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Full text of "Oeuvres complettes d'Alexis Piron"

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(E  U  V   R  E  S 

D  E   P  I  R  O  N. 


(E  U  V  R  E  S 

COMPLEX  TES 

DALEXIS  PIRON, 

public  e  s 
Par  M.  Rigoley  de  Juvignt, 

Conseiller  honoraire  ati  Parlement  de   Metz ,  dc 
TAcademie  des  Sciences  8c  Belles-Lcrtres  de  Dijon, 

TOME   SECOND. 


A     PARIS, 

De  l'Imprimerie  de  M.  Lambert, 

rue  dc  la  Harpe ,  pres  Saint  C6n:ie. 


M.   DCC.  LXXVi 


m 


E   P   I  T  R  E 

A    MA  DAME 

LA  COMTESSE  DE***, 

-rf^ux  TRAITS  de  la  censure  en  butteplus  qu'un  autre  a 

Et  d'un  Nom  respectable  ayanc  a  m'appuyer , 

Olympe  ,  avec  raison ,  j'avois  choisi  le  votrci 

Mais  votre  modestie  a  paru  s'efFrayer. 

Je  defere  humblement  a  sa  delicatesse : 

Sans  ce  Nom  revere  je  publie  une  Piece 

Dont ,  sous  un  tel  abri ,  le  triomphe  ctoit  sur ; 

Dumoins ,  de  vous  a  moi ,  recevez-en  rhommagc; 
Public ,  il  m'eut  plu  davantage  j 
Secret ,  il  n'en  est  pas  moins  pur. 

Le  langage  du  coeur  se  fera  seul  entendre. 

Ce  seroit  a  I'esprit  a  brocher  sur  le  tout ; 
Le  mien  en  viendra  mal  a  bout  j 
Mais  est-ce  i  moi  qu'il  faut  s'en  prendre. 

Si  le  Ciel  ne  I'a  pas  forme  selon  mon  gout  ? 

Cen'est  pas  d'aujourd'hui  que  mon  orgueil  en  grondc, 
Et  qu'il  en  gronde  vainement  j 
11  me  vient  meme  en  ce  moment 
Une  reflexion  profonde , 
Que  je  veux  rendre  en  peu  de  mots. 
Entamons  pourtant  le  propos 
Par  la  creation  du  monde ; 

Et  prenons  la  matiere  au  sortir  du  chaos. 

La  Nature  en  faisant  eclore  le  systemc 
..J-        Du  globe  tcrrestrc  oii  je  vis , 

Tome  Hi     A 


1  t  P  I  T  R  E, 

Devoir  bien ,  n'en  deplaise  a  son  vouloir  supreme  , 
Elle  ^  qui  nous  devons  rant  de  Donneurs  d  avis , 
S'en  reserver  quelqu'un  pour  elle-meme. 
Car  je  sais  tels  conseils  ,  moi  qui  tres-peu  ks  aimc , 
Qu'a  sa  place  j'aurois  suivis. 

Ce  seroit  ,  par  exemple,  un  beau  trait  d'harmonic, 

Lorsque  d'un  bel  esprit  sans  vie , 
La  depouille  mortelle  est  mise  au  monument, 
Qu'un  Embrion  forme  dans  ce  fatal  moment » 
Servit  de  nouveau  gite  a  son  heureux  Genie  j 
Et  que  de  Successeurs  une  suite  infinie , 
Des  grands  Hommes  ainsi  conservat  les  talens ; 
Afin  que ,  pour  Thonneur  de  nos  destins  propiccs  , 
Ce  qui  fit  ici-bas  une  fois  nos  deliccs , 

Les  fit  jusqu'a  la  fin  des  temps. 

Ah !  quand  la  Parque  inhumainc 

Eut  fait  payer  le  tribut 

Au  plus  bel  esprit  qui  fut , 

( Je  crois  nom.mer  Lafontaine  ) 

Que  j'eusse  ete  fortune , 
Si ,  dans  le  meme  instant ,  par  hasard  etant  ne  , 

J'eusse  herite  de  sa  veine  ! 

Qu'iNSPiRE  des  neufs  Soeurs  dont  je  serois  cheri , 
Je  ferois  sur  ses  pas  des  courses  agreables  ! 

Car  j'aime  le  pays  des  Fables  j 

C'est  mon  voyage  favori. 
Le  ciel  en  est  si  pur !  le  terrein  si  fleuri ! 
Le  continent  si  vaste  &  si  riche  en  spedacles ! 
II  s'en  presente  aux  yeux  de  toutes  les  famous. 

A  chaque  pas  naissent  quelques  miracles. 
Quadnipedes  ,  Oiseaux ,  Lisedes  &  Poissons  , 
Sujets,que,  de  pleiii  droit^sous  nos  pieds  nous  placons. 


i  P  I  T  R  E,  5 

Tous  k  rtiomme  orgueilleux  prononcent  des  oracles  , 
Et  donnent  a  leur  Roi  d'excellentes  lemons. 

Que  de  Tempe  la  charmanre  Vallec 
Est  sur-tout  uii  canton  du  pays  fabuleux 
Bien  digne  du  pinceau  de  cet  Esprit  fameux , 
Dont  pour  jamais  la  flamme  en  haut  s'est  exhalec! 

Que  ,  doue  de  son  feu  divin ,     . 
Je  ferois  un  tableau  dilicieux  &  rare 
De  ce  lieu  qui  n'est  plus  ,  mais  ou  I'esprit  humajn  , 
Si  volontiers  encor  se  promene  &  s'egare  ! 

Mes  naVfs  &c  tendres  crayons 
Peindroient  un  lieu  champetre ,  un  asyle ,  un  bocagey 
Quelquefois  cultive ,  d'ordinaire  sauvage , 
Toujours  plus  beau  que  n'est  tout  ce  que  nous  voyons: 
Le  Soleil  n'y  pourroit  faire  entrer  ses  rayons  > 
Mais  les  Jeux  dc  les  Ris  s^y  feroient  tous  passage. 
Les  Ruisseaux  a  flots  d'argent , 
Et  bordcs  de  marjoJaine , 
Tantot  ne  roulant  qu'a  peine  , 
Tantot ,  d'un  pas  diligent , 
Scrpenteroicnt  dans  la  plaine. 
Philomsle ,  a  perte  d'haleine , 
Chanteroit  les  beautes  du  Vallon  ravissant ; 
Tandis  que  dans  les  airs  ou  s'etend  son  domainc  , 
Le  jeune  enfant  d'Eole ,  agile  &  caressant , 

Deployanf  moUement  ses  aiJes , 
Sc  plairoit  a  repandre  une  aimable  fraicheur , 
Et  le  parfum  de  quelque  fleur 
Peinte  de  couleurs  eternelles. 

De  CCS  agreables  recits , 
Ma  Muse  elegante  &  legerc 

AH 


\  £  P  I  T  R  E. 

Passeroit  aux  moeurs  du  pays , 
Terre  pour  nous  bien  etrangere  , 
Ou ,  sur  un  trone  de  fougere , 
L'Amour  modestement  assis , 
Donnoit  s^s  loix  sans  artifice  i 
Et  gouvernoit  les  yeux  ouverts , 
Sans  Ics  avoir  jamais  couverts , 
Que  du  bandeau  de  la  Justice. 

Lb  plaisir  coutoit  pcu  ,  ne  s'alteroit  jamais , 
Et  sejournoit  sur  cette  heureuse  terre , 
Entre  I'lndolence  &  la  Paixj 
Au  lieu  que ,  parmi  nous  il  erre. 
Precede  de  la  Peine ,  &  suivi  des  Regrets. 
-La  Candeur  ingenue  ,  honneur  du  premier  age , 

Ainsi  qu'aux  moeurs ,  presidoit  au  langage ; 
.  Le  double  sens ,  &  les  tours  ambigus  , 
Comme  le  masque  &  le  double  visage , 
Etoient  alors  dts  monstres  inconnus. 
Chaque  terme  a  I'esprit  ne  portoit  qu'une  image  \ 
Un  Oiseau ,  vouloit  dire  "^  un  Oiseau  j  rien  de  plus  j 

Et  cage  vouloit  dire  cage. 
La  basse  Allusion ,  de  son  impurete , 
N'avoit  rien  encore  infede  j 
Et ,  dans  les  jeux  publics  voues  a  I'lnnocencc , 
Jamais  la  sage  Honnetete  , 
Au  gre  de  Tinfame  Licence , 
Sur  un  mot  mal  interprete , 
N'eut  vu  J  ni  voulu  voir ,  dans  la  simplicite , 
L'enveloppe  de  I'indecence. 


♦  Voyez  dans  la  Preface,  pag.  14 &  suivanies,  un  eclat£< 
cisscmenc  sur  cec  endroic. 


t  P  I  T  R  E.  % 

De  I'Eleve  de  Mentor 
Figurez-vous  la  jeunessc ', 
Imaginez  la  vieillessc 

Du  pacifique  Nestor  i  ^ 

De  Phantaze  &  Phobetor  , 

Realisez  la  richesse  ,  .  ^ 

Et  Ics  biens  de  toute  espece , 

Qu'en  prenant  un  libre  essor  y 

L'idee  avide  &  feconde 

Puiseroit  dans  son  tresor 

Ou  tout  ce  qui  plait  abonde  j 

En  un  mot ,  le  siecle  d'or , 

Tout  pur  &  tout  simple  encor  , 

Dans  un  petit  coin  du  monde : 

Voila  ce  que  j'aurois  peint , 

Si  j'eusseete  Lafontainej  ,- 

Mais,  ne  I'etant  pas  ,  j'ai  craint 

Le  sort  du  Fils  de  Climene  j 

Ou  ce  qui  jadis  advint 

A  la  Grenouille  inscnsee  , 

Qui,  grosse  en  tout  comme  un  ocuf , 

Creva ,  pour  s'etre  cfforcee 

De  se  rendre  egale  au  Boeuf. 

Je  n'ai  done  entrepris  que  selon  mes  ressources. 
Des  plaisirs  diffcrens  dont  etoit  occupe 

L'amoureux  Peuple  de  Tempe , 

Je  n'ai  retrace  que  les  Courses. 

Du  MoiNs  si  de  tous  les  talens 
Du  Fabuliste  inimitable , 
J'avois  celui  de  faire  une  esquisse  durable 
Des  Heroines  de  mon  temps , 
En  leur  dediant  une  Fable ! 

A  ii) 


I  ^  P  1  T  R  E. 

Si ,  comme  lui ,  j'avois  Ic  don 
D'lmmortaliser  un  beau  nom  , 
Dans  urxe  Epitre  liminaire  : 

Jc  me  consolerois  \  dc  sur  le  meme  ton 
Que  prlt  saMuse  epistolaire  , 

Quand  elle  celebra  la  divine  Conti  , 

Bouillon  ,  Sevigtsie  ,  Silleri  , 
Et  nilustrp  LA  Sabltere  , 
J'aurois  pu  celebrerV*"^*' 

Matiere  a  ne  jamais  tarir  sur  la  louange. 

Olympe  j  c'est  en  vain  qu'ici  vous  rcvitez. 
De  mille  aimables  qualites 
J'aurois  fair  un  si  beau  melange. 
Que  personne  n^eut  pris  le  change , 
Et  que  ce  Portrait  sans  defaut , 

De'ja ,  dans  plus  d'un  coeur ,  peint  par  la  Renommec  , 
Vous  eut  fait  connoitre  aussi-tot  > 
Saris  que  je  vous  eusse  nommee. 


ix/rt  3t  / 


■.,^^,  PREFACE. 

V  o  I  c  I  lift  rtbisienie  genre  de  Drame  qui  com- 
porte  egalemeilt  le  gracieux  &  le  frivole :  deux 
avantages  qui  sembleroient  lui  devoir  attirer  la  plus 
haute  fdveur  sur  le  Theatre  fran§ois ;  Sc  qui  nean- 
moins  n'empechenc  pas  que  ce  n'y  sc^ ,  au  con- 
traire  ,  le  plus  discredite  de  tous  les  Genres* 

Le  seul  titre  de  Pastorale  ,  n'annongant  que  des 

Bergers  &  que  de  parfaits  Amans  ,  s'eloigne  trop 

de  nos  fa^ons  de  vivre  &  d'aimer ,  libres  &  cava- 

lieres.  II  encraine  apres  soi  Je  ne  sais  quelles  idees 

fadf s  &;  pusriles,  qui naturellement  indisposent  d'a- 

bord  centre  la  Piece  ,  &  meme  centre  le  Pocte  , 

qu'elles  travestisse'nt  en  Berger  extravagant.  Car 

je  ne  sais  si  je  me  trompe ,  &  si  ce  n'est  pas  une 

disposition  d'esprit  particuliere  a  moi  seul :  mais 

tin  Auteur  est-il  anonyme  ou  bien  inconnu  j  il  me 

semble  qu'on  se  figure  un  peu  sa  Personne  ,  d'apres 

le  genre  de  son  ouvrage.  La  Trag^die,  par  exem- 

ple  ,  nous  fait  envisager  le  Pocte  sous  un  air  fier 

&  de  grands  traits  i  la  Romaine.  L' Auteur  de  la 

bonne  Comedie  s'oftre  a  I'esprit  avec  une  physio- 

nomie  vive  &:  gaie.  La  Comedie  moderne  suppose 

au  sien  un  maintien  sage  &  pose.  De  meme  aussi , 

celui  de  la  Pastorale  se  presente  a  nous  sous  la  forme 

d'un  doucereux  Thirsis ,  qui>  vis-a-vis  de  son  Iris 

A  iv 


r  PREFACE. 

en  I'air  ,-la  ho  alette  imaginaire  a  la  main  ,  I'oeU 
jiiourant  ,  &  la  tete  nonchalamment  penchee  sue 
une  epaule ,  se  provoque  au  ton  langoureux  &c  pas- 
sionne.  Que  sait-on  meme  si  tous  ces  Messieurs  ne 
sont  pas  assez  peu  sages  pour  se  trop  complaire  a 
ces  sortes  d'idees  qu  ils  se  flattent  de  suscirer^  &  pour 
s'y  fagonnerj  &  si,  de  cet  exces  de  complaisance  , 
ne  naissent  pas  I'enflure  dans  la  Tragedie  ,  le  bate- 
lage  dans  la  Comedie  ancienne  ,  la  gravite  froide 
&  pedahtesque  dans  la  nouvelle  ,  &  la  fadeur  dans 
la  Pastorale  ? 

On  sait  bien  que  rien  au  fonds  n'est  moins  res- 
semblant ,  pour  I'ordinaire ,  que  ces  portraits  si  le- 
gerement  imagines.  N'importe :  telle  est,  je  pense  , 
la  premiere  operation  de  nos  espritsj  &  de-la  ,  dis-f  \ 
je ,  sur  la  seule  affiche  d'une  Pastorale  ,  c'est  a  qui 
s'ecriera  ,  secouant  dedaigneusement  la  tete  :  que 
va-t-onnous  chanter  ?  Des  maximes  de  Brunettes, 
de  petits  madrigauxd'Opera,  degalantes  fadaises, 
"des  niaiseries  surannees. 

Voila  de  nos  preventions  &  de  nos  hyperboles 
frangoises ;  mais  ne  voila  pas  moins  ou  en  est  pre- 
cisemenc  parmi  nous  la  pauvre  Poesie  bucolique. 
Elle  est  pourtant  bien  aimable  en  elle-meme  ,  5c 
bien  conforme,  de  plus  ,  a  notre  gout  decide  pour 
la  mollesse  &  I'oisivete  voluptueuse ,  tant  arborees 
&  si  elegamment  chantees  par  des  Poetes  vivans  , 
^ue  ce  ton  seul  a  fait  couronner. 


PREFACE.  y 

Que  fait  &  que  ne  defait  pas  le  cours  des  temps! 
Quelle  etrange  revolution  est  done  celle-ci !  Qaoi ! 
Theocrite ,  Virgile ,  le  Tasse ,  &  Guarini ,  auront 
plu  dans  la  Grece ^  a  Rome ,  &  dans  i'ltalie  j  Durfiy 
Racan ,  Segrais  &  Deshoulieres  ,  en  France  \  tout 
ce  qu'ils  auront  fait  dire  a  leurs  Bergers  se  sera  ,  de 
leur  temps  ,  appele  ,  &  s'appelle  encore  du  notre 
par  habitude  ,  les  dclices  du  coeur  &  de  I'esprit :  & 
tout  ce  que  produiroient  leurs  Imitateurs,  (  fussent- 
ils  dignes  de  I'etre  )  ne  s'appellera  plus  qu'ennui  ; 
glace  &  reveries  de  nos  bons  vieux  Peres  ?  D'oii 
viendroit  ce  degoiit  subit  qui ,  tout  a  coup  ,  fait 
voir  les  memes  choses  d'un  ceil  si  different  ?  Car 
enfin  la  forme  &  le  fonds  de  ces  sortes  d'ouvrages 
n'ont  pas  plus, change  que  les  loix  de  la  Nature, 
ni  que  les  regies  de  I'Art.  N'aimeroit-on  plus  ?  L'A- 
mour,  le  plus  bel  Ecre  de  la  Folie,  ne  seroit-il  plus 
pour  nousqu'unEtrederaison?  Et  n'auroit-il  laisse 
de  lui  ,  que  son  ombre  froide  ,  errante  encore  ici- 
bas  sous  le  nom  barbare  &  national  de  Galanteriel 
Quoi  !  Nos  Catules  sophistiques  I'emporteroient 
enfin  sur  les  QidrMults  &  X^^Rac'inesf  Le  Corregc 
&  VAlhanc  seroient  pour  jamais  eclipses  par  Vat-^ 
tcau  ?  Et  le  bon  Lafontaine  j  tout  en  badinant , 
auroit  dit  la  triste  verite  ,  quand  il  a  dit : 

Amour  eft  mort  j  le  pauvre  Compagnon 
Put  enterre  fur  Ics  bords  du  Lignon  j 
Plus  n'en  avons  ici  ni  vent  ni  voic. 


,v^,^;...^.M^.t 


lo  P  R  i  F A  C  B. 

Non,  non  J  ces  vers  ne  sont  qii'une  exageration 
pCK'aqae  ,  &  mes  soup^ons  qu  une  chimere.  Du 
moins  me  replacant  en  idee  ,  de  I'age  od  je  suis  > 
ilage  des  passions ou  je  fus ,  je  ne  crois  ni  ne  senii 
toiu  cela  vrai ,  ni  vraisemblable. 

O  mifti  priteriios  reidatji  Jupiter  annos  / 
O  !  fijamais  les  Deftinees 
Me  rcndoient  mcs  jciines  annecs  , 

^oe  je  le  proaverois  bien  !  ou ,  si  ma  fa^on  ds 
penser  &  de  senrir  la-d^ssus  ^toit  ^ffedivemenc 
devemte  une  espece  d'heresie,  J6  le  declare,  je 
serois  le  dernier  a  Tabjurer.  Mais  encore  ane  fols  » 
cda  n*e$c,  ni  ne  saiiroit  etre.  L'Amoiir  n'est  point? 
mort;  on  aime  tdujoars  quelqiie  part,  &  meme 
forr  tendrement,  A  la  bonne  heure  que  le  gout  aic 
irarie  ,  ^  varie  sans  cesse  sur  toute  autre  chose, 
Tonte  autre  chose  peur  ressortir  au  Tribunal  da 
Caprice  humain,  Mais  quelque  ridicule  qu'on 
^eaille  Jetef  sur  Tamour^  &  quoiqu'en  ait  dit  Za- 
fontaitie^  tant  que  ,  sur  terre,  il  y  aura  des  graced 
&  de  la  beaute,  des  coeurs  5^  des  yeux  ,  il  v  aura 
tendresse  ,  amour  &  sympathie  \  &par  consequent 
Sy  aura  toujours  des  amesdouces,  qui  seplaironi 
a  la  peinturedes  plaisirs  tranquilles  de  la  campa- 
gne  &  des  belles  passions  \  dernieres  &  seules 
images  de  I'age  d'or. 

Ce  quin  estquetrop  veritable  &  que  ir6p  avere. 


PREFACE,  11 

c^est  que  ,  de  temps  immemorial ,  ce  bel  age  a. 
disparuj  &  que  noussommes  ecrangemenc  enfoti- 
ces  aujourd'hui  dans  un  sihcit  de  fer  :  de  fer  poli  , 
a  la  verite  ;  d'acier  msme,  si  Ton  veut ;  mais,  en 
ce  cas,  cinquieme  &  derniere  espece  de  siecle,  qiii 
ne  rend  le  grand  nombre  que  plus  sourd  aux  tefi- 
dres  sons  de  nos  Lyres  amoureuses  &  cliampetres. 
Ainsi  presque  rout  etant  devenu  pour  nous  pire 
que  tygre  ,  chene  &  rocher ,  fussions-nous  de  no- 
tre  cote  devenus  des  Orphees  >  sur  quel  ton  nous  j 
prendre  au  Theatre ,  pour  interesser  &  pour  remuer 
un  pareil  Auditoire  ? 

On  me  dira  qu'il  n'y  a  qu'un  seul  ton  pour  la 
Pastorale :  le  ton  simple  8c  tout  naturel.  D'accord. 
Mais  il  y  faut  repandre  des  graces  j  &  quelle  espece 
de  graces  ?  C  est-la  le  point  de  la  difficulte.  Point 
sur  lequel  ,  de  part  &  d'autre ,  on  ne  veut  plus 
s'accorder. 

Nues  J  comme  autrefois ,  ces  Graces  ne  sont  pas 
du  gout  de  nos  beaux- esprits  moins  delicats  peut- 
etre  que  rafines.  L'ingenu  pour  eux ,  est  peu  tou- 
chant.  Ornees  de  quelque  draperie  a  la  moderne , 
les  scrupuleux  amateurs  de  I'antique  ,  peut-etre 
aussi  moins  cquitables  qu'entetes  ,  les  traitent  de 
fausses  ,  &c  de  purement  artificielles  ,  de  Pre- 
cieuses  ridicules. 

N'y  auroit-il  pas  moyen  d'accorder  ces  deur 
Puissances  irreconciliables  ?  Oserois- je  clever  entre 


11  PREFACE, 

elles  ma  foible  voix?  Ec  daigneront-elles  accep- 
ter mon  humble  mediation  ?  Tachons  de  nous 
faire  ecouter  des  deux  partis  ,  en  avan^ant  que 
Tancienne  &  la  nouvelle  Bergerie  ont ,  routes  les 
deux ,  &  chacune  d'elles  en  particulier ,  leur  por- 
tion d'agrement  comme  de  verite. 

Pour  le  mieux  faire  sentir ,  comparons  d'abord, 
&  Tune  &  I'autre  ensemble ,  aux  flcurs  en  general. 
Divisons  ensuite'  les  fleurs  en  deux  principales 
especes  :  en  fleurs  des  champs  ,  &:  en  fleurs  de  par- 
terre. Comparons  maintenant  les  Bergeries  Grec- 
ques  &  Romaines ,  traitees  par  les  uns  d'insipides  , 
a  cause  de  leur  trop  de  simplicite  j  aux  fleurs  des 
champs  j  &  les  Bergeries  modernes  regardees  par 
les  autres  comme  fausses  ,  a  cause  de  leur  trop  de 
culture  &  d'eclat,  aux  fleurs  de  parterre.  Les  fleurs 
^Qs  champs  J  pour  etre  simples ,  sont-elles  denuees 
de  tout  agrement  ?  Rejouissent-elles  moins  la  vue 
■&  memerodorat  dans  le  vaste  sein  d'une  prairie  , 
que  les  fleurs  de  parterre  ne  font  dans  leur  enclos 
ctroit  ?  Et  celles-ci ,  d'autre  cote  ,  pour  etre  plus 
brillantes  &  plus  cultivees  ,  en  sont-elles  moins 
vraies  ,  moins  naturelles  ?  Non  j  sans  doute.  Eh 
bien !  les  Anciens  ont  forme  de  belles  guirlandes 
avec  les  unes ,  &  les  Modernes ,  avec  les  autres  j 
n'est-ce  pas  avoir  des  deux  parts  decore  la  Scene 
poctique  d'ornemens  egalement  dignes  qu  on  em- 
ploye toutes  ses  forces  a  les  perpetuer  ^ 


PREFACE,  13 

J'essayai  done  ici  les  miennes  5  non  que  ]tn 
presumasse  rien  de  bien  rare  ,  ni  d'cgal  a  mes  mo- 
deles  j  mais  enfiii  la  foiblesse  ne  condamne  pas  to- 
talement  a  rinadion.  Loin  de-la,  I'adion  souvent 
est  un  remede  a  la  foiblesse  j  6c  comme  aussi  I'on 
ne  voir  pas  que  Tintrepidite  de  bonne  opinion  soit 
toujours  une  fort  bonne  Muse  ;  de  meme ,  il  n'est 
pas  dit  que  la  defiance  de  soi-meme  soit  toujours 
la  marque  assuree  d'une  impuissance  absolue. 

Quoi  qu  il  en  soit,  une  nouvelle  edition  du  beau 
Roman  de  Tharsis  &  Zclie  ,  qui  venoit  d'etre  fa- 
vorablement  re^ue  du  Public  ,  ayant  reveille  vive- 
ment  en  moi  les  images  delicieuses  dont  I'Astree 
enchanta  ma  premiere  jeimesse  ,  j'entrepris  cette 
Pastorale.  J'avois  atteint  I'age  ou  Ton  veut  deji 
qu'il  ne  soit  pas  trop  scant  de  se  livrer  encore  a  de 
si  douces  illusions  j  mais  je  ne  les  abandonnois 
qu'a  regret. 

Ainsi  je  composai ,  comme  on  volt  ^  cette  Pas- 
torale ,  plutot  par  I'attrait  de  mon  amusement  pac- 
ticulier ,  que  dans  aucune  vue  d'en  faire  parade , 
encore  moins  dans  aucune  esperance  de  reussir  aux 
yeuxdu  Public  :  disposition  naive  &  dcsinteressee  , 
qui  peut-etre  nest  pas ,  a  beaucoup  pres  ,  la  plus 
mauvaise  qui  se  puisse  apporter  a  la  composition 
de  ces  petits  ouvrages ,  ou  le  sentiment  seul  doit 
agir  &  se  montrer. 


44  P  R  t  F  A  C  E, 

tJn  autre  essor  que  prit  aussi  le  gout  Ubre  qui 
m'entrainoit ,  fut  de  se  laisser  alter  a  rous  les  tons 
indilferemment.  Tendresse  ,  galanterie  ,  enjoue- 
menc  ,  haut  comique  ,  terreur  meme  &  pitie  ,  jus- 
qua  du  burlesque  j  il entra  de  tout  dans  ma  Pasto- 
rale :  espece  de  cacophonie  qui  vrai-semblablement 
n'eut  gueres  du  s'attendre  au  favorable  accueil 
qu'on  lui  fit;  mais  qui ,  s'il  en  faut  juger  par  I'e- 
venement ,  vaut  apparemment  encore  mieux  que 
I'ennuyeuse  &  froide  monotonie  presque  inevi- 
table en  ces  sortes  de  pieces.  Du  moins  cette  va- 
riete .  legitime  ou  non  ,  prcserva  ,  je  crois  ,  mon 
petit  Poeme  de  la  disgrace  commune.  Qui  nous 
donneroit  I'art  de  violer  a  propos  les  regies ,  nous 
donneroit  plus  &  mieux  qu'un  art  poctique  \  mais 
de  meme  que  j'ai  cru  ce  dernier  inutile  ,  je  crois 
I'autre  impossible. 

J'insinue  en  passant ,  que  j'eus  I'agreable  sur- 
prise d'un  succes  inespere.  Je  me  serois  bien  garde 
d'en  faire  la  moindre  mention  indirede  ou  posi- 
tive ,  si  ce  succes  n'eut  pas  ete  melange ,  comme  il 
le  fut ,  de  I'amertume  d'une  critique  odieuse  que 
j'avois  bien  moins  du  prevoir  assurement ,  &  que 
je  meritois  trop  peu ,  pour  ne  pas  en  porter  ici  ma 
plainte  au  Ledeur  equitable.  J'espere  que  je  n'au- 
rai  pas  en  vain  proteste  ,  devant  lui ,  de  mon  inno- 
cence attaquee  par  cette  critique  injurieuse. 

De  quelque  autre  nature  qu  elfe  eut  ete ,  je  n'err 


PREFACE,  ij 

aurois  non  plus  parle  que  du  succes.  Ne  la  pas  sa- 
voir  supporter  patiemment  quand  elle  est  juste  8c 
qu'elle  n'esc  que  litceraire ,  rint-elle  un  peu  Ai\x 
raillerie  piquanre ,  ce  n'est  pas  seulemeiit ,  selon 
nioi ,  une  petiresse  d'esprit ,  ni  un  risible  ecarc 
d'amour-propre  5  c'est  encore  une  veritable  ingra- 
titude. Tout  ce  qui  nous  est  utile  *  est  de  la  nature 
du  bienfait :  or  il  n'y  a ,  nulle  part  ,  rant  a  profitec 
pour   nous  ,  qu'avec  la  critique.  Si,  par  le  joar 
qu'elle  repand  sur  nos  fautes ,  elle  nous  rabaisse 
un   peu  j   en   revanche  ,  elle   nous  eclairs  ,  & 
nous  eclaire    meme  a  ses  depens  j  car  elle  nova 
arme  genereusement    contre  elle-mcme  ,  pais- 
qu'en  nous  eclairant  ,  elle  nous  met  en   erat  de 
la  faire  taire  une  autre  fois.  L' Academic  Fran^oise 
ne  I'a-t-elle  pas  dit  si  sagement  dans  ses  senrimens 
sur  le  Cid  ?  On  ne  nous  coupe  alors  quelques  bran- 
ches de  laurier  j  que  pour  Us  faire  pousser  davantage 
en  une  autre  saison, 

Mais  quelle  difference  entre  les  heureuses  dc- 
couvertes  de  la  saine  critique  j  &  les  hideux  fan- 
t&mes  d'une  imagination  corrompue  ,  ou  mal-in- 
tentionnee  !  On  verra  que  |e  ne  puis  guere  aurre- 
ment  qualifier  la  censure  dont  je  me  plains.  Elle 
ne  fut,  ala  verite,  que  verbalej  &,  par  cetteraison, 
il  sembleroit  qu'en  ne  la  relevant  pas,  j'aurois  dii 
la  laisser  cetomber  dans  son  neant.  Mais  le  verba 
volant  n' a  d'application  qu'aux  propos  indifferens 


T,f  PREFACE. 

ou  avantageux  ^  des  qu'ils  sont  nuisibles  &  calom- 
nieux  ,  ils  prennent  du  poids  &  de  la  racine.  Cette 
censure  done  ,  bien  qu'elle  n'ait  ete  que  verbale  , 
n'eut  peut-erre  que  trop  d'efFet.  D'ailleurs  elle  fuc 
debitee  en  plein  Theatre  ,  &:  devant  telles  person- 
nes ,  qu'il  ne  pouvoic  manquer  d'y  en  avoir  dont 
la  faq:on  de  penser  sur  mon  compte  ne  m'interesse 
infiniment.  11  ne  m'eut  fallu  ,  pour  me  justifier  de- 
vant elles  qu'un  seul  mot  j  que  la  devise  de  I'Ordre 
de  la  Jarretiere  i  je  me  serois  fait  croire  aisemenr; 
mais  je  n'etois  pas  la  pour  m'en  armer  j  &  Ton  ne 
salt  que  trop  le  beau  jeu  que  la  calomnie  euttou- 
jours  contre  les  absens. 

Quelque  esprit  credule  pourroit  done  avoir  em- 
porte ,  contre  certains  endroits  de  cette  Piece  j  des 
impressions  facheuses  ,  qui  se  reveilleroient  a  la 
lecture ,  si  je  ne  prenois  ici  le  soin  de  les  efFacer ,  en 
crayonnant  seulement  mon  Accusateur  &  sa  fa9on 
de  s'y  prendre.  C'en  sera  bien  assez  pour  laisser  a 
penser  du  fait ,  ce  qu'il  en  faut  penser. 

Ce  troisieme  Caton  tombe  des  nues  ,  etoit  un 
de  nos  Dameretsdes  plus  brillans  alors&  des  plus 
courus^bel-espritmondain,  pensant,  parlant,  agis- 
sant  selon  son  gout ,  son  age ,  &  son  etat  j  de  ces 
demi-Lettres  qui  possedent  a  fond  leurs  Theatres 
&  leurs  Conteurs ;  assez-bien  leur  Brantome  8c 
I'histoire  amoureuse  des  Gaules ;  tant  soit  peu 
leur  Montaigne   &c  leur  Baile  ;  mais  qui  savent 

a 


PREFACE.  i-f 

k  peine  que  Bossuet  &c  Pascal  ont  ecrir.  Tout  cela 
nous  annonce  &  veut  dire  un  personnage  peu  grave 
Sc  de  la  meilleure  composition  du  monde  avec  lui* 
meme  ,  en  matiere  de  morale* 

D'un  autre  cote  ,  c'etoit  aussi  de  ces  Important 
de  coulisses  ,  de  ces  jolis  Virtuoscs ,  qui  prennent 
sous  leur  bruyaiite  protection  le  seul  Auteut  en 
vogue  3  qui  lui  devouent  leur  suffrage  &  leur  ad- 
miration 5  qui  veulent  qi^'on  meprise ,  comme 
eux ,  tous  ies  autres  sans  exception  j  qui  ne  dai- 
gnent  pas  meme  Ies  apprecier  ni  Ies  connoitre  \  8c 
qui ,  pour  peu  qu'un  de  ces  malheureux  proscrits 
ait  le  bonheurde  percer,  I'egorgeroient  volontiers 
aux  pieds  de  leur  Idole.  11  y  a  trop  de  gens  de  ce 
caradlere  in  juste  ^  pour  qu'on  me  puisse  accuser  de 
designer  ici  nommement  qui  que  ce  soit. 

Celui-ci  done,  avec  de  si  belles  dispositions ,  se 
trouva,  malheureusementpourmoi,  a  la  premiere 
representation  des  Courses  de  Tempi.  Dieu  sait 
tout  le  mal  qu'il  en  dit,  avant  qu*oneut  leve  la  toile. 
L'ouvrage  etoit  d'un  autre  que  de  Voltaire  ;  ce 
grand  nom  ne  decoroit  pas  I'affichej  la  Piece  pou- 
voit-elle  ,  devoit-elle  valoir  quelque  chose  ?  Meri- 
toit-elle  seulement  qu'on  y  vint  ?  Cependant  I'in- 
dulgence  du  Public  n'eut  point  d'egard  a  cet  arret. 
La  faveur  se  declara  des  Ies  premieres  scenes.  Pi- 
que au  vif ,  il  jura  tout  bas  de  n'en  pas  avoir  jusi 

Tome  11,     B 


iS  >  it  E  F  A  C  K 

<qa  ail  tyout  k  deiiienti ,  6c  de  tirer  raison  de  cetfd 
injure  3  en  m^  faisant  player  la  peine  qii'il  a!loit  s^ 
donner  d  ecouter.  Ce  n'est  plus  a  I'ho'tineUr  seule- 
ment  de  la  Piece  qu'il  eii  veut,  ce  n'est  pas  moins 
qu^a  celui  meme  de  I'Auceur.  II  reussit  j  qu'ii  soit 
fletril  voila  done  mon  petit- maitre  a  la  torture, 
c'est-a-dire,  pour  la  premiere  fois  de  sa  vie  ,  atten- 
tif.  11  pese  ,  epie  /sue  ,  &  fait  enfin  si  bien  jouer 
les  ressorts  de  la  malveillance,  que  ,  pour  ie  coup » 
il  se  croit  a  son  but ,  &  saisi  du  beau  secret  de 
changer  I' or  pur  en  un  plomh  viL  A  force  de  tordie 
be  d'alambiquer  les  expressions  les  plus  honnetes  * 
les  plus  simples  5l  les  plus  univoques ,  il  se  llatte 
d'en  avoir  fait  des  mots  k  double  entente  ,  siiscep- 
ribles  des  plus  indccentes .allusions 

Ce  grafrd  (felivre  acheve,  TOperateur  tres-satis- 
fait  de  lui-mcme  ,  s'ecria  ,  I'indignation  sur  le 
front :  Oh !  e'en  est  tiopj  je  n'y  tiens  plus !  Ceux  qui 
m'ont  conte  la  chose  ,  me  Ie  represenrent-la  ,  sa 
dressant  en  pieds  au  milieu  des  bancs  du  Theatre  ^ 
publiant  sa  dccouverte  aux  echos  d'alentour  (  car 
il  y  a  bien  des  echos  dans  ce  Pays-la  ^  quand  il  n'esc 
pas  desert )  distribuant  glose  &  paraphrase  a  la 
ronde  ,  &  s'echauiFant  dans  son  faux  harnois  ,  jus- 
qu'a  s'alarmer  bien  serieusement  pour  la  pudeur 
des  premieres  Loges. 

Plein  d'uhe  si  charitable  inqulMd^  ^  il  y  Vdli  $ 


PREFACE.  i^ 

(oxc^  les  portes  ,  fait  rferourher  les  Dames ,  lei 
avertir  du  scandale  qui  leiit  vient  d'echapper  ^  le$ 
exhorte  a  ne  plus  revenir  voir  cette  Piece  ,  ou  da 
ihoins  i  lev6  rtthe  aurre  fdis  Teventail  a  tels  & 
tels  endroits  qu'il  leui:  indique  &  qu'il  leur  in- 
rerprcte  a  sa  irliatilcre  \  le  tout,  d'un  air  &  d'un  toti 
si  penetres  du  zele  de  Thcirin^bSte  publique  &C  d^ 
leur  int^ret  parriculisr,  qu6  d'abord  les  plus  sim- 
jiles  ,  ou  celles  qui  cortnoissoient  peu  le  person-^ 
liage  i  durfefit  he  si'^dir  trop  bonneilieht  qu'en  pen- 
set ;  tandiS  que  \^t  ciiirvoyaiites  adrtiiroient  la  sin- 
gularite  d'un  jeU  pa'reil ,  &  rioient  sous  cape  ,  d^ 
voir  ce  vercueux  &  nouveau  Bellerophon  se  gen-i 
darmfer  si  gratuitement  pour  elles  j  SCj  sur  soft 
hippbgriphe  eii  I'aii: ,  s'escrinier  a  foiit6  btlcrahc^ 
contre  une  chiili^t^  de  son  invehfcioh  >  invisible  4 
rous  les  yeut ,  &c  de  iiatiire  ,  en  rous  cas ,  a  devoit 
moins  blesser  les  siens  que  ceui  de  qui  qiie  ce  fut, 
Une  de  ces  Dames  ,  iiiipatiehr^e  (^  Qc  ]q\q  sais 
d'elle-meme  ]  ne  put  se  tenir  de  lui  dire  :  rhais 
taisez-vous  done ,  Chevalier  !  avei-vbils  perdu  i'es»' 
prit  avec  vos  idees  ?  Laissez  nos  innocences  eh  paixf 
je  n'entehds  hi  nfe  vtiiiit  eht^hdre  iilciind  malice  i 
tout  cela  \  6c  la  s^Ule  quS  je  crois  enrtevoit  iei  , 
c'est  la  v&tre.  La  mlenhe,  Madame!  quoi «'  voils.., 
Ilalloit  la  rembarer  de  bonne  sorte  a  mes  depehs, 
^uahd  le  Parterre  lui  ayam  fait  quelques  rsmoij* 

Bij 


xq  PREFACE, 

trances  sur  la  paix,  I'obligea  de  remettre  a  d'autres 
temps,  oa  de  porter  ailleurs  ses  hostilites. 

,i.  Est-il  rien  ,  tout  a  la  fo'is ,  Sc  de  plus  choquant 
&  de  plus  risible  que  ces  faux  airs  de  delicatesse 
&  de  reserve  subite  ,  repandus  sur  une  figure  fri- 
vole  &  de  la  trempe  de  celle-ci?  On  peut  dire  que 
c'est  bien  mal  entendre  a  se  masquer  ,  pour  quel- 
qu'un  du  metier  &c  qui  cherche  .a  plaire.  Qu'un 
homme  grave  ,  un  homme  d'autorite  ,  d'un  certain^ 
^ge,d'une  certaine  robe,  &  sur-tout  de  mcEurs  con- 
venables  a  son  caradtere  ,  tonne ,  eclate  ^  fulmine 
centre  une  produdion  cyniquej  &  I'attribuant  mal- 
heureusement  au  premier  qu'on  lui  nomme ,  elcve, 
aussitot  centre  lui  sa  formidable  voix  ,  8c ,  sans' 
autre  formalite  ,  le  sacrifie  a  la  passion  qu'il  a  pouty 
le  maintien  du  bon  ordre :  il  pourroit  bien  y  avoir-- 
quelque  chose  a  dire  sur  cette  severite  precipitee  >. 
la  victime  egorgee  peut-ctre  etoit  innocente ,  ou  le- 
cas,  graciable  j  laissons  cela  ^  il  n'estici  question  que , 
de  la  convenance  des  roles.  On  ne  verroir  du  moins-r< 
dans  celui-ci  rien  que  d'ordinaire  j  que  d'assez  na- 
turel ,  &  que  d'a-peu-pres  dans  sa  place.  Un  beau 
zele  auroit  sans  doute  anime  le  pieux  Persecuteur. 
A  quelque  point  que  ce  zele  emporte ,  il  nait  d'un 
motif  qui  purifie  I'adion.  Enfin  celuiqui  frappe  dc 
ip  fer  son:  sacres  j  il  est  du  devoir  de  les  reverer : , 


PREFACE,  ii 

onles  revere  aussi.Mais  qu'un  jeune  courtisan,  des 
moins  preserves  du  raauvais  air  qii'il  respire ,  ar- 
bore  efFrontement  la  meme austerire,  s'cfFarouche, 
se  herisse  j  &:  du  ton  du  Sage  que  je  viens  de  peiu- 
dre  ,  fronde  ,  improuve  &  reprouve  ,  ou  ce  sage 
lui-ineme  n'auroit  pas  trouve  seulement  de  quoi 
sourciller  :  de  bonne  foi ,  pour  en  parler  modere- 
ment  ,  une  forfanterie ,  une  morgue  si  deplacees  , 
ne  forment-elles  pas  un  vrai  personnage  de  farce? 
N'esr-ce  pas  Armand  qui  se  prcsenteroit  en  scene 
souscelui  de  Joad?  Qui  ne  riroitd'un  role  si  mal 
assorti  ?  &  qui  n'en  riroit  aux  depens  du  Comc- 
dien  qui  le  joueroit  ?  Mais  ce  role  joue ,  de  plus  , 
dans  la  venimeuse  intention  que  j'ai  dice,  n'est-il 
que  ridicule  ,  n'est-il  que  bouffon  ? 

Voila  pourtant  de  nos  juges  ,  &:  de  ces  grands 
btailleurs,  comme  die  le  Misantrope .... 

Qui ,  je  ne  sais  comment , 
Ont  gagn^  dans  la  Cour,  de  parler  hautemcnt. 

De-la  ,  souvent ,  nos  reputations  bonnes  ou  mau- 
vaises  en  tout  genre.  Le  dangereux  ,  le  dur  metier 
que  le  notre  !  Le  feu  de  I'age  &  de  I'imaginarion 
nous  egare  assez ,  &  le  pied  dcja  ne  nous  glisse  que 
trop.  Qui  le  sait  mieux  ,  qui  s'en  repent  plus  que 
moi  ?  Eh  !  qu'esperer  en  ce  malheur ,  de  I'indul- 
gence  de  nos  Censeurs-nes,  quand  des  gens  si  pen 

B  iij 


%l  P  R  4  P  ^  ^  ^* 

fa^ts  ponx  I'efre ,  son:  nqs  plus  vifs  d?Iateuts  &  Ie« 
plus  prets  a  nous  lapider  ,  |.e  ne  dis  pas  sur  les  plus 
minces ,  mais ,  comma  ici ,  st^r  les  plus  fausses  ap- 
parences  ? 

Pour  cette  fpis-cij  j*etois  Sc  je  suis  encore  pair 
consequent  clans  la  plus  grande  innocence.  Cepen- 
dant ,  Gomme  les  Muses  valent  bien  la  femme  de 
Cesar ,  &  qu'il  ne  leur  suflSt  pas  de  n'etre  poinC 
coupables  ,  mais  qu'elles  ne  doivent  pas  meme 
^tfe  soup^onnces  j  instruit  des  endroits  de  la  Piece 
que  ce  galanc  homme  avoir  si  joliment  travestis  , 
je  voulus  d'abord  les  retoucher  ^  &  les  retranchef 
meme  ,  s'il  le  falloic  \  mais  le  falloit-il  ?  Non  j  6i  , 
teflexion  faice  ,  j'ai  cru  devoir  m'en  abstenir, 

Aihij  que  la  vcrtu ,  le  scrupule  a  ses  bornes* 

Me  teformef ,  'ce  seroic,  en  passcint  condamn^t-* 
tion ,  comprometrfe  Taimable  &  pure  simplicite  ^ 
ce  seroit  la  livrer  a  la  merci  de  la  malice  &:  de  la 
corruption  qui  en  triompheroient.  Je  laisse  done 
taut ,  exad^ement  comme  tout  ecoit.  Si  le  teeteuf 
yeut  decouyrir  ces  endroits. ,  &  ne  le  peut,  sa  peine 
Ji^rd.tt?  ac^evera  ma  justification.  Si ,  aide  du  peu 
que  j'cn  laisse  voir  dans  mon  Epitte  dedicaroire, 
il  les  apper^oit  \  il  plaidera  ma  cause  lui-meme 
k  son  propre  tribunal ,  &  ne  condamnera  que  la 
jpUte  $i.  malheuteuse  subtilice  du   bel- esprit  de 


PREFACE.  15 

travers    a   qui  j'aurai  dontie  prise  ,  m^is    pns,e 
telle  que  les  flcrivains  les  plus  itrepiochrvbles  la 
donneront  tpujours  a  ses  parens.  J?  m'en  repqsje 
sur  le  §age  La  Bru y^re  qyi  ^  dit  (  6c  que  puis-jp 
dire  ici  pour  moi  de  rnieux  &  de  plus  4  propos  ?) 
Un  Auteur  *  n'ejl  pas  ohii^i  de  rempli/  s,on  esprit  de 
toutcs  les  extrayaaances  ,  d^  toi^us  les  sq,lete(S  j  ^ 
tous.  les  mauyai^  mots  q^uQn pent:  dire;,  &  di  t(xut,es^  les 
ineptes  applications  que  Vot),  pent  faire  an  suyet  de 
quelques  endroits  de  son  Quyrage  ,  &  encore  n^oins  die 
les  supprimet.  II  es^t  CQnyaincu  que  quelque  s(;rupu- 
kuse  exaclitude  que  Von  c(it  dans  sa  mqnier^  d'efd^ 
re  ,  la  raillerie  froide  des  mauvais  plaisaris  est  in^yi" 
table  ;  &  que  les  meilleures  ckoses  ne  leur  servent 
sQuvent  qua  leur  faire  rencQrjtr^r  i^ne  sottise. 

Je  crains  de  m'etre  uti  peu  trop  etendu  sur  une 
apologie  qu'on  ne  me  demandoic  pas  ,  &  trop  pen 
sur  celle  qu'on  esc  en  droit  de  me  demander.  Pour- 
quoi  ,  me  dira-t-on ,  nous  faire  part  d'un  ouvrage 
dont  vous  parlez  comma  d*un  simple  amusement  ? 
Vous  futes  soufFerc  au  Theatre  ,  dites-vous  j  niais 
est-ce  un  titre  pour  oser  vous  produire  au  grand  jour, 
vous  sur-tout ,  qui,  pour  la  justesse  ,  metrez  la  ba- 
lance de    I'Auditeur  debout ,  si  fort  au-dessous  dit 


"^  Des  Ouv rages  de  I'Efpric,  Tom.I,  Chap,  i,  p.  147: 
Edition  de  Cofte  ,  173 1. 

•  B  iv 


24  P  R  i  FA  C  E. 

trebuchet  du  Ledeur  assis.  Je  conviens  de  taut 
ce  que  Ton  peut  me  reprocher  la-dessus :  j'allegue- 
rai  ,  pour  toute  excuse,  la  repugnance  natureile 
qu'on  a  de  sevir  centre  soi-meme.  Je  suis  Auteur, 
apres  tout ,  &  j'ai  la  singularite  de  ne  me  piquer 
aucunement  d'etre  Philosophe.  Or  tous  les  jours  , 
ne  nous  voit-on  pas  oser  ^  du  Spedtateur  qui  nous 
condamne  ,  appeler  au  Ledteur  plus  pret  encore  a 
nous  condamner?  Bien  regudu  premier,  pourquoi 
n'oserois-je  done  pas  me  presenter  a  I'autre  ?  Et 
puis  mon  Leibeur  me  doit  quelque  chose  en  consi- 
deration du  petit  sacrifice  que  je  lui  fais.  Je  lui 
epargne  ,  en  cet  endroit  de  mon  Recueil ,  une  Co- 
medie  de  quinze  cens  vers  ,  qui  se  joua  immedia- 
tement  avant  la  Pastorale.  Cette  Comedie  fut  a  la 
verite  fort  mal  re9ue ,  mais  encore  plus  mal  ecou- 
Itee,  II  ne  tenoit  qu'a  moi , . . .  i 

D'appelcr  en  Auteur  foumis,  mais  peucraintif, 
Pu  Parterre  en  tumulce  ,  au  Parterre  attentif. 

Je  n*en  fis  rlen.  J'aimai  mieux  la  retirer  sur  Ic 
champ;  &r,  dans  ce  moment-cij  je  la  jette  au  feu  *. 
S'executer  si  rigoureusement  sur  une  premiere  & 

■^  II  s'agit  ici  de  VAmantMyfttrieux,  Comedie  ,  qui 
fut  jouee  immediatement  avant  les  Courfes  de  Tempi ,  & 
dont  on  n'a  pas  cru  devoir  priver  le  Public.  Voyei  k 
fe  fujet  h  Difcours  ■priliminaire. 


PREFACE.  1$ 

legere  condamnation  ^  n'est-ce  pas  ,  quand  on  me 
fait  grace  ,  avoir  acquis  le  droit  d'en  profiter  &c  de 
me  la  faire  aussi  ?  Puis-je  enfin  ne  pas  trailer  avec 
quelque  complaisance  paternelle  une  Piece  ,  qui , 
s'etant  montree  au  moment  fatal  qu'on  proscrivoit 
sa  devanciere ,  coupa ,  pour  ainsi  dire  ,  le  sifflet  au 
Parterre  ,  &  nous  renvoya  paisiblement  tous  les 
deux  J  lui  de  bonne  humeur,  &  moi  sur  mon 
gain  ? 

Pour  achever  de  faire  voir  que  la  presomptlon 
n'entre  en  tout  ceci  pour  quoi  que  ce  soit  au  mon- 
de,  je  finis  en  reconnoissant  que  je  dus  peut-etre 
tout  I'honneur  d'une  belie  retraite  a  des  talens 
tout-a-fait  etrangers  aux  miens.  Je  n'entends  pas 
seulement  parler  du  jeu  parfait  des  Adieurs  ^  je  me 
persuade  encore ,  &  j'aime  a  me  persuader  que  je 
dus  une  partie  da  succes  a  I'illustre  Rameau,  mon 
cher  Compatriote ,  qui  voulut  bien  embellir  le  Di- 
vertissement des  sons  brillans  de  sa  musique. 


. !.  I.I  II   III!  Jilwr.iJ.iMi  ^'MMmmiYnmrpm 

PERSQNNAGBS.. 

DORIS,  Sceurde  The  mire  j  aimee  de  CeUmante^ 

-§ir^.¥ANPHE.i 

H  Y  J^  A  S ,  vleux  Berger  ridicule, 

T  R  O  U  P  E  t/e  Bergers  &  di  Berg^eres, 

La.  Schie  est  dans  le  Vallon  de  Tern  ft. 


LES    COURSES 

D  E    T  £  M  P  £ , 

PASTORALE. 

SCENE   PREMIERE. 
HYLAS,  SYLVANDRE,  TH^MIRL 

H    Y    L    A    S. 

\J  Le  dclicieux  asyle  ! 

Qu  au  grc  d'un  coeur  passionnc , 
Zephyrc  y  souffle  un  air  amoureux  &:  tranquillc ! 
Et qu'un  Amant heureipc y  seroit ....  fortune  I 

Sylvandre  a  part, 
Le  pcsant  Personnage ! 

THEMlREa  Hylas. 

A  CO  langage  orne 
Des  graces  de  I'ifeglogue ,  &"  des  fleurs  de  I'ldylle, 
On  reconnoit  le  tendre  &"  le  galant  Hylas. 
Sylvandre /^a^  a  Themlfe, 
Vous  ne  le  congedierez  pas  > 
T  H  E  M  I  R  E  ^^j  <i  Syivaadre, 
Irouvez-voiis  cela  si  facile  ? 


xS  IMS     COURSES 

H  Y  L  A  S    a  part. 

Maudit  soit  le  Facheux  qui  s'attache  a  nos  pas  I 

S  Y  L  V  A  N  D  R  E  ^tf  J  ^  Themire. 

Pour  econduire  un  Imbecillc , 
11  y  faut  bien  tant  de  facon  ! 

Themire  has  a  Sylvandre. 

Sans  doute :  &,  sur  ce  point,  chacun  a  sa  methodc. 

Sylvandre  has  a  Themire. 

Qu'il  s'en  aille  pour  tant  •,  sinon . . . 

H  Y  L  A   S. 

Vous  vous  parlez  tout  has :  serois-je  un  incommodeJ      '  J 

Sylvandre  3<w<z  Themire.  j 

Eh !  dites  franchement  qu'oui. 

Themire^  Hylas.  j 

Non. 
Hylas. 

A  mon  age ,  en  eflfet ,  je  plais  comme  un  jeune  hommc. 

Que  je  me  montre ,  ou  qu'on  noe  nomme ; 

D'abord  on  est  tout  rejoui. 
N'est-ilpas  vrai,  Bergerc? 

Sylvandre  ^^j  a  Themire. 
Ici ,  dites  non. 
THEMIREa  Hylas. 

Oiii 


D'  E     T  E  M  P  i.  iQ 

SylvaNDRE  has  a  Themire. 

Vous  voulez  done  qu  il  nous  assomme , 
Et  ne  voir  d'aujourd'hui  finir  cet  entretien  ? 

H  Y  L  A  s  ^  pan. 

La  presence  d'un  tiers  met  Tamour  en  deroute. 
Mon  esprit  ne  me  fournit  rien. . . . 
(  ^  Themire  j  apris  avoir  un  peu  rive. ) 
Doris  est  votre  soeur  ? 

Themire. 

Eh  bien ! 
H  Y  L  A  s. 
Et  Celemante  est  son  amant  ? 
Themire. 

Sans  doute. 
Celemante  aime  fort  Doris :  elle  est  ma  sosur. 
Apres  ? 

Sylvandre. 

Que  voulez- vous  en  dire  \ 
H  Y  L  A  S  embarrasse. 
Que . . .  que  je  suis  leur  serviteur. 

Sylvandre. 
J'aurai  soin  de  les  en  instruire. 
H  Y  L  A  S   a  part. 
En  m'cloignant  un  peu ,  voyons  s'il  se  retire. 


^6  L  E  S     COURSES 

(  a  Themife, ) 
Bcllc  i  jusqu  au  revoin 

T  H  E  ]Vt  I  R  E. 

Bon  jour. 
H  Y  L  A  S  s'en  allanu 

De  tout  mon  corur. 
Sylvandre. 
Ccrtc. ... 

H  Y  L  A  S  rcvenanu, 
A  propos. 

Sylvandre. 
Encor ! 
ThEMIRE  iz  Sylvandre. 

Quelle  humeur  pctulante! 
H  Y  L  A  S  iz  Sylvandre. 
Que  Elites- vous  ici  ? 

Sylvandre. 

Comment',  ce  que  j'y  fais  ? 

H  Y  L  A  S. 

OuL  Vous  devriez  ctre  aupres  dc  Celemantc. 

Sylvandre. 
Et  pourquoi  done  ? 

H  Y  l  A  s. 

Pour  Faire  avec  lui  votre  paix. 
Jc  ne  sais  contrc  vous  quelle  raison  Tirrite , 


^     V  E     T  E  M  P  E,  51 

Mais  il  vient  de  jnrer  qli'avant  k  fih  du  jour , 
11  vouloit  vous  jouer  un  tour. 
Sylvan  DRE. 
Eh  bien !  qu'il  me  le  joue.  ;    [ 

H  Y  L  A  s. 

{has  a  Th/mire.) 
Ah!  d'accord.  Je  vous  q'uitte. 
Mais  je  suis  bicntoc  de  retour. 


S  C  E  N  E    IL 

SYLVftkDREiTHt'MlRE. 

Sylvandre.  ..;,  «„o 

'uoi '.  lorsqUc  du  moment  la  fatalite  presse , 
Etqu  on  ne  pent  trouver  de  remede  assez  proitt^t} 
Je  VDUS  voisi  sans  egard  a  ce  qui  m'interessipj 
ioibn'jiav  Lasereniie  sur  Ic  fronts  r[o0  2r.'ol''l 

Recevoir  avec  palitesse  ;.;I<{H 

Le  premier  qui  nous  inrerrompt?,.        :Z 
De  vous-memc  a  ce  point  vous  ttQs  la  maitresse, 

Dans  le  trouble  ou  vous  me  trouvez  !      ^ 

Ah!  quand  on  aimc,  a-t-on  I'hurrieur  que  vous  avez  ? 

Non,  vous  nc  savez  point  ce  que  c'est  que  tendresse. 

T  H  i  M  I  li  fe. 

Vcta^iavisz  quereller  sans  cesse , 

Voti^i  c'es^t  rout  ce  que  vous  sav'e2.  ''^^  ^"^ 


ft  LESCOURSES 

S  Y  L  V  A  N  D  R  E.  :  : 

Rien  ne  vous  impatiente. 

T  H  E  M  I  R  E. 

Et  tout  vous  met  en  courroux. 
Sylvanure. 
C'est  que  je  suis  sensible. 

T  H  i  M  I  R  E. 

Et  moi ,  tres-cndurante  j 
Temoin  I'amour  que  j'ai  pour  vous.      :^_ 

Sylvandre. 

Je  nc  songe ,  en  tout ,  qu'a  vous  plaire; 
Mafautc,  quand  j'ynianque,  est  bieninvolontaire. 

Mais  vous  ne  disconviendrez  pas 
Que,  si  vous  m'aimiez  bien.  Ton  vous  eut  vu  tout  fairc 

Pour  nous  debarrasser  d'Hylas. 
Votre  pere  a  parle  de  se  donner  un  gendre.         :i 
Etranger  en  ces  lieux ,  je  n'ai  que  peu  d'espoir.     i 
Nous  consultions  par  ou  nous  pourrions  nous  y  prendre : 
Hylas  vient  a  travers  un  entretien  si  tendre  , 
Sans  que  le  contre-temps  senible  vous  emouvoir  i 

Ma  tristesse  n'a  pu  suspendre 
La  vive  attention  que  vous  lui  faisiez  voir ! 
Que  venoit-il  toutefois  nous  apprendre  ? 

Belles  nouvelles  a  savoir  , 

Pour  s'occuper  a  les  entendre  ! 
Lc  nombre  de  ses  boeufs ,  celui  de  scs  moutons } 
La  nature  des  lieux  qu'ici  nous  habitons  j 

Qu'il 


r>  E     t  E  M  P  i.  5j 

Qu'il  fait  une  belle  joiirnce  j 
Qu'une  telle  heure ,  a  I'horloge ,  a  frappe  ; 
Que  de  r01ympe,aux  Dieux  dcmeurc  abandonnee, 

Voila  le  sommet  escarpe  ; 

Que  e'est-la  le  fleuve  Penee ; 

lei ,  le  Vallon  de  Tempe  j 
Que  pour  Doris  enfin  j  Celemante  soupire  ; 
Et  qu'elle  est  votre  sceur.  En  verite ,  j'admire 
Qu'il  n'ait  pas  dit  aussi  que  Sylvandre  est  mon  nom  \ 

Que  vous  vous  appelez  Themirc , 

£t  votre  pere ,  Pulemon. 

T  H  E  M  I  R  E. 

De  Vous  instruire  il  s'est  fait  une  affaire, 
Vous  sachant ,  depuis  peu,  venu  dans  cc  canton  j 

Et  pour  moi  ,  j'ignore  le  ton 
Que  Ton  prend  avec  ceux  dont  on  veut  se  dcfairc. 

Sylvandre. 

Nous  battons  froid  a  leurs  civilites ; 
Nous  afFedons  avec  eux  le  silence  j 
Et  leur  faisons  sentir ,  a  notre  contenance , 
Qu'ils  sont  de  trop  a  nos  cotes. 

T  H  E  M  I  R  E. 

Et  si  vous  prononciez  ici  votre  sentence  ? 
Si  je  mettois  la  remontrance  , 
Au  rang  des  importunites  ? 

Tome  J  I.     C 


34  L  E  S     COURSES 

Sylvandre. 
Ah!  vous  sercz  plus  equitable  ! 
JEt ,  puisque  vous  m'avez  marque  quelque  rctour] 
Vous  ne  nommerez  pas  de  ce  nom  detestable , 
Les  eflfets  du  plus  tendre  amour ! 
A  mon  entree  en  ce  fatal  sejour  , 
La  liberte  par  vous  me  fut  ravie  : 
Pour  jamais  de  la  votre  on  dispose  en  ce  jourj 
£t  je  m'etois  flatte  d'un  sort  digne  d'envie.         ,> 
Songez ,  quand  il  s'agit  d'imaginer  comment 
Je  puis  de  votre  pere  obtenir  I'agrement , 
Qu  un  seul  instant  perdu  peut  me  coiiter  la  vie  : 

Et  votre  exemple  me  convie 
A  perdre  cet  instant ,  sans  en  etre  agite  ! 
Ah!  Themire,  Themire !  est-ce  done  etre  Amante? 
De  votre  soeur  Doris ,  ainsi  que  la  beaute , 

Pour  achever  d'etre  toute  charmante ,       j 
Que  n'avez-vous  la  sensibiliteJ 

Themire. 

Ex.  vous  ,  la  tranquillite 
De  votre  ami  Celemante  ? 

Sylvandre. 

II  n'est  point  inquiet,  parce  qu'il  est  heurcux; 
Parce  que  Doris  est  telle  , 
Qu'en  la  prenant  pour  modelc,    b. :  i 

D'un  Amant  delicat  vous  combleriez  les  vociix. 

Attentive  a  lui  seul ,  a  tout  autre  cruelle , 


D  E     T  E  M  P  L  3  5 

A  lui  seul  unie  &  fidelle , 
EHe  CToitque  le  jour  ne  luic  que  pour  eux  deux. 
Pour  elle ,  tout  est  grave,  &  rien  n'est  bagatelle. 
Tout  devient  matiere  entre  eux 
D'un  redoublement  de  feux , 
Ou dune  tendre querelle. 
T  H  E  M  I  R  E, 

Par  une  conduite  si  belle  , 
Et  ce  Caradere  epineux , 
Doris,  de  TEmpire  amourcux, 

Malheureusement  pour  elle , 

Bannit  les  ris  &c  les  jeux  j 

Et  de  la  plainte  eternelle 

En  fait  le  sejour  afireux. 

V  Sylvandre. 

Le  sejour  voluptueux 
De  la  felicite  meme. 

T  H  E  M  I  R  E. 
Dites ,  dites  un  Enfer. 
Quoi  ?  la  plainte  ennuyeuse  &  le  reproche  amer 
Dans  Tempire  amoureux  sont  done  le  bien  supreme? 

Sylvandre. 
On  sait  de  votre  soeur  I'inquietude  extreme  5 
Elle  fait  du  reproche  un  usage  frequent. 

Mais  d'une  bouche  qu  on  aime, 
Le  reproche  est-il  choquant  ? 
.  De  Tamitie  veritable  , 

Cij 


}6  L  E  S     COURSES 

Cest  le  sigrie  convainquant  j 
Cest  le  langage  eloquent 
Du  sentiment  respedable. 
Plus  il  est,  par  consequent, 
Continuel  &"  piquant , 
Plus  TAmant  est  redevable. 

T  H  £  M  I  R  E. 

Et  moi,  je  ne  sais  rien  de  plus  insupportable  I 
L'amour  &  I'amitie  veulent  un  ton  plus  doux. 
CelemUnte  n'a  pu  retenir  son  courroux  , 
Lui ,  dont  la  patience  etoit  inalterable. 

A-t-il  si  grand  tort ,  entre  nous  ? 

Et  vous  croyez-vous  excusable 

De  vous  etre  montre  jaloux 
D'un  ami  qui,  pour  vous ,  pres  de  moi , s'interesse  ? 

Qui  ne  me  parle  que  de  vous  ? 
Qui  meme  me  veut  mal ,  &  me  blame  sans  cesse 
De  ne  pas  menager  assez  votre  foiblcsse? 
Franchement ,  apres  cela , 
Je  ne  m'etonnerois  guere .... 

Sylvandre. 

Eh  I  de  grace ,  laissons-la 
Celemante  &"  sa  colere. 

T  H  E  M  I  R  E. 

D'une  humcur  douce,  enfin,  vous  faites  pcu  dc  cas : 

Vous  la  voulez  rebelle  &:  haute  ; 
Une  Grondeusc  auroit,  seloa  vous, plus  d'appas  j 


:  D  E     T  EM  P  t.  f7 

Et  ce  n'est  pas  votre  faute , 
Si  je  ne  la  deviens  pas. 
Eh  bien!  je  la  suis  done ;  &:  j'ai  sujet  de  I'etrc. 
Oui ,  justifiez-vous  5  oui ,  vous ,  qui  vous  plaignez. 
Quoil  bcrger,  on  vous  aime,  on  vous  le  fait  paroitre. 
On  est  tranquille ,  &"  vous  craignez  ? 

Sylvandre. 

Comment  d'un  juste  eflfroi  puis-je  encor  me  defendre  ? 

T  H  E  M  I  R  E. 

Depuis  qu'Hylas  est  retire ,  < 

Si  vous  aviez  daignc  m'entendre  ,  / 

Vous  seriez  deja  rassure.  y 

Jusqu'a-present ,  mon  cher  Sylvandre , 
Etranger  parmi  nous ,  vous  avez  ignore 
Que ....  Mais  Hylas  revient.  \^ 

Sylvandre   has  &  vivement. 

Si  mon  repos  vous  touche , 
De  grace ,  point  d'accueil  qui  flatte  son  ardeur ! 

Du  silence  &:  de  la  froideur  ! 
Songez,  au  premier  mot  qui  vous  sort  de  la  bouche. 

Que  vous  me  percerez  le  coeur  1 


-t^ 


G  iij 


L  E  S     COURSES 


S  C  E  N  E     1 1 1. 

HYLAS^SYLVANDRE,THtMIRE. 

H  Y  L  A  S  a  Themire. 

'  J  'avois  quitte  la  place ,  esperant  que  Sylvandrc, 
La  voulant  bien  quitter  aussi , 
Vous  laisseroit  seulette  ici : 
Mais  je  risquerois  tout ,  a  vouloir  plus  attendre. 
Votre  pere, aujourdluii,  songe  a  vous  marier. 
Ne  devinez-vousrien,amonairhunVoIe  &  tendre? 
Bcrgere ,  je  vousaime,  &:  jevicns  vousl'apprendre. 
Cela  vous  fache-t-il  ?  Non.  Je  vais  parier , 
Au  plaisir  que  toujours  vous  a  fait  ma  presence  > 

Que  si  j'ai  pour  moi  Polemon  > 
II  n'aura  pas  besoin  d'un  rigoureux  sermon  , 
Pour  vous  insinuer  un  peu  de  complaisance. 
Vous  ne  me  repondez  rien  ?  Bon  ! 
Comme  un  aveu  ,  je  prends  votre  silence  \ 
Et  vais  chez  lui  marchander ,  de  ce  pas, 
Unc  Brcbis  si  douce  ,  &  si  pleine  d'appas. 
L'or ,  en  de  tels  marches ,  emporte  la  balance : 
Et  le  bon-Homme  en  fait  cas. 
Comptez  sur  mon  opulence. 
SylVANDRE  I'arretanu 
Mais  votre  precede  ticnt  de  la  violence. 


ZDE      TEMP  t.  '    1         y^, 

f,  Ne  voyez  vous  pas  bien  ,  Hylas , ., 

Que  Thcmire  a  I'esprit  occupe  d'aiitre  chose ; 
Qu'ellcn'est  point  a  ce  qu'on  liii  propose  , 
Et  qu'elle  ne  vous  entend  pas  ? 
;  Pour  cettc  afF^lirc ,  ou  pour  quelque  autre, 
Prcnez  mieux  votre  temps  j  c'est  moi  qui  vous  le  dis. 

Hylas. 

Men  petit  Pastoureau !  pour  donner  des  avis, 
Vous-mcme ,  prenez  mieux  le  votre. 
Themire  cst-elle  sourde ,  aveugle ,  hors  de  sens  ? 

Ou  moi-meme  suis-je  en  delire  ? 
Themire  rne  Gonnoit :  je  connois  bien  Themire  : 
Elle  nfecoute  ;  8>z  je  I'entends. 
Tenez  meme ,  elle  vient  de  rire. 
On  a  du  revenu  peut-ctre  en  sens  commun  j 
Sur  un  bon  titre  je  me  fonde  : 
Dans  routes  Ics  langucs  du  monde  , 
Se  taire  &:  conscntir  n'est  qu'un.  - 
Que  rheureux  succes  confonde 
Quiconque  me  le  niera.  ^ 

Aujourd'hui ,  I'envie  en  grondc  -, 
Demain ,  elle  en  crevera. 


'(* 


C  iv 


/o  L  E  S     COURSES 

S  C  £  N  E     IV. 

SYLVANDRE,THEMIRE. 

Sylvandre. 

JlVIais  aussi  Ic  silence  ,  au  lieu  d'etre  farouche , 
A  I'air ,  en  certains  cas ,  d'une  tendre  faveur. 

T  H  E  M  I  R  E. 

Un  mot  sorti  de  ma  bouche  , 
Vous  auroit  perce  le  coeur  1 

Sylvandre. 

Quittez  cet  affreux  badinage.  '^'*-' '  ^^^ 

Un  jeu  pareilj  en  verite  , 

Sied  mal  en  cette  extremite.  j 

Menagez  mon  foible  courage  ; 

Et  n'afFedez  pas  davantage 

Un  exces  de  malignite  , 

Qui  tiendroit  enfin  de  Toutragc. 

T  H  E  M  I  R  e. 

Ferez-vous  encor  des  loix  ? 
Ou ,  libre  d'un  soin  frivole , 
Et  plus  sage  une  autre  fois, 
Lai sserez- vous  a  mon  choix , . 
Le  silence  &  la  parole  J 


D  E      T  E  M  P  i.  4» 

Sylvandre. 

Ah  !  je  n'ai  pas  devine 
L'ofirc  qu'on  alloit  vous  fairc. 

T  H  E  M  I  R  E. 

Encor  moins  imagine 

Les  raisons  qui  m'ont  fait  taire. 

Sylvandre. 

De  ce  silence  obstine 
Seroit-il  une  autre  cause. 
Que  le  plaisir  malin  de  m'avoir  chagrine  ? 

T  H  E  M  I  R  e. 

Je  I'y  comptois  pour  quelque  chose. 
Mais ,  je  veux  bien  en  convenir  i 
A  I'amusant  j'ai  joint  le  necessaire. 
Le  dessein  d'engager  Hylas  a  m'obtenir  ^ 
Est  mon  vrai  but  en  cette  affaire. 

Sylvandre- 
Vous  lui  souhaiteriez  I'avcu  de  votre  Pere  ? 

T  H  E  M  I  R  E. 
Oui :  je  desire  fort  qu'il  puisse  y  parvenir. 
Sylvandre. 
Vous  dont  Tamitie  sincere 
Ne  devoir  jamais  finir  ? 

T  H  E  M  I  R  E. 

Moi-memc, 


4i-»        L  F  S     C  OURS  IS  S 

Sylyandre. 

Infidelle  bergere  * 
Vous  perdez  done  le  souvenir 
D'une  promesse  a  mon  amour  si  chere ! 

Them  I  r  e.  .^  ^ofia 
Loin  de-la ,  je  la  reitere  ,  •  20J         > 
Et  ne  SQnge  qu  a  la  tenir. 

S  Y  L  V  A  N  D  R  E. 

Et  sera-ce  en  faisant  qu'un  autre  vous  obtienne 

Themire. 

C'est  Tuniquc  moyen  d'unir      . 
Votre  destinee  a  la  mienne.      ^' 

S  Y  L  V  A  N  D  R  E. 

O  Dicu !  quel  etrange  moyen  I  h  oJ 

-     Themire  ^^^^"^^'^^ 

Hylas  passe  la  soixantaine ; 
Et  Tinegalite  de  son  age  &  du  mien  ' 

Rompra  bientot  I'alliance. 
/.  Ne  dcsesperez  de  rJen, : . . ;: . .  j 

De  la  patience ;     -.^ 
Et  tout  ira  bien.      1 -- 

Sylvandre. 

L'abominable  prevoyance ! 
ttablir  mon  bonheur  sur  la  mort  d'un  epoux  J 


^   D  E     T  E  MP  A  4 J 

T  H  £  M  I  R  E. 

' '  ^^" "  Gardez  cette  honnete  croyance. 
Par  Icnrs  propres  errenrs ,  on  punit  les  jaloux, 

Voiis  en  fercz  Texpcrience  ; 
Car  voLis  n'eres  pas  digne ,  excitant  mon  courroux 
Par  une  injuriciise  &  sotte  defiance , 

Qu'on  s'explique  mieux  avec  vons. 

£Ile  veut  sorttn 

SylVANDRE/^  retenant. 

-  -t  - 

Ah  !  de  grace !  calmez  cette  injuste  colerc 

<:      SCENE     V.  ,„i 

SYLVANDRE,TH6MIRE,  DORIS. 
Doris.  ^^'"-^ 

ELICITEZ-MOI  tOUS  dcuX.     . 

Cclcmantc  est  chez  mon  pcrc}  " 
On  I'aime,  on  le  confidere  : 
Bientot  nous  serons  heiireiix- 
Alors ,  en  soeur  qui  vous  aime , 
Je  fervirai  vos  amours ; 
Et  je  veux  ,  dans  pen  de  jours , 
Vous  feliciter  de  meme. 

S  Y  L  V  A  N  D  R  E. 

Prcs  d'cUc, cmployez  done  vos  obligeans  discours, 


44         L  E  S     COURSES 

Doris !  au  nom  de  Celemante  1 
Au  nom  des  noeuds  qui  vont  vous  unir  pour  toujours  I 

Un  Amant  glace  d'epouvante , 

Implore  ici  votre  secours. 
En  disant  qu'elle  m'aime,  elle  en  epouse  un  autre  I 

Doris. 
Themirc  ? 

Sylvandre. 

Oui.  Pour  aller  s'offrir  en  ce  moment , 
Hylas ,  I'indigne  Hylas  a  son  consentement,  j  ,.  * 
Comme  Celemante  a  le  votre. 

T  H  E  M  I  R  E. 

Par  son  indignite,  le  choix  vous  deplait-il  ? 

Qui  voulez-vous  que  je  prefere  ? 

Le  jeune  Acis?  Le  beau  Myrtil? 
Je  n'ai  qu'a  dire  un  mot  j  ils  volent  chez  mon  perc. 

Sylvandre. 

De  quel  sang  froid  elle  me  desespere  !       ' 

T  H  E  M  I  R  E. 

Oh!  Laissez-moi  done  mon  Hylas. 
D  O  R  I  S  a  Themire. 
Votre  consentement  seroit-il  done  sincere  ? 

Themire. 
Hylas  s'est  declare.  Des  raisons  m'ont  fait  taire  ; 
£t  je  ne  le  flattois  qu'en  ne  repondant  pas. 


D  E     T  E  M  P  ^.  45 

Sylvandre. 
L'Ingrate ,  a  ce  silence  a  trouve  des  appas  : 
£lle  vient  meme  de  se  plaire 
A  m'en  faire  I'aveu  moqueur. 

Doris. 
Seroit-il  possible  ? 

T  H  E  M  I  R  E. 

Oui ,  ma  scEur. 
Hylas  plaira  d'abord.  A  Sylvandre ,  au  contraire , 
( Piiisqu'il  faut  vous  ouvrir  mon  cceur ) 
Beaucoup  de  temps  est  necessaire. 
Pour  faire  approuver  son  ardenr. 
Mon  pere  cependant  me  prcssc  avec  rigneur ; 

Et  je  Grains  le  choix  qu  il  pent  faire. 
Vous ,  qui  savez  nos  loix ,  n'imaginez-vous  pas , 
Pour  mieux  me  tirer  d'affaire , 
Ce  qui  me  fait ,  dans  Hylas , 
Choisirun  sexagenaire? 

Doris. 

Ah !  J'enrends.  Eh !  pourquoi ,  d'abord  , 
N'avoir  pas  explique  le  mystere  a  Sylvandre  ? 
Le  passe -temps  est  uu  peu  fort; 
Cela  n'est  pas  dune  ame  tendre  :  '-'" 
Et  franchement ,  vous  avez  tort. 

T  H  E  M  I  R  E. 
Je  hais  sa  folle  inquietude ;  a,* 

Et  Ten  punis ,  en  I'y  plongeanr. 


4^  L  E  S     COURSES 

Doris. 

^ais  sacrainte,  aprcs  tout,  n  a  rien  que  d'obligeant, 
Et  ne  mcritoit  pas  un  chatiaient  si  rude. 

T  H  i  M  I  R  E. 

Doiiter  de  notrc  foi,  n'est  done  pas  outrageant  ? 

Et  yous  oe  traitez  pas  cela  d'ingratitude  ? 

Lcs  sermens  que  leur  ^\t  notre  honneur  indulgent, 

Ne  sent  done  que  de  foibles  gages , 
Qui  nc  pous  rcndront  pas  cxemptes  de  soupcon  i 
I  *^         Je  pcnsc  d'une  autre  facon. 

Apres  dc  pareils  temoignages , 
Qaelqae  tort  apparent  qu'avec  eux  nous  ayons , 

Qui  nous  ose  croire  volages , 

Mcritc  que  nous  le  soyons. 
Ec  ptm  i!  s  cnnuyoit  d'un  bonheur  trop  paisiblc. 
Si  Ion  ne  gronde,  il  croitque  I  on  est  peu  sensible. 

Mais  il  me  fait  compassion  j 

Et  je  redeviens  bienfaisante. 

Donnez-lui  quelque  instrudion. 
A  votre  humeur  complaisante  , 
J'en  laisse  la  fondion.  ,,,     ' 

Je  n*y  puis  etre  presente. 
La  recherche  d'Hylas  est  une  nouveaute , 

Qu'aux  bergeres  je  dois  appreadre. 
Adieu  pour  unmoment.Une  autrefois,  Sylvandrc, 
Uu  peu  de  confiance  &  de  securice*^ 

rp^;  - .... 


D  E     T  E  M  P  6.  47 


•         S  C  £  N  E    VI. 

SYLVANDRE,  DORIS. 

Sylvandre. 

J^ioi ,  jnsqucs-la  pousser  la  deference ! 
Elle  consent  qu'Hylas  parvienne  a  Tobtenir  , 
Et  veut  que  je  I'entende  avcc  indifference  ! 
Que  je  vive  en  pleine  assurance ! 

Doris. 

Belle  lecon  a  retenir , 
Pour  ne  jamais ,  a  I'avcnir , 
Prendre  feu  sur  une  apparence. 
Tout  vous  doit  remplir  d'esperancc  j 
Et  vous  allez  en  convenir. 

Prctez-  moi  seulement  une  oreille  attentive. 

Chacun  sait  que  ce  fut  sur  ce  bord  fortune , 
Qu'cpris  de  I'ardeur  la  plus  vive  , 
ApoHon  poursuivit  Daphne.... 

Sylvandre. 

Apollon  n'est-il  pas  ici  bien  amene  ? 

Doris.         r 

On  sait  aussi  que ,  sur  la  memc  rive, 
Dans  son  attente ,  il  dcmeura  frustrc  j 


4«  L  E  S     COURSES 

Et  qu'atteignant  en  vain  la  belle  fugitive, 
Cet  Amant  n'embrassa  que  Tecorce  plaintive 
De  I'Arbre  qui ,  depuis ,  lui  resta  consacre. 

Sylvandre. 

Puisqu'on  salt  tout  cela,  pourquoi  done  nous  le  dire  5 

Doris. 

Jc  vous  ai  prie  d'ecouter. 

Sylvandre. 

Vous  m'aviez  promis  de  m'instruirc....;  ' 

Doris. 

Et  ce  recit  va  m'acquittcr. 

Sylvandre. 

Mais  que  peut-il  en  resulter. 
Qui  me  rassure  sur  Themire  ? 

Doris. 

Plus  que  vous  n'osez  souhaiter.  i 

Votre  impatience  extreme  , 
Interrompant  mon  discours , 
Et  me  retardant  toujours , 
Se  persecute  elle-meme. 

Sylvandre. 

Venez  done  au  fait  1 

Doris* 

J'y  cours. 

Ea 


En  memoire  de  la  fuite, 
Ou  pour  unique  rccours , 
Daphne  fut  id  reduite ; 
Parmi  nous ,  est  une  loi 
Qui  permet  a  nos  bergeres , 
Quand  d'impitoyables  peres 
Tyrannisent  notre  foi , 
t)'eluder ,  en  fuyant ,  leurs  volontes  severcs. 

Restc  a  Tobjet  de  nos  mepris , 
De  conqucrir  ,  s'il  peut ,  autrement ,  la  rcbelle. 
D'une  course ,  en  un  mot ,  nous  devenons  le  prix  j 

Et ,  pour  la  course  solennelle  , 
Au  gre  de  la  bergere ,  un  bel  espace  est  pris. 
Si  le  berger  triomphe ,  il  a  tout  droit  sur  elle  j 
Nous  pcrdons  notre  libcrce. 
Mais  si  nous  avons  la  vidoirc , 
Notre  loi ,  sur  un  choix  un  pen  mieux  consulte , 
Des  parens ,  pour  un  an ,  suspend  I'autorite. 
Des  son  enfance  done  ,  ainsi  que  Ton  peut  croire , 
Une  fiUe  s'exerce  a  la  legerete. 

Aussi  dirai-je,  a  notre  gloire, 
Qu  instruites  a  I'agilite  , 
Nous  primons  dans  cet  exercice ; 
Et  que  plus  d'un  bon  Coureur 
Entre  tous  les  jours ,  en  lice. 
Sans  que  pas  un  rcussisse , 
Ni  sen  tire  a  son iionneur. 
Sylvandre. 
Ah !  je  vois  les  bontes  dc  votre  aimable  soeur  I 

Tomcll.     D 


^5©  L  E  S     COURSES 

Doris. 
Hylas  n'est  pas  d'lm  age  a  demeurer  vainqneur. 
Le  temps  gagne  ponrroit  vons  rendre  un  bon  office  j 
Et ,  par  qiiclque  soin  flatteiir , 
Polemon  rendu  propice , 
Avant  que  Tan  saccomplissc, 
Approuveroit  votre  ardeur. 
Sylvandre. 
Quoi  ?  Poifr  m'etrc  fideic  ,  employer  I'artifice  ! 
Ah!  c'est  le  comble  du  bonheur  J 
Doris. 
Ruse  ,  pour  vcus ,  d'autant  plus  obligeante. 
Que  prcferer  Hylas ,  c'est  avoir  quelque  peur; 
Et  que  Tiiemire  en  doit  bien  etre  exempte. 
Car ,  a  moins  qu'un  berger 
Ne  soit  assez  leger , 
(  Ce  qui  ne  se  pcut  sans  prestige  ) 
-    -         Pour  tVanchir  pendant  les  hivcrs , 

Les  champs  que  la  neigc  a  converts , 
Sans  laisser  le  moindre  vestige  -, 
Ou ,  lorsque  le  printemps  les  peint  de  ses  couleurs. 
Pour  pouvoir  courir  sur  les  6eurs , 
Sans  en  fliire  plier  la  tigc  ; 
Soyez  sur  qu'a  la  course ,  on  ne  la  vaincra  point. 

Sylvandre. 
Que  tout  ce  que  j'entends  me  rassure  &  m'enchantc! 

Doris. 
En  un  mot ,  de  Tempe ,  Thcmirc  est  I'Athalante. 


D  E     T  E  M  P  i.  5 1 

D'Atlialante  pourtant  difitjrentc  en  cc  point , 
Que  i'or  n'cst  pas  ce  qui  la  tenrc. 

Ainsi  n'ayez  pas  peur  qu'un  appat  presentc 
Suspende  son  agilice. 

Son  tardif  Hyppomcne  ,  en  cette  concurencc  , 

Des  jardins  d'Hcspcrie  ,  epuisant  le  Trcsor  , 
Lui  jctteroit  cent  pommes  d'or , 
Sans  y  gagner  un  pas  d'avance. 

I^jp  mi.  i..j.'iti«^ViBMii«^.jn.Liujiy;  ■tJMaj.ji.W'jm.l-«LU>.iiJiipHUi,m<lnliJM>WWmi«iiin 

^  .......    .  ■  ■  ■  I  ii.iW 

S  C  £  N  E   VIL 

;    THEMIRE,  SYLVANDRE,  DORIS.r_| 
.:T  H  E  M  I  R  E  a  Doris. 

Jl  H  bien !  etois-Jc  un  monstre  ?  Et  s  ccrie-t-il  encorj 
i>  L'abominable  prcvoyancc  I 

■  Sx  L  V  A  N  D  R  E. 

Ah  !  The  mi  re  ,  a  vorre  bontCi,- 

'" '  'Mesurez  ma  reconnoissance  1 ''' 
Mais  ayez  un  pen  d  cquite. 
Convened  de  mon  innocence  , 
El  dc  v6tre  severite. 
L* Amour  vous a,  sur  moi ,  donneplcine puissance : 
Mais  i'Amoiir  pcrmet-il  que ,  fautc  dc  parler  ? . 
T  H  E  M  r  R  E. 
UAmcur  encot  va  querellcr  I 
J  epuiserai  notre  unique  ressourcc. 

Dii 


51      IMS   c  o  17  n.  s  E  s 

Je  m'enfuirai  j  ne  me  fatiguez  pas. 
De  tous  cotes ,  deja  fuyant  Hylas  j 
Tantot  J  qiiand  il  faudra  vous  servir  a  la  course , 
Jc  ne  pourrai  plus  faire  un  pas. 
Doris. 
Oh  !  je  prends  son  parti.  C'est  une  barbaric  j 
Et  vous  poussez  aussi  trop  loin  la  raillerie. 
Par  votre  cceur ,  jugez  du  sien. 
Qui  vous  alarmeroit  de  meme  ? 
Jc  ne  le  voudrois  pas ,  parce  que  jc  vous  aime ; 
Mais  vous  le  meriteriez  bien. 


S  C  E  N  E     VIII. 

HYLAS,  SYLVANDRE,  THEMIRE,D0RI5. 

H  Y  L  A  S  a  Themire. 

J  E  vicns  vous  combler  d'alegrcssc. 
Je  disois  bien  que  ma  richesse 

Themire. 

Paix  I  je  ne  m'informe  de  rien. 


D  E     T  E  M  P  E,  53 


SCENE    IX. 

.CfeLiMANTE,SYLVANDRE,HYLAS^ 
THEMIRE,  DORIS. 

ThEMIRE  a  Celemante  qui  entrc 

V  ENEZ  ,  joyeux  Celemante  , 
Vencz ,  des  sombres  humenrs , 
Et  d'a-travers  les  grandeurs  , 
Sauver  ma  gaite  mourante. 

Celemante. 

Adorable  Themirc ,  a  parlcr  franchement , 
Ma  belle  humeur  n'est  pas  inutile  a  la  votrc^ 

Je  devois  etre  votre  Amant* 

Oui ,  dites  votre  sentiment  j 

N'etions-nous  pas  faits  Tun  pour  I'autrc  It 

T  H  E  M  I  R  E, 

On  diroit  en  effct  que  1' Amour  ayant  peiir 
De  ne  pas  signaler  un  pouvoir  assez  vaste, 
AfFede  d'attacher  un  coeur 
Presque  tou jours  a  son  contrastc* 
C'est  ainsi  que  Ton  voit  unis 
Lc  vif  &  le  fougueux  Eraste  , 
A  I'indolente  &:  froide  Iris ; 
La  belle  Galathee  ,  au  difForme  Nicandrc  j, 

Diij 


■^4  lis     COURSES 

lL*enjoue  Celemante  ,  a  la  triste  Doris ; 

Et  moi  qui  suis  si  gave,  au  serieux  Sylvandrc. 

Doris. 

Notre  humeur  est  le  sceau  des  pins  tendrcs  amouM, 
Laissons  la  badinerie 
Et  tons  vos  mauvais  disconrs. 
Si  j'etors,  de  vous  deux  ,  bien  tendrement  chcrie  , 
Tous  deux  eussiez  paiu  bien  plus  interesses 
A  ce  qu'un  pcre  vient  de  dire  : 
Et  vous  vous  seriez  plus  presses , 
Vous,  ma  soeur ,  de  lappreiidre  j  &  lui,  de  m'en  instruirc 

Celemante. 

Mon  air  satisfait  dit  assez 
Qu'apparemment  j'ai  ce  que  jc  desire. 

H  Y  L  A  S  ^  Celemante. 

Tant  mieux  1  rouche-la ,  mon  Garcon, 
Grace  a  THymen ,  nous  voila  freres : 
Du  moins  nous  ne  tarderons  gueres. 

Tu  m'as  vu  demandcr  Themirc  a  Polemon. 

L'apparence ,  pour  moi ,  pent-elle  etre  meillcure  \ 
Le  bon  papa  n'a  pas  dit  non ; 

Et ,  pour  se  consulter ,  ne  demande  qu'une  heurc. 

Celemante. 

Mais  a  peine  ctiez-vous  sorti , 
Qu  a  mon  tour ,  je  I'ai  dcmandec 


D  E      T  E  M  P  i,  5  5 

H  Y  L  A  S. 

Qui  ?  Themire  ?  • 

Celemante. 
Oui. 

H  Y  L  A  S. 

Bon !  quelle  idee ! 

CiLEMANTE. 

Son  pere  accepte  le  parti , 

Ec  me  I'a  d'abord  accordee*  ^ 

Themire. 

Moi ! 

Sylvandre. 

Themire ! 

^  Doris. 

Ma  soeur ! 

H  y  L  A  s. 

A  vous ! 
Celemante. 

A  moi ,  mon  pauvrc  Hylas.  Cest  une  affaire  faite. 

Consolez-vous.  Adieu.  Songez  a  la  retraite. 

Et  vous,  belle  Themire,  embrassez  votre  Epoux.' 

Hylas. 

Non  pas ,  non  pas ,  Tami  y  tout  doux  1 

Div        " 


W: 


5^         LES     COURSES 

a  Themire, 

"Ne  vous  chagrincz  point ,  moia  aimablc  bergere. 
On  a  ce  qu'on  veut  pour  dc  Tor. 

Cc  coup  mal-a-propos ,  Doris ,  vous  desespere. 
On  ne  Ta  pas  livree  encore  j 
Et  je  vais  y  mettre  Tcnchere. 


Mta 


SCENE     X. 

C^L^MANTE,  SYLVANDRE,  THEMIRE, 
DORIS. 

Doris. 

ItJ-a  sceur  a  commence.  C'cstaujourd'builc  jour 

Dcs  mauvaises  plaisanteries. 
Sylvan  d^r  e. 

Je  suis  ravi  qu'elle  ait  son  tour ; 

Et  voila  de  sqs  railleries. 
Themire. 
Jc  n'ai  pas  la  foiblesse,  au  moins ,  de  m'eJSraycr, 

Ni  de  quereiler  Celcmante  : 

J'ai  I'csprit  de  voir  qu  il  plaisante, 
Et  qu'aux  depens  d'Hylas ,  il  vouloit  s'^gayer. 

Celemante. 
Voici  quelque  chose  d  etrangc  ! 
Desabusez-vous,  tous.  Jc  ne  plaisante  pas. 


T>  E     T  E  M  P  E,  57 

J'ai  voulusupplantcr,  &  je  supplante  Hylas. 
Themire,  a  votre  avis,  perd-clle  done au  change? 

TheMIRE^z  Sylvandre. 

Voilalc  tour  qu'Hylas  vous  avoit  annonce. 
Celemante  veut  rendre  alarme  pour  injure. 

CiLEMANTE. 

Je  nesais  ce  qu'Hylas  aura  dit  j  mais  jc  sai 
Que  ce  que  je  vous  dis ,  est  la  verite  pure. 

Themire. 

Celemante ,  c'est  par  bonte 
Que  Tonhesitc  de  vous  croirc. 

Doris. 
Vous  n'avez  pas  ete  tente 
D'une  infidelite  si  noire  ? 

Sylvandre. 

Une  marque  cvidente ,  ami ,  que  sur  ce  point , 
Je  ne  vous  crois  pas  plus  qu  un  autre  j 
C'est  que  jc  ne  vous  ofFre  point 

Un  combat  qui  terminc  ou  ma  vie ,  ou  la  votrc. 

CilEMANTE. 
Eh !  point  d'inutile  courroux. 
Vous  me  faites  rire ,  Sylvandre. 
Quel  intcret ,  de  grace ,  encore  y  prenez-vous  ? 

Sylvandre. 
Quel  interet  j'y  prends !  I'interet  Ic  plus  tendrc  , 


5?  L  E  S     COURSES 

Et  le  plus  sensible  de  tous ; 
Tout  celiii  qu'un  rival  furieux  &■  jaloux , 
Centre  un  ami  perfide,  est  capable  d'y  prendre. 

C  E  L  E  M  A  N  T  E. 

Bon ,  si  vous  pouviez  vous  attendrc 

A  vous  voir  jamais  son  epoux; 

Mais  vous  n'y  devez  pkw  prctendre ; 

Le  debat  n'est  plus  cntre  nous. 
Mcme ,  plus  que  Jamais ,  votre  amitie  m'est  due ; 
Car  je  veux  vous  venger :  &,  de  plus,  vous  servir. 

Sylvandre. 

Qui  vous  dit  que ,  pour  moi ,  Themire  ctoit  perdue? 

Celemante. 

Hylas  alloit  vous  la  ravir. 

Sylvandre. 

Vous  connoissez  les  loix  qui  I'auroicnt  dcfendue 
Elle  eiit  pare  cc  coup  fatal , 
En  courant  contre  mon  rival  -, 

Et  son  agilite  me  I'cut  bientot  rendue. 

Celemante. 

S'en  prevant-on  contre  un  Amant  qui  plait  ? 

C'est  dc  son  propre  aveu ,  qu  Hylas  I'a  demandce. 

11  Tobtient  d'elle-meme ;  &c  riche  comme  il  est, 
J'ai  concu  le  noble  interet 
Qui ,  dans  ce  choix ,  I'aura  guidee. 


D  E      T  E  M  P  E.  55> 

Voyant  done  Polcmon  tout  prec 
Dc  former  ce  ntrud  ridicule , 

Sur  le  marche  d'Hylas ,  j'ai  coiiru  sans  scrnpulc , 
Er  j'ai  fait  prononcer  TArrcr. 
Ce  precede  ne  dcsoblige 

Que  Themire  &:  celui  qui  vous  I'alloit  ravirj 
Et  jc  n'ai  prctendu ,  vous  dis-je , 
Que  vous  venger ,  &  vous  servir. 

SYLVANDREiZ  Themire. 

Voila  ce  qu'a  produit  le  malhcureux  silence, 
Qu'avcc  Hylas ,  a  tort ,  vous  avez  affedlc. 

Themire. 

Vous  eutes  part  a  I'imprudencc. 

Mais  votre  ami ,  dc  son  cote  , 
Affede,  sur  men  compte  ,  unc  crcdulitc 

Qui  cheque  route  vrai-semblance. 
Adresscz  le  reproche  a  qui  I'a  nicnte. 

Doris. 
Themire,  vous  seriez  lepouse  d'un  pcrfide. 
Qui  nous  met,  a  tous  trois,  le  poignard  dans  le  cosur? 

Sylvandre. 
Non ,  Doris  \  croyez-en  la  fureur  qui  me  guide. 

Ne  rcclamez  pas  votre  socur. 

II  faut  que  le  fcr  en  decide , 

Et  donne  a  tous  trois  un  Vengeur. 
(  ^  Cslcmante. ) 

Viens  ,  suis-moi .  traitrf?. 


So  L  E  S     COURSES 

Celemante. 

Qui  te  pressc  ^ 
Pourquoi  d'abord  ne  se  prevaloir  pas 
Du  secours  qui  pouvoit  debarrasser  d'Hylas  ? 
La  course  pcut  encore  m'enlever  ta  maitresse, 
Jusques-la ,  suspendons  le  soin  premature 

Que  ta  iiiauvaise  bumeur  se  forge. 
Si  mon  bonheur  alors  dcvient  plus  assure , 
Nous  aurons  tout  Ic  temps  de  nous  couper  la  gorge* 

T  H  E  M  I  R  E. 

Oui ,  Sylvandrc,  je  vous  defends 
De  me  fermer  une  carriere  aisee , 

Ou  jc  vais ,  a  pas  triomphans , 
Le  rendre ,  dc  Tempe ,  I'opprobre  &  la  risee.. 

(  a  Celemante. ) 
Lache !  viens  rccevoir  ce  premier  chatiment 

Du  volontaire  aveuglement 

Qui  m'ose  imputer  les  foiblesses 

D'un  coeur ,  ou  I'amour  des  ricliesscs. 

EtouflFe  tout  beau  sentiment. 
Viens ,  viens  voir  echoucr  tes  ruses  criminelles. 
Lahonte  &  les  remords  courront  a  tes  cotes; 

Jc vcux qua  leur  voix ,  tu  chancelles j 
Viens !  I'horreur  que  me  font  tes  infidelites , 
Pour  fuir  un  Scelerat ,  va  me  donner  des  ailes» 


^ 


D  E      T  E  M  P  t.  41 

■ll" !■!         I         ■         ■IWII  ■  ..■■■I        !■        ■! ■^■■-.l^■■        IMWi—i^ 

S  C  £  N  E     XL 

SYLVANDRE,  C^L^MANTE,  DORIS. 

SylVandre. 

JCtT  moi ,  perfide  !  &  moi ,  je  vais  la  secourir 

De  mes  voeux ,  &  de  ma  presence. 
,Tu  pourrois,  par  hasard ,  tromper  son  esperance* 
Mais  qiielque  heureux  que  tu  sois  a  courir , 
Tu  ne  fuiras  pas  ma  vengeance. 

S  C  fi  N  E    XII. ' 
CfeLfeMANTE,DORIS»        '"^ 
Celemante. 

4-«ES  tendres protestations! 
Et  vous ,  belle  Doris ,  vous  etes  la  derniere 
A  charger  d'imprecations 
Mes  honnetes  intentions  ? 
Vous  qui  deviez  vous  plaindre  la  premiere ! 

Doris. 

Vous  etes  trop  paisible.  Oui  5  j'ouvre  enfin  les  yeux*  ^ 
N  ctre  pas  plus  emu ,  c'est  n'etre  point  coupable. 


Ct  L  n  S     COURSES 

Oui ,  tandis  qu'on  vciis  prend  pour  nn  monstre  efh'oyablc » j 

VoLisetesnn  ami  fidcle ,  ofiicicux, 

Dont,  malgre  ses  discours,  on  devoit  juger  mieux. 

Mais  la  crainte  rend  tout  croyabie, 

Qnand  I'intcrct  est  precieiix. 
Elle  a  produit  sur  vous  un  effbt  tout  scmblablc. 

Elle  vous  a  rendu  capable 

Dc  croire ,  non  pas  que  ma  soeur  , 

De  Tor  ait  eu  la  soif  honteusc ; 
Mais  qu'a  la  course ,  entre  elle  &"  son  pcrsecutcur, 

Lavidoircseroit  douteuse  : 

Et  vous  laissant  vaincre  a  propos , 

Vous  pretendez,  sans  en  ricn  dire , 

Et  de  Sylvandrc  &:  dc  Themire 

Vous-meme  assurer  le  repos. 

Id  CeUmantc  qui  a  ecoute  dc  I' air  (Tun  hoinme  qui 
convient  (Tune  verite  ^  baise  la  main  de  Doris  lvcc  ^ 
un  transport  de  tendresse  &  de  joic  qui  acheve  dt  la. 
rassurer.  Elle  continue, 

Un  coup  d'oeil  obligeant  devoit  done  m'cn  instruire. 
L'esperance ,  en  mon  coeur,  facilement  s'cteint  i-r 

Vous  savcz  qu'un  rien  Ic  dechire  , 

Berger ,  &  vous  n'avcz  pas  craint 
La  proFondeur  du  coup  dont  vous.  I'avez  attcint ! 
Souvent  la  vcrite  se  faisr.nt  trop  attendre  , 
Arrachc  cnvain  Ic  t'rait  dont  I'crreur  a  blessc. 
-    C  E  t  EM  A  N  T-Ei<;{OJj  ;•■    ' 

""' "  Vous  vciia  conime  Sylvandf©.i  -    -    - 


D  E     T  E  M  P  £.  6% 

Les  alarmes  ont  cesse ; 
La  qnerelle  va  reprendre. 
Epargnez-vous ,  Doris ,  ce  chagrin  pen  scnsL 
Ayez ,  sur  le  present ,  I'esprit  un  peu  fixe. 

Goutez  en  paix  sqs  douceurs  passageres , 
Sans  Tempoisonncr  dzs  chimcres 
De  Tavenir  &:  du  passe. 
Quand  vous  mc  croyiez  un  vclage  , 
C'etoic  a  moi  de  m'offenser  : 
Ouhliezles  tcrreurs,  ainsi  que  moi,  I'outrage. 

Doris  sourit. 
La  paix  est-elle  Faite  ?  Oui !  ce  sera ,  Jc  gage , 
Tout-a-rheure  a  recommencer. 


»iamjwu!J!g,MJuffla*iri.'"i/>^v  s  .a 


S  C  £  N  E     X  1 1 1. 

HYLAS,  CELtMANTE,  DORIS. 

H  Y  L  A  S 

wtScLERTE  ,  Celemante !  On  ouvre la  barriere. 
Pour  donner  le  signal,  on  n'attcnd  plus  que  vous  j 
JEc  Themire  ,  dcja  vetue  a  la  legcre , 

Impatience  en  son  courroux  , 

Adrcsse  a  Daphne  sa  priere. 

CtLEMANTEa  DotlS. 

Quoi  qu'il  arrive  au  moins,  moderez  vos  esprits. 
Montrez-vous  raisonnable  Amante ; 


(f4  L  E  ^     COURSES 

Et  croyez ,  sans  songer  a  qui  sera  le  prix , 
Que  le  sort  peut  livrer  Themire  a  Celemante , 
Sans  oter  pour  cela  Gelemante  a  Doris. 


SCENE    XIV. 

HYLAS,  DORIS. 

Tout  le  commencement  de  cette  Scene  jus^u  aU 
vingt-septieme  vers  se  passe^  sans  que  Doris  occupee 
uniquement  de  ses  profondes  reflexions  &  de  ses  in- 
quietudes J  s  appercoive  des  reponses  ni  de  la  pre^ 
sence  c^'Hylas  j  qui  de  son  cote  applique  a  ses  inte-^ 
rets  particuliers  ^  tous  les  a-parte  de  Doris  j  &  croit 
quelle  park  de  Polcmon  j  tandis  quelle  ne  park  qui. 
de  Sylvandre. 

Doris  bas&a  part* 

,UE  le  sort  peut  livrer  Themire  a  Celemante  j 
Sans  oter  pour  cela  Celemante  a  Doris* 

( kaut. ) 
Ceci,  tout  de  nouvcau ,  commence  a  m'intcrdirc 

H  Y  L  A  s. 
Votre  pere  jamais  n'a  youlu  s'en  dedire. 
Doris  a  part* 
Et  jc  ne  sais  plus  qu'en  penser. 

H  Y  L  A  S. 


H  Y  L  A  S* 

Ni  moi ,  sinon  qu'au  jeu  I'on  veut  m'intcrcsser  j 
Mais  je  prcnds  le  parti  d'en  rirc. 

D  o  R  i  S  i  part. 

Ma  flamme  ingenieiise  a  prendre  de  I'espoir, 

S'est  laissee ,  a  coup  sur ,  foUement  decevoit 

Siir  une  apparence  frivolc. 

H  Y  L  A  s. 

L'esperance  n'etoit  point  folic  : 
II  etoit  permis  d'en  avoir. 
Un  homme  est  honnete  homme,  &  n'a  que  sa  parole* 

D  o  R  I  s  a  part. 

Dans  le  peu  qu'il  a  dit ,  ce  n'est  qu'ambiguitc*... 

H  Y  L  A  S. 

II  joue  un  assez  vilain  role. 

D  o  R  I  s  <z  pare 
Que  mystere  &  subtilitc. 

H  Y  L  A  S. 

Oui ,  vous  voyez  comme  on  melcurre; 
Pour  en  choisirun  autre,  il  me  demandcune  heur^ 
Belle  finesse ,  en  veritc ! 

Do  R  I  s ,  ^  part. 

Mais  toutefois  quelle  apparence 
Qu'il  songc  a  me  tromper,  en  s'ofirant  a  courisi 

TcmcIL     E 


X^^     COURSES 

Quelle  seroit  son  esperance  ? 

Et  quand  il  en  auroit ,  quelle  est  ma  defiance  ? 

Suffit-il  d'aspirer  ici  pour  conquerir  ? 
D'une  vidoire  impossible , 
Dois-je  avoir  la  moindre  peur  ? 
Ai-je  oublie  que  ma  soeur , 
A  la  course ,  est  invincible  ? 

H  Y  L  A  s. 

Invincible !  Oh  que  non !  ne  vous  en  flattez  point, 

Le  berger  n'cst  pas  sot  au  point 
D'accepter  le  defi ,  sans  en  savoir  plus  qu'elle. 

Doris  I'ecoutant  enfin. 
Que  dites-vous  ? 

H  Y  L  A  s. 

Que  I'infidclc 
N'est  pas  une  tete  a  I'event  j 
Qu'a  la  course ,  ou  Ton  croit  que  votre  soeur  exccUc 
Dcs  long-temps,  en  secret ,  il  s'est  rendu  savant, 
Et  que  dans  I'erreur  il  vous  laissc 
Par  malice ,  ou  par  politesse. 
Mais  moi  qui  I'ai  surpris  a  s'eprouver  souvent 
"      ,    Je  vous  Tavouerai  sans  finesse ; 
La  fleche  vole  avec  moins  de  vitessc; 
Et  j'oserois,  pour  lui ,  gager  contre  le  vent. 

Doris. 

Ah  !  que  vous  redoublcz  ma  craintc  I 
Cicl  I  quel  est  le  projet  qu'il  aura  medite  J 


D  B     T  E  M  P  i.  it 

Sa  demarche  est-elle  une  feinte  ? 
Esc-elle  une  infidelite  ? 

H  Y  L  A  S. 

Si  peu  de  chose  vous  tourmente ! 
Cest  faire  injure  a  vos  appas. 

Mettons  la  chose  au  pis:  la,  serez-vous  contentc, 
Si  je  vous  presente  Hylas , 
En  place  de  Celemante  ? 

Oh !  que  nous  saurons  bien  vous  le  faire  oublierl 
Comme  un  jeune  &:  sot  ^colier  , 

Jc  ne  m'en  tiendrai  pas  a  la»simple  fleurette. 
Tous  les  matins ,  au  chant  de  I'alouette, 
Mon  amour  vif  &  reguUer  o :' 

Vous  promet  une  chansonette, 
Quelqu'air  de  vielle  ,  ou  de  Musette  ,  _ 
Des  fleurs ,  plein  le  petit  panier ,  '^ 

De  beaux  rubans  a  la  houlettc ,        , ,- .-. 
Dedans  la  cage ,  une  fauvette, 
Nouvelle  devise  au  collier 
Du  levron  &  de  la  levrette 

Le  petit  coeur  fut-il  plus  dur  que  les  cailloux  > 

Jc  lui  peindrai  si  bien  Tamour  &:  tous  ses  charmcs, 
Vous  me  verrcz  si  tendre  a  vos  genoux  j 
Et  j'y  serai  si  doux ,  si  doux  , 
Qu'il  faudra  bien  rendre  les  armes 

Doris. 
Ah  I  Je  vois  revenir  Thcmire  route  en  larmes  I 
Mon  Infidcle  est  son  epoux  ! 

Eij 


tfS  L  E  S     COURSES 


S  C  J:  N  E    XV. 

HyLAS,  TH^MIRE,  DORIS. 

Doris  continue. 

3  USTES  DicLix !  Qui  I'auroit  pu  croireJ 
Que  vous  nous  eussiez  du  favoriser  si  peu  , 

Contre  une  trahison  si  noire  ? 
T  H  E  M  I  R  E. 

A  leur  honte ,  j'en  fais  Tavcu  j 
Tous  mqs  efforts  n'ont  pu  balancer  la  vidoire. 

H  Y  L  A  S. 

II  n'est  que  les  fripons ,  pour  etre  heureux  au  jeu. 

■■MHKMHMiMMMMMMBHaHHMMMMMMMnMMMaMMMWi 

S  C  £  N  E    XVI. 

SYLVANDRE,  HYLAS,  THl^MIRE,  DORIS. 

SylVANDRE<z  Themirc 

3  'f  TOis  venge,  sans  votre  perc  j 
Sans  Polemon  ,  e'en  etoit  fait. 
Du  lachc  qui  triomphe  au  bout  de  la  carrierc , 
Mon  javelot  lance  punissoit  le  forfait. 

Mais  en  ces  lieux  il  doit  se  rendrc  : 


7    "^  D  E      T  E  M  P  i,  69 

II  n'a,  tant  que  jc  vis ,  que  de  vains  droits  sur  vous. 
Qu'il  vienne !  je  I'attends.  Rien  ne  pent  Ic  defendre ; 
J'en  jure  par  les  pleurs  que  vous  daignez  repandrc : 
Le  perfide ,  a  vos  pieds ,  va  tomber  sous  mcs  coups. 

T  H  E  M  I  R  E. 
Ah !  moderez  cette  fureur  extreme. 

Sylvandre.  '-^^ 

Themire  exhorteroit  Sylvandre  a  laceden 

T  H  E  M  I  R  E. 

Je  vous  ai  dit  que  je  vous  aimc' 

H  Y  L  A  S  a  pan, 

Oui-da  ?  J'etois  bien  dupe !  -^^^ 

S  Y  L  V  A  N  D  RE. 

Eh !  c'est  pour  cela  meme 
Que  nul  autre  que  moi  ne  doit  vous  posseder. 

Themire. 

J'ai  dit  aussi  que  rien  ne  pourroit  me  resoudre ,  Jl 
A  couronner  d'autres  amours  j 

Que  Ton  verroit  plutot  les  Rochers  se  dissoudrc  5 
Pence  ,  interrompre  son  cours  j 
Nos  monts  sacres ,  reduits  en  poudre , 

'  Dans  ce  delicieux  valon , 

Livrer  passage  a  I'aquilon ;  •        ' 

Et  le  laurier  frappe  du  foudre , 
Sur  le  front  mcmc  d'Apollon. 

Eiij 


7©  I  E  S      COURSES 

C^toit  vousdireassezqu'au  point  oii  nous  en  sommcs 
Quand  j'aurois  contre  moi  mes  parens  &:  le  sort , 
Je  saurois  faire  un  noble  effort ; 
Et  contre  les  dieux ,  ^  les  hommes ,    '  ^ 
Trouver  le  secours  dc  la  mort. 

Sylvandre. 

Ah !  ce  discours  ne  fait  que  redoubler  ma  rage. 

C'est  mon  sang,  c'est  le  sien  qui  doit  vous  etre  offert. 
La  mort  doit  n'etre  le  partage  , 
Que  du  ftialheuteux  qui  vous  perd, 
Ou  du  cruel  qui  vous  outrage. 

Suspendez  les  effets  de  ce  juste  courrotiu: »  r^B-ji.O 
Sylvandre  !  auparavant  laissez  agir  nos  larmes. 

Ma  soeur  &  mpi ,  par  dc  si  tcndres  armes  j 
S#R53^^:  ' '  Peut-^tfc  le  iiechirons-nous. 

Pour  dei  bagatelles  pareilles , 
Fawc  il  en  Q^^..^m&^'  "  ' 

^  .i  <  -^ppercevant  Celemdnte.  '  ^'      „     ^^ 
f  zihuozh^  9z  --p^x!  ne  lui  t^moignez  rien"" 

i  21?JO0  fiOi  'Ji'.'     ^ 

Voyons  cc  qu'il  va  dire.  Ik  fer oient  potff tant  bien 
De  se  donner  un  peu ,  tons  deux*  gur  k$  oreilles. 


D  E    T  E  M  P  i.  ii 


SCfiNE  XVII  &  dcrnicre. 


I  W-J.  iiO  J  . 


CtL^MANTE,  SYLVANDRE,  HYLAS^ 
TH^MIRE,  DORIS. 

Cblemante. 

JCiHbien,  Thetnire,  les  rcmords 
N'ont  pas ,  du  scelerat ,  cmpeche  la  vi<3:oire  I 

{a  Doris,) 

Pour  vous,  je  gagerois  le  prix  de  mes  efibrts. 
Que  deja ,  du  traite ,  vous  perdez  la  memoire  j , 

(  a  Syhandrc,  )  i.oG 

Et  toi ,  si  Polemon  n'cut  retenu  ton  bras y '' ■  ^'''^'^ 
Tu  donnois  au  vainqueuc  une  belle  couronne !  - 
En  verite ,  tous  trois ,  vous  etes  bien  ingrats  i  •  •• 

Et  vous  ne  meriteriez  pas.... 

Mais  je  suis  bon  ;  je  vous  pardonne. 

T  H  E  M  I  R  E. 

Ame  sans  pudeur  &  sans  foi ! 

Tu  joins  I'insulte  aux  perfidies.  ; 

Mais  ne  tc  flatte  point  I  plutot  que  d'etre  ^  toi, 

Je  m'arracherois  mille  vies. 
Jcnerecoistat  main  qu'apr^sie  coup  naortek.   ;n  , 

Ew 


71  L  E  S     COURSES 

J'cn  meste  les  Dieux  j  jc  le  jure  a  Sylvandrc. 

Pour  ne  pas  en  douter ,  cruel , 
Acheve  ton  forfeit ;  vicns  5  &c  sans  plus  attendrc , 

Ose  mc  conduirea  I'Autel. 

'■  '  Eile  veut  sortlr. 

CelEMANTE/^  rcunanu 

EcoutcZn... 

Sylvandre, 

Monstre ! .... 

CelEMANTE^z  Sylvandrc, 

Ettoi,tache  aussi  de  m'entendrc 
Tu  t'ois  commc  clle  t'aime  •,  &  tes  soup^ons  jaloux 
Que  J  souvent,  on  a  vu  jusques  sur  moi  s*etendre, 
Doivent  etre  gueris  par  un  si  beau  courroux. 
Oest  la moindre  vengeance ,  ami ,  que  j'aidu  prendre 
D  un  travers  qui  rompoit  tout  commerce  entre  nous. 
Theniire  a  pour  sa  part,  paye  de  quelque  larme, 
Le  plaisir  malin  qu  elle  a  pris 
De  te  donner  souvent  Talarme  , 
Comme ,  a  regret ,  j'ai  du  la  donner  a  Doris. 
Enfin ,  admire  ici  le  zele 
D'un  ami  prudent  &:  fidele : 
Sans  ctre ,  de  Themire ,  aujourd'hui  le  vainqucur , 
Je  ne  pouvois,  en  ta  faveur , 
Comme  ;e  fais ,  disposer  d'elle  , 
Ni,  d'un  facheux  delai,  t'epgrgncr  la  rigueur. 


D  E     T  E  M  P  E,  75 

{a  Themire.) 

Jc  viens,  a  Polemon ,  d'en  porter  la  nouvelle , 
En  lui  demandant  votre  scjeur. 

(  a  Sylvandre. ) 

Au  double  mariage  il  souscrit  de  bon  coeur ; 
Et  son  impatience  egale  au  moins  la  notre. 
Ainsi  j'ai  du  courir ,  &  j'ai  vaincu  pour  vous. 
Qu'on  sc  fasse  justice  a  present  Tun  a  Tautre. 

A  Themire  lui  presentant  Sylvandre. 

Themire,  de  ma  main ,  recevez  cet  epoux. 
Vous ,  Doris ,  pardonnez  au  votre : 

( a  Sylvandre. ) 

Et  toi ,  si  tu  le  veux ,  maintenant  battons-nous. 

Sylvandre. 

Quelle  etoit  mon  erreur !  &■  qu'ai-je  pense  faire? 

H  Y  L  A  S. 

Mais  je  ne  trouve  pas  mon  compte  en  cette  afiaire. 
Et  moi  done ,  qui  m'epousera  ? 

Celemante. 

Un  autre  contretemps  qu'Hylas  excusera , 
C'cst  la  danse  &:  les  chants ,  qu'exige  ici  I'usagc. 

On  entend  un  bruit  d'instrumens. 


,^4       LES  COURSES  DE  TEMVt, 

H  Y  L  A  S. 

L^  la ,  je  ne  perds  pas  courage. 
II  faut  voir  comme  tout  ira. 
L'un  des  deux  peut  n'etre  pas  sage , 
Et ,  des  demain ,  faire  mauvais  menage  j 
L'un  des  deux  alors  le  paira. 


71 


DIVERTISSEMENT. 

Une  troupe  dc  Berbers  &  de  Bergeresy  au  son  des 
hautbois  &  des  musettes  j  arrivent  en  dans  ant  sur 
une  marche  j  dans  les  chants  dc  laquelle  ils  melent 
les  paroles  suivantes. 

CHCEUR    DE    BERGERES. 

Une  BergERE  akernativement  avec  le  Ch(E\JK, 


if5 


ERGERES,  Berge-res,    la   lege-re-    te     Gon- 


fer-ve   notre  liber-     te  :    Ne    fubiirons  de    loix 

z:::ri:iZi:zzrz==]Szd^qr-zi!:r=p=:=i^a«=fcaiswr»i! 


^^^-- 


t^' 


ni  de  choix  que  les  n6tres  ;      Que  les  Eer-  gers 


EHEf^EEES 


r^piouvent  tous  :  Pour  un  qui,  par  ha-  zard,  I'em- 
portera   fur  nous ,   Nous  rempcr-te-  rons   fur 


mil-  ie  au-tres.    Bcrgcres.     Pour  une  Beau-t^ 


1^ 


D  IFE  RTISSEMENT. 


gir>j?i:;=^^pzgz^^^g^gE^«EfegEi:z 


ligou-reule.  Que  fert  de    cou-    rir  comme  on 


I'g^^E^^aii^ 


fait!  Quelqu'avan-   ta- ge  que  I'on     ait,  Jamais 


t^ 


,  |~~*'j~r~ '^^r'w~r  n: s' 


la  cour-  fe  n'eft  heu-  reu- 

UNBERGER. 


fe.     Bergeres,&c. 


arziizzBZi 


'EVERES  Berge- res,    A   la     courfe,  le- 


lgr3=^.zjj^.zj= 


la=3-°^'=Ei 


ge-rcs  J  Comme      les   Ze-     phirs  !  Laif-fez  une 
fuite  Qui  traine  a    fa    fui-  te       Mille    repen-tirs  : 

—     ,   ... ,   L-J— p,  ^f^'t  ■  -■*    ■ ..   I     .  '^g^i * 

U-ne    vai-  ne      gioi-  re    Vous   en   fait     ac- 


1^ 


zrrzp 


^^^^^t 


bs — [^    i—  { 


£i; 


croi-  re  ;    Com      blez  nos   de-  firs  :  De     notje 
vie-  toi-re,  Nai- tront  vos  plai-firs,  De    no-  tre 


vie-    toi-  re,     Nai- tront  vos  piai-  firs,        ^ 


DIFERTISS  EMENT. 
UNE    BERGERE. 


77 


tei==; 


:t 


£ 


[^?5fe 


t 


»2tl 


eEES 


£iA  Co-lombe        Sur  qui  tombe   Lc      Vau-tour, 


£E= 


Ne  prend  pas  la  fuite  plus  vite         Qu'une  Belle  , 


^^i^iy^i^^l^l 


quand  elle  ^-vi-te  La   pour-  fui-te       D'un  impor- 
tun    a-  mour :  Mais  que  cette  vitelTe  extreme      Se 


^J^^gSjii^ip^sgi^g 


rallen-tit,  Lorfque  Ton  fuit  Ce  que  Ton  ai-  me. 


i^^S^S^ig^^=gM 


ts'- 


*OUR  fuir  un  doux  li-    en  ,     Nous  n'^-pargnons 


rien  ;  Soin  fri-vole  !   Nous  cou-rons  bien  ;  Mais 
I'Amour   vo-  -  -^   1^ »   Mais  I'Amour 

vo-    -        -        -        -      le ,  I'A-mour  vo-  le. 


7* 


rAVDEVItLE. 


VAUDEVILLE. 


^ 


^iiiii 


1 


IP 

JL  EU 


de  chofe  ar-  re-  te   le    cours  De 


E=i=^ 


[=f=t 


g=^ii|E^ 


la    Fortune  &  des  A-  mours,     Dans 


— ^»-^ — — ■ 


i=g:^g=EI=^^±^£p^i 


Tune  &  dans  I'au-    tre  carrie-  re  ;  A 


^i^:^ 


S 


feE=Ei 


^ 


prfes  tnille    &    mille  embar-        ras,  Sou- 


;^^^igs^--j=^feg 


vent  Ton  n*a  qu'un   pas     ^  fai-  re ,  Par  mal« 


^P^=|j^^---.- 


heur^  on  fait     un  faux    pas. 

Un  Berger  qui  couroit  gaiment , 
Du  triomphe  vit  Ic  moment  i 


Tout  pret  d'attcindre  sa  Bergerc, 
II  etendoit  dcja  Ic  bras , 
U  n'avoit  plus  qu'un  pas  a  faire  j 
Par  malheur ,  il  fit  un  faux  pas. 

Unc  simple  &r  jeune  beaute 

Ne  fuyoit  que  par  vanite. 

Son  Berger  n'y  comptoit  plus  gucrc : 

De  la  poursuivre  il  etoit  las. 

Elle  n'avoit  qu'un  pas  a  fairc ; 

Expres ,  elk  fit  un  faux  pas. 

Unc  prude  approchoit  du  temps 
Qui  fait  taire  les  Mcdisans  j 
Son  honneur  antique  &  severe 
Nous  regardoit  du  haut  en  basj 
II  n'avoit  plus  qu'un  pas  a  faire  j 
Par  malheur ,  il  fit  un  faux  pas. 

Un  Trafiquant,  dans  son  etat , 
Sur  rhonneur  etoit  delicat ; 
Les  autres  faisoient  leurs  affaires , 
Lui  seul  ne  s'enrichissoit  pas  j 
A  I'exemple  de  ses  Confreres, 
Par  bonheur,  il  fit  un  faux  pas. 


S»  VAUDE  FILLS. 

Dans  le  cirque  des  beaux-esprits , 
Plus  d'un  Coureur  manque  Ic  ^tva* 
Du  Parterre ,  en  vain  on  I'espere, 
Meme  apres  bien  des  brouhahas  \ 
Si ,  n'ayant  plus  qu'un  pas  a  fairc , 
Par  malheur ,  on  fait  un  faux  pas. 

FIN. 


GUSTAVE-WASA 


GUSTAVE-WASA, 

TRAGtDlE. 

Beprescniee,  pour  la  premise  foiS)  parks  Comedkns 
Francois  U  7  Janvier  1 7  j  j. 


Temt  I  J.      F 


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.3. 1  a  ^ 


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85 


A  MONSIEUR 

LE  COMTE  DE  LIVRY, 

En  lid  envoy  ant  ma  Tragedie  dc  GuSTAVM 
ecrite  de  ma  main, 

^oMTE  5  de  plus  en  plus ,  je  ressemble  a  rAmour  > 
Mais  c'est  par  un  endroit  qui  fera  peu  d'envie  : 
La  lumiere  a  mes  yeux  sera  bientot  ravie. 
O  Comte  aimablc  a  voir  i  je  vais  perdre  le  jour 
Long-temps  peut-etre  avant  la  vie. 

Lc  Philosophe  en  moi  park  du  mieux  qu'il  peut ; 
La  ceciti ,  dic-il,  a  de  t,Tands  avantages , 
Meme  elle a  fait  far fois  lambirion  des  Sages. 
Ici  bas ,  ilest  vrai ,  Ton  vjit  plus  qu'on  ne  veut , 
(s^uand  on  lit  bien  sur  les  visages. 

Foible  soulagement  que  se  forge  I'esprit  i 
Le  seul  qu'oitre  mon  c  ear  a  ma  douleur  mortellc , 
Ce  sera  dc  Sanger  dans  'a  nuit  eceri.clle , 
Que  mes  derniers  regards  dans  ce  dernier  ecrit 
Vous  auront  tcmoigne  mon  zele. 

II  a  pris  ,  dira-t-on,  bien  de  la  peiiic  en  vain, 
Et  ce  prctenda  z Me  tst  d'une  etrange  espscc : 
L'esprit  ave^  la  vue  apparemmcnt  iui  baisse. 
A  quoi  bon  presenter  ua  biouiilon  de  sa  main , 
Quand  le  miS  au  net  est  sous-presse } 

Fij 


Mais  c'est  nc  raisomifir ,  nc  sentir  qu'a  moitie. 
De  TAmour  delicat  j'ai  suivi  le  systeme  : 
On  veut  de  sa  main  proprc  ecrire  a  ce  qu'on  aimc* 
Eh !  pourquoi  le  resped  ,  Testime  &  Tamitie 
Ne  penseroient*ils  pas  de  meme  ? 

Pour  vous  au  fond  du  coeur  j'ai  ces  trois  sentimens  s 
Qu'au  Ledeur  k  jamais  ce  Manuscrit  I'attestc ! 
J'cpargne  un  long  eloge  i  votre  front  modeste  j 
J'ai  dit  ce  que  je  dois  vous  dire  en  ces  momens. 
Le  Public  va  lire  le  reste. 


«f 


A  MONSIEUR 

LE  COMTE  DE  LIVRY, 

Chevalier  des  Ordres  du  Roi ,  Lieutenant  General 
des  Armees  de  Sa  Majeste,  son  premier  Maitrc 
d'Hotel,  &c. 

^MlONS  lEURy 

Ce  que  le  cours  de  cette  Piece  imprime'e ^  s'il  eto'it 
heureux 3  auro'it  de  plus  agreable  pour  moij  ce  seroic 
quen  vous  la  dediant^  j'en  repandrois  plus  au  loin 
le  sentiment  de  reconnaissance  qui  me  fait  de  cet 
hommage  un  devoir  indispensable,  II  est  vrai  que  jc 
commets  une  espece  d* indiscretion  ^  &  que  ceci  sajustc 
mal  a  votre  noble  facon  de  penser.  Je  n'en  saurois 
douter  a  V  extreme  attention  quen  me  prodiguant  vos 
hienfaitSj  vous  ave:(  eu  de  m'en  cacher  la  source,  N& 
m' avoir  pas  voulu  mettre  moi-mime  dans  votre  secret^ 
cest  avoir  encore  moins  voulu  sans  doute  y  mettre  Ic 
Public.  Mais  J  MONSiEUR  ^  je  ne  dois pas  j  ce  mc 
semble  y  deferer  aveuglement  aux  delicatesses  d'unc 
pareille  repugnance.  Celle  queje  sens  a  me  taire^  est, 
je  croisj  de  nature  A  devoir  itre  ecoutee  preferablement 
a  la  votre.  Pardonne:(~moi  donc^  Monsieur ^  sije 
me  satis fais  j  au  risque  de  vous  deptaire  innocemment. 
Laisse:^  -  moi  commencer  a  m'acquitter  selon  mon 
pouvoir.  Laisse\-Tnoi  publier^a  lag  hire  de  I'humanite^ 

F  jij 


86r  E  P  I  T  R  E. 

quen  niohligeant  depuis  long-temps^par  tes  endroits 
les  plus  sensibles  &  Us  plus  esscnticls  ^  vous  aver 
craint  les  remerciemens  _,  comme  un  autre  eut  craint 
tingraiimde ;  en  sorte  quil  ma  fallu  recpurir  aux 
plus  subtiles  recherches  j  pour  decouvrir  quelle  etoit 
^invisible  main  d'ou  me  venoient  continuellement  de  si 
hons  offices.  Generos'ite  bien  pure^  bien  rare ^  &  bien 
digne  d' avoir  eu  pour  objets  des  talens  plus  capahles 
de  la  celebrer  que  ne  le  sont  les  miens.  Mais  j  apres 
tout  ^  de  quoi  sert  le  talent  ou  le  sentiment  supplee  ? 
^u'importe  tout  I'art  du  monde  ou  I' expression  la 
plus  simple  peut  tenir  lieu  de  la  plus  vive  eloquence  ? 
£n  aurai-je  moins  publie^  en  saura-t-on  moins  quil  no. 
pas dipendudevous 3  MONSIEUR,  quevousn'aye:(ete 
jusqu'a  la  fin  un  BiENFAiTEUR  anonyme  ?  Et  une 
qualite  si  extraordinaire  ne  fera-t-elle  pas  toujours  , 
entrt  mille  autres  j  un  des  beaux  endroits  de  votre 
iloge  f  Une  panic  de  cet  eloge  est  deja  grave'e  dans  le 
coeur  des  grands  &  des  petits  qui  vous  aiment ;  I' autre 
se  manifeste  asse:(  dans  les  honneurs  que  vous  a  decernes 
tequite  du  Prince.  Pour  moi  le  seal  auquel  j' aspire  j 
c'est  de  me  faire  connoitre  par- tout  ouje  pourrai  j  pou  r 
Vhomme  du  monde  qui  est  &  qui  doit  etre  toute  sa  vicj 
avec  la  plus  vive  reconnaissance  &  le  plus  profond 
re  specif  .«.--'- 

:monsieuRj  v-T/v 

"''^  ^'^'  Votre  tres-humble  &  tres- 

.  ,4^  v.u  \  ^  ^  \j,.       obcissant  Servitcur ,  PIRON. 


87 

A  SA  MEMOIRE 

En    1755.  :?hlL'pT!tok 

OMTE  qui  dans  mon  coeur  revis  a  tous  momeiis , 
Et  dont  la  bonte  pcu  commune , 
Me  fit  seiitir  les  premiers  agremens 
Que  repand  sur  la  vie  un  rayon  de  fortune !    ,  , 

Belle  &  grande ame  a sentimens," 
Si  digne  d'un  beau  sort,  si  visiblement  nee 

Pour  habiter  les  licux  charmans , 
Ou  Ton  nous  peint  la  vertu  couronnee  I 
Prcs  de  toi  j'y  vole  en  esprit  •, 
Que  ma  reconnoissanse  &  t'y  park  &  t'y  suive ! 
Leplus  doux  des  devoirs  veut  qu'elle  te  survive  j-i.^I^J 
Puisque  le  bienfait  te  survit.  ^    .,;j:;pin-t 
Reconnois ,  aimc  encor  cette  Muse  naVve 

A  qui  chez  toi  tant  de  fois  ont  souiij^r.^ilj-jg; 
L'Amphitrion  dc  le  Convive ;         '  ^ 

Dont  le  ton  naturel  fut  le  ton  favori  •■, 
Et  qui  fit  si  souvent  de  ses  chansons  a  table,,)   qjiycd 
Retenrir  Techo  deledable 
Du  vestibule  de  Livri. 

La  verve  me  transporte  au-dela  du  Cocite. 

Je  les  vols  ces  beaux  lieux  que  ta  chere  ombre  habitc  , 

Rendez-vous  des  plaisirs  de  la  terre  8c  des  cieux , 

Sejour  pur  &  delicieux; 

Retraite  &  celeste  &  champetre  , 

*  M.  le  Comcc  de  Livry  avoir  laissc  a  i*Au:cur  une pension 
ic  600  livres. 

Fiv 


"S*  A  SA  MEMOIRE. 

Ouvcrte  aux  seuls  amis  des  hommes  &  des  Dicux, 
Ou  tu  ne  pouvois  manquer  d'etre. 
Lieux  ou  I'on  nous  dit  qu'un  Heros 
S'amuse,  s'exerce  &  s'applique 

A  cc  qui  fit  sa  peine  ainsi  que  son  repos  \ 
Achille,  a  manier  la  pique  , 
Or/Ae'e,  uninstrament  lyriquc 
Et  Diomede  j  des  clievaux  \ 
Ou  5  dans  sa  cervelle  heroiquc  j 

Cormilhy  cn  consequence  ,  arrange  un  plan  tragiquc  > 
Le  grand  Conde  ,  des  bataillons  , 
Quinault ,  des  mots  pour  la  musiquc  , 
Et  Defcartes ,  des  tourbillons. 

*  La ,  sous  un  des  beaux  Pavilions 
Qu'ait  jamais  dresse  la  Nature , 
Plafonne  de  jasmins ,  de  pampre ,  &  de  lauriers  , 
Parquete  de  gazon ,  lambrisse  de  rosiers  > 

J'apper^ois  ta  noble  figure  , 
Brillante  des  rayons  de  Timmortalite  , 
Qui ,  faisant  les  honneurs  d'une  fete  eternelle  , 
Represente  avec  grace ,  aisance  &  dignite  j 
Invite ,  engage  ,  arrete ,  &  retient  aupres  d'elle 
L'amateur  delicat  dc  tout  ce  qui  s'appelle 
Ordre ,  choix  ,  elegance  ^  abondance  &  gaite. 
A  ta  voix  attrayante  accourent  a  la  ronde  , 
Pour  se  venir  ranger  a  tes  cotes  y 
Nombre  de  Gens  d'elite,  &  meme  des  Beautes, 
Celle-ci  brune  ,  I'autrc  blonde  , 
Dont  les  aimables  qualites , 

*  Conspicit  ecce  alios  dextra  lacvaquc  per  hcibam 
Vcscentes  ,  lajcamtjue  choro  Parana  cane nres , 
Inrcr  odoratum  lauii  nemus.  JEneid.  Lib.  VL 


A  SA  MtMOlRE.  8^ 

Lcs  dons  &  les  talcns  firent  en  notre  mondc , 
Sentir  de  celui-ci  les  pures  voluptes. 

Que  leurs  noms  soient  un  mysterc. 
Sur  des  levres  de  coral , 
Leur  doigt  me  fait  un  signal 
Qui  m'ordonne  de  me  taire. 
Bien  k  regret  je  m'y  rends. 
Que  j'ose  au  moins  nommer  tes  Hotcs  , 
Et  les  nommer ,  sans  observer  les  rangs. 
Est-il  ici  petits  &  grands? 
Conditions  basses  ni  hautes  1 
Non :  c'est  comme  chez  toi ,  quand  le  Poete  admis 
Dans  le  cercle  brillant  de  tes  nobles  amis  , 
De  Bourgogne ,  avec  eux  y  celebroit  les  cotes  j 
Et  par  eux  invest!  des  droits  du  siecle  d'or , 
A  tout  son  enjoument  donnoit  un  plein  essor. 
Sans  que  sa  liberte  fut  mise  au  rang  des  fautes. 

Fait  au  bruit  des  festins  ,  souple ,  ardent ,  vif  &  gai , 

Zele  Panegyriste ,  &  rival  de  Nolai , 

A  tout  ce  que  tu  veux ,  le  premier  se  devouc , 

Le  complaisant ,  le  doux ,  le  nedtareux  Launai, 

Des  tresors  de  la  table  il  fait  TofFre  &  I'essai  j 

Avec  son  app6tit  sa  langue  se  denoue , 

Et  s'embarrassant  peu  ( comme  souvent  je  fai ) 

S'il  reussit  ou  s'il  echoue , 
Plein  de  son  La  Fontaine ,  ou  de  son  Me:^erai , 
II  conte  en  prose ,  en  vers  ,  rit ,  boit ,  mange ,  tc  louc , 

Et  te  louant ,  dit  toujours  vrai. 
Vicnt  ensuite  a  pas  lents ,  le  Generalissime 
Saint  -Martin ,  Philantrope  a  la  fois  8c  Timon  , 
Grave  ensemble  &  joyeux ,  goguenard  &  sublime  , 
Citant  a  tout  propos  ,  Torfac  &  Ciceron  y 
Merlinrcocaie  ^  Horace  j  Euripide  8c  Scaron  j 


5)0  A  SA  MEM  O I R  E. 

Digne  par  cela  seul  du  suffrage  unanime , 
Qui  J  chez  toi  dans  sa  main  mit  le  sceptre  d'Aimon. 

Fete  unique  &c  solennelle , 

Dont  I'appareil  glorieux 

Eut  merite  d'un  ^pel/e  , 

Le  pinceau  laborieux , 

Et ,  dans  un  tableau  fideic , 

De  passer  a  nos  neveux  ,     . 

Par  route  autre  main  que  cellc  4, 

De  I'Auteur  du  Parejfeux. 

Temps  ecoule  1  temps  heureux , 
En  comparaison  du  notre  ! 
Helas  ,  tous  plaisirs  ont  pris  fin  ! 
Jeunes  gens ,  quel  siecle  &st  le  votre  ? 
Dans  un  cercle ,  ou  dans  un  festin , 
Tout  etoit  Sage  ou  Calotiii  j 
I  Nul ,  a  present  n'est  Tun  ni  I'autrc  j 

Et ,  grace  au  Perfiflage  intrus  , 
L'ennui  qui  n'ose  ici  paroitre  , 
De  chez  vous  ne  disparoit  plus. 
Applaudis-toi  de  n'y  plus  etre  , 
CoMTE ,  &  de  te  voir  au  milieu 
De  cette  meme  compagnie 
Que  la  haut  t'amenoit  le  Dieu 
De  la  Rime ,  de  THarmonie , 
Des  Sciences ,  des  Arts ,  du  Gout  dc  du  Genie. 

Je  te  revois  avec  elle  en  effet. 
Jc  vols  Tirreparablc  &  gracieux  Mouret , 
Bo:^e  J  La  Faye  ,  Aimon  j  Chirac  ,  La  Peyronie  ,       ^        „  , 
Fa'^elier  i  Grecourt^  &  Danchet, 
Cclui-ci  d'un  signe  de  tete , 
-. .5' *  =' ■■       De  loin  me  disant  grandmerci 

Des  vers  qu'a  fait  ma  Muse  honnetc 


ASA  ME  MOIR  g.  9* 

Sur  son  entree  en  ces  lieux-ci."** 
Et  je  le  remercic  aussi , 
L'ayant  dans  ce  petit  ouvragc  , 
Charge  comme  chacun  le  sait , 
De  te  presenter  mon  hommage ; 
Ce  que  sans  doute  il  aura  fait. 
D'Esculapc ,  d'Amour ,  dcs  soeurs  de  Calliope , 
Je  vois  Taimable  Seclateur , 
Le  nouveau  debarque,  Procope , 
Galand-couru  ,  Poete  &  Dodeur, 
Plus  recemment  encor  sorti  de  la  Nacelle  , 
Ou  jamais  Ton  n'entra  vif , 
Arrive  ,  a  grands  pas ,  Nivel/e 
Dont  la  Muse  au  ton  plaintif 
A  si  fort  mis  en  cervelle 
Momus  au  bee  affile , 
Qu'il  ciie  encore  apres  cllc , 
C'est  Melpomene  en  dentelLe  I 
C'est  Thalic  en  ejfile  I 
Ah !  treve  *,  &  plus  de  querellc^ 
Ndtre  ami  desabuse 
Du  socque  informe  &  bronze 
Dont  j'ai  donne  le  modele ,  ** 
A  ce  coup  I'a  dechausse  j 
Et ,  le  pied  debarrasse  , 
Vole  ou  le  bon  gout  I'appellc. 
Son  genie  ayant  passe 
Par  la  celeste  coupelle  , 
Naturellement  sense , 
S'est  aisement  redresse ; 

*  Danchet  aux  Champs  Elisc'es  ,  Poemc. 
+*  Voyez  la  Preface  de  I'Ecole  des  Peres ,  Tome  I.  pages 
«4&  15. 


^1  A  SA  ME  MOIRE. 

Et  deja  I'ami  NivelU 
Dans  tes  repas  de  grand  coeur  > 
Prefere  au  bon  le  meilleur  , 
A  I'humeur  sombre  la  belle  , 
Le  chaud  a  la  tiedeur , 
Le  piquant  a  la  fadeur , 
L'Ambrosiea  FAsphodele  ">'. 
Soit  antipathic  ou  raison , 
J*evitois ,  jc  frondois  son  phlegme  de  Caton  > 
Mais ,  sous  des  cieux  nouveaux  toute  chose  nouvclle* 
CoMTE  ,  loin  de  le  fuir ,  le  comble  de  mes  voeux  y 
Laissant  des  ce  moment ,  ma  depouille  mortelle  y 

Seroit  d'avoir  entre  vous  deux  , 
Telle  que  je  la  vols ,  unc  place  eternelle. 

En  attendant  mon  passeport  > 
De  lui  pour  t'amuser  daigne  apprendre  mon  sort. 
Qu'il  te  disc  comment ,  malgre  les  vents  contraires  , 

Ma  Barque  enfin  surgit  au  Port  \ 

Tu  fus  sensible  a  mes  misercs  i 

Tu  le  seras  a  mon  bonheur. 
Apprends  done  par  sabouche  &  la  grace  &  I'honncur 
Que  m'orit  fait  a  la  fois  ses  illustres  Confreres  , 

Etleurauguste  Protecteur. 
Mais  du  Banquet  divin  reprenons  les  delices. 
Serrez-vous !  place ,  place  a  tous  ces  Ex-Seigneur^^ 
Qui ,  de  notre  Theatre  ont  passe  les  coulisses  \ 
Tous  Guerriers  distingues ,  ou  fins  Ambassadeurs ,, 

Tous  des  Ajax  ou  des  Ullsses. 


*  Plantc  qu'on  faisoit  croitrc  ancicnncment  anpres  des 
tombcaux,  dans  la  persuasion  ou  Ton  ^toit  que  Ics  Manes 
s'cn  noiimssoienr. 


A  SA  Mt  MOIRE,  99 

Ceux-ci  n'enviant  plus  du  pas  les  vains  honneurs , 

Mais  ayant  oublie  sous  des  astres  meiUeurs , 

Et  I'Espagne ,  &  Ic  Nord,  &  Vieniie  &  TAngleterre  , 

Sans  autre  affaire  que  les  leurs  , 

Que  le  repos  &  ses  douceurs  , 
L'esprit  libre ,  le  front  couronne  de  lierre , 
Tels  enfin  qu'autrefois ,  quand  la  saison  des  fleurs 

Et  rOranger  hors  dc  sa  serre 

Avoient  a  peine  reverdi 

Tes  bois ,  ton  pare  &  ton  parterre  , 
On  les  voyoit  rasant  les  plaines  de  Bondi , 

Chez  toi ,  voler ,  vers  le  Midi , 

Des  extremites  de  la  Terre. 
Ta  main ,  ta  noble  main ,  d'un  jet  preste  &  hardi  , 
A  la  ronde  a  verse  le  nedar  )i  plein  verre. 

Quelqu'un  s'ecric  :  au  sage  Seneterre  ! 

Les  convies  ont  applaudi; 
Et  des  cristaux  en  I'air  le  bloc  est  arrondi. 

Survient  du  monde  :  on  se  resserre. 
Au  bonpere  Bacha  Mehemet  Effendi  ! 

Au  Due !  A  Milord  !  a  Czar  -  Pierre  ! 
A  Charles  d'Armagn  Ac,Homme  &Prince excellent, 

Jadis  ficr  &  brave  ^  la  guerre , 

Autant  qu'en  paix  doux  &  galant* 
A  son  nom ,  de  ne£tar  une  cruche  est  sablee : 
Et  Ton  en  va  sabler  une  autre  que  voila. 

La  delicieuse  Assemblee  I 

(Que  n'en  suis-je  encore  ! )  ou  dejjt 
Par  aucun  contretemps  la  Fete  n*est  troublee. 
Tous  serains ,  lumineux  ,  satisfaits  &  riants ! 

D'inquietudes ,  pas  la  moindre ! 
Sculement  quelquefois  ils  sont  impatiens 
De  rcvoir  leurs  amis  qui  sont  si  peu  friands 


$4  ^  SA  MEMOIKE. 

Du  bonhcur  d'aller  les  rejoindrc  , 
Qu'a  tous  nos  Medecins  sans  cesse  ils  se  font  voir*. 

Tant  mieux ,  tant  mieux !  leur  dit  Procope  f 

Que  dela  naisse  votre  espoir. 

Qui  mieux  que  moi  doit  le  savoir  ? 
Des  que  chez  ces  Messieurs ,  la  Faculte  galope  , 

Vous  allez  bientot  les  ravoir.  ^ 

Devanr  le  grand  Chirac  on  rit  d'un  trait  si  libre. 
Ne  tient-il  qu'a  cela  ?  Vous  n'avez  qu'a  vouloir  j 
J'en  ai  mille  en  mon  sac  au  moins  de  ce  calibre , 

Qui  meme  pourroient  mieux  valoir.  ^ 

Bonnes  gens !  laissez-moi ,  de  grace  etre  des  votres  I 

Et  tant  defunts  soyez-vous  , 

Je  vous  ferai  voir  a  tous  ,  f 

Qu'un  vivant  en  vaut  bien  d'autrcs.  \ 

Est-ce  ici  la  langue  du  lieu  ? 
Non,  je  detonne.  Ousuis-je?  Ah!  I'lilusion  cesse  I 

Je  revois  nos  cieux '-,  le  jour  baisse  :  i 

Tout  disparoit.  Cher  Comte  ,  adieu. 
Oh!  comme  tout  s'enva  ,  tout  s'eclipse  &  tout  passe  I 

Quelle  difference ,  grand  Dicu  ! 
<  Je  me  sentois  tout  de  feu , 

Et  je  me  sens  tout  de  glace. 

Mais  je  m'en  etonne  peu.     •  A 
Helas  !  je  te  parlois  ,  te  voyois  face  a  face !  h 

Tout  le  ccEur  en  etoit  \  I'esprit  avoit  beau  jeu  j  I 

Et  je  vais  faire  une  Preface. 


95 

■■■— illWIiMIWH III  II 1 1 1 1  llll  ■ 

PREFACE. 

jltL  l'amour  pres ,  qu'il  a  fallu  faire  cntrer  dans  mon 
sujet ,  pour  me  conformer  ^  Tusage  bien  ou  mal  etabli 
SLir  iios  Theatres  ,  tout  est  id  tres-exadement  tire  de 
I'Histoire  des  Revolutions  de  Suede  ,  publiec  par 
M.  I'Abbe  de  Venot ,  Tun  des  Ecrivains  de  nos  jours 
qui,  pour  Tetendue  des  lumieres ,  la  solidite  du  jugc- 
ment ,  les  graces  de  I'esprit  &  la  noble  simplicite  du 
style,  a  le  mieux  merite  de  tenir  parmi  nous  la  plume 
historique. 

Ainsi  Ic  caradere  du  barbare  Christierne  ,  celui  du 
vcrtueux  Frederic  &  celui  du  grand  Gustave  •,  I'empri- 
sonnement  de  ce  dernier  contre  le  droit  des  gens  i  son 
evasion  long-temps  apres  les  malheurs  de  sa  Patric 
mise  a  feu  &  a  sang  a  la  faveur  de  sa  detention  \  sa 
fuite  &  ses  penibles  epreuves  au  fond  des  deserts  glaces 
de  la  Dalecarlie  \  sa  marche  contre  TUsurpateur  avec 
une  poignee  de  Sauvages ,  que ,  dans  sa  misere,  il  avoit 
su  gagner ,  aguerrir  &c  discipliner  j  sa  tete  mise  a  prix  \ 
la  menace  de  faire  expirer  devant  lui  fa  Mere  dans  les  plus 
cruels  tourmens  y  s'ilne  mettoit  has  les  armes ;  son  com- 
bat sur  la  glace  \  sa  plcine  vi6toire  suivie  de  son  cou- 
ronnement  a  Stockolm  &  de  celui  du  Prince  Frederic 
en  Dannemarck  ••,  enfin  la  catastrophe  de  Christierne 
detrone ,  abhorre  &  chasse  de  routes  parts  \  tous  ces 
evenemens  repandus ,  les  uns  dans  les  expositions  , 
les  autres  dans  Tadion  de  cette  Piece ,  sont  puises  im- 
mcdiatement  a  la  source  que  j'indic^ue. 


t,3  P  R  E  F  A  CM. 

Que  ce  detail  serve  de  reponsc  en  general  a  tousceiije 
qui  m'ont  reproche  le  Romanesque  •■,  &  que  I'article  de 

/a  Mere  menace e  d'une  mort  cruelle  aux  yeux  de  fon  tils  ^  s'il 

ne  mettoit  has  les  arrhes ,  serve  en  particulier  a  redresscf 
TAuteur  des  Feuilles  qui  nous  venoient  de  Londres  en 
1733 ,  sous  ce  titre  connu  :  Le  Pour  &  Contre.  Oh- 
vrage  periodique  d'un  gout  tout  nouveau ,  par  I'Auteur  des 
Memoires  d'un  Homme  de  qualite. 

Get  Auteur ,  de  Romancier  devenu  fubitement  Cri- 
tique d)C  Journalifte  ,  me  traite  sans  aucun  menage- 
ment ,  vol.  I.  N^.  6,  pag*  134.  Non  content  d'attri-' 
buer  tout  I'honneur  du  succes  de  ma  Piece  aux  talens 
eminens  de  nos  A6teurs  tragiques  \  &c  de  pousser  la 
froide  5c  mordante  hyperbole  jusqu'a  dire:  qu'onfoup- 
fonnoit  les  Comediens  de  t avoir  eu>t-memes  fait  imprimer  ^ 
pour  donner  une  juste  opinion  de  leur  habilete  a  ceux  qui  vien- 
droient   a   Id  lire   apres   avoir  appris  les  applaudis semens 

quelle  a re^us /  il  veut  encore  me  depouiller  impitoya* 
blement  du  peu  qui  pourroit  apres  cek  me  rcvenir  dc 
ma  miserable  part  d' Auteur  \  il  se  plaint  que  je  I'ai  dc- 
poUille  lui-meme.  A  propos  de  quelques  personnages 
qui  lui  ont  paru  de  trop  dans  la  Piece ,  il  me  denoncc 
comme  son  Plagiaire  en  s'ecriant :  Quel  besoin  de  la  Mere 
de  Gustave  ,  si  ce  nest  pour  avoir  occasion  de  prendre  le 
sujet  d'une  Scene  interessante ,  dans  le  quatrieme  tome  des 
Memoires  d'un  Homme  de  qualite !  Sur  quoi  en  vrai 
Paon  jaloux  d'une  de  ses  plus  belles  plumes  ,  &  qui 
veut  Tarracher  a  la  pretendue  Corneille ,  il  renvoie  a 
cette  note ,  au  bas  de  la  page :  Dona  Pafirino  tient  le  poi- 
gnard  suspendu  sur  le  sein  de  Dona  Diana  De  Vele:^. 

Je  voudrois  bien,  pour  Tamour  du  Ledeur,  du 
Journaliste  Sc  ds  moi-meme,  avoir  pu  me  dispenser  dc 

cette 


^  P  I  T  R  E:  fy 

cecte  petite  discussion  polemique  qui  peut-etre  ne 
sera  guere  amusante  pour  tous  les  trois.  Mais  on  doit 
je  crois  reponse  publique ,  malgre  qu'on  en  ait ,  a  route 
imputation  publique ',  &  surtout  lorsqu'elle  existe  , 
comme  celle-ci ,  dans  des  ecrits  aussi  dignes  de  passer 
a  la  posterite  ,  que  le  sonr  ceux  de  I'Auteur  des  Mi- 
moires  d'un  Homme  de  qualite  ^  ^  de  Marion  Lescot. 

Ce  que  je  vols  d'un  peu  plus  facheux  encore  pour  ce 
celebre  Auteur ,  aussi  bien  que  pour  moi  qui  suis  son 
Partisan ,  &  qui  voudrois  n'avoir  qu'a  le  faire  admirer 
en  tout,  c'est  qu'en  me  for^ant  de  me  justifier ,  il  mc 
reduit  a  la  necessite  de  Taccuser  &  de  le  convaincrc 
lui-meme  du  propre  plagiat  qu'il  me  suppose. 

En  effet ,  le  sujet  de  cette  Scene  interessanre  qu'il 
revendique  si  hautement ,  ou  I'ai-je  trouve  ?  Ou  I'ai-je 
pris  ?  OCi  naturellement  je  le  devois  trouverj  ou  j'avois 
tout  droit  de  le  prendre  •,  dans  i'Histoire  des  Revolutions 
de  Suede  ;  c*est-a-dire ,  dans  I'Histoire  memc  de  mon 
Heros  qui  y  est  comprise.  Remarquons  ensuite  que  cec 
Ouvrage  si  connu  &c  si  digne  de  Tetre ,  est  fort  anre- 
rieur  aux  Mimoires  d'un  Homme  de  qualite  i  Sc  de^la  noUS 
concluerons  que  c'est  sur  I'Auteur  de  ces  Memoires  , 
non  sur  moi ,  que  retombe  a  plomb  <Sc  que  deraeurc 
imprimee  la  tache  du  plagiat. 

L'Histoire  est  ici  ma  source  unique ,  autentique  & 
legitime.  Plus  j'y  prends  ,  plus  je  suis  en  regie*  Jetons 
les  yeux  sur  les  Prefaces  de  Corneille  &  de  Racine , 
nous  y  verrons  que  moins  ces  grands  Maitres  ont  sub- 
stitue  du  leur  dans  un  sujet  pris  de  I'Historien,  plus  ils 
s'en  sont  felicites.  L' emotion  effedivement  nait  plutot 
du  vrai  que  du  faux.  Plus  done  le  plan  d'une  Tragedic 

Tome  IL     G 


ft  PREFACE. 

est  travaille  sur  Thistorique ,  mieux  il  est  congu  j  & 
tout  episode  imagine  alors  pour  etre  lie  au  fait  prin- 
cipal ,  n'est  jamais  qu'une  machine  auxiliaire  qu'on 
tolere  en  faveur  ou  de  la  secheresse  du  fond ,  ou  du 
gout  particulier  de  notre  Theatre.  Mon  sujet ,  dans  sa 
source ,  se  trouvant  done  hcureusement  enrichi  d'un 
incident  aussi  pathetique  que  celui  d'une  Mere  menace^ 
de  la  mon  aux  yeux  de  son  Fils  viciorieux ,  s'il  ne  met  has 
les  armes  ^  n'eusse-je  pas  ete  bien  malhabile ,  bien  mal- 
instruit  de  mes  droits  &  de  mes  avantages ,  si  j'eussc 
fait  scrupule  d'en  user  ,  parce  que  j'aurois  su  qu'un 
autre  se  les  seroit  injustement  appropries  ?  Etoit-ce  a 
iui  de  les  reclamer  &  de  m'en  faire  un  sujet  de  repro- 
che ,  comme  s'il  ne  savoit  pas  ,  ainsi  que  je  viens  de  Ic 
dire ,  qu'autant  le  Poe'te  dramatique  a  bonne  grace  dc 
suivre  Tnistoire  pas  a  pas ,  autant  il  sied  mal  au  Ro- 
tnancier  de  ne  pas  s'en  e  carter  le  plus  qu'il  peut ,  afin 
4e  ne  devoir  qu'a  soi  seul  le  merite  d'un  ouvrage  qui 
fj'en  a  gueres  d'autres  que  celui  de  Tinvention  ? 

_  Je  serai  avec  Iui  de  meilleure  composition  sur  la  pro- 
priete  des  honneurs  du  premier  succes.  II  la  decerne 
aux  Comediens  :  je  la  leur  abandonne.  Le  plus  ou  le 
moins  d'habilete  dans  les  Adeurs^influe  en  efFet  presque 
toujours  sur  le  sort  des  Nouveautcs.  C'est  une  verite 
dont  j'ai  trop  profite  &:  trop  souffert  pour  ne  pas  Tat- 
tester  ,  &:  pour  n'en  pas  convcnir  avec  qui  le  voudra. 
Oui ,  sans  doute ,  I'Acteur  est  alors  un  de  nos  princi- 
paux  mobiles  j  quand  sur-tout  nous  n'avons  pas  le  don 
ni  les  facultes  necessaires  pour  presider  egalement  aux 
repetitions  &  aux  premieres  representations  -,  pour 
donner  le  ton  d'abord  aux  Adeurs  ,  ensuite  aux  Spec- 
tateurs,  &  puis  a  tous  les  Journalistes ;  pour  savok 


PREFACE.  ff 

cnfin ,  a  toute  sorte  de  prix ,  tant  par  nous-memcs  que 
par  nos  Devoues  ,  prcveiiir ,  captiver ,  violenter ,  har-^ 
celer,  acheter  meme  s'll  le  faut ,  les  suffrages  qich 
qu'ils  soient ,  de  poids  ou  non ,  pourvu  qu'ils  soieiic 
bruyans  ou  nombreux  ;  dut  la  Piece ,  de  dessus  le 
Theatre  ou  elle  viendroit  de  triompher ,  aller  echouer 
sous  la  presse  ,  8c  greler  le  Libraire ,  apres  avoir  un 
peu  refait  le  Comedien.  Qui ,  encore  une  fois ,  tout 
Auteur  qui  se  sera  produit  sur  la  Scene  sans  de  si  bellej 
precautions ,  tout  Auteur ,  dis-je ,  honnetement  jaloux 
de  ne  reussir  que  par  les  bonnes  voies ,  ne  pourra  giieres 
y  parvenir  d'emblee ,  qu'a  la  faveur  des  talens  du  Co* 
medien  j  &  s'll  en  sort  a  son  honneur ,  sa  cause  alors , 
fut  elle  aussi  bonne  par  eile-meme  ,  que  la  mienne  au 
fond  peut-etre  etoit  douteuse ,  il  doit  leur  en  attribuer 
le  gain  pour  la  meilleure  partie  j  ou  c'est  un  presomp- 
tueux,  &Cy  qui  pis  estmcme,  un  ingrat. 

Ou  le  succes  commence  a  nous  devenir  un  peu  plus 
propre ,  c'est  aux  diverses  reprises ,  &  quand ,  apivs  1^ 
retraite  des  premiers  Ad:eurs ,  la  Piece  remise  au  Ihca- 
tre  produit  toujours  le  mcme  effet  entre  les  diffcrenres 
mains  de  ceux  qui  les  remplacejit.  Alors  la  critique  , 
qui  fut  si  vive  &  si  prematuree ,  soutiendra  t-elle  en- 
core que  I'Auteur  n'y  est  pas  pour  quelque  chose  ?  Ce 
seroit  en  vouloir  trop  aussi  a  Tamour-propre  de  son 
Prochain ,  en  bien  craindre  les  egaremens ,  8c  pousser 
etrangement  loiii  le  charitable  soin  de  les  reprimer. 
Que  ce  beau  zele  se  tranquillise  sur  mon  compte  ,  en 
s'assurant  que  je  ne  suis  pas  plus  enfle  du  suce^s  thear 
tral  qui  a  continue  ,  que  je  le  fus  de  celui  qui  I'annonca : 
or ,  celui-ci  ne  me  tourna  pas  la  tcte  le  moins  du  monde. 
Je  nq  fus  dong  pas  ^ssez  enorgueiUi  du  premier  accueil 

Gij 


leo  PREFACE. 

fait  ^  Gustavey  pour  aVoir  cu  besoin  que  rAuteur<!a 
Four  &  Contre  se  mit  si  fort  en  peine  de  me  rappeler  k 
mon  neant ;  puisquememe  encore  aujourd'hui ,  quand 
jc  serois  assez  peu  sense  pour  me  laisser  eblouir  du 
bonheur  constant  des  reprises  ,  8c  pour  m'oser  preva- 
loir  d'un  titre  si  foible,  je  serois  toujours  force  de  re- 
descendre  bientot  a  ma  place ,  aux  cris  humilians  de  la 
plupart  de  mes  Led:eurs ,  Juges  severcs ,  mais  eclaires , 
a  qui  rien  n'impose ,  &c  qui ,  non  sans  grande  apparence 
de  raison ,  n'attribuent  la  bonne  fortune  de  cette  Trage- 
die  qu'a  Tun  des  defauts  qu'ils  lui  reprochent,  je  veux 
dire  a  la  multiplicite  des  evenemens. 

J'avoue  que  je  venois  de  me  trouver  si  mal  de  la  sim- 
plicite  du  sujet  de  CalHsthene ,  que  je  laissai  I'esprit 
s'emparer  de  tous  les  rempUssages  que  lui  presenta  Tima- 
gination ,  tant  que  le  jugement  crut  n'y  rien  voir  qui 
donnat  la  moindre  atteinte  aux  trois  unites  principales, 

Je  ne  dissimule  pas ,  comme  on  voir ,  &  je  pretends 
encore  moins  excuser  absolument  ce  defaut  si  sensible 
dans  ma  Piece.  Je  pense  la-dessus  comme  tout  autre , 
&  comme  le  plus  simple  raisonnement  invite  a  penser  , 
sans  le  secours  des  Poetiques.  Rien  n'est  mieux  sans 
doute  que  de  savoir ,  avec  un  sujet  simple ,  entretenir 
pendant  le  cours  de  cinq  ades ,  I'attention  du  Speda-^ 
teur  dans  route  sa  vivacite ,  sans  autre  magie  que  celle 
du  flux  &  du  reflux  des  passions  embellies  de  cettc 
elegance  &  sage  &  continue  dont  fut  doue  I'unique  & 
Tinimitable  Racine.  Quiconque  y  parviendra ,  meritera 
toujours  infiniment  plus  que  celui ,  qui ,  bondissant , 
pour  ainsi  dire ,  d'incidens  en  incidens  ,  se  tire  enfin 
d'affaire ,  moins  par  la  fertilite  de  son  propre  fonds , 
que  par  celle  d'un  sujet  aussi  fourni  que  celui-ci. 


PREFACE,  tot 

La  mulriplicite  des  evenemcns ,  sans  contredit ,  est 
inexcusable  quand  clle  affoiblit ,  qu'elle  extcnue ,  & 
qu'elle  absorbe  Tinteret  principal  j  quand  elle  est  mal 
amenee ,  mal  tissue  &  mal  debrouillee.  Les  objets  se 
dispersent  alors  &  se  croisent  j  I'attention  du  Speda- 
teur  sc  divise  avec  ces  objets  j  &:  I'esprit  les  suivant 
quelque  temps  avec  contention^  sc  relache  enfin ,  s'em- 
barrassc  &  se  perd  dans  le  labyrinthe.  Des-lors  Touvrage 
n'amuse  plus  •,  il  egare ,  il  fatigue ,  &  par-la  meme  il 
cesse  d'etre  un  ouvrage  d'agrement  j  ce  n'est  plus  pour 
les  Spedateurs  qu'une  etude  vaine  &  fatigante. 

Mais  si ,  au  contraire  ,  tous  ces  evenemens  prece- 
dent sans  peine  les  uns  des  autres ,  &  se  succcdent  par 
une  progression  immediate  \  s'ils  s'entrelacent  &c  se 
demelent  avec  ordre  &  sans  embarras  i  si  toujours  su- 
bordonnes  a  I'adtion  principale ,  ils  ne  font ,  en  con- 
duisant  a  la  catastrophe  ,  que  la  suspendre  agreable^ 
ment ;  si  ce  ne  sont  enfin  que  des  points  de  lumiere 
tres-vifs  &  tres-distin6ts  qui ,  sur  le  chemin  arretent 
le  regard  sans  le  trop  fixer ,  &  sans  faire  perdre  de  vuc 
k.  centre  essentiel  &  lumineux  ou  ils  doivent  tous 
aboutir  6c  s'eteindre  j  reprocher  Tabondance  alors , 
je  le  crois  pouvoir  dire ,  c'est  mauvaise  humeur  i  peut- 
ctre  mauvaise  foi  5  je  dirai  meme  ingratitude. 

'  Or ,  pour  faire  voir  comme  les  evenemens  se  produi- 
sent  ici  ^  s'enchainent  &  se  developpent  naturellement 
&sans  confusion  ^je  vais,  en  joignant  k  ITiistoriquc 
par  oil  j'ai  debute  ,  ce  qu'exigeoit  de  moi  Tusage  du 
Theatre  Francois,  je  vais,  dis-je,  dans  le  moins  <SqS' 
pace  que  je  pourrai ,  devider  ici  tout  le  fil  de  ma  Fable  » 
&  conduire  ce  fil  d'un  bout  a  Tautre  ,  precisement  & 

G  iij 


lot  PREFACE. 

localenient  corame  il  se  trouve  etendu  dans  le  cours 

du  Po'eme. 

A  laverite ,  j'ote  par-la  un  peu  du  plaisir  de  la  sur- 
prise a  ceux  qui ,  lisant  cette  Preface ,  n'auroient  encore 
ni  vu  ni  lu  la  Piece.  Mais  peut-etre  aussi  n'auront- 
ils  voulu  ni  la  voir  ni  la  lire ,  par  une  prevention 
fondee  sur  le  rapport  des  Feu'dles piriodiques  du  temps  j 
&  cette  analyse  alors  pourra  les  en  guerir ,  ou  les  en- 
courager  du  moins  a  juger  des  choses  par  eux-mcmes. 
Combien  de  meilleurs  Ouvrages  en  tous  genres ,  ont 
souffert  &  souffrent  encore  du  degout  qu'en  ont  inspire 
d'avance  a  des  Curieux  nonchalans ,  ces  sortes  d'arrets 
epistolaires  que  didtoient  a  la  hate ,  I'ignorance ,  I'er- 
reur  &  la  partialite  !  Ne  doutons  pas  meme  qu'ils 
ji'ayent  fait  tomber  la  plume  des  mains  a  plus  d'un  bon 
Ecrivain  ,  dont  la  juste  delicatesse  se  sera  revoltec 
vis-a-vis  d'un  pareil  desagrement.  Car  enfin  c'etoit 
avoir  a  passer  par  une  espece  d'insulte ,  avant  que  d'eu 
etre  au  vrai  peril",  &  se  voir  deja ,  pour  ainsi  dire  ,  a 
moitie  proscrit ,  en  arrivant  au  pied  du  seul  tribunal 
oil  Ton  doit  commencer  a  tout  craindre.  Ayant  done 
cssuye  cet  echec ,  je  ne  m'en  puis  relever  que  par  un 
^xtrait ,  qui ,  sans  cette  raison  ,  seroit  aussi  deplacc 
qu'inusite  dans  une  Preface. 

Deployons  d'abord  I'avant  -  Scene ,  c'est-a-dire ,  la 
maticre  des  expositions. 

Fable    de  l' avant- Sczne. 

-  Adelaide  ,  Fille  de  Stenon  ,  Prince  &  Administra- 
teur  de  Suede ,  avoir  ete  des  I'cnfance ,  engagee  par  son 
pere  a  Gustave  ,  \  qui  elle  demeuroit  attachee  par 
rinclination  la  plus  tendre.  A  la  mort  de  Stenon ,  quand 


PR  i  F  A  C  E,  105 

eet  Amaht  etoit  devenu  la  ressource  unique  de  sa  Prin- 
cesse ,  &c  le  dernier  defenseur  de  la  liberce  des  Su>;d jis , 
il  se  trouvoit  malheureusement  d-tenu  prisonnier  i 
Copenhague ,  contre  le  droit  des  gens ,  par  les  ordreS 
de  Christierne ,  Roi  de  Dannemarck  &  de  Norwege, 
surnomme  pour  ses  cruautcs ,  le  Neron  duNord.  Celai- 
ci ,  a  la  faveur  d'un  avantage  si  mal  acquis  ,  s'ctant 
avancs  sans  obstacle  jusqu'au  pied  des  murs  de  :5to*« 
ckolm,  avoir  prisl^  Ville  d'assaut,  &:yavoit  commis 
toutes  les  cruautes  d'un  vainqueur  de  son  caractere. 
Entr'aucres  violences ,  en  haine  &  dc  Gustave  &  de  la 
memoire  de  Stenon,  il  avoit  fait  emprisonner  Adelaide, 
sans  daigner  seulement  la  voir  ni  I'entendre.  il  avoit 
aussi  fait  enfermer  avec  elle ,  sans  qu'il  s'en  doutat,  &c 
a  titre  de  simple  Suivante ,  Leonor ,  mere  de  Gustave , 
laquelle  passoic  pour  avoir  peri  dans  le  massacre  g6* 
neral.  Quelque  temps  apres ,  des  raisons  d'iitat  avoieiit 
engage  Christierne ,  qui  etoit  marie  &  sans  enfans ,  i 
conclure ,  contre  son  gre ,  le  mariage  de  sa  Prisonniere 
avec  Frederic ,  heritier  presomptif  de  ses  deux  couron- 
nes.  Ce  Prince  vivementepris  des  charmes  d'Adelaidc, 
mais  aussi  vertueux  que  Christierne  I'etoit  peu ,  non- 
seulement  avoit  eu  la  grandeur  d'ame  de  sacritier  son 
bonheur  au  repos  de  cette  Amante  infonunee  ^  mais 
poussoit  encore  la  magnanimite  jusqu'a  justifier,  jus- 
qu'a  soUiciter  mcme  aupres  duTyran ,  les  delais  qu'elle 
demandoit  j  jusqu'a  flatter  enfin  I'esperance  assez  mal 
fondee  qu'elle  conservoit  toujours  de  revoir  bientot  son 
Liberateur.  Aussi  Christierne  egalement  impatiente  & 
des  egards  de  Tun  &  des  retardemens  de  Tautre ,  avoit 
cru  se  mieux  faire  obeir,  enportant  lui-meme  ses  ordres 
^  la  Princesse.  II  I'avoit  done  vue  j  &  de  ce  moment  eti 
etoit  devenu  eperdument  amoureux.  Des-lors ,  occup^ 
du  soin  dc  satisfaire  sa  passion  effrenee ,  en  prenant 
la  place  de  Frederic ,  &  ne  se  faisant  pas  une  affaire  , 
quand  il  en  serait  temps  ,  d'en  agir  avec  lui  sans  ad*- 
cune  mesurc,  il  avoit  songe  d'abord  a  se  debarrasser  de 
la  Reine  par  un  divorce:  &  dans  le  meme  temps ,  pour 
oter  a  la  Princesse  un  teste  d'esperance  nuisrble  a  ses 
desseins  secrets,  il  avoit  mis  i  prix  la  tete  du  Rival 

G  iv 


104  P  R  E  F  A   C  E. 

aime  ,  la  tete  de  Gustave ,  dont  les  armes  vidorieuse* 
nc  ralarmoient  dejaque  trop.  Carce  Prince,  qui,  dc 
son  cote ,  ne  s'etoit  pas  endormi ,  ayant  enfin  trompe 
la  vigilance  de  sts  gardes ,  &  ramasse  quelques  trou- 
pes ,  venoit  a  grandes  journees ,  venger  &  dclivrer  sa 
rrincesse  &  sa  Patrie.  Son  armee  n'etoit  pas  loin  de 
Stockolm  •,  & ,  d'intelligence  avec  un  Parti  conside- 
rable cm'il  s'y  etoit  fait ,  il  tenoit  embusquec  aux  portes 
de  la  Ville ,  I'elite  de  ses  troupes ,  prete  a  fondre  au 
premier  signal.  Mais ,  au  moment  d'un  triomphe  qu'il 
regardoit  comme  assure ,  craignant ,  non  sans  raison , 
que  son  ennemi  reduit  au  desespoir ,  ne  le  privat  du 
ixuit  dc  sa  vidoire ,  en  attentant ,  dans  sa  rage  ,  a  la 
pcrsonne  d'Adelaide ,  il  avoit ,  devant  tout ,  forme  le 
hardi  projet  de  Penlever ,  &  ne  s'etoit  repose  de  Texe- 
cution  que  sur  lui-meme.  C'est  ou  les  choses  en  sont 
quand  la  toile  se  leve  \  dc  que  Christierne  en  raconte 
une  partie ,  flatte  des  deux  plus  agreables  nouvelles 
qu'il  pouvoit  recevoir  i  Tune  vraie  ,  c'etoit  la  mort  de 
la  Reiiie  i  I'autre  faussc ,  c  etoit  la  mort  de  Gustave. 

Fa  b  le  d  e   la  Piece. 

Gustave  done ,  qui  s'est  fait  devancer  du  bruit  dc 
sa  mort ,  8c  de  qui  la  personne  est  inconnue  *  a  Chris- 
tierne, s'annohce  Sc  se  presente  a  lui  comme  un  Guer- 
rier ,  qui ,  dans  un  combat  singulier ,  vient  de  se  defairc 


:  *    C  A  S  I  M  I  R. 

Et  ne  craigncz-vous  pas,  Seigneur,  en  vous  montranr, 
D'an  Tyran  soup^ouneux  le  regard  penetrant  ? 

GUSTAVE. 

Non.  Lorsque  le  Barbare  usa  de  violence  j 

Son  ordre  m'epargna  I'horreur  de  sa  presence  ; 

Et  rendu  par  le  temps  ,  m^connoissable  aux  miens  , 

Je  puis  me  presentci-  sans  risijue  aux  yeux  des  siens. 

t  Act.  t.Sc.  3. 


P  R  i  F  A  C  E.  105 

de  rennemi  dont  il  avoit  mis  la  tcte  a  prix.  II  repond 
d'une  maniere  precise  a  toutes  les  questions  qu'on  lui 
fait ,  &  rejette  fierement  ce  prix ,  en  noble  &  zele  ci- 
toyen  qui  n'avoit  eu  en  vue  que  sa  propre  gloire ,  Ic 
repos  d!e  son  Maitre  &  celui  de  sa  Patrie.  L'honneur 
seul  ayant  done  ete  son  motif,  il  ne  veut ,  pour  toute 
recompense ,  que  le  degagement  d'une  parole  qu'il  a 
cru  pouvoir  donner  a  son  Adversaire  expirant.  C'est 
de  remetrre  a  la  Princesse ,  en  main  propre ,  un  billet 
ou  cet  Amant  malheureux ,  en  lui  faisant  ses  derniers 
adieux ,  lui  conseille  de  ceder  au  temps.  Christierne 
reconnolt  Tecriture ,  & ,  ne  voyant  rien  dans  le  billet 
qui  ne  lui  fasse  desirer  que  la  Princesse  le  voie ,  il  ac- 
corde  a  I'lnconnu  I'entrcvue  qu'il  demande.  Gustave  a 
done  un  tete-a-tete  avec  Adelaide.  II  I'instruit  du  bon 
etat  dcs  affaires ,  &  du  projet  de  son  enlevement.  Elle 
lui  apprend  qu'il  en  est  un  plus  essentiel  &  plus  diffi- 
cile encore  a  tenter  j  c'est  celui  de  sa  Mere  qu'il  croyoit 
avoir  perdu  ,  &  qui ,  non-seulcment  est  vivante ,  mais 
qui  de  plus ,  sur  le  bruit  de  la  mort  de  son  Fils  (la  dou- 
leur  I'ayant  trahie  dc  fait  reconnoitre )  venoit  d'etre 
mise  dans  les  fers ,  ou ,  d'un  instant  a  I'autre ,  elle  est 
en  danger  du  dernier  supplice.  II  s'agit  done  de  s'as- 
surer  avant  tout  d'un  si  precieux  otage.  Adelaide  s'y 
emploie  vivement  la  premiere  ,  en  faisant  agir  Frederic 
qui  demande  en  effet  a  Christierne  la  liberte  de  Leonor ; 
mais  avec  tant  de  hauteur  &  si  peu  de  succes ,  que 
deja  desagreable  &:  supe6t  au  Tyran ,  il  perd  la  sienne 
lui-meme  &  se  voir  arrete.  Gustave ,  de  sa  part ,  com- 
me  on  peut  croire ,  n'agit  pas  moins  avec  toute  I'ar- 
deur  que  son  devoir  exige.   Mais  ses  mesures ,  qui , 
jusques-la  n'avoient  ete  prises  que  pour  le  salut  de  la 
Princesse ,  etant  ici  doublement  precipitees  ,  ne  sau- 
roient  etre  bien  justes.  Aussi  se  reduisent-elles  a  tenter 
un  peu  brusqueraent ,  au  poids  de  I'or  ,  la  fidelite  des 
gardes ;  &  ,  par  un  hasard  que  le  plus  sage  eut  pu  nc 
pas  prevoir ,  non-seulement  les  gardes  se  trouvent  in- 
corruptibles ,  mais ,  qui  pis  est ,  ils  feignent  de  ne  Ic 
pas  etre.  Ce  dernier  contretemps  fait  tomber  Gustave 
dans  le  plus  funeste  piege  qu'on  puisse  apprehender 


to6  P  R  i  F  A  C  E. 

fjour  Iai»  Trop  plein  de  confiance ,  il  est  trahi ,  saisi', 
charge  de  fers ,  6c  conduit  a  Christierne.  II  est  reconnu. 
pout  Gustave ,  au  transport  douloureux  de  sa  Mere  ^ 
devant  qui ,  sur  de  foits  soupgons  ,  le  Tyran  le  fait 
paroitre  expres  en  cet  etat.  II  est  envoye  tout  de  suite  i 
rechafaud.  N'y  ayant  done  plus  rien  a  menager ,  sa 
Fadtion  leve  I'etendard.  On  I'arrache  des  mains  de  ceux 
qui  Ic  menent  a  la  mort.  Le  signal  se  donne ,  sts  trou- 
pes se  montrcnt  j  & ,  suivi  d'elles ,  il  revient  &  rentre 
au  Palais.  Christierne  n'y  etoit  plus.  Comme  le  plus 
foible ,  a  la  premiere  nouvelle  de  ce  tumulte ,  il  avoit 
foi  \  &  emmenant  avec  lui  la  Princesse ,  il  tachoit  de 
icgagncr  sa  flotte ,  ou  ses  fideles  Serviteurs  avoient  eu 
la.  precaution  de  transporter  par  avance  &  Frederic  & 
Leonor.  Gustave  le  poursuit  &  I'atteint  qu'il  n'ctoit 
encore  que  sur  la  partie  des  eaux  glacees  qui  separent 
la  cote  6c  la  rade.  Apres  un  combat  rare  ,  opiniatre  & 
^nglant,  il  arrache  Adelaide  au  Ravisseur,  &  lelaisse 
ediapper,  ignorant  malheureusement  que  Leonor  de- 
meuroit  en  son  pouvoir.  11  ne  Fapprcnd  qu'au  moment 
que ,  de  retour  au  Palais  ,  on  lui  propose  de  la  part  da 
Tyran,  I'horrible  alternative ,  ou  de  la  voir  poignarder 
surle  tillac,  ou  de  livrer  la  Princesse.  L'heure  qu'on 
lui  laisse  pour  se  resoudre  suffit  aux  Danois  pour  faire 
eclater  sur  la  flotte  une  conspiration  formee  de  longue- 
main  en  faveur  de  Frederic  j  il  en  est  fait  assez  de  men- 
tion dans  le  cours  de  la  Piece,  pour  que  ce  dernier  in- 
cident qui  denoue ,  ne  soit  pas  unc  pure  machine.  Ainsi 
Frederic  ,  de  la  captivite,  remonte  sur  un  trone  que  son 
peu  de  gout  pour  la  souverainete  lui  avoit  fait  ceder  a 
Christierne.  En  Roi  digne  de  Tetre ,  en  Rival  genereux , 
il  signale  son  avenement  par  renvoyer  la  Mere  au  Fils  , 
&  avec  elle  leur  ennemi  commun  charge  des  fers  dont 
ils  sortoient  tous  les  trois.  Gustave  se  vengc ,  mais  en 
Heros.  II  laisse  la  vie  avec  la  liberte  a  Christierne ,  & 
le  fait  embarquer  a  Hnstant  pour  aller  trainer  Tune  & 
Tautre  ou  Pon  voudra  bien  qu'il  en  jouisse.  La  ten- 
dresse  &  la  valeur  couronnees ,  couronnent  a  Icur  tour 
riieureux  denouement. 


PREFACE.  107 

Que  voit-on  la  d'obscur ,  de  vague ,  de  force ,  &  qui 
ne  tienne  intimement  a  rinteret  principal  ?  Tout  n'y 
est-il  pas  clair ,  naturel ,  prepare  ,  conduit ,  &  dans  Ic 
degre  dc  vraisemblance  qu'on  peut  jaisonnablement 
exiger  des  Pieces  de  Theatre?  La  simplicite  resserre,  il 
est  vrai ,  le  plan  de  CalUsthene  en  une  seule  page  j  &c  la 
multiplicite  en  fait  occuper  ici  quatre  ou  cinq  a  celui  de 
Gustave.  Si  leur  difference  est  grande  a  cet  egard  ^  cellc 
de  leur  sort  ne  le  fut  pas  moins.  CalUsthene  est  tombe  : 
Gustave  a.  reussi.  Peut-ctre  aussi  ni  Tun  ni  Tautre  n'eut- 
11  ce  qu'il  merita ;  je  suis  fonde  du  moins  a  le  croire  ^ 
sur  ce  que  le  premier ,  dans  sa  disgrace ,  a  trouve  des 
apologies  jusques  sous  la  plume  de  feu  M.  I'Abbe 
Desfontaines ,  dc  sur  les  levres  de  M.  de  Voltaire  ,  deux 
Priseurs  competens ,  &c  qui  ne  penchoient  pour  moi 
rien  moins  que  vers  la  flatterie :  au  lieu  que  ces  memes 
Apologistes  se  sont  tu  sur  Gustave  \  &  que  mes  autres 
Confreres  les  Auteurs  ne  m'ont  jamais  felicite  de  sa 
chance,  que  dc  ce  ton,  dont  a  la  Cour  on  se  felicite  les 
uns  les  autres  des  graces  du  Maitre.  Je  m'en  tiens  done 
au  bon  ton ,  a  celui  dont  mes  deux  illustres  Defen- 
seurs  se  servirent  enfaveurdel'infortuns  CaUistkene\)Q 
m'endors  sur  leur  genereuse  protection ,  &  les  en  re- 
mercie.  Quant  au  trop  heureux  Gustave y  de  quelque 
facon  qu'ils  en  ayent  pense  eux  &  les  mecontens ,  tous 
conviendront  au  moins  que,  si  le  Public  Ta  injustc- 
ment  favorise ,  c'est  de  ces  injustices  qu'un  Auteur  lui 
pardonne  aisemenf,  Sc  moi,  de  moncote ,  je  conviens 
que  ce  ne  sont  pas  la  de  ces  lauriers  si  bien  plantes  ni 
fii  verdoyans  ,  que  le  Pocte  ait  lieu  de  se  reposer  fort 
tranquillement  a  leur  ombre. 

De  tant  d'evenemens  en  effet  rassembles  les  un$ 
proche  des  autres ,  il  nc  pouvoit  manqucr  dc  jaillir  unc , 


io8  PRE  FA  C  E. 

gcrbc  de  ces  traits  lumineux,  appeles-  par  les  Nco- 
logues,  coups  de  Theatre  y  legers  pheiiomenes  ,  jolis 
eclairs  toujours  les  tres-bien  venus  &:  revenus  sur  le 
modcme  horizon  de  nos  Parterres  :  coups  d'autant 
plus  surs  ici  de  leur  eflfet  dans  la  nouveaute ,  qu'ils 
ctoient  animes  du  feu  seduisant,  &  soutenu^  de  la 
figure  interessante  d'un  des  plus  brillans  Adteurs"*' , 
qui  J  depuis  Baron  ,  ayent  joint  sur  le  Theatre  les  fi- 
nesses de  Tart  aux  dons  de  la  nature.  Rapporter  le 
succes  en  partie  a  la  facilite  de  satisfaire  au  gout  do- 
minant ,  en  partie  au  talent  de  I'Adieur ,  c'est ,  je  crois , 
apprecier  la  Piece  a-pcu-pres  ce  que  ceux  qui  la  rabais- 
sent  le  plus  veulent  bien  qu'elle  vaille.  lis  doivent  etre 
eontens.  Tachons  maintenant  de  rcpondre  a  d'autres 
objections. 

Pour  commencer  par  Texces  de  confiance  qu'on  re- 
proche  a  Chris  tierne  \  quand  meme  ,  a  toute  rigueur  , 
onauroit  quelque  raison ,  ne  pourrois-je  pas  dire  qu'en 
pareil  cas  ,  n'avoir  raison  qu'a  toute  rigueur ,  c'est 
avoir  extreraement  tort  ?  Ne  nous  doit-on  pas  ,  dans 
nos  Pob'mes  ,  quelques  libertes  ,  quelques  licences 
Bieme ,  en  consideration  du  plaisir  qui  en  resulte  y 
aussi  bien  qu'en  dedommagement  du  mauvais  role 
que ,  vis-a-vis  des  ecrits  utiles ,  jouent  ces  penibles 
bagatelles  ?  Malheureux  Ouvrages ,  ( dit  sensement  TAu- 
teur  d'AiziRE dans TEpitre  dedicatoire ) ?"i n'ont quart 
temps  ;  qui  doivent  leur  merite  a  la  faveur  du.  Public  ,  &  a 
tillufion  du  Theatre  ^  pour  tomber  enfuite  dans  la  foule  6t 
dans  I'obfcurite.  Tant  de  veilles  pour  si  peu  de  fruit  , 
msritent  bien  ,  dis-je ,  quelques  commodites  &  quel- 

-  *Du  Frcfnc.  'qmlt , 


P  R  i  P  A  C  E.  IC5 

^uc  tolerance.  Nous  qui  n'ambitionnons  qu'k  divcrtit 
-&:  qu'a  plaire,  demandons-nous  trop,  pour  notrc  peine 
uii  peu  gratuite  ,  quand  nous  demandons  quelquc 
relacheraent  sur  la  rigidite  du  vrai  &  du  vraisembla- 
ble?  Aussi,  depuis  le  Cid  jusqu'a  Zaire  qui  preceda 
immediatement  Gustave,  le  Theatre  a-t-il  joui  du  prL 
vilege  qu'on  veut  m'oter ,  &  que  je  reclame.  Auroit-il 
cte  revoque  precisement  pour  moi  ?  Et  Tindulgence  di- 
minueroit-elle  a  mesure  que  Ics  talens  diminuent? 
Mais  faisons  voir  que  Tindulgence  de  mes  juges  part 
encore  d'un  plus  grand  principe  d'equite. 

Tout  le  monde  salt  que  la  peinture  a  deux  sortes  de 
vrai  :  le  vrai  simple  &  le  vrai  ideal.  La  Poesie  a  le$ 
deux  memes  sortes  de  vraisemblable.  Lc  vraisemilaiU 
simple  est  celui  qui ,  dans  Un  evenemenr  ,  sc  presentc 
naturellement  a  I'esprit :  lc  vraisemilaile  ideal  consiste 
en  un  cboix  de  diverses  conjondtures  qu*on  rasscm- 
ble ,  &  qui  rarement  se  trouvent  reunics  dans  le  coucs 
d'un  cvenement  ordinaire.  Le  Po'etc  alors ,  pour  former 
\in  objet  bien  theatral ,  dispose  a  son  gre ,  des  coups 
de  la  fortune ,  a  peu  pres  comme  le  Peintre ,  pour  era- 
bellir  son  tableau  ,  commande  ,  en  quelque  sorte ,  iL 
la  Nature.  C'est  ce  vraifemblabU  ideal  que  mes  Censcurs 
appellent  impossibiliti\  mais ,  selon  Tusage  du  Theatre, 
on  verra  qu'il  n'y  a  plus  ricn  que  de  regulicr  dans  la 
credulite  de  Chrisdeme  ;  &c  que  je  n'ai  pas  pris  met 
aises,  si  fort  a  la  volee  qu'on  veut  le  faire  penscr. 
D'abord ,  tout  est  prepare.  Le  bruit  de  la  mort  dc 
Gustave  a  devance  son  arrivee :  Chrisderne  en  a  deji 
parlc  comme  d'une  chose  qu'il  ne  revoque  plus  oi 
doute.  II  ctoit  pourtant  necessaire  pour  le  vraifemblo' 
hit  simple ,  qu'jl  demandat  ^  voir  la  tctc  qu'on  luiap- 


110  P  R  t  F  A   C  E. 

porte.  II  n'y  manque  pas  non  plus  j  Pourquoi ,  dit-il  ^ 
I'inconnu , 

Pourquoi  fe  prerentcr  ,  Tans  ce  gage  \.  la  main  ? 

L'inconnu  etant  Gustave  lui-meme,  si  le  Tyran  insistc 
par  de-la  un  certain  point ,  la  pyramide  aussitot  s'e- 
boule.  Ilinsistedonci  mais  ne  passe  pas  mes  vues  ■,  & 
c'est  ici  ou ,  a  la  faveur  du  vraifemblabU  ideal ,  je  prends 
decemment  mes  commodites  dramatiques.  Christierne 
interroge  cet  inconnu  sur  son  nom,  sur  les  lieux,  sur 
les  temps ,  &  sur  les  circonstances.  Est-ce  en  croire  les 
gens  si  fort  les  yeux  fermes  ?  Les  reponses  sent  positi- 
ves ,  mais  enveioppees  a  la  verite  sous  quelques  mots 
a  double  entente  si  agreables  au  Theatre  en  ces  sortes 
de  cas ;  mots  peses  si  curieusement  par  I'Auditeur  mis 
au  faiti  mots  officieux  qui  sauvent  egalement  le  Heros, 
&  de  la  honte  du  mensonge  devant  lui-meme  ,  &  dii 
danger  de  la  verite  devant  le  Tyran.  De  plus  la  con- 
tenance  ferme  &  tranquille  du  brave  inconnu,  le  noble 
refus  qu'il  fait  du  salaire  honorablement  acquis  ,  scs 
sentimens  imposans  &  releves  qui  frappent  le  Tyran 
lui-mcme  d'admiration ,  la  teneur  artificieuse  du  billet 
qu*il  donne  k  lire ,  enfin  cette  facilite  qu'il  y  eut  tou- 
Jours  a  persuader  les  hommes  de  ce  qu'ils  desirent 
le  plus  ardemment  j  tout  cela,  nci\  deplaisc  a  la  chicane 
des  mal-intentiomies  ,  tout  cela  ,  dis-je  ,  devaiit  des 
Auditeurs  entraines  de  bonne  foi  par  I'amour  du  plai- 
sir ,  suffit  5  &  de  teste  ,  pour  etablir  la  confiance  dans 
le  ccBur  d'un  Tyran  de  Theatre  j  &  pour  asseoir  en 
consequence  la  pierre  fondamentale  de  mon  edifice. 

Jc  n'aurai  pas  recours  au  vraisemblablc  ideal  pour 
justifier  Taveuglement  pretendu  -  volontaire ,  donton 
taxe  Adila'idg.  EUe  a  long-temps ,  dit-on ,  son  Amant 


PREFACE.  Ill 

devanr  elle  ,  sans  le  reconnoitre,  Elle  ne  I'a  point  d'ar- 
bord  devant  elle  \  quand  il  s'y  trouve  ensuite ,  elle  nc 
Ic  voit  point.  Rien  n'est  plus  naturel ,  ni  plus  dans  la 
vraisemblance.  On  en  va  juger.  Que  le  Ledtcur  veuiiie 
bien  seulement  se  faire  un  peu  spedateur.  Le  jeu  que 
je  le  prie  de  se  representer ,  doit  aider  a  mon  raifon- 
nement. 

Comment  Adelaide  pourroit-elle  reconnoitre  sitot 
Gustave  ?  Dans  quelle  circonstance  ,  en  quel  instant 
paroit-il  ?  Au  moment  qu'elle  ne  peut  plus  douter  de 
sa  mort  qui  vient  de  lui  etre  confirmee ;  au  moment 
que  sa  chere  Leonor  arrachee  d'entre  ses  bras ,  est  peut- 
erre  livrec  aux  bourreaux  j  au  mv^ment  enfin  qu'on  lui 
declare  qu'elle  ait  a  venir  aux  Autels  pour  y  donner  sa 
main.  Trois  coups  de  foudre,  qui  Taccablant  h.  la  fois, 
font  qu'elle  ne  voit ,  n'entend ,  ni  ne  sent  plus.  Qu'on 
se  la  figure  done ,  au-devant  du  Theatre ,  abysmee  en 
elle-meme  dc  comme  petrifiee ,  tandis  que  ,  du  fond  j 
Gustave  s'avance  a  pas  leats ;  Gustave  annonce  commc 
un  simple  particulier  porteur  des  dernieres  volontes 
de  celui  qu'elle  ne  croit  plus  en  vie  :  Gustave  change 
par  onze  ou  douze  ans  d'absence  8c  de  travaux ,  & 
surtout  aux  yeux  d'une  personne  qui  n'en  avoit  que 
dix  ou  ohze  lots  de  leur  separation  j  enfin    Gustavt 
jaloux ,  &  justement  alarm^  des  preparatifs  du  ma- 
riage  de  la  Priricesse  ,  viveiiient  interesse  par  conse- 
quent a  ne  se  paslaisser  demeler  sitot ,  pour  la  mieux 
pcnetrer ,  &  voir  quel  effet  la  ledure  du  billet  qu'il 
apporte  va  produfre  en  elle.  II  avance,  dis-je,  a  pas 
lents  &  le  front  baisse ,  vers  Adelaide  qui ,  sans  I'envi- 
sager ,  sans  presque  tourner  la  tcte ,  prend  le  billet 
apres  quelques  mots  mal  articules  qu'a  peine  elle  ^cou^ 


Hi  PR  t  F  A  C  E. 

te,  &:  qu'il  ne  prononce  que  d'une  voix  basse  &  altc- 
ree*  Voila  dans  quelle  position  de  part  &  d'autre  se 
donnc  &:  se  regoit  ce  billet  qui  arrache  a  la  Princesse 
les  larmes ,  les  plaintes  &:  les  regrets  les  plus  tendres. 
Gustavo  alors  tout  transporte  ,  tombe  a  ses  pieds  ,  6c 
se  fait  reconnoitre.  Est-ce4a  cette  absurdite  ,  cettc 
situation  si  denuee  de  toute  vraisemblance  ?  Les  clair- 
Voyans  qui  demandent  ou  sont  les  yeux  de  la  Princesse  , 
voudroient^ls  bien  nous  dire  maintenant  oil  etoient 
les  leurs  ?  Et  ne  sont-ils  pas  eux-memes  accusables  de 
I'aveuglement  volontaire  qu'ils  lui  imputent  ? 

Venons  \  Leonor.  Absolument  parlant ,  on  eut  pu  se 
passer  ici  de  ce  role  de  mere  \  mais  n'eut-il  pas  fallu 
toujours  celui  d'une  confidente  a  sa  place  ,  puisque 
cette  mere  en  fait  I'office  j  &  que  ,  de  tous  les  temps  , 
la  bienseance  &  le  dialogue  en  exigcrent  une  ^  cote  de 
nos  Princesses.  Or  on  ne  sait  que  trop  ce  que  cette 
sorte  de  role  postiche ,  ( mcme  dans  M.  Racine  qui  nq 
s'en  passa  jamais  )  cntraine  souvent  aprcs  soi  de  foi* 
ble  &  d'ennuyeux.  Qui  n'eut  cru  bien  faire ,  de  fondre 
ce  personnage  oisif  6c  necessaire  ,  dans  celui  d'une 
mere  qui  donne  lieu  <l  de  grands  incidens  ?  Dcs-lors , 
de  froid  &  de  subalterne  ,  le  role  devient  noble ,  in- 
teressant  ,  &  par  consequent  celui  d'une  principale 
A6trice.  Ou  la  scene  eut  done  ete  vuide  &:  tampan  te, 
die  est  ornee  &  soutenue  •,  le  pathetique  &  le  gran4 
prennent  la  place  du  ridicule  &:  du  languissant  \  enfiu 
la  chaleur  egalement  repandue  dans  tout  le  corps  dc 
I'ouvrage,  en  vivifie  un  membre  frappe  d'une  paralysis 
invcteree  ,  &  fait  ainsi  mouvoir  ce  corps  en  entier. 
S'ily  a  dans  tout  cela  quelque  sur-abondance  ,  en  est^ 
ce  une ,  au  fond ,  si  vicieusc  \  jqfi 

Cc 


PREFACE.,  II) 

Ce  que  je  n'accordcrai  jamais  ,  c'est  que  la  Pi^e 
ait  pu  se  passer  dc  Fridirk ;  dc  cc  que  jc  nlc  encore 
davantagc ,  c'est  que  son  caraA^re  ne  soit  ni  he'roi'que 
ni  naturcl.  Mollir  sur  ce  second  article ,  ce  serolc  pri- 
variquer.  U  ne  s'agit  plus  ici  de  ma  cause ,  il  ne  s'aglc 
pas  moins  que  dc  celle  des  mocurs. 

Cc  Prince  est ,  dit-on ,  foible  &:  mcprlsable  au  point 
^'q\\  ctrc  une  espccc  dc  monstrc  en  morale :  i".  parcc 
qu'il  s'est  dcmis  volontaircmcnt  des  droits  qu'il  avoit 
sur  deux  couronnes.  En  second  lieu  ,  parce  qu'aimanc 
une  bcUc  Princcssc  (  que  Ic  devoir  &  I'amour  atta- 
chent  i  ua  Hcros  qui  1  adore  )  il  nc  se  prcte  pas  k  U 
politique  d'un  Tyran  qui  la  lui  veut  faire  cpouser.  Cc 
sont  li  ,  suivaiit  mcs  critiques ,  les  rcves  d'une  imagi- 
nation dercglcc  ,  &  deux  excels  de  gincrositc  qui  ne 
«ont  ni  I'un  ni  I'autrc  dans  la  nature. 

Voili  done  deux  si  beaux  triomphcs  sur  soi-m(?mc  , 
rclcgucs  parmi  Ics  fairs  monstrucux.  Pour  mol ,  cc  que 
je  trouve  ici  de  vraimcnt  monstrueux  \  c'est  que  ccla 
puisse  le  paroitre  j  Ik  ce  qui  Test  peut-ctre  encore  plus , 
c'est  qu'il  y  ait  des  gens  qui  ne  se  fassent  pas  une  affaire 
du  dcshonncur  oii  Ton  s'exposc  en  I'osant  dire  ouver- 
tcmcnt.  J'aurois  cru ,  vu  la  corruption  rafincc  dc  noi 
mcfurs  ,  I'hypocrisic  &  plus  d'usage  6c  plus  dclicr. 
Qu'on  manque  dc  gout  pour  les  vertus  peu  commu- 
nes ,  cela  n'est  que  trop  possible  &  que  trop  ordi- 
naire i  mais  qu'un  peu  de  pudcur  au  moins  nc  plitrc 
pas  cc  manque  dc  gout  •,  encore  une  fois ,  une  si  rare 
indifference  sur  cc  qu'on  laissc  «t  penscr  de  soi  ,  en 
pensant  si  mal  tout  haut ,  me  paroit  sans  comparaison 
moins  naturelle  ,  que  celle  qu'on  reprochc  a,  mon 
Frederic  sur  Ics  intercti  de  son  amour  &  dc  sa  grandeur. 

Tome  U.     H 


ii4  Preface. 

Mais  quoi  ?  C'etoient  encore  ici  de  ces  sortes  d'honni* 
tes  gens  crayonnes  dans  la  Preface  de  L'Ecok  des  peres  , 
qui  trouvoient  a  redire  que  je  nommasse  Fils  ingrats  , 
des  enfans  enrichis  par  un  pere  qu'ils  abandonnent 
dans  son  indigence.  Ce  ne  font ,  disoient-ils  froidement 
que  des  hommes  fails  comme  les  autres  >  que  des  hommes 
uniquement  occupes  de  leurs  inter  its  particuliers.  Ces  hon- 
netes  gens  cffedtivement  se  connoitroient  -  ils  mieux 
que  moi  aux  hommes  de  leurs  temps  1  Et  feroir-ce  U 
veritablement  comme  il  sont  faits  t  En  ce  cas ,  je  m'^cric 

avec  Curiace  : 

Je  rends  graces  aux  Dieux  de  n'etre  pas  Romaiii  , 
Pour  conferver  encore  quclque  chofe  d'humain. 

Et  j'ajoute  sur  le  ton  de  Xipkares  ,  en  revenant  a 

Frederic  : 

Si  Tavbir  pcint  tel ,  est  un  crime  ; 
Mon  esprit  n'en  est  pas  fcul  coupable  aujourd'hui  j 
Men  coeur  est  mille  fois  plus  cnminel  que  lui. 

Car ,  en  compofant  ce  role  >  je  m'en  fouviens  trcs- 
bien,  je  sentois  plus  que  je  n  imaginois  j  &  j'y  prenois 
trop  de  plaifir  apres  tout ,  pour  que  la  fi€fcion  ne  fut 
pas  plus  que  moins  dans  I'ordre  des  chofes  naturelles. 
En  effet ,  &  je  Tai  toujours  penfe  ,  la  generosite  (  ce 
mot  pris  dans  routes  ses  acceptions ,  &  surtout  dans 
celle  dont  il  s'agit  ici ,  )  est  de  toutes  les  vertus ,  la 
seule  peut-etre,  qui ,  fans  rifque  de  degenerer  en  vice  , 
peut  ne  se  point  prefcrire  de  bornes  ;  c'est  de  plus  , 
selon  moi ,  celle  de  toutes  les  vertus ,  dont  la  pratique 
doit  ctre  la  plus  delicieufe  a  qui  Texerce.  Mais  aufTi  cc 
genre  de  felicite ,  dans  toute  son  etendue  ^  n'etant  re- 


PREFACE.  115 

serve ,  qu'a  la  grandeur  &  qu'a  Topulence ,  &  me  trou- 
vant  ne  si  loin  de  Tane  &:  de  Tautre ,  je  me  dedomma- 
geois  en  Poete  j  c'esc-ar-dire  que  mon  esprit  fe  frans- 
plantoic  dans  le  cceur  d'un  Prince  de  ma  fabrique :  &: 
que  la ,  comme  dans  la  sphere  nacalc  d'un  sentiment 
si  glorieux  a  Thumanite ,  il  se  deledoit  a  lui  donnej 
tout  I'essor  imaginable.   Ne  suffit  -  il  pas  que  cette ; 
felicitc  soit  deja  pour  moi  purement  chimerique  , 
sans  que  me  soutenant  que  le  principe  Test  aussi ,  Toil 
me  la  veuille  encore  totalement  aneantir  r  On  n'en ; 
viendra  point  a  bout.  Le  principe  est  bon.  Les  deux 
sacrifices  que  je  fais  faire  a  Frederic  sont  dans  la  nature* 
Eh  quoi  ?  Parce  que  la  haute  vertu  feroit  malheureu- 
fement  devenue  plus  rare  que  la  scelerateiTe ,  celie-ci 
conferveroit  fur  nos  Theatres ,  un  air  de  vraisemblance 
qu'on  ne  trouveroit  plus  a  Tautre !  Graces  au  Ciel,  le 
fcandale  ne  va  pas  encore  11  loin.  La  clemence  d'Augusu 
dans  Cinna  nous  paroit  auili   vraisemblable  pour  le 
moins,  que  la  rage  effrenee  de  Cleopatre  dans  Rodogune; 
que  les  forfaits  de  Nardsse  ,  de  Mathan  Sc  de  Rhada- 
miste.  Disons  plus.  N'y  a-t-il  pas  de  la  mechancetc 
d'efprit ,  ou  tout  au  moins  ,  de  la  noire  mlfantropig  , , 
a  croire  qu'il  n'est  plus  d'ames  de  la  belle  trerripe  ? 
Quand  meme  il  ne  s'en  trouveroit  plus  (  ce  qu'a  Dieu 
ne  plaise  que  je  suppose  pour  plus  d'un  moment )  ne 
suffiroit-il  pas  ici ,  pour  ma  justification ,  qu'autrefois 
11  y  en  ait  eu ,  d>c  qu'il  fut  fort  a  souhaiter  qu'il  y  en  eut 
encore  aujourd'hui  ?  Or  ,  il  est  sur  qu'autrefois  il  y 
en  eut.  Le  refus  du  trone  a ,  dans  I'histoire ,  plus  que 
ses  equivalens.  Des  ames  qu'assurement  on  ne  taxera 
pas  de  foibles  se ,  Diode tien ,  Charles  K,  rant  d'autres  , 
&  sans  sortir  du  lieu  de  ma  schie  ,  Christine  </<; 
^uede^  tous  ont  abdique  Tautorite  souvcraine.  Effort 

Hij 


1 1  (?  PREFACE. 

qui  passe  peut-etre  celui  de  la  refuser.  Tel  en  efFet  pour-' 
roir  ne  la  jamais  ambitionner,  qui ,  I'ayant  en  main , 
ne  s'en  dessaisiroit  jamais.  Quant  a  sacrifier  les  intercts 
d'une  passion  aulTi  frivole  que  Tamour  ,  au  bonheur  de 
la  personne  aimee  ,  ou  seulement  a  celui  d'un  rival 
estimable  •,  nous  en  avons  ,  pour  exemples  signales ,  la ' 
continence  de  Scipion,  3c  le  don  q\i' Alexandre  fit  de  sa 
Iv  aitresse,  au  Peintre  qui  en  devint  amoureux.  Allons ' 
plus  loin.  La  vengeance  est  une  passion  bien  autre-* 
ment  puissanre  encore  sur  le  malheureux  coeur  hu-* 
main  ,  que  I'amour  8c  que  Tambition  ,   temoin  ces'' 
vers  d' A  tree  :  '^ 

Je  voudrois  mc  venger,  fut-ce  mcmc  des  Dieux!  /i 

Du  plus  puissant  de  tous  ,j'ai  re^u  la  naissance  j  j 

Jele  sens  au  piaifir  que  nie  faic  la  vengeance.  p 

Cependant  combien  de  pardons  genereusement  ac-, 
cordes  1  Qui  ne  salt  le  bel  ade  &  I'excellent  mot  dc' 
M.  De  Guise  ?  Tous  les  deux  si  pieusement  &  si  fi- 
delenient  employes  dans  le  denoument  d' Aliire ,  o\i  y 
en  expirant ,  Guiman  dit  a  Zamore  qui  vient  de  le  poi- 
gnarder  : 

Ton  Dicu  t'a  commande  le  meartrc  &  la  vengeance  i       ") 
Et  le  mien ,  quand  ton  bras  vient  de  m'assassiner  ofi 

M'ordonne  de  tc  plaindre  ,  &  de  te  pardonncr.  .yi 

Cela  n'a  paru  ni  romanesque  ni  fabuleux ,  quoiquc 
transfere  dans  le  coeur  &  la  bouche  d'un  Espagnol ,  & 
d'un  Espagnol  des  plus  feroces. 

Si  je  n'ai  done  peint  Thomme  tel  qu'il  est ,  je  I'ai 
peint  assurement  tel  qu'il  fut.  Au  pis  aller ,  n'eusse-jc 
fait  que  le  peindre  tel  qu'il  doit  etrc ,  j'aurai  du  moins 


PREFACE.  117 

rempli  le  devoir  Ic  plus  essentiel  de  mon  etat :  j'aurai 
joint  Tutile  a  I'agreable.  Du  reste ,  Frederic ,  dans  tour 
ce  qu'il  dit ,  exprime  du  mieux  que  j'ai  pu ,  les  senti- 
mens  de  courage  &  d'honneur  convenables ,  pour  im- 
primer  a  son  desinterressement  tout  le  caradtere  dc 
noblesse  que  ce  dv^sinteressement  doit  avoir. 

Plus  d'un  Lefteur  vertueux  &  sense  desapprouvera 
peut-etre  une  apologie  si  serieuse  ,  ne  pouvant  sc 
persuader  que  la  censure  ait  pu  Tetre.  Rien  n'est  pour- 
rant  plus  vrai ,  &  j'ai  cru  devoir  y  rcpondre  serieuse- 
ment ,  parce  qu'il  arrive  souvent ,  qu'en  gardant  Ic 
silence,  la  bonne  cause  demeure  en  butte  a  la  froide  dc 
mauvaise  plaisanterie ,  laquelle  prcnd  toujours  faveur> 
&  quelquefois  racine. 

Quant  a  la  verification  de  ma  Piece  ,  je  me  tais, 
Non  que  je  Tavoue  aussi  negligee  qu'on  le  veut  dire  ; 
tant  s'en  faut.  Eh ,  qui  mieux  que  moi  pent  savoir  Ic 
contraire  ?  II  n'y  a  point  ici  de  negligence.  Les  efforts 
n'ont  discontinue  precisement  qu'ou  le  talent  man- 
quoit.  Mais  je  vois  ce  que  c'est.  N'ayant  eu  en  vue 
que  la  precision  ,  la  clarte  ,  I'ordre  ,  I'energie  &  le 
naturel ,  dans  un  Poeme  aussi  plcin  d'evenemens  & 
d'adrion  que  celui-ci ,  je  n'aurai  fait  de  mes  person- 
nages ,  rien  moins  que  des  Poetes.  Attentif  unique- 
ment  a  remuer  le  coeur  ,  ou  a  saisir  Timagination  , 
j'aurai  trop  neglige  de  flatter  Tesprit  &  Toreille.  Figu-  • 
res  brillantes  ,  metaphores  ecartees  ,  grands  mots  , 
longues  epithetes  ,  maximes  temeraires ,  portraits  ma- 
lins ,  madrigaux  ,  Sec.  j'aurai  trop  mis  tout  cela  mal- 
heureusement  au  rang  de  ce  qu'Horace  appelle  nugt 
eanord,  \  en  un  mot ,  j'aurai  trop  suppose  a  mon  siecle , 

H  iij 


US  P  R  i  F  A   C  E, 

un  goat  pareil  a  celai  <ie  nos  Ancient ,  qui  aimohm 
mieux  ,  dit  le  sage  m^derhe  auqiiel  nous  devons 
THiSTOiRE  CRITIQUE  t)lE  LA  PhILosophie  ,  itre  emas 
par  lis  beaiit'es  fortes  qui  risul'tent  du  tout  enstmhle^  que  par 
Its  beauth  de  detaiL 

Jusques-lk ,  je  ii'aurai  peut-etre  pas  eu  grand  tortj 
mais  il  me  resteratoujours  celui  d'avoir  laisse  adesiier 
dart^  mes  vers  plus  de  pompe  &  d'harmonie  qu'il  n'y 
tn  a.  Des  Illusrres  du  metier  ont  avance  que  cettc 
pompe  &  cette  harmonic ,  essentielles  a  la  verite  dans 
rEpopec  &  daiis  I'Ode  ,  non  seulement  ne  letoient 
point  dans  le  Draiiiatique  ,  mais  que  mcme  ellcs  j 
■&:orent  quelquefois  nuisibles  &  deplacees.  lis  s'abu-, 
isoieilt.  M,  Rdcihe  temoigne  contre  eux.  Ses  endroits 
les  plus  simples  s'en  sont  troiives  &  susceptibles  & 
toujours  embellis.  Mais  ce  grand  homme  cmporte 
avec  lui  le  secret  d'un  si  precieux  melange.  Sts  suc-r 
cesseurs  ont  moins  recueilli  Theritagc  ,  qu'ils  ne  I'ont 
demembre.  Chez  les  uns  ,  on  desire  cette  chaleur  S>c 
ce  beau  simple  si  essentiels  ,  &  chez  les  autres ,  cettc  . 
harmonie  si  desirables.  Vouloit-on  que  je  reunisse  en 
moi  miserable  glaneur  ,  des  tresors  que  je  n'ai  pas 
seulement  eu  Tavantage  de  partager  J  Cette  versifiea-» 
tion-ci  sera  done  assurement  destituee  de  pompe  & 
d'harmonie  :  &  principalement  de  cette  harmonie  ex- 
quise  ,  si  chere  a  nos  declamateurs  de  Ruelles ,  qui 
f)lus  envitonnes  de  leur  talent  im^ginaire,  que  touches 
des  vraies  beautes  de  ce  qu'ils  savent  par  cceur ,  vont 
iccitant  a  qui  veut  6c  ne  veut  pas  les  entendre » tantot 
avec  emphase : 

Rhodes ,  des  Otromans  le  rcdoutablc  ccueil ,  &c,  ' 

I  bAlAiET  ,  Adt.  1,  Sc.  I, 


PREFACE,  119 

Ou  J  d'un  air  voiuptueux  &  passionne : 

Triste ,  levant  au  ciel  ses  yeux  mouiiles  d-  lairaes ,  &c.  ' 

Ou  bien ,  d'un  ton  fier  &  farouche : 

Mon  palais,  tout  tci  n'a  qu'un  faste  sauvagc ,  &c.  * 

Encore  une  fois  ,  je  n'ai  rien  fait  pour  ces  mauvais 
Comediens  la  ;  &  des  lors  ,  je  sens  dans  quel  neant , 
devant  eux  ,  je  dois  tomber  a  la  lefture,  Mais  je  ne 
m'interessois  qu'a  mes  Speilateurs  ,  pour  qui  j'espere 
avoir  assez  fait ,  en  cas  que  Ton  admette  ce  principe 
avance  par  un  ^crivain  verse  dans  ces  matieyes  ^'.  Ce 
nest  autre  chose  ,  dit-il  ,  $«e  la  prononclation  qui  consti->^ 
tue  la  douceur  ou  la  rudesse  des  mots  y  &  Voreille  juge  dc 
I'harmonie  d'apres  la  prononclation  seule.  Or  les  vers  dc , 
Gustave  y  tels  qu'ils  sont ,  furent  tres-bien  prononces  , 
&  fort  bien  rccus  ;  TAuteur  duP<?«r  &  Contre,  comme 
on  a  vu  J  n'en  rend  que  trop  bon  temoignage.  Je 
pourrois  done  n'ctre  pas  tout  a  fait  sans  repliqu« 
sur  ma  versification  •,  mais  la  preterition  n'est  dejk 
que  trop  longue,  Et  qui  ne  sait  d'ailleurs  le  danger 
qu'il  y  a  de  se  trop  bien  defendre ',  ne  courut  -  on 
que  le  risque  d'avoir  raison  devant  des  Adversaires 
qui  ne  le  pretendent  ni  ne  le  pardonnent  jamais  ?  Ne 
nous  brouillons  avec  personne^  Un  Auteur  doit  le 
plus  qu'il  peut  s'assurer  del'indulgence  de  tout  le  mon- 
de  J  un  Auteur  tel  que  moi ,  plus  qu'aucun  autre  i  & 
de  celle  de  ces  Messieurs ,  plus  que  de  celle  des  gens 
raisonnables  qui  n'en  manquent  jamais. 

I  Britannicus  ,  Ad.  2.  Sc.  I. 

1  Rhadamiste,  A(ft.  2.  Sc.  ll. 

3  Refutation  des  principes  de  M.  Rousseau  dc  Geneve j| 
page  zi,  , 


1  20 


=« 


STANCES 

En  tite  d'un  Exemplaire  prcsente 

a  LA  Reine  de  Suede  ^  en  1733. 

jO  I  g  ne  sang  du  grand  Roi  que  j'ai  peint  dans  mes  vers, 
Du  prix  de  ses  hauts  fairs  pacifique  heririere  , 
D'un  coup  d'oeil  obligeanr  qu'enviera  Tunivers  , 
Favorisez  Tessor  d'une  Muse  etrangere. 

II  nous  sufiir  souvenr ,  pour  nous  faire  un  grand  nom  , 
Du  seul  nom  des  Heros  que  nous  faisons  paroitre ; 
Si ,  de  les  bien  chanter  ,  je  n'ai  pas  I'heureux  don , 
J'ai  du  moins ,  comme  on  voir,  celui  de  m'y  cennoitrc. 

Virgile ,  Ovide ,  Horace ,  a  nos  derniers  Neveux 
Iront  a  plus  d'un  titre ,  &  d'un  titre  bien  juste  : 
Lc  talent ,  toutefois  ,  qui  fit  beaucoup  pour  eux  , 
Peut-etre  aura-t-il  fait  moins  que  le  nom  d'Auguste, 

GusTAVE  est  un  Heros ,  est  un  ^  nom  dont  I'appui 
Pent  aussi  me  transmettre  a  la  race  future. 
Grand  guerrier  ,  tendre  amant ,  fils  vertueux ,  en  lui 
Triomphent  la  valeur ,  I'amour  &  la  nature. 

Plus  d'un  prodige  encore  illustra  sa  maison. 
Charle  ,  Christine  ,  Adolphe  ,  a  I'envi  Font  omee. 
Les  retrouvant  en  vous  ,  I'Europe  avec  raison  , 
Admire  vos  vertus ,  sans  en  etrc  etonnee. 

iUlric  EleonoR:,  dc;nierePrinccsscduSangdcGustaYC. 
_  1  GusrAYE es:  lanaxrammc  d'AocosTE. 


STANCES,  111 

Tous  quatre  ,  a  la  Suede ,  ont  coiite  bien  des  pleurs. 
Mais  vos  prosperites  finiront  leur  histoire  : 
Et  sans  avoir  cu  part  jamais  a  leurs  malheurs , 
Vous  n'aurez  partage  que  leur  trone  &  leur  gloirc. 

Tout  vous  en  est  garant :  les  droits  de  vos  ayeux , 
L'amour  de  vos  sujets ,  les  voeux  du  nord ,  les  notresj 
L'heureuse  etoile  enfin  du  Prince  aime  des  cieux  , 
Dont  les  nobles  destins  se  sont  unis  aux  votres. 


p    '%■-  'j^  V 


PERSONNAGES. 

GUST  AVE  ,  Prince  du  Sangdes  Rois  de  Suede. 
ADELAIDE,  Princesse  de  Suede. 
CHRISTIERNE,  Roi  de  Dannemarck  &  de  Korvege. 
FREDERICj  Prince  de  Dannemarck, 
LEONOR,  Mere  de  Gustave. 
C  A  S  I  M  I  R ,  Seigneur  Suedois. 
RODOLPHE,  Confident  de  Christierne. 
SOPHIE,  Confidente  d'Adcidide  &  de  Lebnor. 
GARDES. 


La  Scene  est  a  Stockolm  j  dans  Vancien  Palais  des 
Rois  de  Suede. 


GUSTAVE-WASA^ 

T  RA  C  t  D  I  E, 


ACTE  PREMIER. 

SCENE    PREMIERE. 
CHRISTIERNE/RODOLPHE. 

ChrI  S  T  I  E  RNE, 


.ODOLPHEjqud  rapport  viens-  tufliire  a  ton  Roi? 
De  Christierne  absent  _,  revere-t-on  la  loi  ? 
Ettandis  que  Stockolm  exige  ma  presence  , 
Le  Dannemarck  en  paix  soufire-t-il  la  regencc  ? 
La  Reine.... 

R  o  D  o  L  p  H  E. 

Elle  n'est  plus ,  Seigneur ;  &•  cette  more 
Peut-etre  enleve  un  sceptre  au  Monarque  du  Nord. 
Du  Senat  mecontent  rautorirc  jalouse 
Ne  ployoit  qu'a  regret  sous  votre  augnste  epouse ; 
A  peine  a-t-il  en  main  le  timon  dc  1  ctat , 
Que  le  peuple ,  sous  lui ,  respire  I'attentat  \ 
Traite  d'invasion  ,  de  puissance  nsnrpee  , 
Ce  qu'ici  vous  tenez  dc  Rome  &:  dc Icpec  ;  • 


124  GUSTAVE^yrASA  ^ 

Et  s'erigcant  en  juge  entrc  Stockolm  &  vons , 

Pretend  borner  vos  droits ,  ou  vous  les  ravir  tous. 

Christierne. 

Gustave  est  mort.  Sa  chute  &  decide  &:  prononcc. 
C'est  une  autre  nouvelle ,  ami ,  que  je  t'annoncc  i 
Nouvelle  dont  le  bruit ,  effrayant  Ics  Mutins , 
Dissipera  bientot  I'orage  que  tu  crains. 
Jusqu'ici ,  dans  le  cours  d'une  guerre  inconstantc, 
Du  malheureux  Stenon  la  depouille  flottantc 
Divisa  la  Suede ,  &"  retint  suspendu , 
Entre  Gustave  &  moi ,  Thommage  qui  m'est  du. 
Fatigue  des  complots  de  cc  rival  habile , 
Je  mis  sa  tete  a  prix :  il  n'a  plus  eu  d'asyle ; 
Chacun  se  disputoit  I'honneur  de  I'immoler ; 
Et  son  hcurcux  vainqueur  demande  a  me  parler. 
Je  crains  peu  les  effets ,  ayant  detruit  la  cause ; 
Et  le  chef  abattu ,  le  reste  est  peu  de  chose.  \ 

Laissons  done ,  pour  un  temps  ces  soins  ambitieux; 
Et  que  je  m'ouvre  ici  tout  entier  a  tes  yeux. 
Tu  m'annonces  le  sort  d'une  epouse  importune 
Dont  I'epoux,  des  long- temps,  meditoit  Tin  fortune: 
Oui ,  la  mort  la  frappant  de  scs  traits  imprevus , 
Rompt  des  noeuds  que  bientot  le  divorce  eiit  rompus. 

RODOLPHE. 

Quellesraisons,  Seigneur,  I'avoient  done  condamnee  ? 

Christierne- 
Le  pjrojet  resolu  d'un  nouvel  Hymenee , 


tRAGEDIE.  115 

Les  transports  d'un  amour  vainemcnt  combattu  ,  ' 
Et  d'autant  plus  ardent ,  que  toujours  il  s'est  tu.       » 

RODOLPHE. 

Tout  le  monde  en  efFet ,  Seigneur,  en  est  encore 
A  connoitre  I'objet  que  votre  flamme  honore. 

Christierne. 

Que  ta  surprise  augmente  en  apprenant  son  nomj 
Adelaide. 

RODOLPHE. 

EUc! 

Christierne. 

Oui:  la  fille  de  Stenon, 
Heritiere  du  trone  ,  attachee  a  Gustave ,  .,„,.,,.  ^  , 
Promise  a  Frederic ,  detenue  en  esclavc  , 
Reste  unique  &"  plaintif  d'un  sang  que  j'ai  verse  j 
Voila  d  ou  part ,  ami ,  le  trait  qui  m'a  perce. 

R  o  D  o  L  p  H  e. 

Si  sa  possession  ,  Seigneur ,  vous  est  si  chere , 
Pourquoi  permettre  done  que  Frederic  espere? 

Christierne. 

Helas !  Souvent ,  ainsi  nous-memes ,  contre  nous , 
Du  sort  qui  nous  poursuit,  nous  preparons  les  coups  , 
Juste  punition  de  la  facon  barbare,  '-/yV.  ■ 

Dont  ma  rage  accueillit  une  beaute  si  rare ! 
jfecoute  •,  &  plains  un  coeur  qui  n'a  pu  s'attendrir , 
Qu'apres  avoir  tout  fait ,  pour  n'oser  plus  s'offrir. 


ixS  GUSTAFE-JTJS  A, 

Par  un  dernier  assaut ,  cette  ville  emportee 
Couvroit  de  sqs  debris  k  mer  ensanglantee  j 
La  vengeance  y  faisoit  eclater  sa  fureur  j 
Et  le  droit  de  la  guerre  y  repandoit  Thorreur. 
Ce  Palais  rcnfermant  de  nombreuses  cohortcs, 
Nousy courons.  La  hache  en  fait  tomberles  portcs ; 
J'entre,  on  fuit  de  vant  nous,  le  sang  coule,  &:  nos  cris 
Font  voler  la  terreur ,  sous  ces  vastes  lambris. 
Mouranteentrelesbras  dune  femme eperduc, 
Adelaide  alors  fut  ofFertc  a  ma  vue. 
Sa  paleur  ,  a  mon  oeil  de  colere  enflarnme , 
Deroba  mille  appas  qui  m'auroient  desarme. 
Dun  mortel  ennemi,  je  ne  vis  que  la  fille , 
Que  le  reste  d'un  sang  funeste  a  ma  famille. 
Les  armes  de  son  pere  ont  fait  perir  mon  fils ; 
Et  cette  image  alors  fut  tout  ce  que  je  vis. 
De  peur  de  trahir  meme  un  courroux  legitime, 
Je  detournois  les  yeux  de  dessus  la  vidime , 
Et  ce  courroux  ainsi ,  libre  dans  son  essor , 
L'envoya  dans  la  tour ,  ou  je  la  tjens  encor. 
A  n'en  sortir  jamais ,  ellc  etoit  condamnee  j 
Mais  on  adore  ici  le  sang  dont  elle  est  net  j 
II  etoit  important  de  tout  pacifier  •, 
Et  ce  fut  a  ma  haine  a  se  sacrifier  j 
A  souflfrir  que  I'Hymen  unit  a  sa  personne , 
L'Heritier  presomptif  de  ma  triple  couronne. 
Frederic ,  avoue  de  rEtat  &  de  moi , 
Eut  done  ordre  d'aller  lui  presenter  sa  foi. 
11  y  fut  J  le  penchant  suivit  I'obcissanee  j 


T  RJ  G  E  D  I  E,  iiy 

Mais  quoiqu'il  eiit  pour  lui  rang ,  merite  &:  naissance , 

Qu'au  plus  dur  esclavage,  en  s'ofFrant ,  il  mit  fin  , 

Deux  ans  de  soins  n'ont  pu  faire  accepter  sa  main. 

Cent  fois,  las  dumepris  dont  on  payoit  ses  peines, 

D'un  mot,  j'aurois  tranche  ces  difficultes  vaines  j 

Si  le  Prince  alarmc ,  rejetant  ce  secours , 

N'eiit  heureusement  su  m'en  empecher  toujours. 

Enfin  je  m'accusaide  trop  de  complaisance  j 

Et  croyant  qu'a  mon  ordre,  il  manquoit  ma  presence, 

Je  vis  Adelaide.  Ah ,  Rodolphe  I  peins-toi 

Tout  ce  qu  a  la  beaute  de  seduisant  en  soi ! 

Toutce  qu  ontd'engageantla  jeunesse  &:  des  graces, 

Ou  la  tendre  langueur  fait  remarquer  ses  traces  ! 

Jamais,  de  deux  beaux  yeux ,  le  charme  en  un  moment 

N'a ,  sans  vouloir  agir ,  agi  si  puissamment ; 

Ni  jamais,  dansun  coeur,  I'amour  ne  prit  naissance, 

Avec  tant  d'ascendant ,  &  si  peu  d'esperance. 

De  quoi  pouvois-je  alors  en  eflfet  me  flatter  J 

Les  suites  d'un  divorce  etoient  a  redouter. 

Qu'eus-je  opere  d'aillcurs  sur  cette  ame  inflexible 

Que ,  de  loin ,  dominoit  un  rival  invincible  J 

Je  n'osai  done  parler  j  mon  feu  se  renferma  j 

Mais ,  sous  ce  feu  convert ,  le  depit  s*alluma.v'j.  j 

Du  fugitif  aime ,  craignant  Taudace  adive  , 

Je  resserrois  toujours  les  fers  de  ma  captive  j 

Enfin  pour  n'avoir  plus  ^  la  persecuter , 

Je  publiai  I'arret  qu'on  vient  d'cxecuter. 

Frederic  ici  done  est  le  seul  qui  me  gene. 

Qu  il  aille  a  Copenhague  y  remplacer  la  Reinc ; 


iiSJ  GUSTAFE-TTAS/l, 

Qii'il  parte  \  &:  que  llionnenr  d  un  si  brillant  emploi 
Serve  d'heureux  pretexte  a  I'eloigncr  de  moi. 

RODOLPHE. 

Frederic  est  encor  vertueux  &:  fidele ; 
Mais  il  est  adore  dans  le  parti  rebelle : 
Et  des  ecrits  publics  font  revivre  des  droits 
Que  Ton  pretend  qu'il  a  de  nous  donner  des  loix. 
Erreur  pernicieuse ,  ou  damnable  artifice 
Qui  travestit  le  crime  en  ade  de  justice , 
Du  maitre  &  des  sujets ,  rompt  le  sacre  lien , 
Et  fait ,  d'un  parricide  un  zele  citoyen. 
N'exposez  pas  le  Prince  au  danger  trop  visible 
D  oublier  ses  devoirs ,  en  trouvant  tout  possible  j 
Etsurtout  J  au  moment  qu'environne  d'amis , 
Son  amour  offease  se  croiroit  tout  permis. 
Laissez-le ,  s'occupant  de  sa  folle  tendresse  , 
Vainement  soupirer  aux  pieds  de  la  Princesse  i 
Cependant ,  sous  Ic  joug ,  ramenant  le  Danois  , 
Et  bicntot ,  pour  un  sceptre,  en  pouvant  offrir  trois, 
Satisfaites  ce  feu  dantvous  daignez  vousplaindre : 
Declarez-vous  en  Roi  qui  n'a  plus  rien  a  craindre : 
Et  vous  verrez  alors  qu'un  amant  couronne 
Devient ,  des  qu'il  lui  plait ,  un  epoux  fortune. 

Christierne. 

Des  soucis  devorans  ou  mon  coeur  se  consume , 
Je  sens  que  ta  presence  adoucit  I'amertume. 
Sur  tes  conseils ,  ami,  je  reglerai  mes  pas. 
Veille ,  ecoute  &cyQ^.  tout ,  ne  te  ralentis  pas.       : 

Perce 


T  RA  G  t  D  I  E.  119 

Perec  dc  cettc  Cour  Tobscurite  perfide. 
Sous  ta  garde  aujourd'hui  je  mets  Adelaide ; 
Fais-la ,  de  sa  prison,  passer  en  ce  Palais ; 
Mais ,  aupres  d'elleencor,  n'accorde  aucun  acces* 
Du  sort  de  son  amant,  gardons-nous  de  I'instruirc  i 
Chargeons-en  le  rival  a  qui  nous  voulons  nuirc. 
Vas ;  tache  seulement,  lui  peignant  ma  grandeur, 
Tache  a  la  disposer  a  ToflFre  de  mon  coeur. 


a 


SCENE     11. 

CHRISTIERNE. 

ES  faveursqueleCielm'annonce  &  me  prepare 
Un  si  fidele  ami  sans  doute  est  la  plus  rare. 
De  mes  exploits  en  vain  je  veux  gouter  le  fruit. 
La  fortune  me  cherche  ,  &  le  bonheur  me  fuit. 
Sous  le  superbe  dais  des  trones  que  Ton  vante , 
Siegent  les  noirssoupcons,  ^Taveugle  epouvantcj 
Un  sommeil  inquiet  en  suspend  les  travaux ; 
Et  le  trouble  m'y  suit ,  jusqu'au  sein  du  repos. 
Quoi !  Pour  objets  de  crainte,  on  de  guerre  eternelles  ^ 
Des  voisins  ennemis ,  ou  des  sujets  rebelles ! 
J'aidompte  les  premiers;  &:  les  autres,  cent  fois, 
D'un  chatiment  severe ,  ont  ressenti  le  poids. 
Deja ,  si  je  n'accours,  I'Hydre  est  prete  a  renaitre. 
Esclaves  revokes ,  tremblez  sous  votre  maitre  I 
Redoutez  un  courroux  trop  souvent  rallume  1 
Traitres ,  je  serai  craint ,  si  je  nc  suis  aime. 

Tom€  II,    i 


150  GUS  TAVE-yrJSA^ 


SCENE    III. 

CHRISTIERNE,  FRfeD^RIC,CASIMIR. 
Christieri5[e. 

3r  REDERiC ,  savez-vous  Ic  destin  de  la  Rcinc  ? 

F  R  £  D  E  R  I  c. 
Seigneur,  on  me  I'apprcnd :  &  le  devoir  m'amenc.M. 

Christierne. 
Vous  a-t-on  dit  aussi ,  qu'infidele  a  son  Roi , 
Mon  peuple  ose  ,  pour  vous ,  s'elever  centre  moi? 

Frederic. 
Ah  1  je  le  desavoue  I  &  jc  n'ambitionne.... 
Christierne. 

Prince,  on  ne  s'ouvre  guere  a  ceux  que  Ton  soupconnc. 

Qui  m'eut  ete  susped  sur  un  tel  intcret , 

Pour  route  confidence  ,  eut  recu  son  arret. 

Je  vous  connois  si  bien ,  que  mon  ordre  supreme , 

Du  soin  de  nous  venger  vous  eut  charge  vous  meme. 

Si  je  n'avois  pascraint,  pour  vous ,  Tctat  facheux 

D'un  amant  qu  on  arrache  a  Tobjet  de  ses  feux. 

Frederic. 

A  de  pareils  egards ,  je  dois  ctre  sensible ; 
Mais  cet  objet  aime ,  Seigneur ,  est,  inflexible  3 


TRAGEDIE.  i  5  i 

11  le  sera  toujours  •,  &  qudque  eloignement 
Seroit,pour  moi,  plutot  un  secours  qu'un  tcurment. 

Chkistierne. 
Le  desespoir  vous  tronipe :  &:  n'est  qu'une  foiblcsse 
Que  de  justcs  raisons  dcfcndent  qu'on  vous  laisse  j 
Et  je  veux..... 

Frederic. 

Vous  voulez  croitre  ce  desespoir, 
Seigneur ,  en  vous  armant  de  tout  votre  pouvoir. 
Ah !  laissez-moi  me  vaincre,  &:  soycz  moins  rigide  I 
Ne  persecutons  plus  la  triste  Adelaide ! 
Croyant  par  nion  Hymen ,  adoucir  scs  malheurs, 
Mes  assiduites  secondoient  vos  rigueurs  \ 
Mais  puisque  sa  Constance,  &  vous  &:  moi,  nous  bravej 
Puisque  le  ncrud  fatal  qui  Tattache  a  Gustave  , 
Est  serre  par  le  temps ,  loin  d'en  etre  affoibli  i 
Jc  ne  veux ,  &"  n'ai  plus  que  la  mort  ou  Toubli. 

Christierne. 
Espercz  mieux  d'un  bruit  que  la  crusUe  ignore. 

Frederic.    , 

Etquel  bruit?  "[  > 

Christierne. 

Ce  n'est  plus  qu'une  ombre  qu'ellc  adore. 

Frederic.         ,  ^ 

Qu'une  ombre  I  quoi  1  Gustave....      /^V        .   .,1 

Christierne.  k/T." 

Est  tombc  sous  les  coups 


i^^  GUS  TJ  rE-JTJSJj 

D'tine  sccrette  main  vendue  a  mon  courroux. 
Voila  pour  son  amante  une  triste  nouvelle  j 
Mais  c  est  une  raison  pour  tout  obtenir  d'ellc. 
L'interet  de  vos  feux  demandoit  ce  trepas. 
Informez-l'en ,  vous-meme ,  &  ne  m'accuscz  pas. 
D'un  glorieux  Hymen ,  lui  relevant  les  charmes , 
Achevez  d'epuiser  &  d'essuyer  ses  larmes. 
Du  reste vantezlui  vos  soins officieux , 
Je  leur  accorde  enfin  son  retour  en  ces  lieux : 
Elle  y  peut  revenir.  Mais ,  plus  de  resistance. 
Sachez  faire  cesser  sa  desobeissance , 
Lui  faire  respeder  mes  ordres  absolus : 
Ou  le  maitre  offense  ne  vous  consuke  plus. 


S  C'S  N  E    IV. 
FRtDfeRIC,  CASIMIR. 

C  A  S  I  M  I  R. 

JxioN  AME,  des  long-temps,  Seigneur,  vous  est  connue: 
Souffrez  qu'en  liberte  je  pleure  a  votre  vue , 
Les  malheurs  de  Gustave ,  &■  c6ux  de  mon  pays. 

Frederic. 
Les  interetsdu  mien  ne  sont  pas  moins  trahis. 
JRepandons,  Casimir,  Tun  &  I'autre  des  larmes; 
Toi ,  sur  ton  Prince  i  &  moi  j  sur  la  hontc  des  armc  J 
Dont  nous  venonsd'abattrc  un  ennemi  si  grand. 


"^^  RA  G  t  DIE.  i^Y 

Christierne  triomphe  en  nous  deshonorant ! 
L'Inhumain !  &:  je  suis  son  sujetl  lui ,  mon  maitrc !  ^ 
Ah!  laissant  lales  droits dii  sang  qui  m'a  fait  naitrc^-^ 
C'cst  un  cri  qui  du  del  doitetre  autorisey'  -■■    >' 
Tout  sceptre  que  Ton  souille ,  est  un  sceptre  brise  !^ 

casimir.  ::^:^ 

L'infortune  publique ,  &  ce  noble  langagc  ■  3n  A 
Montrent  bien  que  le  trone  etoit  votre  partag^  --'  ^ 
Helas ,  que  plus  d'ardeur  en  vous  pour  ce  haut  rang 
Nous  eiit  bienepargne  des  regrets  &:  du  sang  i  -  -' 
Faut'il  que  la  vertu  modestc  &:  magnanime  y^^^ 
Neglige  ainsi  ses  droits ,  pour  en  armer  le  crime ! 

Frederic. 

Donne  a  mon  indolence ,  Ami ,  des  noms  moins  beaux. 
Je  n'eus  d'autres  vertus  que  I'amour  du  repos.    ., 
Je  ne  meprisai  point  les  droits  de  ma  naissancc : 
J'evitaile  fardeaudela  toute- puissance, 
Je  cedai  sans  effort  des  honneurs  dangereux , 
Etle  penible  soin  de  rendre  un  peuplc  heureux.    > 
D'un  noble  devouement  je  ne  fus  pas  capable. 
Des  forfaits  du  Tyran ,  ma  mollesse  est  coupable ; 
Et  pour  mieux  me  charger  de  tous  ceux  qu'il  commet, 
Le  cruel  m'associe  au  comble  qu'il  y  meti'^P  •^^''^'•\ 
Par  un  assassinat  qui  tient  lieu  de  vidoire , 
C'est  peu  que  de  son  peuple  il  ait  terni  la  gloirc  i 
C'est  peu  de  publier  qu'a  cette  cmaute ,        "   :  "^'t 
De  mcs  feux  malheureuxrinteret  I'a  porte :  ' 

liij 


1.54  GUSTA  F  E-  WJSJ^ 

Pour  achevcr  ma  hontc ,  &:  consommer  son  crime ,> 

11  vent  que  ce  soit  moi  qui  frappe  la  vidime  1     :  j 

Que ,  de  moi ,  la  Princesse  apprenne  son  malheur! 

Qu'en  lui  tendant  la  main  ,  je  lui  perce  le  coeur  ^'*) 

Evitons-la.  Fuyons.  Prevenons  ma  foiblesse. 

Son  amour  inquiet  m'interroge  sans  cesse , 

Et  sans  ccssc ,  a  regret ,  le  mien  se  voit  reduit 

A  ne  lui  pas  orer  I'espoir  qui  la  seduit :  j 

Lui  laisserai-je  encor  cet  espoir  inutile  ? 

Et  quandje  le  voudrois  ,serois-je  assez  tranquillc? 

Un  scul  mot,  un  regard,  un  soupir....  Je  la  voi. 

Retiens ,  cher  Casimir ,  tes  pleurs  •,  ou  laisse-moi. 


S  C  E  N  E     V. 

FRJEDfeRICADELA'fDE,  LEONOR. 
Adelaide. 

&EioURo\i  commandoitrAuteurde  ma  naissance, 
Lieux  temoins  du  bonheur  de  ma  paisible  enfance, 
Palais  de  mes  ayeux  j  oii  leur  sang  est  proscrit , 
Helas !  que  votre  aspcdt  mc  frappe  &  m'attendrit ! ; 

Fred  eric  ^  pan.  ^ 

Pourquoi  nc  pas  avoir  evite  sa  presence  ? 

Mon  trouble  a  cbaquc  instant  pcut  trahir  mon  silence. 


T  RA  G  t  D  I  E.  155 

Adelaide. 

Un  bonbcur  apparent  cause  un  nouvel  efiroi , 
Seigneur,  a  qui  subitles  cruautes  du  Roi. 
A  la  clartc  du  jour  il  veut  bien  que  je  vive. 
Avec  quelque  douceur  il  parle  a  sa  Captive. 
Ce  changcment  qui  rient  en  suspens  mes  esprits , 
De  ma  soumission  devoir  etre  le  prixj 
Vous  I'etes-vous  promise?  Auriez-vous  laisse  croirc 
Que  je  songe  a  trahir  &"  Gustave  &  ma  gloire  \ 

%  Frederic. 

Non,  Madame.  Vous-meme  a  vez- vous  un  moment 
Accuse  mon  amour  d'un  tel  egarement? 
Non:  sincere  &:  soumis  j'ai  sur  votre  Constance, 
Ainsi  que  mes  discours  regie  mon  esperance. 
Frederic  qui  vous  aime,  &"  que  vous  avez  craint, 
N'aspirc  qu'^a  I'exili  &:  ne  veut  qu'etre  plaint. 

Adelaide.  £>•%&?.  \1 

litre  plaint!  Ah,  Seigneur!  Ledestinquim'outrage 
Ne  permet  qu'a  moi  seule  un  si  triste  langage. 
Vous  aimez ,  dites-vous  j  voila  tous  vos  malheurs. 
Mais  n'est-ce  que  I'amour  qui  fait  couler  mes  pleurs? 

Frederic. 

Madame ,  Ton  ressent ,  quand  I'amour  est  extreme, 
Avec  ses  proprcs  jnaux ,  ceux  de  I'objetqu'on  aime ; 
Souffrant  done  a  la  fois ,  ma  peine  &  vos  ennuis  , 
Nul  ici  n'est  a  plauidre  autant  que  je  le  suis.        - 

I  iv 


13^  GUS  TA  FE'TTAS  A, 

Adelaide. 
Vous  avez ,  je  le  sais ,  partage  mes  alarmes. 
La  prison  d'ou  je  sors  vous  a  coute  des  larmes ; 
Et  votre  appui  sans  doute  en  eclaircit  I'horreur. 
J'ai  pii  craindre  un  moment  qu'a  mon  Perseciiteur, 
De  la  meme  pitie  I'adresse  temeraire 
Ne  m'eutpeinteincertainc&rprcte  a  lui  complaire. 
Grace  au  Ciel ,  elle  a  su  plus  noblement  agir, 
Et  je  puis  en  gouter  les  efFets  sans  rougir. 
Soyez  sur  a  jamais  dc  ma  reconnoissance. 
Que  le  don  de  mon  coeur  n'est-il  en  ma  puissance ! 
Mais  vous  savez,  Seigneur,  si  j'en  puis  disposer. 
Ce  n'est  plus  un  tribut  qu  on  me  doive  imposer. 
Lassez-vous  d  un  recit  qui  tou jours  vous  afflige, 
Et  que  de  moi  pourtant  sans  cesse  Ton  cxige. 
Je  dois  etre  a  Gustave :  il  en  a  pour  garant , 
La  volonte  d  un  Perc,  &:  d'un  Pcre  expirant. 
^a  mie  J  me  dit-il,  comptons  sur  sa  vaillances 
II  sera  mon  vengeur  j  soye:^  sa  recompense. 
Cetordre ,  mes  sermens,  mon  amour,  sa  valeur, 
Voila,  ses  droits :  j'en  compte  encore  un  :  son  mallieur. 
La  fuitc  ou  le  condamne  un  pouvoir  tyrannique  j 
Exil  ou  mon  image  est  sa  ressource  unique  ! 
Cela  seul  en  mon  coeur  a  droit  de  le  graver: 
Et  le  votre  est  trop  grand  pour  ne  pas  m'approuver. 
Si  la  Fortune  aussi  pour  nous  moins  inhumaine. 
Si  la  Vidoire  un  jour  en  ces  lieux  le  ramene, 
De  ce  Heros  instruit  de  vos  bontcs  pour  moi , 
L'estime  &  I'amitie  paieront  ce  que  je  doi. 


T  KA  G  t  D  I  E,  I  3f 

J'esperc  tout  encor.  Seigneur,  puisqu*il  respire : 
Et  c'est  vous  tous  les  jours  qui  mc  le  daignez  dirc» 
II  m'aime :  il  saura  vaincre ;  il  brisera  mes  fcrs. 
Les  Tyrans  sont-ils  seuls  a  Tabri  des  revers  \ 
\.^^  notres  finiront. 

Frederick  part, 

Malheureuse  Princessc ! 
Adelaide. 
Vous  vous  troublez !  Quelle  est  la  douleur  qui  vous  prcssc? 

Frederic. 
Vous  connoissez  le  Roi ,  Madame  \  $c  vous  savez...« 

Adelaide. 

Je  sais  que  Ic  Barbare  ose  tout.  Achevez.  '■ 

Frederic. 

'.oUiti^KVf:^  lioNOR.  . 

Va-t-il  sur  nous  fondre  un  nouvel  oragc? 
^j,Q    Frederic. 

Leonor ,  sout^ez  aujourd'hui  son  courage. 
Adieu.  ,    ,  .  ^ 

{II sort.)      '  '^  "  ' 

L  E  O  N  O  R  /<r  suivant, 
Qu'annonce  enfin  ce  douloureux  transport  ? 
Adelaide. 
Ah !  mon  coeur  a  fremi ,  Seigneur !  Gustavccstmortl 


ijg  GUSTAFE'JTASA:, 


S  C  E  N  E    V  I. 

ADELAIDE,  LfeONOR,  j 

A  D  E  L  A  Y  D  E. 


jt%L Ce comble  de  maiix  vous  m'aviez  rcscrvee, 
Madame ,  &  par  vos  soins  je  m'y  vois  arrivec  I 
Non,  ce  coeur  dcchire  ne  vouspardonnc  pas  I 
Pourqnoi ,  mille  fois  prete  a  mourir  dans  vos  bras , 
Le  jour  ou  dans  les  fcrs  par  vous  je  fus  suivic , 
Pourquoi  m'avoir  rendue  aux  horreurs  de  la  vie  ? 
Mes  yeux,  mes  tristes  yeux  qu  a  regret  je  r'ouvris,t 
N'auroicnt  pas  maintenant  a  pleurer  votre  Fils.  -^l 

L  E  O  N  O  R. 

Montrons ,  montrons ,  Madame ,  uneame  plus  virile : 
Est-ce  a  vous  a  pleurer  quand  sa  Mere  Qst  tranquille  ? 

A  D  E  L  A  i  D  E. 

Calme  denature  qui  ne  sert  en  ce  jour 

Qu'a  prouver  que  le  sang  est  moins  fort  qneramour. 

L  E  o  N  o  R. 

II  prouve  qu'a  mon  age  un  pcu  d*expcrience 
Condamnc  cntre  ennemis  I'exccs  de  confiancc. 
Un  Fils  m'est  aussi  cher  que  vous  Test  un  Amant ; 
Et  je  ne  voudrois  pas  lui  survivre  un  moment. 
Mais  n  est-cc  pas,  Madame,  ctre  aussi  trop  credule  > 


T  R  J  G  ^  n  I  E.  159 

De  nous  tromper  ici ,  se  fait-on  un  scrupulc  ?         :. 
On  vcut  vous  dcgager  de  vos  premiers  sermens,  "^ 

Adelaide. 

Ab !  Ic  Prince  eut  toiijours  de  nobles  scntimcns ! 
Frederic  est  sincere. 

L  E  o  N  o  R. 
."L'otsi  c.i         Q^^j .  nf^aij^  Madame, il  aime/ 
Cbristiei-ne  cf'ailleurs  peutrabiiser  lui-meme: 
Celui-ci ,  sur  un  bruit  qui  flatte  sa  fureur , 
Tout  le  premier  peut-etre  est  aussi  dans  I'erreur. 
Se  plaisant  an  recit  d'evenemens  semblables , 
Lc  Pcuplea,de  tout  temps,  donnecours  a  des  fables. 
Guitave  ( sans  chercher  d'exemples  au-dehors ) 
Sur  cemauvaisgarant,  mecompte  au  rang  des  morts. 
Dans  lc  sanglant  desastrc  ou  je  perdis  son  Pere  , 
L'opinion  publique  enveloppant  saMcre, 
Sans  doute  quand  le  bruit  en  parvint  jusqu'a  lui , 
Je  lui  coutai  les  pleurs  qu'il  vous  coute  aujourd'hui. 
Comme  moi ,  sous  un  nom  qui  le  fait  meconnoltre , 
Peut-etre  il  vit  ?  que  dis  je  ?  II  triomphe  peut-etre  I 
Pour  un  heureux  augure  acceptons  mon  espoir. 
C'est  un  coeur  maternel  qui  tarde  a  s'emouvoir. 
Enfin ,  Madame ,  enfin  si  le  vouloir  celeste , 
Par  un  songe  aux  Mortels  souvent  se  maniteste  , 
Le  bras,  le  bras  vengeur  est  levc  sur  ces  lieux. 
Deux  fois  le  Ciel,  deux  fois  cette  nuit  a  mes  ycux, 
Ce  Ciel  au  chatiment  trop  lent  a  se  rcsoudre , 
A  prcsente  Gustave  ayant  en  main  la  foudrc. 


*4o^         GUSTJ  VE-ITASA^ 
De  la  pourpre  royale  il  etoit  revetii :  ^ 

Tandis  que ,  sous  ses  pieds ,  Christierne  abattn  ,^ 
Cachant  dans  la  poussierc  un  front  sans  diademe , 
Restoit  dans  cet  opprobre,  en  horreur  aux  siens  memc. 
Est-ce  nous  annoncer  moh  fils  prive  du  jour? 

Adelaide. 

Eh  biendonc !  de  Sophie  attendons  le  retour. 
Sophie ,  a  sqs  parens ,  pour  un  moment  renduc  y  ^3 
Saura  d'eux  la  nouvelle ,  &:  qui  l*a  repandue. 
Vous  aurez,  jusques-la ,  suspendu  mes  tourmens. 
Puisse  Teflxit  repondre  a  vos  pressentimens  I         ^^ 

Fin  du  premier  Jcie, 


:1 


,*-- - 1  — 


T  RA  G  i  D  I  £. 


141 


A   C   T   E       11. 


SCfiNE    PREMIER  E, 

C  A  S  I  M  I  R. 

JhiEROS  de  la  patrie ,  ombre  auguste  &:  plaintiyc. 
Prince ,  a  qui  les  destins  veulent  que  je  survive  j 
Si  je  Icur  obeis ,  si  ma  douleur  se  tait , 
C'est  dans  I'espoir  vengeur  dont  mon  coeur  se  rcpaiC 
Ici  bientot ,  ici ,  ton  bourreau  mercenaire 
Doit  venir ,  de  ton  sang ,  demander  le  salaire ; 
Ce  fer  le  lii»  reserve ;  il  mourra!  fut-ce  aux  ycux 
Du  cruel  abreuve  dun  sang  si  precieux , 
Lui-mcme  eut  satisfait  le  premier  a  tes  manes. 
Mais  le  juge  des  Rois ,  le  ciel,  aux  mains  profanes, 
Dans  leur  sang,  quel  qull  soit, defend  de  se  trcmpcr^ 
Et  le  tonnerre  seul  a  droit  de  Ics  frapper, 
Soufiredonc 


;nr. 


C<3i^ 


SCENE    II. 
FREDERIC,  CASIMIR. 

C  A  S  I  M  I  R. 

i\.H !  Seigneur!  ou courez-vous?  D'ou  naissciit 
Les  transports  &:  le  trouble  oii  tout  vos  sens  paroissent  ? 
Fuycz-vous  un  sejour  ou  I'avcugle  fureur..^ 

Frederic. 

Ah!  je  me  fuis  moi-meme ,  &  je  me  fais  horrcur ! 
Casimir ,  e'en  est  fait !  j'ai  part  au  parricide. 
J'ai ,  du  sort  de  Gustave ,  instruit  AdcIa'ide^  '' 

Je  n'ai  pu  surmontcr  la  pitic  qu'inspircHt . 
Une  esperance  vaine  ou  son  coeur  s'cgaroit. 
Mes  pleurs  I'ont  detrompeei  &:  j'en  porte  la  peinc# 
Son  malheur,  conrre  moi,  va  redoubler  sa  haine. 
Annoncer  ce  malheur,  I'avoir  moi-meme  ose  , 
C'est  m  etre  mis  au  rang  de  ceux  qui  Tont  cause. 
Ma  douleur ,  a  ses  ycux  ,  peut-ellc  ctre  sincere  ? 
Ellc  craint  mon  amour  •,  elle  croit  que  j'espere ; 
Qu'un  triomphe  secret  renferme  dans  mon  sein  , 
Les  laches  sentimens  d'un  rival  inhumain  j 
Je  ne  la  blame  pas :  d'ennemis  entouree  , 
Sur  quelle  foi  veut-on  qu'elle  soit  rassuree  ? 
11  nest ,  pour  elle  ici ,  qu'injure  ou  faux  respedt  j 
Ricn  qui  ne  lui  doive  ctre  odicux  ou  suspcd. 


TRAGEDIE.  145 

Jc  nc  m*en  prends  qu'aux  soins  dii  tyran  qui  Taccablc. 
Plusilveut  mon  bonheur,plusil  me  rend  coupablc. 
A  sa  honte ,  a  la  mienne ,  il  veut  etre  obei  j 
Et  s'il  mc  servoit  moiiis,  je  serois  moins  hai. 

C  A  s  I  M  I  R. 

Courez  done  Tarrachcr  d'aupres  de  la  Princesse  , 
Que  sans  doute,pour  vous,  en  ce  moment  ilpresse. 

Frederic. 

Eh!  c'est  la  le  sujct  de  mon  emportement  I 
Je  courois  la  rejoindre  a  son  appartement , 
Epancher  a  ses  pieds  &  mon  coeur  &■  mcs  larmcs, 
Jurer  de  ne  jamais  attenter  a  ses  charmes , 
Et  la-dessus  du  moins  la  laisser  sans  effroi. 
Christierne  venoit  de  s'y  rendre  avant  moi-, 
Et  quand  je  veux  I'y  suivre,  on  m'cn  defend  I'entree, 
De  douleur ,  de  depit,  je  me  sens  Tame  outree ! 
C'est  trop  mettre  a  Tcpreuve  un  Prince  au  dcsespoir. 
Qui ,  hors  de  I'equite,  meconnoit  tout  pouvoir : 
Qui  pent  briser  un  joug  qu'il  s'imposa  lui-meme. 
Je  ne  reponds  de  rien  ,  blessc  dans  ce  que  j'aime. 
Tant  de  mechancetes ,  d'injustices ,  de  sang, 
Ne  rappellent  que  trop  Frederic  a  son  rang. 

C  A  s  I  M  I  R, 

Remontcz-y  ,  Seigneur.  Abattcz  qui  vous  brave. 
Attaquez-le  en  un  temps ,  ou  Ic  sang  de  Gustavc  , 
Ou  le  sang  indigne  de  tant  d'autres  proscrits , 
Aux  lieuxd'ou  part  lafoudrc,  a  fiit  monter  ses  cris. 


Vos  amies,  dans  Ic  cours  d'une  si  juste  guerre , 
Auront  Tappui  du  del ,  &  les  voeux  de  la  terre. 
Que  dis-je  J  Le  Tyran  n  est-il  pas  depose  ? 
Le  peuple  &:  le  Senat,  pour  vous,  ont  tout  osc. 
La  clameur  vous  couronne  ;  &  la  flotte  informec, 
Deja ,  du  meme  zele  ,  est  sans  doute  animee. 
jfeclatez:  la  vidoire  est  sure,  &  n'est  pas  loin. 
Mais  n'en  attendez  plus  Casimir  pour  temoin. 
Je  le  fus  trop  long-temps  des  maux  de  ma  patric. 
Je  vais  de  Christierne  affronter  la  furie. 
Meure  le  scelcrat  dont  le  bras  I'a  servi  1 
Et  que  le  jour ,  apres ,  s'il  veut ,  me  soit  ravi  \ 
Trop  content,  si  jc  suis  la  derniere  vidime 
D'un  pouvoir  si  funeste  &  si  peu  legitime  ! 

Frederic. 
Adieu ,  le  meurtrier  s'avance  vers  ces  lieux ; 
Et  j'evite  un  aspect  qui  me  blesse  les  yeux. 


SCENE     III. 

GUSTAVE,  CASIMIR. 

Casimir  a  pan  ^  voyant  Gustave  qui  detourne  la 
vue  a  sa  rencontre  j  &  semble  vouloir  I'eviter, 

Uevrois-ie  ,  d'un  defi ,  favoriser  le  traitrc? 

(  Uauty  &  dram  l*e'pee  ) 
Monstre  souille  du  sang  de  monaugustc  Maitrc, 

ivite , 


T  RA  C  i  D  t  E.  145 

Evitc ,  si  tu  peux ,  le  peril  que  tu  cours ! 

Je  nc  t'imite  point ,  lache  1  defends  tes  jours ! 

GUSTAVEjc  decouvrant  &  allant  alii^  -  u 

Arrete.  Ouvre  les  ycux,  Casimir:  envisage     '  '  ' 
L'ennemi  qui  t'aborde ,  &:  que  ton  zele  outrage. 
Cetaccueil,  pour  Gustave,  est  un  accueil  bien  doux. 

C  A  S  t  M  1  R  se  jetant  k  ses  pieds»  ^ 

Que  vois-je  ?  Quel  prodige !  Ah !  Seigneur,  est-cc  vous  ? 
Vous ,  de  qui  la  Suede  a  pleure  la  disgrace  1 

Gustave. 

Parlons  bas.  Leve-toi ,  Casimir ,  &  m'embrasse. 
Je  saurai  dignement  recompenser  ta  foi.        '.  '  '^ 

Casimir.  ' 

Moi-meme ,  dans  vos  bras ,  a  peine  je  ni'en  croi.p 
Ma  surprise  est  egale  a  ma  frayeur  extreme. 
Vous ,  vivant  1  voits ,  ici !  vous ,  dans  le  palais  m^mc 
D'un  barbare  qui  va  partout ,. I'or  a  la  main,o  uT 
Mendier  contre  vous  le  fer  d'un  assassin! 

.:   'd  r.>02;»iji3li-;    G  U  S  T  A  V  E»  ..q^q 

Je  connois  Christierne ,  &:  sais  ou  jc  m'cxposc : 
Sois  tranquille.  J'espere  encor  plus  que  je  n'osp.  : 
Envain  la.barbarie  habite  ce  sejour , 
Cher  ami ,  si ,  pour  moi ,  j'y  rctrouve  Tamour. 
Plus  avant  que  jamais,  rentre  en  ma  confidence. 
Mais  se  peut-on  parler  ici  sans  imprudence  ? 

Tome  IL      K 


t4(J         GVSTAFE-  ITj^SJj 

C  A  S  I  M  I  R. 

Cet  endroit  du  palais  est  Ic  plus  assure. 

De  tous  ses  courtisans,  Christierne  cntoure 

Ne  revient  pas  sitot  d'avec  Adelaide. 

G  U  S  -T  A  V  E. 

Avantr  tout  autre  sornVtassure  tin  feu  timidc 
Qui ,  d?  dix  ans  d'absence ,  a  lieu  d'etre  alarmc. 
Le  iidele  Gustave  est-il  encore  aime  ? 

Casimir. 

Osc-t-il  soupconner  la  foi  de  la  Princesse  ? 

Gustave. 

Sur  le  bruit  de  ma  niort ,  libre  de  sa  promesse  ,   ■ 
N'eut-elle  pas  laisse  disposer  de  sa  main  ? 

Ca  si  MIR. 

Tel  qui  s'en  flatte  ici  ^^'cn  flatte  bien  en  vain. 

itt6:ii-^hr        r:^  ^  S  T  A  V  E.  : 

Tu  crois  quesa  Constance  eut  honore  ma  cendre? 

Casimir. 
Dans  la  tombc,  avdc  tous,  elle  est  prete  a  descendrc. 

G  ¥  ST  A  V  Ei'vr;  )  ^ 

Jc  nc  connois  done  plus  ni  crainte ,  m  danger ,    ' 
Ami  i  Stockolm  est  libre ,  &:  je  vais  vous  venger.' 

Casimir. 
Et  quelle  trame  heureusc  a  done  ete  tissue  ? 
J'ignore  Tentreprise ,  au  moment  de  Tissue  t 


t  k  A  G  i  D  t  E.  147 

Ibt  Vos  secrets ,  Seigneur ,  )  etois  moi  scul  exclus , 
Ex.  de  votre  amitie ,  vous  ne  m'honoriez  plus  ? 

G  U  S  T  A  V  E. 

En  entrant  ( tu  Tas  vu )  sur  un  bruit  qui  t'offense , 
J'evitois ,  je  I'avoue,  &  craignois  ta  presence. 
Christierne,  dit-on ,  est  devenu  ton  Roi , 
I'appellc  a  ses  conseils ,  &  ne s'ouvre  qu*a  toi. 

C  A  s  i  M  I  R. 

A  tous  beaux  sentimens  une  ancie  inaccessible , 
"  D'aucune  con  fiance  est-elle  susceptible  ? 
Non,  Seigneur,  nonj  le  traitre,au  crime  abandoiine, 
Se  croit,  de  s^s  pareils ,  toujours  environne; 
Et  s'il  me  distingua  ,  ce  ne  fut  qu'un  caprice 
Qui  fut  une  faveur  pour  moi,  moins  qu'un  supplied* 
J'en  soutenois  I'afiront :  mais  le  motif  est  beau. 
Vos  amis ,  sans  cela ,  seroient  tous  au  tombeau. 
Je  flattois  sans  rougir ,  une  injuste  puissance 
Qui  souvent ,  a  ma  voix ,  epargna  I'innocencc  ; 
Et  vous  devez ,  Seigneur,  a  ce  zele ,  a  ma  foi , 
Ceux  que  vous  avez  cru  plus  fideles  que  moi. 

G  u  s  T  A  V  E. 

Pardonnci  &  desormais ,  n'ayons  Tame  occupce^ 
Que  du  plaisir  de  voir  route  erreur  dissipee. 
Je  te  rctrouve  stable  &  ferme  en  ton  devoir  ; 
Tu  me  revois  vivant ,  &  plein  d'un  bel  espoir. 
Dans  le  piege  mortel ,  je  tiens  enfin  ma  proie. 
Concois-tu ,  Casimir,  mon  audacc  &  ma  joie  ? 

Ki; 


148        GUS  TAFE-JTAS Ay 

Pour  re  les  peindre ,  songe  aiix  horreurs  dii  passe , 
A  tant  d'exces  commis ,  a  tant  de  sang  verse  i 
Rappelons  nous  id  ma  premiere  inforcune ; 
Image  a  des  vengeurs  pins  douce  qu'importunc  I 
A  la  Cour  da  tyran  ,  Gustave  Ambassadeur  ,        ^ 
Et  d'un  sang  dont  I'on  dut  rcverer  la  splendeur , 
jfeprouve  dQS  cachots  la  rigueur  &  Tinjurc. 
Je  languis  dans  les  fers  -,  tandis  que  le  parjure 
En  vient  charger  ici  des  peuples  eperdus 
Qu'il  craignoit  que  mon  bras  n'eiit  trop  bien  defendus. 
fechappe,  mais  trop  tard  ,  &  fuyant  nos  frontieres  , 
Depuis  cinq  ans  en  proie  aux  armes  etrangeres ,  , 
Je  passai  sous  un  ciel  encor  plus  ennemi , 
Ou  le  soleil  n  ecliaufFe  &  ne  luit  qu'a  demi , 
Tombeau  de  la  nature  ,  effroyables  rivages  " 

Que  Tours  dispute  encore  a  des  hommcs  sauvages , 
Asyle  inhabitable ,  &  tcl  qu'en  ces  deserts , 
Tout  autre  fugitif  eiit  regrcte  scs  fers. 
Sans  amis ,  sans  patrie ,  ignore  sur  la  terrc , 
C'est-la ,  durant  trois  ans ,  que  je  fuis  &;que  j'errc ; 
Qu'impuissant  ennemi ,  qu'amant  infortune , 
Je  maudis  mille  fois  le  jour  ou  je  suis  ne. 
Une  misere  enfin  si  profonde  &  si  rare 
Trouva  quelque  pitie  dans  ce  climat  barbare.       \ 
Des  cavernes  du  nord ,  du  fonds  de  sqs  frimats , ) 
Je  sus  faire  sortir  des  hommes,  des  soldats , 
Et  meme  des  amis  genereux  &  fideles 
A  ne  le  pas  ceder  aux  ames  les  plus  belles. 
SuiVi  d'cux ,  je  rcvicns  j  &  les  apres  hivers 


T  KA  G  E  D  I  E.  14^ 

Nous  font  d'un  pied  Icger ,  franchir  de  vastes  mers. 
A  peine  ai-je  aborde  cette  triste  contree , 
Et ,  de  quelques  siicces ,  signale  mon  entree  , 
Que  Tcspoir ,  a  ce  bruit,  renaissant  dans  les  coeurs , 
Range  nos  vieux  guerriers  sous  mes  drapeaux  vengeurs. 
C'est  alors ,  que  pour  vaincre,  il  fallutdisparoitre  \ 
Et  qu'un  prix  public  (  dignes  armes  d'un  traitre  ) 
Abandonnant  ma  vie  aux  plus  indignes  mains ,  . 
Environna  mon  camp ,  le  remplit  d'assassins. 
Je  depouille  d'un  chef  I'apparence  nuisible: 
Travesti ,  mais  des  miens  partout  I'ame  invisible , 
Je  marche  a  la  faveur  de  ce  deguisement ; 
Et  Gustave  a  couvert ,  triomphe  impunement. 
Dans  Stockolm ,  a  I'abri  de  I'heureux  stratageme, 
Je  viens  seul  me  servir  d'emissaire  a  moi-meme. 
La,  je  vois  mon  devoir  ccrit  de  tout  cote.  . 

D'un  temple  ,  d'un  palais  le  marbre  ensanglante , 
Une  veuve ,  une  fille ,  une  mere  plaintive  , 
Tout  m'cmeut;  tout  retrace  a  mon  ame  attentive, 
L'instant  ou ,  de  leur  fils  reclamant  le  secours , 
Perirent  sous  le  fer  les  auteurs  de  mes  jours. 
Et  juge  de  ma  tendre  &  vive  impatience  y 
Quandjlecceur  embrase  d'amour  &  de  vengeance, 
Je  lance  mes  regards  vers  Thorrible  prison  , 
Ou  vous  kissez  gemir  Ic  beau  sang  de  Stcnon. 
J'assemble  mes  amis ;  mon  aspcd  les  anime  j 
J'ai  peine  a  reprimer  une  ardeur  magnanime  > 
lis  doivent ,  cette  nuit ,  attaquer  le  palais  •, 
Tandis  qu'^  fondre  ici  dcs  bataillons  tout  prets , 

Kiij 


,5*  GUSTJFE'JTJSJj 

Du  creux  de  nos  rochers ,  sortant  sous  ma  conduitc, 
Ameneront  I'alarme  &  le  meurtre  a  ma  suite. 
Du  carnage,  mon  nom  sera  I'afFreux  signal. 
Mais  je  veux  m'assurer  ,  avant  Tinstant  fatal , 
D'un  saUit  dont  le  soin  m'agiteroit  sans  cesse  j 
Je  veux ,  de  ce  palais  enlever  ma  Princesse. 
Dansce  dessein  ( qu'envaintu  n'approuverois  pas } 
Aprcs  avoir  seme  le  bruit  de  mon  trepas , 
J  ose  me  presenter  au  tyran  que  je  brave , 
A  titre  de  vainqueur  du  malbeureux  Gustave. 
J'hesitois,  je  I'avoue ,  a  m'y  determiner  j 
L'ombre  de  I'imposture  a  de  quoi  m'^tonncr  ; 
Mais  songeons  qu'i]  y  va  dcs  jours  d' Adelaide : 
£t  croyons  tout  permis ,  pour  punir  un  perfide. 

C  A  s  I  M  I  R. 
Et  nc  craigncz-vous  pas ,  Seigneur ,  en  vous  montrant, 
Du  tyran  soupconneux  le  regard  penetrant  ? 

Gustave. 

Non.  Lorsque  le  barbare  usa  de  violence  , 
Son  ordre  m'epargna  I'horreur  de  sa  presence; 
Et  rendu  par  le  temps  meconnoissable  aux  miens, 
Je  puis  me  presenter  sans  risque  aux  yeux  des  siens. 
Miiis  quand ,  pour  m'introduire  auprcs  dela  Princesse , 
II  ne  me  faut  pas  moins  de  courage  &  d'adrcsse  ; 
Que  pcrsonne  ( du  moins  tel  est  le  bruit  public  } 
Ne  la  voit ,  ne  lui  parle ,  cxcepte  Frederic  •,         ^ 
Ami ,  j'y  rcfiechis.  Dis  moi.  Comment  t'en  croirc  ? 
Sur  quoi  lassurcs-ui  fiddle  a  ma  hiemoire  ? 


T  RA  G  E  D  I  E.  151 

C  A  S  I  M  I  R. 

Sur  cc  que  Frederic  lui-meme  a  laisse  voir  j 
Sur  sa  pitie  pour  elle ,  &  sur  son  descspoir. 
N'encherchezpas,  Seigneur,  de  prcuve  plus  solidej 
Son  desespoir  nous  peint  celui  d' Adelaide. 
Quoiqu'amant  maltraite  ,  son  coeur  compatissant 
N'a  de  maux  &:  d'ennuis  que  ceux  qu'ellc  rcsscnt. 
Et  nc  m'allcguez  pas  que  peut-etre  il  m  abuse. 
11  s'emporte,  il  menace,  il  vous  plaint , il s'accuscj 
Du  tyran  qui  le  sert,  il  deteste  Tappui ; 
^Qs  pretentions  meme  ont  cesse  d'aujourd'hui. 
D'aujourd'hui ,  commeun crime,  il  regardesaflammc. 

G  u  s  T  A  V  E. 

■iir  -fir 

Voila,  poiirun  rival ,  bien  dc  la  grandeur  d'amel 
C  A  S  I  M  I  R.  .       ^ 

Et  c'est  ce  que  je  vois  de  plus  flatteur  pour  vous. 
Plus  Je  rival  est  grand ,  plus  le  triopop^  ^%^9S^t 

■  ^f'  ''-^^'^'^       G  U  S  T  A  V  Ei  ;.!^.:T3vrjOfrr  r.U 

J'aimerois  mieux  une  ame  &:  moins  noble^  mbih$  tcndre. 
Moins  Frederic  pretend ,  plus  il  a  du  pretencjr^. 
Que  n'cut  pu  sa  vertu  sur  un  coeur  vertueuk?  "*' 
Je  serois  bien  injuste  &  bien  presomptueux  , 
Si  le  ciel  aujourd'hui  vouloit  que  je  perisse  , 
D'exiger  ou  d'attendrc  un  si  grand  sacrifice. 
La  mort  rompt  tons  lesnoeuds  qui  peuvent  nous  lier. 
On  I'estime;  on  I'eut plaint:  il  m'eut  fait  oublier. 

Dej  a  peut-etre Maismesyeuxvont  m'en  instruire* 

Kiv 


ijA  GUSTAFE-WASA^ 

Un  plus  long  entretien ,  ami,  nouspourroit  nuira 
Sors;  jc  cours  te  rcjoindre  au  sortir.de  cqs  lieux, 
Apprendre  a  nos  amis  a  te  connoitre  mieux , 
Te  rcdonner  entre  eiix  le  rang  que  tu  m^rites , 
Concerter  not  re  marche  ,  en  mesurer  les  suites , 
Et  t'indiquer ,  en  cas  de  revers  imprevus , 
Les  moyens  d'y  pourvoir,  &:  de  n'en  craindre  plus. 


.■Zi^TJfJJfilij^i^; . 


S  C  £  N  E    IV. 

GUSTAV  E, 

Les  yeu!i?:  vont  lire  au  fond  ducocur  d' Adelaide! 
Jc  tremble !  Voila  done  ce  Gustave  intrepide 
^Qui  vient  changer  la  face  &  les  destins  du  Nord  ? 
Ce  guerrier  redoutc  qui ,  meprisant  la  mort , 
Jusques  dans  son  palais  vient  braver  Christierne  ? 
XJn  mouvement  jaloux  Tabat  &  le  consterne  ! 
,^  De  quoi  jaloux  encor  ?  J'en  rougis:  mais,  helas  ! 
Tendre&  toujours absent,  quels soupcons  n'a-t-on  pas? 
Quclqu'unparoit.Gardons  qucce  trouble  n'eclate! 


9^^ 


T  RA  G  i  D  I  E.  151 

Wmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmmtmmmmmmmmmmmm 

S  C  £  N  E   V, 

GRISTIERNE,  GUSTAVE,  RODOLPHE 
Christierne. 

>^5uELairtranquille&  fier !  je  voisce  qui  la  flattc ; 
Elle  croit  qu  on  la  trompe ,  &  loin  de  renoncer..». 
Est-ce  la  le  soldat  qu'on  vient  de  m'annoncer  j 
Cclui  qui  de  Gustave  apporte  ici  la  tote  J 

G  u  S  T  A  V  E. 

Oui  Seigneur.  Triomphez ;  &  que  le  del  apprkc 
A  tous  vos  ennemis  un  semblable  destin  ! 

Christierne. 

Pourquoi  se  presenter  sans  ce  gage  a  la  main  J 

Gustave. 

Je  ne  paroitrois  pas  avec  tant  d'assurancc , 

Si  ce  gage  fatal  n  etoit  en  ma  puissance. 

C'est  un  spedacle  afireux  dont  vous  pouvez  jouir : 

Etc'est  a  vous.  Seigneur,  a  vous  faire  obeir. 

Christierne, 
Ton  nom  ? 

. '  : '  G  u  s  T  A  V  e.  l:* 
En  avoir  un  que  tout  le  monde  ignore  , 
C'est, selonmoi, Seigneur,  n'en  point  avoir  encore; 


I J 4  G  US  TA  VE  -  VTA  SA; 

Mais  je  me  sens  une  amc  au-dessus  du  commun  i 
Qui  bicntot  m'cn  promet  &  saura  m'en  faire  un. 

Christierne. 
Tous  les  deguisemens  dc  ce  chef  temerairc, 
A  tes  ycux  vigilans ,  n  ont  done  pu  le  soustraire  I 

G  U  S  T  A  V  E. 
Quelque  forme  qu'il  prit.  Seigneur ,  pour  echaper, 
Jc  le  connoissois  trop,  pour  m'y  laisscr  tromper. 

Christierne. 
Ou  I'as-m  rencoQtre  ?  Dans  quelle  circonstance ,. 
Le  ciel  a-t-il  livre  le  traitre  a  ma  vengeance  ? 

G  u  s  T  A  V  E. 
Quand  vous  aviez ,  pour  vous,  tout  a  craindrc  de  lui* 

Christierne* 
En  quels  lieux  ?  Dans  quel  temps? 
G  u  s  T  A  V  E. 

AStokolm.  Aujourd'huL 

Christierne. 
Sous  nos  ycux  I 

G  u  s  t  A  V  e. 

Ici  meme ;  &  dans  Tinstant  peut-etre , 
Qu'au  peril  de  vos  jours ,  il  alloit  rcparoitre. 

Christierne. 
Tu  m'etonnes.  Poursuis.  Comment  triomphes-tu  > 
L'as-tu  pris  sans  defense?  Ou  I'as-tu  combattu?  > 


T  RA  G  E  D  I  E.  155 

G  U  S  T  A  V  E. 

jc  n'ai  point  a  rongir  d'lin  honteux  avantage. 
Vous  pourrez  dans  la  suite  eprouver  mon  courage; 
Et  vous  verrez  alors ,  quand  jc  cueille  un  laurier , 
Que  je  le  sais  cueillir  en  genereux  guerrier. 

Christierne. 

{a  Rodolphe. )  (  a  Gustavc ) 

J'aime  sa  noble  audace.  Indiquc  ton  salaire. 
^\  j  ai  promis  trop  peu ,  dis  ce  qui  pent  te  plairc. 

G  u  s  T  A  V  E. 

Mon  bras ,  dans  ce  motif  ne  s'etoit  point  armc. 
Un  interet  si  bas  I'auroit  mal  anime. 
J'eus  pour  objet  unique, en  exposant ma  vie, 
La  gloire  de  servir  mon  maitre  &"  ma  patrie : 
Et  puisque  Thonneur  seul  excita  ma  valeur  ; 
Vcuillez ,  pour  tout  salaire ,  acquitter  cethonncur. 

Christierne. 
Tu  n'auras  pas  congu  d'esperance  frivolc. 
Prononce.  Que  veux-tu  ? 

G  U  S  T  A  V  E. 

Degager  ma  parole. 
,  •         J      J  --.'"Q  H  R  I  S,T  I  E.R  N  E. 
Explique-toi, :7hii:  a'rnmro  imda  u 
i:.nu3.-.iG  u  STAVE  tirant  un  billet. 

Gustave,  aux  portes  de  lamort, 
A  trace  cet  ecrit  par  un  dernier  efibrt  5" 


15^  GU'STAFE-WASA, 

Et  j'ai  era  lui  pouvoir  hasarder  la  promessc 

Dc  le  rendre  aujourd'hui  moi-memea  laPrincessc. 

Ch?.istiern  e. 
Voyons  cc  qu'il  contient ;  tu  seras  satisfait,  I 

Jc  connois  sa  main  j  donne.  Oui,  c'est  clle  en  efict. 
(Illk.) 
Adieu  J  Princesse  infortunee. 
La  vicloire  nest  pas  du  plus  juste  parti. 
Je  vous  servoisjje  meurs  j  telle  est  ma  destinec  : 
Etmon  astre  cruel  ne  s'est  point  dementi,  '- 

D'une  felicite  vainement  attendue  ^ 
Si  vous  m'aime\  encore ,  ouhlie:^  les  douceurs. 
Votre  repos  m'occupe  au  moment  ouje  meurs  ^ 
Regne:^;je  vous  remets  lafoi  qui  m  etoit  due  y 
Laisse:^-en  desormais  disposer  les  P^ainqueurs. 
(  a  Gustavc  lui  rendant  le  billet.  ) 

Sors.  Avant  que  le  jour  de  ces  lieux  disparois&c ,  . 
Rodolphe  te  fera  parler  a  la  Princesse. 
G  u  s  T  A  V  E. 


11  mc  restc  une  grace  a  demander. 


.^_y.^J,.U. 


Christierne* 

,'^"      '  ^'       Et  quoi? 

Gu  S'T  AVE. 
Que,  par  nnenagement  &  pour  elle  &  pour  moi , 
On  ne  m'annonce  point  comme  auteur  de  sa  pertcj 
Mais  comme un  fimple  ami  dont  la  main  s'est  offertc. 

Christierne. 
Jc  t'enteads :  c'cut  etc  le  premier  de  mes  foins. 


TKAGEDIE,  157 

■^■H^IHBBIHBIHHBBBBHHHHBHHHi 

S  C  £  N  E    V  L 

CHRISTIERNE,  RODOLPHE. 
Christierne. 

Eh  bien  j  lui  Faudra-t-il  encor  d'autres  temoins  \ 
Elle  en  croira  Guftave :  elle  verra  sa  lertre  j 
Et  ion  dernier  avis  peut  enfin  la  foumettre. 
Mais  que  son  coeur  se  rende  ou  non  j  j'aurai  sa  main. 

RODOLPHE. 

Sans  doute ,  un  pen  de  temps..... 

"'         GhR  IS  TIERNE.         '^'i^i'- 

Non ,  Rodolphe ;  demain. 
C'est  toutle  temps  que  peut  souffrir  la  violence 
D*un  amour  qu'ont  lasse  la  gene  &  le  filence. 
Soumise  ou  non ,  demain ,  elle  m'a  pour  epoux. 

Rodolphe. 
Sans  yous  embarrasser  des  fureurs  d'un  jaloux ,  ,-f 
D'un  rival  qu'appuiront  des  sujecs  infideles  ? 

Christierne. 
Vains  discours !  je  ne  crains  oi  lui ,  ni  les  rebelles. 
Frederic  y  renonce  j  osanr  le  declarer , 
Lui-meme,  il  s'est  prive  du  droit  d'en  murmurcr. 
Et  quant  a  mes  sujets,  tout  le  mal  ne  proccde 
Que  du  feu  de  la  guerre  allumee  en  Suede. 


Ici ,  par  mon  hymen ,  quand  j'aurai  tout  calitie ,  ,- 

La  bientot ,  par  la  peur ,  tout  sera  desarmc. 

Je  te  dispense  cnfin  de  ces  marques  de  zelc. 

J'adore  Adelaide  ,  &  je  ne  vois  plus  quelle. 

Toi-meme  qui  I'as  vue ,  a  d'amoureux  transports 

Peux-tu  ,  sans  injustice ,  opposer  tes  efforts  ? 

Quel  est  done  mon  pouvoir  ?  Maitre  de  tant  de  chatmes , 

S'agira-t-il  toujours  de  contrainte ,  d'alarmes , 

D'obstacles ,  de  delais ,  de  mesure  a  garder  ? 

II  s'agit  de  mourir ,  ou  de  la  posseder. 

11  n'est  point  de  perils  que  I'amour  ne  dedaigne. ' 

Differer  est  Ic  seul  aujourd'hui  que  je  craigne* 

II  me  reste  un  rival  qui  s'est  fait  estimer  j 

Si  je  perds  un  instant ,  il  pent  se  faire  aimer. 

RopoLPHE. 
Reposez-vous,  Seigneur,  sur  ceux  qui  vous  secondenta 
Ellele  verra  peu  :  mes  soins  vous  en  repondent. 
Je  veillerai  sur  cux.  Vous^  si  vous  m'en  croyez ,  . 
Ne  precipitez  rien  -,  daignez  plaire :  essayez 
D'ecarter  ce  qui  peut  occuper  sa  pensce. 
De  quoi  n'est  pas  capable  une  amante  insensee  ? 
Voulcz-vous . .  .1^2^ '  <^>  .^^-'"P  i^'Vi'J  ^"  U 

Christierne. 
.i^wiorjjQyi ,  Rodolphc,  oui ;  telle  est  mon  ardeuri 
Dut-elle  ,  entre  mes  bras ,  signaler  sa  furcur  , 
Fut-ce,  a  la  perfidie,  allier  la  tendresse , 
Et  placer  dans  mon  lit  la  haine  vengcressc.*...^ 
Mais  de  quoi  s'alarmer  au  seti  de  la  vertu } 


T  RA  C  £  D  t  E.  tjp 

J*aurai  sa  foi  j  je  I'aime ,  &  je  regne.  Crois-tu 
Que ,  du  lien  forme ,  la  saintete  soit  vaine  > 
Les  Autels  sont  alors  les  bornes  dc  la  haine. 
Les  noms  de  Roi ,  d  epoux,  ne  desarment-ils  pas  i 
L'hymen  a  des  devoirs  j  le  trone  a  des  appas : 
L'lm  ou  I'autre  peut-etre  adoucira  son  ame. 
Tantot ,  tu  permettois  plus  d'espoir  a  ma  flammc* 
D'un  amant  couronne ,  tu  relevois  les  droits  j 
Et  I'amour ,  a  t'entendre ,  obeissoit  aux  Rois. 

RODOLPHE. 

Aussi  je  ne  crois  pas  la  Princesse  inflexible. 
Quclque  soin ,  quelque  egard  peut  la  rendre  sensible* 
Si  meme  a  Frederic  ellc  resiste  encor , 

Ne  I'en  accusez  point. 

t 

/f.  n^.f/!    C  H  R  I  S  T  I  E  R  N  E. 
Et  qui  done  ? 
■ '"; '  R  O  D  O  L  P  H  E. 

.    .M^hno-^d..  Leonof. 

Cette  temme ,  Seigtieur ,  vous  est-ellc  connue  J 

Christierne. 

C'est ,  s'il  m'en  souvient  bien ,  la  suivante  eperduC, 
Qui ,  le  jour  qu  en  ces  licux  je  portois  le  trcpas , 
Soutenoit  la  Princesse  expirante  en  ses  bras. 

R  o  D  o  L  P  H  E. 

Cest  votre  veritable  &  mortelle  ennemie. 
Seigneur,  Adelaide  est ,  par  elle ,  ajBFermie 


i<?o         GUSTArE-WASA, 

Dans  le  ressentiment  qu'elle  fait  eclater. 
J'ai  surpris  des  discours  a  n'en  pouvoir  doutcr.. 
Je  dis  plus ;  je  la  crois  route  autre  qu'on  ne  pense* 
Ce  qu'elle  est ,  se  demcle  a  travers  I'apparence  -, 
Et  tout  son  air  denonce ,  a  lorgueil  qu'on  y  lit, 
Quelqu  un  bien  au-dessus  du  rang  qui  Tavilit. 
Ep  tout  ceci ,  daignez  souffrir  que  je  vous  guided 
Separons  Leonor  d  avec  Adelaide. 

Christierne. 

Ayant  a  la  flechir ,  ce  sera  I'irritcr. 
N'importe :  ton  avis  n'est  pas  a  rejeter. 
VsQ ,  en  homme  eclaire ,  de  ton  zele  ordinaire. 
Obser\'c-les  de  pres :  & ,  s'il  est  necessaire  , 
Pour  peu  que  tes  soupcons  penetrent  plus  avant ,  V 
Tu  peux  les  separer.  Vas  •,  mais  auparavant , 
A  quelque  grand  peril  qu'un  prompt  hymen  expose. 
Vole  au  temple !  Que  tout,  pour  demain  s'y  dispose. 
Prcviens-en  de  ma  part  la  Fille  de  Stenon. 
Ds  Tepoux  seulement  laisse  ignorer  le  nom ; 
C'est  au  pied  de  TAutcl  ou  je  dois  la  conduire , 
Qu  en  Monarque  absolu ,  je  pretends  Ten  instruirc. 

RODOLPHE. 

Vous  pouvez  tout ,  Seigneur.  Si  pourtlnt .  .^i. ;'  ^7 

C  HR  I  S  T  I  E  R  N  E;,|    ;,.,       ,.,?  . 

Plusd'avis, 
Ni  de  rctardemcns.  Je  le  veux.  Obeis. 

Finjlu  fc^gni  Acie. 


A  C  T  E    III. 


S»^ 


SCENE   PREMIERE. 

ADELAIDE,  SOPHIE. 

Adelaide. 

JCtH  bien !  chere  Sophie ,  apres  tantde  misere, 
Libre  enfin  tu  t  es  vue  entre  les  bras  d\m  Pere  ? 
Je  partage  avec  toi....  Mais  je  vois,  a  tes  pleurs 
Que  tu  viens  d  eprouver  le  plus  grand  desmalheurs. 

Sophie* 

Que  la  prison  n  a-t-clle  ete  ma  sepulture ! 
J'eusse  ignore  des  maux  dont  ff  emit  la  nature. 

Adelaide. 

Aihsi ,  dans  notre  sang ,  Tennemi  s*cst  baigiie  ? 
Et  le  fer  destrudeur  n  aura  rien  epargne  i 

Sophie. 

II  a  laisse  partout  le  deuil  &  le  ravage. 
Nous  ne  nous  en  faisions  qu'une  imparfaiie  image. 
Cette  ville  n'est  plus  qu'un  debris  effrayant , 
Ou  Toeil  epouvante  la  cherche ,  en  la  voyant. 
Stockolm  a  disparu  j  sa  splendeur  est  eteinte ; 

Tome  J  I.     L 


1^1  GUSTAFE-VTASAy 

Un  desert  est  reste.  Vaste  &r  lugubre  enceinte , 
Ou  tout  ce  que  la  guerre  epargna  de  Heros , 
A  peri  des  long-temps  par  la  main  des  bourreaux. 
Mon  perefutdunombre,&:  je  viens  de  Tapprendrcj 
Mais  en  vain  je  demande  ou  repose  sa  cendre  j 
Et  c'est  m'apprendre  assez  que  de  son  triste  sort , 
L'horreur  s'est  etendue  au-dela  de  sa  mort. 

Adelaide. 
Ton  pere  fut  fidele  &:  cher  a  sa  patrie ; 
Pour  oublier  sa  mort ,  souviens-toi  de  sa  vie ; 
Et  te  sers  des  conseils  dont  tu  savois  si  bien 
Combattre  ma  douleur,  quand  je  pleurois  le  mien. 
Helas !  quels  sont  tes  maux  pres  de  ceux  que  j'endureJ 
Vois  gemir  a  la  fois  I'amour  &  la  nature.... 
Car  enfin ,  sois  sincere ,  en  crois-tu  Leonor  ? 
Qu'cn  pense-tu?  Sonfils  respire-t-il  encor? 

Sophie. 
Non,  Madame  j  sa  mort  n'est  que  trop  averee; 

Adelaide. 
Cruellei  Eh,  quel  temoin  t'en  a  done  assuree? 

Sophie. 
Le  Meurtrier  poursuit  son  salaire  a  la  Cour. 

Adelaide. 
Le  mcme  coup ,  deux  fois ,  m'assassine  en  un  jour ! 

Sophie. 
Ce  qui  doit  rendre  encor  nos  regrets  plus  sensibles, 
C'est  I'espoirdont  flattoient  sq^  amies  invincibles. 


TRAGiDIE.  i<?3 

Le  ciel ,  depuis  six  mois ,  favorisoit  ses  coups. 
De  triomphe  en  triomphe  il  s'avancoit  vers  nous. 
Nos  malheurs  rattcndoient  au  bout  de  la  carriere : 
Cest-la  qu'il  est  frappe  d  une  main  meurtriere ; 
Et  qu'a  ce  defenseur  long- temps  vidorieu:^. 
On  arrache  la  palme  &  la  vie ,  a  nos  yeux. 
Sa  deplorable  mere  est  enfin  convaincue ; 
Et  du  coup  trop  certain  sa  grande  ame  abattuc... 

Adelaide. 
Nous  nous  importunons  dans  notre  accablement. 
J'ai  besoin ,  comme  toi ,  d'etre  seule  un  moment. 


S  C  £  N  E   IL  ^ 

ADELAIDE. 

JCtT  ma  douleur  profonde ,  a  ce  recit  funcste ,    T 
De  mes  jours  malheureux  n  a  pas  tranche  le  rests  I 
Ainsi  done  la  vertu  cede  au  crime  impuni ! 
Toute  erreur  est  cessee  \  Sc  tout  espoir ,  fini ! 
Ai-je  bientot  du  ciel  epuise  la  colere  I 
O  mort !  6  seul  asyle ! ...  ^ 


Li; 


,tf4         GUSTArE-JTASJ^ 

»— — — ^"— '^^■™^'^'~*™™'^~^~~" '  ^ 

S  C  £  N  E     1 1 1. 
ADELAIDE,  LfcONOR. 

L  E  O  N  O  R. 

AHmafiUe! 
Adelaide. 

Ah  ma  mere ! 
L  E  o  N  o  R. 

Moi  sans  fils ,  comme  vous  maintenant  sans  epoux, 
Notre  unique  ressource  est  a  des  noms  si  doux. 

Adelaide. 
De  notre  liberte  voila  done  les  premices  ? 

L  E  o  N  o  R. 
Et  I'equite  des  cieux  que  j'ai  crus  plus  propices  I 

Adelaide 
Pressentimens  trompeurs  I 

L  i  O  N  O  R. 

Tous  nos  voeux  sont  trahis. 
Adelaide. 
O  mon  dernier  espoir  1 6  Gustave  I 


^  T  RA  G  t  D  I  E,  kJj 

L  i  O  N  O  R. 

O  mon  fils  \ 
Adelaide. 

Heureuses,  qu'en  ce  jour  d*amertnme  &  d'alarmes, 
II  nous  soit  libre  encor  de  confondre  nos  larmesl 

L  i  O  N  O  R. 

Qu'il  vive  en  votre  coeur !  ne  Toubliez  jamais  I 
Je  vivrai  du  plaisir  d'adoucir  vos  regrets. 

Adelaide. 

S'il  vivra  dans  mon  coeur!  oubliez- vous,  vous  memc, 
Combien ,  depuis  quel  temps ,  a  quel  titre,  je  I'aime  I 
Oubliez-vous ,  Madame ,  en  ce  triste  moment , 
Que  je  le  pleure  a  titre  &:  d'epoux  &  d'amant  > 
L'un  a  I'autre  promis  presque  des  ma  naissance , 
Le  desir  de  lui  plaire  occupa  mon  enfance : 
Et  quand  ce  Prince  aimable  abandonna  ces  lieux  ^ 
Un  souvenir  si  cher  attendrit  nos  adieux. 
Bien  que  mon  second  lustre  alors  finit  a  peine, 
t'cloignemcnt  n'a  fait  que  resserrer  ma  chaine. 
Ma  flamme ,  en  attendant  des  noeuds  plus  solennels, 
Croissoit  de  jour  en  jour  sous  vos  yeux  maternels. 
A  ma  vive  amitie,  je  mesurois  la  sienne. 
Mon  pere  fut  le  sien  ,  sa  mere  ctant  la  mienne. 
Vous  cultiviez  en  moi  des  sentimens  si  doux. 
llsfaifoient  notrejoie.Ah,  Madame!  est-ceavous, 
Quand  la  mort  nousl'enleve,  est-ce  a  vous  d'ofer  croirc 
Qu'uq  autre  le  pourroit  bannir  de  ma  memoire  i 

L  iij 


^66       G  USTArZ-lTA  S  A  ^ 

Qui  seroit-ce  ?  Jamais  Frederic  ,  a  mes  yeiix , 
Tout  soumis  qu'il  parole ,  ne  fut  plus  odieux ! 

L  E  o  N  o  R. 
Encore  est-cc  un  bonheur  que,  dans  notre  infortune, 
11  sache  commander  a  sa  tiamme  importune  » 
Et  que  I'usurpateur  ,  jusqu'ici  son  appui , 
Semble  craindre  a  present  de  vous  unir  a  lui. 
Oh !  que  vous  voyant  Hbre  &  moins  tyrannisec  ,^' 
Etrangement ,  tantot ,  je  ni'ctois  abusce !  • ' '" 

A  de  justes  remords ,  j'imputois  sa  douceur. 
Mais  c'est  qu'il  nevoit  plus  d'obstacle  a  sa  grandeur, 
Ne  craignant  plus  mon  fils,  il  n'a  plus  rien  a  craindre. 
Plus  rien  qui  maintenant  le  force  \  vous  contraindre.^ 
II  ne  s'^toit  plie  qu'i  des  raisons  d'£tat ,  '* 

Qu'il  a  su  mieux  trancher  par  un  assassinat.  '  "'f* 

Adelaide. 
Madame,  attendons-nous  a  quelque  ordre  sinistre. 
Lc  tyran  se  fait  craindre  a  Tasped;  du  Ministre. 


SCENE    VL^i 

ADELAIDE,  LfiONOR,RODOLPHE. 

R  O  D  O  LP  H  B.  . 

jN  ON,  Madame ;  lc  Roi  veut feire  d^somiais 

A  la  sev6rite ,  succedcr  les  bienfaits. 

En  ce  jour,  ou  tout  prend  une  paisible  face , 


TRAGiDIE,  I  ij~~^ 

II  veut  que  le  passe  se  repare  &  s'efTacc ; 
Qu'avec  la  liberte ,  vous  repreniez  vos  droits  j 
Et  que  votre  bonheur  couronne  %z%  exploits. 
La  garde  qui  vous  suit  deja  n'est  plus  la  sienne. 
Ce  palais  reconnoit  en  vous ,  sa  souveraine : 
Commandez-y ,  Madame ,  &  remplissez  un  rang 
Oii  la  vertu  vous  place  encor  plus  que  le  sang. 

Adelaide. 

Si  tonMaitre  est  touche  des  pleurs  qu'il  fait  repandre , 
Si ,  dun  tel  bienfaiteur ,  mon  bonheur  pent  dependre , 
Si  tout ,  dans  ce  palais ,  se  doit  assujettir , 
Si  j  y  commande  enfin ,  qu'on  m'en  laisse  sortir. 
Trop  d'horreur  est  melee  a  I'air  qui  s  y  respire. 
11  est  d'affreux  climats  qui  bornent  cet  Empire  j 
La  nature  y  languit  loin  de  I'astrc  du  jour  \ 
Mon  repos,  mon  bonheur  est  la ;  c'cst  le  sejour  , 
L'asyle  &:  le  palais  qu'on  demande  a  ton  Maitre ; 
Et  non  des  lieux  souilles  du  sang  qui  m'a  fait  naitre. 
Qu'il  daigne  en  ces  deserts  me  faire  abandonner. 
Loin  de  lui  je  consens  a  lui  tout  pardonner. 

R  o  D  o  L  p  H  E. 

Madame ,  il  faut  s'armer  d'un  plus  noble  courage. 
Que  parlez-vous  d'aller  dans  un  climat  sauvagc , 
D'un  Peuple  qui  vous  aime  ensevelir  I'espoir  J 
Faites  ceder  pour  lui  la  tristesse  au  devoir. 
Faites  ceder  pour  vous  la  foiblesse  \  la  gloire. 
On  depose  a  vos  pieds  les  fruits  de  la  vi(3:oire. 
Votre  Perc  n'eut  eu  qu'un  Sceptre  a  vous  laisscr. 

Liv 


i(?8  GUSTAFE-WASA, 

Dans  un  rang  trop  commun  c'etoit  vous  abaisscr. 
La  Fprtune  se  sert  de  votre  malheur  meme , 
Pour  vous  ccindre  le  front  d'un  triple  diademej 
Mais  c'est  en  exigeant  le  don  de  votre  main , 
Madame  >  6c  les  Autels  sont  pares  pour  demain. 

L  E  o  N  o  R, 

De  nos  Persecutcurs  le  Ministre  barbare 
Leur  a-t-il  inspire  I'ordre  qu'il  nous  declare? 
Ou  peut-il  ignorer,  s'il  ne  fait  qu'obeir  j 
Qu'obeir  aux  Tyrans  souvent  c'est  les  trahir! 
Parlons  a  coeur  ouvert,  &:  laissez  I'insolence 
Qui,  sous  un  beau  semblant  masque  la  violence } 
L'Usurpateur  a  mis  le  comble  a  ses  forfaits  j 
De  leur  fruit  dangereux  il  veut  jouir  en  paix  j 
Et  I'Hymen  qu'il  oppose  a  la  haine  publique, 
De  ses  pareils  toujours  fonda  la  politique. 
Mais  quel  temps  choisit-il  pour  en  former  les  noeuds? 
Qu'il  soit  prudent  du  moins,  s'il  n'est  pas  genereux, 
Qu'insultant  lachement  aux  pleurs  de  la  Princesse, 
Toutepudeur  en  lui,  toutc  humanite  cesse.^ 
Bravera-t-il  un  Peuple  encor  mal  asservi  \ 
Idolatre  d'un  Sang  dont  on  s'est  assouvi  ? 
Qui,  pour  premier  trophee,  a  cette horrible  ^ie.^ 
De  Gustave  cgorge,  verra  porter  la  tqte  ? 
Que  CCS  restes.  sanglans ,  nos,  cris ,  notre  fureur^  .' 
Soicnt;  a,u  Neron  du  Nord  des  sources  de  terreur  \ , 

R  O  D  o  t  p  H  E^ 
R^rimez,  Leonor,  une  aydace.  iauuk^ 


r  RA  G  i  D  i  E,  1(^9 

Du  Vainqueur  a  jamais  le  pouvoir  est  tranquile; 
Et  du  Vaincu  la  tete  exposee  en  ces  lieux, 
N'y  doit  epouvanter  que  les  Seditieux. 

L  E  O  N  O  R. 

Cicl  vengeur  !  Sc  peut-il  que  ta  justice  endure 
D'un  semblable  Vaincu  le  malheur  Sc  I'injurc  > 
De  ceux  qu  on  assassine  est-ce  done  la  le  nom  > 
Ten)eraire  !  En  nonimant  le  Geiidre  dc  Stenon , 
Rcspede  d'un  Heros  I'auguste  caradere  i 
Sur-tout  en  adressant  la  parole  a  $a  Mere. 

RODOLPHE, 

Vous !  sa  Mere ! 

Adelaide. 

II  manquoit  cette  horreur  a  mon  sort, 
Vous  avez  prononce  I'arret  de  votre  morr. 

RODOLPHE. 

Non,Madame.  Le  Roi  ne  chcrchant  qu'a  vous  plairc, 
Je  reponds  de  ses  jours  des  qu'elle  vous  est  chere. ) 
Elle  vivra.  Souffrez  seulement  qu'on  ait  soin 
D  ecarter  de  FAutel  un  semblable  temoin ; 
Et  que,  pour  contenir  la  douleur  qui  I'egarc, 
D'avec  vous  aujourd'hui  mon  devoir  la  separe. 

Adelaide. 
Nous  separer ,  cruel  I  Et  qui  t'en  a  charge  ? 

Rodolphe. 
Pour  mon  Maitrc,  pour  vous ,  je  my  crois  oblige. 


tyo         GUSTJFE-  TTASA^ 

Gardes! 

Adelaide. 

Qu*oses-tu  faire  ?  Est-ce  la  ma  puissance? 

RODOLPHE. 

Vous  servir ,  ce  n'est  pas  manquer  d'obeissance. 

L  E  o  N  o  R. 

Adieu,  Madame,  adieu.  Cctriste  eloignement 
D  un  trepas  desire  hatera  le  moment, 
Le  Tyran  m'offriroit  une  grace  inutile. 

Adelaide. 

Entre  mes  bras  encore  il  vous  restc  un  asyte ! 
Animes  de  Texces  des  plus  vives  douleurs , 
Ges  foibles  bras  sauront  vous  disputer  aux  leurs! 
Eh ,  quqi !  Vous  me  laissez  desolee  &  con^se  ? 
A  mes  embrassemens  ma  Mere  se  refuse  I 

L  E  o  N  o  R. 

Que  me  rcprochez-vous  ?  He  bien  ,  je  les  recois  » 
Madame  j  bonorez-m'en  pour  la  derniere  fois. 
Mais  prenez  dans  les  miens  un  peu  de  ma  Constance. 
Ne  vous  oubliez  pas  jusqu'a  la  resistance. 
Qu'esperer  des  efforts  d'une  tendre  amitie  J 
Est-il  ici  pour  nous  ni  resped  ni  pitie  \ 
Et  le  sexe  &  le  rang  y  sont  sans  privileges. 
Le  sort  nous  abandonne  a  des  mains  sacrilege;, 
Les  desarmerez-vous  par  d'inutiles  cris  > 
A  tant  d'indignitcs  opposons  le  mcpris  i 


TRA6EDIE.  171 

Que  le  votre ,  en  cc  jour,  plus  que  jamais  delate; 
Confondez  hardiment  I'espoir  dont  on  se  flatte. 
Redoutant  vos  Sujers  prets  a  se  revolter , 
ChrJstierne  a  vos  jours  n'oseroit  attenter : 
A  qui  done  ose  ici  vous  traiter  en  esclave , 
ExpJiquez-vous  en  Reine ,  en  Veuve  de  Gustave. 
Redemandez  le  sang  d'un  Pere ,  d'un  Epoux. 
Pleurez-les:  Pleurez-moi :  Vengez-les:  Vengez-vous 
Je  ne  me  croirai  point  d'avec  vous  separee , 
Si ,  fidelle  a  Tamour  que  vous  m'avez  juree... 
Vous  le  serez.  C'cst  trop  oflFenser  votre  foi. 
Vous  nc  trahirez  point  Stenon,  mon  Fils ,  ni  moi. 

(  a  Rodolphe.  )  (  Ellc  sort, ) 

Adieu.  Fais  ton  devoir. 

RO  D  OtV  HE.  -- 

Gardes !  Qu  on  la  reticnnc. 


am 


S  C  E  ME    V. 

ADfeLAKDE,  RODOLPHE. 

Rodolphe. 

1Vj.adame  ,  unc  autre  voix  plus  forte  que  la  sicnnc, 

Du  cote  le  plus  silr  saura  guider  vos  pas. 

La  Meresur  le  Fils  ne  I'emportera  pas. 

On  nc  veut  rien  de  vous  qu'il  n'ait  voulu  lui-m^mct 


i7i  GUS  TJFE-ITJSJ^ 

Du  moins,  si  voiis  bravcz  raiitorite  supreme  , 
Un  A'l^ant  pent  ne  pas  vous  supplier  en  vain. 
On  a  de  lui  pour  vous  un  billet  de  sa  main : 
Scs  derniers  sentimens  s'y  font  assez  connoitre. 
Un  des  siens  vous  I'apporte  j  6.:  je  le  vois  paroitrcw 
Je  vous  laisse. 


S  C  £  N  E     VI. 

GUSTAVE,  ADjfeLAiDE 

Gvsr  AYE  apart  &au  fond  du  Theatre. 

J ' Ai  vu  tout  ce  que  j'avois  craint, 
Mon  bonheur  n'est  pastel  que  Ton  me  I'avoit  peint. 
Au  Temple  ou  tout  est  pret  ma  memoire  est  proscritc. 

Adelaide. 

Sans  presque  tourner  les  yeux  deson  cBte, 

Approchez.  Je  cx)ncois  quel  trouble  vous  agitc. 
Mon  asped:  vous  rappelle  un  Prince  qui  n'est  mort 
Que  pour  avoir  trop  pris  d'interet  a  mon  sort. 
Sans  moi  vous  n'auriez  pas  a  regrctter  sa  vie. 

G  u  s  T  A  V  E. 

JElevant  peu  la  voix  &  s*avancant  lenttment}' '"'  ^ 

Son  malheur  jusques-la  n'est  digne  que  d'envie , 
Madame  i  i  vos  Sujets  rien  ne  paroit  plus  doux. 


T  RA  G  i  D  I  E.  i^j 

Que  rhonncur  de  combatcre  &  de  moiirir  pour  vous. 
Gustave,  je  I'avoue,  avoir  plus  a  pretendrej 
11  croyoit .... 

Adelaide,  sans  Vmvlsagtr. 

Vous  avez  un  billet  a  me  rendrc. 
Gustave. 
Oui,  Madame  i  au  milieu  des  horreurs  du  trepas, 
II  a ,  de  vos  sermens ,  affranchi  vos  appas  j 
Et  le  dernier  eflPort  de  son  amour  extreme 
Est  alle  jusqu'au  soin  de  vous  rendre  a  vous-memc 

Adelaide  prenant  le  billet, 
11  eut  du  s'epargner  des  efforts  superflus. 

(  Vayant ouvert,) 
Cest  lui-meme.  tcoutons  un  Amant  quin'estplus. 

(  Jpres  avor  lu  has  quelque  temps. ) 

.     .     .     7    •     •     •     .     (Haut.) 
D*une  felicite  vainfnent  attendue^ 
Si  vous  mLCLimc^  efore^  ouhlie-^  les  douceurs. 
Votre  repos  m^o^'^P^  au  moment  ou  je  meurs, 
Regne:i;  je  vouf^fnets  lafoi  qui  m'etoit  due; 
Laissei-en  des'^^is  disposer  les  Fainqueurs. 

Que  plutot  »ilJe  fois  perisse  Adelaide  I 

Voila  donc^on  arret ,  &  sur  quoi  Ton  decide  > 

In  juste  Fr^^^ic  ?  Est-ce-la  ta  vertu ! 

Ton  Riv  expiroit :  de  quoi  te  prevaux-tu  > 

Son  av*»  ^^  ^^^^  sort  ne  te  rend  pas  Tarbitre-j-i 


174         GU^TAVE-rrASA, 
II  est  pour  toi  plutot  un  exemple  qu'un  titre. 
Ah !  sur  ce  titre  en  vain  ton  espoir  est  fonde  I 
Gustave  emportera  le  coeur  qu'il  a  cede. 
De  ce  Heros  a  toi  daignerois-je  descendre  ? 
Ce  qu'il  a  fait  pour  moi  je  le  dois  a  sa  cendre 
Et  m'embarrassant  peu  d'unc  paix  qui  me  fuit , 
Mon  amour  veut  le  suivre  oii  le  sien  I'a  conduit. 
Reprenons  le  recit  que  ma  douleur  exige. 

(  Se  tournant  vers  Gustave. ) 

(  //  est  a  ses  pieds, ) 
Ditcs-moi ....  Mais  que  vois-je  > 
Gustave. 

Adelaide ! 

A  D  i  L  A  i  D  E. 

Ousuis-je? 
Gustave. 

Dans  les  bras  d'un  Amant  qui  -it  encor  pour  vous ! 
A  D  E  L  A  i  Be. 

Ah! ...  Je  le  reconnois  1  J'embrtse  mon  ^poux. 
Gustave. 

O  nom  dontla  douceur  me  paytivec  usure, 
Des  malheurs  dont  )'ai  cru  voir  con>ier  lamesurcl 

Adelaide. 
Ettu  veuxdonc  combler  la  mesure  d  miens. 
Cruel !  Je  n'attendois  qu'une  mort ;  & ,  ^{q^^ 
M'cQ  Faire  soufirir  milkj  en  mourant  a  ^  vue! 


T  RA  G  E  D  I  E.  175 

GusTAVEjc  relevant  avecfierte, 

D'un  billet  captieux  Ic  sens  vous  a  dccue , 
Madame ;  si  j'accorde  aux  Vainqueurs  votre  foi , 
C'estqu'il  n'est  plus  ici  d'autres  Vainqueurs  que  moi. 
Vos  Bourreaux  &  les  miens  vont  payer  de  leurstetes , 
Lescruautes... 

Adelaide. 

Songez  &  voyez  oii  vous  etcs! 
Si  quelqu'un... 

G  U  S  T  A  V  E. 

Je  nc  suis  ecoute  que  de  vous. 
Casimir  nous  seconde  &"  veille  ici  pour  nous. 

Adelaide. 

Et  d'erreur  en  entrant  ne  m'avoir  pas  tiree ! 
Avoir  de  mes  regrets  prolonge  la  duree ! 
Et ,  sur  des  fidtions ,  laisse  couler  mes  pleurs  ! 

G  U  S  T  A  V  E. 

Ces  pleurs  m'etoient  garants  du  plus  grand  des  bonheurs. 
lis  remettoient  la  paix  dans  une  ame  saisie 
Des  terreurs  d'une  aveugle  &  tendre  jalousie. 
Terreurs  que  j'avouerai  comme  un  crime  a  present; 
^ais  dont  mon  coeur  alors  ne  pouvoit  etre  exempt. 
Le  bruit  de  mon  trepas ,  pres  de  neuf  ans  d'absence , 
Les  feux  de  Frederic ,  ses  vertus,  sa  puissance  , 
Et  dans  le  Temple  enfin  son  bonheur  annonce— 


17^  GUSTA  FE-tTAS  Ai 

Adelaide. 

Ah!  qu'iin  moment plutot  mon  amo^ir  offens^ , 
A  cette  jalousie  injnste  &:  criminelle , 
Opposoit  iin  Temoin  bien  cher  &:  bien  fidele  I 
G  U  s  T  A  V  E. 

Et  qu'attester  encore  apres  ce  que  j'ai  vu  ? 
Au  fonds  de  votre  coeur  I'heureux  Gusrave  a  lu. 
Ne  songeons  qu  a  Texploit  qui  va  me  faire  absoudre* 
Cette  nuit  vous  regnez  *,  je  vous  venge  \  &  lafoudrc 
Tombe  sur  Christieroe ,  avant  qu'elle  ait  gronde. 
Sans  le  soin  de  vos  jours ,  le  coup  cut  moins  tarde. 
Mais  vous etiez,  Madame,  a  la  mcrci  d'un  traitrej 
Qui ,  dans  son  desespoir ,  vous  saisissant  peut-etre , 
Le  poignard ,  a  nos  yeux ,  leve  sur  votre  sein , 
Nous  auroit  arrache  les  armes  de  la  main. 
Nous-memcs  des  fureurs  desarmons  la  plus  noire. 
Qu'il  ne  dispose  pas  du  prix  de  la  vidoire. 
Du  peu  de  liberie  qu'aujourd'hui  Ton  vous  rend, 
L  usage  estd'importance,  &:  Tavantageest  grand. 
11  en  faut  profiter.  Sitot  que  la  nuit  sombre 
Sur  ces  lieux  menaces  epaissira  son  ombre , 
Hatez-vous  de  vous  rendre  au  portique  ici  pres , 
Ou  I'element  glace  joint  la  rade  au  Palais. 
La  Valcur  attend- la  votre  auguste  presence. 
A  rinstant  mon  triomphe  &  le  votre  commence^ 
Et  j'immole  a  vos  yeux  celui  qui  fit  aux  siens     I 
Immoler  les  Auteurs  de  vos  jours  &  des  miens.  4 
Vous  pleurez !  Doutez- vous  du  succes  de  mes  armej  ? 

Adelaide. 


TRAGEDIE.  177 

Adelaide. 

Non,  jc  vous  con  nois  trop  pour  vous  donner  des  larmcs. 
Que  n'a  pas  deja  fait ,  qite  nc  peut  vbtre  bras  ? 
Et  vos  feux  rassures  ne  raffbibliront  pas. 
Mais  qu'a  cet  ennemi  doiit  vous  cf aigtiez  la  rige , 
Ma  fuite  laisse  encore  un  precieux  otage  ! 

G  U  S  T  A  V  E. 

De  le  faire  avertir  ,  il  faut  prendre  le  soin , ^.;,.^^ 
Madame  ,  quel  est-il  ? 

.  i  Adelaide. 

Ce  fidele  temoin , 
Pres  de  qui  s'instruiroic  votre  flamme  jalouse :     ^ 
Une  tete  aussi  chere  a  vous  qu'a  votre  epouse : 
Votre  mere. 

G  u  s  T  a  V  E. 

Ma  mere !  Eh  quoi  ?  Ma  mere  vit  \ 
[■                      Adelaide.              .-^.^MA 
Dans  les  fers  d'ou  je  sors ,  seule  elle  me  suivit  ^      ^• 
Et ,  pres  de  moi ,  resta  tout  ce  temps  inconnuc..*., 
Mais  enfin  sadouleur  ne  s'est  plus  contenue  , 
Des  que  de  votre  mort  le  bruit  s'est  confirme ; 
De  ce  qu  elle  est ,  par  elle,  on  vient  d'etre  informe  j 
Et  deja ,  dans  la  Tour ,  elle  rentre  peut-etre 

Tome  IL      M 


\-^i         G  trs  TJ  VE  -  WA!SA^ 


mm 


S  C  fi  N  E    VII. 
GUSTAVE,  ApiLAKDE,  CASIMIR. 

C  A  S  I  M  J  R. 

J'appercois  Frederic ,  Seigneur  j  il  va  paroitre. 
Sortons ! 

G  D  s  T  A  V  E. 

Ah,Casimir!  qii'ai-jeappris?  Viens ,  snis moi. 

Adelaide. 
Gustave '..«.. 

G  U  S  T  A  V  E. 

Demeurez  •,  &  calmez  cet  efFroi. 
Au  lieu  marque ,  songez  seulement  a  vous  rendre ! 

Adelaide. 
Ah!  vous  allez  tout  perdre,  osant  trop  entreprendre  I 
Laissez  de  Frederic  implorcr  Ic  credit 


SCENE     VIII. 

A  D  ife  L  A  i  D  E.  - 

JLL  m  cchappc.  Imprudcnte !  ou  suis- je,  &r  qu'ai-;c  dit  ? 
Mais  que  devois-je  faire  ?  O  fatale  journec ! 
Par  quels  eveneraens  seras-tu  terminec  i 


T  R  A  G  i  D  I  E.  179 

■  --        . _ — ■>     !  -. — ;=-^ im, 

SCENE    IX. 

FREDERIC,  AD^LAKDE. 

Adelaide. 

OEiGNEUR  1  si  yous  m'aimez 

Frederic. 

Ne  me  reprochez  rien , 
Madame ;  cet  amour  se  JHStifiera  bien. 
De  notre  Hymen  en  vain  la  pompe  se  prepare  : 
Malheur  a  qui  Tordonne !  oiii ,  puisque  le  barbare 
Insulte  a  ma  priere ,  aussi  bien  qu'a  vos  pleurs , 
II  est  temps  d'opposer  fureurs  contre  fureurs. 
L'honneur  ,  votre  rcpos ,  voiia  ma  loi  supreme. 
Jc  n'aurai  pas ,  pour  rien ,  triomphe  de  moi-memc. 
L'efibrt  m'a  trop  coute  pour  en  perdre  le  fruit, 
Madame ,  soyez  libre ,  &  partons  cette  nuir. 
La  flotte  est  route  a  moi ,  je  disposerai  d'elle. 
La  Fortune ,  Ics  vents,  ies  coeurs,  tout  nous  appcllc. 
je  n'ai  que  trop  tarde.  L'infortune  Danois 
Me  reproche  ses  fers  &:  I'oubli  de  mes  droits. 
Vos  malheurs  &  Ies  siens  sont  devenus  mes  crimes. 
Pour  un  monstre  abhorre ,  ce  sont  trop  de  vidimes. 
Pouvant  parler  en  maitrc ,  &z  las  de  supplier. 
Cause  de  tant  de  maux ,  j'y  dois  remedier. 
D'un  si  juste  projet,  soyez  I'heureux  mobile. 
Ouje  retrouve  un  trone,  acceptez  un  asyle , 
Madame  \  &  que ,  du  soin  qui  m'anime  pour  vous , 
Rcnaissent  6c  ma  gloire  &  Ic  bonheur  de  touj. 

Mi; 


,8o  GUSTJFE-JTJSJj 

Adelaide. 
Non;  je  dois  respeder  I'asyle  qu'on  m'accordc  , 
Et  ne  pas  y  trainer  uiie  affreuse  discorde 
Dont  je  serois ,  Seigneur ,  le  flambeau  detcste. 
TJn  autre  espoir  en  vous  aujourd'hui  m'est  reste. 
S  vous  ne  la  sauvez,  Leonor  est  perdue ! 
Qu'avant  la  fin  du  jour ,  elle  me  soit  rendue ! 
Sa  vie  est  en  peril  5  &:  la  mienne  en  depend. 

F  R  IE  D  E  R  I  c. 
J'avois  traite  de  fable  un  bruit  qui  se  repand. 
De  Gustave ,  en  effet ,  scroit-elle  la  mere  ? 

Adelaide. 
Vous  concevez  par- la  combien  elle  m'est  chere , 
Et  tout  le  prixdu  temps  qu'avec  moi  vous  perdez. 
Seigneur  1  avant  la  nuit ,  si  vous  me  la  rendez , 
Si ,  de  votre  amitie ,  j'obtienscette  assurance.... 
Mais  dois-je  vous  parler  de  ma  reconnoissancc  ? 
La  gloire  seule  emeut  la  magnanimity  j 
Et  son  premier  salaire  est  d'avoir  eclate. 

■—— a— a— — teow  b  a  Hiuw.i 


S  C  £  N  E     X. 

FREDERIC. 

A--AISSONS-LA  mon  depart.  Courons  la  satisFaire. 
Elle  m'ofire  sans  doute  un  moyen  de  lui  plaire ; 
Et  de  lui  plaire  encor  par  un  som  genereux. 
Quel  plaisir,  a  ce  prix,  de  pouvoir  etre  heureux ! 
Fin  du  tro'isteme  Aclz, 


T  RA  G  E  D  I  £,  1 8 1 

A   C    T   E     IV. 

SCENE    PREMIERE. 

CHRISTIERNE,  RODOLPHE, 

Christierne. 

J  E  pretends  faire  ainsi  remonter  ma  vengeance 

Aux  sources  du  meprisqui  bravoitma  puissance  ;  • 

Leonordont  Torgueil  osa  la  balancer, 

Expiera  ce  mepris ,  ou  le  for  a  cesser  ; 

De  ses  derniers  discours  retradera  I'audacc, 

Ou  sentira  TefFet  dc  ma  juste  menace. 

Est-elle ,  par  ta  bouche ,  instruite  de  son  sort  >     '. 

R  o  D  o  L  P  H  E. 

EUe  a ,  devant  les  yeux ,  I'appareil  de  sa  mort ; 
Et  j'attendojs  qu*il  fit  tout  I'effct  qu'il  doit  Faire  , 
Pour  vous  la  ramener  plus  prcre  a  vous  complaire. 

Christierne. 
Et ,  dis-moi>d'un  bonheur  qu'il  n'acccpta  jamais ^^ 
De  quel  oeil  Frederic  a-t-il  vu  les  apprcts  j 

R  o  D  o  t  p  K  e. 
Je  le  fais  observer ,  sans  penetrer  encore 
S'il  cede ,  ou  s'il  rcsiste  ait  feu  qui  le  devore. 

M  iij. 


,S2       ausTJ  rS'irJSJ, 

Son  depart,  a  la  nuit ,  d'abord  etoit  marque  •, 
l^-ais ,  presque  sm  le  champ ,  1  ordre  s'est  revoqui 
Anime  d'autres  soins ,  &  pkin  de  confiance, 
Maintenant  il  vous  cherche  avec  impatience  ; 
Et  moi ,  d'uH  entretien  que  vote  ne  cherchez  pas.^ 
J'ai  voulu ,  mais  en  vain ,  vous  sauver  I'embarras, 
Siir  mes  pas,  devant  volis,  il  est  pret  a  se  rendre^ 

G  H  ^  I  S  T  I  E  R  N  E. 

Tot  ou  tard  il  faut  bien  se  resoudre  a  I'entendrCi, 
Et  du  peuple  quels  sont  cependant  les  discours  J 

R  O  D  O  L  F  H  E. 

Dcla  mort  deGustave  il  vcutdoutcr  toujours. 
Sans  perdre  un  seul  instant ,  rendons-la  manifested 
Ou  ce  doute ,  aujourd'bui ,  peut  vous  etre  funestQis 

Chrxstierne^ 

J'ignore  quelle  idee  engageoit  Casimir 
Am'eloigner  de  celle  ou  tu  viens  m'aflfermir. 
Oui,  pour  eteindre  tin  feu  que  Terreur  perpetue^^ 
Presentons  aux  mutins  letir  idole  abattuej 
Djins  la  place  publique ,  ou  fut  lu  son  arret ,, 
Qua  I'instant le  proscrit  paroisse tet  qu'il est. 
Vas  le  prendre  des  mains  de  son  brave  adversaipe* 
Et  d(t  la  ,  devant  moi ,  fais  paroitre  sa  mere, 
Voici  le  Prince.  Vas,  cher  Rodolpbej  &  reviens, ' 
Intcrrompre  au  plutot  de  facheux  entretiens. 


T  KAGEDI  E,  ^Z^ 


SCENE     II. 
CHRISTlERNE^FREDfeRia 

F  R  ]E  D  E  R  I  C. 


V  ous  avez  desire ,  Seigrteitr ,  que  ma  tendresse 
Se  chargeat  d'essuyer  les  pleurs  de  la  Princessc  s 
Et  je  vols  qu'on  la  prive  j  eti  ce  jour  de  douleur , 
Du  seul  soulagement  qu'elle  c\Xt  dans  sou  malheurst 
N'est-il  pas  temps  enfin  que  le  vainqueur  commence; 
A  triompher  des  coeurs ,  s'il  peut ,  par  la  clemenceJ- 
Des  cris  du  malheureux  ne  vous  lassez-vous  pas  2 
Et  faut-il  que  le  sang  marque  ici  tous  vos  pas  ? 
Custave  a  succombe  (  puisse ,  pour  notre  gloire, 
"Un  semblable  triomphe  echapper  a  I'histoire! ) 
Enfin  Gustave  est  mortj  &"  tout  vous  est  soumis.. 
Un  coup  infrudueux  joindroit  la  mere  au  fils. 
La  Princesse  nVimplore,  &  nous  la  redemandc. 
Pour  I'interet  commun ,  soufirez  que  je  la  render,. 
Seigneur:  &■  qu'une  fois  vous  ayant  dcsarmc , 
Je  serve  ce  que  j'aime,  &:  puisse  en  etre  aimc. 

Christie  RNE. 

Prince ,  on  ose  abuser  de  votre  ministere. 
Le  rival  de  Gustave  en  doit  craindre  la  mere; 
Le  passe,  ce  mesemble,a  tous  deux  nous  I'apprend^i 
Et  c'cst  une  imprudence  ^n  vous  qui  me  surprend. 

Miv 


i84         GUS  TA  Vn-W^ASAy 

Frederic. 
La  generosite  jamais  n'est  imprudence. 

Christierne. 
Elle  n'ouvrc  que  trop  la  porte  a  la  licence. 

Frederic. 
Mais  si  Ton  obeit ;  si  Ton  vous  satisfait  3 

Christierne, 
Leur  separation  produira  cet  cffet. 
Frederic, 
Mcs  soins  Tauront  produit. 

Christierne. 

Quoi !  cette  ame  hautainc,.«. 
Frederic. 
Obtenant  Leonor ,  seroit  moins  inhunaaijie, 

Christierne. 
Vous  avez  sa  parole  2 

Frederic. 

Elle  n*a  rien  promis ; 
Mais  jc  crois  m'en  pouvoir  tout  promettre  a  ce  prix. 

Christierne. 
PrincCjcUe  y  compte  en  vain :  c'est  moi  qui  vous  I'annoncc. 

Fredj^ric. 
Quoi ,  jc  lui  portcrois  cette  triste  reponse  ? 

Christierne. 
Tdste  Qu  non  j  j'ai  parle.  Ce  decret  vous  suffit. 


T  RA  G  E  D  I  F.  185 

Frederic. 

J'aurois  cru  meriter  que  Ton  me  satisfit, 

Christierne. 

A  son  retour  du  temple ,  on  lui  pourra  complairc 

Frederic. 

11  s'agit  d'une  grace,  &  non  pas  d'lin  salairc. 

Christierne. 

J'en  crois  faire  une  aussi ,  quand  jc  laisse  cspercr. 

Frederic. 

Mais  la  Princesse  craint ;  il  faut  la  rassurer. 

Christierne. 

Sa  crainte  nous  repond  de  son  obcissance. 
Leonor  lui  rendroit  bientot  son  arrogance. 
De  leurs  derniers  adieux  on  sait  remportement. 
Souvent  I'amour  d'ailleurs  se  flatte  aveuglement. 
Le  votre ,  un  peu  credule  &:  prompt  a  vous  seduire , 
A  pcut-ctre  entendu  plus  qu'on  n'a  voulu  dire. 
Vous  esperez  beaucoup.  Ne  pourroit-on  savoir 
Les  discours  echappes  d'ou  vous  nait  cet  espoir ; 

Frederic. 
Non,  Seigneur  :  je  vous  crois  i  je  I'ai  mal  entenduc. 
Tant  de  gloire  en  elFet  pcut  ne  m'etre  pas  due  ; 
Je  le  veux.  Mais  en  dois-jc  aimer  moins  lequite  J  ; 
Et  ne  consultant  quelle  ,  etre  moins ccoute  ? 
Sommes-nous  plus  en  droit  d'opprimcr  I'lnnocencc? 


Ah!  nepouvoir  m'aimet  j  cc  li'est  pas  line  offense 
A  meriter  les  maux  qu'elle  endure  k  mes  yeux : 
Et  j'en  ai  trop  ete  le  pretexte  odieux. 
La  Princesse  m'est  chere ;  oui ,  Seigneur,  je  Tadorc.. 
Je I'ai  dit  mille  fois ,  je  le  repete  encore^ 
Si  j'en  etois  aime ,  le  soin  de  mon  repos 
Me  rendroit  redoutable  an  plus  fier  des  rivaux  j. 
Je  soutiendrois  mes  droits  au  prix  de  mille  vies ; 
Mais  s'ii  faut  renoneer  aux  douceurs  irifinies 
D'unchoix  qu'avant  ma  flainme  un  autre  a  meritc, 
Je  ne  veux  rien  tenir  d'aucune  autorite  ; 
Rien  ajouter  au  poids  des  fers  d'une  captive 
Si  digne  du  haut  rang  dont  le  destin  la  prive  ; 
Rien  devoir  en  un  mot  a  ses  nouveaux  malheurs... 
Je  respedois  sqs  feux :  je  respecte  ses  pleurs. 
Pour  la  derniere  fois  enfin  je  le  declare  : 
Je  n'y  pretends  plus  rien.  Le  sacrifice  est  rare  ; 
Mais,  nes  pour  commander,  soyons  dans  nosprojets,. 
Nous-memes ,  &  nos  Rois  &  nos  premiers  Sujets. 
Je  dis  plus.  Ceda-t-elle  au  pouvoir  qui  I'opprime ,, 
Et  mon  plus  bel  espoir  devint-il  legitime , 
(  Ainsi  qu'il  est  permis  dc  s'en  flatter  encor ) 
Des  qu'elle  a ,  par  ma  voix ,  demande  Leonor  ,, 
Leonor,  de  ma  main ,  lui  doit  etre  amenee. 
Vous  avez ,  malgre  moi ,  conclu  notre  Hymenee  i 
Je  nc  vous  ai  que  trop  seconde  la  dessus ; 
Contentez-la ,  Seigneur  5  ou  ne  me  pressez  plus^ 

Chris  TiERNE. 
Soyez  done  satisfait ;  loin  que  je  vous  en  presses. 


f  R  A  G  i  D  I  E.  tif 

Je  pretends  qu'entre  vous  toutc  liaison  cessei 

Et  j'anrois  deja  du  vous  avoir  declare 

Que  ce  n'estpas  pour  vous  que  TAutel  est  pai;^. 

Frederic. 
Et  pour  qui  done  ? 

Christierne, 
Pour  moi. 

Frederic. 
Pour  vous  \ 
Christierne. 

Oui,  pour  moi-memc5 
Jc  Tepouse.  D  ou  vient  cette  surprise  extreme  ? 
Quel  autre  dans  ma  Cour ,  degageant  votre  foi , 
Pouvoit  plus  dignement  vous  remplacer  que  moi  ? 
Frederic, 

Est-ce  moi  ?  ( moi ,  pour  qui  son  cceur  est  tout  de  glace. ) 
C'est  celui  qu'elle  aimoit  qu'il  faut  que  Ton  remplacc  i 
Et  si  quelqu'un  le  peut  dignement  remplacer , 
Je  ne  reconnois  qu  elle  en  droit  de  prononcer. 
Quoi,  Seigneur  ?  C'est  done  la  Tusage  que  vous  faites 
Des  droits  de  manaissance,  &  du  rangou  vousetes? 
Mes  refus  gen^reux  vous  ont-ils  couronne , 
Ce  rang  qui  fut  le  mien ,  vous  Tai-je  abandonne 
Pour  voir  deshonorer  Teclat  du  diadcme  ? 
Pour  voir  gemir  le  foible,  &  pour  gemir  moi-memc3 
Ainsi ,  vous  confiant  le  plus  saint  des  depots, 
J'ai  QXVi ,  de  plus  d'un  pcuple,  assurer  le  repos ; 


iS8  GUS  TAFE-TTASJ :, 

Et  j'aurai  prepare  ma  honte  &:  leiirs  supplices ! 

Que  dis-je  ?  Malheureux  dans  tons  mes  sacrifices  ^ 

J'adore  Adelaide  j  &  j'en  suis  estime ;. 

Jc  survis  au  rival  qui  seul  en  est  aime ; 

Tout  me  force  ou  m'invite  a  m  en  rendrc  le  maitrei 

Seul  je  me  le  defends  \  &  vous  pretendez  I'etre  ? 

Du  prix  de  ceteflFort ,  je  serai  plus  jaloux. 

Jc  me  suis  immole  pour  elle  ,  &  non  pour  vous* 

L  appui  de  Frederic  ne  sera  point  frivole. 

Vous  oserez  me  perdre :  ou  je  tiendrai  parole  r 

Oui ,  d  un  si  juste  prix ,  vous  pairez  mes  bienfaits ; 

Ou  vous  vous  souillcrez  du  plus  noir  des  forfaits  1 

Christiern.  E» 

Demeurez.  Je  ne  veux  vous  perdre  nl  vouscraindre  r 
Mais  j'aijde  mon  cote,  comme  vous,  a  me  plaindrc  j. 
Et  laissant  la  le  ton  dont  vous  m'osez  parler , 
Perfide  !  cctte  nuit,  ou  vouliez-vous  aller  X 
Gardes ! 

Frederic. 

J'ai  merite  que  le  mediant  m'accable. 
Je  fus  son  bienfaideur.  Poursuis ,  ciel  equitable! 
Protege  Adelaide ,  en  foudroyant  I'ingrat  j. 
Et  que  ce  soit  ici  son  dernier  attentat  1 

Christierne. 

En  imprecations ,  Timpuissance  est  fecondc* 


1r  RA  G  i  D  1  £.  185 

S  C  £  N  E     III. 

CHRISTIERNE,RODOLPHE,  GARDES. 

ChrISTIERNE  aux  Gardes. 

^^ UE  Ton  sui ve  sqs  pas,  allez :  qu'on  m'en  reponde ; 
Et  qu'il  ne  sorte  plus  de  son  appartemenr. 
Rodolphe ,  je  te  vois  frappe  d'etonnement. 
Eh  quoi !  devois-je  encor  souffrir  qu'un  temerairc^. 

Rodolphe. 
La  rigueur  n'a  jamais  etc  plus  necessaire. 
Tout  me  devient  susped  j  tout  vous  doit  I'etre  ici  *, 
Et  ce  qui  me  surprend ,  va  vous  surprendre  aussi. 
Gustave  n'est  point  mort. 

Christierne. 

Qu'entends-je  ? 
Rodolphe. 

Adelaide 
Nous  en  apprendroit  plus  sur  un  projet  periide 
Dont  elle  a  vu  tan  tot  le  Complice  ou  TAuteur. 
Christierne. 

Quoi,  cefier  inconnu 

Rodolphe. 

N'etoit  qu'un  imposteur 
Dont  Taudace  a  d'abord  appuye  Tartifice  i 
Et  qu'eile  a  fait  courir  ensuite  au  precipice. 


tjfi^         G  US  TA  p-B  -  rrA  SA^ 

Christierne. 
Son  recit ,  cc  billet ,  tons  ces  bruits.... 

RODOLPHE. 

^toicnt  faujti 
Christierne. 
Et  le  Traitre ,  dis-tu ,  qui  tramoit  ces  complots...* 

RODOLPHE. 

Est  en  nos  n^ains.  Dc  plus,  par  un  bonhcur  extreme. 
Get  inconnu ,  je  crois ,  est  Gustave  lui-meme. 

Christierne. 
Gustave !  d'ou  te  nait  ce  soupcon  ? 

R  Q  D  O  L  P  H  E. 

De  tout  Tor   t 
Oflfert  a  I'un  6its  miens  qui  gardoit  Leonpr. 
Dans  scs  empressemens  pour  cette  prisonnierc 
On  a  cru  voir  un  fils  alarme  pour  sa  mere. 
Le  garde  incorruptible  a  feint  de  I'ecouter. 
Par  ce  moyen,  sans  bruit,  on  a  su  I'arreter. 
Jc I'ai  vu.  Sur  son  front,  au  lieu  dc  lepouvante," ^  ^ 
Sont  pcints  le  fier  depit  &  la  rage  impuissante. 
Ses  regards  dedaigneux,  un  silence  obstine , 
Tout  me  I'annonce  tel  que  je  Tai  soupconne. 
Quand  vous  le  reverrez,  vous  jugerez  de  meme  j 
Mais,  pour  nous  en  con  vaincre,  usons  de  stratagemc. 
II  ne  peut  etre  ici  reconnu  que  des  siens 
Moins  prcts  ^  resserrer  qu'a  rompre  scs  liens. 
Songeons  done  a  percer  prudcmment  cc  mysterc. 


t  R  A  G  i  D  t  B,  151 

Christierne. 
H  en  est  un  moyen.  Tu  m'amenois  sa  mere? 

RODOLPHE. 

Je  ne  I'ai  dcvancee  ici  que  d'un  moment , 
Pour  vous  entretenir  de  cet  evenem.ent. 
Christierne. 

Dans  \t  salon  prochain ,  tais  conduire  le  traitre , 
Et  qu'au  premier  signal ,  il  soit  pret  ^  paroitre. 
Leonor  le  verra.  S'il  est  son  fils ,  ami , 
La  nature  jamais  ne  s'echa.ppe  a  demi. 
Bientot  la  verice  se  verra  confirmee 
Dans  les  regards  surpris  d'une  mere  alarmec. 
Pour  me  nommer  Gustave  j  elle  n'a  qu'a  fremir. 
Que  cependant  Ton  fasse  arreter  Casimir. 
II  me  trahit:  ceci  le  condamne  &  m'eclairc. 
Ainsi  que  Frederic  ,  a  mesdesseins  contrairc, 
II  a  pour  Leonor  employe  son  credit. 
Elle  entre.  Vas ,  cours ,  fais  tout  ce  que  je  t'ai  dit. 

SCENE     IV. 

CHRISTIERNE,  LliONOR,  SOPHIE. 

Christierne. 

V  OTRE  Juge  oJSense  n'est  pas  inexorable. 
Dans  vos  premiers  transports,  vous  etiez  excusable  j 
Peut- ctre  ,  dans  les  miens,  me  suis-je  trop  permis j 
En  les  desavouant ,  cessoi^s  d'etre  ennqniw  ; 


1572         GUSTJ  FE-irJSJ^ 

Mais  sachez  profiter  de  ma  bonte  facile , 

Et  ne  vous  parez  pas  d'un  orgueil  inutile , 

Qui  pourroit  vous  couvrir  de  blame  en  vous  perdant.  ^ 

On  signale  a  sa  honte  un  courage  imprudent. 

Le  votre  ne  seroit  qu'une  aveugle  fbiblesse. 

Car  cxposant  des  jours  si  chers  a  la  Princessc , 

Vous  exposez  les  siens.  Songez-y ,  Leonor. 

Sauvez-Ia !  Sauvez-vous !  II  en  est  temps  encor. 

Promettez-moi  pres  d'elle  une  heureuse  entremisc. 

A  mes  intentions  rendez-la  plus  soumise. 

En  un  mot ,  reparez  ce  que  vous  avez  fait. 

A  ce  prix,  je  pardonne  j  &  je  suis  satisfair. 

Leonor. 

N*esperej  pasTyran ,  que  mon  orgueil  se  lasse. 

Le  tien  se  satisfait  a  me  parler  de  grace , 

Et  le  mien  a  vouloir  n'en  meriter  jamais. 

Puissent  mes  soins  te  nuire  autant  que  je  te  hais  1 

Vas!  J'ai  de  la  Princesse  affermi  le  courage. 

Pour  moi ,  je  respirois  apres  un  long  orage. 

1.CS  apprets  de  ma  mort  fixoient  tout  mon  espoir. 

Pourquoi  se  changent-ils  en  I'horreur  de  te  voir? 

Que  nous  proposes- tu  ?  quelle  offre  oses-tu  faire  ? 

Quels  traites  ?  Nous  pleurcns>  moi ,  Gustave  &:  son  Perc  5 

Elle ,  un  Trone  usurpe ,  son  Pere  &  son  Epoux. 

Ce  n'cst  qu'a  des  Vcngcurs  a  traiter  avec  nous  j 

Et  du  traite ,  ta  mort  seroit  le  premier  gage. 

Christierne. 

Toujours  la  m^mc  audace  dc  le  meme  langage  ! 

Et 


t  RA  G  i  D  t  E.  195 

Et  pourquoi  toutes  deux  imputer  a  ma  main 

Les  attentats  d'un  autre ,  &r  les  coups  du  Destin  > 

Le  Ciel  favorisa  mes  armes  legitimes ; 

Son  Pere  &  ton  Epoux  en  furent  les  vidimes. 

J'ai  vaincu ,  j'ai  conquis,  &  n'ai  rien  usurpe. 

Pour  ton  Fils ,  dans  son  sang,  ma  main  n'a  point  tremp6. 

Suis-je  son  meurtrier?  Veut-on  que  je  reponde 

Dun  coup?.. 

L  E  o  N  o  R* 

Merites-tu,  lache,  qu'on  te  confonde? 
Ta  main n  a  pas  ifcmpedans  le  sang  de  mon  Fils? 
Et  son  assassin  vient  t'en  dcmander  le  prix  ! 
Et  tes  tresors  ouverts  s  epanchent  sur  le  Traitre ! 
Tu  n'as  pas  ignore  qu'en  payer  un  ,  c'est  Tetre. 
Aux  yeux  des  Nations  dont  tu  te  rends  Thorreur , 
Crois-tu,  par  ce  detour,  excuser  ta  fureur  ? 
D'un  forfait  si  visible ,  est-ce  ainsi  qu'on  se  lave  ? 
Pour  te  justifier  du  meurtre  dc  Gustave , 
Inflige  au  Scelerat  des  tourmens  ignores ! 
Que  du  Monstre,a  mes  yeux,  les  membresdechires, 
Nousprouvent... 

C  HR  I  S  T  lERN  E.  -''  ''^  ■'-' 

J*y  consens.  Qu'il  meure  en  ta  presence. 
Tu  verfas  si  le  crime  ici  se  recompense  •, 
Si  je  me  rends  coupable  aux  yeux  de  I'Univers. 
Rodolphe,  paroisscz  I 

Tome  IL     N 


194        GUSTAVE-TTASA^ 


S  C  E  N  E     V. 

CHRISTIERNE,  LEONOR,  GUSTAVE, 
RODOLPHE,  SOPHIE,  GARDES. 

Christierne. 

X  lENS,  regarde  cesfers» 
Est-cc  la  done  un  prix  digne  de  tes  reproches  ? 
Suis-jeaccusable  encor  dti  meurtredctesProches? 
Qu'il  perisse  \  &  qu'enfin  ce  coup  nous  rende  amis. 
Qu'on  rimmole.  Frappez  ! 

L  E  O  N  O  R  ,  retenant  Ic  bras  du  Garde. 
Arretc ! 
Christierne. 

Ah ,  c'est  ton  Tils ! 
G  u  s  T  A  V  E. 
Oui,  je  le  suis.  Je  fais  cet  aveu  sans  contrainte. 
Pour  d'autres  que  pour  moi  j  j'eus  rccours  a  la  feinte  ; 
Mais  mon  proprc  peril  me  defend  d'en  user  j 
Et  je  le  sens  trop  peu  pour  daigner  t'abuser. 

L  E  O  N  O  R  embrassant  Gustave. 
Osang  d  uncher  ^poux!  Fils  d'un  malheureux  Pere! 
Dans  quel  etat  le  sort  te  rend-il  a  ta  Mere? 

Gustave.  ^ 

Madame,  excitez  moins  un  tendre  sentiment 
Qui,  de  notre  malheur,  vient d'etre I'instrument. 


r  KA  G  t  D  I  E.  lyji 

"La  seule  piete  nous  ravit  la  vidoire. 
Snr  le  point  de  vous  rendre  un  fils  couvert  de  gloire , 
J'aicraint  de  vous  laisser  pourotage  en  ceslieux  j 
Et ,  voulant  vous  sauver ,  je  peris  a  vos  yeux. 
Daignez ,  pour  prix  d'un  soin  si  funeste  &  si  tendf  e , 
( Si  pourtant  le  devoir  a  des  prix  a  pretendre) 
Daignez  ou  retenir ,  ou  me  cacher  vos  pleurs. 
Dcrobons  un  triomphe  a  nos  Persecuteurs ! 
Gustave ,  a  peine  emu  de  sa  propre  misere , 
Oseroit-il  s'oflrir  pour  exemple  a  sa  Mere? 
Que perdez- vous ,  Madame?  Un  Filsdejapleure; 
Mais  moi  qui  vois  la  mort  d'un  visage  assure. 
Que  de  regrets  mortels  au  moment  ou  j'expire ! 
Je  perds,  avec  la  vie,  une  Mere  ,  un  Empire, 
D'incroyables  travaux  le  fruit  presque  certain  j 
Ma  gloire ,  ma  vengeance ;  Adelaide  enfin  j 
Pour  tout  laisser....  Helas!  A  qui? 

L  E  o  N  o  R* 

Qu'on  me  soutienne! 
Gustave. 

Ma  Mere ! ...  mais  ^zs,  yeux  ne  s'ouvi'entplus  qu'a  peine! 
EUe  se  meurt!  Soldat ,  frappe  !  Delivre-moi 
De  tant  d'objets  d'horreur,,  de  tcndresse  &d'e£Froi! 
Frappe  I 

Christierne. 

Prenez  soin  d'elle;  emmenezla,  Sophie  j 
Et  que  votre  secours  la  rappelle  a  la  vie. 

N  ij 


I5>tf         GUSTJ  FE-JTAS  A, 


SCENE     VI. 

gUSTAVE,  CKRISTIERNE ,  RODQLPHE, 
GARDES. 
Christierne. 

CfUSTAVE  ,  il  n'est  pas  temps  encore  de  mourir, 

11  faut  auparavant  ou  me  tout  decouvrir , 

Oil  s'attendre  a  languir  long-temps  dans  les  tortures. 

Reponds.  A  quoi  tendoient  toutes  tes  impostures  > 

Est-ce  a  I'assasinat  qu'aspiroit  ta  vertu  ? 

Quel  espoir,  quel  dessein ,  quel  complice  avois-tu? 

G  u  s  T  A  V  E. 
Si  la  Nature  en  moi  tantot  eut  pu  se  taire , 
Sourd  a  la  voix  du  Sang ,  si  j'avois  pu  me  fairc 
Un  coeur  aussi  farouche,  aussi  bas  que  le  tien , 
Je  ne  subirois  pas  ce  funeste  entretien. 
Je  veux  bien  m'abaisser  encore  a  te  repondre; 
Et  c'est  pour  t'obcir ,  moins  que  pour  te  confondrc; 
Tache  a  te  rappeler  ici  tons  mes  discours. 
Tu  n'y  remarqiicras  que  de  legers  detours , 
Sous  qui  la  vcrite  maintenant  reconnue , 
A  d'autres  yeux  qu'aux  tiens  eut  paru  route  nuc. 
Mais  la  soif  de  mon  sang  qui  te  les  fascmoit , 
Vers  Terreur  ,a  mon  gre,  plus  que  moi  t'entrainoit. 
Sois  sur  qu'un  vrai  courage  animoit  Tentreprise. 
On  n'assassinc  point  I'cnnemi  qu  on  meprise.    .  •  - 


,     T  RA  G  B  D  I  E.  15^7 

Je  te  I'ai  dit.  Celui  qui  t'cuc  fait  succomber, 
Sait  arracher  la  palme ,  &"  non  la  derober. 
Aux  attentats  ma  main  ne  s'est  point  eprouvec. 
A  la  tete  des  miens ,  la  Princesse  enlevee  , 
Je  t'aurois  done  oflFert  la  victoirc  ou  la  mort , 
Et  le  droit  du  pins  brave  eut  regie  notrc  sort. 
Tels  etoient  mes  projets.  Le  Destin  qui  nous  joue, 
Couronnant  le  plus  lache,  ordonne  que  j  echoue. 
Tu  regnes,  &:  je  meurs.  Triomphe  -,  mais,  crois-moi. 
Ton  bonheur  sera  court ,  triomphe  avec  efiroi. 
Tant  de  calamite  que  Stockolm  a  souflferte, 
Messoins  &  mon  exemple  ont  prepare  taperte. 
Elle  suivra  la  mienne ,  &:  la  suivra  de  pres. 
Sois  maitre  de  mes  jours ;  &:  tandis  que  tu  Tes ,, 
Eprouve  ma  Constance  au  milieu  des  supplices. 
Je  n'y  dirai  qu  un  mot.  Cest  que  j'eus  pour  complices  > 
Tous  les  gens  vertueux  qu'ont  lasses  tes  forfaits. 
Je  ne  les  trahis  point :  tu  n'en  connus  jamais. 

Christierne. 
Ce  mot  seul  va  couter  bien  chcr  a  ta  patrie. 
Moins  tu  veux  la  trahir ,  plus  tu  I'auras  trahie. 
A  qui  tout  est  susped ,  tout  est  indiflferent. 
Le  sang  des  Suedois  coulera  par  torrent. 
Que  ,  sur  un  cchaffaut ,  le  tien  les  en  instruisc : 
Vas-y  trouver  la  mort.  Gardes !  qu'cnTy  conduiscv 
Et  que ,  dans  un  moment ,  je  me  sache  obei. 

N  ii) 


15,8         GUSTAVE-WASA, 


SCENE    VII. 

CHRISTIERNE,  GUSTAVE  ,  ADELAIDE, 
RODOLPHE,  GARDES. 

Ad  ELAiDEj  courant  k  Gustave, 

H 1  Prince  infortune !  quel  arret !  qu'ai-je  oui  ? 
{Se  jetant  au  devant  des  Gardes.) 
Soldats,  n'avancez  point  1  N'oscz  rien  entrcprendre , 
Qu'apres  quevotre  maitreauradaignem'entendrej 
Et  que  sensible  ou  sourd  a  mes  cris  douloureux , 
U  n'ait  revoque  I'ordre ,  ou  n'en  ait  donne  deux. 

Christierne. 
Rodolphe ,  demcurez, 

Gustave. 

Adieu ,  belle  Princessc. 
Vous  sortirez  bientot  des  fers  ou  je  vous  laisse. 
Si  Gustave  en  doutoit ,  vous  ne  le  verriez  pas 
Si  courageuscment  s'avancer  au  trepas. 

Adelaide. 
Eh !  pourquoi  voulez-vous  renoncer  a  la  vie  J 
Flechissez !  Lconor ,  moi ,  tout  vous  y  con  vie. 

(  Tomhant  aux  pieds  de  Christierne, ) 
Serez-vous  sans  pitic ,  Seigneur  j  &  ne  peut-on...; 


T  RJ  G  t  D  I  E,  ,9, 

G  U  S  T  A  V  E. 

Adelaide  anx  pieds  du  bourreaude  Stenon! 

Christierne. 

Que  direz-vous  pour  lui?  Vous  Tentendez,  Madame. 

Adelaide. 

Par  tout  ce  qui  jamais  eut  pouvoir  sur  votre  ame , 
Plaignez  mon  infortune ,  &  daignez  m'ecouter  I 
Christierne. 

Rien  ne  me  plairoittant  que  de  vous  concenter. 
C'est  de  vous  seule  ici  que  depend  ma  clemencc. 
Sa  grace  est  aux  Autels. 

Adelaide,  bas» 

^loignez  sa  presence. 

Christierne^  Rodolphe, 

Qu'on  le  mene  ouj'ai  dit ;  mais,  en  le  gardantbien. 
Que,  jusqu'a  nouvel  ordre ,  on  n  execute  rien.  ^ 

a  Adelaide, 
Parlez  j  je  vous  cntends. 

G  u  s  T  A  V  e. 

Point  de  pitie  cruelle. 
Laisscz  frapper ,  Madame ,  &:  soyez-moi  fideUc ! 


N  iv 


SCENE     VIII. 

CHRISTIERNE,  ADELAIDE. 
Christierne. 

3M  Ais  consultez-vous  bien ;  &  songcz  qu  aujourd'hui 
L'eflfort  seroit  funeste  a  bien  d'autres  qu  a  lui  j 
Que  si  le  fils  perit ,  la  mere  est  condamnee  j 
QueStockolm,  a  laflamme,  au  fer  abandonnec , 
Regorgera  du  sang  de  tous  ses  Citoyens. 
Balancez  main  tenant  mcs  avis  6c  les  siens. 

Adelaide. 
Quelles  extrcmites ,  &  quel  arret  terrible  ! 
Vous  n'adoucirez  point  ce  courroux  inflexible  ? 
Quelle  raison  peut  done  si  fort  interesscr . 
A  ce  fatal  hymen  ou  Ton  veut  me  forcer  ? 
Isfes  droits  que  la  naisSahce  attache  a  ma  Personnel 
Eh ,  s'il  m'en  reste  encor ,  je  vous  les abandonne  T 
La  fortune  aujourd'hui  vous  les  a  confirmesj 
Jouissez-en !  jamais  les  ai-je  reclames  ? 
Cesdroitsdepuis  dixan$,  cedes  au  droit  des  armcs, 
Qnt-ils  eu  jusqu'ici  quelquc  part  a  mes  larmes  ? 
Les  ai-jeun  seul  instant  regretes?  Non  ,  Seigneur. 
Toute  ambition  ccsse ,  ou  regne  la  douleur. 
Dc  mon  perc  egorge  la  deplorable  image  , 
De  mon  amant  proscrit  la  mort  ou  I'escIavagCj 


TRAGEDIE.  201 

Son  rival  importun ,  I'horreurde  ma  prison, 
Occupoient  de  trop  pres  mon  coeur  &  ma  raison. 
Aiix  soupcons  toutefois  si  votre  ame  est  livrce , 
Dans  le  sejour  affreux  dont  vous  m'avez  tiree, 
Renvoyez-moi  trainer  le  reste  dc  mes  jours ! 
Oli  moins  severe,  helas,  terminez-en  le  cours  1 
Mais  ne  me  forcez  point  a  me  noircir  d'un crime! 
A  trahir  un  amant  fidcle  &:  magnanime  , 
A  qui  ma  bouche  a  fait  les  sermens  les  plus  doux , 
Qu'elle  a  meme  deja  nomme  du  nom  d'^poux ! 
'■  Veut-on  qu' Adelaide  infidelle ,  par  jure.... 

\.  C  H  R  I  S  T  I  E  R  N  E. 

Rompons,  rompons  le  noeud  d'oii  naitroit  cette  injure ! 
Gustave ,  en  expirant ,  va  vous  en  afiiranchir. 
Je  ne  vous  laisse  plus  le  temps  d'y  reflechir. 
Aussi-bien  Ton  conspire ;  &"  je  dois  un  exemplc. 
Hola,  gardes!  ^loadTI 

Adelaide. 

Seigneur !  qu'on  me  conduise  au  temple.  I 
Contentez  Frederic  j  &  le  faites  chercher !      '''  . 
Qu'il  vienne  !  sur  ses  pas,  je  suis  prete  a  marcher. 

Christierne.  /  ^ 

De  vous  servir  encor ,  vous  le  croyez  capable.  ^ 
Mais  vous  comptez  en  vain  sur  I'appui  d'un  coupal^Ie , 
Qui  trop  long-temps  rebelle  a  mon  autorite, 
Lui-mcme  ici  n  a  plus  ni  voix  ni  libertc. 
Nous  saurons  aehever,  sans  lui,  cet  Hymenec, 
Venez , ^^lodame, ,v *..,.,;,,  _ 


zoi         GUSTAVE-WASA; 
Adelaide. 

A  qui  suis-je  done  destinee  ? 
Quel  est  celui ,  Seigneur ,  a  qui  vous  pretendez.... 

Christierne. 

Le  Nord  n'a  plus  deReine ,  &:  vous  le  demandez  ? 
Venez  mettre,  Madame,  un  terme  a  vos  disgraces , 
Surmonter  votre  haine ,  en  efface r  les  traces , 
Sauver ,  en  partageant  le  rang  dont  je  jouis , 
Gusrave,Leonor ,  &  tout  votre  pays.... 
Rodolphe  de  retour !  que  viendrois-tiim'apprendre? 


SEaaazaaBKSsaft 


S  C  £  N  E     I X. 

CHRISTIERNE,  ADELAIDE,  RODOLPHE. 
Rodolphe. 

i^UR  la  flotte,  Seigneur ,  hatons-nousde  nous  rendre  j 
^  ar  ces  lieux  detournes,  on  pent  gagner  le  port. 
*^uyons  1  Vous  tenteriez  un  inutile  effort.  ^  . 

Grace  a  Tadivite  d'Othon  qui  nous  devance , 
Le  Prince  &:  Leonor  sont  en  votre  puissance. 
Saisi  d'eux ,  vous  avez  de  quoi  faire  la  loi.  ' 

Christierne.  .     ' 

Moi,  fuir !  ,  ;  /j 

/y)-...  Rodolphe. 

C'est  un  parti  qui  revolte  un  grand  Roi. 


T  RA  G  E  D  I  E.  loj 

Mais  vos  armes ,  Seigneur ,  sont  id  ies  moins fortes. 
A  des  flots  d'ennemis  Scockolm  ouvre  ses  portes. 
Le  traitre  Casimir ,  qu'on  cherchoit  vainement, 
Se  fait  voir  a  leur  tete ,  &  paroit  au  moment 
Que  la  Place  deja  de  mucins  ecoit  pleine , 
Et  que  rous  nos  soldats  ne  resistoient  qu'a  peine. 
Le  nombre  nous  accable  j  &:,  pour  tout  dire  enfin, 
Le  terrible  Gustave  a  le  fer  a  la  main. 
Rien  ne  I'arrete ;  il  vole  j  &  bientot ... 

Christierne. 

Qu'ilmcvoic! 
Je  cours  le  recevoir.   (  emmenant  Adelaide. ) 

Toi ,  tremble !  &  de  ta  joic 
Viens  payer  a  sqs  yeux  ce  transport  indiscret ! 

A  D  E  LA  IDE. 

Qu  il  vive !  Qu'il  triomphe  1  Et  je  meurs  sans  regret. 

Christierne  s*arretant. 

pen  suis  le  possesseur,  &c  je  la  sacrifie  I 

(  a  Rodolphe.  ) 

Puis  avec  elle ,  Ami  j  ton  Roi  te  la  confie  : 

Je  te  suis :  mais ,  avanr  que  de  quitter  ces  bords. 

On  s'y  ressentira  de  mes  derniers  efibrts. 

Fin  du  quatriemc  Acle, 


X04         GUSTA  rE-WASJy 


A  GTE    V. 


SCENE    PREMIERE. 

ADfeLA'lDE,  SOPHIE. 

Ad  e  laid  e. 

J E  RE vois la  lumiere ,  &  tu  veux  que \q  vive; 
Mais,  sous  quel  astre  enfin  ?  Suis-je  Reine  ou  captive  \ 
Parle ,  dois-je  benir  ou  detester  tes  soins  ? 
Tes  yeux  de  tant  d'horreurs  etoient-ils  les  temoinsJ 

Sophie. 

Non ,  Madame;  j'etois  dans  ce  Palais  errantc , 
Lorsque ,  sans  mouvement,  pale,  froide  6c  mourantc^ 
Je  vous  ai  prise  ici  dc  la  main  des  Vainqueurs. 
Etoicnt-ce  vos  Tyrans  ou  vos  Liberateurs  ? 
Ma  vuc ,  1  tout  cela ,  ne  s*est  guere  attachec*    '  * 
Leonor,  dc  mes  bras  venoit  d'etre  arrachce.  ""  '^ 
Mon  trouble ,  votre  etat ,  des  cris  renouveles , 
Par  ces  cris  les  Vainqueurs  au  combat  rappeles, 
De  tant  d  cvenemens  &  le  nombre  &:  la  suite , 
N'ont  pu  de  notre  sort  me  laisser  bien  instruitc  > 
Et  du  feu  meurtrier  le  bruit  sourd  &:  lointain , 
Dit  trop  que  le  succes  est  encore  incertaiii* 


T  RA  G  E  r>  t  n^  105 

Mais  I'inhnmanite  que  j'ai  le  moins  concue , 
C'est  Tetat  deplorable  ou  je  vous  ai  recue. 

Adelaide. 
Tu  paliras,  Sophie,  au  recit  du  danger , 
Qu'en  ce  desordre  afFreux  Ton  m'a  fait  partager. 
Sur  CQs bords J  dont  I'hiver  a  glace  la  surface, 
Mes  ravisseurs  fiiyoient  j  &  franchissant  Tespace 
Qui  semble  separer  le  rivage  &  les  eaux, 
M'enlevoient  vers  la  rade  ou  flottoient  leurs  vaisscaux. 
J'encroyois Frederic-,  &"  je  nVetois  flattee 
De  voir,  en  sa  faveur,  la  Flotte  revoltee; 
Mais  plus  nous  approchions,  moins  j'avois  cet  espoir. 
Tout  ce  que  j'appercois ,  paroit  dans  le  devoir. 
Laissant  done  pour  jamais  Gustavc  &c  ma  Patrie , 
Je  demandois  la  mort  3  quand  ce  Prince  en  furie , 
Du  Palais  ou  szs  yeux  ne  me  rencontroient  point, 
Entend  mes  cris ,  me  voit ,  vole  a  nous,  &  nous  joint. 
On  se  mele.  Je  veux  regagner  le  rivage  j 
Par  tout  je  me  retrouve  au  centre  du  carnage. 
La  fortune  se  joue  en  ce  combat  fatal. 
Sur  la  glace  ,  long-temps ,  Tavantagc  estegalj 
EUe  nuit  a  la  force ,  elle  aide  a  la  foiblesse  \ 
Et  chaque  pas  trahit  la  valcur  ou  I'adresse. 
Parmi  des  cris  de  rage  &  de  mourantes  voix  , 
Un  bruit  plus  efirayant ,  plus  sinistre  cent  fois , 
Sous  nous ,  autour  de  nous ,  au  loin  se  fait  entendre. 
La  glace  en  milleendroits ,  menace  de  se  fcndre , 
Se  fend ,  s'ouvre ,  se  brise ,  &  s'epanche  en  glacons 
Qui  nagent  sur  un  goufFre  ou  nous  disparoissons. 


io6         GUSTJFE-  WAS  A:, 
Rien  encor,  quelque  effroi  qui  dut  m'avoir  ^muc, 
Rien n'avoit  echappe  jusqualors  a  ma  vue \ 
Mais ,  du  voile  mortel ,  mes  yeux  enveloppes , 
D'auciin  objet ,  depuis ,  n'ont  plus  ete  frappes. 
Dureste ,  mieux  que  moi,  tu  n  es  pas  informee: 
Ainsi ,  de  plus  en  plus ,  tu  me  vois  alarmee. 
D'un  rude  &  long  combat,  peut-etre  qu'aflfoibli, 
Gustave  est  demeure  sous  I'onde  enseveli ; 
Peut-etre  que  ,  sans  chef,  nos  troupes  fugitives 
Auront ,  a  son  rival ,  abandonne  ces  Rives ; 
Et  quand  jc  me  figure ,  en  proie  a  scs  transports, 
.  L'epouvantable  abysme  ou  je  retombe  alors..«i 

Sophie. 
Non ,  non,  d'un  tel  peril  avoir  ete  sauvce, 
Au  bonhcur  le  plus  grand ,  c'est  etre  reservee ; 
Madame;  esperez  tout.  Cessant  d'etre  ennemi, 
Le  Destin  rarement  favorise  a  demi. 

Adelaide. 
Etquepcut-rilpoiir  moi?  Que  veux-tu que  j'esperc^ 
Le  fils  m'etant  rendu ,  s'il  faut  pleurer  la  mere  ? 
Quelle  joie  ofFrira  la  vidoire  a  mon  coeur , 
Si  Christierne  fuit,  s'il  echappe  au  vainqueur  ? 
Lconor ,  au  tyran  demeure  abandonnee. 
Elle ,  a  qui  je  dois  plus  qua  ceux dont  je.suis  nee  I 
Elle  ,  dont  le  malheur  n'est  venu  que  du  mien! 
Qui  me  tint  lieu  de  tout !  sans  qui  tout  ne  m'est  rien  I 
Son  sang  payeroit  bientot  la  commune  alegresse. 
,    Lconor  pcrira  ! 


t  R  A  G  t  D  I  E,  207 

Sophie. 

Le  bruit  d^ts>  armes  cesse. 
Elles  ont  decide ,  Madame.  On  vient  a  nous. 

»W.».mM'><''»-.— «»'>'-L-ll-i,l.UBi-L.i.--l.ig-!Ji»JII   I       null    IIHI-^LL.....„H'IMWM« 
t>   ■  * 

SCENE    II. 

»C  AS  I  MIR,  qui  veut  rentrer  en  voyant  Adelaide, 
ADELAIDE,  SOPHIE. 

Adelaide. 

C-/  A.SIMIR!  Gasimir !  pourqnoi  me  fuyez-vous  \ 
Ce  jour  auroit-ii  mis  le  comble  a  nos  miseres  J 

C  A  s  I  M  I  R. 
Vous  remontez,  Madame,  au  trone  de  vos  percs, 

Adelaide. 
Je  puis  y  regretter  Tetat  ou  j'ai  vecu. 

Gustave ,  Leonor 

C  A  s  I  M  I  R. 

Christierne  est  vaiiicu. 
Adelaide. 
Et  peut-etre  venge  > 

C  A  S  I  M  I  R. 

Non ,  mais  tout  pret  a  Tetrc. 
'''Ad  i  L  A  i  D  e. 
Ah,  vous  n'avez  rien  fait ! 


ioS  GVSTAFE-VTASA^ 

C  A  S  I  M  I  R. 

Ayant  vu  fuir  Ic  traitre, 
Qui,  du  milieu  des  flots ,  brave  a  present  nos  coupSj 
Gustave  impatient  revcnoit  pres  de  vous. 
Mais ,  par  des  furieux  qui  refusoient  la  vie , 
Presque  de  pas  en  pas ,  sa  course  ralentie  , 
Veut  qu'il  combatte  encor,  &  vainque  a  chaque  instant* 
Ami  J  prends  ^  m'a-t-il  dit ,  un  soin  plus  important ; 
Je  saurai  disperser  cette  fbule  impuissante. 
Dans  la  Tour  ^  cependant  ^  ma  mere  est  gemissante  ^ 
Chasse  de  devant  elle  &  la  crainte  &  la  mort  ; 
E't  J  pour  la  ras surer  ^  instruis-la  de  mon  sort* 
Je  le  qtiitte ,  &  j'accours.  Mais ,  helas !  du  rivagc^ 
Sur  un  navire  expres  approche  de  la  plage  , 
Je  decouvre....  6  spectacle  ,  ou  de  la  cruautc , 
Triomphe,  sous  nos  yeux,  Thorrible  impunitc! 
Christierne ,  a  ses  pieds ,  d'une  main  forcenee , 
Tenant  sur  le  tillac  Leonor  prosternee  , 
Et  de  Tautre ,  dcja  haussantpour  sevenger, 
Le  fcr  etincelant  tout  pr6t  a  I'cgorger. 
A  cet  asped ,  vers  lui ,  nos  mains  sont  etendues. 
Du  peuple  suppliant  le  cri  perce  les  nues. 
Pour  une  heure  ,  le  coup  demeure  suspendu  \ 
Et ,  par  un  trait  lance^  ce  billet  est  rendu. 

A  D  E  L  A  'i  D  E  /^  recevant. 

Ah!  je ne  vois que  trop  le  choix  qu  on  nousy  laissc. 

{Elle  lit  has. )^^^  

SCfeNE 


T  RA  G  £  D  t  M.  tcf 

S  C  fi  N  E    III. 

GUSTAVE,  ADELAIDE,  GASIMIR ,  SOPHIE. 

GUSTAVE  a  ceux  q^ui  le  suivent^ 

OOLtTATS ,  qu  on  se  retire,  &  que  Ic  meurtre  cessc. 
Que  le  sang  le  plus  vil,  devenu  precieux  , 
Temoigne  que  c'est  moi  qui  commande  en  ces  lieux* 

(  Appercevatit  &  abordant  Adelaide. ) 
O  faveur ,  que  du  ciel  je  n'osois  presque  attendre ! 
Que  de  graces  deja  n'ai-je  pas  a  lui  rendre , 
Madame,  vous  vivezj  &  par  d'heureux  moyens , 
Les  secours  de  Sophie  ont  seconde  les  miens ! 
Vous  vivez !  Quelle  crainte  en  mon  coeur  est  cessee  I 
Dans  quel  etat  afl^eux  je  vous  avois  laissee , 
Pour  courir  assurer  un  succes  balance 
Par  I'enacmi ,  qu'enfin  vos  amies  ont  chass^  I 

Adelaide. 
Hclas ! 

G  u  s  T  A  y  E. 
Votre  vengeance  euE  etc  mieux  servie. 
11  eut ,  avec  le  trone ,  abandonne  la  vie  j 
Mais  dessoins  plus  sacresmeprcssoienttour  a  tour.. 
J'avois  a  rassurer  la  nature  &  I'amour. 
Vous  &  ma  mere  avez  favorise  sa  fliite. 
Vous  avez  Ifunc  ^  Taiitrcarrcte  ma  poursuitc. 

Tome  IL     O 


-tia  GUSTAFE-W^ASJ, 

Sans  vous  deux,  mes  lauriers  devenoient  superfliis. 
Je  vous  vois :  je  respire.  11  ne  me  reste  plus  , 
Pour  goiiter  sans  melange  une  faveur  si  chere , 
Que  de  m'en  applaudir  dans  les  bras  de  ma  mere. 
Voyons-la.  Quelle  joie ,  apres  tant  de  malhcurs ! ... 
Mais  que  m'annonce- t-on  ?  Je  ne  vois  que  des  pleursl 
Vous  qui  la  secouriez,  repondez-moi ,  Sophie?.... 
Casimir....Tout  se  tait.  Ah !  ma  mere  est  sans  vie  !  " 

Adelaide. 
Leonor  voit  le  jour.  ' 

G  U  S  T  A  V  E. 

£t  vous  soupirez  tous  ? 
Adelaide  lui  donnant  le  killet. 

Voyez  quel  sacrifice  on  exige  de  vous. 

G  u  s  T  A  V  E  /ir. 

Ou  dcviens  Parricide^  ouflechis  ma  coVere  ^ 
Gustavc.  Je  t*accordc  une  heure  pour  le  choix. 
Songe  a  ce  que  tu  peux  :  songe  a  ce  que  tu  dots. 
Ou  rends  moi  la  Princejje^  ou  voisperir  ta  mere. 
Lebarbare ,  en  fuyant ,  Tavoit  en  son  pouvoir  I 

C  A  s  I  M  I  R. 

Du  haut  de  ce  palais ,  Seigneur  ,  on  pent  tout  voir. 
Le  poignard,  a  nos  yeux,  reste  leve  sur  elle. 

Adelaide. 

J'attcnds  le  mcme  coup  de  ma  douleur  mortelle.  , 


.  ,  V  "T  RA  G  t  D  I  E,  2  1 1 

G  U  S  T  A  V  E. 

Juste  ciel  1  a  qui  done  sera  du  votre  appui  ? 
La  piete  deux  fois  m'est  fatale  aujourd'hui. 

Adelaide. 

I'redcric  cut  ete  notre  ressource  unique  j 
.  Je  pourrois  tout  encore  sur  son  ame  heroique , 
Ec  j'irois  me  jeter,  sans  rien  craindre,  a  ses  pieds  j 
Si  ce  rival  etoit  le  seul  que  veut  eussiez. 

G  tj  S  f  A  V  E. 

Le  seul  I  ce  n'est  pas  lui  que  1  ec^nge  toncerne  ? 

;  Adelaide. 

Non ,  Seigneur. 

G  u  s  t  A  V  Ei 

Eh  qui  done  ?  j, 

^  ;   .  A  D  E  L  A  i  D  E. 

.is\u\W.  Le  tyrin. 

G  u  s  T  A  V  E. 

Christicrnel 
Adelaide. 

Lui-meme.  J'apprenois  ce  dernier  coup  du  sort , 
Lorsque,  sur  1  echafaUt ,  vous  attendiez  la  mort. 

G  y  s  T  A.v^* 

Aussi  n'est-  ce  pas  vous  qu'on  livrera ,  Madame. 
Cest.a  moi  d'assouvir  le  coiirroux  qui  renflamme. 

Oij 


ill         GVStAVE-WASA, 

(  k  Casimlr. ) 
Vas  le  trouver ,  ami  y  sache  s'il  y  consent. 
De  ce  courroux,  ma  mere  est  Tobjet  innocent. 
Qu'il  accepte  au  lieu  d'EUe  un  rival  qu'il  detestc. 

C  A  s  I  M  I  R. 

Moi ,  je  me  cbargerois  d'un  emploi  si  funestc ! 
To,iit  ordre  qui  vous  nuit ,  passe  votre  pouvoir , 
Seigneur;  &  je  vous  fuis ,  pour  n'en  plus  rccevoir. 


SCENE     IV. 
GUSTAVE,  ADELAIDE,  SOPHIE. 

G  U  S  T  A  Y  E. 


jutS.  A  mere ,  je  le  vois ,  n'a  plus  que  moi  pour  elle. 

{ II  veut  sordr.) 
A  D,  ]§  L  A  i  D  E  Carrhanu 
Ah  1  Prince ,  ou  ccyrezTVOus  ? 

G  U  s  T  A  V  E. 

Ou  le  devoir  m'appellc. 

p  %  L  A  1  D  E. 

Insense!  le  devoir  te  fait-il  uneloi 
De  pcrir ,  sans  sauver  ni  ta  mere ,  ni  moi  ? 
Pease-tu  qu'a  son  fils.  elle  veuiUe  survivre  > 
Qu'cn  tous  lieiix  ton  spouse  hesite  de  tc  suivirc?     ' 


r^'^' 


T  RA  G  i  D  I  E,  xti 

Qu*il  ttie  rcste  untefuge  aillcnrs  que  dans  tcs  brasi 
Et  qu'en  m'abandonaant ,  tu  ne  me  livres  pas  ? 
Que  deviens-je ,  s'il  fautque  ton  sang  se  repandc  ? 
Qui  veux-tu,  si  tu  naeurs,  cruel ,  qui  me  defends 
Contre  les  attentats  d'un  mortel  ennemi  , 
Plein  du  projet  fatal  dont  ton  cdsur  a  frcmi  ? 
S'ii  s'endurcit  dcja  contre  une  telle  imagfe , 
Si ,  courant  au  trepas,  tii  erains  peu  qu'on  rn'outrage^. 
Respede  ta  patrie ,  &:  daigne  au  moins  songer 
Aux  maux  ou,  par  ta  mort ,  tu  vas  la  replonger. 
Ta  valcur  n'aura  fait  qu  accroitre  nos  miseres. 
La  cruaute  sans  frein  brisera  ses  barrieres , 
Et ,  jointe  a  la  vengeance,  aura  bientot  verse 
Le  peu  du  sang  qu'ici  ses  execs  ont  laisse. 
Amant  peu  tendre ,  appui  temeraire  &  fragile  ^ 
Pernicieux  vainqueur ,  &:  viftime  inutile,/  z\  znd'' 
Vas  perdre ,  n'ecoutant  qu'un  aveugle  transpdrt, 
Ta  Reine.,  ton  pays ,  ta  vi<^Gire  &:  ta  mort ! 

G  u  s  T  A  V  E. 
Je  serai ,  si  Ton  veutun  appui  miserable , 
Une  aveugle  vidime,  un  vainqueur  condamnable^ 
D'un  regrdt  Velontaire  un  amant  dC-ehirc ; 
Mais  je  ne  serai  point  un  fils  denature  ! 
Ma  vie  appartenant  a  qui  me  I'a  donneci, 
Dc  remords  eternels  seroit  empcisonnee  , 
ti ,  faute  de  Toffrir,  I'oubli  d6  ri-6n  devoir 
Laissoit  tomber  un  c©up» ..  que  j*auroisdu  prevoir 
Que  ma  Mere ,  pour  moi ,  voit  leve  sur  sa  tete , 
Que  memc  a  partager  votrc  amitie  s*apprete  , 

O  iij 


i.14         GUSTAFE-TTASAy 
Qui ,  dans  I'atfentc  cnfin  d'un  echangc  odicttx  ^ 
Des  deux  Peuples  sur  moi  fixe  a  present  les  yeux. 
Justice ,  amour,  honneur ,  tout  veut  que  je  me  livro? 
Madame,  encouragez  ma  Mere  a  me  survivre. 
Pour  recevoir  ses  pleurs ,  ouvrez-lui  votre  scin. 
Soyez-vous  Tune  a  I'autre  une  ressourcc.  Enfin , 
Pour  Stockolm  &:  pour  vous  cessez  d'etre  alarmec. 
Je  vous  laisse  au  milieu  d'un  Peuple  ,  d'unearmee, 
Dont  ma  vidoire  a  fait  d'invincibles  remparts..., 
Mon  coeur  est  penetre  de  vos  tristes  regards  1 
L'amour  me  fait  sentir  tout  le  prix  de  la  vie  1 
Mais  j'aurai  dclivre  ma  Mere  &:  ma  Patric. 
Je  vous  aurai  laissee  au  trone  en  vous  quittant. 
Mourant  si  glorieux ,  je  dois  mourir  content. 
Duplus  lache  abandon  dejaron  mesoupconnc. 
Sous  le  fer  menacant  la  Vid;ime  frissonne:  -^ 

Et  chaque  instant  qu'ici  j'accorde  a  mon  amour ,  / 
C'est  la  mort  que  je  donne  a  qui  je  dois  le  jour.    T 

(  a  Sophie. ) 
Aclicu.  Retenez-Ia  '!:. 

Ad  E  l  a  I  d  E  sejeaant  au-devant  de  lu'u-     [ 
Vainement  on  I'espere ! 

.'   G  tJ  STAVE. 

He  que  pretendez-vous  ?  Laisser  perir  ma  Mere  I 

"'  A  D  E  L  A  ID  E. 

Non'j  inais  t'accompaffnant ,  ic  veux.... 


T  K  A  G  t  B  I  E,  if  5 


■■ 


S  C  E  N  E    V. 

LtoNOR,  GUSTAVE,  AD^LAitDE,  SOPHIE,, 

L  E  O  N  O  R. 

M.EGNEZ ,  mon  Fils. 
Nous  triomphons ,  Madame  j  &  nos  maux  sont  finis. 

A  D  E  L  A  I  D  E» 

Ah  que  votre  salut  alloit  couter  de  larmcs! 

G  u  s  T  A  V  E. 

Eh  quel  prodigc  heureux  fait  cesser  nos  alarmes? 

L  E  o  N  o  R. 

Puissc-t-il  a  jamais  ^pouvantcr  Ics  Rois , 
Qui ,  sur  la  violence ,  erabliront  Icurs  droits  I 
Christicrne  laissant  une  foible  cspcrance  , 
Ou ,  peut-etre,  a  Tamour  prcfcrant  la  vengeance , 
Partoit ,  &:  de  mon  sang  pret  a  rougir  les  flots , 
Du  geste  &  de  la  voix  pressoit  les  matelots. 
Un  tumulie  soudain  I'intimide  &  Tarretc. 
Tous  les  Chefs  de  la  flotte ,  &:  le  Prince  a  leur  tete , 
Les  armes  a  la  main ,  volant  sur  notre  bord, 
Fondent  sur  le  tillac  ou  j'attendois  la  morr. 
Rodolphe ,  trop  fidele  aux  volontes  d'un  traitre , 
Glorieux  &:  puni,  meurt  aux  ycux  de  son  Maitre.. 
Je  demeurc  sans  force  aux  pieds  de  rinhumaiia.  , , 

O  iv 


t,tf  GV STAVE-  rrJSJj, 

Lc  nouveauRoi  m'abordc ;  &  me  tcndant  la  main  I 
Honteux  de  mes  liens ,  les  detache  lui-meme. 
Pour  prdmic.es ,  dic-il,  de  mon  p&uvoir  supreme  ^ 
Madame  ijevous  rends  k  votre  illustre  Fils* 
Que  son  Epouse  &  m'aime  &  m'esiime  b.  ce  prix* 
Alh-^^  &  de  lapaix  soye:(^  U  premier  gage. 
Mon  cceur  ncn  goutera  de  long^temps  I'avantage* 
C'est  pour  l*y  tetahlir  queje  vais  m* eloigner  : 
Et  ne  mettrc  mes  soins  desormais  quk  regner. 
Frederic  a  ces  mots ,  qu  uii  soupir  accompagne  » 
Me  laisse ,  &  fait  partir  la  flotte  qu'il  regagne  \ 
Taadis  que  sur  ces  bords  on  ramene  avec  moi, 
Le  Monstre  dont  la  rage  y  scma  tant  d'effroi. 

!  ■  =a 

S  C  fi  N  E    VI. 

GUSTAVE,  ADfeLAifDE,  LlONOR,  CASIMIR , 
SOPHIE, 

C  A  S  I  M  I  R, 

JL'alegresse  par-tout ,  Seigneur ,  vicnt  de  rcnaitre. 
Christierne  cnchaine,  dcvant  vous  va  paroitre. 
Son  sang  sur  le  rivage  cut  aussi-tot  coule , 
Et  le  peuple  en  fureur  I'eut  cent  fois  immol^ ; 
Mais  on  vous  eut  prive  du  plaisir  legitime 
D'egaler,  s'il  se  peut,  le  chatiment  au  crime  s 
De  la  mortdont  pour  vous  il  ordonna  Tappret , 
Vous-m^me  vous  allez  lui  prononcer  I'arrct, 


T  RA  C  i  D  I  E.  ii7 

»iiii  ■"      ■    ■■■— ■  ■■        ——■-.—■  '     I  —  "'^ 

SCfiNE   VII  &  dtrnihe. 

GUSTAVE,CHRISTlERNEcAar^/</^/err^, 
AD^L  AiDE ,  llONOR ,  SOPHIE ,  CASIMIR, 
GARDES. 

G  U  S  f  A  V  E. 

^^UEL  spedacle !  6  Fortune !  Ainsi  done  ton  caprice 

Quelquefois  se  mesure  au  poids  de  la  justice. 

Tygre!  Thorreur,  Topprobre  &:  le  rebut  du  Nerd! 

Rcgarde  en  quelles  mains  t'a  mis  ton  mauvais  sort. 

Vois  a  quel  Tribunal  il  t'oblige  a  paroitre. 

Sur  ces  terribles  lieux  oii  je  te  parlc  en  maitre, 

Leve  les  yeux ,  Barbate ,  &:  les  Icve  en  tremblant, 

Voici  de  tes  forfaits  le  theatre  sanglant. 

Qui  te  garantira  du  coup  que  tu  redoutes  ? 

Ces  marbrcs  prophanes ,  &  ces  murs ,  &r  cts  voutes, 

Et  I'ombre  de  mon  Perc,  &  celle  de  Stenon, 

Et  ce  teste  cplore  d'une  illustre  Maison , 

Que  vois-tu  qui  n'cvoque  en  cqs  lieux  la  vengeance  ? 

Toi-m^me  en  as  banni  des  long-temps  la  clemence. 

Le  jour ,  I'heure ,  I'instant  deposent  contre  toi. 

J'ai  vu  lever  le  fer  sur  ma  Mere  &  sur  moi. 

La  Reine  a  craint  encore  un  destin  plus  horrible . .  i 

CHRIStlERNE. 

Tranche  dc  vains  discours.  Tu  dois  etrc  inflexible. 


ii8  GUSTAVE^TTASAy 

En  me  le  declarant ,  pense-tu  m'emouvoir , 
Toi ,  de  qui  la  pitie  croitroit  mon  desespoir  ? 
Je  me  reproche  moins  nacs  fiireurs  que  ta  vie. 
Ta  vengeance  deja  devroit  etre  assouvie. 
Gustave  triomphant ,  le  trcpas  m'est  bien  dii. 
Tu  vois  ce  que  me  coiite  un  seul  instant  perdu. 
Profite  de  I'exemple,  &  satisfais  ta  rage, 

Gustave. 
Nomme  autrement  la  haine  ou  I'equite  m'engagc. 
Je  la  satisfais  done.  Je  t  epargne.  Survis 
A  la  perte  des  biens  qu'un  Rival  t'a  ravis. 
Eprouve  le  depit ,  la  honte  &  I'epouvante. 
Memc  a  ta  libertc  je  defends  qu'on  attentc. 
Errant  &  vagabond ,  jouis-en  si  tu  pcux. 
Execrable  par-tout ,  sois  par-tout  malheureux ; 
Par- tout ,  comme  un  Captif  que  poursuit  le  supplicc , 
Et  qui  du  monde  entier  s'est  fait  un  precipice. 
Je  vous  charge  du  soin  de  son  embarquement , 
Casimir;  qu'on  leloigne;  &  que  dans  le  moment, 
De  ce  Monstre  a  jamais  on  purge  le  rivage. 
Et  nous,  Madame,  aprcs  un  si  long  esclavage. 
En  de  tendres  liens  allons  changer  nos  fers, 
Et  reparer  les  maux  que  Stokolm  a  soufferts. 

Fin  du  cinquieme  &  dernier  Aclt. 


^ 


I  A 

METROMANIE, 

C  O  M  i  D  I  E. 


Representee^  pour  la  premiere  fols^  par  les  Comediens 
Francois  le  7  Janvier  1733. 


iit 


A    MONSiJGNEUR 
IE  COMTE   DE  MAUREPAS, 


i^ OBLE  Module 4u  vrai Sage,' 
Philosophe  au-dessus  du  ^oxt , 
Aussi  tranquille  en  plein  oragCi 
Qu'un  autre  le  seroit  au  port. 

UEscARBoucLE  miraculcusc 
Tient  d'elle  seule  sa  clarte : 
Et  n'en  est  que  plus  lumii^USC* 
Pour  etre  dans  lobscurite. 

Telie  Yotre  verta  supreme 
JLijit ,  quclquc  part  que  vous  soyez} 
Vous  y  suihsez  a  vous-meme , 
Ainsi  qu'a  tout  vous  suffisez. 

'Que  w  pyisrje  dans  qette  tpituei ,' 
Sans  vous  causer  le  moitudre  ciuiui , 
En  vous  annoncant;  des  le  titrq  , 
M'honorer  d'un  si  bel  appuL  ? 

Mais  vous.ne  vouJLez  pas  qu'on  s^ciJie 
Que  c'est  le  nom  cie  M  '♦^  "^^  * , 
Qui  dans  Ics  etojles  s,e  cache  j       -^ 
He  bien ,  ne  Ten  tirons  done  pas.  ^ 

*  Jt  sAURAi  Bj^^H,  sans  qu'il  en  socle  ; 
De  mon  d^sseixi  venir  a  bout. 
Eh  desi^nant  rHuma^n  qui  portg. 
Ce  Noui  si  revere  par-tout. 


ii,£  STANCES, 

*L-  ■         Le  Dechifreur  le  plus  ignare 
N'aura  pas  fort  a  ruminer. 
Ce  qui  vous  ressemble  est  trop  rare  j 
Pour  qu'on  tarde  a  me  deviner. 

"^  Parlons  d'abord  de  votre  aurore  , 

Et  du  merite  personnel , 
Qui  vous  rendit ,  tout  jeune  cnCDre  > 
Si  digne  du  rang  Paternel. 

Votre  excessive  modestie 
S'akmie-t-elle  \  ce  debut  ? 
Pour  la  satisfaire  en  partie , 
Du  premier  pas  je  vole  au  but, 

Aussi-BiEN  ce  que  je  vais  taire , 
Seroit  plus  analogue  au  son 
De  latrompette  de  Voltaire,  ^  _  r 
Que^u  chalumeau  de  Pirom  " ''  "■'}, 

J'abrege  DONCj  &  je  renferme 
Votre  Portrait  dans  un  Quatrain : 
Et ,  dans  ce  Quatrain-la  ,  le  germc 
D'un  Panegyrique  sans  fin. 

Raison  ,  Graces  ,  Lumiere  infuses  ,' 
Font  qu'en  vous  seul  est  exalte 
L'Homme  d'Etat ,  I'Ami  des  Muses , 
UAmour  de  la  Societe.  ,.   , 

II  faudra  ,  pour  que  Ton  confonde 
Qu'ainsi  que  plus  d'un  M  *  "^  * , 
11  soit  plus  d'un  Phenix  au  monde  j 
Et  c'est ,  je  crois ,  ce  qui  n'est  pis. 

Qu'oN  apprenne  done  d'age  en  age  , 

«  Si  le  hasard  m'y  fait  passer , 

Lorsque  j'adressois  un  hommagd,  i 

Que  je  savois  bien  I'adresser.        J 

FIN. 


mmmmmmmtmaBmrnmamBommmmmm 

^  •    »  .1     —      < 

P  R  £  FJ  C  E. 

%)  N  Chasseur  passionne,  qui  se  trouvc  en Automne 
au  lever  d'une  belle  aurore ,  dans  une  plaine  ou  dans 
une  foret  fertile  en  gibier  j,  ne  se  sent  pas  le  coeur  plus 
rejoui,  que  dut  I'etre  Tespritde  Molicre,  quand,  aprcs 
avoir  fait  le  plan  du  Misantrope ,  il  cntra  dans  ce  champ 
yaste ,  ou  tous  les  ridicules  du  monde  se  venoient  pre- 
senter en  foule  &c  comme  d'eux-memes ,  aux  traits  qu'il 
savoit  si  bien  lancer.  La  belle  journee  dc  Philosophe  ! 
Pouvoit-elle  manquer  d'etre  Tepoque  du  Chef-d'cEUvre 
de  notre  Theatre  ? 

Telle  etoit  la  reflexion  continuelle  que  je  faisois  en 
composant  la  Mkromanie ,  le  Verfiiicateur  se  trouvant 
ici  dans  son  element ,  a  peu  pres  comme  ce  grand 
Poete  &  ce  sage  pcrsecuteur  du  ridicule  s'etoit  trouve 
la  dans  le  sien  j  mais  avec  la  difference  bien  f acheusc 
pour  moi ,  que,  dans  le  Misantrope,  le  Poete  etoit  sou- 
verainement  doue  des  talens  n^cessaires  au  Philoso- 
pher aulieu  qu'ici  les  talens  necessaires  au  Poete,  man- 
quoient  totalemenr  au  Versificateur.  De-la  s'elevoit  en 
inoi ,  comme  s'elevera  sans  doute  aussi  dans  I'ame  du 
Lecteur ,  un  vif  regret  que  le  Maitre  ne  se  soit  pas  avise 
de  traiter  un  sujet  assez  fccond ,  assez  piquant ,  pour 
n'avoir  pu  meme  etre  tout-a-fait  malheureux  enrre  les 
mains  du  Disciple.  Que  n'eut  pas  dit  en  effet  ce  grand 
Homme,  ou  j'ai  dit  si  pea?  Quelles  fieurs  n'eut- il  pas 
fait  briller  ,  quels  fruits  n'eut-il  pas  fait  naitre  sur  un 
tcrrein  plus  connu  de  lui  que  de  nul  autre ,  &  que  jc 
n'aurai  tout  au  plus  tapisse  que  d'un  peu  de  mousse  & 
dc  verdure?     „  . 


*i4  P  R  i  F  A  C  E. 

Penetre  done  de  mon  insuffisance  a  si  juste  titre  ,  U 
plume  ^  chaque  vers  eut  dii  me  tornber  de  la  main  j 
mais  que  peut  k  raisonnement  contrc  la  phnete ,  &  dc 
quel  pQlds  sont  des  reflexions  balancees  par  Tasccn- 
<Jant  ?  Je  ae  pretends  pointy  par  les  grands,  mots  de 
planete  &  d'ascendant ,  nie  donner  pour  un  de  ccs 
hommes  heureusement  nes  sous  I'astre  qui  forme  Ics 
vrais  Poctes  i  je  ne  viens  pas  de  me  rendre  justice  tout- 
i-rheuxe ,  pour  me  contredjre  si-tot.  Je  nc  me  donne 
que  pour  ce  que  je  suis ,  que  pour  un  de  ces  csprits  trop 
ordinaires^  qui  re^oiveni  le  jour,  non  sous  Tastre  benin 
dont  I'infiuence  est  si  rare ,  nuis  sous  cet  astre  pesti-- 
lentiel  &  non  moins  dominant ,  qui  fait  qu'on  a  U 
fureur  d'etre  Poete ,  &  souvent ,  qui  pis  est ,  celle  de 
9e  le  cK>ire. 

Jc  cedai  done  ^  la  force  majeure:  ainstpetit  bieii 
s*appeler  cette  manie  qui  fait  iei  tout-a-lafois ,  Texcuse 
bomie  ou  mauvaise  de  T Auteur ,  &  le  titre  de  la  Piece , 
&  je  hii  cedai  d'autant  plus  naturellement ,  qu'apres 
tout  le  bien  &  le  mal  qu'elle  m'a  cause ,  je  ne  pouvois 
manquer  cfavoir  une  vive  demangeaison  d'en  dire  tout 
le  mal  &  le  bien  que  j'en  pense. 

Quiede  douceurs  imaginaires,  &  que  d'amertumes 
bieu  jtelks  i-Va-t-elle  pas  en  effet  repandues  sur  le 
^ours  de  ma  vie  !  A  commencer  par  les  amertumes, 
que  de  pei:secutions  des  mon  enfance ,  &  qui  n  abou- 
lircnE  qu'a  Teffet  ordinaire  des  persecurioosj  c'est-a- 
dire ,  qu'a  rcngreger  le  mal  1  Je  ne  pechai  plus  qu'en 
secret  i  &  si  des  pecheurs  c'est  I'espece  la  moiiis  scan- 
dakuse ,  c'est  aussi ,  corame  on  salt ,,  la  plus  endurcie. 
Que  ceux  qui  veilloient  a  mon  education  n'eurent-ils 
un  peu  d'adrcsse  &:  de  patience ,  j'ctois  peut-eCK  sauve : 

peut- 


PREFACE.  115 

pcut-etre  que  s'ils  m'eussent  laisse  faire ,  soit  degout 
ou  legerete ,  je  mc  fusse  redresse  de  moi-mcme.  Cette 
facon  de  s'y  prendre,  route  simple  qu'elle  est ,  a  corrige 
plus  d'une  sorte  de  fous.  Pourquoi  notre  Jeunesse  j 
par  exemple ,  ne  s'egare-t-elle  plus  dans  les  douces 
illusions  du  tendre  amour  ?  A  quel  heureux  manege 
a-t-elle  acquis  sur  ce  point  un  degre  de  sagesSc  auquel 
nos  Peres  ,  avec  toute  la  leur ,  n'arrivoient  qu'a  peine 
sur  la  fin  de  leur  vie?  Elle  doit  ce  bonheur  au  bel  usage 
ou  sont  aujourd'hui  les  Parens  de  ne  la  plus  reprimer 
dans  ses  premieres  saillics  j  de  Tabandonner  a  la  fou* 
gue  des  passions  naissantes  \  &  meme  de  pousser  sou- 
vent  la  complaisance  jusqu'a  vouloir  bien  prendre  la 
peine  de  lui  donner  I'exemple. 

Mais  je  veux  que  la  persecution  qu'on  me  faisoit  fut 
juste  \  comment  Tentendoit-on ,  puisquc ,  tandis  qu'st 
la  maison  ce  n'etoit  que  chatimens  de  toute  espece 
pour  rompre  I'enchantemcnt  j  au  College,  au  contraire, 
on  n'epargnoit  rien  pour  en  augmenter  la  force  ?  Les 
Regens  nous  mettoient  en  main  les  Poetes  classiques , 
en  chargeoient  nos  memoires  ,  en  abreuvoient  nos 
esprits  ,  nous  en  faisoient  sentir ,  &  par  de-la ,  Tele- 
gance  Sc  les  graces ,  les  exaltoient  avec  enthousiasmc , 
6c  finissoient  par  nommer  ce  langage  le  langage  des 
Dieux.  Pour  moi  qui  les  ecoutois  avidement  &c  de  la 
meilleure  foi  du  monde ,  je  n'en  rabattois  rien  dans  ma 
foible  judiciaire.  J'observois  de  plus  que  ces  Poetes  > 
sans  avoir  effuye  ni  la  fatigue,  ni  le  danger  des  annes , 
&  moins  encore  I'embarras  des  richesses  ;  sans  avoir 
cte  ni  des  Cyrus  ni  des  Cresus ,  n'avoient  pas  laisse , 
dans  Ic  calme  de  leur  cabinet ,  que  de  se  faire  une  ce- 
lebrite  sinon  plus  graiide ,  au  moins  plus  pure ,  plus 

Tome  I L      P 


11^  P  R  ^  FJ  C  K 

pcrsonnclle  sans  doute  ,  &  plus  durable  peut-etre  que 
cclle  de  ces  kommes  si  fameux.  Est-il  jeune  tete  ,  pour 
peu  qu'il  y  petillc  deja  quelque  bluette  de  feu  poetique , 
qui  soit  assez  ferrae ,  pour  ne  se  pas  toumer  vers  un 
point  de  vue  si  brillant  ?  Se  connoissant  si  peu,  quenc 
presumc-t-on  pas  de  soi  ?  Je  ne  serois  pas  surpris  que 
r^tourneau  sous  Taile  encore  de  la  mere ,  appercevant 
I'Aigle  au  haut  des  nues  ,  se  flattat  de  I'y  suivre  au 
sortir  du  nid.  Un  de  mes  camarades  de  classes ,  jeunc 
homme  vif  &  bien  fait ,  ne  brave  (  car  il  en  est ,  je 
crois  ,  du  brave  comme  du  Po'ete  :  nafdtur  uurque  j ) 
celui-ci  done ,  Timagination  echaufFee  ^  sa  fa^on,  de  la 
ledure  de  I'lliade ,  de  rJEneTde  &  de  nos  merveilleux 
Romanciers ,  s'enrola  des  I'age  de  quinze  ans  dans  les 
Dragons.  Je  n'en  avois  que  douze  ou  treize  alors  ;  & 
j'cn  etois  encore  «i  mon  premier  enthousiasme ,  quand 
cc  jeune  etourdi  partoit  tout  rempli  du  sien.  Adieu 
mon  ami ,  mc  dit-il  d'un  ton  d'Artaban :  J'y  perdrai  la 
vie  J  ou  je  ferai  voir  jufquoii  pent  monter  un  brave  soldat, 
U  croyoit  deja  tenir  k  coup  sur  &  son  epee  &  le  baton 
du  MarechalpABERT  dans  le  meme  fourreau.  Courage, 
ami,  lui  repondis-je  4  peu  pres  dumcme  air  :  6"  moi 
^  mon  cote,  j'y  perdrai  mon  latin  ,  ou  j'aurai  moissonne 
d'aussi  beaux  lauriers  que  les  tiens.  Reviens  un  Achille,  & 
iois  sur  de  retrouver  en  moi  j  a  ton  retour ,  un  Homere  qui  te 
thantera  comme  tu  V auras  merite,  Tels  furent  nos  adieUX 
heroiques.  Nous  nous  separames ;  &  depuis  nous 
avons  tous  les  deux  atteint  notre  but  a  peu  pres  Tun 
comme  Tautre.  Lepauvre  gargon,  avec  quarante-cinq 
ans  de  plus  &  unbras  demoins^  estmort  soldataux 
Xnvalides. 

Revenant  \  men  propos  ,  je  crois  done  pouvoir 


PREFACE.  117 

dire  que  Its  enfans  ne  sont  pas  si  peu  Ats  hommes  , 
qu'ils  ne  soient  deja  presque  aussi  vains  que  Peic  &" 
Mere.  Or  des  vanites  ,  comrne  de  raison  ,  la  plus  folic 
doit  avoir  chez  eux  le  droit  de  preference.  A  Tattrait 
de  celle-ci  qui  rioit  a  ma  sotte  imagination ,  se  joignoit 
I'amour  du  passe-temps  j  ajoutons-y  le  glorieux  plaisir 
de  la  difficulte  vaincue  :  plaisir  vraiment  puerile ,  & 
qui ,  si  j'ai  bonne  memoire ,  ent're  pour  quelque  chose 
dans  tous  les  jeux  de  I'enfance  aussi. bien  que  dans 
notre  ancienne  Poesie  &  notre  nouvelle  Musique. 
Tout  cela  pose ,  n'est-ce  pas  pour  un  vieil  enfant  de 
dix  a  douze  ans,  une  amusstte  assez  propre  a  lui  piquer 
le  gout ,  que  celle  d'agencer ,  d'enfiler  ,  &  de  scander 
des  syllabes  fran^oises  j  de  les  arranger  ens  uite  en  li- 
gnes  *,  &  d'ourler  enfin  ces  lignes  de  rimes  qui ,  selon 
lui ,  sont  le  caraitere  essentiel  de  notre  Poesie  ?  Ce- 
pendantdes  mots,  petit  a  petit,  naissent  les  pensees  \ 
des  pensees ,  les  figures  •,  des  figures  ,  les  images :  Fes- 
prit  s'accoutume  au  mouvement  qui  TechaufEint  de 
de  plus  en  plus  ,  le  fait  enfin  parvenir  jusqu'a  former 
des  plans  tels  quels.  Qu'on  y  reflschissc  un  peu  ;  ne 
seroit-ce  pas  quelquefois  cette  marche  qui  ,  parmi 
nous ,  auroit  fait  insensiblement  du  petit  Rimeur,  un 
Versificateur  de  profession  j  comme  une  version  cou- 
ronnee  en  troifieme  ,  aura  fait  par  hasard  d'un  iScolicr 
un  Tradudleur  ?  Peut-ctre  n'est-ce  mems  qu'a  la  faveur 
de  'ces  premiers  pas  enfantins ,  que  nos  vrais  Poetcs  , 
(  sans  en  excepter  les  plus  illustres )  se  seront  apper^us 
dc  la  superiorite  de  leur  etoile.  Le  premier  rcssorr  qui 
fait  mouvoir  tous  ceux  du  ccrur  &  de  Tesprit  humain  , 
est  toujours  quelque  chose  de  bien  cache.  En  combieii 
d'erreurs  I'envie  de  dccouvrir  ce  premier  mobile  n'a- 
Klle  pas  induit  Ic  jugemenr  des  Speculateurs ?  L*essain> 


ii8  PREFACE. 

d'abeilles  qui  par  hasard  se  posa  sur  le  berceau  de  Fla*- 
ton  &c  sur  cclui  de  S.  Ambroise ,  ne  passa  que  pour  un 
presage  de  leur  eloquence  i  qui  sait  s'll  n'en  fut  pas  la 
cause  ?  Cette  eloquence  ,  en  eux  ,  s'eveilla  pent  -  etre 
moins  par  leurs  dispositions  naturelles  ,  que  de  ce 
qu'on  leur  dit  que  ces  abeilles  ,  symboles  alors  de  VE- 
loquence  ,  s'etoient  posees  sur  leur  berceau.  Quoi 
qu'ilen  soit,  laissant-la  de  sihautes  destinees ,  Sc  sans 
sortir  davantage  de  mon  sujet  ni  de  mon  humble 
sphere ,  tels  fiircnt  les  demiers  jeux  de  mon  enfance 
3c  mes  premiers  pas  vers  le  Parnasse.  Aux  boules  de 
savon ,  aux  chateaux  de  cartes  ,  succederent  immedia- 
tement  le  badinage  de  la  rime  &  les  chateaux  en 
Espagne. 

L'adolescence  arrivee  ,  tout  cela  s'evanouit  &  s'e- 
boula  comme  ce  qui  I'avcit  precede.  U  fallut ,  malgre 
moi,  songer  au  solide  ,  &c  repondre  au  sage  empresse- 
ment  de  mes  Parens  qui  me  prescrivirent  le  choix  d'un 
ctat  proportionne  a  la  mediocrite  de  leur  fortune  & 
dema  naissance.  Ilsauroient  bien  voulu  ,  laissant  agir 
la  simple  vocation  ,  attendre  en  moi  quelque  talent 
decide  qui  me  detemiinat  par  moi-memcj  mais  le  te- 
moignage  de  mes  Regens  les  avoir  habitues  a  ne  m'en 
supposer  aucun.  Dc  ce  que  j'etois  de  ces  jcunes  egril- 
lards  qui  nc  sont  pas  tou jours  uniquement  occupes  de 
leurs  tristes  devoirs ,  ces  Maitres  m'avoient  declare 
atteint  8c  convaincu  d'une  incapacite  totale  &  perpe- 
tuelle.  Voila  de  leurs  oracles  rigoureux  ,  quand  il  ne 
s'agit  pas  de  Thoroscope  d'un  faiseur  de  themes  sans 
faute ,  ou  d'un  ecohcr  appartenant  a  gens  d'une  cer- 
lainc  importance ,  soit  par  la  naissance  ,  par  les  em- 
plois ,  ou  par  les  richesscs  j  car  alors  ils  n  adoucissent 


PREFACE.  119  . 

que  trop  Ics  termes ;  &  quelles  en  sont  les  suites?  J'ai 
assez  vecu  pour  en  avoir  ete  long-temps  le  temoin.  La 
plupart  de  ces  Heros  des  classes  ont  cte ,  durant  Icur 
vie ,  le  rebut  de  la  societe  •,  &  seeks, 

Je  pensois  des-lors  assez  sensement  &  assez  haut 
de  Tetat  ecclesiastique  ,  pour  m'etre  bien  persuade 
moi-meme  &  pour  avoir  egalement  persuade  les  au- 
tres  ,  que  cc  ne  pouvoit  ni  ne  devoit  jamais  etre  Ic 
mien.  Cela  chagrina  beaucoup.  Les  families  tant  pau- 
vres  que  riches ,  n'aiment  rien  tant  que  de  voir  les  en- 
fans  s'embarquer  dans  un  genre  de  vie  qui  debarrasse 
^'eux  a  peu  de  frais  ,  &  qui  ne  laisse  pas  d'attircr 
souvent  de  la  consideration  ,  &  presque  toujours  de 
mettre  a  I'aise.  Mais  mes  parens  n'e'toient  pas  gens  i 
me  blamer  ni  meme  a  jamais  oser  insister  le  moins  du 
monde  la-dessus.  C'etoient  de  ces  bons  Gaulois ,  qui , 
s'il  en  existe  encore ,  sont  le  jouet  du  siecle  poli :  on 
m'entend ,  je  crois :  de  ces  bonnes  ames  devenues  aussi 
rares  que  ridicules  ,  cent  fois  plus  occupecs  de  Icur 
salut  &  de  celui  des  leurs ,  que  de  tout  ce  qui  s'appellc 
ici-bas  gloire  &  fortune.  Le  Ciel  les  en  a  benis  dans  la 
personne  d'un  frere  que  je  viens  de  perdre  chez  les  PP. 
de  rOratoire ,  &  qui  pour  ses  longs  travaux  comme 
pour  sapiete ,  meurt  honore  des  regrets  de  son  illustre 
Congregation. 

Ce  saint  etat  done  mis  \  part ,  &  s'agissant  de  fixer 
un  pen  les  irresolutions  du  jeune  ecer\'ele  ,  on  me  mit 
vis-a-vis  de  Justinien  y  de  Bareme  dc  d'Hippocrate  ,  ^Ton 
me  dit  de  choisir.  Je  le  demande  a  qui  m'a  pu  connoitrc : 
ctois-je  mieux  appele  a  pas  un  de  ces  trois  etats  qu'au 
premier?  Riant,  ouvert,  ingenu,  sensible  &  compatis- 

P  iij 


4  5©  PREFACE, 

sant  jusqu'a  la  foiblesse ,  elcv6  dans  les  principcs  Bt 
sous  les  exemplcs  de  la  simplicite  la  plus  franche  &  la 
plas  naive ,  qui  pis  est ,  par  consequent ,  nuUc  ardeur 
du  gain ,  pas  la  moindre  etincelle  ni  d'ambition  ni  dc 
bonne  opinion ;  etoient-ce  la  des  dispofitions  pour  dcs 
€tats  dans  Icsquels  on  n'entre  &  Ton  ne  reussit  plus 
gueres  qu'autant  qu'avec  des  qualites  toutes  contraires 
a  celles-ci ,  on  a  la  gloire  &  la  fortune  en  vue?  Etoit-cc 
^e  fait  sur-tout  pour  la  Finance  dont  on  m'insinua 
foption ,  j'entends  pour  la  Finance  telle  qu'alors  '•'  on 
lapratiquoit?  Carmaintenantj  ce  qu'avec  admiration 
j'apprends  au  fond  dc  ma  retraite ,  tout  est  change  dc 
mal  en  bien  j  & ,  malgre  le  nos  nequiores  mox  daturas  , 
tout  va  de  bien  en  mieux.  Le  manteau  de  la  saine  Phi- 
losophic s'estetendu ,  dit-on ,  sur  toutes  les  conditions , 
au  point  que  dans  celle-ci  meme  ,  I'urbanite ,  la  recti- 
tude &  le  desinteressemcnt  regnent  autant  qu'en  toute 
autre-,  de  sorte  que  nous  voila  ,  grace  au  Ciel,  arrives 
h.  I'age  inespere  oii  Ton  ne  peut  plus  s'ecrier  qu*en 
bonne  part :  6  Tempora  .'  6  Mores  I 

Mis  sur  les  voies,  &  sous  la  protedion  d'un  des 
plus  excellens  Maitres ,  je  vis  done  en  vain  que ,  ne  sous 
le  chaume ,  on  pouvoit  en  ce  temps-la ,  par  un  chemin 
tres-court ,  tres-facile  &  tres-battu ,  se  flatter  de  vivre 
un  jour  sous  dcs  lambris  dores ,  & ,  de  millions  en 
millions ,  s'elevcr  par  dcgres  jusqu'k  mourir  Gendre 
ou  Beau-perc  de  tout  ce  qu'il  y  avoir  de  micux :  tout 
cela  ne  me  gagna  point  i  deux  choses  mc  rebuterent  de 
cette  sorte  d'elevation  :  Taller  &  Ic  revenirj  lafa^on 
cl*y  parvenir ,  &  les  d^sagremens  d'y  ctre  parvenu. 

*  En  1710, 


PREFACE.  151 

La  Medecine  &  la  Jurisprudence  me  durcnt  done 
infiniment  plus  tenter.  Tout  frivole  que  j^etois,  je  ro» 
gardois  dejk  ces  arts  du  mcme  aeil  que  je  les  voij  en- 
core aujourd'hui.  Eh !  quoi  de  plus  digne  de  I'liomme 
en  efFet ,  que  la  science  de  la  Nature  &  des  Loix?  Quoi 
de  plus  noble  que  des  emplois  dont  Tobjet  est  de  veiller 
a  la  conservation  des  biens,  de  I'honneur,  ou  de  la  vie 
desCitoyens  ?  Ne  loin  des  grandeurs  &  de  Topulence  , 
un  homme  obscur  se  peut-il  mieux  titer  du  pair  que 
par  Tune  ou  I'autre  de  ces  deux  professions,  qui  le 
font  egalement  rechercher  du  Peuple ,  des  Grands  8c 
du  Prince  ?  Est-il ,  en  un  mot ,  deux  plus  belles  portes 
ouvertes  a  des  gens  de  coeur ,  pour  sortir  du  second 
neant  dans  lequd ,  en  les  tirant  du  premier ,  il  a  plu  » 
pour  ainsi  dire ,  a  la  Providence  de  les  faire  entrer  sous 
la  malheureuse  enveloppe  §c  le  facheux  titre  d^homrac 
de  n^kit  \ 

Maisi^,moi  Medecin!  Moi  qui ,  par-dessus  tou* 
les  foibles  que  je  viens  d'annoncer ,  eus  toujours  cclui 
d'aimer  d  savoir  ^  peu-prcs  ce  que  je  dis ,  &  sans  com- 
paraison  plus  encore  ce  que  je  fais ,  quand  sur-tout  il 
y  va ,  comme  il  y  eut  etc  ici ,  du  plus  precieux  interct 
de  mon  cher  Prochain !  Moi ,  dis-je ,  oser  prendre  pos- 
session d'un  benefice  ^  charge  de  corps !  Oser  exercer 
un  art  ou  le  plus  grand  savoir  souvent  ne  guerit  de 
rieni  &  dans  lequel  une  bevue ,  une  imperitie  n'expo- 
sent  pas  a  moins  qu'a  commettre  un  homicide !  Prenons 
quemalheureusement  I'habitude  &  le  mauvais  exemple 
m'eussent  assez  aguerri ,  pour  que  bientot  je  ne  mc 
fusse  pas  beaucoup  soucie  d'une  faute  involontaire  » 
dont  on  ne  croit  pas  avoir  un  certain  compte  a  rendre 
a  DieUa  aux  hommes,  ni  ^  soi^neme ;  seroit-ce  done 

P  iv 


iji  PREFACE. 

tout  ?  La  roue  d'lxion ,  le  rocher  de  Sysiphe ,  sont-ils 
pires  que  ce  que  jeconsidere  au-del^  ?  Eh !  quoi,  avoir 
a  soutenir  de  sang  froid ,  a  combattre ,  a  dissiper  sans 
cesse  les  tristes  visions  d'un  Hypocondre  !  Avoir  ^ 
calmer  les  impatiences  du  vrai  Malade ,  ou  les  justes 
alarmes  de  I'homme  en  danger !  Avoir  a  repondre  aux 
questions  sans  nombre  d'une  famillc  sensible  ou  dena- 
turee  qui  les  environne  !  Avoir  enfin  ,  vingt-fois  par 
jour ,  a  laisser  de  porte  en  porte ,  &c  d'un  ton  decisif 
en  s'en  allant ,  Tesperance  ou  le  desespoir  a  la  ronde  , 
au  hasard  d'essuyer  a  son  retour  les  plus  sanglans  de- 
mentis !  Quels  dons  ,  quels  talens  ,  quel  courage  ne 
faut-il  pas ,  pour  faire  d'un  si  facheux  role ,  son  role 
unique  &  perpetuel  ?  Gaudeant  bene  nati  I  Pour  moi , 
du  premier  coup  d'oeil ,  je  reculai  d'epouvante  \  &  , 
franchement ,  ni  la  fortune  solide ,  &  le  puissant  cre- 
dit de  nos  Medecins  ,  ni  leur  belle  securite  au  milieu 
de  tant  d'ecueils  &  de  degouts  ,  ne  m'ont  pu  faire  un 
moment  repcntir  d'en  avoir  eu  peur  &  de  les  avoir 
evites. 

Restoit  \  prendre  le  parti  du  Barreau  •,  je  le  pris  done , 
&  ne  le  pris  pas  encore  sans  bien  trembler.  Get  etat, 
du  cote  de  I'incapacite ,  n'expose  pas  une  ame  delicate 
\  moins  de  scrupules  que  le  precedent.  Car  enfin  I'Avo- 
cat ,  outre  la  defense  des  biens  de  ses  Concitoyens  ,  a 
quelquefois  encore  en  main  celle  de  leur  vie  ,  &  sou- 
vent  ,  qui  plus  est ,  celle  de  leur  honneur,  Une  chose 
merassuroit:  c'est  qu'ici  du  moins  ,  outre  les  prin- 
cipes  d'equite  naturelle  dont  tout  le  monde  a  sa  por- 
tion, Tesprit  humain  a  pour  second  point  d'appui, 
I'etude  opiniatre  des  Loix  &  ^t^  Coutumes  \  Ocean 
vaste  J  a  la  verite ,  mer  qui ,  coiiime  les  autrcs ,  a  ses 


PREFACE,  235 

bras  ,  ses  detroits ,  scs  courans ,  ses  golphes  &  scs 
bales  ■,  mais  dont  I'etendue  immense,  apres  tout ,  n'est 
pas  a  comparer  a  Tabysme  impenetrable  des  regies  Sc 
des  caprices  de  la  Nature,  qui ,  tous  les  jours,  au 
chevet  du  lit  des  Malades ,  se  joue  de  la  dodrine  la 
plus  ferree ,  &  de  la  plus  longue  experience. 

Cs  qu'il  devroit  y  avoir ,  'k  mon  gre ,  de  plus  rebu- 
tant  pour  un  Candidat  du  Barreau ,  c'est  que  les  fruits 
d'une  si  belle  &  si  longue  etude  ne  puissent  percer  ni 
se  recueillir  qu'a  travers  les  gravois  &  les  halliers  de 
la  chicane.  Pour  moi ,  j'avois  courageusement  franchi 
routes  ces  landes.  Deja  je  possedois  assez  joliment 
Pere^e  ,  Daumat  ,  &  le  Pradeien  Francois.  J'allois  enfill 
debuter ,  au  grand  soulagement  des  Curieux  bien  ou 
mal  prevenus ,  &  tous  egalcment  impatientes  de  tant 
d'apprcts  &  de  precautions ,  quand  un  revers  de  for- 
tune ,  accablant  tout-a-coup  mes  pauvres  Parens, ren- 
versa  mes  projets  &  ruina  tant  d'esperances  vaines  ou 
malignes.  Devenu  du  jour  au  lendemain  plus  a  plaindre 
cent  fois  que  bien  des  Veuves  8c  des  Orphelins ,  ce  fut 
k  moi  jt  me  reposer  de  leurs  interets  sur  d'autres  De- 
fcnseurs ,  &  a  ne  plus  songcr  qu'a  me  titer  moi-meme 
d'affaire  par  route  autre  voie  •■,  car  celle-ci  me  devenoit 
absolument  impratiquable  ,  la  profession  d'Avocat 
etant ,  ce  me  semble ,  trop  noble  pour  etre  compatible 
avec  le  besoin  d'un  ecu.  U  y  fallut  done  ou  renoncer 
ou  deroger ;  &  je  n'hesitai  point :  j'y  renoncai.  En  quoi 
je  ne  fis  pas  ,  a  tout  prendre ,  un  bien  grand  sacrifice. 
Quel  regret  au  fond  pourrois-je  en  avoir ,  puisque,  de 
la  trempe  singuliere  dont  je  suis  j  de  mcme  qu'a  mon 
premier  Malade  enterre  ,  j'aurois  cru  devoir  abdiquer 
le  Doclorat  •-,  je  sens  egalement  que  j'cusse  mis  robe , 


ij4  PREFACE. 

sac  &:  bonnet  bas  a:  la  premiere  bonne  cause  que  fmt^ 
lois  perdue.  Et  a  qui  ce  maihcur-ci  n'arrive-t-il  point? 

Quant  aux  autres  metiers  ,  depuis  leplus  honorable, 
qui,  si  Ton  veut,  est  eelui  des  armes,  jusqu'au  plus- 
abjedt  qu'il  plaira  dlmagincr ,  la  Nature  me  les  avoic 
cous  interdits  •,  j'etois  ne  presquc  aveugle. 

X\ 
En  pareil  cas ,  un  Provincial  infortune ,  pour  cachet 
SSL  misereou  pour  y  subvenir,  n'a  d'asyle  que  Paris, 
M'y  voila  done  ,  nouveau  -  debarquc  >  un  peu  plus 
qu'adolescent ,  sans  yeux ,  sans  Industrie ,  sans  con- 
noissances  J  &  ,  non-seulementsans  Protedcurs ,  mais- 
naeme  entierement  denue  de  tout  cc  qui  contribue  a 
s'en  procurer.  Ou  voudroit-on  que  je  me  fusse  pourvu 
de  ces  rares  qualites  ?  Ou  le&aurois-je  acquis ,  ces  airs 
aises  >  souples,  avantageux ,  insinuans,  capables  seuls 
d'irapatroniser  le  premier  Sot  qui  les  a ,  par-tout  ou 
bon  lui  semble  de  se  presenter  ?  Auroit-ce  ete  dans  la 
poussiere  d'un  College  de  Province  ?  Dans  la  solitude 
obscure  dcs  foyers  paternels  ?  Dans  Tausterite  d'une 
education  simple ,  grave  Sc  singuliere ,  au  point  d*avoir 
voulu  me  faire  passer  le  chant ,  la  danse,  les  ledures 
profanes ,  toute  sorte  de  liaisons  ,  en  un  mot ,  tout  cc 
qui  peut  orner  le  corps  &  I'esprit  >  pour  des  monda- 
nites  dangereuses  qu'il  etoit  bon  d'ignorer  ou  de  nc- 
gliger  toute  la  vie  J  Quelle  ecole  ,  en  comparaison  des 
Colleges  &  des  Academics  de  la  Capitale,  d'ou  le  jeunc 
homme  ,  quel  qu'il  soit ,  s'introduit  gaiment  Sc  de 
plain  pied  aux  toilettes  des  hommes  &  des  femmcs  , 
va  s'asseoir  aux  grandes  tables ,  figurcr  iur  les  bancs 
d'un  theatre ,  8c  tenir  la  place  d'un  rayon  dans  ces 
cercles  appelesBo/wM  Compagnies ,  sources  de  lumieres^ 


PREFACE.  251 

de  bonnes  fortunes  &  de  protedions  I  Helas  i  c*etok 
peu  d'avoir  ete  prive  de  ces  dernieres  ressources  !  Jc 
ne  savois  pas ,  je  ne  me  poiivois  pas  dourer  qu'ellcs 
cxistassent  \  qui  meles  eut  indiquees,  me  les  eut  memc 
indiquees  vainement :  ou  je  ne  Ten  aurois  pu  croire  , 
ou  cette  malheureuse  modestie ,  si  naturelle  ^  la  jeu- 
nesse  trop  erroitement  morigenee,  m'en  auroit  plus 
ccarte  qu'approche. 

Voila  done ,  comme  je  viens  de  le  dire ,  ma  nacelle  au 
milieu  d'une  mer  inconnue ,  le  jouet  des  vents ,  des 
flots  &  des  ecueils  •,  elle  faisoit  eau  de  tous  cotes  \  jc 
me  noyois  ,  quand  la  Poesie ,  bien  ou  mal-a-propos  , 
me  revint  a  la  memoire.  Je  m'en  saisis  comme  de  la 
seule  &  derniere  planche  que  je  voyois  Hotter  autour 
de  moi  dans  mon  naufrage.  Je  sais  trop  quelle  epithetc 
on  va  dormer  i.  cette  planche  \  mais  que  veut-on  ?  Par 
inclination  peut-etre  autant  que  par  extremite ,  touec 
metaphore  cessant  ,  j'embrassai  I'unique  &  bizarre 
cspece  de  profession  dont  le  debut  &  I'exercice  n'exi* 
gent  outils  ,  chef-d'ceuvres ,  lettres  de  maitrise ,  avan- 
ces  ,  degres  ,  naissance ,  credit  ni  protection.  L'on 
s'etablit  comme  on  peut. 

Jc  n'entreticns  mon  Le6leur  de  si  petites  choscs ,  & 
n'ose  parler  de  moi  si  long-temps  contrela  loi  duSage, 
qu'en  vue  de  me  justifier  humblement  devant  la  Societe 
dont  bientot  je  me  separe  dans  un  age  avance  ,  sans 
avoir  eu  le  bonheur  de  lui  pouvoir  etre  utile  ni  neces- 
saire,  n'ayant  laboure ,  bati,  calcule  ,  medicamente, 
plaide,  juge,  preche  ni  combattuj  n'ayant  fait  pour 
elle,  en  unmot ,  que  des  versi  &  quels  vers  encore ! 
Des  vers,  comme  on  vient  de  le  voir,  moins  inspires 


1^6  PREFACE, 

par  Minervc  que  par  la  Necessite.  Celle-ci ,  dit-on  , 
est  la  mere  des  arts ;  c'est  done  le  notre  excepte  i  car 
chacun  sait  ou  en  etoit  le  bon  homme  Horace ,  quand 
il  disoit ,  ohe.  Et  si  de  la  Necessite  ou  de  la  Poesie 
Tune  des  deux  doit  la  naissance  a  I'autre ,  je  suis  paye 
pour  croire  que  c'est  a  la  Poesie  que  sont  dus  les  hon- 
neurs  de  la  matemite.  Quoi  qu'il  en  soit ,  n'ayant  con- 
tribue  qu'en  si  chetive  monnoie  a  ce  que  la  Societe  a 
droit  d'exiger  de  tous  scs  membres  ,  je  me  trouve  ^ 
son  egard  dans  un  tort  qui  merite  bien  ,  etant  involon- 
taire,  qu'en  partant,  je  le  diminue  par  quelques  excuses 
melees  i  mes  demiers  adieux. 

Du  reste,  si  mon  esprit,  dans  sa  maturite,  se  rappro- 
cha  des  folies  de  mon  premier  age ,  on  ne  doit  pas  dou- 
rer ,  apres  ce  que  je  viens  de  dire ,  que  ce  ne  fut  bien 
tristement  &  dans  des  idees  fort  eloignees  de  celles 
qui ,  dans  ce  premier  age ,  m'avoient  enchante.  Quelle 
difference  en  effet  entre  ce  qui  ne  fut  qu'un  amusement 
&  ce  qui  devient  une  derniere  ressource !  N'envisa- 
geant  pour  lors  la  Poesie  Fran^oise  que  par  son  vrai 
cote  ,  j'esperai  peu  ,  &  presumai  encore  moins.  Quelle 
carriere  a  courir  en  effet ,  sur  les  pas  de  tant  de  grands 
Hommes ,  qui ,  par  leurs  ouvrages  inimitables  ,  sem- 
blent  I'avoir  fermee  plutot  qu'ouverte  a  ceux  qui  les  y 
veulent  suivre  !  Mais  disons  tout  aussi  :  plus  d'une 
pensee  consolante  me  soutenoit  dans  ce  coup  de  de- 
sespoir.  Le  gout  pour  la  retraite  ;  les  douceurs  de  I'in- 
dependance  \  Tinnocence  d'un  metier  dont  I'exercice , 
entre  mes  mains  surtout  ,  ne  pouvoit  ni  ne  devoit 
faire  ombrage  ,  envie ,  ni  tort  a  personne  j  enfin  la 
satisfadion  de  songer  que  du  moins  je  saurois ,  des 
les  premiers  pas,  si  je  m'etois  bien  oumal engage  j 


PREFACE.  257 

n'ctant  gueres  possible  ,  quelque  illusion  qu'on  se 
fasse  paif-rout  ailleurs ,  de  se  la  faireici  long-temps.  Car 
ici  le  but  se  manque  ousetouche,du  premier  coup,  a 
ne  laisser  aucun  doute.  Au  Theatre  ,  une  comedie 
fait  rire  ou  bailler  3  une  tragedie  ,  pleurer  ou  rire  j 
d^s-lors  le  Maitrea  prononce,  &  prononce  sans  appel : 
au  lieu  qu'en  tout  autre  canton  des  Muses  ,  dais  les 
sciences  d'esprit ,  de  memoire  &  de  raison  ,  dans  les 
hautes  &  dans  les  exactes  comme  dans  les  autres ,  Ic 
point  de  decision ,  le  tort  &  le  droit  du  Savant  demeu- 
rent  a  jamais  suspendus.  Histoire  ,  Jurisprudence  , 
Physique  ,  Morale  ,  une  autre  Science  encore  sans 
comparaison  plus  importante  &  plus  ennemie  du  pro- 
bleme :  tout  cela,  salles  d'armes  eternellement  ouvertes 
aux  assauts  du  pour  &  du  contre.  Le  Ledeur  &:  I'E- 
crivain,  le  Professcur  &  I'Etudiant ,  I'Orateur  &  I'Au- 
ditoire ,  le  Litterateur,  son  Antagoniste,  &  leurs  Juges, 
tout  teste  en  I'air.  L'un  propose,  Tautre  objede,  tous 
veulent  opiner.  C'est  que  ce  sont  de  grandes  matieres 
qui  intercssent  le  repos  ou  I'orgueil  de  I'esprit  humain  *, 
&  dcs-lors  il  n'cst  petit  ni  grand  qui  he  veuille  inter- 
venir  \  on  combat  pour  sa  dame  ,  pour  la  souverainc 
de  ses  pensses  ,  pour  la  verite  dont  il  sied  bien  a  tous  , 
meme  a  des  Sanchos-Pansas ,  d'etre  les  Doms  Quickotes. 
D'abord  on  ne  cherchoit  peut-etre  d'assez  bonne  foi 
qu'a  s'kiclairer  les  uns  les  autres  j  bientot  la  dispute  &c 
Taigreur  s'en  sont  mises  y  &  de  route  part  ensuite  il  y 
est  alle  de  la  gloire  a  n'en  pas  dcmordre  ;  aussi  ne  dc- 
mord-on  plus  nulle  part.  De-la  des  controverses  i  perte 
de  vue  ,  qui ,  de  sophisme  en  sophisme  ,  jettent  les 
fondevncns  tenebreux  d'un  Pyrronisme  universel.  Quel 
supplice  pour  les  amateurs  &  pour  les  defenseurs  du 
vrai,  mais  sur-tout  pour  les  Autcurs  qui  seroient  presses 


i^S  PREFACE, 

de  savoir  s'ils  sont  a  leur  place  ou  non !  Chez  nous,  paf 
honheur ,  il  ne  s'agit  que  de  fables  amusantes  j  le 
succes  de  si  petites  choses  ne  meritant  pas  d'exciter  la 
moindre  jalousie,  &  n'interessant  pas  plus  serieusement 
Famour-propre  des  Juges  du  camp  ,  que  le  veritable 
honneur  des  Champions  ,  notre  cause  se  decide  mili- 
tairement ,  &  d'ordinaire  assez  bien.  La  recolte,  il  est 
vrai ,  de  part  &  d'autre  ,  est  ici  proportionnee  ^  la 
valeur  du  fond  j  la  pcrte  &  le  gain,  des  deux  cotes, 
sont  on  ne  pent  moins  considerables  j  il  en  revicnt  a 
nos  auditeurs  une  heurc  ou  deux  de  divertissement  ou 
d'ennui  j  a  nous ,  un  peu  de  vent  dans  la  tete  y  ou  de 
rongeur  au  front  •,  rien  par  de-la  pour  les  premiers  > 
mais  pour  nous ,  cc  qu'au  moins  nous  en  rapportons 
de  plus,  &  d'un  peu  reel ,  c'est  la  certitude  d'avoir  eu 
tort  ou  raison  de  nous  en  etre  meles  j  &  sachant  ainsi 
h  quoi  s*en  tenir  ,  pour  peu  qu'il  soit  sense ,  s'en  va 
d'entre  nous  content  ou  corrige  qui  veuf,  perspedivc 
qui  J  scion  moi ,  ne  laisse  pas  d'avoir  son  agrement. 

Mais  des  perspe(^ves,  la  plus  belle,  au  gre 

Dit  Souriceau  tout  jeune  6f  qui  n'avoit  rien  vw^  , 

c'etoit  I'idee  touchante  que  je  m'etois  formee  de  nos 
Auteurs  contemporains ,  dont ,  en  nouveau  confrere  , 
je  me  rejouissois  de  recherchcr  la  frequcntation  j  car 
jc  ne  devois  pas  douter  qu'elle  ne  fut  delicieuse>  Ta- 
mour  des  Lettres  ,  ce  me  semble ,  supposant  une  ame 
&des  macurs  pareilles^  celles  des  premiers  temps.  Mc 
voila ,  me  disois-je  en  moi-mcme ,  ce  que  le  vulgairc 
appelle  un  hommc  a  plaindre.  O  vulgairc  bien  plus  ^ 

*  La  Font.  fab.  loS.pag.  ij  j.  Edit.  i7}o. 


P  R  i  F A  C  E.  r;9 

fiaindre  que  moi !  k  serai- je  done  en  fraternisant  avec 
ce  qui  re  ressemble  s\  peu  ,  avec  ce  que  je  congois  dc 
plus  rare  &  de  meilleur  en  ce  raonde ,  avec  les  restcs 
precieux  de  TAged'or  ?  Ou  se  trouveroient-ils  en  cifec, 
Jes  testes  de  ce  bei  age ,  si  ce  n'est  parmi  les  seules  gens 
qui  le  depeignentsi  bien  &  qui  sans  ccssele  regrettcnc 
$i  fort  ?  Enfin  je  vais  n'etre  &  ne  respirer  qu'avec  Ic 
bel  esprit ,  la  saine  raison  ,  Taimable  candeur  ,  &  k 
•desinteresseraent  philosophique.  Quel  etat  ravissant  5 
CcHTime  eux ,  sans  cupidite ,  sans  pretention ,  sans  ar- 
tifice ,  puis-jc  manquer  de  sympathiser  avec  eux  3  lis 
seront  mes  amis  &  mes  protedeurs.  Vivent  de  parcifc 
appuis  ,  &  non  les  Riches  &c  les  Grands  • 

*  Gens  faii ant  tel  bruit  t  til  fracas  , 
Q^ue  moi  qui  ,  grace  au  del ,  de  courage  me  pi^^ 
J'en  ai  pris  lafuite  de  peur, 

Ceux-la'*'*,</ou*,  beruTtSy  modesteSy  veloutes,  d'humble  C9». 
tenance ,  sont  bien  mieux  mon  fait.  lis  m'aideront  dans 
mes  tentatives ,  me  releveront  dans  mes  chutes ,  mc 
proneront  dans  mes  succcs.  L'amour  du  travail ,  av5cc 
<ie  tels  secours  ,  s'il  ne  me  tient  lieu  de  talent ,  m'ea 
donnera  du  moins  I'apparence  qui  souvent  mene  plus 
loin  que  le  talent  meme.  Pensant  &  raisonnant  ainsi , 
je  ne  craignois  ,  je  ne  dcsirois  presque  plus  rien.  Jc 
pleurois  de  joie.  Cette  belle  esperance  ,  au  sein  de  la 
miscrc ,  etoit  un  rayon  de  lumiere ,  qui ,  du  plus  leger 
crepuscule  en  moi ,  faisoit  d'avancc  un  bel  orient ,  &: 
deja  del'espece  d'enfcr  ou  j'etois,  un  paradis  terrestrc, 

*  Meme  Fable. 
♦■■>'  Meme  Fable. 


24©  PREFACE, 

II  y  cut  bien  dans  tout  cela  quelque  petite  crreur  dc 
calcul.  Les  riches  &  les  grands ,  ( la  reconnoissancc 
me  force  a  Tavouer  ;  ont  un  peu  plus  fait  poui/raoi , 
que  Messieurs  de  I'age  d'or.  A  tout  bon  compte  reve- 
nir.  Somme  toute ,  resterent  de  net ,  comme  je  I'ai  dit 
plus  haut ,  quelqucs  plaisirs  chimetiqucs  &  nombre 
de  maux  reels  dont  le  souvenir  m'induisit  a  composer 
hiMetromaaie. 

Je  ne  compte  pas  entre  ces  maux  reels  le  manque  de 
gloire  &  de  fortune  qui  m'a  tenu  si  fidelle  compagnie 
dans  tout  le  cours  de  ma  carriere.  J'eus  toujours  trop 
mollement  I'une  &  Tautre  en  vue ,  pour  avoir  du  mc 
trouver  fort  sensible  a  ces  deux  privations.  J'espere  qu'on 
m'en  croira  facilement  quant  au  mepris  de  la  fortune. 
Ce  mepris  est  inne  dans  tout  cceur  passionne  pour  la 
liberte.  Etre  libre ,  &  faire  fortune ,  on  le  sait  trop  , 
ce  sont  deux  bonheurs  incompatibles  5  qui  veut  jouir 
de  Tun  ,  doit  absolument  lui  sacrifier  I'autre.  Ou 
Ton  pourroit  done  n'en  pas  croire  aisement  ici  le  Poete 
jt  sa  parole ,  c'est  lorsqu'il  tranche  encore  de  I'indif- 
ferent  pour  la  gloire ,  s'entend  pour  cette  gloire  de 
succes  passagers  &  d'honneurs  litteraires  si  vivcment 
poursuivis  par  les  Auteurs ,  &  dont  aucun  d'eux  n'ose 
parler  du  ton  que  je  fais  ,  sans  se  faire  aussitot  jeter 
au  nez  la  fable  du  Renard  &  des  raisins.  En  eflfet  la 
manie  de  versifier  passant  pour  un  travers  ,  persuade- 
rai-je  qu'un  travers  jouisse  d'un  des  plus  solides  avan- 
tages  de  la  vcrtu ,  en  soutenant ,  comme  il  est  pour- 
tant  vrai ,  qu'il  se  peut  suffire  comme  elle  ,  &:  seul  se 
servir  k  lui-meme  de  recompense  ?  Non ,  je  n'y  par- 
viendrai  point.  Faisons  done  mieux  j  supposons ,  pour 
avoir  la  paix ,  accordons  mcme  s'il  Ic  faut ,  qu'en  moi 

seu 


P  R  ^  F  J  C  K  141 

tseul  soit  rassemble  tout  le  sot  orgueil  dont  on  veut 
qiie  notre  espece  entiere  soit  enivree  j  la  belle  indiffe- 
tence  dont  je  me  pare ,  n'en  restera  pas  ,  pour  cela  , 
moins  naturelle  ni  moins  vraisemblable.  Eh !  qui  nc 
sait  que  le  sot  orgueil,  en  cas  de  revers,  a  des  res-* 
Sources  infinicsi  &  que  plus  il  est  mortifie ,  plus  il  est 
ingenieux  a  se  forger  des  motifs  de  consolation  ?  Or 
n'entrevoit-on  pas  d'ici  ceux  qui  ,  sur  Tarticle  de  la 
gloire  dont  je  parle  ,  peuvent  s'offrir  tout  d'un  coup 
i  Tesprit  d'un  Auteur  presomptueux  &  mecontent  > 
Le  di^racie  ,  dans  son  chagrin,  n'a  qu'a  sc  rcpresen- 
ter  non  -  seulement  par  quelles  voies  8c  sur  quels 
fronts  k  plus  souvent  tombent  aujourd'hui  les  cou- 
ronnes  litteraires  ,  mais  encore  combien  de  gens  cele- 
bres  sont  morts  sans  les  obtenir.  Avec  ■  le  talent  que 
Sans  faute  il  aura  de  savoir  alterer  un  peu  le  fonds  dei 
choses  ^  son  avantage ,  il  trouvcra  la  bientot  de  quoi 
se  consoler  ;  &  meme ,  sans  de  grands  eiForts  de  rai- 
sonnement ,  de  quoi  se  fairc  de  son  propre  abaisse- 
ment  un  triomphe  secret  &  fonde.  Eh  bien !  me  suis- 
je  enfin  rendu  croyable  ?  Est-on  content  ? 

Les  seuls  &c  vrais  malheurs  qui  mirent  done  &  qui 
durent  mettre  ma  foible  Constance  a  Fepreuve ,  ce  sont 
ceux  dont  I'oncle  menace  le  neveu  ,  Adt.  3.  Sc.  7, 
quand  il  dit  : 

Tremble  ,  &  vois  fous  tes  pieds  ttiillc  abysmesouvertsi 

L'impudence  d'autrui  va  devenir  ton  crime. 

On  mettra  fur  ton  compte  un  libelle  anonymc. 

Pourfuivi  j  condamne ,  ptofcrit  fur  ces  rumeurs  , 

A  qui  vcux-tu  qu'un  homme  en  appelle  i 

Le  Po'cte  repond  laconiqueraent : 

A  fes  mocurs. 

Tome  IX.     Q 


i4i  P  R  £  FJ  C  E. 

Reponse  de  Theatre  i  buut-rkne.  Le  plaisant  boucliCf 
que  les  meilleures  mcEurs  du  monde  a  presenter  aiix 
traits  de  la  calomnie  appuyee  sourdement  par  des 
rivaux  accredites,  mal-faisans,  &  ruses !  Lasceleratesse 
attaquec  en  opposeroit  un  d'Ajax ,  ou  la  probite  nuc 
n'en  auroit  jamais  d'autres  que  la  negative  &  les  lar- 
mes.  Irreprochable  tant  qu'il  vous  plaira ;  la  perversite 
qui  jura  votre  perte  de  sens  froid ,  peut-etre  par  passe- 
temps  ,  le  croiroit-on  ?  8c  simplement  pour  exercer 
son  industrie  ,  n  en  sera  que  plus  apre  &  que  plus 
subtile  k  dresser  ses  machines.  Les  ressorts  jouent  i 
voyons  ce  qu'ici  fera  pour  vous  cette  innocence  eton- 
nee  ,  peu  sur  ses  gardes  ,  & ,  comme  je  dis ,  moins 
versee  mille  fois  que  le  crime  dans  Tart  de  se  defen- 
dre  i  bicn  pis  ,  ignorant  meme  le  plus  souvent  qu'ellc 
est  accusee,  au  moment  qu'on  la  fletrit  &  qu'elle  suc- 
combe.  Le  temps  ,  je  le  veux ,  devoilc  enfin  la  verite. 
On  vous  reintegre  vous  ou  votre  memoire.  A  la  bonne 
heure,  quoique  toujours  trop  tard  j  mais  jusques-la  , 
que  n'aurez-vous  pas  souffert  pendant  que  vos  bour- 
reaux  auront  savoure  tranquilkment  votre  affliction  ? 
Et  n'ont-ils  pas  encore  de  reste ,  pour  se  consoler  de  la 
Justice  qui  vous  est  enfin  rendue ,  la  secrete  8c  dam- 
hable  satisfadion  de  vous  laisser  sur  le  papier  rouge  ? 
Le  Sage  a  cela  vous  crie :  que  vous  importe  ?  8c  de. 
clame  des  merveilles.  Mon  Dieu  ,  le  Sage  voir  les  cho- 
ses  de  moins  pres  que  raiflige  ne  les  sent !  J'cn  atteste 
ces  vidimes  reconnues  sans  tache  i  la  fin  d'unc  vie 
trainee  dans  I'humiliation  ,  tandis  que  leurs  persecu- 
tcurs  triomphans  n'en  haussoient  que  plus  orgueil- 
Icusemcnt  la  tete  «&  le  sourcil. 
a:- 

Que  sera-ce  done ,  pauvre  Poctc,  si  jadis  vous  avcz 


PREFACE.  141' 

donne  malheureusemciit   a  ces  faux  Inquisiteurs  la 
moindre  prise  sur  vous  ,  par  une  heure  ou  deux  de  feu 
mal  employe  dans  votre  premiere  jeuncsse?  Ce  n'au- 
ront  pas  ete ,  comme  on  croit  bien ,  des  volumes  dc 
contes  lascifs  &  dangereux ,  ni  des  Livres  complets  de 
Satires  mordantes ,  dont  le  fiel  aura  distille  sur  I'hon- 
neur  du  Prochain  ,  &  peut-etre  sur  ce  qu'on  reconnoit 
de  plus  sacre  dans  ce  monde-ci  &  dans  I'autre  ^  oh ! 
non  sans  doute  j  une  si  prodigieuse  depense  n'est  pas 
Finiquite  ni  Touvrage  d'un  moment.  Ce  n  aura  meme 
heureusement  rien  ete  de  comparable  a  tout  cela  j 
rien  de  satirique ,  de  seduisant ,  ni  d'impie  \  rien  que 
vous  ayez  ni  produit  au  grand  jour ,  ni  mcme  avoue 
jamais.  Qu'aura-ce  done  ete  ?  Une  folic ,  une  dcbau- 
che  d'esprit  fugitive  &  momentanee ,  une  exageration 
burlesque  ,  un  croquis  non  moins  informe  qu'incon- 
sidere  ,  auquel  votre  coeur  ne  doit  pas  etre  plus  accuse 
d'avoir  eu  part ,  que  celui  d'un  Peintre  en  peut  avoir 
^  de  legeres  etudes  d'apres  le  nud  '■,  que  celui  de  nos 
Poetes  rragiques  en  eut  a  Texpression  qu'ils  donnent 
aux  sentimens  affreux  de  leurs  scelerats ,  &  d'un  per- 
sonnage  incestueux ,  perfide ,  sacrilege  ou  sanguinaire. 
Que  vous  dirai-je  enfin  ?  Ce  n'auront  ete  que  des  rimes 
cousues  presque  en  pleine  table ,  a  de  la  prose  qui  s'e- 
gayoit  a  la  ronde  sur  la  fin  d'un  repas.  Folie  tres-bla- 
mable;  on  ne  peut  trop  le  dire  ni  trop  le  reperer*,  mais 
si  courte ,  qu'en  faveur  &  de  Tage  Sc  des  circonstances , 
un  sage ,  un  vrai  devot  meme  n'auroit  attendu  qu'^ 
peine  au  lendemain  pour  passer  Teponge  dessus  , 
n'eut-ce  ete  que  pour  etouffer  le  scandale  a  sa  nais- 
sance.  Belle  intention  qui  n'est  pas  celle  des  mechans, 

Perissc  Ic  pechcur  ,  &  vive  le  scandale! 

£a  ces  soites  de  cas  »  voilk  de  lear  morale. 

Q  ij 


144  PREFACE. 

Vous  vous  etes  mis  a  dos  cette  peste  de  la  society  ; 
^  qui,  sans  se  soucier  de  la  vertu ,  sans  se  donner  memc 
la  peine  de  la  pratiquer  exterieurement ,  sans  la  con- 
noitre  enfin  que  de  nom ,  s'arme  dc  ce  nom  si  beau  , 
des  qu'il  est  question  de  nuire  ,  &  Tarbore  alors 
cffrontement :  semblable  a  ces  pirates  qui ,  selon  la 
rencontre  &  le  besoin ,  font  usage  de  tout  pavilion. 
Plus  de  prescription  pour  vous.  Quarante  annees  de 
repentir  sincere  ,  de  moeurs  irreprehcnsibles ,  d'ou- 
vrages  approuves  &  decens  j  oui ,  ces  quarante  an- 
nees ,  vis-a-vis  de  deux  heures  de  fol  enthousiasme  , 
ne  seront  plus  pour  vous  ,  grace  k  la  charite  de  ces 
honnetes  zelateurs ,  qu'un  moment  ,  dc  qu'un  mo- 
ment perdu. 

En  effet ,  au  bout  de  ce  temps  ,  quelques  succes 
vous  cuvrcnt-ils  passage  aux  honneurs  de  votre  pro- 
fession \  c'est  a  ce  passage  etroit  qu  on  vous  attend. 
Vous  ne  le  renterez  pas  ,  dites-vous ;  vous  ne  recher- 
cherez  point  ces  honneurs  ,  soit  par  une  modestie 
extrcmement  en  place  ,  &  de  peur  meme  qu'en  les 
recherchant  ,  par  cela  meme ,  vous  ne  les  meritiez 
encore  moins ;  soit  par  prudence  seulement ,  &c  pour 
cchapper  a  la  malveillance  embusquee.  Fort  bien  i 
mais  a  quoi  bon  ,  si ,  malgre  cette  inadion  louable  ou 
judicieuse  ,  vous  n'echappez  point  a  la  bienveillancc 
deceux  quiconfercnt  ces  sortes  d'honneurs?  Ne  vous  y 
fiez  pas  !  Oui,  vous  dis-je ,  il  pent  arriverpar  unhasard 
bien  rare  a  la  verite ,  mais  non  sans  exemple ,  que  ces 
sages ,  quoiqu'instruits  des  saillies  de  votre  jeunesse  , 
d'une  voix  unanime  ,  &  de  leur  propre  mouvement , 
dnignent  vous  appeler  entre  eux.  Plus  votre  bonheur 
alors  paroit  grand ,  plus  votre  malheur  va  le  devcnir. 


PREFACE.  145 

Au  bruit  d'une  si  glorieuse  acclamation  ,  TEnvie  in- 
quicte ,  eveillee  par  consequent  avant  vous  &  debout 
la  premiere  ,  se  revet  en  Prude ,  &  vole  au  tribunal 
de  la  vraie  Piete ,  trop  simple  souvent:,  pour  n'etre  pas 
quelquefois  un  peu  credule  j  souvent  aussi  trop  deli- 
cate ,  pour  n'etre  pas  d'autres  fois  un  peu  trop  severe 
ou  trop  prompte.  La ,  votre  ennemie  , 

"^  Sous  le  dehors  platre  d'un  :^ele  specieux  , 

vous  denonce  humblement  j  ouvre  en  gemissant  &: 
comme  a  regret  son  memorial  scandaleux  \  y  donne  a 
lire  sur  votre  compte  deux  ou  trois  lignes  presque 
effacees  par  vetuste  i  aide  elle-meme ,  en  se  signant , 
a  les  dechifFrer  j  y  joint  des  faits  &  des  ecrits  suppo- 
ses ;  &  de  cette  sorte  ,  armee  a  la  fois  &:  d'une  lueur 
de  veritc  ,  &  d'un  nuage  epais  de  mensoiiges  ,  forte 
sur-tour  du  sommeil  d'un  accuse ,  qui  ne  se  doute  ce- 
pendant  ni  de  son  danger ,  ni  de  sa  gloire ,  elle  allumc 
la  foudre  ;i  son  aise  ,  Sc  vous  ecrase  en  riant.  Le  beau 
triomphc  !  Ne  vaut-U  pas  mieux  encore  etre  sous  les 
roues  i  que  sur  le  char  J 

Mais  je  m'appercois  que ,  sans  le  vouloir  &  d'abon- 
dance  de  cceur  ,  tout  en  dcclamant  contre  la  cnJomnie 
&  la  detraction  qui  Tune  &  I'autre  m'ont ,  dc  tons  les 
temps  ,  poursuivi  sans  relache  ,  j'ai  insensiblement 
fait  un  Fadum  ,  &  conte  ma  propre  histoire.  Ce  Test 
en  effer.  Qu'on  m'y  reconnoisse :  je  I'adopte  en  rou- 
gissant ,  &  k  ratific  dans  tous  ses  points.  Aussi-bien 
vient-on  de  la  manifester ,  en  I'incrustant  asscz  mal- 
proprement  dans  un  elogc  funebre  de  M.  le  President 

t  MOL.  Tart.  Ail.  L  Sc.  Y. 

Q  iij 


24^  PREFACE, 

de  Montesquieu  ,  prononce  si  Berlin  en  pleine  Aca- 
demic. Ah  !  si  ce  grand  homme  (  qu'on  me  pardoiinc 
ce  cri  de  la  nature) ,  si  ce  grand  homme ,  du  haut  des 
demeures  celestes  ou  sa  belle  ame  a  revole  sans  doute  , 
s'interesse  encore  aux  miseres  d'ici-bas  ,  on  se  le  doit 
peindrc  bien  surpris  d'avoir  ete  Toccasion  d'un  ecarc 
si  bizarre  &  si  peu  decent  1  Comment  ne  le  desavoue- 
roit-il  pas  avec  indignation  I  Lui  la  sagesse ,  Tequite  , 
la  politesse ,  &  I'humanite  meme  1  lui  qui  m'honora 
d'une  si  constante  amitie  1  vrai  Philosophe  qui ,  malgre 
mille  vertus  reconnues  &  couronnees  ,  ayant  essuyc 
comme  un  autre  les  plus  vives  persecutions  ,  voyoit 
ma  faute  &  ma  disgrace  d'un  ceil  si  different  de  celui 
de  son  dur  panegyriste  !  Cette  faute  etoit  toutefois 
de  nature  a  meriter  plus  d'indulgence  de  ce  dernier , 
que  de  qui  que  ce  soit  j  car  enfin 

Cc  sage  qui  si  haut ,  crument ,  &  sans  detour  , 

Rcleve  les  exces  dc  la  gaiete  cynique  , 

Qui ,  du  Nord  au  Midi,  va  battant  le  tambour, 

Et  contant  ma  difgrace  aux  echos  d'alentour  , 

Pour  la  rcndrc  plus  grande  ,  en  la  rcndant  publiquci 

Ce  Philosophe  errant  dc  portique  en  portique  , 

A  Venus  Uranie  a-t-il  bien  fait  sa  cour  , 

Quand  sa  Muse  accoucha  de  la  Venus  physique  ? 

Ccttc  Muse,  aujourd'hui  fi  grave  &  si  pudique  » 

Avant  d'etre  sur  le  rctour  » 
A-t-ellc  ^t^  si  pure  &  si  morigenec  , 
Qu'onne  lui  puisse  rieu  reptocker  a  son  tour  J 
Et  ne  lisons-nous  pas  dans  un  livrc  du  jour\ 
Qu'en  demoiselle  assez  maUnee  , 
Qui  dc  Paphos  aimoit  outriment  Ic  scjooir  j, 
Ellc  envia  la  deftin^c 
Dcs  colima^ccs  en  amour  J 


P  R  E  F  J  C  E.  ±4r 

Mais  en  loyal  adversaire ,  au  lieu  d*uscr  de  repre- 
dailies  en  badinant  avec  un  tel  agresseur ,  je  prends  an 
contraire  fort  serieusement  le  parti  de  le  seconder ,  en 
eonfessant  de  tout  mon  cceur ,  8c  pour  une  premiere- 
fois  de  ma  vie ,  la  ^cheuse  verite  qu'il  craignoit  si 
fort  qu'on  n'ignorat.  A  vingt  ans  (  mauvais  exemple  ». 
jeunesse ,  mais  bonnes  lecons ) ,  a  vingt  ans ,  je  tombai 
dans  le  court  egaremcnt  dont  je  viens  de  parler ,  8c  je 
le  payai  cher  a  soixante.  Sans  parler  de  plus  d'une 
grace  accordce  sous  nos  yeux  en  des  cas-  pent  -  etre 
plus  graves ,  ne  devois-je  pas  du  moins  un  peu  comp- 
ter sur  la  double  prescription  ?  Puisse  enfin  cet  humi- 
liant&libre  aveu,  qui  d'ailleurs  manquoit  esscntielle- 
ment  au  sceau  de  ma  condamnation ,  achever  d'expier 
une  si  vieille  extravagance !  Puisse  le  regret  mortel  que 
fen  eus  presque  en  la  commettant ,  regret  que  ma  ve- 
neration pour  les  bonnes  mcEurs  me  fait  emporter  att 
tombeau  ;  puisse-t-il  me  meriter  le  pardon  dans  les 
deux  mondes  !  Du  reste ,  comme  il  est  tres  -  juste  , 
Veniam  petimufque  damufque  vicisxim  y  je  veux  dire  que  - 
de  ma  part  je  pardonne  aussi  tres-sincerement  tant  i 
mes  dclateurs  qu'a  leur  suppot.  Ce  me  seroit  meme  une 
espece  d'ingratitude  envers  les  premiers  ,  de  conserver 
le  moindre  ressentiment  contre  eux  ,  vu  I'heureux 
tour  que  I'affaire  a  pris ,  graces ,  il  est  vrai ,  a  la  noble 
8c  courageuse  amitie  d'un  Montesquieu  •,  au  puissant 
credit  d'une  Dame  qui  n'en  use  que  pour  le  signaler, 
par  des  bienfaits  ;  a  la  genereuse  protection  d'un 
MiNisTRE  egalement  bien  voulu  du  Royaume  8c  du 
Roi ;  graces  enfin  a  I'extreme  bonte  de  ce  R  O  I,  le  plus 
clement ,  le  plus  aime  ,  le  plus  auguste  8c  le  plus 
admire  des  Monarques.  Quel  rare  concours  de  forces' 
&  de  vertus.  y  necessaire  au  salut  d'un  malhcureux. 

Q  iv         -^ 


248  PREFACE. 

dont  un  homme  ou  deux  de  mauvaisc  volonte  ,  sanjf 
haine  particuliere  &  de  gaiete  de  coeur ,  avoient  medite 
la  mine !  L'oncle  a-t-il  done  tort  de  dire  a  son  neveu  : 

Tremble ,  &  vols  sous  tes  pieds  miile  abysmcs  ouverts  ? 

Celui-ei  que  je  m'etois  creuse  si  follemcnt ,  n'est  pas 
meme  si  bien  cicatrise ,  malgre  rant  de  puissance  &  de 
benignite  conciliecs  en  ma  faveur ,  qu'il  n'en  sorte 
encore ,  comme  on  voit ,  de  terribles  exhalaisons.  Elles 
ne  me  sufFoquent  pas ;  je  respire  \  mais  non  si  fort  X 
I'aise  J  qu'il  ne  m'en  teste  encore  un  peu  d'oppression, 
C'est  ce  qui  me  fit  dire  dans  le  temps  : 

D'etre  gai ,  Paul  a  cent  taisons  pour  une. 

Des  gens  de  bien  il  est  goute,  cheri  j 

Tous ,  en  leurs  coeurs ,  ont  plaint  son  infortune. 

Quelques  m^chans  feuleraent  avoient  ti. 

D'Achilc  cnfin  la  pique  a  tout  gueri ; 

Pa«/ toutefois  n'est  pas  si  gai  qu'on  pensc. 

En  France  heureux  ,  Paul  est  un  peu  niarri 

Qu'cn  Prusse  ,  Pierre  ait  crie  fa  sentence.  j 

Passons  de  ce  qui  peine  k  ce  qui  soulage  \  8c  puis- 
que  a  de  I'entier  &  volontairc  aveu  de  nos  fautes  s'en- 
suit  naturellement  le  droit  de  protester  contre  celles 
qui  nous  sont  faussement  imputees ,  saisissons  I'occa- 
sion  de  m'inscrire  iei  contre  mille  miseres  en  tout 
gente ,  repandues  sur  mon  compte  dans  des  recueils 
abominables ,  dont  les  Compilateurs,  apres  avoir  foule 
aux  pieds  route  pudeur  dc  tout  resped  humain ,  ne  se 
5ont  pas  moins  fait  un  jeu  de  nos  reputations  8c  de 
nos  noms.  La  Piece  sur  laquelle ,  entre  tant  d'autrcs , 
depuis  longues  annces  je  vols  le  mien  avec  le  plus 
dc  doulcur  J  en  est  une,  intitulee:  le  Dibauche  converti^ 


PREFACE.  i49 

Melange  horrible  &  revoltant  d'ordures  &  d'impietes. 
Le  Debauche  devenu  peut-etre  depuis  ce  qu'assure- 
ment  alors  il  etoit  fort  peu ,  feroit  beaucoup  a  Tacquit 
de  sa  conscience ,  si ,  pour  penitence ,  il  s'lmposoit  Ic 
juste  &  pieux  effort  de  me  laver  ,  en  faisant  sa  con- 
fession publique  ainsi  que  je  fais  la  mienne.  N'a-t-il 
pas  assez  joui  de  mon  malheur  ?  S'il  pense  autrement, 
&  qu'il  fasse  etat  d'en  jouir  long-temps  encore  ,  je  lui 
parle  en  ami ; 

Qu'iI  foit  prudent  du  moins ,  s'il  n'cst  pas  gen^rciir. 

Qu'il  se  garde  de  ces  ecumeurs  de  Manuscrits ,  dont  Ic 
plus  fameux  &  le  plus  vigilant  de  nos  Poetes  vivans  a 
plus  que  jamais  a  se  plaindre  aujourd'hui ,  &  dont  en 
effet  il  se  plaint  si  fort.  Qu'U  jette  au  feu  son  porte- 
feuille ,  enfle ,  dit-on ,  de  pieces  d'un  style  &  d'un  gout 
pareils  ,  qui ,  publiees ,  le  deceleroient  sans  repliquc , 
&:,  me  justifiantmalgre  lui,  me  recompenseroient  enfin 
de  la  plus  meritoire  peut-etre  &:  de  la  plus  penible 
des  discretions. 

Les  sottises  d'autrui  souvent ,  comme  on  voir  ,  sont 
done  mises  sous  notre  nom  j  souvent  aussi  ce  que 
nous  aurons  pu  faire  d'un  peu  raisonnable  ,  sera  mis 
sous  le  nom  d'autrui.  Ainsi ,  deshonores  d'un  cote 
sous  les  plumes  du  Geay ,  de  I'autre  quelqucfois  nous 
voyons  le  Geay  se  glorifier  sous  les  notres.  Tels  sont  les 
jolis  emolumens  du  metier.  Mais  de  ses  vrais  malheurs 
&:  de  ses  grands  dangers  dont  je  me  suis  plaint  d'abord , 
passer  a  ses  desagremens  ,  ce  seroit ,  par  une  gradation 
vicieuse ,  passer  ^  Tinfini ,  &  descendre  dans  des  de- 
tails qui  doivent  etre  aussi  indifferens  au  Public  ,  qu'ils 
iui  peuvent  etre  comius  par  les  contes  qu'on  n'en  fait 


i^o  P  R  ]&  FA  C  E. 

que  trop.  Qui  nesait  nos  sechercsses ,  nos  insomnies  ,. 
nos  tortures  pendant  le  cours  d^^  compositions  ?  Qui 
ne  rit  At  ce  que  doivent  nous  couter  ensaite  les  cere- 
monies d'une  le6hire  &  d'une  reception  \  les  correc-^ 
tions  qu'on  nous  danande  ,  &  qui  nous  repugnent 
peut-etrc  avec  raison  j  les  pas  qu'il  faut  faire  ,  les  me- 
nagemens  sans  nombre  qu'il  faut  avoir  a  la  distribution 
des  roles  ?  L'un  dedaigne  le  sien  y.  Tautre  envie  celui  de 
son  camarade.  Est-ce  du  tragique  \  TAdrice  en  fa- 
veur ,  a  qui  vous  presentez  le  sceptre  ,  vous  dira  ma- 
jestueusement :  Que  M.  un  tel  ( desagreable  au  Public  ) 
foit  Prince  ,  ou  cherchei^  vos  Pnncejfes.  Dans  le  COmique  ,, 
tout  de  meme :  Que  Mile  une  telle  ,  vous  dit  fierement 
THeccor  ou  le  Sganarelle  en  vogue  yfasse  la  Soubrctte  ,. 
ou.  ckerche:^^  vos  Valets ,  &c.  &c.  &:c.  Que  faire  ?  L'Au- 
teur  cut-il  la  reputation  d'un  Corneille ,  le  credit  d'un 
Moliere ,  la  force  d'un  Parterre ,  il  faut  qu'il  cede  ou 
qu'il  laisse  tout  la.  En  est-il  aux  repetitions  >  autre 

galere.  Ce  role-  ci  est  trop  long  ,  celui -la  trop  court.  On 

vous  rogne  Tun  de  pleine  autorite  v  on  vous  force  d'a- 
longer  I'autre.  N*est-ce  pas  etre  loge  chez  cer  hote  in- 
humain ,  qui  faisant  coucher  les  passans  dans  son  lit ,, 
les  tirailloit  ou  les  tronquoit  par  la  tete  ou  par  les^ 
pieds  ,  selon  qu'ils  etoient  plus  ou  raoins  longs  que 
ce  maudit  lit  \  &c  qui  ne  cessoit  d'accourcir  ou  d'eten- 
dre  >  que  Thomme  &  le  lit  ne  fussent  de  niveau  ?  Tel 
est ,  a  peu  pres ,  le  traitement  que  recoivent  nos  Pie- 
ces. Quel  ensemble ,  aprcs  ces  diflocations  8c  ces  de- 
membremens  faits  a  la  hate  ,  veut-on  qu'il  reste  d'un 
corps  organise  par  des  annees  de  travail  &  de  re- 
flexions ;  Plus  d'un  bon  ouvrage  pourroit  bien  y  avoir 
peri.  La  toile  cnfin  se  Icve^  &  ce  sont  ici  les  grandes 
angoisses.  Pour  se  les  peindre  ,  on  n'aura  qu'a  passer 


PREFACE.  251 

au  monologue ,  par  ou  s'ouvre  le  cinquieme  Adc. 
Cependant  d'un  role  mutile  ,  d'un  autre  defigure ,  de 
celui-la  mal  sn ,  de  celui-ci  joue  k  contre-sens  ,  da 
ferment  d'uiie  cabale ,  d'une  iubie  du  Parterre  ,  de  tout 
cela  joint  k  nos  propres  fautes ,  resultent  assez  naru- 
rellement  des  chutes  ,  8c  de  ccs  chutes ,  mille  beaux 
complimens  de  condoleance  de  la  part  de  gens  qui 
seroient  bien  f aches  d'en  avoir  d'autres  *l  nous  faire. 
Ne  soyons  gueres  moins  contens  qu'eux ;  car  si  par 
hasard  nous  eussions  reussi ,  mieux  nous  eut  vaiu 
peut-etre  cent  fois  avoir  essuye  les  disgraces  du  Thea- 
tre ,  que  celles  qui  nous  eusscnt  ailleurs  ete  machi- 
nees  par  I'envie  adive  &  souterraine.  Nous  ne  laissons 
pas  de  nous  rembarquer  tous  Ics  jours  du  milieu  de 
ces  degoLits ,  &  de  bien  d'autres  que  je  tais  ,  parce 
qu'apres  tout ,  avec  un  pcu  d'ardeur ,  de  verve ,  ou 
de  virilite ,  le  Metromane,  sans  un  grand  fond  de  phi- 
losophie  3  les  oublie  ou  Ics  brave  aisement. 

A  travers  ces  milliers  d'epines ,  avant  que  de  finir , 
j'en  distingucrai  seulemcnt  encore  une,qui,  pour  n'etre 
pas  tout  a  fait  si  poignante  que  celles  dont  j'ai  parle 
d'abord ,  ne  laisse  pas  d'incommoder  etrangement  la 
marche  de  tout  honnete  Ecrivain.  J'en  ai  touche  quel- 
que  chose  dans  la  Preface  de  ma  Pastorale ,  page  1 6  & 
juiv.  Ce  sont  les  allusions  indecentes,  &  les  applica- 
tions dangereuses  que  la  sottise  ,  le  libertinage  ou  la 
malignite  savent  tirer  de  nos  produdtions  les  plus 
mesurees ;  ecueil  d'autant  plus  a  craindre  que  ,  vu  la 
tournure  des  esprits  du  jour  ,  il  devient  de  plus  en 
plus  inevitable  a  la  circonspedion  la  plus  en  garde ;  & 
circonspedion  dont  on  nous  doit  tenir  d'autant  plus 
dc  compte ,  que  tandis  qu'il  n'y  a  qu'a  perdrc ,  4 


251  PREFACE. 

plus  d'un  egard ,  en  tachant  d'eviter  cet  ecueil ,  nous 
voyons  sur  les  cheminees  ,  les  toilettes  &  le  Theatre 
meme  ,  qu'il  y  a  tout  a  gagner  ,  d'une  certaine  fa^on  , 
a  le  heurter  de  pleiiie  proue ,  la  corruption  exercee  a 
rourner  toujours  la  decence  en  ridicule ,  ne  manquant 
jamais ,  par  le  meme  principe ,  d'applaudir  a  la  licence 
©uverte.  Et  c'est  un  abus  qui  fut  de  tous  les  temps  : 

Dat  veniam  Corvis  ,  vexat  Censura  Columbas. 

Le  mal  nc  se  soiitient  qu'en  derruisant  le  bien  j 
£t  ne  d^truit  le  bien  qu'en  soutenant  le  dial. 

Mais  nous  manquent  a  jamais  tous  suffrages  ,  plutot 
que  jamais  nous  en  meritions  un  seul ,  ni  I'obtenions  it 
pareil  prix  I 

D'apres  un  sentiment  si  juste  &  si  naturcl ,  a  force 
d'attention ,  je  m'etois  flatte  d'etre  parvenu  a  mettre 
ces  Hourets  de  haut  nei  en  defaut  y  du  moins  quant  aux 
applications.  J'avois  espere  I'impossible.  Je  fus  relan- 
ce,  &  relance  par  les  aboyeurs  dont  je  me  devois  le 
moins  defier ,  parce  qu'etant  ceux  dont  justement  je 
m'etois  defis  le  plus ,  j'avois  pris,  pour  leur  echapper  , 
les  meilleures  mesures  que  je  pouvois  prendre.  On  en 
va  convenir. 

En  conservant  a  mon  Poete  quelques-uns  des  petits 
ridicules  essentiels  a  la  profession  ,  je  n'en  avois  pas 
moins  fait  un  jeune  homme  bon ,  franc ,  genereux , 
brave  &  desinteresse.  C'etoit ,  je  crois ,  pour  le  temps 
ou  j'ecrivois  ,  se  precautionner  assez  bien  contre  le 
danger  des  applications.  Personne  aussi  ne  s'avisa  d'en 
faire  ••  mon  Pocte ,  aux  yeux  de  tous ,  resta  I'unique 
original  de  son  cspcce.  Seulement  deux  ou  trois  jeuncs 


PREFACE.  2  5  J 

Auteurs ,  alors  plus  ou  moins  celebres ,  persuades  que 
parler  d'un  bon  Poete ,  c'etoit  devoir  les  montrer  au 
doigt,  jugerent  4  propos  ,  pour  fixer  sur  eux  les  re- 
gards ,  de  se  compromettre  un  peu  ,  en  s'honorant 
beaucoup ;  &  se  plaignirent  tous  a  Tenvi  qu'ils  eroient 
visiblement  personiiifies  dans  M.  de  TEmpiree.    Me 
peut-on  meconnoitre  a  ce  trait  malin  ,  disoit  I'un  ?  6"  moi  , 
a  cdui-la,  crioit  I'autre  ?  C'etoit ,  pour  ainsi  dire ,  a  qui 
s'arracheroit  la  pretendue  insulte  des  mains  j  ouplutot , 
comme  j'ai  dit ,  i  qui  voulant  bien  partager  avec  ce 
Personnage  quelques  travers  tres-excusables  ,  donne- 
roit  superbement  a  entendre  qu'il  etoit  I'aimable  ori- 
ginal en  entier  j  comme  si  le  Peintre ,  avec  un  grain  de 
leur  bonne  opinion  en  tete ,  n'eut  pu  s'e  crier  aussi  de 
son  cote :  Anchio  son  Po'eta ,  &  revendiquer  ou  s'appli- 
quer  a  titre  egal ,  la  part  bonne  ou  mauvaise  qu'ils  pre- 
tendoient  avoir  a  son  tableau  ?  Mais  fusse-je  plus  poctc 
cent  fois  qu'eux  &  moi  nous  ne  le  sommes ,  a  Dieu  ne 
plaise  que  jamais  j'eusse,  a  leur  place ,  ose  me  plaindre 
ou  me  parer  d'une  si  glorieuse  resscmblance  !  Le  ca- 
radere  moral  de  M.  de  I'Empirce  Temportant  sur  notre 
pretendu  merite  litteraire,  autant  que  la  belle  ame 
Temporte  sur  ce  qu'on  veut  bien  appeler  bel-esprit , 
se  plaindre  ici  de  la.  personnification^  c'est  moins  se  plain- 
dre que  se  glorifierj  c'est  moins  jouer  le  role  d'un  hom- 
me  offense ,  que  celui  d'un  Fier-en^fat.  Cela  dit  unc 
bonne  fois ,  je  me  repose  de  mon  apologie  aupres  des 
Complaignans ,  sur  leur  modestie ,  ou  sur  le  secret 
temoignage  de  leur  conscience. 

Veritablement,  voyant  avec  chagrin  que  dans  tous  les 
temps ,  8c  chez  toutes  les  Nations ,  les  Poetes  en  ge- 
neral etoient  livres  ^  la  risee  du  Public  par  les  Pocres 


i^4  P  R  £  F  A  C  E. 

meme ,  Be  de  plus  les  voyant  taxes ,  par  ce  Public  ,  cfe 
bien  des  vices ,  qui  sont ,  quoi  qu'en  puisse  dire  le  beau 
monde ,  pires  que  des  ridicules ,  j'avois  pris  a  tache  de 
presenter  sur  la  Scene  un  Poete,  qui ,  sans  sortir  de  son 
caradlere  singulier ,  fut  une  fois  fait  de  fa^on  a  nous 
relever  d'un  prejuge  si  peu  favorable  *,  un  Poete  tel  qu'il 
y  en  eut  sans  doute ,  &  qu'il  y  en  pent  avoir  encore  j 
un  Poete  enfin  lequel  apres  qu'on  a  dit : 

On  peut  etrc  honnete  homme  &  faire  mal  des  vers  , 

put  faire  aussi  dire  &  penser , 

Qu'en  faisant  bien  des  vers ,  on  peut  etre  honnete  homme. 

J'eus  seulement  grand  soin  d'eviter  le  ton  de  la  nouvelle 
Comedie ,  qui  y  tristement  guindee  sur  les  echasses  de 
la  morale ,  n'auroit  pas  manque  de  nous  regaler  ici 
d'un  Poete  grave  &  rengorge ,  d'un  Pedant  herisse  dc 
ces  trivialites  edifiantes  auxquelles  on  applaudit  en 
baillant ,  &  qui  ne  passent  en  effet  gueres  plus  a  I'ame 
des  Spedateurs ,  qu'elles  ont  I'air  de  venir  de  celle  de 
TAuteur.  Je  crus  done  devoir  m'y  prendre  tout  d'une 
autre  fa^on.  M.  de  i'Empiree ,  honnetement  fourni  des 
ridicules  de  son  etat ,  ne  laisse  pas  d'etre  leste ,  gai , 
doux  J  sociable  &c  galant  j  qualites  engageantes ,  qui , 
jointes  aux  essentielles  ,  en  le  rendant  agreable  &  di- 
vertissant  ,  ont  eu  le  bonheur  d'interesser  pour  lui 
jusqu'a  m'attirer  des  reproches  d'avoir  neglige  sa  for- 
tune au  denouement.  Du  moins  I'Aristarque  de  cc 
ta-nps-la  le  veut-il  ainsi  persuader.  On  estfdche^  dit-il  *, 
de  lui  voir  prendre  conge  des  Speclateurs  pauvre  &  desherici, 
Peut-etre  ce  qu'il  donne  ici  pour  le  sentiment  general , 
n'est-il  que  le  sien  particulier;  &  certes ,  en  ce  cas,  il  y 

*  Obscrv.  sur  les  Ecr.  des  Mod.  Lett.  17;. 


P  R  i  F  A  C  E,  255 

tyXTOix  \  mc  felicitcr  d'avoir  su  Tattendnr  :  mais  ne 
seroit-ce  pas ,  aussi  bienque  son  sentimentparticuiier, 
une  critique  degiiisee ,  qui  m'averrit  que  ,  selon  lui , 
jc  renvoie  les  Spedrateurs  mecontens  1  A  quoi  je  re- 
ponds  qu'il  faut  savoir  mieux  entrer  dans  le  carailere 
des  gens ,  quand  on  veut  decider  de  leur  bonheur  on 
de  leur  maliieur.  Si  le  Journalisre  eCit  voulu  s'abaisscr 
ou  s'elevcr  jusqu'a  i'ame  d'un  vrai  Pocce,  dont ,  sans 
en  avoir  les  talens ,  je  concois  tres-bien  la  rare  fagoji 
de  penser;  il  n'eutpas  eu  ,  ou  plutot  il  n'eutpas  affcdlc 
une  commiseration  que  celui-ci  ne  demande  point.  II 
se  trouve  fort  bicn  comme  il  est.  Que  M.  I'Abbe  Dcs- 
fontaines ,  avant  de  publier  ses  observations  &  son 
cxtrait ,  n'avoit-il  parcouru  la  brochure  un  peu  moins 
legerement  que  de  coutume?  M.  de  I'EmpirU  I'auroir, 
avant  moi ,  redresse  la-dessus  en  vingt  endroitsj  enrrc 
autres ,  quand  il  dit  positivement ,  que  sa  vertu  se  borne 
<m  mepris  des  richesses  ,  &c.  &  ailleurs  : 

Cc  melange  degloire  &  de  gain  m'importnnc. 
On  doit  tout  a  I'honncur,  &  rien  a  la  Fortune, 
Le  Nourrisson  du  Pinde,  ainsi  que  le  Guerricr, 
A  tout  I'or  du  Pirou  prdfere  un  beau  iauricr. 

Ou  si ,  presse  par  le  jour  de  la  vente ,  il  n'eut  que  Ic 
remps  de  faire  transcrirc  les  huit  ou  ncuf  pages  dc 
vers  dont  il  nourrit  sa  feuille ,  &  dans  lesquelles  mcme 
ceiix-ci  se  trouvent  sans  qu'il  y  ait  pris  garde  i  du  moins 
pouvoit-il  d'un  coup  d'ceil  appercevoir  ces  deux 
derniers  de  la  Piece : 

Vous  a  qui  cependant  jc  confacrc  mcs  jours  , 
Muses  ,  tenez  rtioi  lieu  Ac  fortune  &  d'amours  1 

Faute  de  cela,  il  se  laisse  entrainer  a  sa  facon  de  pcnser, 
hquelle  a  crop  influe  sur  son  raisoiinemcnt.  Voila  leS 


156  PREFACE. 

Ecrivains  periodiques.  Serieusement  &  par  etat  occil- 
pes  de  cc  qu'ils  appellent  le  soUde ,  ils  n'ont  garde  de 
concevoir  ni  de  soup^onner  rheroisme  ou  la  folie  da 
vrai  Poete,  qui, vis-a-vis  delamisere,pense,  enparlant 
de  sa  Muse ,  comme ,  vis-a-vis  d'un  avcnir  menaganr, 
en  parlant  de  son  fils,  pensoit  Agrippine :  Moriar,  mod6 
regnet.  Quel  soin  en  effet  prirent  de  leur  fortune  Ic 
div'm  Homere ,  Vimmond  Plaute  ,  le  grand  Corneille  , 
le  dellcieux  La  Fontaine ,  &c  ?  Furent-ils  pour  cela  des 
objets  de  pitie  ?  Pas  plus  que  la  memoire  des  Midas  dc 
leurs  temps  &  des  notres ,  est  digne  d'envie. 

Je  ne  dois  pas  finir  sans  dire  un  mot  du  personnagfi 
singulier  de  Francaleu  ,  &  d'une  partie  de  son  role ,  ni 
sans  bien  marquer  la  distindtion  qu'il  faut  faire  de  ce 
personnage ,  en  entier  de  mon  imagination ,  &c  de  son 
role  qui ,  renfermant  un  evenement  du  temps  ,  sem-l 
bleroit  par-1^  dementir  Tattcntion  que  j'eus  d'ecarter 
route  application  maligne.  Voici  quel  fut  cet  evene- 
ment. 

Un  homme  d'esprit ,  de  talent  &  de  merite  s'etoit 
divcrti  pendant  deux  ou  trois  ans  au  fond  de  la  Bre- 
tagne  ,  a  nous  dormer  le  change ,  en  publiant  tous  les 
mois  dans  les  Mercures  ,  des  pieces  fugitives  en  vers  , 
sous  le  nom  suppose  d'une  Mile  DeMalcraisde  la  Vlgnd. 
La  mascarade  avoir  parfaitement  reussi.  Ces  pieces 
ingenieuses  &  joliment  versifiees ,  en  droit  par  con- 
sequent de  plaire  deja  par  elles-memes ,  ne  perdoient 
rien  ,  comme  on  pent  croire  ,  a  se  produirc  sous  Ten- 
v'eloppc  d'un  sexe  dont  la  seule  &  charmante  idee 
suffit  pour  disposer  les  ccEurs  a  la  complaisance  ,  & 
les  esprits  a  I'admiration.  La  Sapho  supposee  fit  done 
honncur  &:  profit  ^  ces  Mercures.  Ellc  triompha  au 

point 


P  K  £  P A  C  E.  i^f 

Jjoint  que  k  galanterie  bientot  mit  pour  elle  en  jeu  k 
plume  de  plus  d'un  bel-esprit  qui  vit  encore ,  &  qui , 
s'il  ecrivoit  jamais  son  histoire  amoureuse ,  nous  souf- 
fleroit  assurement  cette  anecdote.  lis  rimerent  de$ 
fadeurs  a  Mile  De  Malcrais.  Elle ,  de  riposter  j  Tintri- 
gue  se  noue ;  les  galans  prennent  feu  de  plus  en  plus  j 
tout  alloit  le  mieux  du  monde  au  gre  du  Public  amu- 
se i  &  la  comedie  n'etoit  pas  pour  finir  sitot ,  si  notre 
Poete  Breton,  ayantri  ce  qu'il  en  vouloit ,  &  dcsirant 
jouir  de  sagloire  a  visage  decouvert ,  n  eut  precipite 
le  denouement  en  venant  mettre  le  masque  bas  a  Paris. 
Ily  perdit  peu  sous  les  yeux  du  Public,qui,dcsabuse  sue 
le  sexe  ,  ne  rabattit  presque  ricn  de  ses  eloges  •■,  en  cela 
plus  sage  &  plus  equitable  que  nos  Beaux  -  esprits  , 
chez  qui  la  chose  se  passabien  differemment,  lorsqu'en 
Icurs  cabinets ,  ou  peut-etre  ils  etoient  i  polir  encore 
un  Madrigal  pour  Mile  De  Malcrais  ,  on  la  leur  vine 
annoncer.  Grand  cri  de  joie  !  La  plume  tombe  des 
mains  •,  les  portes  s'ouvrent  a  deux  battans ;  on  vole  au- 

devant  de  la  Muse  les  bras  en  I'air ,  que d'ici  Ton 

voir  s'abaisser  brusquement  a  I'asped:  de  M.  Des  Forges 
Malllard.  La  politesse ,  aptes  un  court  eclaircissemenr, 
eut  beau  les  relever  pour  en  venir  a  la  froide  accolade : 
la  barbe  du  Poete  y  piqua  si  fort ,  qu'on  ne  la  lui  par- 
donna  point.  II  faut  dire  aussi  la  verite :  certaine  espe- 
rance  frustree  met  de  bien  mauvaise  humeur.  On  ne 
se  souvint  pas  que  M.  Des  Forges  Maillard  eut  seulemenc 
fait  un  bon  vers  en  sa  vie.  Les  talens  &  les  eloges  tom- 
berent  avec  le  cotillon.  Voila ,  s'ecrieici  Francaleu ,  dans 
la  meme  situation  que  ce  Poe'te  aussitot  meconnu  que 
demasque : 

Voila  de  vos  arrets,  Mcflieurs  les  gens  degout ! 

L'ouvrage  est  peu  de  chofe  j  &  le  nom  feul  fait  tout. 

Tome  II,     R 


ijg  P  R  i  F  A  C  E. 

Apostrophe  qui ,  tous  Ics  jours  ,  seroit  bieii  de  mise 
en  plus  d'uii  cas.  Suivons  celui-ci.  De  bonne  foi  , 
eroit-ce  une  aventure  a  derober  au  plaisir  public ,  sur 
un  Theatre  d'ou  nos  mauvais  Serieux  (  car  il  en  est 
pour  le  moins  autant  que  de  mauvais  Plaisans )  n'ont 
que  trop  banni  le  plaisir  &  la  joie  ?  Pouvois-je  imagi- 
ner  jamais  une  Scene  plus  comique  &  plus  du  ton  de 
mon  sujet  ?  Je  laproduisis  done ,  mais  avec  Tattention 
de  nc  la  produire  que  sous  le  jeu  d'un  personnage  de- 
pouille  de  tout  ce  qui  pouvoit  faire  tourner  les  yeux 
sur  le  Po'ete  estimable  k  qui  nous  la  devons  d'original , 
ni  sur  quelque  autre  que  ce  fijt.  Plutot  que  de  manquer 
a  cette  bienseance  ,  j'aimai  mieux  pecher  a  mon  es- 
cient  contre  les  bonnes  regies  de  la  Comtdic  qui  n'ad- 
met  que  des  caradcres  tcls  que  la  Societe  ,  chaque 
jour ,  en  presente  sur  la  scene  du  monde.  J'en  forgeai 
de  ma  tete  un  qui  vraisemblablemcnt  n'cxista  jamais  > 
un  bon-homme  qui  se  plait  a  faire  de  mechans  vers  , 
les  sachant  tels  ,  &  ne  les  faisant  que  pour  son  amu- 
sement ,  &  que  pour  celui  de  sts  Amis  qui  s'en  di- 
vertissent.  Aussi  le  Critique  Observateur  ne  manque- 
t-il  pas  son  coup :  C'est  ,  dit-il  fort  bien ,  un  Mkene- 
bourgeois  i  unriche  &vieuxRimail/eur^qui^connoijfantdis- 
tinBement  fon  impertinence  ,  6"  /a  confessant  hautement  , 
forme  un  caraBere  purement  ideal  et  sans  exemple.  J'ai 
done  trcs-bien  pris  mes  mesures  pour  ne  compromet- 
tre  personnc.  Ainsi  Francaleu ,  non  plus  que  Mile 
De  Malcrais  ,  n'est  qu'un  fantome  qui  n'entraine  au- 
cune  appUcation.  Ainsi  la  partie  du  role  relative  a  I'e- 
venement  du  jour,  ne  se  peut  nommer  qu'une  realite 
cncadree  dans  une  chimere. 

Qu'un  fait  public  &  tout  arrange  comme  celui-1^  , 
mis  sur  le  Theatre ,  fasse  grand  honiieur  a  I'imagina- 


PREFACE.  159 

tion  du  Poete :  je  ne  le  dis  pas ;  mais  que  nous  devionj 
etre  jaloux  aussi  de  nous  tout  devoir  k  nous-memes  , 
jusqu'a  dedaigner  de  nous  accommodcr  quelquefois, 
en  passant ,  d*un  incident  qui  se  trouve  heureusement 
sous  la  main ,  &  que  n'eut  peut-etre  jamais  cree  cette 
imagination  j  ce  n'est  pas  non  plus  mon  sentiment. 
Qu'importe  au  plaisir  public  d'ou  lui  viennent  ses 
sources  ?  Et  que  fait  tant  a  notre  gloire ,  apres  tout ,  Ic 
merite  de  I'invention  ?  Tels  Auteurs  a  qui  ce  don  ne 
fut  que  mediocrement  departi ,  en  ont  vu,  duhaut  dcs 
nues ,  d'autres  qui  le  possedoient  superieurement  , 
tamper  bien  au-dessous  d'eux',  n'eusse-je  k  citer  que 
Malherbe  3c  Saint-Amant;  que  Racine  dc  Th,  CorneilU. 
Pour  moi ,  je  pretends  si  peu  me  targuer  ici  de  ce  don 
particulicr ,  qu'iu  contraire  je  n'cntends  qu'^l  regret 
appeler  souvent  le  sujet  de  cette  Piece ,  une  point© 
d'aiguille  sur  laquelle  on  s'etonne ,  dit-on ,  que  j'aye 
entrepris  d'elever  un  edifice  de  cinq  A6tes.  Oui ,  loin 
de  me  prevaloir  dc  I'erreur  ou  du  compliment ,  j'crt 
reviens  au  debut  de  cette  Preface  en  la  finissant.  L'e- 
difice  fut-il  mieux  etoffe  cent  fois ,  des  seules  recoupcs 
I'Architede  en  eleveroit  un,  bien  superieur  a  celui  que , 
taillant  en  pleins  materiaux  ,  presente  ici  le  Ma^on. 
Enfin ,  je  le  repetc :  sous  la  plume  d'un  Auteur  tel  que 
celui  du  Misantrope ,  la  Mitromanie ,  sans  en  etre  plus 
longue  ni  moins  reguliere ,  conriendroit ,  a  coup  sur , 
une  fois  plus ,  &  mille  fois  mieux. 


:^ 


Rij 


BBBBSeggSBBB 


PERSONNAGES. 

FRANCALEU,  Pen  de  Lucik. 

BALIVEAUj  Cap'uoul^  Oncle  de  Damis, 

0^M1  S,  Po'ite. 

D  O  R  A  N  T  E ,  Amant  de  LuciU. 

LU  C  I  L  E ,  Fille  de  Frcaicaleu. 

LISETTE,  Suivante  de  LuciU. 

M  O  N  D  O  R  ,  Falet  de  Damis. 


La  Scene  est  che-^  M.  Francalcu  j  dans  Us  Jardins 
d'une  maison  de  plaisance  aux  pones  de  Paris. 


til 


LA 

METROMANIE, 

C  O  M  E  D  1  E, 


ACTE    PREMIER. 

SCENE    PREMIERE. 
MONDOR,  LISETTE. 

M  O  N  D  O  R/ 

C/  ETTE  maison  des  champs  me  paroit  un  bon  gitc. 
Jc  voudrois  bien  ne  pas  en  decamper  si  vite : 
Sur-toLit  m'y  retrouvant  avec  tcs  yeux  fripons, 
Anpres  de  qui,  pour  moi ,  tous  les  gites  sont  bons.v 
Mais  de  moiiMaitreici  n'ayant  point  de  nouvelles, 
H  faut  que  je  rcvole  a  Paris. 

L I  s  E  T  T  E. 

Tu  I'appcllcs  5 

MoNDOR. 

Damis.  Le  connois-tu  ? 

Riij 


V<ri        LA  METROMANIE^ 

L  I  S  E  T  T  E.  \ 

Non. 
M  O  N  D  O  R. 

Adieu  done. 
Lis  EXT  E. 

Adieu. 
M  O  N  D  O  R  revenant. 
On  m'a  pourtant  bien  dit ;  chez  Monsieur  Francaleu. 

Li  s  E  T  T  E. 
Cest  ici. 

M  o  N  D  o  R. 
Vous  jouez  chez  vous  la  Comedic  ? 

L I  s  E  T  T  E. 

Temoin  cc  role  encor  qu'il  faut  que  j'etudie. 

M  o  N  D  o  R. 
Le  Patron  n*a-t-il  pas  une  fille  unique? 

L  I  s  E  T  T  E. 

Oui. 

M  O  N  D  O  R. 

Et  qui  sort  du  Couvent  dcpuis  peu  ? 

L  I  s  E  T  T  E. 

D'aujourd'hui. 

M  O  N  D  O  R. 

Vivemcnt  recherchee  ? 

L  I  S  E  T  T  E. 

Et  trcs-digne  de  I  ctrc. 


C  O  M  t  D  1  E,  16^ 

■  '  M  O  N  D  O  R. 

Et  vous  avcz  grand  mondc  ? 

L  I  s  E  T  T  E. 

A  ne  pas  nous  connoitrc. 

M  o  N  D  o  R. 
Illuminations,  bal,  concert? 

L  I  s  E  T  T  E. 

Tout  ceb. 

M  O  N  D  O  R. 

Vn  beau  feu-d'artifice  ? 

L  I  S  E  T  T  E. 

11  est  vrai. 

M  O  N  D  O  R. 

M'y  voila. 
Damis  doit  etre  ici ;  chaque  mot  me  !e  prouve. 
Quand  le  Diable  en  seroit ,  il  faut  que  je  I'y  trouve. 

L  I  S  E  T  T  E. 

Sa  mine  ?  Ses  habits  ?  Son  etat  i  Sa  facon  ? 

M  O  N  D  O  R. 

Oh !  c'est  ce  qui  n'cst  pas  facile  a  peindre ,  non. 
Car,  selon  la  pensee  ou  son  esprit  se  plonge , 
Sa  face ,  a  chaque  instant,  s'eiargit  ou  s'alonge. 
11  se  neglige  trop ,  ou  se  pare  a  I'exces. 
D  etat ,  il  n'en  a  point ,  ni  n'en  aura  jamais.         ^ 
C'est  un  homme  isole  qui  vit  en  volontaire ; 
Qui  n'cst  Bourgeois,  Abbe,  Robin,  ni  Militairc  y 

R  iv 


i(f4         LA  M^TROMANIE^ 

Quiva,  vient ,  veille ,  snCj  &,  se  tourmentant  bien, 
Travaille  nuit  &:  jonr ,  &:  jamais  ne  fait  rien  ; 
All  surplus ,  rassemblanc  dans  sa  seule  personnc , 
Plusieurs  originaux  qu'au  Theatre  on  nous  donne : 
Misantrope ,  Etourdi ,  Complaisant ,  Glorieux  , 
Distrait....  ce  dernier-ci  le  designe  le  mieux  j 
Et  tiens,  s'il est  id,  je  gage  mes  oreilles, 
Qu'il  est  dans  quelque  allee  a  bayer  aux  corneilles, 
S'approchant ,  pas  a  pas ,  d'un  ha-ha  qui  I'attend, 
Et  qu  il  n'appercevra  qu  en  s*y  precipitant. 

L  I  s  E  T  T  E. 

Jc  m'oriente.  On  a  Thomme  que  tu  souhaites. 
N'est-ce  pas  de  ces  gens  que  Ton  nomme  Poetcs  ? 

M  o  N  D  o  R. 

Oui.  •      ^ 

L  I  S  E  T  T  E. 

Nous  en  avons  un. 

M  o  N  D  o  R. 
C'est  lui. 

L  I  S  E  T  T  E. 

Peut-etrc  bien. 

M  O  N  D  O  R. 

Quoi  done  ? 

L  I  S  E  T  T  E. 

Le  Personnage  en  tout  ressemble  au  tien : 
Sinon  que  ce  n'est  pas  Damis  que  Ton  le  nomme. 


C  O  M  i  D  I  E.  x€f 

M  O  N  D  O  R. 

Contentc-moi,  n'importe,  &  montre-moi  cet  hommc- 

L  I  s  E  T  T  E. 
Cherche  !  il  est  a  rever  la-bas  dans  ces  bosquets. 
Mais  vas-y  seul ;  on  vientj  &  je  crains  les  caquets. 


S  C  E  N  E  II. 

DORANTE    LISETTE. 

Li  s  e  t  t  e. 

ORANTE  ici !  Dorante ! 

D  O  R  A  N  T  E. 

Ah  Lisette!  ah,  ma  Belle! 
Que  je  t'cmbrasse !  Eh  bien ,  dis-moi  done  !a  nouvellc ! 
Felicite-moi  done !  Quel  plaisir !  L'heureux  jour  1 
Que  ce  jour  a  tarde  long-temps  a  mon  amour  I 
De  la  chose ,  avant  moi ,  tu  dois  etre  avertic. 
Que  ne  me  dis-tu  done  que  Lucile  est  sortie  ? 
Que  je  vais...  que  je  puis...  concois-tu  ? ...  Baise-moi. 

Lisette. 

Mais  vous  n'etes  pas  sage ,  en  verite. 

Dorante. 

Pourquoi? 


tC6        LA  MiTROMANlE^ 

L  I  S  E  T  T  E. 

Si  Monsieur  vous  trouvoit?  Songez  done  ou  vous  ctcs. 
Y  pensez-vous,  d'oser  venir,  comme  vous  faites , 
Chez  un  homme  avec  qui  votre  Pere  en  proces. . . 

D  o  R  A  N  T  E. 
Bon !  m'a-t-il  jamais  vu  ni  de  loin  ni  dc  pres  I 
Je  vois  le  pare  ouvert :  j'entre. 

L  I  s  E  T  T  E. 

Vous  le  dirai-Jc  ? 
Eussiez-vous  cent  fois  plus  d'audace  &  de  manege, 
Lucile  meme  a  nous  daignat-elle  s'unir  j 
Je  nc  sais  rrop  comment  vous  pourrez  I'obtcnir. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Oh  I  je  le  sais  bien ,  moi.  Mon  Pere  m'idolatre  ; 
11  n'a  que  moi  d'cnfans :  je  suis  opiniatre : 
Je  le  veux  j  qu'il  le  veuille ;  autrement  ( j'ai  des  moeurs ) 
Je  nc  lui  manque  point  j  mais  je  fais  pis.  Je  meurs. 

L  I  S  E  T  T  E. 

Mais  si  le  grand  proces  qu'il  a .. . . 

D  O  R  A  N  T  E. 

Qu'il  y  rcnonce. 
lie  Pere  de  Lucile  a  gagne.  Je  prononcc. 

L  I  s  E  T  T  E. 
Mais  si  votre  Pere  ose  en  appeler  ? 

D  O  R  A  N  T  E. 

•  •  Jamais. 


^      C  O  M  A  D  I  E.  167 

L  I  S  E  T  T  E. 

Mais  si.... 

D  O  R  A  N  T  E. 

Pinis  de  grace  j  &  laisse-la  tes  mais. 

L  I  s  E  T  T  E. 

Croyez-vous  done,  Monsieur,  vous  seul  avoir  un  perc  ? 
Le  notre  y  voudra-t-il  consentir  ? 

D  O  R  A  N  T  E. 

Je  Tcspcrc. 

L  I  S  E  T  T  E. 

Moi ,  je  I'espere  pen. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Sois  en  paix  la-dcssus. 
L I  s  E  T  T  E. 
Le  Vieillard  est  entier. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Le  jeune  homme  encor  plus. 
L  I  s  E  T  T  E. 

Lucile  est  un  parti.... 

D  O  R  A  N  T  E. 

Je  suis  bon  pour  Lucilc. 

L  1  S  E  T  T  E. 

Elle  a  cent  mille  ecus. 

D  O  R  A  N  T  E. 

J'en  aurai  deux  cent  mille. 


i6t        LA  METROMANIE^ 
L  I  S  R  T  T  E. 

Mais  vous  aimera-t-elle  ? 

D  O  R  A  N  T  E. 

Ah!  laisse-latapeur! 
Qaand  je  t*en  vois  douter ,  tu  me  perces  le  coeur. 

L  I  s  E  T  T  E. 

Je  vous  Tai  dit  cent  fois  •,  c'est  une  nonchalantc 

Qui  s'abandonne  au  cours  d'une  vie  indolente  j 

De  Tamour  d'elle-meme  eprise  uniquement , 

Incapable  en  cela  d'aucun  attachemcnt. 

Une  idole  du  Nord ,  une  froidc  femeile , 

Qui  voudroit  qu'on  parlat,  que  Ton  pensat  pour  cllc ; 

Et,  sans  agir,  sentir ,  craindrc ,  ni  desircr , 

N  avoir  que  I'embarras  d'etre  &■  de  respirer. 

Et  vous  voulez  qu'elle  aime?  EUe,  avoir  une  intrigue! 

Y  songez-vous,  Monsieur  ?  Fi  done ;  cela  fatigue. 

Voyez,  dcpuis  un  mois  que  le  coeur  vous  en  dit , 

Si  votre  amour  vous  laissc  un  moment  de  repit. 

Et  c'est  ma  foi  bien  pis  chcz  nous  que  chez  les  hommes. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Enfin ,  depuis  un  mois ,  sachons  ou  nous  en  sommcs. 

L I  s  E  T  T  E. 

EUc  aimc  cperdument  ces  vers  passionnes , 

Que  votre  ami  compose,  &  que  vous  nous  donnez ; 

Et  je  guettc  I'instant  d'oser  dire  a  la  belle , 

Que  ces  vers  sont  de  vous,  &:qu'ilssont  faits pour  ellc. 


C  O  M  i  D  I  E,  i€9 

D  O  R  AN  T  E. 

Qu'ils  sontde  moi!  mais  c'est  mentir  cffrontemcnt» 

L  I  s  E  T  T  E. 

Eh  bien !  je  mentirai :  mais  j'aurai  I'agrement 
D'interesser  pour  vous  rindiflFerence  meme. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Lncile  en  est  encore  a  savoir  que  je  I'aime ! 
Que  ne  profitions-nous  de  la  commodite 
De  ces  vers  amoureux  dont  son  gout  est  flatte  } 
Un  trait  pouvoit  m'y  fairc  aisement  reconnoitre  5 
£t ,  mieux  que  tu  ne  crois ,  m'eiit  reussi  peut-etre. 

L  I  S  E  T  T  E. 

Eh  non !  vous-dis-je ,  non  1  Vous  auricz  tout  gat^. 
L'indifierence  incline  a  la  severite. 
II  falloit  bien  d'abord  preparer  routes  choscs , 
De  I'empire  amoureux  lui  dcplicr  les  roses , 
L'induire  a  sc  vouloir  baisser  pour  en  cueillir. 
D'aise ,  en  lisant  vos  vers ,  je  la  vois  tressaillir  *, 
Sur-tout  quand  un  amour  qui  n'est  plus  guere  en  vogue 
Y  brille  sous  le  titrc  ou  d'Idylle  ou  d'Eglogue. 
Elle  n'a  plus  Tesprit  maintenant  occupe , 
Que  des  bords  du  Lignon ,  des  vallons  de  Tempe, 
De  bergcrs  figurant  quelques  danses  legeres , 
Ou ,  tout  le  jour  assis  aux  pieds  dc  leurs  Bergeres, 
Et ,  couronnes  de  fleurs ,  au  son  du  chalumeau  , 
Le  soir ,  a  pas  comptes ,  regagnant  le  hameau. 


i7d        l^   METROMANIE, 

La  voyant  s'emouvoir  a  cgs  fades  esquisses , 
Et  de  CGS  visions  savoiirer  les  delices , 
J'ai  cru  devoir  mener  tout  doucement  son  coeur, 
De  I'amour  de  I'ouvrage ,  a  I'amour  de  I'Auteur. 

D  O  R  A  N  T  E. 

C'est  tine  Eglogue  aussi  qu'on  liii  prepare  encore*^ 
Damis  se  leve  expres ,  chez  vous ,  avant  I'aiirore. 
L  I  s  E  T  T  E. 

Damis  ? 

D  O  R  A  N  T  E. 

UAuteur  des  riens  dont  on  fait  tant  de  cas. 
Et  sa  rencontre  ici ,  tout  franc ,  ne  me  plait  pas. 

L  I  S  E  T  T  E. 

Celui  que  nous  nommons  Monsieur  de  TEmpiree  ? 

D  O  R  A  N  T  E. 

Oui.  Son  talent,  chez  nous,  Ini  donne  aussi  Tentree. 

Mon  pere  en  est  epris  jusqu'a  Taimer ,  je  croi , 

Un  peu  plus  que  ma  mere ,  &"  presque  autant  que  moi. 

L  I  s  E  T  T  E. 

Laissons-la  son  Eglogue. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Ah !  soit :  je  Ten  dispense. 
Sur  un  pareil  emprunt  tu  sai^  comme  je  pense. 

L  I  s  E  T  T  E. 
Monsieur  de  Francaleu  ne  vous  connoit  pas  ? 


C  O  M  E  D  I  E.  171 

D  O  R  A  N  T  E. 

Non. 

L  I  S  E  T  T  E. 

Faitcs  vous  presenter  a  liii  sons  un  fanx  nom. 
Ici ,  ramour  des  vers  est  un  tic  de  famille. 
Le  pere  qui  les  aime  encor  plus  que  la  fille  , 
Regarde  votre  ami  comme  un  homme  divin  j 
Et  vous  plairez  d'abord ,  presente  dc  sa  main. 

D  o  R  A  N  T  E. 

II  peut  me  demandcr  la  raison  qui  m'attire  ? 

L  I  s  E  T  T  E. 

Lc  gout  pour  le  theatre  en  est  une  a  lui  dire. 
Desirez  de  jouer  avec  nous.  Justement ,        ,:^   .  r, 
Quelques  Adeurs  nous  font  faux-bond,  en  ce  moment. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Oui-da,Je  les  remplace ,  &  je  m  ofire  a  tout  faire. 

L  I  S  E  T  T  E. 

A  la  piece  du  jour  rendez-vous  necessaire. 
II  s'agit  de  cela  maintenant.  Apres  quoi.... 

D  o  R  A  N  T  E. 

Voici  notre  Poete.  Adieu.  Rctire-toi. 


^i^A 


171       lA   METROMANin^ 

S  C  fi  N  E     1 1  L 
DORANTE,  DAMIS* 

D  O  R  A  N  T  E. 

A  o  u  T  a  rheure,  tnoti  cher,  il  faut  prendre  la  peind* 

D  A  M  I  S  sans  I'ecouter. 
Non !  jamais  si  bean  feu  ne  ni  echaufia  la  veine. 
Ma  foi,  j'ai  fait  pour  vous  bien  des  vers  jusqu'icii 
Maisjc  donnemavoix  &:  la  palme  a  ceux-ci. 

D  O  R  A  N  T  E. 

11  s'agit..*. 
D  A  M  I  S  Interfompant  condnueltement  Dorante, 

De  vous  faire  une  Eglogue  \  elle  est  faitc. 
Dorante* 
Eh !  n'allons  pas  si  vite !  ... 

D  a  M  I  s. 

Oh !  mais  faite  Sc  parfaitc* 
Dorante. 
Jelecrois..*  7 

D  A  M  I  S. 

Au  bon  coin  ceci  sera  frappe* 

D  O  R  A  N  T  E« 

D'accord... 

D  A  M  I  s. 


C  O  M  i  D  i  E,  iyj 

D  A  M  I  S. 

Et  j€  le  donne  en  quatrc  au  plus  hupe. 

Do  R  A  N  T  E. 

Laissons  j  je  voiis  demande.... 

D  A  M  I  S. 

Oui,  du  noble  &  du  tendrc 

Do  RANT  E  perdant  patience, 
Non!  du  tranquille. 

D  A  M  I  S  tirantses  tabkttes. 

Aussi ,  vous  en  allez  entendre. 
D  o  R  A  N  t  E. 
Eh  !  j'en  jugerois  mal  I 

D  A  M  I  S. 

Mieux  qu'un  autre,  fecoutci;* 

D  O  R  A  N  T  I. 

^e  suis  sourd^ 

D  A  M  I  S. 

Je  crierai. 

D  o  R  A  N  T  E. 

Vainement ! 
D  A  M  I  s. 

Permcttez, 

D  O  R  A  N  T  E. 

(Quelle  rage  I 

Tome  IL     S 


^74        L^    M&TROMAh^IE y 

D  A  M  I  S  lit. 

Daphnis  &  L'tcHO  J  Dialogue. 
Daphkis. 

DORANTE    a  part. 

Au  Diable  soient  I'echo,  THomme  &  T^glogue  i 

D  A  M  I  S  avcc  emphase. 

Echo  J  queje  retrouvi  en  ce  hoc  age  epais..» 

D  O  R  A  N  T  E  d'une  voix  eclatante. 

Paix  1  dit  r^cha  Paix  1  dis-jej  une  bonne  fois ;  Paixl 
Sinon..... 

D  A  M  I  s. 

Comment,  Monsieur  ?  Quand  pour  vous  jc  compose-. 

D  O  R  A  N  T  E. 

JMais  qliand  de  vous, Monsieur,  on  dcmande  autre  chose. 

D  A  M  I  S  reprenant  sa  volubilitd. 
Ode  >  fepitrc  ?  Cantate  ? 

D  O  R  A  N  T  E. 

Ahiel 

D  A  M  I  S. 

jfelegieJ 

D  O  R  A  N  T  E. 

Ehbicn! 

D  A  M  I  S. 

3?ortrait  J  Sonnet  j  Bouquet  ?  Triolet  ?  Ballet  >. 


CO  M  E  D  i  ^.  47. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Mon  amour  se  retranchc  au  langage  ordinaire  5 
Ec  desormais  du  votre  il  n'aura  plus  affaire. 
D  A  M  I  S  ress$rrant  ses  tablettes. 
C'est  autre;glK)se :  alors  ces  vers  serpnt  pour  m:Qi^ 

Do  R  A  N  T  E. 

Nonque  jene  ressente,  ainsi  que  je  le  dc^rjo-  l") 
La  bonte  que  ce  jour  erjcor  voiis  avez  eue. 
J'ai  regret  a  la  peine.  ^  il'o"  oO 

Pamis. 

-  EUe  n'cst  pas  perdue. 
Mesvers,  sans  aller  loin,  sauront  011  se  placer  j 
jEt  Ton  a,  pour  son  compte ,  a  qui  les  adresser, 

D  O  R  A  N  T  E  avec  emotion. 
Ah  !  vous  aimez  >  " 

D  A  M  I  S. 

Qui  done  aimeroit,  je  vous  prie? 
La  sensibilite  fait  tout  notre  genie. 
Le  ccEur  dun  vrai  Poete  est  prompt  a  s'enflammcr ; 
'Er  i'on  ne  l^cst  qu'autant  que  Ton  sait  bien  aimer. 

DURANTE. 

( a  part. )  ( haut.)  ^-.n  ^-J  -:•  j\ 

Je  le  crois  mon  Biival.  QiTclk  est  votre  Bergere? 

D  A  M  I  S. 

De  la  votre ,  pour  moi^  le  nom  fiit  un  mysterc ; 

.-^ue  le  nomdc  la  a^enne  en puisse  ctre  un  pour  vous. 

S  ij 


47^        L^   MifROMANlt^ 

D  O  R  A  N  T  E. 

Et  votre  sort ,  Monsieur ,  sans  doute. . .  ♦ 

D  A  M  I  S. 

Est  des  plus  douX» 

D  O  R  A  N  T  E. 

tine  plume  si  tendre  a  dc  quoi  plaire  aiix  Belles. 

D  A  M  I  S. 

Cc  jouf  Vous  en  dira  peut-etre  des  nouvellcs. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Ce  jour? 

D  A  M  IS. 

Est  un  grand  jour. 

D  O  R  A  N  T  E. 

{^  part.)         {haul.) 
Ah !  c  est  Lucile !  Oh  ca ! 
Si  vous  ne  k  nommez ,  du  moins  depeignez-la, 

D  A  M  I  S. 

Je  le  voudrois. 

D  O  R  A  N  T  E. 

( ci  part. ) 
Aquitient-il?  SonfroidmetucJ 

D  A  M  I  S. 

Je  nc  le  puis. 

D  O  R  A  N  T  E. 
Pourquoi  ? 
D  A  M  I  S. 

Je  ne  I'ai  jamais  vuc 


\-    ^C  O  M  E  D  I  E.  ^ji 

D  O  R  A  K  T  E. 

(^part.)        (kaut.) 
C'estelle.  Expliquez-voas.. 

^.       D  A  M  I  S. 

Mes  termes  sont  fort  clairs^ 

D  O  R  A  N  T  E» 

D'ou  naitroient  done  vos  feux  i  ;^  •  V 

D  A  M  I  S.  ^ 

De  son  gout  pour  les  vcr&. 

D  O  R  A  N  T  E. 

-  (has.) 

Deson  gout  pour  les  vers !  Mon  infortune  est  sure  t 
Mais  n'importe  j  feignons ,  &■  poussons  Taventurc. 

D  A  M  I  s.. 

Qu'est-cedonc?  Qu'avez-vous?  D'ou  vient  tant  d!apar£s^ 

D  O  R  A  N  T  E. 

.•J    .',0  :r  o.i,: 

De  mon  premier  objet  c'est  trop  m'etre  ecarte.. 
Revenons  au  plaisir  que  de  vous  j'ose  attendrev 

D  A  M  I  S. 

Pa?lezj  mevoilapret.  Que  faut41  entreprcndre  ? 

D  O  R  A  N  T  E. 

Donnez-moi  pour  Adeur  a  Monsieur  Francaleu. 
Jc,  me  sens  du  talent  \  &■  je  voudrois  un  peu , 
£a  ^Vessayant  Qhej,  lui ,  voir  ce  que  je  sais  faire,. 

S  iij 


17-8^       LJ   METROMA NIE^ 

D  A  M  I  s. 

Venez» 

D  O  R  A  N  T  E4;''^  i^-i   ^-'^  -^  -— J* 

Mon  nom  pourroit  me  nuire* 

•^---.-'  D  A  M  I  S. 

II  fatit  le  tair©. 
Vons  etes  mon  ami  j  ce  titre  suffixa.    " ,    ■       .    Q 
J&coutez  seulement  les  vers  qu'il  volts  lira. 
C'est  un  fort  galant  homme,  excellent  caradere^ 
Son  Ami,  bon  Mari,  bon  Citoyen ,  bon  Pere  j 
Mais  a  rhumanite ,  si  parfajr  queTon  fut , 
Toujours ,  par  quelqne  foible  ,  on  paya  le  tribut. 
JLe  sien  est  de  vouloir  rimer  malgr^Minqrye^,  „rT 
I3e  s'ctre ,  en  cheveux  gris ,  avise  de  sa  verve*    . 
Si  Ton  peut  nommer  verve  une  demangeaison 
Qui  fait  honte  a  la  rime,  ainsi  qu'a  la  raison, 
Et,  malheureusement,  ce  qui  vicieabonde.    ,     p 
i)u  torrent  de  sqs  vers  sans  cesse  il  nous  inonde* 
Tout  le  premier  liii-meme ,  il  en  raille ,  il  en  rit. 
Grimace !  I'Auteur  percc;  il  les  lit  ^  les  relit , 
Pretend  qu'ils  fasseiu  rire-,  &,  pour  peu  qu  on  en  riei 
Le  poignard  sur  la  gorge,  en  fait  prendre  copic , 
Rentre  en  fougue ,  s'acharne  impitoyablement  ^  q 
Et,  charme  du  flatteur,  le  paie  en  I'assommant* 

D  OR  A  N  T  E.  '    '  "^I 

Oh,  je  suis patient  \  Je  veux  lasser  votre  hommcj 
Et  que  de  Tencensoir  ce  soit  rnoi  qui  rassommei 


C  O  M  E  D  I  E.  ij<^ 

D  A  M  I  s. 
Pour  moi  jc  meurs,  jc  tombe,  ecrase  sous  le  faix* 

D  o  R  A  N  T  E. 
Qui  voiis  retient  chez  lui  ? 

D  A  M  I  S. 

Des  raisons  qiie  je  tais  j 
Et  je  m*y  f>lairois  fort ,  sans  sa  Muse  fiinestc 
Dontle  poison  maudit  nous  glace  &:  nous  empeste* 
Heureux ,  quand  mon  esprit  vole  a  sa  region, 
S'il  n'y  porte  pas  I'air  de  la  contagion ! 
Le  voici.  Tout  le  corps  me  frissonne  a  I'approchc 
Du  grifFonnage  afFreux  qu'il  a  toujoiirs  en  poche* 


SCENE     IV. 

FRANCALEU,  DORANTE,  DAMIS. 

Francaleu. 

Jl  ESTE  soit  de  ces  coups  ou  Ton  ne  s'attend  pas  Ji 
Voila  ma  piece  au  diable ,  &"  mon  theatre  a  bas^ 

D  A  M  I  S. 

Comment  done  > 

*       Francaleu. 

"I 

Trois  Adcurs:  rAmant,rOncIe,  TePere, 
Maaquant  a  point  nonime,  font  cette  belle  afiaire. 

Siv 


iSo        lAMiTROMAKlE, 

L'lin  est  inoculc ;  I'autre ,  aux  eaux ;  I'autre ,  mort* 

C'est  biea  prendre  son  temps ! 

D  A  M  I  S. 

*  Le  dernier  a  grand  tort* 

Franca  LEU. 

Jc  croyois  celebrer  le  retour  de  ma  fille. 
A  grands  frais,  je  convoque  amis,  parens ,  famitle  | 
J  assemble  un  auditoire  &  nombreux  &:  galant  i,  ^ 
Et  nous  fermons.,  Cela  n'est-il  pas  regalant  \ 

D  A  M  I  S  froidement. 

Ccrtesjes  trois  sujetsetoientbonsj  e'est  doniniage< 

F  R  A  N  C  A  L  E  U^ 

Quelle  serenite !  Savcz-vous ,  quand  J'enrage  ^ 
Que  j'enrage  encor  plus ,  si  Ton  n'ejtirage  aussi> 

D  A  M  I  S. 

C'est  que  je  vois ,  Monsieur  ,  bon  rcmede  a  cedk 
Le  role  des  Vieillards  n'est  pas  de  longue  haleine  ^ 
Lcs  deux  premiers-venus  le  rempliront  sans  peine^ 

F  R  A  N  C  A  L  E  U. 

EtTAmant? 

D  A  M  I  s  presentant  J)orant^. 
Mon  ami  s'en  acquitte  a  j^avir^ 

D  O  R  A  N  T  £.  4  Francaleu. 
Vous  me  voyez ,  Monsieur ,  tout  pre.t  a  vous  servijf\ 


C  O  M  E  D  i  E.  zti 

FranCALEU^  Damis. 

U  a  d'un  amoureux  tout  a  fait  I'encolure. 

Damis. 

Le  jeu  bicn  au-dessus  encor  de  la  figure. 

Francaleu. 

Mais il s'agit  icid'un amant maltraite  ; 

Et  peut-etre  Monsieur  ne  I'a  jamais  etc. 

Or  il  faut,  quelque  loin  qu'un  talent  puisse  attcindrc, 

Bprouver  pour  sentir ,  &  sentir  pour  bien  feindre. 

Damis  avec  un  rire  malin^ 

Aussi  n'ira-t-il  pas  se  chercher  en  autrui. 

Le  role  qu'il  accepte  est  modele  sur  lui. 

Le  pauvre  infortune  meurt  pour  une  inhumainc , " 

Sans  oser  declarer  son  amoureuse  peine  j 

De  facon  qu'il  en  est  encore  a  s'aviser , 

Quand  peut-etre  quelqu'autre  est  tout  prct  d'^pouscr. 

D  O  R  A  N  T  E  outre. 

Ma  situation  sans  doute  est  peu  commune ; 

Et  je  sens  en  effet  toute  mon  infortune.  - 

Francaleu. 

Bon !  tanjt  mieux !  vous  voila  selon  notre  desin 
Venez  j  &■ ,  croyez-moi ,  vous  aurez  du  plaisir. 

//  sort  avec  Dor  ante* 

Damis  seuU 
J*ai  beau  1^  voir  parti ;  je  ne  m'en  crois  pas  quittc. 


iS»        LA    METROMANIE, 
Mais,  grace  a  I'embarras  qui  Toccupe  &  Tagitc-^ 
Sain  &  sauf ,  line  fois ,  j'echappe  a  mon  bourreau* 

FrANCALEU  r&venanu 
Attendcz-vous  a  voir  quelque  chose  de  beau. 
J'acheve  de  brocher  une  Piece  en  six  Ades. 
La  rime  &:  la  raison  n'y  sont  pas  trop  exades ;. 
Mais  j'cn  apprete  mieux  a  rire  a  mcs  depens. 

//  s*en  rctourne^ 


S  C  E  N  E    y. 

D  A  M  I  S. ""  ~  ^ 

SiltJ  je  n^armerois  pas  centre  ce  guet-  apens  ?  I 
Ce  devroit  etre  fait.  Qu'il  reste  a  sa  campagne^T 
Ou  me  vienne  chercher  au  fond  de  la  Bretagne. 
L'amour  m'y  tend  Ics  bras.  Mon  cceur  m'a  devance* 
C'est  un  noeud  que  de  loin  I'esprit  a  commence. 
11  est  temps  que  la  vue  &:  Tacheve  &:  le  serre. 
Partons. 


S  C  E  N  E    V  I. 
DAMIS,  MONDOR.  ; 

M  O  N  D  O  R  rendant  une  Lettre  a  Damis. 

xSLH  !  grace  au  Cicl, enfin  je  vous  dcterre ! 
Jc  vous  cherche.  Monsieur,  depuis  huit  jours  entiersj, 


/     C  O  M  t  D  I  E.  28  J 

Et  de  Paris  cent  fois  j'ai  fait  tous  les  quartiers. 
J  ai  craint ,  aii  bord  de  I'eau,  vos  visions  cornnes ; 
Que,  cherchant  quelque  rime,  <k  lisant  dans  les  niies, 
Pegase  imprudemment,  la  bride  sur  le  cou , 
N'eut  voiture  la  Muse  aux  filets  de  Saint  Clou. 

D  A  M  I  S  resserrant  la  Lettrequila  lue. 

Oh ,  oh  !  bon  gre,  mal  gre,  voici  qui  me  retardc ! 

M  o  N  D  o  R. 

tcoutez  done  ^  Monsieur :  ma  foi ,  prcnez-y  garde! 
Un  beau  jour.... 

D  A  M  I  S. 

Un  beau  jour ,  ne  tc  tairas-tu  point? 

M  o  N  D  o  R. 

A  votre  aise !  aprcs  tout ,  liberte  sur  ce  point,  .-j 
En  fin  quelqu'un  m'a  dit  qu'ici  vous  pouviez  etrc, 
Mais  personne.  Monsieur,  ne  veut  vous  y  connoitrej 
Et,  dans  ce  vaste  enclos  que  j'ai  tout  parcouru ,   ^ 
Je  vous  manquois  encor  j  si  vous  n'eussiez  paru. 

D  A  M  I  S. 

Dd  mcs  adniirateurs  tout  cec  enclos  fourmille : 
Mais  tu  m'as  demand^  par  mon  nom  de  famiile  2 

M  o  N  D  o  R. 

Sans  doute.  Comment  done  aurois-je  interroge  J 

D  A  M  I  s. 

Jc  n'ai  plus  ce  nom-1^. 


iJ4       l^   MiTROMATTIE,, 

^  M  O  N  D  O  R»  • 

Yous  en  avez  change  * 

D  A  M  I  S. 

Oiii;.j'ai ,  depuis  huit  jours ,  imite  mes  confreres. 
Sous  leur  nom  veritable ,  ils  ne  s'illustre.nt  gueres  j, 
Et>  panni  ccs  Messieurs ,  c'est  Tusage  commun , 
I>e  prendre  un  nom  de  terre,  ou  de  s'en  forger  im-,.. 

M  o  N  D  o  R. 

Votre  nom  maintenant ,  c'est  done  ^ 

D  A  M  I  s, 

De  rEmpircei. 
Et  j*cn  oserois  bien  garantir  la  duree. 

M  o  N  D  o  R. 

De  TEmpir^e?  Ouida !  n'ayant  sur  riiorizoiil-,'^''  ' 
Ni  feu  ni  lieu  qui  puisse  al^nger  votre  nom , 
Et  ne  possedant  rien  sous  la  voiite  celeste , 
Le  nom  de  I'enveloppe  est  tout  ce  qui  vous  restCi. 
Voila  done  votre  esprit  de  vcnu  grand  terrien. 
L'espace  est  vaste  :  aussi  s'y  promene-t-il  bien. 
Mais  quand  il  va  la-baut  lui  seul  a  s.a  campagne  %..■  ■% 
Que  le  corps,  ici  bas,  s.oufire.qu'Qnl'accompagne* 

D  AM  I  S. 

Et  crois-tn  done  qu'un  homme  a  talens ,  tel  que  moi^ 
Puisse  regler  sa  marche ,  &:  disposer  de  soi  ? 
Les  gens  de  mon  espcce  ont  le  destin  des  Belles.. 
Toutlemondc  vondroitnous  enlever  commeeUes^, 


V  O  M  i  D  I  E,  185 

Jc  me  laisse  entrainer  chez  Monsieur  Francaleu , 
Par  un  impertinent  que  je  connoissois  peu. 
C'est  lui  qui  me  presentc  >  &" ,  dupe  du  manege , 
Je  sers  de  passeport  au  fat  qui  me  protege. 
On  tenoit  table  encore.  On  se  serre  pour  nous. 
La  joie ,  en  circulant ,  me  gagne  ainsi  qu'eux  tous. 
Je  la  sens :  j'entre  en  verve  \  &  le  feu  prend  aux  poudres. 
II  part  de  moi  des  traits ,  des  eclairs  &  des  foudres  9 
J'ai  le  vol  si  rapide  &:  si  prodigieux , 
Qu  a  me  sui vre,  on  se  perd^  apres  moi,  dans  les  cieux : 
Et  c'est  la,  qu'a  grands  cris,  je  recois  des  convive, 
Ce  nom  qui  va  da  Pinde  enrichir  les  Archives..^ 

M  O  N  D  O  R. 

Qui  va  nous  appauvrir ,  a  coup  sur ,  tous  les  deux» 

D  A  M  I  s. 

Ensuite  un  equipage  &:  commode  &■  pompeux 
Me  roule,  en  un  quart-dlieure,  a  ce  lieu  de  plaisanCc , 
Ou  je  ris,  chante ,  &:  bois :  le  tout,  par  complaisance. 

M  o  N  D  o  R. 

Par  complaisance ,  soit.  Mais  vous  ne  savez  pas? 

D  A  M  I  S. 

Et  quoi  ? 

M  o  N  D  o  R. 

Pendant  qu'aux  champs  vous  prenez  vos  cbats. 
La  Fortune ,  a  la  villc ,  en  est  un  peu  jalouse. 
Monsieur  Baliveau.... 


i.ts       LA   MiTROMANIE, 

D  A  M  I  S. 

(  Heim  ? 

M  o  N  D  o  R. 

Votre  Oncle  de  Toulouse..., 

D  A  M  I  s. 
Apre$  ? 

M  o  N  D  o  R* 
Est  a  Paris. 

Dam  is. 

Qu'il  y  reste. 

M  O  N  D  O  R. 

Fort  bi'en. 
Sans  croirc ,  sans  vouloir  que  vous  en  sachiez  rieii. 

D  A  M  I  s. 
Pourquoi  done  me  le  dire  ? 

M  o  N  D  o  R. 

Ah !  quelle  indifference ! 
Et  rien  est-il  pour  vous  de  plus  de  consequence  ? 
Un  Oncle  riche  &  vieux  dont  votre  sort  depend  ; 
Qui  du  bien  qu'il  vous  veut ,  sans  cesse  se  repent  5 
Pretendant ,  sur  son  goiit ,  regler  votre  genie  j 
De  vos  diables  de  vers ,  detestant  la  manie  ; 
Et  qui ,  depuis  cinq  ans  bien  comptcs,  Dieu  merci. 
Pour  faire  votre  Droit ,  nous  pensionne  ici ! 
Attendez-vous,  Monsieur ,  a  d'horribles  tempetcs. 
II  vicnt  incognito ,  pour  voir  ou  vous  en  ctes. 


C  O  M  E  D  IE,  itf 

Pcut-etre  il  sait  deja  que  vous  donnant lessor , 

Vous  n'avez  pris  ici  d'autre  licence  encor , 

Que  celles  qu'il  craignoit,&:  que,dans  vos  rubriqucs, 

Vous  nommez ,  entre  vous,  licences  poeciques. 

Ah !  Monsieur  I  redoutez  son  indignation. 

Vous  aurez  encouru  Texheredation. 

Ce  mot  doit  vous  toucher,  ou  votre  ame  est  biendurc. 

D  A  M  I  S  /wi  donnant  un  papier. 

Mondor ,  porte  ces  vers  a  I'Auteur  du  Mercurc. 

M  o  N  D  O  R  refusant  de  U  prendre* 

Beau  fruit  de  mon  sermon ! 

D  A  M  I  S. 

Digne  du  Scrmonneur, 
Mondor. 
Et  que  doit  nous  valoir  cc  papier  ? 
D  A  M  I  S. 

De  rhonncur. 
Mondor  secouant  la  the. 
Bon !  dc  I'honneur  ! 

D  A  M  I  s. 

Tu  crois  que  je  dis  des  sorncttes } 

Mondor. 

C'cst  qu'on  n'a  point  d'honneur  a  mal  payer  scs  dettes , 
Et  qu'avec  celui-ci ,  vous  Ics  paierez  tres-mal. 


A«8        LA   MiTROMANtE^ 

D  A  M  I  S. 

Qu'nn  Valet  raisonneur  est  un  sot  animal ! 
£h  1  fais  ce  qu'on  te  dit» 

M  o  N  D  O  R.  _ 

Aussi ,  DC  voiis  deplaise , 
Vous  en  parlez, Monsieur,  un  peu  trop  a  votre  aisc* 
Vous  avez  les  plaisirs  j  &  moi ,  tout  I'embarras. 
Vous  &■  vos  Cr^anciers,  je  vous  ai  sur  les  bras, 
G*est  moi  qui  les  ecoute ,  &  qui  les  congedie* 
Je  suis  las  de  jouer ,  pour  vous ,  la  comedie , 
De  vous  celer,  d'oser  remettre  au  lendemain , 
Pour  empruntcr  encore ,  avec  un  front  d'airaitt.  ^ 

Ma  probite  repugne  k  ces  facons  de  vivre. 
De  ce  monde  aboyant ,  cherchez  qui  vous  d^livre. 
Pour  moi ,  plein  desormais  d'un  juste  repentir , 
J'abandonne  le  role ,  &:  ne  veux  plus  mentir. 
VicnnentBaigneur,Marchand,Tailleur,H6te,Aubergistc, 
Que  leur  cour  vous  talonne ,  &  vous  sui  ve  a  la  piste ; 
Tirez-vous-en  vous  seulj  &:  voyons  unc  fois.... 

D  A  M  I  S  lui  tendant  le  me  me  papier* 
Tu  me  rapporteras  le  Mercure  du  mois  j 
Entcnds-tu  ? 

M  O  N  D  O  R  leprenanu 

Trouvez  bon  aussi  que  Je  revienne 
Environne  des  gens  que  je  vous  nomme. 

D  A  M  I  S. 

Amenc. 

MONJDOR. 


C  O  M  i  D  I  £,  48^ 

M  O  N  D  O  R. 

Vous  pensez  rire  i 

:■  ■■^:-^'^':'.r'D  AMIS.  :;;oM7M>l 

Non.  ,/,  rj 

M  O  N  D  O  R. 

Vous  verrez. 

D  A  M  I  S. 

Je  t'attends, 
M  O  N  DOR  sonant. 

Oh  bicn!  vous  en  allez  avoir  le  passe  -temps. 

D  A  M  I  S. 

Et  toi,  celui  de  voirdes  genscomblesde  joic. 

M  O  N  D  O  R  revenant.-  -'raffrrT,  ;V 
Les  paierez-vous  ? 

D  A  M  I  S. 

Sansdoute.  ■■_ 
M  o  N  D  o  R. 
^  q  /-^        Et  de  quelle  monnoie  ? 

D  A  M  I  S. 

Nc  t'embarrasse  pas. 

MoN  D  o  R  ^pari. 

Ouais  I  seroit-il  en  fonds  ? 

D  A  M  I  S. 

Arrangeons-nous  deja  sur  ce  que  nous  dcvons. 

Tome  I  If     T 


x^<»       LA  MtTROMANIE^ 

M  O  N  D  O  R  d  part. 
Morbleu !  c'est  pour  m'apprendre  a  pescr  mes  paroles, 

D  A  M  I  S. 

Au  Repetiteur  ? 

M  6  N  D  O  R  £un  ton  radouc'u 

Trente  ou  quarante  pistoles. 

D  A  M  I  S. 

A  la  Lingere  J  A  THote  ?  Au  Perruquier  ? 

M  o  N  D  o  R. 

Autant; 

Au  Tailleur  > 

M  o  N  D  o  R. 

Quatre-vingt. 

D  A  M  I  S. 

A  TAubergiste? 

M  o  N  D  o  R. 

1  i^  A  c ;  Cent. 

O  A  M   I    %<.A.^  ■jiLii'ilU'MV:..     *       i 

A  toi  ?  >  r     . 

M  O-N  DOR  faisant  d' humbles  reverences* 

Monsieur..^ 

D  A  M  I   S> 

Combiea'i"' 


C  O  M  i  D  I  E.  ftpi: 

M  o  N  D  o  R. 

Monsieur.... 

D  A  M  I  S. 

Parle. 

M  O  N  D  O  R. 

J'abuse...i 

D  A  M  I  S, 

De  ma  patience ! 

M  O   N  D   O   R. 

Oui :  jc  vous  demande  excuse, 
II  est  vrai  que...  le  zele...  a  manque  de...  resped  j 
Mais  le  passe  rendoit  Tavenir  trcs-suspedt 

D  A  M  I  S. 

Cent  ecus ,  supposons.  Plus  ou  moins ,  11  n'importe. 
^a,  partageons  Ics  prix  que  dans  peu  je  remporte. 

M  o  N  D  o  R. 
Les  prix  > 

D  A  M  I  S. 

Oui ;  de  I'argent ,  de  I'or  qu'en  lieux  divers, 
La  France  distribue  a  qui  fait  niieux  les  vers. 
A  Paris ,  a  Rouen ,  a  Toulouse  ,  a  Marseille. 
J'aiconcouru  par-tout :  par-tout  j'ai  fait  merveille,„» 

M  o  N  D  o  R. 

Ah!  Si  bien  que  Parispaiera  done  le  loyer; 
Rouen, le  Maitre  en  Droit;  Toulouse,  le  Barbierj 
Marseille,  la  Lingerer  &  le  Diable,  mes  gages, 

Tij 


M.9i       LA  METROMANIE^ 

D  A  M  I  S. 

Tu  doutes  qu*en  tons  lieux  j'emporte  Ics  suffrages  ? 

M  o  N  D  o  R. 

Non  •,  ne  doutons  de  rien,  Et ,  sur un  fonds  meilleur, 
N'hypothcquez-voiis  pas  TAuberge  &  le  Tailleur  ? 

D  A  M  I  S. 

Sans  donte ;  &:  sur  un  fonds  de  la  plus  noble  espece. 
Le  Theatre  Francois  donne  aujourd'hui  ma  Piece. 
Le  secret  m'est  garde.  Hors  un  Adbeur  &  toi , 
Personne  au  monde  encor  ne  sait  qu'elleest  de  mou 
Ce  soir  meme  on  la  joue :  en  voici  la  nouvelle* 
Mon  talent  a  I'Europe  aujourd'hui  se  revele. 
Vers  rimmortalite  je  fais  les  premiers  pas ; 
Cher  ami,  que  pour  moi  ce  grand  jour  a  d'appas ! 
Autre  espoir.... 

M  o  N  D  o  R. 

Cliimerique. 

D  A  M  I  S. 

Une  Fille  adorable , 
Rare ,  celebre ,  unique ,  habile ,  incomparable.... 

M  o  N  D  o  R. 

Dc cettc  incomparable,  apres,  qu'esperez-vous ? 

D  A  M  I  S. 

Aujourd'hui  triomphant ,  demain  j'cn  suis  Tepoux. 
Dcmaia...  Ou  vas-tu  done ,  Moqdor  j 


C  O  M  E  D  I  E.  29|t 

M  O  N  D  O  R. 

Chercher  un  Maitre» 

D  A  M  I  S. 

Et  pourquoi  tout-a-coup  suis-je  indignc  de  VetreJ^ 

M  O  N  D  O  R. 

C'cst  que  fair  est ,  Monsieur,  un  fort  sot  alimcAt^ 

D  A  M  I  S,  I 

Qui  tc  vcut  nourrip  d'air  ?  Es-tu  fou  ? 
M  o  N  D  o  R. 

NuUemcnt. 
D  A  M  r  s. 
Kla  foi,  tu  n*es  pas  sage.  Eh  quoi!  tu  te  revoltes 
A  la  veille ,  que  dis-je  ?  au  moment  des  recoltcs  I 
Car  enfin  rassemblons  ( puisqu'il  faut  avec  toi-  ,,,^<  j 
Descendre  a  des  details  si  peu  dignes  de  moi ) 
Rassemblons  en  un  point  de  precision  sure  y 
L'etat  de  ma  fortune  &  prcsente  &  future.  f 

De  tes  gages  deja  le  paiemcnt  est  certain. 
Ce  soir  une  partie ;  &  Tautre  apres  demain.. 
Je  reussis.  J'epouse  une  femme  savante. 
Vois  le  belavenir  qui  de  la  se  presente! 
Vois  naitre  tour-a-tour,  de  nos  feux  triomphan»» 
Des  Pieces  de  Theatre  &  de  rares  enfans! 
Lcs  aiglons  genercux,  &  dignes  de  leurs  races, 
A  peine  encor  eclos ,  voleront  sur  nos  traces. 
Ayons-en  trois.  Leguons  le  Comique  au  prcmicrv 

Tiij 


15^4        i^  MiTROMANIE ^ 

Lc  Tragique  au  second ;  le  Lyrique  au  dernier. 
Par  cux  seuls ,  en  tous  lieux,  la  Scene  est  occupee. 
Qu'a  Tenvi  cependant ,  donnant  dans  Tifepopee , 
Et  nnon  Epoiise  &:  moi  nous  ne  lachions  par  an , 
Moi ,  qu'un  demi-Poeme  \  elle ,  que  son  Roman : 
Vers  nous,  de  tous  cotes,  nous  attirons  la  foule. 
Voila  dans  la  maison  I'or  &  I'argent  qui  roule  j 
Et  notre  esprit  qui  met ,  grace  a  notre  union , 
Le  Theatre  &  la  Presse  a  contribution. 

M  o  N  D  o  R. 

En  bonne  opinion  vous  etes  un  rare  hommc; 
Et,  sur  cet  oreiller ,  vous  dormezd'un  bonsommc; 
Ivlais  un  coup  de  sifflet  peut  vous  reveiller. 

D  A  M I S  lui  faisant  prendre  enfin  le  papier,     '  1 

Pars. 
L'cmbarras  ou  Je  suis  merite  un  peu  d'egards. 
tJne  Piece  affichee ;  une  autre  dans  la  tete ; 
Une  ou  je  joue  j  une  autre ,  a  lire  toute  prete : 
Voila  de  quoi,  sans  doute ,  avoir  Tesprit  rendu. 

M  o  N  D  o  R. 

Ditcs  un  heritage  &  bien  du  temps  perdu. 


cjafirlnr..       Fin  du  premier  Acle* 


C  O  M  E  D  I  E,  195 

^JL . ■  ■  '  » 

A   C   T   E    11. 

it  '  ^ 

SCENE    PREMIERE. 

BALIVEAU,  FRANCALEU. 

i 

B  A  L  I  V  E  A  U. 

JL'heureu  X  temperament !  Ma  joie  en  est  extreme. 
Gai,  vif,  aimant  a  rire  j  enfin  toujours  le  memc. 

"     F  R  A  N  C  A  L  E  U.         '       ,         .  ' 

C'est  que  jc  vous  revois.  Oui ,  mon  cher  Baliveau , 
Embrassons-nous  encore  5  &:  que,  tout  de  nouveau, 
De  I'ancienne  amitic  ce  temoignage  eclate.   '  "*   ' 
La  separation  n'est  pas  de  fraiche  date  j 
Convenez-en :  pendant  I'intervalle  ecoulc , 
La  Parque ,  a  la  sourdine ,  a  diablement  file. 
En  auriez-vous  I'humeur  moinsgaillarde  &  moins.vivc? 
Pour  moi ,  je  suis  de  tout}  joueur,  amant ,  convive j 
Frequentant ,  fqtoyant  les  bons  faiseurs  de  vers. 
J'en  fais  meiTie  comme  cux. 

arn:bY'(.uB  AL  IVE  A  U.  ^ 

r^vy^ffvj  Commeeux?  n  sf. 

'.  F  R  A  N  C  AL  E  U. 

.'ii,:,^ -i,..         .^,.^^,    Oui...    .:^:  a 

TlT 


ir^tf        LA    M^TROMANIE, 
Baliveau. 

QucltraversJ 
Franc  ALE  u. 

Pas  tout-a-fait  comme  cux ;  car  je  les  fais  sans  peine 
Aussi  me  traitent-ils  de  Poete  a  la  douzaine  j 
Mais,  en  depit  d'euxtous,  ma  Muse,  en  tapinois , 
Se  fait,  dans  le  Mercure,  applaudir  tous  les  mois. 

Baliveau. 
Comment  ? 

Fr  A  N  c  AL  e  u. 

J  yprends  le  nom  d'une  Basse-Breton  nc» 
Sous  ce  voile  etranger ,  je  ris,  je  plais,  j'etonnei 
Et  le  masque  femclle  agacant  le  Ledteur , 
De  tel  qui  m'a  raille  fait  mon  adorateur.. 

Baliveau<z  paru 


B  est  dcvenu  fou  ! 


'A 


Francaleu.  ,;  ( 

Lisez-vous  le  Mercure?  3 

Baliveau.  >, 

Jamais.  '^ 

F  R  A  N  C  A  L  E  U.  '♦  , 

Tampis ,  morbleu,  tampis  \  bonne  ledurct 
Lisez  celui  du  mois  j  vous  y  verrez  encor, 
Comme ,  aux  depens  d'un  fou ,  je  m'y  donne  I'essor. 
Je  ne  sais  pas  qui  c'est  5  mais  le.benet  s'abuse  , 
Jusques-la  qu'il  me  nomme  une  dixieme  Muse ; 
Et  qu'il  me  veut,  pour  femme ,  avoir  absolument. 


C  O  M  E  D  I  E.  297 

Moi  j'ai ,  par  un  Sonnet ,  riposte  galamment. 
Jc  go  ate  ,  a  ce  commerce  ,  un  plaisir  incroyable  1 
Et  vous  ne  trouvez  pas  Taventure  impayable  J 

B  A  L  I  V  E  A  U. 

Ma  foi ,  je  n'aime  point  que  vous  ayez  donnc 
Dans  un  gout  pour  lequel  vous  etiez  si  peu  ne. 
Vous  Pocte !  eh !  bon  Dieu ,  depuis  quand  ?  Vous ! 
Francaleu. 

Mai-meme. 
Je  ne  saurois  vous  dire  au  juste  le  quantieme. 
Dans  ma  tete ,  un  beau  jour ,  ce  talent  se  trouva; 
Et  j'avois  cinquante  ans ,  quand  cela  m'arriva. 
Enfin  je  veux,chczmoi,  que  tout  chante  &:  toutric. 
Uage  avance  ^  &  le  goiit  avec  Tage  varie. 
Je  ne  saurois  fixer  le  temps  ni  les  desirs  -, 
Mais  je  fixe  du  moins  chez  moi  tous  les  plaisirs. 
Aujourd'hui  nous  jouons  une  Piece  excellente  j 
J'en  suis  I'Auteur.  Elle  a  pour  titre :  I' Indolente,  -  - 
Ridicule  jamais  ne  fut  si  bien  daube  -, 
Et  vous  ctes,  pour  rire  ,'on  ne  peut  micux  tombc. 

%'sni.i'o\-i-..  B  AL  I  VE  A  U 

Ne  comptez  passur  moi.  J'ai  quelqucaflEiireentere, 
Quine  feroit  chez  vous,de  moi,  qu'un  troublc-fetc« 

Francaleu. 
Et  quelle  affaire  encore  \ 

Baliveau. 

"  *  -      Un  diable  de  Neveu 
Mc  fait ,  par  ses  ecarts,mourir  a  petit-feu. 


^p€         LA  MtTROMANlEy 

C'est  un  garcon  d'esprit ,  d  assez  belle  apparencc , 
:De  qui  j'avois  concu  la  plus  haute  esperance  \ 
J'en  fis  I'unique  objet  d'un  soin  tout  paternel  j    \  \ 
Mais  rien  ne  redifie  un  mauvais  naturel. 
Pour  acbever  son  droit,  ( n'est-ce  pas  une  home  J 
11  est ,  depuis  cinq  ans ,  a  Paris ,  de  bon  compte. 
J'arrive :  je  le  trouve  encore  au  premier  pas , 
Endette ,  Vagabond  ,  sans  ce  qu'on  ne  sait  pas. 
Ne  pourrois-je  obtenir,  pour  peu  qu'on  mc  seconde, 
'Un  ordre  qui  le  mette  en  lieu  qui  m'en  reponde  ? 
Ne  connoissant  personne ,  &  vous  sachant  ici  , 
Je  venois.... 

Francaleu. 
Vous  aur?z  cet  ordre.        . -r   •       f 

B  A  L  I  V  E  A  u. 

Grand  merci, 

F  R  A  N  C  A  L  E  XT*'^'  liJii  i>lu  :.•  A 

Mais  plaisir  pour  plaisir. ' 
;  i  ,  Bali  v  e  a  u.  v  , 

, ,  ,    Pgur  vous  que  puis-je  fairc  1 

,3r^:ri3ui;./        Francaleu.    ^jqa-  ..•  t  f\ ' 
•Dkns'ia  Pidce  du  jour  prendre  un  role  de'P^e. 

B  A  L  I  V  E  A  u. 
Unrolc!  amoi? 

Francaleu. 

Saosdoutc ,  a  yoiis,  :^ 


€  O  M  t  T>  I  E,  4«>p 

B  A  L  I  V  E  A  U. 

Cesttoutdebon) 

Francaleu. 

Oui.  Netes-vous  pas  bien  de  1  age  d'un  barbon? 

B  A  L  I  V  E  A  U. 
Soit.  Mais.... 

Francaleu. 

Vous  en  avez  les  dehors. 

B  AL  I  V  E  AU. 

JeVavouc. 

Francaleu, 
Assez  rhumcur. 

B  A  L  I  V  E  A  u. 
Que  trop. 
Francaleu. 
""'     '"  '"  Ettantsoitpeulamouc. 

Baliveau.  -t 

Avec  raison. 

Francaleu.  '• 

Et  puis  le  role  n'est  pas  fort. 

Baliveau. 

Quel  qu'il  soit ,  j'y  repugne. 

Francaleu. 

11  faut  faire  nn  cfibrt* " 


joa        LA  METROMANIE^ 

Baliveaij. 
Ehfi  rqtic  diroit-on  ? 

F  R  A  N>  C  A  LEU. 

Que  voulez-vous  qii*on  disci 

B  AL  I  V  E  KM. 

tlnCapitouI  ♦ 

Fran  c  AL  e  u.. 
Eh  bien  f 
B  a  L  r  V  E  a  ir. 
.•u;  Lagravitet 

Francaleu. 

Sottisel    -'^■ 

B  A  L  I  V  E  A  U. 

Ma  noblesse  d'ailleurs ! 

Francaleu. 

Vous  n'etes  pas  connm. 

Baliveau. 
Caccord. 

Francaleu /ai  faisant  prendre  te  roliiL 

^  Tenez,tenez. 

B  A  L  I  V  E  A  U. 

Quoi !  Jc  seroi§  yenu  i,^ 
Francaleu. 

Pour  reccvoir  ensemble  &:  rendre  uii  bon  office* 


C  O  M  E  D  I  E.  |o, 

B  A  L  I  V  E  A  U. 

Jfc  vois  bien  qu'il  faudra  qu  a  la  fin  j'obeissc 
Mon  coquin  paicra  done... 

Francaleu. 

Oui ,  oui :  j'en  suis  garant. 
Demaia  on  vous  le  coffre  au  fauxbourg  S.  Laurcnc 

B  a  L  I  V  E  a  u. 

U  faudra  commenccr  par  savoir  ou  Ic  prendre 

Francaleu. 
Dans  son  lit. 

Baliveau. 

C'est  bien  dit,  s'il  kii  plait  de  s'y  rcndrcj 
Mais  son  hote  ne  sait  ce  qu'il  est  devenu. 

Francaleu. 

On  saura  bien  I'avoir,  apres  I'ordre  obtcnu. 
Adieu  ',  car  11  est  temps  de  vous  mettre  a  I'etudc 

Baliveau. 

Je  vais  done  m'enfoncer  dans  cette  solitude  -, 
Et  la ,  gesticulant  &  braillant  tout  le  soii , 
Faire  un  apprcntissage,  en  verite,  bien  fbu. 


|oi  LA    M^TROMANIE^ 


S  C  E  N  E     II. 

FRANCALEU,  LISETTE. 

Francaleu. 

ju^jLOije  faisTOncle',  &  toi,Lisette,es-tu  contente? 
Tu  voulois  un  beau  role  j  &:  tu  fais  lindolente. 
Reste  a  s'en  bien  tirer.  Ma  Fillc  est  sous  tes  yeujc 
Tachc  a  la  copier.  Tu  ne  peux  faire  mieux. 
Le  modele  est  parfait. 

L  I  s  E  T  T  E. 

N'en  soyez  pas  en  peine* 
Je  veux  lui  rcssembler  au  point  qu'on  s'y  meprennc« 
J  ai  d'abord  un  habit  en  tout  pareil  au  sien  ; 
J'ai  sa  taille  j  j'aurai  son  geste  &  son  maintien : 
Enfin  je  veux  si  bien  repreienter  I'ldole , 
Quelle  se  reconnoisse  a  la  fadeur  du  role  ; 
Et,  comme  en  un  miroir,s'y  voyant  traits  pour  traits. 
Que  Tinsipidite  Ten  degoute  a  jamais. 
Car,  Monsieur,  excusez;  mais  vous  &"  votre  femme^ 
Vous  avez  fait  un  corps  oii  je  veux  mettrc  uneame. 

Francaleu. 
L'indolence  en  cfFet  laisse  tout  ignorer } 
Et  combien  I'ignorance  en  fait-elle  egarer  ? 
Le  danger  vole  autour  de  la  simple  Colombc ; 
Et ,  sans  lumierc  enfin ,  le  moyen  qu'on  ne  tombe  J 


C  O  M  E  D  I  E.  ^05 

Til  feras  done  fort  bien  dc  la  morigener. 
Qu'elle  sache  connoitre ,  applaudir ,  condamner. 
Qu'a  son  gre  d'elle-meme  elle  dispose  ensuite. 
Le  pemchanc  satisfait  repond  de  la  conduite. 
C'est  centre  le  torrent  du  siecle  interesse : 
Mais ,  me  regardat-on  comme  un  pere  insense , 
Je  veux  qn'a  tons  egards  tna  filie'soit  contentej 
Que  I'epoux  qu'elle  aura  soit  selon  son  attente ; 
Qu'elle  n'ecoute  qu'elle  &  que  son  propre  coeur  , 
Sur  un  choix  qui  fera  sa  perte  ou  son  bonheur  j 
Qu'elle  s'explique  cnfin  la-dessus  sans  finesse. 
Ce  lieu  rassemble  expres  une  belie  Jeunesscj 
Vingt  honnetes  Partis,  dont  le  meilleur ,  )e  croi, 
Ne  refusera  pas  de  s'allier  a  moi. 
Ma  Fille  est  riche  &:  belle.  En  un  mot ,  je  la  donne 
Au  premier  qui  Ini  plait;  je  n'excepte  personne. 

L  I  s  E  T  T  E.  ,  .  .^  , 

/:  £  h  i 

Pas  meme  le  Poete  ? 

Francaleu. 

Au  contrairc  ,  c'est  lui 
Que  jeprcfererois  a  tout  autre  au/ourd'hui. 

.    nvwI/JC    L  I  SE  T  T  E. 

Je  ne  le  crois  pas  iriche. 

^ '  Francaleu. 

Eh  bien  I  j'en  ai  de  restc. 
J'aurai  fait  un  heurcux :  c'est  passe- temps  celeste. 


}04       LJ  MtTROMANIE^ 

Favorisant  ainsi  rhonn^te-homme  indigent, 
Le  merite  une  fois  aura  valu  I'argent. 

L  I  S  E  T  T  E. 

Jevois,  danscechoixlibre,iin  contretemps  a  craindrc. 
Qui  rendroit  votre  Fille  extr^mement  a  plaindre. 

Francaleu. 
Et  quel  > 

L  I  s  E  T  T  E. 

C'estque  son  choix  pourroittomber  tres-bien 
Sur  tel ,  qui ,  sur  une  autre ,  auroit  fixe  le  sien ; 
Et  pour  lors  il  seroit  moins  aise  qu  on  ne  pense , 
Dc  ramener  son  coeur  a  de  rindifierence. 


SCENE     III. 

FRANCALEU,  DOR  ANTE  ecoutant  sans 
etre  vu  que  dc  Lisette  ^  LISETTE. 

Francaleu. 

jl  u  paries  juste.  Aussi  j'ai  pris  soin  de  savoir      0 
L'histoire  de  tous  ceux  qu'ici  j'ai  voulu  voir. 
Lisette. 

Et  cclle  du  jeune-homme  a  qui  Ton  donne  un  role. 
La  savez-vous  ? 

( Doranu  redouble  id  d^ attention. ) 

Francalev 


C  O  M  E  D  I  Ei  i<55 

Francaleu. 

On  dit ,  a  propos ,  que  le  Dr6le,v* 
L  I  s  E  T  T  E. 
Jc  vous  en  avertis ,  il  est  fort  amourcux. 
Pour  ne  pas  nous  jeter  dans  un  cas  dangereux ,. 
Tres-positivemcnt  songez  done  a  I'exclure. 

FltANCALEU. 

J'y  cours  tout  de  ce  pas ;  tu  peux  en  ctre  s^re  i     ' 
Et  vais ,  a  la  douceur  joignant  Tautorite , 
Laisser  un  Ubre  choix  ^  ce  jcune  hon^me  excep^^- 


S  C  £  N  E     I  V. 

DORANTE,    LISETTE. 

DorANTEj^ presentant  devant Lisette, 

E  ne  t'interromps  point, 

Lisette. 

Bien  malgre  vous ,  je  gage. 
D  o  R  A  N  T  E. 
Non J  j'ecoute,  j'admire ,  &:  je me  tais.  Courage! 

Lisette. 
Vous  vous  trouverez  bien  de  n'avoir  point  parlc. 
D  O  R  A  N  T  E. 

En  cffet ,  mc  voila  joliment  installe. 

Tome  II.     V 


jo^       LA   Mi  T  ROMAN  IE; 

L  I  S  E  T  T  E» 

-Ittstalle  ?  Tout  des  mieux  1  J'efi  reponds. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Quelle  audace! 
Quoi!  tu  peux,  sails  rougir,  imc  regarder  en  face  2 

L  I  S  E  T  T  E. 

Pourquoi  done,  sll  vous  plait,  baisserois-jc  les  yeux  i 

D  O  R  A  N  f  E. 

Apres  Texclusion  qu'on  me  donne  en  ccs  lieux  \ 
L  I  s  E  T  T  E. 

Eh!  c'est  Ic  coup  de  niaitre. 

D  O  R  A  N  T  E. 

11  est  bon  lal 

L  I  S  E  T  T  E. 

Sans  doutc* 
Nc  decidons  jamais  ou  nous  ne  voyons  goutte. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Dc  grace ,  fais-moi  voIfm. 

L  I  S  £  T  T  E. 

Ohl  qui  va  rondemcnt 
Ne  daigne  pas  entrer  en  eclaircissement.  .  ^ 

D  O  R  A  N  TE. 

Jc  n'en  demande  plus.  Ma  perte  etoit  jurec. 
Je  trouve  en  mon  chemin  Monsieur  dc  I'Empirec. 


fi  aime ;  il  a  su  plaire :  oui ,  je  le  tiens  de  lui. 
J'ignorois  seulement  quel  etoit  son  appui ; 
Mais ,  sans  voir  ta  Maitresse ,  il  osoit  tout  ecrire , 
Tandis  qu'en  la  voyant,  moi ,  je  n  osois  ricn  dire  j 
Et  ta  bouche  infidelle ,  ouverte  en  sa  faveur, 
T>Qs  vers  que  j'empruntois  le  declaroit  I'auteur. 

L  I  S  E  T  T  Ei 

Vous  croyez  que  je  sers  le  Poete  ?      riori  ar? 

D  o  R  A  N  TE.  p^n..  J 

•  ''^'^  Li  S  E  T  T  E. 

Vous  ne  croyez  done  pas  que  I'interct  me  guide? 
Pauvre  cervelle!  Ainsi  je  I'ai  done  bien  servi, 
Quiind  j'ai  forme  le  plan  que  vous  avcz  suivi  ? 
Quand  je  vous  etablis  dans  les  lieux  oil  vous  etesJ 
Quand  je  songe  a  tenir  les  routes  toutes  pretes  j 
Pour  vous  conduirc  au  but  ou  pas  un  ne  parvient  ? 
Et  quand  enfin...  allez !  Je  ne  sais  qui  me  tient...* 

D  O  R  A  N  T  E. 

Mais  cette  exclusion,  que  veux-tu  que  j'en  pense? 

L  I  S  E  T  T  E. 

Tout  ce  qu'il  vous  plaira.  Je  hais  la  defiance. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Encore  J  A  quoi  d'heureux  peut-elle  preparer? 

L  I  s  E  T  T  E. 
A  vous  tircr  du  pair ,  a  vous  faire  adorer. 


5o8         LA  MiTROMANlE^ 

Tel  est  le  ca;urhumain,sur-toiit  celui  dcs  Femmes; 
Un  ascendant  mutin  fait  naitrc  dans  nos  ames. 
Pour  cequ'on  nouspermet  ,un  degout  triomphant, 
Et  le  goiit  le  plus  vif ,  pour  cc  qu  on  nous  defend. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Mais  si  cet  ascendant  se  taisoit  dans  Lucile  ? 

L  I  s  E  T  T  E. 
Oh ,  que  non !  L'indolence  est  toujours  indocile. 
Et  telle  qu'est  la  sienne ,  a  ce  que  j'en  puis  voir  > 
La  contrariete seule  pent  Icmouvoir. 
Ce  n'est  pas  meme  assez  des  defenses  du  Pere, 
Si  je  ne  les  secondc  en  Duegne  severe. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Eh  bien !  les  yeux  fcrmes ,  je  m'abandonne  a  toi. 

L  I  S  E  T  T  E. 

Defense  encor  d'oser  iui  parler  avant  moi., 

D  o  R  A  N  T  E. 
Oh  I  c*est  aussi  trop  loin  pousser  la  patience. 

L  I  s  E  T  T  E. 
Dans unquart-d'heureau plus,  je  vous  Hvre audience. 

Dor  ANTE. 
Dans  un  quart-d'heure  ? 

L  I  s  E  T  T  E. 
Au  plus.  Promenez-vous  la- has , 
Tenez ;  dans  un  moment  j'y  conduirai  sQ:S  pas. 
La  voici.  Partez  done.  Laissez-pous. 


.-^      C  O  M  E  D  I  E,  J 09 

D  O  R  A  N  T  E  hesitant. 

Quel  supplied ! 

L  I  S  ET  T  E. 

Desirez-voiisou  non  qu'on  vous  rende  service? 
D  O  R  A  N  T  E. 

L'eviter!  ,;  .,,.  :  "i 

Lis  ET  Tl^     '      " 

Oil  tout  perdre. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Ah !  que  c'est  a  regret  I  r 

//  fait  des  reverences  ^  Lucile  >  qui  les  lui  rend.  II 
les  reitere  jusqua  ce  que  ,  par  un  geste  imperieux  j 
Lisette  lui  fait  signe  de  se  retirer ,  au  moment  qu'd 
paroissoit  tente  d'aborder. 


LISETTE,  LUfclLE. 

Lisette. 

V  OIL  A ,  Mademoiselle,  un  Cavalier  bien  (tdt» 

Lucile. 
J'y  prends  pcu  garde. 

Lisette*  > 

Aimablc ,  autant  qu'on  le  peut  6trC« 
Viij 


|I0         IJ  ME  TRO  MANIB; 

L  U  CIL  E. 

Tuk^isi  je  Iccrois. 

tlSETTE; 

Vous  semblez  le  eonnoitre, 

L  U  C  F  L  E^  ' 

Jc5  Tai  vu  quclcjuefois  au  Parloic.  -oiivj  a 

t  IS  eVtt  E*, 

Sans  plaisurl 

.d-x  ,:  A  .'■  :,'  'i 
L  U  C  I  L  E. 

Si  j'avois ,  cbmme  vous ,  a  ehpisir^  "  ^* 
Cclui-Iaj  jeravoue,  auroit  la  preference. 

L  u  C  I  L  e. 
La  multitude  augmcnte  en  moi  rindiflferchccA 
Je  hais  de  ces  Galants  Iq  concours  iinportun^ 
Et  tu  ne  verra?  pas  que  j^en  regard^  aucuo. 

Quoi  I  sans  yeux  pour  eux  tous  ?  On  vous  f^ra  dedirc^ 

L   U    C    I    L    E, 

Si  j*Cft  ai,  ee  sera  pour  un  seul,  '^^^^^^^  «  ajio 

tlS  ET  TE, 

.    '    Cest-i-dire, 
Qu'en  faveur  de  ceie'617  votrc  eoeur  se  resouu 
{it  quQ  ie  choix  cp  est  deja  fait  X 


,v    C  O  M  E  D  I  E.  jit: 

L  U  C  I  L  E» 

Point  du  t6u^3'3 

Je  ne  le  venx  choisir ,  ni  nc  le  connois  meme. 

Mon  Pere  ledesigne;  il  defend  que  je  Taime}. 

J'obeirai.  Je  sais  le  devoir  d'un  enfant. 

Nous  n'oserions  aimer,  lorsqu'on  nous  le  defend* 
L  1  s  E  T  T  Ek 

Ch!:non»:i  £l  d-t^i  ;' 
.    L  u  c  I  L  E.      -ssfJ:!!"-  V/:0\'  tjU 

Mais  devoit-on ,  sachant  mon  caradlerci, 
M'embarrasser  Tesprit  d'une  defense  austetei-    "  :^ 

L  I  s  E  T  T  E; 
Eaefe^,,_,. .,    , 

Exiger  par-dela  ma  froideur;  - 

Et  de  I'obeissance ,  ou  m'eut  si^  rhumeuci 

Cela  pique,  .   ' 

•         ^         I  U  C  I  t  E, 

Voyons  cc  Conquerant  tcrrjbI'C:>.Q 
Pour  qui  fon  craint  si  fort  que  je  ne  sois  sensible." 
La  curiosite  me  fera  succomber ; 
Et  sur  lui  scul^ejifin ,  mes  regards  vont  tomber.t.^^ 

•    Lis  e  t  t  b.  ' 
On  vous  Taura  done  bien  design^'  ?  Lcq.uel  est*-c.e  > 

'    '■',;,     LuctiTEv.";."^ 
Cest  cclui  qiii  Jo.uera  I'Amoureux  dans.ki  Piecq»,,,y 

V  iv 


^9  It         L£^  MtTKOMANlE;, 

L  I  8  £  T  T  fi. 
C'estccJui  qui  jonera..,. 

L  u  c  I  L  E. 

Quel  air  d'austerite ! 
f_;  L  I  s  E  T  T  E. 

Mademoiselle,  point de curiosite, 
Ccsc  bien  innocemment  que  j'ai  pris  la  liccncQ  'iO 
De  vous  insinuer  la  desobeissance, 

I.  IS ^  T  T  eJ 

Oubliez  ce  que  je  vous  ai  dit;, 
tuciLE. 

Quoij  ',33 

lis  E  TTE. 

Vous  venez  de  voir  celui  dont  il  s'agit,  ,  ~. 
Ma  preference  etoit  un  fort  mayvais  precepte. 

L  U  C  I  L  E. 

Que  me  dis-tu  ?  C'cst-la  celui  que  I'on  exccpte  J 

L  I  S  E  T  T  Cfiii  3ffi  blizr^hlJU  Jti 
Lui-m^me.  Rendez  grace  a  I'inattention  ^  34 

Qui  ferma  voire  coeur  a  la  seduction. 
Vous  gagnez  tout  au  monde  a  ne  le  pas  connoitrc,  j 
Le  devoir  eilt  eu  peine  a  se  rendre  le  maitre  j 
Et,  sure  de  I'aveu  d'un Pere complaisant,  ....  *,«"^ 
Vous  n'cussiez  pas  remis  le  choix  jusqu'k  prcsenC " 


c      C  O  M  £  D  J  E,  It  J 

L  U  C  I  L  E. 

Mille  choscs  dc  lui  maintenant  me  rcvicnncnt. 
Qui  vcritablement  engagent  &  previenncnt, 

L  I  s  E  T  T  E. 

Ce  que ,  depuis  un  mois ,  de  lui  vous  avez  lu , 
Temoigne  assez  combien  son  esprit  vous  eut  plu, 

L  u  c  I  L  E, 

Quoi  ?  Ces  vers  que  je  lis,  que  je  relis  sans  cesse.,.. 

L  I  s  E  T  T  E, 

Spnt  les  siens, 

L  u  c  I  L  E, 

Quel  esprit !  Quelle  delicatesse ! 
De  plaisirs  &■  de  jcux  quel  m^^Iange  amusant ! 
Que,  sous  des  traits  si  doux ,  Tamour  est seduisantl 
U Auteur  veut  plaire,  &r  plait  sans  doute  a  quelque  Belle, 
A  qui  Ton  doit  le  feu  dont  sa  piume  etincellc. 

L  I  S  E  T  T  E» 

C'estcc  qu  apparemment  votre  Perc  en  conclut, 
Et  la  raison  qui  fait  que  son  ordre  I'cxclut. 
II  craint  que  vous  n'aimiez  la  conquc-ce  d'une  autre... 
D'une  autre  1  Mais  j'y  songe :  &:  s'il  etoit  la  votre  ? 
Vous  riezl  Et  moi,  non.  C'est  au  plusserieux. 
Les  vers  ctoient  pour  vous.  J'ouvre  a  present  lesyeux. 
Oui ,  je  vous  reconnois  traits  pour  traits  dans  Timage 
Pc  celle  a  qui  s'adrcsse  «n  si  galant  hommage. 


3;i4        l^    METROMAKIE, 

L  U  C  I  L  E. 

Je  remarque  en  eflfet....  Prenons  par  ce  chemin.    ". 
Monsieur  de  rEmpiree  approche ,  un  livre  eamairu 
On  m'a,  pour  le  choisir ,  presque  tyrannisee  » 
Et  mon  ame  jamais  n'y  fut  moins  disposce, 

L  I  S.  E  T  T  E  S€uU^ 
Bon!  Ce  preliminaire  est,  je  crois,  sufEsant;: 
£t  Uorante ,  s'il  veut ,  peut  traiter  a  present. 


SCENE     V  U^^^^-r. 
LISETTE,  MO  N DOR.. 

Mo  N  D  OR.  }j  cninJy 

JUiSETTE,  ai-je  un  Rival  ici  ?  Qu'il  disparoisscvf  "j 

■^■y^i.  Lis. JET  TE.. 

S'il  me  plait.  ^      . 

M  6  5  D  6  R. 

I    ^     Plaiic  ou  non  j  tu  n'es  plus  ta  maitr essfe.' 

•I 


... : - 

L  I  S  E  T  T  E. 

•  '.:i  •: 

jp  f:i>c;..i  ^)  \: 

Comment? 

M  O  N  D  O  R. 

.  /- 

-T   1  ...  ;., 

Tu 

m'apparticns. 

.!.•       .      \    J[ 

L  I  S  E  T  T  E. 

Etdc 

quel 

droit  encjesc?; 

■rC  O  M  E  D  I  E.  H5 

M  O  N  D  O  R. 

Lucilc  est  aDamisj  done,  Lisettc  a  Mondor. 
L  I  s  E  T  T  E. 

Lucile  est  a  ton  Mattre  ?  Ah !  tout  bean  j  j'cn  appellc. 

Mondor. 

11  ne  lui  manqnc  plus  que  I'avcu  de  la  Belle. 
Celui  du  Pere  est  sur,  a  tout  ce  que  j'entends, 

L  I  S  E  T  T  E  s'en  allanu  ..  ,4 

La  belle  avance !  ri  H 

1  Mondor  courant  avres* .  ,     ..,.. .,    ;? 

,-::? -Ificouteil 

:i--  LiSETTE, 

Oh !  jc  n'ai  pas  le  temps.* 

— aBBHBM;jLiiuim,."u  jiMm%jmBBssgesBamammmammmmmmmm 

SCENE    VII. 

D  A  M  I  S  seul:^  k  Mercure  a  la  maitt*0 

Oui ,  divine  Inconmie !  Oui ,  celeste  Bretonnc! 
Possedez  scule  un  coeur  que  jc  vous  abandonne. 
Sans  la  fatalitc  de  cc  jour  ou  mon  front 
Ceint  le  premier  Uurier ,  ou  rougit  d'un  affi'ont , 
Jo  desertois  ccs  lieux ,  &  volois  ou  vous  etes* 


ji6         LA  METROMANtEy 

mammmmmmmttKmmBammmmmmmmBBaoBBBsm 

■  m 

SCENE     VIII. 
DAMIS,MONDOR.  ^ 

M  O  N  D  O  R. 

J  E  nc  m'etonne  plus  si  nous  payons  nos  dettcs.  ) 
Enrre  vingc  Pretendans,  on  vous  le  donne  beau  j 
Et  vousavez  pour  vous ,  Monsieur ,  I'air  du  bureau.^ 

D  A  M  I  S  je  croyant  toujours  seal.  • 

Si ,  comme  )e  le  crois ,  ma  Piece  est  applaudie , 
Vous  etes  la  Puissance  a  qui  je  la  dedie. 
Vous  eutes  un  esprit  que  la  France  admira ; 
J'en  eus  un  qui  vous  plut.^  L'Univers  le  saura. 

^  //  donnc  ^  Mondor  du  Livre  par  le  ne:^. 

^Er^5..;  Mondor.  -' 

D  A  M  I  S. 

Qui  tc  savoit  la  ?  Dis, 

Mondor.  } 

Maugrebleu  du  ^csttl  \J 

D  A  M  I  s. 
Til  m'ecoutois  ?  Eh  bien  !  raille ,  blame ,  corltestc. 
Dis encor  que  mon art  ne sert  qua m'eblouir, 
Tu  vois  I  Je  suis  heurcux  I 


C  O  M  E  D  I  E,  317 

M  O  N  D  O  R. 

Plus  que  sage. 

D  A  M  I   S. 

A  t  ouir, 
Je  ne  me  repaissois  que  de  vaines  chimeres. 

M  o  N  D  o  R. 

Votre  bonheur,  tout  franc,  nc  se  devinoit  gueres. 

D  A  M  I  S. 

Par  un  sot  comme  toi. 

M  o  N  D  o  R. 

Mon  Dieu ,  pas  tant  d'orgueil ! 
Vous  ne  pouviez  manquer  d'etre  vu  de  bon  ceil. 
Vous  trouvez  un  esprit  de  la  trempe  du  votre ; 
Mais  vous  n'eussiez  jamais  reussi  pres  d'une  autre. 

^  D  A  M  I  S. 

De  pas  unc  autre  aussi  je  ne  me  soucierois. 
Celle-ci  seule  a  tout  ce  que  je  desirois. 
De  ma  Muse  elle  seule  epuisant  les  caresses. 
Me  fait  prendre  conge  de  routes  mes  Maitresscs. 

M  O  N  D  O  R. 

II  faudroit  en  avoir ,  pour  en  prendre  conge, 

D  A  M  I  S. 

Je  ne  te  parle  aussi  que  de  celles  que  j'ai. 

M  o  N  D  o  R. 
Vousn'en  eutes  jamais.  J'aidebonsyeux,  peut-etrc! 


3i8        IJ    METROMANi£i 

Un  Valet  vent  tout  voir ,  voit  tout  j  &■  salt  son  Maitf^, 
Comme  a  VObservatoire  un  Savant  sait  les  Cicux  j 
Et  vous-meme.  Monsieur,  ne  vous  savezpas  mieux. 

D  A  M  I  S. 

Pas  tant  d'orgueil ,  toi-niemfc,  ami !  Vas ,  tu  t'abiises* 
En  fait  d'amour,  le  coeur  d'un  Favori  dcs  Muses 
Est  un  astre ,  vers  qui  I'entendement  humain 
Dresseroit  d'ici  bas  son  telescope  en  vain. 
Sa  sphere  est  au-dessus  dc  toutc  intelligence. 
L'illusion  nous  frappe  autant  que  I'existence  j 
Et,  par  le  sentiment ,  suffisamment  heureux , 
De  I'Amour  seulement  nous  sommes  amoureux. 
Ainsi  le  fantastique  a  droit  sur  notre  hommage: 
Et  nos  feux ,  pour  objet,  ne  veulent  qu'une  image-  ? 

M  O  N  D  O  R. 

Monsieur,  a  ma  portee  ajustez-vous  un  peu; 
Et,  de  grace,  en  Francois,  mettcz-moi  cet  hebrciU 

D  A  M  I  S. 

Volontiers.  Imagine  une  jeune  Mcrveille  ; 
Elegance ,  fraicheur ,  &c  beaute  sans  pareille; 
Taille  de  Nymphe.-... 

M  O  N  D  O  R  ,  regardant  aiix  Logis. 

Apres.  Je  vois  ccla  d'ici4 
D  A  M  I  s. 
C'cst  dc  mes  premiers  feux  I'objct  en  raccourci. 
T'accommoderois-tu  d'une  femme  ainsi  faite  I 


-'   C  O  M  t  D  I  E.  519 

~  M  O  N  D  O  R. 

La  peste  I 

D  A  M  I  S. 

Aussi  ma  flamme  a-t-ellc  ete  parfaite. 
M  o  N  D  o  R. 
Mais  je  n'ai  jamais  vu  cct  objet  plein  d'appas. 

D  A  M  I  S. 

Parbleu !  je  le  crois  bien ,  puisqu'il  n'existoit  pas, 

M  o  N  D  o  R. 
Et  vous  I'aimiez  ? 

D  A  M  I  S. 

Tres-fort. 

M  O  N  D  O  R. 

D'honiieurJ 

D  A  M  I  S. 

A  la  folic  • 
M  o  N  D  o  R. 

Unc  Maitresse  en  I'air,  &  qui  n'eut  jamais  vie  i 

D  A  M  I  S. 

Oui,  je  I'aimois,  avec  autant  de  voluptc. 
Que  le  Vulgaire  en  trouve  a  la  realite. 
La  realite  meme  est  moins  satisfaisante. 
Sous  une  meme  forme  elle  se  representc: 
M^is  une  Iris  en  I'air  en  prend  mille  en  un  jour. 


}io        LA  M^TROMAt^lMi 

La  micnne  etoit  Bcrgere  &"  Nymphe  tour-a-touf. 
Brune  ou  blonde ,  coquette  ou  prude,  fiUe  ou  veuvcj 
Et,  Gomme  tu  crois  bien ,  fidelle  a  toute  epreuve. 

M  o  N  D  o  R* 

Monsieur ,  parlez  tout  bas. 

D  A  M  I  S. 

Et  par  quelles  raisons  ? 

M  o  N  D  o  Rs. 
C'est  qu'on  pourroit  vous  mettre  aux  Petites-Maisom.^ 

D  A  M  I  S* 

Get  amour,  il  est  vrai ,  me  parut  un  peu  vuide  j 
Et  je  ne  pus  tenir  a  I'appat  du  solide. 
Je  repudiai  done  la  chimerique  Iris. 
D'une  Beaute  palpable  enfin  je  Ris  epris. 
J'ai  chante  ceilc-ci  sous  le  nom  d'Uranie. 
Ah !  que  j'ai  bien  pour  elle  exerce  mon  genie? 
Et  que  de  tendres  vers  consacrent  ce  beau  noml 

M  O  N  D  O  R. 

Et  jc  n'ai  pas  plus  vu  Tune  que  I'autre  ? 

D  A  M  I  S. 

Non. 
La  fierte ,  la  naissance ,  &  le  rang  de  la  Dame, 
Renfermoient  dans  mon  coeur  le  secret  de  ma  flamme. 
Comment  aurois-tu  fait  pour  t'en  etre  appergu? 
Elle-mcme  elle  etoit  aimee  k  son  iiosu.  , 

MONDOR. 


M  O  N  D  O  R 

Mais  vraiment  un  amour  de  si  legere  espece , 
Pourroit  prendre  son  vol  bien  par-dela  rAltesse* 

D  A  M  I  S. 

N'en  doute  pas  -,  &:  meme  y  gouter  des  douceursi 
L' Amour  impuncment  badine  au  fond  des  cocurs. 
A  ce  que  nous  sentons ,  que  fait  ce  que  nous  sommes » 
L'Astrc  du  jour  se  levej  il  luit  pour  tous  les  hommes  ^ 
Et  le  plaisir  commun  que  repand  sa  clarte , 
Represente  Teffet  que  produit  la  beaut6» 

M  O  N  D  O  Ri 

J'entcnds.  Tout  vous  est  bon 5  rien  ne  vous  importune, 
Pourvu  que  votre  esprit  soit  en  bonne  fortune. 
A  ce  compte ,  un  Jaloux  ne  vous  craindra  jamais; 
Et  vos  Rivaux,  Monsieur,  peuvent  dormir  en  paix. 
Et  deux  1  A  I'autre. 

D  A  M  I  s. 

Helas!  En  ce  moment  encore, 
Je  revois  son  image ;  &  mon  esprit  I'adorc. 
Pour  la  derniere  fois ,  tu  me  fais  soupirer , 
Divinite  cherie  1  II  faut  nous  separer. 
Plus  de  commerce  !  Adieu.  Nous  rompons^ 

M  o  N  D  o  R. 

Queldommage! 
Uunion  etoit  belle.  Et  que  repond  I'lmage  ?■  ""• 

Temc  IL       X 


■3Z2        LA    MtTROMANIE:, 

D  A  M  I  s. 

De  mon  cociir  attendri  pour  jamais  ellc  sort; 
Et  fait  place  a  Tobjec  dont  nous  parlions  d'abord. 

M  o  N  D  o  R. 

D'un  poste  mal  acquis  Tequite  la  depose  : 

Et  rien ,  avec  raison ,  fait  place  a  quelque  chose. 

D  A  M  I  S. 

Que  celle-ci ,  Mondor ,  a  de  grace  &:  d'esprit ! 

M  o  N  D  o  R. 
C'est  qu  elle  aime  les  vers ;  &:  cela  vous  suffit. 

D  A  M  I  s. 
C'est  que.,  c'est  qu'elle  en  fait  des  mieux  tournes  du  mondc. 

Mondor. 

Pour  moi ,  ce  qui  m'en  plait ,  c'est  la  source  feconde 
Oil  nous  allons  puiser  desormais  les  ducats. 

D  A  M  I  s. 
Les  ducats  ? 

Mondor. 

C'est  de  quoi  vous  faites  peu  de  cas. 
L'un  de  nous  deux  a  tort ;  mais  qu'a  cclu  ne  tienne. 
Aura  tort  qui  voudra,  pourvu  que  I'argent  vienne.' 

D  A  M  I  S. 

Enfin  tu  concois  done  qu'on  en  saura  gagflcr  ? 


C  O  M  t  D  I  E,  315 

M  O  N  D  O  R. 

Lc  bon-Homme  du  moins  nc  veut  pas  repargner." 

Da  mis. 
Lc  bon-Homme  ? 

M  o  N  D  o  R. 

Oui,  Monsieur;  si  vous  etes  son  gcndrc, 
Monsieur  de  Francaleu  dit  a  qui  veut  I'entendrc, 
Qu  il  rendra  la-dessus  votre  bonheur  complet. 

D  A  M  I  S.  ^•''^'^ 

■J' 

Extravagues-tu  ?  \ 

M  O  NDO  R,  J,    ,^(r  ' 

Non;  foi  d'honncte  Valet. 
D  A  M  I  S. 

Et  qui  diable  tc  parle,  en  cette  circonsrancc ,    ^ 
De  Monsieur  Francaleu,  ni  dc  son  alliance? 

M  o  N  D  o  R. 

Bon !  Ne  voila-t-il  pas  encore  uii  qui-pro-quo. 
De  qui  parlez-vous  done,  Monsieur?    •  j  -,,.^,^,-.  \  ' 

Da  MIS. 

D'uneSAPHO. 
D'un  Prodige ,  qui  doit,  aide  de  mes  lumicres, 
EflFacer,  quelquejour,  I'illustreDESHOULiERESi 
D'une  Fillc  a  laquelle  est  uni  mon  destin. 


^14        LA   METROMAmn^ 

M  O  N  D  O  R. 

Ou  diantre  est  cctte  Fille  j 

D  A  M  I  S. 

A  Quimpercorentid* 

M  o  N  D  o  R* 

A  Quimp.... 

D  A  M  I  s* 

Oh ,  cc  n'est  pas  un  bonheur  en  idee , 
Celui-ci !  L*esperance  est  saine  &:  bicn  fondee. 
La  Bretonne  adorable  a  pris  gout  a  mes  vers. 
Douze  fois  Tan,  sa  p-lume  en  instruit  Tunivers. 
Elle  a,  douze  fois  Tan ,  reponse  de  la  notre ; 
Et  nous  nous  cncensonstous  les  mois  Tun  &  I'autrc. 

M  O  N  l>  0  R. 

Ou  VOUS  CteS-VOUS  VUS  ?  :  33  ai'J 

^^^'  Da  MIS. 

'   .'      Nulie  part.  A  quoi  bon  ? 
.Q:ip-c  M  o  N  D  o  R. 

Et  vous  repouscriez ! 

D  A  M  I  s. 
'OH?  /  Sans  doutc.  Pourquoi  non  ? 

M  O  N  D  O  R. 

Et  si  c'etoit  un  monstre  ? 


€  O  M  E  D  I  E.  jt5 

D  A  M  I  S.  ■    * 

Oh !  tais-toi !  Tu  m'excedes. 
Les  Personnes  d'esprit  sont-ellcs  jamais  laides? 

M  O  N  D  O  R.  .  ' 

} 

Ouij  mais.repqadra-t-elle  a  votre fplle ard^US.I.l 

■•■■■  •■"''^'■-  •  ■■  D  AM  I  s.--^'-'^' ^-:^^^i  A  • 

-J 

Je  SLiis  assez  instruit  par  notre  Ambassadpuf.     , 

M  QN  D  O  R, 

Et  quel  est  rintrigant  d'une  telle  aventure  ?  'r'^  I 

D  A  M  I  s, 
Le  Messager  des  Dieux.  Lui-meme.  Le  Mercure. 

M  O  N  D  O  R. 

Oh ,  oh  1  bel  entrepot  vraiment ,  pour  coqugtt;er ! 
D  A  M  I  S.  rr/T! 

Tiens ,  lis  dans  celui-ci  que  tu  viens  d'apporter. 

M  o  N  D  o  R  /zV. 
Sonnet  de  Mademoiselle  MeYiadec  de  Kersic^  ds 
QuimperenBHtagne  jO.  Monsieur  cinq  Etoilcs..... 

D  A  M  I  S. 

Ton  esprit  aisement  pcrce  a  traversces  voiles; 
Et  voir  bien  que  c'est  moi  qui  suis  les  cinq  Etoiles, 
Oui !  Qu'a  jamais  pour  moi ,  belle  Meriadec , 
Pegase  soit  retif,  &:  THypocrcne  a  sec; 

Xiij 


^%6        LA    MiTROMANIE  ^ 

Si  ma  lyre,  dc  myrtc  &:  dc  palmes  ornec, 
Nc  consacre  les  noeudsd'un  si  rare  Hymenee! 

M  o  N  D  o  R.  X 

i. 

Je  respede,  Monsieur,  un  si  noble  transport. 
Quivous  chicaneroit,  franchement  auroit  tort, 
Mais  prenez  un  conseil.  Votre  esprit  s'cxtenuc 
A  se  forger  les  traits  d'une  Femme  inconnue. 
Peignez-vous  celle-ci  sous  quelque  objet  present. 
LuciFe  a ,  par  cxemple ,  un  visage  amusant 

D  A  M  I  S. 

J'cntcnds. 

M  o  N  D  o  R. 

.^^^^ .  Suivcz ,  lorgnez ,  obsedez  sa  personnc. 

Croycz  voir  &  voyez  en  elle  la  Bretonne.... 

D  A  M   I  S. 

Cest bien  dit.  Cette  idee,  ^chauffant  mcs  cspriti, 
N'en  portera  que  plus  de  feu  dans  mes  ecrits. 
Le  bon  sens  du  Maraud  quelqucfois  nVepouvante. 

M  o  N  D  o  R. 
Molierc,  avec  raison ,  consultoit  sa  Servante. 
,..'-,  D  A  M  I  S. 

On  se  pcfnt,  dans  Tobjet  present  &  pleiri  d'ap'pas, 
L'objet  qfi'on  idolatre  5^  que  Ton  ne  voit  pas. 
Aussi-bien ,  transportc  du  bonheur  de  ma  flamme, 
,  Deja,  dans  mon  cerveau ,  roule  un  Epithalame ,  \ 
Que,  devantqu'ilsoitpeUjje  pretends  mcttreau  net, 
Et  donner  au  Mercure ,  en  paicment  du  Sonnet.. 


~     C  O  M  E  D  I  -E.t  ^  3 17 

MusCjCvertuons-notis !  Ayons  Ics  ycux ,  sans  ccsse, 
Sur  I'Astre  qui  fait  naitrc  en  ces  lieux  la  tendressc  1 
Cherchc ,  en  le  contemplant,  maticre  a  tes  crayons  j 
Et  que  ton  feu  divin  s'allume  a  ses  rayons  i  .  ,  - 
Que  cette  solitude  est  paisible  ck  toucbantet"" 
J'y  veux  relire  encor  le  Sonnet  qui  m'enchante.'' 
(  //  va  s'asseoir  a  I'eccrt.  ) 
M  O  N  D  O  R  seal. 
Quelle  tete  1 II  faut  bien  le  prendre  comme  il  est. 
Voyons  ce  qui  naitra  dc  ce  jeu  qui  lui  plait.     ; 
Uassiduite  pent ,  Lucile  etant  jolic, 
Lui  faire  de  Quimper  abjurer  la  folic.    ,      ''"'^ 


•^    S  C  fi  N  E.   IX.  -.o/iur^L 

D  O  R  A  N  T  E  ,   L  U  C  I  t  E, 

D  A  M  I  S  a  Vecart  &  sans  etre  vu. 

!  )ii?  (f-/5laxjiijr.i?D  O  R  A  N  T  E. 

jl^  cet  aveu  si  tendre ,  a  de  tels  sentimens 
Que  je  viens  d'appuyer  du  plus  saint  des  sermens; 
A  tout  ce  que  j'ai  craint ,  Madame;  a  ce  que  j'ose; 
A  vos  charmes  enfin  plus  qu'a  route  autre  chose , 
Reconnoissez  que  j'aime ;  &  rcparez  I'erreur 
D'un  Pcre  qui  m'exclut  du  don  de  votrc  coeur. 
Je  nc  veux  pour  tout  droit  que  sa  volonte  memc. 
P  ere  equitable  ^  tendre ,  il  vcut  que  Ton  vous  aimc 

Xiv 


3iB        LA   ME  TROMANIE , 

Des  que  c'est  a  ce  prix  que  Ton  met  votre  foi , 

Qui  jamais  vpus  pourra  meriter  mieux  que  moj ! 

'  -'-   -  Lu  c  I  L  E. 

Mais  enfin  la-dcssus ,  qu'importe  qu'on  I'eclaire , 

S'il  ne  vous  en  est  pas  pour  cela  moiiis  contraire  j 

Et  si ,  dls  qu'il  saura  de  qui  vous  etes  fils , 

Nul  espoir,  pres  de  moi,  ne  vous  est  plus  permisJ 

D  O  R  A  N  T  E. 

J'obtiendrai  son  aveu  s  rien  ne  m'est  plus  facilcr^ 
Mais,  parmi  tant  d'Amans,  adorable  Lucile ,  j 
N'auriez-vous  pas  deja  nomme  votre  VaipqueurJ 

Lucile  drant  des  vers  de  sa  poche. 

-^  ■'■-"'■ -■'■""'  -'^ 

L'Auteur  seul  de  ces  vers  a  su  toucher  mon  cceuF| 

Je  Tavoue ,  &r  pour  lui  me  voila  declaree. 

D  O  R  A  N  T  E  appercevant-  jP-amis, 
Onnousecoute! 

Lucile. 
Eh !  Cest  Monsieur  de  I'Empiree ! 
Lisons-les-lui ,  ces  vers  j  il  en  sera  charme.      a 
iiivjU'  D  O  R  A  N  T  E  a  part,  \^ 

:  :>p$|j^^|i^^  juste  Ciel !  ou  moi  qu'elle  a  nomme  }^ 
.--     '»  ■  Lu  CILE  fl   Damis. 

Vcne2,Monsieur,venez,  pour  qu'en  votre  presence^ 
Nous  discutions  un  fait  de  votre  competence  j    * 
11  s'agit  d'une  Idylle  ou  j'ai  quelque  interet; 
ft  vous  nous  en  direz  votre  avis ,  s'il  vous  platt» 


"     C  O  M  E  D  I  E.  3Z9 

D  O  R  A  N  T  E. 

Madame,  on  fait  grand  tort  a  Messieurs  Ics  Poetes, 
Quandon  les  interrompt  dans  leurs  dodes  retraites. 
Laissons  done  celui-ci  rever  en  liberie ; 
Et  detournons  nos  pas  de  cet  autre  c6tc. 
D  A  M  I  s. 

Le  plus  grand  tort ,  Monsieur ,  que  Ton  puisse  nous  fairc , 
C'est  de  pri ver  nos  yeux  de  ce  qui  peut  leur  plaire. 
Peut-on  penser  si  bien,  etant seul en ces  lieux/""' 
Qu  etant  avec  Madame  ,  on  ne  pense  encor  mieux  ? 
Madame,  je  vous  prete  une  oreille  attentive. 
Rien  ne  me  plaira  tant.  Lisez  \  &"  s'il  m'arrive 
Quelque  distradion  dont  Je  ne  reponds  pas  V  ' 
Vous  ne  Timputerez  qu'a  vos  divins  appai^""^  :  T 

L  u  c  r  L  E. 

Votre  facon  d'ecrire  elegante  &:  fleurie 
Vous  accoutume  au  ton  de  la  galanterie. 
Allons ,  Messieurs ,  passons  sous  ce  feuillagc  epais , 
Ou,  loin  des  Importuns,  nous  puissions  lire  en  paix. 

Damis  lu'i  presente  la  main  quelle  acceptCy  au  moment 
que  Dorantt  lui  presentoit  aussi  la  sienne. 

D  O  R  A  N  T  E   seul. 
pst-ce  un  coup  du  hasard ,  ou  de  leur  perfidie? 
Voyons.  U  faut,  de  pres,  que  je  les  etudie  j 
Et  que  je  sorte  enfin  de  la  perplexite , 
1^4  plus  grande  ou  peut-etre  on  ait  jamais  etc. 
Fin  du  second  Acle. 


5JO        LA    METROMJNIE, 

A  C  T  E    III. 

■i.  - i 

SCfiNE   PREMIERE. 

D  O  R  A  N  T  E  ramassant  des  tahkttes. 

>^UELQU'UN  regrette  bien  les  secrets  confics  ^ 
A  ces  tablettes-ci  que  je  trouve  a  mes  pieds. 

^  .  .  '     ^  H  Ics  ouvre. 

Epithalame.  An!  an !  j'en  rcconnois  le  Maitre. 
J'y  pourrois  bien,aii;jsi,dcvelopper  unTraitre...  , 
Lisons. 


.  ,    ,,  .,s  G  EN-'''r-'r-i;"?r^"',;! 

.X  ;,r|  no  CD  o  R  A  N  T  E  ,  L  I  S  E  T  T  E, 

Lis  e  t  te. 

OUis-JE  lint  fourbc?  Ai-jc  trahi  vos  fenx; 
Le  scul  qu'on  veut  cxclure ,  est-il  si  malheureux  r 
Dcs  que  je  vous  ai  vu  pret  d'aborder  Lucile , 
Je  mc  suis  eclipsee  en  confidente  habile ; 
Et  je  voiis  ai  laisse  Ic  champ  libre  a  I'instant. 
Eh  bien !  Quelle  nouvelle  ?  En  etcs-vous  content  ■ 


,         C  O  M  E  D  1  E.  331 

^iiijij  1..::.  .:\-::::^  O  R  A  N  T  E. 

Ah !  quelle  est  ravissante !  &z  que  ce  tete-a-tete 
Acheve  dc  lui  bien  assurer  sa  conquete ! 
JeTaimois,  radorois,ridoIatroJ&i  mais  rien       ^ 
N'exprime  mon  ctat ,  depuis  cet  entretien. 
Jusqu'au  son  de  sa  voix  ,  tout  me  penetre  en  elle. 
Son  defaut  me  la  rend  plus  piquante  &:  plus  belle  *, 
Oui,  ce  qu'en  elle  on  nomme  indolence  &:  froideur. 
Redouble  de  mes  feux  la  tendresse  &  I'ardeur.    \ 

L  I  s  E  T  T  E.  :?u  ,  UOIU.V3':!  A 
La  dedaigneuse  enfin  s'est-elle  humanisee?^' '  ^ 
Je  I'avois ,  ce  me  semble  ,  assez  bien  disposec. 

Dor  an  T'E..  .         v    j'J 
Tu  me  vois  dans  un  trouble..;.   * 
L  I  s  E  T  T  E. 

,       "     Eh !  vivez  en  rcpos. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Ses  graces  m'ont  charmd ,  mais  non  pas  ses  propos. 

LiSETTE.  ■''''"■'] 

A-t-elle ,  avec  rigueur ,  ferme  I'orcille  aux  votrcs? 

D  o  R  A  N  T  E. 
Non.  Mais  j'aurois  voulu  quelle  en  eiittenu  d'autres. 

L  I  S  E  T  T  E.  .,-.    [i;^ 

Quoi ;  Qu'elle  eut  dit :  Monsieur^  je  suis  folk  de  vous. 
Je  voudrois  que  deja  vous  fussle:^  mon  Epoux. 


j5t        lA  MJkTROMANIE  ^ 

Mais  oui  j  c'est  avoir  Tame  assurement  bien  dure, 
De  ne  pas  abreger  ainsi  la  procedure. 

Do  R  A  N  T  E. 

Ayant  fait  de  ma  flamme  un  libre  &  tendre  avcii^,. 
Et  promis  d'agreer  a  Monsieur  Francaleu  j 
Comme  je  temoignois  la  plus  ardente  envie       ,^ 
D'entendre  mon  arret  ou  de  mort  ou  de  vie , 
Elle  m'a  repondu  :  ( dirai-je  avcc  douceur  ? ) 
L'Auteur  seul  de  ces  vers  a  su  toucher  mon  coeur. 
A  CCS  mots ,  de  sa  poche  elle  a  tire  I'ldylle , 
Dont  le  succes  me  rend  de  moins  en  moins  tranquille^ 

L  I  s  E  T  T  E. 

Ocst  qu'elle  a  cru  parler  a  TAuteur. 

D  o  B.  A  N  T  E.  r 

Je  ne  sais* 
Mais  elle  a  mis  mon  ame  a  de  rudes  essais. 
Elle  a  vu  mon  rival  d'un  ceil  de  complaisance. 
Elle  a  lu ,  malgre  moi ,  ridylle  en  sa  presence, 
C  etoit  me  demasquer.  Sous  cape,  il  en  rioit ,     ' 
Peut-etre  en  homme  a  qui  Ton  me  sacrifioit '. 
Le  serois-je  en  eflfet  ?  Seroit-ce  lui  qu'on  aime?  > 
Me  joueroicnt-ils  tous  deux  ?  Me  jouerois-tu  toi-memc  ? 

L  I  s  E  T  T  E. 
Les  honnetes  soupcons !  rendez  grace,  entre  nous, 
Au  cas  particulier  que  je  fais  des  jaloux. 
Sans  les  egards  qu'on  doit  a  leur  tendre  caprice  j 
Mon  honneur  ofiensc  se  feroit  bien  justice. 


C  0  M  i  D>  I  E.  53  J 

D  O  R  A  N  T  E. 

L'Auteur  seul  de  ces  vers  a  su  toucher  son  coeur , 
Dit-elle  1  encore  un  coup,  je  n'en  suis  point  I'auteun 
Suppose  qu'on  la  trompe ,  &:  qu'elle  me  le  croie  j 
Oil  done  est  cncor  la  le  grand  sujet  de  joie  > 
Je  jouis  dune  erreur  j  &  j'aurois souhaite 
Une  source  plus  pure  a  ma  felicite ! 
Un  merite  etranger  est  cause  que  Ton  m'aime ; 
Et  je  me  sens  jaloux  d'un  autre  j  dans  moi-meme  1 

L  I  s  E  T  T  E. 

Que  la  delicatesse  est  folle  en  scs  exces  I 
Eh!  Monsieur  ,  y  faut-il  regarder  de  si  pres  ? 
Qu'importe  du  bonheurla  source  fausse  ou  vraie? 

D  O  R  A  N  T  E. 

Tout  ce  que  j'entrevois ,  de  plus  en  plus  m'effraic. 
Le  bonheur  du  Poete  etoit  encor  douteux ; 
Mais  il  est  mon  rival ,  &  mon  rival  heureux. 
De  Lucile ,  sans  cesse ,  il  contemple  les  charmes. 
11  se  voir  vingt  rivaux ,  sans  en  prendre  d  alarmes. 
A  I'estimc  du  pere  il  a  le  plus  de  part. 
Seule ,  avec  son  valet ,  je  te  trouvc  a  Tecart. 
Que  te  veut-il  ?  Pourquoi  s'enfuit-il  a  ma  vue  ? 
Quels  etoient  vos  complots  ?  D'ou  vient  paroitre  cmue  ? 
Reponds. 

L  I  s  E  T  r  E. 
Tout  bellement  1  vous  prenez  trop  de  soin, 
Etc'est  aussi  pousser  I'interrogat  trop  loin  ;  --'-i 


354        ^^    MJ^TROMAN  lE^ 

D  O  R  A  N  T  E. 

Je  t'epierai  si  bien  aujourd'hui....  Prends-y  garde. 
Quelque  part  que  tu  sois ,  crois  que  je  te  regarde. 
Cependant  allons  voir ,  en  les  feuilletant  bien , 
Si  ces  tab!ettes-ci  ne  m'instruiront  de  rien. 

SCENE    III. 

L  I  S  E  T  T  E. 

jM.'inpiER  1  doucement !  ce  scroit  iine  chainc. 
Quoiqu'on  soit  sans  reproche ,  on  ne  veut  rien  qui  gene. 
Ah  I  c'estpeu  d'etre  injustci  il  ose  etre  importun! 
Aux  trousses  du  facheux  je  vais  en  lacher  un , 
Qui ,  s  attachant  a  lui ,  saura  bien  m'en  defairc.  _ 
Le  voici  justement; 


SCENE   IV. 
FRANCALEU,L1SETTE. 

Francaleu. 


u'as-tu  done  tanta  fairc 
Avec  ce  Cavalier  qui  ne  semble  chez  moi 
S'ctre  impatronise ,  que  pour  ctre  avec  toi  ? 
L I  s  E  T  T  E. 

De  tous  nos  entxetiens  vous  seul  etes  la  cause. 


Francaleu. 
Voyons  iin  pcu  le  tour  qii'elle  donne  a  la  chose." 
L  I  s  E  T  T  E. 

Tout  simple.  Le  jeune-homme  entend  vanter  a  tous, 
Certaine  Tragedie  en  six  acles ,  de  vous , 
Que  I'on  dit  fort  plaisante ,  &  qu'il  brule  d'entendre. 
Sans  qu'il  sache  par  qui ,  ni  trop  comment  s'y  prendre. 

Francaleu. 

Et  n'a-t-il  pas  I'ami  qui  me  I'a  presence  s 

L  I  s  E  T  T  E. 

Monsieur  de  I'Empiree  ?  II  aura  plaisante  ; 
Dc  caustique  &  dc  fat  joue  les  mauvais  roles , 
Et  parle  de  vos  vers,  en  pliant  Ics  epaules.  .^i  iw  1> 

Francaleu.  .^.^>.t^i 

J'en  croiroisquclque  chose ,  a  son  rire  moqueur. 
Le  serpent  de  Tenvie  a  siffle  dans  son  cccur. 
Oh !  bien,  bien,  double  joie,  en  ce  cas,  pour  le  notrc ! 
Je  mortifierai  I'un ,  &■  satisferai  Tautre  ; 
L'autre  aussi-bien  m'a  plu,  comme  il  plaira  par-tout. 
11  a  tout-a-fait  I'air  d'un  homme  de  bon  gouti 
Et  d'ailleurs  il  me  prend  dans  mon  enthousiasme.  . 
Je  suis  en  train  de  rire ;  &  veux,  malgre  mon  asthmc , 
Lui  lire  tous  mes  vers ,  sans  en  excepter  un. 

L  I  s  E  T  T  E. 

Vous  me  deferez  la  d'un  terrible  importuni    -  -  -  • 


j3^        lA   METROMANlEi 

F  R  A  N  C  A  L  E  U. 

Vas  done  me  le  chercher. 

L  I  S  E  T  T  E. 

Faites-en  votre  aflFaird 
Ic  me  vais  occuper  d'un  soin  plus  necessaire. 
11  fautque  je  m'habille. 

Francaleu. 

Et  pourquoi  done  sitot  ? 
L  I  s  E  T  t  E. 
Voulant  reprcsenter  Lucile  comme  il  faut , 
J'ote  des-a-present  mes  habits  de  soubrette , 
Pour  etre,  sous  les  siens,  pluslibre  &:  moins  distraite* 

Francaleu. 
C'est  fort  bien  avise.  Vas.  Je  me  charge ,  moi..«  . 


S  C  fi  N  E   V. 
FRANCALEU,  BALIVEAU. 
Francaleu. 
jCslH  !  c'est  vous !  comment  va  la  memoire !      t  { 

B  A  L  I  V  E  A  u. 

Ma  foi ! 
Quelques  raisonnemens  que  votre  gout  m  oppose, 
Je  hais  bien  la  demarche  ou  mon  neveu  m'expose : 

Pour 


C  O  M  JE  D  1  is,  5  37 

Pour  s'y  resoLidre ,  il  faut ,  a  cet  original , 
Vouloir  etrangement  &  de  bien  &:  de  mal. 
Enfin  moil  role  est  su :  voyons ,  que  faiit-il  faire  ? 

F  R  A  N  C  ALE  U.  'V  :»l 

Et  moi ,  de  mon  cote,  je  songe  a  votre  aflFaire. 

Cependant  soycz  gai.  Debutez  seulement  j 

Et  vous  serez  bientot  de  notre  sentirkient. 

De  vos  talens ,  a  peine  aurons-nous  les  premices , 

Que  nou«  voulons  vous  voir  un  pilier  de  coulisses  j 

Et,  quoi  que  vous  disiez,  versun  plaisir  si  doux , 

De  la  force  du  charme ,  entraine  comme  nous. 

J'ai  vu  ce  charme ,  en  France ,  operer  des  miracles  j 

Nos  Palais  devenir  des  salles  de  spedacles ; 

Et  nos  Marquis ,  chaussant  a  I'envi  I'escarpin  /   y 

Representer  Hedor ,  Sganarelle  &  Crispin.   • '  •'  ' 

Baliveau. 

Je  ne  le  cache  pas.  Malgre  ma  repugnance , 
Une  chose  me  fait  quelque  plaisir  d'avance. 
C'est  le  parfait  rapport,  qui,  par  un  cas  plaisant, 
Se  trouve  entre  mon  role  &"  mon  etat  present;  - 
Je  represente  nn  pcre  austere  &  sans  foiblesse  , 
Qui ,  d'un  fils  libertin  gourmande  la  jcunesse.., 
Le  vieillard  ,  a  mon  gre,  parle  comme  un  Caton : 
Et  je  me  rejouis  de  lui  donner  le  ton. 

Francaleu. 

Celui  qui  fait  le  fils  s'y  prend  le  mieux  du  monde. 
Car  nous  ne  jouons  bien ,  qu'autant  qu'on  nous  seconde, 

TomclL     Y 


558        LA  ME  TROMANIE y 

Tout  depend  de  TAdeur  mis  vis-a-vis  de  nous. 
Si  celui-ci  venoit  repeter  avec  vous  ? 

Baliveau. 
Je  voudrois  que  ce  fut  dcja  fait. 

FrANCALEU  appelant  ses  valets, 

Hola  hee ! 
Que  Ton  aille  chercher  Monsieur  de  TEmpiree. 

a  Baliveau, 
Tencz ,  voila  par  ou  le  jeune  hommc  entrera.  ,^ 
Vous  pouvez  commencer  si-tot  qu  il  paroitra.    j  J 
Faites  comme  Ton  fait ,  aux  choses  imprevues.    X I 
Soyez  comme  quelqu'un  qui  tomberoit  des  nues } 
Car  c'est  Tesprit  du  role :  &:  vous  vous  souvenez 
Que  vous  vous  trouvez ,  vous  &  ce  fils,  nez  a  nez , 
L'instant  precis  qu'il  sort ,  ou  d'une  Academic  ,)H 
Ou  de  quelque  autre  lieu  que  vous  voulez  qu'il  fuie  j 
Et  qu'k  cette  rencontre ,  un  silence  facheux 
Expririie  une  surprise  egale  entre  vous  deux. 
C'est  un  coup  de  theatre  admirable :  &:  j'esperc.... 

J.  "^— — —^ 

S  C  fi  N  E    V  I. 

FRANCALEU, BALIVEAU,  DAMIS. 
F  R  il:N  C,A..L  E  U  a  Damis. 

J^4oNSiEUR ,  voila  celui  qui  fcra  votre  pcrc. 
11  sa^t  son  role  *,  allons ,  concertez-vous  un  pen ; 
Et ,  tout  en  vous  voyanc,  commencez  votre  jeu. 


C  O  M  E  B  I  E.  339 

v.  Balivcau ,  voyant  son.  profond  etonncm&nt. 

Comment  diable !  A  mervcille !  A  miracle !  courage ! 
Personne  ne  jouera  mieux  que  vous ,  xiu  visage. 

a  Dam'is, 
Vous  avez  joue,  vous,  la  surprise  assez  bien  >       .. 
Mais  le  rire  vous  prend  ;  &  ccla  nc  vaut  rienl*"^ 
II  faut  ctre  interdit ,  confus,  couvcrt  dc  hontc.  "^ 
B  A  L  I  V  E  A  U. 

Je  sens  qu'ainsi  que  lui ,  votrc  asped  me  dcmontc. 

D  A  M  I  S  ^  Francaleu. 
C'qsi  que,  lorsqu'on  repete,  un  tiers  estimportun. 

Francaleu. 
Adiea  donci  aussi-bien  je  fais  laiiguir  quelqu'un. 

a  Damis 
Monsieur  Thomme  accompli ,  qui  du  moins  croyezletrc : 
Prencz ,  prenez  lecon :  car  voila  votre  maitre. 

u  Baliveau. 
Bravo  1  bravo !  bravo  1 


s  c  i:  N  E  VII. 

BALIVEAU,  DAMIS. 

V 

Baliveau  a  part. 

i«E  sotevenemcnt  I 
Damis. 

Jc  ne  puis  revenir  de  mon  etonnement. 

Yij 


340  LA    M^.TROMJNIE ^ 

Apres  nn  tel  prodigc,  on  en  croira  mille  autres. 
Quoi,  mon  oncle,  c'est  vous  ?  Et  vous  etes  des  notres ! 
Heureux  le  lieu,  Tinstant, I'emploi qui  nous  rejoint ! 

B  A  L  I  V  E  A  u. 

Raisonnons  d'autre  chose ,  &  ne  plaisantons  point. 
Le  hasard  a  voulu.... 

D  A  M  I  S. 

Voici  qui  paroit  drole. 
Est-cc  vous  qui  parlez ,  ou  si  c'cst  votre  role  ? 

•''  •  Baliveau. 

C'est  moi-meme  qui  parle,  &  qui  parle  a  Damis. 
Voila  done  ccque  fait  mon  Neveu  dans  Paris  ? 
Qu'a  produit  un  sejour  de  si  longue  duree  ? 
Que  veut  dire  ce  nom :  Monsieur  de  I'Emplree  ? 
Sied-t-il ,  dans  ton  etat ,  d'aller  ainsi  vetu  ? 
Dans  quelle  compagnie ,  en  quelle  ecole  es-tu  ? 

Damis. 

Dans  la  votre ,  mon  oncle.  Un  peu  de  patience. 
Imitez-moi.  Voyez  si  je  romps  le  silence 
vSur  mille  questions,  qu'en  vous  trotivant  ici , 
Peut-etre  suis-je  en  droit  d'oser  vous  faire  aussi. 
Mais  c'est  que  notre  role  est  notre  unique  affaire  i 
Et  que  de  nos  dcbats,  le  Public  n'a  que  faire. 

BaliVE  AU  levant  la  canne, 

Coquin !  tu  te  prevaux  du  contretemps  maudic...  , 


/    C  O  M  E  D  I  E,  3^} 

Monsieur,  cc  gcste-la  vous  devicnt  intcrdit.     j  j.^ 
Nous  sommes ,  vous  &  moi ,  membrcs  de  comedie. 
Notre  corps  .n'admct  point  la  mechodehardie  ,  . 
De  s'arroger  ainsi  la  pleine  autorite ;         ' '  /^'  '■* 
Et  ron  tie  connoit  point ,  chez  nous ,  de  primautc. 

BaLIVEAU   a  part. 

C'est  a  moi  de  plier,  apr^s  mon  incartade*^^^  y^^^ 

D  A  M  I  S  gaiement.  .  .:,r  ..,q 

Repetonsdonc  en  paix.  Voyons,  mon  camarade.  > 

Je  sui«  un  fils«;.  ^^^^ 

'    'B  A  LI  V  £  Ay  apart,  §  ^^"^'^^ 

\. . ;  -;  :•       J  ^^  ^^-  •^^  voila  desarme. 
D  A  M  i  s. 

j  V 

Et  vous,  unpere....  ■  :..J0-» 

Baliveau. 

■    ,^T .  .  •  ,     Eh  oui ,  bourrcau !  tu  m'as  nomme;, 
te  n'ai  que  trop  pour  toi  des  entraillej  de  pere  v 
Et  ce  fut  le  seul  bien  que  te  Is^issa  mon  frefe.     .,., 
Quel  usage  en  fais  tu?  Qu'ont  servi  tous  mes  soins  ? 

A  me  mettrcen  ctat  de  les  implorer  mbins.     ^ -3 
Mon  oncle ,  vous  avcz  cultive  mon  enfance.        - 
Jc  ne  mets  poinc  dc  borne  a  ma  reconnoissanccs 
Et  c'est  pour  le  prouver ,  que  je  veux  desormais 
Commcncer  par  tacher  d'en  mettre  a  vos  bienfaits  j 

Y  iij 


141        l^  METROMANIEj 

Me  suffire  a  moi-meme ,  en  volant  a  la  gloire  ^ 
£t  chcrcher  la  fortune ,  au  temple  de  Memoire. 

B  A  L  I  V  E  A  U. 

Ou  la  vas-tu  chcrcher  ?  Ce  temple  pretendu 

(  Pour  parler  ton  jargon )  n'est  qu'un  pays  perdu, 

Cu  la  necessite ,  de  travaux  consumee , 

Au  sein  du  sot  orgueil ,  se  repait  de  fumee. 

Eh !  mafheureux !  crois-moi :  fuis  ce  terroir  ingrat,' 

Prends  un  parti  solide ,  &  fais  choix  d'un  etat 

Qn'ainsi  que  le  talent,  le  bon  sens  autorise j        J? 

Qui  te  distingue  •-,  &  non ,  qui  te  singularisc ;      si 

Ou  le  genie  heureux  brille  avec  digiiite ; 

Tel  qu'enfin  le  barreau  roflfrc  a  ta  vanitc. 

D  A  M  I  S. 

te  barreau  !  ,„^.^  ,3 

Baliveau. 

Protegeant  la  veuve  &  la  pupille , 
C'est-taqu'a  Fhonorablc,  on  peutjoindre  I'litile  j 
Sur  la  gloire  &  Icgain  ,^tablir  sa  maison  j 
Et  ne  devoir  qu'^  soi  sa  fortune  &  son  nom. 

D  A  M  I  S. 

Cc  melange  de  gloire  &  de  gain  m'importunc. 
On  doit  tout  a  I'honneur,  &  rien  a  la  fortune;'  -^^ 
Le  nourrisson  du Pinde,  ainsi  que  le  guerrier ,'  '* 
A  tout  Tor  du  Perou ,  prefere  un  beau  laurier. 
L'Avocat  se  peut-il  egaler  au  Poete  ? 
De  ce  dernier  la  gloire  est  durable  &  complcttc. 


.  '^  'C  O  M  £  D  I  E,  341 

II  vit  long-tctnps  apres  que  Tautre  a  disparn.  "-■  «- 
ScARON  meme  remporte  aitjourdliui  sur  Patru. 
Vous  parlcz^du  barreau  de  la  Grece  6^  de  Roaic, 
Lieux  propres  autrefois  )i  produire  un  grand  hon:irae. 
L'antre  de  la  chicane  &:  sa  barbare  voix 
N'y  dcfiguroient  pas  I'tloquence  &  les  Loix.  '    '■; 
Que  des  traces  du  monstre ,  on  purge  la  tribune  i 
J'y  monte :  &  mes  talens  voues  a  la  fortune , 
Jusqu'a  la  Prose  encor ,  voudront  bien  dcrogcr. 
Mais  Tabus  ne  pouvant  si-tot  se  corriger  , 
Qu'on  melaissc,amongre,n'aspirantqu'a  laglbire, 
Des  titres  du  Parnasse ,  anoblir  ma  mcmoire  >•  '^^ 
Et  primer  dans  un  Art  plus  au-dessus  du  Droit , 
Plus  grave,  plus  sense,  plus  noble  qu'on  ne  croit. 
La  fraude  impunement,  dans  le  siecle  ou  hous  sommes , 
Foule  aux  pieds  I'equite,  siprecieuse  auxhommes: 
Est-il  pour  un  esprit  solide  &r  genereux  , 
line  cause  plus  belle  a  plaidcr  devant  eux  ? 
Que  la  Fortune  done  me  soitmere  ou  maratrdj'l' 
C  en  est  fait:  pour  Barreau  ,  je  choisis  le  Theatre t 
Pour  Client ,  la  Vertu ;  pour  Loix ,  la  Verite  : 
Et  pour  Juges^ ,  mon  Siecle  &:  la  Posterite. '  '^'"'  "'""^  - 

.    .;    ;:.^^  .'  ,P  A  L  I  y  E  A  U.  .,   •. 

Et  bien ,  porte  plus  haut  ton  espoir  &:  tes  vues.    ■  ■ 
A  ces  beaux  sentimens  les  dignites  sont  dues. 
La  moitie  de  mon  bien  remise  en  ton  pouvoir , 
Parmi  nos  Senateurs  ^  s'offre  a  tc  faire  asseoir.. ... 
Ton  esprit  genereux,  si  la  vertu  t'est  chcre  ,     wO 

Yiv 


144        LA  MtTROMANIE^ 

Si  tn  prends  a  sa  cause  un  interet  sincere  >        / 11 
Ne  preferera  pas ,  la  croyant  en  danger , 
L'eflbrt  de  la  defendre,  au  droit  de  la  juger. 

D  A  M  I  S. 

Non ;  mais  d\in  si  beau  droit  Tabus  est  trop  facile. 
L'esprit  est  genereux ,  &  le  cc^ur  est  fragile.         ; 
Qu'un  Juge  incorruptible  est  un  homme  etonnant  \ 
Du  Guerrier  le  merite  est  sans  dcute  eminent : 
Mais  presque  tout  consiste  au  mepris  de  la  vie  i.^,/. 
Et  de  s?rvir  son  Roi  la  glorieuse  envie ,  ,,o 

L'esperance ,  i'exemple ,  un  je  ne  sais  quel  prix^rr 
L'horreur  du  mepris  meme ,  inspire  ce  mepris. 
Mais  avoir  a  braver  le  sourire  ou  les  larmes        ;  - 
D'une  Solliciteuse  aimable  &:  sous  les  armes !       t 
Tout  sensible,  tout  hoaime  enfin  que  vous  soyez , 
Sans  oser  etre  emu ,  la  voir  presque  a  vos  pieds,!,^ 
Jusqu'a,  la.  cruauie  pousserle  Sto'icisme ! 
Je  ne  me  sens  point  fait  pour  un  tel  Heroisme. 
De  tous  nos  Magistrats  la  vertu  nous  confond  : 
Et  je  ne  concpis  pas ,  comment  ces  Messieurs  font^ 
La  mienne  done  se  borne  au  mepris  des-fichesses  ji 
A  chanter  des  Heros  de  routes  les  especes; 
A  sauver ,  s'il  se  pent ,  par  mes  trivaux  constans, 
Et  leiirs  noms  &:  le  mien ,  des  injures  du  temps,-: 'I 
Infortune  !  je  touche  a  mon  cinquieme  lustre,     A 
Sans  avoir  publi^  rien  qui  mc  rende  illustre  ! 
On  m'ignore ;  &:  je  rampe  encore ,  a  Tage  heureux, 
Ou  CoRNEiLLE  &'Racine  ctoient  dejafameuxl 


B  A  L  I  V  EAU.     ,;,|  jjf^ 
Quelle  etrange  manic  1  &c.  dii-nioi ,  miserable ! 
Ade  si  grands  esprits ,  te  crois  tu  comparable  i^ti 
Et  ne  sais-tu  pas  bien  qii'au  metier  que  tu  fais  ^ 
11  faut ,  ou  les  atteindre ,  ou  ramper  a  jamais  ?. . 

Da  MIS.  •f«o}6*''^ 

Eh  bien  !  voyons  le  rang  que  le  Destin  m'appretc. 
11  ne  couronne  point  ceux  que  la  crainte  arrctc; '  - 
Ces  maitres  meme  avoient  les  leurs ,  en  debutarft  j 
Et  tout  le  monde  alors  put  leur  en  dire  awtant.  -    ' 

Mais  les  beautes  de  Tart  ne  $orit  pas  infinies.^  '9 ,_ 
Tu  m'avoueras  dumoins  que  ces  rares  genics,  '^^, 
Outre  le  don  qui  fut  leur  principal  appui  ^       ■ 
Moissonnoientileuraise.ouronelanneaiiiourd'huL 

■■  ■  ;!'-/;  '.;  '  D-AM[-i,s..,,   .-.  .  ;  ?^;;/;'r 'vvJ- 
IIsontdic,  il  est  vrai  ,.pr;esque  tout  cc  qu'on  pensfe. 
Leurs  ecrits  sont  des  vols^  qu'ils-nous  ont  faits  d'avancc  j 
Mais  le  rem.cde  est  simple :  il  faut  faire  comme  eux  i 
lis  nous.ont  dcrobcs  j  derobons  nos  ncvcu5i;  },_,,-■ 
Et  tarissant  la  source  ou  puiseun  beaudelire.^  .->  j 
A  tous  nos  successcurs  ne  laisso'ns  rien  a  dire.  .  •  = 
Un  demon  triomphant  m  eieyc  a  cet  emploi.     . 
Malheur  aux  Ecrivains  qui  viendront  aprcs  moi ! 

B  A  L  I  V  E  A  U. 

Vas,  malheur  a  toi-meme,  ingrat !  cpurs  ata  perte  \ 
A  qui  veut  s'egarer ,  la  carricrc  est  ouvqrtc. 


54<?^        l^  METROMANIE, 

Indigne  du  bonheur  qui  t'etoit  prepare, 
Reiitre  dans  le  neant  dont  je  t'avois  tire.  O 

Mais  ne  crois  pas  que,  pret  a  remplir  ma  vengeance , 
Ton  chatimcnt  se  borne  a  la  seule  indigence. 
Cetre  soif  de  briller ,  ou  se  fixent  tes  vaeux , 
Seteindra,  mais  trop  tard,  dans  des  degouts  affircujc 
Vas  subir  du  Public  les  jugemens  fantasqucs ,        r 
Dune  Cabale aveugle ,  essuyer  les  bourasques , , ,• 
-Chercher  en  vain  quelqu'un  d'humeur  a  t'admirer , 
Et  trouycr  tout  Ic  monde  adif  a  censurer  I 
Vas,  des  Auteurs saps  npm ,  grossir  la  foule obscure , 
Egayer  U Satire,  &  servir  depature      .     . 
A  je  ne  sais  quel  tas  de  Brouillons  affames, 
Dont  Tes  J^crit^  mordans  siir  les  Quais  sont  semes ! 
E|(;ja,  dans  les  Cafes  tes  prbjets  se  rcpandent. 
'  L'e'Pafoats'tc  bisif  &  tes  Foraiiis  t'attendent,  "^^ '"• 
Vas,  aprcs  t'etre  vu^itt"  ieur  Scene  avili, 
De:l'9pprb|yrc,  avec  eux ,  retomber  dan&l'Qublil 

Que  peut ,  centre  le  roc  \  uile  vagiic  aniniee  ?       \ 
Herciil6  a-t;-il  peri  sous  I'effort  du  PigrrieeV  ;'''''  "^  f 
L'Olympie'  volt  en  paix  fumer  le  Mont  iCth'ffi"  ^ 
Zoile,  contre  Homcre,  en  vain  se  dcchainaj^^'' . 
Et  la  palme  du  Cid,  malgre  la  meme  audac^,'.  *'\, 
Cirbk  &  s'oleve  encoTe  au  sommet  du  Parnasse. 

B  A  L  I  V  E  A  U. 

Jitmais  Textravagancc  alla-t-elle  plus  loin?     '       , 
He  bien ,  tu  braveras  la  hontc  6c  le  bcsoin. 


c'    C  O  M^  D  I  E.  ^47 

Je  veiix  que  ton  esprit  n'en  soit  que  plus  rebelle  5  l 
Et  qu'aux  siecles  futurs  ta  sottise  en  appelle  1  .     '! 
Que ,  de  ton  vivant  meme  ,  on  admire  tes  vers  -, 
Tremble !  &:  vois  sous  tes  pas  mille  abysmes  ouvcrts! 
L'impudence  d'autrui  va  devenir  ton  crime.  '^''^ 
On  mettra,  sur  ton  compte ,  un  Libellc  anort^rBeX 
^  Poursuivi,  condamne,  proscrit  sur  ces  rumeurs, 
A  qui  veuxTtu. qu  un  homme  en  appelle r^ij  advo2 

.    M-.  .       ,         .  Ascsmoeurs, 

B  A  L  I  V  E  ^U. 

A  ses  moeurs?  Et  le  monde ,  en  ces  sortcs  d'orages , 
Est-il instruit  des  ma*urs,  ainsi  que  des outrages?  - 

Dam  is.    ' 

Oui.  De  mcs  moeurs  bientot  j'instiruirai  tout  Paris/ 

Baliveau. 

/'  '■  • 
Et  comment .  s'il  vous  plait,?  ,.  ^ 

.ji.n^jirijsqafiztio-.  I^  A-M  I  s.  :f,,.       .■„. ,  ^  .  ,-> 

Comment?  Par  mes  Ecrits, 
Je  veux  que  la  vcrtu  plus  que  I'esprit  y  brille. 
La  mere  en  prescrira  la  ledure  a  sa  fillej 
Et  j'ai ,  grace  a  vos  soins ,  le  cceur  fait  de  fa^on , 
A  monter  aisement  ma  lyre  sur  ce  ton.  '    ' 

Sur  la  Scene  aujourd'hui ,  mon  coup  d'essai  I'annoncc. 
Je  suis  un  malheureux  •■,  mon  Oncle  me  renonce  j 
Je  me  tais :  mais  Tcrreur  est  sujette  au  retour  j 


54^         LJ  Mi  TROMA  NIE; 

I'espere  triomphcr ,  avant  la  fin  du  Jour :  -jov  H, 
Et  peut-etre  la  chance  alors  tournera-t-ellc.         ' 

B  A  L  I  V  E  A  u. 
U"  ■  ■       < ' ' 

Quoi!  votis  seriez  rAuteur  de  la  Piece  houvellc*  I 

Que  cesqir,  aux  Francois,  Ton  doit  representcr> 

..  ^,  -::m D-AMi  S. 

Soyez  done  le  premier  k  m'en  feliciter.  'A 

B  A  L'FV'E  AU. 

Puisque  vous  le  voulez,  je  vousen  felicite. 

D^A  MIS. 

J'en  augure  une  heureuse  &  pleine  reussitc.        .^ 

B  A  L  I  V  E  A  U. 

Cependant,  gardez-vous  de  dire  a  Francal^,  ^. 
Que  de  son  bon  Ami ,  vous  etes  le  neveu.        '^ 

Dam  I  s. 

Tout  comme  il  vous  plaira:  mais  je  voisavec  peine. 
Que  vous  ne  vouliez  pas  que  je  vous  appartienne. 

•''■"""  ■  ';;"",'■■' '    Bali  v  e  a  u. 

J  ai  de  bonnes  ralsons  pour  en  a^ir  ainsi.-  - 

J'obeirai ,  MbitefcUrJ'  '"•  {•  i-'"  inomoziu  i^jnorn  A 

'''^  '-^'-'  ;BAL?V^'ir^^'^'^"^^^^'''^^ 

,•  ounootJi  am  3b:  .     >:ii 

iwoioi  f//,  nrj^iii.  J'y  compte.  ^^^ .  ^j^^  ^..^  ^r 


^      C  O  M  t  D  I  E.  349 

D  A  M  I  S. 

Mais  aussi , 
Daignantdememeentrer  dans  I'esprit  qui  m'anime, 
Laissez-  moi ,  quelqiie-temps,  jouir  de  Tanonyme , 
Pour  goutcr  du  succes  les  plaisirs  plus  entiers , 
Et  m'entendre  louer ,  sans  rougir. 

^  Baliveau. 

— —  Volontiers.    - 

(  a  part. ) 
A  demain ,  Scelerat !  Si  jamais  tu  rimailles ; 
Ce  ne  sera, morblcu,  qu'entre  quatre  muraillesl 


SCENE     VIII.        ^.. 
D  AMIS.  - 

jX  ne  veut  m'avouer  qa'apres  I'evenemenr. 
Nous  nous  sommes  id  rencontres  plaisamment. 
La  Scene  est  theatrale,  unique,  inopince. 
Je  voudrois ,  pour  beaucoup ,  I'avoir  imaginec;  - 
Mon  succes  seroit  sur.  Du  moins  profitons-en  ; 
Et  songeons  a  la  coudre  a  quelque  nouveau  plan. 
Jen  ai  plusieurs.  Voyons.  Ou  sont  done  mes  tablertes 
La  perte,  pour  le  coup,  seroit  des  plus  complettes. 
Tout-a-l'heure,  4  la  main  ,  je  les  avois  encor. 
Ah !  je  suis  ruine !  J'ai  perdu  mon  tresor  I 
Nombre  de  canevas,  deux  Pieces  commencees,'^ 


5  5©        LA  -METRO  MAN  IE, 

Caraderes,  Portraits,  Maximes  &  Pensccs, 
Dont  la  plus  triviale ,  en  vers  Alexandrins , 
Au  bout  d'unc  tirade ,  cut  fait  battre  des  mains  f 
Que  j'ai  regret,  sur-tout,  a  mon  Epithalame! 
Helas !  ma  Muse,  au  gre  de  Tespoir  qui  m'enflammc, 
Dans  un  premier  transport,  venoitde  lebaucher. 
Deuxfoisdumeme  enfant  pourra  t-elle  accoucher? 


S   C   E    N   E    IX. 
DORANTE,  DAMIS. 

D  A  M  I  S. 

A.H!  Monsieur! secourezles  Muses  attristces ! 
Mes  tablettes ,  la-bas ,  dans  le  bois  sont  restees. 
Suivez-moi !  cherchons-les !  aidons-nous ! 

D  O  R  A  N  T  E  Us  luL  rmdant. 

Les  voila. 

D  A  M  1  S. 

Je  ne  puis  exprimcr  le  plaisir.... 

D  O  R  A  N  T  E. 

Brisons-la. 
Dam  IS. 

Vous  me  rendez  I'espoir,  le  repos  &:  la  vie. 

Dora  n  t  £.>,„,.,•  ,,jux  3- 
Mon  dcssein  n'est  pas  tel  j  car  je  vouj  signific     „  vi 


C  O  M  E  D  I  E.  551 

Qu'il  fant  J  en  cc  logis,  ne  plus  voiis  remontrer ; 
Ex.  voiis  faire  une  affaire,  ou  n'y  jamais rentrer. 

D  A  M  I  s. 

I  ctrangc  alternative !  un  ami  la  propose ! 

Ne  puis-je ,  avant  d'opter,  en  dcmander  la  cause  ? 

D  O  R  A  N  T  E. 

Eh  fi !  Tair  ingcnu  sied  mal  a  votre  front  j 
Et  ce  doute  aflPede  n'est  qu'un  nouvel  affront. 

D  A  M  I  S. 

C'est  la  pure  franchise.  En  verite  j'ignore.... 

D  O  R  A  N  T  E.   i^.iii^vi  Ji.:^  J  • 

Quoi ,  Monsieur?  Que  Lucile  est  celle  que  j'adore? 

D  A  M  I  s. 
Non.  Quand  j'ai  vu  tantot  mes  vers  entre  $cs  mains..... 

Do  R  A  N  T  E.  Y. 

Vous  m'avez  insultc ;  c'est  de  quoi  jc  me  plains. 

D  A  M  I  S. 

En  quoi  done  J 

D  O  R  A  N  T  E.  ^ 

Oui ,  c'est  vous  qui  les  lui  faisiez  lire. 
D  A  M  I  s. 
Moil 

D  O  R  A  N  T  E. 

Vous.  Plus  je  souffirpis  j  plus  je  vous  voyois  rire— 


551        LA   MttROMANlE, 

D  A  M  I  S. 

De  cc  qu'innocemment ,  la  belle ,  malgre  vous , 
Reveloit  un  secret  dont  vous  eticz  jaloiix. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Non.  Mais  dela  noirccur  de  cette  amc  cruelle , 
Et  du  plaisir  malin  de  jouir  avec  elle 
De  la  coi'ifusion  d'un  rival  malheureux 
Que  vous  avez  joue  de  concert  tous  les  deux. 
C'est  a  quoi  votre  esprit,  depuis  un  mois ,  s'occupe  j 
Mais  je  ne  serai  pas  jusqu'au  bout ,  votre  dupe. 
Je  veux ,  de  raon  cote ,  mettre  aussi  les  railleurs : 
Et  votre  Epithalame  ira  servir  aillcurs. 

D  A  M  I  S. 

Ah !  cc  nfiot  echappe  me  fait  enfin  comprendre.... 

D  o  R  A  N  T  E.  ii.M9.n0/: 

Songez  vite  au  parti  que  vous  avez  a  prendre. 

D  A  M  I  S. 

Dorante! 

D  O  R  A  N  T  E. 

Vous  voulez  temporiscr  en  vain. 
Rcnoncez  a  Lucile  j  ou  lepee  a  la  main. 

D  A  M  I  S. 

Opposons  quelque  flegmc  aux  vapeurs  de  la  bile. 
La valeur n'est  valeurqu autant quelle  est tranquille  j 
£t  je  vois.«* 

Dorante. 


C  O  M  E  D  I  E.  3  51 

D  O  R  A  N  T  E. 

Oh  !  je  vois  qu'un  Versificateur 
Entend  I'art  de  rimer,  mieux  que  le  point  d'honneur, 

D  A  M  I  S. 

C'cn  est  tr  op.  A  vous  meme,  un  mot  eut  pu  vou$  rendrc  i 
Je  ne  le  dirois  plus  j  voulussiez-vous  Tentendre. 
C'est  moi ,  qui  maintenant  vous  demande  raison. 
Cependant  on  pourroit  nous  voir  de  la  maison. 
La  place ,  pour  nous  battre ,  id  pres  est  meilleure. 
Marchons! 

■■1    i\  A    ~ 
I'      ,  ,  1.11 

S  C  fi  N  E    X. 

FRANCALEU,  DORANTE,  DAMIS, 

Francaleu 

pnnant  Dorante  par  le  bras  &  ne  le  lachant  plus, 

SuiH  \  venez  done ,  Monsieur !  depuis  une  heure , 
Je  vous  cherche  par-tout ,  pour  vous  lire  mes  vers. 

Dorante.  ,) 

A  moi,  Monsieur? 

Francaleu. 
A  vous. 
D  a  M  I  s  ^  part. 

Autre  esprit  a  I'envers ! 
Tome  II.      Z 


J54         ^^    METROMANIB 

Francaleu. 
Vous  desirez ,  dit-on ,  ce  petit  sacrifice. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Et  qui  m'a ,  pres  de  vous ,  rendu  cc  bon  office  \ 

Francaleu. 
C'est  Lisette. 

DoranTE  a  Damls* 

C'est  vous  qu  elle  veut  servir. 
Francaleu. 

Lui 
11  voudroit  qu'on  fvit  sourd  aux  ouvrages  d'autrui. 

D  A  M  I  S. 

Loin  de  I'en  detourner ,  c'est  moi  qui  I'y  con  vie. 

DoRANTEa  Damis, 

Je  lis  dans  votre  coeur  \  &:  je  vois  votre  envic 

Francaleu. 

Vous  dites  bien ;  I'envie !  Oui ,  c'est  un  envieux, 
Qui  voudroit ,  5ur  lui  seul ,  attirer  tous  les  yeux. 

D  A  M  I  s. 

Mon  Amii  par  bonheur,  est  la  pour  me  defendrc* 
Tantot  je  Texhortois  encore  a  vous  entendre. 

DoRANTE  has  a  Damis. 

Yous  osez  m'attcster ) 


D  A  M  I  S  has  a  Dorante. 

'■"    '  Jc  songe  a  votre  amour, 

Songez ,  si  voiis  voulez ,  a  faire  votre  cour. 

Francaleu. 

On  me  voudroit  pourtant  assurer  du  contraire. 

D  A  M  I  S. 

Lisez :  &  qu'il  admire  j  il  ne  sauroit  micux  fairc, 

D  o  R  A  N  T  E  bas^ 

Tu  crois  m'cchapper.  Mais... 

P  A  M  I  S  iz  Francaleu* 

D'autant  plus  que  Monsieitir 
A  besoin  maintenant  dun  peu  de  belle  humeur.^ 

Francaleu  drant  un  gros  cahler  de  sa  poche. 

Ah !  quclque  humeur  qu'il  ait,  il  faudra  bien  qu'il  riei 
Et  pour  cela  d'abord,  je  lis  ma  Tragedie. 

.-'  D  A  M  I  s. 

Hien  ne  pouvoit  pour  lui  venir  plus  k  propos. 

Francaleu. 

Pourvu  que  les  Fachcux  nous  laisscnt  en  repoJ* 

D  A  M  I  S  has  a  Dorante*      ■  ■ 

Des  que  vous  le  pourrcz ,  songez  a  disparoitre. 
Je  vous  attends* 

Zi) 


'35^     i^  metromanie; 

FrANCALEU  a  Damis. 

Et  vous ,  vous  n'cn  voulez  pas  etrc? 
DORANTE   au  meme , 
s'efforfant  de  faire  Idcher  prise  a  Francaleiu 
Jc  ne  vous  quitte  point. 

D  A  M  I  S  ^  Francaku. 

Monsieur,  excuscz-moi , 
J'aime :  &  c'cst  un  etat ,  ou  Ton  n'est  guere  a  soi. 
Vous  savez  qu'un  Amant  nc  peut  rester  en  place. 

//  s'en  ycu 
D  o  R  A  N  T  E  voulant  courir  apres  lui. 
Par  la  meme  raison..« 

S  C  E  N  E     XL 

FRANCALEU,  DORANTE.       ; 

FraNCALEU  le  retcnant  ferme. 

A-aAissEZ ,  laissez  de  grace  ! 
II  en  veut  a  ma  Fille  \  &  jc  scrois  charme 
Qu'il  parvint  a  lui  plaire ,  &:  qu'il  en  fut  aime. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Oh  parbleu,  qu'il  vous  aime ,  &  vous  &:  vos  ouvragesl 

Francaleu. 
Commye  si  noii*  avions  besoin  de  sqs  suffrages  ? 


C  O  M  E  D  I  E.  3  57 

D  O  R  A  N  T  E. 

He  mien  meritc  peu  que  vous  vous  y  teniez, 

Francaleu. 
Je  serai  trop  hcureux  que  vous  me  le  donniez. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Prodiguer  a  mbi  seul  le  fruit  de  tant  dc  veilles ! 

Francaleu. 
Moins  I'assemblce  est  grande,&:  plus  elle  ad'oreillcsr 

D  O  R  A  N  T  E. 

Si  vous  vouliez ,  pour  lui  ^difix:rer  dun  moment? 

Francaleu. 
Non  i  qui  satisfait  tot ,  satisfait  doublement. 

//  Idche  Dor  ante  pour  tirer  ses  lunettes.  Dorante 
s* evade;  &  Francaleu  continue^  sans  s  en  appercevoir. 

Et  c'est  le  moins  qu  on  doive  a  votre  politesse , 
D'avoir  bien  voulu  prendre  un  role  dans  la  Piece. 

//  deroule  son  cahier  &  lit : 
La  Mort  de  BucEPHALE Se  retournanu 

Ou  diablc  est-il  ?  Comment, 
On  me  fuit !  Oh ,  parbleu ,  ce  sera  vainement. 
Jg  cours  apres  mon  hommej  &:  s'il  faut  qu'ilm  echappc, 
Je  me  cramponne  apres  le  premier  que  j'attrapej 
Et ,  bcnevole  ou  non  ,  dijc-il  ronfier  debout , 
L'Auditeur  entendra  ma  Piece  jusqu'au  bout. 

Fin  du  troisieme  Acle. 

Z  iij 


558        LA    METROMANIE, 


A  C  T  E    IV. 


SCENE    PREMIERE. 

MONDOR,  LISETTE  habilUe  pour  jouer ; 
&  tirant  Mondor  apres  die  d'un  air  inqideu 

M  O  N  p  O  R. 

jHJl  QUO!  bon ,  dans  le  pare,  ainsi  tourner  s^ns  cesse, 
PirQuetcfa  courir ,  voltigcr  > 

L  I  s  E  T  T  E. 

Mondor  \ 

Mondor. 

L I  s  E  r  T  E. 
T«  ne  voyois  pas  t 

Mondor, 
Quoi  ? 
L I  s  E  T  T  E. 

Qu'on  nous  epioit. 

Mondor, 

Qtiand ) 


C  O  M  £  D  1  E.  jjj^ 

L  I  S  E  T  T  E. 

I.C  voila  bien  sot ! 

M  o  N  D  o  R. 
Qui? 

L  I  S  E  T  T  E. 

Le  trait  certe  est  piquant^ 

M  o  N  D  o  R. 
Quel  > 

L  I  S  E  T  T  E. 

Quel,  qu'est-ce,  quoi,  quand,  qui  ?  Uamant  de  Lucilc^ 
Que  son  mauvais  demon  ne  peut  laisser  tranquille. 
Dorante. 

M  o  N  D  o  R. 

Eh  bien  !  Dorante  > 

L  I  s  E  T  T  E. 

II  nous  a  vns  de  loin  ^ 
Ainsi  que  tu  croyois  m'aborder  sans  temoin. 
Sous  ce  nouvel  habit ,  du  bout  de  Tavenue , 
Qu'il  ait  cru  voir  Lucile ,  ou  qu'il  m'ait  reconnue 
Prcs  de  toi ,  I'un  vautTautrej  &"  surtout  son  destia 
Semblant  tc  mettrc  exprcs  une  lettre  a  la  main. 
Nous  entrons  dans  le  pare :  il  nous  guette,  ilpetille  j 
11  se  ghsse ,  oc  nous  suit  le  long  de  la  charmille. 
Moi  qui,  du  coin  de  I'ceil,  observe  tous  ses  tours ^ 
Je  me  laisse  entrevoir ,  &  disparois  tou jours : 
Dicu  salt  si  le  cervcau  de  plus  en  plus  lui  tinteii 

Z  iv 


^66        tA  Ml^TROMANIE^ 

Tant  qu'cnfin  jele  plante,  au  fondduLabyrinthe; 
Ou  le  pauvre  jaloux ,  pour  long-temps  en  defaut  I 
Peste  &■  jure ,  je  crois ,  maintenant ,  comme  il  faut. 
Je  ferois  encor  pis ,  si  je  pouvois  pis  faire. 
De  CCS  coeurs  defians  Tespece  atrabilairc 
Ressemble  ,  je  le  vois ,  aux  chevaux  ombrageux  5 
II  faut  les  aguerrir ,  pour  venir  a  bout  d'eux. 

M  o  N  D  o  R. 

Oh  parbleu  !  ce  n'est  pas  le  foible  de  mon  maitre  \ 
Au  contraire,ilse  livre  aux  gens,  sans  les  connoitrej 
Et  presume  assez  bien  de  soi-meme  &"  d'autrui , 
Pour  sc  croire  adore  ,  sans  que  Ton  songe  a  lui. 
Dureste ,  sait-il  bien  se  tirer  d'uneafikire? 

L I  s  E  T  T  E. 

Ceux  qui  Tont  separe  d'avec  son  adversaire , 
Disent  qu'il  s'y  prenoit  en  brave  Cavalier  j 
£t ,  pour  un  bel-esprit ,  qu'il  est  franc  du  colier. 

M  o  N  D  o  R. 

II  n*est  sorte  de  gloire ,  a  laquelle  il  ne  conrc. 
Le  bel-esprit ,  en  nous,  n'exclud  pas  la  bravoure.  - 
D'ailleurs ,  ne  dit-on  pas ,  telles  gens,  tel  Patron  5 
Et  des  que  je  le  sers ,  peut-il  etre  un  poltron  ? 

>    ,.  LiSE  T  T  E. 

Voil^  done  cet  amour  dont  j'etois  ignorante  t 
Et  que  j'ai  cru  toujours  un  reve  de  DoranteJ 


C  O  M  i  D  I  E,  )6i 

M  O  N  D  O  R. 

Mon  maitrc  ne  dit  mot;  mais  a  la  verite , 
Ce  combat  la  tient  bien  de  la  rivalite. 
En  ce  cas ,  mon  adresse  a  tout  fait, 

L I  s  E  T  T  E. 

Ton  adresse  ? 
M  o  N  D  o  R. 

Oui.  J'ai ,  de  sa  conquete ,  honore  ta  maitressc. 
Celle  qu'il  recherchoit  ne  me  convenant  pas , 
De  Lucile ,  a  propos ,  j'ai  vante  les  appas , 
Lui  conseillant  d'avoir  souvent  les  yeux  sur  clle , 
Et  de  mettre  un  pen  I'une  6c  I'autre  en  parallelle. 
11  paroit  qu'il  n'a  pas  neglige  mes  avis. 

L  I  s  E  T  T  E. 

II  se  repentiroit  de  les  avoir  suivis. 

Envers  &  contre  tous ,  je  protege  Dorante. 

M  o  N  D  o  R. 

Gageons  que,  malgre  toi,  mon  maitre  le  supplantc. 
Car  etant  ne  Poece  au  supreme  degre, 
Lucile  va  d'abord  le  trouver  a  son  gre. 
Monsieur  de  Francaleu,  dejaTaime  &  I'estime. 
Du  pere  de  Dorante  ,  il  n'est  pas  moinsl'intime: 
Et  je  porte  un  billet  a  ce  pere  adresse , 
Qu'apres  s'ctre  battu,  sur  I'heure,  il  a  trace. 
Sachant  des  deux  vieillards  la  mcsintelligence, 
11  mande  a  celui-ci ,  selon  toute  apparence , 


^62,       LA    METRO  MANIE  y 

De  rappeler  un  fils  qui  fait  iei  ramour , 
Et  dont  rentetement  croitroit  de  jour  en  jour, 
II  saura ,  la-dessus ,  le  rendre  impitoyable. 
S'il  aime  enfih  Lucile,  ainsi qu'il  est  croyable  j 
Prends  de  mes  almanachs  \  &  tiens  pour  assure 
Que  le  bonheur  de  I'autrc  est  fort  aventure, 

L  I  s  E  T  T  E. 
Mais  cet  autre ,  avec  qui  je  suis  de  connivence,, 
A  pris,  depuis  un  mois,  terriblement  I'avance. 
J'ai  vu  palir  Lucile,  au  recit  du  combat. 
D'une  tendre  frayeur ,  le  coeur  encor  lui  bat. 
Lucile  s'est  emue ,  ^  c'est  pour  lui ,  te  dis-je. 
H  a  visiblement  tout  I'honneur  du  prodige. 
Depuis,  ils  se  sont  meme  entretenus  long-temps  j, 
Et  s'etoient  separes ,  I'un  de  I'autrc  contens , 
Lorsque,  dans  cet  Esprit  soupconneux  a  la  rage  , 
Ma  presence  equivoque  a  ramene  Torage  j 
Mais  le  calme  ne  tient  qu'a  Teclaircisscment 
Qui  coulera  ton  maitre  a.  fond  dans  le  moment* 

M  o  N  D  o  R. 
Je  rcponds  de  la  barque ,  en  depit  dc  Neptune. 
$onge  done  quelle  porte  un  Poete  &  sa  fortune ! 
Telle  gloire  Ic  pent  couronner  aujourd'hui , 
Quimcttroit  pcrc  &  filie  a.  genoux  devant  lui. 
De  ce  coup  decisif  I'instant  fatal  approchc. 
L' Amour  m'arrache  un  temps  que  I'honneur  me  reproche* 
Adieu.  Que  devant  nous ,  tout  s'abaisse  en  ce  jour  j 
Et  que  tous  nos  rivaux  tremblent  a  mon  retour ! 


C  O  M  i  T>  I  E.  3<rj 

1 ■■— — — g— —  Ilia 

1 ■       '  <   i^ 

S  C  E  N  E    II. 

L  I  S  E  T  T  E. 

Jt  ELZE  gloire  lepeut  couronner....  J'ai  beau  dirc  , 
Dorante  pourroit  bien  avoir  ici  du  pire. 
Faisons  la  guerre  a  I'oeil ;  &  mettons-nous  au  fait 
De  ce  coup  qui  doit  faire  un  si  terrible  efFet. 

SCENE    III. 
FRANCALEU,  DAMIS,  LISETTE 

Francaleu 

a  Lisette  ■,  qu'il  ne  voit  que  par  derriere. 

ijUCiLE ,  redoublez  de  fiertc  pour  Dorante , 
Voiis  n'etes  pas  encore  assez  indiflR^rente. 
Voiis  souflrcz  qu'il  vous  parle  j  &  jc  defends  cela 
Tout  net!  entendez-vous ,  ma  fiUe? 

Lisette 
se  tournant  &faisant  la  reverence. 

Oui ,  mon  perc, 

Francaleu. 

Ahi 
Cesttoi, Lisette*  ;:; -S 


5^4         LA  MtTROMANIE s 

L  I  S  E  T  T  E. 

Eh  bien !  c'est  moi ,  je  tiens  parole;. 
Lui  ressemble-je  assez  ?  Jouerai-je  bien  son  role  ? 
L'oeil  du  pere  s'y  trompe  \  &  je  conclus  d'ici 
Que i>ien d'autres,  tantot,  s'y tromperontaussi. 

FraNCALEU  a  Damis. 
Admirez  en  efiet,  commc  elle  lui  ressemblc ! 

L  I  s  E  T  T  E. 
Quand  commencera-t-on? 

Francaleu. 

Tout-a-l'heure :  on  s'assemblc. 
Cependant,  vas  chercher  ta  mattresse  \  &:  I'instruis 
Des  dispositions  oii  tu  vois  que  je  suis. 
Si  j'eus  unc  raison ,  maintenant  j'en  ai  trente 
Qui  doivent  a  jamais  disgracier  Dorante. 


SCENE    IV. 

FRANCALEU,  DAMIS. 
Francaleu. 

Suik  coquine  le  scrt  indubitablement , 
Et  m'en  a ,  sur  son  compte ,  impose  doublement. 
Sur  quoi  done,  s'il  vous  plait,  vous  a-t-il  fait  querelle? 
;  Damis. 

Sur  un  mal  entcndu :  pour  une  bagatelle. 


C  O  M  i  D  I  E.  5^5 

Francaleu. 

Ce  precede  I'exclud  du  rang  de  vos  amis  ? 

D  A  M  I  s. 

Quelque  ressentiment  pourroit  m'etre  permis  •, 
Mais  je  suis  sans  rancune ;  &:  ce  qui  se  prepare 
Va  me  vcnger  assez  de  cet  esprit  bizarre. 

Francaleu. 

Ce  que  j'apprcnds  encor  lui  fait  bien  moins  d'honneiir. 

D  a  M  I  s. 

.Quoi  done  ? 

Francaleu. 

Qu'il  est  le  fils  d'un  mauditChicaneur, 
Qui ,  n'ecoutant  priere ,  avis ,  ni  remontrance , 
Depuis  dix  ou  douze  ans ,  me  plaidc  a  route  outrance. 
Dcs  sottises  d'un  pere ,  un  fils  n'est  pas  garant ; 
Mais  le  tort  que  me  tkit  ce  Plaideur  est  si  grand,' 
Que  je  puis,  a  bon  droit,  hair  jusqu'a  sa  race. 
Ce  proces  me  ruine  en  sotte  paperasse ; 
Et  sans  le  tems,  les  pas,  &:  les  soins  qn'il  y  faut, 
J'aurois  ere  Poeie  onze  on  douze  ans  plutot. 
Sont-ce  la,  dites-moi ,  des  pertes  reparables  ? 

D  A  MI  S. 

Le  dommage  est  vraiment  des  plus  considerables. 
U  faut  que  le  Public  intervienne  au  proces , 
Et  conclue,  avcc  vous,  a  de  gros  intcrets. 
Et  Dorante  a'a^t-il  contrc  lui  que  son  Pere  ? 


j<?^        LA  METRO  MAntE^ 

Francaleu. 

Pardonrjcz-moi ,  Monsieur  5  il  a  son  carader e.     ;. 
Je  lui  croyois  du  gout ,  de  I'esprit,  du  bon  sens  % 
Ce  n'est  qu'un  etourdi.  Cela  tourne  a  tous  vents. 
Cervelle  evaporee,  esprit  jeune  &■  frivole 
Que  vous  croycz  tenir  au  moment  qu'il  s'envole  j 
Qui  me  choque ,  en  un  mot ,  &:  qui  me  choque  au  point. 
Que  chez  moi ,  sans  ma  Piece ,  il  ne  resteroit  point. 
Mais  il  le  faut  avoir ,  si  je  veux  qu'on  la  joue ; 
Et  voila  trop  de  fois  que  mon  Spedacle  echoue. 
A  propos ,  ce  Bonhomme  avec  qui  vous  jouez, 
Plait-il>  Que  vous  ensemble?  Excellent!  Avouei 

D  A  M  I  S. 

Admirable ! 

Francaleu. 

A-t-il  Tair  d'un  Pere  qui  querelle! 
Heim !  Comme  sa  surprise  a  paru  naturelle ! 

.-) .  D  A  M  I  S. 

Attendcz  a  juger  de  ce  qu'il  pent  valoir , 
Que  vous  en  ayez  vu  ce  que  je  viens  d'en  voir. 


II  est  original  en  ces  sortes  de  role. 


Francaleu. 

pour  un  mois,  avec  nous ,  il  faut  qwp  je  reprolc. 

D  A  M  I  s. 
DeThumeur  dont  il  est,  j'admire  seulement 
Qu'il  daigne  se  pretpr  a  iious  pour  un  momenta 


C  O  M  E  D  t  E.  5^7 

Francaleu. 

C*est  que  je  I'ai  flatte  dii  succes  d'une  affaire. 
Tirons-en  done  parri ,  tandis  qu'a  nous  complairc, 
Et  qua  nous  menager  il  a quelque  interet. 

D  A  M  I  S. 

La  Troupe  ne  sauroit  faire  un  meillcur  acquet. 

Francaleu. 
Si  vous  Ic  souhaitez ,  c'est  une  affaire  faitc. 

.    (it        . 

D  a  M  I  s. 
Persoonc  plus  que  moi ,  Monsieur ,  nc  le  souhaitcf. 

'  '  '        Francaleu. 
Et  pcrsonne ,  Monsieur ,  n'y  peut  nyeux  reiissir., 

D  a  M  I  s. 
Que  moi  ? 

Francaleu. 

Que  vous. 

D  A  M  I  S. 

Par  ou?  Daigncz  m'en  eclaircir, 

Francaleu. 
Vous  pouvez,  a  la  Cour,  lui  rendre  un  bon  office. 

D  A  M  I  S. 

Plut  au  Cicl !  II  n'est  riea  que  pxiur  lui  je  nc  fissc. 

Francaleu. 
Vous  etes  bien  venu  des  Ministrcs  J 


}6S        LA    METROMANIEj 

D  A  M  I  S. 

Un  Fac 
Avoueroit  que  la  Cour  fait  de  lui  quelque  etatj 
Et,  passant  du  mensonge  a  la  sottise  extreme. 
En  le  faisant  accroire ,  il  le  croiroit  lui-meme. 
Mais  je  n'aime  a  tron^iper  ni  les  autres  ni  moi. 
Un  Poete ,  a  la  Cour  est  de  bien  mince  aloi. 
Des  superfluites  il  est  la  plus  futile. 
On  court  au  necessaire  •■,  on  y  songe  a  I'utile : 
Ou  si,  vers  I'agreable ,  on  pcnche  quelquefois. 
Nous  sommes  eclipses  par  le  moindre  minois ; 
Et  la ,  comme  autre  part ,  les  sens  entrainant  Thomme 
Minerve  est  cconduite ,  &  Venus  a  la  pomme. 
Ainsi ,  je  n'oserois  vous  promettre  pour  lui , 
Sur  un  credit  si  frele  ,  un  bicn  solide  appui. 

Francaleu. 
Ma  parole,  en  ce  cas,  sera  done  mal  gardee; 
Car  je  comptois  sur  vous  quand  je  i'ai  hasardee. 

D  A  M  I  S. 

Et  de  quoi  s'agit-il  encor  ?  Voyons  un  peu. 

Francaleu. 
11  veut  faire  enfermer  un  fripon  de  Neveu , 
Un  libertin  qui  s'est  attire  sa  disgrace , 
En  ne  faisant  rien  moins  que  ce  qu'on  veut  qu'il  fassc. 

D  A  M  I  S  vivement. 
Oh ,  je  le  servirai ,  si  ce  n*est  que  cela; 
Et  mon  peu  de  credit  ira  bien  jusques-la. 

Francaleu. 


C  O  M  ]k  D  I  E.  ^i^ 

pRANCALEU  voidant  rentrer. 

Uon ,  non ,  laissez !  Parbleu ,  j'admire  ma  sottisc  1 

D  A  M  I  S  l*arretant, 
Quoi  done  ? 

Francalexj- 

J'en  vais  charger  quelqu'un  dont  je  m*avi$c# 
D  A  M  I  S. 
^\  gardez-vous-cn bien,  s*il  vous plait ! 
Francaleu. 

Et  pourquoi  i 

D  A  M  I  S. 

Quand  jc  vous  dis  qu'on  peut  s'en  reposer  sur  moi  J 

Francaleu. 

C'est  qu'avec  celui-ci  Tafltaire  ira  plus  vitc  / 

D  A  M  I  S. 

Je  serois  tres-fache  qu'il  en  eut  ie  meritc. 

Francaleu. 

Songez  done  que  ee  soir  il  aura  mon  billet ; 
Et  que  j'aurai  demain  la  Lettre  de  cachet. 

D  A  M  I  S. 

Mon  Dieu!  laissez- moi  faire !  Aycz  cette  indulgence* 

Francaleu. 

Mais  vous  ne  ferez  pas  la  meme  diligence  ? 

Tome  IL     A  4 


^570        I-^  METROMANIE  ^ 

D  A  M  I  S. 

Plus  grande  encor. 

JFrancaleu. 
Oh  non  1 

D  A  M  I  S. 

.-.I;  Que  direz-vouspourtant. 

Si  votre  hommc  ce  soir ,  ce  soir  meme  est  content ! 

Francaleu. 

Ce  soir !  Ah ,  sur  ce  pied ,  je  n'ai  plus  rien  a  dire. 
Mais  comment  ce  temps-la  pourra-t-il  vous  suffire  ? 

D  A  M  I  S. 

Je.ne  yous  promets  rien  par-dela  mon  pouvoir.  n 

Francaleu. 
Vous  promettez  pourtant  beaucoup.  ) 

D  A  M  I  S. 

Vous  allez  voir^ 
Mais ,  Monsieur  -,  on  diroit  a  cette  ardeur  extreme , 
Qu'a  ce  pauvre  Neveu  vous  en  voulez  vous-meme. 

Francaleu.  '?' 

Sans  doute :  &:  j'ai  raison.  L'OncIe  me  fait  pitic. 

Et  tout  mauvais  sujet  merite  inimitic. 

Tenez ,  j'ai  roujours  eu  Pamour  de  I'ordre  en  tcte. 

Vous  menez ,  par  exemple ,  un  train  de  vie  honnete , 

Vous  j  cela  fait  plaisir,  mais  n  etonnera  pas  : 

Car  vous  me  frequentez ,  &  vous  suivez  mes  pas.  -'"- 


C  O  M  E  D  I  E,  371] 

t)es  travers  dii  Jeune  homme  un  Fou  sera  la  cause. 
Aiissi  I'ordre  du  Roi,  pour  le  bieii  de  la  chose , 
Devroit  faire  enfermer  j  avcc  le  Libertin , 
Tel  chez  qui  Ton  saura  qu'il  est  soir  &  matin. 
Vous  riezi  mais  je  parle  en  Pere  de  famille. 


SCENE     V. 

FRANCALEU,  DAMIS,  LISETTE. 

Francaleu. 


UE  viens-tu  m'annoncer  ? 

L  I  s  E  T  T  E. 

Que  je  me  deshabille. 
Francaleu. 
Quoi !  la  Piece . . . 

L  I  s  E  T  T  E. 
Est  au  cf  oc  urie  seconde  fois. 

Francaleu. 
Faute  d'Adleurs  ? 

L  I  S  E  T  t  E. 

Tantot,  il  n'en  manquoit  que  trois ; 
Mais ,  ma  foi ,  maintenant  c'est  bien  une  autre  histoire. 

Francaleu. 
Quoi  done  ? 

Aa  ij 


371         LA   METROMANIE:, 

L  I  S  E  T  T  E. 

Vous  n'avcz  plus  d'Adcurs ,  ni  d'Auditoirc. 

Francaleu. 
Que  dis-tu 

L I  s  E  T  T  E. 

Tout  defile,  &  vole  vers  Paris, 
Francaleu. 
Desertion  totale ! 

L  I  s  e  T  T  e. 
Oui,  pour  avoir  appris 
Que  ce  soir  on  y  joue  une  Piece  nouvelle 
Dont  le  titre  les  pique  &:  les  met  en  cervellc. 

FpvANCAleu. 
Ah !  j'en  suis  1 

L  I  s  e  T  T  e. 
L'heure  presse  5  &  tous  ont  decampe, 
Comptant  se  retrouver  ici  pour  le  soupe. 

D  A  M  I  S. 

Quelle  rage!  A  quoi  bon  cette  brusque  sortie  ? 
Comme  s'ils  n'eussent  pu  remettre  la  partie. 

Francaleu. 
Non.  Lc  sort  d'une  Piece  est-il  en  notre  main  ? 
Nous  en  voyons  mourir  du  soir  au  lendemain. 
Celle-ci  peut  n'avoir  qu'une  heure  ou  deux  a  vivre. 
Si  nous  la  voulons  voir, songeons done  alessuivre. 
Vcnez, 


C  O  M  t  D  I  E,  ,71 

D  A  M  I  S. 

J'augure  mieux  de  la  Piece  que  voas. 
D*aillenrs,  ce  qui  se  vientde  conclure  entre  nous, 
De  soins  tres-serieux  remplira  ma  soiree. 

Francaleu. 

Adieu  done.  Demeurez,  Monsieur  de  I'Empirec. 
Votre  reFus  fait  place  a  Monsieur  Baliveau, 
Qui ,  dans  Tart  du  Theatre  etant  encor  nouveau , 
Ne  sera  pas  fache  qu'on  le  mene  a  I'ecole. 
Qui  plus  est ,  son  Neveu  I'occupe  &:  le  desole : 
Et  la  Piece  nouvelle  est  un  amusement 
Qui  pourra  le  lui  faire  oublier  un  moment, 

D  A  M  I  S    a  pan. 

Oui-da,  c'est  bien  s'y  prendre. 


SCENE    VI. 

D  AMIS,  LISETTE. 

L  I  S  E  T  T  E  a  part. 

\j  N  peu  de  hardiesse ! 
Cct  homme-ci,  je  crois,  est  I'Auteur  de  la  Piece  l 
Faisons  qu'il  se  trahisse.  11  en  est  un  moyen. 

(  haut. ) 

Vous  risquez, en  tardant,  dc  ne  trouver  plus ricn. 

A  a  iij 


r^j4        LA    METROMANIEy 

Monsieur  raisonnoit  juste ;  &:  votre  attente  est  vaine  \ 
Car  la  Piece  est  mauvaise  ,  &  sa  chute  est  certaine. 

D  A  M  I  S, 

Certaine  \ 

L  I  s  E  T  T  E. 
Oui  i  cet  arret  dut-il  vous  chagriner, 
D  A  M  I  s.. 
Mademoiselle  a  done  le  don  de  deviner  \ 

:  L  I  S  E  T  T  E, 

Non;  mais  c'est  cc  que  mande  un  Connoisseur  en  titrc, 
Dont  Ic  gout  n'a  jamais  erre  sur  ce  chapitre. 

D  A  M  I  S. 

Et  ce  grand  Connoisseur  dont  le  gout  est  si  fin. ..  ♦ 

L  I  s  E  T  T  E. 
Nc  croit  pas  que  la  Piece  aille  jusqu'a  la  fin, 

D  A  M  I  S. 

Je  voudroij  bien  savoir ,  sur  quelle  conjedure? 

L  I  s  E  T  T  E. 
Sur  cc  qu'hier,  chez  lui  j  TAuteur  en  fit  le(^ure, 

D  A  M  I  S. 

Chez  lui !  L'Auteur  I  Hier ! 

L  I  s  E  T  T  E. 
Oui.  Qu'a  done  ce  discours  ?.,. 


C  O  M  E  D  I  -E.     I         375 
D  A  M  I  s. 

Jc  ne  suis  pas  sorti  d'ici  depuis  huit  jours  l 
LiSETTEa  part. 

Je  le  tiens. 

D  A  M  I  S. 

Cest  Alcippe !  Oh!  c'est  liii ,  je  le  gage. 
Nouvelliste  effionte ,  suffisant  Personnage , 
Qui  raisonne ,  au hasard ,  de  nous  &:  de  nos  vers,.-, 
Et  pour ,  ou  centre  nous,  prcvient  tout  Tunivers.^ 
Cela  salt  ses  Foyers,  sa  Ville,  ses  Provinces, 
Ses  intrigues  de  Cour,  son  Cabinet  des  Princes; 
Pese  ou  regie  a  son  gre  les  plus  grands  interets , 
Et  croit  ses  visions ,  d'immuables  arrets. 
Present ,  passe ,  futur ,  tout  est  de  sa  portee. 
Le  Livre  des  Destins  s'emplit  sous  sa  didee. 
Rien  ne  doit  arriver ,  que  ce  qu'il  a  predit :      '  -^  -*■ 
Et  1  evenement  seul  toujours  le  contredit. 
(  a  Lisette. ) 

Et  n'a-t-il  pas  pousse  Timpertinence  extreme 
Jusqu'a  nommer  I'Auteur? 

Lisette. 

Non ,  Monsieur  j  c'est  vous-meme 
Qui  venez  de  tout  dire  &  de  vous  dcceler. 
Alcippe,  en  tout  ceci  n'a  rien  a  demeler. 
Moi  seule  je  mentois ;  &  je  m'en  remercie, 
Vu  le  plaisir  que  j'ai  de  me  voir  eclair cie. 

( Elle  veut  sonir, ) 
Aa  iv 


|7<^        lA  MtTROMANlE, 

D  A  M  I  S  la  retenant* 
Lisettcl  r 

L  I  S  E  T  T  E. 

He  bicn? 

D  A  M  I  s. 
De  grace ! . . .  jfetourdi  que  je  sais  I 
L I  s  E  T  T  E, 
Que  voulcz-vous  de  moi  2 

D  A  M  I  S. 

Du  sec  ref* 
L I  s  E  T  T  E. 

Jc  nc  puk 
D  A  M  I  s. 
Quclqucs  jcjurs  seulcment ! 

L  I  s  E  T  t  E. 

Cela  n'est  pas  possible* 

D  A  M  I  S. 

H^l  ne  me  faites  pas  ce  deplaisir  sensible! 
Laissez-moi  recevoir  un  encens  qui  soit  pur^ 
En  cas  de  reussite,  ainsi  que  j'en  suis  sur. 

L I  s  E  T  T  E. 

J'imagine  un  marchc  dont  Tespece  est  plaisantA 
t)'un  secret  tout  entier  la  charge  est  trop  pesante* 
Partagcons  celui-ci  par  la  belie  moitie. 


C  O  M  E  D  I  E,  nf 

Tcnti,  si  vous  tombez,  je  parle  sans  pirie. 
Si  vous  reussissez ,  je  consens  de  me  taire. 
Voila,  pour  vous  servir ,  tout  ce  que  je  puis  fairc. 

D  A  M  I  s. 

Et  jc  n*en  veux  pas  plus  -y  car  je  reussiraL 

L  I  s  E  T  T  E. 

Oh  bien ,  en  ce  cas-la ,  Monsieur ,  jc  me  tairai 

( Doranu  ^  du  fond  du  Theatre  ^  les  voit  &  Us  ecoutc. ) . 

D  A  M I S  hcLisant  les  mains  de  Lisettc 

Avec  cette  promesse  ou  mon  espoir  sc  fonde, 

Je  vous  laisse ,  &:  m'en  vais  Ic  plus  content  tlu  monde. 

SCENE     VII. 
DORANTE,  LISETTE 

L I  S  E  T  T  E  has  ^  appercevant  Dorante,  &  lid 
tournant  brusquement  le  dos. 

jLmE  Jaloux  nous  surprend;  le  voila  furienx; 
Car  je  passe ,  a  coup  sur ,  pour  Lucile  a  ses  ycux. 

DoRANTE  se  tenant  a  trois  pas  derrlhe  elle, 

Avec  cette  promesse  oh.  mon  espoir  se  fonde  , 

Je  vous  laisse^  &  men  vais  Ic plus  content  du  mondc. 


^%       LA   ME  TRO  MAKIE, 

Madame ,  on  n'aura  pas  de  peine  a  concevoir 
Quelle  etoit  la  promesse  ^  &r  qnel  est  cet  espoir. 
Mais  ce  que  Ton  auroit  de  la  peine  a  comprendre , 
C'est  que  cette  promesse  6«:  si  douce  &  si  tendre, 
Recue  a  la  meme  heure ,  &  presque  au  meme  lieu , 
Mot-a-mot  dans  ma  bouche  ait  mis  le  meme  adieu. 
II  faut  vous  en  fairc  un  deplus  longue  duree, 
JEt  dont  vous  vous  teniez  un  peu  moins  honoree. 
Adieu,  Madame;  adieu !  Ne  vous  flattez  jamais. 
Que  je  vous  aye  aimee  autant  que  je  vous  hais ! 

II  fait  quelques  pas  pour  s'en  allcr^ 
L  I  S  E  T  T  E  has. 

Donnons-nous  a  notre  aise  ici  la  comedie , 

Car  il  va  revenir.  s 

Elle  s'assied  a  run  des  coins  du  Theatre  j  en 
face  du  Parterre  j  &  leve  VeventaXl  du  cote,  par  oh 
Dorante  peut  I'aborder. 

Dor  ANTE  croy  ant  voir  dans  cette  attitude  Vemharras 
"  <t une  personne  confondue  ^  &  sans  avancer. 

Monstre  de  perfidie ! 
Pouvoir  ainsi  passer ,  d'abord  &:  sans  egard ,      ": 
Des  mains  de  la  Nature  a  ce  comble  de  I'art! 
M'avoir  peint  ce  Rival  comme  le  moins  a  craindre ! 
M'avoir  persuade,  presqu'au  point  de  le  plaindrel 
Qu  avez-vous  pretendu  par  cette  trahison  ? 
Pourquoi,  d'un  vain  espoir  y  mclant  le  poison,,   . 


C  O  M  i  D  I  E,  579 

Me  vcnir  etaler  d'obligeantes  alarmes  ? 

Me  dire ,  en  paroissant  prete  a  verser  des  larmcs : 

Dor  ante  !  oujeflechis  mon  Percj  ou  de  mes  jours  ^ 

A  Vasylc  oufetois ,  je  cons  acre  le  cours  ! 

Quels  etoient  vos  desseins  ?  Repondez-moi,  cruelle! 

Ne  les  dois-je  imputer  qu'a  rorgneil  d'une  Belle,'. 

Qui ,  jalouse  des  droits  d'un  eclat  peu  commun ,  '^ 

Veut  gagner  tousles  coeurs,  &:  nepasenperdreun? 

Ce  reproche  fut-il  le  seul  que  j'eusse  a  fairc !        ^ 

Mais  ,heias!  malgre  moi,  la  vcritc  m'eclaire.'^'' 

Ce  Rival ,  des  long  temps  ^  est  le  Rival  aime. 

C'est  pour  lui  que  j'ai  vu  votre  front  alarm^; 

Et  quand  vous  me  disicz  que  J'en  etois  la  cause , 

Quand  vous  me  prom.ettiez  bien  plus  que  I'amour  n'ose, 

C'est  que  de  votre  Amant  vous  protegiez  les  jours  j 

Et  vouliez  ralentir  la  vengeance  ou  je  cours. 

Oui,  i'j  vole;  on  ne  Ta  tantot  que  difFeree,  ,;^  hj 

Et  ma  rage,  a  vos  yeux,  Tauroit  deja  tiree ; 

J'attaquois  devant  vous  le  Traitre  en  arrivant , 

Si  je  n'eusse  voulu  jouir  auparavant 

De  la  confusion  qui  vous  ferme  la  bouche  1 

Que  ma  plainte  a  preseiK  vous  revoke  ou  vous  touche ; 

Repentez-vouSjOu  non,  d<?  m'avoir  outrage; 

Vous  ne  mc  verrez  plus  que  mort ,  ou  que  venge? 

L  I  S  E  T  T  E  effrayee, 
Dorante  ! 

D  o  R  A  N  T  E. 

Je  nVarrcte  ai]  cri  de  rinfidellef^-' ''^-^ 


|S<s         LA   MiTROMANIEy 

Ellc  tremble ,  il  est  vrai :  mais  pour  qui  tremble-t-ellc? 

N'importe  :  je  I'adore  j  ecoutons-la.  Parlez. 

( S&  rapprochant. ) 

Je  veux  encor ,  je  veux  tout  ce  que  vous  voulez. 

Rcjetons  le  passe  sur  rinexperience : 

Et  rcdemandez-moi  toute  ma  ccnfiance. 

Un  regard  ,  un  seul  mot  n a  qua  vous  echappcr. 

Mon  coeur  vous  aidcra  lui-meme  a  me  tromper. 

Ah !  Lucile!  Ai-je  pu  si-tot  pcrdre  le  votre  J 

Vous  me  haissez  1 

L  I  S  E  T  T  E    tendrement. 

''  '  Non. 

D  O  R  A  N  T  E. 

,  c  i;  Vous  en  aimez  un  autrel 

L  I  S  E  T  T  E. 

Eh  non!  aJosTf; 

Do  RANT  E.*^^^  t^S^''- 

..  .-„i    ,: ^. 

Vous  m'aimez  done  ? 

L  I  S  E  T  T  E.  •dB^nd'J" 

Oui. 

D  O  R  A  N  T  E. 

M'y  fierai-je2 

L  1  S  E  T  T  E. 

Helas! 

D  O  R  A  N  T  E. 

Eh  bien ,  je  n'cn  veux  plus  douter !  Ne  sais-jc  pas 


C  O  M  i  D  I  E.  381 

Que  rinfidelite ,  sur-tqut  dans  la  jeunessc , 
Souventest  moins  un  crime  au  fond,  qu'nne  foiblesse. 
Qui  peut  servir  ensuite  a  vous  en  detourner, 
Lorsque  la  notre  va  jusqu'a  vous  pardonner. 
( //  s'approche  enfin  d'elle  tout  transporte. ) 
Je  vous  pardonne  doncj  &  mcme  vous  excuse. 
Lisette  est  contre  moi  j  Lisette  vous  abuse ; 
Ce  sont  ici  des  coups  qu'elle  seule  a  conduits  j 
C'est  elle  qui  me  met  dans  I'etat  ou  je  suis. 

Lisette  sans  mettrc  has  encore  I'eventaiL 
ii  est  vrai. 

D  o  R  A  N  T  E. 

( Sejetant  a  ses  genoux  ^  &  lid  prenant  la  main. ) 

C'est  assezl  Mon  ame  sarisfaite.... 

,<wnwcv-mt.!UA«.;  11  imiiinw  iutwu  trui  11.1.H  unwiiffmcsag— niiii  iiiiiiil 

SCENE    VIII. 
LUCILE,  DOR^NTE,  LISETTE. 

L  U  C  I  L  E  hautj  dufond  du  Theatre. 

¥  EiLLE-iE  OU  non?  Dorantc  aux  genoux  de  Lisette ! 

Lisette  baissant  enfin  Vcvcntail  &  se  levant, 
Lui-mcme !  &:  qui  me  fait  fort  joliment  sa  cour. 
(  a  Dorante. ) 

On  vous  prend  sur  le  fait ,  Monsieur ,  a  votre  tour; 
Songez  a  bicn  jouer  le  role  que  je  quitte ;    i ""     • 


3 Si         LA    METROMJNl£j 

Car  vous  nous  voyez  deux  c[ue  votre  faute  irrite. 
Enfin  concevcz-vous  combien  vous  vous  trompiez  ? 

D  O  R  A  N  T  E. 

Je  croyois  en  eflfet ,  Madame  ,  etre  a  vos  picds. 
Son  habit  m'a  fait  faire  une  lourde  bevue. 

L  I  s  E  T  T  E. 
Madame,  vous  ptait-il  que  je  vous  restitue 
Les  fleurcttes  qu'avant  d'embrasser  mes  genoux , 
Monsieur  me  debitoit ,  croyant  parler  a  vous  ? 
N'en  deplaise  a  I'amour  si  doux  dans  ses  peintures, 
Je  vous  restituerois  un  beau  torrent  dlnjures. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Eh !  quel  autre ,  a  ma  place ,  eut  pu  se  contenir  J 

LiSETTE. 

Je  vous  devois  cela ,  Monsieur ,  pour  vous  punir. 

L  u  c  I  L  E. 
Eh  quoi !  Dorante ,  apres  mille  &  mille  assurances. 
Qui,  tout-a-l'heure  cncor,passoient  vos  esperances, 
Le  rcproche  &  Tinjure  aigrissoient  vos  discours  j 
Et  sur  le  ton  plaintif,  on  vous  trouve  toujours> 

Dorante. 
Avant  que ,  sur  ce  ton ,  vous  le  preniei^  vous-meme, 
Vous  qui  savez,  Madame,  a  quel  point  je  vous  aime, 
Soufirezqu'onvous  instruisc  j  apres  quoi  decidez 
Si  mes  soupcons  jaloux  n'etoient  pas  bien  fondes. 
Je  surprens  mon  Rival..« 


C  O  M  t  B  I  E.  38J 

L  U  C  I  L  E. 

Oui ,  j'ai  tort  de  me  plaindrc ! 
En  cflFet ,  ma  foiblesse  autorise  a  tout  craindre ; 
Et  ravcLi  que  j'ai  fait ,  trop  naif  &  trop  prompt , 
De  vorre  defiance  a  merite  I'affront. 
Mais  vous  trouverez  bon  qu'en  me  faisant  justice , 
Cette  justice  mcme  aussi  nous  dcsunisse  5 
Et  rompe,  entrc  nous  deux ,  un  nceud  mal  assorti, 
Dont  jamais  on  ne  s'est  assez  tot  repenti. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Entendons-nousjde  grace !  encor  un  coup,Madame, 
Bien  loin ,  qu'en  tout  ceci ,  je merite  aucun  blame  \ 
Croyez,  si  j'eusse  pu  neme  pas  alarmer , 
Que  je  ne  serois  pas  digne  de  vous  aimer. 
Devois-je  voir  en  paix.... 

L  u  c  I  L  E. 

Depuis  quand,  je  vous  pric , 
N'est-on  digne  d'aimer ,  qu'autant  qu'on  se  defie  \ 
Ainsi  I'amour  jamais  doit  n'ctre  satisfait  ? 
Etle  plus  soupconneux  est  done  le  plus  parfait  ? 
Vos  vers  m'en  avoient  faittoute  une  autre  peinture. 
Juste  sujet  pour  moi ,  de  crainte  &■  de  rupture ! 
J'aime  trop  mon  repos ,  pour  le  perdre  a  ce  prix  j 
Et  ne  jugerai  plus  dcs  gens  par  leurs  ecrits. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Mais  ayez  la  bonte.... 


j84         LA   METROMANIE^ 

L  U  C  I  L  E. 

Ma  bonte  m'a  trahie ! 
Vous  fcriez ,  je  le  vois ,  le  malheur  de  ma  vie. 
Jc  ne  recueillerois  de  mes  soins  les  plus  doux , 
Qac  ledat  scandaleux  des  furcurs  d'un  jaloux. 
Que  n*ai-ic  conserve ,  prevoyante  &  soumisc  , 
L'inscQ&ibiHte  que  je  m'etois  promise  ! 
liscite,  jc  t'ai  cme  j  &:  toi  seule ,  tu  m'as.... 

LiSETTE  a  Dor  ante  voyant  pleurcr  Luc'de, 

N'avez-voas  point  de  Iionte  > 

D  O  R  A  N  T  E. 

Eh  !  ne  m'accable  pas.! 
To  sais  mon  innocence.  Appaisez  vos  alarmes , 
Lucile !  retenez  ces  precieuses  larmes  1 
C'est  mon  injuste  amour  qui  les  a  fair  couler  ; 
Ccst  loi  qui  toutefois ,  pour  moi  doit  vous  parler. 
UAmour  est  defiant ,  quand  TAmour  est  extreme. 

Lucile. 

S'il  se  faut  quelquefois  defier  quand  on  aime , 
C'estde  tout  ce  qui  peut ,  dans  le  coeur  alarme , 
Soulever  dcs  soupcons  contre  I'objet  aime. 
Je  tiens ,  vous  le  savez ,  cette  sage  maxime , 
De  ces  vers  qui  vous  ont  merite  mon  estime  j 
De  votre  propre  Idylle ,  ouvrage  sedudeur , 
Ou  votre  esprit  semontrci  &  non  pas  votre  coeur. 

DORANTE. 


t  O  M  £  D  I  E,  385 

Do  R  A  N  T  E. 

Ni  run  ni  I'antre.  11  faut  qu'enfin  je  le  conFesse, 
Madame ,  &  que  je  cede  au  remords  qui  me  pressc. 
Dumoins,  vous  concevrez ,  apres  un  tel avcu , 
Pourquoi  tout  mon  bonheur  me  rassuroit  si  peu. 
C'est  que  je  n'en  jouis  qu'a  titre  illegitime  ; 
C'est  que  tousces  Ecrits ,  source  de  votre  estime, 
Vous  venoient  par  mes  soins ,  mais  ne  sont  pas  de  moi. 

L  u  c  I  L  E. 

Hs  ne  sont  pas  de  vous  1  * 

D  O  R  A  N  T  E. 

Non. 

L  I  S  E  T  T  E. 

Le  sot  homme  1 

L  u  c  I  L  E. 

Quoi  ? ..» 

D  O  R  A  N  T  E. 

Laissantlire,  il  est  vrai ,  dansle  fond  demon  ame , 
J'inspirois lePoetc,  en  lui  peignant  ma  flamme. 
Que  son  Art ,  a  mon  gre ,  s*y  prenoit  foiblement ! 
Et  que  Ic  bel  esprit  est  loin  du  sentiment ! 
Mais  cet  Art  vous  amuse  j  il  a  fallu  vous  plaire , 
Laisser  dire  des  riens,  sentir  mieux,  &  se  taire. 
N'est-ce  done  qu  a  I'esprit  que  votre  coeur  est  dAi 
Et  ma  sincerite  m'auroit-elle  perdu  ? 

Tom&    IL     Bb 


5S^       LA    ME  TROMJNIEj 

L  U  C  I  L  E. 

Votre  sincerite  merite  qu'on  vous  aime , 
Dorante ;  aiissi  pour  vous  suis-je  toujours  la  memc. 
Tel  est  enfin  Toffct  de  ccs  vers  que  j'ai  lus : 
J'ecois  indifferente,  &z  jc  ne  le  suis  plus ; 
Et  je  sens  que ,  sans  vous,  je  le  serois  encore. 

Dorante. 
Vous  ne  vous  plaindrcz  plus  d'un  coeur  qui  vous  adorC  j 
Ou  vousetablissez  la  paix  &  le  bonheur , 
Ec  qui  commence  enfin  d'en  gouccr  la  douceur. 

L I  S  E  T  T  E  a  Doranie, 

Tre  vc  de  beaux  discours !  il  est  temps  que  j'y  pensc, 
De  par  Monsieur ,  expresse  &■  nouveile  defense 
De  soufirir  que  jamais  vous  osicz  nous  parler. 

Dorante. 
II  aura  su  mon  nomt 

L  u  c  I  L  E. 

Ah !  tu  me  fais  trembler ! 
L  I  s  E  T  T  E. 

Et  meme  ici  quelqu'un  peut-ctre  nous  (Jpie. 
Scparez-vous :  rentrez ,  Madanie ,  je  vous  prie. 
Nousallons  concerter  un  projet  important. 

Dorante. 
Ra&surcz-moi  d'un  mot  encore,  en  mc  quittant ; 
Ou  dcja  mon  cspoir  est  rout  prct  a  i'cteindrc. 


L  U  G  I  L  E. 

I3e  vos  Rivaux  du  moins  vous  n'avcz  rich  a  craindre. 
Mon  Pere  pourra  bicn ,  en  ce  commun  danger  , 
DcsapproLiver  mon  choix ,  mais  jamais  le  changer* 


IkG^JiBSASUUMh*^ 


S  C  £  N  E     IX. 
DORANTE,  LISETTE. 

D  O  R  A  N  T  E. 

\f UELQU'UN  ma  desservi prcs  de lui,  jc pari^'/, 

L  I  s  E  T  t  E. 

Eh !  ne  vous  en  preiiez  qu'a  votrc  ctonrderie , 
Et  qu'au  brusque  mepris  dent  vous  avez  heurt^ 
La  rage  qu'il  avoic ,  tantot ,  d'etre  ecoutc. 

D  o  R  A  N  T  E.  :- 

Oui ,  j'ai  tort ,  je  Tavoue,  a  present  il  petit  lire  t 
Je  I'ccoute :  ou  plutot ,  sans  ccla ,  jc  I'admire ;    '  - 
£c  m  offre ,  en  trouvant  beau  toutce  qui  lui  plaira  > 
De  me  couper  la  gorge  avec  qui  le  niera. 

L  I  S  E  T  T  £. 

Ce  n'est  pas  maintcnant  votre  plus  grandc  aS^iirc. 
Songez  a  profirer  d'un  avis  salutairc. 
Pourriez-vous  nous  trouvcr  de  ces  Perturbateufs 
Du  repos  du  Parterre  *v  dcs  pauvres  Auteurs ,  - 

Bb  i; 


jSS         LA   METRO  MANI E  , 

Centre  Ics  nonveautes  signalant  Icurs  proiiesses, 
Et  se  faisant  un  jeu  de  la  chute  des  Pieces  ? 

D  O  R  A  N  T  E. 

Que  diable  en  veux-tu  faire?  Ouij  poor  un,  j'en  saistrois. 

L  I  s  E  T  T  E. 
Courez  les  ameuter ,  pour  aller  aux  Francois , 
Sur  ce  qui  se  jouera  ,  faire  eclater  Torage. 
La  Piece  est  de  1' Auteur  qui  vous  fait  tant  d'ombrage. 
Le  Pere  de  Lucilc  y  vient  d  allcr.... 

D  o  R  A  N  T  E. 

Tu  veux.... 

L  I  S  E  T  T  E. 

Ah!  j'cnscrois  d'avis:  faitesle  scrupuleux. 
Damis  ne  I'est  pas  tant ,  lui  j  car ,  a  votre  Perc , 
11  a  de  votre  amour  ecrit  tout  le  mystere.  j 

Ce  n'aura  pas  etc  pour  vous  servir,  je  croi. 
Et  vous  le  Toudriez  menager  ?  Et  sur  quoi  > 
Les  plaisans  intercts  pour  balancer  les  votres 
Une  Piece  tombee  ,  il  en  renait  miilc  aucres. 
Mais  Lucile  perdue ,  ou  sera  votre  espoir  ? 
Monsieur  de  Francaleu ,  vous  dis-je,  va  la  voir. 
II  n'a  deja  que  trop  ce  bel  Auteur  en  tetc.  > 

S'il  le  voit  triompher  5  c'est  fait;  rien  ne  rarrete:'.! 
11  lui  donnc  sa  fille,  &:  croiroit  auiourd'hui 
S'allier  a  la  gloire ,  en  s'alliant  a  lui. 

O  R  A  N  T  M.      .^ 

Ah !  tu  me  fais  fremir ,  &■  des  transcs  pareilles 
Me  livrent  en  aveugle ,  a  ce  que  tu  conseilles  ! 


> 

r 


C  O  M  i  D  I  E, 


389 


S  C  E  N  E     X. 

L  I  S  E  T  T  5  se^le,        _    ,^    _ 

x\H !  ah !  Monsieur  rAutelit,  ivtfc  votreair  humain , 
Vous  endormez  les  gensj  vous  ecrivez  sous  maiiij 
Vous  avez  du  manege  i  &:  votre  esprit  superbe  '  ' 
Croit,  deja  sous  le  pied ,  nous  avoir  coupe  I'herbe  I 
Un  bon  coup  de  sifflet  va  vous  etre  lache } 
Ec  vous  savez  alors  quel  est  notre  mardhe. 


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Bb  iij 


J9Q 

LA    mATROMANJE  ^ 

mams/MB 

A  C  T  E    V. 

SCENE    PREMIERE. 

D  A  M  I  S  seuL 

J  E  nerneconnoisplus ,  aiix  transports  qui  m  agitent. 
En  touslicnx,  sans  dcssein,  mcs  pas  sc  prccipitent. 
Le  noir  presscntiment,  le  repentir,  rcflrroi , 
Lcs  prdsacjes  facheux  volent  autour  de  moi\ 
Je  ne  snis  plus  Ic  mcmc  cnfin ,  depuis  deux  heures. 
Ma  Piece,  anparavant,mcsembIoicdesmeilleiires.": 
Maintenant  jc  n  y  vois  que  d'horriblesdcfauts , 
Du  foible ,  dn  clinquant ,  de  Tobscur  &;  dn  faux. 
De-la ,  plus  d'uri  image  annoncant  Tinfamie : 
La  Critique  eveillce ,  unc  Logc  endormic  > 
Le  rcste  ,  de  fattguc  ik  d'cnnui  harassc, 
Le  Souffleur  ct6urdi,  TAdcur  embarrasse  , 
Le  Theatre  distrait  ;>  Ic  Parterre  en  balance , 
Tantot  bruyant,  tant^t  dansuaprofond  silence; 
Mille  autres  visions,  qui  toutcs,  dans  mon  coeur> 
Font  naitre  cgalement  le  trouble  tk  la  tcrreur, 

(  Regardant  a  sa  montre.  ) 
Voici  I'heure  farale ,  ou  I'arrct  se  prononcc ! 
Je  scche.  Je  me  meurs.  Quel  metier  !  J'y  renoncc. 
Qnclque  f^atteurqucsoitrhonneur  que  je  poursuis, 
Lst-cc  un  equivalent  d  Tangoisse  ou  je  suis  ? 


^  '  COME  D  IE,  5^1 

n  n'cst  force ,  courage ,  ardetrr  qui  n'y  succombe. 
Car  enfin ,  e'en  est  fait ;  je  peris,  si  je  tombe. 
Ou  me  cacher  ?  Ou  fuir?  Et  par  ou  dcsarmer 
L'honncte  Oncle  qui  vient  pour  me  faire  enfermer> 
Quelle  ]&gide  opposer  aux  traits  de  la  Satire  ? 
Comment  paroitreauxyeux  de  celle  a  qui  J'aspiret 
De  quel  front,  a  quel  titre ,  oserois-je  m'offrir , 
Moi ,  miserable  Auteur  qu  on  vieridroit  de  fletrir  ? 

(  Apres  qmlques  momens  de  silence  &  d' agitation.) 

Mais  mon  incertitude  est  mon  plus  grand  supplicc* 
Je  supporterai  tout, pourvu  qu'elle  finissc. 
Chaque  instant  qui  s'ecoule,  empoisonnantson  cours, 
Abrege ,  au  moins  d'un  an ,  le  nombre  de  mes  jours.  - 

S  C  E  N  E    II. 
FRANCALEU ,  BALlVEAtf ,  DAMIS.      ., 

JQH  bien !  une  aiitre  fois,  malgrt:  mes  conjedurcs,, 
Vous  fierez-vOus  encore  a  vos  heureux  augures. 
Monsieur?  J'avois  done  tort  tantot  de  vous  prechec: 
Que ,  lorsqu'on  veut  tout  voir,  il  faut  se  dcpcche.r?^ 
Voila  pourtant  j  vbila  la  aouveautc....  flambcel 

s  no  am  .]&  A  M I  Stwo-JHi.- t.-:;irrisjnij  "iv 
(  a  part,  )  .•::::  -i-y^  rjv  r:-  '  (haut) 

Et  mon  sort  decide  r'Jc'respirbi  Tombec  ? 
Tome  II.  Bbiv. 


'0  2<I 


j^»        LA    M^TROMAlsriE ^ 

^^.'.„  Francaleu. 

Toutra-plat ! 

■::::■■•'   ':':■  ;-n-D  A  MIS. 
^r.  Too t-a- plat  I 

-B  A  Li  V  E  A  ir. 

" "  " ' Oh !  tout-a-plat. 

,  ^         D  A  M  I  S  froidement, 

Tant-pis. 

Cest  qti'ils  auront  jone,  cbmmcdes  etourdisi^Jf^^"^ 
BALiy  E  A  u.  .!j 

7  T      -Jt  le  meritoit-elle  ? 
^ .  ^     Bali  v E  A  u..        ,  .  ,  , 
II  ne  faiit  pasdonter  que  I'Auteur  n'en  appelle. 
Le  plus  impertiirent  n'a  jamais  dit :  j'ai  tort. 

F  R  A  N  C  A  L'  E  U'.  'jm/i^iTlsirl  H  vX 

Celui-ci  poiirroit  bien  n'en  pas  tomber  d'accordj;' 
Sans  etfe ,  pour  ccla',  faXe  de  suffisance:  -"--''- 
Car  jamais  le  Public  ii'eiit  moins  de  complaisariccP 
Comment  veut-il  jug^r  d'une  Piece  en  effet,  '  ^ 
Au  tintamare  aflfreux  qu'au  Parterre  on  a  fait  ? 
Ah,  nous  avons  bien  vu  des  fureurs  de  cabalcj 
Mais  jamais  il  n'en  fut,  ni  n'en  sera  d'egale.        »,d 


C  O  M  i  D  I  E.  395 

La  Piece  etoit  vendue  aux  sifflets  aguerris 
Dc  tons  les  ifetourneaux  des  Cafes  de  Paris. 
II  en  est  venu  fondre  un  essaim  des  nuees  \ 
Cependant  4  travers  les  brocards,  les  huecs , 
Le  carillon  des  toux,  des  nez ,  des  paix-la,  paix, 
J'ai  trguve.....  '       .  j  ^(  iuof\  ,  :*  - 

B  A  L  I  V  E  A  U. 

Ma  foi ,  moi,  j'ai  trouve  tout  mauvais. 

'  ■  F  R  A  N  C  A  L  E  U. 

On  en  peut  micux  juger,  puisque  Ton  s'en  escrime. 
MorbleUjjeie  maintienscj'aitrouve.,..  telle  rime.... 

(a  Dafnis  qui  I'icoutoit  avidement,  &  quine  I'ecouteplus.)^ 

Oui ;  telle  rime  digne  elle  seule,  a  mon  gre., 
De  relever  I'Auteur  que  Ton  a  deni^re.  .      .^  , 

Baliveau. 
Tout  ce  que  pent  de  mieux  TAuteur ,  avec  sa  rime, 
Ge  sera,  s'il  m'en  croit,  de  garder  ranonymej     i 
Et  de  n'exercer  plus  un  talent  suborneur , 
Dont  les  produdions  lui  font  si  peu  d'honneur, 

D  A  M  I  S. 

C'est,  s'il  eut  reussi,  qu  il  pourroit  vous  en  croirc, 
Et  demeurer  oisif ,  au  sein  de  la  vidoire , 
De  peur  qu'une  demarche  a  de  nouveaux  lauriers 
Ne  portat  quelque  atteinte  a  I'eclat  des  premiers; 
Mais  contre  ^t^  rivaux ,  &:  leur  noire  malice , 
Le  parti  qui  lui  reste ,  est  dc  rentrer  en  lice, 


^^4        '^^    MJETROMAKIE^ 
Sans  que  jamais  il  songe  a  la  descmparcr, 
Qu'il  ne  les  force  meme  a  venir  I'admirer. 
Le  Nocher ,  dans  son  art,  s'instruit  pendant  I'oragc; 
11  n'y  devient  expert ,  qu'apres  plus  d'un  naufrage. 
Notre  sort  est  pareil ,  dans  le  metier  des  vers: 
Et ,  pour  y  triompher ,  il  y  faut  des  revers* 

Francaleu. 

C'estparler  en  Heros;, en  grand  Homme, en  Poetel 

[  k  Baliveau.  J 

Vdus  etes  stupefait  ?  Moi  non.  Je  le  repete. 

Vivent  les  grands  csprits,  pour  former  les  grands  coeurs ! 

Mais  cela  n'appanient  qu  k  nous  autres  Auteurs. 

[  k  Damis.'^ 

N'est-ce  pas  mon  Confrere? 


BALIVEAU,  FR  ANCALEU,  DAMIS,  MONDOR. 

^       D  A  M  t  S  <i  Mondor  qui  k  veut  titer  d  pdrt, 

^.  -,^  o  "m  x>  o  K  has  &  sanglcttant. 

Je  vous  annonce,** 


^      C  O  M  E  D  J  E.  355 

D  A  M  L  S 

Jc  sai ,  jc  sal  Ma  lettrc  ? 

O  N  D  O  R. 

En  voila  la  rcnonse. 

J  A  H  V  I  vl  A  >..         •'• 
D  A  M  I  S. 

Laisse-nous ,  je  te  suis.  Messieurs ,  permcttcz-moi 
D'aller  dccachcter  a  I'ecart ;  aprcs  quoi  , 
Jc  compte  vpus  rejoindre :  &:,  laissant  vers  &  prose. 
Nous  nous  enrretiendrons, s'il  vous  plait,  d'autrc  chose. 

^^^    S  C  £  N  E    iY^^-i\^p^^^i 

':  r,;  ■,;...  .  ;  c   ■■■    •■'•  •-  --'^'^  -iliu'i 

BALIVEAU,  f  RANCALEU. 

BALft'lEAU. 

ui :  changcons  dc  propos,  &  laissons  toutccla. 
•'^-'■--F  R  A  i^  d  A  t  ^  tJ.-  -  " 
Si  vous  iaviez  combien  j'airtie  ce  garcon-l£.U^'^'""  ^ 

B  A  L  1  V  t  A  u. 
C'est  qu'a  cc  que  je  vois.,  Sa  hiarotc  est  k  v<itre. 

FraNcaleXj.  , 

C  est  que  ccia  jamais  n'a  ricn  dit  cotiinpeima^ltrci 

B  A  n  V£A  u.     :.   - 
Belle  prerogative  I        ';  j  :  "^  :,<'• ': :  c.:- 


59^       lA  ME  TR  OMANIEy 

Francaleu. 

Unt  Lice  !  Un  Nocher  ! 
Commenous  n'allons  droits  qua  force  de  broncher  ! 
Plait- il  ?  Vous  Tentendiez  ? 

Baliveau. 

'    '  Moi?  non;  j'avoisen  tete, 
Lalettre  de  cachet  qui ,  dites-vous ,  est  prete. 

F  R  A  N  C  A.L  EU. 

Ce  jeune-homme  n'est  pas  du  commun  des  humains. 
Peste!  les  Grands  Seigneurs  selarrachent  des  mains. 

Baliveau.        " — ~~'"     ' 
J'enrage!  revenons,  de  gr^ce,  a  la  promesse 
Dont  vous  m'avez,  tantot ,  flatte  pendant  la  Piece. 

Francaleu.'  ^-^^^'^ 
Vous  parlez  d'une  Piece  ?  kh\  s'il  en  fait  jamais , 
Ce  sera  de  I'exquis  \  c'est  moi  qui  le  promets  j 
Et  jedefierai  bien  la  Cabale  d'y  mordre. 
Baliveau  s'emponant. 
Parlez!  aurai-je  enfin  ,  naurai-je  pas monordrci  '2 

Francaleu. 
Eh ,  tranquillisez-vous  1  soyez  sur  de  Tavoicp  i^JZ} 
Oui ;  vous  serez  content ,  ce  soir  meme-,  ce  soir! 
C'est  le  tcrme  qu*il  prend.  Votre  affaire  est  certainc.^ 
Et ,  tenez ,  son  retour  va  vous  titer  de  peine V  " 
Car  je  gagerois  bien  que  ,  tout  en  badinant, 
L  ordre  est  dans  le  paquet  qu'il  ouvremaintenant. 


C  O  M  J^  D  I  E,  3  97 

Baliveau. 

Qu'il  ouvre  maintenant  I  qui?   • 

Fr  Ai?  C  AL  EU. 

Celui  qui  nous  quitte. 
Baliveau. 
Plait-il? 
/  Francaleu. 

fetes  vous  sourd  ?  Get  Homme  de  mcritc. 
Baliveau. 
Monsieur  De  TEmpiree  ? 

Francaleu. 

Et  qui  done  ? 
Baliveau. 

Quoi  ?  C'est  lui , 
Dont  Ic  zele ,  pour  moi ,  soUicite  aujourd'hui ! 

Francaleu. 
Lui-meme.  U  a  trouve  que  vous  jouiez  en  maitre  *, 
Ec  votre  admirateur ,  autant  que  Ton  doit  I  etre , 
11  veut  vous  enroler  pour  up  mois ,  parmi  nous. 
Moi ,  le  voyant  d'humeur  a  tout  faire  pour  vous, 
J'ai  du  le  mettre  au  fait  de  ce  qui  vous  intrigue , 
Et  des  egaremcns  de  votre  Enfant  prodigue. 
U  a,  sur  cette  affaire  ,  obligeamment  pris  feu  , 
Comme  si  c  eut  etc  la  sienne  propre. 
Baliveau. 

.   -,i ,,       Adieu. 


39$        IJ   MJ^TRQMJNl^^ 

FraNCALEU  rarrctanL 
Comment  done  J 

Baliveau. 

Vous  avez  opere  dcs  prodigcs  I 

Fr  A  N  C  A  L  E  U. 

Monsieur  le  Capitoul ,  vous  avez  des  vcrtiges. 

B  A  L  I  V  E  A  U. 

Eh !  c'est  vous  qui ,  plutot  que  mon  Neveu  cent  £ois^ 
Mcritenez...Je  suis  le  moins  sense  des  trois. 
Serviteur  1 

Francaleu. 
Mais  encore!  cntre  amis,  Ton  s'expliquc* 
Ne  pourroit-on  savoir  quelle  mouche  vous  pique  I 
Quoi  lorsque  nous  tenons.... 

B  A  L  I  V  E  A  u. 

Non  ,  nous  ne  tenons  rien  > 
Puisqu'il  fautvous  le  direj  &:  cet  hommedc  bkn, 
Au  nicritc  de  qui ,  vous  ctes  si  sensible , 
Est  le  Pcndard  a  qui  j'en  veux. 

Francaleu* 

Est-il  possible  ? 

B  A  L  I  V  E  A  U. 

Lc  voil^ !  maintcnant ,  soycz  emerveiHe 
Du  jcu  de  la  surprise  ovi  j'ai  tantot  brille. 
Si  j'cusse  vu  lc  Diable ,  elle  cut  cte  moins  grandc 


^      C  O  M  i  t>  I  E.  )^f 

]^R  A  N  C  A  L  E  U. 

Je  vous  en  offre  autant.  A  present ,  je  demande 
Oil  vous  prcnez  le  mal  que  vous  m'en  avez  dit. 
Uii  Garcon  studicux  ,  de  probite ,  d'esprit , 
Beau  feu ,  judiciairc  ,  en  qui  tout  se  rassemble  -, 
Un  PhcEiiix ,  mi  Tresor.... 

Baliveau. 

Un  Fou  qui  vous  ressemble ! 
Allcz ,  vous  mcritez  ccttc  apostrophe-Ik. 
De  bonne  foi ,  sied-t-il ,  a  I'age  oii  vous  voila,     . 
Fait  pour  morigcner  la  Jeunesse  ctourdie  , 
Que ,  par  vous-mcme ,  au  mal  elle  soit  enhardic  , 
Et  que  I'Ecervelc  qui  me  brave  aujourd'hui , 
Au  lieu  d'un  Advcrsaire,  en  vous  trouve  un  appui?, 
II  vcrsifiera  done !  le  beau  genre  de  vie ! 
Ne  se  rendre  fameux ,  qu'a  force  de  folic ! 
litre ,  pour  ainsi  dire ,  un  hommc  hors  des  rangs , 
Et  le  jouet  titre  dcs  Petics  &z  des  Grands ! 
Examinez  les  gens  du  metier  qu'il  embrasse. 
La  paresse  ou  Torgueil  en  ont  produit  la  Race. 
Devant  quelques  Oisifs ,  elle  peut  triompher  j 
Mais ,  en  bonne  police ,  on  devroit  letouffer. 
Oui !  comment  sou  {fre-t- on  leurs  licences  extreme?? 
Que  font-ils  pour  I'Etat,  pour  les  leurs,  pourcux-^mcmes? 
De  la  Socicte  veritables  Frelons , 
Cliacunles  y  meprise ,  ou  craint  leurs  aiguillanSk.?, 
Damis  eut  figure  dans  un  poste  honorable ;         ' . 
Mais  cenc  sera  plusqu'unGucux,qu'un  Miserable, 


400        LA   METROMANIE^ 

A  la  pcrtc  duquel ,  en  homme  if^atue, 
Vous  aurez  eu  I'honneur  d'avoir  contribue. 
Fclicitez-vous  bien ,  I'oeuvre  est  tres-meritoire  ! 

Francaleu. 

Oncle  indignc  a  jamais  d'avoir  part  a  la  gloirc 
D'un  Neveu  qui  deja  vous  a  trop  honore  ! 
Savez-vous  ce  que  c'est  que  tout  ce  long  narrc  ? 
Prejuge  populaire ,  esprit  de  bourgeoisie , 
De  tout  temps ,  gendarme  contre  la  Pocsie. 
Mais  apprenez  de  moi  qu'un  Ouvrage  d'eclat, 
Anoblit  bien  autant  que  le  Capitoular. 
Apprenez.... 

Baliveau. 

Apprenez  de  moi,  qu'on  ne  voit  gucre 
Lesbonncurs,  en  cesiecle,  accueillir  lamisere: 
Et  que  la  pauvretc ,  par  qui  rout  s'avilit , 
Faite  pour  degrader ,  rarement  anoblit. 
Forgcz-vous  des  plaisirs  de  routes  les  especes. 
On  fait  comme  on  rentend,qiiand  on  a  vos  richessesj 
Mais  lui ,  que  voulez-vous  qu'il  cicvienne  a  la  fin  ? 
Son  partage  assure ,  c'est  la  soif  &  la  faim. 
Et  d'un  ceil  satisfait ,  on  veut  que  je  le  voie  J 
Soit !  a  vos  visions ,  je  Tabandonne  en  proic. 
11  peut  •  e  repcser  de  sts  nobles  dentins , 
Sur  ccux  ,qui ,  dites-vous ,  sel'arrachent  des  mains. 
Qu'il  p^risse  !  il  est  libre.  Adieu ! 

'''  Francaleu. 


C  O  M  i  D  1  Ei  4ot 

Francale  u. 

Je  vousarrete, 
En  veritable  Ami  dont  la  replique  est  prete  j 
Et  vais  vous  faire  voir ,  avec  precision  , 
Que  nous  ne  sommcs  pas  des  gens  il  vision. 
Si  j'admire  en  Damis  tin  don  qui  vous  irrite , 
Votre  chagrin  me  touchc ,  autanr  qite  son  meritc  j  * 
Afin  done  que  son  sort  ne  vous  alarme  plus ,       g 
Je  lui  donne  ma  Fille ,  avec  cent  mille  ecus* 

B  A  L  I  y  E  A  u* 
Avec  cent  mille  ecus  ? 

Francale  u. 

"'-'  '^  Eh  bien !  esr-il  a  plaindre  ? 
Car  ellc  a  de  I'esprit,  est  belle ,  faite  a  peindre...^ 
Hola,  Quelqu'un !  ....Vous-meme  en  jugerez  ainsi*  - 

{  a  un  Valet, ) 
Que  Ton  cherche  Lucile  j  &"  qu'elle  vienne  ici. 

impart.) 
Aussi-bien  elle  hesite  j  &:  rien  he  se  dccidCi         ^ 

( ^  Baiiveau.  ) 
Qu'est-ce  ?  Vous  mollissez?  Votfe  front  se  deride? 
Vous  paroissez  emu  ?  '  I 

B  A  L  I  v  E  A  U.  ' 

Je  le  suis  en  effet.    ',    - 

Vous  ete$  un  ami  bien  rare  &  bien  parfeit ! 

Un  procede  si  noble  est-il  imaginable  ? 
Ne  me  trouvez  done  pas ,  au  fond ,  si  condamnablc. 

Tome  IL     C  c 


40Z         LA    METROMANIE 

Nous  pcrcons  Tavenir  ainsi  que  nous  pouvons , 
Et  sur  le  train  des  moeurs  du  sicclc  ou  nous  vivons. 
Qiiand ,  a  faire  dcs  vers,  un  jeune  Esprit  s'adonne, 
Memc  enl'applaudissant,  je  voisqu'on  I'abandonne. 
Damis ,  dc  ce  cote  ,  se  porte  avec  chaleur ; 
Et  je  ne  lui  pouvois  pardonner  son  malheur  j 
Mais,  des  que  d'un  tel  choix  votre  bontc  I'honore... 


BALIVEAU,  FRANCAL^t),  DAMIS. 

FRANCALEUtz  Damis. 

V  ENEZ ,  venez ,  Monsieur!  Une  autrefois  encore 
Vous^serez  a  la  Cour  notre  soliiciteur. 
Vous  vous  flattiez,  ccsoir,  de  contentcr  Monsieur. 

D  A  M  I  S  a  Baliveau. 

M  avez'.vous  trahi  ?  ,j,,\ 

Baliveau. 

Non.  Qu'entre  nous  tout  s'oublie, 
Damis.  Voici  quelqu'un  qui  nous  reconcilie; 
Quisignale  a  tel  point  s6n  amitic  pour  nous, 
Qu'il  s'acquicrt  a  jamais  les  droits  que  j'cus  sur  vous. 
Monsieur  vous  fait  I'honneur  de  vous  choisinpour  gcndrc. 

(  Voyani  Damis  in;cxdit.  )'  t  a 
Ainsi  que  moi ,  la  chose  a  lieu  dc  vous  surprcndre ; 


C  O  M  E  D  I  E,  40  J 

Car,  dc  quelques  talcns  dont  voiis  fussiez  pourvu. 
Nous  n'osions  esperer  ce  bonheur  imprevn. 
Mais  la  joie  auroit  du ,  snspendant  sa  puissance , 
Avoir  deja  fait  place  a  la  reconnoissance. 
Tombez  done  aux  gcnoux  de  votre  Bienfaiteur. 

D  A  M  I  S ,  d^un  air  embarrassed 
Mon  Oncle.... 

'i  .M'J    B  AL  I  VE  A  U. 

Eh  bien  ? 

D  A  M  I  s. 

,'  .i'rc'i.     Jesuis.^. 

Fr  A^N  C  A  L  E  U. 

^  Quoi? 

D  A  M  I  S. 

L'humble  adof  ateur 
Des  graces ,  de  I'esprit ,  des  vertus  de  Lucile  j 
Mais  de  tant  de  bontcs  I'exccs  m'est  inutile. 
Rien  ne  doit  I'emporter  sur  la  foi  des  sermensj 
Et  j'ai  pris,  en  un  mot,  d'autres  engagemens. 
Francaleu. 

Ha!  Z..^- 

BaLIVEAU  a  Francaleu.    '"  ^^"^''"^"-^ 

Le  voila  cet  homme  au-dessus  du  yulgajrc , 
Dont  vous  vantiez  I'esprit  &  la  judiciaire , 
Qui,  tout-a  Iheurc  etoit  un  phenix,  un  trcsor! 
Eh  bien,  de  ccs  beaux  noms  le  nommez-vous  encor  ? 
Vas!  Mauditsoit  I'instant  ou  mon  malhcurcuxFrerc, 
M'embarrassa  d'un  monstre  en  devcnant  ton  Pere  I 

C  c  I) 


404  I-^    METROMANIE y 

wmtmmmBBsamBBmmam 


SCENE     V  I. 

FRANCALEU,   DAMIS. 

Francaleu. 

.ONSiEUR ,  la  Poesic  a  sts  licences ;  mais 
Celle-ci  passe  un  peu  les  bornes  que  j'y  mets ; 
Et  votre  Onclc,  entre  nous,  n'a  pas  tort  de  se  plaindrc. 

D  A  M  I  S. 

Les  inclinations  ne  sauroient  se  contraindrc. 
Je  suis  fache  dc  voir  mon  Oncle  mecontent ; 
Mais  vous-meme ,  a  ma  place,  en  auriez  fait  autant. 
Car  je  vous  ai  surpris ,  louant  celle  que  j'aime , 
A  la  louer  en  homme  epris  plus  que  moi-meme  , 
Et  dont  le  sentiment  sur  le  mien  rencherit.  " 

Francaleu. 
Comment !  La  connoitrois-je  ? 

D  A  M  I  S. 

Ouij  du  moins  son  esprit. 
Grace  a  Theureux  talent  dont  Torna  la  Nature , 
11  est  connu  par-tout  ou  se  lit  le  Mercurc. 
C*est-la  que ,  sous  les  yeux  de  nos  Ledeurs  jaloux , 
L' Amour,  entre  elle  &:  moi , forma  dcs  noeuds  si  doux. 
Francaleu. 

Quoi,  ce  seroit?....  Quoi  ?  C'est,...  la  Muse  originate , 
Qui,  de  ses  impromptus ,  tous  les  mois  nous  regale  I 


C  O  M  ^  D  I  E.  405 

D  A  M  I  S. 

Jc  ne  m'en  cache  plus. 

Francaleu. 

Ce  Bel-esprit  sans  pair.... 

D  A  M  I  S. 

Eh,  oui!  -7  IriA 

Francaleu. 
Meriadec...  De  Kersic...  de  Quimper..« 
D  A  M  I  s. 
En  Bretagne.  EUc-meme  I  U  feut  etre  equitable.  ^ 
Avoucz  maintenant ;  rien  est-il  plus  sortable  i 

Franc  a  L  E  U  ^datant  dc  rire, 

Embrassez-moi ! 

Da  MI  s. 

De  quoi  riez-vous  done  si  haut  ? 

Francaleu. 

Du  pauvre  Onclc  qui  s'est  eflFarouchc  trop  tot  j 
Mais  nous  I'appaiserons  j  rien  n'est  gate. 

Da  m  I  s. 

Sans  doute. 
II  sortira  d'erreur ,  pour  peir  qu'il  nous  ccoute. 

'■''''^Francaleu.     ''**"'■*'"'    * 

Oh,  c'est  vous  qui,  pour  peu  que  vous  nous  ecoutiez, 
Laisserez ,  s'il  vous  plait ,  Terreur  ou  vous  eticz.   - 

Cc  iij 


4o<5        LA    METRO  MAN  IE, 

D  A  M  I  S. 

Quelle  crreur  ?  Qu  insinue  un  parcil  verbiage? 

Francaleu. 
Que  vous  comptez  en  vain  faire  ce  mariagc. 

D  A  MI  S. 

Ah !  Vous  aurcz  beau  dire  ! 

Francaleu. 

Et  vous ,  beau  protester ! 

D  AMIS. 

Jfe  I'ai  mis  dans  n^a  tete. 

Francaleu. 

II  faudra  Ten  6ter. 
D  A  M  I  s. 
Parblcunon? 

Francaleu. 
Parbleu  si !  Parions. 

D  A  MI  S. 

Bagatelle! 
Francaleu. 
La  Personne  pourroit,  par  exemple ,  ctre  telle... 

D  A  MI  S.  :  -?^S   r^fV 

Telle  qu'il  vous  plaira !  suffit  (ju'ellc  ait  un  nom. 


C  O  M  i  D  1  E,  407 

Francaleu. 
Mais,  laissez  dire  un  mot  i  &:  vous  verrez  que  non ! 

D  A  M  I  S. 

RicntRicn!  .^..^^^u^  Tj 

Fr  AN  C  AtEV/ 

Sans  la  cherchcr  si  loin... 
D  A  M  I  s. 

J'irois  a  Rome, 

'v  n  -  jP  R  A  N  C  A  L  E  U. 

.  '  '■•I'L-H  .r-JinO nub;; 

Quoi  faire  ? 

D  A  M  I  s. 
L'epouscr.  Je  I'ai  promise 
Francaleu- 

Quel  hommc.l. 
D  A  M  I  S. 
Et,  tout  en  vous  quittant ,  j'y  vais  tout  disposer, 
Francaleu. 

Oh!  disposez-vous  done.  Monsieur,  \  mepouscr! 

A  m'cpon.ser,vousdis-je?Oui,  Moi!  Moi!  C'estmoi-mcmCj, 

Qui  suis  le  bcl  objet  de  votre  amour  extreme. 

D  A  MI  & 

Vous  ne  plaisantez  point  J  -> 

C  c  iv 


4o8        LA  MiTROMANIE^ 

Francaleu. 

Non;  mais,  en  verite, 
5'ai  bicn ,  a  vos  depens ,  jusqu'ici  plaisante  j 
QuandjSous  le  masque  heureux  qui  vous  donnoit  le  change, 
Je  vous  faisois  chanter  des  vers  a  ma  louange. 
Voila  de  vos  arrets ,  Messieurs  les  Gens  de  gout  I 
L'Ouvrage  est  peu  de  chose  :  &  le  seul  nom  fait  tout. 
Oh  ca ,  laissons  done  la  ce  burlesque  hymenee. 
Je  vous  remets  la  foi  que  vous  m'aviez  donnee. 
Ne  songeons  dcsormais  qu'a  vous  dedommager 
De  la  faute  ou  cp  jeu  vient  de  vous  engager. 
Je  vous  fais  perdre  un  Oncle ,  &  je  dois  vous  le  rendre. 
Pour  cela ,  je  persiste  a  vous  nommer  mon  Gendre. 
Ma  Fille ,  en  cas  pareil ,  me  vaudra  bien ,  je  croi  j 
Et  n'est  pas  uq  parti  moins  sortable  que  Moi, 
Tenez ,  lui  pourriez-vous  refuser  quelque  estime  \ 

P  A  M  I  S  a  pan. 

Ah!  Lisette  la  suit !  malheur  a  TAnonyme! 


S  C  E  N  E    VII. 
I :  IRANCALEU ,  DAMIS ,  LUCILE,  LISETTE. 

■M^Oii:  FRANCAtEy,  . 

J^XiGNONE,  venez-ca!  vous  voyezdevantvous, 
Celui  dont  j'ai  fait  choix  pour  etre  votrc  tpoux. 
Ses  talcns..,.  I  -^:JS;.ikb  ^:   ■: -jV 


^       C  O  M  E  D  I  E.  ^o% 

L  I  S  E  T  T  E. 

Sqs  talens !  c'cst  ou  je  vous  arrcte.^ 

Francaleu. 
Qu'on  sc  taise ! 

L  I  s  E  T  T  E. 

Apprenez.,.. 

Francaleu. 

Ne  me  romps  pas  la  tctc  , 
Coquine !  tu  crois  done  que  je  sois  a  sentir 
Que ,  tout  le  jour  ici ,  tu  n'as  hit  que  mcntir  t 

D  A  M  I  S  has  a  Francaleu, 

Faites  quelle  nous  laisse  un  moment  j  &  pour  cause 

Fran  c  a  j,  e  u. 

Vas-t-cn. 

L  I  s  E  T  T  e. 

Qu'auparavant  je  vous  disc  une  chose. 

Francaleu. 

Je  ne  veux  rien  entendre. 

-  L  I  s  E  T  T  E. 

'  Et  moi ,  je  veux  parler. 

Tencz  ,  voila  TAuteur  que  Ton  vient  de  siiBer. 


D  A  M  I  S  a  Francakiu" 


Maintcnant ,  elle  peut  rester. 


410        LA    METRO  MA  Nit , 

F  R  AN  C  A  L  E  I}. 

L'lmpertinente  I 
D  4.  M  I  S. 

A  dit  vraL 

L  I  S  E  T  T^  has  a  Lucile, 
Tencz  bon  j  je  vais  chercher  Dorantc. 

{Elk  sort.) 

SCENE     VIII. 

FRANCALEU,  DAMIS,  LUCILE 

Francaleu. 

JuLLE  a  dit  vrai  ? 

D  A  M  I  S. 

Tres-vrai. 
Francaleu.  •  ' 

La  nouvelle ,  en  ce  cas  ^ 
M  etonnq  bien  un  peu,  mais  ne  me  change  pas. 
Nan,  je  n'en  rabats  ricn  ,de  ma  premiere  estime : 
Loin  de-la i  votre  cnuce  est  si  peu  legitime, 
Fait  voir  tant  de  Rivaux-dcchaines  centre  vous,  '-' 
Qii'elle  prouve  combien  vous  les  surpassez  tous. 
Et  ma  Fille  n'est  pas  non  plus  si  mal  habile.^. 

Lucile.   Aliliov  ^ :: 
MonPcrc- 

D  A  M  i  s. 
Permettez ,  belle  &:  jeune  Lucile—    '- 


,    J^  O  M  E  D  I  E.  411 

L  U  C  I  L  E. 

Permettez-moi  j  Monsieur ,  vous-memc ,  de  parler, 
Mon Pere ,  il nest  plus  temps dc  rien  dissimuler. 
D*un  Pere ,  je  le  sais ,  Vautorite  supreme 
Indique  ce  qu'il  faut  qu'on  haisse  ou  qu'on  aime; 
Mais ,  de  ce  droit ,  jamais  vous  ne  futes  jaloux. 
Aujourd'hui  mcmc  cncor,  vous  vouliez,  disiez-vous. 
Que,  par  mon  propre  choix,je  me  rendisse  heureusej 
Vous  vous  en  etiez  fait  une  loi  genereuse  ; 
Et  c'est  ainsi  qu'un  Pere  est  toujours  adore ; 
Et  que  moins  il  est  craint ,  plus  il  est  revere. 
Vous  m'avez  ordonne  sur-tout  d'etre  sincere  , 
Et  d'oser  la-dessus  m'expliquer  sans  mystere. 
Mon  devoir  le  veut  done ,  ainsi  que  mon  repos. 

Francaleu. 
[has) 
Au  fait  I  j'augurc  mal  de  cct  avant-propos. 

L  u  c  I  L  E. 
Parmi  les  jeunes-gens  que  ce  lieu-ci  rassembleu^ 

Francaleu.      ^ ^'ivJ ri  • 

Ah  •  fort  bien!  :  xir, 

L  u  c  I'i'tl;  ^ 
Rassurez  votre  Fillc  qui  tremble  , 
Et  qui  n  ose  qu  a  peine  embrasser  vos  genoux. 

Francaleu. 

Vous  penchicz  pour  quclqu'un  ?  J'en  suis  fach^  pour  vous. 
Pourquoi  tardiez-vous  tanc  a  me  le  venir  dire  ? 


4ii         LJ  MiTROMANlE ^ 
L  U  C  I  L  E. 

Cest  que  cclui  vers  qui  cc  doux  penchaat  m'attire, 
i^  le  seiil  justement  que  vous  aviez  exclus, 

Francaleu. 

Quoi  2  Quand  j'ai  mes  raisons..^ 

Luc  I  L  E 

Vous  ne  les  av«z  plus. 
Son  coeur,  a  mon  egard ,  etoit  selon  le  votre. 
Vouscraigniez  qu'il  ne  fut  dans  les  liens  dune  autre : 
Et  jamais  un  soup^on  ne  fut  si  mal  fonde. 
II  m'adore :  & ,  de  moi ,  pres  de  vous ,  seconde..,^ 
Ah  I  jc  lis  mon  arret  sur  votre  front  severe  t 
Eh  bien !  )*ai  merite  toute  votre  colere : 
Je  n'aipas,  contre  moi,  fait  d'assez  grands  efforts; 
Mais  est-ce  done  avoir  merite  mille  morts  ? 
Car  enfin ,  c'est  a  quoi  je  serois  condamnec  ;^^  "^ 
S'il  falloit,  a  tout  autre ,  unir  ma  destinee. 
Non ,  vous  n'userez  pas  de  tout  votre  pouvoir ,    " 
Mon  Pere !  Accordons  mieux  mon  coeur  &  mon  devoir. 
Arrachez-moi  du  monde  a  qui  j'etois  rendue  1     3^ 
Helas  1  il  n'a  brille  qu'un  instant  a  ma  vue. 
Jc  fermerai  les  yeux  sur  ce  qu'il  a  d'attraits. 
Puisse  le  Ciel  m'y  rendre  insensible  a  iamais  I 

Frangalbxt. 

La  sottc  chose  en  nous ,  que  I'amour  patcrnelle !/ 
Ne  suis-je  pas  deja  pret  a  pleurer ,  comme  elle  ?   ] 


C  O  M  E  D  I  E.  41  J 

D  A  M  I  s. 

Eh  \  laisscz-vous  aller  a  ce  doux  mouvemcnt , 
Monsieur  i  ayez  pitie  d  cUe  &  de  son  amanr. 
Je  ne  vous  rejoignois,  apres  ma  letrrc  lue. 
Que  pour  servir  Dorante  a  qui  Lucilc  est  due. 
Laissez-la  ma  fortune ;  &  ne  songez  qu'a  lui. 

Francaleu 
Votre  ennemi  mortel !  qui  vouloit  aujourd'hui.... 

D  A  M  I  S. 

Soufirez  que  ma  vengeance  a  ccla  sc  terminc. 

Francaleu. 
Mais  c'est  le  fils  d'un  homme  ardent  a  ma  ruine.... 

D  A  M  I  S  lui  remettant  unc  Lettre  ouverte. 
Non.  Voila  qui  met  fin  a  vos  inimities. 

SCfiNE  IXS*  dcrnierc, 

DORANTE,  FRANCALEU,  DAMIS,  LUCILE, 
LISETTE. 

Dorante  scjetant  aux  genoux  de  Francaleu. 

JbteoUTEZ-MoijMonsieurjOujemeursavospieds, 
Apres  avoir  perce  le  coeur  de  ce  Perfide !      ,  .  - 
II  est  temps  que  jc  rompe  un  silence  timide.       .. 
J'adore  votre  Fille.  Arbitre  de  mon  sort , 
Vous  tenez  eii  vos  mains  6c  ma  vie  &  maiiipxt. 


414         L^  M.E  TRO  MANIEy 

Prononccz ;  &■  souffrez  ccpendant  que  j'esperc* 
Un  riialhciireux  proces  vous  brouille  avec  mon  Pere. 
Mais  volis  futes  Amis ;  il  m'aime  tendrement  j 
Le  proces  finiroit  par  son  desistement. 
Je  cours  done  me  jeter  a  ses  pieds  comme  aux  votres, 
Faire,  a  vos  interets,  immolcr  tous  les  notrcs, 
Vous  reunir  tous  aeux,  tous  deux  vous  emouvoir, 
Ou  me  laisscr  aller  a  tout  mon  desespoir  1 

(  a  Damis.  }  "^ 

D'une  ou  d'autre  facon ,  tu  n'auras  pas  la  gloirc  > 
Traitre,  decouronner  la  mechancete  noire 
Qui  croit  avoir  ici  dispose  tout  pour  toi  j 
Et  qui  t  a  fait  ecrire,  a  Paris,  contre  moi, 

Damis. 

Enfin  Ton  s'entendra  malgrc  votre  colcrc.  "^ 

J'ai  vcritablement  ecrit  ^  votre  Pere , 
Dorante;  mais  je  crois  avoir  fait  ce  qu'il  faut. 
Monsieur  tient  la  reponsc;  &:  peut  lire  tout  haut. 

F  R  A  N  C  A  L  E  U  lit, 

Aux  traits  dont  vous  peigne:^  la  charmante  Lucile.^ 
Je  ne  suis  pas  surpris  de  I' amour  dc  mon  Fils. 
Par  son  mediateur  ^  il  est  des  mieux  servis  ', 
Eivous  plaide:^  sa  cause  en  Orateur  habile. 
La  rigueurj  il  est  vrai^seroit  tres-inutile  ; 

Et  je  defere  a  vos  avis. 
Rested  lui  faire  avoir  cette  Beaute  qu'il  aime. 


C  O  M  E  D  I  E,  415 

//  naura  que  trop  mon  avtu  ; 
■    Celui  de  Monsieur  Francaleu  ,  -'■  r 

Puijfe-t-il  s'obtenir  de  mtnie  ! 
Parley  y  presse^ ,  prie^  •  J^  desire  a  I'exzes    .'njin-rf;! 
Q^ue  sa  Fillc  j  aujourd'hui  j  termine  nos  pri3ces  ; 
Et  que  le  don  d'un  Fils  quun  tel  Ami  protege  , 
Entre  voire  Hote  &  moi  j  renouvelle  a  jamais 

La  vieille  amide  de  College. 

Metrophile 
Maitrcsse,  Amis,  Parens,  puisquc  tout  est  pour  voos; 
Aimez  done  bien  Lucile,  &"  soyez  son  EpoicE,     ' 

D  O  R  A  N  T  E.  iCUS7^'i, 

(^. Lucile.) 
Ah  I  Monsieur !  6  monPere !  Enfin  je  vouspossedc^ 
D  A  M  I  5. ,  ■ 

Sans  en  moi|i$  cstimer  TAmi  qui  vous  la  cede  J  ■  'v 

-,        :  •'     D  O  R  A  N  T  E. 

Cher  Damis !  vous  devez  en  efict  m'cn  vouloif  i  • 
Et  vous  voy cz  un  homme^iw  ■  >         .^'^i  ^m u M 

Damis. 

Hcureux. 

D  O  R  A  N  T  E. 

Audesespoirl 
Je  suis  un  monstre  !  "*;  ^  -^ 

D  X'M  I  s. 

Non  i  mais ;  en  termes  honnetes , 
Amourcux  &:  Francois ;  voila  cc  que  vous  ctcs. 


416        LJ   METROMANiSi 

D  O  R  A  N  T  E  aux  autres. 

Un  fiirieux  !  qui ,  plein  d'un  ridicule  eflFiroi, 
Tandis  qu'il  agissoit  si  noblement  pour  moi  , 
Impitoyablement  ai  fait  siffler  sa  Piece. 

D  A  M  I  s. 

Quoi?..Mais  jc  m'en  pf  ends  moins  a  vous  qu'a  la  traitrcss€i 
Qui  vous  a  confie  que  j'en  etois  I'Auteur. 
Je  suis  bien  console :  j'ai  fait  votre  bonheur. 

D  O  R  A  N  T  E* 

J'ai  dcmain ,  poar  ma  part ,  cent  places  retenueS; 
Et  veux ,  apres  deniain ,  vous  fairc  aller  aux  nues. 

D  A  M  I   S. 

Non !  j'appelle,  en  Auteur  soumis,  mais  peu  craintif , 
Du  Parterre  en  tumulte,  au  Parterre  attentif. 
Qu'un  si  frivole  soin  ne  trouble  pas  la  fete. 
Nesongez  qu'aux  plaisirs  que  I'Hymen  vous  apprete. 
Vous  \  qui  cependant  je  consacre  mcs  jours ,     ■  > 
Muses,  tenez-moi  lieu  de  fortune  &  d  amours! 

Fin  du  cinquieme  &  dernier  Acle, 


iiit^ 


FERNAND- 


T  R  A  G  E  D  I  E. 


Mise  au  Theatre  _,  pour  la  premiere  foisj  le  S 
Janvier  i  744. 


Arma  virumque  cano. 


Tome  11,      Dd 


41? 


AU  ROI  D'ESPAGNE*. 


.ONARQUE  issu  du  sangdc  Charle  &  dc  Louis 
Heritier  de  la  gloire  &  de  TAigle  &c  des  Lys , 
Dont  I'empire  etendu  sur  les  deux  Amphitrires , 
Est  y  ainsi  que  le  Cicl,  sans  nuit  &  sans  limites  j 
Philippe  ,  s'il  est  vrai  que  nos  chants  quelquefois 
Ont  merite  Toreille  8c  la  faveur  des  Rois , 
Permets  qu'au  pied  du  Tione ,  ou  le  saint  Hymenec 
Fait  seoir  a  tes  cotes  la  Vertu  couronnee , 
Du  Cothurne  Frani^ois  I'aimable  amusement, 
De  tes  nobles  travaux  te  delasse  un  moment. 
II  est ,  a  cet  hommage ,  aise  de  reconnoitre 
Le  cosur  d'un  Citoyen  des  lieux  qui  t'ont  vu  naitrc» 
Pour  le  sang  de  nos  Rois  notre  zelc  est  fameux. 
Tout  put-il  prendre  exemple  &'sur  nous  &  sur  cux! 
Bientot  du  monde  entier ,  bientot  seroit  bannie 
La  peur  des  attentats  &  de  la  tyrannie  > 
Et  I'amour  unissant  par-tout  le  foible  au  fort , 
Du  Prince  &  du  Sujet  confondroit  Thcureux  sort. 

^  l^HIUPPE  V. 

D  d  ij 


42C?  E  P  I   T  R  E. 

Rare  felicite  5  delices  enviees 

Qu'a  tant  de  Nations  I'Olympc  a  deniees , 

Precieuse  faveur  que  nous  lui  derobons , 

Et  dont  on ne  jouit  qu'ou  regnent  les  Bourbons  J  - 

Combien  de  fois  nos  ccEurs ,  depuis  quarante  aiinees , 

Ont,  pour  voler  vers  toi ,  franchi  les  Pyrenees , 

Comme ,  a  la  voix  du  sang ,  ton  tendre  coeur  aussi 

N'aura  pas  moins  souvent  revole  jusqu'ici ! 

Ce  grand  coeur ,  je  le  sais ,  est  tout  a  Tlberie  i 

Pere  de  tes  Sujets ,  leur  terre  est  ta  patrie  j 

Ainsi  qiie  de  Louis  le  sceptre  glorieux , 

Rend  route  autre  Puissance  etrangere  a  nos  yeuxj 

Mais  Louis  aux  Francois  ne  faisant  pas  un  crime 

D'oser  aimer  en  toi  lebeau  sang  qui  Tanimej 

Ta  dignite  non  plus ,  ni  tes  Peuples  jaloux 

Ne  t'en  sauroient  faire  un  d'un  souvenir  si  doux. 

L'exigeas^ent-ils  meme ,  &  tentant  I'impossible  , 

Au  rigoureux  effort  d'un  oubli  si  penible, 

Voulusses-tu  plier  ta  constante  vertu  j 

Quel  que  fut  ton  courage ,  y  reussirois-tu  ? 

Verrois-tu  tes  drapeaux  suivis  de  la  Vi(5toire , 

Sans  qu'un  si  beau  destin  remit  en  ta  memoirc 

Get  Aieiil  immortel,  ce  Heros ,  ce  grand  Roi 

Dont  I'astre  &  la  sagesse  ont  influe  sur  toi  ?  ^ 

Lui  ressemblerois-tu ,  sans  trouver  quelques  charmer  , 

A  songer  que  tu  fus  Ic  digne  objet^es  larmes 

Que  ton  auguste  Pere ,  en  ses  derniers  adieux , 

Surtonfront  couronne  J  repandit  a  nos  yeux  J  •-''■* 


£  P  I  T  R  E.  4ii 

Sans ,  de  tes  jeunes  ans ,  te  retracer  Thistoire  ? 
Sans  t'ecrier  enfin  du  faite  de  ta  gloire : 
France  !  Ai-je  merite  ton  anwur  &  mon  rang? 
Reconnois-tu  Philippe  ;  &  suis-je  ton  vrai  sang  ? 
Oui ,  tu  I'es ',  &  jamais  de  la  faveur  celeste , 
EUe  8c  son  Roi  n'ont  eu  gage  plus  manifeste , 
Que  le  jour  solennel  ou  THymen  a  leur  gre , 
Aux  liens  de  ce  Sang  joignit  son  noeud  sacre  *. 
Aussi ,  quand  a  ce  Dieu  rendit-on  plus  d'hommage? 
Quand  vit-il  plus  jeter  de  fleurs  sur  son  passage? 
Et  quand  de  plus  d'encens  son  Temple  a-t-il  fume ! 
De  I'aurore  au  couchant  Tair  en  f ut  parfume  y 
Et  J  des  bords  arroses  de  la  Seine  8c  de  TEbre , 
L'odeur  en  exhala  jusqu'a  I'antre  funebre 
De  celle  qui  n'a  ri  qu'au  moment  malheureux 
Ou  Pandore ,  sur  nous ,  pencha  son  vase  affreux. 
Ce  Monstre  dont  nos  pleurs  font  I'espoir  8c  la  joie , 
De  soi-meme  a  la  fois  le  Vautour  8c  la  proic , 
L'Envie  interessee  a  la  disunion  , 
Court ,  de  son  souffle  impur ,  infeder  Albion ; 
AUume ,  en  secouanc  ses  serpens  homicides , 
Le  flambeau  de  la  guerre  au  feu  des  Eumenides ; 
Et ,  de  sa  voix  terrible ,  anime ,  en  peu  de  mots , 
Le  superbe  Insulaire  a  traverser  les  flots. 


"♦^  Manage  de  I'lnfantDon  Philippe  avec  Madame  Louisi- 
Elisabeth  de  France. 

Dd  iij 


4ii  i  P  I  T  R  E, 

Arme^  &paroissc:^;  ['Amerique  est  soumise, 

he  Tage  va  cider  son  or  it  la  Tamise. 

Pour  Vous  ,  pour  vos  NeveuXj  Cortss  aura  vieu, 

Anglo'is  1  VencT^ ,  voyei^ ,  &  vous  aure\  vaincu. 

EUe  dit :  on  la  suit  •>  &  ce  Fleau  du  Monde , 

De  sa  torche  fumante  empestant  I'air  &  Tonde  » 

Au  Mexique ,  de  loin ,  sur  Thumide  elemenr , 

Annonce  les  horreurs  d'un  vaste  embrasement. 

La  Flotte  arrive  \  on  niouille,  &  Cibcle  effrayic 

Dans  k  sang  Espagnol  se  croit  deja  noyee. 

La  Mort  l^ve  sa  faulx ;  le  Tartare  est  ouvcrt. 

De  ses  fcux  eelatans  le  rivage  est  couvert  ^ 

Mais  TEnfer  tonne  en  vain :  c'est  le  Ciel  qui  foudioie. 

De  TEspagne  a  ce  bf uit  I'etendard  se  depioie  > 

L'Anglois  palit ,  recule ,  &  rout  fuit  disperse. 

Xe  Lion  a  rugi  :  la  Pcur  a  tout  chasse. 

Tel ,  imposant  silence  au  tonnerre  qui  gronde , 

D'un  coup  de  son  trident ,  Neptune  applanit  I'onde  j 

Et ,  reprimant  des  airs  les  Tyrans  vagabonds , 

D'un  mot  les  fait  rentrer  drtns  leurs  antics  profonds. 

Roi  vainqueur ,  laisse-moi ,  des  Mexiquains  sauvages, 

A  ton  char  de  triomphe  attacher  les  images  •, 

Vois-les ,  tels  qu'aatrefois  Charle  se  les  sounut : 

Et  partagc  I'eclat  du  nom  qu'il  s'en  promit. 

Tu  n'as  pas  moins  quelui  pour  toi  Mars  &  Minervc, 

Ce  que  Charle  cohquit,  Philippe  le  conscrvej 

Ik)me ,  qui  mit  le  prix  i  toutes  les  vertus , 

N'egala-t-ellc  pas  Camile  k  Romulus  I 


£  P  I  T  R  E,  4^^ 

Enfin ,  du  grand  Cortes  celebrant  la  vi£boIrc  « 
Jc  chante  le  Guerrier  qui  prepara  ta  gloire ; 
Qui ,  sous  un  aurre  Maitrc ,  a  signale  son  nom  * 
Mais  que ,  dans  Cartagene ,  a  retrouve  Vernoju. 
Phenomene ,  au  surplus ,  digne  des  yeux  d'un  Prince; 
La  valeur  d'un  Soldat  change  un  Monde  en  Province. 
De  I'Histoire  Espagnole  admire  un  trait  si  beauj 
Et  d'un  Heros  si  rare  aime  ^  voir  le  tableau* 
A  I'aspcdt  de  celui  du  Vainqueur  de  TAsie  ^ 
Le  premier  des  Cesars  pleura  de  jalousie  i 
De  son  noble  depit  quel  eut  ete  I'exces  , 
Si  le  Grand  Alexandre  eut  egale  CoRxis  1 
Que  le  Grec ,  le  Romain  se  compare  a  Tlberc,. 
Celui-ci,  presqueseul,  subjugueun  hemisphere j, 
Et ,  s'il  a  reussi  dans  de  si  hauts  projets , 
Quel  doit  etre  le  Prince  ou  sont  de  tels  Sujetsi 
Quel  doit  ctre  le  Sang  de  ce  Prince  invincible  I 
Et  que  n'en  pas  attendre  apres  le  soin  visible 
Que  le  Ciel  en  a  pris  par  lesplus  sages  mains 
Qui  pouvoient  de  I'Espagne  assurer  les  destins ! 
Grand  Roi ,  c'est  designer,  c*est  nommer  rHeroine 
Qui  partage  ton  Tronc  &  ta  noble  origine,. 
Chaste  Epouse ,  rhonneur  du  plus  sacre  dies  noeudlf^ 
Reine  dont  le  grand  coeur  &  I'esprit  lumineux 
Savent  de  la  Fortune  asservir  les  caprices  j 
Ta  gloire ,  ton  conseil ,  ta  force ,  tes  deUces  * 
L'amour  des  Nations  que  soumet  ton  pouvoir>, 
Des  deux  Mondes  eniiii  romement  &  Tespoir^ 

Ddix 


414  E  P  I  T  R  E. 

Philippe  ,  J^lisabeth  ,  Couple  uni ,  Couple  auguste  , 
Puisse  votre  Genie  &  triomphant  &  juste 
Regir  long-temps  encore  un  Peuple  a  qui  nos  yeux 
Doivent  une  moitie  de  la  Terre  &  des  Cieux ! 
Puissiez-vous ,  sans  quitter  vos  dignites  supremcs  , 
Les  partager  long-temps  avec  d'autres  Vous-memcsj 
Et  de  vos  Petits-Fils  par  vos  mains  couronnes , 
Xe  Diademe  au  front,  vous  voir  environnes  ! 
Que  Farneze  &  Bourbon  soient  un  cri  d'alegressej 
Et  que  tous  vos  Sujets  se  rappellent  sans  cesse , 
Pleins  des  biens  que  sur  eux  votre  union  repand , 
La  celebre  Isabelle  ;,  &  I'heureux  Ferdinand  1 


Jl 


4M 


PREFACE. 

/HSl  Remonter  de  nos  jours  jusqu'a  la  naissancc  des 
temps,  la  decouverte  de  TAmerique  est ,  je  crois ,  Te- 
venement  le  plus  frappant  &  le  plus  memorable  dc 
tous  ceux  dont  Thistoire  profane  ait  embelli  ses 
fastes. 

Que  pouvoit  -  il  arriver ,  en  effet ,  de  plus  digne  de 
memoire  id  -has ,  &:  de  plus  interessant  pour  la  totalite 
du  Globe ,  que  la  communication  de  ses  deuxmoities , 
Tune  a  I'autre  inconnues  depuis  leur  creation  ?  Quelle 
Epoque  pour  routes  les  deux  ,  que  le  coup  du  Ciel 
qui  decouvrit  a  celle-ci  les  tresors  de  la  terre ;  a  Tautre , 
ceux  de  la  raison !  En  quoi  tout  I'avantage  ,  comme 
cnle  voit ,  demeura  du  cote  des  Americains ,  puisqu'ils 
passerent  en  un  moment ,  des  tenebres  de  la  barbaric 
au  peu  de  notions  &  de  clartes  que  nous  avions  si  la- 
borieusement  accumulees  depuis  trente  ou  quarantc 
siecles  \  au  lieu  que  nous  ne  gagnames  a  cette  peniblc 
decouverte ,  que  celle  des  bornes  de  I'esprit  humain , 
qui  jusqu'alors  avoir  erre  si  lourdement  en  fait  dc 
Geographie.  Et  cependant ,  qu'eumes-nous  en  dedom- 
magement  d'une  si  triste  connoissance  ?  Ce  que  mepri-* 
soient  ces  Americains  \  de  Tor  •,  &  ,  qui  pis  est  ,  ses 
suites  contenues  ici  dans  les  imprecations  du  Grand 
Pretre ,  Acl.  3 .  Sc.  4. 

Mais  si  I'Epoque  fut  humiliante  pour  les  lumicrcs 
de  nos  Ecoles ,  elle  ne  le  fucpas  moiiis  pour  ces  aiiciens 


4ifr  P  R  i  FA  C  E. 

Foudres  cfe  guerre ,  qui ,  depuis  si  longteraps ,  se  dis- 
puroient  la.  preeminence  i  (S«:qui ,  depuis  Cones ,  n'eu- 
rent  plus  rien  a  se  disputer.  Ce  n'est  point  une  hyper- 
bole. Toute  prevention  cessant ,  rendons  hommagc 
a  la  verite.  La  grandeur  des  perils  surmontes  ,  le 
nombre  &  la  singularite  des  exploits  ,  I'etendue  &  la. 
nouveaute  d^  conquetes ,  n'est-ce  pas  la  tout  ce  qui 
constitue  ,  parmi  nous  ,  riieroTsme  belliqueux  ?  Et 
des-lors  ,  peut-on  refuser  a  Cones  ,  parmi  les  Heros 
de  son  genre ,  le  rang  que  la  dccouverte  de  TAmeri- 
que  obtient  parmi  les  cveneniens  I 

Parcourons  le  champ  de  Mars ,  depuis  Shostris  8c 
Czrus  ,  jnsqn'a.  Thamas-KouHkan  ;  Sc  comparons  la  con- 
queteduMexique,avec  routes  celles  qui  I'ontprecedee 
&  suivie.  Qu'ont-ils  conquis  ces  guerriers  si  vantes  I 
Quelques  regions  mediterranees  de  notre  Continent » 
&  les  bords  du  Golfe  de  la  vaste  Mer ,  que  notrc 
Espagnol  a  traversee.  Observons  de  plus  que  ces  autres 
Conquerans  marchoient  armes  de  I'autorite  souverai- 
ne  ,  &  soutenus  des  grandes  ressources  qui  I'accom- 
pagnent.  Le  Sarrazin ,  le  Goth  ,  le  Vandale  etoieni 
meme  suivis  de  Nations  entieres  que  la  necessite  de 
remigrarion  emprisonnoit ,  pour  ainsi  dire ,  sous  leurs 
ctendars.  Torrens  impetueux  dont  les  debordemens  , 
apres  tout  ,  pour  se  repandre ,  n'avoient  a  renverser 
que  d&s  digues  deja  mille  &  mille  fois  rompues  en 
pareil  cas.  Rien  dans  tout  cela  que  de  tres-possible  & 
que  de  repete.  Voici  de  I'unique  &  du  merveilleux*  Un. 
simple  Armateur ,  avec  quelques  Brigantins  ,  cinq  on 
six  cens  hommes  de  pied ,  quinze  chevaux&  six  pieces 
dc  canon  ,  sans  autres  ressources  par-dela  ,  que  son. 
■genie  &  que  son  epcc  ,  ose  affronter  un  espace  im- 


PREFACE,  417 

mcnse  de  Mcrs  inconnues ,  pour  toucher  ensuitc  a  un 
Continent  plus  grand  &  plus  peuple  que  le  notre  , 
nomme  depuis  par  nous ,  assez  plaisarnnieni,le  Vieux 
Monde  :  comme  s'il  y  avoit  un  droit  d'ainesse  entre  Ics 
deux  Hemispheres.  Le  nouvel  Hercule ,  en  abordant , 
passe  sur  le  ventre  a  deux  Armies  qui  s^  prcsentent 
Tune  apres  I'autre ,  8c  coup  sur  coup ,  pour  Tarrcter; 
la  premiere  de  quatre  vingt-dix  mille  ,  la  seconde  dc 
cent  cinquante  mille  Sauvages  aguerris  a  leur  maniere. 
Ce  debut  jette  par-tout  Tepouvante :  Cortes ,  plus  sage 
qu'Annibal ,  en  salt  profiter.  II  avance  avec  sa  poignee 
d'hommes  •,  ne  donne  pas  a  des  millions  d'autres  Ic 
temps  de  se  reconnoitre  \  presse  ,  attaque  3c  soumet 
tout.  En  adroit  politique  ensuite  ,  il  cimente  ses  succcs 
par  des  traites ,  s'insinue ,  gagne  la  confiance  des  pre- 
miers Vaincus ,  s'en  fait  des  Allies  ,  &  parvient  a  poser 
enfin ,  chez  ces  Peuples  sans  nombre ,  au  nom  d'un 
Prince  qu'ils  ignorcnt  &  dont  mcmc  lis  sont  ignores  , 
une  domination  ,  qui  ,  depuis  pres  de  trois  siccles  , 
s'est  accrue  ,  &  s'affermit  de  plus  en  plus.  Un  simple 
Cavalier  ainsi ,  presque  seul ,  &  pour  son  Prince ,  fait 
plus  que  tous  les  Conquerans  &c  les  Souverains  du 
monde ,  a  la  tete  de  leurs  Armees  ,  n'avoient  encore 
fait  pour  eux-memes. 

Je  n'ecrirois  qu'en  PoeW&qu'en  Romancier,  si  ]t 
dissimulois  que  ,  pour  operer  ces  merveilles ,  11  fallut 
qu'une  premiere  merveille  y  contribuat.  C'eiit  ete  peu 
de  toute  la  valeur  imaginable ,  jointe  au  dernier  rafine- 
ment  de  I'art  &  des  ruses  militaires ;  c'eut  ete  peu  dc 
nos  hommes  a  cheval  pris  pour  des  Centaures  ,  du 
tranchant ,  de  la  pointe  &:  dc  I'eclat  de  nos  epees , 
quoique  toutes  choscs  aussi  peu  coiinucs  sous  cc  uou- 


4i8  PREFACE. 

veau  Ciel ,  que  nos  barbes  &  nos  boussoles  j  tous 
ces  avantages ,  dis-je ,  a  les  supposer  encore  sotitenus 
de  la  tere  &  du  bras  des  Turennes,  des  Condes, 
&  de  tant  d'autres  graiids  Capitaines  dont  la  liste  , 
en  France,  se  grossit  tous  les  jours  ^  n'eussent  eu  que 
peu  d'efFet ,  sans  le  secours  d'une  force  bien  superieurc 
a  routes  celles-la.  On  sent  assez  que  je  veux  parler  de 
la  grandc  &  terrible  decouverte  faite  avant  celle  de 
I'Amerique :  de  la  poudre  a  canon.  Les  armes  a  feu  , 
sans  contredit ,  jouent  i(^i  le  role  essentiel  &  principal. 
Leur  atteinte  prompte ,  invisible  &  mortelle ,  le  bruit , 
la  lueur  seule  arretoit ,  renversoit ,  dissipoit  des  Ar- 
'  mees  innombrables ,  qui ,  pour  la  defensive  &  I'ofFen- 
sive  5  ne  connoissoient  que  le  bouclier  de  cuir  ,  Tare 
&  La  massue.  L'Europeen ,  sa  foudre  a  la  main  ,  etoic 
une  espece  de  Divinite  dont  la  presence  suiHsoit  pour 
glacer  les  plus  fermes  courages.  En  un  mot.  Cones  ,  ert 
debarquant ,  avoir  les  terreurs  paniques  a  sa  disposi- 
tion y  a  peu  pres  comme  en  s'embarquant ,  le  fabu- 
Icux  Ulisse  ,  -  au  sortir  d'Eolie  ,  eut  les  vents  a  la 
sienne  :  ou  pour  mieux  dire  ,  passant  de  I'antique  au 
moderne ,  &  d'Homere  a  I'Arioste  ,  Cones  avoit  le 
Cor  d'Astolphe.  C'etoitbeaucoup,  mais  etoir-ce  assez  ? 
Un  peu  de  justice ,  pesons  les  equivalens  j  &  nous  ver- 
rons  que  ccci  n'enlevant  de  Texploit,  que  le  surnaturel 
.  &  Timpossible  ,  n'en  laisse  pas  moins  a  mon  Heros 
ts&ixt  Teclat  &  toute  Tunite  de  sa  gloire. 

r. 

Quelle  grandeur  de  courage  ne  fallut-il  pas  pour' 
cntreprendre  ,  quelle  longanimite  pour  pousser  des 
navigations  &  des  marches  de  si  long  cours  a  travers 
tant  de  tempetes  &  de  bonaces ,  de  villes  &  de  soli- 
wdes,-de  guerres  &  d'alliances  ,  routes  egalement 


PREFACE.  419 

perilleuses  ?  Quels  talens  superieurs  ,  pour  se  faire 
suivre  si  constairiment  ,  non  par  des  gens  plies  a  la 
subordination  ni  soumis  a  quelque  discipline ;  mais 
par  autant  de  compagnons  que  de  soldats  ,  par  des 
volontaires  fondes  a  se  rebuter  sans  cesse  ,  comme  k 
se  mutiner  sans  crainte  ,  &  qui  .plus  d'une  fois  ,  en 
effet ,  artenterent  a  la  vie  de  leur  condudieur  ?  Quelle 
intrepidite  ne  devoir  pas  avoir  un  Chef  si  mal  obei  i 
pour  oser  ,  a  la  faveur  d'une  experience  physique , 
attendre  &  combattre  de  pied  fcrme  des  millions 
d'hommes  en  bataille  rangee  ?  Quelle  adrcsse  &  quelle 
vigilance  ,  pour  prolonger  I'illusion  jusqu'au  terms 
de  tout  I'effet  qu'on  en  desiroit  ?  Enfin  quelle  habilete> 
quelle  sages  se  &  quelle  force  de  genie ,  pour  en  tirer 
le  parti  qu'il  en  tira  \  qui  fut  d'introduire  &  d'etablir 
en  ce  nouveau  monde  ,  la  domination  ,  les  loix  ,  les 
moeurs  &  la  Religion  de  celui-ci  ?  Belle  matiere  aux 
speculations  du  Missionnaire ,  du  Guerrier ,  du  Phi- 
losophe  &  du  Politique  1 

II  existe ,  parmi  nous ,  une  petite  Sedre  de  faux-Mcn 
ralistes  ,  qui ,  sans  avoir  peut-etre  ete  jamais  bons  fils, 
bons  peres  de  famille  ,  bons  amis  ,  ni  bons  patriotes  > 
que  dis-je  ,  qui ,  sans  avoir  jamais  senti  peut-etre  ,  ni 
seulement  soupgonne  ce  que  c'est  que  le  prochain  ,  se 
donnent  gravement  pour  des  Citoyens  du  monde  j  & 
qui  s'arrogeant ,  a  ce  titrele  ton  des  Socrates  &  des 
MoNTESQUiEux  ,  prcnucnt  hautement  le  Genre-hu- 
main  sous  leur  proted:ion.  Parlez4eur  de  I'Amerique: 
A  quoi  bon  ,  s'ecrieront-ils  ,  6*  de  quel  droit ,  avoir  ete  ckei^ 
eux  inquieter  ces  bonnes  Genst  Le  Ciel  avoit  mis  dix-huit 
cens  lieues  de  mers  entre  eux  &  nous.  C'etoit  une  barriere 
sacree  qu'on  auroic  du  respeBer  jusqu'a  la  fin  des  Siecles. 


436  P  R  ^  F  J   C  E, 

L'avoir  ose  franchir ,  ce  fut  insulter  aux  decrets  de  la  Vr$- 
vidcnce.  Attaquer ,  soumettre  &  civiiiser  ces  Hommes  quels 
qu'ils  fussent  i  c'etoit  deraison^  injustice ^  6*  tyrannic  I  Mais  , 

Messieurs  Ics  zeles  Cosmopolires ,  est-ce  etre  bien 
bons  amis  du  Genre -humain,  que  de  vouloir  exclurc 
de  notre  commerce  des  Peuples  miserables ,  a  qui  de- 
puis  cinq  ou  six  mille  ans  manquoient  morale ,  agri- 
culture ,  beaux-arts  ,  metiers  ,  vetemens  ,  premieres 
teintures  des  loix  humaines  &  divines ,  en  un  mot » 
tous  biens  spirituels  &  temporels  ?  Sont-ce  bien  memc 
des  hommes  que  vous  plaignez  ,  en  plaignant  des  Bar- 
bares  ,  des  especes  d'animaux  sauvages  ,  des  monstres 
qui  massacroient  religieusement  &  de  sang  froid  leurs 
semblables  au  pied  des  autels ,  en  jetoient  avec  cere- 
monie  le  cceur  palpitant  au  nez  d'une  Idole  ,  en  ser- 
voient  les  membres  sur  table  &  le  sang  au  buffet ,  ta- 
pissoient  les  Temples  de  leurs  peaux  ,  &  pour  sc 
recreer  la  vue ,  de  leurs  ossemens  elevoient  les  Tours 
&  decoroient  les  frontispices  de  ces  Temples  ?  De 
bonne-foi  cela  se  doit  -  il  appeler  des  hommes  ?  Vous 
nous  le  soutiendrez  sans  doute,  en  beaux  raisonneurs, 
prets  a  nous  supposer  des  vices  ,  qui  ,  dans  le  fond  , 
direz-vous ,  peuvent  bien  aller  de  pair  avec  de  pareilles 
horreurs.  Passons  j  mais  dans  Tesperance  que  ces  pau- 
vres  gens  pourroient  ne  pas  contradter  nos  vices  , 
ayez  done  pour  eux  une  pitie  plus  raisonnable.  Vous 
voyez  qu'Antropophages  ,  impies  &  sanguinaires ,  en 
dcshonorant  Thumanite  ,  ils  n'en  vivoient  que  plus 
a  plaindre  de  routes  famous.  Desirez  charitablement 
qu'on  les  tire  de  la  condition  des  brutes  \  qu'on  les 
cclaiie  des  lumicres  de  la  raison  &  de  la  foi  •,  qu'on  leur 
indique  ,  qu'on  leur  procure  ,  qu'on  leur  enseigne  4 
perpctuer  chez  eux  les  douceurs  d'une  vie  telle  que  la. 


PREFACE,  451 

votre.  C'est  ce  qu'a  fait  Cortes,  Le  premier ,  au  hasard 
mille  fois  de  la  sienne  ,  11  leur  tend  une  main  viAo- 
rieuse  8c  bienfaisante  j  pour  les  engager  a  venir  parta- 
ger  ces  douceurs  avec  nous.  U  y  reussit.  De  vidimcs 
qu'ils  etoient  les  uns  des  autres ,  il  en  fait  des  frercs ; 
d'imbeciles  Esclaves  d'une  liberte  honteuse  3c  sans 
frein ,  des  Sujets  senses  ,  paisibles  8c  fidcles  de  soa 
Prince  8c  de  Rome.  Enfin  Cones  a  pour  lui  la  valeur  , 
la  prudence ,  I'humanite  ,  la  fortune ,  &  la  Religion, 
A  quels  titres  plus    justes    meritera-t-on  jamais  le» 
honneurs  de  rherofsme  ?  Vous  I'aurez  quelque  part 
oui  nommer  Cruel ,  Avare ,  Exterminateur.  Hyperbole 
&  mauvaise  foi !  Jalousie  narionale  qui  se  plait  a  con- 
fondre  Piiare  &  ses  pareils  avec  Cortes  j  ou  bien, 
vaines  declamations  supportables  tout  au  plu-s ,  dins 
la  bouche  du  furieux  Amant  d'Alzire ,  8c  de  mon  frip- 
pon  de  Grand-Pretre !  Enfin  c'est  au  Ledeur  equitable  a 
prendre  Cortes  pour  tel  que  je  le  presente  ici  fidele- 
ment ,  8c  qu'a  son  amour  prcs  >  je  le  recois  de  la  main 
des  plus  graves  Historiens  de  sa  nation.  Eh  qui  salt  si 
I'Amerique  n'etoit  pas  une  terre  de  Chanaan ,  desti- 
nee  a  devenir  une  terre  de  promission  ?  Ne  devrions- 
nous  pas  meme  regarder  les  conquetes  de  ce  grand 
Homme ,  comme  I'ouvrage  de  la  Sagesse  8c  de  la  Jus- 
tice d'en-haut  ?  Les  regarder  du  meme  oeil  dont  il  les 
voyoit  lui  -  meme ,  ainsi  qu'il  I'a  tcmoigne  par  cetrc 
inscription  si  digne  d'un  guerrier  Chretien  ,  *  qu'il 
avoir  fait  mettre  autour  de  ses  amnes  8c  de  ses  tapisse- 
ries  :  Judicium  Domini  apprehendit  eos  ;  &  fortitudo  ejus 
corroboravit  brachium  meum  ? 


*  Franjois  Lopes  de  Coraarc.  Hist,  des  /ndes. 


43  i  P  R  JE  F  A  C  E. 

Le  caradere  eleve  de  Cortes  ,  &  le  Mcxique  pfe»^ 
que  aussi-tot  conquis  que  decouvcrt ,  sont  done  Ic 
principal  objet  de  cette  Tragedie ,  dont  la  more  de 
Monteiume  est  la  catastrophe.  Quel  evenement  &  quel 
personnage  a  mettre  sur  la  Scene  !  Si  pour  Thonneur 
de  la  notre  ,  je  fus  sincerement  fache  que  MoLiere 
n'eut  pas  traitd  la  Metromanie  ,  je  ne  dus  pas  Tetre 
moins  de  voir  un  dessein  si  riche  execute  par  un  aussi 
foible  pinceau  que  le  mien.  Le  Genie  ami  de  la  France , 
qui ,  entre  autres  couronnes  litteraires  j  lui  destinoit 
la  dramatique  ,  devoit  bien  o£Frir  a  la  Muse  du  grand 
Corneille ,  une  matiere  si  susceptible  de  sublime  ,  &  ne 
la  pas  remettre  non  plus  que  tant  d'autres  matieres  pre- 
mieres des  deux  genres  ,  a  des  temps  de  decadence. 
Ainsi  j'appelle  a  regret  ,  mais  puis-je  appeler  autre- 
ment  les  jours  d'un  Parnasse  enerve ;  ou  par-tout ,  du 
cepte  dans'  les  courageuses  Prefaces  du  Glorieux  &c  est 
Dissipatekr ,  j'entends  se  plaindre  &  s'ecrier  sans  cessc 
que  tout  est  dit.  Telle  est  I'opinion  generale.  Sujets , 
Episodes ,  Incidens ,  Sentimens  ,  Caraderes  ,  le  meil- 
leur  &  le  plus  beau  de  tout  cela ,  dit-on ,  est  enleve ; 
tout  est  fait ,  tout  est  epuise  \  I'Art  est  a  sa  fin.  Pure 
illusion  de  I'insuffisance  ou  de  la  paresse  •,  &  source 
malheureuse  de  ces  pretendues  nouveautes  ,  qui ,  dans 
le  Tragique  sur-tout,  ne  sont  depuis  si  long-temps- 
qu'une  puerile  repetition  des  memes  choses ,  &c  pres- 
que  des  mcmes  paroles  un  peu  diiferemment  combi- 
nees  ,  &c  reproduites  a  la  faveur  d'un  titre  inoui  ou  dc 
quelques  personnages  fad:ices.  Consultons  I'oracle  de 
Gascogne :  selon  Montaigne  ,  loin  que  tout  soit  dit ,  il 
s'en  faut  presque  tout ,  que  tout  ne  le  soit.  Et  pour 
moi  qui  n'ai  que  trop  ose  me  meler  de  parler  &  d'e- 
crire ,  j'ai  senti  mille  fois  ,  &  j'eprouve  tous  le«  jours  , 

que 


P  R  £  P  J  C  £,  4^} 

qiie  presque  rien  ne  Test  encore ,  en  fait  seulcment  de 
sentimens  boiis  ,  tendres ,  genereux  ou  reconnoissans* 
. L'Art  ayaiiCi  en  effet,  la  nature  pour  ressouice  &pout 
objet  3  il  ne  sauroit  tarir  qu'avec  elle  qui  ne  carit  ja- 
maisw  Ce  n'est  done  point  Mrt ,  c  est  TArtiste  qui 
manquei  Ars  longa  y  Musa  l>revis.  Que  de  tresors  de 
moins  en  Europe  ,  si  ,  aprcs  k  premiere  fouille  deS 
mines  du  Perou  ,  on  avoir  pense  la  ,  comrae  on  pensc 
aujourd'hui  sur  notre  Parnasse  !  Heureusement  pouc 
ies  Affames  d'or  &  d'argelit  ,  la  cupidite  n'est  paS 
une  passion  qui  s'endorme  ni  qui  se  relache.  Elle  fait 
encore  &  fera  creuser ,  s'il  se  pcut ,  jusqu'au  centre  de 
laterre.  Que  la  Poesie  de  meme  ne  redouble-t-elle  aussi 
de  courage  ?  Et  tandis  que  Tavarice ,  sous  le  fouet  de 
cette  cupidite ,  descend  &:  s'enfonce  auTartare-,  que  , 
de  son  cote ,  le  Genie  poetique  >  pique  du  plus  noble 
des  aiguillons  ,  ne  s'eknce-t-il  aux  nues  sur  Ies  ailes 
du  pur  amour  de  k  gloire  ?  J'avoue  que  ce  pur  amour 
dela  gloire  dont  j'ai  toujours  ete  embrase ,  laisse  biert 
un  libre  essor  aux  talens  i  mais  qu'il  n'ajoure  rien 
a  leur  etendue  ,  &  que  je  dois  craindre  d'avoir  tente 
au-dela  de  mes  forces  ^  &  certes  le  poids  ici  grossis- 
sant  a  chaque  pas ,  cut  bien  du  me  faire  a  chaque  pas 
sentir  que  je  Ies  avois  mal  mesurces.  Qu'on  daigne 
Jeter  un  coup-d'oeil  isur  k  carriere  ou  je  m'etois  engage  , 
on  s  appercevra  bien-tot  de  k  disproportion  que  je 
reconnois  trop  tard ,  &;  que  me  caehoient  le  piquanC 
du  neuf ,  &  I'amour  du  travail. 

11  ne  s'agissoit  pas  moins  d'abord  ,  que  de  repandre 
<i'un  bout  a  I'autre  dans  k  Piece  ,  &  de  kisser  apres 
elle  une  idee  suflisante  &  ckire  dd  la  plus  rare  des 
Cionquetes  &  du  plus  grand  des  Conquerans.  11  fii||Qit 

Tome  lit     JE  c 


4^4  PREFACE, 

apres ,  merrre  en  action  plus  qu'en  reck ,  quantite  de 

fairs  ,  de  moeurs  ,  5c  de  caraderes  d'un  genre  tout 

nouveau ;  parler  presque  une  langue  etrangere  j  atta- 

cher  de  la  vraisemblance  a  des  verites  qui  n'en  oiit 

point  j  Jeter  un  interet  vif  &  quelque  amenite  dans 

tout  ce  Barbaresque ;  faire  cnfin  marcher  avec  grace  & 

•dignite  ,  notre  Melpomene  fran^oise ,  par  les  chemins 

'^u  monde  les  moins  frayes  &  les  plus  raboreux  pour 

elle.  II  falloir  rout  a  la  fois  narrer ,  agir ,  etonner  , 

■persuader  ,  roucher  8c  plaire.  Quelle  enorme  eiirre 

prise  pour  moi ,  sans  parler  de  Tespace  erroit  de  trois 

unites  ,  non  plus  que  du  labeur  ingrat  de  notre  epi- 

neuse  versification  \  dans  laquelle ,  qui  pis  est ,  les 

•inutilites  sonorcs  Sc  brillantes  ,  nommees  recemment 

Beautes  de  detail  ,  I'emportent  aujourdliui  tout  d'une 

voix  sur  la  precision  ,  la  regularite  ,  la  jusresse  6c  la 

force  J  sur  le  bel  ensemble  j  sur  ce  qu'Horace  appelle 

Series  junciuraque  J 

Voila ,  dis-je ,  une  terrible  tache*,  8c  n'en  voila  tou- 
tefois  que  la  moitie.  L'usage  me  prescrivoit  I'autrc. 
L'irapitoyable  usage  ,  ce  Tyran  devant  qui  tout  rai- 
•sonnement  tombe ,  a  statue  qu'il  y  auroit  de  I'amour 
^ns  nos  Tragedies. 

Comment  ,  sans  detonner ,  fondre  une  couleur  si 
tendre  8c  si  douce  avec  d'autres  si  dures  8c  si  fieres'J 
Tout  ce  que  j'y  sus,  pour  conserver  quelque  hap- 
monie  dans  I'ordonnance  &  dans  le  coloris  du  Tableau , 
te  fut  ,  en  construisant  ma  Fable  avec  toute  la  pre- 
cision donr  j'etois  capable  ,  de  faire  que  TAmour , 
cet  accessoirc  embarrassant ,  devint  la  base  meme  du 
€ujet  principal.  II  est  eu  cffet  le  ressort  primitif  &  con^ 


P  R  i  F  J  C  E.  4^^ 

tinucl  de  radtion.  Pour  en  juger ,  on  ne  sera  pdut-etr0 
pas  fache  de  v^-ir  cette  i  able  ,  ou  tout,.iioaTUS  TA-^ 
mour ,  esc  purement  histonque.  ir 

FABLE   DE,L*AVANT-S  C  E  N  E.?;. 

Cortes  raal,  paitage  dcS  bidis  de  la  fortune  ,'  dc- 
vient  amoureux  en  i^s^agne  ,  ik  parvieiit  a.  s?  faare 
aimer  d£/v/V<r,  fple  de  D.^<'«ire,.irreconcilial?le.fnnerai 
delamaison  6.ts  Cones.  L'niegafitc  des  fortunes  &  la 
haine  invitsrce  des  deux  families  forment  dieur  graiids 
obstacles  au  Iponheurde  cecamour^  Le  brayc:&:  pasa 
sionne  Cascillan  j,  ne  voir  qu'un  moyea  de  les  siirmoii* 
ter.  Detexrer  des  trcscts;  &:  les  d^terrerpatdesvoies 
Si  gloneases  ,pour  lui^  :&.'$i  avantageuses  en  memc*  j 
temps  aux  Espagnols  ,  qu'cn  lui  doniiant  des  droits  . 
$ur  I'estimede  JD.  i?^afre ,  clle  pussent  lui  miritorencore 
la  mediatiqrtdarMonarcjae  aUprjs  de  ce  pc'ie  rnikxi^ 
ble.  L'AtuaiqueVenoit  d'etre  decouverte.  II  y  portb 
ses  vues  ,  y  pas^e,  y  combat,  y -conquiert ,  y  tricmJ 
phe.  Omnia  vkiat  amor,:  De  p.todi2,es  en  prodiges^i 
Cortes  ayaor: pcnctrj jusrqu'au  hlexique,y  fait  SsDo 
€ntree  daiis.  la;Capitale.eaa;vainqueur  pacihque ,  &c  re'^ 
vctu  dacara "l:ere  saci^  d'Aihbassadeur  deCHARLE.Vi 
U  y  demande  en  cecte  quaUte  I'hammage  que  rout 
f  Jmveis  ,  dit41  i   doit  &.renda  son  Alai^tre  ,  I'ob* 
dent,  &  lejrer-oit  solennelleraenT;  Mais  ce  n'etoit.dc 
la  parcde.cesBarbares  qu'uiif  vaine  d^firence ,  pour 
mener  a  .maxunte  le  .conipJbt  .d'uin  massacre  general 
des  Esp^qQls^CoRiES  ayanr,  evelice  Tccage,  le  con- 
jure ,  ou.du-moiiis  le  suspend  par  un  coup  de  vivB 
force  &  d'eciat  qiiin'eut  jamais  d'exemple.  remerite, 
si  Ton  veucv  mais  remerite  nicessaire  ,  &  qui  de  plus 
fiuc  heureuse.  Jl  fait  mourir  publiquement.,  &  ^i^as 

E  e  ij 


4^^  P  R  i  F  A  C  1£, 

toutes  les  formes  de  h.  Justice  ,  les  Chefs  de  k  cons- 
piricion.  Tour  de  suite ,  a  la  tetc  des  sieus  bien  armes , 
il  passe  de  son  quartier  au  Palais  du  Roi ,  Tinterroge 
au  milieu  de  s&s  Gardes  ,  le  fait  charger  de  fers  ,  &; 
remmsne  en  cet  etat,  jusqu'au  logement  des  Espa- 
gnols ,  £i  travers  un  Peuple  que  la  terreur  saTibloit 
avoir  petrifie. 

FABLE    D£    LA    P  f  f  t^'fe 

Cortes  est  informe  quelques  jours  apres ,  qyxt  < 
sans  le  menager,  on  se  dispose  au  Temple  a  sacrifier 
deux  Europeens,  que  la  tempctc  avoit  jetes  sans  armes 
sur  ce5  bordsi  Patriotisme ,  humanite  ,  bravoUre  < 
honneur  ,  son  propre  interet ,  tout  veut  qu'une  se-=» 
conde  fois  ,  il  ose  encore  au-dela  des  bornes.  II  sc 
remet  done  sans  balancer  a  la  tete  de  ses  Determines  ^ 
vole  aux  autels  ,  &  le  Pistolet  a  la  main  ,  enleve  leS 
deux  vidimes  de  dessous  le  couteau  des  Sacrificateurs* 
Ces  deux  vidimes  ctoient  Ehire  &c  D.  Pedre ^Coktes 
ne  les  reconnoit  point  dabord  par  des  circonstances 
ajustees  trcs-naturellement  au  Theatre.  Le  tissu  deS 
eyenemens  qui  d'Espagne  conduisent  ici  deux  person* 
nages  si  necessaires  a  ma  Scene ,  se  developpe  k  rouy 
verture  du  second  Adle y  mais  ce  n'est  qua  la  fin  dii 
troisieme,  que  CoRxis  reconnoit  Elvire  ,  aii  moment 
fatal ,  ou  ,  par  sa  propre  eiitremise  Sc  de  I'aveu  de  D: 
Pkdre  ,  Mvate^ume  est  pret  a  I'epouser.  La  derniere 
hostilite  commise  au  Temple ,  quoique  phis  dange-* 
reuse  encore  pour  lui  que  la  precedente  ,  puisqu'elle 
hiteressoit  au  vif  les  Pretres  &  leursorte  deRehgion  ^ 
ij'a  que  des  suites  heureuses.  Apres  bien  de  nouveauiS 
obstacles  ,  suscites  d'un  cote  ,  par  la  fureur  des  Pre^ 
«Bes'>  dc  I'autre  par  la  parole  domiee  3.MQn:eiumeLjSc 


T  R  i  F  A  C  E.  457 

par  Ic  depit  CGurageux  de  riiifortune  D.  Pedre ,  mais 
ieves  tous  par  la  tendre  magnaniniite  dc  son  Libera- 
tcur ,  par  sa  vaiUance  &  par  la  mort  du  Roi  >  ce  nouvd 
exploit ,  dis-je  ,  occasionne  &  determine  le  triomphe 
df,  I'Amour  &  de  rheroisme.  Le  Mexique  acheve  dc 
se  soumettre  ,  le  coeur  du  vicil  Espagnolde  se  rendre  , 
&  C0B.T6S  d'etre  heurcux. 

L' Amour  ici  me  paroit  d'autant  plus  artistement 
imagine  ,  que  tout  intrus qu'il  y  est,  au  lieu  d'y  nuire, 
il  y  preside ',  8z  que  c'e&t  lui  qui  prepare ,  qui  noue  8c 
quidenoue  tout  le  reste.  L'heroisme  &  lui  se  donnent 
mutuellement  la  main  d'un  bout  a  I'autre  de  la  Piece, 
II  a  meme  encore  cet  avantage ,  qu'il  ne  forme  point 
de  ces  unions  subites  ,  monsrrueuses ,  &  mal-assor- 
ties  ,  que  Timagination  peu  reglec  d'un  Aureur ,  fait 
naitre  quelquefois  entre  deux  coeurs  &  deux  personnes 
effroyablement  etrangeres  Tune  a  I'autre ,  par  le  climat 
&  par  la  Religion.  Ici  la  sympathie  y  source  ordinaire 
de  cette  passion  ^  emane  au  moins  du  sein  de  la  par- 
faite  vraisemblance^  Ehire  8c  Cones  transportes  sepa- 
rement  8c  se  retrouvant  dans  un  nouveau  monde  , 
sont  ries  sous  le  meme  Ciel ,  eleves  dans  les  memes 
principes ,  8c  depuis  long-temps  epris  Tun  de  Tautrc* 
Ici  le  Theatre ,  la  Nature  8c  la  Morale  se  raprochent 
8c  se  concilient^  Rien  n'est  violente.  Aus&i  THeroi'smc 
8c  I'Amour  se  trouvent-ils  riecessairement  couronnes 
ensemble  a  la  fin  ,  legitimement  couronnes  j,  &  ce  qui 
n'en  est  que  mieux  ,  couronnes  sans  le  secours  de  la 
jnachine  usee  ,  je  veux  dire  du  melange  politique  8c 
rebattu  des  droits  de  jl'Heriticre  avec  ceux  du  Con- 
querant  d'UR  Trone..  Ferai-je  ci^ore  observer  dans 
cet  amour  dont  je  m'applaudis  pcut-etre  un  peu  trop  j^ 

Ee  iii 


43  8  1*   n   E  T  A   C  P. 

tine  circonstance  qui  devroit ,  ce  me  semble ,  le  renctep 

agreable  du  moins  aux  piemijies  loges  ?  C'est  qu'amsi 

que  le  via.semblaDle ,  comme  on  vieat  de  le  voir  ,  a  sx 

|)ai.t  au  pouvoir  de  cec  amour  i  le  Beau-sexcde  I'liu-^ 

Tope  a  la  sienne  aussi  aux  launers  des  Vi  tlorieux  ,  6d 

>que  ses  charmes  ayant  etc  le  mobile  de  la  valeur  &  Ic 

but  de  la  conquete ,  participcnt  a  la  gloirc  du  Con- 

querant.  i  ant  d'heureuses  convenances  n'etoient  pas 

Faciles  a  rassembler  avec  ordre  &  precisiori.  J 'en  fais 

juge  la  Galefie  ,  &  le  cHC^bre  Auteur  de  Zaire  & 

d'Alzire  lui-meme  ,  tout  le  premier. 

■ '  •'■? 
,    Mais  aussi ,  de  tant  de  difficultes  a  vaincre ,  il  poar- 

roit  b:€n  crre  arrivi  ,  comme  j'ai  dit,  que  j'eusse  plie 

50US  le  fatdcau  j  je  saurois  a  quoi  m';en  tenir  a  cec 

egard  ,  si  le  I  ublic  eut  voulu  m'^clairer  :  car  moij 

Ouvrage  j  quoiqije  jous  plusieiirs  fois^*  nefut  jamais 

cntendu  nj  vu.  Vi>ici  COHiii|ej-ijE> ■ --  r ,  j  3;; 

,11  essuya  d'abbrd  un  furieux'contre-temps.  Ce  fut 
cl*erre  donne  dans  le  cours  des  repetitions  de  Merope, 
La  juste  impatience  publique  ou  particulicre  ,  6.1s. 
Igu'il  sagit' des  nouvelles  produ6bions  du  celebre  ' Au- 
reur  de  cetre  Ijece  ,  est  un  torrent  qu'il  est  trcs-dan- 
^ereiix  pour  ses  CoiTipetiteurs  d'avoir  derri>re  eux.  Il 
h'est  digue ,  tant  forte  s  .it-elle ,  qui  bientct  liC  rompe  ^ 
5^  nous  yoila  submerges.'  Gufr<2vc  eut  eu  le  sort  de 
Cortes ,  s'll  eut  eu  le  malKeiif  de  preceder  Zn'ireVll  la 

%^saprudemmcnt  passer  (ieVkh^,  &  s'ttlXtoriHhieni 

.y     .      :'   ::       ::;  ■'     :.  '  .  ;:"'r:r:''^:;  ,  /:  r.rr,  ■::^'o  j?.z  r     ( 

^  Mais  un  d:;savantage  moms-t?i^it.ivdque' &  pltis-'-red  j^ 
cjui  du  resr^  pouvoit  fort  bien*  etle  uric  suite  assez  rifitu- 
jeile-de-celui  que  je  viehs  de  ^drre,  eest 'que  la  pre-' 
wiere  tt^rcseritation  fut-fe  jbllbt  du  tuitiulte-extradir* 


PREFACE.  4j^ 

dinaire  d'une  Assemblee  trop  nombreuse  &  mal  a  son 
aise.  De  ce  tumulte  se  devoit  ensuivre ,  &  ne  s'ensui- 
vit  que  trop  aussi ,  le  desordre  de  la  memoire  «Sj  da 
jeu  des  Acteurs.  De  manicre  que  I'auditoire  ,  en  sor- 
tant ,  n'emporta  que  i'idee  d'une  grandc  foute  &  de 
biendu  bruit.  Telle  fut  la  premiere  representation,  qui 
par  consequent  n'en  fut  point  une.  On  va  voir  que 
toutes  les  autres  en  meriterent  encore  moins  le  nom. 

La  toile  baissee,  les  Comediens  ne  s'imputant  rien,  non 
plus  qu'aux  circonstances ,  s'en  prirent  uniquement  a  la 
Piece.  lis  la  remirent  sur  leur  bureau  ,  Sc  croyant  y  voir 
des  longueurs ,  conclurent  a  des  retranchemens  consi- 
derables ,  Sc  les  firent ,  d'un  jour  a  I'autre  ,  a  tort  &  h.. 
travers  ,  sans  me  consulter.  Par  cettc  belle  operation  , 
disparurent  du  Theatre  trois  ou  quatre  cens  vers  qui 
ne  pouvoient  manquer  d'etre  fort  essentiels  a  I'inteili- 
gence  d'un  Po'eme  dcja  si  concis  selon  mon  pouvoir  ,r 
dc  si  precis  dans  son  tout ,  szs  parties  &c  ses  details. 
Que  penser ,  en  effet ,  de  ces  coupures  faites  a  la  hate , 
&  de  pareille  main  ,  quand  pour  le  faire  sous  ceuvre 
&:  sans  endommager  Tedifice  ,  I'Auteur  eut  au  moins- 
demande  autant  de  temps  que  tout  I'ouvrage  en  a  pa 
couter  S  Les  tenebres  le  couvrircnt  done.  Jc  devins. 
chaos.  Je  n'avois  pu  me  faire  ecouter  la  premiere  fois  j. 
toutes  les  autres  ,  je  fus  inintelligible.  J'oi^'re  done  ici 
au  Ledeur  la  Tragidie  de  >Cort£S  ,  telle  que  je  I'ai 
faite  ,  sans  aucune  correAion  y  puisque ,  comme  je 
viens  de  le  dire  plus  haut ,  le  Public  ne  m'ayant  point 
entendu  ,  szs  avis  n'ont  pii  m'eclairer.  Ainsi  j'ose  I4 
produire  coiimie  une  ebauche  qui  pourroit ,  avec  l^ 
temps  J  parvenir  a  quelque  chose  de  micux.  Peut-<!^'tie 
se  trouveta-t-U  quel^u'un  .4?  ,9PS  J^apidaires  ils^^^ 

E  e  i? 


44<^  PREFACE. 

qui,  pour  n'avoir  pas  eu  lebonheurde  deterrer  une 
belle  pierre  &:  I'avoir  fa^onnee  les  premiers  ,  ne  dedai- 
gnent  pas  la  peine  &  Thoniieur  dc  la  repoHr  &  de  la 
hrillanter  au  gout  du  temps.  Un  troisieme  Artiste ,  plus 
liabile  encore  que  le  second,  peut  le  suivre  &  rencherir. 
Ainsi ,  de  degres  en  degres  ,  cette  Tragedie  s'embel- 
lissant ,  il  en  resteroit  au  Theatre  un  bon  Ouvrage  de 
plus.  Mes  Successeurs  se  rapproprieront  \  8c  le  pre— 
inier  Metteur  en  oeuvre  ,  tandis  c^u'ils  triompheront  , 
sera  dans  Toubli, 

Je  ne  mets  done  pas ,  conime  on  a  vu  ,  ce  mauvais 
succes  si  fort  sur  le  compte  d'autrui ,  qu'avec  justice 
&  franchise ,  je  ne  m'en  attribue  une  bonne  partie  k 
jnoi-meme ',  &  des-lors ,  je  serois  bien  peu  raisonna- 
t>le ,  si  loin  de  me  lamenter  sur  une  si  petite  disgrace  ^^ 
au  contraire ,  je  ne  m*en  felicitois  pas  j  puisqu'en  m'a- 
vertissant  de  mon  declin ,  die  m'a  fait  prendre  le  sage 
&  paisible  parti  de  la  retraite ;  au  lieu  qu'un  peu  de 
bonheur  ,  en  m'encourageant  mal-a-propos  ,  n^eutr 
$ervi  qu*a  prolonger  Tegarement  ,  &:  qu'a  me  faire 
tenter  encore  de  vains  8c  penibles  efforts  dont  assu- 
lemenc  je  me  passe  tres-bien ,  8c  le  Public  encore 
mieux  i  revenu  sat-tout ,  comme  je  commence  a  m''ap- 
percevoir  qu'il  Test ,  des  Ouvrages  de  pur  agrement, 
X.a  Bagatelle  en  effet ,  si  je  ne  me  trompe ,  est  un  peu 
sur  le  cote,  Les  esprits  me  semblent  avoir  passe  du 
blanc  au  noir.   D'hier  ou  d'avant-hicr ,  pour  jusqu*4 
Je  ne  sais  quand ,  le  gout  sur  Faile  ctendue  des  Sciences 
Utiles ,  nous  abandonne  8c  tire  droit  au  solide.  Du 
jTioins  je  voii  qu'aux  tables ,  dans  les  Cafes  ,  aux  pro- 
menades ,  aux  toilettes ,  tout  est  deja  Physicien ,  Ne-« 
gaci^it,  Guerrier  ^  Ministry*  On  ne  park  pins  qu'Ektr 


PREFACE.  441 

tricitc  ,  Finance  ,  Agriculture ,  Commerce ,  Industrie , 
Population  ,  Politique  &  Marine.  Quel  role  a  tra- 
vers  de  si  grands  objets ,  veut-on  que  joue  bientot 
la  malheureuse  Poesie  ,  &  sur-tout  la  Francoise  ?  Nc 
toucherions-nous  pas  meme  au  moment  ou  les  Biblio- 
teques  vont  se  debarrasser  de  son  poids  immense, 
&  nous  reduire  tous  au  nombre  de  quatre  ?  Ce  se- 
roient  sans  doute  Moliere,  Corneille  ,  Racine  Sc 
La  Fontaine.  C'est  assei  d'eux  ,  dira-t-on  ,  pour  U 
besoin  qu'on  a  de  ces  sortes  d'Ecrivains  :  Corneille  sera  le 
Vo'ete  des  Hommes ,  Racine  celui  des  Femmes ,  La  Fontaine 
celui  des  Enfans ,  &  MoLiERE  celui  de  tout  le  Monde,  Si 
le  grand  Despreaux  n'en  est  pas  ,  qu'il  s'en  prenne  a  son 
chef-d'oeuvre.  Sa  Po'etique  est  son  titre  d' exclusion.  A  quoi 
pourroit-elle  servir ,  qu'au  pr ogres  tout  au  plus  d'un  art  pue- 
rile &  superfiu  ?  Adieu  mes  Confreres ;  adieu  Ledeurs  j 
adieu  Muses.  ]  \ 

Vixi:  &  quern  dederat  curfum  fortuna  peregL 

Voilk  ma  course  tcrminee , 
£t  j'ai  lempli  ma  dcstincc 


Vi  ■;>  i?.!i" 'rsf.^Vi  v\ 


sa 


PERSONNAGES. 

G  O  R  T  E  S ,   Conquerant  du  Mexique. 
MGN'TIZUME,  Roi  du  Mexique. 
t^2^RAND-PRETRE  du  Mexique. 
D*-.p  £  D.RE,  Goiiverfieur  de  la  Jama'ique* 

i^-i=  '■  --.1  .-J   '    .-.■::■■  ■ 

ELVIRE,  Fille  de  D.  Pedre. 

A  G  U  I  L  A  R ,  Parent  de  D.  Pedre. 

Troupes  d'Espagnols  &  d'Ameriquains. 


La  Scene  est  a  Mexico  j  dans  un  des  Palais  de 
Monte\ume  j  dccupe  par  les  Espagnols. 


"^'^  445 


iiMi'iii"ii'iriHwiiit'PiinnEs 


T  RA  G  E  D  I  E. 


A  C  T  E  -  P  R  E  M I E  R. 

SCENE    PREMIER  E,,^ 

M  O  N  1'  E  Z  U  M  E  les  fers  aux  mains  , 
L£  GRAND-PRfelRE. 

MONTEZUME. 

jLTi.iNiSTREclesfanxDienxc]uerAmcnqucencensc, 
Tcmoin  dc  mon  opprobre&  delenr  impuissance, 
De  quelle  paix  tncor  ,  siir  cle  pareils  appuis  , 
Me  viendroistu  flatter  dans  le  trouble  ovi  je  siiis  ? 
Tci-ivieme,  laissant  la  ces  Dicux  que  je  meprisc , 
Calnic  tes  proprcs  sens ;  reviens  de  ra  surpriise  j 
Am  rapport  de  tes  yeux  tache  d'ajouter  foi  j 
lis  net'abusent  point. Oui:  c'est  moi,  c'est  ton  Roij 
Le  Roi  des  Mexjquainsj'orgueilleux  Montczume 
Qua  ces.  fers  queru  vois  sa  tri  tesse  accoutume  j- 
Et  qui ,  d'un  esclavatre  ncrovable  a  iamais ,  - 

Eart  cette  eprcuv<J  horribleai  son  pi  opre  Palais.  >l 


'444      FERNAND-CORT&S, 

LeGrand-Pretre. 

Quel  spedacle  en  effet !  quel  exemple  effroyablc 
DticeicstereoiirrouxqLi'allumeun  Roi  conpabie! 
Dii  poiivoir  de  nos  Dieux  faiit-il  d'ailtfCs  teiiioms  ? 
MaHieureiix  Monfiznme,  instruisez-vousdu  moins. 
Reconnoissez  la  maui  dontles  coups  vousctonnent. 
Yotis  meprtsiez  nos  Dieux :  nos  Dieux  vous  abandomient. 
Et  jouetd'un  pouvoir  dont  vous  osez  douter , 
Vouslcurservez  vous-mlmc  a  le&ice  cclater. 

MONTEZU  ME. 

Ou  sefoitTcur  justice?  EIi  pourquoi  fa  vengeance 
Auroit-elle  cclate  long- temps  avant  roffensc  t 
De  FAstre  dont  le  cours  mesure  idles mois , 
La  face  entiere  a  peine  a  resplendi  six  fbis , 
Dcpuis  que  du  Soleil  les  Enfans  invincibles 
Toucherent,  sous  Cortes,  nosbordsinaccessiblesj 
Ec  maitrisant  la  Mcr  &  les  Vents  en  courroiix ,    ;. 
S;ir  des  Chateaux  flottans  voguerent  ^usqu'a  nous^ 
Quel  autre,  avant  ce  jour  pour  nous  si  memorable,. 
Fut  plus  que  moi  fidele  au  culte  abominable 
Que,  du  sang  des  Captifs  a  Tautel  egorges  y 
Consacrent  par  tes  mains  d'aveugles  prqllges^ 
TouteFois,  tule  sais ;  enfus-jeplus  tranquillc  i^~.  :A 
Ma  piece  toujours  Rit  un  crime  inutile.         '.  i  i\l 
C'en  etoit  fait  deja.  Les  sources  de  refirot ,  :^>^  t)  I 
Du  fond  du  noir  abysme  avoienc  jailli  sur  moi.  p 
Deja  persecute  de  visions  funestes  ,  i 

Je  tombois  sous  le  poids  des  vengeances  cclestct. 


All  pied  dc  tes  Autek  ,  au  sein  des  volnptoi^'f :  :> 
Un  ^pedre ,  jour  &"  nuit ,  debout  ^  mes  cotes  , 
D'un  avenir  affreux  me  prescntant  Vimigt^  ^  ^'^4 
Abattok  ,  comme  encore  il  abat  mon  courag^^'/ 
Le  doigpd'un  Iiivinsible,  au  milieu  de  ma  Cour,j|; 
Sur  ce  lanibris  superbe  appuyje  OT.it  ■&  i.mir;,^:-  33 
.OfFroit  a  -mes  regards ,  me  peignoir  a  Tidee ,  r~) 
De  rivieres  4e  -sang  I'Amcrique  inondec  ,  ,  if^^ 
Devarit  un  Hon^me  seui  tous  Jes  Miens  e^raycs/^p 
Nos  Villes  y  mes  Palais ,  tcs  Temples  foudroycs  ,\^ 
Men  Pevipie  disparu*  Voila  d€,qv^"el?  auspice&:rr:D(i 
Tes  pieuXilepuis  un  an  ,  payoicnt  mes  sacrifices^ j: 
Et  faux  ou  vrai  ton  zele  ardent  a  m  egarcr-.;, v^;;^^ 
Veut  encore  k  ce  prix  me  les  faire  adorer  J  ri^jrji''^ 

Oui:  croyez-eriHQe  &ele  S?^  pjeux  &  si?ic€re»j.rr  ,^^ 
N«l  espoir,  qu'entachaudfiflticbir  ieur  colei^i 
NuUe  trjsve,  aux  te r reut^ ^dfent ;"YQV1? ;Gre?:a;teint  #  [{ 
Qu'en  rallumant  I'encens  que  vous  avez  cteinr. 
Qu'osez-vous  i:cprodiEr:5.t:e5  Dieiix  tutelaires  ? 
lis  vous  ouvroient  les  yeux.  Leurs  avis  salutairei 
Vous  annoncant  des  mauxaises;4  pr^vemr;,  <"'tj'*'l 
De  sa  fatalite  desarmoient- raVcfnir.         ^  •  i" -jdA 
Que  n'en  profitiez-vous  ?  L'Ennemi  q«i  4otttiiic^ 
Exterminera  tout;  si  foft  Hfe  I'ttxtafminel-'XfiO)  i?I 
Un  Dcmon-destruc^eur ;-  8c'qti*a  jvomi  t E"Fi.fcr ,":  ;1> 
L'amenc  expres  arme  de  la'iiamme  Sc  du  fcr.  >A 
Vil  rebut  du  Coiichant  ainsi  que  de  I'Aurore  v-^P 


44^      FERNAND'CORTiS, 

Sur  I'onde, au  grc  desvents  ,que  n'erre-t-il encore? 
Ou  que ,  pour  expirer  sous  le  couteau  mortel , 
N*a-t-il  eie  trainc  du  rivage  a  I'autel  ?  Ci 

Vous  avez  mieux  ainic  ,  Roi  foible  &  trop  facile*, 
Entre  ces  murssacrcs  Thonorer  d'un  a^yle. 
Et  de  quel  air  encor  vint  il  s'en  emparer  ? 
C'est  lui  qui ,  Tacceptant ,  sembloit  vous  honorer, 
Mais  que  n*a  pas  depuis  attente  son  aiidace  ?      'i-  -i-- 
G'est  peu  que  du  Mexique  il  ait  change  la  face  ;'^ 
C'est  peu  qu'il  ait ,  au  nom  de  je  ne  sais quel  Roi, 
Demande  voire  hommage,  cxige  votre  fo¥j'-f'^^ 
Et,  de  Tabaissement  de  votre  rang  supreme,    '^ 
Releve  la  splendenr  d'un  autre  diademe  \  3 

Violant  tous  les  droits  des  hoiiimes  &  dcs  DieiKS^, 
II  pille  vos  tresors ,  le^  disperse  a  yos  ycux , 
Ose  porter  sur  vous  une  main  sacrilege  ; 
Er,  par  un  charme  enfin  qui  tient  du  sortilege ,   ' 
Pour  ne  vous  rien  laisser  dont  vous  puissiez  jouir, 
II  vous  restoit  des  Dieux,  il  vous  les  fait  trahir/^ 

M  O  N  T  i^Z  tJ  M  E.  '  ^ 

Non,  jeu'ai  rien  trahi ,  quand  j'ai  de  r.Amtriquc 
Abjure  pour  jamais  le  cuke  chimcrique.  i 

De,£oiles  visions  tu  m'avois  infedc  i  O 

Et  ton  zele,  entre  nous ,  n'est  qu'un  zele  afFedevI 
Coqviens-cn.  J'en  ippelle  a  tes  propres  lumicresjr 
A  ce  qui  brille  en  toi  de  cqs  clartes  premieres 
Qup  refusa  le  Ciel  a  aos  An:eriquains,i 


T  R  A  G  E  D  I  E.  447 

Tu  fais  craindre  des  Dieux  que  cu  n'as  jamais  crainrs. 
Ta  bouche  les  annonce ,  &  ton  coeur  Ics  rcprouve. 
Tu  Ics  jugeas  toujours  tels  que  je  les  eprouve, 

*^^^'  Muets,  sourds,  impuissans,  simulacres  affieux,  ■" 
Teintsd'unsang  mille  foisplus  respedabic  qu'cust 
Mais  leui' fable  servant  de  base  a  ta  fortune,    '*'"' 
'  Tu  hais  la  verite  j  son  flambea^u  t'importune  5 
L'interet  6c  I'orgucil  sont  les  Dieux  que  tu  sers ; 
*Et  tu  sacrifierois  pour  eux  tout  I'univers. 
Pour  moi  je  me  conduis  par  un  plus  beau  principe* 
Je  nepeuxfuir  le  jour,  quand  I'ombre  se  dissi|)^. '. 
Je  n'examine  plus  ce  qu'irpeut  m'en  coutdr/  '» j 
L'erreur  est  le  seulmal  que  j'aye  a  redouter.  ''    ' 
^  J'aime,  je  plains  mon  Peuple;  &  ma  plus  chere  envie 
Seroit,  dusse-je  y  perdre  ^&  le  trone  &  lal/i&'l^  . 
Qu'il  seritit^  comme  rhdi ,  les  horribles  abus .;  '^'/ 
Dont  ta  Secle  odieuse  dime  a  nous  voir  iiiibusi ." 

" ' '  Cours  a  tes  Zelateurs  etalpr  mes  foiblesses ;     ;' 
Peins-leur ,  avec  mepris,  retat'ou  tu  me  Jilkes :  ^ 
.  Etonne-les  du  joug  ouje  suis  attache  .  -"^y  "'^''' 
Dis-leur  bien  plus  j  dis-leur  que  j*en  suis  |)feu.f  ouclhe. 
Non  que  je  ne  pensasse  en  vrai  Roi,  mais  pourTetrc 
D'un  vaste  continent  sufflt-il  d'etre  maifri^T  "'^.^ ',  . 
II  faut  encore  avoir  des  hommes  pour siijets.""^-',"^ 
A  ce  compte,  le  suis-je,  &  I'ai-je  ete  jamais? 
Ah!  si,  comme  il  est  vrai ,  les  Mortels  sont  Timage 
De  la  Divinite  qui  recoit  leur  hommage; 
A  des  Monscres  de  sang  votre  hommage  adrcsse 
Ne  dit  qUe'tfdp  le  nom  de  mon  Peuple  insensei 


:448       PERNAND-COilTiS, 

LE    GRAND-PRiTRE. 

Juste  Ciel !  Etqucl  nom  donner  a  des  Barbarcs 
Qui ,  dii  pouvoir  magique  armant  leurs  mains  avares, 
Et  repandant  par-tout  le  ravage  &  reflfiroi , 
Eux  seuls  ont  deja  plus  verse  de  sang .... 

MONTESUME* 

Tais'toii 
Voyons-les  d'un  autre  oeil,  Je  pese  &"  considere 
Ce  qu'ils  disent  du  Ciel  &  de  leur  hemisphere. 
J'y  decouvre,  j'y  sens  d'utiles  verites  j 
Et  nous  serions  heureux ,  sUls  etoient  ecoutes. 
Peux-tu  les  comparer  a  nous  tels  que  nous  sommes , 
Sans  reconnoitre  en  eux  de  veritables  hommes 
Fairs  pour  nous  inspirer  le  resped  &"  Tamour , 
Et  dignes  d'etre  nes  a  la  source  du  jour  j 
Si  leurs  coursiers  fougucux ,  leur  fer  &c  leur  tonnerre 
En  font  dans  le  combat  les  Demons  de  la  guerre  i 
Leurs  sciences >  leurs  arts,  &  leurs  loix  desormais 
Vous  feroicnt  voir  en  eux  des  Dicux  pendant  la  paix* 
Tlascala  dont  le  Prince  est  un  exemple  au  Votre , , 
S'est  ressenti  de  rune,  &  refleurit  sous  l%ittref  t 
Mieux  conseille  que  vous,  le  fier  Sicotenfal         , 
S'en  est  fait  un  appui  qui  vous  sera  fatal. 
Cest  a  nos  ennemis  laisser  trop  d'avantage  |,  .  ^  a 
Que  de  ne  pas  entrer  avec  eux  en  partage      /  ^^-r 
P'un  bien  inestimable ,  &■  que  ne  pairoit  pi^.C  a 
Tout  ror  que  je  possede,  &:  qui  nait  sous  vos  paSr 

'        Lfi 


T  R  A  G  E  D  I  E,  44J) 

Le  Gr  and-P  retre. 

Ainsi  lasse  dti  sceptre ,  &:  juraiit  notre  perte,  . 
D'ellc-meme ,  ^  ces  fers ,  Votre  main  s'est  offerte  J 

MONT£ZU]ME. 

5'ai  vu  fondre  sur  moi  cent  Guerriers  plus  qirhumains, 
Dont  le  moindre  est  I'efffoi  de  mille  Americains. , 
Leur  General ,  aux  yeux  de  ma  Garde  interdite ,     ''^' 
Se  venoit  plaindre  a.  moi  d'un  complot  qu'on  medite  > 
Me  demandoit  raison  de  qui  I'osoit  trahir , 
Et ,  la  foudre  a  la  main  ,  se  faisoit  obcir. 
J'ai  cede.  Qui  de  vous  nva  creuse  cet  abysme  t^  ?r!LE 
Tu  dis  que  rinfortune  est  un  effet  du  crime:        j  i 
Celui-ci  n'etant  pas  dans  le  nombre  d^s  raiens^  ^-'^^ 
Serois-je,  par  hasard,  la  vidime  des  tiens? 

Le  Grand-Pretre. 

Le  salut  de  I'Etat,  lorsqite  son  Roi  succombe , 
Pour  appaiser  nos  Dieux ,  demande  une  hccatombc. 
De  cent  Tlascaliens ,  ceints  du  bandeau  mortel , 
Demain ,  le  sang  va  done  arroser  leur  autel. 
Un  sang  plus  rare  encor  rougira  leurs  images. 
La  peur  a,  parmi  nous ,  glace  bien  des  courages  j^ 
Mais  son  vol  inconstant  pent  se  rourner  ailleurs  j ,  • 
lEt  vos  Maitres  bientot  reconnoitront  les  leurs.  '-jrvSS) 


tome  II.     F  f 


450       FERNAND-CORTiS^ 


SCENE     II. 
MONT^ZUME. 

V  AS,  retourne  a  ton  Temple  1  Egorge ,  tue ,  immolc } 
Baigne-toi  dans  le  sang;  souilles-en  ton  Idole ; 
Et  digne  ordonnateur  d'execrables  festins , 
Hate,  par  tes  forfaits,  nos  malheureux  destinsi 
Incertain,  agite,  plonge  dans  la  tristesse. 
Sans cesse  y  resistant,  y  retombant  sans  ccssz , 
Le  desir  de  la  mort  est  le  seul  sentiment 
Qui  demcure  a  mon  ame  attache  constamment. 

UA,,  ..'iBJt   '  ,wr8a'„,ijg!urr!a',{'r  -^'-'"-'■'  |"i-u.u"-^'i'*'--'^-j..^-"-.i.  i.mj.-i-tiji,jiiL]^ 

SCENE    III. 

CORT:feS,  MONTi^ZUME,  AGUILAR, 

Soldats  Espagnols, 

MONTEZUME    continue. 

t^'EST  me  trop  epargner  innocent  ou  conpablc , 
Cortes!  Lcve  sur  moi  ton  fer  impitoyable  1 
Je  deteste  les  jours  que  tu  m'as  conserves ; 
Frappe ! 

C  o  R  T  E  S  /ui  otant  ses  fers. 

Roi  de  Mexique,  esperez  micux ;  vivez: 


T  R  A  G  E  D  I  ^'^i^    45 1 

Soycz  librcj  regnezj  je  Ic  veux,  &"  j'ordonne 

Qu'a  cc  titre  on  respcde  ici  votre  personne. 

Je  devois  un  exemple  a  la  temerice 

Fertile  en  attentats  sous  votre  antorite. 

Vous  n'avez  part  arien )  j'aime  &:  veux  voiis  en  croirc  j 

Mettcz  a  le  prouver  vos  soins  &  votre  gloire. 

En  arrivant  ici,  j'aides  droits  les  plus  saints 

Confie  le  depot  en  vos  royales  mains ; 

Qu'elles  en  prennent  mieux  dcsormais  la  defense ; . 

Et  quand  on  nous  attaque,  apprenez  qu'on  oflfensc 

La  majeste  d'un  Roi  souverain  de  ces  mers , 

Et  dont  le  bras  s'etend  au  bout  dc  I'univers.  ~ 

N*allumez  pas  la  foudre  en  ses  mains  pacifiques; 

Allez  en  informer  vos  Pretres,  vos  Caciques. 

En  tumulte  ici  pres  ils  desirent  vous  voir ; 

Allez ,  &  les  rangez  vous-meme  a  leur  devoir. 

Qu'ils  ne  se  flattent  pas  non  plus ,  que  ma  justice    " 

Laisse  achever  demain  I'horrible  sacrifice         " '  "  "^ 

Dont  j'apprends  que  deja  I'appareil  est  dresses ''""^ 

Sur-tout  si  Tlascala  s'y  trouvc  interesse. 

Songez-y.  Paroissez;  parlez4eur  en  MonarquC; 

Reprenez-cn  le  ton ,  le  pouvoir  &:  la  marque. 

Et  vous  *,  qu'on  I'accompagne  •,  &:  que  votre  fierte 

Reprime  ici  I'audace  &  la  fcrocite. 


*  Asz  Suite. 


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Ff  ij 


4J1       FEKNAND'CCRTiS^ 

»      II    I       ■       I  '  '  ■  '        ■  ■■  '  *m 

SCENE   IV. 

.•  ...   CORTES,  AGUILAR. 
Cortes. 

JQh  bien,  brave  Aguilar  ^ai-je  cCarte  lesTraitrcs? 
Oscront-ils  encore  agir  au  gre  des  Pretres, 
Apres  avoir  souflFert  I'enlevement  du  Roi  ? 

A  G  u  I  L  A  R.  ; 

La  fureur  se  rallume  &  succede  a  TefFroi.  .: 

Le  zcle  Mexiquain ,  deja  Chretien  dans  Tame, 
Qui,  de  tous  leurs  complots,  nous  decoiivre  la  tramc, 
Dit  que  les  Mecontens  se  rassemblent  sans  bruit. 
Leur  rage  n'attend  plus  que  I'ombre  de  la  nuir. 
Dans  les  bras  du  sommeil  ils  comptent  nous  surprendrc; 
Et  ce  palais  ,&  nous,  reduire  tout  en  cendre.         : 
Tous  en  ont  fait  serment.  Demain ,  a  son  lever , 
Le  Soleil  sous  leur  ciel  ne  doit  plus  nous  trouver. 

Cortes. 

Ceux  qu'a  vus  Tabasco  dans  sa  plaine  sanglantc, 
Acentmille  Guerriers  inspirer lepouvante ; 
Contre  un  Peuple  en  desordre,  &  par  des  coups  plus  surs, 
Sauront  bien  se  defendre  a  I'abri  de  ces  murs. 

A  G  U  I  L  A  R. 
Nous  n'avionsla,  Seigneur,  nul  espoir  de  retraitc. 
W,ous  vaincjuimcs,  croyant  veager  notre  defaitej 


T  R  A  G  t  T)  1  E.  45  J 

Mais  ce  jour  mit  un  terme  a  nos  calamites  \ 
Et  nous  n'en  sommes  plus  a  ces  extremitey. 
Le  lac  ou  vous  avez  cent  barques  routes  prctcs  j- 
Lavant  le  pied  des  murs  du  Palais  ou  vous  etes , 
Vous  peut  faire  aiscment  regagner  Tezeuco. 
%Q^  Ports  nous  sont  ouverts.  D'ailleurs  a  Tabasco^ 
Vous  le  savez,  Seigneur,  Tardeur  etoit  nouvelle, 
Et  d'un  premier  butin  I'esperance  etoit  belle ; 
Mais  le  Soldat  courbc  sous  le  poids  des  tresors , 
Craint  de  perdre  aujourd'hui  ce  qu'il  cherehoitalors. 

-  ■"  "'        C  o  R  T  E  s. 
Quand  le  Soldat  sous  moi  marchoit  a  la  vidloire, 
S'il  cherchoit  des  tresors,  moi  je  cherchois  la  gloircj 
Et  m  en  etant  convert,  je  crains  ainsi  que  lui^ 
Ce  que  j'acquis  alors,  de  le  perdre  aujourd'hui.  ,  ^ 
Sur  ce  Soldat  enfin  j'ai  d'autantplus  d'empire^^ ,  -^ 
Qu'il  partage  avecmoi  cette  gloire  ou  j'aspire^  . 
Et  que  jusqu'a  present ,  la  peine  &:  le  danger 
Sont  tout  ce  qu'avec  lui  I'on  m'a  vu  partager*. 

A  G  u  I  L  A  R. 
A  vouloir  tcop  voler  de  vidoire  en  vidoire , 
Plus  d'un  Ambitieux  diminua  sa  gloire. 
La  Fortune  en  ces  lieux  vous  a  fait  un  accueil , 
Qui,  du  grand  Alexandre  eut  assouvi  I'orgueiL 
De  I'Hidaspe  Sc  du  Gauge  ayant  traverse  I'onde-^ 
Sa  valeur  a  I'etroit  desira  plus  d'un  monde. 
Les  voeux  qu'il  fit  pour  lui ,  pour  vous  sont  exauces;^. 
L'Ocean  I'arretoit,  &  vousle  franchissez. 

ffii| 


454       FERNAND-C  ORTiS, 

Qu'opposez-vous  encore  a  des  millions  d'hommcsj 

Mesurez  votre  gloire  a  ce  peu  que  nous  sommes. 

Quatre  ou  cinq  cens  tant  CheFs ,  Soldats ,  que  Matelots , 

Qui ,  transformes  sous  vous  en  autant  de  Hero5, 

Ont  si  bien  seconde  votre  main  triomphante , 

Qu'on  nous  prend  pour  des  Dieux  que  le  Solcil  enfantc ; 

Ec  que  de  Tlascala  le  Roi  presque  a  genoux 

S'est  cru  trop  honore  de  traiter  avec  vous. 

Sur  tous  ses  Devanciers ,  Cesar  a  I'avantage. 

Le  Tibre  disparoit  sous  les  lauriers  du  Tage.         ' 

L'Aigle  a,  du  Globe  eiitier  ,  fini  presque  le  tour ; 

Ec  I'Espagne  est  par-tout  ou  luit  I'Astre  du  jour. 

Qu'esperiez-vous  de  plus  ?  D'ailieurs,  que  seit  de  feindre  ? 

Ce  Peuple  nous  a  craints  plus  qu'il  n'a  dii  nous  craindre : 

Mais  il  craint  de  ses  Dieux  encor  plus  le  courroux. 

Des  deux  illusions  la  moins  forte  est  pour  nous. 

Ne  le  bravons  done  pas.  Risquons  moins  5  &■  que  Charic 

En  Maitre  desormais  se  presente  &  lui  parle. 

Nous,  de  rant  d'hcureux  jours  menageons  mieux  le  fruit , 

Et  ne  lesrendons  pas  le  jouet  d'une  nuit. 

Dans  votre  cceur  cnfin ,  s'il  est  fidcle  &  tendre. 

La  Fille  de  Dom  Pedre  cut  dii  se  faire  entendre. 

Elvire  vous  rappelle,  &  reste  a  conquerir. 

Que  dis- je  ?  Elle  esc  a  vous  5  &  vous  voulez  perir  ? 

Cortes. 
Elvire  ! 

A  G  U  I  L  A  R. 

Eh  quoi,  I'aurois-je  en  vain  nommee> 


T  RA  G  JE  D  I  E.  455 

C  O  R  T  E-S. 

Elvirc  1 

A  G  U  I  L  A  R. 

N'est-elle  plus  le  prix  oii  votre  coeur  aspire? 

Cortes. 

Ne  songcons  qua  la  guerre;  elle  est  notre  metier, 
Aguilar  j  laissez-moi  m'y  livrer  tout  entier ! 

A  G  u  I  L  A  R. 

Ainsi  done ,  enpartant,  vous  m'auriez  fait  Tinjurc 
De  me  prendre  a  temoin  du  plus  afFreux  parjure  J 

Cortes. 

Oui;  je  voulus  vous  voir  present  a  nosadieuxJ 
Qui ;  je  vous  fis  temoin  d'un  parjure  odieux  1 
Mais,  encore  une  fois,  soufircz  que  jeloublic. 

A  G  u  I  L  A  R. 

Un  sang  digne  du  votre,  Elvirc  &"  moi  nous  lie  » 
Et  je  rappellerai,  malgre  vous,  un  sermenc 
Que  je  ne  verrois  pas  trahir  impunement. 

Cortes. 

Rappelez-le  moi  done:  parlez :  je  vous  ecoutc» 

Aguilar. 

Deja  vous  soupirez.  Vous  ferez  plus  sans  doutc,, 
En  vous  ressouvenant  d'Elvire  toute  en  pleurs^ 
D'Elvire  qui  sanbloit  prcsager  scs  malheurs^     y 

Ffiv 


-45<^       FERNAND'CORTiSy 

L'eflfet  auroit-il  done  ^ustifie  ses  craintes, 
Et  repondu  si  mal  aux  propos  que  voustintes? 
Je  ne  puis  I'oublier :  par  de  plus  nobles  traits  ^ 
Le  Guerrier  amoureux  ne  s'exprima  jamais. 
33  Elv'trZy  dices- vous ,/'<zi/70ttr  astre  contrairey 
»  Et  de  nos  deux  Maisons  la  kaine  hereditaire  ^^ 
.3}  Et  le  desavantage  auquel  est  expose 
»  L'lwmmc  que  la  Fortune  a  peufavorise. 
»  Mais  que  ne  peut  un  coeur  que  le  voire  seconde  ? 
a>  Le  Ciela  ma  valeur  presente  un  nouveau  mondez 
»'  J'y  vole  ;  &  cette  epeey  fera  des  exploits 
3x  Dont  se  glorifieront  &  I'Espagne  6"  nos  Rois. 
»y  Que  Charle  a  man  Elvlre  en  doive  la  conquete  t 
>y  Que  d.e  myrtes  lui-mime  il  couronne  ma  tete; 
3>  Et  que  y  pour  s'^acquitter  envers  de  si  beaux  feux  > 
»>  II  contraigne  Don  Pedre  a  nous  unir  tous  deux. 
Yous  parliez  de  la  sorte  en  prenant  conge  d'ellc*. 

Cortes. 

Vous  me  voyez  muet  a  ce  recit  fideic* 

A  G  U  I  L  A  R. 

Vous  rend-il  avotis-m€n>e,ou  si  vous  nous  bravGzJ 

Cortes. 
Que  me  repondit-elle ,  Aguilar  I  Achevcz. 

-  ri:;of/T  A  G  U  I  L  A  R. 

Tout cc  que  la  tendrcsse &  I'honneur  peut  repoiidrc 


T  RA  G  E  D  I  E,  457 

Cortes. 
Tout  cc  qui  doit  servir  un  jour  a  la  confondrc! 

A  G  u  I  L  A  R. 
A  la  confondre  ?  6  Cicl !  Aurois-je  bien  oui  ? 

Cortes. 
Elvire  m'abandonne. 

A  G  u  I  L  A  R. 

Elle,  Seigneur?  Ellc? 

Cortes. 

OuL 

laterrogez  Henrique.  Oui  j  cctte  Elvire  memc 
Que  vous  vites ,  au  fort  de  sa  douleur  extreme^ 
Deplorer  sa  naissance  ,  injurier  le  sort , 
Detester  mon  courage ,  &  desirer  la  mortj 
Qui  jura ,  si  Tarret  de  notre  destinee 
Detruisoit  entre  nous  tout  espoir  d'hymenee. 
Que  du  moins  a  nul  autre  aucun  pouvoir  humain 
N  engageroit  jamais  ni  son  coeur  ni  sa  main ; 
Cette  Elvire  aujourd'hui  n'est  plus  qu'une  infidcllc; 
Et  qiiand  de  nos  succes  I'Espagne  a  la  nouvelle , 
Quand  de  notre  bonheur  Tunivers  s'entretient; 
Don  Sancheest  amoureux,  la  demanded  &  I'obtient. 

A  G  u  I  L  A  R. 

Je  ne  m  etonne  plus  de  la  melancolic 
Ou  votre  ame  a  paru  toujours  ensevelic , 
Depuis  que,  parmi  nous,  Henrique  est  de  rctour. 


458       FEKNAND-CORTJ^S , 
Cortes. 

Don  Pedre,  avec  Henrique,  arrivoit  a  la  Cour. 

Rappele  de  Texil  ou,  dcpuis  vingt  annees , 

Sa  fierte  gemissoit  au  pie  des  Pyrenees , 

II  venoit  exercer  on  ne  sait  quel  emploi. 

Mais  a  peine  avoit-il  entretenu  le  Roi , 

Qu'au  trop  heureux  Don  Sanche  en  accordant  sa  Fillc» 

ll  se  fit  suivre  d'eux ,  &  quitta  la  Castillc. 

A  G  u  I  L  A  R. 

Elvire ,  sans  douleur ,  n'aura  pas  obei  ; 
Et  c'est  son  devoir  seul  qui  vous  aura  trahi. 

Cortes. 

Ah,  quand  nous  cherissons  les  chaines  qui  nous  lient„ 
Nos  coeurs  &  nos  devoirs  bientot  se  concilient ! 
Libre  ou  non ,  qui  le  veut  garde  aisement  sa  foi. 
Elvire  a  pu  tout  faire ,  &  n'a  rien  fait  pour  moi. 
De  son  rigoureux  Pere  alleguant  la  puissance , 
Vous  ne  m*alleguez  rien ,  helas !  pour  sa  defense. 
Elevce  a  la  Cour,  Elvire,  loin  de  lui. 
Put  du  pouvoir  supreme  interposer  Tappui. 
Son  rang  &  la  faveur  I'attachoient  a  la  Reine. 
L'ingrate  pour  asyle  avoir  sa  Souveraine. 
Centre  un  Pere  du  moins ,  un  abri  si  puissant 
Presentoit  des  delais  I'artifice  innocent. 
En  ressources  I'amour  est-il  si  peu  fertile? 
Cc  que  j'ai  fait  pour  ellc  etoit-il  plus  facile  ? 


T  RA  G  E  D  I  E.  459 

Mais  reserve  moi  seul  aux  feux  les  plus  constans, 
Seul  je  subis  I'effet  de  Tabsence  &:  du  temps. 
Sa  flamme  s'est  etcinte  j  &■  moi  je  briile  encore ! 
Oui,  telle  est  ma  foiblesse,  Aguilar  :  jc  Tadorel 
Je  la  vois;  je  lui  parle  j  elle  existe  en  ces  lieux. 
Plus  j'en  suis  eloigne ,  plus  elle  est  sous  mes  yeux. 
La  difformite  meme  en  ce  climat  sauvage , 
Ne  sert  qua  rapprocher  sa triomphante  image.  - 
Mon  coeur  de  tant  d'appas  occupe  malgre  moi , 
Les  compare  sans  cesse  a  tout  ce  que  je  voi. 
Mais  enfin  e'en  est  fait.  J'oublierai  la  Cruelle ! 
Mon  courage  indigne  se  revoke  contrc  elle. 
Quels  soins  pour  votre  Chef,  en  des  lieux  ovile  sort 
Nous  laisse  pour  tout  choix  le  triomphe  ou  la  mort  \ 
Ovi  reculer  d'un  pas  ,quoi  que  vous  puissiez  dire. 
Est  de  tous  les  perils  le  dernier  &  le  pire  I 
Sentons  mieux  desormais  ce  que  nous  nous  devons, 
J'aimois :  j'ai  vouluvaincre  :  de  j'ai  vaincu.  Suivons 
Des  exploits  que  le  ciel  voudra  que  j'accomplisse. 
L'amour  les  commenca:  que  I'honneur  les  finisse  \ 
Qu'Elvire  qui  par-tout  les  entend  publier , 
Trouvant  par-tout  mon  nom ,  ne  me  puisse  oublier; 
Et  compare  a  son  tour,  non  sans  regret  peut-etre, 
Avec  If-heureux  Epoux,  I'Amant  qui  devoit  I'etrcl 


'^ 


c^ 


4^0       FERNAND-CORTiS, 

S  C  fi  N  E     V. 

MONTfezUME,CORTfeS,  AGUILAIt 

MONTEZUME. 

J  Ai  dc  vos  volontcs  instruit  fes  Mexiquainy^ 
Seigneur,  en  y  joignant  mcs  ordres  souverains* 
Mais  le  Ciel  vent  nm  chute ,  &:  leur  ignominici 
La  soif  dii  sang  les  livrc  a  leur  mauvais  Genie, 
l-c  Grand  Prccre,  appuyeducri  des  Anciens, 
Les  provoque  an  mcprisde  vos  droits  &:  des  miens;. 
Wappelle  votre  esclavc ,  &  traite  de  chimcre 
Votrc  force  invincible  &  votre  caradcrc. 
Loin  de  revoquer  done  I'appareil  inhumaia 
Du  sacrifice  impie  ordonnc  pour  dennain ; 
11  presse  avec  ardcur  cette  fete  funcbrc  : 
Aujourd'huij  dans  une  heure,il  veut  qu'on  la  celcbra. 

Cortes. 

J*ea  reglerai  la  pompe  j  il  ni'y  verra  marcher^ 

MoNxizuME,  « 

Cc  que  mon  zelc  encor  ne  sauroit  vous  cacher  y 
Soigneux  d'accumuler  nos  uialhcurs  &:  scs  cringes > 
Entre  vos  Allies  il  choisit  cent  vidimes , 
Et  d  un  horrible  deuil  menace  Tlascala^ 


T  RA  C  t  D  I  E,  4^1 

Cortes. 
Ccst  asscz. 

MONT^ZUME. 

Sa  fureur  n'en  demeure  pas  IL 
C  o  R  T  i  s. 
A  quel  exces  plus  grand  pcut  monter  son  audacc  ? 

MONTEZUME. 

A  massacrcr  desgens  deyotrc  anguste  Racc^  '  ''  ' 
Trouves  dans  nos  Deserts,  errans  6z  desarmcs,"'  '^ 
Et,  depuis  quclques  jours,  dans  Ic  Temple  cnfcrindt '' ■ 

C  O  R  T  E  S  a  Aguilau 

Dcs  Espagnols !  Qu'entcnds-je  J 

MONTEZUME.  "'  - 

Oui ,  Seigneur ;  &:  sa  rage 
Pretend  m^me ,  par  eux ,  commence r  le  carnage 
D'un  pareil  attentat  plus  indigne  que  vous, 
Je  n'adoucirai  point  votre  juste  courroux. 
Qu'il  eclate  a  son  grc  sur  un  peuple  barbare 
Que  je  voudrois  conduire ,  &:  que  le  crime  egarc 
Pour  moi ,  captif  ici ,  moins  honteux  de  mes  fers , 
Que  d'avoirete  Roi  d'un  Peuple  si  pervers , 
Je  vais ,  ne  doutant  pas  du  succes  de  vos  armes , 
Honorcr  les  ingrats  de  mes  dernicres  larmes. 

1^ 


4^i       FERNAND-CORTiS^ 


5 


SCENE    V  I. 

CORTES,  AGUILAR. 

Cortes.  ^ 

J  E  vous  ai  Vii  palir ,  moi  je  fremis  d'horreur. 
Ami ,  plus  de  conseils  que  de  notre  fureur  ! 
Pour  empecher  demain  cc  qu  on  ose  entreprendrc ,  ;■ 
Sicotenfal  ici ,  la  nuic ,  se  devoit  rendre ;  r 

Nous  devious  de  concert  semer  ici  I'efFroi : 
On  leprevient.  N'importc.  Osons  tout.  Suivez-mdL 
Verrons-nous  egorgcr  nos  Amis  &:  nos  Freres , 
Sans  qu'ilen  soit  parle  sousles  deux  Hemispheres? 
Le  sang  a  trop  souillc  vos  sacrileges  mains , 
Monstres ,  soyez  rayes  du  nombre  ^qs  Humains  I  , . , 

Fin  du  premier  Jicle.  I 


TRAGEDIE.  j^6  ^ 


A   C   T   E     IL 


SCENE    PREMIERE. 
D.  P^DRE,  AGUILAR. 

A  G  U  I  L  A  R. 

O I  notre  course  heureusc  est  ici  terminec , 
Au  moins  ne  pouvoit-elle  etre  mieux  couronnee* 
Qui  nous  eilt  dit.  Seigneur ,  tantot  quand  aux  autels , 
Nous  courions  desarmer  ou  punir  les  cruels , 
Que  Don  Pedre  seroit  la  premiere  Vidime 
Que  leur  enleveroit  cet  efFort  magnanime  ; 
Et  quon  auroit,  avant  d'abandonner  ces  lieux, 
Le  bonheur  de  sauver  des  jonrs  si  prccieux  ? 

D.    P  E  D   R  E. 

La  vie  est  quelquefois  Ic  plus  grand  des  suppliccs. 
De  la  fortune  aveugle  admirons  les  caprices , 
Ami :  Cortes  &  Moi  nous  les  signalons  bien. 
La  gloire  est  son  partage ;  &  la  honte  est  le  mien. 

A  G  u  I  L  A  R. 

La  honte  est  un  malheurj  mais,  s'il  ne  nous  surmonte, 
Aucun  autre  malheurn'est,  je  crois  j  une  honte  i 
Et  les  v6tres..« 


4(J4     pbrnand-cort£s^ 

D.  Pedre. 

Les  miens  les  reuniront  tous , 
Qiiand  tit  m'auras,  d'un  mot,  porte  les  derniers  coups. 
Sons  le  bandeau  mortel ,  depuis  une  heure  entiere>-* 
J'etois ,  comme  tu  sais ,  prive  de  la  lumiere.)  ^ 
Ce  jeune  Castillan  qui  partageoit  mon  sort  ? 
U  ne  reparoit  point  j  &:  sans  doute  il  est  mort  \ 

A  G  u  I  L  A  R. 

Vousallez  vousrevoir  dans  les  bras  Tun  de  I'autre. 
Le  Ciel  a  son  salut  veilloit  ainsi  qu'au  votre. 
D'instrumens  &  de  cris  un  melange  infernal 
Dumeurtre  avoit  deja  donne  Taffixux  signal; 
Un  Satellite ,  Monstre  indigne  du  nom  d'hommc. 
Que  du  saint  nom  de  Pretre  ici  pourtant  Ton  nomme. 
Le  bras  leve  sur  vous,  paisible  en  sa  fureur , 
Deja,  de  votre  san^  s'abrcuvoit  dans  son  coeur. 
Nos  armes ,  tout-a-coup ,  nous  faisant  faire  place , 
Reportent  Tepouvante  ou  renaissoit  I'audace. 
Cortes  que  rien  n'arrete  &  qui  semble  voler. 
Fond  sur  leScelerat  pret  \  vous  immoler  ;''^';*  ^ .  ' 
Tandis  que  non  moins  prompt  je  releve  Sirdelie 
L'Espagnole  a  vos  pieds  pale  &  presque  sans  vie. 
Le  nom  de  notre  Chef  lui  fait  rouvrir  les  yeux. 
Que  de  viens-je  a  mon  tour,  quand  lexaminant  mieux , 
Dans  SQ^  traits  delicats  oii  la  couleur  expire , 
Jc  vlemele . . .  Je  vois . . ,  Jc  recoiinois . . .  Elvire  ! 

D.  P  £  D  R  E. 


T  RA  G  6  D  I  m\  X        4^5 

D.    P  E  D  R  E. 

Que  veiix-rii  ?  Ni  la  mort ,  ni  toutes  scs  horreurs 
Ne  sont ,  cher  Aguilar ,  le  comble  des  malheurs ; 
Et  du  moins,  dc  la  sorte  Elvire  travestie, 
Dcs  outrages  du  sort  saavoit  plus  que  sa  vie. 
.  .^....u  Aguilar.  ^,^ 

Voudriei-Vous ,  Seigneur,  m'instr-uirc  a  votrc  tour) 
tine  brigue  vous  fit  eloigner  de  la  Cour.  j 

Un  rappel  honorable  a  repare  Tinjure  \  ^ 

Mais ,  depuis  cc  rappel ,  quelle  ctrange  aventure 
A  de  vous  6c  d'£lvire  ici  conduit  les  pas  ? 

D.  P  E  D  R  E.  ymYmCi 

Eh !  mon  astre  par-tout  ne  me  poursuir-il  pas  I     i 
Le  Conseil  informe  du  pouvoir  tyrannique    ;  .'.,.1 
Dont  I'avare  Don  Diegiieusea  la  Jamaique  ,'  ■  Q 
De  cette  llle  (in  secret  me  norama  Gouverneur.-'i 
Mais  je  fus  moins  tiatte  de  ces  marques  d'honneiir, 
Que  revoke  d'entendre  en  cette  Cour  funeste,;  i  x 
Elever  jusqu'au  ciel  un  nom  c]ue  je  deteste ;  ;n  ti-i 
Et  de  n'y  revenir  que  pour  voir  de  plus  pres   q.  ^  A 
Le  triomphe  insukant  du  pere  de  Cortes. 
Audi  ne  desirois-je  approcher  cette  Plage      ?roY 
Que  pour  y  disputcr  I'honneur  del'avantage  j 
Une  carriere  immense  offrant  encor  de  quoi 
Partagcr  la  fortune  entre  Cortes  &:  moi*""^*^^"' 
Venant  done  affronter  ce  qu'ont  de  redoutabic 
La  guerre,  un  nouveau  ciel,  &  la  mer  indcmptable 
De  cent  preparatifs  je  dus  etre  occupe. 

Tome  II,      G  g 


4^^       PERKAI^D-CORTJ^S^ 

Malgre  le  peu  de  temps ,  j'y  pourvus  i  j'equipai. 
Don  Sanchc  vint  alors  me  dcmander  Elvire. 
Je  n'eus ,  ou  j'en  etois ,  c]ue  deux  mots  a  lui  dire  : 
Je  cours  a  des  perils  dignes  de  vous  tenter  j  i  . 

Jeune  hornme  ;  en  me  suivant  y  vene:^  la  mer'uer. 
11  y  consent ,  je  pars ,  &  des  mers  inconnues 
Ne  nous  montrent  long-temps  que  leurs  flots  &  les  nues  j 
J'artivbis  j  quand  la  nuit  &:  I'orage  a  nos  yeux 
Derobent  a  la  fois  I'cau ,  la  terre  &:  les  cieux. 
De  la  vague  &:  des  vents  le  caprice  &■  la  rage 
Prolongentplusieurs  jours  leshorreurs  du  naufragej 
Sur  unecueil  enfin  mon  vaisseau  retentit; 
D'un  second  choc ,  11  s'ouvre ;  &  Tonde  Tengloutit. 
Le  genereux  Don  Sanche ,  en  ce  peril  extreme , 
Fait  tout  pour  notis  sauver  en  perissant  lui-meme. 
Quelques  debris  flottans  &:  s^s  derniers  efforts 
Mettent  ma  fille  &  moi  sur  ccs  malheureux  bords. 
C'est  la  que  la  fortune  &:  ce  peuple  execrable 
Trou vent  Tart  de  me  rendre  encor  plus  miserable  ^ 
En  nous  jetant  au  pied  des  autels ,  oii  Cortes 
A,  par  notre  salut ,  couronne  scs  succes. 

A<i  u  I  L  A  R. 
Vous  vous  consolerez  en  re voyant  Elvire. 

D.    Pi  D  R  E. 

L'infortunee  !  Enfin ,  tu  dis  qu'cllc  respire  J  t 

-r,f.  Agu  IL  A  R.  '' 

Revcnu  d'un  premier  &■  juste  etonnement , 
L'etat  ou  je  la  vols  m'occupe  uniqucmentj 


T  RA  G  E  D  I  E.  4^7 

Et ,  tandis  que  Cortes  tonne  ,  abat ,  met  en  fuite , 
Elvire ,  en  ce  Palais,  sous  ma  garde  est  conduite, 
Et  remise  en  des  mains,  quij  pour  la  secourir,  .V 
Seules ,  sans  I'ofienser  ,  avoient  droit  dc  s'ofFrir. 
Son  retour  a  la  vie  est  un  efFet  du  zele 
Des  Femmes  qu'adoroit  Montezume  avant  ellc- 
Car  11  ne  I'a  pu  voir  sans  tcmoigner  d'abord 
Une  admiration  qui  va  jusqu  au  transport. 
Je  ne  suis  pas  surpris  du  pouvoir  de  ses  charmes. 
Leur  prodige  est  egal  a  celui  de  nos  armes ; 
Et  maitresse  du  coeur  des  Peuples  &:  des  Rois, 
La  Beaute  brille  ici  pour  la  premiere  fois. 

D.     P  E  D  R  E. 

Que  ne  te  suivoit-ellei  6c  qui  I'arrete  encore  f  ^'^ 
Aguilar.  ■'"'•'''^ 

Elle  reprend  I'habit  d'un  sexe  qu'elle  honore. 
Les  Femmes  qui  d'abord  prenoient  soin  de  sqs  jours, 
A  Tenvi  maintenant  Tornent  de  leurs  atours  5 
Et  bientot ,  parmi  nous ,  on  va  la  reconnoitre 
Sous  I'eclat  convenable  au  sang  qui  Ta  fait  naitrc  * 

D.    P  E  D  R  E. 

Grace  a  vingt  ans  d'exil ,  heureusement  pour  moi, 
Jc  ne  puis  etre  ici  reconnu  que  de  toij 
Du  fils  de  I'enncmi  dont  le  seul  ncm  nVirrite ,  . 
Etde  cette  jeunesse  attachee  ksa  suite,     "-'  '"^^'^^ 
Lesyeux  n'etant  au  jour  qua  peine  encore  ouvcrts, 
Lorsque  Ton  m'envoya  .vicillir  dans  des  deserts. 

G  g  i; 


4^8       FERNAND-  COR  TiS ^ 

A  G  U  1  L  A  R. 

La  nouvclle  est  qu'on  saiive  &■  la  fille  &:  le  perc. 
Voila  tout  ce  qu'on  salt :  le  reste  est  un  mystere.... 

•'^^  D.  Pedre. 

Que  je  pretends  qui  dure  encore  un  jour  ou  deux. 

A  G  u  I  L  A  R. 

Cortes  loin  de  vous  etre  importun  nificheux.-. 

D.      P  E   D   R   E. 

Garde  unprofond  secret,  c'est  moi  qui  t'en  supplic. 
Donne-m'en  ta  parole  j  ou  m'arrache  la  vie. 

A  G  u  I  L  A  R. 

Je  le  garderai ;  mais,  de  grace ,  ecoutez-moi.    ) 
Cortes.... 

D.    P  E  D  R  E.  ! 

,r  Bientot  ma mort  degagera  ta foi.      ^ 

Un  jour  ou  deux  encore  ecartc  de  nia  fille 
Ceux  qui  Tauroient  pu  voir  a  la  Cour  de  Castillo: 
Cortes  plus  que  tout  autre.  'OO  Jjib^'I  aaO'- 

A  G  U  I  L  A  R. 

^ic  11  sufiit....  Le  voick   ' 

D.  Pedre. 
Des  qu'il  m'aura  laissc ,  conduis  Elviie  ici. 


T  KA  G  i  D  I  E,  4^9 

S  C  E  N  E     1 1. 
CORTfeS,  D.   Pi:DRE. 

Cortes  lid  presentant  une  epee, 

&EIGNEUR ,  f  car  a  ce  front  peint  d'une  noble  audacc, 

D'nn  sang  illustre  en  vous  on  reconnoit  la  trace ) 

Reprenez ,  en  guerrier  plein  de  ressentiment , 

De  votre  libertc  le  signe  &  rinstrument. 

Qu'il  serve  a  vous  venger !  Qu'il  serve  a  notre  gloire  I 

Un  Espagnol  de  pins  nous  vaut  une  vidoire. 

Oui,  le  jour  d'un  combat,  tout  I'or  des  Mcxiquains 

Nous  vaut  moins  que  ce  fer  en  de  vaillantes  mains. 

Votre  salut  sans  doute  a  grossi  la  tempete. 

Venez,  on  meriter  part  a  notre  conquete  ; 

Ou  vendre  cher  un  sang  qui  ne  doit  pas  couler. 

Sans  tenir  de  sa  source ,  &  sans  la  signaler* 

D.    P  E  D  R  E. 

Marchons.  Conduisez-moi,  Seigneur,  oii  la  justice 
Veut  que  pour  m'acquitter  je  vainque ,  ou  jc  perisse. 

Cortes. 

Dans  le  tumulte  encor  d'un  premier  mouvemcnc , 
Nous  pouvons ,  vous  &  moi ,  respirer  un  mcment, 
Des  Sacrificateurs  le  zele  merccnaire 
N'armera  que  trop  tot  ce  Peuple  sanguinaircj. 

G^  ii| 


47©        FERNAND-CORTESy 

Et  d'ennemis  sans  nombre  alors  environncs, 
Nous  mourrons  glorieux,oii  vivrons  couronnes. 
Mais,  Seigneur,  qui  I'eut  cru ,  qu'une  telle journee 
Feroit  naitre  en  son  cours  des  projets  dliymeneeJ 
Le  Roi  met  sa  couronne  aux  pieds  de  la  Beaute 
Que  soumet  la  naissance  a  votrc  autorite. 
Accable  d'autres  soins ,  je  n  ai  pu  voir  encore 
Ces  charmes  si  puissans  que Montezume  adorer   ' 
Mais  j'ai  vu  Montezume ;  &"  de  son  coeur  emu 
Le  trouble  me  peint  bien  tout  ce  que  j'aurois  vu. 
N'osant  rien  esperer ,  pcnsif ,  hors  de  lui-meme  » 
11  n'a  tresors,  amis ,  foi,  sang,  ni  diademe, 
Rien  qui  ne  soit  a  nous,  si  d'un  heureuxiicn, 
Au  sort  de  votre  Fille  on  veut  joindre  le  sien. 
Seigneur,  m'honorez-vous  d*un  peudeconfianceJ 
N'hesitez  point.  Formcz  une  auguste  alliance  , 
Qui ,  nous  rendant  bien-tot  plus  forts  en  ce  Palais,. 
Assure  aux  Espagnols  le  Mexique  a  jamais. 
Le  Vulgaire  insense  vole  aux  ordres  du  Pretrc ; 
Mais  le  Noble  n'en  prend  que  de  la  voix  du  Maitrer 
Ou,  s'il  nous  faut  perir  \  votre  fille,  apres nous, 
N'a  du  moins  rien  a  craindre  avec  un  tel  epoux. 

D.   P  E  D  R  E. 

Que  ma  religion  s'immole  a  ma  patrie  ? 

Non ,  Seigneur.  Point  de  pad  avec  I'ldolatrie  t 

Cortes. 
Etqui  vous  dit  que  j'^aye,  en  cettcoccasioaji 
Neglige  rinteret  de  la  Religion  > 


TRACED  IE,  471 

Montezume  meprise  &:  deteste  la  sicnne. 
Sa  grande  ame  en  secret  dcs-long-temps  est  Chretienne  j 
Et  deux  engagemcns  pris  au  pied  des  Autels , 
L'attacheroient  a  nous  par  des  noeiids  cternels. 
Helas !  peut-etre  aussi ,  quand  je  sers  sa  tendresse, 
Peut-etre  est-ce  TefFet  d'un  reste  de  foiblesse  ! 
J'eprouve  ce  qu  il  sent,  j'aimc  •,  &  n'esperant  rien, 
Comme  je  plains  mon  sort ,  je  plains  aussi  le  sien. 
Qu'il  vous  parle.  Pour  moi,  plein  d'une  ardeur  plus  belle, 
11  est  temps  que  je  courre  ou  Ic  devoir  m'appelle. 
Vous,  de  votre  cote,  consultez-vous.  Seigneur;-  • 
Vous  avez  des  amis ,  une  epee ,  un  grand  coeur ,.;  / 
Un  Trone  a  votre  Sang  presente  pour  asyle  v  it/\ 
De  quoi  mourir enfin  gloricux & tranc^uiUc^^H 


tmuwwTimjT.'Aifijfl 


>     S  C  E  N  E    H  I. 

D.  PfeDRE. 

V/ ui ,  je  mourrai !  Tu  peux  t'en  reposer  sur  moi ; 
Oui,  Cortes ;  je  hais  trop  le  jour  que  je  tc  doi , 
Pour  ne  pas  rencontrer  la  mort  que  je  desire. 
Au  Trone  cependant  faisons  monter  Elvire ; 
Et  qu'au  moins  en  ces  lieux  il  soit,  si  j'y  peris  ,^ 
D'une  vertu  si  pure  &:  Tasyle  ^  le  prix. 

G  §  k 


47*       FERNAND-CORT^S^ 

S  C  E  N  E    I  V. 

D.  PEDRE,  ELVIRE,  AGUILAR. 

E  L  V  I  R  E. 

Itjion  Pere,  entre  vosbras,  sonffrez  que  je  deploic 
Une  ame  qui  snccombe  a.  I'exces  dc  sa  joie ! 
Puis-je ,  sans  en  nionrir ,  passer  en  un  moment 
De  Tadieu  le  plus  triste  a  cet  embrassement  ? 
Voiis  traiterez  encor  mes  larmes  dc  foiblesse.""  V^ 
Pardonnez-lcs ,  mon  Pere ,  a  ma  tendre  alegresse ! 
Hclas!  pnissent  mes  yeux,  apres  tant  de  malheurs, 
Ne  plus  jamais  verscr ,  pour  vous,  que  de  ces  pleurs ! 

D.    P  E  D  R  E. 

Ma  Fillc ,  cofin  le  Ciel  termine  vos  disgraces. 
Applaudissons-nous-eni  mais ,  en  lui  rendant  graces, 
Felicitez-vous  moins  de  ce  que  je  lui  doi : 
Ses  faveurs  sont  pour  vous  j  6^  son  courroux  pour  moi. 

E  L  V  I  R  E. 

En  quoi  vous  plaignez-vous  encor  de  sa  colere  ? 

D.    P  E  D  R  E. 

En  prolongcant  ma  vie ,  il  accroit  ma  miserc. 

El  V  IRE.    q'«^^^^'^ 
Quel  discours !  Est-ce  done  ^  est-cc  a  ma  foible  voix 
A  vous  rendre  un  courage  admire  tant  de  fois? 


r  RA  G  E  D  I  E.  475 

Je  vons  ai  vii  tranquille  au  milieu  dc  nos  pertes, 
Sur  les  tlots  en  fureur ,  dans  dcs  Iflcs  desertcs , 
Sons  Ic  couteau  fatal  qu'unc  barbare  main , 
Sans  celle  de  Cortes ,  plongeoit  dans  votre  sein...J 

D.    P  E  D  R  E. 

Sans  celle  de  Cortes !  Ah  comble  d'infamie ! 

E  L  V  I  R  E. 
Eh !  cette  main  n'est  pas  unc  main  ennemic 
Dont  le  secoiirs  ait  du  vous  paroitre  iin  afiront ! 
Le  sang  se  piirifie  ainsi  qu'il  se  corrompt; 
Et ,  Gomme  il  est  souvent  tel  fiis  qui  degenere. 
En  vertus  quelquefois  tel  autre  c&icq  un  pcrc. 
Cortes  n'a  jamais  eu  I'lnjustice  du  sien. 
Aguilar  peut  vous  dire.... 

D.  P  E  D  R  E. 

11  ne  me  dira  rien 
Dont  ma  confusion  ne  renaisse  &"  n'augmente. 
Je  veux  que  de  Cortes  la  haine  se  demente ; 
Mais  de  qiielque  facon  qu'il  pretcndc  en  agir , 
De  mon  abaissement  ai-je  moins  a  rougir  ? 
Je  le  venois  braver,  &  c'est  lui  qui  me  brave ! 
Je  m'embarque  en  rival ,  &  j'aborde  en  esclave ! 
Je  lui  dois  cette  epee !  Enfin ,  cher  Aguilar , 
Moi-m.eme  je  me  viens  attacher  a  son  char. 
O  honte  !  Heureusement  la  more  nous  environnc. 
Je  combattrai  pour  lui.  Mais  avant  qu'il  soupconnc 
Un  trait  de  sa  fortune  &  si  rare  &:  si  beau , 
Je  me  serai  cache  dans  la  nuit  du  tombeau. 


474      FERNAND-COR  Tis ^ 

£  L  V  I  R  E.     . 
Non,  mon  Pere,  il  rendra  votre  perte  impossible^ 
Malgre  vous,  avec  lui ,  voiis  serez  invincible. 
II  vous  devra  sa  gloire  j  &c  je  pi;ctends  vous  voir 

Tousles  deux 

D.   P  E  D  R  E. 
Par  pitic,  laissez-moi  mon  espoiri 
Hcureux,  en  terminant  ma  triste  destinee, 
Dc  vous  laisser  ici  paisible  &■  couronnee  i 

E  L  V  I  R  E. 
Quelle  paix,  quels  honneurs  nous  reserve  le sorty 
Si  votre  inimitie  nous  devoue  a  la  mort? 

D.     P  E  D  R  E. 

Non,  vous  ne  mourrez  point:  vous  regnerez,  maFiHcij, 
Et  vous  honorerez  mon  sang  &  la  Castille. 
Montezume  vous  aime.  En  lui  donnant  la  main,. 
Vous  devenez  sacree  a  son  peuple  inhumain^ 
Cet  hymen  glorieux  illustre  ma  memoire , 
Des  Conquerans  de  Tlnde  acbeve  la  vidoire  > 
Va  m'acquitter  envers  nos  fiers  Liberateurs , 
Er  remplir  I'univers  de  vos  admirateurs. 
Notre  sort  coutera  des  larmes  a  I'envie. 
A  ce  prix ,  sans  regret ,  j'abandonne  la  vie  i. 
Et  vais  a  Montezume  annoncer  un  aveu 
Qu'il  m'a  fait  demander ,  &  qu  il  esperoit  peu» 

E  L  V  I  V  E. 

Qu*ai-je  oui?  Quel  aveu  I  Moi ,  Seigneur  I  Moi,  rfepouscH 


T  R  A  G  E  D  I  E,  475 

D.     P  E  D  R  E. 

Dc  vos  premiers  devoirs  voiis  connoissant  jalousc, 

Je  devois  en  effet  vons  tirer  d  une  erreur 

Qui  fait  avec  raison  naitre  en  vons  cette  horreur.'' 

VoLis  croyez  Montezume  imbu  de  rimposturc 

D'une  Religion  dont  gemit  la  Nature. 

Non ,  ma  Fille ;  &:  c'est  meme  un  des  fruits  Ics  plus  doux 

Que  produiront  les  nosuds  qui  vont  I'unir  \  vous. 

Ce  Prince  abolira,  par  de  pieux  exemples, 

Le  Paganisme  afFreux  qui  souille  ici  les  Temples. 

Du  flambeau  de  la  foi  son  cceur  est  eclaire. 

J'ai  fremi ,  comme  vous  j  Cortes  m'a  rassurc..» 

E  L  V  I  R  E, 

Cortes !  Quoi  ?  C'est  Cortes ... 

D.  P  E  D  R  E. 

Oui,  qui  sert  Montezume. 
Oui ,  c'est  lui  qui  promet  tout  ce  que  j'en  presume. 
Calmez  Temotion  d'un  zcle  impetueux. 
Cortes  est ,  dites-vous ,  un  homme  vertueux. 
Uu  semblable  garant  merite  qu'on  I'en  croie. 

E  L  V  I  R  E. 

Seigneur !  Un  seul  instant  souffrez  que  je  le  voie  j 
Et  que ,  pour  mon  repos ,  j'ose  Tinterroger ! 

D.    P  E  D  R  E. 

Le  voiravant  ma  mort!  Gardez-vous  d'y  songer. 


47^        FERNAND-CORTiS^ 

Mais  plutot,  pour  cacher  votre  malhcureux  pere, 
Vous-meme,  jusqnes-la,  cachez-vous  la  premiere. 
Aguilar  nous  scconde  ,  &  j 'obtiendrai  du  Roi^ 
Que  vous  ne  soyez  plus  visible  ici  qu'a  moi. 


SCENE     V. 
ELVIRE,  AGUILAR. 

E  L  V  I  R  E. 

V  ous  voyez,  Aguilar,  a  qui  Ton  m'abandonne  J 
Cortes  adore  Elvirej  &  c'est  Ini  qui  la  donne. 
C'csc  lui  qui  m'assassine !  Informez-ren  \  courez. 
Un  moment  peut  tout  pcrdre.  Eh  quoi !  Vous  demeurez ! 

Aguilar. 

Madame ,  je  vous  plains.  Je  concois  vos  alarmcs. 

Mais  je  nc  vois,  pour  vous,  de  secours  que  vos  larmes, 

Et  c'cst  a  votre  perc  a  s'en  laisser  flechir. 

Pour  moi ,  de  mes  sermens  je  ne  puis  m  afFranchir. 

II  veut  etre  inconnu.  J'ai  promis  de  me  taire ; 

Et  je  manque  a  I'honneur ,  si  j  ose  vous  complaire, 

E  L  V  I  R  E. 
Vous ,  le  scul  confident ,  le  temoin  de  la  foi 
Que  me  donna  Cortes ,  &  qu'il  recut  de  moi ! 

Aguilar. 
Qui :  j'ai  flatte  des  feux  environnes  d'obstacles  j 
Mais  >  qui  devant  conduire  a  de  si  grands  nuracles , 


I 


TRAGiDlE,  4,Tr 

Pour  vous  de  quelquc  espoirme  flattoieiit  \  leur  tour. 
Aujourd'hui  mcme  encor ,  je  servois  votre  amour. 
Oui ,  Madame  \  a  Cortes  je  rappelois  vos  charmes , 
Quclques  instans  avant  que  nous  prissions  les  armes. 
Pour  voler  ou  jamais  nous  n'eussions  cru  vous  voir. 
A  son  ambition  j'opposois  son  devoir. 
Cortes  est  trop  avide  aussi  de  renommee. 
Je  voulois  Tarreter :  &:  je  vous  ai  nommee. 
Ne  me  demandez  point  ce  qu'il  m'a  repondu. 
Don  Pedre  est  pres  du  Roi.  Vous  Tavez  entendu. 
Sa  parole  a  present  se  donne ,  &  vous  engage. 
Madame,  il  faut  s'armer  de  tout  votre  courage. 
Votre  douleur  profonde  ebranle  trop  le  mien ; 
Et  je  sens  qu'il  s'epuise  a  ce  triste  entretien. 


S  C  E  N  E     V  I. 

EL  V  IRE. 

A^E  quelles  cmautes  redcviens-je  vidime  ? 
O  Cicl  1  Par  oil  sortir  de  ce  nouvel  abysme  j 
Et  qui  dissipera  le  trouble  ou  je  me  voi  ? 
Cher  Amant!  Qu'as-tu  fait  contre  moi,  contre  toi? 
Aux  ondes,  a  Don  Sanche,  a  Tautel  echappee , 
Du  coup  mortcl  enfin  je  me  verrai  frappee! 
Et  ce  coup,  ( qui  jamais  eut  du  le  presscntir? ) 
Ce  coup ,  c'est  de  ta  main  qu'on  I'aura  vu  partir! 
L'amour  n'a-t-il  en  toi  nulle  voix  qui  t'inspire  > 
Ton  cceur  cst-il  muet,  si  pres  de  ton  Elvire  \ 


4/8      FERNAND-CORTiS^ 

Le  vaste  scin  des  mers ,  leurs  gouffres  spacienx. 
Nous  separoient-ils  moins  que  ces  murs  odieux? 
Cortes !  Mon  cher  Cortes!... Mais sais-je qui  j'appclle^ 
Tout  couvert  de  lauriers  Cortes  est-il  iidele  > 

.iL'amour  partage-t-il  les  soins  d'un  Conqucrant? 
Que  sais-je  meme,  helas!  N'est-il  qu'indifFcrent  ? 
A-t-  il  innocemment  conclu  cet  hymenee  ? 
Non ,  non  1  Oavre  les  yeux ,  Amante  infortunee  I 
De  I'eclat  d'un  grand  nom  Cortes  est  enivre. 
Au  seul  desir  de  vaincre  on  te  le  peint  livre. 
On  Ten  blame  j  on  me  nomme  ;  on  me  tait  sa  reponsc. 
Ah !  c'est  sa  perfidic  &:  la  mort  qu  on  m'annonce ! 
L'ingrat  me  sait  presente ,  &  feint  dc  I'ignorer , 
Pour  me  manque  r  de  foi  sans  se  deshonorer  I 
Pour  me  vanter  apres  peut-etre  sa  Constance, 
Oser  me  reprocher  mon  pen  dc  resistance  , 
Et  couronner  ainsi  ses  infidelites , 
En  m'accablant  des  noms  qu'il  aura  merites  1 
O  crime  1  O  trahison !....  Mais  je  lui  fais  injure. 
Cortes  n'est  ni  cruel ,  ni  lache  ,  ni  parjurc. 
Un  soupcon  contre  lui  si  funeste  &  si  noir 
Est  un  monstre  qu'enfante  en  nioi  le  desespoir. 

^  Malheureuse !  Necrainsquecequetudoiscraindre. 
Cherc  encore  a  Cortes ,  en  es-tu  moins  a  plaindre , 
Si  tcs  cris  ne  pouvant  ar river  jusqu'^  lui , 
A  son  ins^u  lui-meme  il  t'immole  aujourd'hui?  ^ 


T  RA  G  E  D  I  E.  479 


SCENE      V  I  I. 
MONTEZUME,ELVlRE. 

MONTEZUME. 

aXare  &■  celeste  objet,  le  plus  beau  que  TAurore 
De  son  sein  lumineux  put  jamais  faire  eclore , 
Mortelle  incomparable  ,  oii  cesseront  vos  pi  curs. 
Si  ce  n'est  ou  TAmour  vous  soumet  tons  les  cccurs? 
Mon  ame  a  qui  s'ofFroient  mille  images  funebres, 
Languissoit  abattue  en  d'epaisses  tencbres. 
Vousbrillez  enccslieux-,  Fhorreuren  disparoit. 
L'astre  ennemi  s'eclipsc;  &:  laclarte  renait. 
D.u  Ciei  persccuteur  la  haine  rallentie ,     " ,  ; 

Suspend  enfin  mes  maux,  me  laisse  aimer  la  vie«  > 
Cependant  vou5  plcurez  j  &  ce  calme  si  doux,    • ; 
Quand  vous  me  le  rendez ,  reste  eloigne  de  vous. 
Pour  vous  en  rapprocherj  joignez  mon  sortau  votre^ 
Devenons  desormais  le  bonheur  I'un  de  I'autre. .  \ 
Unissez-vous  a  moi.  Votreperey  consent. 
11  vient  dem'endonner  un  gage  en  m'embrassant. 
Parlez.  Toutm'esticimoins  soumis  qu'a  vos  charmes. 
Que  faut-il  faire  encor  pour  cssuycr  vos  larmes  ? 

"^'^>':^Cir>A:X--     E  L  V  I  R  E. 

N'esperez  pas ,  Seigneur,  qu'elles  puissent  tarir j 
ignorez-en  la  source ,  &  aie  laissez  mourir. 


48o        FERNJND-CORTJ^S^ 

MONTEZUME. 

Je  me  croyois  encor  d'lin  rang  dont  Ic  partagc 

Auroit  du  relever  un  genereux  courage ; 

Et  qu'avoue  d'un  perc ,  en  m  offrant  pour  cpoux..., 

E  L  V  I  R  E  a  part. 

O  mon  Pere !  6  Cortes !  Ou  me  reduisez-vous  > 

MONTESUME. 

Est-ce  Tadversite  qui  me  rend  mcprisable  ? 

A  des  coeurs  vertueux  rien  n'est  plus  respedablc.    - 

E  L  V  I  R  E^  *'    ' 
Daignez,  si  ce  resped  sied  bien  a  de  grands  coeurs, 
Daignez  done  respeder  ma  misere  &  mes  pleurs. 

MoNTizUME^  pan  &  hauu 
Que  devient  ma  Constance  &:  qzx.  orgueil  extreme 
Qui  meprisoit  la  mort,  qui  la  demandoit  meme? 
Puis-jc ,  en  un  meme  jour,  si  peu  me  ressembler > 
Une  Femme  a  le  don  de  me  faire  trembler! 
Grand  Dieu  de  qui  deja  le  courroux  se  rallume  \  i 
A  quel  Peuple  etonnant  livres-tu  Montczimie  ?      ' 
La  foudre  est  dans  leurs  mains ;  &  jusqu'a  la  Beaute^ 
Tout  semble  fait  chez  eux  pour  etrc  redoute  I       \l 
{Retenant  Elvire  qui  veut  rentrer  precipitdmmenU  * 
Eh!  ne  me  fuyez  point!  Simple  encore  &  sauvage. 
Si  mon  amour  n'a  pas  uii  asscz  doux  langage  s 
Non  plus  par  des  discours,  mais  par  de  tendressoins, 
Mieux  cxprime,  peut-ctre,  il  vous  deplaira  moins. 

Vos 


T  RA  G  i  D  I  S.  4^ r 

V"ds  yeuxkisscnttrop  voir  les  maux  que  je  m'appr^tej 
Ces  superbes  vainqueuts  dedaignent  leur  conquete  s 
Roi  d*un  peliple  odieux  qu'ignoroit  I'univers , 
Je  ne  snis  qu'^un  Barbare  indigne  de  vos  fcrs. 
Mais  si  le  desaveu  de  rerreur  &  dii  crime 
Peut  de  vous  toittefois  meriter  quelque  estime , 
till  rayon  d'esperance  a  de  quoi  me  flatter. 
L'invincible  Cortes  pourra  vous  Tattester. 
Des  Dieux  qu'idolatroient  mes  credules  Ancetres; 
J'ai  tantot,  devant  lui,  desavoue  les  Pretres. 
C'est  moi  dont  les  avis  I'ont  fait  voler  vers  vous. 
J'ai  centre  eux  implore  ses  redoutables  coups : 
Comme  si  j'avois  su  que  leur  troupe  inhumaine 
Attaquoit  une  Vie  ou  s'attachoit  la  micnne. 
Aussi  Cottes  est-il  favorable  a  mes  feux. 
Ainsi  que  votre  fere,  il me souRaite  heureux. 
Vous  seule  cependant  dont  I'aveu  m'int^rcsse  ^ 
Voiis  seule  ddfcndez  I'espoir  a  ma  tendresse . .  .,i 
Mexique !  Aurois-tu  erU  qu  un  jour  ton  Souveraiit 
Supplieroit  en  aimant  j  &"  supplicroit  en  vain  I  ^ 
Tremble  de  ce  prodige.  Un  si  nouvel  outrag^,  7 
De  ta  ruine  entiere  est  le  dernier  presage* 

.::*ijv:.i      E  t  V  1  R  Ek  ^^11^^ 

La  paSisiOri  voiis  livre  a  d'aveugles  transports. 
Ne  me  reprochez  rien.  Quand  I'etat  d'ou  je  sors^ 
Quand  I'ctat  ou  je  rentre,  &:  la  perte  prochaine 
D'un  pere  infortune  dont  la  mort  est  certaine, 
Quand  de  tant  de  malheurs  &t  la  suite  &•  le  coufs 

Tome  Hi     H  h 


4Si       FERNAND'CQRTtS^ 

;  Ne  me  fermeroient  pas  Toreille  a  vos  discours  j 
11  ne  seroit  pas  temps  encor  de  les  entendre. 
Mon  pere  vainement  vous  a  nomme  son  Gendre ; 
Si  notre  auguste  Prince  informede  son  choix, 
Ne  le  rend  legitime ,  en  y  joignant  sa  voix. 
Oui ,  de  nos  Roissur  noustels  sont  les  droits  suprcmesj 
Nous  ne  saurions,  sans  eux,  disposer  de  nous  memes. 
Cette  prerogative  est  un  droit  naturel 
Que  leur  acquit  sur  nous  leur  amour  paternel. 
Ce  droit  nous  suit  par-tout  j  rien  ne  nous  en  exempcc. 
Charle  nest  point  absent :  Cortes  le  represente. 
Vous  avez,  dites-vous ,  obrcnu  son  aveu. 
C'est  sans  doute  beaucoup  j  mais  c'est  encor  trop  peu. 
Qu'amcne  devant  moi ,  lui-meme  il  me  I'annonce. 
Get  arret  confirme  reglera  ma  reponse. 
Allez  i  &  flattez-vous  que  vos  soins  empresses 
M'obligeront ,  Seigneur ,  plus  que  vous  ne  pensez. 

MONTEZUME. 

De  votre  pere  ici ,  la  defense  absolue, 
A  tons  les  Espagnols  intcrdit  votre  vue; 
Mais  en  des  lieux  ou  j'ose  encor  donner  des  loix, 
S'il  y  faut  obeir ,  ce  n'est  qu'a  votre  voix. 


u  li 


^'""'fiiJ  G  E  D  t  n. 

S  C  £  N  E    VIII. 
ELVIJUE,. 


48J 


jmiua-jiii.ti...  .1  m 


jSbtT  VOU5,  pardonnez-moi ,  cher  Auteur  dem^  vie. 
Si  votre  haine  injuste  est  si  mal  obeie. 
J'oppose  a  votre  pe,rte  un  obstacle  piiissant ; 
Et  du  moins  je  vous  sauve ,  en  desobeissant. 

Tin  du  second  Acle. 


••'i>     i^    JL    X 


'j''ij"k 


Hh  i] 


4S4      FERNAND-CORTiS, 


A  C  T  E    III. 

S  C  £  N  i'-'f^'R  E  M  I  E  R  E. 
CORTfeS,AGUILAR. 

A  G  U  I  L  A  R. 

C-/E  vestibule  ouvert  conduit  chez  I'EspagnoIe. 
Vous  pourrez  la  trouver.  Mais  de  quel  soin  frivole, 
S'occupe  ici  Cortes ,  en  ce  moment  fatal , 
Ou  tout  demandc  ailleurs  les  yeux  du  General  ? 

Cortes.       , 

JLe  soin  dont  je  m'occupe  est  de  mon  ministerc. 

EUe  croit  que  c'est  peu  de  I'aveu  de  son  pere , 

S'il nest autorise de celui  de  son  Roi  j 

Et,  puisque,  parmj  vqus  ,  Cbarlc  reside  en  moi , 

Je  dois  la  satisfaire ,  &:  servir  avec  zele 

Un  Monarque  amoureux  qui  fera  tout  pour  elle  j 

Et  qui ,  sous  nos  drapeaux ,  de  ses  plus  fiers  sujeti 

Rassemblera  I'elite  en  ce  vaste  palais. 

A  GU  XL  A  R. 

Si  pourtant.... 


•CORTE-S^- 

-Mes  raisons  awoientdu  voiis  sujffire. 
Desvotrcs,  amon  tour ,  voudriez-vous  nVinstruirei 
Vous  etes  inquiet,  &  pcut-ctre  jaloiix; 
De  la  jeiine  Espagnole  envieriez-vous  I'epouxJ 

?  n-jn  eulq  ^^  .^'  !  i^fr^-^frn^  n?  lo -rf-j  riO 
X'indiffereoce  en  vous  fut-elle  aussi  parfaite !     - 
Mais  vous  avez  aime,  e'est  ce  qui  m'inquiete*  , 
Vers,  cqlle  done  riiymen  impai;tje  a  nos  destins  ,■   r 
Vous  portez  uo  esprit  nuisibk  a  vos.  desseins. 
Ce  que  votts  avez  fait ,  vous  allez  le  detmire-.,  ^  j 
Dans  le  food  de^on  coeur  elle  m'a  laisse  lire.    . ;  • 
XJtx  tendre  engagement  coptraire  a  son  devoic^  j 
Arrache  de$  soupirs  qui  vont  vous  emouvoir^.    ^> 
Moi  qui  suis  si  peu  fait  a  ces  sortes  d'alarmes^^Y 
Moi-ii\eaie  je  la  fuis ,  attendri  de  scs  larmes> 
Et  vous ,  dont  le  coeur  saigne  encor  desmemes  coups, 
Yous,  qiti  peo5ez,conime  elk ,  y  resisterei-vous.? 

.2311»:    C  o  R  T  i  S,  '-  ^livB 

Elle  est  bien  malheu reuse  en  effet  des  qu^ellc  airae^ 
,  Et  |e  la, plains  deja  j  n'uis  cette  pitic  n"i(eme,^^\  ;^, 
Fait  que  de  plus  en  plus  je  veux  rentretenir , 
Pour  Tengager  a  perdre  un  si  doux  souvenir. 
Je  lui  peindrai  Tabus  d'une  flamme  constante>. 
Elle  le  sentira.  Qu'elle  se  reprcsente 
Leshorreurs  qui  pourroient  accompagnersa  fin; 
Le  lieu ,  le  temps ,  un  trone  j  &:  mon  exemple  enfin. 

Hii  ii; 


,.,.-r   V 


48<f      FERNAND-CORTiS^ 

A  G  U  I  L  A  R. 

Je  laisserois  agir  I'antorite  d'un  pere , 
Sans  vouloir....  i 

Co  Rxis.  -        -^ 

Parlerai-je  en  anii  plus  sincere, 
Ou  plutot  en  amant  qui  n'ecbute  plus  rien  ? 
Mon  coeur,  mon  foible  coeur  vole  a  cet  entretiert. 
11  suppose ,  il  espere ,  il  croit  ce  qu'il  desire.  ..' M 
L'Espagnole  a  pu  voir,  a  pu  connoitre  ElvirepV 
Savoir  plus  de  son  sort  qu'on  n'cn  a  public  j,  "-'oV 
£t  si  Cortes  est  plaint  j  ou  s'il  est  oublie. ' '    '  ''^ 
Ah  !  si ,  comme  tantot  vous  le  disiez  vouis  meme  ^ 
I^e  devoir  seul  cut  part  a  mon  malheur  extreme  j 
Si  j'apprends  qu'elle  en  ait  seulement  soUpir6M*,.V^ 
Vous  voyez  les  perils  dont  je  suis  entoure ,    '  M 
Vous  verriez  sur  mon  front  la  vidoire  assurcc  ,' 
^'' -  Justifier  la  foi  quelle  m'avoit  juree;  •  ^-i 

Et  plus  presente  encore  en  ces  lieux  que  jamais  ,7^ 
Elvire  a  I'Amerique  etaler  tout  Cortes, 
fntarons, 

Agu'dar  sort  d'nn  cote ;  &  Cortes  sortant  de  VauCri^ 
est  rencontre  &  retenu  par  Don  Pedre, 


T  RJ  G  E  D  I  E.  j^,7 

mmmmmmamMJimMmm!^^ .  iiumlw  ■.wwmubi—mb—> 

SCENE      II.      rro^^r:.<l3 
CORTfeS^D.  P^DRE.  ' 

D.   P  EDRE.  -.-^^^ZJuO 

Lk'e  AU  salutaire  estprete,  &  I'encens  fume* 
Ma  fille ,  a  nos  autels ,  va  suivre  Montezume. 
Moi,  jc  vous  suis  Seigneur:  hatez-vousdem'ouvrHT 
La  carriere  ou  je  dois  m'acquitter  ou  mourir. 

iigtanknis  :■  ^^  ^  .^  .^'     y^-^i^&jiCM&Zid^ 
Combattrai-  je  avec  vous,  Seigneur,  sans  vous  connoitrc? 
Car  ne  fuffiez- vous  point  ce  que  vous  semblez  ctre , 
Quel  que  soir  votre  sang ,  recommandableou  non, 
Cecoeur  que  vous  montrez  vous  a  du  faireunnoiu. 
Que  ce  nom  desormais  ne  soit  plus  un  mystere^  ^i 
Pret  de  I'eterniser ,  daignez  ne  le  plus  taire.     -  'j 
Non  pourtant  que  je  veujUe  insister  la-dessus.    3 
Si  c'esc  trop  exiger ,  Seigneur ,  n'en  parlous  plus. 

p.    P  E  D  R^» 

Qui ,  Seigneur ,  attendcz  la  fin  de  la  journee. 
Ignorez  jusques-la  mon  nom ,  ma  destinee. 
Je  saurai ,  si  je  vis ,  reparcr  ce  refus  j 
Ma  fille ,  si  je  meurs,  vousdira  qui  je  fus  ^ 
Et  si  nous  perissons  &:  vous  &  moi;  qu'importe 
Ua  nom  plus  ou  moins  grand  que  je  laisse  ou  j'emportei 

Hhiv 


4$S     Fernand-cor  t&s^ 

Cortes, 

Changeons  done  de  propos.  foiez-vousa  ta  Cour» 
Quaad  Dou  Pedre.  y  parnt ,  &  n'y  parut  qu  ua  jour  ^ 

D.    P  I  P  R  E> 

Oui ,  Seigneur,  '  * 

C  o  R  T  i  Sv 

I  .Of         Etde grace cncor,daigneznfapprcndre 
Ovi ,  dela  sont;  alles  lui ,  sa  fille ,  6c  son  gendre  ^  4 

•  D.  Pedre.      v  iii^vuohi 

DonSanche,  avant  THymen ,  a  termine  son  sort* 

{U'l  Cortes  reprendAH  airdc  (ran<iuiUite qu^ remar^ne: 

Don,P^dre.)  -v 

> 

ILcnr  vaisseau  fit  naufrage  *,  &"  par  un  bel  efibrt  ,^ 

En  saiivant  sa  Mattresse,  ily  perdit  la  vie*  ■>  x"  y* 

Pc  quels  evenemens  sa  pertc  fut  suivie  ,       P  2*^1 

Ou  Don  Pedre  &  sa  fille  ont  depuis  respire-^  noH 

C'est  ce  qui  dans  Totcde  esc  encore  igi^iorc*        ^ 

C  o  R  T  E  s. 

Mais  ceux  dont  le  rapport  attesta  leur  naufrage"^ 
Auront  pudire  auffi  quelles  mers,  quel  riYag^e;> . 


-       t  R  J  G  i  T>  IE.  489 

Wfc    ■■■■    ■       II  ■     ■■■■—■■■     -■-,» II..  ■    ,1^   .1—  I         pll  W     11     III    ■■     ■       WM^ 

SCENE    III. 

CORTfeS,D.  PiDRE,  MONT^ZUME, 

Troupe  (TEspagnols  &  d' Americains,      --.~ 

M  ON  T  E  2  U  M  E  ^  Cortes, 

-t'l  V :  A  R  ^  3  J  ^ a  V     jM.es  plus  braves  soldats 
Pour  vaincrc  a  vos  cotes,  suivent  ici  mes  pas. 
Dejk  mon  meme  esprit  les  eclaire  &  les  guide. 
Le  Grand-Pretre,  a  leursyeuit,  n'est  plus  qu'un  parricide, 
Qu'un  rebelle ,  qu  un  fourbe,  &  qu'un  seditieux 
Qui ,  pour  trahir  son  Roi,  s'armedu  nom  des  Dieux. 
Consacrons  ce  moment  par  une  double  fete ; 
Et  du  pied  de  TAutel  revolant  a  leur  tcte , 
Forcons  ce  peuplc  ingrat  d'accepter  un  Traite      i 
Dont  le  premier  objet  est  sa  felicite.  ^  x.;  33 

,  .  .  Cortes.  ^^^iMa 

'  " '■  M  o  N  T  Ez  xr'M-%."    ■ -I-'  -'■■•'' • 

Auparavant  j  ecoutons  le  Grand-Pretrc. 
Devant  nous ,  yn  instant ,  il  demande  a  paroitre. 
Mes  yeux  ouverts  peut-etre  ont  dessille  les  siens. 
De  se  plaindre  du  moins  otons  lui  tous  moyens. 
Qu'il  entre  &  sorte  exempt  de  peril  &:  de  craintc 
II  me  I'a  fait  promettre ;  &  ma  parole  est  sainte. 
Que  sa  liberte  done  &:  sQi  jours  soieiit  sacres. 


490       FERNAJ^D'  CORTES:, 
w  Cortes. 

Vous  le  voulez  ainsi ;  qu'il  sc  presente. 

MoNTEZUME^i^j  Gardes. 
«  Ouvrez.  - 

S  C  £  N  E     IV. 

CORTfeS,MONT^ZUME,  LE  GRAND- 
PRtTRE,  D.  PEDRE,  Troupe  d'EspagnoIs 
_, ..    &  d'Ameriquains. 

LeGrand-Pretre.  > 

ItIe^  cris  sont  descendus  au  centre  de  la  terre  j 
lis  en  ont  evoqu6  le  Demon  de  la  guerre  \ 
Dev^uK  lui ,  vont  s'ouyi;ir  les  portes  de  I'enfer  j 
Et  la  fleche  sacree  *  est  prete  a  fend  re  lair. 
Deja  Tare  est  tend«.  Mais  avant  qu  avcc  elle 
La  mort  vole,  &  consacre  a  la  nuit  etcrnelle     ^, 
Des  ennemis  souilles  du  plus  grand  des  forfaits , 
Je  veuxhien  ctre  .encore  un  ministre  de  paix. 

C  Q  R  T  E  S. 

On  voudra  bien  t*£ntendre,&:  pardo,nner  peut-etrA* 

(  Se montrant.)      (  Montrant  Monte^ume.) 
Mais-en  parlant ,  respede  un  vainqueur,  &:  ton  maStre. 

^  CirimonU  ^^ui  donnoU  U  Atgntil  du  combat xhei  les  Bjirbarcs.     ^ 


^zST  RA  G  i  D  I  E,  491 

Lb    GRAND-PRixREa:/  Rol  . 

O  toi  que  sans  combat  la  terreur  a  vaincu  , 
Prince  aveugle ,  repons ;  N'as-tu  pas  crop  vecu  ? 
Quand  tu  montas  au  trone,  a  tes  Dicux  qu'on  oflfensc, 
De  nos  droits  &  des  leurs  tu  juras  la  defens<?v'^^- 
Jusqu'en  leur  sanduaire  on  yient  nous  ^gorger ; 
Et  quand  tous  tes  sujets  s'arment  pour  nous  venger , 
(Lahonte  de  leurRoipeut-eileetre  plusgrande? ) 
Ce  Roi  les  desavoue :  un  autre  les  commande ; 
Un  Pretre  est  a  leur  tete  ,  &:  toi ,  dans  les  liens  > 
Cest  moi  qui  les  anime ,  &  toi  qui  les  retiens. 
Dui  J  tout  prets  k  Frapper,  ils  ont  craint  pour  ta  vie 
Qui  reste  abandon  nee  au  glaive  de  Timpic. 
Ma  vengeance  etoit  sure  :  un  traite  Tinterromptfi 
Et  ton  interct  seul  en  faic  subir  Xz&ontfUu^iUdO. 

.   -'..<•   MoNxizUME.     ~ 
Tavehg^artcc  etoit  svlre!  eh,  surquoi,  temeraire. 
En  osois-tu  fonder  Tespoir  imaginaire  ? 

''■•^IL  E    G  R  A  N  D  -  P  R  t  T  R  E. 

Un  nionde  armc,  nos  Dieiixm'en  avoient  repondu. 

.,...''■■    cpjRTE^^'' .  '; 

Tes  Dieux  t'auroient  venge  comme  ils  t'ont  defendu. 

Le  Grand-Pretre. 
Ne  mont-ils  pas  dejavenge ,  quand  leur  justice 
A,  partes  propres mains,  creuse  ton  precipice  ? 
Ton  crime  a  reveille  les  Mexiquains  scduits.         ■ 
En  vain  jc  les  poussois  ou  tu  les  as  rcduits  j 


494      ^^  ^^  ^^^  ^^  -CORTiS:, 

Lcs  Moeurs  ayant  d'entre  eux  chasse  Tinstind  sauvage , 

Vinrent,  de  leur  lumiere  eclairer  ce  rivagej 

Ton  Souvcraiii  la  vit  &  ne  t'eJvita  pas. 

De  la  tes  cris,  ta  rage,  &  tes  noirs  attentats. 

Tu  ne  pouvois  souffrir  qu'en  lui  peignant  mon  Maitre, 

Je  lui  pcignisse  un  Roi',  je  rinstrnisisse  a  Tetrej 

Qu'il  apprit  que  le  trone  est  I'autel  eminent 

D'ou  part  du  Roi  des  Rois  I'orade  dominant; 

Que  le  sceptre  est  la  verge  &  haute  &  redoutable 

Sous  laquelle  ici-bas  doit  trembler  le  coupablc  j 

Qu* ici  tout  Test ;  Soldats,  Pretres  &:  Citoyens  j 

Et  que  tous  leurs  forfaits  desormais  sont  les  tiens. 

LfiGllAND-PRiTRE. 

Et  qui  t'a  confie ,  d'ou  te  nait  la  puissance 
De  decider  ici  le  crime  &"  J'innocencc  ?    j^^Jj;":  -i 
Quelles  que  soient  nos  lois,pretends-tu  les  changer  ? 
Ce  droit  fut-il  jamais  le  droit  de  TEtranger  ? 
Es-tu  I'Ange  du  Ciel  ?  Est-ce  a  nous  a  t'en  croire? 
Et  t'oses-tu  flatter.... 

C  o  R  T  E  s. 

Oui ,  j'en  aurai  la  gloirc; 
Oui,  la  Nature  entierc ,  outragee  en  celieu,  >> 
Me  demande  vengeance ,  &:  Tobtiendra  dans  pcu. 
Apprends  d'elle  aujourd'hui  sur  quels  droits  je  me  fondc. 
Des  Temples  infedes  du  sang  qui  les  inondc  , 
Leur  enceinte  &  leurs  tours ,  triste  amas  d'ossemens     | 
De-tes  impietes  barbares  monumens  j  -.  i  iii^  .. 


TRAG^DIE,  49  5 

D'cxecrables  fcstins  ,  &  Icur  scandale  atroce 
Qui  du  convive  impur  fait  un  monstre  feroce, 
Lc  sacrifice  affreux  qui  s'achevoit  sans  moi  j 
Voil^  ce  qui  soumet  I'Amerique  a  ma  loi. 
Veux-tu  bien  epargner  &:  du  sang  &■  des  larmes? 
A  ce  Peuple  cfFrene  fais  mettrc  has  les  armes.      ^ 
Ferme  un  Temple  oii  deja  ton  Prince  n'entre  plus  j 
Sinon,  plus  de  clemenccj  &: malheur  aux  vaincusi 
Et  bien -tot ,  sous  tes  yeux,  deserte  &■  ravagee, 
Si  dans  des  flotsde  sang  I'Amerique  est  plongce  , 
Et  ne  prononce  plus  mon  nom  qu'avec  efFroi , 
Pleurc  sur  ton  pays  j  mais  ne  t'en  prends  qu'a  toi. 

Le  Grakd- Pretre. 

On  t'accordoit  la  fuite ,  &  c'est  toi  qui  menaces  I 
Puisque  tu  ne  sais  pas autrement  rendre  graces, 
Puisque  ce  Roi  captif  est  content  de  son  sort , 
Attendant  la  rigueur  de  la  loi  du  {ilus  fort ; 
Tenons- nous- en  tous  deux  a  nos  droits  legitimes. 
Garde  ton  prisonnier,  &  rends-moi  mes  vidimcs. 

Cortes  un  pistokt  a  la  main. 

Ah !  ma  fureur.... 

MoNTEZUME/«i  haussant  le  bras. 

Avant  de  la  laisser  agir, 
Qu'il  sache  tout  son  crime  ,  &"  voyez-l'en  rougir. 
Tout  barbare  en  efifet  que  I'autel  t'ait  fait  naitre , 
Quand  d'assouvir  ta  rage,  on  t'eut  laisse  lemaitre , 


494      F£R^''J]SfD-CORT^S„ 

Lcs  Moetirs  ayant  d'entre  eux  chasse  Tinstind  sauvagc , 

Vinrent,  de  leiir  lumiere  eclairer  ce  rivagej 

Ton  Souvcrain  la  vit  &  ne  I'eJvita  pas. 

De  la  tcs  cris ,  ta  rage ,  &  tes  noirs  attentats. 

Tu  ne  pouvois  souffrir  qu'en  liii  peignant  mon  Maitre, 

Je  lui  peignisse  un  Roi  5  je  I'instruisisse  a  Tetrej 

Qu'il  apprit  que  le  trone  est  I'autel  eminent 

D'ou  part  dii  Roi  des  Rois  Toracle  dominant; 

Que  le  sceptre  est  la  verge  &:  haute  &  redouta'ble 

Sous  laquelle  ici-bas  doit  trembler  le  coupablc  ; 

Qu' ici  tout  Test ;  Soldats ,  Pretres  &■  Citoyens ; 

Et  que  tous  leurs  forfaits  desormais  sont  les  tiens. 

Le  Grand-Pr^tre. 

Et  qui  t'a  confie ,  d'ou  te  nait  la  puissance 
De  decider  ici  le  crime  &"  rinnocence  ?    auini  i 
Quelles  que  soient  nos  lois,pretends-tu  les  changer  ? 
Ce  droit  fut-il  jamais  le  droit  de  TEtranger  ? 
Es-tu  I'Ange  du  Ciel  r  Est-ce  a  nous  a  t'en  croire? 
Et  t  oses-tu  flatter.... 

C  o  R  T  i  s. 

Oui ,  j'en  aurai  la  gloirei 
Oui,  la  Nature  entierc ,  outragee  en  celieu,   5-^ 
Me  demande  vengeance ,  &:  Tobtiendra  dans  peu. 
Apprends  d'elle  aujourd'hui  sur  quels  droits  je  me  fonde. 
Des  Temples  infedes  du  sang  qui  les  inondc  , 
Leur  enceinte  &  leurs  tours ,  triste  amas  d'ossemens 
De  tes  impietes  barbares  monumens^  «  ;>vi>vi \s 


T  R  A  G  ^  D  I  E.  495 

D'cxecrables  fcstins ,  &"  leur  scandale  atroce 
Qui  du  convive  impur  fait  un  monstre  feroce, 
Lc  sacrifice  affreux  qui  s'achevoit  sans  moi  j 
Voil4  cc  qui  soumet  I'Amerique  a  nna  loi. 
Venx-tu  bien  epargner  &"  du  sang  &■  des  larmes? 
A  ce  Peuple  cffrene  fais  mettre  has  les  armes. 
Ferme  un  Temple  oii  dqaton  Prince  n'entrc  plusj 
Sinon ,  plus  de  clemencei  &■  malheur  aux  vaincust 
Etbien-tot,  soustes  yeux,  deserte  &:  ravagee, 
Si  dans  des  flotsde  sang  TAmerique  est  plongce  , 
Et  ne  prononce  plus  mon  nom  qu'avec  efFroi , 
Pleurc  sur  ton  pays  \  mais  ne  t'en  prends  qu'a  toi. 

Le  Grand- Pretre. 

On  t'accordoit  la  fuite ,  &  c'est  toi  qui  menaces ! 
Puisque  tu  ne  sais  pas  autrement  rendre  graces , 
Puisque  ce  Roi  captif  est  content  de  son  sort , 
Attendant  la  rigueur  de  la  loi  du  {ilus  fort ; 
Tenons-nous-en  tous  deux  a  nos  droits  legitimes. 
Garde  ton  prisonnier,  &  rends-moi  mes  vidimcs. 

Cortes  un  pistolu  a  la  main. 

Ah !  ma  fureur.... 

MoNTEZUME///i  haussant  le  bras. 

Avant  de  la  laisser  agir, 
Qu'il  sache  tout  son  crime  ,  &"  voyez-I'enrougir. 
Tout  barbare  en  effet  que  Tautel  t'ait  fait  naitre , 
Quand  d'assouvir  ta  rage,  on  t'eut  laisse lemaitre , 


4p6     Pernand-cor  TiS^ 

La  seconde  vidime ,  en  presentant  son  seiil  ^ 
Cruel  I  t'eut  fait  tomber  le  couteaude  la  main* 
De  ce  noble  etranger  c'est  la  fiUe  adorable. 
Vols  de  quel  attentat  tu  te  rendois  coupabic* 
Tu  voulois ,  &  tu  veuxetre  encor  le  bourreau 
De  tout  ce  que  le  cicl  a  forme  de  plus  beau , 
D'un  objet  dont  la  vie  est  desormais  la  mienne  > 
D'une  tete  sacrec ,  en  un  mot  de  ta  Reine. 
Je  I'epouse. 

Le   GRAND-PRiTRfi* 

Qu'entends-  je  ?  Ah !  comble  de  I'horretit' ! 
L'epouser ! 

C  o  R  T  i  s. 
(  Au  Roi  ) 
A  tes  yeux*  Amenez-la  ,  Seigneui**  .',\ 
{  Le  Roi  sort.  )  rr 

D.   P  E  D  R  E  a  Cortes. 
Ma  fiUe  fremiroit  a  son  asped.  Qu'il  sorte. 
Du  palais  cependant  nous  defendrons  laporte; 
Et  Ton  celebrera  les  deux  fetes  sans  nous* 
Venez. 

C  o  R  T  E  Si  ■'^^ 

Non  devant  elle  il  pliei'a  les  genouXi 
C'est  a  lui  de  fremin 

(Arrttant  le  Grand-Pritre  qui  se  disposoit  a  sortir.) 
Oui ,  demeure  5  oui ,  toi-memc  * 
Tu  verras  sur  soa  front  poser  le  diademe^ 

Le 


T  RA  G  £  D  t  E.  j^^r 

Le  premier  tu  rendras  hommage  a  la  beaute 
Que  jusques  dans  nos  bras  poursuit  ta  cruaute. 
Et  ne  compte  echapper  au  courroux  qui  m'anime , 
Qu'en  implorant  I'appui  de  ta  propre  vidime. 

(  S'avan^ant  au-devant  d' t  hire  qui  parou. ) 


SCENE     V.      '"'''''''! 

CORT]^,MONTEZUME,ELVlRE,D  PEDRE, 
^LE  GRAND -PRfeTRE,  Troupes  d'tspagnols 
'^&  d'Americains» 

C  o  R  T  B  S  continue, 

V  ENEZ ,  Madame....  Ciel  I  que  vois-je  ?    ''  '"-^  ^ 
Le  Gr and-Pretre. 

:,^v\ia.  •.\  ^  th^tv.        ^'^^  vengeurs  ! 
Qu'attcndez-vous  ?  Tonn6z  sur  ces  profanateurs ! 

Cortes  a  pan. 

Ah ,  perfide  Aguilar ! 

Le    GRA^fD-PRiTRE. 

Tonnez ,  Dieux  du  Mcxiquc , 
Avant  qu'un  tel  outrage  ait  fletri  I'Amerique  I 
C  O  R  T  i  S  a  part. 

Que  faisois-jc  i 

Tome  11.     I  i 


4  9  S       Fe  R  NAND  -CORTJ^S^ 
Le   GRANb-PREtR£  Voyufit  U  trdJihie  -dt  Corthl 

Deja,  tel  qui  nVa  menace, 
trappe  d'lin  coup  subit,  en  paroit  terrassc. 

( au  Roi. ) 
Et  toi ,  tombe  a  ma  voix,  tombe  du  rang  supreme, 
Vil  epoux  d'une  esclave!  esclave  ici  toi-meme  !  ? 
Et  Tautcl ,  &■  nos  loix,  &  le  trone ,  &  ton  lit, 
Rien  ne  te  fut  sacre  j  tu  il'es  plus  qu'un  proscrit. 

'u}]SS.  11  sort. 


SCENE   VI. 

CORTfeSjMONT^ZUME,  ELVIRE, 
D.    PEDRE. 

CbktES  dii  Roi ,  surpris  de  le  voir  immobile, 

JLaissons  pouf  itn  moment  son  audace  impunic. 

Je  songe  a  differer  unc  ceremonie 

Qui  veut  plus  d'appareil  &:  de  solennite. 

(  a  Don  Pedre. ) 
II  en  eut  en  effet  souille  la  Majeste. 

( au  Roi. ) 

Choisissons  mieux.  Seigneur ,  &  I'heurc  &  la  journec. 
11  s'agit  d'un  combat,  &c  non  d'unhymenee. 


»  T  RA  G  E  D  1  E,  499 

Qu'auf  oienc  pense  dc  nous  vos  soldats  &  les  miens  ? 

( a  Elvire. ) 
Madame ,  avec  ardeur  j'ai  tissu  vos  liens  5 
Nous  saurons  les  serrer  j  mais  dans  un  temps  plus  calmc. 
Le  niyrte  ne  se  doit  cueillir  qu'apres  la  palme. 
Les  premiers  soins  remplis,  d*autres  auront  Icur  tour ; 
Et  la  vidoire  ici  ramenera  I'amour. 

(  au  Hoi.  ) 
Allons ,  Prince ,  flattes  d'esperances  si  belles , 
Allons  en  paroissant  disperser  les  rebelles. 

(  se  decouvrant. ) 
Vous ,  Don  Pedre,  croyez  que  rien  ne  m'est  pltisdoux 
Que  d'avoir  k  combattre  a  vos  yeux ,  &  sous  vous. 


SCENE    V  I L 

D.  PfeDRE,  ELVIRE/ 
D.  Pedre. 

>^UElesflotsncm'ont-ils  cache  dansleurabysnie, 
Ou  que  le  Mexiquain  n'a-t'il  pris  sa  vidime  1 
Tout  ce  que  je  craignois ,  ma  fiUe,  est  arrive : 
Cortes  m'a  rcconnu  vivant  j  &  m'a  brave ! 

Elvire. 

Faudra-t-il  qu'nne  haine  irreconciliable , 
Oii  tout  me  semble  heureux ,  vous  rende  inconsolable  ? 

li  i) 


500      FERNAND-CORT^S^  ' 

Ces  vifs  ressentimens  qu'un  ayeiil  irrite 

Transmct  dc  peie  en  fils  a  sa  posteritc , 

Que  la  destrudion  ,  que  le  meurtre  accompagne , 

N'ont  que  trop  jusqu'ici  dcshonore  I'Espagne. 

Si  quelque  grandeur  d'ame  aide  a  les  eiouffer, 

Quimieuxque  vous,mon  Pere,  en  pourroittriompher  ? 

D.    P  E  D  R  E. 

Oui  J  j'en  triompherois ,  si ,  quand  je  le  retrouve , 
Le  superbe  eprouvoit  le  destin  que  j'eprouve , 
Et  que  je  fusse  au  faite  ou  je  le  vois  brilier  •, 
Mais  quel  instant  fatal ,  pour  me  le  conseiller  1 
Quand  son  inimicie  hautaine  &:  satisfaite 
Pleinement ,  devant  tous ,  jouit  de  ma  defaite; 
Et,  pour  mieuxnVenfoncerlepoignard  dans  lecoeur, 
D'un  resped  outrageantprend  le  voile  imposteur. 

E  L  V  IRE. 
Lui  J  de  I'inimitie !  la  votre  vous  abuse. 
Eh !  sur  quoi  done ,  Seigneur,  faut-il  qu'on  Ten  accuse  ? 
Je  Tobservois.  Ses  yeux,  ses  gestes  n'ont  eu  rien.... 

D.    P  E  D  R  E. 

N'ont  eu  rien  qui  demente  un  sang  tel  que  le  sicn. 
L'ai-je  moins  observe  ?  Les  sentimens  du  traitre 
N'avoient  pas  attendu  si  long-temps  a  paroitre. 
Avant  que  vous  vinffiez ,  pres  de  moi  s'informanc 
Des  licux  ou  nous  etions,  moi,  vous,  &■  votre  amant; 
II  a  su  mon  naufrage  &  la  mort  de  Don  Sanche. 
Mon  age  est  clairvoyant,  &:  la  jeunesse  estfiranche. 


T  RA  G  E  D  I  E^^_-\      501 

J'ai  vu ,  j'ai  vii  la  joie  eclater  dans  xs  yeux. 
II  prenoit  a  m'entendrc,  un  plaisir  odieux. 
L'inhiimain  comparoitsa  gloire  a  ma  misere  j 
Et  pour  lui  cette  gloire  en  devenoir  plus  chere. 
Sont-ce-la  les  vertus  ,  m'etois-je  deja  dit. 
Que  me  vantc  Aguiiar,  &  qutlvire  applaudit? 
Et  quand  votrc  presence  annoncc  enfin  la  mienne. 
Son  propre  honneur  n'est  plus  un  frein  qui  le  retienne. 
Le  perfide  auffi-tot  vous  enleve  un  epoux , 
Jette  un  frivole  obstacle  entre  le  rronc  &  vous, 
(  Simple  deiai  d'abord ,  bientot  rupture  enticre  ) 
Rend  ma  parole  un  jeu  de  sa  puissance  altiere  j 
Et  s'imagine  encor  qu'apres  un  tel  affront , 
Jamais  a  le  servir  je  ne  serai  trop  prompt. 
Moi ,  te  suivre,  Cortes !  ta  voix  envain  m'appelle: 
Cette  main  s'armeroit  plutot  pour  la  querelle 
Du  Ministre  insolent  de  la  barbare  loi 
Qui,  demandant  ma  mort,  demande  moins  que  toi. 

E  L  V  I  R  E.  .2)J<ni.:i 

Que  diriez-vous.  Seigneur,  si  ce  jeune  courage , 
De  tout  ce  qu'il  a  fait  vous  rcservoit  I'hommage  ? 
Si  revenant  a  nous ,  avec  empressement ...« 

D.    P  E  D  R  E. 

Nous  preserve  le  c.iel  d'un  tel  abaissement ! 
Je  le  desire  encor ,  moins  que  je  ne  I'esperc  i 
Non,  non !  qu'ilsoit  pour  nous  ce  que  seroit  son  pcrcj 
Et  que  se  repentant  de  son  dernier  exploit , 
11  signale  a  son  gre  lahaine  qu'il  nous  doit. 

1  i   iij 


501      FERNAND-CORTj^Sj 

G'est  le  seul  sentiment  que  nous  puiffions  lui  rendre;- 
Le  seul  auffi  de  lui  que  nous  devious  attendre. 
11  nous  le  prouve  assez.  Mais  peut-etre  a  son  tour  '^ 
Me  connoitra-t-il  mieux  avant  la  fin  du  jour. 
De  mon  sort  croit-il  etre  impunement  I'arbitre  ? 
Nc  suis-je  done  ici  qu'un  vagabond  sans  titre  ? 
Honore  des  secrets  de  mon  maitre  &r  du  sien  „ 
Pour  la  fierte  du  rang  ,  je  ne  lui  cede  en  rien. 
Reconnu  des  soldats ,  j'en  deviens  Tesperancc. 
Sa  course  temeraire  a  lasse  leur  vaillance  : 
A  ne  pas  reculer  lui  seul  est  obstine  j 
Et  si  je  dis  un  mot ,  il  est  abandonne. 

E  L  V  I  R  E  effrayee. 
Votrc  courroux  voulant  du  moins  etre  equitable , 
S'instruira  mieux  avant  un  coup  si  redoutable. 

D.    P  E  D  R  E. 
Quel  que  soit  mon  courroux,  jevoisqu'ilvoiisdeplait., 
Serions-nous  done  ici  divises  d'interet  ? 

E  L  V  I  R  E. 

Moi,  mon  Pere,  en  avoir  de  plus  chers  que  les  votres  J 

D.    P  E  D  R  E. 

J'aipourtant  mes  projets  -,  &■  vous  en  avez  d'autres. 

E  L  V  I  R  E. 

Je  crois  que  mes  projets  sont  les  votres ,  Seigneur , 
Quand  ils  sont  animes  du  soin  de  votre  honneur. 
D'un  sentiment  si  pur  c'est  la  force  invincible 
Qui  m'affermit  la  voix  en  ce  moment  terrible , 


Et  porter ,  mf Igrq  vo;is ,  vq^^^  Qceujc  a  ki  p:^^^.  ^,;.r  [ 
11  a  sauve  yo<  foyr?  iSi;  (?fivi^,  51^^91:56  fil}p,    <,y|  .j 
Tout  ce  qui  desunit  I'une  &:  raj.itre  famille, 
Ne  sauroit  plus,  en  nous,  Balancer  un  instant , 
De  cet  heurcux  guerrier  le  service  importar^'  >- 
Ses  soldats  mecornenssonttout  prets  a  vous  suivre: 
Un  mot,  quand  vous  voudrez ,  le  per  J  &:  vous  les  livre  j 
Mais  que  publieroit-on  d'un  pareil  attentat  ? 
Cortes  fut  gencreux- :  &  Doti  Pedre  j  un  ingrat. 
]Le  Conqiterant  orne  des  vertui  ies  plus  rares  j,  ,  _^l/[ 
Sauva  son  enneml  de  lea  nfain  dje^  Barbares  ; 
Et  lui-meme  »  a  son  tour  .  d'eux  tons  environne\ 
Par  celui  qu'il  sduva  3  leur  fut  abandonne  !  -  -  '^ 

Ah  plutot,  rejetons  un  bienfait  si  funeste ! 
La  vi^  est  a  cf  ,pj:jx,„pri  bien  ^u.e;  jie  detesi;^  :  4 ., 
Desapprouveriez-vous  des  sentiwsus  d'honneur  . 
Que  vos  lecons,  mon  Pere,ont  graves  dans  mon  coeur  > 

.     ,        .    ;.D.    PiDRE.     .    _,     ,    ,    ,      „ 

Conservcz-en  la  noble  6f  constante  habitude  j 
Mais  debar rassez- vous  de  cette  inquietude  j 
Quand  je  ne  m'en  sens  point ,  est  ce  a  vous  d-en  avoir  ? 
Reposez-voussur  moi  des  regies  du  devoir^i  ^^^'^ 
Cortes  fut  genereux ,  faute  de  nous  connoitre. 
Des  qu'il  nous  a  connus ,  il  a  cesse  de  I'ctre.         _ 
tt  s  est  peu  soucie  que  j  eusse  ,  sur  sa  roi , 
Engage  votre  main  &  ma  parole  au  Roi. 
En  disposant  de  Tune ,  il  s'est  joue  de  Tautre ;   -  D 

I  i   IV 


504       FERNJND'CORTiSj 

Des-Iors,  il  a  blesse  mon  honneur  &  Ic  votrcj  - 
Des-lors ,  je  meconnois  notre  liberateur ; 
Et  Toffenseur  efface  en  lui  le  bienfaiteur. 

El  VI  re/ 

Seigneur ! ....  Que  j'ose  enfin....  ^q 

D.    P  EDR  E.  <i3? 

N'ose  rien  d'inutilc.' 

El.yjj^le-,  .^-) 

Mon  Pere,  ccoutez-moi  d  un  esprit  plus  tranquillc. 

D.  p  ic^i^.  '""^ 

Peut-erre  ai-je  ecoute  plus  que  je  n'aurois  du.  ,^r[ 

E  L  V  I  R  E. 

Ah  I  vous  jetez  rcffroi  dans  un  coeur  eperdu  '  ""^ 
Qui  pourroit  vcus  flechir  par  un  aveu  sincere.' 

b.   P  EDR  E. 

Vous  avez  des  secrets  qu'ignoroit  votre  pere  ? 

E  L  V  I  R  E  tombant  a  ses  genoux. 

Mon  coeur  entre  vos  mains ,  ne  sauroit  etre  mieuxj 
Mais  la  moindre  foiblesse  estun  crime  a  vos  yeux. 

D.  P  E  D  R  E  la  relevant,  ^ 

Rassurez-vous.  Parlez :  quelle  est  cette  foiblesse  ? 

E  L  V  I  R  E. 
C'est  la  douleur  de  voir  que  d'un  jour  d'alegresse 


"  T  R  A  G  ]^  D  1  E,  505 

Qui  pouvoit  de  mes  jours  etrc  le  plus  heurcux , 
Votre  haine  inflexible  en  fait  le  plus  aflfireux. 
J'esperois... 

D.   P  ED  R  E. 

£tre  Reine:  &  j'approuve  tes  larmes. 
Mais  crois-tu ,  si  le  trone  eut  pour  toi  quelques  charmes , 
Qu  a  mes  yeux  ta  fortune  ait  ofFert  moins  d'appas  ? 
Je  mourrois  de  douleur,  si  tu  ne  regnois  pasj    ~, 
Si  tu  perdois  Thonneur  d'efFacer  dans  I'histoire, 
L'ennemi  qui  nous  croit  ofilisqucs  de  sa  gloirej 
Et  si  Ton  ne  devoit  a  mon  sang,  a  ta  main ,  * 

Un  monde ,  que ,  sans  nous ,  il  eut  conquis  en  vain. 
Je  rejoms  Montezume.  Espere  tout  encore 
D  un  pere  ambitieux ,  &  d'un  roi  qui  t'adore. 
E  L  V  I  R  E. 

Juste  Ciel !  ^  d  oh  ib  ^oj^^i^.  ;=b  ii'jMj^.f 

D.    P^DRE. 

Les  momens  sent  precieux.  Rentrons. 
Vous  regnerez ,  ma  FiUe  j  &  nous  triompherons. 

Fin  du  troisieme  Acte^ 


joS       FERNAND'CORT i  S:, 


1 1^\  J    f      "J* 


A  C  T  E    IV. 


MONTtZUME.  i'iiP 

i,UGUBRES  Messag?r$  des  vengeances  celeisc^e,  -: 
Spedres  persecureurs ,  t^bkaux  nqjrJi  ^  fwnej>?e$  ,1 
L'Amour  vons  avoit  fait  disp^roitrf  yHi  nioiDQptt 
L'Amour  vous  fait  renaitrc  av^c  achari><?fiftfttt.     ' 
Quel surcroitames nmix .'L'Amour !  linQf©^i?kss^ 
Dont  j'eusse  rougi ,  meme  au  sein  de  J»  iBo'lles&e  > 
Un  lien  qui  des  Rois  doit  c^re  deteste ; 
L'ecueil  de  la  s2i^tssQ  &:  de  la  majeste  |    j^  ^.  ,,t 
L'Amour !  Egarement  d'^utant  plus  deplorable, 
Que  je my  laisse aller , helas !  cjuand pout m'accable : 
Quand  pour  moi,  quelque  vgeu  que  je  forme  en  mon  sein , 
Le  Cicl ,  &:  tous  les  coeurs  sont  devenus  €l'airain. 
Dcnos  autels  sanglans  le  defenseur  impie 
Livre  au  bras  sacrilege  &  mon  trone  &"  ma  vie. 
Mon  Peuple  qu'il  seduit,  devient  sourd  a  ma  voix.  J 

Je  m  etois  fait  du  moins  un  bonheur  a  mon  choix.  ' 

11  m'eut  suffi  de  plaire  a  la  belle  fetrangcre. 
Et  je  lui  fais  horreur  !  Qu'importe  que  son  pcre 
En  ma  faveur  exerce  un  pouvoir  inhumain  ? 
Des  qu'elle  se  refuse ,  il  me  Taccorde  en  vain. 


T  RA  G  E  D  I  E,  507 

Pour  la  premiere  fois ,  je  ressens ,  quand  on  aime, 
Qu'un  vain  titre  d'Epoux  n'est  pas  le  bien  supreme ; 
Et  que  Ton  n'est  qu'a  peine  a  demi  possesseur. 
Si ,  maitre  dela  main ,  on  ne  I'est  pas  dii  coenr. 
Le  temps  m'eut  obcenu  Tun  &:  Taut  re ,  peut-etre  ; 
Mais  mon  plus  ferme  appui ,  le  fleau  du  Grand-Pretre , 
Le  meme  a  qui  tantot  cet  hymen  avoit  plu , 
Cortes ,  dit-on  ,  s'oppose  a  ce  qu'il  a  voulu. 
Je  le  chercbe  j  &  crois  voir  en  eflfet  qu'il  m'cvitc. 
D'un  mot ,  il  calmeroit  le  trouble  qui  m'agite. 
II  vient.  Ret'rons-nous  pour  observer  de  loin 
L'instanc  ou  je  pourrai  I'aborder  sans  temoin. 

Il  I  III  .,■,.,. . _ : m 

SCENE    IL  "I 

CORTilS,   AGUILAR.         "^ 

A  G  U  I  L  A  R.  : 

i^'HONNEUR ,  vous  le  voyez ,  me  forcoit  au  silence. 
J'eusse,  a  vos  feux  du  moins,  prete quelque assistance , 
Mais  Don  Pedre  est  rempli  de  tout  autres  desseins  j 
Vous-mcme ,  en  Ty  portant ,  m'avez  lie  les  mains. 
Et  vou^  savez  d'ailleurs  la  haine  inveteree 
Que  de  vos  deux  maisons  les  chefi  se  sont  juree  j 
De  flechir  celui-ci  j'ignore  le  moyen  ; 
Trouvez-le  toutefois ;  ou  n'esperez  plus  rien. 

Cortes. 
Oui ,  je  Ic  flechirai  j  mais  veuillez  me  le  dire, 
Sera-ce  prendre  un  soin  qui  touche  encore  Elvirc? 


5o8     FERNJND-CORTiS^ 

A  G  U  I  L  A  R. 

Repassant  dc  chezlui  dans  son  appartement, 
Elvire  va  paroitre  ici  dans  un  moment. 
Vous  vous  expliquercz. 

{II  sort.) 


BB 


S  C  £  N  E    1 1 1. 

CORTJfeS.  '^ 

A^UE  faut-il  que  j'en  croie  > 
Ma  vive  inquietude  est  egale  a  ma  joie. 
J'ai  revu  ce  que  j'aime.  Hcureuxsi  je  revoi 
Celle  qui  merica  mes  travaux  &:  ma  foi ! 

SCfiNE     IV, 
CORTfeS,  MONTJfeZUME. 

XT  '  ^ 

MONTEZUME. 

J  E  vous  cherchois ,  Seigneur ,  avec  impatience , 
Pour  apprendre  de  vous  ce  qu'il  faut  que  je  pensc 
1!>QS  bruits  nouvellement  parmi  nous  repandus. 

C  O  R  T  E  S  <^  pan. 

Elvire  I  Loin  de  vous ,  que  de  momens  perdus ! 


r  RA  G  t  D  I  E,  50 J 

MONTEZUME. 

L'art  de  feindredans  I'line  &  dans  Tautre  fortune , 
Netant  que  l'art  d'une  amc  ou  perfide  ou  commune; 
Je  demande  &:  je  cherche  un  eclaircissement. 
Sans  employer  ni  craindre  aucun  deguisement. 
Vous  pressiez  le  bonheur  de  I'ardeur  la  plus  tendre ; 
Et,  tout-a-coup,Seigneur,  on  vous  le  voit  suspendre. 
Les  choses  ont  leur  temps  sans  doute  &  leurs  saisons  \ 
Et  vous  m'avez  donne  de  plausibles  raisons , 
Qui ,  d'abord  ont  plie  mes  volontes  aux  votres : 
Mais  Don  Pedre  me  dit  que  vous  en  avez  d'autres; 
Et  d'une  vieille  haine ,  enle  reconnoissant. 
Que  vous  avez  suivi  Tinteret  tout-puissant. 
Ma  mediation  ne  peut-elle  etre  oflferte  ? 
Pour  le  desobliger,  conjurez-vous  ma  perteJ 
Et  le  haissez-vous  avec  tant  de  fureur, 
Qu'a  ce  prix  vous  vouliez..- 

Cortes. 

Don  Pedre  est  dans  Terreur. 
Je  I'estime  &  I'honore ,  &  I'aime  &  le  respede. 
L'assurance  bientot  n'en  sera  plus  suspede ; 
Et  vous  verrez  alors  combien  il  est  peu  vrai 
Qu'un  mouvement  de  haine  ait  eu  part  au  delai. 
Sont-ce  la  cependant ,  puisqu'il  faut  le  redire, 
Sont-ce  les soinsd'un  Roi  contrequil'on  conspire? 
Le  Grand-Pretre  pretend  vous  avoir  detrone : 
De  sa  main ,  dans  le  Temple ,  un  autre  est  couronne  i 
Et  du  peuple ,  aux  autels,  la  barbate  alegressc 


510        FERNAND-CORTiS^ 

Fait  que ,  pour  iin  moment ,  toutc  hostilite  cesse } 
A  quoi  le  perdez-vous  ce  precieux  moment  > 
All  lieu  d'agir  en  Prince ,  a  vous  plaindre  en  amant ', 
A  laisser  refroidir  la  valeur  inccrtaine 
De  ceux  que  sur  vos  pasquelque  pudeur  entrainc , 
Et  qui  seront  bientot  les  premiers  attaques 
Dans  les  postes  d'honneur  que  je  leur  ai  marques. 
S'ils  vous  doivent  leur  foi,vous  leur  devez  I'exemple. 
Courez  done  a  leur  tetej  &  qu'au  sortir  du  Temple, 
Le  Peuplc  en  vous  voyant  eprouve  cet  efiroi 
Qu'inspire  aux  Fadicux  I'auguste  front  d'un  Roi. 
Non  qu'ici ,  contre  tons ,  seul  je  ne  vous  suffise  j 
Mais  ayez  quelque  part  a  ma  noble  entreprise  > 
Ne  tenez  pas  le  sceptre  a  titre  de  bienfait  \ 
Et  qu'il  ne  soit  pas  dit  que  mon  bras  a  tout  fait. 

MONTEZUME. 

Non ,  Seigneur ,  non  \  le  mien  aura  part  a  la  gIoire« 
Je  n'ai  pas  jusqu'ici  donne  lieu  dc  le  croire. 
Par  un  prodige  afireux ,  des  long-temps  menace, 
D'une  secrete  horreur  je  mc  sentois  glace. 
J'avois  pris  en  dedain  &  le  tronc  &  la  vie. 
Grace  a  plus  d'un  cspoir  dont  mon  ame  est  ravie, 
L'un  &:  I'autre  m'etant  devenu  precieux , 
Je  saurai  meriter  l'un  &:  I'autre  a  vos  yeux,„. 

{Allant  au-devant  d'tlvire  qui  entre,) 


t^>'^r  KA  G  i  D  I  E.  511 


,...,,......§  c  £  N  E    V. 

MONT6zUME,CORTfeS,  ELVIRE. 
Mo N T  i 2  U M £  continue. 


EiNE ,  (car  vous  regnez ,  puisqne  je  vis  encore ) 
Que  d'un  regard  plus  doux  votrc  bonte  m'honorc  ! 
L'Amant  avoir  du  Prince  oublie  le  devoir. 
Sur  un  Trone  ebranie  je  vous  faisois  asseoir, 
Le  reflrs  ctoit  juste  j  &  lofire  t^nneraire: 
Cest  a  moi  de  rougir  d'avoir  ose  la  faire; 
A  moi  de  ramener  mon  peuple  a  vos  genouxj 
Et  de  ne  revenit  qu'cn  Roi  dignc  de  vous. 


S  C  fi  N  E     V  I. 

CORTl:S,  ELVIRE. 

CORT'is  se  voyant  Hbre^&  tomhant  auxpieds  d*Elvire. 

\)  PRESAGE  assure  du  triomphe  ou  j'aspire! 
Au  moment  du  combat ,  je  suis  aux  pieds  d'EIvirc ! 
D'Elvire  ,  qui,  de  loin ,  m'anima  tant  de  fois, 
Et  dont  Timage  seule  a  feit  totis  mes  exploirs ! 
Elvire  I  Chere  Elvire  1  Est^cc  vous? 


511       FERNAND-CORTiSj 

E  L  V  I  R  E. 

Malheureusc ! 
Sous  quel  del  ennemi,  dans  quelle  terre  affteuse^ 
Aux  pieds  de  quels  autels  m'a  conduite  le  sort  I 

Cortes. 

Apres  unlong  orage,  il  nous  montrc  le  port. 

E  L  V  I  R  E. 

Helas !  qu'il  me  vend  cher  sa  faveur  imprevue! 

Cortes. 

Nc  beoissez-vous  pas  une  heureusc  entrevue 
Que  notre  amour  jamais  ne  devoit  esperer  > 

E  L  V  I  R  E. 
UAmour  n'entrc  en  nos  coeurs  que  pour  les  dechirer. 

Cortes. 
Que  pour  les  dechirer  1  Pour  qui  done  cette  plaintc  ? 

E  L  V  I  R  E. 
Pour  qui ! 

Cortes. 
Faites  cesser  men  espoir  ou  ma  craintc. 
Au-dela  du  trepas,  Don  Sanche  est-il  heureux? 
Le  regretteriez-vous  ? 

E  L  V  I  R  E. 

Ingrar!  Qui  de  nous  deux. 
En  ce  funesre  jour  de  trouble  &  d'epouvante , 
Dut  a  I'autre  inspirer  une  crainte  offencante : 

Ou 


T  RA  G  i  D  I  EJ  515 

Ou  de  moi  qu'un  Monarque aime  &  ponrsuit  en  vain, 
Ou  de  VQUS  qui.  pour  lui  disposiez  de  ma  maia  i  - 
:::ob^t;ln:-     C  O  R  T  E  S.  orbfjnMuB 

Ah !  nc  vous  armez  pas  de  cctte  erreur  extreme !. 

J'etois  moins  traitre  i  vous ,  mille  fois  qu  a  moi-memc 

Moi,  ceder  votre  main  1  Moi,  qui,  pour  I'obtenir, 

Ai  fait  plus  que  jamais  n'en  croira  I'avenir  j 

Moi  qui ,  ce  jour  encore,  vous  croyant  infidellc^ 

Arretois  mes  Soldats,  dont  la  valeur  chancellc'Ti 

>  '/I 
Sans  rien  envisager  dans  mes  nouveaux  projets^  ^ 

Que  le  sterile  honneur  d*exciter  vos  regrets. 
,;.-3.;..r,^.  El  VI  RE. 

'Que  je  me  plaigne  au  moins  de  cette  erreur  extreme 
Qui  vous  rendoit  injuste  a  vous,  comme  a  moi-meme; 
Mon  coeur  est-il  un  coeur ,  pour  qui  sut  I'acquerir , 
Moins  facile  a  garder ,  qu'un  monde  a  conquerir  > 
Ne  m'aviez-vous  pas  dit ,  en  essuyant  mes  larmes. 
Que  notre  flamme  auroit  meme  sort  que  vos  amies? 
rChacun  de  vos  exploits  serroit  done  nos  liens ; 
Et ,  remplissant  vos  voeux,  vous  repondoit  des  miens. 
Ah !  quand  des  Mexiquains  la  splendide  Ambassade 
ttonna  de  sa  pompe  &:  Tolede  &  Grenade,  -^''i 
Que  du  tribut  d'un  m.onde  ignore  jusqu'alors ,-» '/ 
Lc  Tage  enorgueilli  vit  grossir  sqs  tresors , 
Et  quun  si  beau  triomphc,  avant-coureur  du  notre, 
Reporta  votre  nom  d'un  hemisphere  a  I'autrcp-^ 
Que  ne  me  voyiez-vous?  Queletat  ravissant!  '- 
Je  vous  tendois  les  bras.  Vous  n  etiez  plus  absent. 

Tomt  IL     Kk 


514      FERNAND-CORT  is  ^ 

Un  granci  homme  est  par-tout  oii  se  repand  sa  gloire. 
Nous  nous  reunissions  an  sein  de  la  Vidloire ; 
Surson  char  que  suivoient  mille  Peuples  domptcs, 
Dija  je  me  croyois  assise  a  vos  cotes 
D'ou  j'entendois  de  Charle  &  Tun  &:  I'autre  empire 
Porter  anx  cieux  les  noms  de  Cortes  &  d'Elvire. 
La  nuit  la  plus  profonde  eclipsa  ce  beau  jour.     ,^ 
Mon  Pere,  en  ce  moment ,  reparoit  ala  Cour,>y[ 
Et  dans  le  desespoir  me  rejette  &  me  plonge.     a. 
Nous  fiimes,  un  instant,  couronnes  par  unsonge.' 
Lc  plus  mortel  poison  distilla  de  scsfleurs.        ,  q 
Ce  ne  fut  plus  qu'ennuis,  qu'amertumes,  que  pleurs ; 
Qu'abysmes  sous  nos  pieds,que  foudres  sur  nos  tetes  i 
*-'^:^Qiie  ce  que  je  retrouve  ici  meme  ou  vous  etes. 

,  > i  -  .'  '<5'^9LT  E  S.     • 

cin-npno-:.  /'•  obnom  vAriH>  ,^^\y\£^  t  olhiul  nmM 

J\  n'est  plus  ou  je  suis  qu'ennemis  foudrdyes,'  '-'"^ 
'C  ejQue  lauriers  sur  nos  fronts ,  &  queRois  a  nos  piecfi^ 

Que  parlez-vous  d'ennuis,de  pleurs  &"  d'ifliertiimes? 
,?n'w.lComparez  notre  etat  a  I'etat  ou  nous  fumes. '  :  ^-^ 
-4.Que  d'obstacles  se  sont  depuis  applanis  tous !    ^;  ^ 

Plus  de  mers,  de  rivaux ,  d'infortune  entre  noui? 

Vojci  de  nos  malheurs  le  terme  desirable. 

Elvireici  presente  est  Tastre  favorable'^  --:^  i  *^^ 
5  Pont  I'aspeci  me  devoit  en  garantir  k  fiiii^  ^'p  ^3 

Ce  miracle  manquoit  a  mon  heureux  destin.  ""''^' 

Ma  passion  pour  vous,  echauffant  mon  courag^J 

.J^'-uae  vaste  conqu^tc  a  commence  rouvragej    • 


T  R  A  G  E  D  I  E.  5  i  j^ 

Pour  I'achever  sans  doutc ,  il  ne  falloit  pas  moins 
Quevosjoursadefendre,  &  vosyeuxpourtemoins. 

E  L  V  I  R  E. 

Vantez  moins  de  mcs  ycux  Teffet  &:  la  puissance. 
Temoins  de  tant  d'amour  &:  de  tant  de  vaillancc ,' 
lis  n'en  auront  ete  qu'un  instant  mieux  oiivcrts, 
Sur  ce  que  vous  valez ,  &  sur  ce  que  ;e  perds. 

Cortes, 

Meperdrc!  :  ^.;;>  .-.  -■  f 

El  VI  RE. 

Pour  jamais. 

C  o  R  T  1^  s. 

Que  craignez-vous ,  Madame  ? 
L'aveu  dont  j'ai  du  Roi  favorise  la  flaiiime  ? 
Fragile  engagement  que  I'erreur  a  forme. 
Quand  il  en  sera  temps ,  de  mes  droits  informe, 
CroyonSjpour  son  honncur,  que  se  rendant  justice, 
11  nous  fera  des  siens  Ic  noble  sacrifice  j 
Ou ,  pour  plus  de  repos  &  de  tranquillite , 
Croyez  que  s'il  usoit  de  pleine  autorite, 
Bientot ,  a  sa  ruine ,  il  Tauroit  usurpee. 
11  sait  ce  que  le sceptre  ici  doit  a  lepee ; 
II  sauroit ,  s'il  osoit  jusques-la  m'ofienser , 
Qu'un  Trone  qu'on  releve,  on  peutle  renvcrscr. 
Et  je  n'avance  rien  en  Soldat  temeraire. 
Ce  que  j'oi  fait  repond  de  ce  que  je  puis  fairc* ., 

Kk  ij 


5i<r       FERNAND'CORTiS^ 

L'amour  a  fait  ma  force;  &  la  force,  a  son  tour, 
S'il  y  faut  recourir ,  fera  tout  pour  Tamour. 

E  L  V  I  R  E. 
Quand  du Roi  seconde  par  un  Pere  inflexible, 
U  Amour  pourroit  pour  vous  se  rendre  aussi  terrible. 
Que  pour  lui  jusqu  ici  vos  armes  Tont  etc, 
Croyez,  qu'ainsi  que  vous ,  j'ai  de  la  fermete; 
Et ,  la-dessus  vous-meme  ayez  Tame  tranquille. 
Eh !  n'ai-je  pas  toujours  le  Temple  pour  asyle, 
Et  ces  memes  Autels ,  ou ,  sans  votre  valeur , 
En  oflFrande  a  Tldole  on  presentoit  mon  coeur ; 
Vous  m'y  verricz  rcntrer,  &  rentrer  avec  joie. 
Ce  coeur  s'y  feroit  voir  tel  qu'il  veut  qu'on  le  voic, 
Vraiment  digne  du  votre.  Honneur ,  helas !  moins  doux, 
Mais  aussi  grand  pour  moi  que  celui  d'etre  a  vous. 

C  o  R  T  i  s. 
Loin  de  nous  cette  image  &  funeste  &  frivole ! 
La  vidoire  m'attend,  chere  Elvire;  &  j'y  vole. 

E  L  V  I  R  E  /e  retenant. 
Trop  de  securite  ne  vous  seduit-il  point  > 
Craignez.... 

C  ok  T  li  s. 
J'espcre  tout  du  Ciel  qui  nous  rcjoint. 
E  L  V  I  R  E  le  rappelant  encore 
[has.) 
jfecoutez-moi ,  Cortes !  Est-ce  a  moi  de  lui  dire 
Que  mon  Pere  peut-etre  en  ce  moment  conspire?  ^ 


TRAGiDIE.  517 

Cortes. 

Eh  quoi  I  toujours  dcs  pleurs ! 

E  L  V  I  R  E. 

Vous  ne  I'ignorcz  pas  • 
Le  danger  ici  nait  &:  renait  sous  vos  pas. 

Cortes. 

Encore  un  coup  de  foudre ,  &  I'Hydre  est  etouflfec. 

E  L  V  I  R  E. 

Des  Heros  ont  peri  couverts  de  leur  trophee. 

Cortes. 

Contre  quels  cnnemis  vais  je  done  m'eprouvcr? 
Ne  me  les  vit-on  pas  cent  &"  cent  fois  braver  > 
Mon  courage  inadif  se  lasse  de  leur  fuite. 

E  L  V  I  R  E. 

Connoissez-vous  tous  ceux  que  ce  jour  vous  suscite  l 

Cortes* 

Dut  toute  TAmerique  armer  contre  mon  bras , 
J'ai  pour  moi  la  Fortune ,  Elvire  &  mes  Soldats. 

E  L  V  I  R  E. 

La  Fortune  toujours  a  nos  voeux  repond-elle? 
Des  Soldats,  ditcs-vous,  le  courage  chancclle; 
lis  vouloient  vous  quitter. 

Kkii^ 


5  1 8      FERNJND-CORTiS, 
Cortes. 

II  est  vraij  mais  dcpuis 
On  Ics  a  vus  au  Temple  otl  je  les  ai  conduits. 
Que  scra-ce ,  Don  Pedre  etant  leur  Capitaine  J 

E  L  V  I  R  E. 

Ce  que  nous  vousdcvons  scmble  aceroitre  sa  hame» 
Cortes. 

Appelez  autrcment  un  courageux  depit. 
Don  Pedre  a  Tame  haute ;  &  sa  iierte  gemit. 
Mais  il  va  me  connoitre ;  &"  jc  veux  qu'il  oublie 
Les  chagrins  dont  mon  Pere  empoisonna  sa  vie. 
Je  sortirai  pour  lui  d'un  sang  moins  odieux , 
Lui  prouvant  a  quel  point  le  sien  m'est  precieux. 
II  ne  verra  qu  amour ,  resped ,  obeissance. 
En  ce  climat  barbare  il  n'a  pas  pris  naissance. 
Chretien  ,  pere  d'Elvire,  Espagnol  &:guerrier. 
Sans  doute  il  est  encor  plus  genereux  qu'altier. 
En  Espagne ,  apres  tout ,  d'une  sainte  promesse , 
Chaque  jour  votre  bouchc  honoroit  ma  tendresse; 
J*y  vivois  tropheureux,  vivant  a  vos  genouxj 
J'ai  done  passe  les  mers  plus  pour  lui  que  pour  vous. 
Et  chcrchant  les  dangers  je  cherchois  son  estime. 
Je  Taurai  meritecj  il  sera  magnanime. 
Nations ,  clemens ,  j'ai  tout  vaincu  pour  lui ; 
Et,devant  son  grand  coeurj  j'echouerois  aujourd'hui? 


7  AT  RAGiDIE.     :       4tp 

E  L  V  I  R  E. 

Cc  que  pour  nous  a  fiiit  votre  valeiir  insignc 
De  route  notre  amour  ne  vous  rend  que  trop  dignct 
Mais  du  fatal  hymen  conclu  sur  vos  avis , 
Sa  grande  ambition  s'etoit  beaucoiip  promis^ 
En  nous  reconiioissant ,  vous  faites  que  tout  cesse ;, 
Et  ne  soupconnant  rien  du  motifqui  vous  presse> 
11  impute  a  la  haine  un  changement  si  prompt ; 
Se  le  peint  des  couleurs  du  plus  sanglant  aiFront.i 
Et  dcia  ne  met  plus  de  borne  a  sa  colere. 

Cortes. 
Et  Je  n'ai  pas  trouve  la  Fille  aux  pieds  du  Perc^ 
Ardente  en  ma  favetir  a  le  desabuserf    ,,,,.,      ,„ 

E  L  y  I  R  E.  -■  ip^iii  il 

M'a-t-il  laisse  le  teinpSj^  la  force  de  Toserf^^^^  •■'■ ' 
A  vous  justi&er  tantot  determinee , 
Ici  mcme  ases  pieds  tremblante  &"  prostcrneer^',  1 
Cent  fois  j'ai  voulu  dire  :  il  maime  ;  &  ne  I'ai  pilw 
Je  ne  sais  dans  mon  coeur  s'ifavoit  deja  lu  ; 
Je  nc  sais  s'il  ne  suit  qu'im  sentiment  farouche ;. 
Mais  d'un  mot  eflfrayant  il  m'a  fermc  la  bouche. 
Ah!  Cortes!  Quel  dessein  roule  dans  son.  esprit h 

Cortes.. 
II  cherche  un  beau  trepas  r  Agnitar  me  I'a  diu. 
Nc  vous  alarmez  point  dc  sa  funestc  envicii"^:  ?  aCl 
On  saura,  malgre  lui ,  prendre  soin  dc  sa  vie..wP5J 
Adieu,  Madame.  Mais  que  vient-on  nVannonecr? 

K  k  iv 


?5  lo      FEKnJND-  CORTI  S^ 

SCENE    VII. 

CORTES,  ELVIRE,  AGUILAR^  . 

Officiers  Espagnols. 

"■-"  '  Cortes. 

JuH  bien ,  faut-il  combattre  ? 

Aguilar. 

II  y  faut  rcnonccr. 
Nos  Soldats  apprenant  roffre  qu'on  vous  a  foite, 
Acceptent  le  parti  d'unc  prompte  retraite. 
11  faut ,  Cortes,  il  faut  vous  y  resoudre  aussi, 
Ou  vous  determiner  a  rester  seul  ici.  'i*-t  l'M 

E  L  V  I  R  E  apart, 
Perc  cruel  ? 

Cortes  aux  Espagnols.  ,  ,.| 

Amis ,  je  doute  si  je  veille.  ;  -A 

On  dit  que  vous  fuyez ;  &  Ton  me  le  conseillc. 
L'affiront  puisse-t-il  etre  a  jamais  ignore ! 
SuivC2-moi,  venez  vaincrej  &:  tout  est  reparc. 

Aguilar. 

De  votre  voix,  long-temps  le  pouvoir  invincible 
Leur  fit  braver  la  mort  &  tenter  I'impossible ,      ' 
Ce  jour ,  au  Temple  encore  ils  vous  ont  suivi  totw. 


T  R  A  G  i  D  I  E,  511 

Mais  le  danger  present  Temportc  enfin  sur  vous. 
Profitez  de  I'asyle  &  du  temps  qu  on  nous  laisse  : 
Compagnons ,  ennemis,  amis ,  tout  vous  en  pressc 
Voulez-vous  nous  conduire  ?  On  vous  obeira. 
Si  vous  le  refusez ,  Don  Pedre  y  suppleera. 

Cortes. 

Lui !  Don  Pedre!  On  I'outrage  en  le  croyant  capable 
De  se  rendre  le  Chef  d'un  complot  si  coupable. 

A  G  U  I  L  A  R. 

Ce  n'est  point  un  complot ;  c'est  un  projet  sensie 
Par  ma  voix ,  ce  jour  meme ,  a  vous-meme  annonce. 

Cortes. 

J'ai  dit  ce  que  j'en  pensej  &:  quand  je  le  rejette, 
Don  Pedre,  pour  me  perdre ,  y  dcfere  &  s'y  pretc. 
Don  Pedre !  Sans  douleur  je  n'y  puis  reflechir.       .x 
Lui  que  j'avois  arme !  lui  que  j'allois  flechir ! 
Juste  Ciel !  Qui  Teut  cru  J  Votre  Pere  1  Ah!  Madame ! 

E  L  V  I  R  E.  ;, 

Nc  vous  etonncz  plus  du  trouble  de  mon  amc , 
Ni  de  ces  pleurs  qu'ici  vous  m'osiez  reprochcr. 
lis  m  etouflFent  la  voix  j  &  je  vais  les  cacher.        ?  ' 

Jnvn^'l.-    '    '  .■■■■■■.•',) 

^j^init  fSi  >'  ""    4»  ■     -.  -^ 


yiz        FERNAND-COR  TiS, 

.^^  SCENE    VIIL    -  .     / 

CORTfeS^  AGUILAR,  Offideri  Eipagnots.' 

C  b  R  T  i  s. 
Wkon  AME ,  je  l*jlvoue ,  interdii^cf  fe  toftttis^--:''^ 

A  G  XJ  I  L  A  R» 

Qiie  dirai-je  aux  Sotdats?  ^ 

Cortes. 

Dites  que  je  refuse^ 
Comme  j'ai  reFiTse  toujours  Tindigne  emploi  ■- 
Detrabir  &:  feur  gloire ,  &:  la  mienne ,  &  mon  Roii 
Allez  \  its  rminnuroient :  ils  rougiront  pevit-etfe;  -'  * 

Dc  qnoi  rongiraient-ils  ?  Vous  devez  me  comioitrc^ 
S'ils  osoient  proposer  rien  qui  leur  fut  hoatetix^ 
Je  ne  porterois  pas  la  parole  pour  eux.  ^ 

II  est  beau  d'afFronter  un  peril  necessairef^'-^/^^  '"^ 
Mais  la  bonte  accompagne  un  malheur  volontairc^ 
Etce  malheur  n'est  plus,  des  qu'il  est  merite, 
Qu'un  juste  chatiment  de  la  temerite. 
Je  porte  mes  regards  sur  Teffet  &  les  suites 
Qu'auroit  notre  courage  aveugle&  sans  limites^ 
En  s^opmiatrant  sur  cc  funeste  Bord* 


T  RA  G  i  D  I  E.  515 

Je  vois ,  pour  tout  succcs  d'un  long  &  rarecfibrt, 

Dans  ces  lieux  investis  la  flammc  se  repandrc , 

Nos  noms  ensevelis  avec  eux  sous  la  cendre, 

Et  sur  I'affreux  sommet  des  temples  &  des  tours 

Par  ces  monstrcspour  nous  moins  hommes  que  vautours, 

Nos  armes,  nos  drapeaux,  nos  tetes  exposees ; 

Pour  y  servir  d'objets  d  etcrnelles  risees. 

Est-ce  la  done  un  prix  si  gloricux ,  si  doux , 

Que  I'orgueil  Espagnol  en  doive  etre  jaloux  » 

Seigneur,  je  n'ai  ni  I'art,  ni  le  talent  frivolc 

De  plier  les  esprits  au  joug  de  la  parole  j 

Mais  elle  est  inutile  ou  tout  parle  a  vos  ycux. 

Osez  les  arrcter  sur  ce  Temple  odieux , 

Sur  scs  murs  empestes  ou  s'ofire  en  etalagc 

Du  sort  qui  nous  attend  I'epouvantable  image; 

Su  r  cc  Peuple  innombrable  arme  pour  scs  autels  ^ 

Cruel  emulatcur  de  Pretres  plus  cruels 

Dont  la  vengeance  voue  a  I'ldolc  insultec , 

De  nos  coeurs  palpi  tans  roffrande  ensanglantee, 

Et  deja  se  dispose  a  I'horrible  festin 

Ou  nos  mcmbres  epars....  Vous  fremissez  enfin. 

Tremblezdonc ;  &  sachez  ralentir  votre  course. 

Contre  tantd  ennemis  quelle  est  votre  ressource? 

De  Guerriers  mutilcs  un  reste  languissant. 

Qui  ne  regarde  plus  ce  Cicl  qu'cn  gemissant , 

Pour  qui  la  gloire  &■  Tor  nesont  plus  des  amorces, 

Dont  le  dernier  exploit  vientd'epuiser  les  forces, 

Et  qui  de  tant  d'horreurs  las  d'etre  le  temoin , 

Meme  au-deladesmers,s'en  croiroit  trop  peu  loin. 


514      FERWAND-CORTiS^ 

Et  quand ,  pour  y  voler  sous  vos  heureux auspices. 
Nous  avons  le  moment,  I'onde  &  les  vents  propices ; 
Quand  votre  amour  pour  nous  se  devroit  signaler  > 
C'est  vous,  qui,  le  premier,  nous  voulez  immoler  ? ... 
Vous  ne  m'ecoutez  plus.  11  est  temps  de  me  tairc. 
Deja  lombre  se  mele  au  jour  qui  nous  eclaire. 
La  nuit  fera  tomber  les  coups  que  Ton  suspend, 

(  Aux  Chefs.  ) 
Songez-y.  Pres  du  lac ,  Don  Pcdre  nous  attend  j 
Partons  j  &  lassons-nous  d'un  zele  qu  on  meprisc. 

C  o  R  T  i  s. 

Arrctez !  La  retraite  est  encore  indecise  j 

Et  quand  vous  serez  prets  tous  a  m'abandonneF, 

Peut  etre  aurai-)e  cncor  des  ordres  a  donner. 

Voila  done  ces  Guerriers,  qui ,  de  TAndalousic , 
Devoient  par  le  Couchant  debarquer  en  Asie  j 
Et  qui  ne  concevoient  dans  leur  premier  desir , 
De  borne  a  la  valeur  que  le  dernier  soupir ! 
I}es  mers  y  s'ccnoient-ih  j  franchissons  la  barriere, 
Et  parcourons  dujour  I'une  &  l* autre  carriere. 
Nous  te  suLVons  ^  Cortes  j  conduis-nous  a  trovers 
Les  frimatSj  les  rochers  j  les  bancs  &  les  deserts. 
Remontant  sous  nos  CieuXj  que  defleurs  couronneey 
Vers  V  Orient  encor  la  poupe  soit  tour  nee  , 
Et  trace  autour  du.  Globe  un  glorieux  sillon  > 
Q^uL  fixe  le  Soleil  sur  notre  pavilion  ! 
Tcls  etoient  vos  projets.  Jc  vous  crus.  Nous  partimes. 


T  RA  G  t  D  I  F..  515 

Les  ai-je  mal  remplis  ces  projets  magnanimes? 
Ne  respirons-nous  pas  sous  cles  astres  nouveaux? 
Une  richesse  immense  a  paye  vos  travaiix : 
Je  ne  me  reservois  que  la  gloire  en  parcagc : 
Le  bruit  en  a  vole  jusqu'aux  rives  du  Tage. 
Quelle  honte  pour  vous ,  quand  on  y  va  savoir 
Qu'unc  peur  insensee  a  trahi  mon  espoir  ! 
Car  enfin  votre  peur  peut-elle  etre  excusable  > . 
Et  qui  redoutez-vous  ?  Un  Peuple  meprisablc ,  '  -^ 
Foible  ,  mal  aguerri ,  lache  autant  qu  inhumain* 
Vous  fuyez !  &  fuyez  les  armes  a  la  main  ! 
Quelles  armes  encore  ?  A  peine  dies  eclatent,     '^■ 
Que  pour  vousle  desordre  &  la  terreur  combattent. 
Ce  ne  sont  plus  vos  coups  ni  de  simples  hasards :  '' 
C'est  Dieu  lui-memc  assis  sur  vos  saints  etendards , 
Quijd'un  feu  meurtrier,  image  du  tonnerre, 
tpouvante  &"  ravage  une  coupable  terre ,         ' i 
Aussi  digne  d'horreur  par  son  Peuple  assassin,   j\ 
Qu'indigne  des  tresors  quelle  enferme  en  son  seih. 
Eh  quoi !  La  faim ,  la  soif ,  les  ondcs  surmontees, 
De  tant  de  Nations  si  vaillamment  domptees , 
L'alliance,  I'hommage,  &"  les  tributs  ofierts,  /I 
Au  milieu  de  saCour  le  Roi  mis  dans  les  fers,    :  J 
L'Idole ,  auxyeuxdu  Peuple ,  a  nos  pieds  renversce, 
De  SQS  Pretres  impurs  la  foule,  ou  disperscc, 
Ou ,  sous  le  fer  vengeur,  expiant  ses  forfaits ;    >*  i 
Sont-ce  la  des  exploits  a  laisser  imparfaits  > 
A  vos  engagemens  soyez  done  plus  fidelcs. 
La  Vi6toire  sur  nous  a  deploye  sqs  ailes. 


SIS      PERKAND-CORTiS , 

Achevons  notre  ouvrage ,  &  nc  reculons  pas , 
Quand,  pour  le  couronner,  il  ne  fauc  plusqu  un  pas. 
Des  fiers  Americains  Thostilite  sauvage 
Ose  nous  annoncer  la  flamme  &  le  ravage  j 
Audace  centre  audace  1  Imitons  le  Romain 
Qui  se  rendit  reffroi  du  rivage  Afriquain. 
Que  notre  flotte,  espoir  d'une  honteuse  fuite. 
Par  nous-memes  en  cendrc  a  leurs  yeux  soit  reduite  j 
Et  que  I'Ennemi  juge  a  cet  embrasement. 
Si  de  sa  fermete  I'Espagnol  se  dement.... 
Est-ce  ainsi  que  la  votre  aujourd'hui  se  signale  ? 
Quelle  glace  !  Ou  done  est  cette  ardeur  martiale , 
-Ou  sont  ces  cris  de  joie  &  ces  nobles  transports 
Si  constammcnt  suivis  de  tant  d'heureux  efforts  ? 
,  L'abattement  par-tout  se  presente  a  ma  vue ! 
Ma  voix  dans  un  desert  semble  s'etre  perdue ! 
Du  chemin  de  I'honneur  tous  se  sont  ccartesl 
Je  reste  seul !  Eh  bien ,  je  serai  seul.  Partez. 
L'or  fut  I'unique  objet  pour  qui  vous  soupirates ! ' 
Vous  me  suivites  moinsenGuerriers  qu'en  Pirates! 
Vous  etes  enrichis ,  &  vous  vous  cffrayez  : 
Partez !  D'autres  auront  I'honneur  que  vous  fuyez. 
Les  cent  Tlascaliens  sauves  du  sacrifice , 
Ceux  des  leurs  qui  devoient  m'aider  a  cet  office , 
Le  peu  de  Mexiquains  reste  fidele  au  Roi ; 
Pour  lagloire  du  mien  je  ne  veux  qu'eux  &  moi. 
Mettez  bas  toute  honte  j  etouflfez  tous  scrupules; 
Allez  desabuser  des  Nations  credules, 
Quijtantqu'onvousavushardis  &  triomphans,  ^ 


.  ^-'  r  RA  G  i  D  1  E,  51^ 

Du  Solcil  adore  vous  nommoient  Ics  enfans  i 
Allez,  d'un  nom  si  beau  dementant  la  noblesse, 
Montrer  a  Tezeuco  toutc  votre,  foiblesse  j 
Gemir  en  supplians  ou  voiis  parliez  en  Rois ; 
Et  demander  asyle  oii  vous  donniez  dQS  lois< 
Partez  1  Et  si  pour  vous  I'estime  refroidic, 
Nc  va  pas  du  mepris  jusqu'a  la  perfidie , 
Glorieux  d'un  butin  dont  je  fus  peu  jaloux, 
Retournez  en  Espagne  alors :  &  vantez-vous 
D'avoir  abandonne  votre  Chef  aux  Barbares ; 
Ce  Chef  a  qui  Ton  dut  des  depouilies  si  raresj 
Qui  vous  fit  surmonter  tant  de  perils  divers  v   ■"^~ 
Quijde  son  propre  corps,  vous  a  cent  fois  converts; 
Qui  veut  meme  en  partant  vous  en  couvrir  encore. 
Qui !  Que  ce  dernier  trait  vous  confonde  &:  m'honorc 
Venez !  C'est  moi  qui  veille  a  votre  embarquement , 
Et  qui  vous  defendrai  jusqu'au  dernier  moment. 

•  AguiLAR  tombahtavtc  tons  les  autres  '^  sei' pieism 
Vous  triomphez,  Cortes  I  Disposez  de  nos  vies  !M 
Teriez  lieu  de  tresors ,  d'asyles ,  de  patriesf'*"  ' 
AUons  combattrc ,  Amis :  &:  la  flamme  a  la  main , 
Annoncons  aux  Soldats  notr^  noble  dess.eip,  ;  r/ 

C  O  R  T  E  S  a  Aguilar, 
Prevenonsun  malheur.  Croyant  se  satisfaire, 
Don  Pedre  exposeroit  ies  jours  en  temeraire ; 
Sachez  le  retenir  eloigne  du  combat.    "*'    '  ]'"  ' 
C'est  nous  servir,  lui ,  moi,  vous ,  Elvi're&^'fe^y 
JFin  du  quatriemc  Acle,        •  ;  A'  '  •} "  " •- 


5x8        FERNAND-CORT&S^  ^ 


A  C  T  E    V. 


SCfi  N  E    PREMIERE.' 
a  P]^DRE,   AGUILAR.       '     „ 

D.    P  E  D  R  E,  Gl 


aTerfidb  ,  laissez-tnoi  I 

A  G  U  i  L  A  R. 

Du  moins  daignezapprendfc~» 
D.   P  E  D  RE.  .*.  J;  ..  *;i 

,  ■'.     ,    .     J:  'VIVO  iiJO'V  •Itlf!'  ^a 

D'un  homme  tel  que  vous  je  ne  veux  rien  entendre. 
Tous  vos  propos  seroient  des  propos  superflus.  y 
Cortes  est  votre  ami :  je  ne  vous  coonois  plus..  .  t 

A  G  U  I  t  A  R.  -      'A 

Mais  tonnoisscz  doif  t^s^ 

D.   P  E  D  R  E.    .,^^^^,:„,, 

.  .  Cest  mon  Juge  &  men  Maitrc. 

Captif  &■  desarme ,  puis-je  le  meconnoitre  J 
On  ne  me  verra  pas  devant  lui  m'oublier ,       3 
Jusqu  a  prendre  le  soin  dc  me  justifier. 

Mais 


t  RA  G  IS  D  I  E.  525) 

Mais  qui  pourrois-je  mieux  attester  que  vous-meme  ? 
Ai-je  use  centre  lui  du  moindre  stratageme? 
Ai-je,  malgrc  I'affront  que  vous  n'ignorez  pasj 
Le  premier  a  la  fuitc  anime  ses  Soldats? 
J'ai  su  vos  volontesj  &  je  les  ai  suivies. 
Vos  trcsors ,  disiez-vous ,  vos  honneurs  &  vos  vies , 
Tout,  sans  ce  prompt  depart  long-temps  premedite, 
Devenoit  le  jouet  de  sa  temerit6. 
Pour  Chef ,  a  son  defaut,  il  vous  plait  de  m'elire; 
Et  quand  je  n'attends  plus  que  les  adieux  d'Elvirc , 
Je  vous  revois  sans  elle ,  &  la  flamme  en  vos  mains 
De  la  gloire  a  Cortes  rouvrir  tous  les  chemins. 
C'est  lui  que  i'on  quittoit :  c'est  moi  qu'on  abandoanc. 
Qui  merite  Ic  mieux  tous  les  noms  qu'il  mcdonne? 
Pour  vous  en  avoir  crus,  suis-je  un  homme  sans  foi} 
Et  coupable  envers  lui ,  comme  vous  envers  moi  J 

A  G  u  I  L  A  R. 
J'ai  ccsse  tout-a-coup  ,  Seigneur,  d'etre  le  meme. 
Mais  ne  vous  en  prenez  qu'a  I'ascendant  supreme 
D'un  Chef  a  qui,  pour  peu  qu'il  se  fasse  ecouter. 
Plus  on  est  courageux ,  moins  on  peut  resister. 
En  fissiez-vous  bien-tot  une  epreuve  eclatante  1 
Cortes  est  ne  pour  vaincre :  il  peut  tout  ce  qu'il  tentc. 
11  parle,  on  se  ranime ;  il  marche ,  toutle  suit; 
Son  bras  se  l?ve,  il  frappe,  .&  le  Mexicain  fuit. 
Enfin.... 

D.    P  E  D  R  E. 

Devant  un  Roi  que  son  Peuplc  redoutc 
Tome  //.LI 


5  5©       FERNAND  '  CORTiS^ 

Et  non  devant  Cortes  on  aura  fui  sans  doute. 
Le  Prince,  en  me quittant  sen  etoit  bien flattej 
Et  votre  Chef  heureux  en  aura  profite, 

A  G  u  I  L  A  R. 

Detrompez-vous.  Cortes  doit  tout  a  son  courage. 
Loin  que  Tasped;  du  Prince  ait  dissipe  I'orage , 
Sur  le  plus  haut  portique  a  peine  a-t-il  paru , 
Qu'ainsi  que  la  clameur ,  le  peril  s'est  accru. 
Sa  voix  aux  Fadieux  sc  vouloit  faire  entendre : 
Mais  leurscris  insolens  n'ont  daigne  se  suspendrc, 
Qu'au  signal  absolu  que  leur  en  a  donne 
Celui  que  dans  le  Temple  ils  avoient  couronne. 
Le  Rebelle  s'avance ,  accompagne  des  Pretres : 
Meursj  a-t-il  dit  au  Roi,  meurs fidele  a  tes  Maures! 
Expie  aux  yeux  de  tous  ton  for  fait  &  le  leur. 
Et  des  que  cette  fleche  aura  perce  ton  coeur^ 
Tomhe  en  cendre  aussi  tot  Vautel  ou  je  t'immole  \ 
A  ces  mots,  levant  Tare,  il  tirej  le  trait  volej 
Et  mille  coups  de  feu ,  premices  du  combat , 
Du  Barbare  a  I'instant  punissent  I'attentat. 
Le  Grand-Pretre  entoure  de  coupables  vidimes , 
Lui-meme,  aux  yeux  de  tous,  expie  aussi  ses  crimes. 
Mais  cette  hardiesse ,  au  lieu  d  epouvanter , 
Nc  rend  nos  ennemis  que  plus  a  redouter. 
Pour  la  premiere  fois ,  leur  nombre  ne  s'etonnc 
Ni  de  I'acier  qui  luit,ni  de  I'airain  qui  tonne. 
Du  salpetre  enflamme  le  ravage  avec  soi , 
Repand  la  mort  au  loin,  sans  repandre  I'effiroi 


TRAGEDIE.  531 

Tous  nos  eflforts  sont  vains.  La  foule  pins  epaisse , 
Sous  nos  coups  redoubles ,  sc  reproduit  sans  cesse. 
Deja  Tardeur  en  nous  sembloit  se  rallentirj 
Et  dc  Cortes  enfin  I'astre  se  demcntir ; 
Quand  le  Ten[iple  du  haut  de  sa  voute  allumec, 
A  vomi  des  torrens  de  flamme  &  de  fumec. 
C  etoit  Sicotanfal  &  ses  Tlascalicns 
Qui ,  volant  au  secours  de  leurs  Concitoyens, 
A  la  ville,  en  ce  lieu  deserte  &  sans  defense. 
Par  ce  debut  terrible  annoncoient  leur  presence. 
L'espoir  en  nous  alors  s'etant  renouvel6 , 
La  terreur  a  sa  source  a  bientot  revole. 
Noussortons.  L'Ennemi  que  la  mort  environnc^ 
Aveuglc  ou  furieux  s'y  livre ,  ou  se  la  donne. 
TIascala  dans  le  meurcre  assouvit  son  courroux. 
Sa  detestable  soif  s'etanche  malgre  nous. 
La  flamme  aussi  resisted  &:  les  vents  la  sccondcnt. 
Nous  voyons  ruisseler  les  metauxqui  se  fondent; 
Et,  du  Temple  cmbrase,  parmi  d'horribles  cris , 
L'or  &■  le  sang  meles  inonder  les  debris. 

D.    P  E  D  R  E. 

Quel  ctrange  desastre !  Et  de  quels  traits  I'histoirc 
Gravera-t-elle  un  jour  une  telle  vidoire  ? 

A  G  u  I  L  A  R. 

Ce  qu'elle  a  d'heroique  est  Tceuvre  de  nos  mains. 
Que  le  reste  s'impute  a  des  Americains. 
Cortes ,  ainsi  que  nous,  en  a  verse  des  larmes. 

Llij 


534       FERNAND-CORT^Sy 

Des  mains  des  Allies  il  arrachoit  les  armcs } 
Et  de  les  meconnoitre  osoic  les  menacer  , 
S'il  ne  voyoit  I'horreur  SsC  le  meurtre  cesser. 
Les  Barbares  enfin  gardent  quelque  mesure ; 
LePeuple ,  pres  de  nous ,  se  range,  se  rassure ; 
Et ,  dq  nos  soins  heureux  temoin  reconnoissanr> 
Songe  a  les  meriter  en  nous  obeissant. 

D.    P  ^  D  RE. 

J'aurois  dii,  ce  me  sembic,  apprendre  par  tout  autre, 
Une  gloire ,  Aguilar ,  si  funeste  a  la  notre. 

A  G  u  I  L  A  R. 

La  gloire  est  generale,  &  se  repand  sur  tous. 

D.    P  E  D  R  E. 

Mais ,  Ic  Roi  n'etant  plus ;  avcc  un  tel  epoux , 
L'esperance  d'un  trone  a  ma  fille  est  ravie. 

Aguilar. 

Montdzumc  est  toujours  plein  d'espoir  &  de  vie. 
Le  trait  n'a  de  son  sang  qu'a  peine  ete  rougi  -, 
Et  par-tout  sa  valeur  n'en  a  pas  moins  agi. 
Mais  oubliez..« 

D.    P  E  D  R  E. 

Cortes  me  fait-il  interdirc 
L'entretien  consolant  de  ce  Prince  &:  d'Elvire  ? 

Aguilar. 

Vous  bruliez  de  perir  les  amies  a  la  main  $ 


T  R  A  G  t  D  I  E.  5^5 

II  n*a  voulu  que  mettre  obstacle  a  ce  desscin. 
11  vous  rend  maintenant  plus  libre  que  lui-mejuci 
Puisqu'il  vous  cede  ici  Tautorite  supreme. 
D.   P  E  D  R  E. 

Ah !  que  m'appreneZ'Vous  ? 

A  G  u  I  L  A  R. 

Plus  que  vous  n'esperiez, 

D.  P  E  D  R  E. 
Plus  que  jc  ne  craignois ! 

A  G  U  I  L  A  R. 

Quoi  I  Vous  prefereriez... 

D.    P  E  D  R   E. 

Oui ,  la mort J  oui,  les  fers,  a  roffre  humiliante 
Dont  je  sensqu'il  insulte  a  ma  haine  impuissaate. 

A  G  u  I  L  A  R. 
Cest  connoitre  bien  mal  un  cceur  tel  que  le  sien». 

D.  P  E  D  R  E. 
Pour  y  lire ,  Aguilar ,  il  me  suffit  du  mien. 

A  G  u  I  L  A  R. 
Son  respccl  est  sincere. 

D.    P  E  D  R  E. 

11  a  su  vous  seduire. 

■.~,.;,r^,j ,   Aguilar.., 
Qu'un  mot  suffise.  11  aimc  ,  il  idolatre  Elvireu 

,■....:  iJJi  ;     D.    PED  R  E. 

*■      ■■  J"    ■ 

LI  iii 


534       FERNAND-CORT&S, 

A  G  U  I  L  A  R. 

L'amour  le  plus  vif  est  garant  de  sa  foi. 

D.    P  E  D  R  E. 

Nc  nous  flattez-vous  pas ,  Elvire ,  vons ,  &■  moi  ? 

A  G  u  I  L  A  R. 
Cortes  impatient ,  commc  on  Test ,  quand  on  aimc , 
A  vos  pieds,  va  bientot  vous  le  jiirer  lui-meme. 

SCENE    II. 

D.  P  fe  D  R  E 

It  LUT  au  Cicl !  Quelle  joie  >  au  moment  qu'a  I'envi 
Tout  concourt  a  flatter  son  orgueil  assouvi ! 
Quel  plaisir  de  lui  faire  eprouver  quclque  honte , 
En  dedaignant  I'aveu  d'une  flamme  aussi  prompte  I 
Qu'osc-t-il  esperer  ?  Quand  de  justes  raisons 
Ne  desuniroient  pas  a  jamais  nos  Maisons  j 
Quand  je  voudrois  payer  un  bienfait  ( dont  peut-etrc 
11  se  fut  abstcnu ,  s'il  m'eut  pu  reconnoitre ) 
Quand  enfin  le  delai  qui  tantot  m'a  blesse , 
N'interesieroit  pas  mon  honneur  offense  j 
Ma  parole  aujourd'hui  plus  d'une  foisdonnee, 
Permet  elle  qu'on  rompe  un  auguste  hymenee> 
Pour  des  feux  qui  nc  sont  que  TefFet  violent 
Do  la  presomption  d'un  Vainqueur  insolent  ?      ' 
Conquerant  fortune  de  ces  sanglantes  rives, 
11  met  deja  ma  FiUe  au  rang  de  ses  captives  i  '.  irj  J 


T  RA  G  i  D  I  E.  5  5  5 

Et  nc  mc  regardant  que  d'un  oeil  de  dedain , 
Moins  en  amant  qu'en  maitre  il  ose  offrirsa  main. 
Tu  t'abuses ,  Cortes !  &  mon  ame  charmee 
Te  prepare.... 


S  C  E  N  E     I  1 1. 

D.  PfeDRE,  EL  VI  RE. 
D.    P  E  D  R  E. 

A.H !  maFille !  fetes- vous  informee.... 

E  L  V  I  R  E. 
Oui,  je  sais  &:  pourquoi  vous  etiez  arrete , 
Et  rhonneur  qu'on  attache  a  votre  liberte. 
Eh  bien,  sur  vos  malheurs  gemissez-vous  encore? 
Est-ce  la  ce  rival,  Seigneur,  qui  vous  abhorre  ? 
Fait-il  de  sa  fortune  un  criminel  abus  ? 
Et  m'etois-je  trompee  en  vantant  scs  vertus  ? 
Je  vous  I'avois  bien  dit ,  que  ce  jeune  courage , 
Deses  heureux  exploits  vous  reservoit  rhommage  j 
Et  qu'un  si  noble  trait  les  couronneroit  tous. 

D.    P  E  D  R  E. 

Oui ;  mais  a quoi ,  maFille ,  a  quoi  Ic  devons-nous, 
Ce  trait,  qui  de  Cortes  efFacant  la  naissance. 
Est  si  digne ,  a  tes  yeux,  de  ma  reconnoissance? 
A  la  plus  foUe  audace ,  au  plus  indigne  espoir 
Que  nos  malheurs  pouvoient  lui  laisser  concevoir  \ 

L  1  iv 


'5  5<J        FERNAND-CORTESy 
A  ramour !  Si  pourtant  c'est  ainsi  que  se  nommc 
Une  frivole  ardeur  qui  nait  au  coeur  de  rhomme  > 
Quand  du  scin  corrompu  de  la  prosperite, 
11  donne  un  libre  essor  a  la  cupidite. 
A  ta  possession  le  remeraire  aspire  j 
Et  d'cgards  apparens  payant  la  main  d*Elvire  , 
II  pense  que  jc  n'ose ...  Ah !  j'aime ,  a  cet  affront » 
J'aimc  a  voir  la  rongeur  qui  s'cleye  a  ton  front ! 
Oui,  ma  Fillej  tel  est  I'interet  qui  I'anime. 
Le  voila  done  ce  coeur  si  pur ,  si  magnanimc ! 
J  eusse  etc  bien  surpris ,  que  du  sang  dont  il  sort. 
La  vertu  seulc  ciit  eu  I'honneur  d'Un  tel  efforts 

E  L  V  I  R  E. 
Du  moins  s'il  se  plaisoit  au  recit  du  naufragc 
Ou  D.Sanche  a  pour  noussignale  son  courage » 
Et  si  me  rctrouvant  prete  a  donner  ma  foi , 
II  s'est  jete ,  Seigneur ,  entre  I'autel  &"  moi  j 
Du  moins ,  de  votre  coeur  la  fierte  mecontentc 
N'en  dut  pas  accuser  une  haine  insultante  j 
Et  vous  ne  direz  plus  que  nous  ayant  trouves , 
S'il  nous  eut  rcconnus ,  il  nous  eut  moins  sauves, 

D.   P  E  D  R  E. 

Je  vous  entends.  Tolede  a  vu  naitre  sa  flamme  j 
Et  c'etoit  le  secret  qui  pesoit  a  votre  artie , 
Quand  vous  avez  tantot  embrasse  mes  genoux , 
Et  que  ma  bonte ,  prompte  a  mieux  penser  de  voiis., 
A  la  perte  d'unTrone  impuroit  vos  alarmes?... 
Tu  ne  me  reponds  rien !  11  t'^chappe  des  larmes ! 


T  RA  G  E  D  I  F,  5^7 

E  L  V  I  R  E. 

Mon  Pere ! .... 

D.    P  E  D  R  E. 

Elvire ! ....  . 

E  L  V  I  R  E. 
Eh  quoi !  N'ctrc  pas  desarm^...s 
D.    P  E  D  R  E. 

Ah !  jc  n*ai  plus  de  Fille;  &  Cortes  est  aime! 


SCENE   IV. 

D.  PEDRE,  CORTfeS,  ELVIRE. 

C  O  R  T  i  s, 

iiE  Mexiquc  a  genouxdevant  I'Aiglearborec, 
Reconnoit  de  Cesar  la  Majeste  sacree. 
Seigneur  j  &:  Charle  ayant  a  se  manifestcr, 
C'est  a  vous  desormais  a  le  representer. 
II  falloit  dans  un  champ  d'horreur  &:  de  carnage , 
Vous  sauver  de  vous-meme  &:  de  votre  courage. 
Vous  eriez  un  depot,  dont ,  apres  le  combat , 
M'eussent  demande  compte  Elvire  &  tout  I'Etat. 
N'osant  done  un  moment  vous  y  laisser  paroitre , 
Je  commandois  encor  ou  vous  ns  pouvicz  etre  •, 
Mais  d'un  calme  assure  n'ayant  plus  qu'a  jouir, 
Ou  vous  etes  alors  je  ne  sais  qu'obeir. 


558        F  E  R  N  A  N  D  ^  C  O  RT  i  S  ^ 

D.    P  E  D  R  E. 

Si  je  m*etois  laisse  du  sein  de  la  disgrace , 
Par  toi-meme  elever  aux  honneurs  de  ta  place ; 
Moil  malhenr  est  extreme ,  il  seroit  consomme. 
Je  dois  n'etre  que  plaint  •,  je  serois  diflFame. 
Cortes ,  ne  me  rends  pas  I'opprobre  des  deux  Mondes ! 
Fais-moi  surune  barque  abandonner  aux  ondes, 
Ou ,  ne  dependant  plus  que  d'ellcs  &  du  sort , 
Je  puisse  retrouver  ou  mon  rang  ou  la  mort.. 

( A  Elvire. ) 
Suivez-moi. 

Cortes. 
Quoi,  Seigneur.... 

D.   P  E  D  R  E. 

Laissez-nous. 
Cortes. 

Chere  Elvire \. 
Vous  n*avez  done  pas  dit  ce  que  vous  deviez  dire? 

Elvire. 
Helas! 

D.   P  E  D  R  E. 

Je  vcux  partir  j  &  ne  plus  rien  savoir. 
Cortes. 
Qui  pcnsez-vous  done  voir  en  moi  ? 
D.   P  E  D  R  E. 

Que  puis-je  y  voir» 
Qu'un  dernier  instrument  des  cruautes  celestes 


T  RA  G  E  D  I  E.  53^ 

Qui  veulent  de  mes  jours  cmpoisonner  les  restes ! 

Vas !  Je  mcrite  bien  que  de  Tinimitie  , 

Ton  coeiir  passe  au  mcpris,  &■  meme  a  la  pitie. 

Souille  ma  vie  au  ^re  des  manes  de  tes  Peres ! 

Qu'est-clle ,  qu'un  tissu  d'aflfronts  &  de  miseres? 

Mon  age ,  dans  I'oubli  d'un  exil  de  vingt  ans , 

A  vu  sechcr  sa  fleur ,  &r  perdre  Theureux  temps 

Qui  de  rhomme  eternise  &:  fonde  la  memoire. 

Rappele,  i'entrevois  une  route  a  la  gloirej 

J'y  vole  sur  la  foi  d'un  perfide  clement , 

Donttoutes  Icsfaveurs  sont  pour  toi  seulemeat. 

En  me  ravissant  tout ,  il  me  laisse  la  vie ; 

Et  c'est  pour  me  ieter  sur  une  rive  impie  , 

Ou  m'attend  I'appareil  d'un  sacrifice  afFreux ! 

Que  dis-je!  Ou  je  te  trouve!  Ou  je  te  trouve  heurcux! 

Ou  tout  astrc  pour  moi ,  pire  que  le  naufrage  , 

Nous  sauve  a  des  autels ;  a  d'autres  nous  outrage ! 

Jouet  in  fortune  du  Chef  &  des  Soldats , 

Ma  Fille  me  restoit  du  moins . . . 

E  L  V  I  R  E. 

N'achevez  pas! 
Elvire  est  votre  Fille;  elle  vous  reste  encore , 
Seigneur ;  &  n'cst  pas  scule  ici  qui  vous  adore.... 

Cortes. 

Ecartez  en  efFet,  Seigneur,  de  votrc  esprit 

Tout  ce  qui  Tindispose,  ou  I'abat,  ou  I'aigrit; 

Et  J  voyant  d'un  autre  oeil,  le  rang  qu'on  vcus  defcre.. 


54©       FERNAND'CORTiS , 

D.    P  E  D  R  E.  J 

Et  de  quel  ceil  venx-tu  que  je  le  considerc , 

Ce  rang,  le  juste  fruit  d 'une  rare  valeur  j ■ 

Dont  le  bruit  seul  m'a  fait  courir  amon  malheur  !.«^ 

Oui  j  d'une  ambitieuse  &:  noble  jalousie , 

Mon  ame ,  je  I'avoue ,  a  ee  bruit  fut  saisie, 

Et  de  le  partager  forma  le  vain  projet. 

T'egaler ,  t'obscurcir  etoit  mon  seul  objet. 

J  avois  mis  la  ma  gloire;  &•  ma  honte  en  resulted 

Jouis  en.  Mais  plus  loin  ne  pousse  pas  Tinsulte,     ^ 

A  ma  fierte  confuse  offrant  en  cc  Pays,  ?    n 

Un  rang  qui  n'y  convient  qu'a  ceux  qui  I'ont  conquis* 

Cortes.  i 

A  vous  Tofirir  aussi  c'est  ce  qui  me  convie.  ^ 

Oui ;  si  ce  que  j'ai  fait  merite  quelque  envie , 
Que  Charle ,  &:  non  Don  Pedre ,  en  daigne  etre  jaloux!: 
Quel  est  le  Conquerant  ici,  si  ce  n'est  vous? 

D.   Pedre. 
Moi! 

Cortes, 
Vous,  en  qui  le  droit  de  disposer  d'Elvire, 
Rassemble ,  ^  par-dela ,  tons  les  droits  de  1'  Empire ! 
Vous ,  dont  je  ne  pouvois  par  de  moindres  exploits , 
Chercher  a  meriter  &:  I'estime  &:  le  choix. 
De  ces  exploits  moins  dus  a  mon  bras  qu'a  ma  flamme , 
Elvire  etant  I'objet,  vous  seul  en  etiez  Fame. 
Mes  lauriers  sont  a  vous ,  com  me  aux  Fronts  couronnes 
Ceux  qu  un  Snjet  fidcle  a  pour  eux  moissonncs. 


T  R  A  C  6  D  I  E.  541 

(  Elvire  ici  voyant  son  Pere  emu  ^  sejette  a  ses  pieds. ) 

Ne  voyez  que  la  gloire  ici  qui  voiis  est  due ; 
N'y  voyez  que  les  pleurs  dune  Fille  eperdue ; 
.  Que  Tamour  d'un  Guerrier  qui  tombc  a  vos  gencux, 
Dont  tout  le  sang  ofFert ...  ' 

D.  P  E  D  R  E  tendremenu 

Ma  Fille ,  levez-vous. 
Cortes. 

Ah,  Je  vous  flechirai!  Ce  regard  favorable 
Semble  avouer  deja  qu'Elvire  est  moins  coupablel 
J'acheverai ,  Seigneur ,  de  la  justifier. 
A  vos  nobles  travaux  daignez  m'associer  1 
Cher  a  tous  nos  Soldats,  marchcza  notre  tere! 
Sous  vos  ordres  par-tout  I'Aigle  a  voler  est  prete. 
Parlez^  &  nos  vaisseaux  fendant  I'onde  &  les  airs, 
Du  Sud  auront  bientot  franchi  les  vastes  mers. 
Er  qu  ai-je  done  tant  fait  sur  ce  vaste  hemisphere , 
Que  ne  puisse  effacer  ce  qu'il  y  reste  a  faire  ? 
Le  Cirque  s'ouvre  a  peine  j  &  la  palme  encore  loin , 
M'engageant  a  vous  suivre.... 

D.    P  E  D  R  E. 

U  n'en  est  plus  bcsoin. 
Dans  cet  embrassement  jouis  dc  ta  vidoire. 
Puisquetu  m'as  vaincu ,  rien  ne  manque  a  ta  gloire. 
Triomphe,  heureux  Cortes !  Ettriomphe,  assure 
Que  je  t'ai  moins  hai  mille  fois  qu  admire.... 
Mais  de  quel  prix  payer  un  devoucment  si  rendrc? 


541      jFERNAND-COR  T^  Sy 
Cortes. 

De  quel  prix  ?  Ah  1  Seigneur ,  tout  vous  le  fait  entendfej 

Du  prix  dont  je  m'osois  flatter  auparavant  5 

Dii  prix  que  se  promit  Don  Sanche  en  vous  suivanr. 

D.   P  E  D  R  E. 

Je  croirois  preferable  a  tous  les  Rois  du  monde 
Un  Heros  qui  pour  moi  soumet  la  terre  &  I'ondc, 
Si  d'un si  juste  choix  le  droit  metoit  rendu. 
Mais,  genereux  Cortes,  I'espoir  en  est  perdu. 
Vous  le  savez :  Elvire  est  au  pouvoir  d'un  autre. 
J'ai  donne  ma  parole  ;  &:  meme  sur  la  votre. 

Cortes. 
Ah !  v6us  n'ignorez  plus... 

D.    P  E  D  R£. 

J'ignore  aveuglement 
L'art  de  st  dispenser  de  la  foi  d'un  serment 
Que  I'honneur  ici  parle  a  tous  les  trois  en  maitre. 
Vousetes ,  vous ,  mon  sang:  &  vous ,  digne  d'en  etrc. 
Je  vous  perds  a  regret :  je  m'y  resous  pourtant. 
Imitcz-moi.  Sachez,  d'un  ceil  ferme  Sc  constant," 
Envisager...« 

C  OR  T  £  s. 

V 

Non ,  non ;  le  Prince  est  equitable 
Je  saurai ,  sans  m'y  prendre  en  Rival  redoutable, 
Et  n'opposant  qu'honneur ,  que  raison ,  qu'amitie.... 
Mais ,  que  vois-je }  Est-ce  lui !  Quel  objet  de  pitic  1 


TRAGEDIE.  543 


■  ■U»ll»MLMn 


S  C  £  N  E  V  &  dcmierc, 

MONT^ZUME  mourant,  CORTES, 
D.  PtDREjELVIRE,  GARDES. 

Cortes. 

.M.ONARQUE  infortune!  Nommez  le  Parricide, 
DoQt  la  main.... 

MONTEZUME. 

Vous  avez  foudroye  le  Perfide. 
C'cst  celui  qui  tantot ,  ceint  du  bandeau  royal , 
A  sur  moi  leve  Tare ,  &  donn6  le  signal. 
Du  coup  peu  craint ,  telle  est  la  suite  inopinec. 
La  fleche  du  Barbate  etoit  empoisonnee. 
L'cfiet  de  veine  en  veine  a  penetre  mon  scin ; 
Et  TAnge  de  la  Mort  etend  sur  moi  sa  main. 

C  o  R  T  i  s. 
Monstres  que  ne  dut  pas  epargner  ma  clemence ! 
Peuple  ingrat !  Que  le  fer,  que  le  feu  recommence  1 
Tremble  !  Ton  Prince  a  peine  aura  fermeles  yeux. 
Que  ta  dcstrudion  purifiera  ces  lieux  ! 

MONTEZUME. 

Au  nom  du  Dieu  de  paix,  j'ose  vous  le  defendre. 

Cortes. 
Quoi  ?  Votrc  cccur  encor  voudroit... 


5  44  FERi^AND-CORtAS ^  tRAGEDIE. 

MONTEZUME. 

Daignez  m'entendrei 
Et  recueillir  du  fond  de  ce  coeur  paternel , 
Quelques  mots  que  doit  siiivre  un  silence  eternel* 
Oui;  j'imite  en  mourant,  votre  Dieu  que  j'adore. 
Sacrifie  par  eux,  pour  eux  je  vous  implore ; 
Pour  eux  je  vous  demande,  en  ce  dernier  moment, 
Une  pitie  bien  due  a  leur  aveuglement. 
Vous  m'avez  fait  connoitre  &  plaindre  leur  misere* 
Vous  fiites  mon  ami ;  daignez  etre  leur  pere. 
lis  peuvent  etre  heureux ,  vous  m'en  etes  garant ; 
Que  ce  flatten  r  espoir  me  suivc  en  expirant. 

{A  Elvire.) 
Faites-en  souvenir  I'fepoux  que  je  vous  laisse , 
O  vous  dont  je  n'ai  pu  meriter  la  tendresse  1 
Je  n'en  murmure  plus  connoissant  mon  Rival. 
Heureux  que  ce  ne  soit  qu'apres  le  coup  fatal ! 
Quelque  hommage  de  moi  quesavaleur  obtiennc. 
Ma  main  vous  eut  ose  disputer  a  la  sienne : 
Dumoins,  par  un  des  miens,  a  vos  pieds  renverse , 
Jc  meurs  sans  vous  avoir  Tun  ni  Tautre  offense. 

(  On  I'emporte. ) 
D.    P  ^  D  R  E. 

11  expire.  Sa  mort  est  digne  de  nos  larmes. 
Mais  enfin  I'Amerique  est  soumise  a  vos  armes. 
Que  d'un  exploit  si  rare  Elvire  soit  le  prix ; 
Possedez-la,  Cortes  j  &c  devenez  mon  Fils. 

F  I  N. 

La 


L  A 

FAUSSE  ALARME, 

PASTORALE 
EN    UN    ACTE. 


Tome  12,      Mm 


PERSONNAGES. 

LYSIS,  Bergcr  fidele,- 

H  Y  L  A  S  ,   Berger  inconstant, 

S  Y  L  V  I  E  ,  Amantc  de  Lysis, 

CHCEUR  de  Birgers  &  de  Bergeres. 

,TIMARETTE,  Confident e,  Amic  de  Sylvie. 


Le  Theatre  represente  aufond  un  beau  Champetre  ^ 
&  des  Bocages  sur  les  ailes. 


La  Scene  est  sur  U  bord  du  Lignon, 


147: 


L  A 

FAUSSE  ALARME 

PASTORALE, 


£^St 


SCENE   PREMIERE. 

UN   BERGER,   «/^m^r<r  U  Thiatre, 

A.U  loup !  Au  loup  I  Au  loup  1 

Le  monstre  en  fiirie 

Est  dans  la  prairie 

Qui  ravage  tout. 
kxx  loup  1  Au  loup  !  Au  Loup  I 

Venez ,  sortez  tous 

De  la  Bergerie , 

Et  rassemblons-nous  \ 

Que  chacun  de  vous 

S'arme ,  courre  &  crie : 
Au  loup !  Au  loup  1  Au  loup  I 

Que  dira  Sylvie  \ 

O  funeste  coup  ! 

Sa  brebis  cherie, 

A  perdu.  la  vie  I 

M  m  ij 


548      LA  FAUSSE  ALARME^ 
C  H  (E  U  R. 

Au  loupl  Au  loup !  Au  loup ! 

Le  monstrc  en  furie 

Est  dans  la  prairie 

Qui  ravage  tout. 
Au  loup  I  Au  loup  1  Au  loup  ! 

Hallalis  j  aboiemens  j  cors  j  cris  j  &c, 

S  C  £  N  E     I  L 

H  Y  L  A  S ,  Chxur  dc  Bergers, 
C  H  (E  U  R. 

Triomphe  !  Vidoire ! 
Lc  monstrc  est  blesse  1 
II  est  renverse  : 
Un  trait  I'a  perce : 
Hylas  a  la  gloire 
De  Tavoir  lance. 
Triomphe  1  Vidoirc! 
Hylas  a  la  gloire 
D'avoir  devancc 
Le  plus  empresse. 
Triomphe  I  Vitloire  t 


PASTORALE,  549 

H  Y  L  A  S. 

]fevitezla  triste  Sylvie: 
Je  la  vois  en  pleiirs  s'approcher, 
Toute  prete  a  nous  reprocher 
Qu'elle  a  seule  etc  mal  servic. 


SCENE    III. 
S  Y  L  V  I  E  ,  H  Y  L  A  S. 

H  Y  L  A  S. 

xa.  LA ViLLE  on perdroit une  Amantc,un  Amant, 
Sans  en  etre  un  moment 
Moins  gai  ni  moins  tranquille. 

Laissez  ,  Belle  Sylvie  ,  un  regret  inutile. 

Quoi  1  pour  une  brebis ,  vos  pleurs  daignent  coaler  J 
N'en  avez-vous  pas  mille 
Pour  vous  en  consoler  ? 
Pensons  aux  champs  comme  a  la  ville. 

On  y  pcrd  une  Amante,  on  y  perd  un  Amant  > 
Sans  en  ecre  un  moment 
Moins  gai  ni  moins  tranquille. 

Sylvie. 

Leger  en  tout ,  comme  en  amours, 
Hylas  J  portez  ailleurs  vos  frivoles  maximes. 

Mm  iij: 


55©     LA  FAUSSn  ALARMS^ 

Laisscz-moi  seule  ici  donncr  un  libre  conrs 

A  mes  plcur^  legitimes ; 
lis  me  soulageront  plus  que  tous  vos  discours. 

H  Y  L  A  S. 

Une  ariette ,  unc  fanfare 
Dissiperont  cette  vapeurj 
Et  la  Fete  qui  se  prepare 
Vous  rendra  votre  belle  humeur. 


SCENE     IV. 
S  Y  L  V  1  E. 

C)  ma  chere  brebis ,  je  t'ai  prise  a  ma  suite. 
En  venant  ce  matin ,  cueillir  ici  des  fleurs  ? 
Moi-meme  j'ai  cause  ta  perte&  mes  douleurs 
C'est  moi-meme  qui  t'ai  conduitc 
Dans  le  lieu  fatal  ou  tu  meurs  I 


PASTORALE.  551. 


SCENE     V. 

LYSIS,  SYLVIE 
Lysis. 

*u'elle  est  heiireuse,  helas!  de  meriter  vos  krmesi 
Et  qui  n'envieroit  son  destin  J 
Mais  c'est  trop  se  laisser  accabler  d'un  chagrin 
Qui  me  cause  pour  vaus  les  plus  vives  alarmcs. 

S  Y  L  V  I  E. 

Je  la  tenois  de  votre  main. 

Lysis. 

Ah !  que  ce  peu  de  mots  pour  mon  coeur  a  de  charmcsJ 
Ai-je  bien  entendu  ?  Repetez-Ies  sans  fin. 

Pourquoi ,  pourquoi ,  belle  Bergere^ 
Certe  brebis  vous  fut-elle  si  chere,?. 

S  Y  L  V  I  E. 

Je  la  tenois  de  votre  m^in.. 
Lysis. 
Partagez  done  Talcgresse 
Dont  vous  rcmplissez  mon  ccEiir ! 
Et  montrez  moins  de  tristesse 
Pour  un  si  petit  malheur. 
En  amour  est-il  une  peine, 
.Quand  Tamour  d'aiUeurs  est  content^ 

M  m  iy 


551     LA  FAUSSE  AlARMEj, 

Qu'il  ne  rende  legere  ou  vaine  > 
Ec  qui  dure  plus  d'un  instant  ? 
Venez  faire  choix  dans  la  plainc 

Dc  I'agneau 

Le  plus  beau 

Du  troupeau 

Que  je  menc ! 
Chiens  &:  troupeaux  &  bcrgers  sont  avous. 
Aimez ,  &"  tout  vous  sera  doux. 
En  amour  cst-il  une  peine , 
Quand  d'ailleurs  I'amour  est  content » 
Qu'il  ne  rende  legere  &  vaine , 
Et  qui  dure  plus  d'un  instant  t 
Mais  quoi,  vous  soupirez  encore  i 

S  y  L  V  I  E. 

Votrc  coeur  est  tranquille ,  &  Ic  niien  nc  Test  pas. 

Lysis. 

Eh  !  quel  autre  soin  le  devorc  > 

S  Y L  V  IE. 

Comment  aimer,  sans  craindrc  les  ingrats  ? 

Lysis. 

Penscz  vous  en  voir  un ,  en  moi  qui  les  abhorrc  "i 
Moi,  qui  vous  aimerai  par-deli  le  trepas? 

S  Y  L  V  I  E. 

Jc  vous  en  croirois . . .  mais ,  helas ! 


PASTORALE,  533 

Lysis. 
Avez-vous  des  sujets  de  soupcon  que  j'ignorc? 

S  Y  L  V  I  E. 
Non  i  mais  si  vous  m'aimez.... 
Lysis. 

Aimer !  Je  vous  adore. 

S  Y  L  V  I  E. 

Eh  bien ,  si  vous  m'aimez,  rompsz  avec  Hylas. 
Ce  Berger  malin ,  saiis  cesse 
Rit  de  la  fidelite , 
C^hante  la  legerete , 
Plaisante  sur  la  tendresse ; 
J'ai  vuqu'avec  plaisir  souvent  vous  Tecoutiez. 
Lorsque  pres  de  lui  je  vous  laisse , 
Je  vous  avouerai  ma  foiblesse , 
Jc  Grains  de  vous  revoir  autre  que  vous  n'etiez. 

Lysis. 
Votre  tranquillite  fait  celle  de  ma  vie : 
Je  Ic  fuirai ,  belle  Sylvie. 
La  fete  qu'il  donne  aujourd'hui , 
Pour  ce  jour  seulement  I'un  a  I'autrc  nous  lie: 
Demain  vous  serez  obeic ; 
Demain ,  pour  jamais  je  le  fui. 
Ensemble. 
Loin  de  nous  tout  volagc 
Qui  nomme  esclavage 


5H        L^  FAUSSE  ALJRME^ 
Les  noeiids  les  pins  doux  ? 
Ramenons  le  bel  usage 
Des  amours  du  premier  age  r 
Qa'on  premie  cxemple  sur  nous. 
Loin  d'ici  tout  volage 
Qui  nomme  csclavage 
Les  noeuds  les  plus  doux, 
(  Sylvie  sort  brusquement  voyant  venir  Hylas, ) 


SCENE    VI. 

H  Y  L  A  S  ,  L  Y  S  I  S. 

Hylas. 

i  ETE-A-T^TE  avec  ta  Sylvie, 
Tu  n*as  que  les  regards ,  les  soupirs  &  la  voix  t 
Et  je  n'interromps  pas,  jc  crois, 
Des  plaisirs  bien  dignes  d'envie* 
Lysis. 
Est-il  entre  Amans  > 
De  plus  doux  momens 
Que  ccux  oil:  Ton  se  donne  une  foi  mutneltc  ^ 
Sylvie,  avec  plaisir ,  ecoutoit  mes  sermens. 
Nous  noiTs  jurions  une  amour  eterneile. 
Est-il  entre  Amans , 
De  plus  doux  momens 
Que  ceux  ou  Ton  se  donne  uik  foi  mutucKc  ? 


PASTORALE,  555 

H  Y  L  A  S. 

La  Bergere  aime  la  Constance , 
Mais  ce  n'est  que  dans  le  Berger  : 
JEllc  en  parle  son  vent  au  moment  quelle  pense 
Elle-meme  a  changer. 

Lysis. 

II  est  dcs  Bergeres 

Legeres , 
Je  le  sais ,  Hylas : 
Mais  je  sais  de  memc , 
Que  celle  que  j'aime 

Ne  Test  pas. 

Hylas. 

Tu  n'as  dans  la  tete 
Que  ton  fol  amour : 
Songeons  a  la  fete 
Qui  doit  etre  prete 
Pour  la  fin  du  jour. 

Lysis. 

J'y  fais  un  mauvais  personnagc , 
Et  je  I'y  fais  bien  malgre  moi. 
Le  role  d'un  Amant  vol  age 
Devoit  n'etre  donne  qu'a  toL 

Hylas. 

On  fait  ce  qu'on  veut  de  soi ; 
Tranche  moins  de  TAmant  fidele, 


5s<J       LA  FAUSSE  ALARME^ 

Et  me  prends  pour  ton  modele. 
Parlons-ea  de  bonne-foi : 
Tu  n*as  des  yeux  que  pour  ta  Belle  > 
Qu'une  autre  le  soit  plus  quelle, 
Tu  passeras  sous  sa  loi. 

Lysis. 

Treve  a  ta  morale  ofiensante  : 
Donne-moi  seulement  &  Tesprit  &:  Ic  ton 
Des  vers  que  tu  veux  que  je  chantc. 

( Ici  Von  entend  un  Chaur  de  Bergeres  qui  chante.  ) 

U  n'est  d'amours  contens , 
Que  les  amours  ronstans. 

H  Y  L  A  S, 

Derobons-nous  a  la  foule  bruyantc 
Des  Bergeres  de  ce  canton  j 
Et  qui ,  sourdes  a  ma  le^on , 
De  ta  Morale  extravagante 
Font  retentir  tout  Ic  Vallon. 

( lis  sortent, ) 


i^X* 


PASTORALE,  55^ 

SCENE     V I  L 

Entree  de  Bergeres. 
L  E    C  H  (E   U   R    repete* 

Al  n'est  d'amours  contens , 
Que  les  amours  constans. 

TiMARETTE. 

Aimons  comme  Sylvie, 
Son  bonheur  y  convie. 
II  n'est  d'amours  contens 
Que  les  amours  constans* 

C  H  (E  U  R. 

11  n*est  d'amours  contens , 
Que  les  amours  constans* 

TiMARETTE. 

La  folic  Hirondelle 
N'aime  qu'a  changer  1 
Et  chez  r^tranger 
Vole  a  tire  d'aile , 
Sans  voir  le  danger 
Qui  vole  autour  d'elle. 
Et  cepcndant  en  paix,  la  sage  Tourterelle, 
Pres  deson  Tourtereau  fidele, 
Jouit,  a  I'abridesvenis, 


55S      LA  FAUSSE  ALARME, 
Et  dans  tous  les  temps , 
Des  plus  doux  plaisirs  du  Printemps. 

TlMARETTE(S'/c   Chxur, 

11  n'est  d'amours  contens , 
Que  les  amours  constans. 

TiMARETTE    seule. 

Qu'au  Dieu  d' Amour  Sylvie  a  de  graces  a  rendre ! 

Elle  aime  uniqueraent  Lysis ; 
Et  Lysis,  dcs  Bergers  le  plus  beau ,  le  plus  tendre. 

Est  d'elle  uniquement  epris. 

Sylvie. 

Des  Bergers  du  Hameau 

Lysis  est  le  plus  beau  j 
Mais  il  ecoute  Hylas  j  Hylas  est  un  volage  i 
Et  les  Bergers  aimes  sont  pres  d'etre  inconstans. 
Ce  Lysis  aujourd'hui  si  fidele  &  si  sage 

Le  sera-t-il  long-temps  t 

Le  C  h  oe  u  r. 
II  n'est  d'amours  contens. 
Que  les  amours  constans. 

Sylvie. 

Jc  les  ai  vus  nous  fuir :  je  les  vois  reparoitre : 
^coutons  de  ce  cabinet; 
Voyons  si  je  suis  en  effet 
Aimee  autant  que  je  crois  I'etre. 
( Elk  s€  ya  mettn  sous  k  feuillage. ) 


PASTORALE,  5^- 


SCENE     VIII. 

LYSIS,  HYLAS,5'/fj  Bcrgcres  codices. 

H  Y  L  A  S. 

\jroUTE  &■  retiens  bien  mes  Iccons, 
Qu'un  peu  de  gaite  les  seconde. 
Tache  d'avoir  mon  air  &■  mes  facons : 
Et  je  te  garantis  tout  le  siicces  du  monde. 


HMTWi-.TI  ,1iim.llWHnB« 


SCENE    IX, 

LYSIS  &  les  Bergeres  cachees, 

L  Y  S  I  S  a  voix  basse  J  pas  si  basse  pourtant  que  les 
Bergeres  ne  le  puissent  entendre  j  comme  elks  cnt 
cntendu  Hylas, 

AL  a  raison  en  ce  moment ; 
Prenons  son  ton ,  son  caradere  j 
.  Laissons-Ia  le  sentiment  j 
Faisons  valoir  le  talent; 
-  Ne  songeons  enfin  qu'a  plaire. 
( Ici  commence  son  role,  ) 
Helas !  helas ! 
Que  je  suis  las 
D'etre  fidgle  i 


$tfo      LA  FAUSSE  ALARM^^ 
Est-il  temps  plus  beau , 
Que  le  renouveau  ? 
Ni  rose  plus  belle , 
Que  la  plus  nouvelle  ? 
Aimer  le  meme  objet!  I'aimer  jusqu'au  tombcau ! 
La  seule  idee  en  est  mortelle. 
Ah !  le  pesaiit  fardeau 
Qu'une  chaine  eternelle  I 
Helaslhclas! 
Que  je  suis  las 
D'etre  fidele ! 
li  est  mille  sortes  d'attraits 
Qu'une  Beaute  ne  peut  rassembler  seule  en  clle^ 
Et  dont  on  ne  jouit  jamais 
Qu' en  voltigeant  de  Belle  en  Edlc. 
Helas !  helas ! 
Que  je  siiis  las 
D'etre  iidele ! 

(  A  part  de  V autre  cote  de  I'endroit  d^ou  on  I' ecoutoit  ^ 
maisy  assei^  bas  pour  quit  ne  puisse  etre  entendu 
des  Bergeres. ) 

Je  me  fais  a  moi-meme  hcrreur  en  m'ecoutant* 
Ce  role  est  abominable. 
Je  ne  m'en  sens  pas  capable : 
Je  vais  m'en  defaire  k  I'instaiit* 

SCiiNE 


PASTORALE.  sd 

S  C  £  N  E    X. 
SYLVIE,  TIMARETTE. 

S  Y  L  V  I  E. 

4*  I  DELE  Amour ,  tii  n'as  done  plus  d'asylel 
Je  croyois  te  trouver  au  fond  de  ccs  foretsj 
On  te  meprise  aux  champs  comme  a  la  ville , 
Je  les  abandonne  a  jamais. 
Qu'ai-je  vu  ?  Qu'ai- je  oui )  Juste  Ciel !  Dois^j^  cfn  ctt>ire 
Mon  oreille  &:  mes  yeux  ? 
Une  infidelite  si  noire 
A-t-elle  pu  souiller  ces  lieiix  > 
Le  Perfide !  il  me  jure 
Qu'il  nVaimera  par-dcla  le  trepas ! 
Sur  ^es  sermcns  je  me  rassure  5 
11  me  quitte ,  il  rejoint  Hylas :     . 
«  Et  le  voila  parjure , 

Helas! 
Fidele  Amour ,  tu  n'as  done  plus  d'asyle ! 
J*ai  cru  te.  retrouver  au  fond  de  cgs  forets ; 
On  te  meprise  aux  champs  comme  a  la  ville, 
,    .     Je,^QS  abandonne  ^  jamais. 

(  Elk  Mse  'idhdutettc  &jeite  au  loin  sd pannetiere:) 

Tome  II,  Nn 


5*2       LA  FAVSSB  ALJRME, 

TiMARETTE. 

Ah  1  n'abandonnez  point  une  douce  retraitc 
Ou  le  calme  d'un  ccEur  souvent  s'est  retabli  I 
Rappelez ,  relevez  un  courage  affoibli , 

Tous  les  jours  on  vous  le  repctc : 
L'infidele  Berger,  par  son  crime  avili, 
Fut-il  d'ailleurs  en  tout  un  Bei'ger  accompli , 

Est  peu  digne  qu'on  le  regrette, 

Et  ne  merite  que  I'oubli. 

S  Y  L  V  I  E. 

Je  ne  dois  a  I'lngrat  que  mepris  &  que  hainc } 
Je  Ten  accablerai :  mon  coeur  se  le  promet: 
Mais  quand  on  a  tant  pris  de  plaisir  &■  de  peine 
A  serrer  une  chainc , 
Qu'on  la  brise  a  regret ! 


S  C  £  N  E    X  I. 

SYLVIE,  TIMARETTE,  HYLAS. 

H  Y  L  A  S. 

J^ERGERES,  ma  venue  est  peut-etre  indiscrettc> 

J'ai  cru  trouver  ici  Lysis. 
Lui  seul  se  fait  attcndre  aux  lieux  oii  I'on  repete 
Le  spectacle  amusant  que  je  vous  ai  promis. 


PASTORALE,  5^1 

S  Y  L  V  I  E. 

Sors  de  ma  presence, 
Berger  odieux ! 

TiMARETTE. 

Tu  blesses  nos  yeux  j 
Laisse-la  ta  danse , 
Tes  chants  &:  tcs  jcux. 
:    Par  eux  Tinconsrance 
Infedle  ces  lieux  ; 
Avant  leur  licence 
Nous  vivions  heurcnX 
Et  dans  1' innocence. 
Berger  dangereux, 
Tu  blesses  nos  yeux. 

Ensemble. 

Sors  de  ma  presence, 
Berger  odieux. 

H  Y  L  A  s. 

J'esperois  de  mes  soins  tout  un  autre  salairc. 


Nn  ij 


5(?4      ^^  FJUSSE  ALARME, 


S  C  E  N  E  XII   6'  dcrnihc. 

SYLVIE,  TIM ARETTE,  LYSIS,  HYLAS. 

Lysis  a  Hylas. 

\'  oiLA  ton  role,  Hylas; 
Qiielque  autre  le  pent  faire :    , 
Je  ne  m'en  charge  pas. 

H  Y  L  A  s. 
Autre  boutade ,  &:  nouvel  embarras  I 
Lysis. 
Cest  vous  que  jc  cherchois ,  trop  heureuse  Sylviej 
Vous  ne  vous  plaindrez  plus  des  destins  ennemis  I 
On  a  rctrcuve  la  brebis 
Que  le  loup  vous  avoit  ravie. 

S  Y  L  V  I  E. 

Eh !  Je  n  y  songeois  plus ,  Lysis ! 

Lysis, 
Cest  que  vous  la  croyiez  blessee  ? 
La  dent  ne  I'a  point  offensee  : 
Elle  est  comme  elle  etoit  lorsque  je  vous  ToiFris. 

S  Y  L  V  I  E. 
Telle  qu'il  plait  au  Sort  de  nous  la  rendrc; 
N  etant  plus  pour  moi  d'aucun  prix. 
La  prenne  qui  la  voudra  prendre. 


PASTORALE,  j^^ 

L  Y  S  I  s. 

J'ignore  si  jesuis, 
Et  si  i'entends  Sylvic. 
Que  dites-vous  ? 

S  Y  L  V  I  E. 

Ce  que  je  dis, 
Jc  le  dirai  toute  ma  vie. 

Lysis.  :  mp  r'^ 

Quoi !  Cette  brcbis  si  chericj'-^^*^"' 
Que  vous  orniez  de  flours,  que  vous  avez  nourric, 

Qu'aujourd'hui  vous  pleuriez ,  enfin , 
Par  la  seule  raison ,  si  j'ose  vous  en  croire , 

Et  le  rcpecer  a  ma  gloire , 

Que  vous  la  teniez  de  ma  main  I 

S  y  L  V  I  E. 
Oui,  je  suis  si  peu  constante,^ 
Que  cette  meme  raison 
Me  la  rend  indifFereiice. 
*  j  3i:jL'f:  Lysis. 

Exrpiiquez-moi  cette  enigme  cffrayanteJ 

S  Y  L  V  I  E. 

Les  eclaircissemens  ne  sont  plus  de  saisonwi'-*-  -  - 
L  Y  S  I  S.  <z  Timarette. 
O  vous ,  sa  chere  Conftdente  \ 
Au  nom  de  votre  intime  &j  tcndre  liaison , 
De  grace ,  dites-moi  ce  qu  on  veut  que  j'ignorcr 

N  n  iij 


5<?^      LA  FAUSSE  ALARMS^ 

TiMARETTE   ^   Sylvie. 

Confondez-le  d'un  mot! 

S  Y  L  V  I  E. 

Eh ,  que  lui  dire  encore  J 
Ignorc-t-il  sa  trahison  > 

Lysis. 

Moi  qui  meme  nc  puis  la  soufirir  dans  un  autre! 
Et  quelle  bouche  a  pu  m'en  accuser  ? 

S  Y  L  V  I  E. 

La  votrc. 

Lysis. 

La  micnnc  ! 

S  Y  L  V  I  E. 

Rougissez  I 

TiMARETTE. 

Berger  une  autre  fois, 
Quand  vous  vous  croirez  seul ,  elcvcz  moins  la  voix. 

Observez-vous  avcc  un  soin  extreme. 
Si  vous  n'ctes  fidele ,  au  moins  soyez  prudent. 
Pensez  basj  &  que  lecho  meme 
Nc  soit  pas  votre  confident. 

Lysis. 

Ah!  Voici  deja  qui  m'cclaire  • 


PASTORALE,  ^6j 

TiMARETTE. 

Tantot,  quand  vous  avez,  a  ce  lieu  solitaire , 
De  voire  coeiir  leger  confie  les  secrets , 
De  ces  secrets  Sylvie  etoit  depositaire  i 
Et  dessous  ce  fciiillage  epais, 
J'ai  moi  meme  cntendu  comme  ellc, 
Cette  chanson  toute  nouvelle : 
Helasl  Helast- 
Que  je  suis  las 
D'etre  fidele ! 

Lysis. 

Enfin  voila  tout  Ic  mystere ! 
Gloire,  gloire  aux  tendres  Amours! 

(A  Sylvie.) 

Je  triomphe ,  Belle  Eergere  1 
Car  si  je  fus  aime ,  je  le  serai  toujours. 

S  Y  L  V  I  E   a   Timarette. 
Ou  tend  son  discours  J 
Qu'est-cc  qu'il  espere  ? 
De  quoi  rit  Hylas  ? 
H  Y  L  A  ^2 

De  votre  cole  re  i  '♦ 
De  tout  ce  fracas  \ 
Pour  une  chimere. 

Sylvie. 

Que  me  voulcz-vous  fairc  entendre^ 

Nn  i\? 


,5  5) 8   lA  FAUSSE  JLARME :,  PASTOR. 

H  Y  L  A  S. 

Le  Berger  repetoit  ce  role  injurieux 

Que,  malgre  lui ,  je  lui  fis  prendre , 
Et  que  tout^a-l'heure a  vos  yeux,!^  iiv  t 
11  vient ,  malgre  moi ,  de  me  rendre. 

Lysis. 

Avcz-vous  pu  me  croire  infidele  un  moment? 
Et  comment  le  pourrois-je  etre, 
Moi  qui  n  ai  pu  seulement 
Me  resoudre  a  le  paroitre  ! 
L'etonnement  vous  arrache  un  souris. 
Que  voire  bouche  ajoute  a  ce  sourire  aimabic, 
Un  mot ,  un  seul  mot  favorable  ! 

S  Y  L  V  I  E. 

Vetiez  me  rendre  ma  brcbis. 


i^9 
I 

L  E  T  T  R  E 

DE    MONSIEUR 

IE  COMTE  DE  T  E  S  S  I N^'^ 

AmBASSADEUR    DE    SUEDE,       ,.,,y 

A   MONSIEUR    PIRON. 


JF'a  I  cm  avec  raison ,  Monsieur ,  nc  poiivoir 
mieux  m  adresser  qu'a  vous  pour  le  rafinement  & 
I'execution  d'une  idee,  petit -etre  mal  digcree, 
qui  m'cst  venue ;  mais ,  entre  vos  mains ,  ellc 
prendra  aisement  &  surement  ( si  vous  voulez 
vous  en  donner  la  peine)  Id  poli  &  I'air  de  Justessc 
qui  lui  manque  dans  sa  premiere  naissance. 

Voici  ce  que  je  desire  :  Je  voudrois  que  Ton 
s'appliquat  a  caraderiser  S>c  analyser  dans  les 
Pieces  comiques ,  les  vertus  avec  la  mcme  force , 
la  mcme  justesse,  &  le  meme  pinceau  dont  jusqu'ici 
on  a  caraderise  les  vices  •,  &  qu'on  en  fit  exade- 
ment  voir  les  contrastcs.   Par  exemple,  si  Ton 


57*  L  E   T  T  R  E 

cntreprcnoit  de  pcindrc  Ic  Genereux  par  opposi- 
tion a  I'Avarei  le  Prudent  ou  THomme  de  conscil^ 
pour  figurer  contre  Tifetourdi  \  le  vrai  Brave  contrc 
le  Fanfaron  \  I'honnete  Homme  ,  contrc  mille  ca- 
raderes  de  Fourbes  j  le  Sincere  obligcant ,  contrc 
le  Flatteur  j  la  Femme  vertueusc  ,  contre  la  Co- 
quette i  &:  ainsi  dey  autres. 

.  Les  traits  brillans  du  vrai  merite,  animeroient , 
amon  avis,  pourlemoinsaurant,  &  toucheroient 
suremcnt  davantage ,  que  le  ridicule  du  vice  nc 
cause  de  I'indignation  ,  puisque  ce  dernier  fait 
quasi  toujours  rire ,  &:  perd  par-la  de  son  efiFet; 
au  lieu  que  I'autre  est  toujours  respedable ,  &:  n'a 
rien  qui  puisse  diviscr  ou  distraire  I'attention. 

J'en  juge  par  moi-meme  j  j'aime  mieux  m'ap- 
pliquer  a  imiter  les  exemples  vertueux ,  qu'a  conr 
noitre  &  fuir  les  vicieux.  Les  derniers  par  euxr 
memes  ne  peuvent  m'inspirer  qu'une  inadion ,  au 
lieu  que  les  autres  reveillcnt,  animent  &  font  agir  j 
car  la  difierence  est  tres-  rcelle,  entre  n'crre  pas 
vicieux ,  ou  etre  vertueux.  Je  pense  que  tout  Ic 
mondc  sent  cela  comme  moi. 

11  resulte  encore  un  autre  inconvenient  de  ce 
qu  on  neglige  de  faire  voir  le  bien  avec  la  mcme 


j4    M.    P  I  R   ON.  fyt 

cxad:itude  que  le  mal ,  en  ce  qu'on  voit  tous  le$ 
jours ,  que  pour  eviter  I'cxccs  que  Ton  reprcsente, 
on  tombe ,  feute  dc  connoitre  le  vrai ,  dans  Ic 
defaut  contraire  \  de  sorte  que  pour  se  garantir  de 
I'avarice  ,  on  devient  prodigue  j  pour  n'ecre  pas 
Coquette,  on  se  fait  Prude  j  &  nos  jeunes  Gens, 
pour  ne  pas  passer  pour  Poltrons,  deviennent  sou- 
vent  Bretteurs. 

On  pourroit  objcder  que  ce  que  je  souhaite, 
est  le  but  des  Tragedies  j  mais  outre  qu'elles  nou$ 
tracent ,  la  plupart  du  temps ,  des  vcrtus  ou  farou- 
ches  ou  uniquement  propres  a  Theroisme ,  elles 
conduisent  toujours  a  un  denouement  sanglant , 
qui  intcresse ,  saisit  I'attention  entiere  ,  &:  fait 
negliger  les  caraderes. 

Ce  n'est  done  pas  la  ce  que  je  demandc;  mais 
des  anions  plus  unies,des  vertus  a  I'usage  dc  tout 
le  monde ,  &  plus  a  portee  de  rhumanite  &  de  la 
vie  Journaliere  •,  &c  qu'au  lieu  de  blamer  le  vice , 
on  s'attachat  principalement  a  honorer  la  vertu. 

A  mon  avis,  c'est  la  seule  chose  qui  manque 
au  Theatre  Francois ,  d'ailleurs  si  parfait ,  tant  a 
regard  des  Auteurs  que  des  Adeurs ,  qu'il  fait  le 


j7i  L  E   T  T  R  E 

modcle  de  tons  les  Theatres  du  monde  ,  &■  Tad- 
miration  d'une  Nation ,  dont  les  jngemens  sur  Ic 
produit  de  Tesprit  sont  si  siirs  &:  si  justes. 

D'ou  vicnt  done  ce  manqncmcnt  ?  Seroit  -  cc 
que  les  traits  grossiers  du  vice  sont  plus  aises  a 
saisir ,  que  les  traits  fins  6^  delicats  de  la  vertu  ? 
Car  pour  le  jeu  du  Theatre ,  il  seroit  le  meme;  & 
je  pensc  que  si  Ton  reprcsentoit  la  Femme  Sage 
du  monde ,  on  y  pourroit  meler  des  sujets  qui 
tenteroient  sa  vertu ,  dont  les  fausses  demarches 
produiroient  des  scenes  trcs-  rcjouissantes.  En  un 
mot,  je  voudrois  qu'on  fit  du  moins  quclques 
Pieces  ou  le  Hcros  fut  parfait ,  &  oii  Ton  ne  connut 
les  vices  que  par  opposition  a  ce  premier  Person- 
nage;  c'est-a-dirc,  tout  le  contraire  des  Comedies 
jouees  jusqu'ici ,  &  que  Ton  donne  encore  jour- 
nellement  j  &  par-la  on  apprendroit  qu'il  ne  suiifit 
point  de  n'etre  pas  ingrat ,  mais  qu'il  faut  etre 
rcconnoissantj  que  ce  n'cst  pas  assez  de  ne  point 
mentir,  mais  jusqu'ou  il  faut  dire  vrai  j  &:  unc 
infinite  d'autres  merites  &  bienscancei  dont  on 
ignore  la  juste  definition. 

Si  j'en  disois  davantagc ,  je  passerois  ma  portee , 
&c  j'exccdcrois  le  plan  que  jc  me  suis  propose  de 


A    M.    P  I  R  O  N.  575 

ncvons  ofFrir,  Monsieur,  qu'une  Piece  appareillee, 
&  qui  restc  a  limer  par  la  main  du  Maitre.  Que 
ne  doit-on  pas  attendre  dc  I'Auteur  de  Gustave  ? 

GusTAVE  ,  ce  grand  Roi ,  doit  sa  nouvelle  gloire 

Et  son  nouvel  eclat ,  Piron  ,  a  tes  Ecrits ; 

Et  son  nom,  justement  immortcl  dans  THistoirc, 

Qui  ne  paroissoit  plus  cbnnu  qu'aux  beaux  Esprits , 

Graces  a  tes  talens  &  ta  Muse  feconde , 

Sous  des  traits  ravissans  reparoit  dans  le  monde. 

Je  suis,  avec  unc  parfaite  consideration, 
.      MONSIEUR, 

Votre  tres-humble  &  tres- 

obeissant  Serviteur , 

Le  Comtc  de  Tessin. 

*-  Fin  dii  Tome  Second. 


% 


TABLE 

DU    SECOND    VOLUME. 

JtL'PiTKE  a  Madame  la  Comtessc  de  ***  _,    page  t 

Preface  des  Courses  de  Tempe  j  j 
Les  Courses  be  Temve  j  Pastorale^         17 

Stances  a  M.  le  Comte  de  Livry  ^  8 1 

Epitrededicatoireaumemey  S5 

A  sa  memoir e  en  \-]'^^  y  %^ 

Preface  de  Gustave  j  95 

Stances  a  la  Heine  de  Suede ^  120 

Gus  TA  VE-  Was  A  j   Tragedie  ,  115 

Vers  a  M,  le  Comte  de  Maurepas  j  2 1 1 

Preface  de  la  Metromanie  j  223 

La  Met  ROM  AN  IE  jy   Comedie  ^  x$i 

f..'»  Epitre  en  vers  au  Roi  d'Espagne  ^  419 

^.        Preface  de  Fernand-Cortes  J  425 

:^       Fernand-Cortes J  Tragedie ^  445 

La  Fausse  alarme  ^  Pastorale  j  5  47 

Lett  RE  de  M.  le  Comte  de  Tessin  j  %6*^ 
Fin  de  la  Table. 


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