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Full text of "Oeuvres complètes"

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LE  DÉFENSEUR  DE  LA  CONSTITUTION 
(1792) 


PRINCIPAUX  OUVRAGES  DE  L'AUTEUR 


Cahiers  de  Doléances  des  Communautés  d'habitants  pour  les 
Etats  Généraux  de  1789:  Bailliages  de  Châlons-sur-Marne, 
Sézanne,  Châtillon-sur-Marne,  Reims.  Recueils  de  docu- 
ments; 5  gros  vol.  in-8°  (Epernay,  Villers,  1906-1914;  Reims, 
Matot-Braine,  1930). 

Reims  et  la  région  rémoise  à  la  veille  de  la  Révolution.  Etude 
économique  servant  d'Introduction  aux  Cahiers  de  doléan- 
ces. Un  vol.  in-8°  de  452  pages  (Reims,  Matot-Braine,  1930), 
avec  portraits,  gravures  et  plans. 

Histoire  de  Reims  depuis  les  origines  jusqu'à  nos  jours.  3  vol. 
in-8°  de  510,  478  et  489  pages  (Reims,  Matot-Braine,  1933- 
1934),  avec  plans,  cartes,  portraits,  dessins  et  gravures. 

Notes  et  Souvenirs  inédits  de  Prieur  (de  la  Marne).  Un  vol. 
in-8°  de  169  pages  (Paris,  Berger-Levrault,  1912),  avec 
portraits. 

Figures  révolutionnaires  champenoises.  ire  série;  un  vol  in-8° 
de  225  pages  (Reims,  1923). 

Un  conventionnel  ouvrier:  J.-B.  Armonville.  Un  vol.  in-8°  de 
94  pages  (Reims,  Matot-Braine,  1924). 

Pour  paraître  procltainement: 

Un  magistrat  révolutionnaire:  Claude- Emmanuel  Dobsen, 
l'homme  du  31  mai.  Un  vol.  de  500  pages. 


Portrait   miniature    (sanguine) 

de    MAXIMILIEN    ROBESPIERRE 

ayant  appartenu  à  la  famille 

du  Conventionnel  Saint-Just, 

et  actuellement  la  propriété 

de  M.  Gustave  Laurent 

(reproduction  agrandie) 


Un  portrait  semblable  existait  dans  l'inventaire  des  objets  lais- 
sés par  Charlotte  Robespierre,  à  sa  mort,  le  Ier  août  Ï834.  Il 
aurait  été  dessiné  par  Grévédon,  et  lithographie  par  Delpech.  Dans 
ses  mémoires  Charlotte  Robespierre  affirme  que  c'est  le  plus  res- 
semblant de  tous  les  portraits  de  son  frère.  Il  n'est  pas  impossible 
que  le  portrait  que  nous  reproduisons  soit  celui  qui  appartenait  à 
Charlotte;  il  a  pu  être  acquis  par  l'une  des  sœurs  de  Saint-Just. 

Une  lithographie  de  ce  portrait  par  Delpech  existe  au  Cabinet  des 
Estampes  de  la  Bibliothèque  Nationale  (H.  Buffenoir:  Les  por- 
traits de  Robespierre,  pp.  68  et  124,  planche  49). 


Photo.  Brazier  -  Reims. 


Robespierre  ,  fW»™» /»e-»v  M\r*<*  Isidore  <Â< 
SOCIETE   DES   ETUDES   ROBESPIERRISTES 


ŒUVRES  COMPLÈTES  DE  ROBESPIERRE 


TOME  IV 
LES  JOURNAUX 


LE  DÉFENSEUR 
DE  LA  CONSTITUTION 

ÉDITION  COMPLÈTE  ET  CRITIQUE 

AVEC  UNE  INTRODUCTION,   DES  COMMENTAIRES 

ET  DES  NOTES 

PAR 

GUSTAVE  LAURENT 


81 


LIBRAIRIE    FÉLIX    ALCAN 
108,  Boulevard  Saint-Germain,  vi" 

*939 


14-ip 
iqio 

t.  M- 


INTRODUCTION 
ROBESPIERRE   JOURNALISTE 


Ses  premières  tentatives  sous  la  Constituante.  —  Sa  collaboration  à 
l'Union  ou  Journal  de  la  Liberté  (novembre  1789  -  août  1790).  — 
Après  la  session,  polémique  avec  Brissot  et  les  Girondins  sur  la 
question  de  la  guerre  (novembre  1791  -avril  1792).  —  Nécessité 
d'un  journal.  —  Le  Défenseur  de  la  Constitution  (mai-août  1792)  : 
Choix  et  explication  du  titre.  —  Ses  principes.  —  Description 
du  journal.  —  Son  annonce  (20  avril  1792).  —  Commentaires  de 
la  presse.  —  Dates  des  fascicules  et  exposé  du  texte.  —  Réappa- 
rition du  journal,  après  le  10  août,  sous  le  titre:  Lettres  de 
Maximilien  Robespierre,  membre  de  la  Convention  Nationale  de 
France  à  ses  commettants  (septembre  1792  -  avril  1793)  :  Descrip- 
tion de  cette  nouvelle  publication.  —  Dates  des  fascicules  et 
exposé  du  texte.  —  Les  éditions  ou  réimpressions  de  parties  du 
journal;  les  projets:  Laponneraye,  Arthur  Guillot,  Léonard 
Gallois,  Hatin,  Bûchez  et  Roux,  Vermorel,  Ernest  Hamel.  — 
Rareté  de  la  collection  du  journal;  sa  valeur. 


Il  est  assez  difficile  de  savoir  si,  au  cours  de  l'Assemblée 
Constituante,  Robespierre  collabora  à  l'une  quelconque 
des  nombreuses  publications  périodiques  qui  virent  le  jour 
à  cette  époque.  Les  Actes  des  Apôtres  indiquent,  à  main- 
tes reprises,  la  part  importante  qu'il  aura  prise  dans  la 
rédaction  de  Y  Union  ou  Journal  de  la  Liberté  (1)  qui  parut 
du  2  novembre  1789  au  19  avril  1790  (2)  et  fut  continué 

(1)  Notamment  au  chapitre  IX,  la  feuille  royaliste  indique  des  dénonciations 
de  complots  que  «  M.  de  Robespierre  »  aurait  signalées  dans  les  numéros  XV 
et  XVII  «  de  son  journal  »,  et  cite  des  passages  qu'il  lui  attribue  person- 
nellement (T.  I,  1789,  pp.  124  à  126).  Elle  note  même  (p.  126)  <  qu'on  sous- 
crit pour  VUnion,  à  Paris,  chez  Le  Boucher,  rue  de  la  Calandre  et  chez  tous 
les  Maîtres  de  poste  de  l'Europe,  pour  15  livres  par  trimestre  »,  faisant  ainsi 
de  la  publicité  «  au  journal  de  Robespierre  ». 

(2)  Ce  premier  journal,  imprimé  à  Paris  chez  Delaguette,  comprend  72 
numéros  in-folio.  «  Il  est  fort  bien  entendu,  dit  Hatin,  et  paraît  calqué  sur 
les  journaux  anglais  ».  D'ailleurs,  les  quatre  premiers  numéros  sont  rédigés 


11  INTRODUCTION 

du  12  mai  au  29  août  de  cette  même  année,  simplement 
sous  le  second  titre  de  Journal  de  la  Liberté  (3). 

Les  Actes  des  Apôtres  prétendent  même  que  Robes-' 
pierre  avait  la  direction  de  cet  organe:  «  M.  de  Robes- 
pierre, lit-on  au  chapitre  V,  p.  61,  dirige  le  journal  intitulé, 
l'Union  ou  Journal  de  la  Liberté  ».  Et  ils  ajoutent: 
«  Cette  feuille  a  été  d'abord  composée  en  Français  et  en 
Anglais  ;  mais  le  prodigieux  débit  que  les  premiers  numé- 
ros ont  eu  en  Angleterre,  ayant  effrayé  les  gazetiers 
anglais,  ils  ont  prié  M.  de  Robespierre  d'accepter  10.000 
livres  sterling  pour  rendre  son  journal  absolument  Fran- 
çais ».  Telle  est  le  genre  de  plaisanteries  des  Actes  des 
Apôtres. 

Ce  même  numéro  engage  ses  lecteurs  à  lire  avec  atten- 
tion le  compte  rendu  de  la  séance  du  samedi  21  novembre 
1789  rédigé,  prétend  l'auteur,  par  Robespierre:  «  Ce 
morceau,  ajoute-t-il,  est  entièrement  dans  la  manière  de 
Tacite...  »  (4). 

En  parlant  de  cette  feuille,  Maurice  Tourneux  fait 
observer  que  «  les  origines  de  ce  journal,  le  premier,  dans 
la  presse  française  qui  ait  adopté,  avec  le  Moniteur,  le 
format  in-folio,  sont  demeurées  obscures  et  que  les  noms 
de  ses  rédacteurs  ne  sont  pas  mieux  connus  ».  On  sait  seu- 
lement, d'après  les  prospectus  du  Journal  de  la  Liberté  du 

12  mai  1790,  «  qu'il  fut  fondé  par  un  sieur  T.  Marshall, 
marchand  mercier,  rue  de  la  Comédie  »  qui,  «  témoin, 
dans  sa  boutique,  du  succès  qu'avaient  eu  l'été  passé  les 

en  français  et  en  anglais.  A  partir  du  13  novembre  1789,  ce  journal  n'est 
publié  qu'en  français  seulement,  et  paraît  les  lundi  mercredi  et  vendredi  de 
chaque  semaine.  Chaque  numéro  porte,  accolés  à  droite  et  à  gauche  du  titre, 
le  blason  de  la  ville  de  Paris  et  un  autre  écu:  «  d'argent  à  la  croix  de 
gueule  cantonné,  au  n*  1  d'une  épée  en  pal  »  ;  surmonté  d'une  pique  et  d'un 
bonnet  phrygien  et  orné  de  cette  devise:  la  Bonne  Cause  ou  The  Cause; 
au-dessous  deux  mains  unies.  Bibîio.  Nat.:  Le2.  276.  -  Biblio.  de  l'Arse- 
nal: Jo.  157.  -  Tourneux:  Bibliographie  de  l'Histoire  de  Paris  pendant 
la  Révolution,  t.  II,  n*   10.357. 

(3)  Journal  de  la  liberté  par  les  auteurs  de  YUnion  (12  mai-29  août 
i7oo\  Paris,  au  bureau,  quai  des  Orfèvres,  n*  14.  Cette  suite  compte  94 
numéros  in-8*  (Biblio.  Nat.:  Le2,  277.  -  Tourneux  :  Ibid.,  t.  II,  n*  10.506. 

(4)  Il  note  aussi  aue  dans  le  numéro  VII  de  VUnimi,  Robespierre  traite 
lui-même  de  la  pêche  du  hareng  dans  la  baie  de  Biscave,  comme  étant 
l'une  des  branches  du  commerce  de  l'Ansrîeterre  ;  et  le  rédacteur  des  Actes 
des  Apôtres  note  ce  fait  pour  relever  une  erreur  géographique  commise  par 
Robespierre. 


ROBESPIERRE  JOURNALISTE  III 

colporteurs  patriotiques  dont  la  voix  stentorée  l'avait  sou- 
vent tiré  de  cette  stupeur  dont  il  est  habituellement  frappé, 
avait  imaginé  qu'une  entreprise  de  feuilles  de  ce  genre 
serait  infiniment  plus  avantageuse  qu'un  magasin  dont  la 
gestion  lui  pesait  pour  plusieurs  motifs  ».  Il  s'était,  à  cet 
effet,  adressé  à  deux  écrivains  qu'on  ne  nommait  pas,  et 
qui  avaient  dressé  un  plan,  et  en  avaient  poursuivi  simulta- 
nément l'exécution,  l'une  en  France,  l'autre  en  Angleterre. 
De  ces  efforts,  était  né  Y  Union  qui,  malgré  son  format, 
sa  composition,  qui  s'élevaient  au-dessus  du  niveau  ordi- 
naire, et  le  soin  avec  lequel  elle  était  rédigée,  paraît  n'avoir 
eu  que  peu  de  succès.  Elle  tomba  par  suite  d'une  brouille 
entre  le  bailleur  de  fonds  et  les  rédacteurs,  comme  on  le 
verra  plus  loin  (5). 

Si  les  Actes  des  Apôtres  attribuent  la  rédaction  de  ce 
journal  à  Robespierre,  Deschiens  (6)  prétend  que  Mont- 
joie  (7)  en  aurait  été  le  fondateur  «  ce  qui,  dit  Hatin,  sem- 
ble encore  plus  problématique  »  (8).  La  première  supposi- 
tion est,  en  effet,  beaucoup  plus  vraisemblable  que  la  secon- 
de; mais  jusqu'à  ce  jour,  la  «  preuve  n'en  a  pas  été  faite  », 
les  articles  n'étant  pas  signés. 

Ernest  Hamel  (9),  qui  donne  à  Y  Union  69  numéros  seu- 
lement, dit  avoir  eu,  entre  les  mains,  une  lettre  écrite  de 
Londres  à  Robespierre  par'  un  certain  P.  de  Cugnières,  en 
novembre  1790,  et  relative  au  fâcheux  effet  produit  en 
Angleterre  par  les  menées  de  la  Cour  de  France.  Hamel 
suppose  que  l'auteur  de  cette  lettre  était  à  Londres,  le  cor- 
respondant de  Y  Union.  D'ailleurs,  ce  citoyen  anglais 
paraît  avoir  été  en  correspondance  suivie  avec  Robes- 
pierre. Dans  le  volume  de  notre  Collection  consacrée  à  la 

(5)  Introduction  du  n°  i  du  Journal  de  la  Liberté  du  12  mai  1790:  lettre 
circulaire  aux  souscripteurs  en  réponse  aux  prétentions  que  le  bailleur  de 
fonds  Marshall  avait  formulées  dans  une  lettre  imprimée  et  diffusée. 

(6)  Collection  de  matériaux  pour  l'Histoire  de  la  Révolution  Française 
depuis  1787  jusqu'à  ce  jour:  Bibliographie  des  journaux.  (Paris,  Barrois 
l'aîné,    1829,   in-8°).   Biblio.  de  Reims.   M.   8519. 

(7)  Félix  Christophe  Louis  Ventre  de  La  Touloubre,  connu  sous  le  nom  de 
Galart  de  Monjoie,  journaliste  et  écrivain  royaliste,  auteur  de  nombreux  pam- 
phets  contre-révolutionnaires  (1746-1816). 

(8)  Eugène  Hatin  :  Bibliographique  historique  et  critique  de  la  presse  pério- 
dique française.  (Paris,  Firmin  Didot,  1866,  gr.  in-8a,  p.  152). 

(9)  Histoire  de  Robespierre,  t.  I,  p.  218. 


IV  INTRODUCTION 

Correspondance  de  Maximillien  et  Augustin  Robespierre 
figure,  à  la  date  du  16  septembre  1790,  une  lettre  de  ce 
personnage  à  Robespierre  dont  l'original  a  été  trouvé  par 
M.  Jacob  aux  Archives  du  Pas-de-Calais  (10).  Aussi, 
Ernest  Hamel  ne  semble  pas  mettre  en  doute  la  collabora- 
tion de  Robespierre  au  Journal  Y  Union  dont  les  principes 
sont  ceux  que  l'Assemblée  Nationale  a  consacrés  dans  la 
Déclaration  des  Droits  de  l'Homme.  «  Impartiaux  et  mo- 
dérés, ajoutent  les  rédacteurs  dans  leur  appel,  partout  où 
la  bonne  cause  ne  saurait  péricliter,  courageux  et  incor- 
ruptibles, partout  où  elle  est  menacée,  ils  ne  flatteront  ni 
ne  déchireront  personne  ». 

Mais,  au  cas  où  l'assertion  de  E.  Hamel  serait  exacte, 
—  et  en  effet,  elle  nous  semble  vraisemblable,  —  il  est  très 
difficile  de  déterminer  la  part  que  Robespierre  aurait  prise 
à  cette  publication.  «  Lui  aussi,  dès  cette  époque,  dit  E. 
Hamel,  en  parlant  des  attaques  des  Actes  des  Apôtres, 
disposait  d'un  recueil  périodique  où  il  eut  pu  rendre  coup 
pour  coup,  car,  aussi  bien,  sinon  mieux  que  ses  détracteurs, 
il  savait  manier  l'arme  de  l'ironie.  Mais  ce  journal,  dans 
lequel  sa  part  de  collaboration  serait  d'ailleurs  assez  diffi- 
cile à  établir,  s'occupait  de  choses  trop  sérieuses  pour  prê- 
ter la  moindre  attention  aux  élucubrations  plus  ou  moins 
désintéressées  de  quelques  pamphlétaires  ». 

Plus  tard,  en  avril  1790,  des  démarches  auraient  été 
faites  auprès  des  rédacteurs  du  journal,  en  vue  de  modifier 
la  ligne  politique  nettement  populaire  qu'ils  s'étaient  tra- 
cée. Ils  s'y  refusèrent  et,  après  échange  de  récriminations 
imprimées,  il  y  eut  rupture  complète  entre  eux  et  l'insti- 
gateur des  tentatives  faites  en  ce  sens,  leur  principal  bail- 
leur de  fonds,  T.  Marshall. 

Le  12  mai  1790,  trois  semaines  après  ces  incidents  qui 
les  privaient  d'une  partie  de  leurs  ressources,  mais  qui 
sauvegardaient  leur  indépendance,  les  rédacteurs  anony- 
mes reprirent  leur  publication  sous  le  titre  de  Journal  de 
la  Liberté  qui  parut  jusqu'au  29  août  de  cette  même  année. 
Robespierre  était-il  encore  du  nombre  de  ces  rédacteurs? 

(10)  Correspondance  de  Maximilien  et  Augustin  Robespierre,  recueillie  et 
publiée  par  Georges  Michon.  T.  III  des  Œuvres  de  Robespierre,  p.  90. 


ROBESPIERRE   JOURNALISTE  V 

C'est  probable.  Mais  le  nouvel  organe  ne  put  vivre  long- 
temps. Le  29  août,  il  disparut  de  nouveau 

Six  mois  plus  tard,  le  23  février  1791,  il  essaya  encore 
de  reparaître;  il  s'appela  le  Surveillant  (11),  «  journal 
libre  »  ;  mais  il  paraît  n'avoir  eu  qu'une  existence  fort 
éphémère;  peut-être  même  le  premier  numéro,  seul  connu, 
ne  fut-il  que  l'unique  spécimen  qui  ait  vu  le  jour. 


Ces  premiers  essais  dans  le  journalisme,  au  cours  de 
l'Assemblée  Constituante,  avaient  montré  à  Robespierre 
combien  cette  arme  était  nécessaire  et  terrible  à  la  fois 
pour  les  hommes  politiques  aptes  à  la  manier.  Après  la 
session  (septembre  1791)  et  un  séjour  de  repos  et  de 
recueillement  de  six  semaines,  du  12  octobre  au  28  novem- 
bre, dans  son  pays  natal,  dans  la  retraite  d'une  campagne 
des  environs  d'Arras,  il  était  revenu  à  Paris,  reprendre  sa 
place  de  combat. 

Sous  la  Constituante,  il  avait  été  l'objet  des  attaques 
des  royalistes  des  Actes  des  Apôtres;  il  avait  dédaigné  d'y 
répondre,  consacrant  tous  ses  instants  à  sa  tâche  plus  utile, 
plus  urgente,  et  surtout  plus  importante,  de  législateur. 

En  novembre  1791,  dégagé  de  ses  fonctions  électives,  il 
ne  lui  reste,  pour  faire  entendre  sa  voix,  que  la  tribune  de 
la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  où,  dès  son  retour, 
le  28  de  ce  mois,  il  est  accueilli  avec  le  plus  grand  enthou- 
siasme. 

Ce  jour-là,  justement,  commence  à  s'agiter  une  question 
qui,  durant  plusieurs  mois,  allait  tenir  attentif  le  pays  tout 
entier,  la  question  de  la  guerre  dont  l'Assemblée  Législa- 
tive s'occupait  depuis  quelques  jours. 

Robespierre  trouve  les  esprits  dans  les  dispositions  les 
plus  belliqueuses;  les  nouveaux  députés,  notamment  les 
hommes  groupés  autour  des  orateurs  de  la  Gironde,  les 
Vergniaud,  les  Guadet,  les  Gensonné,  et  surtout  le  journa- 
liste Brissot,  avaient  surexcité  partout  l'enthousiasme 
guerrier. 

(1)  Imprimé  chez  Moithey,  in-8°  de  8  pages,  comme  «  faisant  suite  au 
Journal  de  la  Liberté  »  (Biblio.  Nat.  Le2,  278).  Annoncé  comme  quotidien. 
La  Bibliothèque  nationale  ne  possède  que  le  premier  numéro  du  23  février  1791. 
(Toueneux,  ibid.,  t.  II,  n*  10.636). 


VI  INTRODUCTION 

Une  effervescence  avait  grandi  autour  de  cette  idée  de 
guerre.  Robespierre  ne  l'envisage  pas  sans  angoisse. 
Résistant  courageusement  à  l'entraînement  général,  il  met 
en  garde,  ce  même  jour,  28  novembre  1791  (12),  le  peuple, 
les  démocrates,  les  patriotes  contre  ce  frémissement  belli- 
queux qu'ils  éprouvent,  contre  cet  élan  guerrier  qui  les 
entraîne  dans  une  aventure  dangereuse  pour  la  Révolu- 
tion et  pour  le  développement  de  ses  institutions  et  de  ses 
principes.  Cette  guerre,  si  elle  est  décidée,  serait  dirigée 
par  une  Cour  qui  cherche  à  l'étranger  un  appui  pour 
enrayer  la  Révolution;  la  conduite  des  opérations  serait 
confiée  à  des  généraux  suspects  comme  La  Fayette  qui 
s'apprête  à  jouer  le  rôle  de  Monck  ;  l'armée  elle-même  n'est 
pas  prête  à  entrer  en  campagne  ;  et  les  intrigues  des  enne- 
mis de  l'intérieur  sont  bien  plus  redoutables,  bien  plus  à 
craindre  que  les  menées  sourdes  des  émigrés  du  dehors  ou 
les  menaces  de  quelques  petits  princes  allemands,  leur  com- 
plices. 

Cette  attitude  de  Robespierre  déplut  aux  partisans  de  la 
guerre.  Une  réponse  cependant  modérée  à  Brissot  qui, 
dans  son  journal  Le  Patriote  français  avait  poussé  le  cri 
de  guerre,  est  le  prétexte  de  la  rupture  (discours  du  18 
décembre);  et  pendant  plus  de  trois  mois,  Robespierre  et 
Brissot  se  livrent  à  la  tribune  du  club  et  dans  les  journaux 
à  une  lutte  ardente,  passionnée,  qui  divise  à  jamais  le  parti 
révolutionnaire.  Du  côté  de  Robespierre,  se  rangent  tous 
les  futurs  Montagnards;  et  ceux  qui  désormais  allaient 
constituer  le  parti,  dit  de  la  Gironde,  soutiennent  la  politi- 
que de  Brissot. 

Et  plus  Robespierre  souligne  les  dangers  que  cette 
guerre  ferait  courir  à  la  liberté  naissante,  plus  la  campa- 
gne devient  violente,  furieuse,  et  elle  redouble  d'intensité 
lorsqu'en  mars  1792,  les  Girondins  arrivent  au  pouvoir 
avec  Dumouriez,  Roland  et  Clavière.  Leurs  journaux,  la 
Chronique  de  Paris  de  Condorcet  et  de  Charles  Villette, 
les  Annales  patriotiques  de  Carra,  le  Courrier  des  Quatre- 
vingt-trois  départements  de  Gorsas,  le  Thermomètre  du 
jour  de  Dulaure,,  le  Patriote  français  de  Brissot,  et  même 

(12)  Discours  de  Robespierre  à  la  séance  des  Jacobins  du  28  novembre 
1791. 


ROBESPIERRE  JOURNALISTE  VII 

les  Révolutions  de  Paris  de  Louis  Prudhonime,  même  le 
Journal  Universel,  cependant  à  tendance  montagnarde, 
d'Audouin,  tous  publient,  chaque  jour,  de  longs  articles, 
certains  diffamatoires  et  même  calomnieux  contre  Robes- 
pierre. La  tribune  des  Jacobins  retentit,  tous  les  soirs,  des 
discours  violents  et  enflammés  de  leurs  orateurs;  après 
Brissot  et  Louvet,  leur  principal  porte-parole  Guadet  enga- 
ge, à  partir  du  26  mars,  une  série  de  polémiques  publiques, 
allant  même  jusqu'à  faire  grief  à  Robespierre  d'être  deve- 
nu «  l'idole  du  peuple  ».  Sa  popularité  grandissante  depuis 
l'assemblée  constituante,  a,  en  effet,  porté  ombrage  aux 
Girondins  qui  prétendent,  avec  la  main-mise  sur  le  pouvoir, 
diriger  seuls  la  Révolution  à  leur  gré. 

Robespierre  n'a  cessé,  pendant  de  longs  mois,  de  faire 
face  à  ses  adversaires,  de  leur  répondre,  de  lutter  avec  une 
énergie  croissante  contre  leur  tendance  belliqueuse  et  la 
précipitation  irréfléchie  avec  laquelle  on  s'efforce  de  jeter 
la  France  sur  l'Europe. 

Cependant,  ces  ardentes  et  trop  longues  polémiques,  à 
la  tribune  des  Jacobins,  fatiguent  les  patriotes.  Certain 
jour,  Basire  engage  Robespierre  à  choisir  quelques  jour- 
naux comme  arène  de  la  lutte  à  laquelle  il  a  été  provoqué; 
mais  le  conseil  peut  paraître  ironique,  car  les  feuilles  les 
plus  répandues,  la  Chronique  de  Paris,  le  Patriote  fran- 
çais, les  Annales  patriotiques,  le  Courrier  des  Quatre- 
Vingt-Trois  départements,  le  Thermomètre,  les  Révolu- 
tions de  Paris,  etc.,  appartiennent  à  la  Gironde  (13). 

Robespierre  promet  pourtant  de  répondre  à  l'appel  de 
Basire;  et,  dès  cette  époque,  est  arrêtée  dans  son  esprit, 
l'idée  qui  germait  depuis  quelque  temps  déjà  d'un  journal 
entièrement  rédigé  par  lui-même,  et  dans  lequel  il  pourrait 
à  la  fois  exposer  ses  principes,  bien  définir  la  position  qu'il 
a  prise  dans  ce  grand  conflit  de  la  question  de  la  guerre,  les 
motifs  qui  l'ont  poussé  à  en  redouter  les  conséquences,  et 
confondre  les  calomnies  incessantes  dont  il  est  l'objet,  à 
propos  de  ses  opinions  et  de  ses  tendances. 

Quelques  jours  après,  paraît  le  Défenseur  de  la  Cons- 
titution. 

(13)  Séance  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  du  25  avril  1792. 
(Aulard.  La  Société  des  Jacobins,  t.   III,  p.  533). 


VIII  INTRODUCTION 


Le  Défenseur  de  la  Constitution  et  les  Lettres  à  ses 
Commettants  qui  en  sont  la  suite,  constituent  la  véritable 
série  des  journaux  de  Robespierre,  si  l'on  peut  donner  ce 
nom  à  une  publication  qui  n'avait  du  journal  que  la  pério- 
dicité. 

Le  Défenseur  de  la  Constitution  est  presqu'entièrement 
rédigé  par  Robespierre.  Cependant,  il  insère  dans  son 
journal  des  nouvelles  et  des  lettres  envoyées  par  certains 
correspondants  de  province  et  des  armées.  Quelques  dépu- 
tés et  quelques  révolutionnaires  d'opinions  avancées 
paraissent  avoir  apporté  leur  collaboration  occasionnelle 
à  cette  feuille:  tel  Laurent  Lecointre  (de  Versailles), 
secrétaire  du  Comité  de  surveillance  de  l'Assemblée  légis- 
lative, et  qui,  à  ce  titre,  recevait  de  fréquents  rapports  des 
frontières  qu'il  communiquait  à  Robespierre,  notamment 
la  correspondance  fort  intéressante  de  l'agent  Rutteau  (14) 
donnant  des  renseignements  précis  sur  les  premières  opé- 
rations des  armées  en  Belgique  de  mai  à  juillet  1792  (voir 
les  numéros  de  9  à  12);  tel  le  médecin  Duhem  (du  Nord) 
qui  transmettait  les  décisions  et  décrets  de  l'Assemblée 
législative;  tel  Couthon,  ami,  familier,  hôte  assidu  de 
Robespierre  avec  lequel  il  travaillait  souvent  le  soir  dans 
sa  petite  chambre  de  la  maison  Duplay  ;  tel  son  futur  col- 
lègue à  la  Convention,  Collot  d'Herbois,  qui  utilise  son 
journal  pour  insérer  ses  polémiques  avec  les  Girondins 
que  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  n'insère  pas 
toujours  dans  ses  procès-verbaux  (15),  tel  le  littérateur  et 

(14)  Voir  ci-après  des  renseignements  sur  ce  personnage,  p.  275  (n°  10  du 
Défenseur  de  la  Constitution)  en  note. 

(15)  Il  faudrait  citer  aussi,  peut-être,  parmi  les  collaborateurs  du  Défenseur 
de  la  Constitution,  le  jeune  révolutionnaire  Marie-Sébastien-Bruno  De  La 
Croix  qui,  à  cette  époque,  publie  une  plaquette  de  23  pages  dans  laquelle, 
prenant  la  défense  de  Robespierre,  il  semble  parler  d'un  journal  à  la  création 
duquel  il  va  participer  et  qu'il  annonce.  Cependant,  il  lui  donne  comme  titre 
la  fonction  que  Robespierre  occupait  encore  à  cette  époque,  celle  d' 'Accusateur 
Public,  fonction  que  ce  dernier  devait  quitter  quelque  temps  après  (Tourneux, 
ïbid.,  t.  II,  n°  24996). 

La  mère  de  De  La  Croix,  le  12  mai,  avait  d'ailleurs  écrit  à  L.  Prudhomme, 
le  rédacteur  des  Révolutions  de  Paris,  au  sujet  de  ces  attacmes  dont  Robes- 
pierre était  l'objet  (Hamel,  t.  II,  p.  229),  et  avec  lequel  son  fils  paraissait  être 
en  relations. 

Nous  possédons  les  papiers  de  famille  de  Bruno  De  La  Croix,  originaire 


ROBESPIERRE  JOURNALISTE  IX 

ancien  rédacteur  du  Courrier  de  Strasbourg,  Laveaux  qui 
lui  communique  les  nouvelles  de  patriotes  persécutés  et 
réfugiés  à  Paris  (16),  etc. 

Contrairement  à  ce  qu'affirme  Léonard  Gallois  (17),  le 
journal  de  Robespierre  contient  donc  parfois  des  nouvelles, 
le  résumé  des  débats  et  les  principaux  décrets  des  Assem- 
blées, la  relation  commentée  par  l'auteur  des  principaux 
événements,  des  détails  sur  les  opérations  militaires,  etc.. 
«  La  feuille  de  Robespierre,  ajoute  d'autre  part  et  cette 
fois  justement  Gallois,  est  plutôt  une  sorte  de  revue  dans 
laquelle  il  s'occupe  de  quelques  grandes  questions,  et  sur- 
tout de  lui-même  et  de  ses  adversaires  ;  elle  est  le  déposi- 
taire de  ses  opinions  sur  les  affaires  publiques  et  sur  les 
hommes  qui  en  ont  le  maniement  ».  C'est  un  recueil  de 
plaidoyers  pro  doma  sua,  dit  Hatin;  les  thèses  politiques 
inspirées  par  les  circonstances,  alternent  avec  la  polémique 
que  Robespierre  soutient  dans  cette  grave  question  de  la 
guerre  et  des  périls  qui,  selon  lui,  dans  les  conditions  tra- 
giques où  la  France  se  trouvait  en  1 792,  compromettent  le 
sort  de  la  Révolution  elle-même. 

Le  choix  du  titre,  de  la  part  de  Robespierre,  était  bien 
fait  pour  étonner.  Aussi  croit-il  devoir  s'en  expliquer  dans 
son  exposition  de  principes,  par  laquelle  débute  le  premier 
numéro. 

Il  explique  que,  en  tant  que  membre  de  l'Assemblée 
Constituante,  il  s'est  opposé,  de  tout  son  pouvoir,  à  tous 
les  décrets  que  l'opinion  publique  regardait  comme  con- 
traires aux  principes  de  la  démocratie  ;  mais  que  depuis  le 
moment  où  l'acte  constitutionnel  a  été  déterminé  et  est 
cimenté  par  l'adhésion  générale,  il  s'est  borné  à  réclamer 
son  exécution  fidèle,  «  non  pas  à  la  manière  de  cette  secte 
politique  que  l'on  nomme  modérée  »,  qui  n'en  invoque  la 
lettre  et  les  vices  que  pour  en  tuer  les  principes  et  l'esprit  ; 
non  pas  à  la  manière  de  la  Cour  et  des  ambitieux  qui,  vio- 
lant éternellement  toutes  les  lois  favorables  à  la  liberté, 

de  Chàtillon-sur-Marne.  Nous  en  parlerons  dans  notre  travail  sur  Dobsen 
en  cours  de  publication. 

(16)  Voir  au  n°  3,  p.  88  des  détails  sur  Jean-Charles  Thiébault  de  Laveaux 
qui  fut  toujours  un  fidèle  de  Robespierre. 

(17)  Histoire  des  journaux  et  des  journalistes  de  la  Révolution  française, 
1845-1846,  2  vol.  in-8°:  Art.  Robespierre,  t.  II,  pp.  113  à  144,  avec  portrait. 


X  INTRODUCTION 

exécutent  avec  un  zèle  hypocrite  et  une  fidélité  meurtrière 
toutes  celles  dont  ils  peuvent  abuser  pour  opprimer  le 
patriotisme  ;  mais  comme  un  ami  de  la  Patrie  et  de  l'huma- 
nité, convaincu,  dit-il,  que  le  Salut  public  «  nous  ordonne 
de  nous  réfugier  à  l'abri  de  la  Constitution,  pour  repous- 
ser les  attaques  de  l'ambition  et  du  despotisme...  »  (18)  de 
cette  Constitution  de  1791  que  l'Assemblée  Législative 
était  chargée  de  compléter  par  des  lois  organiques  et  dont 
le  premier  soin,  au  début  de  ses  travaux,  avait  été  de  lui 
rendre  un  éclatant  hommage.  C'est  Robespierre  qui  nous 
l'apprend:  «  Ce  Code  dit-il  fut  apporté  en  triomphe  par 
des  vieillards  comme  un  livre  sacré  »  (19). 

D'autre  part,  il  savait  que  non  seulement  la  Cour,  les 
triumvirs  (Barnave,  Lameth  et  Duport),  La  Fayette,  mais 
encore  les  chefs  de  la  Gironde,  étaient  alors  disposés  à  mo- 
difier la  Constitution  de  1791.  Or,  il  se  rappelait  que 
Brissot  et  Condorcet  avaient  marché  d'accord  avec  La 
Fayette  et  ses  amis,  surtout  depuis  novembre  1791,  dans 
la  question  de  la  guerre.  Il  se  rendait  compte  qu'une  révi- 
sion ne  pourrait  s'effectuer,  en  raison  des  circonstances, 
qu'aux  dépens  des  principes  démocratiques;  aussi  pensait- 
il  que  la  Constitution,  malgré  ses  défauts,  devait  être 
maintenue  jusqu'au  moment  où  «  l'opinion  éclairée  pour- 
rait se  prononcer  sur  la  meilleure  forme  de  gouverne- 
ment ».  Robespierre  craignait  une  république  aristocrati- 
que, plutocratique  et  militaire,  selon  les  vœux  de  La 
Fayette.  Il  s'attachait  uniquement  à  la  réalité  démocrati- 
que et  sociale.  «  Est-ce  dans  les  mots  de  république  ou  de 
monarchie,  écrit-il,  que  réside  la  solution  du  grand  pro- 
blème social  »  (20). 

Robespierre,  constate  Mathiez,  attendait  le  salut  d'une 
crise  intérieure  qu'il  voulait  provoquer,  en  se  servant  con- 
tre la  royauté,  de  la  Constitution  elle-même.  Brissot  vou- 

(18)  «  Comme  on  le  voit,  dit  Léonard  Gallois  {op.  cit.  p.  115),  c'est  le 
général  Foy,  l'opposition  sous  la  Restauration,  les  patriotes  de  Paris  deman- 
dant l'exécution  de  la  Charte,  rien  que  la  Charte,  toute  la  Charte,  en  présence 
du  despotisme,  en  présence  des  ennemis  de  la  liberté  dont  il  fallait  refréner 
l'audace  ». 

(19)  Défendeur  de  la  Constitution,  n°  1,  p.  7. 

(20)  Exposé  de  mes  principes  dans  le  n°  1  du  Défenseur  de  la  Constitution 
(voir  ci-après,  p.  9).  G.  Michon,  ibid.,  p.  115. 


ROBESPIERRE   JOURNALISTE  XI 

lait  simplement  conquérir  la  Cour  à  ses  vues;  il  n'était 
révolutionnaire  qu'à  l'extérieur;  il  craignait  une  crise 
sociale  (21). 

Mais  au  surplus,  comme  le  dit  L.  Gallois,  il  ne  faut  pas 
attacher  à  ce  titre  de  Défenseur  de  la  Constitution  plus 
d'importance  que  Robespierre  lui-même,  car  nous  ne  le 
verrons  guère  s'occuper,  dans  ses  écrits  périodiques,  de 
défendre  la  Constitution  de  1791.  La  situation  où  se  trou- 
vent la  Révolution  et  le  pays,  en  1792,  en  présence  des  gra- 
ves dangers  qui  les  menaçaient,  devait  absorber  toute  son 
attention. 


Le  Défenseur  de  la  Constitution,  annoncé  par  Robes- 
pierre comme  un  «  ouvrage  périodique  proposé  par  sous- 
cription »,  était  composé  —  comme  devaient  l'être,  dans 
la  suite,  les  Lettres  à  ses  Commettants,  —  à  l'imprimerie 
de  Léopold  Nicolas  (22)  qui  demeurait  dans  la  même  mai- 
son que  Robespierre,  dans  l'immeuble  du  menuisier  Du- 
play,  rue  Saint-Honoré  355,  vis-à-vis  de  l'Assomption.  Il 
était  déposé  chez  Pierre-Jacques  Duplain  (23),  dont  la 
librairie  était  située  dans  la  Cour  du  Commerce,  donnant 
rue  de  l'Ancienne  Comédie  française,  et  chez  lequel  on  pou- 
vait s'abonner,  ainsi  que  «  chez  tous  les  principaux  librai- 
res de  l'Europe,  et  chez  tous  les  Directeurs  des  Postes  ». 
Le  prix  de  la  souscription  était  de  36  livres  pour  l'année, 
21  livres  pour  6  mois,  et  12  livres  pour  3  mois.  Le  libraire 
Duplain  indique  «  qu'on  ait  soin  de  lui  envoyer  toutes  les 

(21)  A.  Mathiez:  La  Révolution,  ibid,  t.  I,  p.  196. 

(22)  Léopold  Nicolas,  originaire  de  Mirecourt,  était  un  artisan  sincèrement 
dévoué  à  Robespierre.  Il  devint  juré  au  Tribunal  révolutionnaire  et  périt  sur 
l'échafaud,  avec  les  robespierristes  le  12  thermidor  an  II.  (Ernest  Hamel, 
t.  III,  p.  316). 

(23)  L'imprimeur-libraire  Pierre-Jacques  Duplain,  —  qu'il  ne  faut  pas 
confondre  avec  le  journaliste  Joseph-Benoît  Duplain,  décapité  le  21  messidor 
an  II,  —  électeur  de  la  section  du  Théâtre  Français,  fit  partie  de  la  Commune 
du  10  Août  et  fut  administrateur  de  police.  Il  appartenait  au  Club  des  Corde- 
lier,  et  était  très  lié  avec  Danton  et  avec  Marat;  ce  dernier  le  proposa,  en 
août  1792,  sur  la  liste  des  députés  de  Paris  à  la  Convention  Nationale.  Bien 
que  dantoniste,  Duplain  fut  inquiété  et  arrêté  après  thermidor,  le  14  fructidor 
an  II;  il  essaya  bien  de  renier  son  ancien  ami  Robespierre;  il  n'en  fut  pas 
moins  gardé  en  prison  pendant  toute  la  réaction  thermidorienne,  jusqu'au  16 
vendémiaire  an  IV,  date  de  sa  libération.  (Arch.  nat.  F7  4694). 


XII  INTRODUCTION 

lettres,  avis,  livres  nouveaux,  en  affranchissant  le  port  des 
lettres  et  de  l'argent  ».  La  couverture  de  chaque  numéro 
était  de  couleur  brique,  tout  au  moins  ceux  dont  nous  pos- 
sédons des  exemplaires. 

Le  journal,  «  composé  par  cahier  de  3  à  4  feuilles  d'im- 
primerie »,  c'est-à-dire  de  48  à  64  pages,  paraissait  une 
fois  par  semaine,  «  tous  les  jeudis  »,  dit  l'annonce.  Sa  col- 
lection, composée  de  12  numéros  in-8°,  forme  à  la  Biblio- 
thèque Nationale  (Lc2.687)  un  volume  de  614  pages.  Mais 
une  erreur  de  20  numéros  dans  la  pagination  réduit  le 
nombre  des  pages  à  594  (24). 

La  publication  a  été  précédée  d'un  prospectus  de  même 
format  in-8°  de  quatre  pages. 

Ce  prospectus,  —  dans  lequel  Robespierre  expose  com- 
ment il  entend  rallier  tous  les  bons  citoyens  aux  principes 
de  la  Constitution  (25)  —  est  lancé,  par  son  auteur,  vers  le 
25  avril,  au  moment  où  la  guerre  dont  la  question  avait, 
nous  l'avons  vu,  passionné  l'opinion  publique  pendant  plu- 
sieurs mois,  venait  enfin  d'être  déclarée  à  l'Autriche. 

Louis  Prudhomme  dans  son  numéro  147  des  Révolutions 
de  Paris  du  28  avril  au  5  mai  1792  (26),  accueille  la  publi- 
cation du  prospectus  par  un  article  dans  lequel  il  blâme 
Robespierre  de  se  donner  en  spectacle  par  les  polémiques 
qu'il  soutient;  il  lui  reproche  d'avoir  abandonné  le  10  avril 
dernier  le  poste  d'accusateur  public  près  le  Tribunal  crimi- 
nel de  la  Seine,  poste  que  les  électeurs  lui  avaient  confié,  à 
la  fin  de  l'assemblée  constituante  et  dans  lequel  il  avait  été 
installé  le  15  février  1792  (2y),  et  de  préférer  «  être  publi- 

(24)  Toutes  les  indications  ci-dessus  sont  portées  sur  la  couverture  de 
chaque  numéro,  au  complet,  à  partir  du  n°  2.  Laponneraye  dit  que  le  Défen- 
seur de  la  Constitution  paraissait  le  vendredi.  (Œuvres  de  Robespierre,  t.  I, 
P-  314). 

(25)  E.  Hamel,  t.  II,  p.  219,  analyse  et  commente  les  idées  émises  dans  ce 
prospectus. 

(26)  Révolutions  de  Paris,  t.  XII,  n°  147,  pp.  205  à  212. 

(27)  Le  10  juin  1791,  Robespierre  avait  été  élu  accusateur  public  près  le 
Tribunal  criminel  de  la  Seine,  dont  Adrien  Du  Port  avait  été  nommé  prési- 
dent la  veille.  Ce  dernier  n'accepta  pas,  et  fut  remplacé  le  15  par  Pétion. 
Pétion  donna  sa  démission  lorsqu'il  fut  élu  maire  de  Paris  ;  les  électeurs  dési- 
gnèrent Prieur  de  la  Marne  qui  refusa  également,  .préférant  conserver  le 
poste  de  président  du  Tribunal  d'Epemay  que  les  électeurs  de  la  Marne 
venaient  de  lui  confier;  il  fut  remplacé,  à  Paris,  par  Treilhard.  Quant  à 
Robespierre,  il  avait  pensé,  tout  d'abord,  qu'il  pouvait  accepter  ces  fonctions 


ROBESPIERRE  JOURNALISTE  XIII 

ciste  et  législateur  des  nations  »  ;  il  lui  fait  également  un 
grief  de  «  concevoir  ce  projet  d'un  journal  pour  se  défen- 
dre des  imputations  monstrueuses,  des  injures  graves 
autant  que  gratuites  dont  il  est  l'objet  »...  «  Nous  ne  dou- 
tons pas,  ajoute-t-il,  que  Robespierre  journaliste,  ne  con- 
tribue à  mener  notre  Révolution  au  port;  vous  n'aurez 
jamais  autant  de  lecteurs  que  nous  vous  en  souhaitons; 
mais  ce  passage  brusque  du  tribunal  de  l'accusateur  public, 
au  cabinet  d'études  d'un  folliculaire  à  la  semaine,  nous 
étonne,  nous  inquiète.  Dans  un  gros  temps,  l'équipage  d'un 
navire  ne  verrait  pas  de  bon  œil  le  pilote  abandonner  le 
timon  pour  prendre  la  rame,  ou  pour  se  faire  l'écrivain  du 
vaisseau.  Sans  doute,  vous  nous  direz  des  vérités  impor- 
tantes; votre  plume  sera  de  fer  contre  les  méchants,  et 
personne  ne  vous  enlèvera  la  parole;  mais  la  passion  de 
tout  dire  sans  être  contredit,  mais  l'envie  de  répondre  sur 
le  champ  au  premier  agresseur,  mais  le  plaisir  de  vous  ven- 
ger, tout  à  votre  aise,  de  ceux  qui  ne  pensent  pas  comme 
vous,  n'ont-ils  pas  été  quelques-uns  des  motifs  qui  vous 
ont  porté  à  ce  parti  extrême?...  Si  pourtant  vous  croyez 
pouvoir,  dans  un  journal,  nous  faire  une  justice  plus  expé- 
ditive  des  conspirateurs  et  des  traitres  que  dans  la  place 
d'accusateur  public  soumise  à  la  lenteur  des  formes, 
Robespierre,  écrivez!  ». 

importantes,  qui,  en  raison  de  son  élection  populaire,  sauvegardaient  sa 
complète  indépendance  politique  vis-à-vis  du  pouvoir. 

Lors  de  l'installation  du  Tribunal  criminel,  le  15  février  1792,  dans  les 
locaux  de  l'ancienne  chancellerie,  il  avait  prononcé  un  discours  dans  lequel 
il  expliquait  comment  il  entendait  les  fonctions  d'un  magistrat  du  peuple. 
Ce  discours  fut  publié  par  la  Société  des  Jacobins.  Il  est  devenu  extrêmement 
rare  et  n'a  pas  été  reproduit  dans  les  précédents  recueils  très  incomplets  des 
Œuvres  de  Robespierre  qui  ont  été  publiés  jusqu'alors. 

Dans  ce  discours  d'installation,  Robespierre  avait  déclaré  que  <  le  jour 
où  il  lui  paraîtrait  plus  profitable  à  la  chose  publique  de  le  servir  comme 
simple  citoyen  que  comme  magistrat,  il  n'hésiterait  point  à  sacrifier  une 
place  »,...  cependant  fort  lucrative,  pour  lui  qui  n'avait  aucune  fortune,  puisqu'il 
était  alloué  à  l'accusateur  public  un  traitement  annuel  de  huit  mille  livres, 
somme  considérable  pour  l'époque. 

Ses  ennemis  ne  tinrent  pas  compte  de  cette  abnégation,  de  ce  désintéresse- 
ment; ils  lui  reprochèrent  sa  scrupuleuse  attitude,  comme  une  désertion. 

Le  10  avril,  il  mit  ce  projet  à  exécution  et  envoya  sa  démission  d'accusateur 
public. 

Dans  le  n°  1 :  3e  art.  :  Réponse  à  Brissot  et  Guadet  (v.  pages  36  et  40),  ces 
*derniers  ayant,  dans  leurs  attaques,  fait  allusion  à  cette  démission,  Robes- 
pierre rappelle  les  termes  de  son  discours  du  15  février  1792,  et  les  motifs 
qui  l'ont  poussé  à  donner  sa  démission. 


XIV  INTRODUCTION 

Mais  Prudhomme  termine  pourtant  en  demandant  à 
Robespierre  d'éviter  les  polémiques  ardentes,  «  ces  violen- 
tes secousses  qui  ont  agité  la  Société  des  Jacobins  à  son 
sujet  ».  Prudhomme  organe  des  Girondins,  redoutait  la 
plume  de  Robespierre.  —  Quant  à  Brissot,  il  ne  parle 
du  journal  de  Robespierre,  que  comme  «  d'une  feuille 
publiée  obscurément  »  (28). 

De  son  côté,  Marat,  en  annonçant  le  projet  du  Défen- 
seur de  la  Constitution,  révèle  «  les  raisons  secrètes  des 
divisions  intestines  qui  agitent  la  société  des  Jacobins  »  ; 
il  approuve  Robespierre  de  créer  un  journal  «  afin  de 
répondre  à  Brissot  qui  le  calomnie  et  le  fait  calomnier  par 
cent  plumes  vénales  »  ;  il  l'incite  à  être  franc  et  à  ne  pas 
user,  comme  ses  adversaires,  «  d'insinuations  vagues  et 
perfides  »  (29). 


Les  journaux  périodiques  de  Robespierre  offrent  l'in- 
convénient de  ne  porter  aucune  date,  inconvénient  commun 
à  plusieurs  feuilles  de  l'époque. 

Le  catalogue  de  la  Bibliothèque  Nationale,  ainsi  que  les 
recueils  de  Deschiens  et  de  Hatin  (30),  indiquent  comme 
date  de  publication  du  premier  numéro  du  Défenseur  de 
la  Constitution,  le  icr  juin  1792.  Mais  la  Correspondance 
littéraire  secrète  du  19  mai  de  cette  même  année  (p. 
141)  (31)  annonce  le  premier  numéro  du  journal  de  Robes- 
pierre comme  paraissant  ce  jour-là  («  aujourd'hui  »,  dit 
l'auteur);  et  Ernest  Hamel  fait  observer  (32)  que  le 
Patriote  français  de  Brissot  discute,  dans  son  numéro  du 
6  juin  (n°  103),  un  article  paru  dans  le  n°  3  du  Défenseur 
de  la  Constitution  qui,  par  conséquent,  avait  dû  paraître 
le  jeudi  31  mai. 

(28)  Le  Patriote  français,  n*  103  du  6  juin  1792. 

(29)  L'Ami  du  Peuple,  n°  DCXLVIII  (avril  1792).  Bûchez  et  Roux,  t.  XIV, 
pp.  182  à  192. 

(30)  Deschiens  :  Collection  de  matériaux  pour  l'Histoire  de  la  Révolution 
française,  etc.,  ibid.,  p.  130.  —  E.  Hatin:  Bibliographie  historique  et  critique 
de  la  presse  périodique  française,  etc.,  ibid.,  p.  227.  Catalogue  de  la  Eibliolkè'- 
que  Nationale:  Histoire  de  France,  t.  IV,  p.  386. 

(31)  La  Correspondance  littéraire  secrète,  par  Métra,  J.  Imbert  et  autres, 
1774-1793,  19  vol.  in-8°  (Hatin:  Bibliographe  de  la  presse  périodique,  p.  68). 

(32)  Histoire  de  Robespierre,  t.  II,  p.  249. 


ROBESPIERRE   JOURNALISTE  XV 

Il  faut  donc  pour  attribuer  une  date  à  chaque  numéro, 
procéder  ainsi  par  analogie  et  approximation  : 

Le  premier  numéro  (p.  i  à  64  :  64  pages),  qui  n'est  mis 
en  vente  que  le  19  mai,  si  l'on  croit  la  Correspondance  lit- 
téraire secrète,  a  donc  dû  paraître  la  veille  ou  l'avant-veille, 
le  jeudi  17  ou  le  vendredi  18  de  ce  mois.  Il  contient  d'ail- 
leurs la  réponse  de  Robespierre  aux  attaques  de  Brissot 
et  de  Guadet  du  25  avril,  discours  prononcé,  deux  jours 
plus  tard,  le  27,  à  la  Société  des  Amis  de  la  Consti- 
tution (33). 

Le  n°  2  (p.  65  à  112:  48  p.),  voit  le  jour  la  semaine  sui- 
vante, le  24  ou  le  25  mai;  Robespierre  répond  à  une  autre 
manœuvre  de  Condorcet,  qui  dans  la  Chronique  de  Paris 
du  18  de  ce  mois  lui  attribue  faussement  une  lettre  contre 
les  prêtres  en  général,  lettre  rédigée  dans  un  style  ridicule 
et  adressée  au  Journal  des  débats  et  de  la  Correspondance 
de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  (34).  Il  est  fait 
allusion  également,  dans  ce  numéro,  à  la  séance  du  20  mai 
de  l'Assemblée  législative,  au  cours  de  laquelle  il  est  décidé 
de  traduire  devant  la  Haute-Cour  d'Orléans,  le  juge  de 
paix  Etienne  de  Larivière  qui,  arbitrairement,  avait  lancé 
le  18  mai,  un  mandat  d'arrêt  contre  trois  députés,  Chabot, 
Basire  et  Merlin;  et  enfin  à  l'emprisonnement  de  Laurent 
Lecointre  (de  Versailles)  que  l'Assemblée  avait  condamné 
le  lendemain  pour  avoir,  comme  membre  du  Comité  de  sur- 
veillance de  la  Législative,  ordonné  l'arrestation  de  neuf 
soldats  de  la  garde  suisse  qui  s'étaient  enrôlés  pour 
Coblentz,  mesure  illégale  quoique  justifiée,  comme  l'expli- 
que Robespierre  (35). 

Le  n°  3  (p.  113  à  160:  48  p.),  signalé,  avons-nous  dit, 
dans  le  Patriote  français  de  Brissot  du  6  juin,  peut  être 
daté  du  31  mai,  comme  l'indique  E.  Hamel  (36).  Il  donne 
une  suite  des  décrets  votés  par  l'Assemblée  du  19  au  22 
mai,  dont  la  publication  avait  été  commencée  à  la  fin  du 
numéro  précédent  (16-18  mai).  Il  publie  une  lettre  écrite 
de  l'armée  de  Metz  le  25  mai;  il  commente  la  séance  du  28 

(33)  Hamel:  ibid.,  t.  II,  pp.  208  à  216,  224,  240,  253. 

(34)  C'était  la  seconde  fois  que  Condorcet,  dans  son  journal,  se  permettait 
une  plaisanterie  de  ce  genre.  (Hamel,  t.  II,  p.  259). 

(35)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  241  à  243,  259  à  262. 

(36)  T.  II,  ibid.,  p.  266. 


XVI  INTRODUCTION 

au  cours  de  laquelle,  devant  les  menées  des  ennemis  de  la 
Révolution,  l'Assemblée  avait  décidé  de  se  déclarer  en 
permanence,  et  celle  du  lendemain  29  qui  prononce  le  licen- 
ciement de  la  garde  du  roi  et  l'arrestation  de  son  comman- 
dant de  Cossé-Brissac  (37). 

Le  n°  4  (p.  161  à  208:  48  p.),  a  paru  le  7  juin,  comme 
l'indique  E.  Hamel  (38).  D'ailleurs,  il  relate  la  fête  funè- 
bre du  3  juin,  organisée  en  l'honneur  du  maire  d'Etampes, 
Simoneau  tué  le  3  mars  1792  au  cours  d'une  émeute  (39). 

Dans  le  n°  5  (p.  209  à  256:  48  p.),  Robespierre  signale 
que  le  Ministre  de  la  guerre  Servan  a  présenté  à  l'Assem- 
blée nationale,  «  il  y  a  quinze  jours  »,  dit-il,  son  projet  de 
rassembler  une  armée  de  20.000  hommes  autour  de  Paris. 
Or,  cet  exposé  ayant  été  lu  à  la  séance  du  4  juin,  le  numé- 
ro pourrait  donc  prendre  la  date  assez  tardive  du  19  juin. 
Mais,  dans  ce  même  numéro,  un  compte  rendu  de  la  séance 
des  Jacobins  du  13  juin,  rédigé  par  Robespierre  lui-même, 
annonce  et  commente  le  renvoi  des  ministres  girondins  par 
la  Cour,  ce  même  jour,  sur  l'instigation  de  Dumouriez, 
sans  indiquer  que  quatre  jours  plus  tard,  le  17,  le  Ministre 
des  affaires  étrangères  subit  le  même  sort.  Le  numéro  peut 
être  daté  du  15  ou  du  17  juin  (40). 

Le  n°  6  (p.  257  à  304:  48  p.),  répond  à  une  lettre  de  La 
Fayette,  publiée  dans  la  Chronique  de  Paris,  le  14  juin  et 
dans  laquelle  le  général  le  dénonçait;  et  à  une  autre  pro- 
testation adressée  par  ce  dernier  à  l'Assemblée  nationale 
le  16  et  communiquée  à  la  séance  du  18;  on  peut  donc  con- 
sidérer que  ce  6e  fascicule  est  sorti  des  presses  vers  le  22 
ou  le  23,  en  tout  cas  après  la  journée  du  20  juin  et  l'inva- 
sion des  Tuileries  par  le  peuple,  mouvement  que  Robes- 
pierre n'approuve  pas,  comme  ne  devant  servir,  pense-t-il, 
que  quelques  ambitieuses  convoitises;  il  ne  voulait  qu'une 
insurrection  sérieuse,  propre  à  assurer  le  triomphe  de  la 
liberté  (41). 

Le  n°  7  (p.  305  à  374:  50  p.),  contient  une  appréciation 
de  Robespierre  sur  les  lettres  ci-dessus  adressées  par  La 

(37)  E.  H.v.rt  «w.  t.  II,  p.  263,  266  à  269. 

(3$)  Ibid.,  t.  II,  p.  272. 

($))  HtMXL,  ii'd.j  î   II,  pp.  272  à  278. 

(40)  EF\mfl.  ilid.,  1.  II,  pp.  279,  283  et  286  à  289. 

(41)  HAiiF.f.,  wid.,  t.  II,  pp.  291  à  297. 


ROBESPIERRE   JOURNALISTE  XVII 

Fayette  à  l'Assemblée  et  au  roi  et  communiquées  le  18  juin; 
il  publie  des  envois  datés  du  25  de  ses  correspondants  aux 
armées,  à  Strasbourg  et  à  Lille  ;  il  parle  de  la  visite  de  La 
Fayette  à  l'Assemblée,  le  28  juin,  après  avoir  quitté  son 
armée  pour  venir  protester  à  la  barre  contre  les  événe- 
ments du  20  du  même  mois.  Le  numéro  peut  donc  être 
placé  à  la  fin  du  mois  de  juin  (42). 

C'est  dans  le  premier  article  de  ce  7e  fascicule  que  se 
trouve  l'erreur  de  pagination  (297  à  334  et  365  à  374)  (43). 

Dans  le  n°  8  (p.  375  à  422:  48  p.),  Robespierre  revient 
encore  sur  l'attitude  de  La  Fayette  se  présentant  à  la 
barre  pour  exiger  «  la  punition  des  factieux  »  ;  et  pour 
mieux  démontrer  l'analogie  qui,  à  ses  yeux,  existe  entre 
La  Fayette  attaquant  les  sociétés  populaires  et  Léopold 
d'Autriche  lançant  son  fameux  manifeste  contre  les  Jaco- 
bins, il  établit  un  parallèle  entre  les  phrases  du  général  et 
celles  contenues  dans  le  décret  impérial.  Il  reproduit  une 
lettre  de  Courtrai  du  29  juin  ;  et  un  passage  de  celle  adres- 
sée par  La  Fayette  au  président  de  l'Assemblée  législative, 
lors  de  son  départ  de  Paris  le  30  juin.  Donc  ce  numéro 
serait  au  début  de  juillet,  vers  le  5,  dit  l'Histoire  parlemen- 
taire (t.  XVI,  p.  41)  (44). 

Le  n°  9  (p.  423  à  470:  48  p.),  prend  la  défense  du  maire 
de  Paris  Petion  et  du  procureur  de  la  commune  Manuel, 
suspendus  par  arrêté  du  directoire  du  département  de 
Paris,  du  6  juillet;  et  contient  une  adresse  aux  fédérés 
venus  pour  la  fête  du  14  juillet;  adresse  votée  aux  Jaco- 
bins le  1 1 ,  à  la  suite  d'un  discours  de  Robespierre  sur  les 
dansrers  de  la  patrie;  ce  numéro  publie  le  premier  rapport 
de  l'agent  Rutteau  communiqué  à  Robespierre  par  Lau- 
rent Lecointre.  Il  peut,  presque  sûrement,  prendre  date  du 
14  juillet  (45). 

Le  n°  10  (p.  471  à  ST8:  48  p.),  contient  notamment  un 
compte  rendu  de  la  fête  de  la  Fédération  du  14  juillet;  un 
résumé  de  la  séance  de  l'Assemblée  législative  du  i^;  une 
pétition  des  fédérés  rédigés  par  Robespierre  et  présentée 

(42)  IJ.wiel  ibM:  t.  II,  pp.  301  à  305. 

(43)  A  la  page  fijL  le  tirage  étant  fait  jusqu'à  c*.  numéro  rimprim<ur 
s'aperçoit  de  ;  er'tui  de  20  ec  rétablit  365  à  la  page  de  M  feuille  suivante. 

(44)  H\mki,  ibiil .  t   II,  pp.  158  à  161,  307  à  311. 

(45)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  317.  326. 


XVIII  INTRODUCTION 

le  17  à  la  barre  de  l'Assemblée  nationale,  une  adresse 
«  aux  Français  ■  des  quatre-vingt-trois  départements  » 
datée  du  20;  un  article  sur  la  décision  de  l'Assemblée  du 
19  qui  prononce  l'absolution  de  La  Fayette;  enfin  un  rap- 
port de  l'agent  Rutteau  du  18.  Ce  fascicule  ne  parut  donc 
que  vers  le  25  juillet  (46). 

Le  n°  11  (p.  519  à  566:  48  p.),  raconte  l'arrivée  des 
Marseillais  à  Paris,  à  la  fin  du  mois  de  juillet  et  donne 
l'important  discours  prononcé,  le  29  de  ce  mois,  aux  Jaco- 
bins par  Robespierre  sur  la  déchéance  du  roi  et  la  convo- 
cation des  Assemblées  primaires  en  vue  de  l'élection  d'une 
Convention  Nationale.  Ce  numéro  est  du  début  d'août, 
vers  le  5  (47). 

Le  dernier  numéro,  le  12e  fascicule  (p.  567  à  614:  48 
pages),  contient  'le  récit  des  événements  du  1  d'août,  de  la 
chute  de  la  Royauté,  des  mesures  prises  par  l'Assemblée 
les  10  et  11,  la  harangue  de  Robespierre  à  la  Législative 
le  14,  au  nom  de  la  section  de  la  place  Vendôme,  la  sienne; 
des  pièces  trouvées  aux  Tuileries,  des  enquêtes,  déclara- 
tions, interrogatoires,  dont  l'une  est  datée  du  14,  et  une 
autre  lue  à  l'Assemblée  nationale  le  15  août.  Ce  n'est  donc 
que  vers  le  20,  peut-être  même  à  la  fin  de  ce  mois,  qu'il 
faut  placer  la  date  de  la  disparition  du  Défenseur  de  la 
Constitution  (48). 

Robespierre  termine  ce  dernier  fascicule  par  cet  avis 
aux  souscripteurs: 

«  Les  circonstances  actuelles  et  l'approche  de  la  Conven- 
«  tion  Nationale  semblent  nous  avertir  que  le  titre  de 
«  Défenseur  de  la  Constitution  ne  convient  plus  à  cet  ou- 
«  vrage,  quoique  nous  ayons  déclaré,  dès  l'origine,  que  ce 
«  n'étaient  point  ses  défauts  que  nous  voulions  défendre, 
«  mais  ses  principes;  quoique  notre  but  n'ait  jamais  été 
«  de  la  défendre  contre  le  vœu  du  peuple  qui  pouvait  et  qui 
«  devait  la  perfectionner;  mais  contre  la  Cour  et  contre 
«  tous  les  ennemis  de  la  liberté  qui  voulait  la  détruire  et 
<(  la  détériorer.  Nous  continuerons  désormais  cet  ouvrage 

(46)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  328  à  337. 

(47)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  347  à  359- 

(48)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  364  à  382. 


ROBESPIERRE  JOURNALISTE  XIX 

«  sous  un  titre  plus  analogue  aux  conjonctures  où  nous 
«  sommes  »  (49). 

Sauf  peut-être  les  deux  derniers  numéros  retardés  en 
raison  des  graves  événements  qui  s'accomplissaient  et  qui 
absorbèrent  toute  l'activité  de  Robespierre,  on  voit  que 
l'auteur  de  la  publication  du  Défenseur  de  la  Constitution, 
annoncée  en  avril  1792,  comme  devant  paraître  régulière- 
ment toutes  les  semaines,  a  respecté  scrupuleusement  les 
dates  qu'il  s'était  assignées. 


Après  les  élections  à  la  Convention  Nationale,  Robes- 
pierre, qui  figure  en  tête  de  la  représentation  du  départe- 
ment de  la  Seine  et  de  la  ville  de  Paris,  songe  à  reprendre 
sa  publication  interrompue  depuis  quelques  semaines  par 
les  événements.  Il  intitule  la  suite  de  son  journal: 

Lettres  de  Maximilien  Robespierre,  membre  de  la  Con- 
vention Nationale  de  France  à  ses  Commettants. 

Cette  nouvelle  publication  comprend  22  numéros  en 
deux  séries:  la  première  de  12,  finissant  avec  l'année  1792; 
la  deuxième,  de  10  livraisons  dura,  comme  nous  allons 
l'expliquer,  non  pas  jusqu'au  15  mars  comme  l'indiquent 
toutes  les  bibliographies  (50),  mais  bien  jusqu'au  milieu 
du  mois  d'avril  1793. 

Chaque  fascicule  paraissait  sous  double  couverture  de 
couleur  grise  bleuâtre,  contenant  l'indication  des  ouvrages 
mis  en  vente  à  la  librairie  Duplain,  de  1792  à  1793. 

Le  format  est  le  même  que  celui  du  Défenseur  de 
la  Constitution.  Chaque  série  ou  trimestre  forme  un  volu- 
me, avec  un  numérotage  spécial:  le  premier  de  1  à  580, 
renferme  une  erreur  de  pagination  au  8e  numéro,  erreur 
qui  est  rectifiée  au  début  du  n°  9;  donc  le  nombre  de  580 
pages  est  exact;  —  le  second  volume  de  10  livraisons  est 
indiqué  de  526  pages  ;  mais  il  contient  deux  graves  erreurs  : 
l'une  de  ^o  numéros  de  pages  en  trop  dans  le  fascicule  3  ; 
l'autre  de  8  numéros  de  paç-es  en  moins  dans  le  fascicule 
5,  ce  qui,  définitivement,  réduit  le  nombre  de  pages  de  42  ; 

(49)  Hamel,  ibid.  t.  II,  p.  382. 

(50)  Deschiens:  Collection  de  matériaux,  etc..  —  Hatin;  Bibliographie 
de  la  Presse,  etc..  —  Tourneux;  ibid.,  t  H,  n*  10822. 


XX  INTRODUCTION 

donc  le  nombre  exact  de  pages  de  ce  second  volume  est  de 
484  (51). 

Comme  pour  le  Défenseur  de  la  Constitution,  les  numé- 
ros ne  sont  point  datés.  Mais  d'après  les  faits  et  les  événe- 
ments qui  sont  relatés  dans  chacun  d'eux,  il  est  possible 
de  leur  assigner,  comme  pour  le  Défenseur  de  la  Consti- 
tution, une  date  approximative  de  publication. 

Robespierre  prépare  le  premier  numéro  de  la  première 
série  des  Lettres  à  ses  commettants  (p.  1  à  48),  aussitôt  la 
réunion  de  la  Convention  nationale  ;  il  y  exprime  ses  prin- 
cipes et  le  but  qu'il  se  trace,  en  reprenant,  sous  ce  nouveau 
titre,  sa  publication.  Il  rend  compte  des  séances  depuis  le 
début,  du  21  jusqu'au  25  septembre;  il  relate  les  premières 
escarmouches  dirigées  contre  lui  par  les  Girondins,  par 
Rebecqui  et  Barbaroux  qui  ouvrent  ainsi  la  série  des  atta- 
ques dont  il  ne  cessera  plus  d'être  l'objet;  ceci  se  passe  à 
la  séance  du  25  septembre.  Donc  ce  premier  numéro  doit 
être  placé  vers  le  30  de  ce  mois  (52). 

Dens  le  numéro  2  (p.  49  à  96),  il  commente  la  lettre  du 
général  Dillon  au  prince  de  Hesse,  lue  à  la  tribune  de  la 
Convention  le  1 1  octobre  ;  il  raconte  la  séance  des  Jacobins 
du  14  de  ce  mois,  au  cours  de  laquelle,  Dumouriez,  après 
avoir  repoussé  les  Prussiens  à  Valmy,  et  avant  de  se  ren- 
dre en  Belgique  pour  dégager  la  frontière  du  Nord  mena- 
cée par  les  Autrichiens,  est  venu  rendre  compte  de  sa  con- 
duite et  de  ses  opérations  ;  et  il  publie  in  extenso,  son  dis- 
cours du  15  octobre  dans  lequel  il  combat  le  projet  de 
Buzot  de  création  d'une  garde  départementale  pour  proté- 
ger la  Convention  contre  le  peuple  de  Paris.  Ce  deuxième 
numéro  serait  donc  du  20  octobre  environ  ;  il  y  aurait  eu, 
par  conséquent,  entre  les  deux  premiers,  un  intervalle 
d'une  vingtaine  de  jours  (53). 

Dans  le  numéro  3  (p.  97  à  144),  il  insère  son  important 
discours  prononcé  à  la  Société  des  Jacobins,  le  28  octobre, 
traitant  de  l'influence  de  la  calomnie  sur  la  Révolution; 
et  la  suite  du  compte-rendu  des  séances  de  la  Convention 

(51)  Nous  allons  donner,  pages  XX  à  XXVII,  le  détail  des  paginations. 

(52)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  p.  363,  432,  à  436,  442,  451,  453,  456  à  459. 

(53)  Hamel,  ibid,  t.  II,  p.  454,  467  à  472. 


ROBESPIERRE  JOURNALISTE  XXI 

déjà  commencé  dans  les  précédents  numéros  (25-30  sep- 
tembre). Ce  numéro  prend  date  vers  le  30  octobre  (54). 

Dans  le  n°  4  (p.  145  à  192),  il  répond  aux  attaques  de 
Louvet  du  29  octobre,  et  reproduit  le  texte  intégral  de  son 
discours  qu'il  prononce  le  5  novembre  à  la  Convention. 
Donc  ce  fascicule  est  postérieur  à  cette  date  (55). 

Si  ces  quatre  premiers  numéros  ont  paru,  très  irréguliè- 
rement, aux  environs  des  30  septembre,  20,  30  octobre  et 
8  novembre  1792,  par  contre,  les  huit  autres,  qui  doivent 
figurer  avant  le  31  décembre,  semblent  s'être  succédés 
assez  rapidement,  de  semaine  en  semaine,  parfois  deux  par 
semaine,  en  principe  le  jeudi. 

Le  n°  5  (p.  193  à  240),  le  15  novembre,  contient  déjà 
l'exposé  de  l'opinion  de  Robespierre  sur  le  parti  à  prendre 
à  l'égard  de  Louis  XVI,  opinion  qu'il  devait  développer, 
le  3  décembre,  à  la  tribune  de  la  Convention  Natio- 
nale (56). 

Le  n°  6  (p.  241  à  288),  le  22  novembre;  sous  le  titre: 
«Des  papiers  publics  »,  Robespierre  proteste  contre  le 
rapport  du  Ministre  de  l'Intérieur  Roland,  du  29  octobre 
sur  la  situation  de  Paris  et  dans  lequel  celui-ci  rapportait 
des  bruits  tendancieux  circulant  sur  de  prétendus  dangers 
dont  serait  menacée  la  représentation  nationale,  manœu- 
vre qui  n'avait  pour  but  que  de  restreindre  la  liberté  de  la 
presse,  comme  le  demandait  le  projet  de  loi  de  Buzot  (57). 

Le  n°  7  (p.  289  à  336),  le  29  novembre,  est  entièrement 
rempli  par  la  première  réponse  de  Robespierre  à  Petion 
qui  s'était  jeté  dans  la  mêlée,  en  publiant,  vers  le  milieu  de 
novembre,  un  libellé  dans  lequel  il  se  déclarait  pour  les 
Girondins  contre  son  ancien  ami  auquel  le  liait  un  vieil  et 
sincère  attachement  qui  remontait  à  l'ouverture  des  Etats 
généraux  de  1789  (58). 

(54)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  p.  443,  473  à  485. 

(55)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  p.  380  à  386,  397,  410  à  430,  503  à  515.  Louvet 
réplique  à  Robespierre  dans  une  nouvelle  brochure  intitulée:  A  Maximilien 
Robespierre  et  à  ses  royalistes.  (Tourneux  :  Bibliographie,  etc.,  ibid.,  t.  IV, 
n°  2.500.  Brochure  réimprimée  par  Aulard  dans  le  tome  II  des  Mémoires 
de  Louvet,  ibid.,  23729). 

(56)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  p.  553. 

(57)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  p.  484  à  487,  538  à  540. 

G#)  Hamel,  ibid.,  t.  IL,  p.  298  à  301,  368,  387,  526  à  529. 


XXII  INTRODUCTION 

Le  n0  8  (p.  337  à  364)  (58  bis),  le  6  décembre  :  Robespier- 
re étudie,  avec  calme  et  modération,  le  projet  du  Comité  des 
finances  présenté  par  Cambon  de  supprimer  les  fonds 
affectés  au  culte,  projet  qui  avait  suscité  des  troubles  dans 
les  départements  de  l'Ouest  et  dont  les  représentants 
Lecointe-Puyraveau  et  Birotteau  s'étaient  fait  l'écho  à  la 
séance  du  30  novembre.  Il  publie  le  discours  qu'il  prononce 
à  la  Convention,  le  3  décembre,  sur  le  parti  à  prendre  à 
l'égard  de  Louis  XVI  (59). 

Le  n°  9  (p.  385  à  432),  (60),  le  13  décembre,  relate  le 
discours  de  Robespierre  du  23  novembre  sur  les  subsistan- 
ces; et  divers  incidents  de  la  séance  de  la  Convention  du 
7  décembre  lui  donnent  l'occasion  d'écrire  un  article  sur 
la  police  des  assemblées  délibérantes,  et  sur  la  dignité  qui 
devrait  régner  pendant  les  débats  (61). 

Le  n°  10  (p.  433  à  484),  paru  presque  en  même  temps 
que  le  précédent,  est  entièrement  rempli  par  la  deuxième 
lettre  à  Petion  qui,  ausitôt  la  publication  du  n°  7,  s'était 
empressé  de  faire  imprimer  un  nouveau  libelle  contre 
Robespierre  (62). 

Le  n°  11  (p.  485  à  532),  vers  le  20  décembre,  présente 
un  long  article  de  Robespierre  sur  la  proposition  qui  avait 
été  faite,  le  16,  à  la  Convention,  par  les  Girondins,  de 
bannir  de  la  République,  tous  les  membres  de  la  famille 
royale,  y  compris  le  duc  d'Orléans,  Philippe-Egalité,  élu 
député  par  les  électeurs  de  Paris.  Cet  article  n'est  que  le 
développement  du  discours  imprimé,  prononcé  par  lui  aux 
Jacobins,  le  16  décembre  (63). 

Le  n°  12  (p.  533  à  580),  vers  le  31  décembre,  termine  la 
première  série,  avec  l'année  1792;  il  relate  la  défense  de 
Louis  XVI  par  Desèze,  à  la  barre  de  l'Assemblée,  le  mer- 
credi 26  décembre,  défense  que  Robespierre  trouve  «  sim- 
ple et  faible  »  ;  il  publie  le  second  discours  de  Robespierre 
sur  le  jugement  de  l'ancien  roi  du  28  décembre  (64). 

(58  bis)  Avec  une  erreur  de  pagination:  337  à  360,  puis  341  à  364,  soit  20, 
erreur  rattrapée  au  numéro  suivant  qui  commence  à  385. 

(59)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  p.  516,  544  à  548,  561  à  564. 

(60)  Voir  la  note  58  bis  ci-dessus. 

(61)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  534,551.  57<>,  580. 

(62)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  439,  465,  531,  532. 

(63)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  573*577- 

(64)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  581  à  589. 


ROBESPIERRE   JOURNALISTE  XXIII 

Le  premier  numéro  de  la  deuxième  série  (1793)  (pages 
1  à  48),  contient  une  longue  lettre  à  Vergniaud,  Gensonné, 
Brissot  et  Guadet.  sur  la  question  de  la  souveraineté  du 
peuple  et  sur  leur  système  de  l'appel  au  peuple  du  jugement 
de  Louis  XVI.  Il  prend  date  vers  le  5  janvier  (65). 

Le  2e  (p.  49  à  96),  —  vers  le  10  janvier,  —  abandon- 
nant les  passionnantes  préoccupations  soulevées  par  le 
procès  du  roi,  étudie  avec  soin  le  plan  d'instruction  publi- 
que proposé  à  l'Assemblée  (66) 

Le  3e  (p.  97  à  194),  (67)  vers  le  25  janvier,  annonce  l'exé- 
cution du  roi  du  21  et  l'assassinat  de  Lepeletier  de  Saint- 
Fargeau;  il  publie  in-extenso,  l'oraison  funèbre  de  ce 
représentant  préparée  par  Robespierre  lui-même  qui  en 
donne  connaissance  aux  Jacobins  le  23  du  mois  (68). 

Le  4e  (p.  195  à  242),  vers  le  30  janvier,  relate  les  funé- 
railles de  Lepeletier  qui  eurent  lieu  le  24  de  ce  mois. 
Robespierre  examine  ensuite  les  périls  de  la  situation  exté- 
rieure avant  la  déclaration  de  guerre  à  l'Angleterre  que  la 
Convention  devait  proclamer  solennellement  le  lendemain 
Ier  février  (69). 

Le  5e  (p.  243  à  282)  (70),  le  5  février,  envisage  cette  si- 
tuation après  la  déclaration  de  guerre  et  étudie  le  plan 
d'organisation  du  Ministère  de  la  guerre  présenté  par 
Fabre  d'Eglantine  à  la  séance  du  28  janvier  1793  (71). 

Le  6e  (p.  283  à  330),  du  15  au  20  février,  parle  d'une 
pétition  relative  aux  subsistances  présentée  à  la  Conven- 
tion le  12  de  ce  mois;  et  publie  une  adresse  que  Robes- 
pierre rédige,  au  nom  de  la  représentation  de  Paris  aux 
électeurs  de  ce  département,  pour  prêcher  le  calme  à  la 
population  de  la  grande  ville,  adresse  signée  par  dix-neuf 
députés.  Dans  ce  même  numéro,  Robespierre  soutient  le 
plan  d'organisation  de  l'armée  présenté  par  Dubois- 
Crancé  le  25  janvier  1793  (72)- 

(65)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  592  à  579. 

(66)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  p.  518. 

(67)  Erreur  de  50  numéros  de  pages  en  trop  :  97  à  135,  puis  186  à  194. 

(68)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  606,  608,  611. 

(69)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  p.  601,  603,  609,  615. 

(70)  Erreur  de  8  numéros  de  pages  en  moins  :  243  à  282,  puis  :  275  à  282. 

(71)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  p.  617.  Monit.  du  30  janvier  1793,  réimp.,  page  306. 
(72)Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  620,  629.  Monit.  du  27  janvier  1793,  réimp.  p.  281. 


XXIV  INTRODUCTION 

Le  76  (p.  331  à  378),  ne  paraît  qu'à  la  fin  du  mois  de 
février,  après  les  journées  de  troubles  et  d'attroupements, 
dans  la  capitale,  des  25  et  26  de  ce  mois,  événements  qu'il 
relate  ainsi  que  les  répercussions  de  ces  mouvements  au 
sein  des  sociétés  populaires,  notamment  des  Jacobins  (70). 

Le  8e  (p.  379  à  426),  dans  les  premiers  jours  de  mars, 
publie  l'adresse  que  les  Jacobins  envoient  aux  sociétés  affi- 
liées sur  ces  désordres,  et  dont  ils  avaient  confié  la  rédac- 
tion à  Robespierre  qui  en  donne  connaissance  à  la  séance 
du  Ier  mars.  On  était  à  la  veille  du  soulèvement  de  la  Ven- 
dée. Ces  émeutes  de  Paris  du  25  février  sont  attribuées  aux 
émigrés  rentrés  au  mépris  des  lois  rendues  contre  eux; 
des  faits  sont  apportés,  le  même  jour  à  la  Convention,  par 
Saladin,  Goupilleau  et  par  Lehardi  (du  Morbihan),  concer- 
nant l'agitation  causée  en  Bretagne  par  des  prêtres  et  des 
nobles  revenus  de  l'étranger  et  débarqués  en  France. 
Robespierre  qui  prend  la  parole  à  l'occasion  de  ces  menées, 
développe  son  opinion  dans  le  journal  (74). 

Le  9e  (p.  427  à  474),  qu'on  peut  placer  fin  mars  (75), 
revient  sur  ces  troubles  qui  se  manifestent,  de  nouveau,  les 
9  et  10  mars,  à  l'annonce  des  revers  de  Dumouriez  en  Bel- 
gique. On  sent  la  nécessité,  pour  le  salut  de  la  France  et 
de  la  Révolution,  d'un  gouvernement  fort,  plus  actif,  et 
de  mesures  énergiques  ;  c'est  à  cette  époque  que  sont  déci- 
dées la  création  d'un  tribunal  révolutionnaire  pour  juger 
les  ennemis  de  la  nation,  et  la  constitution  d'un  Comité 
de  Salut  Public  pour  diriger  les  destinées  du  peuple  et  sau- 
ver la  patrie  menacée  par  l'étranger  et  les  émigrés.  Des 
décisions  graves  s'imposent:  au  cours  de  la  soirée  du  9 
mars,  les  presses  du  girondin  Gorsas,  rédacteur  du  Cour- 
rier des  quatre-vingt-trois  départements  et  de  la  Chroni- 
que de  Paris  avaient  été  brisées.  Ces  presses  auraient  été 
rachetées  par  Gorsas  à  la  sœur  de  l'abbé  Royou,  directeur 
de  Y  Ami  du  Roi  (76),  après  la  mort  de  ce  dernier  survenu 
le  21  juin  1792.  Billaud-Varenne,  qui  signale  ce  fait  à  la 
Convention,  reproche  durement  à  Gorsas  d'avoir  prostitué 

(73)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  623,  624. 

(74)  Hamel,  Ibid.,  t.  II,  p.  622,  623,  625. 

(75)  Ce  numéro  9  de  la  2e  série  porte  le  titre  «  Lettres  aux  Français  ». 

(76)  L'Ami  du  Roi,  de  Royou,  s'imprimait  chez  sa  sœur,  «  la  dame  Fréron, 
37,  rue  Saint-André-dcs-Arcs  >  (sic). 


ROBESPIERRE   JOURNALISTE  XXV 

ces  presses  comme  le  faisait  leur  précédent  propriétaire 
royaliste;  et,  en  présence  de  ces  reproches.  Delacroix 
(d'Eure-et-Loir)  et  Thuriot  font  décider  que  tous  les 
membres  de  la  Convention  devront  opter  entre  la  qualité 
de  journaliste  et  celle  de  représentant  du  peuple  ;  cette  pro- 
position est  adoptée,  quoique  infiniment  grave  et  évidem- 
ment attentatoire  à  la  liberté  de  la  pensée  {yy). 

Marat  échappe  à  cette  mesure  en  supprimant  de  sa 
feuille  le  titre  de  Journal,  ne  voulant  pas,  dit-il,  peut-être 
ironiquement,  donner  l'exemple  de  la  désobéissance  à  une 
loi  même  irréfléchie  (78). 

Quant  à  Robespierre,  il  préparait  alors  le  9e  numéro  qui 
semble  avoir  été  reculé  jusqu'à  la  fin  du  mois  de  mars, 
puisqu'allusion  est  faite  à  la  séance  du  27  mars  au  cours 
de  laquelle  Robespierre,  après  Danton,  dénonce  la  conduite 
du  général  Dumouriez,  dont  la  trahison  allait  s'affirmer, 
demande  l'expulsion  du  territoire  français  et  des  contrées 
occupées  par  les  armées  de  la  République,  de  tous  les  mem- 
bres de  la  famille  royale  (ceci  vise  Philippe-Egalité  et  ses 
enfants  dont  l'aîné,  le  futur  roi  Louis-Philippe,  sert  sous 
les  ordres  de  Dumouriez)  et,  enfin,  que  Marie- Antoinette 
soit  traduite  devant  le  tribunal  révolutionnaire,  comme 
prévenue  de  complicité  dans  \ts  attentats  commis  contre  la 
liberté  et  la  sûreté  de  la  nation  (79). 

Après  ce  numéro  ainsi  retardé,  Robespierre,  pour  se 
conformer  au  vœu  de  l'Assemblée,  se  contente  de  donner 
un  mois  plus  tard,  c'est-à-dire  vers  la  fin  d'avril,  le  dixiè- 
me et  dernier  numéro  des  Lettres  à  ses  Commettants.  Ce 
numéro  est  rempli  presqu'entièrement  par  le  grand  dis- 
cours qu'il  prononce,  le  10  avril,  contre  la  Gironde  dont  les 
intrigues  étaient  journellement  dénoncées  à  la  Convention 

(77)  Moniteur,  du  n  mars  1793.  —  Bûchez  et  Roux  :  Hist.  parlent.,  t.  XXIV 
pp.  422,  424  ;-  t.  XXV,  25.  —  Hamel,  ibid.,  t.  II,  p.  635. 

(78)  Depuis  son  élection  à  la  Convention,  Marat  modifie  le  titre  de  son 
journal,  Y  Ami  du  Peuple  qui  devient,  à  partir  du  25  septembre  1792,  le  Jour- 
nal de  la  République  française  (N°s  1  à  143).  Le  14  mars  1793,  après  le 
décret  de  la  Convention  nationale  ci-dessus  rappelé,  sa  feuille  est  intitulée  :  Le 
Publiciste  de  la  République  française,  jusqu'à  sa  mort  survenue  le  14  juillet 
1793  (N°B  144  à  242).  Sur  les  journaux  de  Marat,  voir  Tourneux  :  Biblio- 
graphie, etc.,  t.  II,  n°B  10.320,  10.825  à  10.829. 

(79)  Hamel,  tbid.,  t.  II,  p.  648  à  651. 


XXVI  INTRODUCTION 

par  des  adresses  apportées  à  la  barre  par  les  sections  de 
Paris  (80). 

Ce  dernier  numéro  (p.  475  à  526),  contient  aussi  le  dis- 
cours de  Robespierre  du  24  avriil  à  la  Convention  natio- 
nale sur  la  propriété,  suivi  du  projet  de  déclaration  des 
droits  de  l'homme  et  du  citoyen  en  36  articles  (81).  Cette 
déclaration  n'est  point  acceptée,  à  cette  époque,  par  la  ma- 
jorité de  l'Assemblée  encore  dominée  par  le  parti  girondin, 
et  qui  la  trouve  trop  avancée  (82).  Mais  Robespierre  n'en 
remporte  pas  moins  un  éclatant  triomphe  pour  ses  idées. 
Son  esprit  a  passé  tout  entier,  après  le  31  mai,  dans  la 
Déclaration  placée  en  tête  de  la  Constitution  de  1793, 
adoptée  le  24  juin. 

Donc,  les  journaux  ou  publications  périodiques  de 
Robespierre  ne  disparaissent  qu'à  la  fin  du  mois  d'avril 
1793,  lorsque  son  influence  désormais  incontestée,  s'exerce 
en  pleine  activité,  dans  l'élaboration  de  la  nouvelle  Cons- 

(80)  Hamel,  ibid.,  t.  II,  pp.  367  et  661.  Ce  discours  se  trouve,  avec  quelques 
variantes,  dans  le  Moniteur  des  12  et  13  avril  1793  et  dans  le  Journal  des 
débats  et  décrets,  n°  206.  Il  a  été  reproduit,  d'après  le  texte  donné  par  Robes- 
pierre, dans  l'Histoire  parlementaire,  t.  XXV,  p.  3Z7  ,et  par  Laponneraye, 
t.  III,  p.  303. 

(81)  Dans  la  version  insérée  par  Robespierre  lui-même  dans  le  dernier 
numéro  des  Lettres  à  ses  Commettants,  manque  un  article  qui  prend  le 
numéro  XV  dans  celle  donnée  par  le  Moniteur  du  5  mai  1793,  et  dans  celle 
imprimée  par  ordre  de  la  Convention,  article  qui  est  ainsi  conçu: 

«  Les  citoyens  dont  les  revenus  n'excèdent  point  ce  qui  est  nécessaire  à 
«  leur  subsistance,  sont  dispensés  de  contribuer  aux  dépenses  publiques;  les 
«  autres  doivent  les  supporter  progressivement,  selon  l'étendue  de  leur  for- 
«  tune  ». 

Robespierre  avait  changé  d'opinion  sur  ce  point;  partisan,  contre  les  Giron- 
din, du  principe  de  l'impôt  progressif,  il  comprit  qu'exempter  les  pauvres  de 
tout  impôt,  quelque  minime  qu'il  fût,  c'était  créer  une  distinction  contraire  à 
l'égalité  politique  (Hamel,  ibid.,  t.  II,  p.  684). 

Le  projet  de  déclaration,  tel  qu'il  est  dans  le  Moniteur,  contient  donc  37 
articles. 

(82)  Il  y  eut,  à  l'époque,  deux  éditions  successives  de  cette  Déclaration  des 
Droits  de  l'homme  et  du  citoyen  de  Robespierre  :  l'une  imprimée  par  ordre  de 
la  Convention  Nationale  (in-8°  de  8  pages,  de  l'Impr.  Nat.)  ;  l'autre,  par  ordre 
de  la  Société  des  Amis  de  la  Liberté  et  de  l'Egalité  (in-8°  de  8  pages,  égale- 
ment de  l'Impr.  Nat.).  Laponneraye  en  a  donné  une  édition  tirée  à  part,  avec 
commentaires.  (Paris,  imp.  de  Mie,  1832,  in-8°  de  8  pages). 

Une  autre  édition  de  l'Imprimerie  de  Setier  est  annoncée  dans  la  Biblio- 
graphie de  la  France,  année  1832,  et  il  y  est  dit  que  cette  dernière  est  le  22* 
tirage  depuis  le  mois  d'août  1830.  Une  réimpression  a  été  faite  en  1848  pour 
la  Société  des  Droits  de  l'Homme  (Paris,  imp.  de  Mde  Dondey-Dupré,  in- 
folio de  2  p.).  —  Hamel,  ibid.,  t.  II,  p.  687. 


ROBESPIERRE   JOURNALISTE  XXVII 

titution  que  la  nation  démocratique  allait  se  donner,  et 
dans  les  Conseils  du  gouvernement  dont  désormais  il  fera 
partie.  Le  26  juillet  1793,  en  effet,  juste  une  année,  pres- 
que jour  pour  jour,  avant  sa  chute,  il  devait  remplacer 
Gasparin  au  Comité  de  Salut  public,  ce  grand  Comité  qui 
allait  désormais  diriger  les  destinées  de  la  France  révolu- 
tionnaire, au  milieu  des  plus  graves  difficultés  et  des  plus 
extrêmes  périls,  jusqu'au  9  thermidor  an  IL 


L'édition  des  journaux  de  Robespierre  n'a  jamais  fait 
l'objet  d'une  publication  véritablement  complète. 

Laponneraye,  dans  ses  deux  éditions  de  1833- 1834  et 
de  1840  des  Œuvres  de  Robespierre  (83)  reproduit  ses 
principaux  articles.  Mais  il  en  néglige  un  certain  nombre, 
notamment  les  lettres  et  communications  des  correspon- 
dants du  journal.  Comme  il  s'agit,  pour  ainsi  dire,  de  la 
seule  tentative  sérieuse  faite  en  ce.  genre,  nous  allons  énu- 
mérer  les  articles  que  publie  Laponneraye: 

Du  Défenseur  de  la  Constitution 
(Ed.  de  1840) 

Tome  I  : 
P-  3I5  à  325 :  Exposition  de  mes  principes.  n°     i-art.  1 

325  à  339:  Observations  sur  les  moyens  de  faire 

utilement  la  guerre.  n°     1  -  art.  2 

278  à  298  :  Défense  de  Robespierre  prononcée  à 
la  Société  des  Amis  de  la  Consti- 
tution, en  réponse  aux  deux  dis- 
cours de  Brissot  et  de  Guadet.       n°     1  -  art.  3 

340  à  353  :  Sur  la  nécessité  et  la  nature  de  la 

discipline  militaire.  n°     2  -  art.  1 

353  à  378:  Considérations  sur  l'une  des  prin- 
cipales causes  de  nos  maux.  n°     3  -  art.  1 

(83)  Œuvres  de  Maximilien  Robespierre,  avec  une  notice  historique  et  des 
notes  par  le  citoyen  Laponneraye.  Paris,  chez  la  mère  de  Laponneraye,  16, 
rue  du  Faubourg-Saint-Denis  et  chez  Guillaume,  Rouanet,  Grimperelle,  2  vol. 
1832-1834,  in-8° 

Œuvres  de  Maximilien  Robespierre,  avec  une  notice  historique,  des  notes  et 
des  commentaires,  par  Laponneraye,  précédées  de  Considérations  générales, 
par  Armand  Carrel.  Paris,  chez  l'éditeur,  faubourg  Saint-Denis,  13,  1840,  3 
volumes  in-8°.  Bien  que  les  titres  portent  la  date  de  1840,  les  trois  volumes 
n'ont  été  annoncés  qu'en  1842,  dans  la  Bibliographie  de  la  France. 


XXVIII 

378  à 

390 

391  à 

400 

401  à 

408: 

408  à 

416 

416  à 

442 

INTRODUCTION 

Observations  sur  les  causes  morales 

de  notre  situation  actuelle.  n°     4  -  art.  1 

Des  fêtes  nationales  et  des  honneurs 

publics.  n°     4 -art.  2 

Sur  le  projet  de  rassembler  une  armée 
de  vingt  mille  hommes  à  Paris, 
proposé  à  l'Assemblée  Nationale 
par  le  Ministre  de  la  Guerre.  n°     5  -  art.  1 

Sur  le  respect  dû  aux  lois  et  aux 

autorités  constituées.  n°     5  -  art.  2 

Réponse  de  Robespierre  citoyen  fran- 
çais à  Monsieur  La  Fayette,  géné- 
ral d'armée.  n°  6  -  art.  1 
442  à  471  :  Deuxième  lettre  de  Robespierre  à  La 
Fayette  sur  les  lettres  écrites  par 
ce  dernier  à  l'Assemblée  Nationale 
et  au  Roi.  n°  7  -  art.  1 
47 1  à  480  :  Réflexion  sur  la  manière  dont  on  fait 

la  guerre.  n°     8  -  art.  1 

496  à  508:  Sur     la    tactique     du     général     La 

Fayette.  n°     8 -art.  2 

Tome  II  : 
10  à     21  :  Aux  amis  de  la  Constitution  sur  les 

circonstances  actuelles. 
21  à     26:  Aux  fédérés. 

26  à    28:  Sur  l'arrêté  du  Directoire  qui  sus- 
pend le  maire  et  le  procureur  de 
la  commune  de  Paris. 
29  à     37:  Sur  la  Fédération  de  1792. 
37  à     44:  Décret     sur     la     rébellion     de     La 

Fayette. 
45  à  65  :  Des  maux  et  des  ressources  de  l'Etat 
65  à  68  :  Sur  l'arrivée  des  Marseillais  à  Paris. 
69  à  79:  Sur  les  événements  du  10  août  1792. 
80  à  86  :  Détails  intéressants  sur  les  événe- 
ments du  10  août  et  des  jours 
suivants. 

Des  lettres  de  Maxhnilicn  Robespierre  à  ses  commettants 
ire  Série  (1792) 
Tome  II  : 
86  à  119:  7™  Lettre  suivie  du  Tableau  des  opérations   de  la 
Convention  nationale  depuis  le  premier  moment 
de  la  session  (21-25  sePt-  I792)- 
120  à  153:  2e  Lettre:  Séance  des  Jacobins  du  14  octobre  1792: 
réception  du  général  Dumouriez,  suivie  d'un  arti- 
cle sur  la  «  conduite  de  la  Convention  nationale 
envers  le  général  Dillon  et  sur  les  principes  que 


n° 

8- 

■art. 

3 

n° 

9- 

-art. 

1 

n" 

9 

-art. 

2 

n° 

10  ■ 

-art. 

2 

n° 

10  • 

•art. 

3 

n° 

11  ■ 

-art. 

1 

n° 

11  ■ 

-art. 

2 

n° 

12 

-art. 

1 

n° 

12- 

•art. 

2 

ROBESPIERRE   JOURNALISTE 


les  représentants  de  la  Nation  doivent  adopter 
dans  la  guerre  actuelle;  —  d'un  autre  sur  l'ins- 
titution d'une  nouvelle  garde  pour  la  Convention 
nationale  ;  et  la  suite  du  tableau  des  opérations  de 
la  Convention  nationale  (25-26  septembre). 

153  à  185:  j8  Lettre:  Art.  sur  l'influence  de  la  calomnie  sur 
la  Révolution;  suivie  de  la  suite  du  tableau  des 
opérations  de  la  Convention  nationale  (25  -  30 
sept.). 

185  à  219:  4e  Lettre:  Réponse  de  Maximilien  Robespierre  à 
l'accusation  de  Louvet  devant  la  Convention 
nationale  ;  suivie  de  la  suite  du  tableau  des  opé- 
rations de  la  Convention  nationale  du  30  sept. 

219  à  252:  5e  Lettre:  Sur  le  parti  à  prendre  à  l'égard  de 
Louis  XVI,  suivi  de  la  suite  du  tableau  des  opé- 
rations de  la  Convention  nationale  du  30  sept.- 
17  octobre. 

252  à  288:  (5e  Lettre:  Des  papiers  publics;  et  opérations  de  la 
Convention  du  18  au  30  octobre. 

289  à  323  :  7e  Lettre  :  Réponse  de  Maximilien  Robespierre  à 
Jérôme  Petion. 

324  à  334:  8e  Lettre:  Observations  sur  le  projet  annoncé  au 
nom  du  Comité  des  finances  de  supprimer  les 
fonds  affectés  au  culte,  adressées  à  la  Convention 
nationale. 

Tome  III: 
p.       5  a     26  :  Suite  de  la  8e  Lettre  :  Discours  prononcé  à  la  séance 
de  la  Convention  du  3  décembre  1792  sur  le  parti 
à  prendre  à  l'égard  de  Louis  XVI,  suivi  de  la 
suite  des  opérations  de  la  Convention  nationale 
du  Ier  au  6  novembre. 
27  à    49  :  9e  Lettre  :  Sur  la  police  des  Assemblées  délibérantes. 
Opinion  sur  les  subsistances,  suivi  de  la  suite  des 
opérations  de  la  Convention  du  6  au  30  novembre. 
58  à     93  :  /0e  Lettre  :  Seconde  lettre  de  Maximilien  Robespierre 
en  réponse  au  second  discours  de  Jérôme  Petion. 
93  à  126:  11e  Lettre:  Opinion  de  Robespierre  sur  la  proposi- 
tion faite  de  bannir  tous  les  Capets  ;  suivie  de  la 
"suite  des  opérations  de  la  Convention  jusqu'au 
13  décembre. 

126  à  158:  12e  Lettre:  Défense  de  Louis  XVI  par  Desèze  (26 
déc).  Le  second  discours  de  Robespierre  sur  le 
jugement  de  Louis  XVI  (28  déc). 

2e  Série  (1793) 
Tome  III  : 
p.  158  à  189:  in   Lettre:    Lettre    de    Maximilien    Robespierre    à 
MM.   Vergniaud,  Gensonné,   Brissot  et  Guadet 


XXX  INTRODUCTION 

sur  la  souveraineté  du  peuple  et  sur  leur  système 
de  l'appel  du  jugement  de  Louis  Capet;  suivie 
des  opérations  de  la  Convention  (fin  déc.  1792  et 
Ier  janvier  1793). 

189  à  196  :  2*  Lettre  :  Observations  générales  sur  le  projet  d'ins- 
truction publique  proposé  à  la  Convention  natio- 
nale. 

197  à  205:  3e  Lettre:  Exécution  du  roi  et  assassinat  de  Lepe- 
letier  de  Saint-Fargeau  ;  suite  du  tableau  des  opé- 
rations de  la  Convention  nationale  jusqu'au  4 
janvier. 

205  à  242  :  4e  Lettre  :  Examen  de  la  situation.  Tableau  des  opé- 
rations de  la  Convention,  jugement  de  Louis 
Capet  jusqu'au  21  janvier. 

Tome  II  : 
P-  335  à  351  :  5e  Lettre:  Suite  de  l'examen  de  la  situation,  suivi 
de   l'indication   du   projet   de    réorganisation   du 
Ministère  de  la  guerre. 

Tome  III  : 
p.  243  à  269  :  6e  Lettre  :  Observations  sur  une  pétition  relative  aux 
subsistances,  présentée  à  la  Convention  nationale 
le  12  février  de  l'an  II  de  la  République  ;  suivies 
d'une  adresse  des  députés  du  département  de 
Paris  à  leurs  commettants  ;  —  et  des  observations 
sur  le  plan  d'organisation  de  l'armée  proposé  par 
Dubois-Crancé  au  nom  du  Comité  militaire. 

269  à  275  :  7e  Lettre  :  Sur  la  situation  des  affaires  publiques. 

276  à  280  :  8e  Lettre  :  Observations  sur  la  loi  des  émigrés. 

280  à  302  :  çe  Lettre  :  Sur  les  troubles  de  Paris.  Opinion  de 
Robespierre  sur  les  mesures  à  prendre  envers  la 
famille  de  Louis  Capet.  Des  causes  de  nos  revers. 
De  la  discipline. 

3<>3  à  332  :  70e  Lettre  :  Discours  de  Maximilien  Robespierre  sur 
et  la  conspiration  tramée  contre  la  liberté. 

351  à  360:  10e  Lettre:  Discours  de  Robespierre  sur  la  propriété, 
suivi  du  projet  complet  de  déclaration  des  droits 
de  l'homme  et  du  citoyen. 

Bûchez  et  Roux,  dans  l'Histoire  parlementaire  (84), 
reproduisent,  avec  assez  de  fidélité,  et  la  plupart  du  temps 
in-extenso,  quelques-uns  des  articles  du  Défenseur  de  la 
Constitution  et  des  Lettres  de  Robespierre  à  ses  commet- 
tants. 

(84)  P.-J.-B.  Bûchez  et  P.-C.  Roux:  Histoire  parlementaire  de  la  Révo- 
lution française,  ou  Journal  des  Assemblées  nationales  depuis  1789  jusqu'en 
1815.  Paulin,  1834-1838,  40  vol.  in-120. 


ROBESPIERRE  JOURNALISTE  XXXI 

C'est  ainsi  que  pour  le  Défenseur  de  la  Constitution: 

Tome  XIII  : 
p.  443     :  Le    résumé    de    l'article    aux    Amis    de    la 
Constitution    sur    les    circonstances    ac- 
tuelles. n°     8 
Tome  XIV  : 
p.  135  à  162  :  La    réponse    de    Robespierre    à    Brissot    et 

Guadet.  n°   1 

192  à  194:  Le  Prospectus. 

263  à  277  :  Des  fêtes  nationales  et  la  pétition  des  habi- 
tants des  environs  d'Etampes.  n°     4 
341  à  343  :  Coup  d'œil  sur  la  séance  permanente  de  l'As- 
semblée nationale  du  28  mai.                         n°     3 
352  à  362  :  Sur  les  moyens  de  faire  utilement  la  guerre.     n°     1 
387  à  397  :  Sur  la  nécessité  et  la  nature  de  la  discipline 

militaire.  n°     2 

397  à,  416  :  Sur    l'une    des    principales   causes    de    nos 

maux. 
431  à  440:  Sur  les  causes  morales  de  notre   situation 

actuelle. 
Tome  XV  : 
p.     78  à     98:  Première     lettre     de     Robespierre     à     La 
Fayette. 
447  à  452:  Aux  Fédérés. 
Tome  XVI  : 
p.     14  à     18:  Pétition  des  fédérés  à  l'assemblée  nationale. 
32  à    41  :  Sur  la  tactique  du  général  La  Fayette. 
83  à    88:  Ajournement  de  l'affaire  La  Fayette. 
128  à  130:  Les  citoyens  réunis  à  Paris  en  "juillet  1792. 
aux  habitants  des  quatre-vingt-trois  dé- 
partements. n°   10 
220  à  235  :  Discours  aux  Jacobins  du  29  juillet  :   Des 

maux  et  des  ressources  de  l'Etat.  n°  11 

Tome  XVII  : 
p.  318  à  331  :  Sur  les  événements  du    10  août   1792.  n°   12 

Pour  les  Lettres   de   Robespierre  à  ses   Commettants 

i**  Série 
Tome  XIX  : 
p.  167  à  175:  iTe  Lettre:  Opinion  sur  le  présent  et  l'avenir. 
255  à  264:  2°  Lettre:    Sur    l'institution    d'une    nouvelle    garde 

pour   la   Convention    nationale. 
306  à  314:  2*  Lettre:  Séance  des  Jacobins  du  14  octobre  1792: 
réception  du  général  Dumouriez  (récit  combiné 
avec  celui  du  Journal  de  la  Société). 


tl° 

3 

11° 

4 

11° 

6 

n° 

9 

n° 

10 

ii° 

8 

ii° 

TO 

XXXII  INTRODUCTION 

Tome  XX  : 
p.      9  à    27:  5e  Lettre:  Discours  du  29  octobre  sur  la  calomnie. 
198  à  219:  4e  Lettre:  Réponse  à  Louvet  (séance  de  la  Conven- 
tion du  5  novembre). 
449  à  457:  8e  Lettre:  Observations  sur  le  projet  de  suppression 

des  fonds  affectés  aux  cultes. 
Tome  XXI  : 
p.     38  à    42:  <5e  Lettre:  Des  papiers  publics. 

162  à  171  :  8e  Lettre:  Opinion  de  Robespierre  dans  le  procès  de 

Louis  XVI  (séance  du  3  décembre). 
Tome  XXII  : 
p.  103  à  123  :  i(f  Lettre:  Deuxième  discours  de  Robespierre  du 
28  décembre  dans  le  procès  de  Louis  XVI. 
175  à  184:9*  Lettre:  Opinions  sur  les  subsistances:  séance  du 
2  décembre  1792. 
2e  Série 
Tome  XXIII: 
p.  306  à  tio:  5e  Lettre:  Récit  de  l'exécution  du  roi. 

Tome  XXV  : 
P-  337  à  369:  10e  Lettre:  Discours  contre  la  Gironde  (séance  du 
10  avril  1793). 
Tome  XXVI  : 
p.  130  à  133:   to*  Lettre:  Discours  sur  la  propriété  (séance  du  24 
avril  1793). 

—  Léonard  Gallois  (85)  donne  des  extraits  des  princi- 
paux articles  surtout  du  Défenseur  de  la  Constitution, 
accompagnés  de  quelques  commentaires  ;  il  résume  en  trois 
ou  quatre  pages  les  lettres  de  Robespierre  à  ses  Commet- 
tants. 

—  Eugène  Hatin,  dans  son  Histoire  de  la  Presse,  en  8 
volumes  (86)  consacre,  au  tome  VI  (p.  279  à  295),  un  cha- 
pitre à  Robespierre  et  le  Défenseur  de  la  Constitution. 

Dans  ce  chapitre  contenant  quelques  appréciations  géné- 
rales sur  l'œuvre  de  Robespierre  journaliste,  Hatin  publie  : 
le  prospectus  (p.  281);  et  quelques  passages  du  premier 
article  du  premier  numéro  (Exposition  des  principes)  et  de 
la  première  Lettre  à  ses  Commettants,  dans  lesquels  il 
recherche  surtout  la  nature  et  la  portée  du  sentiment  répu- 

(85)  Histoire  des  journaux  et  des  journalistes,  op.  cit.,  t.  II,  p.  113  à  144. 

(86)  Eugène  Hatin:  Histoire  politique  et  littéraire  de  la  Presse  en  France, 
avec  une  introduction  historique  sur  les  origines  du  journal  et  la  bibliographie 
générale  des  journaux  depuis  leur  origine.  (Paris,  Poulet-Malassis  et  de  Broise. 
1860,  8  vol.  in-i2°). 


ROBESPIERRE   JOURNALISTE  XXXIII 

blicain  dans  Robespierre,  avant  la  chute  de  la  royauté;  il 
explique  comment  Robespierre  concevait  l'application  de 
ce  régime.  Il  donne  encore  des  extraits  du  n°  7  du  Défen- 
seur de  la  Constitution:  deuxième  réponse  à  La  Fayette; 

—  du  numéro  8;  sur  la  tactique  du  général  La  Fayette; 

—  du  numéro  9  :  aux  Fédérés  ;  —  du  numéro  1 1  : 
sur  l'arrivée  des  Marseillais.  Il  fait  ressortir  surtout  que  le 
récit  de  la  journée  du  10  août  par  Robespierre  «  contient 
des  détails  et  des  appréciations  du  plus  haut  intérêt  ». 

Il  reproduit  enfin  quelques  passages  de  la  première  et 
de  la  sixième  lettres  (Papiers  publics)  de  la  première 
série  des  Lettres  de  Robespierre  à  ses  commettants;  il 
analyse  la  deuxième;  et  termine  son  étude  par  la  publica- 
tion d'une  lettre  de  Grandville,  rédacteur  en  chef  de  la 
rubrique  «  Convention  Nationale  »  du  Moniteur,  à  Robes- 
pierre du  18  juin,  pour  prendre  la  défense  de  son  journal,  la 
suppression  de  plusieurs  feuilles  publiques  ayant  été  envisa- 
gée. Cette  lettre  a  été  publiée  par  Courtois  (Rapport  :  pièce 
justificative  n°  XVII,  pages  113  à  115)  et  est  analysée 
par  G.  Michon,  dans  le  volume  de  notre  série  :  Correspon- 
dance  de   Maximilien   et   d'Augustin   Robespierre,    page 

171  (87). 

—  En  1849,  Arthur  Guillot,  statuaire,  publiciste,  col- 
laborateur de  Y  Artiste  et  de  la  Revue  indépendante ,  annon- 
çait trois  volumes  d'une  «  Collection  complète  des  opinions 
de  Robespierre,  des  discours  prononcés  par  lui  à  l'Assem- 
blée constituante,  à  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution, 
à  la  Convention  Nationale,  et  des  principaux  articles  de 
son  journal  le  Défenseur  de  la  Constitution,  le  tout  devant 
former  l'ensemble  de  la  doctrine  politique  et  socialiste  ». 
Mais  il  ne  parut  de  cet  ouvrage  qu'un  prospectus  de  32  pa- 
ges in-8°  (88). 

(87)  Arch.  Not.,  F.  7/4-435- 

(88)  Bibliographie  de  la  France,  1849,  n°  1967.  Le  prospectus  annonçait 
aussi  que  cette  édition  contiendrait,  «  outre  les  textes  déjà  connus,  plus  de 
cent  articles  du  journal  de  Robespierre,  motions  ou  discours  qui  avaient  échap- 
pés à  Laponneraye  ».  Arthur  Guillot  avait  publié  antérieurement  dans  la 
Revue  indépendante  de  1846,  t.  XX,  pp.  521-573  et  t.  XXI,  pp.  191  à  232. 
deux  articles  intitulés  :  Maximilien  Robespierre  et  M.  Thiers.  —  Tourneux  : 
Bibliographie,  etc.,  t.  IV;  n*  25.054. 


XXXIV  INTRODUCTION 

—  Dans  son  édition  très  restreinte  des  Œuvres  de 
Robespierre,  A.  Vermorel  (89)  ne  donne: 

p.  341  à  344,  que  quelques  passages  de  la  Lettre  au  général  La 
Fayette,  parue  dans  le  n°  8  du  Défenseur  de  la 
Constitution. 

p.  253  à  262,  un  «  extrait  du  n°  8  de  la  iN  série  des  Lettres  à 
ses  commettants:  observations  adressées  à  la 
Convention  Nationale  sur  le  Projet  annoncé  au 
nom  du  Conseil  des  Finances  de  supprimer  les 
fonds  affectés  aux  cultes  ». 

p.  262  à  268,  un  autre  extrait  de  la  deuxième  Lettre  à  ses  com- 
mettants de  la  2e  série  :  «  Observations  générales 
sur  le  projet  d'instruction  publique  proposé  à  la 
Convention  nationale   ». 

Il  publie  aussi  (p.  268  à  276),  à  la  suite  du  discours  de 
Robespierre  du  24  avril  17Q3,  sur  la  propriété,  le  projet  de 
déclaration  des  droits  de  l'homme  et  du  citoyen  qui  figure 
dans  le  dernier  numéro  de  la  deuxième  série  des  Lettres 
à  ses  commettants. 

—  Ernest  Hamel,  dans  le  deuxième  volume  de  son  His- 
toire de  Robespierre  (90)  (livres  VII  à  X),  cite,  commente, 
reproduit  de  nombreux  passages  des  deux  journaux  dont 
il  se  sert  et  dont  il  reprend  même  les  arguments  dans  le 
texte  de  son  récit.  En  énumérant.  ci-dessus,  les  fascicules 
des  deux  publications  de  Robespierre  (p.  XV  à  XXVI), 
nous  avons  indiqué,  en  notes,  les  pa^es  de  l'ouvrage  d'Er- 
nest Hamel  où  ces  emprunts  sont  utilisés. 

—  Enfin,  dans  son  récent  ouvraee  sur  Robespierre  et 
la  guerre  révolutionnaire  (91  ),  M.  Georges  Michon  con- 
sacre un  chapitre  au  Défenseur  de  la  Constitution  (ch.  IX, 
pages  us  à  126),  et  analyse  les  articles  de  ce  journal  con- 
sacrés à  la  guerre. 

(89)  Œuvres  de  Robespierre,  recueillies  et  annotées  par  A.  Vermorel,  2* 
édition.  Paris,  Achille  Faure,  1867,  in-120  de  vn-316  pages. 

(90)  Histoire  de  Robespierre,  d'après  des  papiers  de  famille,  les  sources 
originales  et  des  documents  entièrement  inédits;  3  volumes:  I.  La  Consti- 
tuante. -  II.  Les  Girondins.  -  III  La  Montagne.  Paris:  le  i«r  vol.:  Librairie 
internationale,  A.  Lacroix,  Verboeckhoven  et  C,a;  les  2*  et  3*  chez  l'auteur, 
31,  avenue  TrUdaine,  1865-1867,  in-8°. 

(91)  Georges  Michon:  Robespierre  et  la  guerre  révolutionnaire,  1791-1792 
(Paris,  Marcel  Rivière  et  Cu,  1937,  in-8°). 


ROBESPIERRE   JOURNALISTE  XXXV 


Encore  une  réflexion  d'ordre  tout  matériel,  sur  la  pré- 
sentation des  textes. 

Nous  avons  reproduit  ces  textes  avec  leur  orthographe, 
sans  y  changer  autre  chose  que  la  ponctuation.  Quand  les 
noms  propres  sont  déformés  au  point  d'être  méconnaissa- 
bles ,une  note  avertit  le  lecteur. 

L'orthographe  de  ce  temps  là  était  infiniment  moins 
arrêté  que  celle  de  notre  époque  nivelée  par  l'enseignement 
primaire.  Robespierre  écrit  encore  :  j'étois,  forme  ancienne 
au  lieu  de  j'étais,  forme  nouvelle  patronnée  par  Voltaire, 
tems  au  lieu  de  temps,  puissans  pour  puissants,  bled  pour 
blé,  etc. 

Les  noms  propres  eux-mêmes  n'avaient  rien  de  rigide: 
Gaudet  pour  Guadet  (n°-  i,  3e  art.);  Schomfeld  pour 
Schoenfeld  (n°  2,  Ier  art.);  Maran  pour  Marant,  Lacroix 
pour  Delacroix,  Bazire  au  lieu  Basire  (n°  2,  2e  art.);  Ver- 
gniaux  pour  Vergniaud,  Gensonnet  pour  Gensonné  (n°  3, 
Ier  art.);  Dietricth  pour  Dietrich,  Lavaux  pour  Laveaux, 
Duhen  pour  Duhèm  (n°  3,  Ier  art.);  Foudière  pour  Fron- 
dière  (n°3,  2e  art.);  Servant  pour  Servan,  Dumourier  pour 
Dumonriez  (n°  5,  3e  art.);  Vimpfen  pour  Wimpfen  (n°  5, 
Ier  art.);  Penne  pour  Paine,  Bailli  pour  Bailly  (n°  6,  1er 
art.);  quand  il  parle  du  président  des  Etats-Unis  d'Amé- 
rique, Washington,  Robespierre  écrit,  tantôt  Wasington, 
tantôt  Wasingthon,  tantôt  Wasigthon  (n°  7,  Ier  art.),  etc. 

On  lit  souvent  aussi  :  le  château  des  Thuileries  pour  des 
Tuileries;  et  les  noms  de  villes  :  Longvy,  Sar-Louis  (n°  3, 
3e  art.),  etc.  ;  j'en  passe  de  plus  fantaisistes  encore. 


Cette  publication  des  journaux  de  Robespierre  que  nous 
avons  entreprise,  constitue  un  ensemble  complet  de  ses  œu- 
vres, en  tant  que  journaliste,  ensemble  qui  n'a  jamais  été 
réalisé.  Ses  opinions,  ses  articles  sont  connus  et  très  sou- 
vent cités. 

Sa  théorie  de  la  propriété  qui  laisse  entrevoir  les  pro- 
blèmes de  l'heure  présente,  sa  conception  de  la  discipline 
«  faisant  la  force  des  armées  »,  devenue  de  nos  jours  un 


XXXV 1  INTRODUCTION 

axiome  familier  de  la  première  éducation  des  jeunes  sol- 
dats, ses  prophétiques  appréhensions  sur  les  dangers  que 
fait  courir  à  une  démocratie  l'ambition  des  généraux,  des 
aventuriers  dictateurs,  prophéties  qui  devaient,  hélas  se 
réaliser,  maintes  fois,  au  cours  du  siècle  qui  a  suivi  la  Ré- 
volution, et  qui,  à  l'époque  que  nous  vivons,  sont  encore 
d'actualité,  —  la  soif  du  pouvoir  qui  dévore,  aveugle  et  cor- 
rompt les  politiciens  prêts  à  tous  les  compromis,  à  toutes  les 
trahisons,  à  toutes  les  calomnies  pour  satisfaire  leur  appé- 
tit et  abattre  ceux  qui  contrarient  leurs  basses  intrigues, 
—  les  sourdes  menées  des  classes  privilégiées  (alors  la 
noblesse  et  déjà  la  puissante  bourgeoisie)  afin  d'empêcher 
la  réalisation  des  réformes  populaires  dont  elles  n'ont  pu 
empêcher  le  vote,  mais  qu'elles  cherchent  à  dénaturer,  dont 
elles  prétendent  retarder  l'application,  et  qui  n'hésitent  pas 
à  recourir  même  au  crime  de  désertion,  d'appel  à  l'invasion 
étrangère,  de  lèse-patrie,  pour  maintenir  leur  domination, 
pour  sauver  leur  fortune,  leurs  titres,  leur  puissance,  — 
tout  cela  est  peint  en  un  tableau  aux  couleurs  vigoureuses, 
saisissantes  ;  tout  cela  défile  en  un  cortège  impressionnant 
d'arguments  forts,  convaincants,  irréfutables,  —  tout  cela 
constitue  un  ensemble  de  faits,  de  preuves  coordonnés  de 
telle  sorte  qu'on  ne  peut  s'empêcher  de  faire  des  comparai- 
sons et  d'appliquer  son  raisonnement  à  des  situations  et 
à  des  hommes  que  nous  retrouvons  sans  cesse  et  qui  exis- 
tent encore  à  l'heure  actuelle. 

Même  avec  le  recueil  de  Laponneraye,  devenu  d'ailleurs 
fort  rare,  l'ensemble  de  l'œuvre  journalistique  de  Robes- 
pierre, n'existait  donc  pas  ;  nous  avons  tenu  à  grouper  dans 
cette  préface,  l'indication  des  articles  figurant  çà  et  là,  dans 
les  diverses  publications  antérieures. 

Les  exemplaires  complets  du  journal  sont,  eux-mêmes, 
pour  ainsi  dire,  introuvables  de  nos  jours. 

Mais  malgré  sa  rareté,  la  collection  n'avait  guère  de 
valeur,  autrefois,  en  librairie:  en  1837,  à  la  vente  du 
comte  de  La  Bedoyère,  dit  Hatin,  le  recueil  des  journaux 
de  Robespierre  a  été  adjugé  50  fr.  50;  et  en  1850,  à  celle 
de  Rousselin  de  Saint- Albin  (1773- 1847),  le  fondateur  du 
Constitutionnel,  il  n'a  été  coté  que  19  fr.  50  (92). 

(92)  Hatin:  Bibliographie  de  la  Presse  périodique,  p.  237. 


ROBESPIERRE   JOURNALISTE  XXXVII 

Pour  notre  part,  nous  ne  l'avons  guère  vu  passer  en 
vente  depuis  quelques  années.  Cependant,  en  1902,  le 
libraire  Victor  Lemasle,  quai  Malaquais  (catalogue  n°  50), 
a  vendu  les  12  numéros  du  Défenseur  de  la  Constitution, 
séparés,  brochés,  non  rognés:  40  francs. 

Après  la  guerre,  la  collection  devait  acquérir  une  plus 
grande  valeur:  en  1934,  M.  Bernstein,  libraire,  25,  rue 
Servandoni,  annonçait  dans  son  catalogue  n°  5,  un  volu- 
me relié  des  Lettres  de  Robespierre  à  ses  Commettants, 
pour  le  prix  de  800  francs;  en  1935,  le  catalogue  n°  7  don- 
nait les  deux  volumes  reliés  des  dites  Lettres,  ne  contenant 
que  21  numéros  (il  manquait  le  n°  9  de  la  deuxième  série), 
pour  1.500  francs.  Enfin,  la  même  année,  le  catalogue  n°  8, 
du  mois  de  mars  indiquait  que  ce  libraire  avait  pu  se  pro- 
curer un  exemplaire  tout  à  fait  complet  des  1 2  numéros  du 
Défenseur  de  la  Constitution,  et  des  22  numéros  des  Let- 
tres de  Robespierre  à  ses  Commettants,  le  tout  «  en  3  vol. 
in-8°,  très  bel  exemplaire,  en  une  reliure  légèrement  pos- 
térieure à  la  Révolution,  reliure  demi-marocain  rouge  à 
grain  long  »  ;  il  fixait  la  valeur  de  cet  «  ensemble  absolu- 
ment rarissime  »  à  la  somme  de  4.500  francs. 

La  Bibliothèque  nationale  possède  de  ces  journaux  de 
Robespierre,  un  exemplaire  relié  en  3  volumes  :  Le2  687  et 
688  (93). 

Il  existe  sûrement  d'autres  collections  ;  mais  nous  ne  les 
connaissons  pas. 

On  juge,  par  les  prix  rapportés  ci-dessus,  de  l'intérêt 
que  présente,  de  nos  jours,  l'ensemble  des  journaux  de 
Robespierre,  ensemble  qui  devient,  pour  ainsi  dire,  introu- 
vable. 


Ce  volume,  le  quatrième  de  la  série  des  Œuvres  complè- 
tes  de   Maximilien   Robespierre,   dont   notre    société   a, 

(93)  Nous  avons  retrouvé,  chez  un  antiquaire  de  Reims,  un  paquet  d'une 
cinquantaine  de  numéro:  i,  2  et  8  du  Défenseur  de  la  Constitution  (25  n°  I, 
12  n°  2  et  10  n°  8)  ;  et  les  numéros  7  de  la  première  série  et  4  de  la  deuxième 
série  des  Lettres  de  Robespierre  à  ses  Commettants.  —  Ces  numéros  provien- 
nent de  <  doubles  échangés  »  par  la  Bibliothèque  Nationale,  sous  l'Empire 
(échange  n°  1705). 


XXXVIII  INTRODUCTION 

depuis  191 1,  entrepris  la  publication,  a  donc,  dans  les  cir- 
constances présentes,  sa  réelle  utilité,  utilité  bibliographi- 
que, documentaire,  et  aussi  utilité,  en  tant  qu'instrument 
de  recherches,  de  travaux  et  d'enseignements  pour  l'édu- 
cation du  peuple  et  pour  l'avenir  de  la  Démocratie. 

Gustave  Laurent. 


LE  DÉFENSEUR  DE  LA  CONSTITUTION 

PAR 

Maximilien  Robespierre 
Député  à  l'Assemblée  constituante 

Ouvrage  périodique  proposé  par  souscription  (i) 


PROSPECTUS 


La  raison  et  l'intérêt  public  a  voient  commencé  la  révo- 
lution: l'intrigue  et  l'ambition  l'ont  arrêtée;  les  vices  des 
tyrans  et  les  vices  des  esclaves  l'ont  changée  en  un  état 
douloureux  de  trouble  et  de  crise. 

La  majorité  de  la  nation  veut  se  reposer,  sous  les  auspi- 
ces de  la  Constitution  nouvelle,  dans  le  sein  de  la  liberté  et 

(i)  Bûchez  et  Roux:  Histoire  parlementaire  de  la  Révolution  Française, 
t.  XIV,  p.  192  à  194,  et  E.  Hatin  (t.  VI,  p.  281  à  283),  donnent  le  texte 
complet  de  ce  prospectus  que  Laponneraye  a  omis  dans  sa  publication. 

En  avril  1792,  L.  Prudhomme,  dans  les  Révolutions  de  Paris,  n°  CXLVII, 
commente,  en  un  long  article,  le  prospectus  du  Défenseur  de  la  Constitution 
(v.  préface  page  XII).  Son  article  commence  ainsi  : 

«  A.  Maximilien  Robespierre.  —  «  Robespierre,  un  homme  que  vous  aimez, 
et  que  vous  ne  désavouerez  pas  sans  doute,  a  dit:  «  Le  patriotisme...  sans 
«  concert...,  s'agite  péniblement  et  sans  fruit  ou  seconde  quelquefois,  par  une 
«  impétuosité  aveugle  les  funestes  projets  des  ennemis  de  notre  liberté.  » 
Prospectus  du  (nouveau)  défenseur  de  la  Constitution,  p.  2  et  3. 

«  Robespierre,  rappelez-vous  que  ce  même  homme,  au  sortir  de  la  dernière 
séance  de  l'assemblée  constituante,  fut  porté  plutôt  que  reconduit  en  sa  maison 
par  le  peuple. 

«  Rappelez-vous  qu'au  bas  des  images  de  ce  même  homme,  le  peuple  écrivit 
en  caractères  informes,  mais  qui  n'étaient  pas  mendiés  :  L'incorruptible! 

«  Rappelez-vous  que  d'une  seule  voix  ce  même  homme  fut  appelé  au  minis- 
tère le  plus  redoutable  de  la  justice. 

<  Et  dites-nous  comment  il  se  fait  que  ce  même  homme,  sur  lequel  il  n'y 
avait  qu'un  sentiment,  soit  devenu  un  problème  même  aux  yeux  d'un  assez 
grand  nombre  de  patriotes...  ».  —  E.  Hamel  (t.  II,  p.  249  à  253),  analyse  ce 
prospectus  dont  il  fait  ressortir  l'esprit  et  la  portée. 


2  LE   DEFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

de  la  paix;  quelles  causes  l'ont  privée  jusques  ici  de  ce  dou- 
ble avantage?  l'ignorance  et  la  division.  La  majorité  veut 
le  bien  ;  mais  elle  ne  connoît  ni  les  moyens  de  parvenir  à  ce 
but,  ni  les  obstacles  qui  l'en  éloignent;  les  hommes  bien 
intentionnés  mêmes  se  partagent  sur  les  questions  qui  tien- 
nent le  plus  étroitement  aux  bases  de  la  félicité  générale. 
Tous  les  ennemis  de  la  Constitution  empruntent  le  nom  et 
le  langage  du  patriotisme  pour  semer  l'erreur,  la  discorde 
et  les  faux  principes  ;  des  écrivains  prostituent  leur  plume 
vénale  à  cette  odieuse  entreprise.  Ainsi  l'opinion  publique 
s'énerve  et  se  désorganise  ;  la  volonté  générale  devient  im- 
puissante et  nulle,  et  le  patriotisme,  sans  système,  sans  con- 
cert et  sans  objet  déterminé,  s'agite  péniblement  et  sans 
fruit,  ou  seconde  quelquefois,  par  une  impétuosité  aveugle, 
les  funestes  projets  des  ennemis  de  notre  liberté. 

Dans  cette  situation,  un  seul  moyen  nous  reste  de  sauver 
la  chose  publique,  c'est  d'éclairer  le  zèle  des  bons  citoyens 
pour  le  diriger  vers  un  but  commun.  Les  rallier  tous  aux 
principes  de  la  Constitution  et  de  l'intérêt  général,  mettre 
au  grand  jour  les  véritables  causes  de  nos  maux  et  en  indi- 
quer les  remèdes,  développer  aux  yeux  de  la  nation  les  mo- 
tifs, l'ensemble,  les  conséquences  des  opérations  politiques 
qui  influent  sur  le  sort  de  l'Etat  et  de  la  liberté;  analyser 
la  conduite  publique  des  personnages  qui  jouent  les  princi- 
paux rôles  sur  le  théâtre  de  la  révolution  ;  citer  au  tribunal 
de  l'opinion  et  de  la  vérité  ceux  qui  échappent  facilement 
au  tribunal  des  lois,  et  qui  peuvent  décider  de  la  destinée 
de  la  France  et  de  l'univers  :  voilà  sans  doute  le  plus  grand 
service  qu'un  Citoyen  puisse  rendre  à  la  cause  publique. 

Un  ouvrage  périodique  qui  rempliroit  cet  objet  m'a  paru 
l'occupation  la  plus  digne  des  amis  de  la  Patrie  et  de  l'hu- 
manité: j'ai  osé  l'entreprendre.  L'esprit  qui  le  dirige  est 
annoncé  par  son  titre  :  Le  Défenseur  de  la  Constitution. 

Placé  dans  l'origine  de  notre  révolution,  au  centre  des 
événemens  politiques,  j'ai  vu  de  près  la  marche  tortueuse 
de  la  tyrannie;  j'ai  vu  que  les  plus  dangereux  de  nos  enne- 
mis ne  sont  pas  ceux  qui  se  sont  ouvertement  déclarés  ;  et 
je  tâcherai  que  ces  connoissances  ne  soient  point  inutiles 
au  salut  de  mon  pays. 


PROSPECTUS  3 

Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  que  l'amour  seul  de  la  justice 
et  de  la  vérité  dirigera  ma  plume.  C'est  à  cette  condition 
seulement  que,  descendu  de  la  tribune  du  Sénat  français, 
on  peut  monter  encore  à  celle  de  l'Univers,  et  parler  non 
à  une  Assemblée,  qui  peut  être  agitée  par  le  choc  des  inté- 
rêts divers,  mais  au  genre  humain,  dont  l'intérêt  est  celui 
de  la  raison  et  du  bonheur  général.  Peut-être  que  lorsqu'on 
a  quitté  le  théâtre  pour  se  ranger  parmi  les  spectateurs, 
on  juge  mieux  la  scène  et  les  acteurs;  il  semble  du  moins 
qu'échappé  au  tourbillon  des  affaires,  on  respire  dans  une 
atmosphère  plus  paisible  et  plus  pure,  et  que  l'on  porte  sur 
les  hommes  et  sur  les  choses  un  jugement  plus  certain,  à 
peu  près  comme  celui  qui  fuit  le  tumulte  des  cités,  pour 
s'élever  sur  le  sommet  des  montagnes,  sent  le  calme  de  la 
nature  pénétrer  dans  son  âme,  et  ses  idées  s'agrandir  avec 
l'horison  (sic). 

J'ai  vu  des  membres  connus  de  la  législature,  réunissant 
deux  fonctions  presque  également  importantes,  raconter  et 
apprécier  dans  leurs  écrits  les  opérations  auxquelles  ils 
avoient  concouru  la  veille  dans  l'Assemblée  nationale. 

Quoique  ce  dernier  soin  ait  suffi  pour  m'occuper  tout 
entier  au  temps  où  il  m'étoit  confié.  Je  n'en  ai  pas  moins 
applaudi  aux  législateurs  qui  rendoient  cet  hommage  écla- 
tant à  la  nécessité  et  à  la  dignité  du  ministère  des  écri- 
vains politiques  et  philosophes  ;  je  crois  même  qu'ils  auront 
un  double  titre  à  l'estime  de  leurs  commettans,  s'ils  rem- 
plissent l'une  et  l'autre  lâche  avec  la  même  intégrité.  Celui 
qui  se  déclare  le  censeur  du  vice,  l'apôtre  de  la  raison  et  de 
la  vérité,  ne  doit  être  ni  moins  pur  ni  moins  courageux  que 
le  législateur  lui-même.  Les  erreurs  de  ce  dernier  laissent 
une  grande  ressource,  dans  l'opinion  et  dans  l'esprit  pu- 
blic; mais  quand  l'opinion  est  dégradée,  quand  l'esprit 
public  est  altéré,  le  dernier  espoir  de  la  liberté  est  anéanti  : 
l'écrivain  qui  prostituant  sa  plume  à  la  haine,  au  despo- 
tisme ou  à  la  corruption,  trahit  la  cause  du  patriotisme  et 
de  l'humanité,  est  plus  vil  que  le  magistrat  prévaricateur, 
plus  criminel  que  le  représentant  même  qui  vend  les  droits 
du  peuple. 

Telle  est  ma  profession  de  foi,  tels  seront  l'esprit  et  l'ob- 
jet de  l'ouvrage  que  je  consacre  à  la  liberté  de  mon  pays. 


4  LE   DÉFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

Cet  ouvrage  paroîtra  tous  les  jeudis,  chaque  numéro 
sera  de  trois  à  quatre  feuilles. 

On  souscrit  à  Paris,  chez  Pierre- Jacques  Duplain, 
Libraire,  Cour  du  Commerce,  rue  de  Y  Ancienne -Corné  die - 
française,  chez  les  principaux  Libraires  de  l'Europe,  et 
tous  les  Directeurs  des  Postes.  Le  prix  de  la  souscription 
est  de  36  liv.  pour  l'année,  21  liv.  pour  six  mois,  et  12  liv. 
pour  trois  mois.  Il  faut  affranchir  les  lettres  et  l'argent. 


LE  DÉFENSEUR  DE  LA  CONSTITUTION 

N°  i 

Articles  contenus  dans  ce  numéro 

64  pages  (1  à  64) 

Pages 
du  document 

I.  —  Exposition   de   mes  principes    .  .  . 1  à   16 

II.  —  Observations  sur  les  moyens  de  faire  utilement 

la  guerre   16  à  36 

III.  —  Réponse   de   M.   Robespierre   au   discours   de 

MM.  Brissot  et  Gaudet  (sic)  du  25  avril  1792, 
prononcé  à  la  Société  des  Amis  de  la  Cons- 
titution, le  27  du  même  mois,  et  imprimé 
par  ordre  de  la  Société 37  à  64 

IV.  —  Décision  de  la  Société  des  Amis  de  la  Consti- 

tution au  sujet  de  ces  démêlés 64 

I 

Exposition  de  mes  principes  (1) 

C'est  la  constitution  que  je  veux  défendre,  la  constitu- 
tion telle  qu'elle  est.  On  m'a  demandé  pourquoi  je  me  décla- 
rois  le  défenseur  d'un  ouvrage  dont  j'ai  souvent  développé 

(1)  En  fixant  au  commencement  du  mois  de  mai  1792  la  publication  de  ce 
premier  numéro  et  en  indiquant  le  vendredi  de  chaque  semaine  comme  date 
de  chacun  des  suivants,  Laponneraye  (t.  I,  p.  314  à  325)  ajoute:  «  Pendant 
qu'il  siégeait  à  l'Assemblée  Constituante,  Robespierre  s'était  élevé  mille  fois 
contre  l'acte  constitutionnel,  ouvrage  de  cette  Assemblée,  dont  il  blâmait  éner- 
giquement  les  dispositions  aristocratiques.  Il  donna  en  commençant  son  jour- 
nal une  exposition  de  ses  principes,  dans  laquelle  il  expliqua  pourquoi,  après 
s'être  montré  si  hostile  à  la  Constitution  de  91,  il  s'en  constituait  le  défenseur  ». 
(Voir  l'introduction,  pages  IX  et  suivantes). 

L.  Gallois,  p.  114  à  118  et  E.  Hatin,  ibid.,  t.  VI,  p.  280,  284  et  285,  repro- 
duisent quelques  passages  de  cet  article  qu'ils  commentent.  —  E.  Hamel  (t.  II, 
pp.  249  à  253),  analyse  cet  article.  —  G.  Michon,  ibid.,  pp.  115  et  116. 

Dès  ce  premier  article,  Robespierre  faisant  allusion  à  ses  démêlés  avec 
Condorcet  et  Brissot,  et  au  Traité  sur  la  République  publié  par  le  premier, 
explique  ce  qu'il  faut  entendre  par  République  et  Monarchie. 


6  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

les  défauts  :  je  réponds  que,  membre  de  l'Assemblée  cons- 
tituante, je  me  suis  opposé,  de  tout  mon  pouvoir,  à  tous  les 
décrets  que  l'opinion  publique  proscrit  aujourd'hui:  mais 
que  depuis  le  moment  où  l'acte  constitutionnel  fut  terminé 
et  cimenté  par  l'adhésion  générale,  je  me  suis  toujours 
borné  à  en  réclamer  l'exécution  fidèle,  non  pas  à  la  manière 
de  cette  secte  politique  que  l'on  nomme  modérée,  qui  n'en 
invoque  la  lettre  et  les  vices  que  pour  en  tuer  les  principes 
et  l'esprit;  non  pas  à  la  manière  de  la  cour  et  des  ambi- 
tieux, qui,  violant  éternellement  toutes  les  lois  favorables 
à  la  liberté,  exécutant  avec  un  zèle  hypocrite  et  une  fidélité 
meurtrière  toutes  celles  dont  ils  peuvent  abuser,  pour 
opprimer  le  patriotisme;  mais,  comme  un  ami  de  la  patrie 
et  de  l'humanité,  convaincu  que  le  salut  public  nous 
ordonne  de  nous  réfugier  à  l'abri  de  la  constitution,  pour 
repousser  les  attaques  de  l'ambition  et  du  despotisme  (2). 

L'Assemblée  constituante  a  tenu  dans  sa  main  la  desti- 
née de  la  France  et  de  l'Univers  ;  elle  pouvoit  tout  à  coup 
élever  le  pluple  français  au  plus  haut  degré  de  bonheur,  de 
gloire  et  de  liberté;  elle  est  restée  au-dessous  de  sa  mis- 
sion sublime.  Elle  a  violé  souvent  les  principes  éternels  de 
la  justice  et  de  la  raison,  qu'elle  avoit  solennellement  pro- 
clamés. Les  droits  de  la  nation  et  de  l'humanité  sont  restés 
les  mêmes;  mais  les  circonstances  sont  changées  et  elles 
doivent  déterminer  la  nature  des  moyens  que  l'on  peut 
employer,  pour  les  rétablir  dans  toute  leur  étendue. 

Peut-être  la  seconde  législature,  en  arrivant  au  gouver- 
nail de  la  révolution,  auroit-elle  pu  examiner  quelles 
étoient  les  véritables  limites  de  ses  devoirs  et  de  sa  puissan- 
ce, et  si  les  premiers  représentans  avoient  eu  eu  le  droit 
de  lui  imposer  le  serment  qu'ils  avoient  exigé  d'elle.  Sans 
doute,  si  elle  eût  alors  déployé  un  grand  caractère,  si  un 
homme  de  génie  et  de  vertu  s'étoit  élevé  dans  son  sein, 
pour  lui  présenter  le  tableau  des  décrets  qui  démentoient 
la  déclaration  des  droits,  et  violoient  les  principes  fonda- 
mentaux de  la  constitution;  si  elle  les  avoit  immolé  d'un 
seul  coup  au  peuple  et  à  la  liberté,  je  ne  peux  douter  que, 
dans  ce  moment,  la  majorité  de  la  nation,  fatiguée  des 

(2)  Hatin,  ibid.,  t.  VI,  p.  284,  publie  le  premier  paragraphe. 


PREMIER   NUMERO  J 

fautes  de  la  première  assemblée,  n'eût  applaudi,  avec  trans- 
port, à  cette  grande  et  courageuse  démarche. 

Mais  l'Assemblée  léislative  s'est  empressée  de  prêter  un 
serment  unanime  et  absolu  à  l'acte  constitutionnel  tout 
entier.  Les  premières  paroles  qui  retentirent  dans  sa  tri- 
bune, furent  de  pompeux  éloges,  prodigués  indistinctement 
à  tous  les  membres  de  la  première  législature.  Cerutti 
déclara  qu'il  avait  donné  au  monde  la  meilleure  de  toutes 
les  constitutions  possibles.  Ce  Code  fut  apporté  en  triom- 
phe par  des  vieillards,  comme  un  livre  sacré;  plusieurs  le 
baignèrent  de  leurs  larmes  et  le  couvrirent  de  baisers. 
L'acte  constitutionnel  fut  reçu  avec  moins  de  gravité  et  de 
respect  que  de  superstition  et  d'idolâtrie;  et  l'Assemblée 
législative  parut  se  tenir  dans  une  humble  contenance 
devant  l'ombre  même  de  l'Assemblée  constituante  (3). 

Il  ne  lui  appartient  point  de  toucher  à  la  constitution 
qu'elle  a  juré  de  maintenir;  tout  changement  aujourd'hui 
ne  pourroit  qu'alarmer  les  amis  de  la  liberté. 

Au  sein  des  orages  excités  par  tant  de  factions,  aux- 
quelles on  a  laissé  le  tems  et  donné  les  moyens  de  se  forti- 
fier; au  milieu  des  divisions  intestines,  perfidement  com- 
binées avec  la  guerre  étrangère,  fomentées  par  l'intrigue 
et  par  la  corruption,  favorisées  par  l'ignorance,  par  l'égoïs- 
me  et  par  la  crédulité,  il  faut  aux  bons  citoyens  un  point 
d'appui  et  un  signal  de  ralliement;  je  n'en  connois  point 
d'autre  que  la  constitution. 

J'ai  observé  que  ceux  qui,  durant  le  cours  de  la  première 
assemblée  représentative,  furent  accusés  d'exagération 
pour  avoir  défendu  les  droits  du  peuple  contre  le  despotis- 
me et  contre  l'intrigue,  étoient  les  plus  zélés  apôtres  de  la 
doctrine  que  je  professe  en  ce  moment.  Au  contraire,  j'ai 
surpris  ceux  qui  afïectoient  le  rigorisme  le  plus  scrupuleux 
en  matière  de  constitution,  pour  immoler  la  liberté  à  la 

(3)  Le  4  octobre  1791,  l'Assemblée  législative,  présidée  par  Pastoret,  désigna 
une  délégation  de  douze  membres  pris  parmi  les  plus  âgés  des  députés  pour 
aller  chercher  l'acte  constitutionnel;  ce  document  fut  apporté  solennellement 
par  l'archiviste  Camus,  ancien  constituant,  entouré  des  douze  commissaires  ; 
et  après  la  présentation,  chacun  des  membres  présents  dans  l'assemblée,  soit 
492,  prêta  le  serment  sur  la  Constitution;  puis  Cerutti  commenta,  aux  applau- 
dissements de  tous,  la  portée  de  ce  geste,  et  fit  voter  des  remerciements  à 
l'assemblée  constituante  qui  avait  élaboré  cette  Constitution.  (Bûchez  et 
Roux,  ibid.,  t.  XII,  pp.  41  à  49). 


8  LE   DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

cour,  déclamant  depuis  quelque  tems  contre  les  vices  de 
la  constitution  et  contre  l'assemblée  dont  elle  est  l'ouvrage. 
J'ai  entendu  des  hommes  qui  ne  surent  jamais  que  calom- 
nier le  peuple  et  combattre  l'égalité,  faire  retentir  le  mot 
de  république.  J'ai  vu  ceux  qui  étoient  toujours  restés  au- 
dessous  des  principes  de  notre  révolution,  nous  présenter 
l'appât  d'un  gouvernement  plus  libre  et  plus  parfait.  La 
cour,  tous  les  intrigans,  tous  les  chefs  de  factions,  conspi- 
rent à  la  fois  contr'eïle,  parce  qu'ils  ont  besoin  de  tout  bou- 
leverser pour  partager  impunément  entr'eux  les  dépouilles 
et  la  puissance  de  la  nation.  Dans  la  crise  orageuse  où  ils 
nous  ont  conduits  à  force  de  complots  et  de  perfidies,  ils 
voudroient  que  le  patriotisme  lui-même  commençât  à 
ébranler  de  ses  propres  mains  l'édifice  constitutionnel, 
pour  élever  sur  ses  ruines,  ou  le  despotisme  royal  ou  une 
espèce  de  gouvernement  aristocratique,  qui,  sous  des  noms 
séduisans,  nous  donneroit  des  chaînes  plus  pesantes  que 
les  premières. 

Depuis  le  moment  ou  j'ai  annoncé  le  dessein  de  combat- 
tre tous  les  factieux,  j'ai  vu  des  hommes  qui  naguère, 
conservoient  encore  quelque  réputation  de  patriotisme,  me 
déclarer  une  guerre  plus  sérieuse  que  celle  qu'ils  prétendent 
faire  aux  despotes;  je  les  ai  vus  épuiser  tous  les  moyens 
dont  on  ne  manque  jamais,  lorsqu'on  a  remis  la  fortune 
publique  entre  les  mains  de  ses  amis,  et  qu'on  participe, 
sous  différens  titres,  à  toutes  les  espèces  de  pouvoir,  pour 
me  peindre  à  la  fois,  dans  toutes  les  parties  de  l'empire, 
tantôt  comme  un  royaliste,  et  tantôt  comme  un  tribun  am- 
bitieux. A  cet  excès  de  délire,  j'ai  reconnu  la  terreur  dont 
mes  nouveaux  adversaires  étoient  frappés;  et  toutes  les 
preuves  qui  m'annonçoient  leurs  funestes  projets,  ont  pris, 
à  mes  yeux,  le  caractère  de  l'évidence.  Je  suis  royaliste! 
oui,  comme  un  homme  qui,  presque  seul,  a  lutté  trois  ans 
contre  une  Assemblée  toute  puissante  pour  s'opposer  à 
l'excessive  extension  de  l'autorité  royale;  comme  un  hom- 
me qui,  bravant  toutes  les  calomnies  d'une  faction  aujour- 
d'hui confondue  avec  celle  qui  me  poursuit,  demanda  que 
le  monarque  fugitif  fût  soumis  à  la  justice  des  lois; 
comme  un  homme  qui,  sûr  que  la  majorité  de  l'Assemblée 
rétabliroit  Louis  XVI  sur  le  trône,  s'est  dévoué  volontai- 


PREMIER    NUMERO 


rement  à  la  vengeance  de  ce  roi,  pour  réclamer  les  droits 
du  peuple;  comme  un  homme  enfin  qui  défendra  encore, 
au  péril  de  sa  vie,  la  constitution  contre  la  cour  et  contre 
toutes  les  factions.  Je  suis  républicain  (4)!  oui,  je  veux 
défendre  les  principes  de  l'égalité  et  l'exercice  des  droits 
sacrés  que  la  constitution  garantit  au  peuple  contre,  les 
systèmes  dangereux  des  intrigans  qui  ne  le  regardent  que 
comme  l'instrument  de  leur  ambition;  j'aime  mieux  voir 
une  assemblée  représentative  populaire  et  des  citoyens 
libres  et  respectés  avec  un  roi,  qu'un  peuple  esclave  et  avili 
sous  la  verge  d'un  sénat  aristocratique  et  d'un  dictateur. 
Je  n'aime  pas  plus  Cromwel  que  Charles  Ier;  et  je  ne  puis 
pas  plus  supporter  le  joug  des  Décemvirs  que  celui  de 
Tarquin.  Est-ce  dans  les  mots  de  république  ou  de  monar- 
chie que  réside  la  solution  du  grand  problème  social? 
Sont-ce  ks  définitions  inventées  par  les  diplomates  pour 
classer  les  diverses  formes  de  gouvernement  qui  font  le 
bonheur  et  le  malheur  des  nations,  ou  la  combinaison  des 
lois  et  des  institutions  qui  en  constituent  la  véritable 
nature?  Toutes  les  constitutions  politiques  sont  faites 
pour  le  peuple  ;  toutes  celles  où  il  est  compté  pour  rien,  ne 
sont  que  des  attentats  contre  l'humanité!  Eh!  que  m'im- 
porte que  de  prétendus  patriotes  me  présentent  la  perspec- 
tive prochaine  d'ensanglanter  la  France,  pour  nous  défaire 
de  la  royauté,  si  ce  n'est  pas  la  souveraineté  nationale  et 
l'égalité  civile  et  politique  qu'ils  veulent  établir  sur  ses 
débris?  Que  m'importe  qu'on  s'élève  contre  les  fautes  de 

(4)  E.  Hatin  recherche  les  manifestations  de  républicanisme  de  Robespierre; 
il  rapporte  une  conversation  à  ce  sujet,  chez  Mme  Roland,  en  juillet  1791, 
d'après  cette  dernière,  donc  de  source  suspecte  (t.  V,  p.  277)  ;  il  reproduit  plu- 
sieurs passages  du  journal  de  Robespierre  à  ce  sujet  ;  celui  ci-dessus,  depuis  les 
mots:  «  Je  suis  républicain!  Oui!...  »  jusqu'à  ceux-ci:  <  ...ne  sont  que  des 
attentats  contre  l'humanité  ».  (Ibid.,  t.  VI,  p.  284);  plus  loin,  p.  Il,  un  autre 
passage  où  Robespierre  reproche  à  Brissot  et  à  Condorcet  d'avoir  demandé 
intempestivement  l'abolition  de  la  royauté  en  1791  ;  et  enfin,  il  reproduit  un 
paragraphe  du  premier  article  de  la  première  Lettre  de  Robespierre  à  ses 
Commettants  où  il  dit  : 

«  Le  nom  de  république  ne  suffit  pas  pour  affermir  l'empire  de  la  liberté... 
«  ...  Ce  n'est  point  un  vain  mot  que  la  République  ;  c'est  le  caractère  des 
«  citoyens,  c'est  la  vertu,  c'est-à-dire  l'amour  de  la  patrie,  le  dévouement 
«  magnanime  qui  confond  tous  les  intérêts  privés  dans  l'intérêt  général...  Ce 
«  n'est  point  assez  d'avoir  renversé  le  trône;  ce  qui  importe,  c'est  d'élever 
«  sur  ses  débris  la  sainte  égalité,  les  droits  imprescriptibles  de  l'homme  ...  » 
Ibid,  t.  VI,  p.  285). 


IO  LE   DEFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

la  cour,  si,  loin  de  les  réprimer,  on  ne  cesse  de  les  tolérer 
et  de  les  encourager,  pour  en  profiter  ?  Que  m'importe  que 
l'on  reconnaisse,  avec  tout  le  monde,  les  vices  de  la  consti- 
tution qui  concernent  l'étendue  du  pouvoir  royal,  si  on 
anéantit  le  droit  de  pétition  ;  si  on  attente  à  la  liberté  indi- 
viduelle, à  celle  même  des  opinions;  si  on  laisse  déployer 
contre  un  peuple  alarmé  une  barbarie  qui  contraste  avec 
l'éternelle  impunité  des  grands  conspirateurs;  si  on  ne 
cesse  de  poursuivre  et  de  calomnier  tous  ceux  qui,  dans 
tous  les  tems,  ont  défendu  la  cause  de  la  nation  contre  les 
entreprises  de  la  cour  et  de  tous  les  partis  ?  Que  nous  im- 
porte que  de  tems  en  tems  on  renouvelle  le  bruit  d'un  pro- 
chain départ  du  roi,  comme  pour  sonder  les  esprits,  et 
flatter  les  patriotes  imprudens  d'une  dangereuse  illusion? 
Le  roi  n'a-t-il  pas  déjà  fui,  il  y  a  un  an,  dans  le  moment 
qui  paraissoit  le  plus  favorable  à  la  liberté  ;  dans  un  tems 
où  la  France  n'étoit  point  en  proie  aux  divisions  qui  la 
tourmentent,  et  où  elle  n'avoit  point  à  soutenir  une  guerre 
étrangère?  Eh  bien,  cet  événement  a-t-il  tourné  au  profit 
du  peuple  ou  du  despotisme?  N'est-ce  pas  à  cette  époque 
que  se  rapportent  les  décrets  désastreux  qui  ont  mutilé 
notre  constitution?  N'est-ce  pas  alors  que  le  sang  des 
citoyens  désarmés  coula  sous  le  glaive  de  la  proscrip- 
tion (5)?  N'est-ce  pas  dans  le  moment  où  l'autorité  royale 
étoit  suspendue  et  le  roi  confié  à  la  garde  de  La  Fayette, 
que  la  coalition  dont  ce  dernier  était  le  chef,  rendit  au  mo- 
narque une  autorité  immense,  transigea  avec  lui  aux 
dépens  de  la  nation,  en  faveur  des  ambitieux  qui  avoient 
ourdi  cette  trame,  et  appesantit,  en  son  nom,  un  joug  de 
fer,  sur  tous  des  patriotes  de  l'empire?  Que  faisiez-vous 
durant  ce  temps-là,  Brissot  et  vous  Condorcet?  car  c'est 
vous  et  vos  amis  que  j'ai  ici  en  vue?  Tandis  que  nous  dis- 
cutions à  l'Assemblée  constituante  la  grande  question,  si 

(5)  Ces  décrets  modifiant  la  Constitution  furent  votés  lors  de  la  révision 
et  de  la  coordination  des  diverses  parties  éparses  de  l'acte  constitutionnel,  en 
août  1791,  d'après  le  projet  du  Comité,  présenté  par  Thouret.  Robespierre  prit 
une  part  très  active  à  cette  discussion,  et  déjà,  dans  son  Adresse  aux  Fran- 
çais, publiée  en  juillet  1791,  il  exprimait  la  crainte  que  les  Constituants  ne 
portassent  la  main  sur  leur  propre  ouvrage  et  ne  profitassent  de  cette  révision 
pour  altérer  la  Constitution,  la  modifier  dans  un  sens  favorable  à  la  Cour. 

Il  fait  également  allusion  aux  massacres  du  Champs  de  Mars  du  17  juillet 
1791  )  plus  loin  il  revient  sur  ces  faits. 


PREMIER    NUMERO  II 

Louis  XVI  étoit  au-dessus  des  lois,  tandis  que,  renfermé 
dans  ces  limites,  je  me  contentais  de  défendre  les  principes 
de  la  liberté,  sans  entamer  aucune  autre  question  étrangère 
et  dangereuse,  et  je  n'échappois  pas  pour  cela  aux  calom- 
nies de  la  faction  dont  j'ai  parlé,  soit  imprudence,  soit 
toute  autre  cause,  vous  secondiez  de  toutes  vos  forces  ses 
sinistres  projets.  Connus  jusque-là  par  vos  liaisons  avec 
La  Fayette,  et  par  votre  grande  modération;  long-tems 
sectateurs  assidus  d'un  club  demi  aristocratique  (le  club  de 
1789),  vous  fîtes  tout  à  coup  retentir  le  mot  de  république; 
Condorcet  publie  un  traité  sur  la  République  dont  les  prin- 
cipes, il  est  vrai,  étoient  moins  populaires  que  ceux  de 
notre  Constitution  actuelle;  Brissot  répand  un  journal 
intitulé  le  républicain,  et  qui  n'avoit  de  populaire  que  le 
titre  ;  une  affiche,  dictée  par  le  même  esprit,  rédigée  par  le 
même  parti,  sous  le  nom  du  ci-devant  marquis  Ducha- 
têlet  (6)  et  parent  de  La  Fayette,  ami  de  Brissot  et  de  Con- 
dorcet, avoit  paru  dans  le  même  tems  sur  tous  les  murs  de 
la  capitale.  Alors  tous  les  esprits  fermentèrent  ;  le  seul  mot 
de  république  (7)  jeta  la  division  parmi  les  patriotes,  don- 
na aux  ennemis  de  la  liberté,  le  prétexte  qu'ils  cherchoient, 
de  publier  qu'il  existait  en  France  un  parti  qui  conspirait 
contre  la  monarchie  et  la  constitution;  ils  se  hâtèrent  d'im- 
puter à  ce  motif,  la  fermeté  avec  laquelle  nous  défendions 
à  l'Assemblée  constituante,  les  droits  de  la  souveraineté 
nationale  contre  le  monstre  de  l'inviolabilité.  C'est  par  ce 
mot  qu'ils  égarèrent  la  majorité  de  l'Assemblée  consti- 
tuante; c'est  ce  mot  qui  fut  le  signal  du  carnage  des 
citoyens  paisibles,  égorgés  sur  l'autel  de  la  patrie,  dont 

(6)  Brissot  prononça  à  la  tribune  des  Jacobins,  le  10  juillet  1791,  un  dis- 
cours dans  lequel  il  demandait  à  la  fois  la  déchéance  et  le  jugement  de 
Louis  XVI.  Il  avait  contribué,  à  cette  époque,  à  la  fondation  du  journal  le 
Républicain,  dont  quelques  numéros  parurent  et  qui  avait  pour  rédacteurs,  avec 
Condorcet,  le  colonel  Achille  Duchâtelet,  parent  et  ami  de  La  Fayette. 

Le  Ier  juillet,  ce  même  Duchâtelet,  avait  fait  afficher  dans  Paris  un  placard, 
dénoncé  le  même  jour  par  Malouet  à  l'assemblée  :  Trente  millions  à  gagner. 
Avis  aux  Français  (reproduit  par  Sigismond  Lacroix  :  Actes  de  la 
Commune  de  Paris,  2"  série,  t.  V,  p.  3/6-377.  —  A.  Mathiez:  Le  Club  des 
Cordeliers  pendant  la  crise  de  Varennes  et  le  Massacre  du  Champ  de  Mars. 
P- 85. 

(7)  Ce  passage,  à  partir  de  cet  endroit,  jusqu'aux  mot  «  et  la  Révolution 
recula,  peut-être  d'un  demi-siècle  »,  est  reproduit  par  Hatin.  ibid.,  t.  VI, 
p.  285. 


12  LE    DEFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

tout  le  crime  étoit  d'exercer  légalement  le  droit  de  pétition, 
consacré  par  les  lois  constitutionnelles.  A  ce  nom  les  vrais 
amis  de  la  liberté  furent  travestis  en  factieux  par  les 
citoyens  pervers  ou  ignorans  ;  et  la  révolution  recula  peut- 
être  d'un  demi-siècle.  Il  faut  tout  dire,  ce  fut  encore  dans 
ce  tems  critique  que  Brissot  vint  à  la  Société  des  amis  de 
la  Constitution,  où  il  n'avoit  presque  jamais  paru,  propo- 
ser  dans   la   forme   du   gouvernement,   des   changemens 
dont  les  règles  les  plus  simples  de  la  prudence  nous  avoient 
défendu  de  présenter  l'idée  à  l'assemblée  constituante  (8). 
Par  quelle  fatalité  Brissot  se  trouva-t-il  là,  pour  appuyer 
le  projet  de  pétition  qui  servit  de  prétexte  à  la  fameuse 
coalition,  pour  amener  le  massacre  du  Champ-de-Mars  ! 
Quels  qu'aient  pu  être  les  motifs  perfides  de  ceux  qui  pous- 
sèrent de  bons  citoyens  à  cette  démarche,  elle  étoit  inno- 
cente, sans  doute  ;  la  pétition  dont  le  projet  avoit  été  arrêté, 
n'avoit  d'autre  objet  que  de  proposer  à  l'assemblée  natio- 
nale de  consulter  ses  commettans,  avant  de  prononcer  sur 
l'affaire  du  monarque  :  Pourquoi  Brissot  vint-il  en  rédiger 
un  autre  qui  indiquoit  l'abolition  de  la  royauté,  dans  un 
moment  où  la  faction  n'attendoit  que  ce  prétexte  de  calom- 
nier les  défenseurs  de  la  liberté  (9)  !  Et  ce  fut  nous  que  l'on 
accusoit  d'exagération,  qui  nous  opposâmes  dans  la  société 
des  amis  de  la  Constitution,  au  premier  projet  de  pétition, 
dont  nous  ne  contestions  pas  la  légitimité,  mais  dont  nous 
prévîmes  les  suites  funestes.  C'est  nous  qui  fûmes  obligés 
de  déployer  autant  de  circonspection  que  de  fermeté  pour 
guérir  les  blessures   faites   à  la  liberté  par  cette   fatale 
catastrophe.  Je  ne  prétendrai  pas  cependant  que  les  inten- 
tions de  Brissot  et  de  Condorcet  furent  aussi  coupables 
que  les  événemens  furent  désastreux;  je  veux  bien  ne  point 
adopter   les   reproches   que   leur   ont   faits   beaucoup   de 
patriotes,   de   n'avoir   feint   alors   de   se   séparer   de   La 
Fayette,  dont  ils  avoient  été  les  panégyristes,  que  pour 

(8)  Le  discours  de  Brissot  «  sur  la  question  de  savoir  si  le  roi  peut  être 
jugé  »  (Paris,  imp.  nat.  s.  d.  in-8°  de  27  pages)  est  reproduit,  in-extenso,  par 
Aulard  :  La  Société  des  Jacobins,  ibid.,  t.  II,  pp.  608  à  626). 

(9)  La  deuxième  pétition  déposée  au  Champ  de  Mars,  peu  de  temps  avant  le 
massacre,  était  l'œuvre  de  Brissot  qui  le  reconnaît  lors  de  son  procès  devant 
le  tribunal  révolutionnaire,  et  de  Laclos  qui  y  aurait  introduit  la  phrase  taxée 
d'orléanisme.  (Mathiez,  ibid.,  p.  262). 


PREMIER    NUMÉRO  13 

mieux  servir  son  parti,  et  se  frayer  une  route  à  la  législa- 
ture à  travers  des  obstacles  simulés,  pour  exciter,  en  leur 
faveur,  la  confiance  et  le  zèle  des  amis  de  la  liberté.  Je  ne 
veux  voir  dans  leur  conduite  passée,  qu'une  souveraine 
impolitique  et  une  profonde  ineptie.  Mais  aujourd'hui  que 
leurs  liaisons  avec  La  Fayette  et  Narbonne  ne  sont  plus 
un  mystère,  aujourd'hui  que  l'expérience  du  passé  peut 
répandre  une  nouvelle  lumière  sur  les  événemens  actuels; 
aujourd'hui  qu'ils  ne  dissimulent  plus  de  projets  d'innova- 
tions dangereux,  qu'ils  réunissent  tous  leurs  efforts  pour 
diffamer  ceux  qui  se  déclarent  les  défenseurs  de  la  Cons- 
titution actuelle;  qu'ils  sachent  que  la  nation  romproit  en 
un  moment,  toutes  les  trames  ourdies  pendant  plusieurs 
années,  par  de  petits  intrigans.  Quiconque  fondant  des  pro- 
jets ambitieux  sur  de  nouveaux  égaremens  du  monarque, 
oseroit  allumer  la  guerre  civile,  au  moment  où  la  guerre 
étrangère  nous  est  suscitée,  seroit  le  plus  grand  ennemi  de 
la  patrie.  Français,  représentais,  ralliez-vous  donc  autour 
de  la  Constitution;  défendez-la  contre  le  pouvoir  exécu- 
tif; défendez-la  contre  tous  les  factieux.  Ne  secondez 
point  les  vues  de  ceux  qui  prétendent  qu'elle  est  inexécu- 
table, parce  qu'ils  ne  veulent  pas  l'exécuter;  sachons  en 
supporter  quelque  tems  les  imperfections,  jusqu'à  ce  que 
les  progrès  des  lumières  et  de  l'esprit  public  amènent  le 
moment  où  nous  pourrons  les  effacer  au  sein  de  la  paix  et 
de  l'union.  Ses  défauts  appartiennent  aux  hommes,  mais 
ses  bases  sont  l'ouvrage  du  ciel;  et  elle  porte  en  elle-même 
le  principe  immortel  de  sa  perfection.  La  déclaration  des 
droits,  la  liberté  de  la  presse,  le  droit  de  pétition,  celui 
de  s'assembler  paisiblement;  des  représentans  vertueux, 
sévères  envers  les  grands,  inexorables  pour  les  conspira- 
teurs, indulgens  pour  les  foibles,  respectueux  pour  le  peu- 
ple, protecteurs  arderis  du  patriotisme,  gardiens  religieux 
de  la  forme  publique  ;  des  représentans  qui  ne  s'appliquent 
point  à  faire  des  ministres,  et  à  régner  en  leur  nom,  mais 
qui  les  surveillent  et  les  punissent  sans  partialité;  moins 
initiés  dans  les  intrigues  de  la  cour,  que  dans  l'art  de 
défendre  la  liberté  ;  la  paix  et  l'abondance  renaissant  sous 
leurs  auspices;  il  n'en  faut  pas  davantage  pour  forcer  la 
royauté  à  marcher  dans  le  sentier  que  la  volonté  du  souve- 


14  LE   DEFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

rain  lui  a  tracé,  ou  pour  amener  insensiblement  et  sans 
secousses  l'époque  où  l'opinion  publique,  éclairée  par  le 
tems  ou  par  les  crimes  de  la  tyrannie,  pourra  prononcer 
sur  la  meilleure  forme  de  gouvernement  qui  convient  aux 
intérêts  de  la  nation.  Nous  aurons  donc  le  courage  de 
défendre  la  constitution,  au  risque  d'être  appelles  (sic) 
royaliste  et  républicain,  tribun  du  peuple,  et  membre  du 
comité  autrichien  (10).  Nous  la  défendrons  avec  d'autant 
plus  de  zèle,  que  nous  en  sentons  plus  vivement  les  défauts. 
Si  notre  obéissance  entière,  même  aux  décrets  qui  blessent 
nos  droits,  est  un  sacrifice  à  nos  anciens  oppresseurs,  que 
ceux-ci  ne  nous  refusent  pas  du  moins  l'exécution  de  ceux 
qui  les  protègent.  S'ils  voyoient  la  Constitution  dans  toutes 
les  lois  qui  favorisent  la  tyrannie,  s'ils  ne  la  reconnoissoient 
plus  dans  ceux  qui  l'enchaînent,  nous  serions  retombés 
sous  un  joug  plus  insupportable  que  celui  dont  elle  nous 
avoit  affranchis. 

En  la  défendant,  nous  n'oublierons  pas  non  plus,  que 
les  tems  de  révolution  ne  ressemblent  point  aux  tems  de 
calme,  et  que  la  politique  de  nos  ennemis  fut  toujours  de 
les  confondre,  pour  assassiner  légalement  le  peuple  et  la 
liberté.  Nos  principes,  notre  civisme  n'a  rien  de  commun 
avec  celui  du  ministre  Narbonne,  qui,  voyant  d'un  œil 
tranquille  l'étendard  de  la  contre-révolution  arboré  dans 
le  midi,  osoit  provoquer  la  vengeance  nationale  contre  les 
généreux  Marseillois,  par  la  raison  que,  pour  éteindre 
l'incendie  de  la  guerre  civile,  ils  n'avoient  pas  attendu  les 
ordres  des  incendiaires  (n):  nous  n'aimons  pas  la  constitu- 
tion comme  ceux  qui  y  trouvent  toujours  des  armes  pour 
égorger  les  patriotes  foibles,  et  pour  opprimer  les  soldats, 

(10)  Dans  le  Patriote  français  du  20  mai,  Brissot  avait  accusé  Robespierre 
de  complicité  avec  la  Cour  et  le  Comité  autrichien,  parce  qu'il  était  hostile  à  la 
guerre.  Dans  le  n°  du  10  juin,  il  écrivait:  «  M.  Robespierre  a  entièrement 
levé  le  masque.  Digne  émule  des  meneurs  autrichiens  du  côté  droit  de  l'assem- 
blée... > 

(11)  A  la  fin  de  février,  des  troubles  éclatèrent  à  Marseille  à  cause  de  la 
présence,  dans  ses  murs,  d'un  régiment  suisse  dit  d'Ernest,  commandé  par  des 
officiers  contre-révolutionnaires.  Les  habitants  avaient  demandé  son  éloigne- 
ment.  Le  Ministre  de  la  guerre  Narbonne  en  leur  ayant  pas  donné  entière  satis- 
faction, le  peuple  se  porta  aux  casernes,  désarma  le  régiment  et  le  força  à 
quitter  la  ville.  (Procès-verbal  de  la  séance  de  l'Assemblée  Législative  du  6 
mars  1792:  Rapport  du  député  Archicr). 


PREMIER    NUMERO  15 

mais  jamais  pour  châtier  les  chefs  militaires  et  les  coupa- 
bles puissans.  Nous  la  défendrons,  non  contre  la  volonté 
générale  et  contre  la  liberté,  mais  contre  les  intérêts  parti- 
culiers et  contre  la  perfidie.  Nous  ne  nous  occuperons  des 
individus,  que  lorsque  leurs  noms  seront  inséparablement 
liés  à  la  cause  publique. 

Nous  ne  nous  dissimulons  pas  que  nous  allons  armer 
tous  les  partis  contre  nous;  il  nous  restera  le  suffrage  de 
notre  conscience  et  l'estime  de  tous  les  honnêtes  gens. 


II 
Observations  sur  les  moyens  de  faire  utilement  la  guerre  (12) 

La  guerre  est  commencée;  il  ne  nous  reste  plus  qu'à 
prendre  les  précautions  nécessaires  pour  la  faire  tourner 
au  profit  de  la  révolution.  Faisons  la  guerre  du  peuple  con- 
tre la  tyrannie,  et  non  celle  de  la  cour,  des  patriciens,  des 
intrigans  et  des  agioteurs  contre  le  peuple.  Celle  que  nous 
venons  d'entreprendre  a  été  ouverte  par  un  revers  ;  il  faut 
qu'elle  finisse  par  le  triomphe  de  la  liberté,  ou  que  le  der- 
nier des  français  ait  disparu  de  la  terre.  Mais  pour  exé- 
cuter ce  grand  dessein,  il  faut  d'autres  moyens  que  les 
petits  manèges  de  l'intrigue,  et  les  vaines  déclamations  des 
charlatans  politiques;  il  faut  toute  la  sagesse  et  toute 
l'énergie  d'un  peuple  libre:  il  faut  même  commencer  par 

(12)  Les  28  novembre  1791  et  25  janvier  1792,  Robespierre  avait  prononcé 
aux  Jacobins  deux  importants  discours  sur  cette  question  de  la  guerre  qu'il 
jugeait  inopportune  et  contraire  aux  intérêts  de  la  Nation.  N'ayant  pu  l'em- 
pêcher, il  donne  de  sages  conseils  afin  d'en  prévenir  les  abus  et  surtout  il  met 
en  garde  le  peuple  contre  l'ambition  des  grands  chefs. 

Les  premiers  événements  du  théâtre  de  la  guerre  connus  à  Paris  le  Ier  mai, 
avaient  confirmé  d'ailleurs  les  craintes  de  Robespierre.  Mal  préparées,  mal 
conduites  par  un  corps  d'officiers  suspects  nos  troupes  lâchèrent  pied  dès  les 
premières  escarmouches,  à  la  fin  d'avril,  à  Mons  et  à  Tournay,  sans  combat 
et  massacrèrent  leur  général,  Théobald  Dillon,  rendu  responsable  du  désastre. 
Dans  son  article,  Robespierre  fait  allusion  à  ces  faits  et  indique  les  moyens 
les  plus  propres  à  prévenir  la  trahison  et  à  maintenir  la  discipline  dans  l'ar- 
mée, désorganisée,  d'ailleurs  par  l'émigration. 

Laponnerave  (t.  I,  pp.  325  à  339)  et  l'Histoire  parlementaire  (t.  XIV, 
pp.  352  à  362),  reproduisent  cet  article.  —  L.  Gallois  (pp.  118  à  129)  en  cite 
des  extraits.  —  Hamel  (t.  II,  pp.  239  à  241)  1'analvse  et  le  commente.  —  Geor- 
ges Michon,  dans  Robespierre  et  la  guerre  révolutionnaire  en  donne  quelques 
extraits  (pp.  117-118). 


l6  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

remonter  aux  véritables  causes  de  nos  erreurs  et  de  nos 
disgrâces,  pour  les  réparer,  par  des  exploits  dignes  de  notre 
cause. 

Quand  les  orateurs  qui  nous  excitoient  à  la  guerre,  nous 
montroient  les  armées  autrichiennes  désertant  les  éten- 
darts  du  despotisme,  pour  voler  sous  le  drapeau  tricolo- 
re (13);  et  le  Brabant,  tout  entier,  s'ébranlant  pour  accou- 
rir au-devant  de  nos  lois;  nous  pouvions  nous  attendre  à 
un  début  plus  heureux;  nous  devions  croire  qu'on  avoit 
pris  les  mesures  nécessaires  pour  réaliser  ces  magnifiques 
prédictions.  D'après  l'idée  que  nous  nous  sommes  formée 
des  dispositions  des  peuples  belgiques,  ne  semble-t-il  pas 
au  moins,  qu'il  étoit  facile  au  gouvernement  français,  d'y 
exciter  des  mouvemens  heureusement  combinés,  avec  les 
approches  de  nos  troupes  Les  despotes  ont  bien  su  souvent 
préparer  le  succès  de  leurs  armes,  par  les  opérations  de  la 
politique  :  Pourquoi  la  cause  de  la  liberté  n'est-elle  pas  ser- 
vie avec  le  même  zèle  que  celle  de  l'ambition  et  du  despotis- 
me? Qu'a-t-on  fait  pour  éveiller  et  pour  seconder  l'ardeur 
des  patriotes  belges  et  liégeois?  Comment  a-t-on  répondu 
aux  pressantes  sollicitations  de  ceux  que  nous  avons  vus 
au  milieu  de  nous  (14)?  S'il  est  vrai,  comme  on  l'a  dit  em- 

(13)  Le  20  novembre  1791  et  le  17  février  1792,  aux  Jacobins,  un  membre 
avait  affirmé  que  «  dans  les  Pays-Bas  autrichiens  une  coalition  de  patriotes, 
au  nombre  de  plus  de  vingt  milles  étaient  prêts  à  voler  au  secours  de  la 
France  ,et  à  se  soulever  ».  (Aulard  :  La  Société  des  Jacobins,  t.  III,  pp. 
258-381). 

Le  13  décembre,  à  la  barre  de  la  Législative,  Anarcharsis  Cloots  vint  affir- 
mer que  «  le  20  février  prochain,  la  cocarde  tricolore  et  l'air  Ça  ira  feraient 
les  délices  de  vingt  peuples  délivrés;....  que  les  progrès  rapides  de  Rocham- 
beau,  de  Luckner,  de  Kellermann  vers  les  embouchures  de  l'Escaut,  de  la 
Meuse,  de  la  Moselle  et  du  Rhin  donneront  une  commotion  épouvantable  à 
tous  les  trônes  environnants  ;...  Que  tous  les  peuples  briseront  leurs  chaînes...  » 
(Biblio.  Nat.  Le  33  -  3  x)  ;  voir  aussi  les  discours  de  Brissot  à  l'Assemblée 
Législative  et  aux  Jacobins  les  29  et  30  décembre  1791  :  «  Cette  attaque  serait 
le  coup  de  tocsin  qui  sonnerait  le  réveil  des  peuples,  ébranlerait  toutes  les 
bastilles  étrangères  ».  (Biblio.  Nat.  Lb  40/666)  ;  et  encore  celui  de  Vergniaud 
à  l'assemblée,  du  27  décembre  1791. 

(14)  A  l'annonce  de  la  Révolution  Française,  en  1789,  la  Belgique,  qui  depuis 
le  traité  d'Utrecht  (1714),  appartenait  à  l'Autriche,  avait  chassé  les  troupes 
impériales,  et  déclaré,  le  11  janvier  1700,  l'empereur  Joseph  II  déchu  de 
ses  droits  à  la  souveraineté.  Cette  révolution  avait  inspiré  aux  Français  un 
vif  enthousiasme,  parce  qu'ils  la  croyaient  démocratique;  or,  elle  était  surtout 
dirigée  par  le  clergé  aux  privilèges  duquel  Joseph  II  avait  voulu  toucher. 
L'élément  populaire,  les  Vonckistes,  comme  on  appelait  les  patriotes,  parce 


PREMIER    NUMERO  IJ 

phatiquement,  que  pour  abattre  les  tyrans,  on  comptoit 
sur  nos  presses  autant  que  sur  notre  artillerie,  pourquoi 
a-t-on  laissé  cette  arme  oisive?  Pourquoi  des  manifestes, 
destinés  à  développer  les  droits  du  peuple  et  les  principes 
de  la  liberté  n'ont-ils  pas  été  traduits  par  les  soins  du  gou- 
vernement, en  langues  allemande  et  belgique,  et  répandus 
d'avance  parmi  le  peuple  et  dans  l'armée  autrichienne? 
Pourquoi  ne  leur  a-t-on  pas  présenté  une  garantie  formelle 
du  plan  de  conduite  que  nous  nous  proposions  de  suivre 
après  la  conquête,  à  l'égard  des  affaires  politiques  de  cette 
contrée  ? 

Pour  sentir  l'importance  de  cette  observation,  il  suffit 
de  nous  rappeller  quelle  est  la  situation  intérieure  des 
provinces  belgiques.  On  sait,  que  sans  compter  la  faction 
autrichienne,  qui  est  celle  du  gouvernement  actuel,  elles 
sont  divisées  en  deux  partis,  celui  des  états,  composé  du 
clergé,  de  la  noblesse  et  de  la  bourgeoisie  aristocratique, 
et  le  parti  populaire.  Ce  dernier  est  le  seul  que  les  principes 
et  l'intérêt  de  notre  constitution  nous  permettoient  de  pro- 
téger :  il  f alloit  lui  garantir  cette  protection  par  une  décla- 
ration nette  et  précise,  pour  le  fortifier  et  l'encourager  à 
une  insurrection  favorable  à  la  cause  commune.  Examinez 
si  votre  silence,  dans  une  occasion  où  tout  vous  invitoit  à 
parler,  ne  nous  a  pas  privés  des  ressources  que  nous  pou- 
vions trouver,  dans  le  pays  même  que  nous  voulions  atta- 
quer. Dans  ces  circonstances  quel  parti  auroit  remué  pour 
seconder  nos  efforts?  Celui  du  peuple,  qui  n'a  pas  plus  de 
confiance  que  nous  dans  les  vues  de  notre  cour  et  de  notre 
gouvernement,  voit  encore  à  la  tête  de  nos  armées,  cette 
caste  nobiliaire,  ennemie  naturelle  de  l'égalité,  dont  les 
chefs  n'ont  pas  dissimulé  le  projet  de  donner  à  notre  cons- 
titution un  caractère  aristocratique;  il  sait  que  le  système 
des  deux  chambres  est  adopté,  même  par  des  français  qui 

qu'ils  étaient  dirigés  par  l'avocat  Vonck,  s'agitèrent  en  vain  ;  ils  furent  accusés 
de  prêcher  la  violence  et  le  pillage,  et  de  recevoir  leur  mot  d'ordre  des 
révolutionnaires  de  France.  Des  intrigues  divisèrent  les  états  de  Brabant;  des 
trahisons  achevèrent  de  désagréger  ce  mouvement  d'émancipation;  les  patrio- 
tes ne  tardèrent  pas  à  être  proscrits,  poursuivis,  persécutés  ;  un  grand  nombre, 
comme  Vonck,  se  réfugia  en  France  ;  ce  dernier  mourut  à  Lille  le  Ier  décembre 
1792.  Enfin,  en  novembre  1700,  les  Autrichiens  traitèrent  avec  les  états  et 
revinrent  en  Belgique  qui,  de  nouveau,  fut  remise  sous  leur  joug  jusqu'au 
moment  où,  en  1792,  Dumouriez  envahit  le  territoire  qui,  désormais,  devint 
le  théâtre  des  opérations  des  troupes  de  la  Convention  contre  les  alliés. 


l8  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

prennent  le  titre  de  patriotes,  et  qui  se  déclarent  même  les 
ennemis  de  la  royauté.  Il  falloit  le  rassurer  contre  la  crainte 
que  les  victoires  de  nos  généraux  fissent  pencher  la  balance 
en  faveur  de  la  puissante  faction  de  l'aristocratie,  et  que 
les  ennemis  de  notre  constitution  ne  fussent  tentés  de  faire 
chez  lui  l'essai  d'un  gouvernement  qu'ils  désiroient  nous 
donner. 

Les  aristocrates  belges  qui  pourroient  compter  assez 
sur  les  principes  de  ces  derniers,  peuvent  avoir  leurs 
sujets  d'inquiétude,  fondés  sur  la  nature  de  notre  consti- 
tution et  sur  le  vœu  du  peuple  français.  Dans  cet  état  d'in- 
certitude, cette  faction  se  réuniroit  plutôt  aux  armées 
autrichiennes  qu'aux  nôtres;  car  dans  les  dissensions 
civiles,  les  partis  rivaux  se  détestent  plus  vivement  en- 
entf'eux,  que  l'ennemi  commun,  contre  lequel  ils  s'étoient 
d'abord  armés.  Enfin,  j'ai  vu  des  défenseurs  de  la  liberté 
belgique,  désirer  qu'on  leur  garantit  que  la  France,  maî- 
tresse de  ce  pays,  ne  le  regarderoit  pas  comme  un  moyen 
de  faire  avec  l'Autriche  un  accommodement  plus  confor- 
me aux  vues  du  cabinet  de  Vienne  et  des  Thuileries  qu'aux 
intérêts  des  belges.  Il  falloit  dès  l'origine;  il  faut  encore 
aujourd'hui,  déclarer  solennellement,  que  les  français 
n'useront  de  leurs  forces  et  de  leurs  avantages,  que  pour 
laisser  à  ce  peuple,  la  liberté  de  se  donner  la  constitution 
qui  leur  paroîtra  la  plus  convenable.  Oue  cette  déclaration 
soit  remise  entre  les  mains  de  nos  r>roores  soldats,  afin  que 
chacun  d'eux  connoisse  la  volonté  nationale  dont  il  doit 
être  l'exécuteur.  Ne  perdez  jamais  de  vue  le  grand  intérêt 
qui  nous  a  mis  les  armes  à  la  main,  Il  ne  suffit  point  ici 
de  prendre  des  villes  et  de  gagner  des  batailles  :  ce  qui  nous 
importe  réellement,  ce  sont  les  conséquences  de  cette  guerre 
pour  notre  liberté  politiaue.  Or,  soit  que  le  Brabant  con- 
quis fût  rendu  à  l'Autriche  comme  une  condition  de 
la  paix:  soit  que  sur  les  ruines  de  la  domination  de  Fran- 
çois, s'élevât,  sous  les  auspices  de  nos  chefs  triomphans, 
une  constitution  contraire  aux  principes  de  l'égalité,  nous 
n'aurions  fait  que  servir  les  desseins  des  ennemis  de  notre 
liberté,  et  notre  sang  n'auroit  coulé  que  pour  la  cause  de 
la  tyrannie.  Que  cette  pensée  soit  donc  toujours  présente 
à  nos  esprits,  durant  tout  le  cours  de  cette  guerre;  que  les 


PREMIER    NUMERO  IQ. 

noms  sacrés  de  la  liberté,  de  l'égalité,  du  peuple  brillent 
sur  nos  drapeaux;  qu'ils  soient  gravés  sur  la  poitrine  de 
nos  guerriers;  que  tout  annonce  de  loin  au  yeux  de  nos 
ennemis. 

Le  but  de  la  guerre  sainte  que  nous  avons  entreprise; 
que  nos  prisonniers  (si  quelques-uns  des  nôtres  tombent 
entre  leurs  mains),  leur  portent  ces  leçons  salutaires  ;  que 
les  leurs  viennent  les  puiser  dans  notre  camp,  et  deviennent 
les  défenseurs  ou  les  missionnaires  de  la  liberté  univer- 
selle ! 

Mais  si,  négligeant  tous  les  moyens  que  je  viens  d'indi- 
quer, on  continue  de  suivre  l'esprit  qui  a  présidé  aux  com- 
mencemens  de  cette  guerre,  en  quoi  différera-t-elle  de  celles 
qu'allumoient  les  barbares  caprices  des  despotes?  et  quel 
succès  pourra  justifier  les  brillantes  prophéties  de  ceux  qui 
l'ont  provoquée  avec  tant  d'empressement? 

Pour  assurer  le  succès  d'une  pareille  guerre,  il  faut 
encore  ranimer  la  confiance  et  élever  les  armes  de  nos  sol- 
dats; il  faut  par-tout  exalter  l'esprit  public  et  l'amour  de 
la  patrie. 

Mais,  pour  ranimer  la  confiance  des  soldats,  suffit-il  de 
blâmer  leur  défiance  ?  non,  il  faut  en  faire  cesser  les  justes 
causes.  Pouvez-vous  leur  faire  oublier  que  la  révolution  a 
été  faite  contre  la  noblesse,  et  que  c'est  la  noblesse  qui  est 
à  leur  tête?  Pouvez-vous  effacer  de  leur  esprit  toutes  les 
perfidies  de  la  cour  et  des  ennemis  de  la  constitution  ?  Don- 
nez-leur donc  des  chefs  en  qui  ils  aient  confiance,  des  chefs 
dont  les  mains  ne  soient  pas  teintes  du  sang  des  patriotes. 
Il  en  est  un  qui  semble  porté  par  l'opinion  publique; 
Lukner  (sic)  ne  paroît  avoir  que  l'ambition  de  vaincre,  et 
personne  ne  lui  en  conteste  le  talent  :  si  on  le  croit  ignorant 
en  politique  et  en  constitutions,  s'il  peut  être  trompé  par 
l'intrigue,  on  croit  au  moins  à  sa  franchise;  et  si  l'amour 
de  la  patrie  permettoit,  dans  des  circonstances  si  graves, 
de  hasarder  un  jugement  sur  un  homme  que  l'on  ne  con- 
noît  point  particulièrement,  je  dirois,  que  de  tous  les  patri- 
ciens, il  est  peut-être  celui  à  qui  l'on  pourroit,  avec  moins 
d'inquiétude,  remettre  la  défense  de  l'état.  Mais  peut-on 
nier  que  l'opinion  publique  ne  soit  au  moins  très  partagée 
sur  d'autres?  Que  dis-je?  s'il  est  vrai  que  cette  guerre  doit 


20  LE   DEFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

décider  de  notre  liberté  ou  de  notre  servitude,  n'est-ce  pas 
trahir  ouvertement  la  cause  publique  de  remettre  sa  desti- 
née entre  les  mains  d'un  général  dont  l'ambition,  fatale  au 
patriotisme,  a  déjà  porté  tant  de  coups  mortels  à  notre 
constitution,  et  fait  couler,  au  sein  de  la  paix,  le  plus  pur 
sang  des  Français  (15)? 

Un  chef  de  faction  ne  peut  être  celui  de  l'armée  du  peu- 
ple, à  moins  qu'on  ne  veuille  immoler  le  peuple  à  cette  fac- 
tion; et  si  jamais  nos  soldats,  indifférens  sur  le  caractère 
moral  et  sur  les  projets  politiques  de  leurs  chefs,  n'étoient 
plus  que  les  aveugles  instrumens  de  leurs  volontés,  ce  vœu 
sacrilège  ne  seroit-il  pas  rempli? 

Pour  élever  le  courage  de  nos  soldats,  il  faut  leur  témoi- 
gner de  l'estime  et  de  la  confiance.  Cependant  que  n'a-t-on 
pas  fait  pour  les  avilir,  depuis  les  premiers  événemens  de 
ma  campagne?  On  a  affecté  d'imputer  à  leur  indiscipline 
des  échecs  évidemment  préparés  par  la  perfidie.  Pourquoi 
feindre  d'en  douter  encore?  N'est-il  pas  notoire  que  les 
ennemis,  prévenus  de  notre  attaque,  nous  attendoient  à 
Mons  et  à  Tournai,  avec  des  forces  imposantes?  N'est-il 
pas  notoire  que  nos  troupes  manquèrent  de  vivres,  et  que  la 
disette  fut  aussi  fatale  à  nos  soldats  que  le  fer  de  nos  enne- 
mis? Eh  bien!  on  oublie  tout  cela,  pour  fprélsenter  les 
défenseurs  de  la  patrie  comme  les  assassins  d'un  officier 
fidèle  et  patriote;  et  dans  ce  premier  désastre,  on  ne 
semble  appercevoir  que  la  mort  de  Dillon  innocent  ou  cou- 
pable, inepte  ou  perfide,  je  ne  m'oppose  pas  à  ce  qu'on 
pleure  son  sort  :  mais  moi,  mes  premières  larmes  couleront 
pour  la  patrie  outragée  depuis  trop  longtems.  Qu'un  autre 
Dillion,  au  milieu  des  maux  qui  nous  menacent,  ne  voyant 
que  la  perte  de  son  cousin,  vienne,  au  sein  de  l'assemblée 
législative,  intéresser  la  nation  entière  à  la  vengeance  de 
son  illustre  famille;  que  des  cris  de  douleur  répondent  à 
ses  discours  (16);  moi,  c'est  pour  les  Plébéiens  massacrés 

(15)  Allusion  à  La  Fayette. 

Par  contre,  le  vieux  maréchal  Luckner  inspirait,  pour  le  moment,  une  cer- 
taine confiance  à  Robespierre.  Plus  tard,  lorsque  ses  complaisances  coupables 
envers  La  Fayette,  convaincu  de  trahison,  seront  découvertes,  il  ne  l'épargnera 
plus  (voir  ci-après  n°  10,  page  302). 

(16)  A  la  séance  du  mardi  i«r  mai  1792,  Arthur  Dillon,  parent  du  général 
Théobald  Dillon,  massacré  par  ses  soldats  après  le  désastre  de  Tournay,  était 
venu  demander  justice  à  l'assemblée.  Plusieurs  militaires  furent  poursuivis 
à  Douai  ;  l'un  d'eux,  Vasseur,  fut  condamné  à  mort  le  19  mai. 


PREMIER   NUMERO  21 

aux  champs  de  Mons  et  de  Tournai,  que  mes  entrailles 
s'émeuvent;  c'est  aux  cris  des  pères  et  des  veuves  de  nos 
frères  indignement  livrés  au  fer  autrichien,  que  je  mêle 
mes  gémissemens.  Que  ces  hommes  si  tendres  pour  les 
grands,  si  durs  pour  le  peuple,  aillent  répandre  des  fleurs 
sur  la  tombe  d'un  courtisan  et  d'un  patricien:  pour  nous, 
citoyens,  allons  rendre  des  honneurs  funèbres  aux  gardes 
nationales  que  nous  vîmes  partir  naguère  de  nos  ,murs 
pour  voler  à  notre  défense,  aux  braves  soldats,  fidèles 
appuis  de  nos  droits;  allons  jurer  sur  leurs  tombeaux  de 
venger  leur  mort,  et  de  punir  tous  les  tyrans. 

N'est-ce  pas  insulter  à  leurs  mânes,  que  de  leur  offrir, 
pour  toute  expiation,  de  nouvelles  calomnies  contre  le  peu- 
ple de  Lille,  qui  fut  le  témoin  de  leur  désastre  et  de  leur 
zèle,  et  contre  les  braves  compagnons  de  leurs  travaux  et 
de  leurs  malheurs?  Niez-vous  qu'il  y  ait  eu  lieu  aux  plus 
justes  soupçons  ?  Vous  êtes  démentis  par  les  faits  et  par  la 
notoriété  publique.  Et  comment  pouvez-vous  être  mieux 
instruits  de  ces  événemens,  que  ceux  même  qui  en  furent 
les  témoins  et  les  victimes?  En  convenez- vous,  alors  de 
quel  front  écartez-vous  cette  circonstance,  pour  présenter 
leur  conduite,  comme  un  acte  de  révolte  et  de  barbarie  gra- 
tuite, et  pour  ne  voir,  dans  les  fidèles  défenseurs  de  notre 
liberté,  que  des  rebelles  et  des  brigands  ?  Pourquoi  ne  fait- 
on  pas  le  procès  aux  traîtres  :  mais  seulement  aux  soldats 
de  la  patrie?  Sans  doute,  il  ne  faut  pas  croire  aisément  à 
la  trahison:  mais  quand  elle  est  réelle!  mais  quand  toutes 
les  circonstances  l'annoncent! 

Voyez  donc,  je  vous  en  prie,  à  quel  résultat  ces  principes 
vous  conduisent?  Si  nous  étions  trahis,  en  effet,  par  la 
suite,  dans  le  cours  de  cette  guerre,  que  feroit  l'armée: 
abandonneroit-elle  les  traîtres?  alors,  on  la  poursuivroit 
comme  un  ramas  de  rebelles  et  d'assasins?  Continueroit- 
elle  de  leur  obéir?  Mais  obéir  à  des  chefs  perfides,  qu'est-ce 
autre  chose  que  courir  à  la  boucherie  comme  un  troupeau, 
et  trahir  la  patrie  et  la  liberté?  Est-ce  donc  là  le  but  de 
toutes  vos  éternelles  déclamations  contre  ce  que  vous  appe- 

Le  5  juin,  Arthur  Dillon  devait  encore  insister  devant  l'assemblée,  afin 
d'obtenir  une  plus  complète  réparation,  notamment  pour  venger  la  mémoire 
de  son  parent  de  la  campagne  dont  il  avait  été  l'objet  dans  les  milieux  popu- 
laires. 


22  LE   DEFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

lez  l'indiscipline  de  l'armée?  L'indiscipline!  ce  mot  insi- 
dieusement répété  par  l'aristocratie  et  par  le  machiavélis- 
me, n'est  autre  chose  qu'une  éternelle  accusation  contre  le 
civisme  des  soldats  citoyens,  qui  ont  commencé  la  révolu- 
tion. Ce  mot  a  déjà  fait  égorger  ceux  qui  lui  avoient  rendu 
les  plus  signalés  services;  ce  mot  a  déjà  chassé  de  l'armée, 
par  des  ordres  arbitraires,  par  les  jugemens  illégaux  et 
monstrueux  de  la  tyrannie  patricienne  et  militaire,  plus  de 
soixante  mille  soldats  dont  les  lumières  et  l'énergie  étoient 
la  terreur  du  despotisme  (17).  Ce  mot  a  déjà  immolé  à  la 
liberté  presqu'autant  de  victimes  qu'elle  eut  de  défenseurs. 
Ce  mot  ne  fut  jamais  appliqué  aux  officiers  de  la  caste 
éternellement  privilégiée,  qui  n'a  cessé  de  persécuter  le 
patriotisme  et  d'insulter  à  la  liberté!  Ils  n'étoient  point 
indisciplinés  tous  ces  chefs  transfuges  et  rebelles,  qui  cons- 
piraient contre  leur  patrie,  et  qui  tentèrent  en  vain  la  fidé- 
lité des  soldats.  Ils  n'étoient  point  indisciplinés  ces  corps, 
qui,  séduits  par  la  fatale  influence  des  ennemis  de  notre 
révolution,  osèrent  servir  la  cause  de  la  cour,  et  tremper 
leurs  mains  dans  le  sang  de  leurs  concitoyens!  Du  moins 
ils  furent  constamment  impunis  et  protégés.  L'indiscipline, 
dans  l'idiome  de  nos  patriciens,  c'est  le  crime  d'être  à  la 
fois  soldat  et  patriote;  c'est  le  crime  d'être  autre  chose 
qu'un  automate  disposé  à  égorger  le  peuple  et  à  opprimer 
la  liberté,  au  signal  des  tyrans.  Qu'à  force  d'artifices  et  de 
terreurs,  ils  parviennent  à  faire  de  l'armée  le  redoutable 
instrument  de  la  cour,  ou  des  projets  d'un  conspirateur 
perfide,  alors  vous  entendrez  vanter  par-tout  son  respect 
pour  les  lois  et  son  attachement  à  la  discipline.  Tel  fut 
l'objet  de  tous  les  efforts  qu'ont  faits  depuis  si  long-tems 
des  ambitieux  hypocrites,  pour  conserver,  sous  le  voile 
imposteur  de  l'ordre  et  des  lois,  les  préjugés  les  plus 
absurdes  qu'ait  enfantés  le  despotisme;  tel  fut  l'esprit  de 
ce  code  militaire,  digne  en  tout  de  l'ancien  régime,  qu'ils 
firent  eux-mêmes  pour  eux  contre  l'armée  et  contre  la 
nation. 

Ne  semble-t-il  pas  que  l'on  attendoit  les  événemens 
actuels,  pour  mettre  la  dernière  main  à  cet  ouvrage,  en  pro- 
voquant des  lois  de  sang,  en  cherchant  à  ressusciter  la 

(17)  Allusion  à  la  répression  des  troubles  militaires  de  Nancy  (voir  ci-après, 
pages  60,  173). 


PREMIER    NUMERO  23 

tyrannie  prévotale?  Comme  si  l'on  n'avoit  pas  déjà  des 
lois  de  sang  et  des  tribunaux  à  -peu-près  arbitraires  (18)! 
Juste  ciel!  des  prévôts!  des  supplices!  pour  enflammer  le 
courage,  pour  aiguillonner  le  civisme  des  courageux  sol- 
dats qui  ont  brisé  nos  chaînes!  Quels  ressorts  substitués 
tout-à-coup  à  cet  amour  de  la  patrie,  à  ce  dévouement 
héroïque  qui  les  précipitoit  vers  nos  frontières!  Ne  sont- 
ils  plus  maintenant  que  des  machines  armées  pour  la 
défense  des  rois  ?  Ne  sont-ils  plus  des  hommes  libres,  com- 
battant pour  la  cause  des  peuples?  Avec  quelle  rapidité 
nous  voilà  déchus  de  cette  hauteur  où  nous  avoit  transporté 
les  orateurs  qui,  pour  exciter  notre  enthousiasme,  nous 
montroient  déjà  tous  les  trônes  ébranlés,  et  tous  les  peuples 
affranchis  par  nos  mains  (19)!  «  Si  vous  êtes  trahis,  nous 
disoient-ils  encore,  lorsque  nous  leur  objections  la  perfidie 
connue  des  ennemis  intérieurs  de  notre  liberté,  et  les  justes 
sujets  de  défiance,  fondés  sur  les  principes  et  sur  leur  ca- 
ractère de  certains  chefs;  si  vous  êtes  trahis,  reposez-vous 
sur  le  peuple,  reposez-vous  sur  les  soldats  ;  ils  sauront  faire 
justice  des  traîtres;  il  sortira  des  rangs  quelques  héros 
plébéiens,  qui  conduiront  au  port  la  fortune  publique  »  et 
aujourd'hui  c'est  un  crime  de  soupçonner  la  trahison!  et 
comment  pourra-t-elle  être  réprimée  ou  punie,  si  on  la  cou- 
vre d'un  voile  mystérieux,  si  on  ne  présente  aux  soldats 
qui  oseront  s'en  appercevoir  (sic),  que  la  terreur  des  sup- 
plices et  le  glaive  de  la  vengeance  remis  entre  les  mains  du 
despotisme  militaire?  Je  crains  plus  que  personne  ces  scè- 
nes sanglantes,  remède  horrible  et  fatal  du  plus  grand  des 
maux  auxquels  un  peuple  puisse  être  exposé:  aussi  le  but 
de  ces  observations  est-il  de  déterminer  le  gouvernement 
à  les  prévenir  par  des  moyens  compatibles  avec  le  salut  de 

(18)  A  la  séance  de  l'assemblée  législative  du  2  mai  au  soir,  un  pétitionnaire 
avait  déjà  protesté  contre  le  projet  de  création  de  ces  tribunaux  prévôteaux 
à  la  suite  des  armées. 

Cependant,  sur  rapport  de  Dumas,  aux  séances  des  S  et  9  mai,  elle  avait 
voté  cette  création  auprès  de  chaque  armée  pour  juger  les  crimes  et  délits 
commis  par  les  soldats,  et  ce,  malgré  les  véhémentes  protestations  des  députés 
d'extrême  gauche,  Basire,  Merlin  et  Chabot. 

(19)  Voir  ci-dessus,  page  16. 

Nota.  —  Lisez  les  discours  de  M.  Brissot  sur  la  guerre;  et  voyez  sa 
conduite  actuelle,  ainsi  que  celle  de  ses  amis  dans  toutes  les  discussions.  (Note 
de  Robespierre  mise  au  bas  de  la  page  29,  sans  appel  de  note). 


24  LE   DEFENSEUR    DR    LA   CONSTITUTION 

l'état,  et  à  ne  point  abandonner  à  la  vengeance  nationale 
et  à  l'impétuosité  du  patriotisme  outragé,  le  soin  de  ven- 
ger des  désastres  qu'il  doit  leur  épargner.  Ce  que  je  veux 
dire,  c'est  que,  pour  remplir  cette  tâche,  il  faut  non  pas 
assurer  l'impunité  des  traîtres,  mais  rendre  la  trahison 
impossible:  il  faut  faire  cesser  les  motifs  de  la  défiance 
publique,  et  non  la  punir  comme  un  crime,  ce  qui  ne  f  eroit 
que  la  justifier  et  l'augmenter.  Une  vérité  non  moins  évi- 
dente, c'est  que  de  tous  les  partis,  le  dernier  est  le  plus 
absurde,  le  plus  funeste,  et  qu'il  ne  laisse  aucune  ressource 
à  la  patrie.  Les  soldats  du  moins  sont  éprouvés  et  fidèles. 
Leur  amour  pour  la  patrie,  la  loyauté  qui  est  le  caractère 
du  peuple,  seroit  un  garant  certain  qu'ils  obéiroient,  avec 
transport,  à  la  voix  des  chefs  vraiment  dignes  de  leur  con- 
fiance; ils  ne  sont  même  que  trop  portés  à  l'engouement 
pour  ceux  qui  les  conduisent,  lorsque  ceux-ci  ne  repoussent 
pas  ce  sentiment  ;  et  quoiqu'on  puisse  dire,  pour  nous  épou- 
vanter, sur  le  caractère  indiscipliné  qu'on  leur  prête, 
jamais  on  ne  les  verroit  exercer  des  actes  de  violence  gra- 
tuits :  le  peuple  est  juste,  et  en  général,  sa  colère,  comme 
celle  du  ciel,  ne  frappe  que  les  coupables:  mais  si,  sans 
daigner  nous  rassurer  contre  les  conspirations  qui  peuvent 
être  tramées  contre  nous,  on  se  contente  de  nous  fermer  la 
bouche  et  les  yeux;  si  nous  sommes  placés  dans  cette 
cruelle  alternative,  ou  de  nous  laisser  égorger,  ou  d'être 
traités  comme  des  séditeux  ;  que  nous  reste-t-il  que  de  ten- 
dre la  gorge  au  fer  des  ennemis  et  au  glaive  de  la  tyrannie  ? 

Ah!  n'est-il  pas  plus  juste,  plus  conforme  à  l'intérêt  de 
tous  les  partis,  quelles  que  soient  les  passions  qui  les  agi- 
tent, d'appliquer  aux  plaies  de  l'état  les  remèdes  simples  et 
puissans  que  le  seul  bon  sens  nous  indique? 

Je  les  ai  déjà  présentés  :  je  renouvellerai  encore,  dans  ce 
moment,  une  proposition  importante  que  j'ai  déjà  faite  en 
vain  plusieurs  fois,  et  comme  membre  de  l'assemblée  cons- 
tituante (20),  et  depuis  comme  citoyen.  Je  la  soumets  au 
jugement  de  tous  les  amis  du  bien  public,  dans  des  circons- 

(20)  Notamment  l'important  discours  de  Robespierre  sur  l'organisation  des 
gardes  nationales  présenté  aux  séances  de  l'assemblée  constituante  des  27  et 
28  avril  1791,  discours  qui  eut  un  grand  retentissement.  Il  fut  publié  à  part, 
chez   Buisson,   libraire,   rue   Hautefeuille,   20   (in-8°   de   78  pages)   et   inséré 


PREMIER    NUMERO  25 

tances  où  le  salut  de  l'état  me  fait  une  loi  impérieuse  de  la 
rappeller. 

Il  existe  encore  aujourd'hui  en  France  peut-être  soixan- 
te mille  soldats  congédiés  arbitraireemnt  par  l'aristocratie 
militaire  et  ministérielle,  depuis  le  commencement  de  la 
révolution,  contre  les  lois  anciennes  et  contre  les  lois  nou- 
velles: ces  soldats  dont  les  lumières  et  le  civisme  étoient 
redoutables  à  la  cause  des  tyrans,  pouvoient  être  regardés 
comme  l'élite  de  l'armée.  Depuis  long-tems  ils  ont  fait  inu- 
tilement retentir  leurs  plaintes  toujours  étouffées  par  l'in- 
trigue et  par  l'influence  de  la  cour.  Ils  les  renouvellent 
aujourd'hui  avec  une  nouvelle  force,  dans  les  dangers  de 
la  patrie:  hâtez- vous  d'en  former  une  armée,  qui  sera  le 
plus  ferme  rempart  de  la  liberté.  Que  ces  légions  immor- 
telles soient  commandées  par  un  chef  digne  de  leur  con- 
fiance, et  pris  dans  leur  sein.  Ce  chef  sera  à  coup  sûr  un 
héros.  Qui  défendra  la  cause  des  nations  avec  plus  d'intré- 
pidité, que  ceux  qui  en  furent  (21)  les  martyrs?  Lorsqu'au 
dehors  les  satellites  du  despotisme  et  des  factions  se  liguent 
contre  la  constitution,  pourquoi  lui  refuseriez-vous  le 
secours  d'une  armée  composée  de  ses  plus  intrépides  amis  ? 
Animez  leur  courage,  en  honorant  leur  infortune  et  leurs 
vertus  civiques  ;  qu'ils  reçoivent  une  solde  double  à  titre  de 
récompense  et  d'indemnité;  qu'ils  portent  une  médaille 
avec  cette  inscription  :  Le  patriotisme  vengé;  vous  les  ver- 
rez bientôt  justifier  la  haine  des  despotes  et  l'estime  de  la 
nation.  Cette  seule  institution  suffiroit  pour  réveiller  l'es- 
prit public,  pour  enflammer  tous  les  cœurs  du  saint  enthou- 
siasme de  la  liberté;  et  pour  nous  rassurer  à-la-fois,  et 
contre  nos  ennemis  extérieurs,  et  contre  nos  ennemis  du 
dedans.  La  justice,  l'humanité,  la  liberté,  la  reconnoissance 
publique,  le  salut  de  l'état,  tout  la  réclame:  quel  seroit  le 
mandataire  d'un  peuple  assez  coupable,  pour  la  rejet- 
ter  (sic)? 

presqu'en  entier  dans  le  Point  du  Jour  de  Barère,  nos  656,  657  et  660.  -  Hamei. 
(t.  I,  pp.  423  à  430),  l'analyse. 

c  Ce  discours  établit  d'une  manière  aussi  claire  que  solide,  les  droits  du 
peuple  relativement  au  service  militaire  national  ».  (Société  des  Amis  de  la 
Constitution  de  Besançon). 

(21)  Dans  le  texte,  la  lettre  /  a  sauté. 


26  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

Mais,  pour  faire  la  guerre  utilement  aux  ennemis  du 
dehors,  il  est  une  mesure  générale  absolument  indispensa- 
ble; c'est  de  faire  la  guerre  aux  ennemis  du  dedans,  c'est- 
à-dire,  à  l'injustice,  à  l'aristocratie,  à  la  perfidie,  à  la  tyran- 
nie. Si  ce  dernier  système  est  fidèlement  suivi,  vous  pour- 
rez regarder  la  guerre  comme  un  bienfait;  mais  si  vous 
voyez  régner  dans  l'intérieur  le  despotisme  militaire  et 
une  tyrannie  cruelle  déguisée  sous  le  voile  de  la  loi  et  sous 
les  apparences  de  la  sûreté  publique  ;  si  vous  voyez  croître, 
chaque  jour,  la  discorde  et  l'oppression;  si  le  mépris  des 
hommes,  l'oubli  de  la  déclaration  des  droits,  l'empire  du 
machiavélisme,  de  l'intrigue  et  de  la  corruption,  remplacent 
les  principes  régénérateurs,  sur  lesquels  la  liberté  repose, 
croyez  que  vous  avez  été  trompés  par  les  perfides  conseil- 
lers qui  vous  en  ont  tracé  de  si  brillantes  peintures. 

Enfin,  puisque  la  guerre  doit  décider  de  nos  intérêts  les 
plus  chers,  rappelions-nous  sans  cesse  son  véritable  objet, 
pour  nous  faire,  sur  les  événemens  qu'elle  doit  enfanter, 
des  règles  sûres  d'opinion  et  de  conduite.  Gardons-nous 
d'en  considérer  le  cours  avec  cette  curiosité  stupide  qui  se 
repait  du  récit  des  sièges  et  des  combats,  avec  ce  servile 
engouement  qui  érige  en  idoles  des  officiers  et  des  eréné- 
raux.  Ne  voyons  par-tout  que  la  patrie  et  l'humanité.  Por- 
tons toujours  nos  regards  vers  le  dénouement  et  vers  le 
résultat;  demandons-nous  sans  cesse  quel  sera  le  terme 
de  la  guerre  et  son  influence  sur  le  sort  de  la  liberté? 

Français,  combattez  et  veillez  tout-à-la  fois  ;  veillez  dans 
vos  revers;  veillez  dans  vos  succès:  craignez  votre  pen- 
chant à  l'enthousiasme;  et  mettez-vous  en  garde  contre  la 
gloire  même  de  vos  généraux.  Sachez  découvrir  toutes  les 
routes  que  l'ambition  et  l'intrigue  peuvent  se  frayer,  pour 
parvenir  à  leur  but;  veillez,  soit  que  nos  ennemis  inté- 
rieurs, d'intelligence  avec  ceux  du  dehors,  méditent  de  nous 
livrer  au  glaive  des  despotes,  soit  qu'on  veuille  nous  faire 
acheter,  nar  la  perte  des  citoyens  les  plus  énergiques,  une 
victoire  funeste,  qui  ne  tournerait  qu'au  profit  de  l'aristo- 
cratie. Songez  à  l'ascendant  que  peuvent  usurper,  au  mi- 
lieu d'une  révolution,  ceux  qui  disposent  des  forces  de 
l'état;  consultez  l'expérience  des  nations,  et  représentez- 
vous  quelle  seroit  la  puissance  d'un  chef  de  parti,  habile  à 


PREMIER    NUMERO  2J 

capter  la  bienveillance  des  soldats,  si,  le  peuple  étant  épuisé, 
affamé,  fatigué,  les  plus  zélés  patriotes  égorgés,  le  roi  mê- 
me désertant  encore  une  fois  son  poste,  au  sein  des  hor- 
reurs de  la  guerre  civile,  entouré  de  tous  les  corps  mili- 
taires dont  on  a  couvert  la  surface  de  l'empire,  il  se  mon- 
troit  à  la  France,  avec  l'air  d'un  libérateur,  et  toute  la 
force  des  partis  réunis  contre  l'égalité  (22).  Veillez,  afin 
qu'il  ne  s'élève  point  en  France,  un  citoyen  assez  redouta- 
ble, pour  être  un  jour  le  maître,  ou  de  vous  livrer  à  la  cour, 
pour  régner  en  son  nom,  ou  d'écraser  à4a-fois  et  le  peuple 
et  le  monarque,  pour  élever  sur  leurs  ruines  communes, 
une  tyrannie  légale,  le  pire  de  tous  les  despotismes.  Voulez- 
vous  vaincre,  soyez  patiens  et  intrépides?  Voulez-vous 
vaincre  pour  vous-mêmes,  soyez  réfléchis,  fiers,  calmes  et 
défians  ? 


(22)  Ces  phrases  ne  laissent-elles  pas  prévoir  ce  qui  devait  se  passer  après 
la  chute  de  Robespierre  et  du  régime  démocratique. 

Dans  son  récent  ouvrage  sur  Robespierre  et  la  guerre  révolutionnaire,  M.  G. 
Michon  consacre  son  dernier  chapitre  à  étudier  la  hantise  de  la  dictature  (pp. 
127  à  136)  qui  fut  toujours  l'une  des  principales  préoccupations  de  Robespierre; 
il  revient  souvent  sur  le  danger  de  la  dictature  militaire,  dans  les  nos  4,  5  et  o 
(20  série,  1793)  des  Lettres  à  ses  Commettants;  il  exprime  même  cette  craiate 
avec  éloquence,  la  veille  de  sa  mort,  dans  son  grand  discours-testament  du 
8  thermidor  :  «  Sans  la  raison,  dit-il,  la  victoire  n'est  qu'un  moyen  d'ambition 
et  un  danger  pour  la  liberté,  même  un  prétexte  fatal  dont  l'intrigue  abuse  pour 
endormir  le  patriotisme  sur  les  bords  du  précipice;  sans  elle,  qu'importe  la 
victoire  même?  La  victoire  ne  fait  qu'armer  l'ambition,  éveiller  l'orgueil  et 
creuser  de  ses  mains  brillantes  le  tombeau  de  la  République.  Qu'importe  que 
nos  armées  chassent  devant  elles  les  satellites  armées  des  rois,  si  nous  reculons 
devant  les  vices  destructeurs  de  la  liberté  publique?...  Laissez  flotter  un  mo- 
ment les  rênes  de  la  Révolution,  vous  verres  le  despotisme  militaire  s'en  empa- 
rer et  le  chef  des  factions  renverser  la  représentation  avilie.  Un  siècle  de 
guerre  civile  et  de  calamités  désolera  notre  patrie  et  nous  périront  pour  n'avoir 
pas  voulu  saisir  un  moment  marqué  dans  l'histoire  des  hommes  pour  fonder 
la  liberté  >. 

Dans  une  vision  prophétique  de  l'avenir,  Robespierre,  comme  ci-dessus  en 
l792,  pressentait  la  décadence  de  la  République,  devenue  impérialiste,  livrée  aux 
intrigues  et  aux  convoitises.  Il  annonçait  Bonaparte.  (G.  Michon,  ibid.,  pp. 
M5-I36). 


28  LE   DÉFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

III 

Réponse  de  M.  Robespierre 
Aux  discours  de  MM.  Brissot  et  Gaudet  (sic)  du  25  avril  1792, 

prononcée  à  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution, 
le  27  du  même  mois,  et  imprimée  par  ordre  de  la  Société  (23) 

Je  ne  viens  pas  vous  occuper  ici,  quoiqu'on  en  puisse 
dire,  de  î'intérêt  de  quelques  individus  ni  du  mien  ;  c'est  la 
cause  publique  qui  est  l'unique  objet  de  toute  cette  contes- 
tation. Gardez-vous  de  penser  que  les  destinées  du  peuple 
soient  attachées  à  quelques  hommes;  gardez-vous  de 
redouter  le  choc  des  opinions,  et  les  orages  des  discussions 
politiques,  qui  ne  sont  que  les  douleurs  de  l'enfantement 
de  la  liberté.  Cette  pusillanimité,  reste  honteux  de  nos 
anciennes  mœurs,  seroit  recueil  de  l'esprit  public  et  la  sau- 
vegarde de  tous  les  crimes.  Elevons-nous  une  fois  pour 
tout  à  la  hauteur  des  âmes  antiques;  et  songeons  que  le 
courage  et  la  vérité  peuvent  seuls  achever  cette  grande 
révolution. 

Au  reste  vous  ne  me  verrez  pas  abuser  des  avantages 
que  me  donne  la  manière  dont  j'ai  été  personnellement 
attaqué;  et,  si  je  parle  avec  énergie,  je  n'en  contribuerai 
que  plus  puissamment  à  la  véritable  paix  et  à  la  seule  union 
qui  convienne  aux  amis  de  la  Patrie. 

Ce  n'est  pas  moi  qui  ai  provoqué  la  dernière  scène  qui 
a  eu  lieu  dans  cette  Société;  elle  avoit  été  précédée  d'une 

(23)  La  Société  des  Jacobins  vota  l'impression,  la  distribution  et  l'envoi  aux 
départements  de  cette  réponse  (in-8°  de  16  pages,  de  l'imprimerie  Mayer  et 
CX  Biblio.  Nat.  Lb.  40/695).  —  Le  Journal  des  Débats  et  de  la  Correspondance 
de  la  Société...,  etc.  l'a  publiée  incomplètement  dans  ses  numéros  185,  186  et 
187.  Elle  a  été  reproduite  également  par  Bûchez  et  Roux  dans  Y  Histoire  par- 
lementaire de  la  Révolution  française  (t.  XIV,  pp.  135  à  162),  et  par  Lapon- 
neraye  (t.  I,  p.  278).  —  L.  Gallois  (pp.  120-121")  en  donne  des  extraits.  —  E. 
Hamel  (t.  II,  p.  208  à  216)  l'analyse  et  la  commente.  —  Georges  Michon,  dans 
Robespierre  et  la  guerre  révolutionnaire,  en  reproduit  quelques  passages  (pp. 
106-107).  Voir  aussi  le  procès-verbal  de  la  séance  dans  Aulard  :  La  Société 
des  Jacobins,  t.  III,  pp.  524  à  536. 

Brissot  et  Guadet  avaient  publié  leurs  discours  du  25,  revus  et  augmentés 
de  nouvelles  attaques  contre  Robespierre  (Biblio.  Nat.  Lb  40/694).  Comme 
cette  publication  ne  parut  qu'après  le  27,  Robespierre  n'avait  pu  répondre  à 
ces  nouvelles  calomnies. 


PREMIER    NUMERO  29 

diffamation  révoltante  dont  tous  les  journaux  étoient  les 
instrumens,  et  répandue  sur-tout  par  ceux  qui  sont  entre 
les  mains  de  mes  adversaires.  Deux  députés  à  l'assemblée 
nationale  connus  par  leur  civisme  intrépide  et  le  défenseur 
de  Châteaux-vieux  avoient  articulé  des  faits  contre  plu- 
sieurs membres  de  cette  société  (24).  Sans  m'expliquer 
sur  cet  objet,  et  même  sans  y  mettre  autant  d'importance 
que  beaucoup  d'autres,  sans  attaquer  nommément  qui  que 
ce  soit,  j 'ai  cru  devoir  éclairer  la  société  sur  les  manœuvres 
qui,  dans  ces  derniers  tems,  avoient  été  employées  pour  la 
perdre  ou  la  paraliser  (sic);  j'ai  demandé  la  permission  de 
les  dévoiler  à  cette  séance;  j'avois  annoncé  en  même  tems 
que  je  développerois  dans  un  autre  tems  des  vérités  im- 
portantes au  salut  public;  le  lendemain  toutes  les  espèces 
de  journaux  possibles,  sans  en  excepter  la  Chronique  ni  le 
Patriote  Français  (25),  s'accordent  à  diriger  contre  moi 
et  contre  tous  ceux  qui  avoient  déplu  à  mes  adversaires  les 
plus  absurdes  et  les  plus  atroces  calomnies.  Le  lendemain, 
M.  Brissot,  prévenant  le  jour  où  je  devois  porter  la  parole, 
vient  dans  cette  tribune,  armé  du  volumineux  discours  que 
vous  avez  entendu. 

Il  ne  dit  presque  rien  sur  les  faits  allégués  par  les  trois 
citoyens  que  j'ai  nommés  (26);  il  nous  assure  que  nous  ne 
devons  pas  craindre  de  voir  une  autorité  trop  grande  entre 
les  mains  des  patriciens  ;  se  livre  à  une  longue  dissertation 

(24)  Robespierre  fait  allusion  aux  démêlés  qui  mettaient  alors  aux  prises, 
d'une  part  le  procureur-syndic  du  département  Roederer,  Fauchet,  et  d'autre 
part,  Merlin,  Chabot  et  Collot-d'Herbois  ;  ce  dernier  que  Roederer  poursuivait 
même  devant  les  tribunaux. 

Roederer  vint  s'expliquer  aux  Jacobins,  le  22  avril,  en  un  discours  qui  fut 
imprimé  par  le  Patriote  français,  et  tiré  à  part  (in-8°  de  23  p.  Biblio.  Nat. 
Lb.  40/693).  Ces  démêlés  dégénérèrent,  au  début  de  la  séance  du  25  avril, 
en  échange  de  paroles  assez  vives  entre  Fauchet,  Chabot,  Merlin  et  Collot; 
les  Girondins,  notamment  Brissot  et  Guadet,  mis  en  cause,  élevèrent  le  débat 
et  attaquèrent  Robespierre.  (Aulard,  ibid.,  t.  III). 

(25)  Journaux  de  Condorcet  et  de  Brissot.  Compte  rendu  de  la  séance  des 
Jacobins  du  25,  dans  la  Chronique  de  Paris  de  Condorcet  du  27  avril  ;  le  dis- 
cours de  Brissot  parut  dans  le  Journal  des  Débats  et  de  la  Correspondance  de 
la  Société;  il  fut  imprimé,  avons-nous  dit  (voir  ci-dessus,  p.  28),  avec  le 
discours  de  Guadet,  sous  ce  titre:  Discours  de  MM.  Brissot  et  Guadet, 
députes  à  l'Assemblée  nationale,  prononcés  à  la  séance  de  la  Société  des 
Amis  de  la  Constitution,  le  26  (sic)  avril  1792,  l'an  IV  de  la  liberté.  Lmp. 
de  21  pages  (de  l'imp.  du  Patriote  Français). 

(26)  Merlin,  Chabot  et  Collot  d'Herbois. 


30  LE    DEFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

sur  le  tribunat  (27),  qu'il  présente  comme  la  seule  calamité 
qui  menace  la  nation;  nous  garantit  que  le  patriotisme 
règne  partout,  sans  en  excepter  le  lieu  qui  fut  jusqu'ici  le 
foyer  de  toutes  les  intrigues  et  de  toutes  les  conspirations  ; 
loue  la  dénonciation  en  général:  mais  prétend  que  cette 
arme  sacrée  doit  rester  oisive  par  la  raison  que  nous  som- 
mes en  guerre  avec  les  ennemis  du  dehors:  il  va  jusqu'à 
nous  reprocher  de  crier  contre  la  guerre,  tandis  qu'il  n'est 
pas  question  de  cela  ;  et  que  nous  n'en  avons  jamais  parlé, 
que  pour  proposer  les  moyens  ou  de  prévenir  en  même 
tems  la  guerre  étrangère  et  la  guerre  civile,  ou  au  moins 
de  tourner  la  première  au  profit  de  la  liberté.  Enfin 
au  panégyrique  le  plus  pompeux  de  ses  amis,  il  oppose  les 
portraits  hideux  de  tous  les  citoyens  qui  n'ont  point  suivi 
ses  étendards;  il  présente  tous  les  dénonciateurs  comme 
des  hommes  exagérés,  comme  des  factieux  et  des  agita- 
teurs du  peuple  ;  et  dans  ses  éternelles  et  vagues  déclama- 
tions, il  m'impute  l'ambition  la  plus  extravagante  et  la 
plus  profonde  perversité.  M.  Gaudet  (sic),  que  je  n'avois 
jamais  attaqué  en  aucune  manière,  trouva  le  moyen  d'en- 
chérir sur  M.  Brissot  dans  un  discours  dicté  par  le  même 
esprit. 

Le  même  jour,  un  autre  membre  de  cette  société,  pour 
s'être  expliqué  librement  sur  la  conduite  tenue  par  le  pro- 
cureur-syndic du  département,  dans  la  fête  de  la  liberté, 
reçoit  de  la  part  de  ce  dernier  l'assurance  qu'il  va  le  tra- 
duire devant  les  tribunaux  (28):  et  devant  quels  juges! 
Sera-ce  devant  les  jurés  que  le  procureur-syndic  a  lui- 
même  choisis  ?  Et  ce  procureur-syndic  est  membre  de  cette 
société,  et  après  l'avoir  prise  pour  arbitre  d'une  discussion 
élevée  dans  son  sein,  il  décline  son  jugement,  pour  la  sou- 
mettre à  celui  des  juges  !  Il  récuse  le  tribunal  de  l'opinion 
publique  pour  adopter  le  tribunal  de  quelques  hommes. 

(27)  Le  30  avril,  Robespierre  revient  encore,  aux  Jacobins,  sur  cette  accu- 
sation, et  sur  ce  titre  c  d'aspirant  au  tribunat  »  que  les  Girondins  lui  ont 
décerné;  et  Merlin  précise  ce  terme  en  disant:  «  Si  l'on  appelle  tribunat  de 
dénoncer  les  ennemis  de  la  liberté,  je  déclare  que  je  veux  être  tribun...  » 
(Aulard,  ibid.,  t.  III,  p.  544)- 

(28)  Après  son  discours  du  22  avril  aux  Jacobins,  Roederer  écrit  à  Collot 
d'Herbois  une  lettre  dans  laquelle  il  le  traite  de  calomniateur,  et  lui  annonce 
qu'il  le  poursuit  comme  tel  devant  le  tribunal  criminel.  (Lettre  insérée  in- 
extenso  dans  le  Moniteur  du  26  avril  1792). 


PREMIER   NUMERO  31 

Je  n'ai  aucune  espèce  de  part  ni  directement  ni  indirec- 
tement aux  dénonciations  faites  ici  par  MM.  Collot,  Mer- 
lin et  Chabot  :  je  les  en  atteste  eux-mêmes  ;  j'en  atteste  tous 
ceux  qui  me  connoissent:  et  je  le  jure  par  la  patrie  et  par 
la  liberté  ;  mon  opinion  sur  tout  ce  qui  tient  à  cet  objet  est 
indépendante,  isolée;  ma  cause  ni  mes  principes  n'ont 
jamais  tenu,  ni  ne  tiennent  à  ceux  de  personne.  Mais  j'ai 
cru  que  dans  le  moment  de  la  justice,  les  principes  de  la 
Liberté  publique  et  individuelle,  m'imposoient  la  loi  de 
faire  ces  légères  observations  sur  le  procédé  de  M.  Rœde- 
rer,  avant  de  parler  de  ce  qui  me  regarde  personnellement. 

Avant  d'avoir  expliqué  le  véritable  objet  de  mes  griefs, 
avant  d'avoir  nommé  personne,  c'est  moi  qui  me  trouve 
accusé  par,  des  adversaires  qui  usent  contre  moi  de  l'avan- 
tage qu'ils  ont  de  parler  tous  les  jours  à  la  France  entière 
dans  des  feuilles  périodiques,  de  tout  le  crédit,  de  tout  le 
pouvoir  qu'ils  exercent  dans  le  moment  actuel  (29).  Je  suis 
calomnié  à  l'envie  par  les  journaux  de  tous  les  partis  ligués 
contre  moi  :  je  ne  m'en  plains  pas  ;  je  ne  cabale  point  contre 
mes  accusateurs;  j'aime  bien  que  l'on  m'accuse;  je  regarde 
la  liberté  des  dénonciateurs,  dans  tous  les  tems,  comme  la 
sauvegarde  du  peuple,  comme  le  droit  sacré  de  tout 
citoyen  ;  et  je  prends  ici  l'engagement  formel  de  ne  jamais 
porter  mes  plaintes  à  d'autre  tribunal,  qu'à  celui  de  l'opi- 
nion publique:  mais  il  est  juste  au  moins  que  je  rende  un 
hommage  à  ce  tribunal  vraiment  souverain,  en  répondant 
devant  lui  à  mes  adversaires.  Je  le  dois  d'autant  plus,  que 
dans  les  tems  où  nous  sommes,  ces  sortes  d'attaques  sont 
moins  dirigées  contre  les  personnes  que  contre  la  cause  et 
les  principes  qu'elles  défendent.  Chef  de  parti,  agitateur  du 
peuple,  agent  du  comité  autrichien,  payé  ou  tout  au  moins 

(29)  Cet  argument  a  déterminé  Robespierre,  on  l'a  vu,  à  créer  le  Défenseur 
de  la  Constitution  (voir  l'introduction,  page  VU). 

(30)  Le  Patriote  français  de  Brissot  des  20  mai  et  10  juin  (voir  ci-dessus, 
page  14.  —  Dans  son  avant-propos  que  Brissot  avait  ajouté  à  la  publication 
de  son  discours  et  à  celui  de  Guadet  du  25  avril,  il  reprochait,  entre  autre,  à 
Robespierre  de  servir  les  projets  du  comité  des  Tuileries  :  «  La  liste  civile, 
écrit-il,  a  les  mêmes  opinions  que  le  parti  de  Robespierre  ;  elle  calomnie,  comme 
lui,  les  ministres,  cherche  à  discréditer  comme  lui,  l'assemblée  nationale,  et 
surtout  s'acharne  comme  lui  sur  les  mêmes  patriotes.  J'invite  les  amis  sincères 
de  la  liberté  et  de  la  Constitution,  à  réfléchir  sur  ce  rapprochement  singu- 


$2  LE    DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

égaré,  si  l'absurdité  de  ces  inculpations  me  défend  de  les 
réfuter,  leur  nature  l'influence  et  le  caractère  de  leurs 
auteurs  méritent  au  moins  une  réponse.  Je  ne  ferai  point 
celle  de  Scipion  ou  de  La  Fayette,  qui,  accusé  dans  cette 
même  tribune  de  plusieurs  crimes  de  lèze-nation,  ne  répon- 
dit rien.  Je  répondrai  sérieusement  à  cette  question  de  M. 
Brissot  :  qu'avez-vous  fait  pour  avoir  le  droit  de  censurer 
ma  conduite  et  celle  de  mes  amis?  Il  est  vrai  que  tout  en 
m'interrogeant,  il  semble  lui-même  m'avoir  fermé  la  bou- 
che en  répétant  éternellement  avec  tous  mes  ennemis,  que 
je  sacrifiois  la  chose  publique  à  mon  orgueil;  que  je  ne 
cessois  de  vanter  mes  services,  quoiqu'il  sache  bien  que  je 
n'ai  jamais  parlé  de  moi  que  lorsqu'on  ma  forcé  de  repous- 
ser la  calomnie  et  de  défendre  mes  principes.  Mais  enfin, 
comme  le  droit  d'interroger  et  de  calomnier  suppose  celui 
de  répondre,  je  vais  lui  dire  franchement  et  sans  orgueil 
ce  que  j'ai  fait.  Jamais  personne  ne  m'accuse  d'avoir 
exercé  un  métier  lâche,  où  flétri  mon  nom  par  des  liaisons 
honteuses  et  par  des  procès  scandaleux  (31);  mais  on 
m'accusa  constamment  de  défendre  avec  trop  de  chaleur  la 
cause  des  f  oibles  opprimés  contre  les  oppresseurs  puissans  ; 
on  m'accusa,  avec  raison,  d'avoir  violé  le  respect  dû  aux 
tribunaux  tyranniques  de  l'ancien  régime,  pour  les  forcer 
à  être  justes  par  pudeur:  d'avoir  immolé  à  l'innocence 
outragée,  l'orgueil  de  l'aristocratie  bourgeoise,  municipale, 

lier...  ».  —  La  Chronique  de  Paris  du  28  avril,  sous  la  plume  de  Condorcet, 
propagea  la  première  cette  calomnie,  l'une  des  plus  absurdes  qu'on  ait  inventé 
contre  Robespierre,  et  qui  trouva  cependant  des  écrivains  assez  crédules  pour 
la  recueillir.  En  1833,  en  effet,  un  avocat,  J.  Duplan,  dans  une  brochure, 
s'attache  à  établir  que  Robespierre  a  été  un  agent  de  Coblentz  (Paris,  1833, 
in-8°  de  31  p.). 

(31)  Allusion  au  passé  mouvementé  et  aventureux  de  Brissot,  qui,  avant  la 
Révolution  se  trouva  mêlé  à  de  louches  opérations  dans  lesquelles  l'entraîna 
son  ami,  le  poète  Guillard;  il  fut  même  poursuivi,  en  1782,  puis  en  1791,  pour 
avoir  endossé  des  billets  à  ordre  pour  le  compte  d'un  aventurier  allemand; 
puis,  à  Londres,  lié  avec  d'autres  aventuriers  comme  Théveneau  de  Morande 
et  Swinton,  il  aurait,  à  la  suite  d'une  sorte  de  banqueroute  scandaleuse,  été 
arrêté  et  enfermé,  d'abord  en  Angleterre,  puis  à  la  Bastille,  à  la  requête  de 
ses  créanciers.  Toutes  ces  affaires  plus  ou  moins  obscures,  dans  lesquelles 
Brissot,  peut-être  par  imprudence,  fut  compromis,  lui  firent  du  tort  pendant 
la  Révolution  dans  sa  carrière  politique.  Mais  quoi  qu'il  en  soit,  Brissot  était 
mal  venu  de  rechercher,  dans  le  passé  irréprochable  de  Robespierre,  des  griefs 
à  lui  opposer. 


PREMIER    NUMERO  33 

nobiliaire,  ecclésiastique.  J'ai  fait  dès  la  première  aurore 
de  la  révolution,  au-delà  de  laquelle  vous  vous  plaisez  à 
remonter  pour  y  chercher  à  vos  amis  des  titres  de  confian- 
ce, ce  que  je  n'ai  jamais  daigné  dire,  mais  ce  que  tous  mes 
compatriotes  s'empresseroient  de  vous  rappeler  à  ma  place, 
dans  le  moment  où  l'on  met  en  question  si  je  suis  un  enne- 
mi de  la  patrie,  et  s'il  est  utile  à  sa  cause  de  me  sacrifier; 
ils  vous  diroient  que,  membre  d'un  très-petit  tribunal,  je 
repoussai  par  les  principes  de  la  souveraineté  du  peuple,  ces 
édits  de  Lamoignon,  auxquels  les  tribunaux  supérieurs 
n'opposoient  que  des  formes  (32).  Ils  vous  diroient  qu'à 
l'époque  des  premières  assemblées,  je  les  déterminai  moi 
seul,  non  pas  à  réclamer,  mais  à  exercer  les  droits  du  Sou- 
verain (33).  Ils  vous  diroient  qu'ils  ne  voulurent  pas  être 
présidés  par  ceux  que  le  despotisme  avoit  désignés  pour 
exercer  cette  fonction,  mais  par  les  citoyens  qu'ils  choisi- 
rent librement  (34)  ;  ils  vous  diroient  que,  tandis  qu'ailleurs 
le  tiers-état  remercioit  humblement  les  nobles  de  leur  pré- 
tendue renonciation  à  des  privilèges  pécuniaires,  je  les 
engageois  à  déclarer  pour  toute  réponse  à  la  noblesse  arté- 
sienne, que  nul  n'avoit  le  droit  de  faire  don  au  peuple  de  ce 
qui  lui  appartenoit  (33);  ils  vous  rappelleroient  avec  quelle 

{32)  Dès  sa  seconde  année  d'avocat  au  Conseil  d'Artois,  en  1782,  l'évêque 
d'Arras,  de  Conzie,  avait  nommé  Robespierre  juge  au  tribunal  civil  et  criminel 
de  sa  juridiction  seigneuriale.  C'est  en  cette  qualité  qu'il  repoussa  les  édits 
du  garde  des  sceaux  Lamoignon  sur  le  timbre  et  la  subvention  territoriale 
qui  soulevèrent  dans  le  royaume  une  opposition  formidable. 

(33)  Dans  son  «  Adresse  à  la  Nation  artésienne  »  (brochure  in-8°  de  83 
pages),  écrite,  au  début  de  1789,  sur  la  nécessité  de  réformer  les  états  d'Artois. 

(34)  Le  27  mars  1789,  lors  de  la  première  réunion  du  tiers-état  de  la  ville 
d'Arras  eu  vue  des  élections  aux  Etats  généraux,  les  électeurs  refusèrent 
d'admettre  la  présence  des  officiers  municipaux  nommés  par  la  Cour  et  dont 
certains  étaient  nobles.  Ceux-ci  donnèrent  leur  démission;  le  lendemain,  un 
membre  de  l'assemblée  fit  décider  que  désormais  les  officiers  municipaux 
seraient  élus  directement  par  les  communes.  Robespierre  a  raconté  ces  scènes 
dans  une  brochure  intitulée  :  Les  Ennemis  de  la  patrie  démasqués  par  le  récit 
de  ce  qui  s'est  passé  dans  les  assemblées  du  tiers-état  de  la  ville  d'Arras. 

(35)  Le  20  avril  1789,  à  la  réunion  des  trois  ordres,  l'évêque  d'Arras,  au 
nom  du  clergé,  et  suivi  par  la  noblesse,  avait  fait  décider  l'abandon  d'une 
partie  des  privilèges,  à  titre  de  don  par  les  deux  premiers,  ordres.  Mais  le  tiers 
exigeait  cet  abandon  comme  un  droit;  ainsi,  lors  de  l'assemblée  du  tiers,  le 
lieutenant  général  qui  présidait,  ayant  invité  les  électeurs  à  envoyer  à  la 
noblesse  et  au  clergé  une  députation  chargée  de  leur  témoigner  leur  gratitude, 
Robespierre,  soutenu  par  toute  l'assemblée,  «  se  leva  et  dit  qu'on  ne  devoit 
point  de  remerciements  à  des  gens  qui  n'avoient  fait  que  renoncer  à  des  abus.  » 
(Procès-verbal  des  opérations  du  tiers-état.  —  Lettre  du  duc  de  Guines  au 
comte  de  Villedeuil  du  20  avril  1789.  —  Arch.  Nat.,  Bu,  7). 


34  LE    DEFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

hauteur  ils  repoussèrent,  le  lendemain,  un  courtisan 
fameux,  gouverneur  de  la  province  et  président  des  trois 
ordres,  qui  les  honora  de  sa  visite  pour  les  ramener  à  des 
procédés  plus  polis  (36).  Ils  vous  diroient  que  je  détermi- 
nai l'assemblée  électorale  représentative  d'une  province 
importante,  à  annuler  des  actes  illégaux  et  concusionnaires 
que  les  états  de  la  province  et  l'intendant  avoient  osé  se 
permettre  (37);  ils  vous  diroient  qu'alors  comme  aujour- 
d'hui, en  bute  à  la  rage  de  toutes  les  puissances  conjurées 
contre  moi,  menacé  d'un  procès-criminel,  le  peuple  m'arra- 
cha à  la  persécution,  pour  me  porter  dans  le  sein  de  l'as- 
semblée nationale  (38);  tant  la  nature  m'avoit  fait  pour 
jouer  le  rôle  d'un  tribun  ambitieux  et  d'un  dangereux  agi- 
tateur du  peuple!  et  moi  j'ajouterai,  que  le  spectacle  de  ces 
grandes  assemblées,  éveilla  dans  mon  cœur,  un  sentiment 
sublime  et  tendre,  qui  me  lia  pour  jamais  à  la  cause  du  peu- 
ple, par  des  liens  bien  plus  forts  que  toutes  les  froides  for- 
mules de  sermens  inventées  par  les  lois  :  je  vous  dirai  que  je 
compris  dès-lors  cette  grande  vérité  morale  et  politique 
annoncée  par  Jean- Jacques,  que  les  hommes  n'aiment  ja- 
mais sincèrement  que  ceux  qui  les  aiment  ;  que  le  peuple  seul 
est  bon,  juste,  magnanime  et  que  la  corruption  et  la  tyran- 
nie sont  l'apanage  exclusif  de  tous  ceux  qui  le  dédai- 
gnent (39).  Je  compris  encore  combien  il  eût  été  facile  à 

(36)  Le  duc  de  Guines,  gouverneur  de  l'Artois,  qui  avait  été  ambassadeur 
en  Prusse  et  en  Angleterre.  «  Cet  ordre,  écrit  ce  dernier,  en  parlant  de 
l'assemblée  du  tiers,  étant  généralement  mal  composé,  on  présume  qu'il  appor- 
tera des  obstacles  à  l'union  si  désirable,  et  que  l'assemblée  sera  de  longue 
durée.  »  (Lette  au  comte  de  Villedeuil,  ibid.). 

(37)  Le  jour  de  son  élection  aux  Etats  généraux,  le  26  avril,  «  Robespierre, 
écrit  l'abbé  Proyart,  se  met  à  déclamer  contre  la  tyrannie  des  levées  mili- 
taires qui  ont  lieu  en  Artois.  Il  inculpe  l'intendant  de  la  province;  il  inculpe 
les  Etats.  Il  accumule  les  doléances  sur  le  sort  des  malheureux  habitants  des 
campagnes  qui,  déjà  vexés  en  mille  manières  différentes  par  les  grands, 
sont  encore  actuellement  arrachés  à  leurs  travaux  pour  le  service  mili- 
taire... »  (La  vie  et  les  crimes  de  Robespierre,  Augsbourg,  1795). 

(38)  Dans  sa  brochure  sur  les  Ennemis  de  la  patrie  démasqués,  Robes- 
pierre parle  déjà  des  dangers  auxquels  il  s'exposait  par  sa  franchise,  des 
trames  dont  il  était  l'objet,  des  menaces  de  toute  sorte  qui  lui  étaient  parve- 
nues, des  poursuites  qu'il  craignait  et  que  son  élection  empêcha. 

(39)  Robespierre  avait  déjà  écrit,  en  1789,  lors  de  son  élection  aux  Etats 
généraux,  dans  sa  Dédicace  à  J.-J.  Rousseau,  restée  inachevée,  et  publiée  à 
la  fin  des  Mémoires  de  sa  sœur  (p.  149)  : 

«  Appelé  à  jouer  un  rôle  au  milieu  des  plus  grands  événements  qui  aient 
«  agité  le  monde,  assistant  à  l'agonie  du  despotisme  et  au  réveil  de  la  véri- 


PREMIER    NUMERO  35 

des  représentans  vertueux  d'élever  tout  d'un  coup  la  nation 
française  à  toute  la  hauteur  de  la  liberté.  Si  vous  me 
demandez  ce  que  j'ai  fait  à  l'assemblée  nationale,  je  vous 
répondrai  que  je  n'ai  point  fait  tout  le  bien  que  je  désirois  ; 
que  je  n'ai  pas  même  fait  tout  le  bien  que  je  pouvois.  Dès 
ce  moment  je  n'ai  plus  eu  affaire  au  peuple,  à  des  hommes 
simples  et  purs,  mais  à  une  assemblée  particulière  agitée 
par  mille  passions  diverses,  à  des  courtisans  ambitieux, 
habiles  dans  l'art  de  tromper,  qui,  cachés  sous  le  masque  du 
patriotisme,  se  réunissoient  souvent  aux  phalanges  aristo- 
cratiques pour  étouffer  ma  voix.  Je  ne  pouvois  prétendre 
qu'aux  succès  qu'obtiennent  le  courage  et  la  fidélité  à  des 
devoirs  rigoureux;  il  n'étoit  point  en  moi  de  rechercher 
ceux  de  l'intrigue  et  de  la  corruption.  J'aurois  rougi  de 
sacrifier  des  principes  sacrés  au  frivole  honneur  d'attacher 
mon  nom  à  un  grand  nombre  de  lois.  Ne  pouvant  faire 
adopter  beaucoup  de  décrets  favorables  à  la  liberté,  j'en  ai 
repoussé  beaucoup  de  désastreux;  j'ai  forcé  du  moins  la 
tyrannie  à  parcourir  un  long  circuit  pour  approcher  du 
but  fatal  où  elle  tendoit.  J'ai  mieux  aimé  souvent  exciter 
des  murmures  honorables  que  d'obtenir  de  honteux  applau- 
dissemens;  j'ai  regardé  comme  un  succès  de  faire  retentir 
la  voix  de  la  vérité,  lors  même  que  j'étois  sûr  de  la  voir 
repoussée;  portant  toujours  mes  regards  au  delà  de  l'étroi- 
te enceinte  du  sanctuaire  de  la  législation,  quand  j'adressai 
la  parole  au  corps  représentatif,  mon  but  étoit  sur-tout 
de  me  faire  entendre  de  la  nation  et  de  l'humanité;  je  vou- 
lois  réveiller  sans  cesse  dans  le  cœur  des  citoyens  ce  sen- 
timent de  la  dignité  de  l'homme  et  ces  principes  éternels 
qui  défendent  'les  droits  des  peuples  contre  les  erreurs  ou 
contre  les  caprices  du  législateur  même.  Si  c'est  un  sujet 
de  reproche,  comme  vous  le  dîtes,  de  paroître  souvent  à  la 
tribune  ;  si  Phocion  et  Aristide  que  vous  citez,  ne  servoient 

«  table  souveraineté,  prêt  de  voir  éclater  des  orages  amoncelés  de  toutes  parts 
«  et  dont  nulle  intelligence  humaine  ne  peut  deviner  tous  les  résultats,  je  me 
«  dois  à  moi-même,  je  devrais  bientôt  à  mes  concitoyens,  compte  de  mes  pen- 
«  sées  et  de  mes  actes.  Ton  exemple  est  là,  devant  mes  yeux.  Je  veux  suivre 
«  ta  trace  vénérée,  dusse-je  ne  laisser  qu'un  nom  dont  les  siècles  à  venir  ne 
«  s'informeront  pas;  heureux  si  dans  la  périlleuse  carrière  qu'une  révolution 
c  inouie  vient  d'ouvrir  devant  nous,  je  reste  constamment  fidèle  aux  inspira - 
«  tions  que  j'ai  puisées  dans  tes  écrits.  >  (Pièce  justificative  n°  i  :  Dédicace 
de  Maximilien  Robespierre  aux  mânes  de  Jean-Jacques  Rousseau). 


36  LE    DÉFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

leur  patrie  que  dans  les  camps  et  dans  les  tribunaux  »  (40), 
je  conviens  que  leur  exemple  me  condamne;  mais  voilà 
mon  excuse.  Mais,  quoiqu'il  en  soit  d'Aristide  et  de  Pho- 
cion,  j'avoue  encore  que  cet  orgueil  intraitable  que  vous  me 
reprochez  éternellement,  a  constamment  méprisé  la  cour  et 
ses  faveurs;  que  toujours  il  s'est  révolté  contre  toutes  les 
factions  avec  lesquelles  j'ai  pu  partager  la  puissance  et  les 
dépouilles  de  la  nation;  que  souvent  redoutable  aux  tyrans 
et  aux  traîtres,  il  ne  respecta  jamais  que  la  vérité,  la  foi- 
blesse  et  l'infortune. 

Vous  me  demandez  ce  que  j'ai  fait.  Oh!  une  grande 
chose,  sans  doute.  J'ai  donné  Brissot  et  Condorcet  à  la 
France.  J'ai  dit  un  jour  à  l'assemblée  constituante  que, 
pour  imprimer  à  son  ouvrage  un  auguste  caractère,  elle 
devoit  donner  au  peuple  un  grand  exemple  de  désintéres- 
sement et  de  magnanimité;  que  les  vertus  des  législateurs 
dévoient  être  la  première  leçon  des  citoyens;  et  je  lui  ai 
proposé  de  décréter  qu'aucun  de  ses  membres  ne  pourroit 
être  réélu  à  la  seconde  législature  (41);  cette  proposition 
fut  accueillie  avec  enthousiasme.  Sans  cela  peut-être  beau- 
coup d'entr'eux  seroient  restés  dans  la  carrière  ;  et  qui  peut 
répondre  que  le  choix  du  peuple  de  Paris  ne  m'eût  pas 
moi-même  appelé  à  la  place  qu'occupent  aujourd'hui  Bris- 
sot  ou  Condorcet?  Cette  action  ne  peut  être  comptée  pour 
rien  par  M.  Brissot,  qui,  dans  le  panégyrique  de  son  ami, 
rappellant  ses  liaisons  avec  d'Alembert  et  sa  gloire  acadé- 
mique, nous  a  reproché  la  témérité  avec  laquelle  nous 
jugeons  des  hommes  qu'il  a  appelles  nos  maîtres  en  patrio- 
tisme et  en  liberté.  J'aurois  cru  moi  que  dans  cet  art  nous 
n'avions  d'autre  maître  que  la  nature. 

(40)  «  Aristide  et  Phocion,  dit  Brissot,  n'assiégeaient  pas  sans  cesse  la  tri- 
bune; mais  ils  étaient  à  leur  poste,  au  camp,  ou  dans  les  tribunaux.  Ils  ne 
dédaignaient  aucun  emploi  donné  par  le  peuple;  ils  ne  parlaient  jamais  d'eux- 
mêmes;  ils  parlaient  peu,  mais  ils  faisaient  beaucoup.  »  Allusion  à  la  démis- 
sion de  Robespierre  de  son  poste  d'accusateur  public,  aux  appointements  de 
8.000  livres.  —  Il  sera  question  plus  loin  (p.  40)  de  cet  incident  relaté  dans 
l'Introduction  (p.  XIII). 

(41)  Discours  de  Maximilien  Robespierre  à  l'assemblée  nationale  (10  mai 
1791)  sur  la  réélection  des  membres  de  l'assemblée  nationale,  imprimé  par 
ordre  de  cette  assemblée,  in-8°  de  11  p.  de  l'imp.  nationale. 

La  proposition  de  non  rééligibilité  des  membres  de  l'assemblée  constituante 
fut  adoptée,  malgré  l'opposition  de  Beaumetz  et  Le  Chapelier. 


PREMIER    NUMERO  3/ 

Je  pourrois  observer  que  la  révolution  a  rapetissé  bien 
des  grands  hommes  de  l'ancien  régime  ;  que  si  les  académi- 
ciens et  les  géomètres  que  M.  Brissot  nous  propose  pour 
modèles,  ont  combattu  et  ridiculisé  les  prêtres,  ils  n'ont 
pas  moins  courtisé  les  grands  et  adoré  les  rois  dont  ils  ont 
tiré  un  assez  bon  parti;  et  qui  ne  sait  avec  quel  acharne- 
ment ils  ont  persécuté  la  vertu  et  le  génie  de  la  liberté  dans 
la  personne  de  ce  Jean- Jacques  dont  j'apperçois  ici  l'image 
sacrée,  de  ce  vrai  philosophe  qui  seul,  à  mon  avis,  entre 
tous  les  hommes  célèbres  de  ce  tems-là,  mérita  ces  hon- 
neurs publics  prostitués  depuis  par  l'intrigue  à  des  charla- 
tans politiques  et  à  de  méprisables  héros. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  dans  le 
système  de  M.  Brissot,  il  doit  paroître  étonnant  que  celui 
de  mes  services  que  je  viens  de  rappeller  ne  m'ait  pas  mé- 
rité quelqu'indulgence  de  la  part  de  mes  adversaires. 

J'ai  cru  encore  que,  pour  conserver  la  vertu  des  membres 
de  l'assemblée  nationale  pure  de  toute  intrigue  et  de  toute 
espérance  corruptrice,  il  falloit  élever  une  barrière  entre 
eux  et  le  ministère,  que  leur  devoir  étoit  de  surveiller  les 
ministres,  et  non  de  s'identifier  avec  eux,  ou  de  le  devenir 
eux-mêmes;  et  l'assemblée  constituante,  consacrant  ces 
principes,  a  décrété  que  les  membres  des  législatures  ne 
pourroient  parvenir  au  ministère,  ni  accepter  aucun  emploi 
du  pouvoir  exécutif  pendant  quatre  ans  après  la  fin  de  leur 
mission  (42).  Après  avoir  élevé  cette  double  digue  contre 
l'ambition  des  représentans,  il  fallut  la  défendre  encore 
long-tems  contre  les  efforts  incroyables  de  tous  les  intri- 
gans  qu'elle  mettoit  au  désespoir;  et  l'on  peut  facilement 
conjecturer  qu'il  m'eût  été  facile  de  composer  avec  eux  sur 
ce  point  au  profit  de  mon  intérêt  personnel.  Eh  bien  !  je  l'ai 
constamment  défendue  ;  et  je  l'ai  sauvée  du  naufrage  de  la 
revision.  Comment  le  délire  de  la  haine  a-t-il  donc  pu  vous 
aveugler  au  point  d'imprimer  dans  vos  petites  feuilles  et 
de  répandre  par-tout  dans  vos  petites  cotteries,  et  même 
dans  les  lieux  publics,  que  celui  qui  provoqua  ces  deux 

(42)  Motion  du  7  avril  1791  adoptée  par  l'assemblée:  «  l'Assemblée  natio- 
nale décrète  qu'aucun  membre  de  l'Assemblée  nationale  actuelle  ne  pourra 
être  promu  au  ministère  ni  recevoir  aucunes  places,  dons  ni  pensions,  ni  trai- 
tements, ni  commissions  du  pouvoir  exécutif,  pendant  quatre  ans  après  la  fin 
de  ses  fonctions.  »  (Arch.  Nat.  C.  1633,  cart.  50).  De  la  main  de  Robespierre. 


38  LE    DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

décrets,  aspire  au  ministère  pour  lui  et  pour  ses  amis  ;  que 
je  veux  renverser  les  nouveaux  ministres,  pour  m'élever 
sur  leurs  ruines  ?  Je  n'ai  pas  encore  dit  un  seul  mot  contre 
les  nouveaux  ministres;  il  en  est  même  parmi  eux  que  je 
préférerois,  quant-à-présent,  à  tout  autre  et  que  je  pour- 
rois  défendre  dans  l'occasion;  je  veux  seulement  qu'on  les 
surveille  et  qu'on  les  éclaire,  comme  les  autres  :  que  l'on  ne 
substitue  pas  les  hommes  aux  principes  et  la  personne  des 
ministres,  au  caractère  des  peuples  :  je  veux  sur-tout  qu'on 
démasque  tous  les  factieux.  Vous  demandez  ce  que  j'ai 
fait  :  et  vous  m'avez  adressé  cette  question,  dans  cette  tri- 
bune, dans  cette  société  dont  l'existence  même  est  un  mo- 
nument de  ce  que  j'ai  fait!  Vous  n'étiez  pas  ici,  lorsque, 
sous  le  glaive  de  la  proscription,  environné  de  pièges  et  de 
bayonnettes,  je  la  défendois  et  contre  toutes  les  fureurs  de 
nos  modernes  Sylla,  et  même  contre  toute  la  puissance  de 
l'assemblée  constituante.  Interrogez  donc  ceux  qui  m'en- 
tendirent: interrogez  tous  les  amis  de  la  constitution  ré- 
pandus sur  toute  la  surface  de  l'empire;  demandez-leur 
quels  sont  les  noms  auxquels  ils  se  sont  ralliés,  dans  ces 
tems  orageux  (43).  Sans  ce  que  j'ai  fait,  vous  ne  m'auriez 
point  outragé  dans  cette  tribune,  car  elle  n'existeroit  plus  ; 
et  ce  n'est  pas  vous  qui  l'auriez  sauvée.  Demandez-leur  qui 
a  consolé  les  patriotes  persécutés,  ranimé  l'esprit  public, 
dénoncé  à  la  France  entière  une  coalition  perfide  et  toute 
puissante,  arrêté  le  cours  de  ses  sinistres  projets,  et  con- 
verti ses  jours  de  triomphe  en  des  jours  d'angoisses  et 

(43)  Voir  les  discours  de  Robespierre  aux  Jacobins  des  21  juin,  14  et  16 
juillet  1791,  sur  la  fuite  du  roi. 

Robespierre  fait  allusion  à  la  scission  profonde  qui  s'opéra  au  sein  de  la 
société,  après  le  massacre  du  Champ  de  Mars,  du  17  juillet;  Robespierre, 
Prieur  de  la  Marne,  Buzot,  Petion,  restèrent  presque  seuls;  la  plupart  des 
membres  la  quittèrent,  par  crainte  des  arrestations  arbitraires  qui  mena- 
çaient les  patriotes,  et  formèrent  le  Club  des  Feuillants.  Pour  prévenir  les 
effets  désastreux  de  cette  scission  et  sauver  la  Société,  Robespierre  rédigea, 
le  24  juillet,  une  Adresse  aux  Sociétés  affiliées  (insérée  dans  le  Patriote 
français,  de  Brissot,  n°  714),  et  quelques  jours  plus  tard,  une  Adresse  aux 
Français  (Paris,  Paquet,  rue  Jacob,  29,  in-8'  de  49  pages)  dans  laquelle  il 
expose  les  événements  et  montre  le  rôle  joué  par  la  Société  des  Jacobins 
dont  il  prend  la  défense. 

A  cette  époque,  Brissot  reconnaît  les  services  que  Robespierre  a  rendu  à  la 
cause  démocratique  (Patriote  français,  n°  738).  —  Beaucoup  de  ceux  qui,  en 
1792,  attaquaient  Robespierre,  se  trouvaient  alors  parmi  les  fugitifs. 


PREMIER    NUMERO  39 

d'ignominie.  J'ai  fait  tout  ce  qu'a  fait  le  magistrat  intè- 
gre que  vous  louez  dans  les  mêmes  feuilles  où  vous  me  dé- 
chirez (44).  C'est  en  vain  que  vous  vous  efforcez  de  séparer 
des  hommes  que  l'opinion  publique  et  l'amour  de  la  patrie 
ont  unis.  Les  outrages  que  vous  me  prodiguez,  sont  dirigés 
contre  lui-même,  et  les  calomniateurs  sont  les  fléaux  de 
tous  les  bons  citoyens.  Vous  jettez  un  nuage  sur  la  conduite 
et  sur  les  principes  de  mon  compagnon  d'armes;  vous 
enchérissez  sur  les  calomnies  de  nos  ennemis  communs, 
quand  vous  osez  m'accuser  de  vouloir  égarer  et  flatter  le 
peuple!  Ei  comment  le  pourrois-je!  Je  ne  suis  ni  le  cour- 
tisan, ni  le  modérateur,  ni  le  tribun,  ni  le  défenseur  du 
peuple;  je  suis  peuple  moi-même! 

Mais  par  quelle  fatalité  tous  les  reproches  que  vous  me 
faites,  sont-ils  précisément  les  chefs  d'accusation  intentés 
contre  moi  et  contre  Péthion  au  mois  de  juillet  dernier  par 
les  d'André,  les  Barnave,  les  Duport,  les  La  Fayette!  (45) 
Comment  se  fait-il  que,  pour  répondre  à  vos  inculpations, 
je  n'ai  rien  autre  chose  à  faire  que  de  vous  renvoyer  à 
l'adresse  que  nous  fîmes  à  nos  commettans,  pour  confon- 
dre leurs  impostures  et  dévoiler  leurs  intrigues  (46).  Alors 
ils  nous  appelloient  factieux;  et  vous  n'avez  sur  eux  d'au- 
tre avantage  que  d'avoir  inventé  le  terme  d'agitateur,  appa- 
remment parce  que  l'autre  est  usé.  Suivant  les  gens  que  je 
viens  de  nommer,  c'étoit  nous  qui  semions  la  division  par- 
mi les  patriotes.  C'étoit  nous  qui  soulevions  le  peuple  con- 
tre les  lois,  contre  l'assemblée  nationale;  c'est-à-dire  l'opi- 
nion publique  contre  l'intrigue  et  la  trahison.  Au  reste  je 
ne  me  suis  jamais  étonné  que  mes  ennemis  n'aient  point 
conçu  qu'on  pouvoit  être  aimé  du  peuple  sans  intrigue,  ou 

(44)  Petion,  le  maire  de  Paris,  à  cette  époque,  suivait  encore,  comme  pen- 
dant la  session  de  l'Assemblée  constituante  la  politique  de  Robespierre;  celui- 
ci,  le  19  mars,  prononça  son  vif  éloge  aux  Jacobins,  à  propos  du  bonnet  rouge, 
éloge  qu'il  renouvela  le  mois  suivant  lors  de  la  fête  de  la  liberté  du  15 
avril,  donnée  en  l'honneur  des  soldats  de  Châteauvieux.  Plus  tard,  non  élu 
par  Paris  à  la  Convention,  Petion  se  rapprochera  de  la  Gironde.  (Voir  la 
suite  du  journal  de  Robespierre  :  Lettres  à  mes  Commettants,  nos  7  et  10  de 
la  ire  série). 

(45)  Lors  du  massacre  du  Champ  de  Mars  et  de  la  scission  des  Jacobins 
que  les  personnages  cités  ci-dessus  quittèrent  pour  fonder  le  Club  des  Feuil- 
lants. 

(46)  Adresse  aux  sociétés  affiliées  dont  il  est  question  ci-dessus  et  que  Bris- 
sot  inséra  dans  son  journal. 


40  LE    DEFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

le  servir  sans  intérêt.  Comment  l'aveugle-né  peut-il  avoir 
l'idée  des  couleurs;  et  les  âmes  viles  deviner  le  sentiment 
de  l'humanité  et  les  passions  vertueuses!  comment  croi- 
roient-ils  aussi  que  le  peuple  peut  lui-même  dispenser  juste- 
ment de  son  estime  ou  son  mépris?  Ils  le  jugent  par  eux- 
mêmes,  ils  le  méprisent  et  le  craignent  ;  ils  ne  savent  que 
le  calomnier  pour  l'asservir  et  pour  l'opprimer. 

On  me  fait  aujourd'hui  un  reproche  d'un  nouveau  genre. 
Les  personnages  dont  j'ai  parlé  dans  le  tems  où  je  fus 
nommé  accusateur  public  du  département  de  Paris,  firent 
éclater  hautement  leur  dépit  et  leur  fureur;  l'un  d'eux 
abandonna  même  brusquement  la  place  de  président  du 
tribunal  criminel  (47);  aujourd'hui  ils  me  font  un  crime 
d'avoir  abdiqué  ces  mêmes  fonctions  qu'ils  s'indignoient  de 
voir  entre  mes  mains  (48)!  C'est  une  chose  digne  d'atten- 
tion de  voir  ce  concert  de  tous  les  calomniateurs  à  gages  de 
l'aristocratie  et  de  la  cour,  pour  chercher,  dans  une  démar- 
che de  cette  nature,  des  motifs  lâches  ou  criminels  !  Ce  qui 
n'est  pas  moins  remarquable,  c'est  de  voir  MM.  Brissot  et 
Guadet  en  faire  un  des  principaux  chefs  de  l'accusation 
qu'ils  ont  dirigée  contre  moi.  Ainsi  quand  on  reproche  aux 
autres  de  briguer  les  places  avec  bassesse,  on  ne  peut  m'im- 
puter  que  mon  empressement  à  les  fuir  ou  à  les  quitter.  Au 
reste  je  dois  sur  ce  point  à  mes  concitoyens  une  explica- 
tion ;  et  je  remercie  mes  adversaires  de  m'avoir  eux-mêmes 
présenté  cette  occasion  de  la  donner  publiquement.  Ils  fei- 
gnent d'ignorer  les  motifs  de  ma  démission  :  mais  le  grand 
bruit  qu'ils  en  ont  fait,  me  prouveroit  qu'ils  les  connoissent 
trop  bien;  quand  je  ne  les  aurois  pas  d'avance  annoncés 
très-clairement  à  cette  société  et  au  public,  il  y  a  trois  mois, 
le  jour  même  de  l'installation  du  tribunal  criminel  (49); 
je  vais  les  rappeller.  Après  avoir  donné  une  idée  exacte  des 

(47)  Le  10  juin  1791,  Robespierre  était  nommé  par  les  électeurs  de  Paris, 
accusateur  public  près  le  tribunal  criminel.  Il  accepta  le  13,  tandis  que  Duport, 
nommé  président  de  ce  même  tribunal,  et  d'André,  substitut,  refusaient  ces 
fonctions.  (Voir  Introduction,  page  XIII). 

(48)  C'est  le  10  avril  1792,  pour  les  raisons  que  nous  avons  indiquées  (voir 
Introduction,  page  XIII),  que  Robespierre  se  démit  de  ses  fonctions  d'accu- 
sateur public. 

(49)  Voir  l'Introduction,  page  XIII,  pour  les  motifs  que  Robespierre 
rappelle  ici-même,  et  le  discours  qu'il  prononça  lors  de  l'installation  du  tri- 
bunal, le  15  février  1792. 


PREMIER    NUMERO  41 

fonctions  qui  m'étoient  confiées;  après  avoir  observé  que 
les  crimes  de  lèze-nation  n'étoient  pas  de  la  compétence  de 
l'accusateur  public  ;  qu'il  ne  lui  étoit  pas  permis  de  dénon- 
cer directement  les  délits  ordinaires,  et  que  son  ministère 
se  bornoit  à  donner  son  avis  sur  les  affaires  renvoyées  au 
tribunal  criminel  en  vertu  des  décisions  du  juré  d'accusa- 
tion; qu'il  renfermoit  encore  la  surveillance  sur  les  offi- 
ciers de  police  ;  le  droit  de  dénoncer  directement  leurs  pré- 
varications au  tribunal  criminel.  Je  suis  convenu  que  ren- 
fermée dans  ces  limites  cette  place  étoit  peut-être  la  plus 
intéressante  de  la  magistrature  nouvelle.  Mais  j'ai  déclaré 
que  dans  la  crise  orageuse  qui  doit  décider  de  la  liberté  de 
la  France  et  de  l'Univers,  je  connoissois  un  devoir  encore 
plus  sacré  que  d'accuser  le  crime  ou  de  défendre  l'innon- 
ce  (50)  et  la  liberté  individuelle,  avec  un  titre  public,  dans 
des  causes  particulières,  devant  un  tribunal  judiciaire;  ce 
devoir  est  celui  de  plaider  la  cause  de  l'humanité  et  de  la 
liberté,  comme  homme,  et  comme  citoyen,  au  tribunal  de 
l'Univers  et  de  la  postérité;  j'ai  déclaré  que  je  ferois  tout 
ce  qui  seroit  en  moi  pour  remplir  à  la  fois  ces  deux  tâches  : 
mais  que  si  je  m'appercevois  qu'elles  étoient  au-dessus  de 
mes  forces,  je  préférerois  la  plus  utile  et  la  plus  périlleuse: 
que  nulle  puissance  ne  pouvoit  me  détacher  de  cette  grande 
cause  des  nations  que  j'avois  défendue,  que  les  devoirs  de 
chaque  homme  étoient  écrits  dans  son  cœur  et  dans  son 
caractère,  et  que,  s'il  le  falloit,  je  saurois  sacrifier  ma 
place  à  mes  principes  et  mon  intérêt  particulier  à  l'intérêt 
général.  J'ai  conservé  cette  place  jusqu'au  moment  où  je 
me  suis  assuré  qu'elle  ne  me  permettroit  pas  de  donner 
aucun  moment  au  soin  général  de  la  chose  publique  ;  alors 
je  me  suis  déterminé  à  l'abdiquer.  Je  l'ai  abdiquée,  comme 
on  jette  son  bouclier,  pour  combattre  plus  facilement  les 
ennemis  du  bien  public  ;  je  l'ai  abandonnée,  je  l'ai  désertée, 
comme  on  déserte  ses  retranchemens,  pour  monter  à  la 
brèche.  J'aurois  pu  me  livrer  sans  danger  au  soin  paisible 
de  poursuivre  les  auteurs  des  délits  privés,  et  me  faire  par- 
donner peut-être  par  les  ennemis  de  la  révolution  une 
inflexibilité  de  principes  qui  subjuguoit  leur  estime.  J'aime 
mieux  conserver  la  liberté  de  déjouer  les  complots  tramés 

(50)  Sic,  mis  pour  <  l'innocence  ». 


42  LE    DEFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

contre  le  salut  public;  et  je  dévoue  ma  tête  aux  fureurs  des 
Sylla  et  des  Clodius.  J'ai  usé  du  droit  qui  appartient  à  tout 
citoyen,  et  dont  l'exercice  est  'laissé  à  sa  conscience.  Je  n'ai 
vu  là  qu'un  acte  de  dévouement,  qu'un  nouvel  hommage 
rendu  par  un  magistrat  aux  principes  de  l'égalité  et  à  la 
dignité  du  citoyen;  si  c'est  un  crime,  je  fais  des  vœux,  pour 
que  l'opinion  publique  n'en  ait  jamais  de  plus  dangereux 
à  punir. 

Ainsi  donc,  les  actions  les  plus  honnêtes  ne  sont  que  de 
nouveaux  alimens  de  la  calomnie!  Cependant  par  quelle 
étrange  contradiction  feignez-vous  de  me  croire  nécessaire 
à  une  place  importante,  lorsque  vous  me  refusez  toutes  les 
qualités  d'un  bon  citoyen.  Que  dis-je,  vous  me  faites  un 
crime  d'avoir  abandonné  des  fonctions  publiques;  et  vous 
prétendez  que,  pour  me  soustraire  à  ce  que  vous  appeliez 
l'idolâtrie  du  peuple,  je  devrois  me  condamner  moi-même 
à  l'ostracisme  (51)!  Qu'est-ce  donc  que  cette  idolâtrie  pré- 
tendue, si  ce  n'est  une  nouvelle  injure  que  vous  faites  au 
peuple?  n'est-ce  pas  être  aussi  trop  défiant  et  trop  soup- 
çonneux à  la  fois  de  paroître  tant  redouter  un  simple 
citoyen  qui  a  toujours  servi  la  cause  de  l'égalité  avec  désin- 
téressement, et  de  craindre  si  peu  les  chefs  de  factions 
entourés  de  la  force  publique,  qui  lui  ont  déjà  porté  tant 
de  coups  mortels  ? 

Mais  quelle  est  donc  cette  espèce  d'ostracisme  dont  vous 
parlez?  Est-ce  la  renonciation  à  toute  espèce  d'emplois 
publics,  même  pour  l'avenir?  Si  elle  est  nécessaire  pour 
vous  rassurer  contre  moi,  parlez,  je  m'engage  à  en  déposer 
dans  vos  mains  l'acte  authentique  et  solennel.  Est-ce  la 
défense  d'élever  désormais  la  voix  pour  défendre  les  prin- 
cipes de  la  constitution  et  les  droits  du  peuple?  De  quel 
front  oseriez-vous  me  le  proposer?  Est-ce  un  exil  volon- 
taire, comme  M.  Guadet  l'a  annoncé  en  propres  ter- 
mes (52)?  Ah!  ce  sont  les  ambitieux  et  les  tyrans  qu'il 

(51)  «  Je  dénonce,  dit  Guadet,  dans  son  discours,  un  homme  qui,  soit 
ambition,  soit  malheur,  est  devenu  l'idole  du  peuple...  Je  dénonce  à  M. 
Robespierre  un  homme  qui,  par  amour  pour  la  liberté  de  sa  patrie,  devrait 
peut-être  s'imposer  à  lui-même,  la  peine  de  l'ostracisme,  car  c'est  servir  le 
peuple  que  de  se  dérober  à  son  idolâtrie.  > 

(52)  Discours  de  M.  Guadet,  dans  la  séance  des  Amis  de  la  Constitution 
du  25  avril  1792  (note  de  Robespierre). 


PREMIER    NUMERO  43 

faudroit  bannir.  Pour  moi,  où  voulez-vous  que  je  me  reti- 
re? Quel  est  le  peuple  où  je  trouverai  la  liberté  établie?  Et 
quel  despote  voudra  me  donner  un  asyle?  Ah!  on  peut 
abandonner  sa  patrie  heureuse  et  triomphante;  mais  me- 
nacée, mais  déchirée,  mais  opprimée  !  On  ne  la  fuit  pas,  on 
la  sauve,  ou  on  meurt  pour  elle.  Le  ciel  qui  me  donna  une 
âme  passionnée  pour  la  liberté,  et  qui  me  fit  naître  sous  la 
domination  des  tyrans,  le  ciel  qui  prolongea  mon  existence 
jusqu'au  règne  des  factions  et  des  crimes,  m'appelle  peut- 
être  à  tracer  de  mon  sang  la  route  qui  doit  conduire  mon 
pays  au  bonheur  et  à  la  liberté;  j'accepte  avec  transport 
cette  douce  et  glorieuse  destinée.  Exigez-vous  de  moi  un 
autre  sacrifice?  Oui,  il  en  est  un  que  vous  pouvez 
demander  encore;  je  l'offre  à  ma  patrie,  c'est  celui  de  ma 
réputation.  Je  vous  la  livre,  réunissez-vous  tous  pour  la 
déchirer,  joignez-vous  à  la  foule  innombrable  de  tous  les 
ennemis  de  la  liberté,  unissez,  multipliez  vos  libelles  pério- 
diques, je  ne  voulois  de  réputation  que  pour  le  bien  de  mon 
pays;  si  pour  la  conserver,  il  faut  trahir,  par  un  coupable 
silence,  la  cause  de  la  vérité  et  du  peuple,  je  vous  l'aban- 
donne; je  l'abandonne  à  tous  les  esprits  foibles  et  versatiles 
que  l'imposture  peut  égarer,  à  tous  les  méchans  qui  la 
répandent,  j'aurai  l'orgueil  encore  de  préférer,  à  leurs  fri- 
voles applaudissemens,  le  suffrage  de  ma  conscience  et 
l'estime  de  tous  les  hommes  vertueux  et  éclairés;  appuyé 
sur  elle  et  sur  la  vérité,  j'attendrai  le  secours  tardif  du 
tems  qui  doit  venger  l'humanité  trahie  et  les  peuples  oppri- 
més. 

Voilà  mon  apologie;  c'est  vous  dire  assez,  sans  doute, 
que  je  n'en  avois  pas  besoin.  Maintenant  il  me  seroit  facile 
de  vous  prouver  que  je  pourrois  faire  la  guerre  offensive 
avec  autant  d'avantage  que  la  guerre  défensive.  Je  ne  veux 
que  vous  donner  une  preuve  de  modération.  Je  vous  offre 
la  paix  aux  seules  conditions  que  les  amis  de  la  patrie 
puissent  accepter.  A  ces  conditions  je  vous  pardonne  volon- 
tiers toutes  vos  calomnies;  j'oublierai  même  cette  affecta- 
tion cruelle  avec  laquelle  vous  ne  cessez  de  défigurer  ce  que 
j'ai  dit,  pour  m'accuser  d'avoir  fait  contre  l'assemblée 
nationale  les  réflexions  qui  s'adressoient  à  vous,  cette  arti- 
ficieuse politique  avec  laquelle  vous  vous  êtes  toujours 


44  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

efforcés  de  vous  identifier  avec  elle,  d'inspirer  de  sinistres 
préventions  contre  moi,  à  ceux  de  ses  membres  pour  qui 
j'ai  toujours  marqué  le  plus  d'égards  et  d'estime.  Ces  con- 
ditions, les  voici: 

Je  ne  transige  point  sur  les  principes  de  la  justice  et  sur 
les  droits  de  l'humanité.  Vous  me  parlerez  tant  que  vous 
voudrez  du  comité  autrichien  ;  vous  ajouterez  même  que  je 
suis  son  agent  involontaire,  suivant  l'expression  familière 
de  quelques  uns  de  vos  papiers.  Moi  qui  ne  suit  point  ini- 
tié dans  les  secrets  de  la  cour,  et  qui  ne  puis  l'être;  moi  qui 
ignore  jusqu'où  s'étendent  l'influence  et  les  relations  de  ce 
comité,  je  ne  connois  qu'une  seule  règle  de  conduite,  c'est 
la  déclaration  des  droits  de  l'homme  et  les  principes  de 
notre  constitution.  Par-tout  où  je  vois  un  système  qui  les 
viole  constamment,  par-tout  où  j'apperçois  (sic)  l'ambition, 
l'intrigue,  la  ruse  et  le  machiavélisme,  je  reconnois  une 
faction;  et  toute  faction  tend  de  sa  nature  à  immoler  l'in- 
térêt général  à  l'intérêt  particulier.  Que  l'on  s'appelle 
Condé,  Cazalès,  La  Fayette,  Duport,  Lameth  ou  autre- 
ment, peu  m'importe:  je  crois  que  sur  les  ruines  de  toutes 
les  factions,  doivent  s'élever  la  prospérité  publique  et  la 
souveraineté  nationale;  et  dans  ce  labyrinthe  d'intrigues, 
de  perfidies  et  de  conspirations,  je  cherche  la  route  qui  con- 
duit à  ce  but  ;  voilà  ma  politique,  voilà  le  seul  fil  qui  puisse 
guider  les  pas  des  amis  de  la  raison  et  de  la  liberté.  Or, 
quelque  soit  le  nombre  et  les  nuances  des  différens  partis, 
je  les  vois  tous  ligués  contre  l'égalité  et  contre  la  constitu- 
tion ;  ce  n'est  qu'après  les  avoir  anéantis  qu'ils  se  dispute- 
ront la  puissance  publique  et  la  substance  du  peuple.  De 
tous  ces  partis  le  plus  dangereux  à  mon  avis,  est  celui  qui 
a  pour  chef  le  héros  qui,  après  avoir  assisté  à  la  révolution 
du  nouveau  monde,  ne  s'est  appliqué  jusqu'ici,  qu'à  arrêter 
les  progrès  de  la  liberté  dans  l'ancien,  en  opprimant  ses 
concitoyens  (53).  Voilà,  à  mon  avis,  le  plus  grand  des  dan- 
gers qui  menacent  la  liberté.  Unissez-vous  à  nous  pour  le 
prévenir.  Dévoilez,  comme  députés  et  comme  écrivains,  et 
cette  faction  et  ce  chef  !  Vous  Brissot,  vous  êtes  convenu 
avec  moi,  et  vous  ne  pouvez  le  nier,  que  ce  chef  étoit  le  plus 
dangereux  de  notre  liberté;  qu'il  étoit  le  bourreau  et  l'as- 

(53)  La  Fayette. 


PREMIER    NUMERO  45 

sassin  du  peuple;  je  vous  ai  entendu  dire,  en  présence  de 
témoins,  que  la  journée  du  Champ-de-Mars  avoit  fait 
rétrograder  la  révolution  de  vingt  années.  Cet  homme  est- 
il  moins  redoutable  parce  qu'il  est  à  la  tête  d'une  armée? 
Non. 

Hâtez-vous  donc,  vous  et  vos  amis,  d'éclairer  la  partie 
de  la  nation  qu'il  a  abusée  ;  déployez  le  caractère  d'un  véri- 
table représentant;  n'épargnez  pas  Narbonne  plus  que 
Lessart  (54).  Faites  mouvoir  horizontalement  le  glaive  des 
lois  pour  frapper  toutes  les  têtes  des  grands  conspirateurs  ; 
si  vous  désirez  de  nouvelles  preuves  de  leurs  crimes,  venez 
plus  souvent  dans  nos  séances  ;  je  m'engage  à  vous  les  four- 
nir. Défendez  la  liberté  individuelle,  attaquée  sans  cesse  par 
cette  faction;  protégez  les  citoyens  les  plus  éprouvés  con- 
tre ses  attentats  journaliers;  ne  les  calomniez  pas;  ne  les 
persécutez  pas  vous-mêmes;  le  costume  des  prêtres  a  été 
supprimé;  effacez  toutes  ces  distinctions  impolitiques  et 
funestes,  par  lesquelles  votre  général  a  voulu  élever  une 
barrière  entre  les  gardes  nationales  et  la  généralité  des 
citoyens  ;  faites  réformer  cet  état-major,  qui  lui  est  ouver- 
tement voué,  et  auquel  on  impute  tous  les  désordres,  tou- 
tes les  violences  qui  oppriment  le  patriotisme.  Il  est  tems 
de  montrer  un  caractère  décidé  -de  civisme  et  d'énergie 
véritable;  il  est  tems  de  prendre  les  mesures  nécessaires 
pour  rendre  la  guerre  utile  à  la  liberté  ;  déjà  les  troubles  du 
midi  et  de  divers  départemens  se  réveillent.  Déjà  on  nous 
écrit  de  Metz,  que  depuis  cette  époque  tout  s'incline  devant 
le  général;  déjà  le  sang  a  coulé  dans  le  département  du 
Bas-Rhin.  A  Strasbourg  on  vient  d'emprisonner  les  meil- 
leurs citoyens;  Diétrich,  l'ami  de  La  Fayette  est  dénoncé 
comme  l'auteur  de  ces  vexations;  il  faut  que  je  vous  le 
dise:  vous  êtes  accusé  de  protéger  ce  Diétrich  et  sa  fac- 

(54)  Le  10  mars  1792,  alors  que  Narbonne,  ministre  de  la  guerre,  venait 
d'être  destitué  brutalement,  Brissot,  appuyé  par  Guadet  et  Vergniaud,  l'avait 
défendu  et  avait  violemment  attaqué  à  la  tribune  de  l'assemblée  législative, 
le  ministre  des  affaires  étrangères,  De  Lessart,  que  lui  et  ses  amis  firent 
décréter  d'accusation,  à  la  suite  de  la  célèbre  et  fougueuse  apostrophe  de 
Vergniaud,  s'écriant,  en  montrant  le  palais  des  Tuileries  :  «  De  cette  tribune, 
j'aperçois  le  palais  où  les  conseillers  pervers  égarent  et  trompent  le  roi 
nue  la  Constitution  nous  a  donné,  forgent  des  fers  dont  ils  veulent  nous 
enchaîner.  L'épouvante  et  la  terreur  sont  souvent  sorties  de  ce  palais,  qu'elles 
y  rentrent  au  nom  de  la  loi  !  > 


46  LE    DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

tion  (55);  non  par  moi,  mais  par  la  société  des  amis  de  la 
constitution  de  Strasbourg  (56).  Effacez  tous  ces  soupçons, 
venez  discuter  avec  nous  les  grands  objets  qui  intéressent 
le  salut  de  la  patrie  ;  prenez  toutes  les  mesures  que  la  pru- 
dence exige  pour  éteindre  la  guerre  civile  et  terminer  heu- 
reusement la  guerre  étrangère;  c'est  à  la  manière  dont 
vous  accueillirez  cette  proposition,  que  les  patriotes  vous 
jugeront;  mais  si  vous  la  rejettez,  rappelez-vous  que  nulle 
considération,  que  nulle  puissance  ne  peut  empêcher  les 
amis  de  la  patrie  de  remplir  leurs  devoirs. 


La  société  des  amis  de  la  constitution  a  arrêté  l'impres- 
sion de  ce  discours,  la  distribution  et  l'envoi  à  toutes  les 
sociétés  affiliées. 

Lasource,  député,  Président;  Chodieu,  député;  Du- 
cos,  député;  Boys,  Pépin,  Perez,  secrétaires. 

IV 
Société  des  Amis  de  la  Constitution  (57) 

Sur  la  motion  d'un  membre,  qui  a  représenté  que  les 
calomnies  répandues  contre  M.  Robespierre,  dans  deux 

(55)  Robespierre  était  en  relation  avec  les  citoyens  des  sociétés  populaires 
de  Metz  et  de  Strasbourg.  —  Le  22  février,  aux  Jacobins,  il  avait  exposé  la 
situation  de  ces  sociétés,  les  intrigues  des  contre-révolutionnaires,  les  manœu- 
vres des  officiers  aristocrates,  comme  le  général  Victor  de  Broglie;  il  avait 
proposé  l'envoi  d'une  adresse  aux  patriotes  alsaciens  (Journal  des  Débats... 
de  la  Société,  n08  143  et  146.  —  Hertz  :  Les  sociétés  politiques  de  Strasbourg 
pendant  la  Révolution).  Les  jacobins  de  Strasbourg  avaient  décerné  à  Robes- 
pierre une  couronne  civique  pour  ses  interventions  en  leur  faveur. 

(56)  Le  4  mai,  un  envoyé  de  Strasbourg  avait  exposé  aux  Jacobins  la 
situation  du  département  du  Bas-Rhin.  —  Le  21  du  même  mois,  un  autre 
député  de  cette  ville,  Périgny,  parla  des  persécutions  dont  les  patriotes  étaient 
l'objet,  notamment  le  journaliste  Laveaux  (voir  ci-après,  page  88)  et  signala 
la  conduite  contre-révolutionnaire  du  maire  Dietrich  (Aulard:  La  Société 
des  Jacobins,  ibid.,  t.  III,  p.  557  et  597). 

(57)  Robespierre  n'avait  pu  répondre,  le  27  avril,  aux  nouvelles  insinua- 
tions contenues  dans  l 'avant-propos  de  la  publication  des  discours  de  Brissot 
et  de  Guadet  du  25;  il  avait  obtenu,  à  grand' peine,  le  30,  la  parole  que  le 
président  Lasource  voulut  même  lui  enlever.  Il  dénonça,  au  milieu  du  tumulte, 
cet  avant-propos;  et  la  société,  comme  on  le  voit  par  le  procès-verbal  ci- 
dessus,  lui  rendit  justice.  * 

Cette  déclaration,  votée  à  l'unanimité  par  la  Société,  n'est  pas  insérée  dans 
le  Journal  des  Dédats  et  de  la  Correspondance  de  cette  société  du  2  mai, 


PREMIER    NUMERO  47 

discours  hier,  sous  le  nom  de  MM.  Brissot  et  Guadet,  et 
aujourd'hui,  dans  le  sein  de  cette  société,  à  l'assemblée 
nationale  et  dans  le  public,  commentés  par  les  journaux, 
exigeoient  que  la  société  démentit  cette  diffamation,  et 
rendit  témoignage  à  'la  vérité,  aux  principes  et  à  la  conduite 
de  M.  Robespierre. 

La  société  a  arrêté  de  déclarer  qu'elle  regarde  la  manière 
dont  ces  écrits  rendent  les  faits  qui  se  sont  passés  dans  son 
sein,  comme  contraire  à  la  vérité,  et  les  inculpations  diri- 
gées contre  M.  Robespierre,  comme  démenties  par  la  noto- 
riété publique,  autant  que  par  sa  conduite  constante.  La 
société  a  arrêté  également,  à  l'unanimité,  que  cette  déclara- 
tion seroit  imprimée  et  envoyée  à  toutes  les  sociétés  affi- 
liées. 

Lasource,  député  à  l'assemblée,  président,  Chodieu, 
Ducos,  députés,  Perez,  Pépin,  secrétaires 

n"  187  (Aulaud,  t.  III,  p..  539).  Mais  elle  fut  envoyée  à  toutes  les  sociétés 
affiliées.  —  Elle  est  reproduite  dans  la  Tribune  des  Patriotes  de  Fréron,  n°  1, 
p.  48.  —  Bûchez  et  Roux  l'ont  donnée  dans  l'Histoire  parlementaire,  t.  XIV, 
p.  168.  —  E.  Hamel,  II,  p.  224,  la  signale. 


LE  DÉFENSEUR  DE  LA  CONSTITUTION 

N°2 

Articles  contenus  dans  ce  numéro 

48  pages  (65  à  112) 

Pages 
du  document 

I.  —  Sur  la  nécessité  et  la  nature  de  la  discipline 

militaire     65  à     84 

II.  —  Nouvel  attentat  contre  la  liberté  individuelle  et 

contre  les  droits  du  peuple   85  à    92 

III.  —  Fmprisonnement  de  M.  Le  Cointre   93  à     99 

IV.  —  Observations  sur  un  pamphlet  99  à  100 

V.  —  Assemblée   nationale  :    décret   définitif     :mardi 

(pour  mercredi)  16  mai  1792,  séance  du  soir; 
décret  du  jeudi  17  mai  1792;  2e  décret  du 
jeudi  17  mai  1792;  décret  du  18  mai  1792; 
séance  du  jeudi  17  mai  1792:  3°  décret 
définitif     100  à  112 


Sur  la  nécessité  et  la  nature  de  la  discipline  militaire  (1) 

La  discipline  est  l'âme  des  armées;  la  discipline  supplée 
au  nombre,  et  le  nombre  ne  peut  suppléer  à  la  discipline. 
Sans  la  discipline,  il  n'est  point  d'armée;  il  n'y  a  qu'un 

(1)  Laponneraye  (t.  I,  p.  340  à  353)  reproduit  cet  article:  «  Robespierre, 
dit-il,  montre  que  la  discipline  militaire,  telle  que  l'entendaient  les  aristocrates, 
n'était  autre  chose  que  l'esclavage  des  soldats  et  le  despotisme  des  chefs.  Il 
établit  en  principe  que  la  seule  discipline  qui  soit  juste  et  à  laquelle  les  soldats 
doivent  se  soumettre,  c'est  celle  qui  est  basée  uniquement  sur  les  droits  de 
l'humanité  et  sur  les  exigences  du  service  militaire.  Cet  article  si  remarquable, 
ajoute-t-il,  venait  fort  à  propos  après  tout  ce  que  Robespierre  avait  dit  sur 
la  guerre  et  sur  la  manière  de  la  faire  utilement,  c'est-à-dire  dans  l'intérêt 
général.  »  Cet  article  figure  également  dans  YHistoir:  parlementaire  (t.  XIV, 
P-  387  à  397). 

Simplement  cité  par  L.  Gallois  (p.  120),  il  est  analysé  par  G.  Michon. 
ibid.,  p.  1 19-120,  et  par  E.  Hamel  (t.  II,  p.  241  à  243)  qui  fait  ressortir  que 
«  les  attentats  possibles  d'un  soldat  ambitieux  occupent  toujours  l'esprit  de 


50  LE    DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

assemblage  d'hommes,  sans  union,  sans  concert,  qui  ne 
peuvent  diriger  efficacement  leurs  forces  vers  un  but  com- 
mun, tel  qu'un  corps  qu'a  abandonné  le  principe  de  la  vie, 
ou  telle  qu'une  machine  dont  le  ressort  est  brisé.  Ces  véri- 
tés sont  aussi  évidentes  qu'aucune  de  celles  que  l'expérience 
et  la  raison  peuvent  démontrer. 

Il  est  une  question  moins  clairement  résolue  pour  tous 
les  esprits,  qui  est  intimement  liée  à  ces  vérités,  et  dont  la 
solution  est  absolument  nécessaire  pour  en  déterminer  la 
juste  application,  une  question  que  personne  ne  s'est  encore 
avisé  d'approfondir,  mais  que  beaucoup  de  gens  se  sont 
efforcés  d'environner  d'une  obscurité  presque  religieuse, 
c'est  celle-ci  :  quelle  est  la  nature,  quel  est  le  véritable  objet 
de  la  discipline  militaire  ?  Quel  est  enfin  le  sens  exact  de  ce 
mot?  On  ne  l'a  point  encore  expliqué  jusqu'à  ce  moment. 

L'Assemblée  constituante  a  reconnu  et  proclamé  solen- 
nellement de  grands  principes  :  mais  il  s'en  faut  bien  qu'elle 
les  ait  fidèlement  appliqués  à  toutes  les  parties  de  la  légis- 
lation: il  semble  même  qu'elles  les  ait  regardés  comme 
absolument  étrangers  au  code  militaire.  Personne  n'ignore 
que  ce  code  fut  l'ouvrage  d'un  comité  composé  de  nobles, 
officiers  généraux  ou  colonels,  et  des  ministres  de  la  guerre 
qui  se  succédèrent  pendant  cette  période  (2).  Ils  ne  firent 

Robespierre  ».  Répondant  à  Michelet  qui  avait  accusé  l'auteur  de  tendances 
désorganisatrices,  Hamel  montre  que  Robespierre  est  d'accord,  sur  ce  point, 
avec  les  idées  émises  par  Mme  de  Staël  dans  ses  Considérations  sur  la  Révo- 
lution française  (t.  II,  ch.  XIV,  3e  édition"1. 

Les  décrets  des  16  au  t8  mai  que  Robespierre  publie  à  la  fin  de  ce  numéro 
concernent  surt  ut  les  affaires  militaires,  la  discipline  d^s  armées. 

(2)  Le  Comité  militaire  de  l'Assemblée  Constituante  était  composé,  en 
1790-1791,  de  15  membres,  presque  tous  nobles,  officiers  de  l'ancien  régime, 
dont  plusieurs  émigrèrent  et  servirent  même  dans  l'armée  de  Condé;  ce  sont: 
le  marquis  de  Rostainp,  le  marquis  de  BouthilHer-Chavigny,  le  prince  de 
Bronlie,  le  baron  de  Wimpffcn,  le  vicomte  de  Noailles,  le  baron  de  Menou, 
le  vicomte  de  Beauharnais.  le  marnuis  de  7"  iboutot,  le  mamuis  de  Crillon, 
Alexandre  de  Lameth  et  Bureaux  de  Pusy,  soit  onze,  tous  députés  de  l'ordre 
de  la  noblesse;  les  ouatre  autres,  démîtes  du  tiers-état  étaient:  encore  deux 
nobles,  le  comte  de  Mirabeau  (l'aîné),  et  Dubois  de  Crancé  (dont  la  noblesse 
était  cependant  contestée),  et  deux  avocats.  Emmery  et  Chabroud. 

Le  ministre  de  la  guerre,  comme  le  dit  Robespierre,  était  admis  aux  séances 
du  Comité  de  l'armée  de  l'assemblée. 

Ce  Comité  avait  été  nommé  le  2  octobre  i?8o  à  12  membres.  Au  début,  il 
comprenait  encore  d'autres  officiers  de  l'ancien  régime  oui.  deouis.  avaient 
démissionné  et  même  avaient  émigré  :  le  comte  d'Egmont,  le  comte  de  Gomer, 


DEUXIEME    NUMERO  51 

que  le  présenter  par  parties  à  la  sanction  de  l'assemblée, 
qui  l'adopta,  avec  une  confiance  sans  réserve,  et  qui  croyoit 
à  peine  avoir  conservé  le  droit  de  veto:  Tant  étoit  généra- 
lement répandu  le  préjugé,  qu'il  ne  convenoit  qu'à  des  mi- 
litaires de  comprendre  quelque  chose  aux  lois  qui  concer- 
noient  l'armée  (3)  !  Tant  on  étoit  loin  de  savoir  que  la  por- 
tion la  plus  importante  de  ces  lois  n'étoit  pas  celle  qui  tient 
à  la  science  de  la  tactique,  et  qui  exige  des  connoissances 
militaires  !  Tant  on  étoit  loin  de  deviner  qu'elles  étoient  liées 
de  toutes  parts  aux  principes  et  aux  intérêts  de  la  liberté 
civile  et  politique,  et  que  les  hommes  les  moins  propres  à 
combiner  tous  ces  rapports,  à  concilier  les  devoirs  du  soldat 
avec  ceux  du  citoyen,  n'étoient  point  ceux  que  des  préjugés 
d'état  et  de  naissance,  que  l'intérêt  personnel  devoit  natu- 
rellement guider,  plutôt  que  les  maximes  de  la  politique  et 
de  la  philosophie.  Aussi,  malgré  quelques  modifications  de 
détail,  les  bases  et  l'esprit  du  nouveau  code  sont  absolument 
dignes  de  l'ancien  ;  et  le  mot  de  discipline  militaire  ne  pré- 
sente pas  encore  aujourd'hui,  parmi  nous,  des  idées  plus 
précises  et  plus  justes,  que  dans  les  pays  où  l'armée  n'est 
qu'un  instrument  entre  les  mains  d'un  despote  pour  enchaî- 
ner et  égorger  les  peuples. 

Tâchons  de  les  éclaircir,  avec  l'intérêt  qu'inspire  la  nou- 
veauté de  cette  question,  et  l'attention  qu'exige  le  salut  de 
la  liberté,  à  laquelle  elle  est  liée. 

le  vicomte  de  Panât  qui  avait  été  le  premier  président,  le  baron  de  Fleislanden, 
le  marquis  à'Ambly,  ce  dernier  nommé  le  15  décembre  1789  avec  Bureaux  de 
Puzy  et  démissionnaire  le  17  avril  1790  avec  Bouthillier-Chavigny  qui  cepen- 
dant resta  inscrit  jusqu'en  1791.  Le  marquis  de  Grillon,  Alexandre  de  Lameth, 
nommés  le  17  avril  1790,  le  vicomte  Alexandre  de  Beauharnais,  le  prince  de 
Broglie  et  Chabroud,  nommés  le  25  octobre  1790,  et  le  marquis  de  Thiboutot 
qui  bientôt  disparut  à  son  tour,  remplacèrent  les  défections,  ou  complétèrent 
à  15  le  nombre  des  membres  du  Comité.  (Pierre  Caron:  Les  papiers  des 
Comités  militaires  de  la  Constituante,  de  la  Législative  et  de  la  Convention. 
Publications  de  la  Société  de  l'Histoire  de  la  Révolution  française,  1912). 

(3)  Ce  fut  pourtant  un  avocat,  Emmery  qui,  au  nom  du  Comité  militaire 
présenta  ce  projet  de  code  militaire  qui  fut  discuté  à  la  séance  de  l'Assem- 
blée constituante  du  24  juillet  1791  et  adopté  après  une  longue  discussion  au 
cours  de  laquelle,  —  encore  deux  avocats,  —  Barnave  et  Prieur  de  la  Marne 
notamment,  combattirent  le  projet. 

Robespierre  s'était  déjà  opposé,  le  28  avril,  à  l'adoption  d'un  premier  projet 
sur  les  conseils  de  guerre  présenté  par  Beaumetz  ;  soutenu  par  les  deux  Lameth, 
Prieur  de  la  Marne  et  Sillery,  il  avait  pu  le  faire  ajourner  (Hamel,  ibid., 
t.  I,  p.  231-232). 


52  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

Qu'est-ce  que  la  discipline  militaire?  C'est  la  fidélité  à 
remplir  les  devoirs  du  service  militaire;  c'est  l'obéissance 
aux  lois  particulières  qui  règlent  les  fonctions  du  soldat. 
Les  obligations  spéciales  imposées  au  soldat  pour  les  enga- 
gements qu'il  a  contractés  avec  la  patrie  ne  s'étendent  pas 
plus  loin  ;  par  une  conséquence  nécessaire,  l'autorité  de  ses 
chefs  est  circonscrite  dans  les  mêmes  limites.  Le  soldat 
est  un  homme  et  un  citoyen  ;  il  a  sous  ces  trois  qualités,  des 
devoirs  et  des  droits  qui  doivent  et  peuvent  se  concilier. 
Quand  il  a  rempli  ses  devoirs  de  soldat,  dont  je  viens  d'in- 
diquer la  nature,  il  jouit  des  mêmes  droits  que  les  autres 
citoyens  et  les  autres  hommes.  La  loi  militaire  est  pour  le 
soldat,  ce  que  sont  pour  les  citoyens  les  lois  civiles  et  poli- 
tiques ;  le  citoyen  a  le  droit  de  faire  tout  ce  que  les  lois  civi- 
les et  politiques  ne  défendent  pas;  le  soldat  a  le  droit  de 
faire  tout  ce  que  la  loi  militaire  ne  lui  défend  pas.  La  loi 
civile  ne  peut  défendre  que  ce  qui  nuit  à  la  société  et  aux 
droits  d'autrui  ;  la  loi  militaire  ne  peut  défendre  que  ce  qui 
nuit  au  service  militaire.  Toute  loi  qui  impose  à  l'homme 
une  privation  ou  un  fardeau  inutile  est  un  acte  tyrannique, 
tout  homme  ou  tout  chef  qui  exige  ce  que  la  loi  ne  prescrit 
pas  est  un  despote  et  un  tyran,  c'est-à-dire  un  rebelle. 

Ainsi,  qu'un  soldat  manque  à  l'appel,  à  la  revue,  à  quel- 
qu'exercice;  qu'il  déserte  son  poste  ou  refuse  d'obéir  aux 
ordres  que  ses  chefs  lui  donnent  dans  l'ordre  du  service 
militaire,  il  viole  la  discipline;  il  doit  être  puni  suivant  les 
lois.  Mais  si  ces  mêmes  chefs,  étendant  plus  loin  leur  em- 
pire, veulent  lui  interdire  l'exercice  des  droits  qui  appar- 
tiennent à  tout  citoyen;  si  un  officier,  par  exemple,  s'avi- 
soit  de  vouloir  lui  défendre  de  visiter  ses  amis,  de  fréquen- 
ter des  sociétés  autorisées  par  la  loi;  s'il  vouloit  se  mêler 
de  ses  lectures,  de  sa  correspondance,  pourroit-il  invoquer 
la  discipline  et  exiger  l'obéissance?  Non.  Suivant  les  idées 
de  discipline  reçues  jusques  aujourd'hui  par  les  préjugés, 
sur  la  foi  du  machiavélisme  et  de  l'aristocratie,  il  n'y  a 
aucune  raison,  pour  qu'un  officier  ne  puisse  pas  dire  à  un 
soldat  qu'il  rencontre  dans  une  maison,  ou  sur  une  place 
publique  :  «  Ta  présence  me  déplaît  ici,  je  t'ordonne  de  ren- 
trer dans  ta  caserne  ;  je  te  défends  de  parler  à  cette  femme  ; 
je  me  réserve  à  moi  seul  le  plaisir  de  converser  avec  elle  ». 


DEUXIÈME   NUMÉRO  53 

Il  n'y  a  pas  de  raison,  du  moins  dans  ce  système,  pour  que 
le  soldat  qui  dans  ces  occasions  ferait  le  mutin  et  manque- 
rait de  respect  à  son  officier,  ne  fût  pas  envoyé  en  prison, 
et  puni  comme  insubordonné.  Cependant,  suivant  les  règles 
de  la  véritable  discipline,  c'est  l'officier  qui  seroit  ici  indis- 
cipliné; et  le  soldat  devroit  lui  répondre:  «  Je  ne  connais 
point  d'officiers  dans  les  cercles,  ni  sur  les  places  publi- 
ques, et  hors  du  service  militaire;  comme  soldat,  j'obéirai 
aux  chefs  qui  me  commanderont  au  nom  de  la  loi;  j'obser- 
verai toutes  les  règles  qu'elle  a  établies;  comme  citoyen 
libre,  j'userai  des  droits  qu'elle  me  garantit,  et  je  ne  me 
soumettrai  point  à  l'empire  d'une  individu  ».  Cette  réponse 
est  admissible  dans  tous  les  pays  où  la  loi  règne.  Car  obéir 
à  l'homme  qui  ne  commande  pas  au  nom  de  la  loi,  c'est 
offenser  la  loi  même,  et  se  rendre  complice  de  celui  qui 
usurpe  son  pouvoir.  Celui  qui  la  feroit,  ne  seroit  point 
indiscipliné,  il  ne  seroit  qu'un  homme  libre  et  un  citoyen 
éclairé,  par  conséquent  un  soldat  fidèle  et  courageux,  plus 
redoutable  aux  ennemis  de  l'état,  que  ces  automates 
meurtriers  qui  ne  doivent  leur  bravoure  qu'à  la  fureur  ou 
même  à  la  crainte. 

Il  résulte  de  tout  ce  que  je  viens  de  dire,  que  les  princi- 
pes de  la  justice  et  de  l'ordre  social  peuvent  s'appliquer 
plus  facilement  qu'on  ne  le  pense,  aux  citoyens  armés  pour 
la  défense  de  la  patrie.  On  peut  tirer  de  ces  principes  des 
conséquences  aussi  simples  qu'importantes. 

On  peut  en  conclure  :  i  °  que  tout  excès  de  sévérité,  dans 
les  peines,  est  un  crime  social; 

2°  Que  toute  forme  arbitraire  et  tyrannique,  dans  les 
jugemens,  est  un  attentat  contre  l'innocence  et  contre  la 
liberté  publique  et  individuelle.  Car,  quoique  des  raisons 
particulières  au  régime  de  l'armée  puissent  solliciter  quel- 
ques modifications  aux  règles  générales,  jamais  elles  ne 
peuvent  exiger  qu'on  livre  l'innocent  comme  le  coupable  à 
la  discrétion  d'un  homme,  dans  toutes  les  circonstances 
possibles,  il  est  toujours  vrai  que  le  glaive  des  lois  ne  doit 
frapper  que  le  crime  ;  et  jamais  la  tyrannie  ne  peut  sauver 
ni  l'état  ni  la  liberté.  Que  faudroit-il  donc  penser  de  la  loi 
qui  remettrait  entre  les  mains  d'un  général  le  pouvoir  de 
vie  et  de  mort  sur  les  soldats?  Celui  qui  en  est  revêtu  est 


54  LE   DEFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

maître  absolu  de  l'armée;  on  est  criminel  ou  innocent, 
selon  sa  fantaisie  ;  la  discipline  entre  ses  mains  est  l'obliga- 
tion de  faire  tout  ce  qui  convient  à  ses  intérêts  ;  elle  n'est 
autre  chose  que  la  servitude  la  plus  absolue;  quelques 
funestes  que  ses  volontés  puissent  être  au  salut  de  la  patrie 
et  aux  droits  du  peuple,  elles  sont  sacrées  comme  la  loi, 
irrésistibles  comme  la  foudre.  Que  sera-ce  si  vous  confiez 
au  même  homme  le  droit  de  faire  des  lois  ou  des  réglemens, 
ce  qui  est  la  même  chose?  Juste  ciel!  la  puissance  judiciaire 
et  législative,  c'est-à-dire  la  puissance  souveraine  trans- 
mise à  un  général  d'armée!  Que  deviendra  donc  celle  du 
véritable  législateur  sans  armes,  contre  ce  législateur  fac- 
tice, entouré  de  la  force  militaire  !  De  tous  les  moyens  d'im- 
moler la  liberté  au  despotisme  militaire,  en  est-il  un  aussi 
expéditif  et  aussi  infaillible?  Quel  esprit  de  terreur  peut 
donc  inspirer  une  pareille  résolution!  N'apprendra-t-on 
jamais  à  apprécier  les  vices  et  les  vertus  des  hommes  ?  Ne 
saura-t-on  jamais  estimer  le  peuple,  et  se  confier  à  la  fois 
à  son  intérêt  et  à  son  caractère?  Craindra-t-on  toujours 
la  révolte  des  gouvernés,  et  jamais  l'égoïsme  et  l'ambition 
des  gouvernans  ?  Une  armée  de  citoyens  doit-elle  donc  être 
plus  suspecte  qu'un  chef  militaire?  Une  armée  n'est-elle 
pas  plus  que  celui-ci,  intéressée  au  salut  de  la  patrie,  plus 
attachée  à  la  cause  du  peuple  ?  et  la  seule  raison  de  sa  pro- 
pre sûreté  ne  la  porte-t-elle  pas  naturellement  à  suivre  les 
ordres  d'un  général  digne  de  sa  confiance  ?  Vous  trouverez 
plus  facilement  cent  mille  généraux  perfides  ou  ambitieux, 
qu'une  armée  gratuitement  coupable  et  rebelle;  pourquoi 
donc  agir  directement  contre  la  nature  des  choses,  en  don- 
nant aux  chefs  la  confiance  que  mérite  l'armée  ?  Rassurez- 
vous  donc,  ou  plutôt  ne  craignez  que  nos  véritables  enne- 
mis. 

Examinez  maintenant  cet  objet  important  sous  de  nou- 
veaux rapports  ;  transportez-vous  dans  des  tems  de  révolu- 
tions. Supposez  une  révolution  commencée  par  le  peuple  et 
pour  le  peuple,  contre  le  despotisme  royal  et  contre  la 
noblesse.  Mais  arrêtée  par  les  manœuvres  combinées  de  la 
noblesse  et  de  la  cour;  supposez  qu'au  sein  d'une  guerre 
suscitée  par  l'une  et  par  l'autre,  les  chefs  de  l'armée  soient 
des  nobles  choisis  par  la  cour.  Eh  bien!  quelle  discipline 


DEUXIEME   NUMÉRO  55 

voudriez-vous  dans  l'armée,  de  celle  du  despotisme  ou  de 
celle  que  j'ai  définie?  Quelles  dispositions  exigeriez-vous 
des  soldats,  si  ce  n'est  que,  prêts  à  repousser  les  ennemis 
extérieurs,  ils  fussent  assez  vigilans,  assez  magnanimes, 
pour  prévenir  les  perfidies  tramées  contre  la  nation;  si  ce 
n'est  que,  dociles  au  commandement  des  officiers,  lorsqu'il 
s'agit  de  battre  les  troupes  étrangères,  ils  fussent  toujours 
assez  en  garde  contre  la  séduction,  assez  éclairés,  assez 
pénétrés  de  l'esprit  et  des  principes  de  la  Constitution,  pour 
refuser  de  servir  leur  ambition  contre  le  peuple  et  contre 
la  liberté?  Chercher  à  altérer  sans  cesse  en  eux  ce  carac- 
tère, vouloir,  à  quelque  prix  que  ce  soit,  les  rendre  à  leur 
état  d'automates;  les  livrer  à  la  merci  de  leurs  chefs  sus- 
pects, qu'est-ce  autre  chose  que  relever  le  despotisme  et 
l'aristocratie  sur  les  ruines  de  la  liberté  naissante? 

Qu'il  étoit  loin  du  bon  sens  et  de  la  vérité,  ce  représen- 
tant (4),  qui,  voulant  investir  les  généraux  de  cette  for- 
midable dictature,  après  une  longue  suite  de  blasphèmes 
contre  le  peuple  qui  l'a  créé,  invoquait,  avec  emphase,  la 
sévérité  de  la  discipline  chez  les  Romains  et  chez  les  peuples 
libres!  Nous  ne  lui  demanderons  pas  dans  quels  livres  il 
a  étudié  le  code  militaire  des  Romains  et  des  Grecs  (5): 
mais  où  a-t-il  vu  que  les  généraux  de  Rome  et  de  Sparte 
oubliassent  qu'ils  commandaient  à  des  citoyens,  et  éten- 
doient  leur  empire  au  delà  des  bornes  de  la  discipline  mili- 
taire proprement  dite? 

Comment  d'ailleurs,  peut-il  comparer  notre  situation 
actuelle  à  celle  de  ces  peuples  anciens  où  les  généraux 

(4)  M.  Dumolard  dans  la  séance  du  12  mai.  —  «  Je  n'aime  pas  les  prin- 
cipes de  M.  Dumolard;  je  n'aime  pas  davantage  le  civisme  de  M.  Guadet,  qui, 
dans  la  même  discussion,  ne  repoussa  avec  une  fausse  véhémence,  les  phrases 
anti-civiques  du  premier,  que  pour  arriver  au  même  résultat  et  appuyer  la 
même  motion.  Ce  ne  sont  pas  des  lieux  communs  que  le  peuple  demande  à  un 
représentant,  mais  des  actions.  Ce  ne  sont  point  quelques  traits  rares  et  appa- 
rents de  patriotisme,  destinés  à  pallier  une  conduite  équivoque  et  suspecte; 
c'est  un  attachement  invariable  aux  principes  et  à  la  cause  de  la  liberté.  Que 
m'importent  les  paroles  dorées  du  médecin  qui  m'assassine;  ou  le  jargon  du 
charlatan  politique  qui  me  défend  aujourd'hui,  pour  mieux  m'enchaîner 
demain?  »  (Note  de  Robespierre). 

(5)  Les  discours  de  Dumolard  et  de  Guadel  sont  reproduits  dans  le  Moniteur 
du  13  mai  1792;  le  projet  était  présenté  par  Dumas  au  nom  du  Comité  mili- 
taire de  l'Assemblée.  Thuriot  combattit  énergiquement  la  proposition  de  don- 
ner aux  généraux  «  le  droit  de  mort  ou  de  déshonneur  »  sur  leurs  soldats. 


56  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

étoient  les  magistrats,  où  les  soldats,  après  une  courte  cam- 
pagne, rentraient  dans  les  murs  de  la  cité,  et  n'étoient  plus 
que  des  citoyens;  où  les  chefs,  l'armée,  la  république  ne 
connoisaient  qu'un  seul  intérêt,  et  n'avoient  à  combattre 
que  l'ennemi  étranger?  Les  Grecs  marchoient-ils  au  com- 
bat sous  les  généraux  de  Xerxès,  et  les  Romains  sous  les 
drapeaux  de  Porsenna?  Ignore-t-on  que  ces  mêmes  Ro- 
mains qui  volèrent  si  souvent  à  la  victoire  sous  les  ordres 
des  Camille  et  des  Fabricius,  refusèrent  de  vaincre  sous  la 
conduite  des  Décemvirs  ;  que,  rappelés  à  Rome  par  les  cris 
de  l'innocence  et  de  la  liberté  outragées,  ils  remirent  la 
défaite  des  Eques  et  des  Sabins  au  tems  où  ils  auroient 
fait  tomber  sous  le  glaive  des  lois,  Appius  et  ses  complices  ; 
ils  le  firent,  et  triomphèrent,  lgnore-t-on  que,  dans  la 
guerre  d'Amérique,  le  traitre  Arnold  fut  puni  par  ceux 
qu'il  avoit  commandés  (6)  ?  Le  sénat  Américain  songea-t-il 
alors  à  traiter  ceux-ci  en  coupables  et  en  brigands  ?  Si  les 
Hollandais  avoient  prévu  la  perfidie  du  prince  de  Salm  (7) 
et  les  Brabançons  celle  de  Schomfeld  (8),  porteroient-ils 
aujourd'hui  des  chaînes  ?  Que  dis-je  !  quand,  jusque  sous  le 
despotisme,  des  généraux  infâmes  immolaient  impudem- 
ment nos  soldats  à  une  courtisane,  croiriez-vous  que  l'uni- 
vers et  la  nation  leur  eussent  fait  un  crime  d'avoir  sauvé 
l'armée  et  la  gloire  du  nom  français,  par  une  généreuse 

(6)  Le  général  Bénédict  Arnold,  après  de  brillants  débuts,  dans  la  guerre 
de  l'Indépendance,  trahit  la  cause  de  ses  concitoyens;  il  fut  blâmé  par  le 
Sénat  et  Washington.  Il  tenta  de  livrer  un  arsenal  aux  Anglais'  et  passa  dans 
leurs  rangs.  Il  se  réfugia  à  Londres  où  il  mourut  en  1801. 

(7)  Le  prince  allemand  Frédéric  de  Salm-Kirbourg  s'était  mis,  en  mars 
1790,  à  la  disposition  des  Etats  du  Brabant  qui  s'étaient  libérés  du  joug  autri- 
chien (lettre  insérée  dans  le  Moniteur  du  18  mars  1790);  il  avait  ensuite 
abandonné  leur  cause,  lors  de  la  réaction;  cependant  les  Autrichiens,  rede- 
venus les  maîtres,  l'avaient  fait  enfermer,  le  12  mai  1792,  dans  la  forteresse 
d'Anvers.  Délivré  par  les  troupes  françaises  du  général  Lamarlière  le  18 
novembre  suivant,  il  se  réfugia  à  Paris.  Mais  il  fut  arrêté,  accusé  d'avoir  trahi 
la  Révolution  belge  et  conduit  à  l'échafaud  le  5  thermidor  an  II. 

(8)  Le  général  prussien,  baron  de  Schcenfeld,  avait  été,  en  1790,  lors  de  la 
Révolution  du  Brabant,  nommé  lieutenant  général  des  armées  belges  et  avait 
gagné  la  confiance  des  patriotes;  mais  défait  par  les  Autrichiens  le  23  mai 
1790,  il  fut  fortement  soupçonné  de  trahison;  il  ne  tarda  pas  d'ailleurs  à 
passer  au  service  du  roi  de  Prusse,  et  combattit  contre  la  France  révolution- 
naire en  1793;  ce  fut  lui  qui  fit  capituler  Mayence  et  obligea  les  troupes  de 
la  Convention  à  quitter  cette  place.  Il  mourut  à  l'armée,  le  28  janvier  1794 
(9  pluviôse  an  II.  —  Moniteur  du  22  de  ce  mois). 


DEUXIÈME   NUMÉRO  57 

désobéissance  au  perfide  qui  leur  défendoit  de  vaincre,  et 
leur  ordonnoit  de  se  laisser  égorger?  Il  est  des  circonstan- 
ces extraordinaires  dans  l'histoire  des  nations,  où  la  voix 
de  la  nature  et  de  la  nécessité  parle  avec  un  empire  irrésis- 
tible. C'est  en  vain  que  la  fausse  prudence  ou  la  perfidie 
politique  voudroit  la  démentir.  On  prévient  les  grandes 
crises  par  la  sagesse  et  par  l'énergie:  lorsqu'une  fois  elles 
sont  nées,  on  ne  les  étouffe  point  par  la  violence,  à  moins 
qu'on  ne  veuille  tout  renverser  et  tout  perdre.  Si  nous  ne 
sommes  pas  absolument  décidés  à  reprendre  nos  fers,  ne 
forçons  pas  la  nature  des  choses  et  les  ressorts  du  gouver- 
nement; n'appelons  point  le  despotisme  au  secours  de  la 
liberté;  ne  la  défendons  pas  comme  des  esclaves  que  son 
ombre  même  épouvante.  Prenons  garde  qu'à  force 
d'éblouir  nos  yeux  de  ses  emblèmes,  d'assourdir  nos  oreil- 
les de  son  langage,  on  ne  parvienne  à  nous  la  ravir  elle- 
même,  sans  que  nous  nous  en  soyons  aperçus.  Défions- 
nous  du  civisme  fastueux  et  de  la  politique  dangereuse  de 
nos  patriciens  militaires  ;  et  craignons  qu'avec  ce  seul  mot 
de  discipline,  ils  ne  nous  conduisent  à  notre  perte.  Déjà, 
ils  ont  beaucoup  avancé  cet  ouvrage:  voulez-vous  empê- 
cher qu'ils  ne  l'achèvent  promptement,  mettons  à  profit 
notre  propre  expérience,  pour  réparer  les  erreurs  funestes 
où  ils  nous  ont  entraînés  ;  comparons  les  principes  que  nous 
venons  de  développer  avec  ce  qui  s'est  passé  jusqu'ici  au 
milieu  de  nous  ? 

En  résumant  notre  système,  on  voit  naître,  pour  ainsi 
dire,  deux  espèces  de  discipline  militaire;  l'une  est  le  pou- 
voir absolu  des  chefs  sur  toutes  les  actions  et  sur  la  per- 
sonne du  soldat,  l'autre  est  leur  autorité  légitime  circons- 
crite dans  tout  ce  qui  touche  au  service  militaire.  La  pre- 
mière est  fondée  sur  les  préjugés  et  sur  la  servitude;  la 
seconde  est  puisée  dans  la  nature  même  des  choses  et  dans 
la  raison.  La  première  fait  des  militaires  autant  de  serfs 
destinés  à  seconder  absolument  les  caprices  d'un  homme; 
l'autre  en  fait  les  serviteurs  dociles  de  la  patrie  et  de  la 
loi  ;  elle  les  laisse  hommes  et  citoyens.  La  première  convient 
aux  despostes,  la  seconde  aux  peuples  libres.  Avec  la  pre- 
mière, on  peut  vaincre  les  ennemis  de  l'Etat;  mais  on 
enchaîne  et  on  opprime  en  même  temps  les  citoyens;  avec 


58  LE  DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

la  seconde,  on  triomphe  plus  sûrement  des  ennemis  étran- 
gers, et  on  défend  la  liberté  de  son  pays  contre  les  ennemis 
intérieurs. 

Depuis  le  commencement  de  la  révolution,  vous  n'avez 
cessé  d'entendre  accuser  les  soldats  d'indiscipline.  Mais 
examinez,  je  vous  prie,  quelle  est  celle  de  ces  deux  espèces 
de  discipline  qu'ils  ont  violée  :  est-ce  celle  qui  consiste  à  rem- 
plir exactement  les  fonctions  militaires?  Non,  jamais  on  ne 
reprocha  à  notre  armée  de  les  avoir  abandonnées.  On  a 
même  remarqué,  avec  une  juste  admiration,  que  les  corps 
qui  avoient  des  différends  civiques  avec  leurs  chefs,  mon- 
troient  la  noble  fierté  de  confondre  leurs  calomnies  par  une 
scrupuleuse  exactitude  à  en  observer  tous  les  devoirs.  La 
discipline  qu'ils  ont  violée,  c'étoit  la  soumission  passive  et 
aveugle  à  la  volonté  d'un  maître,  même  en  ce  qui  est  par- 
faitement étranger  aux  relations  du  soldat  avec  le  chef, 
que  dis-je  ?  en  ce  qui  leur  étoit  impérieusemnt  défendu  par 
l'intérêt  le  plus  sacré  de  la  patrie.  Leur  premier  crime  con- 
tre cette  discipline,  ce  fut  le  refus  magnanime  de  servir  la 
cause  de  nos  anciens  tyrans  contre  la  nation,  et  de  tremper 
leurs  mains  dans  le  sang  du  peuple  et  de  ses  premiers 
représentans  ;  les  autres  furent  des  actes  ou  légitimes,  ou 
louables,  dignes  de  la  nouvelle  patrie  qu'ils  avoient  créée. 
On  leur  faisoit  un  crime,  tantôt  de  porter  le  signe  sacré  de 
la  liberté  conquise;  tantôt  de  chanter  le  cantique  si  cher 
aux  bons  citoyens  :  tantôt  de  se  mêler  à  nos  danses  civiques, 
et  de  partager  la  joie  du  peuple  dans  les  fêtes  innocentes, 
célébrées  en  l'honneur  de  la  patrie  ;  on  vouloit  qu'ils  demeu- 
rassent isolés  de  la  nation  dont  ils  faisoient  partie,  étran- 
gers aux  sentiments  et  aux  droits  de  la  liberté  qui  étoit 
leur  ouvrage.  Telles  étoient,  les  véritables  causes  de  ces 
démêlés  des  soldats  avec  leurs  officiers.  Le  prétexte  étoit  le 
mot  d'indiscipline.  Le  moindre  manquement  au  service, 
personnel  à  quelques  individus  qui  auroit  été  à  peine 
apperçu  (sic),  dans  l'ancien  régime,  étoit  exaeéré,  imputé 
à  toute  l'armée.  Encore  n'osa-t-on  presque  jamais  articu- 
ler un  fait  précis  de  ce  genre:  que  dis-je?  Tels  étoient  l'in- 
civisme et  l'ignorance  même  de  leurs  accusateurs,  oue 
ceux-ci  ne  balançaient  pas  à  avouer  ouvertement  qu'ils 
mettaient  au  rang  des  devoirs  du  soldat,  celui  de  déposer 


DEUXIÈME   NUMÉRO  59 

le  ruban  tricolor  (sic),  et  de  s'interdire  toutes  les  expres- 
sions de  leurs  sentimens  patriotiques,  dès  que  leurs  offi- 
ciers l'ordonnoient.  Tout  ce  grand  procès  entre  les  uns  et 
les  autres,  n'étoit  autre  chose  que  la  guerre  du  despotisme 
et  de  l'aristocratie  contre  le  peuple  et  la  liberté  naissante. 
Eh,  qui  le  croiroit!  ce  procès  fut  jugé  en  faveur  des  pre- 
miers. Et  pourquoi  non!  le  despotisme  et  l'aristocratie 
étoient  à  la  fois  accusateurs,  juges  et  parties.  Combien  de 
fois  les  représentans  du  peuple  ne  secondèrent-ils  pas,  sans 
le  savoir,  leurs  funestes  projets  !  J'ai  vu  un  ministre  cons- 
pirateur et  des  patriciens  ennemis  de  la  révolution,  accuser 
les  premiers  défenseurs  de  la  liberté;  et  au  même  instant, 
sur  leur  parole,  l'assemblée  constituante  lancer  un  décret 
de  proscription,  comme  la  foudre;  je  l'ai  vue,  dans  son 
erreur  fatale,  envoyer  la  mort  à  ceux  qui  l'avoient  sauvée  ; 
je  l'ai  vue,  et  au  milieu  des  clameurs  homicides  de  l'igno- 
rance et  de  la  calomnie,  ma  foible  voix  n'a  pu  se 
faire  entendre!  J'ai  vu  soixante  mille  héros  de  la  patrie 
chassés  ignominieusement  par  des  ordres  arbitraires  et  par 
des  jugemens  monstrueux,  pour  la  cause  de  la  révolution; 
j'ai  vu,  dans  leurs  personnes,  le  peuple  outragé,  la  liberté 
persécutée,  le  patriotisme  puni  comme  un  crime,  les  lois 
nouvelles  et  celles  même  du  despotisme  violées  ;  des  repré- 
sentans du  peuple  l'ont  vu,  et  ils  l'on  souffert!  Ils  ont  en- 
tendu les  plaintes  douloureuses  de  nos  défenseurs,  et  ils 
les  ont  repoussés!  Leurs  accusateurs  étoient  des  traîtres 
reconnus;  ils  ont  déserté  lâchement  leurs  drapeaux,  cher- 
ché vainement  à  entraîner  les  soldats  dans  leur  défection, 
ils  ont  levé  l'étendard  de  la  rébellion,  se  sont  joints  aux 
despotes  de  l'Autriche,  pour  déchirer  le  sein  de  leur  patrie  ; 
ceux  qui  sont  restés  parmi  nous,  n'en  inspirent  pas  plus  de 
confiance  aux  citoyens  éclairés  :  et  rien  n'a  pu  encore  nous 
ouvrir  les  yeux;  et  ce  sont  les  soldats  que  l'on  a  continué 
de  calomnier  et  de  poursuivre  :  les  soldats  fidèles  à  la  dis- 
cipline, fidèles  à  la  patrie,  sont  traités  de  rebelles  ;  les  offi- 
ciers rebelles  et  parjures  ont  été  épargnés,  presque  respec- 
tés. O  honte  de  la  raison  humaine!  O  deshonneur  de  ma 
patrie  !  Nul  conspirateur  n'a  encore  expié  le  plus  grand  de 
tous  les  forfaits,  et  la  foiblesse,  la  moindre  erreur  du  peu- 
ple, que  dis-je,  le  civisme  le  plus  pur  et  le  plus  ardent  a  été 


60  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

puni  par  des  supplices  et  par  des  massacres:  et  comme  si 
ce  n'étoit  pas  assez  d'avoir  immolé  cette  foule  de  victimes 
intéressantes,  on  a  encore  insulté,  à  leurs  mânes,  par  des 
couronnes  civiques  décernées  à  leurs  bourreaux  •  on  a  cher- 
ché à  immortaliser  la  mémoire  de  ces  sanglantes  tragédies 
par  des  monumens  odieux  et  par  des  fêtes  sacrilèges  (o). 

O  égalité!  ô  liberté!  ô  justice!  n'êtes-vous  donc  que  de 
vains  noms? 

Déjà  je  vous  vois  succomber  partout  sous  le  sceptre 
d'airain  du  despotisme  militaire.  Toutes  les  autres  puissan- 
ces qui  existoient  avant  la  révolution,  se  sont  écroulées,  lui 
seul  est  resté  debout  ;  c'est  pour  lui  seul  ciu'ont  été  conser- 
vées ces  distinctions  dangereuses,  proscrites  par  la  Cons- 
titution nouvelle,  c'est  pour  lui  que,  déjà  dans  nos  villages 
frontières,  l'autorité  des  magistrats  populaires  a  été  sus- 
pendue ;  c'est  pour  lui  que  l'idôlatrie  prépare  des  triomphes, 
que  la  patrie  prodigue  ses  dernières  ressources  :  que  les  lois 
et  la  Constitution  même  se  taisent:  c'est  lui  oui  déjà  est 
l'arbitre  des  destinées  de  l'Etat.  Législateurs  il  est  tems  de 
songer  à  vous  défendre  vous-mêmes  contre  son  énorme 
puissance  que  l'on  ne  cesse  d'accroître:  que  l'histoire  des 
révolutions  vous  instruise  :  voyez-le  chez  nos  voisins  faire 
servir  insolemment  un  fantôme  de  sénat  à  proclamer  ses 
volontés,  et  s'élever  lui  seul  partout  sur  les  ruines  de  la 
souveraineté  nationale.  Jamais  circonstances  ne  furent  plus 
favorables  à  son  ambition,  que  celles  qui  vous  environnent. 
Depuis  long-tems  vous  semblez  jouer  avec  ce  monstre:  le 
peuple,  trop  peu  éclairé,  le  voit  croître  presque  sans  inquié- 
tude; il  semble  vous  caresser  aujourd'hui:  mais  tremblez 
qu'il  ne  devienne  bientôt  assez  fort  pour  vous  dévorer: 
car  dès  ce  moment  vous  ne  serez  plus. 


(9)  Robespierre  fait  allusion  à  la  répression  impitoyable  des  troubles  mili- 
taires de  Nancy,  d'août  1790,  par  le  marquis  de  Bouille  et  des  officiers  hos- 
tiles à  la  Révolution  qui,  depuis,  avaient  émigré  (voir  ci-après,  page  173). 
Il  revient  souvent,  dans  la  suite,  sur  ces  insurrections.  —  Robespierre,  l'abbé 
Gouttes  et  Biauzat  combattirent  les  mesures  de  rigueur  proposées.  (Hamel, 
ibid.,  t.  I,  p.  310  à  316). 


DEUXIÈME   NUMÉRO  6l 

II 

Nouvel  attentat  contre  la  liberté  individuelle 
et  contre  les  droits  du  peuple  (10) 

Le  18  de  ce  mois,  à  cinq  heures  du  matin,  trois  députés 
de  l'assemblée  nationale,  MM.  Merlin,  Chabot  et  Basire, 
furent  arrêtés  dans  leurs  maisons,  par  trois  cavaliers  de  la 
gendarmerie,  et  conduits  chez  le  sieur  Etienne,  dit  La 
Rivière,  juge  de  paix  de  la  section  d'Henri  IV;  on  avoit 
forcé  les  députés  à  se  lever,  pour  suivre  la  gendarmerie  ;  ils 
trouvèrent  le  juge  de  paix  encore  couché.  Lorsqu'il  lui  plût 
de  quitter  le  lit  ,  il  leur  fit  subir  un  interrogatoire  sur  de 
prétendues  calomnies  contre  MM.  Bertrand  et  Montmorin, 
reprochées  à  l'auteur  des  Annales  Patriotiques,  sur  des 
renseignements  qu'ils  avoient  cru  devoir  donner  à  cet  au- 
teur, comme  membres  du  comité  de  surveillance,  pour  faire 
avorter  par  la  publicité  un  complot  tramé  contre  la  liberté. 
Il  les  traite  comme  des  criminels,  les  fait  garder  à  vue  et 
séparément,  par  la  gendarmerie  qui  les  avoit  amenés  et  les 
renvoie  enfin,  après  avoir  épuisé  sur  eux  toute  l'insolence 
que  peut  déployer  un  petit  despote,  valet  du  despotisme. 
Le  lendemain,  cette  affaire  est  portée  à  l'assemblée  natio- 
nale... Avant  de  parler  du  résultat  de  cette  délibération, 
livrons-nous  aux  réflexions  que  cet  événement  doit  suggé- 
rer aux  amis  de  la  liberté;  il  suffiroit  seul  pour  nous  don- 
ner une  juste  idée  de  notre  situation  actuelle. 

(10)  Dans  le  but  d'intimider  les  patriotes  et  de  mettre  un  terme  aux  dénon- 
ciations lancées  par  le  presse  contre  les  agissements  du  fameux  Comité  autri- 
chien, la  Cour  avait  fait  exercer  des  poursuites  à  la  requête  de  deux  anciens 
ministres  qui  se  prétendaient  calomniés,  Bertrand  de  Molleville  et  Montmorin. 
Le  journaliste  Carra,  rédacteur  des  Annales  patriotiques,  avait  été  inquiété 
et  avait  mis  en  cause  les  députés  Merlin,  Basire  et  Chabot  qui  lui  auraient 
fourni  des  renseignements.  Le  juge  de  paix  de  la  section  de  Henri  IV,  Etienne 
de  Larivière,  chargé  de  l'information  par  le  ministre  de  la  justice  Duranthon, 
avait  fait  arrêter  les  trois  députés.  —  L'Assemblée  législative,  prenant  la 
défense  de  ses  membres  avait  fait  traduire  le  juge  de  paix  devant  la  Haute 
Cour  d'Orléans,  chargée  de  juger  les  conspirateurs  (Séance  du  20  mai  1792. 
Hamel,  t.  II,  p.  261). 

Etienne  de  Larivière,  prisonnier  depuis  cet  incident,  fut  massacré  à  Ver- 
sailles, au  mois  de  septembre  suivant. 

Le  récit  de  Robespierre  contient,  sur  cette  affaire,  des  renseignements  qu'on 
ne  trouve  dans  aucun  autre  journal. 


62  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

Que  trois  membres  de  l'assemblée  nationale,  en  qui  l'opi- 
nion publique  a  particulièrement  reconnu  le  zèle  le  plus 
ardent  pour  le  maintien  des  principes  et  pour  les  droits  du 
peuple,  le  plus  grand  éloignement  pour  toutes  les  espèces  de 
factions,  même  celles  qui  cherchent  à  se  cacher  sous  le  mas- 
que du  patriotisme,  aient  été  choisis  pour  être  les  objets  de 
tous  ces  outrages,  rien,  sans  doute,  ne  doit  paroître  naturel 
aux  yeux  de  ceux  qui  observent  les  coupables  intrigues 
dont  nous  sommes  enlacés  de  toutes  parts.  Mais  il  n'en  est 
pas  moins  vrai  que  le  pays  où  les  fonctionnaires  publics 
osent  commettre  de  pareils  attentats,  est  encore  bien  éloi- 
gné d'être  un  pays  libre. 

Chez  les  anglais,  que  je  suis  très-loin  de  citer  en  tout 
pour  modèles,  la  loi  permet  aux  citoyens  de  tuer  un  officier 
de  police  qui  attenteroit  à  leur  liberté.  Cette  loi  est  une  con- 
séquence du  droit  naturel  qui  ordonne  à  l'homme  de  pour- 
voir à  sa  propre  conservation,  et  auquel  elle  rend  son  em- 
pire, dès  le  moment  où  l'officier  public,  constitué  pour 
protéger  les  droits  des  citoyens,  vient  lui-même  à  les  violer. 
Elle  est  à  la  fois,  le  monument  du  respect  de  ce  peuple  pour 
la  liberté  individuelle,  et  le  frein  nécessaire  des  agens  de 
l'autorité  publique.  Suivant  l'esprit  de  cette  loi,  les  trois 
citoyens  arrêtés  illégalement  par  des  gens  d'armes,  au- 
roient  eu  le  droit  de  repousser  la  violence  par  la  force  (il). 

En  France,  où  la  déclaration  des  droits  de  l'homme  a  été 
promulguée,  comme  la  loi  éternelle  sur  laquelle  la  constitu- 
tion devoit  être  fondée,  l'idée  seule  de  cette  institution 
épouvanteroit  une  infinité  de  gens,  qui  ne  sont  point  du 
tout  effrayés  des  attentats  que  chaque  instant  voit  renaître 
contre  la  liberté  publique  et  contre  la  liberté  individuelle. 

En  Angleterre,  sans  doute,  si  un  tel  crime  avoit  pu  être 
commis,  la  nation  entière  se  seroit  éveillée  au  même  ins- 
tant, pour  en  demander  vengeance:  en  France,  quel  effet 
a  produit  l'arrestation  illégale  et  criminelle  de  trois  défen- 
seurs intrépides  du  peuple!  Ce  n'est  qu'au  bout  de  trois 
jours  et  après  deux  longues  et  tumultueuses  séances,  que 
l'assemblée  législative,  a  pu  sévir  enfin,  contre  le  téméraire 

(il)  Loi  de  Yhabeas  corpus  qui  a  pour  objet  de  garantir  la  liberté  indivi- 
duelle et  prévenir  les  arrestations  arbitraires;  cette  institution  date  d'un  bill 
célèbre  voté  en  1679,  sous  le  règne  de  Charles  II. 


DEUXIÈME    NUMÉRO  63 

agent  qui  avoit  indignement  outragé  la  nation,  et  le  corps 
même  des  représentans.  Ce  méprisable  ennemi  de  la  liberté 
et  des  lois  a  trouvé  de  nombreux  défenseurs;  ce  fut  une 
grande  question,  s'il  seroit  mandé  à  la  barre  ;  toutes  les  res- 
sources de  la  chicane  furent  épuisées  en  sa  faveur.  Il 
arrive  enfin;  il  vient  avec  la  fierté  de  Caton,  accuser,  au 
sein  même  du  sénat,  les  représentans  vertueux  qu'il  a 
outragés;  il  invoque  la  loi,  dont  il  profane  le  nom  sacré, 
pour  justifier  tous  les  crimes  de  la  tyrannie;  il  insulte  à  la 
raison,  à  la  liberté,  au  peuple...  Le  résultat  de  cette  séance, 
qui  se  prolonge  dans  la  plus  orageuse  discussion,  depuis 
sept  heures  jusqu'à  minuit,  est  de  renvoyer  l'affaire  à 
l'examen  du  comité  de  législation  (12). 

Le  lendemain,  point  de  rapport  du  comité.  MM.  Lacroix, 
Bréard,  Montaud,  Maran  (13),  demandent  la  discussion  de 
cet  objet  important  ;  après  huit  heures  de  combats,  où  l'im- 
mortel juge  de  paix  est  tour  à  tour  attaqué,  défendu,  im- 
prouvé, exalté,  l'assemblée,  déclare  enfin,  qu'il  y  a  lieu  à 
accusation  contre  lui  devant  la  haute-cour  nationale  (14). 
J'ai  entendu  des  hommes  habiles,  vanter  ce  magnifique 
triomphe  de  la  liberté,  dont  ils  réclamoient  toute  la  gloire; 
j'ai  vu  des  hommes  de  bonne  foi  se  réjouir  de  ce  que  la 
contre-révolution  et  la  proscription  des  meilleurs  citoyens 
n'avoit  pas  été  formellement  décrétées  dans  cette  occasion. 
Moi,  je  m'afflige  non  pas  de  ce  que  cette  désespérante 
question  a  été  long-tems  et  scandaleusement  agitée,  mais 
de  ce  qu'elle  a  pu  s'élever.  Je  me  reporte  au  tems  où 
la  liberté  civile  étoit  respectée  ;  où  le  despotisme  et  l'aristo- 
cratie cachoient,  dans  la  poussière,  leurs  fronts  humiliés 
devant  la  majesté  de  la  nation:  où  il  eût  été  impossible  de 
défendre  cet  attentat,  où  il  eut  été  ridicule  de  prouver  qu'il 
devoit  être  puni  ;  où  il  eût  été  criminel  de  se  faire  un  mérite 
de  l'avoir  improuvé;  je  me  reporte  au  tems  où  les  vrais 
défenseurs  de  la  liberté  n'avoient  pas  besoin  d'être  défendus 

(12)  Procès-verbal  de  la  séance  du  19  mai  1792. 

(13)  Jean-François  Delacroix,  député  d'Eure-et-Loir;  Jean-Jacques  Bréard, 
de  la  Charente-Inférieure  ;  Louis-Marie-Bon  Montaut  dit  Maribon-Montaut, 
du  Gers  ;  et  Joseph  Marant,  des  Vosges. 

(14)  Sur  la  proposition  de  Delacroix  (d'Eure-et-Loir),  Bréard,  Guadet  et 
Lasource,  combattue  par  Dumolard,  Haussy  et  Robin.  Les  orateurs,  constate 
le  procès-verbal,  parlent  au  milieu  du  plus  grand  tumulte. 


64  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

ou  protégés,  parce  que  nul  n'auroit  été  assez  audacieux 
pour  les  attaquer  ;  où  toutes  les  factions  essayoient  timide- 
ment, dans  l'ombre,  leurs  premières  perfidies  ;  où  la  probité 
franche,  où  les  principes  de  la  justice  et  du  bien  public 
étoient  nos  seuls  guides  ;  je  regrette  ces  tems  où  les  fidèles 
représentans  de  la  nation,  armés  de  toute  la  force  de  l'opi- 
nion publique,  pouvoient  déployer  toute  leur  énergie  et 
toute  leur  vertu;  où  l'on  combattoit  contre  le  despotisme, 
non  pour  la  cause  d'un  parti  ou  d'un  chef:  mais  pour  la 
cause  de  l'humanité  et  pour  l'Intérêt  de  tous  :  où  quelques 
intrigans  n'auroient  pu  faire  oublier,  par  un  éclair  rapide 
de  patriotisme  nécessaire,  la  sûreté  de  l'état  compromise, 
la  liberté  trahie  et  la  fortune  publique  menacée. 

J'applaudis  au  mouvement  généreux  qui  porta  les 
patriotes  purs  de  l'assemblée  législative  à  punir,  dans  le 
sieur  Etienne,  la  plus  criminelle  atteinte  qui  ait  été  portée 
aux  droits  du  citoyens  (sic).  Mais  peut-être  eût-il  été  à  dési- 
rer, pour  les  progrès  de  l'esprit  public  et  pour  l'intérêt  des 
principes,  que  les,  orateurs  qui  discutèrent  cette  question, 
ne  se  fussent  point  bornés  à  fonder  leur  opinion  sur  la 
dignité  du  corps  législatif  et  sur  l'intérêt  de  ses  membres. 
J'aurois  mieux  aimé  les  entendre  réclamer  les  droits  de  tous 
les  citoyens  violés  dans  la  personne  de  MM.  Chabot,  Mer- 
lin et  Bazire,  par  cet  emploi  scandaleux  de  la  force  militai- 
re, pour  les  traîner  au  tribunal  du  juge  de  paix.  Ce  n'est 
pas  seulement  comme  représentans  de  la  nation,  que  ces 
députés  ont  été  outragés;  c'est  sur-tout  comme  citoyens; 
et  ce  n'est  point  un  coup  indirect  qui  fut  porté  au  peuple, 
dans  la  personne  de  quelques-uns  de  ses  mandataires; 
c'est  directement  et  par  la  violation  formelle  des  premiers 
principes  de  la  liberté  civile,  qu'il  a  été  attaqué.  La  dignité 
des  représentans  n'est  qu'un  éclat  emprunté  de  la  majesté 
du  peuple;  sans  la  liberté  civile,  la  liberté  politique  n'est 
qu'une  chimère  ou  plutôt  celle-ci  n'a  d'autre  objet  que 
d'assurer  l'autre,  c'est-à-dire,  de  protéger  la  personne  et  la 
propriété  de  chaque  citoyen. 

Il  faut  que  les  plus  foibles  nndividus  opprimés  puissent 
compter  sur  la  protection  des  lois,  comme  les  magistrats 
eux-mêmes;  il  eût  été  digne  des  législateurs  qui  ont 
défendu  la  bonne  cause,  de  fonder  particulièrement  son 


DEUXIÈME    NUMÉRO  65 

succès  sur  ces  principes.  Cet  exemple  eût  rassuré  plus  puis- 
samment les  citoyens  persécutés,  chaque  jour,  par  les  enne- 
mis de  la  liberté;  il  eût  imposé  davantage  à  cette  horde  de 
petits  tyrans  qui  abusent  sans  cesse  de  l'autorité  que  le  peu- 
ple leur  a  confiée,  pour  l'avilir  et  pour  l'opprimer,  de  la  loi, 
pour  l'anéantir  ou  pour  la  forcer  à  servir  la  cause  du  des- 
potisme. Il  est  bon  sans  doute  que  le  sieur  Etienne  soit  mis 
en  état  d'accusation,  pourvu  qu'il  soit  jugé:  mais  il  est  un 
bien  plus  grand  encore,  auquel  nous  pouvons  prétendre. 
Législateurs,  délivrez-nous  des  attentats  arbitraires  du 
despotisme  militaire  contre  la  liberté  ;  délivrez-nous  du  des- 
potisme non  moins  cruel  de  ces  faux  officiers  de  paix,  qui 
semblent  avoir  déclaré  une  guerre  immortelle  au  patriotis- 
me; réformés  (sic)  enfin  ce  code  de  police  que  le  génie  de 
Tibère  semble  avoir  dicté,  pour  faire  triompher  la  plus 
affreuse  de  toutes  les  tyrannies,  sous  l'empire  d'une  cons- 
titution libre. 

III 

Emprisonnement  de  M.  le  Cointre  (15) 

Le  21  de  ce  mois,  M.  Laurent  Le  Cointre  fut  condamné 
à  trois  jours  de  prison,  par  un  décret  de  l'assemblée  natio- 
nale. Il  avoit  été  proposé  de  le  mettre  en  état  d'accusation. 
Si  l'assemblée  n'a  voulu  que  donner  l'exemple  d'une  impar- 
tiale et  rigoureuse  sévérité,  elle  ne  pouvoit  mieux  en  choi- 
sir l'objet.  Car,  jamais  délit  ne  fut  plus  excusable,  jamais 
accusé  n'eut  plus  de  droits  à  l'estime  de  ses  juges. 

M.  le  Cointre  avoit  été  dénoncé  par  neuf  individus  de  la 
garde  des  cent  Suisses  qui  se  plaignoient  d'avoir  été  arrê- 
tés arbitrairement  par  ses  ordres.  Le  fait  est  que  le  député 
de  Versailles  averti,  comme  membre  du  comité  de  surveil- 
lance, par  les  dénonciations  de  leurs  propres  camarades, 
que  ces  particuliers  étoient  enrôlés  pour  Coblentz,  et  se  dis- 
posoient  à  partir  pour  aller  rejoindre  les  rebelles,  M.  le 

(15)  Laurent  Lecointre,  député  de  Seine-et-Oise,  membre  du  Comité  de 
surveillance  de  l'Assemblée  législative,  avait  ordonné  arbitrairemet  l'arres- 
tation de  neuf  gardes  suisses  qui  s'étaient  enrôlés  dans  l'armée  de  Coblentz. 
Estimant  qu'il  avait  outrepassé  ses  droits,  la  Législative  condamna  Lecointre 
à  trois  jours  de  prison.  Robespierre  approuve  le  geste,  comme  un  hommage 
rendu  au  principe  de  la  liberté  individuelle,  tout  en  reconnaissant  que  le 
député  incriminé  avait  agi  comme  un  bon  patriote  (Hamel,  t.  II,  p.  261). 


66  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

Cointre  crut  que  l'intérêt  de  la  patrie  lui  ordonnoit  d'écrire 
à  la  municipalité  de  Befort  {sic),  pour  lui  donner  avis  du 
départ  et  des  intentions  de  ces  anciens  gardes  du  roi.  La 
municipalité  de  Béfort  les  fît  arrêter.  On  voit  que  M.  le 
Cointre  n'avoit  point  donné  d'ordre  de  les  arrêter  ;  il  savoit 
qu'il  n'avoit  pas  le  droit  d'en  donner  aucun;  il  n'a  donné 
qu'un  avis  et  la  connoissance  du  fait  qui  a  déterminé  la 
municipalité  de  Befort  à  arrêter  ces  hommes  suspects; 
cette  conduite  est-elle  un  délit  ?  Quelques  précautions  même 
extraordinaires  contre  nos  ennemis,  dans  un  tems  de  cons- 
pirations et  de  guerre,  pourroient-elles  mériter  cette  quali- 
fication? Tout  le  monde  conviendra  du  moins  que  de  tels 
délits  ont  la  même  source  que  les  services  rendus  à  la 
patrie.  Heureuse  notre  nation,  si  elle  n'avoit  que  des  excès 
de  patriotisme  à  punir  !  Cependant  à  ne  considérer  le  décret 
de  l'assemblée  nationale  que  comme  un  hommage  rendu 
aux  principes  de  la  liberté  individuelle,  on  doit  lui  rendre 
des  actions  de  grâces  ;  que  la  même  sévérité  s'étende  seule- 
ment aux  véritables  attentats,  aux  violences  arbitraires 
qui  ont  un  principe  tout-à-fait  opposé,  qui,  loin  de  réprimer 
les  complots  de  l'aristocratie,  ne  font  qu'opprimer  le 
patriotisme,  et  tous  les  vœux  des  amis  de  la  patrie  seront 
remplis. 

Au  reste,  le  jugement  rigoureux  porté  contre  ce  der- 
nier, ne  lui  a  point  ôté  l'estime  de  ses  collègues  et  des  bons 
citoyens...  Les  patriotes,  depuis  le  moment  de  son  arresta- 
tion, n'ont  cessé  de  le  visiter.  Ils  se  sont  rappelles  le  carac- 
tère de  probité  austère  et  de  dévouement  à  la  cause  de  la 
liberté  qu'il  a  montré  depuis  le  commencement  de  la  révo- 
lution; c'est  lui  qui,  commandant  de  la  garde  nationale  de 
Versailles,  déconcerta  les  premiers  complots  de  la  cour;  il 
déploya,  avec  l'épouse  de  Louis  XVI,  la  fermeté  d'un 
Romain  ;  il  résista  aux  caresses  et  aux  menaces  de  la  cour  ; 
sa' conduite,  dans  l'affaire  du  5  octobre,  est  un  modèle  de 
courage  autant  que  de  loyauté  (16).  Appelé  ensuite  à  la 

(16)  Laurent  Lecointre,  avant  la  Révolution,  possédait  des  blanchisseries  de 
toile  à  Versailles,  à  Sèvres  et  à  Lisieux.  En  1789,  il  devint  lieutenant-colonel 
de  la  ire  division  de  la  garde  nationale  de  Versailles.  En  cette  qualité,  il 
relevait  souvent  la  garde  aux  abords  du  château;  il  fut  ainsi  témoin  des 
scènes  au  cours  desquelles  les  officiers  des  gardes  du  corps  se  livrèrent  à 
des  orgies,  proférèrent  des  menaces  contre-révolutionnaires  et   foulèrent  au 


DEUXIÈME   NUMÉRO  6j 

législature  par  le  suffrage  de  ses  concitoyens,  il  ne  démentit 
point  son  caractère  ni  ses  principes  ;  étranger  à  toute  fac- 
tion, c'est  lui  qui  dévoila,  dans  plusieurs  écrits,  aussi  lumi- 
neux qu'énergiques,  les  déprédations  du  ministre  Nar- 
bonne  (17).  Le  jour  même  où  ce  dernier  reçut  la  permission 
de  partir  pour  l'armée,  sans  avoir  rendu  ses  comptes,  il 
combattit,  presque  seul,  la  ligue  des  amis  de  ce  ministre; 
il  promit  de  prouver  le  lendemain,  jusqu'à  l'évidence,  dans 
un  écrit,  qui  étoit  alors  sous  presse,  de  nouveaux  faits  qui 
intéressoient  essentiellement  le  salut  public;  et  il  tint  pa- 
role. Le  cours  des  révolutions  amène  à  chaque  instans  des 
contrastes  f  rappans.  Narbonne,  accusé  par  toute  la  France, 
commande  nos  légions;  et  son  vertueux  adversaire  est  en 
prison.  Je  me  suis  fait  un  devoir  de  payer  à  ce  dernier,  le 
tribut  de  l'estime  publique  ;  c'est  au  moment  où  la  vertu  est 
dans  la  disgrâce,  que  les  citoyens  doivent  lui  porter  des 
hommages  que  briguent  le  charlatanisme  des  petits  talens, 
et  la  stérile  faconde  des  orateurs  sans  arme.  Je  n'ai  pu  voir 
sans  douleur,  un  collègue  de  M.  le  Cointre,  racontant  dans 
un  journal  qu'il  rédige,  la  séance  dont  je  viens  de  rendre 
compte,  insulter  au  civisme  éprouvé,  dans  la  personne  de 
cet  estimable  député,  d'une  manière  aussi  injuste  qu'indé- 
cente (18).  Comment  M.  Condorcet  a-t-il  choisi  ce  moment, 
pour  écrire,  dans  sa  cronique  (sic),  que  le  patriotisme  de 
M.  le  Cointre,  consistoit  à  se  dire  patriote  et  à  se  placer  du 
côté  des  patriotes?  Comment  a-t-il  pu  s'étonner  qu'il  ait 
trouvé  des  défenseurs  dans  l'assemblée,  et  affecter  un  si 
grand  courroux  contre  cet  attentat  prétendu  qu'il  lui  repro- 

pied  la  cocarde  tricolore;  malgré  les  interventions  de  la  famille  royale  et  sur- 
tout de  la  reine,  Lecointre  dénonça  le  fait  à  l'assemblée  Constitutante  et  aux 
patriotes  de  Paris,  d'où  les  insurrections  des  5  et  6  octobre.  Les  autres  officiers 
de  la  garde  nationale,  pendant  ces  journées,  ayant  abandonné  leur  poste, 
Lecointre  en  prit  le  commandement  et  s'efforça  de  contenir  la  population  de 
Paris  qui  avait  envahi  le  château  et  voulait  se  livrer  à  des  actes  de  violence. 
La  municipalité  de  Versailles  ayant  fui  également  devant  l'insurrection, 
Lecointre  assura  de  ses  propres  deniers  les  distributions  de  pain  à  la  foule 
innombrable  des  malheureux  qui  occupait  la  ville  (Kuscinski:  Dictionnaire 
des  Conventionnels). 

(17)  Depuis  le  début  de  l'Assemblée  législative,  Laurent  Lecointre  qui 
passa  d'ailleurs  son  existence  à  dénoncer  ses  semblables,  ne  cesse  de  porter 
contre  les  ministres  et  notamment  contre  Narbonne  des  accusations  sur  sa 
gestion  et  ses  opérations  (voir  ci-après,  page  95). 

(18)  Condorcet,  dans  la  Chronique  de  Paris  du  19  mai  1792,  avait  attaqué 
Lecointre  avec  une  extrême  violence. 


68  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

che  ?  Il  est  vrai  que  le  même  auteur  a  présenté  à  la  France 
le  ministre  Narbonne  comme  le  soutien  de  la  patrie  et 
comme  le  héros  de  la  liberté;  et  qu'il  n'a  point  cessé  d'ou- 
trager, dans  la  même  feuille,  tous  ceux  de  ses  collègues, 
qui  ont  défendu  invariablement  la  cause  de  principes  et  de 
l'intérêt  public  contre  le  ministre  et  contre  tous  leurs  par- 
tis. Que  faut-il  conclure  de-là,  sinon  que  le  patriotisme  des 
Condorcet  a  plus  de  rapports  avec  celui  des  Narbon- 
nes  (sic)  qu'avec  celui  des  le  Cointres  (sic)  et  des  Mer- 
lins  (sic)  ?  Ce  qui  me  paroît  certain,  c'est  que  ce  système  de 
persécution,  dirigé  contre  les  amis  de  la  liberté,  peut  con- 
duire à  des  observations  morales  et  politiques,  qui  ne 
seroient  point  tout  à  fait  étrangères  aux  progrès  de  l'esprit 
public  et  à  la  connoissance  des  hommes.  Croyez  que  jamais 
les  honnêtes  gens  qui  ont  une  âme  et  un  caractère,  ne  trou- 
veront grâce  aux  yeux  des  ambitieux  et  des  hommes  de 
parti;  pour  quelle  autre  raison  penser  que,  Jean- Jacques 
lui-même,  ait  été  persécuté  avec  tant  d'acharnement  par 
tous  les  intrigans  hypocrites  de  son  tems,  par  les  Diderot, 
les  d'Alembert,  les  Voltaire  même,  et  par  tous  leurs  amis  et 
leurs  protégés?  Et  vous  aussi  Condorcet,  n'étiez-vous 
point  membre  de  cette  confédération  philosophique,  qui 
dénonçoit  à  l'opinion  publique,  l'auteur  du  contrat  social, 
comme  un  fou  orgueilleux,  et  même  comme  un  vil  hypo- 
crite; qui  armoit  contre  ce  grand  homme  la  puissance  des 
grands,  et  la  vengeance  des  ministres,  et  le  despotisme  des 
rois?  Non,  vous  n'aimez  pas  ces  principes  éternels  de  la 
morale  et  de  la  justice,  qui  doivent  être  la  base  des  gouver- 
nemens  et  la  véritable  politique  des  législateurs;  vous  et 
vos  pareils  vous  ne  pouvez  aimer  la  voix  importune  qui  les 
réclame;  elle  contrarie  trop  de  projets;  elle  donne  trop 
d'entraves  à  l'ambition.  Vous  pouvez  bien  consentir  à  voir 
jetter  (sic)  aujourd'hui  quelques  fleurs  sur  la  tombe  du 
plus  éloquent  défenseur  de  l'humanité;  mais  vous  l'avez 
persécuté  vivant,  à  côté  des  monumens  que  la  patrie  lui 
doit,  vous  verriez  peut-être,  sans  répugnance,  élever  des 
statues  à  la  gloire  des  hommes  qui  lui  ressemblent  le 
moins,  et  que  vous  avez  tant  célébrés.  Oui,  il  est  trop  vrai 
que  l'intrigue  ne  pardonne  point  à  la  franchise;  il  est  trop 
vrai  que  la  persécution  sera  toujours  le  sceau  qui  marquera 
aux  yeux  des  siècles  la  vertu  pure  et  éprouvée;  il  est  trop 


DEUXIÈME   NUMÉRO  69 

vrai  que  jamais  les  véritables  amis  de  l'humanité,  que  les 
fidèles  représentans  de  la  nation  n'auront  jamais  d'enne- 
mis plus  implacables  que  tous  les  charlatans  philosophes  et 
politiques  qui  paroîtront  combattre  le  plus  près  d'eux. 

IV 
Observations  sur  un  pamphlet  (19) 

On  m'a  forcé  à  lire  la  Chronique,  et  j'y  ai  trouvé  une 
lettre  écrite,  sous  mon  nom  à  l'auteur  d'un  journal  des 
débats  de  la  société  des  amis  de  la  constitution;  et  au  bas 
de  laquelle  on  a  mis  ma  signature 

Je  n'ai  jamais  apperçu  (sic)  une  grande  distance  entre 
les  libellistes  et  les  faussaires:  cependant,  lorsque  des 
calomniateurs  périodiques  veulent  réunir  l'un  et  l'autre 
métier,  ne  passent-ils  pas  les  bornes  de  la  licence  qui  leur 
est  permise:  et  quoiqu'aucun  homme  rensé  ne  puisse  se 
plaindre  d'être  calomnié  par  la  chronique,  seroit-il  dérai- 
sonnable de  réclamer  une  fois,  pour  tout,  contre  tous  les 
faux  passés  et  futurs  que  ce  papier  pourroit  contenir?  Je 
propose  cette  question  à  M.  Condorcet,  l'homme  du  monde 
le  plus  scrupuleux  sur  les  abus  de  la  nresse;  témoin  cette 
même  chronique,  où  n'aguère  (sic)  il  déclaroit,  d'un  ton 
vraiment  terrible,  que  l'assemblée  nationale  étoit  détermi- 
née à  foudroyer  tous  les  écrivains  incendiaires. 

V 

Assemblée  Nationale 

Décret  définitif.  Mardi  16  mai  (20),  séance  du  soir,  iyç2 

«  L'assemblée  nationale,  ayant  entendu  le  rapport  de  son 
comité  militaire  et  décrété  l'urgence,  décrète  définitive- 

(19)  A  l'époque  où,  après  la  session  de  l'Assemblée  Constituante,  Robes- 
pierre se  trouvait  à  Arras  où  il  prenait  quelques  semaines  de  repos,  le  journal 
de  Condorcet,  la  C ' ronique  de  Paris,  avait  publié  une  lettre  contre  les  prêtres 
en  général,  lettre  qu'il  avait  faussement  attribuée  è  Robespierre.  —  Cette  fois, 
le  18  mai,  Condorcet  renouvelle  la  plaisanterie  et  publie  une  longue  lettre 
soi-disant  adressée  par  Robespierre  aux  auteurs  du  Journal  des  Débats  et  de 
la  Correspondance  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  où  le  faussaire 
lui  fait  tenir  des  propos  ridicules  (Hamel,  t.  II,  p.  259). 

(20)  Sic:  mis  pour  mercredi  16  mai:  ce  décret  fut  rendu  sur  la  proposition 
de  Blanchard  (du  Pas-de-Calais,.  Moniteur  du  18  mai. 


70  LE  DÉFENSEUR   DE  LA   CONSTITUTION 

ment  qu'à  compter  du  premier  mois  de  juin  prochain,  la 
distribution  de  quatre  onces  de  viande  fraîche  par  jour, 
ordonnée  par  la  loi  du  24  février  dernier,  pour  chaque  sol- 
dat présent  sous  les  armes,  cessera  d'avoir  lieu  dans  les 
garnisons  du  royaume  ». 

Décret  du  jeudi  17  mai  1J92  (21). 

«  L'assemblée  nationale,  après  avoir  entendu  le  rapport 
de  ses  comités  de  l'extraordinaire  des  finances,  des  assi- 
gnats et  monnoies  :  considérant  qu'il  tient  au  bon  ordre  de 
ne  pas  laisser  plus  long-tems  subsister,  soit  le  papier  blanc, 
restant  de  celui  qui  a  été  nécessaire  pour  fournir  le  600 
millions  d'assignats  en  différentes  coupures,  de  la  création 
décrétée  le  19  juin  179 1  :  soit  les  assignats  mis  défets  (sic) 
à  l'imprimerie,  du  sieur  Didot,  soit  enfin  ceux  qui  ont  été 
fautes  et  viciés  à  la  caisse  de  l'extraordinaire,  décrète  qu'il 
y  a  urgence. 

«  L'assemblée  nationale,  après  avoir  décrété  l'urgence, 
décrète  ce  qui  suit  : 

((  Art.  I.  Chacun  des  comités  de  l'extraordinaire  des 
finances,  des  assignats  et  monnoies,  nommera  trois  com- 
missaires pris  dans  son  sein,  pour  procéder  conjointement 
avec  le  commissaire  du  roi  à  la  confection  des  assignats, 
service  à  Paris,  au  compte  et  recensement  de  la  troisième 
création  des  600  millions  d'assignats  ordonnée  par  décret 
de  l'assemblée  nationale  constituante,  le  19  juin  17QI,  en 
différentes  coupures,  soit  de  ceux  mis  en  défets  à  l'impri- 
merie du  sieur  Didot,  soit  du  papier  blanc  non  employé,  soit 
enfin  des  assignats  fautes  et  viciés  à  la  caisse  de  l'extraor- 
dinaire, lors  du  numérotage,  de  la  signature  et  du  timbre, 
et  il  en  sera  dressé  procès-verbal  par  les  dits  commissaires. 

«  II.  Ces  mêmes  commissaires  vérifieront  si  le  nombre 
de  ces  assignats,  tant  de  ceux  mis  en  circulation,  que  des 
défectueux  qui  leur  seront  représentés,  est  parfaitement 
d'accord  avec  le  produit  de  la  quantité  de  rames  de  papier 
fabriqué  et  livré  aux  archives  nationales. 

(21)  Décret  figurant  au  Moniteur  du  18  mai:  rapport  de  Clauzel  (de 
l'Ariège). 


DEUXIÈME   NUMÉRO  Jl 

«  III.  Après  ce  recensement,  le  papier  resté  en  blanc  et 
tous  les  assignats  qui  n'ont  pu  servir,  ou  qui  se  trouveront 
excéder  le  nombre  propre  à  compléter  l'émission  des  dits 
600  millions,  seront  brûlés  publiquement  dans  la  cour  de 
l'hôtel  de  la  caisse  -de  l'extraordinaire  en  présence  des  dits 
commissaires,  lesquels  en  rédigeront  procès-verbal,  pour 
être  imprimé  et  rendu  public  avec  celui  du  compte  et 
recensement  ordonné  par  l'article  premier,  et  il  en  sera 
déposé  un  exemplaire  aux  archives  nationales. 

«  IV.  L'assemblée  nationale  approuve  le  brûlement  fait 
publiquement  le  vendredi  20  mars  dernier  de  47.  850  liv. 
en  assignats  défectueux  de  5500,  300»  200  et  100  liv.  dans 
la  cour  de  la  caisse  de  l'extraordinaire,  par-devant  les 
membres  du  comité  de  l'extraordinaire  des  finances,  et  sui- 
vant la  forme  précédemment  usitée,  ainsi  qu'il  est  constaté 
par  le  procès-verbal  dressé  ledit  jour  20  mars  à  midi. 

«  V.  Les  dits  commissaires  procéderont  de  la  même  ma- 
nière au  compte,  recensement  et  brûlement  du  papier  resté 
en  blanc,  et  des  assignats  de  cent  sous  qui  n'ont  pu  servir 
pour  les  500  millions,  lorsque  l'émission  de  cette  sorte 
d'assignats  sera  complette  (sic)  et  terminée,  sans  qu'il  soit 
besoin  d'un  nouveau  décret  ». 

Décret  du  jeudi  17  mai  iyçs  (22) 

«  L'assemblée  nationale  après  avoir  suivi  la  forme  cons- 
titutionnelle des  trois  lectures,  et  après  avoir  délibéré 
qu'elle  est  en  état  de  porter  le  décret  définitif,  décrète  ce 
qui  suit: 

«  Art.  I.  Les  dépenses  de  la  marine  et  des  colonies  de 
l'année  1790,  qui  n'étoient  pas  acquittées  le  premier  octo- 
bre 1791,  sont  exceptées  de  l'exécution  du  décret  du  29 
septembre  dernier,  et  continueront  d'être  payées  par  la 
trésorerie  nationale,  conformément  à  celui  du  17  avril  pré- 
cédent, qui  règle  toutes  les  formalités  requises  pour  l'ex- 
tinction de  l'arriéré  de  1790. 

«  II.  Ne  seront  point  comprises  dans  l'exception  de 
l'article  ci-dessus,  les  dépenses  relatives  à  la  négociation 

(22)  Décret  rendu  sur  rapport  de  Serane  (de  l'Hérault),  au  nom  du  Comité 
de  marine  et  de  liquidation,  à  la  séance  du  soir  {Moniteur  du  19  mai  1792). 


•J2  LE  DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

d'Alger  et  de  la  chambre  de  commerce  de  Marseille,  qui 
n'étoient  pas  payées  à  ladite  époque  du  premier  octobre 
1791  ;  desquelles  dépenses  le  ministre  de  la  marine  remet- 
tra le  compte  détaillé  et  motivé  avant  le  premier  juin  pro- 
chain. 

«  III.  Le  ministre  de  la  marine  rendra  compte,  en  outre, 
avant  ladite  époque  du  premier  juin  prochain,  de  toutes  les 
sommes  qui  ont  été  payées  à  la  chambre  de  commerce  de 
Marseille,  à  l'occasion  de  la  même  négociation  d'Alger  ;  et 
il  fera  connoître  en  vertu  de  quels  ordres  et  d'après  quelles 
lois  les  dites  dépenses  ont  été  ordonnées  dans  son  dépar- 
tement. 

«  IV.  Les  lettres-de-change  tirées  Ses  ports,  et  celles 
tirées  ou  à  tirer  des  colonies  de  1789,  comme  aussi  les  det- 
tes de  ce  département  de  ladite  année  1789  et  des  années 
antérieures,  ayant  pour  cause  la  solde  des  troupes  et  les 
salaires  des  gens  de  mer  et  journées  des  malades  dans  les 
hôpitaux,  sont  affranchies  des  formalités  du  décret  du  22 
mars  1791,  et  continueront  d'être  acquittées  par  la  tréso- 
rerie nationale  conformément  aux  articles  II  et  XI  de  la 
loi  du  23  mars  1 790,  qui  les  a  exceptées  de  l'arriéré. 

«  V.  Les  ordonnances,  pièces  justificatives  et  quittances 
fournies  jusqu'à  présent,  et  celles  qui  seront  fournies  par 
la  suite  au  directeur-général  de  la  liquidation,  seront  par 
lui  remises,  sur  inventaires  et  récépissés,  aux  comptables 
des  exercices  auxquels  elles  appartiennent  :  à  l'effet  par  eux 
de  les  comprendre  dans  les  comptes  qu'ils  doivent  rendre 
incessamment  desdits  exercices. 

Décret  du  18  mai  1792  (23). 

«  L'assemblée  nationale,  après  avoir  entendu  le  rapport 
de  son  comité  militaire,  considérant  qu'il  est  indispensable 
qu'il  y  ait,  à  la  suite  des  armées,  une  force  publique  suf- 
fisante soit  pour  prêter  main-forte  à  l'exécution  des  juge- 
mens  qui  seront  rendus  par  les  cours  martiales  et  par  les 
tribunaux  de  police  correctionnelle,  soit  pour  veiller  au 
maintien  de  l'ordre  intérieur  dans  les  camps,  décrète  qu'il 
y  a  urgence,  décrète  ce  qui  suit  : 

(23)  Décret  rendu  sur  rapport  de  Calvet  (de  l'Ariège)  au  nom  du  Comité 
militaire  (Moniteur  du  19  mai  1792). 


DEUXIEME   NUMERO  73 

«  Art.  I.  Il  sera  établi,  à  la  suite  de  chaque  armée,  un 
détachement  de  gendarmerie  nationale,  composé  d'un  capi- 
taine, de  deux  lieutenans,  deux  maréchaux-des-logis,  qua- 
tre brigadiers  et  vingt-quatre  gendarmes;  en  tout  trente- 
trois  hommes  montés. 

«  IL  Ces  détachemens  recevront  l'étape  en  route  depuis 
le  lieu  de  leur  résidence  jusques  à  leur  arrivée  au  quartier- 
général  de  l'armée  pour  laquelle  ils  sont  destinés. 

«  III.  Il  sera  accordé  à  chaque  individu  composant  ce 
détachement,  une  somme  équivalente  à  celle  d'un  mois 
d'appointemens,  pour  fournir  aux  dépenses  des  équipages 
de  campagne. 

«  IV.  Les  capitaines  et  les  lieutenans  jouiront  du  traite- 
men  dont  jouissent  les  officiers  du  grade  correspondant 
dans  la  cavalerie. 

«  V.  Il  sera  accordé  un  supplément  de  paye,  vingt  sous  à 
chaque  gendarme,  vingt-cinq  sous  à  chaque  brigadier,  et 
trente  sous  à  chaque  maréchal-de-logis  pendant  toute  la 
durée  de  la  campagne,  et  cette  somme  sera  payée  en  argent. 

«  VI.  Les  uns  et  les  autres  conserveront  leur  traite- 
ment et  leur  rang  dans  leurs  résidences  respectives  comme 
s'ils  y  faisoient  leur  service  ». 

SÉANCE  DU  JEUDI   IJ  MAI   1792  (24) 

((  L'assemblée  nationale,  considérant  la  présente  néces- 
sité de  raffermir  la  discipline  militaire,  en  rétablissant  la 
confiance  entre  les  soldats  et  leurs  chefs;  de  déjouer  les 
éternelles  espérances  des  conspirateurs,  et  de  punir  le  cri- 
me de  parjure  et  de  désertion  qui  s'est  multiplié  parmi  les 
officiers,  décrète  qu'il  y  a  urgence. 

Décret  définitif 

«  L'assemblée  nationale,  après  avoir  entendu  le  rapport 
de  son  comité  militaire,  et  décrété  l'urgence,  décrète  défi- 
nitivement ce  qui  suit  : 

(24)  Décret  rendu  sur  rapport  de  Gasparin  (des  Bouches-du-Rhône)  au 
nom  du  Comité  militaire  {Moniteur  du  18  mai  1792).  —  Le  texte  donné  par 
Robespierre  est  définitif  et  complet  ;  il  n'est  pas  conforme  à  celui  du  Moniteur 
qui  n'en  donne  d'ailleurs  que  «  la  substance,  sauf  rédaction  »  ajoute  le  texte. 


74  LE   DEFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

«  Art.  I.  Tout  militaire,  de  quelque  grade  qu'il  soit,  qui 
se  sera  absenté  de  son  camp,  de  sa  garnison,  de  son  quar- 
tier sans  congé,  ordre  ou  démission  acceptée,  comme  il 
sera  dit  ci-après,  sera  député  (sic)  déserteur. 

«  IL  Tout  militaire,  de  quelque  grade  que  ce  soit,  déser- 
teur à  l'ennemi,  sera  puni  de  mort. 

<(  III.  Tout  militaire  de  quelque  grade  que  ce  soit,  déser- 
teur n'allant  pas  à  l'ennemi,  sera  puni  de  la  peine  des  fers  ; 
savoir  :  le  soldat,  pour  dix  ans  ;  le  sous-officier  pour  quinze 
ans;  et  l'officier,  pour  vingt  ans. 

«  IV.  Sera  réputé  déserteur  à  l'ennemi  tout  militaire,  de 
quelque  grade  qu'il  soit,  qui  aura  passé,  sans  en  avoir  reçu 
l'ordre,  les  limites  fixées  par  le  commandant  du  corps  de 
troupes  dont  il  fait  partie. 

«  V.  Les  congés  dont  devra  être  porteur  tout  militaire 
de  quelque  grade  que  soit,  pour  s'absenter  de  son  camp,  sa 
garnison  ou  son  quartier,  seront  signés,  pour  les  soldats, 
sous-officiers  par  le  commandant  de  leur  compagnie  et  le 
commandant  du  corps. 

«  Pour  les  officiers  d'un  corps,  de  quelque  grade  qu'ils 
soient,  par  le  commandant  de  corps  et  par  le  chef  de  la 
division. 

«  Pour  les  chefs  de  corps  et  officiers-généraux,  par  le 
général  de  l'armée  dont  ils  font  partie.  Les  dits  congés 
continueront  à  être  visés  par  les  commissaires  des  guerres. 

«  VI.  Tout  chef  de  complot  de  désertion,  quand  même 
le  complot  ne  seroit  pas  exécuté,  sera  puni  de  mort. 

«  VIL  Lorsque  des  militaires  de  différens  grades  auront 
déserté  ensemble,  ou  en  auront  formé  le  complot,  le  plus 
élevé  en  grade,  ou  à  grade  égal  le  plus  ancien  de  service 
sera  présumé  chef  du  complot. 

«  VIII.  Tout  complice  qui  découvrira  un  complot  de 
désertion,  ne  pourra  être  poursuivi  ni  puni  à  raison  du  cri- 
me qu'il  aura  découvert. 

«  IX.  Les  généraux  détermineront,  suivant  les  circons- 
tances, les  récompenses  à  accorder  à  ceux  qui  rameneroient 
les  déserteurs  échappés  à  la  surveillance  des  postes 
avancés. 

«  X.  Les  officiers,  de  quelque  grade  qu'ils  soient,  qui 
donneront  leur  démission,  ne  pourront  pas  quitter  les  em- 


DEUXIEME   NUMERO  75" 

plois  qu'ils  occupent  dans  l'armée,  avant  que  cette  démis- 
sion ait  été  annoncée  à  l'ordre  du  camp,  de  la  garnison  ou 
du  quartier,  suivant  ce  qui  sera  dit  ci-après;  ceux  qui 
s'absenteroient  avant  cette  formalité,  seront  réputés  déser- 
teurs et  punis  comme  tels,  suivant  les  cas  prévus  par  les 
articles  précédens. 

«  XII.  La  démission  d'un  officier,  de  quelque  grade 
qu'il  soit,  sera  toujours  remise  au  commandant  du  camp, 
de  la  garnison  ou  du  quartier,  qui  sera  tenu  de  la  faire 
publier  à  l'ordre  le  lendemain. 

«  XII.  Les  officiers  démissionnaires,  même  après  la 
publication  à  l'ordre  mentionné  en  l'article  précédent,  n'en 
devront  pas  moins  être  porteurs  d'un  congé  militaire  pour 
se  rendre  aux  lieux  qu'ils  se  proposent  d'habiter  ;  ce  congé 
fera  mention  de  la  démission. 

«  XIII.  Les  dits  congés  ne  pourront  être  délivrés  que 
lorsque  les  officiers  démissionnaires  auront  remis  tous  les 
effets  militaires,  ainsi  que  les  gratifications  en  avance  qu'ils 
auroient  touchées  pour  la  campagne,  sous  peine  de  respon- 
sabilité réelle  et  pécuniaire  contre  les  supérieurs  signatai- 
res des  congés. 

«  XIV.  Tout  officier  qui,  après  la  publication  du  pré- 
sent décret  et  pendant  la  guerre,  donnera  sa  démission  sans 
cause  légitime,  jugée  pour  les  officiers  des  corps,  par  les 
conseils  d'administration,  et  pour  les  autres  officiers,  par 
les  cours  martiales,  ne  pourra  plus  à  l'avenir  occuper 
aucun  grade  dans  l'armée,  ni  obtenir  aucun  traitement  ou 
pension  à  raison  de  ses  services  militaires. 

«  XV.  Dans  les  premiers  jours  de  chaque  mois,  le  pou- 
voir exécutif  fera  publier  une  liste  de  tous  les  militaires, 
de  quelque  grade  qu'ils  soient,  qui  auroient  déserté  dans  le 
mois  précédent  ;  elle  contiendra,  outre  les  noms  des  déser- 
teurs, leur  signalement  la  désignation  de  leur  grade  et  le 
lieu  de  leur  naissance;  elle  sera  adressée  à  l'assemblée 
nationale  et  aux  procureurs-généraux-syndics  de  tous  les 
départemens. 

«  XVI.  Le  pouvoir  exécutif  adressera  dans  la  quinzaine 
à  l'assemblée  nationale  et  aux  départemens,  une  liste  de 
tous  les  officiers  qui  ont  quitté  leurs  emplois  sans  démis- 
sion depuis  la  loi  d'amnistie  ». 


LE  DÉFENSEUR  DE  LA  CONSTITUTION 

N°3 

Articles  contenus  dans  ce  numéro 

48  pages  (113  à  160) 

Pages 
du  document 

I.  —  Considérations  sur  l'une  des  principales  causes 

de  nos  maux    lïS  a  *49 

II.  —  Coup  d'œil  sur  la  séance  permanente  de  l'Assem- 
blée  Nationale    149  à  152 

III.  —  Lettre  à  un  député  à  l'Assemblée  Nationale: 

Metz,  vendredi  25  mai,  l'an  4e  de  la  liberté.  .      1 53  à  155 

VI.  —  Assemblée  Nationale  :  séance  du  samedi  19  mai 
1792:  décret  définitif;  séance  du  dimanche 
20  mai  1792  :  décret  ;  séance  du  mardi  22  mai 
1792 155  à  160 

I 

Considérations  sur  Tune  des  principales  causes 
de  nos  maux  (1) 

La  reine  du  monde,  c'est  l'intrigue;  le  droit  de  la  force, 
qui  régit  l'espèce  humaine,  n'est  autre  chose  que  le  droit  de 
la  ruse.  Des  troupeaux  robustes  et  nombreux  sont  conduits 

(1)  Laponneraye  reproduit  cet  article  (t.  I,  p.  353  à  378).  —  L.  Gallois 
en  publie  de  longs  extraits  (p.  121  à  124).  —  Il  figure  également  dans  l'His- 
toire parlementaire  de  Bûchez  et  Roux  (t.  XIV,  p.  397  à  416).  —  E.  Hàmel 
étudie  «  ce  terrible  et  volumineux  réquisitoire  »,  dressé  par  Robespierre  contre 
ses  adversaires,  contre  Brissot  et  Condorcet  qu'il  dénonce  comme  «  chef  de 
la  faction  »,  et  après  eux  Guadet,  Vergniaud,  Gensonné.  Il  examine  en  détail 
leur  conduite  depuis  le  début  de  la  législature  (t.  II,  p.  266  à  269).  —  G. 
Michon,  qui  cite  quelques  passages  de  cet  article,  fait  ressortir  que  <  Robes- 
pierre s'attachait  aux  actes  et  à  la  moralité  des  hommes  politiques,  qu'il  se 
défiait  instinctivement  des  rhéteurs  et  des  politiciens  équivoques  dont  Brissot 
était  la  personnification  ;  qu'il  avait  horreur  des  jouisseurs  et  de  ceux  qui 
font  de  la  politique  un  métier  dont  ils  vivent  largement  (p.  120). 

Brissot  répondit  à  l'article  de  Robespierre  dans  le  Patriote  français  du 
6  juin  (numéros  1031,  1032). 


78  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

par  un  enfant,  et  les  nations  sont  asservies  par  des  hommes 
corrompus  qui  ne  sont  que  des  enfants  malicieux.  Quelle 
puissance  ou  quel  génie  pourrait  enchaîner  un  grand  peu- 
ple, s'il  connaissait  sa  force,  sa  dignité,  ses  droits,  et  sur- 
tout les  manœuvres  que  la  tyrannie  emploie  pour  le  dépouil- 
ler et  pour  l'opprimer.  D'une  part,  l'ignorance,  les  préju- 
gés, l'imbécile  crédulité;  de  l'autre,  la  perfidie,  l'ambition, 
tous  les  vices  et  quelques  talens  ;  voilà  les  élémens  éternels 
dont  se  composent  la  servitude  et  la  misère  du  genre 
humain. 

Notre  révolution  a-t-elle  démenti  cette  loi  commune? 
Quels  étonnans  contrastes  elle  présente  aux  yeux  des 
observateurs  philosophes!  Qu'elle  étoit  sublime  par  ses 
principes  et  par  son  objet  !  Qu'elle  est  chétive  par  ses  effets 
actuels,  par  le  caractère  des  hommes  qui  l'ont  arrêtée,  par 
celui  même  de  la  plupart  des  hommes  oui  l'avaient  prépa- 
rée! Que  la  nation  française  fut  grande  dons  son  réveil! 
Qu'elle  fut  imprévoyante,  foible,  crédule  dans  son  repos  et 
dans  le  choix  de  ses  magistrats  nouveaux!  Quelles  magni- 
fiques promesses  faites  à  l'humanité,  et  quelles  infâmes 
trahisons  envers  la  patrie  !  Quelle  superbe  morale  et  quelle 
profonde  perversité!  Quelle  carrière  ouverte  au  génie  et 
à  la  vertu  !  Et  quelle  multitude  de  lâches  athlètes  et  de  mi- 
sérables charlatans! 

Français,  devez-vous  désespérer  de  vous-mêmes?  Non, 
le  nombre  des  intrigans  est  infini;  leur  corruption  est 
extrême:  la  fureur  et  la  perfidie  des  tvrans  sont  sans  bor- 
nes; mais  le  peuple  est  bon,  la  cause  de  l'humanité  est  sain- 
te, et  le  ciel  est  juste.  De  l'excès  de  nos  maux,  naîtra  le 
remède.  Hâtons-nous  en  ce  moment  d'en  approfondir  la 
cause. 

A  quoi  tenoient  le  bonheur  et  la  liberté  publique  ?  à  l'une 
ou  à  l'autre  de  ces  deux  choses. 

Si  la  cour  avoit  pu  remplir  les  premiers  sermens  qu'elle 
fit  à  la  nation;  si  elle  avoit  fait  exécuter  lovalement  les  lois 
nouvelles,  et  secondé  les  progrès  de  l'esprit  public,  la  révo- 
lution étoit  terminée  presqu'aussitôt  aue  commencée  par 
le  règne  de  la  paix  et  de  la  constitution. 

Si  la  cour,  violant  ces  devoirs  sacrés,  avoit  été  sans  cesse 
rappelée  aux  principes  de  la  constitution  par  la  probité 


TROISIÈME   NUMERO  79 

incorruptible  et  par  la  fermeté  inexorable  de  ceux  en  qui 
le  peuple  sembloit  avoir  mis  le  plus  de  confiance,  la  cause 
du  peuple  eût  encore  facilement  triomphé. 

La  cour  n'a  voulu  ni  respecter  la  souveraineté  nationale, 
ni  osé  l'attaquer  ouvertement.  Le  desootisme  épouvanté, 
mais  non  renversé  par  la  révolution,  mit  à  profit  cette  ter- 
rible leçon  ;  il  sentit  la  nécessité  de  composer  avec  l'opinion 
publique,  et  vit  qu'il  ne  pouvoit  désormais  asservir  la 
nation  qu'en  la  trompant.  Il  consentit  à  emprunter  les  for- 
mes et  le  langage  de  la  constitution  nouvelle,  comme  les 
premiers  tyrans  de  l'empire  romain  conservèrent  les  noms 
des  anciennes  magistratures  et  l'ombre  de  la  liberté,  pour 
familiariser  la  postérité  des  Caton  et  des  Brutus  avec  le 
monstre  du  despotisme.  Il  divisa  tout,  pour  dominer  tout; 
il  créa  des  divers  partis  qui  agitent  aujourd'hui  la  France; 
mais  il  s'appliqua  surtout  à  chercher  des  appuis  parmi  les 
magistrats  et  les  représentans  même  du  peuple;  dès  ce 
moment,  tous  les  ambitieux,  tous  les  intrigans  qui  ne 
voient  dans  une  révolution  que  l'heureuse  occasion  de 
monter  à  la  fortune  et  au  pouvoir,  deviennent  à  la  fois  >ses 
protecteurs  et  ses  valets  ;  il  leur  communique  ses  trésors  et 
sa  puissance;  ils  l'aident  chaque  jour  à  les  augmen- 
ter ;  peut-être  même  en  est-il  qui  n'accroissent  son  pouvoir 
que  pour  s'en  emparer,  et  osent  déjà  entrevoir  dans  l'ave- 
nir la  possibilité  de  se  substituer  à  sa  place.  Tous  servent 
la  même  cause  ;  mais  non  de  la  même  manière,  ni  par  le  mê- 
me motif. 

Tandis  que  les  uns  défendent  ouvertement  les  maximes 
de  la  tvrannie,  d'autres  semblent  tenir  le  milieu  entr'elle  et 
la  liberté:  une  troisième  classe  colore  ses  opinions  d'une 
teinte  de  patriotisme  plus  prononcée,  et  se  dit  la  protectrice 
des  droits  du  peuple:  mais  elle  marche  insensiblement  par 
les  routes  détournées  au  but  commun  de  tous  les  ennemis 
de  la  constitution  ;  elle  étale  de  beaux  principes,  pour  arri- 
ver à  une  fausse  conséquence  :  elle  abuse  de  la  confiance  du 
peuple  pour  le  tenir  endormi,  jusqu'à  ce  au'on  ait  eu  le 
temps  de  lui  forger  de  nouvelles  chaînes.  C'est  cette  der- 
nière classe  oui  est  le  plus  doux  espoir  de  l'ambition  et  le 
plus  ferme  soutien  du  despotisme.  Les  deux  antres  partis 
ne  font  que  de  fausses  attaques  :  ce  sont  ceux-ci  qui  entrent 


&>  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

dans  la  citadelle,  et  qui  s'emparent  du  Palladium.  A  quels 
prix  les  tyrans  ne  doivent-ils  pas  acheter  leurs  services  ?  Le 
bien  le  plus  fertile,  dans  ces  temps-là,  c'est  sans  doute  une 
haute  réputation  de  civisme,  acquise  par  l'hypocrisie  et 
mise  en  valeur  par  l'intrigue  et  par  l'audace.  Lorsque  ces 
hommes  concluent  avec  la  cour  le  traité  qui  lui  livre  le 
bonheur  de  la  nation,  et  l'espérance  de  tous  les  peuples  et 
des  siècles  futurs,  il  est  stipulé  qu'ils  garderont,  le  plus 
long-tems  possible,  le  masque  de  patriotisme  qu'ils  lui  ven- 
dent; qu'ils  déclameront  quelquefois  contre  elle,  pour 
mieux  la  servir;  qu'ils  livreront  des  combats  très  animés 
à  ses  champions  déclarés  sur  des  points  d'une  médiocre 
importance,  pour  pouvoir  s'accorder  imounément  avec  eux 
dans  les  occasions  décisives.  Ce  sont  ceux-là  qui  veulent 
diviser  les  assemblées  représentatives  en  côté  droit  et  en 
côté  gauche,  et  qui  insiste  éternellement  sur  cette  distinc- 
tion dans  leurs  discours  et  dans  leurs  écrits,  afin  que  le 
public  égaré  juge  de  leur  patriotisme  et  de  la  sagesse  de 
leurs  opérations,  non  par  les  principes  de  la  justice  et  du 
bien  public,  mais  par  la  place  où  siègent  ceux  qui  les  pro- 
posent ou  qui  les  adoptent.  Méthode  commode  pour  les  per- 
fides déserteurs  de  la  cause  publique,  qui  abandonnent  le 
peuple,  sans  abandonner  les  bancs  où  ils  avoient  d'abord 
paru  le  défendre!  Ce  sont  ceux-là  qui  abusent  de  leur 
ascendant  sur  les  patriotes  peu  éclairés,  pour  les  entraîner 
à  de  fausses  mesures;  oui  sèment  partout  la  terreur  et  la 
prévention,  pour  les  déterminer  à  immoler,  à  chaque  ins- 
tant, les  principes  aux  circonstances  et  la  liberté  à  la  poli- 
tique; ce  sont  ceux-là  qui,  dans  les  comités  secrets  et  dans 
leurs  conversations  particulières,  répandent  sans  cesse  la 
division,  la  défiance,  l'imposture,  qui  insinuent  avec  art  le 
poison  de  leurs  opinions  insidieuses,  pour  assurer  d'avance 
le  succès  des  funestes  résolutions  qu'ils  proposent  dans  la 
tribune.  Ce  sont  ceux-là  qui,  s'éloigmant  chaque  jour 
davantage  des  principes  de  la  liberté  qu'ils  avoient  profes- 
sés, cherchent  à  les  effacer  de  l'esprit  des  hommes,  qui 
voudroient  faire  oublier  la  déclaration  des  droits  et  obscur- 
cir cette  éclatante  lumière  qui  doit  guider  tous  les  pas  des 
législateurs.  Ce  sont  ceux-là  à  qui  est  principalement  confié 
l'infernal  emploi  de  calomnier  ceux  des  représentans  du 


TROISIÈME   NUMÉRO  8l 

peuple  que  l'or  n'a  pu  corrompre,  que  l'ambition  n'a  pu 
égarer;  parce  que  l'éclat  du  véritable  patriotisme  est  le 
flambeau  qui  éclaire  leur  turpitude  et  trahit  leur  corrup- 
tion. Ce  sont  eux  qui  épuisent  toutes  les  ressources  de  l'in- 
trigue, pour  diviser  les  patriotes,  pour  tromper  l'opinion, 
pour  altérer  l'esprit  public,  et  le  préparer  insensiblement 
à  l'exécution  de  leurs  coupables  projets.  Ce  sont  ceux-là 
qui  veulent  allier  la  bienveillance  du  peuple  avec  les  faveurs 
du  pouvoir  exécutif,  la  gloire  avec  l'infamie,  les  jouissan- 
ces du  vice  avec  les  plaisirs  de  la  vertu.  De  toutes  les  espè- 
ces d'ennemis  conjurés  contre  la  liberté,  ce  sont  sans  doute 
les  plus  dangereux  et  les  plus  méprisables.  Le  peuple  le  sent 
si  bien,  que,  lorsqu'après  avoir  été  long--tems  leur  victime, 
il  a  enfin  reconnu  leur  perfidie,  il  estime  presqu'auprès 
d'eux  les  champions  les  plus  audacieux  du  despotisme  et  de 
l'aristocratie.  Tant  il  est  naturel  aux  hommes  de  pardon- 
ner plutôt  à  un  ennemi  déclaré  qu'à  un  traître. 

Ce  ne  sont  point  les  Cazalès  et  les  Maury  qui,  dans 
l'Assemblée  constituante,  ont  porté  des  coups  mortels  à  la 
liberté;  ils  contribuèrent  même  quelquefois  à  son  triom- 
phe. Elle  ne  fut  véritablement  en  danger,  qu'au  moment 
où  presque  tous  les  orateurs  qui  l'avoient  défendue  long- 
tems  contre  ces  derniers,  se  réunirent  pour  la  sacrifier  au 
despotisme  et  à  l'ambition,  au  moment  où  deux  factions 
rivales  se  confondirent  pour  conspirer  contre  elle.  C'est 
cette  coupable  défection  qui  nous  fit  parrourir,  en  rétrogra- 
dant, l'espace  immense  qui  se  trouve  entre  le  mois  de  juil- 
let 1789  et  les  derniers  tems  de  l'Assemblée  constituante. 

Quelques  soins  qu'ils  aient  pris  de  mutiler  notre  consti- 
tution, ils  ne  nous  auroient  point  laissé  les  grandes  res- 
sources qu'elle  offre  encore  à  la  liberté,  s'ils  avoient  pu 
alors  en  renverser  toutes  les  bases  et  en  dénaturer  absolu- 
ment le  caractère,  s'ils  n'avoient  senti  aue,  dans  ce  moment, 
l'opinion  publique  n'auroit  pu  souffrir  plus  d'attentats 
contre  les  droits  du  peuple.  Pour  mettra  la  dernière  main  à 
ce  système,  il  falloit  que  le  tems  eût  mûri  les  conspirations 
et  développé  les  germes  de  troubles,  de  discorde  et  de 
tyrannie  que  l'on  avoit  jettes  de  toutes  parts.  Il  n'y  avoit 
aucune  raison,  pour  que  la  cour  et  les  factions  qui  déjà 
avoient  acquis  une  grande  force,  ne  cherchassent  point  à 


82  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

continuer,  dans  la  nouvelle  législature,  les  trames  qu'elles 
avoient  commencées  dans  l'Assemblée  constituante;  pour 
que  les  mêmes  passions  et  les  mêmes  intérêts  ne  produisent 
pas,  dans  son  sein  et  autour  d'elle,  à  peu  près  les  mêmes 
intrigues  qui  avoient  agité  la  première. 

Il  est  donc  nécessaire  de  présenter  à  l'Assemblée  natio- 
nale actuelle  le  fruit  de  l'expérience  de  ses  devanciers,  pour 
prémunir  la  majorité  incorrompue  contre  les  mêmes 
erreurs,  et  lui  épargner  les  mêmes  regrets.  Déjà  s'est  éle- 
vée, dans  son  sein,  une  faction  trop  semblable  à  celle  dont 
j'ai  déjà  parlé,  qui  marche  sur  ses  traces,  après  l'avoir 
combattue,  beaucoup  plus  dangereuse  dans  la  crise  redou- 
table où  nous  sommes.  Ce  ne  sont  point  ceux  qui  ne 
se  cachent  pas,  qu'il  s'agit  de  démasquer  ;  ce  sont  ceux  qui 
sont  encore  à  demi-cachés  sous  le  voile  du  patriotisme,  et 
qui,  avant  qu'il  tombe  de  lui-même,  auroient  le  temps  de 
perdre  la  liberté,  si  elle  pouvoit  périr,  et  nous  forceraient 
du  moins  à  la  payer  au  prix  des  plus  horribles  calamités  et 
du  plus  pur  sang  des  Français  Ceux  qui  sont  connus,  ne 
sont  plus  à  craindre,  il  n'appartient  qu'aux  lâches  et  aux 
extra vagans  de  battre  des  cadavres,  et  de  combattre  des 
fantômes  ;  les  ennemis  qui  vivent  et  qui  portent  le  poignard 
dans  notre  sein;  voilà  ceux  dont  il  faut  nous  défendre. 

Il  est  dur,  sans  doute,  de  paroître  attaquer  des  individus 
dont  on  n'auroit  jamais  voulu  s'occuper  un  moment,  s'il 
étoit  possible  de  séparer  leurs  personnes  des  événemens 
qui  intéressent  le  salut  public.  Ceux  que  j'ai  ici  en  vue  sem- 
blent s'être  attachés  à  aggraver  pour  moi  cette  sorte  d'in- 
convénient, en  présentant,  comme  des  personnalités  gra- 
tuites, toutes  les  réclamations  dont  leurs  actes  publics  sont 
les  seuls  objets,  et  en  cherchant  à  flétrir  jusqu'au  mot  de 
dénonciation.  Mais,  comment  dévoiler  les  factions,  sans 
nommer  Claudius,  ou  Pison,  ou  César?  Comment  com- 
battre les  Triumpirs  (sic),  sans  attaquer  Octave,  ou  Antoi- 
ne ou  Lépide  ? 

Une  autre  raison  qui  me  rend  plus  désagréable  encore 
une  tâche  pénible  en  elle-même,  c'est  que,  diffamé  déjà  moi- 
même  d'une  manière  aussi  atroce  qu'indécente  par  les 
mêmes  hommes  dont  je  vais  parler,  on  pourroit  attribuer 


TROISIÈME   NUMÉRO  83 

à  un  sentiment  personnel,  ou  même  au  désir  naturel  de 
punir  la  calomnie,  une  démarche  que  m'inspire  l'amour  de 
la  patrie  et  de  la  liberté:  mais  deux  circonstances  me  ras- 
surent contre  ce  soupçon;  la  première,  c'est  qu'ils  ne  se 
sont  permis  contre  moi  cette  diffamation,  qu'au  moment 
où  j'avois  déjà  commencé  à  combattre  leur  système,  et 
dans  l'intention  d'affoiblir  le  poids  de  mes  raisons;  la 
seconde,  c'est  l'intérêt  évident  du  salut  public  qui  me 
défend  de  me  taire,  et  la  nature  même  des  témoins  qui 
attesteront  tout  ce  que  je  vais  dire.  Ces  témoins  seront  les 
hommes  même  que  j'accuuserai  ;  mes  preuves  seront  leurs 
propres  œuvres.  Quel  fonctionnaire  public,  quel  mandataire 
du  peuple  pourroit  se  plaindre  de  ce  qu'on  l'oppose  à  lui- 
même,  et  de  ce  qu'on  le  juge  par  ses  actions  ?  Sont-elles  bon- 
nes ?  Elles  l'honorent  ;  sont-elles  mauvaises  ?  les  publier  est 
le  devoir  de  tout  citoyen;  c'est  la  seule  sauve-garde  de  la 
liberté.  Quels  despotes  seroient  ceux  qui,  dépositaires  des 
grands  intérêts  de  la  nation,  ne  devant  aucun  compte  de 
leur  conduite  politique  aux  tribunaux  de  la  loi,  préten- 
droient  encore  au  privilège  de  se  soustraire  au  tribunal  de 
l'opinion  publique? 

Les  chefs  les  plus  connus  de  la  faction  dont  je  vais  par- 
ler, sont  MM.  Brissot  et  Condorcet.  Après  ces  noms,  on 
cite  les  noms  de  plusieurs  députés  de  Bordeaux,  tels  que 
ceux  de  MM.  Guadet,  Vergniaux,  Gensonnet...  Je  vais  tra- 
cer l'histoire  fidèle  de  leur  conduite  publique.  Je  ne  cher- 
cherai point  à  approfondir  leurs  intentions.  J'examinerai 
les  faits.  Je  prétends  que  de  cet  examen  il  résultera  trois 
vérités  dont  la  connoissance  importe  plus  que  jamais  au 
salut  public. 

La  première,  que,  comme  membres  du  corps  législatif, 
ils  ont  violé  les  droits  de  la  nation,  et  travailler  puissam- 
ment à  mettre  la  liberté  en  péril  ;  la  seconde,  qu'ils  ont  em- 
ployé des  manœuvres  pernicieuses,  pour  dépraver  l'esprit 
public,  et  le  faire  dévier  vers  les  principes  du  despotisme  et 
de  l'aristocratie  ;  la  troisième,  qu'ils  ont  mis  tout  en  œuvre 
pour  corrompre  les  sociétés  patriotiques,  et  faire  de  ces 
canaux  nécessaires  de  l'instruction  publique,  des  instru- 
mens  d'intrigue  et  de  faction. 


84  LE    DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

Je  les  examine  d'abord  au  sein  de  l'Assemblée  nationale; 
et  je  commence  cette  discussion  impartiale  par  les  choses 
même  que  l'on  peut  louer  en  eux. 

Je  leurs  rends  grâce,  au  nom  de  l'humanité,  d'avoir 
défendu  les  droits  des  hommes  libres  de  couleur  de  nos 
colonies  (2).  Loin  d'imiter  l'injustice  de  ceux  qui  leur  ont 
cherché  des  torts  jusque  dans  cette  action  louable  en  elle- 
même,  je  me  croirois  coupable  d'ingratitude,  si  je  refusois 
cet  hommage  à  ceux  qui  ont  fait  triompher  la  cause  que 
j'avois  plusieurs  fois  plaidée  dans  la  même  tribune.  Peu 
m'importent  les  motifs,  quand  les  faits  sont  utiles  au  bien 
général.  Sans  examiner  s'il  est  vrai  que  les  uns  défendent, 
même  la  cause  de  l'humanité,  comme  des  hommes  d'affaire, 
et  les  autres  comme  des  défenseurs  officieux,  je  me  borne 
à  rechercher  si  les  malheurs  d'Europe  vous  ont  aussi  vive- 
ment occupés,  que  les  infortunes  américaines  et  si  peuple 
français  a  trouvé  en  vous  le  même  zèle  que  celui  de  St.- 
Domingue.  Non,  il  faut  en  convenir,  je  vous  vois  violer,  à 
chaque  instant,  les  principes  sacrés  que  vous  aviez  vous- 
mêmes  réclamés. 

Vous  avez  abandonné  les  gardes  françaises,  les  premiers 
défenseurs  et  les  premiers  martyrs  de  la  liberté,  persécutés 
avec  tant  d'acharnement,  par  un  général,  votre  ami  (3); 
vous  avez  fermé  l'oreille  au  vœu  de  la  capitale  qui,  pour  sa 
propre  sûreté  désiroit  de  les  conserver  dans  son  sein. 

Vous  avez  abandonné  cette  multitude  de  soldats  patrio- 
tes arbitrairement  congédiés,  dépouillés,  vexés  par  l'aris- 
tocratie militaire.  Vous  avez  repoussé  constamment  le  pro- 
jet d'en  former  des  légions  qui  devaient  être  les  plus  fermes 
appuis  de  la  liberté;  vous  avez  été  sourds  aux  cris  de  leur 
douleur,  aux  vœux  de  leur  civisme  et  à  la  voix  impérieuse 
du  salut  public. 

Vous  avez  abandonné  la  cause  de  la  liberté  avignonaise, 
en  souffrant  qu'elle  fut  opprimée  depuis  le  commencement 
de  votre  législature,  par  des  commissaires  civils  conspira- 
teurs. Vous  n'avez  rien  fait,  pour  vous  opposer  à  la  révo- 
te) Allusion  à  la  campagne  de  Brissot  en  faveur  des  hommes  de  couleur. 

(3)  Allusion  au  licenciement  des  gardes  françaises  prononcé,  en  février 
1792,  par  le  ministre  de  la  guerre  Narbonne,  à  la  demande  de  la  Cour  et  de 
La  Fayette.  Robespierre  avait  pris  leur  défense  aux  Jacobins  le  10  février. 


TROISIÈME   NUMÉRO  85 

cation  du  décret  qui  comprenoit  ses  premiers  défenseurs 
dans  une  amnistie  qui  a  couvert  tous  les  attentats  de  ses 
ennemis  (4).  Vous  saviez  particulièrement  que  les  actes  de 
violence,  reprochés  aux  prisonniers,  n'étoient  que  les  fu- 
nestes représailles  des  lâches  assassinats,  commis  par  les 
défenseurs  de  l'aristocratie  et  du  despotisme  papal,  dans 
la  personne  des  auteurs  de  la  révolution,  de  leurs  frères, 
de  leurs  parens,  de  leurs  amis  :  vous  connoissiez  les  manœu- 
vres employées  pour  les  présenter  aux  yeux  de  la  France 
entière,  comme  des  brigands;  vous  saviez  qu'un  ministre, 
dénoncé  par  vous-mêmes,  les  avoit  livrés  à  une  commission 
tyrannique,  dont  les  jugemens  arbitraires,  n'étoient  que  des 
listes  de  proscription  contre  tous  les  bons  citoyens.  Vous 
ne  pouviez  ignorer  enfin,  que  tous  les  événemens  arrivés 
dans  le  Comtat  et  à  Avignon  ne  pouvoient  être  soumis  au 
jugement  des  tribunaux  français,  puisqu'ils  avoient  eu  lieu 
dans  un  temps  où  la  nation  ne  les  avoit  point  encore  réunis 
à  elle,  et  où  les  habitans  de  cette  contrée,  jouissoient  de 
tous  les  droits  d'un  peuple  indépendant;  vous  saviez  qu'ils 
ne  pouvoient  être  imputés  qu'à  la  perfidie  des  commissaires 
qui  avoient  fomenté  leurs  divisions,  au  gouvernement 
français,  à  tous  ceux  qui  avoient  retardé  l'époque  de  la 
réunion  qu'ils  demandoient  depuis  trois  ans.  Vous  pouviez 
facilement  éclairer  l'Assemblée  nationale  sur  ces  faits. 
Vous  ne  l'avez  point  voulu;  et  cependant  vous  avez  fait 
grâce  aux  commissaires  coupables,  dont  l'un  étoit  votre 
collègue  (5),  à  tous  les  ennemis  de  la  révolution,  souillés 
du  sang  des  patriotes;  vous  n'avez  excepté  que  ceux-ci  de 
votre  barbare  indulgence.  C'est-à-dire,  que  vous  avez  sacri- 
fié, autant  qu'il  étoit  en  vous,  dans  un  pays  qui  fait  mainte- 
nant partie  de  la  France,  l'humanité,  la  justice  et  le  patrio- 

(4)  Allusion  aux  massacres  d'Avignon,  après  le  meurtre  de  Lescuyer,  et 
au  décret  d'amnistie  du  19  mars  «  pour  tous  les  crimes  et  délits  commis  dans 
le  Comtat  et  dans  la  ville  d'Avignon  jusqu'à  l'époque  du  8  novembre  1791    ». 

(5)  Domergue  de  Beauregard,  ancien  officier,  député  de  la  Lozère  à  l'As- 
semblée législative,  avait  été  envoyé  par  la  Cour  en  qualité  de  Commissaire 
du  roi  à  Avignon  avec  le  futur  ministre  de  l'Intérieur,  Champion,  de  Ville- 
neuve pour  enquêter  sur  le  meurtre  de  Lescuyer  par  les  contre-révolutionnai- 
res, sur  les  troubles  qui  avaient  suivi  cet  attentat  en  octobre  1791  (massacre 
de  la  Glacière).  Ils  s'étaient  montrés  très  ardents  tous  deux  contre  les 
patriotes. 


86  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

tisme,  à  la  vengeance  et  à  l'ambition  de  la  cour  et  de  l'aris- 
tocratie. 

Vous  avez  abandonné  les  Marseillois,  les  sauveurs  du 
midi,  les  plus  fermes  colonnes  de  la  révolution.  Car  c'était 
les  abandonner  que  de  ne  pas  les  défendre;  lorsqu'ils 
étoient  en  guerre  avec  l'aristocratie,  qui  avoit  levé  l'éten- 
dard de  la  rébellion  dans  ces  contrées.  Que  dis-je  !  Vous  les 
avez  combattus  de  tout  votre  pouvoir.  N'étoit-ce  pas  les 
combattre,  que  de  se  déclarer  les  protecteurs  du  ministre 
Narbonne,  qui  osa  les  traiter  en  rebelles,  et  déclarer  à 
l'Assemblée  nationale,  qu'il  avoit  envoyé  des  troupes  pour 
les  châtier  ?  M.  Brissot  ne  leur  f  aisoit-il  pas  une  espèce  de 
guerre  ?  Lorsque,  dans  un  tems  où  toute  la  France  connois- 
soit  les  complots  des  aristocrates  de  la  ville  d'Arles  et  des 
provinces  méridionales  (6),  il  aft'ectoit  dans  le  journal  dont 
il  est  l'auteur  de  douter  encore  de  ces  faits;  il  gardoit  la 
neutralité  entre  les  Arlésiens  et  les  Marseillois,  au  moment 
où  ceux-ci  étoient  en  bute  aux  calomnies  des  ennemis  les 
plus  déclarés  de  la  révolution  ?  N'étoit-ce  pas  les  combattre 
que  de  chercher  à  excuser  la  conduite  des  commissaires 
envoyés  à  Aix,  de  présenter  les  crimes  dont  ils  s'étoient 
rendus  capables,  comme  des  actes  de  sévérité?  N'étoit-ce 
pas  trahir  leur  cause,  qui  n'étoit  que  la  cause  publique,  de 
ne  point  repousser  les  calomnies  prodiguées  au  sein  de 
l'Assemblée  nationale  contre  les  commissaires  de  Mar- 
seille (MM.  Rebecqui  et  Bertin),  envoyés  à  Avignon,  trai- 
tés comme  des  coupables,  pour  avoir  défendu,  dans  cette 

(6)  Un  foyer  de  contre-révolution  s'étant  formé  à  Arles,  les  Marseillais 
conduits  par  Rebecqui  et  Barbaroux  s'étaient  portés,  au  nombre  de  4.000 
hommes  avec  50  canons,  vers  cette  ville  qu'ils  avaient  occupée,  sans  éprouver 
la  moindre  résistance,  les  insurgés  ayant  fui  avant  leur  arrivée.  Barbaroux 
s'était  rendu  à  l'Assemblée  législative  pour  justifier  la  conduite  de  ses  compa- 
triotes qui  avaient  été  dénoncés,  par  Narbonne  comme  factieux.  L'Assemblée 
avait  approuvé  Rebecqui,  qui,  depuis,  avait  été  chargé,  avec  un  autre  délégué 
de  Marseille,  Bertin,  et  deux  commissaires  de  la  Drôme,  de  se  joindre  aux 
envoyés  du  roi,  pour  calmer  l'effervescence  qui  ne  cessait  d'agiter  le  Comtat- 
Venaissin. 

Robespierre,  en  cette  occasion,  soutient  les  démarches  des  deux  commissai- 
res marseillais. 

Barbaroux  qui,  dans  ses  Mémoires,  s'est  montré  si  sévère  et  injuste  pour 
Robespierre,  écrivait,  vers  cette  époque,  le  27  avril  1792,  que  tout  le  monde 
rendait  «  justice  à  la  vertu,  au  civisme  de  l'inestimable  Robespierre  >.  Plus 
tard,  il  se  rallia  à  la  Gironde.  (Mémoires  de  Barbaroux,  édition  Alfred 
Chabaud,  pp.  118-119). 


TROISIÈME   NUMÉRO  2>"J 

contrée  la  constitution  et  les  droits  du  peuple  avec  le  zèle 
le  plus  magnanime  (7)?  Que  dis-je?  Vous  avez  hautement 
applaudi  à  leur  disgrâce.  Témoin,  entr'autres,  le  principal 
écrivain  de  votre  parti,  M.  Condorcet.  Qui  ne  seroit  révolté 
de  le  voir  (8),  dans  le  récit  de  la  séance  du  10  mai,  repro- 
duire avec  complaisance  toutes  les  impostures  atroces  des 
ennemis  de  notre  liberté,  contre  les  patriotes  d'Avignon, 
et  parler  exactement  sur  les  affaires  de  cette  contrée  com- 
me les  Maury,  les  Cazalès  et  les  Clermont-Tonnerre,  dans 
l'Assemblée  constituante. 

Vous  avez  encore  persécuté  le  patriotisme  à  Strasbourg, 
lorsque  vous  défendiez,  dans  le  Patriote  Français,  la  fac- 
tion de  Diétrich  et  de  Victor  Broglie  contre  la  société  des 
Amis  de  la  Constitution  de  cette  ville  (9)  ;  lorsque  vous  insé- 

(y)  Ceci  regarde  particulièrement  M.  Brissot.  Il  faut  lire  à  cet  égard  le 
Patriote  Français  et  les  écrits  de  M.  Antonelle,  sur  la  conduite  du  sieur 
Debourges,  où  la  morale  politique  plus  relâchée  de  M.  Brissot  est  victorieu- 
sement réfutée.  (Note  de  Robespierre). 

Dans  le  passage  ci-dessus  Robespierre  fait  encore  allusion  aux  opérations 
de  Rebecqui  et  de  Bertin.  Après  avoir  rempli  leur  mission  à  Arles,  les  com- 
missaires de  Marseille.Rebecqui  et  Bertin  s'étaient  rendus  à  Avignon  pour 
organiser  les  autorités.  Ils  entrèrent  dans  la  ville  papale,  le  27  avril  1792,  et 
favorisèrent  le  parti  avancé.  Ils  avaient  été  dénoncés  à  l'Assemblée  législa- 
tive et  Rebecqui  avait  été  mandé,  à  la  barre,  le  10  mai.  Il  devait  comparaître 
le  8  juin  et  se  disculper. 

Rebecqui  fut  élu  député  à  la  Convention  par  le  département  des  Bouches- 
du-Rhône;  il  prendra  parti  pour  la  Gironde  contre  Robespierre  qui,  cepen- 
dant, l'avait  énergiquement  défendu  lors  des  attaques  dont,  en  mai  1792,  il 
avait  été  l'objet. 

Quant  à  Arles,  l'ancien  maire,  Antonelle,  député  des  Bouches-du-Rhône  à 
l'Assemblée  législative,  il  avait  annoncé,  à  la  séance  du  13  mars  1792,  qu'il 
fournirait,  le  samedi  suivant  17,  un  long  rapport  sur  les  troubles  de  cette 
ville  :  des  commissaires  du  roi,  dont  le  constituant  Debourges,  Gay  et  Lafosse, 
avaient  enquêté,  en  avril  1791,  sur  ces  événements.  (Rapport  inséré  dans  le 
Moniteur  du  14  mai  1791)-  Antonelle,  en  un  long  réquisitoire  (que  ne  repro- 
duit pas  le  Moniteur)  attaque  les  opérations  de  ces  commissaires;  il  les 
accuse  d'avoir  diffamé  les  patriotes  et  c  de  s'être  livré  à  une  apothéose  scélé- 
rate des  contre-révolutionnaires  ».  Il  met  en  cause  Brissot  et  les  Girondins, 
ce  qui  explique  le  silence  du  Moniteur  sur  son  travail,  dont  parle  Robespierre. 
On  sait  qu' Antonelle  était  un  familier  de  Robespierre. 

(8)  Chronique  du  11  mai  (note  de  Robespierre). 

(9)  De  regrettables  scissions  amenées  par  les  intrigues  contre-révolution- 
naires avaient  divisé  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  de  Strasbourg.  On 
en  rendait  responsable  le  maire  Diétrich  et  le  prince  Victor-Claude  de  Broglie, 
ancien  député  aux  Etats-Généraux,  qui  venait  d'être  envoyé  sur  le  Rhin  en 
qualité  de  maréchal  de  camp.  Tous  deux  émigrèrent  après  le  10  août.  Mais 
rentrés  en  France,  ils  périrent  sur  l'échafaud.  Robespierre  avait  parlé  de  ces 
dissentiments  le  22  février  1792  aux  Jacobins. 


88  LE  DEFENSEUR   DE  LA   CONSTITUTION 

riez,  dans  ce  pamphlet  périodique,  toutes  les  diatribles  de 
la  coalition  qui  s'étoit  séparée  d'elle,  contre  les  meilleurs 
citoyens  ;  lorsque,  dans  la  société  de  Paris,  vos  amie  et  vos 
émissaires  s'erforçoient  inutilement  de  la  déterminer  à 
favoriser  le  parti  qui  depuis,  dans  cette  ville,  a  persécuté 
la  liberté  de  la  presse,  dans  la  personne  d'un  patriote  éclairé 
et  d'un  écrivain  estimable  (M.  Lavaux)  (10),  en  lui  susci- 
tant un  procès  criminel  où  l'innocence  et  la  vérité  ont 
triomphé  de  tous  les  efforts  de  la  tyrannie.  Le  patriotisme 
pur  et  courageux  n'est  pas  celui  qui  convient  à  vos  projets; 
et  il  est  toujours  sûr  de  trouver  en  vous  des  adversaires 
implacables.  Votre  plan  paroît  être  de  l'opprimer  partout, 
et  d'éteindre  le  vrai  sentiment  de  la  liberté. 

Vous  connoissez  cet  art  des  tyrans  de  provoquer  un  peu- 
ple toujours  juste  et  bon  à  des  mouvemens  irréguliers, 
dont  le  motif  est  légitime,  et  qui  lui  paroissent  ou  innocens, 
ou  louables,  pour  l'immoler  ensuite  et  l'avilir  au  nom  des 
lois.  Vous  a-t-il  manqué  des  occasions  de  vous  opposer  à 
ce  sistème  funeste;  soit  lorsque  l'on  vouloit  profiter  d'un 
rassemblement  occasionné  par  des  accaparemens  de  grains, 
pour  vouer  une  contrée  au  despotisme  persécuteur  des  tri- 
bunaux contre-révolutionnaires,  soit  lorsque  la  défense 
légitime  des  patriotes  contre  les  insultes  de  l'aristocratie 
révoltés  devenoit  le  prétexte  de  provoquer  la  violence  mili- 
taire contre  les  meilleurs  citoyens  ?  Non.  Cependant  quand 

(10)  Jean- Charles  Thiébault  de  La  veaux,  né  à  Troyes,  le  i;  novembre 
1749,  était  un  littérateur  et  un  lexicographe  distingué,  dont  les  travaux  sont 
remarquables  :  au  début  de  la  Révolution,  il  était  rédacteur  du  Courrier  de 
Strasbourg;  il  fut  inquiété,  mis  en  état  d'arrestation  et  même  condamne  par 
les  contre-révolutionnaires  de  cette  ville.  (Discours  de  Philibert  Simond  aux 
Jacobins  du  29  avril  1792.  Biblio.  Nat.  Lb  40/2.266.  —  Aulard,  ibid.,  t.  111, 
p.  542).  Bientôt  il  fut  mis  en  liberté  et  amnistié;  il  vint  habiter  Paris  et  se 
présenta  à  la  séance  des  Amis  de  la  Constitution  du  21  mai  1792.  Très  lié  avec 
Robespierre,  il  collabora  au  Défenseur  de  la  Constitution;  il  devint  le  rédac- 
teur du  Premier  journal  de  la  Convention  Nationale  ou  le  Point  du  jour, 
paru  du  21  septembre  1792  au  30  juin  1793,  continué  à  cette  époque,  par  le 
Journal  de  la  Montagne,  organe  officiel  des  Jacobins,  dont  Laveaux  lut  le 
directeur  jusqu'au  18  brumaire  an  II  (Aulard,  ibid.,  t.  I  pp.  CXX  et  sui- 
vantes. —  Tourneux,  ibid.,  t.  II  noa  10.823  et  10.890).  Attaqué  par  Hébert, 
il  se  retira  du  journal;  mais  il  resta  toujours  fidèle  à  Robespierre  et  fut 
inquiété  comme  tel,  après  thermidor;  cependant  la  réaction  l'épargna,  et 
désormais  il  se  livra  à  ses  travaux  littéraires,  collabora  au  Dictionnaire  de 
l'Académie,  publia  de  nombreux  autres  dictionnaires  et  œuvres  de  toute 
nature  qui  lui  valurent  une  certaine  célébrité.  Il  mourut  en  1827. 


TROISIÈME  NUMÉRO  89 

vous  est-il  arrivé  d'éclairer  la  bonne  foi  des  honnêtes  gens 
trompés  sur  ces  trames  perfides?  Quand  avez- vous  élevé 
la  voix  contre  quelques-unes  de  ces  mesures  précipitées,  qui 
plongent  dans  le  deuil  une  multitude  de  familles  innocen- 
tes, qui  répandent  la  consternation  parmi  des  citoyens  que 
la  plus  simple  instruction  auroit  pu  diriger,  et  qui  font 
triompher  la  cause  des  ennemis  de  la  liberté  ?  Jamais.  Citez- 
moi  un  seul  patriote  persécuté,  que  vous  ayiez  secouru  ?  un 
seul  innocent  opprimé,  que  vous  ayiez  sauvé?  Cependant 
voilà  le  véritable  caractère  du  patriotisme.  Le  bien  public,  le 
bonheur  de  tous,  voilà  son  unique  objet:  l'amour  de  la  jus- 
tice et  de  l'égalité,  voilà  sa  passion.  Quiconque  ne  la  sent 
pas,  quiconque  est  alternativement  froid  ou  ardent,  juste  ou 
injuste,  sensible  ou  barbare,  quiconque  a  pu  laisser  crier 
en  vain  le  sang  innocent,  n'est  qu'un  intrigant  hypocrite, 
un  vil  ambitieux,  qui  spécule  sur  les  révolutions,  comme 
un  empirique  sur  les  maladies  humaines,  ou  comme  un  bri- 
gand sur  les  incendies. 

Passons  en  revue  vos  autres  exploits,  et  voyons  d'abord 
ceux  qui  vous  ont  donné  un  air  de  civisme. 

Vous  avez  accusé  Lessart,  et  Lessart  est  parti  pour 
Orléans  ;  cet  acte  isolé  est  digne  d'éloges  ;  car  Lessart  étoit 
un  ennemi  du  peuple.  Vous  avez  ensuite  accusé  Duport; 
mais  lassé  du  premier  effort,  vous  l'avez  abandonné  pen- 
dant plus  d'un  mois:  on  dit  que  vous  allez  le  reprendre, 
parce  que  vous  sentez  le  besoin  de  vous  repopulariser:  déjà 
vous  avez  réaccusé  Bertrand  et  dénoncé  Montmorin.  Je  ne 
veux  point  atténuer  votre  mérite  ;  mais  c'est  l'ensemble  de 
votre  conduite  et  le  résultat  de  votre  svstème  qu'il  s'agit 
d'apprécier;  et  lorsque  je  voudrais  vous  donner  ici  des 
louanges  sans  restriction,  il  est  bien  fâcheux  que  je  sois 
forcé  à  ne  voir  dans  vos  dénonciations  même  contre  cer- 
tains coupables,  que  votre  indulgence  pour  le  crime,  et 
peut-être  votre  connivence  avec  des  chefs  de  factions. 

Lessart,  Duport,  Montmorin  et  Bertrand  sont  précisé- 
ment la  même  chose.  Votre  dénonciation  du  comité  autri- 
chien, annoncé  avec  tant  de  fracas,  n'a  fait  qu'ajouter  le 
nom  de  Montmorin  à  vos  dénonciations  antérieures  contre 
les  trois  premiers  de  ces  ex-ministres  Cil). 

(11)  Le  10  mars,  Brissot  avait  prononcé,  à  la  tribune  de  l'Assemblée  légis- 
lative, contre  le  ministre  des  Affaires  étrangères,   De  Lessart,   un  violent 


ÇO  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

On  a  été  étrangement  étonné  de  voir  cette  grande  accu- 
sation se  borner  à  deux  ex-ministres  déjà  jugés  depuis 
long-temps  par  l'opinion  publique:  on  a  admiré  cette 
adresse  avec  laquelle  vous  lui  disiez  à  peine  la  moitié  de  ce 
qu'elle  savoit  déjà.  On  a  vu,  avec  un  extrême  intérêt,  que 
vous  nommiez  deux  complices,  sans  découvrir  le  complot, 
et  sans  toucher  les  principaux  coupables;  on  a  été  frappé 
de  ce  silence  circonspect  sur  des  personnages  plus  impor- 
tans  aux  yeux  de  la  servitude  et  peut-^tre  aux  vôtres  mê- 
me, que  le  seul  mot  de  comité  autrichien  orésentoit  d'abord 
à  tous  tes  esprits.  Les  citoyens  les  plus  défians  et  peut-être 
simplement  les  plus  clairvoyans  ont  tu  apercevoir  que 
vous  ne  vous  saisissiez  de  cette  dénonciation,  que  pour 
ôter  aux  députés  patriotes  le  pouvoir  de  présenter  la  vérité 
toute  entière.  Ils  ont  remarciué  que  vous  en  écartiez  les 
noms  de  certains  intrigans  plus  adroits,  que  vous  aviez 
vous-mêmes  désignés  dans  vos  écrits,  comme  membres  de 
ce  même  comité,  et  surtout  celui  d'un  chef  de  parti  redou- 
table, à  qui  vous  êtes  restés  constamment  attachés,  au  mi- 
lieu de  toutes  les  oscillations  apparentes  de  votre  conduite 
politique  (12).  Enfin  on  a  vu  que  vous  ne  paroissiez  atta- 
quer une  faction  dévoilée  depuis  long-tems,  que  pour  empê- 
cher les  regards  du  public  d'en  apercevoir  une  autre  moins 
généralement  connue,  et  par  la  même  plus  dangereuse  à 
la  liberté.  Eh  !  quel  service  plus  signalé  de  faux  amis  de  la 
constitution  pourraient-ils  rendre  à  ses  ennemis,  que 
d'amuser  le  peuple  fatigué  par  la  dénonciation  éclatante  et 
illusoire  d'un  ou  plusieurs  ministres,  pour  leur  laisser  les 
moyens  d'atteindre  le  moment  où  la  conspiration  doit  écla- 

réquisitoire  qu'appuyèrent  Guadet  et  Vergniaud;  un  décret  d'accusation  avait 
été  rendu  contre  lui  ;  le  23  mai,  Gensonné  et  Brissot  avaient  dénoncé  l'exis- 
tence d'un  Comité  autrichien  à  la  Cour  et  avaient  fait  décréter  l'examen  de 
la  conduite  des  anciens  ministres  Montmorin  qui  fut  arrêté,  Duport  et  Ber- 
trand de  Molleville. 

Montmorin  et  De  Lessart  périrent  dans  les  massacres  de  septembre  1792, 
le  premier  à  Paris,  le  second  à  Versailles.  L'ancien  ministre  de  la  justice 
Duport-Dutertre  avait  été  élu,  le  27  avril,  accusateur  public  près  le  tribunal 
criminel  de  la  Seine  en  remplacement  de  Robespierre  qui  avait  démissionné 
dans  les  circonstances  que  nous  avons  rappelées.  (Voir  ci-dessus,  introduction, 
p.  XIID. 

(12)  Robespierre  fait,  sans  doute,  allusion,  à  Mallet  du  Pan,  aux  anciens 
ministres  Le  Tonnelier  de  Breteuil  qui  avait  été,  en  178Q,  le  centre  de  la 
résistance  absolutiste  que  soutenait  la  reine,  et  surtout  Narbonne  que  les 
Girondins  avaient  toujours  défendu. 


TROISIEME   NUMERO  CI 

ter?  Quel  stratagème  plus  heureux,  une  faction  différente 
de  la  première,  ou  confondue  avec  elle,  pourroit-elle  ima- 
giner, pour  parvenir  au  but  de  ses  projets  ambitieux? 
Qu'avez-vous  fait  après  tout,  pour  prévenir  tous  les  com- 
plots dont  nous  sommes  environnés?  Qu'avez-vous  fait, 
pour  nous  garantir  de  l'éruption  du  volcan  qui  fume,  et  qui 
mugit  sur  nos  têtes  ?  Vous  aviez  envoyez  à  Orléans  un 
ministre  qui,  après  deux  mois  n'est  pas  encore  jugé;  vous 
rajeunissez  deux  vieilles  dénonciations  contre  deux  de  ses 
amis  ;  et  les  mesures  ont  été  tellement  prises,  que  c'est  en- 
core pour  nous  un  problème,  si  Montmorin  est  parti  pour 
l'Angleterre,  ou  s'il  est  à  Paris;  que  déjà  il  écrit  à  l'Assem- 
blée nationale,  avec  une  assurance  qui  insulte  à  la  nation. 
C'est  ainsi  que  vous  savez  pourvoir  au  salut  de  la  patrie 
et  de  la  liberté,  eh  !  quelles  autres  précautions  nos  ennemis 
auroient-ils  donc  pu  adopter? 

En  général,  toute  guerre  déclarée  au  ministère  est  une 
preuve  de  civisme  essentiellement  équivoque  ;  elle  peut  être 
dirigée  ou  par  le  zèle  désintéressé  ou  par  l'esprit  d'intri- 
gue. Nous  avons  vu,  dans  l'Assemblée  constituante,  des 
prétendus  patriotes,  plus  séduisans  que  vous  ne  le  fûtes 
jamais,  aujourd'hui  démasqués,  livrer  une  attaque  géné- 
rale aux  ministres,  excepté  au  plus  dangereux  de  tous,  pré- 
cisément à  ce  même  Montmorin  auquel  ils  expédoient 
libéralement  le  plus  brillant  certificat  de  patriotisme;  ils 
vouloient  les  remplacer,  et  les  remplacèrent,  en  effet,  par 
leurs  créatures,  dont  ils  vantoient  singulièrement  les  ver- 
tus civiques,  telles  que  M.  Duportail,  par  exemple  (13). 
Vous  avez  chassé  quelques  ministres,  mais  vous  les  avez 
remplacés  par  vos  amis;  vous  avez  confié  à  l'un  le  trésor 
public,  à  l'autre  le  département  de  l'intérieur;  à  un  troi- 
sième celui  de  la  justice  (14).  Il  faut  convenir  que  votre 
patriotisme  n'est  pas   du  moins   resté  sans  consolation. 

(13)  La  Fayette,  soutenu  par  le  parti  des  Lameth  et  des  Barnave,  avait  fait 
nommer  son  ancien  surbordonné,  le  maréchal  de  camp  Duportail,  ministre  de 
la  guerre  en  1790. 

(14)  Dumouriez  avait  pris  le  ministère  des  Affaires  étrangères  le  15  mars  ; 
le  24  du  même  mois,  les  Girondins  faisaient  désigner  Roland  pour  l'Intérieur, 
Clavière  pour  les  Finances;  le  14  avril  le  procureur  général  syndic  du  dépar- 
tement de  la  Gironde,  l'avocat  Duranthon  était  ministre  de  la  Justice  et  le  9 
mai  Servan  était  ministre  de  la  Guerre;  tous  grâce  à  Brissot  et  à  ses  amis. 


92  LE    DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

Vous  avez  beaucoup  vanté  ces  choix,  et  sans  doute  vous 
aviez  vos  raisons.  Mon  intention  n'est  pas  de  décrier  ces 
choix  en  eux-mêmes;  j'ai  déjà  déclaré  que  j'aimois  ces 
ministres-  là  tout  autant  que  beaucoun  d'autres,  quoique 
celui  de  la  justice  ait  déjà  excité  les  nlaintes  de  tous  les 
amis  de  la  liberté,  et  encouru  une  disgrâce  pareille  à  celle 
de  son  devancier,  en  signant  un  acte  contraire  aux  pre- 
miers principes  de  la  constitution  (15):  quoique  le  ministre 
de  l'intérieur  ait  commencé  son  ministère  par  un  acte  apo- 
logétique du  veto  lancé  contre  le  premier  décret  sur  les 
prêtres;  quoiqu'il  ait  déjà  été  dénoncé  nar  la  municipalité 
et  par  la  commune  de  Marseille,  pour  avoir  favorisé,  sans 
doute  sans  le  vouloir,  les  aristocrates  des  départemens 
méridionaux  (16);  quoique  sa  maison  «oit  le  rendez-vous 
des  intrigans  qui  s'assemblent  régulièrement,  pour  arran- 
ger les  intérêts  de  la  nouvelle  faction  et  le  système  de 
calomnie,  dirigée  contre  les  patriotes  qui  les  méprisent  tou- 
tes; enfin,  quoique  les  titres  du  ministre  des  contributions 
à  la  confiance  publique  ne  soient  pas  supérieurs  à  ceux  de 
Necker,  son  ami,  son  compatriote  et  son  modèle  (17).  Mais 
il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  cette  ostentation  ridicule 
avec  laquelle  M.  Brissot  dispose  publiauement  de  tous  les 
emplois,  en  faveur  de  ses  créatures,  est  un  scandale  aux 
yeux  de  tous  les  honnêtes  gens.  Ils  savent  que  tout  repré- 
sentant du  peuple  doit  respecter  l'esprit  de  la  loi  constitu- 
tionnelle, qui  lui  défend  d'aspirer  aux  faveurs  du  pouvoir 
exécutif.  N'est-ce  pas  la  violer  que  de  rechercher  pour  ses 
amis  ce  qu'elle  ne  lui  permet  pas  d'accepter  pour  lui-même, 

(15)  C'est  le  ministre  de  la  justice  Duranthon  qui  avait,  à  la  demande  du 
roi  lui-même,  provoqué  des  poursuites  contre  Carra  et  l'arrestation  ordonnée 
par  le  juge  de  paix  Larivière,  des  députés  Chabot.  Merlin  et  Basire.  Il  avait 
contre-signe  l'ordre  royal  à  se  sujet  :  séance  du  20  mai  (Moniteur  du  22).  Voir 
ci-dessus  le  n°  2,  pages  61  à  65. 

(16)  La  lettre  de  Roland,  écrite  le  5  avril  1792  en  tant  que  ministre  de  la 
justice  par  intérim,  aux  magistrats  des  tribunaux,  contenait,  en  effet,  une 
approbation  du  veto  opposé  par  le  roi  au  décret  du  29  novembre  1791  sur  les 
prêtres  réfractaires.  Cette  lettre  est  reproduite  par  le  Moniteur  du  16  avril.. 

A  la  suite  de  son  rapport  du  22  avril  sur-  les  troubles  d'Avignon  et  d'Arles, 
Roland  avant  critiqué  la  conduite  des  Marseillais  à  cette  occasion,  ceux-ci 
s'étaient  plaints  et  avaient  déi.oncé  l'appui  aue  le  ministre  de  l'Intérieur  appor- 
tait ainsi  aux  contre-révolutionnaires  du  Midi  (Moniteur  du  14  mai). 

(17Ï  Clavière.  banquier  à  Genève,  son  pays  natal,  avant  la  Révolution, 
avait  été  le  collaborateur  et  l'ami  de  Necker. 


TROISIEME  NUMERO  93 

et  de  franchir  ainsi  la  barrière  sacrée  que  son  ambition  ne 
peut  briser  ?  Tout  est  perdu  dès  le  moment  où  nos  repré- 
sentai, oubliant  que  leur  devoir  est  de  surveiller  avec 
sévérité  les  démarches  du  pouvoir  exécutif,  s'identifieront 
avec  lui,  et  ne  s'occuperont  plus  qu'à  exercer  eux-mêmes 
son  autorité,  sous  le  nom  des  ministres  qu'ils  auront  faits. 
La  nation  peut  se  reposer  sur  l'austérité  des  principes  et 
sur  la  pureté  des  moeurs  de  ses  représentans  ;  mais  elle  ne 
peut  mettre  sa  confiance  dans  leurs  talens  pour  l'intrigue. 
Quel  garant  pourroient-ils  alors  lui  offrir  de  leur  intégri- 
té? Quel  mérite  y  a-t-il  à  résister  aux  charmes  de  la  liste 
civile  royale,  lorsqu'on  tient  entre  ses  mains  celle  de  la 
nation;  lorsqu'on  a  pris  possession  du  ministère  des  con- 
tributions par  les  mains  de  ses  intimes  amis,  dans  un  tems 
surtout  où  notre  système  financier  est  si  proprice  à  l'agio- 
tage et  à  la  cupidité  ?  Ce  n'est  pas  que  l'on  ne  puisse  habiter 
sur  les  rives  du  Pactole  sans  être  jamais  tenté  d'y  puiser; 
mais  il  faut  que  les  représentans  de  la  nation  soient  inac- 
cessibles même  aux  soupçons,  pour  le  moins  autant  que 
la  femme  de  César. 

Et  d'ailleurs,  qui  ne  voit  pas  que  cette  puissance  de  dis- 
poser du  ministère  suppose  des  ressources  absolument 
étrangères  aux  principes  qui  doivent  les  diriger?  Qui  ne 
sent  que  la  vertu  sévère  ne  peut  avoir  cette  influence  qu'à 
la  cour;  que  même  l'ancien  ami  et  l'associé  de  Moran- 
de  (18),  que  le  secrétaire  de  l'académie  des  sciences  (19), 
que  quelques  avocats,  arrivés  de  Bordeaux  à  la  législatu- 
re (20),  n'auroient  pas  eu  ce  crédit,  s'ils  n'avoient  été  eux- 
mêmes  protégés  par  des  personnages  puissans,  dans  ce 
séjour  de  l'intrigue  et  de  l'aristocratie  ;  et  lorsqu'en  suivant 
le  fil  de  cette  trame,  on  arrive  à  un  triumvirat  féminin  (21), 

(18)  Le  folliculaire  Théveneau  de  Morande  qui,  sous  la  royauté,  n'avait 
jamais  vécu  que  de  scandales  habilement  exploités,  avait  connu  Brissot  à 
Londres  où  tous  deux  étaient  réfugiés  avant  1789.  Cette  relation  pesa  lourde- 
ment sur  le  chef  politique  de  la  Gironde.  —  Théveneau  de  Morande  avait 
fondé,  en  juin  1791,  l'Argus  patriote.  Suspect  de  relations  avec  la  Cour,  il 
avait  été  arrêté  en  1792.  Il  mourut  à  Arnay-leDuc,  son  pays  natal,  en  1805. 

(19)  Allusion  à  Condorcet  qui,  depuis  1777,  était  secrétaire  perpétuel  de 
l'Académie  des  Sciences. 

(20)  Allusion  à  Vergniaud,  Gensonné  et  Guadet. 

(21)  Mme  Roland,  Mme  Robert  (MUe  de  Kéralio)  et  sans  doute  Mme  Condor- 
cet. 


94  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

à  M.  Narbonne  qui,  frappé  alors  d'une  apparente  disgrâce, 
n'en  nommoit  pas  moins  les  ministres;  à  M.  La  Fayette, 
arrivé  dans  ce  tems  de  l'armée  à  Paris,  et  qui  assista  à  des 
rendez-vous  secrets  avec  les  députés  de  la  Gironde  (22), 
à  quelles  vastes  conjectures  ne  peut-on  pas  se  livrer? 
L'imagination  se  perd  dans  ce  dédale  d'intrigues,  et  quand 
il  seroit  bien  prouvé  que  vos  dénonciations  même  ne  sont 
point  un  jeu  concerté  avec  les  ennemis  de  la  révolution,  il 
seroit  toujours  impossible  de  les  attribuer  à  l'amour  du 
bien  public  ? 

J'admire  Caton  tonnant  contre  les  factieux  de  Rome; 
mais  Caton,  à  qui  vous  vous  comparez,  n'étoit  point  l'ins- 
trument d'une  cabale,  il  ne  combattoit  pas  César  pour  ser- 
vir Clodius,  et  son  parti  c'étoit  celui  de  la  patrie. 

Vous  avez  fait  l'effort  unique  de  dénoncer  un  ministre; 
mais  dans  le  même  moment  vous  avez  dérobé  à  la  justice 
des  lois  un  ministre  non  moins  coupable.  La  France  entière 
accusoit  Narbonne  d'avoir  trahi  la  cause  publique,  en  lais- 
sant une  grande  partie  de  nos  défenseurs  sans  armes,  et 
de  nos  frontières  sans  défense;  ce  crime  est  prouvé  même 
par  la  conduite  et  par  le  témoignage  du  ministre  actuel, 
dont  les  premiers  actes  semblent  contraster  heureusement 
avec  la  conduite  de  votre  ex-ministre  et  de  vos  créa- 
tures (23);  il  s'est  accusé  lui-même  en  accusant  Mar- 
seille (25);  il  a  usurpé  le  pouvoir  du  corps  législatif,  en 
donnant  de  son  autorité  privée  à  l'armée  un  règlement  per- 
fide et  tyrannique,  qui  a  excité  ses  réclamations,  également 
fait  pour  l'avilir,  pour  la  révolter  et  pour  la  soumettre  à  la 
volonté  arbitraire  des  patriciens;  il  a  refusé  constamment 
de  remplacer  les  officiers  transfuges  ;  il  a  confié  les  postes 

(22)  A  cette  époque,  en  effet,  La  Fayette  auquel  la  Cour  avait,  par  violation 
de  la  Constitution,  confié  le  commandement  d'une  armée,  était  accouru  à 
Paris.  Sa  présence  fut  signalée  par  Brissot  dans  le  n°  964  du  Patriote 
français  (avril  1792). 

(23)  C'est  du  moins  le  jugement  que  les  vrais  patriotes  semblent  avoir  porté 
sur  la  dernière  démarche  de  M.  Servan  à  l'Assemblée  nationale;  c'est  lui 
peut-être  qui  a  donné  aux  esprits  l'impulsion  énergique,  qui  a  suspendu  les 
complots  de  nos  ennemis.  Nous  sentons  néanmoins  combien  il  est  dangereux 
de  précipiter  son  opinion  sur  le  caractère  d'un  ministre  et  des  hommes  en 
général,  dans  les  circonstances  où  nous  sommes.  Aussi,  si  les  actes  posté- 
rieurs de  Servan  la  démentent,  nous  nous  ferons  un  devoir  de  la  rétracter. 
(Note  de  Robespierre). 

(24)  Voir  ci-dessus,  p.  86. 


TROISIEME   NUMERO  95 

les  plus  importans  à  des  chefs  suspects,  et  conspirateurs 
déclarés  ;  il  s'est  obstiné  à  les  conserver,  malgré  les  récla- 
mations pressantes  des  départemens  où  ils  commandoient  ; 
il  a  trompé  la  nation,  et  trahi  la  sûreté  publique  ;  vous  ne 
l'avez  point  accusé;  vous  l'avez  défendu;  vous  l'avez  célé- 
bré ;  vous  vous  êtes  accordés  pour  le  présenter  à  la  France 
entière  comme  un  ministre  nécessaire,  comme  le  plus  fer- 
me soutien  de  la  patrie  et  de  la  constitution.  Il  paroit 
devant  l'Assemblée  nationale,  où  il  avoit  été  dénoncé  pour 
les  faits  les  plus  graves  par  plusieurs  de  vos  collègues; 
vous  commencez  par  l'applaudir,  avec  transport,  à  sa  seule 
apparition,  vous,  ses  juges,  vous,  représentans  de  la  nation 
française.  A  peine  a-t-il  ouvert  la  bouche,  vous  l'interrom- 
pez par  de  nouveaux  applaudissemens  ;  vous  ne  voulez 
point  qu'il  s'abaisse  à  se  justifier  ;  vous  demandez  qu'il  soit 
dispensé  de  ce  devoir.  Un  de  vos  collègues  (25)  veut  élever 
la  voix  pour  annoncer  des  faits  importans  qui  le  concer- 
nent; vous  l'étouffez  par  un  tumulte  scandaleux;  vous  l'in- 
sultez dans  la  tribune;  le  lendemain,  les  deux  fidèles  orga- 
nes de  votre  cabale,  le  Patriote  Français  et  la  Chronique, 
le  calomnient  sans  pudeur,  comme  si  vous  vouliez  rejetter 
sur  le  courage  et  sur  la  probité,  l'opprobre  qui  était  dû  à 
votre  injustice  et  à  votre  lâcheté;  la  liberté  des  suffrages, 
le  droit  le  plus  sacré  du  souverain  que  vous  représentez, 
la  vérité,  l'honneur,  vous  immolez  tout  à  un  courtisan,  à  un 
coupable.  Peu  de  jours  après,  vous  demandez  pour  lui,  par 
l'organe  de  M.  Guadet,  la  permission  d'aller  commander 
sur  nos  frontières  une  division  de  votre  armée,  avant  qu'il 
ait  rendu  compte;  un  autre  de  vos  collègues,  qui  l'avoit 
déjà  convaincu  des   plus  coupables  prévarications   (26), 

(25)  M.  Duhen  (note  de  Robespierre)  ;  mis  pour  Duhem,  député  du  Nord. 
Robespierre  fait  allusion  à  la  séance  du  2  avril  1792,  au  cours  de  laquelle 
Narbonne  était  venu  donner  des  explications  sur  une  dénonciation  présentée 
par  Duhem  et  appuyée  aux  Jacobins  par  Dubois-Crancé.  Les  girondins 
avaient  applaudi  l'ancien  ministre.  Duhem  leur  avait  reproché  de  s'avilir.  La 
censure  lui  fut  appliquée.  Vergniaud  la  fit  lever  disant  que  Duhem  avait 
voulu  s'excuser. 

(26)  M.  le  Cointre  (note  de  Robespierre).  —  L'accusation  du  député  de 
Seine-et-Oise  contre  Narbonne  est  du  7  avril.  Il  l'accusait  d'avoir  fait  perdre 
8  millions  à  la  Nation  ;  d'avoir  spéculé  sur  les  marchés  passés  pour  l'achat  des 
fusils.  Une  enquête  fut  ordonnée.  Le  5  juin,  Marant  (des  Vosges)  vint  décla- 
rer que  la  dénonciation  de  Lecointre  n'était  pas  fondée  et  que  les  comptes  de 
l'ancien  ministre  de  la  guerre  étaient  réguliers. 


96  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

demande  en  vain  que  vous  attendiez  jusqu'au  lendemain, 
jour  où  il  promet  d'en  révéler  de  nouvelles  ;  vous  lui  impo- 
sez silence,  et  vous  l'insultez  le  lendemain  dans  les  mêmes 
pamphlets  périodiques  où  vous  célébrez  régulièrement  vos 
propres  exploits,  en  même  tems  que  vous  calomniez  le  plus 
pur  civisme.  Voilé  la  conduite  que  vous  avez  tenue  à  la  face 
de  la  nation;  qu'elle  vous  juge. 

Défendre  les  ennemis  de  la  liberté,  faire  une  étroite 
alliance  avec  eux,  persécuter  ses  plus  chauds  amis,  en  ren- 
verser les  premières  bases,  sont  des  actes  qui  tiennent  aux 
mêmes  principes  ;  il  ne  faut  donc  pas  s'étonner  si  c'est  vous 
qui  avez  porté  des  premiers  coups  à  la  liberté  de  la  presse. 
Ce  que  l'Assemblée  constituante  avait  toujours  repoussé 
avec  horreur,  ce  que  les  défenseurs  les  plus  ardens  du  des- 
potisme avoient  à  peine  osé  lui  proposer,  vous  l'avez  fait. 
Vous  avez  érigé  des  écrits  en  crimes  de  lèze-nation;  vous 
en  avez  constitué  juges  une  assemblée  nombreuse,  dont  les 
jugemens  souverains  ne  sont  ni  assujettis  aux  formes 
judiciaires,  ni  susceptibles  de  révision;  vous  avez,  dans 
cette  même  affaire,  posé  formellement  en  principe,  que, 
pour  lancer  un  décret  d'accusation  contre  un  écrit,  il  n'étoit 
pas  nécessaire  de  le  connoître;  et  vous  n'avez  pas  rougi  de 
repousser  par  cette  maxime  impie  (2j)  les  justes  réclama- 
tions des  députés  patriotes  qui  en  demandoient  la  lecture. 
La  justice,  le  bon  sens,  la  liberté  civile  et  politique,  vous 
avez  tout  sacrifié  à  l'intérêt  de  votre  ambition  et  à  une 
lâche  vengeance;  vous  aviez  à  vous  plaindre  de  l'un  des 
écrits  dénoncés;  et  vous  n'avez  pas  rougi  d'être  à  la  fois 
accusateurs,  juges  et  parties.  Le  cœur  plein  de  passions 
cruelles  et  viles,  vous  invoquiez  le  bien  public  et  le  nom 
sacré  des  lois.  On  dit  même  que  cette  dénonciation  n'étoit 
qu'un  complot  tramé  depuis  quelque  tems,  par  vous,  contre 
les  défenseurs  imperturbables  de  la  constitution  que  vous 
haïssez,  pour  de  très  fortes  raisons;  on  dit  que  réveillant 
les  calomnies  inventées  dans  un  tems  de  proscription,  par 

(27)  Ce  dernier  trait  appartient  à  M.  Guadet;  lisez  le  récit  de  la  séance  de 
ce  jour.  (Note  de  Robespierre). 

La  séance  à  laquelle  Robespierre  fait  allusion  est  celle  du  z  mars  au  cours 
de  laquelle,  malgré  une  très  vive  opposition  de  la  gauche  de  l'Assemblée, 
Guadet  dénonça  l'Ami  du  Peuple  de  Marat  et  fit  voter  des  poursuites  contre 
lui,  sans  même  permettre  que  lecture  fut  donnée  des  écrits  incriminés. 


TROISIÈME   NUMÉRO  97 

les  ennemis  les  plus  décriés  de  la  patrie,  vous  avez  osé  lier 
leurs  noms  et  leur  cause  à  celle  des  écrivains  accusés,  mé- 
diter même  des  crimes  nouveaux  dans  vos  conciliabules 
secrets...  On  le  dit;  et  ce  délit  est  prouvé  par  vos  propres 
écrits,  par  les  libelles  extravagans  dont  vous  avez,  à  cette 
époque,  inondé,  dans  un  moment,  toutes  les  parties  de  l'em- 
pire... Et  vous  vous  dites  patriotes!  Le  patriotisme  ne  sup- 
pose donc  aucune  moralité  !  Et  vous  êtes  assis  au  rang  des 
législateurs  !  Il  est  donc  des  législateurs  qui  ne  connoissent 
pas  mêmes  les  lois  de  l'équité  et  de  l'honneur! 

N'est-ce  pas  vous  encore  qui  défendez  le  système  hon- 
teux et  corrupteur  des  dépenses  secrèttes?  N'est-ce  pas 
vous  qui  faites  donner  au  ministre  six  millions,  et  aux 
généraux  1.500.000  1.,  avec  dispense  d'en  rendre  aucun 
compte  (28)? 

N'est-ce  pas  vous  qui,  à  la  place  de  toutes  les  précautions 
depuis  long-tems  nécessaires,  pour  constater  l'état  et  assu- 
rer le  fidèle  emploi  de  nos  finances,  venez  nous  proposer 
de  dévorer  nos  forêts  nationales? 

N'est-ce  pas  vous  enfin  qui,  après  avoir  rejeté  tous  les 
moyens  proposés  pour  faire  heureusement  la  guerre,  de 
réprimer  tous  nos  ennemis  intérieurs,  même  de  pourvoir 
à  l'armement  complet  de  nos  troupes  et  de  nos  gardes 
nationales,  en  remplacement  de  nos  officiers,  et  à  la 
défense  de  toutes  nos  frontières,  vous  êtes  appliqués  cha- 
que jour  à  introduire  au  milieu  de  nous  le  despotisme  mili- 
taire dans  toute  son  étendue?  N'est-ce  pas  vous  qui  rem- 
plissez sans  cesse  l'assemblée  de  terreurs,  pour  la  pousser 
à  des  mesures  extraordinaires  dangereuses  pour  la  liberté, 
et  dangereuses  pour  elle-même?  N'est-ce  pas  vous  qui 
ne  cessiez  de  réclamer  une  estime  sans  bornes  pour 
les  officiers  qui  désertaient  nos  drapeaux,  pour  les  chefs 
qui  abandonnaient  leurs  fonctions?  N'est-ce  pas  vous 
qui  faisiez  censurer  les  plus  estimables  de  vos  collègues, 
lorsqu'ils  dirigeoient  contre  eux  la  défiance  des  légis- 
lateurs? N'est-ce  pas  vous  qui  rejetiez  tout  le  blâme  sur 
des  soldats  fidèles,  qui  les  livriez  à  une  procédure  terrible, 

(28)  Séances  des  28  avril  et  Ier  juin  où  Guadet  intervient  pour  ies  fonds 
secrets  du  ministère  des  Affaires  étrangères  et  les  traitements  des  ministres 
et  des  généraux. 


98  LE   DEFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

et  qui  adoriez  les  généraux  (29)?  Qui,  plus  souvent  que 
vous,  a  répété  ce  reproche  calomnieux  d'indiscipline? 
N'est-ce  pas  vous  qui  avez  voulu  qu'on  les  investit  du  pou- 
voir arbitraire  de  vie  et  de  mort,  et  du  droit  de  faire  des 
lois  pour  l'armée?  Ignorez-vous  que  ce  sont  ceux  qui  dis- 
posent de  la  force  armée  qui  fixent  le  sort  des  révolutions  ? 
Ignorez-vous  quel  est  l'ascendant  que  des  généraux  habiles 
et  victorieux  peuvent  prendre  sur  leurs  soldats  ?  Existe-t-il 
en  France,  aujourd'hui,  une  puissance  égale  de  fait  à  celle 
dont  les  vôtres  sont  revêtus  ?  L'histoire  des  autres  peuples, 
l'expérience  de  la  foiblesse  et  des  passions  des  hommes  ne 
devroient-elles  pas  vous  éclairer  sur  des  dangers  si  pres- 
sans?  Le  plus  redoutable  ennemi  de  la  liberté  des  peuples, 
et  surtout  de  la  nôtre,  c'est  le  despotisme  militaire  ;  et  vous 
l'avez  remis  entre  les  mains  de  nos  patriciens,  dans  celles 
du  plus  adroit,  du  plus  ambitieux  de  tous  !  La  constitution, 
l'Assemblée  nationale,  vous-mêmes,  vous  avez  tout  livré, 
en  quelque  sorte,  à  sa  merci;  attendez,  et  vous  verrez  si 
vous  pourrez  opposer  une  digue  à  ce  torrent  que  vous  vous 
plaisez  à  grossir.  Veuille  au  moins  la  providence,  nous 
défendre  encore  contre  lui  et  contre  nous-mêmes!  Puis- 
siez-vous  vous-mêmes  changer  de  principes  et  vous  hâter 
de  prévenir  les  maux  que  vous  nous  avez  préparés!  A  ce 
prix  je  consens  à  vous  louer. 

Je  ne  pousserai  pas  maintenant  plus  loin  mes  recherches 
sur  votre  vie  politique.  Il  est  même  deux  propositions  que 
j'avois  annoncées,  et  que  les  bornes  du  tems  ne  me  permet- 
tent pas  d'établir  aujourd'hui.  Mais  il  me  semble  qu'il  est 
prouvé,  quant  à  présent,  que  votre  patriotisme  n'a  été  ni 
soutenu,  ni  vrai  ;  que  les  traits  épars,  par  lesquels  il  a  paru 
s'annoncer,  peuvent  bien  pallier  aux  yeux  des  hommes  irré- 
fléchis, mais  non  racheter  les  grandes  fautes  que  vous  avez 
commises  contre  la  nation  :  qu'en  général  ils  ne  se  rappor- 
tent point  au  bien  public  et  à  la  cause  du  peuple;  mais  à 
un  système  d'intrigues,  et  à  l'intérêt  d'un  parti.  Je  n'ai  pas 
besoin  de  savoir  si  c'est  la  cour  ou  une  autre  faction  que 

(29)  On  se  rappellera  que  M.  Merlin  fut  censuré  le  jour  où  M.  Guadet 
demanda  la  dictature  pour  les  généraux.  {Note  de  Robespierre). 

Le  9  mai  1792,  en  effet,  Merlin  (de  Thionville)  fut  rappelé  à  l'ordre,  avec 
censure,  pour  avoir  combattu  le  projet  d'établissement  de  tribunaux  militaires 
soumis  aux  généraux  d'armées. 


TROISIÈME   NUMERO  99 

vous  servez  ;  il  suffit  de  voir  que  ce  n'est  point  la  liberté.  Il 
est  clair  même  que  votre  conduite  ne  peut  que  favoriser  le 
triomphe  de  la  cour;  et  qu'il  ne  tient  qu'à  elle  d'en  tirer 
avantage.  Si  vous  lui  êtes  étrangers,  vous  ne  l'êtes  point 
à  un  autre  parti  ;  or,  tout  parti  est  funeste  à  la  chose  publi- 
que, et  il  est  de  l'intérêt  de  la  nation  de  l'étouffer,  comme 
il  est  du  devoir  de  chaque  citoyen  de  le  dévoiler. 


II 

Coup  d'oeil  sur  la  séance  permanente 
de  l'assemblée  nationale  (30) 

Des  rassemblemens  de  conspirateurs  étrangers  et  fran- 
çais, que  l'on  avoit  laissés  grossir  depuis  plus  d'un  an,  au 
sein  de  la  capitale,  les  manœuvres  de  tous  les  ennemis  de  la 
révolution  dans  toute  l'étendue  de  l'empire,  combinées 
avec  les  attaques  des  despotes  de  l'Europe,  la  révolte 
ouverte  de  la  garde  du  roi,  composée  de  contre-révolution- 
naires déclarés,  l'expulsion  des  bons  citoyens  qu'elle  avoit 
renfermés  dans  son  sein,  enfin,  les  symptômes  menaçans 
d'une  grande  conjuration,  prête  à  éclater,  avertissoient 
l'assemblée  nationale,  qu'il  étoit  tems  de  pourvoir  au  salut 
public  et  peut-être  à  sa  propre  sûreté:  elle  se  déclare  per- 
manente ;  la  conduite  de  la  garde  du  roi  fixe  principalement 
son  attention:  après  un  rapport  de  M.  Bazire,  fondé  sur 
les  faits  les  plus  graves  et  les  plus  multipliés,  malgré  les 
propos  indécens  adressés  à  MM.  Chabot  et  Guadet,  par 
MM.  Calvet  et  Foudière,  qu'elle  envoie  à  l'abbaye  (31); 
malgré  les  sophismes  grossièrement  anti-civiques  de  M. 
Ramond  (32),  elle  décrète  que  la  garde  du  roi  sera  licenciée, 

(30)  Le  28  mai,  en  présence  des  périls  qui  s'affirment,  l'Assemblée,  sur  la 
proposition  de  Carnot-Feulins,  se  déclare  en  permanence.  Le  29,  elle  prononce 
le  licenciement  de  la  Garde  du  roi  composée  de  conspirateurs  et  décrète 
d'accusation  le  commandant  de  Cossé  Brissac.  {Moniteur  des  29  mai,  réimp., 
p.  508;  et  du  31  mai,  réimp.,  pp.  524,  525,  531.  —  Hamel,  ibid.,  t.  II,  p.  263. — 
Histoire  parlementaire,  t.  XIV,  p.  341  à  343.) 

(31)  A  cette  séance  fort  orageuse  du  29  mai,  Frondière  (et  non  Foudière) 
de  la  Seine-Inférieure,  et  Calvet  de  l'Ariège,  qui  s'étaient  montrés  particu- 
lièrement violents  et  injurieux  contre  leurs  collègues  du  côté  gauche,  furent 
emprisonnés  à  l'Abbaye  pendant  trois  jours. 

(32)  L'intervention  de  Ramond,  député  de  Paris,  est  reproduite  en  entier 
dans  le  Moniteur. 


IOO  LE   DEFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

pour  être  recomposée  suivant  les  règles  constitutionnelles, 
et  met  le  colonel  Brissac  en  état  d'accusation.  La  nécessité 
de  licencier  cette  garde,  prouve  combien  il  étoit  absurde  de 
la  créer;  et  quand  je  me  rappelle  qu'il  y  a  un  an,  je  parus 
presque  proposer  une  opinion  insensée,  lorsque  je  m'oppo- 
sai seul  au  décret  qui  l'institua  (33),  en  présageant  les  évé- 
nemens  dont  nous  sommes  les  témoins,  je  ne  puis  me  dis- 
penser de  croire  au  moins  que  la  destinée  de  la  vérité  est 
de  ne  pouvoir  être  accueillie  que  lorsqu'elle  ne  peut  plus 
être  utile  aux  hommes.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  mesure  sage 
et  indispensable  que  l'assemblée  vient  d'adopter,  ne  suffit 
pas  pour  terminer  la  crise  où  nous  sommes.  Ce  n'est  point 
par  un  acte  isolé  que  l'on  sauve  la  liberté;  mais  par  une 
conduite  constamment  ferme  et  civique.  La  prudence,  le 
bons  sens  peuvent  prévenir  les  tempêtes  politiques:  mais 
lorsqu'elles  grondent,  il  n'est  donné  qu'au  courage  et  à  la 
vertu  de  leur  résister.  Celle  que  nous  venons  d'essuyer 
n'est  point  passée  ;  l'affaire  des  gardes  du  roi  -n'étoit  point 
toute  la  conspiration.  Brissac  est  traduit  devant  la  haute 
cour  nationale:  mais  la  haute  cour  nationale  ne  juge  pas. 
Aussi  paralytique  que  le  tribunal  auquel  elle  a  succédé,  elle 
semble  attendre  la  contre-révolution,  comme  son  précur- 
seur attendait  l'amnistie.  Et  d'ailleurs  est-ce  le  sacrifice  de 
quelques  victimes  qui  fixeroit  le  sort  des  peuples  et  des 
tyrans  ?  La  garde  du  roi  n'habite  plus  les  thuileries  :  mais 
elle  est  cantonnée  à  l'école  militaire  ;  elle  est  encore  armée  ; 
et  le  lieu  même  où  elle  réside  est  devenu  un  arsenal.  Au  sur- 
plus, rien  n'est  changé  dans  notre  situation;  nos  ennemis 
étrangers  rassemblent  leurs  forces,  et  nos  ennemis  inté- 
rieurs conspirent  impunément.  Le  roi  devoit  partir;  et  on 
assure  que  ce  projet  n'est  point  abandonné.  D'un  côté  je 
vois  la  cour  préparer  cet  événement;  d'un  autre  côté,  je 
vois  une  faction  perfide  et  ambitieuse  qui  cherche  à  le 
hâter,  pour  décider  la  guerre  civile,  et  élever  sa  puissance 
sur  les  ruines  de  l'égalité  constitutionnelle,  qu'elle  attaque 
à  chaque  instant.  Cependant  la  nation  se  repaît  de  dénon- 
ciations illusoires;  des  phrases  lui  font  oublier  des  atten- 

(33)  Ce  fut  à  la  séance  du  24  août  1791,  que  Robespierre  s'opposa  au  réta- 
blissement de  cette  garde  proposé  par  Thouret  au  cours  de  la  discussion  sur 
la  rédaction  de  l'acte  constitutionnel.  {Moniteur,  du  25  août  1791). 


TROISIÈME   NUMERO  IOI 

tats  et  des  calamités  ;  lassé  par  le  moindre  acte  d'énergie, 
on  se  rendort;  et  la  tyrannie  veille  toujours;  la  trahison 
continue  d'étendre  ses  trames  autour  de  nous;  l'exemple 
de  nos  voisins  ne  peut  nous  instruire:  notre  propre  expé- 
rience est  pour  nous  une  leçon  inutile.  Un  ministre  nous  a 
dit:  il  faut  que  la  nation  se  lève  toute  entière  (34).  Ce  seroit 
la  première  fois,  sans  doute,  qu'une  nation  se  seroit  levée 
à  la  voix  d'un  ministre.  Aussi  tant  dp  merveilles  m'éton- 
nent  ;  ma  f oible  raison  se  perd  dans  le  cahos  (sic)  des  évé- 
nemens  extraordinaire  qui  m'environnent.  Je  me  borne  à 
faire  des  vœux  pour  le  bonheur  et  pour  la  liberté  de  mon 
"pays. 

III 

Lettre  à  un  député  de  l'Assemblée  Nationale  (35) 

Mets,  vendredi  25  mai,  l'an  4e  de  la  liberté 

M.  de  Belmont,  connu  à  Metz,  par  son  école,  lors  du 
retour  du  régiment  de  Masseau  de  Varennes,  vient  encore 
de  se  compromettre,  il  a  voulu  empêcher  les  braves  canno- 
niers  d'Auxonne,  et  de  la  Fère,  de  planter  l'arbre  de  la 
liberté.  Ses  ordres  ont  été  méconnus,  et  l'arbre  est  élevée 
aux  casernes  de  ces  excélens  (sic)  militaires. 

Dimanche  après  la  cérémonie  de  la  plantation  de  l'arbre 
de  la  liberté,  par  les  citoyens,  M.  de  Belmont  envoya  50 
livres  aux  ouvriers:  ceux-ci  saisis  d'indignation  répondi- 
rent à  l'envoyé  du  général  :  «  Allez  dire  à  votre  comman- 
«  dant,  que  l'on  peut  payer  avec  de  l'argent,  les  agens  du 
«  despotisme,  et  ceux  qui  travaillent  à  ses  plaisirs;  mais 
«  des  hommes  libres  ne  veulent  que  l'estime  de  leurs  con- 

(34)  Dumouriez 

(35)  Cette  lettre  est  une  dénonciation  contre  les  manœuvres  des  officiers 
supérieurs  convaincus  de  trahison  et  qui  même  désertent  pour  émigrer. 

De  Bellemont,  qui  avait  été  mêlé  à  la  fuite  du  roi  en  1791,  commandait  la 
place  de  Metz  l'année  suivante. 

Anthoine,  dont  il  est  question  dans  la  présente  lettre,  avait  été  député  du 
bailliage  de  Sarreguemines  aux  Etats  généraux;  il  devint  maire  de  Metz  le 
29  juillet  1792.  Il  fut  député  de  la  Moselle  à  la  Convention.  Il  était  très  lié 
avec  Robespierre;  il  logeait  même  chez  Duplay.  Fatigué  et  malade  en  1793, 
il  demanda  un  congé  et  rentra  à  Metz  où  il  mourut  le  19  août  de  cette  même 
année,  léguant  sa  fortune  à  la  Nation.  Mais  la  Convention  refusa  ce  legs 
(24  germinal  an  II). 


102  LE    DEFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

«  citoyens,  voilà  leur  plus  digne  salaire.  Allez  lui  dire  que 
«  nous  venons  d'arroser  de  nos  sueurs  et  de  larmes  de 
«  joie  l'arbre  de  la  liberté;  et  que  nous  sommes  prêts  à 
«  l'arroser  de  notre  sang  s'il  le  faut  ». 

Le  maire  de  Metz  vient  de  donner  sa  démission,  les  bons 
citoyens  désireroient  bien  pouvoir  appeler  à  ce  poste  M. 
Antoine.  Toujours  des  désertions  des  officiers  d'artille- 
rie! M.  Gaubert,  capitaine  du  régiment  d'Auxonne,  reste 
ferme  à  son  poste  et  désire  de  prouver  à  nos  canonniers 
que  l'honneur  et  le  courage  restent  en  France,  que  les 
lâches  et  les  voleurs  abandonnent  seuls  la  patrie.  Il  est 
aimé  et  estimé  de  ses  soldats. 

On  entreroit  en  bataille  dans  la  ville  par  la  brèche  qui 
existe  à  la  citadelle,  où  l'on  fait  travailler  cinq  cents  hom- 
mes quand  il  en  f  audroit  trois  mille.  On  est  convaincu  que 
si  ceux  qui  sont  à  la  tête  de  ces  ouvrages  le  vouloient  dans 
le  sens  du  patriotisme  cette  ville  seroit  bientôt  fermée.  M. 
Gaston  colonel  du  cinquième  régiment  ci-devant  royal- 
roussillon,  en  garnison  à  Sauvigny  où  il  commandoit,  vient 
d'émigrer  avec  vingt-un  officiers  de  son  corps,  et  ils  em- 
portent douze  mille  livres.  La  veille  de  son  départ,  il  est 
encore  venu  à  la  municipalité,  la  prier  de  s'unir  à  lui  pour 
chasser  les  aristocrates,  en  observant  que  si  on  avoit  à 
défendre  la  ville  au  dehors,  il  falloit  être  assuré  des  enne- 
mis du  dedans. 

Arrive  dans  ce  moment  une  députation  des  corps  admi- 
nistratifs de  Sar-Louis,  qui  vient  demander  des  troupes 
qu'on  ne  peut  donner.  Tous  les  aristocrates  d'Etain, 
Longwy,  Thion ville  refluent  dans  cette  ville. 

Faites  avec  moi  ce  rapprocheemnt  ;  la  ville  de  Metz  est 
ouverte  et  démantelée  du  côté  de  la  citadelle  ;  le  maire  dont 
le  patriotisme  n'est  pas  transcendant  ni  ferme,  donne  sa 
démission,  l'émigration  va  croissant  ;  il  y  a  peu  de  troupes 
en  première  ligne,  depuis  Longvy  qu'à  Sar-Louis  ;  la  fron- 
tière vers  la  Moselle  et  la  Sarre  est  ouverte  ;  il  y  a  bien  des 
troupes  à  Luxembourg;  ne  sommes-nous  pas  au  moment 
d'être  livrés  ?  Montrez  ces  détails  au  ministre  de  la  guerre, 
veillez  et  comptez  au  moins  sur  le  courage  de  vos  amis  qui 
sont  ceux  de  la  constitution  (36). 

(36)  Ces  renseignements  donnaient  raison  aux  appréhensions  de  Robes- 
pierre qui,  dans  sa  lutte  contre  l'idée  de  guerre,  avait  signalé  que  nos  fron- 


TROISIÈME   NUMERO  103 

IV 

Assemblée  Nationale 

SÉANCE  DU  SAMEDI    IÇ  MAI    1792  (i) 

((  L'assemblée  nationale,  considérant  qu'il  importe  à  la 
tranquillité  publique  de  constater  les  noms,  qualité  et 
demeures  des  Français  non  domiciliés  et  des  étrangers  qui 
sont  dans  la  ville  de  Paris,  afin  de  prendre  les  mesures  qui 
seront  jugées  convenables,  décrète  qu'il  y  a  urgence. 

Décret  définitif 

«  L'assemblée  nationale,  après  avoir  décrété  l'urgence, 
décrète  ce  qui  suit: 

«  Art.  I.  Toute  personne  arrivée  à  Paris  depuis  le  pre- 
mier janvier  dernier,  sans  y  avoir  eu  antérieurement  son 
domicile,  sera  tenue,  dans  la  huitaine  qui  suivra  la  publi- 
cation du  présent  décret  de  déclarer  devant  le  comité  de  la 
section  qu'elle  habite,  son  nom,  son  état,  son  domicile  ordi- 
naire et  sa  demeure  à  Paris,  et  d'exhiber  son  passe-port, 
si  elle  en  a  un. 

«  IL  La  disposition  de  l'article  précédent  n'aura  lieu  à 
l'égard  des  voyageurs,  qu'autant  qu'ils  feroient  à  Paris  un 
séjour  de  plus  de  trois  jours  ;  et  à  l'égard  de  tous  ceux  qui 
viennent  à  Paris  pour  son  approvisionnement,  qu'autant 
qu'ils  devront  y  séjourner  plus  de  huit  jours. 

«  III.  Indépendamment  de  la  déclaration  ci-dessus 
ordonnée,  tout  propriétaire,  locataire  principal,  concierge 
ou  portier,  sera  tenu,  dans  le  même  délai,  de  déclarer  éga- 
lement au  comité  de  sa  section  tout  étranger  logé  dans  la 
maison  dont  il  est  propriétaire,  locataire  principal,  concier- 
ge ou  portier. 

<(  IV.  Toutes  personnes,  autres  que  celles  ci-dessus 
exceptées,  qui  négligeront  de  faire  cette  déclaration  dans 
le  délai  prescrit,  seront  condamnées,  par  voie  de  justice 
correctionnelle,  à  une  amende  qui  ne  pourra  excéder  300 

tières  n'étaient  ni  défendues,  ni  même  en  état  de  défense  et  que  les  officiers 
de  nos  armées  étaient  prêts  à  trahir  et  à  émigrer. 

(37)  Le  Moniteur  reproduit  ce  décret  à  la  fin  de  la  séance  du  18  mai.  (Mon. 
du  dimanche  20  mai  1792;  réimp.,  t.  XII,  p.  425). 


104  LE  DÉFENSEUR   DE  LA   CONSTITUTION 

liv.  et  à  trois  mois  d'emprisonnement;  celles  qui  auroient 
fait  une  déclaration  fausse  seront  condamnées  à  1.000  liv. 
d'amende,  et  à  six  mois  d'emprisonnement. 

«  V.  Il  est  défendu,  sous  les  mêmes  peines,  de  donner  des 
logemens  à  ceux  qui,  devant  avoir  eu  des  passe-ports,  n'en 
seroient  pas  porteurs,  sans  en  prévenir  à  l'instant  le 
Comité  de  sa  section. 

«  VI.  Chaque  déclaration  sera  faite  en  double  sur  les 
deux  feuilles  séparées  non  sujettes  au  timbre  et  signées 
par  celui  qui  la  présentera;  dans  le  cas  où  il  ne  sauroit 
signer,  le  commissaire  de  la  section  en  fera  mention  sur 
les  deux  actes,  ainsi  que  de  l'affirmation  faite  en  sa  pré- 
sence par  la  déclarant,  de  la  vérité  de  sa  déclaration;  l'un 
des  doubles  restera  au  Comité  de  la  section,  et  l'autre, 
signé  du  commissaire  de  la  section,  sera  remis  au  décla- 
rant; 

«  VIL  II  sera  procédé  sans  délai  par  la  municipalité  de 
Paris  aux  vérifications,  tant  desdites  déclarations  que  du 
recensement  qui,  a  dû  être  fait  [en]  (38)  1791.  en  exécu- 
tion de  la  loi  du  19  juillet  de  la  même  année  sur  la  police 
municipale. 

«  VIII.  Les  dispositions  du  présent  décret  ne  sont  aucu- 
nement dérogatoires  aux  règlements  de  police  concernant 
ks  maîtres  d'hôtels  garnis,  aubergistes  et  logeurs,  qui 
seront  exécutés  selon  leur  forme  et  teneur  ». 

SÉANCE  DU  DIMANCHE,  20  MAI    I792 

((  L'assemblée  nationale  décrète  qu'il  y  a  lieu  à  accusa- 
tion contre  le  sieur  Etienne  Larivière,  juge  de  paix  de  la 
section  de  Henri  IV  de  la  ville  de  Paris  ;  et  que  le  présent 
décret  sera  porté  sur  le  champ  au  pouvoir  exécutif  pour 
le  faire  exécuter  (39). 

Décret  (40) 

«  L'assemblée  nationale,  après  avoir  entendu  le  rapport 
de   son   comité    de   l'extraordinaire    de    finances    sur    la 

(38)  Mot  passé  à  l'impression. 

(39)  Voir  ci-dessus,  page  61,  un  article  sur  cet  incident. 

(40)  «  Décret  relatif  aux  créanciers  des  princes  français  émigrés  (le  comte 
de  Provence  et  le  comte  d'Artois,  frères  du  roi),  rendu  dans  la  séance  du 


TROISIÈME  NUMÉRO  105 

demande  du  commissaire  de  la  trésorerie  nationale,  relative 
au  paiement  de  la  rente  apanagère  et  du  traitement  des 
deux  princes  français,  lecture  faite  du  projet  de  décret 
dans  les  séances  des  17  avril,  4  mai,  et  de  ce  jour:  après 
avoir  décrété  qu'elle  est  en  état  de  délibérer  définitivement, 
décrète  ce  qui  suit  : 

«  Art.  I.  Le  traitement  d'un  million  accordé  à  chacun 
des  frères  du  roi,  par  les  décrets  des  20  et  21  décembre 
1790,  pour  l'entretien  de  leurs  maisons  réunies  à  celles  de 
leurs  épouses,  est  et  demeure  supprimé  à  compter  du  2 
février  dernier. 

«  II.  Il  sera  remis,  dans  quinzaine,  à  compter  de  la 
promulgation  du  présent  décret,  par  les  ci-devant  tréso- 
riers des  princes  français,  au  commissaire  du  roi,  direc- 
teur-général de  la  liquidation,  des  états  nominatifs  et 
détaillés  des  officiers  et  titulaires,  tant  civils  que  militaires, 
de  leurs  maisons.  Ces  états,  qui  seront  certifiés  par  le 
ministre  de  l'intérieur,  indiqueront  les  gages,  émolumens 
et  finances  des  charges,  et  ne  comprendront  que  les  officiers 
qui  étoient  titulaires  avant  le  premier  juin  1789. 

«  III.  Le  commissaire  du  roi  liquidera,  par  ordre  de 
numéros,  dans  les  proportions  déterminées  dans  l'art.  IV 
ci-après,  ce  qui  devra  être  payé  annuellement  pour  tenir 
lieu  des  gages  et  traitements  fixés  dont  ont  joui  jusqu'à  ce 
jour  les  titulaires  d'offices;  lesquels  seront  tenus  de  lui 
remettre  leurs  titres  au  premier  juillet,  sous  peine  de 
déchéance;  ensemble  les  quittances  du  garde  du  trésor 
royal,  ou  la  preuve  que  leurs  charges  sont  employées  dans 
les  édits  de  créations  des  maisons  des  princes. 

«  IV.  Les  sommes  seront  fixées  par  le  commissaire  liqui- 
dateur dans  les  proportions  suivantes:  savoir: 

«  Pour  les  titulaires  qui  seront  âgés  depuis  vingt-cinq 
jusqu'à  quarante  ans,  à  raison  de  sept  pour  cent;  depuis 
quarante  jusqu'à  cinquante,  à  raison  de  huit  pour  cent; 
depuis  cinquante  ans  jusqu'à  soixantte,  à  raison  de  neuf 
pour  cent;  et  depuis  soixante  et  au-delà,  jusqu'à  la  mort 

vendredi  27  mai  ».  Le  Moniteur,  n'a  publié  que  les  articles  III  à  VIII  de  ce 
décret  (Réimp.  t.  XII,  p.  446).  L'article  i«r  aurait  été  voté  le  mercredi  16  en 
fin  de  séance.  Il  consacre  la  suppression  du  traitement  d'un  million  accordé 
à  chacun  des  frères  du  roi,  suppression  à  compter,  dit  le  Moniteur,  du  12  fé- 
vrier alors  que  Robespierre  indique  le  2  février.  (Ibid.,  p.  410). 


106  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

desdits  titulaires,  à  raison  de  dix  pour  cent,  du  montant 
de  la  liquidation  de  la  finance  de  leurs  offices,  lorsqu'il  aura 
été  prouvé  qu'elle  aura  été  versée  dans  le  trésor  public  ;  et 
sans  que,  pour  chacune  desdits  classes  ci-dessus  fixées, 
chacune  des  rentes  puisse  s'accroître  à  raison  de  l'âge. 

«  V.  Les  dits  titulaires  et  officiers  qui  justifieront  d'une 
résidence  habituelle  et  continue  en  France  depuis  le  14  juil- 
let dernier,  seront  payés,  chacun  individuellement,  des 
arrérages  qui  leur  seront  dûs,  dans  les  proportions  fixées 
par  l'article  IV  ci-dessus,  à  compter  du  12  février  dernier 
jusqu'à  l'époque  de  la  liquidation;  sauf  à  exercer  leurs 
droits  pour  les  arrérages  antérieurs  au  12  février  dernier 
contre  les  trésoriers  des  princes. 

«  VI.  L'assemblée  nationale  déclare  saisissable  par  les 
créanciers  légitimes  des  princes  français,  la  rente  apana- 
gère  qui  leur  est  affectée  par  le  décret  du  29  juillet  1791  : 
en  conséquence  renvoie  les  dits  créanciers  à  se  pourvoir 
dans  les  formes  déterminées  par  les  lois,  sans  que  main- 
levée puisse  être  prononcée  au  profit  des  créanciers,  que 
conformément  aux  règles  prescrites  par  la  loi  du  18  avril 
1791. 

«  VIL  Les  fonctions  des  trésoriers  et  administrateurs 
des  maisons  des  deux  frères  du  roi  sont  supprimées,  ainsi 
que  les  appointemens,  gages  et  rétributions  attribuées  à 
leurs  charges,  à  compter  du  12  février  dernier,  conformé- 
ment à  l'article  premier  du  présent  décret;  sauf  à  statuer 
sur  les  indemnités  qu'ils  pourroient  réclamer  à  raison  de 
la  continuation  de  leur  service  jusqu'à  ce  jour,  et  de  la 
reddition  de  leur  compte,  qu'ils  seront  tenus  de  présenter 
aux  commissaires  de  la  trésorerie  nationale  dans  le  délai 
d'un  mois. 

«  VIII.  Les  ci-devant  gardes-suisses  de  Louis-Stanis- 
las-Xavier et  de  Charles-Philippe,  qui,  par  les  dispositions 
du  premier  décret,  sont  compris  dans  la  masse  des  créan- 
ciers des  dits  princes,  et  qui  sont  supprimés  à  dater  du 
premier  de  ce  mois,  toucheront  sur  la  rente  apanagère,  à 
titre  de  secours  provisoire,  les  sept  mois  de  paye  et  solde 
qui  leur  seront  dûs  depuis  le  premier  octobre  dernier,  épo- 
que où  ils  ont  cessé  d'être  payés  par  les  trésoriers  des 
princes,  jusqu'au  premier  de  ce  mois,  époque  de  leur  sup- 
pression légale  ». 


TROISIEME   NUMERO  107 


SÉANCE  DU  MARDI,  22  MAI  1792 

L'assemblée  nationale,  après  avoir  entendu  le  rapport 
de  ses  comités  diplomatique  et  de  commerce,  réunis,  con- 
sidérant que  les  arrêtés  que  les  départemens  de  l'Isère,  de 
l'Ain,  des  Landes  et  des  Basses-Pyrénées  ont  pris,  portant 
défense  de  sortie  à  l'étranger  des  orges,  avoines,  légumes, 
fourrages,  vins  et  bestiaux  de  toute  espèce,  sont  une  exé- 
cution d'autorité  que  la  constitution  ne  leur  permet  pas; 
considérant  encore  que  de  pareilles  mesures  pourroient 
produire  de  funestes  effets  décrète  qu'il  y  a  urgence. 

«  L'assemblée  (41)  (sic). 

(41)  La  copie  de  ce  décret  n'est  pas  terminée.  La  suite  est  ainsi  conçue  : 
«  L'assemblée  nationale,  après  avoir  déclaré  l'urgence,  décrète  que  le 
«  ministre  de  l'Intérieur  lui  rendra  compte  incessamment  des  mesures  qu'il 
«  aura  prises  pour  assurer  et  protéger  la  libre  circulation  des  orges,  avoines, 
«  grenailles,  légumes,  fromages,  vins  et  bestiaux  de  toute  espèce,  par  tous  les 
«  points  des  frontières  continentales,  autres  que  ceux  désignés  par  les  précé- 
«  dents  décrets  des  31  décembre  dernier  et  14  du  présent  mois,  et  que  le 
«  pouvoir  exécutif  donnera  les  ordres  nécessaires  pour  que  les  arrêtés  des 
«  départements  de  l'Isère,  de  l'Ain,  des  Landes  et  des  Basses-Pyrénées  demeu- 
«  rent  sans  effet;  et  que  ceux-ci  ou  tous  autres,  ne  portent  point  obstacle  à 
«  l'exécution  des  lois  précédemment  rendues  pour  la  libre  sortie  des  objets 
«  dont  il  est  question  ».  (Moniteur,  réimp.,  t.  XII,  p.  459). 


LE  DÉFENSEUR  DE  LA  CONSTITUTION 

N°4 
Articles  contenus  dans  ce  numéro 


48  pages  (161  à  208) 


Pages 
du  document 


I.  —  Observations  sur  les  causes  morales  de  notre 

situation  actuelle    161  à  179 

II.  —  Des  fêtes  nationales  et  des  honneurs  publics.  .      179  à  193 
III.  —  Pétition  de   quarante  citoyens  des  communes 
de    Mauchamp,    Saint-Sulpice    de    Favières, 
Breuillet,    Saint- Yon,    Chaufrour   et    Breux, 
voisines  d'Etampes,  à  l'Assemblée  nationale .  .      193  à  208 

I 
Observations  sur  les  causes  morales  de  notre  situation  actuelle 

Au  milieu  de  toutes  les  divisions  qui  nous  agitent,  dès 
calomnies  éternelles  par  lesquelles  les  difïérens  partis  se 
déchirent  mutuellement,  au  milieu  de  ce  qu'on  appelle  la 
diversité  des  opinions  politiques.,  il  n'est  pas  difficile,  quoi- 
qu'on puisse  dire,  de  reconnaître  le  principe  qui  doit  rallier 

(1)  Laponnekaye  reproduit  cet  article  (t.  I,  pp.  378  à  390).  Il  le  commente 
ainsi  :  «  Robespierre  signale  comme  un  des  principaux  obstacles  qui  s'opposait 
au  triomphe  de  la  cause  populaire,  ce  système  de  calomnie  organisé  par  les 
aristocrates,  les  fripons  et  les  traitres,  pour  déconsidérer  et  démonétiser  les 
patriotes.  Il  montre  également  l'égoïsme  et  l'intérêt  privé  continuellement  en 
révolte  contre  l'intérêt  général  et  le  bonheur  de  tous.  Il  met  en  parallèle  les 
vertus  et  le  désintéressement  du  peuple  avec  les  vices,  les  passions  honteuses, 
les  turpitudes  des  aristocrates  et  des  grands.  Et  la  conclusion  toute  naturelle 
qu'il  en  tire,  c'est  que  le  peuple  sera  malheureux  tant  qu'il  n'exercera  pas 
sa  souveraineté,  tant  qu'il  ne  se  gouvernera  pas  lui-même,  c'est-à-dire  par  des 
mandataires  de  son  choix  ».  —  L'Histoire  parlementaire  (t.  XIV,  p.  431  à 
442)  donne  également  cet  article. 

Léonard  Gallois  (p.  125)  en  cite  quelques  phrases.  —  G.  Michon  (ibid, 
p.  121),  le  signale  et  Ernest  Hamel  analyse  ce  morceau  dont  certains  fragments 
manuscrits  ont  été.  à  diverses  reprises,  mis  en  vente  publique,  notamment  au 
mois  d'avril  1860,  à  la  vente  de  la  Bibliothèque  Laverdet  (t.  II,  p.  272  à  275). 


IIO  LE    DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

tous  les  hommes  de  bonne  foi.  et  parmi  la  multitude  des 
petits  sentiers,  frayés  en  tous  sens  par  l'intrigue  et  par 
l'imposture,  on  retrouve  aisément  le  large  chemin  de  la 
vérité. 

Réfléchissez-y  un  moment  dans  le  silence  des  préjugés 
et  des  passions,  vous  verrez  que  toutes  ces  grandes  ques- 
tions agitées  depuis  si  long  tems  avec  tant  d'appareils  et 
d'animosité,  trouvent  leur  solution  dans  les  premières 
règles  de  la  probité  et  dans  les  plus  simples  notions  de  la 
morale.  Toutes  nos  querelles  ne  sont  que  la  lutte  des  inté- 
rêts privés  contre  l'intérêt  général,  de  la  cupidité  et  de 
l'ambition  contre  la  justice  et  contre  l'humanité:  pour 
savoir  ce  que  chacun  doit  penser  et  faire  dans  notre  révo- 
lution, il  suffit  d'adopter,  dans  les  affaires  publiques,  les 
principes  d'équité  et  d'honneur  que  tout  homme  probe  suit 
dans  les  affaires  privés  et  domestiques. 

Considérez,  en  effet,  quel  est  le  véritable  caractère,  quel 
doit  être  le  véritable  objet  de  notre  révolution.  Est-ce  pour 
changer  de  joug  qu'un  grand  peuple  s'agite  et  brave  tous 
les  périls  attachés  à  ces  violentes  secousses  qui  agitent  les 
empires?  Quand  il  ébranle  ou  qu'il  renverse  le  trône  du 
despotisme,  est-ce  pour  élever  sur  ses  ruines  la  fortune  et 
la  puissance  de  quelques  ambitieux  ou  d'une  classe  privi- 
légiée? Si  les  noms  sont  changés,  et  non  les  abus,  si  la  for- 
me du  gouvernement  est  autre,  mais  non  meilleure,  si  la 
servitude  et  l'oppression  doivent  être  son  éternel  apanage, 
que  lui  importe  un  dictateur,  un  roi,  un  parlement,  un 
sénat,  des  tribuns,  des  consuls  ? 

Comme  l'unique  objet  de  la  société  est  la  conversation 
des  droits  imprescriptibles  de  l'homme,  le  seul  motif  légi- 
time des  révolutions  doit  être  de  la  ramener  vers  ce  but 
sacré,  et  de  rétablir  ces  mêmes  droits  usurpés  par  la  force 
et  par  la  tvrannie;  j'en  atteste  la  nature,  l'éternelle  justice 
et  cette  déclaration  solennelle  que  la  nation  française  a 
elle-même  promulguée  par  l'organe  de  ses  premiers  repré- 
sentai. 

Le  devoir  de  tout  homme  et  de  tout  citoyen  est  donc  de 
concourir,  autant  qu'il  est  en  lui,  au  succès  de  cette  subli- 
me entreprise,  en  sacrifiant  son  intérêt  particulier  à  l'inté- 
rêt général.  Il  doit,  pour  ainsi  dire,  rapporter  à  la  masse 


QUATRIÈME   NUMÉRO  III 

commune  la  portion  de  la  puissance  publique  et  de  la  sou- 
veraineté du  peuple  qu'il  détenoit  :  ou  bien  il  doit  être  exclus 
par  cela  même,  du  pacte  social.  Quiconque  veut  conserver 
des  privilèges  injustes,  des  distinctions  incompatibles  avec 
le  bien  général,  quiconque  veut  attirer  à  lui  une  puissance 
nouvelle,  aux  dépens  de  la  liberté  publique  est  également 
l'ennemi  de  la  nation  et  de  l'humanité.  Telle  est  la  règle 
unique  sur  laquelle  il  faut  juger  nos  différens  politiques  et 
la  conduite  des  acteurs  qui  peuvent  figurer  sur  le  théâtre 
de  la  révolution  française. 

Ainsi  les  lois  justes,  les  lois  sages,  ce  sont  celles  qui  s'ac- 
cordent avec  les  principes  de  justice  et  de  morale  qui  sont 
la  base  de  la  société  humaine;  les  lois  funestes,  les  lois 
insensées,  les  lois  destructives  de  l'ordre  public,  ce  sont 
celles  qui  s'en  éloignent.  Or,  pour  connoître,  pour  sentir 
ces  principes  gravés  par  la  nature  dans  le  cœur  de  tous  les 
hommes,  que  faut-il?  Une  âme  droite  et  un  acractère  mo- 
ral. Cette  seule  vérité  explique  tous  les  phénomènes  de 
notre  révolution.  Pourquoi  déguiser  les  choses  les  plus  sim- 
ples sous  des  noms  pompeux?  Pourquoi  semblons-nous 
adopter  deux  mesures  différentes  dans  le  jugement  que 
nous  portons  des  hommes,  l'une  pour  les  fonctions  de  leur 
vie  publique,  et  l'autre  pour  les  devoirs  de  leur  vie  privée? 
Ceux  qu'on  nomme  les  défenseurs  de  la  liberté,  ne  sont  ni 
des  hommes  exagérés,  ni  des  héros,  ni  de  grands  hommes, 
ni  des  perturbateurs  du  repos  public;  ce  ne  sont  que  des 
honnêtes  gens  en  révolution,  des  hommes  qui  ne  sont  point 
assez  dépravés  pour  immoler  le  genre  humain  à  leur  pro- 
pre intérêt:  ceux  qui  enchaînent  les  peuples  à  force  d'art 
et  d'hypocrisie,  ne  sont  pas  de  grands  politiques,  ni  des 
législateurs  habiles;  et  pourquoi  ne  les  appellerois-je  pas 
simplement  des  fripons,  des  brigands  ?  Qu'elle  est  pleine  de 
sens,  et  à  combien  de  chose  elle  s'applique,  cette  réponse 
d'un  corsaire  à  un  conquérant  !  «  Parce  que  je  fais  mon  mé- 
tier avec  un  navire,  tu  m'appelles  brigand,  et  parce  que  tu 
le  fais  avec  une  flotte,  on  te  nomme  conquérant!  ». 

Ouel  avantage  auroit  donc  à  mes  yeux  sur  le  malheureux 
qui  dérobe  un  peu  d'or,  l'administrateur  infidèle  qui  s'en- 
graisse de  la  substance  du  peuple,  le  ministre  déprédateur 
qui  dévore  la  fortune  publique?  Mépriserai-je  plus  celui 


112  LE    DEFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

qui  touche  au  dépôt  que  je  lui  ai  confié,  que  l'homme  qui 
livre  aux  tyrans  le  dépôt  du  bonheur  de  l'univers;  le  pro- 
cureur qui  dépouille  l'orphelin,  que  le  mandataire  qui  trahit 
les  nations.  Celui  qui  séduiroit  la  fille  de  son  ami  paroitroit 
un  monstre  digne  de  tous  les  supplices  ;  et  celui  qui  empoi- 
sonne les  mœurs  publiques  dans  leur  source,  par  des  lois 
injustes  et  tyranniques,  celui  qui  s'oppose  autant  qu'il  est 
en  lui  à  la  régénération  de  l'espèce  humaine,  seroit  désigné 
par  des  qualifications  plus  douces!  Vous  appeliez,  je  crois, 
un  filou,  celui  qui,  par  adresse,  s'approprie  un  bijou,  quel- 
ques pièces  de  monnoie;  quels  noms  donnerez-vous  à  celui 
qui,  à  la  faveur  d'un  masque  de  civisme,  trompe  une  nation 
entière  par  des  conseils  perfides,  ou  surprend  au  sénat  des 
décrets  qui  recèlent  les  germes  funestes  de  la  tyrannie  et 
de  toutes  les  calamités?  Mandataire  infidèle,  comment 
veux-tu  que  je  te  sache  gré  de  n'avoir  pas  été  convaincu 
d'un  vol  ou  d'un  assassinat  particulier,  quand  je  te  vois 
assassiner  tous  les  jours  la  génération  présente  et  les  races 
futures?  Mettons  un  des  coupables  que  les  tribunaux 
punissent  en  présence  des  grands  criminels  à  qui  ils  par- 
donnent, de  quelles  terribles  vérités  ne  pourra-t-il  pas  les 
foudroyer,  s'il  veut  imiter  le  langage  sincère  du  pirate  à 
Alexandre.  «  Parce  que  je  n'ai  dérobé,  diroit-il,  qu'un 
meuble  chétif,  on  m'appelle  un  voleur;  mais  toi,  parce 
que  tu  entasses  tous  les  jours  dans  tes  coffres  avides  les 
trésors  de  l'Etat,  on  t'appelle  un  ministre  adroit  :  toi,  parce 
que  tu  as  assassiné  non  pas  un  homme,  mais  mille  à 
la  fois;  parce  qu'à  la  tête  de  ton  armée  tu  menaces  à  la 
liberté  de  ta  patrie,  tandis  que  tu  fais  égorger  ses  défen- 
seurs en  détail,  tu  es  un  général  habile;  et  toi,  plus  cou- 
pable qu'eux  tous,  parce  que  tu  n'as  commis  d'autre  crime 
que  d'immoler  à  ta  lâche  cupidité  le  peuple  qui  t'a  choisi  ; 
parce  que  tu  sais  envelopper  dans  des  phrases  insidieuses 
le  poison  de  tes  opinions  perfides;  peu  s'en  faut  qu'on 
ne  t'appelle  encore  un  député  patriote  ;  tu  peux  encore  im- 
punément invoquer  dans  la  tribune  française  le  nom  sacré 
des  lois  aue  tu  proafnes,  pour  insulter  au  patriotisme,  pour 
égorerer  l'innocence  et  opprimer  la  liberté  ». 

Telle  est  l'inconséquence  de  l'esprit  humain.  Il  semble 
que  le  crime  perde  de  son  horreur,  en  proportion  de  l'éclat 


QUATRIEME    NUMERO  113 

qui  l'environne,  et  de  l'étendue  des  maux  qu'il  peut  causer 
aux  hommes;  il  en  est  de  même,  en  sens  contraire,  de  la 
vertu.  Dès  le  moment  où  elle  vient  à  embrasser  l'humanité 
entière,  elle  devient  suspecte.  Qu'un  homme  arrache  un 
autre  homme  à  la  misère  ou  à  la  mort,  on  ne  lui  conteste 
pas  le  tribut  d'estime  qui  lui  est  dû  ;  mais  qu'il  veuille  déli- 
vrer un  grand  coupable  de  la  servitude  et  de  l'oppression, 
on  le  persécute  et  on  le  déclare  séditieux.  C'est  que  la  vertu 
privée  n'allarme  point  les  hommes  puissans,  et  que  la  vertu 
publique  attaque  directement  leur  foiblesse,  leur  orgueil  et 
leur  despotisme. 

O  hommes  stupides  et  pervers,  que  votre  justice  est  bar- 
bare !  que  votre  sagesse  est  absurde  !  que  votre  probité  est 
perfide  et  lâche!  Pour  être  innocent  à  vos  yeux,  il  suffit 
donc  de  monter  au  dernier  degré  de  la  scélératesse;  et  ce 
que  vous  méprisez  dans  le  crime,  c'est  moins  sa  turpitude 
naturelle,  que  la  misère  de  celui  qui  le  commet;  qu'il  se 
montre  à  vous  environné  de  la  force  et  de  la  puissance, 
vous  vous  prosternez  devant  lui,  et  vous  l'adorez  comme  la 
vertu.  Tel  est  l'intérêt  du  despotisme;  telle  est  aussi  son 
influence,  qu'il  anéantit,  pour  ainsi  dire,  la  justice  et  la 
raison  humaine,  pour  leur  substituer  une  raison  et  une 
justice  faites  pour  lui  seul,  dont  le  code  n'est  que  le  mélange 
monstrueux  de  la  vérité  et  de  l'imposture;  qui  ne  parlent 
que  pour  consacrer  ses  forfaits;  qui  n'agissent  que  pour 
cimenter  sa  puissance.  Le  despotisme  corrompt  jusqu'aux 
pensées,  jusqu'aux  sentimens  les  plus  intimes  des  hommes 
qu'il  opprime.  Comme  Polyphème,  il  dévore  ses  esclaves; 
comme  Circé,  il  les  change  en  bêtes  immondes  et  stupides. 

Quand  on  est  si  éloigné  des  routes  de  la  nature,  comment 
est-il  possible  d'y  rentrer?  Lorsqu'on  a  joui  longtems  des 
abus  qui  désoloient  la  société,  lorsqu'on  s'est  accoutumé  à 
regarder  comme  un  patrimoine  précieux  le  droit  d'avilir 
ses  semblables,  comment  renoncer  aux  préjugés  qui  autori- 
sent ces  odieuses  prétentions  ? 

Depuis  le  boutiquier  aisé,  jusqu'au  superbe  patricien, 
depuis  l'avocat,  jusqu'à  l'ancien  duc  et  pair,  presque  tous 
semblent  vouloir  conserver  le  privilège  de  mépriser  l'hu- 
manité, sous  le  nom  du  peuple.  Ils  aiment  mieux  avoir  des 
maîtres,  que  de  voir  multiplier  leurs  égaux;  servir,  pour 


114  LE   DEFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

opprimer  en  sous-ordre,  leur  paroit  une  plus  belle  destinée, 
que  la  liberté  partagée  avec  leurs  concitoyens.  Que  leur 
importent,  et  la  dignité  de  l'homme,  et  la  gloire  de  la 
patrie,  et  le  bonheur  des  races  futures?  Que  l'univers 
périsse,  ou  que  le  genre  humain  soit  avili  et  malheureux, 
pendant  la  durée  des  siècles,  pourvu  qu'ils  puissent  être 
honorés  sans  vertus,  illustres  sans  talens,  et  que,  chaque 
jour,  leurs  richesses  puissent  croître  avec  leur  corruption 
et  avec  la  misère  publique.  Allez  prêcher  le  culte  de  la 
liberté  à  ces  spéculateurs  avides,  qui  ne  connoissent  que  les 
autels  de  Plutus  (2).  Tout  ce  qui  les  intéresse;  c'est  de 
savoir  en  quelle  proportion  le  système  actuel  de  nos  finan- 
ces peut  accroître,  à  chaque  instant  du  jour,  les  intérêts  de 
leurs  capitaux.  Ce  service  même  que  la  révolution  a  rendu 
à  leur  cupidité,  ne  peut  les  réconcilier  avec  elle;  il  falloit 
qu'elle  se  bornât  précisément  à  augmenter  leur  fortune,  ils 
ne  lui  pardonnent  pas  d'avoir  répandu  parmi  nous  quelques 
principes  de  philosophie,  et  donné  quelque  élan  aux  carac- 
tères généreux.  Tout  ce  qu'ils  connoissent  de  la  politique 
nouvelle,  c'est  que  tout  étoit  perdu,  dès  le  moment  où 
Paris  eut  renversé  la  Bastille,  quoique  le  peuple  tout  puis- 
sant eut  au  même  instant  repris  une  attitude  paisible,  si 
un  marquis  n'étoit  venu  instituer  un  état-major  et  une  cor- 
poration militaire  brilante  d'épaulettes,  à  la  place  de  la 
garde  innombrable  des  citoyens  armés  (3):  c'est  que  c'est 
à  ce  héros  qu'ils  doivent  la  paix  de  leurs  comptoirs,  et  la 
France  son  salut;  c'est  que  le  plus  glorieux  jour  de  notre 
histoire  fut  celui  où  il  immola,  sur  l'autel  de  la  patrie, 
quinze  cents  citoyens  paisibles,  hommes,  femmes,  enfans, 
vieillards  (4);  bien  pénétrés  d'ailleurs  de  cette  maxime 
antique;  que  le  peuple  est  un  monstre  indompté,  toujours 
prêt  à  dévorer  les  honnêtes  gens,  si  on  ne  le  tient  à 
la  chaîne  et  si  on  n'a  l'attention  (5)  de  le  fusiller  de  tems  en 
tems;  que  par  conséquent,  tous  ceux  qui  réclament  ses 
droits,  ne  sont  que  des  factieux  et  des  artisans  de  séditions. 

(2)  Mylhol,  Dieu  de  la  Richesse. 

(3)  Allusion  à  La  Fayette. 

(4)  Allusion  à  la  journée  du  17  juillet  1791,  aux  massacres  du  peuple  au 
Chamn  de  Mars  par  la  Garde  nationale. 

(5)  Sic. 


QUATRIEME   NUMERO  115 

Ils  croient  que  le  ciel  créa  le  genre  humain  pour  les  menus 
plaisirs  des  rois,  des  nobles,  des  gens  de  loi,  et  des  agio- 
teurs ;  ils  croient  que  de  toute  éternité,  Dieu  courba  le  dos 
des  uns  pour  porter  des  fardeaux,  et  forma  les  épaules  des 
autres,  pour  recevoir  des  épaulettes  d'or. 

La  situation  d'un  peuple  est  bien  critique,  lorsqu'il  passe 
subitement  de  la  servitude  à  la  liberté,  lorsque  ses  mœurs 
et  ses  habitudes  se  trouvent  en  contradiction  avec  les  prin- 
cipes de  son  nouveau  gouvernement.  Alors  tous  les  hom- 
mes vils  qui,  sous  l'ancien  régime,  épioient  l'occasion  de 
s'enrichir  et  de  s'élever  à  force  de  bassesses  et  de  fourbe- 
ries, empruntent  les  formes  que  les  circonstances  exigent, 
et  s'emparent  de  la  confiance  du  peuple,  pour  le  trahir. 
Avez-vous  un  prince  excessivement  riche  et  puissant,  pour 
défenseur  de  la  constitution  nouvelle,  pour  exécuteur  de 
la  volonté  générale,  alors  ils  se  liguent  pour  rétablir  son 
autorité  absolue;  le  nom  de  la  liberté  retentit  encore  de 
toutes  part;  ses  emblèmes  brillent  à  tous  les  yeux,  mais 
déjà  la  proscription  lève  sa  tête  ensanglantée;  déjà  la 
tyrannie  règne,  en  effet;  bientôt  peut-être  les  mots  et  les 
signes  qui  rappelleront  l'idée  de  la  révolution,  seront  punis 
comme  des  crimes.  On  désespéreroit  de  la  liberté,  si  ses 
vrais  défenseurs  étoient  accessibles  au  désespoir  ;  on  aban- 
donnerait sa  cause,  si  ce  n'étoit  un  triomphe  de  périr  pour 
la  défendre  ;  on  croiroit  que  les  hommes  ne  méritent  point 
de  dévouement,  si  on  jugeoit  l'humanité  par  les  hommes 
corrompus  qui  l'oppriment,  par  cette  horde  d'intrigans  qui 
s'élèvent  dans  les  révolutions,  comme  l'écume  monte  à  la 
surface  des  liqueurs  qui  fermentent;  c'est-à-dire,  si  on 
retranchoit  de  la  nation  la  portion  la  plus  nombreuse  et  la 
plus  pure  des  citoyens.  Mais  la  masse  de  la  nation  est  bonne 
et  digne  de  la  liberté  ;  son  véritable  vœu  est  toujours  l'ora- 
cle de  la  justice  et  l'expression  de  l'intérêt  général.  On  peut 
corrompre  une  corporation  particulière,  de  quelque  nom 
imposant  qu'elle  soit  décorée,  comme  on  peut  empoisonner 
une  eau  croupissante:  mais  on  ne  peut  corrompre  une 
nation,  par  la  raison  que  l'on  ne  sauroit  empoisonner 
l'Océan.  Le  peuple,  cette  classe  immense  et  laborieuse,  à 
qui  l'orgueil  réserve  ce  nom  auguste  qu'il  croit  avilir,  le 
peuple  n'est  point  atteint  par  les  causes  de  dépravation  qui 


Il6  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

perdent  ce  qu'on  appelé  les  conditions  supérieures.  L'inté- 
rêt des  foibles,  c'est  la  justice;  c'est  pour  eux  que  les  lois 
humaines  et  impartiales  sont  une  sauve-garde  nécessaire, 
elles  ne  sont  un  frein  incommode,  que  pour  les  hommes 
puissans  qui  les  bravent  si  facilement.  Le  peuple  ne  con- 
noit  ni  la  mollesse,  ni  l'ambition,  qui  sont  les  deux  sources 
les  plus  fécondes  de  nos  maux  et  de  nos  vices.  Il  est  plus 
près  de  la  nature,  et  moins  dépravé,  précisément  parce 
qu'il  n'a  point  reçu  cette  fausse  éducation,  qui,  sous  les 
gouvernemens  despotisques,  n'est  qu'une  leçon  perpétuelle 
de  fausseté,  de  bassesse  et  de  servitude;  témoins  les  gens 
de  cour  et  les  artisans  qui,  à  cet  égard,  se  trouvent  dans 
les  deux  extrémités  opposées,  témoin  notre  révolution 
toute  entière,  dont  chaque  époque  est  marquée  par  le  cou- 
rage, par  le  désintéressement,  par  la  modération,  par  la 
générosité  du  peuple,  et  par  la  lâcheté,  par  les  trahisons, 
par  les  parjures,  par  la  vénalité  de  tous  ceux  qui  veulent 
s'élever  au-dessus  de  lui.  Ils  feignent  de  n'en  rien  croire, 
ces  vils  égoïstes,  ces  infâmes  conspirateurs.  Ils  s'obstinent 
à  le  calomnier,  ils  s'efforcent  à  l'avilir;  non  contens  de 
s'enrichir  de  ses  dépouilles,  ils  regardent  comme  un  jour 
fortuné  celui  où  ils  peuvent  se  baigner  dans  son  sang;  ils 
rassemblent  contre  lui  les  satellites  des  tyrans  étrangers; 
ils  l'égorgent,  lorsqu'ils  le  peuvent,  par  le  fer  des  citoyens  ; 
ils  rendent  des  honneurs  divins  à  ses  bourreaux;  ils  for- 
cent la  loi  elle-même  à  devenir  complice  de  ces  horribles 
assassinats...  Ils  ont  pour  eux  la  puissance,  les  trésors,  la 
force,  les  armes:  le  peuple  n'a  que  sa  misère  et  la  justice 
céleste...  Voilà  l'état  de  ce  grand  procès  que  nous  plaidons 
à  la  face  de  l'univers. 

Qu'il  juge  entre  nous  et  nos  ennemis,  qu'il  juge  entre 
l'humanité  et  ses  oppresseurs.  Tantôt  ils  feignent  de  croire 
que  nous  n'agitons  que  des  questions  abstraites,  que  de 
vains  systèmes  politiques  ;  comme  si  les  premiers  principes 
de  la  morale,  et  les  plus  chers  intérêts  des  peuples  n'étoient 
que  des  chimères  absurdes  et  de  frivoles  sujets  de  dispute  ; 
tantôt  ils  veulent  persuader  que  la  liberté  est  le  bouleverse- 
ment de  la  société  entière  ;  ne  les  a-t-on  pas  vus,  dès  le  com- 
mencement de  cette  révolution,  cherchpr  à  effrayer  tous  les 
riches,  par  l'idée  d'une  loi  agraire,  absurde  épouvantail, 


QUATRIEME    NUMERO  WJ 

présenté  à  des  hommes  stupides  par  des  hommes  per- 
vers (6)?  Plus  l'expérience  a  démenti  cette  extravagante 
imposture,  plus  ils  se  sont  obstinés  à  la  reproduire,  comme 
si  les  défenseurs  de  la  liberté  étoient  des  insensés  capables 
de  concevoir  un  projet  également  dangereux,  injuste  et 
impraticable  ;  comme  s'ils  ignoraient  que  l'égalité  des  biens 
est  essentillement  impossible  dans  la  société  civile;  qu'elle 
suppose  nécessairement  la  communauté  qui  est  encore  plus 
visiblement  chimérique  parmi  nous,  comme  s'il  étoit  un 
seul  homme  doué  de  quelque  industrie  dont  l'intérêt  per- 
sonnel ne  fût  pas  contrarié  par  ce  projet  extravagant. 
Nous  voulons  l'égalité  des  droits  parce  que  sans  elle,  il  n'est 
ni  liberté,  ni  bonheur  social  :  quant  à  la  fortune,  dès  qu'une 
fois  la  société  a  rempli  l'obligation  d'assurer  à  ses  mem- 
bres le  nécessaire  et  la  subsistance,  par  le  travail,  ce  ne  sont 
pas  les  citoyens  que  l'opulence  n'a  pas  déjà  corrompus,  ce 
ne  sont  pas  les  amis  de  la  liberté  qui  la  désirent;  Aristide 
n'auroit  point  envié  les  trésors  de  Crassus.  Il  est  pour  les 
âmes  pures  ou  élevées  des  biens  plus  précieux  que  ceux-là. 
Les  richesses  qui  conduisent  à  tant  de  corruption,  sont  plus 
nuisibles  à  ceux  qui  les  possèdent  qu'à  ceux  qui  en  sont 
privés  (7). 

(6)  On  retrouvera  ces  idées  exprimées,  à  peu  près  dans  les  mêmes  termes 
dans  le  discours  que  Robespierre  prononcera,  le  24  avril  1793  à  la  Convention 
Nationale  sur  la  propriété.  «  Vous  devez  savoir  que  cette  loi  agraire,  dont 
vous  avez  tant  parlé,  n'est  qu'un  fantôme  créé  par  les  fripons  pour  épouvanter 
les  imbéciles  ».  (10e  Lettre  à  ses  commettants,  2"  série.) 

(7)  «  Nous  n'en  sommes  pas  moins  convaincus,  dit  Robespierre  dans  son 
discours  sur  la  propriété  du  24  avril  1793,  que  l'égalité  des  biens  est  une 
chimère.  Pour  moi,  je  la  crois  moins  nécessaire  encore  au  bonheur  privé  qu'à 
la  félicité  publique.  Il  s'agit  bien  plus  de  rendre  la  pauvreté  honorable  que  de 
proscrire  l'opulence.  La  chaumière  de  Fabricius  n'a  rien  à  envier  au  palais  de 
Crassus.  J'aimerais  bien  autant,  pour  mon  compte,  être  l'un  des  fils  d'Aristide, 
élevé  dans  le  Prytannée  aux  dépens  de  la  République,  que  l'héritier  présomp- 
tif de  Xerxès,  né  dans  la  fange  des  cours,  pour  occuper  un  trône  décoré  de 
l'avilissement  des  peuples  et  brillant  de  la  misère  publique  ». 

Déjà,  dans  son  exposé  du  10  février  1792,  aux  Jacobins,  de  ses  vues  sur  la 
défense  nationale,  il  avait  préconisé  un  ensemble  de  vastes  réformes  politiques 
et  sociales  (Biblio.  Nat.  Lb  40/686).  «  Il  propose  alors,  dit  Michon,  un  but 
et  des  moyens  capables  de  galvaniser  les  énergies  populaires.  Pour  lui,  le 
salut  était  dans  un  profond  renouvellement  intérieur  ».  (G.  Michon,  ibid., 
p.  78). 

Il  expose  encore  ci-après,  à  propos  du  meurtre  du  maire  d'Etampes,  Simo- 
neau,  son  programme  social  et  publie  d'ailleurs  la  yétition  de  Dolivier  (à  la 
suite  de  cet  article,  p.  128),  qui  mettait  en  question  le  droit  de  propriété. 


Il8  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

Quelquefois  aussi  on  nous  accuse  d'ambition.  Lâches 
calomniateurs,  qui  feignez  d'être  stupides,  pour  paroître 
moins  scélérats,  vous  connoissez  les  routes  où  marchent 
les  hommes  avides  de  fortune  et  de  pouvoir,  vous  savez 
aussi  bien  que  nous  à  quel  point  on  s'en  éloigne,  lorsqu'on 
suit  celle  de  la  probité  et  des  principes.  Que  l'on  compare 
seulement  leur  vie  publique  et  la  nôtre. 

Nous  les  avons  repoussés  loin  de  nous;  nous  nous  som- 
mes fermés  la  porte  du  ministère,  où  nos  adversaires  pla- 
cent leurs  amis,  où  ils  aspirent  eux-mêmes  (8);  nous  nous 
sommes  interdits  l'entrée  de  cette  seconde  législature,  où 
ils  trafiquent  des  droits  du  peuple;  nous  avons  abandonné 
cette  tribune  même  où  ils  nous  calomnient.  Nous  avons 
combattu  toutes  les  factions,  et  ils  ne  sont  que  les  chefs  et 
les  instrumens  d'une  faction.  Ils  caressent,  il  servent  nos 
patriciens  militaires;  nous  les  avons  démasqués  dès  long- 
tems;  nous  ne  les  flatterons  jamais,  quelque  soit  leur  puis- 
sance. Ils  possèdent  tout,  ils  aspirent  à  tout;  nous  avons 
renoncé  à  tout,  excepté  au  droit  de  périr  pour  la  liberté. 

Eh  !  de  quel  prix  peuvent  être  à  nos  yeux  ces  vains  hon- 
neurs que  vous  partagez?  En  faut-il  donc  d'autres  aux 
amis  de  l'humanité,  que  le  bonheur  et  la  liberté  de  leur  pays 
qu'ils  ont  défendu?  On  ne  nous  reprochera  pas  du  moins 
sa  perte.  Toutes  les  funestes  lois  qui  l'ont  mis  en  danger, 
nous  les  avons  combattues  ;  parmi  le  petit  nombre  de  celles 
que  l'opinion  de  l'univers  avoue,  il  n'en  est  aucune  à 
laquelle  nous  n'ayons  concouru;  tous  les  dangers  qui  nous 
menacent,  nous  les  avons  prédits  ;  toutes  les  mesures  utiles 
que  vous  adoptez  trop  tard,  soit  dans  les  momens  de  ter- 
reur, soit  dans  ceux  où  vous  voulez  tromper  la  nation,  nous 
les  avons  proposées  une  ou  deux  années  d'avance:  nous  en 
attestons  l'histoire  de  la  révolution. 

Après  avoir  désiré  de  meilleures  lois,  nous  nous  sommes 
bornés  à  défendre  elles  que  nous  avons  pu  obtenir,  comme 
un  rempart  nécessaire  contre  la  fureur  des  factions  qui 
s'élevoient,  et  contre  les  nouvelles  attaques  du  despotisme. 
Vain  espoir  !  Il  ne  peut  souffrir  aucun  frein  ;  la  seule  image 
de  la  liberté  l'épouvante  et  l'irrite.  C'est  contre  cette  cons- 
titution qui  lui  a  laissé  trop  d'avantages,  qu'il  rassemble 

(8)  Allusion  aux  Girondins  qui  s'étaient  emparés  du  pouvoir. 


QUATRIÈME    NUMERO  119 

les  armées  des  tyrans  de  l'Europe;  et  déjà  une  cour  par- 
jure se  prépare  à  voler  sous  leurs  drapeaux;  et  vous- 
mêmes  vous  secondez  ses  aflreux  projets  par  votre  lâcheté, 
par  votre  corruption,  par  votre  ineptie.  Voilà  la  situation 
où  vous  nous  avez  mis;  voilà  notre  cause:  que  les  peuples 
de  la  terre  la  jugent  ;  ou  si  la  terre  n'est  que  le  patrimoine 
de  quelques  despotes,  que  le  ciel  lui-même  la  juge.  Dieu 
puissant!  cette  cause  est  la  tienne;  défends  toi-même  ces 
lois  éternelles  que  tu  gravas  dans  nos  cœurs;  absous  ta  jus- 
tice accusée  par  le  triomphe  du  crime  et  par  les  malheurs 
du  genre  humain  ;  et  que  les  nations  se  réveillent  du  moins 
au  bruit  du  tonnerre  dont  tu  frapperas  tous  les  tyrans  et 
les  traîtres. 

II 

Des  fêtes  nationales  et  des  honneurs  publics  (9) 

Les  fêtes  nationales  et  les  honneurs  publics  portent  l'em- 
preinte du  gouvernement  qui  les  ordonne.  Dans  les  états 
despotiques,  les  honneurs  publics  sont  réservés  à  ceux  qui 
ont  mérité  la  faveur  du  prince,  et  par  conséquent  le  mé- 
pris et  la  haine  du  peuple;  les  fêtes  sont  destinées  à  célé- 
brer les  événemens  agréables  à  la  cour;  il  faut  que  le  peu- 
ple se  réjouisse  de  la  naissance  ou  du  mariage  de  ses 
tyrans  ;  on  lui  jette  généreusement  du  pain  et  de  la  viande, 

(9)  Laponneraye,  reproduit  cet  article  (t.  I,  p.  391  à  400).  Il  le  fait  précé- 
der des  considérations  suivantes  :  «  La  question  qui  est  traitée  dans  cet 
article  est  une  question  grave.  Il  s'agit  de  savoir  s'il  suffit  d'avoir  rampé 
aux  pieds  d'un  despote  in.bécile  et  cruel  pour  mériter  des  honneurs  publics,  si 
le  peuple  ne  doit  pas  être  souverain  juge  dans  cette  matière,  si  lui  seul  n'est 
pas  apte  à  décider  que  tel  homme  a  bien  mérité  de  la  patrie  et  que  tel  autre 
mérite  toute  l'exécration  des  bons  citoyens.  Robespierre  traite  cette  question 
avec  l'élévation  de  vues  et  la  pureté  de  cœur  qui  le  distinguent  ;  ;  il  ne  se 
révèle  pas  seulement  dans  cet  article  comme  un  profond  penseur,  mais 
comme  le  plus  chaleureux  apôtre  de  la  vertu  et  de  la  justice  ». 

Léonard  Gallois,  en  quelques  lignes  (p.  125),  fait  ressortir  que  cet  article 
est  évidemment  dirigé  contre  les  honneurs  décernés  à  la  mémoire  du  maire 
d'Etampes,  Simoneau,  tué  le  3  mars  1792,  au  cours  d'une  émeute,  non  pas 
comme  une  victime  frappée  en  faisant  respecter  la  loi,  mais  «  comme  un 
avide  spéculateur  sur  les  subsistances  publiques,  ardent  à  déployer  contre  ses 
concitoyens,  une  puissance  terrible  que  l'humanité,  que  la  justice  et  même  la 
loi  défendent  d'exercer  légèrement  ». 

Cette  fête  funèbre,  <  cérémonie  nationale  »,  décrétée  le  12  mai  sur  le 
rapport  de  Quatremère  de  Quincy,  eut  lieu  le  3  juin;  elle  constituait  une 
manœuvre  de  la   Cour   et  des  contre-révolutionnaires   qui   voulaient,   à   tout 


120  LE   DEFENSEUR   DE  LA   CONSTITUTION 

comme  à  de  vils  animaux;  et,  si  des  milliers  d'hommes  sont 
étouffés  dans  la  foule,  ou  écrasés  sous  les  roues  des  chars 
brillans  où  l'orgueil  et  le  vice  s'asseient  avec  l'opulence; 
ces  fêtes  n'en  sont  que  plus  dignes  de  leur  objet  et  de  leurs 
héros.  Dans  les  états  aristocratiques,  il  est  aussi  dans  l'or- 
dre que  toutes  les  cérémonies  publiques  soient  destinées  à 
cimenter  la  puissance,  à  relever  la  dignité  des  familles 
patriciennes,  en  abaissant  le  peuple. 

Dans  les  états  libres  où  le  peuple  est  le  souverain,  leur 
unique  objet  doit  être  de  l'honorer,  de  former  les  âmes  des 
citoyens  à  la  vertu,  c'est-à-dire  à  l'amour  de  la  patrie  et  de 
la  liberté. 

Cependant,  pour  raisonner  avec  quelque  justesse  sur  cet 
objet,  il  est  une  observation  à  faire  avant  tout.  C'est  qu'il 
n'est  guère  possible  que  les  honneurs  publics  soient  décer- 
nés avec  justice,  que  par  le  peuple  lui-même;  ils  ne  doivent 
être  que  l'hommage  libre  de  l'amour  et  de  l'estime  public; 
or,  ces  sentimens  ne  peuvent  être  représentés.  Si  l'on  con- 
çoit que,  dans  un  vaste  empire,  le  pouvoir  de  faire  des  lois, 
au  nom  du  peuple,  doit  être  confié  à  des  représentans,  on  ne 
conçoit  pas  sans  doute  que  personne  puisse  estimer  ou  blâ- 
mer, aimer  ou  haïr,  se  réjouir  ou  s'affliger  pour  le  peuple. 
Les  honneurs  publics,  ainsi  que  les  fêtes  nationales,  sont  le 
luxe  de  la  liberté  ;  rien  n'oblige  le  peuple  à  déléguer  le  soin 
de  les  décerner  ;  rien  n'empêche  d'abandonner  aux  citoyens 
le  soin  d'exprimer  à  leur  gré  leur  reconnoissance  et  leur 
joie.  Il  y  a  plus,  entre  les  mains  des  magistrats,  cette  ins- 
titution ne  peut  que  dégénérer.  Il  est  dans  la  nature  des 
choses,  que  toute  corporation,  comme  tout  individu,  ait  un 
esprit  particulier,  par  cela  seul  qu'elle  a  une  existence  par- 
ticulière. 

prix,  une  revanche  de  la  fête  de  la  Liberté,  célégrée  par  le  peuple,  le  15 
avril,  en  l'honneur  des  soldats  de  Châteauvieux.  Hamel  (t.  II,  p.  297),  analyse 
cet  article. 

Les  arguments  de  Robespierre  sont  appuyés  par  une  pétition  des  habitants 
des  communes  voisines  d'Etampes,  pétition  présentée  le  2  mai  à  l'Assemblée 
législative,  et  reproduite  ci-après,  à  la  suite  de  l'article. 

Bûchez  et  Roux  dans  l'Histoire  parlementaire  (t.  XIV,  pp.  262  à  277), 
reproduisent  le  décret  de  l'Assemblée  législative  du  12  mai  1792,  l'article  de 
Robespierre  et  la  pétition  du  2  mai  des  habitants  des  communes  des  environs 
d'Etampes. 


QUATRIEME   NUMERO  121 

Les  hommes  sont  enclins  à  regarder  le  pouvoir  qui  leur 
est  confié  comme  une  distinction  personnelle,  comme  une 
propriété  honorifique,  qui  les  élève  au-dessus  du  peuple. 
L'orgueil  et  l'amour  de  la  domination  seront  toujours  la 
maladie  la  plus  dangereuse  de  tous  les  corps  politiques  qui 
ne  sont  pas  la  nation  elle-même  ;  ainsi  l'a  voulu  la  nature, 
et  le  chef-d'œuvre  des  lois  est  de  guérir  cette  maladie.  De 
là  cette  distance  infinie  que  nous  apercevons  souvent  entre 
l'opinion  publique  et  celle  des  fonctionnaires  que  le  peuple 
même  a  choisi.  S'il  est  une  occasion  où  cette  différence  doit 
naturellement  se  manifester,  c'est  la  dispensation  des  hon- 
neurs publics;  parce  que  c'est  là  surtout  que  l'esprit  de 
corps  et  l'esprit  de  parti  peut  (sic)  particulièrement  se 
développer.  S'il  est  des  tems  où  ces  abus  peuvent  être  à 
craindre,  ce  sont  sans  doute  les  tems  de  révolution,  où  tous 
les  préjugés,  tous  les  intérêts  et  toutes  les  passions  sont  à 
la  fois  en  mouvement. 

L'Assemblée  constituante  des  Français  a  reconnu  au 
moins  une  partie  de  ces  vérités,  en  décrétant  formellement 
que  les  honneurs  destinés  aux  grands  hommes  ne  pour- 
roient  être  décernés  que  deux  ans  au  moins  après  leur 
mort.  Peut-être  auroit-elle  dû  reconnoître  encore  que  ce 
jugement  solennel  ne  pouvoit  appartenir  au  corps  législa- 
tif ni  à  aucune  autorité  déléguée;  que  la  postérité,  ou  la 
nation  seule,  est  juge  compétent  et  souverain  de  ceux  qui 
l'ont  bien  ou  mal  servie  ;  que  l'opinion  publique  ne  peut  être 
représentée  par  celle  d'un  certain  nombre  d'individus  que 
leurs  fonctions  même  séparent  de  la  foule  des  citoyens.  Le 
peuple  est  infaillible  dans  cette  matière;  et  tout  autre  que 
lui  est  sujet  à  de  grandes  erreurs.  L'exemple  même  de 
l'Assemblée  constituante  pouvait  lui  présenter  à  cet  égard 
des  leçons  aussi  frappantes  que  multipliées  Jamais,  par 
exemple,  le  peuple  de  la  Moselle  n'eût  décerné  des  couron- 
nes civiques  à  Bouille;  il  n'eût  point  retiré  aux  adminis- 
trateurs de  ce  même  département  les  témoignages  indis- 
crets de  satisfaction,  qui  étoient  le  prix  de  l'audace  crimi- 
nelle avec  laquelle  ils  avoient  trompé  les  représentants  de 
la  nation,  pour  précipiter  un  décret  homicide  contre  les 
défenseurs  de  la  liberté  ;  car  à  coup  sûr  il  ne  les  leur  auroit 
jamais  prostitués. 


122  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

Peut-être  l'idée  que  je  viens  de  développer  paroîtra-telle 
un  paradoxe:  la  question  est  de  savoir  si  elle  est  juste;  et 
sans  doute  un  peuple  dont  toutes  les  idées  en  matière  de 
gouvernement  n'étoient  que  des  préjugés  reçus  sur  la  foi 
du  despotisme,  doit  se  familiariser  avec  les  vérités  nouvel- 
les. Au  reste,  quelque  soit  l'autorité  qui  dispense  les  témoi- 
gnages de  la  reconnoissance  nationale,  si  elle  les  distribue 
avec  partialité,  elle  déprave  les  mœurs  et  l'opinion:  si  elle 
les  prodigue,  elle  use  ce  ressort  utile  de  l'esprit  public. 

Si  je  voulois  examiner  l'usage  qu'en  a  fait  l'Assemblée 
constituante  elle-même,  je  dirois  peut-être  qu'elle  les  a  trop 
prodigués,  et  qu'elle  a  donné  à  ses  successeurs  plus  d'un 
exemple  ridicule  ou  dangereux.  Et  sans  parler  de  ces  com- 
plimens  éternels,  de  ces  remerciemens  infinis  prostitués  par 
ses  présidens  à  des  hommes  nuls  et  quelquefois  à  des 
actions  anti-civiques,  sans  parler  de  ces  mentions  honora- 
bles, plus  dignes  des  académies  auxquelles  elle  emprunta 
cette  formule,  que  convenables  à  la  raison  et  à  la  gravité 
du  corps  législatif,  j'oserois  porter  mes  regards  sur  les 
premiers  personnages  auxquels  elle  ouvrit  les  portes  du 
temple  consacré  aux  grands  hommes.  Je  ne  craindrai  pas 
au  moins  de  dire  tout  haut  que  les  vertus  utiles  au  bonheur 
des  hommes  doivent  seules  prétendre  à  ces  honneurs  pres- 
que divins;  qu'au  moins  le  législateur  qui  pense  que  les 
talens  seuls  peuvent  les  remplacer,  donne  au  peuple  qu'il 
doit  instituer  la  plus  funeste  leçon  d'immoralité  et  de  cor- 
ruption ;  qu'il  renverse  de  ses  propres  mains  la  base  sacrée 
sur  laquelle  repose  l'édifice  de  la  liberté;  qu'il  avilit  en 
même  temps  et  les  signes  les  plus  honorables  de  l'estime 
publique,  et  la  patrie,  et  lui-même.  Pour  moi,  je  pense,  que 
celui  que  Caton  eût  chassé  du  sénat,  malgré  ses  talens  lit- 
téraires et  quelques  écrits  utiles,  pour  son  caractère  immo- 
ral, et  pour  une  multitude  d'ouvrages  funestes  aux  bon- 
nes mœurs,  je  pense  que  l'homme  à  qui,  malgré  son  élo- 
quence tant  vantée,  le  peuple  reproche  une  foule  de  décrets 
attentatoires  à  sa  liberté,  ne  devoit  pas  reposer  dans  le 
capitole,  à  côté  des  statues  de  nos  dieux  (10).  O  toi,  ami 
sublime  et  vrai  de  l'humanité,  toi  que  persécutèrent  l'envie, 

(10)  Allusion  à  Mirabeau  dont,  par  décret  du  4  avril  1791,  le  corps  reçut 
les  honneurs  du  Panthéon. 


QUATRIEME   NUMERO  123 

l'intrigue  et  le  despotisme,  immortel  Jean- Jacques,  c'est  à 
toi  que  cet  hommage  étoit  dû  :  ta  cendre  modeste  ne  repose  ' 
point  dans  ce  superbe  monument,  et  je  rends  grâce  à  l'ami- 
tié qui  voulut  la  conserver  dans  l'asyle  paisible  de  l'inno- 
cence et  de  la  nature.  C'est  là  que  nous  irons  quelquefois 
répandre  des  fleurs  sur  sa  tombe  sacrée,  et  que  la  mémoire 
d'un  homme  vertueux  nous  consolera  des  crimes  de  la 
tyrannie. 

Un  premier  abus  en  appelle  mille  autres.  Déjà  un  légis- 
lateur (11)  a  réclamé  les  honneurs  du  Panthéon  pour  deux 
rois  de  France.  Juste  ciel!  une  nation  libre  honorer  des 
despotes!  Avez-vous  peur  qu'il  n'en  reste  pas  assez  sur  la 
terre  ?  Voulez-vous  encore  évoquer  les  ombres  de  ceux  qui 
ne  sont  plus?  Si  Henri  IV  et  Louis  XII  avoient  régné  au 
commencemnt  de  votre  révolution,  en  auroit-il  moins  fallu 
secouer  leur  joug? 

Eh!  que  nous  importent  quelques  vertus  exagérées  ou 
inventées  par  des  sujets  qui  écrivoient  l'histoire  sous  les 
yeux  de  leurs  maîtres?  Ceux  qui  ont  retenu  un  pouvoir 
usurpé  sur  l'humanité,  et  transmis  à  leurs  descendans, 
comme  un  héritage  éternel,  le  droit  de  l'opprimer,  peuvent- 
ils  être  nos  héros? 

Déjà  un  membre  du  corps  législatif  (12),  qui,  pour  être 
un  écrivain  élégant,  n'en  étoit  pas  moins  un  homme  médio- 
cre et  un  législateur  nul,  qui  malgré  une  feuille  périodique, 
où  il  rendoit  justice  aux  prêtres  fanatiques,  ne  s'étoit  pas 
moins  déclaré  le  champion  du  ministérialisme  et  le  défen- 

(11)  M.  Pastoret  (note  de  Robespierre). 

Pastoret,  député  de  Paris,  avait  présenté,  le  10  février  1792,  une  motion 
tendant  à  accorder  les  honneurs  du  Panthéon  à  Montesquieu;  le  lendemain  il, 
Charles  Lambert-Belon,  de  la  Côte-d'Or,  qui  rapporta  cette  motion  au  nom 
du  Comité  d'instruction  publique  en  profita  pour  demander  que  la  même 
faveur  fut  décernée  à  la  mémoire  de  Louis  XII  et  de  Henri  IV  «  comme 
étant  les  seuls  rois  qui  se  soient  montrés  les  pères  du  peuple  ».  Sa  proposition 
ne  fut  pas  adoptée. 

(12)  M.  Cérutti  (note  de  Robespierre). 

Cérutti,  député  de  Paris  à  l'Assemblée  législative,  était  un  littérateur  connu 
avant  la  Révolution.  Il  dirigeait  un  journal  populaire,  la  Feuille  villageoise. 
Il  mourut  le  3  février  1792. 
Son  nom  fut  donné  aussitôt  à  la  rue  d'Artois  (de  nos  jours  rue  Laffitte.) 
Condorcet  et  Brissot,  dans  leurs  journaux,  entreprirent  l'éloge  funèbre  de 
Cérutti,  dont  ils  annoncèrent  la  mort  comme  un  malheur  public.  Un  article 
nécrologique  sur  son  passé  fut  publié  par  le  Moniteur  du  27  mars  1792 
(t.  XI,  p.  734). 


124  LE    DEFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

seur  de  la  cour,  a  été  célébré  comme  un  grand  homme,  au 
sein  de  l'Assemblée  nationale,  et  quelques-uns  de  ses  collè- 
gues (13)  ont  entrepris  son  oraison  funèbre  dans  les  jour- 
naux qu'ils  publiaient  chaque  jour.  Il  ne  leur  reste  plus 
qu'à  demander  qu'il  soit  introduit  au  Panthéon,  avec  les 
coryphées  de  la  dynastie. 

Quel  décadence  de  l'esprit  public!  Quel  fatal  oubli  des 
principes!  Quel  perfide  système,  inventé  sans  doute  par 
l'intérêt  personnel,  de  dénaturer  toutes  les  idées  du  peuple, 
en  mettant  sur  la  même  ligne  le  génie  et  la  médiocrité, 
l'intrigue  et  la  vertu,  le  faux  civisme  et  le  généreux  amour 
de  la  patrie! 

Pour  sentir  combien  le  peuple  est  bon,  combien  il  est 
grand,  lorsqu'il  est  abandonné  à  lui-même,  pour  sentir  à 
quel  point  sont  simples  et  sublimes  les  fêtes  dont  il  fait  lui- 
même  les  apprêts,  combien  l'appareil  de  la  force  dont  on 
affecte  de  l'environner  est  une  injure  gratuite  et  coupable, 
il  suffit  d'avoir  une  âme,  et  d'avoir  vu  le  triomphe  de  la 
liberté  et  du  patriotisme  dans  la  fête  des  soldats  de  Châ- 
teau-Vieux et  des  gardes  françaises  (14). 

Qu'elle  étoit  différente  de  celle  qui  vient  d'être  célébrée 
en  l'honneur  du  maire  Simonneau  (15)!  L'Assemblée 
nationale,  une  partie  du  public  même,  avoit  été  bien  cruel- 
lement trompée  sur  les  circonstances  de  cette  affaire  trop' 
fameuse,  comme  sur  tous  les  faits  que  l'intrigue  et  l'esprit 
de  parti  s'attachent  à  dénaturer.  Ainsi  Bouille,  et  tant 
d'autres  mauvais  citoyens  furent  long-tems  vantés  comme 
des  modèles  de  civisme  ;  ainsi  le  peuple  fut  toujours  calom- 
nié avec  impudence  ou  accusé  avec  fureur. 

A  entendre  ce  concert  étourdissant  des  écrivains  aris- 
tocrates ou  ignorans,  qui  ne  croiroit  que  le  maire  d'Etam- 
pes  étoit  un  héros:  que  les  citoyens  de  cette  ville  et  de  la 
contrée  où  elle  est  située  sont  des  brigands  et  des  monstres  ? 
Ce  double  prodige  n'est  qu'une  chimère  enfantée  par  le 
délire  aristocratique.  Déjà  cette  affectation  même  avec 
laquelle  on  ne  cessoit  d'occuper  l'univers  entier  de  cette 

(13)  MM.  Condorcet  et  Brissot  (Note  de  Robespierre). 

(14)  Fête  de  la  Liberté  célébrée  à  l'occasion  de  la  libération  des  Suisses  de 
Chateauvieux,  le  15  avril  1792.  (Voir  ci -après,  page  299). 

(15)  Voir  ci-dessus,  page  119,  les  appréciations  sur  cette  cérémonie. 


QUATRIEME   NUMERO  12$ 

affaire,  déceloit  l'imposture  et  l'intrigue  aux  yeux  des 
citoyens  éclairés;  toutes  les  circonstances  la  dévoilent 
maintenant  à  tous  ceux  pour  qui  la  calomnie  et  l'oppression 
ne  sont  pas  un  besoin.  Rendons  un  hommage  sincère  et  pur 
à  la  vérité,  en  dépit  de  toutes  les  préventions  fanatiques,  en 
dépit  de  toutes  les  manœuvres  criminelles. 

Je  suis  loin  de  justifier  aucune  infraction  à  la  loi;  mais 
le  plus  grand  ennemi  des  loix;  c'est  le  vil  calomniateur  qui 
ose  s'en  faire  un  prétexte  pour  accabler  la  foiblesse 
et  écraser  la  liberté;  je  connois  un  crime  beaucoup  plus 
grand  que  celui  dont  on  accuse  le  peuple  d'Etampes,  c'est 
la  lâcheté  avec  laquelle  on  a  dénaturé  toutes  les  circonstan- 
ces de  cette  affaire,  pour  rendre  le  peuple  odieux  et  répan- 
dre la  consternation  dans  une  contrée  entière.  Eh  bien!  je 
le  déclare;  Simoneau  n'étoit  point  un  héros,  c'étoit  un 
citoyen  regardé  généralement  dans  son  pays  comme  un 
avide  spéculateur  sur  les  subsistances  publiques,  ardent  à 
déployer  contre  ses  concitoyens  une  puissance  terrible,  que 
l'humanité,  que  la  justice,  et  même  la  loi  défendent  d'exer- 
cer légèremnt;  il  fut  coupable  avant  d'être  victime;  et  les 
maux  de  sa  patrie  et  la  violence  que  l'on  reproche  a  ses 
compatriotes  furent  en  grande  partie  son  ouvrage;  et  ces 
faits  sont  aujourd'hui  le  prétexte  de  la  plus  atroce  comme 
de  la  plus  arbitraire  proscription...  Hommes  justes,  écoutez 
seulement  la  voix  des  patriotes  de  cette  contrée?  Lisez, 
entr'autres,  une  pétition  présentée  le  2  mars  (16)  à  l'As- 
semblée nationale  par  des  citoyens  estimables  de  quarante 
communes  voisines  d'Etampes  (17),  qui  n'ont  d'autre  inté- 
rêt dans  cette  affaire  que  celui  de  la  vérité  et  de  la  justice, 
au  nombre  desquels  est  un  curé  vénérable  dont  vous  serez 
forcés  de  respecter  le  courage  et  la  vertu  ;  lisez,  reconnois- 
sez  le  langage  de  la  raison,  de  la  probité,  et  prononcez. 

(16)  (Sic).  La  pétition  dont  on  trouvera  le  texte  ci-après,  pages  128  et  sui- 
vantes, ne  fut  et  ne  pouvait  être  envoyée  à  l'Assemblée  que  postérieurement 
au  meurtre  de  Simoneau  qui  est  du  3  mars.  Il  faut  lire  :  2  mai. 

La  nouvelle  de  cet  événement  avait  été  annoncée  à  la  séance  de  l'Assemblée 
du  4  mars  par  le  Ministre  de  l'Intérieur. 

(17)  J'ai  cru  devoir  imprimer  cette  pétition  singulièrement  intéressante 
presqu'en  entier,  à  la  fin  de  cet  ouvrage.  (Note  de  Robespierre).  Voir  ci-après, 
page  128,  cette  pétition. 


I2Ô  LE    DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

Mais  les  événemens  arrivés  à  Etampes  n'eussent-ils  pas 
été  dénaturés,  il  faut  convenir  que  le  sujet  de  la  fête  dont 
nous  parlons  n'en  auroit  pas  été  plus  heureusement  choisi, 
Le  but  des  fêtes  publiques  n'est  pas  de  flétrir  le  peuple,  en 
perpétuant  le  souvenir  de  ses  erreurs,  de  fournir  des  ali- 
mens  aux  perfides  déclamations  des  ennemis  de  la  liberté. 
Elles  ne  ressemblent  pas  à  ces  drames  tragiques  dont  l'in- 
térêt porte  sur  de  grands  attentats.  La  loi  est  là  pour 
punir  les  délits  ;  quand  elle  est  satisfaite,  il  faut  les  laisser 
s'ensevelir  dans  l'oubli.  Un  maire,  déployant  l'étendar  de 
la  mort  contre  les  citoyens  qui  l'ont  choisi,  dans  un  de  ces 
mouvemens  dont  l'inquiétude  du  peuple  pour  sa  subsistance 
est  la  cause,  un  citoyen  estimable  tout  au  plus  peut-être; 
mais,  quelque  douleur  que  puisse  inspirer  une  infraction 
à  la  loi,  il  sera  toujours  difficile  d'en  faire  un  héros  inté- 
ressant, Même  parmi  les  actions  louables  que  l'on  peut 
présenter  à  l'admiration  publique,  il  en  est  qui  le  sont 
davantage;  il  faut  choisir  celles  qui  portent  un  caractère 
plus  noble  et  plus  touchant  aux  yeux  d'une  nation  magna- 
nime et  de  l'humanité  entière.  «  Passant,  va  dire  à  Sparte 
que  nous  sommes  morts  ici  pour  ses  saintes  lois  ».  Cette 
inscription  étoit  sublime  aux  Thermopiles  ;  mais  appliquée 
au  maire  d' Etampes  peut-elle  produire  le  même  effet.  Léo- 
nidas  est  mort  en  combattant  contre  l'armée  innombrable 
de  Xerxès,  sous  les  coups  des  ennemis  de  la  Grèce;  et 
Simonneau  est  tombé  en  ordonnant  de  faire  feu  sur  ses 
concitoyens  désarmés,  assemblés  pour  arrêter  des  expor- 
tations de  bled  qui  les  alarmaient;  la  différence  est  trop 
grande  sans  doute  pour  que  nous  puissions  mettre  ces  deux 
hommes  sur  la  même  ligne.  La  distance  est  aussi  immense 
entr'eux  qu'entre  les  lois  de  Licurgue  et  la  loi  martiale. 

Combien  de  réflexions  indépendantes  de  l'objet  de  cette 
cérémonie,  les  détails  et  l'ordonnance  de  la  fête  ne  pour- 
raient-ils pas  fournir! 

Les  juges,  les  administraeturs,  les  maires,  les  munici- 
palités, les  autorités  constitués  y  figuroient  presque  seuls: 
ce  n'étoit  donc  point  une  fête  nationale;  c'étoit  la  fête  des 
fonctionnaires  publics.  Le  peuple  n'étoit  pour  rien  dans 


QUATRIÈME   NUMÉRO  127 

tout  cela  (18).  Comme  cette  procession  de  corps  munici- 
paux, de  corps  administratifs  et  de  corps  judiciaires, 
retrace  l'image  de  l'ancien  régime!  "Des  baïonnettes,  des 
glaives,  des  uniformes,  quels  ornemens  pour  les  fêtes  d'une 
nation  libre!  Que  dirons-nous  de  ces  devises  menaçantes 
qui  présentoient  partout  la  loi  en  colère?  où  les  mots  de 
liberté,  de  propriété,  paroissent  une  fois  seulement,  pour 
qu'on  ne  pût  pas  dire  qu'ils  avoient  été  formellement  pros- 
crits ;  mais  seulement  après  le  nom  de  la  loi,  comme  si  la  loi 
étoit  quelque  chose  sans  la  liberté,  sans  la  propriété,  pour 
qui  elle  est  établie  ?  Que  dirons-nous  de  ce  glaive  qui,  pour 
la  cause  du  maire  d'Etampes,  sembloit  menacer  un  grand 
peuple  qui  dans  toutes  les  crises  de  la  révolution,  déploya 
une  modération  égale  à  sa  force  et  à  son  courage  !  Comme 
ce  charlatanisme  paroissoit  digne  de  pitié  aux  véritables 
amis  des  lois,  lorsqu'ils  réfléchissoient  que,  jusqu'à  ce  mo- 
ment, ce  glaive  terrible,  seulement  pour  les  foibles,  avoit 
toujours  épargné  la  tête  des  grands  coupables!  Aussi  le 
silence  imperturbable,  la  profonde  indifférence  du  public 
annonçoit-elle  qu'il  se  regardoit  comme  absolument  étran- 
ger à  cette  fête.  Il  est  vrai  que  ceux  qu'on  appelle  des  aris- 
tocrates, qui,  dans  toute  autre  circonstance,  auroient  trou- 
vé 'le  nom  de  Simoneau  bien  roturier,  pour  recevoir  une 
telle  illustration,'  paroissoient  applaudir  à  son  apothéose, 
qu'ils  regardoient  comme  une  représaille  de  la  fête  de  la 
liberté  et  des  soldats  de  Château- Vieux. 


(18)  «  Le  peuple  ne  participa  en  rien  à  la  pompe  officielle  que  les  Fcuillans 
célébrèrent  fastueusement.  Le  Moniteur  ne  renferme  aucun  détail  sur  cette 
cérémonie...  Brissot  et  les  Girondins  appuyèrent  cette  fête;  pour  eux,  comme 
pour  les  Feuillans,  Simoneau  était  un  martyr  de  la  loi...  »  (Bûchez  et  Roux  : 
Histoire  parlementaire,  t.  XIV,  p.  262). 


128  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

III 

,         Pétition  de  quarante  Citoyens 
Des  communes  de  Mauchamp,  Saint- Sulpice  de  Favières, 
Breuillet,  Saint- Yon,  Chauffour  et  Breux, 
voisines  d'Etampes  (19),  à  l'assemblée  nationale  (20) 

Législateurs, 

Vous  voyez  en  nous  des  habitans  de  différentes  com- 
munes qui  avoisinent  Etampes,  et  qui  n'ont  eu  aucune  part 
à  la  malheureuse  affaire  arrivée  dans  cette  ville. 

Nous  sommes  assez  heureux  pour  nous  trouver  inno- 
cens  :  nous  nous  en  félicitons  ;  mais  il  ne  nous  conviendroit 
pas  de  nous  en  prévaloir.  Hélas  !  la  cause  pour  laquelle  nos 
voisins  s'étoient  épris  d'un  zèle  inconsidéré  et  répréhensi- 
ble,  est  aussi  la  nôtre  ;  et  si,  nous  abhorrons  le  crime  qui  en 
a  été  la  suite,  leur  malheur  d'y  avoir  donné  lieu,  contre  leur 
gré,  nous  porte  vivement  à  les  plaindre.  Une  alarme  géné- 
rale sur  les  subsistances  s'étoit  répandue  dans  toute  la  con- 
trée; on  parloit  d'immenses  enlèvemens  de  bled  pour 
l'étranger:  cette  rumeur,  qui  alloit  en  croissant,  et  sur 
laquelle  on  a  toujours  dédaigné  de  calmer  nos  esprits, 
nous  aigrissoit  d'autant  plus  que  nous  croyons  y  voir  le 
double  complot  de  nous  affamer  et  de  faire  passer  nos 
subsistances  à  nos  ennemis.  C'étoit  peut-être,  une  erreur 
perfidement  insinuée;  mais  au  milieu  de  tant  de  sujets  de 
méfiance,  que  pouvions-nous  nous  figurer  autre  chose  de  ce 
zèle  inquiétant  à  vuider  nos  greniers?  De  quel  œil  pou- 
vions-nous envisager  ces  rapides  enlèvemens  de  bled,  dont 
on  ne  constatait  publiquement  ni  le  besoin  ni  la  destination, 
et  qui  en  faisoient  hausser  le  prix  à  chaque  marché  d'une 
manière  consternante?   Déjà   il  se   vendoit  trente-deux, 

(19)  Mauchamp,  Chauffour,  actuellement  communes  des  canton  et  arrondisse- 
ment d'Etampes.  Saint-Sulpice  de  Favières,  Breuillet,  Saint- You  et  Breux, 
communes  du  canton  de  Dourdan,  arrondissement  de  Rambouillet. 

(20)  Cette  pétition  a  été  rédigée  par  Pierre  Dolivier,  curé  de  Mauchamp. 
Il  rétablit  les  faits  et  signale  les  excès  commis  par  une  repression  impitoyable 
et  sauvage  ordonnée  par  la  Cour  et  exercée  par  les  magistrats  contre  un 
certain  nombre  d'habitants  du  pays. 

Cette  pétition  a  été  reproduite  dans  l'Histoire  parlementaire  de  Bûchez  et 
Roux  (t.  XIV,  p.  270).  —  E.  Hamel  en  rapporte  les  grandes  lignes  (t.  II, 
p.  276). 


QUATRIEME   NUMERO  I2Ç 

trente-trois  livres  à  Etampes,  et  on  voyait  le  moment  où 
il  alloit  venir  à  quarante.  C'est  dans  ces  circonstances, 
c'est  excité  par  de  tels  motifs  (21),  que  s'est  fait  le  mouve- 
ment dont  la  fin  a  été  si  déplorable.  Législateurs,  nous 
gémissons  amèrement  avec  vous  sur  le  sort  du  magistrat 
qui  y  a  péri  victime;  mais  combien  ne  nous  par oîtr oit-il 
pas  plus  digne  d'éloges  si,  au  lieu  de  s'en  être  tenu  à  une 
âpre  et  repoussante  inflexibilité,  il  eût  pris  d'avantage  con- 
seil d'une  salutaire  et  courageuse  prudence!  Il  eût  conservé 
la  vie  et  il  eût  épargné  un  crime  au  peuple.  Cette  dernière 
considération  auroit  bien  dû  au  moins  le  toucher  pour  sa 
gloire  (22).  Au  lieu  de  s'appliquer  à  ramener  un  peuple 
égaré;  au  lieu  de  chercher  à  calmer  ses  alarmes  sur  les 
subsistances,  il  ne  fit  que  l'aigrir,  en  repoussant  durement 
toute  espèce  de  représentation,  et,  ce  qui  mérite  sur-tout 
d'être  pesé,  en  donnant  précipitamment  et  à  plusieurs 
reprises,  comme  on  nous  l'assure  (23),  le  signal  de  l'exé- 
cution de  la  loi  martiale.  Avant  de  recourir  à  cette  loi  meur- 

(21)  On  a  débité  que  cette  émeute  avoit  été  excitée  par  une  troupe  de  bri- 
gands, dans  le  dessein  de  piller  et  de  ravager.  Je  suis  proche  voisin  du  lieu 
où  elle  a  pris  naissance,  et,  d'après  tous  les  renseignemens  particuliers  qui  me 
sont  parvenus  et  qui  portent  en  moi  une  pleine  conviction,  je  puis  certifier 
qu'elle  n'a  eu  d'autre  cause  que  l'alarme  populaire  sur  les  subsistances,  et 
qu'on  ne  s'y  proposoit  que  de  faire  diminuer  le  prix  du  bled:  démarche  qui 
n'étoit  envisagée  que  comme  un  moyen  de  mettre  des  bornes  à  la  cupidité 
des  vendeurs,  et  non  pour  leur  faire  aucune  véritable  injustice.  Peut-être 
doit-on  attribuer  tous  ces  soulèvemens,  dont  l'explosion  s'est  manifestée  en 
tant  d'endroits,  et  qui  avoit  si  bien  l'air  combiné,  avec  les  secrettes  manœuvres 
de  nos  ennemis;  mais  celui-ci  n'est  qu'une  suite  d'un  mouvement  donné;  c'est 
le  renchérissement  du  bled,  c'est  la  faim  ou  la  crainte  de  la  faim  qui  ont  été 
les  seuls  instigateurs.  Du  reste,  je  ne  prétends  pas  justifier  cette  conduite, 
mais  je  la  présente  pour  ce  que  je  crois  qu'elle  est.  Je  signe  cette  note  pour 
tout  l'ouvrage;  il  doit  avoir  un  garant  et  c'est  moi  qui  le  suis. 

Pierre  Dolivier,  curé  de  Mauchamp,  et  électeur... 

(22)  L'inflexibilité  du  maire  doit-elle  seule  en  faire  un  héros  ?  Eh  !  quel  autre 
genre  de  mérite  a-t-il  déployé  dans  cette  circonstance  ?...  La  gloire  ne  se  décerne 
pas,  elle  se  mérite,  et  elle  est  sur-tout  due  au  magistrat  qui  sauve  son  pays, 
non  à  celui  qui  ne  fait  que  le  compromettre.  J'allois  dire  ma  pensée  et  conve- 
nir que  le  maire  d'Etampes  est  en  effet  un  héros  pour  les  marchands  de  bled, 
puisqu'il  est  mort  victime  de  leurs  inhumaines  et  égoïstes  spéculations.  Mais  je 
m'arrête...  Les  lâches!  ils  l'ont  abandonné  dans  le  péril,  et  en  poursuivent 
aujourd'hui  l'apothéose.  C'est  sur-tout  cette  partie  de  la  garde  nationale 
d'Etampes  qui  mérite  le  blâme  de  n'avoir  pas  soutenu  son  magistrat;  aussi 
leur  honte  devroit  elle,  être  inscrite  sur  la  pyramide  qu'ils  ont  sollicitée. 

(Note  du  curé  de  Mauchamp). 

(23)  Il  ne  sauroit  s'élever  aucun  doute  sur  ce  fait  que  l'on  a  grand  soin  de 
taire.  Non  seulement  il  est  attesté  par  la  voix  publique,  mais  je  le  tiens  de 


I30  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

trière,  avant  même  d'oser  l'envisager,  combien,  un  magis- 
trat ne  doit-il  pas  frémir!  combien  ne  doit-il  pas  avoir 
épuisé  toute  autre  ressource,  et  combien  ne  doit-il  pas  voir 
la  chose  publique  en  péril  !  La  loi  martiale,  dans  les  mains 
d'un  homme  qui  n'en  sait  pas  redouter  l'usage,  est  un  poi- 
gnard dans  les  mains  d'un  assassin. 

A  Dieu  ne  plaise  que  nous  ayons  dessein  d'afïoiblir 
l'indignation  que  méritent  les  meurtriers  du  maire  d'Etam- 
pes  ;  mais  quels  sentimens  le  maire  eût-il  lui-même  inspiré, 
si  ses  ordres  eussent  été  exécutés  aussi  brusquement  qu'il 
les  donna,  et  s'il  eût  fait  périr  deux  ou  trois  cents  citoyens 
qui  ne  demandoient  qu'à  aviser  aux  moyens  de  maintenir 
le  bled  à  un  prix  qui  fût  en  mesure  avec  leurs  facultés? 
Voi'là  ce  qu'il  faudroit  examiner  dans  le  jugement  qu'on 
en  porte.  Jusques  à  quand  une  impression  seule  détermi- 
nera-t-elle  nos  décisions  ! 

Le  maire  avoit  la  loi  pour  lui,  dira-t-on,  et  le  peuple  agis- 
soit  contre.  La  loi  défend  expressément  de  mettre  aucun 
obstacle  à  la  liberté  du  commerce  des  grains  (24).  C'étoit 
donc  un  attentat  punissable  de  vouloir  l'enfreindre.  Nous 
n'avons  garde,  Messieurs,  de  faire  sur  l'étendue  de  cette 
loi  aucune  observation  qui  pourroit  faire  suspecter  la  droi- 
ture de  nos  intentions  et  la  pureté  de  notre  civisme.  Nous 

la  propre  bouche  de  l'un  des  cinq  gardes  nationaux  qui  s'étoient  mis  sous  les 
armes  pour  soutenir  le  maire.  Il  ne  put  s'empêcher  de  convenir,  dans  une 
société  où  je  me  trouvai,  qu'il  étoit  vrai  que  le  maire  avoit  ordonné  de  faire 
feu,  mais  ajouta-t-il,  son  intention  n' étoit  pas  d'être  pris  au  mot.  Voilà 
donc  un  ordre  bien  formel  ;  cependant  ce  n'est  point  à  cette  première  fois,  qui 
eut  lieu  à  l'entrée  de  la  ville,  que  le  peuple  se  porta  à  la  violence,  ce  ne  fut 
que  dans  le  marché,  et  après  que  le  maire  y  eut  réitéré  le  même  ordre.  Il  faut 
observer  que  ces  deux  ordres  furent  donnés  sans  avoir  été  précédés  par 
aucune  proclamation,  aucune  formalité  en  règle  exigées  par  la  loi;  et  de 
plus,  il  faut  observer  que  le  maire  n'étoit  soutenu  que  d'un  petit  nombre  de 
troupes  qui  même  ne  partageoient  pas  son  courroux  contre  le  peuple.  Ainsi, 
de  quelque  manière  qu'on  l'envisage,  sa  conduite  mérite,  au  moins,  le  repro- 
che d'une  blâmable  témérité;  et,  dans  cette  témérité  ne  pourroit-il  pas  y  être 
entré  quelque  motif  particulier?  M.  Simoneau,  riche  au  moins  de  18  à  20 
mille  livres  de  rente,  à  la  tête  d'un  commerce  immense  en  tannerie,  qu'il 
exerçoit  avec  tout  l'avantage  que  donne  l'aisance,  n'auroit-il  pas  été  aussi 
intéressé  dans  celui  des  grains?  J'entends  plusieurs  personnes  prétendre  en 
être  certaines;  moi,  je  n'affirme  rien. 

(Note  du  curé  de  Mauchamp). 
(24)  Cette  loi  là  n'auroit-elle  pas  plutôt  pour  objet  la  liberté  du  transport 
des  grains,  que  la  liberté  indéfinie  du  prix?  (Note  de  Robespierre).  —  Décrets 
des  31  décembre  1791  et  6  janvier  1792  sur  la  libre  circulation  des  grains. 


QUATRIEME    NUMERO  I3I 

sentons  aujourd'hui,  plus  que  jamais,  combien,  au  nom 
sacré  de  la  loi,  tout  doit  entrer  dans  un  religieux  respect; 
cependant,  il  est  une  considération  qui  a  quelque  droit  de 
vous  frapper,  c'est  que,  souffrir  que  la  denrée  alimentaire, 
celle  de  première  nécessité,  s'élève  à  un  prix  auquel  le  pau- 
vre ouvrier,  le  journaliste  ne  puisse  atteindre,  c'est  dire 
qu'il  n'y  en  a  pas  pour  lui  ;  c'est  dire  qu'il  n'y  a  que  l'hom- 
me riche,  utile  ou  non,  qui  ait  le  droit  de  ne  pas  jeûner. 
Qu'ils  sont  heureux,  ces  mortels  qui  naissent  avec  un  si 
beau  privilège  !  Cependant,  à  ne  consulter  que  le  droit  na- 
turel, il  semble  bien  qu'après  ceux  qui,  semblables  à  la 
Providence  divine,  dont  la  sagesse  règle  l'ordre  de  cet  uni- 
vers, préveint  (sic)  par  leurs  lumières  à  l'ordre  social,  et 
cherchent  à  en  établir  les  lois  sur  leurs  vraies  bases  ;  après 
ceux  qui  exercent  les  importantes  fonctions  de  les  faire 
observer  dans  leur  exacte  justice,  il  semble  bien,  disons- 
nous,  qu'après  ceux-là,  le  bienfait  de  la  société  devroit 
principalement  rejaillir  sur  l'homme  qui  lui  rend  les  ser- 
vices les  plus  pénibles  et  les  plus  assidus;  et  que  la  main 
qui  devroit  avoir  la  meilleure  part  aux  dons  de  la  nature, 
est  celle  qui  s'emploie  le  plus  à  la  féconder.  Néanmoins  le 
contraire  arrive,  et  la  multitude,  déshéritée  en  naissant,  se 
trouve  condamnée  à  porter  le  poids  du  iour  et  de  la  cha- 
leur, et  à  se  voir  sans  cesse  à  la  veille  de  manquer  d'un  pain 
qui  est  le  fruit  de  ses  labeurs.  Ce  tort  n'est  assurément 
point  un  tort  de  la  nature,  mais  bien  de  la  politique  qui  a 
consacré  une  grande  erreur,  sur  laquelle  posent  toutes  nos 
lois  sociales,  d'où  résultent  nécessairement  et  leur  compli- 
cation et  leurs  fréquentes  contradictions  ;  erreur  qu'on  est 
loin  de  sentir  et  sur  laquelle  même  il  n'est  peut-être  pas 
bon  encore  de  mieux  s'expliquer,  tant  elle  a  vicié  toutes 
nos  idées  de  primitive  justice;  mais  erreur  d'après  laquelle 
on  a  beau  raisonner,  il  nous  reste  toujours  un  sentiment 
profond  que  nous,  hommes  de  peine,  devons  au  moins 
manger  du  pain,  à  moins  que  la  nature,  parfois  ingrate  et 
fâcheuse,  ne  répande  sur  nos  moissons  le  fléau  de  la  stéri- 
lité ;  et  alors  ce  doit  être  un  malheur  commun,  supporté  par 
tous,  et  non  pas  uniquement  par  la  classe  laborieuse.  Lors 
donc  que  d'avides  spéculateurs,  qui  n'ont  d'autre  savoir 
faire  que  de  profiter  à  propos  des  malheurs  publics,  sai- 


I32  LE    DEFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

sissent  les  momens  de  calamité  pour  élever  la  denrée  la  plus 
nécessaire  à  un  prix  qui  nous  force  ou  de  souffrir  la  faim, 
ou  de  nous  dépouiller  de  toutes  nos  ressources  présentes  et 
à  venir  (25),  nos  murmures,  nos  mouvemens  même,  pour 
mettre  des  bornes  à  l'homicide  cupidité  qui  nous  dévore, 
sont-ils  donc  irrémissibleemnt  criminels?  O  vous,  les  élus 
du  peufile  pour  en  régler  la  destinée,  entrez  dans  nos  pei- 
nes, représentez-vous  nos  femmes,  nos  enfants  macérés  par 
la  faim,  et  nous  poignant  l'âme  de  leurs  gémissemens  et 
de  leurs  sanglots;  représentez-vous  nos  vieillards,  réduits 
à  quitter  leurs  tristes  chaumières  pour  aller  indignement 
mendier  un  .  pain  qui  fut  si  long-tems  le  fruit  de  leurs 
sueurs  et  de  leurs  fatigues:  enfin  représentez-vous  nous- 
mêmes  doublement  déchirés  par  les  besoins  pressans  de 
tout  ce  qui  nous  est  cher  et  par  les  nôtres  propres,  sans 
autres  moyens  pour  .y  subvenir  que  nos  bras  insuffisans, 
et  sachez  nous  plaindre;  sachez  nous  pardonner,  si  l'excès 
de  nos  angoisses  nous  porte  quelquefois  à  des  mouvements 
convulsifs  que  notre  cœur,  revenu  à  lui-même,  désavoue 
et  condamne. 

Equitables  législateurs,  en  nous  intéressant  pour  nos 
voisins,  en  vous  sollicitant,  pour  eux,  nous  ne  demandons 
pas  de  grâce  qui  doive  coûter  à  votre  justice:  nous  ne  vous 
demandons  que  d'adoucir  la  rigueur  des  recherches  pour 
des  torts  que  l'imprudence,  l'égarement,  et  tant  d'autres 
motifs  peuvent  rendre  pardonnables.  Au  nom  de  l'huma- 
nité, si  sujette  à  commettre  des  fautes,  lors  surtout  qu'elle 
est  abandonnée  à  elle-même,  et  que  le  génie  des  lois  ne  la 
guide  pas  encore,  laissez-vous  toucher  en  leur  faveur,  et 
faites  cesser  leur  consternation.  Hélas!  non-seulement  on 
a  répandu  la  terreur  et  l'effroi  parmi  eux,  en  leur  enlevant 
des  citoyens  sur  des  simples  paroles  irréfléchies,  ou  sur  des 
démarches  dont  ils  n'avoient  pas  prévu  les  conséquences; 
mais  il  semble  qu'on  soit  en  droit  d'user  impunément  con- 

(25)  Plus  le  bled  renchérit,  plus  le  salaire  des  travaux  diminue,  et  cela  parce 
que,  d'un  côté,  les  travaux  deviennent  plus  rares,  et  que,  d'un  autre  côté,  le 
nombre  de  ceux  que  le  besoin  presse  de  louer  leurs  bras,  augmente;  d'où  il 
résulte  que  le  malheureux  ouvrier  ne  trouvant  plus  de  proportion  dans  ses 
salaires  et  dans  sa  consommation,  est  obligé  de  vendre  tout  ce  qu'il  a,  et  de 
contracter  des  dettes  pour  pouvoir  subsister  avec  sa  famille.  (Note  de  Robes- 
pierre). 


QUATRIEME    NUMERO  133 

tre  eux  d'atrocités.  Nous  ne  vous  parlerons  pas  des  mal- 
heurs involontaires  auxquels  a  donné  lieu,  dans  les  com- 
munes inculpées,  une  descente  nocturne  de  troupes  :  ici,  une 
femme  morte  subitement  de  frayeur;  là,  une  jeune  fille  qui 
s'est  jettée  par  la  fenêtre  et  qui  en  a  péri  misérablement; 
mais  nous  vous  déférons  un  assassinat  d'autant  plus 
criant,  qu'il  a  été  méchamment  commis  sur  un  excellent 
homme,  pauvre  il  est  vrai,  mais  généralement  aimé  et  esti- 
mé, et  qui,  de  l'aveu  unanime  de  ses  concitoyens,  n'avoit 
aucun  tort  personnel  dans  cette  affaire  (26).  Cet  infortuné 
dormoit  paisiblement,  lorsque  sa  mère,  toute  éperdue,  vint 
lui  crier  de  se  sauver  bien  vite,  parce  qu'on  enlevoit  indis- 
tinctement tous  les  hommes  du  pays.  A  cet  avis  allarmant, 
il  saute  de  son  lit,  sans  prendre  même  aucun  vêtement, 
franchit  quelques  murs  qu'il  trouve  sur  son  passage,  et  va 
se  cacher,  comme  il  le  peut,  derrière  un  tas  de  paille  qu'il 
rencontre.  C'est  là  qu'un  des  soldats  l'ayant  aperçu,  et  le 
prenant  sans  doute  pour  un  de  ceux  qu'on  étoit  venu  cher- 
cher, et  qui  avoient  échappé  par  la  fuite,  arrive  sur  lui,  et 
dans  le  moment  qu'il  se  lève  pour  demander  qu'on  ne  le  tue 
pas,  lui  lâche  à  bout  portant  un  coup  de  feu  qui  le  renverse 
mourant.  Après  cette  action,  un  sentiment  de  pitié  auroit 
bien  dû,  au  moins,  succéder  à  la  fureur,  dans  l'âme  du 
meurtrier;  mais  le  barbare  prenoit  encore  plaisir  à  le  sou- 
lever par  les  cheveux  et  à  le  fouler  aux  pieds.  Le  malheu- 
reux respiroit,  il  sentoit  toutes  ses  douleurs  et  entendoit 
toute  la  cruauté  des  propos,  sans  pouvoir  rien  dire.  Laissé 
dans  cet  état,  il  n'a  survécu  huit  jours  que  pour  offrir  le 
déchirant  spectacle  d'un  sort  cruel  et  immérité,  et  pour 
laisser  dans  le  cœur  de  son  infortunée  mère  et  de  sa  veuve 
inconsolable,  le  plus  désolans  souvenirs.  Depuis  ce  jour 
nos  voisins  effrayés  n'osent  plus  habiter  leurs  foyers;  à 

(26)  Cet  infortuné  étoit  tisserand,  et  s'appelloit  Jean-Pierre  Petit.  Je  ne 
rapporte  ce  qui  lui  est  arrivé  que  d'après  le  récit  qu'il  en  a  fait  lui-même 
avant  de  mourir.  Loin  de  venger  ce  meurtre  gratuitement  commis,  on  ne 
daigne  pas  même  y  faire  attention;  toutes  les  lois  se  taisent  pour  lui,  tandis 
qu'on  les  fait  parler  inexorablement  pour  le  maire.  La  veuve  et  la  mère  de 
Jean-Pierre  Petit,  réduites  à  la  misère,  sont  abandonnées  à  leur  douleur,  et 
la  veuve  Simoneau,  riche  de  20.000  livres  de  rente,  a  la  gloire  d'avoir  refusé 
une  pension  :  après  cela,  qu'on  dise  que  nous  sommes  égaux  en  droit. 

(Note  du  curé  de  Mauchamp). 


134  LE   DEFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

peine  y  paroissent-ils  le  jour  pour  prendre  leur  nécessaire; 
et  le  soir,  au  lieu  d'y  venir  jouir  de  quelques  repos,  ils  vont 
chercher  un  asyle,  comme  ils  peuvent,  au  milieu  des  bois 
et  des  rochers.  Hommes  sensibles  et, vertueux,  c'est  trop  de 
malheurs  l'un  sur  l'autre;  faites-les  cesser  et  relevez  par 
la  douce  consolation  des  cœurs  abattus  par  l'épouvante  et 
flétris  par  l'horreur  de  leur  situation.  Rendez  à  la  patrie 
des  citoyens  zélés,  et  à  la  terre  des  bras  utiles  ;  aussi  bien 
il  n'est  pas  bon  de  les  réduire  au  désespoir  et  de  leur  rendre 
la  patrie  odieuse.  Ne  craignez  pas  qu'une  trop  prompte 
indulgence  les  enhardise. 

La  commisération  de  votre  part,  nous  osons  vous  en 
répondre,  ne  leur  inspirera  qu'un  ardent  désir  de  s'en 
montrer  dignes,  en  même  tems  qu'elle  sera  pour  nous  un 
vif  motif  d'encouragement.  Notre  cœur,  fiez-vous-y,  non 
plus  que  le  leur,  n'est  pas  fait  pour  le  crime  :  il  ne  demande 
qu'à  en  être  garanti.  Et  pour  cela,  Messieurs,  hâtez-vous  de 
nous  rallier  autour  d'un  génie  puissant  et  impartial  qui 
nous  éclaire  tous  sur  nos  devoirs,  et  qui  nous  porte  tous  à 
de  généreux  sentimens  de  vertu. 

O  Législateurs!  non,  vous  ne  rejetterez  pas  notre  péti- 
tion; nous  vous  promettons  obéissance  entière  à  la  loi: 
mais  seroit-ce  trop  de  vous  prier  d'inviter  au  moins  ceux 
qui  tiennent  notre  vie  dans  leurs  mains,  de  ne  pas  nous  la 
faire  acheter  trop  cher,  de  ne  pas  chercher  à  s'enrichir  de 
nos  dépouilles,  et  de  ne  pas  vouloir  trop  s'engraisser  de 
notre  sang? 

Post-Scristum  du  curé  de  Mauchamp 

Ayant  été  obligé  de  me  rendre  à  ma  paroisse,  le  samedi, 
23  avril,  pour  y  remplir,  le  dimanche,  mes  fonctions  de 
curé,  je  ne  fus  pas  peu  étonné,  en  arrivant,  de  voir  mes 
bons  paroissiens  s'empresser  autour  de  moi,  les  uns  me 
prenant  la  main,  les  autres  me  sautant  au  cou,  et  tous  me 
témoignant  combien  ma  présence  les  rassuroit  et  les  tiroit 
d'une  vive  inquiétude.  On  avait  répandu  dans  le  canton 
que  j'avois  été  tué  à  Paris,  à  cause  de  la  pétition,  et  déjà 
on  semoit  dififérens  bruits  propres  à  jetter  la  terreur  par- 
mi ceux  qui  avoient  eu  le  courage  d'y  donner  leur  adhé- 


QUATRIÈME   NUMÉRO  135 

sion.  Il  est  aisé  de  voir  d'où  cela  partoit:  tout  ce  qui  est 
marchand  de  bled  s'indigne  de  notre  démarche;  peu  leur 
importe  que  leurs  voisins  soient  dans  la  consternation  et 
le  désespoir  ;  peu  leur  importe  qu'ils  périssent  tous  miséra- 
blement; ce  qui  les  intéresse  uniquement,  c'est  que  le  bled 
n'éprouve  aucun  ostacle  (sic). 

Dans  mon  voyage,  j'ai  encore  appris  un  nouveau 
malheur  qui  vient  d'arriver  dans  une  des  communes  incul- 
pées. On  annonce  à  un  père  de  famille  qu'il  est  décrété:  à 
cette  nouvdle,  il  entre  chez  lui,  embrasse  tendrement,  et 
avec  un  silence  morne,  sa  femme  et  ses  enfans,  et  va  se 
jetter  dans  la  rivière  où  il  a  été  trouvé  noyer  le  lendemain. 

Je  comprime  ici  mes  sentimens,  et  j'impose  silence  à 
mon  cœur.  Gens  humains,  philosophes  amis  du  peuple,  c'est 
à  vous  que  je  recommande  notre  pétition;  en  la  faisant,  j'ai 
rempli  mon  devoir.  Mais,  qui  suis-je  pour  lui  assurer  du 
succès?  qui  suis-je  pour  lutter  contre  l'opinion  publique 
abusée  par  les  manœuvres  de  l'intérêt  particulier?  C'est 
l'amour  de  la  justice  et  de  l'humanité  ;  c'est  mon  zèle  pour 
ma  patrie  aujourd'hui  si  menacée,  qui  me  l'ont  inspirée? 
Que  de  droits  n'a-t-elle  donc  pas  sur  vous  ? 


LE  DÉFENSEUR  DE  LA  CONSTITUTION 

N«  5 


Articles  contenus  dans  ce  numéro 
48  pages  (209  à  256) 


Pages 
du  document 


I.  —  Sur  le  projet  de  rassembler  une  armée  de 
vingt-trois  mille  hommes  à  Paris,  proposé 
à  l'Assemblée  nationale  par  le  Ministre  de 

Guerre     209  à  220 

II.  —  Sur  le  respect  dû  aux  lois  et  aux  autorités 

constituées     220  à  231 

III.  —  Société  des  Amis  de  la  Constitution  :  séance  du 

13  juin  1792 231  à  242 

IV.  —  Lettre  de  Strasbourg  du  5  juin 242  à  248 

V.  —  A  Monsieur  Vimpfen   (Wimpfen),   maréchal 

de  camp  :  lettre  du  lieutenant-colonel  de  La 
Harpe,  du  6  juin  1792;  et  réponse  de  Félix 

Wimpfen     248  à  250 

VI.  —  A  M.  Servan.  Ministre  de  la  Guerre  251  à  252 

VII.  —  Laurent  Lecointre,  député  à  l'Assemlbée  natio- 
nale à  Caritat  dit  Condorcet,  auteur  de  la 
Chronique  de  Paris,  du  7  juin  1792 252  à  256 


Sur  le  projet 

de  rassembler  une  armée  de  vingt-trois  mille  hommes 

à  Paris  (1),  proposé  à  l'Assemblée  Nationale  par  le 

Ministre  de  la  Guerre 

Il  y  a  quinze  jours  que  le  ministre  avoit  dit  à  l'assem- 
blée :  «  Il  faut  que  la  nation  se  lève  toute  entière  »  ;  il  sem- 

(1)  Le  fonds  de  ce  projet  ayant  été  adopté,  j'aurois  pu  m'abstenir  de 
développer  ici  mon  opinion  sur  les  conséquences  qu'il  peut  entraîner,  si  elle 
n'avoit  été  étrangement  dénaturée  par  l'intrigue  et  par  la  calomnie;  cette 
raison  seule  ne  m'auroit  pas  même  déterminé  si  je  ne  savois  que,  dans  tous 


I38  LE   DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

bloit  annoncer  le  projet  d'armer  la  nation,  d'armer  au 
moins  le  peuple  des  departemens  frontières,  pour  le  mettre 
en  état  de  déployer  la  torce  et  ie  courage  qui  conviennent 
aux  circonstances.  Cependant  les  citoyens  de  ces  contrées 
demandent  encore  en  vain  des  armes  ;  c'est  en  vain  que  le 
nord  offre  à  la  patrie  des  hommes  robustes  et  courageux, 
qui,  pour  affranchir  la  Belgique,  ne  demandent  que  des 
armes;  c'est  en  vain  que  les  habitans  de  nos  campagnes, 
dans  ce  pays,  frémissent  de  voir  leurs  propriétés  impuné- 

les  tems,  la  discussion  des  principes  et  des  mesures  qui  intéressent  le  bien 
public,  ne  peut  que  contribuer  aux  progrès  des  lumières  et  au  saïut  de  l'état. 
(JSIote  de  Robespierre). 

Dans  le  titre  ci-dessus,  Robespierre  indique  «  vingt-trois  mille  hommes  » 
pour  <  vingt-mille  ». 

La  proposition  avait  été  faite,  le  4  juin,  à  l'Assemblée  législative  par  Ser- 
van,  Ministre  de  la  Guerre.  Discutée  aux  Jacobins,  le  7,  elle  fut  votée  le  8 
par  l'Assemblée.  Comme  le  dit  Robespierre,  cette  formation  était  donc  déci- 
dée lorsque  parut  son  article. 

Il  jugeait,  ce  rassemblement  sous  les  murs  de  Paris,  inutile  et  dangereux: 
inutile,  en  ce  qui,  pour  réprimer  les  ennemis  de  l'intérieur,  la  Garde  nationale 
et  le  peuple  suffisaient;  dangereux,  en  ce  que  les  ennemis  de  la  Révolution 
ne  manqueraient  pas,  craignait-il,  de  chercher  à  se  servir  de  cette  force  pour 
maîtriser  la  capitale.  Au  lieu  de  placer  cette  armée  aux  portes  de  Paris,  il 
était  absolument  nécessaire,  disait  Robespierre,  de  la  porter  sur  nos  fron- 
tières dégarnies  et  menacées. 

«  Ce  projet,  dit  Laponneraye,  en  analysant  cet  article,  avait  été  manifeste- 
ment conçu  par  le  Ministère  pour  comprimer  et  étouffer  les  élans  de  l'opinion 
révolutionnaire  dans  la  capitale  de  la  France.  Nos  frontières  manquaient  de 
troupe  pour  tenir  tête  aux  coalisés,  et  au  lieu  de  songer  à  la  défense  du 
pays,  le  gouvernement  ne  s'occupait  qu'à  sévir  contre  les  patriotes  en  mettant 
pour  ainsi  dire,  Paris  en  état  de  siège.  En  supposant  que  les  chances  de  la 
guerre  eussent  pu  faire  courir  à  la  capitale  le  danger  de  voir  arriver  l'ennemi 
sous  ses  murs,  la  Garde  nationale  parisienne  n'était-elle  pas  suffisante  pour 
repousser  les  Prussiens  et  les  Autrichiens?  Vingt  milles  réunis  aux  troupes 
qui  étaient  sur  les  frontières  pouvaient  arrêter  l'ennemi  :  vingt  milles  hom- 
mes éparpillés  autour  de  Paris  ne  pouvaient  être  d'aucune  utilité  pour  empê- 
cher l'invasion  ».  (t.  I,  pp.  401  à  408). 

Léonard  Gallois  se  contente,  en  signalant  la  critique  du  projet  de  Servan 
par  Robespierre,  de  dire  qu'à  partir  de  ce  moment  il  se  faisait  une  loi  de 
publier  toutes  les  lettres  écrites  des  frontières,  voulant  démontrer  ainsi  que 
le  danger  était  là,  et  non  dans  Paris,  comme  le  prétendaient  les  Girondins 
(p.  126). 

Ernest  Hamel  analyse  l'article  de  Robespierre  (t.  II,  p.  279). 

Le  collaborateur  de  Brissot  dans  le  Patriote  français,  Girey-Dupré,  répond 
à  Robespierre  (numéros  1035  et  1036,  en  comparant  ce  dernier  au  numéro  209 
du  Journal  des  Débats  et  de  la  Correspondance  de  la  Société  des  Amis  de  la 
Constitution). 

D'ailleurs,  au  moment  où  Robespierre  rédigeait  ce  numéro,  les  ministres 
girondins  étaient  expulsés  du  pouvoir  par  la  Cour  (18  juin  1792). 


CINQUIEME    NUMERO  I39 

ment  ravagées  par  les  hordes  féroces  de  l'Autriche,  qu'il 
leur  seroit  si  facile  d'exterminer;  ils  n'obtiennent  point 
d'armes  ;  et  toutes  ces  grandes  mesures  annoncées  naguère 
aux  applaudissemens  de  tous  les  bons  citoyens,  semblent 
se  réduire  à  la  proposition  de  rassembler  à  Paris,  un  corps 
de  vingt  mille  hommes  de  gardes  nationales  de  toutes 
les  parties  de  l'Empire. 

Quelle  est  la  destination  de  cette  armée  nouvelle?  Est- 
elle appelée  à  combattre  les  ennemis  étrangers,  ou  ceux  du 
dedans?  Dans  l'un  ou  l'autre  cas,  cette  mesure  est  mal 
entendue  ou  dangereuse.  Dans  le  premier,  pourquoi  la  cam- 
per aux  environs  de  Paris,  ou  la  renfermer  dans  le  sein 
même  de  cette  ville,  comme  le  ministre  l'a  proposé?  N'est- 
ce  pas  aux  frontières  qu'il  faut  porter  nos  forces-  Est-ce 
au  centre  de  l'Empire?  Est-ce  aux  portes  de  la  capitale 
qu'on  attend  l'ennemi  pour  le  combattre  ?  Admirable  expé- 
dient! de  fortifier  Paris  contre  les  troupes  rassemblées 
dans  la  Belgique,  ou  sur  les  bords  du  Rhin;  lorsque  notre 
armée,  sur  l'un  et  l'autre  point,  n'est  point  encore  complète  ; 
lorsqu'une  partie  des  gardes  nationales  et  des  troupes  qui 
les  composent,  est  mal  armée;  lorsqu'une  partie  de  nos 
frontières  est  dégarnie;  lorsque  Metz,  Sarrelouis,  Thion- 
ville  et  une  partie  de  nos  places  fortes  sont  dans  un  état 
insuffisant  de  défense!  Car  ces  faits  notoires,  prouvés  par 
le  témoignage  des  citoyens  du  pays,  ne  sont  point  effacés 
par  l'insouciance  qui  les  négligent,  ni  par  l'obstination  qui 
les  nient.  Mais  quoi!  nous  avons  nous-mêmes  déclarés  la 
guerre;  depuis  deux  mois,  l'étendard  tricolor  devroit  flot- 
ter sur  les  murs  des  villes  Bélgiques,  et  on  nous  parle  de 
défendre  la  capitale. 

Mais  non,  il  paroît  que  l'intention  du  ministre  n'étoit 
pas  d'opposer  cette  armée  aux  ennemis  du  dehors,  mais 
aux  ennemis  du  dedans;  il  la  destine  à  l'exercice  de 
la  police  dans  Paris,  et  dans  les  campagnes,  à  la  garde  de 
l'Assemblée  nationale  et  du  roi  ;  il  observe  qu'elle  rempla- 
cera la  garde  nationale  parisienne  qui  lui  paroît  succomber 
sous  le  poids  de  ses  travaux  révolutionnaires.  Enfin,  il  pré- 
sente, comme  un  avantage,  celui  d'envoyer  aux  frontières 
les  trois  régimens  qui  résident  à  Paris.  De  tous  ces  motifs, 
il  n'en  est  pas  un  seul  qui  ne  paroisse  au  moins  frivole. 


I40  LE   DEFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

L'idée  de  supposer  que  les  citoyens  armés  de  Paris  ne  peu- 
vent suffire  aux  devoirs  que  la  patrie  leur  impose  ;  celle  de 
confier  à  d'autres  mains  le  dépôt  sacré  du  corps  législatif 
et  du  monarque,  est  sans  doute  trop  évidemment  fausse 
pour  qu'il  soit  nécessaire  de  la  réfuter.  Le  mince  avantage 
de  grossir  les  armées  des  frontières  par  le  renfort  de  trois 
régimens,  ne  paraît  pas  motiver  plus  solidement  le  parti 
de  faire  venir  des  départemens  une  armée  de  20  mille  hom- 
mes à  Paris.  D'ailleurs,  les  régimens  qui  résident  dans 
cette  ville  sont  composés,  en  grande  partie,  de  ces  gardes 
françaises  si  chères  à  la  patrie,  si  chères  au  peuple  de 
Paris;  le  vœu  de  la  capitale,  cent  fois  manifesté,  présenté 
solennellement  à  l'Assemblée  nationale,  est  que  ces  pre- 
miers défenseurs  de  la  liberté  soient  tous  rappelés  dans  son 
sein,  et  réunis  aux  bataillons  de  la  garde  nationale.  Les 
Parisiens  savent  par  quelle  artificieuse  politique  ils  ont  été 
dissous,  métamorphosés,  avec  quelle  perfide  cruauté  un 
grand  nombre  d'entre  eux  a  été  persécuté  et  éloigné  de 
Paris;  pourroient-ils  voir  sans  douleur  et  sans  inquiétude 
qu'on  leur  enlevât  ceux  qui  restent  encore  au  milieu  d'eux  ; 
ce  projet  ne  peut-il  pas  compromettre  à  la  fois  les  intérêts 
de  la  capitale  et  de  la  liberté? 

Mais  quel  étrange  système  d'appeïler  (sic)  une  armée  de 
200.000  (sic)  hommes  à  Paris,  pour  exercer  la  police? 
Comme  si  un  peuple  de  six  cents  mille  hommes  ne  pouvoit 
pas  se  garder  lui-même;  comme  si  la  garde  nationale,  la 
plus  nombreuse  qui  existe  en  France,  ne  suf  fisoit  pas  à  la 
sûreté  publique;  comme  si  ce  peuple  immense  n'avoit  pas 
donné  jusqu'ici  l'exemple  de  la  plus  grande  énergie  et  du 
calme  le  plus  imposant,  et  forcé  tous  les  ennemis  de 
la  Constitution  à  rentrer  dans  la  poussière,  dès  le  moment 
où  ils  ont  osé  se  montrer.  Ne  croirait-on  pas  que  les  Autri- 
chiens ne  sont  point  voisins  de  nos  frontières,  lorsqu'on 
voit  appeler  au  secours  de  Paris  des  soldats  qu'elles  récla- 
ment? Qui  sont-ils  donc  ces  ennemis  que  nous  devons 
redouter?  Des  brigands  rassemblés  dans  Paris,  dit-on. 
Mais  ces  brigands,  quels  qu'ils  soient,  sont-ils  plus  nom- 
breux, ou  plus  forts,  ou  plus  courageux  que  les  citoyens? 
Croit-on  qu'ils  soient  plus  puissans  qu'un  peuple  entier? 
Ah!  ne  l'enchaînez  pas,  ne  l'opprimez  pas,  ne  l'avilissez 


CINQUIEME   NUMERO  I4I 

pas;  armez-le  plutôt  et  reposez-vous  sur  lui  de  sa  propre 
sûreté.  Il  existe  des  brigands  rassemblés  dans  Paris  !  Mais 
pourquoi  y  restent-ils?  Pourquoi  la  police  les  a-t-elle  souf- 
ferts? Pourquoi  le  gouvernement  ne  les  a-t-il  point  dissi- 
pés ?  Prennez  (sic)  cette  précaution  si  simple  et  si  indispen- 
sable; ne  nous  proposez  point  de  mesures  si  extraordinai- 
res; dissipez  les  brigands  et  ne  levez  point  d'armée  pour 
les  combattre.  Parle-t-on  des  gardes  du  roi  (2)? 
L'Assemblée  nationale  'les  a  licenciés  comme  convaincus  de 
conspiration  :  mais  elle  s'est  arrêtée  là  ;  elle  les  a  laissés  se 
rassembler  en  uniformes,  en  corps,  aux  portes  de  Paris, 
dans  une  maison  royale,  qui  est  devenue  un  arsenal.  Voilà 
une  véritable  violation  de  la  loi,  puisque  ce  corps  est  anéan- 
ti ;  voilà  une  véritable  atteinte  à  l'ordre  public,  qui  ne  per- 
met point  de  tolérer  des  rassemblemens  d'hommes  ren- 
voyés, pour  l'avoir  troublé;  déjà  des  décrets  ont  été  ren- 
dus pour  leur  offrir  la  faculté  de  rester  dans  la  nouvelle 
garde  du  roi,  ou  de  servir  dans  les  troupes  de  ligne  et  dans 
les  gardes  nationales.  Je  ne  veux  point  blâmer  ce  décret; 
mais  en  est-il  moins  vrai  que  si  les  ennemis  intérieurs  de 
la  Constitution  étoient  réprimés,  il  ne  restéroit  pas  même 
le  prétexte  de  lever  contre  eux  des  armées  de  police? 

Quels  sont  les  brigands  que  nous  avons  à  craindre  ?  Les 
plus  dangereux,  à  mon  avis,  ce  sont  les  ennemis  hypocri- 
tes du  peuple  qui  trahissent  la  cause  oublique  et  foulent 
aux  pieds  les  principes  de  la  constitution  ;  ce  sont  ces  intri- 
gans  vils  et  féroces  qui  cherchent  à  tout  bouleverser,  pour 
dilapider  impunément  les  finances  de  l'Etat,  pour  immoler 
du  même  coup  à  leur  ambition  et  à  leur  cupidité,  et  la  for- 
tune publique  et  la  constitution  même.  Or,  on  ne  dompte 
pas  de  tels  ennemis  avec  une  armée.  Oue  dis-je!  elle  peut 
maîtriser  un  jour  le  corps  législatif  lui-même;  devenir  tôt 
ou  tard  l'instrument  d'une  faction  :  elle  peut  être  employée 
à  opprimer,  à  enchaîner  le  peuple,  à  protéger  ou  à  exécuter 
les  proscriptions  méditées  et  déjà  commencées  contre  les 
plus  zélés  patriotes  qui  ne  composent  avec  aucun  parti.  La 
voie  de  l'élection  proposée  peut  prouver  les  principes  civi- 
ques du  ministre  ;  mais  elle  ne  fait  point  disparoître  le  dan- 
ger. L'intrigue  et  l'ignorance  peuvent  s'emparer  de  l'urne 

(2)  Voir  ci-dessus,  page  99. 


142  LE    DEFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

des  scrutins,  surtout  dans  un  tems  où  toutes  les  factions 
s'agitent  avec  tant  de  force.  L'expérience  sans  doute,  nous 
a  déjà  donné,  sur  ce  point,  des  leçons  assez  multipliées; 
elle  nous  a  prouvé  encore  combien  il  est  facile  d'égarer  et 
de  séduire  ceux  qui  n'étoient  pas  déjà  corrompus.  L'homme 
foible  ou  ignorant  et  l'homme  pervers  sont  également  dan- 
gereux ;  l'un  et  l'autre  peuvent  marcher  au  même  but,  sous 
la  bannière  de  l'intrigue  et  de  la  perfidie.  Tous  ces  inconvé- 
niens  se  multiplient,  lorsqu'il  s'agit  d'un  corps  armé.  L'or- 
gueil de  la  force  et  l'esprit  de  corps  sont  un  double  écueil 
presqu'inévitable.  Rousseau  a  dit,  qu'une  nation  cesse 
d'être  libre,  dès  le  moment  où  elle  a  nommé  des  représen- 
tai. Je  suis  loin  d'adopter  ce  principe  sans  restriction: 
mais  je  ne  crains  pas  d'affirmer  que,  dès  le  moment  où  un 
peuple  désarmé,  a  remis  sa  force  et  son  salut  à  des  corpo- 
rations armées,  il  est  esclave.  Je  dis  que  le  pire  de  tous  les 
despotismes,  c'est  le  gouvernement  militaire  ;  et  que,  depuis 
long- tems,  nous  marchons  à  grand  pas  vers  le  gouverne- 
ment militaire.  Ceux  qui  ont  invoqué  le  patriotisme  des 
départemens,  pour  répondre  à  ces  observations  générales  et 
politiques,  étoient  bien  éloignés  de  l'état  de  la  question, 
puisque  les  dangers  dont  j'ai  parlé  sont  attachés  à  la 
nature  même  des  choses.  Qui  a  rendu  plus  d'hommages  que 
moi  au  caractère  de  la  nation  française?  Mais  sont-ce  les 
départemens  qui  arriveront  tout  entiers  ?  Ce  sont  des  indi- 
vidus que  nous  ne  connoissons  point  encore  ;  et  dans  cette 
situation,  quel  est  le  parti  que  conseille  une  sage  politique, 
si  ce  n'est  de  suivre  les  principes,  et  de  calculer  tous  les 
effets  possibles  des  passions  et  des  erreurs  humaines  ? 

Le  projet  du  ministre,  adopté  par  le  comité  militaire,  fut 
discuté  à  l'Assemblée  législative.  Il  nous  semble  qu'aucun 
des  orateurs  n'a  abordé  le  véritable  point  de  la  question. 
Du  moins,  les  principes  et  l'intérêt  de  la  liberté  publique, 
exposés  par  le  rassemblement  d'une  armée  à  Paris  ou  sous 
ses  murs,  ont  été  absolument  oubliés  dans  cette  discussion. 
La  mesure  proposée  étoit  adoptée  par  tous  ;  aucun  ne  son- 
geoit  à  armer  le  peuple,  et  les  débats  ne  portèrent  que  sur 
des  détails.  Les  uns  vouloient  la  forme  de  l'élection,  les 
autres  la  rejetoient.  On  a  vu  même,  dans  cette  occasion, 
M.  Vergniaud,  après  avoir  vanté,  avec  beaucoup  d'em- 


CINQUIEME    NUMERO  143 

phase,  le  projet  du  ministre  de  la  guerre,  rejeter  les  deux 
seules  idées  populaires  qu'il  renfermoit,  celle  de  la  fédéra- 
tion et  celle  de  l'élection  par  les  gardes  nationales;  il 
a  demandé  qu'on  substituât  à  la  fédération  encore  un  ser- 
ment civique;  il  s'est  rangé,  au  surplus,  de  l'avis  de  M. 
Carnot,  qui  vouloit  que  les  gardes  nationales  qui  se  seroient 
fait  inscrire,  fussent  réduites  par  les  corps  administra- 
tifs  (3). 

L'Assemblée  a  adopté  un  mode  d'élection  plus  conforme 
aux  principes;  elle  a  laissé  aux  gardes  nationaux  qui 
seroient  inscrits  le  droit  de  faire  cette  réduction. 

Rappeler  à  Paris  les  anciens  gardes-françaises  ;  lever 
une  légion  composée  de  tous  les  soldats  renvoyés  contre  les 
lois,  pour  cause  de  civisme,  depuis  le  commencement  de  la 
révolution,  par  le  despotisme  et  l'aristocratie  conjurée  con- 
tre ses  défenseurs;  voilà  les  véritables  mesures  que  la 
patrie,  l'humanité,  la  justice,  la  liberté  sollicitoient  depuis 
long-tems.  Pourquoi  personne  ne  les  a-t-il  proposées  ?  Pour- 
quoi ceux  qui  ont  défendu  le  plus  vivement  la  proposition 
du  ministre,  ont-ils  toujours  repoussé  ces  généreux  mar- 
tyrs de  la  cause  publique,  qui,  dans  les  circonstances  où 
nous  sommes,  pouvoient  en  être  les  plus  fermes  appuis? 

Voi'là  une  partie  des  raisons  qui  m'ont  convaincu  que 
le  projet  étoit  contraire  à  l'intérêt  public.  La  réputation  de 
civisme  de  celui  qui  le  présentoit,  auroit  pu  m'en  imposer, 
si  je  ne  pensois  pas  que  le  patriotisme  même  peut  se  trom- 
per. J'ai  cru  que  le  ministre  lui-même  étoit  trompé. 

J'ai  mis  plus  de  confiance  dans  les  principes,  que  dans 
l'autorité  d'un  homme  et  dans  les  combinaisons  politiques 
d'un  parti. 

Au  moment  où  j'écris,  l'état-major  de  la  garde  nationale 
parisienne  vient  de  présenter,  contre  le  projet  que  je  com- 
bats, une  pétition  fondée  sur  des  motifs  diamétralement 
opposés  aux  miens  (4).  J'en  ai  conclu  que  la  vérité  étoit 

(3Ï  Carnot  le  jeune  avait  fait  adopter,  le  6  juin,  qu'il  serait  «  formé  une 
armée  de  12  à  15.000  hommes  pris  dans  tous  les  cantons  ».  Vergniaud  s'était 
rallié  à  cette  formule  (Moniteur  du  8  juin,  réimp.,  t.  XII,  pp.  297-298). 

(4)  Aux  yeux  de  la  droite,  des  Feuillants,  ce  rassemblement  de  20.000  hom- 
mes représentait  l'armée  de  la  Révolution.  Une  pétition  couverte  de  huit 
mille  signatures,  «  au  milieu  desquelles  figuraient  celles  de  femmes  et  d'en- 
fants »  fut  opposée  au  projet  du  ministre.  Elle  fut  dénoncée  à  l'Assemblée,  le 
9  juin  au  soir,  par  une  députation  du  bataillon  des  Petits  Augustins. 


144  LE    DEFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

indépendante  de  tous  les  intérêts  particuliers  et  de  toutes 
les  circonstances  passagères.  J'en  appelé  au  tems  et  à  l'ex- 
périence qui,  depuis  le  commencement  de  la  révolution 
m'ont  trop  souvent  et  inutilement  absous. 


II 

Sur  le  respect  dû  aux  lois 
et  aux  autorités  constituées   (5) 

Les  lois  sont  les  conditions  et  le  lien  de  la  société  ;  tout 
membre  de  la  société  qui  leur  refuse  l'obéissance,  cesse  de 
l'être  par  cela  même. 

Les  lois  peuvent  être  considérées  sous  deux  aspects,  par 
rapport  au  souverain,  c'est-à-dire,  à  la  nation  ;  par  rapport 
aux  sujets,  c'est-à-dire,  aux  individus. 

Le  souverain  est  au-dessus  des  lois;  le  sujet  doit  leur 
être  toujours  soumis.  La  nation  peut  changer,  à  son  gré, 
la  loi  qui  est  son  ouvrage;  chaque  citoyen  est  toujours 
obligé  de  la  respecter. 

Quiconque  veut  maintenir,  par  force  ou  par  artifice,  une 
loi  que  la  volonté  de  la  nation  a  proscrite,  est  rebelle  à  la 
loi  ;  il  se  révolte  contre  le  souverain  même,  en  qui  réside  la 
puissance  législative.  Alors  la  loi  même  a  cessé  de  l'être, 
quoiqu'elle  conserve  encore  ce  nom,  et  qu'elle  continue 
d'obtenir  une  soumission  forcée.  C'est  en  vain  qu'Appius 
et  les  décemvirs,  étendant  leur  autorité  au  delà  des  bornes 
et  de  la  durée  que  le  peuple  a  prescrites,  commandent 
encore  aux  Romains,  au  nom  de  la  loi  ;  la  loi  réclame  con- 
tre leur  tyrannie;  elle  n'attend  que  la  mort  de  Virginie  et 
le  réveil  du  peuple,  pour  punir  les  tyrans. 

Aussi  long-tems  que  la  majorité  exigre  le  maintien  de  la 
loi,  tout  individu  qui  la  viole,  est  rebelle.  Qu'elle  soit  sage 
ou  absurde,  iuste  ou  injuste,  il  n'importe  ;  son  devoir  est  de 
lui  rester  fidèle. 

(5)  Reproduit  par  Laponneraye  (t.  I,  pp.  408  à  416)  :  «  donner  à  la  loi, 
dit-il,  une  définition  exacte  et  précise,  fixer  le  sens  qui  est  attaché  à  ce  mot, 
déterminer  les  cas  où  la  loi  est  obligatoire  et  ceux  auxquels  elle  ne  l'est  pas, 
poser  les  autorités  constituées  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions,  voilà  ce  que 
Robespierre  s'est  proposé  dans  cet  article  ». 

Léonard  Gallois  en  donne  quelques  extraits  (pp.  129  à  131);  Ernest 
Hamel  l'analyse  (t.  II,  pp.  281  à  283). 


CINQUIEME   NUMERO  145 

Telle  est  la  nature  du  respect  qu'il  lui  doit  :  l'obéissance. 

Quant  au  respect,  qui  est  un  sentiment,  qui  suppose 
l'adhésion  du  cœur  et  de  l'esprit  à  la  sagesse  ou  à  la  justice 
de  la  loi,  nulle  puissance  humaine  ne  peut  l'imposer,  et  le 
maintien  de  l'ordre  social  ne  l'exige  pas.  Il  dépend  de  l'opi- 
nion qui  est  essentiellement  libre  et  indépendante.  Le  légis- 
lateur n'est  point  infaillible,  fût-il  le  peuple  lui-même.  Les 
chances  de  l'erreur  sont  bien  plus  nombreuses  encore,  lors- 
que le  peuple  délègue  l'exercice  du  pouvoir  législatif  à  un 
petit  nombre  d'individus;  c'est-à-dire,  lorsque  c'est  seule- 
ment par  fiction  que  la  loi  est  l'expression  de  la  volonté 
générale.  Je  souscris  à  la  volonté  du  plus  grand  nombre, 
ou  à  ce  qui  est  présumé  l'être;  mais  je  ne  respecte  que  la 
justice  et  la  vérité.  J'obéis  à  toutes  les  lois  ;  mais  je  n'aime 
que  les  bonnes.  La  société  a  droit  d'exiger  ma  fidélité,  mais 
non  le  sacrifice  de  ma  raison:  telle  est  la  loi  éternelle  de 
toutes  les  créatures  raisonnables. 

Si  les  bonnes  lois  ont,  seules,  droit  à  cette  sorte  de  res- 
pect, elles  sont  sûres  aussi  de  l'obtenir.  La  sagesse  a  sur 
les  hommes  un  empire  naturel  ;  et  tous  obéissent  avec  joie, 
quand  c'est  l'intérêt  général  qui  commande.  Les  bonnes 
lois  amènent  les  bonnes  mœurs  qui,  à  leur  tour,  cimentent 
leur  puissance.  Est-il  quelques  individus  pervers  ou  égarés 
par  l'intérêt  personnel?  La  volonté  générale  les  contient, 
et  la  force  publique  les  subjugue  facilement.  Tels  sont  les 
élémens  simples  de  l'ordre  social  et  de  l'économie  politi- 
que. Ils  sont  établis  pour  des  hommes,  ils  doivent  être  fon- 
dés sur  la  morale  et  sur  l'humanité.  Si  je  vois  le  législateur 
suivre  des  principes  opposés,  je  ne  reconnois  plus  le  législa- 
teur; je  n'aperçois  qu'un  tyran. 

Le  législateur  place  dans  la  loi  elle-même  le  principe  de 
la  soumission  des  citoyens;  il  sait  que,  quand  la  volonté 
générale  se  fait  entendre,  il  ne  faut  pas  tant  d'appareil 
pour  la  faire  exécuter.  Le  législateur  a  plus  de  confiance 
dans  la  nature  humaine;  il  cherche  à  l'élever,  à  la  perfec- 
tionner :  le  tyran  la  calomnie  ;  il  avilit  le  peuple,  il  fait  tou- 
jours marcher  la  loi  au  milieu  des  armes  et  des  bourreaux, 
parce  que  la  loi  qu'il  fait  n'est  qu'une  volonté  injuste  et 
particulière,  opposée  à  celle  de  la  société  entière.  L'obéis- 
sance ne  lui  suffit  pas,  il  impose  un  morne  silence  ;  il  exige 


I46  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

pour  ses  lois  un  culte  superstitieux  et  une  croyance  aveu- 
gle; il  punit,  comme  des  blasphèmes,  les  écrits  et  les  dis- 
cours qui  dévoilent  ses  erreurs  et  ses  crimes.  Il  veut  ravir 
aux  hommes  jusqu'aux  moyens  de  perfectionner  leur  rai- 
son et  leur  bonheur,  en  leur  défendant  de  s'éclairer  mutuel- 
lement sur  leurs  intérêts  les  plus  chers  ;  il  feint  de  redouter 
la  liberté  des  opinions,  pour  l'autorité  des  lois:  il  ne 
la  craint  que  pour  son  ambition,  pour  sa  cupidité,  pour  son 
ineptie. 

Chez  un  peuple  libre  et  éclairé,  le  droit  de  censurer  les 
actes  législatifs  est  aussi  sacré  que  la  nécessité  de  les 
observer  est  impérieuse.  C'est  l'exercice  de  ce  droit  qui 
répand  la  lumière,  qui  répare  les  erreurs  politiques,  qui 
affermit  les  bonnes  institutions,  amène  la  réforme  des 
mauvaises,  conserve  la  liberté,  et  prévient  le  bouleverse- 
ment des  états.  La  démonstration  des  vices  d'une  loi  ne  la 
détruit  pas  ;  mais  elle  prépare  doucement  l'opinion  publique 
à  en  désirer  l'abrogation;  elle  dispose  insensiblement  l'au- 
torité souveraine  à  la  réaliser.  La  loi  n'est  que  l'expression 
de  la  volonté  générale:  la  volonté  générale  n'est  que  le 
résultat  des  lumières  générales;  et  les  lumières  générales 
ne  peuvent  être  formées  et  accrues,  que  par  la  libre  com- 
munication des  pensées  entre  les  citovens.  Quiconque  met 
des  entraves  à  ce  commerce  sublime,  détruit  l'essence  même 
de  la  loi  ;  il  en  étouffe  le  germe,  qui  est  la  raison  publique  ; 
il  paralyse  la  puissance  législative  elle-même. 

Sous  le  gouvernement  représentatif,  surtout,  c'est-à- 
dire,  quand  ce  n'est  point  le  peuple  qui  fait  les  lois,  mais 
un  corps  de  représentans,  l'exercice  de  ce  droit  sacré  est  la 
seule  sauve-garde  du  peuple  contre  le  fléau  de  l'oligarchie. 
Comme  il  est  dans  la  nature  des  choses  que  les  représen- 
tans peuvent  mettre  leur  volonté  particulière  à  la  place  de 
la  volonté  générale,  il  est  nécessaire  que  la  voix  de  l'opi- 
nion publique  retentisse  sans  cesse  autour  d'eux,  pour 
balancer  la  puissance  de  l'intérêt  personnel  et  des  passions 
individuelles  ;  pour  leur  rappeler,  et  le  but  de  leur  mission 
et  le  principe  de  leur  autorité.  Là,  plus  qu'ailleurs,  la 
liberté  de  la  presse  est  le  seul  frein  de  l'ambition,  le  seul 
moyen  de  ramener  le  législateur  à  la  règle  unique  de  la 
législation.  Si  vous  l'enchaînez,  les  représentans,  déjà  supé- 


CINQUIÈME   NUMERO  147 

rieurs  à  toute  autorité,  délivrés  encore  de  la  voix  importu- 
ne des  censeurs,  éternellement  caressés  par  l'intérêt  et  par 
l'adulation,  deviennent  les  propriétaires  ou  les  usufruitiers 
paisibles  de  la  fortune  et  des  droits  de  la  nation;  l'ombre 
même  de  la  souveraineté  disparoît,  il  ne  reste  que  la  plus 
cruelle,  la  plus  indestructible  de  toutes  les  tyrannies  ;  c'est 
alors  qu'il  est  au  moins  difficile  de  contester  la  vérité  de 
l'anathème  foudroyant  de  Jean- Jacques  Rousseau  contre 
le  gouvernement  représentatif  absolu. 

Les  principes  que  nous  avons  exposés,  s'appliquent  aux 
autorités  constituées  :  mais  il  y  a  là-dessus  des  idées  bien 
intéressantes  à  développer,  et  des  notions  bien  confuses  à 
éclaircir. 

Les  autorités  constituées  ont  droit  au  même  respect  que 
la  loi,  puisque  c'est  la  loi  qui  les  a  établies.  Les  actes 
publics  qui  en  émanent  doivent  obtenir  la  soumission, 
sans  ôter  la  liberté  des  opinions  sur  leur  conformité  aux 
règles  de  la  justice.  Mais  il  ne  faut  pas  les  confondre  avec 
les  hommes  qui  les  exercent,  il  faut  soigneusement  distin- 
guer le  magistrat  de  l'individu.  Les  fonctionnaires  publics 
de  tous  les  pays  commettent  assez  généralement,  à  cet 
égard,  une  erreur  aussi  funeste  que  commune.  Ils  ont  cou- 
tume de  rejeter  sur  la  perversité  des  peuples  les  désordres 
de  la  société;  ils  les  accusent  de  rébellion,  lorsqu'eux  seuls 
sont  coupables  d'orgueil  et  d'injustice,  et  de  tous  tems  ce 
grand  procès  fut  décidé  contre  les  peuples  ;  car  ce  sont  les 
fonctionnaires  publics  qui  le  jugent.  Ceux-ci  sont  naturel- 
lement enclins  à  s'identifier  eux-mêmes  avec  l'autorité 
publique  qui  leur  est  confiée  ;  ils  se  croient  propriétaires  de 
ce  dépôt,  et  en  disposent  sans  scrupule  au  profit  de  leur 
vanité,  de  leur  ambition,  et  de  leur  cupidité;  ils  mettent 
sans  façon  leurs  personnes  à  la  place  de  la  nation.  Com- 
ment se  regarderoient-ils  comme  ses  mandataires?  Jamais 
la  nation  ne  se  présente  devant  eux,  avec  les  traits  augus- 
tes du  souverain;  ils  ne  voient  que  des  individus  dans 
l'humble  attitude  de  supplians  ou  de  curtisans!  Font-ils 
quelque  bien?  Ils  croient  accorder  une  grâce!  Font-ils  le 
mal  !  Ils  croient  exercer  un  droit.  De  là,  tous  les  égaremens 
de  l'orgueil  et  tous  les  crimes  de  la  tyrannie.  Ceux  qu'ils 
oppriment  osent-ils  se  plaindre?  Ils  crient  à  la  désobéis- 


I48  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

sance,  à  la  rébellion.  Ils  invoquent  le  respect  dû  aux  auto- 
rités constituées  ;  ils  jurent  que  la  tranquillité  publique  est 
troublée;  ils  les  immolent  au  nom  de  la  loi. 

Pour  arracher  l'espèce  humaine  à  cet  avilissement,  il 
faut  lui  rappeller  les  véritables  principes  du  gouvernement  ; 
il  faut  rétracter  (sic),  aux  yeux  des  gouvernans  et  des  gou- 
vernés, leurs  droits  et  leurs  devoirs.  Les  emplois  publics 
ne  sont  ni  des  honneurs,  ni  des  prérogatives;  ce  sont  des 
charges.  Ceux  qui  les  exercent  ne  sont  pas  les  dominateurs 
des  peuples,  mais  leurs  chargés  d'affaires.  Tout  citoyen 
doit  obéissance  au  magistrat:  hors  de  l'exercice  de  ses 
fonctions,  le  magistrat  n'est  plus  qu'un  individu,  l'égal  de 
ses  concitoyens.  Le  magistrat  doit  à  la  nation  respect  et 
fidélité;  Sa  dignité,  c'est  le  choix  du  peuple;  ses  distinc- 
tions sont  ses  vertus;  ses  privilèges,  ses  devoirs,  sa  gloire, 
de  bien  servir  son  pays. 

Malheureusement  les  serviteurs  du  peuple  ne  se  chargent 
bien  souvent  de  ses  affaires  que  pour  faire  les  leurs  ;  et  ils 
les  font  de  telle  manière  que  bientôt  ils  le  ruinent,  le  dépos- 
sèdent et  le  forcent  à  les  servir  lui-même.  Sous  quelle 
autre  idée  peut-on  se  représenter  les  despotes  orgueilleux 
et  les  magistrats  prévaricateurs?  Presque  partout  le  véri- 
table souverain  est  détrôné,  le  père  de  famille  chassé  de  son 
patrimoine,  et  le  monde  ne  présente  qu'une  triste  et  ridicule 
comédie  où  les  valets  insultent  à  leur  maître  après  l'avoir 
dépouillé. 

«  Les  peuples  seront  heureux,  disoit  Platon,  lorsque  les 
magistrats  deviendront  philosophes  ou  lorsque  les  philoso- 
phes deviendront  magistrats  ».  En  quoi  consiste  cette  phi- 
losophie ?  à  savoir  qu'il  ne  faut  point  voler  le  bien  d'autrui  ; 
que,  si  c'est  un  crime  d'attenter  à  la  propriété  des  indivi- 
dus, ce  n'est  point  une  vertu  de  ravir  celle  des  nations; 
qu'une  injustice  ne  devient  ni  plus  légitime,  ni  moins 
odieuse,  lorsqu'elle  fait  le  malheur,  non  d'un  citoyen  et 
d'une  famille,  mais  du  genre  humain,  que  ceux  qui  punis- 
sent le  brigandage  et  le  meurtre  ne  doivent  pas  être  eux- 
même  les  plus  coupables  des  brigands  et  des  assassins. 

Combien  cette  simple  règle  morale  épargneroit  aux  hom- 
mes de  dissensions  et  de  calamités?  Alors  au  moins  ceux 
qui  gouvernent,  s'appliqueroient  à  bien  gouverner,  et  non 


CINQUIEME   NUMERO  149 

à  faire  croire  qu'ils  gouvernent  bien.  Ils  ne  commande- 
roient  pas  la  confiance  et  l'estime,  comme  on  lève  un  impôt  : 
ils  la  mériteroient.  La  mériter,  est  le  seul  moyen  de  l'obte- 
nir: la  réclamer  éternellement,  seulement  par  des  paroles, 
et  en  faire  une  maxime  du  gouvernement,  c'est  avertir 
qu'on  en  est  indigne.  L'économe  fidèle  aime  bien  à  agir 
sous  l'œil  du  maître,  et  à  lui  rendre  compte.  Celui  qui  le 
conjure  de  fermer  les  yeux,  et  qui  affecte  de  regarder  sa 
surveillance  comme  une  injure,  en  prouve  clairement  la 
nécessité.  Tout  fonctionnaire  public  qui  montre  une  vive 
sensibilité  pour  les  imputations  dont  il  est  l'objet,  qui  pré- 
tend qu'on  avilit  les  autorités  constituées  toutes  les  fois 
qu'on  censure  sa  conduite,  est  un  mandataire  qui  crie  à  ses 
commettans  de  fermer  les  yeux,  parce  qu'il  a  quelque  trame 
perfide  à  achever  contre  le  salut  et  contre  la  liberté  du  peu- 
ple. Le  peuple  doit  toujours  avoir  les  yeux  ouverts  sur  ses 
agens,  comme  le  père  de  famille  sur  ses  serviteurs. 

Cette  doctrine  n'est  pas  celle  des  tyrans:  mais,  sans 
doute,  elle  est  celle  de  la  raison,  de  la  justice  et  de  la  nature. 
Si  vous  croyez  les  tyrans,  elle  n'est  bonne  qu'à  troubler  la 
tranquillité  publique,  et  à  renverser  la  société. 

Quant  à  la  société,  ce  sont  les  tyrans  qui  la  détruisent; 
car  il  est  impossible  de  reconnoître  une  société  légitime 
dans  ce  partage  où  tous  les  avantages  et  toute  la  puissance 
appartiennent  à  un  seul  ou  à  plusieurs,  la  servitude,  la  mi- 
sère et  l'opprobe  à  tous.  La  tranquillité!  Ah!  sans  doute, 
il  est  facile  d'avoir  la  paix  avec  les  brigands,  si  vous  leur 
abandonnez  le  trésor  qu'ils  veulent  vous  ravir.  Mais  l'es- 
clavage est-il  la  tranquillité?  Non,  c'est  la  mort.  La  tran- 
quillité, c'est  l'ordre  public,  c'est  l'harmonie  sociale.  Peut- 
elle  exister  sans  la  justice,  sans  la  liberté,  sans  le  bonheur  ? 
Quels  sont  ceux  qui  la  troublent?  Sont-ce  les  tyrans  qui 
violent  les  droits  des  peuples,  ou  les  peuples  qui  les  récla- 
ment? Peuples,  tyrans,  voilà  toute  votre  cause;  que  la  rai- 
son, que  l'humanité  la  juge  une  fois,  et  non  la  force  et  le 
despotisme. 


150  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

III 

Société  de»  Amis  de  la  Constitution 


SÉANCE  DU   13  JUIN    1792  (6) 

La  société  des  amis  de  la  constitution  étoit  agitée,  de- 
puis quelque  tems,  par  des  dissentions  intestines.  J'en 
trouve  la  principale  cause  dans  le  parti  que  prit  le  roi  de 
choisir  des  ministres  dans  son  sein.  Les  uns  étoient  liés 
particulièrement  aux  ministres,  soit  par  la  reconnoissance, 
soit  par  l'espérance,  soit  par  l'amitié  ;  les  autres,  étrangers 
à  tout  parti,  étoient  restés  exclusivement  attachés  aux 
principes  de  la  constitution;  ils  pensoient  même  qu'il 
n'étoit  pas  bon  que  les  citoyens,  réunis  par  le  seul  amour 
du  bien  public,  fussent  tentés  ni  par  l'appât  du  ministère, 
ni  par  l'espérance  d'aucune  place  de  ce  genre.  Ce  dernier 
parti  étoit  le  plus  nombreux,  et  renfermoit  la  grande  ma- 
jorité; l'autre  paroissoit  plus  actif;  il  comptoit  ceux  des 
députés  de  l'assemblée  nationale,  qui  passoient  notoire- 
ment, pour  avoir  influé  sur  le  choix  des  nouveaux  minis- 
tres. Cette  diversité  de  dispositions  et  d'intérêts  avoit 
amené,  depuis  quelque  tems,  celle  des  opinions  sur  les 
objets  les  plus  importans. 

Cependant  il  paroît  que  les  ministres  qu'on  se  plaisoit  à 
désigner  sous  le  nom  de  jacobins,  ne  restèrent  pas  long- 
tems  unis.  Trois  d'entr'eux  furent  renvoyés  ;  et  l'on  accuse 

(6)  Des  dissentiments  s'étaient  élevés  entre  Dumouriez  et  les  Girondins,  et 
le  ministre  des  affaires  étrangères  avait  provoqué  la  disgrâce  de  ses  collègues  ; 
il  n'allait  pas  tarder  lui-même  à  la  partager  quelques  jours  après,  au  moment 
où  il  se  croyait  plus  puissant  que  jamais. 

Désormais  les  Girondins  reprennent  leur  tactique  d'opposition  et  de  vio- 
lentes campagnes  contre  la  Cour;  et  Robespierre,  oubliant  les  injures,  leur 
propose  de  s'unir  pour  la  défense  de  la  cause  populaire. 

Ernest  Hamel  donne  le  compte  rendu  de  cette  séance  (t.  II,  pp.  286  à  289), 
d'après  le  Journal  des  Débats  et  de  la  Correspondance  de  la  Société  des  Amis 
de  la  Constitution,  n08  212  et  213  (Aulard,  t.  III,  pp.  688  à  701)  qui  présente 
de  notables  différences  si  on  le  compare  à  celui  rédigé  par  Robespierre  et  dont 
le  texte  est  ci-dessus.  —  Robespierre  ne  présente  pas,  comme  le  Journal  des 
Jacobins,  cette  physionomie  des  débats,  ces  colloques  que  celui-ci  a  su  repro- 
duire longuement,  dans  toute  leur  animation. 

G.  Michon  (ibid.,  pp.  121-122)  donne  un  extrait  du  discours  prononcé  par 
Robespierre  à  cette  séance. 


CINQUIEME   NUMERO  151 

leur  collègue,  le  ministre  des  affaires  étrangères,  d'avoir 
causé  leur  disgrâce.  On  sait  ce  qui  se  passa  hier  à  l'assem- 
blée nationale  à  cet  égard.  Les  mêmes  causes  produisirent 
à  peu-près  les  mêmes  effets,  dans  la  société  des  amis  de  la 
constitution.  Le  renvoi  des  ministres  lui  communiqua  un 
grand  mouvement  ;  il  fut  présenté  comme  une  calamité  pu- 
blique et  comme  une  preuve  nouvelle  de  la  malveillance  des 
ennemis  de  la  liberté.  Plusieurs  membres,  au  nombre  des- 
quels étoient  quelques  députés  à  l'assemblée  nationale, 
ouvrirent  des  avis  pleins  de  chaleur.  J'étois  présent  à  cette 
séance.  Depuis  la  fin  de  l'assemblée  constituante,  j'ai  con- 
tinué de  fréquenter  assez  assidûment  cette  société,  con- 
vaincu que  les  bons  citoyens  ne  sont  pas  déplacés,  dans  les 
assemblées  patriotiques,  qui  peuvent  avoir  une  influence 
salutaire  sur  les  progrès  des  lumières  et  de  l'esprit  public  ; 
également  opposé  aux  ennemis  de  la  révolution,  qui  vou- 
droient  renverser  ces  précieux  appuis  de  la  liberté,  et  aux 
intrigans,  qui  pourroient  concevoir  le  projet  d'en  dénaturer 
l'esprit,  pour  en  faire  des  instrumens  de  l'ambition  et  de 
l'intérêt  personnel.  Si  j'ai  quelquefois  senti,  que  cette  lutte 
étoit  pénible,  le  civisme  pur  et  désintéressé  de  la  grande 
majorité  des  citoyens,  qui  composent  cette  société,  m'a 
donné,  jusqu'ici,  les  moyens  de  la  soutenir  avec  avantage. 
La  nature  et  la  véhémence  de  la  discussion  qui  s'éleva  dans 
l'occasion  dont  je  parle,  m'invita  à  dire  mon  opinion;  et 
les  circonstances  actuelles  me  font  presqu'une  loi  de  la  con- 
signer dans  cet  ouvrage. 

«  Les  orateurs  qui  ont  parlé  avant  moi,  pensent  que  la 
patrie  est  en  danger;  je  partage  leur  opinion;  mais  je  ne 
suis  pas  d'accord  avec  eux  tous,  sur  les  causes  et  sur  les 
moyens.  La  patrie  est  en  danger,  lorsqu'en  même  tems 
qu'elle  est  menacée  au  dehors,  elle  est  agitée  encore  par  des 
discordes  intestines  ;  elle  est  en  danger,  lorsque  les  princi- 
pes de  la  liberté  publique  sont  attaqués;  lorsque  la  liberté 
individuelle  n'est  pas  respectée;  lorsque  le  gouvernement 
exécute  mal  les  lois,  et  que  ceux  qui  doivent  le  surveiller 
sans  cesse,  en  négligent  le  soin,  ou  ne  le  remplisse  qu'à 
demi  ;  elle  est  en  danger,  lorsque  les  grands  coupables  sont 
toujours  impunis,  les  foibles  accablés,  les  amis  de  la  patrie 
persécutés  ;  lorsque  les  intrigues  ont  pris  la  place  des  prin- 


152  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

cipes,  et  que  l'esprit  de  faction  succède  à  l'amour  de  la 
patrie  et  de  la  liberté  !  Elle  est  en  danger,  lorsque  ceux  qui 
s'en  déclarent  les  défenseurs,  sont  plus  occupés  de  faire 
des  ministres  que  de  faire  des  lois. 

«  La  patrie  est  en  danger:  mais  est-ce  d'aujourd'hui 
seulement?  et  n'est-ce  que  le  jour  où  il  arrive  un  change- 
ment dans  le  ministère  et  dans  la  fortune,  ou  dans  les  espé- 
rances des  amis  de  quelques  ministres,  que  l'on  s'en  apper- 
çoit?  Pourquoi  donc  ce  jour  est-il  celui  où  on  retrouve 
tout  à  coup  une  f  ougeuse  énergie  pour  donner  à  l'assem- 
blée nationale  et  à  l'opinion  publique  un  grand  mouve- 
ment? Est-ce  que  de  tous  les  événemens  qui  peuvent  inté- 
resser le  salut  public,  le  renvoi  de  MM.  Clavière,  Rolland 
et  Servan,  est  le  plus  digne  d'exciter  l'intérêt  des  bons 
citoyens?  Je  crois,  au  contraire  que  le  salut  public  n'est 
attaché  à  la  tête  d'aucun  ministre,  mais  au  maintien  des 
principes,  du  progrès  de  l'esprit  public,  à  la  sagesse  des 
lois,  à  la  vertu  incorruptible  des  représentans  de  la  nation, 
à  la  puissance  de  la  nation  elle-même. 

«  Oui  :  il  faut  le  dire  avec  franchise,  quelques  soient  les 
noms  et  les  idées  des  ministres  ;  quel  que  soit  le  ministère, 
toutes  les  fois  que  l'assemblée  nationale  voudra  courageu- 
sement le  bien,  elle  sera  toujours  assez  puissante  pour  le 
forcer  à  marcher  dans  la  route  de  la  constitution  :  au  con- 
traire, est-elle  foible?  oublie-t-elle  ses  devoirs  ou  sa  digni- 
té ?  la  chose  publique  ne  prospérera  jamais.  Vous,  donc,  qui 
faites  aujourd'hui  sonner  l'allarme,  et  qui  sûtes  donner  à 
l'assemblée  nationale,  une  si  rapide  impulsion,  lorsqu'il  fut 
question  d'un  changement  dans  le  ministère,  vous  pouvez 
exercer  dans  son  sein  la  même  influence,  dans  toutes  les 
délibérations  qui  intéressent  le  bien  général  ;  le  salut  public 
est  donc  entre  vos  mains;  il  vous  suffira  de  tourner  vers 
cet  objet  l'activité  que  vous  montrez  aujourd'hui. 

Il  vaut  mieux  pour  les  représentans  de  la  nation,  surveil- 
ler les  ministres,  que  de  les  nommer.  L'avantage  de  les 
nommer,  ralentit  la  surveillance;  il  peut  égarer  ou  endor- 
mir le  patriotisme  même.  Il  n'est  rien  moins  que  favorable 
à  l'énergie  de  l'esprit  public;  il  est  fatal  à  celui  qui  doit 
toujours  animer  les  sociétés  des  amis  de  la  constitution. 
Depuis  le  moment  où  nous  avons  vu  naître  ce  ministère  que 


CINQUIÈME   NUMÉRO  153 

l'on  a  nommé  jacobin,  nous  avons  vu  l'opinion  publique 
s'affoiblir  et  se  désorganiser;  la  confiance  aux  ministres 
sembloit  substituée  à  tous  lés  principes;  l'amour  des  pla- 
ces, dans  le  cœur  de  beaucoup  de  prétendus  patriotes,  parut 
remplacer  l'amour  de  la  patrie:  et  cette  société  même  se 
divisa  en  deux  portions  ;  les  partisans  des  ministres  et  ceux 
de  la  constitution.  Les  sociétés  patriotiques  sont  perdues, 
dès  qu'une  fois  elles  deviennent  une  ressource  pour  l'ambi- 
tion et  pour  l'intrigue.  Les  amis  de  la  liberté  et  les  repré- 
sentai du  peuple  ne  peuvent  faillir,  en  s'appuyant  sur  les 
principes  éternels  de  la  justice:  mais  ils  se  trompent  aisé- 
ment, lorsqu'ils  se  reposent  de  la  destinée  de  la  nation,  sur 
des  ministres  passagers.  Rappelez-vous,  qu'il  y  a  plusieurs 
mois,  je  professois  ici  cette  doctrine,  et  prédisois  tous  ces 
maux,  lorsque  certains  députés  laissoient  déjà  transpirer 
le  projet  d'élever  leurs  créatures  au  ministère. 

«  D'ailleurs,  lorsqu'on  veut  mettre  le  peuple  français  en 
mouvement,  il  faut  lui  présenter,  ce  me  semble,  des  motifs  : 
dignes  de  lui.  Quels  sont  les  vôtres?  Sont-ce  des  attentats 
directs  contre  la  liberté?  Que  l'assemblée  nationale  les 
dénonce  à  la  nation  entière;  dénoncez-les  vous-mêmes  à 
l'assemblée  nationale.  Il  est  digne  d'une  grande  nation  de 
se  lever  pour  défendre  sa  propre  cause  ;  mais  il  n'y  a  qu'un 
peuple  esclave  qui  puisse  s'agiter  pour  la  querelle  de  quel- 
ques individus  et  pour  l'intérêt  d'un  parti.  Il  importe 
essentiellement  à  la  liberté  elle-même,  que  des  représen- 
tai du  peuple  ne  puissent  pas  être  soupçonnés  de  vouloir 
bouleverser  l'état,  pour  un  motif  aussi  honteux.  Le  renvoi 
des  trois  ministres,  suppose-t-il  des  projets  funestes?  Il 
faut  les  dévoiler,  il  faut  les  juger  avec  une  sévère  impar- 
tialité: tel  est  le  devoir  des  représentans  du  peuple.  Leur 
devoir  est-il  de  vouloir  nous  enflammer,  tantôt  pour  M. 
Dumourier,  tantôt  pour  M.  Narbonne;  pour  M.  Clavière; 
pour  M.  Rolland  ;  pour  M.  Servant,  tantôt  pour,  tantôt  con- 
tre les  ministres,  et  d'attacher  le  sort  de  la  révolution  à  leur 
disgrâce  ou  à  leur  fortune?  Je  ne  connois  que  les  principes 
et  l'intérêt  public  :  je  ne  veux  connoître  aucun  ministre  ;  je 
ne  me  livre  point  sur  parole,  à  l'enthousiasme  ou  à  la 
fureur;  sur-tout  sur  la  parole  de  ceux  qui  se  sont  déjà 
trompés  plus  d'une  fois  ;  qui,  dans  l'espace  de  huit  jours  se 


154  LE    DÉFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

contredisent  d'une  manière  si  frappante,  sur  les  mêmes 
objets  et  sur  les  mêmes  hommes. 

Il  y  a  huit  jours,  à  peine  étoit-il  permis,  de  parler  sans 
éloges,  du  ministre  Dumourier;  ce  n'étoit  qu'après  lui 
qu'on  nommoit  les  deux  hommes,  qu'on  l'accuse  d'avoir 
fait  renvoyer;  et  lorsque  je  réclamois  moi-même  contre  le 
système  de  flagornerie,  qui  sembloit  près  de  s'introduire 
ici,  n'étois-je  pas  hautement  improuvé  par  ces  mêmes  hom- 
mes qui  veulent  détruire  la  constitution  même,  pour  se 
venger  de  lui.  Je  ne  veux  ni  le  défendre,  ni  l'accuser;  ni 
tout  renverser  pour  la  cause  de  ses  concurrens.  La  patrie 
seule  mérite  l'attention  des  citoyens.  Croit-on  que  nous 
nous  abaisserons  au  point  de  faire  la  guerre  pour  le  choix 
des  ministres  ?  Et  sous  quels  étendarts  ?  Sous  les  étendarts 
de  ceux  qui  ont  loué  Narbonne,  avec  plus  d'énergie  encore 
que  Clavière  et  ses  deux  collègues;  qui  l'ont  dispensé  de 
rendre  compte  ;  qui  le  vantent  encore  à  l'envie,  quand  toute 
la  France  l'accuse.  Sont-ils  donc  si  infaillibles  dans  leurs 
jugements,  et  si  sages  dans  leurs  projets,  qu'il  ne  nous  soit 
pas  permis  d'examiner,  s'il  n'y  a  pas  d'autre  remède  à  nos 
maux,  que  le  bouleversement  de  l'empire?  Sommes-nous 
donc  arrivés  au  moment  où  une  faction  ne  dissimule  plus 
le  dessein  de  renverser  la  constitution  ?  Déjà  on  a  proposé 
sérieusement  que  l'assemblée  nationale  s'érigeât  en  assem- 
blée constituante.  Un  député  (y)  nous  a  fait  publiquement 
la  confidence,  qu'on  lui  avoit  proposé  de  se  coaliser  avec 
une  partie  de  l'assemblée  nationale,  pour  exécuter  ce  pro- 
jet. Déjà  on  répète,  avec  les  ennemis  de  la  Révolution,  que 
la  constitution  ne  peut  exister,  pour  se  dispenser  de  la  sou- 

(7)  M.  Lasource  {note  de  Robespierre). 

Dans  le  texte  du  discours  de  Robespierre  reproduit  par  le  journal  des 
Jacobins,  celui-ci  met  en  cause  Lasource  et  explique  plus  nettement  son  inter- 
vention. Lasource,  présent,  répond;  il  nie  avoir  dit  «  que  ce  fut  un  membre 
de  l'Assemblée  nationale  qui  lui  eut  proposé  la  réunion  des  meilleurs  esprits 
de  cette  même  assemblée  ».  Il  prétend  que  c'est  un  citoyen  assidu  aux  séances 
de  la  Législative  qui  a  proclamé  devant  lui  qu'il  était  nécessaire  de  modifier 
la  Constitution.  (Aulard,  t.  III,  p.  699).  Cependant,  à  la  séance  précédente  du 
11  juin  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution,  d'après  le  même  procès- 
verbal,  Lasource  avait  bien  dit,  comme  l'affirme  Robespierre:  «  Je  vous  le 
jure,  on  m'a  proposé  la  réunion  des  bons  esprits  de  l'Assemblée  nationale 
pour  ce  plan  (c'est-à-dire,  faire  une  révolution  pour  changer  la  Constitution); 
mais  j'ai  repoussé  cette  proposition  avec  l'indignation  qu'elle  mérite,  car  je 
serai  toujours  fidèle  à  mon  serment  >.  (Aulard,  t.  III,  p.  685). 


CINQUIÈME   NUMÉRO  155 

tenir.  Mais  les  auteurs  de  ce  système  ont-ils  fait  tout  ce 
qui  étoit  [en]  eux,  pour  la  maintenir?  Ne  se  sont-ils  pas 
permis  quelquefois  des  actes  contraires  à  la  liberté,  qu'elle 
ne  leur  ordonnoit  pas,  et  proscrits  même  par  ses  principes  ? 
La  notoriété  publique  les  en  accuse.  L'assemblée  nationale, 
disent-ils,  n'a  pas  les  moyens  nécessaires  pour  la  défendre. 
Je  soutiens  que  l'assemblée  nationale  a  une  puissance  infi- 
nie; que  la  volonté  générale,  que  la  force  invincible  de 
l'esprit  public,  qu'elle  laisse  tomber  et  relève  à  son  gré, 
aplanira  devant  elle  tous  les  obstacles,  toutes  les  fois  qu'elle 
voudra  déployer  l'énergie  et  toute  la  sagesse  dont  elle  est 
susceptible. 

C'est  en  vain  que  l'on  veut  séduire  les  esprits  ardens  et 
peu  éclairés,  par  l'appât  d'un  gouvernement  plus  libre  et 
par  le  nom  de  république;  le  renversement  de  la  constitu- 
tion dans  ce  moment  ne  peut  qu'allumer  la  guerre  civile, 
que  conduire  à  l'anarchie  et  au  despotisme.  Quoi!  c'est 
pendant  la  guerre,  c'est  au  milieu  de  tant  de  divisions  fata- 
les, que  l'on  veut  nous  laisser  tout-à-coup,  sans  constitu- 
tion, sans  loi;  ...Notre  loi  sera  donc  la  volonté  arbitraire 
d'un  certain  nombre  d'hommes.  Quel  sera  le  point  de  ral- 
liement des  bons  citoyens?  Quelle  sera  la  rèègle  des  opi- 
nions? quelle  sera  la  puissance  de  l'assemblée  législative? 
en  voulant  saisir  celle  qu'elle  n'a  point,  elle  perdra  celle 
dont  elle  est  investie  ;  on  l'accusera  d'avoir  trahi  le  serment 
qu'elle  a  fait  de  maintenir  la  constitution;  on  l'accusera 
d'usurper  les  droits  de  la  souveraineté;  elle  sera  la  proie 
et  l'instrument  de  toutes  les  factions.  Elle  ne  délibérera 
plus  qu'au  milieu  des  bayonnetes;  elles  ne  fera  que  sanc- 
tionner la  volonté  des  généraux  et  d'un  dictateur  militaire. 
Nous  verrons  renouveller,  au  milieu  de  nous,  les  horribles 
scènes  que  présente  l'histoire  des  nations  les  plus  malheu- 
reuses... Après  avoir  été  l'espérance  et  l'admiration  de 
l'Europe,  nous  en  serons  la  honte  et  le  désespoir.  Nous 
n'aurons  plus  le  même  roi,  mais  nous  aurons  mille  tyrans  ; 
vous  aurez  tout  au  plus,  un  gouvernement  aristocratique, 
acheté  au  prix  des  plus  grands  désastres  et  du  plus  pur 
sang  des  français.  Voilà  le  but  de  toutes  ces  intrigues  qui 
nous  agitent  depuis  si  longtems  !  Pour  moi,  voué  à  la  haine 
de  toutes  les  factions  que  j'ai  combattues,  voué  à  la  ven- 


I56  LE    DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

geance  de  la  cour,  à  celle  de  tous  les  hypocrites  amis  de  la 
liberté,  étranger  à  tous  les  partis,  je  viens  ici  prendre  acte 
solennellement  de  ma  constance  à  repousser  tous  les  systè- 
mes désastreux  et  toutes  les  manœuvres  coupables,  et  j'at- 
teste ma  patrie  et  l'univers  que  je  n'aurai  point  contribué 
aux  maux  que  je  vois  prêts  à  fondre  sur  elle. 


IV 

Lettre  de  Strasbourg,  5  juin  (8) 

Dès  le  27  mai,  nous  avons  à  Strasbourg  un  patriote 
brabançon,  nommé  Joseph  Parent,  qui  est  entré,  muni 
d'un  passe-port,  donné  par  le  ministre  de  France  à 
Mayence:  il  y  a  quelques  jours  que  les  autrichiens  ont 
arrêté  dans  le  Brisgaw  un  citoyen,  négociant  de  Stras- 
bourg, voyageant  pour  ses  affaires,  et  qui  s'est,  dit-on,  per- 
mis des  propos  en  matières  politiques,  que  l'on  a  jugés 
étrangers  au  sujet  de  son  voyage;  la  nouvelle  de  cette 
arrestation,  vraie  ou  fausse,  a  été  donnée  à  M.  le  Maire, 
qui,  après  avoir  gardé  quelque  tems  son  air  interdit,  fait 
venir  un  commissaire  de  police,  auquel  il  donne  l'ordre 
d'aller  mettre  en  état  d'arrestation  Joseph  Parent  de 
Bruxelles,  que  je  viens  de  nommer  plus  haut  :  à  dix  heures 
du  soir,  3  juin,  cet  officier  de  police  se  présente,  avec  deux 
gardes  nationaux,  à  la  porte  de  sa  chambre,  le  constitue 
prisonnier  d'état  par  droit  de  représaille,  et  sur  l'observa- 
tion que  fait  ledit  parent  (sic),  qu'il  pourroit  donc  avoir  la 
tête  tranchée  si  on  la  coupoit  à  un  citoyen  français  sur 
l'autre  rive  du  Rhin,  on  lui  donne,  pour  toute  réponse  : 
((  Oh!  il  faut  espérer  que  cela  n'arrivera  pas  ».  Deux  de 
ses  connoisances  entrent  dans  sa  chambre,  après  son  arres- 
tation; on  les  fait  sortir  de  suite,  et  on  le  prive  de  toute 
communication;  son  domestique  réclame  pour  servir  son 
maître,  on  le  laisse  enfin  entrer,  mais  il  ne  peut  plus  sortir, 
et  tous  les  deux  sont  au  secret  jusqu'au  lendemain;  à  six 

(8)  Cette  lettre  continue  à  souligner,  par  des  faits  précis,  les  menées  contre- 
révolutionnaires  dans  ce  pays,  les  tracasseries  dont  sont  l'objet  les  patriotes, 
et  la  complicité  du  maire  Dietrich  dans  ces  différentes  intrigues. 

Tous  ces  renseignements  sont  communiqués  à  Robespierre  par  le  jacobin 
Laveaux. 


CINQUIEME   NUMÉRO  157 

heures  du  matin,  cet  homme  qui  avoit  passé  la  nuit  dans 
l'insomnie,  l'agitation  et  la  frayeur  que  doit  avoir  celui 
dont  la  vie  repose  sur  la  moralité  d'autrui,  demande  que 
son  domestique  puisse  descendre,  pour  lui  apporter  du 
café,  ou  au  moins  de  l'eau  ;  la  consigne  se  trouve  si  sévère, 
que  ses  gardes  ne  peuvent  rien  permettre  :  à  huit  heures  du 
matin,  le  même  officier  de  police  vient  intimer  au  prison- 
nier l'ordre  de  le  suivre  chez  le  maire,  qui  lui  dit:  «  vous 
«  avez  sans  doute  été  étonné  d'être  mis  en  état  d'arres- 
«  tation  par  droit  de  réprésaille:  cependant  c'est  un  droit 
«  que  me  donne  ma  place  et  les  circonstances  où  nous  nous 
«  trouvons,  et  je  peux  vous  faire  subir  le  même  sort  qu'au 
citoyen  que  nos  ennemis  ont  arrêté  »  ;  «  cependant,  lui  dit 
le  brabançon,  j'ai  un  passe-port,  avec  lequel  M.  le  ministre 
de  France  à  Mayence  m'a  dit  que  je  pourrois  librement 
passer,  et  voyager  en  France  »  ;  «  dans  une  pareille  cir- 
constance, lui  répond  le  maire,  votre  passe-port  ne  peut 
vous  sauver  »  ;  le  brabançon,  lui  ayant  dit  que  s'il  étoit  à 
Paris,  on  ne  lui  auroit  pas  fait  un  pareil  traitement  ;  qu'il 
auroit  trouvé  des  amis  qui  auroient  répondu  de  sa  person- 
ne; M.  le  maire  s'est  un  peu  replié  sur  lui-même  et  lui  a 
dit:  «  cela  étant,  je  ne  veux  pas  vous  laisser  en  état  d'arres- 
«  tation  plus  longtems,  mais  si  vous  demeurez  ici  quelques 
«  jours,  je  vous  charge  de  venir  vous  représenter,  afin  de 
«  savoir  où  vous  reprendre,  si  j'ai  de  mauvaises  nouvelles 
«  du  traitement  fait  au  citoyen  français;  mais  ces  égards 
«  vous  les  tenez  de  ma  pure  bonne  volonté;  toutefois 
«  cependant,  je  dois  vous  dire,  que  je  ne  vous  crois  en  su- 
ce reté  à  Strasbourg;  car,  si  les  citoyens  vous  y  cannois- 
ce  sent,  sachant  l'injure  qui  vient  d'être  faite  aux  fran- 
«  çais  par  votre  gouvernement,  peut-être  notre  police  ne 
«  pourroit-elle  pas  les  contenir,  et  je  vous  conseille  de 
«  repasser  le  Rhin  ». 

Maintenant,  Monsieur,  représentez-vous  au  moins  vingt 
mille  français  qui  voyagent  actuellement  pour  affaires  de 
commerce  dans  les  états  voisins;  qu'auroit-il  pu  leur  arri- 
ver d'après  ce  coup  d'essai  de  M.  Dietrich?  Supposons 
encore  que  M.  Dietrich  n'eût  pas  eu  vent  que  les  jacobins 
de  Strasbourg  alloient  pour  suivre  la  délivrance  du  détenu, 
et  qu'il  en  eût  prolongé  l'arrestation,  la  nouvelle  en  parve- 


I58  LE    DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

noit,  ainsi  qu'il  l'avoit  sans  doute  calculé,  dans  les  Pays- 
Bas,  dont  cet  homme  est  un  habitant  ;  car  enfin,  pourquoi 
arrêter  plutôt  un  brabançon  tranquille  et  connu,  qu'un  des 
cent  et  un  mauvais  sujets  étrangers,  qui  sont  à  Strasbourg, 
sans  arïoires,  sans  connoissance  et  sans  état?  Il  arriveroit 
alors  que  les  brabançons  pourraient  prendre  notre  liberté 
politique  pour  une  chimère,  puisque  la  liberté  individuelle 
dont  elle  ne  peut  être  que  le  résultat,  auroit  été  si  injuste- 
ment violée,  et  si  cet  événement  arrivé  à  un  étranger  sur  le 
sol  de  la  liberté,  reste  impuni,  publié  dans  son  pays  avec 
toutes  les  précautions  qu'emploient  les  despotes  dans  pareil- 
les circonstances,  et  confirmé  par  la  déposition  de  celui  mê- 
me qui  en  est  la  victime,  peut  retarder,  selon  moi,  l'opinion 
publique  sur  la  révolution  française,  au  moins  pour  dix 
ans,  dans  l'esprit  du  peuple,  qui  ne  croira  jamais  à  la  jus- 
tice d'une  administration,  d'après  les  procédés  inhumains 
qu'il  en  a  sous  les  yeux;  car  enfin,  dira-t-on,  dans  le  loin- 
tain, ou  le  maire  de  Strasbourg  a  été  puni,  comme  ayant 
attenté  à  la  liberté  individuelle,  ou  non;  s'il  a  été  puni,  il 
ne  doit  plus  exister,  car  au  terme  de  la  constitution  fran- 
çaise, un  pareil  attentat  mérite  la  mort;  s'il  n'a  pas  été 
puni,  il  n'y  a  pas  en  France  de  liberté  individuelle;  car, 
comme  dit  très  bien  le  brabançon,  on  se  plaint  du  despo- 
tisme dans  mon  pays;  mais  certes,  jamais  il  n'est  échappé 
aux  magistrats  du  peuple  un  trait  d'arbitraire  si  contraire 
à  l'humanité. 

D'ailleurs,  M.  Dietrich  doit  connoître  les  droits  de 
l'homme  et  l'esprit  de  la  constitution  ;  il  doit  avoir  lu  le  con- 
sidérant ou  le  préambule  du  décret  sur  la  guerre,  puisqu'il 
en  a  fait  la  publication;  s'il  a  une  âme,  il  doit  savoir  com- 
bien est  terrible  la  situation  d'un  homme  qui,  fuyant  la 
persécution,  entre  avec  confiance  chez  un  peuple  qui,  après 
avoir  fait  proclamer  par-tout  les  droits  de  l'homme,  et 
promis  accueil  et  protection  distinguée  même  à  ses  ennemis 
désarmés,  et  voit  tout-à-coup  la  nation  se  parjurer,  en 
exerçant  sur  sa  personne  innocente,  la  répétition  en  repré- 
sailles d'un  crime,  dont,  dans  aucun  cas,  il  ne  doit  la  répa- 
ration: j'ignore  comment  M.  Dietrich  conciliera  cette 
cruauté  arbitraire  de  sa  part,  avec  l'esprit  et  la  lettre  de  la 
constitution;  et  j'ignore  encore  plus  ce  qu'il  possède  de 


CINQUIÈME    NUMÉRO  159 

ressource,  pour  indemniser  cet  homme  et  la  nation  qu'il  a 
si  indignement  et  faussement  représentée,  et  qu'il  prive, 
par  cet  acte  de  barbarie,  d'une  immensité  d'étrangers,  qui 
reculeront  d'effroi  sur  nos  frontières,  en  apprenant  cet 
horrible  procédé,  si  son  auteur  ne  l'expie  pas,  de  manière 
à  effrayer  par  avance  tous  ceux  qui  seroient  tentés  de  le 
reproduire  sur  d'autres  victimes. 

Je  dis  donc,  en  résumant  que  Dietrich  a  péché  capitale- 
ment  contre  la  constitution,  que  la  circonstance  de  son 
délit  le  change  en  acte  de  trahison;  il  a  calomnié  nos  lois, 
il  a  insulté  aux  droits  de  l'homme,  en  faisant  les  fonctions 
de  magistrat  du  peuple,  porté  un  plus  grand  coup  à 
la  constitution,  et  plus  nui  à  la  nation,  que  celui  qui 
l'a  trahie  dans  l'affaire  de  Mons  et  Tournai  (89)... 

Trahison  ou  massacre,  il  est  hors  de  doute  qu'on  trame 
quelque  chose  de  ce  genre  à  Strasbourg;  notre  garnison 
très  foible,  est  moitié  bonne  et  moitié  mauvaise  en  offi- 
ciers, et  rien  ne  seroit  plus  facile  que  de  la  rendre  nulle 
pour  le  secours  de  la  place;  parce  que  nous  avons  près  de 
la  ville,  un  camp  de  deux  mille  hommes,  auquel  on  peut 
faire  donner  une  fausse  alerte;  on  peut  faire  la  même 
feinte  à  un  autre  endroit,  envoyer  de  ces  deux  côtés  qu'on 
supposeroit  en  danger,  l'élite  des  patriotes,  et  se  servir  du 
reste,  pour  faciliter  même  l'entrée  de  l'ennemi;  cela  n'ar- 
rivera probablement  pas,  mais  s'ils  avoient  autant  de 
talent  que  de  ruse,  la  chose  pourroit  arriver,  etc. 

V 

A  Monsieur  Vimpfen,  Maréchal-de-Camp, 

Mon  Général  (10), 

Commandant  la  garnison  de  Rodemack,  je  crois  qu'il 
est  de  mon  devoir  de  venir  vous  exposer  l'état  de  détresse 

(9)  La  déroute  des  troupes  françaises  ,au  début  de  la  guerre,  le  29  avril, 
à  Mons  et  Tournay,  et  le  massacre  du  général  Théobald  Dillon  par  ses  pro- 
pres soldats  qui  l'accusaient  de  trahison  (voir  ci-dessus,  page  20). 

(10)  La  Harpe  signale  à  son  général  le  déplorable  état  de  l'armée  du  Rhin. 
Ce  dernier  ne  lui  adresse,  en  réponse,  que  la  courte  et  sèche  lettre  qu'on  lira 
ci-après. 

Le  lieutenant-colonel  Amédée-Emmanuel  de  la  Harpe  (1754- 1796),  officier 


IÔO  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

dans  laquelle  elle  se  trouve,  exposée  à  manquer  des  denrées 
de  première  nécessité,  par  le  refus  que  le  citoyen  et  le  cam- 
pagnard fait  de  recevoir  des  assignats,  le  soldat  n'ayant 
point  de  munition  ne  peut  s'en  procurer,  les  boulangers  ne 
voulant  absolument  [pas]  les  fournir  pour  du  papiers  (sic); 
les  plus  raisonnables,  prennent  les  billets  de  cinq  livres  pour 
trois  livres,  encore  ils  exigent  que  les  volontaires  prennent 
de  la  marchandise  pour  le  tout. 

Il  n'y  a  aucun  moyen  de  les  faire  subsister  que  leur  don- 
ner la  paye  en  argent;  je  sais  que  le  décret  ne  l'accorde 
qu'au  camp,  mais  ne  sont-ils  pas  autant  exposés  qu'au 
camp  ;  ne  servent-ils  pas  de  même  la  nation,  et  si  la  rigueur 
du  décret  paroit  leur  être  contraire,  il  n'en  existe  point  qui 
les  condamne  à  souffrir  le  défaut  de  nourriture  en  canton- 
nement. 

J'ai  pris  sur  moi,  mon  général,  de  leur  fournir  de  l'ar- 
gent pour  le  prêt?  Est-ce  un  crime?  que  l'on  me  punisse, 
mais  que  mes  frères,  que  mes  enfans  ne  souffrent  pas; 
aujourd'hui,  plusieurs  ont  monté  la  garde  sans  avoir  man- 
gé, par  le  refus  que  l'on  a  fait  de  leur  rien  vendre;  des 
citoyens  soldats,  ne  peuvent  être  traités  avec  cette  rigueur 
par  une  nation  et  par  une  constitution  pour  laquelle  ils  se 
dévouent. 

Je  vous  prie,  mon  général,  de  me  livrer  de  l'argent  pro- 
visoirement, jusqu'à  ce  que  les  ordres  soient  arrivés  pour 
tirer  ma  troupe  de  l'état  de  détresse  où  elle  est,  et  pour 
éviter  quelques  actes,  qui  désespéreroient  un  homme  qui, 
comme  moi,  ne  veut  que  l'obéissance  et  le  respect  aux  lois. 

De  la  Harpe,  lieutenant-colonel. 
Rodemack,  ce  6  juin  1792,  Van  4e  de  la  liberté 


d'origine  suisse  au  service  de  la  Révolution,  devint  général  et  fut  tué  à  Codo- 
gno,  près  de  Crémone,  pendant  la  campagne  d'Italie  sous  le  Directoire. 

Le  général  Louis-Félix  de  Wimpffen  (i  744-1814),  député  de  la  noblesse  de 
Caen  aux  Etats  généraux,  était  alors  lieutenant-général  chargé  de  la  défense 
de  la  ligne  du  Rhin  en  Alsace.  Désigné  pour  le  commandement  de  l'armée  des 
côtes  de  Cherbourg  en  1793,  il  prit  le  parti  des  Girondins  réfugiés  à  Caen, 
organisa  la  résistance  contre  la  Convention,  fut  battu  à  Pacy-sur-Eure,  et  se 
cacha  jusqu'au  18  brumaire. 


CINQUIÈME   NUMÉRO  l6l 

Réponse  de  M.  Vimpfen 

J'ai  fait  toutes  ces  représentations  à  plusieurs  reprises 
au  ministre  de  la  guerre  et  à  M.  de  Lafayette,  je  n'ai  reçu 
aucune  réponse. 

Le  troisième  bataillon  de  Lamozelle  (sic)  a  député  à 
M.  de  Lafayette,  son  quartier-maître  avec  un  mémoire 
apostille  par  moi,  et  très  chaudement  apostille,  où  je  crois 
avoir  prouvé  l'injustice  et  l'impolitique  telle  à  l'égard  des 
volontaires  du  deuxième  bataillon  et  des  troupes  de  ligne; 
M.  de  Lafayette  a  renvoyé  le  quartier-maître  à  M.  Petit, 
commissaire-général,  et  le  commissaire-général  l'a  renvoyé 
à  la  loi.  De  sorte  que  le  quartier-maître  est  revenu  comme  il 
étoit  parti. 

Signé:  Félix  Vimpfen. 

VI 
A  M.  Servan,  Ministre  de  la  Guerre  (il) 

Monsieur, 

Les  soussignés,  composant  le  conseil  des  quatre  compa- 
gnies de  gauche,  du  quatrième  bataillon  des  volontaires 
nationaux,  du  département  de  Seine-et-Oise,  en  garnison 
au  château  de  Rodemack,  ont  l'honneur  de  vous  envoyer 
copie  du  mémoire  présenté  hier,  par  leur  lieutenant-colo- 
nel, à  M.  le  maréchal  de  Vimpfen,  avec  sa  réponse  au  pied  ; 
ils  s'adressent  à  vous,  Monsieur,  persuadés  que  c'est  le 
moyen  le  plus  efficace,  pour  les  tirer  de  la  ruine  où  ils  sont. 

Ils  vous  exposent  qu'ils  ont  employés  tous  les  moyens 
possibles,  pour  subsister  avec  des  assignats  de  cent  sols,  et 
qu'ils  ne  peuvent  y  parvenir  ;  ils  ne  peuvent,  à  aucun  prix, 
se  procurer  du  pain,  et  l'argent  de  la  nation  à  la  main,  ils 
ont  faim. 

Venez  à  leurs  secours,  Monsieur;  on  ne  peut  leur  refu- 
ser du  numéraire,  sans  se  rendre  criminels  envers  la  nation 
et  exposer  le  soldat  à  des  sottises,  et  le  citoyen  à  des  acci- 

(n)  Cette  adresse  des  volontaires  de  Seine-et-Oise  au  Ministre  de  la  guerre 
vient  appuyer  la  réclamation  de  leur  chef,  le  lieutenant-colonel  de  la  Harpe 
au  général  de  Wimpffen. 


IÔ2 


LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 


dens;  il  seroit  de  la  dernière  impolitique  d'aliéner  l'habi- 
tant de  la  frontière,  déjà  gangrené  par  les  prêtres,  et  dont 
si  peu  sont  dans  le  vrai  sens  de  la  révolution,  comme  vrais 
patriotes  ;  ils  ne  doutent  pas  que  vous  ne  donniez  incessam- 
ment des  ordres,  pour  procurer  à  la  troupe  le  soulagement 
qu'elle  demande,  et  dont  elle  ne  peut  se  passer  ;  elle  mérite, 
par  ce  que  jusqu'à  présent  elle  a  souffert,  sans  se  porter  à 
aucune  espèce  d'acte  contraire  à  la  subordination  et  au  res- 
pect à  la  loi,  parce  qu'elle  est  absolument  sur  la  frontière, 
et  plus  exposée  qu'au  camp;  parce  qu'elle  sert  la  nation 
comme  au  camp  ;  et  enfin  parce  que  la  proximité  de  l'enne- 
mi fait  que  l'on  refuse  absolument  leurs  assignats. 

Pour  éviter  que  ce  mémoire  soit  sans  réponse,  comme 
les  lettres  de  M.  Vimpfen,  ils  ont  l'honneur  de  vous  préve- 
nir qu'ils  adresseront  copie  à  un  membre  de  l'assemblée 
nationale  qui  n'en  fera  usage  qu'après  en  avoir  conféré 
avec  vous. 

Suivent  plusieurs  signatures. 

VII 

Laurent  Lecointre,  Député  à  l'Assemblée  Nationale 
à  Caritat,  dit  Condorcet,  auteur  de  la  Chronique  de  Paris  (12) 

Ce  7  juin  1792.  L'an  quatrième  de  la  liberté. 

Encore  un  panégyrique  du  sieur  Narbonne;  encore  une 
diatribe  contre  moi  et  contre  ceux  qui,  étrangers  à  toutes 
les  factions,  soutiennent  le  caractère  de  représentans  du 
peuple,  en  dévoilant  les  dilapidations  ministérielles!  Les 
malversations  reprochées  au  sieur  Narbonne,  vous  le  savez, 
monsieur,  ce  sont  des  faits  publics,  dénoncés  par  la  France 
entière,  dont  ils  comprommettent  le  salut;  nos  gardes 
nationales,  nos  troupes  de  ligne,  laissées  sans  armes;  nos 
armées  du  nord,  celles  du  midi,  sans  approvisionnemens  de 
guerre  et  de  bouche  convenables;  nos  places  fortes  sans 


(12)  Laurent  Lecointre  avait  dénoncé  Narbonne  à  la  séance  de  l'Assemblée 
législative  du  7  avril.  Marant  (des  Vosges)  avait,  le  5  juin,  au  nom  de  la 
commission  d'enquête,  déclaré  que  la  dénonciation  de  Lecointre  était  sans  fon- 
dement. —  Condorcet  qui  avait  défendu  l'ancien  ministre  de  la  Guerre,  dans 
la  Chronique  de  Paris,  du  6  juin,  avait  pris  à  partie  le  député  de  Seine-et- 
Oise. 


CINQUIÈME    NUMÉRO  163 

défense;  les  postes  les  plus  importans  laissés  ou  confiés  à 
des  traîtres;  les  chevaux  de  remonte,  ceux  de  peloton, 
achetés  par  ses  ordres  et  par  ses  agens,  au  nombre  de  plus 
de  douze  mille,  boiteux,  tarés,  viciés  de  morve,  de  farcin, 
et  autres  maladies  contagieuses,  la  plupart  âgés  depuis  dix 
jusqu'à  vingt  ans,  quoique  le  plus  grand  nombre  ait  coûté 
à  la  nation  depuis  450  à  500  livres  en  écus,  ce  qui  porte  ce 
prix  de  675  à  700  livres  en  assignats,  même  à  800  livres 
au  cours  actuel;  chevaux  qu'il  faut  tuer  ou  revendre 
aujourd'hui  de  50  à  100  livres:  tels  sont  les  justes  repro- 
ches qui  éclatent  de  toutes  parts  contre  l'administration  de 
cet  ex-ministre.  Les  faits  que  je  lui  ai  imputés,  en  mon  par- 
ticulier, sont  des  déprédations  énormes,  prouvées  par  des 
pièces  justificatives,  qui  ont  porté  la  conviction  dans  l'es- 
prit de  tous  les  hommes  impartiaux;  que  personne,  sans 
vous  excepter,  n'a  jamais  osé  entreprendre  de  combattre, 
soit  à  la  tribune  de  l'assemblée  nationale,  soit  par  écrit. 

Vous  avez  pris  un  autre  parti  plus  digne  de  vous,  sans 
doute,  et  de  votre  faction,  celui  d'étouffer  la  voix  des  repré- 
sentai du  peuple,  qui  osent  dire  la  vérité  sur  la  conduite 
de  cet  ex-ministre,  dont  vous  êtes  à-la-fois  le  protecteur 
et  le  protégé,  le  complice  et  le  courtisan;  celui  de  lui  immo- 
ler la  dignité,  la  justice,  la  décence  même  du  corps  législa- 
tif, toutes  les  fois  que  le  devoir  des  représentans  leur 
ordonne  de  juger  cet  homme  avec  une  sévère  impartialité. 

Vous  faites  plus,  monsieur,  vous  ne  cessez  de  calomnier 
ceux  qui  dénoncent  ces  délits,  les  preuves  à  la  main,  dans 
un  journal  dont  vous  vous  êtes  emparé  pour  concourir  plus 
puissamment  à  la  dégradation  de  l'esprit  public  et  aux  suc- 
cès de  votre  faction.  Hier  encore,  dans  votre  Chronique, 
vraiment  scandaleuse,  pour  toute  réponse  à  des  faits 
démontrés,  dont  vous  ne  parlez  pas,  vous  vantez  les  actions 
éclatantes,  les  actes  de  dévouement  de  votre  héros  (actions 
que  personne  ne  connoit),  pour  faire  oublier  les  perfidies, 
connues  de  toute  la  France.  Vous  dites,  que  ces  monumens 
de  sa  vertu  dureront  un  peu  plus  que  les  discours  et 
les  écrits  de  M.  Lecointre.  Plût  au  ciel  que  les  maux  de  la 
patrie  durassent  aussi  peu  que  le  souvenir  de  ses  exploits 
chimériques!  Mais  comment  l'espérer,  lorsqu'on  voit  des 
représentans  du  peuple  oublier  à-la-fois  leur  dignité  et 


164  LE   DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

leurs  devoirs,  au  point  de  devenir  les  panégyristes  et  les 
valets  des  courtisans  dont  ils  sont  les  juges;  garder  le 
silence  dans  la  tribune  de  l'assemblée  nationale,  lorsque  ces 
importantes  questions  sont  agitées,  et  parler,  dans  de  mi- 
sérables feuilles,  le  langage  de  l'adulation  et  de  la  calomnie. 

Le  ministère  des  écrivains  politiques  est  grand  et  digne 
des  législateurs  mêmes,  lorsqu'ils  défendent  avec  courage 
la  cause  du  peuple  et  de  la  liberté,  et  ce  devoir,  vous  l'avez 
rempli  dignement  plus  d'une  fois;  mais,  lorsque  ceux  des 
représentans  de  la  nation  qui  l'exercent,  le  prostituent  à 
l'intrigue,  à  l'esprit  du  parti,  à  la  corruption,  ils  ne  sont 
plus  que  de  méprisables  folliculaires,  distingués  par  leurs 
bassesses  entre  les  plus  vils  de  tous  les  hommes.  Quelle 
audace  de  mentir  à  la  nation  entière,  lors  même  qu'on  ne 
peut  espérer  de  lui  en  imposer,  et  de  vouloir  couvrir  sa 
propre  honte  à  force  d'impudence!  Qu'un  philosophe,  tel 
que  vous,  Caritat,  fasse  à  Narbonne,  à  un  général  ou  à  un 
ministre  les  honneurs  de  sa  maison  de  la  manière  qu'il  sup- 
pose la  plus  grande  abnégation  de  soi-même,  et  le  détache- 
ment le  plus  édifiant  et  le  plus  parfait  de  toute  espèce  de 
préjugés;  on  peut  lui  pardonner  cette  façon  de  sentir,  qui 
n'est  pas  étrangère  à  une  certaine  secte  de  philosophes; 
mais  qu'il  veuille  faire  encore  à  ce  même  homme  les  hon- 
neurs de  l'assemblée  nationale,  et  lui  prostituer  à-la-fois 
la  majesté  et  la  sûreté  de  la  nation  française,  il  y  a  là  un 
excès  de  perversité  que  tous  les  honnêtes  gens  doivent 
réprimer. 

Au  reste,  monsieur,  si  Narbonne  échappe  à  la  justice  du 
corps  législatif,  ni  lui,  ni  ses  complices  ne  sauroient  échap- 
per au  mépris  et  à  l'indignation  publics.  Cet  oracle  est  plus 
sûr  que  les  principes  et  les  nouvelles  de  la  Chronique. 

L.  Lecointre,  député. 


LE  DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

N°  6 


Articles  contenus  dans  ce  numéro 
48  pages  (257  à  304) 


Pages 
du  document 


I.  —  Réponse  de  M.  Robespierre,  citoyen  français 

à  Monsieur  La  Fayette,  général  d'armée. . . .     257  à  296 

II.  —  Lettre  écrite  à  un  député  à  l'Assemblée  natio- 
nale de  France,  à  Paris  ;  de  Trêves,  le  14 
juin   1792    297  à  302 

III.  —  Lettre  de  Metz  (s.  d.)   302  à  304 


Réponse  de  M.  Robespierre,  citoyen  français 
A  Monsieur  Lafayette,  Général  d'Armée   (1) 

GÉNÉRAL, 

Lorsque,  du  fond  de  votre  camp,  vous  me  déclariez  la 
guerre,  que  vous  n'aviez  point  faite  jusqu'ici  aux  ennemis 
de  l'Etat,  lorsque,  dans  une  lettre  publiée  par  tous  les 
papiers  qui  sont  à  votre  solde,  vous  me  dénonciez  à  l'ar- 

(1)  Dès  le  23  avril,  Robespierre  avait  demandé  la  destitution  du  général 
La  Fayette,  Celui-ci,  depuis  quelque  temps,  bien  qu'aux  armées,  intervenait, 
sans  cesse,  dans  les  affaires  publiques,  conseillait  la  Cour,  poussant  la  témé- 
rité jusqu'à  parler  en  maître  aux  ministres  et  aux  représentants  du  peuple. 
Il  paraissait  tout  puissant,  à  la  tête  d'une  armée  considérable.  Il  dénonça 
Robespierre  et  les  sociétés  populaires,  par  une  lettre  insérée  dans  La  Chroni- 
que de  Paris,  du  14  juin,  et  par  une  protestation,  datée  du  16  du  camp  de 
Maubeuge,  adressée  à  l'Assemblée  législative  et  communiquée  à  la  séance 
du  18;  le  ton  de  cette  protestation  choqua  les  députés  (Tourneux,  ibid.,  t.  IV, 
n°  23.224).  Par  cette  attitude,  La  Fayette,  selon  l'expression  de  Robespierre, 
venait  de  lever  l'étendard  de  la  révolte  contre  l'Assemblée  nationale  et  contre 
le  peuple  français.  Toutes  les  fractions  du  parti  révolutionnaire  furent 
d'accord  pour  flétrir  la  conduite  du  général.  Aux  yeux  de  Robespierre,  comme 
il  le  fera  ressortir  dans  un  article  suivant,  il  existait  une  analogie  entre  La 


l66  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

mée,  aux  gardes  nationales  et  à  la  nation,  comme  un  enne- 
mi de  la  liberté,  je  croyois  n'avoir  affaire  qu'à  un  général, 
au  chef  d'une  grande  faction,  mais  non  encore  au  dicta- 
teur de  la  France,  à  l'arbitre  de  l'Etat;  j'ignorois  que, 
quelques  jours  après,  vous  parleriez  en  maître  aux  repré- 
sentais de  la  nation;  j'étois  loin  de  prévoir,  que  vous  étiez 
assez  puissant  pour  vous  déclarer  ouvertement  le  législa- 
teur des  législateurs  même,  le  protecteur  des  rois,  l'adver- 
saire de  tous  les  bons  citoyens, 

Général,  je  m'abaisse  devant  tant  de  grandeur:  mais  je 
ne  me  sens  intimidé  ni  par  votre  puissance,  ni  par  vos  me- 
naces. Seulement,  la  réponse  que  je  me  proposois  de  vous 
faire,  embrassera  des  objets  plus  importans  et  plus  éten- 
dus. J'aurai  moins  à  m'occuper  de  vos  calomnies  que  de 
votre  rébellion;  et  même,  si  je  dis  un  mot  de  la  lettre  que 
vous  avez  dirigée  contre  moi,  ce  sera  uniquement  parce  que 
cette  démarche  est  liée  à  votre  système  de  conspiration  et 
de  tyrannie.  Je  vous  montrerai  à  la  France,  à  l'univers, 
tel  que  je  vous  ai  vu,  tel  que  vous  êtes;  la  postérité  vous 
connoîtra,  et  peut-être  la  nation  apprendra-t-elle  à  rougir 
à  la  fois  et  de  ce  que  vous  avez  été  et  de  ce  que  vous  voulez 
devenir  (2). 

Scrupuleux  zélateur  des  lois,  illustre  défenseur  de  la 
constitution,  que  diriez-vous  d'un  corps  armé  qui,  pour 

Fayette  attaquant  les  sociétés  populaires  et  Léopold  d'Autriche  lançant  son 
fameux  manifeste  contre  les  Jacobins. 

Laponneraye  a  publié  la  réponse  ci-dessus  de  Robespierre  (t.  I,  pp.  416  à 
442).  —  Bûchez  et  Roux  (t.  XV,  p.  69)  donne  in-extenso  la  lettre  de  La 
Fayette  à  l'Assemblée  que  le  Moniteur  du  19  ne  reproduit  qu'en  extrait.  L'His- 
toire parlementaire  publie  ensuite  l'article  de  Robespierre  (t.  XV,  pp.  78  à  98). 
—  Léonard  Gallois  cite  quelques  passages  de  cet  article  (pp.  126-127),  qu'Er- 
nest Hamel  étudie  et  analyse  (t.  II,  pp.  291  à  297). 

(2)  Comme  l'a  dit  Jaurès,  «  La  Fayette  apparaissait,  aux  yeux  de  Robes- 
pierre, comme  le  principal  obstacle  à  l'élan  de  la  démocratie  révolutionnaire  > 
(Histoire  socialiste,  p.  1166). 

«  Par  une  merveille  de  clairvoyance,  dit  G.  Michon  (ibid.,  p.  122),  Robes- 
pierre avait  perçu  les  desseins  de  La  Fayette,  de  Duport  et  des  Lameth. 
Ceux-ci  étaient  effectivement  partisans  d'un  coup  de  force  militaire.  A  la 
veille  de  la  déclaration  de  guerre,  La  Fayette,  d'accord  avec  les  généraux 
Luckner  et  Rochambeau,  avait  envoyé  à  Dumouriez  une  sorte  de  manifeste 
où  il  promettait  de  marcher  avec  les  ministres  girondins,  à  la  condition  que 
ceux-ci  s'engagent  à  faire  respecter  la  dignité  royale,  les  autorités  constituées, 
la  liberté  religieuse...  »  (Lettre  de  Dumouriez  à  Biron  du  27  avril  1792. 
Annales  Historiques  de  la  Révolution  française,  nov.  déc.  1924.  —  Mémoires 
de  La  Fayette,  t.  III,  p.  307). 


SIXIÈME   NUMÉRO  167 

votre  cause,  adresseroit  une  lettre  injurieuse  à  un  simple 
citoyen  pour  avoir  dit  son  opinion  sur  M.  Lafayette?  Que 
diriez-vous  de  deux  individus  qui  oseroient  faire  cette 
menace  au  nom  d'un  bataillon  de  gardes  nationales?  Que 
diriez-vous  encore,  grand  général,  si  M.  Lafayette  avoit 
lui-même  suggéré  cette  démarche,  au  moins  anti-constitu- 
tionnelle, s'il  l'avoit  ensuite  approuvée  solennellement,  et  si 
long-tems  après  la  date  de  cette  diatribe,  il  s'avisoit  de 
répondre  à  ceux  qui  l'ont  signée,  par  une  lettre  calomnieu- 
se, dirigée  contre  ce  même  citoyen,  objet  de  cette  ridicule 
persécution  ? 

Eh  bien!  général,  tels  sont  précisément  les  procédés  de 
M.  Lafayette  à  mon  égard;  tel  est  l'unique  objet  de 
la  courte  réponse  que  je  lui  dois  sur  ce  point. 

Vers  la  fin  d'avril,  je  reçois  une  lettre,  au  nom  du  batail- 
lon du  Gros-Cailloux,  où  l'on  m'apprend  que  les  vertus  de 
M.  Lafayette  sont  connues  dans  les  deux  mondes  ;  que  M. 
Lafayette  est  le  fondateur  de  la  liberté  américaine,  celui  de 
la  liberté  française;  d'où  l'on  conclut  que  je  suis  un  vil 
calomniateur,  puisque  j'ai  révoqué  en  doute  l'héroïsme 
civique  de  ce  grand  homme.  Je  cherche  à  m'assurer,  s'il 
est  possible,  que  les  citoyens  armés  d'une  section  de  la  capi- 
tale, aient  pu  descendre  à  cet  excès  d'avilissement  ;  et  je  me 
rassure  en  voyant  que  cette  lettre  n'est  signée  que  d'un 
sieur  Hollier,  commandant,  et  d'un  sieur  Giraud  qui  se 
qualifie  de  fusilier,  secrétaire  du  conseil  de  discipline,  qui 
disent  parler  au  nom  du  bataillon;  je  vois  la  preuve  écrite 
que  les  citoyens  armés  du  Gros-Cailloux,  dont  j'avois  vu 
moi-même,  peu  de  jours  auparavant,  éclater  le  civisme 
dans  une  circonstance  décisive,  n'avoient  eu  aucune  part  à 
cette  démarche  servile  et  illégale.  Cependant  l'ouvrage  de 
ces  deux  individus  est  publié,  au  même  instant,  comme  dé- 
libération du  bataillon  du  Gros-Cailloux,  dans  toutes  les 
espèces  de  journaux  possibles  (3). 

(3)  Vers  la  fin  du  mois  d'avril,  en  effet,  Robespierre  avait  reçu  une  lettre, 
rédigée  au  nom  du  bataillon  du  Gros-Caillou,  où  on  lui  reprochait  amèrement 
de  révoquer  en  doute  les  vertus  civiques  de  La  Fayette  et  où  on  le  sommait, 
sous  peine  de  passer  pour  un  calomniateur,  de  produire  devant  les  tribunaux 
les  preuves  de  ses  dénonciations.  Cette  lettre  était  signée  :  Hollier  comman- 
dant et  Giraud,  se  qualifiant  fusilier,  secrétaire  du  Conseil  de  discipline  du 
bataillon,  l'un  et  l'autre  sans  mandat  spécial  dudit  bataillon  connu  pour  son 
civisme  ardent.  (Hamel,  t.  II,  p.  290). 


l68  '    LE   DÉFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

Peut-être  un  général  d'armée,  un  dictateur  présomptif, 
a-t-il  une  manière  d'interpréter  la  constitution,  différente 
de  celle  des  simples  citoyens:  pour  moi,  général,  je  vous 
avoue,  qu'à  mon  sens,  la  constitution  défend  aux  corps 
armés  de  délibérer,  et  comme  un  bataillon  de  gardes  natio- 
nales ne  peut  prendre  la  résolution  de  se  déclarer  le  cham- 
pion de  M.  Lafayette  contre  un  individu,  sans  une  délibé- 
ration préalable  sur  ce  point,  je  conclus  que  le  bataillon  du 
Gros-Cailloux  auroit  violé  la  constitution  en  votre  faveur, 
si  c'étoit  lui  qui  eût  fait  la  démarche  dont  je  parle;  mais, 
comme  il  est  prouvé  qu'elle  est  uniquement  le  fait  de  deux 
de  vos  créatures  qui  vous  flagornent  avec  une  liberté  dont 
votre  modestie  doit  être  offensée,  il  s'ensuit  que  la  viola- 
tion de  la  loi  est  encore  plus  criminelle;  et  que  l'on  pour- 
roit  soupçonner  même  qu'elle  ne  vous  est  point  tout  à  fait 
étrangère  ..  Remarquez  bien,  général,  que  je  ne  parle  point 
ici  de  la  liberté  civile,  de  la  probité,  de  l'honneur,  qui  ne 
permet  point  de  menacer  un  individu  de  la  vengeance  d'une 
corporation  armée,  mais  de  la  loi,  mais  de  la  constitution, 
dont  le  nom  est  sans  cesse  dans  votre  bouche. 

Pour  moi,  général  protecteur,  j'ai  dédaigné  de  répondre 
à  cette  insulte  de  vos  deux  protecteurs  et  de  vos  deux  pro- 
tégés, les  sieurs  Hollier  et  Giraud;  mais  vous  n'avez  pas 
dédaigné  de  vous  approprier  leur  ouvrage.  La  lettre  qu'ils 
m'avoient  adressée,  malgré  tous  les  journaux  qui  l'avoient 
publiée,  dormoit,  depuis  deux  mois,  ensevelie  dans  les  ténè- 
bres, lorsque  vous  avez  cru  devoir  la  remettre  sous 
les  yeux  du  public,  en  vous  faisant  écrire,  par  les  mêmes 
hommes,  une  lettre  d'envoi  de  cette  missive,  pour  y  répon- 
dre dans  les  papiers  publics,  à  la  face  de  la  France  entiè- 
re (4).  Cette  lettre  d'envoi  est  digne  des  plus  stupides  de 
vos  adulateurs  ;  mais  combien  l'extrême  platitude  de  votre 
réponse  contraste  avec  la  grandeur  du  rôle  que  vous  affec- 
tez! Vous  saisissez  cette  occasion,  pour  justifier  l'étrange 
inaction  dont  la  France  entière  vous  accuse,  en  la  rejetant 
sur  le  défaut  des  préparatifs  de  guerre  (5),  en  faisant 

(4)  Chronique  de  Paris,  14  juin  1792. 

(5)  Mais  comment  osez-vous  prétendre  que  les  mesures  qui  auraient  dû 
être  prises  à  l'instant  même  de  la  déclaration  de  la  guerre,  ont  été  omises; 
lorsque,  même  avant  la  déclaration,  N.  Narbonne  qui  la  provoquoit,  assuroit 


SIXIÈME   NUMÉRO  IÔQ 

l'éloge  des  travaux  auxquels  vous  vous  livriez,  pour  répa- 
rer cette  omission,  en  expliquant  pourquoi  vous  avez  laissé 
jusqu'ici  à  nos  ennemis  le  tems  de  se  fortifier.  Pendant  que 
je  me  livrois  à  ces  soins,  dite  s- vous,  les  ennemis  rassem- 
blaient leurs  forces...  Ainsi  donc  vous  voulez  nous  disposer 
d'avance  à  voir  de  nouveaux  ennemis  se  liguer  contre  nous, 
sans  qu'on  vous  en  impute  la  faute  !  Mais  il  faut  embrasser 
votre  pensée  toute  entière. 

Tandis  que  je  me  livrois  à  ces  soins,  les  ennemis  inté- 
rieurs se  rassemblaient,  et  M.  Robespierre  me  calomnioit 
à  la  tribune  des  Jacobins.  Heureux  rapprochement  '  des 
armées  étrangères  que  rassemblent  les  tyrans,  et  des  dis- 
cours où  je  rappelois  toutes  les  atteintes  que  vous  avez  por- 
tées à  la  constitution,  et  qui  rendoient  suspecte  la  dictature 
militaire  dont  vous  vous  êtes  fait  revêtir!  Admirable  ma: 
nière  de  vous  justifier,  en  mettant  sur  la  même  ligne,  le 
roi  de  Hongrie,  le  roi  de  Prusse  et  un  de  vos  anciens  col- 
lègues, aujourd'hui  simple  citoyen,  par  sa  volonté  (6),  à 
qui  vos  pareils  n'ont  jamais  reproché  qu'un  trop  grand 
amour  pour  le  bien  public,  et  une  antipathie  invincible  pour 
toutes  les  factions!  Combien  cet  excès  d'ineptie  décèle 
d'embarras,  et  comme  il  annonce  la  crainte  de  voir  une 
grande  conspiration  apperçue,  au  moment  même  où  elle 
doit  éclater  ! 

Mais  c'en  est  assez  sur  ce  qui  peut  avoir  quelque  relation 
avec  moi,  et  je  ne  regarde  cette  partie  de  ma  réponse  que 
comme  une  introduction  à  l'histoire  de  vos  attentats  contre 
la  patrie,  et  au  développement  de  vos  trames  ambitieuses. 
Je  vais  les  suivre  depuis  votre  début  dans  la  carrière  de  la 
révolution,  jusqu'au  dernier  acte  par  lequel  vous  venez  de 
lever  l'étendard  de  la  révolte  contre  l'Assemblée  nationale 
et  contre  le  peuple  français. 

solennellement  l'Assemblée  nationale,  que  tous  les  préparatifs  étoient  faits 
pour  l'entreprendre  avec  le  plus  grand  succès;  et  que  M.  Lafayette  a  écrit 
lui-même  une  lettre  publique,  où  il  se  déclaroit  l'ami  de  M.  Narbonne  lui- 
même,  et  présentoit  ce  dernier  comme  un  ministre  aussi  éclairé  que  patriote, 
comme  un  des  héros  et  des  libérateurs  de  son  pays?  Pour  avoir  le  privilège 
de  se  contredire  ainsi,  il  faut  sans  doute,  comme  le  général  dictateur,  être 
également  au-dessus  des  lois  et  de  la  raison.  (.Note  de  Robespierre). 

(6)  La  Fayette,  député  de  la  noblesse  de  Riom  aux  Etats  généraux  avait 
été  le  collègue  de  Robespierre  à  l'Assemblée  constituante. 


170  ;  LE   DÉFENSEUR   DE  LA   CONSTITUTION 

Celui  qui  s'étonneroit  de  votre  importance,  en  la  compa- 
rant avec  vos  qualités  personnelles,  prouveroit  qu'il  vous 
apprécie  mieux  qu'il  ne  juge  les  véritables  causes  des  évé- 
nemens.  Tel  homme  occupe  un  si  grand  espace  dans  le 
monde  politique,  qui  n'est  souvent  qu'un  atome  dans  le 
monde  moral;  et  celui  qui  paroît  un  colosse  aux  yeux  de 
la  postérité,  n'étoit  quelquefois  aux  yeux  de  ceux  qui  l'ont 
vu  de  près,  qu'un  méprisable  intrigant,  mieux  servi  par  les 
circonstances  et  par  les  vices  mêmes,  que  par  son  propre 
génie.  S'il  est  vrai  que  les  grandes  vertus  et  les  talens 
sublimes  peuvent  seuls  exercer  une  grande  influence  chez 
un  peuple  libre,  l'intrigue  et  la  finesse  peuvent  souvent 
l'usurper,  chez  une  nation  qui  passe  subitement  de  l'escla- 
vage à  la  liberté,  et  dont  les  mœurs  sont  encore  en  contra- 
diction avec  les  principes  de  son  nouveau  gouvernement. 
Aussi,  l'espèce  de  célébrité  qui,  jusqu'ici  a  accompagné 
Lafayette,  est  due,  toute  entière  aux  défauts  de  notre 
nation;  et  les  préjugés  même  de  l'ancien  régime  ont  assuré 
ses  succès,  dans  la  révolution  qui  devoit  les  détruire. 
D'ailleurs,  s'il  faut  du  génie  pour  fonder  la  liberté,  il  ne 
faut  que  des  talens  médiocres  et  vils  pour  la  détruire,  et  le 
talent  de  Lafayette  ne  fut  que  celui  de  la  destruction. 

Vous  aviez  assisté  à  la  révolution  d'Amérique  :  c'en  étoit 
assez  à  vos  yeux  et  à  ceux  de  vos  partisans,  pour  associer 
votre  nom  à  celui  de  Washington,  et  pour  vous  désigner 
comme  le  héros  de  la  liberté  française.  Mais  c'est  le  carac- 
tère, c'est  la  nature  des  talens  d'un  homme  qui  détermine 
le  genre  de  son  ambition. 

Lié  à  nos  anciens  oppresseurs,  allié  à  une  famille  célèbre 
dans  les  fastes  des  cours,  par  la  science  héréditaire  de  l'in- 
trigue et  de  l'adulation  (7),  dénué  des  vertus  mâles  qui 
caractérisent  les  hommes  libres,  votre  âme  ne  pouvoit  être 
sensible  à  la  gloire  de  relever  la  dignité  humaine  et  la  puis- 
sance du  peuple  français,  sur  les  principes  régénérateurs 
de  la  justice  et  de  l'égalité  ;  vous  ne  vouliez  qu'une  révolu- 
tion mesurée  sur  vos  préjugés  aristocratiques  et  sur  votre 

(7)  La  Fayette  avait  épousé,  le  n  avril  1774,  la  fille  du  duc  d'Ayen,  de  la 
famille  de  Noailles  qui  brilla  constamment  à  la  cour  de  Louis  XIV,  de 
Louis  XV  et  de  Louis  XVI  ;  elle  descendait  du  maréchal  de  Noailles  et  d'une 
nièce  de  Madame  de  Maintenon. 


SIXIÈME    NUMÉRO  I7I 

intérêt  personnel.  Vos  moyens  furent  dignes  de  votre  but, 
de  l'éducation  que  vous  aviez  reçue,  dans  la  plus  corrompue 
de  toutes  les  cours,  des  passions  viles  et  de  la  faus- 
seté native  dont  vous  aviez  déjà  donné  des  preuves. 

Appelé  à  l'Assemblée  constituante  par  le  choix  de  votre 
caste,  quavez-vous  fait  pour  mériter  le  titre  de  représen- 
tant de  la  nation  et  pour  soutenir  le  rôle  de  législateur  ?  Ici, 
vous  êtes  bien  facile  à  apprécier,  par  vos  discours  et  par 
vos  actes  publics. 

Vous  avez  proposé,  il  est  vrai,  sous  le  nom  de  déclaration 
des  droits,  deux  ou  trois  adages  assez  banaux  (8)  infini- 
ment au-dessous  de  tous  les  autres  projets  présentés  par 

(8)  Ceci  me  rappelé  un  trait  de  la  politique  de  M.  Lafayette,  qui  me  paroit 
en  même  tems  une  preuve  de  la  défiance  avec  laquelle  il  faut  lire  l'histoire. 
M.  Lafayette  a  trouvé  le  moyen  de  se  faire  célébrer  par  l'un  des  plus  éloquens 
défenseurs  des  droits  de  l'humanité.  M.  Penne  (sic),  dans  sa  réponse  à 
à  M.  Burck,  se  livre  à  de  longs  épisodes  sur  M.  Lafayette,  qu'il  semble 
regarder  de  bonne  foi,  comme  l'un  des  fondateurs  de  la  liberté  française. 
Il  a  commis  particulièrement  deux  erreurs  de  fait,  contre  lesquelles  il  faut 
prévenir  le  public,  et  dont  il  est  bon  de  le  détromper  lui-même.  Il  suppose 
que  M.  Lafayette  fut  élu  vice-président  de  l'Assemblée  constituante,  parce 
que  dans  les  premiers  jours  de  la  révolution,  on  avoit  besoin  d'un  homme 
plus  ferme  que  le  président  qui  étoit  alors  en  fonction,  pour  lutter  contre  la 
puissance  de  la  cour;  et  il  observe  que  c'est  la  seule  fois  qu'on  nomma  un 
vice-président.  Il  dit  encore,  que  M.  Lafayette  s'est  hâté  de  proposer  sa 
déclaration  des  droits,  toute  mesquine  qu'elle  étoit,  afin  que  dans  le  cas  où 
l'Assemblée  seroit  dissoute,  il  restât  un  monument  de  ce  qu'elle  vouloit  faire 
pour  le  bonheur  public.  Il  est  vrai  que  M.  Penne  cite  pour  garant  de  ces  faits, 
M.  Lafayette  lui-même,  avec  lequel  il  avoue  qu'il  est  lié  depuis  plusieurs 
années. 

Comme  témoin  oculaire  de  ces  événemens,  j'atteste  que  l'Assemblée  nomma 
un  vice-président  dans  l'occasion  dont  je  parle,  non  par  le  motif  extraordi- 
naire que  suppose  M.  Penne,  mais  uniquement  parce  que  l'Assemblée  s'étant 
déclarée  permanente,  et  l'archevêque  de  Vienne,  alors  président,  étant  d'un 
âge  trop  avancé  pour  présider  la  nuit  et  le  jour,  on  sentoit  la  nécessité  de  lui 
donner  un  suppléant.  J'atteste,  au  surplus,  qu'il  n'y  avoit  point  alors  dans 
l'Assemblée  un  membre  dont  le  courage  ne  fût  au  dessus  des  menaces  de  la 
cour,  comme  l'a  prouvé  le  serment  unanime  du  jeu  de  paume  et  tous  les 
événemens  qui  ont  signalé  cette  première  époque  de  la  liberté.  Quant  à  la 
déclaration  des  droits  de  M.  Lafayette,  et  au  motif  héroïque  que  M.  Penne 
lui  prête,  d'après  M.  Lafayette  lui-même,  je  m'en  rapporte  à  la  conduite  de 
ce  dernier  et  à  tous  les  faits  développés  dans  cet  écrit.  (Note  de  Robespierre). 

—  Thomas  Paine  (1737- 1809),  écrivain  anglais,  partisan  de  la  Révolution 
française,  entama,  en  1790,  avec  Burke,  une  polémique  célèbre  concrétisée 
dans  son  ouvrage  sur  les  Droits  de  l'Homme  (The  Rigts  of  Man)  qui  lui 
valut  des  poursuites  et  une  condamnation.  Réfugié  en  France,  il  fut  élu 
député  à  la  Convention  par  quatre  départements:  l'Aisne,  l'Oise,  le  Puy-de- 


I72  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

plusieurs  membres,  et  qui,  pour  cette  même  raison,  furent 
préférés  au  vôtre  par  la  majorité  de  l'Assemblée  nationale. 
Ensuite,  content  d'avoir  posé  cette  base  de  votre  réputation 
civique,  vous  n'avez  plus  rien  dit,  ni  fait,  qui  ne  démentit 
ces  principes  sacrés,  que  vous  aviez  vous-même  reconnus. 
Mes  preuves  sont  vos  propres  œuvres,  que  je  vais  rapide- 
ment passer  en  revue. 

Dès  les  premiers  jours  de  la  révolution,  vous  avez  pro- 
voqué les  anathèmes  de  l'Assemblée  nationale  contre  les 
Marseillois,  parce  qu'à  l'exemple  des  destructeurs  de  la 
Bastille,  ils  démolissoient  une  odieuse  forteresse,  où 
Louis  XIV  avoit  mis  cette  inscription  injurieuse:  «  cette 
citadelle  a  été  élevée  pour  contenir  Marseille  trop  éprise  de 
la  liberté  »  (9). 

Vous  vous  êtes  opposé  à  ce  que  l'Assemblée  constituante 
lût  l'adresse  qui  lui  étoit  présentée  par  les  Brabançons,  au 
moment  où  ils  venoient  de  secouer  le  joug  autrichien  (10). 

Vous  avez  combattu  le  principe  fondamental  du  projet 
de  décret  sur  le  droit  de  paix  et  de  guerre  qui  a  prévalu, 
pour  faire  remettre  entre  les  mains  du  roi  le  pouvoir  de 
faire  l'une  et  l'autre,  sans  l'aveu  de  l'Assemblée  natio- 
nale (11). 

Dôme  et  le  Pas-de-Calais;  il  opta  pour  ce  dernier.  T.  Paine  soutint  la  poli- 
tique des  Girondins. 

La  Fayette  a,  en  effet,  présenté,  le  n  juillet  1789,  la  première  déclaration 
«  européenne  »  des  droits  de  l'homme  et  du  citoyen  (E.  Charavay  :  Le  général 
La  Fayette,  p.  173  et  pièces  justificatives  n°  XV).  —  Il  fut  élu  le  13  du 
même  mois,  président  de  l'Assemblée  dont  il  dirigea  les  débats,  le  lendemain 
14,  le  jour  de  l'insurrection  parisienne  et  de  la  prise  de  la  Bastille  {Ibid., 
p.  174). 

L'archevêque  de  Vienne,  président  de  l'Assemblée,  dont  Robespierre  parle 
dans  sa  note  ci-dessus,  est  Le  Franc  de  Pompignan  (Jean-Georges),  député  du 
clergé  des  Etats  du  Dauphiné  qui  était  âgé  de  près  de  80  ans;  il  avait  été 
nommé  par  le  roi  ministre  d'Etat  sans  portefeuille,  le  5  août  1789;  il  mourut 
le  30  décembre  1790. 

(9)  Le  12  mai  1790,  il  avait  approuvé  les  mesures  prises  par  le  Ministère 
contre  les  troubles  de  Marseille.  (Cf.  Charavay,  ibid.,  p.  219). 

(10)  En  octobre  1789,  une  révolution  avait  éclatée  dans  le  Brabant  contre  la 
maison  d'Autriche.  Le  Ministère  français,  pour  éviter  une  guerre  avec  cette 
puissance  avait  refusé,  en  mars  1790,  d'ouvrir  les  lettres  que  le  Congrès  belge 
lui  écrivait  et  dans  la  séance  de  l'assemblée  du  17  de  ce  mois,  La  Fayette 
<  avait  approuvé  l'attitude  du  comte  de  Montmorin  >.  (Cf.  Charavay,  ibid., 
p.  215). 

(11)  Séance  du  22  mai  1790,  au  cours  de  laquelle  Lafayette  soutint  la  rédac- 
tion de  Mirabeau  qui  fut  adoptée.  (Cf.  Charavay,  ibid.,  p.  220). 

A  cette  occasion,  La  Fayette  écrivait  à  son  cousin,  le  marquis  de  Bouilli, 


SIXIÈME   NUMERO  173 

Vous  avez  précipité  le  décret  inique  et  sanguinaire  qui 
a  immolé  les  soldats  de  Nancy,  par  les  mains  du  perfide 
Bouille;  vous  vous  êtes  opposé  de  tout  votre  pouvoir  aux 
délais  nécessaires  demandés,  pour  éclairer  l'Assemblée 
nationale  sur  la  vérité  des  faits  ;  vous  avez  fait  décerner  à 
ce  même  Bouille,  une  couronne  civique,  pour  les  avoir 
égorgés;  vous  avez  fait  perpétuer  par  des  fêtes  funèbres 
le  souvenir  de  cette  horrible  événement  (12). 

Vous  avez  provoqué  l'amnistie  qui  a  effacé  et  encouragé 
tous  les  complots  des  ennemis  de  la  révolution  (13). 

C'est  vous  aussi  qui,  à  force  d'importunités,  et  par  des 
moyens  plus  criminels  encore,  avez  arraché  à  l'Assemblée 
nationale  cette  loi  martiale  dont  l'idée  seule  lui  avoit  fait 
horreur  (14). 

Telles  sont  les  lois  que  la  France  et  l'humanité  doivent  à 
votre  patriotisme  et  à  votre  génie.  Devenu  presque  étran- 
ger aux  séances  du  corps  législatif,  vous  ne  reparoissiez 
dans  son  sein  que  dans  les  occasions  où  il  s'agissoit  d'assu- 
rer un  grand  avantage  à  la  cour,  ou  de  porter  un  grand 
coup  aux  droits  du  peuple.  Votre  présence  seule  avertissoit 
les  bons  citoyens  qu'un  projet  perfide  contre  la  liberté  étoit 
à  l'ordre  du  jour;  et  pleins  d'une  sainte  frayeur  à  votre 
aspect,  ils  vous  comparoient  à  ces  astres  irréguliers  dont 
l'apparition  ne  présage  que  des  calamités. 

Voilà  Lafayette  comme  législateur  et  comme  représen- 
tant de  la  nation;  mais  il  a  lui-même  abandonné,  en  quel- 
que sorte  ses  fonctions  ;  ce  n'est  point  sous  ce  rapport  qu'il 
est  connu  du  public  ;  c'est  comme  intrigant  et  comme  chef 
de  parti  qu'il  a  joué  un  rôle  dans  la  révolution.  Egalement 
dépourvu  des  lumières  du  philosophe  et  des  qualités  de 

que  la  question  sur  la  paix  et  la  guerre  avait  séparé  son  parti  en  monarchi- 
ques et  en  républicains...  (Lettre  du  20  mai.  Cf.  Charavay,  ibid.,  p.  221). 

(12)  La  répression  violente  de  l'insurrection  militaire  des  troupes  de  Nancy 
par  le  marquis  de  Bouille  obtint  l'approbation  enthousiaste  de  La  Fayette. 
(Séance  du  31  août  1790).  Il  repoussa  la  demande  d'enquête  réclamée  par 
Robespierre  et  exigea  l'application  immédiate  du  décret  rendu  contre  les 
soldats  rebelles.  Il  écrivit  à  son  cousin  pour  le  féliciter.  Cette  attitude  provo- 
qua à  Paris  une  émotion  populaire;  la  foule  vint  manifester,  le  2  septembre, 
devant  l'Assemblée  nationale.  (Cf.  Charavay,  ibid.,  pp.  243,  244). 

(13)  Le  13  septembre  1791,  La  Favette  fit  décréter  l'amnistie  générale  pro- 
posée par  le  roi.  (Cf.  Charavay,  ibid.,  p.  276). 

(14^  La  loi  martiale  contre  les  attroupements  fut  votée  le  21  octobre  1789, 
malgré  l'opposition  de  Robespierre. 


174  LE   DEFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

l'orateur,  réduit  au  mince  talent  de  réciter  par  cœur  quel- 
ques phrases  banales,  avec  le  ton  froid  et  monotone  d'un 
écolier  embarrassé,  la  nature  même  l'avertissoit  de  fuir  la 
tribune  de  la  liberté;  il  se  réfugia  dans  les  conciliabules 
mystérieux  et  dans  les  ténèbres  de  l'intrigue.  Dès  qu'il  vit 
la  révolution  prendre  un  cours  rapide,  qui  pouvoit  déran- 
ger les  combinaisons  de  sa  petite  ambition,  il  se  réunit  à  la 
cour  et  à  tous  les  ennemis  de  l'égalité  nolitique,  pour  l'ar- 
rêter. Le  poste  le  plus  important  à  l'exécution  de  ce  projet 
étoit  celui  de  chef  de  la  force  armée  de  la  capitale,  centre 
de  tous  les  mouvemens  politiques  :  il  s'en  empara.  Le  peu- 
ple entier  avoit  renversé  la  Bastille,  et  tout,  au  même  ins- 
tant, étoit  rentré  dans  un  calme  maiestueux.  Lafayette 
vient  à  Paris  ;  il  se  rend  à  l'hôtel  de  ville  ;  quelques-uns  de 
ses  affidés  proposent  de  le  nommer  commandant-général 
de  la  garde  nationale  parisienne;  cette  proposition  n'est 
point  combattue,  et  le  voilà  commandant-général  (15). 

Dès  ce  moment  il  commence  à  jeter  les  fondemens  du 
gouvernement  militaire.  La  garde  nationale,  que  la  liberté 
avoit  enfantée,  étoit  le  peuple  entier  qui  avoit  abattu  le  des- 
potisme; Lafayette  met  tout  en  œuvre  pour  la  réduire  à 
une  corporation  particulière;  il  cherche  à  lui  donner  l'es- 
prit et  les  usages  des  corps  militaires  que  le  despotisme 
avoit  institués,  à  la  séparer  du  reste  des  citoyens  par  des 
distinctions  extérieures;  il  la  surcharge  de  décorations, 
multiplie  à  l'infini  le  nombre  des  officiers,  crée  un  état-ma- 
jor nombreux,  brillant  d'épaulettes,  composé  tout  entier  de 
ses  créatures,  d'hommes  attachés,  pour  la  plupart,  aux 
abus  de  l'ancien  régime,  dévoués  à  ses  volontés  ;  il  s'envi- 
ronne d'une  légion  d'aides-de-camp;  il  appelé  cette  garde 
nationale,  l'armée  parisienne;  il  cherche  à  l'attacher  à  sa 
personne  par  tous  les  petits  moyens  qu'un  intrigant  adroit 
sait  employer.  Tandis  que  ses  partisans  vantent  ses  exploits 
héroïques  dans  la  révolution  américaine,  et  le  proclament 

(15)  Le  15  juillet  1789,  l'Assemblée  des  électeurs  et  des  citoyens  de  Paris 
avait  proclamé  La  Fayette  commandant  général  de  la  milice  parisienne,  en 
même  temps  que  Bailly,  maire  de  Paris.  Le  lendemain  16,  La  Fayette  fit 
décider  que  le  corps  militaire  auquel  seraient  confiées  la  garde  et  la  tranquil- 
lité de  la  ville,  recevrait  le  nom  de  «  Garde  nationale  de  Paris  »  (S.  Lacroix, 
Actes  de  la  Commune  de  Paris,  xn  série,  t.  I,  pp.  69-70.  -  Cf.  Charavay, 
ibid,  pp.  175  à  178). 


SIXIÈME   NUMÉRO  175 

déjà  le  Washington  français,  il  achève  de  conquérir  les 
cœurs  faciles  par  l'usage  des  caresses,  qu'il  pousse  jusqu'à 
la  coquetterie,  par  ce  sourire  méchanique  (sic)  qui  lui  est 
propre,  et  par  le  maniement  du  chapeau,  que  l'on  peut 
compter  parmi  ses  plus  grands  moyens  de  popularité. 

Pour  mieux  cimenter  son  empire,  il  introduit  dans  la 
garde  nationale  une  discipline  militaire,  semblable  à  celle 
des  troupes  de  ligne  (16)  ;  il  se  comporte  en  tout,  non  comme 
le  commandant  des  citoyens  d'une  ville  libre,  mais  comme 
le  général  d'une  armée  toujours  en  présence  de  l'ennemi. 
Pour  augmenter  son  crédit  et  son  importance,  il  sème  de 
tems  en  tems  des  terreurs  paniques,  présage  des  émeutes, 
fait  retentir  tour-à-tour  aux  oreilles  des  citoyens  crédules 
les  mots  de  brigands  et  d'aristocrates  ;  il  donne  souvent  la 
garde  nationale  en  spectacle,  dans  des  exercices  militaires, 
et  se  plaît  à  déployer  aux  yeux  du  peuple  tout  l'appareil  de 
la  force  armée.  Les  brigands  alors  n'étoient  qu'un  épou- 
vantail;  les  aristocrates  étoient  réduits  à  fuir  ou  à  se  ca- 
cher; la  liberté  et  la  tranquillité  publique  reposoient  à  la 
fois  sur  la  volonté  générale  et  sur  la  force  invincible  des 
citoyens  de  la  capitale  ;  et  cependant  une  multitude  d'hom- 
mes abusés  croyaient  stupidement  devoir  à  Lafayette  la 
liberté  de  l'empire  et  la  paix  de  leurs  foyers.  Lafayette 
devint  l'idole  des  accapareurs,  des  financiers,  des  agioteurs, 
de  tous  les  bourgeois  orgueilleux  et  égoïstes. 

En  captivant  l'armée  parisienne,  il  vouloit  régner  dans 
Paris.  Investi  de  ce  pouvoir,  il  le  tourna  bientôt  contre  les 
citoyens  dont  les  lumières  et  l'énergie  lui  faisoient  ombra- 
ge ;  il  ne  pardonna  à  aucun  de  ceux  qui  avoient  montré  un 
caractère  de  patriotisme  décidé.  Il  persécuta  les  vainqueurs 
de  la  Bastille,  et  les  écarta  de  toutes  les  places  ;  il  poursuivit 
avec  le  même  acharnement  les  gardes-françaises.  Dès  les 
premiers  tems  de  la  révolution,  il  osa,  sans  aucune  forme 
de  procès,  faire  environner  d'une  multitude  d'hommes  et 
de  canons  un  grand  nombre  de  soldats  de  cette  légion  im- 
mortelle dans  les  fastes  de  la  liberté,  les  désarma,  et  les 

(16)  Règlement  de  l'organisation  de  la  Garde  nationale,  rédigé  par  Mathieu 
Dumas  et  présenté  à  l'Assemblée  par  La  Fayette  le  31  juillet  178g.  (S.  La- 
ceoix,  ibid.,  ir«  série,  t.  I,  p.  64.  -  Cf.  Charavay,  ibid.,  p.  183). 


176  LE   DÉFENSEUR   DE   LA  CONSTITUTION 

expulsa  avec  ignominie  (17);  il  destitua  despotiquement 
les  grenadiers  de  l'Oratoire,  pour  punir  leur  attachement 
à  la  cause  du  peuple  (18);  il  exerça  la  même  tyrannie  con- 
tre tous  les  citoyens  de  la  garde  nationale  qui  refusèrent 
de  lui  sacrifier  leurs  principes  ou  leur  civisme  ;  il  poussa  le 
mépris  des  lois  au  point  de  nommer  de  son  autorité  privée 
des  conseils  de  guerre  pour  juger  les  officiers  qui  lui  déplu- 
rent. Son  despotisme  s'étendoit  sur  tous  les  citoyens.  A 
peine  avoit-il  été  nommé  commandant  de  la  garde  natio- 
nale, qu'il  avoit  fait  dissiper,  par  violence,  tous  ceux  qui  se 
réunissoient  paisiblement  dans  les  lieux  publics,  pour 
s'entretenir  de  l'intérêt  commun.  On  pouvoit  parler  libre- 
ment du  roi,  de  l'Assemblée  nationale  même;  mais  c'étoit 
un  crime  de  médire  de  Lafayette.  Ses  partisans  fanatiques, 
les  mouchards  de  l'ancienne  police  qu'il  soudoyoit,  renou- 
velèrent bientôt  toutes  les  horreurs  de  l'espionnage  sous  le 
règne  de  la  liberté  naissante.  Déjà  les  signes  du  ressenti- 
ment de  Lafayette,  ou  les  caprices  de  ses  satellites,  rempla- 
çoient  les  lettres  de  cachet  ;  et  les  premiers  attentats  contre 
la  liberté  individuelle,  furent  commis  ou  nom  de  celui  qui 
avoit  proposé  une  déclaration  des  droits  de  l'homme  et  du 
citoyen. 

Les  aristocrates  absolus  se  rapprochèrent  de  vous,  dès 
qu'ils  vous  virent  adopter  un  système  favorable  à  leurs 
vues;  la  cour  crut  trouver  en  vous  un  appui  nécessaire; 
vous  l'aidiez  de  tout  votre  crédit  pour  accroître,  chaque 
jour,  sa  puissance  et  ses  trésors  ;  vous  vous  serviez  vous- 
même  du  nom  du  (sic)  et  de  l'autorité  du  roi,  pour  cimen- 

(17)  Le  22  octobre  1789,  après  le  meurtre  du  boulanger  François,  La 
Fayette  fit  arrêter  et  traduire  devant  un  Conseil  de  guerre  les  gardes  fran- 
çaises coupables  de  n'avoir  pas  su  protéger  ce  malheureux.  (Cf.  S.  Lacroix, 
ibid.,  1™  série,  t.  II,  p.  382). 

Le  Ier  janvier  1790,  il  réprima  une  rébellion  des  soldats  grenadiers  de  la 
Garde  nationale,  en  les  faisant  arrêter  au  nombre  de  234,  dépouiller  de  leurs 
habits  et  de  leurs  armes,  et  conduire  à  la  prison  du  dépôt  de  Saint-Denis.  (Cf. 
S.  Lacroix,  ibid.,  i1*  série,  t.  III,  p.  429-435.  -  Tourneux,  Bibliographie, 
etc.,  t.  I,  n°  1662). 

(18)  Le  18  avril  1791,  au  moment  du  projet  de  départ  du  roi  pour  Saint- 
Cloud,  dont  il  sera  parlé  ci-après,  la  compagnie  des  grenadiers  soldés  de  la 
VI*  division,  dite  de  l'Oratoire,  fut  dissoute  pour  avoir  fraternisé  avec  le 
peuple,  lors  de  l'émeute  qui  voulait  empêcher  le  départ  du  roi.  (Cf.  S.  La- 
croix, ibid.,  2*  série,  t.  III,  p.  784.  —  Tourneux,  Bibliographie,  t.  II,  n08 
8-559  et  8.560). 


SIXIÈME    NUMÉRO  177 

ter  votre  pouvoir.  Dès  le  moment  où  vous  aviez  été  appelé 
à  la  place  de  commandant  de  la  garde  nationale,  vous 
aviez  déclaré  que  vous  ne  l'accepteriez  qu'avec  le  consen- 
tement du  roi.  Le  peuple  ne  pouvoit  sentir  encore  combien 
cette  démarche  étoit  attentatoire  à  ses  droits  et  aux  prin- 
cipes de  la  liberté.  Louis  XVI  crut,  sans  doute,  sur  votre 
parole,  que  vous  n'aviez  accepté  cet  emploi  que  pour  le  ser- 
vir. Vous  aviez,  en  même  temps  (19),  dans  l'Assemblée 
nationale,  un  parti  considérable  composé  de  patriotes  foi- 
bles  et  ignorans,  sans  compter  la  faction  aristocratique, 
toujours  disposé  à  seconder  la  vôtre  contre  les  véritables 
défenseurs  de  la  liberté.  Vous  étiez  devenu  une  espèce  de 
médiateur  entre  la  cour  et  le  corps-  législatif,  l'arbitre  de 
tous  les  partis  ;  votre  table  étoit  le  point  de  réunion  de  tou- 
tes les  dupes  et  de  tous  les  frippons  politiques;  et  votre 
cabinet,  le  centre  de  toutes  les  négociations  contre  la  liber- 
té. Les  membres  mêmes  du  comité  de  constitution  le  fré- 
quentoient  assez  assidûment;  car,  si  vos  connoissances  en 
législation  étoient  bornées,  vous  étiez  assez  habile  en  intri- 
gues, et  si  vous  ignoriez  comment  on  fait  de  bonnes  lois, 
vous  saviez  asez  bien  l'art  d'en  faire  adopter  de  mauvaises. 
Au  défaut  des  lumières  de  la  philosophie,  vous  pouviez 
répandre  les  largesses  de  la  cour  et  verser  des  pluies  d'or 
ou  d'assignats  (20). 

Faire  reculer  la  révolution  étoit  l'expression  favorite  de 
Laf ayette,  et  l'objet  de  tous  ses  vœux  ;  et  soit  qu'il  faille  en 
faire  honneur  à  son  propre  génie  ou  à  celui  de  ses  conseils, 
il  faut  convenir  qu'il  employa  des  moyens  très  ingénieux 
pour  parvenir  à  ce  but.  C'est  lui  qui  forma  le  premier 
schisme  entre  les  patriotes,  en  instituant  le  club  de 
1789  (21),  pour  l'opposer  à  celui  des  amis  de  la  constitu- 
tion; c'est  lui  qui  fonda  ces  sociétés  anti-populaires,  où 
l'intrigue  et  la  machiavélisme  s'exerçoient  dans  l'art  de 

(19)  Contrairement  à  son  habitude,  Robespierre  écrit  ici  :  «  temps  ». 

(20)  E.  Charava,  dans  son  ouvrage  sur  La  Fayette  (Chap.  X  à  XVI), 
donne  des  détails  sur  la  nature  de  ses  relations  avec  la  Cour,  avec  Mirabeau, 
avec  le  marquis  de  Bouille,  son  cousin,  et  avec  le  parti  monarchiste,  relations 
que  Robespierre  lui  reproche  dans  le  passage  ci-dessus. 

(21)  Le  12  avril  1790,  La  Fayette  fonde,  avec  Bailly,  la  Société  de  1789,  les 
Feuillants,  afin  de  faire  prévaloir  une  politique  modérée.  (Cf.  Charavay, 
ibid.,  p.  218). 


I78  LE    DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

préparer  le  poison  de  la  calomnie,  d'altérer  les  principes, 
d'armer  les  préjugés  et  les  vices  de  l'ancien  régime  contre 
la  liberté  naissante,  et  de  faire  redescendre  l'opinion  publi- 
que de  la  hauteur  des  principes  de  la  révolution  à  la  bas- 
sesse des  idées  et  des  habitudes  aristocratiques.  C'est  lui 
et  ses  partisans  qui  introduisirent  ce  système  perfide  de 
décréditer  la  liberté  par  le  nom  de  la  licence,  la  raison  et  la 
vérité  par  le  reproche  d'exagération  et  de  folie,  le  patrio- 
tisme par  celui  de  turbulence  et  de  sédition.  Il  est  vrai  que 
plusieurs  de  ses  adversaires  prêtoient  un  peu  à  ses  inculpa- 
tions, comme  les  Lameth,  qui  défendoient  la  cause  du  peu- 
ple contre  lui,  avec  des  vues  aussi  intéressées  que  les  sien- 
nes; mais  il  sut  en  profiter  habilement,  pour  décréditer  et 
pour  calomnier  le  patriotisme  et  le  peuple  lui-même. 

Le  plan  de  Lafayette  étoit  de  former  dans  l'état  un  troi- 
sième parti  mitoyen,  entre  ce  qu'on  appeloit  les  francs 
aristocrates  et  les  patriotes;  c'est-à-dire  ceux  qui,  étran- 
gers à  toutes  les  factions,  ne  vouloient  que  le  bien  public 
et  l'égalité  constitutionnelle!  Il  grossit  ce  parti  de  tous 
ceux  qui  aiment  la  liberté  pour  eux-mêmes,  qui  voient  avec 
plaisir  abbaisser  tout  ce  qui  étoit  au-dessus  de  leurs  têtes  ; 
mais  qui  ne  peuvent  souffrir  que  le  peuple  s'élève  de  l'op- 
pression à  la  dignité  d'homme  ;  c'est  dire  assez  qu'il  devoit 
être  nombreux  et  puissant.  Lafayette  mit  donc  tout  en 
œuvre  pour  avilir  le  peuple;  il  ne  cessa  de  rendre  les 
citoyens  laborieux  et  maltraités  de  la  fortune  odieux  et 
suspects  aux  autres,  en  les  présentant  comme  le  fléau  des 
propriétés  et  de  la  tranquilité  publique;  il  excita  même  au 
besoin  quelques  mouvemens  partiels,  pour  accréditer  ces 
calomnies.  Convaincu  d'ailleurs  qu'il  devoit  regarder 
comme  ses  adversaires  naturels  tous  les  amis  de  la  liberté 
et  de  la  constitution,  il  déchaîna  contre  eux  une  armée  de 
libellistes  qu'il  tint  toujours  à  sa  solde;  il  les  peignit  com- 
me des  novateurs  ennemis  de  la  constitution,  comme  des 
sectaires  politiques  ;  il  les  désigna  sous  des  dénominations 
odieuses,  dans  son  idiome,  telles  que  celles  de  jacobites,  de 
républicains. 

Il  avoit  appris  dans  les  cours  la  puissance  de  la  calomnie 
et  dans  l'histoire  des  conspirateurs,  ses  devanciers,  l'art  de 
violer  les  lois  et  d'anéantir  les  droits  du  peuple,  en  les 


SIXIÈME   NUMÉRO  179 

invoquant  sans  cesse.  Il  connoissoit  d'autant  mieux  cette 
partie  de  l'histoire,  qu'elle  étoit  la  seule  qu'il  eut  étudiée. 

Il  invoquoit  les  lois,  lorsque,  de  son  autorité  privée,  il 
envoyoit  à  Vernon  des  détachemens  de  gardes  nationales, 
avec  une  artillerie  nombreuse,  pour  casser  les  officiers  mu- 
nicipaux nommés  par  le  peuple,  pour  faire  nommer  les  par- 
tisans de  l'aristocratie,  pour  emprisonner,  pour  outrager 
les  patriotes  (22).  Il  invoquait  les  lois,  lorsqu'il  faisoit  mas- 
sacrer les  citoyens  désarmés  ;  il  invoquoit  les  lois  lorsqu'il 
attentoit,  tous  les  jours,  à  la  liberté  individuelle;  il  invo- 
quoit les  lois,  lorsque,  pour  venger  sa  querelle,  ses  satelli- 
tes empêchoient  les  officiers  municipaux  de  délibérer  sur 
la  suppression  des  bustes  que  l'adulation  avoit  érigés  dans 
la  maison  commune,  à  lui  et  à  ses  amis  ;  les  menaçoient  sur 
leurs  sièges,  et  les  maltraitoient  dans  l'exercice  de  leurs 
fonctions  (23).  Il  invoquoit  les  lois  dans  la  journée  des 
poignards,  où  il  favorisa  l'audace  des  conjurés,  et  condui- 
sit à  Vincennes  une  partie  de  l'armée  parisienne,  pour  pro- 
téger une  seconde  Bastille  (24),  menacée  du  sort  de  la  pre- 

(22)  En  octobre  1789,  des  troubles  éclatèrent  à  Vernon  motivés  par  des 
accaparements  de  grains  dans  cette  commune.  Une  enquête  fut  ordonnée  et 
des  troupes  furent  envoyées  par  le  roi  pour  réprimer  ces  mouvements.  Plus 
tard,  le  14  janvier  1790,  les  habitants  de  Vernon  attaquèrent  La  Fayette  et 
le  rendirent  responsable  de  cette  intervention  armée.  (Tourneux.  Biblio.,  etc., 
t.  II,  nos  5.656,  5.660  à  5.678.  -  Cf.  S.  Lacroix,  ire  série,  t.  III,  p.  451  à  454). 

(23)  Le  buste  de  La  Fayette,  en  marbre,  par  Houdon,  avait  été  offert  à  la 
Ville  de  Paris,  par  les  Etats-Unis,  le  28  septembre  1789.  Il  avait  été  inauguré, 
le  22  février  1790,  à  l'Hôtel  de  Ville,  au  cours  d'une  réunion  de  l'assemblée 
des  électeurs.  Le  8  avril  suivant,  celui  de  Bailly,  sculpté  par  De  Senne,  avait 
été  installé  en  face  de  celui  de  La  Fayette,  lequel  assista  aux  deux  cérémonies. 
(Cf.  S.  Lacroix,  ibid.,  ire  série,  t.  IV,  pp.  637-643).  -  Le  24  mars  1792,  la 
proposition  fut  faite,  par  Manuel,  au  conseil  de  la  Commune,  pour  enlever 
ces  deux  bustes,  proposition  appuyée  par  la  section  du  Théâtre  français,  et 
combattu  par  celles  de  l'Ile  Saint-Louis,  des  Lombards,  des  Postes  et  des 
Thermes-Saint-Julien.  Mais  Sergent  fit  décider,  le  19  avril,  qu'il  n'y  avait  pas 
lieu  de  délibérer.  Le  lendemain,  aux  Jacobins,  Robespierre  critiqua  cette 
décision.  (Aulard,  t.  III,  p.  514.  —  Tourneux,  ibid.,  t.  II,  n09  8.288,  8.362, 
8.743,  8.91 1,  8.965). 

(24)  Le  28  février  1791,  un  certain  nombre  de  gardes  nationaux,  conduits 
par  le  commandant  Santerre,  s'étaient  portés  sur  Vincennes,  pour  démolir 
l'antique  donjon.  La  Fayette  fit  arrêter  ceux  qui  commençaient  l'œuvre  de  des- 
truction et  conduire  64  prisonniers  à  l'Hôtel  de  VilK  Au  retour  de  cette 
expédition,  il  apprit  qu'un  certain  nombre  de  gentilshommes,  armés  de  poi- 
gnards, profitant  de  ces  troubles,  occupaient  les  appartements  des  Tuileries 
pour  enlever  la  famille  rovale.  Il  se  rendit  aussitôt  au  château  et  fit  désar- 
mer et  chasser  ces  «  chevaliers  du  poignards  >. 

Adrien  Du  Port,  à  la  tribune  des  Jacobins,  accusa  La  Fayette,  comme  le 


l80  LE    DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

mière,  pour  faire  prisonniers  un  bataillon  et  un  comman- 
dant de  bataillon  connus  par  leur  patriotisme  ;  il  invoquoit 
les  lois,  lorsqu'à  La  Chapelle,  il  faisoit  couler  le  sang  des 
citoyens  (25). 

Il  devoit  entrer  dans  son  plan  de  purger  l'armée  de  tous 
les  soldats  patriotes  qui  avoient  commencé  la  révolution, 
et  qui  étoient  les  plus  fermes  appuis  de  la  cause  du  peuple. 
Il  se  chargeoit  de  faire  emprisonner  arbitrairement  ceux 
même  qui,  avec  des  congés  en  bonne  forme,  venoient 
à  Paris  invoquer  la  justice  de  l'Assemblée  nationale;  c'est 
lui  encore  qui,  ligué  contre  eux  avec  les  ministres  de  la 
guerre  et  le  comité  militaire  du  corps  constituant,  favorisa 
de  tout  son  pouvoir  cet  affreux  système,  inventé  par  le 
génie  du  despotisme,  de  les  chasser,  de  les  proscrire  par  des 
ordres  arbitraires,  par  des  cartouches  infamantes,  par  des 
jugemens  monstrueux,  que  réprouvoit  la  tyrannie  même  de 
l'ancien  régime  (26). 

Charmés,  de  ces  exploits,  les  ennemis  de  la  révolution 
reprirent  bientôt  leur  audace,  et  ranimèrent  leurs  espéran- 
ces. Ils  apprirent  de  lui  à  cacher  leurs  intentions  perfides 
sous  le  voile  d'un  civisme  hypocrite.  Fier  de  leur  appui,  il 
osa  braver  ouvertement  l'opinion  publique.  Au  mois  de 
février  1790,  il  veut  favoriser  le  départ  du  roi,  dont  le  mo- 
tif alarmoit  tout  Paris.  La  garde  nationale  elle-même  crut 
remplir  un  devoir  de  civisme,  en  refusant  de  le  protéger. 
M.  Lafayette  saisit  cette  occasion  de  faire  sa  cour  au  mo- 

dit  Robespierre,  «  de  tenir  sans  cesse  sur  pied  toute  l'armée  parisienne  à  la 
poursuite  d'ennemis  invisibles  et  de  créer  ainsi  de  véritables  périls  en  en 
supposant  d'imaginaires  ».  (F.  Robiquet:  Le  personnel  municipal  de  Paris 
sous  la  Révolution,  p.  568.  —  Aulard:  La  Société  des  Jacobins,  t.  II,  pages 
96  et  suivantes.  —  Cf.  Charavay,  ibid.,  p.  261.) 

(25)  Le  24  janvier  1791,  des  troubles,  provoqués  par  les  chasseurs  soldés, 
avaient  éclaté  à  La  Chapelle-lès-Saint-Denis  et  ces  soldats  avaient  tiré  sur 
le  peuple  et  même  sur  le  maire  et  les  officiers  municipaux  qui  voulaient  pré- 
venir ces  désordres.  Deux  gardes  nationaux  du  pays  qui  protégeaient  la 
municipalité  avaient  été  tués.  On  rendit  Bailly  et  La  Fayette  responsables  de 
ces  faits  qui  furent  évoqués,  d'abord  par  Elie  Lacoste,  à  l'Assemblée  légis- 
lative le  11  mai  I792;  puis  plus  tard,  par  Sergent  à  la  Convention  en  prairial 
en  II. 

(26)  Le  projet  de  réorganisation  de  l'armée,  présenté  par  le  Ministre  de  la 
Guerre,  La  Tour  du  Pin,  prévoyait  la  remise  de  cartouches  jaunes  ou  infa- 
mantes, aux  soldats  coupables  d'insubordination.  Un  décret,  rendu  le  6  août 
1790.  sur  la  proposition  du  comité  mi'itaire  de  l'Assemblée,  projet  rapporté 
par  Emmery,  réglementa  cette  pénalité  et  en  atténua  la  rigueur. 


SIXIÈME    NUMÉRO  l8l 

narque,  et  de  prendre  un  empire  despotique  sur  la  garde 
nationale  parisienne.  Il  affecte  un  grand  courroux  contre 
cette  prétendue  désobéissance  aux  ordres  du  général;  il  le 
manifeste  par  un  écrit  où  il  proclame  des  principes  dignes 
du  chef  d'une  garde  prétorienne,  il  feint  de  donner  sa 
démission;  cependant  l'état-major  et  tous  ses  partisans 
intriguent  dans  les  bataillons,  pour  les  déterminer  à  le  con- 
jurer de  reprendre  le  commandement;  sa  retraite  est  pré- 
sentée comme  une  calamité  publique;  une  multitude  de 
bourgeois  imbécilles  pensent  que  c'en  est  fait  de  la  sûreté 
publique  et  de  la  capitale,  si  M.  Lafayette  se  retire.  Les 
officiers  de  chaque  bataillon,  à  la  tête  d'une  partie  des 
fusilliers,  se  rendent  chez  lui,  avec  les  drapeaux,  pour  lui 
demander  pardon  de  l'acte  civique  qui  avoit  provoqué  sa 
colère.  Ce  nouvel  Achille  se  refuse  à  leurs  instances,  jus- 
qu'à ce  qu'ils  aient  consigné  leur  repentir  dans  un  acte 
solennel;  que  dis-je!  jusqu'à  ce  que  la  garde  nationale  ait 
prêté  à  la  personne  de  Lafayette  un  serment  particulier  de 
fidélité.  Cet  acte  anti-constitutionnel,  séditieux  de  la  part 
de  celui  qui  le  provoqua,  qui  le  souffrit,  qui  l'adopta;  cet 
acte,  qui  déclaroit  Lafayette,  chef  de  faction,  eût  été  puni 
de  mort  chez  un  peuple  libre  et  sous  le  règne  des  loix  :  par- 
mi nous  (27),  il  fut  dénoncé  à  l'opinion  publique:  mais  les 
lois  restèrent  muettes.  Déjà  le  parti  de  Lafayette  dominoit 
dans  l'Assemblée  nationale,  et  les  tribunaux  étoient  peu- 
plés de  ses  créatures  (28).  Aussi,  peu  de  tems  après,  il  osa 
commettre  un  nouvel  attentat  du  même  genre  contre  la 
constitution,  en  adressant,  en  son  nom,  à  la  ga  :de  nationale 

(27)  En  février  1791  (et  non  1790,  comme  l'écrit  Robe  erre  par  erreur), 
des  bruits  avaient  déjà  couru  concernant  l'enlèvement  du  oi,  et  des  attrou- 
pements sous  les  fenêtres  des  Tuileries  avaient  dû  être  dispersés.  On  a  vu, 
ci-dessus,  la  tentative  des  «  Chevaliers  du  poignard  »  du  28  de  ce  mois;  le 
18  avril,  le  roi  ayant  voulu  se  rendre  à  Saint-Cloud,  une  émeute  l'empêcha 
de  sortir  du  palais.  La  Fayette,  impuissant,  remit  sa  démission  le  21.  Des 
démarches  furent  faites  pour  le  faire  revenir  sur  sa  décision.  «  Sa  maison, 
dit  E.  Charavay,  était  remplie  de  gardes  nationaux  qui  lui  prodiguaient  les 
marques  les  plus  serviles  de  vénération  et  s'agenouillaient  devant  lui  ».  Enfin, 
le  26,  il  revint  sur  sa  décision,  sous  condition  qu'un  serment  de  fidélité  serait 
prêté  à  sa  personne.  (Cf.  Charavay,  p.  264).  —  (Tourneux,  ibid.,  t.  I, 
n°  2.154.  -  Histoire  parlementaire,  t.  IX,  pp.  414,  419  à  431). 

(28)  Dubois-Crancé  et  quelques  autres,  écœurés,  donnèrent  leur  démission 
de  gardes  nationaux,  par  une  lettre  qui  fut  imprimée  par  la  Société  des  Amis 
de  la  Constitution.  (Cf.  Aulard,  ibid.,  p.  353). 


l82  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

parisienne,  une  proclamation  où  il  cherchoit  à  la  flagorner, 
en  la  distinguant  des  citoyens,  en  lui  persuadant  que  la  des- 
tinée de  l'empire  reposoit  uniquement  sur  son  zèle;  où  il 
provoquoit  son  animadversion  contre  les  patriotes,  ses 
adversaires,  qu'il  désignoit  sous  la  dénomination  de  fac- 
tieux (29). 

Ce  n'étoit  point  assez  de  vouloir  attacher  à  son  parti 
l'armée  parisienne,  il  falloit  encore  étendre  sa  domination 
sur  toutes  les  gardes  nationales  de  France.  Il  avoit  fait 
proposer,  par  quelques-uns  de  ses  amis,  à  l'Hôtel-de- Ville 
de  Paris,  de  lui  décerner  le  titre  de  généralissime  de  toutes 
les  gardes  nationales  de  l'empire;  en  même  tems  qu'on 
offroit  le  titre  de  municipe  général  à  M.  Bailli,  qu'il  gou- 
vernoit  avec  un  empire  absolu.  Il  repoussa  ce  titre  avec  les 
armes  de  la  constitution,  et  comme  César  repoussait  le  dia- 
dème; content  des  avantages  que  lui  donnoit  cette  seule 
proposition,  il  s'appliqua  à  exercer  de  fait  la  dictature,  qui 
ne  pouvoit  lui  être  conférée  formellement. 

On  sait  comment  il  fit  servir  à  ce  projet  la  fédération 
même  du  14  juillet  1790.  Il  s'empara  des  fonctions  de  chef 
des  représentans  armés  et  de  président  de  cette  cérémonie 
nationale.  Aux  démonstrations  inconcevables  d'idolâtrie 
que  les  fédérés  lui  prodiguèrent,  et  qu'il  savoit  si  bien  pro- 
voquer par  les  petites  minauderies  auxquelles  il  étoit 
exercé,  on  eût  dit  que  la  nation  ne  s'étoit  assemblée  que 
pour  lui  rendre  hommage;  jamais  ni  les  bottes  de 
Charles  XII,  ni  le  cheval  de  Caligula,  ne  jouèrent  un  rôle 
aussi  important  que  le  cheval  et  les  bottes  de  Lafayette 
dans  cette  immense  Assemblée  (30). 

Cette  fête,  où  devoit  se  déployer  la  majesté  du  peuple, 
fut  indigne  de  lui  ;  Lafayette  sut  la  faire  tourner  au  détri- 
ment de  l'esprit  public  qu'elle  devoit  élever;  il  en  avilit  le 
caractère  auguste,  il  la  ravala  jusqu'à  lui.  Il  envoya  dans 
leurs  provinces  les  députés  fédérés  remplis  de  fausses 
idées,  de  préjugés  ser viles  et  surtout  d'un  engouement 

(29)  Plusieurs  procès  le  concernant  furent  étouffés.  Il  fut  défendu  par 
Brissot,  et  devant  la  justice,  par  l'avocat  rémois,  Tronson  Du  Coudray. 
{Histoire  parlementaire,  t.  X,  p.  142.  Cf.  Charavay,  ibid.,  p.  267). 

(30)  Le  10  juillet,  La  Fayette  avait  été  proclamé  président  de  l'Assemblée 
des  fédérés,  dont  il  présenta  une  députation  le  13  à  l'Assemblée  nationale. 
(Cf.  Charavay,  ibid.,  p.  233,  et  pièces  justificatives,  n°  XVIII). 


SIXIÈME    NUMÉRO  183 

honteux  et  ridicule  pour  la  plus  méprisable  idole.  Il  ne 
manqua  pas  d'entretenir  ces  dispositions  par  sa  correspon- 
dance et  par  ses  émissaires  dans  toutes  les  parties  de  l'em- 
pire. Il  retint  à  Paris  les  députés  de  la  fédération,  qui 
formèrent  alors  ce  fameux  club  des  fédérés,  connu  par  les 
principes  anti-civiques  qu'il  afficha  aux  dépens  de  la  tran- 
quillité publique,  et  qui  devint  un  des  principaux  instru- 
mens  de  ses  pernicieux  desseins.  Il  envoyoit  ses  aides-de- 
camp  dans  les  départemens,  comme  un  souverain  envoie 
des  ambassadeurs  ;  c'est  ainsi  qu'il  concertoit  à  Nancy,  avec 
Bouille,  le  massacre  des  régimens  en  garnison  dans  cette 
ville  (31),  et  les  désastres  de  tant  d'autres  corps,  victimes 
de  leur  amour  pour  la  patrie.  Il  tramoit  aussi  contre  la 
souveraineté  des  peuples  étrangers;  il  étoit  un  des  agens 
principaux  des  perfides  négociations  qui,  en  1789,  remirent 
les  Brabançons  sous  le  joug  autrichien;  aucun  attentat 
contre  la  liberté  ne  fut  commis  sans  son  intervention  (32). 

Mais  ce  n'étoit  point  assez  pour  lui  de  l'assassiner  en 
détail,  il  vouloit  lui  porter  un  coup  décisif.  Au  mois 
de  juin  1791,  le  roi  fuit.  Cet  événement  étoit  connu 
d'avance  à  Paris,  et  même  dans  les  pays  étrangers.  Ce  com- 
plot avoit  été  tramé  par  Lafayette,  à  qui  la  garde  du  roi 
étoit  spécialement  confiée,  avec  des  hommes  dont  il  s'étoit 
déclaré  l'adversaire,  dans  le  tems  où  leur  ambition  les  por- 
toit  à  défendre  la  cause  publique  (33).  Le  roi  fut  arrêté; 
j'ignore  si  ce  fut  par  les  soins  de  cette  faction  ou  à  son 
insçu  (sic);  mais  voici  le  résultat  de  cet  événement,  et  le 
fond  de  tout  ce  mystère  d'iniquité. 

Lafayette  redoutoit  la  colère  du  peuple,  qui  étoit  disposé 
à  lui  imputer  cette  trahison.  Sa  réunion  avec  la  faction 
rivale  étoit  pour  elle  et  pour  lui  une  sauve  garde  nécessaire. 

(31)  Les  troubles  de  Nancy  d'août  1790,  dont  il  est  question  plus  haut 
(p-  173). 

(32)  On  a  vu,  ci-dessus  (p.  172^,  la  réserve  que  le  ministère  observait  vis-à- 
vis  des  révolutionnaires  de  Belgique.  Camille  Desmoulins,  dans  ses  Révolu- 
tion de  France  et  de  Brabant,  tenait  sur  cette  révolution,  l'esprit  public  en 
éveil.  La  Fayette  avait,  le  9  juillet  1790,  chargé  Dumouriez  d'une  mission  à 
Bruxelles  ;  mais  il  ne  tarda  pas  à  se  désintéresser  du  sort  des  patriotes  braban- 
çons. (Cf.  Charavay,  ibid.,  p.  240.  -  Chuquet:  Jemmapes,  p.  51.  -  A.  Sorel: 
l'Europe  et  la  Révolution,  t.  I). 

(33)  Les  Lameth,  Duport,  Barnave  et  toute  leur  faction.  (Note  de  Robes- 
pierre). 


184  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

Les  Lameth  se  hâtèrent  de  faire  décréter  par  l'Assemblée 
nationale,  que  Lafayette  avoit  la  confiance  de  la  nation, 
qu'il  n'avoit  pas,  et  que  le  salut  public  lui  étoit  confié.  Le 
même  jour  ce  commandant  de  la  garde  nationale  se  rend  à 
la  société  des  amis  de  la  constitution,  dont  il  s'étoit  jusques- 
là  déclaré  l'ennemi,  avec  les  Lameth,  qui  depuis  long-tems 
l'avoient  abandonnés;  ils  déclarent  cette  monstrueuse  réu- 
nion, que  les  sots  regardèrent,  sur  leur  parole,  comme  un 
acte  de  vertu  et  qui,  aux  yeux  des  citoyens  éclairés, 
ne  paroissoit  qu'une  conspiration  redoutable  contre  la 
liberté.  Là,  on  lui  reproche  publiquement  divers  actes  dont 
il  s'est  rendu  coupable.  On  articule  contre  lui  des  faits 
importants  dont  on  le  somme  de  se  justifier;  il  parle  et  ne 
répond  rien,  sinon  que  c'est  lui  qui  a  le  premier  énoncé  cette 
maxime:  «  un  peuple  est  libre  toutes  les  fois  qu'il  veut 
l'être  ». 

A  l'Assemblée  nationale,  la  coalition  faisoit  rendre  les 
décrets  que  le  public  trouvoit  vigoureux,  foudroyans  mê- 
me pour  le  roi  et  pour  la  royauté.  On  décrétoit  des  levées  de 
troupes,  on  créoit  des  officiers,  des  généraux,  comme  si 
l'on  avoit  eu  à  repousser  les  puissances  de  l'Europe  conju- 
rées ;  la  France  entière  étoit  à  genoux  devant  la  sagesse  et 
devant  l'énergie  de  l'Assemblée  constituante.  Dans  le 
même  tems,  Lafayette  captoit  la  bienveillance  du  peuple  de 
Paris,  en  exaltant  lui-même  l'indignation  que  la  fuite  de 
Louis  XVI  avoit  excitée;  il  arboroit  les  emblèmes  de  la 
liberté;  il  en  parloit  le  langage,  il  se  montroit  à  la  tête  des 
citoyens  armés  de  piques,  mêlés  aux  gardes  nationales  en 
uniforme;  les  habitans  des  fauxbourgs,  couduits  par  lui, 
défiloient  devant  l'Assemblée  nationale,  en  criant:  «  Vive 
la  nation  ».  Le  roi  étoit  suspendu  de  ses  fonctions,  il  avoit 
été  ramené  dans  son  palais  avec  un  appareil  humiliant,  au 
milieu  d'une  armée  de  gardes  nationales,  à  la  vue  d'un  peu- 

(34)  La  fuite  de  la  famille  royale,  partie  le  20  juin  1791,  ne  fut  connue 
que  le  21  au  matin.  Sentant  la  terrible  responsabilité  qui  pesait  sur  lui,  La 
Fayette  se  rendit  à  l'Assemblée  en  costume  militaire,  ce  qui  souleva  un  pre- 
mier sentiment  de  colère,  un  décret  défendant  à  toute  personne  de  délibérer 
en  uniforme  ;  attaqué  par  Reubell,  il  fut  défendu  par  Barnave  et  Lameth.  Le 
soir,  il  se  rendit,  avec  ceux-ci,  à  la  Société  des  Jacobins  qu'il  avait  désertée 
depuis  longtemps.  Il  fut  violemment  pris  à  partie  par  Danton.  (Cf.  Aulard, 
ibid.,  t.  II,  pp.  534  à  537).     • 


SIXIÈME   NUMÉRO  185 

pie  immense;  il  étoit  confié  par  un  décret  à  la  garde 
de  Lafayette.  Tous  les  citoyens  se  livroient  librement  à  des 
sentimens  énergiques,  dont  il  sembloit  lui-même  solliciter 
l'exploision  (sic);  les  pétitions  des  directoires,  provoquées 
alors  par  la  coalition,  étoient  toutes  dirigées  contre  le  roi. 
Lafayette  avoit  garanti  sa  protection  à  ce  prince,  depuis 
long-tems  le  jouet  de  son  ambition  ;  d'un  autre  côté,  il  exci- 
toit  les  espris  ardens  et  peu  éclairés  aux  partis  extrêmes; 
il  faisoit  prêcher  la  république  par  des  patriotes  impru- 
dens;  des  écrivains  connus  prouvaient,  par  ses  ordres,  que 
le  gouvernement  républicain  convenait  seul  à  la  France  ;  ils 
affichoient  même  cette  opinion  sur  les  murs  de  Paris. 
Attendez  le  dénouement  de  toute  cette  trame  (35). 

C'est  dans  ces  circonstances  que  la  coalition  dominante 
propose  à  la  discussion  de  l'Assemblée  nationale  le  parti  à 
prendre  à  l'égard  du  roi.  Tandis  que  les  membres  étran- 
gers à  toutes  factions  demandeent  qu'il  soit  jugé  suivant 
les  lois,  Lafayette  et  ses  partisans  épuisent  toutes  les  res- 
sources de  la  calomnie,  pour  les  peindre  comme  des  fac- 
tieux et  comme  les  chefs  d'un  prétendu  parti  républicain, 
qui  cherchent  à  renverser  la  constitution  (36). 

Le  peuple  attachoit  à  cette  délibération  le  sort  de  la  révo- 
lution. Lafayette  avoit  encore  échauffé  les  esprits,  en  lui 
fermant  les  tuileries,  et  en  hérissant  de  baïonnettes  toutes 
les  avenues  de  l'Assemblée  nationale. 

Peu  de  jours  avant  celui  où  cette  question  devoit  être 

(35)  Le  marquis  de  Bouille  revendiqua  l'honneur  d'avoir  conseillé  la  fuite 
du  roi,  écartant  ainsi  de  toute  complicité,  son  cousin  La  Fayette  qu'il  accusait 
même,  comme  Robespierre,  de  faire  prêcher  la  République;  il  menaçait  la 
France  d'une  invasion  étrangère.  (Séance  de  l'Assemblée  nationale  du  20  juin). 
Le  2  juillet,  La  Fayette  protesta  contre  les  accusations  de  son  cousin.  (Moni- 
teur, t.  IX,  pp.  7  et  35.  -  Tourneux,  t.  I,  n°  2.302. 

(36)  Les  Feuillants  et  les  modérés,  Le  Chapelier,  Muguet  de  Nanthou, 
d'André,  La  Rochefoucault-Liancourt,  Prugnon,  etc.,  défendant  le  principe 
de  l'inviolabilité  royale,  avaient  demandé  la  mise  hors  de  cause  du  roi  et  des 
siens  qui  auraient,  d'après  eux,  cédé  à  la  contrainte,  et  de  ne  poursuivre  que 
les  complices  ;  tandis  que  Robespierre  démontrait,  en  un  discours  qui  fit  sensa- 
tion, qu'il  ne  pouvait  y  avoir  de  complices,  là  où  il  n'y  avait  pas  de  coupables  : 
<  Qu'on  m'accuse,  si  l'on  veut,  dit  à  cette  occasion  Robespierre,  de  républi- 
canisme; je  déclare  que  j'abhorre  toute  espèce  de  gouvernement  où  les  fac- 
tieux régnent  >.  (Séances  des  13,  14  et  15  juillet  1791.  -  Discours  reproduit 
in-extenso  dans  l'Histoire  parlementaire  de  Bûchez  et  Roux,  t.  XI,  p.  24 
et  suivantes.  -  Point  du  Jour,  de  Barêre,  n08  736  et  suivants.  -  Courrier  de 
Provence,  n°  317.  -  Adresse  de  Maximilien  Robespierre  aux  français,  p.  18). 


l86  LE    DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

décidée,  on  avoit  proposé  dans  la  société  des  amis  de  la 
constitution,  une  pétition  dont  l'objet  étoit  de  déterminer 
les  représentans  à  consulter  la  nation,  avant  de  prononcer 
sur  le  sort  du  monarque,  et  qui  devoit  être  signée  par  les 
citoyens  rassemblés  paisiblement  et  sans  armes.  Lafayette 
avoit  lui-même  provoqué  cette  démarche  par  ses  émissai- 
res secrets  ;  en  même  tems,  il  cherchoit  à  la  rendre  odieuse 
et  suspecte,  en  faisant  circuler  dans  le  public  d'autres  péti- 
tions, tendantes  directement  à  l'abolition  de  la  royauté.  Dès 
long- tems,  la  plus  atroce  politique  avoit  marqué  le  jour  où 
elle  devoit  être  signée,  pour  exécuter  le  plus  funeste  de  tous 
les  complots.  Ce  jour  éclaira  tous  les  crimes  que  le  plus 
lâche  des  tyrans  peut  inventer.  Ce.  jour  vit  égorger,  sur 
l'autel  de  la  patrie,  1500  citoyens  paisibles,  préparant  une 
pétition  légitime  qui  devoit  être  soumise  aux  représentans 
du  peuple  ;  des  citoyens  même  qui  ne  prennoient  (sic)  aucu- 
ne part  à  cet  acte,  des  femmes,,  des  en  fans,  des  vieillards, 
tous  périrent  sous  les  coups  de  leurs  frères,  sous  les  coups 
des  gardes  nationales  armées  pour  la  défense  de  la  liberté. 
Oui  pourroit  dire  par  combien  de  forfaits  ce  dernier  for- 
fait fut  préparé  !  Quelles  calomnies  répandues,  pour  préci- 
piter dans  le  cœur  des  citoyens,  le  fer  des  citoyens  égarés  ! 
Les  liqueurs  enivrantes  prodiguées!  un  coup  de  pistolet 
innocent,  dirigé  tout  exprès  contre  Lafayette  ;  la  fastueuse 
clémence  affectée  par  ce  dernier  envers  cet  assassin  offi- 
cieux ;  tous  ces  infâmes  artifices  ne  sont  rien  encore  auprès 
d'un  autre  crime  que  ma  plume  refuse  de  retracer.  Rappe- 
lerai-je  à  mes  concitoyens,  que,  pour  irriter  le  zèle  des 
gardes  nationales,  pour  pallier,  aux  yeux  du  public  la 
cause  du  massacre  projette,  et  pour  trouver  des  bras  qui 
pussent  l'exécuter,  on  avoit  eu  l'horrible  précaution  de 
faire  pendre  à  six  heures  du  matin  deux  hommes  inconnus, 
près  du  même  lieu  où  les  pétitionnaires  ne  se  rassemblèrent 
que  long-tems  après.  Qui  pourroit  croire  à  cet  attentat,  si 
l'on  ne  rappeloit  que  la  même  perversité  avoit  sacrifié  le 
boulanger  François,  pour  trouver,  dans  cet  événement,  un 
prétextte  de  provoquer  la  loi  martiale  (37). 

(37)  Sur  la  journée  du  dimanche,  17  juillet  17QI,  la  proclamation  de  la  loi 
martiale,  et  le  massacre  qui  eut  lieu  au  Champ  de  Mars,  voir  la  revue  La 


SIXIÈME    NUMÉRO  187 

Le  but  de  toutes  ces  horreurs  étoit  digne  des  hommes 
qui  les  combinèrent  de  sens  froid  (sic).  On  vouloit  jeter  un 
voile  sur  les  infâmes  manœuvres  des  conspirateurs;  on 
vouloit  anéantir  les  sociétés  patriotiques,  et  épouvanter 
tous  les  amis  de  la  liberté,  pour  immoler  impunément  la 
constitution  au  despotisme  de  la  cour,  ou  plutôt  à  l'ambi- 
tion scélérate  des  factieux  qui  se  jouaient  à  la  fois,  et  du 
peuple  et  du  monarque.  Tous  ces  attentats  furent  exécutés 
à-la-fois;  le  roi  fut  déclaré  au-dessus  des  lois,  les  défen- 
seurs des  droits  de  la  nation  calomniés  avec  une  impu- 
dence inouïe  par  la  coalition  dont  Lafavette  était  le  chef; 
les  sociétés  patriotiques  divisées;  la  société  des  amis  de  la 
constitution  près  d'être  dissoute  par  la  violence,  et  l'As- 
semblée nationale  environnée  de  baïonnettes,  retranchée 
comme  dans  une  forteresse  inaccessible,  égarée  par  les 
intrigans  qui  s'étoient  ligués  pour  la  maîtriser,  ébranla  son 
propre  ouvrage,  sous  prétexte  de  le  perfectionner. 

Cependant  les  coups  funestes  portés  à  la  constitution, 
par  ces  dernières  manœuvres,  ne  suffisoient  point  pour 
remplir  leurs  vues  coupables.  Ils  avoient  été  obligés  de 
s'arrêter,  parce  que  l'opinion  publique  fatiguée  n'auroit 
pu  souffrir  alors  de  plus  grands  attentats  contre  la  liberté  ; 
mais  la  constitution,  telle  qu'ils  l'avoient  laissée,  étoit 
encore  trop  favorable  à  l'égalité,  pour  convenir  à  leur  am- 
bition. Elle  écartoit,  pour  plusieurs  années,  les  membres 
de  l'Assemblée  constituante  de  la  législature  et  du  minis- 
tère; elle  leur  donnoit  pour  concurrens,  dans  la  carrière 
politique,  des  millions  de  Français  qui  pouvoient  aisément 
les  surpasser  en  vertus;  la  paix  et  le  prompt  affermisse- 
ment du  nouveau  régime  les  replongeoient  dans  le  néant, 
avec  leurs  titres,  dont  il  les  avoit  dépouillés,  et  les  préjugés 
aristocratiques  qu'il  avoit  détruits.  Pour  modifier  la  cons- 
titution au  gré  de  leurs  intérêts  particuliers,  et  pour  pro- 
longer leur  scandaleuse  existence  politique,  ils  avoient 
besoin  à  la  fois  des  troubles  intérieurs  et  de  la  guerre 
étrangère.  Ils  n'épargnèrent  rien  pour  fomenter  les  uns 

Révolution  française,  t.  XXIV,  pp.  316  à  319.  -  Histoire  générale  de  Lavisse 
et  Rambaud,  t.  VIII,  pp.  100  et  101. 

La  popularité  de  La  Fayette  sombra  définitivement  dans  ce  sang  inutilement 
répandu. 


l88  LE    DÉFENSEUR   DE   LA    CONSTITUTION 

et  pour  allumer  l'autre.  On  a  vu  que  Lafayette  avoit  déjà 
beaucoup  contribué  à  semer  partout  les  germes  de  la  divi- 
sion et  de  la  tyrannie  ;  il  avoit  de  tout  tems  protégé  la  sédi- 
tion des  prêtres,  au  nom  de  la  tolérance  et  de  la  liberté  des 
cultes;  il  avoit  favorisé,  autant  qu'il  étoit  en  lui,  particu- 
lièrement par  l'amnistie  (38)  qu'il  avoit  provoquée,  et  les 
émigrations  et  les  rassemblemens  des  rebelles  sur  nos 
frontières  ;  ensuite,  il  excita  les  orateurs  de  son  parti  à  pro- 
voquer la  guerre  contre  cette  même  maison  d'Autriche, 
dont  il  avoit  défendu  le  despotisme  contre  le  peuple  bran- 
bançon  (sic).  Tout  en  affectant  sur  ce  point  une  indiffé- 
rence suspecte,  il  sut  mettre  à  profit  l'impatience  de  la 
nation  et  son  penchant  à  l'enthousiasme  guerrier.  Tous  les 
calculs  de  son  ambition  portoient  sur  cet  événement.  Après 
la  fin  de  la  législature,  il  avoit  feint,  comme  un  autre 
Washington,  de  se  retirer  dans  ses  terres  (39),  et  prit  peu 
de  jours  après  le  commandemant  d'une  armée  qui  lui  étoit 
destinée  dès  long-tems  (40).  On  se  rappelé  qu'à  la  même 
époque,  il  adressa  à  l'armée  parisienne  des  adieux  où  il 
exhortoit  toutes  les  gardes  nationales  de  l'empire  à  le 
regarder  comme  leur  chef  et  comme  leur  héros,  dans  le  cas 
où  la  patrie  seroit  menacée  (41).  On  ne  peut  douter  qu'il 
ait  employé,  auprès  de  son  armée,  tous  les  moyens  qu'il 
avoit  mis  en  usage  pour  exciter  l'idolâtrie  des  gardes  natio- 
nales; pour  s'en  convaincre,  il  suffit  de  lire  la  proclama- 
tion du  général  La  Fayette  à  son  armée  en  marche  (42). 

(38)  L'amnistie,  votée  par  l'Assemblée  nationale  en  fin  de  session,  le  13 
septembre  1791,  sur  la  proposition  de  La  Fayette. 

(39)  Le  18  octobre,  après  la  séparation  de  l'Assemblée  constituante  (30  sep- 
tembre), La  Fayette  se  retira,  dans  sa  famille,  à  Chavaniac,  en  Auvergne. 

(40)  Les  bruits  de  guerre  et  l'organisation  de  l'armée  française  firent 
sortir  La  Fayette  de  sa  retraite.  Louis  XVI,  pour  répondre  aux  provocations 
des  émigrés  et  de  l'électeur  de  Trêves,  forma  trois  armées  dont  il  confia  le 
commandement  aux  généraux  Rochambeau,  Luckner  et  La  Fayette  (ce  der- 
nier, en  dépit  de  la  Constitution,  ijui  défendait  aux  membres  de  l'Assemblée 
Constituante  d'accepter  toute  place  ou  fonction  du  pouvoir  royal).  Le  ministre 
de  la  guerre  Narbonne  annonça  ces  choix  à  l'Assemblée  législative  le  14 
décembre  1791. 

(41)  Proclamation  de  La  Fayette  à  la  garde  nationale.  (Journal  de  Paris, 
du  19,  décembre  1791,  p.  1439). 

(42)  Arch.  htst.  de  la  Guerre,  armée  du  Centre.  Cette  proclamation  est 
datée  du  i*T  mai  ;  elle  a  été  publiée  in-extenso  par  le  Moniteur  du  9.  (Réimp. 
t-  XII,  p.  331). 


SIXIÈME   NUMÉRO  l8û 

Le  persécuteur  implacable  des  soldats  patriotes  et  du 
peuple,  a  décoré  sa  tente  de  tous  les  emblèmes  de  la  liberté, 
et  ne  parle  à  ses  troupes  que  de  la  déclaration  des  droits 
dont  il  ose  se  dire  le  père.  L'Assemblée  nationale,  trompée 
par  ses  nombreux  partisans,  a  secondé  elle-même  ses 
funestes  projets,  en  investissant  les  généraux  d'une  dicta- 
ture contraire  à  tous  les  principes  de  la  liberté,  en  lui  pro- 
diguant à  lui-même  des  hommages  indignes  d'elle,  démen- 
tis par  le  sang  innocent  qu'il  a  versé,  et  par  la  juste  indi- 
gnation de  tous  les  citoyens  éclairés  (43). 

Cependant,  qu'a  fait  jusqu'ici  ce  grand  général?  Il  a 
enchaîné  le  courage  de  nos  troupes,  tandis  que  les  ennemis 
rassembloient  de  nouvelles  forces;  et  déjà,  oubliant  les 
Autrichiens,  c'est  aux  patriotes  français  qu'il  déclare  la 
guerre,  à  l'exemple  de  Léopold.  Loin  d'ébranler  le  trône 
des  despotes,  il  prétend  défendre  en  France  même  le  des- 
potisme autrichien  contre  l'Assemblée  nationale;  déjà,  il 
faudroit  croire  qu'il  aspire  à  l'honneur  de  jouer  parmi  nous 
le  rôle  de  Monk,  si  l'on  ne  savoit  que  tous  les  rôles  qui  peu- 
vent convenir  à  son  ambition,  lui  son  indififérens,  et  qu'il 
ne  lui  en  coûteroit  pas  plus  pour  immoler  le  roi  qu'il  a  avili, 
que  pour  écraser  le  peuple  dont  il  a  versé  le  sang.  Tel  étoit 
le  but  secret  de  la  guerre  où  nous  sommes  engagés  !  C'est 
en  vain  que  je  l'avois  cent  fois  annoncé,  en  prouvant 
l'absurde  inconséquence  de  confier  la  défense  de  l'Etat  au 
plus  dangereux  ennemi  de  la  liberté;  les  manœuvres  de 
l'intrigue  et  les  cris  de  l'enthousiasme  ont  étouffé  la  voix 
de  la  vérité  (44).  Il  vient  enfin  de  lever  le  masque  :  sa  lettre 

(43)  Le  quartier  général  de  l'armée  de  La  Fayette  était  d'abord  à  Metz.  Il 
occupa  ensuite  le  camp  de  Maubeuge. 

(44)  <  Dans  une  conférence  tenue  à  Valenciennes,  le  18  mai,  les  généraux 
(présidés  par  La  Fayette),  refusèrent  de  reprendre  l'offensive  et  en  avisèrent 
le  gouvernement.  La  Fayette  ne  s'en  tint  pas  là.  Après  s'être  rapproché  des 
Lameth  et  de  Duport,  il  se  décida  à  une  démarche  d'une  exceptionnelle  gravité. 
Il  fit  savoir  à  l'ambassadeur  d'Autriche,  à  Bruxelles,  que  si  l'intention  du  roi 
de  Hongrie  n'était  pas  de  se  mêler  de  la  Constitution  française  et  de  dicter 
la  loi  à  la  France  en  ce  qui  concernait  la  politique  intérieure,  lui-même  était 
décidé,  d'accord  avec  Rochambeau,  à  marcher  avec  son  armée  sur  Paris  pour 
anéantir  les  Jacobins,  rétablir  le  pouvoir  royal  dans  toute  son  étendue  cons- 
titutionnelle, rappeler  les  émigrés,  rétablir  la  noblesse  sans  prérogatives,  sup- 
primer la  garde  nationale  et  établir  une  seconde  Chambre.  A  cet  effet,  il 
demandait  une  armistice.  Mercy  répondit  que  la  négociation  devait  être  menée 
avec  Vienne  et  Berlin  ».  (G.  Michon,  ibid.,  p.  123).  —  Lettre  de  Mercy  à 


IÇO  LE   DÉFENSEUR   DE    LA   CONSTITUTION 

à  l'Assemblée  nationale  et  celle  qu'il  a  adressée  au  roi,  le 
montrent  tout  entier.  Mais  cet  acte  séditieux  doit  être  l'ob- 
jet d'une  discussion  particulière;  il  doit  être  surtout  l'objet 
d'un  décret  aussi  prompt  que  sévère  du  corps  législatif.  Il 
n'est  pour  l'Assemblée  nationale,  que  deux  alternatives  :  il 
faut  ou  qu'elle  déploie  contre  Lafayette  une  énergie  digne 
de  cet  attentat  ;  ou  qu'elle  descende  au  dernier  degré  de  f  oi- 
blesse  et  de  l'avilissement. 

II 

Lettre  écrite  à  un  député  de  l'Assemblée  Nationale  de  France 
à  Paris  (45) 

Trêves,  le  14  juin  1792. 
Monsieur, 

Le  désir  d'être  utile  à  ma  patrie,  m'a  conduit  en  Alle- 
magne, depuis  le  mois  de  janvier  dernier;  j'ai  voulu  la  ser- 
vir, non  pas  comme  les  émigrés,  dont  je  porte  la  cocarde, 
et  dont  je  sais  assez  bien  contre-faire  le  langage;  mais 
comme  il  appartient  à  un  vrai  patriote,  et  comme  le  doit 
faire  un  français  régénéré  par  la  constitution  J'ai  été  assez 
heureux,  pour  réussir  à  rassembler  des  notes  assez  pré- 
cieuses, pour  être  communiquées  au  comité  de  surveillance  ; 
j'espère  les  porter  moi-même  à  Paris,  où  je  serai  rendu 
vers  le  tems  de  la  Fédération;  mais  je  crois  devoir,  avant 
mon  arrivée,  vous  faire  parvenir  celles  que  vous  trouverez 
ici;  elles  viendront  à  l'appui  de  la  plus  juste  dénonciation 

Kaunitz,  du  16  mai,  dans  Glagau,  op.  cit.,  p.  318-320.  —  La  Fayette  avait 
avoué,  peu  après,  à  Jaucourt  qu'il  aspirait  à  la  dictature.  Cf.  A.  Maihiez: 
L'intrigue  de  La  Fayette  et  des  généraux  au  début  de  la  guerre  de  17Ç2  dans 
les  «  Annales  révolutionnaires  »  de  mars-avril  1921). 

(45)  Les  deux  lettres  qui  suivent  ont  rapport  aux  intrigues  et  aux  menées 
de  la  contre-révolution.  La  première  émane  d'un  espion  français,  entré  dans 
les  bureaux  de  Calonne,  à  Coblentz  et  qui  signale  une  démarche  faite  par  un 
envoyé  de  La  Fayette. 

Vers  la  même  époque,  La  Fayette  fit  faire  également,  par  l'abbé  Lambinet, 
des  propositions  aux  Autrichiens,  si  nous  en  croyons  une  dépêche  adressée  le 
26  mai  1792,  par  Kaunitz  à  Mercy-Argenteau  et  publiée  dans  un  ouvrage 
contenant  des  documents  sur  La  Fayette  empruntés  aux  Archives  impériales 
d'Autriche:  Vivenot,  Quellen  sur  Politik  der  deutschen  Kaiser politik  œster- 
reichs  (1873,  t.  I  et  II).  Cette  dépêche  a  été  reproduite  dans  la  biographie  de 
La  Fayette  par  E.  Charavay,  p.  299). 


SIXIEME   NUMERO  ICI 

que  Ton  ait  jamais  faite  à  la  tribune  de  l'assemblée  natio- 
nale; j'espère,  avec  les  vrais  français,  que  vous  la  repren- 
drez, Monsieur,  et  que  vous  ferez  valoir  par-tout  les 
moyens  que  votre  patriotisme  vous  fournira  la  nécessité 

qu'il  y  a  de  faire  quitter  le  commandement  à  M.L (46). 

Voici  ce  que  je  sais  de  certain  sur  son  compte,  et  les  indices 
que  j'ai  de  sa  perfidie.  Je  suis  entré,  comme  secrétaire  en 
second,  dans  les  bureaux  du  sieur  de  Calonne  (47)  le  18 
février;  j'ai  obtenu  cette  place  à  la  recommandation  d'un 
ci-devant  seigneur,  dont  mon  père  étoit  procureur-fiscal, 
sous  le  règne  des  tyrans  ;  je  n'ai  rien  vu,  dans  ce  tems,  qui 
méritât  sérieusement  d'être  communiqué;  ce  n'est  que 
depuis  environ  quinze  jours,  que  je  me  suis  apperçu  que 
l'aigreur  que  les  gens  instruits  de  Coblentz  avoient  contre 
celui  qu'ils  appelent,  par  dérision,  le  général  Morphée, 
étoit  bien  diminuée  :  il  est  vrai  qu'auparavant,  on  se  cachoit 
soigneusement  de  moi,  et  je  n'écrivois  dans  mon  bureau, 
que  des  ordonnances  de  payemens,  de  registres  de  ces 
mêmes  ordonnances,  quelques  lettres  de  détails,  quelqu'état 
de  situation  de  caisse  et  de  comptabilité,  en  un  mot,  des 
choses  peu  intéressantes;  enfin,  soit  que  l'espérance  rende 
plus  confiant,  soit  que  l'on  se  soit  moins  méfié  de  moi,  on 
ne  s'en  est  pas  caché,  pour  me  montrer  un  officier  de  génie, 
dont  je  n'ai  pu  savoir  que  le  nom  de  Coblentz,  qui  est  du 
Rivier  (je  crois  être  sûr  qu'il  en  a  un  autre),  envoyé  de  la 
part  de  M.  Lafayette;  c'est  un  homme  de  cinq  pieds  cinq  à 
six  pouces,  fort  brun,  assez  bien  fait,  les  yeux  noirs  et  en- 
foncés, bouche  et  le  nez  grands  ;  il  a  été  introduit  chez  le 

(46)  La  Fayette. 

(47)  L'ancien  ministre  des  finances  de  Louis  XVI,  Charles-Alexandre  de 
Calonne  (1734-1802)  était  émigré,  avec  les  princes  à  Coblentz.  Il  dirigeait  le 
bureau  de  la  contre-révolution  et  s'occupait  des  affaires  intéressant  plus  parti- 
culièrement la  politique  personnelle  des  frères  de  Louis  XVI.  Son  parent, 
Charles-François  Riffardeau  de  Rivière  (1763-1828),  aide  de  camp  du  comte 
d'Artois,  réfugié  alors  à  Turin,  lui  servait  d'intermédiaire,  et  autant  dire 
d'espion;  il  fut  chargé  de  diverses  missions.  C'est  peut-être  lui  dont  il  s'agit, 
dans  la  lettre  ci-dessus  où  il  est  question  d'un  certain  «  Du  Rivier  >. 

Il  devint  gouverneur  de  la  8e  division  militaire  sous  la  Restauration  (an- 
cienne Provence).  Ses  mémoires  furent  publiés  après  sa  mort  :  Mémoires  pos- 
thumes, lettres  et  pièces  authentiques  touchant  la  me  et  la  mort  de  Charles- 
François,  Duc  de  Rivière.  Paris,  Ladvocat,  libraire  de  S.  A.  R.  M.  le  duc  de 
Chartres,  quai  Voltaire  et  Palais-Royal;  Dufey,  éditeur,  rue  des  Beaux- 
Arts,  14,  près  celle  des  Petits-Augustins  (1829). 


192  LE   DEFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

sieur  Calonne,  à  neuf  heures  du  soir,  le  3  de  ce  mois,  et  le 
lendemain  matin,  à  dix  heures,  il  est  revenu  en  uniforme 
d'Ath,  c'est-à-dire,  gris  de  fer,  et  a  été  conduit  par  le  sieur 
Calonne,  chez  les  princes  français;  celui-ci,  le  sieur 
Calonne,  affectoit  de  l'appeler  mon  cousin,  quoiqu'il  soit 
certain  qu'il  n'en  a  pas  de  ce  nom.  Je  ne  l'ai  revu  que  pour 
le  souper,  après  lequel  j'ai  été  appelé,  pour  mettre  sous 
enveloppe  un  gros  paquet  d'assignats,  dont  j'ignore  le  mon- 
tant, mais  ils  étoient  tous  de  cinquante  livres;  il  m'a  paru 
y  en  avoir  deux  cents,  en  deux  cahiers  de  cent  chacun, 
plies  sous  bandes  de  papier  cacheté.  Cela  fait,  j'ai  compté 
cinq  mille  louis  d'or,  que  le  sieur  Calonne  a  remis  lui-même, 
en  un  sac  de  cuir,  audit  sieur  du  Rivier,  qui  les  a  emportés  ; 
en  le  conduisant,  je  lui  ai  entendu  dire,  à  demi-voix  :  dites- 
lui,  mon  cher  cousin,  que  l'homme  de  Bruxelles  a  certaine- 
ment reçu  les  ordres  du  roi  de  Hongrie,  pour  les  quinze 
cents  mille  guinées.  A  quoi  l'autre  a  répondu:  êtes-vous 
sûr  d'Ostende  pour  le  partisan  ?  Oui.  a  dit  le  sieur  Calonne, 
j'en  suis  assuré;  adieu.  Ils  se  sont  séparés,  et  il  est  parti  à 
onze  heures  du  soir  en  poste;  je  l'ai  vu  monter  en  voiture, 
avec  un  espèce  de  valet,  qu'il  a  appelé  Joseph. 

Le  5,  à  neuf  heures  du  matin,  étant  à  mon  bureau,  j'ai 
été  appelé  dans  le  cabinet  où  j'ai  écrit  une  lettre  sous-dic- 
tée, pour  le  général  Schroëder,  commandant-royal  à 
Luxembourg,  afin  de  le  prier  de  faire  bien  recevoir  dans 
sa  forteresse,  un  officier-général  français,  fort  connu  par 
le  rôle  qu'il  a  joué  dans  la  révolution;  on  ne  le  nomme  pas, 
mais  tout  de  suite  j'en  ai  écrit  trois  autres,  une  à  Bruxel- 
les, une  à  Trêves,  et  la  dernière  à  Mayence.  aux  officiers- 
généraux  commandant  les  émigrés,  par  lesquelles  on  les 
prévient  qu'il  est  possible  que,  sous  peu  de  jours,  il 
arrive  dans  les  villes  où  ils  sont  établis,  un  ou  même  deux 
officiers-généraux  constituttionnels  (c'est  ainsi  qu'on  les 
appelé  ici)  ;  et  que  l'intention  des  princes  étoit  qu'ils  fussent 
bien  reçus,  non  seulement  par  les  chefs,  mais  encore  par  les 
subordonnés  ;  à  l'effet  de  quoi,  il  leur  est  enjoint  d'aller  au- 
devant  de  ces  mêmes  officiers-généraux,  s'ils  le  trouvent 
nécessaire. 

Voici,  Monsieur,  ce  qui  est  arrivé  depuis;  le  10,  il  est 
arrivé  une  lettre  de  Flandres,  par  laquelle  un  sieur  Beau- 


SIXIEME    NUMERO  IÇ3 

rain  écrit,  sous  double  enveloppe,  au  sieur  Calonne;  je  l'ai 
remise  moi-même,  et  j'ai  vu  celui  qui  la  lisoit,  laisser 
échapper  des  marques  de  joie;  j'ai  cherché  à  me  la  procu- 
rer et  le  même  jour,  vers  cinq  heures,  j'ai  pu  la  prendre 
dans  le  carton;  je  commençois  à  lire,  lorsque  le  sieur 
Calonne  est  entré,  il  n'a  pas  fait  semblant  de  le  remarquer  ; 
mais  le  n,  j'ai  reçu,  à  six  heures  du  matin  une  somme  de 
600  livres  et  mon  congé;  tout  ce  que  je  puis  dire  de  cette 
lettre,  c'est  qu'elle  commence  par  ces  mots:  (Tout  va  tou- 
jours pour  le  mieux  du  monde  pour  nous,  les  chefs  sont 
d'accord  sur  les  moyens).  Elle  est  timbrée  au  bas  de  la  pre- 
mière page.  J'ai  profité  de  mon  congé,  pour  venir  faire 
l'aristocrate  ici,  et  retirer  vingt  louis  que  j'ai  eu  la  foiblesse 
de  prêter  à  un  de  ces  houbéraux  (sic),  dont  les  trois  quarts 
meurent  de  faim;  j'espère  cependant  être  payé,  et  pouvoir 
repartir,  le  25  ou  26  d'ici,  pour  me  rendre  à  Paris,  par  la 
Flandre  française:  mon  premier  soin,  Monsieur,  sera 
d'aller  vous  voir  ;  comme  je  ne  puis  y  aller  en  poste,  je  ne 
suis  pas  sûr  d'y  être  avant  le  8  ou  le  10  juillet;  je  vous  por- 
terai des  notes  sur  la  farce  de  Coblentz,  et  j'irai  admirer, 
avec  le  plus  grand  plaisir,  l'assemblé  (sic)  nationale,  et 
entendre  encore  les  airs  chéris  de  la  liberté. 

III 
Lettre  de  Metz  (48) 

Les  patriotes  voient,  avec  douleur,  que  M.  Belmont  est 
trop  vieux  et  trop  peu  actif,  pour  commander  à  Metz;  il 
ne  voit  rien  par  lui-même,  il  est  obligé  de  s'en  rapporter  à 
des  sous-ordres  suspects,  et,  pour  comble  de  malheurs,  on 
nous  annonce  pour  commandant  temporaire,  un  homme 
sans  moyens,  et  dont  les  sentimens  sont  équivoques,  tels 
que  Senazaront,  Jobat,  ci-devant  commandant  de  la  cita- 
delle, dont  le  fils,  capitaine  dans  Lauzun,  vient  d'émigrer 
avec  Dutertre  qui  en  étoit  lieutenant-colonel.  Nous  appre- 
nons que  Luxembourg  est  à  présent  dans  l'état  de  défense 
le  plus  formidable,  que  tout  est  palissade,  les  parapets, 
banquettes  relevées,  les  fortifications  en  état,  les  munitions 

(48)  Voir  ci-dessus,  p.  101. 


194  LE   DEFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

de  guerre  et  de  bouche  pour  trois  ans;  et  qu'il  n'y  a  que 
quatre  mille  hommes  de  garnison,  tandis  que  les  prépara- 
tifs, en  tout  genre,  se  font  dans  nos  villes  de  guerre,  avec 
la  lenteur  la  plus  criminelle;  rien  n'est  poussé,  rien  n'est 
surveillé  ;  on  ignore  si  l'on  est  approvisionné  suffisamment  ; 
c'est  ce  qui  a  déterminé  les  citoyens  à  faire  cette  adresse  à 
M.  Belmont,  pour  lui  demander  l'état  des  magasins  de 
vivres  et  de  fourrages,  des  munitions  de  guerre,  etc.  Je 
doute  s'il  répondra  à  toutes  ces  questions. 

On  dit  qu'un  camp  autrichien,  composé  en  grande  par- 
tie, de  nos  émigrés,  se  forme  près  de  Virton,  en  face  de 
Montmédy.  L'escadron  de  dépôt  du  troisième  régiment 
des  chasseurs  à  cheval,  (ci-devant  Flandres),  envoyé  à 
Verdun,  pendant  trois  semaines,  est  revenu,  lundi  n,  à 
Metz,  pour  y  tenir  garnison  :  depuis  le  départ  des  hussards 
du  colonel-général  pour  les  gorges  de  Fontay  (49),  il  ne 
nous  restoit  plus  en  cavalerie,  que  quatre-vingt  hussards 
ou  recrues  de  Lauzun,  qui  ne  peuvent  point  faire  de  servi- 
ce. Le  général  Lafayette  vient  de  renvoyer  à  Metz  une 
charretée  de  filles  publiques  qui  avoient  suivi  la  garnison, 
et  qui  gâtoient  son  armée  :  on  les  a  mises  à  la  renf  ermerie. 
On  cherche  à  sacrifier  un  sous  officier  de  Castella,  qui  a 
dit,  dans  son  corps  de  garde,  pourquoi  les  suisses  ne  plan- 
teroient-ils  pas  l'arbre  de  la  liberté,  comme  les  autres  régi- 
mens?  Ce  sont  des  soldats  du  poste,  qui  l'ont  dénoncé  à 
leurs  officiers,  qui  sont  à  ses  trousses,  et  qui  disent  qu'il 
faut  cette  permission  des  cantons,  pour  cette  plantation. 
L'aumônier  de  l'hôpital  militaire,  ex-capucin,  qui  a  quitté 
son  habit,  sans  vouloir  jurer,  a  été  condamné  hier  à  trois 
mois  de  prison  et  à  23  liv.  d'amende,  pour  avoir  enterré 
précipitamment,  par  esprit  d'intérêt,  et  jalousie  de  métier, 
un  volontaire  qu'il  savoit  devoir  lui  être  enlevé  par  le  curé 
St-Vincent  qui  devoit  faire  la  cérémonie  à  meilleur  compte. 

(49)  Mis  pour  «  Fontoy  »  à  l'ouest  de  Thionville. 


LE   DÉFENSEUR  DE    LA   CONSTITUTION 

N°  7 


Articles  contenus  dans  ce  numéro 
50  pages  (305  à  374)  (1) 


Pages 
du  document 


I.  —  Deuxième    lettre    de    M.    Robespierre    à    M. 

Lafayette  sur  les  lettres  de  M.  Lafayette  à  (1) 

l'Assemblée  nationale  et  au  roi   305  à  369 

II.  —  Lettre  de  fia  Société  des  Amis  de  la  Constitu- 
tion de]  Strasbourg  du  25  juin,  l'an  4e  de  la 
liberté  aux  Amis  de  la  Constitution  à  Paris .  .     369  à  374 

III.  —  Extrait  d'une  lettre  de  Lille  en  date  du  25  juin 

1792   [au  sujet  de  Luckner]    374 


Deuxième  lettre  de  M.  Robespierre,  à  M.  Lafayette, 

sur  les  lettres  de  M.  Lafayette  à  l'Assemblée  Nationale 

et  au  roi  (2) 

Sommes-nous  déjà  arrivés  au  tems  où  les  chefs  des 
armées  peuvent  interposer  leur  influence  ou  leur  autorité 
dans  nos  affaires  politiques,  agir  en  modérateurs  des  pou- 
Ci)  L'erreur  de  pagination  se  trouve  dans  le  premier  article  de  ce  fasci- 
cule 7,  qui  est  numéroté:  297  à  334  et  365  à  374. 

(2)  Non  content  d'avoir  parlé  en  maître  à  l'Assemblée  nationale,  La 
Fayette  avait  écrit  au  roi  pour  l'encourager  dans  la  résistance.  Les  lettres  du 
général,  dirigées  contre  les  patriotes  et  les  jacobins,  inspirent  à  Robespierre 
une  deuxième  philippique  dans  laquelle  il  discute,  point  par  point,  chacune  des 
phrases  de  La  Fayette.  «  Robespierre  montra  tous  les  dangers,  dit  Laponne- 
raye,  qui  reproduit  in-extenso  cette  deuxième  lettre  à  La  Fayette,  qu'il  y 
aurait  à  laisser  la  puissance  militaire  s'immiscer  dans  les  affaires  civiles  et 
dans  le  gouvernement  de  l'Etat.  Les  pages  éloquentes  et  prophétiques  qu'il 
écrivit  à  ce  sujet  durent  se  retracer  à  la  mémoire  de  ceux  qui  virent  plus 
tard  l'ambitieux  Bonaparte  s'emparer  du  pouvoir  suprême  en  marchant  sur 
le  cadavre  palpitant  de  la  liberté  ».  T.  I,  pp.  442  à  471. 

Et  au  moment  où  Robespierre  achevait  cet  exposé,  La  Fayette,  quittant  son 
armée,  à  la  nouvelle  des  événements  du  20  juin,  arrivait  inopinément  à  Paris 


196  LE    DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

voirs  constitués,  en  arbitres  de  la  destinée  du  peuple?  Est- 
ce  Cromwel,  ou  vous  qui  parlez  dans  cette  lettre,  que  l'as- 
semblée législative  a  entendue  avec  tant  de  patience? 
Avons-nous  déjà  perdu  notre  liberté,  ou  bien  est-ce  vous 
qui  avez  perdu  la  raison?  La  constitution  déclare  que  la 
force  armée  est  essentiellement  obéissante:  et  vous  don- 
nez des  leçons  aux  représentans  de  la  nation;  et  vous  tra- 
cez au  roi  un  plan  de  conduite  envers  eux  ?  Vous,  à  la  tête 
d'une  armée,  vous  renouvelez  l'usage  des  remontrances, 
avec  une  espèce  d'empire  que  ne  pouvoient  avoir  les 
remontrances  parlementaires.  Vous  ne  daignez  pas  même 
déguiser  cet  acte  illégal  et  séditieux,  sous  le  voile  d'une 
pétition,  que  la  constitution  et  les  premiers  principes  de  la 
liberté  interdisent  d'ailleurs  aux  chefs  de  la  force  armée; 
vous  donnez  à  votre  mercuriale  le  nom  de  représentations; 
comme  si  un  général  étoit  trop  élevé,  pour  rester  avec  le 
corps  législatif,  dans  les  termes  constitutionnels;  comme 
s'il  vous  falloit  à  vous  de  nouvelles  formules,  pour  expri- 
mer vos  relations  avec  l'assemblée  nationale! 

Quelles  représentations,  juste-ciel  !  et  quel  langage  !  Vous 
passez  en  revue  toutes  les  parties  du  gouvernement,  et  vous 
demandez,  avec  autorité,  le  redressement  des  abus  qui 
paroissent  vous  blesser.  Il  faut  vous  suivre  dans  cette 
étrange  discussion. 

Vous  commencez  par  tonner  contre  les  derniers  minis- 
tres: l'un  d'eux  restoit  encore  à  l'époque  où  vous  écriviez 
et  vous  affirmiez  qu'il  ne  prolongera  pas  long-tems,  dans 
le  conseil  du  roi,  son  équivoque  et  scandaleuse  exis- 
tence (3). 

A  Dieu  ne  plaise  qu'aucune  prévention  personnelle,  pour 
des  ministres  quels  qu'ils  soient,  puisse  influer  sur  mes  opi- 
nions et  sur  mes  principes:  on  m'a  reproché  ma  profonde 

et  se  présentait  le  28  à  la  barre  de  l'Assemblée,  menaçant,  la  main  appuyée 
sur  la  garde  de  son  épée,  donnant,  par  cette  attitude,  le  droit  à  Robespierre 
de  demander  «  si  le  peuple  français  avait  abattu  le  despotisme  de  la  Cour, 
pour  subir  celui  du  sieur  La  Fayette  >. 

Léonard  Gallois  résume  cette  «  Réponse  »  en  une  demi  page.  —  Hatin 
(t.  VI,  p.  285)  cite  quelques  lignes  du  début  (p.  128).  —  E.  Hamel,  comme 
d'habitude,  en  fournit  une  copieuse  analyse  (t.  II,  pp.  301  à  305).  —  G.  Mi- 
chon,  ibid.,  p.  124. 

(3)  Allusion  à  Dumouriez  qui  ne  quitta  le  Ministère  des  Affaires  étrangères 
que  quatre  jours  après  les  ministres  girondins. 


SEPTIÈME  NUMÉRO  197 

indifférence,  pour  ceux  même,  qui  sembloient  présenter  des 
titres  de  patriotisme;  et  j'ai  eu  moi-même  beaucoup  à  me 
plaindre  de  quelques-uns  de  ceux  que  vous  attaquez  avec 
tant  de  fureur.  Mais  si  quelque  chose  pouvoit  me  convain- 
cre que  leurs  vues  pouvoient  être  utiles  au  bien  public,  ce 
seroit  sans  doute  le  mal  même  que  vous  en  dites. 

Il  paroît  au  moins  que  ces  ministres,  tels  qu'ils  sont, 
avoient  obtenu  la  confiance  de  l'assemblée  nationale,  puis- 
qu'elle a  solennellement  déclaré  qu'ils  emportoient  les 
regrets  de  la  nation  (4)  ;  et  c'est  à  l'assemblée  nationale  que 
vous  parlez  de  ces  mêmes  hommes,  avec  cet  insolent  mé- 
pris! Ce  n'est  pas  que  je  croie  moi-même  à  l'infaillibilité 
de  l'assemblée  nationale;  elle  a  prouvé  qu'elle  pouvoit  se 
tromper,  lorsqu'elle  vous  prodigua  des  applaudissemens 
que  toute  votre  conduite  désavoue:  mais  ce  n'est  point  à 
aux  généraux  qu'il  appartient  de  la  censurer  avec  cet  hau- 
teur insultante,  en  s'adressant  à  elle.  Et,  où  en  sommes- 
nous,  s'ils  veulent  aussi  composer  à  leur  gré  le  conseil  du 
roi  et  le  ministère?  De  quel  front  osez-vous  afficher  vous- 
même  cette  ambitieuse  prétention,  que  vous  avez  déjà  réa- 
lisée depuis  long-tems?  De  quel  œil  pensez-vous  que  la 
nation  vous  voie  sans  cesse  occupé  à  créer,  à  chasser,  à 
louer,  à  diffamer  les  ministres,  selon  vos  intérêts,  lorsqu'en 
qualité  de  général,  la  loi  vous  impose  le  devoir  rigoureux 
d'obéir  à  leurs  ordres?  Vous  parlez  de  Y  équivoque,  de  la 
scandaleuse  existence  de  l'un  des  ministres  que  vous  venez 
de  renvoyer,  après  les  avoir  fait  nommer  vous-même.  Mais 
quelle  existence  fut  donc  jamais  plus  équivoque  et  plus 
scandaleuse  que  celle  de  l'homme,  qui,  après  avoir  flotté 
sans  cesse  entre  tous  les  partis,  pour  les  sacrifier  tous  à  sa 
coupable  ambition,  ne  craint  pas  aujourd'hui  de  se  mettre 
audacieusement  au-dessus  des  lois? 

Après  avoir  fait  connoître  votre  volonté  impérieuse  sur 
ce  qui  concerne  le  ministère,  vous  déclarez  que  ce  n'est 
point  assez  d'avoir  délivré  cette  branche  du  gouvernement 
d'une  funeste  influence;  et  vous  portez  votre  censure  sur 
la  conduite  du  corps  législatif.  Vous  lui  intimez  nettement 

(4)  Séance  du  13  juin  1792. 


198  LE    DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

Tordre  de  demeurer  soumis  à  la  constitution;  vous  osez 
supposer  qu'il  l'a  déjà  violée;  vous  lui  dénoncer  à  lui-même, 
dites-vous,  les  efforts  trop  puis  sans  que  l'on  fait,  pour 
V écarter  de  cette  règle;  vous  imputes  ce  fatal  ascendant  à 
une  faction,  qu'il  renferme  dans  son  sein!...  Ah  !  sans  doute, 
l'assemblée  nationale  doit  respecter  religieusement  les  bor- 
nes sacrées  que  la  constitution  a  mises  à  son  autorité;  la 
volonté  de  la  nation,  l'intérêt  suprême  de  la  liberté,  le  salut 
public,  ses  propres  sermens,  tout  lui  en  impose  la  loi.  En 
s'élevant  au-dessus  de  la  constitution,  à  qui  elle  doit  son 
existence,  elle  la  renverserait  et  s'enseveliroit  elle-même 
sous  les  ruines  de  cet  édifice  sacré,  qui  est  à  la  fois  son 
sanctuaire  et  son  refuge.  Le  patriotisme  ambitieux  et  par- 
jure, qui  lui  donneroit  ce  conseil,  seroit  plus  fatal  à  la 
liberté,  que  l'incivisme  même  de  ses  plus  dangereux  enne- 
mis ;  il  donneroit  à-la-fois  le  signal  de  l'anarchie,  de  la 
guerre  civile  et  de  la  dissolution  de  l'état.  Mais  aussi,  dans 
quel  tems  a-t-elle  violé  ce  devoir?  Et  qui  vous  a  donné  le 
droit  de  l'en  accuser  ?  (Duels  sont  d'abord  les  faits  que  vous 
articulez.  Aucuns.  Mais,  si  l'on  cherche  à  interpréter  votre 
pensée,  par  l'esprit  et  par  l'ensemble  de  votre  lettre,  on  voit 
que  vous  voulez  insinuer  que  l'assemblée  n'a  point  assez 
respecté,  ni  la  prérogative  royale,  ni  les  droits  des  citoyens, 
dans  la  personne  des  conspirateurs,  ni  la  liberté  religieuse, 
dans  les  prêtres  réf ractaires  ;  mais,  comment  prouverez- 
vous  que  dans  ces  points,  die  ait  enfreint  les  vrais  principes 
de  la  constitution,  et  outre-passé  les  limites  de  son  pouvoir  ? 
Non,  tout  ce  que  vous  prouvez,  c'est  qu'il  contient  à  vos 
projets  de  défendre,  en  ce  moment,  le  parti  de  la  cour,  pour 
fortifier  le  vôtre,  et  de  grossir  votre  faction  de  tous  les 
ennemis  de  la  liberté,  dont  vous  vous  déclarez  le  défenseur. 
Vous  lui  reprochez  un  excès  d'énergie,  lorsque  l'opinion 
publique  a  souvent  désiré  en  elle  une  dignité  et  une  fer- 
meté plus  soutenues  ;  vous  ne  voulez  qu'énerver  le  courage 
des  députés  patriotes,  pour  faire  triompher  la  cause  de  vos 
partisans. 

Mais,  quel  que  soit  en  lui-même  le  poids  de  vos  inculpa- 
tions, qui  vous  a  donné  la  mission  de  régenter  les  repré- 
sentai du  peuple?  Est-ce  à  eux  ou  à  vous,  que  la  nation  a 
confié  le  maintien  de  la  constitution?  A-t-elle  institué  les 


SEPTIÈME  NUMÉRO  IÇÇ 

généraux  tribuns  du  peuple,  et  juges  du  sénat?  Il  est  trop 
facile  d'interpréter  la  constitution  au  gré  de  ses  intérêts 
ou  de  ses  préjugés;  et  l'on  peut  deviner  aisément,  qu'elle 
(sic)  est  la  partie  de  ce  code,  que  vous  chérissez,  et  quel  est 
l'usage  que  vous  désirez  faire  de  ce  nom  imposant?  Mais, 
que  deviendra  la  liberté,  si  vous  pouvez  proposer  impuné- 
ment vos  commentaires,  comme  la  règle  de  la  conduite  de 
nos  représentans ?  S'il  vous  est  permis  de  tenir  la  balance- 
entr'eux,  de  donner  aux  uns  le  titre  de  factieux,  aux  autres 
un  brevet  de  patriotisme  et  de  sagesse,  c'est-à-dire,  de  pro- 
téger votre  propre  faction,  contre  ceux  qui  la  combattent. 
Si  l'on  vous  pardonne  ces  procédés,  autant  vaut,  ce  me 
semble,  vous  nommer  tout  de  suite  le  législateur  unique  et 
le  roi  des  français;  vous  auriez,  de  moins  (sic),  la  peine, 
et  nous  la  honte  de  voir  des  représentans  avilis  devenir  les 
instrumens  ser viles  de  votre  insolente  audace.  Eh  !  que  fai- 
soit  de  plus  ce  Cromwel,  dont  le  nom  est  exécrable  dans  la 
postérité!  Cromwel  au  moins  avoit  du  génie,  du  courage, 
de  l'éloquence.  Les  français  valent  mieux  aujourd'hui,  que 
les  anglais  qu'il  asservit...  Et  vous,  dont  il  n'auroit  pas  vou- 
lu pour  l'un  de  ses  serviteurs;  vous...  je  rougirois  d'ache- 
ver, pour  l'honneur  de  ma  patrie.  Vous  intriguez,  vous  in- 
triguez, vous  intriguez;  vous  êtes  digne  de  faire  une 
révolution  dans  une  cour,  il  est  vrai;  mais  arrêter  la 
révolution  du  monde,  cette  œuvre  est  au-dessus  de  vos  for- 
ces !  Le  ciel  reposera-t-il  sur  les  épaules  d'un  pigmée  (sic)  ? 

Comme  tout  est  faux  !  Comme  tout  est  petit  dans  la  mi- 
sérable diatribe,  que  vous  adressez  à  l'assemblée  nationale. 

Rien  ne  m'empêchera,  dites-vous,  pour  justifier  votre 
démarche,  d'exercer  ce  droit  d'un  homme  libre  de  remplir 
ce  devoir  d'un  citoyen?  Ainsi  parloit  encore  ce  Cromwel, 
que  vous  copiez  si  ridiculeusement.  Mais  quoi!  pouvez- 
vous  comparer  de  bonne  foi,  cette  insurrection  d'un  hom- 
me à  la  tête  de  la  force  armée,  à  la  pétition  d'un  particu- 
lier? Un  général  n'est-il  qu'un  homme  libre,  un  citoyen 
ordinaire?  Celui  qui,  à  ce  titre,  doit  obéissance  entière  à 
l'autorité  civile,  peut-il  lui  prescrire  des  lois,  sans  lever 
par  cela  même  l'étendard  de  la  rébellion? 

Rien  ne  m'empêchera,  dites- vous,  ni  les  égaremens  mo- 
mentanés de  l'opinion.   Vous  voilà  donc  aussi  l'arbitre 


200  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

suprême  de  l'opinion?  Ce  n'est  pas  la  première  fois,  il  faut 
l'avouer,  que  vous  avez  entrepris  de  la  faire  taire  devant 
la  force.  Ni  mon  respect  pour  les  représentans  du  peuple: 
car  je  respecte  encore  plus  le  peuple,  dont  la  constitution 
est  la  volonté  suprême.  Il  seroit  très  commode,  sans  doute, 
de  justifier  votre  mépris  déclaré  pour  les  représentans  du 
peuple,  en  affichant  par  de  vaines  paroles,  un  faux  respect 
pour  le  peuple  lui-même,  que  vous  n'avez  cessé  d'avilir  et 
d'opprimer;  et  de  donner  ensuite  pour  unique  base  à  ce 
respect,  cette  constitution  que  vous  appelez  sa  volonté 
suprême,  mais  dont  vous  vous  déclarez  vous-même  le  sou- 
verain interprête.  Ni  la  bienveillance  que  vous  m'avez  cons- 
tamment témoignée.  C'est  parler  bien  légèrement  de  cette 
bienveillance  qui,  seule  a  fait  tout  vos  talens,  toutes  vos 
vertus.  Que  seriez-vous,  si  elle  vous  abandonnoit?  Qu'ils 
vous  rendent  justice;  et  vous  retombez  dans  le  néant. 

Après  avoir  épuisé  ces  excuses  lâchement  audacieuses, 
vous  cherchez  à  intimider  le  corps  législatif,  en  lui  présen- 
tant le  tableau  de  la  France  menacée  au  dehors  et  agitée 
au  dedans;  au  milieu  de  ces  dangers,  vous  semblez  vous 
montrer  à  lui,  comme  un  appui  nécessaire;  et  vous  lui 
annoncez  qu'il  ne  pourra  réprimer  tant  d'ennemis,  qu'au- 
tant qu'il  sera  docile  à  votre  avis  ;  c'est-à-dire,  constitution- 
nel et  juste!  On  diroit  que  vous  avez  osé  soupçonner  les 
représentans  de  la  nation  française  de  foiblesse  et  de 
lâcheté!  Ensuite  après  avoir  prodigué  vos  protestations 
ordinaires  de  patriotisme,  vous  semblez  vouloir  encourager 
la  nation  elle-même.  Au  nom  de  votre  valeur,  de  votre 
renommée,  vous  venez  lui  faire,  à  la  face  de  l'univers,  une 
déclaration  solennelle.  Qu'elle  est-elle  ?  c'est  que  si  la  nation 
française  n'est  pas  la  plus  vile  nation  de  l'univers,  elle  peut 
et  doit  résister  à  la  conjuration  des  rois,  qu'on  a  coalisés 
contr'elle. 

Français,  prosternez-vous  devant  le  grand  homme  qui 
vient  vous  révéler  cette  grande  vérité!  Quel  déplorable 
charlatanisme,  juste  ciel  !  et  quelle  honteuse  mauvaise  foi  ! 
Ne  croirait-on  pas  que  la  nation  a  jamais  redouté  les  puis- 
sances étrangères,  et  qu'elle  a  jamais  eu  l'idée  de  leur 
sacrifier  sa  souveraineté,  ou  de  transiger  avec  elles  sur  sa 
liberté!  Rassurez-vous,  général,  la  nation  a  toujours  mé- 


SEPTIÈME   NUMÉRO  201 

prisé  la  foiblesse  des  despotes  étrangers;  elle  n'a  jamais 
douté  de  son  courage  ou  de  sa  puissance.  Ce  n'est  pas  de 
vous  qu'elle  apprendra  à  chérir  l'honneur  ou  la  liberté. 
Elle  a  toujours  regardé  comme  les  plus  dangereux  de  ses 
ennemis,  les  ambitieux  hypocrites  qui  conspirent  dans  son 
sein;  elle  n'a  jamais  douté  que  des  traîtres,  des  factieux, 
qui  prétendroient  lui  faire  acheter  sa  sûreté,  aux  dépens 
des  principes  de  la  constitution  et  de  l'égalité,  qui  ne  veu- 
lent paroître  ses  défenseurs,  que  pour  devenir  ses  tyrans: 
et  certes,  vous  ne  prenez  pas  les  moyens  nécessaires,  pour 
la  rassurer  contre  cette  espèce  de  péril. 

Cependant  cette  entreprise  de  repousser  et  de  punir  nos 
ennemis  étrangers,  que  tout  français  trouve  si  facile  en 
elle-même,  vous  la  présentez  comme  environnée  d'une  mul- 
titude innombrable  de  difficultés;  vous  exigez,  pour  l'exé- 
cuter, des  conditions  infinies;  vous  vous  ménagez  des 
excuses,  pour  vos  lenteurs  ou  pour  vos  mauvais  succès,  en 
prétextant  contre  l'opinion  publique,  que  vos  provisions  ne 
sont  point  suffisantes,  que  votre  armée  n'est  point  assez 
considérable.  Vous  avancez  que  le  nombre  des  défenseurs 
de  la  patrie  n'est  pas  proportionné  à  celui  de  ses  adversai- 
res. Quel  langage  pour  un  héros,  qui,  depuis  plusieurs  mois, 
est  à  la  tête  d'une  armée  française  formidable  par  le  nom- 
bre, autant  que  par  la  bravoure,  à  qui  un  peuple  révolté 
contre  la  tyrannie  tend  en  vain  les  bras,  et  montre  d'un 
côté,  les  villes  démantelées  par  Joseph  II,  prêtes  à  recevoir 
nos  troupes;  de  l'autre,  une  armée  autrichienne,  odieuse 
aux  habitans  du  pays,  qui  la  harcèlent,  et  qui  auroit  déjà 
disparu  dès  long-tems,  s'il  eût  été  permis  à  l'armée  fran- 
çaise de  déployer  contr'elle  toutes  ses  forces  et  tout  son 
courage  !  Non,  non,  ce  n'est  point  le  peuple  brabançon  que 
vous  voulez  affranchir,  c'est  le  peuple  français  que  vous 
voulez  enchaîner.  Ce  n'est  point  le  trône  de  François,  que 
vous  voulez  renverser,  c'est  le  trône  de  Louis  XVI,  que 
vous  voulez  élever  au-dessus  de  la  constitution,  pour  éta- 
blir vous-même  votre  empire  sur  les  ruines  de  toutes  les 
autorités  légitimes.  Vous  ne  criez  contre  la  parcimonie  de 
l'assemblée  nationale,  pour  les  frais  de  la  guerre,  que  pour 
grossir  les  ressources  pécuniaires  de  votre  faction;  vous 
demandez  une  augmentation  de  forces,  non  pour  combattre 


202  LE    DEFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

les  ennemis  de  l'état,  mais  pour  subjuguer,  s'il  étoit  possi- 
ble, et  les  patriotes  français,  et  le  corps  législatif  lui-même. 

Mais  c'est  en  vain  que  vous  nourrissez  ce  coupable 
espoir.  Vous  avez  beau  affecter  de  dire:  mes  soldats,  ma 
brave  armée;  l'armée  dont  vous  êtes  le  premier  officier  est 
brave  sans-doute  :  mais  elle  n'est  point  à  vous.  Ni  vos  per- 
fides cajoleries,  ni  vos  absurdes  calomnies  contre  les 
citoyens  les  plus  éprouvés  ne  pourront  jamais  l'enlever  à 
la  patrie.  Ce  n'est  point  elle  que  vous  honorez,  par  les  jus- 
tes louanges  que  vous  lui  prodiguez  ;  c'est  l'honneur  d'être 
à  sa  tête,  qui  vous  donne  seul  quelque  recommandation  ;  les 
vertus  civiques  qui  brillent  dans  votre  camp  caractérisent 
tous  les  soldats  français;  leur  bravoure  ne  sera  fatale 
qu'aux  ennemis  de  l'état  et  de  la  liberté.  Ils  suivront  vos 
drapeaux  lorsque  vous  leur  permettrez  de  vaincre  les 
autrichiens  dont  ils  auroient  déjà  triomphé  sans  vous; 
mais  ils  ne  seconderont  jamais  les  desseins  ambitieux  d'un 
chef  de  faction  révolté  contre  la  souveraineté  nationale. 
N'espérez  donc  pas  effrayer  les  représentans  du  peuple,  de 
l'idée  que  vous  êtes  entouré  d'une  armée;  car  ils  sont  eux- 
mêmes  environnés  de  la  nation,  dans  laquelle  sont  confon- 
dus ceux  que  vous  appelez  vos  soldats;  qu'ils  parlent,  et 
au  même  instant,  vos  soldats  vous  amèneront  à  leurs  pieds. 

A  vous  entendre,  on  diroit  que,  hors  du  camp  où  vous 
résidez,  il  n'existe  ni  discipline,  ni  patriotisme,  ni  patience, 
ni  énergie  ;  que,  par-tout  ailleurs,  les  principes  d'égalité  et 
de  liberté  ne  sont  point  chéris,  que  les  lois  ne  sont  point 
respectées,  que  la  propriété  n'est  point  sacrée,  que  tout  est 
en  proie  aux  calomniateurs  et  aux  factieux!  Avec  quel  mé- 
pris, les  défenseurs  de  la  patrie  que  vous  voulez  tromper, 
doivent  rejeter  ces  perfides  insinuations  lorsqu'ils  aperce- 
vront qu'elles  n'ont  d'autre  but  que  de  les  irriter  d'avance 
contre  les  plus  zélés  partisans  du  bien  public,  et  contre  la 
plus  saine  partie  du  corps  législatif? 

Vous  osez  la  dénoncer  au  corps  législatif  lui-même;  et, 
pour  éviter  les  dénominations  vagues,  vous  l'appelez  la  fac- 
tion jacobite;  vous  peignez  les  sociétés  patriotiques,  comme 
les  fléaux  de  la  liberté,  et  vous  en  demandez  la  prompte 
destruction  à  l'assemblée  nationale  même.  Oh!  oui,  voilà 
bien  sans  doute  le  plus  doux  objet  de  vos  vœux.  Mais, 


SEPTIÈME   NUMÉRO  203 

général,  avec  quelle  imprudence  vous  trahissez  ici  le  secret 
de  vos  projets  ambitieux!  Discutons,  je  vous  prie,  de  sang- 
froid,  cette  question  intéressante,  que.  vous  tranchez,  si 
militairement. 

Avez-vous  déjà  oublié,  que  dans  cette  même  épitre,  vous 
avez  vous-même  enjoint  aux  représentans  du  peuple,  de 
maintenir  scrupuleusement  la  constitution?  Ignorez-vous 
que  la  constitution  garantit  expressément  aux  citoyens,  le 
droit  de  former  des  assemblées  paisibles  et  sans  armes? 
Or,  qu'est-ce  que  l'existence  des  sociétés  patriotiques,  si  ce 
n'est  l'exercice  de  ce  droit  imprescriptible?  Vous  parlez 
même  dans  votre  lettre,  deux  fois  au  moins,  de  la  déclara- 
tion des  droits  de  l'homme  et  du  citoyen;  et  vous  voulez 
ravir  aux  français,  un  droit  si  naturel  et  si  légitime!  Ce 
langage  de  la  liberté,  que  vous  parlez  quelquefois,  avec 
emphase,  ne  seroit-il  donc  dans  votre  bouche  qu'un  jargon 
insignifiant  ou  insidieux,  dicté  par  l'intérêt  personnel! 
Seroit-il  vrai,  que  vous  ne  connoissez  dans  la  constitution 
que  ce  qui  peut  servir  la  tyrannie,  ou  votre  propre  ambi- 
tion? Mais  comment  pouvez-vous  proposer  cet  acte  arbi- 
traire à  l'assemblée  nationale,  qui  a  juré  de  la  maintenir 
toute  entière?  N'en  excepteroit-elle,  pour  vous  complaire, 
que  ce  qui  est  favorable  à  la  liberté  et  aux  droits  du  peu- 
ple? Ne  savez-vous  pas  que  ce  que  vous  exigez  d'elle  est 
au-dessus  de  son  pouvoir,  et  qu'il  ne  lui  est  pas  permis  de 
violer  la  loi  fondamentale  à  qui  elle  doit  son  existence  et 
son  autorité  ?  Avez-vous  oublié,  que  dans  l'assemblée  cons- 
tituante, vous  et  vos  pareils  fîtes  de  vains  efforts,  pour  lui 
arracher  le  décret  de  proscription,  que  vous  sollicitez 
aujourd'hui.  D'où  vous  vient  cette  antipathie  pour  les 
clubs  patriotiques?  Vous  ne  l'aviez  point  pour  le  club  de 
1789,  dont  vous  étiez  l'instituteur?  pour  le  club  monar- 
chique, pour  le  club  des  fédérés  dont  vous  étiez  aussi  le 
protecteur  et  le  héros  (5);  mais,  dont  les  principes  anti- 
civiques n'en  ont  pas  moins  précipité  la  chute  sous  les  coups 

(5)  La  Fayette  créa  le  Club  de  178c,  avec  Bailly,  le  12  avril  1790.  (Voir 
ci-dessus,  p.  177).  Cette  société  disparue  en  1791,  et  fut  le  noyau  du  Club  des 
Feuillants  (Challamel:  Les  clubs  contre-révolutionnaires,  p.  391  à  443). 

—  Le  Club  monarchique  ou  des  Amis  de  la  Constitution  monarc  ique  fut 
fondé  par  Clermont-Tonnerre  et  Malouet,  d'abord  en  mai  1789  par  des 
réunions  à  Viroflay  ;  il  n'a  pas  eu  d'existence  bien  réelle  ;  mais  des  polémiques 


204  LE   DEFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

de  l'opinion  publique.  Toutes  les  sociétés  qui  ne  sont  point 
animées  de  votre  esprit  ou  créées  pour  votre  intérêt,  sont- 
elles  les  seules  qui  n'aient  aucun  droit  à  la  protection  des 
lois?  Les  griefs  que  vous  faites  valoir  contre  elles  sont 
dignes  de  vos  conclusions. 

D'abord  vous  décidez  presque  la  question  en  donnant  à 
toutes  les  sociétés  patriotiques  de  France,  le  nom  de  fac- 
tion jacobite.  C'est  vous  qui  parlez  de  faction.  J'aimerois 
mieux  entendre  Catilina  dénoncer  les  conspirations  ou 
Clodius  déclamer  contre  la  sédition.  Mais  n'importe,  il 
paroit  au  moins  que  vous  connoissez  l'empire  des  mots  sur 
les  hommes  ;  et  parce  que  des  moines  nommés  jacobins  ha- 
bitèrent jadis  dans  l'enceinte  de  l'édifice,  où  se  réunissent 
les  citoyens  de  la  société  des  amis  de  la  constitution  de  Pa- 
ris, vous  appliquez  à  tous  les  français  qui  assistent  à  ces 
sortes  d'assemblées,  la  dénomination  de  jacobites.  Ce  fut 
toujours  un  des  principaux  points  de  votre  politique,  de 
présenter  le  patriotisme,  comme  une  secte.  Pour  remplir  cet 
objet,  vous  n'avez  pas  trouvé  de  moyens  plus  heureux  que 
de  vous  exprimer,  comme  si  Dominique  (6)  étoit  à-la-fois, 
le  fondateur  de  l'ordre  des  jacobins  et  de  toutes  les  sociétés 
patriotiques  de  l'empire.  Et  vous  aussi,  général,  vous  êtes 
fondateur  d'ordre.  N'êtes-vous  pas  le  patron  des  feuillans, 
espèce  de  colonie,  composée  des  jacobins  schismatiques, 
qui,  sous  votre  conduite,  ont  déserté  la  métropole,  suppri- 
més bientôt  après,  par  l'opinion  publique,  comme  des  hypo- 
crites dangereux,  et  comme  de  vils  adorateurs  du  despo- 

l'ont  fait  connaître  et  l'ont  marqué  dans  les  fastes  de  la  Révolution.  (Cf. 
Challamel,  ibid.,  pp.  127  à  275). 

Le  29  décembre  1789,  La  Fayette  avait  été  sollicité  par  son  collègue  Malouet 
qui  avait  fondé  également  le  Club  des  Impartiaux,  doublure  du  Club  monar- 
chique, de  se  mettre  à  la  tête  des  hommes  modérés  «  qui  veulent  la  liberté,  la 
paix  et  la  justice  pour  tout  le  monde  ».  La  Fayette  avait  accepté  et  eut  une 
conférence,  le  31,  chez  La  Rochefoucauld  avec  Malouet  et  ses  amis.  (Cf. 
Challamel,  ibid.,  pp.  98  à  106). 

Le  Club  des  Fédérés,  dont  il  est  question,  tenait  ses  séances  aux  Petits 
Pères,  près  de  la  place  des  Victoires.  Il  n'inspirait  aucune  confiance  aux 
amis  de  la  Révolution.  Il  penchait  vers  le  royalisme  et  La  Fayette  avait 
facilité  sa  formation  après  la  Fédération  du  14  juillet  1790.  Il  n'eut  guère 
que  trois  mois  d'existence:  «  En  disparaissant,  dit  Challamel,  il  laissait  les 
Feuillants,  les  Fayettistes,  la  Société  de  1789,  représenter  seuls  le  modé- 
rantisme  ».  (Cf.  Challamel,  ibid.,  pp.  381  à  390). 

(6)  Saint-Dominique  (11 70-1221),  fondateur  espagnol  de  l'ordre  des 
Frères  prêcheurs  ou  Dominicains,  plus  tard  Jacobins  ou  Jacobites,  du  nom 
de  leur  premier  grand  couvent  de  Paris. 


SEPTIÈME   NUMÉRO  205 

tisme  (y).  Vous  auriez  préféré  alors,  comme  plus 
expéditif,  le  parti  de  faire  fusiller  les  jacobins;  mais 
n'osant  tenter  ce  coup  hardi,  vous  avez  mieux  aimé  les 
diviser  et  tenter  de  les  dissoudre,  en  leur  opposant  le  nom 
et  la  cabale  des  f euillans.  Que  dis-je  ?  Ne  vous  ai-je  pas  vu 
vous-même  dans  les  premiers  tems  de  l'assemblée  consti- 
tuante, lorsque  vous  sentiez  le  besoin  de  vous  faire  une 
réputation  de  civisme,  fréquenter  la  société  des  amis  de 
la  constitution,  dans  le  réfectoire  de  jacobins;  vous  l'avez 
abandonné  ensuite,  pour  le  magnifique  salon  de  1789;  mais 
quelques  mois  après,  le  jour  de  la  fuite  du  roi,  je  vous  ai 
vu  encore,  étourdi  vous-même  d'un  coup  si  hardi,  revenir, 
en  pénitent,  vous  réunir  à  leur  communion,  dans  l'église, 
où  ils  tiennent  encore  leurs  séances  (8).  Aujourd'hui,  vous 
les  calomniez,  comme  une  secte  impie,  et  vous  les. appelez 
avec  mépris,  la  faction  jacobite. 

Ce  qui  résulte  de-là,  c'est  que  vos  opinions  ne  sont  point 
déterminées  par  les  principes  immuables  de  la  justice,  ni 
par  l'amour  inaltérable  de  la  patrie  et  de  la  liberté;  mais 
par  les  circonstances  qui  passent  et  par  vos  intérêts  parti- 
culiers qui  changent  avec  elles:  c'est  que  les  amis  de  la 
constitution  ne  sont  point  une  faction;  s'ils  avoient  pu 
l'être,  vous  en  auriez  fait  les  instrumens  de  vos  projets 
ambitieux.  Vous  les  avez  fuis  ;  une  faction,  jadis  rivale  de 
la  vôtre,  depuis  réunie  à  vous,  les  a  fuis  (q).  précisément 
parce  que  ni  vous,  ni  elle  n'avez  pu  venir  à  bout  de 
les  séduire,  et  de  les  maîtriser.  Partout  où  l'esprit  public 
domine,  par-tout  où  les  principes  triomphent,  les  intrigans 
et  les  factieux  sont  bientôt  démasqués,  et  par  cela  même 
obligés  de  fuir  ;  telle  fut  votre  destinée.  Je  n'en  veux  d'au- 
tre preuve  que  l'absurdité  des  calomnies  qui  coulent  ici  de 
votre  plume  ;  ou,  ce  qui  est  la  même  chose,  de  celle  que  vous 
avez  achetée. 

Vous  reprochez  aux  sociétés  patriotiques,  la  publicité 

(7)  Le  Club  des  Feuillants,  dont  les  débris  du  Club  de  1789  formèrent  le 
noyau,  était  une  scission  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution  siégeant 
aux  Jacobins.  Il  s'était  d'abord  installé  au  Palais  Royal;  mais  bientôt  il  fut 
transféré  dans  les  anciens  bâtiment  du  couvent  des  Feuillants,  d'où  son  nom. 
Le  club  déclina  après  la  mort  de  Mirabeau  et  s'éteignit  après  la  journée  du 
10  août  1792.  (Cf.  Challamel,  ibid,  pp.  227  à  368). 

(8)  Voir  ci-dessus,  page  184,  la  visite  de  La  Fayette  aux  Jacobins  après  la 
fuite  du  roi  et  la  façon  dont  il  fut  reçu  par  Danton. 

(9)  Les  Lameth,  Duport,  Barnave.  (Note  de  Robespierre). 


20Ô"  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

de  leurs  séances  ;  apparemment  parce  que  vous  pensez  que 
la  constitution  est  ennemie  de  la  publicité,  ou  que  les  ténè- 
bres sont  amies  du  bien  public  et  de  la  liberté.  N'est-ce  donc 
plus  la  publicité  qui  est  le  frein  du  crime  ou  de  la  folie,  le 
garant  de  la  droiture  et  de  la  sagesse  ?  Ce  n'est  point  sous 
l'œil  du  public  qu'on  conspire  contre  les  intérêts  de  l'état. 
J'en  appelé  à  vous-même.  Le  comité  autrichien  et  tous  les 
comités  mystérieux  dont  vous  êtes  l'âme,  celui  où  fut 
fabriquée  votre  lettre  à  l'assemblée  nationale,  étoit-il  pu- 
blic? Oseriez-vous  jamais  prendre  le  peuple  pour  confident 
de  vos  sentimens  et  de  vos  pensées? 

Ce  n'est  pas,  général,  que  je  sois  enthousiaste  de  ces 
sociétés  que  vous  calomniez;  ce  n'est  pas  que  je  prétende 
que  jamais  sot  discours  n'y  ait  été  prononcé;  que  jamais 
idée  absurde  n'y  ait  été  proposée;  que  jamais  intrigant  n'y 
ait  pénétré.  Eh!  comment,  chez  un  peuple,  dont  l'éducation 
fut  celle  que  donne  le  despotisme,  et  qui  naît,  pour  ainsi 
dire,  à  la  liberté,  pourroit-on  exiger  que  toutes  les  assem- 
blées de  citoyens  fussent  entièrement  composées  de  Caton, 
de  Socrate,  ou  de  Licurgue?  A  Paris  sur-tout,  centre  de 
toutes  les  intrigues,  séjour  des  plus  puissans  ennemis  du 
peuple,  comment  la  cour  ou  ses  partisans  n'auroient-ils  pas 
essayé  d'y  introduire  des  émissaires,  pour  y  semer  le  trou- 
ble et  la  discorde,  et  même  pour  y  hasarder  quelques-unes 
de  ces  propositions  indiscrètes  qui  leur  servent  ensuite  de 
prétextes,  pour  calomnier  le  patriotisme  même?  Personne, 
je  l'avoue,  n'est  blessé  plus  que  moi,  de  ces  difformités; 
personne  n'est  moins  porté,  par  goût,  à  fréquenter  les 
nombreuses  assemblées.  Mais,  qu'en  général,  l'amour  du 
bien  public  y  domine;  que  la  grande  majorité  soit  pure, 
également  ennemie  du  désordre  et  de  la  tyrannie;  qu'elle 
applaudisse,  avec  transport,  à  toutes  les  maximes*  hon- 
nêtes, à  tous  les  projets  utiles;  qu'elle  repousse,  avec  indi- 
gnation, toutes  les  manœuvres  coupables;  que,  depuis  le 
commencement  de  la  révolution,  les  sociétés  patriotiques 
aient  été  les  écueils  de  toutes  les  conspirations,  tramées 
contre  le  peuple,  les  plus  fermes  appuis  de  la  liberté  et  de 
la  tranquillité  publique;  ce  sont  des  vérités  qui  ne  furent 
jamais  contestées,  que  par  l'extravagance  aristocratique, 
ou  par  la  perfidie  ambitieuse.  Eh!  s'il  en  étoit  autrement, 


SEPTIÈME  NUMÉRO  207 

si  les  ennemis  cachés  ou  publics  de  la  patrie,  pouvoient 
régner  au  milieu  d'elles,  loin  de  les  poursuivre,  ils  les  pro- 
tégeroient;  et  toutes  les  calomnies  absurdes,  dont  elles  sont 
les  objets,  se  changeroient  en  un  concert  de  louanges. 

Quel  autre  qu'un  ennemi  de  la  patrie,  peut  imputer  à  une 
multitude  de  bons  citoyens,  les  erreurs  des  individus;  ou 
poursuivre  les  opinions,  comme  des  crimes,  dans  les  indi- 
vidus même?  Quel  autre  qu'un  insensé  peut  citer  une  opi- 
nion, comme  un  motif  d'anéantir  le  droit  constitutionnel 
qui  appartient  à  tous  les  hommes  de  se  rassembler,  et  de 
s'entretenir  de  la  chose  publique?  Quel  autre  qu'un  homme 
enivré  de  despotisme  et  d'ogueuil,  peut  tenter  l'absurde 
entreprise  de  diffamer,  à-la-fois,  tous  les  patriotes  qui  se 
réunissent  de  cette  manière,  sur  tant  de  points  de  la  sur- 
face de  ce  vaste  empire?  Ouand  la  connoissance  des  lois, 
quand  les  principes  de  la  liberté  civile  et  politique,  seront 
gravés  dans  tous  les  esprits,  quand  les  lumières  du  peuple 
français  seront  au  niveau  du  rôle  sublime  qu'il  doit  jouer 
parmi  les  nations  libres  ;  lorsqu'au  moins  les  défenseurs  de 
la  tyrannie  cesseront  de  conspirer  ouvertement,  et  dans  les 
ténèbres,  contre  le  salut  public  et  contre  la  souveraineté 
nationale;  alors  commencez,  si  vous  voulez,  à  déclamer 
contre  la  vigilance  du  patriotisme.  Quand  la  paix  sera  soli- 
dement cimentée  entre  les  hommes  et  les  tyrans,  les  senti- 
nelles du  peuple  pourront  dormir;  les  soldats  de  la  liberté 
pourront  poser  les  armes  du  civisme  et  de  la  raison.  Alors 
seulement,  les  sociétés  patriotiques  pourront  cesser  d'être 
nécessaires:  mais  elles  ne  cesseront  jamais  d'être  légiti- 
mes, aussi  long-tems  que  les  droits  de  l'humanité,  et  les 
principes  éternels  de  la  justice  et  de  la  vérité  ne  cesseront 
point  d'être  sacrés. 

Avec  quel  mépris,  vous  les  foulez  aux  pieds;  pour  assou- 
vir votre  fureur  calomniatrice.  La  faction  jacobite,  dites- 
vous,  a  causé  tous  les  désordres.  Ainsi  les  prêtres  séditieux, 
les  cours,  ceux  qui  portent  'les  at  mes  contre  leur  patrie,  les 
conspirateurs,  les  frippons  et  les  traîtres,  n'ont  fait  aucun 
mal,  à  votre  avis  ;  ce  sont  les  sociétés  patriotiques  qui  sont 
coupables  de  tout. 

Organisée,  comme  un  empire  à  part  dans  sa  métropole 
et  dans  ses  affiliations,  cette  secte  forme  une  corporation 


208  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

distincte,  au  milieu  du  peuple  français,  dont  elle  usurpe  les 
pouvoirs,  en  subjuguant  ses  représentans  et  ses  manda- 
taires! 

Quel  absurde  galimathias,  dicté  à-la-fois  par  la  sottise 
et  par  la  mauvaise  foi,  pour  dire  qu'il  existe,  dans  toutes 
les  parties  de  l'empire  français,  des  citoyens  de  toutes  les 
conditions,  sans  aucunes  autres  liaisons  entr'eux,  qui,  en 
vertu  du  droit  que  la  constitution  leur  donne,  se  rassem- 
blent quelques  jours  par  semaine,  dans  un  lieu  déterminé, 
avec  le  public,  pour  s'instruire  mutuellement  des  événe- 
mens  qui  intéressent  le  salut  de  la  patrie  et  de  la  liberté, 
dont  le  régime  n'est  autre  chose,  que  les  règles  nécessaires, 
pour  conserver  quelque  ordre  dans  une  réunion  d'hommes, 
quelle  qu'elle  soit,  et  pour  ne  point  admettre  dans  leur  sein 
les  ennemis  de  la  révolution;  dont  l'unique  objet  est  le 
maintien  de  la  constitution  et  de  la  liberté  :  le  seul  pouvoir, 
celui  de  l'opinion;  qui  correspondent  quelquefois  avec  les 
autres  sociétés  du  même  genre,  notamment  avec  celle  qui 
existe  dans  la  capitale,  (et  cela  d'une  manière  très-impar 
faite  et  très  inactive),  pour  propager  les  lumières,  et  pu- 
blier les  faits  qui  importent  au  salut  de  la  commune  patrie  ; 
mais  qui,  par  cela  même,  déplaisent  infiniment  à  tous  les 
mauvais  citoyens,  à  tous  les  mandataires  corrompus,  et  à 
tous  les  chefs  de  factions.  Voilà  ce  que  vous  appelez 
emphatiquement  une  corporation,  une  métropole,  un  em- 
pire à  part,  les  usurpateurs  des  pouvoirs  du  peuple  fran- 
çais, les  tyrans  de  ses  représentans  et  de  ses  mandataires. 
Que  diriez-vous  donc  des  généraux  qui  parlent  en  maîtres 
à  l'assemblée  nationale. 

C 'est-là  que  dans  des  séances  publiques,  l'amour  des  lois 
se  nomme  aristocratie,  et  leur  infraction,  patriotisme... 
Cest-là,  général  qu'un  tel  langage  seroit  regardé  comme 
l'excès  de  l'extravagance,  comme  par-tout  ailleurs,  et  mê- 
me dans  une  assemblée  de  fous.  C'est-là,  qu'on  réclame 
éternellement,  mais  toujours  en  vain,  ces  lois  protectrices 
de  la  liberté  civile  et  politique,  que  vous  avez  tant  de  fois 
violées;  la  punition  exemplaire  des  grands  coupables,  que 
vous  avez  tant  de  fois  favorisés  ;  c'est  là,  que  l'on  trouve 
juste  que  les  dépositaires  des  lois  exécutent  religieusement 
les  lois  favorables  à  l'intérêt  public:  et  non  pas  exclusive- 


SEPTIÈME   NUMÉRO  20Q 

ment  celles  dont  le  despotisme  et  l'ambition  veulent  sans 
cesse  abuser. 

Là,  les  assassins  de  Desilles  reçoivent  des  triomphes  (10). 
Non.  Mais  là,  les  assassins  des  soldats  de  Château-Vieux 
et  de  tant  d'autres  défenseurs  de  la  patrie  ont  été  appréciés. 
Là,  on  a  pensé  que  l'humanité  et  la  reconnoissance  publi- 
que doivent  expier,  par  des  hommages  rendus  à  l'inno- 
cence et  au  patriotisme  opprimés,  les  crimes  du  despotisme, 
de  l'aristocratie,  les  crimes  de  Bouille  et  les  vôtres.  Là,  on 
sait  que  ce  que  vous  appelez  l'assassinat  de  Desilles,  est  un 
événement  fortuit,  étranger  aux  soldats  immolés  par  la 
rage  liberticide  des  ennemis  du  peuple  ;  qui  ne  peut  être  im- 
puté qu'aux  chefs  perfides  qui  venoient  les  massacrer  de 
sang-froid:  une  calomnie  inventée  pour  faire  oublier  l'as- 
sassinat plus  réel  de  tant  de  victimes  intéressantes...,  non 
pas  à  vos  yeux,  ni  à  ceux  de  vos  pareils  ;  mais  à  ceux  des 
hommes  justes  et  sensibles...  Vous,  on  vous  permet  de 
gémir  sur  les  héros  de  l'aristocratie;  laissez-nous  pleurer 
sur  les  héros  de  l'infortune  et  du  civisme. 

Là,  les  crimes  de  Jour  dan  trouvent  des  panégyris- 
tes (n  ).  Là,  on  déplore  tous  les  malheurs  des  guerres  civi- 
les; là,  on  a  en  horreur  les  lâches  assassinats  commis  par 
les  défenseurs  de  la  cause  aristocratique,  dans  la  personne 
de  Lavillas  et  des  plus  illustres  patriotes  de  cette  contrée. 

(10)  Voir  ci-dessus,  page  173.  Antoine- Joseph-Marc  Desilles,  jeune  officier 
breton,  né  à  Saint-Malo  en  1767,  servait  dans  le  régiment  des  chasseurs  du 
Roi,  lorsque  ce  corps,  ainsi  que  ceux  de  Chateauvieux  et  de  Mestre  de  Camp, 
tous  trois  en  garnison  à  Nancy,  se  révoltèrent  contre  leurs  officiers.  Le 
marquis  de  Bouille  fut  chargé  de  rétablir  l'ordre.  Il  arriva,  le  31  août  1790, 
avec  ses  troupes  sous  les  murs  de  Nancy  et  se  présenta  à  la  porte  de  Stain- 
ville  gardée  par  un  détachement  commandé  par  Desilles.  Ses  soldats,  rendus 
furieux  par  les  sommations  de  Bouille,  voulurent  tirer.  Desilles,  en  tentant 
d'empêcher  tout  conflit  sanglant,  fut  grièvement  blessé.  Il  devait  mourir  des 
suites  de  ces  blessures  le  17  octobre.  Les  soldats  du  régiment  de  Chateauvieux, 
plus  particulièrement  compromis,  avaient  été  frappés  injustement;  par  la 
suite,  ils  avaient  été  réhabilités,  et  une  fête  en  leur  honneur  avait  été  organi- 
sée à  Paris,  le  15  avril  1792,  sous  le  nom  de  fête  de  la  Liberté. 

(11)  Voir  ci-dessus,  page  85.  —  Mathieu  Jouve,  dit  Jourdan  Coupe-Têtes, 
organisa  les  massacres  de  la  Glacière,  à  Avignon,  les  16  et  17  octobre  1701, 
comme  représailles  de  l'assassinat  des  patriotes  Lescuyer,  Lavillas  et  autres 
par  les  contre-révolutionnaires.  Devenu  suspect  en  l'an  II,  et  compromis  dans 
un  complot,  à  la  suite  d'une  dénonciation  des  représentants  Faure  (cte  la 
Haute-Loire)  et  Maignet,  il  fut  condamné  à  mort  le  8  prairial  an  II,  par  le 
tribunal  révolutionnaire  présidé  par  Dobseo. 


210  LE   DEFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

On  gémit  aussi  sur  les  funestes  représailles  auxquelles 
l'armée  avignonaise,  sous  les  ordres  de  Jourdan,  s'est  livrée 
pour  les  venger.  Mais  on  ne  s'étonne  pas  que  tous  ceux 
qui  vous  ressemblent,  pleins  d'indulgence  pour  les  enne- 
mis de  la  révolution  avignonaise,  couverts  du  sang  de  ses 
défenseurs,  publient  tous  les  crimes  des  premiers,  pour 
n'appercevoir  que  les  actes  d'hostilités,  commis  par  leurs 
adversaires.  Et  dans  quels  lieux  du  monde  ne  verroit-on 
pas  avec  douleur,  les  prisonniers  d'Avignon,  abandonnés 
à  une  commission  tyrannique.  qui  déshonore  la  nation 
française;  lorsqu'une  amnistie  cruellement  partiale  (12), 
couvre  les  crimes  des  conspirateurs  qui  ont  causé  tous  les 
désastres  de  cette  belle  contrée? 

Là?  le  récit  de  l'assassinat  qui  a  souillé  la  ville  de 
Mets  (13),  vient  encore  d'exciter  d'infernales  acclama- 
tions. Nouvelle  imposture,  digne  du  démon  de  la  calomnie 
qui  vous  agite.  Si,  dans  les  sociétés  patriotiques,  comme 
dans  tous  les  lieux  où  il  y  a  des  hommes  que  la  trahison 
indigne;  la  punition  d'un  conspirateur  connu,  tel  que  cet 
abbé  Belmont  que  vous  pleurez,  peut  provoquer,  chez  quel- 
ques individus,  un  mouvement  involontaire  que  la  réflexion 
condamne  ;  on  regrette  toujours  amèrement  de  voir  le  peu- 
ple faire  justice  des  grands  coupables,  au  défaut  des  lois, 
qu'ils  ont  le  privilège  de  braver  impunément.  Mais  vous, 
dont  la  sensibilité  est  d'un  genre  tout  différent;  vous  faites 
très-bien  de  vous  attendrir  exclusivement  pour  les  Ber- 
tier  (14)  et  les  Belmont;  vous  êtes  digne  de  prononcer  leur 
oraison  funèbre  sur  les  tombeaux  des  soldats  de  Château- 
Vieux,  et  des  citoyens  massacrés  dans  le  champ  de  la  fédé- 
ration. 

(12)  L'amnistie  du  13  septembre  1791,  obtenue  par  La  Fayette,  à  la  fin  de 
l'Assemblée   Constituante   (voir   ci-dessus,   page   188). 

(13)  L'abbé  de  Bellemont,  parent  du  commandant  de  la  place  de  Metz,  fut 
massacré  par  la  foule.  Il  était  accusé  de  trahison  et  avait  été  convaincu  de 
correspondance  avec  les  émigrés.  Une  lettre  de  la  Société  de  Metz  rendit 
compte  de  ce  fait  à  la  Société  des  Jacobins  de  Paris  ;  cette  lettre  fut  lue  à  la 
séance  du  20  mai  1792;  mais  le  nom  de  la  victime  est  orthographié  Fikmon  : 
«  J'ai  vu,  dit  l'auteur  de  la  lettre  ce  monstre  abattu,  percé  de  mille  coups.  La 
loi  martiale  a  été  proclamée,  et  à  une  scène  sanguinaire  a  succédé  la  plus 
grande  tranquillité  ».  (Aulard,  ibid.,  t.  III,  p.  595). 

(14)  Bertier  de  Sauvigny,  intendant  de  Paris  en  1789,  fut  massacré  par  la 
foule,  le  22  juillet,  ainsi  que  son  beau-père  Foulon,  comme  responsables  tous 
deux  de  la  disette. 


SEPTIÈME   NUMÉRO  211 

Croira-t-on  échapper  à  ces  reproches,  ajoutez-vous,  en 
se  targuant  d'un  manifeste  autrichien,  où  ces  sectaires 
sont  nommés  ?  Sont-ils  devenus  sacrés,  parce  que  Léopold 
a  prononcé  leur  nom? 

Oh  !  c'est  ici  que  la  fièvre  aristocratique  qui  vous  tour- 
mente se  décèle  dans  toute  sa  malignité. 

Ce  n'est  pas  sans  doute,  parce  que  Léopold  leur  a  déclaré 
la  guerre,  que  les  amis  de  la  constitution  sont  utiles  à  la 
liberté:  mais  c'est  parce  qu'ils  sont  utiles  à  la  liberté  que 
Léopold  leur  a  déclaré  la  guerre.  Est-ce  si  mal  raisonner, 
à  mon  avis,  de  croire  que  les  despotes  conjurés  pour  ren- 
verser ou  pour  modifier  notre  constitution,  ne  les  auroient 
pas  dénoncés  comme  les  premiers  objets  de  leur  colère:  s'ils 
étoient  aussi  propres  que  vous  le  dites  à  seconder  leurs 
vues?  Seroit-ce  mal  raisonner,  de  regarder  comme  mau- 
vais citoyens,  ceux  dont  les  vues  s'accordent  exactement 
avec  celles  des  ennemis  de  notre  patrie  ?  Et  ne  pourroit-on 
pas  vous  appliquer,  avec  une  justesse  extrême,  un  certain 
passage  de  la  lettre  qui  nous  occupe:  Quelle  remarquable 
conformité  de  langage,  entre  les  factieux  que  l'aristocratie 
avoue  et  les  hypocrites  qui  usurpent  le  nom  de  patriotes! 

Mais  que  parlez-vous  de  Léopold?  Prétendez -vous  nous 
faire  accroire  au  fond,  qu'il  y  a  une  distance  incommensu- 
rable entre  Léopold  et  vous,  général?  Que  contenoit  la 
déclaration  de  Léopold,  si  ce  n'est  les  discours  que  vous  et 
les  gens  de  votre  faction  aviez  cent  fois  répétés?  Est-il 
quelqu'un  qui  doute  maintenant,  que  le  manifeste  autri- 
chien que  vous  citez,  avoit  été  fabriqué  dans  le  cabinet 
des  Thuileries?  Or,  quel  est  l'homme  un  peu  initié  dans  le 
secret  de  nos  afïaires  politiques,  qui  vous  regarde  comme 
étranger  à  ce  cabinet?  On  a  remarqué  dans  le  tems,  avec 
admiration,  que  l'empereur  des  allemands  avoit  l'accent 
très-français;  qu'il  parloit  le  langage,  qu'il  portoit  le  cos- 
tume des  feuillans;  et  n'êtes-vous  pas  l'instituteur  des 
f  euillans  ?  Que  demandoit  Léopold  ?  Des  changemens  dans 
la  constitution,  même  dans  les  accessoires  de  la  constitu- 
tion. (Voyez  son  manifeste)  (15).  Qui  ignore  que  le  projet 

(15)  Le  manifeste  de  l'empereur  d'Autriche,  Léopold,  frère  de  Marie- 
Antoinette,  avait  été  communiqué  à  l'Assemblée  législative,  le  Ier  mars  1792. 
On  fit  remarquer  que  les  attaques  de  ce  document  contre  les  Jacobins  sem- 


212  LE   DEFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

des  deux  chambres  est  l'une  des  idées  favorites,  que  vos 
partisans  et  vous-même  avez  souvent  annoncées?  Que 
demandoit  Léopold?  La  destruction  des  clubs.  Et  vous 
demandez  la  destruction  des  clubs,  précisément  par  les 
mêmes  raisons  et  presque  dans  les  mêmes  termes.  Avant 
de  nous  faire  la  guerre,  Léopold  sembloit  mettre  ces  con- 
ditions à  la  conservation  de  la  paix.  Avant  d'avoir  fait  la 
guerre  sérieusement  à  Léopold  (16)  ou  à  son  successeur, 
vous  proposez  à  l'assemblée  nationale  les  mêmes  condi- 
tions, pour  lui  donner  à  elle-même,  la  paix.  La  mort  de 
Léopold  n'a  rien  changé  aux  projets  hostiles  de  l'Autriche, 
parce  que  toute  cette  guerre  n'étoit  qu'une  affaire  d'arran- 
gement entre  les  autrichiens  de  Vienne  et  ceux  de  Paris. 
Que  dis-je?  Léopold  n'est  point  mort  pour  nous;  il  vit  dans 
tous  les  ennemis  du  peuple  français,  qui  respirent  au  milieu 
de  nous  ;  de  tous  les  factieux  qui  menacent  la  constitution 
et  l'assemblée  nationale;  qui  prodiguent  le  sang  des 
citoyens,  autant  qu'ils  épargnent  le  sang  des  ennemis  ;  qui, 
après  avoir  déjà  commis  des  crimes,  pour  anéantir  les 
sociétés  patriotiques,  profitent  de  la  guerre  même  qu'ils 
nous  ont  suscitée,  pour  en  exiger  la  destruction. 

Ce  n'est  plus  Léopold,  dites-vous,  c'est  moi  qui  vous 
dénonce  cette  secte.  —  Moi...,  qui  suis  le  meilleur  citoyen 
de  France  ;  tel  est  le  sens  très-affoibli  du  long  panégyrique, 
que  vous  ajoutez  à  votre  nom.  C'est  moi,  qui,  sans  parler 
de  ma  vie  passée,  puis  répondre  à  ceux  qui  feindroient  de 
me  suspecter;  approches;  et  voyons  qui  de  nous  bravera 
mieux  les  obstacles  et  les  dangers...  Il  ne  falloit  point  le  di- 
re :  il  falloit  le  faire,  il  y  a  déjà  long-tems.  Il  falloit  faire  ce 
que  le  peuple  français  auroit  déjà  fait  sans  vous  ;  il  falloit 
vaincre,  et  rentrer  aussitôt  dans  la  condition  des  simples 
citoyens,  et  non  jouer  déjà  le  dictateur,  avant  d'avoir  vain- 

blaient  un  écho  lointain  des  déclamations  des  Feuillants.  Grangeneuve  et  Robes- 
pierre soulignèrent  le  fait  aux  Jacobins. 

S'il  faut  s'en  rapporter  à  Mde  de  Staël,  placée  à  merveille  pour  être  bien 
renseignée  à  ce  sujet,  le  factum  impérial  serait  parti  du  cabinet  même  des 
Tuileries.  «  Quelques  députés  de  l'Assemblée  Constituante,  dit-elle,  Barnave, 
Du  Port,  l'avaient  composé,  et  le  modèle  en  fut  envoyé  par  la  reine  à  Bru- 
xelles à  M.  le  comte  de  Mercy-Argenteau,  qui  avait  été  ambassadeur  d'Autri- 
che à  Paris  ».  (Considérations  sur  la  Révolution  française,  3*  partie,  t.  V). 
Barnave  devait  payer  chez  son  appui  à  la  politique  contre-révolutionnaire. 

(16)  L'empereur  d'Autriche  était  décédé  le  2  mars  1792.  Il  fut  remplacé  par 
son  fils,  François  II. 


SEPTIEME   NUMERO  213 

eu.  Il  falloit  dissiper  l'armée  autrichienne,  et  non  attaquer 
les  patriotes  de  France. 

C'est  moi  qui  épousai  la  cause  américaine,  au  moment 
même  où  ses  ambassadeurs  me  déclarèrent  qu'elle  et  oit 
déjà  perdue. 

Oh!  vous  faites  bien  de  vanter  vous-même  vos  exploits 
d'Amérique,  puisque  ceux  de  France  ne  sont  que  des  atten- 
tats contre  la  liberté.  Mais,  combien  d'absurdités  et  d'im- 
postures renfermées  dans  ce  peu  de  mots,  où  vous  exaltez 
si  ridiculement  (sic)  vos  prouesses  lointaines!  au  moment 
où  ses  ambassadeurs  me  déclarèrent  qu'elle  étoit  per- 
due (17)!  Wasingthon,  Franklin,  Adams,  écoutez  le  langa- 
ge de  cet  écolier  présomptueux,  qui  s'approprie  la  science  et 
les  services  de  ses  maîtres.  Est-il  donc  vrai  que  vous  avez 
désespéré  de  la  liberté  américaine  ?  Est-il  vrai  que  c'étoit  à 
Lafayette  et  non  aux  français  ou  à  leur  gouvernement, 
que  vous  envoyiez  des  ambassadeurs,  pour  traiter  des 
grands  intérêts  de  votre  patrie?  Est-il  vrai  que,  pour 
enflammer  le  grand  cœur  de  ce  héros,  alors  connu  seule- 
ment de  la  cour,  ils  lui  déclarèrent  qu'elle  étoit  sans  aucu- 
nes ressources,  et  que  cet  illustre  avocat  des  nations  trouve 
au-dessous  de  son  génie,  la  défense  des  causes  qui  ne  sont 
point  déjà  perdues?  Est-il  vrai  que  nous  voyons  dans 
Lafayette,  le  véritable  libérateur  de  votre  pays,  le  dieu  qui 
arrêta  le  cours  des  destins,  pour  le  faire  triompher? 

Nous  savons  que,  comme  tous  les  officiers  qui  servoient 
sous  Wasingthon  (18),  il  exécuta,  pour  sa  part,  les  ordres 
qui  décidèrent  la  victoire  en  faveur  de  la  liberté:  nous 
savons  qu'une  grande  fortune,  chez  un  peuple  pauvre,  que 
la  qualité  de  français,  tenant  à  une  famille  puissante  (19) 
à  la  cour  du  puissant  monarque,  dont  l'alliance  vous  étoit 
utile,  durent  lui  concilier  de  la  considération  et  des  amis, 
dans  un  pays  pour  lequel  il  combattoit,  et  lui  méritèrent 
même  les  bontés  du  sénat  américain.  Mais  nous  ne  pensons 

(17)  John  Adams  et  Benjamin  Franklin  signèrent,  le  3  novembre  1782,  les 
préliminaires  de  paix  avec  l'Angleterre  qui  aboutirent  au  traité  de  Versailles 
de  1783.  Adams  fut  ensuite  ambassadeur  à  Londres,  tandis  que  Franklin  resta 
en  Europe,  et  surtout  à  Paris,  jusqu'en  1785. 

(18)  Robespierre  écrit  tantôt  Wasington,  tantôt  Wasingthon,  tantôt  Wasig- 
thon,  jamais  correctement  ce  nom  de  Washingthon  du  premier  président 
des  Etats-Unis  d'Amérique. 

(19)  Les  Noailles. 


214  LE   DEFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

pas  que,  pour  vaincre  avec  l'armée  de  Wasingthon,  il  fallût 
être  Annibal  ou  Turenne  ;  de  même  que,  pour  embrasser  la 
cause  des  Etats-Unis,  il  n'étoit  pas  nécessaire  d'être  Bru- 
tus  ou  Caton.  L'ambition  de  cueillir  des  lauriers  en  Amé- 
rique, n'étoit  pas  même  au-dessus  du  caractère  des  jeunes 
seigneurs  de  la  cour  de  Louis  XVI.  De  quel  droit  nous 
croit-il  donc  assez  stupides,  pour  être  éblouis  de  sa  gloire 
américaine,  au  point  de  regarder  comme  l'effort  d'une  ver- 
tu sublime  ce  qui  n'est  que  l'ouvrage  de  la  fortune,  de  la 
faveur  des  rois,  d'une  ambition  vulgaire,  et  peut  être  mê- 
me, un  peu  de  la  gazette?  Mais  eût-il  été  le  plus  grand  des 
humains,  le  congrès  américain  lui  auroit-il  permis  de  tran- 
cher avec  lui  du  dictateur  et  du  souverain  ?  Avec  quel  dé- 
dain la  nation  française  ne  doit-elle  donc  pas  écraser  un 
insecte  politique  assez  téméraire,  pour  regarder  l'avantage 
d'avoir  vécu  quelque  tems  sur  un  sol  libre,  comme  un  titre, 
pour  opprimer  la  liberté  de  son  pays  ? 

C'est  moi,  dit-il,  qui,  le  n  juillet  178c,  en  présentant  à 
ma  patrie  une  déclaration  des  droits  )(2o),  osai  lui  dire: 
«  pour  qu'une  nation  soit  libre,  il  suffit  qu'elle  veuille 
l'être  ». 

Voilà  de  tous  ses  exploits  civiques,  en  France,  le  seul 
qu'il  ose  citer.  Voilà  tout  ce  qu'il  a  fait,  pour  acquitter  la 
dette  immense  qu'il  avoit  contractée  envers  sa  patrie  et 
envers  l'humanité,  dans  la  plus  belle  des  révolutions  que  le 
soleil  eût  encore  éclairée. 

Vous  avez  proposé  une  déclaration  des  droits,  que  l'as- 
semblée constituante  a  rejetée  comme  au-dessous  d'elle  et 
des  circonstances:  mais  toute  votre  conduite  politique  en 
a  été  depuis  la  violation  continuelle.  Vous  avait  fait  une 
phrase,  et  commis  mille  attentats  (21).  Avant  que  vous 
eussiez  osé  prononcer  cette  phrase,  que  vous  ne  cessez  de 
répéter,  les  députés  des  communes  avoient  osé,  sans  vous, 
prononcer  le  serment  du  jeu  de  paume,  se  constituer  en 
assemblée  nationale,  et  braver,  pendant  trois  mois,  toutes 
les  fureurs  du  despotisme:  comme  le  peuple  français,  sans 

(20)  Voir  ci-dessus,  page  171.  La  Fayette  présenta,  en  effet,  le  11  juillet 
1789,  à  l'Assemblée  nationale,  une  première  déclaration  des  Droits  de  l'Homme 
et  du  Citoyen  qui  ne  fut  pas  adoptée. 

(21)  On  peut  consulter  le  n°  6  de  cet  ouvrage,  quoiqu'il  ne  présente  qu'un 
tableau  incomplet  de  la  conduite  de  M.  Lafayette  dans  la  révolution.  (Note 
de  Robespierre). 


SEPTIEME   NUMERO  215 

vous,  renversa  la  bastille  et  la  puissance  de  la  cour.  Ils 
a  voient  fait  la  révolution  ;  et  vous,  vous  avez  osé  dire  qu'un 
peuple  faisoit  une  révolution  chez  lui,  toutes  les  fois  qu'il 
le  vouloit.  Grande  vérité,  que  le  monde  eût  toujours  igno- 
rée sans  vous!  Car,  qui  eût  jamais  deviné  que  plusieurs 
millions  d'hommes,  lorsqu'ils  se  liguent,  sont  plus  forts 
qu'un  seul  ? 

Cependant  quelque  méprisable  que  puisse  paroître  un  tel 
héros,  nous  le  serions  beaucoup  plus  que  lui,  si  après  lui 
avoir  pardonné  tant  d'attentats  contre  notre  liberté,  nous 
lui  permettions  encore  d'affecter  ouvertement  la  tyrannie. 
Peu  importe  à  notre  cause  ce  qu'il  est,  si  ceux  qui  doivent 
le  réprimer  étaient  encore  plus  foibles  que  lui.  Représen- 
tai, c'est  dans  ce  moment  sur-tout  que  la  France  et  l'uni- 
vers vous  regardent.  La  circonstance  où  vous  êtes  est 
décisive  pour  la  révolution  et  pour  vous.  C'est  à  vous 
à  décider  si  vous  voulez  devenir  les  vils  esclaves  d'un  chef 
de  parti,  les  jouets  de  l'ambition  et  du  despotisme,  ou  res- 
ter les  représentans  de  la  nation  française.  Avec  une  si 
grande  puissance,  comment  peut-on  être  timide  ?  Avec  une 
si  sublime  mission,  comment  peut-on  être  foible?  La  ma- 
jesté du  peuple,  la  liberté  a  été  outragée  en  vous;  il  n'est 
pas  en  votre  pouvoir  de  les  laisser  sans  vengeance.  Fermer 
les  yeux  ne  seroit  point  faire  grâce  à  un  criminel,  ce  seroit 
reconnoître  un  maître.  On  ne  pourra  pas  croire  que  le  cri- 
me n'ait  point  mérité  votre  attention  et  votre  sévérité;  on 
n'imputera  donc  l'impunité  qu'à  la  f  oiblesse  et  à  la  crainte. 
On  dira,  que  vous  écrasez  les  insectes  qui  bourdonnent 
autour  de  vous,  et  que  vous  tremblez  devant  un  grand 
conspirateur  armé.  Quel  ennemi  de  la  liberté  n'osera  point 
fouler  aux  pieds  l'autorité  des  représentans  du  peuple? 
Quel  bon  citoyen,  pourra  compter  sur  leur  sagesse  et  sur 
leur  énergie?  Frappez  un  coup  aussi  prompt  qu'irrésisti- 
ble; le  délai  seul  est  un  scandale;  une  mesure  insuffisante, 
telle  que  la  formule  banale  de  l'improbation  déjà  annoncée, 
ne  seroit  qu'un  acte  de  foiblesse  et  même  un  encourage- 
ment pour  la  rébellion.  Que  craignez-vous  ?  La  perte  d'un 
général?  mille  autres  auroient  déjà  vaincu  à  sa  place: 
mille  autres  triompheroient,  non  pour  eux-mêmes,  non 
pour  la  cour,  mais  pour  la  patrie  et  la  liberté.  Craignez- 


2l6  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

vous  sa  puissance?  Quand  ce  pigmée  politique  auroit  la 
force  des  géans  pour  entasser  les  montagnes  ;  vous  habitez 
l'olimpe  ;  la  foudre  est  dans  vos  mains  ;  frappez  ;  et  les  mon- 
tagnes retomberont  sur  sa  tête  sacrilège.  Dites  un  seul 
mot;  et  la  nation  vous  entoure.  Les  soldats  qu'il  comman- 
•doit  seront  les  premiers  exécuteurs  de  vos  volontés  ;  ils  le 
livreront  eux-mêmes  à  la  justice  des  lois,  et  voleront  à  la 
victoire  sous  la  conduite  d'un  bon  citoyen.  Avertissez 
solennellement  la  nation;  annoncez  aux  départemens  que 
la  liberté,  que  l'assemblée  nationale  est  en  danger  ;  appelez 
à  vous  les  français,  et  la  liberté,  la  patrie  est  sauvée.  Votre 
gloire,  votre  existence  même,  est  à  ce  prix. 

Si  l'assemblée  nationale  a  des  devoirs  à  remplir  envers 
Lafayette,  le  roi  n'en  a-t-il  pas  aussi?  Que  dis-je?  N'a-t-il 
pas  de  précieux  intérêts  à  défendre  contre  lui? 

En  même-tems  que  Lafayette  insulte  à  l'assemblée  natio- 
nale, et  lui  reproche  de  ne  point  respecter  assez  l'autorité 
royale,  ni  la  constitution,  il  écrit  au  roi  pour  l'engager  à  la 
défendre  lui-même,  par  un  exercice  ferme  et  complet  du 
pouvoir  royal.  Aussi  humble,  aussi  adulateur  avec  le  mo- 
narque, qu'insolent  avec  les  représentans  du  peuple,  il  pro- 
digue autant  d'éloges  au  zèle  de  Louis  XVI  pour  la 
défense  des  principes  constitutionnels,  qu'il  se  permet  de 
sarcasmes  et  de  calomnies  contre  le  corps  législatif.  Il 
cherche  à  l'irriter  contre  l'assemblée  nationale;  et  s'appli- 
que à  fomenter  la  division  entre  les  deux  autorités  consti- 
tuées pour  concourir  au  bien  général  !  Quelle  audace  de  la 
part  de  Lafayette!  Mais  aussi  quel  avilissement!  Disons 
plus,  quel  danger  pour  Louis  XVI!  Croit-il,  en  effet,  que 
ce  chef  de  faction  ambitieux  qui  -le  protège,  ne  soit  animé, 
comme  il  le  dit,  que  d'un  attachement  pur  et  désintéressé 
pour  sa  personne?  Croit-il  que  Lafayette  ne  se  souille  de 
tant  de  crimes,  et  ne  brave  la  colère  d'un  grand  peuple,  que 
pour  rendre  une  puissance  illimitée  au  prince  qu'il  a  lui- 
même  dégradé,  autant  qu'il  étoit  en  lui  ?  Non,  si  Lafayette 
est  assez  puissant  pour  fouler  aux  pieds  l'autorité  du  corps 
législatif  et  devenir  l'arbitre  de  la  révolution,  le  monarque 
n'est  déjà  plus. 

Si  j'étais  Louis  XVI,  je  ferois  à  Lafayette  la  réponse 


SEPTIEME   NUMERO  217 

suivante  :  autant  pour  mon  intérêt  personnel  que  pour  l'in- 
térêt public: 

«  Celui  qui  est  assez  fort  pour  me  protéger,  le  seroit 
bientôt  assez  pour  me  nuire.  J'aime  mieux  dépendre  de 
mon  devoir  et  des  lois,  que  de  celui  que  j'ai  compté  au  nom- 
bre de  mes  courtisans. 

«  Vous  vantez  mon  dévouement  à  la  défense  des  prin- 
cipes constitutionnels;  je  veux  au  moins  aujourd'hui  mé- 
riter cet  éloge.  Je  vous  retire  le  commandement  de  l'armée  ; 
je  ne  veux  plus  d'un  général  qui,  au  mépris  des  principes 
constitutionnels,  ose  s'élever  au-dessus  des  représentans 
de  la  nation,  et  avilir  le  roi,  par  des  lâches  adulations  et  par 
une  protection  insolente.  Je  n'aime  point  les  factieux  hypo- 
crites qui  déclament  contre  les  factions,  et  qui  invoquent 
les  lois,  en  les  foulant  aux  pieds.  Je  maintiendrai  sans 
doute  la  constitution,  je  l'ai  juré;  il  suffit.  Mon  fils  fera 
plus  peut-être,  si  ce  n'est  moi;  il  invitera  lui-même  la 
nation  à  en  réformer  les  vices;  à  restreindre  cette  puis- 
sance que  vous  feignez  de  trouver  trop  bornée.  Je  sens 
enfin,  qu'il  est  une  destinée  au-dessus  des  trésors  immenses 
et  de  l'énorme  pouvoir  dont  je  suis  accablé;  je  reconnois 
que  les  défenseurs  de  l'humanité,  que  les  fondateurs  de  la 
liberté  sont  au-dessus  des  rois  ». 

Je  demande  aux  amis  du  roi,  si  Louis  XVI  faisant  cette 
réponse,  seroit  moins  grand  et  moins  heureux,  que 
Louis  XVI  suivant  la  route  que  lui  prescrit  M.  Lafayette. 

Quand  je  traçois  ces  réflexions,  un  certain  nombre  de 
citoyens  que  l'expérience  de  trois  ans  de  révolution  n'avoit 
pu  instruire,  sembloient  douter  si  la  lettre  séditieuse  écrite 
à  l'assemblée  nationale,  pouvoit  être  l'ouvrage  de 
Lafayette.  Bien  éloigné  de  partager  ce  doute,  je  ne  croyois 
pas  qu'il  fut  possible,  de  rien  ajouter  à  cet  attentat,  parce 
que  je  ne  pouvois  prévoir,  que  peu  de  jours  après,  ce  géné- 
ral viendroit  lui-même  en  personne,  en  commettre  un  plus 
grand  au  sein  même  de  l'assemblée  nationale  (22).  Quel 

(22)  Allusion  à  la  présence  de  La  Fayette  à  la  barre  de  l'Assemblée  le 
28  juin,  après  avoir  abandonné  son  poste. 

A  cette  séance,  Guadet  déclara  ironiquement  :  «  Au  moment  où  la  présence 
de  M.  La  Fayette  à  Paris  m'a  été  annoncée,  une  idée  bien  consolante  est 
venue  s'offrir  à  moi  :  Ainsi,  me  disais-je,  nous  n'avons  plus  d'ennemis  exté- 
rieurs, les  Autrichiens  sont  vaincus  !...  >. 


2l8  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

tableau  à  décrire  que  celui  de  ces  scènes  scandaleuses? 
Quelle  scélératesse,  quelle  impudence  d'une  part,  de  l'autre, 
quelle  bassesse;  quel  lâche  mépris  des  lois  et  de  la  raison. 

Ce  même  général  qui,  peu  de  jours  auparavant,  entre- 
tenoit  l'assemblée  nationale  des  dangers  pressans  de  la 
patrie,  abandonne  son  armée;  déserte  son  poste,  sans 
congé,  et  vient  brusquement  se  présenter  à  l'assemblée 
nationale.  Il  se  déclare  hautement  l'auteur  de  la  lettre  qui 
lui  avoir  été  adressée;  il  parle  au  nom  de  l'armée;  il  de- 
mande impérieusement  la  destruction  des  sociétés  patrioti- 
ques, la  punition  de  ceux  qu'il  appelé  (sic)  factieux;  il 
déclare  qu'il  est  tems  de  respecter  le  roi,  de  maintenir  la 
constitution;  il  demande  que  l'assemblée  nationale  donne 
l'assurance  à  ï  ARMÉE,  que  la  constitution  ne  recevra 
aucune  atteinte  dans  l'intérieur;  tandis  que  les  braves 
français  prodiguent  leur  sang  au  dehors. 

Il  ose  menacer  clairement  le  corps  législatif  du  mécon- 
tentement de  son  armée  et  de  son  affection  pour  lui  ;  il  dit 
en  propres  termes:  qu'il  est  venu  seul;  qu'il  est  sorti  du 
rempart  honorable  que  l'attachement  des  troupes  formoit 
autour  de  lui;  mais  l'imposteur  ajoute,  nue  les  différais 
corps  l'ont  prévenu  par  les  adresses  qu'ils  lui  ont  présen- 
tées, et  qu'il  a  arrêté  les  effets  de  leur  indignation,  en  se 
chargeant  seul,  de  porter  le  vœu  de  tous.  Il  annonce  qu'il  a 
lui-même  suspendu  ces  adresses  par  deux  ordres  formels  : 
vous  y  verrez,  dit-il,  que  j'y  ai  pris,  avec  mes  braves  com- 
pagnons d'armes,  l'engagement  solennel  d'exprimer  seul 
un  sentiment  commun. 

Ce  n'est  pas  tout  ;  pour  intimider  l'assemblée,  il  a  recours 
au  vil  stratagème  de  déposer  sur  le  bureau  ces  ordres  pré- 
tendus donnés  par  lui,  et  ses  esclaves  en  en  demandent  insi- 
dieusement la  lecture  (23),  afin  que  les  hommes  ignorans  et 
timides  concluent  de  ces  écrits  artificieux,  que  les  adresses 
qu'il  suppose,  lui  ont  été  présentées  par  l'armée;  et  qu'il 
peut  en  disposer  à  son  gré...  Je  n'ai  pas  le  courage  de  rele- 
ver les  bassesses,  par  lesquelles  les  valets  de  Lafayette  ont 

(23)  La  droite  demanda  et  obtint  les  honneurs  de  la  séance  pour  le  général  ; 
elle  l'applaudit  lorsqu'il  traversa  la  salle  pour  sortir.  Au  dehors,  alors  que 
ses  partisans  l'entouraient,  des  cris  hostiles  :  «  A  Orléans  !  A  Orléans  !  >  se 
firent  entendre  dans  la  foule.  {Journal  de  la  Guerre;  LIX,  du  29  juin  1792. 
Biblio.  Nat.  Le2  679). 


SEPTIÈME   NUMÉRO  2IÇ 

osé  défendre  ouvertement  ses  extravagantes  prétentions, 
et  mettre  l'assemblée  législative  et  la  nation  à  ses  pieds... 
Avons-nous  encore  des  représentans  ?  Cette  question  sera 
décidée  par  le  parti  que  prendra  le  corps  législatif  à  l'égard 
du  méprisable  intrigant,  qui  a  osé  le  braver.  Sommes-nous 
libres  encore  ?  C'est  à  la  nation  entière  à  résoudre  celle-là. 
Que  tous  'les  citoyens  des  départemens  décident  prompte- 
ment  s'ils  ont  envoyé  leurs  députés  à  Paris,  pour  être  les 
serviteurs  d'un  général  intrigant  et  perfide?  Que  tous  les 
français  jugent  s'ils  ont  abattu  le  despotisme  de  la  cour, 
pour  subir  le  joug  du  sieur  Laf ayette  ! 

II 

Strasbourg,  25  juin,  Fan  4e  de  la  liberté 
Aux  Amis  de  la  Constituton  de  Paris 

Nous  avons  reçu  hier  avec  plaisir,  votre  lettre,  dans 
laquelle  nous  vîmes  les  détails  intéressans,  que  nous  avons 
sur-le-champ  communiqués  à  la  société;  elle  les  a  reçus 
avec  la  plus  grande  satisfaction,  et  les  a  couverts  d'applau- 
dissemens  universels;  la  séance  d'hier  -étoit  bien  intéres- 
sante. Au  moment  qu'elle  s'ouvrit,  on  s'apperçut  qu'il  se 
trouvoit  dans  la  tribune,  un  officier  municipal  en  écharpe, 
et  le  commissaire  de  police  ;  un  officier  de  police  et  quelques 
officiers  feuillans  de  la  garde  nationale.  Cela  a  beaucoup 
intrigué  les  membres  et  les  spectateurs,  et  on  se  décidât 
d'interpeller  l'officier  municipal  d'énoncer  les  motifs  de 
cette  nouveauté;  l'officier  municipal  répondit,  qu'il  y  étoit 
comme  délégué  du  comité  militaire  et  civil,  établi  par  l'état 
de  guerre  ;  et  que  l'on  avoit  appris  à  ce  comité,  que  dans  la 
lecture  allemande  de  Taprès-dîné,  le  lecteur  s'étoit  permis 
des  motions  qui  tendoient  à  jeter  des  alarmes  dans  le  peu- 
ple ;  et  comme  ledit  lecteur  avoit  fait  entendre  que  dans  la 
séance  du  soir,  il  alloit  faire  une  motion  à  cet  égard,  on 
avoit  craint  que  cela  n'eût  des  suites:  c'est  pourquoi  ils 
avoient  député  Miraut-Lacroix,  lui,  officier  municipal, 
pour  assister  à  nos  séances.  La  société  le  reçut  avec  toute 
la  considération  qui  est  due  au  magistrat  du  peuple  ;  on  le 
fit  asseoir  au  bureau,  et  le  tout  se  passa  avec  la  plus  grande 


220  LE    DEFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

décence  ;  Simon,  l'interprète,  réitéra  sa  motion  ;  elle  fut  dis- 
cutée en  présence  de  l'officier  municipal,  et  l'on  finit  par 
passer  à  l'ordre  du  jour,  la  trouvant  un  peu  prématurée. 
Il  ne  s'agissoit  de  rien  moins,  que  de  faire  partir  un  bon 
nombre  de  notre  garde  nationale  pour  Paris,  afin  de  soute- 
nir et  de  défendre  l'assemblée  nationale.  On  lui  a  observé 
avec  raison,  que  cette  mesure  ne  pouvoit  convenir  que  dans 
la  dernière  extrémité,  où  le  salut  du  peuple  la  demanderoit  ; 
que  dans  le  moment,  elle  seroit  même  impolitique  ;  d'autant 
plus,  que  les  parisiens  eux-mêmes,  étoient  en  force,  et  que 
nous  par  contre,  nous  étions  au  moment  d'être  attaqués  par 
les  ennemis  du  dehors  et  par  les  fanatiques  du  dedans. 

Après  cette  motion,  on  fit  lecture  de  différentes  lettres, 
les  unes  plus  fortes  que  les  autres,  sur  les  circonstances  du 
tems;  et  les  spectateurs  assez  froids  d'ordinaire,  prirent 
feu  cette  fois-ci,  et  montrèrent  l'envie  la  plus  grande,  de 
partager  avec  le  reste  de  la  France,  l'honneur  de  la  con- 
quête de  la  liberté. 

Dans  la  séance,  il  nous  arriva  une  dénonciation,  par 
laquelle  on  nous  avertissoit,  que  le  général  Brentano  (24) 
avoit  été  à  Strasbourg,  et  avoit  eu  avec  M.  de  Custine  un 
entretien  secret  de  quatre  heures,  au  Poêle  des  vignerons  ; 
nous  assemblâmes  sur-le-champ  le  comité  de  surveillance, 
et  le  comité  proposa  de  remettre  dans  les  mains  de  M.  La- 
chausse  la  dénonciation,  et  de  l'inviter  à  se  transporter  sur- 
le-champ  à  la  municipalité,  pour  prendre  les  mesures  néces- 
saires dans  pareils  cas.  Nous  ne  savons  pas  encore  le  résul- 
tat, mais  nous  surveillons  ;  et  certes,  malgré  les  cabaleurs, 
il  faudra  bien  que  justice  soit  faite. 

M.  le  Maire  a  été  hier  toute  la  journée,  jusqu'à  neuf 
heures  du  soir  à  la  commune;  il  étoit  très-inquiet,  il  avoit 
donné  des  ordres  pour  que  des  piquets  de  garde  nationale 
à  pied  et  à  cheval,  fussent  prêts  à  marcher  au  premier 
signal.  On  tint  un  conseil  militaire  et  civil,  pour  aviser  aux 
moyens  de  sûreté  ;  on  y  décida  que  toute  communication  de 
citoyens  avec  le  camp  seroit  interrompu  ;  en  outre  on  pro- 

(24)  Le  fils  du  général  Custine,  aide  de  camp  de  son  père,  lorsqu'il  fut 
l'envoyé  de  Dumouriez  à  la  Cour  de  Berlin,  avait  fait  la  connaissance  de  cet 
officier  allemand,  le  parent,  peut-être  même  le  frère  de  la  célèbre  amie  de 
Goethe,  Bettina  d'Arnim  et  du  romancier  et  poète  dramatique  Clément  Bren- 


SEPTIÈME  NUMÉRO  221 

posa,  et  ce  fut  le  itiaire,  de  faire  une  adresse  au  roi,  pour 
le  plaindre  de  sa  situation  présente,  et  lui  offrir  les  cœurs 
et  les  bras  du  département  du  Bas-Rhin,  pour  obtenir  sa 
liberté  constitutionnelle.  On  en  proposa  une  autre  pour 
l'assemblée  nationale  dans  le  même  sens;  mais  ni  Tune  ni 
l'autre  n'ont  été  arrêtées  à  cause  des  observations  que  l'on 
fit,  qu'il  falloit  attendre  la  journée  d'aujourd'hui. 

Nous  aurons  soin  de  vous  instruire  de  tout,  d'autant 
plus  que  nous  sommes  à  la  veille  de  grands  événemens. 

Dans  l'arrestation  de  M.  la  Rochelle  et  d'Orvard,  il  est 
bon  de  vous  dire,  que  le  dernier  avoit  été  chez  Stervé  où 
logeoit  le  premier,  pour  enlever  les  papiers  et  les  plans.  M. 
Stervé  ne  voulut  pas  le  permettre;  la  municipalité  a  eu  le 
tems  de  les  saisir;  M.  d'Orvard,  voyant  son  projet  manqué, 
fit  faire  tout  de  suite  ses  malles,  et  se  mit  à  même  de  les 
faire  descendre  sur  le  rempart  de  la  citadelle  ;  on  fut  averti, 
et  les  malles  et  la  personne  arrêtées  à  tems;  nous  espérons 
trouver  dans  les  papiers  de  ce  fugitif  des  complots  intéres- 
sans. 

Nous  voyons,  avec  surprise,  beaucoup  d'officiers  des 
carabiniers  être  encore  dans  nos  murs,  entr'autres  M.  de 
Raincourt,  colonel  ;  on  nous  dit  cet  homme  très  suspect  ;  on 
nous  dit  plus,  et  l'on  prétend  que  l'on  a  fait  à  Strasbourg 
plusieurs  habits  pour  l'armée  de  Coblentz  ;  on  nous  dit  qu'il 
existe  chez  les  tailleurs  dudit  régiment,  beaucoup  de  bou- 
tons destinés,  et  aux  marques  de  l'armée  d'outre-Rhin. 
Enfin,  nous  voilà  parvenus  à  la  grande  crise;  il  faut  s'en 
tirer  avec  honneur. 

Les  prussiens  arrivent  en  foule  à  Coblentz  ;  augmentent 
journellement  dans  les  brisgaw  (25),  et  font  toutes  les  dis- 
positions nécessaires  pour  nous  attaquer.  Vous  n'ignorez 
pas  sans  doute,  que  notre  maire  et  tous  les  feuillans  sont 
ici  tous  à  Lafayette;  vous  vous  souviendrez  encore  du 
fameux  voyage  de  Phalsbourg,  fait  en  traineaux  et  dans 
un  tems  bien  rigoureux.  La  situation  de  Metz  n'est  pas 
plus  rassurante  que  la  nôtre;  la  société  nous  marque  que 
cette  ville  se  trouve  à-peu-près  dans  le  même  danger  que 
la  nôtre,  et  cette  ville  importante  est  à  la  veille  de  voir  à 
l'entour  de  ses  murs,  des  forces  considérables  de  nos  enne- 

(25)  Sic.  Le  Brisgau,  la  région  de  la  Forêt  Noire  proche  du  Rhin. 


222  LE    DEFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

mis  ;  il  est  urgent  que  l'assemblée  nationale  ouvre  les  yeux, 
et  prenne  des  précautions  ;  il  seroit  même  nécessaire  qu'elle 
nommât  des  commissaires-inspecteurs  dans  l'ordre  des 
patriotes,  pour  vérifier  au  plutôt  la  situation  des  armées 
et  des  frontières;  cette  mesure  est  dans  la  constitution,  le 
corps  législatif  ayant  le  droit  de  surveillance  générale. 

Avant  de  finir  notre  lettre,  il  est  bon  de  vous  dire,  que 
notre  conseil-général  de  la  commune  s'est  érigé  en  corps 
législatif,  en  adoptant,  contre  la  loi,  que  l'on  rendroit  au 
despote  Dietrich  les  honneurs  de  maréchal  de  France,  ou 
pour  mieux  dire,  de  protecteur  du  royaume;  les  jacobins 
avoient  fait  une  pétition  sur  cet  objet,  mais  ils  en  ont  été 
pour  leurs  peines  et  pour  le  ridicule,  et  les  sorties  impuden- 
tes de  quelques  membres  du  cpnseil,  entr'autres  MM.  Revel 
et  Stempel  qui  nous  ont  renvoyé  au  respect  et  aux  égards 
que  l'on  avoit  autrefois  pour  les  anciens  magistrats  de  la 
ville. 

P.  S.  Nous  vous  prévenons  qu'il  se  trouve,  depuis  trois  semaines, 
un  aide  de  camp  de  M.  Lafayette  dans  nos  murs,  nous  ne  savons 
pas  pour  quels  motifs;  tout  ce  que  nous  savons,  c'est  qu'il  se  fau- 
file avec  nos  chefs;  on  nous  dit  en  outre  que  l'armée  de  d'outre- 
rhin  (sic)  sera  portée  sous  peu  de  jours  à  75.000  hommes. 

Les  princes  allemands,  nos  voisins,  qui  se  sont  déclarés  neutres, 
envoient  secrètement  leur  contingent  à  l'armée  réunie  des  autri- 
chiens et  prussiens.  M.  le  Margrave  de  Bade  a  envoyé  1.500  hommes. 
Cette  armée  se  réunit  du  côté  de  Worms,  Spire,  etc.  Les  soldats 
palatins  y  vont  travertis  en  chasseurs,  garçons  de  métiers,  etc.. 


III 
Extrait  d'une  lettre  de  Lille,  en  date  du  25  juin  1792 

Après  avoir  long-tems  resté  stationnaire,  le  vieux 
Luckner,  par  ordre  de  la  cour,  avoit  donné  secrètement 
ordre  de  rétrograder  hier;  et  sur  les  représentations  à  lui 
faites,  par  le  peu  d'honnêtes-gens  qui  l'entourent,  que  par 
cet  ordre  il  alloit  perdre  toute  sa  popularité,  et  qu'il  ris- 
quoit  d'être  attaqué  comme  criminel  de  lèze-nation,  le  bon 
vieillard  a  fait  des  réflexions  et  a  contremandé  la  rétro- 


SEPTIEME   NUMERO  223 

g-rade  jusqu'au  retour  d'un  officier  général  qu'il  a  dépêché 
à  Paris  (26).    - 

(26)  Après  la  déroute  du  28  avril,  Luckner  avait  remplacé  Rochambeau 
à  la  tète  de  l'armée  du  Nord.  La  Fayette  qui  était  alors  à  Metz  et  qui  dési- 
rait se  rapprocher  de  Paris  pour  intervenir,  au  besoin,  au  cours  des  événements 
politiques  qui  se  préparaient,  avait  proposé  à  Luckner  de  changer  avec  lui;  ce 
mouvement  singulier  et  dangereux  fut  appelé,  par  les  contemporains,  le  chassé- 
croisé  des  deux  armées  du  Centre  et  du  Nord.  Il  effraya  l'opinion  publique, 
comme  le  démontre  la  lettre  ci-dessus.  (Chuquet  :  La  première  invasion  prus- 
sienne, p.  49). 


LE   DÉFENSEUR  DE   LA   CONSTITUTION 

N°8 


Articles  contenus  dans  ce  numéro 
48  pages  (375  à  422) 


Pages 
du  document 


I.  —  Réflexions    sur    la   manière    dont    on    fait    la 

guerre    375  à  388 

IL  —  Sur  la  tactique  du  général  La  Fayette  388  à  405 

III.  —  Aux  Amis  de  la  Constitution,  sur  les  circons- 

tances actuelles:  [Discours  du  26  du]  mois 
de  mars  1792;  précédé  d'une  note  expliquant 
les  motifs  de  cette  publication 406  à  421 

IV.  —  Lettre  du  camp  de  Courtrai  du  29  juin  1792, 

l'an  4e  de  la  liberté   421  à  422 


Réflexions  sur  la  manière  dont  on  fait  la  guerre 

Il  est  deux  espèces  de  guerre  ;  celle  de  la  liberté,  celle  de 
l'intrigue  et  de  l'ambition  ;  celle  du  peuple  ;  celle  du  despo- 
tisme. Il  est  facile  de  les  distinguer  à  des  caractères  cer- 
tains. Lorsqu'une  nation  puissante  fait  la  guerre  de  la 
liberté,  elle  se  lève  toute  entière  ;  elle  marche  sous  des  chefs 
qu'elle  a  choisis  entre  les  plus  zélés  défenseurs  de  l'égalité 

(1)  Laponneraye  publie  l'article  ci-dessus  (t.  I,  pp.  471  à  480)  ;  il  le  fait 
précéder  des  réflexions  suivantes  :  «  Nous  étions  en  guerre  depuis  le  mois 
d'avril  avec  les  Prussiens  et  les  Impériaux  ;  plusieurs  mois  s'étaient  écoulés  ; 
et  nos  armées  n'avaient  encore  fait  aucun  progrès;  il  régnait  dans  leurs 
rangs  une  impéritie,  une  désorganisation  qui  compromettaient  gravement 
les  intérêts  et  l'indépendance  de  la  Patrie.  Pour  peu  que  les  ennemis  euusent 
été  entreprenants,  nous  aurions  été  enfoncés  et  battus  sur  tous  les  points. 
Robespierre  s'élève  avec  une  énergique  indignation  contre  cette  manière  de 
faire  la  guerre;  il  déplore  surtout  qu'au  lieu  de  se  borner  à  d'insignifiants 
résultats,  elle  ne  serve  pas  à  affranchir  les  peuples  voisins  du  joug  de  la 
tyrannie  qui  pèse  sur  eux;  il  accuse  de  trahison  et  de  perfiidie  ceux  qui  la 
dirigent  et  termine  son  article  en  promettant  une  liberté  prochaine  aux  peu- 


226  LE   DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

et  de  la  cause  populaire.  Au  moment  où  elle  la  déclare,  des 
préparatifs  formidables  ont  assuré  le  succès  de  ses  entre- 
prises. Son  objet  est  sublime;  sa  force  est  invincible;  ses 
mesures  sont  sages  et  grandes;  ses  attaques  promptes  et 
irrésistibles.  Elle  veut;  et  la  foudre  tombe  au  milieu  de  ses 
ennemis;  tous  les  tyrans  pâlissent  sur  leurs  trônes  ébran- 
lés, et  se  hâtent  de  prévenir  leur  ruine,  en  désarmant  sa 
colère;  tous  les  ennemis  du  dedans  ont  caché  leurs  fronts 
dans  la  poussière.  Le  mot  de  trahison  est  inconnu,  parce 
que  personne  n'oseroit  trahir  ;  la  défiance  est  bannie,  parce 
que  le  peuple  a  mis  sous  ses  pieds  tous  ses  oppresseurs.  Une 
telle  guerre  est  terminée  presqu'aussitôt  que  commencée; 
elle  ne  coûte  aucunes  alarmes  qu'aux  despotes  ;  elle  ne  fait 
point  acheter  de  pénibles  succès,  par  des  torrens  de  sang. 

Voilà  la  guerre  de  la  liberté! 

Voici  celle  du  despotisme.  Les  cours  s'accordent  pour  se 
faire  une  guerre  apparente,  funeste  seulement  aux  nations 
qu'elles  trompent  pour  les  asservir.  En  vain  deux  peuples 
seroient-ils  disposés  à  s'unir;  une  barrière  fatale  les  sépa- 
re :  ils  ne  peuvent  se  toucher  que  par  le  choc  de  deux  armées 
qui  s'égorgent  pour  les  intérêts  des  ennemis  de  la  liberté. 
La  nation  qui  paroît  attaquer  reste,  en  efifet,  sur  la  défen- 
sive. Loin  de  tomber  sur  ses  ennemis  de  tout  le  poids  de  sa 
puissance,  et  de  terminer  la  guerre  par  un  effort  décisif, 
elle  consume  ses  forces  dans  de  petits  combats  où  les  meil- 
leurs citoyens  périssent  en  détails  ;  tandis  que  des  écrivains 
mercenaires  amusent  la  curiosité  publique,  par  les  récits 
infidèles  de  quelques  actions  insignifiantes,  ou  de  quelques 
avantages  équivoques.  Cependant  les  tyrans  rassemblent 
de  nouvelles  armées  contr'elle.  Les  ennemis  naturels  de 
l'égalité  sont  chargés  de  la  défendre;  et  on  s'en  aperçoit  à 
leurs  fréquentes  désertions,  et  à  leurs  perfidies  continuelles. 
Toutes  les  mesures  nécessaires  à  la  défense  de  l'état  sont 
éternellement  et  impunément  négligées;  les  places  fortes 
dégarnies  semblent  attendre  l'ennemi  d'un  côté,  tandis  que 
de  l'autre  on  s'abstient  scrupuleusement  d'entrer  dans  les 

pies  qui,  comme  les  Belges  et  les  Allemands,  gémissent  encore  dans  les  fers 
de  l'esclavage  ». 

Cité  seulement  par  Léonard  Gallois  (p.  128),  cet  article  est  longuement 
étudié  par  E.  Hamel  (t.  II,  pp.  267  à  369);  G.  Michon  (ibid.,  p.  125)  en 
reproduit  un  passage. 


HUITIEME   NUMERO  227 

siennes,  et  d'envahir  son  territoire.  Cependant  les  ennemis 
du  dedans  lèvent  une  tête  altière  ;  les  factions  s'agitent  ;  les 
conspirations  se  développent;  le  despotisme  militaire  rè- 
gne ;  et  la  nation  reste  dans  le  néant. 

Quel  est  celui  de  ces  deux  tableaux  opposés  qui  repré- 
sente notre  véritable  situation  ?  Je  ne  décide  pas  cette  ques- 
tion ;  je  laisse  parler  les  faits. 

Depuis  trois  mois  nous  avons  déclaré  la  guerre  au  roi  de 
Hongrie.  Elle  s'est  réduite  à  des  escarmouches,  à  des  com- 
bats de  partis,  où  une  multitude  de  citoyens  ont  péri.  A  cela 
près,  les  quatre  armées  que  la  France  entretient,  étoient 
restées  absolument  oisives.  Enfin,  Luckner  s'étoit  avancé 
dans  la  Belgique;  la  première  invasion  des  français  avoit 
mis  en  leur  possession  quatre  villes  de  cette  contrée  ;  elle  a 
prouvé  à-la-fois,  et  la  valeur  de  nos  soldats,  et  les  disposi- 
tions du  peuple  de  ce  pays  à  les  accueillir.  Les  habitants 
d'Ypres,  de  Menin,  de  Courtrai,  non  contens  de  les  rece- 
voir, comme  des  frères,  avec  des  transports  de  joie  inex- 
primables, s'étoient  empressés  de  se  joindre  à  eux,  pour  les 
aider  à  se  fortifier  dans  leur  nouvelle  conquête.  Ils  les 
avoient  aidés  aussi  puissamment,  après  la  prise  de  Cour- 
trai, à  vaincre  plusieurs  corps  autrichiens,  qui  avoient 
disparu  devant  eux  (2).  Ces  faits  sont  constatés  par  les 
dépêches  de  M.  Luckner  au  corps  législatif.  Ce  général 
annonçoit  en  même  tems  que  la  position,  dont  il  s'étoit  em- 
paré, étoient  infiniment  avantageuses;  et  qu'il  étoit  très 
facile  de  s'y  fortifier...  Tout-à-coup  le  bruit  se  répand  que 
Luckner  doit  abandonner  les  places  qu'il  vient  d'occuper; 
et  se  replier  sur  Lille  ...Bientôt,  ce  projet  est  exécuté...  Les 
villes  belgiques  sont  évacuées...  L'on  apprend  qu'au  même 
instant,  les  autrichiens  y  sont  rentrés,  et  ont  puni  l'attache- 
ment que  les  habitans  nous  avoient  témoigné,  par  des 
cruautés  dignes  de  la  cause  des  tyrans.  On  apprend  un  fait 
plus  horrible;  on  dit,  qu'en  partant,  l'un  de  nos  géné- 
raux a  fait  mettre  le  feu  aux  faubourgs  de  ces  villes  infor- 
tunées (3). 

(2)  On    peut    voir    ici    la    lettre,    datée    de    Courtrai    du    imprimée 

à  la  fin  du  numéro  (Note  de  Robespierre  qui  n'indique  pas  la  date). 

(3)  Voir  dans  le  n°  précédent  (p.  222),  un  extrait  d'une  lettre  de  Lille  au 
sujet  de  cette  retraite  et  les  causes  de  ce  mouvement  ordonné  par  La  Fayette 
qui  commandait  en  chef  l'armée  du   Nord  entre  Dunkerque  et  Montraédy 


228  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

Cependant,  tandis  que  nos  généraux  rétrogradoient,  ou 
restoient  dans  l'inaction,  les  autres  despotes  de  l'Europe 
rassembloient  leurs  forces;  déjà  une  armée  nombreuse  de 
prussiens  est  sur  les  bords  du  Rhin;  les  français  rebelles, 
qui  les  attendoient  paisiblement,  se  préparent  à  les  secon- 
der. Nos  places  fortes  de  ce  côté  sont  encore  sans  défense, 
en  dépit  de  toutes  les  réclamations  ;  et  l'aristocratie  perfide, 
qui  est  restée  au  milieu  de  nous,  pour  nous  trahir,  semble 
tendre  les  bras  à  l'aristocratie  insolente,  qui  a  fui,  pour 
nous  attaquer. 

C'est  dans  ces  circonstances,  que  nos  généraux  abandon- 
nent leurs  camps;  viennent  à  Paris  intriguer  au  château 
des  Thuileries;  et  dicter  des  lois,  au  sein  de  l'assemblée 
nationale.  Ils  nous  apprennent  à-la-fois,  que  nos  ennemis 
extérieurs  se  rassemblent;  et  qu'avant  de  leur  faire  la 
guerre,  il  faut  dompter  nos  ennemis  intérieurs;  et  ces  en- 
nemis intérieurs,  qui  sont-ils,  suivant  eux?  Ce  sont  les 
citoyens  qui  se  réunissent  dans  les  sociétés  patriotiques; 
ils  en  demandent  la  dissolution  ;  au  nom  de  leur  armée.  Au 
nom  de  leur  armée;  ils  dénoncent  à  l'assemblée  nationale, 
l'assemblée  nationale  elle-même;  c'est-à-dire,  la  portion  du 
corps  législatif,  qui  a  paru  la  plus  attachée  aux  droits  du 
peuple...  Voilà  les  faits,  dont  toute  la  France  est  témoin; 
voilà  notre  situation  politique. 

Convenez-donc,  nous  disent  nos  tyrans,  que  votre  peuple 
est  stupide  et  indigne  de  la  liberté;  renoncez  à  cette  chi- 
mère. Non,  ce  n'est  point  le  peuple  qui  est  stupide,  c'est 
vous,  qui  êtes  également  perfides  et  cruels;  et  si  le  peuple 
français  n'avoit  pas  assez  de  vertu,  pour  se  sauver  lui- 
dans  les  camps  de  Maùlde,  de  Famars,  de  Pont-sur-Sambre  et  de  Sedan.  (Cf. 
Chuquet  :  La  première  invasion  prussienne,  p.  39). 

La  guerre  avait  commencé  sous  de  tristes  auspices,  par  de  honteuses  dérou- 
tes, comme  celle  du  28  avril  devant  Mons  et  Tournai;  l'avance  de  Biron  sur 
Quiévrain  s'était  changée  en  retraite  et  l'armée  avait  dû  repasser  la  frontière 
en  désordre.  Cette  attitude  avait  trompé  l'Europe  sur  la  valeur  de  l'armée 
française;  les  Autrichiens  affichaient  sur  les  arbres  des  routes,  à  l'adresse 
des  fuyards,  ces  mots  ironiques  :  «  Vaincre  et  courir  ». 

Sur  les  rives  du  Rhin,  les  officiers  trahissaient  et  désertaient  en  foule; 
mais  ils  attendaient  le  dernier  moment,  afin  de  pouvoir  faire  de  l'espionnage 
pour  le  compte  des  émigrés  et  de  l'étranger;  ils  étaient  inscrits  sur  les  regis- 
tres du  Luxembourg  et  de  Coblentz,  et  continuaient  à  servir  d*ns  les  rangs  de 
l'armée  grançaise.  (Chuquet:  ibid.,  pp.  41  à  47).  Qu'on  s'étonne,  après  cela, 
de  l'état  d'esprit  de  l'armée  et  de  la  nation  à  l'égard  des  officiers  et  des  nobles. 


HUITIEME   NUMERO  22Ç 

même,  j'oserois  encore  me  reposer  de  son  salut  sur  l'excès 
de  vos  crimes;  si  mes  concitoyens  étoient  assez  lâches,  ou 
assez  imbécilles  pour  fermer  l'oreille  à  la  voix  de  l'honneur 
et  de  la  vérité,  je  m'adresserois  aux  hommes  libres  de  tou- 
tes les  nations.  Je  tracerai  aux  yeux  de  l'univers  et  de  la 
postérité,  le  hideux  portrait  des  oppresseurs  de  ma 
patrie;  et  l'humanité  entière  s'armera  tôt  ou  tard  pour  les 
punir,  ou  pour  exterminer  leurs  pareils. 

Malheureux  brabançons,  et  vous  tous,  peuples  de  l'Eu- 
rope, qui  fondiez  sur  notre  exemple,  l'espoir  de  votre 
liberté,  ne  vous  découragez  point  ;  gardez-vous  de  seconder 
les  vues  abominables  des  ennemis  de  l'humanité,  en  déses- 
pérant de  la  révolution  universelle  ;  et  sur-tout  en  nous  im- 
putant les  crimes,  commis  en  notre  nom.  Apprenez  plutôt 
par  notre  propre  expérience,  à  choisir  des  moyens  plus  sûrs 
de  secouer  le  joug  du  despotisme  qui  pèse  encore  sur  vos 
têtes.  Non,  ce  n'est  point  le  peuple  français  qui  a  refusé  de 
tendre  une  main  secourable  aux  infortunés  liégeois  (4)  ;  ce 
n'est  point  lui  qui  a  opprimé  les  avignonais  (5),  qui  se  jet- 
toient  dans  ses  bras  ;  ce  n'est  pas  lui  qui  a  conçu  l'affreux 
projet  de  cimenter  la  servitude  des  belges,  en  paroissant 
les  défendre.  Peuples  étrangers,  l'injure  qui  vous  est  faite 
nous  est  commune,  nous  la  vengerons  ensemble  ;  vous  n'êtes 
opprimés  que  parce  que  nous  ne  sommes  point  encore  li- 
bres. Les  mêmes  tyrans  causent  à-la-fois  vos  malheurs  et 
les  nôtres  ;  ne  confondez  point  la  nation  française,  avec  de 
vils  conspirateurs  et  d'indignes  mandataires;  eux  seuls 
élèvent  entre  nous  une  fatale  barrière.  Nous  avons  confié 
à  des  nobles  le  soin  de  défendre  la  cause  de  l'égalité,  et  à 
des  courtisans  celui  de  combattre  leurs  frères,  de  détrôner 
les  amis  et  les  alliés  de  leurs  maîtres.  Nos  anciens  oppres- 
seurs nous  ont  dit:  «  nous  chérissons  la  liberté  que  vous 
avez  conquise  contre  nous;  nous  voulons  nous-mêmes  im- 
moler nos  propres  défenseurs,  et  diriger  vos  coups  contre 
'le  sein  de  nos  parens  et  de  nos  complices  ».  Et  nous  leur 
avons  répondu:  «  Conduisez-nous,  nous  marcherons  par- 
tout sur  vos  pas,  avec  une  aveugle  confiance;  nous  renon- 
çons, sur  votre  parole,  à  l'usage  de  notre  liberté  et  de  notre 

(4)  Voir  n'i,  page  16,  pour  l'échec  de  la  Révolution  du  Brabant. 

(5)  Allusion  aux  troubles  d'Avignon  de  1791  (voir  ci-dessus,  p.  85). 


23O  LE    DEFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

raison  ».  Avec  quelle  fidélité,  nous  avons  jusqu'ici  rempli 
notre  promesse  !  Ils  nous  suscitaient  la  guerre  depuis  deux 
ans  ;  loin  de  punir  cet  attentat  contre  la  liberté,  nous  avons 
eu  la  complaisance  de  prévenir  nous-même  leur  vœu,  et  de 
le  sanctionner  en  quelque  sorte  par  notre  propre  consente- 
ment (6).  Ils  alloient  nous  conduire,  disoient-ils,  jusqu'au 
sein  des  contrées  souillées  par  le  règne  du  despotisme,  et 
sceller  la  liberté  universelle,  par  les  embrassemens  frater- 
nels des  français  et  de  tous  les  peuples  de  l'Europe.  Ils  nous 
ont  enchaînés  sur  nos  frontières  ;  ils  nous  ont  permis  seu- 
lement quelques  combats  partiels,  funestes  à  la  cause  com- 
mune, et  nous  l'avons  souffert.  Ils  nous  ont  trahi  à  Mons, 
à  Tournay  (7);  et  pour  unique  remède  à  ces  maux,  on  a 
imaginé  de  punir  ceux  qui  croiroient  à  la  trahison;  nous 
avons  presque  mis  au  rang  des  ennemis  de  l'état,  ceux  qui 
n'accorderoient  pas  une  confiance  entière  à  la  cour  et  à  ses 
créatures.  Les  patriciens  ont  déserté  leurs  postes  ;  plusieurs 
ont  passé  chez  les  ennemis  ;  et  la  confiance  en  leurs  pareils 
n'en  a  été  recommandée  que  plus  rigoureusement.  On  s'est 
hâté  d'augmenter  leur  pouvoir  et  de  les  revêtir  d'une  dic- 
tature terrible.  Nous  avions  déclaré  la  guerre,  et  nous  res- 
tions sur  la  défensive,  sans  que  personne  osât  le  trouver 
mauvais.  On  comptoit  avec  une  exactitude  vraiment  ridi- 
cule, le  nombre  des  hulans,  et  des  soldats  des  gardes  natio- 
nales qui  avoient  péri  dans  la  petite  guerre  de  postes,  à 
laquelle  nous  nous  amusions  pour  les  menus  plaisirs  des 
despotes,  en  attendant  le  moment  où  leur  ligue  devoit  être 
bien  formée. 

Enfin,  ils  croient  que  le  moment  est  arrivé  de  recueillir 
le  fruit  de  leurs  crimes  ;  ils  croient  qu'ils  n'ont  plus  rien  à 
redouter  d'un  peuple  dont  ils  se  sont  joués  tant  de  fois  im- 
punément; ils  viennent  de  surpasser,  par  un  seul  trait, 
toutes  les  horreurs  qui  souillent  l'histoire  des  tyrans. 
Hélas!  ils  ont  voulu  accabler  pour  jamais,  la  cause  de  la 
liberté,  en  rendant  exécrable,  aux  yeux  des  nations,  le  nom 
du  peuple  français,  qui,  le  premier,  en  proclama  les  prin- 

(6)  Passage  cité  par  G.  Michon,  ibid.,  p.  125. 

(7)  Allusion  à  la  déroute  du  28  avril  au  cours  de  laquelle  furent  immolés 
le  général  Théobald  Dillon  et  un  autre  officier,  le  colonel  Berthois,  accusés 
par  leurs  troupes  de  trahison. 


HUITIÈME   NUMÉRO  23 1 

cipes  éternels...  Peuples,  ne  le  croyez  pas,  vous  serez  ven- 
gés... Quand  nous  serons  libres;  et  ce  moment  est  moins 
éloigné  qu'ils  ne  pensent.  Ne  haïssez  point  la  liberté;  ne 
détestez  que  ses  oppresseurs;  et  que  leurs  forfaits  même 
vous  apprennent  à  la  chérir  davantage.  C'est  sa  beauté 
divine  qui  a  excité  la  rage  des  monstres  qui  osent  la  souil- 
ler. Jamais  les  tyrans  ne  commirent  des  crimes  aussi 
lâches,  parce  que  jamais  peuple  ne  fit  un  si  noble  effort, 
pour  affranchir  l'humanité  de  leur  joug  odieux;  il  étoit 
arrêté  que  ce  (sic)  période  de  l'existence  des  sociétés,  devoit 
à-la-fois  enfanter,  et  la  morale  la  plus  pure  et  les  passions 
les  plus  hideuses;  les  plus  sublimes  vertus  et  les  plus  abo- 
minables forfaits.  L'univers  est  encore  dans  les  douleurs 
de  l'enfantement  de  la  liberté.  Tous  les  vices  qui  oppri- 
moient  les  nations,  ont  rugi  aux  premiers  symptômes  qui 
présageoient  sa  naissance;  et  ils  se  liguent  tous,  pour 
l'étouffer  dans  son  berceau.  Nous-mêmes,  encore  imbus  des 
misérables  préjugés  que  le  despotisme  a  enfantés,  portant 
encore  la  cicatrice  des  fers  dont  nous  fumes  long-tems 
chargés,  nous  avons  trop  secondé  leurs  infâmes  complots 
par  notre  déplorable  légèreté  et  par  notre  stupide  crédulité. 
Nous  avons  fait  des  lois  excellentes;  et  ce  sont  les  seules 
qui  ne  sont  point  exécutées.  Nous  avons  confié  notre  for- 
tune aux  brigands  qui  nous  avoient  tant  de  fois  dépouil- 
lés, notre  bonheur  et  notre  liberté  aux  éternels  ennemis  de 
l'égalité  et  de  la  vertu.  Aussi,  avec  quelle  cruelle  dérision 
ils  nous  parlent  de  la  sainteté  des  lois  !  Avec  quelle  odieuse 
partialité  ils  réclament  celles  qui  consacrent  les  derniers 
restes  de  notre  servitude;  et  foulent  aux  pieds  celles  qui 
doivent  régénérer  nos  mœurs,  et  fonder  notre  liberté! 
Comme  ils  sont  inexorables,  pour  les  foibles  opprimés, 
pour  le  patriotisme  trompé!  Comme  ils  sont  tendres  et 
indulgens,  pour  les  grands  conspirateurs  et  pour  les  cou- 
pables puissans!  Avec  quel  art  perfide  ils  ressuscitent  tous 
les  anciens  préjugés,  toutes  les  vieilles  habitudes  qui  garan- 
tissoient  notre  esclavage!  Comme  ils  affectent  de  donner 
à  l'opulence  tous  les  droits  de  la  vertu,  et  d'associer  à  l'idée 
de  la  pauvreté  laborieuse,  celle  de  tous  1  es  vices  !  Avec 
quelle  coupable  habileté  ils  honorent,  sans  cesse,  leurs  com- 
plices, pour  avilir,  et  pour  enchaîner  le  peuple  !  Comme  ils 


232  LE   DEFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

méprisent  la  dignité  d'homme,  et  comme  ils  oppriment 
l'humanité,  en  invoquant  la  déclaration  des  droits!  Avec 
quelle  lâche  impudence,  les  factieux  déclament  contre  les 
factions;  les  despotes  contre  le  despotisme;  les  plus  cor- 
rompus de  tous  les  hommes  contre  la  corruption  et  contre 
le  vice!  ...Ainsi,  l'univers  est  encore  le  jouet  et  la  proie 
d'un  petit  nombre  de  brigands...  Amis  de  la  liberté  de  tous 
les  pays,  rassurez-vous  !  Le  règne  de  l'imposture  et  du  cri- 
me ne  peut  être  éternel. 

Ils  ont  pris  soin  de  graver  profondément  dans  nos  âmes, 
le  mépris  des  traîtres  et  la  haine  des  despotes:  une  main 
toute  puissante  a  écrit  sur  leurs  fronts,  leur  sentence  de 
mort,  avec  le  sang  des  patriotes  qu'ils  ont  immolés;  et  le 
sang  qu'ils  vont  faire  couler  encore,  ne  l'effacera  pas. 
Français,  belges,  allemands,  esclaves  malheureux  des 
tyrans  qui  se  sont  partagé  le  genre  humain,  comme  de  vils 
troupeaux,  vous  serez  libres;  gardez-vous  d'en  douter:  je 
le  jure  par  l'incendie  de  Courtrai  :  par  les  enfans  des  bra- 
bançons, égorgés  dans  le  ventre  de  leurs  mères,  et  portés 
tout  sanglans  au  bout  des  baïonnettes  autrichiennes:  je  le 
jure  par  les  mânes  des  avignonnais  qui  ont  péri  sous  les 
coups  de  nos  communs  ennemis  :  je  le  jure  par  nos  femmes 
et  nos  enfans,  lâchement  égorgés  au  champ-de-mars;  par 
les  défenseurs  de  la  patrie,  assassinés  tant  de  fois  en  détail, 
et  par  les  patriotes,  entassés  encore  aujourd'hui  dans  nos 
cachots  :  je  le  jure  par  les  armées  étrangères,  qui  s'assem- 
blent, et  par  les  traîtres  qui  les  appelent  :  je  le  jure  par  la 
déclaration  des  droits  de  l'homme,  solennellement  promul- 
guée et  insolemment  violée  ;  par  les  calamités  de  vingt  siè- 
cles, que  nous  avons  à  expier  ;  par  nos  aïeux  que  nous  de- 
vons venger,  par  notre  postérité  que  nous  devons  affran- 
chir, et  par  nous-mêmes  que  nous  devons  sauver. 


HUITIÈME   NUMÉRO  233 

II 

Sur  la  tactique  du  général  Lafayette  (8) 

Ajax,  roi  des  locriens,  avoit  laissé  une  si  haute  opinion 
de  sa  valeur,  que  ses  concitoyens  conser voient  toujours  sa 
tente  au  milieu  de  leur  camp;  l'ombre  seule  de  ce  héros 
gagnoit  encore  des  batailles. 

Nous  avons  un  général  qui  semble  avoir  choisi  pour 
modèle,  l'ombre  d'Ajax.  La  tente  de  M.  Lafayette  est  au 
milieu  du  camp  où  il  commande;  mais  elle  est  souvent 
déserte,  comme  celle  du  roi  grec  :  ce  général  a  la  propriété 
de  disparoitre  de  son  camp  par  intervalles,  pour  huit  ou 
quinze  jours,  sans  que  ni  les  ennemis,  ni  son  armée  s'en 
apperçoivent.  La  seule  différence  qui  existe  entre  l'ombre 
d'Ajax  et  M.  Lafayette,  c'est  que  celui-ci  ne  gagne  pas  de 
batailles.  Pyrrhus  apprit  aux  romains  l'art  des  campe- 
mens;  Lafayette  instruira  les  généraux  qui  le  suivront 
dans  l'art  de  voyager.  Faire  la  guerre  à  la  de  tête  de  son 
armée  (9),  est  une  science  commune,  qui  appartient  aux 
héros  vulgaires:  être  éloigné  d'elle  de  soixante-dix  lieues, 
plus  ou  moins,  et  faire  la  guerre:  voilà  le  talent  merveil- 
leux, réservé  aux  êtres  privilégiés,  refusé  à  tout  général 
qui  n'a  subjugé  ou  affranchi  qu'un  seul  monde.  Le  général 
est-il  au  camp?  Est-il  au  château  des  Thuileries?  Est-il  à 
Paris?  Est-il  à  la  campagne?  Sont  aujourd'hui  autant  des 
questions  qui  n'ont  rien  du  tout  d'oiseux,  ni  de  ridicule,  et 
dont  la  solution  n'est  pas  même  facile.  Par  exemple,  au 

(8)  Robespierre  revient  encore  sur  l'attitude  de  La  Fayette,  quittant  sans 
permission,  le  camp  de  Maubeuge  menacé  par  les  ennemis,  pour  venir,  à  la 
barre  de  l'Assemblée  législative,  exiger  la  punition  de  ceux  qui  avaient  par- 
ticipé à  la  journée  du  20  juin;  et  pour  mieux  démontrer  l'analogie  qui,  à 
ses  yeux,  existe  entre  La  Fayette  attaquant  les  sociétés  populaires  et  Léopold 
d'Autriche  lançant  son  fameux  manifeste  du  Ier  mars  contre  les  Jacobins, 
il  établit  un  parallèle  entre  les  phrases  du  général  et  celles  contenues  dans 
l'écrit  impérial. 

Laponneraye  reproduit  cet  article  (t.  I,  pp.  496  à  508).  —  L'Histoire  parle- 
mentaire (t.  XVI,  pp.  32  à  41)  le  donne  également.  —  Vermorel,  dans  son 
édition  des  Œuvres  de  Robespierre  (Paris,  F.  Courbel,  1866,  in-12),  pp.  341  à 
344,  en  donne  de  longs  extraits.  —  Hatin  (t.  VI,  p.  286),  en  reproduit  un 
autre.  —  Ernest  Hamel  (t.  II,  pp.  307  à  311)  l'analyse.  —  Léonard  Gallois 
(p.  128)  le  commente  et  en  cite  un  passage. 

(9)  Sic:  Cette  phrase  doit  être  rétablie  ainsi:  «  Faire  la  guerre  à  la  tête 
de  son  armée  >. 


234  LE   DÉFENSFUR   DE   LA   CONSTITUTION 

moment  où  j'écris,  on  regarderoit  comme  un  homme  très 
habile,  celui  qui  pourroit  dire,  avec  certitude,  si  M. 
Lafayette  est  enfin  retourné  à  Maubeuge,  ou  si  c'est  Paris 
qui  le  recèle. 

Cette  nouvelle  méthode  de  faire  la  guerre,  a  sans  doute 
de  grands  avantages,  ne  fût-ce  que  celui  de  conserver  le 
général,  sinon  à  l'armée,  du  moins  à  la  nation.  Comment 
le  battre,  ou  le  faire  prisonnier,  s'il  n'est  pas  même  possi- 
ble de  le  découvrir? 

Au  reste,  qu'on  examine  bien  ce  système  ;  il  est  beaucoup 
moins  extraordinaire,  qu'on  ne  pourroit  le  croire,  au  pre- 
mier coup-d'œil.  Il  [est]  très-approprié  à  la  nature  et  aux 
motifs  de  la  guerre  actuelle.  Jamais  guerre  n'exigea  plus 
d'entrevues  secrètes  ;  plus  d'entretiens  intimes  ;  plus  de  con- 
fidences mystérieuses  ;  or,  tout  cela  suppose  des  voyages,  et 
oblige  nécessairement  le  général  à  faire  plus  d'usage  de 
chevaux  de  poste,  que  de  chevaux  de  bataille. 

Ce  n'est  plus  un  secret  aujourd'hui  pour  personne,  que 
le  but  de  la  guerre,  n'est  point  de  détrôner  la  maison  d'Au- 
triche, en  Brabant  :  mais  de  rétablir  son  empire,  en  France. 
Ce  n'est  point  Bruxelles  qu'on  veut  affranchir  ;  c'est  Paris 
que  l'on  veut  réduire  ;  il  s'agit  non  de  dompter  les  factieux 
de  Coblentz,  mais  de  châtier  les  factieux  de  l'assemblée 
nationale  et  de  la  capitale.  Le  roi  de  Prusse  et  le  roi  de 
Hongrie,  comme  on  sait,  sont  bien  moins  à  craindre  pour 
la  France,  que  les  municipaux  et  les  sociétés  des  amis  de 
la  constitution  :  Léopold  et  Lafayette  nous  l'ont  hautement 
déclarés  (sic).  Il  faut  épargner  Coblentz,  évacuer  Courtrai, 
et  préparer  le  siège  du  couvent  des  jacobins.  Le  véritable 
théâtre  de  la  guerre  n'est  donc  point  la  Belgyque  (sic),  c'est 
Paris.  Le  véritable  quartier-général  n'est  pas  au  camp 
retranché  de  Maubeuge;  il  est  dans  le  palais  des  Thuile- 
ries.  Le  Conseil  de  guerre,  c'est  le  comité  autrichien.  A 
quoi  servent  ici  la  valeur  et  les  talens  militaires?  Il  n'est 
question  que  de  stratagèmes  politiques.  M.  Lafayette  a 
donc  moins  besoin  de  conférer  avec  des  officiers  expéri- 
mentés, qu'avec  des  intrigans  habiles.  Au  camp,  il  peut  être 
facilement  remplacé;  mais  au  conseil  secret,  comment 
pourroit-on  se  passer  de  sa  présence  (10)? 

(10)  Vermorel  ne  donne  pas  les  passages  qui  suivent.  Il  les  résume  en 
disant  que  «  Robespierre  développe  cette  accusation,  en  faisant  des  rapproche- 


HUITIÈME   NUMÉRO  235 

Eh  !  d'ailleurs,  pourquoi  les  autrichiens  lui  donneroient- 
ils  quelqu'inquiétude,  pendant  son  absence?  Est-il  en 
guerre  avec  eux?  Que  dis-je?  Ne  sont-ils  pas  ses  alliés?  Ne 
sont-ils  pas  ligués  avec  lui,  pour  rétablir  en  France  le  bon 
ordre,  pour  anéantir  le  règne  des  clubs,  et  rétablir  celui 
de  la  loi?  Regardez-vous  cette  réflexion,  comme  un  trait 
d'ironie,  ou  comme  une  exagération?  Non,  c'est  la  vérité 
toute  nue,  c'est  l'évidence  dans  tout  son  éclat.  Interrogez 
plutôt  les  faits;  lisez  le  manifeste  de  Léopold  et  lisez  la 
lettre  de  M.  Lafayette  (il). 

LÉOPOLD 

((  L'empereur  croit  devoir  au  bien-être,  de  la  France  et 
de  l'Europe  entière,  ainsi  qu'il  y  est  autorisé,  par  les  pro- 
vocations et  les  menées  du  parti  des  jacobins,  de  démas- 
quer et  de  dénoncer  publiquement,  une  secte  pernicieuse, 
comme  les  vrais  ennemis  du  roi  très-chrétien,  et  des  prin- 
cipes fondamentaux  de  la  constitution  actuelle,  et  comme 
les  perturbateurs  de  la  paix  et  du  repos  général  »  (12). 

Lafayette 

«  Pouvez-vous  vous  dissimuler  qu'une  faction,  et  pour 
éviter  les  dénominations  vagues,  que  la  faction  jacobite  a 
causé  tous  les  désordres?  C'est  elle  que  j'en  accuse  haute- 
ment )).  (Lettre  de  Lafayette  à  l'assemblée)  (13). 

LÉOPOLD 

«  L'empereur  est  loin  d'attribuer  de  tels  procédés  à  la 
majeure  partie  de  la  nation,  qui,  ou  gémit  des  maux  que 

ments  entre  le  manifeste  de  Léopold  et  la  lettre  de  Lafayette  à  l'Assemblée; 
il  dénonce  le  général  comme  l'instrument  des  ennemis  de  la  Révolution  et 
donne  incidemment  son  opinion  sur  la  journée  du  20  juin  ». 

(11)  Je  vais  remettre  ici  sous  les  yeux  du  public,  les  principaux  passages 
de  ce  double  manifeste.  {Note  de  Robespierre). 

(12)  Note  officielle  du  prince  de  Caunitz  (sic),  à  l'ambassadeur  de  France. 
(Note  de  Robespierre). 

Le  prince  de  Kaunitz  (1711-1794)  avait  été  ambassadeur  en  France  sous 
Louis  XV;  chancelier  de  l'Empire,  il  était  à  la  tête  des  affaires  intérieures  et 
extérieures  de  l'Autriche  sous  Léopold  II.  Il  se  démit  de  ses  fonctions  à 
l'avènement  de  François  IL 

(13)  Voir  ci-dessus,  p.  165,  note  1. 


236  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

lui  cause  un  parti  fanatique,  ou  participe  involontairement 
aux  erreurs  et  aux  préventions  dans  lesquelles  on  cherche 
à  l'entretenir  sur  la  conduite  de  sa  majesté  impériale. 
Découvrir  les  desseins  véritables  de  sa  conduite  vis-à-vis 
de  la  France;  voilà  'la  seule  arme  à  laquelle  l'empereur 
souhaite  pouvoir  se  borner  de  recourir,  pour  déjouer  les 
artifices  d'une  cabale,  qui  faisant  état  dans  l'état,  et  fon- 
dant son  ascendant  reprouvé  par  la  loi,  sur  le  trouble  et  la 
confusion,  n'a  d'autre  ressource,  pour  se  soustraire  au 
reproche  des  embarras  inextricables  qu'elle  a  déjà  préparés 
à  la  nation,  que  de  la  précipiter  dans  des  embarras  plus 
grands  encore  ». 

Lafayette 

((  C'est  moi  qui  vous  dénonce  cette  secte,  organisée 
comme  un  empire  à  part;  ...qui  forme  une  corporation  dis- 
tincte au  milieu  du  peuple  français  dont  elle  usurpe  les  pou- 
voirs en  subjuguant  ses  représentans  et  ses  mandataires  ». 

LÉOPOLD 

Ils  (les  jacobins)  nourrissent  avec  soin,  les  dissensions 
religieuses;  anéantissent  l'effet  des  vues  tolérantes  de  la 
constitution,  par  l'alliage  d'une  intolérance  d'exécution 
directement  contraire.  C'est  à  ce  but  qu'ils  tâchent  de  ren- 
dre impossible,  la  réconciliation  des  partis  opposés,  et  le 
raménement  (sic)  d'une  classe  qu'on  s'est  aliénée  par  les 
plus  rudes  épreuves  auxquelles  le  cœur  humain  puisse  être 
soumis,  en  lui  enlevant  tout  espoir  d'adoucissement  et 
d'égards  concilians... 

«  Ce  sont  les  moteurs  de  ce  parti  qui,  depuis  que  la  nou- 
velle constitution  a  prononcé  l'inviolabilité  du  gouverne- 
ment monarchique...,  entraînent  l'assemblée  législative  à 
s'attribuer  les  fonctions  essentielles  du  pouvoir  exécutif, 
forcent  le  roi  à  céder  à  leurs  désirs  par  les  explosions 
qu'ils  excitent,  et  par  les  soupçons  et  les  reproches  que  leurs 
manœuvres  font  retomber  sur  le  roi. 

Lafayette 

<(  Que  la  liberté  religieuse  jouisse  de  l'entière  application 
des  vrais  principes  ;  que  le  pouvoir  royal  soit  intact  ;  car  il 


HUITIÈME  NUMÉRO  237 

est  garanti  par  la  constitution  ;  qu'il  soit  indépendant  ;  car 
cette  indépendance  est  un  des  ressorts  de  notre  liberté  ;  que 
le  roi  soit  révéré  ;  car  il  est  investi  de  la  majesté  nationale. 
Enfin  que  le  règne  des  clubs  anéanti  par  vous,  fasse  place 
au  règne  des  lois  ».  (Lettre  de  Lafayette  à  l'assemblée 
nationale,  du  1 6  juin  1792).  «  Poursuivez  comme  criminels 
de  lèze-nation,  les  instigateurs  des  violences  commises  aux 
Thuileries  le  20  juin;  détruisez  une  secte  qui  envahit  la 
souveraineté,  tyrannise  les  citoyens.  Donnez  a  l'armée 
l'assurance,  que  la  constitution  ne  recevra  aucune 
atteinte.  (Discours  de  Lafayette  à  l'assemblée  nationale, 
du  28  juin). 

«  M.  le  Président;  j'emporte  un  regret  vif  et  profond 
de  ne  pouvoir  aprendre  à  l'armée  que  l'assemblée  nationale 
a  déjà  statué  sur  ma  pétition...  Tant  qu'il  existera  une  secte 
pernicieuse...  (Lettre  de  Lafayette  à  l'assemblée  nationale, 
du  30  juin)  (14). 

Quelle  conformité  de  vues  et  de  langage,  entre  les  enne- 
mis du  dedans  et  ceux  du  dehors  !  Est-ce  notre  liberté  que 
M.  Lafayette  veut  attaquer?  Point  du  tout:  il  veut  rétablir 
l'ordre  et  la  tranquillité  ;  il  veut  anéantir  la  tyrannie  des 
sociétés  patriotiques,  et  faire  respecter  l'autorité  royale. 
Pourquoi  les  monarques  autrichiens  nous  ont-ils  menacés? 
Pourquoi  nous  font-ils  la  guerre?  Est-ce  pour  renverser 
notre  constitution  et  pour  nous  donner  des  fers?  Non, 
c'est  pour  notre  bien  ;  c'est  pour  protéger  l'autorité  consti- 
tutionnelle du  roi,  et  la  nation  elle-même,  contre  ces  mêmes 
factieux,  contre  ces  clubs  que  M.  Lafayette  vous  dénonce, 
avec  eux,  comme  les  auteurs  de  tous  les  désordres.  Détrui- 

(14)  E.  Charavay,  ibid.,  p.  314,  analyse  cette  lettre  qu'il  reproduit  en 
partie.  L'original  est  aux  Archives  nationales  (C.  358).  Lue  à  la  séance  du 
30  juin,  elle  fut  renvoyée  à  la  Commission  extraordinaire  des  Douze.  La 
veille,  à  sept  heures  du  scir,  La  Fayette  avait  quitté  Paris  pour  regagner  son 
camp  de  Maubeuge.  Il  r.e  devait  pas  tarder  à  dése^er. 

Mais,  auparavant,  il  fait  une  dernière  tentative  ;  il  s'arrange  avec  Luckner 
qui  recule  en  Belgique  pour  prendre  le  commandement  de  l'armée  du  Nord 
(voir  ci-dessus,  page  223,  note')  ;  et  il  organise  un  véritable  complot  militaire 
ayant  pour  but  de  transporter  la  Cour  à  Compièerne,  afin  de  lui  rendre  toute 
sa  liberté  d'action.  Dans  le  cas  où  il  n'eut  pas  été  possible  au  roi  de  sortir  de 
Paris,  l'armée  de  La  Fayefte  aurait  immédiatement  marché  sur  la  capitale 
(H:<;to;rt>  Parlementaire,  t.  XVI,  lettre  de  Lally-Tolendal  du  9  juillet,  et  celle 
de  La  Fayette  du  8;  pp.  243  à  246). 


238  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

sez  les  clubs,  réprimez  les  factieux;  respectez  et  perfection- 
nez la  constitution,  selon  les  vues  de  M.  Lafayette  et  des 
princes  autrichiens,  et  vous  aurez  la  paix.  Et  vous  voulez 
que  M.  Lafayette  fasse  la  guerre  aux  autrichinens  !  Et 
pour  quel  motif?  Avons-nous  de  meilleurs  amis,  des  pré- 
cepteurs plus  sages  que  les  rois  de  Bohème  et  de  Hon- 
grie? (15).  Lafayette  dira-t-il  qu'ils  attentent  à  notre  indé- 
pendance ;  et  qu'ils  ne  doivent  pas  vouloir  notre  bien,  mal- 
gré nous-mêmes?  Mais  quand  on  est  d'accord  au  fond, 
peut-on  être  si  scrupuleux  sur  les  formes?  Eh!  lui-même 
ne  s'est-il  pas  élevé  au-dessus  de  toutes  les  lois?  Et 
ne  donne-t-il  pas  des  ordres,  au  nom  de  l'armée  ?  Ne  f  oule- 
t-il  pas  ouvertement  aux  pieds,  et  l'indépendance  de  l'as- 
semblée nationale  et  la  liberté  du  peuple  et  de  la  constitu- 
tion? Il  est  donc  parfaitement  d'accord  avec  la  maison 
d'Autriche  sur  la  forme,  autant  que  sur  le  fond.  Léopold 
dans  son  manifeste,  paroissoit  seulement  désirer  un  chan- 
gement dans  les  accessoires  de  la  constitution;  Lafayette 
la  renverse  toute  entière.  Léopold  sembloit  exprimer  mo- 
destement le  vœu  de  la  destruction  des  clubs  patriotiques  ; 
Lafayette  demande  impérieusement,  itérativement,  en  per- 
sonne et  par  écrit,  à  l'assemblée  nationale  elle-même, 
l'anéantissement  de  ce  droit  sacré  de  s'assembler  paisible- 
ment, que  nos  lois  nouvelles  garantissent  à  tous  les  fran- 
çais, comme  le  palladium  de  notre  liberté  ;  il  la  demande  au 
nom  de  la  force  armée  dont  il  prétend  disposer.  Léopold, 
prince  étranger,  allié  de  Louis  XVI,  n'avoit  blessé  nos 
droits  que  dans  un  écrit,  et  d'une  manière  indirecte  et  con- 
ditionnelle; Lafayette,  français,  armé  pour  défendre  le 
peuple  français,  les  a  ouvertement  attaqués.  La  nation 
s'est  levée  pour  châtier  Léopold;  laissera-t-elle  Lafayette 
impuni?  Ou  ce  qui  est  la  même  chose,  le  reconnoîtra-t-elle 
pour  maître. 

Léopold  n'étoit  que  le  précurseur  de  Lafayette.  Fran- 
çois, Frédéric-Guillaume  (16),  ne  sont  que  ses  auxiliaires; 
tous  ne  sont  que  les  agens  de  la  cour  des  Thuileries. 

Le  manifeste  même  que  je  viens  de  citer,  et  que 
Lafayette  ose  citer  dans  sa  lettre  à  l'assemblée  nationale, 

(15)  Tout  ce  paragraphe,  jusqu'à  cet  endroit,  est  reproduit  par  Hatin 
(ibid.,  t.  VI,  p.  286). 

(16)  L'empereur  d'Autriche  et  le  roi  de  Prusse. 


HUITIÈME  NUMÉRO  239 

ne  fut-il  pas  évidemment  l'ouvrage  de  cette  même  cour, 
dont  Lafayette  est  depuis  long-tems  le  conseiller  intime,  et 
dont  il  se  déclare  aujourd'hui  le  champion  contre  l'assem- 
blée nationale  (17)?  C'est  un  des  crimes  de  cette  lâche  coa- 
lition de  nobles  et  d'intrigans,  déshonorée  par  le  rôle  hypo- 
crite qu'elle  joua  dans  l'assemblée  constituante,  liguée  avec 
la  cour  pour  trahir  la  nation,  et  dont  Lafayette  est  le  chef. 
En  voulez-vous  une  démonstration  complète?  Rapprochez 
des  faits  qui  sont  des  époques  dans  notre  révolution.  Dans 
la  lettre  écrite  le  13  mars  1791,  par  le  roi  à  l'assemblée 
nationale  (18),  pour  annoncer  qu'il  accepte  la  constitution, 
il  insinue  très-clairement,  qu'il  la  prend,  en  quelque  sorte 
à  l'essai  (19);  et  il  déclare  nettement  qu'il  doute  si  elle 
pourra  marcher  sans  quelques  modifications,  Aucun  hom- 
me, à  portée  d'observer  les  ressorts  des  opérations  politi- 
ques, n'a  douté  dans  le  tems,  que  cette  lettre  n'eut  été  dic- 
tée par  cette  coalition,  qui,  depuis  le  départ  du  roi,  dirigeoit 
toutes  ses  démarches  ;  on  a  vu  dans  cette  espèce  de  restric- 
tion de  Louis  XVI,  le  germe  de  ce  système  des  deux  cham- 
bres, et  du  rétablissement  d'une  caste  privilégiée,  auquel  la 
faction  dominante  à  la  cour  aspiroit  visiblement.  Mais 
remarquez  maintenant  comment  cet  acte  d'acceptation  est 
combiné  avec  le  manifeste  de  Léopold.  Ce  prince  rap- 
pelé (sic)  expressément  l'acte  d'acceptation  de  Louis  XVI 
en  ces  termes  :  «  Sa  Majesté  très-chrétienne,  dit-il,  déclara 
par  sa  lettre  à  l'assemblée  nationale  du  15  septembre  (20), 
qu'elle  acceptoit  la  constitution  ;  qu'à  la  vérité,  elle  n'apper- 
cevoit  point  dans  les  moyens  d'administration,  toute  l'éner- 

(17)  Voir  ci-dessus,  sur  ce  manifeste  et  ceux  qui  l'ont  inspiré  et  rédigé, 
la  note  i  de  la  page  233. 

(18)  Robespierre  parait  commettre  une  erreur  de  date.  La  lettre  du  roi, 
acceptant  la  Constitution,  est  du  13  septembre  et  non  du  13  mars  1791 
(Tourneux,  ibid.,  t.  I,  n°  3080:  Lettre  du  Roi  portée  à  l'Assemblée  nationale 
par  le  ministre  de  la  Justice,  le  13  septembre  1791.  Paris,  Imp.  royale,  1791, 
in-8°  de  4  p.,  reproduite  par  le  Moniteur,  réimp.,  t.  IX,  p.  655). 

(19)  Lorsqu'il  dit,  après  avoir  fait  connaître  son  acceptation:  «  Je  man- 
querais cependant  à  la  vérité  si  je  disais  que  j'ai  aperçu  dans  les  moyens 
d'exécution  et  d'adaministration  (de  cette  Constitution)  toute  l'énergie  qui 
serait  nécessaire  pour  imprimer  le  mouvement  et  pour  conserver  l'unité  dans 
toutes  les  parties  d'un  si  vaste  empire;  mais  puisque  les  opinions  sont  au- 
jourd'hui divisées  sur  ces  observations,  je  consens  que  l'expérience  seule  en 
demeure  juge  ». 

(20)  Voir  la  note  18  ci-dessus.  —  La  date  du  15  au  lieu  du  13,  portée 
dans  le  manifeste  de  Léopold,  d'après  Robespierre,  est  erronée. 


24O  LE   DEFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

gie  qui  seroit  nécessaire  pour  imprimer  le  mouvement  dans 
toutes  les  parties  d'un  si  vaste  empire  ».  Il  reproche  amè- 
rement dans  le  même  manifeste,  avec  une  naïveté  qu'on 
n'auroit  pas  attendue  d'une  majesté  impériale  et  autri- 
chienne, à  tous  les  français  patriotes,  qu'il  nomme  jaco- 
bins, de  compromettre  le  salut  de  la  France,  par  leur 
inflexibilité  à  repousser  tout  changement,  même  dans  les 
accessoires  de  la  constitution. 

Léopold  préparoit  les  esprits  à  tous  les  projets  des  enne- 
mis de  la  révolution;  Lafayette  les  exécute.  Le  manifeste 
de  Léopold  fut  l'occasion  de  la  déclaration  de  guerre  ;  la 
guerre  est  entre  les  mains  de  Lafayette,  un  moyen  d'allu- 
mer la  guerre  civile,  et  d'anéantir  la  liberté.  Elle  est  le  lien 
qui  unit  tous  les  ennemis  cachés  et  publics,  intérieurs  et 
extérieurs  du  peuple  français  pour  l'exécution  de  cette  cou- 
pable entreprise.  Dans  cette  exécrable  société,  le  roi  de 
Prusse,  celui  de  Hongrie,  mettent  leurs  armées,  l'appareil 
de  leur  puissance  ;  Lafayette,  son  hypocrisie,  sa  faction,  sa 
popularité  expirante,  ses  infâmes  liaisons,  ses  abominables 
intrigues,  l'art  de  la  calomnie  et  de  la  séduction,  qu'il  épuise 
vainement  sans  doute,  pour  égarer  les  fidèles  défenseurs  de 
la  patrie  (21). 

Le  moment  étoit  enfin  arrivé,  où  cette  conspiration  géné- 
rale devoit  éclater.  Pour  s'élancer  dans  sa  carrière  crimi- 
nelle, Lafayette  n'attendoit  plus  qu'une  occasion  favorable 
à  ses  vues.  Il  falloit  un  prétexte,  pour  palier  une  démarche 
audacieuse  qui  le  prononçât,  comme  le  chef  du  parti  de  la 
cour.  Il  s'est  appliqué  à  le  faire  naître  ;  et  il  prétend  l'avoir 
trouvé  dans  les  événemens  du  20  juin.  Je  puis  m'expliquer 
librement  sur  ce  rassemblement;  j'ai  assez  prouvé  mon 
opposition  à  cette  démarche,  par  des  faits  aussi  publics  que 
multipliés   (22).   Je  l'ai   regardée  comme   impolitique   et 

(21)  Vermorel  reprend  à  cet  endroit  le  passage  qui  suit. 

(22)  Robespierre  s'était  opposé  au  mouvement  du  20  juin;  il  refusa  de 
prêter  son  concours  à  cette  manifestation  dont  les  Girondins,  évincés  du 
pouvoir,  prétendaient  tirer  parti.  Averti  par  Chabot  qu'ils  avaient  essayé  de 
circonvenir,  Robespierre  s'était  élevé,  aux  Jacobins,  contre  une  insurrection 
partielle  dont  les  conséquences  lui  paraissaient  pouvoir  être  dangereuses  pour 
la  liberté  (voir  son  discours  du  13  juin.  —  Aulard,  t.  III,  p.  894.  —  Dépo- 
sition de  Chabot  dans  le  procès  des  Girondins  :  Histoire  parlementaire,  t.  XXX, 
pp.  28  et  suivantes.  —  Réponse  de  Robespierre  à  Jérôme  Petion:  Lettres  de 
Robespierre  à  ses  Commettants,  n°  7,  i1*  série,  p.  315). 


HUITIÈME   NUMERO  24I 

sujette  à  de  graves  inconvéniens.  Je  n'ai  pas  besoin  de  dire, 
que  l'extravagance  aristocratique  a  pu  seule  concevoir 
l'idée  de  la  présenter  comme  un  crime  populaire,  comme  un 
attentat  contre  la  liberté  et  contre  les  droits  du  peuple.  Ce 
qu'il  importe  d'observer  ici,  ce  qui  est  démontré  à  mes  yeux 
et  à  ceux  de  quiconque  connoît  ce  qui  s'est  passé  ;  c'est  que 
la  cour  et  Lafayette  ont  fait  tout  ce  qui  étoit  en  eux,  pour 
la  provoquer,  pour  la  favoriser,  en  paroissant  l'improuver  ; 
c'est  que  ce  dessein  est  trop  clairement  indiqué  par  l'étran- 
ge affectation,  avec  laquelle  ils  cherchèrent,  dans  les  jours 
qui  le  précédèrent,  et  où  ill  étoit  déjà  annoncé,  à  braver 
l'opinion  publique,  et  à  lasser  la  patience  des  citoyens,  par 
des  actes  aussi  contraires  à  la  sûreté  de  l'état,  qu'aux  inté- 
rêts de  la  liberté  ;  c'est  que  les  lettres  de  Lafayette  à  l'as- 
semblée nationale  et  au  roi,  ont  été  combinées,  avec  l'épo- 
que de  cet  événement  prévu.  Sans  doute,  il  avoit  pensé, 
comme  tous  ses  complices,  que  quelques  pures,  quelques 
légitimes  que  fussent  les  intentions  du  peuple,  un  grand 
rassemblement  pourroit  produire  quelque  crime  indivi- 
duel, qui  pourroit  servir  de  prétexte,  pour  le  calomnier,  et 
pour  décrier  ou  persécuter  les  amis  de  la  liberté.  La  vertu 
populaire  et  la  raison  publique  déconcertèrent  ses  projets 
et  les  efforts  même  de  ses  émissaires.  Mais  il  n'en  pour- 
suivit pas  moins  le  dessein  qu'il  avoit  formé  de  fonder  sur 
cet  événement  une  espèce  de  manifeste  royal  et  autrichien, 
pour  colorer  la  révolte  qu'il  méditoit  contre  la  souverai- 
neté nationale  (23).  De  là  l'acharnement  absurde  avec  le- 
quel tous  les  écrivains  soudoyés  par  la  cour  s'efforcent  de 
diffamer  aux  yeux  de  la  France  entière  le  peuple  de  Paris, 
ses  magistrats  et  toutes  les  sociétés  patriotiques  de  l'em- 
pire; de  là  les  accusations  intentées  contr'eux,  au  nom  de 
Louis  XVI,  devant  le  corps  législatif  ;  de  là  les  proclama- 
tions qu'il  adressa  à  tous  les  directoires,  au  sujet  du  ras- 
semblement du  20  juin  ;  de  là  les  adresses  insolentes  et  aris- 
tocratiques envoyées  peu  de  jours  après,  par  plusieurs 
directoires  à  l'assemblée  nationale.  De  là,  la  visite  vérita- 
blement séditieuse  de  Lafayette  lui-même,  à  l'assemblée 

(23)  Vermorel  supprime  le  passage  qui  suit.  —  E.  Hamel:  Histoire  de 
Robespierre,  t.  II,  p.  298:  Jugement  sur  cette  journée;  l'opinion  et  le  rôle 
de  Robespierre. 


242  LE   DEFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

nationale;  de  là,  ces  déclamations  criminelles,  où  il  dénon- 
ce, avec  un  emphase  si  ridicule,  les  citoyens  de  Paris,  com- 
me coupables  d'avoir  outragé  la  nation,  dans  la  personne 
de  son  représentant  héréditaire,  et  demande  vengeance  de 
la  journée  du  20  juin,  au  nom  de  son  armée  et  de  tous  les 
honnêtes  gens.  De  là,  la  dernière  lettre,  où  il  se  plaint  de  ne 
pouvoir  porter  à  l'armée  l'assurance  que  son  vœu  est 
adopté  ;  et  annonce  qu'il  part,  quoiqu'il  soit  douteux  s'il  est 
parti.  De  là,  ces  pétitions  incendiaires,  colportées  dans 
l'armée  par  Lameth  et  autres  complices  de  Laf  ayette,  pour 
la  soulever  contre  le  peuple  français  (24). 

Pour  oser  déclarer  la  guerre  à  sa  patrie,  il  falloit  qu'il 
eut  l'air  >de  ne  point  attaquer  la  nation  :  mais  un  troisième 
parti,  qui  n'étoit  point  celui  de  la  cour  et  de  l'aristocratie, 
et  qui  cependant  seroit  présumé  ennemi  de  la  liberté  et  de 
la  constitution:  Laf  ayette  a  donc  présenté  les  patriotes,  le 
peuple,  tout  ce  qui  n'est  point  sa  faction,  comme  une  secte 
particulière,  qu'il  a  appelée,  qu'il  a  fait  appeler  par  tous  les 
écrivains  qu'il  coudoie,  tantôt  républicaine,  tantôt  jacobite, 
à  laquelle  il  impute  tous  les  maux  qu'il  a  causés,  tous  les 
crimes  de  la  cour  et  de  l'aristocratie...  C'est  sous  ce  nom, 
qu'il  prétend  accabler  le  peuple,  avec  le  nom  du  roi,  avec 
les  forces  de  la  cour,  de  la  noblesse,  des  prêtres  séditieux, 
des  puissances  étrangères,  et  tous  les  citoyens,  pervers  ou 
stupides,  qu'il  pourra  égarer,  ou  attacher  à  sa  fortune.  On 
voit  qu'en  cela,  il  s'accorde  parfaitement,  avec  nos  enne- 
mis extérieurs,  qui,  pour  ne  point  paroître  combattre  la 
volonté  de  la  nation;  pour  diviser  les  français,  et  ménager 
en  même  tems,  l'opinion  de  leurs  propres  sujets,  déclarent 
qu'ils  ne  prennent  les  armes,  que  contre  cette  même  faction 
jacobite,  à  qui  il  supposent  (25)  le  pouvoir  de  maîtriser  le 
peuple  français...  Voilà  toute  politique  de  ce  héros...  Eh 
bien  !  qu'il  comble  enfin,  la  mesure  de  ses  crimes  ;  qu'il  passe 
le  Rubicon,  comme  César  (26),  ou  plutôt  que,  comme  Oc- 

(24)  Vermorel  reprend  ici. 

(25)  Sic.  Cette  faute  se  trouve  dans  le  texte. 

(26)  On  assure  que,  plusieurs  années  avant  la  révolution,  les  plaisans  de  la 
cour  lui  avoient  donné  le  nom  de  Gilles-César  {Note  de  Robespierre). 

C'est  ainsi  nue  l'appelait  plaisamment  Mirabeau.  —  Ce  sobriquet  de  Gilles- 
César  avait  été  appliqué,  si  nous  en  croyons  le  comte  De  La  Marck  par  le 
duc  de  Choiseul  à  La  Fayette,  lors  de  son  retour  d'Amérique.  Le  ministre, 


HUITIEME   NUMERO  243 

tave,  à  qui  il  ressemble  beaucoup  mieux,  aux  talens  près, 
il  se  cache  au  fond  de  cale,  tandis  qu'on  donnera  la  bataille 
d'Actium...  Citoyen  ingrat  et  parjure;  hypocrite  et  vil 
vil  conspirateur,  que  tout  le  sang  qui  coulera,  retombe  sur 
la  tête  sacrilège.  Tu  as  dit  dans  ta  lettre  à  l'assemblée,  en 
parlant  de  tes  complices:  «  je  déclare  que  la  nation  fran- 
çaise, si  elle  n'est  pas  la  plus  vile  de  l'univers,  peut  et  doit 
résister  à  la  coalition  des  rois  »  ;  et  moi  je  dis,  que  si  le  plus 
dangereux  de  ses  ennemis  et  le  plus  coupable  de  tous  les 
traîtres  n'est  pas  bientôt  exemplairement  puni,  nous  som- 
mes en  effet,  la  plus  vile  nation  de  l'univers,  ou  du  moins 
nos  représentans  sont  les  plus  lâches  de  tous  les  hom- 
mes (27). 

III 

[Préambule  du  3e  article] 

Dans  les  tems  où  nous  sommes,  il  importe  de  jeter 
quelquefois  un  regard  sur  le  passé,  et  de  le  comparer  avec 
le  présent.  Comme  le  grand  défaut  de  notre  nation,  et  le 
malheur  peut-être  de  l'humanité,  est  de  ne  reconnoître  la 
vérité,  que  quelque  tems  après  le  moment,  où  elle  pouvoit 
être  utile,  il  est  bon  de  se  reporter  quelquefois  à  ce  moment, 
afin  d'éviter  au  moins  la  même  erreur  pour  l'avenir  (28). 

Ce  motif  me  détermine  à  publier  ici  des  réflexions  que 
j'avois  adressées  à  tous  les  bons  citoyens,  à  l'époque  du 
manifeste  et  de  la  mort  de  Léopold,  et  peu  de  tems  avant 
la  déclaration  de  la  guerre.  Je  le  fais,  avec  d'autant  moins 
de  répugnance,  que  les  vérités  morales  et  politiques  sont 
bonnes  à  répandre  dans  tous  les  tems  ;  et  que  celles  qui  sont 
consignées  dans  l'écrit  que  je  vais  mettre  sous  les  yeux  du 
public,  s'appliquent  particulièrement  à  notre  situation 
actuelle  (29). 

agacé  des  éloges  sans  fin  prodigués  par  des  dames  dans  son  salon  au  jeune 
marquis,  aurait  dit:  «  Pour  moi,  Mesdames,  je  ne  vois  dans  La  Fayette  que 
Gilles-César  ».  (E.  Charavay,  ibid.,  p.  238).  Est-ce  parce  que  La  Fayette  se 
pénommait  Gilbert? 

(27)  Vermorel  reproduit  les  trois  dernières  pages  jusqu'à  la  fin. 

(28)  c  Toutes  les  prévisions  de  Robespierre,  dit  G.  Michon  (ibid.,  p.  124), 
s'étaient  réalisées;  il  retrouva  dès  lors  sa  popularité;  mais  le  peuple  se  rendit 
compte  trop  tard  de  sa  clairvoyance  ». 

(29)  Le  discours  de  Robespierre  est  du  26  mars;  il  produisit,  même  à 
l'étranger,  une  forte  impression.  Le  2  avril,  Pellenc  écrivit  à  La  Marck: 


244  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

Aux  Amis  de  la  Constitution 
Sur  les  circonstances  actuelles 

Du  mois  de  mars  1792. 

Une  conspiration  formidable,  tramée  dès  long-tems  con- 
tre notre  liberté,  étoit  près  d'éclater.  La  guerre  civile  s'al- 
lumoit  au  moment  où  la  guerre  étrangère  nous  menaçoit  ; 
les  prêtres  secouoieht  les  torches  du  fanatisme  et  de  la  dis- 
corde; des  administrateurs  infidèles  secondoient  leurs 
fureurs  et  favorisoient  les  comptais  de  tous  les  ennemis  de 
la  révolution;  une  coalition  fameuse  par  ses  attentats 
contre  la  liberté  naissante,  dominoit  à  la  cour  ;  elle  occupoit 
les  premiers  emplois  dans  nos  armées;  le  gouvernement 

«  Quant  aux  Jacobins,  de  peu  s'en  est  fallu  que  Robespierre  y  fit  passer  une 
adresse  à  toutes  les  sociétés  affiliées  pour  les  provoquer  à  donner  leur  vœu 
pour  la  paix  ».  (Correspondance  de  Pellenc  avec  M ercy- Argent eau  et  La 
Marck  (1791-1792)  publiée  par  Hans  Glagau,  p.  309). 

En  publiant  ce  discours  dans  le  n°  8  de  son  journal,  Robespierre  explique 
dans  la  note  ci-dessus  les  motifs  qui  le  détermine  à  le  livrer  à  la  publicité. 
(Laponneraye,  t.  II,  p.  10  à  21.  —  Aulard:  La  Société  des  Jacobins,  t.  III, 
p.  451).  —  Le  Journal  des  Débats,  etc.,  de  la  Société  n'en  donne  qu'une  partie, 
et  passe  sous  silence  justement  celle  relative  à  la  paix  (n°  167).  —  E.  Hamel 
(t.  II,  pp.  158  à  161)  l'analyse  longuement,  en  en  commentant  l'esprit  et  les 
incidents  auxquels  donnèrent  lieu  trois  points  de  ce  discours  que  critiqua  le 
girondin  Guadet,  lors  de  la  demande  d'impression  et  d'envoi  de  cette  adresse 
aux  sociétés  de  province. 

Après  avoir  pris  connaissance  du  discours  de  Robespierre,  tel  qu'il  le 
reproduit  lui-même  ci-dessus,  le  lecteur  jugera  si  les  trois  critiques  de  Guadet 
étaient  fondées: 

L'orateur  de  la  Gironde  reprochait  à  Robespierre  :  d'avoir  dit  qu'on  deman- 
dait la  guerre  sans  but  et  sans  y  être  préparé,  critique  amère  des  décisions 
prises  par  les  sociétés  patriotiques  comme  les  Jacobins  ;  «  d'avoir  prétendu  que 
la  nation  était  maîtresse  de  la  paix  ou  de  la  guerre,  et  d'avoir  montré  la 
paix  comme  le  seul  moyen  de  salut,  donnant  ainsi  tort  d'avance  au  ministère 
patriote   et   semant   le   découragement    parmi    les    sociétés   populaires    ». 

Pour  ces  deux  premiers  points,  il  s'en  fallait  de  beaucoup  aue  Robesnierre 
eut  été  aussi  affirmaMf  qu'on  aurait  pu  l'inférer  des  observations  de  Guadet. 

On  en  jugera  en  lisant  le  texte. 

Le  troisième  grief,  plus  précis,  concernait  le  passasre  de  l'adresse  où  Robes- 
pierre mettait  en  quelque  sorte  la  Révolution  française  sous  la  protection  de 
la  Providence  (voir  ci-après,  page  2^1).  Guadet  s'étonnait  «  au'avant  tra- 
vaillé avec  tant  de  couraee  pendant  trois  ans  pour  tirer  le  peuple  de  l'escla- 
vage du  despotisme,  Robespierre  put  concourir  à  le  remettre  ensuite  sous  l'es- 
clavage de  la  superstition  ». 

Robespierre  répondit  aussitôt  à  Guadet.  Ce  deuxième  discours,  d'une  haute 
portée  morale,  est  publié  par  Laponneraye  (t.  I,  pr>.  304  à  yri)  et  en  résumé 
dans  l'Histoire  parlementaire  (t.  XIII,  p.  443);  E.  Hamel  l'analyse,  t.  II, 
pp.  162  à  166. 


HUITIÈME   NUMERO  245 

nous  trahissoit  ;  nul  ne  s'occupoit  du  salut  de  l'état.  Au  mi- 
lieu de  tous  ces  désordres,  des  cris  de  guerre  se  faisoient 
entendre;  on  ne  songeoit  ni  à  étouffer  les  troubles  du 
dedans,  ni  à  soulager  le  peuple,  ni  à  protéger  les  soldats 
patriotes,  persécutés  par  un  ministère  odieux,  ni  à  le  for- 
cer à  donner  des  armes  aux  gardes  nationales,  ni  à  pour- 
voir à  la  défense  nos  frontières.  D'un  côté  l'indolence,  la 
foiblesse,  de  l'autre  la  tyrannie,  l'aristocratie,  le  machia- 
vélisme sembloit  présider  aux  destins  de  la  France  ;  et  sans 
le  courage  inébranlable  des  bons  citoyens,  sans  la  patience 
invincible,  et  le  sublime  caractère  du  peuple  ;  il  eût  été  per- 
mis à  l'homme  le  plus  ferme  de  douter  du  salut  public  ;  lors- 
que la  providence,  qui  veilla  toujours  sur  nous,  beaucoup 
mieux  que  notre  propre  sagesse,  en  frappant  Léopold, 
parût  déconcerter  les  projets  de  nos  ennemis,  au  moins 
pour  quelque  tems  (30).  Ce  délai  suffit,  pour  donner  à  l'hu- 
manité le  tems  de  respirer.  Il  remet  entre  nos  mains  notre 
destinée  et  celle  du  monde. 

Saurons-nous  mettre  à  profit  cette  grande  occasion,  qui 
nous  est  offerte,  de  réduire  tous  les  tyrans >  à  l'impuissance 
de  nous  nuire  et  de  nous  opprimer  ?  C'est  en  avoir  triom- 
phé, que  de  connoître  et  de  dévoiler  les  secrets  de  leur  téné- 
breuse politique.  Quelle  soit  donc  long-tems  présente  à 
tous  les  esprits,  cette  fameuse  correspondance  concertée 
entre  le  cabinet  de  Vienne  et  le  comité  des  Thuileries. 

Exciter,  entretenir  les  troubles  du  dedans,  et  nous  sus- 
citer en  même-tems  la  guerre  au  dehors,  pallier  ce  double 
projet,  en  l'imputant  aux  amis  les  plus  zélés  de  la  consti- 
tution; détruire  les  sociétés  patriotiques,  et  pour  cela  les 
décréditer  dans  l'opinion  publique,  par  l'imputation  vague 
et  insignifiante  de  républicanisme,  les  accuser  de  vouloir 
changer  le  gouvernement,  en  même-tems  qu'on  travailloit 
à  détruire  la  liberté,  tel  est  tout  le  plan  de  conjura- 
tion qu'elle  vient  de  révéler  aux  yeux  de  l'univers. 

Ainsi  donc  tous  les  sophismes,  toutes  les  calomnies  par 
lesquelles  les  ennemis  hypocrites  de  la  constitution  s'ef- 
forcent de  dégrader  l'esprit  public,  et  d'énerver  le  caractère 
national,  nous  les  avons  retrouvées  dans  la  bouche  de  Léo- 
pold. Il  est  curieux  de  voir  les  agens,  interprètes  des  volon- 

(30)  On  sait  que  l'empereur  d'Autriche  mourut  le  2  mars  1792. 


246  LE  DÉFENSEUR   DE  LA  CONSTITUTION 

tés  du  cabinet  des  Thuileries,  parler  de  la  dignité  nationale, 
et  annoncer  le  désir  de  maintenir  la  paix  ;  lorsque  de  con- 
cert avec  eux,  Léopold,  nous  menaçoit  de  la  guerre;  il  est 
curieux  de  les  voir  défendre  les  patriotes  de  France, 
et  prêcher  contre  eux  la  croisade,  par  l'organe  de  l'empe- 
reur des  allemans.  Mais,  voyez  comme  celui-ci  nous  déve- 
loppe lui-même  le  projet  de  nos  ennemis  intérieurs;  voyez, 
avec  quelle  affectation,  il  rappelé  le  passage  de  la  lettre  de 
Louis  XVI  du  mois  de  septembre  1791,  où  en  acceptant  la 
constitution,  il  annonce  d'avance,  des  obstacles  à  son  exé- 
cution qui  pourroient  un  jour  en  exiger  le  changement; 
rappelez-vous  qui  a  dicté  cette  lettre  ;  je  veux  dire  la  coa- 
lition, qui  depuis  le  départ  du  roi  dirigea  toutes  ses  démar- 
ches, en  même  tems  qu'elle  cherchoit  à  maîtriser  l'assem- 
blée constituante;  écoutez  ce  même  Léopold,  reprocher 
aux  sociétés  patriotiques  le  dessein  de  vouloir  troubler 
l'état,  en  se  refusant  à  toute  espèce  de  conciliation,  sur  ce 
qu'il  appelé  les  accessoires  de  la  constitution.  Est-il  clair 
que  le  but  de  la  faction  qui  dirigeoit  la  cour;  étoit  d'établir 
ce  système  des  deux  chambres,  annoncé  dès  long-tems,  et 
d'élever  la  puissance  d'un  parti  sur  les  ruines  de  la  liberté 
publique?  Est-il  clair  qu'il  faut  rapporter  à  ce  projet  et 
l'intervention  des  puissances  étrangères  qu'ils  appeloient 
à  leurs  secours,  et  les  désordres  qu'ils  excitoient,  au 
dedans(3i)?  Les  perfides!  et  ils  ont  osé  nous  imputer  ces 
troubles  !  ils  ont  osé  nous  charger  de  leurs  propres  crimes  ! 
Que  dis-je?  Ils  ont  réussi  à  tromper  une  foule  de  citoyens 
de  bonne  foi  !  Ils  ont  ligué  contre  la  liberté,  tous  les  hom- 
mes ignorans,  foibles  ou  timides;  ils  ont  formé  dans  la 
nation  un  troisième  parti  sous  la  dénomination  de  modé- 
rés, dont  ils  se  sont  déclarés  les  chefs  et  les  protecteurs; 
ils  n'ont  rien  négligé  pour  présenter  aux  yeux  des  fran- 
çais et  des  étrangers,  tous  les  amis  de  la  constitution  et  de 
la  patrie,  comme  une  secte  particulière  aussi  opposée  à 
l'intérêt  général,  que  le  parti  connu  sous  le  nom  d'aristo- 
crates. Réunis  à  ces  derniers,  ils  auroient  bientôt  accablé 
les  patriotes,  et  ramené  sous  des  formes  nouvelles  l'empire 
du  despotisme  et  de  l'aristocratie,  ou  plutôt  le  règne  des 

(31)  Voir  ci-dessus,  p.  239  et  p.  240,  ce  qui  est  dit  du  manifeste,  de  la  lettre 
du  roi  du  13  septembre  1791,  etc. 


HUITIÈME  NUMÉRO  247 

crimes  et  des  factions.  Pour  mieux  cacher  leurs  desseins, 
ils  avoient  créé  des  sociétés  séduisantes  pour  les  hommes 
froids  et  pusillanimes  ;  ils  avoient  fait  arborer  à  leurs  par- 
tisans et  à  leurs  créatures,  une  devise  qui  annonçoit  le 
le  rigorisme  le  plus  scrupuleux  en  fait  de  constitution  (32)  : 
mais  depuis  qu'ils  ont  choisi  Léopold  pour  leur  interprète; 
depuis  que,  de  concert  avec  eux,  le  despote  autrichien  a 
daigné  emprunter  leur  langage  et  revêtir  le  costume  des 
feuillans;  depuis  qu'ils  se  sont  déclarés  patriotes  et  fran- 
çais à  la  manière  du  chef  de  nos  ennemis  étrangers,  l'hom- 
me le  plus  crédule  a  pu  apprécier  leur  système  et  tous  les 
prosélites  qu'ils  avoient  égarés,  peuvent  sans  scrupule 
abjurer  leur  doctrine,  pour  professer  avec  nous  les  prin- 
cipes de  la  véritable  religion  politique,  c'est-à-dire,  ceux  de 
l'égalité,  de  la  liberté,  de  l'humanité  et  de  la  constitution. 

Telle  étoit  cependant  la  trame  qu'ils  avoient  ourdie  con- 
tre le  salut  public,  lorsque  Léopold  mourut.  Presqu'au 
même  instant,  un  ministre  fut  frappé  d'un  décret  d'accu- 
sation (33);  les  autres  disparurent  successivement  (34). 

Le  nouveau  ministère  s'annonce  avec  des  circonstances 
qui  peuvent  être  regardées  comme  d'heureux  présages,  et 
qui  semblent  permettre  aux  amis  de  la  liberté  de  se  livrer 
aux  charmes  de  l'espérance. 

Au  reste,  louer  les  ministres  nouveaux,  seroit  un  trait 
de  flagornerie,  d'autant  plus  servile  et  d'autant  plus  gra- 
tuit, que  bientôt  leurs  œuvres  mêmes  peuvent  les  louer,  et 
les  mettre  même  au-dessus  des  éloges.  Bientôt  une  épreuve 
décisive  nous  apprendra,  si  la  conversion  de  la  cour  est 
sincère,  si  l'esprit  du  ministre  est  changé  avec  les  minis- 
tres. Qu'ils  tiennent  en  tout  une  conduite  opposée  à  celle  de 
leurs  prédécesseurs  ;  que  la  franchise  et  la  probité  du  gou- 
vernement écartent  tous  les  maux  que  sa  perfidie  nous  atti- 

(32)  Une  affiche  in-folio  piano,  annonçant  la  publicité  des  séances  du  Club, 
porte  les  devises  ci-après  :  «  Vivre  libre  ou  mourir.  Avis  au  public.  Société 
des  Amis  de  la  Constitution  séante  aux  Feuillants.  La  constitution,  toute  la 
constitution,  rien  que  la  constitution!  ».  (Imp.  de  l'ami  de  la  Constitution,  s.d. 
—  Tourneux,  ibid.,  t.  II,  n°  9864). 

(33)  De  Lessart,  ministre  des  affaires  étrangères,  décrété  d'accusation  le 
io  mars  1792. 

(34)  Voir  ci-dessus,  pp.  89  à  91,  la  prise  du  pouvoir  par  les  Girondins  les 
15  et  23  mars. 


248  LE   DÉFENSEUR   DE  LA   CONSTITUTION 

roit  ;  que  les  vrais  patriotes  soient  protégés  ;  que  le  peuple 
soit  honoré  et  respecté,  non  par  de  vains  discours,  mais  par 
des  actes  de  justice  et  de  fidélité  soutenus;  que  l'ordre  et  la 
prospérité  renaissent  ;  et  nous  aurons  pour  le  pouvoir  exé- 
cutif autant  de  vénération,  qu'il  nous  a  inspiré  jusqu'ici 
d'inquiétude  et  de  défiance. 

Avec  un  ministère  patriote  et  éclairé,  à  quelles  douces 
espérances  ne  pouvons-nous  pas  nous  livrer  ?  Quel  obstacle 
pourroit  résister  à  son  union  sincère  avec  tous  les  bons 
citoyens?  Quel  est  en  France  l'ennemi  assez  audacieux  et 
assez  puissant,  pour  lutter  à-'la-f  ois  contre  le  peuple  et  con- 
tre le  gouvernement?  Quel  autre  motif  a  pu  enhardir  les 
prêtres  séditieux  à  troubler  l'ordre  public;  les  directoires 
perfides  et  les  tribunaux  aristocratiques,  à  persécuter  le 
patriotisme,  et  à  opprimer  la  liberté,  si  ce  n'est  la  protec- 
tion du  ministère  précédent?  Au  dehors  quelle  puissance 
osera  nous  menacer,  quand  la  paix  intérieure  et  une  admi- 
nistration loyale  nous  mettront  en  état  de  déployer  toutes 
les  forces  de  ce  superbe  empire?  Quelle  puissance  eût  osé 
en  concevoir  l'idée,  sans  cette  coupable  trahison  ?  Les  cours 
étrangères  sont-elles  plus  redoutables,  ou  plus  entreprenan- 
tes aujourd'hui,  que  la  mort  du  chef  de  l'empire  et  de  la 
maison  d'Autriche  doit  les  occuper  de  soins  plus  pressans, 
pendant  un  tems  plus  que  suffisant,  pour  donner  à  un  gou- 
vernement fidèle  le  tems  d'affermir,  au  sein  de  l'état,  le 
règne  des  lois  et  la  souveraineté  nationale. 

Hâtons-nous  d'éclairer  les  nations  de  l'Europe  sur  les 
sinistres  projets  des  traîtres  qui  avoit  formé  cette  lâche 
conjuration  contre  l'humanité  entière;  que  le  nouveau  mi- 
nistre rappelé  tous  ces  dangereux  intrigans,  que  nous  avons 
payés  trop  chèrement  et  trop  stupidement  jusques  ici,  près 
des  cours  étrangères,  pour  nous  calomnier  aux  yeux  de 
l'univers,  et  pour  troubler  le  cours  d'une  révolution  qui  tôt 
ou  tard  doit  changer  ses  destinées.  Dissipons  tous  les  nua- 
ges que  la  perfidie  avoit  réplndus  sur  la  situation  et  sur  les 
dispositions  de  la  France.  Proclamons  solennellement  dans 
toutes  les  langues,  les  principes  sacrés,  sur  lesquels  repo- 
sent notre  constitution,  la  garantie  de  la  fraternité,  que 
nous  avons  jurée  à  toutes  les  nations.  Que  le  peuple  fran- 
çais alors  parle  avec  la  majesté  qui  lui  convient  ;  qu'il  trace 


HUITIÈME  NUMÉRO  249 

autour  des  despotes,  le  cercle  de  Popilius  (35)  et  si  ces  dé- 
marches sont  faites  avec  la  franchise  et  la  solemnité  (sic) 
qu'elles  exigent,  vous  verrez  les  despotes  vous  demander 
humblement  la  paix,  et  vous  donner  une  satisfaction  entiè- 
re. S'ils  la  refusent,  alors  nous  ferons  la  guerre  :  mais  mal- 
heur aux  tyrans  et  aux  traîtres!  alors  portons  nos  coups 
dans  les  endroits  où  le  despotisme  peut  être  frappé  à  mort. 
Que  la  nation  se  lève  toute  entière;  faisons  la  guerre  du 
peuple,  et  non  celle  des  rois;  marchons  sous  des  chefs 
dignes  de  le  guider,  dont  les  mains  ne  soient  souillées,  ni 
des  dons  corrupteurs  des  cours,  ni  du  sang  des  citoyens; 
célèbres  par  leurs  vertus  civiques,  et  non  par  le  massacre 
des  plus  zélés  défenseurs  de  la  patrie  (36).  Combattons, 
non  pour  procurer  des  pompes  triomphales  et  une  puissan- 
ce dangereuse  à  ces  patriciens  intrigans,  qui  ont  jusques 
ici  fomenté  nos  divisions,  et  causé  tous  nos  maux:  mais 
pour  rétablir  le  règne  de  l'égalité  et  de  la  justice.  Les  Ro- 
mains refusèrent  de  vaincre  sous  les  drapeaux  des  Décem- 
virs  ;  mais  ils  citèrent  au  tribunal  des  lois,  l'infâme  assas- 
sin de  Virginie  et  de  la  liberté,  et  ils  triomphèrent  ensuite 
des  ennemis  de  l'état.  Ce  n'est  pas  à  ces  conditions  que  les 
factieux,  les  tyrans,  les  vampires  de  l'état  veulent  la 
guerre:  mais  ce  n'est  qu'à  ces  conditions  qu'une  nation 
digne  de  la  liberté  peut  la  faire.  C'est  à  ces  conditions  seu- 
les que  des  ministres  et  des  représentans  amis  du  peuple 
peuvent  la  proposer.  Il  faut  enfin,  que  cette  guerre  ne  res- 
semble en  rien  à  celles  que  provoquent  les  caprices  des  rois; 
les  intrigues  des  cours,  ou  l'intérêt  des  factions.  Il  faut  que 
les  drapeaux  même  qui  brilleront  à  la  tête  de  nos  armées, 
en  rappelent  le  sacré  caractère;  qu'ils  présentent  aux 
regards  des  français  et  des  étrangers,  cette  inscription 
nouvelle:  Paix,  liberté  universelle,  guerre  seulement  aux 
despotes.  Marchons  à  nos  ennemis,  non  comme  des  hommes 

(35)  Le  consul  romain  Popilius  Laenas,  envoyé  en  ambassadeur  auprès  du 
roi  de  Syrie  pour  négocier  d'une  affaire  délicate,  et  celui-ci,  ayant  demandé 
à  consulter  son  conseil,  Popilius  traça  un  cercle  autour  du  roi  lui  enjoignant 
de  lui  donner  une  réponse  avant  d'en  sortir,  ce  que  fit  le  monarque.  Depuis, 
l'expression  :  Enfermer  quelqu'un  dans  le  cercle  de  Popilius,  signifie  le  mettre 
dans  une  situation  dont  il  ne  peut  sortir  d'une  manière  évasive. 

(36)  Allusion  à  La  Fayette  et  aux  massacres  du  Champ  de  Mars  du  17 
juillet  1791. 


250  LE   DÉFENSEUR   DE   LA    CONSTITUTION 

légers  ou  injustes,  qui  veulent  punir  les  peuples  des  crimes 
de  leurs  tyrans:  mais  comme  des  amis  de  l'humanité,  qui 
veulent  châtier  l'insolence  des  tyrans,  et  venger  les  outra- 
ges des  peuples.  Marchons,  après  avoir  prouvé  à  l'univers 
que  notre  modération  et  notre  justice  égalent  notre  cou- 
rage. 

Si  nous  suivons  ces  principes,  si  nous  déployons  ce  carac- 
tère énergique  et  sage,  nous  serons  libres,  malgré  la 
guerre  ;  et  si  les  puissances  étrangères  la  préviennent,  nous 
serons  libres  plus  sûrement  encore  sans  la  guerre.  Une 
révolution  amenée  par  la  raison,  doit  s'achever  naturelle- 
ment par  les  raison,  par  les  progrès  de  l'esprit  public  ;  et  à 
quoi  tient-il  que  nous  soyons  heureux  et  libres,  si  un  gou- 
vernement juste  s'unit  à  des  représentans  fidèles,  pour 
ramener,  au  milieu  de  nous,  le  règne  de  l'égalité,  des  lois 
et  de  la  justice  ? 

C'est  au  sein  d'une  telle  paix,  que  se  développeront  les 
vertus  civiques  qui  font  la  gloire  et  le  bonheur  de  la  société; 
que  s'anéantiront  toutes  les  coupables  espérances  de  l'am- 
bition, du  fanatisme  ou  de  la  tyrannie.  Une  fois  établie  en 
France,  la  liberté,  par  le  cours  naturel  des  choses,  étendra 
d'elle-même  ses  paisibles  conquêtes  dans  le  reste  du  monde  ; 
quand  les  peuples  sont  assez  éclairés  et  assez  malheureux 
pour  vouloir  être  libres,  ils  le  sont.  Les  tyrans  tombent 
d'eux-mêmes,  quand  ils  sont  mûrs.  L'heureuse  contagion 
de  nos  principes,  et  le  spectacle  de  notre  gloire  et  de  notre 
bonheur  amèneront  insensiblement  cette  époque;  et  alors 
l'Allemagne  n'aura  plus  besoin  de  nos  armes,  pour  secouer 
le  joug  du  despotisme;  que  nous  n'avons  eu  besoin  du  se- 
cours de  l'Allemagne,  pour  renverser  la  bastille  et  conqué- 
rir une  constitution.  Mais  quoi  que  nous  fassions,  si  notre 
gouvernement  n'a  point  changé  de  système  et  de  principes  ; 
ou  si  nous  n'avons  pas  assez  d'énergie,  pour  forcer  notre 
gouvernement  à  respecter  les  droits  de  la  nation,  la  guerre 
et  la  paix  nous  conduisent  également  à  la  servitude. 

Que  nous  reste-t-il  donc  à  faire  dans  ces  momens  déci- 
sifs, pour  le  salut  de  l'état  et  de  la  liberté?  Préparons-nous 
à  la  guerre:  veillons  sur  nos  ennemis  intérieurs,  et  surtout, 
éclairons  l'opinion  publique  qui  seule  fait  la  destinée  des 
peuples  et  des  gouvernemens,  qui  règne  sur  les  despotes 


HUITIÈME   NUMÉRO  25I 

eux-mêmes,  et  qui  les  anéantit,  lorsqu'ils  n'ont  point  fait 
alliance  avec  elle.  Après  avoir  combattu  le  despotisme, 
déclarons  la  guerre  à  toutes  les  factions.  Prévenons  ce  sys- 
tème de  désorganisation  et  de  troubles,  qui  est  la  dernière 
ressource  des  ennemis  de  la  liberté.  Rallions-nous  sous 
l'étendard  de  la  constitution,  la  constitution,  qu'ils  n'in- 
voquoient  jadis  que  pour  l'anéantir.  Ne  soyons  pas  trop 
blessés  de  ses  vices,  et  croyons  qu'elle  a  un  assez  grand 
prix,  puisque  le  but  des  ennemis  de  la  liberté  est  de  la  dé- 
truire. Songeons  qu'elle  a  en  elle-même,  le  principe  immor- 
tel de  sa  perfection.  Ses  vices  appartiennent  aux  hommes, 
ses  bases  sont  l'ouvrage  du  ciel.  Réconcilions  avec  la  liberté 
tous  les  hommes  honnêtes;  mais  foibles  ou  ignorans,  que 
l'intrigue  ou  la  calomnie  en  ont  éloignés.  Forçons-les 
à  connoître  et  à  chérir  le  véritable  patriotisme. 

Le  patriotisme  n'est  ni  inconséquent,  ni  léger,  ni  turbu- 
lent, comme  les  enfans  des  préjugés  et  des  passions  ;  il  est 
doux,  fier,  calme,  intrépide,  comme  la  raison,  et  comme  la 
vérité,  dont  il  tire  son  origine.  Le  patriotisme  n'est  que  la 
vertu  dans  tout  son  éclat,  et  la  nature  humaine,  dans  toute 
sa  dignité.  Il  paroît  exagéré,  mais  seulement  aux  hommes 
lâches  et  dégradés  ;  à-peu-près  comme  la  fleur  des  champs 
paroît  un  colosse  monstrueux  à  l'insecte  qui  rampe  à  ses 
pieds,  ou  comme  la  lumière  semble  trop  vive  aux  yeux  des 
oiseaux  de  la  nuit.  Le  patriotisme  ne  court  point  après  les 
frivoles  distinctions,  et  les  honneurs  créés  par  l'orgueil  ou 
par  les  préjugés.  Il  peut  aimer  la  gloire,  mais  il  ne  la  cour- 
tise jamais  avec  inquiétude;  il  compte  trop  sur  elle,  pour 
en  être  jaloux.  S'il  accepte  les  charges  publiques,  sans  répu- 
gnance, ce  n'est  que  dans  les  tems  où  Phocion  boit  la  ciguë, 
où  Caton,  dans  la  tribune  du  peuple  romain,  est  assailli  par 
les  pierres  de  Clodius,  où  les  Graches  (37)  expirent  sous  le 
poignard  des  patriciens.  Jamais  il  n'habita  un  seul  instant 
dans  une  âme  où  fut  conçue  un  sentiment  vil,  où  fut  for- 
mée la  pensée  d'une  action  lâche  ou  injuste.  Il  est  au-dessus 
de  tous  les  succès,  comme  de  tous  les  revers.  Si  la  liberté 
triomphe,  il  s'occupe  non  de  sa  gloire,  mais  des  moyens 
d'accroître  le  bonheur  de  son  pays  ;  si  elle  succombe,  il  cher- 
che quel  dernier  service,  son  désespoir  peut  lui  rendre 

(37)  Sic,  pour  Gracques. 


252  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

encore.  S'il  ne  peut  lui  être  utile,  il  perce  lui-même  son  sein 
généreux,  plutôt  que  de  voir  le  visage  odieux  du  tyran. 
Alors  même,  il  ne  blasphème  point  encore  contre  la  vertu: 
le  héros  de  la  liberté  expirant,  est  plus  grand,  plus  heureux 
que  le  tyran,  élevé  sur  un  char  de  triomphe:  sa  mémoire 
sera  respectable  et  chère  à  la  dernière  postérité  ;  le  lieu  où 
reposera  sa  cendre,  sera  un  temple  sacré  pour  tous  les 
hommes  qui  naîtront  après  lui  ;  et,  s'il  existe  quelque  chose 
après  la  vie:  si  l'éternel  auteur  de  la  nature,  dont  l'idée  éle- 
va et  consola  les  âmes  de  tous  ses  pareils, 'au  milieu  des 
plus  redoutables  épreuves,  n'est  point  une  douce  illusion,  il 
ne  sera  point  étranger  à  ce  grand  être  qui  mit  dans  son 
sein  cette  force  divine,  et  cette  flamme  céleste  nui  l'animoit. 
Citoyens,  qui  osez  vous  dire  les  défenseurs  de  la  liberté, 
c'est  à  vous  de  justifier  ce  titre  auguste.  Réalisez  le  vœu  de 
Platon,  lorsqu'il  s'écrioit:  «  Oh!  si  la  vertu  pouvoit  se 
montrer  toute  nue.  aux  regards  des  mortels,  de  quel  brû- 
lant amour  elle  embraseroit  tous  les  cœurs  !  »  C'est  à  vous 
de  la  faire  briller  aux  yeux  de  tous  vos  concitovens  dans 
tout  son  éclat,  et  dans  toute  sa  maiesf  é  :  faites  ref entir  dans 
tous  les  cœurs  sa  voix  puissante  et  irrésistible.  Pour  rele- 
ver l'éclat  de  ses  charmes,  placez,  s'il  le  faut,  à  côté  d'elle, 
le  soectre  hideux  de  l'hypocrisie,  le  squelette  dégoûtant  de 
l'envie,  la  horde  impure  de  tous  les  vices,  et  sur-tout  la 
tyrannie  entourée  de  victimes,  tnuiours  abreuvée  et  tou- 
jours altérée  de  sang  humain.  Citovens.  voilà  les  armes 
invincibles  avec  lesouePes  vous  devez  les  combattre:  voilà 
la  véritable  puissance  dont  vous  êtes  investis  Français,  si 
vous  versez  des  larmes  au  récit  des  actions  vertueuses,  si 
vous  frémissez  au  nom  des  tyrans,  aux  cris  de  leurs  victi- 
mes :  si  vous  regardez  comme  une  injure  personnelle,  toute 
acte  d'onpression,  exercé  contre  vos  semblables,  vous  êtes 
libres.  Non,  Français,  vous  n'êtes  point  corrompus:  ne 
crovez  point  à  ceux  oui  vous  adressent  cette  iniure,  pour 
vous  forcer  à  la  mériter:  ne  regardez  point  leurs  mœurs, 
ne  regardez  point  les  intrigans  qui  paroissent  dans  les  ré- 
volutions, comme  l'écume  s'élève  sur  la  surface  d'une 
liqueur  oui  fermente:  regardez  le  peuple:  comptez  tous  les 
traits  héroîoues  aue  la  révolution  a  produits:  et  croyez  à 
la  vertu.  Amis  de  la  constitution,  répandez  ces  saintes 


HUITIEME   NUMERO  253 

maximes,  et  montrez-en  le  modèle  ;  c'est  ainsi  que  vous 
graverez  1a  liberté,  non  sur  nos  murailles,  et  sur  de  froids 
monumens,  mais  dans  tous  les  cœurs  ;  c'est  ainsi  que  vous 
l'affermirez  sur  ses  véritables  bases,  les  mœurs,  l'amour  de 
la  patrie  et  de  l'humanité. 

IV 

Du  camp  de  Courtrai,  le  29  juin  1792.  L'an  4e  de  la  liberté 

Depuis  que  nous  sommes  partis  de  Lille,  nous  avons  pris 
quatre  villes,  Bervic  (38),  Menin,  Ypres  et  Courtrai  ;  cette 
dernière  nous  a  donné  plus  de  peine,  parce  qu'elle  est  plus 
forte;  M.  de  Valence  (39),  qui  commandoit  l'avant-garde, 
a  été  blessé  ;  le  feu  a  duré,  depuis  sept  heures  du  matin  jus- 
qu'à onze  heures,  où  nous  nous  sommes  emparés  de  la  ville  ; 
nous  y  avons  été  fort  bien  reçus;  tous  les  habitans  de  la 
ville  se  sont  réunis  à  nous,  pour  faire  des  tranchées,  afin 
de  nous  mettre  à  l'abri  du  feu  de  l'ennemi;  nous  avons  déjà 
dans  Menin,  trois  cents  brabançons  qui  ont  pris  les  armes 
avec  nous,  et  dans  Courtrai,  il  y  a  dix  compagnies  de  for- 
mées, et  qui  sont  enragées  au  feu  ;  nous  avons  eu  une  atta- 
que le  28  de  ce  mois,  qui  a  été  très  piquante.  Nos  braban- 
çons se  sont  supérieurement  bien  montrés  ;  nous  avons  per- 
du environ  quarante  hommes;  un  fort  nous  a  empêché 
d'aller  plus  loin,  il  étoit  rempli  d'émigrés,  de  prêtres  réf  rac- 
taires,  et  environ  quinze  mille  hommes;  aujourd'hui  29 
juin,  nous  avons  avancé  sur  ce  fort,  à  deux  heures  du  ma- 
tin; le  feu  a  duré  jusqu'à  dix  heures;  nous  nous  sommes 
emparés  des  émigrés,  des  prêtres  et  des  prisonniers,  que  la 
cavalerie  a  conduits  à  Lille  ;  nous  avons  repoussé  nos  enne- 
mis, notre  avant-garde  est  de  dix  mille  hommes,  etc.  (40). 

(38)  Sic,  mis  pour  «  Wervicq  ». 

(39)  Jean-Baptiste-Cyrus-Marie-Alexandre  Thimbrune,  comte  de  Valence 
(1757-1822),  le  gendre  du  marquis  de  Sillery-Genlis,  général  attaché  à  l'armée 
de  Dumouriez,  le  suivit,  en  avril  1793,  dans  sa  défection;  fut,  sous  l'Em- 
pire, sénateur  de  la  Marne  (Histoire  de  Reims,  t.  II,  p.  431). 

(40)  Rapprochés  des  faits  signalés  ci-dessus  et  qui  marquèrent  la  reculade 
de  l'armée  du  Nord  qui  ne  devait  pas  tarder  à  dégarnir  la  frontière,  les 
détails  sur  l'avance  de  juin  contenus  dans  cette  lettre  adressée  à  Robespierre, 
sont  intéressants  à  noter. 


LE   DÉFENSEUR  DE   LA   CONSTITUTION 

N°  9 

Articles  contenus  dans  ce  numéro 
48  pages  (423  à  470) 

Pages 
du  document 

I.  —  Aux   fédérés    423  à  431 

II.  —  Sur  l'arrêté  du  Directoire  qui  suspend  le  maire 

et  le  procureur  de  la  commune  de  Paris 43 1  à  434 

III.  —  Opinion  de  .-M.  Collot-d'Herbois  sur  les  cou- 

pables démarches  du  général  La  Fayette  . .  .     434  à  456 

IV.  —  Première   lettre   écrite   à    M.    Scipion    Cham- 

bonnas,  ministre  des  affaires  étrangères,  par 
Rutteau  ;  de  Valenciennes,  le  29  juin  1792, 
l'an  4e  de  la  liberté 456  à  470 

I 
Aux  Fédérés  (1) 

Salut  aux  défenseurs  de  la  liberté  ;  salut  aux  généreux 
marseillois,  qui  ont  donné  le  signal  de  la  sainte  fédération 

(1)  Robespierre  s'adresse  aux  délégués  des  départements  qui,  depuis  la 
Fédération  du  14  juillet  1790,  venaient  chaque  année  à  Paris,  prêter,  au 
Champ  de  Mars,  le  serment  sur  l'autel  de  la  Patrie. 

Il  donna  connaissance  de  cette  éloquente  épître  aux  Jacobins,  dans  la  soirée 
du  11.  Elle  ne  figure  pas  dans  le  Journal  des  débats  de  cette  société;  mais 
elle  parut,  à  part,  sous  le  titre:  Aux  fédérés  par  des  citoyens  amis  de  la 
Constitution  (in-8°  de  4  p.). 

Un  journaliste,  Marta  ou  Métra,  rédacteur  de  la  Correspondance  littéraire 
secrète,  défigura  le  lendemain,  cette  adresse  aux  fédérés.  Il  la  donna,  à  ses 
lecteurs,  comme  une  invitation  spéciale  aux  Marseillais,  de  ne  pas  quitter  le 
Champ  de  Mars,  sans  avoir  vengé  les  victimes  qui,  l'année  précédente,  y 
avaient  été  immolées.  Robespierre  se  plaignit  de  ce  procédé  qui  dénaturait  sa 
pensée  et  ses  intentions.  Attaqué  aux  Jacobins,  Marta  fut  chassé,  et  les  jour- 
nalistes furent  invités  à  donner  à  cette  mesure  rigoureuse  le  plus  de  publicité 
possible.  (Journal  des  débats  de  la  Société....,  n°  231.  —  Aulard,  ibid.,  t.  IV, 
p.  94).  —  Laponneraye  (t.  II,  pp.  21  à  26),  et  l'Histoire  parlementaire  (t.  XV, 
pp.  447  à  452)  reproduisent  cette  adresse.  —  Léonard  Gallois  (pp.  131-132) 
en  cite  quelques  passages;  Hatin  (t.  VI,  pp.  286-287)  donne  impar- 
faitement le  texte  des  deux  premières  pages.  —  E.  Hamel  l'analyse  (t.  II, 
pp.  324  à  326). 


256  LE    DÉFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

qui  les  réunit;  salut  aux  français  des  quatre-vingt-trois 
départemens,  dignes  émules  de  leur  courage  et  de  leur  ci- 
visme; salut  à  la  patrie,  puissante,  invincible,  qui  rassem- 
ble autour  d'elle  l'élite  de  ses  innombrables  enfans,  armés 
pour  sa  défense.  Que  nos  maisons  soient  ouvertes  à  nos 
frères,  comme  nos  cœurs;  volons  dans  leurs  bras;  et  que 
les  douces  étreintes  d'une  sainte  amitié  annoncent  aux 
tyrans,  que  nous  ne  souffrirons  jamais  d'autres  chaînes. 

Citoyens,  êtes-vous  accourus  à  une  vaine  cérémonie? 
N'avez-vous  quitté  vos  foyers  et  vos  travaux,  que  pour 
venir  répéter  encore  de  froides  formules  de  sermens, 
garans  trop  superflus  du  civisme  éprouvé  ?  Ce  sont  les  cris 
du  patriotisme  opprimé;  c'est  1a  voix  de  la  patrie  en  dan- 
ger, qui  vous  a  appelés.  Ces  dangers  sont-ils  passés?  Ils 
sont  plus  grands  que  jamais.  Au  dehors,  les  tyrans  rassem- 
blent contre  nous  des  armées  nouvelles  ;  au  dedans,  d'autres 
tyrans  nous  trahissent.  Les  ennemis  qui  nous  guident,  res- 
pectent le  domaine  du  despote  autrichien,  autant  qu'ils  pro- 
diguent le  plus  pur  sang  des  français.  Ils  n'ont  pris  quel- 
ques villes  belgiques,  que  pour  les  abandonner  (2);  ils  n'ont 
fait  briller  l'image  de  la  liberté,  aux  yeux  d'un  peuple 
malheureux  qui  se  jetoit  dans  nos  bras,  que  pour  le  replon- 
ger dans  une  servitude  plus  affreuse.  Ils  ont  commis  le  plus 
grand  de  tous  les  crimes  qui  ait  jamais  souillé  l'histoire  des 
nations  barbares;  ils  ont  lâchement  livré  aux  flammes  les 
propriétés  et  les  maisons  de  nos  infortunés  alliés,  au  nom 
de  ce  même  peuple  qui  venoit  briser  leurs  fers.  Ils  leur  ont 
laissé,  en  partant,  pour  gage  de  la  protection  française,  la 
misère,  la  mort  et  la  vengeance  de  leurs  tyrans,  irrités  par 
les  preuves  d'affections  qu'ils  nous  avoient  données  :  et  ils 
demeurent  impunis  !  Un  autre  monstre  privilégié  est  venu, 
au  sein  de  l'assemblée  nationale,  insulter  à  la  nation,  me- 
nacer le  patriotisme,  fouler  aux  pieds  la  liberté,  au  nom  de 
l'armée  qu'il  divise,  et  qu'il  s'efforce  de  corrompre  (3);  et 
il  demeure  impuni!  L'assemblée  nationale  existe-t-elle 
encore?  Elle  a  été  outragée,  avilie,  et  elle  n'est  point 
vengée. 

(2)  Voir  le  numéro  précédent,  page  228  ,et  la  note  de  cette  page. 

(3)  Allusion  à  La  Fayette. 


NEUVIEME   NUMERO  257 

Les  tyrans  de  la  France  ont  feint  de  déclarer  la  guerre 
à  leurs  complices  et  à  leurs  alliés,  pour  la  faire  de  concert 
au  peuple  français;  et  les  traîtres  demeurent  impunis! 
Trahir  et  conspirer  semble  un  droit  consacré  par  la  tolé- 
rance ou  par  l'approbation  de  ceux  qui  nous  gouvernent: 
réclamer  la  sévérité  des  lois,  est  presque  un  crime  pour  les 
bons  citoyens.  Une  multitude  de  fonctionnaires  que  la 
révolution  a  créés  égalent  ceux  que  le  despotisme  avoit 
enfantés,  en  tyrannie  et  en  mépris  pour  les  hommes,  et  les 
surpassent  en  perfidie.  Des  hommes  qu'on  nomme  les 
mandataires  du  peuple,  ne  sont  occupés  que  de  l'avilir  et  de 
l'égorger.  La  plus  belle  de  toutes  les  révolutions  dégénère, 
chaque  jour,  en  un  honteux  système  de  machiavélisme  et 
d'hypocrisie,  où  les  lois  ne  sont  entre  les  mains  d'un  gou- 
vernement déloyal,  que  des  moyens  d'opprimer  les  foibles, 
et  de  protéger  les  hommes  puissans  ;  les  droits  de  l'humani- 
té, l'objet  d'un  exécrable  trafic;  la  fortune  publique,  la 
proie  de  quelques  brigands;  où  tous  les  vices  calomnient 
toutes  les  vertus,  et  changent  le  règne  de  la  liberté,  en  une 
longue  et  cruelle  proscription,  exercée  au  nom  de  l'ordre 
public,  contre  les  honnêtes  gens  qui  ont  de  la  probité  et  du 
courage,  par  les  honnêtes  gens  qui  n'ont  que  de  l'or,  des 
vices  et  de  l'autorité. 

Tant  d'attentats  ont  enfin  réveillé  la  nation  ;  et  vous  êtes 
accourus.  Mais,  à  l'approche  des  hommes  libres,  le  despo- 
tisme a  tremblé  ;  et  il  s'est  hâté  de  recouvrir  son  visage  hi- 
deux de  ce  masque  grossier  du  patriotisme  qu'il  avoit 
déposé.  A  l'aspect  du  lion,  les  animaux  lâches  et  féroces 
se  couchent,  et  demeurent  immobiles  :  ils  attendent  qu'il  ait 
passé,  ou  qu'ils  se  soit  rendormi,  pour  recommencer  leurs 
ravages,  ou  même  pour  l'enchaîner.  On  a  vu  Poliphême 
essayer  de  contrefaire  le  souris  (sic)  de  Circé,  pour  attirer 
sous  sa  dent  meurtrière,  les  victimes  qu'il  vouloit  dévorer. 
Ainsi,  ceux  qui  ont  mis  tout  en  œuvre,  pour  arrêter  votre 
marche  ;  ceux  qui  vous  auroient  fait  égorger,  s'ils  l'avoient 
osé,  vont  se  présenter  à  vous,  avec  un  air  caressant.  L'aris- 
tocratie et  l'incivisme  veulent,  dit-on,  offrir  la  table  de 
l'hospitalité,  et  le  baiser  fraternel  (4)  au  patriotisme  et  à  la 

(4)  Allusion  à  la  proposition  faite  à  l'assemblée,  le  7  juillet  au  matin,  par 
l'abbé  Lamourette,  évêque  constitutionnel  et  député  de  Rhône-et-Loire,  d'une 


258  LE   DÉFENSEUR   DE  LA   CONSTITUTION 

liberté.  Que  l'honneur  d'accueillir  la  vertu,  soit  réservée  à 
la  vertu  seule.  Fuyez  leurs  perfides  caresses;  fuyez  les 
tables  opulentes,  où  l'on  boit  dans  des  coupes  d'or,  le  poi- 
son du  modérantisme  et  l'oubli  des  devoirs  les  plus  saints. 

Il  est  des  hommes  stupides  et  frivoles,  à  qui  un  seul  mot 
de  patriotisme,  prononcé  par  la  bouche  de  l'idole,  fait 
oublier  cent  parjures,  et  mille  attentats  contre  la  patrie; 
il  est  des  âmes  foibles  et  lâches,  qui,  sur  les  gages  les  plus 
trompeurs,  sont  toujours  prêts  à  reprendre  la  sérénité  de 
l'espérance  et  l'apathie  de  la  confiance,  pour  s'épargner  le 
tourment  de  croire  aux  dangers,  et  la  peine  de  lutter  con- 
tre les  enenmis  de  la  patrie;  il  est  des  esclaves,  qui,  cent 
fois  outragés,  battus  par  leurs  maîtres,  tombent  à  ses 
pieds,  et  pleurent  de  tendresse,  toutes  les  fois  qu'il  daigne 
abaisser  sur  eux  un  regard  moins  irrité,  qui  lui  font  un 
mérite  extraordinaire  de  ce  qu'il  y  a  eu  un  instant,  où  on 
ne  l'a  point  vu,  la  verge  à  la  main.  Pour  vous,  vous  vous 
montrerez  toujours  dignes  de  la  cause  que  vous  défendez, 
et  de  la  mission  auguste  que  vous  venez  remplir.  Vous 
relèverez  les  fronts  de  ces  esclaves  attachés  à  la  terre  ;  vous 
leur  donnerez  une  âme,  s'il  est  possible;  et  vous  leur 
apprendrez  quelle  est  l'attitude  des  hommes  libres,  vis-à- 
vis  des  oppresseurs  du  peuple. 

La  tyrannie  elle-même  prétendra  vous  le  disputer  en 
amour  de  la  liberté,  en  dévouement  à  la  cause  publique; 
elle  se  mettra  à  votre  tête;  elle  voudra  guider  et  presque 
exciter  votre  zèle.  Elle  ne  dédaignera  pas  de  vous  sourire  ; 
mais,  dans  son  souris  (sic)  perfide  et  cruel,  vous  démêle- 
rez, et  tous  les  crimes  qu'elle  a  déjà  commis,  et  tous  ceux 
qu'elle  médite  encore. 

Généreux  citoyens,  dernier  espoir  de  la  patrie,  c'est  à 
vous  qu'il  appartient  de  les  prévenir.  Vous  n'êtes  point 

réconciliation  des  partis  en  présence  des  dangers  de  la  patrie.  —  Cette  propo- 
sition passa  pour  avoir  été  concertée  entre  la  Cour  et  son  auteur.  Un  journal, 
les  Révolutions  de  Paris,  de  L.  Prudhomme  (n°  157,  p.  56),  l'appela  la  récon- 
ciliation normande,  et  le  peuple  la  qualifia  de  «  baiser  Lamourette,  baiser  de 
Judas  ». 

Le  soir  même  de  cette  scène  de  réconciliation,  les  Feuillants  du  Directoire 
du  département,  faisant  notifier  son  arrêté  de  la  veille,  ordonnaient  la  suspen- 
sion et  la  mise  en  accusation  du  maire  Paris,  Petion,  et  du  procureur  de  la 
commune,  Manuel  (voir  ci-après,  p.  260). 


NEUVIÈME   NUMÉRO  .        259 

venus  pour  donner  un  vain  spectacle  à  la  capitale  et  à  la 
France...  Votre  mission  est  de  sauver  l'état.  Assurons 
enfin  le  maintien  de  la  constitution:  non  pas  seulement  de 
cette  constitution  qui  prodigue  à  la  cour  la  substance  du 
peuple,  qui  remet  entre  les  mains  du  roi,  des  trésors  im- 
menses et  un  énorme  pouvoir!  mais  principalement,  et 
avant  tout,  de  celle  qui  garantit  la  souveraineté  et  les  droits 
de  la  nature.  Demandons  la  fidèle  exécution  des  lois:  non 
pas  de  celles  qui  ne  savent  que  protéger  les  grands  scélé- 
rats, et  assassiner  le  peuple  dans  les  formes  :  mais  de  celles 
qui  protègent  la  liberté  et  le  patriotisme,  contre  le  machia- 
vélisme et  contre  la  tyrannie. 

L'heure  fatale  sonne...  marchons  au  camp  de  la  fédéra- 
tion. Voilà  l'autel  de  la  patrie;  voici  le  lieu  où  jadis 
les  français  resserrèrent  les  liens  de  leur  association  poli- 
tique. Reviennent-ils  encenser  de  fausses  divinités?  De 
méprisables  idoles  viendront-elles  encore  se  placer  entre 
vous  et  la  liberté,  pour  usurper  le  culte  qui  lui  est  dû  ?  Dé- 
jà l'opinion  publique  a  replongé  dans  le  néant,  ce  héros 
ridicule,  dont  les  basses  intrigues  égarèrent  les  sentimens 
civiques  de  nos  frères,  et  dégradèrent  le  caractère  natio- 
nal (5).  De  tout  ce  bizarre  échafaudage  d'une  réputation 
usurpée,  il  ne  reste  que  le  nom  d'un  traître.  Ne  prêtons  ser- 
ment qu'à  la  patrie  et  à  nous-mêmes,  entre  les  mains  du 
roi  immortel  de  la  nature,  qui  nous  fit  pour  la  liberté,  et 
qui  punit  les  oppresseurs.  Ici  tout  nous  rappelé  et  les  pre- 
miers parjures  et  tous  les  crimes  des  nôtres.  Ici  même,  sur 
cet  autel,  nos  pieds  ne  peuvent  fouler  un  endroit,  qui  ne 
soit  souillé  du  sang  innocent  qu'ils  ont  versé.  Ici  des  hon- 
neurs coupables  furent  rendus  aux  assassins  du  peuple.  Il 
semble  qu'un  crêpe  funèbre  couvre  encore  cet  autel  et  ce 
champ  de  la  mort.  Qu'il  soit  purifié;  qu'il  devienne  le  do- 
maine de  la  liberté.  Ecoutez  les  cris  plaintifs  de  nos 
citoyens  massacrés;  voyez  la  patrie  ensanglantée  qui  se 
présente  devant  vous.  Contemplez  les  flammes  de  Cour- 
trai  (6),  qui  appelent  tous  les  peuples  à  la  vengeance: 

(5)  Nouvelles  allusions  à  La  Fayette  et  à  son  attitude  lors  de  la  Fédération 
du  14  juillet  1790. 

(6)  Voir  ci-dessus,  page  228.  Allusion  à  l'occupation  de  Courtrai  par  les 
troupes  françaises  du  maréchal  Luckner,  le  15  juin;  il  dut  l'abandonner  en- 


2Ô0  LE    DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

voyez  l'humanité  abattue  sous  le  joug  de  quelques  tyrans 
méprisables;  et  que  ce  spectacle  vous  inspire  de  grandes 
pensées.  Ne  sortez  point  de  cette  enceinte,  sans  avoir  déci- 
dé dans  vos  cœurs,  le  salut  de  la  France  et  de  l'espèce 
humaine. 

Citoyens,  la  patrie  est  en  danger  (7);  la  patrie  est  trahie; 
on  combat  pour  la  liberté  du  monde;  les  destinées  de  la 
génération  présente  et  des  races  futures  sont  entre  vos 
mains;  voilà  la  règle  de  vos  devoirs;  voilà  la  mesure  de 
votre  sagesse  et  de  votre  courage. 


II 

Sur  l'arrêté  du  directoire,  qui  suspend  le  maire  et  le  procureur 
de  la  commune  de  Paris  (8) 

Le  maire  et  le  procureur  de  la  Commune  de  Paris  sont 
suspendus  de  leurs  fonctions.  Si  on  cherche  à  deviner  le 
délit  qui  a  provoqué  ce  jugement  sévère  du  directoire,  il 
est  difficile  d'en  trouver  un  autre  que  celui  de  n'avoir  point 
proclamé  la  loi  martiale  contre  le  peuple  de  Paris,  dans  la 

suite,  à  la  fin  du  mois,  et  la  ville  fut  livrée  aux  flammes  par  les  Autrichiens. 
(Séance  des  Jacobins  du  2  juillet:  Aulard,  t.  IV,  p.  61.  —  Récit  du  Moniteur, 
réimp.,  t.  XIII,  pp.  36  à  41.  —  Histoire  parlementaire,  t.  XV,  pp.  368  et  369). 

(7)  Le  11  juillet,  l'Assemblée  législative,  adoptant  la  formule  proposée  le  5, 
par  Tome,  évèque  constitutionnel  et  député  du  Cher,  —  ami  personnel  de 
Robespierre,  —  avait  décrété  cette  simple  et  solennelle  déclaration  :  «  Citoyens, 
la  patrie  est  en  danger  !  ».  Le  soir  même,  Robespierre  prononça,  aux  Jaco- 
bins, un  grand  discours  sur  cette  déclaration.  {Journal  des  Débats  de  la 
Société...,  n°  230.  —  h'Histoire  parlementaire,  par  erreur,  assigne  à  ce  dis- 
cours la  date  du  10  juillet  (t.  XV,  p.  364).  —  Voir  aussi:  Révolutions  de 
Paris,  l'article  intitulé  :  La  patrie  en  danger,  n°  157). 

(8)  Le  directoire  du  département,  présidé  par  le  feuillant  Louis-Alexandre 
de  La  Rochefoucauld-d'Euville,  ami  personnel  de  La  Fayette,  rendant  res- 
ponsable de  la  journée  du  20  juin  le  maire  de  Paris,  Pétion,  et  le  procureur 
de  la  commune,  Manuel,  suspendit,  le  6  juillet,  ces  deux  magistrats  munici- 
paux en  ordonnant  leur  renvoi  devant  les  tribunaux.  Cette  décision  provoqua 
une  grande  effervescence  dans  le  peuple  déjà  surexcité  par  les  mauvaises 
nouvelles  des  frontières. 

Robespierre  défend  les  deux  magistrats,  coupables  aux  yeux  de  la  Cour 
de  n'avoir  pas  appliqué,  contre  le  peuple  de  Paris,  la  loi  martiale,  cette  loi 
de  sang  inventée  pour  assassiner  solennellement,  à  coup  de  fusil  ou  de  canon, 
une  multitude  de  citoyens  sans  défense,  et  que,  sous  l'assemblée  constituante, 
Robespierre  avait  combattue,  mais  en  vain,  avec  tant  d'acharnement. 

Laponneraye  donne  cet  article  in-extenso  (t.  II,  pp.  26  et  28).  —  E.  Hamel 
le  commente  et  l'analyse  ,t.  II,  p.  318). 


NEUVIÈME   NUMÉRO  2ÔI 

journée  du  20  juin.  Un  peuple  libre  :  une  loi  de  sang  inven- 
tée, pour  assassiner  solennellement  une  multitude  de 
citoyens  sans  défense,  à  coup  de  fusil,  ou  de  canons;  des 
magistrats  créés  par  le  peuple,  et  altérés  de  son  sang,  qui 
mettent  au  rang  de  leurs  devoirs  celui  de  le  répandre  ;  qui 
décernent  des  couronnes  civiques  à  ceux  qui  l'ont  fait  cou- 
ler, et  lancent  des  anathèmes  contre  ceux  qui  l'ont  épar- 
gné: voilà,  sans  doute,  les  plus  étranges  contrastes  que 
l'ordre  social  puisse  offrir;  voilà  du  moins  des  institutions 
et  des  mœurs  plus  dignes  des  cannibales,  que  des  français, 
vivant  sous  l'ère  de  la  liberté  naissante. 

On  a  prétendu  que  le  directoire  n'avoit  suspendu  de  leurs 
fonctions,  le  maire  et  le  procureur  de  la  commune,  que 
pour  offrir  au  roi  un  moyen  de  se  populariser,  en  cassant 
cet  arrêté.  Si  telle  a  été  leur  intention,  il  sera  difficile  de  la 
réaliser  ;  car  il  résulte  de  la  déclaration  faite  à  l'assemblée 
nationale,  le  9  de  ce  mois,  par  le  secrétaire  du  département 
mandé  à  la  barre,  que  cet  arrêté  n'existe  pas  (9).  Il  paroit 
par  la  lettre  du  procureur-syndic,  et  par  ce  qui  a  été  dit  à 
l'assemblée,  que  l'usage  des  administrateurs  du  directoire 
étoit  de  rédiger  leurs  arrêtés  sur  des  feuilles  volantes,  et 
de  les  signer  ou  de  les  enregistrer  ensuite,  lorsqu'ils 
le  jugeoient  à  propos.  Il  paroît  que  celui  qui  suspend  le 
maire  et  le  procureur  de  la  commune,  n'étoit  point  sur  les 
registres,  ni  même  signé.  En  effet,  est-ce  que  les  actes  de 
l'administration  supérieure  doivent  être  en  règ1e?  Est-ce 
que  les  magistrats  sont  faits  pour  respecter  les  lois?  Ils 
ont  osé  exécuter  l'arrêté!  et  ils  n'ont  pas  osé  le  signer! 
L'arrêté  n'existe  pas,  et  cependant  il  est  exécuté;  il  y  a  ici 
un  effet  sans  cause,  et  cet  effet  est  la  proscription  arbitrai- 
re de  deux  magistrats  du  peuple.  L'arrêté  existe  pour  la 
destitution  du  maire  et  du  procureur  de  la  commune,  et  il 
n'existe  pas  pour  la  responsabilité  de  ceux  qui  l'ont  porté. 

(9)  Blondel,  secrétaire  du  département,  mandé  le  g  juillet  à  la  barre  de 
l'Assemblée,  comparut  et  présenta  des  pièces  et  des  registres  non  signés 
(Moniteur  du  il  juillet,  réimp.,  t.  XIII,  p.  93).. 

A  la  suite  de  ces  incidents,  et  devant  ces  attaques,  le  président  du  départe- 
ment, La  Roche foucauld-d'Euville,  démissionna  et  s'enfuit  de  Paris;  il  fut 
massacré  à  coups  de  pierres  par  le  peuple,  à  Gisors,  deux  jours  après,  le 
11  juillet. 

Manuel  et  Petion  furent  rétablis  dans  leurs  fonctions  le  13  du  mOme  mois. 


2Ô2  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

Semblables  aux  décrets  de  la  providence,  les  arrêtés  du 
directoire  sont  tracés  par  une  main  invisible. 

On  a  essayé  de  la  découvrir;  on  a  dénoncé  un  étrange 
abus  introduit  dans  ce  corps  administratif;  on  a  vu  que 
l'usage  des  arrêtés  fugitifs  et  sans  signatures,  ne  remon- 
toit  qu'au  5  juin;  on  a  cru  pouvoir  conclure  que,  depuis 
cette  époque,  la  politique  du  département  avoit  apperçu  des 
raisons  plus  prochaines  de  donner  aux  actes  de  l'adminis- 
tration, cette  étrange  conformité,  avec  les  feuilles  de  la 
Sybille...  Voilà  donc  les  honnêtes  gens!  Voilà  les  religieux 
adorateurs  des  lois:  Les  apôtres  ardens  de  l'ordre  et  de  la 
paix!  Voilà  les  calomniateurs  éternels  du  peuple  et  les 
détracteurs  infatigables  de  tous  les  bons  citoyens! 


III 

Aussi  long-temps  que  les  lois  n'auront  pas  puni  les 
attentats  de  M.  Lafayette  contre  la  liberté,  ce  sera  un 
devoir  pour  tous  les  bons  citoyens,  de  le  dénoncer  à  l'opi- 
nion publique. 

Pour  le  remplir,  je  ne  crois  pas  pouvoir  ici  rien  faire  de 
mieux,  que  de  publier  l'ouvrage  d'un  citoyen,  dont  l'élo- 
quence, puisée  dans  les  mouvemens  d'une  âme  franche  et 
énergique,  est  digne  de  défendre  la  cause  de  la  liberté  et 
de  la  patrie. 

Opinion  de  J.  M.  Collot  -  D'Herbois 
Sur  les  coupables  démarches  du  général  Lafayette  (10) 

Messieurs, 

Les  orateurs  qui  m'ont  précédé  à  cette  tribune,  animés 
de  la  plus  vertueuse  indignation,  ont  signalé  avec  tant  de 
vérité  le  caractère  artificieux  du  général  Lafayette  ;  ils  ont 
si  bien  éclairé  ses  démarches  ambitieuses,  que  je  suppri- 
merai une  grande  partie  de  l'opinion  que  je  voulois  énon- 

(10)  Ce  discours  de  Collot  d'Herbois  fut  prononcé,  aux  Jacobins,  le  8 
juillet.  Il  avait  essayé,  en  vain,  de  remettre  son  écrit  à  l'Assemblée  législative 
sous  forme  d'une  pétition  demandant  le  jugement  de  La  Fayette  Le  procès- 
verbal  de  la  Société  ne  fait  qu'indiquer  cette  communication  sans  la  repro- 
duire. (Aulard,  ibid.,  t.  IV,  p.  81). 


NEUVIÈME  NUMÉRO  263 

cer,  pour  ne  pas  fatiguer  votre  attention  par  des  répéti- 
tions inutiles. 

Mais,  plus  nous  sommes  déjà  instruits  par  les  développe- 
mens  de  cette  utile  discussion,  plus  je  me  suis  convaincu 
que  la  constitution  n'a  pas  de  plus  grands  ennemis  que  ceux 
qui,  dans  l'instant  où  ils  violent  audacieusement  et  les  lois 
et  leurs  devoirs,  déclarent,  avec  une  jactance  hypocrite, 
qu'ils  en  sont  les  plus  sûrs  défenseurs;  plus  j'ai  senti  qu'il 
falloit  effrayer  ces  hommes  doublement  perfides,  par  un 
exemple  de  sévérité. 

Pourquoi,  donc,  le  décret  d'accusation  sollicité  par  la 
juste  impatience  de  la  nation,  n'est-il  pas  encore  lancé  con- 
tre Lafayette?  Le  formidable  juré  de  l'opinion  publique 
n'a-t-il  pas  prononcé  assez  haut  sa  condamnation  ?  La  voix 
de  ce  tribunal  a  fait  taire  jusqu'aux  plus  intrépides  pre- 
neurs de  cet  homme  trop  fameux  ;  ceux  dont  les  éloges  ont 
plus  d'une  fois  fortifié  son  existence  politique,  l'ont  aban- 
donné; ils  sont  venus  vous  le  dénoncer  eux-mêmes:  l'as- 
semblée nationale  seule  ne  l'a  pas  encore  jugé,  et  l'époque, 
fixée  par  un  décret,  pour  mettre  ce  jugement  en  discussion, 
s'est  passée  dans  le  silence.  Croyez,  Messieurs,  qu'un  pa- 
reil délai  peut  être  funeste.  Que  ce  soit  modération,  pru- 
dence, fausse  générosité,  la  chose  publique  en  souffre.  De 
pareils  coupables  savent  mettre  leur  impunité  à  profit; 
nous  en  avons  fait  l'épreuve  ;  et  si  le  département  de  Paris, 
dénoncé  par  toutes  les  sections,  avoit  été  jugé  quand  et 
comme  il  devoit  l'être,  il  ne  persécuteroit  pas  aujourd'hui 
nos  plus  vertueux  magistrats  (i). 

Que  faut-il,  chez  un  peuple  libre,  pour  qu'un  général 
d'armée  soit  reconnu  coupable,  pour  qu'il  soit  mis  en  accu- 
sation, si  Lafayette  n'y  est  pas? 

Déjà,  par  une  lettre  qu'on  pouvoit  regarder  comme  un 
manifeste  de  rébellion,  ce  général  téméraire  avoit  provo- 
qué la  vengeance  des  lois;  soldat  infidèle  et  parjure,  il  met- 
toit  des  conditions  à  son  obéissance;  il  censuroit  l'assem- 
blée nationale,  c'est-à-dire,  la  nation  entière;  il  attaquoit 
de  vive  force  la  déclaration  des  droits  ;  il  battoit  en  brèche 
la  constitution  elle-même  ;  il  donnoit,  avec  un  langage  des- 

(11)  Allusion  à  la  suspension  du  maire  et  du  procureur  de  la  commune 
par  le  directoire  du  département.  (Voir  ci-dessus,  p.  260). 


264  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

pectueux  (sic)  et  menaçant,  des  leçons  à  nos  législateurs; 
enfin,  par  la  position  et  les  circonstances  où  se  trouvoit 
son  auteur,  alors  environné  de  la  force  armée,  cette  lettre 
étoit  véritablement  l'initiative  du  despotisme  le  plus 
funeste  à  la  cause  de  la  liberté,  le  despotisme  militaire. 

Il  y  avoit  dans  cette  démarche  une  grande  perversité, 
des  intentions  bien  criminelles:  Lafayette  est  devenu  bien 
coupable  encore. 

Il  a  méconnu  tous  ses  devoirs  ;  il  a  voulu  faire  plier  sous 
sa  volonté,  toutes  les  lois.  Général  nommé  pour  défendre 
aux  frontières  la  cause  du  peuple,  il  a  quitté  son  poste, 
pour  venir  déclarer  la  guerre  au  peuple.  Avant  de  sortir 
du  camp,  il  Ta  parsemé  de  séductions  empoisonnées;  et  se 
persuadant  qu'elles  avoient  produit  leur  effet,  il  appeloit 
déjà  l'armée  de  la  nation,  son  armée,  les  soldats  de  la 
patrie,  ses  soldats;  déjà  il  croyoit  les  voir  combattre  uni- 
quement pour  soutenir  ses  audacieuses  prétentions.  En- 
traîné par  le  plus  insolent  espoir,  il  vient  les  annoncer  lui- 
même,  et  ces  prétentions  ne  sont  autres  que  celles  des 
tyrans  ligués  contre  nous  ;  elles  sont  absolument  les  mêmes 
que  celles  du  despote  autrichien.  Lafayette  s'en  est  rendu 
l'organe,  et  son  profane  et  scandaleux  discours  a  été  enten- 
du à  la  barre  du  sénat  français,  et  les  sénateurs  lui  ont 
donné  place  parmi  eux.  Etonné  lui-même  d'un  pareil  suc- 
cès, il  reste  à  Paris;  il  oublie  que  l'ennemi  est  aux  prises 
avec  son  armée.  Il  a  bien  autre  chose  à  faire;  il  cabale,  il 
pertube,  il  intrigue,  il  secoue  les  torches  de  la  guerre  civile  ; 
tout  cela  s'est  passé  sous  nos  yeux,  et  l'accusation  contre 
lui  n'est  pas  encore  solennellement  prononcée! 

Quelle  puissance  protège  donc  Lafayette?  Quelles  rai- 
sons pourront  justifier  tant  d'audace?  Comment  a-t-il 
essayé  de  se  justifier  lui-même? 

D'abord  il  a  dit  que  sa  présence  étoit  inutile  à  l'armée. 
Ah!  tous  les  bons  citoyens  le  croient  voolntiers.  Plût  au 
ciel  que  cette  vaillante  et  redoutable  armée  eût  un  autre 
chef  !  nos  craintes  auroient  été  moins  vives  sur  les  dangers 
que  courent  nos  frères  d'armes,  et  nous  n'aurions  jamais 
eu  d'inquiétude  sur  les  victoires  qui  leur  sont  destinées. 

Mais  la  fatalité  et  le  pouvoir  exécutif  ont  voulu  que 
Lafayette  commandât  cette  armée  d'hommes  libres?  S'en 


NEUVIÈME   NUMÉRO  265 

est-il  montré  digne?  A-t-il  rempli  ses  devoirs?  Non,  il  a 
quitté  son  poste. 

Vainement  allègue-t-il  qu'il  s'est  concerté  de  manière, 
qu'en  présence  de  l'ennemi,  l'absence  du  général  en  chef  ne 
soit  pas  nuisible.  O  vous,  hommes  crédules,  qui  avez  soup- 
çonné des  talens  militaires  à  Lafayette,  écoutez-le  parler, 
et  vous  n'y  croirez  pas  long-tems!  Comment  peut-il  sou- 
tenir que  jamais  l'absence  du  général  en  chef  peut  être 
indifférente?  Il  s'est  concerté  pour  cela  avec  Luckner,  dit- 
il  (12);  mais  s'est-il  aussi  concerté  avec  les  généraux 
autrichiens?  La  cour  de  Vienne  a-t-elle  signé  son  congé? 
Car  la  naïveté  d'un  pareil  aveu  nous  porte  aisément  à  croire 
qu'il  a  de  sûres  intelligences  avec  elle,  et  sa  démarche  con- 
firmeroit  aisément  de  pareils  doutes.  Partir  au  moment  où 
les  tentes  sont  dressées  devant  l'ennemi,  ainsi  que  l'a  fait 
le  général  Lafayette,  c'est  absolument  trahir  le  secret  de 
nos  opérations.  Les  autrichiens  ne  pouvoient-ils  pas  être 
inquiets,  irrésolus  sur  la  distribution  de  leurs  forces,  crai- 
gnant chaque  jour  une  attaque  combinée  entre  nos  géné- 
raux? Lafayette,  en  partant,  ne  leur  dit-il  pas  de  n'avoir 
aucune  inquiétude  à  cet  égard  ;  et  peut-il  leur  indiquer  plus 
clairement  qu'ils  n'ont  rien  à  craindre  en  divisant  leurs 
moyens  de  résistance?  N'est-ce  pas  là  une  véritable  trahi- 
son, abstraite,  négative  si  l'on  veut,  mais  aussi  réelle  que  si 
elle  étoit  directe  et  positive?  Si  les  lois  militaires  sont  d'une 
cruelle  rigueur  pour  un  soldat  dont  la  négligence  trahit, 
par  des  feux  mal  éteints,  pendant  la  nuit,  la  situation  d'un 
camp  :  la  même  rigueur  ne  doit-elle  pas  être  exercée  contre 
un  général  dont  la  conduite  plus  réfléchie,  trahit  le  plan 
tout  entier  des  plus  importantes  opérations?  Et  remar- 
quez bien  que  les  faits  ont  démenti  ses  assertions.  Des 
événemens  imprévus  ont  eu  lieu  pendant  son  absence;  le 
camp  a  été  levé,  l'armée  attaquée.  Il  ne  se  doutoit  pas  de 
tout  cela  ;  les  choses  n'en  ont  pas  été  plus  mal  parce  qu'il  n'y 

(12)  Le  26  juin  1792,  avant  de  partir,  La  Fayette  avait  averti  ses  soldats, 
qu'après  avoir  pris,  avec  le  Maréchal  Luckner,  <  les  mesures  nécessaires  pour 
mettre  l'armée  à  l'abri  de  toute  atteinte,  il  allait,  dans  une  course  rapide, 
exprimer  à  l'Assemblée  nationale  et  au  roi  les  sentiments  de  tous  bons  Fran- 
çais..  »  (Ordre  du  jour  du  26  juin  1792:  copie  signée  par  La  Fayette.  Arch. 
nat.,  C.  358-  —  E.  Charavay,  ibid.  Pièces  justificatives  n°  XXIII). 


266  LE   DÉFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

étoit  pas  ;  mais  il  devoit  y  être,  et  il  n'en  est  pas  moins  cou- 
pable d'un  grand  délit  militaire. 

Ses  partisans  ont  osé  dire,  qu'un  général  en  chef  n'a  pas 
besoin  de  congé  pour  s'absenter,  en  présence  de  l'ennemi. 
N'est-ce  pas  outrager  à-la-fois  la  raison  et  les  lois  que  de 
parler  ainsi?  A  qui  la  nation  confie-t-elle  une  armée? 
N'est-ce  pas  au  général  en  chef?  Est-il  maître  de  trans- 
mettre à  son  gré  ce  dépôt,  ou  de  le  quitetr  à  l'improviste  ? 
Si  Lafayette  a  pu  quitter,  tous  les  généraux  le  peuvent, 
même  ceux  qui  l'ont  suppléé,  puisqu'ils  se  trouvent  en  chef 
pendant  son  absence.  Alors,  sur  qui  reposera  la  sûreté  de 
l'état?  Qui  en  sera  responsable?  Le  général  en  chef  peut 
donner  aux  autres  des  congés;  il  est  le  seul  qui  ne  puisse 
pas  en  prendre:  s'il  a  des  communications  éloignées  et 
pressantes  à  établir,  il  doit  se  servir  en  paeil  cas  des  aides 
de  camp  dans  lesquels  il  a  le  plus  de  confiance. 

Mais,  dit-on,  c'est  comme  citoyen  que  Lafayette  est 
venu  à  la  barre,  et  il  le  pouvoit.  Oui,  il  pouvoit  venir  à  la 
barre  comme  citoyen;  mais,  comme  soldat,  il  ne  pouvoit 
pas  ainsi  tourner  le  dos  à  l'ennemi  au  moment  d'une 
bataille.  Si  Lafayette,  citoyen,  a  eu  le  droit  de  poser  ainsi 
les  armes,  de  quitter  son  uniforme  pour  venir  pérorer  à  la 
barre,  tous  les  citoyens-soldats  ont  le  même  droit.  Sans 
doute,  Lafayette  sera  le  seul  qui  pourra  braver  la  honte 
d'une  pareille  conduite.  Mais  si  vous  posiez  en  fait  que 
tous  les  citoyens-soldats  peuvent  quitter  ainsi  pour  venir 
faire  des  pétitions,  vous  seriez  toujours  en  doute  sur  l'exis- 
tence réelle  de  nos  armées. 

Ne  pouvant  défendre  Lafayette  par  des  raisons,  on  pré- 
pare, nous  a-t-on  dit,  d'étranges  subtilités.  On  alléguera, 
que  la  loi  n'ayant  pas  encore  prononcé  de  peines  contre  un 
général  déserteur  de  son  poste,  il  n'y  a  pas  lieu  à  accusa- 
tion. D'abord,  s'il  falloit  combattre  sérieusement  cette 
objection,  je  dirois  que  l'accusation  seroit  toujours  légale, 
et  que,  par  l'absence  de  la  loi,  la  condamnation  seule  pou- 
voit être  éludée.  Mais  depuis  la  guerre  déclarée,  les  tribu- 
naux n'ont-ils  pas  prononcé  avec  justice  sur  de  perfides 
émissaires  jetés  parmi  nos  braves  soldats  pour  les  entraî- 
ner à  la  confusion,  à  la  déroute  et  à  d'horribles  excès  ?  Et 
ces  crimes  aussi   étoient   imprévus   par   la   constitution. 


NEUVIÈME   NUMÉRO  267 

D'ailleurs,  si  le  général  d'armée  se  mettoit  à  l'abri  sous  le 
silence  de  la  loi,  le  fonctionnaire  public,  au  moins,  n'échap- 
peroit  pas.  Il  existe  des  dispositions  sévères  contre  les 
hommes  pourvus  de  cette  qualité  qui  trompent  la  confiance 
de  la  nation:  elles  suffisent  pour  condamner  Lafayette. 

Quel  intérêt  si  pressant  a  donc  précipité  Lafayette  vers 
Paris  avec  tant  d'imprudence?  Le  salut  de  l'état  exigeoit- 
il,  comme  il  dit,  une  telle  démarche?  Non,  l'état  ne  sera 
jamais  sauvé  par  Lafayette.  Sans  doute  de  grands  dangers 
menacent  la  chose  publique;  mais  ces  dangers-là,  ce  n'est 
pas  lui  qui  en  sera  le  dénonciateur.  Il  a  donné  le  change  à 
son  armée  à  cet  égard,  et  sa  conduite,  au  moment  où  il  abu- 
soit  du  titre  de  citoyen,  provoque  également  la  sévérité  des 
lois.  Son  langage,  en  quittant  l'armée,  fut  celui  d'un  sédi- 
tieux; il  a  fait  entendre  aux  soldats  que  la  constitution 
étoit  mal  gardée  par  l'assemblée  nationale  ;  il  a  voulu  rom- 
pre les  liens  sacrés  d'une  confiance,  sans  laquelle  tout  l'em- 
pire tomberoit  en  dissolution;  ce  blasphémateur  a  laissé 
croire  que  les  droits  du  peuple  périclitoient  dans  les  mains 
de  ses  représentans  ;  il  a  dit,  qu'en  sa  présence,  on  avoit 
mis  en  doute,  si 'l'on  combattoit  pour  la  cause  de  la  liberté; 
calomnie  qui  ne  peut  nuire  à  l'armée,  parce  qu'ainsi  que  l'a 
remarqué  un  orateur,  c'est  l'état-major  seul  qui  a  pu  faire 
une  telle  question  et  en  proposer  la  solution  à  Lafayette. 
Mais  elle  n'a  pas  moins  été  proposée  ;  et  au  milieu  d'autres 
soldats  que  des  soldats  français,  elle  pourroit  devenir  un 
principe  de  désertion  et  de  révolte.  Observez  qu'il  a  voulu 
nous  persuader  que  cette  question  scandaleuse  n'étoit  pas 
encore  résolue;  il  s'indigne  même  en  partant  que  tous  les 
intérêts  de  l'état  n'aient  pas  disparu  quand  il  a  paru  lui- 
même;  il  s'indigne  qu'on  ait  resté  vingt-quatre  heures  sans 
délibérer  sur  cette  proposition;  il  semble  annoncer  aux 
représentans  de  la  nation  que,  puisqu'ils  n'ont  pas  obéi  à 
ses  volontés,  les  doutes  qui  agitent  l'armée  vont  devenir 
des  certitudes  (13). 

Et  vous  avez  laissé  partir  cet  ambitieux  personnage, 
législateurs,  sans  le  frapper  de  votre  toute  puissance!  Vous 

(13)  Lettre  de  La  Fayette  à  l'Assemblée,  avant  de  repartir  pour  l'armée,  le 
29  juin.  Il  exprimait  son  regret  de  quitter  la  capitale  avant  qu'on  eût  statué 
sur  sa  pétition.  (Arch.  Nat.,  C.  358.  —  E.  Charavay,  ibid.,  p.  314). 


268  LE    DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

l'avez  laissé  se  jouer  ainsi  de  la  dignité  nationale!  Qu'at- 
tendez-vous donc  pour  étouffer  un  serpent  qui,  de  sa  dent 
venimeuse,  peut  piquer  et  flétrir  les  racines  encore  tendres 
de  l'arbre  de  la  liberté? 

Je  ne  vous  parlerai  pas,  messieurs,  des  attaques  dirigées 
par  Lafayette  contre  les  sociétés  populaires,  et  sur-tout 
contre  celle-ci.  Ah!  sans  doute,  par-tout  où  se  rassemble- 
ront des  citoyens  courageux,  dont  l'âme  sera  haute  et  fière 
le  langage  franc,  la  censure  ouverte,  sans  ménagemens  et 
sans  prostitution,  et  le  cœur  tout  passionné  pour  la  liberté  ; 
là,  sans  doute,  Lafayette  et  ses  semblables  trouveront  tou- 
jours d'intraitables  ennemis.  La  haine  de  Lafayette,  celle 
des  tyrans,  et  les  hostilités  de  la  maison  d'Autriche,  font 
votre  gloire  ;  elles  doivent  redoubler  votre  énergie,  et  vous 
obtenir  la  reconnoissance  de  tous  les  bons  citoyens. 

Je  ne  puis  cependant  m'empêcher  de  repousser,  au  nom 
du  peuple,  les  calomnies  de  Lafayette.  Connoit-il  bien  ce 
peuple  qu'il  insulte?  Connoit-il  ces  bons,  estimables  et  labo- 
rieux artisans,  habitans  de  nos  faux-bourgs?  Il  les  outra- 
ge ;  eh  !  ce  sont  eux  qui  recrutent  le  plus  abondamment  nos 
armées;  les  enfants  battent  l'ennemi;  ils  supportent  toutes 
les  fatigues  de  la  guerre,  pendant  que  Lafayette  vient  mé- 
chamment à  Paris  pour  calomnier  leurs  pères. 

Combien  sont-ils  malfaisans  et  atroces  tous  ceux  qui  ne 
cessent  de  calomnier  le  peuple!  Ils  vont  criant  que  toutes 
les  propriétés  sont  menacées  quand  le  peuple  se  rassemble. 
Je  les  défie  pourtant  de  citer  un  seul  moment,  depuis 
la  révolution,  où  le  peuple  ait  violé  les  droits  des  proprié- 
taires. Ne  semble-t-il  pas  chaque  jour,  à  les  entendre,  que 
le  peuple  va  se  saisir  de  toutes  les  fortunes,  va  prendre 
d'assaut  tous  les  palais  des  riches,  et  s'emparer  de  ces  déco- 
rations du  luxe  et  de  l'opulence,  qui  entretiennent  leurs 
vices  et  leur  immoralité?  Ce  ne  sont  pas  là  des  avantages 
dont  le  peuple  soit  jaloux.  Ne  seroit-ce  pas  vous  plutôt, 
riches  déclamateurs,  qui  voulez  détruire  les  propriétés  du 
peuple?  La  liberté  d'abord,  le  plus  précieux  de  tous  les 
biens  qu'il  possède,  et  vous  l'attaquez  continuellement.  Ses 
propriétés  encore,  ce  sont  les  vertus  dont  il  donne  l'exem- 
ple, la  patience,  l'union,  le  courage,  le  désintéressement, 
l'amour  de  la  patrie;  c'est  la  bonne  foi,  première  loi  des 


NEUVIÈME  NUMÉRO  269 

pensées  du  peuple,  la  probité,  premier  mobile  de  ses  ac- 
tions; et  vous  les  attaquez  par  la  calomnie.  C'est  le  repos 
des  familles  que  vous  troublez  toutes  les  fois  que  vous 
invoquez  avec  rage  des  exécutions  sanguinaires  pour  étouf- 
fer ses  réclamations.  Ah  !  laissez  au  peuple  la  vie,  la  liberté, 
les  vertus  ;  laissez-lui  le  bonheur  domestique  qui  le  délasse 
de  ses  travaux;  ne  lui  disputez  jamais  un  salaire  légitime, 
et  dormez  tranquilles  ;  vos  propriétés  sont  en  pleine  sûreté  ; 
elles  sont  sous  la  sauve-garde  de  la  loi. 

Quel  étoit  donc  le  but  de  Lafayette  en  calomniant  le  peu- 
ple, auquel,  peut-être,  il  doit  quelque  reconnoisance  ?  Le 
voici  ;  il  vouloit  diviser  les  citoyens  armés  et  ceux  qui  ne  le 
sont  pas,  les  irriter  les  uns  contre  les  autres;  il  vouloit 
semer  parmi  nous  d'effroyables  discordes;  mais  tous  les 
citoyens,  avec  armes,  ou  sans  armes,  resteront  unis  malgré 
lui,  et  la  justice  que  l'assemblée  nationale  exercera  envers 
Lafayette,  cimentera  cette  union.  Résumons  tous  ces 
attentats. 

Général  ambitieux,  soldat  rebelle,  il  a  osé  censurer  les 
représentans  du  peuple;  il  leur  a  dicté  des  lois  à  main 
armée;  il  a  planté  un  germe  de  sédition  et  de  révolte,  en 
supposant  qu'il  étoit  douteux  que  notre  cause  fût  celle  de 
la  liberté.  Fonctionnaire  infidèle,  il  a  quitté  son  poste  pour 
calomnier  les  citoyens  ;  il  a  voulu  corrompre  l'esprit  public, 
ébranler  la  confiance  due  à  l'assemblée  nationale,  et  se  faire 
le  modérateur  de  toutes  les  autorités;  il  a  opposé  scanda- 
leusement ses  volontés  au  vœu  national,  relativement  aux 
agens  du  pouvoir  exécutif;  il  s'est  annoncé  faussement, 
inconstitutionnellement,  comme  l'organe  de  prétendues  dé- 
libérations prises  de  l'armée,  pour  exiger  la  violation  des 
principes  constitutionnels  et  l'anéantissement  de  la  décla- 
ration des  droits  de  l'homme.  Il  ne  peut  échapper  au  décret 
d'accusation. 

Supposer  que  de  pareils  attentats  resteront  impunis,  ce 
seroit  outrager  l'assemblée  nationale  :  ce  seroit  dire,  qu'elle 
décrétera  qu'il  existe  en  France  un  homme  supérieur  à 
elle-même,  un  homme  supérieur  à  toutes  les  autorités.  N'en 
doutez  pas,  Lafavette  ne  s'est  porté  à  tant  d'excès,  que 
parce  que  son  fol  orgueil  lui  persuade  que  la  loi  ne  pourra 
pas  l'atteindre.  Ce  seroit  dire  enfin,  que  l'assemblée  natio- 


270  LE   DEFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

nale  décrétera  la  guerre  civile  ;  car  assurément  si  Laf  ayette 
poursuit  ses  funestes  projets,  si  les  manœuvres  pratiquées 
dans  les  camps,  et  nouvellement  dénoncées  à  l'assemblée 
nationale  continuent  ;  si  les  hommes  de  guerre  veulent  don- 
ner des  leçons  aux  législateurs  ;  si  la  force  des  armes  lutte 
contre  la  force  des  lois,  le  despotisme  militaire  voudra  tout 
envahir,  et  la  guerre  civile  est  inévitable. 

Mais,  de  tels  maux  sont  d'autant  plus  éloignés,  qu'au- 
cune raison,  aucune  considération  ne  doit  arrêter  l'assem- 
blée nationale. 

Qui  pourroit,  en  effet,  la  retenir  ?  Sont-ce  les  services  de 
Laf  ayette?  Je  sais  que  de  lâches  adulateurs  ont  fait  de  ces 
services  un  pompeux  étalage.  Eh  bien!  dites-leur  de  citer, 
dans  le  cours  de  la  Révolution,  une  seule  occasion  où  tout 
autre  que  Laf  ayette  n'eût  pas  fait  autant  que  lui  ;  de  citer 
un  succès  où  son  influence  et  sa  présence  aient  été  efficaces. 
Je  me  trompe,  il  est  un  seul  exploit  révolutionnaire  qu'on 
lui  attribue  en  propre  ;  c'est  d'avoir  fait  pendre  Favras  ; 
encore,  dit-on,  qu'il  voulut  moins  en  cela  servir  la  chose  pu- 
blique, que  sauver  un  plus  grand  coupable  (14).  Au  reste, 
laisons-lui  ce  triomphe;  personne,  je  crois,  ne  lui  en  dis- 
putera la  gloire. 

Je  l'ai  bien  observé,  Laf  ayette;  je  l'ai  toujours  vu  indé- 
cis, flottant,  irrésolu  au  milieu  des  grands  événemens,  dont 
il  a  su  pourtant  plus  d'une  fois  faire  tourner  le  résultat  à 
son  avantage.  J'ai  vu  en  lui  de  l'audace  sans  courage,  de 
la  perversité  sans  vigueur,  de  l'ambition  sans  mérite;  je 
l'ai  vu  persécuter  avec  acharnement  les  premiers  et  les 
plus  éprouvés  soldats  de  la  révolution  ;  je  l'ai  vu  tourmen- 
ter les  meilleurs  citoyens;  mettant  beaucoup  d'appareil  à 
des  accidens  qui  fortuitement  gonfloient   sa  réputation. 

(14)  Le  24  décembre  1789,  La  Fayette  avait  fait  arrêter  le  marquis  de 
Favras  qui  était  l'âme  du  complot  royaliste,  dans  lequel  le  comte  de  Provence, 
frère  du  roi,  était  compromis.  Le  29  à  l'assemblée  des  représentants  de  la 
commune  de  Paris,  ce  dernier  prince  désavoua  son  complice  que  La  Fayette 
fit  pendre,  le  17  février  1790,  après  un  simulacre  d'enquête  dans  des  circons- 
tances restées  mystérieuses.  (Mémoires  du  comte  de  Paroy,  éd.  Charavay, 
pp.  142  à  144.  —  Gouverneur  Morris:  Mémorial,  t.  I,  p.  286.  —  S.  Lacroix, 
ibid.,  t.  III,  pp.  283  à  285.  —  E.  Charavay,  ibid.,  p.  208). 

Le  comte  de  Paroy  était  le  fils  de  Guy  Legentil,  marquis  de  Paroy,  grand 
bailli  d'épée  du  bailliage  de  Provins,  député  de  la  noblesse  de  cette  circons- 
cription aux  Etats  généraux. 


NEUVIEME  NUMERO  27 1 

mais  toujours  effrayé  des  mouvements  qui  portoient  un 
grand  caractère,  et  qui  seuls  ont  décidé  notre  fortune. 
Tour-à-tour  on  l'accusa  d'avoir  fait  évader  le  roi,  et  on  lui 
reprochera  de  l'avoir  fait  revenir.  Il  avait  cautionné,  sur 
sa  tête,  la  fidélité  de  Bouille  (15),  et  il  s'avoua,  sans  pudeur, 
son  correspondant,  lorsque  ce  transfuge  infâme  osa  mena- 
cer les  parisiens  et  l'assemblée  constituante.  Tous  ces  faits, 
je  le  sais,  sont  inutiles  à  rappeler  ;  le  décret  d'amnistie  gé- 
nérale a  dû  les  plonger  dans  l'oubli;  et,  sans  doute,  si 
Lafayette  a  sollicité,  avec  tant  de  chaleur,  ce  fameux 
décret,  c'est  pour  des  raisons  qui  lui  étoient  bien  particu- 
lières (16). 

L'assemblée  nationale,  en  frappant  Lafayette,  crain- 
droit-elle  les  dispositions  de  l'armée,  du  moins  celles  dans 
lesquelles  ce  général  a  supposé  l'armée?  Rassurez-vous; 
croyez  qu'il  n'en  a  pas  été  le  fidèle  interprête.  L'armée 
française  ne  combattra  jamais,  pour  donner  un  protecteur, 
un  tyran  à  la  nation  ;  elle  ne  désertera  pas  la  cause  publique 
pour  les  intérêts  d'un  seul  homme;  elle  feroit  elle-même 
exécuter  le  décret  qui  mettroit  cet  homme  coupable  en  état 
d'accusation:  c'est  ainsi  qu'elle  proclameroit  ses  véritables 
sentimens  et  sa  religieuse  confiance  dans  nos  représentans. 
Croyez-moi,  ceux  qui  composent  cette  armée,  quoiqu'en 
dise  Lafayette,  ne  vous  haïssent  pas;  ils  savent  que  vous 
faites  la  guerre  aussi;  ils  savent  que  la  guerre  que  vous 
livrez  aux  traîtres,  aux  conspirateurs,  ne  sont  (sic)  pas 
sans  dangers,  et  que  vos  victoires  ne  sont  pas  inutiles. 
Notre  cause  est  commune,  et  la  fidélté  de  nos  frères  d'ar- 
mes est  inébarnlable.  On  peut  corompre  et  séduire  les  satel- 
lites des  tyrans;  mais  les  soldats  de  la  liberté  ne  sont  pas 
aussi  faciles. 

Je  sais  bien,  comme  on  l'a  dit,  que  César,  que  Cromwel 
se  sont  servi  de  leurs  armées  pour  asservir  la  patrie;  et, 
certes,   je   n'ai   pas   été   médiocrement    surpris   de   voir 

(15)  Voir  ci-dessus,  p.  173.  —  E.  Charavay,  ibid.,  pour  les  relations  de  La 
Fayette  avec  son  cousin,  le  marquis  de  Bouille:  p.  243  (Insurrection  de 
Nancy),  pp.  256-257,  267  et  suivantes  (fuite  du  roi),  ttc. 

(16)  On  se  rappelle  que  La  Favette  fit  voter,  par  l'Assemblée  constituante, 
le  13  septembre  1791,  une  amnistie  pleine  et  entière  pour  tous  ceux  ayant  été 
mêlés  aux  événements  de  la  Révolution,  notamment  avant  pris  part  à  la  fuite 
de  la  famille  royale,  le  20  juin  précédent.  (Voir  ci-dessus,  p.  173  et  188.) 


272  LE   DEFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

Lafayette  mis  en  comparaison  avec  ces  hommes-là:  son 
orgueil  ne  doit  pas  être  mécontent  d'un  semblable  paral- 
lèle; mais,  comme  l'observoit  hier  un  orateur  à  la  tribune 
de  l'assemblée  nationale,  on  ne  peut  pas  établir  avec  succès 
de  pareils  rapprochemens  (17).  La  vertu,  quoique  simple 
et  modeste,  peut  acquérir  de  la  célébrité:  mais  le  vice  ne 
peut  en  obtenir  qu'alors  qu'un  grand  génie  l'a  élevé  à  une 
telle  hauteur,  qu'il  fixe  l'étonnement  et  l'admiration.  C'est 
là  que  Cromwel  et  César  sont  arrivés,  et  l'histoire  a  con- 
serve leurs  noms  ;  celui  de  Lafayette  n'aura  vécu  quelques 
instans,  que  pour  les  nouvellistes.  De  petites  ruses  de  cour, 
des  cabales  de  l'œil-de-bœuf,  si  familières  aux  Noailles,  le 
firent  distinguer  dans  la  guerre  américaine,  parmi  beau- 
coup de  français  qui  la  servirent  mieux  que  lui  :  et  vérita- 
blement le  hasard  attacha  alors  à  ce  nom  de  Lafayette  une 
sorte  de  prestige.  Il  en  a  bien  profité.  Vous  vous  étonnez, 
messieurs,  qu'aux  termes  de  la  loi,  il  n'ait  pas  voulu 
le  changer,  pour  s'appeler  Motié;  il  a  fait  très  sagement; 
s'il  quittoit  le  nom  de  Lafayette,  il  ne  lui  resteroit  plus  rien. 

Mais,  quel  immense  intervalle  l'art  oratoire  n'auroit-il 
pas  à  franchir,  pour  placer  ce  nom-là  à  côté  de  celui  de 
César?  Rappelez- vous  tout  ce  que  César  avoit  d'avantages, 
lorsqu'il  conçut  l'audacieuse  pensée  d'insulter  le  sénat 
romain.  César  avoit  subjugé  trois  cents  peuples  ou 
nations:  il  avoit  soumis  huit  cents  villes;  il  avoit  défait 
trois  millions  d'hommes  en  différentes  batailles;  enfin,  ce 
conquérant  avoit  rempli  l'univers  du  bruit  de  ses  exploits  : 
combien  sont  petites,  imperceptibles,  à  côté  d'une  telle 
renommée,  les  prouesses  du  marpuis  Lafavette? 

Sans  doute,  il  n'y  a  rien  qui  lie  aussi  étroitement  les 
hommes  aue  l'habitude  de  combattre  et  de  vaincre  ensem- 
ble; c'est  là  ce  qui  donnoit  à  César  un  grand  empire.  Sa 
valeur  étoit  héroïque;  la  victoire  étoit-elle  douteuse,   il 

(17)  La  comparaison  avait  été  faite  souvent  de  La  Fayette,  tantôt  avec 
Jules  César,  tantôt  avec  Cromwell.  —  Goupilleau,  comme  le  dit  Collot  d'Her- 
bois,  fait  allusion  à  ce  parallèle,  au  début  de  la  séance  du  7  juillet,  lorsqu'il 
commente  l'ordre  général  du  2  ou  3  juillet  de  La  Fayette  à  son  armée.  (Le 
Moniteur  ne  reproduit  pas  l'intervention  de  Goupilleau,  ni  la  pétition  de  Collot 
d'Herbois,  présentée  à  ce  moment  à  l'Assemblée).  Le  feuillant  Dumolard 
devait  discuter  ces  deux  comnaraisons  dans  son  discours  du  ai  juillet  (voir 
aussi  le  Patriote  français  de  Brissot,  numéros  1060  et  1062). 


NEUVIÈME  NUMÉRO  273 

s'élançoit  seul  au  milieu  des  ennemis,  et  ses  légions  fai- 
oient  alors  des  prodiges.  Je  ne  puis  vous  dire  quels  succès 
militaires  obtiendra  par  lui-même  Lafayette;  mais,  depuis 
la  guerre  commencée,  il  fut  toujours  absent  des  combats 
livrés  par  l'armée  qu'il  commande  :  il  n'assiste  aux  batailles 
que  par  procuration. 

Je  ne  veux  pas  dire  pourtant  que  Lafayette  se  trouvera 
sans  appui;  il  a  eu  beaucoup  de  partisans,  et  il  lui  en  res- 
tera quelques-uns.  Ces  hommes  reconnus  depuis  long-tems 
pour  être  les  agens  passifs  et  obéissans  de  tout  ce  qu'il  veut 
entreprendre,  lui  resteront  :  ce  sont  des  machines  qu'il  fait 
remuer  en  tout  sens,  et  qui  font,  à  son  gré,  plus  ou  moins 
de  bruit,  selon  qu'il  pousse  le  ressort  qui  les  met  en  mouve- 
ment. Peut-être  aussi  s'est-il  attaché,  par  des  faveurs, 
quelques  hommes  qui  s'acquittent  par  des  flagorneries; 
vrai  commerce  de  turpitudes  !  C'est  ainsi  qu'un  des  intéres- 
sés dans  ce  honteux  trafic,  l'a  déjà  proclamé  le  fils  aîné  de 
la  liberté  (18).  Lafayette,  fils  aîné  de  la  liberté!  Il  est  donc 
plus  coupable  encore  que  je  n'ai  pu  le  dire,  car  il  veut  assas- 
siner sa  mère.  Lafayette,  le  fils  aîné  de  la  liberté  !  et  nous 
serions  ses  frères!  les  frères  de  celui  qui,  le  premier  dans 
la  grande  famille  des  français  régénérés,  les  a  fait  égorger 
les  uns  par  les  autres  !  Eh  bien  !  soit,  que  ce  droit  d'aînesse 
lui  reste,  à  condition  qu'il  sera  éternellement  surnommé  le 
Caïn  de  la  révolution. 

Laissons-lui  donc  cette  escorte  sinistre,  et  des  remords 
qui  le  poursuivent,  et  des  hommes  vicieux  qui  furent  ses 
complices.  Sans  doute  il  n'en  sera  jamais  abandonné:  les 
plus  funestes  complots  les  ont  rendus  inséparables.  C'est 
ainsi  que  Lafayette,  enchaînoit  ceux  dont  il  avoit  besoin. 
L'histoire  nous  apprend  que  Catilina  s'assura  des  siens, 
en  leur  faisant  boire  du  sang  humain  ;  et  c'est  du  sang  aussi 
qui  a  scellé  l'union  de  Lafayette  et  de  ses  affidés.  C'est 
pour  assouvir  leur  soif  impie  et  catilinaire,  qu'ils  ont  éga- 
ré une  partie  de  nos  concitoyens;  ils  les  ont  agité  d'un 
délire  homicide  et  barbare.  C'est  alors  qu'avec  une  cruauté 

(18)  Il  s'agit  du  député  de  la  droite,  Ramond  qui,  le  28  juin,  après  la  com- 
parution de  La  Fayette  à  la  barre  de  l'Assemblée  législative,  prit  la  défense 
du  général  et  employa  ce  qualifcatif  de  «  fils  aîné  de  la  liberté  >  pour  le 
désigner.  (Moniteur  du  20  juin  1792,  réimp.,  t.  XII,  p.  778). 


274  LE   DEFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

froide  et  réfléchie,  Lafayette  leur  a  donné  le  signal,  pour 
ensanglanter  l'autel  de  la  patrie,  pour  tuer  leurs  amis 
désarmés,  leurs  femmes  et  leurs  enfans  (19)?  Jour  terrible! 
dont  le  souvenir  déchire  nos  cœurs  !  O  Lafayette  !  comment, 
depuis  ce  jour  de  meurtres,  as-tu  pu  goruer  un  instant  de 
repos  ?  Ne  vois-tu  pas  la  place  vuide  que  tu  as  laissée  dans 
chacune  de  nos  familles?  N'entends-tu  pas  les  cris  de  l'en- 
fant qui  te  redemande  son  père,  et  du  père  qui  te  redeman- 
de son  enfant?  Tu  les  a  dévoués  à  un  deuil  éternel;  ils  te 
dévouent  aux  furies.  Que,  sans  cesse  tourmenté  par  elles, 
tu  les  entende  avec  effroi  te  crier:  «  Citoyen  indigne  et 
cruel  !  homme  féroce  !  tu  as  fait  rougir  de  sang  cette  terre 
«  sacrée,  où  des  hommes  libres  s'étoient  jurés  union,  fédé- 
«  ration,  fraternité!  Eh  bien!  frémis;  de  ce  sang  versé, 
«  des  ossemens  de  tant  de  citoyens  massacrés,  naîtront 
«  d'innombrables  légions;  chaque  fois  qu'elles  seront  ras- 
ce  semblées,  ton  souvenir  sera  repoussé  avec  horreur,  et 
«  ton  nom  livré  aux  malédictions  de  tous  les  peuples  ». 
De  si  légitimes  imprécations  doivent  à  jamais  le  séparer 
des  vrais  amis  de  la  liberté.  Législateurs,  elles  doivent  dé- 
terminer votre  justice;  frappez  ce  nouveau  Sylla,  et  tous 
les  ennemis  de  la  cause  du  peuple  se  trouveront  sans  chef 
et  sans  appui.  Nous  étions  tous  unis,  tous  frères;  Lafayet- 
te seul  nous  a  divisés:  il  n'a  laissé  que  le  repentir  d'avoir 
été  cruels  dans  le  cœur  des  uns,  et  les  douloureux  soupirs 
d'un  ressentiment  dans  le  cœur  des  autres.  Ah  !  punissez 
Lafayette,  et  les  premiers  liens  de  notre  union  vont  être  res- 
serrés. Une  fédération  nouvelle  va  nous  rendre  tous  à  nos 
premiers  sentimens.  Foudrovez  Lafayette,  et  vous  termi- 
nerez heureusement  la  révolution;  vous  sauverez  la  patrie 
menacée,  vous  assurerez  à  ceux  qui  viendront  après  nous 
les  seuls  biens  que  nous  voulons  leur  transmettre,  la  décla- 
ration des  droits  de  l'homme  et  le  précieux  héritage  de  la 
liberté. 


(19)  Allusion  aux  massacres  du  Champ  de  Mars  du  17  juillet  1791. 


NEUVIEME   NUMERO  275 


IV 


Première  lettre  écrite  à  M.  Scipion  Chambonnas 
ministre  des  affaires  étrangères,  par  Rutteau  (20) 

Valenciennes,  le  29  juin  1792,  Tan  4e  de  la  liberté. 

Monsieur, 

J'aurai  toujours  présente  devant  les  yeux  et  gravée  dans 
le  fond  du  cœur,  la  conversation  que  j'ai  eue  avec  vous,  le 
jour  de  mon  départ  de  Paris;  vous  me  fîtes  l'honneur  de 
me  dire,  que  vu  le  rapport  de  M.  Bonne-Carrère  (2)  et  de 
M.  Dumourier,  vous  aviez  une  entière  confiance  en  moi  et 
que  vous  étiez  persuadé  que  je  me  comporterois  dans  tou- 
tes mes  recherches  avec  la  plus  grande  intelligence  et  la 
plus  grande  sagacité  ;  je  vous  assurai  sur-le-champ  que 
vous  n'auriez  que  des  vérités;  oui,  Monsieur,  voilà  mon 

(20)  Victor-Scipion-Louis-Jospeh  de  La  Garde,  marquis  de  Chambonnas, 
ancien  maire  de  Sens,  remplaça,  le  17  juin  1792,  Dumouriez  au  Ministère  des 
affaires  étrangères;  il  démissionna  le  31  juillet,  émigra  à  Londres  où  il  mou- 
rut en  1807. 

Louis-François  Rutteau,  de  la  section  du  Théâtre  Français,  était  employé 
dans  les  ateliers  de  charité  de  Paris,  lorsque,  le  3  avril  1791,  il  crut  avoir 
découvert  une  conspiration  du  Club  monarchique  et  de  son  président  le  comte 
Stanislas  de  Clermont-Tonnerre  qu'il  dénonça  aux  Jacobins.  Cette  affaire  fit 
parler  de  lui  dans  la  presse  et  dans  les  clubs  {Le  Lendemain,  feuille  du  Cou- 
sin Jacques,  des  5  et  6  avril  1791  ;  le  Journal  de  la  Révolution,  du  5  avril  ; 
les  Sabbats  jacobites,  t.  I,  p.  216.  —  Aulard,  ibid.,  t.  II,  pp.  286  à  292).  — 
En  septembre  1791,  il  sollicita  et  obtint  une  place  d'officier  de  paix  (Tour- 
neux,  ibid.,  t.  IV,  n°  25211).  Il  fut  envoyé  en  qualité  d'agent  observateur 
auprès  des  armées,  par  le  ministre  Dumouriez  et  par  le  Comité  de  surveil- 
lance de  l'Assemblée  législative  (voir  ci-après  pages  276  à  278  et  page  311). 
Il  transmettait  régulièrement  des  rapports  sur  la  situation  des  frontières  au 
Ministère  des  affaires  étrangères  et  un  double  au  député  Laurent  Lecointre, 
secrétaire  du  comité  de  surveillance  de  l'Assemblée.  Celui-ci  en  donnait 
copie  à  Robespierre  pour  son  journal. 

La  correspondance  avec  Dumouriez,  les  neuf  lettres  qu'il  prétend  lui  avoir 
envoyées,  ne  sont  pas  connues.  La  première,  assez  étendue,  qu'on  lira  ci- 
dessus,  est  adressée  à  Chambonnas. 

Les  renseignemnts  qu'il  fournis  paraissent  très  intéressants  et  sont,  peu 
connus.  Dans  le  texte  du  Défenseur  de  la  Constitution,  les  lettres  de  Rutteau 
sont  comnosées  en  petits  caractères. 

(21)  Guillaume  Bonne-Carrère  (t7<;4-t82ï0,  diplomate,  fut  nommé  par 
Dumouriez,  pendant  son  passage  au  Ministère  des  affaires  étrangères,  direc- 
teur général  du  département  politique  de  ce  ministère.  Il  était  donc  le  chef 
direct  de  Rutteau.  Il  fut  chargé,  sous  le  Directoire  et  l'Empire,  de  quelques 
missions  secrètes. 


276  LE   DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

principe,  c'est  non  seulement  celui  de  l'homme  libre,  mais 
encore  celui  de  l'homme  qui  a  juré  de  rester  dans  tous  les 
tems,  même  les  plus  orageux,  digne  de  la  liberté. 

Avant  que  de  vous  faire  part  de  mes  observations,  il  est 
bon,  Monsieur,  de  vous  communiquer  mes  réflexions  sur 
les  neuf  premiers  numéros  que  j'ai  eu  l'honneur  d'adresser 
à  M.  Dumourier,  lorsqu'il  étoit  ministre  des  affaires 
étrangères,  et  dont  le  double  a  été  adressé  à  M.  le  Cointre, 
député  à  l'assemblée  nationale  et  membre  du  Comité  de  sur- 
veillance. 

Je  ne  me  suis  point  permis  dans  ces  neufs  rapports  de 
dénoncer  qui  que  ce  soit,  je  n'ai  nommé  aucun  de  ceux  qui, 
la  bouche  pleine  des  mots  de  liberté  et  de  constitution,  sont 
venus  mentir  impunément  à  l'assemblée  nationale  (3);  et 
en  ont  imposé  au  point  que  non-seulement  ils  ont  remporté 
les  suffrages  de  l'assemblée,  mais  que  l'assemblée  est 
encore  demeurée  persuadée  que  tout  étoit  en  règle  sur  nos 
frontières;  que  nous  étions  sur  une  défensive  active,  que 
les  régimens  étoient  plus  que  complets,  etc.,  etc. 

T  e  code  pénal  contre  les  dénonciateurs  est  tellement  fort, 
que  j'ai  voulu  me  restreindre  à  donner  des  éclaircissmens 
sur  les  frontières  abandonnées  et  dégarnies;  sur  des  régi- 
mens non  complets;  sur  des  plans  d'attaques  pour  nous 
emparer  en  très-peu  de  tems  des  Pays-Bas.  sur  la  forma- 
tion de  quelques  camps  d'observation,  sur  les  forces  autri- 
chiennes dans  les  Pays-Bas,  sur  les  démarches  des  émigrés 
et  sur  les  préparatifs  hostiles,  sur  les  dispositions  des 
esprits,  etc.,  etc. 

Aujourd'hui,  Monsieur,  la  patrie  est  en  danger  ;  chargé 
d'une  épouse  et  de  deux  enfans,  je  sens,  comme  tous  les 
bons  français  qu'il  est  tems  de  lever  le  voile,  de  faire  ouvrir 
les  yeux  sur  notre  situation  et  de  faire  connoître  les  traî- 
tres ;  c'est  de  quoi  je  vais  m'occuper  ;  il  ne  me  restera  ensuite 
qu'à  parcourir  les  frontières,  pour  y  puiser  les  renseigne- 
mens  nécessaires  à  assurer  la  sûreté  de  l'empire  français; 
vous  les  communiquer  sera  mon  devoir,  ce  sera  à  vous, 

(22)  Allusion  au  rapport  du  ministre  de  la  guerre  Narbonne,  présenté  à  la 
séance  de  l'Assemblée  législative  du  il  janvier  1792,  dont  il  sera  question 
plus  loin  ;  ce  rapport,  dont  l'impression  et  l'envoi  aux  départements  ont  été 
ordonnés,  est  publié  par  le  Moniteur,  t.  XI,  pp.  101,  105,  125. 


NEUVIEME   NUMERO  277 

Monsieur,  à  donner  des  ordres  pour  le  reste  ;  trop  heureux 
si  je  puis  mériter  votre  suffrage  et  celui  de  tous  mes  con- 
citoyens, au  moins  je  mettrai  tout  en  usage  pour  remplir 
mon  devoir. 

Quant  à  tout  ce  que  vous  trouverez  dans  la  lecture  de 
ces  rapports,  je  pars  d'un  principe,  et  je  dis,  qu'ayant  vu 
de  mes  yeux  tout  ce  qui  a  rapport  au  dedans,  je  demande, 
(qu'en  suivant  les  dates  des  numéros),  on  nomme  des  com- 
missaires, pour  en  aller  faire  la  visite;  et  que  j'offre  ma 
tête  pour  tout  ce  que  j'ai  dit. 

i°  M.  Narbonne  en  a  imposé  à  l'assemblée  nationale, 
lorsqu'il  a  dit  que  les  frontières  étoient  dans  le  meiller  état 
possible  ;  tout  y  étoit  à  dépourvu  à  mon  passage. 

2°  M.  Narbonne  en  a  encore  imposé,  lorsqu'il  a  dit  que 
les  régimens  étoient  plus  que  complets  ;  il  n'y  a  presque 
dans  tous  les  régimens,  qu'un  bataillon  de  complet,  et  l'au- 
tre bataillon  travaille  à  se  former. 

3°  Les  réparations  qui  sont  faites,  et  qui  se  font  encore 
à  Montmédy  et  autres  lieux,  n'ont  été  faites  que  par  les 
canonniers  patriotes,  que  l'on  a  menacés  de  cour  martiale 
et  de  conseil  de  discipline;  menaces  qui  ne  les  ont  pas  inti- 
midés, puisqu'ils  y  travaillent  encore:  et  malgré  tous  ces 
ouvrages,  il  y  a  encore  des  réparations  bien  urgentes  et 
très  nécessaires. 

Quant  à  M.  de  Lafayette,  je  me  contenterai  de  dire,  qu'il 
savoit  très  bien  qu'il  alloit  commander  une  armée  de  cin- 
quante mille  hommes;  qu'en  conséquence  du  camp  qui 
devoit  se  former  à  Givet,  M.  Lafayette  devoit  avoir  donné 
des  ordres  pour  que  tel  régiment  d'infanterie  et  de  cavale- 
rie de  ligne  s'y  rende  à  telle  époque,  que  tel  bataillon  de  vo- 
lontaires s'y  rende  également,  et  qu'il  devoit  savoir  de  quel 
nombre  se  seroit  trouvé  son  armée,  qui  n'est  encore  aujour- 
d'hui que  de  vingt-six  à  vingt-sept  mille  hommes,  tout  au 
plus. 

Je  pourrois  lui  demander  ensuite,  pourquoi  il  n'a  pas 
écrit  à  tel  individu  (avec  lequel  M.  Narbonne  avoit  passé 
des  marchés)  de  faire  rendre  pour  tel  jour,  tant  de  tentes, 
tant  de  paille  et  tant  de  fourrages;  s'il  l'a  fait,  pourquoi 
n'a-t-il  pas  rendu  compte  au  corps  législatif  de  l'ineptie  ou 


278  LE   DÉFENSEUR   DE  LA  CONSTITUTION 

plutôt  de  la  mauvaise  volonté  de  ceux  qui  sont  à  la  tête  de 
ces  marchés? 

Je  lui  demanderai  encore,  pourquoi  dans  sa  qualité  de 
général,  il  a  laissé  toutes  nos  frontières  dégarnies?  Et 
pourquoi  avant  d'entreprendre  une  guerre  offensive,  il  ne 
s'est  pas  mis  sur  une  défensive  active? 

Il  devoit  sans  doute,  en  écrire  aux  ministres  et  à  l'as- 
semblée nationale,  car  M.  Lafayette  n'ignoroit  pas  que  les 
ministres  qui  venoient  d'entrer  en  place,  ne  pouvoient  que 
s'en  rapporter  à  M.  de  Narbonne;  ils  avoient  donc  aval- 
lés  (sic)  la  pilule,  comme  a  fait  l'assemblée  nationale,  et  les 
uns  ni  les  autres  n'avoient  été  voir  les  frontières. 

Je  vous  le  répète  encore,  Monsieur,  voyez  mes  neuf  nu- 
méros, faites-en  faire  un  rapport  à  l'assemblée  nationale 
et  sauvez  la  patrie  du  danger  qui  la  menace. 

Je  dois  encore  vous  prévenir,  que  chargé  d'une  commis- 
sion aussi  importante,  je  rendrai  public  mes  numéros; 
c'est-à-dire,  que  vous  aurez  l'original,  le  comité  de  surveil- 
lance une  copie,  et  une  troisième  sera  déposée  en  mains- 
tierces,  pour  la  retrouver  si  le  cas  y  échoit.  Je  les  change- 
rai si  souvent  d'adresse,  qu'il  sera  impossible  aux  surveil- 
lans  de  la  poste  de  les  soustarire  aux  yeux  de  nos  conci- 
toyens, quand  il  en  sera  nécessaire.  Je  ne  doute  nullement, 
Monsieur,  que  vous  n'approuviez  ma  démarche;  il  en  résul- 
tera qu'on  n'aura  rien  à  vous  reprocher  pour  le  mal  passé, 
et  qu'on  aura  des  hommages  à  vous  accorder  pour  l'avenir. 

Disposition  des  esprits 

Les  provinces  paroissent  satisfaites  de  la  démarche  du 
fauxbourg  St-Antoine  et  St-Marcel  auprès  du  roi  (23); 
on  loue  beaucoup  la  conduite  de  la  garde  nationale  pari- 
sienne, qui  ne  s'y  est  point  opposée  ;  et  si  malheureusement 
il  y  avoit  eu  un  seul  coup  de  fusil  tiré,  la  guerre  civile  écla- 
toit  dans  toute  la  France,  et  ces  deux  f  auxbourgs  auroient 
eu  un  terrible  renfort. 

Les  provinces  sont  indignées  de  la  lettre  écrite  par  M. 
Lafayette  à  l'assemblée  nationale,  dans  laquelle  ce  général 
demande  la  suppression  des  clubs  (24);  si  nous  sommes 

(23)  Manifestation  du  20  juin. 

(24)  Lettre  écrite  le  16  juin  et  lue  à  l'Assemblée  le  18. 


NEUVIEME   NUMERO  279 

désunis,  disent  les  citoyens,  nous  sommes  perdus.  Allons 
tous  au  club,  nous  reconnoissons  maintenant  que  M. 
Lafayette  nous  a  amusé;  mais  s'il  y  a  une  trahison,  nous 
sonnerons  le  tocsin,  nous  nous  déférons  de  nos  aristocra- 
tes, et  nous  volerons  vengre  la  mort  de  nos  concitoyens. 

Les  esprits  sont  montés  plus  que  jamais  à  un  degré  de 
patriotisme;  un  seul  cri  se  fait  entendre:  la  liberté  ou  la 
mort;  vous  voyez  donc  qu'il  est  tems  de  détromper  le  roi, 
et  soyez  bien  sûr  que  les  ennemis  de  notre  révolution  ne 
cherchent  qu'à  le  détrôner. 

On  est  très  mécontent  par-tout,  de  ce  que  nos  frontières 
ne  sont  point  garnies  de  troupes  ;  on  demande  où  elles  sont 
passées,  ce  qu'on  en  a  fait,  et  pourquoi,  dans  les  anciennes 
guerres,  on  avoit  sitôt  fait  de  former  des  armées  formi- 
dables, tandis  qu'aujourd'hui  il  n'y  a  que  vingt-cinq  mille 
hommes  à  l'armée  de  M.  Lafayette,  et  guère  plus,  ajoute- 
t-on,  à  celle  de  M.  Luckner.  On  demande  aussi  pourquoi 
l'assemblée  nationale  et  les  ministres  ne  s'occupent  pas 
plus  sérieusement  de  ce  qui  intéresse  le  plus  le  salut  de 
l'empire  français. 

Givet 

Le  16  juin  présent  mois,  on  eut  connoissance  de  l'arri- 
vée à  Dinan,  d'un  corps  d'émigrés,  soutenu  par  quelques 
piquets  d'infanterie  autrichienne,  qui,  le  même  jour,  ont 
pillé  la  barque  qui  va  de  Dinan  à  Givet,  et  ont  assassiné  à 
coup  de  baïonnettes,  un  vieillard  qui  n'a  pu  se  soustraire, 
par  la  fuite,  à  leur  fureur. 

Le  même  jour,  vers  les  dix  heures  du  matin,  une  voiture,  • 
chargée  de  caisses  et  de  meubles,  à  l'adresse  de  M.  Laval 
Montmorency  (25),  à  Coblentz,  escortée  par  le  sieur  Tou- 
pet, maire  de  Givet,  fut  arrêtée  à  la  porte  de  la'  Charbon- 
nière, route  de  Liège.  Le  maire  de  Givet  s'opposa  à  la 
visite  des  effets,  et  voulut  en  favoriser  la  sortie;  mais  la 
garde  aussi  ferme  qu'active,  jointe  aux  citoyens  de  la 
ville,  ont  sommé  le  maire  de  faire  visiter  le  tout  sur-le- 

(25)  Le  duc  Anne-Alexandre  de  Montmorency- Laval  et  son  fils  émigrèrent 
et  se  rendirent  à  Coblentz  où  leur  présence  fut  signalée,  le  20  avril  1792,  au 
moment  de  la  déclaration  de  la  guerre;  ils  commandèrent  un  corps  d'émigrés 
{Moniteur,  réimp.,  t.  XII,  p.  145). 


2&>  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

champ,  ce  que  ce  dernier  n'a  fait  qu'après  mille  menaces, 
mêlées  de  paroles  injurieuses  pleines  de  fureur,  contre  les 
citoyens  qui  vouloient  tout  voir  ;  enfin,  la  visiste  se  fit  sans 
précipitation  ni  emportement;  on  y  trouva  des  caisses,  con- 
tenant des  selles  élégantes,  des  housses  galonnées,  quantité 
d'aunes  de  galons  d'or  et  d'argent,  des  épées  et  armes  à 
feu,  un  grand  nombre  de  chandeliers  et  couverts  d'argent, 
des  pendules,  des  pièces  de  drap  vert,  deux  grandes  cru- 
ches pleines  de  poison,  de  très-beaux  meubles,  plusieurs 
pièces  de  vin,  etc.,  des  papiers  roulés,  des  paquets  des  let- 
tres cachetées,  sur  l'adresse  de  l'une  entr'autres,  étoit  écrit  : 
(Bon  pour  trente  oreilles  d'ourses,  à  prendre  à  Liège,  chez 
M.  l'abbé...),  M.  Toupet,  maire,  [a]  refusé  de  donner  con- 
noissance  de  ces  paquets;  il  s'en  est  emparé,  ainsi  que  de 
quelques  autres  petits  ballots,  sous  prétexte  d'en  donner 
connoissance  à  la  municipalité,  ce  qui  n'est  pas  encore 
effectuer;  car,  bien  loin  de  là,  ce  M.  Troupet,  maire  de 
Givet,  a  fait  actionner,  au  nom  de  M.  Laval  Montmorency, 
plusieurs  des  citoyens  qui  se  sont  opposés  à  la  sortie  de  la 
voiture.  Il  est  bon  de  vous  dire  que,  pendant  la  visite  de 
cette  voiture,  on  vit  paroître  sur  les  hauteurs  de  Mesnil, 
près  Givet,  plusieurs  houlans,  qui  venoient  au-devant  de 
la  voiture,  et  dévoient  l'escorter. 

Le  camp  de  Givet  est  encore  dans  le  même  état,  excepté 
un  convoi  d'artillerie  de  six  à  sept  petites  pièces  de  canons, 
et  cinq  obusiers,  mais  beaucoup  d'attelages,  car  il  y  avoit 
pour  les  conduire,  quatre  cents  chevaux. 

On  crie  beaucoup  après  la  grosse  artillerie  qui  n'arrive 
pas  ;  cependant  on  dit  que  c'est  de  la  faute  du  général, 
directeur  de  l'artillerie  de  Metz. 

La  garnison  de  Charlemont  est  diminuée  d'un  bataillon 
de  volontaires,  qui  est  parti  pour  Maubeuge  le  17;  en  sorte 
qu'il  n'y  a,  pour  toutes  troupes,  dans  Charlemont  et  les 
deux  Givet,  qu'une  partie  du  25e  régiment  d'infanterie,  et 
un  bataillon  de  volontaires,  avec  le  dépôt  du  bataillon  de 
Foix  et  celui  des  hussards. 

Des  patrouilles  considérables  de  cavalerie  autrichienne 
se  répandent  dans  les  environs  de  Givet,  et  donnent  beau- 
coup d'inquiétude,  attendu  qu'on  ne  peut  leur  opposer  que 


NEUVIÈME   NUMÉRO  28l 

de  foibles  piquets  d'infanterie,  qui  ne  peuvent  rien  contre 
la  cavalerie,  qui  a  six  jambes. 

A  deux  lieues  sur  les  hauteurs,  derrière  Charlemont,  les 
autrichiens  ont  tracé  un  camp  de  cinq  cents  tentes,  et  ils 
doivent  y  faire  camper  incessamment  six  mille  hommes. 

Les  troupes  autrichiennes  se  réunissent  en  force,  dans 
les  environs  de  Namur  ;  quatre  mille  hommes  de  cavalerie, 
venant  de  la  Bohême,  viennent  d'y  arriver. 

Les  émigrés,  avec  quelques  autrichiens,  occupent  la  rive 
gauche  de  la  Meuse,  depuis  Namur,  jusqu'à  Mas- 
traicht  (26). 

Vous  devez  voir  dans  mon  n°  9,  que  la  route  de  Philip- 
peville  à  Givet,  étoit  interceptée,  et  que  l'on  m'avoit  rap- 
porté que  celle  de  Rocroy  à  Fumay,  devoit  l'être  aussi  ; 
ainsi  vous  allez  voir  par  la  formation  de  ce  camp  des  im- 
périaux, que  Charlemont  et  Givet  vont  être  bloqués. 

A  une  demi-lieue  du  camp  du  Mont-d'Or,  on  a  fait  des 
amas  de  fourrage,  qui  sont  à  portée  de  l'ennemi  qui  peut 
facilement  y  mettre  le  feu  :  et  je  ne  sais  pourquoi  les  gar- 
des-magasins ne  les  font  pas  transporter  dans  les  maga- 
sins du  grand  Givet,  afin  de  les  mettre  en  sûreté  ;  mais  tous 
ces  gens-là,  que  je  me  suis  tué  de  dénoncer  dans  mes  rap- 
ports, sont  vendus,  et  nous  vendent  actuellement;  Dieu 
sait,  s'ils  nous  livreront! 

Je  vous  prie  encore  de  voir  ces  derniers  numéros  ;  car  il 
est  instant  de  déplacer  le  maire  de  Givet,  le  directeur  de 
la  poste  aux  lettres,  celui  des  messageries  et  les  gardes- 
magasins  de  Givet,  qui  sont  des  scélérats  du  premier  or- 
dre, et  qui  tiennent  tous  les  jours  un  club  monarchique, 
dont  le  sieur  Toupet,  maire,  est  président. 

Nouvelles  de  Sedan 

Le  16  juin,  présent  mois,  un  capitaine  d'artillerie  du 
régiment  de  Lafere  (sic),  reçut  un  ordre  positif  de  partir 
avec  sa  compagnnie,  armes  et  bagages,  pour  rejoindre 
l'armée  à  Maubeuge;  cet  ordre  étoit  signé  de  M.  Lafayette, 
et  portoit  que  ladite  compagnie,  marchand  (sic)  par  éta- 
pe, devoit  être  rendue  à  Maubeuge,  le  16;  cependant  la 

(26)  Pour  Maëstricht. 


282  LE    DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

lettre  n'arriva  que  le  16;  cette  négligence  ne  peut  venir  que 
des  directeurs  des  postes  aux  lettres,  qui  pourroient  sou- 
vent être  la  cause  d'un  retard  pour  une  attaque  ;  de  la  perte 
d'une  armée  qui  ne  seroit  pas  pourvue  d'un  assez  grand 
nombre  de  canonniers  ;  et  par  conséquent,  exposer  la  patrie 
à  de  très-grands  dangers. 

Les  camps  de  Sedan  sont  divisés  en  différentes  parties 
triangulaires,  et  ils  ne  sont  point  garantis  par  l'artillerie. 

La  porte  de  secours  de  la  forteresse  de  Sedan,  paroît 
être  disposée  à  favoriser  l'entrée  à  l'ennemi. 

Bouillon 

Il  n'y  a  à  Bouillon  que  cinq  canonniers,  c'est  par-là  que 
passent  les  émigrans  pour  rejoindre  l'armée  noire.  Le  15 
de  ce  mois,  un  capitaine  de  chasseurs  est  parti  en  passant 
par  Bouillon,  et  il  a  emporté  avec  lui  une  somme  d'argent 
d'environ  vingt  mille  écus. 

C'est  encore  par  ce  même  passage  que  les  commission- 
naires transportent  le  numéraire  en  Allemagne,  par  le 
moyen  des  rouliers  allemands  qui  logent  à  Sedan,  chez  la 
d.me  V.e  Dreissard,  aubergiste,  et  chez  un  nommé  Alexan- 
dre, commissionnaire. 

Rapport  d'un  de  mes  surveillans 
envoyés  dans  le  pays  de  Luxembourg  (27) 

Soixante-cinq  mille  prussiens,  descendent  sur  trois 
colonnes,  l'une  se  rend  sur  le  Rhin,  l'autre  dirige  sa  mar- 
che sur  les  Pays-Bas,  et  la  troisième  colonne  forte  de 
trente  mille  hommes,  est  à  la  hauteur  de  Trêves  ;  leur  camp 
doit  être  placé  à  deux  lieues  de  Trêves.  Quant  aux  émigrés, 
ils  ne  sont  pas  encore  tous  formés  en  corps  d'armée,  la 
plupart  n'ont  encore  que  des  sabres  et  des  pistolets  ;  ils  ont 
des  chevaux  pour  former  une  très-nombreuse  cavalerie; 
Trêves  et  Coblentz  sont  les  lieux  habituels  de  leur 
demeure. 

(27)  Il  est  intéressant  de  comparer  l'étude  de  Chuqukt  sur  la  Première 
invasion  prussienne  (ch.  II,  §§.  III  et  IV,  pp.  39  à  49)  avec  les  détails  très 
précis  fournis  par  l'agent  Rutteau  sur  les  premières  opérations  militaires  et 
la  position  des  armées  avant  le  10  août.  Ce  dernier  donne  des  renseignements 
qu'on  ne  trouve  pas  dans  les  textes  cités  par  Chuquet. 


NEUVIÈME  NUMÉRO  283 

Il  n'y  a  dans  ce  moment,  à  Luxembourg  que  3.500  hom- 
mes :  des  détachements  de  quatre,  six  et  huit  hommes  sont 
répartis  dans  différens  villages. 

Il  n'y  a  plus  personne  à  l'abbaye  d'Orval,  les  moines  ont 
fait  empoisonner  une  partie  de  la  bierre  et  du  vin  qu'ils  ont 
laissé,  dans  l'espérance  que  les  français  iroient  s'en  empa- 
rer et  qu'ils  s'empoisonneroient  ;  ainsi,  d'un  côté  vous 
perdrez  du  monde  par  le  poison,  et  de  l'autre,  on  vous  a 
trop  amusé  pour  s'emparer  des  Pays-Bas.  On  est  d'accord, 
et  on  a  donné  le  tems  à  François  (28)  de  faire  venir  beau- 
coup de  troupes;  on  sait  aussi  que  toutes  nos  frontières 
sont  dégarnies,  et  [on]  se  dispose  à  vous  sabouler  d'impor- 
tance. 

Quant  à  vos  déserteurs  français,  on  les  envoie  aux  con- 
fins de  l'Allemagne,  où  on  les  fait  servir  par  force  ;  ils  sont 
très-malheureux.  Le  régiment  de  Royal-Allemand,  a  été 
excepté  de  cette  règle;  M.  de  Broglie  les  a  reçu  (sic)  (29). 
Les  citoyens  de  Trêves  n'ont  pas  voulu  que  ce  corps  entre 
dans  la  ville,  et  on  les  a  fait  passer  sur  un  pont  qui  est  à 
deux  lieues  sur  le  côté  ;  ils  sont  toujours  en  corps,  ils  vou- 
droient  bien  à  présent  être  en  France. 

Les  bourgeois  de  Luxembourg  sont  forcés  d'observer  un 
silence  scrupuleux  sur  leur  façon  de  penser,  vu  la  sévérité 
du  gouverneur;  mais  les  trois  quarts  sont  patriotes. 

Le  10  de  ce  mois,  M.  de  Bouille  (30)  a  séjourné  trois 
jours  à  Wirton,  chez  le  sieur  Allard  aubergiste. 

D'après  ces  renseignements,  Monsieur,  vous  voyez  qu'il 
est  très-instant  de  vous  montrer  digne  du  caractère  dont 
vous  êtes  revêtu  ;  la  patrie  est  dans  le  plus  grand  danger, 
nos  armées  sont  foibles,  nos  frontières  dégarnies,  pas  trop 
bien  approvisionnées,  et  je  crois  qu'il  est  tems  de  faire  un 
appel  au  peuple  français.  Voyez,  je  le  répète  encore,  tous 
mes  numéros,  il  n'y  a  que  des  vérités;  sauvez  la  patrie  et 
vous  serez  immortalisé. 

Je  renvoie  encore  quatre  hommes  parcourir  l'Allemagne; 
j'ai  été  obligé  d'acheter  l'argent  à  160  pour  100.  Ces  gens- 
là  sont  bien  exposés,  un  d'eux  a  reçu  cent  coups  de  bâton 

(28)  François  II,  empereur  d'Autriche,  successeur  de  Léopold  II. 

(29)  Le  général  Victor  de  Broglie,  commandant  alors  à  Strasbourg  (voir 
ci-dessus,  p.  46  et  87). 

(30)  Le  marquis  de  Bouille  avait  émigré,  après  la  fuite  du  roi  en  juin  1791. 
et  rejoint  l'armée  de  Condé. 


284  LE   DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

sur  le  derrière  ;  un  autre  a  été  pendu  à  Luxembourg,  ainsi 
je  ne  peux  pas  trop  bien  les  payer,  mais  je  suis  bien  servi  ; 
je  serai  exact  et  très-exact  à  vous  envoyer  mes  numéros  et 
je  soumets  le  tout  à  votre  sagacité. 

J'ai  l'honneur  d'être,  etc.  Rutteau. 

P.  S.  —  Le  bruit  court  que  M.  Luckner  a  reçu  une  let- 
tre du  roi,  qui  lui  défend  de  pousser  plus  loin  ses  conquê- 
tes; on  ajoute  même,  que  s'il  s'avise  de  rien  entreprendre, 
il  est  défendu  aux  autres  armées  de  donner  aucun  secours. 

On  fait  également  courir  le  bruit  que  si  M.  de  Lafayette 
a  écrit  à  l'assemblée  nationale  contre  les  clubs,  c'est  parce 
que  les  jacobins  de  Paris  ont  écrit  une  lettre  circulaire  à 
tous  les  sous-officiers  de  ne  point  obéir  au  général.  Dieu 
quelle  imposture!  car  j'ai  fait  l'impossible  pour  m'en  pro- 
curer une  copie;  j'ai  même  parlé  à  plusieurs  sous-officiers 
qui  m'ont  assuré  que  Lafayette  étoit  très-faux,  et  qu'ils  ne 
savoient  que  penser  de  la  lettre  de  M.  Lafayette.  Au  reste, 
ont-ils  ajouté,  nous  nous  battrons  bien  contre  les  autri- 
chiens et  les  émigrés,  mais  jamais  contre  les  jacobins  ni 
autres  clubs. 

Le  26  de  ce  mois,  l'armée  de  M.  Lafayette  prit  76  chas- 
seurs tyroliens  et  hulands,  sans  en  compter  35  qui  ont  été 
blessés  et  20  de  tués  ;  je  les  ai  moi-même  vus. 

De  l'avant-garde  du  camp  de  Maubeuge 
armée  du  général  Lafayette.  du  24  juin 

Les  houlans  et  chasseurs  tirolyens  sont  venus  attaquer 
notre  avant-garde,  dont  notre  bataillon  fait  actuellement 
partie.  Ils  étoient  six  cents,  retranchés  dans  la  forêt  de 
Malphlaquis  (31),  et  faisoient  feu  sur  nos  postes  avancées; 
Ton  vint  demander  main-forte;  nous  y  fûmes,  notre  com- 
pagnie de  grenadiers,  celle  du  régiment  d'Armagnac,  les 
hussards,  les  chasseurs  de  Flandre,  tant  à  pied  qu'à  cheval, 
et  deux  pièces  de  canons.  Lorsque  nous  fûmes  arrivés,  ils 
firent  plusieurs  décharges  sur  nos  chasseurs;  ils  étoient 

(31)  Mis  pour:  Malplaquet,  hameau  de  la  commune  de  Taisnières-sur-Hon, 
près  d'Avesnes,  célèbre  par  la  défaite  de  1709  des  troupes  françaises,  par  le 
prince  Eugène  et  le  duc  de  Malbrough. 


NEUVIÈME   NUMÉRO  285 

dans  les  bois  derrière  les  hayes;  ils  nous  ajustoient,  sans 
que  nous  puissions  les  voir  ;  l'on  nous  fit  avancer  nos  deux 
compagnies  vers  le  bois,  avec  les  pièces  de  canons;  nous 
finies  trois  décharges  sur  eux,  il  y  eut  six  coups  de  canons 
de  tirés,  nous  en  tuâmes  beaucoup  ;  ils  battirent  la  retraite  ; 
nous  nous  sommes  repliés  vers  le  camp,  afin  de  les  attirer 
dans  la  plaine,  pour  livrer  un  combat;  mais  ils  ne  s'avisè- 
rent point  de  sortir  du  bois.  Le  feu  des  tirailleurs  et  des 
vedettes  dura  trois  heures,  au  bout  duquel  tems,  on  n'en- 
tendit aucun  coup  de  fusil,  Nous  avons  perdu,  dans  cette 
petite  affaire,  deux  hussards  de  Chaboran  (32),  deux  chas- 
seurs à  pied,  un  autre  de  blessé  à  la  cuisse,  d'une  balle  ;  un 
chasseur  à  cheval  eut  le  poignet  abattu  d'un  coup  de  sabre, 
et  son  cheval  fut  tué  sous  lui  ;  mais  de  leur  côté,  le  nombre 
de  morts  est  plus  grand  ;  car  les  six  coups  de  canons  en  ont 
renversé  beaucoup.  Nous  restâmes  dans  la  plaine,  jusqu'à 
une  heure  du  matin,  puis  nous  partîmes  avec  toute  l'armée 
qui  étoit  campée  près  la  ville  de  Bavet  (33).  Nous  prîmes 
beaucoup  de  détours,  pour  tromper  l'ennemi;  nous  mar- 
châmes vers  Mons,  sur  trois  colonnes,  afin  de  rencontrer 
l'ennemi,  et  de  livrer  bataille  ;  nous  ne  vîmes  personne  ; 
après  beaucoup  de  fatigue,  et  la  faim  nous  pressant,  nous 
nous  rendîmes  à  Maubeuge,  où  nous  avions  déjà  campé.  Il 
étoit  sept  heures  du  soir,  lorsque  nous  arrivâmes,  ayant 
marché  toute  la  nuit  et  le  jour,  nous  étions  arrassés  (sic). 

Il  est  venu  ici  un  héraut,  les  yeux  bandés,  on  l'a  conduit 
au  quartier  général:  on  ignore  le  sujet;  nos  vedettes,  nos 
patrouilles,  nos  postes  avancés  se  fusillent  toutes  les  nuits, 
avec  les  houlans.  Les  houlans  continuent  toujours  leur  bri- 
gandage; ils  pillent  et  volent  les  paysans;  ils  violent  les 
femmes,  et  font  des  atrocités.  Les  paysans  de  tous  ces  en- 
virons ont  enterré  ce  qu'il  leur  restoit,  et  ont  abandonné 
leurs  villages. 

Je  vous  dirai  aussi,  que  les  assignats  et  papiers  quelcon^ 
ques  perdent  leur  valeur  dans  ces  pays;  en  espèces,  pour 
un  assignat  de  5  liv.,  4  sols.  L'on  manque  de  tout;  tout  a 
été  pillé,  et  le  peu  que  l'on  peut  avoir,  est  hors  de  prix. 

(32)  Mis  pour  «  Chamborant  »,  régiment  de  hussards  créé  en  1734. 

(33)  Mis  pour  Bavay,  aujourd'hui  chef-lieu  de  canton  de  l'arrondissement 
d'Avesnes. 


LE   DÉFENSEUR  DE   LA   CONSTITUTION 

N°  10 


Articles  contenus  dans  ce  numéro 
48  pages  (471  à  518) 


Pages 
du  document 


I.  —  Pétition  des  fédérés  à  l'Assemblée  nationale. .     471  à  479 
IL  —  Sur  la  fédération  de   1792    480  à  491 

III.  —  Décret  sur  la  rébellion  de  La  Fayette   492  à  502 

IV.  —  Les  citoyens  réunis  à  Paris,  au  mois  de  juillet 

1792,    aux    Français    des    quatre-vingt-trois 
départements:  Paris,  ce  20  juillet  1792,  l'an 

4e  de  la  liberté    503  à  507 

V.  —  Lettre  XIII  de  M.  Ruteau  à  M.  Scipion  Cham- 
bonas,  ministre  des  affaires  étrangères,  par  le 
patriote  Ruteau:   Paris,  le   18  juillet   1792, 

l'an  4e  de  la  liberté   508  à  515 

VI.  —  Assemblée  nationale:  séance  du  15  juillet  1792..     516  à  518 


I 
Pétition  des  Fédérés  à  l'assemblée  nationale 

Représentans, 

La  nation  est  trahie.  Cette  vérité  est  maintenant  aussi 
connue  de  tous  les  français,  qu'elle  étoit  facile  à  prévoir, 
dès  le  moment  où  l'on  confia  à  nos  oppresseurs  le  soin  de 
nous  défendre  contre  les  ennemis  qu'ils  avoient  eux-mê- 
mes appelés  à  leur  secours. 

(1)  A  partir  du  14  juillet  1792,  Robespierre  s'occupe  spécialement  des 
fédérés.  Il  semble  fonder  sur  eux  ses  espérances  de  salut  pour  la  chose 
publique. 

Deux  jours  après  la  fête  de  la  Fédération,  le  16  juillet,  il  prend  la  parole 
aux  Jacobins  pour  montrer  que  le  séjour  des  fédérés  dans  la  capitale  était 
nécessaire  au  salut  de  l'Etat  et  de  la  liberté,  jusqu'à  ce  que  la  Patrie  ait 
cessé  d'être  en  danger.  Il  avait  été  dénoncé  par  le  ministre  de  la  justice  à 
l'accusateur  public,  et  menacé  de  poursuites,  pour  son  «  adresse  aux  fédérés  >, 
parue  dans  le  n°  9  de  son  journal  (voir  ci-dessus,  page  255).  Les  Jacobins 
apprennent  cette  nouvelle  à  la  séance  du  16  juillet,  alors  que  Robespierre  est 
à  la  tribune;  pour  protester  contre  cette  dénonciation  ministérielle,  le  club 


288  LE   DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

Que  les  tyrans,  ligués  contre  nous,  osent  nous  menacer, 
au  nom  du  roi  des  français,  d'une  servitude  prochaine;  que 
des  officiers  plus  que  suspects,  soient  à  la  tête  de  nos 
armées,  et  commandent  dans  nos  places  fortes  ;  que  le  sang 
des  plus  braves  défenseurs  de  la  patrie  soit  versé  inutile- 
ment pour  elle  (2)  mais  non  pas  inutilement  pour  la  cause 
du  despotisme  ;  que  nos  conquêtes  soient  abandonnées,  nos 
alliés  indignement  trahis  et  outragés  par  nos  propres  géné- 
raux; que  ceux-ci  divisent  et  s'efforcent  de  corrompre  (3) 
leurs  armées,  au  lieu  de  les  conduire  à  la  victoire;  qu'ils 
désertent  leurs  camps,  en  présence  de  l'ennemi,  pour  venir 
conspirer  à  la  cour  et  dans  la  capitale,  pour  venir  jusques 
dans  ce  sanctuaire  de  la  législation,  menacer,  avilir  nos 
propres  représentans  (4);  que  nos  ennemis  du  dedans  et 
ceux  du  dehors  ne  dissimulent  plus  leur  ligue  impie  (5); 
qu'au  moment  où  ceux-ci  semblent  (6)  près  d'être  introduits 
dans  nos  places,  les  autres  déclarent  ouvertement  la  guerre 
au  peuple  français,  qu'ils  osent  insulter  par  les  dénomina- 

le  désigne  séance  tenante  pour  son  vice-président  et  le  charge  de  rédiger  la 
jétition  ci-dessus  des  fédérés. 

Il  est  facile  de  reconnaître  son  style;  il  y  est  demandé,  on  le  voit,  la  mise 
en  accusation  de  La  Fayette,  le  licenciement  de  l'état-major  de  l'armée,  la 
destitution  des  directoires  de  départements  coalisés  avec  ce  général.  La 
pétition  est  présentée,  le  17  juillet,  à  la  barre  de  l'Assemblée  nationale,  par 
un  orateur  d'une  députation  des  fédérés. 

Elle  est  publiée,  avec  quelques  variantes,  dans  le  Moniteur  du  19  juillet 
(réimp.,  t.  XIII,  pp.  170  à  176).  Il  fait  dire  notamment  aux  fédérés  :  «  Pères 
de  la  patrie,  suspendez  provisoirement  le  pouvoir  exécutif  dans  la  personne 
du  roi  ».  Or,  cette  phrase  ne  se  trouve  pas  dans  la  version  du  Défenseur  de 
la  Constitution.  Si  elle  a  été  réellement  prononcée,  elle  n'est  donc  pas  de 
Robespierre  dont  le  texte  original  est  ci-dessus. 

"  Cette  pétition,  applaudie  par  les  uns,  improuvée  par  les  autres,  n'qmène 
aucun  résultat  parlementaire;  après  quelques  débats  insignifiants,  l'Assem- 
blée passe  à  l'ordre  du  jour.  On  verra  plus  loin  le  décret  qu'elle  rend  sur  la 
demande  de  mise  en  accusation  du  général  formulée  par  quelques  membres. 

Bûchez  et  Roux  reproduisent'  cette  pétition  entièrement  (t.  XVI,  pp.  14 
19)  d'après  la  version  officielle  rédigée  par  le  Moniteur  d'inspiration  feuil- 
lante,  du  compte  rendu  de  la  séance  de  l'Assemblée  du  17  juillet,  avec  les 
variantes  ou  additions,  qu'on  retrouvera  ci-après  de  la  publication  du  texte 
ci-dessus.  —  Léonard  Gallois  ne  fait  que  citer  cette  pièce  (p.  132)  ;  E. 
Hamel  en  donne  l'analyse  comme  d'habitude  (t.  III,  p.  332). 

(2)  Variante  dans  VHistoire  parlementaire  :  «  que  le  sang  des  braves 
soldats  de  la  patrie  a  été  versé  inutilement  pour  la  cause  de  la  liberté  ». 

(3)  Variante:  que  ceux-ci  essayent  de  corrompre... 

(4)  Allusion  aux  démarches  de  La  Fayette. 

(5)  «  Que  nos  ennemis  du  dehors  ne  dissimulent  plus  leur  ligue  imp:e  >. 

(6)  Variante  :  «  sont  près  d'être  ». 


DIXIÈME   NUMÉRO  289 

tions  de  brigands  et  de  factieux;  il  faut  le  dire,  tous  ces 
attentats  qui  surpassent  (7)  les  crimes  des  plus  exécrables 
tyrans  dont  les  hommes  aient  conservé  la  mémoire,  nous 
ne  devons  les  imputer  qu'à  nous-mêmes  ;  à  nous  qui  avons 
stupidement  laissé  notre  destinée  entre  les  mains  de  nos 
anciens  tyrans  ;  à  nous  qui  avons  lâchement  souffert  tous 
les  crimes  de  leurs  agens  et  de  leurs  complices  (8). 

C'est  à  vous,  représentai^,,  que  la  nation  a  imposé  le 
soin  de  les  punir,  et  de  pourvoir  au  salut  de  l'état.  Vous 
nous  avez  déclaré  que  la  patrie  est  en  danger  ;  c'étoit  nous 
avertir  vous-mêmes  de  tous  les  faits  que  nous  venons  de 
vous  rappeler.  Quelle  est,  en  effet,  la  cause  de  ces  dangers, 
si  ce  n'est  la  perfidie  de  la  cour,  de  ses  agens  et  de  tous  les 
fonctionnaires  publics  qu'elle  a  corrompus  (9)?  Vous 
n'avez  pas  voulu  nous  dire,  sans  doute,  que  la  patrie  n'avoit 
point  d'autres  ennemis  à  redouter,  que  ces  troupes  étrangè- 
res que  l'on  a  laissées  se  rassembler  sur  nos  frontières; 
qu'il  n'existe  aucun  concert  entre  les  despotes  de  l'Europe 
et  la  cour  de  Louis  XVI.  Car,  vous  n'avez  pas  voulu  nous 
tromper  (10),  vous  ne  l'auriez  pas  même  pu.  Nous  savons, 
nous  sentons  que,  sans  la  trahison  de  nos  ennemis  inté- 
rieurs, les  autres  ne  seroient  point  à  craindre;  ou  plutôt 
nous  savons  qu'ils  n'existeroient  pas. 

Représentans,  nous  dire  que  la  nation  est  en  danger, 
c'est  nous  dire  qu'il  faut  qu'elle  soit  sauvée,  c'est  l'appeler 
à  votre  secours  (n);  si  elle  ne  peut  l'être  par  ses  représen- 
tans, il  faut  qu'elle  le  soit  par  elle-même  (12). 

La  contenance  (sic)  qu'elle  vient  de  montrer  dans  la 
fédération  générale  de  ce  puissant  empire,  l'objet  de  ses 
acclamations  (13),  celui  du  serment  qu'elle  a  prêté,  tout  a 
prouvé  qu'elle  en  avoit  à-la-fois  la  puissance  et  la  volonté. 

(7)  L'Histoire  parlementaire  emploie  incorrectement  le  verbe  :  «  suppo- 
sent >. 

(8)  L'Histoire  parlementaire  :   a  Les  tribunes  applaudissent  s>. 

(9)  Quelques  mots  insignifiants  sont  changés  ou  supprimés  dans  cette  phrase 
par  l'Histoire  parlementaire. 

(10)  Variante:  «  Vous  n'avez  pas  voulu  nous  dire  qu'il  n'existait  point  de 
ligue  entre  les  despotes  et  les  agents  de  la  cour,  car  vous  n'avez  pas  voulu 
nous  tromper...  » 

(11)  Variante:  «  C'est  nous  appeler  à  son  secours  >. 

(12)  L'Histoire  parlementaire  constate:  «  Vifs  applaudissements  des  tri- 
bunes >. 

(13)  L'Histoire  parlementaire  emploie  un  mot  impropre:  c  réclamations  >. 


290  LE    DEFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

C'est  en  vain  que  des  généraux  perfides  et  des  despotes 
insolens  se  réunissent,  pour  la  désigner  comme  une  fac- 
tion; sous  quelque  forme  qu'elle  s'assemble  en  quelque 
temps  et  en  quelque  lieu  qu'elle  s'explique,  elle  prouvera 
toujours  à  l'univers,  qu'elle  est  factieuse  en  effet,  dans  le 
sens  des  tyrans,  c'est-à-dire,  qu'elle  est  bien  déterminée  à 
les  châtier  (14),  et  à  ne  se  laisser  désormais  enchaîner  ni 
trahir  par  personne  (15). 

Représentans,  nous  avons  laissé  dans  nos  départemens 
des  millions  de  citoyens  qui  nous  ressemblent.  Ceux  dont 
nous  avons  exprimé  le  vœu,  ne  valent  pas  moins  que 
nous  (16).  Mais,  fussions-nous  dix  contre  cent,  comme 
nous  sommes  cent  contre  dix,  la  victoire  de  la  liberté  est 
certaine  (17);  car,  un  homme  libre  vaut  mieux  que  cent 
esclaves  (18);  et  la  destinée  du  crime  est  de  trembler 
devant  la  vertu. 

Nous  ne  voulons  point  porter  atteinte  à  notre  constitu- 
tion, mais  nous  voulons  qu'elle  soit  et  qu'elle  puisse  être 
exécutée.  Nous  ne  refusons  point  d'obéir  à  un  roi,  mais 
nous  mettons  une  grande  différence  entre  un  roi  et  une 
cour  conspiratrice  et  criminelle  (19),  dont  la  constitution 
même,  dont  toutes  les  lois  divines  et  humaines  réclament 
la  punition  ou  l'expulsion  (20).  Nous  savons  que  les  peu- 
ples créent  les  rois,  pour  les  servir,  non  pour  les  opprimer, 
et  les  livrer  au  fer  de  leurs  complices  (21).  Nous  abhorrons 
le  (22)  machiavélisme  qui  ne  se  pare  (23)  d'un  respect 
hypocrite  pour  la  constitution,  que  pour  fournir  à  ses  enne- 
mis les  moyens  de  la  détruire  sans  obstacles  ;  nous  ne  som- 

(14)  «  A  les  écraser  >. 

(15)  Ajouté:  «  mêmes  applaudissements  ». 

(16)  Variante:  «  nous  ressemble:  mais  quelque  événement  qu'il  arrive,  ne 
serions-nous  que  dix  contre  cent...  > 

(17)  Variante:  «  n'en  est  pas  moins  certain  >. 

(18)  Variante:  «  un  homme  libre  vaut  cent  esclaves  >. 

(19)  Variante:  «  et  criminelle  »  ne  figure  pas  dans  le  texte  de  l'Histoire 
parlementaire. 

(20)  Variante  :  «  et  l'expulsion  »  ;  et  l'Histoire  parlementaire  ajoute  :  «  une 
vingtaine  de  membres  et  toutes  les  tribunes  applaudissent  ». 

(21)  Variante:  «  pour  en  être  bien  servis,  non  pour  être  opprimés  et  livrés 
aux  fers  des  conspirateurs  ». 

(22)  Variante:  c  toute  espèce  de  ». 

(23)  Variante:  <  ne  se  masque  ». 


DIXIÈME  NUMÉRO  2QI 

mes  plus,  depuis  long-tems  les  dupes  des  intrigans  et  des 
traîtres,  et  nous  ne  voulons  point  être  leurs  esclaves. 

Nous  voulons  triompher  ou  mourir  pour  la  liberté,  mais 
nous  ne  voulons  pas  combattre  sous  les  ordres  des  courti- 
sans et  des  complices  de  nos  tyrans  (24).  On  nous  parle  de 
faire  la  guerre  à  l'Autriche,  et  l'Autriche  est  dans  nos 
camps  ;  elle  est  dans  le  conseil  du  roi  ;  elle  est  à  la  tête  de 
nos  armées.  Ce  n'est  point  assez  que  la  nation  française 
soit  abaissée  au  point  de  faire  la  guerre  aux  rebelles  de 
Coblentz  (25);  elle  est  encore  conduite  et  trahie  par  eux. 
Ce  sont  leurs  frères,  leurs  alliés  qui  composent  l'état-major 
de  nos  armées  ;  et  (26)  quel  autre  avantage  a  sur  la  noblesse 
de  Coblentz,  la  presque  totalité  de  cette  noblesse,  soi-disant 
patriote  (27),  qui  est  restée  au  milieu  de  nos  guerriers  (28), 
si  ce  n'est  d'être  plus  lâche  et  plus  perfide  ?  Tous  les  gens 
de  cette  caste  funeste,  qui  joignoient  à  la  maladie  incurable 
de  l'orgueil  et  des  préjugés,  quelque  franchise  et  quelque 
fierté,  se  sont  rangés  en  bataille  contre  nous  ;  tout  ce  qu'il 
y  avoit  parmi  eux  de  plus  bas  et  de  plus  pervers  courti- 
sans (29),  ont  continué  de  nous  caresser  pour  nous  trahir  ; 
pour  attiser,  au  milieu  de  nous,  le  feu  de  la  guerre 
civile  (30),  pour  séduire  l'armée,  pour  opprimer  le  patrio- 
tisme, pour  livrer  aux  flammes  les  propriétés  et  les  mai- 
sons d'un  peuple  malheureux,  qui  alloit  briser  ses  fers  de 
concert  avec  nous,  et  la  patrie  elle-même  ose  armer  des 
despotes  conjurés  contr'elle  (31).  Quel  scandale!  quel  déli- 
re! d'avoir  permis  que  ces  nobles  intrigans  (32),  qui 
avoient  si  ouvertement  (33)  déshonoré  le  caractère  de 
représentans  dans  l'assemblée  constituante  (34),  se  soient 
transformés  (35),  tout-à-coup,  de  législateurs  perfides,  en 

(24)  «  applaudissements  ». 

(25)  Variante:  «  la  guerre  a  des  traîtres  >. 

(26)  Variante:  «  Ehl  ». 

(27)  Variante:  «  ci-devant  noblesse  à  Coblentz,  la  ci-devant  noblesse  soi- 
disant  patriote  ». 

(28)  Variante:  «  de  nos  guerriers?  Quel  avantage  a-t-elle  si  ce  n'est...  ». 

(29)  Variante:  «  de  pl'-.s  pervers  en  tous  genres  ». 

(30)  Le  mot  «  civile  »  est  supprimé. 

(31)  Variante:  «  la  patrie  elle-même  ose  armer  contre  elle  des  despotes  ». 

(32)  Variante:  «  on  n'a  permis  que  les  ci-devant  nobles,  intrigants  qui...  » 

(33)  Le  mot  «  ouvertement  »  est  supprimé. 

(34)  Variante  :  <  le  caractère  de  législateur  dans  l'Assemblée  constituante...  » 

(35)  Variante  :  <  convertis  ». 


292  LE   DEFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

chefs  d'armées,  plus  perfides  encore.  A  leur  tête  est  La- 
fayette,  le  plus  méprisable  comme  le  plus  criminel  de  tous 
les  ennemis  de  la  patrie,  le  plus  infâme  de  tous  les  assassins 
du  peuple  (36).  Lafayette  a  foulé  aux  pieds  toutes  nos  lois; 
il  a  déclaré  la  guerre  au  peuple  français  et  à  l'assemblée 
nationale  (37)  ;  et  il  existe  encore  !  les  lois,  la  liberté  ne  sont 
donc  plus. 

Représentans,  vous  avez  déclaré  que  la  patrie  est  en 
danger  ;  mais  ne  la  mettez-vous  pas  vous-mêmes  en  danger, 
à  chaque  instant,  où  vous  prolongez  l'impunité  des  traîtres 
qui  conspirent  contr'elle?  On  dit  que  les  français  ont  mis 
en  question  si  les  lois  les  condamnent:  hélas!  avec  quelle 
promptitude  elles  auroient  déjà  frappé  un  citoyen  (38) 
malheureux  qui  eût  commis  le  plus  léger  de  ses  innombra- 
bles délits  ! 

Représentans,  la  patrie  indignée  demande  que  vous  pro- 
nonciez entr'elle  et  cet  homme  méprisable  (39).  Les  défen- 
seurs de  la  patrie  demandent  des  chefs  sous  lesquels  ils 
puissent  exterminer  ses  ennemis  ;  mais  pour  avoir  des  chefs 
il  faut  commencer  par  destituer  les  traîtres  et  les  conspi- 
rateurs. Nous  ne  pouvons  mrcher  sous  leur  conduite,  ni 
consentir  à  notre  ruine  et  à  notre  servitude.  Nous  marche- 
rons seuls,  s'il  le  faut;  et  nous  sauverons  le  peuple  et  vous- 
mêmes  (40).  Nous  marcherons  {41),  et  tous  les  amis  de  la 

(36)  L'Histoire  parlementaire  constate  :  «  un  murmure  d'indignation  pres- 
que général  s'élève  dans  l'Assemblée  ». 

(37)  Après  les  mots:  «  a  déclaré  la  guerre  à  l'Assemblée  nationale  »,  le 
compte-rendu  inséré  dans  l'Histoire  parlementaire  constate  que  Hua  (député 
feuillant  de  Seine-et-Oise)  interrompt  l'orateur  en  ces  termes  :  «  il  n'est  pas 
possible  à  l'Assemblée  d'entendre  traiter  de  criminel  un  citoyen  qu'elle  n'a 
pas  jugé.  Qu'est-ce  qui  jugera  La  Fayette?  Est-ce  l'assemblée  ou  ces  Mes- 
sieurs ».  Des  rumeurs  s'élèvent  dans  les  tribunes  et  couvrent  la  voix  d'Hua. 
Le  président  rappelle  les  tribunes  au  respect  de  la  loi  interdisant  les  applau- 
dissements. 

L'orateur  reprend:  «  Représentants,  La  Fayette  a  foulé  au  pied  toutes  les 
lois...  >. 

(38)  Le  mot  «  citoyen  »  est  supprimé. 

(39)  Variante:  «  que  vous  prononciez  contre  cet  homme  méprisable  ». 
Bûchez  et  Roux  relèvent  ici  cette  variante  en  note;  ils  font  observer  que  le 
texte  du  Défenseur  de  la  Constitution  est  le  seul  véritable,  puisqu'il  y  a  tout 
lieu  de  croire,  disent-ils  que  Robespierre  fut  le  rédacteur  de  cet  énergique 
écrit  ».  Ils  trouvent  la  phrase  ci-dessus  plus  correcte,  plus  conforme  à  la 
réalité,  dans  le  texte  du  Défenseur. 

(40)  «  Les  applaudissements  recommencent  »,  malgré  la  défense  du  prési- 
dent, constate  le  compte  rendu. 

(41)  Ces  deux  mots:  <  Nous  marcherons  »,  sont  supprimés. 


DIXIÈME    NUMÉRO  293 

patrie  et  le  peuple  entier  se  précipiteront  avec  nous  ;  et  nous 
prouverons  à  l'univers,  que  sans  la  noblesse  et  la  cour  (42), 
les  tyrans  des  nations  seroient  déjà  vaincus.  Nous  prouve- 
rons que  l'indignation  amoncelée  par  leurs  crimes,  dans  le 
cœur  des  hommes  vertueux,  peut  renverser  en  un  moment, 
le  criminel  ouvrage  de  l'intrigue  et  de  la  perfidie  (43).  Nous 
prouverons  que  les  factieux  qui  aiment  la  patrie  et  la  cons- 
titution ;  que  les  brigands  qui  ont  des  vertus  et  de  l'huma- 
nité, savent  faire  rentrer  dans  le  néant,  tous  les  honnêtes 
gens  couverts  de  crimes  et  de  parjures  (44),  tous  les  amis 
de  l'ordre  public,  traîtres  envers  le  peuple,  enrichis  de  ses 
dépouilles  et  souillés  de  son  sang. 

Et  vous,  représentans,  entendez  la  voix  de  la  nation 
entière,  qui  vous  crie  de  pourvoir  au  salut  public.  Montrez- 
vous  dignes  du  peuple  français  et  de  vous-mêmes.  Servez- 
vous  de  son  énergie,  et  secondez-la.  Lui  seul  peut  et  veut 
vous  sauver.  Il  vous  demande  en  retour,  que  vous  vouliez 
épargner  son  sang,  en  adoptant  quelques  dispositions  sim- 
ples que  tous  vos  devoirs  vous  prescrivent  impérieuse- 
ment (45): 

(42)  Variante  :  «  que  sans  les  chefs  payés  par  la  cour  et  par  la  noblesse  ». 

(43)  Supprimer  :  «  et  de  la  perfidie  ». 

(44)  Ici  :  «  les  tribunes  applaudissent  ». 

(45)  Tout  ce  paragraphe,  à  partir  de  «  Et  vous...  »,  est  modifié.  C'est  ici 
que  l'orateur  apportant  des  changements  au  texte  de  Robespierre  le  remplace 
par  cette  phrase  qui  visait  le  roi  que  Robespierre  n'avait  pas  encore  voulu 
mettre  en  cause:  «  Pères  de  la  patrie,  suspendez  provisoirement  le  pouvoir 
exécutif  dans  la  personne  du  roi  (applaudissements  réitérés  des  tribunes; 
murmures  dans  l'assemblée)  le  salut  de  l'Etat  l'exige  et  vous  commande  cette 
mesure.  » 

Et  la  fin  est  toute  différente  du  texte  du  Défenseur  de  la  Constitution: 
€  Mettez  en  état  d'accusation  La  Fayette  ;  la  Constitution  et  le  salut  public 
vous  l'ordonnent.  Décrétez  le  licenciement  des  états-majors,  des  fonctionnaires 
militaires,  nommés  par  le  roi.  Destituez  et  punissez,  suivant  le  vœu  de  la 
Constitution,  les  directoires  de  départements  et  de  districts,  coalisés  avec  La 
Fayette  et  la  cour  contre  la  liberté  publique.  Enfin  renouvelez  les  corps 
judiciaires...  ». 

Mais  l'orateur  ne  put  poursuivre.  «  L'indignation  d'une  partie  des  membres 
de  l'assemblée,  —  constate  le  compte  rendu,  —  l'improbation  ou  l'ennui  des 
autres,  se  manifestent  par  de  violentes  rumeurs  de  toutes  parts;  on  demande 
que  les  pétitionnaires  soient  rappelés  à  l'ordre  ».  —  Goujon  (de  l'Oise"),  dit  que 
les  nétitionnaires  «  sont  égarés  par  les  factieux  oui  parlent  en  leur  nom  ». 
Mais  le  président  Aubert-Dubayet  s'empresse  de  clore  les  débats  et  de  passer 
à  l'ordre  du  jour. 


294  LE   DEFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

i°  Mettez  en  état  d'accusation  Lafayette  et  tous  ses  com- 
plices, comme  la  constitution  et  le  salut  public  vous  l'ordon- 
nent. 

2°  Décrétez  le  licenciement  de  l'état-major  de  l'armée. 

3°  Destituez  et  punissez  selon  le  vœu  de  la  constitution, 
les  directoires  coalisés  avec  Lafayette  et  la  cour  contre  la 
liberté  publique. 

Enfin,  faites  du  pouvoir  exécutif  ce  que  le  salut  de  l'état 
et  la  constitution  même  exigent,  dans  les  cas  où  la  nation 
est  trahie  par  le  pouvoir  exécutif. 

Ce  ne  sont  pas-là,  sans  doute,  toutes  les  mesures  que 
l'intérêt  public  prescrit;  mais  celles-ci  au  moins  sont  telle- 
ment indispensables,  que  les  négliger,  c'est  évidemment 
abandonner  le  soin  de  la  chose  publique. 

II 
Sur  la  Fédération  de  1792  (46) 

La  fédération  de  1790  avoit  été  provoquée  par  l'assem- 
blée nationale  constituante,  au  sein  de  la  paix,  pour  jurer 
d'avance,  de  maintenir  la  constitution  qui  n'étoit  que  com- 
mencée. 

Celle  de  1792  s'est  formée  dans  la  plus  grande  crise  de 
l'état,  pour  soutenir  la  constitution  chancelante,  et  défen- 
dre la  liberté  menacée. 

La  fédération  tle  1790  fut  l'ouvrage  d'une  politique  arti- 
ficieuse qui,  sous  le  prétexte  d'affermir  la  révolution  cher- 
choit  à  la  faire  rétrograder,  et  à  altérer  l'esprit  public  nais- 
sant. 

Elle  ne  présenta  aux  yeux  des  amis  éclairés  de  la  patrie, 
qu'une  multitude  ignorante  et  idolâtre,  partageant  ses 
hommages  entre  une  cour  parjure  et  un  vil  intrigant,  que 
la  plus  extravagante  adulation  transformoit  en  héros  (47). 
Cette  grande  cérémonie  ne  servit  qu'à  avilir  et  à  tromper  la 
nation. 

(46)  Robespierre  profite  de  ce  compte  rendu  de  la  fête  du  14  juillet  1792 
pour  encourager  les  fédérés  et  les  exhorter  à  persévérer  dans  leur  patriotique 
attitude,  dans  leur  courageuse  conduite.  Il  leur  donne  de  sages  et  utiles 
conseils  dans  l'article  ci-dessus  reproduit  par  Laponneraye  (t.  II,  pp.  29  à  37), 
cité  par  L.  Gallois  (p.  132),  analyse  par  E.  Hamel  (t  II,  pp.  328  à  330). 

(47)  Allusion  à  La  Fayette. 


DIXIÈME   NUMÉRO  295 

La  fédération  de  1792  semble  n'avoir  rassemblé  que  des 
hommes  libres,  appelés  par  les  dangers  de  la  patrie,  plutôt 
que  par  le  décret  qu'ils  avoient  devancé.  Ils  ont  foulé  aux 
pieds  les  idoles  que  leurs  devanciers  avoient  encensées.  Ils 
ont  voué  au  mépris  public  le  même  homme  que  les  premiers 
fédérés  avoient  adoré.  Leurs  hommages  et  leurs  sermens 
ne  se  sont  adressés  qu'à  la  patrie  et  à  la  liberté  ;  et  si  le  nom 
de  deux  magistrats  du  peuple  furent  mêlés  à  leurs  civiques 
acclamations,  c'étoit  au  moins  un  hommage  rendu  au 
patriotisme  persécuté  par  la  tyrannie  (48). 

La  fédération  de  1790  n'étoit  qu'une  parade  militaire, 
tristement  ordonnée  par  l'autorité  publique,  étrangère  au 
peuple,  que  l'on  cherchoit  à  distinguer  de  la  garde  natio- 
nale. 

Celle  de  1792  offroit  le  spectacle  touchant  de  l'union  de 
tous  les  citoyens  ;  les  piques  mêlées  aux  fusils,  et  les  uni- 
formes aux  habits  grossiers  des  laboureurs  et  des  artisans  ; 
les  images  de  la  liberté  portées  en  triomphe  ;  la  joie  franche 
et  naïve  du  peuple;  tout,  jusqu'au  désordre  intéressant  qui 
régnoit  dans  cette  fête  nationale,  annonçoit  que  le  génie  de 
la  liberté  l'avoit  préparée. 

Peut-être  cette  réunion  de  tant  de  citoyens  courageux, 
est-elle  le  dernier  espoir  qui  reste  à  la  patrie,  dans  les  périls 
imminens  qui  l'environnent.  Aussi,  tous  les  ennemis  du 
bien  public  ont-il  mis  tout  en  œuvre  pour  la  traverser.  Le 
ministre  de  l'intérieur  a  osé  calomnier  le  peuple  français 
dans  leurs  personnes,  par  des  proclamations  et  par  des  mis- 
sives dignes  de  la  tyrannie  qui  les  a  dictées  (49).  Des  direc- 

(48)  Le  maire  de  Paris  Petion  et  le  procureur  de  la  commune  Manuel, 
rendus  à  leurs  administrés  par  un  décret  de  la  veille,  13  juillet,  furent  les  héros 
de  la  fête. 

((49)  Le  ministre  de  l'Intérieur,  Terrier  de  Moncel  qui  remplaça  Roland, 
le  18  juin,  fut  violemment  attaqué,  le  9  juillet,  par  Brissot  à  la  tribune  de 
l'assemblée.  On  lui  reprochait  de  soutenir  les  directoires  de  départements 
rebelles  et  rétrogrades,  de  surexciter  l'opinion  par  des  proclamations  et  des 
arrêtés  pris  contre  le  peuple.  Il  démissionna  le  17  juillet  et  écrivit  au  roi  une 
lettre  pour  se  justifier.  Sa  conduite,  les  instructions  contre-révolutionnaires 
qu'il  donnait  aux  autorités  dans  ses  circulaires  furent  dénoncées  le  Ier  août 
par  un  directoire  animé  de  l'esprit  démocratique,  celui  du  département  de  la 
Marne,  qui  avait  alors  à  sa  tête  des  hommes  comme  les  futurs  conventionnels 
montagnards  Prieur  (de  la  Marne),  Ch.  Delacroix  et  Deville.  A  la  suite  de 
cette  dénonciation,  Cambon  et  Delacroix  (Eure-et-Loir),  proposèrent  la  mise 
en  accusation  de  l'ancien  ministre  qui  s'enfuit  en  Angletterre. 


2Ç6  LE   DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

toires,  émules  de  son  civisme,  ont  abusé  de  leur  autorité, 
pour  les  désarmer,  pour  les  arrêter;  des  bruits  alarmans, 
des  libelles  infâmes  étoient  répandus  sur  toute  la  route, 
pour  détourner  les  députés  fédérés  de  se  rendre  à  Paris. 
Et  dans  cette  ville  même,  la  cour  et  l'aristocratie  n'ont  rien 
oublié  pour  les  rébuter,  et  pour  les  forcer  à  fuir  prompte- 
ment  la  capitale. 

Ils  y  sont  arrivés  au  moment  de  la  plus  horrible  conspi- 
ration, prête  d'éclater  contre  la  patrie.  Ils  peuvent  la  décon- 
certer. Pour  remplir  cette  tâche,  ce  ne  sera  ni  le  courage, 
ni  l'amour  de  la  patrie  qui  leur  manquera  :  mais  il  leur  fau- 
dra encore  toute  la  sagesse  et  toute  la  circonspection  néces- 
saires, pour  choisir  les  véritables  moyens  de  sauver  la 
liberté,  et  pour  éviter  tous  les  pièges  que  les  perfides  enne- 
mis du  peuple  ne  cesseront  de  tendre  à  leur  franchise. 

Les  émissaires  et  les  complices  de  la  cour  mettront  tout 
en  œuvre,  pour  provoquer  leur  impatience,  et  pour  les  por- 
ter à  des  partis  extrêmes  et  précipités.  Qu'ils  se  conduisent 
avec  autant  de  prudence  que  d'énergie  ;  qu'ils  commencent 
par  connoître  les  ressorts  des  intrigues,  qui  causent  tous 
nos  maux,  et  les  véritables  ennemis  de  la  liberté;  qu'ils 
s'instruisent  eux-mêmes,  pour  éclairer  leurs  commettans; 
qu'ils  ménagent  l'opinion  des  foibles,  en  éveillant  le  patrio- 
tisme; qu'ils  s'arment  de  la  constitution  même,  pour  sau- 
ver la  liberté  ;  que  leurs  mesures  soient  sages,  progressives 
et  courageuses.  Ce  seroit  une  absurdité  de  croire,  que  la 
constitution  ne  donne  pas  à  l'assemblée  nationale  les 
moyens  de  la  défendre,  lorsqu'il  est  évident  que  l'assemblée 
nationale  est  loin  d'employer  toutes  les  ressources  que  la 
constitution  lui  présente;  il  seroit  souverainement  impoli- 
tique de  commencer  par  demander  plus  que  la  constitution, 
lorsqu'on  ne  peut  pas  obtenir  la  constitution  elle-même;  il 
seroit  plus  impolitique  encore,  de  vouloir  réclamer,  par  des 
moyens  en  apparence  inconstitutionnels,  ce  qu'on  a  le  droit 
d'exiger,  en  vertu  du  texte  formel  de  la  constitution.  En 
suivant  ce  principe,  on  rallie  les  esprits  timides  et  ignorans, 
on  impose  silence  à  la  calomnie,  et  on  dévoile  toute  la  tur- 
pitude des  mandataires  coupables,  qui  ne  cessent  d'invo- 
quer les  lois,  en  les  foulant  aux  pieds. 


DIXIEME   NUMERO  297 

Pourquoi  laisserois-je  croire  qu'il  faut  s'élever  à  ces 
mesures  extraordinaires  que  le  salut  public  autorise  pour 
demander  la  punition  d'une  cour  conspiratrice,  des  géné- 
raux traîtres  et  rebelles,  la  destitution  des  directoires  con- 
tre-révolutionnaires ;  l'exécution  de  toutes  les  lois  qui  doi- 
vent protéger  la  liberté  publique  et  individuelle  ;  lorsque  ce 
ne  sont  là  que  les  devoirs  les  plus  rigoureux  que  la  cons- 
titution impose  à  nos  représentans  ?  Et  s'ils  les  négligent, 
pourquoi  nous  accuseroient-ils  de  violer  les  lois,  quand 
nous  les  réclamons? 

Citoyens-fédérés,  ne  combattez  nos  ennemis  communs, 
qu'avec  le  glaive  des  lois.  Présentez  légalement  à  l'assem- 
blée législative,  le  vœu  du  peuple  de  vos  départemens  et  les 
alarmes  de  la  patrie  en  péril.  Développez,  avec  énergie, 
toutes  les  atteintes  portées  jusques  ici  à  la  constitution, 
tous  les  crimes  commis  contre  la  liberté  par  ses  ennemis 
hypocrites  et  par  ses  ennemis  déclarés.  Dénoncez  à  vos  con- 
citoyens les  trahisons  et  les  traîtres,  développez  à  leurs 
yeux  le  fatal  tissu  de  es  abominables  intrigues,  qui,  depuis 
si  long-tems  livrent  la  nation  à  ses  anciens  oppresseurs  et 
à  des  tyrans  nouveaux,  de  ces  intrigues,  dont  Paris  est  le 
centre,  et  que  l'on  soupçonne  à  peine  dans  nos  départemens. 
Constatez  d'abord,  que  ceux  à  qui  les  rênes  du  gouverne- 
ment ont  été  confiées,  ne  veulent  point  absolument  sauver 
l'état,  ni  maintenir  la  constitution,  afin  que  la  nation  éclai- 
rée sur  l'étendue  et  sur  les  véritables  causes  de  ses  dangers, 
puisse  pourvoir  elle-même  à  son  propre  salut;  et  que  la 
première  invasion  des  ennemis  extérieurs,  que  le  premier 
attentat  des  ennemis  intérieurs  soit  (sic)  le  signal  qui 
l'avertisse  de  se  lever  toute  entière. 

Braves  et  généreux  citoyens,  voilà  la  seule  marche  que 
vous  devez  suivre.  Votre  seule  présence  à  Paris  donnera 
de  grands  avantages  à  la  cause  publique.  Votre  union  avec 
les  patriotes  que  cette  ville  renferme  dans  son  sein,  décon- 
certera les  complots  sans  cesse  renaissans,  dont  elle  est  le 
foyer;  elle  rendra  impuissante  cette  armée  de  satellites  et 
d'assassins,  que  le  despotisme  et  les  cours  étrangères  y  ras- 
semblent. Elle  ranimera  l'esprit  public,  encouragera  le 
patriotisme,  abaissera  l'audace  de  l'aristocratie.  Votre 
correspondance,  avec  vos  compatriotes,  liera  les  provinces 


298  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

à  Paris,  pour  opposer  une  résistance  commune  et  simulta- 
née aux  derniers  attentats  que  nos  ennemis  se  préparent  à 
exécuter  contre  la  sûreté  et  contre  la  liberté  de  la  France. 

Ce  n'est  que  par  cette  marche  sage  et  ferme,  que  vous 
pouvez  sauver  votre  pays.  L'impatience  et  l'indignation 
peuvent  conseiller  des  mesures  plus  promptes  et  plus  vigou- 
reuses en  apparence  ;  le  salut  public  et  les  droits  du  peuple 
peuvent  les  légitimer;  mais  celles-là,  seules  sont  avouées 
par  la  saine  politique,  et  adaptées  aux  circonstances  où 
nous  sommes.  Il  ne  faut  pas  toujours  faire  tout  ce  qui  est 
légitime.  Sans  doute,  un  peuple  si  lâchement  opprimé,  si 
indignement  trahi,  peut  avoir  des  droits  bien  étendus: 
mais  ce  n'est  point  la  vengeance  qu'il  faut  chercher,  c'est 
le  salut  public. 

Ce  n'est  point  à  la  tête  de  tel  ou  tel  individu  qu'est  atta- 
chée la  destinée  de  l'empire;  c'est  à  la  nature  du  gouver- 
nement; c'est  à  la  bonté  des  institutions  politiques.  Dans 
un  vaste  état,  au  sein  des  factions,  les  malheurs  publics  ne 
disparoissent  point  avec  quelques  individus  malfaisans  ;  et 
la  tyrannie  ne  tombe  point  avec  les  tyrans.  Les  mouvemens 
partiels  et  violens  ne  sont  souvent  que  des  crises  mortelles. 
Avant  de  se  mettre  en  route,  il  faut  connoître  le  terme  où 
l'on  veut  arriver,  et  les  chemins  où  Ton  doit  marcher.  Il 
faut  un  plan  et  des  chefs  pour  exécuter  une  grande  entre- 
prise. Les  seules  agitations  qui  puissent  délivrer  un  peuple 
du  joug  qui  l'opprime,  sont  celles  qu'amènent  généralement 
et  insensiblement  la  lassitude  de  l'oppression,  le  sentiment 
du  malheur  commun  et  la  connoissance  des  causes  qui  le 
produisent. 

J'ai  toujours  vu  ces  maximes  diriger  la  conduite  des 
généreux  citoyens  qui  se  dévouent  à  la  défense  de  la  liber- 
té: mais  quelquefois  aussi,  des  émissaires  de  nos  ennemis 
se  mêlent  parmi  eux,  pour  emporter  hors  des  règles  de  la 
saine  politique,  le  patriotisme  ardent  et  inexpérimenté. 
Alors,  si  l'on  consulte  plus  ce  qui  est  juste  en  soi.  que  ce  qui 
est  utile  dans  les  circonstances  données,  en  croyant  servir 
la  chose  publique,  on  ne  sert  que  les  intérêts  d'une  faction 
et  la  cause  même  du  despotisme.  L'un  des  artifices  les  plus 
familiers  à  nos  tyrans  hypocrites,  est  de  chercher  à  exciter 
des  mouvemens  inutiles,  ou  mal  combinés,  pour  calomnier 


DIXIÈME   NUMÉRO  299 

le  civisme,  et  pour  égorger  le  peuple  ;  ils  se  servent  de  ses 
vertus  réelles,  pour  lui  donner  des  torts  apparens  ;  et  com- 
me ils  en  sont  les  juges,  ils  le  punissent  de  leur  propre  per- 
versité. Ils  s'écrient  ensuite  les  premiers,  que  le  peuple  est 
le  jouet  des  intrigans,  et  le  dégoûtant  presque  de  la  défense 
de  ses  droits. 

Telle  est  la  bizarre  et  malheureuse  situation  où  ils  nous 
ont  conduits,  à  force  de  machiavélisme  et  de  perfidie!  Ils 
sévissent  impitoyablement  contre  les  indiscrétions  des 
patriotes  outragés,  et  ferment  les  yeux  sur  les  plus  grands 
attentats  de  leurs  complices.  La  même  loi,  qui,  entre  leurs 
mains,  sert  d'égide  à  tous  leurs  crimes,  est  un  instrument 
de  proscription  contre  les  meilleurs  citoyens:  genre  d'op- 
pression d'autant  plus  redoutable,  qu'ils  conspirent  tou- 
jours dans  les  ténèbres,  et  que  le  peuple  délibère  tout  haut 
et  au  grand  jour,  sur  les  moyens  de  réclamer  contre  leur 
tyrannie.  Tandis  que  les  honnêtes  gens  combattent  pour  la 
liberté,  sans  système,  comme  sans  concert,  avec  les  seules 
armes  de  la  justice  et  de  la  conviction,  les  médians  se  réu- 
nissent, pour  l'accabler  de  tout  le  poids  des  moyens  pécu- 
niaires, de  toute  la  puissance  de  la  calomnie,  de  toutes  les 
forces  de  l'intrigue  et  de  l'autorité.  Aussi,  le  mandataire 
corrompu,  qui  trahit,  et  qui  assassine  le  peuple,  avec 
adresse  et  même  avec  impudence,  est  toujours  innocent; 
tandis  que  le  peuple  qui  se  livre  à  un  mouvement  d'indi- 
gnation, ou  qui  se  permet  seulement  une  plainte  trop  vive, 
est  traitée  comme  criminel. 

Mais  ils  font  plus;  ils  le  persécutent  souvent  pour  des 
faits  qui  lui  sont  absolument  étrangers,  et  qui  ne  sont  que 
leurs  propres  œuvres.  C'est  un  art  connu  des  tyrans, 
comme  l'a  observé  Jean- Jacques  Rousseau,  de  mêler  aux 
assemblées  des  citoyens  quelques-uns  des  leurs,  qui  profè- 
rent des  discours  insensés,  ou  commettent  des  actes  crimi- 
nels, pour  les  imputer  à  l'assemblée  entière  pour  flétrir  les 
démarches  les  plus  louables  en  elles-mêmes,  et  présenter 
toujours  le  peuple,  comme  un  ramas  de  brigands  séditieux. 

J'en  ai  vu  moi-même  de  sinistres  exemples  dans  cette 
révolution,  qui  plus  qu'aucune  autre  a  montré  la  vertu  du 
peuple  et  la  scélératesse  de  ses  oppresseurs.  Et  si  je  con- 
noissois  quelque  part  un  tribunal  assez  juste  pour  condam- 


300  LE   DÉFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

ner  un  grand  coupable,  je  lui  dénoncerois  celui  qui  fit  pen- 
dre un  boulanger,  pour  obtenir  la  loi  de  sang  qui  a  déjà 
immolé  tant  de  citoyens  vertueux;  celui  qui,  pour  justifier 
le  massacre  du  champ  de  mars,  fit  pendre  le  matin  deux 
inconnus  (50);  celui  qui,  après  avoir  cherché  en  vain,  à 
déshonorer  la  journée  du  20  juin,  par  quelques  actes  indi- 
gnes du  peuple,  n'en  calomnia  pas  moins  impudemment  le 
peuple,  comme  s'il  les  avoit  commis;  ceux  qui  au  moment 
où  j'écris,  préparent  peut-être  encore  des  scènes  sinistres, 
pour  pallier  leurs  exécrables  projets... 

Généreux  défenseurs  de  la  liberté,  vous  avez  apporté  des 
âmes  franches  et  simples  dans  le  séjour  de  l'intrigue  et  de 
la  corruption.  Les  hommes  les  plus  pervers  de  l'Europe, 
rassemblés  aujourd'hui  dans  cette  ville,  vous  entourent  et 
vous  observent.  Le  crime,  l'ambition  veille  autour  de  vous, 
pour  vous  tromper,  et  pour  perdre  en  vous,  s'il  étoit  pos- 
sible, le  plus  précieux  espoir  de  la  liberté.  Les  calomnies 
qui  vous  ont  précédé,  vous  présagent  les  nouveaux  forfaits 
qu'ils  peuvent  commettre  pour  vous  calomnier  encore. 
Veillez  sur  tous  ceux  qui  approchent  de  vous.  Des  ambi- 
tieux hypocrites  détestent  votre  présence  seule;  ils  sont 
disposés  à  punir  en  vous  l'usage  même  du  droit  qui  vous 
appartient,  de  réclamer  l'autorité  des  lois  violées,  et  les 
principes  de  la  liberté  méconnus.  Ils  voudront  détourner 
l'attention  publique  de  leurs  forfaits,  en  vous  donnant  des 
torts...  Fuyez  les  pièges  qu'ils  vous  tendront;  ne  compro- 
mettez pas  le  sort  de  la  patrie,  par  une  précipitation  témé- 
raire, ni  par  un  zèle  indiscret.  Soyez  calmes  et  réfléchis, 
autant  que  fermes  et  courageux.  Laissez-les  quelque  tems 
encore  s'enlacer  dans  leurs  propres  intrigues;  attendez  le 
moment  favorable  que  doit  amener  l'usage  des  ressources 
que  nous  avons  indiquées,  et  que  doivent  hâter  les  attentats 
prochains  des  ennemis  de  la  liberté.  Le  salut  de  la  patrie 
et  le  bonheur  de  l'humanité  sont  à  ce  prix. 

(50)  Il  fait  allusion  au  meurtre  du  boulanger  François,  accusé  d'accapare- 
ment et  pendu  à  la  lanterne  le  21  octobre  1789,  fait  qui  eut  pour  résultat  le 
vote  de  la  loi  martiale;  et  à  l'exécution  sommaire  de  deux  individus  trouvés 
cachés  sous  l'autel  de  la  patrie  le  matin  du  17  juillet  1791,  incident  qui  fut  le 
prétexte  de  l'application  de  cette  loi  martiale  par  Bailly,  maire  de  Paris  et 
La  Fayette  commandant  de  la  garde  nationale,  et  du  massacre  du  peuple 
assemblé  au  Champ  de  Mars,  ce  même  jour,  en  vue  de  la  rédaction  d'une 
pétition  tendant  à  la  déchéance  du  roi. 


DIXIEME    NUMERO  3OI 

III 

Décret  sur  la  rébellion  de  Lafayette  (51) 

Après  deux  mois  de  délai  ;  après  une  discussion  de  plu- 
sieurs séances;  après  deux  ou  trois  rapports;  après  beau- 
coup de  discours  lumineux  et  de  panégyriques  impertinens 
du  héros  de  l'Œil-de-Bœuf,  les  représentans  de  la  nation 
viennent  d'ajourner  le  jugement  de  la  cause  de  M. 
Lafayette. 

Il  étoit  bien  convaincu  de  conspiration  contre  la  liberté 
publique,  de  sédition  et  de  désertion;  mais  il  falloit  savoir 
s'il  étoit  vrai  que  M.  Luckner  avoit  dit  qu'un  certain  M. 
Puzi  lui  avoit  conseillé  de  la  part  de  M.  Lafayette,  de  mar- 
cher sur  Paris  (52).  Dix  témoins  attestoient  ces  faits;  mais 

(51)  Le  19  juillet,  l'Assemtlée  législative,  appelée  à  statuer  sur  une  demande 
de  mise  en  accusation  du  général  La  Fayette,  formée  par  quelques-uns  de  ses 
membres,  avait  après  deux  jours  de  discussions,  ajourné  la  question,  absolvant 
ainsi,  d'une  façon  évasive,  le  général.  C'était  jeter  une  sorte  de  défi  à  l'opinion 
publique,  et  cela,  au  moment  où,  des  frontières  arrivaient  coup  sur  coup,  les 
nouvelles  les  plus  inquiétantes.  Luckner,  venu  à  Paris  pour  la  fête  de  la  Fédé- 
ration, laissait  ainsi  La  Fayette  maître  de  la  direction  des  deux  armées,  ce 
qui  irritaient  les  défiances;  200.000  Autrichiens  et  Prussiens,  renforcés  de 
20.000  émigrés,  s'avançaient,  n'ayant  à  combattre,  pour  percer  nos  frontières; 
que  80.000  soldats  pleins  d'enthousiasme  et  de  courage,  certes,  mais  mal  armés 
et  commandés  par  des  officiers  dont  la  plupart  étaient  hostiles  à  la  Révolution 
et  prêts  eux-mêmes  à  déserter  pour  aller  rejoindre  le  corps  des  émigrés.  — 
Laponneraye  publie  cet  article  (t.  II,  pp.  37  à  44),  ainsi  que  l'Histoire  parle- 
mentaire (t.  XVI,  pp.  83  à  88).  —  L.  Gallois  ne  fait  que  le  citer.  —  E.  Ha- 
mel,  à  l'aide  de  cet  article  expose  longuement  la  situation  terrible  dans 
laquelle  se  trouvait  la  Révolution  à  cette  époque;  il  reproduit  une  lettre  de 
Robespierre  à  Couthon,  du  20  juillet,  au  suiet  de  cette  décision  concernant  La 
Favette  (t.  II,  po.  332  à  337\  —  Correspondance  de  Maximilien  et  d'Augustin 
RohesHerre,  publiée  par  G.  Michon,  p.  14g. 

(52)  Un  des  motifs  d'ajournement  du  décret  proposé  qu'invoquèrent  les 
défenseurs  de  La  Favette  à  l'assemblée,  était  la  nécessité  de  rechercher,  avant 
de  rien  décider,  s'il  était  vrai  <  que  Luckner  avait  reçu  de  Bureaux  de  Puzy, 
de  la  part  du  général,  le  conseil  de  marcher  sur  Paris  ».  Le  vieux  maréchal 
avait  certifié  le  fait  chez  l'évêque  de  Paris,  à  plusieurs  députés,  le  17  juillet; 
six  d'entr'eux,  Brissot,  Guadet,  Gensonné.  Lamarque,  La  Source  et  Delmas 
attestèrent,  de  leur  signature,  la  teneur  des  déclarations  de  Luckner  et  leur 
véracité.  (Are1-.  Nat.,  C.  1A7.  n°  227  et  C.  3=?8-  —  Charavay.  ibid.,  p.  320 
et  pièces  Justificatives  n°  XXV.  —  Moniteur,  réimp.,  t.  XIII,  p.  154.  — 
Hamel,  t.  II,  p.  334.) 

Le  26  jui'let.  La  Favette  protesta  contre  le  fait.  Bureaux  de  Puzy,  mis  en 
cause,  et  mandé  à  la  barre  de  l'assemblée  nationale  le  ?o  îuillet.  se  iustifia  de 
cette  accusation  et  produisit  la  correspondance  de  La  Fayette  et  de  Luckner 
(Discours  de  Bureaux  de  Puzy,  dans  Histoire  parlementaire,  XVI,  pp.  88  à 


302  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

il  falloit  consulter  M.  Luckner  lui-même;  et  l'assemblée 
nationale  décrète  qu'il  sera  sursis  au  décret  que  la  nation 
sollicitoit,  jusqu'à  ce  que  M.  Luckner  se  soit  expliqué  sur 
ce  point. 

Luckner,  qui  écrit  à  l'assemblée  nationale  et  au  roi  des 
lettres  qu'il  ne  sait  pas  lire;  Luckner,  que  l'on  représente 
environné  d'intrigans,  complices  de  Lafayette,  qui  dirigent 
tous  ses  mouvemens  ;  Luckner,  dont  on  attribue  toutes  les 
erreurs  et  toutes  les  contradictions,  à  une  profonde  igno- 
rance de  la  politique  et  de  la  langue  française,  est,  en  quel- 
que sorte,  constitué  juge  de  ce  grand  procès,  et  sa  réponse 
va  décider  du  sort  de  M.  Lafayette  et  du  maintien  de  la 
constitution,  en  supposant  toutefois  que  cette  affaire  doive 
encore  être  reportés  à  la  délibération  de  l'assemblée  natio- 
nale. 

En  attendant,  Lafayette  va  rester  à  la  tête  de  l'armée, 
dont  il  a  jusques  ici  enchaîné  le  courage,  qu'il  a  affoiblie 
par  des  fatigues  extraordinaires,  par  la  perte  des  plus 
zélés  patriotes,  qu'il  a  livrés  aux  fers  de  l'ennemi.  Il  restera 
à  la  tête  de  cette  armée,  où  il  a  semé  la  division,  dont  l'état- 
major  est  composé  de  ses  créatures  ou  de  ses  complices, 
qu'il  s'efforce  d'attacher  à  sa  fortune  et  à  la  cause  des  enne- 
mis du  peuple,  par  les  moyens  de  séduction  les  plus  dange- 
reux. Il  pourra  achever,  à  loisir,  son  criminel  ouvrage,  et 
tramer  impunément,  la  ruine  de  la  patrie  et  de  la  liberté,  et 
la  proscription  de  tous  les  bons  citoyens.  L'assemblée  na- 
tionale ajourne  la  punition  des  généraux  traîtres  et  rebel- 
les: mais  les  ennemis  étrangers  qui  sont  à  nos  portes, 
ajournent-ils  leurs  attaques?  Les  ennemis  du  dedans 
ajournent-ils  leurs  conspirations  ?  Lafavette  lui-même  a- 
t-il  promis  une  trêve  à  l'asssmblée  nationale  et  au  peuple? 

Tous  les  bons  citoyens  se  sont  accordés  à  regarder  ce 
décret  évasif,  comme  plus  funeste  et  plus  indigne  de  la 

99).  Luckner  désavoua  lui-même  le  propos  qu'on  lui  imputait  et  écrivit  à  son 
collègue,  le  25  juillet,  pour  confirmer  ce  désaveu. 

Luckner  devait  expier  cruellement  ces  palidonies,  ces  hésitations  et  surtout 
ces  complaisances  coupables  envers  La  Fayette,  en  ces  circonstances. 

Jean-Xavier  Bureaux  de  Puzy  (1750- 1805)  avait  été  député  de  la  noblesse 
d'Amont  aux  Etats  généraux;  il  fut  trois  fois  président  de  l'assemblée. 
Ayant  repris  du  service  dans  l'armée  de  La  Fayette,  il  s'enfuit  avec  lui.  Il 
devint  préfet  sous  l'Empire,  à  Gênes;  mais  il  mourut  presque  aussitôt. 


DIXIÈME   NUMÉRO  303 

loyauté  du  corps  législatif,  qu'une  absolution  formelle,  que 
l'opinion  publique  n'a  point  permis  de  prononcer.  Tout 
annonce,  en  effet,  que  cette  décision  est  beaucoup  plus 
favorable  à  Lafayette,  que  l'absolution  même.  Cette  abso- 
lution eût  été  effacée  par  l'évidence  du  crime,  au  lieu  qu'en 
paroissant  réduire  la  question  au  fait  d'une  conversation 
de  Luckner,  on  substituoit  au  véritable  procès,  un  incident 
interminable,  qui  donnoit  le  change  à  l'opinion  publique,  et 
laissoit  ralentir  la  juste  indignation,  que  les  attentats  prou- 
vés du  général  avoient  excitée. 

Que  ne  puis-je  dérober  aux  yeux  de  la  postérité,  cet 
opprobe  de  mon  pays,  et  ce  scandale  de  l'humanité? 

Mais,  la  postérité  pourra-t-elle  croire  que  les  représen- 
tai de  25  millions  d'hommes,  aient  pu  immoler  à  un  mé- 
prisable intrigant,  le  salut  de  leur  patrie  et  la  liberté  du 
monde  ?  Croira-t-elle  qu'ils  aient  pu  renoncer  aux  titres  de 
législateurs  du  peuple  français,  de  bienfaiteurs  du  genre 
humain,  pour  devenir  les  complices  et  les  valets  du  valet 
d'un  roi?  On  dit  qu'il  existe  des  contrées  où  les  hommes, 
abrutis  par  l'esclavage,  s'enorgueillisent  des  insultes  de 
leurs  maîtres;  mais,  qui  pourroit  penser  que  les  dépositai- 
res de  la  puissance  d'un  grand  peuple  descendent  à  ce  degré 
de  bassesse,  d'approuver  eux-mêmes  l'insolence  d'un 
citoyen  qui  les  avilit,  et  qui  les  menace,  de  sourire  à  ses 
attentats,  et  de  mettre  la  nation  qu'ils  représentent,  aux 
pieds  du  plus  vil  des  courtisans  et  du  plus  coupable  de  tous 
les  rebelles?  Sont-ce  là  les  successeurs  de  ceux  qui  prêtè- 
rent le  serment  du  jeu  de  paume?  Sont-ce  là  les  mandatai- 
res de  ce  peuple,  qui,  en  178Q,  fit  rentrer  tous  ses  tyrans 
dans  la  poussière?  Sont-ce  là  les  dépositaires  de  la  consti- 
tution française,  et  les  gardiens  de  la  déclaration  des  droits 
de  l'homme,  qui  ont  juré  eux-mêmes  de  mourir  pour  les 
défendre?  Que  dis-je?  N'est-ce  pas  dans  cette  même  tri- 
bune, où  elle  fut  proclamée,  qu'on  a  vu  des  représentons 
du  souverain,  d'un  côté,  élever  au-dessus  re  tous  les  héros 
de  l'antiquité,  un  général  séditieux,  chargé  de  la  haine  et 
du  ménris  de  leurs  commettans  :  de  l'autre,  outrager  le  peu- 
ple qu'ils  représentent,  par  les  dénominations  de  brigands 
et  de  scélérats:  et,  dans  leur  criminel  délire,  l'appeler  une 
excressence  (sic)  vicieuse,  une  lèpre  honteuse  du  corps  poli- 


304  LE    DEFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

tique  (53)?  Et  le  sénat  français  ne  s'est  point  levé  tout 
entier,  pour  chasser  de  son  sein  ces  infâmes  conspirateurs  ; 
et  la  foudre  n'a  pas  frappé,  à  l'instant,  ces  vils  blasphéma- 
teurs ?  Hélas  !  on  ne  se  souvient  de  la  déclaration  des  droits, 
que  pour  la  faire  oublier;  de  la  révolution,  que  pour  en 
effacer  les  traces  ;  du  peuple,  que  pour  l'anéantir,  que  pour 
le  punir  d'avoir  secoué  un  moment  le  joug  du  despotisme. 
Tous  les  suppôts  de  l'ancien  régime,  tous  les  frippons  du 
nouveau,  que  l'intrigue  a  élevés  aux  emplois  publics,  tout 
ce  qu'il  y  a  en  France  d'égoïstes  et  d'hommes  lâches  ou 
corrompus,  est  ligué  contre  le  peuple,  pour  le  replonger 
dans  le  néant,  et  réduire  l'espèce  humaine  à  la  condition 
d'un  vil  troupeau,  pour  partager  la  puissance  et  la  fortune 
publique  avec  la  cour  et  les  chefs  de  parti. 

Voilà  l'objet  de  la  politique  actuelle.  Voilà  le  vœu,  l'es- 
prit de  tous  les  honnêtes  gens.  Voilà  les  -principes  de  la  plu- 
part des  fonctionnaires  publics.  Si  on  l'osoit,  on  propose- 
roit  des  récompenses  à  quiconque  apporteroit  une  tête  de 
patriote  ou  de  sans  culotte:  on  se  contente,  quant  à  présent, 
de  les  calomnier,  de  les  emprisonner  arbitrairement  ;  de  les 
livrer  en  détail  au  fer  des  autrichiens,  ou  de  les  fusiller  à 
loisir,  légalement,  lorsqu'on  les  trouve  réunis  sans  armes, 
dans  une  plaine,  à  peu  près  comme  on  tire  sur  un  troupeau 
de  bêtes  fauves.  Souvent,  on  les  attire  dans  le  piège  pour 
les  égorger.  Voulez-vous  être  un  héros,  ou  même  un  demi- 
Dieu,  faites  déploier  contre  le  peuple  l'étendart  de  la  mort  ? 
Voulez-vous  vous  échapper  à  la  proscription,  gardez-vous 
d'aimer  le  peuple  ou  d'en  être  aimé  ?  Savez-vous  quels  sont 
les  bons  citoyens?  ce  sont  les  écrivains  qui,  pour  de  l'ar- 
gent, outragent  tous  les  jours  les  défenseurs  de  la  liberté, 
et  s'efforcent  de  prouver  à  la  France  entière,  que  le  peuple 
français  n'est  composé  que  de  bandits  et  de  factieux  ;  ce 
sont  les  administrateurs  qui  servent  la  cour  en  trahissant 
la  nation  ;  ce  sont  les  juges  qui  trouvent  toujours  un  crime 
où  ils  apperçoivent  la  pauvreté  ou  le  patriotisme,  et  l'inno- 
cence où  est  la  richesse  et  l'aristocratie.  Savez-vous  quels 

(53)  Discours  de  Dumolard,  l'un  des  panégyristes  de  La  Fayette,  et  l'un 
des  orateurs  de  la  majorité.  (Note  de  Robespierre). 

Le  21  juillet,  après  un  réquisitoire  en  règle  du  girondin  La  Source,  Dumo- 
lard défendit  énergiquement  le  général.  (Moniteur,  réimp.,  t.  XIII,  p.  207). 

Jacques-Vincent  Dumolard  (1766-1810)  était  député  de  l'Isère. 


DIXIEME  NUMERO  305 

sont  les  scélérats  ?  Ce  sont  les  citoyens  qui  ont  une  âme  et 
des  principes;  qui  croient  à  la  constitution,  à  la  justice, 
aux  droits  de  l'humanité.  Voilà  pourquoi  les  honnêtes  gens 
aujourd'hui  sont  de  si  grands  fripons;  voilà  pourquoi  les 
défenseurs  de  la  propriété  sont  si  habiles  à  s'approprier  les 
deniers  publics,  et  les  amis  des  lois  si  audacieux  à  les  en- 
freindre; enfin,  les  hommes  sages  et  modérés,  si  absurdes 
et  si  barbares.  Voilà  pourquoi  aussi  on  voit  tant  de  bri- 
gands généreux,  et  tant  de  factieux  passionnés  pour  le 
bien  public. 

Montesquieu  a  dit  que  la  vertu  étoit  le  principe  du  gou- 
vernement républicain,  l'honneur  celui  de  la  monarchie,  la 
terreur  celui  du  despotisme.  Il  faudroit  aussi  imaginer  un 
principe  nouveau,  pour  le  nouvel  ordre  de  choses  que  nous 
voyons  parmi  nous.  On  seroit  tenté  de  croire,  que  ce  prin- 
cipe est  la  calomnie,  la  perfidie,  la  corruption.  Quelle  mul- 
titude de  grands  hommes  d'état  il  a  déjà  produits!  Eh!  qui 
pourroit  contester  ce  titre  à  ceux  qui,  depuis  trois  ans,  ont 
trouvé  dans  la  constitution  et  dans  la  déclaration  des 
droits,  tous  les  moyens  nécessaires  pour  ressusciter  le  des- 
potisme et  l'aristocratie,  à  ceux  qui  ont  toujours  foulé  aux 
pieds  les  lois,  sans  jamais  les  violer,  opprimé  et  trahi  le  peu- 
ple, sans  cesser  de  respecter  la  nation  ;  à  ceux  qui  ont  dila- 
pidé la  fortune  publique,  sans  cesser  d'être  purs  et  désin- 
téressés. Ah  !  comment  refuser  son  hommage  au  génie  de 
ces  grands  politiques,  qui,  en  répandant,  sur  toute  la  sur- 
face de  l'empire,  des  libelles  payés  du  trésor  du  peuple,  et  en 
violant  le  secret  de  la  poste,  pour  intercepter  les  écrits  uti- 
les, et  même  la  correspondance  des  patriotes,  ont  pu  chan- 
ger la  vérité  en  mensonge,  la  sagesse  en  folie,  la  vertu  en 
crime  ! 

Comment  ne  pas  admirer  l'habileté  de  ces  hommes,  qui, 
depuis  l'origine  de  la  révolution,  ont  si  bien  fait,  que  nul 
des  innombrables  honnêtes  gens  qui  ont  conspiré  contre  la 
patrie,  n'a  encore  été  puni  :  et  que  le  sang  de  quarante  mille 
patriotes  a  déjà  coulé,  soit  à  l'ombre  du  drapeau  rouge, 
soit  sous  le  glaive  des  tribunaux  aristocratiques,  soit  sous 
le  fer  des  autrichiens  ?  Quels  hommes  d'état,  que  ceux  qui 
ont  nresaue  ramené  l'estime  au  crime  et  à  l'opulence,  et 
accablé  l'indigence  et  la  vertu,  sous  le  poids  du  mépris  et 


306  LE    DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

de  l'oppression!  Quels  hommes  d'état,  que  ceux  qui  ont 
armé  contre  nous  les  despotes,  et  qui  nous  ont  inspiré  la 
résolution  de  leur  confier  le  soin  de  notre  défense  ;  qui  ont 
fait  proscrire  nos  soldats  fidèles,  et  couronner  nos  officiers 
parjures;  qui  sont  nos  ennemis,  nos  assassins,  et  qui  se  sont 
fait  nommer  nos  chefs;  qui  nous  ont  trahis,  et  qui  nous  ont 
fait  décréter  que  c'étoit  un  crime  de  croire  à  la  trahison; 
qui  se  sont  fait  donner  le  droit  de  faire  des  réglemens  pour 
l'armée,  et  le  pouvoir  arbitraire  de  vie  et  de  mort,  afin  que 
personne  n'osât  les  en  accuser,  ni  leur  refuser  une  obéis- 
sance passive,  contre  le  salut  public  et  contre  la  liberté  du 
peuple  ! 

Quels  régénérateurs  de  la  nation!  Quels  instituteurs  du 
genre  humain,  que  ceux  qui  posent  en  principe  qu'un  châ- 
teau, qu'une  grande  propriété  territoriale  est  beaucoup: 
mais  qu'un  homme  n'est  rien;  que  la  société  humaine  doit 
être  uniquement  composée  de  propriétaires,  à  l'exclusion 
des  hommes;  qui,  pour  établir  ce  système  veulent  livrer  la 
patrie  aux  armées  étrangères,  et  cimenter  du  sang  de  leurs 
concitoyens,  ce  monstrueux  édifice  de  l'orgueil  et  de  la 
déraison!  Voilà  la  sublime  philosophie  de  nos  sages;  voilà 
l'ardent  patriotisme  de  nos  honnêtes  gens' 

Dans  une  telle  société,  nous  avons  eu  tort  sans  doute, 
d'accuser  Lafayette.  C'est  M.  Dumolard,  c'est  M.  Ramond, 
c'est  M.  Daveyroud,  c'est  M  Dumas  qui  a  (sic)  rai- 
son (54);  M.  Lafayette  est,  en  efr*et  un  héros:  il  est  digne 
d'être  le  chef  de  la  république  des  honnêtes  gens.  Due  veut- 
il  autre  chose,  en  eflfet,  que  d'égorger,  que  d'asservir  le 
peuple,  pour  fonder  l'empire  des  grands,  des  riches  et  de 
la  cour?  Qui  pourroit  être  assez  pervers,  ou  assez  factieux, 
pour  traverser  un  si  noble  dessein?  Nobles,  clergé,  rois, 
sangsues  et  tyrans  du  peuple,  de  quelqu'espèce  que  vous 
soyiez,  prosternez-vous  au  nom  de  ce  grand  homme;  im- 

(54)  Nous  avons  déjà  noté  ci-dessus,  l'intervention  de  Dumolard  du  21  juil- 
let; —  Jean-Antoine  d'Averhoult  (1756-1792)  était  député  des  Ardennes;  dé- 
missionnaires le  26  juillet  1792,  il  se  suicida  le  26  août  suivant;  à  la  fron- 
tière, au  moment  où  il  cherchait  à  émigrer  et  où  on  allait  l'arrêter  ;  —  Louis- 
François-Elisabeth  Ramond  (17S5-T827),  député  de  Paris;  —  Mathieu  Dumas 
(17S3-1837),  député  de  Seine-et-Oise,  avait  été  le  compagnon  de  La  Favette 
et  de  Rnchambeau  en  Amérique.  Ces  quatre  députés  de  la  droite  avaient  tou- 
jours défendu  La  Fayette  et  étaient  intervenus  dans  la  discussion  pour  justifier 
sa  conduite. 


DIXIEME   NUMERO  2>°7 

plorez  ce  nouveau  messie,  qui  doit  vous  délivrer  du  joug"  de 
la  justice  et  de  l'égalité.  Ne  vous  contentez  pas  de  l'absou- 
dre; décernez-lui  des  couronnes  civiques  ou  des  temples. 
Partagez  vos  hommages  entre  lui  et  les  autrichiens,  et  ces 
despotes  secourables,  qui,  pleins  du  zèle  qui  l'anime  pour 
la  tranquillité  et  pour  le  bonheur  de  la  France,  veulent  con- 
courir avec  lui  au  rétablissement  de  l'ordre,  et  à  la  punition 
de  la  faction  jacobite.  Unissez,  dans  vos  chants  de  victoire, 
les  noms  de  François,  de  Frédéric,  de  Laf ayette  ;  préparez- 
vous  à  danser  sur  les  cendres  de  votre  patrie,  et  sur  les 
cadavres  de  vos  concitoyens...  Et  vous,  Français,  préparez- 
vous  à  leur  ravir  ce  triomphe,  et  à  faire  rentrer  dans  la 
poussière,  tous  les  tyrans  et  tous  les  traîtres. 

IV 

Les  Citoyens  réunis  à  Paris  au  mois  de  juillet  1792 
Aux  Français  des  quatre-vingt-trois  départemens  (55) 

Paris,  ce  20  juillet  1792,  l'an  4e  de  la  liberté. 

Exoriare  aliquis  nostris  ex  ossibus  ultor. 

Frères  et  Amis, 

Nous  avons  entendu  les  cris  de  la  patrie  en  péril,  et  nous 
avons  voté  à  son  secours.  Avant  d'arriver  dans  cette  capi- 
tale, nous  avions  compris  que  le  danger  n'étoit  point  aux 
frontières.  Ce  que  nous  avons  vu,  ce  que  nous  avons 
entendu  ici,  nous  a  confirmé  cette  vérité. 

Une  cour  perfide,  une  coalition  de  patriciens  insolens, 
qui,  naguères  législateurs,  se  sont  conservés,  au  mépris  de 
la  déclaration  des  droits,  les  emplois  militaires,  dont  ils 
avoient  besoin,  pour  nous  trahir,  et  pour  nous  enchaîner  ; 
des  administrations,  des  tribunaux  peuplés  par  l'intrigue, 
et  corrompus  par  l'or  de  la  liste  civile,  ou  par  l'espérance 

(55)  Cette  adresse,  rédigée  par  Robespierre,  fut  lue  par  les  rapporteurs  du 
Comité  des  fédérés  à  la  séance  de  la  Société  des  Jacobins  du  20  juillet.  Elle 
ne  se  trouve  pas  dans  le  Journal  des  débats  du  Club. 

Elle  est  publiée,  d'après  le  Défenseur  de  la  Constitution,  par  YHistoire 
parlementaire,  t.  XVI,  pp.  128  à  130.  —  Léonard  Gallois,  cite  une  phrase  de 
cette  adresse  (p.  132).  —  E.  Hamel  l'analyse  et  en  reproduit  quelques  passa- 
ges (t.  II,  p.  336). 


308  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

de  l'inamovibilité  ;  une  tourbe  impure  de  scélérats  de  toutes 
classes,  qui  ont  la  constitution  à  la  bouche,  le  despotisme  et 
l'assassinat  dans  le  cœur,  voilà  les  ennemis  de  la  patrie,  et 
c'est  à  Paris  qu'il  faut  les  combattre.  C'est  de  Paris,  que 
le  conseil  secret  du  roi  commande  les  armées  autrichiennes, 
prépare  l'invasion  de  notre  territoire,  et  les  horreurs  de  la 
guerre  étrangère  et  civile;  c'est  à  Paris,  qu'est  établi  l'ar- 
senal homicide  des  journaux,  des  libelles,  par  lesquels  on 
essaye  de  séduire  nos  braves  soldats  ;  c'est  à  Paris,  que  se 
rédigèrent  la  lettre  insensée  de  Bouille  et  celle  de 
Lafayette  (56),  plus  criminelle  encore:  c'est  à  Paris,  que 
l'on  fabrique  les  arrêtés  des  départemens,  les  mandats 
d'amener  des  juges  de  paix,  et  les  sentences  des  tribunaux 
contre  les  citoyens  vertueux. 

C'est  donc  à  Paris  que  nous  devons  vaincre  ou  mourir, 
et  nous  avons  juré  d'y  rester  ;  c'est  ici  notre  poste,  c'est  le 
lieu  de  notre  triomphe,  ou  ce  sera  notre  tombeau  (57). 

Déjà  nous  avons  présenté  à  l'assemblée  nationale  une 
pétition  énergique,  qui  renferme  le  vœu  de  tous  les  fran- 
çais et  les  moyens  de  sauver  la  patrie  ;  l'assemblée  s'est  con- 
tentée de  nous  inviter  aux  honneurs  de  la  séance,  et  a  passé 
à  l'ordre  du  jour  ;  mais  l'effet  de  notre  démarche  n'est  pas 
perdu,  la  cour  en  a  tremblé  ;  elle  offre  des  conditions,  l'en- 
nemi recule,  il  est  vaincu,  si  nous  savons  user  de  nos  avan- 
tages; si  nous  nous  disons  bien,  que  ce  n'est  plus  pour  la 
liberté  seule  que  nous  combattons,  mais  pour  la  vie. 
Lafayette  et  les  directoires  des  départemens  ont  pris  soin 
de  nous  en  instruire;  et  c'est  cette  pensée  qui  perdra  la 
cour  ;  nous  avons  vaincu,  si  nos  frères  de  tous  les  départe- 
mens se  lèvent  tous  ensemble,  s'ils  lurent,  comme  nous, 
d'anéantir  jusqu'au  dernier  vestige  de  l'aristocratie,  et  de 

(56)  Celle  de  La  Fayette  du  16  juin  dont  il  a  déjà  été  question;  celle  de 
Bouille,  écrite  le  30  juin  1791,  après  l'arrestation  du  roi  à  Varennes,  et  avant 
d'émi.?rer:  il  revendiquait  l'honneur  d'avoir  conseillé  cette  fuite  de  la 
famillle  royale;  il  menaçait  la  France  d'une  invasion  étrangère  et  Paris  d'une 
destruction  complète,  si  on  touchait  à  un  cheveu  du  roi  et  de  la  reine.  (Moni- 
teur, réimp.,  t.  IX,  p.  7.  —  E.  Charavay,  ibid.,  p.  272). 

(57>  Cette  phrase  est  mal  reproduite  par  Léonard  Gallois  qui  fait  dire  à 
Robespierre  : 

«  C'est  à  Paris  qu'il  faut  combattre  les  ennemis  de  la  Patrie;  c'est  à  Paris 
que  nous  devons  vaincre  ou  mourir,  et  nous  avons  juré  d'y  rester.  C'est  ici 
notre  poste,  car  nous  sommes  en  face  de  l'ennemi;  c'est  le  lieu  de  notre 
triomphe  où  ce  sera  notre  tombeau. 

«  Vous  ne  nous  verrez  plus,  ou  vous  nous  verrez  libre  ». 


DIXIÈME   NUMÉRO  30Q 

ne  plus  souffrir,  à  la  tête  des  armées,  de  la  législation  et 
du  gouvernement,  ceux  contre  lesquels  nous  avons  fait  la 
révolution.  Nous  connoissons  tous  les  pièges  qu'on  ne  ces- 
sera de  nous  tendre,  et  nous  saurons  les  éviter.  Simples 
comme  la  nature,  purs  comme  l'air  que  l'on  respire  dans 
nos  campagnes,  ce  n'est  pas  sur  nous  que  le  souffle  empoi- 
sonné des  ambitieux  portera  la  contagion.  Les  artifices  de 
la  cour  et  de  ses  suppôts  n'ont  jamais  fait  des  dupes,  que 
parmi  les  courtisans. 

Nous  avons  deviné  toutes  les  cabales  et  nous  les  haïssons 
toutes.  Ceux  qui  ne  combattent  que  pour  faire  remplacer 
des  patriciens  par  d'autres  patriciens,  des  intrigans  par 
d'autres  intrigans,  des  abus  par  d'autres  abus,  et  qui  voient 
le  salut  de  l'état  dans  un  changement  de  ministres,  ne  nous 
en  imposeront  pas  plus,  que  le  dictateur  qui  veut  nous  égor- 
ger au  nom  de  la  constitution,  qu'il  viole  avec  impudence. 
Pour  nous,  nous  ne  sommes  d'aucun  parti  (58),  nous  ne 
servons  aucune  faction  ;  vous  le  savez,  frères  et  amis,  notre 
volonté,  c'est  la  volonté  générale.  Notre  ambition  est  d'être 
libres,  notre  cri  de  ralliement  est  la  déclaration  des  droits, 
nos  chefs  de  parti  sont  nos  bons  législateurs,  notre  centre 
de  réunion  est  l'assemblée  générale  des  représentans  de  la 
nation. 

Nos  frères  de  la  capitale  ont  partagé  leur  maison  et  leur 
pain  avec  nous,  ils  partagent  nos  sentimens,  ils  partage- 
ront nos  dangers  et  notre  gloire.  Si  nous  avons  vu  dans 
Paris  nos  ennemis  les  plus  cruels,  nous  y  retrouvons  aussi 
les  consolations  et  les  secours  de  la  plus  ardente  amitié. 

Voilà,  frères  et  amis,  notre  position  ;  voilà  notre  profes- 
sion de  foi;  voilà  la  résolution  courageuse  à  laquelle  nous 
nous  sommes  invariablement  arrêtés. 

Nous  recommandons  à  vos  soins  nos  femmes  et  nos 
enf  ans  ;  nous  leur  léguons  l'amitié  de  nos  concitoyens  et  le 
souvenir  de  ce  que  nous  avons  fait  pour  la  patrie.  Vous  ne 
nous  reverrez  plus,  ou  vous  nous  verrez  libres.  Si  nous  suc- 
combons sous  l'intrigue  ou  sous  la  violence,  vous  saurez 
que  nous  sommes  morts  pour  la  liberté;  vous  volerez  à  la 
vengeance,  et  la  liberté  renaîtra  de  nos  cendres. 

Suivent  les  signatures. 

(58)  Hamel  cite  la  phrase  ci-dessus  qui  indique  bien,  dit-il,  que  cette  adresse 
est  de  la  main  de  Robespierre.  (Jbid.,  t.  II,  p.  336). 


310  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

V 

Lettre  XIII.  De  M.  Ruteau  à  M.  Scipion  Chambonas 
ministre  des  affaires  étrangères,  par  le  patriote  Ruteau  (59) 

Paris,  le  18  juillet  1792,  Fan  4e  de  la  liberté. 

Troisième  bataillon  de  Seine-et-Oise 

Les  volontaires  du  troisième  bataillon  de  Seine-et-Oise, 
en  garnison  à  Landrecy,  se  plaignent  : 

1  °  De  ce  qu'on  ne  leur  a  pas  encore  donné  le  sou  de  pain 
qui  leur  revient  chaque  jour,  depuis  le  Ier  février  dernier; 

20  De  ce  qu'on  ne  leur  donne  pas  également  le  sou  de 
bois  qui  leur  revient  par  jour,  depuis  le  4  mars  ; 

30  De  ce  qu'on  ne  leur  remet  pas  une  somme  de  15  livres, 
qui  leur  a  été  accordée,  ainsi  qu'aux  bataillons  de  Lille  (sic) 
et  Vilaine,  en  dédommagement  de  la  perte  qu'ils  ont 
essuyée  sur  les  assignats  ; 

4°  De  ce  qu'on  ne  leur  a  pas  encore  donné  ni  guêtres, 
ni  équipemens  ; 

5°  De  ce  qu'ils  sont  seuls  dans  la  garnison  de  Landrecy 
et  qu'ils  y  sont  extrêmement  fatigués  de  service,  ce  qui  leur 
occasionne  beaucoup  de  malades  ; 

6°  Enfin,  de  ce  qu'on  travaille,  avec  une  lenteur  incroya- 
ble, aux  réparations  urgentes,  qu'exige  la  défense  de  cette 
place. 

Volmerange 

Ce  village,  situé  près  de  Thyonville  (sic),  est  composé 
d'environ  soixante  feux.  L'ancien  curé  réfractaire  redou- 
ble ses  sermons  inconstitutionnels;  il  tient  chez  lui  des 

(59)  Voir  ci-dessus  le  n°  9  (p.  275),  les  renseignements  sur  cet  agent  du 
pouvoir  et  de  l'assemblée,  Rutteau  (et  non  Ruteau).  Sa  mission  terminée,  il 
rentre  à  Paris  et  remet  ce  rapport  «  le  treizième  »,  que  le  Comité  de  surveil- 
lance de  l'assemblée,  en  l'espèce  le  député  Laurent  Lecointre,  fait  parvenir 
à  Robespierre  pour  être  publié  dans  le  journal. 

Les  renseignements  fournis  par  Rutteau  sur  les  opérations  de  la  Belgique 
au  début  de  la  campagne  de  1792,  sont  assez  précis  et  peu  connus.  Cette 
partie  est  peu  développée  par  Chuquet.  (La  première  invasion  prussienne) 
qui  ne  donne  non  plus  aucun  détail  sur  les  forces  autrichiennes  dans  cette 
région. 


DIXIÈME   NUMÉRO  3II 

assemblées,  dans  lesquelles  il  pervertit  les  habitans.  Il  a 
déjà  fait  des  progrès  rapides  ;  il  a  perverti  cinq  à  six  vil- 
lages, auxquels  il  assure  que  dans  peu  de  temps,  il  sera  leur 
pasteur;  que  ses  amis,  les  autrichiens,  les  prussiens  et  les 
émigrés  vont  entrer  en  France,  et  qu'on  sera  bientôt  débar- 
rassé des  patriotes. 

Ce  curé  se  nomme  Dumond;  il  a  avec  lui  un  de  ses 
neveux;  tous  deux  vont  quelquefois  passer  huit  jours  de 
suite  en  Allemagne  ;  ils  y  portent  du  numéraire  et  de  la  cor- 
respondance des  émigrés;  et  à  leur  tour,  ils  donnent  aux 
habitans  crédules  de  la  campagne,  de  folles  espérances  sur 
la  contre-révolution  prochaine. 


Ici,  Monsieur,  j'arrête  toutes  les  observations  que  je 
vous  ai  fait  passer,  depuis  que  je  suis  parti  de  Paris,  char- 
gé par  le  comité  de  surveillance  de  l'assemblée  nationale, 
et  par  M.  Dumouriez,  votre  prédécesseur,  d'une  mission 
qui  intéresse  la  sûreté  de  l'empire  français  ;  certainement, 
elle  l'intéressoit,  et  toute  pénible  qu'elle  ait  été,  j'ose  me 
flatter  de  l'avoir  rempli  (sic)  avec  zèle  et  intégrité;  j'ai  em- 
ployé tous  les  moyens  qui  étoient  en  mon  pouvoir,  pour 
vous  faire  connoître  la  disposition  des  esprits  du  dedans, 
la  disposition  des  esprits  du  dehors,  les  démarches  des  au- 
trichiens, des  prussiens,  et  les  préparatifs  hostiles  des 
français  rebelles  émigrés;  je  vous  ai  fait  connoître  aussi 
l'état  de  nos  frontières  dégarnies;  j'ai  envoyé  des  surveil- 
lans  en  Allemagne,  j'y  ai  été  moi-même;  et  vous  avez  eu 
des  rapports  bien  circonstanciés,  bien  exacts  et  bien  détail- 
lés. 

Mais,  Monsieur,  à  quoi  servoit-il  d'envoyer  à  la  décou- 
verte, puisque  rien  n'est  encore  réparé,  que  tous  ceux  que 
j'ai  dénoncé,  sont  encore  en  place,  et  qu'on  met  en  usage 
tous  les  ressorts  possibles,  pour  assurer  la  contre-révolu- 
tion. Oui,  Monsieur,  la  contre-révolution  est  certaine,  si 
l'assemblée  nationale  ne  se  montre  dans  toute  sa  vigueur, 
et  si  elle  ne  fait  sonner  le  tocsin  dans  toute  la  France,  et  si 
tous  les  patriotes  ne  volent  en 'foule  aux  frontières,  pour 
exterminer  les  scélérats  qui  osent  souiller  de  leur  présence 
la  terre  de  la  liberté. 


312  LE   DEFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

Comment  un  général  peut-il  se  permettre  de  passer  son 
tems  à  vouloir  la  destruction  des  sociétés  patriotiques  qui 
sont  en  France,  lorsqu'il  n'y  a  que  l'œil  vigilant  de  ces 
mêmes  sociétés,  qui  ont  dérouté  toutes  ces  fausses  démar- 
ches? 

Comment  un  général  peut-il  se  permettre  de  quitter  son 
poste,  pour  faire  des  promenades,  depuis  les  frontières  jus- 
ques  à  Paris,  lorsqu'il  est  en  présence  d'un  ennemi  qui  ne 
respire  que  sang,  que  carnage? 

Vous  me  demanderez  peut-être,  sur  quoi  je  fonde  mes 
craintes  et  mes  alarmes,  sur  tout  ce  qui  regarde  person- 
nellement M.  Lafayette,  ainsi  que  les  autres  généraux, 
c'est  de  quoi  je  vais  m'occuper,  en  lui  défiant  toutefois  de 
dire  le  contraire. 

Lorsque  M.  Lafayette  est  parti  de  Paris,  pour  aller 
prendre  le  commandement  de  son  armée,  il  savoit  très  bien 
qu'il  alloit  commander  une  armée  de  cinquante  mille  hom- 
mes ;  si  son  armée  n'étoit  pas  au  complet,  M.  Lafayette  ne 
devoit-il  pas  en  écrire  au  ministre  de  la  guerre,  et  au  refus 
ou  à  la  lenteur  de.  ce  dernier,  ne  devoit-il  pas  en  instruire 
le  corps  législatif? 

Lorsque  M.  Lafayette  a  su  qu'il  alloit  entreprendre  une 
guerre  offensive,  ne  devoit-il  pas  faire  mettre  toutes  les 
villes  qui  sont  sous  son  commandement,  sur  le  pied  d'une 
défensive  active?  Pourquoi  ne  l'a-t-il  pas  fait? 

Lorsque  M.  Lafayette  a  reçu  l'ordre  de  se  porter  sur 
Namur,  le  31  mai  dernier,  époque  à  laquelle  il  étoit  parfai- 
tement instruit  du  peu  de  troupes  qu'il  y  avoit  dans  Na- 
mur ;  que  le  bataillon  de  Vierset  devoit  tourner  ses  armes 
contre  le  régiment  de  Kinsky  ;  que  les  patriotes  de  Namur 
attendoient  les  français  à  bras  ouverts,  pourquoi  a-t-il  resté 
dans  l'inaction,  et  ne  s'est-il  pas  présenté  devant 
Namur  (60)? 

Lorsque  M.  Lafayette  a  vu  que  son  armée  n'étoit  pas 
loin  d'être  au  complet,  et  que  M.  Narbonne  avoit  menti 

(60)  A  cette  époque,  La  Fayette  prenait  l'offensive  en  Belgique;  il  formait 
«  des  compagnies  franches  belges,  compagnies  de  braconniers,  de  gardes- 
chasses  et  de  paysans,  à  opposer  aux  Tyroliens  et  autres  troupes  légères  enne- 
mies »,  écrivait-il,  le  Ier  juin,  au  ministre  de  la  Guerre  Servan.  (Mémoires 
de  La  Fayette,  publié  par  sa  famille.  Paris,  Fournier,  1837-1838,  6  vol.  in-8°). 

Le  bataillon  de  Verset  (cne  de  Belgique,  près  de  Liège)   était  un  de  ces 


DIXIEME   NUMERO  313 

impunément  à  l'assemblée  nationale,  en  disant  que  les  régi- 
mens  étoient  plus  que  complets,  tandis  qu'il  n'y  avoit  qu'un 
seul  bataillon  dans  chaque  régiment  (61),  pourquoi  n'en- 
a-t-il  pas  rendu  compte  au  corps  législatif  ? 

Lorsque  M.  Lafayette  a  vu  que  nos  villes-frontières 
étoient  dégarnies  et  démantelées  et  que,  suivant  le  rapport 
de  ce  même  M.  Narbonne,  tout  étoit  dans  le  meilleur  état, 
pourquoi  n'en  a-t-il  pas  instruit  le  corps  législatif? 

Lorsque  M.  Lafayette  a  été  instruit  de  la  quantité  d'au- 
trichiens qu'il  y  avoit  dans  les  Pays-Bas,  et  qu'on  lui  a 
remis  un  plan  d'attaque,  qui  nous  assuroit  la  conquête  du 
Pays-Bas,  dans  très  peu  de  jours,  pourquoi  n'a-t-il  pas 
bougé  ? 

Lorsque  l'avant-garde  de  M.  Lafayette  a  été  attaquée 
deux  fois,  par  un  nombre  bien  supérieur  de  troupes  autri- 
chiennes, pourquoi  n'a-t-il  pas  envoyé  du  renfort?  Il 
répondra  qu'il  n'a  pas  entendu  le  coup  de  canon  d'avertis- 
sement. Mais  pourquoi  de  distance  en  distance  n'a-t-il  pas 
placé  des  vedettes,  qui,  à  grande  course  de  cheval,  seroient 
venus  l'avertir? 

Il  est  donc  bien  certain  et  bien  prouvé  que  M.  Lafayette 
étoit,  et  est  encore  d'intelligence  avec  le  parti  ennemi  ;  puis- 
qu'il lui  a  donné  le  tems  de  se  mettre  sur  une  défensive 
active;  de  rallier  non  seulement  toutes  ses  forces,  mais 
encore  de  laisser  arriver  les  forces  envovées  par  les  autres 
puissances;  et  qu'il  a  aussi  donné  le  tems  aux  français 
rebelles,  de  s'armer,  et  d'être  en  état  de  se  joindre  à  toutes 
les  puissances  coalisées. 

Il  est  encore  bien  certain  que  la  contre-révolution  est 
prochaine,  et  que  le  parti  ministériel  la  regarde  comme 

corps  francs  opposés  aux  régiments  tchèques  de  François-Joseph  Kinsky,  écri- 
vain militaire,  fils  du  chancelier  de  Bohème  au  service  de  l'Autriche  (1730- 
1805). 

Ces  renseignements  complètent  les  détails  fournis  par  Chuquet  sur  les  pre- 
mières opérations  de  Belgique  avant  le  10  août.  (La  première  invasion  prus- 
sienne, ch.  II,  parag.  IV  et  V). 

C'est  d'ailleurs  à  cette  époque,  également,  vers  la  fin  du  mois  de  mai  1792, 
que  La  Fayette  fit  faire,  par  l'abbé  Lambinet,  des  propositions  aux  Anutri- 
chiens.  (Lettre  de  Kaunitz  à  Mercy-Argenteau  du  26  mai.  —  Vivenot  : 
QueHen  zur  politik  der  deutschen  Kaiserpolitik  œsterreichs,  t.  II,  p.  58.  Voir 
ci-dessus  (p.  190). 

(61^  Rapport  du  ministre  de  la  guerre  Narbonne  du  11  janvier  1792.  (Voir 
ci-dessus,  p.  276,  note  22). 


314  LE    DEFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

achevée;  à  moins  qu'une  seconde  révolution  ne  nous  tire 
de  l'embarras  où  nous  ont  mis  toutes  les  menées  sourdes  du 
cabinet  autrichien. 

Au  surplus,  Monsieur,  voyez  bien  tous  mes  rapports, 
vous  n'y  trouverez  que  des  vérités,  et  vous  y  verrez  que  ce 
n'est  pas  sans  raison  que  je  me  plains 

Je  suis  de  retour  à  Paris,  où  j'ai  été  forcé  de  revenir,  vu 
que  je  ne  recevois  aucune  lettre  de  vous,  et  que  l'argent 
me  manquoit.  Peut-être  que  la  publicité  de  mes  rapports 
aux  sociétés  patriotiques  vous  ont  déolu;  quant  à  moi, 
Monsieur,  j'ai  cru  devoir  suivre  cette  marche  pour  sauver 
la  chose  publique  en  danger,  et  faire  ouvrir  les  yeux  aux 
patriotes  sur  notre  situation,  et  sur  le  compte  des  chefs  qui 
prétendent  en  vain  détruire  des  sociétés  qui.  seules  jusqu'à 
présent,  ont  soutenu  la  révolution,  et  n'ont  faits  (sic)  d'au- 
tre mal  que  de  dévoiler  la  perfidie  d'un  général  qui,  conti- 
nuellement la  bouche  pleine  des  mots  ^e  liberté  et  patrio- 
tisme, nous  vend  impunément  à  nos  ennemis. 

Comme  la  patrie  est  en  danger,  et  qu'il  est  instant  que 
je  continue  mes  découvertes,  attendu  d'ailleurs,  que  mes 
surveillans  sont  retournés  en  Empire,  et  que  je  sais 
où  les  aller  rejoindre,  je  vous  prie  de  vouloir  bien  me  faire 
passer  vos  ordres  et  de  l'argent  pour  ma  route,  ou  au 
moins,  me  prévenir  si  ie  dois  rester,  pour  que  je  puisse  me 
procurer  de  l'emploi  (62). 

VI 
Assemblée  Nationale 

Séance  du  15  juillet  iyç 2 

M.  Carnot  a  fait  un  rapport  sur  le  complètement  (sic)  de 
l'armée.  Il  est  décrété:  i°  quelle  (sic)  «era  portée  en  trou- 
pes de  ligne  de  toutes  les  armes,  en  gardes  nationales  vo- 
lontaires et  en  gendarmerie,  à  quatre  cent  cinquante  mille 
hommes  de  complet  effectif. 

2°  Pour  y  parvenir,  il  sera  fait  par  les  quatre-vingt- 
trois  départemens  une  levée  de  cinquante  mille  hommes, 

(62)  Dans  le  numéro  suivant,  en  publiant  son  «  14'  »  rapport,  nous 
verrons  nue  Rutteau,  chargé  d'une  nouvelle  mission,  était  reparti  pour  la  fron- 
tière et  se  trouvait  à  Lille  le  30  juillet. 


DIXIEME    NUMERO  315 

suivant  la  proposition  qui  avoit  été  faite  pour  la  levée  des 
auxiliaires. 

30  II  sera  tiré  de  la  gendarmerie  des  hommes  pour  for- 
mer un  nouveau  corps  de  cavalerie. 

40  Les  vétérans  invalides  formés  en  compagnies,  sont 
mis  à  la  disposition  du  pouvoir  exécutif,  pour  servir  de 
garnisons  aux  places  de  guerre  dont  ils  seront  la  défense, 
tant  par  leur  bon  exemple  et  leur  patriotisme,  que  par  leur 
bravoure. 

5°  Pour  faciliter  la  levée  du  contingent  des  départemens, 
chaque  administration  de  département,  de  district  et  de 
commune  se  nommera  deux  commissaires,  pour  presser  et 
recevoir  l'inscription  volontaire  qui  se  fera  pour  la  troupe 
de  ligne. 

6°  Dans  chaque  canton,  les  gardes  nationaux  désigne- 
ront entr'eux  ceux  auxquels  ils  défèrent  l'honneur  de  mar- 
cher aux  frontières.  Il  sera  libre  à  ceux  auxquels  cet  hon- 
neur sera  déféré  de  l'accepter  ou  de  le  refuser. 

Les  villes  qui  fourniront  sur-le-champ  des  bataillons  ou 
des  compagnies  de  volontaires  armés  et  équipés,  seront 
déclarés  avoir  bien  mérité  de  la  patrie  (63). 

Au  nom  du  comité  militaire,  M.  Dumas  a  soumis  à  la 
discussion  un  projet  de  décret  dont  l'assemblée  a  adopté 
toutes  les  dispositions  sans  aucun  changement  ;  les  voici  : 

1  °  Les  volontaires  gardes  nationaux  qui  se  sont  fait  ins- 
crire à  la  municipalité  pour  marcher  aux  frontières,  feront 
connoître  individuellement  leur  vœu  sur  le  genre  de  ser- 
vice qu'ils  désirent. 

20  A  mesure  que  cent  cinquante  volontaires  se  seront 
inscrits  pour  la  formation  d'une  compagnie  de  chasseurs 
nationaux,  la  compagnie  sera  formée.  30  Ces  compagnies 

(63)  Le  texte  donné  par  Robespierre  n'est  qu'un  résumé.  La  véritable  rédac- 
tion, en  seize  articles,  figure  dans  le  Moniteur,  séance  du  mardi  10  juillet 
(réimp.  t.  XIII,  p.  168)  :  Complément  de  l'armée  de  ligne  ;  sur  rapport  de 
Carnot  le  jeune. 

La  dernière  phrase  portant  que  «  les  villes  qui  fourniraient  des  bataillons 
ou  des  compagnies  de  volontaires,  auront  bien  mérité  de  la  patrie  »  ne  figure 
pas  dans  le  projet  de  décret  de  Carnot.  Cette  proposition  émane  de  La  Source 
qui  le  fait  adopter  avec  un  amendement  de  Lacombe-Saint-Michel.  Finalement 
elle  est  ainsi  conçue:  «  Les  villes  qui  fourniront  un  bataillon  ou  une  compa- 
gnie auront  bien  mérité  de  la  patrie  ». 


316  LE    DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

porteront  les  noirs  des  départemens  d'où  seront  venus 
ceux  qui  les  composeront.  40  Si  les  cent  cinquante  volon- 
taires, formant  une  compagnie,  se  trouvent  être  de  diffé- 
rens  départemens,  la  compagnie  portera  le  nom  du  départe- 
ment qui  aura  fourni  le  plus  de  soldats. 

50  Les  compagnies  seront  formées  comme  il  suit:  deux 
capitaines,  deux  lieutenans,  trois  sous-lieutenans,  six  ser- 
gents, onze  caporaux  et  cent  vingt-six  chasseurs  volontai- 
res. 6°  Sur  les  cent-cinquante  volontaires  de  chaque  com- 
pagnie, quatre-vingt-dix  seulement  entreront  en  campagne. 
70  Les  officiers  et  sous  officiers  seront  élus  par  les  chas- 
seurs. 

8°  Les  appointemens  et  soldes  seront  les  mêmes  que  pour 
les  bataillons  de  volontaires.  90  Pans  le  cas  où  cinq  de  ces 
compagnies  se  trouveront  rassemblés  dans  une  armée,  si 
le  général  en  veut  former  un  bataillon,  il  sera  procédé, 
comme  dans  les  bataillons  de  gardes  nationaux,  à  l'élection 
des  lieutenans-colonels  et  des  adjudans-généraux. 

io°  Le  pouvoir  exécutif  est  chargé  de  rassembler  et  de 
convoquer,  aux  rendez-vous  des  armées,  autant.de  compa- 
gnies de  chasseurs  nationaux  qu'il  sera  possible.  Ces  com- 
pagnies devront  être  habillées,  armées  et  équipées  (64). 

(64)  Le  texte  de  ce  décret,  plus  complet  (en  il  articles)  que  celui  publié  par 
Robespierre  qui  n'est  qu'un  résumé,  se  trouve  dans  le  Moniteur,  réimp.,  t.  XIII, 
p.  176.  Il  est  indiqué  comme  ayant  été  rendu  à  la  séance  du  mardi  17  au  soir. 


LE   DÉFENSEUR   DE    LA   CONSTITUTION 

N°  il 

Articles  contenus  dans  ce  numéro 
48  pages  (519  à  566) 

Pages 
du  document 

I.  —  Des  maux  et  des  ressources  de  l'Etat 519a  548 

IL  —  Sur  l'arrivée  des  Marseillais  à  Paris  549  à  553 

III.  —  Copie  de  la  lettre  écrite  au  Ministre  des  affaires 
étrangères,  par  M.  Rutteau  :  Lille,  le  30  juil- 
let 1792,  l'an  4e  de  la  liberté;  suivie  d'un  rap- 
port d'un  de  ses  surveillants  dans  les  Pays- 
Bas  [du  même  jour]  ;  d'une  lettre  de  Metz, 
27  juillet  1792,  l'an  4e  de  la  liberté;  d'un 
extrait  d'une  lettre  de  Sierck,  du  25  juin 
1792;  d'un  extrait  d'une  lettre  de  Pologne: 
Varsovie,  le  6  juin   [1792]    554  à  566 

I 
Des  maux  et  des  ressources  de  l'état  (1) 

Les  grands  maux  appelent  les  grand  remèdes.  Les  pal- 
liatifs ne  font  que  les  rendre  incurables.  Les  maux  de  la 

(1)  Robespierre  publie,  sous  forme  d'article,  l'important  discours  qu'il  pro- 
nonça aux  Jacobins,  le  29  juillet.  Il  énumère  longuement  les  maux  de  l'Etat; 
il  en  indique  la  cause  et  le  remède;  il  discute  la  question  de  la  déchéance 
de  Louis  XVI,  mesure,  d'après  lui,  insuffisante  pour  faire  face  aux  dangers 
qui  menacent  la  liberté;  et  il  est  curieux  de  constater  l'inquiétude  de  Robes- 
pierre devant  le  changement  de  régime  qu'on  entrevoit  déjà;  il  craint  que  cette 
innovation  ne  soit  le  prétexte  de  nouveaux  troubles;  il  craint  aussi  bien  le 
despotisme  d'un  roi  que  celui  d'une  assemblée;  toutes  deux  seraient  préjudi- 
ciables à  l'avenir  de  la  Démocratie.  Il  demande  instamment  l'instauration  d'un 
pouvoir  régulier,  la  convocation  d'une  Convention  Nationale  pour  aviser  aux 
moyens  de  sauver  la  chose  publique.  «  C'est  peu  de  temps  après  cet  article, 
après  ce  discours  capital,  qu'éclate  la  Révolution  du  10  août  dont  il 
semble  être  le  précurseur  >,  dit  Laponnerave  qui  reproduit  cet  article 
(t.  II,  pp.  45  à  65).  —  L.  Gallois  en  donne  quelques  passages  (p.  133).  L'His- 
toire parlementaire  (t.  XVI,  p.  220)  publie  entièrement  ce  discours  qu'E. 
Hamel  commente  et  analyse  longuement  (t.  II,  pp.  247  à  255),  en  faisant 
observer  qu'il  n'est  résumé  qu'en  douze  lignes  dans  le  compte  rendu  de  la 
Société  des  Jacobins.  (Journal  des  Débats,  n°  240). 


318  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

France  sont  extrêmes  (2).  En  connoit-on  bien  la  cause? 
Personne  encore,  ce  me  semble,  n'a  osé  les  développer  dans 
toute  leur  étendue. 

Trahi  par  les  dépositaires  de  son  autorité,  livré  par  le 
gouvernement  lui-même  aux  insultes  et  au  fer  des  despo- 
tes étrangers,  avili,  opprimé,  dépouillé  au  nom  des  lois,  le 
peuple  français  s'agite,  avec  une  douloureuse  inquiétude, 
sans  connoître  précisément  ni  la  source  de  ses  malheurs, 
ni  les  moyens  de  les  terminer,  jouet  éternel  des  intrigans 
qui  l'ont  gouverné  depuis  le  commencement  de  la  révolu- 
tion, victime  de  sa  propre  ignorance,  ou  de  ses  propres  pré- 
jugés, il  s'est  tour-à-tour  alarmé,  rassuré  sur  leur  parole; 
des  actes  de  patriotisme  insignifians  ou  perfides  lui  ont  fait 
oublier  mille  attentats  funestes  contre  ses  droits.  Aujour- 
d'hui même  encore  parvenu  au  dernier  (sic)  période  de  la 
longue  crise  qui  le  tourmente,  il  est  prêt  à  se  reposer  de  son 
propre  salut,  sur  des  mesures  partielles  et  insuffisantes, 
sur  des  remèdes  ou  impuissans  ou  dangereux.  Parmi 
cette  multitude  de  fonctionnaires  publics,  qui  peuplent  la 
France,  combien  en  est-il  qui  lui  montrent  la  route  qu'il 
doit  suivre,  qui  ne  préfèrent  point  les  plus  vils  intérêts,  au 
bonheur  de  leur  pays,  et  qui  ne  soient  prêts  à  immoler  les 
droits  du  peuple  à  leur  orgueil  stupide  ?  Ceux  qui  se  disent 
ses  conseillers,  ne  sont,  pour  la  plupart,  que  des  ignorans 
que  l'on  trompe,  ou  des  fourbes  qui  s'efforcent  de  prolon- 
ger ses  erreurs  et  son  sommeil.  Ses  représentans  eux-mê- 
mes, en  proclamant  les  dangers  de  la  patrie,  lui  en  ont  dis- 
simulé la  cause.  Ils  ont  environné  cette  déclaration  solen- 
nelle   de    dispositions    contradictoires,    qui    en    éludoient 

(2)  Une  pétition  présentée  le  5  avril  1793  à  la  Convention  Nationale,  au 
nom  de  la  section  de  l'Unité  par  Marie-Sébastien-  Bruno  de  Lacroix  commence 
par  les  mêmes  formules.  (Tourneux,  t.  II,  n"  8769).  L'auteur  de  cette 
plaquette,  originaire  de  Châtillon-sur-Marne,  travaillait  en  1792  avec  Robes- 
pierre. En  mai  de  cette  même  année,  il  prit  sa  défense  en  un  écrit  qui  fut 
publié  :  L'Intrigue  dévoilée  ou  Robespierre  vengé  des  outrages  et  des  calom- 
nies des  ambitieux.  (Tourneux,  t.  IV,  n°  24.006). 

La  mère  de  Sébastien  de  Lacroix  écrivit,  à  ce  sujet,  le  12  mai  à  L.  Prud- 
homme,  rédacteur  des  Révolutions  de  Paris,  une  lettre  dont  parle  E.  Hamel 
(t.  II,  p.  229). 

Nous  possédons  les  papiers  de  la  famille  de  ce  jeune  révolutionnaire  guillo- 
tiné le  24  germinal  an  II  avec  Chaumette  et  les  veuves  d'Hébert  et  de  Camille 
Desmoulins. 


ONZIÈME   NUMÉRO  3 19 

l'effet,  et  qui  ne  tendoient  qu'à  le  retenir  dans  une 
funeste  inaction,  et  dans  une  léthargie  mortelle.  Il  y  a  plus, 
depuis  cette  époque,  qu'ont-ils  fait,  que  l'environner  de 
pièges  inextricables?  Allons  jusqu'à  la  racine  du  mal. 
Beaucoup  de  gens  croient  la  trouver  exclusivement  dans 
ce  qu'on  appelé  le  pouvoir  exécutif;  ils  demandent  ou  la 
déchéance,  ou  la  suspension  du  roi,  et  pensent  qu'à  cette 
disposition  seule  est  attachée  la  destinée  de  l'état.  Ils  sont 
bien  loin  d'avoir  une  idée  complète  de  notre  véritable  situa- 
tion. 

La  principale  cause  de  nos  maux  est-à-la  fois  dans  le 
pouvoir  exécutif  et  dans  la  législature;  dans  le  pouvoir 
exécutif  qui  veut  perdre  l'état,  et  dans  la  législature  qui  ne 
peut  pas,  ou  qui  ne  veut  pas  le  sauver.  Supposez  une  légis- 
lature ferme,  pure  et  éclairée;  le  pouvoir  exécutif  n'auroit 
jamais  la  puissance  de  mettre  l'état  sur  le  penchant  de  sa 
ruine.  Supposez  une  législature  foible  ou  corrompue;  elle 
sera  elle-même  un  fléau  public,  soit  qu'elle  se  ligue  avec  le 
chef  du  pouvoir  exécutif,  soit  qu'elle  s'en  empare  elle- 
même.  La  puissance  du  corps  législatif  est  infiniment  plus 
grande  que  celle  du  roi,  puisqu'il  peut  disposer  de  la  force 
du  peuple,  et  s'environner  de  l'opinion  publique.  Le  roi  a 
la  liste  civile  et  beaucoup  de  moyens  de  corruption;  mais 
cette  puissance  doit  céder,  sans  doute,  à  celle  dont  les  dépu- 
tés du  peuple  sont  investis,  à  moins  que  leurs  propres  vices 
ne  la  rendent  prépondérante.  Le  bonheur  de  la  France  étoit 
réellement  entre  les  mains  de  ses  représentans.  J'ai  prouvé, 
il  y  a  quelques  mois,  avant  la  déclaration  de  la  guerre,  que 
la  constitution  leur  suffisoit,  pour  prévenir  les  maux  qui 
menaçoient  l'état  et  la  liberté  (3).  Il  est  vrai  que  j'adres- 

(3)  Robespierre  fait  allusion  au  grand  discours  qu'il  prononça,  le  10  février 
1792,  aux  Jacobins,  sur  les  moyens  de  sauver  l'Etat  et  la  liberté,  discours 
important  qui  eut  une  influence  énorme  sur  l'opinion  publique  ;  il  fut  publié  et 
très  répandu  par  la  Société  (in-8°  de  45  pages). 

Cependant'  il  n'est  reproduit  ni  par  Laponneraye,  ni  par  l'Histoire  parle- 
mentaire. . .  E.  Hamel  (t.  II,  pp.  113  à  124)  en  donne  une  très  complète  ana- 
lyse: «  Nul  doute  ,ajoute-t-il,  que  si  le  pouvoir  exécutif  de  l'Assemblée  natio- 
nale avaient  résolument  pris  l'initiative  des  mesures  proposées  par  Robes- 
pierre, mesures  qui  existaient  dans  la  Constitution  elle-même,  ils  n'eussent 
mené  à  bonne  fin  la  Révolution,  sans  se  jeter  dans  les  hesards  d'une  guerre 
souhaitée  consciemment  par  un  grand  nombre  de  patriotes  comme  un  i.ioyen 
d'avoir  plus  vite  raison  des  émigrés  et  des  conspirateurs,  mais  également  atten- 


320  LE   DEFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

sois  ce  langage  à  l'assemblée  nationale  même,  et  qu'il  sup- 
posoit  une  législature  dont  la  majorité  fut  vouée  à  la  cause 
du  peuple.  Elle  n'a  point  prévenu  ces  maux,  et  elle  a  permis 
que  la  crise  de  l'état  arriva  au  dernier  degré.  Il  faut  que 
l'état  soit  sauvé,  de  quelque  manière  que  ce  soit;  et  il  n'y 
a  d'inconstitutionnel  que  ce  qui  tend  à  sa  ruine.  Il  y  a  plus, 
il  n'y  a  pas  une  mesure  nécessaire  à  son  salut,  qui  ne  soit 
avouée  par  le  texte  même  de  l'acte  constitutionnel.  Il  suf- 
fit de  vouloir  l'interpréter,  et  le  maintenir  de  bonne  foi 
Changez  tant  qu'il  vous  plaira,  le  chef  du  pouvoir  exécutif  ; 
si  vous  vous  bornez  là,  vous  n'aurez  rien  fait  pour  la 
patrie.  Il  n'y  a  qu'un  peuple  esclave,  dont  les  destinée? 
soient  attachées  à  un  individu  ou  à  une  famille:  la  liberté 
et  le  bonheur  public  dépendent  de  la  nature  du  gouverne- 
ment et  du  résultat  des  institutions  politiques.  La  consti- 
tution de  la  royauté  étant  supposée  la  même,  il  n'y  a 
qu'une  légère  différence  entre  un  roi  et  un  roi.  L'homme 
honnête,  mais  foible  et  peu  éclairé,  l'homme  pervers  et  cor- 
rompu, peuvent  être  rangés  sur  la  même  ligne.  Ce  seront 
toujours  les  intrigans,  dont  il  sera  entouré,  qui,  sous  son 
nom,  abuseront  de  ses  trésors  et  de  son  pouvoir.  Il  n'y  a 
d'exception  à  cette  règle,  tout  au  plus,  que  pour  ces  hommes 
d'un  grand  caractère,  et  d'une  haute  vertu,  que  l'on  ne 
trouva  jamais,  ou  presque  jamais  sur  un  trône.  Ces  vérités 
s'appliquent  à  la  constitution  française,  plus  qu'à  toute 
autre  forme  de  gouvernement.  Est-ce  bien  Louis  XVI  qui 
règne?  Non,  aujourd'hui,  comme  toujours,  et  plus  que 
jamais,  ce  sont  tous  les  intrigans  qui  s'emparent  de  lui 
tour-à-tour.  Dépouillé  de  la  confiance  publique,  qui  seule 
fait  la  force  des  rois,  il  n'est  plus  rien  par  lui-même.  La 
royauté  n'est  plus  aujourd'hui  que  la  proie  de  tous  les  am- 
bitieux qui  en  ont  partagé  les  dépouilles.  Vos  véritables 
rois  ce  sont  vos  généraux,  et  peut-être  ceux  des  despotes 
ligués  contre  vous;  ce  sont  tous  les  fripons  coalisés,  pour 
asservir  le  peuple  français. 

La  destitution,  la  suspension  de  Louis  XVI  est  donc  une 
mesure  insuffisante  pour  tarir  la  source  de  nos  maux 
Qu'importe  que  le  fantôme  appelé  roi  ait  disparu  ;  si  le  des 

due  avec  impatience  par  ceux-ci  comme  la  voie  la  plus  prompte  pour  arriver 
à  écraser  la  Révolution. 


ONZIEME   NUMERO  321 

potisme  reste?  Louis  XVI  étant  déchu,  en  quelles  mains 
passera  l'autorité  royale?  Sera-ce  dans  celle  d'un  récent? 
d'un  autre  roi  ou  d'un  conseil?  Qu'aura  gagné  la  liberté, 
si  l'intrigue  et  l'ambition  tiennent  encore  les  rênes  du  gou- 
vernement? Et  quel  garant  aurai-je  du  contraire,  si  l'éten- 
due du  pouvoir  exécutif  est  toujours  la  même? 

Le  pouvoir  exécutif  sera-t-il  exercé  par  le  corps  légis- 
latif ? 

Je  ne  vois  dans  cette  confusion  de  tous  les  pouvoirs,  que 
le  plus  insupportable  de  tous  les  despotismes.  Que  le  des- 
potisme ait  une  seule  tête  ou  qu'il  en  ait  sept  cents,  c'est 
toujours  le  despotisme.  Je  ne  connois  rien  d'aussi 
effrayant  que  l'idée  d'un  pouvoir  illimité,  remis  à  une 
assemblée  nombreuse  qui  est  au-dessus  des  lois,  fût-elle 
une  assemblée  de  sages.  Que  dis-je?  Cette  espèce  de  trans- 
lation du  pouvoir  exécutif  des  mains  de  Louis  XVI,  dans 
celle  (sic)  de  la  législature,  apporteroit-elle  un  changement 
réel  dans  la  face  des  affaires?  Vous  verriez  l'assemblée 
nationale  toujours  mue  par  la  même  influence,  vous  ver- 
riez quelques  hommes,  lui  communiquer  l'impulsion  qu'ils 
auroit  (sic)  reçue  de  quelque  faction;  de  celle  même  de  la 
cour.  Eh!  pourquoi  non!  les  préjugés,  les  passions,  les  inté- 
rêts qui  l'ont  agitée  jusqu'ici,  seroient-ils  étents  ?  Les  nom- 
breux partisans  de  l'Autriche,  tous  les  intrigans  qui  se 
prostituoient  à  la  cour,  ou  à  d'autres  factions,  continuè- 
rent de  marcher  dans  les  mêmes  routes  Ei  si  l'on  peut 
supposer  que  jusqu'ici,  la  majorité  ait  servi  le  roi  aux 
dépens  du  peuple;  elle  le  serviroit  encore  avec  plus  de  suc- 
cès après  sa  suspension.  Le  roi  n'étoit-il  pas  suspendu  pen- 
dant ce  période  (sic)  de  la  revision,  où  l'assemblée  consti- 
tuante, ou  plutôt  la  coalition  des  intrigans  qui  l'agitoit,  lui 
sacrifia  les  droits  les  plus  sacrés  de  la  nation?  Fidèle  et 
sur  le  trône,  eût-il  obtenu  les  avantages  qu'ils  lui  prodiguè- 
i  ent  après  sa  défection,  et  durant  le  tems  de  son  apparente 
interdiction?  O  peuple  trop  bon  et  trop  crédule,  crains  de 
te  laisser  tromper  encore!  crains  que  la  suspension  même 
du  roi,  si  elle  n'est  combinée  avec  d'autres  mesures  plus 
décisives,  ne  cache  un  nouveau  piège!  Est-il  en  effet,  si 
difficile  de  prouver  qu'elle  pourroit  être  encore  aujourd'hui 
le  fruit  d'un  pacte  criminel,  fait  entre  la  cour  et  quelques 


322  LE   DEFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

ambitieux  hypocrites?  Quand  les  perfidies  de  la  cour  sont 
dévoilées  à  tous  les  yeux;  quand  l'homme  le  plus  inepte 
sent  combien  il  est  absurde  que  la  guerre  soit  conduite  par 
ceux  qui  nous  l'ont  suscitée,  pour  nous  remettre  sous  le 
joug-;  seroit-il  étonnant  qu'on  fit  consentir  le  roi  lui-même 
à  sa  propre  interdiction,  pour  rendormir  la  nation  dans 
une  trompeuse  sécurité,  jusqu'au  moment  où  les  chaines 
qu'on  lui  prépare  seroient  entièrement  forgées?  Non.  Cet 
article  est  trop  analogue  au  génie  de  la  cour,  pour  qu'il  ne 
soit  pas  au  moins  permis  de  l'en  soupçonner. 

Faites  ici  une  distinction  nécessaire,  entre  la  suspension 
et  la  destitution.  La  suspension  qui  laisseroit  sur  la  tête  du 
roi,  le  titre  et  les  droits  de  la  puissance  executive,  ne  seroit 
évidemment  qu'un  jeu  concerté  entre  la  cour  et  les  intri- 
gans  de  la  législature,  pour  la  lui  rendre  plus  étendue,  au 
moment  où  il  seroit  réintégré.  La  déchéance  ou  la  destitu- 
tion absolue. seroit  moins  suspecte:  mais  seule,  elle  laisse- 
roit encore  la  porte  ouverte  aux  inconvéniens  que  nous 
avons  développés. 

D'ailleurs,  ce  grand  changement  fourniroit  un  prétexte 
à  de  nouveaux  troubles;  il  excitera  de  nouveaux  orages 
politiques.  Il  faudra  donc  nécessairement  des  mains  fermes 
et  habiles  pour  tenir  le  gouvernail  et  conduire  au  port  le 
vaisseau  de  l'état.  Quels  seront  les  pilotes  qui  le  sauveront  ? 
Sera-ce  ceux  qui  jusqu'ici  l'ont  fait  heurter  contre  tous  les 
écueils  ?  L'assemblée  nationale,  en  déclarant  les  dangers  de 
la  patrie,  qu'elle  n'a  point  prévenus,  a  déclaré  sa  propre 
impuissance.  Elle  a  appelé  la  nation  elle-même  à  son 
secours.  C'est  en  vain  que  quelques  ambitieux  sans  talens, 
comme  sans  vertus,  voudraient  sacrifier  le  salut  public  à 
leur  intérêt  personnel.  Ecoutez  les  membres  désintéressés 
et  intègres  de  cette  législature  ;  ils  vous  crient  tous  à  la  tri- 
bune et  partout,  avec  le  ton  du  désespoir,  que  la  nation  doit 
pourvoir  elle-même  à  son  salut  au  défaut  de  ses  représen- 
tai. Ils  vous  disent  qu'une  grande  partie  de  l'assemblée 
est  près  d'immoler  l'assemblée  elle-même  aux  ennemis  de 
notre  liberté  ;  que  d'autres  ne  voient  dans  les  malheurs  de 
la  patrie,  que  l'occasion  d'élever  leur  faction  sur  les  ruines 
de  la  fortune  publique  ;  que  le  vœu  de  tous  les  fidèles  man- 
dataires du  peuple,  est  de  se  voir  promptement  déchargés 


ONZIEME   NUMERO  323 

du  fardeau  sous  lequel  ils  succombent.  Ce  qui  est  du  moins 
incontestable,  c'est  que,  pour  tenir  le  timon  de  l'état  dans 
des  momens  aussi  difficiles,  il  faut  un  grand  caractère,  un 
plan  déterminé,  de  l'ensemble  et  de  l'union.  Or,  tous  ceux 
qui  ont  assisté  aux  délibérations  du  corps  législatif,  ont  pu 
juger  s'il  présente  tous  ces  gages  du  salut  public.  Comment 
une  assemblée  où  règne  la  guerre  civile,  pourroit-elle 
l'éteindre  ? 

Il  est  tems,  sans  doute,  de  publier  ces  austères  vérités. 
Que  dis-je?  En  est-il  tems  encore?  Qu'ils  sont  coupables 
ceux  qui  ont  si  longtems  trompé  la  nation,  en  prêchant  la 
confiance,  tantôt  dans  le  pouvoir  exécutif,  tantôt  dans  les 
généraux,  tantôt  dans  l'assemblée  nationale  !  Qu'ils  étoient 
ineptes  ou  pervers,  ceux  qui  ont  osé  poser  en  principe,  que 
le  seul  moyen  de  sauver  l'état,  étoit  de  s'abandonner  sans 
examen  au  patriotisme  et  aux  lumières  de  la  majorité  des 
membres  de  la  législature  actuelle!  Lâches  et  absurdes 
maximes,  dictées  par  l'esprit  de  corps  et  par  l'intrigue,  qui 
ont  retardé  les  progrès  de  l'esprit  public,  étouffé  l'énergie 
de  la  liberté,  et  conduit  le  peuple  sur  les  bords  du  précipice 
où  il  est  près  de  tomber! 

La  confiance!  A-t-on  besoin  de  la  demander,  quand  on 
la  mérite?  et  quand  on  ne  la  mérite  pas,  doit-on  l'obtenir? 
Le  salut  public  repose-t-il  sur  les  lumières  et  sur  le  courage 
de  la  nation,  sur  l'intégrité  et  l'énergie  de  ses  mandataires 
ou  seulement  sur  la  foi  aveugle  qui  leur  suppose  toutes  les 
vertus  qu'ils  doivent  avoir?  Les  intrigans  voudroient  con- 
fondre la  représentation  nationale,  avec  la  personne  des 
représentans  qui  paroissent  dans  tel  période  ;  ils  voudroient 
attacher  la  destinée  du  corps  législatif  à  leur  propre  exis- 
tence, pour  se  rendre  inviolables  même  contre  l'opinion, 
pour  régner  au  sein  des  orages  qu'ils  n'ont  pas  su  prévenir, 
et  qu'ils  peuvent  encore  moins  apaiser;  mais  désormais  la 
représentation  nationale  est  immortelle,  impérissable;  les 
représentans  sont  passagers.  Faut-il  immoler  à  ceux-ci,  et 
la  puissance  législative  et  la  nation  elle-même,  pour  satis- 
faire l'orgueil  de  quelques  hommes? 

Au  reste,  la  question  se  réduit  à  des  points  très  simples. 

Le  chef  du  pouvoir  exécutif  a-t-il  été  fidèle  à  la  nation? 
il  faut  le  conserver.  L'a-t-il  trahie?  Il  faut  le  destituer. 


J24  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

L'assemblée  nationale  ne  veut  point  prononcer  cette 
déchéance;  et  si  on  le  suppose  coupable,  l'assemblée  natio- 
nale est  elle-même  complice  de  ses  attentats,  elle  est  aussi 
incapable  que  lui  de  sauver  l'état.  Dans  ce  cas,  il  faut  donc 
régénérer  à-la-fois,  et  le  pouvoir  exécutif  et  la  législature. 

Un  autre  dilemne  indépendant  de  ce  fait,  peut  encore 
facilement  décider  la  question.  Ou  bien  la  législature  a 
montré  jusques  ici,  en  général,  toutes  les  qualités  néces- 
saires, pour  guérir  les  plaies  profondes  de  la  patrie  ;  ou  elle 
en  a  paru  dépourvue.  Dans  le  premier  cas,  reposons-nous 
absolument  sur  elle  des  destinées  de  la  France  et  de  l'uni- 
vers; oublions  tous  les  événemens  dont  nous  avons  été  les 
témoins.  Oublions  même  la  déclaration  qu'elle  nous  a  faite 
des  dangers  de  la  patrie.  Dans  le  second  cas,  la  question  se 
réduit  évidemment  à  ces  termes  simples  :  vaut-il  mieux  que 
l'état  périsse,  ou  que  le  soin  de  le  sauver  soit  confié  à  de 
nouveaux  représentans  ?  Il  s'agit  d'opter  entre  les  membres 
de  la  législature  actuelle  et  la  liberté. 

On  peut  encore  poser  la  question  d'une  autre  manière, 
en  la  liant  à  un  fait  essentiel.  Lafayette  et  depuis,  d'autres 
généraux,  à  son  exemple,  encouragés  par  l'impunité  dont 
il  jouit,  lui  ont  dicté  des  lois,  au  mépris  de  la  constitution; 
ils  ont  déclaré  la  guerre  au  peuple  français,  et  usurpé  la 
dictature.  La  majorité  de  l'assemblée  nationale  l'a  souffert  ; 
Lafayette  et  ses  complices  demeurent  impunis.  Elle  recon- 
noit  donc  tacitement  l'empire  de  ces  généraux  rebelles  ;  elle 
nous  livre  au  despotisme  militaire  et  aux  attentats  de  tous 
les  factieux.  Et  la  question  de  la  nécessité  d'une  convention 
nationale  se  réduit  à  savoir,  si  la  nation  veut  courber  la 
tête  sous  le  joug  de  Lafayette  et  de  tous  les  conspirateurs 
assez  audacieux  pour  l'insulter. 

D'après  cela,  vous  concluez,  peut-être,  qu'une  conven- 
tion nationale  est  absolument  indispensable.  Déjà  on  a  mis 
tout  en  œuvre  pour  prévenir  d'avance  les  esprits  contre 
cette  mesure.  On  la  craint,  ou  on  affecte  de  la  craindre  pour 
la  liberté  même.  Il  suffiroit  peut-être,  de  répondre  que  la 
la  liberté,  étant  évidemment  perdue,  si  l'état  actuel  des 
choses  subsiste,  il  seroit  absurde  de  ne  pas  recourir  à  ce 
moyen  de  la  sauver;  et  que  des  inconvéniens  plus  ou  moins 
réels  ne  peuvent  balancer  la  nécessité  évidente  de  l'em- 
ployer. 


ONZIÈME   NUMÉRO  325 

Mais,  si  Ton  examine  les  objections  qu'on  oppose  à  ce 
système,  on  aperçoit  bientôt  que  ce  ne  sont  que  de  vains 
épouvantails,  tels  que  le  machiavélisme  a  coutume  de  les 
imaginer,  pour  écarter  toutes  les  mesures  salutaires. 

Les  assemblées  primaires,  dit-on,  seront  dominées  par 
l'aristocratie.  Qui  pourroit  le  penser,  lorsque  leur  convo- 
cation même  sera  le  signal  de  la  guerre  déclarée  à  l'aristo- 
cratie? Le  moyen  de  croire  qu'une  si  grande  multitude  de 
sections  du  peuple  puisse  être  séduite  ou  corrompue!  Si 
quelques-unes  pouvoient  être  égarées,  la  masse  seroit,  à 
coup  sûr,  dirigée  par  le  sentiment  du  bien  commun  et  par 
l'esprit  de  la  liberté.  Et  où  chercherez-vous  donc  l'amour  de 
la  patrie  et  la  volonté  générale,  si  ce  n'est  dans  le  peuple 
lui-même?  Où  trouverez-vous  l'orgueil,  l'intrigue,  la  cor- 
ruption, si  ce  n'est  dans  les  corporations  puissantes,  qui 
substituent  leur  volonté  particulière  à  la  volonté  générale, 
et  qui  sont  toujours  tentées  d'abuser  de  leur  autorité  contre 
ceux  qui  la  leur  ont  confiée  ?  Quelle  témérité,  ou  quelle  inep- 
tie dans  des  hommes  que  la  nation  a  choisis,  de  lui  contes- 
ter à-la-fois,  le  sens  commun  et  l'incorruptibilité,  dans  les 
occasions  critiques,  où  il  s'agit  de  son  salut  et  de  sa  liberté! 

Quel  spectacle  affligeant  pour  les  amis  de  la  patrie  !  Ouel 
objet  de  risée  pour  nos  ennemis  étrangers,  de  voir  quelques 
intrigans,  aussi  absurdes  qu'ambitieux,  repousser  le  bras 
tout  puissant  du  peuple  français,  évidemment  nécessaire, 
pour  soutenir  l'édifice  de  la  constitution,  sous  lequel  ils  sont 
prêts  d'être  eux-mêmes  écrasés!  Ah!  croyez  que  la  seule 
inquiétude  qui  les  agite,  c'est  celle  de  perdre  leur  scanda- 
leuse influence  sur  les  malheurs  publics  :  c'est  la  crainte  de 
voir  la  nation  française  déconcerter  le  projet  qu'ils  ont 
déjà  bien  avancé,  de  l'asservir  ou  de  la  trahir  ! 

Les  autrichiens  et  les  prussiens;  disent  ces  intrigans, 
maîtriseront  les  assemblées  primaires.  Se  seroient-ils  donc 
arrangés  pour  livrer  la  France  aux  armées  de  l'Autriche 
et  de  la  Prusse?  S'il  en  est  ainsi,  c'est  une  raison  de  plus 
d'assembler  la  nation;  ce  n'est  que  lorsqu'elle  sera  levée 
toute  entière,  qu'elle  pourra  repousser  ses  ennemis  ;  et  c'est 
alors  que  tous  les  satellites  du  despotisme  respecteront 
notre  territoire,  comme  une  terre  sacrée  et  redoutable  aux 
tyrans.   Croyez-vous  que  ceux-ci  aiment  mieux  avoir  à 


326  LE    DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

faire  au  peuple  français  et  à  une  convention  digne  des  cir- 
constances qui  l'auront  créée,  qu'à  une  cour  perfide  et  à  des 
mandataires  du  peuple,  ou  ineptes,  ou  foibles  ou  cor- 
rompus ? 

Mais,  disent  encore  nos  intrigans,  les  aristocrates  dési- 
rent aussi  une  convention  nationale.  Te  les  crois  dignes 
d'être  les  interprètes  des  aristocrates,  dont  ils  sont  les  plus 
fermes  appuis.  Cependant,  que  ce  vœu  soit  réel  ou  non,  que 
les  aristocrates,  soit  par  désespoir,  soit  par  erreur,  désirent 
ce  que  les  intrigans  redoutent  ;  ou  bien  qu'ils  ne  fassent  ici 
que  renouveller  le  stratagème  usé,  de  paroître  désirer  une 
mesure  salutaire,  pour  la  rendre  suspecte,  il  suffit,  pour 
les  amis  éclairés  du  bien  public,  de  savoir  que  l'intérêt  du 
peuple  l'exige  impérieusement. 

Bonne  ou  mauvaise,  les  aristocrates  et  la  cour  accuseront 
toujours  la  législature;  bonne  parce  qu'elle  confondra  tou- 
tes leurs  espérances;  mauvaise,  pour  lui  concilier  une 
espèce  d'opinion  publique,  qui  lui  donne  les  moyens  de 
favoriser  plus  puissamment  leurs  complots.  Au-dessus  de 
toutes  les  intrigues  et  de  toutes  les  factions,  la  nation  ne 
doit  consulter  que  les  principes  et  ses  droits. 

La  puissance  de  la  cour  une  fois  abattue,  la  représenta- 
tion nationale  régénérée,  et  surtout  la  nation  assemblée,  le 
salut  public  est  assuré. 

Il  ne  reste  plus  qu'à  adopter  des  règles  aussi  simples  que 
justes,  pour  assurer  le  succès  de  ces  grandes  opérations. 

Dans  les  grands  dangers  de  la  patrie  (3),  il  faut  que  tous 
les  citoyens  soient  appelés  à  la  défendre.  Il  faut  par  consé- 
quent les  intéresser  tous  à  sa  conservation  et  à  sa  gloire. 
Par  quelle  fatalité  est-il  arrivé  que  les  seuls  amis  fidèles  de 
la  constitution,  que  les  véritables  colonnes  de  la  liberté, 
soient  précisément  cette  classe  laborieuse  et  magnanime, 
que  la  première  législature  a  dépouillée  du  droit  de  cité? 
Expiez  donc  ce  crime  de  lèze-nation  et  de  lèze-humanité, 
en  effaçant  ces  distinctions  injurieuses,  qui  mesurent  les 
vertus  et  les  droits  de  l'homme,  sur  la  quotité  des  imposi- 
tions. Que  tous  les  français  domiciliés  dans  l'arrondisse- 
ment de  chaque  assemblée  primaire,  depuis  un  tems  assez 

(3)  Une  partie  du  passage  qui  suit  (une  quinzaine  de  lignes)  est  reproduite 
par  Léonard  Gallois  (ibid.  p.  133)  avec  quelques  légères  modifications. 


ONZIEME  NUMERO  327 

considérable,  pour  déterminer  le  domicile,  tel  que  celui  d'un 
an,  aoit  admis  à  y  voter  (4);  que  tous  les  citoyens  soient 
éligibles  à  tous  les  emplois  publics,  aux  termes  des  articles 
les  plus  sacrés  de  la  constitution  même,  sans  autre  privi- 
lège, que  celui  des  vertus  et  des  talens.  Par  cette  seule  dis- 
position, vous  soutenez,  vous  ranimez  le  patriotisme  et 
l'énergie  du  peuple  ;  vous  multipliez  à  l'infini  les  ressources 
de  la  patrie;  vous  anéantissez  l'influence  de  l'aristocratie 
et  de  l'intrigue;  et  vous  préparez  une  véritable  convention 
nationale,  la  seule  légitime,  la  seule  complète,  que  la  France 
auroit  jamais  vue. 

Les  français  assemblés  voudront,  sans  doute,  assurer 
pour  jamais  la  liberté,  le  bonheur  de  leur  pays  et  de  l'uni- 
vers. Ils  réformeront,  ou  ils  ordonneront  à  leurs  nouveaux 
représentans  de  réformer  certaines  lois,  vraiment  contrai- 
res aux  principes  fondamentaux  de  h  constitution  fran- 
çaise et  de  toutes  les  constitutions  possibles.  Ces  nouveaux 
points  constitutionnels  sont  si  simples,  si  conformes  à  l'in- 
térêt général  et  à  l'opinion  publique,  si  faciles  d'ailleurs,  à 
attacher  à  la  constitution  actuelle,  qu'il  suffira  de  les  pro- 
poser aux  assemblées  primaires,  ou  à  la  convention  natio- 
nale, pour  les  faire  universellement  adooter. 

Ces  articles  peuvent  se  ranger  sous  deux  classes.  Les 
premiers  concernent  l'étendue  de  ce  au'on  a  appelé,  avec 
trop  de  justesse,  les  prérogatives  du  chef  du  pouvoir  exé- 
cutif. Il  ne  sera  question  que  de  diminuer  les  moyens  im- 
menses de  corruption,  que  la  corruption  même  a  accumulés 
dans  ses  mains.  La  nation  entière  est  déjà  de  cet  avis  ;  et 
par  cela  seul,  ces  dispositions  pourroien*-  être  déjà  presque 
considérées  comme  de  véritables  lois,  d'aorès  la  constitu- 
tion même,  qui  dit  que  la  loi  est  l'expression  de  la  volonté 
générale. 

(4)  Robespierre  réclame  le  suffrage  universel  que  le  décret  du  12  août  1792 
devait  accorder.  D'après  ce  décret,  les  membres  de  la  Convention  devaient  être 
choisis  d'après  les  règles  adoptées  lors  des  élections  de  1791,  conformément  à 
l'article  VI  de  la  section  II  du  titre  IV  de  la  Constitution  (art.  I  et  IV  du 
décret);  mais  désormais  la  distinction  des  Français  en  citoyens  actifs  et  pas- 
sifs créée  par  cette  constitution  était  supprimée,  et  pour  être  admis  à  voter, 
il  suffisait  d'être  Français,  âgé  de  21  ans,  domicilié  depuis  un  an  dans  la  même 
commune,  vivant  de  son  revenu  et  du  produit  de  son  travail  et  n'être  pas  en 
état  de  domesticité  (art.  II). 


328  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

Les  autres  articles  sont  relatifs  à  la  représentation  natio- 
nale, dans  ses  rapports  avec  le  souverain.  Et  ici,  il  ne  sera 
question  que  de  relever  les  bases  de  la  constitution  fran- 
çaise, déjà  renversées  par  le  despotisme  représentatif.  La 
source  de  tous  nos  maux,  c'est  l'indépendance  absolue,  où 
les  représentans  se  sont  mis  eux-mêmes  à  l'égard  de  la 
nation  sans  l'avoir  consultée.  Ils  ont  reconnu  la  souverai- 
neté de  la  nation,  et  ils  l'ont  anéantie.  Ils  n'étoient,  de  leur 
aveu  même,  que  les  mandataires  du  peuple,  et  ils  se  sont 
faits  souverains,  c'est-à-dire,  despotes.  Car  le  despotisme 
n'est  autre  chose  que  l'usurpation  du  pouvoir  souverain, 
Quels  que  soient  les  noms  des  fonctionnaires  publics,  et  les 
formes  extérieures  du  gouvernement,  dans  tout  état  où  le 
souverain  ne  conserve  aucun  moyen  de  réprimer  l'abus  que 
ses  délégués  font  de  sa  puissance,  et  d'arrêter  leurs  atten- 
tats contre  la  liberté  publique  et  contre  la  constitution  de 
l'état,  la  nation  est  esclave;  puisqu'elle  est  abandonnée 
absolument  à  la  merci  de  ceux  qui  exercent  l'autorité,  et 
comme  il  est  dans  la  nature  des  choses,  aue  les  hommes  pré- 
fèrent leur  intérêt  personnel  à  l'intérêt  public,  lorsqu'ils 
peuvent  le  faire  impunément,  il  s'ensuit  que  le  peuple  est 
opprimé,  toutes  les  fois  que  ses  mandataires  sont  absolu- 
ment indépendans  de  lui.  Si  la  nation  n'a  point  encore 
recueilli  les  fruits  de  la  révolution,  si  des  intrigans  ont  rem- 
placé d'autres  intrigans,  si  une  tyrannie  légale  semble  avoir 
succédé  à  l'ancien  despotisme,  n'en  cherchez  point  ailleurs 
la  cause,  que  dans  le  privilège  que  se  sont  arrogé  les  man- 
dataires du  peuple,  de  se  jouer  impunément  des  droits  de 
ceux  qu'ils  ont  caressé  bassement  pendant  les  élections. 
Placez  à  côté  d'un  monarque  riche  et  puissant,  une  assem- 
blée représentative  qui  ne  doit  compte  à  personne  de  sa 
conduite;  il  ne  résultera  jamais  de  cette  combinaison  poli- 
tique, que  le  despotisme  et  la  corruption.  Ou  bien,  les  deux 
espèces  de  mandataires  se  feront  la  guerre  ;  ou  ils  se  ligue- 
ront pour  élever  leur  puissance  commune  sur  les  ruines 
de  la  liberté  publique.  La  nation  sera  donc  encore  d'avis 
que,  par  une  loi  fondamentale  de  l'état,  à  des  époques 
déterminées  et  assez  rapprochées  pour  aue  l'exercice  de  ce 
droit  ne  soit  point  illusoire,  les  assemblées  primaires  puis- 
sent porter  leur  jugement  sur  la  conduite  de  leurs  repré- 


ONZIÈME   NUMÉRO  329 

sentans;  ou  qu'elles  puissent  au  moins  révoquer,  suivant 
les  règles  qui  seront  établies,  ceux  qui  auront  abusé  de  leur 
confiance.  La  nation  voudra  encore  que,  lorsqu'elle  sera 
assemblée,  nulle  puissance  n'ose  lui  interdire  le  droit  d'ex- 
primer son  vœu  sur  tout  ce  qui  intéresse  le  bonheur  public. 

Ce  peu  d'articles  très  simples,  et  puisés  dans  les  premiers 
principes  de  la  constitution,  suffiront  pour  l'affermir  et 
pour  assurer  à  jamais  le  bonheur  et  la  liberté  du  peuple 
français. 

La  cour  prétend  que  la  constitution  a  besoin  d'être  modi- 
fiée pour  subsister  ;  la  secte  hypocrite,  connue  sous  le  sobri- 
quet de  f euillans  répand  la  même  doctrine.  La  nation,  ce 
me  semble,  ne  risque  rien  de  les  prendre  au  mot;  pourvu 
qu'adoptant  le  principe  diamétralement  opposé  à  leur  sys- 
tème, elle  efface,  non  les  principes  de  la  constitution,  mais 
les  contradictions  de  l'acte  constitutionnel;  pourvu  qu'elle 
ne  sacrifie  pas  la  souveraineté  à  l'aristocratie,  mais  l'aris- 
tocratie à  la  souveraineté. 

Il  n'est  pas  nécessaire  d'entrer  ici  dans  les  détails  qui 
seront  les  conséquences  de  ces  principes,  que  la  législature 
actuelle  pourroit  indiquer,  que  la  convention  nationale 
verra  d'un  coup  d'ceil. 

Je  n'ai  pas  besoin  de  dire  non  plus,  que  la  première  opé- 
ration à  faire,  est  de  renouveller  les  directoires,  les  tribu- 
naux et  les  fonctionnaires  publics,  soupirans  après  le  retour 
du  despotisme,  secrètement  ligués  avec  la  cour  et  avec  les 
puissances  étrangères.  Car,  il  faut  le  dire,- la  grande  crise 
où  nous  sommes  arrivés,  n'est  autre  chose  que  la  conspira- 
tion de  la  plupart  des  délégués  du  peuple  contre  le  peuple  ; 
et  la  volonté  publique  est  tellement  prononcée  sur  la  néces- 
sité de  cette  mesure,  qu'il  étoit  même  superflu  de  la  rap- 
peler. 

Dès  que  la  voix  toute  puissante  de  la  nation  aura  retenti, 
vous  verrez  aussi  disparoître  l'audace  de  ces  généraux 
perfides  qui  affectent  si  impudemment  la  tyrannie,  et  tous 
ces  états-majors  que  le  peuple  soudoie,  pour  l'Autriche  et 
pour  les  ennemis  de  la  France.  Vous  verrez  l'armée  déga- 
gée des  chaînes"  qui  l'attachent  à  la  noblesse,  comme  un 
corps  vivant  à  un  cadavre,  se  réunir,  sous  des  chefs  patrio- 
tes, à  la  nation  entière,  pour  marcher  à  la  conquête  de  la 


330  LE   DEFENSEUR   DE  LA   CONSTITUTION 

liberté.  Jusque-là,  à  quel  sort  devez-vous  vous  attendre, 
placés,  comme  vous  l'êtes,  entre  des  conspirateurs  et  des 
armées  étrangères,  disciplinées  et  nombreuses  ? 

Il  faut  pourtant  convenir  que,  dans  les  circonstances  où 
nous  sommes,  tous  ces  grands  moyens  nécessaires  pour 
sauver  la  patrie,  ne  sont  pas  faciles  à  exécuter,  ni  exempts 
de  toute  espèce  d'inconvéniens. 

Tel  est  l'excès  du  mal  auquel  nous  ont  conduits,  et  la 
profonde  perfidie  du  gouvernement,  et  la  déplorable  crédu- 
lité du  peuple,  que  le  remède  est  devenu  nécessairement  dif- 
ficile et  périlleux.  La  guerre  étrangère,  que  nos  ennemis 
intérieurs  nous  ont  suscitée,  semble  gêner  tous  les  mouve- 
mens  de  la  nation,  et  la  place  continuellement  entre  les 
mesures  qu'exige  sa  sûreté  extérieure,  et  celles  que  prescrit 
le  maintien  de  sa  liberté.  La  guerre  semble  la  livrer  à  la 
discrétion  de  tous  les  traîtres  qu'elle  nourrit  dans  son 
sein  (5).  Tel  est  du  moins  le  système  de  tous  les  vils  intri- 
gans  qui  la  trompent  pour  l'asservir.  Jamais  nation  ne  se 
trouva  dans  une  situation  semblable  à  la  nôtre.  On  a  vu 
des  peuples  célèbres  combattre  pour  la  liberté,  contre  leurs 
anciens  tyrans,  soutenus  par  un  despote  étranger  :  mais  un 
spectacle  nouveau  pour  l'univers,  c'est  celui  d'un  peuple 
marchant  sous  les  ordres  de  ses  tyrans,  contre  ses  tyrans 
eux-mêmes,  abandonnant  à  ses  ennemis  du  dedans,  le  soin 
de  le  guider  et  de  le  défendre  contre  ses  ennemis  du  dehors. 
Dans  les  autres  révolutions,  le  gouvernement  nouveau 
qu'elles  avoient  créé,  dirigeoit  toutes  les  forces  du  peuple 
contre  l'ennemi  commun:  souvent  c'étoit  une  faction  qui 
combattoit  ouvertement  une  autre  faction,  et  qui  l'accabloit 
par  la  force  et  par  le  nombre.  Ici,  au  contraire,  le  gouver- 

(5)  En  ces  jours  tragiques  que  la  Révolution  allait  vivre,  Robespierre  perce- 
vait le  grave  péril  que  la  guerre  lui  faisait  courir  (voir  aussi  ses  discours 
aux  Jacobins  des  9  et  10  juillet  sur  la  patrie  en  danger).  De  son  côté,  Mathieu 
Dumas,  à  l'Assemblée,  accusait  le  ministère  girondin  d'avoir  «  entraîné  la 
France  dans  la  guerre  par  un  exposé  infidèle  des  négociations,  par  une  pré- 
cipitation contraire  aux  intérêts  de  l'Etat...  Pensez-vous,  dit-il,  que  par 
d'éclatantes  injustices  on  dénature  les  circonstances?  Croyez-vous  au  secret 
des  tyrans  pour  faire  taire  l'histoire?  Non,  la  vérité  reste  et  ne  rétrograde 
pas,  et  plus  nous  avancerons  dans  notre  carrière  politique,  plus  la  responsabi- 
lité des  événements  pèsera  sur  la  tête  de  ceux  qui  ont  égaré  ainsi  l'opinion 
publique  ».  (Biblio.  Nat.  Le  33/3  A,  pièce  118).  —  Adrien  Duport,  dans  son 
journal  L'Indicateur,  du  14  juillet  (n°  56),  exprimait  les  mêmes  idées.  (G. 
Michon,  ibid.,  p.  126). 


ONZIEME   NUMERO  33 1 

nement,  mélange  monstrueux  de  l'ancien  et  du  nouveau 
régime,  ne  s'applique  qu'à  punir  le  peuple  de  la  révolution, 
qui  l'a  fait  naître,  et  combat  contre  lui,  avec  toutes  les 
armes  de  la  corruption,  de  l'intrigue  et  de  l'autorité  publi- 
que. Le  peuple  français,  moins  heureux  que  les  factions  qui 
ont  changé  tant  de  gouvernemens,  trouve  presqu'autant 
d'ennemis,  qu'il  a  nommé  de  mandataires;  et  sa  cause  est 
indignement  trahie,  uniquement  parce  qu'elle  est  celle  du 
peuple  et  de  l'égalité.  On  diroit  qu'il  est  arrêté  dans  les 
décrets  éternels,  que  le  crime  et  la  tyrannie  pourront  seuls 
trouver  des  appuis  sur  la  terre. 

Ainsi  abandonnés,  que  dis-je  ?  proscrits  par  le  gouverne- 
ment nouveau,  il  faut  que  nous  trouvions  toutes  nos  res- 
sources dans  nous-mêmes.  Il  faut  que  nous  nous  élevions 
à  tous  les  prodiges  que  l'amour  de  la  liberté  peut  enfanter. 
A  notre  sort  est  attaché  celui  de  toutes  les  nations  ;  et  nous 
avons  à  lutter  contre  toutes  les  puissances  physiques  et 
morales,  qui  les  ont  opprimées  jusqu'à  ce  moment;  nous 
avons  à  lutter  contre  les  traîtres  nombreux  et  redoutables 
qui  vivent  au  milieu  de  nous  et  contre  nous-mêmes.  Il  faut 
que  le  peuple  français  soutienne  le  poids  du  monde,  et  qu'il 
dompte,  en  même  tems,  tous  les  monstres  qui  le  désolent. 
Il  faut  qu'il  soit  parmi  les  peuples,  ce  que  Hercule  fut 
parmi  les  héros. 

Oui,  je  l'ai  déjà  dit  dans  plusieurs  circonstances,  et  je  le 
répète  encore  dans  ce  moment;  il  ne  nous  reste  que  deux 
alternatives,  ou  de  périr  et  d'ensevelir  avec  nous  la  liberté 
du  genre  humain,  ou  de  déployer  de  grandes  vertus  et  de 
nous  résoudre  à  de  grands  sacrifices. 

Je  finirai  ces  réflexions  en  proposant  à  cette  occasion  aux 
défenseurs  de  la  liberté,  de  donner  à  leurs  concitoyens  un 
exemple  de  désintéressement,  qui  ne  me  paroît  pas  bien  dif- 
ficile, mais  qui  est  aussi  sage  qu'utile  au  bien  public.  Qui 
peut  douter  que  nous  serions  invincibles  si,  détachés  de 
tout  intérêt  personnel,  nous  étions  unis  par  le  seul  intérêt 
de  la  patrie.  Du  moins  j'ai  toujours  pensé  que  ce  qui  a  mis 
la  chose  publique  en  danger,  a  été  l'ambition  des  faux 
patriotes,  et  surtout  de  ceux  qui  ont  joué  un  rôle  dans 
l'assemblée  constituante  et  dans  l'assemblée  actuelle.  Il  im- 
porte plus  que  jamais  de  rompre  cette  chaîne  d'intrigues 


332  LE   DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

qui,  par-tout  a  arrêté  les  mouvemens  du  patriotisme  et 
accablé  la  liberté.  Il  est  désormais  impossible  de  la  servir 
avec  succès,  si  on  ne  la  sert  pour  elle-même;  il  importe 
encore,  d'en  exalter  le  sentiment  sublime,  et  d'imprimer  à 
sa  cause  un  caractère  sacré,  en  repoussant  loin  de  ceux  qui 
l'ont  défendue,  ce  soupçon  d'intrigue  et  de  faction,  que  ses 
ennemis  se  sont  forcés  d'accréditer. 

Si  l'assemblée  constituante  s'est  montrée  digne  du  peu- 
ple qu'elle  représentoit,  c'est  peut-être,  lorsque  d'un  côté, 
elle  ferma  à  ses  membres  l'accès  du  ministère  et  des  places 
dont  le  pouvoir  exécutif  dispose,  et  que,  de  l'autre,  elle 
décréta  qu'ils  ne  pourroient  être  réélus  à  la  seconde  légis- 
lature (6). 

Cette  double  disposition  bien  exécutée  eût  épargné  à  la 
France  bien  des  maux  et  bien  des  crimes.  Plût  au  ciel,  que 
les  membres  de  la  législature  actuelle  n'eussent  point  éludé 
la  première  de  ces  lois,  en  brigant  scandaleusement  le  minis- 
tère pour  leurs  créatures,  et  en  sacrifiant,  sans  cesse,  à  ce 
vil  intérêt,  et  les  principes  et  les  grandes  mesures,  qui 
seules  pouvoient  sauver  l'état!  l'autre  n'eût  pas  été  moins 
utile  à  la  liberté.  C'est  en  vain  que  l'ambition  déconcertée 
m'a  fait  un  crime  d'avoir  proposé  ces  deux  décrets;  c'est 
en  vain  qu'elle  a  opposé  à  celui  qui  excluoit  les  membres  du 
corps  constituant  de  la  législature  nouvelle,  la  composition 
même  de  cette  assemblée.  Quand  la  première  législature  le 
porta,  pouvoit-elle  prévoir  les  manœuvres  de  la  coalition 
des  intrigans,  qui  la  domina  durant  le  (sic)  période  funeste 
de  la  division,  et  les  assassinats  du  champ-de-mars,et  sur- 

(6)  C'est  précisément  Robespierre  qui  fit  rendre  le  décret  d'exclusion  des 
membres  de  la  Constituante  à  l'Assemblée  législative.  (Séance  du  16  mai  1791. 
Discours  de  Maximilien  Robespierre  à  l'Assemblée  nationale  pour  la  réélec- 
tion des  membres  de  l'Assemblée  nationale,  imp.  par  ordre  de  l'Assemblée: 
in-8°  de  II  p.  Imp.  Nationale).  —  Robespierre  engage  même  formellement 
(voir  ci-dessus),  le  corps  législatif  à  exclure  de  la  nouvelle  Convention  tous 
les  membres  des  deux  premières  assemblées.  La  Légis'ative  n'eut  pas  le 
désintéressement  de  sa  devancière,  et  elle  demeura  sourde  au  conseil  de 
Robespierre. 

Le  7  avril  1791,  Robespierre  avait  également  proposé  et  fait  décider,  sur 
une  motion  votée  à  la  presqu'unanimité  «  qu'aucun  membre  de  l'Assemblée 
nationale  ne  pourra  être  promu  au  ministère,  ni  recevoir  aucunes  places,  dons, 
ni  pensions,  ni  traitements,  ni  commissions  du  pouvoir  exécutif  pendant  "uatre 
ans  après  la  fin  de  ses  fonctions  >.  (Arch.  Nat.,  C1  633,  carton  50.  —  E.  Ha- 
mel,  ibid.,  t.  I,  p.  408. 


ONZIÈME   NUMÉRO  333 

tout  le  décret  téméraire,  par  lequel  les  représentans  osèrent 
arrêter  les  opérations  du  souverain  assemblé,  pour  élire 
l'assemblée  nouvelle  et  donner  aux  cabales  et  à  la  calomnie, 
les  moyens  et  le  tems  de  corrompre  la  pureté  des  élec- 
tions (7)?  Le  moment  est  arrivé  d'adopter  des  mesures 
semblables,  avec  succès.  Il  faut  absolument  arracher  la 
chose  publique  des  mains  de  ces  ambitieux  hypocrites,  qui 
ont  égaré  les  deux  assemblées  représentatives,  et  altéré 
l'esprit  public,  dans  toutes  les  parties  de  l'empire;  il  faut 
une  assemblé  (sic)  neuve,  pure,  incorruptible,  composée 
sur-tout  des  citoyens  que  leurs  manœuvres  ont  écartés  de 
la  seconde  législature,  et  que  le  despotisme  a  proscrits.  S'il 
est  quelques  zélés  défenseurs  des  droits  du  peuple,  qu'il 
auroit  pu  désirer  de  réélire,  l'inconvénient  de  les  exclure, 
sera  plus  que  compensé  par  la  nécessité  de  repousser  la 
ligue  de  tant  de  chefs  de  parti,  qui  seroit  toujours  recueil 
de  la  paix  et  de  la  liberté  publiques  Oue  l'assemblée  natio- 
nale actuelle  s'honore  donc,  par  un  décret,  semblable  à  celui 
que  ses  prédécesseurs  ont  rendu.  Oue  les  membres  de  l'as- 
semblée constituante  s'engagent  formellement  à  laisser  à 
d'autres  mains,  le  soin  de  bâtir  le  temple  de  la  liberté,  dont 
ils  ont  jeté  les  fondemens:  qu'ils  s'excluent  ainsi,  glorieu- 
sement, de  la  convention  prochaine,  et  renoncent  à  tout  nou- 
veau choix  du  peuple,  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  terminée;  que 
ceux  d'entr'eux  qui  ont  montré  le  plus  de  zèle  pour  la 
défense  de  la  liberté,  donnent  les  premiers  cet  exemple; 
que  ceux  qui  se  refuseront  à  ce  sacrifice,  soient  jugés  par 
cela  même,  et  que  cette  preuve  d'ambition  soit  pour  eux, 
aux  yeux  du  peuple,  un  titre  suffisant  d'exclusion. 

Et  ou'on  ne  dise  pas,  que  les  bons  citoyens  qui  seront 
éloienés  de  la  convention  nouvelle,  seront  perdus  pour  la 
patrie.  Ils  la  serviront  puissamment  dans  les  emplois,  dont 
la  plupart  d'entr'eux  sont  actuellement  revêtus  ;  ils  la  servi- 

(7)  Les  élections  de  1791  s'étaient  ressenties  des  troubles  qui  suivirent  la 
fuite  du  roi  et  le  massacre  du  Champ  de  Mars  du  17  juillet.  Dans  les  départe- 
ments, les  électeurs  choisirent  une  foule  de  fonctionnaires  appelés  aux  places 
du  nouveau  régime  par  les  intrigues  ministérielles;  on  ne  pouvait,  certes  pas, 
prêter  à  des  représentants  du  peuple  qu'on  était  allé  chercher  dans  des  posi- 
tions officielles,  des  sentiments  bien  sincèrement  démocratiques.  Robespierre 
s'en  plaint;  avant  lui,  Marat,  dans  Y  Ami  du  peuple  avait,  dès  le  début,  en 
octobre  1791,  dénoncé  la  mauvaise  composition  de  l'Assemblée  législative. 


334  LE    DÉFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

ront  dans  les  assemblées  du  peuple,  comme  citoyens.  Il  im- 
porte qu'il  reste,  au  milieu  du  peuple,  des  hommes  intègres 
et  judicieux,  étrangers  aux  fonctions  publiques,  pour 
l'éclairer,  et  pour  surveiller  les  dépositaires  de  son  autorité. 
Expions  donc,  aux  yeux  des  nations,  cette  lâche  ambi- 
tion de  tant  d'indignes  fonctionnaires,  qui  ont  scandalisé 
l'Europe,  et  qui  sont  à-la-fois,  la  honte  et  le  fléau  de  notre 
révolution.  Loin  de  les  envier,  laissons  purifier  ces  places, 
par  une  génération  nouvelle  de  magistrats  dignes  du  peuple 
français.  Que  nous  faut-il  de  plus,  que  le  bonheur  et  la 
liberté  de  notre  pays  ? 

II 
Sur  l'arrivée  des  marseillois  à  Paris  (8) 

Les  marseillois  sont  arrivés  dans  la  capitale.  Cette  légion 
immortelle,  que  l'ont  peut  montrer  aux  amis  et  aux  enne- 
mis de  la  liberté,  a  paru  digne  aux  uns  et  aux  autres  de  la 
haute  réputation  de  courage  et  de  patriotisme  qu'il  l'avoit 
précédée.  Une  multitude  de  patriotes  de  Paris  et  des  dépar- 
temens  volèrent  à  leur  rencontre,  et  leur  avoient  préparé,  le 
même  jour,  un  repas  civique,  aux  Champs-Elysées.  Les 
ennemis  de  la  liberté  avoient  aussi  choisi  ce  moment,  pour 
signaler  leur  arrivée,  par  quelque  événement  désastreux. 
A  peine  étoient-ils  à  table,  qu'une  troune  d'hommes  habil- 
lés en  gardes  nationales,  qu'on  assure  être  des  grenadiers 
du  bataillon  des  Filles  Saint  Thomas,  cherchèrent  à  provo- 
quer une  scène  funeste,  par  des  propos  insolens,  où  ils 

(8)  Le  30  juillet,  le  bataillon  des  Marseillais,  composé  de  patriotes  ardents 
et  enthousiastes,  avant  de  se  rendre  au  camp  de  Soissons,  organisé  en  vue  de 
protéger  la  capitale  contre  l'invasion,  fit  son  entrée  dans  Paris  en  entonnant 
un  chant  de  guerre  inconnu,  et  qu'on  appela  désormais  La  Marseillaise. 

A  cette  époque,  la  Chronique  de  Paris,  du  29  juillet,  donna  entièrement  le 
texte  de  ce  chant  avec  cette  note  :  «  Les  paroles  sont  de  M.  Rougez,  capitaine 
du  génie  à  Huningue.  L'air  a  été  composé  par  (un)  Allemand  (sic)  pour 
l'armée  de  Biron.  Ce  sont  les  fédérés  qui  l'ont  apporté  de  Marseille,  où  il  était 
fort  à  la  mode  ».  (E.  Hamel,  t.  II,  p.  358). 

Le  bataillon  des  Marseillais  contribua  à  la  Révolution  du  10  août,  à  la  prise 
du  château  des  Tuileries  par  le  peuple.  Robespierre  raconte,  dans  l'article  ci- 
dessus,  la  réception  qui  lui  fut  faite  par  la  population  de  Paris.  —  Laponne- 
raye  le  reoroduit  (t.  II,  pp.  6s  à  68).  —  L.  Gallois  en  cite  quelques  passages 
(00.  t  13-134).  —  La  fin  de  cet  article  est  publiée  incompltement  par  Hatin 
(t.  VI,  p.  287).  —  E.  Hamel  raconte  cet  événement  et  analyse  le  récit  de 
Robespierre  (t.  II,  pp.  356  à  359). 


ONZIÈME  NUMÉRO  335 

mêloient  aux  injures  lancées  contre  les  marseillois,  des 
blasphèmes  contre  la  nation.  Déjà  le  peuple,  irrité  de  leur 
audace,  leur  avoit  témoigné  son  indignation,  et  ils  avoient 
levé  leurs  sabres  sur  le  peuple  désarmé:  un  marseillois, 
attiré  par  le  tumulte,  avoit  été  entraîné  au  milieu  d'eux  par 
quelques-uns  de  ces  satellites  du  despotisme,  qui  se  prépa- 
roient  à  l'égorger  ;  quand  les  fédérés  de  Marseille,  et  ceux 
qui  les  accompagnoient,  instruits  de  ce  qui  se  passoit,  s'élan- 
cent avec  la  rapidité  de  la  foudre,  à  la  défense  du  peuple  et 
de  leur  camarade.  L'un  d'eux  et  (sic)  frappé  d'un  coup  que 
l'on  croit  mortel:  mais  plusieurs  grenadiers  du  bataillon 
des  Filles  Saint-Thomas  sont  blessés  :  un  autre  tombe  vic- 
time de  sa  criminelle  audace  ;  et  le  reste  de  la  horde  aristo- 
cratique et  feuillantine  fuit,  comme  de  lâches  assassins.  Le 
calme  de  Paris  ne  fût  point  troublé  par  aucun  autre  événe- 
ment, malgré  le  son  du  tocsin  et  la  générale  qui  fut  battue 
dans  plusieurs  quartiers  (9). 

La  cour  et  les  feuillans  vouloient-ils  en  effet,  commencer 
ce  jour-là  la  guerre  civile  à  Paris?  Ne  vouloient-ils  que 
faire  égorger  ou  désarmer  les  marseillois,  ou  cherchoient- 
ils  seulement  un  prétexte  de  calomnier  leur  civisme,  d'ef- 
frayer la  timide  bourgeoisie  et  tous  les  médérés  du  monde, 
en  marquant,  par  quelques  accidens  fâcheux,  les  premiers 
momens  de  leur  présence  à  Paris?  Ce  oui  est  certain,  c'est 
que  cette  aggression  inouïe  préparée  d'avance,  annonce  au 
moins  une  grande  audace  et  de  sinistres  projets. 

On  assure  que  Paris  et  le  Château  renferment  une  armée 
nombreuses  de  contre-  révolutionnaires,  et  des  magasins 
d'armes  destinées  aux  conspirateurs.  On  assure  que  le  régi- 
ment suisse  dont  le  départ  a  été  vainement  décrété,  entre, 
toutes  les  nuits  sans  armes  aux  Thuileries,  et  en  sort  armé  ; 
on  assure  qu'on  a  cherché  à  les  exciter  contre  les  marseil- 
lois, sous  le  prétexte  de  venger  le  régimen  d'Ernest  (9  bis). 
Tout  semble,  depuis  longtems,  présager  une  grande  cons- 

(9)  Hamfx,  t.  II,  p.  358.  —  Cet  incident,  survenu  au  cours  de  la  soirée 
même  du  30  juillet,  causa  une  très  vive  émotion.  Les  patriotes  parurent  craindre 
une  attaque  des  partisans  de  la  Cour  ;  de  grands  préparatifs  dans  le  camp  des 
contre-révolutionnaires  étaient  signalés  ;  on  crut  qu'ils  prenaient  l'off  nsive. 
Aux  Jacobins,  à  l'annonce  de  ces  bruits,  Robespierre  qui  présidait,  dût  suspen- 
dre la  séance.  (Jnurnal  de  la  Société....  n*  241.  —  Aui.ard.  (Mi.,  t.  IV.  p.  161). 

(9  bis)  Voir  ci-dessus,  page  14,  l'incident  du  régiment  d'Ernest  à  Marseille 
en  février  1792. 


336  LE    DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

piration  qui,  peut-être,  auroit  déjà  élaté,  sans  le  séjour  des 
fédérés  à  Paris.  Aussi  n'est-il  point  d'intrigues  qu'on  em- 
ploie, soit  pour  les  éloigner,  soit  pour  les  diviser,  soit  pour 
les  endormir.  Autant  les  satellites  du  despotisme  sont  payés, 
avec  libéralité,  et  récompensés  avec  magnificence,  autant  les 
défenseurs  de  la  liberté,  sont  abandonnés  lâchement,  ou 
indignement  trahis.  Quand  les  tyrans,  avec  l'or  du  peuple, 
trouvent  sans  cesse  des  serviteurs  qui  combattent  pour  leur 
cause,  le  peuple,  qui  n'a  que  des  bénédictions  à  accorder, 
ne  trouve  presque  personne  parmi  ceux-là  même  qu'il  a  le 
plus  élevés,  qui  veuille  se  dévouer  pour  la  sienne. 

Depuis  long-temps  la  guerre  est  déclarés  au  peuple  et  à 
la  liberté,  non  par  les  despotes  de  l'Autriche  et  de  la  Ger- 
manie, mais  par  les  généraux  français,  par  la  cour,  par  les 
directoires,  par  les  tribunaux,  par  les  juges  de  paix  de 
Paris,  par  ceux  qu'il  a  tirés  du  néant.  Chaque  moment 
accroît  nos  dangers  et  diminue  nos  ressources;  tout  est 
perdu,  si  nous  ne  nous  élevons  à  ce  degré  d'énergie,  dont 
une  partie  de  l'empire  a  donné  l'exemple  ;  si  le  feu  sacré  qui 
anime  les  généreux  marseillois,  ne  se  communique  à  tous 
les  français. 

Florissante  et  immortelle  cité,  reçois  les  hommages  de 
tous  les  hommes  libres  ;  que  la  patrie  reconnoissante  tresse 
des  couronnes  civiques  pour  les  fronts  de  tes  enfans  magna- 
nimes. Au  feu  et  à  l'enthousiasme  des  français,  ils  unissent 
la  fierté  de  ce  peuple  fameux,  dont  ils  sont  descendus,  et 
l'industrie  d'Athènes,  à  l'héroïsme  de  Sparte.  A  leur  appro- 
che, la  liberté  se  réveille,  le  patriotisme  se  console,  et  le  des- 
potisme pâlit.  Ils  triomphoient,  quand  on  péroroit  ailleurs  ; 
ils  f  aisoient  mieux  que  prêcher  la  constitution  ;  ils  la  déf en- 
doient;  non  contens  de  dénoncer  les  oopresseurs  de  leur 
pays,  ils  les  ont  domptés.  Marseille,  tn  peux  élever  une 
tête  orgueilleuse  entre  toutes  les  cités  oui  ont  fait  la  gloire 
du  monde.  Rome,  à  demi-libre,  donna  des  fers  aux  nations  ; 
Sparte  conquit  et  conserva  la  liberté  pour  elle  et  pour  la 
petite  contrée  qui  Tenvironnoit.  Marseille,  attachée  aux 
destinées  d'un  grand  état,  luttant,  depuis  plusieurs  années, 
contre  toute  la  puissance  des  tvrans  perfides  qui  l'oppri- 
ment, contre  l'inertie  d'une  multitude  innombrable  d'escla- 
ves malveillans,  semble  entraîner,  presque  en  dépit  d'elle- 


ONZIÈME   NUMÉRO  337 

même,  la  France  entière  à  la  liberté,  pareille  à  ce  héros, 
qui,  seul,  persécuté  par  la  colère  des  Dieux,  purgea  la  terre 
de  tous  les  monstres  qui  la  désoloient  ;  les  destinées  de  Mar- 
seille ont  été  mises  dans  un  côté  de  la  balance,  dans  l'autre, 
celles  des  tyrans  du  monde  ;  et  Marseille  a  pesé  plus  qu'eux 
tous. 

Généreux  citoyens,  auxquels  elle  s'enorgueillit  d'avoir 
donné  le  jour,  continuez  votre  glorieuse  carrière.  Nous 
combattrons,  nous  triompherons  avec  vous  :  ou,  si  la  cause 
de  l'humanité  pouvoit  succomber,  nous  tournerions  vers 
Marseille  nos  derniers  regards  ;  nous  irions  dans  ses  murs 
sacrés,  nous  ensevelir  avec  vous,  sous  les  ruines  de  la 
patrie. 

III 

Copie  de  la  lettre  écrite  au  ministre  des  affaires  étrangères, 
par  M.  Rutteau  (10) 

Lille,  le  jo  juillet  I7Q2,  Van  4  e  de  la  liberté 

Monsieur,  je  crois  devoir  commencer  le  N°  14  par  les 
observations  que  j'ai  faites  dans  ma  route  de  Paris  à  Lille, 
d'où  je  vais  partir,  pour  côtoyer  les  frontières,  sur  l'état 
desquelles  je  vous  rendrai  un  fidèle  compte. 

Les  esprits  sont  très  échauffés.  Les  natriotes  savent,  à 
n'en  pas  douter,  que  l'armée  ennemie  est  terriblement  aug- 
mentée, et  qu'elle  n'attend  qu'un  moment  favorable,  pour 
entrer  en  France.  On  accuse  hautement  le  roi  d'être  d'in- 
telligence avec  les  émigrés  et  les  puissances  coalisées.  On 
accuse  également  le  ministère  qui  nous  a  accusés  jusqu'à 
présent.  On  accuse  encore  le  général  Lafayette  (surnommé 
le  général  tranquille),  parce  qu'il  n'a  pas  Voulu  seconder  la 
marche  du  général  Luckner,  en  se  portant  sur  Namur. 
dont  il  n'étoit  éloigné  que  de  trois  lieues  (11).  Il  a  voulu, 

(10)  Cette  lettre  de  Rutteau  faisant  ressortir  l'état  d'esprit  des  populations 
très  surexcitées  et  même  affolées,  est  des  plus  curieuses. 

Elle  est  adressée  au  nouveau  ministre  des  Affaires  étrangères,  le  maréchal 
de  camp  Du  Bouchage  qui,  depuis  le  23  juillet,  remplace  par  intérim  le  marouis 
de  Chambonnas  ;  le  Ier  août,  le  diplomate  Bigot  de  Sainte-Croix,  reprend  la 
direction  de  ce  ministère  qu'il  sera  obligé  de  quitter  après  la  Révolution  du 
10  août. 

(11)  Encore  une  allusion  à  la  marche  des  armées  sur  Namur,  marche 
contrariée  par  les  manœuvres  de  La  Fayette.  Chuquet  ne  parle  pas  de  ces 
opérations. 


338  LE    DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

dit-on,  au  contraire,  donner  le  tems  aux  généraux  autri- 
chiens de  faire  avancer  des  troupes,  pour  faciliter  la  contre- 
révolution.  Enfin,  on  n'attend  que  le  signal;  et  si  Paris 
commence  (malgré  la  grande  quantité  d'aristocrates  qui 
sont  répandus  dans  les  villes  et  les  villages),  les  patriotes 
sont  décidés  à  en  faire  une  boucherie,  et  à  marcher  aux 
frontières,  sans  attendre  d'autre  commandement  que  le  cri 
de  la  vengeance. 

Enfin,  il  me  paroit  voir  à  vue  d'œil  (si  Paris  se  met  en 
train),  environ  trois  ou  quatre  millions  d'hommes  sur  la 
frontières,  et  un  tocsin  général  dans  toute  la  France. 

Prenez-y  garde,  Monsieur,  lorsqu'au  13  juillet  1789,  la 
révolution  commença,  le  sac  étoit  plein  ;  il  creva,  les  patrio- 
tes se  montrèrent,  et  la  victoire  fut  décidée  en  leur  faveur. 
Aujourd'hui  le  sac  est  presque  plein;  les  patriotes  voient 
clairement  qu'on  les  a  amusés:  ils  n'entendront  pas  raille- 
rie, et  ma  foi,  si  le  sac  crève,  je  vous  jure  qu'il  ne  restera 
pas  un  aristocrate,  pour  porter  la  nouvelle  aux  autres. 

Je  n'ai  point  encore  l'honneur  d'être  connu  de  vous  ;  mais 
je  vous  préviens  que  je  n'écris  que  des  vérités,  et  que,  si 
vous  n'y  coupez  court,  en  faisant  prendre  toutes  les  précau- 
tions nécessaires,  pour  repousser  notre  ennemi  commun,  et 
faire  marcher  la  constitution,  je  n'aurai  rien  à  me  repro- 
cher, parce  que  j'aurai  rendu  un  compte  fidèle  de  ce  qui  doit 
arriver.  Mais  l'orage  est  prêt  à  éclater;  la  hache  est  déjà 
levée.  Gare  les  aristocrates. 

Je  me  suis  procuré  tous  les  renseignemens  nécessaires  et 
sûrs,  concernant  les  patriotes  brabançons  :  et  je  crois  très 
utile  à  la  nation  française  et  à  la  nation  belgique,  de  vous 
donner,  sur  ce  qui  les  concerne,  tous  les  éclaircissemens  que 
je  me  suis  empressé  de  rechercher,  afin  de  ne  pas  exposer 
ces  braves  citoyens-soldats,  à  retomber  dans  une  erreur, 
qui  seroit  pire  que  la  première. 

Je  dois  d'abord  dire,  à  leur  louange,  qu'ils  vont  toutes 
les  nuits,  faire  des  patrouilles  sur  le  territoire  ennemi,  et 
qu'il  n'y  a  presque  pas  de  jour  qu'ils  ne  fassent  le  coup  de 
feu  contre  les  autrichiens,  et  toujours  avec  succès.  Cepen- 
dant à  leur  bravoure,  il  faut  joindre  de  l'arrangement;  et 
c'est  ce  qui  n'existe  pas,  comme  vous  allez  le  voir. 


ONZIÈME   NUMÉRO  339 

Parmi  les  membres  qui  composent  le  comité  brabançon 
à  Lille,  il  n'y  a  que  MM.  Wauderauze  et  Wandersten  qui 
soient  honnêtes  gens,  et  sur  lesquels  on  peut  compter. 

M.  Renns,  président  du  comité,  est  un  homme  qui  a  fait 
deux  fois  banqueroute;  il  est  connu  pour  un  très  mauvais 
sujet  du  parti  royaliste  ;  et  il  a  à  sa  disposition  les  fonds  de 
cette  troupe.  Il  est  chargé  de  l'habillement;  mais  il  ne  fait 
pas  mettre  de  doublure  aux  vestes  et  aux  culottes.  C'est 
profit  tout  clair. 

M.  Lenneicens,  ancien  aide  de  camp  du  général  Vander- 
merch,  un  de  ceux  qui  a  induit  ce  général  en  erreur,  a  été 
nommé  colonel  par  le  comité,  dont  il  est  membre. 

M.  de  Rosière,  général  des  brabançons,  paroit  être  dans 
les  meilleurs  principes;  il  répète,  à  chaque  instant,  qu'il 
mourra  pour  la  liberté,  des  fois  encore,  pour  celle  des  bel- 
ges. Mais  les  membres  aristocrates  du  comité,  ne  peuvent 
pas  le  sentir,  et  ils  ne  veulent  recevoir  aucun  de  ceux  qui 
leur  sont  adressés  par  ce  général.  C'est  pourquoi  il  seroit 
urgent  que,  suivant  son  rang  d'ancienneté,  on  lui  accordât 
le  grade  de  maréchal  de  camp,  avec  invitation  de  rester  à 
la  tête  des  belges,  de  qui  il  est  aimé,  et  oue  les  membres  du 
comité  voudroient  détruire  dans  l'esprit  du  soldat,  comme 
dans  celui  de  l'officier. 

M.  Dumourier  et  M.  Chambonas  ont  envoyé  à  ce  comité, 
chacun,  une  somme  de  100.000  livres:  il  seroit  assez  à  pro- 
pos que  le  ministre  des  affaires  étrangères,  ou  l'assemblée 
nationale  chargeât  quelqu'un  de  l'apurement  des  comptes 
de  ceux  qui  ont  l'argent  à  leur  disposition. 

Il  faudroit  aussi  qu'il  y  eût  dans  l'abbaye  de  Los,  lieu  de 
casernement  des  troupes  brabançonnes,  un  adjudant-géné- 
ral, chargé  de  la  police  et  de  l'instruction  du  soldat:  car  il 
règne,  dans  cette  abbaye,  un  despotisme  affreux,  notam- 
ment contre  les  français  qui  s'y  sont  enrôlés,  et  que  les 
membres  du  comité  ne  peuvent  pas  sentir,  parce  qu'ils 
n'aiment  pas  plus  les  soldats  français  que  la  constitution 
française  (12). 

(12)  Dans  le  numéro  suivant  (p.  368),  Rutteau  dût  reconnaître  que  les  ren- 
seignements qui  lui  avaient  été  fournis  sur  les  membres  du  Comité  belge  étaient 
exagérés.  Il  fit  amende  honorable. 


340  LE    DÉFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

Lille 

Le  régiment  de  Courte,  est  le  seul  des  trois  régimens 
suisses  en  garnison  dans  cette  ville,  qui  soit  patriote  ;  et  il 
seroit  à  désirer  que  les  deux  autres  fussent  dans  l'intérieur 
de  la  France. 

Il  n'y  a  cependant  rien  à  craindre  pour  cette  place;  la 
garnison  et  les  bourgeois,  malgré  les  aristocrates  qui  y 
fourmillent,  peuvent  soutenir  un  très  long  siège  contre 
200.000  hommes. 

M.  Duhoux,  commandant  de  la  ville,  passe  pour  un  f  oible 
démocrate,  et  on  n'est  pas  trop  sûr  de  lui  (13). 

M.  Delabourdonnois,  lieutenant-général,  paroit  être  dans 
de  meilleurs  principes  (14). 

Toutes  les  troupes  de  ligne  en  général,  sont  disposées 
à  se  bien  battre  :  elles  soutiendront  vivement  la  révolution. 
Il  n'y  a  que  les  officiers,  ci-devant  nobles,  qui,  sans  doute 
partiront,  lors  de  l'attaque  générale.  Mais  cette  ressource 
est  bien  f  oible  pour  les  aristocrates. 


Rapport  d'un  de  mes  surveillans  dans  les  Pays-Bas 
Toutes  les  troupes  autrichiennes,  prussiennes,  ainsi  que 
les  difrerens  corps  des  français  rebelles,  se  portent  presque 
en  totalité  sur  la  Lorraine  et  l'Alsace.  On  vient  encore  de 
tirer  des  détachemens  de  Mons  et  de  Tournai  pour  rejoin- 
dre le  grand  corps  d'armée.  Ces  deux  villes  sont  sur  une 
bonne  défensive. 

On  compte  toujours  sur  l'enlèvement  de  la  famille  royale 
qui  sera  d'une  part  favorisé  (sic)  à  Paris,  par  la  garde  qui 
se  trouvera  postée  aux  Thuileries.  et  de  l'autre,  par  celle 
qui  se  trouvera  sur  le  passage  et  à  la  sortie  de  la  sainte 
famille. 

Au  reste,  les  émigrés  sont  décidés,  s'ils  ne  peuvent  par- 
venir à  leur  évasion,  à  les  faire  assassiner,  et  à  avoir  des 

(13)  Le  général  Charles-François  Duhoux  qui  commandait  la  place  de  Lille, 
était  suspect  ;  il  fut  arrêté  en  l'an  II  ;  libéré  et  mis  à  la  retraite,  il  fut  l'un  des 
chefs  des  sections  rovalistes  dans  l'insurrection  du  13  vendémiaire  an  IV. 

(14)  Le  erénéral  Anne-François-Aue^istin  de  La  Bourdonnais  (i747-T793)> 
défendit  Lille  en  1792;  il  commandait  l'aile  eauche  de  l'armée  de  Dumouriez, 
en  Belgique,  en  1793  et  fut  mis  à  la  tête  de  l'armée  des  Côtes  de  l'Ouest,  puis 
de  celle  des  Pyrénées  occidentales  ;  il  mourut,  pendant  la  campagne,  à  Dax. 


ONZIEME   NUMERO  341 

aboyeurs  tous  prêts,  qui  iront  par-tout  faire  courir  le  bruit 
que  ce  sont  les  jacobins,  afin  de  parvenir  a  exciter  une 
guerre  civile,  et  à  faire  tourner  les  armes  des  gardes  natio- 
naux contre  eux-mêmes. 

Il  est  parti,  le  18  juillet  présent  mois,  un  courrier  qui  a 
apporté  au  roi  de  France,  les  dernières  intentions  des  émi- 
grés et  des  puissances  coalisées.  Cet  écrit  porte,  qu'ils  pré- 
tendent détruire  l'assemblée  nationale,  et  remettre  le  roi 
dans  tous  ses  droits;  remettre  les  parlemens,  sur  lesquels 
le  roi  aura  un  pouvoir  absolu;  faire  mettre  bas  les  armes 
à  la  prétendue  garde  nationale  ;  passer  au  fil  de  l'épée  tous 
ceux  qui  seront  trouvés  en  armes  et  en  cocardes  tricolors 
(sic),  et  faire  pendre  dans  chaque  ville,  les  principaux  chefs 
de  la  révolution. 

Sitôt  la  moisson  faite,  on  compte  entrer  en  France;  et 
pour  vous  donner  plus  d'occupation,  et  empêcher  que  vos 
forces  ne  se  réunissent,  on  mettra  le  feu  dans  diverses  gran- 
ges, aux  meules  de  blé  qui  se  trouveront  dans  la  campagne. 
I  'ans  Paris,  il  y  aura  une  conspiration  considérable,  qui 
empêchera  les  sans-culottes  de  marcher  aux  frontières.  On 
usera  du  même  stratagème  à  Lyon  et  dans  d'autres  en- 
droits. Pendant  que  vous  y  porterez  du  secours,  les  mal- 
veillans  vous  battront  d'un  côté,  et  l'armée  ennemie  péné- 
trera par  quatre  côtés,  sur  quatre  colonnes  seulement;  et 
dirigeront  leur  marche  sur  Paris,  qu'ils  espèrent  faire  ren- 
dre facilement  (15). 

Les  autrichiens  et  les  prussiens  ne  redoutent  que  le  toc- 
sin, et  ils  tremblent  que  la  France  entière  ne  se  lève,  et 
qu'ils  ne  puissent  échapper  à  la  vengeance  du  peuple  fran- 
çais. 

Vos  émigrés  craignent  également  que  les  patriotes  ne 
commencent,  et  qu'ils  n'égorgent  ceux  qui  sont  dans  leur 
parti,  et  qu'on  ne  marche  en  force  contr'eux.  Ils  sont  sans 
le  sou,  misérables,  gueux  comme  des  rats  d'église,  et  ils 

(15)  Comparer  ces  menaces  avec  le  manifeste  du  duc  de  Brunswick  qui  se 
préparait  à  envahir  la  France  à  la  tête  d'une  formidable  armée  de  120.000 
Prussiens  et  Autrichiens  conduits  par  les  Emigrés.  (Déclaration  de  S. AS.  le 
duc  régnant  de  Brunswick-Lunébourg,  commandant  les  armées  combinées  de 
L.  L.  M.  M.  l'empereur  et  le  roi  de  Prusse,  adressée  aux  habitons  de  la 
France;  donnée  au  quartier  général  de  Coblentz  le  25  juillet  1792.  Histoire 
parlementaire,  t.  XVI,  p.  276  et  suivantes). 


342  LE   DEFENSEUR   DE   LA    CONSTITUTION 

forcent  leurs  domestiques  à  s'enrôler  dans  leur  armée.  Les 
uns  le  font,  les  autres  rentrent  en  France,  où  ils  vont  atten- 
dre que  la  contre-révolution  soit  achevée  pour  recevoir 
leurs  gages. 

D'après  ce  rapport,  il  me  semble  que  sans  attendre  plus 
long-tems,  il  faudroit  faire  marcher  une  colonne  de  15.000 
hommes  sur  la  rive  droite  de  la  rivière  Desambre  (16),  en 
prenant  une  position  avantageuse  entre  Namur  et  Char- 
leroi. 

Une  deuxième  colonne  de  15.000  hommes,  devroit  aller 
sur  la  rive  gauche  de  la  même  rivière,  en  s'emparant  des 
hauteurs  qui  dominent  Charleroi  et  les  déniés  qui  viennent 
du  côté  de  Huick. 

Une  troisième  colonne  de  15.000  hommes,  devroit  mar- 
cher sur  la  rive  gauche  de  la  Meurthe,  comme  pour  gagner 
le  pays  jusqu'à  Huy  (17). 

En  se  plaçant  sur  la  croisière  des  chemins  nommés  les 
quatre  bras  (18),  on  couperoit  à  l'ennemi  toute  communi- 
cation et  toute  retraite;  et  les  trois  colonnes  pourroient  se 
rallier  en  très-peu  de  tems,  et  former  une  force  supérieure 
à  celle  de  l'ennemi. 

Une  quatrième  colonne  de  15.000  hommes,  pourroit  mar- 
cher sur  Tournai,  en  gardant  la  rive  gauche  de  l'Escaut; 
et  un  corps  d'armée  de  4.000  hommes,  précédée  des  volon- 
taires belges,  marcheroit  sur  Mons,  amuser  l'ennemi;  pen- 
dant que  les  quatre  colonnes  iront  toujours  en  avant. 

Pendant  que  ces  quatre  colonnes  marcheroient,  il  fau- 
droit aussi,  le  même  jour,  faire  marcher  une  colonne  de 
24  à  30.000  hommes  sur  la  rive  gauche  de  la  Mozelle  (sic), 
depuis  Sierck  jusqu'à  Gravemark:  elle  serviroit  à  battre 
l'ennemi,  et  à  empêcher  qu'aucun  secours  ne  puisse  arriver 
du  côté  de  Trêves  ni  de  Luxembourg. 

Les  cinq  colonnes  formeroient  une  armée  de  94.000  hom- 
mes, non  compris  les  patriotes  brabançons  qui  sont  en 
France,  et  ceux  qui  nous  rejoindroient,  à  mesure  qu'on  en- 

(16)  Sic:  mis  pour  «  de  la  Sambre  ». 

(17)  Huy,  ville  de  Belgique,  de  la  province  de  Liège,  sur  la  Meuse,  et  non 
sur  la  Meurthe. 

(18)  Le  carrefour  du  hameau  des  Quatre-Bras,  dans  le  Brabant  belge,  au 
point  d'intersection  des  routes  de  Charleroi  à  Bruxelles  et  de  Nivelles  à 
Namur,  devint  célbre  par  la  bataille  de  Waterloo  (ier  juin  1815). 


ONZIEME   NUMERO  343 

treroit  dans  le  pays  ;  et  ce  total  n'empêcheroit  pas  de  tenir 
nos  frontières  garnies,  et  d'envoyer  dans  les  villages  des 
détachemens  d'infanterie,  pour  mettre  le  laboureur  à  l'abri 
des  pillages  des  hulans,  qui  ne  cessent  de  commettre  jour- 
nellement des  massacres  chez  nos  pauvres  villageois,  qui 
sont  à  la  gueule  du  loup  (19). 

Avant  de  faire  marcher  ces  colonnes,  suivant  le  plan  ci- 
dessus  détaillés  (sic),  il  faudroit  faire  quelques  feintes  du 
côté  de  la  Lorraine-Allemande,  notamment  du  côté  de 
Strasbourg,  attendu  que  l'ennemi,  trompé  par  cette  ruse, 
feroit  venir  des  détachemens  du  côté  de  Luxembourg,  et 
que  ses  forces,  étant  affoiblies  dans  cette  partie,  nos  colon- 
nes auroient  un  avantage  beaucoup  plus  grand,  et  que  le 
Brabant  seroit  plutôt  conquis. 

Voilà,  Monsieur,  les  plus  prudentes  et  les  plus  urgentes 
mesures  que  nous  puissions  mettre  maintenant  en  usage. 
J'ai  cru  devoir  vous  les  communiquer,  et  les  soumettre  à 
votre  sagesse;  trop  heureux,  si  vous  daignez  les  agréer 
comme  une  foible  marque  de  mon  patriotisme  et  de  mon 
empressement  à  sauver  la  chose  publique  du  danger. 

Il  paroit  très-certain  qu'on  a  été  fort  étonné  à  Bruxelles, 
de  trouver,  à  la  pointe  du  jour,  sur  la  place  du  marché, 
l'arbre  de  la  liberté,  autour  duquel  on  a  trouvé  cette  ins- 
cription: La  liberté  ou  la  mort.  Ce  fait  est  arrivé  le  25 
juillet  ;  on  travaille  à  en  découvrir  les  auteurs.  Dieu  veuille 
qu'on  n'y  réussisse  pas.  Demain  31  juillet  (20),  on  cassera 
la  tête,  dans  Tournay,  à  six  patriotes  brabançons  qui  ont 
été  faits  prisonniers  dans  les  différentes  patrouilles  qu'ils 
font  toutes  les  nuits,  sur  le  territoire  ennemi.  Que  ne  som- 
mes-nous là,  pour  sauver  ces  pauvres  patriotes  des  mains 
sanguinaires  de  leurs  tyrans  ! 

Je  vous  prie,  Monsieur,  de  vouloir  bien  m'accuser  la 
réception  de  mon  N°,  et  me  faire  passer  vos  ordres,  ainsi 
que  ce  que  vous  pensez  de  mon  travail,  afin  de  savoir  si  je 
peux  le  continuer.  Je  vous  prie  aussi,  de  vouloir  bien  ne  pas 
attendre  la  dernière  extrémité,  pour  me  faire  passer  des 
fonds,  attendu  que  je  ne  peux  pas  envoyer  des  surveillans 

(19)  Ces  conseils  stratégiques  que  donne  le  subordonné  de  Rutteau  sont 
intéressants. 

(20)  Ce  rapport  de  l'agent  de  Rutteau  est  donc  également  du  30  juillet, 
comme  la  lettre  de  son  chef  au  ministre.  On  voit  que  ces  policiers-espions 
étaient  très  diligents,  bons  patriotes  et  consciencieux  citoyens. 


344  LE    DEFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

en  Allemagne,  sans  leur  donner  de  l'argent  sonnant.,  et  non 
du  papier  national,  qui  n'a  pas  cours  chez  les  tyrans,  mais 
seulement  chez  les  peuples  libres.  Je  suis  obligé  d'acheter 
l'argent  160  pour  ioo,  ainsi  voyez  combien  cela  me  met  en 
arrière.  Je  suis,  etc.. 

P.  S.  Je  finissois  ma  lettre,  lorsqu'un  de  mes  surveillans 
est  venu  me  prévenir  que  l'ennemi  venoit  d'évacuer  Bavay, 
et  que  des  détachemens  à  pied  et  à  cheval,  dévoient  se  por- 
ter nuitamment  à  l'abbaye  de  Los,  pour  égorger  les  patrio- 
tes brabançons  qui  y  sont  assemblés.  Je  me  suis  sur-le- 
champ  transporté  chez  M.  de  Rosière,  général  des  braban- 
çons, pour  lui  communiquer  cet  avis;  il  n'y  étoit  pas:  j'ai 
été  chez  M.  de  la  Bourdonnois,  lieutenant-général,  à  qui 
je  l'ai  communiqué  ;  il  m'a  écouté  avec  beaucoup  de  douceur, 
et  m'a  promis  d'y  faire  veiller  ;  non  content  de  cette  démar- 
che, et  crainte  d'oubli  de  la  part  de  ce  général,  j'ai  été  à 
l'abbaye  de  Los,  en  avertir  un  capitaine  qui  est  un  de  mes 
amis  ;  il  m'a  répondu  que  cela  ne  seroit  pas  surprenant,  et 
qu'ils  n'avoient  pas  une  seule  pièce  de  canon  ;  que  leurs  sol- 
dats étoient  déjoutés  (21);  qu'ils  étoient  la  plupart  tout 
nuds  et  sans  souliers. 

Je  vous  supplie  donc  Monsieur,  de  vouloir  bien  demander 
à  l'assemblée  nationale,  qu'il  soit  accordé  aux  patriotes 
brabançons,  deux  pièces  de  canons,  qu'ils  rendront  à  la 
France,  lorsque  le  Brabant  sera  conquis  ;  ils  méritent  cette 
faveur,  tant  parce  qu'ils  sont  bons  soldats,  que  parce  qu'ils 
épousent  la  même  querelle  que  nous. 


Metz,  27  juillet  1792,  Van  4™  de  la  liberté 

Hier  enfin,  26,  est  arrivé  entre  neuf  et  un  heure,  cette 
colonne  de  l'armée  de  Luckner  (22),  du  camp  de  Famars, 
près  de  Valenciennes.  Un  régiment  de  hussards,  dragons 
et  chasseurs  à  cheval  ont  été  cantonnés  à  Sey,  Lerry, 
Woippy  :  la  cavalerie,  composée  des  deux  régimens  de  cara- 
biniers, des  cuirassiers,  et  de  R.  cravattes  (22  bis),  ainsi 

(21)  Sic:  mis  pour  €  privés  de  tout  ». 

(22)  Chuquet  parle  de  ce  mouvement  de  l'armée  de  Luckner  venant  du  camp 
de  Maulde,  situé  plus  haut,  sur  la  route  de  Douai  à  Tournai. 

(22  bis)  Détachement  de  l'ancien  régiment  de  Royal-Cravate  ;  cavalerie 
légère  d'origine  croate. 


ONZIÈME   NUMÉRO  345 

que  huit  bataillons  de  guerre  d'infanterie,  deux  de  grena- 
diers ont  campé  dans  la  prairie,  depuis  Moulins  jusqu'à 
Longeville.  On  a  mis  les  huit  divisions  d'artillerie,  C.A.D. 
64  pièces,  servies  par  dix  compagnies  et  un  bataillon  de  vo- 
lontaires, dans  le  ban  St-Martin;  j'oubliai  quatorze  pres- 
tons  (23),  et  les  chevaux,  au  nombre  de  4.500,  qui  ont  été 
placés  sous  les  arbres  du  cours  ;  l'ambulance  sur  la  place  du 
fort;  le  quartier-général  chez  M.  Lasalle,  ban  de  St-Mar- 
tin. Cette  colonne,  formée  d'une  partie  des  garnisons  du 
nord  de  la  France,  pouvoit  être  composée  de  15.000  hom- 
mes ;  des  averses  très-fortes,  depuis  deux  et  demi  jusqu'à 
cinq,  n'ont  pas  excité  le  moindre  murmure  parmi  eux,  ainsi 
que  la  très-longue  route  qu'on  leur  faisoit  faire.  Ils  sont 
dévoués  entièrement  au  général  Luckner,  avec  qui  ils  ont 
déjà  marché  à  Courtrai  ;  et  sont  déterminés  à  mourir,  plu- 
tôt que  de  retomber  dans  l'esclavage.  Ils  sont  encore  ici 
aujourd'hui,  ne  sachant  ni  le  jour  qu'ils  partiront,  ni  la 
route  qu'ils  tiendront.  On  attendoit  hier  Luckner,  qui  n'est 
arrivé  que  ce  matin  à  4  heures.  Si  l'on  eût  voulu  se  gêner 
un  peu,  il  étoit  possible  de  loger  tous  ces  braves  gens  chez 
les  citoyens;  ils  auroient  du  moins  passés  deux  bonnes 
nuits  ;  au  lieu  qu'ils  sont  campés  au  milieu  de  prés  remplis 
d'eau,  puisque  la  pluie  ne  discontinue  point  de  tomber, 
moins  fort  cependant  qu'hier.  Il  est  probable  que  ce  n'étoit 
pas  l'idée  de  ceux  qui  présidoient  à  ces  opérations  ;  mais  ils 
ont  beau  faire,  ils  ne  les  décourageront  pas  :  on  a  peut-être 
craint  la  communication  avec  les  filles  de  Metz,  mais  cela 
ne  remédit  pas  au  mal  ;  j'en  ai  apperçu  oui  suivoient  la  divi- 
sion, et  puis  on  les  laisse  venir  en  ville;  mais  la  fatigue 
paroît  bien  avoir  amorti  cette  passion  chez  eux. 

Extrait  d'une  lettre  de  Sierck,  le  25  juin  1792. 

Rien  n'est  plus  certain  que  le  passade  par  Rémich  pour 
Luxembourg,  ou  le  Pays-Bas,  de  l'infanterie  et  des  troupes 
légères,  dont  je  vous  ai  parlé  précédemment;  je  les  tiens 
de  témoins  oculaires,  de  plusieurs  gens  de  Perles,  qui  nous 

(23)  Terme  dont  nous  ijnorons  la  signification:  dans  l'artillerie,  ce  mot  de 
prestons  ou  pressons  désignent  des  outils,  leviers  ou  barres  de  fer  utilisés  dans 
les  ateliers  de  constructions  ou  de  réparations  des  pièces.  (Frédéric  Godefroy  : 
Dictionnaire  de  l'ancienne  langue  française,  t.  VI). 


346  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

sont  tout  dévoués,  et  d'autres  villages  voisins  qui  nous 
disent  tout.  Rien  n'est  plus  certain  que  le  transport  du 
convoi  d'artillerie  par  la  même  route,  à  la  différence  cepen- 
dant, que  ce  convoi  alloit  sur  les  hauteurs,  parce  qu'on  cher- 
choit  à  le  dérober,  le  plus  possible,  aux  yeux  de  ceux  que 
cela  pourroit  allarmer.  J'ai  parlé  à  un  homme  qui  les  a  vus, 
qui  a  même  failli  être  roué  de  coups,  pour  les  regarder  avec 
trop  d'attention;  et  bien  lui  a  pris  qu'il  n'étoit  pas  français, 
et  qu'il  avoit  sur  les  lieux  des  gens  qui  ont  répondu  de  lui  ;  il 
m'a  répété  que  le  convoi  était  immense.  (Hier  soir  le  bruit 
couroit  à  Metz,  que,  depuis  sept  heures  du  matin,  jusqu'à 
onze,  on  avoit  entendu  des  environs  plus  de  quatre  mille 
coups  de  canons  ;  on  présume  que  Laf  ayette  est  aux  prises 
avec  des  autrichiens,  du  côté  d'Arlons.  à  huit  lieues  de 
Metz,  Vol-d'Oiseau).  Rien  n'est  plus  certain  qu'il  y  a  deux 
mois,  que  l'on  a  retiré  de  Rémich  les  deux  cent  invalides  qui 
y  étoient  toujours  en  garnison.  Rien  n'est  plus  certain  que 
vendredi  dernier,  les  émigrés  de  Trêves,  au  nombre  de  plus 
de  deux  mille,  ont  été  armés  complètement,  au  vu,  au  su  et 
au  contentement  de  l'électeur,  cet  hypocrite.  Ces  armes 
venoient  dans  un  bateau  qui  montoit  la  Mozelle.  Le  peuple 
de  Trêves  vouloit  s'opposer  à  cet  armement  ;  mais  les  émi- 
grés se  sont  emparés  du  bateau,  avant  qu'il  n'entrât  dans 
la  ville,  et  une  fois  armés,  ils  se  sont  moqués  du  peuple. 
Vous  allez  voir  que  l'électeur  les  chassera  vers  nous  avec 
toutes  les  troupes  et  les  secours  qu'il  pourra  ;  voilà  comme  il 
conserve  le  bon  voisinage:  garantissez  ce  fait,  je  le  tiens  de 
gens  qui  l'ont  vu.  Rien  n'est  plus  certain  qu'aujourd'hui  ou 
demain,  on  enlève  de  l'arsenal  de  Thionville,  les  fusils  qui 
y  sont,  pour  Lyon  (dit-on).  Rien  n'est  plus  certain  que  les 
aristocrates  de  Sieck  (sic),  dont  le  chef  vient  de  faire  un 
voyage  à  Trêves,  s'apprêtent  à  la  guerre  qui  se  fera  infail- 
liblement; ils  envoient  leurs  meubles  précieux,  bien  avant 
dans  l'intérieur,  l'un  d'eux  fait  partir  femme  et  enfans  ;  ils 
ont  tous  les  secrets  des  complots;  toute  cette  séquelle  est 
joyeuse  et  pleine  de  confiance,  menaçant  hautement  les 
patriotes;  tous  nos  environs  sont  gros  de  l'opinion  d'une 
prochaine  attaque,  etc. 

Signé:  Rutteau. 


ONZIÈME   NUMÉRO  347 

Extrait  d'une  lettre  de  Pologne  (24),  Varsovie  le  6  juin. 

Les  troupes  russes  entrent  à  force  en  Pologne:  on  a 
voulu  les  repousser,  ou  au  moins  leur  fermer  les  passages, 
mais  que  pouvoit  faire  une  armée  de  polonois  levée  à  la 
hâte,  contre  des  soldats  élevés  et  nourris  dans  les  combats  ? 
Les  polonois  ont  montré  dans  chaque  occasion,  un  courage 
héroïque;  animés  par  l'exemple  du  prince  Joseph  Ponia- 
towski,  leur  général  (25).  Malgré  la  valeur  des  bons  sar- 
mates,  ils  n'ont  pu  empêcher  les  russes  de  pénétrer  bien 
avant  dans  la  Pologne.  Il  y  a  deux  corps  d'armées  qui 
s'avancent  à  grand  pas  versJVarsovie.  L'un  qui  est  déjà 
à  Grodno,  composé  de  40.000  hommes,  et  un  autre  à 
Dubno.  On  prétend  que  le  premier  suffira  pour  faire  ren- 
trer la  Pologne  sous  le  joug  de  la  Russie,  et  faire  remettre 
la  constitution  sur  l'ancien  pied.  Les  russes  commettent  par- 
tout où  ils  passent  des  horreurs  inouïes:  ils  ont  fait  une 
formule  de  manifeste,  qu'ils  font  déjà  signer  de  gré  ou  de 
force  à  tous  les  gentils-hommes  polonois,  après  les  avoir 
mis  à  contribution  :  s'ils  refusent,  ils  Vs  font  désabiller  et 
les  bâtonnent  jusnu'à  ce  qu'ils  signent  leur  manifeste.  Les 
femmes  sont  traitées  encore  plus  inhumainement  par  ces 
barbares  :  ils  les  dépouillent,  les  violent,  et  ensuite  lâchent 
de  gros  chiens  qui  dévorent  ces  infortunées  créatures;  les 
femmes  du  premier  rang  ne  sont  pas  à  l'abri  de  ces  hor- 
reurs. 

(24)  La  Pologne,  après  un  premier  partage,  en  1772,  entre  la  Prusse  et  la 
Russie,  suivies  à  regret  par  l'Autriche,  avait  essayé,  au  moment  de  la  Révo- 
lution Française,  de  secouer  le  joug  et  de  se  relever.  La  Grande  Diète  de 
Quatre  ans  de  1788  à  1792  avait  voté  la  Constitution  du  3  mai  1791.  Mais  une 
partie  de  la  noblesse  ayant  trahi  (Confédération  de  Targowica),  un  second  et 
définitif  partage  eut  lieu,  en  1794,  après  une  héroïque  et  inutile  résistance  de 
Kosciusko,  mal  secondé  par  la  France.  (Julien  Grossbart:  La  politique  polo- 
naise de  la  Révolution  Française  jusqu'au  traité  de  Bâle.  «  Annales  Historiques 
de  la  Révolution  Française  »,  1929,  pp.  35,  242,  276.) 

(25)  Le  prince  Joseph-Antoine  Poniatowski  (1762-1813),  avant  pris  le  parti 
de  la  cause  populaire  dans  son  pays,  fut  nommé,  en  1792,  commandant  en  chef 
de  l'armée  de  100.000  hommes  que  la  Grande  Diète  avait  levée  pour  résister 
à  l'invasion  des  Russes  apnelés  en  Poloerne  par  les  nobles  de  la  Confédération 
de  Targowica.  Il  seconda  l'insurrection  de  Kosciusko  en  I793-I794,  fut  minis- 
tre de  la  guerre  du  grand  duché  de  Varsovie,  momentanément  libéré  par 
Napoléon  en  T807;  il  servit  comme  général  dans  les  armées  impériales  et  se 
noya  dans  l'Elster  près  de  Longwy,  lors  de  la  retraite  de  Russie. 


LE  DÉFENSEUR  DE   LA   CONSTITUTION 

N°  12 

Articles  contenus  dans  ce  numéro 
(48  pages  (567  à  614) 

Pages 
du  document 

I.  —  Sur  les  événements  du  10  août  1792 567  à  583 

II.  —  Détails  intéressants  des   événements   du    10 

août  et  des  jours  suivants  583  à  592 

III.  —  Pétition  présentée  à  l'Assemblée  nationale  au 

nom  de  la  section  de  la  place  Vendôme 592  à  595 

IV.  —  Lettre  de  Rutteau,  écrite  de  Lille,  le  10  août 

1792,  l'an  4e  de  la  liberté  [pour  réparer 
une  erreur  commise  au  préjudice  de  mem- 
bres du  Comité  des  Belges  et  Liégeois] . .  ,        595 

V.  —  Pièces  trouvées  dans  la  chambre  du  roi  :  état 
des  noms  des  personnes  qui  doivent  être 
définitivement  choisies  dans  la  garde  natio- 
nale :  désignées  par  la  reine,  par  Madame 
Elisabeth,  par  le  roi.  —  Lettre  adressée  à 
Théodore  Lameth,  de  Maubeuge,  le  jeudi 
9  au  soir.  —  Lettre  du  prince  de  Poix,  au 
roi.  —  Lettre  de  Spa,  du  2"j  (??),  [à  une 

princesse]    596  à  600 

VI.  —  Procès- verbal  de  la  déclaration  de  M. Lecomte, 
sergent  des  grenadiers  et  de  six  personnes 
de  son  bataillon  de  renfort  au  château  des 

Tuileries  :  14  août  1792  601  à  603 

VII.  —  Extra't  de  l'interrogatoire  de  M.  De  Lalain, 
commissaire  ordonnateur,  employé  au  bureau 

de  la  guerre   603  à  604 

VIII.  —  Pièce  trouvée  dans  un  des  secrétaires  du  roi 
par  MM.  les  commissaires  envoyés  aux 
Tuileries  ;  imprimée  par  ordre  de  l'Assem- 
blée nationale  :  projet  du  Comité  des  Minis- 
tres concerté  entre  MM.  Lameth  et  Barnave.     604  à  606 

IX.  —  Billet  des  princes,  enfermé  dans  un  porte- 
feuille trouvé  dans  les  appartements  du  roi.     606  à  607 

X.  —  Note  trouvée,  avec  des  lettres  adressées  à 
M.  de  Montmorin,  ex-ministre,  dans  un 
appartement  aux  Tuileries 607  à  609 


350  LE   DEFENSEUR   DE  LA  CONSTITUTION 


Pages 
du  document 


XL  —  Pièces  trouvées  dans  le  secrétaire  du  roi, 
lues  à  l'Assemblée  nationale  le  15  août,  l'an 
4e  de  la  liberté,  imprimées  et  envoyées  aux 
quatre-vingt-trois  départements  par  son 
ordre:  Lettre  de  Philippe  de  Noailles  de 
Poix   [s.  d.].  —  Lettre  de  Coblentz  du  7 

octobre   1791    610  à  614 

XII.  —  Avis  aux  souscripteurs   614 

I 
Sur  les  événemens  du  10  août  1792  (1) 

Les  trahisons  éternelles  du  gouvernement,  la  ligue  sacri- 
lège de  nos  ennemis  intérieurs  avec  nos  ennemis  du  dehors, 
avec  une  multitude  innombrable  de  fonctionnaires  publics 

(1)  Le  dernier  numéro  du  Défenseur  de  la  Constitution  est  entièrement  consa- 
cré à  la  journée  du  10  août  et  à  ses  conséquences.  La  monarchie  venait  de 
succomber  sous  les  coups  de  l'insurrection  triomphante.  Robespierre  qui  devait 
jouer  un  rôle  capital  dans  la  préparation  de  cette  insurrection,  en  racontant 
les  faits,  accompagne  son  récit  de  réflexions,  de  commentaires,  de  détails  du 
plus  haut  intérêt,  dit  Hatin  (t.  VI,  p.  284).  «  Cette  révolution,  dit-il  (voir 
ci-après  page  358)  est  la  plus  belle  qui  ait  honoré  l'humanité;  disons  mieux,  la 
seule  qui  ait  un  objet  digne  de  l'homme,  celui  de  fonder  enfin  les  sociétés 
politiques  sur  les  principes  immortels  de  l'égalité,  de  la  justice,  de  la  raison  ». 
(Hatin,  ibid.,  p.  288). 

Laponneraye  (t.  II,  pp.  69  à  86),  ainsi  que  l'Histoire  parlementaire  (t.  XVII, 
pp.  318  à  331)  reproduisent  les  deux  premiers  articles.  —  L.  Gallois,  en 
donne  quelques  passages  (pp.  134-135)  ;  il  fait  remarquer  que  «  les  détails 
fournis  par  Robespierre  sont  les  plus  curieux  qu'aucun  journal  ait  jamais 
donnés  sur  cette  révolution,  qu'il  ne  cite  point  de  noms  propres,  car  il  attribue 
cette  journée  à  tous  les  bons  citoyens,  et  principalement  aux  représentants  des 
sections  de  la  commune  ».  —  E.  Hamel  se  sert  des  articles  de  Robespierre 
pour  le  récit  de  cette  journée  (t.  II,  pp.  364  à  382). 

Sur  la  journée  du  10  août,  voir  aussi: 

Tourneux:  Bibliographie  pour  l'Histoire  de  Paris  pendant  la  Révolution: 
t.  I,  ch.  V.,  parag.  9:  Journée  du  10  août,  doc.  imp.  n08  3362  à  3431. 

Les  deux  publications  les  plus  récentes  et  les  plus  précises  sur  cette  journée 
sont: 

Ph.  Sagnac:  La  Révolution  du  10  août  1792:  La  Chute  de  la  Royauté. 
(Paris,  Hachette,  1909,  in-120  de  334  p.  avec  deux  plans  de  Paris  par  sections, 
et  des  Tuileries). 

A.  Mathiez:  Le  dix  août,  dans  la  collection  «  Récits  d'autrefois  ».  (Paris, 
Hachette,  1931,  in-120  de  127  p.;  avec  une  note  bibliographique  sur  les  sources 
et  publications  antérieures). 

Mathiez  fait  un  récit  chronologique  des  événements  d'après  les  sources.  Il 
reconnaît,  comme  le  fait  remarquer  ci-dessus  L.  Gallois,  d'après  Robespierre 


DOUZIEME    NUMERO  35 1 

corrompus  par  la  cour,  les  persécutions  suscitées  à  tous  les 
bons  citoyens  par  la  tyrannie  armée  du  nom  de  la  loi,  les 
principes  de  la  constitution  impudemment  violés,  et  le  mot 
seul  de  constitution  devenu,  entre  les  mains  du  despotisme 
et  de  la  perfidie,  une  arme  terrible,  pour  assassiner  le  patrio- 
tisme, la  guerre  ouvertement  déclarée  au  peuple  français 
par  Lafayette  et  par  ses  complices,  et  leur  scandaleuse  im- 
punité, enfin  les  conspirations  tramées  ouvertement  contre 
la  sûreté  de  la  capitale  et  contre  la  vie  des  meilleurs 
citoyens,  tout  annonçoit  que  les  français  n'avoient  plus  à 
combattre  seulement  pour  leur  liberté,  mais  pour  leur  exis- 
tence. Tous  ces  crimes  étoient  le  terrible  commentaire  de 
cette  formule  imposante,  proclamée  par  l'assemblée  natio- 
nale :  La  patrie  est  en  danger.  Le  peuple  français  tout  en- 
tier avili,  opprimé  depuis  longtems,  sentoit  que  le  moment 
étoit  arrivé  de  remplir  ce  devoir  sacré,  imposé  par  la  nature 
à  tous  les  êtres  vivans,  et  à  plus  forte  raison,  à  toutes  les 
nations,  celui  de  pourvoir  à  leur  propre  sûreté,  par  une 
généreuse  résistance  à  l'oppression.  Les  préparatifs  formi- 
dables d'une  nouvelle  St.  Barthelemi,  que  l'on  faisoit  depuis 
long-tems  dans  Paris  et  au  château  des  Thuileries,  ne  lais- 

que  le  10  août  fut  l'œuvre  de  la  grande  majorité  des  48  sections  qui  avaient 
remplacé  le  pouvoir  légal  et  dirigé  l'insurreciion .  «  Les  victimes,  dit-il,  étaient 
des  hommes  du  peuple,  artisans  ou  ouvriers.  Les  bourgeois  étaient  restés  chez 
eux...  »  ;  et  plus  loin  (p.  120),  cette  remarque  :  «  La  chair  bourgeoise  avait 
encore  trop  de  prix,  à  cette  époque,  pour  être  transformée  en  chair  à  canon  ». 
Ph.  Sagnac  énumère,  analyse,  discute,  critique  les  principaux  documents 
(Ch.  V,  parag.  II).  En  parlant  du  journal  de  Robespierre  (pp.  157-158),  il  dit: 
<  Le  récit  du  Défenseur,  emprunte  une  grande  importance  à  la  personne  du 
rédacteur.  Robespierre  y  fait  l'éloge  du  peuple  qui,  dit-il,  «  fut  plus  grand  au 
10  août  92  qu'au  14  juillet  89  »  ;  il  y  flétrit  les  constitutionnels,  Roederer 
«  l'orateur  des  tyrans  »  ;  il  loue  l'assemblée  d'avoir  conféré  le  droit  de  suf- 
frage à  tous  les  citoyens,  mais  la  critique  vivement  d'avoir  seulement  suspendu 
le  Roi,  au  lieu  de  le  déclarer  déchu,  et  d'avoir  choisi  ce  moment  pour  donner 
un  gouverneur  au  prince  royal.  Quant  au  détail  des  faits,  il  insiste  surtout  sur 
l'arrestation  de  Mandat;  il  cite  la  lettre  où  Mandat  ordonnait  au  commandant 
de  la  place  de  Grève  de  laisser  passer  le  peuple  pour  le  massacrer  par  derrière 
(voir  ci-après,  p.  361)  ;  il  est  ici  bien  informé.  Mais,  comme  il  n'a  pas  vu  la 
bataille,  il  la  raconte  sans  précision  ;  il  fait  mourir  cent  Marseillais,  ce  qui  est 
beaucoup  trop;  il  ne  donne  pas  le  nombre  total  des  morts,  n'inventant  pas  ce 
qu'il  ignore.  Il  célèbre  surtout  .après  les  Marseillais,  Westermann,  de  qui,  sans 
doute,  il  tient  tous  les  détails  de  sa  narration,  et  à  qui  il  attribue  un  rôle  trop 
prépondérant  (il  ne  cite  ni  Alexandre,  ni  les  chefs  marseillais,  ni  Fournier), 
puis  les  canonniers  et  la  gendarmerie  nationale.  Son  récit  présente  peu  d'er- 
reur, mais  il  est  incomplet  >. 


352  LE  DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

soient  plus  même  aux  citoyens  le  tems  de  délibérer,  et  le 
peuple  a  reparu  dans  l'attitude  qu'il  avoit  montrée  au  mois 
de  juillet  1789. 

Seulement  il  est  vrai,  que  l'insurrection  du  10  août  1792, 
a  sur  celle  du  14  juillet  1789,  des  avantages  qui  annoncent 
le  progrès  des  lumières,  depuis  cette  première  époque  de  la 
Révolution  (2). 

En  1789,  le  peuple  de  Paris  se  leva  tumultuairement  (sic), 
pour  repousser  les  attaques  de  la  cour,  pour  s'affranchir 
de  l'ancien  despotisme,  plutôt  que  pour  conquérir  la  liberté, 
dont  l'idée  étoit  encore  confuse,  et  les  principes  inconnus. 
Toutes  les  passions  concoururent  alors  à  l'insurrection 
dont  il  donna  le  signal  à  la  France  entière. 

En  1792,  il  s'est  levé,  avec  un  sens-froid  (sic)  imposant, 
pour  venger  les  lois  fondamentales  de  sa  liberté  violée, 
pour  faire  rentrer  dans  le  devoir  tous  les  tyrans  qui  cons- 
piroient  contre  lui,  tous  les  mandataires  infidèles  qui  cher- 
choient  à  ensevelir  encore  une  fois  les  droits  imprescrip- 
tibles de  l'humanité.  Il  a  exécuté  les  principes  proclamés, 
trois  ans  auparavant,  par  ses  premiers  représentans  ;  il  a 
exercé  sa  souveraineté  reconnue,  et  déployé  sa  puissance 
et  sa  justice,  pour  assurer  son  salut  et  son  bonheur. 

En  1789,  il  étoit  aidé  par  un  grand  nombre  de  ceux  que 
l'on  appeloit  grands,  par  une  partie  des  hommes  qui  étoient 
revêtus  de  la  puissance  du  gouvernement. 

En  1792,  il  a  trouvé  toutes  ses  ressources,  et  dans  ses 
lumières,  et  dans  sa  force;  seul,  il  a  protégé  la  justice, 
l'égalité  et  la  raison,  contre  tous  leurs  ennemis.  Ce  n'étoit 
point  seulement  le  peuple  de  Paris  qui  donnoit  un  grand 
exemple  à  la  France,  c'étoit  le  peuple  français  qui  se  levoit 
à-la-fois. 

La  manière  solennelle,  dont  il  procéda  à  ce  grand  acte, 
fut  aussi  sublime,  que  ses  motifs  et  que  son  objet. 

Les  sections  de  Paris,  déclarées  permanentes  depuis  la 

(2)  «  Robespierre  n'a  pas  tort,  dit  Sagnac,  de  placer  cette  journée  même 
au-dessus  du  14  juillet  1789.  Le  14  juillet  avait  détruit,  —  mais  seulement  en 
espérance,  —  l'ancien  régime;  de  1789  à  1792,  la  France  vivait  dans  l'incerti- 
tude de  l'avenir.  Le  10  août  fit  cesser  ce  doute  terrible  et,  avec  Valmy  et  Jem- 
mapes,  assura  définitivement  le  régime  nouveau  ».  (p.  327) 


DOUZIÈME   NUMÉRO  353 

proclamation  des  dangers  de  la  patrie  (3),  dont  la  sagesse 
et  l'énergie  avoient  éclaté  durant  ce  (sic)  court  période, 
par  tant  d'arrêtés  immortels,  ces  sections  qui  avoient 
réveillé  et  guidé  le  patriotisme  des  fidèles  députés  du  peu- 
ple, avoient  elles-mêmes  publiquement  agité  les  motifs,  et 
marqué  le  moment  de  cette  démarche  courageuse.  Elles  la 
concertèrent  avec  une  union,  dont  les  amis  de  la  liberté 
peuvent  seuls  donner  l'exemple.  Ce  n'étoit  point  une  émeute 
sans  objet,  excitée  par  quelques  brouillons  ;  ce  n'étoit  point 
une  conjuration  ensevelie  dans  les  ténèbres;  on  délibéroit 
au  grand  jour,  en  présence  de  la  nation;  le  jour  et  le  plan 
de  l'insurrection  furent  indiqués  par  des  affiches.  C'étoit 
le  peuple  entier  qui  usoit  de  ses  droits;  il  agissoit  en  sou- 
verain qui  méprise  trop  les  tyrans,  pour  les  craindre,  qui 
compte  trop  sur  sa  puissance  et  sur  la  sainteté  de  sa  cause, 
pour  daigner  même  leur  cacher  ses  desseins. 

Les  sections  commencèrent  -par  nommer  des  commis- 
saires pour  veiller  au  salut  de  la  commune  et  exercer  son 
pouvoir.  Ces  commissaires  se  transportèrent  auprès  de  la 
municipalité,  à  qui  ils  déclarèrent,  au  nom  du  peuple  de 
Paris,  qu'il  la  révoquoit,  excepté  le  maire,  le  procureur  de 
la  commune  et  les  seize  administrateurs  de  la  police  (4). 

Cependant  le  tocsin  avoit  sonné;  les  citoyens  de  toutes 
les  sections  s'étoient  armés  et  réunis  ;  les  gardes  nationales, 
tout  le  peuple,  la  gendarmerie  nationale,  les  fédérés  de  tous 
les  départemens  restés  à  Paris,  tous  n'avoient  qu'un  seul 
sentiment,  qu'un  seul  but.  On  distinguoit  parmi  eux  l'im- 
mortel bataillon  de  Marseille,  célèbre  par  des  victoires  rem- 
portées sur  les  tyrans  du  midi.  Cette  armée  également  im- 

(3)  Dès  la  fin  de  juin,  plusieurs  sections,  Croix-rouge,  Faubourg  Montmartre, 
etc.,  avaient  réclamé  le  droit  de  siéger  en  permanence.  Après  la  proclamation 
de  la  Patrie  en  danger,  la  loi  du  25  juillet  leur  donna  satisfaction;  et  dès  la 
fin  de  ce  mois,  les  48  sections  siègent  sans  discontinuer  à  l'Hôtel  de  Ville, 
finissant  par  submerger  la  municipalité  (A.  Mathiez,  ibid.,  p.  76). 

(4)  Les  48  sections  avaient  d'abord  nommé,  chacune,  trois  commissaires,  le 

9  août  à  onze  heures  du  soir  ;  ces  délégués  se  réunirent  à  l'Hôtel  de  Ville.  Le 

10  août,  avant  sept  heures  du  matin,  après  l'arrestation  du  commandant  de  la 
garde  nationale  Mandat,  le  conseil  général  de  la  commune  ayant  protesté  contre 
cette  mesure  ordonnée  par  les  commissaires,  «  ceux-ci,  prétextant  que  le  peuple 
en  insurrection  leur  avait  confié  ses  pouvoirs,  suspendent  le  conseil  général  et 
s'emparèrent  de  la  salle.  De  l'ancienne  municipalité  ils  ne  laissent  subsister  que 
le  maire,  le  procureur  de  la  commune  et  les  dix  administrateurs  de  police  ». 
(Mathiez,  ibid.,  p,  101). 


354  LE    DEFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

posante  par  le  nombre,  par  la  diversité  infinie  des  armes, 
sur-tout  par  le  sentiment  sublime  de  la  liberté  qui  respiroit 
sur  tous  les  visages,  présentoit  un  spectacle  qu'aucune  lan- 
gue ne  peut  rendre,  et  dont  ceux  qui  n'ont  vu  que  les  évé- 
nemens  du  14  juillet  1789,  ne  peuvent  se  former  qu'une 
idée  imparfaite  (5). 

Elle  se  portoit  vers  le  Château,  où  étoit  le  foyer  de  la 
conspiration  tramée  contre  la  sûreté  de  Paris,  et  une  armée 
de  contre-révolutionnaires  et  de  suisses  rassemblés  depuis 
long-tems  pour  l'exécuter.  Arrivés  à  la  porte  du  Château, 
sur  la  place  du  Carrousel,  un  bataillon  de  fédérés  et  de 
citoyens  arrivé  le  premier,  requit  les  suisses  de  se  ranger 
du  parti  du  peuple.  Ceux-ci  répondent  par  des  signes  d'ami- 
tié ;  ils  tendent  la  main  aux  citoyens  ;  plusieurs  arborent  le 
bonnet  de  la  liberté.  Mais  tandis  que  les  citoyens  se  livrent 
à  cette  douce  illusion,  des  coups  de  canon  tirés  du  Château, 
sillonnent  l'armée  du  peuple;  un  nombre  considérable, 
parmi  lesquels  on  compte  cent  marseillois,  tombent  sur  le 
carreau.  Horrible  perfidie,  qu'il  faut  moins  imputer  aux 
suisses  en  général,  qu'aux  exécrables  artifices  de  leurs 
chefs  aristocrates  et  de  la  cour  qui,  depuis  plusieurs  jours, 
ne  cessoient  de  les  circonvenir  pour  les  préparer  à  ces 
attentats  (6). 

Cette  trahison  fut  le  signal  d'un  combat,  où  le  courage 
du  peuple,  excité  par  l'indignation  triompha  encore  une 
fois  du  despotisme.  Le  Château  fut  forcé,  les  suisses  mis  en 
fuite,  poursuivis  ;  un  grand  nombre  d'entr'eux  fut  immolé 
aux  mânes  des  défenseurs  de  la  liberté,  qui  ont  péri  sous 
les  coups  de  la  tyrannie  (7).  La  justice  du  peuple  expia 
aussi,  par  le  châtiment  de  plusieurs  aristocrates  contre- 
révolutionnaires,  qui  déshonoroient  le  nom  français,  l'éter- 
nelle impunité  de  tous  les  oppresseurs  de  l'humanité.  Mais, 

(5)  Plan  d'attaque  et  préparatifs  des  insurgés  dès  6  heures  du  matin;  com- 
parer avec  le  récit  de  Mathiez  (p.  106). 

(6)  Comparer  avec  le  récit  de  Mathiez,  p.  115. 

(7)  Après  un  moment  de  stupeur  causé  par  la  fusillade  partie  du  château, 
alors  que  les  insurgés  fraternisaient  avec  les  suisses,  après  la  panique  qui 
suivit  et  fit  reculer  en  désordre,  après  des  pertes  sérieuses,  les  premiers  assié- 
geants, la  ferme  conduite  des  Marseillais,  des  Brestois  et  du  Faubourg  Saint- 
Marceau,  l'arrivée  des  troupes  de  Santerre  au  moment  critique,  le  passage  des 
gendarmes  à  l'insurrection,  décidèrent  du  succès  de  celle-ci  (Mathiez,  ibid., 
p.  117). 


DOUZIÈME   NUMÉRO  355 

dans  sa  colère  même,  il  voulut  observer  les  formes  néces- 
saires pour  protéger  l'innocence;  il  ne  frappa  aucun  cou- 
pable qui  n'eût  été  condamné  par  la  nouvelle  municipalité, 
sur  des  pièces  écrites  ou  sur  des  faits  publics  (8). 

Quelle  est  la  main  qui  a  porté  le  poignard  dans  le  cœur 
des  patriotes,  ou  le  glaive  de  la  justice  dans  le  sein  des 
coupables  ?  C'est  la  main  des  tyrans  qui  ont  opprimé,  trahi 
les  uns,  corrompu  et  égaré  les  autres.  Dans  les  malheurs 
des  hommes,  reconnoissez  toujours  les  crimes  du  despo- 
tisme. 

Au  commencement  de  l'action,  Louis  XVI,  Marie- 
Antoinette  d'Autriche  et  sa  famille,  avoient  abandonné  les 
Thuileries,  et  s'étoient  retirés  à  l'assemblée  nationale.  Ils 
entendirent  de  cette  retraite,  le  bruit  des  canons,  les  déchar- 
ges de  mousqueterie,  qui  f aisoient  tomber  leurs  satellites  et 
les  amis  de  la  liberté.  Jusqu'au  moment  où  les  cris  qui 
annonçoient  la  défaite  des  leurs,  frappèrent  leurs  oreilles, 
ils  avoient  paru  tranquilles  ;  ils  avoient  compté,  sans  doute, 
sur  les  préparatifs  qu'ils  avoient  faits  contre  le  peuple,  sur 
la  division  des  citoyens,  sur  les  trahisons  de  plusieurs  chefs 
de  la  garde  nationale,  sur  la  portion  de  cette  garde  qui  étoit 
vendue  à  l'aristocratie,  et  sur  tous  les  scélérats  soudoyés 
par  la  cour.  Il  n'appartient  point  aux  tyrans  de  calculer 
la  force  du  peuple;  et  ceux-ci  étoient  loin  de  prévoir  que 
tout  ce  monstrueux  édifice  du  crime  et  de  la  perfidie  dispa- 
roîtroit  devant  sa  toute-puissance. 

L'illusion  de  tous  les  ennemis  de  la  liberté,  étoit  si  com- 
plète sur  ce  point,  que  le  procureur  syndic  Roederer,  qui 
avoit  accompagné  Louis  XVI,  eut  la  bonhomie  de  parler  à 
l'assemblée,  en  avocat,  en  protecteur  de  la  cour,  de  s'appi- 
toyer  froidement  sur  les  malheurs  de  Louis  et  de  son  au- 
guste famille,  d'accuser  le  peuple  et  les  magistrats,  connus 

(8)  Dès  le  10  août  dans  la  soirée,  la  nouvelle  commune  dont  Robespierre 
faisait  partie,  vota  l'établissement  d'un  tribunal  destiné  à  juger  tous  ceux 
qui  avaient  conspiré  la  ruine  de  la  Révolution  et  préparé  le  massacre  du 
peuple  (Hamel,  t.  II,  p.  376)  ;  elle  adressa  une  pétition,  dans  ce  sens,  à  l'Assem- 
blée. (Bûchez  et  Roux,  ibid.,  t.  XVII,  p.  74). 

Ce  tribunal  fut  constitué  le  17  du  même  mois  et  ses  membres  élus  par  les 
électeurs  désignés  par  les  sections  de  Paris.  Le  premier  nom  qui  sortit  des 
urnes  fut  celui  de  Robespierre  qui  se  trouvait  ainsi,  de  droit,  président  de  la 
nouvelle  Cour.  Robespierre  refusa,  préférant  conserver  sa  place  de  membre  du 
Conseil  général  de  la  nouvelle  Commune  dite  du  10  août. 


356  LE   DÉFENSEUR    DE    LA,  CONSTITUTION 

par  leur  attachement  à  sa  cause,  avec  le  courage  d'un 
homme  qui  le  regardoit  déjà  comme  voué  au  carnage  et  à 
la  servitude.  Mais  à  peine  avoit-il  achevé  de  dénoncer  les 
canonniers,  qui,  sur  l'ordre  qu'il  leur  avoit  donné  de  tirer 
sur  les  citoyens,  s'étoient  hâtés  de  lui  témoigner  leur 
mépris,  et  les  officiers  de  la  police  qui  n'avoient  point  invo- 
qué la  loi  martiale,  à  peine  avoit-il  protesté  de  son  dévoue- 
ment sublime,  pour  maintenir,  au  péril  de  sa  vie,  les  décrets 
homicides,  qu'il  attendoit  de  l'assemblée  nationale,  les  cris 
terribles  qui  annonçoient  la  victoire  de  la  liberté,  retenti- 
rent autour  d'elle  ;  l'orateur  des  tyrans  pâlit,  et  rentra  dans 
le  néant  ;  et  ceux  qui  jusques-là  n'inspiroient  que  l'indigna- 
tion et  l'horreur,  parurent  presque  dignes  de  pitié  (9). 

Les  observateurs  judicieux  ont  remarqué  l'attention 
qu'eut  Louis  XVI,  au  moment  où  les  premiers  coups  de 
canon  ese  firent  entendre,  de  prévenir  l'assemblée,  qu'il 
n  avoit  point  ordonné  aux  suisses  de  tirer. 

Quant  à  l'assemblée,  les  prodiges  d'héroïsme  qui  avoient 
éclaté  autour  d'elle,  parurent  l'élever  quelquefois  à  la  hau- 
teur de  ses  devoirs.  Les  députés  fidèles,  délivrés  du  joug 
que  leur  imposoit  cette  multitude  de  traîtres  soudoyés  par 
la  cour,  purent  faire  entendre  leurs  voix;  et  les  décrets  du 
corps  législatif  commencèrent  par  devenir  des  lois,  puis- 
qu'ils commencèrent  à  se  rapprocher  de  l'intérêt  public  et 
de  la  volonté  générale. 

L'assemblée  approuva  formellement  la  conduite  des 
représentans  de  la  commune  de  Paris;  elle  se  ressouvint 
qu'elle  représentoit  elle-même  le  peuple,  et  que  le  peuple 
l'avoit  sauvée.  Le  plus  beau  de  ses  décrets  est,  sans  doute, 
celui  qui  effaça  cette  criminelle  et  impolitique  distinction, 
établie  par  l'assemblée  constituante,  entre  les  citoyens 
actifs  et  non  actifs,  éligibles  et  non  éligibles.  qui  expia  le 
crime  de  lèze-nation  et  de  lèze-humanité,  que  le  machia- 
vélisme et  la  perfidie  avoient  osé  couvrir  du  nom  de  la  pru- 
dence et  de  la  politique,  pour  dépouiller  des  droits  de  cité 
ceux-là  même  qui  les  avoient  conquis,  ceux  qui,  chez  toutes 

(9)  Voir  Mathiez,  ibid.,  p.  ni  à  113  .  —  Le  procureur  général  s-ndic 
Roederer  (Pierre-Louis)  avait  été  député  du  Tiers-état  du  bailliage  de  Metz 
(ville),  aux  Etats  Généraux.  Il  a  laissé  un  récit  de  ces  événements  sous  le  titre 
de  Chronique  des  Cinquante  jours. 


DOUZIÈME   NUMÉRO  357 

les  nations,  composent  la  partie  la  plus  saine  et  la  plus 
probe  de  la  société  (10).  Mémorable  et  consolant  exemple 
des  progrès  de  la  raison  !  Puisque  nous  avons  vu  l'opinion 
publique  provoquer,  avec  empire,  l'exécution  de  ces  lois 
éternelles  de  la  justice  et  de  l'ordre  social,  que  les  préjugés 
avoient  méconnues  et  violées  trois  ans  auparavant. 

L'assemblée  n'a  pas  non  plus  balancé  à  suspendre 
Louis  XVI  :  mais  il  faut  convenir  que  l'on  ne  trouve  point, 
à  beaucoup  près,  dans  les  décrets  qu'elle  a  adoptés  sur  ce 
point,  toute  la  sagesse  et  toute  l'énergie  que  les  circons- 
tances exigeoient.  Elle  ?  suspendu  (n)  celui  qu'elle  devoit 
déclarer  déchu,  sauf  à  la  convention  nationale  à  confirmer 
cette  décision.  Elle  eût  ainsi  prévenu  beaucoup  de  lenteurs 
dangereuses  et  des  questions  qui,  dans  les  circonstances  où 
nous  sommes,  ne  peuvent  être  que  des  alimens  de  discordes 
civiles.  On  n'a  point  aimé  la  manière  dont  le'  décret  est 
motivé  dans  le  préambule;  on  n'a  point  aimé  à  entendre 
parler  des  méfiances  conçues  contre  le  pouvoir  exécutif, 
lorsque  la  nation  et  l'assemblée  nationale  n'apperçoivent 
par-tout,  que  les  crimes  prouvés  de  Louis,  de  sa  famille 
et  de  ses  agens  (12). 

Mais  on  a  été  révolté  de  voir  l'assemblée  choisir  ce 

(10)  Le  peuple  victorieux  vint,  par  la  bouche  d'un  simple  commis  aux  bar- 
rières, Huguenin,  dicter  ses  volontés  à  l'Assemblée  nationale,  déclarant  que 
désormais  on  ne  devait  reconnaître  comme  juge  que  le  peuple  réuni  dans  ses 
assemblées  primaires.  C'était  prononcer  l'acte  de  décès  de  la  Législative  qui, 
aussitôt,  pour  se  conformer  à  ces  injonctions,  décida  de  suspendre  le  roi,  de 
convoquer  une  Convention  qui  serait  élue,  sans  condition  de  cens,  au  suffrage 
universel,  —  mais  contrairement  au  vœu  de  Robespierre,  au  suffrage  universel 
indirect  par  des  collèges  électoraux.  (A.  Mathiez,  ibid.,  p.  122.  —  Décret 
du  10  août,  art.  Ier,  complété  le  lendemain  par  une  instruction  en  XVI  art. 
définitivement  arrêté  à  la  date  du  12). 

(11)  La  suspension  du  rai  était  prononcée  par  l'article  11  du  même  décret 
du  10  août  que  Vergniaud  fit  adopter:  «  Cette  mesure  est  bien  rigoureuse, 
dit-il  :  mais  je  m'en  rapporte  à  la  douleur  dont  vous  êtes  pénétrés,  pour  juger 
combien  il  importe  au  salut  de  la  patrie  que  vous  l'adootiez  sur  le  champ.  » 
(Hist.  Parlent.,  t.  XVIr,  p.  18).  On  voit  que  Robespierre  jugeait  cette  mesure 
insuffisante. 

(12)  c  Considérant,  dit  le  préambule  du  décret  rédieré  par  Vergniaud,  que 
ses  maux  (de  la  natrie')  dérivent  principalement  des  défiances  qu'a  inspirées  la 
conduite  du  chef  du  pouvoir  exécutif  dans  une  guerre  entreprise  en  son  nom 
contre  la  Constitution  et  l'indépendance  nationale; 

Que  ces  défiances  ont  provooué  des  diverses  partie*  de  l'empire,  un  voeu 
tendant  à  la  révocation  de  l'autorité  déléguée  à  Louis  XVI  ;  ...  >. 


358  LE   DÉFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

moment,  pour  donner  un  gouverneur  à  l'enfant  royal  (13). 
De  quelle  hauteur,  juste  ciel!  cette  idée  nous  fait  tomber 
tout-à-coup  !  Français,  songez  au  sang  qui  a  coulé  ;  rappe- 
lez-vous les  prodiges  de  raison  et  de  courage,  qui  vous  ont 
mis  aurdessus  de  tous  les  peuples  du  monde  ;  rappelez-vous 
ces  principes  immortels,  que  vous  avez  eu  la  gloire  de  faire 
retentir  autour  des  trônes,  pour  ressusciter  le  genre  hu- 
main, enseveli  dans  le  néant  de  la  servitude  ;  voyez  la  nation 
française  qui  s'avance,  pour  réparer  ses  premières  erreurs, 
pour  régler  ses  destinées  et  celles  du  monde,  et  rapprochez 
de  ces  idées  le  décret  qui  nomme  un  gouverneur  au  prince 
royal.  Mais  qu'importent  les  préjugés  et  les  foiblesses  des 
anciens  délégués,  quand  le  souverain  va  paroître?  Au  reste, 
il  faut,  peut-être,  moins  imputer  ces  dispositions  vicieuses 
aux  membres  de  l'assemblée,  qui,  depuis  la  nouvelle  régé- 
nération, ont  déployé  quelque  zèle  pour  le  bien  public,  qu'à 
l'influence  des  comités  et  des  rapporteurs. 

Il  eût  été  à  désirer  aussi,  que,  pour  la  convention  natio- 
nale, l'assemblée  se  fût  occupée  à  indiquer  un  mode  d'élec- 
tion plus  simple,  plus  court  et  plus  favorable  aux  droits  du 
peuple.  Il  eût  fallu  supprimer  l'intermédiaire  inutile  et  dan- 
gereux des  corps  électoraux,  et  assurer  au  peuple  la  faculté 
de  choisir  lui-même  ses  représentans.  L'assemblée  a  suivi 
la  routine,  plus  que  les  principes.  Mais  il  faut  la  louer  de 
n'avoir  proposé  ce  mode  d'élection,  que  par  forme  d'invi- 
tation et  de  conseil,  et  d'avoir  rendu  cet  hommage  à  la 
souveraineté  du  peuple  réuni  dans  les  assemblées  pri- 
maires (14). 

Ainsi  a  commencé  la  plus  belle  révolution  qui  ait  honoré 
l'humanité  ;  disons  mieux,  la  seule  qui  ait  eu  un  objet  digne 
de  l'homme,  celui  de  fonder  enfin  les  sociétés  politi- 
ques sur  les  principes  immortels  de  l'égalité,  de  la  justice 
et  de  la  raison  (15).  Quelle  autre  cause  eût  pu  réunir,  dans 
un  moment,  ce  peuple  immense,  cette  multitude  innombra- 
ble de  citoyens  de  toutes  les  conditions,  agissant  de  concert, 

(13)  Dans  le  décret  pour  la  réorganisation  du  Ministère,  rendu  le  même  jour 
sur  proposition  de  Guadet,  il  était  prévu,  à  l'article  VIII,  un  gouverneur  tiour 
le  prince  royal  nommé  par  l'Assemblée  nationale  (Hist.  parlem.,  t.  XVII, 
p.  20). 

(14)  Robespierre  réclamait  donc  le  suffrage  universel  direct  par  le  peuple 
et  non  à  deux  degrés  par  des  «  électeurs  désignés  par  lui  ». 

(15)  Voir  E.  Hatin,  ibid.,  t.  VI,  p.  288. 


DOUZIEME   NUMERO  359 

sans  chefs  et  sans  point  de  ralliement  !  Quelle  autre  cause 
eût  pu  leur  inspirer  ce  courage  sublime  et  patient,  et  enfan- 
ter tous  ces  miracles  de  l'héroïsme  supérieurs  à  tout  ce  que 
l'histoire  nous  raconte  de  la  Grèce  et  de  Rome!  Déjà  la 
France  entière  répond  à  ce  signal  ;  tous  les  petits  intrigans, 
tous  les  traîtres  ambitieux  qui  osoient  provoquer  le  ton- 
nerre du  peuple,  s'ils  échappent  à  sa  justice,  vont  retomber 
d'eux-mêmes  dans  le  néant;  déjà  la  secousse  qui  a  renversé 
le  trône  de  nos  tyrans,  a  ébranlé  tous  les  trônes  ;  et  la  liberté 
du  monde  sera  à-la-fois  notre  ouvrage  et  notre  récompense. 

Français,  n'oubliez  pas  que  vous  tenez  dans  vos  mains  le 
dépôt  des  destinées  de  l'univers.  Ne  vous  endormez  pas  au 
sein  de  la  victoire:  adoptez  la  maxime  d'un  grand  homme, 
qui  croyoit  n'avoir  rien  fait,  tant  qu'il  lui  restoit  quelque 
chose  à  faire.  N'oubliez  pas  que  vous  avez  à  combattre  la 
ligue  des  despotes,  et  à  confondre  les  complots  des  ennemis 
plus  dangereux  que  vous  nourrissez  dans  votre  sein.  Une 
gloire  immortelle  vous  attend:  mais  vous  serez  obligés  de 
l'acheter  par  de  grands  travaux.  Restez  debout  et  veillez. 
Il  ne  vous  reste  plus  désormais  qu'à  choisir  entre  le  plus 
odieux  de  tous  les  esclavages  ou  une  liberté  parfaite  ;  entre 
les  plus  cruelles  proscriptions  et  le  bonheur  le  plus  pur  dont 
un  peuple  puisse  jouir.  Il  faut  que  les  rois  ou  les  français 
succombent.  Telle  est  la  situation  où  vous  place  cette  lutte 
glorieuse,  que  vous  avez  jusqu'ici  soutenue  contre  la 
royauté.  Secouez  donc  entièrement  le  ioug  de  vos  anciens 
préjugés,  pour  vous  soutenir  à  la  hauteur  des  principes  de 
la  liberté  et  des  circonstances  où  vous  êtes  engagés. 

Peuples,  jusqu'ici  des  frippons  vous  ont  parlé  de  lois, 
pour  vous  asservir  et  pour  vous  égorger;  et  vous  n'aviez 
point  de  lois.  Vous  n'aviez  que  les  criminels  caprices  de 
quelques  tyrans,  accrédités  par  l'intrigue  et  appuies  par  la 
force.  Ils  vous  prêchoient  le  respect  pour  les  autorités  cons- 
tituées, et  ces  autorités  constituées  n'étoient  que  des  four- 
bes adroits,  revêtus  d'un  injuste  pouvoir,  pour  proscrire, 
avec  de  certaines  formes,  la  justice  et  le  civisme.  Leurs  cri- 
mes vous  ont  encore  une  fois,  forcés  à  reprendre  l'exercice 
de  vos  droits  ;  exercez-les  d'une  manière  digne  de  vous,  et 
propre  à  assurer  votre  bonheur.  Vous  ne  serez  heureux  que 
quand  vous  aurez  des  lois  ;  vous  n'aurez  des  lois,  que  quand 
la  volonté  générale  sera  entendue  et  respectée,  et  quand  les 


360  LE    DÉFENSEUR    DE   LA   CONSTITUTION 

délégués  du  peuple  ne  pourront  plus  la  violer  impunément, 
en  usurpant  la  souveraineté.  Le  fruit  de  vos  efforts,  de  vos 
sacrifices  et  de  vos  victoires,  doit  être  la  meilleure  consti- 
tution possible,  la  plus  digne  d'un  peuple  magnanime  et 
éclairé.  Vous  devez  ce  bienfait  à  l'univers  et  à  vous  mêmes. 
Tel  est  l'objet  de  la  convention  nationale  que  vous  allez 
former.  Ecartez  d'elle  tous  vos  ennemis  naturels,  tous  les 
agens,  tous  les  valets  de  vos  tyrans  :  ne  confiez  point  à  l'in- 
trigue, à  l'ambition,  à  l'égoïsme,  l'ouvrage  de  la  vertu  et 
du  génie.  Mais,  quelques  soient  vos  délégués,  gardez-vous 
de  les  laisser  maîtres  absolus  de  votre  destinée  :  surveillez- 
les;  jugez-les;  et  réservez-vous  dans  tous  les  tems  des 
moyens  réguliers  et  pacifiques  d'arrêter  les  usurpations  des 
hommes  publics,  sur  les  droits  et  sur  la  souveraineté  du 
peuple. 

Mais  préparez  le  succès  de  cette  convention  par  la  régé- 
nération de  l'esprit  public.  Oue  tout  s'éveille,  que  tout 
s'arme,  que  les  ennemis  de  la  liberté  se  cachent  dans  les 
ténèbres.  Que  le  tocsin  sonné  à  Paris  soit  répété  dans  tous 
les  départemens.  Français,  sachez  raisonner  et  combattre. 
Vous  êtes  en  guerre  désormais  avec  tous  vos  oppresseus; 
vous  n'aurez  la  paix  que  quand  vous  les  aurez  châtiés. 
Loin  de  vous  cette  foiblesse  pusillanime;  ou  cette  lâche 
indulgence  que  réclament,  pour  eux  seuls,  les  tyrans  altérés 
du  sang  des  hommes.  L'impunité  a  enfanté  tous  leurs  cri- 
mes et  tous  vos  maux.  Ou'ils  tombent  tous  sous  le  glaive 
des  lois.  La  clémence  qui  leur  pardonne  est  barbare;  c'est 
un  crime  contre  l'humanité. 

II 

Détails  intéressai»  des  événemens  du  10  août 
et  des  jours  suivans  (16) 

Dans  la  nuit  du  9  au  10  août,  le  sieur  Mandat  (17)  étcit 
commandant  de  la  garde  nationale;  il  avoit  concerté,  avec 

(16)  Après  les  considérations  exposées  dans  le  premier  article,  Robespierre 
entreprend  le  récit  des  principaux  incidents  de  cette  journée  et  de  ses  consé- 
quences (voir  la  note  1,  page  350). 

(17)  Mandat  de  Grancey,  ancien  capitaine  aux  Gardes  françaises,  était  com- 
mandant de  la  Garde  nationale  de  Paris.  Royaliste  fervent,  tcut  dévoué  à  la 
Cour,  il  fut  convaincu,  par  le  billet  qu'on  lira  dans  le  texte  ci-dessous,  d'avoir 


DOUZIÈME   NUMÉRO  361 

la  cour,  l'horrible  conspiration  tramée  contre  le  peuple.  Il 
avoit  rassemblé  au  Château  tout  ce  que  la  garde  nationale 
renfermoit  de  satellites,  vendus  à  Lafayette  et  à  la  cour, 
notamment  une  partie  des  bataillons  des  filles  St-Thomas 
et  des  Petits-Pères;  ces  bataillons  avoient  fourni  aux 
tyrans  huit  pièces  de  canons,  suivant  les  aveux  faits  par  le 
sieur  Mandat,  au  conseil  général  de  la  commune. 

Il  avoit  été  arrêté  dans  le  comité  des  Thuileries,  qu'il 
falloit  attirer  le  peuple,  pour  l'envelopper  entre  deux  feux. 
Et  Mandat  s'étoit  chargé  d'exécuter  ce  plan.  Le  conseil 
général  de  la  commune,  assemblé  durant  cette  nuit,  averti 
de  la  conspiration  par  plusieurs  indices,  lui  ordonna  de 
comparoître  devant  lui;  il  refusa  d'abord,  et  se  rendit  à 
un  second  ordre.  On  lui  demande  pourquoi  il  a  rassemblé 
aux  Thuileries  une  force  militaire  extraordinaire,  sans 
aucune  réquisition  de  l'autorité  municipale  ;  il  répond  d'une 
manière  équivoque  et  astucieuse,  lorsque  l'interrogatoire 
est  interrompu  par  un  membre  du  Conseil,  qui  annonce  une 
pièce  de  conviction  importante  ;  c'étoit  une  lettre  écrite  par 
le  sieur  Mandat,  au  commandant  du  poste  de  la  Grève. 
Cette  lettre  portoit: 

«  M.  le  commandant,  vous  laisserez  passer  le  peuple, 
quand  il  sera  passé,  vous  ferez  tirer  dessus  par  derrière, 
je  réponds  du  devant  »  (18).  Le  commandant  du  poste, 
saisi  d'horreur,  avoit  lui-même  dénoncé  cet  ordre  au 
conseil  général.  Alors  le  conseil  général  ordonne  que  Man- 
dat sera  conduit,  sur-le-champ,  à  la  prison  de  l'Abbaye,  et 
cet  arrêté  fut  exécuté.  C'est  ainsi  que  le  salut  du  peuple  et 
de  la  liberté  est  dû,  peut-être,  à  la  vigilance,  au  courage  des 
délégués  de  la  commune,  et  à  la  fidélité  du  commandant  du 
poste  de  la  Grève.  C'est  ainsi  qu'un  intrigant,  nommé  Man- 

donné  des  ordres  pour  faire  mitrailler  le  peuple  par  derrière.  Il  fut  arrêté  sur 
ordre  du  nouveau  Conseil  révolutionnaire,  et  fut  tué  d'un  coup  de  fusil,  au 
moment  où  on  le  conduisait  à  la  prison  de  l'Abbaye  (Mathiez,  ibid.,  pp.  100- 
101). 

(18)  Voici  le  texte  exact  du  billet: 

<  Du  9  août  1792,  l'an  4  de  la  liberté 

c  Le  commandant  général  ordonne  au  commandant  du  bataillon  de  service 
c  à  la  Ville  de  dissiper  la  colonne  d'attroupement  qui  marcherait  pour  se 
«  porter  au  château,  tant  avec  la  garde  nationale  qu'avec  la  gendarmerie,  soit 
«  à  pied,  soit  à  cheval,  en  l'attaquant  par  derrière. 

<  Le  commandant  général  :  Mandat  ». 


362  LE    DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

dat,  et  d'autres  intrigans  non  moins  vils,  renfermés  dans  la 
caverne  des  Thuileries,  ont  pensé  ensevelir  pour  jamais,  la 
liberté  de  la  France  et  de  l'univers.  Le  bruit  s'est  répandu, 
que  ce  monstre  a  déjà  subi  la  peine  due  à  ses  forfaits. 

Par  les  ordres  du  même  homme,  le  bataillon  de  Henri  IV, 
ou  du  moins  l'état-major  attendoit  sur  le  Pont-Neuf  les 
marseillois  et  le  bataillon  du  Théâtre  Français  qui  s'avan- 
çoit  avec  confiance,  pour  les  foudroyer  d'une  décharge  d'ar- 
tillerie. Mais,  à  la  vue  de  la  légion  marseilloise,  ces  lâches 
conspirateurs  furent  intimidés;  ils  refusèrent  cependant  le 
passage  :  mais  à  peine  les  marseillois  se  furent-ils  disposés 
à  l'attaque,  que  les  braves  satellites  de  Lafayette  s'enfuirent 
à  toutes  jambes,  et  abandonnèrent  leurs  canons. 

Il  ne  faut  pas  entreprendre  de  louer  les  prodiges  d'intré- 
pidité que  firent  les  marseillois  au  combat  des  Thuileries. 
Cent  d'entr'eux  ont  péri  (19)  C'est  plus  que  vingt  mille 
satellites  des  tyrans.  Il  faut  détruire  l'infâme  repaire  du 
despotisme,  et  élever  à  la  place  où  il  existoit,  un  monument 
simple  où  sera  gravée  une  inscription,  semblable  à  celle  des 
Thermopiles.  Il  nous  en  reste  quatre  cents  ;  c'en  est  assez, 
pour  faire  trembler  l'armée  de  Xerxès. 

Citons  un  des  traits  héroïques  qu'enfanta  cette  lutte  de 
la  liberté  contre  la  tyrannie.  Un  corps  de  bretons,  de  fédé- 
rés de  différens  départemens,  et  de  citoyens  de  Paris,  étoit 
arrivé  aux  Thuileries.  L'un  d'eux,  le  brave  Westerman, 
citoyen  d'Huningue  (20),  aussi  connu  par  son  civisme,  que 
par  sa  bravoure,  se  détache  seul,  et  adresse  la  parole  aux 

(19)  Robespierre  exagère.  Les  fédérés  marseillais,  à  eux  seuls,  avaient  perdu, 
dit  Mathiez,  24  tués  et  18  blessés;  les  fédérés  de  18  autres  départements: 
39  tués  ou  blessés.  Les  pertes  des  sections  parisiennes  étaient  de  285  tués  ou 
blessés,  dont  23  pour  la  seule  section  du  Finistère,  c'est-à-dire  le  faubourg 
Saint-Marceau  qui  avait  soutenu  avec  les  Marseillais  l'assaut  des  Suisses.  La 
section  des  Quinze- Vingts,  celle  de  Santerre,  qui  avait  joué  le  rôle  dirigeant 
dans  la  préparation  de  l'insurrection,  venait  aussi  en  premier  rang,  pour  le 
chiffre  de  ces  pertes:  51  tués  ou  blessés.  —  42  sections  sur  48  figurent  sur  la 
funèbre  liste  (Mathiez,  ibid.,  p.  119). 

(20)  Cest  Westermann  qui,  d'après  M.  Sagnac  (ibid.,  p.  158),  aurait  fourni 
à  Robespierre  tous  les  détails  de  cette  journée.  François-Joseph  Westermann 
(1751-1794),  originaire  de  Molsheim,  avait  été  membre  de  la  municipalité 
d'Haguenau  et  non  d'Huninge,  en  1790.  Venu  à  Paris,  il  se  lia  avec  Robes- 
pierre et  Danton,  servit  dans  le  Nord  et  en  Hollande  comme  adjudant  général, 
en  Vendée  .comme  général  de  brigade,  et  fut  guillotiné  avec  Danton  le  16 
germinal  an  II. 


DOUZIÈME  NUMÉRO  363 

officiers-généraux  suisses,  postés  à  l'entrée  du  Château,  et 
environnés  de  plusieurs  pièces  de  canons;  il  les  conjure1  de 
ne  point  faire  couler  le  sang  des  citoyens;  ils  lui  font  une 
réponse  digne  des  satellites  de  la  tyrannie  ;  il  prend  à  témoin 
tous  les  soldats  suisses,  que  tous  les  maux  que  présage  cette 
journée,  doivent  être  imputés  à  leurs  chefs;  il  les  invite  à 
embrasser  la  cause  du  peuple  et  de  l'humanité.  Un  officier 
suisse  entend  la  voix  de  la  raison;  il  vole  dans  ses  bras;  à 
son  exemple,  les  soldats  qu'il  commande,  s'ébranlent,  et 
descendent  l'escalier,  pour  se  réunir  au  peuple:  mais,  au 
même  instant,  les  suisses,  placés  au-dessus  d'eux,  excités, 
sans  doute,  par  leurs  chefs,  font,  au  même  instant,  une 
décharge  terrible  contre  les  citoyens,  et  tirent  sur  leurs 
propres  camarades.  Alors  Westerman  appelé,  à  grands 
cris,  les  citoyens  rassemblés  à  l'entrée  du  Château;  il 
s'élance,  le  sabre  à  la  main,  au  milieu  du  feu;  ceux  qui 
l'environnent,  se  précipitent  avec  lui;  de  nouveaux  batail- 
lons arrivent  pour  les  soutenir;  c'est  ainsi  que  s'engagea 
le  combat  sanglant,  dont  les  suites  doivent  être  si  décisi- 
ves et  si  heureuses  pour  la  liberté  (21). 

Un  grand  nombre  de  soldats  fut  massacré  dans  la  fuite. 
Mais  les  officiers,  mais  l'état-major  fut  soustrait  à  la  juste 
vengeance  du  peuple.  L'assemblée  nationale  elle-même  les 
prit  sous  sa  sauve-garde,  avec  une  tendre  sollicitude.  Les 
malheureux  et  coupables  agens  de  l'aristocratie  furent 
sacrifiés;  les  chefs  de  la  conspiration  demeurèrent  impu- 
nis. Les  héros  de  Marseille  ont  péri;  et  les  exécrables,  les 
dangereux  intrigans,  qui,  depuis  le  commencement  de  la 
révolution,  ont  désolé  leur  patrie,  respirent  pour  la  déchi- 
rer encore  ! 

Quelle  est  donc  la  misérable  condition  de  l'humanité,  si 
l'injustice  et  la  tyrannie  triomphent  jusques  dans  ces 
jours,  où  le  peuple  déploie  sa  puissance,  pour  punir  ses 
tyrans  ! 

Les  canonniers  méritèrent  l'admiration  et  la  reconnois- 
sance  de  la  nation.  Ils  tournèrent  contre  la  cour,  les  fou- 
dres qu'elle  vouloit  diriger  contre  le  peuple  ;  ils  désobéirent 
à  leurs  officiers  et  au  procureur-syndic  Roederer,  pour 

(21)  Mathiez  (ibid.,  p.  115)  en  racontant  cette  scène,  ramène  le  rôle  Wes- 
termann  à  ses  véritables  proportions. 


364  LE    DÉFENSEUR    DE    LA   CONSTITUTION 

demeurer  fidèles  à  la  patrie;  et  leur  bravoure  dans  le  com- 
bat, répondit  à  ce  grand  acte  de  civisme.  On  a  observé,  dès 
long-tems,  que  le  peuple  n'a  pas  d'amis  plus  fidèles,  ni  la 
liberté  de  plus  zélés  défenseurs,  que  le  corps  de  l'artillerie  ; 
il  semble  que  l'instruction  qu'exige  le  genre  de  leur  ser- 
vice, ait  développé  chez  eux  le  patriotisme  naturel  aux 
soldats  français. 

La  gendarmerie  nationale  a  acquis  des  droits  aux  mêmes 
éloges;  elle  a  excité  des  sentimens  de  gratitude  d'autant 
plus  vifs,  qu'elle  a  eu  besoin  de  lutter  contre  l'aristocratie 
de  ses  chefs,  et  que  le  peuple  attache  toujours  un  plus 
grand  prix  au  civisme  et  à  l'humanité  de  ceux  qui  sont 
armés  de  la  force  publique. 

On  vit,  dans  la  journée  du  10,  avec  des  transports  de 
joie,  accourir  au  secours  du  peuple,  les  gendarmes,  les 
citoyens  armés  des  campagnes  et  des  villes  voisines  de 
Paris,  telles  que  Versailles,  St-Germain,  où  ils  rencontrè- 
rent par-tout  sur  leur  passage,  les  signes  les  plus  touchans 
de  la  reconnoissance  et  de  l'amitié  du  peuple  généreux,  qui 
venoit  de  triompher.  Plusieurs  communes  dès  les  premiers 
momens  de  l'insurrection,  avoient  déjà  envoyé  offrir  leurs 
bras  et  leur  zèle  aux  nouveaux  délégués  de  la  commune  de 
Paris. 

Qui  pourroit  peindre  les  tableaux  intéressans  de  cette 
journée?  Qui  pourroit  exprimer  le  sentiment  sublime,  dont 
toutes  les  âmes  étoient  remplies?  Les  victimes  amoncelées 
des  fureurs  de  la  cour,  s'offroient  de  toutes  parts  aux  yeux 
des  citoyens,  dans  le  vaste  repaire  qu'elle  avoit  habité, 
dans  tous  les  lieux  qui  l'environnoient  :  les  citoyens  avoient 
à  pleurer  leurs  pères,  leurs  amis,  leurs  frères  ;  mais  l'amour 
de  la  partie,  l'enthousiasme  de  la  liberté  dominoit  au-des- 
sus de  toutes  les  affections  ;  on  regardoit,  sans  émotion,  les 
cadavres  des  satellites  de  la  tyrannie  ;  on  répandoit  de  dou- 
ces larmes  sur  ceux  des  défenseurs  de  la  liberté,  en  jurant 
de  les  venger. 

Ceux  qui  ont  parcouru  le  palais  des  Thuileries  ;  ceux  qui 
ont  vu  dans  l'immense  hôtel  de  Brionne  (21  bis)  tous  ces 
lits  qui  remplissoient  toutes  les  salles,  tous  les  greniers  tou- 

(21  bis)  L'hôtel  Briorme  était,  dans  le  palais  des  Tuileries,  entre  la  cour  des 
Suisses  et  la  cour  Marsan. 


DOUZIÈME  NUMÉRO  365 

tes  les  cours  ;  ceux  qui  ont  vu  dans  tous  les  coins,  les  prépa- 
ratifs et  les  preuves  de  la  conjuration,  ces  armes,  cet  amas 
de  poignards,  d'une  forme  extraordinaire,  et  dont  l'aspect 
seul  dénonce  tous  les  attentats  de  la  tyrannie,  ne  savent  ce 
qu'ils  doivent  admirer  le  plus,  ou  de  la  scélératesse  de  la 
cour,  ou  du  courage  des  citoyens  qui  en  a  triomphé,  ou  de  la 
générosité  qui  a  suspendu  leur  vengeance. 

Que  penser  de  ce  roi,  qui  avoit  préparé  toutes  ces  hor- 
reurs, et  qui,  en  écrivant  à  l'assemblée  nationale,  avant  le 
combat  qui  devoît  décider  de  notre  sort,  osa  dire:  je  suis 
venu  auprès  de  vous,  pour  éviter  un  grand  crime.  Ce  mot, 
seul  dit  plus  que  l'histoire  des  crimes  des  rois. 

Et  cette  réponse  du  président  de  l'assemblée:  «  Sire, 
votre  majesté  peut  compter  sur  la  fermeté  de  l'assemblée 
nationale,  ses  membres  ont  juré  de  mourir  à  leur  poste,  en 
soutenant  les  autorités  constituées  »  ("22).  O  nation,  que 
serois-tu  devenue  avec  ces  cruels  tyrans  et  ces  lâches  escla- 
ves, si  ta  main  puissante  n'avoit  rompu  toutes  les  trames 
criminelles  dont  ils  t'avoient  environné  ! 

Combien  le  peuple  fut  grand  dans  toutes  ses  démarches  ! 
Ceux  qui  avoient  trouvé  quelques  meubles,  ou  quelque 
argent  dans  le  Château,  se  firent  une  loi  de  s'abstenir  de 
ces  dépouilles  prises  sur  l'ennemi.  Ils  vinrent  les  déposer 
dans  l'assemblée  nationale  ou  dans  la  commune;  ils  regar- 
dèrent, comme  des  larcins,  cet  exercice  du  droit  de  la 
conquête.  Ils  poussèrent  même  jusqu'à  l'excès,  ce  senti- 
ment de  délicatesse.  Le  peuple  immola  lui-même  ceux  qui 
avoient  cru  pouvoir  s'approprier  quelaues  effets  qui 
avoient  appartenu  aux  tyrans  et  à  leurs  complices.  Il  fut 
cruel,  en  croyant  être  juste  (23). 

(22)  «  Messieurs,  dit  le  roi,  je  viens  ici  pour  éviter  un  grand  crime.  Je  me 
croirai  toujours  en  sûreté  avec  ma  famille  au  milieu  des  représentants  de  la 
Nation.  *  Et  Vergniaud  oui  présidait,  lui  répondit  :  «  L'Assemblée  nationale 
connaît  tous  ses  devoirs  ;  elle  regarde  comme  un  des  plus  chers  le  maintien  de 
toutes  les  autorités  constituées.  »  Cette  réponse,  ajoute  Mathiez,  contenait 
l'eneragement  de  maintenir  le  roi  et  la  royauté  (p.  132). 

(23)  «  Au  milieu  des  débris  fumants  de  l'incendie  qu'il  fut  malaisé  d'étein- 
dre, dit  Mathtez,  les  insurgés  occupèrent  les  appartements  rovaux,  jetèrent 
les  livres  de  Marie-Antoinette  par  les  fenêtres,  crevèrent  les  matelas  et  les 
édredons  dont  les  plumes  voltigèrent  dans  les  cours,  mais  s'interdirent  tout 
pillage;  queloues  voleurs  furent  exécutés  sommairement.  L'or,  les  bijoux, 
l'argenterie,  les  obiets  précieux  furent  religieusement  portés  sur  le  bureau  de 
l'Assemblée...  »  (Ibid.,  p.  119). 


366  LE    DÉFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

Grands  Dieux!  le  peuple  punit  dans  des  malheureux, 
l'apparence  seule  du  crime;  et  tous  les  tyrans  qui  le  font 
égorger,  échappent  à  la  peine  de  leurs  forfaits!  Riches 
égoïstes,  stupides  vampires,  engraissés  de  sang  et  de  rapi- 
nes, osez  donc  encore  donner  au  peuple  le  nom  de  brigand  ; 
osez  affecter  encore  des  craintes  insolentes  pour  vos  biens 
méprisables,  achetés  par  des  bassesses;  osez  remonter  à  la 
source  de  vos  richesses,  à  celle  de  la  misère  de  vos  sembla- 
bles ;  voyez,  d'un  côté,  leur  désintéressement  et  leur  hono- 
rable pauvreté;  de  l'autre  vos  vices  et  votre  opulence,  et 
dites  quels  sont  les  brigands  et  les  scélérats.  Misérables 
hypocrites,  gardez  vos  richesses  qui  vous  tiennent  lieu 
d'âme  et  de  vertu;  mais  laissez  aux  autres  la  liberté 
et  l'honneur.  Non,  ils  ont  juré  une  haine  immortelle  à  la 
raison  et  à  l'égalité.  Quand  le  peuple  paroît,  ils  se  cachent  ; 
s'est-il  retiré?  ils  conspirent.  Déjà,  ils  renouvellent  leurs 
leurs  calomnies,  et  renouent  leurs  intrigues.  Citoyens,  vous 
n'aurez  la  paix,  qu'autant  que  vous  aurez  l'œil  ouvert  sur 
toutes  les  trahisons,  et  le  bras  levé  sur  tous  les  traîtres. 


III 

Pétition  présentée  à  l'assemblée  nationale 
au  nom  de  la  section  de  la  place  Vendôme  (24) 

Nous  avons  vu  tomber  la  statue  d'un  tvran  élevée  dans 
l'enceinte  de  notre  arrondissement.  La  première  idée  qui  a 
dû  s'offrir  à  nos  esprits,  est  celle  d'élever  à  la  place  de  ce 
monument  du  despotisme,  un  monument  digne  de  la  liber- 
té :  mais  nous  l'avons  liée  à  des  idées  plus  importantes. 

(24)  Robespierre  avait  été  député  par  sa  section,  la  section  de  la  place 
Vendôme,  au  Conseil  général  de  la  Commune,  dès  le  10  août. 

Le  13,  il  s'était  présenté,  une  première  fois,  à  la  barre,  au  nom  de  ce 
Conseil  pour  demander  à  l'Assemblée  de  rapporter  son  décret  voté  la  veille 
sur  la  réorganisation  du  directoire  du  département  dont  les  nouveaux  mem- 
bres de  la  Commune  demandaient  la  suppression,  afin  de  faire  cesser  l'anta- 
gonisme qui  existait  entre  les  deux  corps  municipaux. 

Le  14,  c'est  à  la  tête  d'une  députation  de  citoyens  envoyés  par  la  section  de 
la  place  Vendôme  qu'il  vient  demander  à  l'Assemblée  qu'à  la  place  de  la  statue 
équestre  de  Louis  XIV,  sur  la  place  Vendôme,  statue  renversée  par  le  peuple, 
un  monument  soit  élevé  en  l'honneur  des  citoyens  morts  en  défendant  la 
liberté  le  10  août.  C'est  la  pétition  lue  par  lui  à  l'Assemblée  qu'il  reproduit 
dans  son  journal  (Reg.  des  arrêtés  et  délibérations  de  la  section  de  la  place 


DOUZIÈME   NUMÉRO  367 

Un  grand  nombre  de  nos  concitoyens  sont  morts  pour 
la  liberté.  Les  héros  qui  perdent  la  vie.  en  combattant  les 
ennemis  étrangers,  ne  sont  qu'au  second  rang.  Au  premier 
sont,  sans  doute,  ceux  qui  meurent  pour  affranchir  leur 
pays  du  joug  des  tyrans.  Qu'avons-nous  fait  jusques  ici, 
pour  honorer  la  mémoire  des  citoyens  qui  ont  péri  naguère, 
en  combattant  les  nôtres  ?  Avec  quel  zèle  les  peuples  libres, 
que  l'histoire  nous  propose  pour  modèle,  s'empressoient 
d'acquitter  cette  dette  de  la  patrie!  Pourquoi  serions-nous 
plus  froids  ou  plus  ingrats  ?  Les  héros  dont  je  parle,  valent- 
ils  moins  que  ceux  de  Rome  et  d'Athènes?  Marseille,  Pa- 
ris, Brest,  par  exemple,  ont-ils  quelque  chose  à  envier  à 
Sparte?  Si  l'on  ne  cite  point  les  Pélopidas  et  les  Timoléon, 
qui,  dans  les  jours  immortels  qui  viennent  de  s'écouler, 
conduisirent  les  français  à  la  victoire,  c'est  que  le  peuple 
entier  étoit  une  armée  de  héros,  qui  n'avoit  besoin  d'autre 
chef,  que  le  génie  de  la  liberté. 

Sachons  nous  estimer  ce  que  nous  valons.  Qu'est-ce  que 
les  actions  héroïques  qui  exterminoient  le  petit  tyran  d'une 
petite  contrée,  auprès  des  triomphes  que  nous  avons  rem- 
portés sur  le  despotisme  et  sur  l'intrigue,  pour  venger  la 
cause  de  l'humanité  entière?  Français,  d'autres  ont  fondé 
des  gouvernemens  plus  ou  moins  justes:  vous  seuls  avez 
combattu,  pour  rétablir  sur  la  terre,  le  trône  immortel  de 
la  raison,  de  la  justice  et  de  l'égalité^ 

Nos  travaux  ne  sont  point  encore  finis.  Députés  du  peu- 
ple, hâtez-vous  de  soutenir  et  d'encourager  les  vertus  dont 
nous  avons  besoin,  en  consacrant  par  des  hommages  solen- 
nels, la  gloire  des  martyrs  de  la  liberté,  qui  ont  tombé  dans 
la  journée  immortelle  du  10  de  ce  mois.  Expions  ainsi  tant 
d'honneurs  sacrilèges,  prostitués  à  des  traîtres  et  à  des 
assassins  du  peuple.  Imprimons  un  caractère  imposant  aux 
grands  événemens  qui  viennent  de  cimenter  notre  liberté. 
Faites  pour  vos  défenseurs  et  pour  vous-mêmes  ce  que  les 
tyrans  sont  si  empressés  à  faire  pour  eux  et  pour  leurs 

Vendôme:  Arch.  de  la  Préfecture  de  police.  —  Laponnerave  publie  simple- 
ment le  procès-verbal  très  court  de  l'Assemblée  législative  du  13  août  rendant 
compte  de  la  première  intervention  de  Robespierre  au  nom  du  Conseil  général 
de  la  Commune  [t.  II,  pp.  5  et  6].  —  Hamel  raconte  la  séance  du  14  août 
[t.  II,  pp.  381-382].  —  Le  Moniteur  du  17  août  résume  en  quelques  lignes  la 
harangue  de  Robespierre. 


368  LE   DÉFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

complices.  Les  vertus  sublimes  qui  sauvent  les  nations, 
leur  paroissent  des  crimes;  et  la  force  seule  décide  si  les 
défenseurs  des  droits  de  l'humanité  sont  des  héros  ou  des 
rebelles.  Peuple,  quand  la  tyrannie  est  couchée  par  terre, 
gardez-vous  bien  de  lui  laisser  le  tems  ou  les  moyens  de  se 
relever. 

Nous  vous  proposons,  Messieurs,  en  ce  moment,  de  dé- 
créter, qu'au  lieu  où  étoit  la  statue  de  Louis  XIV,  sur  la 
place  Vendôme,  il  sera  élevé  une  pyramide  consacrée  à  la 
mémoire  des  citoyens  morts  le  10  août  1792,  en  combattant 
pour  la  liberté.  Nous  nous  reposons  sur  votre  zèle,  du  soin 
de  leur  décerner  des  honneurs  funèbres,  dignes  de  leurs 
vertus  héroïques,  et  de  la  patrie  qu'ils  ont  sauvée. 

IV 

On  a  inséré  dans  le  dernier  numéro  de  cet  ouvrage,  une 
lettre  dont  certain  passage  compromet  quelques  membres 
du  comité  des  belges  et  liégeois  (  1).  Nous  aimons,  nous  res- 
pectons trop  la  cause  des  peuples  et  ses  défenseurs,  pour 
ne  pas  nous  faire  une  loi  de  réparer  cette  erreur.  Le  citoyen 
même  qui  avoit  écrit  cette  lettre  a  reconnu  que  c'étoit  une 
surprise  faite  à  son  patriotisme.  Nous  ne  pouvons  mieux 
faire  que  de  publier  ici  la  lettre  qu'il  nous  a  adressée  à  ce 
sujet. 

Lille,  le  10  août  1702,  Van  4*  de  la  liberté. 

Monsieur, 

Je  vous  prie,  au  nom  du  patriotisme  qui  doit  animer  tous 
les  bons  français,  de  vouloir  bien  insérer,  dans  votre  plus 
prochain  numéro,  la  note  ci-jointe 

Je  prie  ceux  qui  ont  lu  les  notes  que  j'ai  envoyées  sur  le 
comité  des  patriotes  belges  et  liégeois  réunis,  de  vouloir 
bien  suspendre  leur  jugement,  jusqu'à  ce  que  je  me  sois 
procuré  d'autres  éclaircissemens.  attendu  que  je  crois  avoir 
été  induit  en  erreur  par  des  gens  qui  se  disent  patriotes, 
mais  qui  ne  sont  autre  chose  que  des  vils  partisans  des 
Lameth  et  de  Lafayette. 

J'ai  l'honneur  d'être,  etc. 

Rutteau. 

(25)  Voir  ci-dessus,  page  339. 


DOUZIÈME  NUMÉRO  369 

V 

Pièces  trouvées  dans  la  chambre  du  roi  (26) 

Etat  des  noms  des  personnes  qui  do  vent  être  définitive- 
ment choisies  dans  la  garde  nationale. 

Désignés  par  la  reine,  MM. 

Quinguerlot,  Picquet,  Robert,  Collot,  Evrat,  Roullean, 
Cocquelin,  Durouchter,  Deromefort,  Parisot. 

Désignés  par  madame  Elisabeth,  MM. 

Mondot,  Robert,  Vernaud,  Durand,  fédéré  de  Romans; 
Parisot,  Lattache,  Marion. 

Désigné  par  le  roi,  M. 

Galez  de  Nanterre. 


Maubeuge ,  jeudi  0  au  soir. 

Lettre  adressée  à  Théodore  Lameth  (27) 

Je  viens  de  recevoir  le  courrier  de  Daban:  il  me  tran- 
quillise un  peu  sur  les  craintes  que  je  vous  exprimois  ce 
matin  dans  une  lettre  que  je  vous  envoie  par  cette  occasion. 
La  demande  du  ministre  de  l'Angleterre  est  faite  pour 
produire  un  grand  effet,  mais  j'aurois  autant  aimé  que  la 
terreur  vint  à  nos  brigands  par  des  adresses  des  départe- 
mens  :  comment  ne  les-a-t-on  pas  engagés  à  s'exprimer  sur 

(26)  Ces  pièces  furent  communiquées,  le  15  août  au  matin,  à  l'Assemblée 
par  Basire  qui  se  contenta,  ce  jour-là,  de  donner  lecture  de  la  lettre  du  prince 
de  Poix  relative  à  l'état  des  dépenses  de  la  maison  que  la  Cour  entretenait  à 
Coblentz. 

On  donna  connaissance  d'autres  pièces  à  la  séance  du  soir.  Alexandre  de 
Lameth  et  Barnave,  les  anciens  ministres  Duportail,  Duport-Dutertre,  Ber- 
trand de  Molleville,  Montmorin  et  Tarbé  furent  décrétés  d'accusation  (His- 
toire parlementaire,  t.  XVII,  pp.  77-79,  83-85.  —  Moniteur,  réimp.,  t.  XIII, 
pp.  230  à  323). 

(27)  Théodore  de  Lameth  (1756-1854),  député  du  Jura,  siégeait  à  la  droite 
de  l'Assemblée.  Ses  Mémoires  et  ses  Notes  et  souvenirs,  publiés  par  Eugène 
Welvert  en  1013  et  en  1914,  contiennent  d'intéressants  détails  sur  son  rôle  et 
ses  démarches  au  moment  du  10  août  en  faveur  de  la  royauté.  Il  mourut 
presque  centenaire. 


370  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

la  question  qui  alloit  s'agiter,  comme  ils  avoient  fait 
à  l'époque  du  20  juin?  Leur  conduite  d'alors  nécessite  une 
opinion  prononcée  dans  cette  circonstance,  de  même  contre 
la  convention  nationale,  comme  contre  la  déchéance  ou  sus- 
pension. Je  l'ai  mandé,  il  y  a  trois  jours,  à  Péronne, 
Amiens,  Saint-Quentin,  département  de  l'Aisne,  j'avois 
mandé  à  Dup...  (28)  par  Lafayette,  n'ayant  pas  de  voie  sûre 
plus  directe,  qu'il  mit  en  mouvement  Lebrun  (29)  du  dépar- 
tement de  Versailles,  Rouen  par  Thouret  (30)  ou  Lian- 
court  (31).  Un  second  vœu  national  feroit  un  grand  effet, 
et  acheveroit  de  perdre  la  faction  qui  vous  opprime.  Je 
serois  bien  fâché  que  l'assemblée  prit  une  détermination 
fâcheuse  contre  Lafayette. 


Le  prince  de  Poix  an  roi  (32) 

D'ici  à  la  fin  du  mois,  il  n'y  aura  pas  en  France  un  seul 
officier,  ni  garde  de  votre  majesté.  L'intention  de  votre 
majesté  n'est-elle  pas  de  leur  laisser  leur  traitement  jus- 
qu'au Ier  janvier  1792,  sauf  à  prendre,  dans  ce  tems,  de 
nouveaux  ordres  de  votre  majesté? 

Je  la  supplie  de  permettre  que  tous  les  comptes,  jusqu'au 
Ier  juillet  1791,  objet  de  huit  millions,  soient  remis  à  M.  de 
Laporte,  après  avoir  été  signés  du  major  et  aide-major. 

(28)  Il  s'agit  de  Duportail,  l'ancien  ministre  de  la  guerre  qui  se  trouvait 
en  qualité  d'officier,  en  Lorraine,  sous  les  ordres  de  La  Fayette. 

(29)  Charles-François  Lebrun  (1739-1824%  le  futur  consul  de  l'an  VIII, 
avait  été  député  du  bailliage  de  Dourdan  aux  Etats  généraux;  il  était,  au 
moment  du  10  août,  président  du  directoire  de  Seine-et-Oise.  Il  conspirait  en 
faveur  de  la  royauté,  fut  arrêté  et  conduit  dans  la  prison  de  Versailles. 

(30)  Jacques-Guillaume  Thouret  (1746-1794),  député  du  Tiers-état  de  Rouen, 
était  alors  juge  au  tribunal  de  cassation. 

(31)  Le  duc  François-Alexandre-Frédéric  de  La  Roche foucluad-Liancourt 
(1747-1827)  avait  été  député  de  la  noblesse  du  bailliage  de  Clermont  en  Beau- 
voisis  aux  Etats  généraux.  Retiré  dans  sa  terre  de  Liancourt,  il  aidait 
Louis  XVI  de  ses  conseils  et  même  de  sa  fortune.  Il  émigra  après  le  10  août. 

(32)  Philippe-Louis-Marie-Antoine  de  Noailles,  prince  de  Poix,  duc  de 
Mouchy  (1752-1819)  avait  été  député  de  la  noblesse  d'Amiens  et  Ham  aux 
Etats  généraux.  Commandant  de  la  garde  nationale  de  Versailles,  il  fut  tou- 
jours fidèle  au  roi  et  ne  craignait  pas  de  se  compromettre  pour  lui,  en  se 
tenant  en  rapport,  on  le  voit,  avec  le  bureau  de  Coblentz.  Il  émigra  après 
le  10  août. 

La  pièce  ci-dessus  ne  fut  reproduite  ni  par  le  Moniteur,  ni  par  VHistoi~e 
parlementaire  (voir  plus  loin,  page  378). 


DOUZIEME  NUMERO  371 

Votre  majesté  voudra  bien  l'approuver  pour  notre 
décharge. 

Votre  majesté  approuvera  que  la  dépense  de  7  à  8.000 
lits  faite  pour  les  prisonniers,  soit  portée  sur  les  masses. 

Il  existe,  dans  ce  moment: 

Au  Guet 150  chevaux 

A  Beauvais 147 

A  Troies 153 

A  Amiens 161 

A  Châlons 159 

En  Normandie 38 

Total 808 

Il  en  appartient 80  aux  officiers 

Reste 728 

Votre  majesté  permet-elle  que  chaque  officier  prenne  son 
cheval  ?  Et  comme  il  ne  restera  pas  un  seul  officier,  ni  gar- 
des aux  compagnies,  que  votre  majesté  veut-elle  faire  des 
chevaux  et  effets,  dont  personne  ne  peut  plus  se  charger? 

Ne  pourroit-on  pas  réunir  le  tout  à  Compiègne,  avec  les 
piqueurs  et  palfreniers? 

M.  Desfontaines,  homme  d'un  rare  mérite,  est  chargé 
de  tous  les  paiemens  à  Paris;  il  veut  partir,  à  moins  d'un 
ordre  positif  de  votre  majesté;  c'est  le  seul  que  je  me  sois 
permis  d'arrêter,  étant  responsable  d'une  immense  comp- 
tabilité ;  si  votre  majesté  lui  donne  des  ordres,  il  est  en  état 
de  suivre  tous  ces  détails,  dont  il  rendroit  compte  à  M.  de 
Laporte.  Je  ne  puis  plus  donner  aucun  ordre,  les  gardes- 
du-corps  n'existant  plus  en  France. 

A  moins  d'un  ordre  particulier  de  votre  majesté,  je  crois 
de  mon  devoir  de  la  suivre  par-tout  où  elle  sera  ;  je  l'aurois 
rejointe  à  Montmédy,  si,  pour  le  bonheur  de  la  France, 
votre  majesté  y  fut  arrivée.  Le  ciel,  dans  sa  colère,  n'a  pas 
permis  qu'un  nouveau  jour  éclaira  ce  malheureux  pays, 
et  que  les  intentions  aussi  pures,  que  sages  de  votre  ma- 
jesté, fussent  connues  pour  le  salut  du  royaume  si  déchiré, 
depuis  deux  ans,  par  les  intrigans,  les  scélérats  et  les  bri- 
gands. 


372  LE   DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

Spa  ce  21 

Je  vous  envoie,  ma  bien  chère,  un  exemplaire  du  mani- 
feste (33),  je  crains  de  n'être  pas  la  première  à  vous 
l'adresser,  mais  j'en  veux  courir  les  risques,  et  être  certai- 
ne que  vous  avez  le  bon  ;  car  je  prévois  que  chacun  va  com- 
poser à  sa  manière,  et  qu'ils  feront  l'impossible  pour  dis- 
simuler le  vrai.  Quel  parti  prendra  l'assemblée  ?  Laissera- 
t-elle  le  roi,  ou  prouvera-t-elle  une  centième  fois  à  l'Eu- 
rope qu'il  est  prisonnier.  Nous  attendons  ce  résultat  avec 
bien  de  l'impatience.  On  ne  croit  point  à  la  déchéance,  on 
dit  que  les  feuillans  sont  sûrs  d'une  majorité  de  80  voix.  Si 
par  un  grand  hasard  on  laissoit  la  famille  royale,  libre  de 
venir  conférer  avec  les  puissances,  j'imagine  que  mon 
amie  suivroit  ses  pas  ;  j'aurois  une  joie  bien  grande  de  les 
voir  entourer  comme  ils  doivent  l'être;  et  je  vous  assure 
que  je  ne  serois  pas  une  des  dernières  à  aller  satisfaire 
mon  cœur  par  mes  propres  yeux.  Je  vais  retourner  à 
Bruxelles  dans  huit  ou  dix  jours,  mais  l'aurai  soin  de  vous 
avertir  à  tems  pour  qu'il  n'y  ait  point  d'interruption  dans 
notre  correspondance. 

Adieu,  ma  princesse. 

VI 

Procès-verbal  de  la  déclaration  de  M.  Lecomte 

sergent  des  grenadiers  et  de  six  personnes  de  son  bataillon 

de  renfort  au  Château  des  Thuileries 

Le  14  août,  l'an  4e  de  la  liberté,  s'est  présenté  au  comité 
de  surveillance,  le  sieur  Lecomte,  servent  des  grenadiers- 
volontaires  du  bataillon  des  capucins,  demeurant  vieille  rue 
du  Temple,  n°  34:  lequel  a  déclaré  qu'étant  avec  un  déta- 
chement des  Thuileries,  la  nuit  du  g  au  10  du  courant, 
Cour  de  Marsan,  il  a  vu  vers  huit  heures  du  matin,  le  10 
du  présent  mois,  le  sieur  Leroux,  médecin,  officier  muni- 
ciual,  revêtu  de  son  écharpe,  avec  un  autre  officier  muni- 
cipal, dont  il  ignore  le  nom,  se  promener  devant  les  rangs, 
et   recommander   aux   compagnies    qui    étoient   sous   les 

(33)  Le  manifeste  du  duc  de  Brunswick  (v.  ci-dessus,  p.  341).  Cette  lettre 
ne  figure  pas  dans  celles  qui  ont  été  lues,  le  15,  à  l'assemblée. 


DOUZIEME  NUMERO  373 

armes,  de  repousser  la  force  par  la  force  (34),  si  les  postes 
étoient  attaqués,  recommandant  en  outre,  à  tous  les 
citoyens  qui  étoient  sous  les  armes  au  Château,  de  verser 
jusqu'à  la  dernière  goutte  de  leur  sang,  pour  soutenir  la 
loi  et  le  roi,  et  ayant  même  fait  faire  le  serment  par  les 
suisses  et  autres  personnes  armées,  qui  ont  levé  la  main,  en 
signe  de  l'engagement  que  leur  faisoit  contracter  le  sieur 
Leroux,  qu'après  cette  promesse,  un  sergent  d'une  des 
compagnies  de  suisses  se  mit  dans  les  rangs,  ayant  une 
bouteille  d'eau-de-vie  à  la  main,  et  en  faisant  boire  aux 
soldats  qui  avaloient  une  pincée  de  poudre  à  canon,  à  la 
moitié  du  verre  qu'ils  buvoient  ;  observant  le  déposant,  que 
lorsque  le  roi,  le  dit  jour,  10  du  courant,  entre  5  et  6  heures 
du  matin,  passa  en  revue  toutes  les  compagnies  qui  étoient 
sous  les  armes;  presque  tous  les  soldats  qui  l'entouraient, 
crioient  vive  le  roi,  et  engageoient  vivement  les  autres  à 
répéter  ces  cris;  que  le  roi,  satisfait  de  ces  cris,  disoient 
aux  soldats,  en  les  passant  en  revue,  qu'ils  avoient  l'air  bien 
ferme;  ajoute  le  déclarant,  que  le  ci-devant  comte  de  St- 
Marc  (35),  demeurant  rue  Geoffroy-Langevin,  chez  M. 
Renault,  homme  de  loi,  n°  22,  s'est  promené,  toute  la  nuit 
du  9  au  10  du  courant,  dans  les  cours  du  Château,  revêtu 
d'une  redingotte  (sic)  bleue  de  baracan,  avec  des  épaulettes 
en  or  ;  que  le  sieur  de  St-Marc  lui  a  répondu  :  Quoi  ?  ce  que 
nous  comptons  faire?  nous  leur  donnerons  le  bal;  à  quoi 
le  déclarant  a  dit  au  sieur  de  St-Marc:  «  est-ce  que  vous 
croyez  que  nous  serons  assez  en  force  ?  »  A  quoi  ledit  sieur 

(34)  Le  médecin  Jean-Jacques  Leroux  (1749-1832),  officier  municipal,  était 
déjà  suspect  au  peuple.  C'est  lui  qui  avait  tenu  le  drapeau  rouge  au  côté  du 
maire  Bailly,  le  17  juillet  1791,  lors  de  la  proclamation  de  la  loi  martiale  et  du 
massacre  des  pétitionnaires.  —  D'après  un  récit  qu'il  a  publié  sur  son  rôle 
au  cours  de  la  journée  du  10  août,  ce  serait  lui  qui,  avant  Roederer,  aurait 
conseillé  au  roi  de  se  réfugier  au  sein  de  l'Assemblée;  ce  serait  lui  qui  aurait 
requis  le  commandant  de  la  garde  nationale  de  résister  par  la  force  aux 
envahisseurs  du  château;  ce  serait  lui  qui  aurait  donné  l'ordre  aux  Suisses 
de  tirer  sur  le  peuple.  Au  moment  des  massacres  de  septembre,  quoique  déjà 
proscrit,  il  écrit  à  Petion  une  lettre  énergique  et  injurieuse;  plus  tard,  il  fut 
encore  compromis,  en  l'an  IV,  dans  la  révolte  des  sections  royalistes,  le  13 
vendémiaire.  Il  fut  un  des  réorganisateurs  de  la  Faculté  de  médecine  sous 
l'Empire.  (Robiquet:  Le  personnel  municipal  de  Paris,  pp.  529-530). 

(35)  Il  s'agit  peut-être  de  Jacques-Auguste  de  Poilloiie  de  Saint-Mars  qui, 
royaliste  ardent,  avait  servi  la  Cour  en  qualité  de  lieutenant  des  gardes  fran- 
çaises; il  avait  été  député  de  la  noblesse  du  bailliage  d'Etampes  aux  Etats 
généraux  (I739-I794)- 


374  LE   DEFENSEUR   DE   LA   CONSTITUTION 

de  St-Marc  a  répliqué  :  «  nous  avons  toute  la  bonne  garde 
nationale  et  tous  les  suisses  et  bien  d'autres  »,  ce  qui  est 
tout  ce  que  le  déclarant  a  dit  avoir  remarqué,  et  a  signé: 
Lecomte. 


VII 

Extrait  de  l'interrogatoire  de  M.  de  Lalain 
commissaire-ordonnateur,  employé  au  bureau  de  la  guerre  (36) 

Interrogé  quels  étoient  les  divers  officiers  généraux  qui 
accompagnoient  le  roi  lors  de  la  revue;  a  répondu  qu'il  a 
remarqué  et  reconnu,  à  ce  moment,  MM.  de  Menou  et 
Boissaux,  tous  deux  maréchaux-de-camp  (37). 

Interrogé  quels  étoient  les  ordres  et  les  harangues  qui 
ont  été  données  et  faites  à  la  troupe  armée,  qui  se  trouvait 
au  Château  : 

A  répondu  que  M.  Roederer;  avec  plusieurs  officiers  du 
corps  municipal  avoient  harangué  les  différens  corps  de 
troupe,  en  leur  disant  qu'il  ne  f  alloit  point  attaquer  les 
citoyens,  mais  opposer  une  ferme  résistance,  si  on  étoit 
attaqué,  et  qu'en  ne  perdant  point  de  vue  qu'il  falloit  expo- 
ser sa  vie  pour  le  maintien  de  la  loi  et  la  défense  des  pro- 
priétés, si  l'on  se  trouvoit  forcé  à  répandre  le  sang,  il  fal- 
loit que  ce  fût  avec  tous  les  ménagemens  que  des  soldats 
citoyens  doivent  à  des  frères  égarés. 


(36)  Charles  Delalin,  premier  commis  au  Ministère  de  la  guerre,  fut 
condamné  à  mort  par  le  tribunal  révolutionnaire  le  27  ventôse  an  II,  pour  sa 
participation  aux  projets  contre-révolutionnaires  de  la  Cour,  lors  du  10  août 
(Arch.  Nat.:  W  338,  doss.  606,  p.  31). 

(37)  Menou  (Jean-François  Abdallah)  (1756-1810)  fut  député  de  la  noblesse 
de  Tours  ;  il  était  le  commandant  du  camp  sous  Paris  ;  il  fut  accusé  par  Cha- 
bot d'avoir  dirigé  la  résistance  des  Tuileries,  dans  la  nuit  du  9  au  10  août  ;  il 
écrivit  une  lettre  à  l'Assemlbée  pour  se  justifier. 


DOUZIÈME  NUMÉRO  375 

VIII 

Pièce  trouvée  dans  un  des  secrétaires  du  roi 
par  MM.  les  commissaires  envoyés  aux  Thuileries 
imprimée  par  ordre  de  rassemblée  nationale  (38) 

Projet  du  comité  des  ministres,  concerté  entre  MM. 
Lameth  et  Barnave: 

i°  Refuser  la  sanction. 

2°  Ecrire  une  nouvelle  lettre  aux  princes,  d'un  ton  fra- 
ternel et  royal. 

30  Nouvelle  proclamation  sur  les  émigrans,  d'un  style 
ferme,  et  marquant  bien  l'intention  de  maintenir  la  cons- 
titution. 

40  Réquisition  motivée  aux  puissances,  de  ne  souffrir 
sur  leur  territoire  aucun  rassemblement,  armement,  ni 
préparatifs  hostiles. 

5°  Etablir  trois  cours  martiales,  et  faire,  s'il  est  néces- 
saire, de  nouvelles  dispositions  relativement  aux  démis- 
sions, désertions,  remplacemens,  etc. 

Le  ministre  de  la  justice  portera  à  l'assemblée,  et  remet- 
tra lui-même  au  président,  le  décret  revêtu  de  la  formule: 
Le  roi  examinera. 

Il  exposera  ensuite,  en  parlant  en  son  propre  nom,  que 
le  roi  auroit  accueilli  quelques  dispositions  de  la  loi;  mais 
que  la  sanction  étant  indivisible,  etc.  Il  dira  que  le  roi  n'a 
jamais  perdu  de  vue  cet  objet;  il  rappelera  d'une  manière 
générale  ce  qui  a  été  fait,  telle,  que  la  proclamation  sur  les 
émigrations,  la  lettre  que  le  roi  a  déjà  écrite  aux  princes 
ses  frères  ;  il  lira  la  nouvelle  lettre  qui  sera  écrite  ;  il  annon- 
cera les  dispositions  tant  anciennes  que  nouvelles,  dont 
chaque  ministre  rendra  immédiatement  compte. 

Le  ministre  des  affaires  étrangères  rappelera  les  précé- 
dentes dispositions,  et  fera  valoir  le  bon  effet  qu'elles  ont 

(38)  Le  député  Henry-Larivière  (du  Calvados)  donna  connaissance  de  cette 
pièce  qui  est,  dit-il,  de  la  main  de  l'ancien  ministre  De  Lessart;  le  titre  est 
écrit  par  le  roi  lui-même.  Elle  est  publiée,  conforme  au  texte  donné  par 
Robespierre,  dans  l'Histoire  parlementaire  (t.  VII,  pp.  83-84). 

C'est  après  cette  lecture  que,  sur  la  proposition  de  Cambon  et  Fauchet, 
Alexandre  Lameth  et  Barnave,  ainsi  que  les  cinq  anciens  ministres,  Duportail, 
Duport-Dutertre,  Bertrand  de  Molleville,  Montmorin  et  Tarbé  furent  décrétés 
d'accusation. 


276  LE    DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

produit  auprès  de  l'empereur,  en  faisant  connoître  les 
ordres  qu'il  a  donnés  dans  les  Pays-Bas.  Il  fera  part  de 
la  nouvelle  réquisition. 

Le  ministre  de  la  guerre  rendra  compte  de  ce  qui  le  con- 
cerne. 

Le  ministre  de  l'intérieur  dira  que  les  décrets  rendus 
relativement  aux  paiemens  de  pensions,  traitemens,  etc., 
sont  soigneusement  exécutés. 

On  estime  qu'ensuite  le  roi  feroit  une  chose  extrême- 
ment utile,  en  demandant  à  chaque  département  un  certain 
nombre  d'hommes  pour  être  placés  dans  sa  garde. 


IX 

Billet  des  princes,  enfermé  dans  un  porte-feuille 
trouvé  dans  les  appartemens  du  roi  (39) 

Je  vous  ai  écrit,  mais  c'étoit  par  la  poste.  Je  n'ai  rien  pu 
dire.  Nous  sommes  ici  deux  qui  n'en  font  qu'un:  mêmes 
sentimens,  mêmes  principes,  même  ardeur  pour  vous  ser- 
vir. Nous  gardons  le  silence:  mais  c'est  qu'en  le  rompant 
trop  tôt,  nous  vous  compromettrions  ;  mais  nous  parlerons 
dès  que  nous  serons  sûrs  de  l'appui  général;  et  ce  moment 
est  proche.  Si  l'on  nous  parle  de  la  part  de  ces  gens-là, 
nous  n'écouterons  rien.  Si  c'est  de  la  vôtre,  nous  écoute- 
rons, mais  nous  irons  droit  notre  chemin.  Ainsi  si  l'on  veut 
que  vous  nous  fassiez  dire  quelque  chose,  ne  vous  gênez 
pas.  Soyez  tranquille  sur  votre  sûreté.  Nous  n'existerons 
que  pour  vous  servir;  nous  y  travaillons  avec  ardeur,  et 
tout  va  bien.  Nos  ennemis  mêmes  ont  trop  d'intérêt  à  votre 
conservation,  pour  commettre  un  crime  inutile,  et  qui 
achèveroit  de  les  perdre. 

Adieu.  Signé:  L.  S.  X.  Ch.  P. 


(39)  Gohier  (d'Ille-et- Vilaine)  donna  connaissance  de  cette  pièce,  repro- 
duite par  l'Histoire  parlementaire  (t.  XVII,  p.  84).  —  Elle  est  signée  des 
initiales  des  frères  du  roi  :  Louis-Stanisks-Xavier,  comte  de  Provence  et 
Charles-Philippe,  comte  d'Artois. 


DOUZIÈME  NUMÉRO  ST] 


Note  trouvée  avec  des  lettres  adressées  à  M.  de  Montmorin 
ex-ministre,  dans  son  appartement  aux  Thuileries  (40) 

i°  Si  Ton  fait  partir  les  gardes  suisses,  il  y  a  lieu  de  le 
craindre. 

20  La  déchéance  doit  avoir  lieu,  ce  que  l'on  pourra 
savoir  à  l'avance. 

30  Si  un  mouvement  populaire  fait  craindre  pour  les 
jours  du  roi,  que  son  inviolabilité  ne  seroit  plus  autant 
respecter  par  le  peuple. 

4°  Si  la  garde  nationale,  toujours  insouciante  et  timide, 
ne  laissoit  espérer  aucun  seours  réel. 

Voilà  quatre  questions  probables  sur  l'affirmative,  et 
qui  déterminent  la  nécessité  d'aviser  à  un  parti. 

Le  roi  continueroit-il  a  demeurer  exposé  à  tant  de  dan- 
gers, ou  bien  profiteroit-il  de  l'assistance  encore  possible 
des  gardes-suisses,  qui,  une  fois  parties,  ne  pourroient- 
être  remplacés  par  aucun  corps  armé? 

On  peut  croire  que  dans  le  cas  où  le  roi  se  détermineroit 
à  quitter  Paris,  pour  ne  pas  dépasser  la  distance  prescrite 
par  la  constitution,  il  seroit  suivi  par  la  minorité  de  l'as- 
semblée. Les  proclamations  nécessaires  pour  la  sûreté  du 
roi  et  de  sa  famille  et  de  l'ordre  public,  pourroient  être  fai- 
tes par  cette  section  de  l'assemblée,  de  concert  avec  le  roi. 

Les  constitutionnels  désirent  que  le  roi  se  conduise  par 
eux.  Il  ne  faut  cependant  pas  les  confondre  tous  ensemble. 
Une  conversation  que  j'ai  eue  ce  matin  avec  deux  députés, 
'ne  m'a  pas  rendu  plus  tranquille  sur  la  suite  des  événemens. 

Les  questions  ci-contre  ont  été  le  principal  objet  de 
cette  conversation,  ils  sont  disposés  à  quitter  l'assemblée, 
mais  ils  veulent  attendre  les  derniers  événemens,  afin  d'être 
utiles  jusqu'au  dernier  moment.  Un  des  deux  avec  qui  j'ai 
eu  une  conversation,  désireroit  que  le  roi  partit  avec  un  dé- 
tachement de  gardes  nationales  de  Paris,  dans  l'arrondisse- 
ment fixé  par  la  constitution.  Il  n'a  pas  pu  cependant  dis- 
convenir qu'il  y  avoit  de  grands  inconvéniens  et  de  grands 

(40)  C'est  encore  Gohier  qui  communique  cette  pièce  à  l'Assemblée.  Elle 
est  reproduite  par  YHistoire  parlementaire  (t.  XVII,  pp.  85-86). 


378  LE    DÉFENSEUR    DE   LA    CONSTITUTION 

dangers  à  partir  ou  à  rester.  On  prétend  qu'une  grande 
partie  de  la  garde  nationale  suivroit  le  roi.  Je  ne  le  pense 
pas  ;  et  on  croit,  en  effet,  difficilement  que  les  mêmes  per- 
sonnes qui  ont  laissé  entrer  dans  le  Château  à  main-armée, 
puissent  quitter  leurs  foyers,  qu'ils  livrent  au  pillage,  pour 
suivre  le  roi. 

Je  serai  instruit  à  l'avance  du  parti  que  prendra  l'assem- 
blée sur  le  projet  de  déchéance,  par  ce  qu'on  est  maintenant 
par  députation  à  recenser  les  opinions  pour  le  oui  ou  pour 
le  non,  on  cherche  même  à  faire  prendre  engagement,  par 
écrit  à  ceux  qui  sont  pour  s'y  opposer,  afin  de  les  forcer  à 
tenir  à  leur  opinion. 

XI 

Pièces  trouvées  dans  le  secrétaire  du  roi 

lues  à  l'assemblée  nationale  le  15  août,  l'an  4e  de  la  liberté 

imprimées  et  envoyées  aux  quatre-vingt-trois  départemens 

par  son  ordre  (41) 

Sire, 

J'ai  l'honneur  de  remettre  à  votre  majesté  les  états  de 
recettes  et  dépenses  de  ses  quatre  compagnies  des  gardes- 
du-corps,  du  premier  avril  1788  au  premier  juillet  1791. 
Votre  majesté  verra  avec  quelle  économie  et  quelle  fidélité 
elle  a  toujours  été  servie,  sous  tous  les  rapports,  par  cette 
troupe,  si  cruellement  traitée.  C'est  faire  saigner  le  cœur 
de  votre  majesté  que  de  lui  en  parler.  Ces  comptes  ont  été 
huit  jours  entre  les  mains  de  M.  de  la  Porte:  quand  votre 
majesté  les  aura  examinés,  je  la  supplie  de  mettre  son 
approbation  aux  états  signés  de  nous. 

Je  joins  ici  mémoire  à  peu-près  semblable  au  premier 
que  j'ai  remis  à  votre  majesté*  je  la  supplie  d'écrire  ses 
ordres  à  côté.  Je  crois  que  M.  de  Collinot  mérite  bien  une 
gratification  de  800  liv. 

(41)  Cette  pièce  et  la  suivante,  émanant  encore  du  prince  de  Poix  (voir 
ci-dessus,  page  370),  furent  lues  par  Basire  à  la  séance  du  15  août  au  matin. 
La  première  est  reproduite  en  partie  par  le  Moniteur  (réimp.,  t.  XII,  p. 
230  bis)  et  in-extenso  par  l'Histoire  parlementaire  (t.  XVII,  pp.  77-78).  — 
Elle  établit  nettement  que  la  Cour  de  France  entretenait  une  maison  du  roi 
à  Coblentz;  que  les  comptes  de  cette  maison  étaient  remis  à  Paris  et  tenus 
par  l'intendant  Dç  La  Porte,  chargé  de  la  liste  civile. 


DOUZIÈME   NUMÉRO  379 

Il  reste  encore  deux  gardes  au  plus  de  chaque  compa- 
gnie: je  les  ai  retenus,  afin  de  ne  pas  laisser  dégrader  les 
effets  précieux  du  corps.  M.  de  Flomont  est  dans  l'inten- 
tion de  partir  ;  et  M.  de  Collinot  le  suivroit,  s'il  ne  venoit 
de  rendre  (sic), 

ce  qui  regarde  son  départ. 

Quant  à  M.  d'Aguesseau  et  à  moi,  Sire,  nous  croyons 
que  notre  devoir  nous  enchaîne  à  sa  personne,  et  nous  ne 
la  quitterons  que  par  ordre  de  votre  majesté  (42). 

Je  suis  avec  l'attachement  et  le  respect  le  plus  profond. 
Sire, 

De  votre  majesté, 

Le  très-humble,  très  soumis  et 

fidèle  sujet,  Philippe  de 

Noailles  de  Poix. 

Votre  majesté  trouvera  aussi  ci-joint,  un  mémoire  expli- 
catif des  dépenses  du  corps,  et  une  lettre  que  j'ai  reçue  de 
Coblentz. 


De  Coblentz,  ce  7  octobre  iyçi  (43) 

Vous  m'avez  comblé  de  vos  bontés  et  de  votre  intérêt; 
et,  en  votre  absence,  je  me  fais  un  devoir  de  reconnoissance 
de  vous  prévenir  de  tout  ce  qui  pourroit  être  agréable  et 
utile  au  corps.  Il  appartient  à  une  personne  telle  que  vous, 
de  n'attendre  aucune  sollicitation,  et  de  vous  mettre  en 
avant  de  la  manière  la  plus  marquée,  en  disant  à  M.  Des- 
fontaines de  déposer  chez  MM.  Tour  ton  et  Ravel,  ban- 
quiers à  Paris  (44),  tous  les  fonds  de  la  caisse  du  corps  en 
assignats  et  de  lui  demander  des  lettres  de  crédit  pour 
pareille  somme  sur  des  banquiers  les  plus  connus  de  l'An- 
gleterre et  de  la  Hollande,  et  de  les  apporter  à  Coblentz, 

(42)  Henri  Cardin  Jean-Baptiste,  marquis  d'Aguesseau  (1746-1826),  petit- 
fils  du  chancelier,  avocat  général  au  Parlement  de  Paris,  député  de  la  noblesse 
du  bailliage  de  Meaux  aux  Etats  généraux,  fut  président  du  tribunal  d'appel 
de  Paris  sous  le  Consulat,  pair  de  France  sous  Louis  XVIII. 

(43)  La  lettre  de  Coblentz  du  7  octobre  1791  est  également  reproduite, 
in-extenso,  par  le  Moniteur  (réimp.,  t.  XIII,  p.  230  bis)  et  par  l'Histoire 
parlementaire  (t.  XIII,  pp.  78-79). 

(44)  Voir  une  lettre  de  Hambourg  du  30  juin  1792,  relative  à  la  situation  de 
cette  banque  à  Paris,  dans  le  Moniteur  du  10  juillet  1792  (réimp.,  t  XIII, 
p.  81). 


380  LE    DÉFENSEUR    DE    LA    CONSTITUTION 

où,  en  présence  d'un  conseil  d'administration,  il  fera  cons- 
tater l'état  de  la  caisse  de  la  manière  la  plus  positive,  en 
recevra  décharge  du  corps,  qui  se  chargera  en  totalité  des 
fonds,  s'en  rendra  responsable,  et  en  donnera  décharge 
valable  à  tous  ceux  qui  auront  coopéré  à  cette  opération. 
Il  sera  rendu  compte  au  roi,  dans  la  forme  ordinaire,  de 
l'emploi  de  ces  fonds,  auxquels  il  ne  sera  touché  que  dans 
des  cas  urgens  et  de  la  première  nécessité,  pour  le  soutien 
et  les  opérations  du  corps.  Au  cas  que,  par  des  circonstan- 
ces imprévues,  les  princes  fussent  gênés  pour  subvenir  aux 
frais  nécessaires  du  corps,  la  solde  continuera  à  être  reçue 
par  M.  Descomtré,  et  envoyée  sur-le-champ  au  corps,  mois 
par  mois,  en  déposant  la  somme  chez  MM.  Tourton  et  Ra- 
vel, qui  donneroient  des  lettres  de  crédit  pour  pareille  som- 
me, sur  la  Hollande  ou  sur  Francfort.  Au  surplus,  le  con- 
seil d'administration  aviseroit  à  cette  opération  dont  il 
dirigeroit  le  succès.  Ce  seroit  compromettre  le  roi,  que  de 
l'autoriser  de  son  approbation.  C'est  au  corps  à  se  charger 
de  tous  les  événemens,  et  à  s'en  rendre  responsable.  Vous 
seul  êtes  capable  de  lui  rendre  un  pareil  service,  qui  achè- 
vera de  vous  obtenir  le  suffrage  entier  du  corps,  ce  dont  je 
ne  cesse  de  m'occuper. 

J'ai  l'honneur  de  soumettre  à  votre  majesté,  de  nouveau, 
les  propositions  ci-après,  sur  lesquelles  je  la  supplie  de  me 
donner  ses  ordres. 

M.  de  Collinot  a  travaillé,  sans  aucune  gratification  quel- 
conque, à  tous  les  comptes  des  compagnies:  votre  majesté 
veut-elle  bien  fixer  celle  à  lui  accorder? 

Votre  majesté  veut-elle  réunir  les  chevaux  et  effets  des 
gardes-du-corps  à  Compiègne,  Fontainebleau,  Versailles 
ou  Rambouillet. 

Les  habits  et  housses,  chaperons  appartiennent  aux  gar- 
des-du-corps, ainsi  que  les  chevaux  aux  officiers:  votre 
majesté  ordonne-t-elle  qu'ils  soient  remis  à  ceux  auxquels 
ils  appartiennent? 

L'intention  de  votre  majesté  n'est-elle  pas  que  le  corps 
soit  payé  jusqu'au  premier  janvier  1792,  sauf,  d'ici  à  ce 
tems  à  prendre  de  nouveaux  ordres  de  votre  majesté? 

Il  faut  un  ordre  par  écrit  de  votre  majesté,  pour  que  M. 
Desfontaines,  homme  d'un  rare  mérite,  se  charge  de  tout 


DOUZIÈME   NUMÉRO  381 

le  détail  du  corps,  pour  en  rendre  compte  à  M.  l'intendant 
de  la  liste  civile;  je  demande  les  ordres  de  votre  majesté, 
dans  le  cas  où  cette  proposition  ne  conviendroit  pas  à  votre 
majesté,  que  tout  fonds  soit  remis  à  celui  qui  sera  indiqué 
par  M.  de  la  Porte. 

XII 
Avis  aux  Souscripteurs  (45) 

Les  circonstances  actuelles  et  l'approche  de  la  convention 
nationale,  semblent  nous  avertir  que  le  titre  de  défenseur 
de  la  constitution  ne  convient  plus  à  cet  ouvrage;  quoique 
nous  avions  déclaré  dès  l'origine,  que  ce  n'étoit  point  ses 
défauts  que  nous  voulions  défendre,  mais  ses  principes; 
quoique  notre  but  n'ait  jamais  été  de  la  défendre  contre  le 
vœu  du  peuple,  qui  pouvoit  et  qui  devoit  la  perfectionner, 
mais  contre  la  cour  et  contre  tous  les  ennemis  de  la  liberté, 
qui  vouloient  la  détruire  ou  la  détériorer.  Nous  continue- 
rons désormais  cet  ouvrage  sous  un  titre  plus  analogue  aux 
conjonctures  où  nous  sommes. 

Comme  des  circonstances  impérieuses  ont  apporté  quel- 
que retard  dans  l'envoi  des  Numéros,  nous  le  réparerons 
incessamment. 

(45)  Reproduit  par  E.  Hatin,  ibid.,  t.  VI,  p.  288;  et  par  E.  Hamel,  ibid., 
t.  II,  p.  382). 


INDEX 


[Les  noms  des  personnages  sont  en  Petites  capitales;  les  noms 
de  pays,  villes  ou  villages,  en  italiques. 

Les  députés  à  l'Assemblée  législative  de  1791,  sont  simplement 
indiqués  par  les  lettres   «  dép.   ». 

Nous   n'avons  pas   relevé   les   noms   fréquemment   employés   de 
Robespierre,  France,  Paris]. 


Achille,  héros  grec,   181. 

Actium  (bataille  d'),  243. 

Adams,  diplomate  américain,  213. 

Aguesseau  (d'),  const.,  379. 

Ain    (département),    107. 

Aix- en-Provence    (B.-du-Rhône),    86. 

Ajax,.  roi  des  Locriens,  233. 

Alembert  (d'),  philosophe,  36,  68. 

Alexandre,  roi  de  Macédoine,  111, 
112. 

Alexandre,  commissionnaire  à  Se- 
dan, 282. 

Alexandre,  agitateur,  351  n. 

Alger,  72. 

Allard,  aubergiste  à  Virton,  283. 

Allemagne,  190,  250,  282,  283,  311, 
336,  344- 

Alsace,  340. 

Ambly  (marquis  d'),  const.,  50  n. 

"Amiens  (Somme),  370,  371. 

André  (d'),  const.,  39,  40  n.,  125  n. 

Angleterre,  xxm  ;  —  32  n.,  62,  91, 
295  n.,  369,  379- 

Annibal,  général  carthaginois,  214. 

Antoine  (Marc),  général  romain,  82. 

Anthoine,  maire  de  Metz,  101  n.,  102. 

Antonelle,  dép.,  87  n. 

Appius  (v.  Claudius),  56,  144. 

Archier,  dép.,  14  n. 


Aristide,  héros  grec,  36,  117  n. 

Arles  (B.-du-Rhône),  86,  87  n.,  92  n. 

Arlon   (Belgique),  346. 

Amay-le-Duc  (Côte-d'Or),  92  n. 

Arnold  (Bénédict),  général  améri- 
cain, 56. 

Arras  (Pas-de-Calais),  v;  —  33  n., 
69  n. 

Artois  (province  d'),  33  n. 

Artois  (Charles-Philippe,  comte  d'), 
frère  de  Louis  XVI,  104  à  107, 
191  n.,  376. 

Athènes  (Grèce),  336,  367. 

Aubert-Dubayet,  dép.,  293  n. 

Audouin,  journaliste,  vu. 

Aulard,  historien,  vu  n.  ;  —  12  r., 
16  n.,  28  n.,  29  n.,  46  n.,  47  n., 
88  n.,  150  n.,  154  n.,  180  n.,  181  n., 
184  n.,  210  n.,  240  n.,  244  n., 
255  n.,  262  n.,  275  n.,  335  n. 

Autriche,  16  n.,  18,  138  n.,  139,  172, 
188,  189,  190  n.,  212,  234,  238,  268, 
283  n.,  291,  313  n.,  321,  325,  329, 
336,  341,  347  n. 

Auxonne  (Côte-d'Or),   101. 

Averhoult  (d'),  dép.,  306. 

Avignon  et  le  Comtat  Venaissin,  85  n., 
86,  87  n.,  92,  209,  210,  229,  232. 

Ayen  (duc  d'),  beau-père  de  La 
La  Fayette,  170  n. 


384 


INDEX 


B 


Bade  (duché  de),  222. 

Bailly,  maire   de   Paris,   xxxv;   — 

174  n.,  177  n.,  179  n.,  182,  203  n., 

300  n.,  373  n. 
Bâle  (traité  de),  347  n. 
Barbaroux,  conv.,  xx;  —  86  n. 
Barère,  const.   et  journaliste,  25  n., 

185  n. 
Barnave,    const.,    x;    —    39,    51    n., 

183   n.,    184  n.,  205,   212  n.,  349, 

369  n.,  375. 
Barrois,  imp.,  ni  n. 
Basire,  dép.,  vu,  xv,  xxxv  ;  —  23  n., 

61  à  65,  99,  369  n.,  378  n. 
Bavay   (Nord),  285,  344. 
Beauharnais     (vicomte     Alex,     de), 

const.,  50  n. 
Beaumetz,  const.,  36  n.,  51  n. 
Beaurain,  émigré,   192. 
Beauvais  (Oise),   371. 
Belfort  (Haut-Rhin),  66. 
Belgique,  vin,  xx,  xxiv;  —  16,   17, 

18,  138,  139,  183  n.,  227,  232,  234, 

237  n.,  256,  310  n.,  312  n.,  338,  339, 

342  n.,  349,  368. 
Bellemont   (de),   commandant  de  la 

place  de  Metz,  101,  193,  210. 
Bellemont  (abbé  de),  210. 
Berlin  (Allemagne),  189  n. 
Bernstein,  libraire,  xxxvn. 
Bertier  de  Sauvigny,  intendant  de 

Paris  en  1789,  210. 
Berthois,  colonel,  230  n. 
Bertin,  commissaire  d'Arles,  86. 
Bertrand  de  Molleville,  ministre, 

61,  89,  90  n.,  369  n.,  37s  n. 
Besançon  (Doubs),  25  n. 
Biauzat,  const.,  60  n. 
Bigot    de    Sainte-Croix,    ministre, 

337  n. 
Billaud-Varenne,  conv.,  xxiv. 
Biron,  général,  166  n.,  228  n.,  334  n. 
Birotteau,  conv.,   xxn. 
Blanchard,  dép.,  69  n. 
Blondel,  sec.  du  dép.  de  la  Seine,  261. 
Bohême,  238,  281,  313  n. 
Boissaux,  maréchal  de  camp,  374. 
Bonaparte  (Napoléon),  27  n.,  195  n., 

347  n. 
Bonne-Carrêre,  diplomate,  275. 


Bouille  (marquis  de),  60  n.,  121,  124, 

172   n.,    173,    177   n.,    183,    185   n., 

209,  271,  283,  308. 
Bouillon  (Belgique),  282. 
Bouihillier-Chavigny  (marquis  de), 

const.,  50  n. 
Boys,  sec.  des  Jacobins,  46. 
Brabant,   16,   17  n.,   18,  56,  172,   183, 

188,  201,  229,  234,  254,  338,  339, 

342,  343,  344- 
Bréard,  dép.,  63. 
Brentano,  général   allemand,   220. 
Brentano   (Clément),  poète,  220  n. 
Brentano    (Elisabeth),    dite    Bettina 

d'Arnim,  amie  de  Goethe,  220  n. 
Brest  (Finistère),  367. 
Bretagne,  xxiv. 

Breteuil   (Le  Tonnelier  de),  minis- 
tre, 90  n. 
Breuillet  (Seine-et-Oise),  109,  120  n., 

128  à  135. 
Breux    (Seine-et-Oise),    109,    120   n., 

128  à  135. 
Brisgau  (Le),  prov.  ail.  du  duché  de 

Bade,  156,  221. 
Brissot,   1,  v,   vi,  vu,  x,  xiii  n., 

XIV,       XV,       XXIII,     XXVII,     XXIX, 

xxxi  ;  —  5,  9  n.,  10,  11,  12,  14  n., 
16  n.,  23  n.,  28  à  46,  47,  77  n., 
83  à  99,  123  n.,  124  n.,  127  n., 
138  n.,  182  n.,  273  n.,  295  n., 
302  n. 

Broglie  (prince  Victor-Claude  de), 
const.  et  général,  46  n.,  50  n.,  87, 
283. 

Broise  (de),  édit.,      xxxn  n. 

Brunswick  (duc  de),  341  n.,  372. 

Brutus,  héros  romain,  79,  214. 

Bruxelles  (Belgique),  192,  212  n.,  234, 
342  n.,  343. 

Bûchez  et  Roux,  rédacteurs  de 
l'Histoire  parlementaire,  1,  xiv  n., 
xxv  n.,  xxvi  n.,  xxx  à  xxxn; 
—  1  n.,  7  n.,  15  n.,  28  n.,  47  n., 
77  n.,  99  n.,  109  n.,  120  n.,  127  n., 
128  n.,  166  n.,  182  n.,  185  n., 
233  n-,  237  n.,  240  n.,  244  n., 
255  n.,  260  n.,  288  n.,  289  n., 
290  n.,  292  n.,  301  n.,  307  n., 
317  n.,  319  n.,  341  n.,  350  n., 
355  n.,  357  n.,  358  n.,  369  n., 
370  n.,  375  n.,  376  n.,  377  n., 
378  n.,  379  n. 


INDEX 


385 


Buisson,  lib.  édit,  24  n. 

Bureaux  de  Puzy,  const.,  50  n.,  313. 

Burke,  écrivain  et  homme  politique 

anglais,   171  n. 
Buzot,  const.,  xx,  xxi;  —  38  n. 


Caligula,  emp.  romain,   182. 
Calonne,  ministre,   190  à  193. 
Calvet,  dép.,  72  n.,  99. 
Cambon,  dép.,  xxii  ;  —  295  n.,  375  n- 
Camille,  général  romain,  56. 
Camus,  const.,  7  n. 
Carnqt-Feulins,    dép.,    99    n.,    143, 

314,  315  n. 
Caron   (Pierre),   hist.,   51   n. 
Carra,  journaliste,  vi,  61  n. 
Carrel  (Armand),  écriv.,  xxvn  n. 
Catilina,   conspirateur    romain,    204, 

273. 
Caton,   censeur   romain,   63,    79,   94, 

122,  206,  214,  251. 
Cazalès,  const.,  44  81,  87. 
Cerutti,  dép.,  7,  123. 
César    (Jules),    général    romain,    82, 

93,  94,  182,  242,  271,  272. 
Chabaud  (Alfred),  hist,  86  n. 
Chabot,   dép.,   xv;  —  23  n.,  29  n., 

31,  61  à  65,  99,  240  n.,  374  n. 
Chabroud,  const.,  50  n. 
Challamel,  hist.,  203  n.,  204  n.,  205  n. 
Chatons  (Marne),  371. 
Chambonnas  (Scipion),  ministre,  255, 

275  à  285,  287,  310  à  314,  337  n., 

339- 
Champion  de  Villeneuve,  ministre, 

85  n. 
Charavay  (E.),  hist,  172  n.,  173  n., 

174  n.,  175  n.,  177  n.,  180  n.,  181  n., 

182  n.,  183  n.,  100  n.,  237  n.,  243  n., 

265  n.,  267  n.,  270  n.,  271  n.,  301  n., 

308  n. 
Charlemont  (Belgique),  280,  281. 
Charleroi  (Belgique),  342. 
Charles  Ier,  roi  d'Angleterre,  9. 
Charles  II,  roi  d'Angleterre,  62  n. 
Charles  XII,  roi  de  Suède,  '182. 
Chateauvieux  (régiment  de),  29,  39  n., 

120  n.,  124,  127,  209,  210. 
Chauffour  (Seine-et-Oise),  109,  120  n., 

128  à  135. 
Châtillon-siir-Marnc    (Marne),  vin  n., 

308  n. 
Chaumette,  proc.  de  la  Corn.,  318  n 


Chavaniac   (Auvergne),   188  n, 

Choiseul  (duc  de),  min.,  242  n. 

Choudleu,  dép.,  46,  47. 

Chuquet,  hist,  183  n.,  223  n.,  228  n., 
282  n.,  310  n.,  313  n.,  337  n., 
344  n. 

Circé,  pers.  mythol.,   113,  257. 

Claudius  ou  Clodius  (Appius),  con- 
sul et  décemvir  romain,  42,  56, 
82,  94,   144,  204. 

Clauzel,  dép.,  70  n. 

Clavière,  min.,  vi;  —  91,  92,   152, 

153,  154. 
Clermont-Tonnerre      (comte     de), 

const.,  87,  203  n.,  275  n. 
Cloots  (Anacharsis)  conv.,  16  n. 
Coblentz  (Allemagne),  xv  ;  —  32  n., 

65,  191,  193,  221,  228  n.,  234,  279, 

282,  291,  341  n.,  350,  369  n.,  378  n., 

379- 
Cocquelin,  garde  nat,  369. 
Codogno  (Italie),  160  n. 
Collinot   (de),  agent  royaliste,   378, 

379- 
Collot,  garde  nat.,  369. 
Collot-d'Herbois,    conv.,    vin;    — 

29  n.,   30  n.,  31,  255,  262  à  274. 
Compiègne  (Oise),  237  n.,  371,  380. 
Condé  (prince  de),  chef  des  émigrés, 

44,  283  n. 
Condorcet,   philosophe   et   dép.,   vi, 

x,  xv;  —  5  n.,  9  n.,   10,   12,  29, 

32  n.,   36,  67,   68,  69,   77  n.,  83, 

87,  93,  123  n.,  124  n.,  137,   162  à 

164. 
Condorcet  (Mme  de),  93  n. 
Conzie   (de),   évêque  d'Arras,   33  n. 
Cossé-Brissac    (de),    colonel    de   la 

garde  du  roi,  xvi  ;  —  99  n.,  100. 
Courbel,  éd.,  233  n. 
Courtois,  conv.,  xxxm. 
Courtrai    (Belgique),    xvn  ;    —   225, 

227,   232,    234,    253,   259,   345. 
Couthon,  dép.,  vin;  —  301  n. 
Crassus  (dit  le  Riche),  homme  pol. 

romain,  117. 
Crémone  (Italie),   160  n. 
Crillon   (marquis  de),  const.,   50  n. 
Cromwell,  dictateur  anglais,  9,  196, 

199,  272. 
Cugniêres  (P.  de),  correspondant  de 

Robespierre,  m. 
Custine,  général  ;  et  son  fils,  diplo- 
mate, aide  de  camp  de  son  père, 

220. 


386 


INDEX 


Daban,  agent  royaliste,  369. 
Danton,  conv.,  xi  n.,  xxv  ;  —  184  n , 

205  n.,  362  n. 
Dax  (Landes),  340  n. 
Debourges?,  87  n. 
Delacroix      (d'Eure-et-Loir),     dép., 

xxv,  xxxv  ;  —  63,  295  n. 
Delacroix    (Charles),    conv.    de    la 

Marne,  295  n. 
Delacroix    (Sébastien-Bruno),    révo. 

et  journaliste,  vin  n.  ;  —  318  n. 
Delaguette,  imp.,  1  n. 
De   Lalain    (Ch.),    commis   au   min. 

de  la  Guerre,  349,  374. 
Delmas,  dép.,  301  n. 
Deromefort,  garde  nat.,  369. 
Deschiens,  écrivain,  m,  xiv,  xix  n. 
Descomtré,  agent  royaliste,  380. 
De  Senne,  sculpteur,  179  n. 
Desèze,    défenseur    de    Louis    XVI, 

XXII,    xxix. 
Desfontaines,   agent   royaliste,   371, 

379,  380. 
Desilles,  officier  à  Nancy,  209. 
Desmoulins    (Camille),    journaliste, 

183  n.,  318  n. 
Deville,  conv.  de  la  Marne,  295  n. 
Diderot,  phil.,  68. 
Dietrich,     maire     de     Strasbourg, 

xxxv;  —  45,  87,  156  à  159,  219 

à  222. 
Dillon  (Arthur),  général,  xx,  xxix  ; 

—  20. 

Dillon   (Théobald),   général,    15  n., 

20,  159  n.,  230  n. 
Dinan   (Belgique),  279. 
Dobsen,  prés,  du  trib.  révol.,  vin  n.  ; 

—  209  n. 

Dolivier    (Pierre),    curé    de    Mau- 

champ  (Seine-et-Oise),  117  n.,  125, 

128' à  135. 
Domergue  de  Beauregard,  dép.,  85. 
Dominique,  fondateur  de  l'ordre  des 

Jacobins,  204. 
Dondey-Dupré   (Mme),   imp.,  xxvi  n. 
Douai  (Nord),  344  n. 
Dreissard     (Veuve),     aubergiste    à 

Sedan,   282. 
Dubno  (Pologne),  347. 
Dubois-Crancé,  conv.,  xxm,  xxx; 

—  50  n.,  95  n.,  181  n. 


Du  Bouchage,  min.,  337  n. 
Duchaielet    (Achille),    colonel,    pa- 
rent de  La  Fayette,  II; 

ûucos,  dép.,  46,  47. 

Duhem,  dép.,  vin,  xxxv;  —  95. 

Duhoux,  général,  340. 

Dulaure,  .journaliste  et  conv.,  vi. 

Dumas  (Mathieu),  dép.,  23  n.,  55  n., 
175  n.,  306,  315,  330  n. 

Dumolard,  dép.,  55,  63  n.,  272  n.,  304, 
306. 

Dumond,  curé  de  Volmerange,  311. 

Dumouriez,  min.  et  général,  vi, 
XVI,  xx,  xxiv,  xxv,  XXVIII, 
xxxi,  xxxv;  —  17  n.,  101,  150, 
153,  154,  166  n.,  183  n.,  196  n., 
220  n.,  253  n.,  275,  276,  311,  339, 
340  n. 

Dunkcrque  (Nord),  227  n. 

Duplain  (Joseph-Benoit),  journaliste, 
xi  n. 

Duplain  (Pierre-Jacques),  imp.  et 
lib.,  xi;  —  4. 

Duplan  (J.),  écrivain,  32  n. 

Duplay,  hôte  de  Robespierre,  menui- 
sier, vin,  xi  ;  —  101  n. 

Duport  (Adrien),  const.,  x,  xn  n.  ; 
—  39,  40,  44,  166  n.,  179  n.,  183  n., 
189  n.,  205,  212  n.,  330  n. 

Duport-Dutertre,  min.,  89,  90  n., 
369  n.,  375  n. 

Duportail,  min.,  91,  369  n.,  370, 
375  n. 

Durand,  fédéré  de  Romans,  369. 

Duranthon,  min.,  61  n.,  91. 

Durouchter,   garde   nat.,   369. 

Dutertre,  lieut.  col.  émigré,   193. 


Egmont  (comte  à.'),  const,  50  n. 
Elisabeth  (Mrae),  sœur  de  Louis  XVI, 

349,  369. 
Emmery,  const.,  50  n.,  51  n.,   180. 
Epernay  (Marne),  xn  n. 
Escaut  (Y),  fleuve,  16  n.,  342. 
Etain    (Meuse),    102. 
Etampes  (Seine-et-Oise),   109,   120  n., 

128  à  135. 
Etats-Unis  d'Amérique,   170,    179  n., 

213,  214,  242  n.,  306  n. 
Evrat,  garde  nat.,  369. 


Fabre  d'Églantine,  conv.,  xxm. 

Fabricius,  consul  romain,  56,  117  n. 

Famars  (camp  de)  (Nord),  228  n., 
344- 

Faucheï  (abbé),  dép.,  29  n.,  375  n. 

Faure  (de  la  Haute-Loire),  conv., 
209  n. 

Faure  (Achile)  éd.,  xxxiv  n. 

Favras  (marquis  de),  conspirateur 
royaliste,  270. 

Fleislander  (baron  de),  const,  51  n. 

Flomont  (de),  agent  royaliste,  379. 

Fontainebleau   (Seine-et-Marne),  380. 

Fontoy  (gorge  de)  (Moselle),  194. 

Foy,  général,  x  n. 

Fournier,  l'Américain  révol.,  351  n. 

Francfort  (Allemagne),  380. 

François,  boulanger,  176  n.,  186,  300. 

François  II,  empereur  dAutriche, 
201,  212  n.,  235  n.,  238,  283,  307. 

Franklin  (Benjamin),  savant  et  hom- 
me d'état  américain,  213. 

Frédéric-Guillaume,  roi  de  Prusse, 
238,  307. 

Fréron,  journal,  et  conv.,  47  n. 

Fréron  (Mme),  imp.,  xxiv. 

Frondière,  dép.,  xxxv  ;  —  99. 

Fumay   (Ardennes),  281. 


Galez,  fédéré  de  Nanterre,  369. 

Gallois  (Léonard),  historien,  1,  ix, 
x  n.,  xi,  xxxii  ;  —  5  n.,  15  n., 
28  n.,  49  n.,  77  n.,  109  n.,  119  n., 
138  n.,  144  n.,  166  n.,  196  n., 
226  n.,  233  n.,  255  n.,  288  n., 
294  n.,  301  n.,  307  n.,  308  n., 
317   n.,   326  n.',   334  n.,   350  n. 

Gasparin,  dép.,  xxvn;  —  73  n. 

Gaubert,  capitaine,   102. 

Gênes  (Italie),   302  n. 

Genève  (Suisse),  92  n. 

Gensonné,  dép.,  v,  xxm,  xxix, 
xxxv  ;  —  77  n.  83,  90  n.,  93  n., 
301  n. 

Giraud,  fusilier  du  bat.  du  Gros- 
Caillou,  167,  168. 

Girey-Dupré,  journaliste,  138  n. 

Gisors   (Eure),   261    n. 

Givet  (Ardennes),  277,  279,  280,  281. 

Glagau  (Hans),  écrivain,  190  n., 
244  n. 


EX  387 

Gobel,  évêque  de  Paris,  301   n. 
Godefroy,  lexicographe,  345  n. 
Goeihe,  poète,  220  n. 
Gohier,  dép.,  376  n.,  377  n. 
Gomer  (comte  de),  const.,  50  n. 
Gorsas,  journal,  et  conv.,  vi,  xxiv. 
Goujon,  dép.  de  l'Oise,  293  n. 
Goupilleau,  dép.,  xxiv  ;  —  272  n. 
Gouties  (l'abbé),  const.,  60  n. 
Gracques  (les),  tribuns  romains,  251. 
Grandville,   journaliste,   xxxiii. 
Grangeneuve,  dép.,  212  n. 
Gravemark    (Belgique),  342. 
Grèce,  359. 

Grimperelle,  imp.,  xxvn  n. 
Grodno    (Pologne),   347. 
Grossbart   (Julien),  hist.,  347  n. 
Guadet,    dép.,    v,    vu,   xiii   n.,   xv, 

XXIII,  xxvii,  xxix,  xxxi,  xxxv; 

—  S,   28  à  46,  47,   55  n.,   63  n., 

77   n.,   83,   90   n.,   93   n.,    94,   95, 

96,    99,    217    n.,    244    n.,    301    n., 

358  n. 
Guillard,    poète,    ami    de    Brissot, 

32  n. 
Guillaume,  imp.,  xxvii  n. 
Guillot   (Arthur),  écriv.,  1,  xxxiii. 
Guines     (duc    de),     gouverneur     de 

l'Artois,   34  n. 


H 

Haguenau   (Bas -Rhin),  362  n. 

Hambourg   (Allemagne),  379  n. 

Hamel  (Ernest),  historien,  1,  iv, 
vin  n.,  xi  n.,  xii  n.,  xiv,  xv  à 
xix  n.,  xx  à  xxvi,  xxxiv;  — 
1  n.,  s  n.,  15  n.,  25  n.,  28  n., 
47  n.,  49  n.,  51  n.,  60  n.,  61  n., 
65  n.,  69  n.,  77  n.,  99  n.,  109  n., 
120  n.,  128  n.,  138  n.,  144  n., 
150  n.,  166  n.,  167  n.,  196  n., 
226  n.,  233  n.,  241  n.,  244  n., 
255  n.,  260  n.,  288  n.,  294  n., 
301  n.,  307  n.,  309  n.,  317  n., 
319  n.,  332  n.,  334  n.,  335  n.. 
350  n.,  355  n.,  367  n.,  381  n. 

Hatin  (Eugène),  historien,  1,  m, 
ix,  xiv,  xix  n.,  xxxii  à  xxxiii, 
xxxvi  n;  —  1  n.,  5  n.,  6  n.,  9  n., 
n  n.,  196  n.,  233  n.,  238  n.,  255  n., 
334  n.,  350  n.,  358  n.,  381  n. 

Haussy,  dép.,  63  n. 


388 


INDEX 


Hébert,  journaliste,  88  n.,  318  n. 
Henri  IV,  roi  de  France,  123. 
Henry-Larivière,   dép.,  375   n. 
Hercule,  héros  mythol.,  331. 
Hertz,  historien,  46  n. 
Hesse  (prince  de),  général   français, 

xx. 
Hollier,  command.  du  bataillon  du 

Gros-Caillou,    167,    168. 
Hongrie,   169,    189  n.,   192,  227,   234, 

238,   240. 
Houdon,  sculp.,  179  n. 
Hua,  dép.,  292  n. 
Huguenin,    commis    aux    barrières, 

357  n. 
Huick   (Belgique),  342. 
Huningue  (Haut-Rhin),  334  n.,  362. 
Hny   (Belgique),   342. 


I Ile-et-Vilaine    (départ.),  310. 
Imbert   (J.),   journaliste,   xiv  n. 
Isère  (départ.),  107. 

J 

Jacob   (L.),  historien,   iv. 

Jaucourt,  dép.,   190  n. 

Jaurès,  historien  et  homme  d'Etat, 
166  n. 

Jemmapes  (Belgique),  352  n. 

Jobat,  officier,  193. 

Joseph  77,  empereur  d'Autriche, 
16  n.,  201. 

Jourdan-Coupe-Tête  (Mathieu  Jou- 
ve), révol.,  209. 


Kaunitz    (prince    de),    diplomate    et 

homme  d'Etat  autrichien,   190  n., 

235  n.,  313  n. 
Keralio    (M"«   de),    (Mme   Robert), 

femme  écrivain,  93  n. 
Kinsky  (François-Joseph)  officier  et 

écrivain  autrichien,  312,   313  n. 
Kosciusko,  patriote  polonais,  347  n. 
Kuscinski,  historien,  67  n. 


La  Bedoyêre  (comte  de)  collection- 
neur, xxxvi. 


La  Bourdonnaie  (de),  général,  340, 

344- 
Lachausse,    jacobin    de     Strabourg, 

220. 
Laclos    (Choderlos    de),    général    et 

écrivain,  12  n. 
Lacombe-Saint-Michel,  dép.,  315  n. 
Lacroix   (A.),  éditeur,  xxxiv. 
Lacroix  (Sigismond),  historien,  11  n., 

175  n.,   176  n.,  179  n.,  270  n. 
La  Fayette,  const.  et  général,  vi,  x, 

XVI,     XVII,     XVIII,     XXVIII,     xxxi, 

xxxiii,  xxxiv  ;  —  10,  11,  12,  13, 
20,  32,  39,  44,  45,  84  n.,  91  n., 
94,  114,  161,  165  à  190,  191,  194, 
195  à  219,  221,  222,  223  n.,  225 
à  228,  233  à  243,  249  n.,  255, 
256  n.,  259,  260  n.,  262  à  274, 
277,  278,  279,  281,  284,  287,  288, 
292,  294,  300  n.,  301  à  307,  308, 
312,  313,  324,  337,  346,  351,  361, 
362,  368,  370. 

La  F  ère   (Aisne),  101,  281. 

La  Harpe,  lieut.  col.,  137,  159  à  161. 

Lally-Tolendal,  const.,  237  n. 

La  Marck  (comte  de),  prince  d'A- 
renberg,  const.  et  diplomate  au 
service  de  l'Autriche,  242  n.,  243  n. 

Lamarlière,  général,  56  n. 

Lamarque,  dép.,  301  n. 

Lambert-Belon  (Ch.),  dép.,   123  n. 

Lambinet  (abbé),  agent  de  La 
Fayette,  190  n.,  313  n. 

Lameth  (les),  const.  et  légif.,  x;  — 
44,  50  n.,  51  n.,  91  n.,  166  n., 
178,  183  n.,  184  n.,  189  n.,  205, 
242,   349,   368,   369,   375- 

Lamoignon,  garde  des  Sceaux,  33. 

Lamourette,  dép.,  258  n. 

Landes  (département),   107. 

Landrecies  (Nord),  310. 

Laponneraye  (Albert),  historien,  1, 
xn  n.,  xxvi  n.,  xxvn  à  xxx, 
xxxiii  n.,  xxxvi  ;  —  1  n.,  5  n., 
15  n.,  28  n.,  49  n.,  77  n.,  109  a, 
119  n.,  138  n.,  144  n.,  166  n., 
195  n.,  225  n.,  233  n.,  244  n., 
255  n.,  260  n.,  294  n.,  301  n., 
317  n,  319  n.,  334  n.,  350  n., 
367  n. 

Laporte  (de),  secrétaire  du  roi, 
chargé  de  la  liste  civile,  370,  371, 
378,  381. 


INDEX 


389 


Larivière  (Etienne  de),  juge  de  paix, 

xv  ;  —  61  à  65,  92  n.,  104 
La  Rochefoucauld  d'Euville,  pré- 
sident du  directoire  du  départ,  de 

la  Seine,  260  n.,  261  n. 
La  Rochefoucauld-Liancourt,  cons- 

titut.,  185  n.,  204  n.  370. 
La  Rochelle  (M.\  émigré,  221. 
Lasalle,  citoyen  de  Metz,  345. 
Lasource,   dép.,   46,   47,   63   n.,    154, 

301  n.,  304  n.,  315  n. 
Lattache,  garde  nat.,  369. 
Laveaux   (Thiébault  de),  journaliste, 

ix,  xxv  ;  —  46  n.,  88,  156  n. 
Laver  det,  bibliophile,   109  n. 
Lavillas,  patriote  d'Avignon,  209. 
Lavisse  et  Rambaud,  listoriens,  187  n. 
Le  Boucher,  imprimeur,  1  n. 
Lebrun    (Charles—François),    const., 

370. 
Le  Chapelier,  const.,  36  n.,  185  n. 
Lecointe-Puyraveau,    conv.,    xxn. 
Lecointre  (Laurent),  dép.,  vm,  xv, 

xvii  ;  —  49,  65  à  69,  95,  137,  162 

à  164,  276,  310  n. 
Lecomte,  sergent  de  grenadiers,  349, 

372  à  374- 
Le  Franc   de   Pompignan,  archevê- 
que de  Vienne,  const.  et  ministre, 

171  n.,  172  n. 
Lehardi   (du  Morbihan),  dép.,  xxiv. 
Lemasle  (Victor),  lib.,  xxxvn. 
Lenneicens,  officier  brabançon,  339. 
Léonidas,   roi  de   Sparte,   126. 
Léopold,  empereur  d'Autriche,  xvii  ; 

—  166  n.,   189,  211,  212,   233  n., 

235   à  243,   245,  246,  247,   283  n. 
Lepeletier  de  Saint-Fargeau,  conv., 

xxm,  xxx. 
Lepide,  triumvir  romain,  82. 
Leroux,   médecin   et  off.   munie,   de 

Paris,  372. 
Lerry   (Nord),   344- 
Lescuyer,  patriote  d'Avignon,  85  n., 

209  n. 
Lessart    (de),    min.,   45,   89,   90   n., 

247  n.,  37s  n. 
Liège    (Belgique),    279,    280,    312   n., 

342  n.,  349,  368. 
Lille  (Nord),  xvii;  —  17  n.,  21,  195, 

222,  227,  253,  317,  337  à  340,  349, 

368. 
Lisieux  (Calvados),  66  n. 


Londres  (Angleterre),  ni;  —  32  n., 
56  n.,  93  n.,  275  n. 

Longeville-lès-Metz    (Moselle),    345. 

Longwy  (Meurthe-et-Moselle),  xxxv; 
—  102,  347  n. 

Lorraine  (province  de),  340,  343, 
370  n. 

Los  (abbaye  de)   (Nord),  339,  344. 

Louis  XII,  roi  de  France,  123. 

Louis  XIV,  roi  de  France,  170  n., 
172,  366  n.,  368. 

Louis  XV,  roi  de  France,  170  n., 
235  n. 

Louis  XVI,  roi  de  France,  xxi,  xxn, 
xxiii,  xxix,  xxx,  xxxn;  —  8, 
11,  66,  170  n.,  177,  183,  184,  188  n., 
191  n.,  201,  214,  216,  217,  238  à 
243,  246,  288,  289,  317  n.,  320  à 
326,  355,  356,  357,  365,  369  à  381. 

Louis-Philippe,  I«r,  roi  de  France, 
xxv. 

Louvet,     conv.,     vu,     XXI,      xxix, 

XXXII. 

Luckner,  général,  16  n.,  19,  20  n., 
166  n.,  188  n.,  195,  222,  223  n.,  227, 
237  n.,  259  n.,  265,  279,  284,  301, 
302,  337,  344,  345- 

Luxembourg  (capitale  du  grand-du- 
ché de),  102,  192,  193,  228  n.,  282, 
283,  284,  342,  343,  345- 

Lycurgue,  législateur  de  Sparte,  126, 
206. 

Lyon  (Rhône),  341,  346. 


M 


Maëstricht  (Pays-Bas),  281. 
Maignet,  conv.,  209  n. 
Maintenon     (Mm°    de),    épouse    de 

Louis  XIV,  170  n. 
Mallet  du  Pan,  const.,  90. 
Malouet,  const.,  203  n. 
Malplaquet  (Nord),  284. 
Mandat    de   Grancey,    commandant 

de  la  garde  nat.  parisienne,  351  n.. 

353  n.,  360,  361. 
Manuel,  proc.  de  la  Commune,  xvn  ; 

—  179  n.,  258  n.,  260,  261,  262, 

263,  295. 
Marant,  dép.,  xxxv;  —  63,  95  n., 

162  n. 
Marat,   journaliste   et   conv.,   xi   n., 

xiv,  x.:v  ;  —  96,  333  n. 


390 


INDEX 


Marie-Antoinette,  reine  de  France, 

xxv  ;  —  66,  211  n.,  349,  355,  365  n., 

369. 
Marion,  garde  nat,  369. 
Manie  (départ.),  295  n. 
Marseille     (Bouchts-du-Rhône),      14, 

72,  86,  87  n.,  92,  172,  255  n.,  317, 

334  à  337,  35 1   n.,  353,  362,  363, 

367. 
Marshall    (T.),    marchand    mercier, 

11,  in  n.,  iv. 
Marta  ou  Métra,  journaliste,  xiv  n., 

255  n. 
Mathiez    (Albert),   historien,    x;   — 

11  n.,  12  n.,  190  n.,  350  n.,  353  n., 

354  n.,  356  n.,  357  n.,  361  n.,  362  n., 

363  n.,  365  n. 
Maubeuge    (Nord),  165  n.,  189  n., 

233   n.,  234,  237  n.,  280,  281,  284, 

285,  349,  369- 
Mauchamp  (Seine-et-Oise),  109,  120  n., 

128  à  135. 
Maulde    (camp   de)    (Nord),   228    n., 

344  n. 
Maury  (l'abbé),  const.,  81,  87. 
Mayence  (Allemagne),  56  n.,  156,  157. 
Mayer,  imp.,  28  n. 
Menin  (Belgique),  227,  253. 
Menou  (baron  de),  const.,  50  n.,  374. 
Mercy-Argenteau  (comte  de),  diplo- 
mate   autrichien,    189   n.,    190   n., 

212  n.,  244  n.,  313  n. 
Merlin  (de  Thionville),  dép.,  xv;  — 

23  n.,  29  n.,  30  n.,  31,  61  à  6ç,  68, 

08'. 
Mesnil  (Meuse),  280. 
Métra  (v.  Marta),  journaliste,  xiv  n  ; 

—  255  n. 
Metz  (Moselle),  xv  ;  —  45,  46  n.,  77, 

101,  102,  139,   165,  193,  194,  210, 

221,  224  n.,  280,  317,  344,  345,  346. 
Meurthe  (la),  rivière,  342. 
Meuse  (la),  fleuve,  16  n.,  281,  342  n. 
Michelet,  historien,   50  n. 
Michon   (Georges),  historien,  iv  n., 

x    n.,    xxxiii,    xxxiv  ;    —   5    n., 

15  n.,  27  n.,  28  n.,  49  n.,  77  n., 

109   n.,    117    n.,    150   n.,    166   n., 

196   n.,   226   n.,    230  n.,   243   n., 

301  n.,  330  n. 
Mirabeau,  const.,  50  n.,  122,  172  n., 

177  n.,  205  n.,  242  n. 
Miraut-Laloix,    officier    munie,    de 

Strasbourg,  219. 


Mirecourt  (Vosges),  xi  n. 
Moithey,  imprimeur,  v  n. 
Molsheim  (Bas-Rhin),  362  n. 
Monck,  général  anglais  restaurateur 

de  la  royauté,  vi;  —  189. 
Mondot,  garde  nat.,  369. 
Mons  (Belgique),   15  n.,  20,  21,   159, 

228  n.,  230,  285,  340,  342. 
Montaut   (Maribon-Montaut),  dép., 

63. 
Mont-d'Or   (Belgique),   281. 
Montesquieu,     philosophe,     123    n., 

305. 
Montjoie  (Galart  de),  écrivain  royal, 

m. 
Montmcdy  (Meuse),  194,  227  n.,  277, 

37i. 
Montmorency-Laval  (duc  de),  const., 

émigré,  285,  286. 
Montmorin,  ministre,  61,  89,  90,  91, 

172  n.,  349,  369  n.,  375  n;,  377. 
Morris    (Gouverneur),    écrivain    et 

homme  politique  américain,  270  n. 
Moselle  (la),  rivière,  16  n.,  102,  121, 

161 ,  342,  346. 
Moulins  (Nord),  345. 
Muguet  de  Nanthou,  const.,  185  n. 


N 


Namur  (Belgique),  281,  312,  337,  342. 

Nancy  (Meurthe-et-Moselle),  22  n., 
60  n.,  173,  183,  209  n.,  271  n. 

Narbonne,  ministre  de  la  guerre,  13, 
14,  45,  67,  68,  84  n.,  86,  90  n., 
91  à  95,  153,  162  à  164,  168  n., 
169  n.,  188  n.,  276  n.,  277,  278, 
312,  313. 

Necker,  ministre,  92. 

Nicolas  (Léopold),  imp.,  xi. 

Nivelles  (Belgique),  342  n. 

Noailles  (famille  de)  [v.  aussi 
Poix],   170  n.,  213,  272. 

Noailles  (vicomte  de),  censt.,  50  n. 

Normandie  (province  de),  371. 

O 

Octave,  triumvir  romain,  puis  em- 
pereur, 82,  242. 

Orléans  (Loiret),  xv;  —  61  n.,  89, 
91,  218  n. 

Orléans  (duc  d')  [alias  Philippe- 
Egalité],  xxii,  xxv. 


INDEX 


3<JT 


Orvard  (d'),  émigré,  221. 
Orval  (abbaye  d')  (Belgique),  283. 
Ostende  (Belgique),  192. 


Pacy-sur-Eure  (Eure),  160  n. 

Paine  (Thomas),  écrivain  anglais  et 
conv.,  xxxv  ;  —  171  n. 

Panât  (vicomte  de),  const.,  50  n. 

Paquet,  imprimeur,  38  n. 

Parent  (Joseph)  patriote  brabançon, 
156  à  159. 

Parisot,  garde  nat.,  369. 

Paroy  (comte  de),  auteur  de  Mé- 
moires, 270  n. 

Pastoret,  dép.,  7  n.,  123. 

Paulin,  imprimeur,  xxx  n. 

Pays-Bas  (Hollande),  276,  282,  283, 
313,  317,  340,  345,  362  n.,  376, 
379,  380. 

Pellenc,  écrivain,  244  n. 

Pelopidas,  général  thébain,  367. 

Pépin,  secrétaire  des  Jacobins,  46,47. 

Pérez,  secrétaire  des  Jacobins,  46,  47. 

Périgny,  citoyen  de  Strasbourg,  46  n. 

Perles  (Lorraine),  345. 

Péronne  (Somme),  370. 

Pétion,  const.  et  maire  de  Paris, 
xii  n.,  xvii,  xxi,  xxii,  xxvi  11, 
xxix  ;  —  38  n.,  39,  240  n.,  258  n., 
260  à  262,  263,  295,  373  n. 

Petit,  commissaire  général  de  l'Ar- 
mée du  Rhin,  161. 

Petit  (Jean-Pierre),  hab.  de  Mau- 
champs  (S.-et-O.),  133. 

Phalsbourg   (Moselle),   221. 

Philippe-ville   (Belgique\   281. 

Phocton,  général  et  homme  d'Etat 
athénien,  35,  251. 

Picquet,  garde  nat.,  369. 

Pison  (Lucius  Calpurnius),  homme 
d'Etat  et  consul  romain,  82. 

Platon,  phil.  grec,  148,  252. 

Plutus,  pers.  mythol.,  dieu  de  la  ri- 
chesse,  114. 

Poix    (Philippe    de    Noailles,    prince 

de),  const.,  349,  369  n.,  370,  378  n., 
379. 

Poloqne,  317,  347. 

Polyphème,  cyclope,  pers.  mythol., 
ïi3,  257. 

Poniatowski  (prince),  général  polo- 
nais, 347- 


Pont-sur-S ambre   (camp  de)    (Nord), 

228  n. 
Popilius    (Laenas),    consul    romain, 

249. 
Porsenna,  roi  d'Etrurie,  56. 
Poulet-Malassis,  éditeur,   xxxn  n. 
Prieur  (de  la  Marne),  const.  et  conv., 

xii  n.,  38  n.,  51  n.,  295  n. 
Provence     (  Louis-Stanislas-Xavier, 

comte  de),    frère  de   Louis   XVI, 

104  à  106,  270  n.,  376. 
Proyart   (l'abbé),  écrivain   royaliste, 

34  n. 
Prudhomme  (Louis),  journaliste,  vu, 

vin  n.,  xii,  xiii  ;  —  1  n.,  258  n., 

260  n.,  318  n. 
Prugnon,  const.,  185  n. 
Prusse,   169,  234,  238,  240,  325,  336, 

340,  347  n. 
Pyrénées  (départ,  des  Basses-),  167. 
Pyrrhus,   roi   d'Epire,  233. 


Q 

Ouatre-Bras   (Belgique),  342. 
Quatremère  de  Quincy,  dép.,  ngn. 
Quiévrain  (Belgique),  228  n. 
Quinguerlot,  garde  nat.,  369. 


Raincourt  (colonel  de),  221. 
Rambouillet    (Seine-et-Oise),   380. 
Ramond,  dép.,  99,  273  n.,  306. 
Ravel,  banquier,  379,  380. 
Rebecqui,  conv.,  xx  ;  —  86,  87  n. 
Remiche  (Luxembourg),  345,  346. 
Renault,  homme  de  loi,  373. 
Renns,   prés,    du   comité   brabançon, 

339- 
Reubell,  const.,  184  n. 
Revel,  off.  mun.  de  Strasbourg,  222. 
Rhin,  fleuve,  16  n.,   159  n.,  228,  282. 
Riffardeau     de    Ri vi ère,      émigré, 

191  n.,   192. 
Riom  (Puy-de-Dôme),  169  n. 
Rivière  (Marcel),  éditeur,  xxxiv  n. 
Robert,  garde  nat.,  369. 
Robin,  dép.,  63  n. 
Robiquet     (F.),    historien,     180    n., 

373  n. 
Rochambeau,  général,   16  n.,  166  n., 

188  n.,  189  n.,  223  n.,  306  n. 
Rocroi  (Ardennes),  281. 


392 


INDEX 


Rodemack  (Moselle),  159,  160. 

Roederer,  procureur-syndic  du  dép. 
de  Paris,  29  n.,  30  n.,  31,  261, 
351  n.,  355,  356,  363,  373  "•,  374- 

Roland,  ministre,  vi,  xxi;  —  91, 
92  n.,  150  à  153,  295  n. 

Roland  (Mn,c),  9  n.,  93  n. 

Rome  (Italie),  55,  56,  94,  336,  359, 
367. 

Rosière  (de),  général  brabançon, 
339,  344- 

Rostaing  (marquis  de),  const,  50  n. 

Rouanet,  imprimeur,   xxvn  n. 

Rouen    (Seine-Inférieure),    370. 

Rouget  de  l'Isle,  auteur  de  la 
«   Marseillaise   »,  334  n. 

Roulleau,  garde  nat,  369. 

Rousseeau  (J.-J.),  philosophe,  34,  37, 
68,   123,   142,   147,  299. 

Rousselin  de  Saint-Albin,  écrivain 
et   collectionneur,   xxxvi. 

Royou  (l'abbé),  journaliste,  xxiv. 

Rubicon  (le),  fleuve  frontière  entre 
la  Gaule  et  l'Italie,  242. 

Russie,  347. 

Rutteau,  agent  du  gouvernement  ré- 
vol,  à  l'étranger,  vm,  xvm  ;  — 
255,  275  à  285,  287,  310  à  314, 
317,  337  à  346,  349,  368. 


Sagnac  (Ph.),  historien,  350  n.,  351  n., 

352  n.,  362  n. 
Saint-Domingue    (île    de),    ancienne 

colonie,   84. 
Saint-Germain    (Seine-et-Oise),    364. 
Saint-Malo    (Ille-et-Vilaine),    209    n. 
Saint-Marc  (comte  de),  agent  roya- 
liste   [peut-être   Poilloue   de   St- 

Mars,  anc.  const.],  373,  374. 
Saint-Quentin   (Aisne),   370  . 
Saint-Sulpice-de-Favières     (Seine-et- 
Oise),  109,  120  n.,  128  à  135. 
Saint-Yon  (Seine-et-Oise),  109,  120  n., 

128  à  135. 
Saladin,  dép.,  xxiv. 
Salm-Kirbourg  (Frédéric,  prince  de), 

56. 
Sambre  (la),  rivière,  342. 
Santerre,   général,    179   n.,   354   n., 

362  n. 
Sarre  (la),  rivière,  102. 


Sarrelouis   (province  de  la  Sarre), 

xxxv  ;  —  102,  139. 
Sauvigny  (Meuse),  102. 
Schoenfeld,  général  prussien,  xxxv; 

-56. 
Schroëder,  général  autrichien,   192. 
Scipion,  consul  romain,  32. 
Sedan   (Ardennes),   228  n.,   281,   282. 
Seine-et-Oise    (département),   310. 
Senazaront,  officier,  193. 
Sens  (Yonne),  275  n. 
Serane,  dép.,  71  n. 
Sergent,  off.  munie,  et  conv.,  179  n. 
Servan,  ministre,  xvi,  xxxv;  —  91, 

94  n.,  137,  138  à  144,  150,  152,  153, 

161-162,  312  n. 
Sèvres  (Seine-et-Oise),  66  n. 
Sey  (Nord?),  344. 

Sierck   (Moselle),  317,  342,  345,  346. 
Sillery-Genlis  (marquis  de),  const., 

51   n.,  254  n. 
Simon,  jacobin   de   Strasbourg,   219, 

220. 
Simond   (Philibert),   conv.,  88  n. 
Simoneau,  maire  d'Etampes,  xvi  ;  — 

T17  n.,  119  n.,  124  à  135. 
Socrate,  philosophe  grec,  206. 
Soissons  (camp  de)   (Aisne),  334  n. 
Sorel  (A.),  historien,  183  n. 
Spa  (Belgique),  349,  372. 
Sparte  (Grèce  ancienne),  55,  126,  336, 

367. 
Spire  (Palatinat),  222. 
Staël    (M™    de),    femme    écrivain, 

50  n.,  211-212  n. 
Stempel,  offic.  munie,  de  Strasbourg, 

222. 
Stervé.  patriote  de  Strasbourg,  221. 
Strasbourg  (Bas-Rhin),  ix,  xvn;  — 

45,  46,  87,  88  n.,  137,  156  à  159, 

195,  219  à  222,  283  n.,  343. 
Swinton,  aventurier  anglais,  ami  de 

Brissot,  32  n. 
Sylla,  dictateur  romain,  38,  42,  274. 
Syrie,  249  n. 


Tacite,  historien  latin,  11. 
Tarbé,  ministre,  369  n.,  375  n. 
Targowica    (Confédération   de)    (Po- 
logne), 347  n. 


393 


Tarquin,  roi  de  Rome,  9. 

Terrier  de  Moncel,  ministre,  295. 

Théveneau  de  Morande,  follicu- 
laire, 32  n.,  93. 

Thiboutot  (marquis  de),  const.,  50  n. 

Thiers,  historien,  xxxm  n. 

Thionville  (Moselle),  102,  139,  310, 
346. 

Thouret,  const,  10  n.,  100  n.,  370. 

Thuriot,  dép.,  xxv  ;  —  55  n. 

Tibère,  empereur  romain,  65. 

Timoléon,  démocrate  de  la  Grèce, 
367. 

Toumay  (Belgique),  15  n.,  20,  159, 
228  n.,  230,  340,  342,  343,  344  n. 

Torné,  dép.,  260  n. 

Tourneux  (Maurice),  historien,  11, 
v  n.,  vin  n.,  xix  n.,  xxi  n., 
xxv  n.,  xxxm  n,;  —  88  n.,  165  n., 
176  n.,  179  n.,  181  n.,  185  n.,  239  n., 
275  n.,  318  n.,  350  n. 

Tourton,  banquier,  379,  380. 

Treilhard,  const.  et  conv.,  xn  n. 

Trêves  (Allemagne),  165,  188  n.,  190, 
191,  282,  283,  342,  346. 

Tronson  du  Coudra  y,  avocat,  182  n. 

Troupet,  maire  de  Givet,  279,  280. 

Troyes  (Aube),  88  n.,  371. 

Turenne,  maréchal  de  France,  214. 

Tarin  (Italie),  191  n. 


U 


Uirecht  (traité  d'),  16  n. 


Valence  (comte  de),  général,  253. 
Valcnciennes  (Nord),  189  n.,  255,  275, 

344- 
Valmy  (Marne),  xx;  —  352  n. 
Vandermerch,     général     brabançon, 

339- 

Varennes-en-Argonne    (Meuse),    101. 

Varsovie  (Pologne),  317,  347- 

Vendée  (province  de),  xxiv;  — 362  n. 

Verboeckhoven,  éditeur,  xxxiv  n. 

Verdun  (Meuse),  194. 

Vergniaud,  dép.,  v,  xxm,  xxix, 
xxxv  ;  —  16  n.,  45  n.,  77  n.,  83, 
93  n.,  95  n.,  142,  143  n-.  357  n., 
365. 


Vermorel,  historien,  I,  xxxiv;  — 
233  n->  234  n.,  241  n.,  242  n.,  243  n. 

Vernaud,  garde  nat.,  369. 

Vernon  (Eure),  179. 

Versailles  (Seine-et-Oise),  vin;  — 
61  n.,  65,  66,  67  n.,  90  n.,  364,  370, 
380. 

Verset  (Belgique),  312. 

Vienne  (Autriche),  18,  189  n.,  212, 
245,  265. 

Villedeuil  (Laurent  de),  ministre, 
33  n. 

Villette  (Charles,  marquis  de),  lit- 
térateur, const.  et  conv.,  vi. 

Vincennes  (Seine),  179  n. 

Virginie,  jeune  plébéienne  romaine, 
144,  249. 

Viroflay  (Seine-et-Oise),  203  n. 

Virton  (Belgique),   194,  283. 

Vivenot,  écrivain,  190  n.,  313  n.      ( 

Volmerange    (Bas-Rhin),    310. 

Voltaire,  philosophe,  68. 

Vonck,  révol.  belge,  17  n. 


W 

Wandersten,  membre  du  comité 
brabançon,   339. 

Washington,  président  de  la  Rép. 
des  Etats-Unis,  xxxv;  —  56  n., 
170,  175,  188,  213. 

Waterloo  (Belgique),  342  n. 

Wauderauze,  membre  du  comité  bra- 
bançon, 339. 

Welvert  (Eug.),  historien,  369  n. 

î  i  ervicq  (Belgique),  253. 

Westermann,  général,  351  n.,  362, 
363- 

Wimpffen  (baron  de),  const.  et  gé- 
néral, xxxv;  —  50  n.,  137,  159 
à  161. 

Woippy   (Nord),  344. 

Worms  (Allemagne),  222. 


Xerxès,  roi  de  Perse,  56,  117  n.,  126, 
362. 


Y  près  (Belgique),  227,  253. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Introduction  :  Robespierre  journaliste  là  xxxvn 

Ses  premières  tentatives  sous  la  Constituante.  —  Sa 
collaboration  à  Y  Union  ou  Journal  de  la  Liberté 
novembre  1789-août  1790).  —  Après  la  session, 
polémique  avec  Brissot  et  les  Girondins  sur  la 
question  de  la  guerre  (novembre  1791-avril 
1792).  —  Nécessité  d'un  journal.  —  Le  Défen- 
seur de  la  Constitution  (mai-août  1792)  :  Choix 
et  explication  du  titre.  —  Ses  principes.  —  Des- 
cription du  journal.  —  Son  annonce  (20  avril 
1792).  —  Commentaires  de  la  presse.  —  Dates 
des  fascicules  et  exposé  du  texte.  —  Réappari- 
tion du  journal,  après  le  10  août,  sous  le  titre: 
Lettres  de  Maximilien  Robespierre,  membre  de 
la  Convention  Nationale  de  France  à  ses  com- 
mettants (septembre  1792-avril  1793):  descrip- 
tion de  cette  nouvelle  publication.  —  Dates  des 
fascicules  et  exposé  du  texte.  —  Les  éditions 
ou  réimpressions  de  parties  du  journal  ;  les  pro- 
jets :  Laponneraye,  Arthur  Guillot,  Léonard  Gal- 
lois, Hatin,  Bûchez  et  Roux,  Vermorel,  Ernest 
Hamel.  —  Rareté  de  la  collection  du  journal; 
sa  valeur. 


LE  DÉFENSEUR  DE  LA  CONSTITUTION 

Prospectus.  —  Le  Défenseur  de  la  Constitution  par  Maxi- 
milien Robespierre,  député  à  l'Assemblée  Constituante; 
ouvrage  périodique  proposé  par  souscription I 

N°  1 

I.  —  Exposition  de  mes  principes 5 

II.  —  Observations  sur  les  moyens  de  faire  utilement  la 

guerre    15 


396  TABLE   DES    MATIÈRES 

III.  —  Réponse  de  M.  Robespierre  au  discours  de  MM. 

Brissot  et  Gaudet  (sic)  du  25  avril  1792,  pro- 
noncé à  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution, 
le  27  du  même  mois,  et  imprimé  par  ordre  de  la 
Société     28 

IV.  —  Décision  de  la  Société  des  Amis  de  la  Constitution 

au  sujet  de  ces  démêlés 46 

N°  2 

1.  —  Sur  la  nécessité  et  la  nature  de  la  discipline  militaire  49 
II.  —  Nouvel  attentat  contre  la  liberté  individuelle  et  contre 

les  droits  du  peuple 61 

III.  —  Emprisonnement  de  M.  Le  Cointre    65 

IV.  —  Observations  sur  un  pamphlet 69 

V.  —  Assemblée  nationale  :  décret  définitif  :  mardi  (pour 

mercredi)  16  mai  1792,  séance  du  soir;  décret  du 
jeudi  17  mai  1792;  deuxième  décret  du  jeudi 
17  mai  1792;  décret  du  18  mai  1792;  séance 
du  jeudi  17  mai  1792:  troisième  décret  définitif.       69 

N°  3 

I.  —  Considérations  sur  l'une  des  principales  causes  de 

nos  maux   yy 

II.  —  Coup  d'œil   d'ensemble   sur   la   séance   permanente 

de    l'Assemblée   nationale    99 

III.  —  Lettre  à  un  député  à  l'Assemblée  nationale  :  Metz, 

vendredi  25  mai,  l'an  4e  de  la  liberté  101 

IV.  —  Assemblée  nationale:  séance  du  samedi  19  mai  1792: 

décret  définitif  ;  séance  du  dimanche  20  mai 
1792  :  décret  ;  séance  du  mardi  22  mai  1792  ....      103 

N°  4 

I.  —  Observations  sur  les  causes  morales  de  notre  situa- 
tion actuelle   109 

II.  —  Des  fêtes  nationales  et  des  honneurs  publics 119 

III.  —  Pétition  de  quarante  citoyens  des  communes  de 
Mauchamp,  Saint-Sulpice-de-Favières,t  Breuil- 
let,  Saint- Yon,  Chauffour  et  Breux,  voisines 
d'Etampes  à  l'Assemblée  nationale   128 

No  5 

I.  —  Sur  le  projet  de  rassembler  une  armée  de  vingt- 
trois  mille  hommes  à  Paris,  proposé  à  l'Assem- 
blée nationale  par  le  ministre  de  la  Guerre  ....     137 


TABLE   DES    MATIÈRES  397 

IL  —  Sur  le  respect  dû  aux  lois  et  aux  autorités  consti- 
tuées         144 

III.  —  Société   des   Amis  de   la   Constitution  :   séance   du 

13  juin  1792 150 

IV.  —  Lettre  de  Strasbourg  du  5  juin   156 

V.  —  A    Monsieur    Vimpfen    (Wimpfen),    maréchal    de 

camp  :  lettre  du  lieutenant-colonel  de  La  Harpe, 

du  6  juin  1792;  et  réponse  de  Félix  Wimpfen..     159 

VI.  —  A  M.  Servan,  ministre  de  la  Guerre   161 

VII.  —  Laurent  Lecointre,  député  à  l'Assemblée  nationale 
à  Caritat  dit  Condorcet,  auteur  de  la  Chronique 
de  Paris,  du  7  juin  1792   162 

N°  6 

I.  —  Réponse   de    M.    Robespierre,   citoyen   français,   à 

Monsieur  La  Fayette,  général  d'armée    :     165 

IL  —  Lettre  écrite  à  un  député  à  l'Assemblée  nationale 

de  France,  à  Paris  ;  de  Trêves,  le  14  juin  1792.  .      190 
III.  —  Lettre  de  Metz  (s.  d.)   193 

N°  7 

I.  —  Deuxième  lettre  de  M.  Robespierre  à  M.  Lafayette 

sur  les  lettres  de  M.  Lafayette  à  l'Assemblée 

nationale  et  au  roi    195 

IL  —  Lettre  de  [La  Société  des  Amis  de  la  Constitution 
de]  Strasbourg  du  25  juin,  l'an  4e  de  la  liberté 

aux  Amis  de  la  Constitution  de  Paris 219 

III.  —  Extrait  d'une  lettre  de  Lille  en  date  du  25   juin 

1792  fau  sujet  de  Luckner]    222 

NÔ8 

I.  —  Réflexions  sur  la  manière  dont  on  fait  la  guerre.  .     225 

II.  —  Sur  la  tactique  du  général  La  Fayette 233 

III.  —  Aux  Amis  de  la  Constitution,  sur  les  circonstances 

actuelles:  [Discours  du  26  du]  mois  de  mars 
1792;  précédé  d'une  note  expliquant  les  motifs 
de  cette  publication  243 

IV.  —  Lettre  du  camr>  de  Courtrai  du  29  juin  1792,  l'an 

4e  de  la  liberté 253 

N°  9 

I.  —  Aux  fédérés   255 

II.  —  Sur  l'arrêté  du  Directoire  qui  suspend  le  maire  et  le 

procureur  de  la  commune  de  Paris  260 


398  TABLE   DES    MATIÈRES 

III.  —  Opinion  de  J.-M.  Collot-d'Herbois  sur  les  coupables 

démarches  du  général  La  Fayette 262 

IV.  —  Première  lettre  écrite  à  M.   Scipion  Chambonnas, 

ministre  des  affaires  étrangères  par  Rutteau  ;  de 
Valenciennes,  le  29  juin  1792,  l'an  4e  de  la 
liberté    275 


N°  10 

I.  —  Pétition  des  fédérés  à  l'Assemblée  nationale    ....  287 

II.  —  Sur  la  fédération  de   1792    294 

III.  —  Décret  sur  la  rébellion  de  La  Fayette 301 

IV.  —  Les  citoyens  réunis  à  Paris,  au  mois  de  juillet  1792, 

aux    Français    des    quatre-vingt-trois    départe- 
ments: Paris,  ce  20  juillet  1792,  l'an  4e  de  la 

liberté    307 

V.  —  Lettre  XIII  de  M.  Ruteau  à  M.  Scipion  Cham- 
nas,  ministre  des  affaires  étrangères,  par  le 
patriote  Ruteau  :  Paris,  le  18  juillet  1792,  l'an 

4e  de  la  liberté  310 

VI.  —  Assemblée  nationale:  séance  du  15  juillet  1792.  . .  .     314 


N°  n 

I.  —  Des  maux  et  des  ressources  de  l'Etat   317 

II.  —  Sur  l'arrivée  des  Marseillais  à  Paris  334 

III.  —  Copie  de  la  lettre  écrite  au  Ministre  des  Affaires 
étrangères,  par  M.  Rutteau  :  Lille,  le  30  juillet 
1792,  l'an  4e  de  la  liberté  ;  suivi  d'un  rapport  d'un 
de  ses  surveillants  dans  les  Pays-Bas  [du  même 
jour]  ;  d'une  lettre  de  Metz,  27  juillet  1792,  l'an 
4e  de  la  liberté  ;  d'un  extrait  d'une  lettre  de 
Sierck,  du  25  juin  1792;  d'un  extrait  d'une 
lettre  de  Pologne:  Varsovie,  le  6  juin  [1792] . .     337 


N°  12 

I.  —  Sur  les  événements  du  10  août  1792 350 

II.  —  Détails  intéressants  des  événements  du  10  août  et 

des  jours  suivants  360 

III.  —  Pétition  présentée  à  l'Assemblée  nationale  au  nom 

de  la  section  de  la  place  Vendôme 366 

IV.  —  Lettre  de  Rutteau,  écrite  de  Lille,  le  10  août  1792, 

l'an  4e  de  la  liberté  (pour  réparer  une  erreur 
commise  au  préjudice  des  membres  du  Comité 
des  Belges  et  Liégeois) 368 


TABLE   DES   MATIÈRES  399 

V.  —  Pièces  trouvées  dans  la  chambre  du  roi  :  état  des 
noms  des  personnes  qui  doivent  être  définitive- 
ment choisies  dans  la  garde  nationale:  désignée 
par  la  reine,  par  Madame  Elisabeth,  par  le  roi. 
Lettre  adressée  à  Théodore  Lameth,  de  Mau- 
beuge,  le  jeudi  9  au  soir.  Lettre  du  prince  de 
Poix  au  roi.  Lettre  de  Spa,  du  27  (??),  [à  une 
princesse]    369 

VI.  —  Procès-verbal  de  la  déclaration  de  M.  Lecomte, 
sergent  des  grenadiers  et  de  six  personnes  de  son 
bataillon  de  renfort  au  château  des  Tuileries  : 

14  août  1792   372 

VII.  —  Extrait  de  l'interrogatoire  de  M.  De  Lalain,  com- 
missaire ordonnateur,  employé  au  bureau  de  la 

guerre 374 

VIII.  —  Pièce  trouvée  dans  un  des  secrétaires  du  roi  par 
MM.  les  commissaires  envoyés  aux  Tuileries; 
imprimée  par  ordre  de  l'Assemblée  nationale: 
projet  du  Comité  des  Ministres  concerté  entre 
MM.  Lameth  et  Barnave   375 

IX.  —  Billet   des   princes,   enfermé   dans   un   portefeuille 

trouvé  dans  les  appartements  du  roi 376 

X.  —  Note  trouvée,  avec  des  lettres  adressées  à  M.  de 
Montmorin,  ex-ministre,  dans  un  appartement 
aux  Tuileries   377 

XI.  —  Pièces  trouvées  dans  le  secrétaire  du  roi,  lues  à 
l'Assemblée  nationale  le  15  août,  l'an  4e  de  la 
liberté,  imprimées  et  envoyées  aux  Quatre- 
vin^t-trois  départements  par  son  ordre:  lettre 
de  Philippe  de  Noailles  de  Poix  [s.  d.].  Lettre 
de  Coblentz  du  7  octobre  1791   378 

XII.  —  Avis  aux  souscripteur    381 


Index    383 

Table  des  Matières 395 


DC 
U6 
R6A2 
1910 
t.  U 


Robespierre,  Maximilien 
Isidore  de 

Oeuvres  complètes 


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