iv
?5 lo FEKnJND- CORTI S^
SCENE VII.
CORTES, ELVIRE, AGUILAR^ .
Officiers Espagnols.
"■-" ' Cortes.
JuH bien , faut-il combattre ?
Aguilar.
II y faut rcnonccr.
Nos Soldats apprenant roffre qu'on vous a foite,
Acceptent le parti d'unc prompte retraite.
11 faut , Cortes, il faut vous y resoudre aussi,
Ou vous determiner a rester seul ici. 'i*-t l'M
E L V I R E apart,
Perc cruel ?
Cortes aux Espagnols. , ,.|
Amis , je doute si je veille. ; -A
On dit que vous fuyez ; & Ton me le conseillc.
L'affiront puisse-t-il etre a jamais ignore !
SuivC2-moi, venez vaincrej &: tout est reparc.
Aguilar.
De votre voix, long-temps le pouvoir invincible
Leur fit braver la mort & tenter I'impossible , '
Ce jour , au Temple encore ils vous ont suivi totw.
T R A G i D I E, 511
Mais le danger present Temportc enfin sur vous.
Profitez de I'asyle & du temps qu on nous laisse :
Compagnons , ennemis, amis , tout vous en pressc
Voulez-vous nous conduire ? On vous obeira.
Si vous le refusez , Don Pedre y suppleera.
Cortes.
Lui ! Don Pedre! On I'outrage en le croyant capable
De se rendre le Chef d'un complot si coupable.
A G U I L A R.
Ce n'est point un complot ; c'est un projet sensie
Par ma voix , ce jour meme , a vous-meme annonce.
Cortes.
J'ai dit ce que j'en pensej &: quand je le rejette,
Don Pedre, pour me perdre , y dcfere & s'y pretc.
Don Pedre ! Sans douleur je n'y puis reflechir. .x
Lui que j'avois arme ! lui que j'allois flechir !
Juste Ciel ! Qui Teut cru J Votre Pere 1 Ah! Madame !
E L V I R E. ;,
Nc vous etonncz plus du trouble de mon amc ,
Ni de ces pleurs qu'ici vous m'osiez reprochcr.
lis m etouflFent la voix j & je vais les cacher. ? '
Jnvn^'l.- ' ' .■■■■■■.•',)
^j^init fSi >' "" 4» ■ -. -^
yiz FERNAND-COR TiS,
.^^ SCENE VIIL - . /
CORTfeS^ AGUILAR, Offideri Eipagnots.'
C b R T i s.
Wkon AME , je l*jlvoue , interdii^cf fe toftttis^--:''^
A G XJ I L A R»
Qiie dirai-je aux Sotdats? ^
Cortes.
Dites que je refuse^
Comme j'ai reFiTse toujours Tindigne emploi ■-
Detrabir &: feur gloire , &: la mienne , & mon Roii
Allez \ its rminnuroient : ils rougiront pevit-etfe; -' *
Dc qnoi rongiraient-ils ? Vous devez me comioitrc^
S'ils osoient proposer rien qui leur fut hoatetix^
Je ne porterois pas la parole pour eux. ^
II est beau d'afFronter un peril necessairef^'-^/^^ '"^
Mais la bonte accompagne un malheur volontairc^
Etce malheur n'est plus, des qu'il est merite,
Qu'un juste chatiment de la temerite.
Je porte mes regards sur Teffet & les suites
Qu'auroit notre courage aveugle& sans limites^
En s^opmiatrant sur cc funeste Bord*
T RA G i D I E. 515
Je vois , pour tout succcs d'un long & rarecfibrt,
Dans ces lieux investis la flammc se repandrc ,
Nos noms ensevelis avec eux sous la cendre,
Et sur I'affreux sommet des temples & des tours
Par ces monstrcspour nous moins hommes que vautours,
Nos armes, nos drapeaux, nos tetes exposees ;
Pour y servir d'objets d etcrnelles risees.
Est-ce la done un prix si gloricux , si doux ,
Que I'orgueil Espagnol en doive etre jaloux »
Seigneur, je n'ai ni I'art, ni le talent frivolc
De plier les esprits au joug de la parole j
Mais elle est inutile ou tout parle a vos ycux.
Osez les arrcter sur ce Temple odieux ,
Sur scs murs empestes ou s'ofire en etalagc
Du sort qui nous attend I'epouvantable image;
Su r cc Peuple innombrable arme pour scs autels ^
Cruel emulatcur de Pretres plus cruels
Dont la vengeance voue a I'ldolc insultec ,
De nos coeurs palpi tans roffrande ensanglantee,
Et deja se dispose a I'horrible festin
Ou nos mcmbres epars.... Vous fremissez enfin.
Tremblezdonc ; & sachez ralentir votre course.
Contre tantd ennemis quelle est votre ressource?
De Guerriers mutilcs un reste languissant.
Qui ne regarde plus ce Cicl qu'cn gemissant ,
Pour qui la gloire &■ Tor nesont plus des amorces,
Dont le dernier exploit vientd'epuiser les forces,
Et qui de tant d'horreurs las d'etre le temoin ,
Meme au-deladesmers,s'en croiroit trop peu loin.
514 FERWAND-CORTiS^
Et quand , pour y voler sous vos heureux auspices.
Nous avons le moment, I'onde & les vents propices ;
Quand votre amour pour nous se devroit signaler >
C'est vous, qui, le premier, nous voulez immoler ? ...
Vous ne m'ecoutez plus. 11 est temps de me tairc.
Deja lombre se mele au jour qui nous eclaire.
La nuit fera tomber les coups que Ton suspend,
( Aux Chefs. )
Songez-y. Pres du lac , Don Pcdre nous attend j
Partons j & lassons-nous d'un zele qu on meprisc.
C o R T i s.
Arrctez ! La retraite est encore indecise j
Et quand vous serez prets tous a m'abandonneF,
Peut etre aurai-)e cncor des ordres a donner.
Voila done ces Guerriers, qui , de TAndalousic ,
Devoient par le Couchant debarquer en Asie j
Et qui ne concevoient dans leur premier desir ,
De borne a la valeur que le dernier soupir !
I}es mers y s'ccnoient-ih j franchissons la barriere,
Et parcourons dujour I'une & l* autre carriere.
Nous te suLVons ^ Cortes j conduis-nous a trovers
Les frimatSj les rochers j les bancs & les deserts.
Remontant sous nos CieuXj que defleurs couronneey
Vers V Orient encor la poupe soit tour nee ,
Et trace autour du. Globe un glorieux sillon >
Q^uL fixe le Soleil sur notre pavilion !
Tcls etoient vos projets. Jc vous crus. Nous partimes.
T RA G t D I F.. 515
Les ai-je mal remplis ces projets magnanimes?
Ne respirons-nous pas sous cles astres nouveaux?
Une richesse immense a paye vos travaiix :
Je ne me reservois que la gloire en parcagc :
Le bruit en a vole jusqu'aux rives du Tage.
Quelle honte pour vous , quand on y va savoir
Qu'unc peur insensee a trahi mon espoir !
Car enfin votre peur peut-elle etre excusable > .
Et qui redoutez-vous ? Un Peuple meprisablc , ' -^
Foible , mal aguerri , lache autant qu inhumain*
Vous fuyez ! & fuyez les armes a la main !
Quelles armes encore ? A peine dies eclatent, '^■
Que pour vousle desordre & la terreur combattent.
Ce ne sont plus vos coups ni de simples hasards : ''
C'est Dieu lui-memc assis sur vos saints etendards ,
Quijd'un feu meurtrier, image du tonnerre,
tpouvante &" ravage une coupable terre , ' i
Aussi digne d'horreur par son Peuple assassin, j\
Qu'indigne des tresors quelle enferme en son seih.
Eh quoi ! La faim , la soif , les ondcs surmontees,
De tant de Nations si vaillamment domptees ,
L'alliance, I'hommage, &" les tributs ofierts, /I
Au milieu de saCour le Roi mis dans les fers, : J
L'Idole , auxyeuxdu Peuple , a nos pieds renversce,
De SQS Pretres impurs la foule, ou disperscc,
Ou , sous le fer vengeur, expiant ses forfaits ; >* i
Sont-ce la des exploits a laisser imparfaits >
A vos engagemens soyez done plus fidelcs.
La Vi6toire sur nous a deploye sqs ailes.
SIS PERKAND-CORTiS ,
Achevons notre ouvrage , & nc reculons pas ,
Quand, pour le couronner, il ne fauc plusqu un pas.
Des fiers Americains Thostilite sauvage
Ose nous annoncer la flamme & le ravage j
Audace centre audace 1 Imitons le Romain
Qui se rendit reffroi du rivage Afriquain.
Que notre flotte, espoir d'une honteuse fuite.
Par nous-memes en cendrc a leurs yeux soit reduite j
Et que I'Ennemi juge a cet embrasement.
Si de sa fermete I'Espagnol se dement....
Est-ce ainsi que la votre aujourd'hui se signale ?
Quelle glace ! Ou done est cette ardeur martiale ,
-Ou sont ces cris de joie & ces nobles transports
Si constammcnt suivis de tant d'heureux efforts ?
, L'abattement par-tout se presente a ma vue !
Ma voix dans un desert semble s'etre perdue !
Du chemin de I'honneur tous se sont ccartesl
Je reste seul ! Eh bien , je serai seul. Partez.
L'or fut I'unique objet pour qui vous soupirates ! '
Vous me suivites moinsenGuerriers qu'en Pirates!
Vous etes enrichis , & vous vous cffrayez :
Partez ! D'autres auront I'honneur que vous fuyez.
Les cent Tlascaliens sauves du sacrifice ,
Ceux des leurs qui devoient m'aider a cet office ,
Le peu de Mexiquains reste fidele au Roi ;
Pour lagloire du mien je ne veux qu'eux & moi.
Mettez bas toute honte j etouflfez tous scrupules;
Allez desabuser des Nations credules,
Quijtantqu'onvousavushardis & triomphans, ^
. ^-' r RA G i D 1 E, 51^
Du Solcil adore vous nommoient Ics enfans i
Allez, d'un nom si beau dementant la noblesse,
Montrer a Tezeuco toutc votre, foiblesse j
Gemir en supplians ou voiis parliez en Rois ;
Et demander asyle oii vous donniez dQS lois<
Partez 1 Et si pour vous I'estime refroidic,
Nc va pas du mepris jusqu'a la perfidie ,
Glorieux d'un butin dont je fus peu jaloux,
Retournez en Espagne alors : & vantez-vous
D'avoir abandonne votre Chef aux Barbares ;
Ce Chef a qui Ton dut des depouilies si raresj
Qui vous fit surmonter tant de perils divers v ■"^~
Quijde son propre corps, vous a cent fois converts;
Qui veut meme en partant vous en couvrir encore.
Qui ! Que ce dernier trait vous confonde &: m'honorc
Venez ! C'est moi qui veille a votre embarquement ,
Et qui vous defendrai jusqu'au dernier moment.
• AguiLAR tombahtavtc tons les autres '^ sei' pieism
Vous triomphez, Cortes I Disposez de nos vies !M
Teriez lieu de tresors , d'asyles , de patriesf'*" '
AUons combattrc , Amis : &: la flamme a la main ,
Annoncons aux Soldats notr^ noble dess.eip, ; r/
C O R T E S a Aguilar,
Prevenonsun malheur. Croyant se satisfaire,
Don Pedre exposeroit ies jours en temeraire ;
Sachez le retenir eloigne du combat. "*' ' ]'" '
C'est nous servir, lui , moi, vous , Elvi're&^'fe^y
JFin du quatriemc Acle, • ; A' ' •} " " •-
5x8 FERNAND-CORT&S^ ^
A C T E V.
SCfi N E PREMIERE.'
a P]^DRE, AGUILAR. ' „
D. P E D R E, Gl
aTerfidb , laissez-tnoi I
A G U i L A R.
Du moins daignezapprendfc~»
D. P E D RE. .*. J; .. *;i
, ■'. , . J: 'VIVO iiJO'V •Itlf!' ^a
D'un homme tel que vous je ne veux rien entendre.
Tous vos propos seroient des propos superflus. y
Cortes est votre ami : je ne vous coonois plus.. . t
A G U I t A R. - 'A
Mais tonnoisscz doif t^s^
D. P E D R E. .,^^^^,:„,,
. . Cest mon Juge & men Maitrc.
Captif &■ desarme , puis-je le meconnoitre J
On ne me verra pas devant lui m'oublier , 3
Jusqu a prendre le soin dc me justifier.
Mais
t RA G IS D I E. 525)
Mais qui pourrois-je mieux attester que vous-meme ?
Ai-je use centre lui du moindre stratageme?
Ai-je, malgrc I'affront que vous n'ignorez pasj
Le premier a la fuitc anime ses Soldats?
J'ai su vos volontesj & je les ai suivies.
Vos trcsors , disiez-vous , vos honneurs & vos vies ,
Tout, sans ce prompt depart long-temps premedite,
Devenoit le jouet de sa temerit6.
Pour Chef , a son defaut, il vous plait de m'elire;
Et quand je n'attends plus que les adieux d'Elvirc ,
Je vous revois sans elle , & la flamme en vos mains
De la gloire a Cortes rouvrir tous les chemins.
C'est lui que i'on quittoit : c'est moi qu'on abandoanc.
Qui merite Ic mieux tous les noms qu'il mcdonne?
Pour vous en avoir crus, suis-je un homme sans foi}
Et coupable envers lui , comme vous envers moi J
A G u I L A R.
J'ai ccsse tout-a-coup , Seigneur, d'etre le meme.
Mais ne vous en prenez qu'a I'ascendant supreme
D'un Chef a qui, pour peu qu'il se fasse ecouter.
Plus on est courageux , moins on peut resister.
En fissiez-vous bien-tot une epreuve eclatante 1
Cortes est ne pour vaincre : il peut tout ce qu'il tentc.
11 parle, on se ranime ; il marche , toutle suit;
Son bras se l?ve, il frappe, .& le Mexicain fuit.
Enfin....
D. P E D R E.
Devant un Roi que son Peuplc redoutc
Tome //.LI
5 5© FERNAND ' CORTiS^
Et non devant Cortes on aura fui sans doute.
Le Prince, en me quittant sen etoit bien flattej
Et votre Chef heureux en aura profite,
A G u I L A R.
Detrompez-vous. Cortes doit tout a son courage.
Loin que Tasped; du Prince ait dissipe I'orage ,
Sur le plus haut portique a peine a-t-il paru ,
Qu'ainsi que la clameur , le peril s'est accru.
Sa voix aux Fadieux sc vouloit faire entendre :
Mais leurscris insolens n'ont daigne se suspendrc,
Qu'au signal absolu que leur en a donne
Celui que dans le Temple ils avoient couronne.
Le Rebelle s'avance , accompagne des Pretres :
Meursj a-t-il dit au Roi, meurs fidele a tes Maures!
Expie aux yeux de tous ton for fait & le leur.
Et des que cette fleche aura perce ton coeur^
Tomhe en cendre aussi tot Vautel ou je t'immole \
A ces mots, levant Tare, il tirej le trait volej
Et mille coups de feu , premices du combat ,
Du Barbare a I'instant punissent I'attentat.
Le Grand-Pretre entoure de coupables vidimes ,
Lui-meme, aux yeux de tous, expie aussi ses crimes.
Mais cette hardiesse , au lieu d epouvanter ,
Nc rend nos ennemis que plus a redouter.
Pour la premiere fois , leur nombre ne s'etonnc
Ni de I'acier qui luit,ni de I'airain qui tonne.
Du salpetre enflamme le ravage avec soi ,
Repand la mort au loin, sans repandre I'effiroi
TRAGEDIE. 531
Tous nos eflforts sont vains. La foule pins epaisse ,
Sous nos coups redoubles , sc reproduit sans cesse.
Deja Tardeur en nous sembloit se rallentirj
Et dc Cortes enfin I'astre se demcntir ;
Quand le Ten[iple du haut de sa voute allumec,
A vomi des torrens de flamme & de fumec.
C etoit Sicotanfal & ses Tlascalicns
Qui , volant au secours de leurs Concitoyens,
A la ville, en ce lieu deserte & sans defense.
Par ce debut terrible annoncoient leur presence.
L'espoir en nous alors s'etant renouvel6 ,
La terreur a sa source a bientot revole.
Noussortons. L'Ennemi que la mort environnc^
Aveuglc ou furieux s'y livre , ou se la donne.
TIascala dans le meurcre assouvit son courroux.
Sa detestable soif s'etanche malgre nous.
La flamme aussi resisted &: les vents la sccondcnt.
Nous voyons ruisseler les metauxqui se fondent;
Et, du Temple cmbrase, parmi d'horribles cris ,
L'or &■ le sang meles inonder les debris.
D. P E D R E.
Quel ctrange desastre ! Et de quels traits I'histoirc
Gravera-t-elle un jour une telle vidoire ?
A G u I L A R.
Ce qu'elle a d'heroique est Tceuvre de nos mains.
Que le reste s'impute a des Americains.
Cortes , ainsi que nous, en a verse des larmes.
Llij
534 FERNAND-CORT^Sy
Des mains des Allies il arrachoit les armcs }
Et de les meconnoitre osoic les menacer ,
S'il ne voyoit I'horreur SsC le meurtre cesser.
Les Barbares enfin gardent quelque mesure ;
LePeuple , pres de nous , se range, se rassure ;
Et , dq nos soins heureux temoin reconnoissanr>
Songe a les meriter en nous obeissant.
D. P ^ D RE.
J'aurois dii, ce me sembic, apprendre par tout autre,
Une gloire , Aguilar , si funeste a la notre.
A G u I L A R.
La gloire est generale, & se repand sur tous.
D. P E D R E.
Mais , Ic Roi n'etant plus ; avcc un tel epoux ,
L'esperance d'un trone a ma fille est ravie.
Aguilar.
Montdzumc est toujours plein d'espoir & de vie.
Le trait n'a de son sang qu'a peine ete rougi -,
Et par-tout sa valeur n'en a pas moins agi.
Mais oubliez..«
D. P E D R E.
Cortes me fait-il interdirc
L'entretien consolant de ce Prince &: d'Elvire ?
Aguilar.
Vous bruliez de perir les amies a la main $
T R A G t D I E. 5^5
II n*a voulu que mettre obstacle a ce desscin.
11 vous rend maintenant plus libre que lui-mejuci
Puisqu'il vous cede ici Tautorite supreme.
D. P E D R E.
Ah ! que m'appreneZ'Vous ?
A G u I L A R.
Plus que vous n'esperiez,
D. P E D R E.
Plus que jc ne craignois !
A G U I L A R.
Quoi I Vous prefereriez...
D. P E D R E.
Oui , la mort J oui, les fers, a roffre humiliante
Dont je sensqu'il insulte a ma haine impuissaate.
A G u I L A R.
Cest connoitre bien mal un cceur tel que le sien».
D. P E D R E.
Pour y lire , Aguilar , il me suffit du mien.
A G u I L A R.
Son respccl est sincere.
D. P E D R E.
11 a su vous seduire.
■.~,.;,r^,j , Aguilar..,
Qu'un mot suffise. 11 aimc , il idolatre Elvireu
,■....: iJJi ; D. PED R E.
*■ ■■ J" ■
LI iii
534 FERNAND-CORT&S,
A G U I L A R.
L'amour le plus vif est garant de sa foi.
D. P E D R E.
Nc nous flattez-vous pas , Elvire , vons , &■ moi ?
A G u I L A R.
Cortes impatient , commc on Test , quand on aimc ,
A vos pieds, va bientot vous le jiirer lui-meme.
SCENE II.
D. P fe D R E
It LUT au Cicl ! Quelle joie > au moment qu'a I'envi
Tout concourt a flatter son orgueil assouvi !
Quel plaisir de lui faire eprouver quclque honte ,
En dedaignant I'aveu d'une flamme aussi prompte I
Qu'osc-t-il esperer ? Quand de justes raisons
Ne desuniroient pas a jamais nos Maisons j
Quand je voudrois payer un bienfait ( dont peut-etrc
11 se fut abstcnu , s'il m'eut pu reconnoitre )
Quand enfin le delai qui tantot m'a blesse ,
N'interesieroit pas mon honneur offense j
Ma parole aujourd'hui plus d'une foisdonnee,
Permet elle qu'on rompe un auguste hymenee>
Pour des feux qui nc sont que TefFet violent
Do la presomption d'un Vainqueur insolent ? '
Conquerant fortune de ces sanglantes rives,
11 met deja ma FiUe au rang de ses captives i '. irj J
T RA G i D I E. 5 5 5
Et nc mc regardant que d'un oeil de dedain ,
Moins en amant qu'en maitre il ose offrirsa main.
Tu t'abuses , Cortes ! & mon ame charmee
Te prepare....
S C E N E I 1 1.
D. PfeDRE, EL VI RE.
D. P E D R E.
A.H ! maFille ! fetes- vous informee....
E L V I R E.
Oui, je sais &: pourquoi vous etiez arrete ,
Et rhonneur qu'on attache a votre liberte.
Eh bien, sur vos malheurs gemissez-vous encore?
Est-ce la ce rival, Seigneur, qui vous abhorre ?
Fait-il de sa fortune un criminel abus ?
Et m'etois-je trompee en vantant scs vertus ?
Je vous I'avois bien dit , que ce jeune courage ,
Deses heureux exploits vous reservoit rhommage j
Et qu'un si noble trait les couronneroit tous.
D. P E D R E.
Oui ; mais a quoi , maFille , a quoi Ic devons-nous,
Ce trait, qui de Cortes efFacant la naissance.
Est si digne , a tes yeux, de ma reconnoissance?
A la plus foUe audace , au plus indigne espoir
Que nos malheurs pouvoient lui laisser concevoir \
L 1 iv
'5 5<J FERNAND-CORTESy
A ramour ! Si pourtant c'est ainsi que se nommc
Une frivole ardeur qui nait au coeur de rhomme >
Quand du scin corrompu de la prosperite,
11 donne un libre essor a la cupidite.
A ta possession le remeraire aspire j
Et d'cgards apparens payant la main d*Elvire ,
II pense que jc n'ose ... Ah ! j'aime , a cet affront »
J'aimc a voir la rongeur qui s'cleye a ton front !
Oui, ma Fillej tel est I'interet qui I'anime.
Le voila done ce coeur si pur , si magnanimc !
J eusse etc bien surpris , que du sang dont il sort.
La vertu seulc ciit eu I'honneur d'Un tel efforts
E L V I R E.
Du moins s'il se plaisoit au recit du naufragc
Ou D.Sanche a pour noussignale son courage »
Et si me rctrouvant prete a donner ma foi ,
II s'est jete , Seigneur , entre I'autel &" moi j
Du moins , de votre coeur la fierte mecontentc
N'en dut pas accuser une haine insultante j
Et vous ne direz plus que nous ayant trouves ,
S'il nous eut rcconnus , il nous eut moins sauves,
D. P E D R E.
Je vous entends. Tolede a vu naitre sa flamme j
Et c'etoit le secret qui pesoit a votre artie ,
Quand vous avez tantot embrasse mes genoux ,
Et que ma bonte , prompte a mieux penser de voiis.,
A la perte d'unTrone impuroit vos alarmes?...
Tu ne me reponds rien ! 11 t'^chappe des larmes !
T RA G E D I F, 5^7
E L V I R E.
Mon Pere ! ....
D. P E D R E.
Elvire ! .... .
E L V I R E.
Eh quoi ! N'ctrc pas desarm^...s
D. P E D R E.
Ah ! jc n*ai plus de Fille; & Cortes est aime!
SCENE IV.
D. PEDRE, CORTfeS, ELVIRE.
C O R T i s,
iiE Mexiquc a genouxdevant I'Aiglearborec,
Reconnoit de Cesar la Majeste sacree.
Seigneur j &: Charle ayant a se manifestcr,
C'est a vous desormais a le representer.
II falloit dans un champ d'horreur &: de carnage ,
Vous sauver de vous-meme &: de votre courage.
Vous eriez un depot, dont , apres le combat ,
M'eussent demande compte Elvire & tout I'Etat.
N'osant done un moment vous y laisser paroitre ,
Je commandois encor ou vous ns pouvicz etre •,
Mais d'un calme assure n'ayant plus qu'a jouir,
Ou vous etes alors je ne sais qu'obeir.
558 F E R N A N D ^ C O RT i S ^
D. P E D R E.
Si je m*etois laisse du sein de la disgrace ,
Par toi-meme elever aux honneurs de ta place ;
Moil malhenr est extreme , il seroit consomme.
Je dois n'etre que plaint •, je serois diflFame.
Cortes , ne me rends pas I'opprobre des deux Mondes !
Fais-moi surune barque abandonner aux ondes,
Ou , ne dependant plus que d'ellcs & du sort ,
Je puisse retrouver ou mon rang ou la mort..
( A Elvire. )
Suivez-moi.
Cortes.
Quoi, Seigneur....
D. P E D R E.
Laissez-nous.
Cortes.
Chere Elvire \.
Vous n*avez done pas dit ce que vous deviez dire?
Elvire.
Helas!
D. P E D R E.
Je vcux partir j & ne plus rien savoir.
Cortes.
Qui pcnsez-vous done voir en moi ?
D. P E D R E.
Que puis-je y voir»
Qu'un dernier instrument des cruautes celestes
T RA G E D I E. 53^
Qui veulent de mes jours cmpoisonner les restes !
Vas ! Je mcrite bien que de Tinimitie ,
Ton coeiir passe au mcpris, &■ meme a la pitie.
Souille ma vie au ^re des manes de tes Peres !
Qu'est-clle , qu'un tissu d'aflfronts & de miseres?
Mon age , dans I'oubli d'un exil de vingt ans ,
A vu sechcr sa fleur , &r perdre Theureux temps
Qui de rhomme eternise &: fonde la memoire.
Rappele, i'entrevois une route a la gloirej
J'y vole sur la foi d'un perfide clement ,
Donttoutes Icsfaveurs sont pour toi seulemeat.
En me ravissant tout , il me laisse la vie ;
Et c'est pour me ieter sur une rive impie ,
Ou m'attend I'appareil d'un sacrifice afFreux !
Que dis-je! Ou je te trouve! Ou je te trouve heurcux!
Ou tout astrc pour moi , pire que le naufrage ,
Nous sauve a des autels ; a d'autres nous outrage !
Jouet in fortune du Chef & des Soldats ,
Ma Fille me restoit du moins . . .
E L V I R E.
N'achevez pas!
Elvire est votre Fille; elle vous reste encore ,
Seigneur ; & n'cst pas scule ici qui vous adore....
Cortes.
Ecartez en efFet, Seigneur, de votrc esprit
Tout ce qui Tindispose, ou I'abat, ou I'aigrit;
Et J voyant d'un autre oeil, le rang qu'on vcus defcre..
54© FERNAND'CORTiS ,
D. P E D R E. J
Et de quel ceil venx-tu que je le considerc ,
Ce rang, le juste fruit d 'une rare valeur j ■
Dont le bruit seul m'a fait courir amon malheur !.«^
Oui j d'une ambitieuse &: noble jalousie ,
Mon ame , je I'avoue , a ee bruit fut saisie,
Et de le partager forma le vain projet.
T'egaler , t'obscurcir etoit mon seul objet.
J avois mis la ma gloire; &• ma honte en resulted
Jouis en. Mais plus loin ne pousse pas Tinsulte, ^
A ma fierte confuse offrant en cc Pays, ? n
Un rang qui n'y convient qu'a ceux qui I'ont conquis*
Cortes. i
A vous Tofirir aussi c'est ce qui me convie. ^
Oui ; si ce que j'ai fait merite quelque envie ,
Que Charle , &: non Don Pedre , en daigne etre jaloux!:
Quel est le Conquerant ici, si ce n'est vous?
D. Pedre.
Moi!
Cortes,
Vous, en qui le droit de disposer d'Elvire,
Rassemble , ^ par-dela , tons les droits de 1' Empire !
Vous , dont je ne pouvois par de moindres exploits ,
Chercher a meriter &: I'estime &: le choix.
De ces exploits moins dus a mon bras qu'a ma flamme ,
Elvire etant I'objet, vous seul en etiez Fame.
Mes lauriers sont a vous , com me aux Fronts couronnes
Ceux qu un Snjet fidcle a pour eux moissonncs.
T R A C 6 D I E. 541
( Elvire ici voyant son Pere emu ^ sejette a ses pieds. )
Ne voyez que la gloire ici qui voiis est due ;
N'y voyez que les pleurs dune Fille eperdue ;
. Que Tamour d'un Guerrier qui tombc a vos gencux,
Dont tout le sang ofFert ... '
D. P E D R E tendremenu
Ma Fille , levez-vous.
Cortes.
Ah, Je vous flechirai! Ce regard favorable
Semble avouer deja qu'Elvire est moins coupablel
J'acheverai , Seigneur , de la justifier.
A vos nobles travaux daignez m'associer 1
Cher a tous nos Soldats, marchcza notre tere!
Sous vos ordres par-tout I'Aigle a voler est prete.
Parlez^ & nos vaisseaux fendant I'onde & les airs,
Du Sud auront bientot franchi les vastes mers.
Er qu ai-je done tant fait sur ce vaste hemisphere ,
Que ne puisse effacer ce qu'il y reste a faire ?
Le Cirque s'ouvre a peine j & la palme encore loin ,
M'engageant a vous suivre....
D. P E D R E.
U n'en est plus bcsoin.
Dans cet embrassement jouis dc ta vidoire.
Puisquetu m'as vaincu , rien ne manque a ta gloire.
Triomphe, heureux Cortes ! Ettriomphe, assure
Que je t'ai moins hai mille fois qu admire....
Mais de quel prix payer un devoucment si rendrc?
541 jFERNAND-COR T^ Sy
Cortes.
De quel prix ? Ah 1 Seigneur , tout vous le fait entendfej
Du prix dont je m'osois flatter auparavant 5
Dii prix que se promit Don Sanche en vous suivanr.
D. P E D R E.
Je croirois preferable a tous les Rois du monde
Un Heros qui pour moi soumet la terre & I'ondc,
Si d'un si juste choix le droit metoit rendu.
Mais, genereux Cortes, I'espoir en est perdu.
Vous le savez : Elvire est au pouvoir d'un autre.
J'ai donne ma parole ; &: meme sur la votre.
Cortes.
Ah ! v6us n'ignorez plus...
D. P E D R£.
J'ignore aveuglement
L'art de st dispenser de la foi d'un serment
Que I'honneur ici parle a tous les trois en maitre.
Vousetes , vous , mon sang: & vous , digne d'en etrc.
Je vous perds a regret : je m'y resous pourtant.
Imitcz-moi. Sachez, d'un ceil ferme Sc constant,"
Envisager...«
C OR T £ s.
V
Non , non ; le Prince est equitable
Je saurai , sans m'y prendre en Rival redoutable,
Et n'opposant qu'honneur , que raison , qu'amitie....
Mais , que vois-je } Est-ce lui ! Quel objet de pitic 1
TRAGEDIE. 543
■ ■U»ll»MLMn
S C £ N E V & dcmierc,
MONT^ZUME mourant, CORTES,
D. PtDREjELVIRE, GARDES.
Cortes.
.M.ONARQUE infortune! Nommez le Parricide,
DoQt la main....
MONTEZUME.
Vous avez foudroye le Perfide.
C'cst celui qui tantot , ceint du bandeau royal ,
A sur moi leve Tare , & donn6 le signal.
Du coup peu craint , telle est la suite inopinec.
La fleche du Barbate etoit empoisonnee.
L'cfiet de veine en veine a penetre mon scin ;
Et TAnge de la Mort etend sur moi sa main.
C o R T i s.
Monstres que ne dut pas epargner ma clemence !
Peuple ingrat ! Que le fer, que le feu recommence 1
Tremble ! Ton Prince a peine aura fermeles yeux.
Que ta dcstrudion purifiera ces lieux !
MONTEZUME.
Au nom du Dieu de paix, j'ose vous le defendre.
Cortes.
Quoi ? Votrc cccur encor voudroit...
5 44 FERi^AND-CORtAS ^ tRAGEDIE.
MONTEZUME.
Daignez m'entendrei
Et recueillir du fond de ce coeur paternel ,
Quelques mots que doit siiivre un silence eternel*
Oui; j'imite en mourant, votre Dieu que j'adore.
Sacrifie par eux, pour eux je vous implore ;
Pour eux je vous demande, en ce dernier moment,
Une pitie bien due a leur aveuglement.
Vous m'avez fait connoitre & plaindre leur misere*
Vous fiites mon ami ; daignez etre leur pere.
lis peuvent etre heureux , vous m'en etes garant ;
Que ce flatten r espoir me suivc en expirant.
{A Elvire.)
Faites-en souvenir I'fepoux que je vous laisse ,
O vous dont je n'ai pu meriter la tendresse 1
Je n'en murmure plus connoissant mon Rival.
Heureux que ce ne soit qu'apres le coup fatal !
Quelque hommage de moi quesavaleur obtiennc.
Ma main vous eut ose disputer a la sienne :
Dumoins, par un des miens, a vos pieds renverse ,
Jc meurs sans vous avoir Tun ni Tautre offense.
( On I'emporte. )
D. P ^ D R E.
11 expire. Sa mort est digne de nos larmes.
Mais enfin I'Amerique est soumise a vos armes.
Que d'un exploit si rare Elvire soit le prix ;
Possedez-la, Cortes j &c devenez mon Fils.
F I N.
La
L A
FAUSSE ALARME,
PASTORALE
EN UN ACTE.
Tome 12, Mm
PERSONNAGES.
LYSIS, Bergcr fidele,-
H Y L A S , Berger inconstant,
S Y L V I E , Amantc de Lysis,
CHCEUR de Birgers & de Bergeres.
,TIMARETTE, Confident e, Amic de Sylvie.
Le Theatre represente aufond un beau Champetre ^
& des Bocages sur les ailes.
La Scene est sur U bord du Lignon,
147:
L A
FAUSSE ALARME
PASTORALE,
£^St
SCENE PREMIERE.
UN BERGER, «/^m^r<r U Thiatre,
A.U loup ! Au loup I Au loup 1
Le monstre en fiirie
Est dans la prairie
Qui ravage tout.
kxx loup 1 Au loup ! Au Loup I
Venez , sortez tous
De la Bergerie ,
Et rassemblons-nous \
Que chacun de vous
S'arme , courre & crie :
Au loup ! Au loup 1 Au loup I
Que dira Sylvie \
O funeste coup !
Sa brebis cherie,
A perdu. la vie I
M m ij
548 LA FAUSSE ALARME^
C H (E U R.
Au loupl Au loup ! Au loup !
Le monstrc en furie
Est dans la prairie
Qui ravage tout.
Au loup I Au loup 1 Au loup !
Hallalis j aboiemens j cors j cris j &c,
S C £ N E I L
H Y L A S , Chxur dc Bergers,
C H (E U R.
Triomphe ! Vidoire !
Lc monstrc est blesse 1
II est renverse :
Un trait I'a perce :
Hylas a la gloire
De Tavoir lance.
Triomphe 1 Vidoirc!
Hylas a la gloire
D'avoir devancc
Le plus empresse.
Triomphe I Vitloire t
PASTORALE, 549
H Y L A S.
]fevitezla triste Sylvie:
Je la vois en pleiirs s'approcher,
Toute prete a nous reprocher
Qu'elle a seule etc mal servic.
SCENE III.
S Y L V I E , H Y L A S.
H Y L A S.
xa. LA ViLLE on perdroit une Amantc,un Amant,
Sans en etre un moment
Moins gai ni moins tranquille.
Laissez , Belle Sylvie , un regret inutile.
Quoi 1 pour une brebis , vos pleurs daignent coaler J
N'en avez-vous pas mille
Pour vous en consoler ?
Pensons aux champs comme a la ville.
On y pcrd une Amante, on y perd un Amant >
Sans en ecre un moment
Moins gai ni moins tranquille.
Sylvie.
Leger en tout , comme en amours,
Hylas J portez ailleurs vos frivoles maximes.
Mm iij:
55© LA FAUSSn ALARMS^
Laisscz-moi seule ici donncr un libre conrs
A mes plcur^ legitimes ;
lis me soulageront plus que tous vos discours.
H Y L A S.
Une ariette , unc fanfare
Dissiperont cette vapeurj
Et la Fete qui se prepare
Vous rendra votre belle humeur.
SCENE IV.
S Y L V 1 E.
C) ma chere brebis , je t'ai prise a ma suite.
En venant ce matin , cueillir ici des fleurs ?
Moi-meme j'ai cause ta perte& mes douleurs
C'est moi-meme qui t'ai conduitc
Dans le lieu fatal ou tu meurs I
PASTORALE. 551.
SCENE V.
LYSIS, SYLVIE
Lysis.
*u'elle est heiireuse, helas! de meriter vos krmesi
Et qui n'envieroit son destin J
Mais c'est trop se laisser accabler d'un chagrin
Qui me cause pour vaus les plus vives alarmcs.
S Y L V I E.
Je la tenois de votre main.
Lysis.
Ah ! que ce peu de mots pour mon coeur a de charmcsJ
Ai-je bien entendu ? Repetez-Ies sans fin.
Pourquoi , pourquoi , belle Bergere^
Certe brebis vous fut-elle si chere,?.
S Y L V I E.
Je la tenois de votre m^in..
Lysis.
Partagez done Talcgresse
Dont vous rcmplissez mon ccEiir !
Et montrez moins de tristesse
Pour un si petit malheur.
En amour est-il une peine,
.Quand Tamour d'aiUeurs est content^
M m iy
551 LA FAUSSE AlARMEj,
Qu'il ne rende legere ou vaine >
Ec qui dure plus d'un instant ?
Venez faire choix dans la plainc
Dc I'agneau
Le plus beau
Du troupeau
Que je menc !
Chiens &: troupeaux & bcrgers sont avous.
Aimez , &" tout vous sera doux.
En amour cst-il une peine ,
Quand d'ailleurs I'amour est content »
Qu'il ne rende legere & vaine ,
Et qui dure plus d'un instant t
Mais quoi, vous soupirez encore i
S y L V I E.
Votrc coeur est tranquille , & Ic niien nc Test pas.
Lysis.
Eh ! quel autre soin le devorc >
S Y L V IE.
Comment aimer, sans craindrc les ingrats ?
Lysis.
Penscz vous en voir un , en moi qui les abhorrc "i
Moi, qui vous aimerai par-deli le trepas?
S Y L V I E.
Jc vous en croirois . . . mais , helas !
PASTORALE, 533
Lysis.
Avez-vous des sujets de soupcon que j'ignorc?
S Y L V I E.
Non i mais si vous m'aimez....
Lysis.
Aimer ! Je vous adore.
S Y L V I E.
Eh bien , si vous m'aimez, rompsz avec Hylas.
Ce Berger malin , saiis cesse
Rit de la fidelite ,
C^hante la legerete ,
Plaisante sur la tendresse ;
J'ai vuqu'avec plaisir souvent vous Tecoutiez.
Lorsque pres de lui je vous laisse ,
Je vous avouerai ma foiblesse ,
Jc Grains de vous revoir autre que vous n'etiez.
Lysis.
Votre tranquillite fait celle de ma vie :
Je Ic fuirai , belle Sylvie.
La fete qu'il donne aujourd'hui ,
Pour ce jour seulement I'un a I'autrc nous lie:
Demain vous serez obeic ;
Demain , pour jamais je le fui.
Ensemble.
Loin de nous tout volagc
Qui nomme esclavage
5H L^ FAUSSE ALJRME^
Les noeiids les pins doux ?
Ramenons le bel usage
Des amours du premier age r
Qa'on premie cxemple sur nous.
Loin d'ici tout volage
Qui nomme csclavage
Les noeuds les plus doux,
( Sylvie sort brusquement voyant venir Hylas, )
SCENE VI.
H Y L A S , L Y S I S.
Hylas.
i ETE-A-T^TE avec ta Sylvie,
Tu n*as que les regards , les soupirs & la voix t
Et je n'interromps pas, jc crois,
Des plaisirs bien dignes d'envie*
Lysis.
Est-il entre Amans >
De plus doux momens
Que ccux oil: Ton se donne une foi mutneltc ^
Sylvie, avec plaisir , ecoutoit mes sermens.
Nous noiTs jurions une amour eterneile.
Est-il entre Amans ,
De plus doux momens
Que ceux ou Ton se donne uik foi mutucKc ?
PASTORALE, 555
H Y L A S.
La Bergere aime la Constance ,
Mais ce n'est que dans le Berger :
JEllc en parle son vent au moment quelle pense
Elle-meme a changer.
Lysis.
II est dcs Bergeres
Legeres ,
Je le sais , Hylas :
Mais je sais de memc ,
Que celle que j'aime
Ne Test pas.
Hylas.
Tu n'as dans la tete
Que ton fol amour :
Songeons a la fete
Qui doit etre prete
Pour la fin du jour.
Lysis.
J'y fais un mauvais personnagc ,
Et je I'y fais bien malgre moi.
Le role d'un Amant vol age
Devoit n'etre donne qu'a toL
Hylas.
On fait ce qu'on veut de soi ;
Tranche moins de TAmant fidele,
5s<J LA FAUSSE ALARME^
Et me prends pour ton modele.
Parlons-ea de bonne-foi :
Tu n*as des yeux que pour ta Belle >
Qu'une autre le soit plus quelle,
Tu passeras sous sa loi.
Lysis.
Treve a ta morale ofiensante :
Donne-moi seulement & Tesprit &: Ic ton
Des vers que tu veux que je chantc.
( Ici Von entend un Chaur de Bergeres qui chante. )
U n'est d'amours contens ,
Que les amours ronstans.
H Y L A S,
Derobons-nous a la foule bruyantc
Des Bergeres de ce canton j
Et qui , sourdes a ma le^on ,
De ta Morale extravagante
Font retentir tout Ic Vallon.
( lis sortent, )
i^X*
PASTORALE, 55^
SCENE V I L
Entree de Bergeres.
L E C H (E U R repete*
Al n'est d'amours contens ,
Que les amours constans.
TiMARETTE.
Aimons comme Sylvie,
Son bonheur y convie.
II n'est d'amours contens
Que les amours constans*
C H (E U R.
11 n*est d'amours contens ,
Que les amours constans*
TiMARETTE.
La folic Hirondelle
N'aime qu'a changer 1
Et chez r^tranger
Vole a tire d'aile ,
Sans voir le danger
Qui vole autour d'elle.
Et cepcndant en paix, la sage Tourterelle,
Pres deson Tourtereau fidele,
Jouit, a I'abridesvenis,
55S LA FAUSSE ALARME,
Et dans tous les temps ,
Des plus doux plaisirs du Printemps.
TlMARETTE(S'/c Chxur,
11 n'est d'amours contens ,
Que les amours constans.
TiMARETTE seule.
Qu'au Dieu d' Amour Sylvie a de graces a rendre !
Elle aime uniqueraent Lysis ;
Et Lysis, dcs Bergers le plus beau , le plus tendre.
Est d'elle uniquement epris.
Sylvie.
Des Bergers du Hameau
Lysis est le plus beau j
Mais il ecoute Hylas j Hylas est un volage i
Et les Bergers aimes sont pres d'etre inconstans.
Ce Lysis aujourd'hui si fidele & si sage
Le sera-t-il long-temps t
Le C h oe u r.
II n'est d'amours contens.
Que les amours constans.
Sylvie.
Jc les ai vus nous fuir : je les vois reparoitre :
^coutons de ce cabinet;
Voyons si je suis en effet
Aimee autant que je crois I'etre.
( Elk s€ ya mettn sous k feuillage. )
PASTORALE, 5^-
SCENE VIII.
LYSIS, HYLAS,5'/fj Bcrgcres codices.
H Y L A S.
\jroUTE &■ retiens bien mes Iccons,
Qu'un peu de gaite les seconde.
Tache d'avoir mon air &■ mes facons :
Et je te garantis tout le siicces du monde.
HMTWi-.TI ,1iim.llWHnB«
SCENE IX,
LYSIS & les Bergeres cachees,
L Y S I S a voix basse J pas si basse pourtant que les
Bergeres ne le puissent entendre j comme elks cnt
cntendu Hylas,
AL a raison en ce moment ;
Prenons son ton , son caradere j
. Laissons-Ia le sentiment j
Faisons valoir le talent;
- Ne songeons enfin qu'a plaire.
( Ici commence son role, )
Helas ! helas !
Que je suis las
D'etre fidgle i
$tfo LA FAUSSE ALARM^^
Est-il temps plus beau ,
Que le renouveau ?
Ni rose plus belle ,
Que la plus nouvelle ?
Aimer le meme objet! I'aimer jusqu'au tombcau !
La seule idee en est mortelle.
Ah ! le pesaiit fardeau
Qu'une chaine eternelle I
Helaslhclas!
Que je suis las
D'etre fidele !
li est mille sortes d'attraits
Qu'une Beaute ne peut rassembler seule en clle^
Et dont on ne jouit jamais
Qu' en voltigeant de Belle en Edlc.
Helas ! helas !
Que je siiis las
D'etre iidele !
( A part de V autre cote de I'endroit d^ou on I' ecoutoit ^
maisy assei^ bas pour quit ne puisse etre entendu
des Bergeres. )
Je me fais a moi-meme hcrreur en m'ecoutant*
Ce role est abominable.
Je ne m'en sens pas capable :
Je vais m'en defaire k I'instaiit*
SCiiNE
PASTORALE. sd
S C £ N E X.
SYLVIE, TIMARETTE.
S Y L V I E.
4* I DELE Amour , tii n'as done plus d'asylel
Je croyois te trouver au fond de ccs foretsj
On te meprise aux champs comme a la ville ,
Je les abandonne a jamais.
Qu'ai-je vu ? Qu'ai- je oui ) Juste Ciel ! Dois^j^ cfn ctt>ire
Mon oreille &: mes yeux ?
Une infidelite si noire
A-t-elle pu souiller ces lieiix >
Le Perfide ! il me jure
Qu'il nVaimera par-dcla le trepas !
Sur ^es sermcns je me rassure 5
11 me quitte , il rejoint Hylas : .
« Et le voila parjure ,
Helas!
Fidele Amour , tu n'as done plus d'asyle !
J*ai cru te. retrouver au fond de cgs forets ;
On te meprise aux champs comme a la ville,
, . Je,^QS abandonne ^ jamais.
( Elk Mse 'idhdutettc &jeite au loin sd pannetiere:)
Tome II, Nn
5*2 LA FAVSSB ALJRME,
TiMARETTE.
Ah 1 n'abandonnez point une douce retraitc
Ou le calme d'un ccEur souvent s'est retabli I
Rappelez , relevez un courage affoibli ,
Tous les jours on vous le repctc :
L'infidele Berger, par son crime avili,
Fut-il d'ailleurs en tout un Bei'ger accompli ,
Est peu digne qu'on le regrette,
Et ne merite que I'oubli.
S Y L V I E.
Je ne dois a I'lngrat que mepris & que hainc }
Je Ten accablerai : mon coeur se le promet:
Mais quand on a tant pris de plaisir &■ de peine
A serrer une chainc ,
Qu'on la brise a regret !
S C £ N E X I.
SYLVIE, TIMARETTE, HYLAS.
H Y L A S.
J^ERGERES, ma venue est peut-etre indiscrettc>
J'ai cru trouver ici Lysis.
Lui seul se fait attcndre aux lieux oii I'on repete
Le spectacle amusant que je vous ai promis.
PASTORALE, 5^1
S Y L V I E.
Sors de ma presence,
Berger odieux !
TiMARETTE.
Tu blesses nos yeux j
Laisse-la ta danse ,
Tes chants &: tcs jcux.
: Par eux Tinconsrance
Infedle ces lieux ;
Avant leur licence
Nous vivions heurcnX
Et dans 1' innocence.
Berger dangereux,
Tu blesses nos yeux.
Ensemble.
Sors de ma presence,
Berger odieux.
H Y L A s.
J'esperois de mes soins tout un autre salairc.
Nn ij
5(?4 ^^ FJUSSE ALARME,
S C E N E XII 6' dcrnihc.
SYLVIE, TIM ARETTE, LYSIS, HYLAS.
Lysis a Hylas.
\' oiLA ton role, Hylas;
Qiielque autre le pent faire : ,
Je ne m'en charge pas.
H Y L A s.
Autre boutade , &: nouvel embarras I
Lysis.
Cest vous que jc cherchois , trop heureuse Sylviej
Vous ne vous plaindrez plus des destins ennemis I
On a rctrcuve la brebis
Que le loup vous avoit ravie.
S Y L V I E.
Eh ! Je n y songeois plus , Lysis !
Lysis,
Cest que vous la croyiez blessee ?
La dent ne I'a point offensee :
Elle est comme elle etoit lorsque je vous ToiFris.
S Y L V I E.
Telle qu'il plait au Sort de nous la rendrc;
N etant plus pour moi d'aucun prix.
La prenne qui la voudra prendre.
PASTORALE, j^^
L Y S I s.
J'ignore si jesuis,
Et si i'entends Sylvic.
Que dites-vous ?
S Y L V I E.
Ce que je dis,
Jc le dirai toute ma vie.
Lysis. : mp r'^
Quoi ! Cette brcbis si chericj'-^^*^"'
Que vous orniez de flours, que vous avez nourric,
Qu'aujourd'hui vous pleuriez , enfin ,
Par la seule raison , si j'ose vous en croire ,
Et le rcpecer a ma gloire ,
Que vous la teniez de ma main I
S y L V I E.
Oui, je suis si peu constante,^
Que cette meme raison
Me la rend indifFereiice.
* j 3i:jL'f: Lysis.
Exrpiiquez-moi cette enigme cffrayanteJ
S Y L V I E.
Les eclaircissemens ne sont plus de saisonwi'-*- - -
L Y S I S. <z Timarette.
O vous , sa chere Conftdente \
Au nom de votre intime &j tcndre liaison ,
De grace , dites-moi ce qu on veut que j'ignorcr
N n iij
5<?^ LA FAUSSE ALARMS^
TiMARETTE ^ Sylvie.
Confondez-le d'un mot!
S Y L V I E.
Eh , que lui dire encore J
Ignorc-t-il sa trahison >
Lysis.
Moi qui meme nc puis la soufirir dans un autre!
Et quelle bouche a pu m'en accuser ?
S Y L V I E.
La votrc.
Lysis.
La micnnc !
S Y L V I E.
Rougissez I
TiMARETTE.
Berger une autre fois,
Quand vous vous croirez seul , elcvcz moins la voix.
Observez-vous avcc un soin extreme.
Si vous n'ctes fidele , au moins soyez prudent.
Pensez basj & que lecho meme
Nc soit pas votre confident.
Lysis.
Ah! Voici deja qui m'cclaire •
PASTORALE, ^6j
TiMARETTE.
Tantot, quand vous avez, a ce lieu solitaire ,
De voire coeiir leger confie les secrets ,
De ces secrets Sylvie etoit depositaire i
Et dessous ce fciiillage epais,
J'ai moi meme cntendu comme ellc,
Cette chanson toute nouvelle :
Helasl Helast-
Que je suis las
D'etre fidele !
Lysis.
Enfin voila tout Ic mystere !
Gloire, gloire aux tendres Amours!
(A Sylvie.)
Je triomphe , Belle Eergere 1
Car si je fus aime , je le serai toujours.
S Y L V I E a Timarette.
Ou tend son discours J
Qu'est-cc qu'il espere ?
De quoi rit Hylas ?
H Y L A ^2
De votre cole re i '♦
De tout ce fracas \
Pour une chimere.
Sylvie.
Que me voulcz-vous fairc entendre^
Nn i\?
,5 5) 8 lA FAUSSE JLARME :, PASTOR.
H Y L A S.
Le Berger repetoit ce role injurieux
Que, malgre lui , je lui fis prendre ,
Et que tout^a-l'heure a vos yeux,!^ iiv t
11 vient , malgre moi , de me rendre.
Lysis.
Avcz-vous pu me croire infidele un moment?
Et comment le pourrois-je etre,
Moi qui n ai pu seulement
Me resoudre a le paroitre !
L'etonnement vous arrache un souris.
Que voire bouche ajoute a ce sourire aimabic,
Un mot , un seul mot favorable !
S Y L V I E.
Vetiez me rendre ma brcbis.
i^9
I
L E T T R E
DE MONSIEUR
IE COMTE DE T E S S I N^'^
AmBASSADEUR DE SUEDE, ,.,,y
A MONSIEUR PIRON.
JF'a I cm avec raison , Monsieur , nc poiivoir
mieux m adresser qu'a vous pour le rafinement &
I'execution d'une idee, petit -etre mal digcree,
qui m'cst venue ; mais , entre vos mains , ellc
prendra aisement & surement ( si vous voulez
vous en donner la peine) Id poli & I'air de Justessc
qui lui manque dans sa premiere naissance.
Voici ce que je desire : Je voudrois que Ton
s'appliquat a caraderiser S>c analyser dans les
Pieces comiques , les vertus avec la mcme force ,
la mcme justesse, & le meme pinceau dont jusqu'ici
on a caraderise les vices •, & qu'on en fit exade-
ment voir les contrastcs. Par exemple, si Ton
57* L E T T R E
cntreprcnoit de pcindrc Ic Genereux par opposi-
tion a I'Avarei le Prudent ou THomme de conscil^
pour figurer contre Tifetourdi \ le vrai Brave contrc
le Fanfaron \ I'honnete Homme , contrc mille ca-
raderes de Fourbes j le Sincere obligcant , contrc
le Flatteur j la Femme vertueusc , contre la Co-
quette i &: ainsi dey autres.
. Les traits brillans du vrai merite, animeroient ,
amon avis, pourlemoinsaurant, & toucheroient
suremcnt davantage , que le ridicule du vice nc
cause de I'indignation , puisque ce dernier fait
quasi toujours rire , &: perd par-la de son efiFet;
au lieu que I'autre est toujours respedable , &: n'a
rien qui puisse diviscr ou distraire I'attention.
J'en juge par moi-meme j j'aime mieux m'ap-
pliquer a imiter les exemples vertueux , qu'a conr
noitre & fuir les vicieux. Les derniers par euxr
memes ne peuvent m'inspirer qu'une inadion , au
lieu que les autres reveillcnt, animent & font agir j
car la difierence est tres- rcelle, entre n'crre pas
vicieux , ou etre vertueux. Je pense que tout Ic
mondc sent cela comme moi.
11 resulte encore un autre inconvenient de ce
qu on neglige de faire voir le bien avec la mcme
j4 M. P I R ON. fyt
cxad:itude que le mal , en ce qu'on voit tous le$
jours , que pour eviter I'cxccs que Ton reprcsente,
on tombe , feute dc connoitre le vrai , dans Ic
defaut contraire \ de sorte que pour se garantir de
I'avarice , on devient prodigue j pour n'ecre pas
Coquette, on se fait Prude j & nos jeunes Gens,
pour ne pas passer pour Poltrons, deviennent sou-
vent Bretteurs.
On pourroit objcder que ce que je souhaite,
est le but des Tragedies j mais outre qu'elles nou$
tracent , la plupart du temps , des vcrtus ou farou-
ches ou uniquement propres a Theroisme , elles
conduisent toujours a un denouement sanglant ,
qui intcresse , saisit I'attention entiere , &: fait
negliger les caraderes.
Ce n'est done pas la ce que je demandc; mais
des anions plus unies,des vertus a I'usage dc tout
le monde , & plus a portee de rhumanite & de la
vie Journaliere •, &c qu'au lieu de blamer le vice ,
on s'attachat principalement a honorer la vertu.
A mon avis, c'est la seule chose qui manque
au Theatre Francois , d'ailleurs si parfait , tant a
regard des Auteurs que des Adeurs , qu'il fait le
j7i L E T T R E
modcle de tons les Theatres du monde , &■ Tad-
miration d'une Nation , dont les jngemens sur Ic
produit de Tesprit sont si siirs &: si justes.
D'ou vicnt done ce manqncmcnt ? Seroit - cc
que les traits grossiers du vice sont plus aises a
saisir , que les traits fins 6^ delicats de la vertu ?
Car pour le jeu du Theatre , il seroit le meme; &
je pensc que si Ton reprcsentoit la Femme Sage
du monde , on y pourroit meler des sujets qui
tenteroient sa vertu , dont les fausses demarches
produiroient des scenes trcs- rcjouissantes. En un
mot, je voudrois qu'on fit du moins quclques
Pieces ou le Hcros fut parfait , & oii Ton ne connut
les vices que par opposition a ce premier Person-
nage; c'est-a-dirc, tout le contraire des Comedies
jouees jusqu'ici , & que Ton donne encore jour-
nellement j & par-la on apprendroit qu'il ne suiifit
point de n'etre pas ingrat , mais qu'il faut etre
rcconnoissantj que ce n'cst pas assez de ne point
mentir, mais jusqu'ou il faut dire vrai j &: unc
infinite d'autres merites & bienscancei dont on
ignore la juste definition.
Si j'en disois davantagc , je passerois ma portee ,
&c j'exccdcrois le plan que jc me suis propose de
A M. P I R O N. 575
ncvons ofFrir, Monsieur, qu'une Piece appareillee,
& qui restc a limer par la main du Maitre. Que
ne doit-on pas attendre dc I'Auteur de Gustave ?
GusTAVE , ce grand Roi , doit sa nouvelle gloire
Et son nouvel eclat , Piron , a tes Ecrits ;
Et son nom, justement immortcl dans THistoirc,
Qui ne paroissoit plus cbnnu qu'aux beaux Esprits ,
Graces a tes talens & ta Muse feconde ,
Sous des traits ravissans reparoit dans le monde.
Je suis, avec unc parfaite consideration,
. MONSIEUR,
Votre tres-humble & tres-
obeissant Serviteur ,
Le Comtc de Tessin.
*- Fin dii Tome Second.
%
TABLE
DU SECOND VOLUME.
JtL'PiTKE a Madame la Comtessc de *** _, page t
Preface des Courses de Tempe j j
Les Courses be Temve j Pastorale^ 17
Stances a M. le Comte de Livry ^ 8 1
Epitrededicatoireaumemey S5
A sa memoir e en \-]'^^ y %^
Preface de Gustave j 95
Stances a la Heine de Suede ^ 120
Gus TA VE- Was A j Tragedie , 115
Vers a M, le Comte de Maurepas j 2 1 1
Preface de la Metromanie j 223
La Met ROM AN IE jy Comedie ^ x$i
f..'» Epitre en vers au Roi d'Espagne ^ 419
^. Preface de Fernand-Cortes J 425
:^ Fernand-Cortes J Tragedie ^ 445
La Fausse alarme ^ Pastorale j 5 47
Lett RE de M. le Comte de Tessin j %6*^
Fin de la Table.
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Form L-0
20m-l,'41<1122)
W<.
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